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L'ART CHRÉTIEN PRIMITIF
TOME I
191 I
L'ART CHRÉTIEN
PRIMITIF
PAR MARCEL LAURENT
Professeur d'Histoire de l'Art, à l'Université de Liège
TOME I
VROMANT & e, ÉDITEURS
RUE DES PAROISSIENS, 24, BRUXELLES
RUE DANTE, 5, PARIS
ERRATA
Page 135, fin du premier paragraphe, lire : Enfin, l'inscription
reste : ni la place qu'elle occupe, ni la mauvaise qualité de son
exécution ne prouvent le remploi du sarcophage.
Page 158, ligne 22, au lieu de : les élèves, lire : les élus.
Page 176, ligne i, au lieu de : cimeteriales , lire : cimiteriales.
ÎHE 1N8TITUTE OF MEDÎAEVAL STUDIES
10 ELN^.SLEY PLACE
TOROI-iTO 5, CANADA,
KOV 1 A 1B31
I30f
AVERTISSEMENT
Le petit ouvrage que nous publions est le développement
d'une série de leçons élémentaires faites à un auditoire
où se mêlaient des étudiants et des gens du monde. Les pre-
miers désiraient une initiation générale aux études d'archéo-
logie chrétienne, et certains se proposaient même de tenter
par la suite des recherches personnelles sur le même sujet;
les seconds ne répugnaient pas à l'érudition archéologique,
à condition que celle-ci ne fût point décourageante et servît
à montrer le développement de l'art. A tout prendre, il n'y
avait rien de contradictoire entre les désirs des uns et les
besoins des autres ; l'auteur de ces lignes essaya de satisfaire,
du mieux qu'il put, ses deux catégories d'auditeurs. De là
est né ce livre, qui n'a pas de prétention à être savant, mais
dans lequel on a cherché à exposer sommairement l'état
de la science sur les problèmes les plus importants de l'art
chrétien primitif; qui n'est pas une « somme » condensée
de renseignements archéologiques, mais où l'on s'est efforcé
de mettre en lumière ce qui était le plus utile à connaître,
tant pour aborder des études personnelles que pour acqué-
rir, sur la période d'art étudiée, des notions assez com-
plètes. Le public auquel nous nous adressons ressemble, par
sa composition, à l'auditoire qui nous écouta : avons-nous
eu tort de penser que cela justifiait la publication de notre
livre et le caractère que nous avons tenu à lui donner?
6 AVERTISSEMENT
C'est l'histoire de l'art chrétien, non l'archéologie chré-
tienne, à proprement parler, que nous étudions : c'est pour-
quoi les descriptions tiennent dans nos chapitres une large
place, comme aussi les considérations purement esthétiques.
Nous nous plaisons à croire, cependant, que l'archéologie n'a
cessé d'inspirer tout ce que nous avons écrit. C'est ainsi que
nous n'avons pas reculé devant l'exposé de bien des ques-
tions où l'érudition joue le premier rôle, ayant à cœur, il
est vrai, de conserver à cet ouvrage de vulgarisation son
caractère élémentaire, mais soucieux aussi de ne pas duper
nos lecteurs par une apparente simplicité. Les opinions que
nous défendons sont exprimées parfois sous une forme
catégorique : c'est là une nécessité, car qui enseigne doit
souvent prendre position, sous sa responsabilité. Nous
espérons seulement ne pas avoir abusé des affirmations de
certitude. Au surplus, la bibliographie a été rédigée de façon
que le lecteur pût y trouver sans peine les éléments d'une
documentation diverse et complète.
Nous tenons à reconnaître tout le profit que nous avons
tiré des articles, manuels ou traités récents de Dom Leclercq,
de Pératé, de Kaufmann, de Millet, de Diehl, le Manuel
d'art byzantin de ce dernier ayant paru, alors que nous cor-
rigions nos épreuves. Grâce à des concours bienveillants,
nous avons pu joindre au texte une illustration abondante.
Les maisons Brogi et Alinari, de Florence, Anderson, de
Rome, Ricci, de Ravenne, ont fait preuve, envers nous,
d'une grande générosité. L'éditeur Herder, de Fribourg, a
bien voulu nous mettre à même de reproduire un certain
nombre de sujets des catacombes, d'après les aquarelles qui
illustrent les Malereien de Mgr Wilpert ; M. Strzygowski,
l'éminent professeur de Gratz, nous a généreusement permis
AVERTISSEMENT 7
d'utiliser certaines planches de son ouvrage, Orient oder
Rom; Miss Gertrude Lowthian Bell eut l'amabilité de
mettre à notre disposition plusieurs des photographies par
lesquelles elle illustra le récit de ses voyages si remar-
quables et si fructueux en Asie-Mineure. M. Mille t, à qui
beaucoup de travailleurs doivent de la reconnaissance, tant
à cause de ses travaux que de sa grande libéralité scienti-
fique, nous a ouvert le trésor de documentation photogra-
phique de l'École des Hautes Études. Que tous veuillent
bien recevoir ici l'expression de notre reconnaissance !
Nous adressons enfin nos plus vifs remerciements à
MM. Vromant & C*®, qui ont mis tous leurs soins à présenter
au public des volumes d'une exécution irréprochable et qui
ont été ainsi, pour nous, de véritables collaborateurs.
Bruxelles, le 31 octobre 1910.
N
Nr.V
INTRODUCTION
Diffusion du Christianisme. L'apostolat. Le Christianisme et TÉtat.
L'Église et le peuple. La civilisation antique. L'Église et l'art. Le sort
des chefs-d'œuvre. L'art religieux. Les docteurs et les images. L'art
chrétien primitif. Occident et Orient.
Diffusion du Christianisme. Dès la fin du premier
siècle, le christianisme s'était propagé dans la majeure
partie de l'Empire romain. A la différence des religions
orientales et du judaïsme, il entendait se communiquer à
tous et rallier à lui la foi universelle. Tandis que les cultes
venus d'Egypte ou d'Asie-Mineure se répandaient d'eux-
mêmes, et comme au gré du hasard, par des colonies de
marchands, des groupes de soldats ou d'esclaves; que le
judaïsme mettait la plus grande circonspection dans son
prosélytisme et, ainsi, restreignait de propos délibéré sa
propagande, le christianisme se donnait pour mission essen-
tielle de convertir et, par là, sauver le monde.
Il était intransigeant : lui seul avait le dépôt de la vérité
absolue et pouvait enseigner les moyens du salut. Toutes les
autres doctrines, avec leurs cultes, leurs rites, leurs sacrifices,
étaient menteuses, il les tenait pour des œuvres du démon
et leur déclarait la guerre. Dieu seul était. A lui seul reve-
naient de droit l'adoration et l'obéissance. Et il fallait croire
au Christ, fils de Dieu, venu sur terre pour sauver les hommes.
10 INTRODUCTION
11 fallait écouter sa doctrine, suivre ses exemples, observer
ses préceptes. C'était la condition indispensable du bonheur
d'outre-tombe.
Une telle doctrine était pleine de rigueur, si on la compare
à la tolérance mutuelle des cultes antiques, vivant pacifi-
quement côte à côte. C'est que ces derniers pouvaient
s'opposer sans se combattre, se distinguer formellement sans
s'interdire. Chacun d'eux, en effet, affichait sur ses rivaux
une supériorité manifeste : ses dieux, prétendait-il, étaient
les plus puissants, ses rites et ses formules les plus salutaires.
Mais ils ne se vouaient point pour cela à la destruction. Ils
semblaient plutôt se partager l'œuvre commune du salut
humain par delà le tombeau, et la notion de l'apostolat, par
une conséquence toute naturelle de cet état de choses, leur
était inconnue.
Au contraire, la position radicale que le christianisme
avait prise lui commandait de repousser tout ce qui aurait
eu l'apparence d'un pacte avec l'idolâtrie. Puisqu'il affirmait
représenter la vérité entière et la certitude absolue ; puisqu'il
attestait agir en vertu d'un mandat divin, il était astreint à
tirer de ces principes de strictes conséquences : il devait con-
sidérer comme un devoir de combattre sans merci le scep-
ticisme, l'impiété, la superstition, toutes les formes d'ado-
ration étrangères à la sienne, et de propager sans relâche la
doctrine indispensable au salut. Il fut animé à la fois de
haine et d'amour, d'intransigeance et de charité; quand il
le fallut, il sut se prêter à des adaptations habiles, et
l'apostolat, cette forme chrétienne du prosélytisme, fut
l'instrument au moyen duquel il conquit le monde à sa
doctrine.
L'Évangile se répandit d'abord en Judée et en Syrie, où
DIFFUSION DU CHRISTIANISME ii
il resta pénétré de particularisme juif. Paul fut, une fois
converti, son plus actif propagateur. On l'entendit, doc-
teur et missionnaire, à Tarse, à Éphèse, à Damas, à Antio-
che, d'où la « bonne nouvelle » gagna le lointain Orient. Il
fut à Athènes, à Corinthe, mère des Églises de Grèce, et ses
efforts tendirent désormais beaucoup plus à convaincre les
gentils, anxieux d'une nouvelle espérance, qu'à persuader
les Juifs, obstinément attachés à la Loi. Rome même devint
un foyer de christianisme : une tradition unanime de toutes
les Églises au ii® siècle voulait que Pierre, le prince des Apô-
tres, y eût prêché et y fût mort.
Ainsi, la religion chrétienne se répandait, au lendemain
même de la mort de Jésus, de l'Orient à l'Occident.
La paix qui régnait dans tout l'Empire rendait les com-
munications faciles. Les routes étaient nombreuses. Et sur-
tout, la dispersion des Juifs, accomplie depuis longtemps,
avait préparé les voies à la diffusion du christianisme.
Les missionnaires chrétiens allaient prêchant de syna-
gogue en synagogue. Ils n'avaient point renoncé à l'espoir
de transformer le judaïsme ou, du moins, de l'amener à des
transactions amicales, et, d'autre part, les Juifs considé-
raient encore les disciples du Christ, quoique dissidents,
comme des coréhgionnaires. Partout donc où s'étaient éta-
blis les enfants d'Abraham, sur les côtes de la mer, le long
des chaussées et des fleuves, dans toutes les régions qui
vont de l'Euphrate au Tibre, la doctrine chrétienne fut
prêchée et opéra des conversions.
Mais bientôt, les fidèles observateurs de la Loi s'émurent.
Les synagogues repoussèrent les prédicateurs. Sous le règne
de Néron, le divorce entre les deux confessions s'annonça.
Et tandis qu'Israël se repliait sur lui-même dans un isole-
12 INTRODUCTION
ment farouche, l'Église — déjà l'on pouvait donner ce nom
à l'ensemble des communautés chrétiennes — précisa sa foi,
fixa sa discipline, organisa sa hiérarchie et voua tous ses
efforts à Tévangélisation des païens.
Convaincre les païens instruits de la vanité des anciens
dieux, c'était une œuvre facile, car, sur ce sujet, les philo-
sophes de la Grèce avaient tout dit. Les apologistes ne firent
que répéter leurs arguments et, forts d'une telle autorité,
ruinèrent sans peine un prestige déjà bien ébranlé. Beaucoup
de lettrés et de patriciens restèrent sceptiques, estimant
qu'en dehors de la philosophie, il n'y avait que superstition ;
mais tous ceux que tourmentait l'inquiétude religieuse se
rallièrent facilement à une doctrine qui mettait dans la vie
une haute morale, du dévouement, de la pitié, et qui, sur-
tout, adoucissait la mort par un espoir inébranlable.
Aussi bien, la philosophie platonicienne, rayonnant
d'Alexandrie, avait préparé un grand nombre d'esprits à
l'intelligence d'une religion à la fois mystique et spécu-
lative; d'un autre côté, les cultes orientaux, ceux d'Isis,
de Mithra, de Cybèle phrygienne, avaient adultéré la
religion traditionnelle, et en transformant les rites, en
donnant pour but à la piété le salut de l'âme après la
mort, avaient du même coup affaibli le pouvoir de résis-
tance du paganisme gréco-romain et favorisé l'apostolat
chrétien. Toutes les classes de la société furent ainsi péné-
trées. On peut dire qu'au moment où Constantin prit
position en faveur de l'Éghse, celle-ci triomphait déjà
dans la majeure partie de l'Empire. Mais avant cela, que
d'obstacles elle avait dû vaincre !
A la foule, il fallait persuader que ses divinités, d'où
qu'elles fussent, étaient sans vertu; que le Christ seul possé-
DIFFUSION DU CHRISTIANISME 13
dait le pouvoir de protéger, de récompenser et de punir. C'est
là, en réalité, ce qui retarda considérablement les progrès
du christianisme, car la piété populaire ne se nourrit pas
de hautes pensées : elle demande des preuves de puissance
et des gages d'intérêt. Les déshérités, ceux que méprisaient
les hommes et que le ciel semblait abandonner, furent
des recrues vite persuadées; mais la foule du peuple, naïve
et convaincue, s'émut de colère quand elle apprit le zèle et
le succès de ces chrétiens, ardents à détruire ses divinités
tutélaires. Elle se jugea frustrée, et on la vit applaudir aux
premières persécutions.
D'autre part, un grand nombre de citoyens, encore que
dédaigneux des choses de rehgion, estimaient que le respect
des dieux était nécessaire à la sauvegarde des institutions,
au maintien de l'ordre social. L'intolérance des chrétiens
pour tout ce qui regardait les offrandes, les prières, les
sacrifices, leur paraissait déraisonnable en soi et néfaste
dans ses conséquences. Qu'on adorât Jupiter, Isis, la déesse
phrygienne ou le Christ, peu leur importait, pourvu qu'on
ne refusât pas le sacrifice et l'hommage à la seule divinité
qui fût réelle à leurs yeux : la Patrie romaine, dont l'empe-
reur était la suprême incarnation. Pourquoi ne pas s'asso-
cier à l'apothéose décernée après leur mort aux régents de
l'Empire? Pourquoi ne pas reconnaître le symbole divin des
aigles? C'était, en un certain sens, nier Rome et sa supérieure
essence.
Et pourtant, le chrétien ne pouvait se rendre à ces invites
sans trahir les principes de sa foi. On devait, selon la parole
du Maître, rendre à Dieu ce qui est à Dieu, à César ce qui
est à César. Il offrait donc à l'empereur son dévouement, ses
services, ses prières, sa vie même, s'il en était besoin; mais
14 INTRODUCTION
quand le pouvoir entendait régir les consciences, exiger les
sacrifices, imposer les rites, il refusait obstinément d'obéir i
ce n'était plus le droit de César.
Ainsi le conflit devint inévitable entre l'Église et l'État.
On tint les chrétiens pour mauvais citoyens, ennemis de
l'Empire, impies et révolutionnaires. La foule, égarée par
de fausses rumeurs, les accusa de pratiques odieuses : ils
n'étaient pas seulement la peste de l'Empire, c'étaient
encore les « ennemis du genre humain )>.
Il n'en fallait pas tant pour qu'ils fussent mis au ban de
la société et, souvent, cruellement persécutés. Au reste, les
mesures de violence arrivaient trop tard. Quand l'attention
fut attirée sur eux et qu'on les considéra comme un danger
social, ils étaient déjà trop nombreux pour être détruits. Ils
avaient essaimé dans tout le monde méridional. Unis entre
eux par la fraternité de l'âme, soutenus par l'espoir des éter-
nelles récompenses, ils se fortifièrent dans la persécution.
Les poursuites dont ils étaient l'objet devant les magis-
trats leur permirent de se justifier. On apprit à connaître
en même temps leur doctrine et leurs vertus. La calomnie
fut confondue, la haine fut souvent désarmée. Les bour-
reaux, comme il arrive toujours, provoquèrent la sympa-
thie envers les victimes. C'est ainsi que le sang versé fut
une semence de chrétiens.
L'apostolat ne produisit jamais plus de fruits qu'aux épo-
ques de persécution. Et tant furent nombreux les prosé-
lytes que, dès le ii® siècle, il y avait au sein du monde
antique une véritable société chrétienne, réglant selon des
principes nouveaux ses rapports avec l'État, imposant à
ses membres un code de devoirs et d'usages dont la source
principale était l'enseignement du Christ et de ses apôtres.
DIFFUSION DU CHRISTIANISME 15
Sans doute, les moralistes païens avaient constitué un
trésor de préceptes que l'Église adopta; sans doute, les lois
avaient habitué déjà les masses au respect d'autrui; mais la
notion même du devoir fut transformée, puisqu'elle trouva
désormais sa raison dans les ordres de Dieu, et sa sanction
dans le jugement qui récompense ou punit l'homme après sa
mort. Les règles de morale dépendant étroitement des règles
de foi, elles régirent bien plus qu'avant toute l'activité
sociale et s'imposèrent avec une rigueur inouïe. Une nouvelle
conscience se forma, dont l'idéal était la sainteté, c'est-à-
dire la perfection de l'âme, la pureté dans les mœurs, la cha-
rité dans les œuvres, l'amour de Dieu et des hommes poussé
jusqu'à l'héroïsme. Il s'en fallut de beaucoup que les com-
munautés chrétiennes donnassent toujours un si admirable
exemple (Grisar, I, p. 54), mais l'idéal n'en était pas moins
proclamé, et c'était en son nom que le christianisme entre-
prit la réformation de la société païenne.
Pour cette œuvre de transformation, beaucoup de pru-
dence était nécessaire, car les usages sont plus tenaces que
les idées. On eût compromis par un rigorisme excessif le
succès des conversions. A quoi eût servi de conquérir les
intelligences, si l'on avait rendu trop difficile la pratique
ordinaire de la vie? N'était-ce pas assez de combattre des
croyances et des sentiments invétérés, de pHer à une disci-
pline étroite la liberté de l'esprit et les mouvements du
cœur? N'eût-ce pas été courir un grand péril, surtout dans
les régions qu'avait pénétrées la civihsation gréco-romaine,
de battre en brèche tant d'habitudes sociales qu'un usage
séculaire avait enracinées et qui, sans relever d'une inspi-
ration bien conforme à l'esprit chrétien, ne heurtaient de
front ni la foi, ni la morale? Il est vrai qu'un certain nombre
i6 INTRODUCTION
de philosophes chrétiens se montrèrent intraitables; mais
les membres dirigeants de l'Église, et notamment ces dia-
cres romains qui, au ii® siècle, furent recrutés parmi le trou-
peau des hellénisés, ne suivirent jamais leurs traces. Intran-
sigeants quand il s'agissait de cérémonies idolâtriques ou
de spectacles licencieux, ils devenaient accommodants quand
il fallait adapter aux mœurs traditionnelles la discipline
religieuse. A mesure que le nombre des chrétiens s'accrut,
ils précisèrent leur attitude. Ils distinguèrent les principes de
leur application, les préceptes rigoureux des conseils donnés
en vue de la perfection; ils surent interpréter, au profit
de la conciliation sociale, des paroles dont le sens rigoureux
eût révolté les enfants de la Grèce ou de l'Italie. Incons-
ciemment peut-être, ils s'adaptèrent au milieu. Ils donnèrent
et reçurent à la fois. Et pour n'avoir point rompu avec le
grand passé, ils assurèrent la durée du christianisme dans
l'avenir.
L'ÉGLISE ET l'Art. Ainsi fut respecté le goût des arts,
étranger aux Juifs, mais qui, dans la société gréco-romaine,
s'était identifié avec la vie. L'art était inséparable de la
religion, qui lui demandait, depuis des siècles, des statues,
des tombeaux et des temples. Il avait peu à peu trans-
formé les cités, enrichi les palais, embelli les maisons. Il n'y
avait pas jusqu'aux plus humbles objets de la vie quoti-
dienne qui ne lui dussent une élégance singulière. Quelle
position allait prendre l'Église à son égard ? Il importe de
distinguer ici entre l'art qui s'était rendu, aux yeux des
chrétiens, complice de l'idolâtrie, et celui qui n'avait d'autre
objet que de rendre la vie plus agréable à vivre. Le premier,
par définition, était condamné. Temples et statues, pour les
L'ÉGLISE ET L'ART 17
fidèles, étaient repaires d'erreurs, habitations des démons.
Et ces peintures qui, dans les monuments publics ou privés,
racontaient les histoires des dieux, elles étaient immorales
ou impies; un chrétien ne pouvait en tolérer même la vue.
Tel était le sentiment de réprobation contre les idoles, que
leur beauté devenait indifférente, sinon coupable.
A lire les Pères du 11® siècle, — époque de lutte ardente
contre le paganisme, — on croirait inévitable la totale
destruction des statues et des temples. Ce ne sont pas seule-
ment de barbares Africains, comme Tatien et Tertullien, qui
vouent au saccage les plus belles productions de l'art grec.
Clément d'Alexandrie, tout pénétré qu'il est de culture
classique, ne pardonne pas aux arts plastiques d'avoir
représenté les dieux et des spectacles impurs. Ils sont pro-
fanés. Leurs œuvres sont maudites. Le feu du ciel lui-même
les accuse et en purge la terre. Clément rappelle avec joie les
catastrophes, incendies et tremblements de terre qui ont
frappé des temples. « Et ces choses, dit-il aux païens, vous
ont été rapportées comme une préface de celles que le feu
nous promet ^. » Lactance, malgré le sens affiné qu'il a du
beau, n'est pas moins intraitable : les statues des dieux,
qu'elles soient de Polyclète, d'Euphranor ou de Phidias,
« sont de grandes poupées adorées non par de petites filles
à qui l'on pourrait le pardonner, mais par des hommes bar-
bus )). Que le jour vienne donc de la victoire sur l'Antéchrist,
elles seront livrées au feu ^, Il semblait que la beauté
antique, comphce involontaire de l'idolâtrie, allait être
immolée.
1. Clem. Alex., Cohortatio ad Genfes, ch. XVI.
2. Lact., Div. inst., II, 4, 13, et III, 19, 9 (éd. Brandt),
i8 INTRODUCTION
Cette opinion se confirme quand on parcourt les édits
impériaux rendus, contre les idoles, par les empereurs chré-
tiens. Constantin fit fermer les temples. Théodose les con-
damna à être détruits, en même temps que les statues de
divinités. Honorius, renouvelant les décrets paternels,
enjoignait d'anéantir les temples... « s'il en existe encore »,
croyait-il devoir ajouter.
De fait, au jour du triomphe de l'ÊgUse, les monuments
païens eurent beaucoup à souffrir, surtout dans les provinces,
où l'on peut signaler des explosions de fanatisme. Saint
Augustin, notamment, dut modérer le zèle iconoclaste de
ses chrétiens. Mais, tout compte fait, malgré tant de décla-
rations passionnées, malgré la rigueur littérale des édits, la
victoire définitive .du christianisme n'entraîna nulle catas-
trophe artistique. Le paganisme, tout vaincu qu'il était,
conservait des fidèles assez nombreux, assez puissants, pour
qu'on tînt compte de leurs droits. Les édits des empereurs
n'avaient pour objet, semble-t-il, que d'afhrmer le principe
de la religion d'État et de décourager les païens trop tenaces.
Le faste impérial tint également à préserver les trésors du
passé et à favoriser les beaux-arts, en vue de son propre
éclat. D'un autre côté, l'exaspération des chrétiens se calma,
en sorte qu'une destruction aveugle, comme celle du Séra-
peum d'Alexandrie, sous Théodose, reste aux yeux de l'his-
torien un fait isolé, dû à des causes accidentelles. En règle
générale, les chefs-d'œuvre de Rome et des principales
villes restèrent intacts. Les temples, fermés, non démolis,
demeurèrent comme des témoins du triomphe chrétien; les
statues de marbre et de bronze, transportées sur les marchés
et les places publiques, déchues, mais non brisées, contri-
buèrent encore à l'ornement des cités.
L'ÉGLISE ET L'ART 19
Mais une autre question se pose, bien plus importante :
c'est de savoir si l'Église, désormais libre de ses actes et
vivant au grand jour, allait engager l'art au service du
Christ, ainsi que les religions antiques l'avaient fait pour
leurs divinités; si la maison du Seigneur allait faire revivre,
sous une autre forme, les magnificences des temples aban-
donnés? Il importe de distinguer encore et d'observer, en ce
sujet, une grande prudence. Car les théories des Pères,
même les plus révérés, ne répondent pas toujours à l'opinion
moyenne de la communauté. Au surplus, telle opinion qui
s'exprimait avec intransigeance au temps de la persécution
se fût peut-être modifiée quand l'Église triompha. Il ne
faut pas oublier enfin qu'un apologiste parlait un langage
différent suivant qu'il disputait contre les païens, ou qu'il
s'entretenait avec ses frères.
Ceci posé, on peut affirmer que l'usage prévint la critique
et qu'il y eut des images chez les chrétiens avant qu'on se
fût demandé si leur existence même était légitime. Les mai-
sons des fidèles riches étaient décorées de peintures. Les
fresques des catacombes ne sont pas moins anciennes que
les livres canoniques de l'Église. Elles prouvent que, du jour
où l'Église se sépara de la Synagogue, elle regarda comme
un devoir de décorer les^ tombeaux, selon l'usage accou-
tumé.
■Sa conduite, sur ce point particulier, paraît indépendante
de toute opinion philosophique. Elle ne varia pas, pendant
les quelque quatre siècles que furent fréquentées les cata-
combes. Et si, nonobstant, des Pères comme Tertullien,
Origène, Clément d'Alexandrie, réprouvent, ainsi que les
Juifs, les métiers de sculpteurs et de peintres, on n'en peut
rien conclure, sinon que leur opinion n'était pas celle des
20 INTRODUCTION
communautés, à l'esprit moins élevé, mais aux tendances
plus pratiques : leur voix ne fut pas écoutée.
De même qu'on avait décoré les tombeaux, on décora les
lieux de réunion; non seulement les basiliques construites
après l'avènement de Constantin, mais encore les oratoires
cimétériaux et les églises urbaines, dont des textes nombreux
attestent l'existence, avant la paix de l'Église. Chose remar-
quable, les mêmes écrivains que nous avons entendus exé-
crer les idoles et, avec elles, les œuvres de l'art antique glo-
rifient aussi les chrétiens de ne posséder ni autels, ni temples,
ni statues. Ils décrivent un culte épuré, abstrait, où les
représentations matérielles n'ont point de place. «Est-ce que
chez les chrétiens, s'écrie Origène, l'esprit de tout homme juste
n'est pas un autel? Les vrais sacrifices, les vrais parfums, ne
sont-ce pas les prières qui s'élèvent d'une conscience pure?
Les statues et les ex-voto agréables à Dieu ne sont-ce pas
les vertus, dont la forme et la beauté sont dues au verbe de
Dieu et dont le modèle est dans le premier-né de toute créa-
ture i ?» — «Vous pensez, dit Minucius Fehx, que nous cachons
l'objet de nos adorations, parce que nous n'avons ni tem-
ples, ni autels. Mais quelle statue ferai- je à Dieu, quand
l'homme lui-même est le simulacre de Dieu? Quel temple
lui construire, quand tout l'univers, œuvre de ses mains, est
incapable de le contenir? Et j'irais, dans un seul petit édi-
fice, trop étroit pour moi, l'enfermer, lui, avec tant de puis-
sance et tant de majesté ^ ?... » Amobe et Lactance tiennent
le même langage. Qu'est-ce à dire? Ou bien les rites des deux
premiers siècles étaient très différents de ce qu'ils devinrent
1. Orig., Contra Celsum, liv. 5, ch. VIII, 17.
2. Min., Octavius, c. X, éd. Halm.
L'ÉGLISE ET L'ART 21
dans la suite, ou bien les apologistes jouaient sur les mots
pour rendre leurs arguments plus décisifs. En réalité, il faut
tenir compte des deux raisons 1.
Dès le II® siècle, les chrétiens avaient leurs temples,
leurs églises, et ces édifices sacrés étaient décorés. On y
voyait vraisemblablement des peintures analogues à celles
des cimetières. Une image fréquente devait être celle
du Bon Pasteur, symbole complet de foi, d'espérance, de
charité, et que nul n'avait jamais critiquée. Toutefois, des
abus ne tardèrent pas à se manifester. La piété populaire a
des raisons que la philosophie ni la théologie ne connaissent.
Il est manifeste que des représentations trop concrètes
de la divinité excitèrent le courroux des Pères et encou-
rurent le blâme de l'Église. Ce fut au point qu'au concile
d'Elvire (Espagne), en 306, il fut formellement défendu de
peindre, sur les parois intérieures des églises, des images de
piété : ne quod colitur et veneratur, in parietihus depingatur.
Mesure locale, accidentelle, mais qui prouve, quoi qu'on
en ait dit, avec quelle sévérité il avait été nécessaire
d'intervenir. De même, saint Augustin s'élève contre des
représentations figurées dans la maison du Seigneur. Elles
sont indignes de Dieu, s'écrie-t-il.
On devine que le peuple illettré et les sectes tendaient à
remplacer les idoles par des images non moins matérielles,
et que la partie la plus intellectuelle de l'Église s'opposait à
ce mouvement spontané de toutes ses forces. Même la figure
du Christ, à la fois Dieu et homme, fut regardée par certains
I. Sur les rites chrétiens des deux premiers siècles, les autels, la notion
du sacrifice, voir Wieland, Mensa und Confessio, Munich, 1906. (Thèse
de la faculté de théol. cath. de Munich.) — Contradictions de Minucius
Félix, voir Dom Leclercq, Manuel d'archéologie chrétienne, I, p. 407.
22 INTRODUCTION
comme peu respectueuse. Saint Épiphane, dans un accès
d'indignation, déchira en l'église d'Anablata, en Asie-
Mineure, un voile où était figuré le Christ : « Mieux valait
faire de l'étoffe un vêtement pour les pauvres i. » Le fait
fut-il dû à un excès de rigueur? La représentation offrait-elle
un caractère inconvenant? Il semble surtout qu'une école
de philosophes et de docteurs, dans l'Église primitive, dési-
rait restreindre les prérogatives de la peinture religieuse,
n'exprimer la divinité et tout ce qui lui touche que par les
symboles usités tout d'abord dans les catacombes.
Mais combien les arguments de ces austères esprits
devaient compter peu pour les chrétiens qui connurent,
-après les longs jours humiliés, la gloire de l'Église sous le
nouveau règne ! Les vastes basiliques, dès l'avènement de
Constantin, s'élevèrent de toutes parts, requérant, pour
répondre à la majesté du plan, la beauté du décor. L'exemple
des martyrs était là pour justifier un tel usage. Et quand
partout le Christ vainqueur, le Christ sauveur, le Christ à
qui l'on devait le triomphe sur la terre et les promesses
d'une infinie félicité dans le ciel, était glorifié, comment
aurait-on pu persuader à la piété du peuple qu'il était inter-
dit de représenter son image et qu'il ne pouvait être adoré
que sous des formes mystérieuses?
Aussi, en dépit des textes formels de l'Ancien Testament
et des craintes d'idolâtrie, le Christ emplit de sa figure
majestueuse l'espace agrandi des absides, il régna en maître
sur l'étendue des basiliques. De plus, le même temps vit se
développer le culte de la Vierge, celui des Saints surtout,
dont le rôle d'intercesseurs se précisa et vers qui se tourna
I. Cf. Kraus, Geschichte d. christl. Kunst, I, p. 62.
L'ÉGLISE ET L'ART 23
fervemment la dévotion populaire. Grâce à eux, les petites
divinités locales étaient évincées. Leurs représentations
peuplèrent le saint lieu : la cause des images était gagnée.
Quoi qu'aient dit depuis les docteurs ennemis des repré-
sentations matérielles, de l'historien Eusèbe à Érasme de
Rotterdam, malgré les assauts des iconoclastes byzantins,
les scrupules d'Alcuin et de Charlemagne, les reproches des
réformateurs protestants, les peuples du Midi et de l'Orient
gardèrent toute leur affection aux images de piété.
Le bas-relief ne fut pas moins en honneur, parmi les chré-
tiens, que la peinture. Il servit à la décoration des sarco-
phages. Quant à la statuaire, outre que la religion ne l'eût
pas adoptée sans gêne, à cause du souvenir des idoles et de
l'argument que cela eût fourni aux païens, elle était d'une
technique difficile dont les secrets s'oublièrent peu à peu; le
besoin ne s'en faisait nullement sentir. Elle ne compte pour
presque rien dans l'éclosion d'art chrétien du iv^ siècle.
On peut conclure de tout ce qui précède que l'art
antique ne fut pas arrêté en son développement par le
triomphe du christianisme. Il faisait partie intégrante de
la civilisation; il répondait à un besoin profond, non à
un goût passager. Tandis qu'il poursuivait sa carrière à
travers les événements et les hommes, il rallia les chrétiens,
en passant.
A partir du 11® siècle, pour choisir une date approximative,
il y eut un art chrétien et un art païen, mais ils ne différaient
l'un de l'autre que par le choix des sujets. C'était le souffle
antique qui les animait tous deux. Et le paganisme put
mourir : l'art antique lui survécut. Il n'entra en sommeil
qu'à la fin de la période romane, quand le génie du Nord
donna une expression originale à la pensée chrétienne.
24 INTRODUCTION
L'esthétique même des premiers chrétiens resta celle que
Platon et Aristote avaient formulée. Elle reposait sur la
nécessité d'imiter la nature et sur l'identité du beau et du
bon, sans l'union desquels il n'est pas de chef-d'œuvre.
De ce dernier point, Lactance alla jusqu'à faire la démon-
stration sur chaque partie du corps humain i. Clément
d'Alexandrie ne craignit point d'en appliquer le principe à
l'animal, même à la plante, « dont la beauté, dit-il, réside
dans la vertu » 2. Saint Augustin, montant plus haut,
faisait résider le beau dans l'unité; mais l'unité absolue
n'est qu'en Dieu. L'homme doit se résigner à n'apprécier
que le convenable, seule beauté dont l'infirmité de sa nature
lui permette la jouissance.
Conséquemment, il faut imiter. « La nature est l'arché-
t3^e, dit Théodoret, l'art le simulacre. » En somme, l'ensei-
gnement esthétique de l'antiquité restait celui de la nouvelle
religion. Mais comme l'art chrétien était régi par une morale
scrupuleuse, comme son but était d'exprimer l'âme pour
aviver la foi, on conçoit facilement que, sans rompre avec
les règles antiques du dessin et de la composition, il ait
changé d'idéal. Il eut le goût du symbole, le don de l'intelli-
gence, par quoi fut remplacé trop tôt, d'une façon trop
exclusive, l'amour de la forme pure et vraie.
D'ailleurs, il faut dire que les circonstances furent souvent
plus fortes que les volontés. La sculpture et la peinture, cul-
tivées avant tout pour leur emploi décoratif, changèrent
nécessairement d'aspect. Elles embeUissaient de bas-reUefs,
de fresques, de mosaïques la maison du Seigneur; mais, en
1, Lact., De opificio Dei, v. surtout ch. ii.
2. Clem. Alex., Paedagogus, II, ch. xii, p. 121, 3-4 éd. Stahlin.
L'ART CHRÉTIEN PRIMITIF 25
vue de leur fonction ornementale, tributaires déjà de l'archi-
tecture et soumises à ses lois, elles renonçaient à exprimer
fidèlement la vie véritable. Il faut compter, de plus, avec les
peuples nouveaux, convertis au christianisme, dont la cul-
ture artistique, toute primitive, était totalement étrangère
à celle des Romains. On comprend qu'ils n'aient point
adopté les procédés, les sujets, les types de l'antiquité clas-
sique sans les transformer notablement.
Enfin, l'art gréco-romain s'épuisa d'énergie non par la
faute des chrétiens, mais selon la fatalité des lois natu-
relles, par le fait d'avoir si longtemps vécu, d'avoir produit
tant d'œuvres variées au cours d'une longue évolution. Il
ne se défendit que mollement, à partir de Constantin,
contre la décadence des techniques et les transformations
auxquelles un esprit nouveau soumettait son idéal. Quand
tout se transformait autour de lui, les esprits, les consciences,
les institutions, il restait incapable de se rajeunir. Il cessa
de créer par lui-même et, désormais, régna par le prestige
du souvenir et de la gloire.
L'Art chrétien primitif. L'ensemble des œuvres chré-
tiennes exécutées sous l'empire immédiat des traditions
antiques est désigné sous le nom d'Art chrétien primitif.
Le terme est commode parce qu'il est vague et que, tout
en datant les œuvres d'une façon suffisante, il ne préjuge
en rien de leurs caractères distinctifs. Il indique l'époque,
variable suivant les pays, où l'art, voué aux sujets chré-
tiens, n'a encore rompu avec les anciennes disciplines
ni au point de vue de l'exécution, ni au point de vue des
conceptions esthétiques. Il indique même, si l'on veut,
un certain nombre de caractères communs à toutes les
3
26 INTRODUCTION
œuvres et qui tiennent également à l'emploi des tech-
niques et au choix des sujets, des t3^es, des symboles.
Mais il s'en faut de beaucoup que le titre d'art chrétien pri-^
mitif implique, en soi, une essentielle unité.
L'art auquel les fidèles, en la vaste étendue du monde
chrétien, empruntèrent leurs procédés et nombre d'inspi-
rations, n'était pas un; comment l'art chrétien, même à ses
origines, le serait-il? Ne sait-on pas que, depuis les conquêtes
d'Alexandre, les principaux centres de l'art grec étaient en
Afrique et en Asie-Mineure, à Alexandrie, Pergame, Éphèse,
Séleucie, Antioche? Personne n'oserait donc prétendre que
Rome a hérité de la plénitude du génie hellénique. Et, consé-
quemment, l'art chrétien qui s'instruisit à Rome ne peut
davantage revendiquer ce haut privilège. On peut même
aller plus loin et considérer qu'à force d'être romain, il par-
ticipe moins à la beauté grecque que l'art chrétien éclos
sur la rive orientale de la Méditerranée. Enfin, au delà des
limites où s'étendirent jamais l'influence de la Grèce et la
puissance réelle de Rome, nous voulons dire dans l' arrière-
pays d'Asie-Mineure, un art continuait de vivre, vénérable
par son antiquité et toujours glorieux par ses monuments,
l'art oriental, remontant jusqu'aux anciens empires de
Perse, de Chaldée, de Babylonie. Jamais ni les exemples de
la Grèce, ni les exemples de Rome ne l'avaient sérieusement
entamé. Il restait original comme aux premiers jours de
sa floraison. Or, en ces provinces, le christianisme, on l'a
vu, se répandit très tôt et se développa rapidement.
C'est là peut-être qu'il eut ses premiers temples et ses
premiers tombeaux décorés. Comment son art n'eût-il
pas pris, en ces provinces, l'aspect ordinaire des œuvres
d'Orient?
L'ART CHRÉTIEN PRIMITIF 27
Ainsi donc, Rome et ses pays vassaux en Occident; les
contrées lointaines de T Asie-Mineure en Orient; entre ces
deux extrêmes, les pays grecs du bassin oriental de la Médi-
terranée, avec Alexandrie, Séleucie, Éphèse, Antioche, pour
métropoles : tels sont les principaux foyers de l'art chrétien
primitif. Ils lui confèrent, dès l'origine, un triple caractère
ou, pour mieux dire, une triple physionomie. Et l'on ne peut
comprendre ni sa nature essentielle, ni son développement
historique, si l'on n'étudie ses aspects distincts dans leurs
traits particuHers et leur action réciproque. Au fond, c'était
l'opposition tant de fois séculaire de l'Europe et de l'Asie,
de l'Occident clair et de l'Orient mystérieux, qui se perpé-
tuait en pleine ère chrétienne. Elle ne cessa jamais d'exister.
Elle dure encore. L'histoire de notre civilisation se résume
dans l'antagonisme de ces deux mondes, avec leurs conflits
latents, leurs guerres déclarées, leurs courtes trêves, leurs
pactes inconscients.
D'autre part, nous avons vu que les Barbares, pénétrant
de partout dans l'Empire romain, avaient introduit un élé-
ment de grave perturbation dans le développement de l'art
chrétien primitif. Ils n'étaient pas ignorants de l'art, en leur
simplicité. Ils avaient le goût de la décoration. Dans les
arts du métal et la poterie, leur technique était habile. Leur
ornementation vivait de longues habitudes. Au fond de
leurs âmes, il y avait un sens de la ligne et de la couleur, qui
contenait, en réalité, tout un système d'esthétique.
Or, l'art des Romains, pas plus que celui d'Orient, ne les
conquit tout à fait. Le christianisme, en réformant leurs
croyances, n'empêcha pas leur esprit natif de se développer
en paix ; au contraire, il lui donna lieu de s'exercer avec une
originalité sans précédent. En sorte qu'après avoir adopté
28 INTRODUCTION
les sujets chrétiens, les formes, dessins et compositions de
Tart antique, ils n'en restèrent pas moins eux-mêmes. Et
un moment vint où les qualités originales l'emportèrent,
dans leurs œuvres, sur les souvenirs de l'antiquité : c'est de
cette époque, pour l'Occident du moins, qu'on peut faire
dater la fin de l'art chrétien primitif.
Les Lombards reçurent par Ravenne la double éduca-
tion de Rome et de l'Orient. Leur art, dès le commence-
ment du VII® siècle, échappe à l'antiquité et nous fait
entrer en plein moyen âge.
La Gaule, depuis la Provence jusqu'aux pays rhénans, prit
nettement conscience de son originaUté avec l'avènement
des Carolingiens.
Quant aux Irlandais, qu'imitèrent, jusqu'au x® siècle,
les Anglo-Saxons, ils n'avaient emprunté à la culture anti-
que que des sujets nouveaux et quelques thèmes décoratifs.
Restés foncièrement barbares, ils contribuèrent vigoureu-
sement à l'éclosion d'un art septentrional, naïf, quoique
compliqué en son dessin, peu sensible à la beauté des
formes, mais sincère dans l'expression des sentiments et
singulièrement amoureux de la décoration.
