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Full text of "L'art chrétien primitif"

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in  2011  with  funding  from 

University  of  Toronto 


http://www.archive.org/details/lartchrtienpri02laur 


L'ART  CHRETIEN  PRIMITIF 

TOME   II 


I  q  I  I 


LART  CHRÉTIEN 
PRIMITIF 

PAR    MARCEL    LAURENT 

Professeur  d' Histoire  de  l'Art,  à  l'Université  de  Liège 


TOME  II 


•  Voc4, 

— '-f 


VROMANT   &   C\    ÉDITEURS 

RUE  DES  PAROISSIENS,  24,   BRUXELLES 
RUE    DANTE,   5,    PARIS 


JU/V  7  9  iqjj'' 


ERRATUM 

Page  43,  ligne  8,  après  :  ces  diptyques,  ajouter  :  mises  à  part  deux 
ou  trois   figures  impériales,... 

THE  INSTITUTE  CF  WEDIAEVAL  STUOiES 

10  ELMSLEY  PLACE 

TOROhTO  6,  CANADA, 


ï  1  4  1831 

1303. 


L'ART  CHRÉTIEN  PRIMITIF 
EN  OCCIDENT  (suite) 


h4 
CHAPITRE  X 

LA  MOSAÏQUE 

Caractères  de  la  mosaïque  antique.  La  mosaïque  chrétienne  et  les 
nécessités  de  la  décoration.  L'abside  de  Sainte-Constance  et  le  style 
pittoresque.  Le  symbolisme  triomphal  et  les  cycles  historiques.  L'âge 
d'or  de  la  mosaïque  romaine  :  Sainte-Pudentienne.  Les  Saints-Cosme 
et  Damien.  Le  byzantinisme  à  Rome.  Décadence  de  la  mosaïque  romaine 
du  vue  au  ix^  siècle. 

La  mosaïque  antique.  Les  basiliques  romaines  doivent 
leur  principal  intérêt  à  leur  décoration  intérieure,  à  ces  belles 
mosaïques  dans  lesquelles  l'art  chrétien,  sans  cesser  d'être 
antique,  c'est-à-dire  de  rester  fidèle  à  l'idéal  esthétique  de 
la  Grèce  et  de  Rome,  fit  preuve  d'une  véritable  originalité, 
accompHssant  des  œuvres  où  l'intelligence,  cette  fois,  avait 
plus  de  part  que  les  souvenirs. 

Non  qu'il  eût  inventé,  au  sens  propre  du  mot.  L'art  de 
composer  dans  un  lit  de  ciment,  au  moyen  de  petits  cubes  de 
marbre,  de  verre  ou  d'émaux  de  différentes  couleurs,  des 
sujets  de  décoration,  était  connu  depuis  l'antiquité  lointaine; 
et  pour  ce  qui  concerne  l'habileté  technique,  la  science  de 
préparer  les  pierres,  de  fondre  les  pâtes  vitreuses  et  de  leur 
donner  les  teintes  les  plus  diverses,  l'art  d'assembler  ces 
matériaux  et  d'obtenir  avec  eux  la  beauté  du  dessin  et  de  la 
couleur,  la  richesse  des  ornements,  on  ne  pouvait  rien  ajou- 
ter aux  merveilles  exécutées  par  les  mosaïstes  d'Alexandrie, 


8  LA  mosaïque 

de  Pompéï  et  de  Rome.  Mais  les  anciens  avaient  surtout 
employé  la  mosaïque  comme  pavement.  Sur  les  parois  inté- 
rieures des  habitations,  elle  ne  jouait  qu'un  rôle  minime,  et 
toujours  à  la  façon  d'un  tableau  encastré  dans  le  stuc  des 
murailles.  Quelle  conception  autrement  grandiose  de  vou- 
loir en  faire  le  revêtement  des  absides  et  des  murs  latéraux 
dans  les  vastes  basiliques  ! 

De  plus,  les  artistes  hellénistiques  et  romains  en  étaient 
venus,  à  force  d'être  habiles  et  parce  que  le  luxe  domestique 
est  souvent  l'ennemi  du  goût,  à  considérer  la  mosaïque  non 
comme  un  art  régi  par  des  lois  particulières  et  dont  l'emploi 
ne  peut  être  utile  que  dans  des  conditions  déterminées, 
mais  comme  une  sorte  de  peinture  capable,  elle  aussi,  de 
tout  rendre  et  présentant  sur  la  peinture  proprement  dite 
l'avantage  d'être  à  peu  près  indestructible.  En  se  servant  de 
cubes  infiniment  petits,  on  donnait  au  dessin  l'indispensable 
souplesse;  en  augmentant  sans  cesse,  au  moyen  de  fontes 
savantes,  la  gamme  des  teintes  et  des  nuances  d'émaux,  on 
se  mettait  à  même  de  reproduire  toutes  les  colorations  de  la 
nature.  Des  prodiges  d'habileté  furent  accompHs,  auxquels 
nous  devons  ces  œuvres  inconséquentes  et  pourtant  admi- 
rables, qui  firent  la  gloire  des  maisons  patriciennes  à  l'époque 
impériale  :  \q.  Bataille  d'Alexandre  de  la  maison  du  Faune 
(Musée  de  Naples),  le  paysage  fluvial  de  Palestrine,  les 
Colombes  du  Capitale,  pour  ne  citer  que  ces  exemples. 

La  mosaïque  romaine  avait  essayé  tous  les  genres  :  l'histoire, 
le  paysage  (pi.  XXVII, i),  les  scènes  de  genre,  les  natures 
mortes,  à  quoi  l'on  peut  ajouter  encore  les  décorations  flo- 
rales imitant  les  tapis.  Quels  efforts  il  avait  fallu  pour  attein- 
dre à  cette  vie,  à  cette  variété  !  Le  mosaïste  auteur  des 
Colombes  du  Capitole  n'avait  pas  employé  moins  de  soixante 


Planche    XXVI I. 


1.  Pavsai^c  lluvial  prov  iiiaiit  de  Poinpri,  Miiscc  tic  Naplcs  (phot. 
Bro_<;i).  2-3.  iMosaùjucs  do  la  Noùto  annulaire  (k*  Sainto-Constancc 
(phol.  Andersen). 


LA  mosaïque  chrétienne  9 

petits  cubes  de  pierre  par  centimètre  carré  d'exécution.  Et 
pourtant  son  œuvre,  quoi  qu'il  en  pensât,  ne  possédait  ni  la 
prestesse  du  trait,  ni  le  fondu  parfait  de  la  couleur.  A  la 
mosaïque  rivalisant  avec  la  peinture,  il  était  deux  qualités 
qui  devaient  manquer  toujours  :  l'aisance  et  la  liberté.  Ses 
chefs-d'œuvre  exigeaient  une  infinie  patience;  ils  étaient 
incompatibles  avec  le  génie. 

Encore  s'ils  eussent  été  à  leur  place.  Mais  quelle  étrange 
erreur  d'en  orner  le  sol  sans  cesse  foulé  aux  pieds  !  Alors 
qu'aux  beaux  siècles  de  la  Grèce,  les  parquets  étaient  unique- 
ment décorés  de  bordures  géométriques  faites  de  cubes  de 
marbre  blancs  et  noirs,  on  voyait,  à  l'époque  hellénistique, 
les  perspectives  infinies  d'un  paysage  s'enfoncer  sous  les  pas 
ou  surgir  du  sol  le  sommet  d'une  montagne  ;  c'était  l'eau 
fuyante  d'une  rivière  ou  le  relief  animé  d'une  composition 
historique.  Pas  n'était  besoin  vraiment  de  lutter  avec  les 
anciens  mosaïstes  sur  ce  terrain.  Mieux  valait  réformer  leurs 
habitudes  et  rendre  à  la  mosaïque  sa  vraie  mission,  qui  est 
de  décorer,  non  de  peindre,  d'embellir  des  surfaces  et  non  de 
meubler  des  profondeurs. 

La  mosaïque  chrétienne.  Les  artistes  chrétiens  discer- 
nèrent peu  à  peu  cette  différence.  Comme  si  leurs  facultés  de 
critique  avaient  crû  en  proportion  de  l'ampleur  de  leur  tâche, 
ou  plutôt,  comme  si  les  basiliques  qu'ils  allaient  parer  avaient 
indiqué  elles-mêmes,  avec  force,  le  genre  de  décoration  qui 
leur  convenait,  ils  apprirent  à  distinguer  parmi  les  usages 
anciens  ceux  qu'on  pouvait  conserver  sans  nuire  à  la  beauté 
de  l'édifice  et  ceux  qu'il  importait  soit  d'abandonner,  soit  de 
transformer,  pour  faire  une  œuvre  harmonieuse. 

Les  pavements  furent  toujours  décorés,  autant  qu'on  le  put, 


10  LA  mosaïque 

avec  beaucoup  de  richesse  et  selon  la  tradition.  Le  désir  de 
luxe  y  faisait  encore  représenter  des  personnages  et  des 
animaux,  soit  isolés,  soit  en  composition  (pi.  XLIX,  2),  mais 
c'était  suivant  les  procédés  de  la  fresque  cimétériale,  c'est- 
à-dire  en  surface,  sans  grand  souci  de  la  perspective  ou  du 
modelé  plastique. 

Quant  aux  parois  des  églises,  elles  nécessitaient  des 
réformes  encore  plus  importantes.  Sur  leur  vaste  étendue, 
c'eût  été  besogne  vaine  de  multiplier  les  lignes  et  de  les 
assouplir;  de  poursuivre  jusque  dans  ses  nuances  les  plus 
fugaces  la  gamme  infiniment  variée  des  couleurs  :  détails  et 
finesses  eussent  été  perdus;  ils  n'auraient  servi  qu'à  fatiguer 
le  regard  et  à  diminuer  Tef  et  de  majesté  que  les  murs  pro- 
duisaient par  eux-mêmes  et  que  la  mosaïque  avait  pour  mis- 
sion d'accroître  encore.  A  l'ampleur  solennelle  de  l'édifice 
devait  correspondre  une  décoration  toute  en  largeur  et  en 
sobriété.  Point  de  lignes  en  agitation,  de  formes  en  mouve- 
ment, de  colorations  instables,  point  de  perspective  surtout. 
Ce  décor  aurait  rompu  toute  union  entre  les  murs  et  la 
mosaïque;  il  aurait  mis  la  vie  mouvante  sur  la  matière 
immuable,  l'espace  aérien  là  où  l'on  cherchait  des  surfaces 
opaques,  et,  requérant  ainsi  l'attention  pour  lui  seul,  il 
aurait  détruit  toutes  les  apparences  de  la  soHdité  et  du 
poids  dans  les  membres  mêmes  de  l'édifice. 

Les  décorateurs  chrétiens  laissèrent  la  soUdité  intacte  en 
s'abstenant  d'évider  le  mur  par  des  perspectives  insoUtes;  le 
poids,  ils  se  contentèrent  de  l'alléger,  de  le  dépouiller  de 
toute  rudesse  ou  brutahté,  en  répandant  à  profusion  sur  les 
surfaces  la  joie  du  dessin  et  de  la  couleur;  quanta  l'étendue, 
de  qui  résulte  la  majesté,  ils  surent  en  faire  mesurer  les  pro- 
portions souveraines  par  un  système  de  compositions  savam- 


LA  mosaïque  chrétienne  ii 

ment  distribuées  en  cadres  et  bandeaux  convergeant  tous 
vers  l'arc  triomphal  et  le  lointain  hémicycle.  Ils  créèrent 
ainsi  le  style  monumental,  opposé  au  style  pittoresque  de  la 
décoration  antique. 

A  première  vue,  ils  semblent  avoir  fait  une  œuvre  peu 
vivante  :  l'essentiel  était  de  conformer  la  décoration  au  vœu 
caché  des  formes  construites.  Ce  n'était  pas  la  vie  multiple 
qu'il  convenait  de  traduire,  mais  une  vie  appropriée  à  l'édi- 
fice, docile  à  sa  pensée,  soumise  à  son  rythme.  Même  la  vérité, 
du  moment  qu'elle  était  transposée  de  la  nature  dcins  la 
décoration,  n'avait  plus  rien  d'absolu  et  se  trouvait  suscep- 
tible de  corrections  utiles.  Les  compositions  s'astreignirent 
au  calme.  Les  lignes  furent  choisies  et  exécutées  non  en  vue 
de  la  souplesse,  mais  de  la  grandeur.  Les  attitudes  furent 
toutes  conçues  en  noblesse  et  styhsées  de  façon  qu'elles  con- 
cordassent avec  l'ampleur  sereine  des  murailles  et  des  nefs. 
La  gamme  des  couleurs  fut  notamment  réduite  et  ne  com- 
porta plus  que  des  teintes  franches.  En  un  mot,  tout  fut  sim- 
plifié, mis  en  harmonie,  en  sorte  que  le  regard  se  trouvât 
frappé  par  une  majesté  grandiose,  avant  même  que  l'esprit 
eût  tenté  d'analyser  son  plaisir.  Les  écueils  à  éviter  étaient 
la  monotonie,  l'abus  de  la  symétrie,  la  négligence  d'exécu- 
tion. Et  c'était  aussi  un  grand  danger,  en  stylisant  l'homme, 
de  diminuer  à  l'excès  sa  capacité  d'action,  sa  sensibilité 
d'âme,  de  rendre  son  image  semblable  aux  objets  inanimés 
qui  ont  une  forme  expressive,  mais  point  d'âme  accessible 
à  l'émotion,  qui  peuvent  charmer  nos  yeux,  mais  n'éveillent 
en  nous  aucun  sentiment  fraternel. 

Ces  écueils,  la  mosaïque  chrétienne  ne  sut  pas  toujours  les 
éviter.  C'est  à  cause  d'eux  qu'elle  sombra,  aux  jours  de  la 
décadence,  dans  une  immense  misère. 


12 


LA  mosaïque 


Sainte-Constance.  Survivances  antiques.  Il  est  tout 
d'abord  dans  le  développement  de  la  mosaïque  romame.un 
style  de  transition  caractérisé  par  la  fidélité  aux  thèmes, 
sinon  aux  procédés  de  la  décoration  antique.  Un  monument 
précieux  nous  en  reste  :  les  mosaïques  du  mausolée  de^samte 
Constance,  déjà  cité  plus  haut  pour  son  importance  archi- 


SC/.^v!^.^v^c<.v5/ji!yjiM*«i^VR(JM}Mi5/Jjra')MiM}M.^^^ 


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FIG.  25.  —    MOSAÏQUE    DE    LA     COUPOLE     DE    SAINTE-CONSTANCE. 

(D'après  Grisar.) 

tecturale  et  qui  servait  de  baptistère  à  l'église  voisine  de 
Sainte-Agnès.  Celles  de  la  coupole  (fig.  25),  malheureusement 
détruites  à  la  fin  du  xvi®  siècle,  ne  nous  sont  plus  connues 
que  par  des  dessins  sommaires  (Escurial,  Bibliothèque 
de  Saint-Marc)  et  une  description  de  Pompeo  Ugonio.  Sur 
le  pourtour  inférieur  était  figurée  une  rivière  tout  animée 
de  poissons,  de  volatiles  et  de  barques  montées  par  les  Eros, 


SAINTE-CONSTANCE  13 

sujet,  qui,  on  Ta  vu,  était  familier  aux  mosaïstes  romains. 
A  peine  peut-on  supposer,  d'après  Ugonio,  qu'une  des  barques 
était  mystique  :  la  nef  de  l'Église  avec  les  apôtres  pour 
rameurs  et  le  Christ  au  gouvernail.  De  distance  en  distance, 
des  touffes  d'acanthe,  cantonnées  de  fauves  héraldiques, 
montaient  à  l'intrados,  donnant  naissance  à  des  atlantes  et 
terminées  par  des  rinceaux  qui  montaient  jusqu'au  lanter- 
neau  central.  Ugonio  crut  discerner,  dans  les  espaces  vides 
de  cette  sorte  de  berceau  végétal,  une  série  de  scènes  de 
l'Ancien  Testament.  L'influence  de  la  décoration  domestique 
et  celle  des  cimetières  étaient  donc,  à  cette  époque,  également 
puissantes;  on  devine  en  même  temps  l'amour  de  la  grâce 
antique  et  le  souci  des  chrétiennes  images.  Au  reste,  la 
composition  générale  était  belle  et  s'adaptait  parfaitement 
aux  surfaces  de  la  coupole. 

De  même,  les  mosaïques  de  la  voûte  annulaire  (pi.  XXVI), 
intactes  celles-là,  offrent  un  curieux  mélange  de  tradition 
ancienne  et  de  pensée  rajeunie.  Le  berceau  circulaire  de  la 
voûte  est  divisé  en  onze  travées,  que  complète  une  abside 
précédée  d'une  petite  coupole  surmontant  l'autel.  Sur  le 
fond  gris-blanc  des  travées,  s'entremêlent  quatre  séries  de 
thèmes  décoratifs  (pi.  XXV II, 2  et  3)  :  un  dessin  géomé- 
trique, composé  de  croix  et  de  rosaces;  des  jonchées  de 
fleurs  et  de  palmes  entremêlées  de  cornes  d'abondance, 
d'amphores,  de  corbeilles  et  d'oiseaux;  un  semis  régulier 
de  médaillons  entourant  des  Eros,  des  Psychés,  des 
têtes  couronnées,  des  fleurons,  des  animaux;  enfin,  deux 
compartiments  étaient  décorés  de  scènes  de  vendanges  avec, 
au  centre,  deux  bustes,  l'un  féminin,  l'autre  mascuhn  :  Con- 
stantine,  fille  de  Constantin,  a-t-on  dit,  et  le  César  Crispus. 
Le  pavement  lui-même  était  orné  de  vignes  et  d'Amours. 


14  LA  mosaïque 

Quoi  de  plus  antique?  Mais  aussi,  parfois,  quoi  de  plus  chré- 
tien? Car,  si  beaucoup  de  ces  ornements  n'avaient  d'autre 
raison  d'être  que  leur  fantaisie  gracieuse,  leur  beauté  variée, 
certains  parlaient  le  langage  symbolique  qui,  peu  à  peu, 
s'était  élaboré  aux  catacombes  :  c'étaient  la  croix  et  peut- 
être  même  ces  vendanges,  en  qui,  désormais,  plus  d'un 
chrétien  voyait  une  allusion  à  la  mort  et  aux  récompenses 
étemelles  décernées  par  le  Christ. 

L'exécution  de  ces  mosaïques  n'est  pas  autrement  remar- 
quable. Les  figures,  notamment,  qui  n'ont  déjà  plus  la  grâce, 
n'ont  pas  encore  la  noblesse  ;  mais  dans  la  scène  pittoresque, 
dans  les  amours  qui  folâtrent  parmi  les  ceps,  pressent  la 
marche  des  chars,  foulent  le  raisin  au  pressoir,  qu'il  y  a  de 
vie,  de  fantaisie  spirituelle  !  Des  scènes  de  ce  genre,  pleines 
encore  du  souvenir  des  paysages  idyUiques  et  des  pasto- 
rales, marquées,  répétons-le,  à  la  double  empreinte  de 
l'esprit  antique  et  des  habitudes  contractées  dans  les  cata- 
combes, furent  sans  doute  assez  nombreuses  dans  les  édifices 
religieux  de  l'époque  constantinienne  ;  mais  déjà,  elles  repré- 
sentaient le  passé  et  des  conceptions  de  plus  en  plus  vétustés. 
La  faveur  des  fidèles  allait  toute  aux  vastes  compositions 
qui  révélaient  le  Christ  et  les  saints  dans  la  gloire,  aux  images 
qui  étaient  majestueuses,  dominatrices  et,  ainsi  exprimaient 
la  grande  allégresse  de  l'Église  triomphante. 

Symbolisme  triomphal  et  Cycles  historiques.  Dans 
la  basilique  varicane,on  voyait,  au  fond  de  l'abside,  le  Christ 
sur  son  trône  entre  les  archontes  suprêmes,  saint  Pierre 
et  saint  Paul.  Sur  l'arc  triomphal,  c'était  le  Christ  avec  saint 
Pierre  à  sa  droite  et,  à  sa  gauche,  l'empereur  Constantin. 
A  Sainte-Constance  même,  il  existe  encore  deux  mosaïques, 


SYMBOLISME  TRIOMPHAL  15 

dans  les  absides  latérales,  qui  montrent,  d'une  part,  Dieu 
donnant  à  Moïse  les  tables  de  l'ancienne  Loi  et,  d'autre 
part,  en  vue  d'une  sorte  de  parallélisme  dogmatique,  le 
Christ  remettant  à  saint  Pierre  le  volumen  de  la  nouvelle 
Alliance. 

Ces  grandes  scènes,  situées  dans  une  atmosphère  idéale, 
par  elles-mêmes  irréelles  et  pourtant  vivantes,  symboliques 
et  pourtant  pénétrées  d'une  profonde  émotion,  nous  les 
avons  rencontrées  sur  les  sarcophages  et  dans  les  dernières 
fresques  catacombales.  C'est  dans  les  basiliques  qu'elles 
étaient  nées.  Elles  y  constituaient  l'iconographie  dont  le 
caractère  est  parfaitement  désigné  sous  le  nom  de  «  sym- 
bohsme  triomphal  ».  Et,  en  effet,  c'était  bien  du  double 
triomphe  du  Christ  et  de  l'Église  qu'elles  s'inspiraient. 

Tandis  que  l'histoire  religieuse,  les  épisodes  de  l'Ancien  et 
du  Nouveau  Testament,  vraies  annales  de  l'Église,  étaient 
laissés  à  la  décoration  de  la  nef  et  parfois  même  de  l'arc 
triomphal,  l'abside  était  réservée  aux  visions  grandioses  du 
royaume  céleste  et  aux  symboles  par  lesquels  était  signi- 
fiée l'étroite  union  établie  par  Jésus  entre  la  terre  et  la  patrie 
étemelle.  Le  prototype  de  ces  compositions  symboliques 
avait  été  donné  dans  la  mosaïque  de  la  Traditio  legis,  à 
Sainte-Constance,  œuvre  mutilée,  malheureusement,  défor- 
mée par  les  restaurations.  La  conception  générale  était 
unique,  mais  les  éléments  de  représentation  pouvaient 
varier  d'une  église  à  l'autre  soit  dans  leur  choix,  soit 
dans  leur  assemblage.  Au  centre,  toujours,  est  le  Christ  : 
Christ  siégeant  sur  son  trône,  Christ  debout  et  bénissant, 
Christ  confiant  à  Pierre  l'Évangile  à  répandre.  Et  toujours 
le  Christ  est  baigné  de  lumière,  de  cette  lumière  inhnie, 
étemelle,  à  laquelle  aspiraient  les  chrétiens  persécutés.  Son 


i6  LA  mosaïque 

visage  rayonne,  son  geste  est  immense  ;  à  lui  seul,  il  remplit 
l'espace,  ce  pendant  que  les  apôtres  sont  rangés  à  droite  et  à 
gauche,  au-dessous  de  lui.  De  l'immense  éther^.on  voit 
émerger  parfois  les  figures  symboliques,  l'ange,  le  lion, 
l'aigle  et  le  bœuf,  qui  sont  figures  des  évangélistes.  Et  la 
scène  a  lieu  dans  les  régions  supérieures,  dans  l'empyrée 
sereine  où  le  Seigneur  règne  au  milieu  des  siens. 

Ici  se  manifestait  la  subtilité  des  s5miboles  :  à  Sainte- 
Constance,  un  fleuve  qui  resplendit  fait,  sous  les  pas  du 
Christ,  une  sorte  de  voie  royale  :  c'est  le  Jourdain,  rappelant 
le  baptême  conféré  par  Jean  et  la  grâce  qui,  par  le  baptême 
au  nom  du  Seigneur,  inonde  les  chrétiens.  A  Sainte-Puden- 
tienne,  chef-d'œuvre  qu'il  nous  tarde  d'étudier,  le  Seigneur 
et  sa  cour  d'apôtres  sont  entourés  de  portiques  et  d'édi- 
fices :  c'est  la  Jérusalem  céleste.  Enfin,  il  n'était  peut-être 
aucune  mosaïque  absidale  où  ne  fussent  représentés  deux 
palmiers,  un  de  chaque  côté  de  la  composition  centrale, 
encadrant  ainsi  la  vision  céleste.  Le  phénix,  plus  d'une  fois, 
apparaissait  rayonnant  sur  une  palme  haute  :  c'étaient  là  les 
derniers  souvenirs  du  jardin  verdoyant,  si  souvent  peint  aux 
catacombes. 

Telle  était  la  scène  de  fond.  Au-dessous  régnait  une  zone 
étroite  faisant  la  bordure  inférieure  de  la  conque  absidale. 
Partout  la  même,  elle  montrait  au  centre  l'Agneau  pascal 
debout  sur  la  montagne  de  Sion,  selon  l'Apocalypse.  Les 
quatre  fleuves  de  la  Genèse,  le  Géhon,  le  Phison,  le  Tigre  et 
l'Euphrate,  jaillissaient  du  mont,  et  des  cerfs,  parfois,  y 
venaient  boire  :  nul  chrétien  qui  ne  reconnût  là  les  symboles 
des  quatre  évangélistes,  interprètes  du  Christ  et  distributeurs 
de  la  doctrine  qui  rafraîchit  les  âmes  sur  toute  la  terre. 
Aux  extrémités  de  la  bordure  étaient  des  tours  avec  leurs 


o 

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■r. 


CYCLES  HISTORIQUES  17 

portes  d'où  sortaient  des  agneaux,  six  de  chaque  côté,  et 
qui,  à  la  suite  l'un  de  l'autre,  se  dirigeaient  vers  le  monticule 
central  et  le  Christ  et  les  fleuves.  Ces  tours  représentaient  les 
villes  saintes  de  Bethléem  et  de  Jérusalem,  l'une  où  le  Christ 
était  né,  l'autre  où  il  était  mort,  l'une  qui  figurait  les 
temps  nouveaux  et  l'Église  née  des  nations  (Ecclesia  ex  gen- 
tibus),Va.utTe  l'ancienne  Alliance  et  l'Église  constituée  parmi 
les  Juifs  (Ecclesia  ex  circumcisione).  Quant  aux  agneaux, 
c'étaient  les  Apôtres,  propagateurs  de  la  foi,  «  vivantes 
ondes  du  Christ  »,  selon  l'expression  de  saint  Paulin  de 
Noie.  Ainsi  des  révélations  du  Royaume  et  des  événements 
terrestres,  des  vérités  dogmatiques  et  des  symboles  inteUi- 
gents  s'unissaient,  s'harmonisaient,  pour  composer  la  repré- 
sentation idéale  des  destinées  chrétiennes. 

On  a  remarqué  l'influence  de  l'Apocalypse  sur  ces  compo- 
sitions. Elle  fut  plus  grande  encore  à  partir  du  iv®  siècle 
sur  la  décoration  de  l'arc  de  la  tribune  contigu  à  l'abside, 
et  sur  celle  de  l'arc  triomphal.  C'est  là  qu'on  voit  l'Agneau 
sacrifié  et  le  livre  aux  sept  sceaux,  les  sept  candélabres,  les 
figures  symboUques  des  évangélistes.Le  sujet  le  plus  impres- 
sionnant et  aussi  le  plus  commun  est  celui  de  Saint-Paul 
hors  les  murs  :  le  buste  du  Christ  entouré  d'une  auréole  et 
auquel  les  vingt-quatre  vieillards  tendent  leurs  couronnes 
(cf.  pi.  XXX, i).  Vers  la  fin  du  iv©  siècle,  on  aima  aussi 
représenter  la  croix,  le  monogramme,  l'alpha  et  l'oméga. 
Le  Père  se  manifesta  par  une  main  sortant  des  nuages.  Le 
Saint-Esprit  eut  la  forme  de  la  colombe  descendant  du  ciel 
au-dessus  du  Christ,  «  en  sorte,  disait  saint  Paulin  de  Noie, 
que  la  Trinité  étincelât  dans  son  entier  mystère  ». 

Voilà  quelles  images  nouvelles  avaient  succédé  aux  com- 
positions gracieuses  de  l'antiquité   et   au   symbolisme   des 


i8  LA  mosaïque 

cimetières.  L'Agneau  prenait  la  place  du  bon  Pasteur,  et 
Taérienne  vision  de  la  mystique  Jérusalem  celle  des  vergers 
fleuris  dont  s'enchantait  l'esprit  de  Saturus  ou  de  sainte  Per- 
pétue. Sur  la  majestueuse  étendue  des  basiliques  planaient 
le  génie  systématique  de  la  théologie  et  l'enthousiasme  sacré 
du  solitaire  de  Patmos. 

Cependant,  pour  le  visiteur  de  l'église,  cette  répartition  des 
images  avait  comme  premier  mérite  de  s'adapter  harmonieu- 
sement aux  conditions  architectoniques  de  l'édifice,  de  jux- 
taposer, par  exemple,  une  suite  d'épisodes  sur  de  longs  ban- 
deaux et  de  déployer  le  ciel,  pour  ainsi  dire,  sur  la  conque 
profonde  des  absides.  De  plus,  elle  guidait  l'esprit  autant  que 
le  regard;  après  l'avoir  intéressé  par  des  récits  d'histoire,  elle 
l'enlevait  insensiblement  sur  l'aile  des  symboles  et  le  faisait 
monter  de  l'humihté  terrestre  jusque  dans  l'insondable 
infini. 

Toutes  les  basiliques  du  iv®  siècle  avaient  une  décoration 
analogue  :  celle  du  Vatican,  dont  les  mosaïques  ne  nous  sont 
connues  que  par  les  textes,  celle  du  Latran.  le  baptistère  du 
Vatican,  Sainte-Constance,  heureux  monument  entre  tant 
d'autres,  aujourd'hui  dénués  de  leur  parure  originale,  enfin 
Sainte-Pudentienne,  encore  dotée  de  la  belle  mosaïque 
grâce  à  laquelle  nous  pouvons  considérer  la  splendeur  de  la 
Renaissance  constantinienne,  face  à  face. 

Sainte-Pudentienne.  La  mosaïque  absidale  de  Sainte- 
Pudentienne  remonte  au  pontificat  de  Sirice  (385-398).  Les 
restaurations  malheureuses  opérées  dans  les  basihques  au 
xvie  siècle  ne  l'ont  pas  tout  à  fait  épargnée.  Rognée  sur 
son  pourtour,  elle  a  perdu  encore  sa  bordure  inférieure,  où 
se  trouvaient  figurées  la  rangée  des  brebis  apostoUques  et  la 


SAINTE-PUDENTIENNE  19 

montagne  de  Sion.  Des  figures  de  la  scène  centrale  ont  été 
dénaturées  par  des  restaurations  modernes  ;  mais  le  fond  est 
intact.  Intact  surtout  ce  Christ  incomparable  en  vue  duquel 
avait  été  faite  toute  la  composition  (pi.  XXVIII).  La  croix, 
dressée  sur  le  Calvaire,  emplissait  le  ciel  de  ses  bras  étendus  ; 
la  main  du  Père  la  couronnait,  les  Évangélistes,  symboli- 
quement représentés,  lui  rendaient  témoignage.  Cette  repré- 
sentation est  unique,  mais  il  faut  dire  que  l'invention  de 
la  croix  était  récente  encore,  que  le  bois  sacré  avait  été  ainsi 
exposé  dans  une  église  de  Jérusalem  et  que  ses  reliques, 
à  travers  le  monde,  suscitaient  une  forme  de  piété  nou- 
velle. Aussi  bien,  le  Golgotha  derrière  la  royauté  céleste, 
l'instrument  du  supplice  infamant  au-dessus  du  trône  de 
la  gloire  étemelle  :  il  était  impossible  d'associer  avec  plus 
de  magnificence  une  grande  harmonie  d'art  et  une  forte 
poésie  religieuse. 

A  droite  et  à  gauche  du  Calvaire,  se  déploie  une  zone 
circulaire  d'architecture,  comprenant  un  large  portique  à 
l'avant-plan  et,  derrière  lui,  un  assemblage  régulier  d'édi- 
fices :  maisons,  églises,  basiliques  et  rotondes.  On  a  pu  dire 
avec  infiniment  de  vraisemblance  que  la  ville  sainte  de 
Palestine  réellement  représentée,  figurait  ici  la  Jérusalem 
céleste.  Au  point  de  vue  de  la  composition,  rien  de  plus 
noble  que  ces  rangées  de  pierres  harmonieuses,  entre  les 
clartés  du  ciel  et  le  sol,  sur  lequel  il  était  bien  nécessaire  de 
situer  les  figures  humaines. 

Celles-ci  étaient  les  Apôtres,  assis  à  gauche  et  à  droite  du 
Christ,  en  deux  files  descendantes,  et  ces  deux  femmes  debout 
derrière  eux,  tenant  des  couronnes.  En  elles,  on  reconnaissait 
autrefois  sainte  Pudentienne  et  sainte  Praxède.  Il  semble  plu- 
tôt qu'elles  soient  les  personnifications  des  deuxÉghses  dont 


20  LA  mosaïque 

était  formée  la  chrétienté  :  celle  des  Gentils  et  celle  de  la  Cir- 
concision. La  robuste  dignité  de  ces  hommes  !  La  douceur 
auguste  de  ces  figures  de  femmes  !  On  dirait  des  magistrats 
de  l'ancienne  Rome  siégeant  au  Sénat  et  des  matrones  graves 
accompHssant  les  rites  d'un  culte  domestique;  mais  cette 
première  impression  n'est  pas  tout  à  fait  exacte.  Nous  dirons 
plutôt  que  ces  hommes  prêtaient  au  magistère  apostolique 
toute  la  solennité  romaine  avec  un  je  ne  sais  quoi  de  tran- 
quillité d'âme;  que  ces  femmes  ajoutaient,  à  la  gravité  des 
matrones,  une  certaine  crainte,  une  sorte  de  respect  attendri 
qui  faisaient  le  fond  de  la  piété  chrétienne. 

Le  Christ  au  centre  régit  l'espace  et  les  hommes.  Sa 
droite  est  levée,  dans  un  geste  qui  bénit,  mais  aussi  qui 
domine  toute  chose.  De  l'autre  main,  il  tient  sur  son 
genou  un  livre  ouvert  dont  les  pages  portent  ces  mots  : 
DOMINUS  CONSERVATOR  ECCLESI.E  PUDENTIA- 
NiE  :  «  Le  Seigneur,  conservateur  de  l'église  de  Pudens.  » 
La  basihque,  en  effet,  avait  été  construite  à  l'endroit  d'un 
ancien  titre,  là  où  était  la  maison  du  sénateur  Pudens,  hôte 
et  ami  de  saint  Pierre,  suivant  la  tradition.  Et  cette  pose  si 
naturelle  a  quelque  chose  de  royal;  les  jambes  ont  l'assise 
large  qu'on  leur  voit  dans  les  statues  consulaires;  le  buste 
large  se  dresse  plein  d'ampleur  et  de  force;  la  tête  barbue, 
avec  sa  longue  chevelure,  se  détache,  olympienne,  sur  le 
nimbe  circulaire;  et  la  grande  face  pâle  semble  plonger  dans 
l'immensité  des  regards  souverains.  Ce  qui  est  magnifique 
par-dessus  tout,  c'est  le  vêtement  du  Seigneur,  la  toge 
antique  largement  étoffée  sur  le  bas  du  corps,  drapée  en 
ceinture  et  dont  les  retombées  sur  les  épaules  et  les  bras 
font  la  figure  du  Christ  immense  comme  celle  des  anciens 
dieux.  «  Le  Christ  des  catacombes,  dit  M.  Pératé,  avait  quel- 


Planche    XXIX. 


I.  MoSciU|iic  absiùalc  (Ks  SaiiUs-Cosnu'  i(  Daiuuii  (phol.  Auilc-rsDn). 
Mosaùim-   al)si(lal*.'   <!<•   SainU-  A^iirs   luns  1rs  iiuus  (j>lu>l.  Audcr- 


son 


SAINTE-PUDENTIENNE  2i 

que  chose  de  la  grâce  d'un  Apollon;  celui  des  mosaïques 
aura  quelque  chose  de  la  majesté  d'un  Jupiter.  »  Et  de 
même  que,  sous  le  plafond  bas  des  temples,  rien  n'était 
plus  conforme  à  la  beauté  que  la  statue  imposante  sur  son 
piédestal,  de  même,  dans  la  vaste  basilique  où  s'assem- 
blaient les  fidèles,  rien  n'était  superbe  comme  ce  Christ 
solennel,  vers  qui  se  concentraient  la  vie  des  pierres,  les 
yeux  des  hommes,  l'élan  des  âmes  et  qui,  du  haut  de  son 
trône,  faisait  éternellement  son  geste  de  puissance  et  de 
miséricorde. 

Positivement,  cette  mosaïque  était  bien  romaine,  par  le 
costume  et  la  façon  de  le  draper,  la  sobriété  des  gestes,  l'al- 
lure majestueuse  des  mouvements  et  des  poses,  par  tout  ce 
qui  reste  dans  l'exécution  de  fermeté.  La  perspective  courte 
et,  pour  ainsi  parler,  bouchée  à  temps,  avait  l'heureux  effet 
de  faire  paraître  l'abside  plus  profonde,  égale  au  ciel  qu'elle 
devait  représenter,  en  évitant  d'ailleurs  toute  inconséquence. 
Le  groupement  des  personnages  était  fondé  sur  la  symétrie 
qui  créait  de  belles  lignes  de  composition  et  qui  savait  tra- 
duire les  convenances  de  la  hiérarchie  céleste  :  ce  qu'il  y 
aurait  eu  là  de  trop  monotone  était  combattu  par  une  cer- 
taine variété  de  gestes  et  d'attitudes.  Enfin,  si  l'on  considère 
le  type  des  visages,  l'accent  des  physionomies,  on  discer- 
nera des  caractères  d'humanité  qui  font  penser  à  une  autre 
partie  de  l'Empire  que  l'Itahe  —  nous  oserons  prononcer  ce 
mot  qui,  désormais,  reviendra  souvent  :  l'Orient  !  —  et  sur- 
tout on  percevra  une  passion  secrète,  une  intime  émotion 
qui  étaient  le  résultat  des  transformations  opérées  sur  l'âme 
par  trois  siècles  de  christianisme. 

Des  chefs-d'œuvre  pouvaient  donc  éclore  du  contact  de 
l'art  antique  et  de  la  religion  nouvelle  !  Malheureusement 

II,    2 


22 


LA    mosaïque 


les  événements  qui  se  précipitaient  empêchèrent  l'idéal  de 
Sainte-Piidentienne  de  réaliser  toutes  ses  promesses.  Les 
troubles,  les  guerres,  les  invasions  surtout  furent  un  obstacle 
au  développement  de  cet  art,  qui  avait  besoin  de  temps 
et  de  tranquillité  pour  donner  sa  fleur.  Certaines  influences, 
comme  nous  le  verrons,  furent  perturbatrices.  Bref,  la 
mosaïque  de  Sainte-Pudentienne  resta  sans  seconde.  Elle 
marque  l'apogée  de  l'art  chrétien  primitif. 

La  chapelle  de  Sainte-Rufine,  au  baptistère  du  Latran, 
contient  un  autre  chef-d'œuvre  du  iv©  siècle,  mais  unique- 
ment ornemental  :  c'est  une  niche  décorée  de  rinceaux  verts 
rehaussés  d'or  et  dont  le  feuillage  vraiment  admirable  de 
richesse  se  déroule  sur  un  fond  bleu  sombre  (Venturi,  I, 
fig.  io6).  Grande  tradition  que  celle  de  ces  prestiges  décora- 
tifs et  qui  subsista  longtemps,  pour  le  lustre  des  basiUques. 

Au  V®  siècle,  la  suite  des  grandes  compositions  en  mosaïque 
se  continue  en  Occident  par  les  décorations  de  Sainte- 
Sabine  (423-432),  de  Sainte-Marie  Majeure  (432-440),  de 
Saint-Paul  hors  les  murs  (440-461),  de  plusieurs  chapelles 
du  Latran,  de  Sainte- Agathe  in  Subura  (vers  470),  de  Saint- 
André  in  Barbara  (468-483),  à  Rome.  Dans  les  provinces,  il 
faut  citer  des  fragments  conservés  à  Saint-Laurent  de  Milan, 
à  Sainte-Prisque  et  Sainte-Marie  de  Capoue,  au  baptistère 
de  Naples,  à  Siponte.  Noie  avait  les  mosaïques  (avant  420), 
dont  son  évêque,  saint  Paulin,  nous  a  laissé  une  description 
si  attachante. 

Sainte-Marie  Majeure.  Pour  se  rendre  un  compte  exact 
de  ce  qu'était  devenu  l'art  de  la  mosaïque  à  cette  époque, 
il  faut  visiter  Sainte-Sabme  et  surtout  Sainte-Marie  Majeure. 
Dans  la  première  basilique,  les  mosaïques  de  la  façade  et 


SAINTE-MARIE  MAJEURE  23 

celles  de  l'abside  gardent  le  souci  du  beau;  dans  la  seconde, 
une  ambition  merveilleuse  n'eut  pour  s'aider  qu'un  idéal 
faussé  et  des  moyens  d'exécution  médiocres.  L'arc  triomphal 
est  décoré  de  scènes  relatives  à  la  vie  de  la  Vierge,  se  dérou- 
lant en  frises  superposées  et  où  l'on  reconnaît  :  l'annoncia- 
t ion,  l'adoration  des  Mages,  le  massacre  des  innocents,  la  pré- 
sentation au  temple,  l'Enfant  Jésus  adoré  par  le  roi  Aphro- 
disius,  cette  représentation  tirée  des  évangiles  apocryphes. 
Une  fuite  en  Egypte  a  presque  complètement  disparu.  Au 
point  de  vue  de  l'histoire  religieuse,  rien  de  plus  intéressant 
que  ce  cycle  d'images  consacré,  non  sans  intention  de  polé- 
mique, à  glorifier  la  Vierge;  au  point  de  vue  artistique,  ce 
qu'on  en  peut  dire  de  plus  honorable,  c'est  qu'elles  témoi- 
gnaient de  ce  sentiment  parfait  de  la  décoration  dont  il  a  été 
parlé  plus  haut.  Les  décorateurs,  habiles  à  faire  valoir  la 
partie  du  monument  qu'ils  devaient  parer  de  formes  et  de  cou- 
leurs, savaient  encore  résister,  bien  qu'il  s'agît  d'illustrer  des 
histoires,  aux  séductions  de  la  peinture.  Mais,  hélas  !  un 
demi-siècle  à  peine  après  qu'avait  été  exécutée  l'œuvre 
incomparable  de  Sainte-Pudentienne,  voici  que  le  travail 
se  relâchait  à  l'excès.  Si  les  gestes  étaient  beaux  encore,  les 
attitudes  vraies  et  la  composition  bien  établie,  les  types  deve- 
naient laids  et  mornes,  les  proportions  perdaient  de  leur 
noblesse,  les  draperies  de  leur  naturel.  Le  dessin,  par-dessus 
tout,  tombait  en  déchéance  dans  le  rendu  des  corps.  Plus  de 
construction,  plus  d'anatomie.  Décidément,  on  ne  pouvait 
plus  espérer  qu'aux  murs  des  basiliques  se  rétablît  jamais 
un  juste  équilibre  entre  ce  qu'exigeait  la  décoration  et  ce 
qui  était  dû  à  la  vérité. 

Les  mosaïques  de  la  nef,  qui  forment  un  cycle  d'images 
consacré  à  l'Ancien  Testament, ne  sont  pas  de  nature  à  dimi- 


24  LA    mosaïque 

nuer  la  sévérité  de  ce  jugement.  Il  est  triste  de  constater  que 
les  principes  de  composition  qu'on  appliquait  étaient  excel- 
lents, que  la  voie  suivie  par  Tart  chrétien  était  la  bonne, 
mais  que,  chaque  jour,  la  beauté  s'oubhait  davantage  par 
défaut  d'observation,  d'études  et  surtout  parce  que  l'igno- 
rance professionnelle  des  artistes  n'était  pas  combattue. 
Adapter  la  matière,  corriger  la  vie  :  cela  suppose  une  obser- 
vation continue  de  la  nature  et  une  connaissance  supérieure 
de  la  vie.  On  ne  regardait  même  plus  ni  l'une  ni  l'autre. 

Cependant,  une  suite  nombreuse  d'épisodes  se  déroulait 
au-dessus  des  arcades,  depuis  le  sacrifice  de  Melchisédech 
jusqu'aux  victoires  dejosué  :  quarante-deux  tableaux,  arbi- 
trairement choisis  d'ailleurs,  illustraient  cette  portion  de  la 
Bible.  Rien  ne  prouve  qu'il  s'y  cache  une  arrière-pensée  sym- 
boUque.  Tout  au  plus  peut-on  croire  que  la  scène  de  Mel- 
chisédech offrant  le  pain  et  le  vin  à  Abraham  en  présence  du 
Seigneur  n'avait  pas  été  placée  sans  intention  près  de  l'au- 
tel et  qu'elle  faisait  allusion  au  sacrifice  de  la  messe.  Nous 
retrouverons  des  symboles  analogues  à  Ravenne.  En  tous 
cas,  le  parallélisme  symboUque  du  moyen  âge,  qui  consiste 
à  découvrir  dans  chaque  récit  de  l'Ancien  Testament  un 
rapport  d'harmonie  avec  un  récit  du  Nouveau,  n'avait  pas 
encore  conquis  l'iconographie.  Il  s'élaborait  seulement  dans 
la  littérature  ecclésiastique  i. 

A  l'heure  où  nous  sommes,  au  v®  siècle,  on  se  contentait 
d'illustrer  le  texte  sacré  aux  parois  des  éghses,  comme  les 
miniaturistes  le  faisaient  dans  les  livres.  L'histoire,  au 
moins  dans  la  nef,  avait  pris  la  place  des  symboles.  Il  en 
était  ainsi  déjà  dans  la  basilique  du   Latran  :  il  en  fut   de 

I.  Grisar,  op.  cit.,  I,  fig.  82,  123. 


Planche  XXX. 


I,  Mosau|iir  (Ir  Sainte  rrax^dr  (plmt.    \iulcrson).  2.  Mosaùjue 

alisidalc  (le  Sailli   Mari'  (j)Iii)t.    ViiilriMnii. 


mosaïque    du    vie    SIÈCLE  25 

même  plus  tard  encore  dans  l'oratoire  de  saint  Jean,  à  Saint- 
Pierre  de  Rome  (viii®  siècle)  et  dans  la  nef  de  cette  même 
église  sous  le  pape  Formose,  au  ix®  siècle.  A  Ravenne, 
la  décoration  historique  fit  éclore  un  chef-d'œuvre  :  les 
mosaïques,  dont  nous  parlerons  plus  loin,  de  Saint-ApolU- 
naire-le-Neuf. 

Mais  Ravenne  avait  un  art  particulier,  qui  ne  tarda 
pas  à  éclipser  celui  de  Rome.  Le  v®  siècle  achevé,  on 
peut  dire  que  c'en  est  fait  de  l'originalité  artistique  dans  la 
ville  impériale.  Elle  avait  gardé  religieusement  jusque-là 
l'héritage  du  temps  d'Auguste,  mais  son  énergie  défaillait  et 
on  la  sentait  impuissante  à  le  défendre  davantage  contre  les 
adultérations  étrangères.  A  défaut  des  mosaïques,  les  fresques 
tardives  des  catacombes  nous  le  feraient  connaître  (pi.  XIII). 
Byzantins  et  Barbares  allaient  donner  aux  œuvres  romaines 
un  physionomie  où  la  Rome  antique  se  serait  jugée 
trahie. 

Mosaïques  du  vi®  Siècle.  Saints-Cosme  et  Damien.  L'évo- 
lution dont  nous  venons  de  parler  ne  s'accomplit  pas  soudai- 
nement. Une  ville  comme  Rome  ne  pouvait  abdiquer  en  un 
jour  le  magistère  qu'elle  avait  exercé  si  longtemps  sur  tout 
l'art  d'Occident.  Il  ne  fallut  guère  moins  d'un  siècle  pour 
qu'elle  renonçât  définitivement  à  l'idéal  antique,  le  même 
que  celui  des  premiers  chrétiens,  et  se  soumît,  pleine  de  lassi- 
tude, aux  conceptions  artistiques  de  l'étranger.  Les  mosaï- 
ques continuent  d'être  précieuses,  entre  tous  les  monuments, 
pour  l'étude  de  ce  grand  déclin. 

La  mosaïque  des  Saints-Cosme  et  Damien  (pi.  XXIX.  i) 
est  l'œuvre  capitale  du  vi®  siècle,  le  dernier  travail  en  qui 
se  manifestent  de  la  grandeur  et,  malgré  des  défaillances  de 


26  LA    mosaïque 

talent,  des  capitulations  d'esprit,  un  sentiment  encore  vivace 
de  l'originaUté  romaine.  C'est  un  monument  de  transi- 
tion. 

Elle  fut  exécutée  entre  '526  et  530.  On  y  voit  réunis  les 
principaux  éléments  du  symbolisme  triomphal.  Le  Christ 
apparaît  dans  le  ciel  et  marchant  sur  le  Jourdain;  les  palmiers 
édéniques,  le  phénix,  l'Agneau  mysrique  et  les  fidèles  brebis 
sortant  des  villes  de  Jérusalem  et  Bethléem  l'entourent.  Au 
premier  plan,  une  scène,  dont  les  imaginations,  depuis 
l'ère  des  catacombes,  étaient  hantées,  l'Introduction  des 
saints  au  paradis,  attestait  la  gloire  éternelle  de  Cosme  et 
Damien,  les  deux  patrons  de  la  basihque.  Ils  ont  reçu  leurs 
couronnes  qu'ils  portent  sur  leurs  mains;  saint  Pierre  et 
saint  Paul  les  présentent  au  Seigneur.  Derrière  eux  se  trou- 
vent, à  droite  saint  Théodore,  portant  également  sa  cou- 
ronne, à  gauche  le  pape  Féhx  IV,  assistant  à  la  scène  en 
qualité  de  pieux  donateur  :  il  tient,  lui,  le  modèle  de  l'église 
qu'il  a  fait  construire.  L'ensemble  est  d'une  symétrie  pleine 
de  noblesse  et  de  froideur.  Et  n'est-ce  pas  une  chose  éton- 
nante que  tous  les  personnages,  malgré  l'unité  d'action  et  de 
sentiments  régissant  la  scène,  vivent  indépendamment  l'un 
de  l'autre,  chacun  d'eux  étant  immobile  et  regardant  le  vide? 
Comparez  cet  entier  détachement  du  monde  et  de  ses  vrai- 
semblances avec  la  calme  animation  des  apôtres  de  Sainte- 
Pudentienne  :  vous  sentirez  quelles  transformations  impor- 
tantes avait  subies,  en  un  peu  plus  d'un  siècle,  la  conception 
chrétienne  de  la  mosaïque.  D'une  part,  les  gestes  simples  de 
la  force  commandée  par  l'intelligence,  une  noblesse  tran- 
quille, une  majesté  instinctive;  d'autre  part,  le  divorce  entre 
l'esprit  et  le  corps,  des  gestes  naturels  en  soi,  mais  qui  parais- 
sent inconscients  et,  pour  remplacer  la  majesté,  je  ne  sais 


mosaïque    du    vie    SIÈCLE  27 

quelle  solennité  étrange,  par  quoi  ces  figures  étaient  mises 
en  quelque  sorte  hors  l'humanité.  Il  est  vrai  que  les  gestes, 
les  proportions,  les  draperies  étaient  bien  de  qualité  romaine  ; 
mais  on  n'en  peut  dire  autant  de  certaines  attitudes,  celles 
des  saints  porteurs  de  couronnes;  de  plus,  ce  n'étaient  là 
que  parcelles  d'une  beauté  dont  l'ensemble  était  oubhé,  ves- 
tiges d'un  art  désormais  dénaturé,  que  chaque  jour  efface- 
rait davantage. 

Considérez  les  visages,  non  celui  du  pape  Félix,  figure 
refaite  au  xvii®  siècle,  non  celui  du  Christ,  imposé  par  la  tra- 
dition, mais  ceux  des  saints,  surtout  de  Cosme  et  Damien. 
«  La  coupe  de  ces  figures  est  ce  qu'on  peut  voir  de  plus  éloi- 
gné du  vieux  gallo-romain.  Les  traits  sont  allongés,  angu- 
leux, les  yeux  démesurément  ouverts,  les  regards  fixes,  les 
sourcils  d'une  épaisseur  peu  commune  et  d'une  forme  obhque 
qui  les  fait  retomber  brusquement  vers  le  nez^  »  Ce  sont  des 
physionomies  énergiques  et  farouches.  On  pense  aux  enva- 
hisseurs successifs  de  la  Ville  Étemelle,  Goths,  Vandales, 
Hérules,et  à  un  type  de  beauté  barbare  qui  devait  surpasser, 
aux  yeux  des  contemporains  de  Théodoric  le  type  classique 
légué  par  l'antiquité.  On  dirait  aussi  qu'une  âme  nouvelle 
anime  ces  rudes  statures,  un  esprit  qui  passe  facilement  des 
passions  violentes  aux  dévotions  ascétiques.  Et  ce  serait 
assez  peut-être  d'indiquer  la  couleur  septentrionale  de  ce 
christianisme  pour  rendre  compte  des  différences  qui  exis- 
tent entre  l'abside  de  Sainte-Pudentienne  et  celle  des  Saints- 
Cosme  et  Damien.  Mais  la  rigide  symétrie  des  groupes,  le 
mouvement  réprimé  des  personnages  et  un  commencement 
d'hiératisme  décoratif  préféré  à  la  vivante  tranquillité,  voilà 

I.  Dom  Leclercq,  Manuel  II,  p.  225. 


28  LA    mosaïque 

qui  nous  paraît  marquer  déjà  les  premières  influences  de 
l'Orient  byzantin. 

Le  Christ  semble  un  héros  magnifique  et  sévère.  «  Il  est 
vêtu  d'une  tunique  et  d'un  manteau  surchargés  d'or;  une 
auréole  d'or  lui  ceint  la  tête;  dans  le  ciel  d'un  bleu  sombre, 
des  nuages  rougeâtres  sont  épars  i.  »  Vision  d'une  grandeur 
étrange  !...  Ces  couleurs,  d'une  somptuosité  barbare,  ne  s'ou- 
blient pas...  Encore  une  fois,  on  croit  pouvoir  attendre  l'en- 
gendrement  d'un  art  neuf.  Puisque  le  prestige  de  Rome 
s'évanouit,  que  ne  vont-ils  donc  leur  chemin,  ces  mosaïstes 
énergiques,  vers  l'idéal  naïf  et  grandiose  qui  semble  les 
séduire?  Hélas  !  trop  d'influences  se  mesurent  et  se  com- 
battent dans  ces  œuvres  tardives  :  la  tradition  noble,  la 
rudesse  septentrionale,  le  faste  bien  réglé  de  l'Orient.  Il  y  a 
trop  de  timidités  pour  que  les  audaces  soient  fécondes,  trop 
d'hésitations,  de  souvenirs  et  surtout  d'ignorance  !  La 
mosaïque  absidale  des  Saints-Cosme  et  Damien,  à  peine 
née,  entra  dans  le  passé,  le  passé  mort,  qu'on  admire,  qu'on 
imite,  mais  duquel,  par  impuissance,  on  ne  sait  plus  s'inspi- 
rer. 

L'arc  triomphal,  aux  Saints-Cosme  et  Damien,  présente 
une  illustration  très  complète  du  chapitre  IV  de  l'Apoca- 
lypse. A  Saint-Laurent  hors  les  murs  (577-590),  se  trouve  la 
deuxième  œuvre  importante  du  vi^  siècle,  mais  les  restau- 
rations y  ont  été  trop  nombreuses  et  trop  importantes,  dit 
Dom  Leclercq,  pour  qu'on  en  puisse  parler  avec  assurance". 
Aussi  bien,  il  est  impossible  de  se  faire  illusion  sur  le  mérite 
de  l'œuvre  originale  :  elle  accusait  les  progrès  d'une  irrémé- 
diable décadence. 

