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Full text of "L'art chrétien primitif"

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University  of  Toronto 


http://www.archive.org/details/lartchrtienpri01laur 


L'ART  CHRÉTIEN  PRIMITIF 

TOME  I 


191  I 


L'ART  CHRÉTIEN 
PRIMITIF 

PAR    MARCEL   LAURENT 

Professeur  d'Histoire  de  l'Art,  à  l'Université  de  Liège 


TOME  I 


VROMANT   &   e,    ÉDITEURS 

RUE  DES  PAROISSIENS,  24,   BRUXELLES 
RUE   DANTE,   5,    PARIS 


ERRATA 

Page  135,  fin  du  premier  paragraphe,  lire  :  Enfin,  l'inscription 
reste  :  ni  la  place  qu'elle  occupe,  ni  la  mauvaise  qualité  de  son 
exécution  ne  prouvent  le  remploi  du  sarcophage. 

Page  158,  ligne  22,  au  lieu  de  :  les  élèves,  lire  :  les  élus. 

Page  176,  ligne  i,  au  lieu  de  :  cimeteriales ,  lire  :  cimiteriales. 

ÎHE  1N8TITUTE  OF  MEDÎAEVAL  STUDIES 

10  ELN^.SLEY  PLACE 

TOROI-iTO  5,  CANADA, 

KOV  1 A  1B31 

I30f 


AVERTISSEMENT 

Le  petit  ouvrage  que  nous  publions  est  le  développement 
d'une  série  de  leçons    élémentaires  faites  à  un  auditoire 
où  se  mêlaient  des  étudiants  et  des  gens  du  monde.  Les  pre- 
miers désiraient  une  initiation  générale  aux  études  d'archéo- 
logie chrétienne,  et  certains  se  proposaient  même  de  tenter 
par  la  suite  des  recherches  personnelles  sur  le  même  sujet; 
les  seconds  ne  répugnaient  pas  à  l'érudition  archéologique, 
à  condition  que  celle-ci  ne  fût  point  décourageante  et  servît 
à  montrer  le  développement  de  l'art.  A  tout  prendre,  il  n'y 
avait  rien  de  contradictoire  entre  les  désirs  des  uns  et  les 
besoins  des  autres  ;  l'auteur  de  ces  lignes  essaya  de  satisfaire, 
du  mieux  qu'il  put,  ses  deux  catégories  d'auditeurs.  De  là 
est  né  ce  livre,  qui  n'a  pas  de  prétention  à  être  savant,  mais 
dans  lequel  on  a  cherché  à  exposer  sommairement  l'état 
de  la  science  sur  les  problèmes  les  plus  importants  de  l'art 
chrétien  primitif;  qui  n'est  pas  une  «  somme  »  condensée 
de  renseignements  archéologiques,  mais  où  l'on  s'est  efforcé 
de  mettre  en  lumière  ce  qui  était  le  plus  utile  à  connaître, 
tant  pour  aborder  des  études  personnelles  que  pour  acqué- 
rir, sur  la  période  d'art  étudiée,   des  notions  assez  com- 
plètes. Le  public  auquel  nous  nous  adressons  ressemble,  par 
sa  composition,  à  l'auditoire  qui  nous  écouta  :  avons-nous 
eu  tort  de  penser  que  cela  justifiait  la  publication  de  notre 
livre  et  le  caractère  que  nous  avons  tenu  à  lui  donner? 


6  AVERTISSEMENT 

C'est  l'histoire  de  l'art  chrétien,  non  l'archéologie  chré- 
tienne, à  proprement  parler,  que  nous  étudions  :  c'est  pour- 
quoi les  descriptions  tiennent  dans  nos  chapitres  une  large 
place,  comme  aussi  les  considérations  purement  esthétiques. 
Nous  nous  plaisons  à  croire,  cependant,  que  l'archéologie  n'a 
cessé  d'inspirer  tout  ce  que  nous  avons  écrit.  C'est  ainsi  que 
nous  n'avons  pas  reculé  devant  l'exposé  de  bien  des  ques- 
tions où  l'érudition  joue  le  premier  rôle,  ayant  à  cœur,  il 
est  vrai,  de  conserver  à  cet  ouvrage  de  vulgarisation  son 
caractère  élémentaire,  mais  soucieux  aussi  de  ne  pas  duper 
nos  lecteurs  par  une  apparente  simplicité.  Les  opinions  que 
nous  défendons  sont  exprimées  parfois  sous  une  forme 
catégorique  :  c'est  là  une  nécessité,  car  qui  enseigne  doit 
souvent  prendre  position,  sous  sa  responsabilité.  Nous 
espérons  seulement  ne  pas  avoir  abusé  des  affirmations  de 
certitude.  Au  surplus,  la  bibliographie  a  été  rédigée  de  façon 
que  le  lecteur  pût  y  trouver  sans  peine  les  éléments  d'une 
documentation  diverse  et  complète. 

Nous  tenons  à  reconnaître  tout  le  profit  que  nous  avons 
tiré  des  articles,  manuels  ou  traités  récents  de  Dom  Leclercq, 
de  Pératé,  de  Kaufmann,  de  Millet,  de  Diehl,  le  Manuel 
d'art  byzantin  de  ce  dernier  ayant  paru,  alors  que  nous  cor- 
rigions nos  épreuves.  Grâce  à  des  concours  bienveillants, 
nous  avons  pu  joindre  au  texte  une  illustration  abondante. 
Les  maisons  Brogi  et  Alinari,  de  Florence,  Anderson,  de 
Rome,  Ricci,  de  Ravenne,  ont  fait  preuve,  envers  nous, 
d'une  grande  générosité.  L'éditeur  Herder,  de  Fribourg,  a 
bien  voulu  nous  mettre  à  même  de  reproduire  un  certain 
nombre  de  sujets  des  catacombes,  d'après  les  aquarelles  qui 
illustrent  les  Malereien  de  Mgr  Wilpert  ;  M.  Strzygowski, 
l'éminent  professeur  de  Gratz,  nous  a  généreusement  permis 


AVERTISSEMENT  7 

d'utiliser  certaines  planches  de  son  ouvrage,  Orient  oder 
Rom;  Miss  Gertrude  Lowthian  Bell  eut  l'amabilité  de 
mettre  à  notre  disposition  plusieurs  des  photographies  par 
lesquelles  elle  illustra  le  récit  de  ses  voyages  si  remar- 
quables et  si  fructueux  en  Asie-Mineure.  M.  Mille t,  à  qui 
beaucoup  de  travailleurs  doivent  de  la  reconnaissance,  tant 
à  cause  de  ses  travaux  que  de  sa  grande  libéralité  scienti- 
fique, nous  a  ouvert  le  trésor  de  documentation  photogra- 
phique de  l'École  des  Hautes  Études.  Que  tous  veuillent 
bien  recevoir  ici  l'expression  de  notre  reconnaissance  ! 

Nous  adressons  enfin  nos  plus  vifs  remerciements  à 
MM.  Vromant  &  C*®,  qui  ont  mis  tous  leurs  soins  à  présenter 
au  public  des  volumes  d'une  exécution  irréprochable  et  qui 
ont  été  ainsi,  pour  nous,  de  véritables  collaborateurs. 

Bruxelles,  le  31  octobre  1910. 


N 

Nr.V 


INTRODUCTION 


Diffusion  du  Christianisme.  L'apostolat.  Le  Christianisme  et  TÉtat. 
L'Église  et  le  peuple.  La  civilisation  antique.  L'Église  et  l'art.  Le  sort 
des  chefs-d'œuvre.  L'art  religieux.  Les  docteurs  et  les  images.  L'art 
chrétien  primitif.  Occident  et  Orient. 


Diffusion  du  Christianisme.  Dès  la  fin  du  premier 
siècle,  le  christianisme  s'était  propagé  dans  la  majeure 
partie  de  l'Empire  romain.  A  la  différence  des  religions 
orientales  et  du  judaïsme,  il  entendait  se  communiquer  à 
tous  et  rallier  à  lui  la  foi  universelle.  Tandis  que  les  cultes 
venus  d'Egypte  ou  d'Asie-Mineure  se  répandaient  d'eux- 
mêmes,  et  comme  au  gré  du  hasard,  par  des  colonies  de 
marchands,  des  groupes  de  soldats  ou  d'esclaves;  que  le 
judaïsme  mettait  la  plus  grande  circonspection  dans  son 
prosélytisme  et,  ainsi,  restreignait  de  propos  délibéré  sa 
propagande,  le  christianisme  se  donnait  pour  mission  essen- 
tielle de  convertir  et,  par  là,  sauver  le  monde. 

Il  était  intransigeant  :  lui  seul  avait  le  dépôt  de  la  vérité 
absolue  et  pouvait  enseigner  les  moyens  du  salut.  Toutes  les 
autres  doctrines,  avec  leurs  cultes,  leurs  rites,  leurs  sacrifices, 
étaient  menteuses,  il  les  tenait  pour  des  œuvres  du  démon 
et  leur  déclarait  la  guerre.  Dieu  seul  était.  A  lui  seul  reve- 
naient de  droit  l'adoration  et  l'obéissance.  Et  il  fallait  croire 
au  Christ,  fils  de  Dieu,  venu  sur  terre  pour  sauver  les  hommes. 


10  INTRODUCTION 

11  fallait  écouter  sa  doctrine,  suivre  ses  exemples,  observer 
ses  préceptes.  C'était  la  condition  indispensable  du  bonheur 
d'outre-tombe. 

Une  telle  doctrine  était  pleine  de  rigueur,  si  on  la  compare 
à  la  tolérance  mutuelle  des  cultes  antiques,  vivant  pacifi- 
quement côte  à  côte.  C'est  que  ces  derniers  pouvaient 
s'opposer  sans  se  combattre,  se  distinguer  formellement  sans 
s'interdire.  Chacun  d'eux,  en  effet,  affichait  sur  ses  rivaux 
une  supériorité  manifeste  :  ses  dieux,  prétendait-il,  étaient 
les  plus  puissants,  ses  rites  et  ses  formules  les  plus  salutaires. 
Mais  ils  ne  se  vouaient  point  pour  cela  à  la  destruction.  Ils 
semblaient  plutôt  se  partager  l'œuvre  commune  du  salut 
humain  par  delà  le  tombeau,  et  la  notion  de  l'apostolat,  par 
une  conséquence  toute  naturelle  de  cet  état  de  choses,  leur 
était  inconnue. 

Au  contraire,  la  position  radicale  que  le  christianisme 
avait  prise  lui  commandait  de  repousser  tout  ce  qui  aurait 
eu  l'apparence  d'un  pacte  avec  l'idolâtrie.  Puisqu'il  affirmait 
représenter  la  vérité  entière  et  la  certitude  absolue  ;  puisqu'il 
attestait  agir  en  vertu  d'un  mandat  divin,  il  était  astreint  à 
tirer  de  ces  principes  de  strictes  conséquences  :  il  devait  con- 
sidérer comme  un  devoir  de  combattre  sans  merci  le  scep- 
ticisme, l'impiété,  la  superstition,  toutes  les  formes  d'ado- 
ration étrangères  à  la  sienne,  et  de  propager  sans  relâche  la 
doctrine  indispensable  au  salut.  Il  fut  animé  à  la  fois  de 
haine  et  d'amour,  d'intransigeance  et  de  charité;  quand  il 
le  fallut,  il  sut  se  prêter  à  des  adaptations  habiles,  et 
l'apostolat,  cette  forme  chrétienne  du  prosélytisme,  fut 
l'instrument  au  moyen  duquel  il  conquit  le  monde  à  sa 
doctrine. 

L'Évangile  se  répandit  d'abord  en  Judée  et  en  Syrie,  où 


DIFFUSION  DU  CHRISTIANISME  ii 

il  resta  pénétré  de  particularisme  juif.  Paul  fut,  une  fois 
converti,  son  plus  actif  propagateur.  On  l'entendit,  doc- 
teur et  missionnaire,  à  Tarse,  à  Éphèse,  à  Damas,  à  Antio- 
che,  d'où  la  «  bonne  nouvelle  »  gagna  le  lointain  Orient.  Il 
fut  à  Athènes,  à  Corinthe,  mère  des  Églises  de  Grèce,  et  ses 
efforts  tendirent  désormais  beaucoup  plus  à  convaincre  les 
gentils,  anxieux  d'une  nouvelle  espérance,  qu'à  persuader 
les  Juifs,  obstinément  attachés  à  la  Loi.  Rome  même  devint 
un  foyer  de  christianisme  :  une  tradition  unanime  de  toutes 
les  Églises  au  ii®  siècle  voulait  que  Pierre,  le  prince  des  Apô- 
tres, y  eût  prêché  et  y  fût  mort. 

Ainsi,  la  religion  chrétienne  se  répandait,  au  lendemain 
même  de  la  mort  de  Jésus,  de  l'Orient  à  l'Occident. 

La  paix  qui  régnait  dans  tout  l'Empire  rendait  les  com- 
munications faciles.  Les  routes  étaient  nombreuses.  Et  sur- 
tout, la  dispersion  des  Juifs,  accomplie  depuis  longtemps, 
avait  préparé  les  voies  à  la  diffusion  du  christianisme. 

Les  missionnaires  chrétiens  allaient  prêchant  de  syna- 
gogue en  synagogue.  Ils  n'avaient  point  renoncé  à  l'espoir 
de  transformer  le  judaïsme  ou,  du  moins,  de  l'amener  à  des 
transactions  amicales,  et,  d'autre  part,  les  Juifs  considé- 
raient encore  les  disciples  du  Christ,  quoique  dissidents, 
comme  des  coréhgionnaires.  Partout  donc  où  s'étaient  éta- 
blis les  enfants  d'Abraham,  sur  les  côtes  de  la  mer,  le  long 
des  chaussées  et  des  fleuves,  dans  toutes  les  régions  qui 
vont  de  l'Euphrate  au  Tibre,  la  doctrine  chrétienne  fut 
prêchée  et  opéra  des  conversions. 

Mais  bientôt,  les  fidèles  observateurs  de  la  Loi  s'émurent. 
Les  synagogues  repoussèrent  les  prédicateurs.  Sous  le  règne 
de  Néron,  le  divorce  entre  les  deux  confessions  s'annonça. 
Et  tandis  qu'Israël  se  repliait  sur  lui-même  dans  un  isole- 


12  INTRODUCTION 

ment  farouche,  l'Église  —  déjà  l'on  pouvait  donner  ce  nom 
à  l'ensemble  des  communautés  chrétiennes  —  précisa  sa  foi, 
fixa  sa  discipline,  organisa  sa  hiérarchie  et  voua  tous  ses 
efforts  à  Tévangélisation  des  païens. 

Convaincre  les  païens  instruits  de  la  vanité  des  anciens 
dieux,  c'était  une  œuvre  facile,  car,  sur  ce  sujet,  les  philo- 
sophes de  la  Grèce  avaient  tout  dit.  Les  apologistes  ne  firent 
que  répéter  leurs  arguments  et,  forts  d'une  telle  autorité, 
ruinèrent  sans  peine  un  prestige  déjà  bien  ébranlé.  Beaucoup 
de  lettrés  et  de  patriciens  restèrent  sceptiques,  estimant 
qu'en  dehors  de  la  philosophie,  il  n'y  avait  que  superstition  ; 
mais  tous  ceux  que  tourmentait  l'inquiétude  religieuse  se 
rallièrent  facilement  à  une  doctrine  qui  mettait  dans  la  vie 
une  haute  morale,  du  dévouement,  de  la  pitié,  et  qui,  sur- 
tout, adoucissait  la  mort  par  un  espoir  inébranlable. 

Aussi  bien,  la  philosophie  platonicienne,  rayonnant 
d'Alexandrie,  avait  préparé  un  grand  nombre  d'esprits  à 
l'intelligence  d'une  religion  à  la  fois  mystique  et  spécu- 
lative; d'un  autre  côté,  les  cultes  orientaux,  ceux  d'Isis, 
de  Mithra,  de  Cybèle  phrygienne,  avaient  adultéré  la 
religion  traditionnelle,  et  en  transformant  les  rites,  en 
donnant  pour  but  à  la  piété  le  salut  de  l'âme  après  la 
mort,  avaient  du  même  coup  affaibli  le  pouvoir  de  résis- 
tance du  paganisme  gréco-romain  et  favorisé  l'apostolat 
chrétien.  Toutes  les  classes  de  la  société  furent  ainsi  péné- 
trées. On  peut  dire  qu'au  moment  où  Constantin  prit 
position  en  faveur  de  l'Éghse,  celle-ci  triomphait  déjà 
dans  la  majeure  partie  de  l'Empire.  Mais  avant  cela,  que 
d'obstacles  elle  avait  dû  vaincre  ! 

A  la  foule,  il  fallait  persuader  que  ses  divinités,  d'où 
qu'elles  fussent,  étaient  sans  vertu;  que  le  Christ  seul  possé- 


DIFFUSION  DU  CHRISTIANISME  13 

dait  le  pouvoir  de  protéger,  de  récompenser  et  de  punir.  C'est 
là,  en  réalité,  ce  qui  retarda  considérablement  les  progrès 
du  christianisme,  car  la  piété  populaire  ne  se  nourrit  pas 
de  hautes  pensées  :  elle  demande  des  preuves  de  puissance 
et  des  gages  d'intérêt.  Les  déshérités,  ceux  que  méprisaient 
les  hommes  et  que  le  ciel  semblait  abandonner,  furent 
des  recrues  vite  persuadées;  mais  la  foule  du  peuple,  naïve 
et  convaincue,  s'émut  de  colère  quand  elle  apprit  le  zèle  et 
le  succès  de  ces  chrétiens,  ardents  à  détruire  ses  divinités 
tutélaires.  Elle  se  jugea  frustrée,  et  on  la  vit  applaudir  aux 
premières  persécutions. 

D'autre  part,  un  grand  nombre  de  citoyens,  encore  que 
dédaigneux  des  choses  de  rehgion,  estimaient  que  le  respect 
des  dieux  était  nécessaire  à  la  sauvegarde  des  institutions, 
au  maintien  de  l'ordre  social.  L'intolérance  des  chrétiens 
pour  tout  ce  qui  regardait  les  offrandes,  les  prières,  les 
sacrifices,  leur  paraissait  déraisonnable  en  soi  et  néfaste 
dans  ses  conséquences.  Qu'on  adorât  Jupiter,  Isis,  la  déesse 
phrygienne  ou  le  Christ,  peu  leur  importait,  pourvu  qu'on 
ne  refusât  pas  le  sacrifice  et  l'hommage  à  la  seule  divinité 
qui  fût  réelle  à  leurs  yeux  :  la  Patrie  romaine,  dont  l'empe- 
reur était  la  suprême  incarnation.  Pourquoi  ne  pas  s'asso- 
cier à  l'apothéose  décernée  après  leur  mort  aux  régents  de 
l'Empire?  Pourquoi  ne  pas  reconnaître  le  symbole  divin  des 
aigles?  C'était,  en  un  certain  sens,  nier  Rome  et  sa  supérieure 
essence. 

Et  pourtant,  le  chrétien  ne  pouvait  se  rendre  à  ces  invites 
sans  trahir  les  principes  de  sa  foi.  On  devait,  selon  la  parole 
du  Maître,  rendre  à  Dieu  ce  qui  est  à  Dieu,  à  César  ce  qui 
est  à  César.  Il  offrait  donc  à  l'empereur  son  dévouement,  ses 
services,  ses  prières,  sa  vie  même,  s'il  en  était  besoin;  mais 


14  INTRODUCTION 

quand  le  pouvoir  entendait  régir  les  consciences,  exiger  les 
sacrifices,  imposer  les  rites,  il  refusait  obstinément  d'obéir  i 
ce  n'était  plus  le  droit  de  César. 

Ainsi  le  conflit  devint  inévitable  entre  l'Église  et  l'État. 
On  tint  les  chrétiens  pour  mauvais  citoyens,  ennemis  de 
l'Empire,  impies  et  révolutionnaires.  La  foule,  égarée  par 
de  fausses  rumeurs,  les  accusa  de  pratiques  odieuses  :  ils 
n'étaient  pas  seulement  la  peste  de  l'Empire,  c'étaient 
encore  les  «  ennemis  du  genre  humain  )>. 

Il  n'en  fallait  pas  tant  pour  qu'ils  fussent  mis  au  ban  de 
la  société  et,  souvent,  cruellement  persécutés.  Au  reste,  les 
mesures  de  violence  arrivaient  trop  tard.  Quand  l'attention 
fut  attirée  sur  eux  et  qu'on  les  considéra  comme  un  danger 
social,  ils  étaient  déjà  trop  nombreux  pour  être  détruits.  Ils 
avaient  essaimé  dans  tout  le  monde  méridional.  Unis  entre 
eux  par  la  fraternité  de  l'âme,  soutenus  par  l'espoir  des  éter- 
nelles récompenses,  ils  se  fortifièrent  dans  la  persécution. 
Les  poursuites  dont  ils  étaient  l'objet  devant  les  magis- 
trats leur  permirent  de  se  justifier.  On  apprit  à  connaître 
en  même  temps  leur  doctrine  et  leurs  vertus.  La  calomnie 
fut  confondue,  la  haine  fut  souvent  désarmée.  Les  bour- 
reaux, comme  il  arrive  toujours,  provoquèrent  la  sympa- 
thie envers  les  victimes.  C'est  ainsi  que  le  sang  versé  fut 
une  semence  de  chrétiens. 

L'apostolat  ne  produisit  jamais  plus  de  fruits  qu'aux  épo- 
ques de  persécution.  Et  tant  furent  nombreux  les  prosé- 
lytes que,  dès  le  ii®  siècle,  il  y  avait  au  sein  du  monde 
antique  une  véritable  société  chrétienne,  réglant  selon  des 
principes  nouveaux  ses  rapports  avec  l'État,  imposant  à 
ses  membres  un  code  de  devoirs  et  d'usages  dont  la  source 
principale  était  l'enseignement  du  Christ  et  de  ses  apôtres. 


DIFFUSION  DU  CHRISTIANISME  15 

Sans  doute,  les  moralistes  païens  avaient  constitué  un 
trésor  de  préceptes  que  l'Église  adopta;  sans  doute,  les  lois 
avaient  habitué  déjà  les  masses  au  respect  d'autrui;  mais  la 
notion  même  du  devoir  fut  transformée,  puisqu'elle  trouva 
désormais  sa  raison  dans  les  ordres  de  Dieu,  et  sa  sanction 
dans  le  jugement  qui  récompense  ou  punit  l'homme  après  sa 
mort.  Les  règles  de  morale  dépendant  étroitement  des  règles 
de  foi,  elles  régirent  bien  plus  qu'avant  toute  l'activité 
sociale  et  s'imposèrent  avec  une  rigueur  inouïe.  Une  nouvelle 
conscience  se  forma,  dont  l'idéal  était  la  sainteté,  c'est-à- 
dire  la  perfection  de  l'âme,  la  pureté  dans  les  mœurs,  la  cha- 
rité dans  les  œuvres,  l'amour  de  Dieu  et  des  hommes  poussé 
jusqu'à  l'héroïsme.  Il  s'en  fallut  de  beaucoup  que  les  com- 
munautés chrétiennes  donnassent  toujours  un  si  admirable 
exemple  (Grisar,  I,  p.  54),  mais  l'idéal  n'en  était  pas  moins 
proclamé,  et  c'était  en  son  nom  que  le  christianisme  entre- 
prit la  réformation  de  la  société  païenne. 

Pour  cette  œuvre  de  transformation,  beaucoup  de  pru- 
dence était  nécessaire,  car  les  usages  sont  plus  tenaces  que 
les  idées.  On  eût  compromis  par  un  rigorisme  excessif  le 
succès  des  conversions.  A  quoi  eût  servi  de  conquérir  les 
intelligences,  si  l'on  avait  rendu  trop  difficile  la  pratique 
ordinaire  de  la  vie?  N'était-ce  pas  assez  de  combattre  des 
croyances  et  des  sentiments  invétérés,  de  pHer  à  une  disci- 
pline étroite  la  liberté  de  l'esprit  et  les  mouvements  du 
cœur?  N'eût-ce  pas  été  courir  un  grand  péril,  surtout  dans 
les  régions  qu'avait  pénétrées  la  civihsation  gréco-romaine, 
de  battre  en  brèche  tant  d'habitudes  sociales  qu'un  usage 
séculaire  avait  enracinées  et  qui,  sans  relever  d'une  inspi- 
ration bien  conforme  à  l'esprit  chrétien,  ne  heurtaient  de 
front  ni  la  foi,  ni  la  morale?  Il  est  vrai  qu'un  certain  nombre 


i6  INTRODUCTION 

de  philosophes  chrétiens  se  montrèrent  intraitables;  mais 
les  membres  dirigeants  de  l'Église,  et  notamment  ces  dia- 
cres romains  qui,  au  ii®  siècle,  furent  recrutés  parmi  le  trou- 
peau des  hellénisés,  ne  suivirent  jamais  leurs  traces.  Intran- 
sigeants quand  il  s'agissait  de  cérémonies  idolâtriques  ou 
de  spectacles  licencieux,  ils  devenaient  accommodants  quand 
il  fallait  adapter  aux  mœurs  traditionnelles  la  discipline 
religieuse.  A  mesure  que  le  nombre  des  chrétiens  s'accrut, 
ils  précisèrent  leur  attitude.  Ils  distinguèrent  les  principes  de 
leur  application,  les  préceptes  rigoureux  des  conseils  donnés 
en  vue  de  la  perfection;  ils  surent  interpréter,  au  profit 
de  la  conciliation  sociale,  des  paroles  dont  le  sens  rigoureux 
eût  révolté  les  enfants  de  la  Grèce  ou  de  l'Italie.  Incons- 
ciemment peut-être,  ils  s'adaptèrent  au  milieu.  Ils  donnèrent 
et  reçurent  à  la  fois.  Et  pour  n'avoir  point  rompu  avec  le 
grand  passé,  ils  assurèrent  la  durée  du  christianisme  dans 
l'avenir. 

L'ÉGLISE  ET  l'Art.  Ainsi  fut  respecté  le  goût  des  arts, 
étranger  aux  Juifs,  mais  qui,  dans  la  société  gréco-romaine, 
s'était  identifié  avec  la  vie.  L'art  était  inséparable  de  la 
religion,  qui  lui  demandait,  depuis  des  siècles,  des  statues, 
des  tombeaux  et  des  temples.  Il  avait  peu  à  peu  trans- 
formé les  cités,  enrichi  les  palais,  embelli  les  maisons.  Il  n'y 
avait  pas  jusqu'aux  plus  humbles  objets  de  la  vie  quoti- 
dienne qui  ne  lui  dussent  une  élégance  singulière.  Quelle 
position  allait  prendre  l'Église  à  son  égard  ?  Il  importe  de 
distinguer  ici  entre  l'art  qui  s'était  rendu,  aux  yeux  des 
chrétiens,  complice  de  l'idolâtrie,  et  celui  qui  n'avait  d'autre 
objet  que  de  rendre  la  vie  plus  agréable  à  vivre.  Le  premier, 
par  définition,  était  condamné.  Temples  et  statues,  pour  les 


L'ÉGLISE  ET  L'ART  17 

fidèles,  étaient  repaires  d'erreurs,  habitations  des  démons. 
Et  ces  peintures  qui,  dans  les  monuments  publics  ou  privés, 
racontaient  les  histoires  des  dieux,  elles  étaient  immorales 
ou  impies;  un  chrétien  ne  pouvait  en  tolérer  même  la  vue. 
Tel  était  le  sentiment  de  réprobation  contre  les  idoles,  que 
leur  beauté  devenait  indifférente,  sinon  coupable. 

A  lire  les  Pères  du  11®  siècle,  —  époque  de  lutte  ardente 
contre  le  paganisme,  —  on  croirait  inévitable  la  totale 
destruction  des  statues  et  des  temples.  Ce  ne  sont  pas  seule- 
ment de  barbares  Africains,  comme  Tatien  et  Tertullien,  qui 
vouent  au  saccage  les  plus  belles  productions  de  l'art  grec. 
Clément  d'Alexandrie,  tout  pénétré  qu'il  est  de  culture 
classique,  ne  pardonne  pas  aux  arts  plastiques  d'avoir 
représenté  les  dieux  et  des  spectacles  impurs.  Ils  sont  pro- 
fanés. Leurs  œuvres  sont  maudites.  Le  feu  du  ciel  lui-même 
les  accuse  et  en  purge  la  terre.  Clément  rappelle  avec  joie  les 
catastrophes,  incendies  et  tremblements  de  terre  qui  ont 
frappé  des  temples.  «  Et  ces  choses,  dit-il  aux  païens,  vous 
ont  été  rapportées  comme  une  préface  de  celles  que  le  feu 
nous  promet  ^.  »  Lactance,  malgré  le  sens  affiné  qu'il  a  du 
beau,  n'est  pas  moins  intraitable  :  les  statues  des  dieux, 
qu'elles  soient  de  Polyclète,  d'Euphranor  ou  de  Phidias, 
«  sont  de  grandes  poupées  adorées  non  par  de  petites  filles 
à  qui  l'on  pourrait  le  pardonner,  mais  par  des  hommes  bar- 
bus )).  Que  le  jour  vienne  donc  de  la  victoire  sur  l'Antéchrist, 
elles  seront  livrées  au  feu  ^,  Il  semblait  que  la  beauté 
antique,  comphce  involontaire  de  l'idolâtrie,  allait  être 
immolée. 


1.  Clem.  Alex.,  Cohortatio  ad  Genfes,  ch.  XVI. 

2.  Lact.,  Div.  inst.,  II,  4,  13,  et  III,  19,  9  (éd.  Brandt), 


i8  INTRODUCTION 

Cette  opinion  se  confirme  quand  on  parcourt  les  édits 
impériaux  rendus,  contre  les  idoles,  par  les  empereurs  chré- 
tiens. Constantin  fit  fermer  les  temples.  Théodose  les  con- 
damna à  être  détruits,  en  même  temps  que  les  statues  de 
divinités.  Honorius,  renouvelant  les  décrets  paternels, 
enjoignait  d'anéantir  les  temples...  «  s'il  en  existe  encore  », 
croyait-il  devoir  ajouter. 

De  fait,  au  jour  du  triomphe  de  l'ÊgUse,  les  monuments 
païens  eurent  beaucoup  à  souffrir,  surtout  dans  les  provinces, 
où  l'on  peut  signaler  des  explosions  de  fanatisme.  Saint 
Augustin,  notamment,  dut  modérer  le  zèle  iconoclaste  de 
ses  chrétiens.  Mais,  tout  compte  fait,  malgré  tant  de  décla- 
rations passionnées,  malgré  la  rigueur  littérale  des  édits,  la 
victoire  définitive  .du  christianisme  n'entraîna  nulle  catas- 
trophe artistique.  Le  paganisme,  tout  vaincu  qu'il  était, 
conservait  des  fidèles  assez  nombreux,  assez  puissants,  pour 
qu'on  tînt  compte  de  leurs  droits.  Les  édits  des  empereurs 
n'avaient  pour  objet,  semble-t-il,  que  d'afhrmer  le  principe 
de  la  religion  d'État  et  de  décourager  les  païens  trop  tenaces. 
Le  faste  impérial  tint  également  à  préserver  les  trésors  du 
passé  et  à  favoriser  les  beaux-arts,  en  vue  de  son  propre 
éclat.  D'un  autre  côté,  l'exaspération  des  chrétiens  se  calma, 
en  sorte  qu'une  destruction  aveugle,  comme  celle  du  Séra- 
peum  d'Alexandrie,  sous  Théodose,  reste  aux  yeux  de  l'his- 
torien un  fait  isolé,  dû  à  des  causes  accidentelles.  En  règle 
générale,  les  chefs-d'œuvre  de  Rome  et  des  principales 
villes  restèrent  intacts.  Les  temples,  fermés,  non  démolis, 
demeurèrent  comme  des  témoins  du  triomphe  chrétien;  les 
statues  de  marbre  et  de  bronze,  transportées  sur  les  marchés 
et  les  places  publiques,  déchues,  mais  non  brisées,  contri- 
buèrent encore  à  l'ornement  des  cités. 


L'ÉGLISE  ET  L'ART  19 

Mais  une  autre  question  se  pose,  bien  plus  importante  : 
c'est  de  savoir  si  l'Église,  désormais  libre  de  ses  actes  et 
vivant  au  grand  jour,  allait  engager  l'art  au  service  du 
Christ,  ainsi  que  les  religions  antiques  l'avaient  fait  pour 
leurs  divinités;  si  la  maison  du  Seigneur  allait  faire  revivre, 
sous  une  autre  forme,  les  magnificences  des  temples  aban- 
donnés? Il  importe  de  distinguer  encore  et  d'observer,  en  ce 
sujet,  une  grande  prudence.  Car  les  théories  des  Pères, 
même  les  plus  révérés,  ne  répondent  pas  toujours  à  l'opinion 
moyenne  de  la  communauté.  Au  surplus,  telle  opinion  qui 
s'exprimait  avec  intransigeance  au  temps  de  la  persécution 
se  fût  peut-être  modifiée  quand  l'Église  triompha.  Il  ne 
faut  pas  oublier  enfin  qu'un  apologiste  parlait  un  langage 
différent  suivant  qu'il  disputait  contre  les  païens,  ou  qu'il 
s'entretenait  avec  ses  frères. 

Ceci  posé,  on  peut  affirmer  que  l'usage  prévint  la  critique 
et  qu'il  y  eut  des  images  chez  les  chrétiens  avant  qu'on  se 
fût  demandé  si  leur  existence  même  était  légitime.  Les  mai- 
sons des  fidèles  riches  étaient  décorées  de  peintures.  Les 
fresques  des  catacombes  ne  sont  pas  moins  anciennes  que 
les  livres  canoniques  de  l'Église.  Elles  prouvent  que,  du  jour 
où  l'Église  se  sépara  de  la  Synagogue,  elle  regarda  comme 
un  devoir  de  décorer  les^  tombeaux,  selon  l'usage  accou- 
tumé. 
■Sa  conduite,  sur  ce  point  particulier,  paraît  indépendante 
de  toute  opinion  philosophique.  Elle  ne  varia  pas,  pendant 
les  quelque  quatre  siècles  que  furent  fréquentées  les  cata- 
combes. Et  si,  nonobstant,  des  Pères  comme  Tertullien, 
Origène,  Clément  d'Alexandrie,  réprouvent,  ainsi  que  les 
Juifs,  les  métiers  de  sculpteurs  et  de  peintres,  on  n'en  peut 
rien  conclure,  sinon  que  leur  opinion  n'était  pas  celle  des 


20  INTRODUCTION 

communautés,  à  l'esprit  moins  élevé,  mais  aux  tendances 
plus  pratiques  :  leur  voix  ne  fut  pas  écoutée. 

De  même  qu'on  avait  décoré  les  tombeaux,  on  décora  les 
lieux  de  réunion;  non  seulement  les  basiliques  construites 
après  l'avènement  de  Constantin,  mais  encore  les  oratoires 
cimétériaux  et  les  églises  urbaines,  dont  des  textes  nombreux 
attestent  l'existence,  avant  la  paix  de  l'Église.  Chose  remar- 
quable, les  mêmes  écrivains  que  nous  avons  entendus  exé- 
crer les  idoles  et,  avec  elles,  les  œuvres  de  l'art  antique  glo- 
rifient aussi  les  chrétiens  de  ne  posséder  ni  autels,  ni  temples, 
ni  statues.  Ils  décrivent  un  culte  épuré,  abstrait,  où  les 
représentations  matérielles  n'ont  point  de  place.  «Est-ce  que 
chez  les  chrétiens,  s'écrie  Origène,  l'esprit  de  tout  homme  juste 
n'est  pas  un  autel?  Les  vrais  sacrifices,  les  vrais  parfums,  ne 
sont-ce  pas  les  prières  qui  s'élèvent  d'une  conscience  pure? 
Les  statues  et  les  ex-voto  agréables  à  Dieu  ne  sont-ce  pas 
les  vertus,  dont  la  forme  et  la  beauté  sont  dues  au  verbe  de 
Dieu  et  dont  le  modèle  est  dans  le  premier-né  de  toute  créa- 
ture i  ?»  —  «Vous  pensez,  dit  Minucius  Fehx,  que  nous  cachons 
l'objet  de  nos  adorations,  parce  que  nous  n'avons  ni  tem- 
ples, ni  autels.  Mais  quelle  statue  ferai- je  à  Dieu,  quand 
l'homme  lui-même  est  le  simulacre  de  Dieu?  Quel  temple 
lui  construire,  quand  tout  l'univers,  œuvre  de  ses  mains,  est 
incapable  de  le  contenir?  Et  j'irais,  dans  un  seul  petit  édi- 
fice, trop  étroit  pour  moi,  l'enfermer,  lui,  avec  tant  de  puis- 
sance et  tant  de  majesté  ^  ?...  »  Amobe  et  Lactance  tiennent 
le  même  langage.  Qu'est-ce  à  dire?  Ou  bien  les  rites  des  deux 
premiers  siècles  étaient  très  différents  de  ce  qu'ils  devinrent 


1.  Orig.,  Contra  Celsum,  liv.  5,   ch.  VIII,  17. 

2.  Min.,  Octavius,  c.  X,  éd.  Halm. 


L'ÉGLISE  ET  L'ART  21 

dans  la  suite,  ou  bien  les  apologistes  jouaient  sur  les  mots 
pour  rendre  leurs  arguments  plus  décisifs.  En  réalité,  il  faut 
tenir  compte  des  deux  raisons  1. 

Dès  le  II®  siècle,  les  chrétiens  avaient  leurs  temples, 
leurs  églises,  et  ces  édifices  sacrés  étaient  décorés.  On  y 
voyait  vraisemblablement  des  peintures  analogues  à  celles 
des  cimetières.  Une  image  fréquente  devait  être  celle 
du  Bon  Pasteur,  symbole  complet  de  foi,  d'espérance,  de 
charité,  et  que  nul  n'avait  jamais  critiquée.  Toutefois,  des 
abus  ne  tardèrent  pas  à  se  manifester.  La  piété  populaire  a 
des  raisons  que  la  philosophie  ni  la  théologie  ne  connaissent. 
Il  est  manifeste  que  des  représentations  trop  concrètes 
de  la  divinité  excitèrent  le  courroux  des  Pères  et  encou- 
rurent le  blâme  de  l'Église.  Ce  fut  au  point  qu'au  concile 
d'Elvire  (Espagne),  en  306,  il  fut  formellement  défendu  de 
peindre,  sur  les  parois  intérieures  des  églises,  des  images  de 
piété  :  ne  quod  colitur  et  veneratur,  in  parietihus  depingatur. 
Mesure  locale,  accidentelle,  mais  qui  prouve,  quoi  qu'on 
en  ait  dit,  avec  quelle  sévérité  il  avait  été  nécessaire 
d'intervenir.  De  même,  saint  Augustin  s'élève  contre  des 
représentations  figurées  dans  la  maison  du  Seigneur.  Elles 
sont  indignes  de  Dieu,  s'écrie-t-il. 

On  devine  que  le  peuple  illettré  et  les  sectes  tendaient  à 
remplacer  les  idoles  par  des  images  non  moins  matérielles, 
et  que  la  partie  la  plus  intellectuelle  de  l'Église  s'opposait  à 
ce  mouvement  spontané  de  toutes  ses  forces.  Même  la  figure 
du  Christ,  à  la  fois  Dieu  et  homme,  fut  regardée  par  certains 

I.  Sur  les  rites  chrétiens  des  deux  premiers  siècles,  les  autels,  la  notion 
du  sacrifice,  voir  Wieland,  Mensa  und  Confessio,  Munich,  1906.  (Thèse 
de  la  faculté  de  théol.  cath.  de  Munich.)  —  Contradictions  de  Minucius 
Félix,  voir  Dom  Leclercq,  Manuel  d'archéologie  chrétienne,  I,  p.  407. 


22  INTRODUCTION 

comme  peu  respectueuse.  Saint  Épiphane,  dans  un  accès 
d'indignation,  déchira  en  l'église  d'Anablata,  en  Asie- 
Mineure,  un  voile  où  était  figuré  le  Christ  :  «  Mieux  valait 
faire  de  l'étoffe  un  vêtement  pour  les  pauvres  i.  »  Le  fait 
fut-il  dû  à  un  excès  de  rigueur?  La  représentation  offrait-elle 
un  caractère  inconvenant?  Il  semble  surtout  qu'une  école 
de  philosophes  et  de  docteurs,  dans  l'Église  primitive,  dési- 
rait restreindre  les  prérogatives  de  la  peinture  religieuse, 
n'exprimer  la  divinité  et  tout  ce  qui  lui  touche  que  par  les 
symboles  usités  tout  d'abord  dans  les  catacombes. 

Mais  combien  les  arguments  de  ces  austères  esprits 
devaient  compter  peu  pour  les  chrétiens  qui  connurent, 
-après  les  longs  jours  humiliés,  la  gloire  de  l'Église  sous  le 
nouveau  règne  !  Les  vastes  basiliques,  dès  l'avènement  de 
Constantin,  s'élevèrent  de  toutes  parts,  requérant,  pour 
répondre  à  la  majesté  du  plan,  la  beauté  du  décor.  L'exemple 
des  martyrs  était  là  pour  justifier  un  tel  usage.  Et  quand 
partout  le  Christ  vainqueur,  le  Christ  sauveur,  le  Christ  à 
qui  l'on  devait  le  triomphe  sur  la  terre  et  les  promesses 
d'une  infinie  félicité  dans  le  ciel,  était  glorifié,  comment 
aurait-on  pu  persuader  à  la  piété  du  peuple  qu'il  était  inter- 
dit de  représenter  son  image  et  qu'il  ne  pouvait  être  adoré 
que  sous  des  formes  mystérieuses? 

Aussi,  en  dépit  des  textes  formels  de  l'Ancien  Testament 
et  des  craintes  d'idolâtrie,  le  Christ  emplit  de  sa  figure 
majestueuse  l'espace  agrandi  des  absides,  il  régna  en  maître 
sur  l'étendue  des  basiliques.  De  plus,  le  même  temps  vit  se 
développer  le  culte  de  la  Vierge,  celui  des  Saints  surtout, 
dont  le  rôle  d'intercesseurs  se  précisa  et  vers  qui  se  tourna 

I.  Cf.  Kraus,  Geschichte  d.  christl.  Kunst,  I,  p.  62. 


L'ÉGLISE  ET  L'ART  23 

fervemment  la  dévotion  populaire.  Grâce  à  eux,  les  petites 
divinités  locales  étaient  évincées.  Leurs  représentations 
peuplèrent  le  saint  lieu  :  la  cause  des  images  était  gagnée. 

Quoi  qu'aient  dit  depuis  les  docteurs  ennemis  des  repré- 
sentations matérielles,  de  l'historien  Eusèbe  à  Érasme  de 
Rotterdam,  malgré  les  assauts  des  iconoclastes  byzantins, 
les  scrupules  d'Alcuin  et  de  Charlemagne,  les  reproches  des 
réformateurs  protestants,  les  peuples  du  Midi  et  de  l'Orient 
gardèrent  toute  leur  affection  aux  images  de  piété. 

Le  bas-relief  ne  fut  pas  moins  en  honneur,  parmi  les  chré- 
tiens, que  la  peinture.  Il  servit  à  la  décoration  des  sarco- 
phages. Quant  à  la  statuaire,  outre  que  la  religion  ne  l'eût 
pas  adoptée  sans  gêne,  à  cause  du  souvenir  des  idoles  et  de 
l'argument  que  cela  eût  fourni  aux  païens,  elle  était  d'une 
technique  difficile  dont  les  secrets  s'oublièrent  peu  à  peu;  le 
besoin  ne  s'en  faisait  nullement  sentir.  Elle  ne  compte  pour 
presque  rien  dans  l'éclosion  d'art  chrétien  du  iv^  siècle. 

On  peut  conclure  de  tout  ce  qui  précède  que  l'art 
antique  ne  fut  pas  arrêté  en  son  développement  par  le 
triomphe  du  christianisme.  Il  faisait  partie  intégrante  de 
la  civilisation;  il  répondait  à  un  besoin  profond,  non  à 
un  goût  passager.  Tandis  qu'il  poursuivait  sa  carrière  à 
travers  les  événements  et  les  hommes,  il  rallia  les  chrétiens, 
en  passant. 

A  partir  du  11®  siècle,  pour  choisir  une  date  approximative, 
il  y  eut  un  art  chrétien  et  un  art  païen,  mais  ils  ne  différaient 
l'un  de  l'autre  que  par  le  choix  des  sujets.  C'était  le  souffle 
antique  qui  les  animait  tous  deux.  Et  le  paganisme  put 
mourir  :  l'art  antique  lui  survécut.  Il  n'entra  en  sommeil 
qu'à  la  fin  de  la  période  romane,  quand  le  génie  du  Nord 
donna  une  expression  originale  à  la  pensée  chrétienne. 


24  INTRODUCTION 

L'esthétique  même  des  premiers  chrétiens  resta  celle  que 
Platon  et  Aristote  avaient  formulée.  Elle  reposait  sur  la 
nécessité  d'imiter  la  nature  et  sur  l'identité  du  beau  et  du 
bon,  sans  l'union  desquels  il  n'est  pas  de  chef-d'œuvre. 
De  ce  dernier  point,  Lactance  alla  jusqu'à  faire  la  démon- 
stration sur  chaque  partie  du  corps  humain  i.  Clément 
d'Alexandrie  ne  craignit  point  d'en  appliquer  le  principe  à 
l'animal,  même  à  la  plante,  «  dont  la  beauté,  dit-il,  réside 
dans  la  vertu  »  2.  Saint  Augustin,  montant  plus  haut, 
faisait  résider  le  beau  dans  l'unité;  mais  l'unité  absolue 
n'est  qu'en  Dieu.  L'homme  doit  se  résigner  à  n'apprécier 
que  le  convenable,  seule  beauté  dont  l'infirmité  de  sa  nature 
lui  permette  la  jouissance. 

Conséquemment,  il  faut  imiter.  «  La  nature  est  l'arché- 
t3^e,  dit  Théodoret,  l'art  le  simulacre.  »  En  somme,  l'ensei- 
gnement esthétique  de  l'antiquité  restait  celui  de  la  nouvelle 
religion.  Mais  comme  l'art  chrétien  était  régi  par  une  morale 
scrupuleuse,  comme  son  but  était  d'exprimer  l'âme  pour 
aviver  la  foi,  on  conçoit  facilement  que,  sans  rompre  avec 
les  règles  antiques  du  dessin  et  de  la  composition,  il  ait 
changé  d'idéal.  Il  eut  le  goût  du  symbole,  le  don  de  l'intelli- 
gence, par  quoi  fut  remplacé  trop  tôt,  d'une  façon  trop 
exclusive,  l'amour  de  la  forme  pure  et  vraie. 

D'ailleurs,  il  faut  dire  que  les  circonstances  furent  souvent 
plus  fortes  que  les  volontés.  La  sculpture  et  la  peinture,  cul- 
tivées avant  tout  pour  leur  emploi  décoratif,  changèrent 
nécessairement  d'aspect.  Elles  embeUissaient  de  bas-reUefs, 
de  fresques,  de  mosaïques   la  maison  du  Seigneur;  mais,  en 


1,  Lact.,  De  opificio  Dei,  v.  surtout  ch.  ii. 

2.  Clem.  Alex.,  Paedagogus,  II,  ch.  xii,  p.  121,  3-4  éd.  Stahlin. 


L'ART  CHRÉTIEN   PRIMITIF  25 

vue  de  leur  fonction  ornementale,  tributaires  déjà  de  l'archi- 
tecture et  soumises  à  ses  lois,  elles  renonçaient  à  exprimer 
fidèlement  la  vie  véritable.  Il  faut  compter,  de  plus,  avec  les 
peuples  nouveaux,  convertis  au  christianisme,  dont  la  cul- 
ture artistique,  toute  primitive,  était  totalement  étrangère 
à  celle  des  Romains.  On  comprend  qu'ils  n'aient  point 
adopté  les  procédés,  les  sujets,  les  types  de  l'antiquité  clas- 
sique sans  les  transformer  notablement. 

Enfin,  l'art  gréco-romain  s'épuisa  d'énergie  non  par  la 
faute  des  chrétiens,  mais  selon  la  fatalité  des  lois  natu- 
relles, par  le  fait  d'avoir  si  longtemps  vécu,  d'avoir  produit 
tant  d'œuvres  variées  au  cours  d'une  longue  évolution.  Il 
ne  se  défendit  que  mollement,  à  partir  de  Constantin, 
contre  la  décadence  des  techniques  et  les  transformations 
auxquelles  un  esprit  nouveau  soumettait  son  idéal.  Quand 
tout  se  transformait  autour  de  lui,  les  esprits,  les  consciences, 
les  institutions,  il  restait  incapable  de  se  rajeunir.  Il  cessa 
de  créer  par  lui-même  et,  désormais,  régna  par  le  prestige 
du  souvenir  et  de  la  gloire. 

L'Art  chrétien  primitif.  L'ensemble  des  œuvres  chré- 
tiennes exécutées  sous  l'empire  immédiat  des  traditions 
antiques  est  désigné  sous  le  nom  d'Art  chrétien  primitif. 
Le  terme  est  commode  parce  qu'il  est  vague  et  que,  tout 
en  datant  les  œuvres  d'une  façon  suffisante,  il  ne  préjuge 
en  rien  de  leurs  caractères  distinctifs.  Il  indique  l'époque, 
variable  suivant  les  pays,  où  l'art,  voué  aux  sujets  chré- 
tiens, n'a  encore  rompu  avec  les  anciennes  disciplines 
ni  au  point  de  vue  de  l'exécution,  ni  au  point  de  vue  des 
conceptions  esthétiques.  Il  indique  même,  si  l'on  veut, 
un  certain   nombre  de  caractères  communs    à    toutes    les 

3 


26  INTRODUCTION 

œuvres  et  qui  tiennent  également  à  l'emploi  des  tech- 
niques et  au  choix  des  sujets,  des  t3^es,  des  symboles. 
Mais  il  s'en  faut  de  beaucoup  que  le  titre  d'art  chrétien  pri-^ 
mitif  implique,  en  soi,  une  essentielle  unité. 

L'art  auquel  les  fidèles,  en  la  vaste  étendue  du  monde 
chrétien,  empruntèrent  leurs  procédés  et  nombre  d'inspi- 
rations, n'était  pas  un;  comment  l'art  chrétien,  même  à  ses 
origines,  le  serait-il?  Ne  sait-on  pas  que,  depuis  les  conquêtes 
d'Alexandre,  les  principaux  centres  de  l'art  grec  étaient  en 
Afrique  et  en  Asie-Mineure,  à  Alexandrie,  Pergame,  Éphèse, 
Séleucie,  Antioche?  Personne  n'oserait  donc  prétendre  que 
Rome  a  hérité  de  la  plénitude  du  génie  hellénique.  Et,  consé- 
quemment,  l'art  chrétien  qui  s'instruisit  à  Rome  ne  peut 
davantage  revendiquer  ce  haut  privilège.  On  peut  même 
aller  plus  loin  et  considérer  qu'à  force  d'être  romain,  il  par- 
ticipe moins  à  la  beauté  grecque  que  l'art  chrétien  éclos 
sur  la  rive  orientale  de  la  Méditerranée.  Enfin,  au  delà  des 
limites  où  s'étendirent  jamais  l'influence  de  la  Grèce  et  la 
puissance  réelle  de  Rome,  nous  voulons  dire  dans  l' arrière- 
pays  d'Asie-Mineure,  un  art  continuait  de  vivre,  vénérable 
par  son  antiquité  et  toujours  glorieux  par  ses  monuments, 
l'art  oriental,  remontant  jusqu'aux  anciens  empires  de 
Perse,  de  Chaldée,  de  Babylonie.  Jamais  ni  les  exemples  de 
la  Grèce,  ni  les  exemples  de  Rome  ne  l'avaient  sérieusement 
entamé.  Il  restait  original  comme  aux  premiers  jours  de 
sa  floraison.  Or,  en  ces  provinces,  le  christianisme,  on  l'a 
vu,  se  répandit  très  tôt  et  se  développa  rapidement. 
C'est  là  peut-être  qu'il  eut  ses  premiers  temples  et  ses 
premiers  tombeaux  décorés.  Comment  son  art  n'eût-il 
pas  pris,  en  ces  provinces,  l'aspect  ordinaire  des  œuvres 
d'Orient? 


L'ART  CHRÉTIEN  PRIMITIF  27 

Ainsi  donc,  Rome  et  ses  pays  vassaux  en  Occident;  les 
contrées  lointaines  de  T Asie-Mineure  en  Orient;  entre  ces 
deux  extrêmes,  les  pays  grecs  du  bassin  oriental  de  la  Médi- 
terranée, avec  Alexandrie,  Séleucie,  Éphèse,  Antioche,  pour 
métropoles  :  tels  sont  les  principaux  foyers  de  l'art  chrétien 
primitif.  Ils  lui  confèrent,  dès  l'origine,  un  triple  caractère 
ou,  pour  mieux  dire,  une  triple  physionomie.  Et  l'on  ne  peut 
comprendre  ni  sa  nature  essentielle,  ni  son  développement 
historique,  si  l'on  n'étudie  ses  aspects  distincts  dans  leurs 
traits  particuHers  et  leur  action  réciproque.  Au  fond,  c'était 
l'opposition  tant  de  fois  séculaire  de  l'Europe  et  de  l'Asie, 
de  l'Occident  clair  et  de  l'Orient  mystérieux,  qui  se  perpé- 
tuait en  pleine  ère  chrétienne.  Elle  ne  cessa  jamais  d'exister. 
Elle  dure  encore.  L'histoire  de  notre  civilisation  se  résume 
dans  l'antagonisme  de  ces  deux  mondes,  avec  leurs  conflits 
latents,  leurs  guerres  déclarées,  leurs  courtes  trêves,  leurs 
pactes  inconscients. 

D'autre  part,  nous  avons  vu  que  les  Barbares,  pénétrant 
de  partout  dans  l'Empire  romain,  avaient  introduit  un  élé- 
ment de  grave  perturbation  dans  le  développement  de  l'art 
chrétien  primitif.  Ils  n'étaient  pas  ignorants  de  l'art,  en  leur 
simplicité.  Ils  avaient  le  goût  de  la  décoration.  Dans  les 
arts  du  métal  et  la  poterie,  leur  technique  était  habile.  Leur 
ornementation  vivait  de  longues  habitudes.  Au  fond  de 
leurs  âmes,  il  y  avait  un  sens  de  la  ligne  et  de  la  couleur,  qui 
contenait,  en  réalité,  tout  un  système  d'esthétique. 

Or,  l'art  des  Romains,  pas  plus  que  celui  d'Orient,  ne  les 
conquit  tout  à  fait.  Le  christianisme,  en  réformant  leurs 
croyances,  n'empêcha  pas  leur  esprit  natif  de  se  développer 
en  paix  ;  au  contraire,  il  lui  donna  lieu  de  s'exercer  avec  une 
originalité  sans  précédent.  En  sorte  qu'après  avoir  adopté 


28  INTRODUCTION 

les  sujets  chrétiens,  les  formes,  dessins  et  compositions  de 
Tart  antique,  ils  n'en  restèrent  pas  moins  eux-mêmes.  Et 
un  moment  vint  où  les  qualités  originales  l'emportèrent, 
dans  leurs  œuvres,  sur  les  souvenirs  de  l'antiquité  :  c'est  de 
cette  époque,  pour  l'Occident  du  moins,  qu'on  peut  faire 
dater  la  fin  de  l'art  chrétien  primitif. 

Les  Lombards  reçurent  par  Ravenne  la  double  éduca- 
tion de  Rome  et  de  l'Orient.  Leur  art,  dès  le  commence- 
ment du  VII®  siècle,  échappe  à  l'antiquité  et  nous  fait 
entrer  en  plein  moyen  âge. 

La  Gaule, depuis  la  Provence  jusqu'aux  pays  rhénans, prit 
nettement  conscience  de  son  originaUté  avec  l'avènement 
des  Carolingiens. 