En Orient, l'art chrétien primitif se transforma dans
d'autres conditions, non plus à cause des invasions barbares,
mais à la suite d'un échange continu d'influences entre l'art
grec, transplanté en Asie, et l'art oriental. Constantinople
fut l'endroit où ces influences, si longtemps rivales, s'har-
monisèrent de façon à engendrer un art vraiment neuf, l'art
byzantin, qui se trouva constitué dès le début du vi® siècle
et fit oublier les anciennes habitudes de composition. De
Constantinople, son foyer principal, il se répandit largement
en Thrace, en Asie-Mineure et, au Nord, jusqu'au delà du
L'ART CHRÉTIEN PRIMITIF 29
Pont-Euxin. Il reconquit la Grèce, prit pied dans l'Afrique
mauritanienne et alla jusqu'à s'établir solidement en Ita-
lie, à Ravenne, le long des côtes de l'Adriatique, en Sicile,
à Rome même où, pendant un certain temps, il éclipsa les
souvenirs de l'art impérial.
En Egypte, pays dans lequel s'affrontaient depuis trois
ou quatre siècles — non sans se pénétrer d'ailleurs — les
traditions grecques et celles de la civilisation pharaonique,
l'art chrétien primitif se modifia au gré de cette double
influence. L'art copte, dont on peut placer l'origine au
ii^-iii^ siècle, s'affirma vers la fin du v^ avec un aspect
franchement original.
Ainsi finissait, à mesure que chaque région de l'Empire
romain prenait conscience de soi, le règne de l'art chrétien
primitif; ainsi, en même temps, se restreignait la sphère
d'influence de l'art gréco-romain. Même la cité d'Auguste,
au VII® siècle, était plus byzantine que romaine dans son art
et ses institutions religieuses. Où donc retrouver l'esprit
classique, le parfum d'Athènes et de Rome, si on ne le res-
pirait plus sur les collines de la Ville Éternelle? Qu'on ne s'y
trompe pas. Il avait trouvé refuge dans des monuments
qu'on pouvait négliger, même oubUer, mais effacer, jamais :
dans les statues dispersées, les tombeaux épars, les temples
fermés. Et surtout, il avait pénétré les âmes; il coulait
avec le sang, non seulement chez les Romains, encore qu'à
certains moments ceux-ci fussent devenus infidèles, mais
surtout chez les Barbares, qu'il forma pour de vastes desti-
nées. Dans ces âmes naïves,, mais ardentes, il fut un fer-
ment d'activité, un principe de lumière et d'harmonie, grâce
auquel se concilièrent, pendant une longue période d'incu-
bation, les éléments de beauté les plus divers et se prépa-
30 INTRODUCTION
rèrent les renaissances successives de l'époque carolin-
gienne et du xii© siècle.
BIBLIOGRAPHIE. — Sur la propagation du christianisme : Harnack,
Die Mission und Ausbreitung des Christianismus in den ersten drei Jahrhun-
derten, 2^ édit., 2 vol. in-S», Leipzig, 1906 (essentiel); Gaston Boissier,
La Religion romaine à l'époque des Antonins, 2 vol. in-S», Paris, 1884, et
surtout La Fin du paganisme, 2 vol. in-80, 4e édit., Paris, 1903 (chef-
d'œuvre littéraire, érudition solide). Sur l'influence religieuse de l'Orient:
F. CuMONT, Les Religions orientales dans le paganisme romain, 1 vol.
in-80, Paris, 1907 (indispensable). Le meilleur manuel français d'histoire
de l'Église est celui de Mgr Duchesne, Histoire ancienne de l'Eglise,
in-80, cf. t. I, Paris, 1906.
On apprendra à connaître les apologistes et les Pères dans les traités
savants de Harnack, Geschichte der altchristlichen Litteratur, 4 vol. parus,
in-So, Leipzig, 1893; de Bardenhewer, Patrologie, traduite sous le titre
de : Les Pères de l'Eglise, leur vie et leurs œuvres, par MM. Godet et Ver-
SCHAFFEL, 3 vol. iu-S», Paris, i905> et dans les manuels plus simples de
'P.^A.Ti¥¥Oi., Anciennes littératures chrétiennes; la littérature grecque, in-12,
Paris, 1897, et de G. Krueger, Geschichte der altchristlichen Litteratur in
den ersten drei Jahrhunderten, in-80, Fribourget Leipzig, 1895, supplément
1897. Chacun des apologistes a été étudié séparément. Nous citerons :
PiCHON, Lactance, étude sur le mouvement philosophique et religieux sous
Constantin, in-80, Paris, 1901, et J. Geffcken, Zwei griechische Apolo-
geten, in-80, Leipzig et Berlin, 1907; ce travail, peu agréable à lire, est
plein d'observations importantes; voir surtout l'introduction. Cf. pour
TertuUien et les Africains : P. Monceaux, Histoire littéraire de l'Afrique
chrétienne, 3 vol. in-80, Paris, 1901-1905.
Sur les moralistes romains : Martha, Moralistes sous l'Empire romain,
in-80, Paris, 1872.
La vaste littérature relative à la base juridique des persécutions et aux
accusations portées contre les chrétiens est citée et mise en œuvre par
Dom Leclercq dans le Dictionnaire d'Archéologie chrétienne et de Liturgie,
publié sous la direction de Dom Cabrol (20 fasc. parus, Paris, depuis
1903), article Accusations.
Sur la conduite des chrétiens à l'égard des œuvres d'art païennes,
temples et statues : Kraus, Geschichte der Christlichen Kunst, I, i, p. 160,
Fribourg, 1895, ''où l'on trouvera la bibliographie relative au sujet. La
BIBLIOGRAPHIE 31
question est aujourd'hui tranchée. Voir Guignebert, Tertullien, p. 462,
Paris, 1901; Grisar, Histoire de Rome et des Papes (traduction Ledos), I,
I, p. 18 et suiv., Paris, 1906; Bigelmair, Die Beteiligung der Christen am
ôffentlichen Lehen in vorconstantinischer Zeit, p. 322 et suiv., Munich, 1902.
Austérité du culte dans l'esprit des docteurs : Venturi, Storia dell'arfe
italiana, I, p. 1-2 et notes. Milan, 1901.
L'ART CHRÉTIEN PRIMITIF
EN OCCIDENT
CHAPITRE PREMIER
L'ART DES CATACOMBES
Notions générales et définitions. Origine des catacombes. Les cimetières
privés. Le cimetière corporatif de Calliste. Le statut légal des cimetières
chrétiens. Sort des cimetières pendant certaines persécutions. Les cata-
combes après l'édit de Milan. Description des galeries cimétériales.
Notions générales. Les catacombes sont les nécro-
poles des premiers chrétiens, creusées par eux, et formant
sous le sol un réseau de galeries dont les parois contiennent
les corps des défunts.
Les plus nombreuses, les plus vastes, sont à Rome; mais
il y en eut aussi dans le reste de l'Italie, notamment à Naples
et à Syracuse, en Gaule, en Afrique, et dans la région grecque
de l'Empire. Elles coexistent souvent avec des cimetières
à ciel ouvert. Il ne faut donc pas chercher leur origine dans
l'existence tourmentée des communautés chrétiennes aux
trois premiers siècles, et considérer en particulier leur fon-
dation comme une nécessité résultant des persécutions : on
verra plus loin qu'elles constituaient le mode d'inhumation
le plus pratique pour une communauté nombreuse, évitant
le contact des infidèles et désirant rester groupée jusque
dans la mort. Et, d'autre part, il suffit de rappeler, pour
expliquer leur origine, combien l'inhumation en des hypo-
gées mystérieux était familière aux peuples issus de l'Orient.
36 L'ART DES CATACOMBES
Les Étrusques la pratiquaient en Italie. Les Juifs en avaient
gardé la coutume, malgré leur dispersion. C'est d'eux, à n'en
pas douter, qu'elle passa chez les chrétiens.
Quant au nom de catacombes, il ne s'appliquait encore,
au II® siècle, qu'à une aire d'inhumation particulière, située
à Rome, au lieu dit ad catacumhas, le long de la voie
Appienne; mais du jour où cet hypogée reçut, selon la tra-
dition, les dépouilles de Pierre, ce qui se passa vers le milieu
du III® siècle, sa dignité devint suréminente, et son nom fut
étendu à l'ensemble des sépultures chrétiennes de Rome et
des provinces.
Le terme employé primitivement pour désigner les nécro-
poles était celui de coemeteria, les « dortoirs », par quoi il
était indiqué que la mort, pour les chrétiens, n'était qu'un
sommeil, en attendant le jour glorieux de la résurrection des
corps. Il en ressort également qu'en creusant leurs galeries,
les chrétiens n'avaient d'autre intention que de procurer
un abri à leurs morts, de créer des cimetières en un mot, et
rien autre chose. On ne saurait trop insister sur ce point,
quand il s'agit d'interpréter, au double point de vue de la
forme et du fond, les œuvres d'art des catacombes. Leur
caractère est essentiellement funéraire. Tout s'explique en
elles, on le verra bientôt, par les pensées de la mort et de la
vie future.
Les Cimetières privés. Il y a tout heu de croire qu'aux
premiers jours de l'Église, les morts chrétiens furent inhu-
més dans les cimetières païens et juifs : dans ces derniers
surtout, car l'Église ne se sépara nettement de la Synagogue,
comme il fut dit plus haut, que sous le règne de Néron. La
guerre entre les deux confessions une fois déclarée, force fut
LES CIMETIÈRES PRIVÉS 37
bien aux chrétiens d'aviser. Aussi bien, à mesure que leur
nombre augmentait, leurs idées se fixaient sur les rites qu'il
convenait d'adopter pour les sépultures, sur le caractère
qu'il fallait donner aux tombeaux.
En vertu de la croyance en la résurrection des corps, ils
repoussèrent la crémation. La terre serait l'abri silencieux
des morts. Ils conservèrent l'usage des cortèges funèbres et
celui du banquet, que faisaient les familles des défunts au
lieu même de la sépulture. Comme les païens, ils tinrent à
honneur d'orner les monuments funéraires. En somme,
ils n'entendaient pas rompre avec les rites inofîensifs
auxquels les prosélytes païens étaient habitués, mais il
importait à tout prix qu'ils fussent maîtres chez eux
pour accomplir en paix leurs cérémonies particulières. Ils
résolurent donc d'avoir, comme les païens et les Juifs,
leurs hypogées, marqués au signe de leur foi. C'est alors que
furent creusés les premiers cimetières.
Par bonheur, la législation impériale, qui ne laissait aux
chrétiens vivants qu'une sécurité précaire, était libérale
pour les défunts de toute religion. « Chacun, disait la loi,
fait, à sa volonté, du terrain qui lui appartient, un lieu reli-
gieux, quand il y ensevelit un mort. )> Religiosum locum
unusquïsque sua voluntate facit dum mortuum infert in locum
suum. Ce texte renfermait tout ce qui était nécessaire pour
fonder des cimetières chrétiens et leur assurer une sécurité
absolue. En effet, les fidèles riches qui possédaient des ter-
rains autour de Rome en firent des lieux de sépulture,
inscrits à leurs noms. La loi leur accordait le droit d'y faire
construire un monument, d'y creuser un tombeau : monu-
ment et tombeau, ainsi que tout le terrain avoisinant
(area), étaient placés sous la juridiction des Pontifes et
38 L'ART DES CATACOMBES
réputés inviolables. Il leur était loisible d'y faire ensevelir
à côté d'eux leurs parents, leurs esclaves, leurs affranchis,
leurs clients, voire même leurs amis. A ces divers titres et
profitant de dispositions au texte si élastique, ils y reçurent
tous leurs coreligionnaires moins fortunés.
C'est ainsi que les cimetières chrétiens commencèrent
d'exister légalement autour des sépulcres appartenant à
des particuliers. Mais la protection légale s'arrêtait aux
limites mêmes de la propriété privée ; de plus, dans ce terrain
où l'espace était strictement mesuré, toute place occupée
restait, de par un scrupule pieux, acquise à jamais. Ce fut
donc une absolue nécessité de ménager la place et de l'ac-
croître, autant que possible, par d'habiles dispositions. De
là ces réseaux de galeries étroites, poussées de toutes parts
jusqu'aux extrémités de l'aire et superposées en plusieurs
étages. Une area de grandeur moyenne pouvait avoir quel-
que 125 pieds romains de côté; on y pouvait établir, selon
les calculs de M. Michel de Rossi, 250 à 300 mètres de gale-
ries par étage ; or, rien n'est plus fréquent que de trouver dans
un cimetière chrétien trois étages de galeries. Il va de soi,
au surplus, que les riches chrétiens agrandirent plus d'une
fois, par des achats, Varea primitive. Au cours du temps,
plusieurs aires d'inhumation se réunirent sous terre à des
aires voisines et formèrent les vastes cimetières du 11® siècle,
servant à une communauté nombreuse.
Parmi les cimetières privés les plus anciens, nous citerons
celui d'Ostrien, où la tradition fait prêcher saint Pierre,
entre la voie Salarienne et la voie Nomentane ; le cimetière
du Vatican, détruit au iv® siècle; les cimetières de Lucine,
sur la voie Appienne; de Domitille, sur la voie Ardéatine;
de Priscille, sur la voie Salaria, noms qui désignent autant
LES CIMETIÈRES PRIVÉS 39
de patriciennes converties très tôt à la foi chrétienne et
dévouées à sa propagation. Citons encore le cimetière de
Prétextât, fondé par un riche citoyen de ce nom et qui
remonte au début du 11® siècle.
Selon la loi, toutes ces nécropoles étaient situées, en
dehors de la ville, le long des routes, dans un rayon de trois
milles autour des murs de Servius. Les vignes et les blés
croissaient sur leur sol, avec des arbres au feuillage sombre,
parmi lesquels on distinguait des monuments funéraires et
des sarcophages appartenant à de riches familles. Il y avait
des habitations pour les gardiens, des portiques couverts,
à Tabri desquels se faisaient les banquets funèbres, même
de petites chapelles où se pouvaient célébrer les services
d'anniversaires. Un ou plusieurs escaliers, qui n'étaient pas
autrement dissimulés, faisaient descendre du niveau du sol
dans la nécropole. En somme, les cimetières chrétiens
devaient susciter moins d'étonnement à Rome que ne le
ferait un cimetière musulman dans nos villes, car ils ne se
distinguaient par rien de bien apparent des champs de
repos juifs ou païens.
Le Cimetière de Calliste. Cependant le nombre tou-
jours accru des chrétiens était de nature à frapper de préca-
rité le statut légal dont leurs catacombes jouissaient. Pouvait-
on, en effet, quand le groupe primitif des fidèles était devenu
une multitude, le faire passer pour la clientèle de quelques,
familles patriciennes? Ne découvrirait-on pas que le texte
de loi protégeant les sépultures privées avait été interprété
abusivement? Ou bien, si depuis longtemps les magistrats
et les pontifes s'en étaient aperçus, continueraient-ils de
40 L'ART DES CATACOMBES
fermer les yeux, alors que la diffusion du christianisme
devait apparaître comme un danger public?
Il est toujours dangereux de faire des hypothèses. Ce
qui est certain, c'est que vers le commencement du
m® siècle, l'Église, VEcclesia fratrum, désira posséder effec-
tivement ses cimetières, tout en restant protégée par la
loi, et l'obtint. La preuve en est dans les édits de GaUien
qui, en 260, restituèrent les nécropoles chrétiennes, confis-
quées sous Valérien, non à des particuHers, mais à l'Église,
considérée, en quelque sorte, comme une personne civile.
La propriété corporative s'était donc substituée, au me siè-
cle, à la propriété privée.
Pour expliquer ce fait, M. de Rossi a supposé que l'Église,
au début du m® siècle, s'était fait reconnaître la qualité de
({ collège funéraire » et avait formé ainsi une association
autorisée. Les collèges funéraires, entre toutes les associa-
tions romaines, étaient privilégiés. Légalement constitués
par des gens de mince fortune (tenuiores) , qui se groupaient
pour assurer à chacun d'eux d'honnêtes funérailles, ils
s'étaient multipliés sous le règne de Septime-Sévère et
avaient obtenu de la faveur impériale des droits étendus.
Ils pouvaient percevoir des cotisations mensuelles, posséder
leurs lieux de réunion, avoir leur caisse, leurs dignitaires,
leurs administrateurs. Ce sont les mêmes droits que, par
une habile manœuvre, l'Église aurait obtenus. Mais toute
cette théorie ne repose que sur des vraisemblances. Il reste
toujours difficile d'expliquer comment les autorités ecclé-
siastiques purent faire assimiler aux collèges funéraires la
multitude des fidèles de Rome et de l'Empire. Quoi qu'il en
soit, il faut admettre qu'à certaines époques le pouvoir impé-
rial eut pour les chrétiens de véritables condescendances.
LE CIMETIÈRE DE CALLISTE 41
En vertu des changements que nous venons d'indiquer,
l'Église posséda désormais un cimetière collectif, sur la voie
Appienne, le cimetière de Calliste, ainsi appelé du nom de
son premier administrateur, le diacre Calliste, qui, plus
tard, devint pape.
Il était établi dans une propriété de la famille des
Caecilii, à un endroit qui avait déjà reçu des sépultures
chrétiennes. A partir du pontificat de Calliste, il fut le
principal cimetière de la communauté, celui qui était vrai-
ment le siège social de l'Association des Frères, morts ou
vivants.
On pourrait croire qu'à partir de ce moment, la sécu-
rité des cimetières chrétiens fut complètement assurée. Il
n'en est rien. Sous Dèce, et surtout sous Valérien, on accusa
les chrétiens de faire servir les cimetières à des réunions illi-
cites, à des conciliabules secrets, et l'usage leur en fut inter-
dit. Mais leurs dispositions étaient prises manifestement
pour éluder les ordres impériaux. Les escaliers ordinaires
furent comblés. Des entrées secrètes avaient été ménagées
loin de cet endroit, non pas au-dessus du cimetière propre-
ment dit, mais d'un arénaire adjacent; en sorte qu'il fallait
traverser tout ce dernier, avant d'atteindre aux galeries
sépulcrales. Sous terre, un seul escalier faisait communiquer
r arénaire et la nécropole, situés à un niveau différent. Au
sommet de l'escalier, il n'y avait qu'un passage étroit, con-
venable pour le guet et facile à défendre. Enfin dans la par-
tie de la catacombe voisine de l'escalier, des galeries vides
formaient un véritable labyrinthe. Qu'est-ce à dire, sinon
que, malgré les édits de Dèce et de Valérien, les chrétiens
ne cessèrent pas d'ensevelir leurs morts — du moins les
principaux d'entre eux — aux endroits accoutumés et pri-
4
42 L'ART DES CATACOMBES
rent toutes les mesures nécessaires pour déjouer les agres-
sions de la police.
Mais qu'on n'aille pas croire à un refuge préparé pour la
communauté aux abois, à un asile secret, qui aurait permis
de célébrer, quand cela était devenu impossible dans la cité,
les offices ordinaires de la liturgie. Si jamais les catacombes
ont pu servir de refuge, ce fut uniquement pour des person-
nalités isolées ou des groupes peu nombreux. Quant aux
cérémonies souterraines, elles se bornèrent toujours à celles
qui accompagnaient les rites funéraires.
La persécution de Valérien passée, on rouvrit les escaliers
primitifs. Mais sous Dioclétien, le danger que couraient les
sépultures fut si grand que les chrétiens prirent la résolution
héroïque de combler les galeries et d'abandonner le cime-
tière jusqu'à des temps meilleurs. Il fut utile alors de
recourir à des sépultures que protégeait encore le nom d'un
citoyen. On inhuma dans des cimetières nouveaux, et
notamment dans celui de Thrason, sur la voie Salaria.
L'usage des cimetières fut rendu aux chrétiens en 311, et
redit de Milan (313) en restitua la propriété aux Éghses :
ad jus corporis eorum (christianorum) , id est, Ecclesiarum.
On continua pendant un certain temps d'ensevelir les
morts dans les catacombes en même temps qu'on s'effor-
çait de retrouver, pour leur décerner de nouveaux honneurs,
les tombeaux des martyrs les plus illustres. Le pape Damase
(366-384) se signala par son zèle à les découvrir, sa piété et
son talent à les décorer. Malheureusement, ce devint une
mode de posséder sa tombe auprès des saints (ad sanctos),
un souci où l'orgueil, souvent, avait plus de part qu'une
piété véritable, et que les fossoyeurs, devenus seuls admi-
nistrateurs des catacombes, satisfaisaient à prix d'argent..
LES GALERIES CIMÊTÉRIALES 43
Ils creusaient des galeries nouvelles, à travers la nécropole
comblée, à seule fin de plaire à leurs clients. On juge aujour-
d'hui des dégâts commis à cette époque.
Les papes réagirent. Damase lui-même se priva de la joie
de reposer auprès des tombeaux sacrés, pour donner l'exem-
ple. Peu à peu, les tombes se multiplièrent à l'intérieur des
murs, tandis qu'au-dessus des cimetières s'élevaient les
nouvelles basiliques. A partir de l'an 400, les inhumations
dans les cimetières souterrains devinrent très rares. L'ère
des pèlerinages, précédant, comme on l'a dit, celle de l'oubli,
commença pour les catacombes. Il n'en est plus fait mention
après le ix® siècle. Des archéologues du xvi® en parlent sans
se douter de leur conservation. Ce fut par hasard que, le
30 mai 1578, des ouvriers forant un puits dans la campagne
romaine pour extraire de la pouzzolane, découvrirent les
tombeaux chrétiens, oubliés pendant des siècles. Depuis lors,
ils n'ont pas cessé de solliciter l'étude de nombreux savants.
Les Galeries cimétériales. Descendons dans un hypo-
gée, celui de Calliste de préférence (pi. I, i), puisqu'il est le
mieux conservé. Sous la couche de terre végétale et de
débris, les fossores n'ont pas creusé moins de cinq étages de
galeries, correspondant à cinq couches de terrain, de direc-
tion et d'épaisseur variables. Ces étages ne se superposent
donc pas exactement, mais communiquent ensemble par
des escaliers taillés dans le tuf et consolidés, où cela parut
nécessaire, par des revêtements maçonnés. Chacun d'eux
comprend un ensemble de carrés assez réguliers, formés par
les entrecroisements des galeries (fig. i). Celles-ci sont
étroites : dans les plus larges, deux hommes à peine mar-
cheraient de front.
44
L'ART DES CATACOMBES
FIG. I. UN ÉTAGE DES CATACOMBES
DE CALLiSTE. (D'apiès Rcusens.)
Mais voici, de distance en distance, des couloirs plus spa-
cieux, qui s'élargissent à leur extrémité, à la façon de vesti-
bules : ce sont les ambu-
lacres, qui facilitent la
marche des cortèges et la
sortie des groupes. Voici
même, amorcées aux
galeries, de véritables
chambres, carrées ou
oblongues : ce sont les
cuhicules , sortes de
caveaux renfermant cha-
cun les tombes d'une
même famille, ou bien,
autour d'un sépulcre vénéré, les corps de ceux qui avaient
obtenu de reposer tout près de lui (fig. 2).
A une date assez tardive
(m® siècle), plusieurs cubi-
cules ont été réunis, de façon
à former une salle assez vaste
pour contenir une assemblée
de quelque soixante ou soi-
xante-dix personnes. Un seul
nom convient à ces cryptes,
celui de chapelles, et c'est là
sans doute qu'on célébra
plus d'un office, en l'honneur
des défunts (fig. 3). Bien
rares furent, avant la paix
de l'Église, les salles, cha-
pelles ou cubicules qui rece-
FIG. 2. CUBICULUM DU CIMETIÈRE
DE CALLISTE. (D'apiès Lemaiie.)
Planche I.
I. Entroc du cimetière de Callistc. — 2. Voûte de la crypte de" T>ncinc,
i'"'^ moitié du II'' s. (Wilpert, 25).
LES GALERIES CIMÉTÉRIALES
45
FIG. 3.
CRYPTE AU CIMETIÈRE DE SAINTE- AGNÈS.
(D'après Lemaire.)
valent le jour du dehors. Cela n'était possible que pour
les cryptes supérieures. On usait, en ce cas, de lanterneaux,
ou, pour em-
ployer un terme
plus précis, de
puits d'éclai-
rage en maçon-
nerie, aboutis-
sant au niveau
du sol et appe-
lés des lucer-
naires. Partout
ailleurs, l'obscu-
rité régnait ou
n'était combat-
tue, de place en place, que par la clarté fumeuse des lampes
d'argile suspendues aux voûtes.
Pour ce qui est des tombes, elles étaient étagées en rangs
horizontaux dans les galeries, les ambulacres et les cubi-
cules. La plupart ont la forme de logettes quadrangulaires
tout naturellement superposées : elles portent aujourd'hui,
en terme d'archéologie chrétienne, le nom de loculi. D'autres,
placées surtout dans les larges couloirs et les cubicules, se
composent d'une cuve à la partie inférieure de la paroi
et d'une arcade cintrée déployée au-dessus de la cuve, le
tout taillé dans le tuf : ce sont les arcosolia, forme de tom-
beau plus riche que la précédente, mais qu'on eut le tort
de considérer, en outre, comme des autels primitifs
(fig-4).
La face supérieure de la cuve, pensait-on, aurait servi de
table pour la célébration de la messe. En réalité, il n'y eut
46
L'ART DES CATACOMBES
FIG. 4. LOCULI ET ARCOSOLIUM
(D'après Lemaire.)
d'autels, et encore d'autels portatifs, qu'au m® siècle et cela
dans les chapelles assimilées aux églises de la cité 1.
A l'intérieur de chaque tombe,
on ne plaçait, à l'origine, qu'un
seul corps. Plus tard, il y en eut
deux (locus hisomus) , rarement
davantage. Le cadavre était
étendu sur un lit de chaux,
vêtu, et entouré, selon la cou-
tume antique, de vases et d'ob-
jets familiers. On fermait le
loculus au moyen d'une dalle
de marbre (tabula), ou de lar-
ges tuiles, aux joints soigneuse-
ment cimentés.
Une inscription, gravée ou peinte, marquait l'endroit
du tombeau. Elle portait le nom du défunt, simplement ou
accompagné d'une épithète affectueuse. A l'origine, peu ou
pas d'indications biographiques. Ce qu'on aimait par-dessus
tout, c'était, à côté du nom du mort, une invocation, un
vœu plein d'espérance, pax tecum, in pace, in Deo vivas, ou
bien, l'un ou l'autre de ces symboles, la palme, l'ancre, la
colombe, le bon Pasteur, par où étaient attestés la foi du
chrétien et son suprême espoir. Parfois aussi, dans les cime-
tières chrétiens, on rencontre sur la dalle funéraire la figure
du mort représentée avec les instruments de sa profession
ou au milieu même des occupations qui avaient été les
siennes (fig. 5). Au demeurant, la décoration n'avait rien
de riche ni de beau dans les galeries ordinaires des cata-
I. Cf. Wieland, op. cit.
LES GALERIES CIMÉTÉRIALES 47
combes. Les tombes étaient trop pressées. Les champs
manquaient pour l'exécution de vastes images. C'est dans
les ambulacres, et surtout dans les cubicules, que nous
trouverons associées dignement, dans de grandes fresques,
la beauté de l'art et la nouveauté des idées chrétiennes.
CHAPITRE II
L'ART DES CATACOMBES (suite)
Technique de la peinture cimétériale. Principes de composition. Voûtes et
panneaux. Ornements et motifs de décoration. Le plafond de la crypte
de Lucine. Les saisons au cimetière de Prétextât.
Technique et Composition. L'inégalité d'exécution,
dans les peintures des catacombes, est flagrante. La valeur
des artistes dépendit toujours, en grande partie, de la richesse
des particuliers qui les appelaient à décorer leurs tombes.
En sorte que des compositions maladroites, des peintures
médiocres furent souvent exécutées dans le même temps
que de petits chefs-d'œuvre et à côté d'eux. Mais la cause
principale de ces différences, c'est que les fresques cimété-
riales ont reflété fidèlement l'évolution des arts plastiques,
tombés, du règne d'Auguste à celui de Constantin, dans une
manifeste décadence.
Plus elles sont anciennes, plus elles ont de mérite. C'est
là un principe général, car les bonnes traditions, tant qu'elles
sont vivaces, empêchent les trop grandes défaillances indi-
viduelles. De là vient qu'aux deux premiers siècles, il n'est
pas d'oeuvre si médiocre des catacombes qui ne respire un
souffle de vie et ne s'éclaire au moins d'un rayon de beauté.
Au contraire, quand l'art est à son déclin, les plus belles
œuvres portent les stigmates de la déchéance. C'est ce que
50 L'ART DES CATACOMBES
l'on constate dans les peintures du m® siècle, à plus forte
raison dans celles qui sont postérieures à la paix de l'Église.
Ce qui est vrai de l'art est vrai aussi des métiers. Il s'en
faut que les cubicules du m® siècle témoignent de la même
probité professionnelle que ceux du siècle précédent. Aussi,
pour juger à sa valeur l'art chrétien primitif, c'est de ces
derniers qu'il faut s'occuper avant tout.
L'œuvre de la décoration était commencée par les plâ-
triers, qui couvraient de plusieurs couches d'enduits les
parois brutes du cubicule. Une première couche de chaux et
de pouzzolane était d'abord appliquée, assez épaisse pour
effacer toutes les rugosités du fond, assez légère pour ne
pas risquer de s'arracher par son propre poids. Une seconde
couche, très mince celle-là, faite de chaux et de marbre
pilé, formait le revêtement extérieur, offrant au pinceau
une surface lisse et blanche, au grain serré, presque glacée,
tant on apportait de soin à sa préparation. Ce n'est qu'au
m® siècle que l'enduit fut réduit à une couche unique et de
moindre qualité. On procédait de même pour les voûtes des
cubicules; mais ici la difficulté était plus grande, puisque
le poids des enduits portait à faux. On employa donc assez
souvent, pour les soutenir, des crampons et des chevilles.
Toutefois, il ne faut pas s'y méprendre : les plâtriers ne
revêtaient pas toute l'étendue des parois à la fois. On sait,
en effet, que le procédé de la fresque ne permet pas de pein-
dre sur un endroit sec. Ils préparaient la surface que le
peintre était à même de décorer en un jour. Sur l'enduit
encore humide, celui-ci indiquait à la pointe — au m® siècle
il le fît au trait du pinceau — le plan de la composition et
les contours des figures. C'était une esquisse, une mise en
page, facilitant son travail.
TECHNIQUE ET COMPOSITION 51
Dès lors, il peignait, se servant de couleurs détrempées
dans Teau. Sa palette se composait surtout de rouge, de
brun, de jaune, de blanc et de vert : gamme assez variée,
comme on le voit, dans laquelle étaient évités les contrastes
heurtés, où Ton harmonisait au contraire les couleurs, dans
des tonalités douces, sur l'enduit clair de la paroi ou de la
voûte. Il était rare que le fond fût peint; rares aussi étaient
les mélanges de couleurs. Le modelé était rendu nettement
par les ombres et les clairs : par quoi il faut entendre qu'on
forçait les valeurs ou qu'on les diminuait dans un même ton,
pour donner aux figures l'aspect de la vérité plastique. Les
conventions étaient nombreuses : c'est ainsi que la chair des
hommes est rendue par un ton brun uniforme, celle des
femmes par le même ton plus clair.La couleur locale n'éveil-
lait aucun intérêt. Il n'y avait pas de perspective, cela va
de soi; à peine peut-on noter quelques architectures en
trompe-l'œil, comme il en existe à Pompéi.
Quant à la composition des fresques, elle ne supporte
l'examen, au point de vue artistique, ni dans les galeries,
ni même aux parois latérales des cubicules. Cela tient, en
premier lieu, à ce que les tombes ne laissaient disponibles
que des espaces très irréguliers et ensuite — nous revien-
drons sur ce point — à ce que l'intention des artistes était
beaucoup moins de plaire par l'expression des sentiments,
la traduction du drame, que d'aider à la mémoire en repré-
sentant un nombre suffisant d'indices historiques. Que si,
par exemple, ils figurent un homme délaçant sa sandale sur
un quartier de roc, cette indication suffira pour que les
fidèles reconnaissent en lui Moïse, au moment où il va s'ap-
procher du buisson ardent. Ce geste, cette attitude, une
touffe d'herbe à côté de la pierre : voilà tout ce qui désignait
52 L'ART DES CATACOMBES
le chef dTsraël et la montagne sacrée d'Horeb. Un per-
sonnage nu sous un arbrisseau aux vastes branches : c'est
Jonas sous la cucurbite. Une sorte de petite momie, appa-
rue debout au seuil d'un édicule funéraire, n'était-ce pas
suffisant pour révéler Lazare? Tous ces tableaux restreints,
appauvris, se juxtaposent sur des fonds neutres, de manière
à couvrir les espaces réservés au décor, et la loi suprême de
la composition paraît bien s'être réduite à ce dernier souci.
Mais ce jugement, qui pourra paraître sévère, ne s'appli-
que, nous l'avons dit, qu'aux galeries sépulcrales et aux faces
latérales des cubicules. La décoration des voûtes, au con-
traire, est souvent d'une composition admirable. Là, de
vastes espaces, géométriquement déhmités, requéraient
impérieusement l'ordre et la symétrie. Ils forcèrent, en
quelque sorte, les décorateurs à se souvenir des procédés
usités, en tel cas, par la peinture profane.
Considérons, par exemple, le célèbre plafond (pi. I, 2) —
datant du 11® siècle — de la crypte de Lucine 1. Deux cercles
concentriques ont été tracés sur lesquels viennent s'amor-
cer des croix posées obliquement ou droites, faites de lignes
parallèles ou de droites et courbes combinées. De cette dis-
position résultent une quantité de panneaux réguliers et
S5mQétriques, un ensemble décoratif léger et solide à la fois,
clair, parfaitement adapté à son rôle. C'est la merveille des
cadres architectoniques aux catacombes. Et que dire de
ces ornements ourlant de leur précieuse délicatesse la légè-
reté des lignes? Comment louer assez le décor, les parures
I. La crypte de Lucine est la partie la plus ancienne du cimetière de
CaJliste. C'est l'aire d'inhumation auprès de laquelle vint s'établir le cime-
tière corporatif de l'Église romaine.
Planche II.
I. Crypte de S. Janvier, cim. de Prétextât, 2*^ moitié du 11^ s. (Wii-
pert, 34). — 2. Vigne, cim. de Domitille, 2.^ moitié du /^r 5. (Wilperl,
I.). — 3. Eros, ihid., (Wilpert, 5).
ORNEMENTS ET MOTIFS DE DÉCORATION 53
végétales, l'essor aérien des oiseaux, la grâce idyllique des
dieux, des génies et des hommes ?
Nous touchons ici à l'art pur, à la beauté vraie. Il n'est
plué question de technique, de talent, mais d'âme et d'esprit.
Au moment d'étudier l'œuvre des peintres chrétiens dans
sa pensée et sa grâce, voici que l'antiquité nous accueille
et, comme un guide inespéré, nous introduit dans la con-
science artistique du peuple nouveau.
Ornements et Motifs de décoration. Ce serait une
erreur de croire que la peinture cimétériale se révéla, dès ses
débuts, avec un caractère nettement chrétien. Les peintres
qu'on employa dans les premiers hypogées étaient-ils tous
des adeptes de la religion nouvelle ? Les vraisemblances
indiquent le contraire. En tous cas, ils étaient imbus de
leçons reçues dans les ateliers d'art décoratif, et l'on
devine qu'appelés à embellir les tombeaux chrétiens, ils ne
purent que soumettre à leurs clients le vaste choix des orne-
ments profanes. De ces derniers, un certain nombre fut
repoussé, parce qu'il blessait trop visiblement les conve-
nances chrétiennes; mais, tout compte fait, on puisa lar-
gement dans ce trésor des grâces antiques. L'Église, comme
telle, ne semble pas avoir exercé de critique autoritaire,
sans doute parce qu'il n'y eut pas d'abus. Quant à la pensée
chrétienne, elle était trop flottante encore pour imposer
aux arts soit une voie définitive, soit un programme systé-
matique. La preuve en est au cimetière de Domitille. Dans
des cubicules antérieurs au 11® siècle, les idées proprement
chrétiennes ne sont représentées que par le bon Pasteur et
cet autre tableau qui lui est étroitement apparenté : la
brebis devant une houlette à laquelle est suspendu un vase
54 L'ART DES CATACOMBES
de lait. Seul, parmi les personnages de l'Ancien Testament,
apparaît Daniel. La figure de Noé n'est point sûre. Au
demeurant, ces cubicules nous montrent des rinceaux de
vigne peuplés d'oiseaux voletants, d'amours portant rubans
et bâtons (pi. II, 2 et 3). On reconnaît des ornements étoiles,
des fleurs, des têtes ornementales, un hippocampe. Voici des
festons et des guirlandes, des colombes, un paon perché
sur un piédouche et faisant la roue; ailleurs, des canards
et autres volatiles. Il y a un pêcheur, des paysages, des
animaux. Sur une paroi, c'est la représentation d'un banquet
funèbre ^.
Qu'est-ce à dire, sinon qu'au 1©^ siècle, l'art chrétien
commençait seulement de correspondre à la foi, et avec com-
bien de timidité ! A cet égard, il était manifestement en état
d'incertitude, et, fidèle par ailleurs au passé, il employait
des motifs dont la fantaisie était la source unique ou qui,
usités depuis des siècles, avaient totalement perdu leur
signification religieuse. Amours (pi. II, 3), junons et psy-
chés, génies dansants, personnification des saisons et, plus
tard, des astres, de l'Océan (pi. III, 4) et des fleuves, têtes
fantastiques, masques de théâtre, accessoires des fêtes
païennes et des jardins, tout ce bagage assez dépareillé de
la décoration antique ne lui paraissait pas moins inoffensif
que les guirlandes printanières et les motifs stylisés de
l'architecture traditionnelle. Ce qui faisait la joie des âmes
dans les monuments, ce n'était pas encore la profondeur
des symboles, mais la grâce des figures et la clarté des
couleurs. Or, cette naïveté première, cette candeur de
jeunesse, l'art chrétien, lors même que l'imagination fut
I, WiLPERT, Malereien, pi. 1-12.
ORNEMENTS ET MOTIFS DE DÉCORATION 55
régie par la doctrine, ne la répudia jamais. En pleine
époque de symbolisme, au ii© et au m® siècle, la peinture
strictement ornementale garde une place importante dans
le décor varié des cubicules.
Nous en avons un exemple dans le plafond déjà cité de
la crypte de Lucine, au cimetière de Calliste. Au centre,
Daniel entre les lions; dans les branches de la croix oblique,
deux images du bon Pasteur et deux orantes — figures dont
la signification sera étudiée bientôt : voilà ce qui constitue
la partie chrétienne du décor. Le reste n'est dû qu'à une
aimable fantaisie et à un pinceau que n'eussent pas désa-
voué les peintres délicieux de Pompéi. Ces tiges verdoyantes
et chargées de fruits, ces palmes, ces calices où les artifices
de l'esprit s'unissent aux grâces spontanées de la nature;
ces têtes que des fleurs ont fait naître, et enfin ces êtres ailés,
amours et colombes, qui planent sur la blancheur de la
voûte comme dans une atmosphère de féerie : c'était vrai-
ment un rayon de l'antique allégresse descendu au fond des
catacombes, un dernier présent de joie humaine à ceux que
la mort avait ravis.
Plus belle encore que la crypte de Lucine est la crypte de
saint Janvier, au cimetière de Prétextât (pi. II, i). Avec le
gracieux éploiement de ses guirlandes, ses oiseaux et ses nids,
elle constitue le chef-d'œuvre de la peinture chrétienne du
II® siècle. Il ne fut jamais de décoration plus aimable, plus
vivante. Aux quatre angles du cubicule, on voit de souples
végétations sortir d'autant de coupes, pleines de fleurs et
de fruits, pour se dérouler, de là, sur les parois de la voûte,
en guirlandes superposées. Des roses, des épis, des pampres
forment dans les bandeaux inférieurs des festons ver-
doyants, au miheu desquels des oiseaux chantent ou volé-
56 L'ART DES CATACOMBES
tent autour de leurs couvées. Et c'est là l'image du Prin-
temps, de l'Été et de l'Automne. Le registre supérieur est
décoré uniquement des rameaux noirs du laurier. Les
oiseaux n'y chantent pas. Et c'est le froid Hiver. Que de
fraîcheur en ces faciles symboles 1
Les saisons étaient encore représentées, mais d'une façon
différente, au-dessus des arcosolia de la crypte, en des frises
où sont figurées successivement la cueillette des roses, la
moisson, les vendanges, la récolte des olives. Ce sont autant
de tableaux champêtres, montrant garçons et filles parmi
les fleurs, ouvriers aux champs. Ce sont les ris antiques sur
la candeur des lèvres chrétiennes. Certes, un moment vint
où les saisons prirent, aux catacombes, un sens funéraire
et chrétien. Mais ce n'est pas encore le cas, semble-t-il,
au cimetière de Prétextât.
De même, nous aurons à examiner bientôt des paysages
où le christianisme a mis sa marque, où tous les détails, à
peu près, ont une valeur symboUque; mais gardons-nous
de généraliser. Tenons compte des époques. Il est, au fond
d'un cubicule de l'hypogée des Elaviens (i^r siècle), un pay-
sage où se reconnaissent, parmi les arbres sacrés, parmi les
hermès et les colonnettes servant d'autel, les apprêts d'un
sacrifice i. De semblables représentations ont été trouvées
dans des maisons privées du temps d'Auguste. Cette fois,
le goût des tableaux champêtres, des scènes idyUiques, si
■cher aux Romains de l'époque impériale, avait entraîné
l'art chrétien, comme un enfant hésitant, ignorant du
monde, un peu au delà des Hmites où la foi lui laissait la
liberté. Cet exemple est unique. Le paysage du cimetière
I. WiLPERT, Malereien, p. 25, pi. 6; Cabrol, Dictionnaire d'archéologie
chrét., I, fig. 880.