I.  PÉRATÉ,  op.  cit.,  p.  246. 


DÉCADENCE  DE  LA  MOSAÏQUE  29 

DÉCADENCE  DE   LA  MoSAÏQUE,  VII®-IX®  îSlÊCLE.   Au  début 

du  VII®  siècle,  l'art  romain  avait  dit  son  dernier  mot,  si  l'on 
veut  entendre  par  là,  qu'étant  capable  encore  d'activité,  il 
n'était  plus  capable  d'éloquence.  Il  ne  faisait  qu'imiter. 
Encore  ces  imitations  ne  brillaient-elles  ni  par  le  goût,  ni  par 
la  qualité  du  métier.  Ce  n'était  pas  assez  de  ne  plus  lutter 
pour  accroître  le  lustre  antique;  on  ne  savait  même  plus  en 
défendre  le  prestige  par  une  technique  habile.  Aussi  ne 
peut-on  s'étonner  qu'en  ce  moment  critique,  la  tradition 
romaine  ait  été  éclipsée  dans  les  éghses  par  une  tradition 
rivale,  par  cet  art  de  Byzance  qui,  en  Italie,  avait  toujours 
été  un  peu  chez  lui  et  que  Rome  n'avait  jamais  repoussé  sans 
lui  emprunter  quelque  chose. 

Bien  que  l'Église  centrale  de  l'Occident  se  dérobât  de  plus 
en  plus  à  la  tutelle  politique  des  empereurs  de  Constanti- 
nople,  pour  former  elle-même  un  pouvoir  indépendant,  elle 
n'en  restait  pas  moins  pénétrée  d'hellénisme  dans  ses  insti- 
tutions, ses  rites,  sa  hiérarchie.  Nul  intérêt  religieux  ne  la 
rivait  à  la  fortune  de  l'art  romain,  tel  qu'on  l'avait  pratiqué 
au  siècle  d'Auguste  et  pendant  les  premiers  siècles  chrétiens. 
Si  cet  art  semblait  défaillir,  il  était  naturel  qu'elle  se  tournât 
vers  les  œuvres  réputées  de  l'Empire  byzantin  pour  parer 
ses  temples  d'un  nouvel  éclat. 

C'est  ainsi  que  sous  le  pontificat  d'Honorius  (626-638)  fut 
exécutée  la  mosaïque  absidale  de  Sainte- Agnès  hors  les  murs 
(pi.  XXIX,  2),  tout  inspirée  des  œuvres  de  Ravenne  et  de 
Constantinople,  fastueuse  comme  elles,  aussi  froide  sans 
être  aussi  solennelle,  et  maladroite  en  somme,  parce  qu'elle 
manque  de  sincérité.  Sainte  Agnès  et  les  deux  papes,  Hono- 
rius  et  Symmaquc,  qui  l'encadrent  à  distance  respectueuse, 
s'enlèvent  en  figures  immobiles,  silencieuses,  sur  un  fond 


30  LA    mosaïque 

d'or.  Nul  relief  :  on  dirait  de  pâles  icônes  serties  dans  un  pré- 
cieux métal.  Nulle  vérité  de  vie  :  ce  sont  des  statures  allon- 
gées à  l'excès,  des  corps  diaphanes  qui  prennent,  sous  les 
draperies  chargées  d'or  et  de  pierres  fines,  des  attitudes  con- 
venues. La  sainte  est  une  reine  soucieuse  d'apparat  et  qui 
n'oublie,  dans  le  ciel,  ni  les  gestes  précis,  ni  les  contenances 
décentes  de  la  cour.  Les  deux  papes  sont  des  courtisans  bien 
appris,  sachant  accompHr  leurs  fonctions  dans  des  attitudes 
séantes,  avec  les  gestes  consacrés.  L'idéal  de  la  sainteté  était 
rendu  par  une  étiquette  cérémonieuse.  Une  sorte  d'irréalité 
des  corps  s'accommodait  de  brocarts  et  de  bijoux  accumu- 
lés. Conception  sèche,  étroite,  qui  faisait  la  sainteté  orgueil- 
leuse et  lointaine,  à  la  ressemblance  de  l'aristocratie  de  la 
terre.  Si  encore  la  physionomie  des  saints  eût  été  expressive, 
mais  il  n'y  a  d'expression  que  dans  les  attitudes.  Les  figures 
sont  pâles,  les  regards  morts  :  ce  sont  des  fantômes  habitant 
un  lieu  vide.  Il  n'est  plus  de  visions,  car  le  fond  d'or  a  bou- 
ché la  trouée  lumineuse  des  anciens  paradis.  On  a  beau  se 
dire  que  l'Éden  est  figuré  par  les  bandes  vertes  de  l'avant- 
plan,  le  firmament  par  les  zones  bleues  du  sommet,  parse- 
mées d'étoiles,  et  que  la  main  apparue  dans  les  nuages 
indique  le  royaume  suprême  où  habite  le  Père.  Tout  cela, 
qui  est  précieux  sans  doute  pour  l'intelligence,  ne  dit  rien 
aux  regards.  Il  ne  reste  dans  les  cieux  où  se  révélaient 
autrefois  le  bon  Pasteur,  le  Christ  en  gloire  et  l'Agneau 
mystique  sur  la  montagne  de  Sion,  que  des  images  puériles, 
objets  d'une  naïve  vénération. 

Rome  n'avait  imité  Byzance  qu'avec  maladresse.  Son 
génie  était  trop  différent.  Il  n'avait  pu  saisir  ce  qu'il  y  a  sou- 
vent dans  les  images  byzantines  d'impressionnante  majesté. 

C'est  sous   la   même   influence   que  furent  exécutés,  au 


DÉCADENCE  DE  LA  MOSAÏQUE  31 

vii^  siècle,  la  mosaïque  de  l'oratoire  de  Saint-Venance  (639- 
642)  et  le  saint  Sébastien  qu'on  voit  au-dessus  de  l'autel,  à 
Saint -Pierre  aux  Liens  (680).  Les  mosaïques  de  Saint- 
Étienne  le  Rond  montrent  plus  d'indépendance,  c'est-à- 
dire  plus  de  fidélité  aux  vieilles  habitudes  romaines.  L'art  de 
la  décoration  était  inconstant,  parce  qu'il  manquait  de  con- 
fiance en  soi;  on  se  fatigua  vite  des  icônes  étrangères.  Dès 
le  VII®  siècle,  il  n'était  plus  de  vogue  que  pour  les  chefs- 
d'œuvre  nationaux.  Ce  n'est  pas  que  le  byzantinisme  ait 
disparu  des  églises  de  Rome  ;  il  se  maintint  dans  un  certain 
nombre  d'édifices  qui  étaient  aux  Grecs,  notamment  à 
Santa-Maria  Antiqua,  dont  les  fresques,  découvertes  en  1899, 
sous  l'église  de  Sainte-Marie  Libératrice,  constituent  un 
monument  impérissable  de  l'iconographie  byzantine,  dux®au 
XII®  siècle.  Mais  les  décorateurs  romains,  les  Papes,  voire 
même  les  fidèles,  avaient  senti  la  vanité  d'une  régénération 
par  le  secours  de  Byzance.  Assujettis  à  imiter,  ils  préférèrent 
décidément  ne  choisir  des  modèles  que  dans  le  passé  romain. 

Cela,  d'ailleurs,  ne  retarda  en  rien  les  progrès  de  la  barba- 
rie. Voici  rénumération  des  églises  où  s'accomplit  l'ultime 
décadence  de  la  mosaïque  :  basilique  du  Vatican  (705-708)  ; 
Saint-Théodore  (772-795)  ;  les  Saints-Nérée  et  Achillée  (795- 
816);  Sainte-Cécile,  Sainte-Praxède  (pi.  XXX,  i),  Sainte- 
Marie  de  la  Nacelle,  décorées  toutes  trois  sous  Pascal  I®^ 
(817-821)  ;  Saint-Marc  (830-840),  que  nous  reproduisons 
(pi.  XXX,  2). 

Les  artistes  n'étaient  pas  dénués  d'ambition.  Ils  ne  crai- 
gnaient pas  d'entreprendre  l'illustration  de  vastes  cycles 
d'images  (Vatican).  En  reproduisant  un  beau  modèle,  comme 
cette  mosaïque  des  Saints-Cosme  et  Damien,  qui  fut  tant 
admirée,  tant  imitée  en  ces  siècles  tardifs  (à  noter  surtout  la 


32  LA    mosaïque 

décoration  de  Sainte-Praxède) ,  ils  ne  s'interdisaient  point 
d'y  glisser  des  nouveautés.  Malheureusement,  l'abondance 
(Vatican)  est  ici  une  forme  de  la  stérilité,  et  les  nouveautés 
sont  ordinairement  un  progrès  vers  l'abaissement  définitif. 
Les  grandes  figures  chrétiennes,  le  Christ  et  la  Vierge,  les 
Apôtres,  les  Anges,  deviennent  affreusement  laides.  «  C'est 
une  maigreur,  une  rudesse,  une  exiguïté  de  formes,  une  con- 
figuration étroite  et  anguleuse,  un  air  farouche,  inculte, 
pétrifié,  qui  semble  constituer  une  espèce  d'homme  à  part.  » 
Ainsi  s'exprime  un  bon  juge  i.  Tous  les  personnages  sont  vus 
de  face.  Comme  on  ne  sait  plus  les  grouper,  on  les  entasse. 
La  belle  harmonie  des  anciennes  compositions  est  dénaturée. 
Ne  s'avisa-t-on  pas  (Sainte-Praxède)  de  vouloir  rétablir 
la  perspective?  Essai  qui  ne  pouvait  qu'être  malheureux, 
puisqu'il  n'était  pas  à  sa  place,  mais  qu'on  salue  pourtant 
comme  un  obscur  pressentiment  de  la  Renaissance.  On  n'en 
finirait  pas  de  dénombrer  toutes  les  infirmités  de  cet  art 
vieux.  Il  ne  subjugue  plus  que  par  son  étrangeté  barbare. 
N'importe  :  il  est  romain,  il  perpétue  un  idéal.  Et  si  bas  qu'il 
soit  tombé  quand  on  considère  en  lui  les  formes  de  la  vie,  il 
subsiste  toujours, il  est  toujours  beau  si,  au  contraire,  on  le 
juge  au  point  de  vue  décoratif.  Là,  il  reste  égal  à  son  rôle, 
parce  qu'il  reste  généralement  fidèle  aux  principes  d'adap- 
tation à  l'architecture  que  les  anciens  mosaïstes  avaient  appli- 
qués avec  tant  de  bonheur.  S'il  ignore  la  beauté  par  le  des- 
sin, la  composition,  il  la  proclame  toujours  par  la  couleur, 
et  la  merveilleuse  qualité  de  la  matière  qu'il  emploie.  Les 
églises  de  la  Renaissance  n'auront  rien  qui  vaille  le  revête- 
ment somptueux  des  pauvres  églises  du  ix^  siècle.  Au  bout 

I.  Leclercq,  Manuel,  p.  230. 


Planxhk  XXXI 


Colirel  (le  Saint- Niuairc  de  Milan,  couvercle  cL  lace  ^.Moiunuents 


BIBLIOGRAPHIE  33 

de  la  longue  évolution  que  nous  avons  essayé  de  retracer,  le 
talent  des  mosaïstes  est  à  peu  près  réduit  à  néant,  mais  la 
mosaïque  restait  un  art  aussi  glorieux  qu'à  ses  origines,  aussi 
digne  que  jamais  de  garder  sa  place  dans  la  décoration  des 
églises.  Elle  ne  la  perdit,  d'ailleurs,  qu'après  avoir  engendré 
le  génie  pictural  de  Giotto. 

• 

BIBLIOGRAPHIE.  —  Sur  la  mosaïque  antique,  voir  Dictionnaire  des 
antiquités  de  Daremberg  et  Saglio,  article  Mosaïque  (Gauckler)  ;  Sprin- 
GER-MiCHAELis,  Handbuch  der  Kunstgeschichte,  I,  Altertum,  p.  319  et 
suiv.,  7^  édition,  Leipzig,  1904.  Sur  les  mosaïques  chrétiennes  de  Rome  : 
Garrucci,  op.  cit.,  vol.  IV;  de  Rossi,  Musaici  cristiani  e  saggi  dei  pavi- 
menti  délie  chiese  di  Roma  anteriore  al  secolo  XV ^  avec  trad.  française, 
Rome,  1872- 1900  (planches  en  chromo-lithographie  ;  prix  :  1,325  francs  ; 
Appell,  Christian  mosaic  pictures,  Londres,  1877;  E.  Muntz,  La  Mosaïque 
chrétienne  pendant  les  premiers  siècles  (Mémoires  de  la  Société  des  Anti- 
quaires de  France,  LU),  Paris,  1893;  Clausse,  Basiliques  et  mosaïques  chré- 
tiennes, Paris,  1893;  Gbrspacu,  La  Mosaïque  (Biblioth.  pour  l'enseigne- 
ment des  Beaux-Arts),  Paris,  s.  d.;  Bertaux,  Rome  (Collection  des  Villes 
d'Art),  vol.  I,  Paris,  1905;  W.  Bishops,  Roman  church  mosaics  of  the  first 
nine  centuries  (American  Journal  of  archaeology,  1906,  p.  251-281)  ;  classe- 
ment chronologique  des  mosaïques  romaines,  énumération  des  sujets. 

Les  mosaïques  de  Sainte-Marie  Majeure  ont  été  publiées  luxueusement 
par  J.-P.  Richter  et  A.-C.  Taylor,  The  Golden  Age  of  classic  Christian 
Art,  Londres,  1904. 

L'évolution  générale  de  la  mosaïque  chrétienne  depuis  les  débuts  jus- 
qu'au xiii^  siècle  a  été  retracée  en  vue  d'expliquer  les  origines  de  l'art  de 
Giotto  par  M.  G.  Zimmermann,  Giotto  und  die  Kunst  Italiens  im  Mittelalter, 
t.  I,  Leipzig,  1899. 

Manuels  déjà  cités. 


CHAPITRE  XI 


LES  ARTS  INDUSTRIELS 


Arts  industriels.  L'orfèvrerie.  Les  verres  gravés,  taillés  et  peints.  Verres  à 
fond  d'or.  La  céramique;  les  lampes  de  terre-cuite.  Bronzes.  Les  ivoires, 
diptyques  usuels,  consulaires,  Liturgiques.  Coffrets.  Le  coffret  de  Bres- 
cia.  Pierres  gravées.  Miniatures.  Conclusion. 


On  nous  permettra  de  rattacher  aux  chapitres  précédents 
l'étude  sommaire  des  œuvres  d'art  industriel  qui,  pour  la 
plupart,  contribuaient  à  l'ornement  des  basiliques  ou  fai- 
saient partie  du  mobilier  religieux  :  les  parures  et  objets 
d'autel,  les  vases  et  les  lampes,  les  ivoires  et  les  bois  sculptés, 
les  livres  embellis  de  miniatures.  Nous  achèverons  ainsi  de 
faire  connaître  en  abrégé  l'évolution  de  l'art  chrétien  en 
Occident. 

Orfèvrerie.  Les  métaux  précieux  et  les  pierreries  étaient 
surtout  employés  pour  rendre  l'autel  somptueux.  Une  petite 
église  pouvait  se  contenter  d'un  cube  de  marbre  ou  d'une 
table  posée  sur  colonnettes  ;  là,  il  pouvait  suffire  de  quelques 
reliefs  sculptés  à  même  la  pierre,  ainsi  que  nous  le  voyons 
sur  l'autel  d'Auriol,  du  Musée  Bourély  de  Marseille,  avec  son 
monogramme  et  sa  rangée  de  colombes,  emblèmes  des  apôtres 
(Cabrol,  Dictionn.,  I,  fig.  1120)  ;  mais  dans  les  basiliques  des 
grandes  villes,  à  Rome  surtout,  la  piété  des  papes,  des  fidèles 


36  LES  ARTS  INDUSTRIELS 

et  le  faste  impérial  avaient  fait  de  magnifiques  prodigalités. Le 
Liher  pontificalis  abonde  en  inventaires  d'objets  sacrés,  dont 
le  nombre  et  la  richesse  nous  étonnent.  Constantin  avait  fait 
don  à  la  basilique  du  Latran,  pour  son  autel  majeur,  d'un 
baldaquin,  aux  proportions  colossales,  d'argent  et  d'or.  «  Le 
faîte,  en  argent  battu,  a  sur  le  devant  l'image  du  Sauveur, 
assis  sur  une  chaire,  mesurant  cinq  pieds  et  pesant  cent  vingt 
livres;  autour,  les  douze  apôtres,  mesurant  chacun  cinq  pieds 
et  pesant  nouante  livres,  avec  des  couronnes  d'argent  très 
pur;  sur  l'arrière,  du  côté  qui  regarde  l'abside,  l'image  du 
Sauveur  assis  sur  un  trône,  mesurant  cinq  pieds  et  pesant 
cent  quarante  livres,  et  quatre  anges  en  argent...  ayant  des 
gemmes  dans  les  yeux,  tenant  des  hastes  i....  »  Le  baptistère 
du  Latran  avait  une  piscine  en  porphyre,  revêtue  d'argent. 
Sur  son  rebord  était  un  agneau  d'or  par  la  bouche  duquel 
s'échappait  un  jet  d'eau.  Ces  merveilles  luxueuses  étaient 
peut-être  dépassées  encore  par  celles  du  tombeau  de  saint 
Pierre,  au  Vatican;  l'autel  y  était  tout  en  argent,  incrusté 
d'or  et  de    gemmes.  A  la  fin  du  v®  siècle,  le  pape  Hilaire, 
successeur  immédiat  de  Léon  le  Grand,  ne  fut  pas  moins 
généreux  pour  l'oratoire  de  la  Croix  :  le  haut  de  la  confession 
était  décoré  d'un  Agnus  Dei  d'or,  debout  sous  un  arceau  d'or 
pur  soutenu  par  des  colonnettes  d'onyx,  tandis  que  devant  la 
confession  pendait  une  croix  d'or  de  vingt  Hvres  pesant,  cou- 
verte de'pierres  précieuses.  Et  l'or  et  l'argent  encore,  en  un 
nombre  imposant  de  hvres,  avaient  été  employés  pour  les 
portes  de  la  confession  et  le  lampadaire.  Le  comble  de  la 
somptuosité  fut  probablement  atteint  par  Justinien,  dans 
l'autel  qu'il  fit  exécuter  pour  Sainte-Sophie  de  Constan- 
tinople. 

I.  Cité  par  Pératé,  Archéol.  chrét.,  p.  i8o. 


Planche  XXXII. 


T.  I')iply(iiR>  (le  Roèce  (plu^l.  Alinari).  -  -  _>.  I)i|)(yi|in'  de  Mon/a.  — 
j.  l)iply(]uo  nuinial.  -  .\.  Diptyiiuc  au  Muséo  national  de  Flo- 
rence (Weshvood). 


ORFÈVRERIE  37 

«  La  sainte  Table,  dit  Paul  le  Silentiaire,  était  d'or  pur, 
étincelante  de  pierres  fines  et  d'émaux  incrustés.  Elle  repo- 
sait sur  des  colonnes  d'or,  tandis  que  quatre  colonnes  d'ar- 
gent doré  portaient  un  dôme  ou  ciborium  surmonté  d'une 
grande  croix  d'or.  » 

Et  nous  n'avons  pas  parlé  des  candélabres,  des  pyxides 
eucharistiques,  des  patènes,  des  vases,  des  lampadaires 
en  forme  de  couronnes  suspendues  aux  plafonds  par  des 
chaînettes,  le  tout  fait  en  métaux  précieux  et  rehaussé  de 
pierreries.  Il  est  vrai  que  des  descriptions,  comme  celles  du 
Liher  pontiflcalis  et  de  Paul  le  Silentaire,  nécessitent  quelques 
réserves;  qu'en  certains  cas  il  faut  entendre,  sous  le  nom  d'or 
et  d'argent,  des  feuilles  de  métal  appliquées  sur  des  noyaux 
de  bois.  Il  n'en  est  pas  moins  certain  qu'il  y  eut  dans  les 
basiliques  une  masse  énorme  de  travaux  d'orfèvrerie. 

Au  IV®  siècle,  ils  relevaient  de  la  tradition  hellénistique,  à 
qui  nous  devons  la  vaisselle  somptueuse  des  trésors  de 
Bernay,  Hildesheim  et  Bosco-Reale.  Indiquer  les  ateliers 
d'où  ils  provenaient  serait  impossible,  car  les  mêmes  procé- 
dés et  le  même  idéal  régissaient  tout  l'Empire  :  c'est  seule- 
ment à  partir  du  vi®  siècle  que  Byzance  accapara  l'industrie 
des  métaux  et  la  marqua  d'une  empreinte  facilement  recon- 
naissable. 

Nous  nous  bornerons  donc  à  citer  ici  des  œuvres  de  l'orfè- 
vrerie religieuse  antérieures  à  Justinien.  Rares  en  sont  les 
pièces  parvenues  jusqu'à  nous  :  elles  se  bornent  à  peu  près 
uniquement  à  des  coffrets,  parmi  lesquels  doit  être  mention- 
née spécialement  une  pyxide  du  Vatican  provenant  de 
Numidie  et  dont  le  décor,  probablement  du  v®  siècle,  est 
tout  inspiré  du  symbolisme  basilical  :  un  saint  dans  le  ciel 
représenté  entre  deux  cierges  et  à  qui  la  main  de  Dieu  tend 

".3 


38  LES   ARTS    INDUSTRIELS 

la  couronne,  la  montagne  de  Sion  surmontée  du  monogranmie, 
es  fleuves  où  viennent  se  désaltérer  le  cerf  et  la  biche,  les 
palmiers  de  Judée  et  les  agneaux  sortant  des  villes  saintes 
(PÉRATÉ,  fig.  253).  Un  tel  objet  ne  démontre  pas  un  niveau 
d'art  bien  élevé  dans  la  pratique  des  arts  industriels,  mais 
l'iconographie  en  est  intéressante  1. 

Le  chef-d'œuvre  de  l'orfèvrerie  religieuse  au  iv®  siècle  est 
le  coffret  de  Saint-Nazaire,  de  Milan,  où  les  figures,  dit  M.  de 
Mély  ^  sont  exquises  dans  leur  mièvrerie  délicate.  La  pensée 
chrétienne  y  laisse  intacts  la  technique  des  anciens  et  leur 
sentiment  de  la  forme  ;  elle  en  tire  toute  sa  beauté 
(pi.  XXXI). 

On  ne  peut  mettre  en  parallèle  pour  la  même  époque  que 
le  coffret  de  noces  de  Secundus  et  Projecta,  au  Musée  bri- 
tannique. L'inscription  en  est  chrétienne  :  «  Secundus  et 
Projecta,  dit-elle,  vivez  en  paix  dans  le  Christ.  »  Or,  la  déco- 
ration, exécutée  par  un  véritable  artiste,  offre,  sur  le  cou- 
vercle, la  naissance  de  Vénus,  des  Néréides  et  des  Amours,  sur 
la  paroi,  des  musiciennes  (Kaufmann,  Manuel,  fig.  205). 
C'est  là  une  inconséquence  comme  il  y  en  eut  beaucoup, 
sans  doute,  chez  les  nouveaux  chrétiens.  Mais  que  ces  figures 
ont  de  grâce  et  comme  la  perfection  du  métier  accompa- 
gnait fidèlement  le  souvenir  des  anciennes  compositions  ! 
Plus  tard,  quand  Byzance  fournira  d'orfèvrerie  le  monde 
entier,  nous  trouverons  peut-être  plus  de  richesse  et  d'éclat, 
jamais  autant  de  charme  vivant. 

Verrerie.  Comme  l'or  et  l'argent,  le  verre  pouvait  servir 
à  exécuter  des  objets  de  luxe.  Les  Romains  savaient  le  couler 

1.  Cf.  Venturi,  I,  fig.  450-452;  Dom  Leclercq,  Manuel,  II,  p.  402 
et  suiv. 

2.  Monuments  Piot,  t.  II,  p.  65-78. 


VERRERIE 


39 


FIG.  26. VASE 

A  RÉSEAU. 


pour  le  commun  en  formes  pratiques  et  peu  chères  ;  mais  ils 
exécutaient  aussi  des  pièces  de  choix  vraiment  luxueuses. 
Tels  sont  les  vasa  diatreta,  dont  la  panse 
ovoïde  est  ornée  d'un  réseau  de  mailles 
également  en  verre  et  adhérant  au  fond 
(fig.  26),  les  verres  gravés  à  la  pointe  ou 
taillés  à  la  roulette  (fig.  27).  Grâce  à  une 
connaissance  parfaite  des  effets  produits 
dans  la  coulée  par  certains  minéraux  soi- 
gneusement dosés,  ils  obtenaient  pour  leurs 
verres  toute  une  gamme  de  colorations 
différentes.  Ils  connaissaient  la  technique 
du  verre  peint.  Ils  employaient  l'or,  non 
au  pinceau,  comme  le  faisaient  les  Grecs, 
mais  sous  forme  de  feuilles  gravées  (D'après  Biuemner.) 
d'avance  et  enfermées  entre  deux  couches 
de  verre,  qu'on  soudait  après  coup.  Les  chrétiens  possé- 
dèrent des  verres  de  toutes  ces  catégories,  de  même 
que  la  grande  variété  d'objets,  plats,  vases  et  médailles, 
qu'on  faisait  au  moyen  de  pâtes  vitreuses. 

La  forme  du  can- 
thare  antique  était 
la  plus  usuelle.  Elle 
figure  sur  une  des 
fresques  de  Saint- 
Vital,  à  Ravenne. 
Rien  n'est  plus  sim- 
ple et  plus  élégant. 
Parmi  les  verres  gra- 
vés,  il  faut  citer 
comme  le  monument 


FIG.  27. 


VERRES  DES  CATACOMBES. 


40 


LES   ARTS    INDUSTRIELS 


le  plus  précieux  la  coupe  de  Podgoritza,  au  Musée  de  l'Ermi- 
tage (fig  28),  non  certes  que  le  travail  en  soit  beau  :  c'est  une 
œuvre  de  barbares,  mais  l'époque  en  est  ancienne  (ive  siècle) 

et  l'iconographie  des 


plus   riches.     On     y 
reconnaîtra    Jonas, 
Adam  et  Eve,  Lazare, 
M  oï  s  e     frappant    le 
rocher,     Daniel,     les 
trois  jeunes  Hébreux 
dans  la   fournaise, 
Suzanne,  et,  au  cen- 
t r e,  le   sacrifice 
d'Abraham.    Les 
inscriptions  elles-mê- 
mes ont  leur  impor- 
tance. Au-dessus    de 
la   scène    du   rocher 
d'Horeb,    on   lit  : 
«  Pierre    frappe    le 
rocher;  les  eaux  commencfent  à  courir.  »  N'est-ce  pas  la  repro- 
duction d'un  symbole  dont  nous  avons  vu  déjà  la  fortune? 
N'est-il  pas  curieux  aussi  de  trouver  ces  phrases  :  «  Jonas 
est  délivré  des  entrailles  du  monstre  ;  Suzanne  de  la  calom- 
nie; Daniel  de  l'antre  des  Uons;  les  trois  enfants  de  la  four- 
naise ?  »  Ce  sont  les  termes  mêmes  des  plus  anciennes  liturgies 
funéraires. 

Il  est,  au  musée  chrétien  du  Vatican,  de   remarquables 
verres  taillés. 

Mais  ce  sont  les  verres  dorés  qui  méritent  le  plus  de  retenir 
notre  attention.  Le  nombre  de  ceux  que  nous  avons  conser- 


FIG.  28. COUPE    DE    PODGORITZA. 


Planche  XXXIII. 


CollicL  de  lirr-^cia,  iii-^cmMi-  il  <lcUiil  (pliot      \Iinari), 


VERRERIE 


41 


FIG.  29. VERRE    DORÉ. 

INTRODUCTIO    DE   PEREGRINA 


vés  dépasse  quatre  cents.  Ils  ont  été  presque  tous  retrouvés 
dans  les  cimetières,  collés  au  plâtre  des  loculi,  en  sorte  qu'on 

peut  déterminer  assez  facilement 
les  limites  chronologiques  de  leur 
fabrication.  Les  plus  anciens  ne 
remontent  pas  au  delà  du  iii®  siè- 
cle. On  n'en  connaît  pas  qui  soient 
Il  plus  tardifs  que  le  commencement 
du  V®.  Leur  ensemble  est  donc 
d'une  date  par  elle-même  impor- 
tante. Enfin,  les  compositions 
gravées  ou  découpées  que  mon- 
trent ces  feuilles  d'or  sont  variées 
au  point  de  constituer  une  sorte 
de  sommaire  de  l'iconographie  cimétériale.  On  comprend  de 
quel  secours  elles  sont  pour  l'interprétation  des  fresques, 
quelle  source  inestimable  elles  constituent  pour  compléter  le 
corpus  des  images,  famihères  aux  premiers  chrétiens,  dont 
les  peintures  cimétériales,  trop  souvent  détruites  ou  encore 
inconnues,  n'offrent  point  l'en- 
tière intégrité!  C'est  ainsi  que 
nous  y  trouvons  :  Joseph  dans  la 
citerne,  le  retour  des  espions 
du  pays  de  Chanaan,  le  martyre 
d'Isaïe,  la  vision  d'Ézéchiel, 
Daniel  empoisonnant  le  dragon, 
de  nombreuses  scènes  de  la 
vie  du  Christ  et  des  saints 
(fig.  29  et  30).  Au  surplus,  il  est 

-I_^     oX^:^^      A  J         '  •  Ï^IG.  30.  VERRE   DORÉ. 

des  séries  de  verres  dores  qui 

.  ^  SAINT     PIERRE     PRAPPANT     LE 

doivent  beaucoup  à  l'imitation  hocher. 


42  LES  ARTS  INDUSTRIELS 

des  sarcophages  et  des  mosaïques.  Tout  se  tient  dans  les 
monuments  de  l'art  chrétien  primitif.  Au  pomt  de  vue 
artistique  il  y  a  des  verres  à  fond  d'or  qui  témoignent 
sinon  d'un  haut   sentiment  de  la  beauté,  du  moins  d'une 


p.jG,  31.  LAMPES  CHRÉTIENNES  EN  TÈRRÊ  CUITE.    (D'aplès  Leclercq.) 

habileté  étonnante.  C'est  à  ce  titre  que  nous  citerons  ici  la 
coupe  de  Cologne  (iv^  siècle),  avec  sa  suite  de  compositions 
bibliques  (Leclercq,  Manuel,  II,  fig.  327),  et  le  médaillon 
de  Brescia,  représentant  Galla  Placidia  et  ses  enfants 
(Venturi,  I,  fig.  333)- 


Terres  cuites.  —  A  côté  des  verres  ordinaires  ou  de  luxe, 
de  ceux  qui  faisaient  partie  du  matériel  domestique  ou  du 
mobilier  religieux,  l'industrie  de  la  terre  cuite  a  laissé  un 


TERRES  CUITES 


43 


nombre  énorme  d'objets  marqués  de  signes  chrétiens.  Ce 
sont  des  vases,  des  plats,  la  plupart  sans  valeur  artistique, 
car  les  procédés  savants  de  la  céramique  antique  étaient 
complètement  oubliés,  des  «  ampoules  à  eulogies  »,  c'est-à- 
dire  des  flacons  où  l'on  conservait 
l'huile  sainte  prise  aux  lampes  des 
sanctuaires  vénérés.  On  fabriquait  en 
terre  cuite  des  cachets,  des  figurines 
pieuses.  Des  cercueils  furent  faits  de 
cette  matière.  Et  surtout  ce  fut  une 
industrie  importante  que  celle  des  lam- 
pes d'argile,  tournées  à  la  mode  antique 
et,  comme  auparavant,  décorées  de 
reliefs.  Les  plus  anciennes  sont  les  plus 
belles,  étant  moulées  avec  soin,  de 
terre  bien  épurée,  avec  des  parois  min- 
ces et  lisses,  parfois  glacées  (fig.  31). 
On  les  reconnaît  encore  à  ce  que  la 
queue  est  à  pans  coupés  et  forée.  Une  des  premières  repré- 
sentations qu'elles  aient  portées  est  celle  du  bon  Pasteur, 
image  si  fréquente,  prêtant  si  peu  à  la  suspicion  qu'on 
possède  une  série  de  lampes  à  son  efiigie,  exécutée  dans  une 
officine  païenne,  celle  des  Anniser  1.  A  partir  du  iv®  siècle, 
les  symboles  chrétiens  se  multiplient  sur  les  lampes  et  for- 
ment un  nouveau  trésor  d'images,  mais  le  métier  diminue 
de  qualité  et  l'art  ne  compte  plus  pour  rien  dans  ces  pro- 
duits courants  des  ateliers. 


FIG.    32.   LAMPE    DE 

BRONZE. 

(D'après  Leclercq,) 


I.  Voir  ce  mot,  Dictionn.  d'Archéol.  chrétienne,  I,  i.  L'inscription  sur 
une  des  lampes  que  nous  reproduisons  indique  le  nom  d'un  ouvrier, 
Augendus. 


44  LES  ARTS  INDUSTRIELS 

Bronzes.  —  Infiniment  supérieures  en  beauté  technique 
sont  les  lampes  de  bronze,  destinées  à  être  suspendues  par 
des  chaînettes  ou  qu'on  posait  soit  sur  une  table,  soit  sur 
un  pied.  La  figure  ci-contre  en  représente  un  modèle  remar- 
quable (fig.  32). 

Au  reste,  toutes  ces  petites  industries,  et  notamment  la 
verrerie  et  la  céramique,  ne  pouvaient  produire  que  des 
objets  sans  grande  prétention;  heureusement,  il  est  deux 
matières,  le  bois  et  l'ivoire,  par  lesquelles  l'art  chrétien  pro- 
longea sa  carrière  artistique. 

Ivoires.  —  Jetons  et  tessères,  ornements  fixés  aux 
meubles  ou  bibelots  d'étagère,  ce  sont  là  des  pièces  intéres- 
santes à  plus  d'un  titre,  mais  qui  sont  ordinairement 
médiocres.  L'art  digne  de  ce  nom,  vrai  miroir  de  la 
tradition  en  son  développement  chronologique,  c'est  dans  les 
diptyques  et  les  coffrets  d'ivoire  que  nous  allons  le 
contempler. 

On  sait  ce  que  sont  les  diptyques  :  deux  tablettes  réunies 
par  des  charnières  ou  des  cordons  et  s' ouvrant  comme  un 
livre.  La  surface  intérieure  de  ces  diptyques  était  enduite 
d'une  mince  couche  de  cire,  sur  laquelle  on  écrivait  à  la 
pointe  du  style  ;  les  deux  «  pages  »  couvertes  de  caractères,  il 
était  facile,  au  moyen  du  style  retourné,  de  les  rendre  lisses  à 
nouveau.  C'était  donc  là  un  objet  usuel,  un  «  carnet  de 
poche  »  comme  on  l'a  dit,  qui  ne  manquait  à  aucune  per- 
sonne de  quahté.  Un  moment  vint  sous  l'Empire  —  on  peut 
spécifier  le  miheu  du  ii©  siècle  —  où  l'on  en  fit  un  objet  de 
luxe  destiné  à  servir  de  cadeau.  Les  particuliers  commé- 
moraient ainsi  d'heureux  événements  de  famille  et,  notam- 
ment,  les  fiançailles,  les  mariages.  Les   fonctionnaires  en 


IVOIRES  45 

faisaient  le  souvenir  de  leur  élévation  graduelle  dans  la  car- 
rière des  honneurs.  Les  consuls,  en  particulier,  à  partir  du 
commencement  du  v®  siècle,  n'oublièrent  jamais  d'en 
adresser  à  leurs  amis,  le  jour  où  ils  entraient  en  charge. 

De  là,  cette  série  de  diptyques  consulaires,  allant  du  v®  au 
IX®  siècle,  dont  chaque  exemplaire  est  daté  et  qui  présente 
une  suite  de  reliefs  si  précieux  pour  l'historien  de  l'art.  En 
effet,  ces  diptyques  portèrent  toujours  l'image  du  consul; 
et,  depuis  la  fin  du  v®  siècle,  cette  image  était  telle  qu'on 
voyait  le  haut  magistrat  présidant  aux  jeux  du  cirque  :  dans 
sa  main  levée,  il  tenait  la  mappa  circensis,  étoffe  phée  au 
moyen  de  laquelle  il  donnait  le  signal  de  l'ouverture  du  spec- 
tacle; dans  l'autre  main,  il  portait  le  sceptre  consulaire. 
Souvent  même,  on  représentait  sur  le  diptyque,  en  outre  du 
portrait  officiel,  quelque  épisode  des  jeux. 

Les  diptyques  de  Probien,  au  Musée  de  Berlin,  deProbus, 
à  la  cathédrale  d'Aoste,  de  FéUx,  à  la  Bibliothèque  natio- 
nale de  Paris  (Venturi,  I,  fig.  330-335),  le  diptyque  de 
Monza  (pi.  XXXII,2),  sur  lequel  on  voit  les  portraits 
d'Aétius,  de  sa  femme  et  de  son  fils,  sont  les  plus  impor- 
tants de  la  première  catégorie.  La  seconde,  où  le  consul 
préside  les  jeux,  commence  avec  le  diptyque  du  consul 
Boèce,  au  Musée  chrétien  de  Brescia  (pi.  XXXII, i). 

Il  n'est  point  de  chef-d'œuvre  en  cet  art  officiel.  Au  con- 
traire, combien  de  compositions  charmantes  parmi  les  dip- 
tyques de  particuliers,  objets  qui,  par  définition,  devaient 
être  beaux  et  que  les  riches  commandaient  aux  artistes  les 
plus  renommés!  Le  Musée  Mayer,àLiverpool,celuideBrescia, 
la  cathédrale  de  Monza,  le  Musée  britannique  (Venturi.  I. 
fig.  356-359)  en  possèdent  de  beaux  exemplaires.  Le  chef- 
d'œuvre  de  lasérieest  le  diptyque  nuptial,  dont  une  tablette 


46  LES  ARTS  INDUSTRIELS 

se  trouve  à  Paris,  au  Musée  de  Cluny,  et  la  seconde  au  Musée 
de  South-Kensington  à  Londres  (pi.  XXXII,3).  De  chaque 
côté,  une  femme  offre  un  sacrifice.  On  se  croirait  revenu  aux 
beaux  siècles  de  la  Grèce,  tant  ces  corps  robustes  de  jeunes 
femmes  ont  de  souplesse  et  de  grâce  naturelle.  La  fierté  de 
l'une,  abaissant  ses  flambeaux  et,  songeuse,  inclinant  la  tête 
vers  l'autel  allumé  !  La  noble  gravité  de  l'autre,  faisant  le 
geste  pieux  des  offrandes  !  Celle  de  Londres  s'enveloppe  dans 
l'étroite  harmonie  du  lin  qui  tombe  autour  d'elle  avec 
majesté  et  s'amollit  dans  les  flots  d'une  draperie  caressante. 
Ce  sont  deux  Grecques,  les  sœurs  tardives  et  vraiment  inat- 
tendues des  Victoires  athéniennes,  autrefois  occupées  aux 
apprêts  des  sacrifices  sur  la  balustrade  du  temple  d'Athéna- 
Victoire.  Il  est  vraiment  un  peu  mélancolique  de  penser  que 
les  ivoiriers  de  la  fin  du  iv®  siècle  étaient  capables  d'un  chef- 
d'œuvre  quand  ils  se  mettaient  à  la  remorque  du  passé  et 
que,  livrés  à  eux-mêmes,  ils  tombaient  vite  dans  le  médiocre. 
C'est  la  vraie  caractéristique  du  temps.  Il  n'est  de  haute 
beauté  que  par  le  secours  immédiat  des  artistes  disparus. 

L'autel  et  l'arbre  dont  les  branches  se  déploient  dans  le 
champ  font  souvenir  des  bas-reliefs  pittoresques  nés  à 
Alexandrie  et  imités  à  Rome  au  temps  d'Auguste.  L'œuvre 
provient  sans  doute  d'un  atelier  hellénique  :  nous  ne  la 
citons  ici  que  comme  modèle  d'un  genre  particulier  de 
monuments. 

Les  diptyques  nuptiaux  attestent  un  haut  degré  de  per- 
fection parce  qu'ils  sont  ornés  de  types  mythologiques,  pour 
lesquels  il  était  de  nombreux  exemples.  On  ne  s'étonnera 
donc  pas  de  trouver  inférieurs  les  diptyques  religieux,  dont 
la  décoration  nécessitait  une  composition  originale. 

A  partir  du  v®  siècle,  des  diptyques  consulaires  furent 


IVOIRES  47 

employés  par  le  clergé  aux  usages  liturgiques.  On  y  con- 
signait des  listes  de  personnes  vivantes  ou  de  défunts  dont 
le  prêtre,  du  haut  de  l'ambon,  devait  lire  la  suite  aux  fidèles. 
Plus  tard,  on  grava  à  même  l'ivoire  des  successions  épisco- 
pales,  des  formules,  des  oraisons.  Cet  usage,  tôt  répandu, 
fit  naître  les  diptyques  proprement  chrétiens,  c'est-à- 
dire  exécutés  pour  une  église  et  décorés  de  sujets  reli- 
gieux. 

Nous  touchons  ici  à  un  des  problèmes  les  plus  difficiles 
et  les  plus  captivants  de  l'archéologie  chrétienne  :  parmi  tant 
d'oeuvres  qui  se  ressemblent,  fabriquées  à  une  époque  où 
traditions  anciennes  et  tendances  nouvelles  se  touchent,  se 
pénètrent,  s'influencent  réciproquement,  comment  faire  le 
départ  de  ce  qui  revient  à  Rome,  à  Byzance  et  à  ces  pays  de 
Syrie  et  d'Egypte,  si  actifs,  si  originaux,  et  dont  le  rôle  dans 
l'évolution  de  l'art  chrétien  avait  été  longtemps  méconnu? 
Qu'on  nous  permette  de  réserver  toute  discussion  pour  le 
chapitre  où  nous  étudierons  les  œuvres  de  l'art  oriental.  Ici, 
nous  nous  contenterons  d'indiquer  un  principe  général  : 
tous  les  ivoires  qui,  par  la  facture,  la  composition,  le  choix 
des  sujets,  se  rattachent  étroitement  à  l'art  des  sarco- 
phages trouvés  à  Rome  en  si  grand  nombre,  peuvent  être 
considérés  aussi  comme  des  produits  de  fabrication 
romaine. 

Tel  est  le  diptyque  du  Musée  de  Florence  (pi.  XXXII,  4). 
D'un  côté,  Adam  apparaît  dans  le  paradis  terrestre,  mi- 
couché  sur  un  rocher,  parmi  des  arbres  verts  et  les  animaux 
de  la  création.  Nu,  dans  une  attitude  pleine  de  noblesse  et 
d'abandon,  le  regard  songeur,  il  évoque  le  souvenir  des  dieux 
helléniques.  Les  extrémités  des  membres  sont  massives,  les 
traits  du  visage  un  peu  gros.  Il  y  a  une  mollesse  excessive 


48  LES  ARTS  INDUSTRIELS 

dans  le  modelé  du  corps.  Mais  les  proportions  ne  sont-elles 
pas  bien  observées,  de  même  que  les  traits  généraux  de 
l'anatomie  musculaire?  Si  le  visage  manque  de  distinction, 
il  reflète  la  candeur  d'âme  et  l'intelligence.  On  reconnaîtra 
dans  la  pose  une  harmonie  de  lignes,  un  équilibre,  une 
ampleur  qui  sont  dus,  sans  conteste,  à  la  survivance  de 
l'idéal  classique. 

Le  revers  du  diptyque  montre,  superposées,  trois  scènes  de 
la  vie  de  saint  Paul,  d'après  le  chapitre  XXVIII  des  Actes. 
Il  prêche.  Il  montre  au  consul  Publius  et  aux  indigènes  de 
l'île  de  Malte  sa  main  mordue  par  une  vipère  et  restant 
insensible.  Il  guérit  le  père  de  Publius  rongé  par  la  fièvre,  et 
d'autres  malades.  Ce  qui  paraîtra  le  plus  remarquable  dans 
ces  petites  compositions,  ce  n'est  pas  tant  la  noblesse,  la 
majesté,  qualités  inhérentes  à  tous  les  types  inspirés  de  la 
tradition  gréco-romaine,  que  cette  vérité  d'expression,  cette 
vivacité  naturelle  des  attitudes  et  des  gestes,  par  quoi  l'ar- 
tiste indiquait  un  génie  nouveau,  le  désir  de  peindre  des 
caractères  par  la  manifestation  des  mouvements  de  l'âme. 
Et  ceci  clairement,  mais  sans  fièvre,  avec  la  conviction  bien 
romaine  qu'il  n'est  pas  de  beauté  dans  l'agitation.  Le  dip- 
tyque florentin  remonte  au  v®  siècle.  Il  est  d'un  maître.  Et 
ce  serait  le  plus  bel  ivoire  qu'ait  produit  l'art  chrétien  primi- 
tif en  Occident,  s'il  n'y  avait  pas  le  coffret  fameux  du 
iv«  siècle,  la  lipsanothèque  de  Brescia  (pi.  XXXIII),  ainsi 
nommé,  quand  on  tenait  pour  certain  qu'il  avait  contenu  des 
ossements  sacrés. 

En  réalité,  c'était  une  sorte  de  «  coffre-fort  »  où  l'on  con- 
servait les  archives  et  des  objets  précieux  de  la  basihque.  Ses 
quatre  faces  et  le  couvercle  étaient  couverts  de  plaques 
d'ivoire  aux  reliefs  nombreux  :  «  Tout  un  poème,  dit  Dom 


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IVOIRES  49 

Leclercq  ^  fait  d'épisodes  de  la  Bible,  sans  intention  mys- 
tique, d'ailleurs,  et  sans  unité  rigoureuse.  »  Le  Christ  en  était 
le  héros,  glorifié  en  des  scènes  auxquelles  l'artiste  avait 
réservé  la  plus  belle  place,  au  milieu  des  panneaux.  Seul  un 
épisode  de  la  vie  de  Pierre  occupait  le  centre  de  la  face  posté- 
rieure. Autour  des  épisodes  principaux,  des  plaques  disposées 
en  bordures  et  encadrements  montraient  les  médaillons  des 
apôtres  et  toute  une  suite  de  petites  compositions  inspirées 
des  sujets  familiers  aux  peintres  des  catacombes.  Ainsi 
avait-on  réuni  le  décor  symbolique  des  trois  premiers  siècles 
et  le  genre  historique  qui  fleurit,  comme  on  le  sait,  dès  après 
le  triomphe  de  l'Église.  Le  coffret  de  Brescia  est  une  œuvre 
de  transition,  comparable  à  certains  sarcophages,  déjà  étu- 
diés, où  luttaient  la  puissance  des  premières  traditions  chré- 
tiennes et  le  besoin  d'une  création  neuve. 

Le  coffret  de  Brescia  est  supérieur  aux  sarcophages;  le 
petit  bas-relief  taillé  et  poli  dans  l'ivoire,  aux  longues  com- 
positions sculptées  dans  la  pierre.  Au  iv®  siècle  déjà,  on 
maniait  mieux  le  burin  et  la  râpe  que  le  ciseau.  Par  là,  on 
manifestait  une  volonté  plus  hardie,  on  exprimait  une  âme 
supérieure. 

La  noblesse  des  figures,  dans  la  lipsanothèque  de  Brescia, 
a  été  souvent  célébrée  et  à  juste  titre,  comme  aussi  la  sou- 
plesse des  draperies,  la  beauté  des  attitudes.  Quoi  de  plus 
aimable  et  de  plus  majestueux  que  ce  jeune  Christ,  au  visage 
imberbe,  aux  longs  cheveux  bouclés?  Mais  ce  que  nous  admi- 
rons surtout,  c'est  la  sensibilité  de  son  âme,  tantôt  gonflée  du 
sentiment  de  la  puissance  et  tantôt  amollie  par  une  sorte  de 
douceur  mélancolique.  On  l'aime,  ce  Christ,  en  tout  sem- 

I.  Leclercq,  Dictionnaire  (Cabrol),  article  Brescia. 


50  LES  ARTS  INDUSTRIELS 

blable  aux  hommes,  privé  des  attributs  de  la  divinité,  même 
du  nimbe,  mais  divinisé  par  la  pureté,  la  noblesse.  Il  apparaît 
fraternel,  sachant  aimer  et  souffrir.  Devant  le  reniement  de 
saint  Pierre,  il  rêve  avec  tristesse  à  l'esprit  chancelant  des 
hommes.  En  toute  innocence,  le  cœur  ouvert,  il  s'offre  au 
jugement  prévenu  de  Caïphe.  Sur  Pilate,  se  lavant  les  mains, 
il  fait  monter  un  regard  plein  de  candides  reproches.  Et  c'est 
le  même  de  qui  émane  une  bonté  infinie  quand  il  guérit  les 
malades,  ressuscite  les  morts;  le  même  qui  rayonne  d'une 
indomptable  énergie  quand  il  proclame  la  Loi  nouvelle  au 
milieu  des  Docteurs.  Son  âme  haute  domine  toutes  les 
détresses,  toutes  les  colères,  toutes  les  pitiés.  Il  est  la  cause  de 
l'amour  et  de  la  haine,  du  doute,  de  l'orgueil,  du  dévouement, 
le  centre  de  tout  le  drame  humain  dont  l'artiste  a  su  rendre 
parfaitement  l'intérêt  pathétique.  L'art  chrétien,  dans  sa 
fleur  du  iv®  siècle,  est  pénétré  d'émotion.  Et  si,  comme  dans 
la  Upsanothèque  de  Brescia,  les  épisodes  historiques  sont 
encadrés  d'allégories  et  de  symboles,  si  le  drame  terrestre  de 
la  vie  du  Christ  s'accompagne  des  promesses  de  la  vie  future,, 
il  faut  noter  cela  encore  et  le  saluer  comme  une  des  plus 
belles  harmonies  d'art  et  de  morale  que  nous  devions  à  l'art 
chrétien. 

Il  est  une  infinité  d'autres  coffrets  d'ivoire  ;  mais  ils  sont  de 
date  postérieure  et  la  plupart  ressortissent  à  l'art  oriental  ^. 

Pierres  gravées.  Médailles.  —  Nous  n'avons  fait  nulle 
place,  dans  les  pages  qui  précèdent,  aux  pierres  gravées,  parce 
que  cet  art,  à  qui  la  Grèce  et  Rome  durent  des  merveilles,  ne 


I.  Nous  considérons  aussi  comme  un  travail  d'Orient  la  porte  de  Sainte- 
Sabine. 


MINIATURES 


5x 


donna  au  christianisme  que  des  objets  sans  beauté.  Leur 
importance  n'en  est  que  relativement  amoindrie,  —  on 
l'a  bien  vu  par  l'usage  que  nous  en  avons  fait  pour  l'in- 
terprétation des  fresques  cimété- 
riales,  —  mais  leur  ensemble,  au 
point  de  vue  esthétique,  n'est 
que  le  témoignage,  multiplié  à 
des  milliers  d'exemplaires,  de  la 
décadence  progressive  des  mé- 
tiers et  la  manifestation  du  goût 
luxueux,  mais  peu  déhcat,  des 
classes  opulentes  après  le  m®  siè- 
cle. On  en  pourrait  dire  autant 
des  monnaies  et  médailles.  Le 
fameux  médaillon  en  bronze  de 
la  Bibliothèque  vaticane,  repré- 
sentant, selon  des  types  fixés  très  tôt  et  que  la  tradition 
observa  toujours,  les  têtes  de  saint  Paul  et  de  saint 
Pierre  (fig.  33),  semble  bien  remonter  au  ii«  siècle. 


FIG.  33. MÉDAILLE  EN  BRONZE 

DE  LA  BIBLIOTHÈQUE  VATICANE. 


Miniatures.  —  Les  seules  productions  artistiques  qui 
méritent  encore  d'être  étudiées  sont  les  miniatures.  Elles 
apparurent  en  même  temps  que  les  beaux  manuscrits,  dès 
avant  l'édit  de  Milan.  Et  ce  fut  un  art  semblable  à  celui  des 
ivoires,  fait  d'imitation,  de  souvenirs  et  de  hardies  innova- 
tions. Toute  la  chronologie  artistique  se  reflète  en  elles.  Mais 
l'Occident,  il  faut  bien  le  dire,  ne  joua  qu'un  rôle  minime  dans 
son  premier  développement.  Du  moins,  n'est-il  guère  de 
belles  illustrations  dont  l'origine  ne  soit  contestée  à  Rome 
par  ceux  qui  connaissent  profondément  l'art  d'Alexandrie  et 


52  LES  ARTS  INDUSTRIELS 

de  l'Orient.  Nous  étudierons  plus  loin  les  œuvres  des  pre- 
miers miniaturistes  chrétiens. 

Conclusion.  —  Ce  que  nous  avons  considéré  jusque  main- 
tenant est,  à  proprement  parler,  l'aspect  chrétien  de  l'art 
romain,  sorte  de  Janus,  dont  les  deux  faces  avaient  une  res- 
semblance toute  fraternelle,  mais  qui  différaient  d'âge  et 
d'expression.  Car  la  chrétienne  était  plus  jeune,  moins 
robuste  peut-être  et  moins  fière,  comme  si  le  sang  dans  ses 
veines  avait  perdu  de  sa  force;  par  contre,  elle  était  plus 
naïve,  plus  passionnée,  et  son  âme,  aurait-on  dit,  se  laissait 
contempler  avec  plus  de  simphcité.  Que  pouvions-nous 
faire,  sinon  les  comparer?  Et  puisque  les  traits  étaient  de 
même  race,  le  sang  de  la  même  origine,  ne  fallait-il  pas  recon- 
naître et  mesurer  les  causes  auxquelles  était  due  la  diffé- 
rence, facile  à  constater,  entre  les  deux  physionomies? 

D'une  part,  nous  avons  indiqué  la  décadence  toujours 
plus  accentuée  des  métiers,  en  sorte  que  l'art  chrétien, 
comme  un  enfant  tard  venu,  chez  des  parents  trop  caducs, 
se  trouva  frappé  de  quelque  langueur  au  moment  même 
où  il  allait  tenter  de  grands  travaux.  Son  enfance  fut  obscure, 
sa  jeunesse  courte;  en  sa  maturité  il  était  déjà  vieux.  Mais 
au  cours  de  sa  carrière  un  peu  chancelante,  il  avait  eu  de 
magnifiques  sursauts  d'énergie.  Son  âme  était  ardente,  si 
ses  membres  étaient  débiles  ;  son  ambition  fut  haute  et  nous 
lui  devons  quelques  accents,  que  son  frère  plus  âgé,  plus 
sûr  de  ses  forces,  eût  été  incapable  d'exprimer. 

Tel  est  le  portrait  de  l'art  chrétien  en  Occident.  Mais  il  y 
manque  encore  un  caractère,  c'est  celui  d'un  certain  exo- 
tisme, dont  l'art  profane  porte  moins  que  lui  la  marque,  d'une 
sorte  de  cachet  étranger  jurant  un  peu  avec  sa  nature  fon- 


BIBLIOGRAPHIE  53 

cière.  Et  l'on  se  rappellera  ici  combien  de  fois  nous  avons  été 
amené  à  faire  des  réserves  sur  la  qualité  romaine  de  certaines 
œuvres  par  nous  décrites.  L'Orient,  disions-nous,  a  passé  par 
là.  Que  d'œuvres  nous  n'avons  pas  citées,  quoiqu'elles  le 
fussent  toujours  autrefois,  parce  qu'on  a  reconnu  leur  ori- 
gine étrangère  et  qu'on  les  a  enlevées  à  la  tradition  romaine  ! 
Parmi  celles  qui  étaient  romaines  de  technique,  combien 
dont  la  pensée  première,  l'idée-mère,  étaient  fleurs  d'Orient  ! 
Le  moment  est  venu  d'exposer  ces  problèmes.  Après  avoir 
montré  la  floraison  d'art  chrétien  dont  Rome  fut  le  centre, 
il  convient  d'explorer  les  régions  grecques  de  l'Asie- 
Mineure,  les  provinces  qui  faisaient  partie  des  anciens 
empires  d'Orient,  l'Egypte,  la  vaste  partie  de  l'Europe  sou- 
mise au  sceptre  de  Constantinople,  et  partout,  dans  ces  ter- 
rains depuis  longtemps  productifs  d'art  et  d'industrie, 
apprécier  le  fruit  des  semences  chrétiennes.  Nous  envelop- 
perons ces  études  diverses  sous  le  titre  collectif  d'Art  chré- 
tien primitif  en  Orient. 