Quant  aux  Irlandais,  qu'imitèrent,  jusqu'au  x®  siècle, 
les  Anglo-Saxons,  ils  n'avaient  emprunté  à  la  culture  anti- 
que que  des  sujets  nouveaux  et  quelques  thèmes  décoratifs. 
Restés  foncièrement  barbares,  ils  contribuèrent  vigoureu- 
sement à  l'éclosion  d'un  art  septentrional,  naïf,  quoique 
compliqué  en  son  dessin,  peu  sensible  à  la  beauté  des 
formes,  mais  sincère  dans  l'expression  des  sentiments  et 
singulièrement   amoureux  de   la  décoration. 

En  Orient,  l'art  chrétien  primitif  se  transforma  dans 
d'autres  conditions,  non  plus  à  cause  des  invasions  barbares, 
mais  à  la  suite  d'un  échange  continu  d'influences  entre  l'art 
grec,  transplanté  en  Asie,  et  l'art  oriental.  Constantinople 
fut  l'endroit  où  ces  influences,  si  longtemps  rivales,  s'har- 
monisèrent de  façon  à  engendrer  un  art  vraiment  neuf,  l'art 
byzantin,  qui  se  trouva  constitué  dès  le  début  du  vi®  siècle 
et  fit  oublier  les  anciennes  habitudes  de  composition.  De 
Constantinople,  son  foyer  principal,  il  se  répandit  largement 
en  Thrace,  en  Asie-Mineure  et,  au  Nord,  jusqu'au  delà  du 


L'ART  CHRÉTIEN  PRIMITIF  29 

Pont-Euxin.  Il  reconquit  la  Grèce,  prit  pied  dans  l'Afrique 
mauritanienne  et  alla  jusqu'à  s'établir  solidement  en  Ita- 
lie, à  Ravenne,  le  long  des  côtes  de  l'Adriatique,  en  Sicile, 
à  Rome  même  où,  pendant  un  certain  temps,  il  éclipsa  les 
souvenirs  de  l'art  impérial. 

En  Egypte,  pays  dans  lequel  s'affrontaient  depuis  trois 
ou  quatre  siècles  —  non  sans  se  pénétrer  d'ailleurs  —  les 
traditions  grecques  et  celles  de  la  civilisation  pharaonique, 
l'art  chrétien  primitif  se  modifia  au  gré  de  cette  double 
influence.  L'art  copte,  dont  on  peut  placer  l'origine  au 
ii^-iii^  siècle,  s'affirma  vers  la  fin  du  v^  avec  un  aspect 
franchement  original. 

Ainsi  finissait,  à  mesure  que  chaque  région  de  l'Empire 
romain  prenait  conscience  de  soi,  le  règne  de  l'art  chrétien 
primitif;  ainsi,  en  même  temps,  se  restreignait  la  sphère 
d'influence  de  l'art  gréco-romain.  Même  la  cité  d'Auguste, 
au  VII®  siècle,  était  plus  byzantine  que  romaine  dans  son  art 
et  ses  institutions  religieuses.  Où  donc  retrouver  l'esprit 
classique,  le  parfum  d'Athènes  et  de  Rome,  si  on  ne  le  res- 
pirait plus  sur  les  collines  de  la  Ville  Éternelle?  Qu'on  ne  s'y 
trompe  pas.  Il  avait  trouvé  refuge  dans  des  monuments 
qu'on  pouvait  négliger,  même  oubUer,  mais  effacer,  jamais  : 
dans  les  statues  dispersées,  les  tombeaux  épars,  les  temples 
fermés.  Et  surtout,  il  avait  pénétré  les  âmes;  il  coulait 
avec  le  sang,  non  seulement  chez  les  Romains,  encore  qu'à 
certains  moments  ceux-ci  fussent  devenus  infidèles,  mais 
surtout  chez  les  Barbares,  qu'il  forma  pour  de  vastes  desti- 
nées. Dans  ces  âmes  naïves,,  mais  ardentes,  il  fut  un  fer- 
ment d'activité,  un  principe  de  lumière  et  d'harmonie,  grâce 
auquel  se  concilièrent,  pendant  une  longue  période  d'incu- 
bation, les    éléments  de  beauté  les  plus  divers  et  se  prépa- 


30  INTRODUCTION 

rèrent  les   renaissances    successives  de   l'époque    carolin- 
gienne et  du  xii©  siècle. 


BIBLIOGRAPHIE.  —  Sur  la  propagation  du  christianisme  :  Harnack, 
Die  Mission  und  Ausbreitung  des  Christianismus  in  den  ersten  drei  Jahrhun- 
derten,  2^  édit.,  2  vol.  in-S»,  Leipzig,  1906  (essentiel);  Gaston  Boissier, 
La  Religion  romaine  à  l'époque  des  Antonins,  2  vol.  in-S»,  Paris,  1884,  et 
surtout  La  Fin  du  paganisme,  2  vol.  in-80,  4e  édit.,  Paris,  1903  (chef- 
d'œuvre  littéraire,  érudition  solide).  Sur  l'influence  religieuse  de  l'Orient: 
F.  CuMONT,  Les  Religions  orientales  dans  le  paganisme  romain,  1  vol. 
in-80,  Paris,  1907  (indispensable).  Le  meilleur  manuel  français  d'histoire 
de  l'Église  est  celui  de  Mgr  Duchesne,  Histoire  ancienne  de  l'Eglise, 
in-80,  cf.  t.  I,  Paris,  1906. 

On  apprendra  à  connaître  les  apologistes  et  les  Pères  dans  les  traités 
savants  de  Harnack,  Geschichte  der  altchristlichen  Litteratur,  4  vol.  parus, 
in-So,  Leipzig,  1893;  de  Bardenhewer,  Patrologie,  traduite  sous  le  titre 
de  :  Les  Pères  de  l'Eglise,  leur  vie  et  leurs  œuvres,  par  MM.  Godet  et  Ver- 
SCHAFFEL,  3  vol.  iu-S»,  Paris,  i905>  et  dans  les  manuels  plus  simples  de 
'P.^A.Ti¥¥Oi.,  Anciennes  littératures  chrétiennes;  la  littérature  grecque,  in-12, 
Paris,  1897,  et  de  G.  Krueger,  Geschichte  der  altchristlichen  Litteratur  in 
den  ersten  drei  Jahrhunderten,  in-80,  Fribourget  Leipzig,  1895,  supplément 
1897.  Chacun  des  apologistes  a  été  étudié  séparément.  Nous  citerons  : 
PiCHON,  Lactance,  étude  sur  le  mouvement  philosophique  et  religieux  sous 
Constantin,  in-80,  Paris,  1901,  et  J.  Geffcken,  Zwei  griechische  Apolo- 
geten,  in-80,  Leipzig  et  Berlin,  1907;  ce  travail,  peu  agréable  à  lire,  est 
plein  d'observations  importantes;  voir  surtout  l'introduction.  Cf.  pour 
TertuUien  et  les  Africains  :  P.  Monceaux,  Histoire  littéraire  de  l'Afrique 
chrétienne,  3  vol.  in-80,  Paris,  1901-1905. 

Sur  les  moralistes  romains  :  Martha,  Moralistes  sous  l'Empire  romain, 
in-80,  Paris,  1872. 

La  vaste  littérature  relative  à  la  base  juridique  des  persécutions  et  aux 
accusations  portées  contre  les  chrétiens  est  citée  et  mise  en  œuvre  par 
Dom  Leclercq  dans  le  Dictionnaire  d'Archéologie  chrétienne  et  de  Liturgie, 
publié  sous  la  direction  de  Dom  Cabrol  (20  fasc.  parus,  Paris,  depuis 
1903),  article  Accusations. 

Sur  la  conduite  des  chrétiens  à  l'égard  des  œuvres  d'art  païennes, 
temples  et  statues  :  Kraus,  Geschichte  der  Christlichen  Kunst,  I,  i,  p.  160, 
Fribourg,  1895, ''où  l'on  trouvera  la  bibliographie  relative  au  sujet.  La 


BIBLIOGRAPHIE  31 

question  est  aujourd'hui  tranchée.  Voir  Guignebert,  Tertullien,  p.  462, 
Paris,  1901;  Grisar,  Histoire  de  Rome  et  des  Papes  (traduction  Ledos),  I, 
I,  p.  18  et  suiv.,  Paris,  1906;  Bigelmair,  Die  Beteiligung  der  Christen  am 
ôffentlichen  Lehen  in  vorconstantinischer  Zeit,  p.  322  et  suiv.,  Munich,  1902. 
Austérité  du  culte  dans  l'esprit  des  docteurs  :  Venturi,  Storia  dell'arfe 
italiana,  I,  p.  1-2  et  notes.  Milan,  1901. 


L'ART  CHRÉTIEN  PRIMITIF 
EN   OCCIDENT 


CHAPITRE  PREMIER 


L'ART  DES  CATACOMBES 


Notions  générales  et  définitions.  Origine  des  catacombes.  Les  cimetières 
privés.  Le  cimetière  corporatif  de  Calliste.  Le  statut  légal  des  cimetières 
chrétiens.  Sort  des  cimetières  pendant  certaines  persécutions.  Les  cata- 
combes après  l'édit  de  Milan.  Description  des  galeries  cimétériales. 


Notions  générales.  Les  catacombes  sont  les  nécro- 
poles des  premiers  chrétiens,  creusées  par  eux,  et  formant 
sous  le  sol  un  réseau  de  galeries  dont  les  parois  contiennent 
les  corps  des  défunts. 

Les  plus  nombreuses,  les  plus  vastes,  sont  à  Rome;  mais 
il  y  en  eut  aussi  dans  le  reste  de  l'Italie,  notamment  à  Naples 
et  à  Syracuse,  en  Gaule,  en  Afrique,  et  dans  la  région  grecque 
de  l'Empire.  Elles  coexistent  souvent  avec  des  cimetières 
à  ciel  ouvert.  Il  ne  faut  donc  pas  chercher  leur  origine  dans 
l'existence  tourmentée  des  communautés  chrétiennes  aux 
trois  premiers  siècles,  et  considérer  en  particulier  leur  fon- 
dation comme  une  nécessité  résultant  des  persécutions  :  on 
verra  plus  loin  qu'elles  constituaient  le  mode  d'inhumation 
le  plus  pratique  pour  une  communauté  nombreuse,  évitant 
le  contact  des  infidèles  et  désirant  rester  groupée  jusque 
dans  la  mort.  Et,  d'autre  part,  il  suffit  de  rappeler,  pour 
expliquer  leur  origine,  combien  l'inhumation  en  des  hypo- 
gées mystérieux  était  familière  aux  peuples  issus  de  l'Orient. 


36  L'ART  DES  CATACOMBES 

Les  Étrusques  la  pratiquaient  en  Italie.  Les  Juifs  en  avaient 
gardé  la  coutume,  malgré  leur  dispersion.  C'est  d'eux,  à  n'en 
pas  douter,  qu'elle  passa  chez  les  chrétiens. 

Quant  au  nom  de  catacombes,  il  ne  s'appliquait  encore, 
au  II®  siècle,  qu'à  une  aire  d'inhumation  particulière,  située 
à  Rome,  au  lieu  dit  ad  catacumhas,  le  long  de  la  voie 
Appienne;  mais  du  jour  où  cet  hypogée  reçut,  selon  la  tra- 
dition, les  dépouilles  de  Pierre,  ce  qui  se  passa  vers  le  milieu 
du  III®  siècle,  sa  dignité  devint  suréminente,  et  son  nom  fut 
étendu  à  l'ensemble  des  sépultures  chrétiennes  de  Rome  et 
des  provinces. 

Le  terme  employé  primitivement  pour  désigner  les  nécro- 
poles était  celui  de  coemeteria,  les  «  dortoirs  »,  par  quoi  il 
était  indiqué  que  la  mort,  pour  les  chrétiens,  n'était  qu'un 
sommeil,  en  attendant  le  jour  glorieux  de  la  résurrection  des 
corps.  Il  en  ressort  également  qu'en  creusant  leurs  galeries, 
les  chrétiens  n'avaient  d'autre  intention  que  de  procurer 
un  abri  à  leurs  morts,  de  créer  des  cimetières  en  un  mot,  et 
rien  autre  chose.  On  ne  saurait  trop  insister  sur  ce  point, 
quand  il  s'agit  d'interpréter,  au  double  point  de  vue  de  la 
forme  et  du  fond,  les  œuvres  d'art  des  catacombes.  Leur 
caractère  est  essentiellement  funéraire.  Tout  s'explique  en 
elles,  on  le  verra  bientôt,  par  les  pensées  de  la  mort  et  de  la 
vie  future. 

Les  Cimetières  privés.  Il  y  a  tout  heu  de  croire  qu'aux 
premiers  jours  de  l'Église,  les  morts  chrétiens  furent  inhu- 
més dans  les  cimetières  païens  et  juifs  :  dans  ces  derniers 
surtout,  car  l'Église  ne  se  sépara  nettement  de  la  Synagogue, 
comme  il  fut  dit  plus  haut,  que  sous  le  règne  de  Néron.  La 
guerre  entre  les  deux  confessions  une  fois  déclarée,  force  fut 


LES  CIMETIÈRES  PRIVÉS  37 

bien  aux  chrétiens  d'aviser.  Aussi  bien,  à  mesure  que  leur 
nombre  augmentait,  leurs  idées  se  fixaient  sur  les  rites  qu'il 
convenait  d'adopter  pour  les  sépultures,  sur  le  caractère 
qu'il  fallait  donner  aux  tombeaux. 

En  vertu  de  la  croyance  en  la  résurrection  des  corps,  ils 
repoussèrent  la  crémation.  La  terre  serait  l'abri  silencieux 
des  morts.  Ils  conservèrent  l'usage  des  cortèges  funèbres  et 
celui  du  banquet,  que  faisaient  les  familles  des  défunts  au 
lieu  même  de  la  sépulture.  Comme  les  païens,  ils  tinrent  à 
honneur  d'orner  les  monuments  funéraires.  En  somme, 
ils  n'entendaient  pas  rompre  avec  les  rites  inofîensifs 
auxquels  les  prosélytes  païens  étaient  habitués,  mais  il 
importait  à  tout  prix  qu'ils  fussent  maîtres  chez  eux 
pour  accomplir  en  paix  leurs  cérémonies  particulières.  Ils 
résolurent  donc  d'avoir,  comme  les  païens  et  les  Juifs, 
leurs  hypogées,  marqués  au  signe  de  leur  foi.  C'est  alors  que 
furent  creusés  les  premiers  cimetières. 

Par  bonheur,  la  législation  impériale,  qui  ne  laissait  aux 
chrétiens  vivants  qu'une  sécurité  précaire,  était  libérale 
pour  les  défunts  de  toute  religion.  «  Chacun,  disait  la  loi, 
fait,  à  sa  volonté,  du  terrain  qui  lui  appartient,  un  lieu  reli- 
gieux, quand  il  y  ensevelit  un  mort.  )>  Religiosum  locum 
unusquïsque  sua  voluntate  facit  dum  mortuum  infert  in  locum 
suum.  Ce  texte  renfermait  tout  ce  qui  était  nécessaire  pour 
fonder  des  cimetières  chrétiens  et  leur  assurer  une  sécurité 
absolue.  En  effet,  les  fidèles  riches  qui  possédaient  des  ter- 
rains autour  de  Rome  en  firent  des  lieux  de  sépulture, 
inscrits  à  leurs  noms.  La  loi  leur  accordait  le  droit  d'y  faire 
construire  un  monument,  d'y  creuser  un  tombeau  :  monu- 
ment et  tombeau,  ainsi  que  tout  le  terrain  avoisinant 
(area),  étaient  placés  sous  la  juridiction  des  Pontifes  et 


38  L'ART   DES   CATACOMBES 

réputés  inviolables.  Il  leur  était  loisible  d'y  faire  ensevelir 
à  côté  d'eux  leurs  parents,  leurs  esclaves,  leurs  affranchis, 
leurs  clients,  voire  même  leurs  amis.  A  ces  divers  titres  et 
profitant  de  dispositions  au  texte  si  élastique,  ils  y  reçurent 
tous  leurs  coreligionnaires  moins  fortunés. 

C'est  ainsi  que  les  cimetières  chrétiens  commencèrent 
d'exister  légalement  autour  des  sépulcres  appartenant  à 
des  particuliers.  Mais  la  protection  légale  s'arrêtait  aux 
limites  mêmes  de  la  propriété  privée  ;  de  plus,  dans  ce  terrain 
où  l'espace  était  strictement  mesuré,  toute  place  occupée 
restait,  de  par  un  scrupule  pieux,  acquise  à  jamais.  Ce  fut 
donc  une  absolue  nécessité  de  ménager  la  place  et  de  l'ac- 
croître, autant  que  possible,  par  d'habiles  dispositions.  De 
là  ces  réseaux  de  galeries  étroites,  poussées  de  toutes  parts 
jusqu'aux  extrémités  de  l'aire  et  superposées  en  plusieurs 
étages.  Une  area  de  grandeur  moyenne  pouvait  avoir  quel- 
que 125  pieds  romains  de  côté;  on  y  pouvait  établir,  selon 
les  calculs  de  M.  Michel  de  Rossi,  250  à  300  mètres  de  gale- 
ries par  étage  ;  or,  rien  n'est  plus  fréquent  que  de  trouver  dans 
un  cimetière  chrétien  trois  étages  de  galeries.  Il  va  de  soi, 
au  surplus,  que  les  riches  chrétiens  agrandirent  plus  d'une 
fois,  par  des  achats,  Varea  primitive.  Au  cours  du  temps, 
plusieurs  aires  d'inhumation  se  réunirent  sous  terre  à  des 
aires  voisines  et  formèrent  les  vastes  cimetières  du  11®  siècle, 
servant  à  une  communauté  nombreuse. 

Parmi  les  cimetières  privés  les  plus  anciens,  nous  citerons 
celui  d'Ostrien,  où  la  tradition  fait  prêcher  saint  Pierre, 
entre  la  voie  Salarienne  et  la  voie  Nomentane  ;  le  cimetière 
du  Vatican,  détruit  au  iv®  siècle;  les  cimetières  de  Lucine, 
sur  la  voie  Appienne;  de  Domitille,  sur  la  voie  Ardéatine; 
de  Priscille,  sur  la  voie  Salaria,  noms  qui  désignent  autant 


LES  CIMETIÈRES  PRIVÉS  39 

de  patriciennes  converties  très  tôt  à  la  foi  chrétienne  et 
dévouées  à  sa  propagation.  Citons  encore  le  cimetière  de 
Prétextât,  fondé  par  un  riche  citoyen  de  ce  nom  et  qui 
remonte  au  début  du  11®  siècle. 

Selon  la  loi,  toutes  ces  nécropoles  étaient  situées,  en 
dehors  de  la  ville,  le  long  des  routes,  dans  un  rayon  de  trois 
milles  autour  des  murs  de  Servius.  Les  vignes  et  les  blés 
croissaient  sur  leur  sol,  avec  des  arbres  au  feuillage  sombre, 
parmi  lesquels  on  distinguait  des  monuments  funéraires  et 
des  sarcophages  appartenant  à  de  riches  familles.  Il  y  avait 
des  habitations  pour  les  gardiens,  des  portiques  couverts, 
à  Tabri  desquels  se  faisaient  les  banquets  funèbres,  même 
de  petites  chapelles  où  se  pouvaient  célébrer  les  services 
d'anniversaires.  Un  ou  plusieurs  escaliers,  qui  n'étaient  pas 
autrement  dissimulés,  faisaient  descendre  du  niveau  du  sol 
dans  la  nécropole.  En  somme,  les  cimetières  chrétiens 
devaient  susciter  moins  d'étonnement  à  Rome  que  ne  le 
ferait  un  cimetière  musulman  dans  nos  villes,  car  ils  ne  se 
distinguaient  par  rien  de  bien  apparent  des  champs  de 
repos  juifs  ou  païens. 

Le  Cimetière  de  Calliste.  Cependant  le  nombre  tou- 
jours accru  des  chrétiens  était  de  nature  à  frapper  de  préca- 
rité le  statut  légal  dont  leurs  catacombes  jouissaient.  Pouvait- 
on,  en  effet,  quand  le  groupe  primitif  des  fidèles  était  devenu 
une  multitude,  le  faire  passer  pour  la  clientèle  de  quelques, 
familles  patriciennes?  Ne  découvrirait-on  pas  que  le  texte 
de  loi  protégeant  les  sépultures  privées  avait  été  interprété 
abusivement?  Ou  bien,  si  depuis  longtemps  les  magistrats 
et  les  pontifes  s'en  étaient  aperçus,  continueraient-ils  de 


40  L'ART  DES  CATACOMBES 

fermer  les  yeux,  alors  que  la  diffusion  du  christianisme 
devait  apparaître  comme  un  danger  public? 

Il  est  toujours  dangereux  de  faire  des  hypothèses.  Ce 
qui  est  certain,  c'est  que  vers  le  commencement  du 
m®  siècle,  l'Église,  VEcclesia  fratrum,  désira  posséder  effec- 
tivement ses  cimetières,  tout  en  restant  protégée  par  la 
loi,  et  l'obtint.  La  preuve  en  est  dans  les  édits  de  GaUien 
qui,  en  260,  restituèrent  les  nécropoles  chrétiennes,  confis- 
quées sous  Valérien,  non  à  des  particuHers,  mais  à  l'Église, 
considérée,  en  quelque  sorte,  comme  une  personne  civile. 
La  propriété  corporative  s'était  donc  substituée,  au  me  siè- 
cle, à  la  propriété  privée. 

Pour  expliquer  ce  fait,  M.  de  Rossi  a  supposé  que  l'Église, 
au  début  du  m®  siècle,  s'était  fait  reconnaître  la  qualité  de 
({  collège  funéraire  »  et  avait  formé  ainsi  une  association 
autorisée.  Les  collèges  funéraires,  entre  toutes  les  associa- 
tions romaines,  étaient  privilégiés.  Légalement  constitués 
par  des  gens  de  mince  fortune  (tenuiores) ,  qui  se  groupaient 
pour  assurer  à  chacun  d'eux  d'honnêtes  funérailles,  ils 
s'étaient  multipliés  sous  le  règne  de  Septime-Sévère  et 
avaient  obtenu  de  la  faveur  impériale  des  droits  étendus. 
Ils  pouvaient  percevoir  des  cotisations  mensuelles,  posséder 
leurs  lieux  de  réunion,  avoir  leur  caisse,  leurs  dignitaires, 
leurs  administrateurs.  Ce  sont  les  mêmes  droits  que,  par 
une  habile  manœuvre,  l'Église  aurait  obtenus.  Mais  toute 
cette  théorie  ne  repose  que  sur  des  vraisemblances.  Il  reste 
toujours  difficile  d'expliquer  comment  les  autorités  ecclé- 
siastiques purent  faire  assimiler  aux  collèges  funéraires  la 
multitude  des  fidèles  de  Rome  et  de  l'Empire.  Quoi  qu'il  en 
soit,  il  faut  admettre  qu'à  certaines  époques  le  pouvoir  impé- 
rial eut  pour  les  chrétiens  de  véritables  condescendances. 


LE    CIMETIÈRE    DE    CALLISTE  41 

En  vertu  des  changements  que  nous  venons  d'indiquer, 
l'Église  posséda  désormais  un  cimetière  collectif,  sur  la  voie 
Appienne,  le  cimetière  de  Calliste,  ainsi  appelé  du  nom  de 
son  premier  administrateur,  le  diacre  Calliste,  qui,  plus 
tard,  devint  pape. 

Il  était  établi  dans  une  propriété  de  la  famille  des 
Caecilii,  à  un  endroit  qui  avait  déjà  reçu  des  sépultures 
chrétiennes.  A  partir  du  pontificat  de  Calliste,  il  fut  le 
principal  cimetière  de  la  communauté,  celui  qui  était  vrai- 
ment le  siège  social  de  l'Association  des  Frères,  morts  ou 
vivants. 

On  pourrait  croire  qu'à  partir  de  ce  moment,  la  sécu- 
rité des  cimetières  chrétiens  fut  complètement  assurée.  Il 
n'en  est  rien.  Sous  Dèce,  et  surtout  sous  Valérien,  on  accusa 
les  chrétiens  de  faire  servir  les  cimetières  à  des  réunions  illi- 
cites, à  des  conciliabules  secrets,  et  l'usage  leur  en  fut  inter- 
dit. Mais  leurs  dispositions  étaient  prises  manifestement 
pour  éluder  les  ordres  impériaux.  Les  escaliers  ordinaires 
furent  comblés.  Des  entrées  secrètes  avaient  été  ménagées 
loin  de  cet  endroit,  non  pas  au-dessus  du  cimetière  propre- 
ment dit,  mais  d'un  arénaire  adjacent;  en  sorte  qu'il  fallait 
traverser  tout  ce  dernier,  avant  d'atteindre  aux  galeries 
sépulcrales.  Sous  terre,  un  seul  escalier  faisait  communiquer 
r arénaire  et  la  nécropole,  situés  à  un  niveau  différent.  Au 
sommet  de  l'escalier,  il  n'y  avait  qu'un  passage  étroit,  con- 
venable pour  le  guet  et  facile  à  défendre.  Enfin  dans  la  par- 
tie de  la  catacombe  voisine  de  l'escalier,  des  galeries  vides 
formaient  un  véritable  labyrinthe.  Qu'est-ce  à  dire,  sinon 
que,  malgré  les  édits  de  Dèce  et  de  Valérien,  les  chrétiens 
ne  cessèrent  pas  d'ensevelir  leurs  morts  —  du  moins  les 
principaux  d'entre  eux  —  aux  endroits  accoutumés  et  pri- 

4 


42  L'ART   DES   CATACOMBES 

rent  toutes  les  mesures  nécessaires  pour  déjouer  les  agres- 
sions de  la  police. 

Mais  qu'on  n'aille  pas  croire  à  un  refuge  préparé  pour  la 
communauté  aux  abois,  à  un  asile  secret,  qui  aurait  permis 
de  célébrer,  quand  cela  était  devenu  impossible  dans  la  cité, 
les  offices  ordinaires  de  la  liturgie.  Si  jamais  les  catacombes 
ont  pu  servir  de  refuge,  ce  fut  uniquement  pour  des  person- 
nalités isolées  ou  des  groupes  peu  nombreux.  Quant  aux 
cérémonies  souterraines,  elles  se  bornèrent  toujours  à  celles 
qui  accompagnaient  les  rites  funéraires. 

La  persécution  de  Valérien  passée,  on  rouvrit  les  escaliers 
primitifs.  Mais  sous  Dioclétien,  le  danger  que  couraient  les 
sépultures  fut  si  grand  que  les  chrétiens  prirent  la  résolution 
héroïque  de  combler  les  galeries  et  d'abandonner  le  cime- 
tière jusqu'à  des  temps  meilleurs.  Il  fut  utile  alors  de 
recourir  à  des  sépultures  que  protégeait  encore  le  nom  d'un 
citoyen.  On  inhuma  dans  des  cimetières  nouveaux,  et 
notamment  dans  celui  de  Thrason,  sur  la  voie  Salaria. 

L'usage  des  cimetières  fut  rendu  aux  chrétiens  en  311,  et 
redit  de  Milan  (313)  en  restitua  la  propriété  aux  Éghses  : 
ad  jus  corporis  eorum  (christianorum) ,  id  est,  Ecclesiarum. 
On  continua  pendant  un  certain  temps  d'ensevelir  les 
morts  dans  les  catacombes  en  même  temps  qu'on  s'effor- 
çait de  retrouver,  pour  leur  décerner  de  nouveaux  honneurs, 
les  tombeaux  des  martyrs  les  plus  illustres.  Le  pape  Damase 
(366-384)  se  signala  par  son  zèle  à  les  découvrir,  sa  piété  et 
son  talent  à  les  décorer.  Malheureusement,  ce  devint  une 
mode  de  posséder  sa  tombe  auprès  des  saints  (ad  sanctos), 
un  souci  où  l'orgueil,  souvent,  avait  plus  de  part  qu'une 
piété  véritable,  et  que  les  fossoyeurs,  devenus  seuls  admi- 
nistrateurs des  catacombes,  satisfaisaient  à  prix  d'argent.. 


LES    GALERIES    CIMÊTÉRIALES  43 

Ils  creusaient  des  galeries  nouvelles,  à  travers  la  nécropole 
comblée,  à  seule  fin  de  plaire  à  leurs  clients.  On  juge  aujour- 
d'hui des  dégâts  commis  à  cette  époque. 

Les  papes  réagirent.  Damase  lui-même  se  priva  de  la  joie 
de  reposer  auprès  des  tombeaux  sacrés,  pour  donner  l'exem- 
ple. Peu  à  peu,  les  tombes  se  multiplièrent  à  l'intérieur  des 
murs,  tandis  qu'au-dessus  des  cimetières  s'élevaient  les 
nouvelles  basiliques.  A  partir  de  l'an  400,  les  inhumations 
dans  les  cimetières  souterrains  devinrent  très  rares.  L'ère 
des  pèlerinages,  précédant,  comme  on  l'a  dit,  celle  de  l'oubli, 
commença  pour  les  catacombes.  Il  n'en  est  plus  fait  mention 
après  le  ix®  siècle.  Des  archéologues  du  xvi®  en  parlent  sans 
se  douter  de  leur  conservation.  Ce  fut  par  hasard  que,  le 
30  mai  1578,  des  ouvriers  forant  un  puits  dans  la  campagne 
romaine  pour  extraire  de  la  pouzzolane,  découvrirent  les 
tombeaux  chrétiens,  oubliés  pendant  des  siècles.  Depuis  lors, 
ils  n'ont  pas  cessé  de  solliciter  l'étude  de  nombreux  savants. 

Les  Galeries  cimétériales.  Descendons  dans  un  hypo- 
gée, celui  de  Calliste  de  préférence  (pi.  I,  i),  puisqu'il  est  le 
mieux  conservé.  Sous  la  couche  de  terre  végétale  et  de 
débris,  les  fossores  n'ont  pas  creusé  moins  de  cinq  étages  de 
galeries,  correspondant  à  cinq  couches  de  terrain,  de  direc- 
tion et  d'épaisseur  variables.  Ces  étages  ne  se  superposent 
donc  pas  exactement,  mais  communiquent  ensemble  par 
des  escaliers  taillés  dans  le  tuf  et  consolidés,  où  cela  parut 
nécessaire,  par  des  revêtements  maçonnés.  Chacun  d'eux 
comprend  un  ensemble  de  carrés  assez  réguliers,  formés  par 
les  entrecroisements  des  galeries  (fig.  i).  Celles-ci  sont 
étroites  :  dans  les  plus  larges,  deux  hommes  à  peine  mar- 
cheraient de  front. 


44 


L'ART   DES    CATACOMBES 


FIG.   I.  UN    ÉTAGE    DES    CATACOMBES 

DE  CALLiSTE.  (D'apiès  Rcusens.) 


Mais  voici,  de  distance  en  distance,  des  couloirs  plus  spa- 
cieux, qui  s'élargissent  à  leur  extrémité,  à  la  façon  de  vesti- 
bules :  ce  sont  les  ambu- 
lacres,    qui   facilitent  la 
marche  des  cortèges  et  la 
sortie  des  groupes.  Voici 
même,    amorcées   aux 
galeries,  de  véritables 
chambres,      carrées     ou 
oblongues  :  ce    sont   les 
cuhicules ,    sortes    de 
caveaux  renfermant  cha- 
cun   les    tombes    d'une 
même  famille,    ou  bien, 
autour  d'un  sépulcre  vénéré,  les  corps  de  ceux  qui  avaient 
obtenu  de  reposer  tout  près  de  lui  (fig.  2). 
A  une  date  assez  tardive 


(m®  siècle),  plusieurs  cubi- 
cules  ont  été  réunis,  de  façon 
à  former  une  salle  assez  vaste 
pour  contenir  une  assemblée 
de  quelque  soixante  ou  soi- 
xante-dix personnes.  Un  seul 
nom  convient  à  ces  cryptes, 
celui  de  chapelles,  et  c'est  là 
sans  doute  qu'on  célébra 
plus  d'un  office,  en  l'honneur 
des  défunts  (fig.  3).  Bien 
rares  furent,  avant  la  paix 
de  l'Église,  les  salles,  cha- 
pelles ou  cubicules  qui  rece- 


FIG.  2. CUBICULUM  DU  CIMETIÈRE 

DE  CALLISTE.  (D'apiès  Lemaiie.) 


Planche   I. 


I.  Entroc  du  cimetière  de  Callistc. —  2.  Voûte  de  la  crypte  de"  T>ncinc, 
i'"'^  moitié  du  II''  s.  (Wilpert,  25). 


LES  GALERIES  CIMÉTÉRIALES 


45 


FIG.   3. 


CRYPTE  AU  CIMETIÈRE  DE  SAINTE- AGNÈS. 

(D'après  Lemaire.) 


valent  le  jour  du  dehors.  Cela  n'était  possible  que  pour 
les  cryptes  supérieures.  On  usait,  en  ce  cas,  de  lanterneaux, 
ou,  pour  em- 
ployer un  terme 
plus  précis,  de 
puits  d'éclai- 
rage en  maçon- 
nerie, aboutis- 
sant au  niveau 
du  sol  et  appe- 
lés des  lucer- 
naires.  Partout 
ailleurs,  l'obscu- 
rité régnait  ou 
n'était  combat- 
tue, de  place  en  place,  que  par  la  clarté  fumeuse  des  lampes 
d'argile  suspendues  aux  voûtes. 

Pour  ce  qui  est  des  tombes,  elles  étaient  étagées  en  rangs 
horizontaux  dans  les  galeries,  les  ambulacres  et  les  cubi- 
cules.  La  plupart  ont  la  forme  de  logettes  quadrangulaires 
tout  naturellement  superposées  :  elles  portent  aujourd'hui, 
en  terme  d'archéologie  chrétienne,  le  nom  de  loculi.  D'autres, 
placées  surtout  dans  les  larges  couloirs  et  les  cubicules,  se 
composent  d'une  cuve  à  la  partie  inférieure  de  la  paroi 
et  d'une  arcade  cintrée  déployée  au-dessus  de  la  cuve,  le 
tout  taillé  dans  le  tuf  :  ce  sont  les  arcosolia,  forme  de  tom- 
beau plus  riche  que  la  précédente,  mais  qu'on  eut  le  tort 
de    considérer,     en    outre,     comme    des     autels    primitifs 

(fig-4). 

La  face  supérieure  de  la  cuve,  pensait-on,  aurait  servi  de 
table  pour  la  célébration  de  la  messe.  En  réalité,  il  n'y  eut 


46 


L'ART    DES    CATACOMBES 


FIG.  4. LOCULI  ET  ARCOSOLIUM 

(D'après  Lemaire.) 


d'autels,  et  encore  d'autels  portatifs,  qu'au  m®  siècle  et  cela 
dans  les  chapelles  assimilées  aux  églises  de  la  cité  1. 

A  l'intérieur  de  chaque  tombe, 
on  ne  plaçait,  à  l'origine,  qu'un 
seul  corps.  Plus  tard,  il  y  en  eut 
deux  (locus  hisomus) ,  rarement 
davantage.  Le  cadavre  était 
étendu  sur  un  lit  de  chaux, 
vêtu,  et  entouré,  selon  la  cou- 
tume antique,  de  vases  et  d'ob- 
jets familiers.  On  fermait  le 
loculus  au  moyen  d'une  dalle 
de  marbre  (tabula),  ou  de  lar- 
ges tuiles,  aux  joints  soigneuse- 
ment cimentés. 
Une  inscription,  gravée  ou  peinte,  marquait  l'endroit 
du  tombeau.  Elle  portait  le  nom  du  défunt,  simplement  ou 
accompagné  d'une  épithète  affectueuse.  A  l'origine,  peu  ou 
pas  d'indications  biographiques.  Ce  qu'on  aimait  par-dessus 
tout,  c'était,  à  côté  du  nom  du  mort,  une  invocation,  un 
vœu  plein  d'espérance,  pax  tecum,  in  pace,  in  Deo  vivas,  ou 
bien,  l'un  ou  l'autre  de  ces  symboles,  la  palme,  l'ancre,  la 
colombe,  le  bon  Pasteur,  par  où  étaient  attestés  la  foi  du 
chrétien  et  son  suprême  espoir.  Parfois  aussi,  dans  les  cime- 
tières chrétiens,  on  rencontre  sur  la  dalle  funéraire  la  figure 
du  mort  représentée  avec  les  instruments  de  sa  profession 
ou  au  milieu  même  des  occupations  qui  avaient  été  les 
siennes  (fig.  5).  Au  demeurant,  la  décoration  n'avait  rien 
de  riche  ni  de  beau  dans  les  galeries  ordinaires  des  cata- 


I.  Cf.  Wieland,  op.  cit. 


LES   GALERIES   CIMÉTÉRIALES  47 

combes.  Les  tombes  étaient  trop  pressées.  Les  champs 
manquaient  pour  l'exécution  de  vastes  images.  C'est  dans 
les  ambulacres,  et  surtout  dans  les  cubicules,  que  nous 
trouverons  associées  dignement,  dans  de  grandes  fresques, 
la  beauté  de  l'art  et  la  nouveauté  des  idées  chrétiennes. 


CHAPITRE  II 


L'ART   DES  CATACOMBES  (suite) 


Technique  de  la  peinture  cimétériale.  Principes  de  composition.  Voûtes  et 
panneaux.  Ornements  et  motifs  de  décoration.  Le  plafond  de  la  crypte 
de  Lucine.  Les  saisons  au  cimetière  de  Prétextât. 


Technique  et  Composition.  L'inégalité  d'exécution, 
dans  les  peintures  des  catacombes,  est  flagrante.  La  valeur 
des  artistes  dépendit  toujours,  en  grande  partie,  de  la  richesse 
des  particuliers  qui  les  appelaient  à  décorer  leurs  tombes. 
En  sorte  que  des  compositions  maladroites,  des  peintures 
médiocres  furent  souvent  exécutées  dans  le  même  temps 
que  de  petits  chefs-d'œuvre  et  à  côté  d'eux.  Mais  la  cause 
principale  de  ces  différences,  c'est  que  les  fresques  cimété- 
riales  ont  reflété  fidèlement  l'évolution  des  arts  plastiques, 
tombés,  du  règne  d'Auguste  à  celui  de  Constantin,  dans  une 
manifeste  décadence. 

Plus  elles  sont  anciennes,  plus  elles  ont  de  mérite.  C'est 
là  un  principe  général,  car  les  bonnes  traditions,  tant  qu'elles 
sont  vivaces,  empêchent  les  trop  grandes  défaillances  indi- 
viduelles. De  là  vient  qu'aux  deux  premiers  siècles,  il  n'est 
pas  d'oeuvre  si  médiocre  des  catacombes  qui  ne  respire  un 
souffle  de  vie  et  ne  s'éclaire  au  moins  d'un  rayon  de  beauté. 
Au  contraire,  quand  l'art  est  à  son  déclin,  les  plus  belles 
œuvres  portent  les  stigmates  de  la  déchéance.  C'est  ce  que 


50  L'ART  DES   CATACOMBES 

l'on  constate  dans  les  peintures  du  m®  siècle,  à  plus  forte 
raison  dans  celles  qui  sont  postérieures  à  la  paix  de  l'Église. 

Ce  qui  est  vrai  de  l'art  est  vrai  aussi  des  métiers.  Il  s'en 
faut  que  les  cubicules  du  m®  siècle  témoignent  de  la  même 
probité  professionnelle  que  ceux  du  siècle  précédent.  Aussi, 
pour  juger  à  sa  valeur  l'art  chrétien  primitif,  c'est  de  ces 
derniers  qu'il  faut  s'occuper  avant  tout. 

L'œuvre  de  la  décoration  était  commencée  par  les  plâ- 
triers, qui  couvraient  de  plusieurs  couches  d'enduits  les 
parois  brutes  du  cubicule.  Une  première  couche  de  chaux  et 
de  pouzzolane  était  d'abord  appliquée,  assez  épaisse  pour 
effacer  toutes  les  rugosités  du  fond,  assez  légère  pour  ne 
pas  risquer  de  s'arracher  par  son  propre  poids.  Une  seconde 
couche,  très  mince  celle-là,  faite  de  chaux  et  de  marbre 
pilé,  formait  le  revêtement  extérieur,  offrant  au  pinceau 
une  surface  lisse  et  blanche,  au  grain  serré,  presque  glacée, 
tant  on  apportait  de  soin  à  sa  préparation.  Ce  n'est  qu'au 
m®  siècle  que  l'enduit  fut  réduit  à  une  couche  unique  et  de 
moindre  qualité.  On  procédait  de  même  pour  les  voûtes  des 
cubicules;  mais  ici  la  difficulté  était  plus  grande,  puisque 
le  poids  des  enduits  portait  à  faux.  On  employa  donc  assez 
souvent,  pour  les  soutenir,  des  crampons  et  des  chevilles. 

Toutefois,  il  ne  faut  pas  s'y  méprendre  :  les  plâtriers  ne 
revêtaient  pas  toute  l'étendue  des  parois  à  la  fois.  On  sait, 
en  effet,  que  le  procédé  de  la  fresque  ne  permet  pas  de  pein- 
dre sur  un  endroit  sec.  Ils  préparaient  la  surface  que  le 
peintre  était  à  même  de  décorer  en  un  jour.  Sur  l'enduit 
encore  humide,  celui-ci  indiquait  à  la  pointe  —  au  m®  siècle 
il  le  fît  au  trait  du  pinceau  —  le  plan  de  la  composition  et 
les  contours  des  figures.  C'était  une  esquisse,  une  mise  en 
page,  facilitant  son  travail. 


TECHNIQUE   ET    COMPOSITION  51 

Dès  lors,  il  peignait,  se  servant  de  couleurs  détrempées 
dans  Teau.  Sa  palette  se  composait  surtout  de  rouge,  de 
brun,  de  jaune,  de  blanc  et  de  vert  :  gamme  assez  variée, 
comme  on  le  voit,  dans  laquelle  étaient  évités  les  contrastes 
heurtés,  où  Ton  harmonisait  au  contraire  les  couleurs,  dans 
des  tonalités  douces,  sur  l'enduit  clair  de  la  paroi  ou  de  la 
voûte.  Il  était  rare  que  le  fond  fût  peint;  rares  aussi  étaient 
les  mélanges  de  couleurs.  Le  modelé  était  rendu  nettement 
par  les  ombres  et  les  clairs  :  par  quoi  il  faut  entendre  qu'on 
forçait  les  valeurs  ou  qu'on  les  diminuait  dans  un  même  ton, 
pour  donner  aux  figures  l'aspect  de  la  vérité  plastique.  Les 
conventions  étaient  nombreuses  :  c'est  ainsi  que  la  chair  des 
hommes  est  rendue  par  un  ton  brun  uniforme,  celle  des 
femmes  par  le  même  ton  plus  clair.La  couleur  locale  n'éveil- 
lait aucun  intérêt.  Il  n'y  avait  pas  de  perspective,  cela  va 
de  soi;  à  peine  peut-on  noter  quelques  architectures  en 
trompe-l'œil,  comme  il  en  existe  à  Pompéi. 

Quant  à  la  composition  des  fresques,  elle  ne  supporte 
l'examen,  au  point  de  vue  artistique,  ni  dans  les  galeries, 
ni  même  aux  parois  latérales  des  cubicules.  Cela  tient,  en 
premier  lieu,  à  ce  que  les  tombes  ne  laissaient  disponibles 
que  des  espaces  très  irréguliers  et  ensuite  —  nous  revien- 
drons sur  ce  point  —  à  ce  que  l'intention  des  artistes  était 
beaucoup  moins  de  plaire  par  l'expression  des  sentiments, 
la  traduction  du  drame,  que  d'aider  à  la  mémoire  en  repré- 
sentant un  nombre  suffisant  d'indices  historiques.  Que  si, 
par  exemple,  ils  figurent  un  homme  délaçant  sa  sandale  sur 
un  quartier  de  roc,  cette  indication  suffira  pour  que  les 
fidèles  reconnaissent  en  lui  Moïse,  au  moment  où  il  va  s'ap- 
procher du  buisson  ardent.  Ce  geste,  cette  attitude,  une 
touffe  d'herbe  à  côté  de  la  pierre  :  voilà  tout  ce  qui  désignait 


52  L'ART   DES    CATACOMBES 

le  chef  dTsraël  et  la  montagne  sacrée  d'Horeb.  Un  per- 
sonnage nu  sous  un  arbrisseau  aux  vastes  branches  :  c'est 
Jonas  sous  la  cucurbite.  Une  sorte  de  petite  momie,  appa- 
rue debout  au  seuil  d'un  édicule  funéraire,  n'était-ce  pas 
suffisant  pour  révéler  Lazare?  Tous  ces  tableaux  restreints, 
appauvris,  se  juxtaposent  sur  des  fonds  neutres,  de  manière 
à  couvrir  les  espaces  réservés  au  décor,  et  la  loi  suprême  de 
la  composition  paraît  bien  s'être  réduite  à  ce  dernier  souci. 
Mais  ce  jugement,  qui  pourra  paraître  sévère,  ne  s'appli- 
que, nous  l'avons  dit,  qu'aux  galeries  sépulcrales  et  aux  faces 
latérales  des  cubicules.  La  décoration  des  voûtes,  au  con- 
traire, est  souvent  d'une  composition  admirable.  Là,  de 
vastes  espaces,  géométriquement  déhmités,  requéraient 
impérieusement  l'ordre  et  la  symétrie.  Ils  forcèrent,  en 
quelque  sorte,  les  décorateurs  à  se  souvenir  des  procédés 
usités,  en  tel  cas,  par  la  peinture  profane. 

Considérons,  par  exemple,  le  célèbre  plafond  (pi.  I,  2)  — 
datant  du  11®  siècle  —  de  la  crypte  de  Lucine  1.  Deux  cercles 
concentriques  ont  été  tracés  sur  lesquels  viennent  s'amor- 
cer des  croix  posées  obliquement  ou  droites,  faites  de  lignes 
parallèles  ou  de  droites  et  courbes  combinées.  De  cette  dis- 
position résultent  une  quantité  de  panneaux  réguliers  et 
S5mQétriques,  un  ensemble  décoratif  léger  et  solide  à  la  fois, 
clair,  parfaitement  adapté  à  son  rôle.  C'est  la  merveille  des 
cadres  architectoniques  aux  catacombes.  Et  que  dire  de 
ces  ornements  ourlant  de  leur  précieuse  délicatesse  la  légè- 
reté des  lignes?  Comment  louer  assez  le  décor,  les  parures 


I.  La  crypte  de  Lucine  est  la  partie  la  plus  ancienne  du  cimetière  de 
CaJliste.  C'est  l'aire  d'inhumation  auprès  de  laquelle  vint  s'établir  le  cime- 
tière corporatif  de  l'Église  romaine. 


Planche  II. 


I.  Crypte  de  S.  Janvier,  cim.  de  Prétextât,  2*^  moitié  du  11^  s.  (Wii- 
pert,  34).  —  2.  Vigne,  cim.  de  Domitille,  2.^  moitié  du  /^r  5.  (Wilperl, 
I.).  —  3.  Eros,  ihid.,  (Wilpert,  5). 


ORNEMENTS  ET  MOTIFS  DE  DÉCORATION     53 

végétales,  l'essor  aérien  des  oiseaux,  la  grâce  idyllique  des 
dieux,  des  génies  et  des  hommes  ? 

Nous  touchons  ici  à  l'art  pur,  à  la  beauté  vraie.  Il  n'est 
plué  question  de  technique,  de  talent,  mais  d'âme  et  d'esprit. 
Au  moment  d'étudier  l'œuvre  des  peintres  chrétiens  dans 
sa  pensée  et  sa  grâce,  voici  que  l'antiquité  nous  accueille 
et,  comme  un  guide  inespéré,  nous  introduit  dans  la  con- 
science artistique  du  peuple  nouveau. 

Ornements  et  Motifs  de  décoration.  Ce  serait  une 
erreur  de  croire  que  la  peinture  cimétériale  se  révéla,  dès  ses 
débuts,  avec  un  caractère  nettement  chrétien.  Les  peintres 
qu'on  employa  dans  les  premiers  hypogées  étaient-ils  tous 
des  adeptes  de  la  religion  nouvelle  ?  Les  vraisemblances 
indiquent  le  contraire.  En  tous  cas,  ils  étaient  imbus  de 
leçons  reçues  dans  les  ateliers  d'art  décoratif,  et  l'on 
devine  qu'appelés  à  embellir  les  tombeaux  chrétiens,  ils  ne 
purent  que  soumettre  à  leurs  clients  le  vaste  choix  des  orne- 
ments profanes.  De  ces  derniers,  un  certain  nombre  fut 
repoussé,  parce  qu'il  blessait  trop  visiblement  les  conve- 
nances chrétiennes;  mais,  tout  compte  fait,  on  puisa  lar- 
gement dans  ce  trésor  des  grâces  antiques.  L'Église,  comme 
telle,  ne  semble  pas  avoir  exercé  de  critique  autoritaire, 
sans  doute  parce  qu'il  n'y  eut  pas  d'abus.  Quant  à  la  pensée 
chrétienne,  elle  était  trop  flottante  encore  pour  imposer 
aux  arts  soit  une  voie  définitive,  soit  un  programme  systé- 
matique. La  preuve  en  est  au  cimetière  de  Domitille.  Dans 
des  cubicules  antérieurs  au  11®  siècle,  les  idées  proprement 
chrétiennes  ne  sont  représentées  que  par  le  bon  Pasteur  et 
cet  autre  tableau  qui  lui  est  étroitement  apparenté  :  la 
brebis  devant  une  houlette  à  laquelle  est  suspendu  un  vase 


54  L'ART   DES   CATACOMBES 

de  lait.  Seul,  parmi  les  personnages  de  l'Ancien  Testament, 
apparaît  Daniel.  La  figure  de  Noé  n'est  point  sûre.  Au 
demeurant,  ces  cubicules  nous  montrent  des  rinceaux  de 
vigne  peuplés  d'oiseaux  voletants,  d'amours  portant  rubans 
et  bâtons  (pi.  II,  2  et  3).  On  reconnaît  des  ornements  étoiles, 
des  fleurs,  des  têtes  ornementales,  un  hippocampe.  Voici  des 
festons  et  des  guirlandes,  des  colombes,  un  paon  perché 
sur  un  piédouche  et  faisant  la  roue;  ailleurs,  des  canards 
et  autres  volatiles.  Il  y  a  un  pêcheur,  des  paysages,  des 
animaux.  Sur  une  paroi,  c'est  la  représentation  d'un  banquet 
funèbre  ^. 

Qu'est-ce  à  dire,  sinon  qu'au  1©^  siècle,  l'art  chrétien 
commençait  seulement  de  correspondre  à  la  foi,  et  avec  com- 
bien de  timidité  !  A  cet  égard,  il  était  manifestement  en  état 
d'incertitude,  et,  fidèle  par  ailleurs  au  passé,  il  employait 
des  motifs  dont  la  fantaisie  était  la  source  unique  ou  qui, 
usités  depuis  des  siècles,  avaient  totalement  perdu  leur 
signification  religieuse.  Amours  (pi.  II,  3),  junons  et  psy- 
chés, génies  dansants,  personnification  des  saisons  et,  plus 
tard,  des  astres,  de  l'Océan  (pi.  III,  4)  et  des  fleuves,  têtes 
fantastiques,  masques  de  théâtre,  accessoires  des  fêtes 
païennes  et  des  jardins,  tout  ce  bagage  assez  dépareillé  de 
la  décoration  antique  ne  lui  paraissait  pas  moins  inoffensif 
que  les  guirlandes  printanières  et  les  motifs  stylisés  de 
l'architecture  traditionnelle.  Ce  qui  faisait  la  joie  des  âmes 
dans  les  monuments,  ce  n'était  pas  encore  la  profondeur 
des  symboles,  mais  la  grâce  des  figures  et  la  clarté  des 
couleurs.  Or,  cette  naïveté  première,  cette  candeur  de 
jeunesse,  l'art  chrétien,  lors  même  que  l'imagination    fut 

I,  WiLPERT,  Malereien,  pi.  1-12. 


ORNEMENTS  ET  MOTIFS  DE  DÉCORATION     55 

régie  par  la  doctrine,  ne  la  répudia  jamais.  En  pleine 
époque  de  symbolisme,  au  ii©  et  au  m®  siècle,  la  peinture 
strictement  ornementale  garde  une  place  importante  dans 
le  décor  varié  des  cubicules. 

Nous  en  avons  un  exemple  dans  le  plafond  déjà  cité  de 
la  crypte  de  Lucine,  au  cimetière  de  Calliste.  Au  centre, 
Daniel  entre  les  lions;  dans  les  branches  de  la  croix  oblique, 
deux  images  du  bon  Pasteur  et  deux  orantes  —  figures  dont 
la  signification  sera  étudiée  bientôt  :  voilà  ce  qui  constitue 
la  partie  chrétienne  du  décor.  Le  reste  n'est  dû  qu'à  une 
aimable  fantaisie  et  à  un  pinceau  que  n'eussent  pas  désa- 
voué les  peintres  délicieux  de  Pompéi.  Ces  tiges  verdoyantes 
et  chargées  de  fruits,  ces  palmes,  ces  calices  où  les  artifices 
de  l'esprit  s'unissent  aux  grâces  spontanées  de  la  nature; 
ces  têtes  que  des  fleurs  ont  fait  naître,  et  enfin  ces  êtres  ailés, 
amours  et  colombes,  qui  planent  sur  la  blancheur  de  la 
voûte  comme  dans  une  atmosphère  de  féerie  :  c'était  vrai- 
ment un  rayon  de  l'antique  allégresse  descendu  au  fond  des 
catacombes,  un  dernier  présent  de  joie  humaine  à  ceux  que 
la  mort  avait  ravis. 

Plus  belle  encore  que  la  crypte  de  Lucine  est  la  crypte  de 
saint  Janvier,  au  cimetière  de  Prétextât  (pi.  II,  i).  Avec  le 
gracieux  éploiement  de  ses  guirlandes,  ses  oiseaux  et  ses  nids, 
elle  constitue  le  chef-d'œuvre  de  la  peinture  chrétienne  du 
II®  siècle.  Il  ne  fut  jamais  de  décoration  plus  aimable,  plus 
vivante.  Aux  quatre  angles  du  cubicule,  on  voit  de  souples 
végétations  sortir  d'autant  de  coupes,  pleines  de  fleurs  et 
de  fruits,  pour  se  dérouler,  de  là,  sur  les  parois  de  la  voûte, 
en  guirlandes  superposées.  Des  roses,  des  épis,  des  pampres 
forment  dans  les  bandeaux  inférieurs  des  festons  ver- 
doyants, au  miheu  desquels  des  oiseaux  chantent  ou  volé- 


56  L'ART   DES   CATACOMBES 

tent  autour  de  leurs  couvées.  Et  c'est  là  l'image  du  Prin- 
temps, de  l'Été  et  de  l'Automne.  Le  registre  supérieur  est 
décoré  uniquement  des  rameaux  noirs  du  laurier.  Les 
oiseaux  n'y  chantent  pas.  Et  c'est  le  froid  Hiver.  Que  de 
fraîcheur  en  ces  faciles  symboles  1 

Les  saisons  étaient  encore  représentées,  mais  d'une  façon 
différente,  au-dessus  des  arcosolia  de  la  crypte,  en  des  frises 
où  sont  figurées  successivement  la  cueillette  des  roses,  la 
moisson,  les  vendanges,  la  récolte  des  olives.  Ce  sont  autant 
de  tableaux  champêtres,  montrant  garçons  et  filles  parmi 
les  fleurs,  ouvriers  aux  champs.  Ce  sont  les  ris  antiques  sur 
la  candeur  des  lèvres  chrétiennes.  Certes,  un  moment  vint 
où  les  saisons  prirent,  aux  catacombes,  un  sens  funéraire 
et  chrétien.  Mais  ce  n'est  pas  encore  le  cas,  semble-t-il, 
au  cimetière  de  Prétextât. 