Planche TU,
I. PcinUirc de Pompéi (photo Brogi). — 2. Eros et Psyché, cim.
de Domitille, délmt du III^ s. (Wilpert, 52). — 3. Paysage dans l'hy-
pogée de Lucine, I^^ moitié du 11^ s. (Wilpert, 7). — 4. L'Océan, cim.
de Calliste, i^e moitié du IV^ s. (Wilpert, 134).
ORNEMENTS ET MOTIFS DE DÉCORATION 57
de Domitille (v. p. 53), est peut-être déjà chrétien. Dans
celui de la crypte de Lucine (pi. III, 3) nous reconnaîtrons
bientôt les symboles du Paradis. Peu importe; dans les
uns et les autres, la beauté de la nature et les gracieuses
subtilités de la décoration antique trouvaient une naïve
expression. C'est en indiquant cela, en marquant nettement
ce caractère ornemental, propre, encore qu'à des degrés
divers, à toutes les périodes de la peinture cimétériale,
qu'il fallait commencer l'étude de l'art chrétien primitif.
CHAPITRE III
L'ART DES CATACOMBES (suite)
Naissance du symbolisme chrétien. Le symbolisme dans les représentations
de la nature. Les saisons. La vigne. Les types antiques. Éros et Psyché.
Orphée. Les sujets bibliques et la liturgie funéraire.
Symbolisme chrétien. Types antiques. Il convient
de montrer maintenant comment le génie religieux du
christianisme se mit à fleurir au milieu des jardins de l'an-
tiquité hellénique. Il avait pu hésiter quelque temps, s'igno-
rant lui-même; cependant, à mesure que la doctrine se
fixait, que la spéculation — hellénique elle aussi, à son
origine, — se superposait à la foi primordiale, il apprenait
à tirer de la foi des conséquences applicables aux mœurs
individuelles et sociales.
C'est ainsi que l'art chrétien évolua définitivement et
qu'à une peinture essentiellement ornementale succéda
une peinture chargée de sens, essentiellement symbolique.
Une fois orienté en cette direction, l'art ne cessa de s'enri-
chir en pieuse philosophie. La pensée chrétienne créa de
son propre fonds nombre de types, d'allégories, de symboles :
nous en citerons des exemples significatifs. Elle anima aussi
de sa vertu les décors indifférents, les types négligés, les
symboles désuets de l'antiquité. En sorte que les apparences
purent rester immuables : costume, gestes, attitudes, orne-
6o L'ART DES CATACOMBES
ment s purent se répéter selon des canons ayant force d'ha-
bitude, l'âme intime des sujets était devenue chrétienne,
et l'art, sans qu'il y parût beaucoup du dehors, avait subi
dans son être une profonde transformation i.
Aussi est-il difficile parfois de se prononcer avec assu-
rance sur le sens que les chrétiens attachèrent progressi-
vement à certaines représentations. Il faut user d'une
grande circonspection et tenir compte avant tout des
époques.
Les Saisons. Les saisons, par exemple, ne semblent pas
avoir été figurées au cimetière de Prétextât, parce qu'on
leur prêtait une valeur symbolique. Pourtant, il est incon-
testable qu'avec un peu de réflexion, on en pouvait dégager
une leçon de morale et de foi. A combien de païens n'avaient-
elles pas rappelé les étapes de la vie, la brièveté des jours,
les moissons de la mort? Il y a tout lieu de croire qu'à une
époque où s'organisait un système décoratif fondé sur de
chrétiennes méditations, beaucoup de fidèles songèrent
qu'aux jours terrestres, si étroitement mesurés, succéde-
rait l'immortalité du ciel, comme au triste hiver succède
un lumineux printemps; qu'après les travaux et les peines
de la vie, viendrait la paix du royaume étemel. Les théo-
logiens étaient plus précis. Tertullien (De resurrectione
carnis) y voyait un symbole de la résurrection des morts.
Mais ni les artistes ni les fidèles n'étaient des théologiens.
Souvent, les saisons représentées comme des figures fémi-
nines, que leurs attributs distinguent, ressemblent à de sim-
ples allégories décoratives (Wilpert, pi. ioo). Au iv® siècle,
I. Il semble bien qu'en cette éclosion du symbolisme chrétien, ce soit
l'Orient qui £iit joué le rôle principal.
LE SYMBOLISME. TYPES ANTIQUES 6i
on les trouve mises en rapport avec le bon Pasteur (Wilpert,
pi. 36). Et sans doute qu'à cette époque, où le symbolisme
avait donné toute sa floraison, c'était exprimer allégori-
quement que le temps et les hommes sont au Christ, que le
Maître de toutes choses était aussi le berger secourable par
qui la résurrection était promise et le salut obtenu.
La Vigne. Un problème du même genre se pose à propos
de la vigne, et doit être résolu de la même façon. Les chré-
tiens, quand ils adoptèrent la gracieuse décoration qu'on
voit dans le grand ambulacre du cimetière de Domitille
(fig. II, 2), avaient oublié, ou tout au moins ne voulaient plus
savoir, que la vigne avait été l'accessoire obligé des cortèges
bachiques et, par excellence, une plante funéraire pour les
initiés aux rites de Dionysos. Mais eurent-ils dès lors l'idée
d'en faire une sorte d'image du Christ, d'après la parole de
saint Jean {XV, 5) : « Je suis la vigne dont vous êtes les
rameaux. » La preuve de l'intention symbolique ne peut
être faite que dans cette curieuse vigne (iv® siècle) d'El-Kargeh,
en Egypte, dont les pampres portent alternativement des
grappes et des monogrammes du Christ 1. Avant cela, le
symbolisme de la vigne, si jamais il exista, ne résulta que de
réflexions individuelles.
Éros et Psyché. Il en est tout autrement de certains
mythes antiques d'oii le christianisme naissant vit la possi-
bilité de tirer de belles et douces allégories. Telle est la
fable d'Êros et Psyché, une des plus aimables, des plus
subtiles aussi que la Grèce nous ait laissées.
Psyché était la fille d'un roi, et si belle que Vénus ne
put lui pardonner sa beauté et résolut de la punir. Pour
I. Kaufmann, Handhuch der christl. archaeoL, p. 321, fig. 114.
2 L'ART DES CATACOMBES
cela, elle chargea son fils, l'Amour, d'allumer dans le cœur
de la jeune fille une flamme humiliante pour un être vil, le
plus vil qui se pût trouver sur terre. Or, l'Amour, dès qu'il
vit Psyché, se trouva lui-même épris. Oublieux des ordres
de sa mère, il transporta en un château lointain, sur une
montagne enchantée, celle qu'il aimait. Et chaque nuit,
mystérieux inconnu, il la venait voir. Heureuse Psyché
si elle avait joui de son bonheur sans vouloir en pénétrer
le secret ! Mais ses sœurs, envieuses, lui affirmèrent que son
amant était horrible à voir. C'est pourquoi, une nuit, tandis
que l'Amour dormait, elle alluma sa lampe et celui qu'elle
contempla n'était pas un monstre, mais le plus beau des
dieux. Hélas ! une goutte d'huile brûlante tomba sur l'Amour,
qui se réveilla en criant et disparut. La pauvre Psyché, dès
lors, dut subir les épreuves les plus dures, longtemps tra-
vailler, longtemps souffrir. Mais son courage ne l'avait pas
abandonnée. Le fils de Vénus l'aimait toujours. Jupiter,
enfin touché, réunit dans l'immortaHté céleste Psyché et
TAmour.
A l'époque des Antonins, ce mythe était populaire, mais,
en se propageant, il avait perdu toute sa saveur philoso-
phique. Dans la maison des Vettii, à Pompéi,deux mignonnes
psychés, caractérisées par des ailes de papillon, — on sait
que, dans l'art antique, le papillon lui-même était image de
l'âme, — cueillent des roses i. Ailleurs, Amours et Psychés
folâtrent, dansent, jouent de la lyre (pi. III, i). Nul symbole
en ces petites scènes d'aspect agréable. Nul souvenir des
douleurs et des joies dues à l'amour. Nulle allusion aux
épreuves qu'il impose, au bonheur qu'il fait mériter. Or, les
I. Mau-Kelsey, Pompeii, p. 330, fig. 164.
LE SYMBOLISME. TYPES ANTIQUES 63
chrétiens adoptèrent le même sujet et le traduisirent de
façon pareille, ainsi qu'on peut le voir dans une fresque
du cimetière de Domitille (pi. III, 2) ; mais il est possible
que le sens spirituel du conte antique ait recouvré ici sa
valeur primitive. Et ce serait un exquis symbole plein de pro-
fondeur. Psyché coupable d'une curiosité intempestive et
punie de sa faute, n'était-ce pas l'image de l'âme chrétienne
coupable elle aussi et pendant de longs jours éprouvée?
Psyché sauvée par les prières de l'Amour et son propre
courage, n'était-ce pas aussi l'âme chrétienne récompen-
sée de sa constance et rachetée de son humiliation par le
dévouement divin ? Enfin, Psyché en l'Olympe, réunie à
l'Amour, quel symbole plus parfait aurait-on pu trouver
du fidèle assuré pour jamais de la béatitude céleste auprès
du bon Pasteur ? Il n'est pas sûr que ce symboHsme délicat
soit déjà présent dans la petite fresque de Domitille, mais
il l'est à coup sûr dans plusieurs sarcophages du iv® siècle.
Orphée. On voit par là avec quelle souplesse d'esprit la
religion nouvelle mettait les types profanes, voire même
païens, d'accord avec sa plus chère doctrine. Un autre
exemple est significatif, celui d'Orphée jouant de la lyre
au miheu des fauves. Le chantre mythique passa très tôt
pour avoir été, parmi les païens, une sorte de prophète,
clamant mystérieusement la vérité chrétienne. Saint Augus-
tin le tient pour inspiré, au même titre que les Sibylles.
Saint Justin, au ii® siècle, affirme qu'il crut au Dieu unique.
En réalité, les chrétiens avaient appris à connaître superfi-
ciellement le culte des sectes dites orphiques et savaient
que les initiés étaient instruits de rites, de formules néces-
saires pour atteindre, après la mort, aux lieux de la béati-
tude. Une telle doctrine si ancienne, et qui semblait fondée
64 L'ART DES CATACOMBES
en vue du salut des hommes, ne laissait pas de leur paraître
mystérieusement apparentée avec leur propre religion. Un
de leurs procédés les plus familiers de polémique consistait
à représenter les hommes les meilleurs du paganisme comme
les précurseurs inconscients de l'Évangile. Enfin, il leur
était agréable de penser que la gentilité antérieure au Christ
n'avait pas été totalement dénuée de révélation divine. Des
apologistes allèrent jusqu'à faire d'Orphée, dont la figure
entre toutes celles des philosophes et poètes était la plus
prestigieuse, un élève de Moïse.
C'est à la faveur de ces idées que le poète légendaire dut
la place importante qu'il occupe dans l'art chrétien.
Dès le II® siècle, on aima à le représenter au centre des
voûtes de cubicules : des sons de sa lyre, il charmait des
agneaux. Et ce fut le symbole du Christ s'attachant les
âmes par la beauté de sa morale et la douceur de sa doc-
trine. Il se confondait presque avec le bon Pasteur (pi. IV, i).
Plus tard, il apparaît, entouré de toutes sortes d'animaux,
comme l'image du Seigneur appelant tous les hommes à la
foi.
Nous ne parlerons pas ici d'Ulysse, type qu'on ne ren-
contre que dans les sarcophages. Les représentations de
banquets funèbres seront étudiées en même temps que celles
du banquet céleste (p. 91). Quant aux arbres, aux fleurs, aux
fontaines, aux oiseaux, tout ce qui constituait la joie des
paysages et le charme des jardins, nous verrons le sens que
le christianisme leur donna, en parlant du paradis et de la
béatitude réservée aux élus.
Ce sont là des adaptations de motifs naturels, du décor
spiritualisé, et non, à vrai dire, des emprunts à la pensée
antique. En somme, à ne considérer que les personnifi-
LE SYMBOLISME. TYPES ANTIQUES 65
cations et les types qui viennent d'être cités, l'art chrétien
ne dut pas grand'chose au paganisme, à ses mythes, allégo-
ries et symboles. Ce qu'il emprunta ou, si l'on veut, ce
qu'il reçut avant tout, ce sont des formes, des lignes, des
attitudes et des gestes. Nous nous contenterons de citer
quelques exemples : Icare, portant des ailes attachées aux
épaules par des bretelles, a été un modèle pour l'artiste
chrétien, qui voulait représenter un petit enfant s'envo-
lant au paradis (Dom Leclercq, Manuel, I, fig. 24, 25);
l'Hermès se courbant pour rattacher sa sandale, le pied
posé sur un bloc de rocher, est le prototype de Moïse ôtant
sa chaussure avant de s'approcher du buisson ardent; le
geste fameux des orantes chrétiennes était familier à l'art
antique, notamment à la statuaire (ihid., p. 154, 155);
quant au bon Pasteur portant sur ses épaules la brebis
égarée, on sait que sa représentation, si fréquente dans
l'art chrétien primitif, est due à la connaissance des
figures criophores, aussi anciennes que la sculpture
grecque. Il n'est pas de figure, peut-on dire, dans l'art
chrétien primitif, dont on ne puisse indiquer, sinon le
modèle immédiat, du moins les sources générales d'ins-
piration. La pensée des fidèles, originale en soi, se souciait
peu d'inventer des modes nouveaux d'expression; toute
fervente qu'elle était, elle ne se rendait manifeste que
par des gestes et des attitudes fixés depuis longtemps
et nés d'un esprit à qui elle était totalement étrangère.
Créatrice de nouvelles émotions dans les âmes, elle n'engen-
drait encore dans les arts nul accent de nouvelle élo-
quence. Elle était semblable au blé qui germe dans l'obs-
curité de la terre : elle remuait les profondeurs de la con-
science, mais on ne pouvait juger alors de la fécondité du
66 L'ART DES CATACOMBES
sol et de la richesse qu'aurait la moisson mûre. Au vrai, il
fallait des siècles de culture chrétienne et de longs tasse-
ments sociaux, pour qu'un art issu de la jeune religion fleu-
rît en toute indépendance.
Les Sujets bibliques. Parmi les ornements profanes
du cimetière de Domitille, à la fin du i®^ siècle, Daniel entre
les lions était seul à représenter l'Ancien Testament; aeux
siècles après, les emprunts à la Bible avaient été si nombreux
que leur ensemble constituait une partie importante de la
peinture catacombale. On en jugera par la statistique sui-
vante 1 : le II® siècle représenta Noé dans l'arche, le sacrifice
d'Abraham, Moïse frappant le rocher (pi. IV, 4), l'histoire de
Jonas (pi. IV, 3), Isaïe prophétisant la naissance du Messie
(pi. XI, 2), les trois Hébreux dans la fournaise (pi. V, i) et
l'histoire de Suzanne. A quoi furent ajoutés, au cours du
III® siècle, le péché d'Adam et d'Eve (pi. IV, 2), David
maniant la fronde, Job, Tobie et le poisson, Daniel
confondant les deux vieillards, les trois Hébreux refusant
d'adorer la statue royale, Balaam et l'étoile. Moïse dénouant
sa sandale (pi. IV, 4), Moïse et Aaron attaqués par les
Juifs, Élie montant au ciel, la prophétie de Michée, enfin
Suzanne représentée comme un agneau entre deux loups.
Des protoplastes Adam et Eve à Jésus, le nombre de ces
sujets est assez grand, leur choix assez varié pour qu'on
puisse se demander si ce n'est point une illustration histo-
rique de la Bible, une sorte d'enseignement destiné à remé-
morer aux fidèles que le christianisme avait sa source en
Israël. On trouverait convenable que les chrétiens, quand
I. Selon Dom Leclercq, Manuel, I, p. 177-178.
LES SUJETS BIBLIQUES 67
les Juifs répudiaient toute alliance et toute parenté avec
eux, eussent revendiqué pour ancêtres les anciens serviteurs
du vrai Dieu. Le divorce s'était accompli entre TÉglise et
la Synagogue; mais la Synagogue ne pouvait confisquer
comme siens ceux qui avaient annoncé le Christ et l'avaient
adoré du fond des âges ; il était nécessaire, croirait-on volon-
tiers, de répéter cela aux fidèles, par le moyen des images
après l'avoir inculqué par la prédication. Conception fausse
ou, du moins, très incomplète. On ne faisait pas de polémique
dans l'assemblée des croyants, et les caveaux obscurs, de
loin en loin visités, étaient peu propices, on en conviendra,
à l'institution d'un enseignement par l'image. Au surplus,
n'a^t-on pas remarqué que le cycle des figures bibliques ne
s'enrichit que peu à peu? Si varié qu'il paraisse, ne con-
tient-il pas de flagrantes lacunes, soit qu'on ait oublié des
figures trop importantes pour passer inaperçues : Jacob,
par exemple, et Joseph, soit que, dans la vie d'un même per-
sonnage, on ait laissé de côté les épisodes les plus considé-
rables ? Pourquoi Moïse frappant le rocher. Moïse ôtant sa
chaussure et non point Moïse recevant les tables de la Loi?
Enfin, comment au ii® siècle, quand Noé n'est représenté
qu'une fois, Abraham deux fois, quand Adam et Eve sont
encore introuvables dans l'iconographie cimétériale, aurait-
on figuré jusqu'à quatorze fois un personnage de deuxième
ordre comme le prophète Jonas?
Les peijitures empruntées à l'Ancien Testament ne s'ex-
pUquent donc point par des intentions didactiques. La
vérité est ailleurs et ce sera le mérite impérissable d'Edmond
Le Blant 1 de l'avoir découverte. Tandis qu'il étudiait les
I. Le Blant, Etudes sur les sarcophages de la ville d' Arles ^ introduction.
68 L'ART DES CATACOMBES
sarcophages chrétiens du iv® et du v® siècle, il fut vivement
frappé par les rapports qui semblaient exister entre les
scènes figurées de l'Ancien Testament et certaine prière
funéraire, la commendatio animœ, qu'on récite au chevet des
mourants. Cette prière nous a été conservée par un manus-
crit du iv© siècle, le Pontifical de saint Prudence de Troyes,
mais son origine paraissait bien plus ancienne. Ne pou-
vait-elle remonter, dans ses éléments principaux, jusqu'aux
premiers siècles? Depuis la mort d'Edmond Le Blant,
toutes les recherches ont confirmé ces prévisions et nous
le montrerons bientôt. Mais voici un extrait essentiel de
Vordo commendationis animœ.
C'est une suite d'invocations au Seigneur :
Délivre, Seigneur, son âme, comme tu as délivré
Enoch et Élie de la mort commune,
Noé du déluge,
Abraham de la ville d'Ur des Chaldéens,
Job de ses maux,
Isaac de l'immolation et de la main de son père Abraham,
Loth de Sodome et de la flamme,
Moïse de la main de Pharaon, roi d'Egypte,
Daniel de la fosse aux lions,
Les trois enfants du feu de la fournaise et de la main du
roi pervers,
Suzanne, d'un crime imaginaire,
David de la main de Saûl et de la main de Goliath,
Pierre et Paul de la prison,
Et ainsi que tu as délivré la bienheureuse Thècle, ta vierge
et martyre, d'atroces tourments, ainsi daigne recevoir l'âme
LES SUJETS BIBLIQUES 69
de ton serviteur et fais qu'elle se réjouisse avec Toi dans les
biens célestes 1.
Il fut reconnu très tôt que Le Blant avait vu juste au
moins pour ce qui concernait les sarcophages. Entre les
reliefs bibliques et la nomenclature de Vordo régnait une
concordance manifeste. On n'eut pas de peine à démontrer
que la commendatio nommée dans le Sacramentaire Gela-
sien (v® siècle) et les Constitutions apostoliques (iv® siècle)
faisait partie, sous Constantin, de la liturgie funéraire de
l'Église. Et les chrétiens de cette époque, à n'en pas douter,
avaient traduit en images sculptées les invocations qui
appelaient sur l'âme des moribonds la clémence du Très-
Haut. Mais, des sarcophages à la figure très ancienne de
Daniel au milieu des lions, deux siècles au moins s'étaient
écoulés. Ce qui était vrai pour le règne de Constantin
rétait-il aussi pour l'âge apostolique ? L'objection a paru
insurmontable à plus d'un érudit 2. Cependant, s'il est
avéré, d'une part, que les sculpteurs du iv® siècle ont puisé
leurs sujets bibliques, non dans la Bible des Septante, mais
dans les liturgies funéraires; si tout démontre, d'autre part,
que la peinture des catacombes s'inspire toujours, en der-
nière analyse, de l'idée du salut, il est bien difficile de
s'arrêter à mi-chemin et d'interpréter par des concepts diffé-
rents les types bibliques des catacombes et les types bibli-
ques des sarcophages constantiniens.
Au surplus, nous ne sommes pas dénués d'informations
sur ce que purent être les prières chrétiennes primitives.
Nombre d'oraisons, invocations, formules d'exorcismes
1. D'après Dom Leclercq, Manuel, I, p. m.
2. Mgr WiLPERT, Malereien, p. 145 et suiv.
70 L'ART DES CATACOMBES
employées par les fidèles aux premiers siècles, faisaient
appel au Seigneur en rappelant, comme Vordo commenda-
tionis animœ les grands exemples de sa miséricorde envers
les justes de l'Ancien Testament. Il en est ainsi dans les
prières pseudo-cyriennes, qui, pour avoir été rédigées, dans
leur forme actuelle, après la fin du m® siècle, n'en sont pas
moins des monuments d'un âge bien antérieur. C'est sous
la forme de litanies que Novatien, au m® siècle, dans son
De Trinitate, énumère les justes que distingua le Seigneur.
Dans une lettre à l'Église de Corinthe, écrite vers l'an 95,
le pape saint Clément mentionne tous ceux à qui Dieu, sur
leur prière, accorda pénitence et pardon. Or, des exemples
sont tirés de l'Ancien Testament, et ce n'est pas une
médiocre surprise d'y retrouver les personnages nommés
dans Vordo, Noé, Abraham, Loth, Job, Moïse, Daniel, les
trois jeunes Hébreux et, de plus, Jonas.
Si donc c'était une habitude générale, aux trois premiers
siècles, de rappeler dans les prières les patriarches envers
qui la clémence divine s'était manifestée, rien n'était plus
naturel que de chercher plus haut l'origine de cet usage.
Il est juif. Les figures bibliques dont les noms sont dissé-
minés dans les prières chrétiennes se retrouvent dans les
prières juives, et notamment dans la litanie des jours de
jeûne. Les prêtres chrétiens, instruits de la liturgie synago-
gale, n'avaient éprouvé aucun scrupule à l'adopter en
partie. De là la forme de leurs prières et, par voie de consé-
quence, le choix des types de l'Ancien Testament dans la
décoration funéraire 1.
I. En outre de Leclercq, op. cit., v. Karl Michel, Gebet und Bild in
frilhchristlicher Zeit, Leipzig, 1902.
LES SUJETS BIBLIQUES 71
Ainsi s'expliquent tt)utes les anomalies, tous les défauts
de concordance. Moïse et Jonas, Loth et David étaient cités
au II® siècle parmi ceux que le Seigneur avait favorisés; mais,
tandis que les peintres de fresques n'adoptent que les deux
premiers, le rédacteur de Vordo ne fit entrer que les deux
autres dans sa nomenclature. Quoi d'étonnant? Ajoutez que
beaucoup de peintures ont été détruites ou n'ont pas encore
été retrouvées. Tels personnages ignorés dans les cata-
combes romaines se rencontrent dans celles d'Orient : la
sortie d'Egypte et le martyre de sainte Thècle sont figurés
à El-Baghaouat, dans la grande oasis d'Egypte i; d'autres
ont été adoptés pour la décoration d'objets usuels : Joseph
dans la citerne est figuré sur un fond de coupe doré.
En résumé, tout porte à croire qu'à l'époque où naquit la
peinture cimétériale, la Bible, par l'intermédiaire de la litur-
gie, offrit aux chrétiens son contingent d'exemples de la
miséricorde de Dieu. C'était une prière peinte, un cri de
supplication et d'espoir qui, du fond de la terre, montait au
ciel : Délivre-nous, Seigneur, délivre nos âmes comme tu as
délivré Isaac, comme tu as délivré Jonas...
On verra plus loin que certains types de l'Ancien Testa-
ment sont susceptibles d'interprétations différentes. C'est
que le symbolisme candide des premiers âges s'accrut
ensuite de spéculations plus subtiles. A l'origine, il semble
bien n'avoir été fondé que sur l'espoir en Dieu et le salut
des âmes.
I. Cabrol, Dictionnaire d'arch. chrét., article Baghaouat, fig. n88
t'LANCHE IV.
T. Orphée, cim. de Calliste, 2^ moitié du 11'^^ s. (Wilpert, 37.)
2. Adam et Eve, cim. de Calliste, 2^ moitié du IV^ s. (Wilpert, loi).
3. Histoire de Jonas, cim. de Calliste, fin du 11^ s. (Wilpert, 47).
4. Moïse, cim. de Calliste, fin du IV^ s, (Wilpert, 237).
CHAPITRE IV
L'ART DES CATACOMBES (suite)
Symboles nouveaux et proprement chrétiens : l'ancre, la palme, la colombe,
l'agneau, le tau, le chrisme. Le navire et le phare. Le bon Pasteur et le
cycle pastoral. L'orante et ses divers sens. Le paradis et ses caractères.
Le banquet céleste et le bonheur des élus.
Symboles. Il n'a été parlé jusqu'à présent que des
emprunts au passé hellénique ou juif. Il est temps de mon-
trer maintenant la pensée chrétienne créant elle-même des
symboles et des allégories. Ceci remonte au temps le plus
ancien de l'art cimétérial.
Sur les dalles funéraires (fig. 5) , à côté des épitaphes gravées
ou peintes, la palme est un gage de paix, de bonheur céleste,
comme aussi la branche d'olivier. L'agneau représente le
fidèle et, plus tard, il sera symbole de la victime divine. La
colombe est l'âme envolée vers Dieu. Souvent, elle tient
dans son bec un vert rameau. Cela rappelle, par un double
symbolisme, que Dieu fut clément pour elle, comme il l'avait
été pour Noé, aux jours du déluge. L'ancre était l'emblème
de la confiance inébranlable dans la bonté divine, et sa
forme en vint à remémorer la croix. Celle-ci fut, par excel-
lence, le signe du Seigneur. Elle était rappelée par le tau,
T, ou crux commissa,et par le chrisme, c'est-à-dire le mono-
gramme du Christ, obtenu au moyen des deux premières
6
74 L'ART DES CATACOMBES
lettres de son nom entrelacées. Même la forme ordinaire, c'est-
à-dire la croix faite de deux traits égaux +, se rencontre
sur les loculi dès avant le iv® siècle.
Le navire secoué par la tempête, le phare indiquant les
dangers de la côte ou l'emplacement du port font souvenir
de ce qu'on appelait, dans les tableaux funéraires de l'anti-
quité, le cycle maritime, c'est-à-dire des âmes accomplis-
sant en barque le périlleux voyage des portes du tombeau
au séjour des bienheureux. Mais sans doute que les chrétiens
usèrent de ces symboles sans même songer à leur ancienne
signification. Pour eux, le navire et le phare faisaient penser
à l'âme chrétienne, ballottée par les orages de la vie et ten-
dant au port éternel.
Sur ce thème, plus tard, on broda des variations savantes.
Au cimetière de Calliste, dans une des chambres des sacre-
ments (m® siècle), la barque, secouée par la tempête et
envahie par les vagues en fureur, est en danger de sombrer.
Déjà, un homme est tombé à la mer et lutte désespérément
contre les flots. Mais un autre, debout sur le pont, est sauvé,
car une jeune figure apparaît en gloire dans le ciel et le
saisit aux cheveux (pi. V, 3) . Image de la clémence divine,
du salut opéré par le Christ, de la prière exaucée. Mais
n'est-il pas trop hardi, en se fondant sur les métaphores
des Pères, d'y reconnaître la nef de l'ÉgUse, voire de
l'ÉgUse secouée par les persécutions 1? N'est-ce pas inter-
préter d'une façon abusive?
La nef de l'Éghse, nous la reconnaissons plus tard sur un
sarcophage du iv® -v® siècle : le Christ est au gouvernail, les
évangéhstes en sont les rameurs (ftg. 15). Mais voici le
I. WiLPERT, op. cit. y p. 419 et suiv.
SYMBOLES
75
o
(^IVDCjtANTtïOCXV
J
FIG. 5. DALLES FUNÉRAIRES GRAVÉES.
A GAUCHE : I. Orant et colombe. — 2. Agneaux et vase. — 3. Colombe
«t monogramme. — 4. Palme. — 5. Jonas, bon Pasteur, lion, ancre. —
6. Navire et phare. — Au centre : 7. Orante et bon Pasteur au paradis.
— 8. Couronne, instruments de métier. — A droite : 9. Agneau et paon.
— 10. Instruments de métier. — 11. Bon Pasteur, instruments. —
12. Forgeron. — 13. Poisson. — 14. Épitaphe de marchand.
76 L'ART DES CATACOMBES
symbole par lequel s'exprima le mieux l'espoir des fidèles
se marqua d'une façon décisive, dans les catacombes,
l'essence de la foi : c'est le bon Pasteur.
Le bon Pasteur. Pendant quatre siècles entiers, il fut la
figure la plus aimée de l'art chrétien. Il était au cimetière de
Domitille, à la fin de l'âge apostolique; nous le trouvons
encore dans nombre de bas-reliefs exécutés après le triom-
phe de l'Église. Il n'est, pour ainsi dire, pas de galeries, pas
de cubicules où il n'apparaisse; pas d'objets chrétiens, de
quelque ordre qu'ils soient, vases et lampes d'argile, verres
et bijoux, où il n'ait servi à une pieuse décoration. Auprès
des plus farouches contempteurs des beaux-arts, il trouvait
grâce. Tertullien recommandait de graver son image sur
les vases sacrés.
C'est qu'en aucune représentation chrétienne il ne se
trouvait contenu tant de promesses heureuses et tant de
réconfort. Qu'importe si sa forme extérieure, dans les fres-
ques cimétériales, procéda de tableaux et statues de l'anti-
quité? Ces modèles, en tout cas, n'avaient pu que faciliter la
tâche exigée des artistes : ils n'avaient point engendré le
type symbolique dans l'esprit des chrétiens, qui se répé-
taient depuis bien des années et qui pouvaient lire, dans
les évangiles, la parabole du bon Pasteur. (Voir surtout
Luc, XV, 4-7.)
Pour sauver une seule de ses brebis, perdue, en danger de
mort, l'homme bon laissait dans le désert les quatre-vingt-
dix-neuf brebis formant le reste de son troupeau; il partait
à la recherche de la pauvre égarée et, l'ayant retrouvée, il
la chargeait, plein de joie, sur ses épaules; il la rapportait en
sa maison, puis, aussitôt, conviait ses amis et voisins ::
Planche V.
I. Paroi de la Capella Grseca, débuts du 11^ s. (Wilpert, 13). — 2. Le
Vase de lait, crypte de Lucine, i''^ moitié du II'-' s. (Wilpert, 24). —
3. Le Navire en perdition, cim. de Calliste, 2^' moitié du 11^ s. (Wil-
pert, 39).
LE BON PASTEUR ^^
« Réj ouissez-vous, leur disait-il, car j 'ai retrouvé ma brebis per-
due ! » Et le texte même tirait la morale de la parabole, mettait
son symbolisme en évidence. «Ainsi, disait-il, il y aura plus de
joie au ciel pour un pécheur qui se convertit que pour quatre-
vingt-dix-neuf justes qui n'ont pas besoin de conversion. »
Bonté sans seconde ! Et promesse aussi en laquelle on
pouvait croire ! L'image du berger secourable, du bon Pas-
teur (Jean, X, 14), habita désormais l'esprit des fidèles.
C'est par elle que s'exprima la foi la plus claire en Christ,
dispensateur des biens éternels, vers elle que montèrent
sans trêve les invocations des croyants en butte aux tenta-
tions du monde et aux rigueurs du pouvoir.
Le troupeau clama vers l'auguste berger son espoir et sa
plainte. « Je suis la brebis perdue, lit-on dans les prières
funéraires de la liturgie grecque, appelle-moi près de toi, ô
Sauveur, et sauve-moi ! » Ainsi parlait aussi l'Église latine,
d'après le sacramentaire Gélasien : « Prions Dieu avec foi
pour que (à ce défunt), sauvé de la mort, absous de ses
péchés, réconcilié avec le Père, rapporté sur les épaules du
bon Pasteur, Il accorde de jouir du bonheur dans la commu-
nauté des saints. »
De ces prières, qui furent, comme on le voit derechef,
la source immédiate de l'inspiration des peintres, naquirent
les représentations du bon Pasteur portant la brebis éga-
rée. Souvent deux brebis sont représentées à ses côtés, et
cela d'une façon symétrique, c'est-à-dire l'une et l'autre
tournées vers lui. C'est là une illustration fidèle du texte
de la parabole, l'image du Christ opérant l'œuvre du salut
et ramenant, sous la figure d'une brebis au miUeu du trou-
peau, le pécheur au milieu des fidèles, voire même (pi. VII, 2),
l'âme sauvée, au millieu des élus.
^d> L'ART DES CATACOMBES
Ailleurs on voit le bon Pasteur et ses brebis dans un beau
jardin plein de fleurs et d'arbres (Wilpert, pi. IIL) : une
brebis paît, l'autre lève la tête vers le berger. Quant à ce
dernier, il ne porte plus le fardeau accoutumé : vêtu du cos-
tume ordinaire des pâtres antiques, il s'appuie sur son bâton
et tient à la main une flûte de Pan. C'est un tableau, et tel
à peu près qu'on en pouvait trouver dans une riche maison
patricienne. Mais combien le sens en est ici différent! Ce
jardin ne représente rien de moins que le paradis, et c'est
le Christ qui y séjourne, tel un roi de miséricorde, parmi les
âmes qu'il a sauvées. L'œuvre du salut est accomplie. Le
berger secourable a déposé son fardeau. Le chrétien jouit
de la béatitude auprès de son maître, dans les prairies
célestes. Et voilà comment une innocente pastorale, une
simple scène champêtre prenait soudain la valeur d'une
vision d'outre-tombe II n'avait fallu pour cela que donner
une forme sensible aux expressions les plus fréquentes, les
plus aimées de la liturgie funéraire. Le procédé était commun
au II® siècle. Dans cette voie, les appHcations symboliques
se présentaient nombreuses, claires et pleines vraiment d'une
heureuse éloquence.
Dans la lunette d'un arcosolium, au cimetière de Cal-
liste, sont représentés, en même temps que le bon Pasteur
et son troupeau dans le paradis, deux bienheureux courant
se désaltérer aux sources rafraîchissantes de la félicité
céleste (pi. VI, 2).
Plus hardiment encore, on illustra de candides visions, on
essaya de représenter aux yeux les images enchantées de la
béatitude, telles que, peu à peu, elles s'étaient formées au
fond des âmes. Sainte Perpétue, peu de jours avant la fin de
son martyre, avait été en esprit transportée au ciel. « Je
LE BON PASTEUR 79
montai, raconta-t-elle, et je vis l'étendue immense d'un
jardin et, au milieu de ce jardin, un homme assis, ayant
les cheveux blancs et un habit de berger, trayant des
brebis : et autour de lui, debout, plusieurs miUiers d'hommes
vêtus de blanc. Et il leva la tête, me regarda et me dit :
Tu es la bienvenue, ma fille. Et il m'appela, il me donna
une parcelle du lait caillé qu'il venait de traire, et je la reçus
les mains jointes, je la mangeai; et tous alentour dirent :
Amen. Et au son de la voix je m'éveillai, ayant dans la
bouche je ne sais quoi de doux. »
Comparez à cette vision de sainte Perpétue la peinture
que nous reproduisons du cimetière Ostrien (pi. VI, i). Vous
y verrez en juxtaposition ce qu'on pourrait appeler les
étapes du bonheur dans le royaume des élus. Voici d'abord
le bon Pasteur apportant au ciel l'âme d'un fidèle : les
portes du jardin céleste se sont ouvertes; plus loin, l'âme,
sous la forme d'une orante (voir p. 80), contemple avec un
pieux ravissement la beauté de son nouveau séjour ; les
arbres verdoient autour d'elle et ses yeux se fixent sur le
spectacle un jour dévoilé à sainte Perpétue; enfin, le bon
Pasteur apparaît une seconde fois, trayant, dans un vase de
terre, une brebis, et ceci, a-t-on dit souvent, est une allu-
sion à l'Eucharistie, au dictame ineffable laissant dans la
bouche « on ne sait quoi de doux ». Mais ne le voit-on point?
ime telle interprétation rompt la suite logique du symbo-
lisme de la béatitude. Nous sommes au ciel, non sur terre.
Le lait, nourriture mystérieuse, fut donné à sainte Per-
pétue pour lui faire goûter d'avance le rafraîchissement
céleste, servi par le doux berger aux âmes des bienheureux.
C'est donc un symbole des joies d'outre-tombe, des récom-
penses éternelles, et non l'indication d'un moyen de salut :
8o L'ART DES CATACOMBES
il est, pour les chrétiens, le breuvage d'immortalité, par
quoi furent remplacés le nectar et l'ambroisie de l'ancien
Olympe.
Ainsi expliquerons-nous encore le vase de lait de la crypte
de Lucine (pi. V, 2), posé sur un autel rustique et accosté
de deux agneaux. On sait que c'était un procédé habituel
de l'art antique de remplacer le tout par une de ses par-
ties, de rappeler par un seul détail, accessoire ou attribut,
une figure entière. En conséquence, le vase de lait, dans
le cas présent, remplace le bon Pasteur et rappelle la béati-
tude par lui promise, par lui donnée. Il en est de même
de l'agneau bondissant devant le bâton de berger et le vase
de lait, au cimetière de Domitille (Pératé, fig. 46).
En résumé, le berger signifie le Christ, soit qu'il sauve le
pécheur, soit qu'il introduise au ciel les âmes bienheureuses;
les agneaux et brebis signifient les chrétiens, soit qu'ils
accomplissent sur terre leur carrière difficile, soit qu'ils
jouissent, dans l'Éden de leurs rêves, des récompenses sans
lin. Mais ceci, qui constitue le fond du symbolisme pastoral,
n'en épuise pas la richesse iconographique. Très souvent,
au bon Pasteur et à la brebis s'adjoint étroitement le s}^!!-
bole de l'orante.
L'Orante. Ce type, nous l'avons rencontré au plafond de
la crypte de Lucine (pi. I, 2). Parmi les motifs de décoration
profanes, c'est une figure de jeune fille priant, les bras mi-
ouverts. Rien ne la distingue que ce geste : elle ne porte
aucun attribut; elle n'est pas un portrait; elle ne tend à
représenter, même symboliquement, nul défunt particu-
lier. En réalité, impersonnelle, purement allégorique, elle
se présente là sous sa forme la plus ancienne, avec son sens
L'ORANTE 8i
le plus profond : elle est le symbole de l'âme, la forme ren-
due visible de Tesprit exhalé avec un dernier souffle.
Ainsi déjà les anciens représentaient Tâme au moment
où elle abandonne son enveloppe mortelle. C'était alors une
petite figure ailée, qui gardait en s'échappant, et quoique
sous une forme réduite, des apparences semblables au corps
qu'elle venait de quitter (eidolon). Les chrétiens ne l'ima-
ginèrent pas autrement, ainsi que le prouvent à la fois les
textes et les monuments figurés. Selon les Actes des saints
Pierre et Marcellin, le bourreau avait vu les âmes des mar-
tyrs s'envoler vers le ciel, comme des jeunes filles portées
par les mains des anges. Sur une médaille de plomb, con-
servée au Vatican, l'âme de saint Laurent sort de son corps
torturé sous les apparences d'une forme féminine, qu'une
main céleste va couronner ^.
Il n'est donc point de doute possible sur la signification
de l'orante et sur son origine. Mais le génie chrétien avait
singulièrement développé le type primitif, puisque, non
content d'en faire le signe d'une agonie consommée, il l'avait
élevé à la dignité d'un symbole général. De plus, il l'avait
complètement renouvelé, ce type, en lui prêtant partout
et toujours ce geste des bras mi-étendus, comme des ailes
qui vont s'ouvrir (pi. VII, 3).
Saint Ambroise y voyait une image de la croix. Des
archéologues modernes l'ont interprété comme une prière
des élus en faveur de ceux qu'ils avaient aimés. Est-il besoin
de le dire, le premier substituait sa propre pensée à celle
des premiers chrétiens. Quant aux seconds, ils ont paru
croire que le geste de l'orante illustrait les invocations adres-
I. PÉRATÉ, fig. 38.
82 L'ART DES CATACOMBES
sées aux défunts par leurs parents éplorés et gravées sur
les pierres tombales. «Vis dans le Christ et prie pour nous.
— Que ton âme soit heureuse, prie pour tes parents. » Sans
doute, il va de soi, et les épitaphes en [font preuve, que
dès les origines, on invoqua le secours des défunts en vue
du salut des âmes; mais la figure de l'orante est étrangère
à cette piété. Son geste impliquait toutes les prières, non
seulement celles de l'imploration suppliante, mais encore
celles qui sont pleines d'adoration respectueuse et de recon-
naissance attendrie. Son attitude était la seule qui fût
décente en présence de Dieu.
C'est l'attitude de l'enfant Pasiphilos i sur la pierre qui
recouvre sa tombe, et celle aussi des figures impersonnelles
de la crypte de Lucine. C'est l'attitude des patriarches, Noé,
Isaac, Daniel, quand ils remercient Dieu de sa protection,
et celle aussi des âmes justes quand elles sont introduites
dans l'enclos du paradis. A elle seule, l'orante exprimait
ce qu'il y avait de plus doux, de plus puissant dans l'âme
des fidèles : la perpétuelle vision de la béatitude et la con-
fiance inébranlable en la bonté du Christ.