BIBLIOGRAPHIE.  —  Sur  les  arts  industriels  dans  l'antiquité,  spécia- 
lement l'antiquité  romaine,  leur  technique  et  leurs  œuvres,  consulter 
l'ouvrage  de  H.  Bluemner,  Technologie  und  Terminologie,  4  vol.,  Leipzig, 
1879,  ou  mieux,  l'excellent  résumé  du  même  auteur.  Dus  Kunstgewerbe  im 
Altertume,  in-80,  Leipzig  et  Prague,  1885. 

Sur  l'orfèvrerie  antique  :  article  Cœlatura,  dans  le  Dictionnaire  des  Anti- 
quités grecques  et  romaines,  de  Daremberg  et  Saglio.  L'origine  et  le  carac- 
tère des  trésors  de  Hildesheim,  Bernay,  Bosco-Rcale  constituent  une 
question  très  importante,  même  pour  l'archéologie  chrétienne,  car  il  s'agit  de 
savoir  si  ces  œuvres  procèdent  de  l'art  alexandrin  ou  de  la  tradition  romaine. 
Voir  ScHREiBER,  Die  Alexandrinische  Torcutik,  Vienne,  1894;  Pernick 
et  WiNTER,  Hildesheimcr  Silberfund,  1901  ;  HIi:ron  de  Villefosse,  Le 
Trésor  de  Bosco-Reale  (Monuments  Piot,  t.  IV).  Cf.  Springer-Michaelis, 
Handbuch,  p.  239. 

Sur  les  libéralités  faites  aux  églises  romaines  •  Grisar,  op.  cit.  Un  nombre 
considérable  de  coffrets  chrétiens  en  argent  sont  publiés  et  décrits  par 

11,4 


54  LES   ARTS    INDUSTRIELS 

A.  Venturi,  op.  cit.,  I,  p.  549.  Sur  le  coffret  du  Vatican  :  G.-B.  de  Rossi^ 
La  Capsella  argentea  africana  offerta  al  summo  Pontefice  Leone  XIII  dal 
Card.  Lavigerie,  Rome,  1899.  Sur  le  coffret  de  Milan  :  F.  de  Mély,  Le  Cof- 
fret de  Saint-Nazaire  de  Milan  (Monuments  Piot,  t.  II). 

Le  meilleur  résumé  de  ce  que  nous  savons  sur  les  verres  et  lampes  de 
l'époque  chrétienne  est  celui  de  Kaufmann,  Handbuch,  p.  561-589. 
Lampes  :  J.-J.  Bachofen,  Rœmische  Grablampen,  Bâle,  1890;  J.  Finck, 
Formen  und  Stempel  rœmischer  Tonlampen  (Sitzungsberichte  d.  kônigl. 
bayr.  Akademie  der  Wiss.),  1900  (Étude  chronologique  des  lampes  chré- 
tiennes) ;  De  Waal,  Die  figuerlichen  Darstellungen  auf  altckristl.  Lampen 
Rœmische  Quartalschrift,  1895)  et  Fribourg,  1898.  Cf.  Leclercq,  Dic- 
tionnaire (Cabrol)  ,  article  Anniser.  Ampoules  :  voir  ce  mot,  Cabrol,  Dic- 
tionnaire. 

Sur  la  technique  des  verres  antiques  :  W.  Froehner,  La  Verrerie 
antique,  Paris,  1879.  Les  verres  dorés  ont  été  recueillis  par  Garrucci, 
Vetri  ornati  di  figure  in  oro,  Rome,  2^  édition,  1864.  Le  meilleur  travail 
d'ensemble  sur  cette  série  de  monuments  est  celui  de  H.  Vopel,  Die  alt- 
christlichen  Goldglaeser,  Fribourg,  1899. 

La  httérature  relative  aux  diptyques  en  particulier  et  aux  ivoires  en 
général  est  énorme.  Sur  les  diptyques  antiques,  consulaires  et  autres,  con- 
sulter Daremberg  et  Saglio,  axticle  Diptyque.  Pour  le  reste,  voir  la  biblio 
graphie  des  ivoires  d'Orient. 


L'ART  CHRÉTIEN  PRIMITIF 
EN  ORIENT 


CHAPITRE  XII 

LES  ORIGINES  DE  L'ART  BYZANTIN 


L'Orient  et  Rome.  Théorie  traditionnelle  des  origines  de  l'art  byzantin.  La 
Grèce  et  l'Orient.  Théories  de  M.  Strzygowski.  L'art  chrétien  en  Orient 
des  origines  à  Constantin,  Tombeau  païen  de  Palmyre.  Fresques 
chrétiennes  d'Alexandrie.  Sarcophages  asiatiques  du  iii^-ive  siècle.  Les 
débuts  de  l'architecture  chrétienne  en  Orient. 


L'Orient  et  Rome.  Théorie  traditionnelle.  On  ne  saurait 
nier  qu'en  ces  dix  dernières  années,  le  prestige  artistique  de 
Rome  n'ait  grandement  souffert.  Pendant  la  majeure  partie 
du  xix®  siècle,  on  avait  considéré  la  ville  impériale  comme  la 
principale  héritière  du  génie  hellénique,  la  gardienne  d'une 
tradition  qu'elle  aurait  d'ailleurs  vivifiée  de  sa  robuste  jeu- 
nesse. Victorieuse  du  royaume  de  Macédoine,  elle  s'était  polie, 
dès  le  II®  siècle  avant  Jésus-Christ,  au  contact  d'une  Grèce 
déchue  de  son  pouvoir,  mais  non  de  sa  culture  supérieure. 
Athènes  lui  communiquait  son  dernier  souffle  ;  Alexandrie  et 
les  cités  grecques  d'Asie-Mineure  l'instruisaient,  avant  même 
qu'elle  les  eût  soumises,  de  leurs  habitudes  luxueuses  et  de 
leurs  métiers  d'art.  Ainsi,  semblait-il,  l'âme  de  l'Hellade,  en 
quelque  sorte  dissoute  avec  le  fractionnement  de  l'empire 
d'Alexandre,  se  reconstituait  en  elle. 

Après  avoir  été  élève  obéissante,  elle  avait  manifesté, 
disait-on,  sa  propre  énergie.  Sous  le  principat  d'Auguste,  un 


58  ORIGINES  DE  L'ART  BYZANTIN 

art  s'était  élaboré  qui  devait  beaucoup  au  passé,  mais  qui 
était  original  par  la  façon  dont  ses  divers  éléments  s'étaient 
fondus  ensemble.  On  y  reconnaissait  des  souvenirs  de  l'an- 
cienne civilisation  étrusque,  des  emprunts  nombreux  faits 
à  la  Grèce;  néanmoins,  ce  qui  paraissait  le  plus  éclatant, 
c'était  encore  le  génie  de  la  cité,  assez  puissant  pour  absorber 
en  lui  des  habitudes  différentes,  des  tendances  contraires  et 
leur  donner  le  cachet  d'une  majestueuse  unité.  Cet  art  fut 
appelé  «  impérial  ».  Là,  en  effet,  se  trouvait  son  principal 
caractère.  Ayant  commencé  d'imposer  par  son  ampleur  et 
sa  force,  il  était  destiné,  comme  l'Empire,  à  étendre  sa  domi- 
nation sur  le  monde  entier. 

Comment  aurait-on  pu  contester  à  Rome  le  pouvoir  créa- 
teur et  la  faculté  d'invention?  Était-il  une  architecture  sem- 
blable à  la  sienne?  Les  ordres  grecs,  elle  ne  les  avait  adoptés 
que  pour  en  faire  l'usage  qu'elle  préférait.  Le  corinthien  était 
devenu  sa  chose,  tant  elle  l'avait  développé  en  richesse.  Elle 
avait  créé  le  toscan.  Et  les  autres  ordres,  c'était  encore  en 
toute  indépendance  qu'elle  les  avait  fait  entrer  dans  son 
système  de  construction.  Ses  temples  rectangulaires,  tout  en 
prouvant  une  grande  fidélité  à  la  tradition,  affirmaient  leur 
désir  d'être  originaux.  Et  que  dire  des  édifices  à  coupole, 
comme  le  Panthéon,  des  vastes  nefs  voûtées  de  berceaux, 
comme  celles  de  la  basihque  de  Constantin,  et  surtout  des 
procédés  de  constructions  :  maçonnerie  en  briques  cuites, 
murs  épais,  armatures  en  cerceaux  appareillés,  blocages  noyés 
de  ciment  ?  Il  semblait  bien  que  Rome  ne  fût  redevable 
de  cela  qu'à  elle-même  et  que  le  reste  du  monde  en  fût  rede- 
vable à  Rome. 

De  même,  s'il  y  avait  une  sculpture  romaine  dont  l'ambi- 
tion n'allait  pas  plus  loin  que  pasticher  les  anciens  maîtres 


L'ORIENT  ET  ROME  59 

de  la  Grèce,  il  y  en  avait  une  autre,  qui  avait  su  rendre  avec 
une  admirable  plénitude  la  majesté  du  trône,  la  religieuse 
gravité  des  magistrats  et  des  pontifes,  la  mâle  rudesse  des 
soldats.  Elle  était  bien  nouvelle  celle-là,  par  l'ampleur,  la 
force,  souvent  la  dureté.  Et  l'on  pouvait  citer  à  bon  droit  la 
statue  d'Auguste  de  la  Prima  Porta  (Vatican),  les  camées 
célèbres  du  Musée  britannique  et  de  la  Bibliothèque 
nationale,  les  portraits  de  l'époque  des  Fia  viens,  et  toute 
cette  suite  de  bas-reliefs  qui,  de  l'Ara  Pacis  à  l'Arc  de 
Triomphe  de  Constantin,  constitua  l'image  plastique  la  plus 
merveilleuse,  la  plus  vraie,  qu'on  pût  donner  de  l'esprit 
romain  et  de  son  idéal. 

Les  fresques,  les  mosaïques,  le  décor  des  maisons  s'inspi- 
raient d'Alexandrie,  mais  d'une  Alexandrie  tout  hellénique, 
qui  semblait  transmettre  à  Rome  le  soin  de  répandre  ses 
conceptions  dans  le  monde.  Les  arts  industriels  étaient  pra- 
.tiqués  avec  une  habileté  sans  égale,  car  les  Romains,  bien 
plus  que  les  Grecs  du  temps  de  Périclès,  mettaient  au  service 
d'un  luxe,  devenu  indispensable,  toute  l'ingéniosité  des 
métiers. 

Bref,  au  regard  des  historiens,  Rome  était  la  ville  marquée 
par  le  destin  pour  résumer  en  elle  la  beauté  découverte  par 
tout  le  passé  d'Occident,  pour  la  féconder  de  sa  propre  pen- 
sée et  la  livrer  aux  régions  les  plus  reculées  comme  à 
l'avenir  le  plus  lointain. 

A  Rome  toute  influence  sur  les  régions  barbares  de  l'Occi- 
dent !  Le  Gaulois,  le  Celte,  le  Saxon,  le  Germain,  l'Ibère, 
tous  les  peuples  qu'elle  avait  soumis  des  bords  du  Rhin  aux 
bords  de  l'Ebre  s'étaient  inclinés  devant  sa  lumière.  A  ceux 
qui  lui  avaient  beaucoup  donné,  elle  avait  su  rendre  avec 
usure.  C'est  ainsi  que  la  Grèce  elle-même  s'était  couverte  de 


6o  ORIGINES  DE  L'ART  BYZANTIN 

monuments  romains.  Si  l'antique  mère  des  arts  s'était  ral- 
liée à  la  triomphante  beauté  de  Rome,  quelle  région  aurait 
espéré  s'y  soustraire?  Comme  Athènes,  on  pensait  que  les 
grandes  cités  d'Alexandrie,  d'Éphèse,  d'Antioche,  de  Séleu- 
cie  avaient  abdiqué.  On  reportait  donc  jusqu'en  Syrie  et 
jusqu'aux  contrées  éloignées  d'Asie-Mineure  la  ligne  impré- 
cise au  delà  de  laquelle  le  prestige  romain  perdait  ses  droits; 
à  Baalbek,  par  exemple,  dans  des  édifices  du  ii®  siècle  après 
Jésus-Christ,  l'architecture  de  la  métropole  se  mêlait  singu- 
hèrement  d'éléments  orientaux;  dans  des  provinces  loin- 
taines, comme  la  Phrygie,  la  Cappadoce,  c'était  une  indigence 
de  monuments  romains  qui  équivalait  à  peu  près  au  néant. 
Là,  l'Orient,  par  des  souvenirs  humbles,  mais  vivaces,  régnait 
en  maître. 

Voyez  donc  comme  il  était  facile  de  se  représenter  la  for- 
mation d'un  art  nouveau  en  Orient  aux  premiers  siècles  du 
christianisme.  Le  style  romain,  transporté  loin  de  son  foyer, 
s'était  contaminé  d'habitudes  étrangères;  lui  aussi  s'était 
enrichi  par  l'imitation  et  peu  à  peu  transformé.  D'ailleurs, 
un  autre  climat,  un  terrain  différent,  des  matériaux  inaccou- 
tumés l'avaient  amené  à  des  modifications  notables  dans 
ses  procédés  de  construction.  En  Asie-Mineure,  le  bois  était 
rare  et  l'on  faisait  servir  la  pierre  à  tous  les  usages,  aux  murs, 
aux  solivages,  aux  portes,  aux  armoires.  L'arcade  et  la  voûte 
y  jouaient  le  rôle  de  l'architrave  et  du  plafond  en  char- 
pente. Il  s'était  donc  étabh,  disait-on,  entre  les  plans 
romains  et  les  méthodes  de  construction  orientales,  une  sorte 
de  compromis.  Dès  le  ii^  s  ècle  de  notre  ère,  des  échanges 
mutuels  avaient  été  faits.  Les  manieurs  de  briques  cuites  et 
les  manieurs  de  moellons  réciproquement  s'étaient  instruits. 
En  sorte  qu'un  nouveau  style  s'était  élaboré,  qui  n'avait  pas 


L'ORIENT  ET  ROME  6i 

encore  de  nom,  mais  qui  participait  à  la  fois  de  Rome  et  de 
l'Orient,  et  que  les  circonstances  historiques  allaient  appeler 
à  une  gloire  imprévue. 

En  effet,  Constantin  ayant  transporté  le  siège  de  l'empire 
à  Byzance  (328),  l'art  romain,  plus  que  jamais,  avait  pris 
contact  avec  l'Orient.  Plus  que  jamais  aussi,  il  s'était  trans- 
formé; car,  dans  ce  milieu  qui  n'était  pas  celui  de  ses  origines, 
il  se  trouvait  peu  vigoureux  à  la  défense;  positivement,  il 
s'était  livré,  presque  inerte,  aux  opérations  que  lui  faisaient 
subir  les  architectes  de  l'Asie-Mineure.  De  là  était  sorti  le 
style  byzantin,  dont  les  traits  romains  ne  paraissaient  pas 
contestables,  mais  qui  témoignait  avant  tout  du  génie  inven- 
tif de  l'Orient.  Nous  pouvons  ajouter  ici  qu'on  expHquait 
d'une  façon  analogue  la  formation  de  l'art  roman,  à  l'autre 
extrémité  de  l'Europe  :  il  était  dû  avant  tout  au  contact  de 
la  tradition  romaine  et  des  habitudes  industrielles  des  nations 
barbares. 

Comme  cette  théorie  était  claire  et  complète,  pouvait-on 
croire,  et  logique  !  De  Vogiié,  qui  révéla  tout  ce  que  l'art 
chrétien  devait  à  la  Syrie,  n'en  connaissait  pas  d'autre.  L'ar- 
chéologue vraiment  admirable,  le  technicien  accompli  que  fut 
Auguste  Choisy  montra  que,  dans  l'architecture  byzantine, 
l'Orient  avait  bien  plus  donné  que  reçu,  mais  il  ne  songea 
pas  à  nier  la  collaboration  importante  de  Rome  dans  l'œuvre 
définitif.  Même  à  la  fin  du  xix®  siècle,  des  études  savantes 
contribuèrent  à  rehausser  encore  la  gloire  de  l'art  impé- 
rial. M.  Wickhoff,  étudiant  un  manuscrit  à  miniatures  du 
V®  siècle,  la  Genèse  de  Vienne;  Aloys  Riegl,  dans  une  suite  de 
travaux  remarquables  sur  le  bas-relief  et  les  arts  industriels 
romains,  protestaient  contre  le  dédain  en  lequel  la  ville  d'Au- 
guste était  tenue  par  les  archéologues  voués  au  culte  de  la 

II,  5 


62  ORIGINES  DE  L'ART  BYZANTIN 

beauté  grecque  des  grands  siècles.  Ils  proclamaient  Torigina- 
lité  de  Rome  dans  le  dessin  et  la  couleur  :  la  Grèce  n'avait 
pas  tout  dit,  tout  découvert.  Ils  faisaient  honneur  à  l'art 
impérial  des  bas-reliefs  pittoresques  attribués  aux  sculpteurs 
d'Alexandrie  et  datés  du  ii«  siècle  avant  Jésus-Christ,  comme 
aussi  de  tous  les  beaux  vases  d'argent  du  trésor  de  Bosco- 
Reale.  C'étaient  les  artistes  romains  qui  avaient  traduit  les 
premiers  la  nature  végétale  dans  toute  sa  fraîcheur  et  qui, 
pour  donner  l'illusion  de  la  réalité  dans  le  bas-relief,  avaient 
appliqué  certains  principes  de  perspective  aérienne.  On 
aurait  dit  que  Rome,  réhabiHtée  après  avoir  souffert  d'une 
longue  injustice,  allait  resplendir  d'un  nouvel  éclat. 

Disons-le  tout  de  suite  :  Wickhoff  et  Riegl  ont  pu  mettre 
en  lumière  des  qualités  romaines  dont  il  serait  puéril  de  nier 
l'existence  et  injuste  de  contester  l'originahté  ;  mais  ils  n'ont 
pas  gagné  le  procès  de  Rome  contre  Alexandrie.  Il  résulte 
d'un  long  débat  que  les  fameux  bas-reliefs  pittoresques  aux- 
quels nous  avons  fait  allusion  plus  haut  ^  furent  bien  exécu- 
tés dans  la  grande  cité  d'Egypte.  Ainsi  Rome  n'avait  fait 
qu'imiter.  Les  procédés  illusionistes,  le  souci  de  la  vérité 
vivante,  elle  n'en  avait  manifesté  le  goût  que  dans  le  temps 
où  elle  observait  les  préceptes  de  la  Grèce  hellénistique, 
c'est-à-dire  jusqu'à  la  fin  du  premier  siècle  après  Jésus-Christ. 
Au  surplus,  la  vraie  question  est  de  savoir  si  Rome  a  joué 
dans  le  premier  développement  de  l'art  chrétien  le  rôle 
qu'on  s'est  plu  à  lui  attribuer  jusqu'aujourd'hui. 

La  Grèce  et  l'Orient.  A  cette  question,  il  n'est  peut-être 
plus  un  seul  archéologue  versé  dans  les  études  orientales  qui 

I.  Voir  des  représentations  de  ces  bas-reliefs,  Collignon,  Sculpture 
grecque,  II  ;  Springer-Michaelis,  fig.  568,  569. 


LA  GRÈCE  ET  L'ORIENT  63 

ne  réponde  négativement.  Les  uns  fondent  leur  conviction 
sur  l'analyse  des  bas-reliefs  et  des  miniatures,  les  autres  sur 
l'évolution  de  l'architecture  religieuse,  et  tous,  à  la  suite 
d'un  leader  dont  la  science  et  la  hardiesse  sont  égales, 
M.  Strzygowski,  de  l'Université  de  Gratz,  font  entrer 
en  jeu  un  élément  d'appréciation  dont  les  anciens  érudits 
ne  soupçonnaient  pas  toute  l'importance  :  nous  voulons 
dire  l'art  hellénistique.  Non  pas  celui  que  Rome  avait 
incorporé  à  ses  monuments  et  qui  avait  perdu  ainsi  son  origi- 
nalité primitive,  mais  celui  qui  n'avait  cessé  de  fleurir,  depuis 
Alexandre,  aux  rivages  orientaux  de  la  Méditerranée  et  qui, 
après  avoir  enrichi  le  patrimoine  romain,  avait  conservé 
intacte  toute  sa  vitalité. 

De  quel  droit,  en  effet,  avait-on  supposé  que  la  Grèce,  avec 
son  art  et  ses  institutions,  était  morte  aux  premiers  siècles  de 
l'ère  chrétienne?  Morte  était  Athènes,  ou  du  moins  évanouie 
dans  le  rayonnement  de  la  puissante  ville  d'Occident.  Morte 
peut-être  aussi  la  Grèce  propre,  dont  Ja  terre  était  appauvrie, 
le  peuple  las;  mais  telle  n'était  pas  la  situation  en  Afrique  et 
en  Asie.  La  sève,  qui  faisait  défaut  au  tronc  du  vieil  arbre  hel- 
lénique, affluait  encore  dans  ses  rameaux  lointains  d'Orient. 
Ni  Alexandrie,  ni  Pergame,  ni  Antioche  n'avaient  abdiqué 
en  faveur  de  Rome,  bien  que  Rome  les  eût  assujetties. 
Qu'importait  la  conquête  ?  Ces  grandes  cités  n'en  persis- 
taient pas  moins  à  cultiver  leurs  anciennes  traditions.  Rome, 
auprès  d'elles,  n'était  qu'une  étrangère,  à  laquelle  on  ne  pou- 
vait refuser  d'obéir,  à  laquelle  même  on  obéissait  facilement, 
car  son  administration  était  un  modèle  d'ordre  et  de  fermeté, 
mais  dont  la  civilisation  était  trop  neuve  pour  qu'elle  sup- 
plantât tout  à  coup  celle  que  les  diadoqucs  avaient  fondée. 

Alexandrie  échpsait  toute  ville  rivale.  Elle  avait  introduit. 


64  ORIGINES  DE  L'ART  BYZANTIN 

comme  nous  l'avons  vu,  le  pittoresque  dans  la  peinture 
murale  et  le  bas-relief,  de  telle  façon  que  chaque  détail  fût 
empreint  de  vérité  et  que  la  composition  générale  fût  aimable 
à  force  de  fantaisie;  à  côté  des  figures  souveraines  consa- 
crées par  la  tradition  grecque,  elle  avait  fait  place  au  réalisme 
des  types  populaires  et  c'était  elle  qui  avait  mêlé  aux  dieux 
et  aux  hommes,  avec  une  hardiesse  insoupçonnée,  les  per- 
sonnifications et  allégories.  Pour  tout  ce  qui  concerne  l'art 
décoratif,  les  régions  voisines  du  bassin  oriental  de  la  Médi- 
terranée n'avaient  donc  que  faire  des  leçons  de  Rome.  Mais 
cela  signifie-t-il  que  l'influence  de  la  grande  cité  sur  l'art 
chrétien  d'Orient  ait  été  nulle?  Peut-on  admettre  qu'ayant 
tout  reçu,  elle  n'ait  rien  donné  en  retour?  Elle  se  contenta, 
dit  M.  Strzygowski,  le  terrible  adversaire  du  génie  romain, 
de  conférer  la  «  mine  impériale  »  au  patrimoine  qu'elle  tenait 
de  la  Grèce,  d'Athènes  et  d'Alexandrie. 

Il  y  a  là  de  l'exagération.  Certes,  Rome  emprunta,  mais 
non  sans  faire  fructifier  le  trésor  des  autres.  Elle  imita,  mais 
comme  tous  les  peuples  dont  les  ambitions  croissent  à  mesure 
qu'ils  se  développent,  comme  l'ItaHe  du  cinquecento,  la 
France  du  xvii®  siècle,  dont  on  ne  saurait  dire  sans  injustice 
que  les  monuments  sont  des  imitations  de  l'antique  avec  une 
mine  italienne  ou  française  i. 

La  vérité,  c'est  que  l'art  impérial,  pour  réelle  que  soit  son 
originahté,  n'intervint  pas  dans  les  affaires  artistiques  de 
l'Egypte  et  de  l'Asie-Mineure  comme  un  dominateur  irré- 
sistible, mais  comme  un  élément  étranger  dont  l'influence 
fut  la  plus  minime  de  toutes.  On  croira  difficilement  que  des 
constructeurs  aussi  experts  que  les  Romains  n'aient  rien 

I.  Mrs  Strong,  op.  cit.  Introduction. 


LA  GRÈCE  ET  L'ORIENT  65 

appris,  rien  suggéré  aux  architectes  orientaux  ou  grecs;  que 
l'administration  romaine,  toute  respectueuse  qu'elle  était 
des  usages  établis,  n'ait  pas  exercé,  et  cela  d'une  façon 
presque  mécanique,  une  certaine  influence  sur  la  vie  publique 
et  privée  et,  par  là,  sur  la  tradition  d'art  ;  mais  on  repoussera 
aussi,  parce  que  les  faits  le  commandent,  l'idée  d'un  compro- 
mis romano-oriental,  d'où  l'art  byzantin  serait  peu  à  peu 
sorti.  Il  faut  le  répéter,  c'est  la  tradition  grecque,  pure  de 
tout  alliage  romain,  qui,  au  commencement  de  l'ère  chré- 
tienne, régnait  en  maîtresse  sur  les  côtes  d'Asie-Mineure. 
Au  delà,  inébranlable  dans  ses  antiques  habitudes,  c'était 
la  tradition  orientale  remontant  jusqu'aux  Perses  Sassa- 
nides  et,  par  eux,  jusqu'à  l'Assyrie.  Et  ces  deux  traditions, 
depuis  des  siècles,  luttaient  affrontées,  avançant  et  reculant 
tour  à  tour,  hostiles,  et  pourtant  destinées  à  s'unir. 

Pendant  les  trois  siècles  antérieurs  au  Christ,  dit  M.  Strzy- 
gowski,  dont  les  vues  sur  ce  point  particulier  nous  paraissent 
pleines  de  raison,  la  Grèce  manifesta  un  pouvoir  d'expansion 
supérieur  à  celui  de  l'Orient  .qu'elle  fit  rétrograder  sans  cesse  ; 
au  contraire,  pendant  les  trois  premiers  siècles  après  Jésus- 
Christ,  l'Orient,  galvanisé  par  la  religion  nouvelle,  qui  émou- 
vait puissamment  son  âme  et  faisait  appel  à  son  activité, 
reprit  l'avantage  et  progressa  vers  la  Méditerranée.  Grâce  à 
l'unité  des  croyances,  des  besoins  religieux,  les  deux  civili- 
sations rivales  tendirent  à  se  fondre,  les  deux  traditions 
artistiques  à  s'associer  harmonieusement  dans  des  monu- 
ments d'aspect  nouveau.  Ce  sont  là  les  origines  de  l'art 
byzantin,  arrivé  à  son  plein  épanouissement  vers  le  miheu 
du  V®  siècle,  et  auquel  Constantinople  devait  donner  son 
cachet  définitif. 

Or,  tandis  que  la  Grèce  et  l'Orient,  la  première  représrntce 


66  ORIGINES  DE  L'ART  BYZANTIN 

par  Alexandrie  et  l'Asie  antérieure,  le  second  par  la  Syrie  et 
les  provinces  centrales  d'Asie-Mineure,  luttaient  ainsi  de 
prestige  et  d'influence,  Rome  ne  prenait  au  conflit  qu'une 
part  toute  restreinte;  elle  ressemblait  un  peu  à  un  specta- 
teur désintéressé.  Au  vrai,  ses  architectes  avaient  montré 
sur  les  rivages  d'Asie  quelques  adaptations  heureuses  de  la 
brique  cuite,  et  des  édifices  dont  la  masse  régulière,  solide, 
avait  la  valeur  d'un  exemple.  Mais  on  ne  l'avait  guère  com- 
prise, guère  imitée;  tandis  qu'elle,  au  contraire,  n'avait  cessé 
de  faire  profit  et  du  goût  éprouvé  des  Grecs  et  de  l'habileté 
des  Orientaux.  Après  la  fondation  de  Constantinople,  elle 
ne  tarda  pas  à  se  replier  vers  l'Italie,  où  était  le  vrai  terrain 
de  sa  pensée  et  de  ses  ambitions.  Nous  avons  vu  quel  avait 
été  son  œuvre.  Bien  que  l'Orient  l'y  eût  suivie,  elle  ne  s'était 
pas  laissée  conquérir;  son  génie,  reprenant  toutes  ses  forces 
au  contact  du  sol  natal,  avait  conservé  assez  de  fécondité 
pour  lui  assurer  la  prééminence  en  Occident. 

Il  est  vrai  que  M.  Strzygowski  lui  conteste  jusqu'à  cette 
dernière  gloire.  L'art  septentrional  de  l'époque  carolin- 
gienne et  de  l'époque  romane  procéderait  en  droite  ligne  des 
modèles  et  ateliers  orientaux;  l'influence  de  Rome  se  serait 
tôt  évanouie  au  nord  de  Milan  et  Marseille.  Erreur  ou,  du 
moins,  exagération,  croyons-nous,  car  si  l'Orient  a  exercé 
xme  forte  action,  pandant  le  haut  moyen  âge,  sur  les  arts 
industriels  et  la  décoration  des  pays  du  Nord,  il  resta 
impuissant  contre  la  tradition  essentiellement  romaine,  de 
l'architecture.  On  voit,  cependant,  combien  est  diminuée 
l'influence  qu'on  avait  accoutumé  d'attribuer  à  Rome  !  On 
se  représentait  la  ville  impériale  comme  la  métropole  uni- 
verselle des  arts,  à  parrir  d'Auguste;  c'était  un  soleil  qui 
projetait  sa  lumière  également  sur  tous  les  points  de  l'ho- 


DES    ORIGINES    A    CONSTANTIN  67 

rizon.  L'érudition  moderne  en  fait  une  élève  permanente  de 
la  civilisation  hellénistique,  et  de  l'Orient,  non  une  métro- 
pole, mais  une  ville  de  province.  Elle  ne  va  pas,  quoi  qu'on 
dise,  jusqu'à  lui  dénier  l'originalité,  mais  elle  constate  en 
son  art,  en  ses  édifices  les  plus  célèbres,  le  Panthéon  par 
exemple,  le  palais  impérial  de  Spalato,  des  emprunts  à 
l'étranger  qui  diminuent  singulièrement  sa  part  de  création. 
Pas  davantage  elle  ne  refuse  de  regarder  Rome  comme  la 
principale  institutrice  des  Barbares;  mais  elle  enlève  l'Orient 
à  sa  sphère  d'influence,  et  le  contact  romano-oriental  qui 
avait  eu  lieu,  disait-on,  en  Asie-Mineure  aux  premiers  siècles, 
elle  le  transporte  en  Italie,  dans  les  pays  du  Nord,  dans  tout 
l'Occident,  en  somme,  où  Rome,  contre  l'Orient  inlassable  à 
combattre,  eut  besoin  de  toutes  ses  forces  pour  se  défendre, 
et  cela  pendant  la  majeure  partie  du  moyen  âge. 

Le  terrain  perdu  par  la  ville  d'Auguste  en  ce  débat  archéo- 
logique a  été  gagné  par  la  Grèce,  trop  tôt  dépossédée  de  sa 
suprématie  artistique  en  Orient. 

L'art  chrétien  des  Origines  a  Constantin.  Malheu- 
reusement, nous  n'avons  presque  rien  conservé  des  œuvres 
chrétiennes  exécutées  dans  le  bassin  oriental  de  la  Méditer- 
ranée, avant  Constantin.  Les  cimetières,  dont  certains  sub- 
sistent, notamment  dans  la  banlieue  d'Alexandrie,  ont  beau- 
coup plus  souffert  qu'à  Rome.  Les  fresques  qui  s'y  trouvaient 
ont  généralement  disparu  et  si  l'on  peut  assurer  qu'elles 
étaient  nombreuses,  importantes  au  point  de  vue  de  l'exécu- 
tion et  des  sujets;  si  même  on  a  toute  raison  de  croire  qu'elles 
donnèrent  naissance  à  l'art  symbolique,  parvenu  dans  les 
catacombes  de  Rome  à  un  épanouissement  merveilleux,  c'est 
grâce  uniquement  aux  écrits  des  Pères  qui  en  font  mention. 


68  ORIGINES  DE  L'ART  BYZANTIN 

Nous  avons  vu  aussi  qu'en  Orient,  l'architecture  religieuse 
avait  fleuri  longtemps  avant  le  triomphe  de  l'ÊgUse;  mais 
aucun  de  ses  édifices  n'est  resté  debout.  On  pourra  donc  se 
demander  par  quel  excès  d'audace  ou  quel  abus  de  langage, 
il  est  parlé  d'un  art  chrétien  primitif  en  Orient,  avant  Con- 
stantin. A  quoi  nous  répondrons  que  les  textes  suppléent  aux 
monuments,  et  surtout,  que  les  œuvres  chrétiennes  du 
iv®  siècle  portent  clairement  l'empreinte  des  efforts  anté- 
rieurs. C'est  à  ce  dernier  point  de  vue  qu'il  faut  commencer 
l'étude  de  l'art  oriental. 

Et  d'abord,  nous  citerons  un  tombeau,  daté  de  259, 
retrouvé  à  Palmyre  (pi.  XXXIV,  i),  tombeau  païen,  il  est 
vrai,  mais  à  qui  ce  caractère  n'enlève  rien  de  son  impor- 
tance, puisqu'il  nous  montrera  en  Syrie  la  fusion  de  la  tra- 
dition hellénistique  et  de  la  tradition  orientale. Son  impor- 
tance fut  mise  en  lumière  par  M.  Strzygowski. 

Sa  forme  architectonique  est  celle  d'une  croix  dont  les  bras 
partent  d'une  chambre  centrale  et  sont  voûtés  en  berceau. 
Or,  ce  sera  plus  tard  le  plan  général  de  l'église  des  Saints- 
Apôtres,  à  Constantinople  (iv®  siècle),  du  mausolée  de 
Galla  Placidia,  à  Ravenne  (v®  siècle)  et,  à  une  date  intermé- 
diaire, de  l'égHse  des  Saints-Nazaire  et  Celse,  à  Milan.  Il 
est  vrai  que  ces  derniers  édifices  comportaient  l'érection 
d'une  ou  plusieurs  coupoles  (centre  et  bras  de  la  croix);  le 
plan  caractéristique  n'en  était  pas  moins  déjà  constitué  dans 
le  tombeau  de  Palmyre  et  nombre  d'autres  semblables  en 
Orient. 

La  décoration  de  ce  tombeau  était  grecque.  Qu'y  voyons- 
nous,  en  effet?  Achille  à  Scyros, parmi  les  filles  de  Lycomède  : 
et  l'on  dirait  une  fresque  de  Pompéï  ou  d'Alexandrie  ;  on 
penserait,  pour  un  peu,  à  tel  sujet  analogue  représenté  sur 


Planche  XXXV 


1.    lutéiic'iu    (\r  Saint Dcinctnus  .i  SaloiH«|ur 
Parcnzo.   (IMiol.   Hautes  I-Uiulrs,  Millet.) 


:.   n.isiiiqiH»  (le 


DES    ORIGINES    A    CONSTANTIN  69 

des  vases  attiques  à  figures  rouges.  En  dessous  de  la  lunette, 
décorée  comme  nous  venons  de  le  dire,  est  une  grecque  d'as- 
pect tout  classique  ;  sur  les  montants  qui  séparent  les  loculi 
les  uns  des  autres,  apparaissent  des  Victoires,  les  pieds 
posés  sur  des  globes  et  supportant  de  leurs  bras  levés  les 
médaillons,  où  sont  peints  les  portraits  des  défunts.  Tout, 
dans  ces  motifs,  indique  la  tradition  grecque. 

Que  rappellent  ces  médaillons,  sinon  les  fameux  portraits 
du  Fayoum  1,  qui  sont,  en  Egypte,  l'une  des  plus  belles  fleurs 
de  l'art  alexandrin  et  dont  la  plupart  remontent  à  la  période 
romaine  ?  Ces  Victoires,  au  geste  harmonieux,  aux  fines 
tuniques  de  lin,  dont  les  plis  menus  retombent  sur  la  ceinture 
et  enveloppent  le  corps  d'une  fluide  blancheur,  nous  pouvons 
dire  qu'elles  sont  filles  de  l'Ionie.  S'il  fallait  les  rattacher  à 
des  types  analogues,  nous  nommerions  la  Victoire  de  Cassel, 
les  figurines  de  Tarse  et  de  Myrina,  et  —  pourquoi  ne  pas 
remonter  plus  haut?  —  les  Néréides  de  Xanthos,  les  vierges 
merveilleuses  du  temple  de  la  Victoire-aptère,  par  lesquelles, 
avec  une  sûreté  absolue,  on  atteindrait  jusqu'à  l'œuvre  glo- 
rieuse de  Paeonios  de  Mendé,  la  Niké  d'Olympie.  Fortune 
probablement  sans  seconde,  l'art  chrétien  adopta  les  messa- 
gères de  l'Olympe  pour  en  faire  les  anges  de  son  paradis  ;  on 
en  retrouvera  le  type  dans  les  catacombes  de  Naples  (Kauf- 
mann,  p.  286,  pi.  90),  à  Saint- Vital  de  Ra venue  et  jusqu'à 
Sainte-Praxède  de  Rome  (ix®  siècle),  où  les  anges  ont  la 
forme,  le  vêtement,  la  fonction  et  l'attitude  des  Victoires 
palmyréniennes.  Dernier  détail  :  au  pied  des  montants  on 
distingue  des  lions  bondissant  sur  des  cerfs  qui  fuient;  ce 
motif,  familier  à  l'Orient  depuis  un  âge  très  reculé,  avait 

I.  Springer-Michaelis,  Handbuch,  p.  316,  pi.  VIII. 

II,  6 


70  ORIGINES  DE  L'ART  BYZANTIN 

passé  dans  la  décoration  grecque  dès  le  vu©  siècle  avant 
Jésus-Christ;  il  est  fréquent  dans  toutes  les  séries  de  vases 
ioniens.  Rome  elle-même  l'avait  adopté  pour  ses  mosaïques. 
Que  dire  de  plus?  Tout  prend  valeur  en  ce  tombeau  d'Asie.  Il 
n'est  pas  jusqu'à  la  voûte  avec  sa  juxtaposition  de  motifs 
géométriques  qui  n'indique  une  parenté  avec  certaines  tra- 
vées de  la  voûte  annulaire  de  Sainte-Constance  à  Rome. 

Une  seconde  œuvre  de  très  grand  intérêt  se  trouve  au 
cimetière  souterrain  de  Karmouz,  près  d'Alexandrie  (fig.  34). 
C'est  une  fresque  chrétienne,  malheureusement  très  dégradée, 
dont  la  date  peut  remonter  encore  au  m®  siècle.  On  y  recon- 
naît, de  gauche  à  droite,  les  noces  de  Cana,  la  multiplication 
des  pains  et  un  banquet  désigné  par  l'inscription  suivante  : 
ràç  euXoyiaç  tov  xP^utov  ïMovtîç,  :  «    Ceux  qui    mangent   les 
eulogies  du  Christ...  »  Le  banquet  ayant  Heu  au  dehors,  sur 
l'herbe,  on  ne  peut  penser  qu'au  paradis  et  à  la  table  céleste. 
Mais,  d'autre  part,  le  terme  d'eulogies,  qui  en  soi  signifie  : 
remercîments,  est  employé  par  les  Pères  du  iv®  siècle  pour 
désigner  l'Eucharistie.  N'est-ce  pas  l'indication  du  double 
symbole  que  nous  avons  cru  reconnaître  déjà  dans  certains 
repas  chrétiens  des  catacombes?  «  Au  point  de  vue  de  la 
composition,  dit  Dom   Leclercq   ^    la   fresque    est    pleine 
d'intérêt.  L'art  y  est  plus  naturel  et  plus  libre  qu'à  Rome. 
L'anatomie  de  la  femme  demi-nue  laisse  fort  loin  en  arrière 
les  Jonas  des  catacombes;  la  scène  offre  un  nombre  assez 
considérable  de  personnages,   celle  des  noces  de  Cana  n'a 
rien  omis  de  ce  que  le  texte  réclamait;  ce   qui  montre   un 
artiste  assez  à  l'aise  dans  son  talent  pour  remplir  le  cadre 
suivant   un   programme   interprété   librement,    mais   sans 

I.  Qa^roi.^  Dictionnaire  y  I,  i,  col.  1132. 


DES    ORIGINES    A    CONSTANTIN 


71 


éliminations.  Les  deux  scènes  de  droite  et  de  gauche  don- 
nent l'impression,  si  rare  dans  les  fresques  romaines,  d'un 
sujet  réaliste  traité  avec  le  goût  et  le  sentiment  de  la  nature. 
Les  figures,  les  attitudes,  les  mouvements  sont  bons;  ils 
témoignent,  autant  qu'on  en  peut  juger,  d'une  certaine 
science.  La  symétrie  de  la  composition  dans  son  ensemble 
et  celle  de  la  scène  centrale  prise  en  particulier  n'ont  rien  de 
guindé;  il  est  évident  que  le  choix  des  sujets  et  leur  interpré- 


FIG.    34.  FRESQUE    DE    KARMOUZ. 


tation  sont  voulus,  parce  que  l'habileté  de  l'auteur  lui  eût 
permis  une  autre  disposition.  » 

Ces  observations  très  justes  concordent  avec  ce  que  nous 
avons  dit  du  développement  de  l'art  romain  avant  et  après 
le  Christ.  Alexandrie  enseigna  également  la  Rome  d'Auguste 
et  la  Rome  de  Constantin.  Au  commencement  du  iv«  siècle, 
quoique  la  décadence  fiit  partout  sensible,  la  grande  cité 
hellénistique  l'emportait  encore  sur  la  métropole  occiden- 
tale, tant  le  sens  de  la  beauté  grecque  lui  était  plus  familier. 
Au  su  plus,  Alexandrie  elle-même  était  déchue  au  point  de 
vue  artistique.  C'est  en  Asie  surtout  que  s'élaborait  l'avenir 
de  l'art  chrétien. 

Nous  en  avons  trouvé  la  preuve  dans  la  fresque  de  Pal- 
myre.  Il  y  en  aurait  une  autre,  selon  M.  Strzygowski,  dans 
un  groupe  de  sarcophages  qu'il  date  du  iii®-iv«  siècle  et  dont 
.la  patrie  d'origine  serait  l'Asie-Mineure.  Les  plus  anciens 


72  ORIGINES  DE  L'ART  BYZANTIN 

sont  décorés  de  reliefs  païens  :  ce  sont  les  cuves  de  Sélefkieh, 
de  Konia,  de  la  villa  Ludovisi,  à  Rome,  du  palais  Riccardi, 
à  Florence,  des  fragments  du  musée  d'Athènes,  en  tout  une 
série  de  quelque  six  sarcophages  à  laquelle  vient  s'ajouter  un 
chef-d'œuvre  chrétien,  le  fragment  du  musée  de  Berlin,  qui 
fut  retrouvé  à  Psamatia,  près  de  Constantinople,  et  représente 
le  Christ  au  miUeu  des  Apôtres  (pi.  XXXIV,  2).  Que  ces  sar- 
cophages forment  une  famille  distincte,  cela  ne  fait  aucun 
doute.  Les  figures  sont  représentées  dans  des  entrecolonne- 
ments,  surmontés  d'arcades  ou  de  frontons  en  ressaut.  Les 
chapiteaux  des  colonnes  portent  des  dés  cubiques  qui  res- 
semblent à  des  restes  d'architrave,  non  à  des  impostes  néces- 
sitées par  l'harmonie  constructive.  Ils  ont  volutes  doubles  et 
sont  décorés  de  feuilles  stylisées  d'acanthe.  L'architrave  est 
bombée,  le  travail  de  décoration  exécuté  à  la  virole.  Autant 
de  caractères  qui  constituent  ce  groupe.  Mais  l'origine  asia- 
tique en  est-elle  prouvée  par  là?  De  bons  juges  le  nient,  car, 
de  ces  procédés,  il  en  est  dont  Rome  fit  régulièrement  usage  : 
nous  citerons  surtout  le  décor  architectonique  en  ressaut 
sur  le  fond.  Il  se  peut  donc  que  M.  Strzygowski  ait  dépassé 
la  mesure  en  considérant  ces  œuvres  comme  des  produits 
nécessairement  issus  de  la  main-d'œuvre  asiatique.  Nous 
croyons  cependant  avec  lui  que  Rome  n'inventa  pas  ce  type 
particulier  de  cuves  funéraires.  On  peut,  en  effet,  discuter 
sur  les  niches,  les  entrecolonnements,  l'architrave,  montrer 
que  Rome  n'était  pas  ignorante  d'un  pareil  décor  :  il 
n'en  reste  pas  moins  que  les  procédés  d'exécution  dans 
l'ornementation  des  chapiteaux  et,  notam.ment,  le  travail 
obtenu  par  la  virole,  sont  inconnus  dans  les  centaines  d'exem- 
plaires vraiment  romains  qu'on  trouve,  soit  dans  la  métro- 
pole, soit  dans  les  provinces  qui  en  dépendent.  L'acanthe 


DES    ORIGINES    A    CONSTANTIN  73 

n'avait  jamais  été  ainsi  stylisée  en  Occident.  En  fin,  comment 
contester  la  part  prééminente  de  l'Asie  dans  cette  série  de 
cuves,  quand  on  étudie  leurs  reliefs  au  point  de  vue  plas- 
tique? C'est  à  bon  droit  que,  dans  le  Christ  de  Berlin,  M.  Strzy- 
gowski  reconnaît  l'attitude  et  la  draperie  de  la  statue  de 
Sophocle  au  Vatican,  la  tête  bouclée  et  l'expression  songeuse 
de  l'Eubouleus  du  musée  d'Athènes.  Des  coïncidences  aussi 
frappantes  ne  peuvent  tromper.  Il  n'en  est  de  semblables 
dans  la  sculpture  romaine  ni  dans  le  bas-rehef,  ni  dans 
la  ronde-bosse.  Elles  ne  s'expliquent,  en  réalité,  que  par  la 
survivance  de  l'idéal  grec  sur  les  côtes  d'Asie-Mineure. 

Il  n'y  a  rien  de  spécifiquement  asiatique  dans  la  forme 
générale  des  sarcophages  que  nous  venons  de  citer,  rien  non 
plus  peut-être  dans  la  distribution  architectonique  de  leurs 
surfaces;  mais  l'exécution  du  décor  nous  paraît  grecque  et 
grecs  aussi  les  reliefs,  d'où  l'on  peut  conclure  à  leur  origine 
première.  Ce  sont  produits  de  l'art  hellénistique  toujours 
vivant  au  iv®  siècle  sur  les  côtes  de  l'Asie  antérieure,  et  monu- 
ments qui,  dans  les  origines  de  l'art  chrétien  en  Orient,  ont 
la  même  importance,  conduisent  aux  mêmes  conclusions 
que  la  fresque  de  Palmyre. 

Rome  eut  beau  exporter  ses  cuves  de  marbre,  établir 
peut-être  dans  les  villes  de  province  des  succursales  de  ses 
ateliers  :  l'Orient  grec,  en  cette  industrie  comme  en  toute 
autre,  garda  sa  personnalité.  Tout  porte  même  à  croire  qu'il 
réagit  avec  vigueur.  Une  œuvre  comme  le  sarcophage  de 
Junius  Bassus,  avec  son  rare  symbolisme  des  agneaux,  lui 
doit  sans  doute  beaucoup  de  sa  pensée.  Parmi  les  sarcophages 
de  la  ville  d'Arles,  si  exactement  semblables,  pour  la  forme  et 
la  technique,  aux  sarcophages  romains,  Edmond  Le  Blant 
notait  toute  une  série  de  sujets  qui  étaient,  à  son  avis,  em- 


74  ORIGINES  DE  L'ART  BYZANTIN 

pnintés  à  l'iconographie  orientale.  On  peut  donc  l'affirmer, 
malgré  une  essentielle  unité  due  à  l'influence  de  la  foi,  l'art 
chrétien  des  premiers  siècles  tendait  à  prendre  deux  physiono- 
mies différentes,  l'une  gréco-romaine,  l'autre  gréco-orientale; 
€t  l'avenir  devait  accentuer  encore  leurs  traits  particuliers. 
Cette  thèse,  généralement  admise  aujourd'hui,  il  faudrait 
la  démontrer  aussi  par  l'architecture; mais  ici  les  monuments 
font  défaut.  L'Asie-Mineure  abonde  en  ruines  d'édifices 
chrétiens,  et  ce  sera  la  gloire  de  ces  vingt  dernières  années 
de  les  avoir  dépouvertes  et  étudiées.  Grâce  aux  explorations 
archéologiques  et  aux  travaux  savants  qui  les  ont  suivies, 
il  est  possible  de  reconstituer  autrement  que  par  hypothèse 
la  longue  évolution  d'architecture  au  bout  de  laquelle  on 
trouve  l'église  de  Sainte-Sophie  ;  mais  encore  faut-il  l'avouer: 
de  tous  ces  édifices  retrouvés  en  Asie-Mineure  et  comparés 
«ntre  eux,  il  n'en  est  pas  un  dont  on  puisse  dire  avec  assu- 
rance qu'il  remonte  au  iv®  siècle.  En  concluera-t-on  qu'il 
n'est  rien  à  tirer  de  ces  études  sur  les  formes  les  plus  anciennes 
de  l'architecture  chrétienne  en  Orient?  Sur  ces  ruines  dont 
la  date  souvent  nous  échappe,  ou  bien  nous  ramène  à  une 
époque  assez  tardive,  faut-il  s'asseoir  découragé?  Certes  non  ! 
Les  points  de  repère  sont  nombreux  dans  les  monuments  qui 
précèdent  ou  qui  suivent  ce  iv®  siècle,  un  peu  obscur.  Beau- 
coup de  comparaisons  s'imposent  et  sont  lumineuses.  Des 
rapprochements  permettent  de  reconnaître  avec  vraisem- 
blance le  travail  d'élaboration  qui  s'est  accompli,  par  voie 
d'influences  réciproques,  aux  périodes  mêmes  qui  ne  nous 
ont  pas  laissé  d'édifices.  Il  importe  seulement,  ainsi  que  nous 
tâcherons  de  le  faire  dans  le  chapitre  qui  suit,  de  ne  point 
suppléer  aux  indications  qui  nous  manquent  par  des  raison- 
nements trop  hardis  ou  des  conclusions  trop  orgueilleuses. 


CHAPITRE  XIII 

LES  ORIGINES  DE  L'ART  BYZANTIN  (suite.) 


Constantinople.  Architecture  religieuse  de  Constantin  à  Justinien.  Palais 
de  Spalato.  Formes  hellénistiques.  Édifices  constantiniens.  Syrie  :  basi- 
liques et  octogones.  Asie  postérieure  :  basiliques  à  coupoles  et  en  forme 
de  croix.  Egypte  et  Tunisie.  Le  problème  de  la  coupole  et  des  contre- 
forts. Justinien  et  Sainte-Sophie  de  Constantinople.  Les  Saints-Apô- 
tres. Conclusion. 


Constantinople.  Nous  avons  vu  qu'à  une  époque  toute 
récente  encore,  beaucoup  d'historiens  voyaient  dans  la  fon- 
dation de  Constantinople  l'événement  qui  avait  le  plus  con- 
tribué à  répandre  les  idées  romaines  en  Orient.  On  s'imagi- 
nait volontiers  que  Constantin  avait  emmené  à  sa  suite  tout 
le  cortège  des  traditions  impériales  et  que  la  cour,  là-bas, 
parmi  les  Asiatiques  et  les  Grecs,  avait  représenté  le  prestige 
glorieux  du  romanisme.  En  quoi  l'on  commettait  une  grave 
erreur;  car  rien  ne  ressemblait  moins  à  un  mouvement  de 
propagande  occidentale  que  le  départ  de  la  cour  pour  les 
rives  du  Bosphore.  Il  n'était  pas  dû  davantage  à  une  fantai- 
sie passagère.  C'était  plutôt,  si  l'on  peut  tenir  pour  rivales  la 
civilisation  romaine  et  la  civilisation  gréco-orientale,  un 
passage  à  l'ennemi. 

En  vérité,  Constantin  abandonnait  Rome  au  passé,  le  sol 
italien  à  ses  destinées  modestes  et,  jugeant  que  la  partie 


76  ORIGINES  DE  L'ART  BYZANTIN 

orientale  de  l'empire  était  celle  qui  faisait  pour  l'avenir  les 
plus  brillantes  promesses,  il  venait  établir  son  trône  aux 
confins  de  l'Europe  et  de  l'Asie,  pour  les  recueillir.  Aussi 
bien,  il  était  bon  que,  dans  l'organisme  de  l'État,  le  siège 
du  pouvoir  suprême  fût  au  lieu  où  se  manifestait  la  plus 
grande  vitalité;  c'était  une  pensée  sage  que  d'associer,  aux 
robustes  énergies  et  à  l'activité  de  l'Orient  renouvelé  par  le 
christianisme,  le  plus  haut  symbole  de  l'autorité. 

Au  point  de  vue  politique,  Constantinople  ne  fut  jamais 
que  de  nom  la  capitale  de  l'empire,  celui-ci  étant  trop  vaste 
pour  ne  pas  se  fractionner  de  lui-même  en  régions  qui  avaient 
chacune  leur  métropole,  mais  elle  fut  réellement  la  capitale 
de  l'Orient  gréco-asiatique,  dont  elle  résumait  la  complexité 
morale  et  à  qui,  par  son  administration,  ses  magistrats,  ses 
lois,  elle  conférait  pour  la  première  fois  un  véritable  carac- 
tère d'unité  sociale.  Il  en  était  de  même  au  point  de  vue  reli- 
gieux. Le  patriarche  de  Constantinople  exerçait  un  pouvoir 
disciplinaire  qui  ne  laissa  pas,  en  plus  d'une  occasion,  de  se 
transformer  en  primauté  rivale  de  la  primauté  romaine.  Le 
schisme  religieux  fut  la  conséquence  directe  du  schisme  poli- 
tique accompH  par  la  fondation  de  Constantinople.  Enfin, 
cette  ville  que  la  volonté  d'un  homme  avait  fait  naître  et 
que,  par  conséquent,  le  poids  des  traditions  n'embarrassait 
pas,  se  développa  non  par  l'effet  de  sa  nature  intime,  mais 
sous  les  influences  concordantes  du  milieu  où  elle  était 
placée. 

N'est-ce  pas  un  fait  s5miptomatique  que  Constantin, 
une  fois  qu'il  résida  à  Constantinople,  réforma  l'administra- 
tion impériale  et  toute  la  hiérarchie  des  fonctions  pubhques, 
toute  la  nomenclature  des  titres  de  noblesse?  Il  établissait 
ainsi  les  fondements  d'im  nouveau  règne,  un  règne  tout  dif- 


Planche  XXXVI. 


'"'•'  ^ife^^ 


i     'i    (I 


I.  Hasili(|U(*  (le    lOiinnaniu.  - —  2.  Abside  do  la  Hasilitjiir  di*  Kall»- 

I.ou/.i'h.    (I")c'    \'(.)j4ii(.''.) 


Planche  XXXV'II. 


m 

••J 

É 

1^  -  - 

'1 

I.  I5asili(|iic  (le  I  )ii()ul(li,  aile  iionl.         z.  i:asiln|ur  «Ir  Uaoïilcl»,  ^  H' 
du  sud.  (IMiol.   Il;uil(.s  lùuiUs,  cliché  Hcll.) 


CONSTANTINOPLE  ^j 

férent  de  celui  des  anciens  empereurs  romains,  qui  aurait 
l'éclat  de  préférence  même  à  la  force,  qui  imposerait  par 
l'ordre,  mais  facilement  aussi  par  la  violence,  et  qui  surtout, 
étincellerait  d'un  tel  faste,  à  une  si  merveilleuse  hauteur,  que 
les  peuples  en  seraient  éblouis.  Façon  suprême  d'inculquer 
le  respect,  et  par  quoi  l'obéissance  dégénère  vite  en  servi- 
lité !  Conception  de  la  royauté  tout  orientale  !  Les  citoyens 
devinrent  des  sujets,  les  nobles  et  les  magistrats  des  courti- 
sans; le  prince  se  para  du  titre  de  Majesté;  sa  personne  et 
tout  ce  qui  touchait  à  sa  personne  furent  sacrés;  son  être 
eut  quelque  chose  de  divin.  C'est  sur  ces  principes  que  fut 
réglée  l'étiquette  de  la  cour.  Constantin  portait  le  diadème  ; 
ses  vêtements  étaient  couverts  de  pierreries;  son  trône  était 
d'or;  il  n'apparaissait  à  la  foule  que  rarement  et  comme  un 
dieu,  entouré  de  tout  le  prestige  de  la  puissance  et  de  la 
gloire. 