De  même,  nous  aurons  à  examiner  bientôt  des  paysages 
où  le  christianisme  a  mis  sa  marque,  où  tous  les  détails,  à 
peu  près,  ont  une  valeur  symboUque;  mais  gardons-nous 
de  généraliser.  Tenons  compte  des  époques.  Il  est,  au  fond 
d'un  cubicule  de  l'hypogée  des  Elaviens  (i^r  siècle),  un  pay- 
sage où  se  reconnaissent,  parmi  les  arbres  sacrés,  parmi  les 
hermès  et  les  colonnettes  servant  d'autel,  les  apprêts  d'un 
sacrifice  i.  De  semblables  représentations  ont  été  trouvées 
dans  des  maisons  privées  du  temps  d'Auguste.  Cette  fois, 
le  goût  des  tableaux  champêtres,  des  scènes  idyUiques,  si 
■cher  aux  Romains  de  l'époque  impériale,  avait  entraîné 
l'art  chrétien,  comme  un  enfant  hésitant,  ignorant  du 
monde,  un  peu  au  delà  des  Hmites  où  la  foi  lui  laissait  la 
liberté.  Cet  exemple  est  unique.  Le  paysage  du  cimetière 

I.  WiLPERT,  Malereien,  p.  25,  pi.  6;  Cabrol,  Dictionnaire  d'archéologie 
chrét.,  I,  fig.  880. 


Planche  TU, 


I.  PcinUirc  de  Pompéi  (photo  Brogi).  —  2.  Eros  et  Psyché,  cim. 
de  Domitille,  délmt  du  III^  s.  (Wilpert,  52).  —  3.  Paysage  dans  l'hy- 
pogée de  Lucine,  I^^  moitié  du  11^  s.  (Wilpert,  7).  —  4.  L'Océan,  cim. 
de  Calliste,  i^e  moitié  du  IV^  s.  (Wilpert,  134). 


ORNEMENTS  ET  MOTIFS  DE  DÉCORATION     57 

de  Domitille  (v.  p.  53),  est  peut-être  déjà  chrétien.  Dans 
celui  de  la  crypte  de  Lucine  (pi.  III,  3)  nous  reconnaîtrons 
bientôt  les  symboles  du  Paradis.  Peu  importe;  dans  les 
uns  et  les  autres,  la  beauté  de  la  nature  et  les  gracieuses 
subtilités  de  la  décoration  antique  trouvaient  une  naïve 
expression.  C'est  en  indiquant  cela,  en  marquant  nettement 
ce  caractère  ornemental,  propre,  encore  qu'à  des  degrés 
divers,  à  toutes  les  périodes  de  la  peinture  cimétériale, 
qu'il  fallait  commencer  l'étude  de  l'art  chrétien  primitif. 


CHAPITRE  III 

L'ART  DES  CATACOMBES  (suite) 

Naissance  du  symbolisme  chrétien.  Le  symbolisme  dans  les  représentations 
de  la  nature.  Les  saisons.  La  vigne.  Les  types  antiques.  Éros  et  Psyché. 
Orphée.  Les  sujets  bibliques  et  la  liturgie  funéraire. 

Symbolisme  chrétien.  Types  antiques.  Il  convient 
de  montrer  maintenant  comment  le  génie  religieux  du 
christianisme  se  mit  à  fleurir  au  milieu  des  jardins  de  l'an- 
tiquité hellénique.  Il  avait  pu  hésiter  quelque  temps,  s'igno- 
rant  lui-même;  cependant,  à  mesure  que  la  doctrine  se 
fixait,  que  la  spéculation  —  hellénique  elle  aussi,  à  son 
origine,  —  se  superposait  à  la  foi  primordiale,  il  apprenait 
à  tirer  de  la  foi  des  conséquences  applicables  aux  mœurs 
individuelles  et  sociales. 

C'est  ainsi  que  l'art  chrétien  évolua  définitivement  et 
qu'à  une  peinture  essentiellement  ornementale  succéda 
une  peinture  chargée  de  sens,  essentiellement  symbolique. 
Une  fois  orienté  en  cette  direction,  l'art  ne  cessa  de  s'enri- 
chir en  pieuse  philosophie.  La  pensée  chrétienne  créa  de 
son  propre  fonds  nombre  de  types,  d'allégories,  de  symboles  : 
nous  en  citerons  des  exemples  significatifs.  Elle  anima  aussi 
de  sa  vertu  les  décors  indifférents,  les  types  négligés,  les 
symboles  désuets  de  l'antiquité.  En  sorte  que  les  apparences 
purent  rester  immuables  :  costume,  gestes,  attitudes,  orne- 


6o  L'ART   DES   CATACOMBES 

ment  s  purent  se  répéter  selon  des  canons  ayant  force  d'ha- 
bitude, l'âme  intime  des  sujets  était  devenue  chrétienne, 
et  l'art,  sans  qu'il  y  parût  beaucoup  du  dehors,  avait  subi 
dans  son  être  une  profonde  transformation  i. 

Aussi  est-il  difficile  parfois  de  se  prononcer  avec  assu- 
rance sur  le  sens  que  les  chrétiens  attachèrent  progressi- 
vement à  certaines  représentations.  Il  faut  user  d'une 
grande  circonspection  et  tenir  compte  avant  tout  des 
époques. 

Les  Saisons.  Les  saisons,  par  exemple,  ne  semblent  pas 
avoir  été  figurées  au  cimetière  de  Prétextât,  parce  qu'on 
leur  prêtait  une  valeur  symbolique.  Pourtant,  il  est  incon- 
testable qu'avec  un  peu  de  réflexion,  on  en  pouvait  dégager 
une  leçon  de  morale  et  de  foi.  A  combien  de  païens  n'avaient- 
elles  pas  rappelé  les  étapes  de  la  vie,  la  brièveté  des  jours, 
les  moissons  de  la  mort?  Il  y  a  tout  lieu  de  croire  qu'à  une 
époque  où  s'organisait  un  système  décoratif  fondé  sur  de 
chrétiennes  méditations,  beaucoup  de  fidèles  songèrent 
qu'aux  jours  terrestres,  si  étroitement  mesurés,  succéde- 
rait l'immortalité  du  ciel,  comme  au  triste  hiver  succède 
un  lumineux  printemps;  qu'après  les  travaux  et  les  peines 
de  la  vie,  viendrait  la  paix  du  royaume  étemel.  Les  théo- 
logiens étaient  plus  précis.  Tertullien  (De  resurrectione 
carnis)  y  voyait  un  symbole  de  la  résurrection  des  morts. 
Mais  ni  les  artistes  ni  les  fidèles  n'étaient  des  théologiens. 
Souvent,  les  saisons  représentées  comme  des  figures  fémi- 
nines, que  leurs  attributs  distinguent,  ressemblent  à  de  sim- 
ples allégories  décoratives  (Wilpert,  pi.  ioo).  Au  iv®  siècle, 


I.  Il  semble  bien  qu'en  cette  éclosion  du  symbolisme  chrétien,  ce  soit 
l'Orient  qui  £iit  joué  le  rôle  principal. 


LE   SYMBOLISME.  TYPES  ANTIQUES  6i 

on  les  trouve  mises  en  rapport  avec  le  bon  Pasteur  (Wilpert, 
pi.  36).  Et  sans  doute  qu'à  cette  époque,  où  le  symbolisme 
avait  donné  toute  sa  floraison,  c'était  exprimer  allégori- 
quement  que  le  temps  et  les  hommes  sont  au  Christ,  que  le 
Maître  de  toutes  choses  était  aussi  le  berger  secourable  par 
qui  la  résurrection  était  promise  et  le  salut  obtenu. 

La  Vigne.  Un  problème  du  même  genre  se  pose  à  propos 
de  la  vigne,  et  doit  être  résolu  de  la  même  façon.  Les  chré- 
tiens, quand  ils  adoptèrent  la  gracieuse  décoration  qu'on 
voit  dans  le  grand  ambulacre  du  cimetière  de  Domitille 
(fig.  II,  2),  avaient  oublié,  ou  tout  au  moins  ne  voulaient  plus 
savoir,  que  la  vigne  avait  été  l'accessoire  obligé  des  cortèges 
bachiques  et,  par  excellence,  une  plante  funéraire  pour  les 
initiés  aux  rites  de  Dionysos.  Mais  eurent-ils  dès  lors  l'idée 
d'en  faire  une  sorte  d'image  du  Christ,  d'après  la  parole  de 
saint  Jean  {XV,  5)  :  «  Je  suis  la  vigne  dont  vous  êtes  les 
rameaux.  »  La  preuve  de  l'intention  symbolique  ne  peut 
être  faite  que  dans  cette  curieuse  vigne  (iv®  siècle)  d'El-Kargeh, 
en  Egypte,  dont  les  pampres  portent  alternativement  des 
grappes  et  des  monogrammes  du  Christ  1.  Avant  cela,  le 
symbolisme  de  la  vigne,  si  jamais  il  exista,  ne  résulta  que  de 
réflexions  individuelles. 

Éros  et  Psyché.  Il  en  est  tout  autrement  de  certains 
mythes  antiques  d'oii  le  christianisme  naissant  vit  la  possi- 
bilité de  tirer  de  belles  et  douces  allégories.  Telle  est  la 
fable  d'Êros  et  Psyché,  une  des  plus  aimables,  des  plus 
subtiles  aussi  que  la  Grèce  nous  ait  laissées. 

Psyché  était  la  fille  d'un  roi,  et  si  belle  que  Vénus  ne 
put  lui  pardonner  sa  beauté  et  résolut  de  la  punir.  Pour 

I.  Kaufmann,  Handhuch  der  christl.  archaeoL,  p.  321,  fig.  114. 


2  L'ART  DES  CATACOMBES 

cela,  elle  chargea  son  fils,  l'Amour,  d'allumer  dans  le  cœur 
de  la  jeune  fille  une  flamme  humiliante  pour  un  être  vil,  le 
plus  vil  qui  se  pût  trouver  sur  terre.  Or,  l'Amour,  dès  qu'il 
vit  Psyché,  se  trouva  lui-même  épris.  Oublieux  des  ordres 
de  sa  mère,  il  transporta  en  un  château  lointain,  sur  une 
montagne  enchantée,  celle  qu'il  aimait.  Et  chaque  nuit, 
mystérieux  inconnu,  il  la  venait  voir.  Heureuse  Psyché 
si  elle  avait  joui  de  son  bonheur  sans  vouloir  en  pénétrer 
le  secret  !  Mais  ses  sœurs,  envieuses,  lui  affirmèrent  que  son 
amant  était  horrible  à  voir.  C'est  pourquoi,  une  nuit,  tandis 
que  l'Amour  dormait,  elle  alluma  sa  lampe  et  celui  qu'elle 
contempla  n'était  pas  un  monstre,  mais  le  plus  beau  des 
dieux.  Hélas  !  une  goutte  d'huile  brûlante  tomba  sur  l'Amour, 
qui  se  réveilla  en  criant  et  disparut.  La  pauvre  Psyché,  dès 
lors,  dut  subir  les  épreuves  les  plus  dures,  longtemps  tra- 
vailler, longtemps  souffrir.  Mais  son  courage  ne  l'avait  pas 
abandonnée.  Le  fils  de  Vénus  l'aimait  toujours.  Jupiter, 
enfin  touché,  réunit  dans  l'immortaHté  céleste  Psyché  et 
TAmour. 

A  l'époque  des  Antonins,  ce  mythe  était  populaire,  mais, 
en  se  propageant,  il  avait  perdu  toute  sa  saveur  philoso- 
phique. Dans  la  maison  des  Vettii,  à  Pompéi,deux  mignonnes 
psychés,  caractérisées  par  des  ailes  de  papillon,  —  on  sait 
que,  dans  l'art  antique,  le  papillon  lui-même  était  image  de 
l'âme, —  cueillent  des  roses  i.  Ailleurs,  Amours  et  Psychés 
folâtrent,  dansent,  jouent  de  la  lyre  (pi.  III,  i).  Nul  symbole 
en  ces  petites  scènes  d'aspect  agréable.  Nul  souvenir  des 
douleurs  et  des  joies  dues  à  l'amour.  Nulle  allusion  aux 
épreuves  qu'il  impose,  au  bonheur  qu'il  fait  mériter.  Or,  les 

I.  Mau-Kelsey,  Pompeii,  p.  330,  fig.  164. 


LE  SYMBOLISME.  TYPES  ANTIQUES  63 

chrétiens  adoptèrent  le  même  sujet  et  le  traduisirent  de 
façon  pareille,  ainsi  qu'on  peut  le  voir  dans  une  fresque 
du  cimetière  de  Domitille  (pi.  III,  2)  ;  mais  il  est  possible 
que  le  sens  spirituel  du  conte  antique  ait  recouvré  ici  sa 
valeur  primitive.  Et  ce  serait  un  exquis  symbole  plein  de  pro- 
fondeur. Psyché  coupable  d'une  curiosité  intempestive  et 
punie  de  sa  faute,  n'était-ce  pas  l'image  de  l'âme  chrétienne 
coupable  elle  aussi  et  pendant  de  longs  jours  éprouvée? 
Psyché  sauvée  par  les  prières  de  l'Amour  et  son  propre 
courage,  n'était-ce  pas  aussi  l'âme  chrétienne  récompen- 
sée de  sa  constance  et  rachetée  de  son  humiliation  par  le 
dévouement  divin  ?  Enfin,  Psyché  en  l'Olympe,  réunie  à 
l'Amour,  quel  symbole  plus  parfait  aurait-on  pu  trouver 
du  fidèle  assuré  pour  jamais  de  la  béatitude  céleste  auprès 
du  bon  Pasteur  ?  Il  n'est  pas  sûr  que  ce  symboHsme  délicat 
soit  déjà  présent  dans  la  petite  fresque  de  Domitille,  mais 
il  l'est  à  coup  sûr  dans  plusieurs  sarcophages  du  iv®  siècle. 

Orphée.  On  voit  par  là  avec  quelle  souplesse  d'esprit  la 
religion  nouvelle  mettait  les  types  profanes,  voire  même 
païens,  d'accord  avec  sa  plus  chère  doctrine.  Un  autre 
exemple  est  significatif,  celui  d'Orphée  jouant  de  la  lyre 
au  miheu  des  fauves.  Le  chantre  mythique  passa  très  tôt 
pour  avoir  été,  parmi  les  païens,  une  sorte  de  prophète, 
clamant  mystérieusement  la  vérité  chrétienne.  Saint  Augus- 
tin le  tient  pour  inspiré,  au  même  titre  que  les  Sibylles. 
Saint  Justin,  au  ii®  siècle,  affirme  qu'il  crut  au  Dieu  unique. 
En  réalité,  les  chrétiens  avaient  appris  à  connaître  superfi- 
ciellement le  culte  des  sectes  dites  orphiques  et  savaient 
que  les  initiés  étaient  instruits  de  rites,  de  formules  néces- 
saires pour  atteindre,  après  la  mort,  aux  lieux  de  la  béati- 
tude. Une  telle  doctrine  si  ancienne,  et  qui  semblait  fondée 


64  L'ART    DES    CATACOMBES 

en  vue  du  salut  des  hommes,  ne  laissait  pas  de  leur  paraître 
mystérieusement  apparentée  avec  leur  propre  religion.  Un 
de  leurs  procédés  les  plus  familiers  de  polémique  consistait 
à  représenter  les  hommes  les  meilleurs  du  paganisme  comme 
les  précurseurs  inconscients  de  l'Évangile.  Enfin,  il  leur 
était  agréable  de  penser  que  la  gentilité  antérieure  au  Christ 
n'avait  pas  été  totalement  dénuée  de  révélation  divine.  Des 
apologistes  allèrent  jusqu'à  faire  d'Orphée,  dont  la  figure 
entre  toutes  celles  des  philosophes  et  poètes  était  la  plus 
prestigieuse,  un  élève  de  Moïse. 

C'est  à  la  faveur  de  ces  idées  que  le  poète  légendaire  dut 
la  place  importante  qu'il  occupe  dans  l'art  chrétien. 

Dès  le  II®  siècle,  on  aima  à  le  représenter  au  centre  des 
voûtes  de  cubicules  :  des  sons  de  sa  lyre,  il  charmait  des 
agneaux.  Et  ce  fut  le  symbole  du  Christ  s'attachant  les 
âmes  par  la  beauté  de  sa  morale  et  la  douceur  de  sa  doc- 
trine. Il  se  confondait  presque  avec  le  bon  Pasteur  (pi.  IV,  i). 
Plus  tard,  il  apparaît,  entouré  de  toutes  sortes  d'animaux, 
comme  l'image  du  Seigneur  appelant  tous  les  hommes  à  la 
foi. 

Nous  ne  parlerons  pas  ici  d'Ulysse,  type  qu'on  ne  ren- 
contre que  dans  les  sarcophages.  Les  représentations  de 
banquets  funèbres  seront  étudiées  en  même  temps  que  celles 
du  banquet  céleste  (p.  91).  Quant  aux  arbres,  aux  fleurs,  aux 
fontaines,  aux  oiseaux,  tout  ce  qui  constituait  la  joie  des 
paysages  et  le  charme  des  jardins,  nous  verrons  le  sens  que 
le  christianisme  leur  donna,  en  parlant  du  paradis  et  de  la 
béatitude  réservée  aux  élus. 

Ce  sont  là  des  adaptations  de  motifs  naturels,  du  décor 
spiritualisé,  et  non,  à  vrai  dire,  des  emprunts  à  la  pensée 
antique.   En  somme,   à  ne  considérer  que  les  personnifi- 


LE   SYMBOLISME.  TYPES  ANTIQUES  65 

cations  et  les  types  qui  viennent  d'être  cités,  l'art  chrétien 
ne  dut  pas  grand'chose  au  paganisme,  à  ses  mythes,  allégo- 
ries et  symboles.  Ce  qu'il  emprunta  ou,  si  l'on  veut,  ce 
qu'il  reçut  avant  tout,  ce  sont  des  formes,  des  lignes,  des 
attitudes  et  des  gestes.  Nous  nous  contenterons  de  citer 
quelques  exemples  :  Icare,  portant  des  ailes  attachées  aux 
épaules  par  des  bretelles,  a  été  un  modèle  pour  l'artiste 
chrétien,  qui  voulait  représenter  un  petit  enfant  s'envo- 
lant  au  paradis  (Dom  Leclercq,  Manuel,  I,  fig.  24,  25); 
l'Hermès  se  courbant  pour  rattacher  sa  sandale,  le  pied 
posé  sur  un  bloc  de  rocher,  est  le  prototype  de  Moïse  ôtant 
sa  chaussure  avant  de  s'approcher  du  buisson  ardent;  le 
geste  fameux  des  orantes  chrétiennes  était  familier  à  l'art 
antique,  notamment  à  la  statuaire  (ihid.,  p.  154,  155); 
quant  au  bon  Pasteur  portant  sur  ses  épaules  la  brebis 
égarée,  on  sait  que  sa  représentation,  si  fréquente  dans 
l'art  chrétien  primitif,  est  due  à  la  connaissance  des 
figures  criophores,  aussi  anciennes  que  la  sculpture 
grecque.  Il  n'est  pas  de  figure,  peut-on  dire,  dans  l'art 
chrétien  primitif,  dont  on  ne  puisse  indiquer,  sinon  le 
modèle  immédiat,  du  moins  les  sources  générales  d'ins- 
piration. La  pensée  des  fidèles,  originale  en  soi,  se  souciait 
peu  d'inventer  des  modes  nouveaux  d'expression;  toute 
fervente  qu'elle  était,  elle  ne  se  rendait  manifeste  que 
par  des  gestes  et  des  attitudes  fixés  depuis  longtemps 
et  nés  d'un  esprit  à  qui  elle  était  totalement  étrangère. 
Créatrice  de  nouvelles  émotions  dans  les  âmes,  elle  n'engen- 
drait encore  dans  les  arts  nul  accent  de  nouvelle  élo- 
quence. Elle  était  semblable  au  blé  qui  germe  dans  l'obs- 
curité de  la  terre  :  elle  remuait  les  profondeurs  de  la  con- 
science, mais  on  ne  pouvait  juger  alors  de  la  fécondité  du 


66  L'ART  DES  CATACOMBES 

sol  et  de  la  richesse  qu'aurait  la  moisson  mûre.  Au  vrai,  il 
fallait  des  siècles  de  culture  chrétienne  et  de  longs  tasse- 
ments sociaux,  pour  qu'un  art  issu  de  la  jeune  religion  fleu- 
rît en  toute  indépendance. 

Les  Sujets  bibliques.  Parmi  les  ornements  profanes 
du  cimetière  de  Domitille,  à  la  fin  du  i®^  siècle,  Daniel  entre 
les  lions  était  seul  à  représenter  l'Ancien  Testament;  aeux 
siècles  après,  les  emprunts  à  la  Bible  avaient  été  si  nombreux 
que  leur  ensemble  constituait  une  partie  importante  de  la 
peinture  catacombale.  On  en  jugera  par  la  statistique  sui- 
vante 1  :  le  II®  siècle  représenta  Noé  dans  l'arche,  le  sacrifice 
d'Abraham,  Moïse  frappant  le  rocher  (pi.  IV,  4),  l'histoire  de 
Jonas  (pi.  IV,  3),  Isaïe  prophétisant  la  naissance  du  Messie 
(pi.  XI,  2),  les  trois  Hébreux  dans  la  fournaise  (pi.  V,  i)  et 
l'histoire  de  Suzanne.  A  quoi  furent  ajoutés,  au  cours  du 
III®  siècle,  le  péché  d'Adam  et  d'Eve  (pi.  IV,  2),  David 
maniant  la  fronde,  Job,  Tobie  et  le  poisson,  Daniel 
confondant  les  deux  vieillards,  les  trois  Hébreux  refusant 
d'adorer  la  statue  royale,  Balaam  et  l'étoile.  Moïse  dénouant 
sa  sandale  (pi.  IV,  4),  Moïse  et  Aaron  attaqués  par  les 
Juifs,  Élie  montant  au  ciel,  la  prophétie  de  Michée,  enfin 
Suzanne  représentée  comme  un  agneau  entre  deux  loups. 

Des  protoplastes  Adam  et  Eve  à  Jésus,  le  nombre  de  ces 
sujets  est  assez  grand,  leur  choix  assez  varié  pour  qu'on 
puisse  se  demander  si  ce  n'est  point  une  illustration  histo- 
rique de  la  Bible,  une  sorte  d'enseignement  destiné  à  remé- 
morer aux  fidèles  que  le  christianisme  avait  sa  source  en 
Israël.  On  trouverait  convenable  que  les  chrétiens,  quand 

I.  Selon  Dom  Leclercq,  Manuel,  I,  p.  177-178. 


LES   SUJETS  BIBLIQUES  67 

les  Juifs  répudiaient  toute  alliance  et  toute  parenté  avec 
eux,  eussent  revendiqué  pour  ancêtres  les  anciens  serviteurs 
du  vrai  Dieu.  Le  divorce  s'était  accompli  entre  TÉglise  et 
la  Synagogue;  mais  la  Synagogue  ne  pouvait  confisquer 
comme  siens  ceux  qui  avaient  annoncé  le  Christ  et  l'avaient 
adoré  du  fond  des  âges  ;  il  était  nécessaire,  croirait-on  volon- 
tiers, de  répéter  cela  aux  fidèles,  par  le  moyen  des  images 
après  l'avoir  inculqué  par  la  prédication.  Conception  fausse 
ou,  du  moins,  très  incomplète.  On  ne  faisait  pas  de  polémique 
dans  l'assemblée  des  croyants,  et  les  caveaux  obscurs,  de 
loin  en  loin  visités,  étaient  peu  propices,  on  en  conviendra, 
à  l'institution  d'un  enseignement  par  l'image.  Au  surplus, 
n'a^t-on  pas  remarqué  que  le  cycle  des  figures  bibliques  ne 
s'enrichit  que  peu  à  peu?  Si  varié  qu'il  paraisse,  ne  con- 
tient-il pas  de  flagrantes  lacunes,  soit  qu'on  ait  oublié  des 
figures  trop  importantes  pour  passer  inaperçues  :  Jacob, 
par  exemple,  et  Joseph,  soit  que,  dans  la  vie  d'un  même  per- 
sonnage, on  ait  laissé  de  côté  les  épisodes  les  plus  considé- 
rables ?  Pourquoi  Moïse  frappant  le  rocher.  Moïse  ôtant  sa 
chaussure  et  non  point  Moïse  recevant  les  tables  de  la  Loi? 
Enfin,  comment  au  ii®  siècle,  quand  Noé  n'est  représenté 
qu'une  fois,  Abraham  deux  fois,  quand  Adam  et  Eve  sont 
encore  introuvables  dans  l'iconographie  cimétériale,  aurait- 
on  figuré  jusqu'à  quatorze  fois  un  personnage  de  deuxième 
ordre  comme  le  prophète  Jonas? 

Les  peijitures  empruntées  à  l'Ancien  Testament  ne  s'ex- 
pUquent  donc  point  par  des  intentions  didactiques.  La 
vérité  est  ailleurs  et  ce  sera  le  mérite  impérissable  d'Edmond 
Le  Blant  1  de  l'avoir  découverte.  Tandis  qu'il  étudiait  les 

I.  Le  Blant,  Etudes  sur  les  sarcophages  de  la  ville  d' Arles ^   introduction. 


68  L'ART  DES   CATACOMBES 

sarcophages  chrétiens  du  iv®  et  du  v®  siècle,  il  fut  vivement 
frappé  par  les  rapports  qui  semblaient  exister  entre  les 
scènes  figurées  de  l'Ancien  Testament  et  certaine  prière 
funéraire,  la  commendatio  animœ,  qu'on  récite  au  chevet  des 
mourants.  Cette  prière  nous  a  été  conservée  par  un  manus- 
crit du  iv©  siècle,  le  Pontifical  de  saint  Prudence  de  Troyes, 
mais  son  origine  paraissait  bien  plus  ancienne.  Ne  pou- 
vait-elle remonter,  dans  ses  éléments  principaux,  jusqu'aux 
premiers  siècles?  Depuis  la  mort  d'Edmond  Le  Blant, 
toutes  les  recherches  ont  confirmé  ces  prévisions  et  nous 
le  montrerons  bientôt.  Mais  voici  un  extrait  essentiel  de 
Vordo   commendationis  animœ. 

C'est  une  suite  d'invocations  au  Seigneur  : 

Délivre,  Seigneur,  son  âme,  comme  tu  as  délivré 

Enoch  et  Élie  de  la  mort  commune, 

Noé  du  déluge, 

Abraham  de  la  ville  d'Ur  des  Chaldéens, 

Job  de  ses  maux, 

Isaac  de  l'immolation  et  de  la  main  de  son  père  Abraham, 

Loth  de  Sodome  et  de  la  flamme, 

Moïse  de  la  main  de  Pharaon,  roi  d'Egypte, 

Daniel  de  la  fosse  aux  lions, 

Les  trois  enfants  du  feu  de  la  fournaise  et  de  la  main  du 
roi  pervers, 

Suzanne,  d'un  crime  imaginaire, 

David  de  la  main  de  Saûl  et  de  la  main  de  Goliath, 

Pierre  et  Paul  de  la  prison, 

Et  ainsi  que  tu  as  délivré  la  bienheureuse  Thècle,  ta  vierge 
et  martyre,  d'atroces  tourments,  ainsi  daigne  recevoir  l'âme 


LES  SUJETS  BIBLIQUES  69 

de  ton  serviteur  et  fais  qu'elle  se  réjouisse  avec  Toi  dans  les 
biens  célestes  1. 

Il  fut  reconnu  très  tôt  que  Le  Blant  avait  vu  juste  au 
moins  pour  ce  qui  concernait  les  sarcophages.  Entre  les 
reliefs  bibliques  et  la  nomenclature  de  Vordo  régnait  une 
concordance  manifeste.  On  n'eut  pas  de  peine  à  démontrer 
que  la  commendatio  nommée  dans  le  Sacramentaire  Gela- 
sien  (v®  siècle)  et  les  Constitutions  apostoliques  (iv®  siècle) 
faisait  partie,  sous  Constantin,  de  la  liturgie  funéraire  de 
l'Église.  Et  les  chrétiens  de  cette  époque,  à  n'en  pas  douter, 
avaient  traduit  en  images  sculptées  les  invocations  qui 
appelaient  sur  l'âme  des  moribonds  la  clémence  du  Très- 
Haut.  Mais,  des  sarcophages  à  la  figure  très  ancienne  de 
Daniel  au  milieu  des  lions,  deux  siècles  au  moins  s'étaient 
écoulés.  Ce  qui  était  vrai  pour  le  règne  de  Constantin 
rétait-il  aussi  pour  l'âge  apostolique  ?  L'objection  a  paru 
insurmontable  à  plus  d'un  érudit  2.  Cependant,  s'il  est 
avéré,  d'une  part,  que  les  sculpteurs  du  iv®  siècle  ont  puisé 
leurs  sujets  bibliques,  non  dans  la  Bible  des  Septante,  mais 
dans  les  liturgies  funéraires;  si  tout  démontre, d'autre  part, 
que  la  peinture  des  catacombes  s'inspire  toujours,  en  der- 
nière analyse,  de  l'idée  du  salut,  il  est  bien  difficile  de 
s'arrêter  à  mi-chemin  et  d'interpréter  par  des  concepts  diffé- 
rents les  types  bibliques  des  catacombes  et  les  types  bibli- 
ques des  sarcophages  constantiniens. 

Au  surplus,  nous  ne  sommes  pas  dénués  d'informations 
sur  ce  que  purent  être  les  prières  chrétiennes  primitives. 
Nombre    d'oraisons,    invocations,    formules    d'exorcismes 

1.  D'après  Dom  Leclercq,  Manuel,  I,  p.  m. 

2.  Mgr  WiLPERT,  Malereien,  p.  145  et  suiv. 


70  L'ART   DES   CATACOMBES 

employées  par  les  fidèles  aux  premiers  siècles,  faisaient 
appel  au  Seigneur  en  rappelant,  comme  Vordo  commenda- 
tionis  animœ  les  grands  exemples  de  sa  miséricorde  envers 
les  justes  de  l'Ancien  Testament.  Il  en  est  ainsi  dans  les 
prières  pseudo-cyriennes,  qui,  pour  avoir  été  rédigées,  dans 
leur  forme  actuelle,  après  la  fin  du  m®  siècle,  n'en  sont  pas 
moins  des  monuments  d'un  âge  bien  antérieur.  C'est  sous 
la  forme  de  litanies  que  Novatien,  au  m®  siècle,  dans  son 
De  Trinitate,  énumère  les  justes  que  distingua  le  Seigneur. 
Dans  une  lettre  à  l'Église  de  Corinthe,  écrite  vers  l'an  95, 
le  pape  saint  Clément  mentionne  tous  ceux  à  qui  Dieu,  sur 
leur  prière,  accorda  pénitence  et  pardon.  Or,  des  exemples 
sont  tirés  de  l'Ancien  Testament,  et  ce  n'est  pas  une 
médiocre  surprise  d'y  retrouver  les  personnages  nommés 
dans  Vordo,  Noé,  Abraham,  Loth,  Job,  Moïse,  Daniel,  les 
trois  jeunes  Hébreux  et,  de  plus,  Jonas. 

Si  donc  c'était  une  habitude  générale,  aux  trois  premiers 
siècles,  de  rappeler  dans  les  prières  les  patriarches  envers 
qui  la  clémence  divine  s'était  manifestée,  rien  n'était  plus 
naturel  que  de  chercher  plus  haut  l'origine  de  cet  usage. 
Il  est  juif.  Les  figures  bibliques  dont  les  noms  sont  dissé- 
minés dans  les  prières  chrétiennes  se  retrouvent  dans  les 
prières  juives,  et  notamment  dans  la  litanie  des  jours  de 
jeûne.  Les  prêtres  chrétiens,  instruits  de  la  liturgie  synago- 
gale,  n'avaient  éprouvé  aucun  scrupule  à  l'adopter  en 
partie.  De  là  la  forme  de  leurs  prières  et,  par  voie  de  consé- 
quence, le  choix  des  types  de  l'Ancien  Testament  dans  la 
décoration  funéraire  1. 


I.  En  outre  de  Leclercq,  op.  cit.,  v.  Karl  Michel,  Gebet  und  Bild  in 
frilhchristlicher  Zeit,  Leipzig,  1902. 


LES   SUJETS  BIBLIQUES  71 

Ainsi  s'expliquent  tt)utes  les  anomalies,  tous  les  défauts 
de  concordance.  Moïse  et  Jonas,  Loth  et  David  étaient  cités 
au  II®  siècle  parmi  ceux  que  le  Seigneur  avait  favorisés;  mais, 
tandis  que  les  peintres  de  fresques  n'adoptent  que  les  deux 
premiers,  le  rédacteur  de  Vordo  ne  fit  entrer  que  les  deux 
autres  dans  sa  nomenclature.  Quoi  d'étonnant?  Ajoutez  que 
beaucoup  de  peintures  ont  été  détruites  ou  n'ont  pas  encore 
été  retrouvées.  Tels  personnages  ignorés  dans  les  cata- 
combes romaines  se  rencontrent  dans  celles  d'Orient  :  la 
sortie  d'Egypte  et  le  martyre  de  sainte  Thècle  sont  figurés 
à  El-Baghaouat,  dans  la  grande  oasis  d'Egypte  i;  d'autres 
ont  été  adoptés  pour  la  décoration  d'objets  usuels  :  Joseph 
dans  la  citerne  est  figuré  sur  un  fond  de  coupe  doré. 

En  résumé,  tout  porte  à  croire  qu'à  l'époque  où  naquit  la 
peinture  cimétériale,  la  Bible,  par  l'intermédiaire  de  la  litur- 
gie, offrit  aux  chrétiens  son  contingent  d'exemples  de  la 
miséricorde  de  Dieu.  C'était  une  prière  peinte,  un  cri  de 
supplication  et  d'espoir  qui,  du  fond  de  la  terre,  montait  au 
ciel  :  Délivre-nous,  Seigneur,  délivre  nos  âmes  comme  tu  as 
délivré  Isaac,  comme  tu  as  délivré  Jonas... 

On  verra  plus  loin  que  certains  types  de  l'Ancien  Testa- 
ment sont  susceptibles  d'interprétations  différentes.  C'est 
que  le  symbolisme  candide  des  premiers  âges  s'accrut 
ensuite  de  spéculations  plus  subtiles.  A  l'origine,  il  semble 
bien  n'avoir  été  fondé  que  sur  l'espoir  en  Dieu  et  le  salut 
des  âmes. 

I.  Cabrol,  Dictionnaire  d'arch.  chrét.,  article  Baghaouat,  fig.  n88 


t'LANCHE  IV. 


T.   Orphée,  cim.   de  Calliste,   2^  moitié  du   11'^^ s.  (Wilpert,  37.) 

2.  Adam  et  Eve,  cim.  de  Calliste,  2^  moitié  du  IV^  s.  (Wilpert,  loi). 

3.  Histoire  de  Jonas,  cim.  de  Calliste,  fin  du  11^  s.  (Wilpert,  47). 

4.  Moïse,  cim.  de  Calliste,  fin  du  IV^  s,  (Wilpert,  237). 


CHAPITRE  IV 


L'ART  DES  CATACOMBES  (suite) 


Symboles  nouveaux  et  proprement  chrétiens  :  l'ancre,  la  palme,  la  colombe, 
l'agneau,  le  tau,  le  chrisme.  Le  navire  et  le  phare.  Le  bon  Pasteur  et  le 
cycle  pastoral.  L'orante  et  ses  divers  sens.  Le  paradis  et  ses  caractères. 
Le  banquet  céleste  et  le  bonheur  des  élus. 


Symboles.  Il  n'a  été  parlé  jusqu'à  présent  que  des 
emprunts  au  passé  hellénique  ou  juif.  Il  est  temps  de  mon- 
trer maintenant  la  pensée  chrétienne  créant  elle-même  des 
symboles  et  des  allégories.  Ceci  remonte  au  temps  le  plus 
ancien  de  l'art  cimétérial. 

Sur  les  dalles  funéraires  (fig.  5) ,  à  côté  des  épitaphes  gravées 
ou  peintes,  la  palme  est  un  gage  de  paix,  de  bonheur  céleste, 
comme  aussi  la  branche  d'olivier.  L'agneau  représente  le 
fidèle  et,  plus  tard,  il  sera  symbole  de  la  victime  divine.  La 
colombe  est  l'âme  envolée  vers  Dieu.  Souvent,  elle  tient 
dans  son  bec  un  vert  rameau.  Cela  rappelle,  par  un  double 
symbolisme,  que  Dieu  fut  clément  pour  elle,  comme  il  l'avait 
été  pour  Noé,  aux  jours  du  déluge.  L'ancre  était  l'emblème 
de  la  confiance  inébranlable  dans  la  bonté  divine,  et  sa 
forme  en  vint  à  remémorer  la  croix.  Celle-ci  fut,  par  excel- 
lence, le  signe  du  Seigneur.  Elle  était  rappelée  par  le  tau, 
T,  ou  crux  commissa,et  par  le  chrisme,  c'est-à-dire  le  mono- 
gramme du  Christ,  obtenu  au  moyen  des  deux  premières 

6 


74  L'ART   DES   CATACOMBES 

lettres  de  son  nom  entrelacées.  Même  la  forme  ordinaire,  c'est- 
à-dire  la  croix  faite  de  deux  traits  égaux  +,  se  rencontre 
sur  les  loculi  dès  avant  le  iv®  siècle. 

Le  navire  secoué  par  la  tempête,  le  phare  indiquant  les 
dangers  de  la  côte  ou  l'emplacement  du  port  font  souvenir 
de  ce  qu'on  appelait,  dans  les  tableaux  funéraires  de  l'anti- 
quité, le  cycle  maritime,  c'est-à-dire  des  âmes  accomplis- 
sant en  barque  le  périlleux  voyage  des  portes  du  tombeau 
au  séjour  des  bienheureux.  Mais  sans  doute  que  les  chrétiens 
usèrent  de  ces  symboles  sans  même  songer  à  leur  ancienne 
signification.  Pour  eux,  le  navire  et  le  phare  faisaient  penser 
à  l'âme  chrétienne,  ballottée  par  les  orages  de  la  vie  et  ten- 
dant au  port  éternel. 

Sur  ce  thème,  plus  tard,  on  broda  des  variations  savantes. 
Au  cimetière  de  Calliste,  dans  une  des  chambres  des  sacre- 
ments (m®  siècle),  la  barque,  secouée  par  la  tempête  et 
envahie  par  les  vagues  en  fureur,  est  en  danger  de  sombrer. 
Déjà,  un  homme  est  tombé  à  la  mer  et  lutte  désespérément 
contre  les  flots.  Mais  un  autre,  debout  sur  le  pont,  est  sauvé, 
car  une  jeune  figure  apparaît  en  gloire  dans  le  ciel  et  le 
saisit  aux  cheveux  (pi.  V,  3) .  Image  de  la  clémence  divine, 
du  salut  opéré  par  le  Christ,  de  la  prière  exaucée.  Mais 
n'est-il  pas  trop  hardi,  en  se  fondant  sur  les  métaphores 
des  Pères,  d'y  reconnaître  la  nef  de  l'ÉgUse,  voire  de 
l'ÉgUse  secouée  par  les  persécutions  1?  N'est-ce  pas  inter- 
préter d'une  façon  abusive? 

La  nef  de  l'Éghse,  nous  la  reconnaissons  plus  tard  sur  un 
sarcophage  du  iv®  -v®  siècle  :  le  Christ  est  au  gouvernail,  les 
évangéhstes  en  sont   les  rameurs   (ftg.  15).  Mais  voici  le 

I.  WiLPERT,  op.  cit. y  p.  419  et  suiv. 


SYMBOLES 


75 


o 


(^IVDCjtANTtïOCXV 


J 


FIG.  5.  DALLES  FUNÉRAIRES  GRAVÉES. 


A  GAUCHE  :  I.  Orant  et  colombe.  —  2.  Agneaux  et  vase.  —  3.  Colombe 
«t  monogramme.  —  4.  Palme.  —  5.  Jonas,  bon  Pasteur,  lion,  ancre.  — 
6.  Navire  et  phare.  —  Au  centre  :  7.  Orante  et  bon  Pasteur  au  paradis. 

—  8.  Couronne,  instruments  de  métier.  —  A  droite  :  9.  Agneau  et  paon. 

—  10.    Instruments   de    métier.   —    11.  Bon    Pasteur,  instruments.  — 
12.  Forgeron.  —  13.  Poisson.  —  14.  Épitaphe  de  marchand. 


76  L'ART   DES   CATACOMBES 

symbole  par  lequel  s'exprima  le  mieux  l'espoir  des  fidèles 
se  marqua  d'une  façon  décisive,  dans  les  catacombes, 
l'essence  de  la  foi  :  c'est  le  bon  Pasteur. 

Le  bon  Pasteur.  Pendant  quatre  siècles  entiers,  il  fut  la 
figure  la  plus  aimée  de  l'art  chrétien.  Il  était  au  cimetière  de 
Domitille,  à  la  fin  de  l'âge  apostolique;  nous  le  trouvons 
encore  dans  nombre  de  bas-reliefs  exécutés  après  le  triom- 
phe de  l'Église.  Il  n'est,  pour  ainsi  dire,  pas  de  galeries,  pas 
de  cubicules  où  il  n'apparaisse;  pas  d'objets  chrétiens,  de 
quelque  ordre  qu'ils  soient,  vases  et  lampes  d'argile,  verres 
et  bijoux,  où  il  n'ait  servi  à  une  pieuse  décoration.  Auprès 
des  plus  farouches  contempteurs  des  beaux-arts,  il  trouvait 
grâce.  Tertullien  recommandait  de  graver  son  image  sur 
les  vases  sacrés. 

C'est  qu'en  aucune  représentation  chrétienne  il  ne  se 
trouvait  contenu  tant  de  promesses  heureuses  et  tant  de 
réconfort.  Qu'importe  si  sa  forme  extérieure,  dans  les  fres- 
ques cimétériales,  procéda  de  tableaux  et  statues  de  l'anti- 
quité? Ces  modèles,  en  tout  cas,  n'avaient  pu  que  faciliter  la 
tâche  exigée  des  artistes  :  ils  n'avaient  point  engendré  le 
type  symbolique  dans  l'esprit  des  chrétiens,  qui  se  répé- 
taient depuis  bien  des  années  et  qui  pouvaient  lire,  dans 
les  évangiles,  la  parabole  du  bon  Pasteur.  (Voir  surtout 
Luc,  XV,  4-7.) 

Pour  sauver  une  seule  de  ses  brebis,  perdue,  en  danger  de 
mort,  l'homme  bon  laissait  dans  le  désert  les  quatre-vingt- 
dix-neuf  brebis  formant  le  reste  de  son  troupeau;  il  partait 
à  la  recherche  de  la  pauvre  égarée  et,  l'ayant  retrouvée,  il 
la  chargeait,  plein  de  joie,  sur  ses  épaules;  il  la  rapportait  en 
sa  maison,   puis,   aussitôt,   conviait  ses  amis  et  voisins  :: 


Planche  V. 


I.  Paroi  de  la  Capella  Grseca,  débuts  du  11^  s.  (Wilpert,  13).  —  2.  Le 
Vase  de  lait,  crypte  de  Lucine,  i''^  moitié  du  II'-'  s.  (Wilpert,  24).  — 
3.  Le  Navire  en  perdition,  cim.  de  Calliste,  2^'  moitié  du  11^  s.  (Wil- 
pert, 39). 


LE  BON   PASTEUR  ^^ 

«  Réj ouissez-vous,  leur  disait-il,  car  j 'ai  retrouvé  ma  brebis  per- 
due !  »  Et  le  texte  même  tirait  la  morale  de  la  parabole,  mettait 
son  symbolisme  en  évidence.  «Ainsi, disait-il,  il  y  aura  plus  de 
joie  au  ciel  pour  un  pécheur  qui  se  convertit  que  pour  quatre- 
vingt-dix-neuf  justes  qui  n'ont  pas  besoin  de  conversion.  » 

Bonté  sans  seconde  !  Et  promesse  aussi  en  laquelle  on 
pouvait  croire  !  L'image  du  berger  secourable,  du  bon  Pas- 
teur (Jean,  X,  14),  habita  désormais  l'esprit  des  fidèles. 
C'est  par  elle  que  s'exprima  la  foi  la  plus  claire  en  Christ, 
dispensateur  des  biens  éternels,  vers  elle  que  montèrent 
sans  trêve  les  invocations  des  croyants  en  butte  aux  tenta- 
tions du  monde  et  aux  rigueurs  du  pouvoir. 

Le  troupeau  clama  vers  l'auguste  berger  son  espoir  et  sa 
plainte.  «  Je  suis  la  brebis  perdue,  lit-on  dans  les  prières 
funéraires  de  la  liturgie  grecque,  appelle-moi  près  de  toi,  ô 
Sauveur,  et  sauve-moi  !  »  Ainsi  parlait  aussi  l'Église  latine, 
d'après  le  sacramentaire  Gélasien  :  «  Prions  Dieu  avec  foi 
pour  que  (à  ce  défunt),  sauvé  de  la  mort,  absous  de  ses 
péchés,  réconcilié  avec  le  Père,  rapporté  sur  les  épaules  du 
bon  Pasteur,  Il  accorde  de  jouir  du  bonheur  dans  la  commu- 
nauté des  saints.  » 

De  ces  prières,  qui  furent,  comme  on  le  voit  derechef, 
la  source  immédiate  de  l'inspiration  des  peintres,  naquirent 
les  représentations  du  bon  Pasteur  portant  la  brebis  éga- 
rée. Souvent  deux  brebis  sont  représentées  à  ses  côtés,  et 
cela  d'une  façon  symétrique,  c'est-à-dire  l'une  et  l'autre 
tournées  vers  lui.  C'est  là  une  illustration  fidèle  du  texte 
de  la  parabole,  l'image  du  Christ  opérant  l'œuvre  du  salut 
et  ramenant,  sous  la  figure  d'une  brebis  au  miUeu  du  trou- 
peau, le  pécheur  au  milieu  des  fidèles,  voire  même  (pi. VII,  2), 
l'âme  sauvée,  au  millieu  des  élus. 


^d>  L'ART  DES   CATACOMBES 

Ailleurs  on  voit  le  bon  Pasteur  et  ses  brebis  dans  un  beau 
jardin  plein  de  fleurs  et  d'arbres  (Wilpert,  pi.  IIL)  :  une 
brebis  paît,  l'autre  lève  la  tête  vers  le  berger.  Quant  à  ce 
dernier,  il  ne  porte  plus  le  fardeau  accoutumé  :  vêtu  du  cos- 
tume ordinaire  des  pâtres  antiques,  il  s'appuie  sur  son  bâton 
et  tient  à  la  main  une  flûte  de  Pan.  C'est  un  tableau,  et  tel 
à  peu  près  qu'on  en  pouvait  trouver  dans  une  riche  maison 
patricienne.  Mais  combien  le  sens  en  est  ici  différent!  Ce 
jardin  ne  représente  rien  de  moins  que  le  paradis,  et  c'est 
le  Christ  qui  y  séjourne,  tel  un  roi  de  miséricorde,  parmi  les 
âmes  qu'il  a  sauvées.  L'œuvre  du  salut  est  accomplie.  Le 
berger  secourable  a  déposé  son  fardeau.  Le  chrétien  jouit 
de  la  béatitude  auprès  de  son  maître,  dans  les  prairies 
célestes.  Et  voilà  comment  une  innocente  pastorale,  une 
simple  scène  champêtre  prenait  soudain  la  valeur  d'une 
vision  d'outre-tombe  II  n'avait  fallu  pour  cela  que  donner 
une  forme  sensible  aux  expressions  les  plus  fréquentes,  les 
plus  aimées  de  la  liturgie  funéraire.  Le  procédé  était  commun 
au  II®  siècle.  Dans  cette  voie,  les  appHcations  symboliques 
se  présentaient  nombreuses,  claires  et  pleines  vraiment  d'une 
heureuse  éloquence. 

Dans  la  lunette  d'un  arcosolium,  au  cimetière  de  Cal- 
liste,  sont  représentés,  en  même  temps  que  le  bon  Pasteur 
et  son  troupeau  dans  le  paradis,  deux  bienheureux  courant 
se  désaltérer  aux  sources  rafraîchissantes  de  la  félicité 
céleste  (pi.  VI,  2). 

Plus  hardiment  encore,  on  illustra  de  candides  visions,  on 
essaya  de  représenter  aux  yeux  les  images  enchantées  de  la 
béatitude,  telles  que,  peu  à  peu,  elles  s'étaient  formées  au 
fond  des  âmes.  Sainte  Perpétue,  peu  de  jours  avant  la  fin  de 
son  martyre,  avait  été  en  esprit  transportée  au  ciel.  «  Je 


LE  BON    PASTEUR  79 

montai,  raconta-t-elle,  et  je  vis  l'étendue  immense  d'un 
jardin  et,  au  milieu  de  ce  jardin,  un  homme  assis,  ayant 
les  cheveux  blancs  et  un  habit  de  berger,  trayant  des 
brebis  :  et  autour  de  lui,  debout,  plusieurs  miUiers  d'hommes 
vêtus  de  blanc.  Et  il  leva  la  tête,  me  regarda  et  me  dit  : 
Tu  es  la  bienvenue,  ma  fille.  Et  il  m'appela,  il  me  donna 
une  parcelle  du  lait  caillé  qu'il  venait  de  traire,  et  je  la  reçus 
les  mains  jointes,  je  la  mangeai;  et  tous  alentour  dirent  : 
Amen.  Et  au  son  de  la  voix  je  m'éveillai,  ayant  dans  la 
bouche  je  ne  sais  quoi  de  doux.  » 

Comparez  à  cette  vision  de  sainte  Perpétue  la  peinture 
que  nous  reproduisons  du  cimetière  Ostrien  (pi.  VI, i).  Vous 
y  verrez  en  juxtaposition  ce  qu'on  pourrait  appeler  les 
étapes  du  bonheur  dans  le  royaume  des  élus.  Voici  d'abord 
le  bon  Pasteur  apportant  au  ciel  l'âme  d'un  fidèle  :  les 
portes  du  jardin  céleste  se  sont  ouvertes;  plus  loin,  l'âme, 
sous  la  forme  d'une  orante  (voir  p.  80),  contemple  avec  un 
pieux  ravissement  la  beauté  de  son  nouveau  séjour  ;  les 
arbres  verdoient  autour  d'elle  et  ses  yeux  se  fixent  sur  le 
spectacle  un  jour  dévoilé  à  sainte  Perpétue;  enfin,  le  bon 
Pasteur  apparaît  une  seconde  fois,  trayant,  dans  un  vase  de 
terre,  une  brebis,  et  ceci,  a-t-on  dit  souvent,  est  une  allu- 
sion à  l'Eucharistie,  au  dictame  ineffable  laissant  dans  la 
bouche  «  on  ne  sait  quoi  de  doux  ».  Mais  ne  le  voit-on  point? 
ime  telle  interprétation  rompt  la  suite  logique  du  symbo- 
lisme de  la  béatitude.  Nous  sommes  au  ciel,  non  sur  terre. 
Le  lait,  nourriture  mystérieuse,  fut  donné  à  sainte  Per- 
pétue pour  lui  faire  goûter  d'avance  le  rafraîchissement 
céleste,  servi  par  le  doux  berger  aux  âmes  des  bienheureux. 
C'est  donc  un  symbole  des  joies  d'outre-tombe,  des  récom- 
penses éternelles,  et  non  l'indication  d'un  moyen  de  salut  : 


8o  L'ART   DES   CATACOMBES 

il  est,  pour  les  chrétiens,  le  breuvage  d'immortalité,  par 
quoi  furent  remplacés  le  nectar  et  l'ambroisie  de  l'ancien 
Olympe. 

Ainsi  expliquerons-nous  encore  le  vase  de  lait  de  la  crypte 
de  Lucine  (pi.  V,  2),  posé  sur  un  autel  rustique  et  accosté 
de  deux  agneaux.  On  sait  que  c'était  un  procédé  habituel 
de  l'art  antique  de  remplacer  le  tout  par  une  de  ses  par- 
ties, de  rappeler  par  un  seul  détail,  accessoire  ou  attribut, 
une  figure  entière.  En  conséquence,  le  vase  de  lait,  dans 
le  cas  présent,  remplace  le  bon  Pasteur  et  rappelle  la  béati- 
tude par  lui  promise,  par  lui  donnée.  Il  en  est  de  même 
de  l'agneau  bondissant  devant  le  bâton  de  berger  et  le  vase 
de  lait,  au  cimetière  de  Domitille  (Pératé,  fig.  46). 

En  résumé,  le  berger  signifie  le  Christ,  soit  qu'il  sauve  le 
pécheur,  soit  qu'il  introduise  au  ciel  les  âmes  bienheureuses; 
les  agneaux  et  brebis  signifient  les  chrétiens,  soit  qu'ils 
accomplissent  sur  terre  leur  carrière  difficile,  soit  qu'ils 
jouissent,  dans  l'Éden  de  leurs  rêves,  des  récompenses  sans 
lin.  Mais  ceci,  qui  constitue  le  fond  du  symbolisme  pastoral, 
n'en  épuise  pas  la  richesse  iconographique.  Très  souvent, 
au  bon  Pasteur  et  à  la  brebis  s'adjoint  étroitement  le  s}^!!- 
bole  de  l'orante. 

L'Orante.  Ce  type,  nous  l'avons  rencontré  au  plafond  de 
la  crypte  de  Lucine  (pi.  I,  2).  Parmi  les  motifs  de  décoration 
profanes,  c'est  une  figure  de  jeune  fille  priant,  les  bras  mi- 
ouverts.  Rien  ne  la  distingue  que  ce  geste  :  elle  ne  porte 
aucun  attribut;  elle  n'est  pas  un  portrait;  elle  ne  tend  à 
représenter,  même  symboliquement,  nul  défunt  particu- 
lier. En  réalité,  impersonnelle,  purement  allégorique,  elle 
se  présente  là  sous  sa  forme  la  plus  ancienne,  avec  son  sens 


L'ORANTE  8i 

le  plus  profond  :  elle  est  le  symbole  de  l'âme,  la  forme  ren- 
due visible  de  Tesprit  exhalé  avec  un  dernier  souffle. 

Ainsi  déjà  les  anciens  représentaient  Tâme  au  moment 
où  elle  abandonne  son  enveloppe  mortelle.  C'était  alors  une 
petite  figure  ailée,  qui  gardait  en  s'échappant,  et  quoique 
sous  une  forme  réduite,  des  apparences  semblables  au  corps 
qu'elle  venait  de  quitter  (eidolon).  Les  chrétiens  ne  l'ima- 
ginèrent pas  autrement,  ainsi  que  le  prouvent  à  la  fois  les 
textes  et  les  monuments  figurés.  Selon  les  Actes  des  saints 
Pierre  et  Marcellin,  le  bourreau  avait  vu  les  âmes  des  mar- 
tyrs s'envoler  vers  le  ciel,  comme  des  jeunes  filles  portées 
par  les  mains  des  anges.  Sur  une  médaille  de  plomb,  con- 
servée au  Vatican,  l'âme  de  saint  Laurent  sort  de  son  corps 
torturé  sous  les  apparences  d'une  forme  féminine,  qu'une 
main  céleste  va  couronner  ^. 

Il  n'est  donc  point  de  doute  possible  sur  la  signification 
de  l'orante  et  sur  son  origine.  Mais  le  génie  chrétien  avait 
singulièrement  développé  le  type  primitif,  puisque,  non 
content  d'en  faire  le  signe  d'une  agonie  consommée,  il  l'avait 
élevé  à  la  dignité  d'un  symbole  général.  De  plus,  il  l'avait 
complètement  renouvelé,  ce  type,  en  lui  prêtant  partout 
et  toujours  ce  geste  des  bras  mi-étendus,  comme  des  ailes 
qui  vont  s'ouvrir  (pi.  VII,  3). 