Il n'est pas impossible que des orantes de caractère indéfini,
comme celles de la crypte de Lucine, fassent déjà allusion à la
béatitude céleste. D'autre part, il est des cas où les orantes
en paradis représentent des individus particuliers, figurées
qu'elles sont près de leurs noms, et caractérisées différem-
ment suivant le sexe des défunts. Dans la fresque célèbre
des Cinque santi (pi. VII, i), au cimetière de CalHste, il est
deux orants, vêtus du pallium masculin : ils se nomment
Nemesius et Procopius; il est aussi trois orantes, qui sont
I. Cabrol, Z)îc/îo«M, d'avchéol. chrét., I, i, col. 1481.
LE PARADIS 83
Dionysas, Heliodora, Zoé, reconnaissables à leurs habits
féminins. Un type comme celui de Torante était susceptible
de toutes ces modalités, sans qu'on pût se méprendre sur
son sens vrai. On peut penser, en effet, que les chrétiens
de la fin du m® siècle, quand ils purent contempler la belle
fresque des Cinque santi, interprétèrent le geste des défunts
comme l'expression d'un ravissement ingénu, d'une admi-
ration encore un peu mêlée de crainte et qui, par respect,
s'accompagnait toujours d'une prière.
Le Paradis. Mais laissons là les orantes. Contemplons ce
jardin édénique, qui jamais ne nous apparut sous des cou-
leurs plus aimables. Bien souvent, les décorateurs se con-
tentèrent de le représenter par quelques arbres ou quelques
touffes d'herbes figurés sans art. Dans la fresque des
Cinque santi, à la fin du m® siècle (pi. VII, i), ils déployèrent
tout leur talent; ils firent preuve à la fois d'une imagina-
tion exquise et d'un symbolisme très divers.
Autour des saints, les rameaux sont lourds de fleurs et
de fruits. Les douces saisons s'épanouissent ensemble, car
voici les raisins, les olives et les roses. Parmi les feuilles
vertes et les fleurs joyeuses, mille oiseaux gazouillent. Il y a
au bas du tableau des vasques pleines d'eau où boivent des
colombes. Et l'on dirait que toutes ces choses sont baignées
de clartés irréelles. C'est là le paradis désiré, celui qui se
dévoilait aux regards des fidèles en prière et des mart5n:s
extasiés.
Saturus, un des compagnons de sainte Perpétue, l'avait
vu lui aussi, dans une vision. Quatre anges l'avaient trans-
porté dans la direction de l'Orient, dépouillé de sa chair
mortelle. Après avoir suivi une pente douce, ils arrivèrent
34 L'ART DES CATACOMBES
dans un lieu admirablement éclairé. « Et ce fut un vaste
espace ressemblant à un verger. Il y avait des roses et toutes
sortes de fleurs. Les arbres avaient la hauteur des cyprès et
leurs feuilles ne cessaient de bruire mélodieusement i. »
Cette vision complète celle de sainte Perpétue, qui, en
franchissant le seuil du jardin édénique, n'avait eu de
regards que pour le bon Pasteur et l'assemblée des saints.
L'une est toute mystique; l'autre est plus humaine. Mais
adjoignons-leur les « acclamations » ordinaires des épitaphes
et c'est le commun des fidèles qui nous révélera la forme
qu'il aimait donner à ses espérances.
La vie en Dieu, la société des saints, in Deo vivas ; cum
sanctis vivas : tel est le vœu des survivants dans sa forme
la plus générale et aussi la plus pieuse. Mais, souvent, on le
précise, on le détaille, afin de rendre le bonheur futur plus
concevable à ceux que la vie fait souffrir. « Repose en paix !
Sois en paix ! La paix soit avec toi ! » Dès le i®^ siècle, les
acclamations de cette sorte étaient fréquentes; aucune ne
disait mieux, avec plus de simplicité et de plénitude, l'espoir,
né dans la fatigue des jours, d'un lieu où seraient inconnus
les labeurs du corps et les inquiétudes de l'esprit.
On souhaite aussi la lumière, on la désire, on la contemple.
La lumière est joyeuse; elle chasse le doute et l'effroi; elle
est sincère; elle est vivante. Que serait donc la lumière
éternelle, émanée du Christ? Le paradis, dans les inscrip-
tions, est un Heu de lumière, comme il était un lieu de repos.
Ainsi le nomment des épitaphes grecques : ev r6K(^ cporeivw
Il est aussi pour le chrétien un lieu de rafraîchissement.
« Que Dieu te rafraîchisse ! Que ton âme soit dans le raf raî-
I. Cf. Dictionn. d'archéol. chrétienne, I, 2, col, 2695.
Planche VI.
I. Le paradis, le bon Pasteur, l'orante, cim. Ostrien, -fin du III^ s.
(Wilpert, 117). — 2. Bon Pasteur et Bienheureux, cim, de Calliste,
2*^ moitié du IV^ s. (Wilper^, 236). 3. Introduction de Vibia au paradis,
galerie voisine du cim. de Prétextât, début du IV*^ s. (Wilpert, 132).
LE BANQUET CÉLESTE 85
chissement. Rafraîchissement soit à lui ! » Ainsi parlent les
plus anciennes inscriptions chrétiennes, à l'imitation, d'ail-
leurs, d'épitaphes plus anciennes de l'antiquité. En tout
pays de soleil, il n'est rien de meilleur que l'ombre et que
Teau. Le voyageur, durant les longues étapes sur d'arides
chemins, quand la chaleur accable, rêve de feuillages épais,
de brise fraîche parmi les arbres, de claires fontaines et de
ruisseaux murmurants. De même, le chrétien, sur les routes
de la vie, la gorge sèche, les pieds blessés, pense aux fleurs,
aux bocages, aux fontaines, parmi lesquels les élus se repo-
sent en paix.
Considérez donc de nouveau la fresque des Cinque santi.
Vous saurez que ces fleurs sont célestes et figurent l'éter-
nelle joie; que cette lumière est celle de la gloire ineffable
dans un lieu d'où les ténèbres sont bannies; que ces
colombes buvant aux vasques pleines ne sont pas autre
chose que des âmes se désaltérant aux sources du divin
rafraîchissement. Rien ici n'est terrestre. Même ces paons
qui, posés sur des branches, étalent leurs riches couleurs, sont
des symboles d'immortalité. Car leur chair, croit-on, est
incorruptible, ils font souvenir de l'éternité bienheureuse.
Le Banquet céleste. Les élus possédant le repos, la
paix, la lumière, les fleurs, l'herbe, les arbres, l'ombre et
l'eau, que pouvait-il manquer encore à la félicité dont, tant
de fois, ils avaient rêvé pendant leur vie? Une seule chose,
mais telle que son absence eût laissé incomplet le tableau
des joies d'outre-tombe : manger. Manger est doux, le soir,
quand les travaux journaliers sont finis et que la famille,
réunie autour de la table, s'assied. Les membres fatigués se
reposent, la faim s'apaise, les forces renaissent. Il y a, dans
86 L'ART DES CATACOMBES
chaque repas, une sorte de victoire de la vie sur la mort
acharnée à la détruire i. Et c'est une joie aussi pour les
hommes dont le cœur est joyeux, l'esprit en repos, de man-
ger ensemble. Ils se sentent frères. Voués aux mêmes dou-
leurs, ils partagent le même plaisir. Isolés, au travail, ils
détestaient la vie; unis, dans le repos, devant ces mets qu'on
sert en abondance, ils se réjouissent d'être nés. Et l'on dirait
que leur âme devient meilleure.
Les banquets ont toujours et partout passé pour une des
joies que la vie nous réserve. Infortuné celui qui mange
seul son pain ! Aussi les banquets font partie de tous les
paradis de l'antiquité. Jésus n'usa point d'une autre image
quand il convia ses disciples à la table de son père, dans le
ciel. L'Église suppliait le Seigneur d'admettre au banquet
céleste les défunts pour qui elle faisait entendre des prières.
Les martyrs, dans leurs extases, voyaient les cieux ouverts
et les tables pour eux préparées. Les simples, peut-on en
douter, trouvaient plus facile à saisir, en rêvant de ces sym-
posies enchantées, la conception du royaume des cieux.
Les représentations de la Cena cœlestis sont assez nom-
breuses aux catacombes; mais leur identification est diffi-
cile, car on est exposé à les confondre avec les représenta-
tions du banquet funèbre, et celles du repas en lequel beau-
coup d'archéologues reconnaissent la table eucharistique.
Il convient donc de réunir ces trois sujets douteux dans la
même étude. La Cena cœlestis, pour l'instant, nous appren-
drons à la connaître dans la fresque fameuse de Vicentius et
Vibia, œuvre pagano-chrétienne, qui fut retrouvée dans
une galerie contiguë au cimetière de Prétextât, et qu'on a
datée du commencement du iv® siècle (pi. VI, 3).
I. VON Sybel, Chrisiliche Antike, I, p. 190-
LE BANQUET CÉLESTE Sj
Vicentius était prêtre d'une secte religieuse aux ten-
dances syncrétistes, c'est-à-dire imbues de paganisme et de
christianisme à la fois : au vrai, ses dieux étaient ceux de
l'ancien Olympe, notamment Mercure-Soleil, dit Sabazios;
ses doctrines reflétaient beaucoup d'idées chrétiennes. Vibia
était la femme de Vicentius et la fresque décorant son tom-
beau représentait successivement sa mort et son arrivée
dans le ciel. Sur l'archivolte de l'arcosole, c'est d'abord sa
fin mortelle, figurée comme un enlèvement par Pluton, dans
un quadrige que Mercure conduit, et l'inscription porte ces
mots : ABREPTIO VIBIES ET DISCENSIO. Comme pen-
dant, son mari, accompagné de six autres prêtres (SEP-
TEM PII SACERDOTES), célèbre le banquet ordinaire
des funérailles. En la partie supérieure de l'archivolte, c'est
le jugement de son âme par Jupiter (DISPATER) et Junon
Proserpine (AERACVRA) qui siègent sur leur tribunal.
Trois femmes voilées, au pied du trône, représentent les des-
tins impassibles (FATA DIVINA), tandis qu'en face d'elles.
Vibia s'avance, conduite par Mercure le messager (MER-
CVRIVS NUNTIUS) et suivie d'Alceste, celle que son mari
tant pleura et qui fut ressuscitée par la clémence des dieux.
Or, ce qui précède figurait le voyage mystérieux de l'âme
et ses épreuves des portes du tombeau aux portes du paradis.
Au fond, dans la lunette de l'arcosole, Vibia, conduite par
son bon ange (ANGELVS BONVS), franchissait la porte
du ciel et ses yeux contemplaient le pré fleuri où les élus
sont accueiUis par d'anciens frères. Enfin, on voyait Vibia
attablée au banquet des justes (BONORVM IVDICIO
IVDICATI) qui, autour d'elle, se couronnaient de fleurs et
tenaient des palmes. Un serviteur se hâtait, apportant des
mets. Et l'eau et les poissons et le pain étaient servis sur le
88 L'ART DES CATACOMBES
gazon vert. Et Vibia, ravie, timide encore cependant au
milieu de son bonheur, exprimait d'un regard l'émerveille-
ment de son âme.
Sans ces couronnes de fleurs dont les convives se parent,
un je ne sais quoi de matériel par où se devinent des idées
nouvellement empruntées et des conceptions où le mysté-
rieux l'emporte sur l'idéal, cette représentation pourrait
être chrétienne. C'est, avec des détails précis et proprement
chrétiens, comme ï Angélus bonus, une peinture de la plus
grande joie céleste.
Mais Vicentius et Vibia étaient, au fond, des païens. Ils
représentent ces miUiers d'infidèles qui n'avaient pu
entendre sans perplexité et sans envie les chrétiens affirmer
leur certitude d'éternelles récompenses et qui, entraînés par
là, avaient tenté d'établir entre leurs croyances anciennes
et la religion du Christ d'habiles conciHations. Leur concep-
tion de la béatitude, pour revêtir des apparences nouvelles,
n'en était pas moins celle du paganisme. Leur ambition
n'allait pas plus loin que s'assurer, dans le ciel, la perpétuité
de quelques bonheurs choisis. Fondée sur la survie corpo-
relle et non sur la naissance de l'âme à sa vie prédestinée,
leur espérance était toute contenue dans le tableau de joies
naïvement matérielles. En était-il de même des chrétiens?
L'Église, à n'en pas douter, enseignait que le bonheur
céleste était intraduisible. « L'œil de l'homme n'a pas vu,
disait saint Paul, son oreille n'a pas entendu, son esprit n'a
pas pu comprendre ce que Dieu a préparé à ceux qui l'ai-
ment. » Par quoi, peut-être, il entendait moins exprimer sa
conception philosophique de la béatitude que prémunir les
fidèles contre la croyance littérale à des visions trop maté-
rielles. Que si, par conséquent, la question est faite au point
L'LANcnii vu
I. Partie de la fresque des Cinq Saints, cim. de Calliste, avant 300
(Wilpert, III). — 2. Bon Pasteur, cim. de Domitille, milieu du IV^ s.
(Wilpert, 190). — 3. Orante, cim. Vigna Massimi, i'^ moitié du IV'' s
(Wilpert, 74).
LE BANQUET CÉLESTE 89
de vue de la doctrine, il faut répondre que le repos, la paix,
le rafraîchissement, les âmes rassemblées au milieu des
bocages et des parterres fleuris, les ombrages et les fontaines,
les doux loisirs et les banquets n'étaient que les symboles
d'une indicible félicité. Mais ces symboles étaient aussi
anciens que le monde. Le paradis perdu aux origines de la
race humaine, et que la Bible avait décrit, les chrétiens en
avaient adopté l'image pour représenter le paradis restitué
de par la promesse divine. Qui pourrait dire ici le fond des
pensées populaires, le sédiment accumulé des siècles et la
capacité d'abstraction que l'enseignement ecclésiastique
avait pu engendrer dans l'âme des simples? Dans celles-ci,
on peut en répondre, les symboles de béatitude tenaient
toute place, fixaient toute incertitude, nourrissaient toute
imagination. Pour le reste, c'était le soin de Dieu.
CHAPITRE V
L'ART DES CATACOMBES (suite)
Christologie. Les miracles du Christ et les prières chrétiennes. Le Poisson.
Sa signification. Le pain et le vin. La fresque du cimetière de Lucine.
La fraction du pain et le banquet des agapes. L'aliment mystique.
Étude des banquets représentés aux catacombes. La Vierge. Sacre-
ments. L'art et le beau dans la peinture des catacombes.
Les Miracles du Christ. Ce qui distinguait l'espoir chré-
tien de tous les autres, c'était son caractère affirmatif et son
expression de tendre confiance. Les prières liturgiques sont
toutes marquées de ce double signe. Elles invoquaient le
Dieu des Juifs en rappelant les gages de sa miséricorde
envers les saints de l'ancienne alliance; elles s'adressèrent,
sous les mêmes formes verbales et avec un abandon de
l'âme encore plus complet, au Christ, possesseur de toute
puissance, auteur de tant de bienfaits, caution de tant de
promesses.
Dans la deuxième des prières pseudo-cypriennes, on fai-
sait appel à son pouvoir et à sa clémence; on rappelait les
preuves de sa bonté. « Je te supplie, ô toi. Fils du Dieu
vivant, qui as accompli de si grands miracles ; Toi qui à Cana
de Galilée as changé l'eau en vin, pour l'amour d'Israël; Toi
qui as ouvert les yeux des aveugles, qui as fait entendre les
sourds, qui as rendu aux paralytiques l'usage de leurs mem-
bres ; Toi qui as délié la langue des muets ; Toi qui as déli-
92 L'ART DES CATACOMBES
vré les possédés des démons, qui as fait sauter comme des
cerfs les boiteux, qui as guéri l'hémorrhoïsse, ressuscité des
morts ; Toi qui as marché sur la mer ; Toi qui as créé la mer
et qui, par ta puissance, lui as fixé ses bornes, je te supplie
pour tous mes péchés, Toi qui es au ciel le Fils dans le Père,
et dont le Père est en toi éternellement ; Toi qui trônes au-
dessus des chérubins et des séraphins, au siège de ta
majesté 1. »
Or, dans le même temps que l'Éghse priait ainsi, au
11^ et au III® siècle, on représentait aux catacombes les mira-
cles du Christ : les guérisons de l'hémorrhoïsse, du paralytique
(pi. X, 2), du lépreux, la résurrection de Lazare (pi. VIII, i),
le repas miraculeux auprès du lac de Tibériade, la multipli-
cation des pains (pi. VIII, 2) et le miracle de Cana. Com-
ment ne pas être frappé d'un tel rapprochement? Et s'il est
vrai que les types bibliques ont été adoptés et choisis pour
signifier la miséricorde divine, comment ne pas reconnaître,
dans les miracles du Christ, l'attestation de sa puissance
infinie, divine, en même temps que de sa bonté? Comment
ne pas expliquer leur présence dans les cimetières chrétiens
par la grande idée du salut?
Il est vrai que les Pères ont tiré de certains miracles rap-
portés dans les Évangiles des appHcations symboHques bien
plus subtiles. Tertullien voyait dans le paralytique empor-
tant son Ut, après s'être plongé dans la piscine de Bethsaïda,
une allusion au baptême. Mais ne voit-on pas que c'est là
un rapprochement littéraire ou, tout au moins, une pensée
accidentelle, qui ne pouvait avoir de répercussion sur le
sens général des décorations cimétériales? Et si même le
I. Karl Michel, op. cit., p. 6.
Planche VlJI,
I. Résurrection de Lazare, cim. de Calliste. 2^' moitié du 11^ s. (Wil-
pert, 46). — 2 Multiplication des pains, crypte de Lucine, 2^ moitié du
11^ s. (Wilpert, 120). — 3. Poisson et trident, cf. no i (Wilpert, 39). —
4. Poisson et corbeille de pains, crypte de Lucine, i^e moitié du 11^ s.
(Wilpert, 27).
LES MIRACLES DU CHRIST 93
paralytique emportant son lit fit jamais penser au baptême,
il paraîtra manifeste que c'est là une signification tardive,
car sa présence aux catacombes n'est point due à d'autres
causes que celle du lépreux ou de l'aveugle. Or, ceux-ci ne
firent jamais allusion qu'à la puissance du Christ. De même,
il conviendra d'examiner, en étudiant les banquets chrétiens
des catacombes, si le repas miraculeux au bord du lac de
Tibériade, la multiplication des pains et même les noces de
Cana ne sont pas rattachés par des rapports étroits au
repas eucharistique et à la Cena cœlestis. Le témoignage des
Pères sera précieux. Mais substantiellement, ces miracles
ne peuvent être séparés des autres. Quelles que soient les
pensées dont ils ont pu s'enrichir, ils n'en garderont pas
moins leur signification initiale. Ils attesteront, d'abord et
avant tout, le pouvoir sans limites du Seigneur et, comme
les miracles de Dieu en faveur d'Israël, ils manifes-
teront la foi inébranlable des fidèles en la clémence de leur
Maître.
Il n'est pas rare, à partir du m® siècle, de voir le Christ
opérant des miracles sous la figure humaine. Aucun attribut,
aucun trait bien distinct n'indique sa divinité. Jeune,
debout, il est vêtu du paUium et son pouvoir s'exprime
uniquement par la baguette que l'antiquité donnait aux
magiciens et que la peinture cimétériale elle-même avait
déjà prêtée à Moïse.
C'est ainsi que, peu à peu, les épisodes sacrés tendaient à
s'assimiler dans l'art chrétien à la représentation ordinaire
de faits historiques, et que la figure suprême de la religion
nouvelle revêtait les caractères d'une simple et noble huma-
nité. Mais les symboles, Orphée, le bon Pasteur, ne cessaient
pas d'être aimés. Il en était même, plus mystérieux, plus
94 L'ART DES CATACOMBES
profonds, en qui les chrétiens reconnaissaient, pour ainsi
dire, la quintessence de leur foi : nous voulons parler sur-
tout du symbole du poisson.
Le Poisson, le Pain et le Vin. Il résulte du témoignage
de tous les Pères, depuis le ii^ jusqu'au vi® siècle, comme
aussi de l'examen d'une multitude de monuments, que le
poisson, soit par son nom, Ij^-ôc, soit par son image réelle,
signifiait le Christ. Il était du Christ la figure symbohque,
la représentation la plus claire et la plus répandue, à ce
point que, pour quahfier le Sauveur, le Christ, Origène
choisissait ces mots : b rponixô); Asyo^evoç ly^vç^ « celui
que figurativement nous appelons Ichthys ». Il ne s'agit pas
là d'une opinion personnelle, c'est la constatation d'un fait.
En effet, sous l'apparence du poisson, les chrétiens reconnais-
saient leur bienfaiteur et leur maître. « Nous renaissons dans
l'eau, dit Tertullien, à l'image de notre maître, l' Ichthys,
Jésus-Christ. » Il est manifeste que cette interprétation était
connue de tous les fidèles et par tous adoptée.
Mais d'où provenait-elle? Comment le Christ avait-il pu
être identifié avec le poisson? La question ainsi posée n'est
pas définitivement résolue.
L' Ichthys étant souvent représenté par un dauphin, on a
pu se demander si ce poisson secourable aux humains,
emprunté aux décorations funéraires de l'antiquité, en même
temps que les autres éléments du cycle maritime, n'avait
pas engendré l'idée du poisson en tant que sauveur de l'hu-
manité? Mais le dauphin apparaît surtout au iii®-iv® siècle,
bien longtemps après le simple poisson. D'autre part, l'idée
du salut par l' Ichthys n'est-elle pas bien antérieure aux
images que nous possédons? Elle pourrait se trouver en
LE POISSON, LE PAIN ET LE VIN 95
rapport avec le banquet eucharistique (Actes, II, 42), célé-
bré par les chrétiens depuis le temps des Apôtres, pour répé-
ter la dernière Cène. Enfin, on a remarqué depuis longtemps
que les cinq lettres composant le mot '^X^^^ étaient les
initiales des mots suivants : 'l[y,(7oi3ç] X[pi(7roç] ©[eoO] Y[îoç]
l[(ùTY}p], « Jésus-Christ, Fils de Dieu, Sauveur». Une telle
rencontre ne semble pas fortuite. C'était là, pour tout chré-
tien, une véritable profession de foi, cachée sous une sorte
de jeu littéraire, un acrostiche qui contenait en soi le fonde-
ment de la croyance. Il avait vu le jour, dit-on, à Alexandrie
où Ton aimait de tradition les compositions habiles de
lettres, les vers sibyllins. Et ce serait une protestation contre
la légende frappée sur les monnaies d'Alexandrie, sous le
règne de Domitien (8i-g6) : AvroKpdTOdp Kaîo-ap 0£oû vioç
AofiiTiixvbç 2e^a(JT0ç T epfiav ly^ôç.
César, fils de Dieu! Les chrétiens auraient relevé le blas-
phème. S'inspirant des formules de la titulature impériale,
opposant le prénom au prénom et le nom gentilice au nom
gentilice, la filiation à la fiHation, le surnom au surnom, ils
auraient démenti dans leur formule la divinité impériale et
revendiqué pour le seul Christ le titre de Fils de Dieu. Cette
exphcation est très vraisemblable. On l'adopte généralement.
Mais encore hésitons-nous à la tenir pour suffisante; car
la formule alexandrine peut n'être que l'interprétation d'un
symbole déjà connu (cf. Bibliographie).
Quoi qu'il en soit, les images du Poisson-Christ se multi-
pUèrent au 11 e siècle. On le représentait seul sur les dalles
funéraires, les pierres gravées, et lui seul se suffisait; ou bien
on l'associait aux autres motifs symboHques qui prenaient,
alors, de par sa présence, une valeur plus idéalement par
faite (fig. 6). L'ancre,notamment, lui fut associée. La réunion
96
L'ART DES CATACOMBES
de ces deux symboles était d'une clarté sans seconde. Elle
criait l'espoir en Christ. Et surtout, l'ancre était une représen-
tation, à peine déguisée souvent, de la croix. Représenter le
poisson à côté d'elle, c'était rappeler le Calvaire et l'œuvre
accomplie du salut humain. On alla plus loin, afin de
paraître plus saisissant : une gemme du Musée britannique
montre le poisson mystique posé sur la tige d'une ancre cru-
ciforme (fig. 7); sur l'épitaphe de
Victorianus, au cimetière de Calliste,
il apparaît attaché au trident. Dans
une fresque de la même nécropole,,
on l'y voit enroulé (pi. VIII, 3). Bien
qu'ici l'imitation de modèles anti-
ques soit évidente, il n'en est pas
moins vrai qu'on entendait par là
figurer la forme du supplice infligé
à Jésus. Et l'on pourrait allonger
presque indéfiniment la liste de ces exemples. Les monu-
ments paraissent inépuisables. L'Ichthys, aux yeux des
chrétiens, était donc bien l'image de Jésus, et Jésus était
mort sur la croix pour ouvrir aux âmes les portes du ciel.
Rares sont les représentations où le poisson est symbole
du chrétien ou de l'âme élue. Le texte souvent cité de Ter-
tullien (De Baptismo, 1) : nos pisciculi secundum IX0TN
nostrum Jesum Christum, en est le commentaire indiqué.
Bornons-nous donc à marquer fortement la signification
du Poisson-Christ, car c'est d'elle que dépend, au fond, l'in-
terprétation des symboles dont nous allons parler et qui
sont les plus difficiles qui soient à élucider dans tout l'art
chrétien primitif.
Dans la crypte de Lucine (ii® siècle), il est deux fresques
FIG. 6. PIERRE GRAVÉE,
du Musée Kircher.
(D'après Pératé.)
LE POISSON, LE PAIN ET LE VIN
97
dont chacune représente un poisson d'espèce indéterminée,
non pas nageant dans Teau, mais posé sur le sol (pi. VIII,4),
vivant d'ailleurs, car son corps est tendu, sa bouche
entr 'ouverte ; son œil est clair, sa queue frétille. Devant lui
se trouve une corbeille portant, en guise
de couvercle, une tablette chargée de
pains et à l'intérieur de laquelle on
distingue un vase « rouge », — vase
plein de vin apparemment. Il n'y a
pas aux catacombes de représentation
plus célèbre, mais dont le sens soit
plus fuyant.
Un fait est hors de doute : le pois-
son est l'Ichthys. En second lieu, la
corbeille contenant pains et vin doit se
trouver — la composition le prouve,
— en relation étroite avec le poisson,
autant dire avec le Christ. Enfin, on peut admettre encore
que la corbeille et le vase sont des éléments matériels
empruntés aux représentations de la multiplication des pains
et des noces de Cana. Mais l'Ichthys ne représente point le
Christ comme thaumaturge. D'autre part, pourquoi le vase
dans la corbeille? On devine que les chrétiens virent là autre
chose que le souvenir des miracles. Deux interprétations
sont possibles : ou bien les pains et le vin sont symboles des
joies célestes, et l'on considérera la multiplication des pains
et les noces de Cana comme figures des éternels banquets
servis par le Christ à ses élus; ou bien nous avons sous les
yeux une allusion au pain et au vin mystiques de l'Eucha-
ristie, les miracles symbolisant l'aliment de salut offert par
l'Église aux fidèles. On sait qu'au cours du banquet des agapes,
FIG. 7. PIERRE GRAVEE
du Musée britannique.
98 L'ART DES CATACOMBES
célébré par les communautés chrétiennes, il était un moment
rituel où Tévêque « rompait le pain » et le distribuait aux
fidèles pour être absorbé. C'était le rite suprême du ban-
quet. Par là était répétée la dernière Cène et commémoré le
sacrifice sanglant du Calvaire. «Fraction du pain» et Eucha-
ristie sont termes synonymes. Le vin aussi, on le verra plus
loin, était un élément du banquet de communion. Rien ne
s'oppose donc à l'interprétation eucharistique i.
Mais, en soi, les peintures de la crypte de Lucine ne con-
tiennent pas d'indices décisifs. Il est vrai qu'au témoignage
des Pères, les miracles de la multiphcation des pains et des
noces de Cana sont figures de l'Eucharistie, mais les plus
anciens de ces témoignages ne remontent pas plus haut que
le IV® siècle. On ne voit donc, jusqu'ici, nul moyen d'expri-
mer une opinion catégorique.
Cependant, il est un texte ancien qui ne peut être passé
sous silence en ce débat : c'est la fameuse inscription d'Aber-
cius, reconnue chrétienne aujourd'hui, à peu près unani-
mement.
Abercius, un évêque d'Orient, avait composé lui-même
son épitaphe, au commencement du m® siècle. « Je me
nomme Abercius, y lisons-nous; je suis disciple d'un saint
pasteur, qui fait paître son troupeau de brebis sur les mon-
tagnes et dans les plaines, qui a de grands yeux dont le
regard atteint partout. » Et plus loin : « J'avais Paul... la
foi me conduisait partout. Partout elle m'a servi en nour-
riture un poisson de source, très grand, très pur, péché par
une vierge sainte. Elle le donnait à manger aux amis; elle
I. Mgr. Wilpert tient pour assuré qu'entre les deux poissons de la
crypte de Lucine, là où aujourd'hui le stuc est arraché, se trouvait repré-
senté un banquet eucharistique. L'affirmation est téméraire !
LE POISSON, LE PAIN ET LE VIN
99
possède un vin délicieux qu'elle donne avec le pain. » Il
serait bien difficile, pour ne pas dire impossible, de nier un
rapport étroit entre les termes d'Abercius et le repas eucha-
ristique, tel que le célébraient les chrétiens.
L'inscription de Pectorius d'Autun, écrite vers la même
date que la précédente, n'est guère moins explicite : « Race
^^^^TTWm^^^v'^ fi^
FiG. 8. — POISSONS ET PAINS. (D'après Grisar.)
céleste du poisson divin..., reçois ce mets doux comme le
miel du Sauveur des âmes, mange avec délices tenant le
poisson dans les mains. »
Il reste à démontrer que ces inscriptions, applicables à
l'histoire des rites liturgiques, le sont aussi à l'interpréta-
tion des peintures des catacombes. Mais c'est là précisé-
ment la démonstration qui nous manque. Si l'Ichthys est
le (( mets doux comme le miel » du repas eucharistique,
il est aussi, comme nous le verrons plus loin, la nourriture
symbolique des élus. Laquelle choisir de ces deux interpré-
tations? Nous sommes porté à croire que le poisson et le
pain et le vin de la crypte de Lucine faisaient penser à la
fois au banquet liturgique, moyen de salut, et à la table
céleste, récompense des élus. Du moins les deux interpréta-
tions ne s'excluent-elles pas.
Un marbre des Catacombes, remontant au m® siècle, se
rapporte au même sujet. Deux petits poissons nageant en
sens opposé semblent avaler des pains placés entre eux. L'in-
100
L'ART DES CATACOMBES
scription se compose de ce seul mot : o-yvrpocpiov (fig. 8). Chré-
tiens se nourrissant du pain de l'Eucharistie ? Chrétiens
appelés au séjour divin et goûtant les joies de la promesse?
Nous laissons la question ouverte. Elle se rattache d'ailleurs
à l'étude, que nous allons aborder, des banquets chrétiens.
Les Banquets chrétiens. Il est aux catacombes des
banquets funèbres. On les célébrait en réahté et l'on en per-
FIG. g. BANQUET FUNÈBRE.
pétuait l'image sur les tombeaux, selon un double usage de
la Grèce et de Rome, auquel les chrétiens étaient restés
fidèles. Ils réunissent des hommes, des femmes, des enfants,
et le nombre des convives est naturellement très variable.
C'est un banquet funèbre, très probablement, qui est repré-
senté dès la fin du i^r ou au commencement du ii© siècle,
au cimetière de Domitille (fig. 9).
Il y a, en second lieu, des banquets célestes. Et c'en est
un certainement que le repas des cinq vierges sages au cime-
Planche IX.
I. Scène de banquet, cini. des SS. Pierre et Marcellin. i^e moitié du
IV^ s. (Wilpert, 157). — • 2. Ban(iuet de la Capella Graeca, cim. de
Priscille, début du 11'^ s. (Wilpert, 15). — 3-4. Bienheureux au paradis,
cim, de Calliste, 2^ moitié du 11^ s. (Wilpert, 41).
LES BANQUETS CHRÉTIENS loi
tière de Sainte- Agnès i. Mais on peut éprouver des doutes
sur le sens des banquets qui ont rendu célèbre le cimetière
des Saints-Pierre et Marcellin (pi. IX, i).
Les convives sont de tout âge. Ils boivent et mangent.
Ils font des gestes nombreux. Il en est qui lèvent leur verre.
Mais notez ce détail : des inscriptions dans le champ
semblent répéter les ordres des convives à deux personnages
dont les noms ne changent pas, Iréné, Agapé : Irène da calda !
Agape misce mi ! ou bien, les rôles étant changés : Irène,
misce! Agape porge calda! ce qui signifie : Agape, Irène,
donne de l'eau chaude, emplis mon verre! Cris joyeux, sem-
ble-t-il, et tels qu'en jettent les convives quand le vin
abondamment est versé.
Bosio considéra ces banquets comme une représentation
des agapes. On sait, en effet, qu'une partie de ce repas, avant
et après la fraction du pain, pouvait être joviale. Elle le fut
même parfois à l'excès, au témoignage de saint Paul. Mais
que signifiaient les noms de ces échansonnes Agapé, Irène?
Les archéologues se trouvèrent généralement d'accord pour
estimer qu'ils désignaient deux figures féminines toujours
présentes à ces banquets, mais qui, assises ou debout, res-
taient séparées des convives. C'étaient, dit-on, les personnifi-
cations de la Paix et de V Amour. Dès lors, la théorie de
Bosio parut caduque. Et les banquets des Saints-Pierre et
Marcellin furent interprétés comme des banquets célestes.
Est-ce bien certain? On s'étonnera que la peinture des
joies célestes ait pris un aspect si vulgaire. Et tandis que les
orantes au paradis ont une attitude tout inspirée par le
respect et l'adoration; tandis que, dans le banquet où nous
I. Perret, Les Catacombes de Rome y Paris, 1852.
102 L'ART DES CATACOMBES
avons vu Vibia conviée, des païens gardaient un maintien
pénétré de recueillement et manifestaient une joie extasiée,
on trouvera étrange que les âmes chrétiennes aient été ainsi
représentées fêtant le vin, au milieu des prairies célestes.
Dom Leclercq, rompant en cela avec les théories de
Rossi et doutant d'ailleurs du caractère allégorique d'Irène
et Agapé, adopte une opinion assez subtile : « Pour nous,
nous serions plus disposé à ne voir aucun rapport entre les
devises et les soi-disant servantes pour qui, d'ailleurs,
cette fonction n'est rien moins que prouvée. Les ban-
quets des Saints-Pierre et Marcellin seraient des allégories
de la féhcité des élus dans le paradis, allégories dans lesquelles
on aurait rappelé le rapport qui existait entre ces banquets
célestes et les agapes funéraires par des inscriptions emprun-
tées au rituel de Tagape i. » Mais pourquoi faire intervenir
ici les banquets funéraires? Ainsi qu'on peut le voir par la
scène du cimetière de Domitille, ils ne comportaient pas
cette joie. S'il existe une allégorie, elle repose plutôt sur
l'interprétation de Bosio : les agapes terrestres, auxquelles
président la Paix et l'Amour, sont l'image des agapes éter-
nelles dans le paradis.
Parlons enfin du repas eucharistique proprement dit ou
fraction du pain.
Selon de Rossi et, plus récemment, MgrWilpert, chaque
fois que furent représentés, aux catacombes, la multiplica-
tion des pains (Matth., 14, 15; Marc, 6, 35; Luc, 9, 12), le
banquet des Sept (Jean, 21), les noces de Cana, il fut fait
une allusion directe au banquet liturgique. Que les corbeilles,
le poisson, les pains, la coupe de vin apparaissent rangés à
I. Dictionn. d'archéol. chrét., I, col, 842
LES BANQUETS CHRÉTIENS 103
droite et à gauche des convives ou devant eux, on peut
être assuré que l'on se trouve en présence d'une figure de la
f radio panis. C'est là, pour ces érudits, une théorie essen-
tielle, un système fondamental que nous avons déjà esquissé
et dont malheureusement il est difficile de donner la preuve
à raison de la date tardive où les Pères ont affirmé l'exis-
tence de ces symboles.
Cette preuve serait patente, au contraire, si le banquet
d'origine biblique était marqué de traits contemporains,
si l'on y pouvait reconnaître des détails de réalité impli-
quant l'intention de représenter, en même temps qu'une
figure de la fractio panis, le repas liturgique lui-même.
Or, cette preuve, Mgr Wilpert croit l'avoir découverte
dans une scène de banquet décorant la partie supérieure d'un
arcosole au cimetière de Priscille, dans la crypte, devenue
par là célèbre, de la Capella Graeca (pi. IX, 2). La fresque
remonte à la première moitié du 11 ^ siècle. En voici la des-
cription sommaire :
Sept convives prennent part au banquet; devant eux se
voient une coupe, un poisson servi sur un plat ; à droite et à
gauche, des corbeilles sont rangées. Or, l'un de ces person-
nages, placé à l'extrémité droite du demi-cercle, étend les
bras ; des deux mains il tient quelque chose qui, en raison
du moment, du lieu, du geste, ne peut être que du pain. Il
« rompt » le pain, dit Mgr Wilpert. C'est l'évêque présidant
le banquet liturgique et prêt à distribuer l'Eucharistie aux
fidèles.
De graves objections ont été faites à cette interprétation.
Comme Mgr Wilpert étabht un rapport voulu entre le
nombre des convives, sept, et le banquet des sept disciples
au bord du lac de Tibériade, on fit remarquer qu'au cime-
104 L'ART DES CATACOMBES
tière de Priscille, il était une femme. Ce rapport ne pouvait
donc guère exister. En second lieu, le geste qu'on fait pour
rompre le pain n'est pas d'étendre les bras, mais de les
replier vers soi. Et si ce geste indique la fraction du pain,
pourquoi d'autres convives le font-ils en même temps?
Pourquoi surtout, quand a lieu un acte solennel, auguste, ne
prêtent-ils à celui qui l'accomplit qu'une si médiocre atten-
tion?
On le voit, la preuve fait défaut. Il y a tout au moins une
exagération dans la théorie de Mgr Wilpert. Sans doute, et
nous l'avons dit plus haut, l'Ichthys et le pain et le vin,
dont la signification mystique est attestée par l'inscription
d'Abercius, n'étaient pas sans faire souvenir de la fractio
panis et de la manducation rituelle du banquet des agapes ;
mais le repas de la Capella Graeca n'est pas une représenta-
tion réelle de ce banquet; c'est plutôt l'idée de la cena cœ-
lestis qui prédomine. Il en est de même, pensons-nous, pour
les banquets des Sept représentés dans les chapelles des
Sacrements, au cimetière de Calliste (pi. X, 4).
Partout, Mgr Wilpert, entraîné par la logique de son
système, reconnaît dans les décorations des catacombes des
intentions didactiques. Les images, pour lui, s'associent
pour symboliser aux yeux tout un corps de doctrines.
« Le cycle de la Capella Graeca, écrit-il, commence par trois
représentations du baptême, c'est-à-dire Moïse frappant le
rocher, le paralytique et l'administration du baptême, dont
il ne reste qu'un chétif fragment; vient ensuite l'adoration
des Mages, par laquelle l'auteur du cycle exprime sa foi dans
l'incarnation du Fils de Dieu dans la Vierge Marie; trois
autres panneaux : Daniel parmi les lions, le sacrifice d'Abra-
ham et la fractio panis, se rapportent à l'Eucharistie comme
Planche X
I. Moïse et pêcheur, cim. de Calliste, 2'' moitié du 11^ s. —
2. Pêcheur, baptême du Christ, paralytique, cim. de CalHste, 2'' moi-
tié du 11'^ s. (Wilpert, 27). — 3. Adoration des Mages, cim. de Domi-
tille, I'*' moitié du IV'' 5. (Wilpert, 116).
LES BANQUETS CHRÉTIENS 105
banquet et comme sacrifice; Lazare et les saisons de Tan-
née symbolisent la résurrection, qui est un fruit de la récep-
tion de TEucharistie; Noé et l'histoire de Suzanne nous font
voir comment Dieu protège dans leurs nécessités ses fidèles
et contient une exhortation indirecte à persévérer dans la
foi en la puissance divine et dans Tespérance de la récom-
pense promise en l'autre vie; dans le dernier panneau, le
défunt est représenté en orant dans la compagnie des
saints ^. »
Cette suite d'interprétations est arbitraire; cette logique
repose sur un postulat. « On se demande en vérité, dit Dom
Leclercq, si un guide mystérieux est sorti de quelque locu-
lus inviolé pour révéler toute cette explication. Nous savons
assez qu'il n'en est rien... Laissons donc l'imagination et
tenons-nous-en au bon sens. Il n'est pas douteux que chaque
sujet, pris en particulier, ne représente une scène biblique
ou contemporaine. Plusieurs d'entre ces sujets peuvent
être non seulement historiques, mais allégoriques. Aller au
delà, c'est sortir de la science sérieuse. Nous ne nous y arrê-
terons pas 2. »
Ni trop d'imagination, ni trop de scepticisme, dirons-
nous. Les cycles restitués par de Rossi et Mgr Wilpert sont
invraisemblables. Chaque symbole doit être étudié en lui-
même.
Il est bien certain que, dans les chapelles des Sacrements,
au cimetière de Calliste (début du m® siècle), le baptême du
chrétien fut représenté en même temps que le baptême de
Jésus; mais de savoir si le pêcheur prenant un poisson.
Moïse frappant le rocher (pi. X,i), la figure puisant de l'eau
I Wilpert, Ma/emew, p. 151 et suiv. Dom Leclercq, Manuel, p. 20^.
2. Dom Leclercq, Manuel, p. 205.
8
io6 L'ART DES CATACOMBES
sont s)niiboles du baptême, ainsi que cela paraît évident selon
la logique des cycles sjnnboliques, voilà qui reste bien dou-
teux; car le pêcheur peut indiquer simplement le paysage, et,
selon la logique de l'idée du salut, les autres scènes faire
allusion au refrigerium.