La  ville,  comme  le  prince,  adora  le  faste.  Elle  qui,  au 
début,  n'avait  pas  une  physionomie  bien  tranchée  avec  ses 
vieilles  maisons  grecques,  souvenir  de  Byzance,  et  ses  nou- 
veaux palais,  ne  tarda  pas  à  afficher  son  opulence.  Les  mai- 
sons de  luxe  s'y  multiplièrent  ainsi  que  les  grandes  construc- 
tions d'intérêt  public;  nulle  cité  au  monde  n'eut  des  églises 
plus  imposantes  et  plus  richement  décorées.  Grâce  aux  patri- 
ciens riches  y  faisant  résidence,  aux  dignitaires  de  la  cour,  à 
l'Empereur  qui  la  voulait  somptueuse,  elle  devint  très  tôt 
la  métropole  des  arts  en  Orient. 

Constantin  y  avait  accumulé  les  chefs-d'œuvre  de  la  sta- 
tuaire grecque;  les  maîtres  en  tous  métiers  en  firent  leur 
séjour  préféré;  de  telle  sorte  qu'elle  éclipsa  bientôt  les  villes 
hellénistiques,  Éphèse,  Séleucie,  Antioche.dont  elle  n'avait 
fait  tout  d'abord  que  refléter  l'éclat.  Avec  une  rapidité  qui 

II,   7 


78  ORIGINES  DE  L'ART  BYZANTIN 

tient  du  prodige,  elle  s'assimila  le  double  génie  de  rhellé- 
nisme  et  de  la  culture  orientale  et  il  en  sortit  un  art  vrai- 
ment neuf,  le  byzantin,  c'est-à-dire  un  composé  aristocra- 
tique de  pompe  et  de  majesté,  de  solennité  et  de  raideur,  de 
beauté  réglée  par  la  symétrie  et  de  grandeur  caractérisée  par 
la  richesse,  le  produit  d'une  ingéniosité  sans  seconde  au 
service  de  l'idéal  un  peu  artificiel  que  la  cour  avait  mis  à 
la  mode. 

Si  Constantinople  dut  sa  fortune  artistique  aux  leçons 
combinées  de  l'Asie  et  de  la  Grèce,  elle  ne  fut  pas  non  plus 
sans  exercer  une  notable  influence  sur  les  régions  dont  elle 
était  devenue  la  capitale.  Elle  concentrait  de  la  lumière; 
elle  en  renvoyait  aussi.  A  peine  née.  elle  s'associait  au  puis- 
sant travail  d'où  sortirent  les  œuvres  achevées  du  règne  de 
Justinien,  contribuant  ainsi  à  sa  propre  gloire.  Nous  en  tien- 
drons compte  dans  l'étude  des  anciens  monuments  religieux 
d'Orient. 

Architecture  religieuse  de  Constantin  a  Justinien. 
Jusqu'à  Constantin  et  même  sous  son  règne,  notons-le,  il  n'y 
avait  pas  entre  les  édifices  romains  et  ceux  d'Orient  des  dif- 
férences aussi  considérables  qu'on  pourrait  le  supposer. 
D'une  part,  Rome  devait  la  plupart  de  ses  formes  d'archi- 
tecture à  la  Grèce  hellénistique;  elle  avait  puisé,  encore 
qu'étrangère,  à  la  même  source  qu'Éphèse  ou  Antioche.  II 
n'y  aura  donc  rien  d'étonnant  si  nous  trouvons,  au  iv^  siècle, 
les  mêmes  édifices  ayant  des  formes  semblables  à  Rome,  à 
Éphèse  et  à  Antioche.  Ces  formes,  dans  l'un  et  l'autre  cas, 
procèdent  de  modèles  hellénistiques. 

D'autre  part,  l'Orient,  ainsi  que  nous  l'avons  dit,  avait 
propagé  au  loin  ses  modèles.  En  300,  le  palais  de  Spalato, 


ARCHITECTURE   RELIGIEUSE 


79 


avait  été  construit  pour  Dioclétien  sur  des  plans  orientaux  : 
l'enceinte  était  semblable  à  celle  des  palais  ninivites;  une 
coupole  décorée  de  mosaïques  sur  un  vestibule  d'honneur 
attestait  aussi  de  quel  pays  l'Empereur 
avait  fait  venir  ses  architectes.  Ainsi  l'Ita- 
lie, de  même  que  l'Asie  antérieure,  avait 
à  compter,  dès  le  commencement  du 
IV®  siècle,  avec  l'influence  orientale.  On 
comprend  mieux,  après  ces  observations, 
les  conflits  d'habitudes,  les  pénétrations 
réciproques  d'influences,  les  accommode- 
ments de  styles  dont  la  partie  orientale 
de  l'empire  devait  être  le  théâtre  à  partir 
de  Constantin.  Toutes  les  traditions  archi- 
tectoniques  du  monde  civilisé  s'y  rencon- 
traient. 

Et  d'abord,  Constantin  et  sa  mère, 
Hélène,  firent  élever  en  Palestine  des 
sanctuaires  aux  formes  déjà  consacrées, 
des  basiliques  et  des  rotondes  :  ce  fut 
l'église  du  Saint-Sépulcre  et  le  Martyrium 
construit  sur  le  Golgotha  —  édifices 
détruits  par  le  khalife  Hakem  en  1009, 
l'église,  encore  debout,  de  la  Nativité,  à 
Bethléem  (fig.  35).  De  ces  églises,  la  pre- 
mière était  de  plan  circulaire,  les  deux 
autres  de  plan  basilical.  Elles  différaient 
peu  des  monuments  chrétiens  élevés  à  Rome  dans  [c  même 
temps.  L'éghse  de  la  Nativité,  par  exemple,  a  un  atrium  et 
cinq  nefs  dont  celle  du  centre,  la  plus  longue,  se  termine  par 
une  abside.  Des  absides  également  sont  à  noter  aux  extré- 


FIG.  35. —  PLAN  DE 
LA  BASILIQUE  DE 
LA  NATIVITÉ,  A 
BETHLÉEM. 

('D'après  Leclercc].) 


8o  ORIGINES   DE  L'ART  BYZANTIN 

mités  du  transept,  seul  détail  par  quoi  cette  basilique  se 
distingue  des  ordinaires  églises  de  Rome. 

Dans  leur  nouvelle  capitale,  Constantin  et  Constance  firent 
édifier  les  basiliques  de  Sainte-Irène,  Sainte-Sophie,  refaites 
par  Justinien,  et  un  sanctuaire  en  forme  de  croix,  dont  l'in- 
fluence fut  grande  en  Asie-Mineure  :  les  Saint  s- Apôtres.  La 
basilique  des  Blachernes  était  due  à  l'impératrice  Pulchérie 
(414-453).  Saint- Jean  Stoudite,  l'actuelle  mosquée  de  Mir- 
Akhor,  date  de  463.  Et  c'est  également  au  v^  siècle,  qu'il 
faut  faire  remonter,  à  Salonique,  la  rotonde  de  Saint-Georges 
et  la  basilique  (pi.  XXXV,  i)  de  Saint-Démétrius  (Eski- 
Djouma). 

Que  les  rotondes  soient  nombreuses  en  Orient,  tout  ce  que 
nous  avons  dit  plus  haut  l'explique. Mais  on  pourra  se  deman- 
der comment  les  basiliques  y  apparurent  et  si  leur  présence 
n'indique  pas  un  emprunt  direct  à  l'architecture  romaine. 

Il  n'en  est  rien  :  la  basilique  s'organisa  en  Orient  au  moins 
aussi  tôt  qu'à  Rome.  Et  quelque  théorie  qu'on  adopte  au 
point  de  vue  de  son  origine,  qu'elle  procède  de  la  basilique 
privée  ou  de  la  maison  avec  son  atrium  et  son  péristyle,  il 
n'en  reste  pas  moins  acquis  que,  de  part  et  d'autre,  elle 
avait  été  engendrée  par  les  mêmes  formes  de  l'architecture 
hellénistique  1.  Basiliques  et  rotondes,  dit  M.  Millet  ^  «  appa- 
raissent en  même  temps  à  Rome  et  en  Orient.  Comme  Rome 
en  offre  les  exemples  les  plus  nombreux  et  les  plus  connus, 
on  est  porté  à  lui  en  attribuer  la  création,  mais  elles  ne  sont 


1.  La  question  de  savoir  si  le  terme  de  basilique,  dans  le  sens  de 
«  halles  royales  »  existait  à  l'époque  hellénistique  a  été  posée  à  nouveau 
par  G.  Leroux,  Bull.  Corr.  helL,  1909,  p.  238. 

2.  G. Millet, ^y^  byzantin,da.ns  A.  Michel,  Histoire  de  l'Art,  I,  i,  p.  139. 


ARCHITECTURE  RELIGIEUSE 


8i 


!■•  •  •     J 


pas  proprement  romaines.  Au  temps  de  Constantin,  elles 
étaient  déjà  familières  à  l'Orient,  et  M.  Strzygowski  a  pu 
reconnaître  en  elles  une  dernière  floraison  de  l'art  hellénis- 
tique. En  tout  cas,  elles  restèrent  pendant  deux  siècles  com- 
munes aux  deux  empires.  » 

«  L'Orient  hellénistique,  constate  encore  le  même  auteur, 
remplaça  peut-être  plus  vite  que  Rome  la  plate-bande  par 
des  arcades  au-dessus  des  colonnes;  il  eut  une  préférence 
marquée  pour  les  galeries  ménagées  sur  les 
bas-côtés;  dans  l'organisation  du  transept, 
fit  preuve  d'une  imagination  plus  libre.  »  Mais 
ce  ne  sont  pas  là  des  caractères  essentiels, 
suffisants  pour  faire  deux  familles  distinctes 
des  basiliques  romaines  et  des  basiliques 
élevées  au  iv®  et  au  v®  siècle  dans  le  domaine 
grec  de  la  Méditerranée  orientale,  de  la  Chal- 
cidique  à  l'Egypte.  Le  type  commun  aux 
unes  et  aux  autres  est  hellénistique,  on  le  ^^^-i^- 
trouve,  pour    ne    citer   que  ces  exemples,    à    ^,,^   ^^  ^^^^ 

■"■  ■*■  ^  Qui.      DE    SAGA' 

Aphrodisias,    Ancyre,     Pergame,     Sagalassos   lassos.  (D'ap. 

(fig.   36).  strzygowski.) 

Les  plus  notables  particularités  de  l'archi- 
tecture chrétienne  en  Orient  se  rencontrent  en  Syrie  et  dans 
l'hinterland  d'Asie-Mineure. 

La  Syrie  était  une  région  sensible  à  toutes  les  influences 
et  dont  les  édifices  procédèrent  successivement  de  modèles 
divers.  Nous  avons  cité  le  temple  de  Baalbek,  dû  à  l'art  hel- 
lénistique autant  qu'à  l'Orient.  Sous  la  domination  impé- 
riale, les  plans  romains  furent  généralement  adoptes.  Plus 
tard,  à  l'époque  du  Bas-Empire,  ce  fut  rAsie-Mineure  qui 
inspira  l'architecture  syrienne.  De  cette  évolution    un  peu 


PLAN 
DE    LA     BASELI- 


82  ORIGINES   DE  L'ART  BYZANTIN 

indécise  résulta  cependant  au  v^,  et  surtout  au  vi©  siècle,  une 
brillante  éclosion  d'édifices  chrétiens.  Ce  sont  principalement 
des  basiliques  :  Tafkha  (ive-ye  siècle) ,  Baqouza,  Tourmanin, 
Qualb-Louzeh  (pi.  XXXVI),  qui  ont  un  plan  harmonieux, 
vme  structure  robuste  et  desquelles  on  a  pu  affirmer,  non 
sans  raison,  qu'elles  avaient  fourni  des  idées  aux  construc- 
teurs occidentaux  de  l'époque  romane. 

La  plus  remarquable  de  ces  basihques  est  celle  de  Tourma- 
nin  (vi®  siècle) .  Sa  façade  est  caractérisée  par  un  narthex  en 
forme  de  coffre,  percé  d'une  large  porte  au  cintre  surbaissé, 
et  par  deux  tours  carrées  cantonnant  le  narthex.  Au-dessus 
de  ce  dernier,  on  remarquera  la  colonnade  —  si  hellénique 
d'aspect  —  et  le  fronton  éclairé  de  baies.  Les  architectes 
syriens,  on  le  voit  à  ces  particularités,  avaient  été  à  l'école  de 
la  Grèce  et  de  Rome;  mais  le  système  des  portes  et  fenêtres 
était  bien  oriental.  Plus  intéressante  encore  est  l'abside  des 
basihques  syriennes  avec  ses  modillons  rhomboïdaux  et  ses 
colonnettes  engagées  enserrant  l'hémicycle.  Ne  croirait-on 
pas  voir  le  chevet  d'une  église  du  xii«  siècle,  dans  la  Bour- 
gogne ou  l'Auvergne?  A  l'intérieur  ni  tribunes,  ni  transepts; 
point  de  voûtes,  mais  des  plafonds  parfois  faits  de  dalles.  On 
peut  l'affirmer,  si  les  maçons  syriens  firent  beaucoup 
d'emprunts  aux  modèles  étrangers,  ils  furent  néanmoins 
originaux,  grâce  à  leur  habileté  professionnelle,  à  l'intelli- 
gence qu'ils  avaient  de  la  construction  en  pierre.  La  basi- 
lique occidentale  était  d'une  beauté  médiocre,  géométrique; 
elle  était  le  produit  du  hasard  plutôt  que  le  résultat  d'un 
travail  ingénieux.  La  basilique  syrienne,  au  contraire, 
témoigne  d'un  admirable  effort  vers  la  clarté  et  la  force; 
effort  point  toujours  heureux,  d'ailleurs.  Elle  est  un  peu 
lourde  en  sa  solidité;  ses  proportions  sont  belles  et  se  font 


ARCHITECTURE   RELIGIEUSE 


83 


valoir  par  le  contraste  des  lignes,  l'opposition  des  masses; 
mais  sa  structure  a  quelque  chose  de  heurté.  Il  manque  des 
transitions  entre  ses  diverses  parties,  de  telle  façon  que,  sur 
un  plan  harmonieux,  s'élève  un  édifice  privé  d'unité.  C'est 
le  défaut  presque  fatal  des 
monuments  auxquels  des 
génies  trop  nombreux  et  trop 
différents  ont  collaboré. 
Quelle  énergie  pourtant  et 
surtout  quelle  physionomie 
originale  dans  cet  édifice  !  Il 
l'emporte  par  là  sur  les  basi- 
liques de  Rome  et  d'Occi- 
dent. 

On  rencontre  aussi  en  Syrie 
des  églises  circulaires  (Bosra), 
octogonales  (Wiranscher, 
Saint-Georges    d'Ezra),    des 

églises  en  forme  de  croix  avec,  au  centre,  une  rotonde 
(Kalat-Seman).  Nous  retrouverons  tous  ces  types,  avec 
beaucoup  d'autres,  en  Asie-Mineure. 

C'est  ici,  en  effet,  que,  du  iv®  au  vi®  siècle,  l'architecture 
religieuse  apparaît  le  plus  féconde.  La  basilique,  en  particu- 
lier, s'y  présente  sous  des  formes  étonnamment  savantes  et 
variées.  Le  type  hellénistique,  que  nous  avons  décrit,  avait 
bien  pu  se  propager  des  côtes  vers  l'intérieur,  mais  là,  en 
général,  il  s'était  profondément  modifié.  En  Cilicie,  Lycao- 
nie,  Isaurie  (pi.  XXXVIII  et  XXXIX).  la  basilique  est 
couverte  de  voûtes  en  pierre  soutenues  par  des  arcs 
doubleaux.  Là  est  l'importante  différence  :  d'un  côté,  les 
nefs   aux    plafonds    en    charpente;    de    l'autre,    les    nefs 


FIG,    37.    PLAN   DE    BASILIQUE 

A     BIN-BIR-KILISSÉ. 

(D'après   Strzygowski.) 


34 


ORIGINES  DE  UART  BYZANTIN 


voûtées  de  matériaux  appareillés.  Les  plans  eux-mêmes 
sont  différents  (fig.  37  et  38).  Si  la  basilique,  dans  l'Asie 
intérieure,  a  toujours  son  vaisseau  terminé  par  une  abside 

et  compte  assez  souvent  plusieurs  nefs, 
elle  remplace  en  façade  l'atrium  et  le 
narthex  par  un  porche  fermé,  percé 
d'arcades  et  flanqué  de  deux  tours  car- 
rées, ainsi  que  cela  se  faisait  également 
en  Syrie.  Disons  tout  de  suite  que  l' Asie- 
Mineure  semble  bien  avoir  en  cela 
donné  l'exemple  à  la  région  voisine. 
Et  c'eût  été  peu  pour  les  constructeurs 
orientaux  de  couvrir  la  nef  centrale 
d'un  berceau  longitudinal  :  ils  ména- 
gèrent, en  certains  cas,  une  travée 
carrée  devant  l'abside  et  en  firent  le 
point  d'appui  d'une  coupole  (Kuppel- 
hasilika)  ;  c'est  là  le  vrai  type  de  la 
basilique  en  Orient.  On  le  trouve  en 
germe  dans  l'église  de  la  Koimêsis,  à  Nicée  ;  il  est  tout  à 
fait  développé  à  Kodscha-Kalessi  (fig.  39),  en  Isaurie;  la 
région  d'Antioche  le  connaît,  comme  aussi  la  Syrie  (Kasr- 
ibn-Wardan);  par  la  côte,  il  gagna  Salonique  (Sainte- 
Sophie). 

Une  autre  forme  de  sanctuaire,  dont  le  centre 'd'élabora- 
tion paraît  bien  être  l'Asie  postérieure,  est  l'église  en  forme 
de  croix  (fig.  40),  surmontée  au  centre  par  une  coupole 
(Kreuzkuppelkirche) .  Nous  en  avons  déjà  parlé  à  propos  du 
tombeau  de  Palmyre  :  c'est,  en  effet,  par  les  tombeaux 
souterrains  que  s'explique  ce  plan  original.  Mais  quand 
fut-il  adapté  à  l'architecture?  Où  l'orna-t-on  pour  la  pre- 


fig.  38. plan  de  la 

basilique  de  diner 

(apamée  kibotos). 
(D'ap.    Strzygowski.) 


Planche  XXXVIII. 


1 .  Siiiiil   Mie  lui  (le  Sillfli 
l'Uiidi-s,  cliclu-   r.ill.) 


I5asilit|ur  (II'  Klu»rK<>z.  (I*lu>l.  Hautc'S 


ARCHITECTURE  RELIGIEUSE 


8^ 


mière  fois  d'une  coupole?  M.  Strzygowski  nomme  l'église 
d'Utchayak,  en  Cappadoce,  et  la  fin  de  la  période  hellénis- 
tique; mais  la  date  de  ce  monument,  construit  en  briques, 
est  bien  douteuse.  En  réalité,  l'édifice  de  ce  type  le  plus 
ancien  dont  il  soit  parlé  est  l'église  des  Saints-Apôtres  de 
Constantinople.  Après  lui  beaucoup  de  monuments  religieux 
du  même  genre  furent  élevés  en  Syrie  et  dans  les 
différentes  provinces  d'Asie-Mineure.  Citons  ceux  de  Ter- 
messos  (Pisidie),  Aladja  (Lycie),  Bin-bir-Kilissé  (Lycaonie). 
Il  faut  mentionner  enfin  l'octogone  couvert  d'une  cou- 
pole. Ce  plan  était  connu  dès 
le  IV®  siècle.  Nous  l'avons 
rencontré  à  Spalato.  Saint 
Grégoire  de  Nysse,  dans  la 
seconde  moitié  du  iV  siècle, 
l'avait  choisi  pour  son  église 
d'Iconium  et  nous  en  a 
laissé  une  description  qui  ne 
laisse  rien  à  désirer  (fig.  41). 
L'impératrice  Eudoxie,  vers 
le  même  temps,  en  faisait 
porter  un  semblable  par  ses 
architectes  aux  chrétiens  de 
Gaza.  C'est  peu  après  qu'ap- 
paraissent les  octogones  de 
Wiranscher  (Syrie)  et  de 
Bin-bir-Kilissé.  On  le  voit, 
ce  type  d'église,  pour  oriental 
qu'il  soit  dans  ses  lointaines 

origines,  semble  se  propager,  au  iv°  siècle,  d'Occident  on 
Orient.  Il  faut  tenir  grand  compte  de  ces  actions  en  retour, 

n,  8 


FIG.   39.   —   BASILIQUE   A  COUPOLE 
DE    KODSCHA-KALESSl. 

(D'après    Strzygowski.) 


86 


ORIGINES  DE  L'ART  BYZANTIN 


et  comme  nous  sommes  peu  renseignés  sur  la  chronologie 
des  édifices,  se  garder  de  les  grouper  avec  trop  de  précision 
dans  un  système  généalogique  trop  rigoureux. 

N'y  eut-il  pas  des  ressemblances  spontanées  ?  La  Haute- 
Egypte  pratiquait  les  constructions  en  pierre,  tout  comme 

la  Syrie  ou  l'Asie  postérieure.  Elle 
put  faire  des  adaptations  et  des 
découvertes  analogues  à  celles  de 
ces  derniers  pays.  Cela  est  d'au- 
tant plus  vraisemblable  que  les 
découvertes  dont  nous  parlons 
n'étaient  parfois  que  d'anciens 
procédés,  rajeunis  en  faveur  de 
monuments  nouveaux  :  telle  est 
la  voûte  en  berceau  et  même  la 
coupole  dans  son  emploi  le  plus 
simple. 

C'est  un  fait  bien  établi  que 
les  basiliques  de  l'Afrique  du 
Nord,  de  l'Algérie  et  de  la  Tuni- 
sie ont  des  points  de  contact 
frappants  avec  les  basiliques  de 
Syrie  et  d'Asie-Mineure.  On  connaît  en  Afrique  l'usage  de 
la  voûte,  l'abside  isolée  au  chevet  de  l'église  et  le  tracé  de 
l'arcade  en  fer  à  cheval  i.  Une  telle  constatation  doit  rendre 
prudent.  Et  si  nous  pensons,  avec  M.  Strzygowski,  que  les 
présomptions  d'origine,  en  ce  qui  regarde  ces  particularités, 
sont  en  faveur  des  provinces  asiatiques,  nous  ne  présente- 
rons point  cette  opinion  sans  la  déclarer  pleine  de  réserves 
et  passible  de  revision. 


♦  Éicym'hoaomCctm 

ltO(M"HMAHtt;S 

FIG.   40.    ÉGLISE  CRUCIALE 

A  COUPOLE,  A  BIN-BIR-KILISSÉ. 

(D'après  Strzygowski.) 


I.  Leclercq,  Manuel,  II,  p.  82. 


ARCHITECTURE  RELIGIEUSE 


87 


Malgré  tant  de  difficultés,  que  les  recherches  actuelles  n'ont 
pu  surmonter  encore,  on  voit  l'admirable  activité  dont 
l'Orient  chrétien  faisait  preuve,  en  comparaison  de  Rome, 
trop  vite  satisfaite  de  ses  premières  créations.  Ici,  quand  il 
fallut  voûter  un 
édifice  circulaire, 
les  architectes  ne 
surent  générale- 
ment que  poser 
une  chape  mono- 
lithe sur  un  mur 
circulaire,  comme 
au  Panthéon  ;  la 
basihque  resta  tou- 
jours  ce  qu'elle 
avait  été  sous  le 
règne  de  Constan- 
tin :  en  sorte  que 
l'unité  ne  fut  obte- 
nue que  par  une 
fidélité  paresseuse 
au  modèle  le  plus 

ancien.  Là,  au  contraire,  la  tradition  n'était  autre  chose 
que  la  compagne  du  progrès,  son  soutien  et  son  guide.  Elle 
n'imposait  pas  de  loi  tyrannique;  il  suffisait  qu'on  ne  créât 
rien  qui  fût  contradictoire  avec  elle.  Et  par  là  se  forma 
une  architecture  extrêmement  variée  à  qui  ne  manquait 
pas  cependant  l'unité,  nous  voulons  dire  l'unité  de  qua- 
lité supérieure,  celle  qui  embrasse  toutes  les  espèces  dans 
un  genre  harmonieux.  Toutes  les  régions  luttaient  d'ardeur 
pour  édifier  quelque  chose  de  robuste  et  de  beau.  Chacune 


FIG.    41. OCTOGONE,    d'aPRÈS   LA    DKSCKII 

DE  SAINT  GRÉGOIRE   DE    NYSSE. 

(D'après  Strzygowski.) 


TIO.N 


88  ORIGINES  DE  L'ART  BYZANTIN 

avait  ses  préférences  et  ses  habitudes  qu'elle  n'abandonnait 
pas  volontiers,  mais  nulle  n'était  fermée  aux  expériences  du 
dehors.  Aux  frontières  de  Cappadoce  et  de  Cilicie,  à  l'endroit 
qui  s'appelle  aujourd'hui  Bin-bir-Kihssé  (Mille  et  une  égli- 
ses) et,  non  loin  de  là,  à  Daouleh,  tous  les  plans  et  structures 
d'Orient  se  rencontrent  et  se  succèdent  ainsi  à  travers  les 
siècles.  Très  divers  dès  les  époques  de  Constantin,  puis  de 
Justinien,  ils  se  perpétuent  jusqu'au  moment  de  l'invasion 
musulmane.  C'est  qu'on  aimait  mieux  exécuter  deïbelles 
œuvres  que  décréter  des  styles.  Tous  ces  édifices,  pour  diffé- 
rents qu'ils  fussent  les  uns  des  autres,  faisaient  cependant  par- 
tie d'une  même  famille.  La  beauté  architecturale,  en  Orient, 
n'avait  pas  une  physionomie  unique.  Pourtant  certaines 
œuvres  ont  le  privilège  de  concentrer  en  elles  une  somme  par- 
ticuhèrement  considérable  de  quahtés  ailleurs  éparses  et  de 
génie  diffus.  Elles  sont  éminemment  représentatives  d'une 
nation,  d'une  race,  de  vastes  régions  même,  soumises;aux 
mêmes  conditions  sociales.  Telle  fut  l'église  de  Sainte-Sophie 
de  Constantinople,  en  qui  l'Orient  tout  entier  semble  avoir 
donné  la  plus  haute,  la  plus  complète  expression  de  son  idéal. 
En  vérité,  la  Grèce  hellénistique  et  l'Asie  lointaine  y  confon- 
daient leurs  efforts  et,  après  des  rivalités  séculaires,  s'asso- 
ciaient pour  en  faire  le  plus  beau  temple  de  l'art  chrétien. 

Cette  église  unique,  nous  allons  la  décrire,  mais  non  sans 
avoir,  au  préalable,  exposé  quelques  particularités  techniques. 
Aussi  bien,  quel  est  le  chef-d'œuvre  d'architecture  dont  la 
beauté  suprême  n'est  pas  due  à  la  solution  d'un  problème  de 
construction  ?  Dans  le  Parthénon,  ce  problème  consistait  à 
étabUr  un  rapport  logique  entre  les  colonnes  de  la  péristasis  et 
l'entablement  qui  les  surmonte;  dans  la  cathédrale  gothique, 
il   s'agissait   de   libérer   les  murs   latéraux  du  poids  de  la 


LA  COUPOLE  6ij 

voûte  de  pierre;  à  Sainte-Sophie,  il  fallait  découvrir  le  moyen 
définitif  d'élever  une  coupole  sur  un  plan  carré.  Nous  retra- 
cerons d'abord,  à  grands  traits,  l'histoire  des  premières  cou- 
poles chrétiennes. 

La  Coupole.  La  coupole  est  originaire  d'Assyrie.  C'est  de 
l'Assyrie,  par  l'intermédiaire  de  la  Perse,  que  la  Grèce 
hellénistique  en  hérita.  Ainsi  Rome  la  connut.  Elle  fut 
employée  à  couvrir  le  Panthéon  d' Agrippa,  reconstruit  sous 
Adrien.  Mais,  nous  l'avons  vu,  construire  une  coupole  sur 
un  plan  circulaire  n'est  pas  un  problème  difficile,  puisque  la 
coupole  à  sa  base  forme  une  circonférence,  identique  à  la 
circonférence  du  plan.  Il  en  est  tout  autrement  si  le  tambour 
qui  doit  supporter  la  coupole  est  octogonal  ou  carré. 
Comment  racheter  les  angles  qui,  nécessairement,  par  excès 
ou  défaut,  au  dedans  ou  au  dehors,  s'écarteront  du  cercle, 
déterminé  par  la  coupole?  Là  était  la  difficulté. 

Nous  ne  parlerons  pas  de  la  solution  qui  eût  consisté  à 
poser  un  dôme  à  huit  pans  sur  un  tambouroctogonal:  c'était 
là  une  sorte  de  subterfuge  auquel  les  architectes  orientaux 
ne  se  seraient  pas  résignés  facilement.  D'ailleurs,  un  plan 
carré  rendait  ce  subterfuge  insuffisant.  A  toute  force,  il 
fallait  donc  ménager  une  transition  en  maçonnerit\  un 
amortissement,  comme  on  dit,  capable  de  supprimer  les 
angles  et  de  ramener  ainsi  le  tambour  carré  à  la  circonfé- 
rence. Il  est  pour  cela  deux  procédés  :  celui  des  trompes  et 
celui  des  pendentifs. 

Une  tentative  selon  le  premier  fut  faite  dès  le  m*'  siècle 
à  Omm-es-Zeitoun,  en  Syrie;  puis,  au  iv«  siècle,  dans 
la  Haute-Egypte,  au  Couvent  blanc  et  au  Couvent  rouge  de 
Sohag.  Ici,  des  sortes  de  niches  ou,  pour  employer  un  tenne 


90 


ORIGINES  DE  L'ART  BYZANTIN 


technique,  des  encorbellements  évidés,  étaient  disposés  aux 
quatre  angles,  de  telle  façon  que  leurs  côtés  latéraux  fussent 
dans  le  plan  du  carré,  leur  sommet  dans  le  plan  de  la  circon- 
férence. L'espace 
intermédiaire  était 
précisément  celui 
qu'il  convenait  de 
récupérer  pour  pas- 
ser d'un  tracé  à 
l'autre.  Ce  procédé 
habile,  mais  disgra- 
cieux, était  déjà 
connu  des  Perses 
Sassanides  et  resta 
usité  dans  beaucoup 
d'églises  byzantines 
du  moyen  âge.  Pour 
l'époque  dont  nous 
nous  occupons,  il  est 
à  signaler  à  Kodscha-Kalessi,  à  Gaza,  à  Ancyre. 

Mais  il  y  avait  mieux  à  faire,  dans  l'intérêt  des  édifices  à 
coupoles,  qu'à  répéter  l'artifice  des  trompes  d'angles.  C'était 
là  un  moyen  empirique  où  il  était  besoin  d'une  solution 
rationnelle.  Or,  supposez  qu'au  lieu  d'un  tambour  plein  et 
carré,  le  support  de  la  coupole  soit  formé  de  quatre  hautes 
arcades,  élevées  sur  des  piliers  qui  occupent  les  coins  du 
carré,  —  c'est  ainsi  que  le  problème  se  présentait  dans  les 
églises  à  coupoles  —  la  difficulté  sera  la  même,  seulement 
elle  se  présentera  dans  des  conditions  qui  rendaient  la  solu- 
tion plus  facile  à  découvrir.  En  effet,  il  est  une  forme  de 
voûte  qui  s'adapte  exactement  au  carré  d'arcades  :  la  voûte 


FIG.  42.  COUPOLE  AU  COUVENT  ROUGE 

DE  SOHAG,   (D'après  Strzygowski.) 


LA  COUPOLE  91 

d'arêtes.  Elle  est  formée  par  deux  voûtes  en  berceau  qui  se 
coupent  à  angle  droit  et  faite  de  briques  appareillées,  dont 
les  tranches  se  pénètrent  aux  lignes  d'arêtes,  de  telle  sorte 
qu'elle  ne  forme  qu'une  pièce,  des  écoinçons  à  la  clef.  Que  si 
les  arcs  diagonaux  sont  bombés  au  point  de  se  confondre  avec 
la  sphère,  il  est  évident  que  les  arêtes  disparaîtront;  on 
obtiendra  une  calotte  dont  les  extrémités  plongeront  entre 
les  arcades  et  y  formeront  des  triangles  sphériques,  lesquels 
constituent  tout  ce  qui  est  nécessaire  pour  passer  du  carré  à 
la  circonférence.  Ces  triangles,  de  tous  les  amortissements 
cherchés  le  plus  logique  et  le  plus  beau,  s'appellent  pen- 
dentifs. 

Ils  procèdent,  on  le  voit,  de  la  voûte  d'arêtes.  Mais  la  façon 
de  les  construire  put  naturellement  varier  avec  les  procédés 
de  maçonnerie  et  d'appareillage,  suivant  qu'on  employait 
la  pierre,  la  brique  ou  les  menus  matériaux,  suivant  qu'on 
élevait  les  coupoles  par  des  briques  posées  sur  la  tranche  ou 
rangées  à  plat  en  assises  circulaires.  Quel  que  fût  le  pro- 
cédé, le  résultat  était  le  même.  Ainsi  qu'on  peut  le  voir 
dans  les  baptistères  de  Ravenne  (pi.  LV),  la  coupole  se 
posait  avec  autant  de  logique  que  de  simplicité  sur  le  sys- 
tème des  points  d'appui.  Rien  n'égale  tant  d'aisance.  Il 
manque  cependant  des  qualités  à  une  coupole  ainsi  con- 
struite :  l'énergie  et  la  légèreté,  parce  qu'elle  est  soudée  invin- 
ciblement aux  supports  dont  elle  dépend  et  qu'elle  écrase. 

Il  y  eut  un  pendentif  plus  parfait,  le  pendentif  byzantin, 
qui  fait  la  gloire  de  Sainte-Sophie  de  Constantinople.  Comme 
le  précédent,  c'est  un  triangle  sphérique  tendu  entre  les 
arcades,  mais  qui  est  totalement  distinct  de  la  coupole  pro- 
prement dite.  A  la  hauteur  du  sommet  des  arcs,  une  corni- 
che circulaire  indique  l'endroit  où  l'amortissement  désiré  a 


92  ORIGINES  DE  L'ART  BYZANTIN 

été  obtenu.  En  passant,  elle  marque  le  troisième  côté  du 
pendentif  et,  de  la  même  façon  que  dans  une  simple  rotonde, 
comme  Sainte-Constance  de  Rome,  elle  forme  la  circonfé- 
rence sur  laquelle  viendra  reposer  la  coupole. 

Ainsi  donc,  pendentifs  et  coupole  sont  indépendants.  Cela 
permet  de  donner  aux  premiers  une  forme  logique,  de  les 
infléchir  en  énergie,  en  souplesse,  de  leur  conférer,  en  un  mot, 
l'attitude  requise  par  la  fonction.  Quant  à  la  coupole,  elle 
pouvait  s'éployer  dans  l'air,  librement,  en  toute  plénitude 
de  force  et  de  majesté.  Si  l'on  prolongeait  les  pendentifs 
selon  la  ligne  de  leur  courbure,  on  obtiendrait  toujours 
une  calotte  de  moindre  hauteur  que  la  coupole  reposant 
sur  eux.  Nous  verrons  bientôt  la  grande  beauté  qu'une  telle 
disposition  peut  conférer  à  un  édifice. 

On  voudrait  pouvoir  indiquer  nettement  à  quelle  région 
revient  l'honneur  d'avoir  découvert  les  pendentifs.  M.  Strzy- 
gowski  en  fait  une  découverte  asiatique;  mais  il  ne  semble 
pas  avoir  ruiné  l'opinion  de  Choisy,  qui  reconnaissait  leur 
apphcation  dans  des  monuments  hellénistiques  remontant 
au  règne  de  Dioclétien,  à  Salonique,  Nicée,  Magnésie-du- 
Méandre,  Sardes,  Philadelphie  i.  Les  plus  anciennes  cou- 
poles de  basiliques  en  Orient  sont  édifiées  sur  trompes. 
C'est  donc  à  la  Grèce  hellénistique  et  non  à  l'Asie-Mineure 
que  l'architecture  chrétienne  devrait  les  pendentifs. 

Les  Contreforts.  Portée  sur  trompes  (Kodscha-Kalessi) 
ou  sur  pendentifs  (Cassaba,  Myra),  la  coupole  élevée  sur  la 
nef  centrale  des  basiliques  avait  pour  objet  de  donner  à 
l'église  plus  de  lumière.  Sa  base,  en  effet,  pouvait  être  per- 

I.  Cf.  Leclercq,  Dictionnaire  (Cabrol),  article  Art  byzantin. 


Jb'LANCHE  XXXIX. 


I.  Saiiitv  Sophie  (k-  CKiislaiitinoplr  •    "^.vinte- Sophie  <lc 

Sal()ni<iiif.   (l'hoi.   Il.uiti.s   lltiuU-s,  Millcl.) 


LES  CONTREFORTS 


93 


cée  de  fenêtres.  Mais  comment  soutenir  cette  énorme  masse? 

Nous  concevons  fort  bien  que  nul  danger  n'existait  dans  le 

sens  longitudinal,  car  la  coupole, 
en  avant  et  en  arrière,  est  con- 
trebutée  par  la  voûte  en  berceau 
de  la  nef;  au  contraire,  quelle 
force  opposer  à  son  poids,  à  sa 
poussée  de  droite  et  de  gauche 

(fig-43)? 

Dans  une  conjoncture  analo- 
gue, les  architectes  gothiques 
employèrent  les  arcs  -  boutants 
comme  supports  extérieurs  ;  mais 
l'art    byzantin,     dit    M.    Millet, 


FIG,  43.  ÉGLISE  DE  CASSABA 

(D'après  Millet.) 


répugne  à  ce  moyen,  et  c'est  là  un 
de  ses  traits  essentiels.  On  s'efforça 
donc  de  soutenir  les  murs  latéraux 
soumis  au  poids  de  la  coupole  soit 
en  surélevant  les  voûtes  en  berceau 
des  collatéraux  (Myra),  soit  en  inter- 
calant un  berceau  entre  le  bas-côté 
et  la  paroi  critique  (Trinité  d'Éphèse, 
Nicée,  Sainte-Sophie  de  Salonique 
pi.  XXXIX,  2).  Au  point  de  vue 
constructif,  ce  dernier  moyen  était 
assez  bon,  mais  il  faisait  déborder  les 
collatéraux  sur  l'alignement  des  absi- 
dioles^  ((  donnant  ainsi  au  monu- 
ment l'aspect  d'une  masse  cubique, 

I.  Millet,  L'Art  byzantin,  dans  Hist.  de 
l'art  (A.  Michel),  I,  p.  144. 


FIG.  44.  —  PLAN   DE  SAINTE- 
IRitNE,  DE^CONSTANTINOPLE, 

(D'après   Millet.) 

II.  9 


94  ORIGINES  DE  L'ART  BYZANTIN 

trop  large  piédestal  pour  la  coupole  ».  Mieux  valait,  et  ce 
fut  là  une  solution  décisive,  établir  sur  les  collatéraux,  à 
la  hauteur  de  la  coupole,  un  berceau  transversal  s' étendant 
de  la  paroi  qu'il  épaule  aux  murs  d'enceinte.  Ainsi  était 
contrebutée  la  coupole;  du  même  coup,  le  plan  central  de 
l'église  devint  celui  d'une  croix  à  branches  égales.  Sainte- 
Irène  (fig.  zj4)  et  Sainte-Sophie,  de  Constantinople,  doivent 
aux  pendentifs  qui  supportent  la  coupole  et  aux  berceaux 
qui  l'épaulent  leur  caractère  d'édifices  achevés.  Elles  furent 
construites  sous  Justinien. 

Sainte-Sophie.  Justinien,  empereur  de  fortune,  monta 
sur  le  trône  en  527.  Issu  d'une  pauvre  famille  macédonienne, 
il  eut  de  l'orgueil,  sinon  du  génie,  avec  de  l'énergie  et  de 
la  volonté.  Ce  ne  fut  pas  un  grand  politique,  car  il  aurait  dû 
consoUder  l'empire  néo-grec,  au  lieu  de  rêver,  malgré  l'his- 
toire accomplie,  la  reconstitution  du  vieil  empire  romain; 
mais  ce  fut  un  grand  roi  pourtant,  car  il  désira  la  puissance 
et  la  gloire  pour  l'Orient.  Lui  qui  n'était  qu'un  Barbare,  il 
réforma  l'administration  et  fit  codifier  le  droit.  Il  entendit 
régir  l'Église  et  l'État.  Il  se  mit  à  protéger  les  arts,  non  par 
goût  de  la  beauté  peut-être,  mais  par  amour  du  luxe  et  de  la 
splendeur.  Sainte-Sophie  (la  Sainte-Sagesse)  fut  la  merveille 
par  laquelle  il  voulait  immortaliser  son  règne. 

La  construction  en  fut  confiée  à  deux  architectes  micra- 
siates,  Anthémios  de  Tralles  et  Isidore  de  Milet,  qui,  selon  les 
vues  de  l'Empereur,  conçurent  un  édifice  immense,  dans 
lequel  on  déploierait,  pour  l'admiration  de  la  foule,  l'étonne- 
ment  de  la  postérité,  un  luxe  inouï.  Justinien  fut  ravi.  Il 
créa  des  impôts,  préleva  des  taxes,  sans  se  soucier  autrement 
de  ce  que  coûterait  au  peuple  sa  folle  prodigahté.  A  l'ambon 


SAINTE-SOPHIE  95 

seul,  on  consacra  une  année  des  revenus  de  l'Egypte.  En 
même  temps,  il  ordonnait  à  ses  préfets  d'envoyer  à  Constan- 
tinople  tous  les  matériaux  précieux  qu'ils  pourraient  se  pro- 
curer. Les  temples  antiques  d'Asie  et  d'Europe,  déjà  mise  à 
contribution  par  Constantin,  furent  dépouillés.  Le  zèle  fut 
si  grand,  chez  tous  les  collaborateurs  du  prince,  que  la  tâche 
immense  de  la  construction  de  Sainte-Sophie  fut  accomplie 
en  cinq  ans  environ.  La  première  pierre  avait  été  bénie  en 
532;  la  dédicace  eut  lieu  le  27  décembre  537.  Ce  jour-là, 
Justinien  se  rendit  en  char  jusqu'à  l'entrée  de  l'église,  puis, 
étant  descendu,  il  entra,  courut  depuis  la  grande  porte 
d'entrée  jusqu'à  l'ambon  et  là,  les  mains  tendues,  le  visage 
levé,  sous  la  coupole  immense,  il  s'écria  :  «  Gloire  à  Dieu 
qui  m'a  jugé  digne  d'accomphr  un  tel  ouvrage  !  Salomon.  je 
t'ai  vaincu  !  »  Récit  de  chroniqueur,  mais  si  vraisemblable  ! 
Exclamation  orgueilleuse,  mais  non  pas  exagérée;  car 
jamais,  en  dehors  du  paganisme,  un  temple  plus  auguste 
n'avait  été  construit. 

Du  dehors,  l'impression  de  Sainte-Sophie  est  désastreuse 
(pi.  XXXIX,  i).  L'église  apparaît  de  loin  comme  un 
monstre,  un  colossal  entassement  de  briques  dont  les  lignes 
directrices  restent  inaperçues,  qui  n'a  point  de  façade  pour 
qui  la  cherche,  point  de  regard  qui  réponde  au  regard,  et, 
par  conséquent,  point  d'âme  apparente.  Les  nefs  latérales 
forment  autour  du  carré  central  une  enveloppe  épaisse;  la 
coupole  elle-même  paraît  lourde  et  plate,  bien  que,  en 
réalité,  elle  soit  vaste  et  légère.  Cela  tient  à  la  carapace  de 
maçonnerie  dont  il  fallut  bien  l'entourer  pour  parer  —  tant 
elle  était  immense  —  à  un  danger  d'écroulement  toujoui>i 
menaçant,  malgré  les  précautions  constructives  qu'on  avait 
prises.  Il  fut  même   nécessaire,  à  certain    moment,   do   la 


96  ORIGINES  DE  L'ART  BYZANTIN 

contrebuter  par  des  contreforts,  ces  moyens  désespérés 
auxquels  les  Byzantins  ne  voulaient  point  se  résoudre  : 
maçonnerie  et  contreforts  empêchent  l'élan  et  masquent 
la  clarté.  D'ailleurs,  la  masse  cubique  formée  par  les  bas- 
côtés  à  deux  étages  monte  si  haut,  constitue  un  socle  si 
pesant,  que  la  partie  supérieure  de  l'édifice  en  est  sacrifiée. 
Considérez  encore  les  lignes  montantes,  les  masses  en 
ascension  :  ce  sont  des  courbes  diverses,  d'absides,  de 
conques,  d'hémicycles,  qui  se  haussent  lentement  jusqu'à 
la  coupole  et  qui,  de  l'autre  côté,  lentement  retombent, 
vraie  image  d'un  effort  toujours  renouvelé  et  toujours 
impuissant.  L'ensemble  se  dérobe  à  l'analyse.  Il  est  impres- 
sionnant par  le  mystère,  non  par  la  grandeur. 

Disons,  à  la  décharge  des  architectes  byzantins,  que  Sainte- 
Sophie  faisait  partie  des  constructions  du  palais  et  que  des 
adjonctions  turques  contribuèrent  à  lui  enlever  son  vrai 
caractère.  N'importe  :  les  lignes  étaient  sans  vibrations,  les 
masses  étaient  inertes. 

C'est  au  dedans  que  se  trouve  le  cœur  et  l'âme  de  l'édi- 
fice, sa  pensée  et  sa  vie.  Il  faut  franchir  le  seuil  de  Sainte- 
Sophie  pour  comprendre  l'effort  de  génie  qui  l'a  fait  naître 

Nous  traversons  l'atrium,  —  atrium,  portiques  et  fontaine 
étaient  un  souvenir  des  premières  basiliques,  —  puis,  deux 
narthex  juxtaposés,  ne  faisant  qu'un  et  communiquant  par 
neuf  portes  avec  l'intérieur.  Là,  Sainte-Sophie  se  révèle  en 
sa  noble  immensité.  Il  faut  la  contempler  du  centre,  du  point 
où  tomberait  l'axe  idéal  autour  duquel  toutes  ses  parties  sont 
organisées  (pi.  XL).  Quatre  piliers,  distants  l'un  de  l'autre 
de  31  mètres,  marquent  les  coins  du  carré  au-dessus  duquel 
la  coupole  se  déploie  comme  un  dais,  à   une  merveilleuse 


SAINTE-SOPHIE 


97 


hauteur.  L'abside  étant  à  l'orient,  deux  des  grandes  arcades, 
au  nord  et  au  sud,  sont  remplies  par  la  paroi  percée  de  baies 
dont  nous  avons 'plus  ^haut  indiqué  le  rôle  et  par  la  tribune 
ménagée  sous  le  berceau 
supérieur.  Des  deux  autres 
côtés,  dans  l'axe  de  la  nef, 
deux  hémicycles  viennent 
s'appuyer  contre  les  arcs  : 
celui  de  l'orient  engendre 
trois  absides,  dont  l'une, 
au  centre,  se  termine  en 
conque  profonde  ;  celui 
d'occident  ne  donne  nais- 
sance qu'à  deux  de  ces 
absides,  le  centre  com- 
muniquant avec  le  nar- 
thex.  C'est  là  toute  Sainte- 
Sophie.  Le  reste  de  l'édi- 
fice se  compose  des  bas- 
côtés,  sombres  et  presque 
inaperçus  à  travers  les 
arcades  basses  du  nord  et 
du  sud,  par  les  chambres 
et  sacristies  ménagées 
dans  les  culées. 

L'intérêt  se  concentre  donc  dans  l'espace  que  bornent  les 
absides.  Il  s'attache  par-dessus  tout  à  la  coupole  prodigieuse 
et  à  son  envol  aérien.  Des  chiffres  auront  ici  leur  éloquence.  La 
grande  nef  forme  un  immense  quadrilatère  de  77  mètres  de 
long  sur  71"^  70  de  large.  A  droite  et  à  gauche,  les  colonnes 
qui  séparent  la  nef  des  collatéraux  sont  hautes  de  11  mètres. 


.    PLAN    DE    SAINTE-SOPHIE 

DE     CONSTANTINOPLE. 

(D'après  Millet.) 


98  ORIGINES  DE  L'ART  BYZANTIN 

Quant  à  la  coupole,  elle  n'a  pas  moins  de  31  mètres  de  dia- 
mètre à  sa  base;  sa  clef  de  voûte  s'élève  à  56  mètres  au-des- 
sus du  sol.  Proportions  relativement  modestes,  pensera-t-on, 
car  la  coupole  du  Panthéon  d' Agrippa  a  43 "^50  de  diamètre, 
celle  de  Saint-Pierre,  de  Rome,  avec  un  diamètre  légèrement 
inférieur,  monte  à  123  mètres  au-dessus  du  niveau  de 
l'église.  Mais  songez  que  la  coupole  du  Panthéon  est  assez 
plate  relativement  à  son  diamètre,  que  celle  de  Saint-Pierre, 
chef-d'œuvre  illogique,  ne  se  découvre  pas  au  regard  dès 
l'entrée,  qu'il  est  même  impossible  d'en  soupçonner  les 
dimensions  quand  on  se  trouve  tout  près.  Songez  encore  qu'à 
Sainte-Sophie,  tout  le  poids  de  la  coupole  repose  sur  quatre 
piliers  et  qu'elle  plane,  pour  ainsi  dire,  dans  l'air  libre,  tan- 
dis qu'au  Panthéon  comme  à  Saint-Pierre,  elle  s'appuie  de 
toutes  parts  sur  un  tambour  épais. 

En  vérité,  les  architectes  de  Justinien  avaient  dépassé 
toute  audace  en  élevant  ce  dôme  extraordinaire.  Ils  furent 
obligés  d'employer  des  briques  de  Rhodes,  très  légères  et 
spongieuses,  et  de  ne  donner  à  la  coupole  qu'une  faible  épais- 
seur. Encore  n'en  purent-ils  assurer  la  solidité  contre  les 
tassements  et  les  commotions  du  sol.  En  558,  elle  s'écroula 
par  suite  d'un  tremblement  de  terre.  Il  est  vrai  que  les  archi- 
tectes eux-mêmes  reconnurent  que  la  catastrophe  était 
imputable  encore  à  d'autres  causes  :  un  écartement  excessif 
des  pihers  et  un  décintrage  précipité.  On  se  mit  à  recon- 
struire aussitôt  et  le  nouvel  édifice  fut  dédié  le  24  décembre 
562  1. 

Depuis  lors,  il  est  debout,  consoHdé  à  l'extérieur,  mais  à 

I.  Voir,  sur  Sainte-Sophie,  l'excellente  monographie  de  Dom  Leclercq 
dans  Cabrol,  Dictionnaire,  II,  i,  col.  1416. 


SAINTE-SOPHIE  99 

l'intérieur,  intact  et  toujours  admiré.  Ses  proportions  sont  de 
celles  que  le  regard  embrasse  facilement  et  que  l'esprit 
reconnaît  :  elles  imposent  sans  écraser.  A  l'encontre  de  la 
basilique  de  Saint-Pierre,  qui  ne  paraît  pas  grande,  bien 
qu'elle  soit  immense,  Sainte-Sophie  frappe  avant  tout  par 
son  ampleur  et  sa  simplicité.  Toutes  ses  lignes  convergent 
vers  le  centre;  toutes  ses  divisions,  larges,  et  que  ne  contra- 
rient point  des  détails  trop  abondants,  sont  harmonisées  en 
vue  du  couronnement  supérieur;  ses  membres  organiques 
s'opposent  vigoureusement,  soit  par  leurs  dimensions,  soit 
par  leurs  attitudes,  suivant  le  rôle  qu'ils  jouent.  Considérez 
les  colonnes  d'en-bas  :  leur  hauteur  de  11  mètres  paraît 
infime  quand  on  la  compare  à  la  hauteur  des  piliers  centraux 
et  au  formidable  ébrasement  des  grandes  arcades.  On  juge  à 
ce  prix  des  proportions  grandioses  de  la  coupole.  De  même, 
la  tranquille  distribution  des  partis  latéraux  fait  ressortir 
par  le  contraste  le  mouvement  ascensionnel  du  bâti  central, 
la  force  des  piliers,  l'énergie  des  pendentifs,  l'aérienne 
légèreté  du  dôme.  Du  narthex  au  fond  de  l'abside,  de  la  base 
au  faîte,  l'harmonie  règne  et  la  vie  circule;  cependant  que 
des  quarante  fenêtres  percées  à  la  base  de  la  coupole,  un 
torrent  de  lumière  inonde  la  basilique. 

La  lumière,  l'espace...  C'est  par  là  que  Sainte-Sophie  est 
unique.  Les  narthex  et  les  bas-côtés  lui  font  une  enceinte  au 
demi-jour  mystérieux;  au  centre,  la  clarté  fait  mesurer  l'es- 
pace :  on  dirait  que  les  absides  et  les  hémicycles  se  multi- 
plient et  se  gonflent  pour  la  recevoir,  que  la  coupole  se  fait 
plus  vaste  d'être  illuminée  par  elle,  si  brillante  et  si  fluide. 

Les  masses  elles-mêmes  semblent  plus  légères.  Les  lignes 
ne  sont  plus  la  sèche  limite  des  pleins,  mais  la  forme  sensible 
du  vide,  glorieusement  répandu.   Et  que  parlions-nous   de 


loo  ORIGINES  DE  L'ART  BYZANTIN 

courbes  lentes  et  paresseuses  ?  C'était  vrai  uniquement 
du  dehors.  Ici,  dans  l'expansion  de  l'air,  la  splendeur  de  la 
lumière,  les  courbes  sont  agiles  et  majestueuses;  elles 
s'éploient  avec  aisance  et  dans  toute  leur  plénitude.  Ce  n'est 
plus  l'image  d'un  effort  qui  s'épuise,  mais  l'orbe  magnifique 
d'une  force  qui  se  développe  dans  la  liberté  et  s'achève  dans 
l'harmonie.  Telle  est  la  beauté  de  Sainte-Sophie. 

Mais,  comme  le  dit  M.  Millet,  cette  merveille  de  logique 
audacieuse  était  une  réussite  exceptionnelle,  inimitable. 

De  même  qu'elle  fut  la  plus  magnifique  des  basiliques  à 
coupole,  l'église  des  Saints-Apôtres,  également  reconstruite 
sous  Justinien,  par  Anthémios  de  Tralles  et  Isidore  le  Jeune, 
fut  la  plus  parfaite  des  églises  en  forme  de  croix.  Elle  fut 
détruite  par  les  Turcs,  mais  des  textes  assez  nombreux  la 
décrivent.  Cinq  dômes  la  couronnaient:  un  au  centre,  à  la 
croisée  des  nefs,  et  un  sur  chaque  bras  de  la  croix;  chaque 
nef  était  doublée  de  collatéraux.  C'est  le  plan  de  Saint-Marc, 
de  Venise,  copié,  au  dire  des  chroniqueurs,  sur  l'église  des 
Saints-Apôtres,  de  Constantinople. 

Ainsi,  les  diverses  espèces  de  basiliques,  avec  plafonds  en 
charpentes,  voûtes  en  berceaux  cintrées  ou  non  d'arcs  dou- 
bleaux,nefs  surmontées  de  coupoles;  les  octogones,  les  égUses 
ayant  la  forme  d'une  croix  inscrite  dans  un  carré,  voilà 
les  types  d'édifices  rehgieux  qui  étaient  nés  en  Orient,  s'y 
étaient  développés  et  avaient  atteint  sous  Justinien  leur 
perfection  définitive.  L'avenir  eut  du  moins  le  mérite  de  ne 
pas  laisser  péricliter  cet  admirable  héritage,  s'il  ne  l'accrut 
point  de  créations  nouvelles. 

BIBLIOGRAPHIE.  —  La  question  des  origines  de  l'art  byzantin  pro- 
cède, comme  nous  l'avons  vu,  du  débat  auquel  ont  donné  lieu  les  bas- 
reliefs  pittoresques.  Sont-ils  grecs,  de  l'époque  hellénistique,  ou   romains, 


r. 