Saint  Ambroise  y  voyait  une  image  de  la  croix.  Des 
archéologues  modernes  l'ont  interprété  comme  une  prière 
des  élus  en  faveur  de  ceux  qu'ils  avaient  aimés.  Est-il  besoin 
de  le  dire,  le  premier  substituait  sa  propre  pensée  à  celle 
des  premiers  chrétiens.  Quant  aux  seconds,  ils  ont  paru 
croire  que  le  geste  de  l'orante  illustrait  les  invocations  adres- 

I.  PÉRATÉ,   fig.  38. 


82  L'ART   DES   CATACOMBES 

sées  aux  défunts  par  leurs  parents  éplorés  et  gravées  sur 
les  pierres  tombales.  «Vis  dans  le  Christ  et  prie  pour  nous. 
—  Que  ton  âme  soit  heureuse,  prie  pour  tes  parents.  »  Sans 
doute,  il  va  de  soi,  et  les  épitaphes  en  [font  preuve,  que 
dès  les  origines,  on  invoqua  le  secours  des  défunts  en  vue 
du  salut  des  âmes;  mais  la  figure  de  l'orante  est  étrangère 
à  cette  piété.  Son  geste  impliquait  toutes  les  prières,  non 
seulement  celles  de  l'imploration  suppliante,  mais  encore 
celles  qui  sont  pleines  d'adoration  respectueuse  et  de  recon- 
naissance attendrie.  Son  attitude  était  la  seule  qui  fût 
décente  en  présence  de  Dieu. 

C'est  l'attitude  de  l'enfant  Pasiphilos  i  sur  la  pierre  qui 
recouvre  sa  tombe,  et  celle  aussi  des  figures  impersonnelles 
de  la  crypte  de  Lucine.  C'est  l'attitude  des  patriarches,  Noé, 
Isaac,  Daniel,  quand  ils  remercient  Dieu  de  sa  protection, 
et  celle  aussi  des  âmes  justes  quand  elles  sont  introduites 
dans  l'enclos  du  paradis.  A  elle  seule,  l'orante  exprimait 
ce  qu'il  y  avait  de  plus  doux,  de  plus  puissant  dans  l'âme 
des  fidèles  :  la  perpétuelle  vision  de  la  béatitude  et  la  con- 
fiance inébranlable  en  la  bonté  du  Christ. 

Il  n'est  pas  impossible  que  des  orantes  de  caractère  indéfini, 
comme  celles  de  la  crypte  de  Lucine,  fassent  déjà  allusion  à  la 
béatitude  céleste.  D'autre  part,  il  est  des  cas  où  les  orantes 
en  paradis  représentent  des  individus  particuliers,  figurées 
qu'elles  sont  près  de  leurs  noms,  et  caractérisées  différem- 
ment suivant  le  sexe  des  défunts.  Dans  la  fresque  célèbre 
des  Cinque  santi  (pi.  VII,  i),  au  cimetière  de  CalHste,  il  est 
deux  orants,  vêtus  du  pallium  masculin  :  ils  se  nomment 
Nemesius  et  Procopius;  il  est  aussi  trois  orantes,  qui  sont 

I.  Cabrol,  Z)îc/îo«M,  d'avchéol.  chrét.,  I,  i,  col.  1481. 


LE  PARADIS  83 

Dionysas,  Heliodora,  Zoé,  reconnaissables  à  leurs  habits 
féminins.  Un  type  comme  celui  de  Torante  était  susceptible 
de  toutes  ces  modalités,  sans  qu'on  pût  se  méprendre  sur 
son  sens  vrai.  On  peut  penser,  en  effet,  que  les  chrétiens 
de  la  fin  du  m®  siècle,  quand  ils  purent  contempler  la  belle 
fresque  des  Cinque  santi,  interprétèrent  le  geste  des  défunts 
comme  l'expression  d'un  ravissement  ingénu,  d'une  admi- 
ration encore  un  peu  mêlée  de  crainte  et  qui,  par  respect, 
s'accompagnait  toujours  d'une  prière. 

Le  Paradis.  Mais  laissons  là  les  orantes.  Contemplons  ce 
jardin  édénique,  qui  jamais  ne  nous  apparut  sous  des  cou- 
leurs plus  aimables.  Bien  souvent,  les  décorateurs  se  con- 
tentèrent de  le  représenter  par  quelques  arbres  ou  quelques 
touffes  d'herbes  figurés  sans  art.  Dans  la  fresque  des 
Cinque  santi,  à  la  fin  du  m®  siècle  (pi.  VII,  i),  ils  déployèrent 
tout  leur  talent;  ils  firent  preuve  à  la  fois  d'une  imagina- 
tion exquise  et  d'un  symbolisme  très  divers. 

Autour  des  saints,  les  rameaux  sont  lourds  de  fleurs  et 
de  fruits.  Les  douces  saisons  s'épanouissent  ensemble,  car 
voici  les  raisins,  les  olives  et  les  roses.  Parmi  les  feuilles 
vertes  et  les  fleurs  joyeuses,  mille  oiseaux  gazouillent.  Il  y  a 
au  bas  du  tableau  des  vasques  pleines  d'eau  où  boivent  des 
colombes.  Et  l'on  dirait  que  toutes  ces  choses  sont  baignées 
de  clartés  irréelles.  C'est  là  le  paradis  désiré,  celui  qui  se 
dévoilait  aux  regards  des  fidèles  en  prière  et  des  mart5n:s 
extasiés. 

Saturus,  un  des  compagnons  de  sainte  Perpétue,  l'avait 
vu  lui  aussi,  dans  une  vision.  Quatre  anges  l'avaient  trans- 
porté dans  la  direction  de  l'Orient,  dépouillé  de  sa  chair 
mortelle.  Après  avoir  suivi  une  pente  douce,  ils  arrivèrent 


34  L'ART   DES   CATACOMBES 

dans  un  lieu  admirablement  éclairé.  «  Et  ce  fut  un  vaste 
espace  ressemblant  à  un  verger.  Il  y  avait  des  roses  et  toutes 
sortes  de  fleurs.  Les  arbres  avaient  la  hauteur  des  cyprès  et 
leurs    feuilles   ne  cessaient  de  bruire    mélodieusement  i.  » 

Cette  vision  complète  celle  de  sainte  Perpétue,  qui,  en 
franchissant  le  seuil  du  jardin  édénique,  n'avait  eu  de 
regards  que  pour  le  bon  Pasteur  et  l'assemblée  des  saints. 
L'une  est  toute  mystique;  l'autre  est  plus  humaine.  Mais 
adjoignons-leur  les  «  acclamations  »  ordinaires  des  épitaphes 
et  c'est  le  commun  des  fidèles  qui  nous  révélera  la  forme 
qu'il  aimait  donner  à  ses  espérances. 

La  vie  en  Dieu,  la  société  des  saints,  in  Deo  vivas  ;  cum 
sanctis  vivas  :  tel  est  le  vœu  des  survivants  dans  sa  forme 
la  plus  générale  et  aussi  la  plus  pieuse.  Mais,  souvent,  on  le 
précise,  on  le  détaille,  afin  de  rendre  le  bonheur  futur  plus 
concevable  à  ceux  que  la  vie  fait  souffrir.  «  Repose  en  paix  ! 
Sois  en  paix  !  La  paix  soit  avec  toi  !  »  Dès  le  i®^  siècle,  les 
acclamations  de  cette  sorte  étaient  fréquentes;  aucune  ne 
disait  mieux,  avec  plus  de  simplicité  et  de  plénitude,  l'espoir, 
né  dans  la  fatigue  des  jours,  d'un  lieu  où  seraient  inconnus 
les  labeurs  du  corps  et  les  inquiétudes  de  l'esprit. 

On  souhaite  aussi  la  lumière,  on  la  désire,  on  la  contemple. 
La  lumière  est  joyeuse;  elle  chasse  le  doute  et  l'effroi;  elle 
est  sincère;  elle  est  vivante.  Que  serait  donc  la  lumière 
éternelle,  émanée  du  Christ?  Le  paradis,  dans  les  inscrip- 
tions, est  un  Heu  de  lumière,  comme  il  était  un  lieu  de  repos. 
Ainsi  le  nomment  des  épitaphes  grecques  :  ev  r6K(^  cporeivw 

Il  est  aussi  pour  le  chrétien  un  lieu  de  rafraîchissement. 
«  Que  Dieu  te  rafraîchisse  !  Que  ton  âme  soit  dans  le  raf raî- 

I.  Cf.  Dictionn.  d'archéol.  chrétienne,  I,  2,  col,  2695. 


Planche   VI. 


I.  Le  paradis,  le  bon  Pasteur,  l'orante,  cim.  Ostrien,  -fin  du  III^  s. 
(Wilpert,  117).  —  2.  Bon  Pasteur  et  Bienheureux,  cim,  de  Calliste, 
2*^  moitié  du  IV^  s.  (Wilper^,  236).  3.  Introduction  de  Vibia  au  paradis, 
galerie  voisine  du  cim.  de  Prétextât,  début  du  IV*^  s.  (Wilpert,  132). 


LE   BANQUET   CÉLESTE  85 

chissement.  Rafraîchissement  soit  à  lui  !  »  Ainsi  parlent  les 
plus  anciennes  inscriptions  chrétiennes,  à  l'imitation,  d'ail- 
leurs, d'épitaphes  plus  anciennes  de  l'antiquité.  En  tout 
pays  de  soleil,  il  n'est  rien  de  meilleur  que  l'ombre  et  que 
Teau.  Le  voyageur,  durant  les  longues  étapes  sur  d'arides 
chemins,  quand  la  chaleur  accable,  rêve  de  feuillages  épais, 
de  brise  fraîche  parmi  les  arbres,  de  claires  fontaines  et  de 
ruisseaux  murmurants.  De  même,  le  chrétien,  sur  les  routes 
de  la  vie,  la  gorge  sèche,  les  pieds  blessés,  pense  aux  fleurs, 
aux  bocages,  aux  fontaines,  parmi  lesquels  les  élus  se  repo- 
sent en  paix. 

Considérez  donc  de  nouveau  la  fresque  des  Cinque  santi. 
Vous  saurez  que  ces  fleurs  sont  célestes  et  figurent  l'éter- 
nelle joie;  que  cette  lumière  est  celle  de  la  gloire  ineffable 
dans  un  lieu  d'où  les  ténèbres  sont  bannies;  que  ces 
colombes  buvant  aux  vasques  pleines  ne  sont  pas  autre 
chose  que  des  âmes  se  désaltérant  aux  sources  du  divin 
rafraîchissement.  Rien  ici  n'est  terrestre.  Même  ces  paons 
qui,  posés  sur  des  branches,  étalent  leurs  riches  couleurs,  sont 
des  symboles  d'immortalité.  Car  leur  chair,  croit-on,  est 
incorruptible,   ils  font  souvenir  de  l'éternité  bienheureuse. 

Le  Banquet  céleste.  Les  élus  possédant  le  repos,  la 
paix,  la  lumière,  les  fleurs,  l'herbe,  les  arbres,  l'ombre  et 
l'eau,  que  pouvait-il  manquer  encore  à  la  félicité  dont,  tant 
de  fois,  ils  avaient  rêvé  pendant  leur  vie?  Une  seule  chose, 
mais  telle  que  son  absence  eût  laissé  incomplet  le  tableau 
des  joies  d'outre-tombe  :  manger.  Manger  est  doux,  le  soir, 
quand  les  travaux  journaliers  sont  finis  et  que  la  famille, 
réunie  autour  de  la  table,  s'assied.  Les  membres  fatigués  se 
reposent,  la  faim  s'apaise,  les  forces  renaissent.  Il  y  a,  dans 


86  L'ART   DES   CATACOMBES 

chaque  repas,  une  sorte  de  victoire  de  la  vie  sur  la  mort 
acharnée  à  la  détruire  i.  Et  c'est  une  joie  aussi  pour  les 
hommes  dont  le  cœur  est  joyeux,  l'esprit  en  repos,  de  man- 
ger ensemble.  Ils  se  sentent  frères.  Voués  aux  mêmes  dou- 
leurs, ils  partagent  le  même  plaisir.  Isolés,  au  travail,  ils 
détestaient  la  vie;  unis, dans  le  repos,  devant  ces  mets  qu'on 
sert  en  abondance,  ils  se  réjouissent  d'être  nés.  Et  l'on  dirait 
que  leur  âme  devient  meilleure. 

Les  banquets  ont  toujours  et  partout  passé  pour  une  des 
joies  que  la  vie  nous  réserve.  Infortuné  celui  qui  mange 
seul  son  pain  !  Aussi  les  banquets  font  partie  de  tous  les 
paradis  de  l'antiquité.  Jésus  n'usa  point  d'une  autre  image 
quand  il  convia  ses  disciples  à  la  table  de  son  père,  dans  le 
ciel.  L'Église  suppliait  le  Seigneur  d'admettre  au  banquet 
céleste  les  défunts  pour  qui  elle  faisait  entendre  des  prières. 
Les  martyrs,  dans  leurs  extases,  voyaient  les  cieux  ouverts 
et  les  tables  pour  eux  préparées.  Les  simples,  peut-on  en 
douter,  trouvaient  plus  facile  à  saisir,  en  rêvant  de  ces  sym- 
posies  enchantées,  la  conception  du  royaume  des  cieux. 

Les  représentations  de  la  Cena  cœlestis  sont  assez  nom- 
breuses aux  catacombes;  mais  leur  identification  est  diffi- 
cile, car  on  est  exposé  à  les  confondre  avec  les  représenta- 
tions du  banquet  funèbre,  et  celles  du  repas  en  lequel  beau- 
coup d'archéologues  reconnaissent  la  table  eucharistique. 
Il  convient  donc  de  réunir  ces  trois  sujets  douteux  dans  la 
même  étude.  La  Cena  cœlestis,  pour  l'instant,  nous  appren- 
drons à  la  connaître  dans  la  fresque  fameuse  de  Vicentius  et 
Vibia,  œuvre  pagano-chrétienne,  qui  fut  retrouvée  dans 
une  galerie  contiguë  au  cimetière  de  Prétextât,  et  qu'on  a 
datée  du  commencement  du  iv®  siècle  (pi.  VI,  3). 

I.  VON  Sybel,  Chrisiliche  Antike,  I,  p.  190- 


LE   BANQUET   CÉLESTE  Sj 

Vicentius  était  prêtre  d'une  secte  religieuse  aux  ten- 
dances syncrétistes,  c'est-à-dire  imbues  de  paganisme  et  de 
christianisme  à  la  fois  :  au  vrai,  ses  dieux  étaient  ceux  de 
l'ancien  Olympe,  notamment  Mercure-Soleil,  dit  Sabazios; 
ses  doctrines  reflétaient  beaucoup  d'idées  chrétiennes.  Vibia 
était  la  femme  de  Vicentius  et  la  fresque  décorant  son  tom- 
beau représentait  successivement  sa  mort  et  son  arrivée 
dans  le  ciel.  Sur  l'archivolte  de  l'arcosole,  c'est  d'abord  sa 
fin  mortelle,  figurée  comme  un  enlèvement  par  Pluton,  dans 
un  quadrige  que  Mercure  conduit,  et  l'inscription  porte  ces 
mots  :  ABREPTIO  VIBIES  ET  DISCENSIO.  Comme  pen- 
dant, son  mari,  accompagné  de  six  autres  prêtres  (SEP- 
TEM  PII  SACERDOTES),  célèbre  le  banquet  ordinaire 
des  funérailles.  En  la  partie  supérieure  de  l'archivolte,  c'est 
le  jugement  de  son  âme  par  Jupiter  (DISPATER)  et  Junon 
Proserpine  (AERACVRA)  qui  siègent  sur  leur  tribunal. 
Trois  femmes  voilées,  au  pied  du  trône,  représentent  les  des- 
tins impassibles  (FATA  DIVINA),  tandis  qu'en  face  d'elles. 
Vibia  s'avance,  conduite  par  Mercure  le  messager  (MER- 
CVRIVS  NUNTIUS)  et  suivie  d'Alceste,  celle  que  son  mari 
tant  pleura  et  qui  fut  ressuscitée  par  la  clémence  des  dieux. 

Or,  ce  qui  précède  figurait  le  voyage  mystérieux  de  l'âme 
et  ses  épreuves  des  portes  du  tombeau  aux  portes  du  paradis. 
Au  fond,  dans  la  lunette  de  l'arcosole,  Vibia,  conduite  par 
son  bon  ange  (ANGELVS  BONVS),  franchissait  la  porte 
du  ciel  et  ses  yeux  contemplaient  le  pré  fleuri  où  les  élus 
sont  accueiUis  par  d'anciens  frères.  Enfin,  on  voyait  Vibia 
attablée  au  banquet  des  justes  (BONORVM  IVDICIO 
IVDICATI)  qui,  autour  d'elle,  se  couronnaient  de  fleurs  et 
tenaient  des  palmes.  Un  serviteur  se  hâtait,  apportant  des 
mets.  Et  l'eau  et  les  poissons  et  le  pain  étaient  servis  sur  le 


88  L'ART   DES   CATACOMBES 

gazon  vert.  Et  Vibia,  ravie,  timide  encore  cependant  au 
milieu  de  son  bonheur,  exprimait  d'un  regard  l'émerveille- 
ment de  son  âme. 

Sans  ces  couronnes  de  fleurs  dont  les  convives  se  parent, 
un  je  ne  sais  quoi  de  matériel  par  où  se  devinent  des  idées 
nouvellement  empruntées  et  des  conceptions  où  le  mysté- 
rieux l'emporte  sur  l'idéal,  cette  représentation  pourrait 
être  chrétienne.  C'est,  avec  des  détails  précis  et  proprement 
chrétiens,  comme  ï Angélus  bonus,  une  peinture  de  la  plus 
grande  joie  céleste. 

Mais  Vicentius  et  Vibia  étaient,  au  fond,  des  païens.  Ils 
représentent  ces  miUiers  d'infidèles  qui  n'avaient  pu 
entendre  sans  perplexité  et  sans  envie  les  chrétiens  affirmer 
leur  certitude  d'éternelles  récompenses  et  qui,  entraînés  par 
là,  avaient  tenté  d'établir  entre  leurs  croyances  anciennes 
et  la  religion  du  Christ  d'habiles  conciHations.  Leur  concep- 
tion de  la  béatitude,  pour  revêtir  des  apparences  nouvelles, 
n'en  était  pas  moins  celle  du  paganisme.  Leur  ambition 
n'allait  pas  plus  loin  que  s'assurer,  dans  le  ciel,  la  perpétuité 
de  quelques  bonheurs  choisis.  Fondée  sur  la  survie  corpo- 
relle et  non  sur  la  naissance  de  l'âme  à  sa  vie  prédestinée, 
leur  espérance  était  toute  contenue  dans  le  tableau  de  joies 
naïvement  matérielles.  En  était-il  de  même  des  chrétiens? 

L'Église,  à  n'en  pas  douter,  enseignait  que  le  bonheur 
céleste  était  intraduisible.  «  L'œil  de  l'homme  n'a  pas  vu, 
disait  saint  Paul,  son  oreille  n'a  pas  entendu,  son  esprit  n'a 
pas  pu  comprendre  ce  que  Dieu  a  préparé  à  ceux  qui  l'ai- 
ment. »  Par  quoi,  peut-être,  il  entendait  moins  exprimer  sa 
conception  philosophique  de  la  béatitude  que  prémunir  les 
fidèles  contre  la  croyance  littérale  à  des  visions  trop  maté- 
rielles. Que  si,  par  conséquent,  la  question  est  faite  au  point 


L'LANcnii  vu 


I.  Partie  de  la  fresque  des  Cinq  Saints,  cim.  de  Calliste,  avant  300 
(Wilpert,  III). —  2.  Bon  Pasteur,  cim.  de  Domitille,  milieu  du  IV^  s. 
(Wilpert,  190).  —  3.  Orante,  cim.  Vigna  Massimi,  i'^  moitié  du  IV''  s 
(Wilpert,   74). 


LE   BANQUET   CÉLESTE  89 

de  vue  de  la  doctrine,  il  faut  répondre  que  le  repos,  la  paix, 
le  rafraîchissement,  les  âmes  rassemblées  au  milieu  des 
bocages  et  des  parterres  fleuris,  les  ombrages  et  les  fontaines, 
les  doux  loisirs  et  les  banquets  n'étaient  que  les  symboles 
d'une  indicible  félicité.  Mais  ces  symboles  étaient  aussi 
anciens  que  le  monde.  Le  paradis  perdu  aux  origines  de  la 
race  humaine,  et  que  la  Bible  avait  décrit,  les  chrétiens  en 
avaient  adopté  l'image  pour  représenter  le  paradis  restitué 
de  par  la  promesse  divine.  Qui  pourrait  dire  ici  le  fond  des 
pensées  populaires,  le  sédiment  accumulé  des  siècles  et  la 
capacité  d'abstraction  que  l'enseignement  ecclésiastique 
avait  pu  engendrer  dans  l'âme  des  simples?  Dans  celles-ci, 
on  peut  en  répondre,  les  symboles  de  béatitude  tenaient 
toute  place,  fixaient  toute  incertitude,  nourrissaient  toute 
imagination.  Pour  le  reste,  c'était  le  soin  de  Dieu. 


CHAPITRE  V 

L'ART  DES  CATACOMBES  (suite) 

Christologie.  Les  miracles  du  Christ  et  les  prières  chrétiennes.  Le  Poisson. 
Sa  signification.  Le  pain  et  le  vin.  La  fresque  du  cimetière  de  Lucine. 
La  fraction  du  pain  et  le  banquet  des  agapes.  L'aliment  mystique. 
Étude  des  banquets  représentés  aux  catacombes.  La  Vierge.  Sacre- 
ments. L'art  et  le  beau  dans  la  peinture  des  catacombes. 

Les  Miracles  du  Christ.  Ce  qui  distinguait  l'espoir  chré- 
tien de  tous  les  autres,  c'était  son  caractère  affirmatif  et  son 
expression  de  tendre  confiance.  Les  prières  liturgiques  sont 
toutes  marquées  de  ce  double  signe.  Elles  invoquaient  le 
Dieu  des  Juifs  en  rappelant  les  gages  de  sa  miséricorde 
envers  les  saints  de  l'ancienne  alliance;  elles  s'adressèrent, 
sous  les  mêmes  formes  verbales  et  avec  un  abandon  de 
l'âme  encore  plus  complet,  au  Christ,  possesseur  de  toute 
puissance,  auteur  de  tant  de  bienfaits,  caution  de  tant  de 
promesses. 

Dans  la  deuxième  des  prières  pseudo-cypriennes,  on  fai- 
sait appel  à  son  pouvoir  et  à  sa  clémence;  on  rappelait  les 
preuves  de  sa  bonté.  «  Je  te  supplie,  ô  toi.  Fils  du  Dieu 
vivant,  qui  as  accompli  de  si  grands  miracles  ;  Toi  qui  à  Cana 
de  Galilée  as  changé  l'eau  en  vin,  pour  l'amour  d'Israël;  Toi 
qui  as  ouvert  les  yeux  des  aveugles,  qui  as  fait  entendre  les 
sourds,  qui  as  rendu  aux  paralytiques  l'usage  de  leurs  mem- 
bres ;  Toi  qui  as  délié  la  langue  des  muets  ;  Toi  qui  as  déli- 


92  L'ART   DES   CATACOMBES 

vré  les  possédés  des  démons,  qui  as  fait  sauter  comme  des 
cerfs  les  boiteux,  qui  as  guéri  l'hémorrhoïsse,  ressuscité  des 
morts  ;  Toi  qui  as  marché  sur  la  mer  ;  Toi  qui  as  créé  la  mer 
et  qui,  par  ta  puissance,  lui  as  fixé  ses  bornes,  je  te  supplie 
pour  tous  mes  péchés,  Toi  qui  es  au  ciel  le  Fils  dans  le  Père, 
et  dont  le  Père  est  en  toi  éternellement  ;  Toi  qui  trônes  au- 
dessus  des  chérubins  et  des  séraphins,  au  siège  de  ta 
majesté  1.  » 

Or,  dans  le  même  temps  que  l'Éghse  priait  ainsi,  au 
11^  et  au  III®  siècle,  on  représentait  aux  catacombes  les  mira- 
cles du  Christ  :  les  guérisons  de  l'hémorrhoïsse,  du  paralytique 
(pi.  X,  2),  du  lépreux,  la  résurrection  de  Lazare  (pi.  VIII,  i), 
le  repas  miraculeux  auprès  du  lac  de  Tibériade,  la  multipli- 
cation des  pains  (pi.  VIII,  2)  et  le  miracle  de  Cana.  Com- 
ment ne  pas  être  frappé  d'un  tel  rapprochement?  Et  s'il  est 
vrai  que  les  types  bibliques  ont  été  adoptés  et  choisis  pour 
signifier  la  miséricorde  divine,  comment  ne  pas  reconnaître, 
dans  les  miracles  du  Christ,  l'attestation  de  sa  puissance 
infinie,  divine,  en  même  temps  que  de  sa  bonté?  Comment 
ne  pas  expliquer  leur  présence  dans  les  cimetières  chrétiens 
par  la  grande  idée  du  salut? 

Il  est  vrai  que  les  Pères  ont  tiré  de  certains  miracles  rap- 
portés dans  les  Évangiles  des  appHcations  symboHques  bien 
plus  subtiles.  Tertullien  voyait  dans  le  paralytique  empor- 
tant son  Ut,  après  s'être  plongé  dans  la  piscine  de  Bethsaïda, 
une  allusion  au  baptême.  Mais  ne  voit-on  pas  que  c'est  là 
un  rapprochement  littéraire  ou,  tout  au  moins,  une  pensée 
accidentelle,  qui  ne  pouvait  avoir  de  répercussion  sur  le 
sens  général  des  décorations  cimétériales?  Et  si  même  le 

I.  Karl  Michel,  op.  cit.,  p.  6. 


Planche  VlJI, 


I.  Résurrection  de  Lazare,  cim.  de  Calliste.  2^'  moitié  du  11^  s.  (Wil- 
pert,  46).  —  2  Multiplication  des  pains,  crypte  de  Lucine,  2^  moitié  du 
11^  s.  (Wilpert,  120).  —  3.  Poisson  et  trident,  cf.  no  i  (Wilpert,  39).  — 
4.  Poisson  et  corbeille  de  pains,  crypte  de  Lucine,  i^e  moitié  du  11^  s. 
(Wilpert,  27). 


LES  MIRACLES  DU  CHRIST  93 

paralytique  emportant  son  lit  fit  jamais  penser  au  baptême, 
il  paraîtra  manifeste  que  c'est  là  une  signification  tardive, 
car  sa  présence  aux  catacombes  n'est  point  due  à  d'autres 
causes  que  celle  du  lépreux  ou  de  l'aveugle.  Or,  ceux-ci  ne 
firent  jamais  allusion  qu'à  la  puissance  du  Christ.  De  même, 
il  conviendra  d'examiner,  en  étudiant  les  banquets  chrétiens 
des  catacombes,  si  le  repas  miraculeux  au  bord  du  lac  de 
Tibériade,  la  multiplication  des  pains  et  même  les  noces  de 
Cana  ne  sont  pas  rattachés  par  des  rapports  étroits  au 
repas  eucharistique  et  à  la  Cena  cœlestis.  Le  témoignage  des 
Pères  sera  précieux.  Mais  substantiellement,  ces  miracles 
ne  peuvent  être  séparés  des  autres.  Quelles  que  soient  les 
pensées  dont  ils  ont  pu  s'enrichir,  ils  n'en  garderont  pas 
moins  leur  signification  initiale.  Ils  attesteront,  d'abord  et 
avant  tout,  le  pouvoir  sans  limites  du  Seigneur  et,  comme 
les  miracles  de  Dieu  en  faveur  d'Israël,  ils  manifes- 
teront la  foi  inébranlable  des  fidèles  en  la  clémence  de  leur 
Maître. 

Il  n'est  pas  rare,  à  partir  du  m®  siècle,  de  voir  le  Christ 
opérant  des  miracles  sous  la  figure  humaine.  Aucun  attribut, 
aucun  trait  bien  distinct  n'indique  sa  divinité.  Jeune, 
debout,  il  est  vêtu  du  paUium  et  son  pouvoir  s'exprime 
uniquement  par  la  baguette  que  l'antiquité  donnait  aux 
magiciens  et  que  la  peinture  cimétériale  elle-même  avait 
déjà  prêtée  à  Moïse. 

C'est  ainsi  que,  peu  à  peu,  les  épisodes  sacrés  tendaient  à 
s'assimiler  dans  l'art  chrétien  à  la  représentation  ordinaire 
de  faits  historiques,  et  que  la  figure  suprême  de  la  religion 
nouvelle  revêtait  les  caractères  d'une  simple  et  noble  huma- 
nité. Mais  les  symboles,  Orphée,  le  bon  Pasteur,  ne  cessaient 
pas  d'être  aimés.  Il  en  était  même,  plus  mystérieux,  plus 


94  L'ART  DES  CATACOMBES 

profonds,  en  qui  les  chrétiens  reconnaissaient,  pour  ainsi 
dire,  la  quintessence  de  leur  foi  :  nous  voulons  parler  sur- 
tout du  symbole  du  poisson. 

Le  Poisson,  le  Pain  et  le  Vin.  Il  résulte  du  témoignage 
de  tous  les  Pères,  depuis  le  ii^  jusqu'au  vi®  siècle,  comme 
aussi  de  l'examen  d'une  multitude  de  monuments,  que  le 
poisson,  soit  par  son  nom,  Ij^-ôc,  soit  par  son  image  réelle, 
signifiait  le  Christ.  Il  était  du  Christ  la  figure  symbohque, 
la  représentation  la  plus  claire  et  la  plus  répandue,  à  ce 
point  que,  pour  quahfier  le  Sauveur,  le  Christ,  Origène 
choisissait  ces  mots  :  b  rponixô);  Asyo^evoç  ly^vç^  «  celui 
que  figurativement  nous  appelons  Ichthys  ».  Il  ne  s'agit  pas 
là  d'une  opinion  personnelle,  c'est  la  constatation  d'un  fait. 
En  effet,  sous  l'apparence  du  poisson,  les  chrétiens  reconnais- 
saient leur  bienfaiteur  et  leur  maître.  «  Nous  renaissons  dans 
l'eau,  dit  Tertullien,  à  l'image  de  notre  maître,  l' Ichthys, 
Jésus-Christ.  »  Il  est  manifeste  que  cette  interprétation  était 
connue  de  tous  les  fidèles  et  par  tous  adoptée. 

Mais  d'où  provenait-elle?  Comment  le  Christ  avait-il  pu 
être  identifié  avec  le  poisson?  La  question  ainsi  posée  n'est 
pas  définitivement  résolue. 

L' Ichthys  étant  souvent  représenté  par  un  dauphin,  on  a 
pu  se  demander  si  ce  poisson  secourable  aux  humains, 
emprunté  aux  décorations  funéraires  de  l'antiquité,  en  même 
temps  que  les  autres  éléments  du  cycle  maritime,  n'avait 
pas  engendré  l'idée  du  poisson  en  tant  que  sauveur  de  l'hu- 
manité? Mais  le  dauphin  apparaît  surtout  au  iii®-iv®  siècle, 
bien  longtemps  après  le  simple  poisson.  D'autre  part,  l'idée 
du  salut  par  l' Ichthys  n'est-elle  pas  bien  antérieure  aux 
images  que  nous  possédons?  Elle  pourrait  se  trouver  en 


LE  POISSON,  LE  PAIN  ET  LE  VIN  95 

rapport  avec  le  banquet  eucharistique  (Actes,  II,  42),  célé- 
bré par  les  chrétiens  depuis  le  temps  des  Apôtres,  pour  répé- 
ter la  dernière  Cène.  Enfin,  on  a  remarqué  depuis  longtemps 
que  les  cinq  lettres  composant  le  mot  '^X^^^  étaient  les 
initiales  des  mots  suivants  :  'l[y,(7oi3ç]  X[pi(7roç]  ©[eoO]  Y[îoç] 
l[(ùTY}p],  «  Jésus-Christ,  Fils  de  Dieu,  Sauveur».  Une  telle 
rencontre  ne  semble  pas  fortuite.  C'était  là,  pour  tout  chré- 
tien, une  véritable  profession  de  foi,  cachée  sous  une  sorte 
de  jeu  littéraire,  un  acrostiche  qui  contenait  en  soi  le  fonde- 
ment de  la  croyance.  Il  avait  vu  le  jour,  dit-on,  à  Alexandrie 
où  Ton  aimait  de  tradition  les  compositions  habiles  de 
lettres,  les  vers  sibyllins.  Et  ce  serait  une  protestation  contre 
la  légende  frappée  sur  les  monnaies  d'Alexandrie,  sous  le 
règne  de  Domitien  (8i-g6)  :  AvroKpdTOdp  Kaîo-ap  0£oû  vioç 
AofiiTiixvbç  2e^a(JT0ç  T epfiav ly^ôç. 

César,  fils  de  Dieu!  Les  chrétiens  auraient  relevé  le  blas- 
phème. S'inspirant  des  formules  de  la  titulature  impériale, 
opposant  le  prénom  au  prénom  et  le  nom  gentilice  au  nom 
gentilice,  la  filiation  à  la  fiHation,  le  surnom  au  surnom,  ils 
auraient  démenti  dans  leur  formule  la  divinité  impériale  et 
revendiqué  pour  le  seul  Christ  le  titre  de  Fils  de  Dieu.  Cette 
exphcation  est  très  vraisemblable.  On  l'adopte  généralement. 

Mais  encore  hésitons-nous  à  la  tenir  pour  suffisante;  car 
la  formule  alexandrine  peut  n'être  que  l'interprétation  d'un 
symbole  déjà  connu  (cf.  Bibliographie). 

Quoi  qu'il  en  soit,  les  images  du  Poisson-Christ  se  multi- 
pUèrent  au  11  e  siècle.  On  le  représentait  seul  sur  les  dalles 
funéraires,  les  pierres  gravées,  et  lui  seul  se  suffisait;  ou  bien 
on  l'associait  aux  autres  motifs  symboHques  qui  prenaient, 
alors,  de  par  sa  présence,  une  valeur  plus  idéalement  par 
faite  (fig.  6).  L'ancre,notamment,  lui  fut  associée.  La  réunion 


96 


L'ART   DES   CATACOMBES 


de  ces  deux  symboles  était  d'une  clarté  sans  seconde.  Elle 
criait  l'espoir  en  Christ.  Et  surtout,  l'ancre  était  une  représen- 
tation, à  peine  déguisée  souvent,  de  la  croix.  Représenter  le 
poisson  à  côté  d'elle,  c'était  rappeler  le  Calvaire  et  l'œuvre 
accomplie  du  salut  humain.  On  alla  plus  loin,  afin  de 
paraître  plus  saisissant  :  une  gemme  du  Musée  britannique 
montre  le  poisson  mystique  posé  sur  la  tige  d'une  ancre  cru- 
ciforme (fig.  7);  sur  l'épitaphe  de 
Victorianus,  au  cimetière  de  Calliste, 
il  apparaît  attaché  au  trident.  Dans 
une  fresque  de  la  même  nécropole,, 
on  l'y  voit  enroulé  (pi.  VIII,  3).  Bien 
qu'ici  l'imitation  de  modèles  anti- 
ques soit  évidente,  il  n'en  est  pas 
moins  vrai  qu'on  entendait  par  là 
figurer  la  forme  du  supplice  infligé 
à  Jésus.  Et  l'on  pourrait  allonger 
presque  indéfiniment  la  liste  de  ces  exemples.  Les  monu- 
ments paraissent  inépuisables.  L'Ichthys,  aux  yeux  des 
chrétiens,  était  donc  bien  l'image  de  Jésus,  et  Jésus  était 
mort  sur  la  croix  pour  ouvrir  aux  âmes  les  portes  du  ciel. 
Rares  sont  les  représentations  où  le  poisson  est  symbole 
du  chrétien  ou  de  l'âme  élue.  Le  texte  souvent  cité  de  Ter- 
tullien  (De  Baptismo,  1)  :  nos  pisciculi  secundum  IX0TN 
nostrum  Jesum  Christum,  en  est  le  commentaire  indiqué. 

Bornons-nous  donc  à  marquer  fortement  la  signification 
du  Poisson-Christ,  car  c'est  d'elle  que  dépend,  au  fond,  l'in- 
terprétation des  symboles  dont  nous  allons  parler  et  qui 
sont  les  plus  difficiles  qui  soient  à  élucider  dans  tout  l'art 
chrétien  primitif. 

Dans  la  crypte  de  Lucine  (ii®  siècle),  il  est  deux  fresques 


FIG.  6. PIERRE  GRAVÉE, 

du  Musée  Kircher. 
(D'après    Pératé.) 


LE  POISSON,  LE  PAIN  ET  LE  VIN 


97 


dont  chacune  représente  un  poisson  d'espèce  indéterminée, 
non  pas  nageant  dans  Teau,  mais  posé  sur  le  sol  (pi.  VIII,4), 
vivant  d'ailleurs,  car  son  corps  est  tendu,  sa  bouche 
entr 'ouverte  ;  son  œil  est  clair,  sa  queue  frétille.  Devant  lui 
se  trouve  une  corbeille  portant,  en  guise 
de  couvercle,  une  tablette  chargée  de 
pains  et  à  l'intérieur  de  laquelle  on 
distingue  un  vase  «  rouge  »,  —  vase 
plein  de  vin  apparemment.  Il  n'y  a 
pas  aux  catacombes  de  représentation 
plus  célèbre,  mais  dont  le  sens  soit 
plus  fuyant. 

Un  fait  est  hors  de  doute  :  le  pois- 
son est  l'Ichthys.  En  second  lieu,  la 
corbeille  contenant  pains  et  vin  doit  se 
trouver  —  la  composition  le  prouve, 
—  en  relation  étroite  avec  le  poisson, 
autant  dire  avec  le  Christ.  Enfin,  on  peut  admettre  encore 
que  la  corbeille  et  le  vase  sont  des  éléments  matériels 
empruntés  aux  représentations  de  la  multiplication  des  pains 
et  des  noces  de  Cana.  Mais  l'Ichthys  ne  représente  point  le 
Christ  comme  thaumaturge.  D'autre  part,  pourquoi  le  vase 
dans  la  corbeille?  On  devine  que  les  chrétiens  virent  là  autre 
chose  que  le  souvenir  des  miracles.  Deux  interprétations 
sont  possibles  :  ou  bien  les  pains  et  le  vin  sont  symboles  des 
joies  célestes,  et  l'on  considérera  la  multiplication  des  pains 
et  les  noces  de  Cana  comme  figures  des  éternels  banquets 
servis  par  le  Christ  à  ses  élus;  ou  bien  nous  avons  sous  les 
yeux  une  allusion  au  pain  et  au  vin  mystiques  de  l'Eucha- 
ristie, les  miracles  symbolisant  l'aliment  de  salut  offert  par 
l'Église  aux  fidèles. On  sait  qu'au  cours  du  banquet  des  agapes, 


FIG.  7. PIERRE  GRAVEE 

du  Musée  britannique. 


98  L'ART   DES   CATACOMBES 

célébré  par  les  communautés  chrétiennes,  il  était  un  moment 
rituel  où  Tévêque  «  rompait  le  pain  »  et  le  distribuait  aux 
fidèles  pour  être  absorbé.  C'était  le  rite  suprême  du  ban- 
quet. Par  là  était  répétée  la  dernière  Cène  et  commémoré  le 
sacrifice  sanglant  du  Calvaire.  «Fraction  du  pain»  et  Eucha- 
ristie sont  termes  synonymes.  Le  vin  aussi,  on  le  verra  plus 
loin,  était  un  élément  du  banquet  de  communion.  Rien  ne 
s'oppose  donc  à  l'interprétation  eucharistique  i. 

Mais,  en  soi,  les  peintures  de  la  crypte  de  Lucine  ne  con- 
tiennent pas  d'indices  décisifs.  Il  est  vrai  qu'au  témoignage 
des  Pères,  les  miracles  de  la  multiphcation  des  pains  et  des 
noces  de  Cana  sont  figures  de  l'Eucharistie,  mais  les  plus 
anciens  de  ces  témoignages  ne  remontent  pas  plus  haut  que 
le  IV®  siècle.  On  ne  voit  donc,  jusqu'ici,  nul  moyen  d'expri- 
mer une  opinion  catégorique. 

Cependant,  il  est  un  texte  ancien  qui  ne  peut  être  passé 
sous  silence  en  ce  débat  :  c'est  la  fameuse  inscription  d'Aber- 
cius,  reconnue  chrétienne  aujourd'hui,  à  peu  près  unani- 
mement. 

Abercius,  un  évêque  d'Orient,  avait  composé  lui-même 
son  épitaphe,  au  commencement  du  m®  siècle.  «  Je  me 
nomme  Abercius,  y  lisons-nous;  je  suis  disciple  d'un  saint 
pasteur,  qui  fait  paître  son  troupeau  de  brebis  sur  les  mon- 
tagnes et  dans  les  plaines,  qui  a  de  grands  yeux  dont  le 
regard  atteint  partout.  »  Et  plus  loin  :  «  J'avais  Paul...  la 
foi  me  conduisait  partout.  Partout  elle  m'a  servi  en  nour- 
riture un  poisson  de  source,  très  grand,  très  pur,  péché  par 
une  vierge  sainte.  Elle  le  donnait  à  manger  aux  amis;  elle 

I.  Mgr.  Wilpert  tient  pour  assuré  qu'entre  les  deux  poissons  de  la 
crypte  de  Lucine,  là  où  aujourd'hui  le  stuc  est  arraché,  se  trouvait  repré- 
senté un  banquet  eucharistique.  L'affirmation  est  téméraire  ! 


LE  POISSON,  LE  PAIN  ET  LE  VIN 


99 


possède  un  vin  délicieux  qu'elle  donne  avec  le  pain.  »  Il 
serait  bien  difficile,  pour  ne  pas  dire  impossible,  de  nier  un 
rapport  étroit  entre  les  termes  d'Abercius  et  le  repas  eucha- 
ristique, tel  que  le  célébraient  les  chrétiens. 

L'inscription  de  Pectorius  d'Autun,  écrite  vers  la  même 
date  que  la  précédente,  n'est  guère  moins  explicite  :  «  Race 


^^^^TTWm^^^v'^     fi^ 


FiG.  8.  —  POISSONS  ET  PAINS.  (D'après  Grisar.) 


céleste  du  poisson  divin...,  reçois  ce  mets  doux  comme  le 
miel  du  Sauveur  des  âmes,  mange  avec  délices  tenant  le 
poisson  dans  les  mains.  » 

Il  reste  à  démontrer  que  ces  inscriptions,  applicables  à 
l'histoire  des  rites  liturgiques,  le  sont  aussi  à  l'interpréta- 
tion des  peintures  des  catacombes.  Mais  c'est  là  précisé- 
ment la  démonstration  qui  nous  manque.  Si  l'Ichthys  est 
le  ((  mets  doux  comme  le  miel  »  du  repas  eucharistique, 
il  est  aussi,  comme  nous  le  verrons  plus  loin,  la  nourriture 
symbolique  des  élus.  Laquelle  choisir  de  ces  deux  interpré- 
tations? Nous  sommes  porté  à  croire  que  le  poisson  et  le 
pain  et  le  vin  de  la  crypte  de  Lucine  faisaient  penser  à  la 
fois  au  banquet  liturgique,  moyen  de  salut,  et  à  la  table 
céleste,  récompense  des  élus.  Du  moins  les  deux  interpréta- 
tions ne  s'excluent-elles  pas. 

Un  marbre  des  Catacombes,  remontant  au  m®  siècle,  se 
rapporte  au  même  sujet.  Deux  petits  poissons  nageant  en 
sens  opposé  semblent  avaler  des  pains  placés  entre  eux.  L'in- 


100 


L'ART   DES   CATACOMBES 


scription  se  compose  de  ce  seul  mot  :  o-yvrpocpiov  (fig.  8).  Chré- 
tiens se  nourrissant  du  pain  de  l'Eucharistie  ?  Chrétiens 
appelés  au  séjour  divin  et  goûtant  les  joies  de  la  promesse? 
Nous  laissons  la  question  ouverte.  Elle  se  rattache  d'ailleurs 
à  l'étude,  que  nous  allons  aborder,  des  banquets  chrétiens. 

Les  Banquets  chrétiens.   Il  est  aux  catacombes  des 
banquets  funèbres.  On  les  célébrait  en  réahté  et  l'on  en  per- 


FIG.  g.    BANQUET   FUNÈBRE. 

pétuait  l'image  sur  les  tombeaux,  selon  un  double  usage  de 
la  Grèce  et  de  Rome,  auquel  les  chrétiens  étaient  restés 
fidèles.  Ils  réunissent  des  hommes,  des  femmes,  des  enfants, 
et  le  nombre  des  convives  est  naturellement  très  variable. 
C'est  un  banquet  funèbre,  très  probablement,  qui  est  repré- 
senté dès  la  fin  du  i^r  ou  au  commencement  du  ii©  siècle, 
au  cimetière  de  Domitille  (fig.  9). 

Il  y  a,  en  second  lieu,  des  banquets  célestes.  Et  c'en  est 
un  certainement  que  le  repas  des  cinq  vierges  sages  au  cime- 


Planche  IX. 


I.  Scène  de  banquet,  cini.  des  SS.  Pierre  et  Marcellin.  i^e  moitié  du 
IV^  s.  (Wilpert,  157).  — •  2.  Ban(iuet  de  la  Capella  Graeca,  cim.  de 
Priscille,  début  du  11'^  s.  (Wilpert,  15). —  3-4.  Bienheureux  au  paradis, 
cim,  de  Calliste,  2^  moitié  du  11^  s.  (Wilpert,  41). 


LES  BANQUETS  CHRÉTIENS  loi 

tière  de  Sainte- Agnès  i.  Mais  on  peut  éprouver  des  doutes 
sur  le  sens  des  banquets  qui  ont  rendu  célèbre  le  cimetière 
des  Saints-Pierre  et  Marcellin  (pi.  IX,  i). 

Les  convives  sont  de  tout  âge.  Ils  boivent  et  mangent. 
Ils  font  des  gestes  nombreux.  Il  en  est  qui  lèvent  leur  verre. 
Mais  notez  ce  détail  :  des  inscriptions  dans  le  champ 
semblent  répéter  les  ordres  des  convives  à  deux  personnages 
dont  les  noms  ne  changent  pas,  Iréné,  Agapé  :  Irène  da  calda  ! 
Agape  misce  mi  !  ou  bien,  les  rôles  étant  changés  :  Irène, 
misce!  Agape  porge  calda!  ce  qui  signifie  :  Agape,  Irène, 
donne  de  l'eau  chaude, emplis  mon  verre!  Cris  joyeux,  sem- 
ble-t-il,  et  tels  qu'en  jettent  les  convives  quand  le  vin 
abondamment  est  versé. 

Bosio  considéra  ces  banquets  comme  une  représentation 
des  agapes.  On  sait,  en  effet,  qu'une  partie  de  ce  repas,  avant 
et  après  la  fraction  du  pain,  pouvait  être  joviale.  Elle  le  fut 
même  parfois  à  l'excès,  au  témoignage  de  saint  Paul.  Mais 
que  signifiaient  les  noms  de  ces  échansonnes  Agapé,  Irène? 
Les  archéologues  se  trouvèrent  généralement  d'accord  pour 
estimer  qu'ils  désignaient  deux  figures  féminines  toujours 
présentes  à  ces  banquets,  mais  qui,  assises  ou  debout,  res- 
taient séparées  des  convives.  C'étaient,  dit-on,  les  personnifi- 
cations de  la  Paix  et  de  V Amour.  Dès  lors,  la  théorie  de 
Bosio  parut  caduque.  Et  les  banquets  des  Saints-Pierre  et 
Marcellin  furent  interprétés  comme  des  banquets  célestes. 

Est-ce  bien  certain?  On  s'étonnera  que  la  peinture  des 
joies  célestes  ait  pris  un  aspect  si  vulgaire.  Et  tandis  que  les 
orantes  au  paradis  ont  une  attitude  tout  inspirée  par  le 
respect  et  l'adoration;  tandis  que,  dans  le  banquet  où  nous 

I.  Perret,  Les  Catacombes  de  Rome  y  Paris,  1852. 


102  L'ART   DES   CATACOMBES 

avons  vu  Vibia  conviée,  des  païens  gardaient  un  maintien 
pénétré  de  recueillement  et  manifestaient  une  joie  extasiée, 
on  trouvera  étrange  que  les  âmes  chrétiennes  aient  été  ainsi 
représentées  fêtant  le  vin,  au  milieu  des  prairies  célestes. 

Dom  Leclercq,  rompant  en  cela  avec  les  théories  de 
Rossi  et  doutant  d'ailleurs  du  caractère  allégorique  d'Irène 
et  Agapé,  adopte  une  opinion  assez  subtile  :  «  Pour  nous, 
nous  serions  plus  disposé  à  ne  voir  aucun  rapport  entre  les 
devises  et  les  soi-disant  servantes  pour  qui,  d'ailleurs, 
cette  fonction  n'est  rien  moins  que  prouvée.  Les  ban- 
quets des  Saints-Pierre  et  Marcellin  seraient  des  allégories 
de  la  féhcité  des  élus  dans  le  paradis,  allégories  dans  lesquelles 
on  aurait  rappelé  le  rapport  qui  existait  entre  ces  banquets 
célestes  et  les  agapes  funéraires  par  des  inscriptions  emprun- 
tées au  rituel  de  Tagape  i.  »  Mais  pourquoi  faire  intervenir 
ici  les  banquets  funéraires?  Ainsi  qu'on  peut  le  voir  par  la 
scène  du  cimetière  de  Domitille,  ils  ne  comportaient  pas 
cette  joie.  S'il  existe  une  allégorie,  elle  repose  plutôt  sur 
l'interprétation  de  Bosio  :  les  agapes  terrestres,  auxquelles 
président  la  Paix  et  l'Amour,  sont  l'image  des  agapes  éter- 
nelles dans  le  paradis. 

Parlons  enfin  du  repas  eucharistique  proprement  dit  ou 
fraction  du  pain. 

Selon  de  Rossi  et,  plus  récemment,  MgrWilpert,  chaque 
fois  que  furent  représentés,  aux  catacombes,  la  multiplica- 
tion des  pains  (Matth.,  14,  15;  Marc,  6,  35;  Luc,  9,  12),  le 
banquet  des  Sept  (Jean,  21),  les  noces  de  Cana,  il  fut  fait 
une  allusion  directe  au  banquet  liturgique.  Que  les  corbeilles, 
le  poisson,  les  pains,  la  coupe  de  vin  apparaissent  rangés  à 

I.  Dictionn.  d'archéol.  chrét.,  I,  col,  842 


LES  BANQUETS  CHRÉTIENS  103 

droite  et  à  gauche  des  convives  ou  devant  eux,  on  peut 
être  assuré  que  l'on  se  trouve  en  présence  d'une  figure  de  la 
f radio  panis.  C'est  là,  pour  ces  érudits,  une  théorie  essen- 
tielle, un  système  fondamental  que  nous  avons  déjà  esquissé 
et  dont  malheureusement  il  est  difficile  de  donner  la  preuve 
à  raison  de  la  date  tardive  où  les  Pères  ont  affirmé  l'exis- 
tence de  ces  symboles. 

Cette  preuve  serait  patente,  au  contraire,  si  le  banquet 
d'origine  biblique  était  marqué  de  traits  contemporains, 
si  l'on  y  pouvait  reconnaître  des  détails  de  réalité  impli- 
quant l'intention  de  représenter,  en  même  temps  qu'une 
figure  de  la  fractio  panis,  le  repas  liturgique  lui-même. 

Or,  cette  preuve,  Mgr  Wilpert  croit  l'avoir  découverte 
dans  une  scène  de  banquet  décorant  la  partie  supérieure  d'un 
arcosole  au  cimetière  de  Priscille,  dans  la  crypte,  devenue 
par  là  célèbre,  de  la  Capella  Graeca  (pi.  IX,  2).  La  fresque 
remonte  à  la  première  moitié  du  11  ^  siècle.  En  voici  la  des- 
cription sommaire  : 

Sept  convives  prennent  part  au  banquet;  devant  eux  se 
voient  une  coupe,  un  poisson  servi  sur  un  plat  ;  à  droite  et  à 
gauche,  des  corbeilles  sont  rangées.  Or,  l'un  de  ces  person- 
nages, placé  à  l'extrémité  droite  du  demi-cercle,  étend  les 
bras  ;  des  deux  mains  il  tient  quelque  chose  qui,  en  raison 
du  moment,  du  lieu,  du  geste,  ne  peut  être  que  du  pain.  Il 
«  rompt  »  le  pain,  dit  Mgr  Wilpert.  C'est  l'évêque  présidant 
le  banquet  liturgique  et  prêt  à  distribuer  l'Eucharistie  aux 
fidèles. 

De  graves  objections  ont  été  faites  à  cette  interprétation. 
Comme  Mgr  Wilpert  étabht  un  rapport  voulu  entre  le 
nombre  des  convives,  sept,  et  le  banquet  des  sept  disciples 
au  bord  du  lac  de  Tibériade,  on  fit  remarquer  qu'au  cime- 


104  L'ART   DES   CATACOMBES 

tière  de  Priscille,  il  était  une  femme.  Ce  rapport  ne  pouvait 
donc  guère  exister.  En  second  lieu,  le  geste  qu'on  fait  pour 
rompre  le  pain  n'est  pas  d'étendre  les  bras,  mais  de  les 
replier  vers  soi.  Et  si  ce  geste  indique  la  fraction  du  pain, 
pourquoi  d'autres  convives  le  font-ils  en  même  temps? 
Pourquoi  surtout,  quand  a  lieu  un  acte  solennel,  auguste,  ne 
prêtent-ils  à  celui  qui  l'accomplit  qu'une  si  médiocre  atten- 
tion? 

On  le  voit,  la  preuve  fait  défaut.  Il  y  a  tout  au  moins  une 
exagération  dans  la  théorie  de  Mgr  Wilpert.  Sans  doute,  et 
nous  l'avons  dit  plus  haut,  l'Ichthys  et  le  pain  et  le  vin, 
dont  la  signification  mystique  est  attestée  par  l'inscription 
d'Abercius,  n'étaient  pas  sans  faire  souvenir  de  la  fractio 
panis  et  de  la  manducation  rituelle  du  banquet  des  agapes  ; 
mais  le  repas  de  la  Capella  Graeca  n'est  pas  une  représenta- 
tion réelle  de  ce  banquet;  c'est  plutôt  l'idée  de  la  cena  cœ- 
lestis  qui  prédomine.  Il  en  est  de  même,  pensons-nous,  pour 
les  banquets  des  Sept  représentés  dans  les  chapelles  des 
Sacrements,  au  cimetière  de  Calliste  (pi.  X,  4). 

Partout,  Mgr  Wilpert,  entraîné  par  la  logique  de  son 
système,  reconnaît  dans  les  décorations  des  catacombes  des 
intentions  didactiques.  Les  images,  pour  lui,  s'associent 
pour  symboliser  aux  yeux  tout  un  corps  de  doctrines. 

«  Le  cycle  de  la  Capella  Graeca,  écrit-il,  commence  par  trois 
représentations  du  baptême,  c'est-à-dire  Moïse  frappant  le 
rocher,  le  paralytique  et  l'administration  du  baptême,  dont 
il  ne  reste  qu'un  chétif  fragment;  vient  ensuite  l'adoration 
des  Mages,  par  laquelle  l'auteur  du  cycle  exprime  sa  foi  dans 
l'incarnation  du  Fils  de  Dieu  dans  la  Vierge  Marie;  trois 
autres  panneaux  :  Daniel  parmi  les  lions,  le  sacrifice  d'Abra- 
ham et  la  fractio  panis,  se  rapportent  à  l'Eucharistie  comme 


Planche  X 


I.  Moïse  et  pêcheur,  cim.  de  Calliste,  2''  moitié  du  11^  s.  — 
2.  Pêcheur,  baptême  du  Christ,  paralytique,  cim.  de  CalHste,  2''  moi- 
tié du  11'^  s.  (Wilpert,  27).  —  3.  Adoration  des  Mages,  cim.  de  Domi- 
tille,  I'*'  moitié  du  IV''  5. (Wilpert,  116). 