De même, on voit dans les chambres des cimetières de
Calliste, à côté du banquet des Sept (pi. X, 4), une orante
debout près d'une petite table, sur laquelle un poisson est
servi (pi. IX, 3). Un personnage étend le bras vers le
poisson. C'est, pour Mgr Wilpert, un prêtre accomplissant
l'acte de la consécration et, à côté de lui, une chrétienne
sauvée par l'Eucharistie. Mais cette explication n'est pos-
sible que si le repas des Sept est bien le banquet liturgique.
D'autre part, il est difficile de supposer l'orante au ciel,
tandis que la table et le personnage voisin, qui font partie
du même groupe, seraient sur la terre. N'est-ce pas une
autre forme du banquet céleste? On pourrait multiplier
les exemples de ce genre pour démontrer combien fut
audacieuse à l'excès la théorie des cycles.
En résumé, l'Ichthys signifie le Christ. Il constitue, avec
le pain et le vin, la mystique nourriture des fidèles comme
aussi le mets symbohque servi aux bienheureux sur les gazons
fleuris du verger céleste. C'est lui qui confère à tous les
banquets chrétiens des catacombes leur essentielle unité.
Autres Scènes chrétiennes. La Vierge. Fresques
POSTÉRIEURES A LA Paix DE l' ÉGLISE. Dans Une fresque
célèbre du cimetière de Priscille, on croit généralement
reconnaître la vêture d'une vierge consacrée à Dieu
(pi. XI, 4). A l'avant-plan, la même figure se verrait en
orante; dans le fond, la Vierge tiendrait l'Enfant sur ses
AUTRES SCÈNES CHRÉTIENNES 107
genoux (pi. XI, 3). Mais cette interprétation est peu sûre.
N'était la difficulté de concevoir comme un mariage chrétien
la cérémonie accomplie par le prêtre, il serait bien plus
vraisemblable de voir en cette fresque la triple représen-
tation d'une chrétienne comme épouse, comme mère et
comme élue 1.
Aussi bien, la Vierge apparaît assez souvent et très tôt
aux catacombes. Son image la plus connue est au cimetière
de Priscille, dans une fresque du ii® siècle. Assise, elle allaite
l'Enfant. Et tandis que celui-ci presse son sein, tourne la
tête, non sans mutine pétulance, elle, gravement, le buste
un peu penché, l'enveloppe de ses bras. En même temps,
elle écoute un personnage drapé qui, devant elle, parle et
dont la main levée indique une étoile (pi. XI, 2). C'est Isaïe,
dit-on généralement, qui compara le Seigneur à un astre nou-
veau, dont la lumière serait éternelle. En réalité, ce n'est
peut-être que le héros d'une légende que nous ignorons,
montrant l'étoile qui le guida vers la crèche.
L'adoration des Mages est représentée (pi. X,3) au cime-
tière de Priscille (Capella Graeca) . Il est une Annonciation,
semble-t-il, au cimetière de Domitille (Cabrol, Diction.,
fig. 76). Les deux scènes, sur une voûte du cimetière des
Saints-Pierre et Marcellin du iie-iiie siècle (Kaufmann,
Handhuch, fig. 134) sont figurées en même temps que le
baptême du Christ, le bon Pasteur, l'orante et le Christ
enseignant. La représentation de la Vierge tient une place
importante dans l'iconographie cimétériale. Elle montre
I. Cette explication proposée par Mitius {Ein Familienbild aus der
Priscilla Katakomhe, i^^ fascicule des Studien zum christlichen AUertum,
de Ficker) est repoussée par Mgr. Wilpert au moyen d'arguments
non péremptoires. Voir Malereien, p. 141, note 4.
io8 L'ART DES CATACOMBES
la Mère à côté du Fils, TAuxiliatrice, peut-on croire, à
côté du Rédempteur.
Il nous reste à mentionner ici les fresques postérieures à
la paix de l'Église. Elles représentent pour la plupart le
Christ en la gloire de son paradis. Ce sont des images de
puissance et de majesté qui naquirent généralement dans
la splendeur des temples, quand l'Église célébra son triom-
phe. Le symbole fait place au dogme; le mystère favorable
aux tombeaux le cède à la lumière inondant les vaisseaux
des basiliques.
C'est la Majestas Domini, le Christ trônant dans le ciel au
miheu de ses apôtres comme un roi au milieu de sa cour. Il
apparaît nimbé, triomphant (pi, XÏI,2) ; ou bien il enseigne
la Loi, le bras levé, le geste large, tandis que les apôtres,
parmi lesquels Pierre et Paul occupent toujours une place
d'honneur, l'écoutent (pi. XII, i). Parfois (Pératé, fig. io6),
il remet au prince des apôtres le Livre sacré (TraditioLegis) .
Toutes ces représentations sont étroitement apparentées.
Elles font du Christ le Roi de la gloire et le Législateur
suprême, de Pierre et de Paul les premiers témoins de la loi
divine.
Plus fréquente encore est la scène où le Sauveur accueille
les élus, dont les introducteurs au paradis sont, le plus sou-
vent, Pierre et Paul. Ainsi le voyons-nous poser la main, en
signe de bienveillance, sur la tête d'une orante dans une
fresque du cimetière d'Hermès qu'on accoutuma, sans raison
suffisante, depuis Bosio, de considérer comme un Jugement
de l'âme 1 (Pératé, fig. iio). Ailleurs, il se présente aux
nouveaux élus, comme autrefois le bon Pasteur, dans les
I. La scène se passe au ciel. L'âme est déjà reçue parmi les bienheureux,
son geste le prouve.
Planche XI.
I. Entrée de Vencranda au paradis, cim. de Domitille, 2*^ moitié du
IV s. (Wilpert, 21). — 2. La Prophétie d'Isaïe (?), cim. de Priscillc,
ii-e moitié du II'' s. (Wilpert, 22). — 3-4. Scènes de famille, cim. de
Priscille, 2^ moitié du III'' s. (Wilpert, 79-81)-
ESTHÉTIQUE 109
jardins fleuris du ciel (PÉRATÉ,fig.iii).On aura remarqué le
rôle des saints. Étant invoqués sur terre comme de puissants
protecteurs, ils ouvrent aux âmes les portes du paradis.
Déjà, nous avons cité saint Pierre et saint Paul, vrais
ministres du Seigneur. Parfois, on devine un patron spécial
choisi par le chrétien avant sa mort et fidèle à le recevoir
au seuil du séjour bienheureux. Au cimetière de Domitille,
Veneranda est introduite par sainte Pétronille (pi. XI, i).
On notera qu'à partir du iv® siècle, le paradis ne res-
semble plus d'ordinaire au jardin des visions primitives,
mais à un intérieur de palais ou de basilique. Telle devait
être la demeure d'un roi. On l'indique par des colonnes. On
figure la porte de cette cour céleste par des rideaux glissant
sur tringles que les saints protecteurs ouvrent eux-mêmes
afin de livrer passage à l'orante s'avançant vers Dieu, les
bras tendus (Pératé, fig. 112 et 113). A partir du vi® siècle,
l'art byzantin envahit les catacombes (pi. XIII). Le Christ
et ses saints n'ont plus rien de la grâce antique. Jetons
donc un dernier regard sur cette peinture primitive des
catacombes, dont semblable ne sera plus jamais, dans l'évo-
lution de l'art chrétien, aussi noble, aussi fervente !
L'Art et le Beau dans la Peinture cimétériale.
Qu'elle soit pleine de noblesse, la peinture des catacombes,
tout ce qui précède l'a suffisamment démontré. On peut
certes lui dénier beaucoup de qualités qui font les chefs-
d'œuvre accomplis. Même, en tenant compte de la déca-
dence générale des arts au commencement de l'ère chré-
tienne, on pourra s'étonner que la beauté en elle soit si rare,
la vie si pauvre. Le dessin n'a plus guère de sûreté que dans
l'ornementation, et celle-ci, tout aimable qu'elle soit, n'est
iio L'ART DES CATACOMBES
point très variée et ne se renouvelle pas. Il est une science
de composition, pour autant que la tâche du peintre se con-
fonde avec celle du décorateur, mais la représentation de
l'humanité vivante, agissante, manque de vérité. On ignore
le mouvement dans l'action, l'animation dans le drame.
Tout épisode est figuré selon les besoins du décor et régi par
les principes de la plus froide symétrie. Le pittoresque, à de
rares exceptions près, est purement imaginatif. Enfin, le
don merveilleux d'exprimer la mobilité de l'esprit, les agita-
tions de l'âme, dans l'intention de frapper les yeux et
d'émouvoir les sentiments, nul peintre des catacombes ne
l'a possédé. Tout cela est vrai, il faut le concéder. Mais
la noblesse, la dignité, le je ne sais quoi de suprême dans le
geste et l'attitude, par quoi se crée le style : voilà ce qu'on
ne peut refuser à la peinture catacombale.
Les personnages qu'elle présente et fait mouvoir ont
quelque chose de mystérieux. Ce sont des figures graves, aux
poses réfléchies, aux gestes lents. Sur leurs physionomies, où
parfois se devinent des tendresses cachées, jamais le sourire
ne fleurit. Et l'on dirait que leurs gestes ne sont point réels,
tant leur esprit paraît absent, étranger aux actes qu'ils
accomphssent. C'est qu'en réahté, cet art symbolique en
fait les acteurs d'un drame dont nous apercevons les
extérieures péripéties, non les ressorts intelligents. Ils n'ont
rien de personnel : ce sont des idées bien plus que des
hommes vivant leur vie; moins des personnages d'histoire
que les instruments d'une pensée voilée à dessein : pein-
ture, au premier chef, intellectuelle.
Voilà pourquoi, malgré tant d'indigence au point de vue
de la forme, nous ne pouvons dénier la noblesse aux atti-
tudes tranquilles, aux gestes mesurés des patriarches et des
ESTHÉTIQUE m
bons Pasteurs. Qu'est-il besoin de démontrer leur valeur
symbolique? Il n'est pas de plus profond symbole que la
façon dont ils traduisent la vie réelle !
La peinture cimétériale, dans ses compositions figurées,
s'adresse avant tout à l'intelligence. Elle est évocatrice de
souvenirs et d'idées. C'est pourquoi elle néglige la couleur
locale, les agréments pittoresques et la vie dans l'histoire.
C'est pourquoi aussi elle ne concentre, ni ne raconte, en les
décrivant, les épisodes qui font l'objet de ses représentations ;
elle se contente de choisir en eux le détail qui en fera sou-
venir le mieux. Pénétrée d'ailleurs de cette conviction que
son rôle premier est de décorer, elle dissocie sans scrupules
les divers éléments d'une action : qu'on se rappelle, par
exemple, le poisson et les corbeilles de la crypte de Lucine
(pi. VIII).
Aussi bien, l'art antique ne lui avait-il pas donné cet
exemple? Mais, plus audacieuse encore que lui, elle use de
raccourcis et de contaminations. Elle crée des associations
de faits, pour engendrer des associations d'idées; ainsi, les
corbeilles de la multipUcation des pains accompagnent les
banquets célestes. Elle sélectionne l'histoire. Elle soumet la
vie au sceptre de la pensée. Ce que les cœurs ont inventé,
elle le transporte dans la réaUté des faits. Et quand les
yeux contemplent encore des choses matérielles savamment
réunies, l'esprit agile déjà s'envole et se perd dans l'immen-
sité des rêves.
C'était là une conception subtile, dont les détours souvent
nous égarent, mais qui repose, au fond, sur une grande naï-
veté d'âme, une naïveté d'enfant, pour qui, entre la réalité
et le rêve, n'existe point l'abîme que creuse l'expérience.
C'était une conception de ferveur, non point exprimée par
112 L'ART DES CATACOMBES
des émois subits, une passion expansive aux gestes variés,
mais par une gravité bien plus profondément religieuse, une
sublimation de l'esprit, une concentration de l'âme...
Au fond, ces qualités sont bien antiques. Le génie de l'art
gréco-romain s'était là parfaitement adapté aux aspirations
de la pensée chrétienne. Il rendait la noblesse; il sut rendre
aussi cette joie intime de la société chrétienne, ces allé-
gresses et ces émotions qui avaient leur source dans la paix
et qui s'exprimaient le mieux par la sérénité. Est-il rien de
plus candidement joyeux, de plus idéalement céleste que
les paradis des catacombes? En réalité, l'art antique avait
l'habitude du surhumain, et l'irréel tenait une place impor-
tante dans sa poésie décorative. Pour le comprendre, à
l'époque des origines du christianisme, il faut se rappeler à
la fois l'idéal toujours vivant de la sculpture attique et les
fresques de Pompéi, aux couleurs claires, au décor aérien.
Il élevait l'homme en beauté. Il transformait la nature en
grâce. En fallait-il plus pour qu'il fût dans la société chré-
tienne un merveilleux moyen d'expression?
Aussi, à mesure qu'il déchut, la poésie des œuvres chré-
tiennes déchut avec lui. C'est la preuve qu'entre l'idéal
antique et cette poésie chrétienne, il y avait plus qu'une
association momentanée, plus même qu'une intime union :
nous pouvons dire une essentielle unité, dont la vigueur
était indispensable à la fécondité, à la beauté de l'art. Tout
démontre, dans les œuvres de sens chrétien et d'allure anti-
que, la possibihté d'une prodigieuse Renaissance. Ébauchée
aux catacombes, elle tendit à se manifester pleinement
après le triomphe de l'Église; mais les invasions ruinèrent
tout espoir. Et comme elle fut longue, après cela, l'attente
de la résurrection des arts !
BIBLIOGRAPHIE 113
BIBLIOGRAPHIE. — La « littérature » moderne relative aux cata-
combes commence avec l'œuvre de J.-B. de Rossi, consacré également à
la topographie des cimetières et à l'interprétation des fresques et bas-
reliefs. C'est un monument impérissable que la Roma sotterranea cristianay
3 vol., in-fol., Rome, 1864-1877. A consulter aussi les articles nombreux de
DE Rossi dans le Bullettino di avcheologia cristiana (1803-1894), revue fon-
dée par le célèbre archéologue et qui se perpétue aujourd'hui dans le Nuovo
Bullettino di avcheologia cristiana (depuis 1895).
Le grand ouvrage de de Rossi est résumé par Spencer Northcote et
W. R. Bronlow, Roma sotterranea, Londres, première édition, 1869
deuxième édition, 187g; ce livre fut lui-même traduit et augmenté par
P. Allard, Rome souterraine^ Paris, 1873, deuxième édition, 1874. Citons
encore Henri de l'Épinois, Les Catacombes de Rome, Bruxelles, 1898»
(résumé du précédent) ; M. Lefort, Etudes sur les monuments primitifs de
la peinture chrétienne en Italie, Paris, 1885; Pératé, V Archéologie chré-
tienne, Paris, 1894; Kraus, Geschichte der christlichen Kunst, I, Fribourg-
en-Brisgau, 1895; O. Marucchi, Eléments d'archéologie chrétienne, 3 vol.,
Rome, 1899- 1903. Tous ces volumes procèdent directement de l'ensei-
gnement de de Rossi. La position actuelle des disciples et continuateurs
du maître est indiquée dans ses points essentiels par l'ouvrage récent de
O. Marucchi, Le Catacombe romane, compendio délia «Roma sotterranea »,
seconda edizione, messa al corrente délie piu recenti scoperte, in-S»,
Rome, 1905.
Par rapport à l'interprétation des fresques, les théories du grand archéo-
logue romain furent corrigées sur un point capital, la signification des
scènes de l'Ancien Testament, par Edm. Le Blant, Etude sur les sarco-
phages chrétiens antiques de la ville d'Arles (coll. des Monuments pour servir
à l'histoire de la France^, Paris, 1878. L'introduction de cet ouvrage est
d'une lecture indispensable.
Dans le même temps, l'érudition protestante donnait les livres suivants :
Th. RoLLER, Les Catacombes de Rome, 1 vol., in-folio, Paris, 1881 (la meil-
leure illustration des peintures cimétériales, jusqu'en ces derniers temps;
opposition exagérée au symbolisme) ; V. Schulze, Archaeologische Stu-
dien, Vienne, 1880, et Archaeologie der christlichen Kunst, Munich, 1895
(parmi ceux qui critiquèrent les théories exégétiques de de Rossi, le plus
remarquable; toujours à consulter); N. Muller, art. Koimeterien, dans
Realenzyklopœdie fuer protestant. Théologie und Kivché).
Parmi les ouvrages récents, le plus important, celui qui devait donner
un nouvel essor aux études d'archéologie chrétienne, est le suivant : Wilpert
Die Malereien der Katakomben Roms, 2 vol., in-folio, dont un volume de
texte (595 p.) et un volume contenant plus de 250 planches en noir et
114 L'ART DES CATACOMBES
en couleurs, Fribourg, Herder, 1903; édition italienne : Le Pitture délie
Catacomhe romane, Rome, Desclée, 1903 (illustration définitive des pein-
tures cimétériales). Mgr Wilpert, déjà auteur de travaux importants
sur le symbolisme chrétien primitif, notamment : Principienfragen der
christlichen Archaeologie, Fribourg, 1889, est le protagoniste du symbo-
lisme didactique, dogmatique, et des cycles de représentations étroitement
liées les unes aux autres. Il a trouvé des contradicteurs sympathiques, mais
résolus dans Dom Leclercq, Manuel d'archéologie chrétienne, 2 vol.,
Paris, 1906; Id,, Dictionnaire d'archéologie chrétienne et de liturgie (Dom
Cabrol), article Catacombes (art des) ; M. Besnier, Les Catacombes de Rome,
Paris, 1909 (livre excellent aussi pour ce qui concerne le topographie des
catacombes) ; C. M. Kaufmann, Handbuch der christlichen Archcsologie,
Paderborn, 1905.
A. Pératé, en publiant dans l'Histoire de l'Art (A. Michel), in-80, 1. 1,
Paris, 1905, le chapitre Commencements de l'art chrétien primitif en Occi-
dent, n'a pas modifié notablement les idées exprimées dans son Manuel.
Au contraire, le livre de L. von Sybel, Christliche Antike, Marbourg, 1906,
va beaucoup trop loin en considérant le symbolisme chrétien comme la
dernière fleur de l'esprit antique.
Comme recueil de textes destinés à expliquer les peintures : E. Hen-
NECKE, Altchristliche Malerei und altchristliche Litteratur, Leipzig, 1896.
Sur les autres catacombes que celles de Rome, relevé et bibliographie
dans Leclercq, Dictionnaire (Cabrol), article Catacombes, fasc. XX.
Il serait long de citer tous les articles et monographies relatifs à
l'interprétation des fresques. Nous ne signalerons que quelques travaux
spécialement remarquables ou se rattachant à des sujets de prime impor-
tance.
Sur la peinture antique : A. Mau, Pompéï, its Art and Life, in-S»,
Londres, 1907; son influence sur la peinture chrétienne au point de vue
décoratif : Leclercq, Dictionnaire (Cabrol), article Amours; scènes
bibhques : K. Michel, Gebet und Bild, in-80, Leipzig, 1902, fascicule pre-
mier des Studien ueber christliche Denkmaeler, de Johannes Ficker, Leipzig,
Weicher; cette collection de monographies, paraissant à raison de deux
ou trois par an, depuis 1902, succède aux Studien zum christlichen Aller -
tum u. Mittelalter, Leipzig, Dieterich (Weicher), 1895-1901, publiées déjà
sous la direction du même savant. Travaux de valeur.
Sur l'Ichthys : Mowat, 'lidvç {Atti del congresso di archeol. cristiana,
Rome, 1900, p. I) : origine alexandrine du Poisson; Achelis, Das Symbol
des Fisches, Marbourg, 1888 (contra : Wilpert dans Principienfragen, op.
cit.). La théorie de R. Pischel (Ursprung des christlichen Fischsyrnbols,
BIBLIOGRAPHIE 115
Comptes-rendus de l'Académie des sciences de Berlin, 1905, et Berlin, Rei-
mer, 1905) d'après laquelle le Poisson serait originaire de l'Inde, n'est pas
destinée à vivre. Beaucoup plus importants sont les rapprochements avec
les rites syriens de la manducation d'un poisson sacré (Voir Cumont, Reli-
gions orientales, p. 142). La question de l'Ichthys dans son ensemble est
étudiée à nouveau par F.-J. Dolger, Roemische Quartalschrift, 1909, 1-12,
161-174.
Sur les banquets : Wilpert, Fractio panis, Fribourg, 1895; Liell,
«Fractio panisy oder « cena cœlestis », Trêves, 1903; Matkaeï, Die Todten-
mahldarstellungen in der altchristlichen Kunst, Magdebourg, 1 899 ; Leclercq,
Dictionnaire (Cabrol), articles Agape, Ame.
T5rpes du Christ et des Apôtres : N. Muller, Chrisfusbilder (Realenzy-
klop. fuer protest. Theolog. und Kirche, IV, 73); J. Fick^r, Die Darstellung
der Apostel in der altchristl. Kunst, Leipzig, 1887; E. Weis-Liebersdorff,
Christus und Apostelbilder {influence des Évangiles apocryphes), Fribourg,
1902.
Bon Pasteur : Clausnitzer, Die Hirtenbilder in der altchristl. Kunst,
Erlangen, 1904.
Sur les représentations de la Vierge : Liell, Die Darstellungen der
aller seligsten Jungfrau..., Fribourg, 1887; Wilpert, Madonnenhilder aus
den Katakomben (Roemische Quartalschrift, 1889, p. 290 et suiv.).
Vierges, mariage : Wilpert, Die Gottgeweihten Jungfrauen, Fribourg,
1892; ci. Malereien, p. 204; Mititjs, Familienbild, op. cit., Leipzig, 1902;
Pelka, Altchristliche Ehedenkmaeler , in-80, Strasbourg, 1901 (fasc. IV
de l'excellente collection : Zur Kunst geschichte des Auslandes, dans la-
quelle ont paru plusieurs ouvrages sur l'archéologie chrétienne) .
Nombreux articles sur les catacombes et les fresques dans Nuovo Bullet-
tino (v. Bibliographie, p. 30) et Roemische Quartalschrift fur christliche
Altertumskunde und Kirchengeschichte (1887 et suiv.).
La Roemische Quartalschrift pubUe régulièrement, depuis 1900, une
bibliographie très complète d'archéologie chrétienne (Mgr Kirsch).
l^LANCHE XTl.
I. Christ enseignant entre les Apôtres, cim. de Domitillc, milieu
du IV^s. (Wilpert, 193). — 2. Crypte des Saints éponymes, cim. des
SS. Pierre et Marcellin. IV-V^ s. (Wilpert, 252).
CHAPITRE VI
STATUES ET SARCOPHAGES
La Statuaire et les Catacombes. Pourquoi il n'y eut pas de statues dans
les cimetières. Le groupe de Panéas. La statuaire après la paix de l'Église.
Le bon Pasteur du Latran, son caractère et ses origines. La statue
de saint Hippolyte au Musée du Latran. Le saint Pierre du Vatican ;
v^ ou xiii^ siècle? Statuettes. Fin de la statuaire antique.
La Statuaire et les Catacombes. On ne connaît qu'une
seule statue au sujet chrétien dont l'exécution se place
avant la paix de l'Eglise : le bon Pasteur du Latran.
Encore est-elle symbolique et peut-elle provenir d'un ate-
lier païen. Cette constatation, quand on vient de mesurer la
richesse chrétienne de la décoration des catacombes, suffit
à démontrer la fortune différente de la statuaire et de la
peinture chez les fidèles des premiers siècles. La dernière
fut adoptée avec joie et tenue pour un art innocent, suscep-
tible de représenter les choses chrétiennes et d'en manifester
pieusement les symboles cachés. La première, au contraire,
resta suspecte d'idolâtrie. On la jugea périlleuse, sinon de
sa nature, du moins à cause de l'usage qu'on en avait fait,
qu'on en faisait chaque jour encore, pour les besoins des
religions païennes.
Là est le vrai motif du discrédit indéniable dont pâtit la
statuaire. En vain alléguera-t-on que sa place était peu
ii8 STATUES ET SARCOPHAGES
indiquée dans les catacombes, avec leurs couloirs étroits,
leurs cubicules aux voûtes basses, éclairés seulement par
les lampes d'argile... N'y avait-il pas de larges ambulacres
et de spacieuses chapelle où des statues, voire des
groupes sculptés auraient offert un objet glorieux à la piété
des fidèles? Sans doute, il ne pouvait être question de per-
pétuer par des statues la mémoire des ordinaires défunts :
les païens eux-mêmes ne le faisaient pas. Mais quand on
glorifia les grands évêques, les martyrs illustres, n'aurait-on
pu ériger des statues et des groupes en leur honneur, ainsi
que les anciens le faisaient pour leurs magistrats suprêmes
et les héros nationaux? De même, nous concevons fort bien
qu'il eût répugné aux chrétiens de dresser la figure du
Christ sur un piédestal, — représentation matérielle et qui
aurait paru assimiler le Fils de Dieu aux divinités abhorrées,
— mais on pouvait multiplier les statues du bon Pasteur.
Dira-t-on que les chrétiens étaient trop pauvres pour
commander des statues, qu'il eût été difficile d'établir un
atelier de sculpteur au fond des catacombes ou trop dange-
reux de faire des commandes à des artistes païens? De
telles raisons paraissent peu sérieuses. Les chrétiens riches
ne manquaient pas. Et personne n'ignore qu'il y avait des
sculpteurs chrétiens, tel cet Eutropos qu'on voit sur sa
pierre funéraire décorer un sarcophage, tels surtout ces
({ quatre saints couronnés », qui exécutaient sans scrupule
des statues à la signification indifférente, mais qui mou-
rurent plutôt que de sculpter des images idolâtriques ^
En vérité, si l'art chrétien, aux trois premiers siècles,
négligea complètement, ou peu s'en faut, la statuaire, ce
I. BiGELMAIR, Op. cit., p. 32g.
LE GROUPE DE PANÉAS 119
fut de parti-pris, par la crainte d'agir d'une façon semblable
à celle des païens, pour ne pas égarer la piété et courir le
risque d'exposer le Christ, les martyrs, à d'indignes adora-
tions. Qui ne le voit? Il y avait là, théoriquement, une incon-
séquence : la peinture et le bas-relief n'étaient, pas moins
que la statuaire, au service de l'idolâtrie; et s'ils étaient
innocents, comment la statuaire eût-elle été coupable? C'est
qu'elle n'était point, comme les autres arts, décorative,
attachée aux demeures et, comme eux, capable de raconter
des histoires édifiantes. Elle n'était point non plus étroite-
ment liée aux usages funéraires, grâce auxquels fresques et
bas-reliefs furent si complètement adoptés. Orgueilleuse-
ment, devant les temples, sur les places publiques, au grand
soleil, elle proclamait la sublimité des dieux et glorifiait
leur règne. Elle était la manifestation la plus haute, la plus
complète de l'idolâtrie, avec laquelle on avait fini par
l'identifier. De là son sort immérité. Quand les autres arts
se perpétuaient en la société chrétienne, elle partagea le
sort des anciens dieux. Leur déclin fut aussi le sien. En
même temps qu'eux, on l'oublia.
Le Groupe de Panéas. Pourtant, s'il faut en croire l'his-
torien Eusèbe (267-340), il y aurait eu, dès l'âge du Sauveur,
un groupe de bronze si parfaitement chrétien et si parfaite-
ment plastique qu'avant la Renaissance il n'y en aurait pas
de pareil à signaler dans l'art chrétien. Il s'élevait, dit Eusèbe,
à Panéas (Césarée de Philippes) : c'était un ex-voto de l'hé-
morrhoïsse que Jésus avait guérie et qui, en souvenir de sa
délivrance, avait fait élever le monument devant sa maison.
On voyait le Christ debout, accueillant d'un geste de miséri-
corde la pauvre femme prosternée à ses pieds en suppliante.
120 STATUES ET SARCOPHAGES
Et le groupe subsistait encore à l'époque d'Eusèbe. « Je l'ai
vu de mes yeux, dit ce dernier, lors du séjour que je fis en
cette ville. » Et comme s'il eût prévu l'étonnement un peu
scandalisé de ses lecteurs : « On ne doit pas s'étonner,
ajoute-t-il, que d'anciens païens, ayant éprouvé les bienfaits
du Sauveur, en aient agi ainsi. »
Des historiens postérieurs virent le groupe comme Eusèbe
et l'interprétèrent de la même façon. Néanmoins, la plupart
des archéologues modernes estiment qu' Eusèbe fut induit
en erreur ou même mystifié. Une date si ancienne, une
représentation matérielle à ce point, que la statue aurait
été, en quelque sorte, un portrait du Christ : il y a, en
effet, de quoi éveiller le scepticisme. On pense généralement
que le groupe dont parle Eusède représentait une province
agenouillée devant un empereur. ^
Cependant, Eusèbe se fût-il ainsi payé de mots? N'eût-ii
pas été capable de reconnaître l'empereur et la province
suppliante? Enfin, comment un groupe civique, tel que
celui-là, se serait-il trouvé devant une maison privée et
non sur une place de choix, devant un temple? Sur les
sarcophages chrétiens du iv® siècle, le groupe de Jésus et'
de l'hémorrhoïsse est fréquent. Il a quelque chose de
monumental et répond, en somme, à la description d'Eusèbe.
Quant à l'argument d'invraisemblance, l'historien lui-même
Ta réfuté en considérant l'hémorrhoïsse comme une païenne
reconnaissante.
Nous penchons à croire que ce groupe exista i. Mais c'est
là un fait unique, d'autant plus facile à comprendre qu'il
remonte aune date plus ancienne et qui n'est point de nature
I. C/. ScHULTZE, Archaeol. der altchristlichen Kunst, p. 282-286.
Planche XIII.
I. Christ, cim. de Pontien, VI-]' 11^ s. (Wilpert, 257). — 2. Saint
Pollion entre saint Marcellin et saint Pierre, cim, de Pontien, fin
du Fe 5. (Wilpert, 255).
LE BON PASTEUR 121
à modifier ce que nous avons dit précédemment sur la for-
tune de la statuaire parmi les premiers chrétiens.
Le bon Pasteur. D'une tout autre importance est
la statue du bon Pasteur, conservée aujourd'hui au Musée
du Latran. C'est le chef-d'œuvre de la statuaire chrétienne
(pi. XIV, I).
Elle entra dans les collections romaines au commence-
ment du XIX® siècle, mais on ne sait où elle fut retrouvée.
Les jambes et les mains du berger sont modernes, de même
que la tête de l'agneau.
Selon le type que l'art chrétien avait adopté partout, le
bon Pasteur portait le costume des pâtres : Texomide serrée
à la taille, les jambières et les sandales. La panetière pendait
à son côté. Tête nue, imberbe, une jambe portée en avant,
il apparaissait au repos dans une attitude éminemment
plastique. Il était noble et doux.C'était un être harmonieux,
fait d'imitation antique et de sentiment chrétien, un type
vraiment nouveau qui faisait souvenir de Calamis, auteur
de l'Hermès criophore, mais qui traduisait surtout la poésie
des paroles évangéhques.
Rien ne frappe, en effet, comme le caractère faunesque
des jeunes dieux criophores de l'antiquité. On devine en
eux, sous la grâce de l'adolescence, des astuces précoces et,
comme en germe, les passions des divinités sylvestres... Il
n'est rien de pareil dans le berger du Latran. Son attitude
est toute gracieuse. La bonté s'exprime sur son visage. Ses
lèvres entr' ouvertes, ainsi que son regard, indiquent une
douceur mélancolique avec une sorte de résignation. Et
ces traits conviennent si parfaitement à son caractère, à
122 STATUES ET SARCOPHAGES
son rôle, qu'on est tenté d'y voir une première et défini-
tive révélation du sentiment chrétien.
Ceci à bon droit, mais avec cette réserve qu'il n'y avait là
rien autre chose que l'adaptation à l'art chrétien d'une
expression commune à beaucoup de portraits du commen-
cement du III® siècle. Sous Adrien, on avait commencé d'in-
diquer dans les bustes la direction et l'éloquence du regard
en creusant la pupille. En même temps, la rigidité empha-
tique des têtes impériales avait fait place à une sorte de
mélancolie pensive dont témoignent les portraits idéalisés
d'Antinous, les bustes de Marc-Aurèle et surtout de Com-
mode (pi. XIV,3). Il est au Musée d'Athènes une tête de cette
époque i, vraiment poignante de tristesse intérieure, de
passion découragée, de fièvre brûlant encore sous les cendres
de la résignation. On la prit autrefois pour une tête du
Christ, alors que c'était le portrait d'un Oriental avec l'ex-
pression de physionomie très à la mode sous le règne de
Commode et de ses successeurs. De même, le bon Pasteur
du Latran n'est chrétien qu'à travers une physionomie
antique. Des archéologues le rattachent à la statuaire
grecque et à l'art chrétien d'Orient : il suffira peut-être de
constater qu'avec son front bas, ses joues pleines, ses lèvres
épaisses, il rappelle les types de la période antonine.
Le bon Pasteur trouvé près de Saint-Paul (pLXIV,2) date
du IV® siècle et marque une grande décadence, à tous points
de vue. Il est encore une douzaine d'autres statuettes
représentant le même type symbolique, qui sont toutes
postérieures à la paix de l'Église et proviennent des lieux
I. Mrs Strong, Roman sculpture, pi. CXXII.
SAINT HIPPOLYTE. SAINT PIERRE 123
les plus divers. Beaucoup dépouillent le berger céleste de
toute poésie, revenant au type rustique de l'antiquité.
Le triomphe de Constantin s'accomplit sans que la sta-
tuaire chrétienne fleurît davantage. Les motifs de tenir en
suspicion l'art des Phidias et des Praxitèle subsistaient
toujours, quoique diminués. De plus, le talent de modeler
le corps humain allait se perdant, même dans l'art profane;
en sorte qu'à une pauvreté voulue et qui n'était pas sans
fierté, succéda une indigence irrémédiable.
Saint Hippolyte. Il n'est guère possible de faire hon-
neur à l'art chrétien du saint Hippolyte (pi. XIV, 4) conservé
au Musée du Latran. La tête et les bras sont des restau-
rations; et si l'on voit gravés sur le siège l'énumération
des œuvres de saint Hippolyte, ainsi que le calendrier pascal
rédigé par lui sous Alexandre Sévère, on n'en peut conclure
à l'origine chrétienne de la statue. Il est vraisemblable
qu'à l'époque où le saint fut glorifié, — peut-être sous le
pontificat de Damase — on métamorphosa en son honneur
une statue de rhéteur ou de philosophe. De là, des mutila-
tions préméditées, l'assemblage de fragments étrangers les
uns aux autres, l'inscription gravée sur le siège. Ainsi,
quand fléchissait la rigueur des principes à l'égard de la
statuaire, on se procurait des statues très belles, sinon très
pieuses. L'art n'avait que faire en de telles opérations.
Saint Pierre. Mais que penser de la célèbre statue de
bronze de saint Pierre, vénérée dans la basilique du
Vatican (pi. XV) ? Cette œuvre énergique et majestueuse,
convient-il de l'attribuer aux artistes chrétiens de l'époque
de Constantin ou de l'époque de Théodose? Fait-elle partie
124 STATUES ET SARCOPHAGES
de l'art chrétien primitif ou bien, comme beaucoup d'ar-
chéologues le croient aujourd'hui, n'est-elle pas plutôt
une fonte du xiii^ siècle, une œuvre de la première
Renaissance italienne, exécutée d'après un modèle ancien?
Des connaisseurs éminents de l'art romain et de l'art
italien i n'hésitent pas à l'attribuer au maître sculpteur
Arnolfo di Cambio, occupé à Rome vers 1280.
Une telle opinion déconcerte au premier abord, parce
qu'il n'est rien de plus frappant en la statue de saint Pierre
que sa draperie et son attitude, marquées du plus pur accent
de l'antiquité. Mais quoi? Il sufht que son auteur ait pris
pour modèle une statue antique de rhéteur ou de magistrat.
Ces caractères d'antiquité ne doivent donc pas nous induire
en erreur.
Bien mieux, il semble qu'on puisse indiquer la statue
dont le saint Pierre n'est qu'une copie en certains points
modifiée : c'est un marbre polychrome qui se trouve
aujourd'hui dans les cryptes de la basilique vaticane ^ un
saint Pierre également, dont la pose et les draperies sont
semblables à la pose et aux draperies du bronze, à ce point
que l'une des deux statues doit nécessairement avoir inspiré
l'autre. Or, le marbre de la crypte est une statue antique de
philosophe, à qui très tard, en plein moyen âge sans doute,
on donna sa tête actuelle, au type bien connu de saint
Pierre. La statue de la basilique vaticane fut donc exécutée
d'après le marbre relégué aujourd'hui dans les cryptes :
c'est de là que provient son caractère antique.
Quels sont, dès lors, les critères qui nous restent pour
I. WiCKHOFF, Zeitschrift f. hildende Kunst, 1890, p. 109 et suiv. Ven-
TURi, Storia dell' arfe italiana^ IV, p. 113 et suiv.
2 Kraus, Geschichte der christl. kunst, I, p. 232, fig. 187.
SAINT PIERRE 125
déterminer la date d'exécution de la statue et fixer notre
choix entre la basse antiquité, v® ou vi® siècle, et le moyen
âge? Ce sont des constatations de fait comme celle-ci : les
clefs et les sandales de saint Pierre présentent des détails
inconnus à toute l'antiquité; ce sont des remarques justifiées
par tout ce que nous savons sur l'évolution des métiers
d'art pendant l'antiquité et au moyen âge : jamais, ni au
v^ ni au vi® siècle, on n'aurait trouvé praticien capable
d'exécuter la fonte d'une statue aussi grande, aussi compli-
quée dans certaines de ses parties; enfin, c'est la compa-
raison avec les œuvres connues du v® ou vi® siècle, d'une
part, et, d'autre part, avec celles d'Arnolfo et de son école.
Il est remarquable qu'un des tenants de l'opinion tradi-
tionnelle fasse cet aveu : « Vraiment, on ne sait que dire,
les points de comparaison manquent tout à fait, pour attri-
buer au V® siècle cette œuvre superbe; l'on ne peut que
combattre d'instinct, sans preuves décisives, l'opinion des
savants qui la reportent au xiii® siècle 1. » Eh quoi ! elle serait
isolée dans son temps, cette statue magistrale? Quand les
métiers — pour ne pas parler du talent personnel — en
étaient restés à ce point de perfection technique, ils ne nous
auraient laissé ni témoignages ni souvenirs d'entreprises
analogues ? Un artiste du v® siècle aurait érigé ce torse éner-
gique, plus énergique et plus vivant que celui du modèle
placé sous ses yeux; il aurait planté ce col aux muscles
tendus; dressé cette tête à la peau sèche, à la robuste ossa-
ture; modelé ce masque aux traits durs, qui se contractent
sous l'effort de la volonté et qui donnent à la physionomie
une autorité redoutable, et c'est lui, enfin, qui aurait conçu
dans la solennité, dans la puissance, cette image du magis-
I. PÉRATÉ, Manuel, p. 290.
126 STATUES ET SARCOPHAGES
tère apostolique, impérieuse comme la Loi, immuable
comme le Destin ? . . . Que ne réformons-nous dès lors tous nos
jugements sur l'art du v® siècle ! Ce n'est pas une époque
de déclin, comme nous avons accoutumé de le croire, mais
de floraison.
En réalité, un art vieux n'a point le secret d'une telle
vitalité physique et d'une telle clarté d'esprit. Le v® siècle
n'est pour rien dans le saint Pierre du Vatican. Au contraire,
on comprend qu'un artiste comme Arnolfo, bien timide
encore et bien maladroit, lorsqu'il en était réduit à ses pro-
pres forces, ait pu se surpasser quand son effort fut soutenu
par la vue d'une œuvre belle, qu'on le chargeait d'imiter.
Ne se souvient-on pas que c'est dans des conditions ana-
logues et pour atteindre à un même résultat que Nicolas
d'Apulie exécuta la Vierge Mère et les Rois Mages de sa
chaire de Pise? Ainsi, Arnolfo di Cambio échauffa les types
de l'antiquité de son ardeur gothique.
Il adopta une attitude, des draperies, mais érigea le corps
suivant un vouloir qu'on peut noter déjà dans sa sta-
tue de Charles d'Anjou, au palais des Conservateurs, à
Rome. Cette œuvre date vraisemblablement de 1277; elle
contient en germe les quahtés portées au plus haut point
dans la statue du Vatican. Mais quelle différence entre le
visage inerte de Charles d'Anjou et la physionomie volon-
taire du saint Pierre ! Il n'est pas douteux que l'auteur de
ce dernier prit pour modèle une tête antique. Le type de
saint Pierre, fixé depuis longtemps, se confondait assez
avec celui de beaucoup de têtes romaines : on a pensé, non
sans raison, que celle de Marc-Aurèle avait inspiré l'artiste.
En résumé, tout porte à croire que la statue de saint
Pierre au Vatican fut exécutée au xiii® siècle. Et voici une
SAINT PIERRE 127
remarque qui confirme singulièrement cette opinion : le
bronze romain, objet d'une vénération qui dura, dit-on,
pendant tout le moyen âge, n'est cité pour la première fois
qu'au XIV® siècle par Maffeo Vigio (1406-1457), chanoine de
Saint-Pierre.
Ce monument échappe donc encore à l'art chrétien
primitif, dont la gloire au point de vue de la statuaire se
trouve réduite, de ce fait, presque à néant. On allègue les
œuvres nombreuses du v® siècle, énumérées dans les inven-
taires et notamment dans le Liher pontificalis : mais, parmi
elles, il n'est point de statues. Faire parfois d'un rhéteur un
saint, ou même transformer une statue païenne pour la
placer ensuite dans une église, comme cette Rhéa du mont
Didyme qu'on transporta sous Constantin dans un temple,
en tant que suppliante, ce n'était pas, pour l'Église, favoriser
l'éclosion d'une statuaire chrétienne, mais consentir au
Prince et au peuple quelques concessions. Parmi toutes
les inscriptions primitives, on n'en cite qu'une, du iv® ou
V® siècle, qui atteste la présence dans une église d'une
vraie statue chrétienne ^. Cette inscription se trouvait
dans l'église de Saint-Chrysogone au Transtévère, gravée
sur une base, et témoignait que « Flavius TertuUus avait
donné à l'église cette œuvre de son ciseau ».