Planche  XLI 


r.  Ch.ipilcMiix  (Ir  lAllios  (I..i\ra).  -  2.  Chapiteau  du  liiiptisttVr 
(le  Salonu  à  Spalato.  3.  Vuv  intérieure  de  Saint- Démétrius  ù  Saloiii- 
que.  (IMu)t.   Hautes  ICtudes,  Milk-t.) 


BIBLIOGRAPHIE  lor 

de  l'époque  d'Auguste?    (Cf.   pour  l'orfèvrerie  d'Hildesheim  et  de  BoscoJ 
Reale,  la  bibliographie,  p.  53.) 

On  les  tient  pour  hellénistiques  depuis  Schreiber,  Die  Wiener  Brun- 
nenreliefs  aus  Palazzo  Grimani,  Leipzig,  1888;  Id.,  Die  hellenistischen 
Relief hilder ,  Leipzig,  1889-1893.  Cf.  Courbaud,  Le  bas-relief  romain,  à 
représentations  historiques,  in-S»,  Paris,  1899.  Toute  une  partie  du  livre 
de  M.  Courbaud,  la  meilleure,  est  consacrée  à  la  discussion  du  problème 
indiqué  plus  haut. 

Contre  la  théorie  de  Schreiber  :  F.  Wickhoff,  Roman  art,  Londres,  in-S», 
1900;  Aloys  RiEGL,  Z)î>  spaetroemische  Kunstindustrie,  Vienne,  1901.  Les 
opinions  de  Wickhoff  et  Riegl  sont  bien  exposées  et  défendues  par 
Mrs  Strong,  Roman  sculpture,  in-80,  Londres,  1907. 

J.  Strzygowski,  non  content  de  fortifier  la  théorie  de  Schreiber,  en 
montra  toutes  les  conséquences  à  l'époque  chrétienne.  De  ses  nombreux 
ouvrages,  il  faut  ici  citer  surtout  :  Orient  oder  Rom,  in-40,  Leipzig,  1901 
(Catacombe  de  Palmyre,  sarcophage  de  Psamatia,  décoration  sculptée, 
œuvres  de  l'art  chrétien  primitif  en  Egypte)  ;  Kleinasien,  ein  Neuland  der 
Kunstgeschichte,  in-40,  Leipzig,  1903  (ouvrage  surtout  consacré  à  l'archi- 
tecture chrétienne  en  Orient).  Le  même  auteur  a  exposé  ses  vues  relati- 
vement à  l'influence  de  l'art  chrétien  d'Orient  sur  l'art  carolingien  et  l'art 
roman,  dans  :  Kleinasien,  p.  206,  Der  Dom  zu  Aachen  und  seine  Entstêllimg, 
in-80,  Leipzig,  1904.  La  Grèce  hellénistique  fut,  pour  lui,  bien  plus  puis- 
sante que  Rome  en  Orient;  mais  l'Egypte  et  l'Asie  lui  paraissent  encore 
avoir  réagi  victorieusement  contre  la  Grèce  :  Hellas  in  des  Orients  Umar- 
mung,  Munich,  1902  ;  Die  Schicksale  des  Hellenismus  in  der  bildenden  Kunst, 
Leipzig,  1905,  Signalons  ici,  à  titre  de  résumé,  E.  Dietz  et  J.  Quitt, 
Ursprung  und  Sieg  der  althyzantinischen  Kunst,  avec  une  introduction  de 
Strzygowski,  in-40.  Vienne,  1903. 

Les  théories  de  M.  Strzygowski  n'ont  pas  entraîné  tous  les  archéologues; 
voir,  par  exemple,  Rivoira,  Le  origini  délia  architetturra  lombarda,  t.  I, 
Rome,  1901  ;  mais  depuis,  et  malgré  des  réserves,  la  majorité  des  historiens 
de  l'art  est  avec  lui.  Voir  C.  Bayet,  L'Art  byzantin,  Paris,  in-S»,  s.  d.; 
G.  Millet,  y^y/ôy^aw^m,  dans  Histoire  de  l'Art  (A.  Michel),  1. 1;  C.  Diehl, 
Manuel  d'art  byzantin,  in-80,  Paris,  1910.  On  ne  saurait  trop  louer  ces  deux 
derniers  ouvrages,  le  premier  d'une  érudition  solide  en  sa  condensation,  le 
second,  qui  vient  de  paraître,  aussi  clair  que  bien  informé.  Les  manuels 
de  Kaufmann  et  de  Leclercq  sont  pénétrés  des  théories  do  M.  Strzygowski, 
de  même  que  celui  de  W.  R.Lethaby,  Mf(/ja«;a/ «r/,  in-8«,  Londres.  1904. 
Cf.  aussi  dans  Cabrol,  Dictionnaire,  les  articles  de  Dom  LBCLKRcg, 
Afrique,  Alexandrie,  Basilique,  Byzantin  (art). 

Sur  les  sarcophages  asiatiques  :  Orient  odcr  /l'um,  chap.  II.  et  contra  : 

II.  10 


102  ORIGINES  DE  L'ART  BYZANTIN 

T.  Reinach,  Le  Sarcophage  de  Sidamara  (Monuments  Piot,  IX,  p.  189); 
G.  Mendel/l^  Musée  de  Konia  (Bull.  Corr.  hell.,  XXVI,  p.  209)  ;  Munoz, 
Sarcofagi  asiatici?  (Nuovo  BuUettino  di  archeol.  crist.,  XI,  p.  79);  et  les 
réponses  de  Strzygowski,  Byzantinische  Zeitschrift,  XV,  p.  419;  Journal 
of  hell.  studies,  1907,  Cf.  Millet,  Diehl. 

Sur  l'architecture  chrétienne  en  Orient  :  Choisy,  op.  cit.  ;Strzygowski,. 
Kleinasien;  l'excellente  mise  au  point  de  G.  Millet,  L'Asie- Mineure, 
nouveau  domaine  de  l'histoire  de  l'art  (Revue  archéol.,  1905,  I). 

Sur  les  monuments  de  Dalmatie  et  spécialement  Spalato  :  Diehl,  En 
Méditerranée,  in-S»,  Paris,  1901  ;  Strzygowski,  Spalato,  ein  Markstein  dev 
romanischen  Kunst,  bei  ihrem  Uebergang  vom  Orient  nach  dem  Abendlande, 
Fribourg,  1906;  Kowalczyck  et  Gurlitt,  Denkmàler  der  Kunst  in  Dalma- 
tien, fol.,  Berlin,  1910  (125  marks)  ;  Bulic,  Guida  di  Spalato,  Zara,  1894. 

Monuments  de  Syrie  :  De  Vogué  et  Duthoit,  L' Architecture  civile  et 
religieuse  en  Syrie,  3  vol.,  fol.,  Paris,  1866-1877;  H.  C.  Butler,  Expédition 
to  Syria,  Architecture  and  other  arts,  New- York,  1903  (600  gravures);  Id., 
Princeton  University  expédition  to  Syria.  Ancient  architecture  in  Syria, 
Leyde,  1908;  Strzygowski,  Mschatta  (Jahrbuch  der  K.  preussischen 
Sammlungen,  t.  XXV,  1904). 

Monuments  d'Asie-Mineure  :  Strzygowski,  /^/eiwasiew  ;  Gertrude  Low- 
THiAN  Bell,  Notes  on  a  journey  through  Cilicia  and  Lycaonia  (Revue 
archéologique,  1906,  I  et  II,  1907,  I)  ;  Ramsay  et  Miss  Bell,  The  thousand 
and  one  churches,  Londres,  1909;  Rott,  KleinasiatischeDenkmaeler,L.eipzig, 
1908. 

Sur  le  plan  en  forme  de  croix  :  Friedenthal,  Das  kreuzformige  Oktogon, 
Karlsruhe,  1908.  Sur  la  Kuppelbasilika,  O.Wulff,  Die  Koimesis-Kirche  in 
Nicaea,  und  ihre  Mosaiken,  in-80,  Strasbourg,  1903. 

L'Egypte  exerça  plus  d'influence  par  les  arts  industriels  que  par  l'archi- 
tecture. Sur  ses  édifices  chrétiens  :  C.-M.  Kaufmann,  Die  Ausgrabung  der 
Menas  Heiligtuemer,  Caire,  1906-1908;  Id.,  Die  Menasstadt...  in  der 
westalexandrinischen  Wueste,  vol.  i,fo,  Leipzig  1910.  Rapports  de  l'Egypte 
avec  l'Afrique  du  Nord,  Diehl,  Manuel,  p.  114. 

Sur  les  monuments  de  Constantinople  :  Salzenberg,  Altchristliche 
Baudenkmaeler  von  Constantinopel,  Berlin,  1854;  de  Beylié,  L'Habitation 
byzantine,  in-40,  Paris,  1902  (40  francs),  le  meilleur  livre  sur  les  maisons  et 
palais  byzantins,  en  Orient  et  en  ItaHe;  Gurlitt,  Die  Baukunst  Konstan- 
tinopels,  Berlin,  1908  et  suiv.;  Diehl,  Justinien  et  la  civilisation  byzantine 
au  F/e  siècle,  in-80,  Paris,  1901  ;  Ebersolt,  Etudes  sur  la  topographie  et  les 
monuments  de  Constantinople  (Rev.  archéol.,  1909,  II);  Lethaby  et 
SwAiNsoN,  The  church  of  Sancta-Sophia,  Londres  et  New- York,  1894; 
Cf.  Diehl,  Manuel,  p.  102  et  suiv.;  p.  141  et  suiv. 


BIBLIOGRAPHIE  103 

Sur  les  églises  byzantines  en  général,  il  convient  de  citer  aussi  l'élégant 
résumé  de  L.  Bréhier,  Les  Eglises  byzantines,  in-i6,  Paris,  1905;  et,  du 
même,  une  étude  substantielle  sur  l'influence  de  l'Orient  en  Gaule,  aux 
époques  mérovingienne  et  carolingienne  :  Les  Colonies  d'Orientaux  en 
Occident  au  commencement  du  moyen  âge  (Byzantinische  Zeitschrift,  XII, 

1903). 

Les  revues  qu'il  faut  consulter  sans  cesse  sur  les  études  relatives  à 
l'Orient  chrétien  sont  l'Oriens  christianus  (Baumstark),  Rome,  depuis  1900; 
la  Byzantinische  Zeitschrift,  dans  laquelle  M.  Strzygowski  rédige  réguliè- 
rement la  bibliographie  relative  à  l'art  chrétien  On  doit  citer  aussi  pour 
la  Dalmatie,  le  Bullettino  di  archeologia  e  storia  dalmata  (Bulic),  Salone, 
1878  et  suiv.  Les  revues  russes,  importantes,  mais  ordinairement  inintel- 
ligibles aux  lecteurs  d'Occident,  sont  dépouillées  pour  ces  derniers  dans  la 
Revue  archéologique  et  la  Byzantinische  Zeitschrift. 


CHAPITRE  XIV 

LES  ARTS  DÉCORATIFS  EN  ORIENT 

Décoration  monumentale.  Polychromie  des  matériaux.  La  sculpture  déco- 
rative. Frises  et  chapiteaux.  L'acanthe.  Œuvres  de  sculpture  en  pierre 
et  en  bois.  Ambon  de  Salonique.  Porte  de  Sainte-Sabine  à  Rome.  Ivoires 
sculptés  d'Egypte,  de  Syrie,  d'Orient  et  de  Byzance. 

DÉCORATION  MONUMENTALE.  L'intérieur  d'une  église 
somptueuse  comme  Sainte-Sophie  frappait  avant  tout  les 
yeux  par  une  variété  surprenante  de  couleurs  harmonieuse- 
ment fondues.  Cela  tenait  d'abord  à  la  polychromie  natu- 
relle des  matériaux  employés  à  la  construction.  La  brique 
ou  la  pierre  n'apparaissaient  nulle  part.  On  ne  voyait 
que  les  marbres  précieux  et  divers  du  pavé,  des  galeries, 
des  parapets  et  colonnes.  «  Le  marbre  de  Proconnèse,  dit 
M.  Millet  en  parlant  de  Sainte-Sophie,  ne  prêtait  pas 
à  tous  les  membres  de  l'architecture  son  éclat  trop  uni- 
forme. Les  grandes  colonnes  de  la  nef  sont  en  vert  antique, 
celles  des  exèdres  en  porphyre  d'Egypte,  les  unes  et  les  autres 
prises  directement  aux  carrières.  Mais  c'est  aux  incnista- 
tions  que  l'on  avait  réservé  les  marbres  rares  et  précieux, 
porphyre  vert  de  Sparte,  marbre  vert  clair  de  Carystos,  rose 
veiné  de  Synnada,  jaune  antique  (numidicum),  noir  veiné 
de  blanc  (celticum),  onychite.  La  phiale  était  en  marbre 
blanc  et  rouge  d'Iasos.  Le  revêtement  ordinaire  se  composait, 


io6  ARTS  DÉCORATIFS  EN  ORIENT 

dans  des  cadres  dentelés,  de  panneaux  quelquefois  à  veines 
symétriques  et  de  tons  foncés  ou  clairs  alternant.  Ceux  de 
l'abside  sont  d'une  composition  très  complexe  :  au  centre 
brille  un  carré,  un  ovale  ou  un  cercle  d'un  marbre  précieux, 
porphyre  rouge  ou  vert,  ou  onychite,  et,  dans  le  champ,  l'op- 
position du  rouge  et  du  vert,  rehaussée  par  des  lignes  de 
jaune  clair,  se  traduit  soit  par  des  lignes  géométriques,  en 
particulier  le  losange,  soit  par  des  rinceaux  et  des  volutes, 
ou  même  des  motifs  plus  recherchés  :  dauphins  affrontés, 
portes  de  sanctuaire  ^  (pi.  XXXV,  i  et  XL) .  » 

Aucune  église,  il  est  vrai,  ne  pouvait  rivaliser  de  richesse 
avec  Sainte-Sophie,  mais  il  n'était  pas  non  plus  un  seul  grand 
sanctuaire  dans  lequel  on  n'eût  fait  un  usage  habile  de  ces 
marbres  multicolores.  Le  reste  des  surfaces,  la  coupole  en 
particulier,  était  réservé  aux  mosaïques  qu'il  convenait  d'ap- 
parier pour  la  couleur  avec  la  polychromie  des  marbres.  La 
sculpture  monumentale  relevait  de  sa  beauté  les  ambons, 
les  cancels  —  pièces  de  mobilier  en  quelque  sorte  —  et 
aussi,  selon  une  coutume  plus  ancienne  que  le  christianisme, 
les  chapiteaux  des  colonnes,  les  frises  d'entablement,  les 
encadrements  des  portes,   au  dedans  et  au  dehors. 

Dans  les  églises  d'Orient,  cette  sculpture  est  nettement 
ornementale.  Peu  ou  point  de  figures  humaines;  mais  la 
flore  et  la  faune  qui,  par  tradition  décorative,  étaient  appor- 
tées soit  de  la  Grèce,  soit  de  l'Orient,  tous  les  motifs  géomé- 
triques dont  l'architecture  jusque-là  avait  fait  usage,  et 
beaucoup  d'autres  dont  l'invention  est  due  aux  Byzantins 
eux-mêmes  :  en  somme,  toute  la  grammaire  ornementale  du 
passé,  accrue  d'une  part;  mais  surtout  transformée  à  cause 

I.  Millet,  L'Art  byzantin,  p.  158. 


DÉCORATION  MONUMENTALE  107 

de  l'évolution  du  goût  et  des  procédés  de  métier,  voilà  ce 
que  nous  trouvons  dans  la  sculpture  monumentale  en  Orient. 

Dans  une  frise  sculptée,  aujourd'hui  encastrée  dans  la 
façade  de  l'église  du  Saint-Sépulcre  et  que  M.  Strzygowski 
attribue  à  l'ancien  édifice  constantinien,  le  décor  est 
nettement  différent  par  le  choix  des  motifs  et  par  la  tech- 
nique des  ornements  romains  de  la  même  époque  ^  Autant 
ceux-ci  sont  froidement  réguliers,  académiques,  autant 
ceux-là  ont  de  variété  et  de  fantaisie  spontanée.  Ils  sont 
d'origine  hellénistique,  dit  M.  Strzygowski,  comme  le  Christ 
de  Psamatia  et  les  fresques  de  Palmyre;  et  tout  ce  qu'ils 
comportent  d'étranger  à  la  Grèce,  dans  l'invention  ou 
l'exécution  des  ornements,  est  dû  à  l'influence  propre  du 
pays  où  l'édifice  a  été  construit.  Ainsi,  au  iv*^  siècle,  l'orne- 
ment sculpté  participait  à  la  fois  des  traditions  hellénistiques 
et  des  habitudes  orientales.  Un  siècle  après  et,  à  plus  forte 
raison,  sous  Justinien,  celles-ci  l'emportaient  décidément  : 
les  modèles  ornementaux  de  Syrie,  de  Perse,  d'Egypte 
envahissaient  la  décoration  sculptée. 

Si  l'on  se  souvenait  des  canons  antiques,  on  ne  craignait 
nullement  de  les  modifier  selon  le  goût  nouveau.  C'était 
procédé  assez  courant  d'intervertir  l'ordre  des  motifs  tradi- 
tionnels, de  leur  donner  des  proportions  différentes.  On 
s'attacha  par-dessus  tout  à  transformer  leur  caractère,  soit 
par  des  applications  nouvelles,  soit  que,  par  le  moyen  du 
ciseau,  on  les  interprétât  autrement.  L'étude  de  la  feuille 
d'acanthe  est  particulièrement  instructive  à  cet  égard. 

On  ne  reconnaîtrait  pas,  dans  les  feuillages  des  chapi- 
teaux  corinthiens   que   nous   reproduisons    (pi.    XLL    3). 

I.  Strzygowski,  Orient  oder  Rom,  pi.  IX. 


io8  ARTS  DÉCORATIFS  EN  ORIENT 

Tacanthe  molle  des  Romains  et  ses  touffes  abondantes  : 
elle  est  devenue  un  alignement  de  feuilles  droites,  s' éta- 
lant sur  le  plat  et  dont  les  bords,  profondément  dentelés,  font 
penser  à  une  sorte  de  garniture  métallique.  Ailleurs  (Spa- 
lato,  Salonique,  Saint-Nicolas  de  M5n:a,  Saint- Jean  Stoudite 
Athos),  l'acanthe  molle  est  appliquée  comme  un  rinceau 
de  plus  en  plus  dépouillé  de  feuilles  et  qui  s'enroule  autour 
de  fleurons,  de  fruits,  de  têtes  d'animaux,  de  motifs  géomé- 
triques (pi.  XLI,  I,  2  et  3).  Le  rinceau  alla  jusqu'à  se  com- 
biner ou  même  se  confondre  avec  un  simple  entrelac.  Enfin, 
à  l'acanthe  molle  s'ajouta,  au  v"  siècle,  l'acanthe  épineuse, 
employée  pour  la  décoration  des  chapiteaux  et  caractérisée 
par  des  feuilles  épaisses,  gonflées  de  sève  et  qu'on  dirait 
contournées  par  le  vent  (Millet,  fig.  92). 

Invinciblement,  l'art  byzantin,  s'il  conserve  les  motifs, 
déforme  le  style.  Il  répugne  à  l'unité  des  formes  comme  à 
celle  de  l'ornementation.  Dans  les  chapiteaux,  il  eut  toujours 
une  certaine  prédilection  pour  le  composite  corinthien  avec 
sa  corbeille  garnie  d'acanthe,  mais  on  trouve,  à  côté,  la  cor- 
beille sans  volute,  le  dé  rhomboïdal  (pi.  LXII,  4)  et  certain 
modèle  hybride  qui  a  forme  de  dé  et  rappelle  cependant  par 
les  ondulations  latérales  le  tailloir  corinthien  (pi.  XLI,  3). 
C'est  en  Orient  que,  au  v^  siècle,  on  imagina  d'insérer  une 
imposte  cubique  entre  le  chapiteau  et  la  retombée  des  arcs. 
Cette  forme  insolite,  encore  employée  à  Ravenne  sous  Justi- 
nien  (pi.  LX),  fut  généralement  répudiée  au  vi-  siècle,  mais 
ce  fut  pour  lui  substituer  une  autre  forme,  également  nou- 
velle, le  chapiteau-imposte,  qui,  carré  au  sommet,  s'infléchit 
en  circonférence  à  la  base  (Sainte-Sophie,  pi.  XL). 

Il  n'est  donc  pas  de  règle  générale  applicable  soit  aux 
proportions  architectoniques,  soit  à  la  structure  des  formes 


Planche  XLH. 


T'Ya^nu'iils  de    r.iml)<)ii  .lr  Sal()iii.|iu'.  au    Muicc   de    Ichiuli- 
Kiosk. 


DÉCORATION  MONUMENTALE  109 

et  à  leur  décoration.  Au  contraire,  sous  l'influence  des 
exemples  de  l'Orient,  un  même  esprit  anime  les  artistes  lors- 
qu'il s'agit  d'interpréter  la  nature  et,  en  particulier,  les  végé- 
taux, pour  en  tirer  des  motifs  d'ornement.  Si  l'on  fait 
abstraction  de  l'acanthe  épineuse  dans  les  chapiteaux  du 
V-  siècle,  on  remarquera  que  les  modèles  naturels  sont 
traduits  avec  une  exactitude  grande,  mais  qui  devient 
infidèle  à  force  de  précision  et  de  régularité.  On  aime  le 
rinceau,  dont  les  sinuosités  se  prêtent  à  de  beaux  entrelacs, 
mais  on  suspecte  le  feuillage,  dont  la  profusion  et  la  fantaisie 
nuiraient  à  la  clarté  du  dessin.  Ou  bien  ce  feuillage,  les  déco- 
rateurs le  soumettent  à  la  rigidité  des  lignes  géométriques, 
dessinant  des  contours  anguleux,  accentuant  la  structure 
intérieure  par  la  profondeur  et  la  netteté  du  trait.  La  texture 
de  la  matière,  pulpe  de  feuille,  de  fruit  ou  de  chair,  est 
pétrifiée;  la  vie,  attestée  par  des  ondulations  spontanées,  est 
ramenée  au  type  uniforme  et  régulier,  en  sorte  qu'il  n'est 
plus  ni  oppositions  ni  contrastes,  mais  seulement  des  juxta- 
positions symétriques.  Le  procédé  est  celui  d'ornemanistes 
brodant  des  motifs  sur  un  noyau  brut,  non  celui  de  sculp- 
teurs faisant  sortir  la  décoration  du  cœur  même  de  la  pierre. 
Le  mot  plaquage,  avec  tout  ce  qu'il  suppose  de  méthode 
inférieure,  s'impose.  En  effet,  le  champ  du  marbre  est  fouillé, 
évidé,  de  façon  que  le  dessin  apparaisse  réservé  en  surface 
et  relevé  par  les  vides  pleins  d'ombre.  Jamais  on  ne  modèle 
dans  l'espace.  Tous  les  ressauts,  heurts  et  à-coups  sont 
évités.  L'ornementation  se  développe  unifomie  et  serrée 
comme  une  trame  végétale,  ayant  la  préciosité  sèche  des 
travaux  d'orfèvrerie  et  la  docilité  à  se  tendre  des  étoffes. 
C'est  de  la  stylisation  par  dessèchement. 

Il  est  probable  que  ce  procédé  d'applications  est  dû,  ori- 

II.  1 1 


iio  ARTS  DÉCORATIFS  EN  ORIENT 

ginairement,  à  l'emploi  qu'on  fit  en  Orient  de  la  brique  et 
des  menus  matériaux.  La  pierre  invitait  au  travail  dans  la 
masse;  les  noyaux  peu  compacts  et  peu  agréables  à  voir 
exigeaient,  pour  ainsi  dire,  un  déguisement. C'est  par  l'imita- 
tion de  ce  décor  que  l'ornement  byzantin  devint  indépen- 
dant des  formes  et  se  réduisit  à  n'être,  suivant  les  mots 
si  justes  de  M.  Millet,  qu'une  végétation  adventice,  un  trait 
plus  vif,  un  accent  du  décor  polychrome. 

Sculpture.  Pierre  et  Bois.  On  comprend  facilement 
qu'une  telle  déviation  de  l'esprit  plastique  n'ait  pas  favorisé 
le  développement  de  la  statuaire.  Il  n'y  eut  guère  dans  l'art 
byzantin  que  des  statues  d'empereurs.  Elles  étaient  merveil- 
leuses, au  dire  de  certains  écrivains  orientaux,  mais  ces  éloges 
sont  trop  visiblement  ampoulés.  Quant  au  bas-relief,  il  ne 
resta  pas  longtemps  à  la  hauteur  où  le  iv^  siècle  l'avait  porté 
dans  des  sarcophages  tel  que  celui  de  Psamatia.Une  tendance 
générale  poussait  à  réduire  le  rôle  de  la  bosse;  l'importance 
de  la  décoration,  la  préférence  que,  pour  des  motifs  esthé- 
tiques et  religieux,  on  accordait  à  la  peinture  et  à  la 
mosaïque,  contribuèrent  à  faire  déchoir  la  sculpture  pro- 
prement dite.  La  forme  pour  elle-même  ne  fut  plus  prisée, 
l'Eglise  la  suspectant,  la  Cour  étant  devenue  inapte  à  la 
comprendre,  la  foule  trouvant  sa  piété  satisfaite  par  les 
belles  images  d'or  et  de  couleur.  Le  bas-relief  devint  essen- 
tiellement narratif  et  fut  surtout  pratiqué  dans  les  arts 
industriels,  notamment  pour  la  décoration  du  bois  et  de 
l'ivoire;  dans  la  pierre,  il  perdait  ses  quahtés  plastiques  et 
se  réduisait,  de  plus  en  plus,  à  une  fonction  ornementale. 

Les  sarcophages  d'Hélène,  au  Vatican,  et  le  sarcophage 
en  porphyre  de  Sainte-Constance  (Venturi,  I,  fig.  171-175) 


SCULPTURE  III 

sont-ils  des  œuvres  d'Egypte,  comme  le  veut  M.  Strzy- 
gowski,  non  des  œuvres  romaines?  Il  est  vrai  que  les  figures 
de  cavaliers  du  premier  rappellent  telles  figures  semblables 
qu'on  trouve  sur  des  œuvres  d'Egypte  \  mais  on  a  fait 
remarquer  qu'ils  ressemblent  encore  plus  aux  cavaliers 
décorant  la  base  de  la  colonne  Antonine;  le  second  a  les 
mêmes  rinceaux  que  certains  sarcophages  d'Alexandrie, 
mais  cela  peut  s'expliquer  par  des  rapports  d'influence 
aussi  bien  que  par  une  attestation  d'origine.  Réservons  donc 
notre  jugement.  Le  certain  est  qu'au  iv®  siècle  existait 
toujours,  en  Orient  comme  en  Occident,  un  vif  sentiment  de 
la  beauté  plastique.  Ce  sentiment  alla  s'évanouissant  peu  à 
peu. 

Cependant,  on  peut  citer  encore,  pour  le  vi^  siècle,  les 
figures  d'apôtres  en  bois  et  en  pierre,  découvertes  par 
M.  Clédat  au  monastère  de  Baouit,  dans  la  Haute-Egypte  ". 

Plus  près  de  l'Occident,  à  Salonique,  un  ambon  du 
V®  siècle  était  paré  de  niches  dans  lesquelles  on  voyait  les 
Rois  Mages  et  la  Vierge  portant  l'Enfant.  Deux  fragments 
en  restent,  conservés  au  Musée  de  Tchinli-Kiosk,  à  Constan- 
tinople  (pi.  XLII).  La  Vierge  a  déjà  une  pose  hiératique;  les 
Mages  sont  d'une  exécution  bien  médiocre,  tandis  que  la 
décoration  de  la  corniche  est  ciselée  avec  abondance  et 
facilité.  Qu'est-ce  à  dire,  sinon  que  la  sculpture  vraiment 
plastique  tend  à  sa  fin?  L'étude  des  œuvres  de  Ravenno  le 
montrera  bientôt  avec  une  nouvelle  évidence. 

Ainsi  donc,  c'est  dans  le  bas-relief  narratif  et  pittoresque 
que  la  sculpture  d'Orient  a  donné  sa  fleur.  On  n'hésite  plus 


1.  Strzygowski,  Orient  oder  Rom,  pi.  lll. 

2.  Leclercq,  Dictionnaire  (Cabrol),  article  Baouit. 


112  ARTS  DÉCORATIFS  EN  ORIENT 

guère  aujourd'hui  à  lui  attribuer  la  fameuse  porte  de  Sainte- 
Sabine,  à  Rome  (pi.  XLIII).  Cette  œuvre  fut  exécutée  sous 
le  pontificat  de  Célestin  II  (422-432),  alors  qu'Alaric  venait 
de  s'éloigner  avec  ses  troupes  de  la  Ville  Éternelle.  Quoi 
qu'on  en  ait  dit,  tous  les  reliefs  de  la  porte  sont  contempo- 
rains, mais  dus  à  deux  mains  différentes,  l'une  résolument 
attachée  aux  beaux  types  de  la  Renaissance  constantinienne, 
l'autre  indiquant  des  procédés  et  conceptions  plus  sommai- 
res. On  remarquera,  en  outre,  que  des  restaurations  furent 
opérées,  à  plusieurs  reprises,  au  ix^  et  au  xv®  siècle,  et 
jusqu'en  1836.  Ce  qui  prouve  le  caractère  oriental  de  cette 
œuvre  importante,  c'est  la  décoration  végétale  des  encadre- 
ments,si  différente,  par  le  choix  du  motif  et  par  la  technique, 
des  bordures  romaines,  et  surtout  certains  détails  d'icono- 
graphie dont  l'origine  n'est  pas  douteuse.  Par  exemple, 
la  fontaine,  la  montagne,  les  enfants  au  travail,  qui  font 
partie  du  tableau  de  l'Assomption  d'Élie  (pi.  XLIII,  3),  ne 
sont  pas  tirés  de  la  Bible,  mais  d'une  légende  palestinienne. 
Dans  l'autre  série  de  reliefs,  la  figure  du  Christ  aux  longs 
cheveux  (pi.  XLIV,  i)  n'a  rien  de  commun  avec  le  type 
romain  des  catacombes  et  des  sarcophages.  La  scène  même 
de  la  Crucifixion,  où  le  Christ  en  personne  est  attaché  à  la 
croix,  était  née  en  Palestine.  Pour  la  première  fois,  elle 
apparaissait  en  Occident  sans  avoir  recours  au  symbole, 
mais  non  sans  témoigner  encore  de  quelques  scrupules 
religieux  :  le  Christ  entre  les  deux  larrons  est  simplement 
placé,  les  bras  étendus,  tel  un  orant,  devant  un  édicule  à 
fronton,  dont  les  chaînages  se  confondent  avec  la  croix;  ses 
pieds  sont  posés  sur  un  petit  socle.  La  scène  est  claire,  encore 
qu'on  ne  veuille  pas  tout  dire,  tout  montrer:  on  se  résolut 
à  une  crucifixion  mitigée. 


Pl-ANCHE   XLIII. 


l'amuMux  (le  1.1  l'ortc  de  SaiiitcSabiiu-.  i .  1/ Ascension.  i.I.oCoi»- 
ronncmtiit  de  sainte  Sal>iiu'.  \.  Assomption  d'I'.Iir.  |.  Hasilii)iU', 
saints,  fidèlrs.   (l'Iiol.   AikIcisom.) 


Planche  XLIV. 


I.  IVht  pa.HU'uu  dv  l.i  ,,„ri,.  .K-  Sa.nU-Sabine  :  Crucilixion  fphot. 
Amlersc.n).  --^  2.  Ivoire  do  la  CoUoctioa  Trivulco.  partir  inférieur^ 

3-  l>c  menic,  i)artio  supérieure. 


SCULPTURE  113 

L'œuvre  a  quelque  chose  de  barbare,  mais  il  ne  faut  pas 
oublier  que  nous  sommes  à  une  époque  de  transition,  que 
nous  assistons  à  un  développement  d'art  et  d'histoire  troublé 
par  les  invasions,  et  qu'enfin,  la  porte  de  Sainte-Sabine  était, 
au  premier  chef,  un  produit  de  l'art  industriel.  D'ailleurs,  la 
quaUfication  de  barbare  ne  peut  s'appliquer  qu'à  une  partie 
des  reliefs.  Ceux  de  la  première  main  sont  composés  avec  un 
sens  parfait  du  pittoresque,  fait  qui,  soit  dit  en  passant, 
appelle  encore  un  rapprochement  avec  les  bas-reliefs  alexan- 
drins; ils  ont  du  mouvement  dans  l'action  et  une  grande 
beauté  d'attitudes.  Tous,  même  les  plus  m.édiocres  au  point 
de  vue  de  l'exécution,  recherchent  la  vérité  dramatique  et 
révèlent  un  sentiment  passionné.  Cela  suffirait,  en  dehors 
de  l'intérêt  archéologique,  pour  classer  la  porte  de  Sainte- 
Sabine  parmi  les  monuments  qui  gardèrent  souvenir  de  la 
beauté  antique.  Et  puis,  n'est-ce  rien  que  cette  richesse 
étonnante  d'images?  L'Ancien  et  le  Nouveau  Testament 
s'y  mêlent,  dans  l'intention  de  retracer  l'histoire  sacrée  et, 
par  là,  les  objets  de  la  foi  ^  :  telle  est,  en  effet,  la  transforma- 
tion qu'on  voit  accomplie  dans  l'iconographie  religieuse, 
lorsqu'on  compare  les  reliefs  de  Sainte-Sabine  aux  fresques 
des  catacombes,  avec  leurs  symboles  de  la  résurrection  et  du 

I.  Suite  des  représentations  sculptées  sur  la  porte  de  Sainte- Sabine  (par 
rangées  verticales)  :  I.  i.  Crucifixion.  2.  Guérison  de  l'avcuRle-né.  3.  Le 
Christ  au  cénacle.  4.  Collation  de  la  Loi  à  Moïse.  Buisson  ardent.  Vocation 
de  Moïse.  5.  Le  Christ  devant  Pilate.  6  et  7  (manquent),  il.  8.  Les  saintes 
femmes  au  Tombeau,  g.  Entretien  de  Moïse  avec  Dieu.  Les  miracles  des 
cailles,  de  la  source,  de  la  manne  dans  le  désert.  10.  Jésus  apparaît  aux 
saintes  femmes.  11.  Scène  historique  (?)  12,  i\,  i.|  (man(iuent).  111.  15. 
Adoration  des  Mages.  16.  Ascen.sion.  17.  Reniement  »!e  saint  Pierre.  18. 
Passage  de  la  mer  Rouge.  Serpent  d'airain.  19.  20,  21  (mancpicnt).  IV.  22. 
Les  disciples  d'Emmaùs.  23.  Couronnement  d'un  .saint.  24.  nal>acuo  :<, 
Assomption  d'Élie.  26.  Le  Christ  devant  Caïi>he.  27,  28  (manquent) 


114  ARTS  DÉCORATIFS  EN  ORIENT 

salut.  Avant  que  l'ordre  primitif  des  sujets  n'eût  été  bou- 
leversé par  des  remaniements,  il  est  probable  que  les 
tableaux  de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament  se  répon- 
daient, non  pas  comme  dans  les  œuvres  du  moyen  âge  où  le 
premier  est  opposé  au  second  en  tant  qu'une  figure  opposée 
à  la  réalité  (symbolisme  typologique),  mais  historiquement, 
de  façon  à  représenter  la  doctrine  sous  une  forme  drama- 
tique. 

Ivoires.  Si  le  bois  et  la  pierre  furent  matière  de  travail 
artistique  en  Orient,  que  n'aurons-nous  à  dire  des  ivoires? 
C'était,  a-t-on  pu  affirmer,  une  industrie  spécifiquement 
orientale.  Elle  était  indispensable  au  luxe  domestique  et  fut 
mise  ainsi  tout  naturellement  au  service  du  mobilier  reli- 
gieux. Cathèdres  et  ambons  étaient  décorés  de  tablettes 
sculptées.  Il  fallait  des  reliures,  des  diptyques,  des  coffrets, 
objets  qui,  par  leur  nombre  et  leur  choix,  devinrent  dans 
tout  le  monde  chrétien  un  des  signes  de  la  richesse.  Les  ate- 
liers d'Orient  en  eurent,  pour  ainsi  dire,  le  monopole. 

Alexandrie,  entre  toutes  les  villes,  était  célèbre  pour  ses 
ivoires;  ce  qui  se  comprendra  facilement,  puisque  c'était 
elle,  à  l'époque  hellénique,  qui  avait  le  plus  contribué  à 
introduire  l'art  et  le  luxe  dans  les  métiers  industriels.  De 
plus,  elle  avait  inventé,  outre  le  bas-relief  pittoresque,  les 
scènes  de  genre  et  d'histoire,  qui  étaient  tout  indiquées  pour 
décorer  agréablement  les  feuilles  d'ivoire. 

Certaines  de  ces  dernières,  antérieures  au  triomphe  du 
christianisme  et  représentant  des  motifs  traditionnels  de 
mythologie  décorative,  un  cavalier  en  chasse,  un  guerrier 
debout,  des  Néréides,  des  Bacchantes,  décorent  aujourd'hui 
la  chaire  du  dôme  d'Aix-la-Chapelle,  et  leur  origine  égyp- 


IVOIRES  115 

tienne  est  prouvée  par  d'indiscutables  comparaisons.  Alexan- 
drie, au  iv®  siècle,  était  en  possession  d'une  maîtrise  incon- 
testée en  ce  genre  de  fabrication.  La  Haute-Egypte  et 
surtout  la  Syrie  subissaient  profondément  son  influence. 

Le  plus  beau  des  ivoires  alexandrins  est  certainement 
celui  de  la  collection  Trivulce,  à  Milan  (pi.  XLIV,  2  et  3). 
Il  est  divisé  en  deux  compartiments  où  sont  représentés  les 
soldats  endormis  devant  le  saint  Sépulcre  et  les  femmes  au 
Tombeau.  Les  traits  orientaux  y  sont  manifestes  :  ce  sont 
les  ailes  en  triple  paire  de  l'ange  et  du  bœuf,  la  rotonde  du 
saint  Sépulcre;  plus  bas,  la  porte  entr'ouverte,  qui  est 
caractéristique  de  l'architecture  funéraire  en  Orient;  enfin, 
la  vocation  de  Zachée  figurée  parmi  les  reliefs  de  la  porte; 
mais,  plus  que  ces  signes  matériels,  ce  qui  fait  penser  à 
la  grande  cité  d'Egypte,  c'est  une  composition  où  se  révèle 
l'habitude  des  détails  pittoresques,  une  science  du  modelé, 
une  beauté  d'attitudes  qu'on  n'aurait  guère  rencontrées 
ailleurs  que  dans  la  région  mère  de  l'art  hellénistique.  Le 
Christ  assis  et  parlant  aux  saintes  femmes  n'est-il  pas  digne 
de  la  Grèce  antique  par  la  douceur  et  la  gravité  ?  Il  n'est  pas 
plus  récent  que  le  iv^  siècle.  Nous  ne  doutons  pas  qu'il 
ne  faille  en  rapprocher,  et  pour  l'origine  et  pour  la  date,  les 
augustes  figures  du  diptyque  nuptial  cité  plus  haut  (p.  46). 

A  l'art  alexandrin  du  iv*"  siècle  ressortit  aussi  une  pyxide 
célèbre  du  Musée  de  Berlin  (Ventuki,  I,  fig.  395)-  Tout  le 
génie  de  la  statuaire  hellénistique,  avec  son  amour  de  la 
fierté  majestueuse,  est  resté  là  vivant,  dans  un  Christ 
jeune,  puissant  et  doux,  qui  règne  du  haut  de  son  trône. 
Au  iv®  siècle,  l'Orient  grec  a  créé  du  Christ  quelques  images 
superbes,  celle  du  sarcophage  de  Psamatia,  celle  de  la 
pyxide  que  nous  venons  de  citer.  Partout,  c'est  une  image 


ii6  ARTS  DÉCORATIFS  EN  ORIENT 

de  beauté,  de  jeunesse,  et  Ton  voit  par  là,  que  l'art  byzantin 
du  moyen  âge  souffrit  beaucoup  de  n'avoir  pas  gardé  à  la 
Grèce,  sa  première  institutrice,  plus  de  reconnaissante 
fidélité. 

Simple  parenthèse.  La  famille  des  ivoires  alexandrins 
s'enrichit,  au  v-  siècle,  d'œuvres  comme  le  fragment  de  dip- 
tyque du  Musée  de  Munich  représentant  l'Ascension  (Ven- 
TURi,  I,  fig.  60),  comme  les  quatre  parements  de  coffret  du 
British  Muséum  (Venturi,  I,  fig.  397-400),  dont  la  parenté 
avec  l'ivoire  Trivulce  et  le  fragment  de  Munich  est  certaine. 
Suivant  M.  Strzygowski,  le  fameux  ivoire  de  Trêves,  sur 
lequel  est  figuré  un  cortège  impérial,  serait  une  œuvre 
alexandrine  du  vi®  siècle.  Des  curieux  aux  fenêtres  con- 
templent le  spectacle;  ce  ne  serait  rien  d'autre  que  Justinien 
assistant  à  la  translation  des  reliques  de  sainte  Irène  (Orient 
oder  Rom,  fig.  38) . 

Du  vi^  siècle  encore,  suivant  une  opinion  d'ailleurs  com- 
battue, l'ivoire  Barberini,  au  Musée  du  Louvre  (pi.  XLVI,4). 
C'est  une  feuille  à  cinq  compartiments,  forme  caractéristique 
de  toute  une  famille  de  diptyques.  Au  centre,  un  empereur 
que  la  Victoire  couronne  foule  des  Barbares  aux  pieds  de  son 
cheval;  il  les  frappe  de  sa  lance,  et  la  Terre,  sous  forme  de 
figure  allégorique,  soutient  son  pied.  On  voit  communément 
en  lui  Justinien;  mais  la  facture  du  relief,  comme  aussi  le 
type  des  personnages  ne  semblent  pas  corroborer  cette  opi- 
nion. M.  Strzygowski  n'hésite  pas  à  reconnaître  là  une  œuvre 
du  iv^  siècle  :  l'empereur  serait  Constantin,  représenté 
symboliquement  comme  défenseur  de  la  Foi. 

Tout  ce  qui  précède  montre  comment  l'Occident  tout 
entier  a  vu  sa  part  de  création,  dans  l'art  chrétien  primitif, 
restreinte,  à  la  suite  des  récentes  recherches  !  On  croyait 


Planche  XLV 


TUONI';    DK    KAVKNNI.     :     I.     r.nli,     .mi.ii.m 

parties  hUéralcs.   (IMioi.    K'icri.i 


t       :        I»..!    .,• 


IVOIRES  117 

naguère  à  l'existence  d'une  école  ravennate  d'ivoiriers,  dont 
le  trône  de  l'évêque  Maximien  (pi.  XLV),  conservé  dans  la 
sacristie  du  dôme  à  Ravenne,  eût  été  le  chef-d'œuvre.  Une 
telle  opinion  s'ébranle  si  l'on  considère  en  ce  travail  les 
caractères  de  la  technique,  le  choix  des  motifs  de  déco- 
ration, le  type  des  personnages,  et  si  l'on  se  souvient  que 
les  œuvres  d'ivoire  étaient  couramment  transportées 
d'Orient  en  Occident. 

En  loio,  le  doge  Pietro  Orseolo  en  fit  présent  à  Othon  III. 
qui  résidait  alors  à  Ravenne,  et  celui-ci  le  laissa  à  la  cathé- 
drale de  la  ville.  D'où  provenait-il?  Comment  s'était-il 
trouvé  aux  mains  du  doge  vénitien?  On  ne  le  sait.  Certains 
prétendent  qu'il  fut  seulement  alors  apporté  en  Italie;  mais 
il  est  décoré  du  monogramme  d'un  évêque  appelé  Maximien, 
en  qui  la  plupart  des  archéologues  reconnaissent  l'évêque 
de  Ravenne  qui  mourut  en  553.  Quoi  qu'il  en  soit,  son  exé- 
cution remonte  au  vi^  siècle,  époque  tardive  par  laquelle 
s'expliquent  la  majesté  traditionnelle  de  certaines  figures, 
l'opulence  du  décor  végétal  et  la  lourdeur  un  peu  barbare 
de  ses  compositions  historiques. 

La  chaire  est  toute  revêtue  de  tablettes  d'ivoire  formant 
panneaux  et  encadrements.  Parmi  ces  derniers,  on  admire 
surtout  ceux  qui  décorent  la  face  antérieure  du  siège.  Ce 
sont  des  pampres  de  vigne,  chargés  de  feuilles  et  de  grappes, 
déroulant  leurs  volutes  au  milieu  desquelles  apparaissent 
des  animaux  :  hons  héraldiques,  cerfs  broutant  des  feuilles, 
paons  orgueilleux,  oiseaux  picorant  le  raisin,  lapins  fuyant, 
canards  au  repos,  voire  un  bœuf  à  la  marche  lente  et 
beuglant.  Un  vase  ornemental  au  milieu  de  la  bordure 
inférieure  donne  naissance  aux  longs  rinceaux  qui  envelop- 
pent dans  leurs  lacis  vigoureux  tout   le  p(Miple  des  bêtes, 

II,  12 


ii8  ARTS  DÉCORATIFS  EN  ORIENT 

Rome  ne  connut  rien  de  tel  dans  sa  décoration,  sinon  par 
voie  d'emprunt,  tandis  qu'entre  l'ornementation  végétale 
de  la  chaire  de  Ravenne  et  celle  de  nombre  d'objets 
retrouvés  en  Egypte,  il  y  a  identité. 

Au  centre,  apparaît  saint  Jean-Baptiste,  et  cette  place 
éminente  s'explique  par  le  fait  que  la  cathèdre  aurait  été 
siège  d'évêque  dans  un  baptistère;  de  chaque  côté,  deux 
évangéhstes;  en  tout,  cinq  figures  debout  dans  des  niches 
peu  profondes,  cantonnées  de  colonnes  et  ornées  d'une 
coquille  dans  le  fond.  Cette  façon  d'encadrer  la  figure 
humaine  rappelle  toute  une  série  de  sarcophages,  mais 
comme  le  relief  est  différent  !  Les  corps,  ici,  n'ont  pas  de  pro- 
fondeur, le  modelé  est  douteux,  comme  d'ailleurs  les  pro- 
portions et  l'anatomie.  Heureusement,  les  attitudes  sont 
solides  et  élégantes,  les  draperies  ont  l'ampleur,  sinon  la 
chaleur  et  le  poids.  Les  types,  en  qui  l'on  ne  peut  distinguer 
nul  trait  d'individuaUté  particulière,  sont  d'une  gravité 
majestueuse,  solennelle.  Malgré  la  décadence  avérée  du 
métier,  on  y  perçoit  je  ne  sais  quelle  grandeur  émanant 
encore  de  l'idéal  divin  conçu  par  l'antiquité. 

Il  s'en  faut  de  beaucoup  que  les  petits  bas-reliefs  histo- 
riques des  bras  et  du  dossier  atteignent  à  un  égal  degré  de 
perfection.  Un  ciseau  grossier  a  construit  des  corps  sans  sou- 
plesse, sans  harmonie;  les  têtes,  avec  leurs  cheveux  hérissés, 
leurs  visages  anguleux,  leurs  cous  énormes,  n'offrent  qu'une 
conception  barbare  et  toute  conventionnelle  de  la  figure 
humaine.  Il  n'y  aurait  à  signaler  que  laideurs  dans  cette 
partie  de  l'œuvre,  si  les  gestes  n'étaient  variés,  les  attitudes 
vraies,  l'expression  des  sentiments  naïvement  sincère  et 
spontanée;  si  le  tableau  enfin,  meilleur  dans  l'ensemble  que 
dans  les  détails,  ne  rachetait  les  défauts  de  la  forme  par  l'élo- 


IVOIRES 


119 


quence  des  sentiments,  et  l'absence  de  talent  dans  la  compo- 
sition par  une  représentation  vraiment  animée  de  la  vie 
(pi.  XLV). 

Peut-on  attribuer  ces  reliefs  à  la  main  qui  sculpta  les 
évangélistes?  Nous  ne  le  pensons  pas,  encore  qu'il  y  ait  de 
grandes  similitudes  de  dessin  entre  les  types.  Tout  le  travail 
fut  exécuté  dans  le  même  atelier;  mais  tandis  qu'un  artiste 
véritable  gardait  aux  saints  isolés  les  caractères  de  beauté 
idéale  établis  par  la  tradition  dans  le  grand  art,  les  ordinaires 
graveurs  de  l'atelier  découpaient  de  leur  mieux  les  figures 
des   autres   bas-reliefs.    En   ce   genre   de   compositions,   ils 
n'étaient  pas  astreints  au  même  point    à  observer  les  pré- 
ceptes traditionnels  :  pour  quelques  gestes  et  attitudes  clas- 
siques, que  d'autres  uniquement  dus  à  leur  imagination,  à 
leur  sens  de  la  vérité  !  Il  est  visible  que  leur  art  n'avait  rien 
de  stéréotypé,  mais  représentait  sans  restriction  ni  efforts 
l'état  de  la  sculpture  industrielle  vers  le  milieu  du  vi    siècle: 
de  là  son  caractère  populaire  opposé  à  la  noblesse  foncière 
des  types  sacrés.  On  dirait  d'un  art  de  paysan  à  côté  d'un 
art  aristocratique,  le  premier  vivant  et  vulgaire,  le  second 
majestueux  et  un  peu  gourmé;  ce  qui  s'explique  avant  tout 
par  la  différence  des  sujets  à  représenter,  car  les  saints  font 
partie  de  l'art  officiel  et  religieux,  conservateur  de  sa  nature; 
les  bas-reliefs  historiques  sont  des  scènes  de  genre  sur  les- 
quelles un  esprit  de  liberté  règne  en  maître.  Au  surplus,  à 
l'époque  dont  nous  parlons,  une  influence  notable  de  l'Asie- 
Mineure  se   faisait  sentir  dans   les    ateliers    alexandrins  : 
cela  est  marqué  plus  profondément  dans  les  petites  compo- 
sitions figurées  que  dans  les  images  des  saints  '. 

I.    Cf.   fragments   de   coflfret  à  la  BibliothtViuc    Natioualc  de   Paris. 
Venturi,  I,  fig.  364. 


120  ARTS  DÉCORATIFS  EN  ORIENT 

Est-il  besoin  de  dire  que  l'iconographie  du  trône  de 
Ravenne  présente  le  plus  haut  intérêt?  Elle  contient  l'his- 
toire de  Joseph,  où  les  traits  proprement  égyptiens  sont 
nombreux,  et  des  scènes  de  la  vie  de  Jésus,  dont  plusieurs 
sont  dues  à  des  légendes  nées  en  Asie-Mineure.  Ces  der- 
nières, nous  pouvons  les  identifier  par  les  évangiles  apo- 
cryphes :  c'est  Marie  filant  la  laine,  tandis  que  l'ange  vient 
lui  annoncer  sa  maternité  miraculeuse;  1'  «  épreuve  de  l'eau», 
à  laquelle  le  grand-prêtre,  pour  vérifier  les  accusations  d'un 
scribe,  soumet  Marie  et  Joseph;  la  sainte  Famille  conduite 
par  un  ange  à  Bethléem  ;  la  punition  de  Salomé,  qui  avait 
douté  de  Marie.  Ainsi  l'âme  populaire  commençait  à 
demander  aux  arts  la  consécration  des  récits  engendrés  par 
sa  curieuse  et  naïve  piété. 

Le  Musée  de  Berlin  possède  un  beau  diptyque  (pl.XLVII,i) 
dont  les  figures,  le  Christ  avec  saint  Pierre  et  saint  Paul, 
la  Vierge  et  l'Enfant  avec  des  anges,  rappellent  invincible- 
ment les  évangélistes  du  trône  de  Ravenne  ;  elles  proviennent 
du  même  atelier.  Un  diptyque  de  la  Bibliothèque  natio- 
nale de  Paris  (pi.  XLVI,  2)  accuse  aussi  une  parenté 
certaine  avec  la  chaire  de  Maximien  :  si  cette  dernière  est 
d'Egypte,  comme  cela  paraît  certain,  il  en  est  de  même  de 
l'ivoire  de  Paris.  On  peut  même,  croyons-nous,  aller  plus 
loin  et  considérer  comme  des  œuvres  exportées  d'Orient  en 
Europe  toute  une  série  d'ivoires  qu'on  se  plaisait  à  tenir  pour 
des  imitations  barbares  des  évangélistes  de  Ravenne  : 
citons  ceux  de  Bologne  (Venturi,  I,  fig.  391),  du  Louvre 
(Id.,  I,  fig.  392),  de  Tongres  (Reusens,  I,':fig.  195). 

Il  est  toujours  assez  difficile  d'indiquer  avec  précision  le 
lieu  de  provenance  de  ces  petits  objets,  si  importants  pour 
l'étude  des  traditions  artistiques.  Tandis  que  la  couverture 


Pf  ANCHE  XLVI, 


I.  Diptvtiiu'  tloJhrc;illu"(h\ilr  dr  Milan.  —  2.  Diptyque  de  la  liilWu>- 
tliùiiiK-  iKilioiiiik'.-  ^  niptyquiMii- Murant)  (phot.  Kicci).  -  ^.  Ivoire 
Barbcrini  (Monunuius  l'iot). 


Planche  XLVIl. 


1.  I)ii>i\i|iic  (lu  Miisrc  tic  lU'rlin.  —  2.  Diptyque  <lu  Muséi-  brilan- 
niciiK".  ^  I  )i|)ty«iiu' (I  Aii.istasins,  Musée  tic  Horlin.  -  }.  Hiptyquc 
tl'uii  consul  anonyme,   HibliollKiiuc  nationale. 


IVOIRES  121 

de  l'évangéliaire  d'Etschmiadzin  est  sûrement  syrienne  ^  on 
peut  hésiter  pour  ce  qui  concerne  le  diptyque  de  Murano, 
au  Musée  de  Ravenne,  entre  la  Syrie  et  la  Haute-Egypte. 
La  dernière  opinion,  soutenue  par  M.  Strzygowski.  nous 
paraît  être  la  plus  sûre  :  elle  se  fonde  sur  de  nombreuses 
comparaisons.  Aussi  bien,  les  ivoires  d'Egypte  et  de  Syrie, 
aux  vi®  et  VII®  siècles,  sont  parents;  ils  ne  forment  qu'un 
groupe.  Le  diptyque  de  la  cathédrale  de  Milan  (pi.  XLVI,  i) 
suivant  une  démonstration  très  convaincante  qu'on  doit 
aussi  à  M.  Strzygowski,  provient  d'Asie-Mineure  -'. 

Reste  Byzance,  à  qui  l'on  peut  attribuer  à  coup  sûr  toute 
une  série  de  diptyques  consulaires  allant  du  v®-vie  nu 
IX®  siècle.  Depuis  Constantin,  ces  œuvres  d'art  officiel,  soit 
en  Italie,  soit  à  Constantinople,  n'avaient  cessé  de  s'éloigner 
de  plus  en  plus  du  type  gréco-romain,  pour  se  rapprocher 
de  la  figure  hiératique  et  fastueuse  que  l'Orient  avait  tôt 
accoutumé  de  donner  à  ses  empereurs  et  magistrats.  Les 
fragments  de  diptyques  que  nous  reproduisons,  celui  d'un 
consul  anonyme  du  commencement  du  vi^  siècle,  à  la 
Bibliothèque  nationale  de  Paris  (pi.  XLVII,  4).  celui  du 
consul  Anastasius  (517),  au  Musée  de  Berlin  (pi.  XLVII.  3) 
montreront  cette  transformation  déjà  opérée. 

Constantinople  fabriquait  encore,  comme  \me  véritable 
spécialité,  des  coffrets  et  pyxides  destinés  à  des  usages 
domestiques.  Il  en  est  dans  tous  les  musées  d'Europe.  Vrais 
objets  d'art  industriel,  les  tabletiers  byzantins  les  décoraient 
de  motifs  traditionnels  et  profanes  :  centaures,  cavaliers, 
courses  de  chars  et  combats.  Orphée  et  Hercule  surtout  y 

1.  Strzygowski,  Hellenistische  und  Koptischc  Kutist  m  Alcxandria,  p. 86. 

2.  Id.,  Kleinasien,  p.  199. 


122  ARTS  DÉCORATIFS  EN  ORIENT 

occupent  une  place  importante.  Mais  ce  ne  sont  là  que 
motifs  d'ornement  dénués  de  sens  et  que  l'ouvrier  lui-même 
ne  comprend  plus.  Les  encadrements  sont  faits  ordinai- 
rement de  rosettes  juxtaposées.  Quoi  qu'on  en  ait  dit,  cette 
fabrication  ne  semble  pas  s'être  prolongée  au  delà  du 
vie  siècle  (pi.  XLVIII,  i). 