LES  BANQUETS  CHRÉTIENS  105 

banquet  et  comme  sacrifice;  Lazare  et  les  saisons  de  Tan- 
née symbolisent  la  résurrection,  qui  est  un  fruit  de  la  récep- 
tion de  TEucharistie;  Noé  et  l'histoire  de  Suzanne  nous  font 
voir  comment  Dieu  protège  dans  leurs  nécessités  ses  fidèles 
et  contient  une  exhortation  indirecte  à  persévérer  dans  la 
foi  en  la  puissance  divine  et  dans  Tespérance  de  la  récom- 
pense promise  en  l'autre  vie;  dans  le  dernier  panneau,  le 
défunt  est  représenté  en  orant  dans  la  compagnie  des 
saints  ^.  » 

Cette  suite  d'interprétations  est  arbitraire;  cette  logique 
repose  sur  un  postulat.  «  On  se  demande  en  vérité,  dit  Dom 
Leclercq,  si  un  guide  mystérieux  est  sorti  de  quelque  locu- 
lus  inviolé  pour  révéler  toute  cette  explication.  Nous  savons 
assez  qu'il  n'en  est  rien...  Laissons  donc  l'imagination  et 
tenons-nous-en  au  bon  sens.  Il  n'est  pas  douteux  que  chaque 
sujet,  pris  en  particulier,  ne  représente  une  scène  biblique 
ou  contemporaine.  Plusieurs  d'entre  ces  sujets  peuvent 
être  non  seulement  historiques,  mais  allégoriques.  Aller  au 
delà,  c'est  sortir  de  la  science  sérieuse.  Nous  ne  nous  y  arrê- 
terons pas  2.  » 

Ni  trop  d'imagination,  ni  trop  de  scepticisme,  dirons- 
nous.  Les  cycles  restitués  par  de  Rossi  et  Mgr  Wilpert  sont 
invraisemblables.  Chaque  symbole  doit  être  étudié  en  lui- 
même. 

Il  est  bien  certain  que,  dans  les  chapelles  des  Sacrements, 
au  cimetière  de  Calliste  (début  du  m®  siècle),  le  baptême  du 
chrétien  fut  représenté  en  même  temps  que  le  baptême  de 
Jésus;  mais  de  savoir  si  le  pêcheur  prenant  un  poisson. 
Moïse  frappant  le  rocher  (pi.  X,i),  la  figure  puisant  de  l'eau 

I   Wilpert,  Ma/emew,  p.  151  et  suiv.  Dom  Leclercq,  Manuel,  p.  20^. 
2.  Dom  Leclercq,  Manuel,  p.  205. 

8 


io6  L'ART  DES  CATACOMBES 

sont  s)niiboles  du  baptême,  ainsi  que  cela  paraît  évident  selon 
la  logique  des  cycles  sjnnboliques,  voilà  qui  reste  bien  dou- 
teux; car  le  pêcheur  peut  indiquer  simplement  le  paysage,  et, 
selon  la  logique  de  l'idée  du  salut,  les  autres  scènes  faire 
allusion  au  refrigerium. 

De  même,  on  voit  dans  les  chambres  des  cimetières  de 
Calliste,  à  côté  du  banquet  des  Sept  (pi.  X,  4),  une  orante 
debout  près  d'une  petite  table,  sur  laquelle  un  poisson  est 
servi  (pi.  IX,  3).  Un  personnage  étend  le  bras  vers  le 
poisson.  C'est,  pour  Mgr  Wilpert,  un  prêtre  accomplissant 
l'acte  de  la  consécration  et,  à  côté  de  lui,  une  chrétienne 
sauvée  par  l'Eucharistie.  Mais  cette  explication  n'est  pos- 
sible que  si  le  repas  des  Sept  est  bien  le  banquet  liturgique. 
D'autre  part,  il  est  difficile  de  supposer  l'orante  au  ciel, 
tandis  que  la  table  et  le  personnage  voisin,  qui  font  partie 
du  même  groupe,  seraient  sur  la  terre.  N'est-ce  pas  une 
autre  forme  du  banquet  céleste?  On  pourrait  multiplier 
les  exemples  de  ce  genre  pour  démontrer  combien  fut 
audacieuse  à  l'excès  la  théorie  des  cycles. 

En  résumé,  l'Ichthys  signifie  le  Christ.  Il  constitue,  avec 
le  pain  et  le  vin,  la  mystique  nourriture  des  fidèles  comme 
aussi  le  mets  symbohque  servi  aux  bienheureux  sur  les  gazons 
fleuris  du  verger  céleste.  C'est  lui  qui  confère  à  tous  les 
banquets  chrétiens  des  catacombes  leur  essentielle  unité. 

Autres  Scènes  chrétiennes.  La  Vierge.  Fresques 
POSTÉRIEURES  A  LA  Paix  DE  l' ÉGLISE.  Dans  Une  fresque 
célèbre  du  cimetière  de  Priscille,  on  croit  généralement 
reconnaître  la  vêture  d'une  vierge  consacrée  à  Dieu 
(pi.  XI,  4).  A  l'avant-plan,  la  même  figure  se  verrait  en 
orante;  dans  le  fond,   la  Vierge  tiendrait  l'Enfant  sur  ses 


AUTRES  SCÈNES  CHRÉTIENNES  107 

genoux  (pi.  XI,  3).  Mais  cette  interprétation  est  peu  sûre. 
N'était  la  difficulté  de  concevoir  comme  un  mariage  chrétien 
la  cérémonie  accomplie  par  le  prêtre,  il  serait  bien  plus 
vraisemblable  de  voir  en  cette  fresque  la  triple  représen- 
tation d'une  chrétienne  comme  épouse,  comme  mère  et 
comme  élue  1. 

Aussi  bien,  la  Vierge  apparaît  assez  souvent  et  très  tôt 
aux  catacombes.  Son  image  la  plus  connue  est  au  cimetière 
de  Priscille,  dans  une  fresque  du  ii®  siècle.  Assise,  elle  allaite 
l'Enfant.  Et  tandis  que  celui-ci  presse  son  sein,  tourne  la 
tête,  non  sans  mutine  pétulance,  elle,  gravement,  le  buste 
un  peu  penché,  l'enveloppe  de  ses  bras.  En  même  temps, 
elle  écoute  un  personnage  drapé  qui,  devant  elle,  parle  et 
dont  la  main  levée  indique  une  étoile  (pi.  XI, 2).  C'est  Isaïe, 
dit-on  généralement,  qui  compara  le  Seigneur  à  un  astre  nou- 
veau, dont  la  lumière  serait  éternelle.  En  réalité,  ce  n'est 
peut-être  que  le  héros  d'une  légende  que  nous  ignorons, 
montrant  l'étoile  qui  le  guida  vers  la  crèche. 

L'adoration  des  Mages  est  représentée  (pi.  X,3)  au  cime- 
tière de  Priscille  (Capella  Graeca) .  Il  est  une  Annonciation, 
semble-t-il,  au  cimetière  de  Domitille  (Cabrol,  Diction., 
fig.  76).  Les  deux  scènes,  sur  une  voûte  du  cimetière  des 
Saints-Pierre  et  Marcellin  du  iie-iiie  siècle  (Kaufmann, 
Handhuch,  fig.  134)  sont  figurées  en  même  temps  que  le 
baptême  du  Christ,  le  bon  Pasteur,  l'orante  et  le  Christ 
enseignant.  La  représentation  de  la  Vierge  tient  une  place 
importante   dans    l'iconographie    cimétériale.    Elle  montre 

I.  Cette  explication  proposée  par  Mitius  {Ein  Familienbild  aus  der 
Priscilla  Katakomhe,  i^^  fascicule  des  Studien  zum  christlichen  AUertum, 
de  Ficker)  est  repoussée  par  Mgr.  Wilpert  au  moyen  d'arguments 
non  péremptoires.  Voir  Malereien,  p.  141,  note  4. 


io8  L'ART  DES  CATACOMBES 

la  Mère  à  côté  du  Fils,  TAuxiliatrice,  peut-on  croire,  à 
côté  du  Rédempteur. 

Il  nous  reste  à  mentionner  ici  les  fresques  postérieures  à 
la  paix  de  l'Église.  Elles  représentent  pour  la  plupart  le 
Christ  en  la  gloire  de  son  paradis.  Ce  sont  des  images  de 
puissance  et  de  majesté  qui  naquirent  généralement  dans 
la  splendeur  des  temples,  quand  l'Église  célébra  son  triom- 
phe. Le  symbole  fait  place  au  dogme;  le  mystère  favorable 
aux  tombeaux  le  cède  à  la  lumière  inondant  les  vaisseaux 
des  basiliques. 

C'est  la  Majestas  Domini,  le  Christ  trônant  dans  le  ciel  au 
miheu  de  ses  apôtres  comme  un  roi  au  milieu  de  sa  cour.  Il 
apparaît  nimbé,  triomphant  (pi,  XÏI,2)  ;  ou  bien  il  enseigne 
la  Loi,  le  bras  levé,  le  geste  large,  tandis  que  les  apôtres, 
parmi  lesquels  Pierre  et  Paul  occupent  toujours  une  place 
d'honneur,  l'écoutent  (pi.  XII, i).  Parfois  (Pératé,  fig.  io6), 
il  remet  au  prince  des  apôtres  le  Livre  sacré  (TraditioLegis) . 
Toutes  ces  représentations  sont  étroitement  apparentées. 
Elles  font  du  Christ  le  Roi  de  la  gloire  et  le  Législateur 
suprême,  de  Pierre  et  de  Paul  les  premiers  témoins  de  la  loi 
divine. 

Plus  fréquente  encore  est  la  scène  où  le  Sauveur  accueille 
les  élus,  dont  les  introducteurs  au  paradis  sont,  le  plus  sou- 
vent, Pierre  et  Paul.  Ainsi  le  voyons-nous  poser  la  main,  en 
signe  de  bienveillance,  sur  la  tête  d'une  orante  dans  une 
fresque  du  cimetière  d'Hermès  qu'on  accoutuma,  sans  raison 
suffisante,  depuis  Bosio,  de  considérer  comme  un  Jugement 
de  l'âme  1  (Pératé,  fig.  iio).  Ailleurs,  il  se  présente  aux 
nouveaux  élus,  comme  autrefois  le  bon  Pasteur,  dans  les 

I.  La  scène  se  passe  au  ciel.  L'âme  est  déjà  reçue  parmi  les  bienheureux, 
son  geste  le  prouve. 


Planche  XI. 


I.  Entrée  de  Vencranda  au  paradis,  cim.  de  Domitille,  2*^  moitié  du 
IV  s.  (Wilpert,  21).  —  2.  La  Prophétie  d'Isaïe  (?),  cim.  de  Priscillc, 
ii-e  moitié  du  II''  s.  (Wilpert,  22).  —  3-4.  Scènes  de  famille,  cim.  de 
Priscille,    2^  moitié  du  III''  s.  (Wilpert,  79-81)- 


ESTHÉTIQUE  109 

jardins  fleuris  du  ciel  (PÉRATÉ,fig.iii).On  aura  remarqué  le 
rôle  des  saints.  Étant  invoqués  sur  terre  comme  de  puissants 
protecteurs,  ils  ouvrent  aux  âmes  les  portes  du  paradis. 

Déjà,  nous  avons  cité  saint  Pierre  et  saint  Paul,  vrais 
ministres  du  Seigneur.  Parfois,  on  devine  un  patron  spécial 
choisi  par  le  chrétien  avant  sa  mort  et  fidèle  à  le  recevoir 
au  seuil  du  séjour  bienheureux.  Au  cimetière  de  Domitille, 
Veneranda  est  introduite  par  sainte  Pétronille  (pi.  XI,  i). 
On  notera  qu'à  partir  du  iv®  siècle,  le  paradis  ne  res- 
semble plus  d'ordinaire  au  jardin  des  visions  primitives, 
mais  à  un  intérieur  de  palais  ou  de  basilique.  Telle  devait 
être  la  demeure  d'un  roi.  On  l'indique  par  des  colonnes.  On 
figure  la  porte  de  cette  cour  céleste  par  des  rideaux  glissant 
sur  tringles  que  les  saints  protecteurs  ouvrent  eux-mêmes 
afin  de  livrer  passage  à  l'orante  s'avançant  vers  Dieu,  les 
bras  tendus  (Pératé,  fig.  112  et  113).  A  partir  du  vi®  siècle, 
l'art  byzantin  envahit  les  catacombes  (pi.  XIII).  Le  Christ 
et  ses  saints  n'ont  plus  rien  de  la  grâce  antique.  Jetons 
donc  un  dernier  regard  sur  cette  peinture  primitive  des 
catacombes,  dont  semblable  ne  sera  plus  jamais,  dans  l'évo- 
lution de  l'art  chrétien,  aussi  noble,  aussi  fervente  ! 

L'Art  et  le  Beau  dans  la  Peinture  cimétériale. 
Qu'elle  soit  pleine  de  noblesse,  la  peinture  des  catacombes, 
tout  ce  qui  précède  l'a  suffisamment  démontré.  On  peut 
certes  lui  dénier  beaucoup  de  qualités  qui  font  les  chefs- 
d'œuvre  accomplis.  Même,  en  tenant  compte  de  la  déca- 
dence générale  des  arts  au  commencement  de  l'ère  chré- 
tienne, on  pourra  s'étonner  que  la  beauté  en  elle  soit  si  rare, 
la  vie  si  pauvre.  Le  dessin  n'a  plus  guère  de  sûreté  que  dans 
l'ornementation,  et  celle-ci,  tout  aimable  qu'elle  soit,  n'est 


iio  L'ART  DES  CATACOMBES 

point  très  variée  et  ne  se  renouvelle  pas.  Il  est  une  science 
de  composition,  pour  autant  que  la  tâche  du  peintre  se  con- 
fonde avec  celle  du  décorateur,  mais  la  représentation  de 
l'humanité  vivante,  agissante,  manque  de  vérité.  On  ignore 
le  mouvement  dans  l'action,  l'animation  dans  le  drame. 
Tout  épisode  est  figuré  selon  les  besoins  du  décor  et  régi  par 
les  principes  de  la  plus  froide  symétrie.  Le  pittoresque,  à  de 
rares  exceptions  près,  est  purement  imaginatif.  Enfin,  le 
don  merveilleux  d'exprimer  la  mobilité  de  l'esprit,  les  agita- 
tions de  l'âme,  dans  l'intention  de  frapper  les  yeux  et 
d'émouvoir  les  sentiments,  nul  peintre  des  catacombes  ne 
l'a  possédé.  Tout  cela  est  vrai,  il  faut  le  concéder.  Mais 
la  noblesse,  la  dignité,  le  je  ne  sais  quoi  de  suprême  dans  le 
geste  et  l'attitude,  par  quoi  se  crée  le  style  :  voilà  ce  qu'on 
ne  peut  refuser  à  la  peinture  catacombale. 

Les  personnages  qu'elle  présente  et  fait  mouvoir  ont 
quelque  chose  de  mystérieux.  Ce  sont  des  figures  graves,  aux 
poses  réfléchies,  aux  gestes  lents.  Sur  leurs  physionomies,  où 
parfois  se  devinent  des  tendresses  cachées,  jamais  le  sourire 
ne  fleurit.  Et  l'on  dirait  que  leurs  gestes  ne  sont  point  réels, 
tant  leur  esprit  paraît  absent,  étranger  aux  actes  qu'ils 
accomphssent.  C'est  qu'en  réahté,  cet  art  symbolique  en 
fait  les  acteurs  d'un  drame  dont  nous  apercevons  les 
extérieures  péripéties,  non  les  ressorts  intelligents.  Ils  n'ont 
rien  de  personnel  :  ce  sont  des  idées  bien  plus  que  des 
hommes  vivant  leur  vie;  moins  des  personnages  d'histoire 
que  les  instruments  d'une  pensée  voilée  à  dessein  :  pein- 
ture, au  premier  chef,  intellectuelle. 

Voilà  pourquoi,  malgré  tant  d'indigence  au  point  de  vue 
de  la  forme,  nous  ne  pouvons  dénier  la  noblesse  aux  atti- 
tudes tranquilles,  aux  gestes  mesurés  des  patriarches  et  des 


ESTHÉTIQUE  m 

bons  Pasteurs.  Qu'est-il  besoin  de  démontrer  leur  valeur 
symbolique?  Il  n'est  pas  de  plus  profond  symbole  que  la 
façon  dont  ils  traduisent  la  vie  réelle  ! 

La  peinture  cimétériale,  dans  ses  compositions  figurées, 
s'adresse  avant  tout  à  l'intelligence.  Elle  est  évocatrice  de 
souvenirs  et  d'idées.  C'est  pourquoi  elle  néglige  la  couleur 
locale,  les  agréments  pittoresques  et  la  vie  dans  l'histoire. 
C'est  pourquoi  aussi  elle  ne  concentre,  ni  ne  raconte,  en  les 
décrivant,  les  épisodes  qui  font  l'objet  de  ses  représentations  ; 
elle  se  contente  de  choisir  en  eux  le  détail  qui  en  fera  sou- 
venir le  mieux.  Pénétrée  d'ailleurs  de  cette  conviction  que 
son  rôle  premier  est  de  décorer,  elle  dissocie  sans  scrupules 
les  divers  éléments  d'une  action  :  qu'on  se  rappelle,  par 
exemple,  le  poisson  et  les  corbeilles  de  la  crypte  de  Lucine 
(pi.  VIII). 

Aussi  bien,  l'art  antique  ne  lui  avait-il  pas  donné  cet 
exemple?  Mais,  plus  audacieuse  encore  que  lui,  elle  use  de 
raccourcis  et  de  contaminations.  Elle  crée  des  associations 
de  faits,  pour  engendrer  des  associations  d'idées;  ainsi,  les 
corbeilles  de  la  multipUcation  des  pains  accompagnent  les 
banquets  célestes.  Elle  sélectionne  l'histoire.  Elle  soumet  la 
vie  au  sceptre  de  la  pensée.  Ce  que  les  cœurs  ont  inventé, 
elle  le  transporte  dans  la  réaUté  des  faits.  Et  quand  les 
yeux  contemplent  encore  des  choses  matérielles  savamment 
réunies,  l'esprit  agile  déjà  s'envole  et  se  perd  dans  l'immen- 
sité des  rêves. 

C'était  là  une  conception  subtile,  dont  les  détours  souvent 
nous  égarent,  mais  qui  repose,  au  fond,  sur  une  grande  naï- 
veté d'âme,  une  naïveté  d'enfant,  pour  qui,  entre  la  réalité 
et  le  rêve,  n'existe  point  l'abîme  que  creuse  l'expérience. 
C'était  une  conception  de  ferveur,  non  point  exprimée  par 


112  L'ART  DES  CATACOMBES 

des  émois  subits,  une  passion  expansive  aux  gestes  variés, 
mais  par  une  gravité  bien  plus  profondément  religieuse,  une 
sublimation  de  l'esprit,  une  concentration  de  l'âme... 

Au  fond,  ces  qualités  sont  bien  antiques.  Le  génie  de  l'art 
gréco-romain  s'était  là  parfaitement  adapté  aux  aspirations 
de  la  pensée  chrétienne.  Il  rendait  la  noblesse;  il  sut  rendre 
aussi  cette  joie  intime  de  la  société  chrétienne,  ces  allé- 
gresses et  ces  émotions  qui  avaient  leur  source  dans  la  paix 
et  qui  s'exprimaient  le  mieux  par  la  sérénité.  Est-il  rien  de 
plus  candidement  joyeux,  de  plus  idéalement  céleste  que 
les  paradis  des  catacombes?  En  réalité,  l'art  antique  avait 
l'habitude  du  surhumain,  et  l'irréel  tenait  une  place  impor- 
tante dans  sa  poésie  décorative.  Pour  le  comprendre,  à 
l'époque  des  origines  du  christianisme,  il  faut  se  rappeler  à 
la  fois  l'idéal  toujours  vivant  de  la  sculpture  attique  et  les 
fresques  de  Pompéi,  aux  couleurs  claires,  au  décor  aérien. 
Il  élevait  l'homme  en  beauté.  Il  transformait  la  nature  en 
grâce.  En  fallait-il  plus  pour  qu'il  fût  dans  la  société  chré- 
tienne un  merveilleux  moyen  d'expression? 

Aussi,  à  mesure  qu'il  déchut,  la  poésie  des  œuvres  chré- 
tiennes déchut  avec  lui.  C'est  la  preuve  qu'entre  l'idéal 
antique  et  cette  poésie  chrétienne,  il  y  avait  plus  qu'une 
association  momentanée,  plus  même  qu'une  intime  union  : 
nous  pouvons  dire  une  essentielle  unité,  dont  la  vigueur 
était  indispensable  à  la  fécondité,  à  la  beauté  de  l'art.  Tout 
démontre,  dans  les  œuvres  de  sens  chrétien  et  d'allure  anti- 
que, la  possibihté  d'une  prodigieuse  Renaissance.  Ébauchée 
aux  catacombes,  elle  tendit  à  se  manifester  pleinement 
après  le  triomphe  de  l'Église;  mais  les  invasions  ruinèrent 
tout  espoir.  Et  comme  elle  fut  longue,  après  cela,  l'attente 
de  la  résurrection  des  arts  ! 


BIBLIOGRAPHIE  113 

BIBLIOGRAPHIE.  —  La  «  littérature  »  moderne  relative  aux  cata- 
combes commence  avec  l'œuvre  de  J.-B.  de  Rossi,  consacré  également  à 
la  topographie  des  cimetières  et  à  l'interprétation  des  fresques  et  bas- 
reliefs.  C'est  un  monument  impérissable  que  la  Roma  sotterranea  cristianay 
3  vol.,  in-fol.,  Rome,  1864-1877.  A  consulter  aussi  les  articles  nombreux  de 
DE  Rossi  dans  le  Bullettino  di  avcheologia  cristiana  (1803-1894),  revue  fon- 
dée par  le  célèbre  archéologue  et  qui  se  perpétue  aujourd'hui  dans  le  Nuovo 
Bullettino  di  avcheologia  cristiana  (depuis  1895). 

Le  grand  ouvrage  de  de  Rossi  est  résumé  par  Spencer  Northcote  et 
W.  R.  Bronlow,  Roma  sotterranea,  Londres,  première  édition,  1869 
deuxième  édition,  187g;  ce  livre  fut  lui-même  traduit  et  augmenté  par 
P.  Allard,  Rome  souterraine^  Paris,  1873,  deuxième  édition,  1874.  Citons 
encore  Henri  de  l'Épinois,  Les  Catacombes  de  Rome,  Bruxelles,  1898» 
(résumé  du  précédent)  ;  M.  Lefort,  Etudes  sur  les  monuments  primitifs  de 
la  peinture  chrétienne  en  Italie,  Paris,  1885;  Pératé,  V Archéologie  chré- 
tienne, Paris,  1894;  Kraus,  Geschichte  der  christlichen  Kunst,  I,  Fribourg- 
en-Brisgau,  1895;  O.  Marucchi,  Eléments  d'archéologie  chrétienne,  3  vol., 
Rome,  1899- 1903.  Tous  ces  volumes  procèdent  directement  de  l'ensei- 
gnement de  de  Rossi.  La  position  actuelle  des  disciples  et  continuateurs 
du  maître  est  indiquée  dans  ses  points  essentiels  par  l'ouvrage  récent  de 
O. Marucchi,  Le  Catacombe  romane,  compendio  délia  «Roma  sotterranea  », 
seconda  edizione,  messa  al  corrente  délie  piu  recenti  scoperte,  in-S», 
Rome,  1905. 

Par  rapport  à  l'interprétation  des  fresques,  les  théories  du  grand  archéo- 
logue romain  furent  corrigées  sur  un  point  capital,  la  signification  des 
scènes  de  l'Ancien  Testament,  par  Edm.  Le  Blant,  Etude  sur  les  sarco- 
phages chrétiens  antiques  de  la  ville  d'Arles  (coll.  des  Monuments  pour  servir 
à  l'histoire  de  la  France^,  Paris,  1878.  L'introduction  de  cet  ouvrage  est 
d'une  lecture  indispensable. 

Dans  le  même  temps,  l'érudition  protestante  donnait  les  livres  suivants  : 
Th.  RoLLER,  Les  Catacombes  de  Rome,  1  vol.,  in-folio,  Paris,  1881  (la  meil- 
leure illustration  des  peintures  cimétériales,  jusqu'en  ces  derniers  temps; 
opposition  exagérée  au  symbolisme)  ;  V.  Schulze,  Archaeologische  Stu- 
dien,  Vienne,  1880,  et  Archaeologie  der  christlichen  Kunst,  Munich,  1895 
(parmi  ceux  qui  critiquèrent  les  théories  exégétiques  de  de  Rossi,  le  plus 
remarquable;  toujours  à  consulter);  N.  Muller,  art.  Koimeterien,  dans 
Realenzyklopœdie  fuer  protestant.  Théologie  und  Kivché). 

Parmi  les  ouvrages  récents,  le  plus  important,  celui  qui  devait  donner 
un  nouvel  essor  aux  études  d'archéologie  chrétienne,  est  le  suivant  :  Wilpert 
Die  Malereien  der  Katakomben  Roms,  2  vol.,  in-folio,  dont  un  volume  de 
texte  (595  p.)  et  un  volume  contenant  plus  de  250  planches  en  noir  et 


114  L'ART  DES  CATACOMBES 

en  couleurs,  Fribourg,  Herder,  1903;  édition  italienne  :  Le  Pitture  délie 
Catacomhe  romane,  Rome,  Desclée,  1903  (illustration  définitive  des  pein- 
tures cimétériales).  Mgr  Wilpert,  déjà  auteur  de  travaux  importants 
sur  le  symbolisme  chrétien  primitif,  notamment  :  Principienfragen  der 
christlichen  Archaeologie,  Fribourg,  1889,  est  le  protagoniste  du  symbo- 
lisme didactique,  dogmatique,  et  des  cycles  de  représentations  étroitement 
liées  les  unes  aux  autres.  Il  a  trouvé  des  contradicteurs  sympathiques,  mais 
résolus  dans  Dom  Leclercq,  Manuel  d'archéologie  chrétienne,  2  vol., 
Paris,  1906;  Id,,  Dictionnaire  d'archéologie  chrétienne  et  de  liturgie  (Dom 
Cabrol),  article  Catacombes  (art  des)  ;  M.  Besnier,  Les  Catacombes  de  Rome, 
Paris,  1909  (livre  excellent  aussi  pour  ce  qui  concerne  le  topographie  des 
catacombes)  ;  C.  M.  Kaufmann,  Handbuch  der  christlichen  Archcsologie, 
Paderborn,  1905. 

A.  Pératé,  en  publiant  dans  l'Histoire  de  l'Art  (A.  Michel),  in-80, 1. 1, 
Paris,  1905,  le  chapitre  Commencements  de  l'art  chrétien  primitif  en  Occi- 
dent, n'a  pas  modifié  notablement  les  idées  exprimées  dans  son  Manuel. 
Au  contraire,  le  livre  de  L.  von  Sybel,  Christliche  Antike,  Marbourg,  1906, 
va  beaucoup  trop  loin  en  considérant  le  symbolisme  chrétien  comme  la 
dernière  fleur  de  l'esprit  antique. 

Comme  recueil  de  textes  destinés  à  expliquer  les  peintures  :  E.  Hen- 
NECKE,  Altchristliche  Malerei  und  altchristliche  Litteratur,  Leipzig,  1896. 

Sur  les  autres  catacombes  que  celles  de  Rome,  relevé  et  bibliographie 
dans  Leclercq,  Dictionnaire  (Cabrol),  article  Catacombes,  fasc.  XX. 

Il  serait  long  de  citer  tous  les  articles  et  monographies  relatifs  à 
l'interprétation  des  fresques.  Nous  ne  signalerons  que  quelques  travaux 
spécialement  remarquables  ou  se  rattachant  à  des  sujets  de  prime  impor- 
tance. 

Sur  la  peinture  antique  :  A.  Mau,  Pompéï,  its  Art  and  Life,  in-S», 
Londres,  1907;  son  influence  sur  la  peinture  chrétienne  au  point  de  vue 
décoratif  :  Leclercq,  Dictionnaire  (Cabrol),  article  Amours;  scènes 
bibhques  :  K.  Michel,  Gebet  und  Bild,  in-80,  Leipzig,  1902,  fascicule  pre- 
mier des  Studien  ueber  christliche  Denkmaeler,  de  Johannes  Ficker,  Leipzig, 
Weicher;  cette  collection  de  monographies,  paraissant  à  raison  de  deux 
ou  trois  par  an,  depuis  1902,  succède  aux  Studien  zum  christlichen  Aller - 
tum  u.  Mittelalter,  Leipzig,  Dieterich  (Weicher),  1895-1901,  publiées  déjà 
sous  la  direction  du  même  savant.  Travaux  de  valeur. 

Sur  l'Ichthys  :  Mowat,  'lidvç  {Atti  del  congresso  di  archeol.  cristiana, 
Rome,  1900,  p.  I)  :  origine  alexandrine  du  Poisson;  Achelis,  Das  Symbol 
des  Fisches,  Marbourg,  1888  (contra  :  Wilpert  dans  Principienfragen,  op. 
cit.).  La  théorie  de  R.  Pischel  (Ursprung  des  christlichen  Fischsyrnbols, 


BIBLIOGRAPHIE  115 

Comptes-rendus  de  l'Académie  des  sciences  de  Berlin,  1905,  et  Berlin,  Rei- 
mer,  1905)  d'après  laquelle  le  Poisson  serait  originaire  de  l'Inde,  n'est  pas 
destinée  à  vivre.  Beaucoup  plus  importants  sont  les  rapprochements  avec 
les  rites  syriens  de  la  manducation  d'un  poisson  sacré  (Voir  Cumont,  Reli- 
gions orientales,  p.  142).  La  question  de  l'Ichthys  dans  son  ensemble  est 
étudiée  à  nouveau  par  F.-J.  Dolger,  Roemische  Quartalschrift,  1909,  1-12, 
161-174. 

Sur  les  banquets  :  Wilpert,  Fractio  panis,  Fribourg,  1895;  Liell, 
«Fractio  panisy  oder  «  cena  cœlestis  »,  Trêves,  1903;  Matkaeï,  Die  Todten- 
mahldarstellungen  in  der  altchristlichen  Kunst,  Magdebourg,  1 899  ;  Leclercq, 
Dictionnaire  (Cabrol),  articles  Agape,  Ame. 

T5rpes  du  Christ  et  des  Apôtres  :  N.  Muller,  Chrisfusbilder  (Realenzy- 
klop.  fuer  protest.  Theolog.  und  Kirche,  IV,  73);  J.  Fick^r,  Die  Darstellung 
der  Apostel  in  der  altchristl.  Kunst,  Leipzig,  1887;  E.  Weis-Liebersdorff, 
Christus  und  Apostelbilder  {influence  des  Évangiles  apocryphes),  Fribourg, 
1902. 

Bon  Pasteur  :  Clausnitzer,  Die  Hirtenbilder  in  der  altchristl.  Kunst, 
Erlangen,  1904. 

Sur  les  représentations  de  la  Vierge  :  Liell,  Die  Darstellungen  der 
aller seligsten  Jungfrau...,  Fribourg,  1887;  Wilpert,  Madonnenhilder  aus 
den  Katakomben  (Roemische  Quartalschrift,  1889,  p.  290  et  suiv.). 

Vierges,  mariage  :  Wilpert,  Die  Gottgeweihten  Jungfrauen,  Fribourg, 
1892;  ci.  Malereien,  p.  204;  Mititjs,  Familienbild,  op.  cit.,  Leipzig,  1902; 
Pelka,  Altchristliche  Ehedenkmaeler ,  in-80,  Strasbourg,  1901  (fasc.  IV 
de  l'excellente  collection  :  Zur  Kunst geschichte  des  Auslandes,  dans  la- 
quelle ont  paru  plusieurs  ouvrages  sur  l'archéologie  chrétienne) . 

Nombreux  articles  sur  les  catacombes  et  les  fresques  dans  Nuovo  Bullet- 
tino  (v.  Bibliographie,  p.  30)  et  Roemische  Quartalschrift  fur  christliche 
Altertumskunde  und  Kirchengeschichte  (1887  et  suiv.). 

La  Roemische  Quartalschrift  pubUe  régulièrement,  depuis  1900,  une 
bibliographie  très  complète  d'archéologie  chrétienne  (Mgr  Kirsch). 


l^LANCHE   XTl. 


I.  Christ  enseignant  entre  les  Apôtres,  cim.  de  Domitillc,  milieu 
du  IV^s.  (Wilpert,  193). —  2.  Crypte  des  Saints  éponymes,  cim.  des 
SS.  Pierre  et  Marcellin.  IV-V^  s.  (Wilpert,  252). 


CHAPITRE  VI 

STATUES  ET  SARCOPHAGES 

La  Statuaire  et  les  Catacombes.  Pourquoi  il  n'y  eut  pas  de  statues  dans 
les  cimetières.  Le  groupe  de  Panéas.  La  statuaire  après  la  paix  de  l'Église. 
Le  bon  Pasteur  du  Latran,  son  caractère  et  ses  origines.  La  statue 
de  saint  Hippolyte  au  Musée  du  Latran.  Le  saint  Pierre  du  Vatican  ; 
v^  ou  xiii^  siècle?  Statuettes.  Fin  de  la  statuaire  antique. 

La  Statuaire  et  les  Catacombes.  On  ne  connaît  qu'une 
seule  statue  au  sujet  chrétien  dont  l'exécution  se  place 
avant  la  paix  de  l'Eglise  :  le  bon  Pasteur  du  Latran. 
Encore  est-elle  symbolique  et  peut-elle  provenir  d'un  ate- 
lier païen.  Cette  constatation,  quand  on  vient  de  mesurer  la 
richesse  chrétienne  de  la  décoration  des  catacombes,  suffit 
à  démontrer  la  fortune  différente  de  la  statuaire  et  de  la 
peinture  chez  les  fidèles  des  premiers  siècles.  La  dernière 
fut  adoptée  avec  joie  et  tenue  pour  un  art  innocent,  suscep- 
tible de  représenter  les  choses  chrétiennes  et  d'en  manifester 
pieusement  les  symboles  cachés.  La  première,  au  contraire, 
resta  suspecte  d'idolâtrie.  On  la  jugea  périlleuse,  sinon  de 
sa  nature,  du  moins  à  cause  de  l'usage  qu'on  en  avait  fait, 
qu'on  en  faisait  chaque  jour  encore,  pour  les  besoins  des 
religions  païennes. 

Là  est  le  vrai  motif  du  discrédit  indéniable  dont  pâtit  la 
statuaire.   En  vain  alléguera-t-on  que  sa  place  était  peu 


ii8  STATUES  ET  SARCOPHAGES 

indiquée  dans  les  catacombes,  avec  leurs  couloirs  étroits, 
leurs  cubicules  aux  voûtes  basses,  éclairés  seulement  par 
les  lampes  d'argile...  N'y  avait-il  pas  de  larges  ambulacres 
et  de  spacieuses  chapelle  où  des  statues,  voire  des 
groupes  sculptés  auraient  offert  un  objet  glorieux  à  la  piété 
des  fidèles?  Sans  doute,  il  ne  pouvait  être  question  de  per- 
pétuer par  des  statues  la  mémoire  des  ordinaires  défunts  : 
les  païens  eux-mêmes  ne  le  faisaient  pas.  Mais  quand  on 
glorifia  les  grands  évêques,  les  martyrs  illustres,  n'aurait-on 
pu  ériger  des  statues  et  des  groupes  en  leur  honneur,  ainsi 
que  les  anciens  le  faisaient  pour  leurs  magistrats  suprêmes 
et  les  héros  nationaux?  De  même,  nous  concevons  fort  bien 
qu'il  eût  répugné  aux  chrétiens  de  dresser  la  figure  du 
Christ  sur  un  piédestal,  —  représentation  matérielle  et  qui 
aurait  paru  assimiler  le  Fils  de  Dieu  aux  divinités  abhorrées, 
—  mais  on  pouvait  multiplier  les  statues  du  bon  Pasteur. 

Dira-t-on  que  les  chrétiens  étaient  trop  pauvres  pour 
commander  des  statues,  qu'il  eût  été  difficile  d'établir  un 
atelier  de  sculpteur  au  fond  des  catacombes  ou  trop  dange- 
reux de  faire  des  commandes  à  des  artistes  païens?  De 
telles  raisons  paraissent  peu  sérieuses.  Les  chrétiens  riches 
ne  manquaient  pas.  Et  personne  n'ignore  qu'il  y  avait  des 
sculpteurs  chrétiens,  tel  cet  Eutropos  qu'on  voit  sur  sa 
pierre  funéraire  décorer  un  sarcophage,  tels  surtout  ces 
({  quatre  saints  couronnés  »,  qui  exécutaient  sans  scrupule 
des  statues  à  la  signification  indifférente,  mais  qui  mou- 
rurent plutôt  que  de  sculpter  des  images  idolâtriques  ^ 

En  vérité,  si  l'art  chrétien,  aux  trois  premiers  siècles, 
négligea  complètement,  ou  peu  s'en  faut,  la  statuaire,  ce 

I.   BiGELMAIR,  Op.  cit.,  p.  32g. 


LE  GROUPE  DE  PANÉAS  119 

fut  de  parti-pris,  par  la  crainte  d'agir  d'une  façon  semblable 
à  celle  des  païens,  pour  ne  pas  égarer  la  piété  et  courir  le 
risque  d'exposer  le  Christ,  les  martyrs,  à  d'indignes  adora- 
tions. Qui  ne  le  voit?  Il  y  avait  là,  théoriquement,  une  incon- 
séquence :  la  peinture  et  le  bas-relief  n'étaient,  pas  moins 
que  la  statuaire,  au  service  de  l'idolâtrie;  et  s'ils  étaient 
innocents,  comment  la  statuaire  eût-elle  été  coupable?  C'est 
qu'elle  n'était  point,   comme   les  autres  arts,  décorative, 
attachée  aux  demeures  et,  comme  eux,  capable  de  raconter 
des  histoires  édifiantes.  Elle  n'était  point  non  plus  étroite- 
ment liée  aux  usages  funéraires,  grâce  auxquels  fresques  et 
bas-reliefs  furent  si  complètement  adoptés.   Orgueilleuse- 
ment, devant  les  temples,  sur  les  places  publiques,  au  grand 
soleil,  elle  proclamait  la  sublimité    des  dieux  et  glorifiait 
leur  règne.  Elle  était  la  manifestation  la  plus  haute,  la  plus 
complète   de   l'idolâtrie,   avec   laquelle   on   avait   fini  par 
l'identifier.  De  là  son  sort  immérité.  Quand  les  autres  arts 
se  perpétuaient  en  la  société  chrétienne,  elle  partagea  le 
sort  des  anciens  dieux.  Leur  déclin  fut  aussi  le  sien.  En 
même  temps  qu'eux,  on  l'oublia. 

Le  Groupe  de  Panéas.  Pourtant,  s'il  faut  en  croire  l'his- 
torien Eusèbe  (267-340),  il  y  aurait  eu,  dès  l'âge  du  Sauveur, 
un  groupe  de  bronze  si  parfaitement  chrétien  et  si  parfaite- 
ment plastique  qu'avant  la  Renaissance  il  n'y  en  aurait  pas 
de  pareil  à  signaler  dans  l'art  chrétien.  Il  s'élevait,  dit  Eusèbe, 
à  Panéas  (Césarée  de  Philippes)  :  c'était  un  ex-voto  de  l'hé- 
morrhoïsse  que  Jésus  avait  guérie  et  qui,  en  souvenir  de  sa 
délivrance,  avait  fait  élever  le  monument  devant  sa  maison. 
On  voyait  le  Christ  debout,  accueillant  d'un  geste  de  miséri- 
corde la  pauvre  femme  prosternée  à  ses  pieds  en  suppliante. 


120  STATUES  ET  SARCOPHAGES 

Et  le  groupe  subsistait  encore  à  l'époque  d'Eusèbe.  «  Je  l'ai 
vu  de  mes  yeux,  dit  ce  dernier,  lors  du  séjour  que  je  fis  en 
cette  ville.  »  Et  comme  s'il  eût  prévu  l'étonnement  un  peu 
scandalisé  de  ses  lecteurs  :  «  On  ne  doit  pas  s'étonner, 
ajoute-t-il,  que  d'anciens  païens,  ayant  éprouvé  les  bienfaits 
du  Sauveur,  en  aient  agi  ainsi.  » 

Des  historiens  postérieurs  virent  le  groupe  comme  Eusèbe 
et  l'interprétèrent  de  la  même  façon.  Néanmoins,  la  plupart 
des  archéologues  modernes  estiment  qu' Eusèbe  fut  induit 
en  erreur  ou  même  mystifié.  Une  date  si  ancienne,  une 
représentation  matérielle  à  ce  point,  que  la  statue  aurait 
été,  en  quelque  sorte,  un  portrait  du  Christ  :  il  y  a,  en 
effet,  de  quoi  éveiller  le  scepticisme.  On  pense  généralement 
que  le  groupe  dont  parle  Eusède  représentait  une  province 
agenouillée  devant  un  empereur.  ^ 

Cependant,  Eusèbe  se  fût-il  ainsi  payé  de  mots?  N'eût-ii 
pas  été  capable  de  reconnaître  l'empereur  et  la  province 
suppliante?  Enfin,  comment  un  groupe  civique,  tel  que 
celui-là,  se  serait-il  trouvé  devant  une  maison  privée  et 
non  sur  une  place  de  choix,  devant  un  temple?  Sur  les 
sarcophages  chrétiens  du  iv®  siècle,  le  groupe  de  Jésus  et' 
de  l'hémorrhoïsse  est  fréquent.  Il  a  quelque  chose  de 
monumental  et  répond,  en  somme,  à  la  description  d'Eusèbe. 
Quant  à  l'argument  d'invraisemblance,  l'historien  lui-même 
Ta  réfuté  en  considérant  l'hémorrhoïsse  comme  une  païenne 
reconnaissante. 

Nous  penchons  à  croire  que  ce  groupe  exista  i.  Mais  c'est 
là  un  fait  unique,  d'autant  plus  facile  à  comprendre  qu'il 
remonte  aune  date  plus  ancienne  et  qui  n'est  point  de  nature 

I.  C/.  ScHULTZE,  Archaeol.  der  altchristlichen  Kunst,  p.  282-286. 


Planche  XIII. 


I.  Christ,  cim.  de  Pontien,  VI-]' 11^  s.  (Wilpert,  257).  —  2.  Saint 
Pollion  entre  saint  Marcellin  et  saint  Pierre,  cim,  de  Pontien,  fin 
du  Fe  5.  (Wilpert,  255). 


LE  BON  PASTEUR  121 

à  modifier  ce  que  nous  avons  dit  précédemment  sur  la  for- 
tune de  la  statuaire  parmi  les  premiers  chrétiens. 

Le  bon  Pasteur.  D'une  tout  autre  importance  est 
la  statue  du  bon  Pasteur,  conservée  aujourd'hui  au  Musée 
du  Latran.  C'est  le  chef-d'œuvre  de  la  statuaire  chrétienne 
(pi.  XIV,  I). 

Elle  entra  dans  les  collections  romaines  au  commence- 
ment du  XIX®  siècle,  mais  on  ne  sait  où  elle  fut  retrouvée. 
Les  jambes  et  les  mains  du  berger  sont  modernes,  de  même 
que  la  tête  de  l'agneau. 

Selon  le  type  que  l'art  chrétien  avait  adopté  partout,  le 
bon  Pasteur  portait  le  costume  des  pâtres  :  Texomide  serrée 
à  la  taille,  les  jambières  et  les  sandales.  La  panetière  pendait 
à  son  côté.  Tête  nue,  imberbe,  une  jambe  portée  en  avant, 
il  apparaissait  au  repos  dans  une  attitude  éminemment 
plastique.  Il  était  noble  et  doux.C'était  un  être  harmonieux, 
fait  d'imitation  antique  et  de  sentiment  chrétien,  un  type 
vraiment  nouveau  qui  faisait  souvenir  de  Calamis,  auteur 
de  l'Hermès  criophore,  mais  qui  traduisait  surtout  la  poésie 
des  paroles  évangéhques. 

Rien  ne  frappe,  en  effet,  comme  le  caractère  faunesque 
des  jeunes  dieux  criophores  de  l'antiquité.  On  devine  en 
eux,  sous  la  grâce  de  l'adolescence,  des  astuces  précoces  et, 
comme  en  germe,  les  passions  des  divinités  sylvestres...  Il 
n'est  rien  de  pareil  dans  le  berger  du  Latran.  Son  attitude 
est  toute  gracieuse.  La  bonté  s'exprime  sur  son  visage.  Ses 
lèvres  entr' ouvertes,  ainsi  que  son  regard,  indiquent  une 
douceur  mélancolique  avec  une  sorte  de  résignation.  Et 
ces  traits  conviennent  si  parfaitement  à  son  caractère,  à 


122  STATUES  ET  SARCOPHAGES 

son  rôle,  qu'on  est  tenté  d'y  voir  une  première  et  défini- 
tive révélation  du  sentiment  chrétien. 

Ceci  à  bon  droit,  mais  avec  cette  réserve  qu'il  n'y  avait  là 
rien  autre  chose  que  l'adaptation  à  l'art  chrétien  d'une 
expression  commune  à  beaucoup  de  portraits  du  commen- 
cement du  III®  siècle.  Sous  Adrien,  on  avait  commencé  d'in- 
diquer dans  les  bustes  la  direction  et  l'éloquence  du  regard 
en  creusant  la  pupille.  En  même  temps,  la  rigidité  empha- 
tique des  têtes  impériales  avait  fait  place  à  une  sorte  de 
mélancolie  pensive  dont  témoignent  les  portraits  idéalisés 
d'Antinous,  les  bustes  de  Marc-Aurèle  et  surtout  de  Com- 
mode (pi.  XIV,3).  Il  est  au  Musée  d'Athènes  une  tête  de  cette 
époque  i,  vraiment  poignante  de  tristesse  intérieure,  de 
passion  découragée,  de  fièvre  brûlant  encore  sous  les  cendres 
de  la  résignation.  On  la  prit  autrefois  pour  une  tête  du 
Christ,  alors  que  c'était  le  portrait  d'un  Oriental  avec  l'ex- 
pression de  physionomie  très  à  la  mode  sous  le  règne  de 
Commode  et  de  ses  successeurs.  De  même,  le  bon  Pasteur 
du  Latran  n'est  chrétien  qu'à  travers  une  physionomie 
antique.  Des  archéologues  le  rattachent  à  la  statuaire 
grecque  et  à  l'art  chrétien  d'Orient  :  il  suffira  peut-être  de 
constater  qu'avec  son  front  bas,  ses  joues  pleines,  ses  lèvres 
épaisses,  il  rappelle  les  types  de  la  période  antonine. 

Le  bon  Pasteur  trouvé  près  de  Saint-Paul  (pLXIV,2)  date 
du  IV®  siècle  et  marque  une  grande  décadence,  à  tous  points 
de  vue.  Il  est  encore  une  douzaine  d'autres  statuettes 
représentant  le  même  type  symbolique,  qui  sont  toutes 
postérieures  à  la  paix  de  l'Église  et  proviennent  des  lieux 

I.  Mrs  Strong,  Roman  sculpture,  pi.  CXXII. 


SAINT  HIPPOLYTE.  SAINT  PIERRE  123 

les  plus  divers.  Beaucoup  dépouillent  le  berger  céleste  de 
toute  poésie,  revenant  au  type  rustique  de  l'antiquité. 

Le  triomphe  de  Constantin  s'accomplit  sans  que  la  sta- 
tuaire chrétienne  fleurît  davantage.  Les  motifs  de  tenir  en 
suspicion  l'art  des  Phidias  et  des  Praxitèle  subsistaient 
toujours,  quoique  diminués.  De  plus,  le  talent  de  modeler 
le  corps  humain  allait  se  perdant,  même  dans  l'art  profane; 
en  sorte  qu'à  une  pauvreté  voulue  et  qui  n'était  pas  sans 
fierté,  succéda  une  indigence  irrémédiable. 

Saint  Hippolyte.  Il  n'est  guère  possible  de  faire  hon- 
neur à  l'art  chrétien  du  saint  Hippolyte  (pi.  XIV,  4)  conservé 
au  Musée  du  Latran.  La  tête  et  les  bras  sont  des  restau- 
rations; et  si  l'on  voit  gravés  sur  le  siège  l'énumération 
des  œuvres  de  saint  Hippolyte,  ainsi  que  le  calendrier  pascal 
rédigé  par  lui  sous  Alexandre  Sévère,  on  n'en  peut  conclure 
à  l'origine  chrétienne  de  la  statue.  Il  est  vraisemblable 
qu'à  l'époque  où  le  saint  fut  glorifié,  —  peut-être  sous  le 
pontificat  de  Damase  —  on  métamorphosa  en  son  honneur 
une  statue  de  rhéteur  ou  de  philosophe.  De  là,  des  mutila- 
tions préméditées,  l'assemblage  de  fragments  étrangers  les 
uns  aux  autres,  l'inscription  gravée  sur  le  siège.  Ainsi, 
quand  fléchissait  la  rigueur  des  principes  à  l'égard  de  la 
statuaire,  on  se  procurait  des  statues  très  belles,  sinon  très 
pieuses.  L'art  n'avait  que  faire  en  de  telles  opérations. 

Saint  Pierre.  Mais  que  penser  de  la  célèbre  statue  de 
bronze  de  saint  Pierre,  vénérée  dans  la  basilique  du 
Vatican  (pi.  XV)  ?  Cette  œuvre  énergique  et  majestueuse, 
convient-il  de  l'attribuer  aux  artistes  chrétiens  de  l'époque 
de  Constantin  ou  de  l'époque  de  Théodose?  Fait-elle  partie 


124  STATUES  ET  SARCOPHAGES 

de  l'art  chrétien  primitif  ou  bien,  comme  beaucoup  d'ar- 
chéologues le  croient  aujourd'hui,  n'est-elle  pas  plutôt 
une  fonte  du  xiii^  siècle,  une  œuvre  de  la  première 
Renaissance  italienne,  exécutée  d'après  un  modèle  ancien? 
Des  connaisseurs  éminents  de  l'art  romain  et  de  l'art 
italien  i  n'hésitent  pas  à  l'attribuer  au  maître  sculpteur 
Arnolfo  di  Cambio,  occupé  à  Rome  vers  1280. 

Une  telle  opinion  déconcerte  au  premier  abord,  parce 
qu'il  n'est  rien  de  plus  frappant  en  la  statue  de  saint  Pierre 
que  sa  draperie  et  son  attitude,  marquées  du  plus  pur  accent 
de  l'antiquité.  Mais  quoi?  Il  sufht  que  son  auteur  ait  pris 
pour  modèle  une  statue  antique  de  rhéteur  ou  de  magistrat. 
Ces  caractères  d'antiquité  ne  doivent  donc  pas  nous  induire 
en  erreur. 

Bien  mieux,  il  semble  qu'on  puisse  indiquer  la  statue 
dont  le  saint  Pierre  n'est  qu'une  copie  en  certains  points 
modifiée  :  c'est  un  marbre  polychrome  qui  se  trouve 
aujourd'hui  dans  les  cryptes  de  la  basilique  vaticane  ^  un 
saint  Pierre  également,  dont  la  pose  et  les  draperies  sont 
semblables  à  la  pose  et  aux  draperies  du  bronze,  à  ce  point 
que  l'une  des  deux  statues  doit  nécessairement  avoir  inspiré 
l'autre.  Or,  le  marbre  de  la  crypte  est  une  statue  antique  de 
philosophe,  à  qui  très  tard,  en  plein  moyen  âge  sans  doute, 
on  donna  sa  tête  actuelle,  au  type  bien  connu  de  saint 
Pierre.  La  statue  de  la  basilique  vaticane  fut  donc  exécutée 
d'après  le  marbre  relégué  aujourd'hui  dans  les  cryptes  : 
c'est  de  là  que  provient  son  caractère  antique. 

Quels  sont,  dès  lors,  les   critères  qui  nous  restent  pour 

I.  WiCKHOFF,  Zeitschrift  f.  hildende  Kunst,  1890,  p.  109  et  suiv.  Ven- 
TURi,  Storia  dell'  arfe  italiana^  IV,  p.  113  et  suiv. 

2   Kraus,  Geschichte  der  christl.  kunst,  I,  p.  232,  fig.  187. 


SAINT  PIERRE  125 

déterminer  la  date  d'exécution  de  la  statue  et  fixer  notre 
choix  entre  la  basse  antiquité,  v®  ou  vi®  siècle,  et  le  moyen 
âge?  Ce  sont  des  constatations  de  fait  comme  celle-ci  :  les 
clefs  et  les  sandales  de  saint  Pierre  présentent  des  détails 
inconnus  à  toute  l'antiquité;  ce  sont  des  remarques  justifiées 
par  tout  ce  que  nous  savons  sur  l'évolution  des  métiers 
d'art  pendant  l'antiquité  et  au  moyen  âge  :  jamais,  ni  au 
v^  ni  au  vi®  siècle,  on  n'aurait  trouvé  praticien  capable 
d'exécuter  la  fonte  d'une  statue  aussi  grande,  aussi  compli- 
quée dans  certaines  de  ses  parties;  enfin,  c'est  la  compa- 
raison avec  les  œuvres  connues  du  v®  ou  vi®  siècle,  d'une 
part,  et,  d'autre  part,  avec  celles  d'Arnolfo  et  de  son  école. 
Il  est  remarquable  qu'un  des  tenants  de  l'opinion  tradi- 
tionnelle fasse  cet  aveu  :  «  Vraiment,  on  ne  sait  que  dire, 
les  points  de  comparaison  manquent  tout  à  fait,  pour  attri- 
buer au  V®  siècle  cette  œuvre  superbe;  l'on  ne  peut  que 
combattre  d'instinct,  sans  preuves  décisives,  l'opinion  des 
savants  qui  la  reportent  au  xiii®  siècle  1.  »  Eh  quoi  !  elle  serait 
isolée  dans  son  temps,  cette  statue  magistrale?  Quand  les 
métiers  —  pour  ne  pas  parler  du  talent  personnel  —  en 
étaient  restés  à  ce  point  de  perfection  technique,  ils  ne  nous 
auraient  laissé  ni  témoignages  ni  souvenirs  d'entreprises 
analogues  ?  Un  artiste  du  v®  siècle  aurait  érigé  ce  torse  éner- 
gique, plus  énergique  et  plus  vivant  que  celui  du  modèle 
placé  sous  ses  yeux;  il  aurait  planté  ce  col  aux  muscles 
tendus;  dressé  cette  tête  à  la  peau  sèche,  à  la  robuste  ossa- 
ture; modelé  ce  masque  aux  traits  durs,  qui  se  contractent 
sous  l'effort  de  la  volonté  et  qui  donnent  à  la  physionomie 
une  autorité  redoutable,  et  c'est  lui,  enfin,  qui  aurait  conçu 
dans  la  solennité,  dans  la  puissance,  cette  image  du  magis- 

I.  PÉRATÉ,  Manuel,  p.  290. 


126  STATUES  ET  SARCOPHAGES 

tère  apostolique,  impérieuse  comme  la  Loi,  immuable 
comme  le  Destin  ? . . .  Que  ne  réformons-nous  dès  lors  tous  nos 
jugements  sur  l'art  du  v®  siècle  !  Ce  n'est  pas  une  époque 
de  déclin,  comme  nous  avons  accoutumé  de  le  croire,  mais 
de  floraison. 