Parmi tant de témoignages, une seule statue dans le
temple. Encore était-elle un don. Est-il rien qui montre
mieux le rôle minime de la statuaire dans la décoration des
églises? Il n'en résulte point que les autorités ecclésiastiques
la jugeaient en soi condamnable, mais elles s'en défiaient
toujours et ne désiraient point qu'elle refleurît, même pour
le service de Dieu.
I. Grisar, op. cit., I, p. 431.
128 STATUES ET SARCOPHAGES
A partir de Constantin, l'art de la statuaire est représenté
par les statues et bustes des empereurs. Il devint laïque,
pour parler ainsi, et le resta jusqu'au xii® siècle. Au con-
traire, le bas-relief ne cessera pas de contribuer au lustre
des maisons du Seigneur et de collaborer à l'enseignement
des fidèles. C'est par lui, comme par les miniatures et les
mosaïques, que se perpétueront les disciplines artistiques
de l'antiquité.
Planche XIV.
I. Bon Pasteur du Latran (phot. Anderson). — 2. Bon Pasteur de
Saint-Paul, Musée du Latran (phot. Alinari). — 3. Buste de Com-
mode (phot. AHnari). — 4. Saint Hippolyte, Musée du Latran (phot.
Anderson) .
Planche XV.
Statue de saint Pierre, à l'église Saint- Pierre de Rome (phot.
Andersen) .
CHAPITRE VII
STATUES ET SARCOPHAGES (Suite)
Généralités. Origines et histoire des sarcophages chrétiens. Leur fabrica-
tion dans les ateliers. Classification générale des sarcophages. Chrono-
logie. Sujets neutres. Ornements et symboles. Le bon Pasteur et les
scènes champêtres. Style épisodique. Compositions uniques. Type archi-
tectural. Double bandeau. Décadence de la composition et de la
technique.
GÉNÉRALITÉS. Autant sont rares les statues dans l'art
chrétien primitif, autant sont nombreux les bas-reliefs,
parmi lesquels les plus anciens, les plus importants, au point
de vue de l'évolution de l'art et des idées, sont ceux qui
décorent les sarcophages. Jamais l'usage d'ensevelir les
morts dans des cuves de pierre n'avait éveillé chez les fidèles
les moindres scrupules religieux. Aussi n'est-il pas douteux
que, si les circonstances n'avaient pas amené les chrétiens
à adopter les formes de l'inhumation cimétériale, le nombre
des sarcophages eût été grand dès les deux premiers siècles.
Leur rareté à cette époque tient à leur prix et aussi à la
difficulté de se les procurer tels qu'on les désirait, vacants
de toute représentation idolâtrique et même marqués des
signes du christianisme. Le besoin ne s'en faisait pas gran-
dement sentir. La sépulture préférée entre toutes, même
par beaucoup de riches, n'était-elle pas celle qui réunissait
tous les frères dans le sein de la terre, côte à côte, en l'humble
130 STATUES ET SARCOPHAGES
secret des loculi et des arcosoles? On se passait plus faci-
lement de luxe que de piété dans les nécropoles souter-
raines.
Cependant, nous connaissons des sarcophages chrétiens
qui remontent au ii® siècle; nous savons que les ambulacres
dans les anciens cimetières étaient destinés à recevoir ces
tombeaux volumineux. Au m® siècle, leur nombre s'accrut
notablement, car la communauté elle-même s'était multi-
pliée, comprenant dès lors des chrétiens de toutes les classes,
de toutes les origines, par lesquels s'opérait de plus en plus
sa fusion avec la société contemporaine. Il y eut des sculp-
teurs chrétiens pour exécuter les sarcophages des fidèles.
C'est alors qu'on voit cette forme de l'art épouser peu à peu
les idées chrétiennes, fixer son choix dans la multitude des
épisodes et symboles, chercher ses procédés d'exécution
et, toujours fidèle aux traditions antiques, incapable de
créer véritablement, devenir originale à force d'adaptations.
Après la paix de l'Église, les sarcophages chrétiens abon-
dèrent à l'infini. Il se fit, en effet, que la piété envers les
martyrs et la force d'une coutume déjà séculaire retinrent
nombre de sépultures dans les galeries des catacombes ; mais
combien de fidèles étaient heureux de proclamer, en inhu-
mant leurs morts à ciel ouvert, la liberté enfin restituée, et
de renouer, au grand jour, une tradition d'usages que la
condition précaire de l'Église avait seule interrompue ! On
a vu plus haut que les inhumations souterraines cessèrent
complètement pendant le cours du v® siècle. Depuis Con-
stantin, on avait commencé d'ensevelir dans les atriums des
basiliques extra-urbaines, la défense restant debout de creu-
ser des tombes à l'intérieur de Rome. C'est là que se multi-
plièrent les sarcophages et que l'on peut suivre dans son évo-
GÉNÉRALITÉS 131
lution la sculpture funéraire des chrétiens. Il n'en fut pas
autrement dans les provinces qu'à Rome. Et si l'on ajoute
qu'à partir du règne des Antonins, le paganisme lui-même
avait renoncé généralement à l'incinération pour se rallier
à la sépulture en sarcophages, on comprendra quel rôle
important jouèrent les bas-reUefs funéraires dans les der-
nières étapes de l'art antique.
Ce n'étaient, le plus souvent, que des productions indus-
trielles. Les sarcophages étaient fabriqués dans des ateliers
semblables à ceux de nos marbriers. Le patron recevait les
commandes et surveillait le travail de ses ouvriers. Peu
soucieux de rien innover, il se flattait uniquement de con-
naître bien les usages de la décoration funéraire et la tech-
nique de son métier. Pour le reste, il était prêt à satisfaire
à tous les désirs de sa clientèle. Ainsi s'explique qu'aux deux
premiers siècles, et même plus tard, bien des sarcophages
ont été commandés par les fidèles dans des ateliers païens.
Un certain nombre de pièces achevées étaient toujours
tenues en magasin avec un médaillon vide pour y sculpter
l'image des défunts (imago clypeata) et un espace vacant
pour y graver l'épitaphe.
A défaut de trouver ce qu'il désirait, l'acheteur pouvait
consulter les cahiers du sculpteur, indiquer ses préférences
au point de vue des sujets, des personnages, des emblèmes:
le marbrier était tout disposé à l'aider et à le servir, son
seul souci étant de complaire au goût du public. De beauté,
d'idéal, de poésie artistique, il ne fut question que bien
rarement, sinon dans le sens qu'attachent à ces mots la
naïveté populaire et les époques de décadence. Le trépan
remplaçait autant que possible le ciseau. La polychromie
voilait les imperfections du relief.
132 STATUES ET SARCOPHAGES
Telle était cette organisation paresseuse, ce travail dont
tout le mérite consistait dans la qualité professionnelle, et
auquel les chrétiens ne changèrent rien. Car ils pouvaient
bien imposer au ciseau de nouveaux sujets à exécuter; leur
temps manquait également de science et d'imagination pour
renouveler l'art au moyen du sujet. Les sculpteurs, quels
qu'ils fussent, depuis la dernière moitié du m® siècle, répé-
taient généralement le passé; en guise d'originalité, ils
démarquaient les anciennes compositions. De là vient l'em-
barras des ouvriers chrétiens quand leur clientèle exigea
d'eux une décoration funéraire qui reflétât ses idées reli-
gieuses : ils furent assez habiles pour pasticher l'antique au
profit des sujets chrétiens, jamais assez inventifs pour trouver
dans ces sujets, la source d'une inspiration hardie et délicate.
Ecoles. Chronologie. Les sarcophages romains sont
les plus nombreux. Taillés en parallélogrammes, avec un
couvercle plat, dont la face antérieure est elle-même
décorée de reliefs, ils furent des modèles pour tous les
ateliers d'Italie, d'Espagne, d'Afrique et de Provence. En
ce dernier pays, Arles était une seconde Rome. Ses sarco-
phages conservés encore en grand nombre ne différaient
guère de ceux d'Itahe. Au contraire, des particularités
assez notables de forme et de décoration ne tardèrent
pas à se manifester dans les sarcophages du sud-ouest de la
Gaule (région de Bordeaux-Toulouse) ; la cuve a ici la forme
rhomboïdale, le couvercle est souvent bombé (pi. XVII, i) .
Nous étudierons plus loin certains sarcophages qu'on
trouve surtout en Asie-Mineure, et ceux de Ravenne, si
particuliers. L'Afrique connut les cuves ornées de mosaïques.
Enfin, une mention spéciale doit être faite des cercueils en
ÉCOLES. CHRONOLOGIE. 133
plomb découverts en Phénicie (Saïda) ; leur décoration se
compose exclusivement d'emblèmes symboliques.
Toutes les espèces de reliefs habituels aux ateliers païens
se retrouvent sur les sarcophages ayant servi à la sépulture
des fidèles : citons les cuves ornées de canaux ondulés appe-
lés strigiles; celles où la face principale est entièrement
couverte par la représentation de scènes épisodiques ; celles
aussi où le décor sculpté est réparti d'épisode en épisode,
dans des panneaux séparés les uns des autres par les fûts
d'une colonnade. De plus, les chrétiens, poussés par des
besoins nouveaux, inventèrent — si l'on peut employer ce
mot pour une innovation des plus malheureuses — la cuve
divisée en deux bandes horizontales. Il n'y eut jamais de
règle uniforme. La variété dans les monuments funéraires
résultait des goûts différents et des ressources inégales. On
constate seulement que le décor dénué de sens, ne cessa d'al-
ler disparaissant pour faire place aux symboles et aux scènes
évangéliques.
C'est là une règle générale pour la chronologie des cuves
chrétiennes, mais bien vague. Il est possible de préciser
davantage.
Au début, beaucoup de sarcophages chrétiens, achetés
tout faits chez des marbriers, n'étaient ornés que de strigiles,
d'autres portaient une décoration indifférente. Nous
savons quelle était à cet égard la tolérance des premiers
siècles : des instruments de métier, des bustes rappelant les
défunts, des têtes de lions et de béliers, les guirlandes, les
masques décoratifs, les amours, Éros et Psyché, les génies
funèbres, les vendanges et les chasses, tout cela était à bon
droit tenu pour inoffensif et entoura plus d'une fois une
inscription funéraire chrétienne.
134 STATUES ET SARCOPHAGES
Mais, dès la fin du ii® siècle, les emblèmes et symboles
apparaissent. Déjà, sans doute, des sculpteurs chrétiens
existaient. Sans doute aussi qu'en faveur d'une clientèle
devenue chaque jour plus nombreuse, les patrons d'ateliers
n'avaient pas laissé d'enrichir leur répertoire décoratif des
images chrétiennes les plus aimées : entendons par là les
symboles familiers aux peintres des catacombes (pi. XVI, i).
Il se forma donc toute une série de monuments funéraires, de
bas-rehefs, où la difficulté était de faire place aux emblèmes,
parmi l'ornementation traditionnelle. Tous les monuments
qui sont témoins de ces efforts d'adaptation, et notamment
les sarcophages décorés d'éléments empruntés aux pasto-
rales antiques, sont antérieurs à Constantin; la plupart
remontent au m® siècle (pi. XVI, 2).
La véritable difiiculté commence quand il s'agit de dater
approximativement les cuves au décor architectural, celles
où le fond est occupé par des colonnes supportant une archi-
trave ou des arcades (pi. XVI,3; XVIII,4), des murs et des
tours (pi. XVII, i), voire même par des arbres rangés en
colonnade (pi. XVII,2). La majorité des archéologues, se
fondant sur la date du beau sarcophage de Junius Bassus
(pi. XX), mort en 359, les font remonter tous au iv© siècle.
Mais certains contestent que le sarcophage monumental que
nous venons de citer puisse avoir été exécuté si tard : que
l'on compare, disent-ils, ses figures majestueuses et souples
avec les bas-reliefs de l'arc de Constantin au Forum, on
reconnaîtra leur supériorité et, par conséquent, on leur
assignera une date plus ancienne. La cuve aurait été rem-
ployée et l'inscription seule serait du iv® siècle 1.
I. L'auteur de cette théorie est Weis-Liebersdorff, op. cit. Cf. Wit-
TiG, Die altchristlichen Sculpturen im Campo Santo in Rom, p. 11 et suiv.
LA SCULPTURE FUNÉRAIRE 135
Pour nous, ce raisonnement, tout rigoureux qu'il paraisse,
est loin d'emporter la conviction. Les types du sarcophage
de Junius Bassus sont bien les mêmes qui peuplent la sur-
face de toutes les cuves tardives; il n'y a qu'une différence
d'exécution. Et le talent personnel de l'artiste, si grand qu'il
soit, n'empêche pas qu'on y remarque des signes de déca-
dence. Les ivoires ne prouvent-ils pas que la sculpture, au
iv® siècle, connut des jours de gloire? Enfin, l'inscription
reste : rien n'y indique un remploi du sarcophage, avec un
nouveau couvercle.
Nous continuerons donc de dater du milieu du iv® siècle
ce beau monument et, en général, tous ceux qui sont ornés
d'architectures. Il semble, au surplus, qu'on ait été en droit
de répartir ces derniers en groupes successifs : l'architrave
supportée par des colonnes précéda les arcades brisées;
celles-ci apparurent avant les murs garnis de portes et de
tours; la colonnade d'arbres viendrait en dernier lieu ^.
Quant à la série des cuves où les personnages, en un ou
deux bandeaux, sont pressés les uns contre les autres, elle
ne laisse aucune place au doute : apparue dès la première
moitié du iv® siècle, elle dura jusqu'à la fin de la sculpture
funéraire en Occident.
Cette chronologie générale étant établie, il sera facile de
suivre l'évolution de l'art dans les monuments.
DÉVELOPPEMENT DE LA SCULPTURE FUNÉRAIRE. Il nouS a
été gardé souvenir d'une des plus anciennes tentatives de
bas-relief chrétien dans le sarcophage de Livia Primitiva, au
Louvre (fig. 10) . Cette œuvre, où les figures sont gravées à la
I. WiTTIG, op. cit., p. 18.
136 STATUES ET SARCOPHAGES
pointe, non sculptées en ronde-bosse, marque une transition
et remonte à la fin du ii® siècle. Un cartouche central por-
tant les symboles avec l'épitaphe et cantonné de strigiles :
c'était là une solution simple, naturelle; mais qu'elle est
inhabile cette juxtaposition du Poisson, du bon Pasteur et
de l'ancre ! L'acheteur de la cuve avait obtenu satisfaction;
mais, au point de vue artistique, les emblèmes désirés ne
formaient qu'un assemblage de motifs disparates.
Encore que les sculpteurs chrétiens aient découvert très
tôt des adaptations, sinon plus heureuses, du moins plus
agréables à voir, le type des sarcophages à strigiles ne tomba
jamais complètement en désuétude. Dans les provinces,
notamment en Gaule, en Afrique, il donna naissance posté-
rieurement à des œuvres un peu plus harmonieuses. Citons
un sarcophage de Tipasa i, avec le bon Pasteur au centre de
la cuve, deux lions terrassant des gazelles aux extrémités;
des cuves du Musée d'Arles, l'une notamment, où l'on voit
une nativité entre les rangées de strigiles ^; le sarcophage
d'Apt avec le Christ, celui de Mouleyrès, avec des orants,
debout, en des panneaux réservés ^. Sur un exemplaire du
Latran que nous reproduisons (pi. XVI, i), une scène rus-
tique apparaît sous le médaillon funéraire.
En vérité, on ne peut rêver rien de plus timide en compo-
sition que les sarcophages à symboles et strigiles. Bien plus
intéressante, bien plus belle est cette cuve de la Gayolle
(pl.XVII,4), qui peut remonter encore à la fin du ii® siècle
et par laquelle débute, pour nous, la série des grands sarco
1. Cabrol, Dictionn., I, 2, col. 735.
2. Le Blant, Sarcophages de la ville d'Arles, pi. XXI.
3. Cabrol, Dictionn., I, 2, col. 2907; I, i, col. 255.
Planche XVI.
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MÉÉHMte
I. Sarcophage strigilé, Musée du Latran'(phot.:Alinari). — 2. Sar-
cophage du iii^ siècle, Musée du Latran (phot. Alinari). — • 3. Sarco-
phage au décor architectural, Musée du Latran (phot. Anderson).
LA SCULPTURE FUNÉRAIRE
137
phages chrétiens. Ici, le fond est constitué par un paysage
rustique, des rochers, des arbres, des oiseaux, que le soleil,
représenté par un buste dans le champ, éclaire de ses
rayons. Un pêcheur jette sa ligne. A l'extrémité gauche, xm
personnage assis, le torse nu, un sceptre à la main, est une
sorte de genius loci, représenté selon les usages ordinaires
de Tart antique. Mais au milieu de ces types traditionnels
LIVlAE-'PRI^MttlVAi:
FiG. 10. — SARCOPHAGE DE LiviA PRiMiTiVA. (D'après Lcclercq.)
et de ce tableau de nature, voici les figures et symboles
chrétiens, le bon Pasteur, l'orante, l'ancre, emblèmes qui
tendent à transformer la scène en une vision symbolique
du Paradis. Au milieu de la cuve, un personnage drapé est
assis. Encore que mutilé, on peut affirmer qu'il lisait un
volumen déployé sur ses genoux. Un enfant est devant
lui. C'est l'Église enseignante, a-t-on dit : nous estimons
que c'est l'image du défunt dont la lecture du volu-
men indique la foi; l'enfant debout devant lui, peut-être
son fils, représente les êtres chers dont la mort l'a
séparé.
Ainsi, peu à peu, le symbole s'adaptait à la décoration
traditionnelle et les figures antiques prenaient une signifi-
cation chrétienne. Citons encore comme exemple un sarco-
10
138 STATUES ET SARCOPHAGES
phage du Latran, petit chef-d'œuvre du m® siècle (fig. ii).
A droite, un homme d'âge mûr, accosté de deux personnages
barbus, ht le volumen déployé sur ses genoux. A gauche et
lui répondant, est une femme assise, âgée déjà, et qui, tenant
elle aussi le volumen à la main, fait le geste du respect, de
la prière. Une jeune fille, derrière elle, l'enveloppe tendre-
ment de ses bras. On ne peut voir en ces représentations
que deux défunts, l'époux et l'épouse, celle-ci encore
accompagnée de sa fille. Au centre se trouve le bon Pasteur
et une orante. Or, celle-ci, a-t-on dit, est une sainte présentant
sa famille au bon Pasteur. Nous dirons plus exactement que
c'est une élue présentant au bon Pasteur cette femme assise,
qui l'avait sans doute choisie comme avocate. Qu'on se rap-
pelle l'intervention de sainte Pétronille pour Veneranda sur
une peinture des catacombes. De l'autre côté, saint Pierre
et saint Paul, aux types facilement reconnaissables, sont
les introducteurs du croyant fidèle.
Il y a ici plus d'harmonie dans la composition, plus de
logique dans la pensée. »lais que dire du fameux sarcophage
(Latran) où trois statues de bons Pasteurs, se dressent devant
un tableau de vendanges (pi. XVIII, i)? De telles juxta-
positions sont esthétiquement absurdes. Et l'on aimerait
croire qu'elles furent supportées plutôt que choisies, afin de
manifester une belle union des sjmiboles. De fait, parmi les
^w^^^' vendangeurs, on reconnaît Psyché; sur les petits côtés
de la cuve sont figurées les Saisons. Il ne serait pas
étonnant qu'à l'époque où nous sommes, celle du règne de
Constantin, une telle décoration symbohsât la résurrection
dans la joie du paradis. Mais il faut exprimer un doute :
n'entendait-on pas dire simplement, à ceux qui passaient
devant le monument, que celui-ci, tout décoré qu'il était
LA SCULPTURE FUNÉRAIRE
139
d'une scène ancienne, traditionnelle, n'en était pas moins
la dernière demeure d'un fidèle?
Comme on l'a bien fait remarquer, l'insertion du bon
Pasteur et de l'orante dans les thèmes décoratifs de l'anti-
quité était d'autant plus facile, plus naturelle, que ceux-ci
se rapprochaient davantage de la vraie pastorale, c'est-à-
dire d'un paysage animé par des troupeaux. Dès lors, il
iliiiim|ifm»iii.i.ii..i».i...,..».i»iii.i,... .■u.Mi>/..i\/.ii».t- ■.■■■■■.....i....,..i.iiifVii.il)iwmiHi.i7).<iiiii>i.ii.i....... ,iiipi).it)l)»m
E^i FIG. II. SARCOPHAGE DU LATRAN. (D'apiès Venturi.)
suffisait de remplacer les rustiques gardiens par le céleste
Pasteur, pour transformer les tableaux familiers à l'anti-
quité en une scène de sens chrétien. Sur un sarcophage du
Latran, les deux figures symboliques encadrent la pasto-
rale accoutumée (pi. XVI, 2). Nous les avons vues, placées
au milieu de la scène, en faire un paradis.
Vers le commencement du iv® siècle s'était manifestée
une tendance générale à délaisser les symboles primitifs ou,
du moins, à les reléguer sur le couvercle, pour donner toute
importance aux allégories bibliques et aux représentations
de la vie du Sauveur.
La mort^du Seigneur fut glorifiée. Quelque chose de l'art
triomphal des basiliques passa dans la sculpture funéraire.
140 STATUTS ET SARCOPHAGES
C'est ainsi qu'une série de sarcophages au décor architec-
tural montrent en une suite de compartiments, des scènes de
la Passion, accostant le panneau central où s'érige la Croix.
Celle-ci est surmontée du monogramme enfermé dans une
couronne de laurier qu'un aigle semble apporter du ciel.
Deux colombes sont posées sur ses bras. Les allégories
du soleil et de la lune les surmontent, tandis que deux soldats
sont assis sur des pierres, au pied de la potence sacrée.
Faut-il voir là, à côté du tableau des souffrances du Christ,
un symbole de la Résurrection? Le monogramme en cou-
ronne semble bien être imité du labarum, par quoi une date
très sûre est indiquée. Il est impossible qu'aux idées de
gloire, de triomphe, de salut, si clairement exprimées, l'idée
de la résurrection du Christ ne se soit pas associée, au moins
accessoirement (pi. XVIII, 3).
A côté de véritables créations, il y eut, par suite de l'im-
portance accordée aux scènes bibliques, de nouveaux tâton-
nements. On voit sur un sarcophage du Latran la moitié de
la décoration réservée au navire de Jonas, à l'arche de Noé,
et l'autre moitié à une pastorale (pi. XVI, 2). Puis, on s'enhar-
dit. Sur le sarcophage de Velletri (fig. 12), les bons Pasteurs,
les brebis, l'orante apparaissent esseulés parmi les épisodes
de l'Ancien et du Nouveau Testament. Adam et Eve, Noé,
Jonas, Daniel dans la fosse aux lions, le Christ opérant ses
miracles : tel sera désormais, jusqu'aux derniers jours de la
sculpture funéraire chez les Romains, le genre de sujets pré-
féré par les sculpteurs chrétiens.
Et ce sera la preuve, pensera-t-on, que leur pensée était
en travail, que leur ambition était éveillée. On pourra croire
que, satisfaits d'avoir donné corps aux symboles, en s'aidant
du décor ancien, ils vont traduire l'épopée chrétienne en
Planche XVTT.
I. Sarcophage de Valbonne (Le Blant, 28). — 2. Sarcophage décoré
de portes et tours, Musée du Latran (phot. Anderson). — 3. Sarco-
phage décoré d'arbres en colonnade, Musée de Marseille (Le Blant, 11).
— 4. Sarcophage de la Gayole (Le Blant, 59). — 5- Couvercle de
sarcophage. Musée de Marseille (Le Blant, 10).
LA SCULPTURE FUNÉRAIRE
141
affirmant des forces neuves. On espérera peut-être qu'à la
faveur du grand triomphe de TÉglise, au iv® siècle, ils
engendreront, ainsi que les mosaïstes, quelque chose de
grand et de beau. Hélas ! on savait encore sculpter au
IV® siècle, mais on ne savait plus guère ni dessiner d'après
FiG. 12. — SARCOPHAGE DE VELLETRi. (D'après Lcclercq.
la nature, ni composer d'après la vie. Il en résulta que
quelques belles œuvres furent exécutées par d'excellents
praticiens, mais les cahiers de modèles continuèrent d'ali-
menter seuls les esprits. Seuls, ils suffirent aux nouveaux
besoins des ateliers. Nous l'avons vu déjà : quand on se
piqua d'inventer, ce fut pour rendre la besogne plus facile
et supprimer l'effort.
Pourtant, on ne saurait nier que les débuts du genre nou-
veau n'aient été pleins de promesses. Naïvement, dans le
sarcophage de Velletri, les épisodes bibliques envahissent
le marbre derrière les symboles isolés. Hardiment, dans celui
de la Porta Angelica (fig. 13), le sculpteur repoussa les bons
Pasteurs aux deux extrémités et laissa tout le champ à l'his-
142 STATUES ET SARCOPHAGES
toire de Jonas. Là était le vrai, ainsi que le beau. Il
fallait réserver à un seul épisode, dût-on même l'entendre
avec ses diverses péripéties, toute la surface de la cuve.
Et puisqu'il était besoin de modèles, on eût, ce faisant,
suivi l'exemple des plus parfaits marbriers de l'anti-
quité, ceux qui illustrèrent de magnifiques bas-reliefs
funéraires (pi. XIX, i) l'époque des Antonins et des
Sévères.
Malheureusement, l'art, qui avait pour mission de repré-
senter la foi, ne conçut sa tâche qu'en mettant la forme au
service des paroles. Il résuma des discours, illustra des
prières. Au lieu de se concentrer en éloquence, il dilua sa
pieuse érudition. Art intellectuel, dit-on; sans doute, mais
qui employait des moyens analogues à ceux de la littérature.
De là vient que l'auteur du sarcophage de la Porta Angelica
n'eut pas beaucoup d'imitateurs. Seul, le Passage de la mer
Rouge eut l'honneur de se voir attribuer tout le front des
cuves funéraires. Cela tenait à la nécessité de montrer l'ar-
mée de Pharaon engloutie (pi. XXII, i). A cette exception
près, le bas-relief chrétien éprouva le désir invincible de
masser les épisodes et les figures dans des bandes horizon-
tales, en réduisant leurs éléments distinctifs à l'indispen-
sable. Dès le milieu du iv® siècle, la division de la cuve en
deux bandeaux superposés s'annonçait comme une trans-
formation inévitable.
Et cependant, quels que fussent les besoins narratifs de la
sculpture chrétienne, combien de ressources offraient à des
artistes épris de noblesse, de clarté, les sarcophages de type
architectural ! Quel heureux parti on pouvait tirer de leur
forme de temples, de leur pourtour orné de frontons et de
colonnes ! Leur aspect était monumental; leur disposition
LA SCULPTURE FUNÉRAIRE
143
architectonique réservait au bas-relief des champs assez
nombreux et bien encadrés.
Soyons justes. Les sculpteurs chrétiens ne manquèrent
pas d'adopter ce modèle; et nous pouvons, en cette série,
citer quelques œuvres vraiment belles : c'est le sarcophage
FIG. 13, SARCOPHAGE DE LA PORTA ANGELICA. (D'apiès LecleiCq.
du Latran où l'on voit le Christ trônant au milieu des
Apôtres sur le dôme symbolique du firmament (pi. XIX, 2),
œuvre de la première moite du iv® siècle, encore assez
maladroite dans la façon de répartir les figures entre les
colonnes, mais si pénétrée de dignité, de noblesse ! C'est
surtout le sarcophage de Junius Bassus (pi. XX).
Personnage consulaire, préfet de la ville, celui-ci était
mort en 359, après avoir reçu le baptême. Il avait fait faire
d'avance son tombeau. Celui-ci est une cuve tout en
marbre de Paros, qui a 2"^43 de long, i"^4i de haut. Les
petits côtés sont ornés de scènes de vendanges. Sur la face
antérieure, l'auteur a ménagé deux bandeaux divisés par des
144 STATUES ET SARCOPHAGES
colonnes en cinq panneaux juxtaposés. Ceux du bandeau
supérieur sont surmontés de l'architrave, ceux du bandeau
inférieur de frontons ou de dômes en forme de coquilles.
L'ornementation surabonde, mais les bas-reliefs révèlent une
grande noblesse d'esprit, une parfaite maîtrise du marbre.
Nous sommes en présence d'une véritable œuvre d'art.
Son auteur a puisé dans le répertoire des allégories
bibliques et de la vie du Christ^, mais c'est librement qu'il en
a conçu la traduction plastique. Amoureux de la symétrie, il
rend chacun de ses sujets par trois personnages, sauvegar-
dant la variété, le naturel, par la façon de les grouper. Les
attitudes et les gestes expriment avec précision les carac-
tères, qui sont pleins de fermeté. Il y a beaucoup de mouve-
ment dans les épisodes, parce qu'il y a beaucoup de vie dans
les personnages. Quant au drame véritable, il se manifeste
moins dans les signes extérieurs de l'action que dans les
réflexions cachées des esprits. Il est puissant et mystérieux.
Et si nous ne saurions dire à la suite de quel raisonnement
l'artiste arrêta le choix de ses sujets, du moins reconnaissons-
nous l'unité, la pureté de l'idéal, dans lequel il les a imaginés,
puis réunis.
Nous reviendrons plus loin sur les symboles contenus
dans l'iconographie du sarcophage. Ici, qu'il nous suffise de
saluer comme de belles créations, que de longtemps nous ne
reverrons, ces tableaux à la noble austérité, ce couple robuste
et malheureux d'Adam et Eve, cet Abraham aux traits
I. De gauche à droite : Sacrifice d'Abraham. Arrestation de Pierre.
Triomphe du Christ. Arrestation du Christ. Jugement de Pilate. Job.
Adam et Eve. Entrée triomphale à Jérusalem. Daniel dans la fosse aux
lions et Habacuc. Arrestation de Paul. On notera que Daniel debout est
dû à une restauration.
Planche XVTII.
-K. :..'A'^
1-2. Sarcophages du iii^ siècle, Musée du Latran (phot. Andersen).
3. Sarcophage du iv^ siècle au Musée du Latran (phot. Andersen),
4. Sarcophage de Marseille (Le Blant, 12).
Planche XIX.
I. Sarcophage d'Orcste, Musée du Latran, 11^ s. (phot. Alinari).
2. Sarcophage au décor architectural, Musée dn Latran, milieu du
IV^ s. (phot. Anderson). — 3. Sarcophage d'Adelphia, Musée de
Syracuse (phot. Brogi).
LA SCULPTURE FUNÉRAIRE 145
farouches, ces apôtres fièrement obstinés, Pierre et Paul,
et ce Christ surtout, dont la divine jeunesse trône, impé-
rieuse et sereine, dans les hauteurs de l'empyrée.
Pourquoi une telle œuvre est-elle unique dans la sculp-
ture chrétienne d'Occident aux premiers siècles? C'est sans
doute que les soucis industriels avaient tari toute émula-
tion d'art. Il faut dire aussi que le sarcophage de Junius
Bassus, ayant été placé dans l'obscurité des cryptes du Vati-
can, dut rester à peu près inconnu. Ces deux raisons ne se
contredisent pas. Elles ont contribué toutes deux à rendre
inutile la leçon de beauté que contenait le chef-d'œuvre.
Plus d'une fois, on en revint au type de cuve qu'il avait
consacré : jamais pareil résultat ne fut obtenu 1.
Au surplus, les colonnes qui forçaient à distribuer régu-
lièrement les sujets, à les équilibrer mutuellement, et qui,
à chaque fois qu'elles créaient un panneau indépendant,
mettaient le sculpteur en face d'un nouveau problème,
devaient paraître bien gênantes au commun des praticiens.
Aussi, la plupart adoptèrent-ils la cuve aux surfaces planes
sur laquelle ils pouvaient entasser bout à bout, en un ou
deux bandeaux, sujets et personnages. Le Musée du Latran
et le Musée d'Arles (pi. XXI et suiv.) regorgent de ces
œuvres presque toutes laides ou médiocres.
Le sarcophage d'Adelphia (pi. XIX, 3), au Musée de Syra-
cuse, résume bien leur manière, dont la fortune fut trop
grande : au centre, comme dans les sarcophages païens, le
clypeus, portant l'image de la morte et celle de son époux.
Au-dessous, une scène qu'on choisit susceptible de remplir
facilement l'espace laissé vacant entre le bord inférieur de la
I. Cf. PÉRATÉ, Manuel, fig. 209, 210, 211; Cabrol, Dicttonn., fig. 105,
547, 852.
146 STATUES ET SARCOPHAGES
cuve et l'imago clypeata; ici, c'est TAdoration des Mages.
Tout autour du médaillon central, des épisodes eux aussi
choisis et composés pour ne laisser nulle part apparaître le
fond. Enfin, à gauche et à droite, en une double rangée, la
suite des épisodes bibliques et des gesta Dei étroitement
serrés. On notera la symétrie de ces dispositions, le soin
qu'on prit de commencer et d'achever chaque bandeau par
un personnage debout, d'étabhr entre les figures de chacun
d'eux une certaine correspondance de volume et d'attitudes,
et tout cela dans l'unique dessein de supprimer le vide dans
la composition.
Pendant toute l'antiquité, le vide, c'est-à-dire l'espace
et la lumière, avait paru un des éléments indispensables du
bas-relief, et l'usage qu'il en fallait faire avait suscité de diffi-
ciles problèmes, engendré d'ingénieuses solutions. A partir
de Constantin, les figures s'isolèrent les unes des autres dans
un espace dont on avait supprimé le fond. Elles n'eurent
plus ni contact matériel ni communauté de pensées. La
séparation des corps eut comme corollaire la dissociation
des intelligences. Considérez les bandeaux sculptés de l'arc
de Constantin, sur le Forum : les personnages ont beaucoup
de relief, comme chez les Grecs, mais la succession des pro-
fils harmonieux a été remplacée par la froideur des repré-
sentations de face et de trois-quarts, d'où le souffle et l'élan
ont entièrement disparu. Par une sorte de retour en arrière,
les figures sont juxtaposées, perpendiculaires, et toutes les
têtes sont placées à la même hauteur, selon ces vieilles règles
de la plastique primitive, désignées sous le nom de lois de
risoképhalie et de frontahté. Un seul mérite subsistait dans
cet art officiel : le rythme alternant du plein et du vide, de
l'ombre et de la lumière.
LA SCULPTURE FUNÉRAIRE 147
Dans leurs meilleures œuvres, les chrétiens s'en sont
souvenus. Mais dans la série des sarcophages à deux ban-
deaux, cette ultime qualité ne tint pas contre une sorte de
désir du moindre effort, une propension à vouloir en même
temps faciliter le travail et enrichir le récit. Les figures s'accu-
mulèrent, serrées, en un espace étroit. Les divers épisodes
se touchèrent étroitement, distingués les uns des autres
par des mouvements de têtes, jamais par un geste franc,
une attitude décisive. Les mouvements sont peu nombreux,
les gestes hésitants ou confus. On n'a qu'un souci : meubler
l'espace. Toute difficulté est supprimée et, par conséquent,
tout effort; toute illusion est détruite et, par suite, toute
vérité, toute beauté, à cause du rôle prédominant accordé
aux recettes.
A partir du v® siècle, il n'y a plus à mentionner de trans-
formations importantes dans les bas-reliefs funéraires. Ils
étaient voués immuablement aux indigentes répétitions.
w
o
O
CD
S
o
fin
I
+->
C
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Tj
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-M
Oh
'S
CD
-v
CD
O
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en
CHAPITRE VIII
STATUES ET SARCOPHAGES (suite)
Iconographie des sarcophages. Survivance des symboles primitifs. Les
paons, les cerfs, l'aigle. Le Phénix et l'Agneau. Les allégories bibliques.
Miracles du Sauveur. Les saints. JJ Introductio . Les Apôtres. Pierre et
Paul. Pierre et Moïse. Les Évangélistes. Questions de méthode. L'inter-
prétation théologique.
Survivance des Symboles. L'exposé qui précède reste-
rait incomplet si nous n'ajoutions quelques mots relatifs à
riconographie particulière des sarcophages chrétiens. Ce
n'est pas assez d'avoir montré comment aux symboles pri-
mitifs succédèrent les épisodes historiques et quelles consé-
quences en résultèrent pour la décoration. Il faut encore
indiquer la méthode qu'il convient d'appliquer à leur inter-
prétation. Il ne suffit pas d'avoir réparti en de larges caté-
gories la somme des sujets représentés par les marbriers
chrétiens, il importe aussi de mesurer ce qu'ils ajoutèrent
d'intéressant et de neuf aux images cimétériales.
Ce dernier point est de toute importance, car la peinture
des catacombes, ensevelie avec les morts, tomba tôt dans
l'oubli, tandis que les bas-reliefs funéraires, exécutés pour
le grand jour, dans une matière quasi indestructible, répan-
dus partout et multipUés à une époque où l'Église avait
pris dans le monde sa place définitive, ne devaient point
150 STATUES ET SARCOPHAGES
cesser de nourrir la tradition d'art du christianisme. Conçus
suivant les formules générales de la technique de l'antiquité,
et en même temps pénétrés de pensée chrétienne, ils carac-
térisent bien mieux que les fresques des cimetières, autant
que les mosaïques dont nous parlerons bientôt, la transition
entre l'art antique et le grand art septentrional et chrétien
du moyen âge.
Du jour où il y eut des sarcophages non plus neutres, mais
nettement chrétiens par la destination et par les images, la
^'^'^'"^Kt^^^^^^^f^^^^!^^^^^^^^^.
FiG. 14. — SARCOPHAGE d'eutropos. (D'après Leclercq.)
première source iconographique se trouva dans la peinture
déjà constituée des cimetières, dont tous les emblèmes sym-
bohques passèrent dans le bas-relief. Les principaux sont
réunis sous l'épitaphe de Livia Primitiva. La cuve non
moins célèbre exécutée en souvenir du marbrier Eutropos
(fig. 14) représente la colombe portant le rameau d'olivier,
des dauphins ayant la signification de l'Ichthys, et l'ouvrier
lui-même, en orant, tenant à la main la coupe du rafraîchis-
sement céleste. Les symboles du navire et du phare sont
connus (voir fig. 5). Une série de cuves antérieures à la p.aix
de l'Église a des banquets pour décors et sur tous ces
emblèmes, l'emportent en nombre et en beauté l'orante et
SURVIVANCE DES SYMBOLES 151
le bon Pasteur. Non seulement le bas-relief funéraire adopta
la vigne, les Saisons, Orphée, le couple charmant d'Éros
et Psyché, que lui recommandaient en même temps les
monuments antiques et les fresques catacombales ; mais,
entraîné peut-être plus loin que ne l'eussent voulu d'austères
esprits, il christianisa Ulysse, héros insensible aux chants
des Sirènes, ainsi que le chrétien doit l'être aux séductions
du monde, mais aussi guerrier astucieux et idolâtre, qui ne
trouva grâce devant les écrivains d'Église qu'au v® siècle 1.
On peut donc l'affirmer, le bas-relief funéraire fut à ses
origines résolument symbolique. Si beaucoup d'emblèmes
tombèrent en désuétude au m® siècle, c'est qu'ils
n'étaient pas suffisamment plastiques pour garder place,
soit au milieu des scènes rustiques auxquelles se mêlaient
harmonieusement le bon Pasteur et l'orante, soit aux épi-
sodes bibliques qui, à partir du iii^ siècle, tendirent à occu-
per toute la surface des cuves. Voyez, par exemple, l'ancre
égarée au milieu de la composition dans le sarcophage de la
Gayolle !
Pourtant les formes symboliques primitives ne périrent
jamais complètement. On fit un choix. Les paons, rares
dans les cimetières, se multiplient dans les objets usuels et
dans la sculpture, comme signes d'immortalité. On aime à
les représenter, à Ravenne surtout (pi. LXIV, i), héraldi-
quement affrontés, parfois se désaltérant dans la vasque
emblématique du refrigerium. Les cerfs, assoiffés du Seigneur
I. Nous ne citerons ici que pour mémoire une représentation des Dios-
cures (Le Blant, Savcoph. d'Arles, XXIII,), et une autre de Junon Pro-
nuba,sur le sarcophage Ludovisi (Garrucci, Storia, pi. 361, i) : ce ne sont
là que des bévues imputables à la naïveté de quelques fidèles et à l'in-
fluence des cahiers de modèles.
152 STATUES ET SARCOPHAGES
(Ps. 41, 2), boivent aux fontaines paradisiaques (pi. XVIII,4).
L'aigle se fait porteur de croix 1. Le Phénix, lui aussi emblème
de la résurrection et du salut éternel, apparaît pour la pre-
mière fois sur un sarcophage du Latran remontant au
IV® siècle -. L'oiseau est perché sur un tau, dont un voile
recouvre la partie supérieure, et que deux colombes accostent.
Des arbres dans le fond indiquent, suivant le mode de repré-
sentations déjà signalé d'une colonnade, le paradis. Et les
apôtres, à droite et à gauche, s'avancent vers le mystique
oiseau en lui présentant leurs couronnes. Il est manifeste
que le Phénix symbolisait le Christ ressuscité de la mort, et
les colombes, les âmes des fidèles qui se réveillent au delà
du tombeau dans le verger céleste.
Enfin, il est un symbolisme, celui de l'agneau, que
les fabricants de sarcophages développèrent grandement.