Il  va  de  soi  que  les  ateliers  byzantins  exécutaient  aussi  des 
objets  à  représentations  chrétiennes.  L'art  religieux,  dans 
la  capitale  de  l'empire  d'Orient,  avait  une  tendance  à  la 
majesté  hautaine  et  impersonnelle.  Le  meilleur  exemple 
qu'on  en  puisse  donner  est  peut-être  l'ange  du  British 
Muséum  porteur  du  sceptre  et  du  globe  (pi.  XLVII,  2). 
Son  cadre  architectonique  indique  les  styhsations  de  forme 
et  de  décor  subies  par  l'architecture  classique  à  Constan- 
tinople.  Sa  pose  héroïque,  son  allure  impériale  appellent 
nécessairement  une  comparaison  avec  les  mosaïques  dont  les 
artistes  byzantins  ornèrent  les  églises  de  Ravenne  au 
VI    siècle. 

En  résumé,  deux  influences  bien  distinctes  ont  déterminé 
l'évolution  de  l'ivoirerie  orientale  :  l'influence  hellénistique, 
dont  le  foyer  se  trouve  à  Alexandrie  et  qui  tend  à  maintenir 
intact  tout  ce  qui  faisait  la  beauté  distinctive  de  l'art  grec 
sous  le  règne  des  Ptolémées,  les  belles  attitudes,  les  nobles 
draperies,  les  types  souverains  et  cet  amour  du  pittoresque 
conventionnel  par  quoi  l'esprit  en  arrivait  à  orner  la  nature  ; 
l'influence  orientale,  qui  se  caractérise  par  l'ignorance  du 
style,  des  conceptions  spontanées,  une  exécution  barbare, 
encore  que  vivante,  de  la  figure  humaine,  une  stylisation  dès 
longtemps  apprise  des  motifs  naturels  et  qui  tend  à  briser 
les  cadres,  à  détruire  les  canons  de  l'antiquité  classique.  La 
première  apparaît  toute  pure,  ou  peu  s'en  faut,  dans  l'ivoire 


IVOIRES  123 

Trivulce,  la  pyxide  de  Berlin,  les  fragments  de  coffret  du 
British  Muséum  ;  elle  est  adultérée  par  la  seconde  dans  des 
œuvres  comme  le  trône  de  Ravenne  ;  étouffée  dans  d'autres, 
comme  le  diptyque  de  Murano.  Le  combat  qu'elles  se  livrent 
est  surtout  sensible  à  Byzance,  où  le  cérémonial  de  cour  et 
d'église  —  entendez  l'étroite  union  de  l'art  officiel  et  de  l'art 
religieux  —  vint  d'ailleurs  contribuer  à  un  développement 
particulier  :  dans  les  diptypes  byzantins,  on  peut  remarquer 
d'une  part,  les  habitudes  communes  à  Rome  et  à  la  Grèce  en 
ce  qui  concerne  le  choix  des  sujets  et  la  traduction  des 
épisodes;  d'autre  part,  des  méthodes  d'exécution  et  des 
interprétations  de  types  libérées  du  souvenir  antique.  Plus 
tard,  après  un  tassement  d'idées  et  de  conceptions  qui  dura 
plusieurs  siècles,  alors  que  les  métiers  avaient  eu  le  temps  de 
déchoir  et  de  récupérer  leur  ancien  honneur,  la  dynastie 
macédonienne  ayant  succédé  aux  empereurs  iconoclastes, 
naquit  le  style  byzantin  définitif,  non  plus  restreint  celui- 
là  aux  ateliers  de  la  cité  impériale,  mais  qui  s'imposa  à  tout 
l'Orient,  celui  que  la  renaissance  du  x  siècle  fit  éclore  avec 
une  vigueur  merveilleuse  et  dont  la  beauté  toujours  imbue 
des  anciens  souvenirs  de  la  Grèce,  du  long  travail  d'élabora- 
tion accompH  sous  les  premiers  empereurs  chrétiens,  s'affirme 
dans  des  chefs-d'œuvre  comme  l'ivoire  Harbaville  d'Amiens 
(pi,  XLVIII,  2)  et  le  diptyque  de  Romanos  et  d'Eudoxie. 


Planche  XLVIII, 


1.  Colin  t  l)v/.mtiii.        î.  Triptyiiuc  HarUivillc,  Allm•n^. 


CHAPITRE   XV 

LES   ARTS   DÉCORATIFS    EN   ORIENT    (suite) 

Peintures  et  mosaïques  d'Orient.  Les  fresques  d'El-Bagaouat.  Mosaïques 
de  Saint-Georges  à  Salonique.  Fresques  de  Baouit  (vi^  siècle).  Les  minia- 
tures. U Iliade  de  la  Bibliothèque  ambrosienne  et  le  Virgile  du  Vatican. 
Le  Calendrier  de  354.  Le  Dioscoride  de  Vienne.  La  Topographie  de  Cos- 
mas  Indicopleustès.  La  Genèse  de  Vienne.  La  Bible  de  Cotton.  Le  Rouleau 
de  Josué.  Octateuques.  Psautiers.  Évangéliaires.  Évangéliaire  de  Ros- 
sano.  Évangéliaire  de  Rabula.  Tissus.  Orfèvrerie  et  émaillerie. 

Fresques.  Mosaïques.  —  De  même  que  les  ivoires,  les 
fresques  et  mosaïques  chrétiennes  de  l'Orient  sont  pleines, 
au  début,  de  la  fantaisie  des  décorations  murales  et  des 
tableaux  exécutés  en  Egypte  sous  le  règne  des  Ptolémées. 

Mieux  qu'à  Rome,  où  un  besoin  d'ordre  et  de  symétrie 
régit  très  tôt  tout  l'art  décoratif,  en  Orient  se  conserva  l'es- 
prit de  fidélité  aux  compositions  un  peu  décousues,  mais  si 
riches  de  vie  et  d'imagination,  auxquelles  le  nom  d'Alexan- 
drie reste  attaché.  Comparativement  aux  peintures  des 
catacombes  romaines,  la  fresque  du  cimetière  de  Karmouz 
se  distingue  par  la  variété  de  l'invention,  la  souplesse  du 
dessin.  A  une  époque  plus  récente,  vers  la  fin  du  iv«  siècle, 
la  décoration  d'une  coupole  de  chapelle  à  Kl-Bagaouat.  dans 
la  grande  oasis,  atteste  encore  un  attachement  invincible  au 
style  pittoresque  et  conventionnel.  Point  d'encadrements 
réguliers,  de  bordures  géométriques  :  les  scènes  bibliques  qui 


126  ARTS  DÉCORATIFS  EN  ORIENT 

constituent  l'objet  de  toutes  ces  représentations  se  juxta- 
posent sur  le  fond  blanc,  au  gré  d'un  libre  esprit  décoratif. 
Du  sommet  de  la  coupole,  où  l'on  peignit  un  vase  en  forme 
de  tour,  tombent,  comme  une  longue  chevelure,  des  ceps 
chargés  de  grappes  que  becquètent  des  volées  d'oiseaux  i. 
C'était  là  le  charme  perpétué  d'Alexandrie. 

Cependant,  dès  cette  époque,  l'architecture  exerçait  sur 
la  décoration  une  influence  régulatrice.  Une  autre  coupole 
d'El-Bagaouat  montre  des  rinceaux  et  des  branches  de  lau- 
rier déployés  en  cercles  autour  desquels  des  personnifica- 
tions alexandrines,  la  Prière,  la  Justice,  se  mêlent  aux 
scènes  bibliques.  Les  arcades  et  les  nefs  n'étaient  ornées  que 
d'ornements  végétaux  et  de  motifs  géométriques.  «  Ainsi,  dit 
M.  Millet,  on  voit  en  un  même  lieu  la  décoration  libre  et 
souple,  inspirée  par  la  tradition  hellénistique,  céder  la  place 
aux  zones  concentriques,  aux  processions  sévères  et  mono- 
tones, aux  figures  de  grandeur  naturelle  ou  de  proportions 
colossales,  alignées  sur  un  seul  plan,  sans  fond  ni  accessoires, 
en  un  mot  au  style  monumental.  » 

Cercles  concentriques  sur  les  parois  des  coupoles,  frises  et 
panneaux  rectangulaires  le  long  des  nefs,  tout  cela  provenait 
des  lois  de  rythme  et  de  symétrie  imposées  par  l'édifice  à  la 
décoration.  Mais  bien  d'autres  causes  contribuèrent  encore 
à  la  transformation  du  style  pittoresque,  à  partir  du  milieu 
du  iv^  siècle.  La  peinture  d'histoire  remplaça  généralement 
les  compositions  symboliques,  et  par  peinture  d'histoire  il 
ne  faut  pas  entendre  seulement  les  scènes  de  l'Ancien  et  du 
Nouveau  Testament,  mais  encore  les  images  des  martyrs  et 
de  leurs  suppHces,  les  portraits  des  empereurs  et  la  représen- 

I.  'Lbci.ercq,  Dictionnaire  (Cabrol),  II,  i,  article  Bagaouat. 


FRESQUES  ET  MOSAÏQUES  127 

tation  de  leurs  exploits.  L'Orient,  à  ce  point  de  vue,  fut  bien 
plus  docile  que  Rome  aux  exemples  de  l'art  officiel  et  l'on  vit 
tôt  le  faste  des  costumes  et  la  majesté  cérémonieuse  com- 
battre la  beauté  naturelle  des  types  helléniques.  Les  scènes 
de  genre  et  les  tableaux  de  nature  qui  avaient  paru  propres, 
pendant  une  partie  du  iv®  siècle,  à  décorer  les  églises  sans 
heurter  la  foi  ni  égarer  la  piété,  les  jardins  et  les  chasses 
que  certains  Pères  préféraient,  en  raison  de  leur  absence  de 
signification  {cf.  pi.  XLIX,  3),  à  des  peintures  religieuses 
susceptibles  d'être  superstitieusement  honorées,  ne  tinrent 
pas  contre  la  prédilection  des  fidèles  pour  les  histoires  de 
piété.  Et  ce  fut  une  autre  source  de  fantaisie  qui  se  trouva 
tarie.  L'Église,  d'ailleurs,  comprenant  tout  le  parti  qu'elle 
pouvait  tirer  des  images  pour  l'enseignement  de  la  doc- 
trine et  l'accroissement  de  la  piété  populaire,  développa 
le  goût  des  représentations  pieuses.  Elle  sut  même  y 
enfermer  les  éléments  d'un  nouveau  symbolisme,  non  plus 
eschatologique  et  moral  au  premier  chef,  comme  aux  cata- 
combes, mais  didactique  avant  tout,  pénétré  de  principes, 
voire  même  de  subtilités  théologiques.  L'ornement,  à  son 
tour,  perdit  sa  spontanéité  première.  Rinceaux  et  guirlandes 
furent  stylisés.  Et  quand  on  voulut  enrichir  le  trésor  des 
motifs  ornementaux,  on  fit  des  emprunts  aux  formes 
d'architecture  qui  semblaient  convenir  à  ce  dessein  par 
définition,  et  au  mobilier  d'église  à  qui  on  ne  tarda  pas  à 
donner  \me  valeur  symbolique.  Nous  trouverons  des 
témoignages  de  ces  transformations  dans  les  mosaïques  de 
Ravenne,  si  heureusement  conservées;  mais  il  était  bon 
d'établir,  dès  maintenant,  à  quelles  causes  était  due  cette 
décoration  des  églises  d'Orient,  hiératiciue  dans  la  figure 
humaine,  stylisée  dans  l'ornement,  mais  solennelle,  majes- 


128  ARTS  DÉCORATIFS  EN  ORIENT 

tueuse  et,  par  là,  très  propre  à  s'harmoniser  avec  l'impas- 
sible rigidité  des  édifices. 

Le  style  monumental  était  à  peu  près  élaboré,  à  la  fin  du 
v^  siècle,  dans  les  mosaïques  de  Saint-Georges  de  Salonique. 
Toute  une  zone  de  la  coupole  était  remplie  par  des  architec- 
tures de  palais  irréels,  splendides  et  légers,  dont  les  décora- 
tions murales  d'Alexandrie  et  de  Pompéi  avaient  pu  suggé- 
rer la  forme,  mais  dont  l'Orient,  certes,  avait  inventé  la 
parure,  c'est-à-dire  les  colonnes  resplendissantes  de  pierre- 
ries, les  baies  cintrées  aux  rideaux  de  pourpre,  les  coupoles 
aux  calottes  quadrillées,  les  corniches  d'azur  et  d'émeraude. 
Un  édicule  octogone  à  l'intérieur  duquel  est  suspendue  une 
lampe  se  trouve  au  centre  de  la  composition  (Leclercq, 
Manuel,  II,  fig.  222)  ;  on  ne  peut  voir  là  autre  chose  que  le 
parvis  de  la  Jérusalem  céleste;  deux  saints  sont  là,  debout, 
faisant  le  geste  des  orantes. 

Le  règne  de  Justinien  ne  fit  que  rendre  plus  marqués  les 
caractères  du  style  monumental.  Il  n'y  a  peut-être  que  l'art 
chrétien  de  la  Haute-Egypte,  l'art  copte,  qui  se  soit  net- 
tement souvenu,  au  vi^  siècle,  des  prestiges  alexandrins  et 
des  sujets  familiers  aux  premières  églises.  A  Baouit,  M.  Clé- 
dat  a  récemment  découvert  des  fresques  merveilleuses  de 
fraîcheur  et  de  vérité  naturelle.  On  y  remarque,  à  titre  d'or- 
nement, des  animaux  parmi  des  fleurs  :  animaux  et  fleurs  sont 
vivants.  Certaine  chapelle  est  décorée  de  représentations  de 
chasse;  des  bordures  de  médaillons  rappellent  et  les  por- 
traits hellénistiques  du  Fayoum  et  ceux  que  nous  avons 
signalés  dans  le  tombeau  de  Palmyre.  Que  si  David  appa- 
raît comme  échanson,  c'est  au  milieu  d'un  paysage  aimable 
et  sous  les  traits  d'un  éphèbe  gracieux.  Tandis  que  le  Christ 
est  baptisé  dans  le  Jourdain,  le  fleuve  est  personnifié  par 


Planche  XLIX. 


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1.  .M()s.ii(|in-  (le  la  Hasilii|iu'  de  l'arenzo.  —  2.  i^avcment  clr  Jènisa- 
lem.  -  -  j.  Mosaïque  à  Saint  Ceorucs  de  Saloniquc.  (IMu)l.  Hautt-îi 
Etudes,  Millet.) 


miniaukks  :  i.  \iii;ilc  tlu  N'.Uicaii.   —  2.  t'osmas    du    Vatio.in. 
3.  Rouleau  de  Josuc  au  Vatican.  (Pliot.  Hautes  Etudes,  Millet.) 


MINIATURES 


129 


un  jeune  homme;  un  canard  étonné  est  représenté  sur  la 
rive...  La  stylisation  se  manifeste  en  certaines  scènes,  comme 
la  Vierge-Mère  au  milieu  des  saints,  le  Christ  trônant.  Mais, 
d'une  façon  générale,  cet  art  est  indépendant  et  se  souvient 
de  ses  origines  ^ 

Or,  dans  le  même  temps,  on  décorait,  sous  l'empire  de 
Fart  officiel,  Sainte-Sophie,  de  Constantinople,  Sainte- 
Sophie  et  Saint-Démétrius,  de  Salonique  (Diehl,  fig.  gi 
et  suiv.),  la  basilique  de  Parenzo,  en  Istrie  (pi.  XLIX,  i)  : 
ces  œuvres  possédaient  déjà  tous  les  traits  généraux  du 
style  byzantin,  que  bientôt  nous  retrouverons  à  Ravenne. 

La  guerre  des  images  au  viii®  siècle  entrava  le  dévelop- 
pement de  l'art  religieux  en  Orient.  Ce  ne  fut  qu'un  temps 
de  repos.  Sous  les  dynasties  des  Macédoniens  et  des  Com- 
nènes,  la  peinture  et  la  mosaïque  refleurirent  dans  les  églises. 

Toutefois,  que  pouvait-on  attendre  d'un  art  qui  n'attes- 
tait son  progrès  qu'en  restreignant  toujours  davantage  sa 
liberté  ?  La  décoration  des  églises  accentua  encore  son 
obéissance  aux  lois  d'architecture  :  ce  lui  fut  l'occasion  d'un 
renouveau  de  gloire,  et  c'est  alors  que  les  principes  du 
style  monumental  furent  poussés  à  leur  summum  de 
rigueur.  De  là  une  indéniable  solennité,  une  grande  magni- 
ficence, mais  la  décoration  ne  sut  point  se  renouveler,  et 
d'une  fidélité  qui  dégénéra  un  jour  en  servilité  grossière, 
elle  mourut. 

Miniatures.  Il  serait  difficile  d'exagérer  l'intlucnce  de 
l'architecture  sur  les  arts  du  dessin,  à  partir  de  Constantin. 
Tout  le  grand  art  en  fut  tributaire,  et  en  cela  résida,  connue 

'  Leclercq,  Dictionnaire  (Cabrol),  article  Uaoutl. 


130  ARTS  DÉCORATIFS  EN  ORIENT 

nous  venons  de  le  voir,  le  secret  de  sa  grandeur  et  de  sa  déca- 
dence. Les  arts  mineurs  eux-mêmes  commencent  leur  évo- 
lution dans  l'indépendance  des  édifices  et  bientôt  subissent 
la  contagion  du  style  monumental.  Rappelons-nous  les 
ivoires.  Il  n'est  peut-être  que  la  miniature  dont  on  puisse 
dire  qu'elle  ait  défendu  avec  succès  sa  liberté:  non  qu'elle 
soit  restée  indemne  de  toute  contamination  architecto- 
nique,  ce  qui  eût  été  d'ailleurs  un  appauvrissement  volon- 
taire, mais  parce  qu'on  la  vit  toujours  conserver  une  pré- 
dilection foncière  pour  le  style  pittoresque.  A  ce  point  de 
vue,  elle  est  grecque  plutôt  qu'orientale.  Elle  procède  des 
décorateurs  alexandrins,  toujours  amusés  par  le  spectacle 
de  la  vie  dans  la  nature,  plutôt  que  des  artistes  asiatiques, 
portés  à  sacrifier  la  nature  au  style.  Sa  tâche  était 
variée  comme  les  textes  mêmes  qu'elle  avait  à  traduire  en 
images.  Ni  l'Église  ni  la  cour  ne  lui  imposaient  des  règles 
trop  rigides;  car  si  elle  enseignait  les  fidèles,  comme  la  pein- 
ture murale  et  la  mosaïque,  sa  mission  était  de  raconter  de 
belles  histoires,  non  d'exposer  des  dogmes  ;  et  les  princes  ne 
pouvaient  guère  compter  qu'elle  pût  accroître  aux  yeux  de 
la  foule,  ainsi  qu'une  grande  décoration  d'église,  le  prestige 
impérial.  Elle  se  développa  donc  de  soi,  peut-on  dire,  en 
dehors  de  toute  contrainte,  vouée,  entre  tous  les  arts,  à 
populariser  dans  la  société  nouvelle  les  types  et  les  procédés 
de  composition  de  l'art  hellénistique. 

Il  y  eut  des  manuscrits  hturgiques  dès  avant  la  paix  de 
l'Église.  Étaient-ils  décorés  de  miniatures?  C'est  peu  pro- 
bable. Mais  ceux-là  l'étaient  sans  doute  que  Constantin 
commanda  au  nombre  de  cinquante  à  l'historien  Eusèbe, 
pour  en  faire  présent  aux  églises  dépouillées  pendant  les 
persécutions. 


MINIATURES 


1  ;i 


Les  plus  anciens  manuscrits  à  miniatures  que  nous  possé- 
dions sont  V Homère  de  la  Bibliothèque  ambrosienne,  àMilan. 
et  le  Virgile  du  Vatican  (pi.  L,i),  œuvres  du  iv*'  siècle.  Le 
dernier,  dans  ses  meilleures  pages,  montre  des  couleurs  déli- 
cates, aux  tons  clairs  harmonieusement  mariés.  Les  compo- 
sitions en  sont  pauvres,  le  dessin  mou  et  laborieux,  mais  les 
gestes  sont  vrais,  les  attitudes  gardent  toute  leur  noblesse. 
Le  décorateur  du  manuscrit  de  Milan  dessine  mieux;  il  est 
plus  hardi.  Il  met  plus  de  mouvement  dans  ses  figures,  plus 
de  variété  dans  ses  compositions  (Venturi,  i,  fig.  126). 
De  part  et  d'autre,  si  l'exécution  est  médiocre,  on  sent 
présent  le  souvenir  des  fresques  décoratives  et  des  tableaux 
de  l'époque  hellénistique. 

Tel  est  aussi  le  caractère  du  Calendrier  de  354,  connu  par 
trois  copies  (Bruxelles,  Vienne,  Rome),  faites  au  xviii®  siècle, 
d'après  deux  originaux  effacés.  Sur  le  frontispice,  des  divi- 
nités astronomiques  et  des  allégories  accompagnent  les  por- 
traits de  Constantin  II  et  Constance  en  costume  officiel.  Plus 
loin,  les  Mois,  figurés  avec  leurs  symboles,  des  animaux,  des 
fruits,  des  légumes,  ont  fourni  le  thème  de  petits  tableaux 
de  genre.  Et  tout  ceci  mérite  d'être  noté;  car  c'est  par  là  que 
l'antiquité  alexandrine  se  perpétue  à  travers  les  siècles  chré- 
tiens. 

Les  personnifications  de  pays  et  de  villes  y  étaient  fré- 
quentes, ce  qui  est  un  autre  trait  particulier  de  l'art  antique 
depuis  les  exemples  hellénistiques  de  la  fin  du  iv®  siècle  avant 
Jésus-Christ.  Elles  se  développent,  ces  personnifications  et 
allégories,  se  multiplient,  au  vi^^  siècle,  dans  \cI)ioscoriih'  •  de 


I,  Dioscoride,  un    médecin,  vivait    au    l'*"^    siècle    et    faisait    partie  de 
l'école  d'Alexandrie. 


132  ARTS  DÉCORATIFS  EN  ORIENT 

Vienne,  exécuté  en  524  pour  la  princesse  Julia  Anicia. 
Citons  un  exemple  d'après  M.  Millet.  En  frontispice,  «  la 
princesse  Julienne,  escortée  par  deux  jeunes  filles,  la  Magna- 
nimité et  la  Réflexion,  reçoit  des  mains  d'un  petit  génie 
ailé,  le  Désir  de  la  sagesse  créatrice,  un  livre  ouvert,  tandis 
qu'une  autre  jeune  fille  allégorique  se  prosterne  à  ses  pieds 
en  signe  de  reconnaissance  »  (Millet,  fig.  113). 

Ainsi  la  décoration  des  livres  profanes,  pendant  les  pre- 
miers siècles  du  christianisme,  se  rattachait  étroitement  à  la 
peinture,  aux  fresques  et  aux  tableaux  décoratifs  qui,  du 
ne  siècle  avant  Jésus-Christ  au  11^  siècle  après,  firent  la 
gloire  des  maisons  riches  dans  les  villes  grecques  d'Orient,  à 
Pompéi,  à  Rome.  Elle  en  était  l'héritière  et  en  reflétait 
encore  les  caractères  principaux.  Jusqu'en  plein  moyen  âge, 
cette  tradition  se  survécut  dans  les  manuscrits  profanes. 

Mais  il  nous  tarde  de  montrer  les  miniaturistes  commen- 
tant par  leurs  images  des  sujets  chrétiens. 

Mi-profanes,  mi-religieuses,  comme  le  manuscrit  lui-même, 
sont  celles  de  la  Topographie  de  Cosmas  Indicopleustès.  Cos- 
mas.  Alexandrin,  géographe  et  voyageur,  d'où  son  surnom, 
vivait  au  milieu  du  vie  siècle.  Dans  son  ouvrage,  qui  nous  a 
été  conservé  par  trois  manuscrits  à  miniatures  (Vatican, 
vue  siècle  ;  Florence,  x^  et  xi^  siècles),  il  est  parlé  de 
la  géographie  de  Ptolémée,  de  la  topographie  des  lieux 
saints,  de  l'histoire  et  de  la  philosophie  du  christianisme. 
Même  variété  dans  l'illustration.  La  géographie  y  est 
représentée  par  des  personnifications  allégoriques.  L'his- 
toire y  oppose  les  scènes  des  deux  Testaments,  selon  la 
méthode  symbolique  que  les  docteurs  d'Alexandrie,  Clément 
et  Origène,  avaient  instituée.  Un  théologien  avait  certai- 
nement inspiré  le  premier  illustrateur  de  l'ouvrage.  Quant  à 


MINIATURES  133 

l'art  dont  témoignent  ses  miniatures,  il  est  hésitant  et  comme 
troublé  par  des  influences  contradictoires.  Nous  y  reconnais- 
sons la  tradition  hellénistique  dans  des  personnifications 
telles  que  les  Vents,  le  Jourdain,  le  Soleil,  la  Mort,  et  l'in- 
fluence byzantine  dans  des  figures  royales  comme  le  Christ 
(pi.  L,  2),  Melchisédech,  des  suites  de  personnages  symé- 
triquement rangés.  C'est  l'iconographie  des  catacombes 
avec  un  sentiment  non  périmé  du  pittoresque,  mais  aussi 
des  compositions  ayant  reçu  la  marque  des  stylisations 
monumentales. 

Le  Physiologus,  conservé  dans  un  manuscrit  du  xie  siècle 
à  l'Ecole  évangélique  de  Smyme,  remonte  par  son  illustration 
primitive  à  la  même  époque  et  au  même  pays  que  le  Cosmas. 
Il  contient  une  histoire  naturelle  et  symbolique  des  ani- 
maux, que  nous  citons  surtout,  parce  qu'elle  est  la  source 
d'où  procèdent  les  bestiaires  du  moyen  âge  occidental. 

A  proprement  parler,  les  vrais  manuscrits  religieux  sont 
les  Bibles,  Évangéliaires  et  Psautiers  dans  lesquels  il  était 
moins  d'érudition,  de  symboles,  d'allégories,  mais  plus  d'his- 
toires édifiantes  et,  par  conséquent,  d'intérêt  dramatique. 

La  Genèse  de  Vienne  est  le  premier  de  cette  série  ;  non  pas 
un  original,  mais  une  copie  assez  tardive  (vi®  siècle)  faite  sur 
plusieurs  bibles  anciennes  à  l'illustration  différente,  d'où 
son  défaut  d'unité  artistique.  Il  compte  encore  vingt-quatre 
feuillets  portant  chacun  une  miniature,  des  Protoplastes  à 
la  mort  de  Jacob. 

Sa  parenté  avec  VIliade  de  l'Ambrosienne  est  certaine, 
par  conséquent  aussi,  avec  la  tradition  antique.  Mais  quelle 
chute  profonde  !  Que  l'art  grec,  d'Alexandrie,  de  Rome,  tou- 
jours présent,  apparaît  là  diminué,  trahi  !  On  en  jugera  par 
la  Rencontre  de  Rebecca  et  d'Éliézer  (pi.  LI,  i).  Unecolon- 

II.  M 


134  ARTS  DÉCORATIFS  EN  ORIENT 

nade  traversant  la  campagne  et  embellissant  le  paysage,  une 
nymphe  couchée,  le  torse  nu:  voilà  à  quoi  se  réduisent  les 
réminiscences  antiques.  Bien  plus  intéressante  est  la  viva- 
cité d'action  dans  la  scène  du  puits,  composée  sans  l'aide 
des  traditions  du  passé.  La  jeune  fille  penche  le  vase  aux 
lèvres  du  voyageur  qui  boit  avec  avidité,  les  genoux  ployés, 
tandis  que  les  chameaux  se  pressent  vers  le  puits,  impatients, 
eux  aussi,  d'apaiser  leur  soif.  Il  y  a  là  de  la  noblesse,  du 
charme  et  une  naïve  émotion. 

M.  Wickhoff  eut  tort  de  considérer  la  Genèse  de  Vienne 
comme  une  œuvre  romaine  par  son  ascendance;  ce  ne  sont 
pas  les  peintures  des  cimetières  occidentaux  qu'elle  rappelle, 
mais  les  fresques  trop  rares  découvertes  dans  ceux  d'Alexan- 
drie. 

La  Bible  provenant  de  la  bibliothèque  de  Robert  Cotton, 
au  Musée  britannique,  a  un  caractère  byzantin  assez  accen- 
tué. 

Au  Vatican,  se  trouve  le  Rouleau  de  Josué,  remontant  au 
v^-vi®  siècle.  Il  a  encore  près  de  ii  mètres  de  long,  bien  qu'il 
y  manque  le  commencement  et  la  fin.  Les  exploits  de  Josué 
se  déroulent  au  bas  des  pages,  comme  une  épopée  guerrière, 
en  une  frise  continue  faisant  penser  à  une  suite  de  bas-reliefs 
le  long  d'un  édifice  :  le  volumen  obligeait  le  miniaturiste  à 
prendre  ce  parti.  Le  texte  est  de  beaucoup  postérieur  aux 
images  et  celles-ci  ne  semblent  être  que  la  reproduction  assez 
malhabile  d'un  original  plus  ancien.  Le  dessin,  mauvais,  ne 
s'appuie  d'aucune  science  de  l'anatomie,  d'aucune  observation 
de  la  vie  vraie.  Ni  muscles,  ni  ossature,  proportions  allongées 
à  l'excès,  modelé  peu  marqué,  perspective  irrationnelle  :  de 
tout  cela  on  peut  tirer  au  moins  une  conclusion,  c'est  que 
le  décorateur  premier  du  manuscrit,  imitant  des  fresques,. 


Planche  LI. 


MiM.MiUKs:  ,.(;(MirMdcVirnno:  KrUx:ca  et  Eliéïcr  (Wickholt). 
2.  i:viiii^il»-  (U"  Kossano  :  Saint  Marc  (Munot). 


MINIATURES  135 

n'avait  guère  le  sentiment  de  la  solidité  si  particulière  aux 
figures  antiques.  Nous  avons  déjà  remarqué  ce  fléchissement 
particulier  du  dessin  dans  les  miniatures  chrétiennes  du 
vi^  siècle.  D'un  autre  côté,  les  physionomies  réduites  à  un 
petit  nombre  de  types,  les  mouvements  collectifs  réglés  par 
la  symétrie,  ce  qui  n'empêcha  pas  de  traduire  l'action  avec 
une  certaine  puissance  de  vie  et  d'expression  :  voilà  qui  est 
fait  pour  donner  à  cette  œuvre  une  singulière  originalité. 
On  a  pu  dire,  à  cause  du  caractère  essentiellement  graphique 
des  figures,  que  le  Rouleau  de  Josué  procède  de  manuscrits 
semblables  à  Y  Iliade  de  Milan.  Des  allégories  nombreuses 
et  non  sans  grâce  y  attestent  l'influence  hellénistique. 

Parmi  tous  les  livres  liturgiques,  les  psautiers  sont  ceux 
qui  gardèrent  le  plus  fidèlement  le  souvenir  des  nobles  figu- 
res et  des  beautés  pittoresques  de  l'art  alexandrin.  Les  plus 
anciens  ont  disparu.  Mais  n'est-il  pas  admirable  qu'au 
X®  siècle,  dans  une  œuvre  comme  le  psautier  de  Paris,  la 
tradition  dont  nous  venons  de  parler  soit  encore  vivace,  au 
point  que  nous  y  retrouvions  intacte  toute  la  grâce  de 
l'hellénisme?  Six  miniatures  en  pleine  page  illustrent  la  vie 
de  David;  d'autres,  le  psaume  50,  le  psaume  77,  les  Odes. 
Considérez  Isaïe  en  prière,  David  jouant  de  la  haqx^  (Mil- 
let, fig.  123,  124).  Les  visages  ont  quelque  rudesse  byzan- 
tine, mais  les  gestes  et  attitudes  sont  classiques,  les  expres- 
sions ferventes.  Les  allégories  sont  toutes  gracieuses  ;  les 
attributs  sont  antiques;  le  paysage  s'inspire  des  églogues  et 
des  pastorales.  On  peut  dire  qu'en  ces  tableaux,  le  pitto- 
resque garde  tout  le  charme  de  la  nature  ;  la  beauté  de 
l'homme  est  aimée,  l'esprit  de  Théocrite  est  plus  puissant 
que  l'esprit  des  prophètes. 

Le  manuscrit  de  Paris  est  le  type  le  plus  remarquable 


136  ARTS  DÉCORATIFS  EN  ORIENT 

des  psautiers  où  les  miniatures  occupent  toute  la  page  ;  le 
psautier  Chludov,  à  Moscou,  représente  les  psautiers  dont 
l'illustration,  plus  tardive,  est  placée  en  marge. 

De  la  série  des  évangéliaires,  la  petite  ville  de  Rossano,  en 
Calabre,  possède  l'exemplaire  le  plus  intéressant,  mutilé, 
remanié,  mais  qui,  avec  ses  cent  et  quatre-vingt-huit  feuil- 
lets de  parchemin  pourpré,  ses  onciales  d'argent  et  d'or, 
constitue  encore  un  monument  d'une  valeur  inestimable. 
Les  miniatures,  réunies  en  tête  de  l'évangéHaire,  comprennent 
deux  frontispices,  quarante  figures  de  prophètes,  treize 
scènes  bibliques  :  miracles,  paraboles,  épisodes  de  la  Passion. 

Un  caractère  monumental  très  accusé,  voilà  ce  qui  distingue 
les  miniatures  de  l'Évangile  de  Rossano,  les  figures  ayant 
une  tendance  à  se  juxtaposer  en  frise  et  le  décor  pittoresque 
étant  presque  toujours  écarté  (pi.  LU).  Les  types  ont  quel- 
que chose  de  sculptural  ;  les  compositions  sont  équilibrées 
en  groupes  solides  et  sobres,  comme  si  l'artiste  avait  voulu 
transposer  dans  ses  images  le  caractère  imposant  des  fres- 
ques ou  des  mosaïques.  On  a  comparé  certaines  de  ces 
miniatures,  la  Cène  notamment,  à  des  représentations  sem- 
blables de  Saint-Apollinaire  le  Neuf  :  l'analogie  saute  aux 
yeux. 

N'oublions  pas  d'appeler  l'attention  sur  une  figure  d'évan- 
géliste,  saint  Marc,  qui  écrit  sous  la  dictée  d'une  femme 
drapée  (pi.  LI,  2)  :  cette  femme  drapée  est  une  allégorie  par 
laquelle  subsiste  le  souvenir  d'Alexandrie;  quant  à  l'évan- 
géliste  écrivant,  la  tête  penchée,  tendant  l'oreille,  c'est  une 
figure  qui  deviendra  classique,  pour  ainsi  dire,  dans  les 
évangiles  médiévaux.  Notons  aussi  que  les  canons  d'Eusèbe, 
c'est-à-dire  le  tableau  des  concordances  de  passages  paral- 
lèles,   relevés    dans   les  quatre  évangiles   par    Eusèbe,  ne 


MINIATURES  137 

devaient  pas  manquer  au  manuscrit  avant  sa  mutilation. 
La  Bibliothèque  nationale  de  Paris  conserve  les  fragments 
d'un  évangéliaire  provenant  de  Sinope  et  proche  parent  du 
manuscrit  de  Rossano,  Tous  deux,  selon  M.  Strzygowski, 
auraient  été  exécutés  en  Asie-Mineure. 

Un  autre  évangéliaire  daté  et  d'origine  sûre  est  celui  de 
la  Bibhothèque  laurentienne  de  Florence.  Il  fut  écrit  en 
586  par  le  moine  Rabula,  au  monastère  de  Saint-Jean  de 
Zagba,  en  Mésopotamie  :  c'est  le  plus  précieux  monument 
que  nous  possédions  des  arts  du  dessin  en  Syrie,  peu  après 
le  règne  de  Justinien.  En  frontispice,  les  figures  d'Eusèbe 
et  d'Ammonius  d'Alexandrie;  puis,  les  canons,  disposés  en 
colonnes  dans  des  cadres  architectoniques  et  entourés  de 
petites  miniatures; enfin,  sept  grandes  compositions  à  pleine 
page,  la  Crucifixion,  la  Résurrection,  l'Ascension,  l'Élection 
de  Mathias,  la  Pentecôte,  la  Vierge  debout  avec  l'Enfant. 
le  Christ  assis  entre  deux  évêques  et  deux  moines  :  telle  est 
la  riche  illustration  du  manuscrit  de  Florence. 

Elle  se  souvient  de  la  décoration  grecque.  Les  colonnes  et 
frontons  qui  forment  le  cadre  des  canons  d'Eusèbe,  les 
fleurs,  les  oiseaux  qui  les  entourent  (pi.  LUI.  i  et  2)  ont 
leurs  prototypes  dans  les  fresques  d'Alexandrie  et  de  Pom- 
péi.  La  Syrie  n'a  fait  qu'associer  ces  éléments  d'une  façon 
nouvelle  et  ajouter  à  l'ornementation  quelques  motifs 
locaux,  tels  que  les  chapiteaux  à  figures,  les  ciboires  coni- 
ques, la  croix  placée  sur  le  sommet  ou  inscrite  dans  un  cer- 
cle au  tympan  des  arcades  ^  Une  libre  fantaisie  d'Orient 
avait  transformé  la  physionomie  des  créations  grecques,  en 
ajoutant  de  l'étrange  à  ce  qu'elles   avaient  d'aimablo.  en 

I.  Millet,  op.  cit.,  p.    129. 


138  ARTS  DÉCORATIFS  EN  ORIENT 

traduisant  suivant  un  idéal  étranger  les  monuments,  les 
ligures,  les  éléments  décoratifs  qu'elle  avait  appris  à  imi- 
ter. Là  se  trouve  l'originalité  des  miniatures  de  Florence. 
Au  surplus,  les  compositions  en  pleine  page  sont  bien  diffé- 
rentes :  ce  sont,  ainsi  qu'on  peut  le  prouver  par  l'étude  de  la 
crucifixion  et  de  ses  origines,  des  réductions  des  mosaïques 
représentant  les  principaux  épisodes  de  la  Passion,  dans  les 
églises  de  Palestine. 

On  ne  saurait  guère  exagérer  l'importance  des  évangé- 
liaires  dans  la  miniature  primitive.  Le  manuscrit  de  Rabula,  à 
la  tête  du  groupe  oriental,  s'apparente  aux  évangiles  de  Mar- 
din  (Bibliothèque  nationale)  et  d'Etschmiadzin,  en  Arménie 
(copie  du  x^ siècle). Celui  de  Rossano,  empreint  de  caractères 
byzantins,  est  le  plus  considérable  d'une  série  grecque  où  se 
rangent  des  exemplaires  précieux  de  Paris  et  de  Berlin.  Il 
faut  noter,  enfin,  l'influence  grande  que  la  miniature  syrienne 
exerça  sur  les  enlumineurs  irlandais,  anglo-saxons  et,  par 
eux,  sur  les  ateliers  carolingiens.  Cette  influence  se  mani- 
feste surtout  dans  la  reproduction  des  canons  d'Eusèbe. 

On  le  voit,  quelque  sujet  que  nous  abordions,  le  sens  de 
son  développement  nous  ramène  toujours  à  considérer  le 
bassin  oriental  de  la  Méditerranée  comme  la  vraie  patrie  des 
nouvelles  disciplines.  Supposez  que  les  œuvres  chrétiennes 
des  six  premiers  siècles  soient  toutes  parvenues  jusqu'à 
nous  :  les  villes  d'Egypte,  de  Syrie,  d'Asie-Mineure  et  Con- 
stantinople,  leur  vraie  fille  adoptive,  ressusciteraient  à  nos 
yeux  avec  une  auréole  de  gloire  incomparable,  avec  une 
richesse  de  production  et  une  originalité  d'art  si  grandes 
que  Rome,  malgré  son  passé  antique  et  son  activité  chré- 
tienne, pâlirait  dans  leur  rayonnement. 

L'art  de  la  miniature,  proscrit  pendant  la  tourmente  ico- 


Planche  LU. 


MiNiAiiuis  :   l'.\im,L;ilc   <!<•   Kossano  :   i.  I-c  jiujemont  tic 
2,  Le  Christ  doniiaiit  I.i  tomiiumion  .ni\  ainUrcs.   Mn  dessous 

J'ïax  id,  Salomoii.  (Muiioz.) 


Pilatc. 
Moisc, 


I 


TISSUS 


139 


noclaste,  refleurit,  comme  la  mosaïque,  au  début  du  second 
âge  byzantin  ^ 

Tissus.  De  tout  temps,  l'Orient  et  plus  particulièrement 
l'Egypte,  la  Syrie,  la  Perse  avaient  fourni  au  monde  romain 
ses  étoffes  de  luxe.  Il  continua  d'en  être  ainsi  après  l'avè- 
nement du  christianisme.  Les  ateliers  de  tissage  orientaux 
furent  même  plus  occupés  que  jamais,  car  le  faste  des  grands 
crût  en  même  temps  que  celui  des  empereurs;  les  cérémonies 
liturgiques  et  la  décoration  des  basiliques  exigèrent  des  vête- 
ments, rideaux,  tapis  et  tentures  aussi  nombreux  que  riches. 

Toutes  ces  étoffes  étaient  ornées  de  motifs  de  décoration 
et  de  figures.  Mais  tandis  qu'originairement,  les  ornements 
étaient  obtenus  par  la  teinture,  on  découvrit,  dès  avant  le 
ive  siècle  sans  doute,  le  moyen  de  tisser  les  motifs  et  figures 
dans  l'étoffe  avec  des  fils  de  laine  et  celui  de  brocher  sur  le 
fond.  De  là,  la  multiplication  des  tissus  historiés.  Ou  bien 
leur  décoration  se  composait  de  motifs  traditionnels,  pay- 
sages, animaux,  scènes  de  chasse,  ou  bien  les  tisserands  pui- 
saient dans  le  répertoire  usuel  des  récits  évangéliques.  Vête- 
ments et  tentures  se  ressemblaient.  Car,  d'une  part,  le  clergé 
ne  laissait  pas  d'accueillir  sur  les  parois  d'églises  des  repré- 
sentations qui  choquaient  un  peu  par  leur  caractère  indif- 
férent, mais  qui  avaient  du  moins  le  mérite  de  ne  pas  égarer 
la  piété  des  simples,  et,  d'autre  part,  une  coquetterie  colorée 
de  dévotion,  surtout  chez  les  femmes,  aimait  à  embellir  les 
tuniques  de  figures  et  récits  évangéliques.  De  l'un  et  de 
l'autre  usage,  principalement  de  ce  dernier,  beaucoup  de 
Pères  s'indignaient.  A  la  fin  du  iv®  siècle,  Astérius  d'Ama- 

I.  Voir  Millet,  p.  232. 


140  ARTS  DÉCORATIFS  EN  ORIENT 

sée  tourne  en  dérision  ces  «  murs  peints  ambulants  »  que  sont 
les  manteaux  des  matrones.  «  Je  vous  conjure,  s'écrie-t-il, 
de  porter  Jésus-Christ  et  sa  doctrine  dans  votre  cœur,  et 
non  de  le  peindre  sur  vos  vêtements.  » 

Des  tissus  ont  été  retrouvés  en  grand  nombre  dans  les 
tombeaux  de  la  Haute-Egypte  (Akhmin-Panopolis,  Anti- 
noé)  ;  ils  sont  généralement  de  toile  aux  ornements  de  laine. 
Les  scènes  évangéliques  n'y  apparaissent  que  rarement,  ce 
qui  s'explique,  puisque  nous  n'avons  là  que  des  vêtements 
funéraires.  Il  n'en  est  guère  qui  puissent  remonter  plus  haut 
que  le  miheu  du  iv®  siècle.  A  partir  du  vi^,  le  caractère  clas- 
sique des  ornements  et  figures  se  transforme.  Toute  repré- 
sentation est  styhsée  dans  des  lignes  géométriques  aux 
angles  nombreux  (polygonie).  Les  tissus  ressortissent  alors 
à  l'art  copte,  qui  est  propre  à  l'Egypte  et  marque  la  dernière 
étape  de  l'art  chrétien  primitif  en  ce  pays. 

La  Perse  et  la  Syrie  (Damas)  rivalisaient  avec  l'Egypte 
dans  l'industrie  textile  et  s'étaient  fait  une  spécialité  com- 
merciale des  étoffes  de  soie.  C'est  de  la  Perse  que  Byzance 
apprit,  sous  Justinien,  les  secrets  de  cette  fabrication.  Le 
ver  à  soie  fut  cultivé  sur  l'initiative  même  de  l'Empereur. 
Des  atehers  de  tissage  furent  établis  à  Constantinople.  Ainsi 
la  ville  impériale  se  substitua  aux  cités  d'Orient  et  popula- 
risa, dans  son  intérêt,  le  goût  des  belles  soies  historiées.  En 
même  temps,  elle  faisait  siens  les  thèmes  ordinaires  de  la 
décoration  des  étoffes  orientales. 

Sur  un  tissu  de  la  cathédrale  de  Sens,  un  personnage 
repousse  des  deux  mains  des  lions  dressés  devant  lui;  sur 
un  autre,  conservé  à  Saint-Ambroise,  de  Milan  (Venturi,  I, 
fig-  352),  des  chasseurs  au  galop  achèvent  à  coups  de  flèches 
un  lion  agonisant.  Le  tissu  de  Maestricht,  retrouvé  dans  la 


Planxhe  un. 


,   .1  ,    Minial.nvs.l.  l'I.van^.W-  a.  Kabula.   li.l»l.olhè*iuc  laurcn- 
t„„„nc  (,>lu,t.   HauU-s  KliHics,  Millet).  -  3  «t  ^.  Détaib  Uc  la  l^U 

d'Olo  à   W-nisc   (phol.  Naya). 


ORFÈVRERIE.  ÉMAILLERIE  141 

châsse  de  saint  Servais,  montre  les  Dioscures  (Reusens,  I, 
fig.  257),  celui  d'Aix-la-Chapelle,  un  quadrige  (Venturi,  I, 
fig.  351)  :  ces  deux  derniers  sujets  sûrement  grecs,  tandis 
que  les  précédents  indiquaient  leur  origine  perse  (art  sassa- 
nide).  Les  ouvriers  byzantins  se  servaient  des  uns  et  des 
autres  pour  décorer  leurs  étoffes. 

Nous  ne  possédons  pas  de  pièces  antérieures  à  Justinien  : 
celles  que  nous  avons  citées  remontent  aux  viie-viii«  siècles. 

Orfèvrerie  et  Émaillerie.  On  ne  saurait  nier  que  l'es- 
prit de  liberté  et  de  vie  qui  animait  tout  l'art  hellénistique 
ne  se  soit  lamentablement  amoindri  dans  l'art  byzantin. 
C'est  ainsi  que  les  pièces  d'orfèvrerie  exécutées  dans  l'Empire 
d'Orient  du  vi®  au  xiie  siècle  jurent  avec  celles  que  nous 
avons  décrites  en  parlant  de  l'art  chrétien  primitif  en  Occi- 
dent :  l'influence  du  style  monumental  et  le  code  de  l'art 
officiel  ont  tari  la  spontanéité,  la  fantaisie.  Les  artistes  con- 
sacrent tous  leurs  efforts  à  faire  des  œuvres  somptueuses  au 
moyen  de  procédés  savants. 

Nous  ne  connaissons  rien  des  œuvres  byzantines  du 
ve  siècle,  citées  en  grand  nombre  par  le  Liber  pontificahs, 
rien  des  cadeaux  magnifiques  faits  par  Justin  T'"  au  pape 
Hormidas,  vers  519-523,  et  qui  comprenaient  des  vases  d'or 
et  d'argent,  des  évangéliaires,  des  calices.  Mais  la  célèbre 
Crux  Vaticana  (Venturi,  I,  fig.  454),  attribuée  au  règne  de 
Justin  II,  nous  permet  de  juger  l'orfèvrerie  byzantine  au 
VI®  siècle  :  le  relief  est  déchu,  la  beauté  des  teuvres  réside 
surtout  dans  leur  richesse  de  pierreries.  Nous  regrettons 
moins,  dès  lors,  de  ne  pas  posséder  les  éclatantes  merveilles 
dont  Justinien  avait  doté  Sainte-Sophie. 

L'art  du  repoussé  ne  cessa  pas  cependant  d'être  pratiqué 


142  ARTS  DÉCORATIFS  EN  ORIENT 

jusqu'au  xii^  siècle.  Il  fait  l'honneur  des  ampoules  de  Monza^ 
qui  contenaient  de  l'huile  des  sanctuaires  palestiniens  et 
que  Grégoire  le  Grand  envoya  de  Rome  vers  600;  il  est 
souvent  remarquable  aussi  sur  les  boucliers  et  médaillons 
exécutés  pour  les  empereurs  et  consuls  '\  Aussi  bien,  l'émail- 
lerie  tôt  adoptée  par  les  ateUers  byzantins  ne  tarda  pas  à 
restreindre  son  importance. 

Dès  le  vie  siècle,  les  orfèvres  de  Constantinople  connais- 
saient sans  doute  l'art  de  transformer  en  pâtes  certains 
oxydes  minéraux  mélangés  au  plomb  et  au  borax  et  de  les 
fixer  sur  l'or  par  la  fusion.  Une  croix  du  trésor  de  Monza 
porte  une  Crucifixion  en  dessin  gravé,  rehaussé  de  nielle. 
D'un  autre  côté,  la  verroterie  sertie  en  alvéoles  était  depuis 
longtemps  un  travail  de  pratique  courante,  commun  aux 
Barbares  et  aux  Orientaux  :  les  Byzantins  subordonnèrent 
ce  dernier  procédé  à  celui  de  rémaillerie,bien  plus  artistique. 

Un  dessin  dont  les  traits  gravés  étaient  remplis  d'émail, 
voilà  quelle  fut  probablement  la  première  application  de  l'art 
nouveau  au  vi®  siècle,  notamment  dans  le  fameux  autel  de 
Sainte-Sophie.  On  ne  tarda  pas  à  user  de  procédés  plus  har- 
dis. Le  premier,  qui  consiste  à  fouiller  d'abord  le  métal  et  à 
remphr  les  creux  de  pâtes  vitrifiables,  qui  réserve,  par  con- 
séquent, une  partie  de  la  surface  métallique  pour  contribuer 
à  la  polychromie  définitive,  est  dit  d'émail  champlevé  ou  en 
taille  d'épargne.  Il  ne  fut  jamais  chez  les  Byzantins  que 
d'un  usage  restreint,  car  il  avait  le  défaut  de  ne  pouvoir  être 
utihsé  sur  de  minces  feuilles  d'or  et,  si  on  l'employait  sur 
une  tablette  épaisse,  celui  d'occasionner  un  déchet  considé- 
rable du  précieux  métal. 

1.  Cabrol,  Dictionnaire,  I,  2,  fig,  457-465. 

2.  Venturi,  I,  fig.  437-441. 


ORFÈVRERIE.  ÉMAILLERIE  143 

On  adopta  donc  plutôt  un  second  procédé,  celui  de  l'émail 
cloisonné,  qui  consistait  à  répartir  les  émaux  dans  des  cel- 
lules soudées  sur  le  fond  des  feuilles  d'or.  Suivant  le  projet 
d'avance  établi,  le  corps  des  motifs  se  détachait  en  couleur, 
les  contours  et  les  traits  intérieurs  étaient  marqués  en  sur- 
face par  la  tranche  supérieure  des  cellules.  Cloisonnés  ou 
champlevés,  avec  leur  belle  coloration,  les  émaux  byzantins 
atteignirent  parfois  à  la  richesse  de  la  peinture  décorative. 

La  gamme  des  couleurs,  primitivement  limitée  au  blanc, 
au  bleu,  au  Ulas,  au  rouge  et  au  pourpre,  s'enrichit  merveil- 
leusement de  tons  et  de  nuances.  Au  x^  et  au  .xi*-'  siècle, 
elle  constituait  une  palette  polychrome  aux  teintes  les 
plus  variées. 

On  n'en  finirait  pas  de  citer  tous  les  objets  dus  à  l'émail- 
lerie  byzantine  du  vi^  au  xii^  siècle.  Les  croix,  les  calices, 
les  couronnes,  les  icônes  abondent  dans  les  trésors  de  nos 
cathédrales  et  dans  nos  musées.  Il  nous  faut  au  moins  men- 
tionner la  Pala  d'Oro,  de  Venise  (pi.  LUI,  3  et  4),  tableau 
d'autel  commandé  par  le  doge  Pier  Orseolo  en  976-078  et 
remanié  plusieurs  fois  depuis.  Nous  en  reproduisons  deux 
fragments,  comme  exemples  de  ce  que  produisirent 
ensemble  l'habileté  du  métier,  l'amour  de  la  somptuosité 
et  l'absence  de  goût.  Les  reliefs  sont  très  beaux,  mais 
chargent  à  l'excès  les  espaces  libres;  les  émaux  sont  d'une 
qualité  incomparable  :  on  regrette  seulement  qu'ils  ne 
s'allient  pas  à  un  dessin  plus  correct.  Quant  aux  gemmes  et 
verroteries,  en  tables,  en  cabochons,  elles  ne  font  qu'attester 
un  luxe  quelque  peu  barbare.  Bien  différent  est  le  PalioUo, 
de  Milan,  œuvre  occidentale  du  ix*^  siècle,  que  nous  retrou- 
verons un  peu  plus  loin. 

Pour  l'instant,  il  convient  d'achever  le  tableau  de  T.irt 


144  ARTS  DÉCORATIFS  EN  ORIENT 

chrétien  d'Orient  en  commentant  les  œuvres  qu'il  fit  éclore 
dans  une  ville  qui  fut,  peut-on  dire,  la  rivale  en  gloire  de 
Rome  ^et  de  Constantinople  :  Ra venue. 

BIBLIOGRAPHIE.  —  Sur  l'ornemeiit  sculpté  et  la  façon  dont  les 
motifs  et  techniques  d'Orient  vinrent  altérer  les  traditions  hellénistiques  : 
Strzygowski,  Orient  oder  Rom,  p.  147;  id.,  Mschatta  {Jahrbuch  der  kœnigl. 
preuss.  Sammlungen,  1904)  :  influences  de  la  Perse  par  l'intermédiaire  de 
la  Syrie;  id.,  Koptische  Kunst,  dans  Catalogue  général  des  antiquités  égyp- 
tiennes du  Musée  du  Caire,  Vienne,  1904  :  influences  égyptiennes.  Voir  aussj 
du  même  auteur  :  Antiochenische  kunst  {Oriens  Christianus,  1902),  et 
Schicksale  des  Hellenismus,  op.  cit. 

Evolution  du  chapiteau   et  décoration  :  Ch.  Diehl,  Manuel,  p.   128. 

Sur  la  sculpture  proprement  dite  :  Strzygowski,  Orient  oder  Rom, 
p.  65  :  étude  sur  des  sculptures  d'Egypte,  les  sarcophages  de  sainte  Hélène 
et  de  sainte  Constance;  id.,  Die  altbyzantinische  Plastik  der  Bluetezeit 
{Byzantinische  Zeitschrift,  1892)  ;  Ainalof,  Fondements  hellénistiques  de  l'art 
byzantin,  Pétersbourg,  1900  (russe)  :  cet  ouvage  est  un  de  ceux  qui  ont 
le  plus  contribué  à  la  nouvelle  orientation  des  recherches  sur  l'art  chrétien 
primitif  en  Orient;  il  est  surtout  précieux  pour  l'étude  des  miniatures. 
Sur  la  peinture  et  la  sculpture  primitives  en  Orient,  on  consultera  toujours 
avec  fruit  l'ouvrage  de  Bayet,  Recherches  pour  servir  à  l'histoire  de  la 
peinture  et  de  la  sculpture  chrétiennes  en  Orient,  avant  la  querelle  des  Icono- 
clastes, Paris,  1879. 

Sculptures  de  Baouit  :  Cledat,  Le  Monastère  et  la  nécropole  de  Baouit, 
Caire,  1904- 1906.  Les  œuvres  que  nous  avons  citées  sont  reproduites  et 
étudiées  d'après  Clédat  dans  Strzygowski,  Koptische  Kunst,  et  Leclercq, 
Dictionnaire  (Cabrol) ,  article  Baouit. 