En  réalité,  un  art  vieux  n'a  point  le  secret  d'une  telle 
vitalité  physique  et  d'une  telle  clarté  d'esprit.  Le  v®  siècle 
n'est  pour  rien  dans  le  saint  Pierre  du  Vatican.  Au  contraire, 
on  comprend  qu'un  artiste  comme  Arnolfo,  bien  timide 
encore  et  bien  maladroit,  lorsqu'il  en  était  réduit  à  ses  pro- 
pres forces,  ait  pu  se  surpasser  quand  son  effort  fut  soutenu 
par  la  vue  d'une  œuvre  belle,  qu'on  le  chargeait  d'imiter. 
Ne  se  souvient-on  pas  que  c'est  dans  des  conditions  ana- 
logues et  pour  atteindre  à  un  même  résultat  que  Nicolas 
d'Apulie  exécuta  la  Vierge  Mère  et  les  Rois  Mages  de  sa 
chaire  de  Pise?  Ainsi,  Arnolfo  di  Cambio  échauffa  les  types 
de  l'antiquité  de  son  ardeur  gothique. 

Il  adopta  une  attitude,  des  draperies,  mais  érigea  le  corps 
suivant  un  vouloir  qu'on  peut  noter  déjà  dans  sa  sta- 
tue de  Charles  d'Anjou,  au  palais  des  Conservateurs,  à 
Rome.  Cette  œuvre  date  vraisemblablement  de  1277;  elle 
contient  en  germe  les  quahtés  portées  au  plus  haut  point 
dans  la  statue  du  Vatican.  Mais  quelle  différence  entre  le 
visage  inerte  de  Charles  d'Anjou  et  la  physionomie  volon- 
taire du  saint  Pierre  !  Il  n'est  pas  douteux  que  l'auteur  de 
ce  dernier  prit  pour  modèle  une  tête  antique.  Le  type  de 
saint  Pierre,  fixé  depuis  longtemps,  se  confondait  assez 
avec  celui  de  beaucoup  de  têtes  romaines  :  on  a  pensé,  non 
sans  raison,  que  celle  de  Marc-Aurèle  avait  inspiré  l'artiste. 

En  résumé,  tout  porte  à  croire  que  la  statue  de  saint 
Pierre  au  Vatican  fut  exécutée  au  xiii®  siècle.  Et  voici  une 


SAINT  PIERRE  127 

remarque  qui  confirme  singulièrement  cette  opinion  :  le 
bronze  romain,  objet  d'une  vénération  qui  dura,  dit-on, 
pendant  tout  le  moyen  âge,  n'est  cité  pour  la  première  fois 
qu'au  XIV®  siècle  par  Maffeo  Vigio  (1406-1457),  chanoine  de 
Saint-Pierre. 

Ce  monument  échappe  donc  encore  à  l'art  chrétien 
primitif,  dont  la  gloire  au  point  de  vue  de  la  statuaire  se 
trouve  réduite,  de  ce  fait,  presque  à  néant.  On  allègue  les 
œuvres  nombreuses  du  v®  siècle,  énumérées  dans  les  inven- 
taires et  notamment  dans  le  Liher  pontificalis  :  mais,  parmi 
elles,  il  n'est  point  de  statues.  Faire  parfois  d'un  rhéteur  un 
saint,  ou  même  transformer  une  statue  païenne  pour  la 
placer  ensuite  dans  une  église,  comme  cette  Rhéa  du  mont 
Didyme  qu'on  transporta  sous  Constantin  dans  un  temple, 
en  tant  que  suppliante,  ce  n'était  pas,  pour  l'Église,  favoriser 
l'éclosion  d'une  statuaire  chrétienne,  mais  consentir  au 
Prince  et  au  peuple  quelques  concessions.  Parmi  toutes 
les  inscriptions  primitives,  on  n'en  cite  qu'une,  du  iv®  ou 
V®  siècle,  qui  atteste  la  présence  dans  une  église  d'une 
vraie  statue  chrétienne  ^.  Cette  inscription  se  trouvait 
dans  l'église  de  Saint-Chrysogone  au  Transtévère,  gravée 
sur  une  base,  et  témoignait  que  «  Flavius  TertuUus  avait 
donné  à  l'église  cette  œuvre  de  son  ciseau  ». 

Parmi  tant  de  témoignages,  une  seule  statue  dans  le 
temple.  Encore  était-elle  un  don.  Est-il  rien  qui  montre 
mieux  le  rôle  minime  de  la  statuaire  dans  la  décoration  des 
églises?  Il  n'en  résulte  point  que  les  autorités  ecclésiastiques 
la  jugeaient  en  soi  condamnable,  mais  elles  s'en  défiaient 
toujours  et  ne  désiraient  point  qu'elle  refleurît,  même  pour 
le  service  de  Dieu. 

I.  Grisar,  op.  cit.,  I,  p.  431. 


128  STATUES  ET  SARCOPHAGES 

A  partir  de  Constantin,  l'art  de  la  statuaire  est  représenté 
par  les  statues  et  bustes  des  empereurs.  Il  devint  laïque, 
pour  parler  ainsi,  et  le  resta  jusqu'au  xii®  siècle.  Au  con- 
traire, le  bas-relief  ne  cessera  pas  de  contribuer  au  lustre 
des  maisons  du  Seigneur  et  de  collaborer  à  l'enseignement 
des  fidèles.  C'est  par  lui,  comme  par  les  miniatures  et  les 
mosaïques,  que  se  perpétueront  les  disciplines  artistiques 
de  l'antiquité. 


Planche   XIV. 


I.  Bon  Pasteur  du  Latran  (phot.  Anderson).  —  2.  Bon  Pasteur  de 
Saint-Paul,  Musée  du  Latran  (phot.  Alinari).  —  3.  Buste  de  Com- 
mode (phot.  AHnari).  —  4.  Saint  Hippolyte,  Musée  du  Latran  (phot. 
Anderson) . 


Planche  XV. 


Statue   de   saint    Pierre,    à   l'église    Saint- Pierre   de    Rome    (phot. 
Andersen) . 


CHAPITRE  VII 

STATUES  ET  SARCOPHAGES  (Suite) 

Généralités.  Origines  et  histoire  des  sarcophages  chrétiens.  Leur  fabrica- 
tion dans  les  ateliers.  Classification  générale  des  sarcophages.  Chrono- 
logie. Sujets  neutres.  Ornements  et  symboles.  Le  bon  Pasteur  et  les 
scènes  champêtres.  Style  épisodique.  Compositions  uniques.  Type  archi- 
tectural. Double  bandeau.  Décadence  de  la  composition  et  de  la 
technique. 

GÉNÉRALITÉS.  Autant  sont  rares  les  statues  dans  l'art 
chrétien  primitif,  autant  sont  nombreux  les  bas-reliefs, 
parmi  lesquels  les  plus  anciens,  les  plus  importants,  au  point 
de  vue  de  l'évolution  de  l'art  et  des  idées,  sont  ceux  qui 
décorent  les  sarcophages.  Jamais  l'usage  d'ensevelir  les 
morts  dans  des  cuves  de  pierre  n'avait  éveillé  chez  les  fidèles 
les  moindres  scrupules  religieux.  Aussi  n'est-il  pas  douteux 
que,  si  les  circonstances  n'avaient  pas  amené  les  chrétiens 
à  adopter  les  formes  de  l'inhumation  cimétériale,  le  nombre 
des  sarcophages  eût  été  grand  dès  les  deux  premiers  siècles. 

Leur  rareté  à  cette  époque  tient  à  leur  prix  et  aussi  à  la 
difficulté  de  se  les  procurer  tels  qu'on  les  désirait,  vacants 
de  toute  représentation  idolâtrique  et  même  marqués  des 
signes  du  christianisme.  Le  besoin  ne  s'en  faisait  pas  gran- 
dement sentir.  La  sépulture  préférée  entre  toutes,  même 
par  beaucoup  de  riches,  n'était-elle  pas  celle  qui  réunissait 
tous  les  frères  dans  le  sein  de  la  terre,  côte  à  côte,  en  l'humble 


130  STATUES  ET  SARCOPHAGES 

secret  des  loculi  et  des  arcosoles?  On  se  passait  plus  faci- 
lement de  luxe  que  de  piété  dans  les  nécropoles  souter- 
raines. 

Cependant,  nous  connaissons  des  sarcophages  chrétiens 
qui  remontent  au  ii®  siècle;  nous  savons  que  les  ambulacres 
dans  les  anciens  cimetières  étaient  destinés  à  recevoir  ces 
tombeaux  volumineux.  Au  m®  siècle,  leur  nombre  s'accrut 
notablement,  car  la  communauté  elle-même  s'était  multi- 
pliée, comprenant  dès  lors  des  chrétiens  de  toutes  les  classes, 
de  toutes  les  origines,  par  lesquels  s'opérait  de  plus  en  plus 
sa  fusion  avec  la  société  contemporaine.  Il  y  eut  des  sculp- 
teurs chrétiens  pour  exécuter  les  sarcophages  des  fidèles. 
C'est  alors  qu'on  voit  cette  forme  de  l'art  épouser  peu  à  peu 
les  idées  chrétiennes,  fixer  son  choix  dans  la  multitude  des 
épisodes  et  symboles,  chercher  ses  procédés  d'exécution 
et,  toujours  fidèle  aux  traditions  antiques,  incapable  de 
créer  véritablement,  devenir  originale  à  force  d'adaptations. 

Après  la  paix  de  l'Église,  les  sarcophages  chrétiens  abon- 
dèrent à  l'infini.  Il  se  fit,  en  effet,  que  la  piété  envers  les 
martyrs  et  la  force  d'une  coutume  déjà  séculaire  retinrent 
nombre  de  sépultures  dans  les  galeries  des  catacombes  ;  mais 
combien  de  fidèles  étaient  heureux  de  proclamer,  en  inhu- 
mant leurs  morts  à  ciel  ouvert,  la  liberté  enfin  restituée,  et 
de  renouer,  au  grand  jour,  une  tradition  d'usages  que  la 
condition  précaire  de  l'Église  avait  seule  interrompue  !  On 
a  vu  plus  haut  que  les  inhumations  souterraines  cessèrent 
complètement  pendant  le  cours  du  v®  siècle.  Depuis  Con- 
stantin, on  avait  commencé  d'ensevelir  dans  les  atriums  des 
basiliques  extra-urbaines,  la  défense  restant  debout  de  creu- 
ser des  tombes  à  l'intérieur  de  Rome.  C'est  là  que  se  multi- 
plièrent les  sarcophages  et  que  l'on  peut  suivre  dans  son  évo- 


GÉNÉRALITÉS  131 

lution  la  sculpture  funéraire  des  chrétiens.  Il  n'en  fut  pas 
autrement  dans  les  provinces  qu'à  Rome.  Et  si  l'on  ajoute 
qu'à  partir  du  règne  des  Antonins,  le  paganisme  lui-même 
avait  renoncé  généralement  à  l'incinération  pour  se  rallier 
à  la  sépulture  en  sarcophages,  on  comprendra  quel  rôle 
important  jouèrent  les  bas-reUefs  funéraires  dans  les  der- 
nières étapes  de  l'art  antique. 

Ce  n'étaient,  le  plus  souvent,  que  des  productions  indus- 
trielles. Les  sarcophages  étaient  fabriqués  dans  des  ateliers 
semblables  à  ceux  de  nos  marbriers.  Le  patron  recevait  les 
commandes  et  surveillait  le  travail  de  ses  ouvriers.  Peu 
soucieux  de  rien  innover,  il  se  flattait  uniquement  de  con- 
naître bien  les  usages  de  la  décoration  funéraire  et  la  tech- 
nique de  son  métier.  Pour  le  reste,  il  était  prêt  à  satisfaire 
à  tous  les  désirs  de  sa  clientèle.  Ainsi  s'explique  qu'aux  deux 
premiers  siècles,  et  même  plus  tard,  bien  des  sarcophages 
ont  été  commandés  par  les  fidèles  dans  des  ateliers  païens. 
Un  certain  nombre  de  pièces  achevées  étaient  toujours 
tenues  en  magasin  avec  un  médaillon  vide  pour  y  sculpter 
l'image  des  défunts  (imago  clypeata)  et  un  espace  vacant 
pour  y  graver  l'épitaphe. 

A  défaut  de  trouver  ce  qu'il  désirait,  l'acheteur  pouvait 
consulter  les  cahiers  du  sculpteur,  indiquer  ses  préférences 
au  point  de  vue  des  sujets,  des  personnages,  des  emblèmes: 
le  marbrier  était  tout  disposé  à  l'aider  et  à  le  servir,  son 
seul  souci  étant  de  complaire  au  goût  du  public.  De  beauté, 
d'idéal,  de  poésie  artistique,  il  ne  fut  question  que  bien 
rarement,  sinon  dans  le  sens  qu'attachent  à  ces  mots  la 
naïveté  populaire  et  les  époques  de  décadence.  Le  trépan 
remplaçait  autant  que  possible  le  ciseau.  La  polychromie 
voilait  les  imperfections  du  relief. 


132  STATUES  ET  SARCOPHAGES 

Telle  était  cette  organisation  paresseuse,  ce  travail  dont 
tout  le  mérite  consistait  dans  la  qualité  professionnelle,  et 
auquel  les  chrétiens  ne  changèrent  rien.  Car  ils  pouvaient 
bien  imposer  au  ciseau  de  nouveaux  sujets  à  exécuter;  leur 
temps  manquait  également  de  science  et  d'imagination  pour 
renouveler  l'art  au  moyen  du  sujet.  Les  sculpteurs,  quels 
qu'ils  fussent,  depuis  la  dernière  moitié  du  m®  siècle,  répé- 
taient généralement  le  passé;  en  guise  d'originalité,  ils 
démarquaient  les  anciennes  compositions.  De  là  vient  l'em- 
barras des  ouvriers  chrétiens  quand  leur  clientèle  exigea 
d'eux  une  décoration  funéraire  qui  reflétât  ses  idées  reli- 
gieuses :  ils  furent  assez  habiles  pour  pasticher  l'antique  au 
profit  des  sujets  chrétiens,  jamais  assez  inventifs  pour  trouver 
dans  ces  sujets,  la  source  d'une  inspiration  hardie  et  délicate. 

Ecoles.  Chronologie.  Les  sarcophages  romains  sont 
les  plus  nombreux.  Taillés  en  parallélogrammes,  avec  un 
couvercle  plat,  dont  la  face  antérieure  est  elle-même 
décorée  de  reliefs,  ils  furent  des  modèles  pour  tous  les 
ateliers  d'Italie,  d'Espagne,  d'Afrique  et  de  Provence.  En 
ce  dernier  pays,  Arles  était  une  seconde  Rome.  Ses  sarco- 
phages conservés  encore  en  grand  nombre  ne  différaient 
guère  de  ceux  d'Itahe.  Au  contraire,  des  particularités 
assez  notables  de  forme  et  de  décoration  ne  tardèrent 
pas  à  se  manifester  dans  les  sarcophages  du  sud-ouest  de  la 
Gaule  (région  de  Bordeaux-Toulouse)  ;  la  cuve  a  ici  la  forme 
rhomboïdale,  le  couvercle  est  souvent  bombé  (pi.  XVII,  i) . 

Nous  étudierons  plus  loin  certains  sarcophages  qu'on 
trouve  surtout  en  Asie-Mineure,  et  ceux  de  Ravenne,  si 
particuliers.  L'Afrique  connut  les  cuves  ornées  de  mosaïques. 
Enfin,  une  mention  spéciale  doit  être  faite  des  cercueils  en 


ÉCOLES.  CHRONOLOGIE.  133 

plomb  découverts  en  Phénicie  (Saïda)  ;  leur  décoration  se 
compose  exclusivement  d'emblèmes  symboliques. 

Toutes  les  espèces  de  reliefs  habituels  aux  ateliers  païens 
se  retrouvent  sur  les  sarcophages  ayant  servi  à  la  sépulture 
des  fidèles  :  citons  les  cuves  ornées  de  canaux  ondulés  appe- 
lés strigiles;  celles  où  la  face  principale  est  entièrement 
couverte  par  la  représentation  de  scènes  épisodiques  ;  celles 
aussi  où  le  décor  sculpté  est  réparti  d'épisode  en  épisode, 
dans  des  panneaux  séparés  les  uns  des  autres  par  les  fûts 
d'une  colonnade.  De  plus,  les  chrétiens,  poussés  par  des 
besoins  nouveaux,  inventèrent  —  si  l'on  peut  employer  ce 
mot  pour  une  innovation  des  plus  malheureuses  —  la  cuve 
divisée  en  deux  bandes  horizontales.  Il  n'y  eut  jamais  de 
règle  uniforme.  La  variété  dans  les  monuments  funéraires 
résultait  des  goûts  différents  et  des  ressources  inégales.  On 
constate  seulement  que  le  décor  dénué  de  sens,  ne  cessa  d'al- 
ler disparaissant  pour  faire  place  aux  symboles  et  aux  scènes 
évangéliques. 

C'est  là  une  règle  générale  pour  la  chronologie  des  cuves 
chrétiennes,  mais  bien  vague.  Il  est  possible  de  préciser 
davantage. 

Au  début,  beaucoup  de  sarcophages  chrétiens,  achetés 
tout  faits  chez  des  marbriers,  n'étaient  ornés  que  de  strigiles, 
d'autres  portaient  une  décoration  indifférente.  Nous 
savons  quelle  était  à  cet  égard  la  tolérance  des  premiers 
siècles  :  des  instruments  de  métier,  des  bustes  rappelant  les 
défunts,  des  têtes  de  lions  et  de  béliers,  les  guirlandes,  les 
masques  décoratifs,  les  amours,  Éros  et  Psyché,  les  génies 
funèbres,  les  vendanges  et  les  chasses,  tout  cela  était  à  bon 
droit  tenu  pour  inoffensif  et  entoura  plus  d'une  fois  une 
inscription  funéraire  chrétienne. 


134  STATUES  ET  SARCOPHAGES 

Mais,  dès  la  fin  du  ii®  siècle,  les  emblèmes  et  symboles 
apparaissent.  Déjà,  sans  doute,  des  sculpteurs  chrétiens 
existaient.  Sans  doute  aussi  qu'en  faveur  d'une  clientèle 
devenue  chaque  jour  plus  nombreuse,  les  patrons  d'ateliers 
n'avaient  pas  laissé  d'enrichir  leur  répertoire  décoratif  des 
images  chrétiennes  les  plus  aimées  :  entendons  par  là  les 
symboles  familiers  aux  peintres  des  catacombes  (pi.  XVI, i). 
Il  se  forma  donc  toute  une  série  de  monuments  funéraires,  de 
bas-rehefs,  où  la  difficulté  était  de  faire  place  aux  emblèmes, 
parmi  l'ornementation  traditionnelle.  Tous  les  monuments 
qui  sont  témoins  de  ces  efforts  d'adaptation,  et  notamment 
les  sarcophages  décorés  d'éléments  empruntés  aux  pasto- 
rales antiques,  sont  antérieurs  à  Constantin;  la  plupart 
remontent  au  m®  siècle  (pi.  XVI, 2). 

La  véritable  difiiculté  commence  quand  il  s'agit  de  dater 
approximativement  les  cuves  au  décor  architectural,  celles 
où  le  fond  est  occupé  par  des  colonnes  supportant  une  archi- 
trave ou  des  arcades  (pi.  XVI,3;  XVIII,4),  des  murs  et  des 
tours  (pi.  XVII, i),  voire  même  par  des  arbres  rangés  en 
colonnade  (pi.  XVII,2).  La  majorité  des  archéologues,  se 
fondant  sur  la  date  du  beau  sarcophage  de  Junius  Bassus 
(pi.  XX),  mort  en  359,  les  font  remonter  tous  au  iv©  siècle. 
Mais  certains  contestent  que  le  sarcophage  monumental  que 
nous  venons  de  citer  puisse  avoir  été  exécuté  si  tard  :  que 
l'on  compare,  disent-ils,  ses  figures  majestueuses  et  souples 
avec  les  bas-reliefs  de  l'arc  de  Constantin  au  Forum,  on 
reconnaîtra  leur  supériorité  et,  par  conséquent,  on  leur 
assignera  une  date  plus  ancienne.  La  cuve  aurait  été  rem- 
ployée et  l'inscription  seule  serait  du  iv®  siècle  1. 

I.  L'auteur  de  cette  théorie  est  Weis-Liebersdorff,  op.  cit.  Cf.  Wit- 
TiG,  Die  altchristlichen  Sculpturen  im  Campo  Santo  in  Rom,  p.  11  et  suiv. 


LA  SCULPTURE  FUNÉRAIRE  135 

Pour  nous,  ce  raisonnement,  tout  rigoureux  qu'il  paraisse, 
est  loin  d'emporter  la  conviction.  Les  types  du  sarcophage 
de  Junius  Bassus  sont  bien  les  mêmes  qui  peuplent  la  sur- 
face de  toutes  les  cuves  tardives;  il  n'y  a  qu'une  différence 
d'exécution.  Et  le  talent  personnel  de  l'artiste,  si  grand  qu'il 
soit,  n'empêche  pas  qu'on  y  remarque  des  signes  de  déca- 
dence. Les  ivoires  ne  prouvent-ils  pas  que  la  sculpture,  au 
iv®  siècle,  connut  des  jours  de  gloire?  Enfin,  l'inscription 
reste  :  rien  n'y  indique  un  remploi  du  sarcophage,  avec  un 
nouveau  couvercle. 

Nous  continuerons  donc  de  dater  du  milieu  du  iv®  siècle 
ce  beau  monument  et,  en  général,  tous  ceux  qui  sont  ornés 
d'architectures.  Il  semble,  au  surplus,  qu'on  ait  été  en  droit 
de  répartir  ces  derniers  en  groupes  successifs  :  l'architrave 
supportée  par  des  colonnes  précéda  les  arcades  brisées; 
celles-ci  apparurent  avant  les  murs  garnis  de  portes  et  de 
tours;  la  colonnade  d'arbres  viendrait  en  dernier  lieu  ^. 
Quant  à  la  série  des  cuves  où  les  personnages,  en  un  ou 
deux  bandeaux,  sont  pressés  les  uns  contre  les  autres,  elle 
ne  laisse  aucune  place  au  doute  :  apparue  dès  la  première 
moitié  du  iv®  siècle,  elle  dura  jusqu'à  la  fin  de  la  sculpture 
funéraire  en  Occident. 

Cette  chronologie  générale  étant  établie,  il  sera  facile  de 
suivre  l'évolution  de  l'art  dans  les  monuments. 

DÉVELOPPEMENT  DE  LA  SCULPTURE  FUNÉRAIRE.  Il  nouS  a 

été  gardé  souvenir  d'une  des  plus  anciennes  tentatives  de 
bas-relief  chrétien  dans  le  sarcophage  de  Livia  Primitiva,  au 
Louvre  (fig.  10) .  Cette  œuvre,  où  les  figures  sont  gravées  à  la 

I.  WiTTIG,   op.  cit.,  p.   18. 


136  STATUES  ET  SARCOPHAGES 

pointe,  non  sculptées  en  ronde-bosse,  marque  une  transition 
et  remonte  à  la  fin  du  ii®  siècle.  Un  cartouche  central  por- 
tant les  symboles  avec  l'épitaphe  et  cantonné  de  strigiles  : 
c'était  là  une  solution  simple,  naturelle;  mais  qu'elle  est 
inhabile  cette  juxtaposition  du  Poisson,  du  bon  Pasteur  et 
de  l'ancre  !  L'acheteur  de  la  cuve  avait  obtenu  satisfaction; 
mais,  au  point  de  vue  artistique,  les  emblèmes  désirés  ne 
formaient  qu'un  assemblage  de  motifs  disparates. 

Encore  que  les  sculpteurs  chrétiens  aient  découvert  très 
tôt  des  adaptations,  sinon  plus  heureuses,  du  moins  plus 
agréables  à  voir,  le  type  des  sarcophages  à  strigiles  ne  tomba 
jamais  complètement  en  désuétude.  Dans  les  provinces, 
notamment  en  Gaule,  en  Afrique,  il  donna  naissance  posté- 
rieurement à  des  œuvres  un  peu  plus  harmonieuses.  Citons 
un  sarcophage  de  Tipasa  i,  avec  le  bon  Pasteur  au  centre  de 
la  cuve,  deux  lions  terrassant  des  gazelles  aux  extrémités; 
des  cuves  du  Musée  d'Arles,  l'une  notamment,  où  l'on  voit 
une  nativité  entre  les  rangées  de  strigiles  ^;  le  sarcophage 
d'Apt  avec  le  Christ,  celui  de  Mouleyrès,  avec  des  orants, 
debout,  en  des  panneaux  réservés  ^.  Sur  un  exemplaire  du 
Latran  que  nous  reproduisons  (pi.  XVI,  i),  une  scène  rus- 
tique apparaît  sous  le  médaillon  funéraire. 

En  vérité,  on  ne  peut  rêver  rien  de  plus  timide  en  compo- 
sition que  les  sarcophages  à  symboles  et  strigiles.  Bien  plus 
intéressante,  bien  plus  belle  est  cette  cuve  de  la  Gayolle 
(pl.XVII,4),  qui  peut  remonter  encore  à  la  fin  du  ii®  siècle 
et  par  laquelle  débute,  pour  nous,  la  série  des  grands  sarco 


1.  Cabrol,  Dictionn.,  I,  2,  col.  735. 

2.  Le  Blant,  Sarcophages  de  la  ville  d'Arles,  pi.  XXI. 

3.  Cabrol,  Dictionn.,  I,  2,  col.  2907;  I,  i,  col.  255. 


Planche  XVI. 


Wt-"-'-- 


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.    IVirANtTI      1     '' 
CONIVCI. 


MEiniV 


i> 


MÉÉHMte 


I.  Sarcophage  strigilé,  Musée  du  Latran'(phot.:Alinari).  —  2.  Sar- 
cophage du  iii^  siècle,  Musée  du  Latran  (phot.  Alinari).  — •  3.  Sarco- 
phage au  décor  architectural,  Musée  du  Latran  (phot.  Anderson). 


LA  SCULPTURE  FUNÉRAIRE 


137 


phages  chrétiens.  Ici,  le  fond  est  constitué  par  un  paysage 
rustique,  des  rochers,  des  arbres,  des  oiseaux,  que  le  soleil, 
représenté  par  un  buste  dans  le  champ,  éclaire  de  ses 
rayons.  Un  pêcheur  jette  sa  ligne.  A  l'extrémité  gauche,  xm 
personnage  assis,  le  torse  nu,  un  sceptre  à  la  main,  est  une 
sorte  de  genius  loci,  représenté  selon  les  usages  ordinaires 
de  Tart  antique.  Mais  au  milieu  de  ces  types  traditionnels 


LIVlAE-'PRI^MttlVAi: 


FiG.  10.  —  SARCOPHAGE  DE  LiviA  PRiMiTiVA.   (D'après  Lcclercq.) 

et  de  ce  tableau  de  nature,  voici  les  figures  et  symboles 
chrétiens,  le  bon  Pasteur,  l'orante,  l'ancre,  emblèmes  qui 
tendent  à  transformer  la  scène  en  une  vision  symbolique 
du  Paradis.  Au  milieu  de  la  cuve,  un  personnage  drapé  est 
assis.  Encore  que  mutilé,  on  peut  affirmer  qu'il  lisait  un 
volumen  déployé  sur  ses  genoux.  Un  enfant  est  devant 
lui.  C'est  l'Église  enseignante,  a-t-on  dit  :  nous  estimons 
que  c'est  l'image  du  défunt  dont  la  lecture  du  volu- 
men indique  la  foi;  l'enfant  debout  devant  lui,  peut-être 
son  fils,  représente  les  êtres  chers  dont  la  mort  l'a 
séparé. 

Ainsi,  peu  à  peu,  le  symbole  s'adaptait  à  la  décoration 
traditionnelle  et  les  figures  antiques  prenaient  une  signifi- 
cation chrétienne.  Citons  encore  comme  exemple  un  sarco- 


10 


138  STATUES  ET  SARCOPHAGES 

phage  du  Latran,  petit  chef-d'œuvre  du  m®  siècle  (fig.  ii). 
A  droite,  un  homme  d'âge  mûr,  accosté  de  deux  personnages 
barbus,  ht  le  volumen  déployé  sur  ses  genoux.  A  gauche  et 
lui  répondant,  est  une  femme  assise,  âgée  déjà,  et  qui,  tenant 
elle  aussi  le  volumen  à  la  main,  fait  le  geste  du  respect,  de 
la  prière.  Une  jeune  fille,  derrière  elle,  l'enveloppe  tendre- 
ment de  ses  bras.  On  ne  peut  voir  en  ces  représentations 
que  deux  défunts,  l'époux  et  l'épouse,  celle-ci  encore 
accompagnée  de  sa  fille.  Au  centre  se  trouve  le  bon  Pasteur 
et  une  orante.  Or,  celle-ci,  a-t-on  dit,  est  une  sainte  présentant 
sa  famille  au  bon  Pasteur.  Nous  dirons  plus  exactement  que 
c'est  une  élue  présentant  au  bon  Pasteur  cette  femme  assise, 
qui  l'avait  sans  doute  choisie  comme  avocate.  Qu'on  se  rap- 
pelle l'intervention  de  sainte  Pétronille  pour  Veneranda  sur 
une  peinture  des  catacombes.  De  l'autre  côté,  saint  Pierre 
et  saint  Paul,  aux  types  facilement  reconnaissables,  sont 
les  introducteurs  du  croyant  fidèle. 

Il  y  a  ici  plus  d'harmonie  dans  la  composition,  plus  de 
logique  dans  la  pensée.  »lais  que  dire  du  fameux  sarcophage 
(Latran)  où  trois  statues  de  bons  Pasteurs,  se  dressent  devant 
un  tableau  de  vendanges  (pi.  XVIII,  i)?  De  telles  juxta- 
positions sont  esthétiquement  absurdes.  Et  l'on  aimerait 
croire  qu'elles  furent  supportées  plutôt  que  choisies,  afin  de 
manifester  une  belle  union  des  sjmiboles.  De  fait,  parmi  les 
^w^^^' vendangeurs,  on  reconnaît  Psyché;  sur  les  petits  côtés 
de  la  cuve  sont  figurées  les  Saisons.  Il  ne  serait  pas 
étonnant  qu'à  l'époque  où  nous  sommes,  celle  du  règne  de 
Constantin,  une  telle  décoration  symbohsât  la  résurrection 
dans  la  joie  du  paradis.  Mais  il  faut  exprimer  un  doute  : 
n'entendait-on  pas  dire  simplement,  à  ceux  qui  passaient 
devant  le  monument,  que  celui-ci,  tout  décoré  qu'il  était 


LA  SCULPTURE  FUNÉRAIRE 


139 


d'une  scène  ancienne,  traditionnelle,  n'en  était  pas  moins 
la  dernière  demeure  d'un  fidèle? 

Comme  on  l'a  bien  fait  remarquer,  l'insertion  du  bon 
Pasteur  et  de  l'orante  dans  les  thèmes  décoratifs  de  l'anti- 
quité était  d'autant  plus  facile,  plus  naturelle,  que  ceux-ci 
se  rapprochaient  davantage  de  la  vraie  pastorale,  c'est-à- 
dire  d'un  paysage  animé  par  des  troupeaux.  Dès  lors,  il 


iliiiim|ifm»iii.i.ii..i».i...,..».i»iii.i,...  .■u.Mi>/..i\/.ii».t- ■.■■■■■.....i....,..i.iiifVii.il)iwmiHi.i7).<iiiii>i.ii.i....... ,iiipi).it)l)»m 

E^i  FIG.    II.     SARCOPHAGE   DU   LATRAN.    (D'apiès  Venturi.) 


suffisait  de  remplacer  les  rustiques  gardiens  par  le  céleste 
Pasteur,  pour  transformer  les  tableaux  familiers  à  l'anti- 
quité en  une  scène  de  sens  chrétien.  Sur  un  sarcophage  du 
Latran,  les  deux  figures  symboliques  encadrent  la  pasto- 
rale accoutumée  (pi.  XVI,  2).  Nous  les  avons  vues,  placées 
au  milieu  de  la  scène,  en  faire  un  paradis. 

Vers  le  commencement  du  iv®  siècle  s'était  manifestée 
une  tendance  générale  à  délaisser  les  symboles  primitifs  ou, 
du  moins,  à  les  reléguer  sur  le  couvercle,  pour  donner  toute 
importance  aux  allégories  bibliques  et  aux  représentations 
de  la  vie  du  Sauveur. 

La  mort^du  Seigneur  fut  glorifiée.  Quelque  chose  de  l'art 
triomphal  des  basiliques  passa  dans  la  sculpture  funéraire. 


140  STATUTS  ET  SARCOPHAGES 

C'est  ainsi  qu'une  série  de  sarcophages  au  décor  architec- 
tural montrent  en  une  suite  de  compartiments,  des  scènes  de 
la  Passion,  accostant  le  panneau  central  où  s'érige  la  Croix. 
Celle-ci  est  surmontée  du  monogramme  enfermé  dans  une 
couronne  de  laurier  qu'un  aigle  semble  apporter  du  ciel. 
Deux  colombes  sont  posées  sur  ses  bras.  Les  allégories 
du  soleil  et  de  la  lune  les  surmontent,  tandis  que  deux  soldats 
sont  assis  sur  des  pierres,  au  pied  de  la  potence  sacrée. 
Faut-il  voir  là,  à  côté  du  tableau  des  souffrances  du  Christ, 
un  symbole  de  la  Résurrection?  Le  monogramme  en  cou- 
ronne semble  bien  être  imité  du  labarum,  par  quoi  une  date 
très  sûre  est  indiquée.  Il  est  impossible  qu'aux  idées  de 
gloire,  de  triomphe,  de  salut,  si  clairement  exprimées,  l'idée 
de  la  résurrection  du  Christ  ne  se  soit  pas  associée,  au  moins 
accessoirement  (pi.  XVIII,  3). 

A  côté  de  véritables  créations,  il  y  eut,  par  suite  de  l'im- 
portance accordée  aux  scènes  bibliques,  de  nouveaux  tâton- 
nements. On  voit  sur  un  sarcophage  du  Latran  la  moitié  de 
la  décoration  réservée  au  navire  de  Jonas,  à  l'arche  de  Noé, 
et  l'autre  moitié  à  une  pastorale  (pi.  XVI, 2).  Puis,  on  s'enhar- 
dit. Sur  le  sarcophage  de  Velletri  (fig.  12),  les  bons  Pasteurs, 
les  brebis,  l'orante  apparaissent  esseulés  parmi  les  épisodes 
de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament.  Adam  et  Eve,  Noé, 
Jonas,  Daniel  dans  la  fosse  aux  lions,  le  Christ  opérant  ses 
miracles  :  tel  sera  désormais,  jusqu'aux  derniers  jours  de  la 
sculpture  funéraire  chez  les  Romains,  le  genre  de  sujets  pré- 
féré par  les  sculpteurs  chrétiens. 

Et  ce  sera  la  preuve,  pensera-t-on,  que  leur  pensée  était 
en  travail,  que  leur  ambition  était  éveillée.  On  pourra  croire 
que,  satisfaits  d'avoir  donné  corps  aux  symboles,  en  s'aidant 
du  décor  ancien,  ils  vont  traduire  l'épopée  chrétienne  en 


Planche  XVTT. 


I.  Sarcophage  de  Valbonne  (Le  Blant,  28).  —  2.  Sarcophage  décoré 
de  portes  et  tours,  Musée  du  Latran  (phot.  Anderson).  —  3.  Sarco- 
phage décoré  d'arbres  en  colonnade,  Musée  de  Marseille  (Le  Blant,  11). 
—  4.  Sarcophage  de  la  Gayole  (Le  Blant,  59).  —  5-  Couvercle  de 
sarcophage.  Musée  de  Marseille  (Le  Blant,   10). 


LA  SCULPTURE  FUNÉRAIRE 


141 


affirmant  des  forces  neuves.  On  espérera  peut-être  qu'à  la 
faveur  du  grand  triomphe  de  TÉglise,  au  iv®  siècle,  ils 
engendreront,  ainsi  que  les  mosaïstes,  quelque  chose  de 
grand  et  de  beau.  Hélas  !  on  savait  encore  sculpter  au 
IV®  siècle,  mais  on  ne  savait  plus  guère  ni  dessiner  d'après 


FiG.  12.  —  SARCOPHAGE  DE  VELLETRi.   (D'après  Lcclercq. 


la  nature,  ni  composer  d'après  la  vie.  Il  en  résulta  que 
quelques  belles  œuvres  furent  exécutées  par  d'excellents 
praticiens,  mais  les  cahiers  de  modèles  continuèrent  d'ali- 
menter seuls  les  esprits.  Seuls,  ils  suffirent  aux  nouveaux 
besoins  des  ateliers.  Nous  l'avons  vu  déjà  :  quand  on  se 
piqua  d'inventer,  ce  fut  pour  rendre  la  besogne  plus  facile 
et  supprimer  l'effort. 

Pourtant,  on  ne  saurait  nier  que  les  débuts  du  genre  nou- 
veau n'aient  été  pleins  de  promesses.  Naïvement,  dans  le 
sarcophage  de  Velletri,  les  épisodes  bibliques  envahissent 
le  marbre  derrière  les  symboles  isolés.  Hardiment,  dans  celui 
de  la  Porta  Angelica  (fig.  13),  le  sculpteur  repoussa  les  bons 
Pasteurs  aux  deux  extrémités  et  laissa  tout  le  champ  à  l'his- 


142  STATUES  ET  SARCOPHAGES 

toire  de  Jonas.  Là  était  le  vrai,  ainsi  que  le  beau.  Il 
fallait  réserver  à  un  seul  épisode,  dût-on  même  l'entendre 
avec  ses  diverses  péripéties,  toute  la  surface  de  la  cuve. 
Et  puisqu'il  était  besoin  de  modèles,  on  eût,  ce  faisant, 
suivi  l'exemple  des  plus  parfaits  marbriers  de  l'anti- 
quité, ceux  qui  illustrèrent  de  magnifiques  bas-reliefs 
funéraires  (pi.  XIX,  i)  l'époque  des  Antonins  et  des 
Sévères. 

Malheureusement,  l'art,  qui  avait  pour  mission  de  repré- 
senter la  foi,  ne  conçut  sa  tâche  qu'en  mettant  la  forme  au 
service  des  paroles.  Il  résuma  des  discours,  illustra  des 
prières.  Au  lieu  de  se  concentrer  en  éloquence,  il  dilua  sa 
pieuse  érudition.  Art  intellectuel,  dit-on;  sans  doute,  mais 
qui  employait  des  moyens  analogues  à  ceux  de  la  littérature. 
De  là  vient  que  l'auteur  du  sarcophage  de  la  Porta  Angelica 
n'eut  pas  beaucoup  d'imitateurs.  Seul,  le  Passage  de  la  mer 
Rouge  eut  l'honneur  de  se  voir  attribuer  tout  le  front  des 
cuves  funéraires.  Cela  tenait  à  la  nécessité  de  montrer  l'ar- 
mée de  Pharaon  engloutie  (pi.  XXII,  i).  A  cette  exception 
près,  le  bas-relief  chrétien  éprouva  le  désir  invincible  de 
masser  les  épisodes  et  les  figures  dans  des  bandes  horizon- 
tales, en  réduisant  leurs  éléments  distinctifs  à  l'indispen- 
sable. Dès  le  milieu  du  iv®  siècle,  la  division  de  la  cuve  en 
deux  bandeaux  superposés  s'annonçait  comme  une  trans- 
formation inévitable. 

Et  cependant,  quels  que  fussent  les  besoins  narratifs  de  la 
sculpture  chrétienne,  combien  de  ressources  offraient  à  des 
artistes  épris  de  noblesse,  de  clarté,  les  sarcophages  de  type 
architectural  !  Quel  heureux  parti  on  pouvait  tirer  de  leur 
forme  de  temples,  de  leur  pourtour  orné  de  frontons  et  de 
colonnes  !  Leur  aspect  était  monumental;    leur  disposition 


LA  SCULPTURE  FUNÉRAIRE 


143 


architectonique  réservait   au   bas-relief  des  champs    assez 
nombreux  et  bien  encadrés. 

Soyons  justes.  Les  sculpteurs  chrétiens  ne  manquèrent 
pas  d'adopter  ce  modèle;  et  nous  pouvons,  en  cette  série, 
citer  quelques  œuvres  vraiment  belles  :  c'est  le  sarcophage 


FIG.    13,  SARCOPHAGE    DE  LA  PORTA  ANGELICA.    (D'apiès  LecleiCq. 


du  Latran  où  l'on  voit  le  Christ  trônant  au  milieu  des 
Apôtres  sur  le  dôme  symbolique  du  firmament  (pi.  XIX,  2), 
œuvre  de  la  première  moite  du  iv®  siècle,  encore  assez 
maladroite  dans  la  façon  de  répartir  les  figures  entre  les 
colonnes,  mais  si  pénétrée  de  dignité,  de  noblesse  !  C'est 
surtout  le  sarcophage  de  Junius  Bassus  (pi.  XX). 

Personnage  consulaire,  préfet  de  la  ville,  celui-ci  était 
mort  en  359,  après  avoir  reçu  le  baptême.  Il  avait  fait  faire 
d'avance  son  tombeau.  Celui-ci  est  une  cuve  tout  en 
marbre  de  Paros,  qui  a  2"^43  de  long,  i"^4i  de  haut.  Les 
petits  côtés  sont  ornés  de  scènes  de  vendanges.  Sur  la  face 
antérieure,  l'auteur  a  ménagé  deux  bandeaux  divisés  par  des 


144  STATUES  ET  SARCOPHAGES 

colonnes  en  cinq  panneaux  juxtaposés.  Ceux  du  bandeau 
supérieur  sont  surmontés  de  l'architrave,  ceux  du  bandeau 
inférieur  de  frontons  ou  de  dômes  en  forme  de  coquilles. 
L'ornementation  surabonde,  mais  les  bas-reliefs  révèlent  une 
grande  noblesse  d'esprit,  une  parfaite  maîtrise  du  marbre. 
Nous  sommes  en  présence  d'une  véritable  œuvre  d'art. 

Son  auteur  a  puisé  dans  le  répertoire  des  allégories 
bibliques  et  de  la  vie  du  Christ^,  mais  c'est  librement  qu'il  en 
a  conçu  la  traduction  plastique.  Amoureux  de  la  symétrie,  il 
rend  chacun  de  ses  sujets  par  trois  personnages,  sauvegar- 
dant la  variété,  le  naturel,  par  la  façon  de  les  grouper.  Les 
attitudes  et  les  gestes  expriment  avec  précision  les  carac- 
tères, qui  sont  pleins  de  fermeté.  Il  y  a  beaucoup  de  mouve- 
ment dans  les  épisodes,  parce  qu'il  y  a  beaucoup  de  vie  dans 
les  personnages.  Quant  au  drame  véritable,  il  se  manifeste 
moins  dans  les  signes  extérieurs  de  l'action  que  dans  les 
réflexions  cachées  des  esprits.  Il  est  puissant  et  mystérieux. 
Et  si  nous  ne  saurions  dire  à  la  suite  de  quel  raisonnement 
l'artiste  arrêta  le  choix  de  ses  sujets,  du  moins  reconnaissons- 
nous  l'unité,  la  pureté  de  l'idéal,  dans  lequel  il  les  a  imaginés, 
puis  réunis. 

Nous  reviendrons  plus  loin  sur  les  symboles  contenus 
dans  l'iconographie  du  sarcophage.  Ici,  qu'il  nous  suffise  de 
saluer  comme  de  belles  créations,  que  de  longtemps  nous  ne 
reverrons,  ces  tableaux  à  la  noble  austérité,  ce  couple  robuste 
et  malheureux  d'Adam  et  Eve,  cet  Abraham    aux    traits 

I.  De  gauche  à  droite  :  Sacrifice  d'Abraham.  Arrestation  de  Pierre. 
Triomphe  du  Christ.  Arrestation  du  Christ.  Jugement  de  Pilate.  Job. 
Adam  et  Eve.  Entrée  triomphale  à  Jérusalem.  Daniel  dans  la  fosse  aux 
lions  et  Habacuc.  Arrestation  de  Paul.  On  notera  que  Daniel  debout  est 
dû  à  une  restauration. 


Planche  XVTII. 


-K.  :..'A'^ 


1-2.  Sarcophages  du  iii^  siècle,    Musée  du  Latran  (phot.  Andersen). 

3.  Sarcophage  du  iv^  siècle  au  Musée  du  Latran   (phot.  Andersen), 

4.  Sarcophage  de  Marseille  (Le  Blant,   12). 


Planche  XIX. 


I.  Sarcophage  d'Orcste,  Musée  du  Latran,  11^  s.  (phot.  Alinari). 
2.  Sarcophage  au  décor  architectural,  Musée  dn  Latran,  milieu  du 
IV^  s.  (phot.  Anderson).  —  3.  Sarcophage  d'Adelphia,  Musée  de 
Syracuse  (phot.  Brogi). 


LA  SCULPTURE  FUNÉRAIRE  145 

farouches,  ces  apôtres  fièrement  obstinés,  Pierre  et  Paul, 
et  ce  Christ  surtout,  dont  la  divine  jeunesse  trône,  impé- 
rieuse et  sereine,  dans  les  hauteurs  de  l'empyrée. 

Pourquoi  une  telle  œuvre  est-elle  unique  dans  la  sculp- 
ture chrétienne  d'Occident  aux  premiers  siècles?  C'est  sans 
doute  que  les  soucis  industriels  avaient  tari  toute  émula- 
tion d'art.  Il  faut  dire  aussi  que  le  sarcophage  de  Junius 
Bassus,  ayant  été  placé  dans  l'obscurité  des  cryptes  du  Vati- 
can, dut  rester  à  peu  près  inconnu.  Ces  deux  raisons  ne  se 
contredisent  pas.  Elles  ont  contribué  toutes  deux  à  rendre 
inutile  la  leçon  de  beauté  que  contenait  le  chef-d'œuvre. 
Plus  d'une  fois,  on  en  revint  au  type  de  cuve  qu'il  avait 
consacré  :  jamais  pareil  résultat  ne  fut  obtenu  1. 

Au  surplus,  les  colonnes  qui  forçaient  à  distribuer  régu- 
lièrement les  sujets,  à  les  équilibrer  mutuellement,  et  qui, 
à  chaque  fois  qu'elles  créaient  un  panneau  indépendant, 
mettaient  le  sculpteur  en  face  d'un  nouveau  problème, 
devaient  paraître  bien  gênantes  au  commun  des  praticiens. 
Aussi,  la  plupart  adoptèrent-ils  la  cuve  aux  surfaces  planes 
sur  laquelle  ils  pouvaient  entasser  bout  à  bout,  en  un  ou 
deux  bandeaux,  sujets  et  personnages.  Le  Musée  du  Latran 
et  le  Musée  d'Arles  (pi.  XXI  et  suiv.)  regorgent  de  ces 
œuvres  presque  toutes  laides  ou  médiocres. 

Le  sarcophage  d'Adelphia  (pi.  XIX,  3),  au  Musée  de  Syra- 
cuse, résume  bien  leur  manière,  dont  la  fortune  fut  trop 
grande  :  au  centre,  comme  dans  les  sarcophages  païens,  le 
clypeus,  portant  l'image  de  la  morte  et  celle  de  son  époux. 
Au-dessous,  une  scène  qu'on  choisit  susceptible  de  remplir 
facilement  l'espace  laissé  vacant  entre  le  bord  inférieur  de  la 

I.  Cf.  PÉRATÉ,  Manuel,  fig.  209,  210,  211;  Cabrol,  Dicttonn.,  fig.  105, 
547,    852. 


146  STATUES  ET  SARCOPHAGES 

cuve  et  l'imago  clypeata;  ici,  c'est  TAdoration  des  Mages. 
Tout  autour  du  médaillon  central,  des  épisodes  eux  aussi 
choisis  et  composés  pour  ne  laisser  nulle  part  apparaître  le 
fond.  Enfin,  à  gauche  et  à  droite,  en  une  double  rangée,  la 
suite  des  épisodes  bibliques  et  des  gesta  Dei  étroitement 
serrés.  On  notera  la  symétrie  de  ces  dispositions,  le  soin 
qu'on  prit  de  commencer  et  d'achever  chaque  bandeau  par 
un  personnage  debout,  d'étabhr  entre  les  figures  de  chacun 
d'eux  une  certaine  correspondance  de  volume  et  d'attitudes, 
et  tout  cela  dans  l'unique  dessein  de  supprimer  le  vide  dans 
la  composition. 

Pendant  toute  l'antiquité,  le  vide,  c'est-à-dire  l'espace 
et  la  lumière,  avait  paru  un  des  éléments  indispensables  du 
bas-relief,  et  l'usage  qu'il  en  fallait  faire  avait  suscité  de  diffi- 
ciles problèmes,  engendré  d'ingénieuses  solutions.  A  partir 
de  Constantin,  les  figures  s'isolèrent  les  unes  des  autres  dans 
un  espace  dont  on  avait  supprimé  le  fond.  Elles  n'eurent 
plus  ni  contact  matériel  ni  communauté  de  pensées.  La 
séparation  des  corps  eut  comme  corollaire  la  dissociation 
des  intelligences.  Considérez  les  bandeaux  sculptés  de  l'arc 
de  Constantin,  sur  le  Forum  :  les  personnages  ont  beaucoup 
de  relief,  comme  chez  les  Grecs,  mais  la  succession  des  pro- 
fils harmonieux  a  été  remplacée  par  la  froideur  des  repré- 
sentations de  face  et  de  trois-quarts,  d'où  le  souffle  et  l'élan 
ont  entièrement  disparu.  Par  une  sorte  de  retour  en  arrière, 
les  figures  sont  juxtaposées,  perpendiculaires,  et  toutes  les 
têtes  sont  placées  à  la  même  hauteur,  selon  ces  vieilles  règles 
de  la  plastique  primitive,  désignées  sous  le  nom  de  lois  de 
risoképhalie  et  de  frontahté.  Un  seul  mérite  subsistait  dans 
cet  art  officiel  :  le  rythme  alternant  du  plein  et  du  vide,  de 
l'ombre  et  de  la  lumière. 


LA  SCULPTURE  FUNÉRAIRE  147 

Dans  leurs  meilleures  œuvres,  les  chrétiens  s'en  sont 
souvenus.  Mais  dans  la  série  des  sarcophages  à  deux  ban- 
deaux, cette  ultime  qualité  ne  tint  pas  contre  une  sorte  de 
désir  du  moindre  effort,  une  propension  à  vouloir  en  même 
temps  faciliter  le  travail  et  enrichir  le  récit.  Les  figures  s'accu- 
mulèrent, serrées,  en  un  espace  étroit.  Les  divers  épisodes 
se  touchèrent  étroitement,  distingués  les  uns  des  autres 
par  des  mouvements  de  têtes,  jamais  par  un  geste  franc, 
une  attitude  décisive.  Les  mouvements  sont  peu  nombreux, 
les  gestes  hésitants  ou  confus.  On  n'a  qu'un  souci  :  meubler 
l'espace.  Toute  difficulté  est  supprimée  et,  par  conséquent, 
tout  effort;  toute  illusion  est  détruite  et,  par  suite,  toute 
vérité,  toute  beauté,  à  cause  du  rôle  prédominant  accordé 
aux  recettes. 

A  partir  du  v®  siècle,  il  n'y  a  plus  à  mentionner  de  trans- 
formations importantes  dans  les  bas-reliefs  funéraires.  Ils 
étaient  voués  immuablement  aux  indigentes  répétitions. 


w 

o 


O 
CD 

S 

o 


fin 

I 

+-> 

C 

CD 
Tj 

<D 
-M 
Oh 


'S 


CD 

-v 

CD 
O 

O 

en 


CHAPITRE  VIII 

STATUES  ET  SARCOPHAGES  (suite) 

Iconographie  des  sarcophages.  Survivance  des  symboles  primitifs.  Les 
paons,  les  cerfs,  l'aigle.  Le  Phénix  et  l'Agneau.  Les  allégories  bibliques. 
Miracles  du  Sauveur.  Les  saints.  JJ Introductio .  Les  Apôtres.  Pierre  et 
Paul.  Pierre  et  Moïse.  Les  Évangélistes.  Questions  de  méthode.  L'inter- 
prétation théologique. 

Survivance  des  Symboles.  L'exposé  qui  précède  reste- 
rait incomplet  si  nous  n'ajoutions  quelques  mots  relatifs  à 
riconographie  particulière  des  sarcophages  chrétiens.  Ce 
n'est  pas  assez  d'avoir  montré  comment  aux  symboles  pri- 
mitifs succédèrent  les  épisodes  historiques  et  quelles  consé- 
quences en  résultèrent  pour  la  décoration.  Il  faut  encore 
indiquer  la  méthode  qu'il  convient  d'appliquer  à  leur  inter- 
prétation. Il  ne  suffit  pas  d'avoir  réparti  en  de  larges  caté- 
gories la  somme  des  sujets  représentés  par  les  marbriers 
chrétiens,  il  importe  aussi  de  mesurer  ce  qu'ils  ajoutèrent 
d'intéressant  et  de  neuf  aux  images  cimétériales. 

Ce  dernier  point  est  de  toute  importance,  car  la  peinture 
des  catacombes,  ensevelie  avec  les  morts,  tomba  tôt  dans 
l'oubli,  tandis  que  les  bas-reliefs  funéraires,  exécutés  pour 
le  grand  jour,  dans  une  matière  quasi  indestructible,  répan- 
dus partout  et  multipUés  à  une  époque  où  l'Église  avait 
pris  dans  le  monde  sa  place  définitive,  ne  devaient  point 


150  STATUES  ET  SARCOPHAGES 

cesser  de  nourrir  la  tradition  d'art  du  christianisme.  Conçus 
suivant  les  formules  générales  de  la  technique  de  l'antiquité, 
et  en  même  temps  pénétrés  de  pensée  chrétienne,  ils  carac- 
térisent bien  mieux  que  les  fresques  des  cimetières,  autant 
que  les  mosaïques  dont  nous  parlerons  bientôt,  la  transition 
entre  l'art  antique  et  le  grand  art  septentrional  et  chrétien 
du  moyen  âge. 

Du  jour  où  il  y  eut  des  sarcophages  non  plus  neutres,  mais 
nettement  chrétiens  par  la  destination  et  par  les  images,  la 


^'^'^'"^Kt^^^^^^^f^^^^!^^^^^^^^^. 


FiG.  14.  —  SARCOPHAGE  d'eutropos.  (D'après  Leclercq.) 

première  source  iconographique  se  trouva  dans  la  peinture 
déjà  constituée  des  cimetières,  dont  tous  les  emblèmes  sym- 
bohques  passèrent  dans  le  bas-relief.  Les  principaux  sont 
réunis  sous  l'épitaphe  de  Livia  Primitiva.  La  cuve  non 
moins  célèbre  exécutée  en  souvenir  du  marbrier  Eutropos 
(fig.  14)  représente  la  colombe  portant  le  rameau  d'olivier, 
des  dauphins  ayant  la  signification  de  l'Ichthys,  et  l'ouvrier 
lui-même,  en  orant,  tenant  à  la  main  la  coupe  du  rafraîchis- 
sement céleste.  Les  symboles  du  navire  et  du  phare  sont 
connus  (voir  fig.  5).  Une  série  de  cuves  antérieures  à  la  p.aix 
de  l'Église  a  des  banquets  pour  décors  et  sur  tous  ces 
emblèmes,  l'emportent  en  nombre  et  en  beauté  l'orante  et 


SURVIVANCE  DES  SYMBOLES  151 

le  bon  Pasteur.  Non  seulement  le  bas-relief  funéraire  adopta 
la  vigne,  les  Saisons,  Orphée,  le  couple  charmant  d'Éros 
et  Psyché,  que  lui  recommandaient  en  même  temps  les 
monuments  antiques  et  les  fresques  catacombales  ;  mais, 
entraîné  peut-être  plus  loin  que  ne  l'eussent  voulu  d'austères 
esprits,  il  christianisa  Ulysse,  héros  insensible  aux  chants 
des  Sirènes,  ainsi  que  le  chrétien  doit  l'être  aux  séductions 
du  monde,  mais  aussi  guerrier  astucieux  et  idolâtre,  qui  ne 
trouva  grâce  devant  les  écrivains  d'Église  qu'au  v®  siècle  1. 