L'agneau, jusqu'au iv® siècle, avait été l'image des fidèles,
soit qu'ils fissent cortège au bon Pasteur, soit que, sauvés
déjà, ils goûtassent les délices du paradis. A partir de la
paix de l'Église, on commença de représenter VAgnus Dei,
c'est-à-dire le Christ, sous la figure d'un agneau, caractérisé
par le nimbe, le monogramme ou la croix et debout sur la
montagne du paradis terrestre, d'où les quatre fleuves
s'écoulent. Ceci était fait à l'imitation des mosaïques et se
rencontre surtout à Ra venue (pi. LXIV, 3).
De même, l'agneau figura les apôtres (pi. XVII, 5) . Parmi les
brebis du bon Pasteur, les apôtres n'étaient-ils pas les brebis
par excellence, les « brebis envoyées au milieu des loups »
(Matth., X, 16)? On alla plus loin dans le sens du symbo-
1. Kaufmann, Manuel, fig. 109.
2. Ibid., fig. 108.
Planche XXT.
1-2-3. Sarcophages du iv^ siècle, à composition serrée en un ou
deux bandeaux, au Musée du Latran (phot. Anderson).
SCÈNES BIBLIQUES 153
lisme : pour remplir les écoinçons du bandeau inférieur dans
le sarcophage de Junius Bassus, le sculpteur osa représenter
les miracles de Moïse et du Christ opérés par un agneau.
L'animal symbolique guide des agneaux nageant derrière
lui (passage de la mer Rouge) ^ ; il frappe de la verge le rocher
d'où Teau jaillit; il multiplie les pains; il pose la patte sur la
tête d'un agneau plongé dans l'eau (baptême du Christ) ;
il reçoit les tables de la Loi; du bout de la verge qu'il tient
avec la patte, il ressuscite Lazare.
Ne cherchons là nul raffinement, nulle profondeur : ce
n'est qu'une fantaisie poétique, un jeu d'esprit inspiré par
la piété. Du moins en ressort-il que l'esprit symbolique, si
familier aux peintres des catacombes, n'avait pas encore
perdu son empire sur un maître tout attaché au genre nou-
veau des compositions bibliques. Nous retrouverons les prin-
cipaux éléments de ce symbohsme dans les séries tardives
de sarcophages ; c'est à lui seul qu'auront recours l'imagina-
tion défaillante et le talent fatigué des marbriers de Ravenne.
Mais on peut le dire, du jour où les récits bibliques sous
la forme d'épisodes juxtaposés envahirent la face des cuves
de marbre, la gloire des emblèmes anciens fut éclipsée. Le
bon Pasteur lui-même, ainsi que nous l'avons vu plus haut,
fut peu à peu évincé de l'iconographie funéraire, dont les
apparences se transformèrent.
Scènes bibliques. Les marbriers ne se contentèrent
pas d'adapter à la pierre les scènes de l'Ancien et du Nou-
veau Testament déjà présentes aux catacombes. Ils en
I. Le P. Grisar et Mgr de Waal prétendent reconnaître en cette scène
très mutilée trois agneaux dans la fournaise.
II
154 STATUES ET SARCOPHAGES
augmentèrent le nombre suivant la logique de leur esprit,
et aussi en prenant pour guide de leur inspiration, pour
raison déterminante de leur choix, des scènes de sarcophages
antiques qui, tant pour la composition que pour la tech-
nique, pouvaient leur servir de modèles. « C'est ainsi que
les figures d'Adam et Eve qui, sur les parois des catacombes,
rappellent la faute originelle et la miséricorde du Rédemp-
teur, entraînent à leurs côtés toute l'histoire de nos
premiers parents : la création de l'homme, la création de la
femme, la tentation, le châtiment, l'annonce de la Rédemp-
tion, l'offrande de Caïn et d'Abel (pi. XXIII) i ».
Aux épisodes de Moïse dénouant sa chaussure et frappant
le rocher, on ajouta ceux qui se rapportent à la sortie
d'Egypte et notamment le passage de la mer Rouge. Tous
les patriarches réapparaissent : Noé, Abraham, Élie, Tobie,
Job. Des diverses scènes de l'histoire de Jonas, aucune n'a
été oubliée; celles de la vie de Daniel se sont amplifiées et
enrichies, surtout en ce qui regarde la justification de
Suzanne ^.
Mais c'est principalement dans l'illustration du Nouveau
Testament que les marbriers firent preuve de fécondité. La
Nativité se rencontre à côté de l'Adoration des Mages. Les
scènes de la Passion, dont il n'est guère qu'un exemple sûr
aux catacombes, le Christ couronné d'épines et tourné en
dérision (Cat. de Prétextât) ^, sont représentées à partir du
IV® siècle avec une nombreuse figuration de personnages
et dans leur suite chronologique : c'est l'entrée triomphale
1. PÉRATÉ, Manuel, p. 309,
2. Sur l'iconographie des sarcophages, voir Pératé, Manuel, p. 309
et suiv.; Leclercq, Manuel, II, p. 316.
3. WiLPERT, Malereien, pi. XVIII.
SCÈNES BIBLIQUES 155
à Jérusalem, si noblement reproduite sur le sarcophage de
Junius Bassus (pi. XX), le lavement des pieds, le baiser de
Judas, l'arrestation de Jésus, la comparution devant
Caïphe et Pilate, lequel d'habitude se lave les mains, le
couronnement d'épines et le portement de la croix.
Enfin, voici les miracles du Sauveur, dont la série était
restée bien incomplète dans les cimetières; voici, à côté de
l'hémorrhoïsse et du paralytique, la guérison des aveugles;
à côté de Lazare, la résurrection du fils de la veuve et celle
de la fille de Jaïre; à côté de la multipHcation des pains,
les noces de Cana, la représentation de Jésus et de la Sama-
ritaine.
Combien de remarques intéressantes on peut faire à pro-
pos de ces sujets ! Ils sont exécutés avec une grande timi-
dité en ce sens que le sculpteur a imité, chaque fois qu'il Ta
pu, un modèle antique : ainsi le Père modèle Adam comme
Prométhée sa statue; les scènes bibliques qui comprennent
une représentation du serpent s'inspirent toutes plus ou
moins d'anciens bas-reliefs où figurent Esculape et Hygie;
le coq du reniement est perché sur une colonne comme une
victoire antique ou un sphinx; mais quelle audace aussi
parfois dans la conception de ces mêmes sujets ! Le Père,
le Fils et le Saint-Esprit assistent à la création d'Adam,
sous la forme humaine : passe pour le Fils qui s'était fait
homme, mais nul docteur n'eût osé représenter ainsi le Père
inconcevable et l'Esprit par excellence. Cet art est essen-
tiellement naïf et populaire. Quand le sculpteur voulut
indiquer le châtiment auquel Adam et Eve avaient été con-
damnés, il représenta l'homme portant une gerbe de blé et
la femme un agneau, car Eve devait filer la laine, obéissante
en sa maison, Adam était assujetti aux durs travaux de la
156 STATUES ET SARCOPHAGES
terre. Rien de plus concis, de plus éloquent. L'imagination
s'émancipe. Noé aux catacombes apparaissait — ainsi
Phryxos et Hellé dans les peintures de vases grecs — comme
un homme sortant à mi-corps d'un coffre carré : un sarco-
phage de Trêves i représente le patriarche entouré de sa
famille et des animaux qu'il a sauvés, tandis que la colombe
lui apporte à tire d'aile le rameau d'olivier. Job se recon-
naît à peine dans les fresques des cimetières : nous le voyons
ici sur son fumier, et sa femme, détail inattendu, lui tend un
pain ; Suzanne ressemblait à une oranfe : sur un sarcophage
d'Arles (Pératé, fig. 205), Daniel, assis comme un juge sur
un rocher, prouve son innocence et la foule lapide les deux
vieillards.
Il existe la même abondance de scènes et de personnages
en ce qui regarde la vie du Christ. On remarquera seulement
que la crucifixion, à la différence des autres épisodes de
la Passion, ne comporte pas l'image humaine du Christ; on.
la remplace par des s3rmboles. La discipline du respect, si
remarquable dans les peintures cimétériales, empêchait
encore, au iv® siècle, de représenter l'Homme-Dieu attaché
à la croix.
Mais laissons cette énumération de sujets, qu'on pourrait
facilement allonger. Il convient de se demander ici quelle
signification les fabricants de sarcophages entendaient don-
ner aux épisodes bibliques. Sans doute, en complétant
l'iconographie cimétériale relative à l'Ancien et au Nouveau
Testament, ils alimentaient la piété; sans doute, en déve-
loppant chaque groupe épisodique, en le racontant au moyen
de scènes et de personnages plus nombreux, ils répondaient
I. Cabrol, Dictionn.y I, i, fig. 909; Pératé, Manuel^ fig. 196.
Planche XXII.
^ -* .^^-^^^ ■ ^ ' 'inf^ y^'^M -^^1
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iT-
I. Sarcophage de Nîmes (LeBlant, 30). — 2-3. Sarcophages à deux
bandeaux du Musée du Latran (phot. Anderson).
LA PARADIS 157
au goût général, qui exigeait sur les sarcophages l'ordre et
l'abondance de l'histoire; l'Église fixant la foi, les docteurs
commentant la Bible, une part de doctrine et de théologie
exégétique put se glisser dans les idées qu'exprimaient ordi-
nairement les bas-reliefs; l'histoire de l'Église y exerça son
influence, comme aussi les pensées nouvelles du symbo-
lisme triomphal : tout cela est vrai. Mais marbriers et fidèles
ne cessaient de voir, en ces représentations, les images garantes
de leurs espérances, l'illustration des liturgiques prières
par lesquelles le mourant était fortifié. En un mot, toutes
les scènes bibliques, aussi bien sur les sarcophages que dans
les catacombes, procèdent fondamentalement du symbo-
lisme funéraire. Daignât Dieu, disaient-elles, se montrer
miséricordieux pour les chrétiens ensevelis ainsi qu'il l'avait
été pour les enfants d'Israël, et leur appliquer le fruit de sa
vie et de sa mort !
Le Paradis. Par toutes les influences que nous venons
d'indiquer s'expliquent les scènes célestes, communes aux
bas-reliefs et aux peintures cimétériales : le Christ triom-
phant et enseignant, donnant la Loi, l'introduction des
élus, leur couronnement et cette représentation où l'on voit
les apôtres faire hommage au Christ des couronnes qu'ils en
ont reçues. Ces visions du ciel, avons-nous dit, coïncident avec
le triomphe de l'Éghse et tirent leur origine du décor basihcal.
Elles n'en conservent pas moins, dans les sarcophages comme
aux catacombes, une signification funéraire, puisqu'elles
sont l'image, une image moins imbue de poésie, cette fois,
de ce qui attend les justes. Le culte des saints s'était déve-
loppé après la paix. On aimait représenter le ciel où régnait
le Christ, mais, encore et surtout, le ciel où d'anciens frères
158 STATUES ET SARCOPHAGES
accueillaient bénévolement les âmes et facilitaient leur
accès auprès du trône divin.
Chose étrange, dans le temps même où l'on célébrait la
gloire des martyrs, on ne les montra que bien rarement au
milieu des vicissitudes de leur vie mortelle. Il n'est pas de
représentation de martyre, au sens propre du mot, avant la
fin du IV® siècle. Dans les sarcophages, on note l'arrestation
de saint Pierre et de saint Paul. La décollation de ce dernier
est même indiquée, sur une cuve du Latran i, par un soldat
tirant son glaive. Mais de scènes sanglantes, d'épisodes
empruntés à la vie chrétienne pendant l'époque des persé-
cutions, il n'en est point. Qu'est-ce à dire, sinon que, pour
les chrétiens, la souffrance comptait peu au regard de la
féhcité éternelle. On ne la jugea pas susceptible d'entrer
dans les cycles du symbolisme funéraire.
Pierre et Paul. Une place à part fut faite dans le bas-
relief funéraire à saint Paul et surtout à saint Pierre, en
raison de leur dignité suréminente et du rôle prépondérant
qu'ils avaient joué dans l'évangélisation du monde et, par-
tant, dans l'œuvre du salut humain. Ils sont au ciel aux
côtés du Christ, ils reçoivent son enseignement, ils lui
présentent les élèves. Leurs épreuves même sont racontées,
par quoi un peu de l'histoire de l'Église passa dans les
bas-reliefs.
De saint Paul, on trouve l'arrestation, la décollation et
le saint conduisant au port du salut une femme du nom de
Thécla : allusion sans doute aux rapports spirituels de
l'apôtre des nations et de sainte Thècle (Kaufmann,
I. Venturi, I, fig. 191.
PIERRE ET PAUL
159
fjÇf^^^i,
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FIG. 15. NEF DU CHRIST ET DES
ÉVANGÉLISTES. FRAGMENT DE SARCO-
PHAGE. (D'après Pératé.)
p. 324). L'iconographie relative à Pierre est particulièrement
variée et intéressante. Pour ne parler que des sarcophages,
citons : le lavement des
pieds, le reniement, la
résurrection de Tabitha.
Mais on ne saurait rap-
porter à la vie de saint
Pierre, une suite d'épisodes
assez souvent représentés
sur les cuves funéraires :
un personnage drapé en-
traîné violemment par
deux hommes coiffés d'un bonnet rond; le même person-
nage frappant le rocher d'où l'eau jaillit, tandis que les
deux hommes se désaltèrent; le même enfin, lisant un
volumen aux deux mêmes personnages qui l'écoutent
(pi. XVIII, 2; XXI-XXIII). Il est vrai que sur un certain
nombre de monuments, Pierre est substitué à Moïse frap-
pant le rocher d'Horeb; mais alors le nom de l'apôtre est
indiqué. Sur nos sarcophages, le costume des deux hommes
est certainement celui de Juifs; les épisodes successifs
représentent Moïse entraîné par les Hébreux que la soif a
irrités. Moïse opérant le miracle, enfin, Moïse enseignant la
Loi aux Hébreux 1.
Les apôtres et les évangélistes étaient témoins du Christ,
ouvriers du salut par lui promis. Ils se rangent des deux
côtés de son trône, au paradis. Sur un fragment de sarco-
phage de Spolète (fig. 15), les derniers montent une barque
I. Voir WiLPERT, Malereien, p. 388. Wittig, Altchristliche Sculpturen
im Camposanfo, p. 107 et suiv. nous paraît s'être trompé en considérant
ces épisodes comme une illustration de la légende de Pierre,
i6o STATUES ET SARCOPHAGES
dont ils sont les rameurs et dont le Christ lui-même tient le
gouvernail. Par là étaient remplacés les Amours conduisant
Psyché au port éternel. Le salut était dans les paroles du
Christ, répétées par les apôtres et transcrites dans les
Évangiles. On peut se demander aussi si cette nef sym-
bolique ne représente pas l'Église.
Questions de Méthode. Dans l'interprétation symbo-
lique de monuments chrétiens des premiers siècles, il est
souvent difficile d'atteindre à la certitude. Tout ce qu'on
peut espérer mettre en lumière est la pensée fondamentale
à laquelle les divers groupes de représentations ont dû nais-
sance. Mais si l'on estime qu'il est possible de rétablir la
foule de pensées que ces représentations ont pu suggérer
aux fidèles, de retrouver les associations d'idées par lesquelles
chacun les rattacha les unes aux autres, et surtout, com-
plétant un monument par un autre, prêtant aux artistes
toute la science des Pères, toute la logique subtihté des
esprits contemporains, de découvrir dans les fresques et les
bas-rehefs des premiers siècles la somme des doctrines ensei-
gnées par l'Église et professées par les fidèles, avouons-le,
plus n'est besoin de prudence, c'est le domaine de la
fantaisie; plus n'est besoin de preuves, c'est affaire de sen-
timent.
Veut-on savoir comment un historien, d'ailleurs savant,
interprète les symboles des agneaux dans le sarcophage de
Junius Bassus? « Ces figurines symbohques expriment dans
la langue de l'art chrétien, alors dans l'éclat de sa jeunesse,
la|même pensée que l'inscription qui court au-dessus des
arcades de la rangée supérieure, à savoir : que le défunt a été
introduit par le baptême dans l'Église et dans la jouissance
QUESTIONS DE MÉTHODE i6i
du salut. Parmi les actions dont tous les personnages sont
ici des agneaux, se trouve l'introduction du néophyte dans
la communauté des fidèles, ce qu'on appelait Vinitiatio.
« La réception du baptême et de l'Eucharistie formait le
double acte, étroitement un, de l'initiation. Ces deux sacre-
ments sont figurés ici à la place principale sur la voûte
médiane : un agneau reçoit, d'une colombe venant de la
hauteur, le rayon de la grâce ou de l'eau, symbole du bap-
tême ; un autre touche avec un bâton la corbeille de pains,
représentation symbolique tout ensemble de la merveil-
leuse multiplication des pains et de la sainte Eucharistie. La
première scène à gauche représente les trois jeunes gens dans
la fournaise, avec l'ange qui les protège; elle symbolise la
confession de foi qui meta l'abri du danger, et la vie de la foi,
à laquelle le baptisand devait se décider. Le dernier groupe
d'agneaux à droite montre, par la scène de la résurrection de
Lazare (lui aussi un agneau), que la résurrection et la vie
étemelle sont la récompense de la fidélité à la confession
chrétienne. Deux autres scènes, qui se correspondent S3mié-
triquement, enseignent à vénérer la double puissance
donnée par Dieu à l'Église, dans laquelle veut entrer le caté-
chumène. Les grâces du salut sont exprimées par la source
que Moïse, sous la figure d'un agneau, fait jaillir du rocher en
le frappant de sa verge pour désaltérer un autre agneau.
L'enseignement des vérités surnaturelles est représenté par
un livre que tend à un agneau une main qui apparaît dans
les hauteurs (traditio Evangelii et symholi au baptisand) i. »
La logique, dirons-nous, s'adapte aussi bien à l'erreur
qu'à la vérité. Elle n'est qu'un instrument de vraisem-
I. Grisar, op. cit., I, 445.
i62 STATUES ET SARCOPHAGES
blance. Toute la possibilité d'arriver au vrai dépend de la
méthode.
Il est des sarcophages qui ont été interprétés comme de
véritables « homélies en images ». Tel le sarcophage prove-
nant de la basilique de Saint-Paul (pi. XXIII), où l'on
reconnut la création et la chute, la rédemption figurée
par l'adoration des Mages, l'institution du baptême et de
l'Eucharistie (rocher d'Horeb, multipHcation des pains), la
vocation des Gentils (hémorrhoïsse), la suprématie de
l'Église (bâton de Pierre) et la résurrection promise aux
justes. D'aucuns ajoutent à cet ensemble déjà considérable
l'Incarnation (Saint-Esprit représenté derrière le siège de la
Vierge), l'œuvre de l'Apostolat clairement indiquée par la
guérison de l'aveugle-né. Enfin, Daniel entre les lions,
suivant de Rossi, ordinairement moins aventureux, « doit
concentrer » en lui le résumé de toutes les vérités expri-
mées : il serait l'image du Sauveur souffrant et de l'Église
sauvée et espérante.
Qu'un chrétien puisse à bon droit reconnaître cette somme
dogmatique dans le sarcophage que nous venons de citer,
voilà ce que personne ne niera — il pourrait même à ces
dogmes, en s'inspirant de la même méthode, en ajouter bien
d'autres. Mais que le sculpteur ait eu l'intention de codifier
ainsi la doctrine chrétienne; lui, attaché aux traditions
anciennes du symbolisme funéraire, appliqué à ne choisir
que des scènes dont l'usage était courant, dont le sens géné-
ral était connu, tout heureux, quand il faisait le choix de ses
sujets, quand il les mettait en place, de se sentir appuyé par
l'exemple de ses prédécesseurs, il aurait construit cet édifice
subtil et solide de doctrine : voilà, au contraire, ce qu'on ne
saurait prétendre aujourd'hui sans audace.
QUESTIONS DE MÉTHODE 163
Ce sculpteur se préoccupait avant tout de symétrie. En
figurant le Saint-Esprit dans la Création, il acheva le
bandeau par un corps debout, une ligne ronde et droite; et
ceci amena au-dessous, dans le registre inférieur, la repré-
sentation de saint Joseph — non le Paraclet, derrière le
trône de la Vierge. Le rocher d'Horeb fit pendant au tom-
beau de Lazare. Pourquoi Daniel sous l'imago des époux?
C'était la place ordinaire de ce sujet sur les sarcophages, sa
composition étant assez large pour répondre au médaillon
supérieur. Il partageait ce privilège avec, le plus souvent,
Jonas et les trois jeunes gens dans la fournaise.
On le voit, il n'était ni dans le choix de ces sujets, ni dans
leur composition, ni surtout dans la place qui leur fut don-
née, aucune intention subtile. D'ailleurs, si le sarcophage en
question est essentiellement théologique, comme le disait
de Rossi, on ne pourra refuser la même quahté à tous ceux
de la même catégorie. L'hémorrhoïsse, dit-on, signifie, dans
le cas présent, la vocation des Gentils; il faut donc renoncer
partout ailleurs à voir en elle une image symbolique du
salut. Daniel dans la fosse aux lions traduira partout,
selon l'opinion unanime, la liturgie funéraire; il exprimera
la confiance des fidèles dans la miséricorde du Christ et ici
seulement sera figure de l'Église. Où trouver dans les monu-
ments les raisons d'un. tel changement d'exégèse?
Il faut se résigner à ne pas considérer les peintres et les
marbriers comme des Pères de l'Église. Ce serait même une
profonde erreur de vouloir expHquer les monuments funé-
raires par les écrits contemporains des Docteurs. Car ces
derniers découvrent , tour à tour, dans chaque épisode de
l'histoire sacrée, des significations différentes. Tour à tour
ils accroissent le trésor des allégories et des symboles. La
i64 STATUES ET SARCOPHAGES
vérité n'est pas, pour eux, dans l'unité de l'interprétation,
mais dans sa profondeur et sa richesse. Ils entendent forti-
fier la foi en montrant sa fécondité.
Toute autre était la mission des décorateurs de cubicules
et de sarcophages : ils exprimaient naïvement la confiance
de tous. C'est pourquoi nous les voyons d'âge en âge, fidèles
à la tradition, varier leurs sujets, mais s'inspirer toujours
des mêmes idées. La Mort, la Résurrection, le Paradis, voilà
les pensées que sans cesse ils agitent. Certains, en réunissant
des symboles accoutumés, se trouvèrent aussi avoir con-
densé une somme considérable de doctrine, pour qui eût
voulu chercher doctrine en leurs œuvres, mais ils ne l'avaient
pas cherché. Nous oserons dire qu'ils furent théologiens
sans le savoir.
BIBLIOGRAPHIE. — Sculpture romaine : Mrs Strong, Roman Sculp-
ture,in-B»^, Londres, 1907. On trouvera, dans ce livre, un excellent résumé
des théories de Wickhofî et Riegl sur les caractères propres de la sculpture
romaine et l'évolution du bas-relief.
Sarcophages antiques : W. Altmann, Architektur und Ornamentik der
antiken Sarcophage, Berlin, 1902. (Cf. 1t> .^Dieroemischen Grabaltaere, Berlin,
1907.)
Symbolique funéraire antique : B. Schrœder, Studien zu den Grab-
denkmaelern der roemischen Kaiserzeit {Bonner Jahrbuecker, 1902, p. 46
et suiv.).
Répertoire : C. Robert, Die antiken Sarkophagreliefs, 1890- 1904; II et
III seuls parus.
Sarcophages chrétiens. L'ouvrage ancien du P. Raffaele Garrucci,
Storia delV arte cristiana, 6 vol. in-folio, Prato, 1873- 1880 (Sarcophages :
vol. V) est encore précieux à cause du nombre de monuments qu'il con-
tient, et parce qu'il n'existe pas de répertoire complet. Reproductions
peu fidèles; interprétation vieillie. De Rossi étudie quelques sarcophages
des catacombes dans les volumes II et III ide la Roma Sotterranea.
Recourir, d'une façon générale, au Bullettino et Nuovo Bullettino diArcheol.
crist., et à la Roem. Quarfschrift. Edmond Le Blant, en étudiant les
sarcophages de France, a fait faire un pas décisif à l'archéologie
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BIBLIOGRAPHIE 165
chrétienne : Etude sur les sarcophages chrétiens antiques de la ville d'Arles^
op. cit., Les Sarcophages chrétiens de la Gaule (Monum. pour servir à
rhistoire de la France), Paris, 1886. Cf. R. Grousset, Etude sur l'histoire
des sarcophages chrétiens (avec catalogue des monuments qui ne se trou-
vent pas au musée du Latran), Paris, 1886. De la plus haute importance
est l'ouvrage de Joh. Ficker, Die Altchristlichen Bildwerke im christlichen
Muséum des Laterans, Leipzig, 1890. Descriptions très complètes, sûre
érudition, bibliographie. Une autre collection romaine a été décrite et
commentée savamment et clairement par J. Wittig, Die altchristlichen
Sculpturen im Camposanto in Rom, in-folio, Rome, 1906.
Pour les monuments d'Afrique, cf. Delattre, Musée Lavigerie de Saint-
Louis de Carthage, Tunis, 1900; St. Gsell, Les Monuments antiques de
l'Algérie, Paris, 1901 (notamment vol. II).
Beaucoup de sarcophages chrétiens de la Gaule figurent à nouveau
dans la publication d'EspÉRANDiEU, Les Bas-Reliefs antiques de la Gaule
(Coll. des Monuments pour servir à l'histoire de la France), in-folio, Paris,
1907, 1909). 2 vol. parus.
D'une façon générale, cf. manuels cités plus haut : Schulze, Pérate,
Leclercq, Kaufmann; le Dictionnaire d'archéologie chrétienne (Dom
Cabrol), articles de Dom Leclercq; Venturi, Storia delV Arte italiana,
vol. I.
Sur l'iconographie des sarcophages chrétiens, cf. monographies citées
plus haut : Mowat, Muller, Weis-Liebersdorf, Mitius, Pelka,
Clausnitzer et, en outre :
De Waal, Der Sarkophag des Junius Bassus, Rome, 1900; Id., Zur
Chronologie des Bassus-Sarcophags (Roem. Quartalschrift, 1907, p. 107) : réfu-
tation de Weis-Liebersdorf, qui date le sarcophage de la fin du 11 « siècle.
Wilpert, Irrthuemer in der Auslegung von Sarkophagreliefs (eod. loco,
1906, p. 126) : sur l'importance des figures et scènes de famille dans les
bas-rehefs funéraires. C. M. Kaufmann, Die sepulcralen J enseitsdenkmaeler
der Antike und des Urchristentums, in-40, Mayence, 1900 : comparaison des
idées antiques et des idées chrétiennes sur la Vita beata, d'après les inscrip-
tions funéraires et les bas-reliefs. O. Schœnewolf, Die symholische Darstel-
lung der Auferstehung in der fruehchristl. Kunst, Leipzig, 1907 : sur les repré-
sentations de la croix portant le monogramme du Christ et accostée de
deux soldats.
CHAPITRE IX
ÉGLISES ET BAPTISTERES
Les églises domestiques. Édifices antérieurs à Constantin. La basilique
occidentale et son origine. Ses rapports avec les églises domestiques, les
cellae cimiteriales, la basilique publique et privée. Les principales basi-
liques de Rome. Leurs dispositions intérieures. Esthétique. Églises circu-
laires et baptistères. Conclusion.
ÉGLISES DOMESTIQUES. Les lîtes primitifs de l'Église sont
indiqués au passage fameux des Actes, où il est dit que les
fidèles de Jérusalem, nouvellement affiliés au christianisme,
« persévéraient dans la doctrine des apôtres, dans la commu-
nauté (des biens) , dans la fraction du pain et dans les prières»
(Act. II, 42). — « Tous ceux qui croyaient, disent encore
les Actes, étaient ensemble dans un même lieu et avaient
toutes choses communes (II, 44). Chaque jour, ils avaient
soin de se rendre au temple de commun accord; et, tantôt
dans une maison, tantôt dans une autre, ils rompaient le
pain et prenaient leurs repas avec joie et simplicité de
cœur » (II, 46).
Il y a, dans ces textes si précieux pour Tétude des origines
chrétiennes, un double témoignage, à savoir : que les chré-
tiens à Jérusalem tenaient à la fois des réunions pubhques,
au temple, parmi les Juifs, et des réunions intimes à Tabri
d'un toit domestique. Ce qu'étaient les premières de ces
i68 ÉGLISES ET BAPTISTÈRES
assemblées, nous le savons par l'histoire de T apostolat pri-
mitif, et notamment par les prédications de saint Paul,
faites chaque fois qu'il le pouvait dans les synagogues :
c'étaient des « meetings » de propagande où les prédicateurs,
entourés de leurs frères, essayaient d'entraîner les Juifs en
masse à la suite de Jésus. Laissons cela. On sait que ces ten-
tatives restèrent infructueuses et que saint Paul, irrité de
trouver partout la Synagogue hostile, se détourna des Juifs
pour vouer toute son ardeur à la conversion des Gentils. Et
toute l'Éghse suivit l'exemple de saint Paul.
Les assemblées particulières doivent, au contraire, retenir
notre attention; car dans tous les lieux où l'Évangile fut
annoncé, se propagea l'usage dont les Actes nous ont mon-
tré l'origine à Jérusalem. Partout, des maisons furent choi-
sies pour servir de centres de ralliement aux communautés.
Leurs propriétaires, sans cesser de les habiter, en mettaient
les pièces principales à la disposition des pasteurs et de
leurs ouailles. C'était là que les frères dans la foi enten-
daient la prédication et se fortifiaient entre eux; là qu'ils
priaient en commun et célébraient le banquet d'amour et
de charité, les Agapes, dont le moment capital, ainsi que
nous l'avons vu, était celui où le président de l'assemblée
rompait le pain en commémoration de la dernière Cène.
Saint Paul, dans ses épîtres, nomme les maisons d'Aquila
et Priscille à Rome, de Nympha et de Philémon à Colosses,
et salue de loin les ÉgHses qui s'y trouvent. Considérons que
ces maisons rempHssaient le rôle qui échut plus tard, quand
le triomphe de l'Église fut accompH, aux immenses basi-
liques. EHes furent nécessairement nombreuses dès les débuts
de l'apostolat, puis se multiphèrent à l'infini. On peut affir-
mer que chacune d'elles était une égUse, non au sens archi-
Planxhe XXIV.
I. [Intérieur de Saint- Paul hors les murs (phot, Alinari). — 2. Saint-
Laurent hors les murs (phot. Alinari).
GÉNÉRALITÉS 169
tectural, mais au sens liturgique. On les appelle d'un mot
les églises domestiques, or/ot tyjç èîtîtAyjo-taç.
Il serait long d'énumérer les témoignages qui, à partir du
II® siècle, attestent leur existence ou rappellent incidemment
leur fondation. Nous constaterons seulement d'après les
textes qu'il n'était nulle règle générale au point de vue de
leur organisation matérielle. Les apôtres, le jour de la Pen-
tecôte, étaient réunis dans une chambre haute. (Act. 1, 12 ;
II, I.) A Troade, quand saint Paul y prêchait, l'assemblée
avait lieu au troisième étage de la maison. (Act. XX, 6-9.)
Nulle conclusion à tirer de là. Saint Pierre, selon les Réco-
gnitions clémentines 1, réunit la foule à Tnpoli de Syrie, dans
les salles basses d'une maison et dans le jardin. Certaines
égUses étaient établies, selon l'ancienne coutume, dans la
demeure de riches chrétiens; d'autres, notamment à Rome,
dans des locaux loués à des particuliers. Il y avait de vastes
salles, mais aussi de petites. Cela dépendait des circon-
stances.
Cependant, tout porte à croire que, dans les cités popu-
leuses, à une époque où l'on pouvait constater en même
temps l'augmentation indéfinie du troupeau chrétien et la
présence dans ses rangs de riches afïïHés. les assemblées se
localisèrent dans de grandes demeures patriciennes, où
l'espace permettait de célébrer les cérémonies avec ordre et
dignité. Il ne faut pas oublier que la liturgie, peu à peu fixée,
avait désormais ses exigences. En ce qui concerne Rome, il
apparaît qu'au m® siècle, la ville était divisée en un certain
nombre de titres, ou paroisses, dont chacune avait une
grande maison convertie en église pour centre religieux.
I. Pair. Gf., t. I, col. 1318. Cf. Dom Leclercq, Manuel, I, p. 354.
12
170 ÉGLISES ET BAPTISTERES
Dans bien des cas, une basilique succéda à ce premier local
au même endroit.
Premiers Édifices. Quand donc furent construites les
premières basiliques? A cette question on eût répondu
naguère que les églises domestiques avaient été les seules
pendant toute l'ère des persécutions, et que Tarchitecture
chrétienne, comme telle, n'était née que sous Constantin.
C'est là une erreur qu'il n'est plus nécessaire de combattre.
On reconnaît, en effet, qu'au cours du m® siècle les fidèles
connurent des jours nombreux de tranquillité, à la faveur
desquels ils édifièrent de véritables églises, répondant aux
usages liturgiques et à toutes les nécessités du ministère
religieux.
Un édit de Gallien, en 259 ou 260, ordonnait que tous les
« édifices sacrés des chrétiens (sacraria), confisqués sous
Valérien, fussent rendus à leurs propriétaires légitimes »,
les « magistrats du Verbe », comme il appelait l'évêque et
les prêtres. A Rome, l'empereur Alexandre Sévère (222-
235) fit restituer aux chrétiens un terrain (locus) qui leur
avait été enlevé par des taverniers. « Mieux valait, disait
le rescrit, qu'on y adorât Dieu, de quelque façon que ce
fût. » On pourrait multiplier les textes. Citons le témoi-
gnage irrécusable d' Optât de Milève, qui écrivait vers le
milieu du m® siècle : « des quarante basiliques et plus,
dit-il, qui existaient à Rome, pas une ne s'était ouverte
aux Donatistes ». « Qui pourrait, écrit Eusèbe à la fin
du III® siècle, décrire la foule innombrable de ceux qui,
chaque jour, venaient à la religion, et le nombre des
églises dans chaque ville et les multitudes qui les enva-
hissaient ? Si bien que, les anciens édifices devenant trop
LA BASILIQUE OCCIDENTALE 171
étroits, toutes les villes construisaient de nouvelles et
vastes églises 1. »
Pendant la persécution de Dioclétien, en 303, la plupart
des églises chrétiennes furent détruites; mais en 309, un
édit de Maximien et Galère restituait leurs droits aux fidèles,
non sans protestations de la part des païens. C'est ainsi que
certaines villes d'Asie-Mineure s'adressèrent au César Maxi-
mien pour qu'il empêchât les chrétiens de construire des
églises dans leurs murs (ne intra civitates suas christianis
conventicula exstruere liceret) . Puis, ce fut la paix de l'Église
proclamée par l'Édit de Milan (313), à la faveur duquel l'ar-
chitecture chrétienne s'épanouit librement. « Les églises,
dit encore Eusèbe, s'élevèrent sur le sol à une grande hau-
teur et brillèrent d'un éclat supérieur à celui des églises qu'on
avait détruites; dans toutes les provinces Constantin éleva
de nouveaux édifices beaucoup plus vastes que ceux qu'ils
remplaçaient. »
En réalité, l'architecture chrétienne avait pris conscience,
pendant les siècles troublés qui venaient de finir, de tous
les besoins auxquels sa mission était de répondre. Elle avait
mesuré ses forces et préparé ses moyens. Il ne restait plus
qu'à donner une forme définitive à l'ébauche qu'elle avait
conçue.
La Basilique occidentale. Description et origine. Le
mot « basilique » tel qu'il commença d'être employé par
les chrétiens au m® siècle, désignait des portiques divers et
fut appliqué à toutes les formes d'églises; mais, dans le
langage ordinaire de l'archéologie chrétienne, on l'emploie
I . Voir, sur ce point, l'exposé très complet de Dom Leclercq, Manuel ^
I, 409.
172
ÉGLISES ET BAPTISTÈRES
pour désigner les édifices religieux de plan rectangulaire. Il
s'oppose ainsi, généralement, aux constructions circulaires
ou rotondes.
La basilique occidentale, encore qu'elle diffère par cer-
tains caractères de pays à pays et
même, dans une ville, d'un endroit à
un autre, peut cependant se ramener
à un type général, dont nous indique-
rons brièvement les traits distinctifs
(fig. 16).
Son plan est un rectangle, aux pro-
portions variables, pouvant se composer
d'un vaisseau unique, mais qui, géné-
ralement, est divisé en longueur par
des colonnades formant trois ou cinq
I nefs. Il se termine d'ordinaire par une
abside. Celle-ci s'amorce le plus souvent
sur le rectangle de l'église et correspond
à la nef centrale. Il faut cependant
citer trois basiliques romaines : Saint-
Pierre, le Latran et Saint-Paul hors
les murs, qui possédaient un transept,
c'est-à-dire une nef transversale, placée
entre la colonnade et l'abside.
Du côté de la façade régnait, dans
beaucoup d'églises, un vestibule inté-
rieur parallèle au transept et compris
entre les murs latéraux, par conséquent
à l'intérieur de l'édifice. Au revers de ce vestibule, ou nar-
thex, s'élevait la façade avec sa colonnade, ses grandes
portes, sa rangée de fenêtres hautes. Devant elle, s'éten-
4i • • • • -^ i-
FIG. 16. PLAN DE LA
BASILIQUE DE SAINT-
CLÉMENT.
(D'après Reusens.)
Planche XXV.
I. Intérieur de Saint-Clément (phot. Alinari).
le Rond (phot. Alinari).
2. Saint-Éticnnc
LA BASILIQUE OCCIDENTALE
173
dait l'atrium, bordé de portiques et marqué au centre par
la fontaine des ablutions (cantharus). L'église était mas-
quée, à fleur de rue, par les bâtiments où se trouvaient des
salles de réunion, des communs
et aussi le logement des prêtres .
Tel était le plan ordinaire
des basiliques romaines. Du
dehors, on voyait le vaisseau
central surélevé au-dessus des
bas-côtés et percé d'une rangée
de fenêtres, par lesquelles s'éclai-
rait tout l'édifice. Ce vaisseau
avait comme support à l'inté-
rieur une colonnade surmontée
soit d'une architrave, — ce
qui était de tradition classique,
— soit d'arcades, ce qui dénote,
nous le verrons bientôt, une
influence de l'Orient. La basilique romaine n'était pas
voûtée, mais couverte d'une charpente en bois. L'amorce-
ment des nefs au transept se faisait par de grandes arcades ;
celle du centre porte le nom d'arc triomphal. La toiture
était à double versant sur la nef principale, tandis que les
bas-côtés étaient couverts de toits en appentis, appuyés
aux murs supérieurs, sous les fenêtres hautes. Ainsi était
déterminé le plan de la façade, avec ses rampants latéraux
et, au sommet, son fronton triangulaire (pi. XXIV, i et
XXIV, 2).
Infiniment nombreuses furent les églises de ce genre sous
Constantin; d'où l'on peut conclure qu'il y avait là un orga-
nisme élaboré depuis longtemps déjà, dont la forme exté-
FIG. 17. COUPE DE LA BASI-
LIQUE DE SAINTE-AGNÈS.
(D'après Lemaire.)
174 ÉGLISES ET BAPTISTÈRES
rieure paraissait belle et qui semblait répondre mieux
qu'aucun autre aux nécessités du culte.
Examinons donc comment les formes de la basilique
s'étaient mises d'accord avec les rites liturgiques. Au niveau
de l'abside se trouve la Confession, tombeau souterrain
contenant ossements sacrés ou reliques, au-dessus duquel
s'élève l'autel. Derrière celui-ci, au fond de l'abside, est
placé le trône de l'évêque et le banc circulaire des prêtres
qui l'assistent. Aussi bien toute cette partie de l'église est
réservée au clergé : on l'appelle le presbyterium. Plus en avant,
empiétant sur la nef centrale, se trouve le chœur, entouré
d'une balustrade. Là se placent les clercs des ordres infé-
rieurs, les instrumentistes et les chantres, dont le nombre
eût encombré le presbyterium. Deux hauts pupitres ou
amhons sont élevés à droite et à gauche du chœur, pour ser-
vir, l'un à la lecture de l'épître, l'autre au chant de l'Évan-
gile. Des deux côtés du chœur sont les vierges et les veuves;
puis, dans la nef principale, les exorcistes, acolytes, por-
tiers, enfin, la foule des hommes, tandis que les femmes
occupaient les bas-côtés. Les catéchumènes et pénitents,
devant, au moment de la consécration, évacuer l'église,
étaient relégués dans le narthex (pi. XXV, i) .
Ces dispositions générales ne changèrent pas beaucoup
depuis l'époque de Constantin. On remarquera seulement
qu'au iv® siècle, l'église était généralement orientée de façon
que la porte fût au levant ; l'autel se trouvant placé au
milieu du presbyterium, le prêtre officiait, la face tournée vers
les fidèles. Ce ne fut qu'un siècle et demi après, que cet usage
commença à se transformer et que l'abside fut tournée vers
l'orient. Le changement, effectué rapidement chez les Grecs, ne
fut tout à fait accompli dans l'Église latine qu'au viii® siècle.
LA BASILIQUE OCCIDENTALE 175
En résumé, architecture et liturgie, dès les premières
années du règne de Constantin s'étaient accordées dans le
type basilical, et celui-ci s'était imposé dans toute l'étendue
de l'Empire. Il convient de se demander à la suite de quel
développement heureux la fortune de ce type architecto-
nique s'était étabhe ou, ce qui revient au même, quel modèle
antique il avait imité.