Porte  de  Sainte-Sabine  :  Wiegand,  Das  altchristliche  Hauptportal  an  der 
Kirche  der  hl.  Sabina,  Trêves,  1900. 

Ivoires  :  L'ouvrage  qui  contient  l'exposé  le  plus  complet  relatif  aux 
ivoires  chrétiens  primitifs  et  qui  reflète  le  mieux  les  idées  opposées  aux 
théories  d'Aïnalof  et  Strzygowski  est  celui  de  G.  Stuhlfauth,  Die  altchrist- 
liche Elfenbeinplastik,  Fribourg  et  Leipzig,  1896.  Il  est  réfuté  implicite- 
ment par  le  livre  de  M.  Strzygowski,  Hellenistische  und  Koptische  Kunst 
in  Alexandria,  Vienne,  1902.  C'est  en  tenant  compte  de  ces  débats  récents 
qu'il  faut  consulter  l'ouvrage,  toujours  précieux  pour  ses  planches  et 
gravures,  de  Molinier,  Histoire  des  arts  appliqués  à  l'industrie,  t.  I 
(Ivoires)  in-fol.,  Paris,  1896  et,  à  plus  forte  raison,  celui  de  Labarte, 
Histoire  générale  des  arts  industriels,  I,  in-40,  Paris,  1872. 


BIBLIOGRAPHIE  145 

Les  recueils  et  catalogues  d'ivoires  les  plus  importants  sont  :Westwood, 
A  descriptive  catalogue  of  the  fictile  ivories  in  the  South- Kensington  Muséum, 
in-80,  Londres,  1876;  Graeven,  Fruehchristliche  und  mittelaîterl.che 
Elfenbeinwerke  in  photo graphischer  Nachbildung  :  I  (Angleterre),  Rome 
1898;  II  (Italie),  Rome,  1900  :  photographies  et  notices;  Kanzler,  Gli 
cvofi  dei  Musei  profano  e  sacro  délia  bibliotheca  Vaticana  (45  planches, 
100  ivoires),  Rome,  1903;  Beschreibung  der  Bildwevke  der  chrtstl.  Lpoche 
(Musée  de  Berlin),  2*^  Abtheil.,  Elfenbeinbilder,  fol.,  Berlin,  1902  (45  plan- 
ches) . 

Un  grand  nombre  d'ivoires  chrétiens  primitifs  sont  reproduits  dans 
Venturi,  Storia,  I. 

Sur  les  peintures  de  la  catacombe  de  Karmouz,  voir  bon  résumé  du  sujet 
et  bibliographie  dans  Leclercq,  Dictionnaire  (Cabrol),  article  Alexan- 
drie. 

Peintures  d'El-Bagaouat  :  W.  de  Bock,  Matériaux  pour  servir  à  l'ar- 
chéologie de  l'Egypte  chrétienne,  Pétersbourg,  1901.  Cet  ouvrage  a  été 
résumé  par  C.-M.  Kaufmann,  Ein  altchristliches  Pompeij  in  der  libyscken 
Wueste,  in  8»,  Mayence,  1902. 

Peintures  de  Baouit  :  Cledat,  op.  cit.,  Leclercq,  loc.  cit. 

Mosaïques:  Bayet,  Recherches,  op.  cit.;  Ainalof,  Mosaïques  du  II''' et 
du  V^  siècle,  Pétersbourg,  1895.  Diehl, /ws/mï^M,  Paris,  1902;  Diehl  et 
Letourneau,  les  Mosaïques  de  Sainte-Sophie  de  Salonique,  Paris,  1907.  Voir 
aussi  les  excellents  chapitres  consacrés  à  la  mosaïque  dans  les  manuels 
de  G.  Millet  et  de  Ch.  Diehl.  Sur  les  miniatures  :  Ainalof,  Fondements 
hellénistiques,  op.  cit.,  Ceriani  et  Ratti,  Homeri  Iliadis  pictae  fragmenta. 
Milan,  1904  (100  fr.);  de  Nolhac,  Le  Virgile  du  Vatican,  Paris,  1897; 
Strzygowski,  Die  Kalenderbilder  des  Chronographs  vom  Jahre  354,  Berlin, 
1888;  DiEZ,  Die  Miniaturen  des  Wiener  Dioskurides  (Byz.  Dcnkm.  III), 
Vienne,  1903  ;  Premerstein,  Wesselv  et  Mantuani,  De  codicis  Dioscuridei 
Aniciae  Julianae  Vindobonensis,  historia,  forma,  scriptura,  picturis,  Leyde, 
1906;  Stornajolo,  Le  miniature  délia  Topographia  cristiana  dt  Cosma 
Indicopleuste  (Collection  des  Codices  Vaticani),  Milan,  1908,  (120  fr.) ; 
Stkzwgo-wski,  Der  Bilderkreis  des  griechischen  Physiologus,  Leipzig,  1899; 
Hartel  et  Wickhoff,  Dïc  Wiener  Genesis,  Vienne,  1895.  //  rotule  di  Gto- 
sue  {Codices  Vaticani,  v),  Milan,  1907  (160  fr.)  ;  Tikkanen.  Die  Psalter- 
Illustration  im  Mittelalter,  Helsingfors,  1895;  Omont,  Fac-similés  des  minia- 
tures des  plus  anciens  manuscrits  grecs  de  la  Bibliothèque  nationale  du 
VI(^  au  XI^  siècle,  Paris,  1902;  Kondakof,  Miniatures  d'un  p.^i  >u 

du  IX^  siècle  de  la  collection  Chludov  à  Moscou,  Moscou,  ib,  .  '); 
Haseloff,  Codex  purpureus  rossanensis.  Berlin,  Leipzig,  1898;  A.  MuNOZ, 
//   codice  purpureo  di   Rossano   (on   trouvera  aussi  dans  cet  ouvraiîo  la 


146  ARTS  DÉCORATIFS  EN  ORIENT 

reproduction  et  un  commentaire  des  fragments  de  Sinope)  ;  Strzygowski, 
Das  Etschmiadzin  Evangeliar  (Byzant.  Denkm.  I),  Vienne,  1891. 

M.  Strzygowski  a  voulu  démontrer  que,  jusqu'au  xv^  siècle,  les 
influences  de  l'Orient  avaient  gardé  leur  indépendance,  malgré  Byzance  : 
Die  Miniaturen  des  serbischen  Psalters  in  Mûnchen,  Vienne,  1906.  Cf. 
résumé  de  Brehier,  Orient  ou  Byzance  {Revue  archéol.,  1907,  II,  p.  136)  et 
é.utation  de  G.  Millet,  Byzance  et  non  l'Orient  {Revue  archéol.,  1908,  I. 
p.   171). 

Un  certain  nombre  de  miniatures  d'époque  primitive  (Virgile,  Josué, 
notamment)  sont  reproduites  dans  Beissel,  Vaticanische  Miniaturen, 
Fribourg,  1893.  Pour  la  reproduction  des  miniatures  de  l'Evangile  de 
Rabula,  voir  Venturi,  Storia,  I,  ouvrage  dont  l'illustration,  pour  tout 
ce  qui  regarde  les  miniatures,  est  précieuse.  Citons  aussi  les  manuels  de 
Millet  et  de  Ch.  Diehl. 

Sur  les  tissus  :  Strzygowski,  Orient  oder  Rom,  p.  90  (étoffes  mono- 
chromes d'Egypte  à  représentations  bibliques)  ;  Forrer,  Die  Graeber  und 
textile  Funde  von  Achmin-Panopolis,  Strasbourg,  1891;  Gerspach,  Les 
Tapisseries  coptes,  Paris,  1890;  Forrer,  Roemische  und  byzantinische 
Seidentextilien,  Strasbourg,  1891;  Gayet,  L'Art  copte,  Paris,  1902; 
Lessing,  Die  Gewehesammlung  des  K.  Kunstgewerbe- Muséum,  Berlin, 
1900  et  suiv.  ;  Migeon,  Les  Arts  du  tissu,  Paris,  1909.  Sur  les  étoffes 
trouvées  dans  les  tombeaux  d'Antinoé  :  L' Exploration  des  nécropoles 
gréco-byzantines  d'Antinoé  {Annales  du  Musée  Guimet,  t.  XXX).  Sur  les 
tissus  byzantins,  Lessing,  loc.  cit.;  M"^^  Errera,  Catalogue  d'étoffes 
anciennes  et  modernes,  au  Musée  du  Cinquantenaire,  Bruxelles,  1907; 
Migeon,  Essai  de  classement  des  tissus  de  soie  décorés  sassanides  et 
byzantins  {Gazette  des  Beaux- Arts,  1908,  2).  Une  belle  collection  de 
ces  tissus  est  publiée  en  couleurs  dans  Cahier  et  Martin,  Mélanges 
d'archéologie,  i^e  série,  t.  II  et  III,  Paris,  1853.  Sur  toute  la  question 
des  tissus  orientaux,  voir  l'excellent  résumé  de  Diehl,  p.  78  et  suiv., 
p.  247  et  suiv.,  p.  600  et  suiv. 

Emaillerie.  Orfèvrerie  :  Molinier,  op.  cit.,  t.  IV  {Orfèvrerie),  Paris,  1901  ; 
KoNDAKOF,  Histoire  et  monuments  des  émaux  byzantins,  Francfort,  1892; 
LiNAS,  Les  Origines  de  l'Orfèvrerie  cloisonnée,  Paris,  1877.  Sur  une  croix 
émaillée  qui  remonterait  au  ye-vie  siècle  :  Lauer,  Le  Trésor  du  Sancta 
Sanctorum  à  Rome  (Monuments  Piot,  XV).  Disques  et  boucliers  :  Ven- 
turi, Storia,  I,  p.  546  :  exposé  du  sujet  et  bibliographie.  Ampoules 
de  Monza  :  Ainalof,  op.  cit.  Barbier  de  Montault,  Le  Trésor  de  la 
basilique  royale  de  Monza  {Bull,  monumental,  1883);  Leclercq,  Diction- 
naire (Cabrol)  article  Ampoules.  Pala  d'Oro,  Kondakof,  p.  126. 


i 


CHAPITRE   XVI 


R AVEN NE 


Histoire  de  Ravenne.  Les  derniers  empereurs.  Théodoric.  Les  Grecs.  L€s 
monuments.  Le  mausolée  de  Galla  Placidia.  Le  baptistère  des  Ortho- 
doxes. Les  basiliques  ravennates,  Saint- Apollinaire  le  Neuf  et  Saint - 
Apollinaire  in  Classe.  Évolution  de  la  mosaïque.  Saint- Vital.  Ses  carac- 
tères et  son  origine.  Les  mosaïques  de  Saint- Vital  et  l'art  byzantin.  La 
sculpture  ravennate.  Chapiteaux  et  sarcophages. 


Histoire.  Ravenne  vivait  depuis  longtemps  d'une  exis- 
tence obscure  lorsque  l'empereur  Auguste,  l'ayant  dotée 
d'un  port  (fortus  Classis),  elle  devint  en  même  temps  une 
station  navale  importante  et  un  centre  de  commerce  entre 
l'Orient  et  l'Italie.  Mais  le  port  s'ensablait.  La  ville  aurait 
vite  été  déchue  si  les  événements  qui  suivirent  le  partage  de 
l'Empire  entre  les  fils  de  Théodose  ne  l'avaient  appelée  à 
jouer  un  rôle  de  premier  plan.  Honorius,  craignant  pour  sa 
sécurité  à  Rome,  y  transporta  sa  résidence  en  402.  Après  sa 
mort  (424),  sa  sœur  Galla  Placidia  vint  également  s'y  établir. 
Captive  d'Alaric  lors  de  la  prise  de  Rome  (410),  épcmse 
humihée  du  Vandale  Athaulf  (414),  puis  remariée  à  G>n- 
stantius,  général  de  son  frère  associé  au  trône,  veuve  et 
bannie  à  Constantinople  avec  ses  enfants.  Valentinien  et 
Honoria,  elle  venait  après  une  vie  si  tourmentée  exercer  la 
régence  de  l'Empire  d'Occident,  au  nom  de  son  fils.  Elle 
résida  à  Ravenne  jusqu'à  sa  mort  (450).  «'^  '«i  jeunt^  capitale 


148  RAVENNE 

crût  et  s'embellit  sous  son  administration  intelligente.   La 
conquête  barbare  n'entrava  point  son  essor. 

Théodoric  s'en  empara  de  vive  force,  en  493,  détrônant 
Odoacre,  et  y  fonda  le  royaume  des  Ostrogoths.  Depuis  près 
d'un  siècle,  le  lustre  de  Ravenne  n'avait  cessé  de  grandir; 
églises  et  palais  s'y  étaient  multipliés.  Tandis  que  Rome, 
découronnée,  penchait  vers  son  déclin,  que  Constantinople 
était  loin  encore  de  son  apogée,  Ravenne,  ville  commerçante 
et  riche,  capitale  neuve,  brillait  des  rayons  de  l'Occident, 
des  rayons  de  l'Orient  et  de  sa  propre  lumière.  La  dynastie 
ostrogothique  (Théodoric,  493-526,  Amalasonthe,  sa  fille, 
526-535;  Théodat,  534-536;  Vitigès,  536-540)  a  laissé  des 
témoignages  non  douteux  de  tout  ce  qu'elle  fit  pour  la 
beauté  de  Ravenne.  Et  l'art  leur  dut  beaucoup,  à  ces  Bar- 
bares, qui  ne  pouvaient  prétendre,  sans  doute,  échapper  à 
l'influence  de  Constantinople  et  de  Rome,  mais  qui  appor- 
taient, pour  contribuer  au  progrès,  un  désir  passionné  de 
s'élever  au-dessus  de  leurs  origines. 

On  sait  enfin  comment  les  empereurs  de  Byzance,  après 
avoir  favorisé  les  invasions  barbares  en  Occident  et  la  fon- 
dation même  du  royaume  de  Théodoric,  revendiquèrent 
l'Italie  comme  partie  intégrante  de  l'héritage  de  Théodose. 
Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  de  raconter  les  exploits  de  Bélisaire  et 
l'histoire  de  la  domination  byzantine  en  Italie.  Ravenne, 
résidence  de  l'exarque,  le  représentant  des  empereurs,  attei- 
gnit au  summum  de  sa  splendeur. Si  ses  monuments  n'avaient  * 
pas  l'ampleur  de  ceux  de  Constantinople,  ils  en  avaient 
toute  la  magnificence  intérieure.  La  décoration  en  mosaïque 
de  ses  églises  était  d'une  beauté  inégalable.  Saint- Vital  fut 
peut-être  la  plus  originale  des  églises  d'Occident,  son  archi- 
tecte   ayant   pris   pour  modèles  les  égHses  octogonales  de 


PivvrHE    LIV. 


I.  Mausolée  de  ('.alla  Tlacidia  à  Kavcnnc.  —  2.  Mosaïque  »lii  Um 
Pasteur,  MausDlrc  de  Calla  Placidia  (phot.  Kicci). 


MONUMENTS  149 

TAsie-Mineure.  Les  ateliers  industriels  de  Ravenne  le 
cédaient  sans  doute  à  ceux  des  vieilles  cités  grecques  ou  de 
Constantinople,  mais  dans  certains  produits,  comme  les 
sarcophages,  ils  furent  créateurs.  D'autre  part,  il  n'était  pas 
de  merveilles  d'ivoire  ou  d'or  que  le  commerce,  la  richesse, 
le  luxe  des  cours  ne  fissent  affluer  de  l'Orient  jusqu'aux 
rivages  de  l'Adriatique. 

Ravenne  transmit  aux  Lombards,  quand  Astolphe  eut 
chassé  le  dernier  exarque  (752),  un  riche  patrimoine  de 
beauté  et  d'expérience.  Son  influence  rayonna  sur  le  monde 
carolingien  :  elle  fut,  avec  Rome,  l'interprète  de  l'antiquité 
pour  les  Barbares  d'Occident. 

Monuments.  On  pourrait  s'attendre,  d'après  l'exposé  qui 
précède,  à  rencontrer  dans  les  édifices  de  Ravenne  un  déve- 
loppement de  l'architecture  caractérisé  successivement  par 
les  influences  de  Rome,  des  Goths  et  des  Byzantins.  Mais  il 
ne  faut  pas  oublier  combien,  depuis  Constantin,  les  tradi- 
tions rivales  de  Rome,  de  la  Grèce  et  de  l'Orient  se  confon- 
daient dans  les  œuvres  d'art.  On  risquerait  donc  de  s'égarer 
en  appliquant  avec  trop  de  rigueur  la  chronologie  des 
régimes  politiques  à  l'évolution  continue  des  formes  archi- 
tecturales, surtout  dans  une  région  que  sa  situation  géogra- 
phique et  l'histoire  prédestinaient  à  tirer  son  originalité  de 
diverses  imitations.  Autre  chose  est  de  noter  la  suite  chro- 
nologique des  édifices  en  remarquant,  à  mesure  qu'elles 
apparaissent,  soit  les  influences  du  dehors,  soit  les  particu- 
larités locales. 

Nous  ne  citerons  que  pour  mémoire  la  basili(|ur  f()ndét\ 
dit-on,  par  saint  Ours  (basilica  Ursiana),  V\\\w\  mourut 
en  396.  Il  n'en  reste  que  des  vestiges  insignifiants  sous  l'ac- 

II,  16 


150 


RAVENNE 


tuelle  cathédrale,  construite  au  xviii®  siècle.  Les  églises  de 
Saint- André  le  Majeur,  de  Saint-Pierre  in  Classe,  antérieures 
à  450,  ont  disparu;  disparues  aussi,  ou  peu  s'en  faut,  les 
basiliques  de  Saint- Jean  l'Évangéliste,  de  la  Sainte-Croix, 
qui  étaient  voisines  du  palais  impérial.  Sainte- Agathe  et 
Saint-Pierre  le  Majeur  —  cette  dernière  église  devenue 
Saint-François  —  sont  complètement  transformées.  La 
chapelle  de  Saint-Pierre  Chrysologue,  au  palais  archiépis- 
copal, n'a  plus  sa  décoration  primitive  en  mosaïques;  vingt 
colonnes  à  Sainte-Agathe,  vingt-deux  à  Saint-François, 
voilà  ce  qui  reste,  en  somme,  de  toute  une  série  de  basiUques 
élevées  à  Ravenne  dans  la  première  moitié  du  v^  siècle.  Des 
textes  nous  décrivent  la  décoration  intérieure  de  certaines 
de  ces  églises  :  ce  sont  là  des  témoignages  précieux,  mais 
insuffisants. 

Mausolée  de  Galla  Placidia.  Le  temps  n'a  pas  tout 
détruit.  Dans  l'ancien  quartier  du  palais  impérial,  reste 
debout  le  célèbre  mausolée,  que  Galla  Placidia,  selon  la  tra- 
dition, aurait  fait  élever  pour  elle-même  et  où  son  corps 
aurait  été  enseveli.  L'impératrice  mourut  à  Rome.  On  ne 
saurait  dire  si  la  tradition  est  véridique;  mais  on  peut 
affirmer  que  la  décoration  du  mausolée  date  du  milieu  du 
V®  siècle. 

L'édifice  est  construit  sur  le  plan  d'une  croix  latine. 
Quatre  nefs,  dont  les  voûtes  en  berceau  sont  soutenues  par 
des  murs  pleins,  s'ouvrent  sur  un  carré  central  et  leurs 
arcades,  à  cet  endroit,  supportent  le  tambour  qui  couronne 
l'édifice.  Ce  tambour  est  surmonté  d'une  coupole  à  pen- 
dentifs dissimulée  dans  le  bâti  extérieur.  Il  n'est  pas  de  plan 
plus  simple,  plus  logique  ;  aucun  ne  convient  mieux  à  une    | 


à 


PLA.NCMt    l^\ 


k 


liUciKur   (le   San  Ciovamu   in    Fonte,   ù    Kavi-nnc    (phot.    Kicd; 


MAUSOLÉE  DE  GALLA  PLACIDiA  151 

chapelle  funéraire.  Si  nous  rappelons  ici  que,  dès  le  milieu 
du  me  siècle,  nous  en  avons  rencontré  un  tout  semblable 
dans  le  tombeau  païen  de  Palmyre,  nous  aurons  par  le 
fait  indiqué  de  quelle  région  les  architectes  de  Ravenne  en 
avaient  reçu  le  modèle.  M.  Strzygowski  signalait  la  même 
disposition  à  Utchayak  (Galatie).  Nul  doute  que  nous 
n'ayons  à  Ravenne,  dès  le  milieu  du  v^  siècle,  une  imitation 
de  ces  formes  orientales. 

Toute  la  construction  est  en  briques.  La  coupole  n'était 
pas,  comme  à  Sainte-Sophie,  faite  en  deux  parties,  calotte 
supérieure  et  pendentifs,  mais  d'une  seule  venue,  depuis  son 
sommet  jusqu'à  l'angle  inférieur  des  écoinçons,  comme  à 
Cassaba  et  à  Myre.  Détail  particulier  :  cette  coupole  n'est 
pas  faite  de  briques,  mais  de  longs  tubes  (i  mètre)  en  terre 
cuite  emboîtés  les  uns  dans  les  autres  et  noyés  dans  du 
ciment.  Faut-il  le  dire?  Ce  procédé,  connu  déjà  des  Romains, 
était,  en  quelque  sorte,  un  aveu  d'impuissance,  mais  il  était 
commode  et  garantissait  la  solidité  de  la  coupole. 

Ainsi  donc,  un  plan  originaire  d'Orient,  des  procédés  de 
construction  locaux,  tels  sont  les  caractères  du  plus  ancien 
des  édifices  de  Ravenne  que  nous  ayons  conservés.  Par  les 
fenêtres  rectangulaires  percées  dans  les  lunettes  des  quatre 
nefs  et  les  pans  du  tambour,  une  lumière  adoucie  pénètre 
dans  l'édifice,  éclairant  le  marbre  rose  des  soubassements 
et  le  bleu  sombre  qui  est  la  couleur  de  fond  dans  les  mosaïques. 

Celles-ci  couvrent  toutes  les  surfaces  supérieures  :  les 
lunettes,  le  tambour,  les  voûtes;  et  ce  revêtement  total, 
illuminé  ou  rayonnant  doucement,  paré  d'ornements  gra- 
cieux ou  animé  de  figures  vivantes,  est  bien  ce  qu'on  peut 
rêver  de  plus  somptueux  et  aussi  de  plus  délicat. 

Les  berceaux  sont  décorés  de  corolles  ouvertes  aux  pétales 


152 


RAVENNE 


blancs  ou  dorés,  de  petits  globes  d'or,  d'étoiles  d'azur,  de 
cercles  dessinés  par  des  points,  des  trèfles,  et  montrant  au 
milieu  des  étoiles  blanches.  L'un  d'eux  est  paré  de  rinceaux 
entourant  le  monogramme  du  Christ  sous  lequel  deux  saints 
sont  debout.  Le  blanc  et  l'or  s'enlèvent  harmonieusement 
sur  la  profondeur  bleue,  comme  les  astres  sur  la  voûte 
céleste.  De  fait,  la  coupole  représente  un  ciel  plein  d'étoiles, 
au  milieu  desquelles  brille  la  croix.  Aux  quatre  coins,  sont 
les  figures  symbohques  des  Évangéhstes.  Plus  bas,  sur  les 
pans  du  tambour,  des  apôtres,  deux  par  deux,  acclament  le 
signe  de  la  Rédemption.  Dans  les  lunettes  du  fond  des  nefs, 
ce  sont  de  véritables  compositions  figurées  :  cerfs  affrontés 
entourés  de  rinceaux  et  allant  se  désaltérer  à  la  source 
sjmibolique  du  bonheur  céleste;  saint  Laurent  courant  à 
son  martyre;  enfin,  la  célèbre  représentation  du  bon  Pas- 
teur, assis  parmi  ses  brebis  (pi.  LIV). 

Sous  le  ciel  bleu,  c'est  un  mont  aux  pentes  verdoyantes,  à 
la  cime  rocheuse,  un  paysage  où  l'art  composa  la  nature, 
des  bancs  de  pierre  taillés  en  gradins  au  miUeu  desquels 
croissent  les  buissons  et  se  rangent  les  brebis.  Au  centre,  le 
Pasteur,  ainsi  qu'un  roi  sur  son  trône  parmi  sa  cour,  est 
assis.  La  croix,  près  de  lui,  est  dressée  et  l'un  de  ses  bras, 
levé,  se  suspend  à  la  hampe,  de  la  même  façon  qu'en  des 
statues  et  reliefs  antiques  on  voyait  les  dieux  et  les  princes 
s'appuyer  au  sceptre.  Et  tandis  que  son  regard  rêveur  se 
perd  au  loin,  il  flatte  de  la  main  une  brebis  qui  tend  affec- 
tueusement sa  tête  vers  lui.  Le  nimbe  l'auréole;  son  corps  est 
enveloppé  de  la  toge  et  du  manteau,  ce  qui  est  d'un  roi,  mais 
la  figure  imberbe  et  la  longue  chevelure,  la  physionomie  pleine 
de  gravité  et  le  regard  légèrement  mélancoUque  transfor- 
ment son  caractère:  le  bon  Pasteur  est  majestueux  et  doux. 


PLANXHE    LVl, 


Xoùlr  (lu  r.aplisliiv  de  San-lMovamii  m  l-onte,  à  Kavcnnc  (phot. 


Ricci) . 


l^LANCHE    LVII. 


\'ur  iiitérii'un^  di'  Saint -\it;il,  à  Kavcnnr.  —  2.  Saint-.\{X)llinairc  le 
^icut,    à    Kavcnne.    (l'hot.    Kicci.) 


BAPTISTÈRE  DES  ORTHODOXES  153 

Rome  ne  connaissait  plus,  au  v^  siècle,  ce  type  de  gran- 
deur et  de  suavité.  Elle  avait  perdu  la  notion  d'un  dessin 
si  aisé,  d'une  attitude  si  noble,  d'une  composition  si  harmo- 
nieuse. Il  faudrait  remonter  aux  catacombes  pour  trouver 
unies  à  ce  point  les  grâces  de  la  nature  et  la  beauté  des  types. 
Encore  y  chercherait-on  en  vain  un  sens  aussi  complet  du 
pittoresque,  une  prédilection  aussi  sincère  pour  ce  qui  est 
aimable  et  jeune.  Ne  songez  pas  non  plus  aux  Byzantins  et 
à  l'art  officiel  de  Constantinople.Le  souffle  qui  anime  le  bon 
Pasteur  du  mausolée  ravennate  vient  en  droite  ligne  de  la 
Méditerranée  orientale  ;  c'est  le  même  à  qui  nous  devons  les 
Christs  du  sarcophage  de  Psamatia  et  de  la  pyxide  de  Ber- 
lin :  il  apporte  le  parfum  d'Alexandrie. 

Nous  hésitons  à  placer  le  bon  Pasteur  sur  la  même  ligne 
que  les  autres  mosaïques  du  mausolée  de  Galla  Placidia. 
Celles-ci  se  ressentent  déjà  des  procédés  desséchants  mis  en 
honneur  à  la  cour  de  Constantinople.  Elles  sont  atteintes  du 
style  monumental,  tandis  que  le  bon  Pasteur  vit  encore  de 
la  libre  fantaisie  hellénistique. 

Aussi  bien,  c'en  est  le  dernier  témoignage.  Nous  allons 
voir  s'accuser  peu  à  peu,  à  Ravenne,  l'inlluence  de  l'Empire 
d'Orient. 

Baptistère  des  Orthodoxes.  L'impératrice  n'était  pas 
encore  morte,  probablement,  quand  fut  commencée  la 
construction  du  baptistère  de  San-Giovanni  in  Fonte,  dit 
des  Orthodoxes  depuis,  pour  le  distinguer  du  baptistère  un 
peu  plus  tardif  de  la  communauté  arienne.  Il  porte,  en 
effet,  à  l'intérieur,  sous  l'une  des  arcades  basses,  le  mono- 
gramme de  l'évêque  Néon,  qui  occupa  le  trône  épiscopal  de 
449  à  452;  mais   le  travail  considérable    de  la  décoration 


154 


RAVENNE 


intérieure  ne  semble  avoir  été  achevé  qu'assez  longtemps 
après. 

Le  mausolée  succédait-il,  comme  on  Ta  dit,  à  une  piscine 
thermale?  Cela  est  possible.  En  tout  cas,  les  murs  à  l'exté- 
rieur, avec  leur  décoration  d'arcatures  géminées,  indiquent 
bien  le  v^-vi^  siècle.  A  l'intérieur,  les  huit  pans  se  repro- 
duisent, décorés  d'arcades  aveugles  avec  des  fenêtres  rec- 
tangulaires au  second  étage.  La  coupole  à  pendentifs  est 
toute  semblable  à  celle  du  mausolée  de  Galla  Placidia,  faite 
d'une  pièce  et  construite  au  moyen  de  chapelets  de  vases 
en  terre  cuite  et  de  ciment.  Quant  à  la  décoration,  elle  est 
de  mosaïques  à  l'étage  inférieur  et  sur  toute  la  superficie 
de  la  coupole;  en  stuc  à  l'étage  intermédiaire  (pi.  LV). 

Rien  n'égale  une  telle  magnificence.  On  a  tout  dit  sur  les 
merveilleux  rinceaux  vert  et  or  qui  s'enlèvent  entre  les 
arcades  basses  sur  un  fond  bleu  sombre,  enveloppant  de 
leurs  volutes  fantastiques  des  médaillons  de  saints  ou  de 
prophètes.  La  meilleure  tradition  du  rinceau  romain,  tel 
qu'il  fleurit  d'Auguste  à  Trajan,  s'était  là  conservée,  sinon 
dans  sa  fraîcheur,  au  moins  dans  sa  richesse.  Il  n'est  rien  de 
plus  romain  aussi  que  les  fausses  niches  et  arcades  en  stuc 
du  second  étage.  Une  légère  teinte  rose  adoucissait  les  fonds, 
et  les  saints  dans  la  blancheur  de  leurs  reliefs  s'enlevaient 
vigoureusement  sur  le  rouge  accusé  des  niches.  Polychromie 
déHcate,  contrastes  savamment  établis,  aspect  aérien  du 
décor  :  on  sent  que  l'esprit  des  compositions  pompéiennes 
anime  toujours  l'imagination  des  artistes...  Romaines 
étaient  encore  les  belles  touffes  d'acanthe  qui  ornent  les 
pendentifs  et  s'érigent,  comme  des  candélabres,  jusque  dans 
la  première  zone  de  la  coupole. 

Ici  se  montre  un  décor  étrange  (pi.  LVI).  Chacun  des  pan- 


Planche  LVIII. 


M()s;n(|urs  (le  Sailli  Apollinaire  W    Neuf:  I.  I-«'  BttiM.T  tic  Jmlas. 

2.  Corlùgr  (le  saintes.  (IMiot.  Ricci.) 


BAPTISTÈRE  DES  ORTHODOXES  155 

neaux  que  les  tiges  végétales  découpent  dans  la  zone  étroite 
renferme  une  sorte  de  triptyque  monumental,  composé  d'une 
exèdre  au  centre  et  de  deux  portiques  latéraux.  Tantôt,  au 
fond  de  l'exèdre,  c'est  un  trône  somptueux  constellé  de  pier- 
reries, couvert  d'étoffes  d'or  et  de  pourpre;  une  croix  res- 
plendit sur  son  haut  dossier  d'or;  un  diadème  est  posé  sur  son 
siège;  le  ciel  s'entr'ouvre  au-dessus  de  lui;  sous  les  portiques 
latéraux  on  reconnaît  des  balustrades  d'autel  enfermant  des 
arbres  d'or  qui  paraissent  s'incliner  vers  le  trône.  Tantôt, 
suivant  une  disposition  qui  alterne  dans  les  panneaux  avec 
la  première,  le  centre  du  triptyque  est  occupé  par  un  autel 
aux  colonnettes  d'or  portant  le  Livre  de  l'Évangile  ouvert; 
à  gauche  et  à  droite,  ce  sont  des  trônes  ressemblant  cette 
fois  à  des  chaises  curules,  derrière  lesquelles  est  figurée  une 
niche  dont  la  coquille  est  comme  le  ciel  ouvert.  Et,  dans 
les  deux  cas,  tout  brille,  tout  éclate  des  splendeurs  de  l'or, 
de  la  pourpre  et  de  l'azur.  Nul  doute  que  l'artiste  n'ait 
représenté  là  l'abside  et,  en  raccourci,  les  nefs  d'une  basi- 
lique de  type  ancien.  Mais  n'a-t-il  eu  aucune  intention  sym- 
bolique? Les  trônes  ne  sont-ils  pas  ceux  des  saints  et  du 
Christ  lui-même?  Ne  sont-ce  pas,  le  diadème  de  l'un,  les 
couronnes  des  autres?  Et  cette  basilique  étincelante,  n'est-ce 
pas  une  figure  de  la  Jérusalem  céleste  ?  Pour  qui  connaît 
la  tendance  symbolique  des  décorations  ravennates,  une 
telle  opinion  n'a  rien  d'invraisemblable. 

Au-dessus  des  autels  et  des  trônes,  voici  les  apôtres. 
D'un  même  geste,  ils  présentent  au  Christ,  sur  leurs  mains 
couvertes  respectueusement  des  pans  de  leurs  manteaux, 
les  couronnes  qu'ils  ont  méritées.  Des  tiges  d'acanthe  les 
séparent;  les  rideaux  du  palais  céleste  tombent  en  festons 
sur  leurs  têtes.  C'est  la  cour  du  Seigneur.  Le  style  officiel  de 


156  RAVENNE 

Byzance  a  commencé — qui  ne  le  verrait?  —  à  modeler  leurs 
attitudes,  leurs  gestes,  leurs  physionomies.  Cependant,  les 
corps  ont  un  mouvement  vrai  qu'ils  communiquent  aux 
draperies;  les  physionomies  n'ont  rien  d'inerte.  Nous 
sommes  au  moment  où  les  traditions  de  la  Grèce  et  de  Rome 
luttent  désespérément  contre  la  puissance  toujours  plus 
grande   du  byzantinisme. 

Tout  au  sommet  de  la  coupole,  Jean  baptise  le  Christ  dans 
les  eaux  du  Jourdain  (pi.  LVI),  lequel  est  figuré  allégori- 
quement  par  un  vieillard  barbu,  attentif  à  la  scène  qui  se 
passe  sous  ses  yeux.  Cette  dernière  figure  est  bien  antique. 
Pour  les  autres,  les  restaurations  ont  rendu  tout  jugement 
impossible.  Elles  semblent  se  rattacher  à  la  tradition 
romaine,  aux  apôtres  représentés  sur  l'arc  triomphal  de 
Saint-Paul  hors  les  murs,  par  exemple,  plutôt  qu'aux  types 
déjà  formés  de  l'art  byzantin. 

Les  mosaïques  du  baptistère  des  Ariens  (Sainte-Marie  in 
Cosmedin)  ne  sont  autre  chose  qu'une  imitation  assez  mala- 
droite de  celles  de  San-Giovanni  in  Fonte.  Elles  nous 
amènent  en  pleine  période  ostrogothique. 

La  Basilique  de  Saint-Apollinaire  le  Neuf.  Théo- 
doric  n'avait  d'autre  idéal  pohtique  que  celui  de  soutenir,  à 
force  de  sagesse  et  de  fermeté,  l'édifice  ébranlé  du  double 
Empire.  Il  était  indépendant  en  fait,  il  pouvait  tout  ;  mais  il 
n'en  continua  pas  moins  de  se  considérer  comme  le  délégué 
du  maître  suprême  résidant  à  Constantinople.  On  aurait  dit 
que  ce  Barbare  ne  tenait  point  son  droit  de  son  épée,  mais  de 
la  permission  de  l'empereur.  Il  entra  en  ItaUe  pour  régner, 
mais  le  front  baissé,  respectueux  de  cette  antique  civilisation 
à  laquelle,  d'avance,  il  soumettait  les  énergies  barbares. 


SAINT-APOLLINAIRE  LE  NEUF  157 

Jamais  il  ne  songea  à  fonder  un  nouvel  ordre  de  choses  sur 
la  coutume  germanique.  Son  ambition  était  de  voir  perpé- 
tuées sous  son  sceptre  les  mœurs  de  l'Italie  et  les  institutions 
impériales.  Il  adopta  le  droit  romain,  les  formes  tradition- 
nelles de  l'administration.  Rien  ne  fut  changé  sinon  le  sou- 
verain, qui  fut  aussi  puissant  et  résolu  qu'il  était  auparavant 
incapable  et  débile.  Les  Romains  applaudirent;  quant  aux 
Barbares,  séduits  aussi  bien  que  leur  chef  par  le  prestige 
incomparable  du  pays  conquis,  ils  mirent  toute  leur  bonne 
volonté  à  faire  oublier  l'humilité  de  leur  origine;  ils  s'effor- 
cèrent au  rôle  de  patriciens. 

A  vrai  dire,  les  Goths  ne  représentaient  pas  une  nation. 
Leur  race,  ils  la  jugeaient  assez  heureuse  si  ses  destinées  se 
confondaient  avec  celles  du  peuple  romain.  Comment 
eussent-ils  estimé  à  leur  prix  ses  foncières  qualités?  Ce  qu'il 
y  avait  d'original  en  eux  subsista,  peut-on  dire,  en  dépit 
d'eux,  mais  avec  quel  amoindrissement  ! 

Au  point  de  vue  artistique,  Théodoric  apportait  avec  hii, 
à  Ravenne,  une  admiration  sans  réserve  pour  les  monuments 
qu'il  avait  contemplés  pendant  un  long  séjour  à  Constanti- 
nople.  Il  était  tout  dévoué  à  l'embellissement  de  Ravenne. 
Nous  savons  qu'il  se  fit  construite  un  palais,  dont  rien, 
malheureusement,  n'a  subsisté.  Comme  il  était  arien,  ainsi 
que  les  Goths,  il  dut  procurer  des  églises  à  cette  confession 
chrétienne,  les  catholiques  ayant  naturellement  les  leurs, 
qu'il  se  fût  fait  scrupule  de  leur  enlever.  Ainsi  furent 
construits  le  baptistère  dont  nous  avons  fait  mention  plus 
haut,  Sainte-Agathe  des  Goths,  disparue,  l'église  du  Saint- 
Esprit,  transformée  au  xvi«  siècle,  et  la  fanuuisc  basilique 
de  Saint-Martin  au  ciel  d'or,  devenue,  quand  les  catho- 
liques en  prirent  possession,  Saint-Apollinaire  le  neuf. 

II,  I 


158  RAVENNE 

Les  basiliques  ravennates  prirent  leurs  caractères  défi- 
nitifs sous  Théodoric.  A  l'intérieur,  les  colonnes  supportent 
les  murs  par  le  moyen  d'arcades,  non  d'une  architrave  ;  elles 
sont  surhaussées  de  l'imposte  que  nous  avons  rencontrée  à 
Sainte-Sophie  de  Constantinople  et  dont  l'origine,  avons- 
nous  dit,  doit  être  cherchée  en  Orient.  A  l'extérieur,  on 
notera,  comme  dans  le  baptistère  des  orthodoxes,  les  ban- 
deaux et  les  arcatures  décorant  la  maçonnerie,  et  ces  traits 
si  nettement  orientaux  :  les  absides  polygonales,  les  entrées 
ménagées  sur  les  longs  côtés  de  la  basilique,  les  tours  carrées 
cantonnant  la  façade  (Saint -Apollinaire  in  Classe).  Les 
tours  rondes,  non  carrées,  comme  à  Rome,  qui  s'élèvent 
à  côté  des  églises  ravennates  et  contribuent  tant  à  leur  phy- 
sionomie expressive,  ne  remontent  qu'au  viii®-ix®  siècle. 
D'une  façon  générale,  le  plan  des  basiliques  à  Ravenne  était 
donc  le  même  qu'à  Rome  (pi.  LVII,  2). 

C'est  dans  la  décoration  en  mosaïque,  une  fois  de  plus, 
que  Ravenne  va  témoigner  de  son  éclectisme  et,  particuliè- 
rement, de  sa  prédilection  pour  les  formes  d'art  orientales 
ou  byzantines. 

Du  ciel  d'or,  c'est-à-dire  de  l'abside  éclatante,  de  Saint- 
Apollinaire  le  neuf,  rien  ne  reste,  cette  partie  de  l'église 
ayant  été  totalement  transformée;  mais  le  revêtement  de  la 
nef  centrale,  quoique  altéré  en  certains  endroits  par  les  res- 
taurations modernes,  produit  un  effet  incomparable. 

Les  mosaïques  sont  réparties  en  trois  bandeaux  superpo- 
sés. Les  plus  anciennes,  contemporaines  de  Théodoric, 
occupent  le  bandeau  supérieur,  formant  un  cycle  de  vingt- 
six  scènes  empruntées  au  Nouveau  Testament,  à  la  prédi- 
cation et  à  la  Passion  du  Christ.  Elles  sont  séparées  les  unes 
des  autres  par  des  figures  de  saints.  Bien  que  de  dimensions 


Planche  IJX. 


1.  Mosaitiuc  «le  S.iiiil  .\|>«»||iu.iiii  K  NiUi  Ia  «.  lui^t 
2.  Mosaùim-  (le  Siiint  Apollinaire  in  t'iassr.  \.  MosaH|ur 
Apollinaire  le  Ncut  :  le  l'alais  de  Ihéotloric.  (Phot.  Kicci.i 


SAINT-APOLLINAIRE    LE   NEUF  159 

restreintes  et  placées  haut,  elles  frappent  par  la  vigueur  de 
leurs  traits,  la  sobriété  de  leur  composition;  bien  que  som- 
maires au  point  de  vue  narratif,  elles  sont  vivantes,  ce  qui 
tient  à  la  belle  disposition  des  groupes,  à  l'accent  des  physio- 
nomies, à  la  spontanéité  des  gestes. 

Nulle  trace  de  détails  pittoresques.  Des  couleurs  sans  gaieté, 
quoique  harmonieuses,  des  corps  sans  solidité  anatomique, 
un  dessin  qui  ne  vise  plus  qu'à  la  vérité  d'ensemble  et  des 
types  ayant  renoncé  à  la  beauté  physique,  à  la  grâce  :  voilà 
les  défauts  qui  sautent  aux  yeux  et  par  quoi  se  manifeste  la 
décadence.  Mais  voyez  les  attitudes  !  Malgré  la  pauvreté 
des  visages,  étudiez  l'expression  des  sentiments  !  Vous 
discernerez  facilement  des  particularités  de  caractères  et 
des  émotions  de  l'âme  rendues  avec  sincérité,  sinon  avec 
bonheur.  Que  Judas  se  conduise  en  traître;  que  le  Christ 
soit  une  victime  innocente  et  résignée  :  l'artiste  a  su  le 
montrer  avec  une  simplicité  éloquente  (pi.  LVIII.i).  Pierre 
s'obstine  et  porte  la  main  à  la  poignée  de  son  glaive;  ses 
compagnons,  impuissants,  se  lamentent;  les  Juifs  venus 
pour  arrêter  Jésus  sont  menaçants,  ou  curieux,  ou  rica- 
nent. On  fait  souvent  honneur  de  ces  mosaïques  à  des 
artistes  barbares.  Est-ce  un  hasard,  en  effet,  que  tant  de 
vérité  dramatique,  tant  d'émotion  intérieure,  en  même 
temps  que  tant  de  naïveté  d'exécution  se  manifestent  au 
moment  précis  où  Théodoric  régnait  à  Ravenne?  Il  faut 
ajouter  que  la  suite  des  sujets  semble  bien  avoir  été 
empruntée  à  un  manuscrit  à  miniatures. 

Entre  les  fenêtres  de  la  nef,  sous  le  bandeau  dont  nous 
venons  de  parler,  les  panneaux  rectangulaires  sont  décorés 
de  figures  de  saints,  remontant  également  à  la  période 
ostrogothique.  Ils  diffèrent  peu  des  apôtres  de  San-Giovanni 
in  Fonte. 


i6o  RAVENNE 

Au  contraire,  les  mosaïques  du  bandeau  inférieur  sont  net- 
tement byzantines.  Elles  avaient  été  exécutées,  au  témoi- 
gnage du  Liber  pontificalis ,  sous  l'archevêque  Agnellus  (556- 
569),  alors  que  l'église  du  ciel  d'or,  les  Grecs  étant  maîtres 
de  Ravenne,  était  passée  aux  mains  de  la  communauté 
catholique.  Peut-être  une  ancienne  décoration  fut-elle 
remplacée  par  la  mosaïque  que  nous  voyons  aujourd'hui. 
Certains  veulent  faire  remonter  à  Théodoric  les  deux 
représentations  se  trouvant  à  gauche  et  à  droite,  près 
de  l'entrée  :  le  port  de  Classis  et  le  palais  de  Théodoric 
(pi.  LIX,  3).  Ce  seraient  là  les  amorces  d'un  cortège  jugé 
hérétique  à  cause  de  la  présence  du  roi  arien.  Agnellus, 
en  remplaçant  ce  cortège  par  les  figures  actuelles,  aurait 
cru  purifier  l'église  nouvellement  consacrée  à  saint  Apolli- 
naire et,  de  plus,  plaire  aux  vainqueurs  des  Ostrogoths, 
Ces  suppositions  sont  hasardeuses. 

Quoi  qu'il  en  soit,  l'œuvre  exécutée  sous  Agnellus  est  de 
celles  qui  comptent  parmi  les  plus  belles.  A  gauche,  une 
longue  rangée  de  saintes  sortant  de  Classis  marchent  d'un  pas 
égal  vers  Marie,  assise  au  loin,  encadrée  d'anges  et  tenant 
l'Enfant  sur  ses  genoux.  Elles  sont  vêtues  comme  des  prin- 
cesses de  Byzance,  ces  vierges  idéales  (pi.  LVIII,  2);  elles 
portent,  à  la  suite  des  Mages  qui  déjà  se  prosternent,  leurs  cou- 
ronnes de  martyres  à  la  Vierge  par  excellence.  Sur  le  fond  que 
l'or  illumine,  à  travers  la  prairie  céleste  où  des  fleurs  blanches 
et  rouges  éclosent  au  pied  des  palmiers,  elles  vont,  parées 
de  brocart  et  de  lin,  d'or  fin  et  de  pierres  précieuses. 
Candides  comme  des  enfants,  irréelles  et  pourtant  majes- 
tueuses, elles  font  songer  à  une  immatérielle  théorie  où 
les  âmes  ayant  pris  pour  nos  yeux  les  apparences  de 
la    piété,    de    la    pureté,    de    l'amour,    porteraient    à    im 


SAINT-APOLLINAIRE  IN  CLASSE  i6i 

ineffable   Dieu    un    présent  idéal.  Ce  sont  les  Panathénées 
nouvelles. 

Tels  sont  aussi,  sur  l'autre  paroi  (pi.  LIX,3),  les  siùnts  se 
dirigeant  vers  le  trône  du  Christ,  que  gardent  les  anges. 
Comme  les  saintes,  leurs  corps,  pour  robustes  qu'ils  parais- 
sent, n'ont  ni  solidité,  ni  souplesse;  ils  sont  raides  et  man- 
quent de  modelé;  ils  incarnent  des  idées  et,  à  défaut  de  vie 
naturelle,  ils  participent  à  la  secrète,  à  l'immuable  vie  de 
l'édifice.  Suivez  leurs  pas.  Laissez  entraîner  vos  regards  par 
le  mouvement  unanime  des  attitudes  et  des  gestes  :  ces  saints 
et  ces  saintes,  en  files,  font  apprécier  l'harmonie  des  surfaces 
et  les  intentions  des  lignes.  Et  surtout,  que  votre  imagina- 
tion s'abandonne  au  rêve  solennel  conçu  par  la  tradition 
chrétienne  et  par  l'art  du  mosaïste  :  tandis  que  vos  yeux  sui- 
vront encore  le  rythme  lent  de  la  pompe  basilicale,  votre 
esprit,  par  un  enchantement  que  vous  ne  soupçonniez  pas, 
vaguera  éperdûment  dans  la  lumière  étemelle,  parmi  les 
palmiers  édéniques. 

L'art  byzantin  n'eût-il  produit  que  les  cortèges  sacrés  de 
Saint-Apollinaire  le  neuf,  qu'il  faudrait  le  proclamer  grand. 
Il  s'était  surpassé  dans  le  Christ  assis  entre  les  anges,  imj)é- 
rieux,  dominateur  (pi.  LIX,  i),  et  la  Vierge  qui  lui  faisait 
face,  glorieusement  rigide  sur  son  trône.  Malheureusement, 
ces  morceaux  ont  été  retravaillés.  Justinien  et  Agneilus 
avaient  leurs  images  dans  les  chapelles  ;  la  première  existe 
encore. 

Saint-Apollinaire  in  Classe.  Les  Byzantins.A  Ravenne. 
n'eurent,  pour  bien  mériter  de  l'art,  qu'à  parachever  les  édi- 
fices commencés  sous  le  règne  de  Théodoric.  La  basilique  de 
Saint- Apollinaire  in  Classe  fut,  en  grande  partie,  construite 


i62  RAVENNE 

entre  535  et  538;  Saint-Vital  est  encore  plus  ancien  (526- 
534)  ;  aux  artistes  de  Justinien  incomba  la  seule  tâche  de 
décorer  l'intérieur  des  deux  édifices,  ce  qui  fut  fait  entre  547 

et  549- 

Des  mosaïques  originales  de  Saint-Apollinaire  in  Classe 

il  ne  reste  guère  que  le  fond  de  l'abside.  Encore  subit-il  de 
malheureuses  restaurations  au  vu®  siècle,  sous  l'évêque 
Reparatus  (672-677).  On  y  voyait  la  Transfiguration  — 
partie  peu  remaniée  (pi.  LIX,  2)  —  sous  les  voiles  du  sym- 
bolisme. La  croix  aujourd'hui  remplace  le  Christ;  Moïse  et 
ÉUe  apparaissent  encore  dans  le  ciel  tandis  que  Pierre,  Jean 
et  Jacques,  figurés  par  trois  agneaux,  lèvent  les  yeux. 
Sous  le  ciel,  c'est  une  vaste  prairie  plantée  d'arbres  et  par- 
semée de  fleurs;  à  l'origine,  on  voyait  à  l'avant-plan,  au  lieu 
de  saint  ApoUinaire,  l'Agneau  divin  debout  sur  la  montagne 
de  Sion,  et  c'était  par  conséquent,  le  Christ,  entre  ses  apô- 
tres, sortant  de  Jérusalem  et  de  Bethléem,  non  comme  aujour- 
d'hui, un  évêque  au  milieu  de  ses  ouailles.  La  décoration 
de  l'arc  triomphal  est  devenue  méconnaissable;  mais  cinq 
archevêques,  entre  les  fenêtres  de  l'abside,  sont  encore  du 
VI®  siècle.  Les  autres  mosaïques,  à  gauche  et  à  droite  de 
l'autel,  le  Sacrifice  de  Melchisédech,  la  Collation  des  privi- 
lèges accordés  par  Constantin  Pogonat,  sont  du  temps  de 
Reparatus  et  bien  inférieures  à  celles  du  siècle  précédent. 

En  somme,  presque  tout  le  décor  de  Saint-Apollinaire  in 
Classe  est  perdu  pour  nous.  Celui  de  Saint- Vital,  au  con- 
traire, brille  encore  de  tout  son  éclat. 

Saint- Vital.  Qu'on  ne  s'étonne  pas  de  voir  commencer 
sous  le  règne  de  Théodoric  une  église  dont  le  plan  s'écarte  si 
fort  des  traditions  occidentales.  Ra  venue,  avons-nous  dit, était 


l^LANCHE    LX. 


Vue  intérionrc*  do  Saint A'ital   à    KaNcmu*;  au(l<- 
iiiosakiuc  ici)rés(Mitanl  .\l>raliain  rricvant  lrsiii\ii\. 
fico  (ITsuac  (phot.  Alinari). 


SAINT-VITAL 


163 


ouverte,  dès  cette  époque,  à  toutes  les  influences  de  l'Orient, 
Le  noyau  de  Saint- Vital  est  constitué  par  un  octogone 
(fig.  46),  sur  les 
côtés  duquel  vien- 
nent s'ouvrir  sept 
hémicycles  à  tri- 
bunes, le  huitième 
côté  donnant  nais- 
sance à  un  chœur 
et  à  l'abside  prin- 
cipale qui  le  suit 
(pi. LX). Un  déam- 
bulatoire, ou  bas- 
côté  circulaire  (pi. 
LVII,  i),  entoure 
le  noyau  central  et 
se  trouve  limité  à 
l'extérieur,  par  les 
côtés  agrandis  de 
l'octogone.  Les 
hémicycles  sup- 
portent le  tam- 
bour, et  celui-ci,  la 
coupole,  qui  dis- 
paraît, comme  toutes  les  coupoles  de  Ra venue,  sous  les 
murs  extérieurs  et  le  toit.  L'abside  est  accostée  de  deux 
sacristies,  ainsi  qu'il  était  fréquent  aussi  dans  les  basili- 
ques. Le  narthex  sort  de  l'axe  du  chœur.  11  était  cantonné 
de  tours  rondes. 

L'époque  n'est  pas  encore  lointaine  où  les  rapports  de  ce 
plan   avec   celui   de   Sainte-Sophie  de   Constantinople,   les 


FIG.  46. 


PLAN   DE  SAINT-VITAL  UE     RAVENME. 

(D'après  Lemaire.) 


i64  RAVENNE 

églises  de  Rome  et  de  Salonique,  suscitaient  les  plus  vifs 
débats  entre  archéologues.  En  réalité,  Saint- Vital  est  anté- 
rieur à  Sainte-Sophie.  Il  fut  construit  à  la  même  époque  que 
les  Saints-Serge  et  Bacchus,  de  Constantinople,  sur  un 
même  plan,  le  plan  développé  des  éghses  octogonales 
d'Antioche,  de  Nazianze,  de  Wiranscher.  Ici,  quatre 
côtés  seulement  de  l'octogone  central  donnaient  naissance 
à  un  hémicycle  ;  nous  avons  vu  qu'à  Saint- Vital,  on  étendit 
cette  disposition  à  tous  les  côtés.  «  Cette  innovation  capitale, 
dit  M.  Millet,  est  d'ailleurs  bien  antérieure  à  Justinien  : 
saint  Grégoire  de  Nysse,  au  ive  siècle,  nous  la  montre  appli- 
quée dans  l'une  de  ses  églises,  à  laquelle  quatre  compar- 
timents, saillant  dans  l'intervalle  des  quatre  niches,  donnaient 
à  l'extérieur,  comme  à  l'intérieur,  l'aspect  d'une  croix.  Un 
tel  octogone  subsiste  à  Birbinkilissé.  » 

Saint- Vital,  de  Ra venue  n'a  pas  la  majestueuse  unité  de 
Sainte-Sophie  de  Constantinople,  organisée  tout  entière 
autour  d'un  carré  central;  mais  son  harmonie  n'en  est  pas 
moins  réelle.  Elle  ne  s'impose  pas  d'un  coup;  elle  se  révèle 
plutôt  par  des  transitions  habiles  à  la  suite,  pourrait -on  dire, 
de  découvertes  successives.  Aussi  robuste  que  Sainte- 
Sophie,  elle  est  peut-être  plus  vivante,  en  tous  cas  plus 
variée  d'aspects.  Une  féerie  de  formes  et  de  couleurs  animait 
sa  décoration;  c'étaient  les  revêtements  de  marbre  des  par- 
ties basses,  les  ornements  polychromes  des  chapiteaux,  les 
rehefs  en  stuc  des  voûtes  latérales,  la  profusion  des  mosaïques 
dans  le  chœur  et  l'abside,  enfin  le  décor  architectonique  de 
la  coupole. 