On  peut  donc  l'affirmer,  le  bas-relief  funéraire  fut  à  ses 
origines  résolument  symbolique.  Si  beaucoup  d'emblèmes 
tombèrent  en  désuétude  au  m®  siècle,  c'est  qu'ils 
n'étaient  pas  suffisamment  plastiques  pour  garder  place, 
soit  au  milieu  des  scènes  rustiques  auxquelles  se  mêlaient 
harmonieusement  le  bon  Pasteur  et  l'orante,  soit  aux  épi- 
sodes bibliques  qui,  à  partir  du  iii^  siècle,  tendirent  à  occu- 
per toute  la  surface  des  cuves.  Voyez,  par  exemple,  l'ancre 
égarée  au  milieu  de  la  composition  dans  le  sarcophage  de  la 
Gayolle  ! 

Pourtant  les  formes  symboliques  primitives  ne  périrent 
jamais  complètement.  On  fit  un  choix.  Les  paons,  rares 
dans  les  cimetières,  se  multiplient  dans  les  objets  usuels  et 
dans  la  sculpture,  comme  signes  d'immortalité.  On  aime  à 
les  représenter,  à  Ravenne  surtout  (pi.  LXIV,  i),  héraldi- 
quement  affrontés,  parfois  se  désaltérant  dans  la  vasque 
emblématique  du  refrigerium.  Les  cerfs,  assoiffés  du  Seigneur 

I.  Nous  ne  citerons  ici  que  pour  mémoire  une  représentation  des  Dios- 
cures  (Le  Blant,  Savcoph.  d'Arles,  XXIII,),  et  une  autre  de  Junon  Pro- 
nuba,sur  le  sarcophage  Ludovisi  (Garrucci,  Storia,  pi.  361,  i)  :  ce  ne  sont 
là  que  des  bévues  imputables  à  la  naïveté  de  quelques  fidèles  et  à  l'in- 
fluence des  cahiers  de  modèles. 


152  STATUES  ET  SARCOPHAGES 

(Ps.  41, 2),  boivent  aux  fontaines  paradisiaques  (pi.  XVIII,4). 
L'aigle  se  fait  porteur  de  croix  1.  Le  Phénix,  lui  aussi  emblème 
de  la  résurrection  et  du  salut  éternel,  apparaît  pour  la  pre- 
mière fois  sur  un  sarcophage  du  Latran  remontant  au 
IV®  siècle  -.  L'oiseau  est  perché  sur  un  tau,  dont  un  voile 
recouvre  la  partie  supérieure,  et  que  deux  colombes  accostent. 
Des  arbres  dans  le  fond  indiquent,  suivant  le  mode  de  repré- 
sentations déjà  signalé  d'une  colonnade,  le  paradis.  Et  les 
apôtres,  à  droite  et  à  gauche,  s'avancent  vers  le  mystique 
oiseau  en  lui  présentant  leurs  couronnes.  Il  est  manifeste 
que  le  Phénix  symbolisait  le  Christ  ressuscité  de  la  mort,  et 
les  colombes,  les  âmes  des  fidèles  qui  se  réveillent  au  delà 
du  tombeau  dans  le  verger  céleste. 

Enfin,  il  est  un  symbolisme,  celui  de  l'agneau,  que 
les  fabricants  de  sarcophages  développèrent  grandement. 
L'agneau,  jusqu'au  iv®  siècle,  avait  été  l'image  des  fidèles, 
soit  qu'ils  fissent  cortège  au  bon  Pasteur,  soit  que,  sauvés 
déjà,  ils  goûtassent  les  délices  du  paradis.  A  partir  de  la 
paix  de  l'Église,  on  commença  de  représenter  VAgnus  Dei, 
c'est-à-dire  le  Christ,  sous  la  figure  d'un  agneau,  caractérisé 
par  le  nimbe,  le  monogramme  ou  la  croix  et  debout  sur  la 
montagne  du  paradis  terrestre,  d'où  les  quatre  fleuves 
s'écoulent.  Ceci  était  fait  à  l'imitation  des  mosaïques  et  se 
rencontre  surtout  à  Ra venue  (pi.  LXIV,  3). 

De  même,  l'agneau  figura  les  apôtres  (pi.  XVII, 5) .  Parmi  les 
brebis  du  bon  Pasteur,  les  apôtres  n'étaient-ils  pas  les  brebis 
par  excellence,  les  «  brebis  envoyées  au  milieu  des  loups  » 
(Matth.,  X,  16)?  On  alla  plus  loin  dans  le  sens  du  symbo- 


1.  Kaufmann,  Manuel,  fig.    109. 

2.  Ibid.,  fig.  108. 


Planche  XXT. 


1-2-3.  Sarcophages  du  iv^  siècle,  à  composition  serrée    en    un   ou 
deux  bandeaux,  au  Musée  du  Latran  (phot.  Anderson). 


SCÈNES  BIBLIQUES  153 

lisme  :  pour  remplir  les  écoinçons  du  bandeau  inférieur  dans 
le  sarcophage  de  Junius  Bassus,  le  sculpteur  osa  représenter 
les  miracles  de  Moïse  et  du  Christ  opérés  par  un  agneau. 
L'animal  symbolique  guide  des  agneaux  nageant  derrière 
lui  (passage  de  la  mer  Rouge)  ^  ;  il  frappe  de  la  verge  le  rocher 
d'où  Teau  jaillit;  il  multiplie  les  pains;  il  pose  la  patte  sur  la 
tête  d'un  agneau  plongé  dans  l'eau  (baptême  du  Christ)  ; 
il  reçoit  les  tables  de  la  Loi;  du  bout  de  la  verge  qu'il  tient 
avec  la  patte,  il  ressuscite  Lazare. 

Ne  cherchons  là  nul  raffinement,  nulle  profondeur  :  ce 
n'est  qu'une  fantaisie  poétique,  un  jeu  d'esprit  inspiré  par 
la  piété.  Du  moins  en  ressort-il  que  l'esprit  symbolique,  si 
familier  aux  peintres  des  catacombes,  n'avait  pas  encore 
perdu  son  empire  sur  un  maître  tout  attaché  au  genre  nou- 
veau des  compositions  bibliques.  Nous  retrouverons  les  prin- 
cipaux éléments  de  ce  symbohsme  dans  les  séries  tardives 
de  sarcophages  ;  c'est  à  lui  seul  qu'auront  recours  l'imagina- 
tion défaillante  et  le  talent  fatigué  des  marbriers  de  Ravenne. 
Mais  on  peut  le  dire,  du  jour  où  les  récits  bibliques  sous 
la  forme  d'épisodes  juxtaposés  envahirent  la  face  des  cuves 
de  marbre,  la  gloire  des  emblèmes  anciens  fut  éclipsée.  Le 
bon  Pasteur  lui-même,  ainsi  que  nous  l'avons  vu  plus  haut, 
fut  peu  à  peu  évincé  de  l'iconographie  funéraire,  dont  les 
apparences  se  transformèrent. 

Scènes  bibliques.  Les  marbriers  ne  se  contentèrent 
pas  d'adapter  à  la  pierre  les  scènes  de  l'Ancien  et  du  Nou- 
veau Testament   déjà  présentes   aux   catacombes.    Ils   en 

I.  Le  P.  Grisar  et  Mgr  de  Waal  prétendent  reconnaître  en  cette  scène 
très  mutilée  trois  agneaux  dans  la  fournaise. 

II 


154  STATUES  ET  SARCOPHAGES 

augmentèrent  le  nombre  suivant  la  logique  de  leur  esprit, 
et  aussi  en  prenant  pour  guide  de  leur  inspiration,  pour 
raison  déterminante  de  leur  choix,  des  scènes  de  sarcophages 
antiques  qui,  tant  pour  la  composition  que  pour  la  tech- 
nique, pouvaient  leur  servir  de  modèles.  «  C'est  ainsi  que 
les  figures  d'Adam  et  Eve  qui,  sur  les  parois  des  catacombes, 
rappellent  la  faute  originelle  et  la  miséricorde  du  Rédemp- 
teur, entraînent  à  leurs  côtés  toute  l'histoire  de  nos 
premiers  parents  :  la  création  de  l'homme,  la  création  de  la 
femme,  la  tentation,  le  châtiment,  l'annonce  de  la  Rédemp- 
tion, l'offrande  de  Caïn  et  d'Abel  (pi.  XXIII)  i  ». 

Aux  épisodes  de  Moïse  dénouant  sa  chaussure  et  frappant 
le  rocher,  on  ajouta  ceux  qui  se  rapportent  à  la  sortie 
d'Egypte  et  notamment  le  passage  de  la  mer  Rouge.  Tous 
les  patriarches  réapparaissent  :  Noé,  Abraham,  Élie,  Tobie, 
Job.  Des  diverses  scènes  de  l'histoire  de  Jonas,  aucune  n'a 
été  oubliée;  celles  de  la  vie  de  Daniel  se  sont  amplifiées  et 
enrichies,  surtout  en  ce  qui  regarde  la  justification  de 
Suzanne  ^. 

Mais  c'est  principalement  dans  l'illustration  du  Nouveau 
Testament  que  les  marbriers  firent  preuve  de  fécondité.  La 
Nativité  se  rencontre  à  côté  de  l'Adoration  des  Mages.  Les 
scènes  de  la  Passion,  dont  il  n'est  guère  qu'un  exemple  sûr 
aux  catacombes,  le  Christ  couronné  d'épines  et  tourné  en 
dérision  (Cat.  de  Prétextât)  ^,  sont  représentées  à  partir  du 
IV®  siècle  avec  une  nombreuse  figuration  de  personnages 
et  dans  leur  suite  chronologique  :  c'est  l'entrée  triomphale 

1.  PÉRATÉ,  Manuel,  p.  309, 

2.  Sur  l'iconographie  des  sarcophages,  voir  Pératé,  Manuel,  p.  309 
et  suiv.;  Leclercq,  Manuel,  II,  p.  316. 

3.  WiLPERT,  Malereien,  pi.  XVIII. 


SCÈNES  BIBLIQUES  155 

à  Jérusalem,  si  noblement  reproduite  sur  le  sarcophage  de 
Junius  Bassus  (pi.  XX),  le  lavement  des  pieds,  le  baiser  de 
Judas,  l'arrestation  de  Jésus,  la  comparution  devant 
Caïphe  et  Pilate,  lequel  d'habitude  se  lave  les  mains,  le 
couronnement  d'épines  et  le  portement  de  la  croix. 

Enfin,  voici  les  miracles  du  Sauveur,  dont  la  série  était 
restée  bien  incomplète  dans  les  cimetières;  voici,  à  côté  de 
l'hémorrhoïsse  et  du  paralytique,  la  guérison  des  aveugles; 
à  côté  de  Lazare,  la  résurrection  du  fils  de  la  veuve  et  celle 
de  la  fille  de  Jaïre;  à  côté  de  la  multipHcation  des  pains, 
les  noces  de  Cana,  la  représentation  de  Jésus  et  de  la  Sama- 
ritaine. 

Combien  de  remarques  intéressantes  on  peut  faire  à  pro- 
pos de  ces  sujets  !  Ils  sont  exécutés  avec  une  grande  timi- 
dité en  ce  sens  que  le  sculpteur  a  imité,  chaque  fois  qu'il  Ta 
pu,  un  modèle  antique  :  ainsi  le  Père  modèle  Adam  comme 
Prométhée  sa  statue;  les  scènes  bibliques  qui  comprennent 
une  représentation  du  serpent  s'inspirent  toutes  plus  ou 
moins  d'anciens  bas-reliefs  où  figurent  Esculape  et  Hygie; 
le  coq  du  reniement  est  perché  sur  une  colonne  comme  une 
victoire  antique  ou  un  sphinx;  mais  quelle  audace  aussi 
parfois  dans  la  conception  de  ces  mêmes  sujets  !  Le  Père, 
le  Fils  et  le  Saint-Esprit  assistent  à  la  création  d'Adam, 
sous  la  forme  humaine  :  passe  pour  le  Fils  qui  s'était  fait 
homme,  mais  nul  docteur  n'eût  osé  représenter  ainsi  le  Père 
inconcevable  et  l'Esprit  par  excellence.  Cet  art  est  essen- 
tiellement naïf  et  populaire.  Quand  le  sculpteur  voulut 
indiquer  le  châtiment  auquel  Adam  et  Eve  avaient  été  con- 
damnés, il  représenta  l'homme  portant  une  gerbe  de  blé  et 
la  femme  un  agneau,  car  Eve  devait  filer  la  laine,  obéissante 
en  sa  maison,  Adam  était  assujetti  aux  durs  travaux  de  la 


156  STATUES  ET  SARCOPHAGES 

terre.  Rien  de  plus  concis,  de  plus  éloquent.  L'imagination 
s'émancipe.  Noé  aux  catacombes  apparaissait  —  ainsi 
Phryxos  et  Hellé  dans  les  peintures  de  vases  grecs  —  comme 
un  homme  sortant  à  mi-corps  d'un  coffre  carré  :  un  sarco- 
phage de  Trêves  i  représente  le  patriarche  entouré  de  sa 
famille  et  des  animaux  qu'il  a  sauvés,  tandis  que  la  colombe 
lui  apporte  à  tire  d'aile  le  rameau  d'olivier.  Job  se  recon- 
naît à  peine  dans  les  fresques  des  cimetières  :  nous  le  voyons 
ici  sur  son  fumier,  et  sa  femme,  détail  inattendu,  lui  tend  un 
pain  ;  Suzanne  ressemblait  à  une  oranfe  :  sur  un  sarcophage 
d'Arles  (Pératé,  fig.  205),  Daniel,  assis  comme  un  juge  sur 
un  rocher,  prouve  son  innocence  et  la  foule  lapide  les  deux 
vieillards. 

Il  existe  la  même  abondance  de  scènes  et  de  personnages 
en  ce  qui  regarde  la  vie  du  Christ.  On  remarquera  seulement 
que  la  crucifixion,  à  la  différence  des  autres  épisodes  de 
la  Passion,  ne  comporte  pas  l'image  humaine  du  Christ;  on. 
la  remplace  par  des  s3rmboles.  La  discipline  du  respect,  si 
remarquable  dans  les  peintures  cimétériales,  empêchait 
encore,  au  iv®  siècle,  de  représenter  l'Homme-Dieu  attaché 
à  la  croix. 

Mais  laissons  cette  énumération  de  sujets,  qu'on  pourrait 
facilement  allonger.  Il  convient  de  se  demander  ici  quelle 
signification  les  fabricants  de  sarcophages  entendaient  don- 
ner aux  épisodes  bibliques.  Sans  doute,  en  complétant 
l'iconographie  cimétériale  relative  à  l'Ancien  et  au  Nouveau 
Testament,  ils  alimentaient  la  piété;  sans  doute,  en  déve- 
loppant chaque  groupe  épisodique,  en  le  racontant  au  moyen 
de  scènes  et  de  personnages  plus  nombreux,  ils  répondaient 

I.  Cabrol,  Dictionn.y  I,  i,  fig.  909;  Pératé,  Manuel^  fig.  196. 


Planche  XXII. 


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I.  Sarcophage  de  Nîmes  (LeBlant,  30).  —  2-3.  Sarcophages  à  deux 
bandeaux  du  Musée  du  Latran  (phot.  Anderson). 


LA  PARADIS  157 

au  goût  général,  qui  exigeait  sur  les  sarcophages  l'ordre  et 
l'abondance  de  l'histoire;  l'Église  fixant  la  foi,  les  docteurs 
commentant  la  Bible,  une  part  de  doctrine  et  de  théologie 
exégétique  put  se  glisser  dans  les  idées  qu'exprimaient  ordi- 
nairement les  bas-reliefs;  l'histoire  de  l'Église  y  exerça  son 
influence,  comme  aussi  les  pensées  nouvelles  du  symbo- 
lisme triomphal  :  tout  cela  est  vrai.  Mais  marbriers  et  fidèles 
ne  cessaient  de  voir,  en  ces  représentations,  les  images  garantes 
de  leurs  espérances,  l'illustration  des  liturgiques  prières 
par  lesquelles  le  mourant  était  fortifié.  En  un  mot,  toutes 
les  scènes  bibliques,  aussi  bien  sur  les  sarcophages  que  dans 
les  catacombes,  procèdent  fondamentalement  du  symbo- 
lisme funéraire.  Daignât  Dieu,  disaient-elles,  se  montrer 
miséricordieux  pour  les  chrétiens  ensevelis  ainsi  qu'il  l'avait 
été  pour  les  enfants  d'Israël,  et  leur  appliquer  le  fruit  de  sa 
vie  et  de  sa  mort  ! 

Le  Paradis.  Par  toutes  les  influences  que  nous  venons 
d'indiquer  s'expliquent  les  scènes  célestes,  communes  aux 
bas-reliefs  et  aux  peintures  cimétériales  :  le  Christ  triom- 
phant et  enseignant,  donnant  la  Loi,  l'introduction  des 
élus,  leur  couronnement  et  cette  représentation  où  l'on  voit 
les  apôtres  faire  hommage  au  Christ  des  couronnes  qu'ils  en 
ont  reçues.  Ces  visions  du  ciel,  avons-nous  dit,  coïncident  avec 
le  triomphe  de  l'Éghse  et  tirent  leur  origine  du  décor  basihcal. 
Elles  n'en  conservent  pas  moins,  dans  les  sarcophages  comme 
aux  catacombes,  une  signification  funéraire,  puisqu'elles 
sont  l'image,  une  image  moins  imbue  de  poésie,  cette  fois, 
de  ce  qui  attend  les  justes.  Le  culte  des  saints  s'était  déve- 
loppé après  la  paix.  On  aimait  représenter  le  ciel  où  régnait 
le  Christ,  mais,  encore  et  surtout,  le  ciel  où  d'anciens  frères 


158  STATUES  ET  SARCOPHAGES 

accueillaient   bénévolement   les    âmes   et   facilitaient    leur 
accès  auprès  du  trône  divin. 

Chose  étrange,  dans  le  temps  même  où  l'on  célébrait  la 
gloire  des  martyrs,  on  ne  les  montra  que  bien  rarement  au 
milieu  des  vicissitudes  de  leur  vie  mortelle.  Il  n'est  pas  de 
représentation  de  martyre,  au  sens  propre  du  mot,  avant  la 
fin  du  IV®  siècle.  Dans  les  sarcophages,  on  note  l'arrestation 
de  saint  Pierre  et  de  saint  Paul.  La  décollation  de  ce  dernier 
est  même  indiquée,  sur  une  cuve  du  Latran  i,  par  un  soldat 
tirant  son  glaive.  Mais  de  scènes  sanglantes,  d'épisodes 
empruntés  à  la  vie  chrétienne  pendant  l'époque  des  persé- 
cutions, il  n'en  est  point.  Qu'est-ce  à  dire,  sinon  que,  pour 
les  chrétiens,  la  souffrance  comptait  peu  au  regard  de  la 
féhcité  éternelle.  On  ne  la  jugea  pas  susceptible  d'entrer 
dans  les  cycles  du  symbolisme  funéraire. 

Pierre  et  Paul.  Une  place  à  part  fut  faite  dans  le  bas- 
relief  funéraire  à  saint  Paul  et  surtout  à  saint  Pierre,  en 
raison  de  leur  dignité  suréminente  et  du  rôle  prépondérant 
qu'ils  avaient  joué  dans  l'évangélisation  du  monde  et,  par- 
tant, dans  l'œuvre  du  salut  humain.  Ils  sont  au  ciel  aux 
côtés  du  Christ,  ils  reçoivent  son  enseignement,  ils  lui 
présentent  les  élèves.  Leurs  épreuves  même  sont  racontées, 
par  quoi  un  peu  de  l'histoire  de  l'Église  passa  dans  les 
bas-reliefs. 

De  saint  Paul,  on  trouve  l'arrestation,  la  décollation  et 
le  saint  conduisant  au  port  du  salut  une  femme  du  nom  de 
Thécla  :  allusion  sans  doute  aux  rapports  spirituels  de 
l'apôtre   des    nations    et    de    sainte    Thècle    (Kaufmann, 

I.  Venturi,  I,  fig.  191. 


PIERRE  ET  PAUL 


159 


fjÇf^^^i, 


>.. 


FIG.     15.    NEF     DU    CHRIST     ET    DES 

ÉVANGÉLISTES.  FRAGMENT  DE  SARCO- 
PHAGE. (D'après  Pératé.) 


p.  324).  L'iconographie  relative  à  Pierre  est  particulièrement 
variée  et  intéressante.  Pour  ne  parler  que  des  sarcophages, 
citons  :  le  lavement  des 
pieds,  le  reniement,  la 
résurrection  de  Tabitha. 
Mais  on  ne  saurait  rap- 
porter à  la  vie  de  saint 
Pierre,  une  suite  d'épisodes 
assez  souvent  représentés 
sur  les  cuves  funéraires  : 
un  personnage  drapé  en- 
traîné    violemment      par 

deux  hommes  coiffés  d'un  bonnet  rond;  le  même  person- 
nage frappant  le  rocher  d'où  l'eau  jaillit,  tandis  que  les 
deux  hommes  se  désaltèrent;  le  même  enfin,  lisant  un 
volumen  aux  deux  mêmes  personnages  qui  l'écoutent 
(pi.  XVIII,  2;  XXI-XXIII).  Il  est  vrai  que  sur  un  certain 
nombre  de  monuments,  Pierre  est  substitué  à  Moïse  frap- 
pant le  rocher  d'Horeb;  mais  alors  le  nom  de  l'apôtre  est 
indiqué.  Sur  nos  sarcophages,  le  costume  des  deux  hommes 
est  certainement  celui  de  Juifs;  les  épisodes  successifs 
représentent  Moïse  entraîné  par  les  Hébreux  que  la  soif  a 
irrités.  Moïse  opérant  le  miracle,  enfin,  Moïse  enseignant  la 
Loi  aux  Hébreux  1. 

Les  apôtres  et  les  évangélistes  étaient  témoins  du  Christ, 
ouvriers  du  salut  par  lui  promis.  Ils  se  rangent  des  deux 
côtés  de  son  trône,  au  paradis.  Sur  un  fragment  de  sarco- 
phage de  Spolète  (fig.  15),  les  derniers  montent  une  barque 

I.  Voir  WiLPERT,  Malereien,  p.  388.  Wittig,  Altchristliche  Sculpturen 
im  Camposanfo,  p.  107  et  suiv.  nous  paraît  s'être  trompé  en  considérant 
ces  épisodes  comme  une  illustration  de  la  légende  de  Pierre, 


i6o  STATUES  ET  SARCOPHAGES 

dont  ils  sont  les  rameurs  et  dont  le  Christ  lui-même  tient  le 
gouvernail.  Par  là  étaient  remplacés  les  Amours  conduisant 
Psyché  au  port  éternel.  Le  salut  était  dans  les  paroles  du 
Christ,  répétées  par  les  apôtres  et  transcrites  dans  les 
Évangiles.  On  peut  se  demander  aussi  si  cette  nef  sym- 
bolique ne  représente  pas  l'Église. 

Questions  de  Méthode.  Dans  l'interprétation  symbo- 
lique de  monuments  chrétiens  des  premiers  siècles,  il  est 
souvent  difficile  d'atteindre  à  la  certitude.  Tout  ce  qu'on 
peut  espérer  mettre  en  lumière  est  la  pensée  fondamentale 
à  laquelle  les  divers  groupes  de  représentations  ont  dû  nais- 
sance. Mais  si  l'on  estime  qu'il  est  possible  de  rétablir  la 
foule  de  pensées  que  ces  représentations  ont  pu  suggérer 
aux  fidèles,  de  retrouver  les  associations  d'idées  par  lesquelles 
chacun  les  rattacha  les  unes  aux  autres,  et  surtout,  com- 
plétant un  monument  par  un  autre,  prêtant  aux  artistes 
toute  la  science  des  Pères,  toute  la  logique  subtihté  des 
esprits  contemporains,  de  découvrir  dans  les  fresques  et  les 
bas-rehefs  des  premiers  siècles  la  somme  des  doctrines  ensei- 
gnées par  l'Église  et  professées  par  les  fidèles,  avouons-le, 
plus  n'est  besoin  de  prudence,  c'est  le  domaine  de  la 
fantaisie;  plus  n'est  besoin  de  preuves,  c'est  affaire  de  sen- 
timent. 

Veut-on  savoir  comment  un  historien,  d'ailleurs  savant, 
interprète  les  symboles  des  agneaux  dans  le  sarcophage  de 
Junius  Bassus?  «  Ces  figurines  symbohques  expriment  dans 
la  langue  de  l'art  chrétien,  alors  dans  l'éclat  de  sa  jeunesse, 
la|même  pensée  que  l'inscription  qui  court  au-dessus  des 
arcades  de  la  rangée  supérieure,  à  savoir  :  que  le  défunt  a  été 
introduit  par  le  baptême  dans  l'Église  et  dans  la  jouissance 


QUESTIONS  DE  MÉTHODE  i6i 

du  salut.  Parmi  les  actions  dont  tous  les  personnages  sont 
ici  des  agneaux,  se  trouve  l'introduction  du  néophyte  dans 
la  communauté  des  fidèles,  ce  qu'on  appelait  Vinitiatio. 

«  La  réception  du  baptême  et  de  l'Eucharistie  formait  le 
double  acte,  étroitement  un,  de  l'initiation.  Ces  deux  sacre- 
ments sont  figurés  ici  à  la  place  principale  sur  la  voûte 
médiane  :  un  agneau  reçoit,  d'une  colombe  venant  de  la 
hauteur,  le  rayon  de  la  grâce  ou  de  l'eau,  symbole  du  bap- 
tême ;  un  autre  touche  avec  un  bâton  la  corbeille  de  pains, 
représentation  symbolique  tout  ensemble  de  la  merveil- 
leuse multiplication  des  pains  et  de  la  sainte  Eucharistie.  La 
première  scène  à  gauche  représente  les  trois  jeunes  gens  dans 
la  fournaise,  avec  l'ange  qui  les  protège;  elle  symbolise  la 
confession  de  foi  qui  meta  l'abri  du  danger,  et  la  vie  de  la  foi, 
à  laquelle  le  baptisand  devait  se  décider.  Le  dernier  groupe 
d'agneaux  à  droite  montre,  par  la  scène  de  la  résurrection  de 
Lazare  (lui  aussi  un  agneau),  que  la  résurrection  et  la  vie 
étemelle  sont  la  récompense  de  la  fidélité  à  la  confession 
chrétienne.  Deux  autres  scènes,  qui  se  correspondent  S3mié- 
triquement,  enseignent  à  vénérer  la  double  puissance 
donnée  par  Dieu  à  l'Église,  dans  laquelle  veut  entrer  le  caté- 
chumène. Les  grâces  du  salut  sont  exprimées  par  la  source 
que  Moïse,  sous  la  figure  d'un  agneau,  fait  jaillir  du  rocher  en 
le  frappant  de  sa  verge  pour  désaltérer  un  autre  agneau. 
L'enseignement  des  vérités  surnaturelles  est  représenté  par 
un  livre  que  tend  à  un  agneau  une  main  qui  apparaît  dans 
les  hauteurs  (traditio  Evangelii  et  symholi  au  baptisand)  i.  » 

La  logique,  dirons-nous,  s'adapte  aussi  bien  à  l'erreur 
qu'à    la  vérité.  Elle  n'est   qu'un  instrument    de  vraisem- 

I.  Grisar,  op.  cit.,  I,  445. 


i62  STATUES  ET  SARCOPHAGES 

blance.  Toute  la  possibilité  d'arriver  au  vrai  dépend  de  la 
méthode. 

Il  est  des  sarcophages  qui  ont  été  interprétés  comme  de 
véritables  «  homélies  en  images  ».  Tel  le  sarcophage  prove- 
nant de  la  basilique  de  Saint-Paul  (pi.  XXIII),  où  l'on 
reconnut  la  création  et  la  chute,  la  rédemption  figurée 
par  l'adoration  des  Mages,  l'institution  du  baptême  et  de 
l'Eucharistie  (rocher  d'Horeb,  multipHcation  des  pains),  la 
vocation  des  Gentils  (hémorrhoïsse),  la  suprématie  de 
l'Église  (bâton  de  Pierre)  et  la  résurrection  promise  aux 
justes.  D'aucuns  ajoutent  à  cet  ensemble  déjà  considérable 
l'Incarnation  (Saint-Esprit  représenté  derrière  le  siège  de  la 
Vierge),  l'œuvre  de  l'Apostolat  clairement  indiquée  par  la 
guérison  de  l'aveugle-né.  Enfin,  Daniel  entre  les  lions, 
suivant  de  Rossi,  ordinairement  moins  aventureux,  «  doit 
concentrer  »  en  lui  le  résumé  de  toutes  les  vérités  expri- 
mées :  il  serait  l'image  du  Sauveur  souffrant  et  de  l'Église 
sauvée  et  espérante. 

Qu'un  chrétien  puisse  à  bon  droit  reconnaître  cette  somme 
dogmatique  dans  le  sarcophage  que  nous  venons  de  citer, 
voilà  ce  que  personne  ne  niera  —  il  pourrait  même  à  ces 
dogmes,  en  s'inspirant  de  la  même  méthode,  en  ajouter  bien 
d'autres.  Mais  que  le  sculpteur  ait  eu  l'intention  de  codifier 
ainsi  la  doctrine  chrétienne;  lui,  attaché  aux  traditions 
anciennes  du  symbolisme  funéraire,  appliqué  à  ne  choisir 
que  des  scènes  dont  l'usage  était  courant,  dont  le  sens  géné- 
ral était  connu,  tout  heureux,  quand  il  faisait  le  choix  de  ses 
sujets,  quand  il  les  mettait  en  place,  de  se  sentir  appuyé  par 
l'exemple  de  ses  prédécesseurs,  il  aurait  construit  cet  édifice 
subtil  et  solide  de  doctrine  :  voilà,  au  contraire,  ce  qu'on  ne 
saurait  prétendre  aujourd'hui  sans  audace. 


QUESTIONS  DE  MÉTHODE  163 

Ce  sculpteur  se  préoccupait  avant  tout  de  symétrie.  En 
figurant  le  Saint-Esprit  dans  la  Création,  il  acheva  le 
bandeau  par  un  corps  debout,  une  ligne  ronde  et  droite;  et 
ceci  amena  au-dessous,  dans  le  registre  inférieur,  la  repré- 
sentation de  saint  Joseph  —  non  le  Paraclet,  derrière  le 
trône  de  la  Vierge.  Le  rocher  d'Horeb  fit  pendant  au  tom- 
beau de  Lazare.  Pourquoi  Daniel  sous  l'imago  des  époux? 
C'était  la  place  ordinaire  de  ce  sujet  sur  les  sarcophages,  sa 
composition  étant  assez  large  pour  répondre  au  médaillon 
supérieur.  Il  partageait  ce  privilège  avec,  le  plus  souvent, 
Jonas  et  les  trois  jeunes  gens  dans  la  fournaise. 

On  le  voit,  il  n'était  ni  dans  le  choix  de  ces  sujets,  ni  dans 
leur  composition,  ni  surtout  dans  la  place  qui  leur  fut  don- 
née, aucune  intention  subtile.  D'ailleurs,  si  le  sarcophage  en 
question  est  essentiellement  théologique,  comme  le  disait 
de  Rossi,  on  ne  pourra  refuser  la  même  quahté  à  tous  ceux 
de  la  même  catégorie.  L'hémorrhoïsse,  dit-on,  signifie,  dans 
le  cas  présent,  la  vocation  des  Gentils;  il  faut  donc  renoncer 
partout  ailleurs  à  voir  en  elle  une  image  symbolique  du 
salut.  Daniel  dans  la  fosse  aux  lions  traduira  partout, 
selon  l'opinion  unanime,  la  liturgie  funéraire;  il  exprimera 
la  confiance  des  fidèles  dans  la  miséricorde  du  Christ  et  ici 
seulement  sera  figure  de  l'Église.  Où  trouver  dans  les  monu- 
ments les  raisons  d'un. tel  changement  d'exégèse? 

Il  faut  se  résigner  à  ne  pas  considérer  les  peintres  et  les 
marbriers  comme  des  Pères  de  l'Église.  Ce  serait  même  une 
profonde  erreur  de  vouloir  expHquer  les  monuments  funé- 
raires par  les  écrits  contemporains  des  Docteurs.  Car  ces 
derniers  découvrent ,  tour  à  tour,  dans  chaque  épisode  de 
l'histoire  sacrée,  des  significations  différentes.  Tour  à  tour 
ils  accroissent  le  trésor  des  allégories  et  des  symboles.  La 


i64  STATUES  ET  SARCOPHAGES 

vérité  n'est  pas,  pour  eux,  dans  l'unité  de  l'interprétation, 
mais  dans  sa  profondeur  et  sa  richesse.  Ils  entendent  forti- 
fier la  foi  en  montrant  sa  fécondité. 

Toute  autre  était  la  mission  des  décorateurs  de  cubicules 
et  de  sarcophages  :  ils  exprimaient  naïvement  la  confiance 
de  tous.  C'est  pourquoi  nous  les  voyons  d'âge  en  âge,  fidèles 
à  la  tradition,  varier  leurs  sujets,  mais  s'inspirer  toujours 
des  mêmes  idées.  La  Mort,  la  Résurrection,  le  Paradis,  voilà 
les  pensées  que  sans  cesse  ils  agitent.  Certains,  en  réunissant 
des  symboles  accoutumés,  se  trouvèrent  aussi  avoir  con- 
densé une  somme  considérable  de  doctrine,  pour  qui  eût 
voulu  chercher  doctrine  en  leurs  œuvres,  mais  ils  ne  l'avaient 
pas  cherché.  Nous  oserons  dire  qu'ils  furent  théologiens 
sans  le  savoir. 

BIBLIOGRAPHIE.  —  Sculpture  romaine  :  Mrs  Strong,  Roman  Sculp- 
ture,in-B»^,  Londres,  1907.  On  trouvera,  dans  ce  livre,  un  excellent  résumé 
des  théories  de  Wickhofî  et  Riegl  sur  les  caractères  propres  de  la  sculpture 
romaine  et  l'évolution  du  bas-relief. 

Sarcophages  antiques  :  W.  Altmann,  Architektur  und  Ornamentik  der 
antiken  Sarcophage,  Berlin,  1902. (Cf.  1t> .^Dieroemischen  Grabaltaere,  Berlin, 
1907.) 

Symbolique  funéraire  antique  :  B.  Schrœder,  Studien  zu  den  Grab- 
denkmaelern  der  roemischen  Kaiserzeit  {Bonner  Jahrbuecker,  1902,  p.  46 
et  suiv.). 

Répertoire  :  C.  Robert,  Die  antiken  Sarkophagreliefs,  1890- 1904;  II  et 
III  seuls  parus. 

Sarcophages  chrétiens.  L'ouvrage  ancien  du  P.  Raffaele  Garrucci, 
Storia  delV  arte  cristiana,  6  vol.  in-folio,  Prato,  1873- 1880  (Sarcophages  : 
vol.  V)  est  encore  précieux  à  cause  du  nombre  de  monuments  qu'il  con- 
tient, et  parce  qu'il  n'existe  pas  de  répertoire  complet.  Reproductions 
peu  fidèles;  interprétation  vieillie.  De  Rossi  étudie  quelques  sarcophages 
des  catacombes  dans  les  volumes  II  et  III  ide  la  Roma  Sotterranea. 
Recourir,  d'une  façon  générale,  au  Bullettino  et  Nuovo  Bullettino  diArcheol. 
crist.,  et  à  la  Roem.  Quarfschrift.  Edmond  Le  Blant,  en  étudiant  les 
sarcophages    de    France,    a  fait    faire    un    pas    décisif    à    l'archéologie 


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BIBLIOGRAPHIE  165 

chrétienne  :  Etude  sur  les  sarcophages  chrétiens  antiques  de  la  ville  d'Arles^ 
op.  cit.,  Les  Sarcophages  chrétiens  de  la  Gaule  (Monum.  pour  servir  à 
rhistoire  de  la  France),  Paris,  1886.  Cf.  R.  Grousset,  Etude  sur  l'histoire 
des  sarcophages  chrétiens  (avec  catalogue  des  monuments  qui  ne  se  trou- 
vent pas  au  musée  du  Latran),  Paris,  1886.  De  la  plus  haute  importance 
est  l'ouvrage  de  Joh.  Ficker,  Die  Altchristlichen  Bildwerke  im  christlichen 
Muséum  des  Laterans,  Leipzig,  1890.  Descriptions  très  complètes,  sûre 
érudition,  bibliographie.  Une  autre  collection  romaine  a  été  décrite  et 
commentée  savamment  et  clairement  par  J.  Wittig,  Die  altchristlichen 
Sculpturen  im  Camposanto  in  Rom,  in-folio,  Rome,  1906. 

Pour  les  monuments  d'Afrique,  cf.  Delattre,  Musée  Lavigerie  de  Saint- 
Louis  de  Carthage,  Tunis,  1900;  St.  Gsell,  Les  Monuments  antiques  de 
l'Algérie,  Paris,  1901  (notamment  vol.  II). 

Beaucoup  de  sarcophages  chrétiens  de  la  Gaule  figurent  à  nouveau 
dans  la  publication  d'EspÉRANDiEU,  Les  Bas-Reliefs  antiques  de  la  Gaule 
(Coll.  des  Monuments  pour  servir  à  l'histoire  de  la  France),  in-folio,  Paris, 
1907,  1909).  2  vol.  parus. 

D'une  façon  générale,  cf.  manuels  cités  plus  haut  :  Schulze,  Pérate, 
Leclercq,  Kaufmann;  le  Dictionnaire  d'archéologie  chrétienne  (Dom 
Cabrol),  articles  de  Dom  Leclercq;  Venturi,  Storia  delV  Arte  italiana, 
vol.  I. 

Sur  l'iconographie  des  sarcophages  chrétiens,  cf.  monographies  citées 
plus  haut  :  Mowat,  Muller,  Weis-Liebersdorf,  Mitius,  Pelka, 
Clausnitzer  et,  en  outre  : 

De  Waal,  Der  Sarkophag  des  Junius  Bassus,  Rome,  1900;  Id.,  Zur 
Chronologie  des  Bassus-Sarcophags  (Roem.  Quartalschrift,  1907,  p.  107)  :  réfu- 
tation de  Weis-Liebersdorf,  qui  date  le  sarcophage  de  la  fin  du  11  «  siècle. 
Wilpert,  Irrthuemer  in  der  Auslegung  von  Sarkophagreliefs  (eod.  loco, 
1906,  p.  126)  :  sur  l'importance  des  figures  et  scènes  de  famille  dans  les 
bas-rehefs  funéraires.  C.  M.  Kaufmann,  Die  sepulcralen  J enseitsdenkmaeler 
der  Antike  und  des  Urchristentums,  in-40,  Mayence,  1900  :  comparaison  des 
idées  antiques  et  des  idées  chrétiennes  sur  la  Vita  beata,  d'après  les  inscrip- 
tions funéraires  et  les  bas-reliefs.  O.  Schœnewolf,  Die  symholische  Darstel- 
lung  der  Auferstehung  in  der  fruehchristl.  Kunst,  Leipzig,  1907  :  sur  les  repré- 
sentations de  la  croix  portant  le  monogramme  du  Christ  et  accostée  de 
deux  soldats. 


CHAPITRE  IX 

ÉGLISES  ET  BAPTISTERES 

Les  églises  domestiques.  Édifices  antérieurs  à  Constantin.  La  basilique 
occidentale  et  son  origine.  Ses  rapports  avec  les  églises  domestiques,  les 
cellae  cimiteriales,  la  basilique  publique  et  privée.  Les  principales  basi- 
liques de  Rome.  Leurs  dispositions  intérieures.  Esthétique.  Églises  circu- 
laires et  baptistères.  Conclusion. 

ÉGLISES  DOMESTIQUES.  Les  lîtes  primitifs  de  l'Église  sont 
indiqués  au  passage  fameux  des  Actes,  où  il  est  dit  que  les 
fidèles  de  Jérusalem,  nouvellement  affiliés  au  christianisme, 
«  persévéraient  dans  la  doctrine  des  apôtres,  dans  la  commu- 
nauté (des  biens) ,  dans  la  fraction  du  pain  et  dans  les  prières» 
(Act.  II,  42).  —  «  Tous  ceux  qui  croyaient,  disent  encore 
les  Actes,  étaient  ensemble  dans  un  même  lieu  et  avaient 
toutes  choses  communes  (II,  44).  Chaque  jour,  ils  avaient 
soin  de  se  rendre  au  temple  de  commun  accord;  et,  tantôt 
dans  une  maison,  tantôt  dans  une  autre,  ils  rompaient  le 
pain  et  prenaient  leurs  repas  avec  joie  et  simplicité  de 
cœur  »  (II,  46). 

Il  y  a,  dans  ces  textes  si  précieux  pour  Tétude  des  origines 
chrétiennes,  un  double  témoignage,  à  savoir  :  que  les  chré- 
tiens à  Jérusalem  tenaient  à  la  fois  des  réunions  pubhques, 
au  temple,  parmi  les  Juifs,  et  des  réunions  intimes  à  Tabri 
d'un  toit  domestique.  Ce  qu'étaient  les  premières  de  ces 


i68  ÉGLISES  ET  BAPTISTÈRES 

assemblées,  nous  le  savons  par  l'histoire  de  T  apostolat  pri- 
mitif, et  notamment  par  les  prédications  de  saint  Paul, 
faites  chaque  fois  qu'il  le  pouvait  dans  les  synagogues  : 
c'étaient  des  «  meetings  »  de  propagande  où  les  prédicateurs, 
entourés  de  leurs  frères,  essayaient  d'entraîner  les  Juifs  en 
masse  à  la  suite  de  Jésus.  Laissons  cela.  On  sait  que  ces  ten- 
tatives restèrent  infructueuses  et  que  saint  Paul,  irrité  de 
trouver  partout  la  Synagogue  hostile,  se  détourna  des  Juifs 
pour  vouer  toute  son  ardeur  à  la  conversion  des  Gentils.  Et 
toute  l'Éghse  suivit  l'exemple  de  saint  Paul. 

Les  assemblées  particulières  doivent,  au  contraire,  retenir 
notre  attention;  car  dans  tous  les  lieux  où  l'Évangile  fut 
annoncé,  se  propagea  l'usage  dont  les  Actes  nous  ont  mon- 
tré l'origine  à  Jérusalem.  Partout,  des  maisons  furent  choi- 
sies pour  servir  de  centres  de  ralliement  aux  communautés. 
Leurs  propriétaires,  sans  cesser  de  les  habiter,  en  mettaient 
les  pièces  principales  à  la  disposition  des  pasteurs  et  de 
leurs  ouailles.  C'était  là  que  les  frères  dans  la  foi  enten- 
daient la  prédication  et  se  fortifiaient  entre  eux;  là  qu'ils 
priaient  en  commun  et  célébraient  le  banquet  d'amour  et 
de  charité,  les  Agapes,  dont  le  moment  capital,  ainsi  que 
nous  l'avons  vu,  était  celui  où  le  président  de  l'assemblée 
rompait  le  pain  en  commémoration  de  la  dernière  Cène. 

Saint  Paul,  dans  ses  épîtres,  nomme  les  maisons  d'Aquila 
et  Priscille  à  Rome,  de  Nympha  et  de  Philémon  à  Colosses, 
et  salue  de  loin  les  ÉgHses  qui  s'y  trouvent.  Considérons  que 
ces  maisons  rempHssaient  le  rôle  qui  échut  plus  tard,  quand 
le  triomphe  de  l'Église  fut  accompH,  aux  immenses  basi- 
liques. EHes  furent  nécessairement  nombreuses  dès  les  débuts 
de  l'apostolat,  puis  se  multiphèrent  à  l'infini.  On  peut  affir- 
mer que  chacune  d'elles  était  une  égUse,  non  au  sens  archi- 


Planxhe  XXIV. 


I. [Intérieur  de  Saint- Paul  hors  les  murs  (phot,  Alinari).  —  2.  Saint- 
Laurent  hors  les  murs  (phot.  Alinari). 


GÉNÉRALITÉS  169 

tectural,  mais  au  sens  liturgique.  On  les  appelle  d'un  mot 
les  églises  domestiques,  or/ot  tyjç  èîtîtAyjo-taç. 

Il  serait  long  d'énumérer  les  témoignages  qui,  à  partir  du 
II®  siècle,  attestent  leur  existence  ou  rappellent  incidemment 
leur  fondation.  Nous  constaterons  seulement  d'après  les 
textes  qu'il  n'était  nulle  règle  générale  au  point  de  vue  de 
leur  organisation  matérielle.  Les  apôtres,  le  jour  de  la  Pen- 
tecôte, étaient  réunis  dans  une  chambre  haute.  (Act.  1, 12  ; 
II,  I.)  A  Troade,  quand  saint  Paul  y  prêchait,  l'assemblée 
avait  lieu  au  troisième  étage  de  la  maison.  (Act.  XX,  6-9.) 
Nulle  conclusion  à  tirer  de  là.  Saint  Pierre,  selon  les  Réco- 
gnitions clémentines  1,  réunit  la  foule  à  Tnpoli  de  Syrie,  dans 
les  salles  basses  d'une  maison  et  dans  le  jardin.  Certaines 
égUses  étaient  établies,  selon  l'ancienne  coutume,  dans  la 
demeure  de  riches  chrétiens;  d'autres,  notamment  à  Rome, 
dans  des  locaux  loués  à  des  particuliers.  Il  y  avait  de  vastes 
salles,  mais  aussi  de  petites.  Cela  dépendait  des  circon- 
stances. 

Cependant,  tout  porte  à  croire  que,  dans  les  cités  popu- 
leuses, à  une  époque  où  l'on  pouvait  constater  en  même 
temps  l'augmentation  indéfinie  du  troupeau  chrétien  et  la 
présence  dans  ses  rangs  de  riches  afïïHés.  les  assemblées  se 
localisèrent  dans  de  grandes  demeures  patriciennes,  où 
l'espace  permettait  de  célébrer  les  cérémonies  avec  ordre  et 
dignité.  Il  ne  faut  pas  oublier  que  la  liturgie,  peu  à  peu  fixée, 
avait  désormais  ses  exigences.  En  ce  qui  concerne  Rome,  il 
apparaît  qu'au  m®  siècle,  la  ville  était  divisée  en  un  certain 
nombre  de  titres,  ou  paroisses,  dont  chacune  avait  une 
grande  maison  convertie   en  église  pour  centre  religieux. 

I.  Pair.  Gf.,  t.  I,  col.  1318.  Cf.  Dom  Leclercq,  Manuel,  I,  p.  354. 

12 


170  ÉGLISES  ET  BAPTISTERES 

Dans  bien  des  cas,  une  basilique  succéda  à  ce  premier  local 
au  même  endroit. 

Premiers  Édifices.  Quand  donc  furent  construites  les 
premières  basiliques?  A  cette  question  on  eût  répondu 
naguère  que  les  églises  domestiques  avaient  été  les  seules 
pendant  toute  l'ère  des  persécutions,  et  que  Tarchitecture 
chrétienne,  comme  telle,  n'était  née  que  sous  Constantin. 
C'est  là  une  erreur  qu'il  n'est  plus  nécessaire  de  combattre. 
On  reconnaît,  en  effet,  qu'au  cours  du  m®  siècle  les  fidèles 
connurent  des  jours  nombreux  de  tranquillité,  à  la  faveur 
desquels  ils  édifièrent  de  véritables  églises,  répondant  aux 
usages  liturgiques  et  à  toutes  les  nécessités  du  ministère 
religieux. 

Un  édit  de  Gallien,  en  259  ou  260,  ordonnait  que  tous  les 
«  édifices  sacrés  des  chrétiens  (sacraria),  confisqués  sous 
Valérien,  fussent  rendus  à  leurs  propriétaires  légitimes  », 
les  «  magistrats  du  Verbe  »,  comme  il  appelait  l'évêque  et 
les  prêtres.  A  Rome,  l'empereur  Alexandre  Sévère  (222- 
235)  fit  restituer  aux  chrétiens  un  terrain  (locus)  qui  leur 
avait  été  enlevé  par  des  taverniers.  «  Mieux  valait,  disait 
le  rescrit,  qu'on  y  adorât  Dieu,  de  quelque  façon  que  ce 
fût.  »  On  pourrait  multiplier  les  textes.  Citons  le  témoi- 
gnage irrécusable  d' Optât  de  Milève,  qui  écrivait  vers  le 
milieu  du  m®  siècle  :  «  des  quarante  basiliques  et  plus, 
dit-il,  qui  existaient  à  Rome,  pas  une  ne  s'était  ouverte 
aux  Donatistes  ».  «  Qui  pourrait,  écrit  Eusèbe  à  la  fin 
du  III®  siècle,  décrire  la  foule  innombrable  de  ceux  qui, 
chaque  jour,  venaient  à  la  religion,  et  le  nombre  des 
églises  dans  chaque  ville  et  les  multitudes  qui  les  enva- 
hissaient ?  Si  bien  que,  les  anciens  édifices  devenant  trop 


LA  BASILIQUE  OCCIDENTALE  171 

étroits,  toutes  les  villes  construisaient  de  nouvelles  et 
vastes  églises  1.  » 

Pendant  la  persécution  de  Dioclétien,  en  303,  la  plupart 
des  églises  chrétiennes  furent  détruites;  mais  en  309,  un 
édit  de  Maximien  et  Galère  restituait  leurs  droits  aux  fidèles, 
non  sans  protestations  de  la  part  des  païens.  C'est  ainsi  que 
certaines  villes  d'Asie-Mineure  s'adressèrent  au  César  Maxi- 
mien pour  qu'il  empêchât  les  chrétiens  de  construire  des 
églises  dans  leurs  murs  (ne  intra  civitates  suas  christianis 
conventicula  exstruere  liceret) .  Puis,  ce  fut  la  paix  de  l'Église 
proclamée  par  l'Édit  de  Milan  (313),  à  la  faveur  duquel  l'ar- 
chitecture chrétienne  s'épanouit  librement.  «  Les  églises, 
dit  encore  Eusèbe,  s'élevèrent  sur  le  sol  à  une  grande  hau- 
teur et  brillèrent  d'un  éclat  supérieur  à  celui  des  églises  qu'on 
avait  détruites;  dans  toutes  les  provinces  Constantin  éleva 
de  nouveaux  édifices  beaucoup  plus  vastes  que  ceux  qu'ils 
remplaçaient.  » 

En  réalité,  l'architecture  chrétienne  avait  pris  conscience, 
pendant  les  siècles  troublés  qui  venaient  de  finir,  de  tous 
les  besoins  auxquels  sa  mission  était  de  répondre.  Elle  avait 
mesuré  ses  forces  et  préparé  ses  moyens.  Il  ne  restait  plus 
qu'à  donner  une  forme  définitive  à  l'ébauche  qu'elle  avait 
conçue. 

La  Basilique  occidentale.  Description  et  origine.  Le 
mot  «  basilique  »  tel  qu'il  commença  d'être  employé  par 
les  chrétiens  au  m®  siècle,  désignait  des  portiques  divers  et 
fut  appliqué  à  toutes  les  formes  d'églises;  mais,  dans  le 
langage  ordinaire  de  l'archéologie  chrétienne,  on  l'emploie 

I .  Voir,  sur  ce  point,  l'exposé  très  complet  de  Dom  Leclercq,  Manuel ^ 
I,  409. 


172 


ÉGLISES  ET  BAPTISTÈRES 


pour  désigner  les  édifices  religieux  de  plan  rectangulaire.  Il 
s'oppose  ainsi,  généralement,  aux  constructions  circulaires 
ou  rotondes. 

La  basilique  occidentale,  encore  qu'elle  diffère  par  cer- 
tains caractères  de  pays  à  pays  et 
même,  dans  une  ville,  d'un  endroit  à 
un  autre,  peut  cependant  se  ramener 
à  un  type  général,  dont  nous  indique- 
rons   brièvement   les   traits   distinctifs 

(fig.  16). 

Son  plan  est  un  rectangle,  aux  pro- 
portions variables,  pouvant  se  composer 
d'un  vaisseau  unique,  mais  qui,  géné- 
ralement, est  divisé  en  longueur  par 
des  colonnades  formant  trois  ou  cinq 
I  nefs.  Il  se  termine  d'ordinaire  par  une 
abside.  Celle-ci  s'amorce  le  plus  souvent 
sur  le  rectangle  de  l'église  et  correspond 
à  la  nef  centrale.  Il  faut  cependant 
citer  trois  basiliques  romaines  :  Saint- 
Pierre,  le  Latran  et  Saint-Paul  hors 
les  murs,  qui  possédaient  un  transept, 
c'est-à-dire  une  nef  transversale,  placée 
entre  la  colonnade  et  l'abside. 

Du  côté  de  la  façade  régnait,  dans 
beaucoup  d'églises,  un  vestibule  inté- 
rieur parallèle  au  transept  et  compris 
entre  les  murs  latéraux,  par  conséquent 
à  l'intérieur  de  l'édifice.  Au  revers  de  ce  vestibule,  ou  nar- 
thex,  s'élevait  la  façade  avec  sa  colonnade,  ses  grandes 
portes,  sa  rangée  de  fenêtres  hautes.  Devant  elle,  s'éten- 


4i   •    •    •   •    -^    i- 


FIG.    16.  PLAN  DE  LA 

BASILIQUE    DE   SAINT- 
CLÉMENT. 

(D'après  Reusens.) 


Planche  XXV. 


I.  Intérieur  de  Saint-Clément  (phot.  Alinari). 
le  Rond  (phot.  Alinari). 


2.  Saint-Éticnnc 


LA  BASILIQUE  OCCIDENTALE 


173 


dait  l'atrium,  bordé  de  portiques  et  marqué  au  centre  par 
la  fontaine  des  ablutions  (cantharus).  L'église  était  mas- 
quée, à  fleur  de  rue,  par  les  bâtiments  où  se  trouvaient  des 
salles  de  réunion,  des  communs 
et  aussi  le  logement  des  prêtres . 

Tel  était  le  plan  ordinaire 
des  basiliques  romaines.  Du 
dehors,  on  voyait  le  vaisseau 
central  surélevé  au-dessus  des 
bas-côtés  et  percé  d'une  rangée 
de  fenêtres,  par  lesquelles  s'éclai- 
rait tout  l'édifice.  Ce  vaisseau 
avait  comme  support  à  l'inté- 
rieur une  colonnade  surmontée 
soit  d'une  architrave,  —  ce 
qui  était  de  tradition  classique, 
—  soit  d'arcades,  ce  qui  dénote, 
nous   le   verrons  bientôt,    une 

influence  de  l'Orient.  La  basilique  romaine  n'était  pas 
voûtée,  mais  couverte  d'une  charpente  en  bois.  L'amorce- 
ment  des  nefs  au  transept  se  faisait  par  de  grandes  arcades  ; 
celle  du  centre  porte  le  nom  d'arc  triomphal.  La  toiture 
était  à  double  versant  sur  la  nef  principale,  tandis  que  les 
bas-côtés  étaient  couverts  de  toits  en  appentis,  appuyés 
aux  murs  supérieurs,  sous  les  fenêtres  hautes.  Ainsi  était 
déterminé  le  plan  de  la  façade,  avec  ses  rampants  latéraux 
et,  au  sommet,  son  fronton  triangulaire  (pi.  XXIV,  i  et 
XXIV,  2). 

Infiniment  nombreuses  furent  les  églises  de  ce  genre  sous 
Constantin;  d'où  l'on  peut  conclure  qu'il  y  avait  là  un  orga- 
nisme élaboré  depuis  longtemps  déjà,  dont  la  forme  exté- 


FIG.    17.  COUPE    DE    LA    BASI- 
LIQUE DE  SAINTE-AGNÈS. 