Dans sa forme générale, il ne doit rien à la synagogue,
dont les cérémonies seules exercèrent quelque influence
sur la liturgie chrétienne; rien aux temples païens, que
détestaient les fidèles et qui d'ailleurs n'abritaient point des
assemblées. Les érudits du xvi® siècle, forts du nom de « basi-
lique » et fortifiés dans leur opinion par des similitudes exté-
rieures, pensèrent que les basihques civiles de l'antiquité,
ces halles couvertes qui, sur les forums, servaient de marchés
et de tribunaux, avaient été transformées en églises ; d'où le
nom et la forme des édifices chrétiens. Tout ce que nous
avons dit précédemment des églises domestiques dément
cette théorie. Mais qu'au jour de la liberté, quand les archi-
tectes chrétiens purent accommoder à leur guise les construc-
tions religieuses à la liturgie établie, ils se soient souvenus
des basihques civiles (fig. 18), où la foule s'amassait sans,
gêne, de l'aire allongée de ces halles que des colonnades
divisaient en vaisseaux, du tribunal sur lequel, au fond de
l'édifice, le magistrat entouré de ses assesseurs rendait la
justice, et que de ces dispositions bien connues, ils aient
fait passer quelque chose dans le plan général de la basi-
lique chrétienne : voilà qui paraît assez vraisemblable. Il y
a loin cependant des églises chrétiennes à la basilique civile !
Comme l'abside dans les premières joue un rôle capi-
tal, J.-B. de Rossi émit l'avis que la basilique procédait du
176
ÉGLISES ET BAPTISTÈRES
plan des cellae cimeteriales , ou chapelles souterraines des
catacombes. Mais comment dans un organisme si humble,
si étroit, si sommaire, chercher le modèle d'un édifice vaste
et savant?
L'archéologie moderne part de ce fait que les premières
réunions cultuelles des chrétiens eurent lieu dans des mai-
sons privées et que beau-
coup d'églises, au début, ne
furent que des salles domes-
tiques développées et orga-
nisées en vue des offices reli-
gieux. Il est donc tout na-
turel qu'elle découvre aussi
dans la maison privée les
linéaments primitifs et, pour
ainsi parler, la forme em-
bryonnaire des édifices
construits sous Constantin.
Nous reproduisons ci-
après (fig. 19) le plan d'une
maison patricienne, telle
qu'il en exista beaucoup
à partir du 11® siècle avant
Jésus-Christ et telle qu'en
possédaient certes les chrétiens riches. Dehio ^ eut le mérite
d'indiquer combien V atrium (A), avec les chambres qui
l'accostent, le tahlinum qui lui fait suite, avait de ressem-
blance avec le plan général des basiliques : les colonnes autour
de Vimpluvium (B) suggéraient la division du vaisseau en
FIG. 18.
BASILIQUE DE CONSTANTIN.
(D'après Grisar.)
I. Dehio et von Bezold. Die Kirchliche Baukunst im Abendlande.
LA BASILIQUE OCCIDENTALE
177
nefs; le lanterneau qu'elles supportaient faisait penser
au toit surélevé et à l'éclairage par le haut. Précieuses
indications; mais on peut répondre que l'atrium domes-
tique donna naissance à la cour antérieure de la basi-
lique, au milieu de laquelle la fontaine
des ablutions rappelle l'impluvium.
V. Schulze 1 signala en même temps
que l'atrium le péristyle (C). Celui-ci
était vaste, bien protégé contre les
indiscrétions et les bruits du dehors;
Vœcus ou exèdre (D), au fond, rappelait
de bien près l'abside, et les colonnes,
formant parfois un rectangle allongé,
créaient à peu près la nef centrale et les
bas-côtés. La nécessité de couvrir le
péristyle put amener à construire un
vaisseau surélevé percé de fenêtres -.
Au vrai, il semble bien que les formes
primaires de la basilique procèdent du
péristyle; mais il ne faut pas oublier
qu'il était d'autres modèles, la basili-
que privée notamment (fig. 20), orgueil
des palais, d'un plan tout semblable à celui des églises et
dont il serait étrange qu'on eût emprunté le nom sans s'inspi-
rer de ses dispositions.
Croira-t-on qu'à l'époque de Constantin, quand les chré-
tiens, comme le dit Eusèbe, reconstruisirent des éghses plus
nombreuses, plus vastes et plus belles, on se soit interdit
FIG. 19. PLAN DE LA
MAISON DE PANSA,
A POMPÉÏ.
(D'après Lemaire.)
1. Schulze, Archaeol. d. Christl. Kunst, pp. 42 et suiv.
2. Cette théorie a été développée et fortifiée par M. l'abbé Lemaire, dans
«n article des Annales de la Société d'Archéologie de Bruxelles, 19 10, 3® et
4« liv.
178
ÉGLISES ET BAPTISTÈRES
d'enrichir le nouvel édifice au moyen de toutes les ressources
qu'offraient aux habitudes déjà contractées, à la liturgie
établie, les multiples créations de l'architecture romaine?
On avait le temps, l'argent, la liberté : on en usa. Les
basiliques civiles et privées, les cellae
des cimetières fournirent d'utiles indi-
cations. Le génie personnel des archi-
tectes se donna carrière. Aussi, tout
en reconnaissant dans la maison privée
les éléments fondamentaux du plan
basilical, attribuerons-nous une cer-
taine part d'influence à d'autres cons-
tructions. La basilique constantinienne
est le produit d'adaptations diverses,
intelligemment combinées afin de
répondre à des convenances et à des
nécessités religieuses.
n
1
M
il
i
U
l
il
i
FIG. 20. BASILIQUE
PRIVÉE (HADRIANA).
(D'après Cabrol,
Dict., fig. 1406.)
ces basiliques se
Basiliques de Rome et d'Afri-
que. Dans la fièvre de la délivrance,
multiplièrent comme par enchante-
ment. Elles surgirent en grand nombre à Rome et dans
les provinces, aussi bien en Orient qu'en Occident; mais
on construisit mal. « L'incroyable précipitation, dit Dom
Leclercq, avec laquelle les édifices du premier empereur
chrétien furent élevés amena, en un temps relativement
court, leur ruine à tous 1. » Heureusement, les restaurations
furent faites à temps, dans un esprit d'entière fidélité au
type basilical. En sorte que l'œuvre des architectes constan-
I. Cabrol, Dictionnaire (art. de Dom Leclercq), t. II, i, col. 553.
ROME ET AFRIQUE 179
tiniens est encore sous nos yeux à peu près intact. Seule, la
décoration primitive a immensément souffert. Dom Leclercq
et Kaufmann, dans leurs manuels 1, comptent plus de cin-
quante basiliques édifiées à Rome pendant les premiers
siècles qui suivirent la paix de l'Église. Nous ne ferons que
citer les principales.
La basilique du Latran, construite sous le pontificat de
Sylvestre (314-335), eit devenue méconnaissable, surtout
depuis la reconstruction faite par Borromini sous Innocent X
(1644-1655). La dernière restauration, sous Léon XIII,
acheva de lui faire perdre son caractère primitif.
La basilique vaticane, non moins ancienne que la précé-
dente, a fait place à l'édifice de Bramante et de Michel-
Ange. Heureusement, des dessins ont été conservés qui la
représentent dans son état antérieur au xvi® siècle.
Saint-Paul hors les murs, rebâti en 386 et restauré en
entier au commencement du xii® siècle, fut, jusqu'en 1823,
date à laquelle un incendie le ruina, un des plus magni-
ques modèles de l'architecture chrétienne primitive
(pi. XXIV, i).
Saint-Laurent hors les murs remonte à Sixte III (432-440),
mais sa reconstruction au xiii® siècle l'a passablement
dénaturé (pi. XXIV,2). Sainte-Sabine, au contraire, fondée
en 425, est encore à peu près dans son état originel. Sainte-
Agnès hors les murs (324) a été rebâtie sous Pie IX avec
un grand souci d'exactitude. Mais c'est à Sainte-Marie
Majeure, construite sous le pape Libère (352-356) et rebâtie
au milieu du v® siècle, qu'il faut aujourd'hui chercher
I. Leclercq, Manuel, I, p. 480; Kaufmann, Handbuch, p. 93.
i8o
ÉGLISES ET BAPTISTERES
l'image la plus vraie et aussi la plus majestueuse d'une
grande basilique constantinienne.
Nul pays d'Occident ne peut rivaliser avec Rome pour la
grandeur et la noblesse des
monuments chrétiens primi-
tifs. Rome imposa ses procé-
dés de construction et son
esthétique à l'Italie, à l'Espa-
gne, à la Gaule. Mais il est
une région qui, toute fidèle
qu'elle soit au plan général
que nous avons décrit, l'em-
porte sur Rome par la
variété de ses édifices reli-
gieux. C'est l'Afrique, dont
l'épanouissement artistique
sous Constantin fut merveil-
leux. Ses principales églises
sont à Tigzirt, Tipasa,
Damouz-el-Karita, Matifou
(fig. 21), Tébessa, Lambèse
(fig. 22), villes romaines que
Rome ne put assujettir à ses exemples. Les architectes afri-
cains refusèrent d'adopter le transept et les atria. Au lieu de
dégager l'abside, ils l'encadraient de pièces carrées servant de
sacristies. Les vestibules ordinairement étaient clos. On a pu
dire que les monuments chrétiens de l'Afrique du Nord
ressemblaient plus à ceux de Syrie et d'Egypte qu'à ceux de
Rome. Et c'est pourquoi ils tiennent une place si importante
dans l'histoire de l'architecture chrétienne : ils sont un trait
d'union entre Rome et l'Orient; ils participent de deux
FIG. 21. BASILIQUE DE MATIFOU.
(D'après Cabrol, Dict., fig. 140.)
Planche XXVI.
Intérieur de Sainte-Constance, la voûte annulaire (phot Alinari) .
ROME ET AFRIQUE
i8i
génies opposés, et, libres de traditions trop gênantes,
construits surtout en vue d'une création à la fois belle et
pratique, ils témoignent d'un art très vivant, curieux et
chercheur, susceptible de plus longs
progrès, si l'invasion des Vandales
n'eût arrêté en Afrique le dévelop-
pement de la civilisation.
Mais revenons aux basiliques de
Rome, si heureusement conservées
pour la plupart. Vues du dehors, elles
font une impression satisfaisante,
sans plus. Les matériaux sont de
larges briques superposées en rangs
innombrables, ou des moellons régu-
liers. Parfois les deux appareils sont
réunis. L'usage n'existait pas encore
des revêtements en marbres multi-
colores, mais la façade des grandes
églises était décorée de mosaïques, ce
qui corrigeait son aspect rugueux
et un peu indigent. Parler de la ma-
jesté extérieure des basiliques, de
leur noblesse, serait bien exagéré, car il n'est pas de
noblesse sans fierté; et les formes posément assises de la
basilique n'ont que l'ampleur et la simpHcité. L'ensemble
n'est ni lourd, ni massif, mais il n'a non plus ni force appa-
rente, ni subtile vie. Les grandes lignes de l'édifice accusent
sèchement la régularité de l'espace intérieur sans consacrer
vivement l'énergie de ses membres architectoniques, sans
fondre en harmonie la distribution des masses. Il y a de l'ordre,
mais pas de vie, de l'harmonie si l'on veut, mais pas de
FIG. 22, PETITE BASI-
LIQUE DE LAMBÈSE.
(D'après Cabrol,
DicL, fig. 139.)
i82 ÉGLISES ET BAPTISTÈRES
chaleur. La beauté extérieure de Tédifice provient de sa gra-
vité discrète, d'une certaine grâce modeste qui tient à la
clarté du plan, à la simplicité des lignes, au rapport symé-
trique des parties : souvenirs toujours plus effacés, mais tou-
jours sensibles de la noblesse antique.
En réalité, il faut entrer dans l'édifice pour juger de sa
vraie beauté et rendre justice aux architectes chrétiens.
L'espace, comprimé au-dessus par la couverture en plafond,
s'approfondit au contraire et se répand merveilleusement
dans le sens des vaisseaux, jusqu'à la conque terminale. Il
ne paraît pas immense comme sous la coupole d'un Panthéon
ou d'une Sainte-Sophie, mais les belles lignes droites de l'édi-
fice permettent d'en mesurer la majestueuse étendue. La
colonnade, fuyant au loin, conduit le regard le long de sa
lente architrave, ou bien, par le rythme énergique des
arcades, l'entraîne vers l'autel, qui est le centre vivant de
l'édifice, le point harmonieux qui fait l'objet de toutes les
pensées et pour lequel la basilique tout entière a été conçue.
La vue s'arrête aussi sur les larges surfaces des murs laté-
raux que décorent l'éclat des mosaïques et la richesse des
étoffes teintes; elle s'attarde à considérer le marbre poli des
colonnes, l'ornementation sculptée des chapiteaux, les
ambons de pierre ou de bois, les balustrades (cancelli)
qui entourent le chœur et sont évidées de beaux motifs
ornementaux; elle s'égare dans la pénombre des bas-côtés;
se complaît successivement aux clôtures des fenêtres, faites
de pierre percée à jour, aux dessins du pavement; et
surtout, elle se dirige invinciblement vers l'autel et son dais
rutilant (cihorium), l'arc triomphal et l'abside lointaine, qui,
sous la lumière égale tombant d'en-haut, resplendissent de
tout l'éclat des mosaïques.
ROTONDES. BAPTISTERES 183
Dès lors, Tarchitecture chrétienne s'efforçait de réaliser
son idéal à l'intérieur des basiliques ; dès lors, le dedans était
la condition déterminante du dehors. A ce point de vue, il
n'y a pas de différence entre l'égHse des premiers temps et
la cathédrale élevée par les grands siècles du moyen âge.
ÉGLISES CIRCULAIRES. BAPTISTÈRES. A côté des vastcs basi-
liques, il faut citer à Rome des constructions plus petites,
comme la chapelle du cimetière de Calliste, élevée sous
Sixte II; Sainte-Pétronille, ancien mausolée qu'Honorius
s'était préparé; et, en Afrique, nombre de petites chapelles,
dont l'abside, comme celle des édifices précédents, était de
plan tréflé. C'est là une forme dont l'art d'Occident ne fit
jamais qu'un usage restreint.
Bien plus importants, à tous les points de vue, sont les édi-
fices de plan circulaire ou octogonal : les mausolées de Sainte-
Hélène (Tor Pignattura) et de Sainte-Constance, Saint-
Étienne-le-Rond (pi. XXV, 2), le baptistère du Latran. Cette
forme d'architecture remontait au passé lointain de l'Orient.
Elle était commune dans toutes les villes de l'Egypte, de la
Syrie, de TAsie-Mineure, d'où elle était passée en Grèce.
Quant à Rome, qui possède le modèle le plus achevé des
édifices circulaires, le Panthéon d' Agrippa, reconstruit sous
Adrien, elle n'a point droit à la gloire d'avoir conçu ce
temple grandiose ; on ne lui reconnaît plus que cette autre
gloire de l'avoir construit avec une science consommée. Aux
architectes romains revient l'honneur d'avoir fait un usage
magnifique de la brique et d'avoir jeté sur l'immense
espace une des plus belles voûtes du monde.
Il importe de bien remarquer ceci : la voûte du Panthéon
se compose d'une armature faite de cerceaux maçonnés,
i84 ÉGLISES ET BAPTISTÈRES
noyée dans un blocage d'une concrétion si parfaite, qu'il en
est presque indestructible. C'est, en réalité, un monolithe,
tandis que les coupoles orientales, ainsi que nous le verrons,
sont faites de matériaux appareillés : là est la grande diffé-
rence. Le procédé romain était le plus sûr, mais celui d'Orient
le plus savant. Celui-là avait atteint du premier coup toute sa
perfection et se trouvait incapable d'un développement ulté-
rieur; celui-ci obligea les constructeurs à bien des tâtonne-
ments, mais se trouva susceptible, quand il le fallut, de
fournir solution aux problèmes les plus impérieux de l'archi-
tecture.
L'origine lointaine des églises circulaires de Rome se
trouve donc en Asie-Mineure. On peut affirmer aussi que,
sous Constantin, l'Orient ne cessa de donner en ce genre de
parfaits modèles, tel l'église de VAnastasis, à Jérusalem.
Toutefois, les architectes chrétiens de Rome, en suivant
l'exemple de leurs confrères orientaux, n'avaient pas besoin
de copier leurs œuvres : la Grèce avec ses temples ronds,
Rome avec ces édifices comme le Panthéon et ses mausolées
circulaires, exercèrent une influence notable et immédiate
sur les églises du iv® siècle.
Saint-Étienne-le-Rond, sur le Cœlius, est l'ancien Macel-
lum magnum, le grand marché. Le mausolée dit de Sainte-
Hélène et celui de Sainte-Constance, sur la voie Nomentane,
ont la forme générale des grands monuments funéraires de
Rome. Le dernier se compose d'un tambour à coupole
monolithe reposant par le moyen d'arcades sur des colonnes
géminées, et d'une voûte annulaire, appuyée d'un côté sur
la colonnade intérieure, et de l'autre au mur de pourtour
(fig. 23 et pi. XXVI) . Sa façade se raccordait habilement à la
rotonde,sans l'effacer ni l'alourdir : c'est le modèle des édifices
ROTONDES. BAPTISTERES
185
FIG. 23. PLAN DE SAINTE-
CONSTANCE.
(D'après Grisar.)
chrétiens de plan circulaire, la plus belle contribution de Rome
au système des édifices construits autour d'un axe central.
En ce qui regarde les baptistères, il semble bien que les
chrétiens s'inspirèrent tout d'abord des constructions ther-
males de l'antiquité, des salles
circulaires et voûtées d'une cou-
pole au milieu desquelles se trou-
vait la piscine (Thermes de Cara-
calla). Le baptême se donnant
par immersion, il parut commode
d'adapter les installations du bain
corporel au bain spirituel, qui
constituait le sacrement. Ici et là,
le centre de l'édifice fut marqué
par la piscine, autour de iaquelle
deux plans seuls étaient possibles :
la circonférence et l'octogone,
celui-ci indiqué déjà par des monuments comme le tom-
beau de Dioclétien à Spalato (fig. 24). D'autre part,
comme le baptême n'était conféré depuis Constantin
qu'une fois l'an, à la fête de Pâques; comme le nombre
des baptisands était grand et l'assemblée nombreuse,
on trouva pratiques des dispositions qui permettaient
de masser le public autour de la piscine, sans que
Tordre ni la majesté de la cérémonie en fussent dimi-
nués. Et les deux régions de l'Empire se trouvèrent
d'accord en cette adoption : l'Occident lui sacrifia sa
prédilection pour le plan basiUcal; l'Orient s'y raUia d'autant
plus volontiers que les formes circulaire ou octogonale
correspondaient à ses habitudes de construction et à son
sentiment particulier de l'esthétique.
13
i86
ÉGLISES ET BAPTISTERES
Le baptistère du Latran, qui remonte au règne de Con-
stantin, fut rebâti sous Sixte III (432-440). Il est octogonal,
voûté d'une coupole à huit pans surmontée d'un lanterneau.
Aucun édifice de ce genre, si l'on en juge par d'anciens des-
sins, ne devait être à la fois plus
simple et plus harmonieux ^. Il est
méconnaissable aujourd'hui. Citons
encore en Italie les baptistères de
Nocera, de Cividale (vue siècle), de
Florence (les plus anciennes parties
du baptistère de Florence remontent
aux Goths), de Parenzo (vi® siècle).
Quant aux fameux édifices de Ra-
venne, c'est à propos de l'architec-
ture et de la décoration orientale que
nous en parlerons.
La Gaule avait imité l'Italie. Ses
baptistères octogonaux étaient nom-
breux ; malheureusement, il n'en
FIG. 24. TOMBEAU DE
DIOCLÉTIEN A SPALATO.
(D'après Lemaire.)
reste guère que des ruines.
Conclusion. En somme, une merveilleuse quantité d'édi
fices religieux avaient été élevés sous Constantin et ses suc-
cesseurs à Rome et dans les provinces. On peut dire que
l'architecture chrétienne d'Occident fut d'une admirable acti-
vité; mais elle ne fut pas très féconde, car au type des basi-
liques constantiniennes elle ne fit faire, pendant de longs
siècles, aucun progrès. Héritière directe des meilleures tra-
ditions antiques, elle en tira trop facilement, dirait-on, le .
I. Cabrol, Dictionnaire, II, i, fig. 1326, 1327.
BIBLIOGRAPHIE 187
éléments de ses constructions personnelles. Créatrice à trop
peu de frais, elle cessa trop tôt ses efforts, à ce point que, jus-
qu'à l'époque carolingienne, l'histoire des basiliques et des
baptistères occidentaux est finie. Finie, alors qu'elle venait de
commencer ! Peu de variété dans les églises, point de calculs
subtils, nul esprit de renouvellement et de libre recherche.
Les plus belles basiliques, à tous les points de vue, sont
les plus anciennes. Qu'est-ce à dire, sinon que les architectes
d'Occident, après avoir donné un temple au nouveau culte,
se trouvèrent épuisés d'énergie. L'édifice que les premiers
avaient dressé, leurs successeurs n'eurent pas la force de le
développer en beauté; au contraire, ils le laissèrent choir de
sa dignité primitive. Tout autre fut la fécondité d'esprit
des constructeurs d'Orient.
BIBLIOGRAPHIE. — Sur la basilique antique, voir Mau, article Basi-
lica, dans la Realencyklopaedie de Pauly-Wissowa ; G. Leroux, Bull, de
Correspondance hellénique, 1909, p. 230,
Résumé des discussions sur l'origine de la basilique chrétienne dans
Cabrol, Dictionnaire, article Basilique (Leclercq), t. II, col. 534. Sur ce
sujet, à citer particulièrement : Zestermann, Die antiken und die altchrist-
lichen Basiliken, Leipzig, 1847 (Zestermann nia la transformation des basi-
liques civiles en basiliques chrétiennes) ; G. Dehio et von Bezold, Die
Kirchliche Baukunst des Ahendlandes, in-S», Stuttgart, 1892-1901, atlas
in-folio, 1887; V. ScHULZE, Der Ursprung der abendlandischen Kirchenge-
bauede (Christliches Kunstblatt, 1882) ; Id., Archaeologie der christl. Kunsf,
p. 37 et suiv. ; H. Holtzinger, Kunsthistorische Studien, Tubingue, 1886
(Holtzinger estime que le plan de l'église basilicale procède du plan général
de la basilique civile) ; Id., Altchristliche und Byzantmische Baukunst,
3® édition, Leipzig, 1908; Kraus, Geschichte der christlichen Kunst, l
(influence des appartements de luxe de la maison) ; Crostarosa, Le basi-
liche christiane, Rome, 1892, et Kirsch., Das christliche Kultusgebauede im
AUertume, Cologne, 1893 (influence de la basilique privée); Witting, Die
Anfaenge der christlichen Architektur, Strasbourg, 1902; L. Bréhier, Les
Basiliques chrétiennes, in- 16°, 64 p., Paris, 1905 (excellent résumé de la
question) ; L. Cloquet, l'Art chrétien monumental (Revue de l'Art chrétien.
i88 ÉGLISES ET BAPTISTÈRES
1905) î C. Enlart, L'Architecture chrétienne en Occident, avant l'époque
romane (Histoire de l'Art d'A. Michel), Paris, 1905.
Sur les églises de plan circulaire et baptistères :
W. Altmann, Die italischen Rundbauten, Berlin, 1906; voir aussi sous le
mot Baptistère, l'article deLeclercq é2JisCKBT^oi.,Dictionnaire d'archéologie
chrétienne. Cf. Bibliographie de l'architecture chrétienne en Orient.
UHistoire de l'architecture d'Aug. Choisy, nouv. édition, Paris, 1903,
pour avoir vieilli, n'en reste pas moins un livre précieux à consulter. Sur les
basiliques de Rome : O. Marucchi, Eléments d'archéologie chrétienne,
vol. III (les Basiliques), Rome, 1903; Grisar, op. cit., vol. I. Sur les monu-
ments d'Afrique ; Stéph. Gsell, op. cit., vol. II.
TABLE DU TOME I
Pages
Avertissement 5
Introduction.
Diffusion du christianisme. L'Apostolat. Le christianisme et
l'État. L'Église et le peuple. La civilisation antique. L'EgUse
et l'art. Le sort des chefs-d'œuvre. L'art religieux. Les doc-
teurs et les images. L'art chrétien primitif. Occident et
Orient 9
L'ART CHRÉTIEN PRIMITIF EN OCCIDENT
L'Art des Catacombes.
Chapitre Premier. — Notions générales et définitions.
Origines des catacombes. Les cimetières privés. Le cime-
tière corporatif de CaUiste. Le statut légal des cimetières
chrétiens. Sort des cimetières pendant certaines persécu-
tions. Les catacombes après l'édit de Milan. Descriptions
des galeries cimétériales 35
Chapitre II. — Technique de la peinture ciraétériale. Prin-
cipes de composition. Voûtes et panneaux. Ornements et
motifs de décoration. Le plafond de la crypte de Lucine. Les
Saisons au cimetière de Prétextât 49
Chapitre III. — Naissance du symboHsme chrétien. Le sym-
boUsme dans les représentations de la nature. Les Saisons.
La vigne. Les types antiques. Eros et Psyché. Orphée. Les
sujets bibUques et la liturgie funéraire 59
iço TABLE DU TOME I
Chapitre IV. — Symboles nouveaux et proprement chrétiens :
l'ancre, la palme, la colombe, l'agneau, le tau, le chrisme.
Le navire et le phare. Le bon Pasteur et le cycle pastoral.
L'orante, ses divers sens. Le Paradis et ses caractères. Le
banquet céleste et le bonheur des élus 73
Chapitre V. — Christologie. Les miracles du Christ et les
prières chrétiennes. Le Poisson, sa signification. Le pain et
le vin. La fresque du cimetière de Lucine. La fraction du
pain et le banquet des agapes. L'aliment mystique. Etudes
des banquets représentés aux catacombes. La Vierge. Sacre-
ments. L'art et le beau dans la peinture des catacombes . . 91
Statues et Sarcophages.
Chapitre VI. — La statuaire et les catacombes. Pourquoi
il n'y eut pas de statues dans les cimetières. Le groupe de
Panéas. La statuaire après la paix de l'Eglise. Le bon Pas-
teur du Latran, son caractère et ses origines. La statue de
saint Hippolyte au Musée du Latran. Le saint Pierre du
Vatican : v^ ou xiii^ siècle? Statuettes. Fin de la statuaire
antique 117
Chapitre VII. — Les sarcophages. Généralités. Origines et his-
toire des sarcophages chrétiens. Leur fabrication dans les
atehers. Classification générale des sarcophages. Chronolo-
gie. Sujets neutres. Ornements et symboles. Le bon Pasteur
et les scènes champêtres. Style épisodique. Compositions
uniques. Type architectural. Double bandeau. Décadence
de la composition et de la technique 129
Chapitre VIII. — Iconographie des sarcophages. Survivance
des symboles primitifs. Les paons, les cerfs, l'aigle. Le
phénix et l'agneau. Les allégories bibliques. Miracles du
Sauveur. Les saints. L'Introduction. Les apôtres. Pierre et
Paul. Pierre et Moïse. Les évangélistes. Questions de
méthode. L'interprétation théologique 149
TABLE DU TOME I 191
Eglises et Baptistères.
Chapitre IX. — Les églises domestiques. Edifices antérieurs
à Constantin. La basilique occidentale et son origine, ses rap-
ports avec les églises domestiques, les cellae cimiteriales ,
la basUique publique et privée. Les principales basiliques
de Rome; leurs dispositions intérieures. Esthétique. Eglises
circulaires et baptistères. Conclusion 167
»
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Art et archéologie.
LES TAPISSERIES DES MUSÉES ROYAUX DU CINQUAN-
TENAIRE, à Bruxelles, par J. Destrée et P. Van den Ven.
Un volume in-80 (22 x 17) contenant 44 planches et texte.
Prix : fr. 5.00.
L'ORFÈVRERIE RELIGIEUSE EN BELGIQUE, depuis le
xvie siècle jusqu'à la Révolution française; poinçons, évolu-
tion des formes, par F. et A. Crogy. Un volume in-8o (22 X 17)
illustré de 40 planches.
LES CHEFS-D'ŒUVRE DES MAITRES FLAMANDS. Ont
paru dans cette collection les volumes suivants : Memling;
Roger Van der Weyden; Quentin Massys; Jordaens;
les VAN Eyck; Breughel. Chaque maître forme un volume
in-32 contenant 30 planches. Prix : fr. 0.75.
L'ART CHRÉTIEN PRIMITIF, par Marcel Laurent. Deux
volumes in- 12 carré (20 14 X ^4) illustrés de 166 gravures en
planches hors texte, 50 dessins et plans. Prix : reliés per-
caline, fr. 10.00.
LES DENTELLES A L'AIGUILLE, par Ant. Carlier. Une
brochure petit in-40 illustrée de 50 gravures. Prix : fr. 2.75.
LES DUCHESSES ANCIENNES ET MODERNES, par Ant. Car-
lier. Une brochure petit in-40 illustrée de 61 gravures et
2 planches. Prix : fr. 2.50.
Architecture.
DOCUMENTS D'ART MONUMENTAL DU MOYEN AGE.
Architecture, sculpture, ferronnerie, par Vincent Lenertz,
architecte. Un volume in-40 contenant 50 planches coloriées
en phototypie dans un portefeuille. Prix : fr. 35.00,
LES ORIGINES DU STYLE GOTHIQUE EN BRABANT, par
Raymond Lemaire. I^e PARTIE, U Architecture romane.
Un volume in-80 (22 X 17) illustré de 200 gravures d'après
photographies, dessins, plan, etc. Prix : fr. 10.00.
LES ORIGINES DE LA BASILIQUE, par Raymond Lemaire.
Un volume in-S» (22 X 17) illustré de nombreuses photogra-
phies, plans, etc.
Archéologie égyptienne,
LES DÉBUTS DE L'ART EN EGYPTE, par Jean Capart. Un
volume in-8o raisin de 316 pp. illustré de 192 gravures d'après
photographies et d'après dessins. Prix : fr. 12.50.
L'ART ÉGYPTIEN. Choix de documents accompagnés d'indi-
cations bibliographiques, par Jean Capart. Deux volumes
in 8° (23 X 17) contenant chacun 100 planches. Chaque volume
se vend séparément. Prix : fr. 10.00.
CHOIX DE MONUMENTS ÉGYPTIENS, de la Glyptothèque
Ny-Carlsberg à Copenhague, par Valdemar Schmidt. Un
volume in-i2 illustré de 173 gravures. Prix : cartonné, fr. 7.50.
LES PAPYRUS DÉMOTIQUES des Muses royaux du Cinquan-
tenaire à Bruxelles, par Wilhelm Spiegelberg. Un volume
in-40 contenant 32 pages de texte (en allemand) illustré et
7 planches en fac-similé. Prix : cartonné, fr. 15.00.
RECUEIL DE MONUMENTS ÉGYPTIENS, par Jean Capart.
Première série, contenant 50 planches in-folio en phototypie et
100 pages de texte explicatif avec tables. Prix : en portefeuille,
fr. 40.00. Deuxième série, contenant 49 planches en phototypie
et une planche en couleurs avec texte descriptif et tables.
Prix : en portefeuille , fr. 40.00.
UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH. Reproduction et
description de trois monuments funéraires datant de l'Ancien
Empire égyptien, par Jean Capart. Deux volumes illustrés
de 107 planches. Prix : reliés, fr. 75.00.
MUSEUM MUNTERIANUM. Collection de stèles égyptiennes
conservées à la Glyptothèque Ny-Carlsberg à Copenhague, par
Valdemar Schmidt. Un volume in-40 contenant 6 planches et
50 pages de texte. Prix : cartonné, fr. 15.00.
CHAMBRE FUNÉRAIRE DE LA Vie DYNASTIE, aux Musées
royaux du Cinquantenaire à Bruxelles, par Jean Capart. Un
volume in-40 de 26 pages et 5 planches hors texte. Prix : car-
tonné, fr. 12.50.
L'ART ET LA PARURE FÉMININE dans l'ancienne Ég5rpte, par
Jean Capart. Un volume in-S» de 36 pages illustré de nom-
breuses gravures. Épuisé.
LES PALETTES EN SCHISTE de l'Egypte primitive, par Jean
Capart. Un brochure in-80 de 26 pages. Prix : fr. 2.50.
Littérature. Romans.
LA CITÉ ARDENTE, par Henry Carton de Wiart. Roman histo-
rique. Édition de luxe, illustrée de 55 aquarelles d'Amédée
Lynen, reproduites en fac-similé, coloriées à la main. Tirage
limité à 500 exemplaires numérotés. Prix : fr. 25.00.
LES GENS DE TIEST, par Georges Virrès. Un volume in-12,
Prix : fr. 3.50.
L'INCONNU TRAGIQUE, par Georges Virrès. Un volume in-12.
illustré de 25 dessins de F. Beauck. Prix : fr. 3.50.
LIÉGEOISE IDYLLE, par M. Bodeux. Un volume in-12. Prix :
fr. 3-50-
LES DOUCES EMPREINTES, par A.-Th. Rouvez. Un volume
in-12. Prix : fr. 3.50.
ON JOUERA LA COMÉDIE, par Chantemerle. Un volume
in-12. Prix : fr. 3.50.
LES MARTYRS DE LA GLÈBE, par Victor De Brabandêre.
Un volume in-12. Prix : fr. 2.50.
LE DIT D'UN PRINTEMPS, par P. Gérard. Un volume in-12.
Prix : fr. 3.00.
CARILLONNAGES, par L. Humblet, S. J. Un volume in-12.
Prix : fr. 3.50.
IMPRESSIONS DE LITTÉRATURE CONTEMPORAINE, par
Firmin Van den Bosch. Un volume in-12. Prix : fr. 3.50.
Voyages,
QUINZE JOURS EN EGYPTE, par Fernand Neuray. Un
volume in-12 illustré de 36 planches hors texte. Couverture
en couleurs. Prix : fr. 3.50.
VERS LE SPHINX en passant par Vienne, Schœnbrun, Budapest,
Belgrade, Bucarest, Constanza, Constantinople, Smyrne,
Athènes, Alexandrie, Le Caire, Les Pyramides, Le Sphinx,
Memphis, Messine, Naples, par Marcel Angenot. Un volume
in-12. Prix : fr. 2.50.
AILLEURS ET CHEZ NOUS, par Georges Virrês. Un volume
in-12. Prix : fr. 2.50.
Religion.
ADORO TE DEVOTE, sive preces, meditationes et exercitia ante
et post missam, par E.-J.-B. Jansen, des Frères prê-
cheurs. Deux volumes in- 18 contenant ensemble 884 pages.
Prix : fr. 7.50.
EXAMEN CLERI, par E.-J.-B. Jansen. Un volume in-i8 de
326 pages. Prix : fr. 2.50.
CASUS CONSCIENTIAE, par P. V., S. J. Trois volumes in-80.
Prix : fr. 17.00.
LE CATÉCHISTE ÉDUCATEUR suivi d'un supplément théolo-
gique, par l'abbé Jules Collin. Un volume in-i8 de 248 pages.
Prix : fr. 1.50.
VADE MECUM DU CHRÉTIEN, par le Rév. P. Z. Gravez, S. J.
Lettre préface du P. Ch. Clair, S. J. Un volume format de poche
(i2 X 7 ^) reliure souple. Prix : Percaline gaufrée, tranche
dorée, fr. i .00 ; cuir anglais, coins arrondis, tranche rouge sous
or, 1.90; mouton poli, gros grain, dentelle or tranche dorée,
fr. 2.85; chagrin noir, i^^ choix, tranche dorée, fr, 3.60,
GLANES PIEUSES. Choix de prières à l'usage des dames et des
jeunes filles chrétiennes, par le Rév. P. Z. Gravez, S. J, Même
format, mêmes reliures et mêmes prix que le Vade Mecum.
GERBE CHRÉTIENNE. Choix de prières et dévotions à l'usage
des gens du monde, cueillies dans la liturgie, les orateurs sacrés
et les auteurs ascétiques, par Z. Gravez, S. J. Un vol. in-32
(16 X 7). Prix : Percaline gaufrée tranche dorée, fr. 1.40; cuir
anglais, coins arrondis, tranche rouge sous or, fr. 2.25; mouton
poli, ornements or, tranche dorée, fr. 3.40; chagrin noir.
i^r choix, tranche dorée, fr. 4.25; maroquin du Cap, coins
arrondis, tranche dorée, fr. 6.00.
LE LIVRE DE MA PREMIÈRE COMMUNION. I. Entretiens
sur la première communion, par M.^^ Léon Gautier; IL Priè-
res pour le grand jour; III. Prières pour tous les jours, par le
P. Z. Gravez, S. J. Un volume in-i8 illustré de 258 composi-
tions de Louis Titz et imprimé en trois couleurs. Broché
fr. 3.00; Relié en maroquin du Cap, tranche rouge sous or,
gardes spéciales, fr. : 12.00.
Divers.
LE JUBILÉ NATIONAL 1905, par A.-Th. Rouvez. Un volume
in-40, illustré de nombreuses gravures et planches. Prix : 25.00.
BARÈME DE NOMBRES, pour l'établissement des comptes-
courants de banques et les calculs d'escompte en général, par
Jean Antoine. Tableaux donnant en une seule recherche
et sans le secours de la plume, les produits des multiphcations
de toutes les sommes, depuis i jusqu'à 60,000 unités, par tous
les nombres de jours de l'année. Un volume grand in-40 de
740 pages. Prix : fr. 30.00.
BARÈME D'INTÉRÊTS. Complément au Barème de nombres,
par Jean Antoine. Tableaux donnant, en une seule recherche
et sans le secours de la plume, les intérêts correspondant à
tous les nombres, depuis i jusqu'à 100,000, à tous les taux
usités : I %, I V4 %' I V2 %. I 3/4 %» 2 % et ainsi de suite
jusqu'à 10 %. Un volume grand in-40 de 45 pages. Prix : 4.00.
RÉDUCTEUR DE LA LIVRE STERLING ET DE SES DÉRI-
VÉS EN FRANCS, par Jean Antoine. Tableaux donnant,
en une seule recherche et sans le secours de la plume, les pro-
duits en francs et centimes de toutes les sommes de monnaie
anglaise, depuis i shelling jusqu'à 20,000 livres sterling, à tous
les cours probables, soit de 24,97 à 25.40, à l'intervalle de
^ centime. Un volume grand in-40de 180 pages. Prix : fr. 10.00.
Périodiques.
REVUE CONGOLAISE publiée sous la direction d'Aug. Declercq,
E. De Jonghe, V. Denyn, A. Vermersch. Paraît tous les 3 mois
en fascicules illustrés de 100 à 125 pages. Un an, Belgique
8 francs. Etranger 10 francs.
ANNALES DE LA SOCIÉTÉ D'ARCHÉOLOGIE DE BRU-
XELLES. Chaque année forme un fort volume in-80 raisin
de 300 pages illustré de nombreuses gravures. Prix : fr. 16.00.
BULLETIN DES MÉTIERS D'ART. Revue mensuelle. L'abon-
nement annuel : Belgique fr. 10.00. Etranger fr. 12.00.
TABLE ALPHABÉTIQUE PAR NOMS D'AUTEURS
Pages
Angenot. Vers le Sphinx 2.50 5
Annales de la société d'ar-
chéologie DE Bruxel-
les, 16.00 7
Antoine. Barème de nom-
bres, 30.00 6
Barème d'intérêts, 4.00 ... 7
Réducteur de la livre ster-
ling, 10.00 7
BoDEUX. Liégeoise Idylle, 3.50 4
Bulletin des Métiers d'art,
10.00 7
Capart, Art ég3^ptien, 10.00 . . 3
Art et parure féminine 4
Chambre funéraire de la
Vie Dynastie, 12.50 .... 4
Débuts de l'Art en Egypte,
12.50 3
Palettes en schiste, 2.50 4
Recueil de monuments égyp-
tiens, 2 volumes. 80.00 . . 3
Rue de Tombeaux à Saq-
qarah, 75.00 3
Carlier. Dentelles à l'aiguille,
2.75 2
Duchesse anciennes et mo-
dernes, 2.50 2
Carton de Wiart. Cité arden-
te, 25.00 4
Casus Conscientiae, 17.00. . 5
Chantemerle. On jouera la
Comédie, 3.50 4
Chefs-d'œuvre des maîtres
flamands, chaque vol. 0.75 2
Collin. Catéchiste éducateur,
i;50 • 5
Crooy. L'Orfèvrerie religieuse
en Belgique 2
De Brabandêre. Martyrs de la
Glèbe, 2.50 4
Destrée et Van den Ven.
Tapisseries des Musées du
Cinquantenaire, 5.00 .... i
Gautier {M^^ Léon). Livre de
ma Première Communion . 6
Pages.
GÉRARD. Le dit d'un prin-
temps, 2.50 4
Gravez. Gerbe chrétienne ... 6
Glanes pieuses 6
Livre de ma Première
communion 6
- Vade Mecum 6
HuMBLET. Carillonnages, 3.50 5
Jansen (R. p.) Adoro te, 7.50 5
Examen cleri, 2.50 5
Laurent. Art chrétien primi-
tif, 10.00 2
Lemaire. Les Origines de la
Basilique 2
Les Origines du style gothi-
que, 10.00 2
Lenertz. Documents d'Art
monumental du moyen
âge, 35.00 2
Neuray. Quinze jours en Egyp-
te, 3.50 5
Revue Congolaise, 8.00 .... 7
Rouvez. Douces Empreintes,
3.50 4
Jubilé national, 25.00 6
ScHMiDT. Choix de Monuments
égyptiens, 7.50 3
Muséum Munterianum, 15.00 3
Spiegelberg. Papyrus démoti-
ques, 15.00 3
Van den Bosch. Impressions
de littérature contempo-
raine, 3.50 5
Van den Gheyn. Cronicques
et Conquestes de Charle-
maine, 20.00 i
Histoire de Charles Mar-
tel, 20.00 I
Livres d'Heures attribués à
Jacques Coene, 15.00. ... i
Van den Ven (Voir Destrée).
ViRRÈs. Ailleurs et chez nous,
2.50 5
Gens de Tiest, 3,50 4
Inconnu tragique, 3.50 ... . 4
I
THE INSTITUTE OF WEDIAFVAL STUDitS
10 ELP^flSLEY PLACE
TORONTO o, CANADA,
301