(D'après  Lemaire.) 


174  ÉGLISES  ET  BAPTISTÈRES 

rieure  paraissait  belle  et  qui  semblait  répondre  mieux 
qu'aucun  autre  aux  nécessités  du  culte. 

Examinons  donc  comment  les  formes  de  la  basilique 
s'étaient  mises  d'accord  avec  les  rites  liturgiques.  Au  niveau 
de  l'abside  se  trouve  la  Confession,  tombeau  souterrain 
contenant  ossements  sacrés  ou  reliques,  au-dessus  duquel 
s'élève  l'autel.  Derrière  celui-ci,  au  fond  de  l'abside,  est 
placé  le  trône  de  l'évêque  et  le  banc  circulaire  des  prêtres 
qui  l'assistent.  Aussi  bien  toute  cette  partie  de  l'église  est 
réservée  au  clergé  :  on  l'appelle  le  presbyterium.  Plus  en  avant, 
empiétant  sur  la  nef  centrale,  se  trouve  le  chœur,  entouré 
d'une  balustrade.  Là  se  placent  les  clercs  des  ordres  infé- 
rieurs, les  instrumentistes  et  les  chantres,  dont  le  nombre 
eût  encombré  le  presbyterium.  Deux  hauts  pupitres  ou 
amhons  sont  élevés  à  droite  et  à  gauche  du  chœur,  pour  ser- 
vir, l'un  à  la  lecture  de  l'épître,  l'autre  au  chant  de  l'Évan- 
gile. Des  deux  côtés  du  chœur  sont  les  vierges  et  les  veuves; 
puis,  dans  la  nef  principale,  les  exorcistes,  acolytes,  por- 
tiers, enfin,  la  foule  des  hommes,  tandis  que  les  femmes 
occupaient  les  bas-côtés.  Les  catéchumènes  et  pénitents, 
devant,  au  moment  de  la  consécration,  évacuer  l'église, 
étaient  relégués  dans  le  narthex  (pi.  XXV,  i) . 

Ces  dispositions  générales  ne  changèrent  pas  beaucoup 
depuis  l'époque  de  Constantin.  On  remarquera  seulement 
qu'au  iv®  siècle,  l'église  était  généralement  orientée  de  façon 
que  la  porte  fût  au  levant  ;  l'autel  se  trouvant  placé  au 
milieu  du  presbyterium,  le  prêtre  officiait,  la  face  tournée  vers 
les  fidèles.  Ce  ne  fut  qu'un  siècle  et  demi  après,  que  cet  usage 
commença  à  se  transformer  et  que  l'abside  fut  tournée  vers 
l'orient.  Le  changement,  effectué  rapidement  chez  les  Grecs,  ne 
fut  tout  à  fait  accompli  dans  l'Église  latine  qu'au  viii®  siècle. 


LA  BASILIQUE  OCCIDENTALE  175 

En  résumé,  architecture  et  liturgie,  dès  les  premières 
années  du  règne  de  Constantin  s'étaient  accordées  dans  le 
type  basilical,  et  celui-ci  s'était  imposé  dans  toute  l'étendue 
de  l'Empire.  Il  convient  de  se  demander  à  la  suite  de  quel 
développement  heureux  la  fortune  de  ce  type  architecto- 
nique  s'était  étabhe  ou,  ce  qui  revient  au  même,  quel  modèle 
antique  il  avait  imité. 

Dans  sa  forme  générale,  il  ne  doit  rien  à  la  synagogue, 
dont  les  cérémonies  seules  exercèrent  quelque  influence 
sur  la  liturgie  chrétienne;  rien  aux  temples  païens,  que 
détestaient  les  fidèles  et  qui  d'ailleurs  n'abritaient  point  des 
assemblées.  Les  érudits  du  xvi®  siècle,  forts  du  nom  de  «  basi- 
lique »  et  fortifiés  dans  leur  opinion  par  des  similitudes  exté- 
rieures, pensèrent  que  les  basihques  civiles  de  l'antiquité, 
ces  halles  couvertes  qui,  sur  les  forums,  servaient  de  marchés 
et  de  tribunaux,  avaient  été  transformées  en  églises  ;  d'où  le 
nom  et  la  forme  des  édifices  chrétiens.  Tout  ce  que  nous 
avons  dit  précédemment  des  églises  domestiques  dément 
cette  théorie.  Mais  qu'au  jour  de  la  liberté,  quand  les  archi- 
tectes chrétiens  purent  accommoder  à  leur  guise  les  construc- 
tions religieuses  à  la  liturgie  établie,  ils  se  soient  souvenus 
des  basihques  civiles  (fig.  18),  où  la  foule  s'amassait  sans, 
gêne,  de  l'aire  allongée  de  ces  halles  que  des  colonnades 
divisaient  en  vaisseaux,  du  tribunal  sur  lequel,  au  fond  de 
l'édifice,  le  magistrat  entouré  de  ses  assesseurs  rendait  la 
justice,  et  que  de  ces  dispositions  bien  connues,  ils  aient 
fait  passer  quelque  chose  dans  le  plan  général  de  la  basi- 
lique chrétienne  :  voilà  qui  paraît  assez  vraisemblable.  Il  y 
a  loin  cependant  des  églises  chrétiennes  à  la  basilique  civile  ! 

Comme  l'abside  dans  les  premières  joue  un  rôle  capi- 
tal, J.-B.  de  Rossi  émit  l'avis  que  la  basilique  procédait  du 


176 


ÉGLISES  ET  BAPTISTÈRES 


plan  des  cellae  cimeteriales ,  ou  chapelles  souterraines  des 
catacombes.  Mais  comment  dans  un  organisme  si  humble, 
si  étroit,  si  sommaire,  chercher  le  modèle  d'un  édifice  vaste 
et  savant? 

L'archéologie  moderne  part  de  ce  fait  que  les  premières 
réunions  cultuelles  des  chrétiens  eurent  lieu  dans  des  mai- 
sons privées  et  que  beau- 
coup d'églises,  au  début,  ne 
furent  que  des  salles  domes- 
tiques développées  et  orga- 
nisées en  vue  des  offices  reli- 
gieux. Il  est  donc  tout  na- 
turel qu'elle  découvre  aussi 
dans  la  maison  privée  les 
linéaments  primitifs  et,  pour 
ainsi  parler,  la  forme  em- 
bryonnaire des  édifices 
construits  sous  Constantin. 
Nous  reproduisons  ci- 
après  (fig.  19)  le  plan  d'une 
maison  patricienne,  telle 
qu'il  en  exista  beaucoup 
à  partir  du  11®  siècle  avant 
Jésus-Christ  et  telle  qu'en 
possédaient  certes  les  chrétiens  riches.  Dehio  ^  eut  le  mérite 
d'indiquer  combien  V atrium  (A),  avec  les  chambres  qui 
l'accostent,  le  tahlinum  qui  lui  fait  suite,  avait  de  ressem- 
blance avec  le  plan  général  des  basiliques  :  les  colonnes  autour 
de  Vimpluvium  (B)  suggéraient  la  division  du  vaisseau  en 


FIG.  18. 


BASILIQUE  DE  CONSTANTIN. 

(D'après  Grisar.) 


I.   Dehio   et  von  Bezold.  Die  Kirchliche  Baukunst  im  Abendlande. 


LA  BASILIQUE  OCCIDENTALE 


177 


nefs;  le  lanterneau  qu'elles  supportaient  faisait  penser 
au  toit  surélevé  et  à  l'éclairage  par  le  haut.  Précieuses 
indications;  mais  on  peut  répondre  que  l'atrium  domes- 
tique donna  naissance  à  la  cour  antérieure  de  la  basi- 
lique, au  milieu  de  laquelle  la  fontaine 
des  ablutions  rappelle  l'impluvium. 
V.  Schulze  1  signala  en  même  temps 
que  l'atrium  le  péristyle  (C).  Celui-ci 
était  vaste,  bien  protégé  contre  les 
indiscrétions  et  les  bruits  du  dehors; 
Vœcus  ou  exèdre  (D),  au  fond,  rappelait 
de  bien  près  l'abside,  et  les  colonnes, 
formant  parfois  un  rectangle  allongé, 
créaient  à  peu  près  la  nef  centrale  et  les 
bas-côtés.  La  nécessité  de  couvrir  le 
péristyle  put  amener  à  construire  un 
vaisseau  surélevé  percé  de  fenêtres  -. 

Au  vrai,  il  semble  bien  que  les  formes 
primaires  de  la  basilique  procèdent  du 
péristyle;  mais  il  ne  faut  pas  oublier 
qu'il  était  d'autres  modèles,  la  basili- 
que privée  notamment  (fig.  20),  orgueil 
des  palais,  d'un  plan  tout  semblable  à  celui  des  églises  et 
dont  il  serait  étrange  qu'on  eût  emprunté  le  nom  sans  s'inspi- 
rer de  ses  dispositions. 

Croira-t-on  qu'à  l'époque  de  Constantin,  quand  les  chré- 
tiens, comme  le  dit  Eusèbe,  reconstruisirent  des  éghses  plus 
nombreuses,  plus  vastes  et  plus  belles,  on  se  soit  interdit 


FIG.   19. PLAN  DE  LA 

MAISON     DE     PANSA, 
A    POMPÉÏ. 

(D'après  Lemaire.) 


1.  Schulze,  Archaeol.  d.  Christl.  Kunst,  pp.  42  et  suiv. 

2.  Cette  théorie  a  été  développée  et  fortifiée  par  M.  l'abbé  Lemaire,  dans 
«n  article  des  Annales  de  la  Société  d'Archéologie  de  Bruxelles,  19 10,  3®  et 
4«  liv. 


178 


ÉGLISES  ET  BAPTISTÈRES 


d'enrichir  le  nouvel  édifice  au  moyen  de  toutes  les  ressources 
qu'offraient  aux  habitudes  déjà  contractées,  à  la  liturgie 
établie,  les  multiples  créations  de  l'architecture  romaine? 
On  avait  le  temps,  l'argent,  la   liberté  :  on   en   usa.   Les 

basiliques  civiles  et  privées,  les  cellae 
des  cimetières  fournirent  d'utiles  indi- 
cations. Le  génie  personnel  des  archi- 
tectes se  donna  carrière.  Aussi,  tout 
en  reconnaissant  dans  la  maison  privée 
les  éléments  fondamentaux  du  plan 
basilical,  attribuerons-nous  une  cer- 
taine part  d'influence  à  d'autres  cons- 
tructions. La  basilique  constantinienne 
est  le  produit  d'adaptations  diverses, 
intelligemment  combinées  afin  de 
répondre  à  des  convenances  et  à  des 
nécessités  religieuses. 


n 

1 

M 

il 

i 

U 

l 

il 

i 

FIG.     20.    BASILIQUE 

PRIVÉE   (HADRIANA). 

(D'après    Cabrol, 
Dict.,  fig.  1406.) 


ces  basiliques     se 


Basiliques  de  Rome  et  d'Afri- 
que. Dans  la  fièvre  de  la  délivrance, 
multiplièrent  comme  par  enchante- 
ment. Elles  surgirent  en  grand  nombre  à  Rome  et  dans 
les  provinces,  aussi  bien  en  Orient  qu'en  Occident;  mais 
on  construisit  mal.  «  L'incroyable  précipitation,  dit  Dom 
Leclercq,  avec  laquelle  les  édifices  du  premier  empereur 
chrétien  furent  élevés  amena,  en  un  temps  relativement 
court,  leur  ruine  à  tous  1.  »  Heureusement,  les  restaurations 
furent  faites  à  temps,  dans  un  esprit  d'entière  fidélité  au 
type  basilical.  En  sorte  que  l'œuvre  des  architectes  constan- 


I.  Cabrol,  Dictionnaire  (art.  de  Dom  Leclercq),  t.  II,  i,  col.  553. 


ROME  ET  AFRIQUE  179 

tiniens  est  encore  sous  nos  yeux  à  peu  près  intact.  Seule,  la 
décoration  primitive  a  immensément  souffert.  Dom  Leclercq 
et  Kaufmann,  dans  leurs  manuels  1,  comptent  plus  de  cin- 
quante basiliques  édifiées  à  Rome  pendant  les  premiers 
siècles  qui  suivirent  la  paix  de  l'Église.  Nous  ne  ferons  que 
citer  les  principales. 

La  basilique  du  Latran,  construite  sous  le  pontificat  de 
Sylvestre  (314-335),  eit  devenue  méconnaissable,  surtout 
depuis  la  reconstruction  faite  par  Borromini  sous  Innocent  X 
(1644-1655).  La  dernière  restauration,  sous  Léon  XIII, 
acheva  de  lui  faire  perdre  son  caractère  primitif. 

La  basilique  vaticane,  non  moins  ancienne  que  la  précé- 
dente, a  fait  place  à  l'édifice  de  Bramante  et  de  Michel- 
Ange.  Heureusement,  des  dessins  ont  été  conservés  qui  la 
représentent  dans  son  état  antérieur  au  xvi®  siècle. 

Saint-Paul  hors  les  murs,  rebâti  en  386  et  restauré  en 

entier  au  commencement  du  xii®  siècle,  fut,  jusqu'en  1823, 

date  à  laquelle  un  incendie   le   ruina,  un  des  plus  magni- 

ques    modèles    de     l'architecture     chrétienne     primitive 

(pi.  XXIV,  i). 

Saint-Laurent  hors  les  murs  remonte  à  Sixte  III  (432-440), 
mais  sa  reconstruction  au  xiii®  siècle  l'a  passablement 
dénaturé  (pi.  XXIV,2).  Sainte-Sabine,  au  contraire,  fondée 
en  425,  est  encore  à  peu  près  dans  son  état  originel.  Sainte- 
Agnès  hors  les  murs  (324)  a  été  rebâtie  sous  Pie  IX  avec 
un  grand  souci  d'exactitude.  Mais  c'est  à  Sainte-Marie 
Majeure,  construite  sous  le  pape  Libère  (352-356)  et  rebâtie 
au   milieu    du    v®   siècle,   qu'il  faut  aujourd'hui  chercher 

I.  Leclercq,  Manuel,  I,  p.  480;  Kaufmann,  Handbuch,  p.  93. 


i8o 


ÉGLISES  ET  BAPTISTERES 


l'image  la  plus  vraie  et   aussi  la  plus  majestueuse  d'une 
grande  basilique  constantinienne. 

Nul  pays  d'Occident  ne  peut  rivaliser  avec  Rome  pour  la 

grandeur  et  la  noblesse  des 
monuments  chrétiens  primi- 
tifs. Rome  imposa  ses  procé- 
dés de  construction  et  son 
esthétique  à  l'Italie,  à  l'Espa- 
gne, à  la  Gaule.  Mais  il  est 
une  région  qui,  toute  fidèle 
qu'elle  soit  au  plan  général 
que  nous  avons  décrit,  l'em- 
porte sur  Rome  par  la 
variété  de  ses  édifices  reli- 
gieux. C'est  l'Afrique,  dont 
l'épanouissement  artistique 
sous  Constantin  fut  merveil- 
leux. Ses  principales  églises 
sont  à  Tigzirt,  Tipasa, 
Damouz-el-Karita,  Matifou 
(fig.  21),  Tébessa,  Lambèse 
(fig.  22),  villes  romaines  que 
Rome  ne  put  assujettir  à  ses  exemples.  Les  architectes  afri- 
cains refusèrent  d'adopter  le  transept  et  les  atria.  Au  lieu  de 
dégager  l'abside,  ils  l'encadraient  de  pièces  carrées  servant  de 
sacristies.  Les  vestibules  ordinairement  étaient  clos.  On  a  pu 
dire  que  les  monuments  chrétiens  de  l'Afrique  du  Nord 
ressemblaient  plus  à  ceux  de  Syrie  et  d'Egypte  qu'à  ceux  de 
Rome.  Et  c'est  pourquoi  ils  tiennent  une  place  si  importante 
dans  l'histoire  de  l'architecture  chrétienne  :  ils  sont  un  trait 
d'union  entre  Rome  et  l'Orient;  ils  participent  de  deux 


FIG.  21. BASILIQUE  DE  MATIFOU. 

(D'après  Cabrol,  Dict.,  fig.  140.) 


Planche  XXVI. 


Intérieur  de  Sainte-Constance,  la  voûte  annulaire  (phot  Alinari) . 


ROME  ET  AFRIQUE 


i8i 


génies   opposés,   et,    libres    de    traditions    trop    gênantes, 
construits  surtout  en  vue  d'une  création  à  la  fois  belle  et 
pratique,   ils   témoignent  d'un  art  très  vivant,  curieux  et 
chercheur,  susceptible  de  plus  longs 
progrès,    si    l'invasion  des  Vandales 
n'eût  arrêté  en   Afrique  le  dévelop- 
pement de  la  civilisation. 

Mais  revenons  aux  basiliques  de 
Rome,  si  heureusement  conservées 
pour  la  plupart. Vues  du  dehors,  elles 
font  une  impression  satisfaisante, 
sans  plus.  Les  matériaux  sont  de 
larges  briques  superposées  en  rangs 
innombrables,  ou  des  moellons  régu- 
liers. Parfois  les  deux  appareils  sont 
réunis.  L'usage  n'existait  pas  encore 
des  revêtements  en  marbres  multi- 
colores, mais  la  façade  des  grandes 
églises  était  décorée  de  mosaïques,  ce 
qui  corrigeait  son  aspect  rugueux 
et  un  peu  indigent.  Parler  de  la  ma- 
jesté extérieure  des  basiliques,  de 
leur  noblesse,  serait  bien  exagéré,  car  il  n'est  pas  de 
noblesse  sans  fierté;  et  les  formes  posément  assises  de  la 
basilique  n'ont  que  l'ampleur  et  la  simpHcité.  L'ensemble 
n'est  ni  lourd,  ni  massif,  mais  il  n'a  non  plus  ni  force  appa- 
rente, ni  subtile  vie.  Les  grandes  lignes  de  l'édifice  accusent 
sèchement  la  régularité  de  l'espace  intérieur  sans  consacrer 
vivement  l'énergie  de  ses  membres  architectoniques,  sans 
fondre  en  harmonie  la  distribution  des  masses.  Il  y  a  de  l'ordre, 
mais  pas  de  vie,  de  l'harmonie  si   l'on  veut,  mais  pas  de 


FIG.  22,  PETITE  BASI- 
LIQUE DE  LAMBÈSE. 

(D'après   Cabrol, 
DicL,  fig.  139.) 


i82  ÉGLISES  ET  BAPTISTÈRES 

chaleur.  La  beauté  extérieure  de  Tédifice  provient  de  sa  gra- 
vité discrète,  d'une  certaine  grâce  modeste  qui  tient  à  la 
clarté  du  plan,  à  la  simplicité  des  lignes,  au  rapport  symé- 
trique des  parties  :  souvenirs  toujours  plus  effacés,  mais  tou- 
jours sensibles  de  la  noblesse  antique. 

En  réalité,  il  faut  entrer  dans  l'édifice  pour  juger  de  sa 
vraie  beauté  et  rendre  justice  aux  architectes  chrétiens. 

L'espace,  comprimé  au-dessus  par  la  couverture  en  plafond, 
s'approfondit  au  contraire  et  se  répand  merveilleusement 
dans  le  sens  des  vaisseaux,  jusqu'à  la  conque  terminale.  Il 
ne  paraît  pas  immense  comme  sous  la  coupole  d'un  Panthéon 
ou  d'une  Sainte-Sophie,  mais  les  belles  lignes  droites  de  l'édi- 
fice permettent  d'en  mesurer  la  majestueuse  étendue.  La 
colonnade,  fuyant  au  loin,  conduit  le  regard  le  long  de  sa 
lente  architrave,  ou  bien,  par  le  rythme  énergique  des 
arcades,  l'entraîne  vers  l'autel,  qui  est  le  centre  vivant  de 
l'édifice,  le  point  harmonieux  qui  fait  l'objet  de  toutes  les 
pensées  et  pour  lequel  la  basilique  tout  entière  a  été  conçue. 
La  vue  s'arrête  aussi  sur  les  larges  surfaces  des  murs  laté- 
raux que  décorent  l'éclat  des  mosaïques  et  la  richesse  des 
étoffes  teintes;  elle  s'attarde  à  considérer  le  marbre  poli  des 
colonnes,  l'ornementation  sculptée  des  chapiteaux,  les 
ambons  de  pierre  ou  de  bois,  les  balustrades  (cancelli) 
qui  entourent  le  chœur  et  sont  évidées  de  beaux  motifs 
ornementaux;  elle  s'égare  dans  la  pénombre  des  bas-côtés; 
se  complaît  successivement  aux  clôtures  des  fenêtres,  faites 
de  pierre  percée  à  jour,  aux  dessins  du  pavement;  et 
surtout,  elle  se  dirige  invinciblement  vers  l'autel  et  son  dais 
rutilant  (cihorium),  l'arc  triomphal  et  l'abside  lointaine,  qui, 
sous  la  lumière  égale  tombant  d'en-haut,  resplendissent  de 
tout  l'éclat  des  mosaïques. 


ROTONDES.  BAPTISTERES  183 

Dès  lors,  Tarchitecture  chrétienne  s'efforçait  de  réaliser 
son  idéal  à  l'intérieur  des  basiliques  ;  dès  lors,  le  dedans  était 
la  condition  déterminante  du  dehors.  A  ce  point  de  vue,  il 
n'y  a  pas  de  différence  entre  l'égHse  des  premiers  temps  et 
la  cathédrale  élevée  par  les  grands  siècles  du  moyen  âge. 

ÉGLISES  CIRCULAIRES.  BAPTISTÈRES.  A  côté des  vastcs  basi- 
liques, il  faut  citer  à  Rome  des  constructions  plus  petites, 
comme  la  chapelle  du  cimetière  de  Calliste,  élevée  sous 
Sixte  II;  Sainte-Pétronille,  ancien  mausolée  qu'Honorius 
s'était  préparé;  et,  en  Afrique,  nombre  de  petites  chapelles, 
dont  l'abside,  comme  celle  des  édifices  précédents,  était  de 
plan  tréflé.  C'est  là  une  forme  dont  l'art  d'Occident  ne  fit 
jamais  qu'un  usage  restreint. 

Bien  plus  importants,  à  tous  les  points  de  vue,  sont  les  édi- 
fices de  plan  circulaire  ou  octogonal  :  les  mausolées  de  Sainte- 
Hélène  (Tor  Pignattura)  et  de  Sainte-Constance,  Saint- 
Étienne-le-Rond  (pi.  XXV, 2),  le  baptistère  du  Latran.  Cette 
forme  d'architecture  remontait  au  passé  lointain  de  l'Orient. 
Elle  était  commune  dans  toutes  les  villes  de  l'Egypte,  de  la 
Syrie,  de  TAsie-Mineure,  d'où  elle  était  passée  en  Grèce. 
Quant  à  Rome,  qui  possède  le  modèle  le  plus  achevé  des 
édifices  circulaires,  le  Panthéon  d' Agrippa,  reconstruit  sous 
Adrien,  elle  n'a  point  droit  à  la  gloire  d'avoir  conçu  ce 
temple  grandiose  ;  on  ne  lui  reconnaît  plus  que  cette  autre 
gloire  de  l'avoir  construit  avec  une  science  consommée.  Aux 
architectes  romains  revient  l'honneur  d'avoir  fait  un  usage 
magnifique  de  la  brique  et  d'avoir  jeté  sur  l'immense 
espace  une  des  plus  belles  voûtes  du  monde. 

Il  importe  de  bien  remarquer  ceci  :  la  voûte  du  Panthéon 
se  compose  d'une  armature  faite  de  cerceaux  maçonnés, 


i84  ÉGLISES  ET  BAPTISTÈRES 

noyée  dans  un  blocage  d'une  concrétion  si  parfaite,  qu'il  en 
est  presque  indestructible.  C'est,  en  réalité,  un  monolithe, 
tandis  que  les  coupoles  orientales,  ainsi  que  nous  le  verrons, 
sont  faites  de  matériaux  appareillés  :  là  est  la  grande  diffé- 
rence. Le  procédé  romain  était  le  plus  sûr,  mais  celui  d'Orient 
le  plus  savant.  Celui-là  avait  atteint  du  premier  coup  toute  sa 
perfection  et  se  trouvait  incapable  d'un  développement  ulté- 
rieur; celui-ci  obligea  les  constructeurs  à  bien  des  tâtonne- 
ments, mais  se  trouva  susceptible,  quand  il  le  fallut,  de 
fournir  solution  aux  problèmes  les  plus  impérieux  de  l'archi- 
tecture. 

L'origine  lointaine  des  églises  circulaires  de  Rome  se 
trouve  donc  en  Asie-Mineure.  On  peut  affirmer  aussi  que, 
sous  Constantin,  l'Orient  ne  cessa  de  donner  en  ce  genre  de 
parfaits  modèles,  tel  l'église  de  VAnastasis,  à  Jérusalem. 
Toutefois,  les  architectes  chrétiens  de  Rome,  en  suivant 
l'exemple  de  leurs  confrères  orientaux,  n'avaient  pas  besoin 
de  copier  leurs  œuvres  :  la  Grèce  avec  ses  temples  ronds, 
Rome  avec  ces  édifices  comme  le  Panthéon  et  ses  mausolées 
circulaires,  exercèrent  une  influence  notable  et  immédiate 
sur  les  églises  du  iv®  siècle. 

Saint-Étienne-le-Rond,  sur  le  Cœlius,  est  l'ancien  Macel- 
lum  magnum,  le  grand  marché.  Le  mausolée  dit  de  Sainte- 
Hélène  et  celui  de  Sainte-Constance,  sur  la  voie  Nomentane, 
ont  la  forme  générale  des  grands  monuments  funéraires  de 
Rome.  Le  dernier  se  compose  d'un  tambour  à  coupole 
monolithe  reposant  par  le  moyen  d'arcades  sur  des  colonnes 
géminées,  et  d'une  voûte  annulaire,  appuyée  d'un  côté  sur 
la  colonnade  intérieure,  et  de  l'autre  au  mur  de  pourtour 
(fig.  23  et  pi.  XXVI) .  Sa  façade  se  raccordait  habilement  à  la 
rotonde,sans  l'effacer  ni  l'alourdir  :  c'est  le  modèle  des  édifices 


ROTONDES.  BAPTISTERES 


185 


FIG.  23.  PLAN  DE  SAINTE- 
CONSTANCE. 

(D'après   Grisar.) 


chrétiens  de  plan  circulaire,  la  plus  belle  contribution  de  Rome 
au  système  des  édifices  construits  autour  d'un  axe  central. 
En  ce  qui  regarde  les  baptistères,  il  semble  bien  que  les 
chrétiens  s'inspirèrent  tout  d'abord  des  constructions  ther- 
males de  l'antiquité,  des  salles 
circulaires  et  voûtées  d'une  cou- 
pole au  milieu  desquelles  se  trou- 
vait la  piscine  (Thermes  de  Cara- 
calla).  Le  baptême  se  donnant 
par  immersion,  il  parut  commode 
d'adapter  les  installations  du  bain 
corporel  au  bain  spirituel,  qui 
constituait  le  sacrement.  Ici  et  là, 
le  centre  de  l'édifice  fut  marqué 
par  la  piscine,  autour  de  iaquelle 
deux  plans  seuls  étaient  possibles  : 
la     circonférence    et     l'octogone, 

celui-ci  indiqué  déjà  par  des  monuments  comme  le  tom- 
beau de  Dioclétien  à  Spalato  (fig.  24).  D'autre  part, 
comme  le  baptême  n'était  conféré  depuis  Constantin 
qu'une  fois  l'an,  à  la  fête  de  Pâques;  comme  le  nombre 
des  baptisands  était  grand  et  l'assemblée  nombreuse, 
on  trouva  pratiques  des  dispositions  qui  permettaient 
de  masser  le  public  autour  de  la  piscine,  sans  que 
Tordre  ni  la  majesté  de  la  cérémonie  en  fussent  dimi- 
nués. Et  les  deux  régions  de  l'Empire  se  trouvèrent 
d'accord  en  cette  adoption  :  l'Occident  lui  sacrifia  sa 
prédilection  pour  le  plan  basiUcal;  l'Orient  s'y  raUia  d'autant 
plus  volontiers  que  les  formes  circulaire  ou  octogonale 
correspondaient  à  ses  habitudes  de  construction  et  à  son 
sentiment  particulier  de  l'esthétique. 

13 


i86 


ÉGLISES  ET  BAPTISTERES 


Le  baptistère  du  Latran,  qui  remonte  au  règne  de  Con- 
stantin, fut  rebâti  sous  Sixte  III  (432-440).  Il  est  octogonal, 
voûté  d'une  coupole  à  huit  pans  surmontée  d'un  lanterneau. 
Aucun  édifice  de  ce  genre,  si  l'on  en  juge  par  d'anciens  des- 
sins, ne  devait  être  à  la  fois  plus 
simple  et  plus  harmonieux  ^.  Il  est 
méconnaissable  aujourd'hui.  Citons 
encore  en  Italie  les  baptistères  de 
Nocera,  de  Cividale  (vue  siècle),  de 
Florence  (les  plus  anciennes  parties 
du  baptistère  de  Florence  remontent 
aux  Goths),  de  Parenzo  (vi®  siècle). 
Quant  aux  fameux  édifices  de  Ra- 
venne,  c'est  à  propos  de  l'architec- 
ture et  de  la  décoration  orientale  que 
nous  en  parlerons. 

La  Gaule  avait  imité  l'Italie.  Ses 
baptistères  octogonaux  étaient  nom- 
breux ;   malheureusement,    il    n'en 


FIG.  24.     TOMBEAU    DE 

DIOCLÉTIEN  A  SPALATO. 

(D'après  Lemaire.) 


reste    guère    que    des   ruines. 

Conclusion.  En  somme,  une  merveilleuse  quantité  d'édi 
fices  religieux  avaient  été  élevés  sous  Constantin  et  ses  suc- 
cesseurs à  Rome  et  dans  les  provinces.  On  peut  dire  que 
l'architecture  chrétienne  d'Occident  fut  d'une  admirable  acti- 
vité; mais  elle  ne  fut  pas  très  féconde,  car  au  type  des  basi- 
liques constantiniennes  elle  ne  fit  faire,  pendant  de  longs 
siècles,  aucun  progrès.  Héritière  directe  des  meilleures  tra- 
ditions antiques,  elle  en  tira  trop  facilement,  dirait-on,  le . 


I.  Cabrol,  Dictionnaire,  II,  i,  fig.  1326,  1327. 


BIBLIOGRAPHIE  187 

éléments  de  ses  constructions  personnelles.  Créatrice  à  trop 
peu  de  frais,  elle  cessa  trop  tôt  ses  efforts,  à  ce  point  que,  jus- 
qu'à l'époque  carolingienne,  l'histoire  des  basiliques  et  des 
baptistères  occidentaux  est  finie.  Finie,  alors  qu'elle  venait  de 
commencer  !  Peu  de  variété  dans  les  églises,  point  de  calculs 
subtils,  nul  esprit  de  renouvellement  et  de  libre  recherche. 
Les  plus  belles  basiliques,  à  tous  les  points  de  vue,  sont 
les  plus  anciennes.  Qu'est-ce  à  dire,  sinon  que  les  architectes 
d'Occident,  après  avoir  donné  un  temple  au  nouveau  culte, 
se  trouvèrent  épuisés  d'énergie.  L'édifice  que  les  premiers 
avaient  dressé,  leurs  successeurs  n'eurent  pas  la  force  de  le 
développer  en  beauté;  au  contraire,  ils  le  laissèrent  choir  de 
sa  dignité  primitive.  Tout  autre  fut  la  fécondité  d'esprit 
des  constructeurs  d'Orient. 


BIBLIOGRAPHIE.  —  Sur  la  basilique  antique,  voir  Mau,  article  Basi- 
lica,  dans  la  Realencyklopaedie  de  Pauly-Wissowa  ;  G.  Leroux,  Bull,  de 
Correspondance  hellénique,  1909,  p.  230, 

Résumé  des  discussions  sur  l'origine  de  la  basilique  chrétienne  dans 
Cabrol,  Dictionnaire,  article  Basilique  (Leclercq),  t.  II,  col.  534.  Sur  ce 
sujet,  à  citer  particulièrement  :  Zestermann,  Die  antiken  und  die  altchrist- 
lichen  Basiliken,  Leipzig,  1847  (Zestermann  nia  la  transformation  des  basi- 
liques civiles  en  basiliques  chrétiennes)  ;  G.  Dehio  et  von  Bezold,  Die 
Kirchliche  Baukunst  des  Ahendlandes,  in-S»,  Stuttgart,  1892-1901,  atlas 
in-folio,  1887;  V.  ScHULZE,  Der  Ursprung  der  abendlandischen  Kirchenge- 
bauede  (Christliches  Kunstblatt,  1882)  ;  Id.,  Archaeologie  der  christl.  Kunsf, 
p.  37  et  suiv.  ;  H.  Holtzinger,  Kunsthistorische  Studien,  Tubingue,  1886 
(Holtzinger  estime  que  le  plan  de  l'église  basilicale  procède  du  plan  général 
de  la  basilique  civile)  ;  Id.,  Altchristliche  und  Byzantmische  Baukunst, 
3®  édition,  Leipzig,  1908;  Kraus,  Geschichte  der  christlichen  Kunst,  l 
(influence  des  appartements  de  luxe  de  la  maison)  ;  Crostarosa,  Le  basi- 
liche  christiane,  Rome,  1892,  et  Kirsch.,  Das  christliche  Kultusgebauede  im 
AUertume,  Cologne,  1893  (influence  de  la  basilique  privée);  Witting,  Die 
Anfaenge  der  christlichen  Architektur,  Strasbourg,  1902;  L.  Bréhier,  Les 
Basiliques  chrétiennes,  in- 16°,  64  p.,  Paris,  1905  (excellent  résumé  de  la 
question)  ;  L.  Cloquet,  l'Art  chrétien  monumental  (Revue  de  l'Art  chrétien. 


i88  ÉGLISES   ET   BAPTISTÈRES 

1905)  î  C.  Enlart,  L'Architecture  chrétienne  en  Occident,  avant  l'époque 
romane  (Histoire  de  l'Art  d'A.  Michel),  Paris,  1905. 

Sur  les  églises  de  plan  circulaire  et  baptistères  : 

W.  Altmann,  Die  italischen  Rundbauten,  Berlin,  1906;  voir  aussi  sous  le 
mot  Baptistère,  l'article  deLeclercq  é2JisCKBT^oi.,Dictionnaire  d'archéologie 
chrétienne.  Cf.  Bibliographie  de  l'architecture  chrétienne  en  Orient. 

UHistoire  de  l'architecture  d'Aug.  Choisy,  nouv.  édition,  Paris,  1903, 
pour  avoir  vieilli,  n'en  reste  pas  moins  un  livre  précieux  à  consulter.  Sur  les 
basiliques  de  Rome  :  O.  Marucchi,  Eléments  d'archéologie  chrétienne, 
vol.  III  (les  Basiliques),  Rome,  1903;  Grisar,  op.  cit.,  vol.  I.  Sur  les  monu- 
ments d'Afrique  ;  Stéph.  Gsell,  op.  cit.,  vol.  II. 


TABLE  DU  TOME  I 

Pages 
Avertissement 5 

Introduction. 

Diffusion  du  christianisme.  L'Apostolat.  Le  christianisme  et 
l'État.  L'Église  et  le  peuple.  La  civilisation  antique.  L'EgUse 
et  l'art.  Le  sort  des  chefs-d'œuvre.  L'art  religieux.  Les  doc- 
teurs et  les  images.  L'art  chrétien  primitif.  Occident  et 
Orient 9 

L'ART  CHRÉTIEN  PRIMITIF  EN  OCCIDENT 
L'Art  des  Catacombes. 

Chapitre  Premier.  —  Notions  générales  et  définitions. 
Origines  des  catacombes.  Les  cimetières  privés.  Le  cime- 
tière corporatif  de  CaUiste.  Le  statut  légal  des  cimetières 
chrétiens.  Sort  des  cimetières  pendant  certaines  persécu- 
tions. Les  catacombes  après  l'édit  de  Milan.  Descriptions 
des  galeries  cimétériales 35 

Chapitre  II.  —  Technique  de  la  peinture  ciraétériale.  Prin- 
cipes de  composition.  Voûtes  et  panneaux.  Ornements  et 
motifs  de  décoration.  Le  plafond  de  la  crypte  de  Lucine.  Les 
Saisons  au  cimetière  de  Prétextât 49 

Chapitre  III.  —  Naissance  du  symboHsme  chrétien.  Le  sym- 
boUsme  dans  les  représentations  de  la  nature.  Les  Saisons. 
La  vigne.  Les  types  antiques.  Eros  et  Psyché.  Orphée.  Les 
sujets  bibUques  et  la  liturgie  funéraire 59 


iço  TABLE  DU  TOME  I 

Chapitre  IV. —  Symboles  nouveaux  et  proprement  chrétiens  : 
l'ancre,  la  palme,  la  colombe,  l'agneau,  le  tau,  le  chrisme. 
Le  navire  et  le  phare.  Le  bon  Pasteur  et  le  cycle  pastoral. 
L'orante,  ses  divers  sens.  Le  Paradis  et  ses  caractères.  Le 
banquet  céleste  et  le  bonheur  des  élus 73 

Chapitre  V.  —  Christologie.  Les  miracles  du  Christ  et  les 
prières  chrétiennes.  Le  Poisson,  sa  signification.  Le  pain  et 
le  vin.  La  fresque  du  cimetière  de  Lucine.  La  fraction  du 
pain  et  le  banquet  des  agapes.  L'aliment  mystique.  Etudes 
des  banquets  représentés  aux  catacombes.  La  Vierge.  Sacre- 
ments. L'art  et  le  beau  dans  la  peinture  des  catacombes  .    .       91 


Statues  et  Sarcophages. 

Chapitre  VI.  —  La  statuaire  et  les  catacombes.  Pourquoi 
il  n'y  eut  pas  de  statues  dans  les  cimetières.  Le  groupe  de 
Panéas.  La  statuaire  après  la  paix  de  l'Eglise.  Le  bon  Pas- 
teur du  Latran,  son  caractère  et  ses  origines.  La  statue  de 
saint  Hippolyte  au  Musée  du  Latran.  Le  saint  Pierre  du 
Vatican  :  v^  ou  xiii^  siècle?  Statuettes.  Fin  de  la  statuaire 
antique 117 

Chapitre  VII. — Les  sarcophages.  Généralités.  Origines  et  his- 
toire des  sarcophages  chrétiens.  Leur  fabrication  dans  les 
atehers.  Classification  générale  des  sarcophages.  Chronolo- 
gie. Sujets  neutres.  Ornements  et  symboles.  Le  bon  Pasteur 
et  les  scènes  champêtres.  Style  épisodique.  Compositions 
uniques.  Type  architectural.  Double  bandeau.  Décadence 
de  la  composition  et  de  la  technique 129 

Chapitre  VIII. —  Iconographie  des  sarcophages.  Survivance 
des  symboles  primitifs.  Les  paons,  les  cerfs,  l'aigle.  Le 
phénix  et  l'agneau.  Les  allégories  bibliques.  Miracles  du 
Sauveur.  Les  saints.  L'Introduction.  Les  apôtres.  Pierre  et 
Paul.  Pierre  et  Moïse.  Les  évangélistes.  Questions  de 
méthode.  L'interprétation  théologique 149 


TABLE  DU  TOME  I  191 

Eglises  et  Baptistères. 

Chapitre  IX.  —  Les  églises  domestiques.  Edifices  antérieurs 
à  Constantin.  La  basilique  occidentale  et  son  origine,  ses  rap- 
ports avec  les  églises  domestiques,  les  cellae  cimiteriales , 
la  basUique  publique  et  privée.  Les  principales  basiliques 
de  Rome;  leurs  dispositions  intérieures.  Esthétique.  Eglises 
circulaires  et  baptistères.  Conclusion 167 


» 


I 


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Un  volume  in-80  (22  X  17)  illustré  de  200  gravures  d'après 
photographies,  dessins,  plan,  etc.  Prix  :  fr.  10.00. 

LES  ORIGINES  DE  LA  BASILIQUE,  par  Raymond  Lemaire. 
Un  volume  in-S»  (22  X  17)  illustré  de  nombreuses  photogra- 
phies, plans,  etc. 


Archéologie  égyptienne, 

LES  DÉBUTS  DE  L'ART  EN  EGYPTE,  par  Jean  Capart.  Un 
volume  in-8o  raisin  de  316  pp.  illustré  de  192  gravures  d'après 
photographies  et  d'après  dessins.  Prix  :  fr.  12.50. 

L'ART  ÉGYPTIEN.  Choix  de  documents  accompagnés  d'indi- 
cations bibliographiques,  par  Jean  Capart.  Deux  volumes 
in  8°  (23  X  17)  contenant  chacun  100  planches.  Chaque  volume 
se  vend  séparément.  Prix  :  fr.  10.00. 

CHOIX  DE  MONUMENTS  ÉGYPTIENS,  de  la  Glyptothèque 
Ny-Carlsberg  à  Copenhague,  par  Valdemar  Schmidt.  Un 
volume  in-i2  illustré  de  173  gravures.  Prix  :  cartonné,  fr.  7.50. 

LES  PAPYRUS  DÉMOTIQUES  des  Muses  royaux  du  Cinquan- 
tenaire à  Bruxelles,  par  Wilhelm  Spiegelberg.  Un  volume 
in-40  contenant  32  pages  de  texte  (en  allemand)  illustré  et 
7  planches  en  fac-similé.  Prix  :  cartonné,  fr.  15.00. 

RECUEIL  DE  MONUMENTS  ÉGYPTIENS,  par  Jean  Capart. 
Première  série,  contenant  50  planches  in-folio  en  phototypie  et 
100  pages  de  texte  explicatif  avec  tables.  Prix  :  en  portefeuille, 
fr.  40.00.  Deuxième  série,  contenant  49  planches  en  phototypie 
et  une  planche  en  couleurs  avec  texte  descriptif  et  tables. 
Prix  :  en  portefeuille ,  fr.  40.00. 

UNE  RUE  DE  TOMBEAUX  A  SAQQARAH.  Reproduction  et 
description  de  trois  monuments  funéraires  datant  de  l'Ancien 
Empire  égyptien,  par  Jean  Capart.  Deux  volumes  illustrés 
de  107  planches.  Prix  :  reliés,  fr.  75.00. 

MUSEUM  MUNTERIANUM.  Collection  de  stèles  égyptiennes 
conservées  à  la  Glyptothèque  Ny-Carlsberg  à  Copenhague,  par 
Valdemar  Schmidt.  Un  volume  in-40  contenant  6  planches  et 
50  pages  de  texte.  Prix  :  cartonné,  fr.  15.00. 


CHAMBRE  FUNÉRAIRE  DE  LA  Vie  DYNASTIE,  aux  Musées 
royaux  du  Cinquantenaire  à  Bruxelles,  par  Jean  Capart.  Un 
volume  in-40  de  26  pages  et  5  planches  hors  texte.  Prix  :  car- 
tonné, fr.  12.50. 

L'ART  ET  LA  PARURE  FÉMININE  dans  l'ancienne  Ég5rpte,  par 
Jean  Capart.  Un  volume  in-S»  de  36  pages  illustré  de  nom- 
breuses gravures.  Épuisé. 

LES  PALETTES  EN  SCHISTE  de  l'Egypte  primitive,  par  Jean 
Capart.  Un  brochure  in-80  de  26  pages.  Prix  :  fr.  2.50. 

Littérature.  Romans. 

LA  CITÉ  ARDENTE,  par  Henry  Carton  de  Wiart.  Roman  histo- 
rique. Édition  de  luxe,  illustrée  de  55  aquarelles  d'Amédée 
Lynen,  reproduites  en  fac-similé,  coloriées  à  la  main.  Tirage 
limité  à  500  exemplaires  numérotés.  Prix  :  fr.  25.00. 

LES  GENS  DE  TIEST,  par  Georges  Virrès.  Un  volume  in-12, 
Prix  :  fr.  3.50. 

L'INCONNU  TRAGIQUE,  par  Georges  Virrès.  Un  volume  in-12. 
illustré  de  25  dessins  de  F.  Beauck.  Prix  :  fr.  3.50. 

LIÉGEOISE  IDYLLE,  par  M.  Bodeux.  Un  volume  in-12.  Prix  : 

fr.  3-50- 
LES  DOUCES  EMPREINTES,  par  A.-Th.  Rouvez.  Un  volume 

in-12.  Prix  :  fr.  3.50. 

ON  JOUERA  LA  COMÉDIE,  par  Chantemerle.  Un  volume 
in-12.  Prix  :  fr.  3.50. 

LES  MARTYRS  DE  LA  GLÈBE,  par  Victor  De  Brabandêre. 
Un  volume  in-12.  Prix  :  fr.  2.50. 

LE  DIT  D'UN  PRINTEMPS,  par  P.  Gérard.  Un  volume  in-12. 
Prix  :  fr.  3.00. 


CARILLONNAGES,  par  L.  Humblet,  S.  J.  Un  volume  in-12. 
Prix  :  fr.  3.50. 

IMPRESSIONS  DE  LITTÉRATURE  CONTEMPORAINE,  par 
Firmin  Van  den  Bosch.  Un  volume  in-12.  Prix  :  fr.  3.50. 

Voyages, 

QUINZE  JOURS  EN  EGYPTE,  par  Fernand  Neuray.  Un 
volume  in-12  illustré  de  36  planches  hors  texte.  Couverture 
en  couleurs.  Prix  :  fr.  3.50. 

VERS  LE  SPHINX  en  passant  par  Vienne,  Schœnbrun,  Budapest, 
Belgrade,  Bucarest,  Constanza,  Constantinople,  Smyrne, 
Athènes,  Alexandrie,  Le  Caire,  Les  Pyramides,  Le  Sphinx, 
Memphis,  Messine,  Naples,  par  Marcel  Angenot.  Un  volume 
in-12.  Prix  :  fr.  2.50. 

AILLEURS  ET  CHEZ  NOUS,  par  Georges  Virrês.  Un  volume 
in-12.  Prix  :  fr.  2.50. 

Religion. 

ADORO  TE  DEVOTE,  sive  preces,  meditationes  et  exercitia  ante 
et  post  missam,  par  E.-J.-B.  Jansen,  des  Frères  prê- 
cheurs. Deux  volumes  in- 18  contenant  ensemble  884  pages. 
Prix  :  fr.  7.50. 

EXAMEN  CLERI,  par  E.-J.-B.  Jansen.  Un  volume  in-i8  de 
326  pages.  Prix  :  fr.  2.50. 

CASUS  CONSCIENTIAE,  par  P.  V.,  S.  J.  Trois  volumes  in-80. 
Prix  :  fr.  17.00. 

LE  CATÉCHISTE  ÉDUCATEUR  suivi  d'un  supplément  théolo- 
gique, par  l'abbé  Jules  Collin.  Un  volume  in-i8  de  248  pages. 
Prix  :  fr.  1.50. 


VADE  MECUM  DU  CHRÉTIEN,  par  le  Rév.  P.  Z.  Gravez,  S.  J. 
Lettre  préface  du  P.  Ch.  Clair,  S.  J.  Un  volume  format  de  poche 
(i2  X  7  ^)  reliure  souple.  Prix  :  Percaline  gaufrée,  tranche 
dorée,  fr.  i  .00  ;  cuir  anglais,  coins  arrondis,  tranche  rouge  sous 
or,  1.90;  mouton  poli,  gros  grain,  dentelle  or  tranche  dorée, 
fr.  2.85;  chagrin  noir,  i^^  choix,  tranche  dorée,  fr,  3.60, 

GLANES  PIEUSES.  Choix  de  prières  à  l'usage  des  dames  et  des 
jeunes  filles  chrétiennes,  par  le  Rév.  P.  Z.  Gravez,  S.  J,  Même 
format,  mêmes  reliures  et  mêmes  prix  que  le  Vade  Mecum. 

GERBE  CHRÉTIENNE.  Choix  de  prières  et  dévotions  à  l'usage 
des  gens  du  monde,  cueillies  dans  la  liturgie,  les  orateurs  sacrés 
et  les  auteurs  ascétiques,  par  Z.  Gravez,  S.  J.  Un  vol.  in-32 
(16  X  7).  Prix  :  Percaline  gaufrée  tranche  dorée,  fr.  1.40;  cuir 
anglais,  coins  arrondis,  tranche  rouge  sous  or,  fr.  2.25;  mouton 
poli,  ornements  or,  tranche  dorée,  fr.  3.40;  chagrin  noir. 
i^r  choix,  tranche  dorée,  fr.  4.25;  maroquin  du  Cap,  coins 
arrondis,  tranche  dorée,  fr.  6.00. 

LE  LIVRE  DE  MA  PREMIÈRE  COMMUNION.  I.  Entretiens 
sur  la  première  communion,  par  M.^^  Léon  Gautier;  IL  Priè- 
res pour  le  grand  jour;  III.  Prières  pour  tous  les  jours,  par  le 
P.  Z.  Gravez,  S.  J.  Un  volume  in-i8  illustré  de  258  composi- 
tions de  Louis  Titz  et  imprimé  en  trois  couleurs.  Broché 
fr.  3.00;  Relié  en  maroquin  du  Cap,  tranche  rouge  sous  or, 
gardes  spéciales,  fr.  :  12.00. 

Divers. 

LE  JUBILÉ  NATIONAL  1905,  par  A.-Th.  Rouvez.  Un  volume 
in-40,  illustré  de  nombreuses  gravures  et  planches.  Prix  :  25.00. 

BARÈME  DE  NOMBRES,  pour  l'établissement  des  comptes- 
courants  de  banques  et  les  calculs  d'escompte  en  général,  par 
Jean  Antoine.  Tableaux  donnant  en  une  seule  recherche 
et  sans  le  secours  de  la  plume,  les  produits  des  multiphcations 


de  toutes  les  sommes,  depuis  i  jusqu'à  60,000  unités,  par  tous 
les  nombres  de  jours  de  l'année.  Un  volume  grand  in-40  de 
740  pages.  Prix  :  fr.  30.00. 

BARÈME  D'INTÉRÊTS.  Complément  au  Barème  de  nombres, 
par  Jean  Antoine.  Tableaux  donnant,  en  une  seule  recherche 
et  sans  le  secours  de  la  plume,  les  intérêts  correspondant  à 
tous  les  nombres,  depuis  i  jusqu'à  100,000,  à  tous  les  taux 
usités  :  I  %,  I  V4  %'  I  V2  %.  I  3/4  %»  2  %  et  ainsi  de  suite 
jusqu'à  10  %.  Un  volume  grand  in-40  de  45  pages.  Prix  :  4.00. 

RÉDUCTEUR  DE  LA  LIVRE  STERLING  ET  DE  SES  DÉRI- 
VÉS EN  FRANCS,  par  Jean  Antoine.  Tableaux  donnant, 
en  une  seule  recherche  et  sans  le  secours  de  la  plume,  les  pro- 
duits en  francs  et  centimes  de  toutes  les  sommes  de  monnaie 
anglaise,  depuis  i  shelling  jusqu'à  20,000  livres  sterling,  à  tous 
les  cours  probables,  soit  de  24,97  à  25.40,  à  l'intervalle  de 
^  centime.  Un  volume  grand  in-40de  180  pages.  Prix  :  fr.  10.00. 

Périodiques. 

REVUE  CONGOLAISE  publiée  sous  la  direction  d'Aug.  Declercq, 
E.  De  Jonghe,  V.  Denyn,  A.  Vermersch.  Paraît  tous  les  3  mois 
en  fascicules  illustrés  de  100  à  125  pages.  Un  an,  Belgique 
8  francs.  Etranger  10  francs. 

ANNALES  DE  LA  SOCIÉTÉ  D'ARCHÉOLOGIE  DE  BRU- 
XELLES. Chaque  année  forme  un  fort  volume  in-80  raisin 
de  300  pages  illustré  de  nombreuses  gravures.  Prix  :  fr.  16.00. 

BULLETIN  DES  MÉTIERS  D'ART.  Revue  mensuelle.  L'abon- 
nement annuel  :  Belgique  fr.  10.00.  Etranger  fr.  12.00. 


TABLE  ALPHABÉTIQUE  PAR  NOMS  D'AUTEURS 


Pages 

Angenot.  Vers  le  Sphinx  2.50     5 
Annales  de  la  société  d'ar- 
chéologie DE     Bruxel- 
les, 16.00  7 

Antoine.     Barème     de     nom- 
bres,  30.00    6 

Barème  d'intérêts,  4.00   ...      7 
Réducteur   de   la  livre  ster- 
ling,    10.00   7 

BoDEUX.  Liégeoise  Idylle,  3.50     4 
Bulletin  des  Métiers  d'art, 

10.00 7 

Capart,  Art  ég3^ptien,  10.00  .  .      3 

Art  et  parure  féminine 4 

Chambre     funéraire     de     la 

Vie  Dynastie,  12.50   ....      4 
Débuts  de  l'Art  en  Egypte, 

12.50 3 

Palettes     en     schiste,     2.50     4 
Recueil  de  monuments  égyp- 
tiens, 2  volumes.  80.00  . .     3 
Rue   de  Tombeaux   à    Saq- 

qarah,    75.00 3 

Carlier.  Dentelles  à  l'aiguille, 

2.75 2 

Duchesse  anciennes   et  mo- 
dernes, 2.50 2 

Carton  de  Wiart.  Cité  arden- 
te, 25.00 4 

Casus  Conscientiae,  17.00.  .      5 

Chantemerle.    On   jouera    la 
Comédie,  3.50 4 

Chefs-d'œuvre  des    maîtres 
flamands,  chaque  vol. 0.75     2 

Collin.  Catéchiste   éducateur, 

i;50 • 5 

Crooy.  L'Orfèvrerie    religieuse 

en  Belgique 2 

De  Brabandêre.  Martyrs  de  la 

Glèbe,  2.50 4 

Destrée    et  Van    den    Ven. 
Tapisseries    des    Musées    du 

Cinquantenaire,  5.00  ....      i 
Gautier  {M^^  Léon).  Livre  de 

ma  Première  Communion .     6 


Pages. 

GÉRARD.  Le  dit  d'un  prin- 
temps, 2.50 4 

Gravez.  Gerbe  chrétienne  ...     6 

Glanes  pieuses   6 

Livre      de      ma       Première 
communion   6 

-    Vade  Mecum    6 

HuMBLET.   Carillonnages,    3.50     5 

Jansen  (R.  p.)  Adoro  te,  7.50     5 
Examen    cleri,    2.50 5 

Laurent.  Art  chrétien  primi- 
tif, 10.00   2 

Lemaire.    Les  Origines    de   la 

Basilique 2 

Les  Origines  du  style  gothi- 
que,  10.00 2 

Lenertz.  Documents  d'Art 
monumental  du  moyen 
âge,    35.00 2 

Neuray.  Quinze  jours  en  Egyp- 
te, 3.50 5 

Revue  Congolaise,  8.00  ....     7 

Rouvez.    Douces    Empreintes, 

3.50 4 

Jubilé  national,  25.00 6 

ScHMiDT.  Choix  de  Monuments 

égyptiens,  7.50 3 

Muséum  Munterianum,  15.00     3 
Spiegelberg.  Papyrus  démoti- 
ques,  15.00 3 

Van  den  Bosch.  Impressions 
de  littérature  contempo- 
raine, 3.50 5 

Van  den  Gheyn.  Cronicques 
et  Conquestes  de  Charle- 

maine,  20.00 i 

Histoire    de    Charles     Mar- 
tel, 20.00 I 

Livres  d'Heures  attribués  à 
Jacques  Coene,  15.00. ...      i 
Van  den  Ven   (Voir  Destrée). 
ViRRÈs.   Ailleurs  et  chez  nous, 

2.50 5 

Gens  de  Tiest,  3,50 4 

Inconnu  tragique,  3.50  ...  .     4 


I 


THE  INSTITUTE  OF  WEDIAFVAL  STUDitS 

10  ELP^flSLEY  PLACE 

TORONTO  o,   CANADA, 


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