La  majeure  partie  des  mosaïques  est  intacte.  Au  fond  de 
l'abside,  le  Christ  règne,  assis  sur  le  globe  terrestre  (Pératé, 
fig-  ^69)  ;  à  ses  pieds,    les  gazons  de  l'Éden,   au-dessus  de 


SAINT-VITAL  165 

ui,  le   ciel  doré  et  les  nuées  de  pourpre.   Deux  anges  se 
tiennent  debout  à  sa  gauche  et  à  sa  droite,  présentant  l'un 
saint  Vital,  à  qui  le  Christ  tend  la  couronne  étemelle,  l'au- 
tre révêque  Ecclesius,  qui  fait  hommage  au  Seigneur  de  la 
nouvelle  église.  Pauvre  groupement  !  pauvre  dessin  !  dirait- 
on,  si  l'artiste  avait  tâché  vraiment  d'imiter   la  vie.  Mais 
tous  ses  efforts  tendirent  à  meubler,  suivant  sa  forme,  la 
conque  absidale  et,  comme  conséquence,  à  modifier  la  vie 
en  vue  de  son  adaptation  au  style  monumental.   Si  la  com- 
position est  à  ce  point  symétrique,  si  les  personnages  sont 
raides  et  droits,  quelle  que  soit  leur  fonction,  c'est  pour  que 
toutes   les  figures   confondent  leur  ligne  générale  avec  les 
lignes  rayonnant  du  sommet  de  l'abside.  Si  les  corps  n'ont  ni 
modelé  ni  épaisseur,  si  les  physionomies  n'expriment  en  rien 
des  sentiments    qui   correspondent    à  la    signification   des 
gestes,  mais  semblent  prolonger  une  immuable  contempla- 
tion,   c'est,  en  outre,  pour  donner  à  ces  existences  célestes 
une  apparence  d'éternité.  Le  sculpteur  qui  modela  les  inou- 
bliables dieux  réunis  sur  la  frise  du  Parthénon  n'obéit  pas  à 
une  pensée  différente.  D'ailleurs,  on  a  cherché  à  indiquer  le 
caractère  beaucoup  plus  que  les  sentiments;  on  a  sacrifié  ce 
qui  est  passager,  fugitif,   à  ce  qui  demeure,  la  mobilité  des 
émotions  à   l'essence    imperturbable  de  l'esprit.  De  là,  les 
types  des  anges,  des  saints,  du  Christ.  Celui-ci,  qui  est  fait 
d'une  jeunesse  immortelle,  remontait  aux  catacombes,  aux 
Christs  des  ivoires  alexandrins  et,  par  eux,  aux  jeunes  dieux 
de  la  Grèce.  Saluons-le  pour  la  dernière  fois.  Il  va  disparaî- 
tre, remplacé  à  jamais  par  leBasileus  impérieux  d'Orient. 

L'abside  bordée  d'une  zone  ornementale  (pi.  LX)  est  sur- 
montée du  monogramme  divin,  tenu  p.ir  deux  anges,  entre 

les  palmiers  et  les  tours  de  Jérusalem  et  de  Bethléem.  Autour 

II.  18 


i66  RAVENNE 

des  fenêtres  hautes  se  déploient  des  pampres  de  vigne,  issus 
de  corbeilles  et  de  vases. 

Deux  panneaux  célèbres  se  font  face  sur  les  parois  qui 
précèdent  la  conque  absidale  :  d'une  part,  Justinien  et  sa 
cour,  précédés  de  Tévêque  Maximien  qu'accompagnent  les 
clercs  (pi.  LX)  ;  d'autre  part,  l'impératrice  Théodora  sor- 
tant de  son  palais,  avec  son  cortège  de  dames  d'honneur 
et  d'officiers  (pi.  LXI,  i).  Le  couple  impérial  assiste  à  la  con- 
sécration de  Saint- Vit  al,  y  apportant  de  précieux  dons.  Ici, 
l'intention  de  faire  des  portraits  est  manifeste  (pi.  LXI,  2), 
encore  qu'on  ne  puisse  dire  jusqu'à  quel  point  cette  intention 
a  été  réahsée.  De  même,  apparaît  dans  les  figures  secon- 
daires le  désir  de  donner  à  certaines  physionomies  un  carac- 
tère personnel;  mais  la  vraie  joie  de  l'artiste  fut  de  broder  les 
étoffes  d'ornements  variés,  d'accumuler  l'or  et  les  pierreries 
dans  les  parures.  Nulle  vie  dans  la  composition,  ce  qui  s'ex- 
cuse, ou  plutôt  se  comprend,  pour  des  raisons  que  nous  avons 
déjà  signalées;  mais,  en  outre,  une  sécheresse  si  rebutante, 
une  rigidité  si  purement  linéaire  qu'on  a  pu  comparer 
les  personnages  entourant  Justinien,  et  l'empereur  lui- 
même,  à  des  figures  plates,  métalliques,  pendues  à  un  fil  le 
long  de  la  muraille.  Ajoutez  à  cela  que  la  gamme  des  cou- 
leurs s'assombrit  à  cause  de  l'abondance  des  noirs  et  des 
verts.  Le  style  monumental  se  défend  ici  beaucoup  moins 
bien  que  dans  l'abside  rutilante. 

Les  autres  compositions,  au-dessus  des  arcades  de  la  nef, 
sont  surtout  intéressantes  au  point  de  vue  symbolique.  D'un 
côté,  c'est  un  autel  sur  lequel  s'accomplissent  les  sacrifices 
d'Abel  et  de  Melchisédech  (pi.  LXII,  i)  ;  la  main  du  Très- 
Haut  apparue  dans  le  ciel  les  accueille.  De  l'autre,  c'est 
Abraham  prêt  à  sacrifier  Isaac  et,  dans  une  scène  juxtapo- 


Planche  LXI, 


MosAioiivs    DK   SAIN  i-viTAi.   :    1.    llicoilora  cl   >a  suite  iivMHtant 
à   la  consécration  (k*  l'église.  2    THv  tic  Justinicn  (détail   d'un 

pumuiui  visihU',  j)l    |,X).         ^   lêtc  de  Théixlora   (Phot,  Kiccl.) 


SCULPTURE  RAVENNATE  167 

sée,  servant  de  ses  mains  les  trois  envoyés  célestes.  Ces  repré- 
sentations occupent  les  tympans  des  arcades  (pi.  LX). 
Au-dessus  d'elles,  deux  anges  soutiennent  le  médaillon 
enfermant  la  croix.  Dans  les  écoinçons,  Isaïe  et  Jérémie  se 
font  face  en  même  temps  que  certains  épisodes  montrant 
comment  Moïse  reçut  la  Loi  des  mains  du  Seigneur  et  la 
communiqua  au  peuple  des  Hébreux  (Ibid.).  Prophéties  et 
préfigures,  l'ancienne  Loi  présentée  comme  un  symbole 
de  la  doctrine  chrétienne  :  tel  était  le  sens  de  ces  repré- 
sentations. Quant  aux  pampres  de  vigne,  aux  corbeilles  de 
fruits  que  becquètent  les  colombes,  ce  sont  d'anciens  motifs 
de  la  décoration  cimétériale  qui  trouvèrent  à  Ravenne  une 
faveur  toute  particuHère,  tout  comme  le  monogramme  sacré, 
la  croix  en  médaillon  et  les  animaux  du  jardin  céleste,  cerfs 
altérés,  paons  orgueilleux,  agneaux  paisibles. 

Les  mosaïques  de  Saint-Vital,  celles  de  Saint-Pierre 
Chrysologue  (pi.  LXII,  2),  chapelle  enclavée  aujourd'hui 
dans  le  palais  archiépiscopal,  marquent  un  apogée.  Les  œu- 
vres qui  furent  exécutées  au  siècle  suivant,  sous  l'évêque 
Reparatus,  ne  sont  plus  dignes  d'elles.  Avec  l'invasion  lom- 
barde, tout  espoir  de  relèvement  s'évanouit  pour  de  longues 
années. 

Sculpture  ravennate.  Tous  les  chapiteaux  décorés  que 
nous  avons  rencontrés  à  Sainte-Sophie  de  Constantinople, 
Ravenne  les  posséda.  Nous  trouvons  le  chapiteau  composite, 
dont  la  forme  est  romaine,  mais  dont  le  feuillage  d'acanthe 
est  métallisé  selon  les  procédés  d'Orient,  tous  ceux  aussi 
dont  le  noyau  est  entouré  d'une  sorte  de  broderie  végétale 
(pi.  XLII,  3);  à  Saint-Vital,  l'imagination  des  ornemanistes, 
car  c'est  bien  le  nom  qu'il  faut  donner  à  ces  décorateurs  de 


i68  RAVENNE 

la  pierre,  se  donna  carrière  avec  une  magnifique  abondance. 
Jamais,  depuis  la  Grèce,  la  flore  et  la  faune  n'avaient  joué 
un  rôle  aussi  considérable  dans  la  sculpture  monumentale; 
jamais,  depuis  les  beaux  jours  de  Rome,  on  n'avait  stylisé 
la  plante  avec  une  audace  si  pleine  de  goût,  une  entente  si 
parfaite  de  ce  qu'exigent  les  formes  architectoniques  et  de 
la  fidélité  qui  reste  toujours  due  à  la  nature  (pi.  LX; 
LXII  ,2) .  Les  chapiteaux  de  Constantinople  nous  avaient 
déjà  montré  cela,  et  nous  y  avons  reconnu  l'influence  d'une 
esthétique,  étrangère  aussi  bien  à  la  Grèce  qu'à  Rome.  Il 
faut  noter,  au  surplus,  comme  des  caractères  orientaux 
popularisés  à  Ravenne,  l'amour  des  signes  symboliques,  la 
tendance  à  héraldiser  les  groupes,  sur  la  majorité  des 
impostes,  au-dessus  des  chapiteaux. 

Végétaux  qui  se  déroulent,  se  ploient  et  serpentent, 
pampres  de  vigne  chargés  de  grappes,  tiges  de  lierre  et 
d'acanthe,  plantes  qui  grimpent  et  s'entrelacent  autour  des 
symboles,  des  vases,  des  monogrammes,  des  croix  :  c'est  là 
aussi  ce  qui  distingue  les  balustrades,  cancels,  ambons  et 
toutes  pierres  décorées  des  éghses  de  Ravenne. 

A  ce  décor,  les  sarcophages  qui,  au  début,  ne  différaient  pas 
essentiellement  des  cuves  romaines,  ne  tardèrent  pas  à  se 
soumettre. 

Quelques  détails  sont  nécessaires.  Il  est  deux  formes  de 
sarcophages  à  Ravenne  :  ceux  qui  ressemblent  à  des  temples, 
avec  un  toit  à  deux  versants,  des  acrotères  aux  angles 
(pi.  LXIV,  4;  Venturi,  I,  fig.  197)  ;  ceux  dont  le  couvercle 
est  demi-cylindrique.  Le  premier  type  est  hellénistique,  le 
second,  si  l'on  en  juge  par  les  sarcophages  en  plomb  de  la 
Phénicie  (Saïda),  est  d'origine  syrienne  —  on  sait  combien 
d'évêques   et   combien    d'artistes    vinrent    de    ce   pays   à 


SCULPTURE  RAVENNATE  169 

Ravenne.   De  ces  deux  formes  de  sarcophages,    celle    qui 
rappelle  le  temple  était  la  plus    ancienne.    Elle   se    parait 
naturellement  sur  les  côtés  d'une  rangée  de  colonnes  et  de 
niches    dans  lesquelles    les  saints    apparaissaient    debout. 
Dès  le  miUeu  du  ve  siècle,  croyons-nous,  la  seconde  forme 
apparut.  On  constate  des  échanges  réciproques  :  c'est  ainsi 
qu'on  vit  sur  des  cuves  au  décor  architectonique  des  cou- 
vercles semi-cylindriques  et,  aux  coins  de  ces  derniers,  des 
acrotères  qui  ne  s'expliquaient  bien  qu'aux  extrémités  d'un 
tympan.  D'autre   part,   les  ornements  symboliques  qui  ne 
jouaient  qu'un  rôle  effacé  au  iv^  siècle,  envahirent  de  plus 
en  plus  les  couvercles  et  même  les  côtés  des  cuves.  Le  décor 
architectonique  devint  plus  rare  :  sur  les  longs  côtés,  au 
lieu  du  Christ  et  des  saints  rangés  en  niches,  on  préféra 
représenter  des  scènes  du  Paradis,  et  notamment,  le  Christ 
assis  ou  debout,    remettant   la  Loi.    On  affectionna  aussi 
l'Adoration  des  Mages  (pl.LXIH,  i).  Cependant,  les  épisodes 
bibliques  se  réfugiaient  sur  les  petits  côtés.  En  plusieurs  cas, 
on  constate  qu'à  Daniel  entre  les  lions  —  sujet  qui,  remar- 
quons-le, offrait  l'occasion  d'un  beau  groupe  héraldique  — 
correspond  le  Christ  ressuscitant  Lazare  (pi.  LXIV.  2  et  3). 
Ainsi   était    doublement  éveillé  l'espoir  en  la  miséricorde 
divine.  Sur  un  beau  sarcophage,  à  toit  sphérique,  on  voit, 
d'un  côté,  l'Ange  apparaître  à  Marie,  filant  sa  laine  et,  de 
l'autre,  la  Visitation.  Les  sujets  aussi  bien  que  l'exécution 
du  travail  indiquent  l'influence  directe  de  l'Orient. 

D'ailleurs,  les  symboles  matériels  et  les  figures  d'animaux 
évinçaient  peu  à  peu  les  représentations  figurées.  Tandis  que 
les  croix,  les  couronnes,  les  chrismes  occupaient  le  dessus  des 
couvercles,  que  les  pampres  de  vigne  souvent  se  déroulaient 
sur  les  tympans,  des  couples  d'agneaux  affrontés  devant  la 


170  RAVENNE 

montagne  de  Sion  (pi.  LXIV,  4),  le  chrisme  ou  la  croix,  des 
cerfs  ou  des  colombes  prêts  à  boire  dans  des  vasques 
occupaient  les  longs  côtés  (pi.  LXIV,   i). 

Il  va  de  soi  que  ce  développement  iconographique,  s'il 
répond  d'une  façon  générale  à  la  chronologie  des  œuvres,  n'a 
rien  de  la  précision  mathématique.  C'est  la  quaUté  des  sculp- 
tures qui  est,  pour  la  fixation  des  dates,  le  meilleur  critère. 
En  tout  cas,  vers  le  miUeu  du  vie  siècle,  l'évolution  que  nous 
venons  d'indiquer  était  accomplie.  Les  Lombards,  dans  leurs 
œuvres,  ne  firent  qu'imiter  gauchement  leurs  prédécesseurs. 

BIBLIOGRAPHIE.  —  Il  existe  de  nombreuses  et  excellentes  mono- 
graphies sur  l'art  à  Ravenne  :  Diehl,  Ravenne  (Collection  des  villes 
d'art),  Paris,  1903;  C.  Ricci;  Ravenna,  Bergame,  1902;  Gœtz,  Ravenna, 
Berlin  et  Leipzig,  1901.  Cf.  manuels  de  Millet,  Diehl;  nombreuses  repro- 
ductions dans  Venturi,  Storia,  I. 

Histoire  :  Ch.  Diehl,  Justinien,  op.  cit. 

Architecture  :  voir  les  ouvrages  cités  à  la  fin  du  chapitre  IX  et  à  la  fin 
du  chapitre  XIII,  notamment  Rivoira,  Le  origini  délia  architettura 
lombarda,  1. 1,  dont  les  théories  sont  opposées  à  celles  de  M.  Strzygowski,  Le 
livre  ancien  de  von  Quast,  Die  altchristlicken  Bauwerke  von  Ravenna, 
Berlin,  1842,  peut  toujours  être  précieux. 

Sur  l'ornement  sculpté,  voir  les  ouvrages  cités  à  la  fin  du  chapitre  XV. 
Caractère  des  différents  chapiteaux  ravennates  :  Diehl,  Manuel,  loc.  cit. 

Mosaïques  :  ouvrages  cités  de  Bayet,  Clausse,  Aïnalof,  Diehl,  Ricci, 
Gœtz,  et,  en  outre  :  Kurth,  Die  Mosaiken  der  christlichen  Era,  1,  Die 
W andmosaiken  von  Ravenna,  Leipzig,  1902;  Rjedin,  Les  Mosaiques  des 
églises  de  Ravenne,  Pétersbourg,  1896;  Richter,  Die  Mosaiken  von 
Ravenna,  Vienne,  1878. 

Sarcophages  :  Duetschke,  Ravennatiscke  Studien,  Leipzig,  1909; 
GoLDMANN,  Die  ravennatischen  Savkophage,  Strasbourg,  1906;  Van 
DEN  Gheyn,  Les  Sarcophages  byzantins  de  Ravenne  {Bulletin  de  l'Aca- 
démie royale  de  Belgique,  1902,  p.  195-204). 


Plas'chi.    LXII. 


I.    M()s;iii|u.    <U    Saint-Vital  :  Ir  sacrifice  di*  Mclchisé<lcch    (phot. 
Kicci).        1.  M()suï(|Uf  (lu  Palais  archirpiscopal  :  K- (" 
(rKiupt-rcur  (i)liot.  Kicci).        \  »'t  j.  Cli.ipitr.iux  lU-  i^  i- 

Alinari). 


CHAPITRE  XVII 

L'ART  PRÉROMAN 

Difiusion  de  l'art  romain.  Les  invasions  barbares.  Ornementation  germa- 
nique. Les  bijoux  francs.  L'émaillerie  gallo-romaine.  Aperçu  de  l'art  bar- 
bare à  l'époque  carolingienne.  Les  Lombards.  Les  Anglo-Saxons.  Le» 
Irlandais.  Les  Francs.  Conclusion. 

Nous  aurons  donné  aux  chapitres  précédents  leur  conclu- 
sion la  plus  logique  si  nous  montrons  quand  et  comment  les 
races  septentrionales  s'associèrent  à  la  vie  de  l'art  chrétien. 

Diffusion  de  l'Art  romain.  Rome  avait  popularisé  ses 
procédés  artistiques  dans  la  majeure  partie  du  monde  occi- 
dental. De  la  Provence  à  la  Grande-Bretagne,  de  l'Anda- 
lousie au  Rhin,  on  cultivait  sa  langue,  on  pratiquait  .ses 
mœurs;  il  n'était,  en  art,  d'autre  idéal  que  le  sien.  Le  chris- 
tianisme, dès  qu'il  fut  prêché,  prit  des  formes  latines;  et  les 
monuments  religieux  qu'il  fit  éclore  gardèrent,  pensons- 
nous,  plus  longtemps  que  dans  la  métropole  elle-même,  leur 
caractère  romain,  car  les  influences  grecques  et  orientales 
atteignaient  plus  difficilement  à  ces  provinces  lointaines; 
elles  ne  se  faisaient  guère  sentir  que  sur  les  arts  industriels, 
tandis  qu'à  Rome,  nous  l'avons  vu,  elles  modifièrent.  A  un 
moment  donné,  toutes  les  décorations  d'édifices. 

Les  basiliques  gallo-romaines  ne  différaient  en  rien  des 


172  L'ART  PRËROMAN 

églises  construites  dans  la  ville  pontificale  ;  leur  décoration 
peinte  ou  sculptée  ne  différait  pas  davantage  de  la  décoration 
romaine.  La  sculpture,  entre  tous  les  arts,  restait  fidèle  aux 
premières  leçons  que  le  Nord  eût  reçues.  Les  sarcophages  de 
Provence,  accumulés  au  musée  d'Arles,  s'ils  se  distinguent 
par  des  particularités  iconographiques,  par  la  prédilection 
pour  certains  sujets,  ne  constituent  pas  une  famille  spé- 
ciale en  ce  qui  regarde  la  forme  des  cuves  et  la  qualité  des 
reliefs.  Plus  tard,  sous  la  dynastie  mérovingienne,  ils  se 
caractérisèrent  en  certaines  régions,  notamment  l'Aquitaine, 
par  le  type  rhomboïdal;  les  figures  furent  remplacées  par  des 
ornements  végétaux;  mais  ces  ornements  eux-mêmes,  dont 
l'acanthe  était  le  principal  élément,  procédaient  de  modèles 
romains.  Jusqu'à  l'époque  de  Charlemagne,  on  peut  dire  que 
la  Gaule  est  toute  vouée  au  respect  et  à  l'imitation  des 
monuments  de  la  Ville  Éternelle. 

Les  Invasions  barbares. Cependant,  les  Barbares  avaient 
occupé  son  sol.  Saxons,  Francs,  Alamans,  Wisigoths  avaient 
établi  leurs  demeures  dans  les  provinces  romanisées  et,  de 
par  l'épée,  ils  avaient  substitué  leurs  chefs  aux  préfets  de 
l'Empire...  Ne  purent-ils  donc  modifier  en  rien  l'art  anté- 
rieur? Ne  surent-ils  au  moins  l'enrichir? 

En  vérité,  ces  Barbares,  où  qu'on  les  rencontre,  en  Thrace 
ou  sur  les  rives  du  Danube,  dans  la  Germanie  ou  l'Espagne, 
quelles  qu'aient  été  leurs  routes,  du  foyer  natal  aux  royaumes 
conquis,  ont  laissé  les  mêmes  témoignages  de  leurs  habitudes 
artistiques.  Ils  ne  savaient  ni  sculpter  ni  peindre.  D'archi- 
tecture chez  eux,  il  ne  peut  être  question,  puisque  leurs  habi- 
tations étaient  toutes  primitives  et  leurs  stationnements 
passagers;  mais  ils  décoraient  avec  richesse  les  objets  qu'on 


j 


Planche  LXIII. 


1.    S;uci)|)Iki,l;«'   <!«•    l'i-\an|ur    l^aac.   au    M\i"»c*-   «Ir    Kavrnnr. 
z  rt   ^  l\(ilsc()lcs(lu  sarcopham-,  «lit  (l'Klysèo  (tomU'nu  «K-  Hn»«  •  ' 
lortc)  à  Kavciiiic  :  Salutation  anK^«li»|Uc.  Visitation.  (I»hot.  Hicci.) 


LES  INVASIONS  BARBARES  173 

emporte  toujours  avec  soi,  les  ustensiles,  les  accessoires  du 
costume,  les  armes.  Des  temps  les  plus  anciens,  ils  gardaient 
la  tradition  du  dessin  géométrique  qu'ils  appliquaient  par 
la  gravure  ou  le  repoussé  aux  feuilles  de  métal.  Certaines 
formes  zoomorphiques  —  formes  d'oiseaux  principalement 
—  leur  étaient  familières.  Par-dessus  tout,  ils  aimaient  gar- 
nir le  métal  à  profusion  de  gemmes,  de  verres  colorés,  taillés 
en  cabochons  ou  en  tables,  vrai  pavage  d'autant  plus  pré- 
cieux qu'il  était  plus  serré.  Remarquez  que  si  parfois  on 
employa  en  ces  travaux  somptueusement  barbares  des  pâtes 
vitrifiées,  il  ne  peut  être  parlé  d'émaillerie,  car  toute  cette 
mosaïque  éclatante  est  incrustée  à  froid  dans  le  métal,  en 
cellules  et  cloisons,  tandis  que  l'émaillerie  suppose  toujours 
une  garniture  obtenue  et  fixée  par  la  fusion.  En  réalité,  c'est 
un  travail  de  verroterie  montée  sur  métaux,  ce  qu'on  appelle, 
d'un  mot,  l'orfèvrerie  cloisonnée. 

Les  Orientaux  la  pratiquaient  depuis  une  haute  antiquité. 
De  la  Perse,  elle  passa  chez  les  Byzantins.  Quant  aux  Bar- 
bares, ils  la  connaissaient  dès  avant  leur  marche  envahis- 
sante vers  l'Occident. 

Ainsi  s'explique  la  découverte  des  trésors  de  Pétrossa,  en 
Roumanie,  de  Szilagy-Somlyo,  en  Hongrie,  de  Nocera  et 
Castel-Trosimo,  en  Italie,  de  Guarrazar,  en  Espagne.  Les 
objets  qu'ils  contiennent,  encore  que  de  date  différente  et 
séparés  es  uns  des  autres  par  d'énormes  distances,  prouvent 
qu'il  s'agit  d'un  art  unique,  toujours  fidèle  à  lui-même,  mal- 
gré le  temps  et  des  pérégrinations  considérables.  Comparez 
le  fourreau  de  Childéric  (Ventuki,  II,  fig.  24)  du  tombeau 
de  Tournai  (aujourd'hui  au  Musée  du  Louvre)  avec  le  pec- 
toral dit  d'Odoacre  (Venturi,  fig.  25),  en  réahté  ostro- 
gothique,    découvert   à  Ravenne,    avec   les   couronnes   de 

II.  19 


174  L'ART  PRÉROMAN 

Monza,  ou  la  couronne  du  roi  Recesvinthe,  à  Cluny  (Ibid., 
fig.  73),  vous  constaterez  qu'au  vi®,  au  vu*  et  même  au 
viiie  siècle,  l'orfèvrerie  cloisonnée  continuait  d'être  en  hon- 
neur; que  Francs,  Ostrogoths,  Lombards,  tout  comme 
auparavant  Daces  et  Sarmates,  voyaient  en  elle  l'ornemen- 
tation incomparable  de  l'or. 

Les  Gaulois  et,  après  eux,  les  Gallo-Romains  étaient  cepen- 
dant de  merveilleux  émailleurs;  leurs  sépultures  retrouvées 
en  France,  en  Angleterre,  en  Belgique  ne  laissent  aucun 
doute  sur  leurs  préférences,  leur  habileté.  On  peut  donc 
s'étonner  qu'à  leur  contact,  les  Francs,  les  Wisigoths,  les 
Anglo-Saxons  n'aient  pas  délaissé  l'orfèvrerie  cloisonnée 
pour  l'émaillerie.  Il  n'en  fut  rien.  Tandis  que  les  Byzantins 
s'adonnaient,  à  partir  du  vp  siècle,  aux  techniques  très  par- 
faites de  l'émail  champlevé  et  cloisonné,  les  Francs,  pour  ne 
nommer  qu'eux,  marquaient  peu  d'empressement  à  suivre 
cet  exemple.  On  cite  des  émaux  gallo-francs.  Ils  sont  peu 
nombreux.  Jusqu'au  ixe-xe  siècle,  où  l'on  vit  des  orfèvres 
rhénans  remettre  en  honneur  l'ancienne  industrie  gallo- 
romaine,  jusqu'au  moment  surtout,  où  la  décoration  des 
châsses  de  cuivre  permit  de  faire  une  appUcation  artistique 
de  la  taille  d'épargne,  la  verroterie  barbare  jouit  en  Occident 
d'une  vogue  incontestée. 

Une  telle  technique,  im  tel  amour  du  clinquant  n'étaient 
pas  de  nature  à  favoriser  le  développement  des  compositions 
figurées  sur  les  œuvres  d'art.  On  trouve  des  oiseaux,  des 
fauves  affrontés,  souvenirs  des  séjours  anciens  en  Orient. 
L'iconographie  chrétienne  est  représentée  sur  des  boucles 
de  ceinturons  par  le  Poisson,  Daniel  entre  les  lions.  N'insis- 
tons pas  :  ce  sont  dessins  d'enfants  barbares.  Il  fallut  des 
siècles  pour  que  les  derniers  envahisseurs,  fondateurs  de 


LES  LOMBARDS  173 

royaumes  durables,  se  sentissent  la  force  de  créer  un  art 
fondé  sur  de  nobles  traditions  et  répondant  à  leur  génie  par- 
ticulier. Un  court  aperçu  le  montrera. 

Les  Lombards.  Établis  à  Ravenne,où  ils  succédaient  aux 
Grecs,  les  Lombards  se  montrèrent,  malgré  leur  réputation 
de  sauvagerie,  malgré  la  crainte  qu'ils  inspiraient,  aussi 
empressés  à  encourager  les  arts  que  les  Ostrogoths  succédant 
aux  empereurs  romains.  Comme  eux,  ils  s'humanisèrent  au 
contact  d'une  civilisation  supérieure;  ils  devinrent  catho- 
liques et  contribuèrent  de  leur  mieux  à  l'éclat  de  l'art 
chrétien. 

Les  constructions  d'églises  se  multiplient  :  c'est,  à  la  fin 
du  VI®  siècle,  Sainte-Marie  de  Pomposa;  au  vu»  siècle,  Sainte- 
Marie  de  Torcello;  au  viii*^  siècle,  San-Salvatore  de  Brescia, 
Santa-Maria  délie  Caccie,  à  Pavie,  Saint-Pierre  de  Tosca- 
nella,  Saint-Georges  de  Valpolicella,  Sainte-Marie  au  Val, 
dans  le  Frioul;  à  Rome,  l'activité  était  au  moins  égale.  Rien 
d'essentiel  ne  vint  modifier  le  plan  des  basiliques;  on  les 
décora  extérieurement  de  ces  bandes  en  relief  et  de  ces  arca- 
tures  que  nous  avons  déjà  rencontrées  à  Ra venue.  Les  cam- 
paniles se  dressèrent  à  côté  de  l'édifice.  Les  façades  furent 
souvent  revêtues  de  marbres  multicolores.  A  l'intérieur,  les 
chapiteaux  continuèrent  de  se  distinguer  par  une  variété  de 
formes  et  de  décoration  merveilleuse.  Ce  cpie  nous  remar- 
querons surtout,  c'est  que  la  basilique,  connue  par  le  passé, 
eut  la  forme  du  tau  et  fut  couverte  de  plafonds  en  charpente. 

Les  maçons  lombards,  sous  le  nom  de  niacstri  comacini 
étaient  célèbres  en  tous  pays.  Il  ne  semble  pas  cejX'ndant 
qu'ils  aient  formé  une  corporation  aux  origines  lointaint^. 
ni  surtout  que  l'architecture  religieuse  leur  soit  redevable 


176  L'ART  PRÉROMAN 

de  progrès  décisifs.  Ils  auraient  reconstruit  au  ix®  siècie 
Saint-Ambroise  de  Milan,  faisant  usage  pour  la  première 
fois  de  cordons  de  maçonnerie  diagonaux  destinés  à  soutenir, 
comme  d'une  armature,  la  voûte  d'arêtes.  C'est  là  un  pro- 
cédé de  l'architecture  ogivale,  comme  on  le  sait,  dont  les 
architectes  lombards  seraient  dès  lors  les  premiers  inven- 
teurs. La  voûte  lombarde  apparaîtrait  dès  le  ixe  siècle,  nan- 
tie du  caractère  essentiel  des  voûtes  sur  croisées  d'ogives. 
Une  telle  théorie  ne  provient  que  d'une  fausse  interprétation 
des  monuments. 

Mais  un  titre  de  gloire  plus  sérieux  pour  les  Lombards  est 
celui  d'avoir  donné  dans  la  sculpture  décorative  une  inter- 
prétation nouvelle  des  traditions  antiques.  Qu'on  imagine 
l'art  italo-byzantin  de  Ravenne,  adopté  et  développé  par 
des  Barbares,  les  motifs  ordinaires  traduits  avec  une  inha- 
bileté manifeste,  mais  parfois  aussi  transformés  et  enrichis 
avec  une  imagination  pleine  de  ressources:  on  aura  une  idée 
générale  de  ce  que  fut  la  sculpture  en  Italie  de  la  fin  du 
VII®  siècle  aux  environs  de  l'an  1000. 

Les  bas-rehefs  lombards  sont  nombreux,  surtout  à  Civi- 
dale  (dôme,  Saint-Martin,  Tempietto),  à  Brescia  (Museo 
cristiano.  Musée  Malespina),  à  Torcello  (dôme),  à  Rome 
(Sainte  -  Marie  in  Cosmedin,  Sainte -Sabine),  à  Ravenne 
(Saint- Apollinaire  in  Classe).    (Venturi,  II,   fig.  100-133). 

La  figure  humaine  y  est  rare,  ainsi  qu'à  l'époque  précé- 
dente ;  quand  elle  apparaît,  c'est  sous  une  forme  si  aiïreuse 
qu'elle  décourage  toute  critique.  Mais  des  motifs  d'animaux, 
le  paon,  par  exemple,  ont  gardé,  malgré  tout,  une  réelle 
beauté.  Il  est  des  stylisations  heureuses  de  feuilles,  de  fleurs. 
L'entrelac,  dont  l'origine  est  romaine,  s'organise  avec  une 
variété  magnifique  et    elle  qu'on  y  peut  voir  une  création 


i 


IRLANDAIS  ET  ANGLO-SAXONS  177 

du  génie  septentrional.  Au  surplus,  bien  des  motifs  orien- 
taux, les  lions  affrontés,  les  griffons,  l'arbre  sacré,  que  les 
étoffes  importées  avaient  fait  connaître, étaient  couramment 
reproduits. 

Au  vrai,  les  arts  industriels  primaient,  ainsi  que  partout, 
la  sculpture  et  la  peinture,  en  prestige,  en  beauté.  L'orfè- 
vrerie était  le  métier  noble  par  excellence.  La  couronne  du 
roi  lombard  Recesvinthe,  au  Masée  de  Cluny,  et  celles  du 
trésor  de  Monza,  sont  les  chefs-d'œuvre  de  l'orfèvrerie 
cloisonnée.  Le  fameux  Paliotio,  de  Milan,  exécuté  par  Wol- 
vinius  pour  l'évêqueAngisbert  au  ix®  siècle,  atteste  éloquem- 
ment  la  survie  du  relief  repoussé  et  de  la  ciselure.  Que  l'or- 
fèvre barbare  ait  beaucoup  emprunté  aux  Byzantins,  cela 
ne  peut  surprendre;  mais  il  se  souvient  plus  encore  des  tra- 
ditions de  l'Italie;  il  s'inspire  par-dessus  tout  de  sa  loyauté 
professionnelle.  Une  telle  œuvre  montre  que  la  décadence 
ne  devait  point  durer  toujours,  que  l'esprit  barbare  n'était 
point  résigné  à  l'humilité  et  se  trouverait  apte,  au  moment 
marqué  par  le  développement  de  la  civilisation,  à  faire 
revivre  les  procédés  perdus  du  grand  art. 

Les  Irlandais  et  Anglo-Saxons.  Les  Germams,  Angles 
et  Saxons,  établis  dans  la  Grande-Bretagne,  ne  résistèrent 
pas  plus  aux  séductions  de  l'art  romain  que  les  Lombards 
ou  les  Francs;  mais  les  Celtes  d'Irlande  surent  emprunter 
les  idées  des  colons,  soldats  et  missionnaires  venus  d'Italie, 
sans  rien  sacrifier  de  leurs  traditions  nationales.  Celles-ci 
étaient  caractérisées  par  une  vive  prédilection  pour  les  lacis 
de  lignes  serpentines,  savamment  conduits,  et  formant  par 
mille  détours  un  ensemble  homogène,  plein  d'une  vie 
abstraite  et  pourtant  ardente;  comme  si,  dans  ces  lignes, 


178  L'ART  PRÊROMAN 

fuyant  sous  le  regard,  il  y  avait  eu  la  souplesse  des  lianes 
et  la  tortueuse  agilité  des  serpents.  C'était  une  sorte  de 
calligraphie  décorative.  De  plus,  de  nombreux  motifs  syriens, 
apportés  par  des  moines  d'Orient,  passèrent  directement 
dans  l'art  irlandais,  et,  de  là,  dans  l'art  carolingien. 

Les  Irlandais,  devenus  chrétiens,  possédèrent  ainsi  une 
originalité  sans  pareille.  Considérez  le  Christ  et  les 
emblèmes  des  Évangélistes  dans  la  miniature  initiale  d'un 
évangéliaire  du  vii^-viii®  siècle,  conservé  au  Trinity  Collège, 
de  DubUn  (Venturi,  II,  fig.  198)  :  les  figures  traditionnelles, 
venues  de  Rome,  n'ont  presque  rien  gardé,  parmi  les  Celtes, 
de  leur  caractère  classique.  On  dirait  que  le  décorateur 
abhorre  la  réalité.  Il  dédaigne  le  modelé,  les  ombres  et  les 
clairs,  les  formes  animées,  les  gestes  vivants.  Il  ne  peint  pas 
son  personnage,  il  le  dessèche  et  «  l'écrit  ».  Profonde 
erreur  dont  l'art  irlandais  porta  la  peine;  car  le  dessin  se 
restreignit  à  l'ornementation  et  ne  fit  que  se  répéter 
jusqu'à  l'appauvrissement  définitif.  Son  influence  sur  les 
miniatures  anglo-saxonnes,  celles  du  nord  de  la  France  et 
de  la  Belgique  ne  se  prolongea  guère  au  delà  du  ix«  siècle. 

Les  Francs.  Il  faut  atteindre  à  Charlemagne  pour  voir 
le  génie  germanique  jouer  un  rôle  important  dans  l'histoire 
de  l'art.  Jusque-là,  les  Francs  n'avaient  été  que  les  élèves 
timides  des  Gallo-Romains  ;  ils  se  révélèrent  alors  avec  origi- 
nalité. Aussi  bien,  le  prince  ayant  conscience  de  l'humilité 
barbare  faisait  un  noble  effort  pour  devenir  le  digne  héritier 
de  l'Empire,  que  ses  ancêtres  avaient  détruit.  De  tous  les 
points  de  l'horizon,  il  appelait  à  lui  le  concours  des  artistes  et 
des  lettrés  :  moines  irlandais  dont  la  science  était  renommée, 
artistes  décorateurs,  ivoiriers,  orfèvres  à  qui  la  guerre  des 


LES  FRANCS  179 

images  rendait  impossible  le  séjour  d'Orient.  La  nécessité  le 
rendait  éclectique.  De  même  que  la  somptuosité  orientale 
lui  semblait  digne  d'envie,  de  même  aussi  le  prestige  de 
Rome  et  des  traditions  de  la  Gaule  le  laissait  respectueux. 
On  se  tromperait  en  faisant  de  lui  un  Mécène  voué  à  l'exclu- 
sive admiration  des  œuvres  d'Orient  et  spécialement  de 
Constantinople.  Sa  bonne  volonté  ne  comportait  pas  de 
préférences  irréductibles.  Il  lui  suffisait  que  l'Orient  con- 
courût avec  les  exemples  de  l'Italie  et  le  passé  gallo-romain 
à  élever  son  peuple  à  un  niveau  supérieur  de  civilisa- 
tion. 

Outre  que  le  triomphe  momentané  des  empereurs  icono- 
clastes jeta  en  Gaule  nombre  d'ouvriers  d'art,  il  faut  remar- 
quer que,  depuis  l'époque  mérovingienne,  des  colonies 
syriennes  étaient  établies  dans  les  villes  franques,  où  elles 
tenaient  comptoir  d'objets  fabriqués  en  Orient.  Constan- 
tinople de  loin  fascinait  les  esprits.  Aux  frontières  du 
royaume,  Ravenne  offrait  dans  ses  monuments  et  leur 
décoration  un  spectacle  de  science  et  de  richesse  capable 
de  transporter  des  barbares  moins  bien  doués  que  les 
Francs  pour  les  beaux-arts,  ou  moins  ambitieux  de  gloire. 
Dans  ces  conjonctures,  peut-on  s'étonner  que  l'art  chrétien 
d'Orient  ait  laissé  des  œuvres  assez  nombreuses  parmi  les 
sujets  du  grand  empereur?  Ce  sont  des  objets  d'exportation, 
comme  des  boîtes  en  ivoire,  en  métal,  des  produits  d'orfè- 
vrerie. D'autre  part  les  chapelles  palatiales  d'Aix-la- 
Chapelle,  d'Essen,  de  Nimègue,  les  églises  d'Ottmarsheim 
ou  Germigny-les-Prés,  sont  des  édifices  dont  les  plans  octo- 
gonaux, les  coupoles  centrales,  les  absides  et  la  décoration 
en  mosaïque,  pour  autant  que  nous  la  connaissons,  ne 
s'expliquent  pas  autrement  (jue  par  l  imitation  des  modèles 


i8o  L'ART  PRÉROMAN 

orientaux  et  le  concours  d'architectes  et  décorateurs  venus 
de  Constantinople. 

Ces  œuvres,  on  pourrait  les  faire  entrer,  au  même  titre  que 
celles  de  Ravenne,  parmi  les  monuments  orientaux.  Mais 
l'artiste  franc  chercha-t-il  à  s'en  inspirer?  Leur  influence 
est-elle  appréciable  sur  les  travaux  carolingiens  proprement 
dits?  Fut-elle  assez  profonde  pour  avoir  marqué  l'évolution 
artistique  d'un  caractère  important  et  durable? 

Nous  n'hésitons  pas  à  répondre  négativement.  Plus  puis- 
sante que  l'influence  orientale  était  celle  de  la  Gaule  romaine, 
image  dispersée,  mais  fidèle  pourtant,  dans  chacun  de  ses 
éléments,  de  l'art  impérial.  Plus  fortes  que  les  incitations  du 
dehors  étaient  les  traditions  qui  avaient  pris  corps  au  pre- 
mier contact  des  Barbares  avec  Rome. 

Nous  constatons  bien,  en  Gaule,  l'existence  d'églises  au 
plan  oriental  ;  mais  leur  nombre  est  minime  et  il  était  rare, 
après  les  règnes  de  Charlemagne  et  de  Louis  le  Débonnaire, 
qu'on  les  imitât  (Saint- Jean  de  Liège,  construit  sous  l'évêque 
Notger,  d'après  la  chapelle  d'Aix).  On  cite  souvent  les 
mosaïques  de  Germigny-des-Prés  pour  démontrer  la  puis- 
sance de  l'influence  byzantine  en  Occident;  on  n'en  saurait 
citer  d'autres.  A  Germigny,  le  monument  étant  de  type 
oriental,  requérait  une  décoration  de  même  origine;  mais 
au  siècle  suivant,  à  l'abbaye  de  Reichenau,  des  ouvriers 
septentrionaux  couvraient  les  murs  de  fresques  délicates  en 
qui  revit  toute  la  fraîcheur  de  coloris,  toute  la  souplesse  de 
dessin  et  aussi  toute  la  tradition  iconographique  des  pein- 
tures cimétériales  et  des  sarcophages  romains. 

La  miniature  carolingienne  n'est  pas  moins  fidèle,  dans 
son  ensemble,  à  l'idéal  d'Occident.  Il  importe  peu,  en  effet, 
que  dans  un  certain  nombre  de  manuscrits  (Évangéliaire  de 


PLANClfK    LXIV 


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(lu   sarcophaj^r  (l'Isaac   :    lîésumHrtion  <le   I^xarc,   I>ani 

lions.    -  4.  Sarct)pliagr  au  Mausolée  de  (".alla  IMaailia.  (Phot     Kicci.) 


LES  FRANCS  i8i 

Godescalc,  781;  Évangéliaire  de  Soissons,  827;  Ëvangéliaire 
d'Abbeville),  les  architectures  décoratives  et  même  les 
compositions  indiquent  des  influences  manifestes  de  la  Syrie  ; 
que,  dans  des  encadrements  et  lettrines,  on  retrouve  les 
entrelacs  géométriques  qui  caractérisent  le  bas-relief  lombard 
et  la  miniature  irlandaise  :  ce  qu'il  faut  noter  avant  tout  et 
ce  qu'on  peut  constater  dans  la  plupart  des  écoles  d'enlu- 
mineurs de  la  Gaule,  c'est  un  développement  des  compo- 
sitions figurées,  procédant  de  modèles  anciens,  communs  à 
la  Gaule  et  à  Rome,  et  manifestant  avec  une  énergie  toujours 
croissante  le  don  originel  d'exprimer  la  vie  par  le  naturel. 

Le  Christ  siégeant  sur  son  trône,  les  évangéhstes  penchés 
sur  leurs  pupitres  ou  écoutant,  le  calame  à  la  main,  la  parole 
d'en-haut;  les  scènes  aux  personnages  nombreux  comme 
celles  de  la  Bible  de  Charles  le  Chauve  (Bibliothèque  natio- 
nale, 844-869),  du  psautier  d'Utrecht  (ibid.,  commencement 
du  ix®  siècle),  de  la  Bible  de  Saint-Paul  hors  les  murs,  exé- 
cutée pour  Charles  le  Gros,  du  codex  d'Egbert,  à  Trêves, 
n'attestent  ni  une  autre  filiation,  au  point  de  vue  do  la 
forme,  ni  un  autre  souci. 

Il  en  est  de  même  des  ivoires,  quel  que  soit  leur  atelier 
d'origine.  Qu'ils  proviennent  de  France,  d'Italie,  des  bords 
du  Rhin  ou  de  la  Meuse,  qu'on  représente  les  évangélistes. 
des  saints,  le  Christ  en  gloire,  ou  ce  sujet  particulièrement 
aimé,  la  Crucifixion,  les  œuvres  qui  ne  sont  pas  d'importa- 
tion étrangère  montrent,  par  le  sentiment  de  la  fonne  et 
l'expression  de  l'âme,  que  l'esprit  antique  les  soutient,  en 
même  temps  qu'un  grand  désir  de  renouvellement  et  de 
création  les  anime.  Il  est  vrai  que  certains  ivoires,  exécu- 
tés en  Occident,  procèdent  de  modèles  orientaux  :  tel  est 

11,  20 


i82  L'ART  PRÉROMAN 

rivoire  de  Genoels-Elderen,  inspiré  de  modèles  syriens, 
comme  l'évangéliaire  de  Godescalc  et  les  manuscrits  du 
même  groupe  ;  tels  sont  les  ivoires  carolingiens  qui 
empruntent  du  style  à  des  œuvres  de  Byzance;  mais  des 
exemples  comme  l'ivoire  de  Genoels-Elderen  ne  sont  pas 
nombreux;  quant  aux  imitations  byzantines,  elles  furent 
le  résultat  de  circonstances  momentanées  plutôt  que  le 
fruit  d'anciennes  habitudes.  Aussi  bien,  si  l'on  diminua  à 
l'excès  le  rôle  de  la  Syrie,  de  l' Asie-Mineure,  de  l'Egypte, 
dans  la  formation  de  l'art  septentrional,  on  exagéra  souvent, 
par  contre,  le  rôle  de  Constantinople. 

En  tout  état  de  cause,  Rome  ne  cessa  de  nourrir  et 
d'instruire  la  curiosité  barbare,  et  c'est  ainsi  que  se  prépara, 
par  l'énergie  et  la  fidélité,  la  renaissance  de  l'art  chrétien  à 
la  période  romane. 


TABLE  DU  TOME  II 


L'ART  CHRÉTIEN     PRIMITIF    EN     OCCIDENT. 

(Suite.) 

La  Mosaïque. 

Chapitre  X.  —  Caractères  de  la  mosaïque  antique.  La 
mosaïque  chrétienne  et  les  nécessités  de  la  décoration. 
L'abside  de  Sainte-Constance  et  le  style  pittoresque.  Le 
symbolisme  triomphal  et  les  cycles  historiques.  L'âge  d'or 
de  la  mosaïque  romaine  :  Sainte-Pudentienne.  Les  Saints- 
Cosme  et  Damien.  Le  byzantinisme  à  Rome.  Décadence 
de  la  mosaïque  romaine  du  vii<î  au  ix^  siècle 7 

Les  Arts  Industriels. 

Chapitre  XL  —  Arts  industriels.  L'orfèvrerie.  Les  verres 
gravés,  taillés  et  peints.  Verres  à  fond  d'or.  I^  céramique; 
les  lampes  de  terre-cuite.  Bronzes.  Les  ivoires,  diptyques 
usuels,  consulaires,  liturgiques.  Coffrets.  Le  coffret  de 
Brescia.   Pierres  gravées.   Miniatures.  Conclusion  ...        3s 

L'ART  CHRÉTIEN  PRIMITIF  EN  ORIENT. 

Les  Origines  de  l'Art  Byzantin. 

Chapitre  XII.  —  L'Orient  et  Rome.  Théorie  traditionnelle  dos 
origines  de  l'art  byzantin.  La  Grèce  et  l'Orient.  Théories  de 
M.  Strzygowski.  L'art  chrétien  en  Orient  des  origines  à 
Constantin.  Tombeau  païen  de  Palmyrc.  Fresques  chré- 
tiennes d'Alexandrie.  Sarcophages  iisiatiqucs  du  iii*- 
iv®  siècle.  Les  débuts  de  l'architecture  chrétienne  en 
Orient 


i84  TABLE  DU  TOME  II 

Chapitre  XIII. — Constantinople.  Architecture  religieuse  de 
Constantin  à  Justinien.  Palais  de  Spalato.  Formes  hellé- 
nistiques. Édifices  constantiniens.  Syrie  :  basiliques  et  octo- 
gones. Asie  postérieure  :  basiliques  à  coupoles  et  en  forme 
de  croix.  Egypte  et  Tunisie.  Le  problème  de  la  coupole  et 
des  contreforts.  Justinien  et  Sainte-Sophie  de  Constanti- 
nople. Les  Saints- Apôtres.  Conclusion 75 

Les  Arts  Décoratifs  en  Orient. 

Chapitre  XIV. — Décoration  monumentale.  Polychromie  des 
matériaux.  La  sculpture  décorative.  Frises  et  chapiteaux. 
L'acanthe.  Œuvres  de  sculpture  en  pierre  et  en  bois. 
Ambon  de  Salonique.  Porte  de  Sainte-Sabine,  à  Rome. 
Ivoires  sculptés  d'Egypte,  de  Syrie,  d'Orient  et  de  Byzance .      105 

Chapitre  XV.  —  Peintures  et  mosaïques  d'Orient.  Les  fres- 
ques d'El-Bagaouat.  Mosaïques  de  Saint-Georges,  à  Salo- 
nique. Fresques  de  Baouit  (vi®  siècle).  Les  miniatures. 
U  Iliade  de  la  Bibliothèque  ambrosienne  et  le  Virgile  du 
Vatican.  Le  Calendrier  de  354.  Le  Dioscoride  de  Vienne. 
La  Bible  de  Cotton.  Le  Rouleau  de  Josué.  Octateuques. 
Psautiers.  Évangéliaires.  Évangéliaire  de  Rossano.  Évangé- 
haire  de  Rabula.  Tissus.  Orfèvrerie  et  émaillerie 125 

Ravenne. 

Chapitre  XVI.  —  Histoire  de  Ravenne.  Les  derniers  empe- 
reurs. Théodoric.  Les  Grecs.  Les  monuments.  Le  mausolée 
de  Galla  Placidia.  Le  baptistère  des  Orthodoxes.  Les  bcisi- 
liques  ravennates.  Saint- Apollinaire  le  Neuf  et  Saint- Apol- 
linaire in  Classe.  Évolution  de  la  mosaïque.  Saint- Vital  et 
l'art  byzantin.  La  sculpture  ravennate.  Chapiteaux  ',et 
sarcophages 147 

L'Art  Préroman. 

Chapitre  XVII.  —  Diffusion  de  l'art  romain.  Les  invasions 
barbares.  Ornementation  germanique.  Les  bijoux  francs. 
L'émaillerie  gallo-romaine.  Aperçu  de  l'art  barbare  à 
l'époque  carolingienne.  Les  Lombards.  Les  Anglo-Saxons. 
Les  Irlandais.  Les  Francs.  Conclusion 171 


TABLE  DES  PLANCHES 

L'ART  CHRÉTIEN  PRIMITIF  EN  OCCIDENT 

I.  —  1.  Entrée  du  cimetière  de  Calliste.  —  2.  Voûte  de  la  crypte  de 
Lucine. 

II.  —  I.  Crypte  de  S.  Janvier,  cim.  de  Prétextât.  —  2.  Vigne, 
cim.  de  Domitille.  —  3.  Eros. 

III.  —  I.  Peinture  de  Pompci.  —  2.  Eros  et  Psyché,  cim.  de 
Domitille.  —  3.  Paysage  dans  l'hypogée  de  Lucine.  —  4.  L'Océan, 
cim.  de  Calliste. 

IV.  —  I.  Orphée,  cim.  de  Calliste. —  2.  Adam  et  Eve,  cim.  de 
Calliste.  —  3.  Histoire  de  Jonas,  cim.  de  Calliste.  —  4.  Moïse, 
cim.  de  Calliste. 

V.  —  Paroi  de  la  Cape  lia  Graeca.  —  2.  Le  Vase  de  lait,  crypte 
de  Lucine.  —  3.  Le  Navire  en  perdition,  cim.  de  Calliste. 

VI.  —  I.  Le  paradis,  le  bon  Pasteur,  l'orante,  cim.  Ostrien.  — 
2.  Bon  Pasteur  et  Bienheureux,  cim.  de  Calliste.  —  3.  Intro- 
duction de  Vibia  au  paradis,  cim.  de  Prétextât,  galerie  voisine. 

VII.  —  1.  Partie  de  la  fresque  des  Cinq  Saints,  cim.  de  Calliste.  — 
2.  Bon  Pasteur,  cim.  de  Domitille.  —  3.  Orante.  cim.  VignA 
Massimi. 

VIII.  —  I.  Résurrection  de  Lazare,  cim.  de  Calliste.  —  2.  Multjpb- 
cation  des  pains,  crypte  de  Lucine.  —    3.    Poisson    et    trident 
4.  Poisson  et  corbeille  de  pains,  crypte  de  Lucine. 


i86  TABLE  DES  PLANCHES 

IX.  —  I.  Scène  de  banquet,  cim.  des  SS.  Pierre  et  Marcellin.  — 
2.  Banquet  de  la  Capella  Graeca,  cim.  de  Priscille.  —  3-4.  Bien- 
heureux au  paradis,  cim.  de  Calliste. 

X.  —  I.  Moïse  et  pécheurs,  cim.  de  CaUiste.  —  2.  Pécheurs, 
baptême  du  Christ,  paralytique,  cim.  de  Calliste. —  3  Adoration 
des  Mages,  cim.  de  Domitille. 

XL  —  I.  Entrée  de  Veneranda  au  paradis,  cim.  de  Domitille.  — 
2.  La  Prophétie  d'Isaïe  (?),  cim.  de  Priscille.  —  3-4.  Scènes  de 
famille,  cim.  de  Priscille. 

XI I.  —  I.  Christ  enseignant   entre  les  Apôtres,  cim.  de    Domitille. 

—  2.  Crjrpte  des  saints  éponymes,  cira,  des  SS.  Pierre  et  Marcel- 
lin. 

XIII.  —  I.  Christ,  cim.  de  Pontien.  —  2.  Saint-Pollion  entre  saint 
Marcellin  et  saint  Pierre,  cim.  de  Pontien. 

XIV.  —  I.  Bon  Pasteur  du  Latran.  —  2.  Bon  Pasteur  de  saint  Paul. 

—  3.  Buste  de  Commode.  —  4.  Saint  Hippolyte. 

XV.  —  Statue  de  saint  Pierre. 

XVI.  —  I.  Sarcophage  strigilé.  —  2.  Sarcophage  du  iii^  siècle. 
Musée   du    Latran.    —   3.    Sarcophage  au  décor  architectural. 

XVII.  —  I.  Sarcophage  de  Valbonne.  —  2.   Sarcophage    décoré  de 
portes  et  tours. — 3.  Sarcophage  décoré  d'arbres  en  colonnades.  — 

4.  Sarcophage  de   la    Gayole.    —   3.    Couvercle    de   sarcophage, 
Musée  de  Marseille. 

XVIII.  —  1-2.  Sarcophages  du  iii^  siècle.  3.  Sarcophage  du  iv^  siècle. 
4.  Sarcophage  de  Marseille. 

XIX.  —  I.  Sarcophage  d'Oreste.  —  2.  Sarcophage  au  décor  archi- 
tectural. —  3.  Sarcophage  d'Adelphia. 

XX.  —  Sarcophage  de  Junius  Bassus. 


TABLE  DES  PLANCHES  187 

XXI.  —  1-2-3.  Sarœphages  du  iV  siècle,  à  composition  serrée  en  un 
ou  deux  bandeaux. 

XXII.  —  I.  Sarcophage  de  Nîmes.    —    2-3.    Sarcophages   à  deux 
bandeaux. 

XXIII.  —  Sarcophage  dit  <»  Sarcophage  théologique  •>.   du   Musée 
du  Latran. 

XXIV.  —   I.  Intérieur   de  Saint-Paul  hors  les  Murs.  —   2.  Saint- 
Laurent  hors  les  Murs. 

XXV.  —  I.  Intérieur  de   Saint-Clément.  —     2.    Saint-Etienne   le 
Rond. 

XXVI.  —   Intérieur  de   Sainte-Constance.  La   voûte  annulaire. 

XXVII.  —  I .  Paysage  fluvial  provenant  de  Pompéi.  —  2-3.  Mosaïque 
de  la  voûte  annulaire  de  Sainte-Constance. 

XXVIII.  —  Mosaïque  absidale  de  Sainte-Pudentienne. 

XXIX.  —  I.  Mosaïque  absidale  des  Saints-Cosme  et  Damien.   — 

2.  Mosaïque  absidale  de  Sainte-Agnès  hors  les  Murs. 

XXX.  —  I.  Mosaïque  de  Sainte-Praxède.  —  2.  Mosaïque  absidale  de 
Saint-Marc. 

XXXI.  —  Coffret  de  Saint-Nazaire  de  Milan,  couvercle  et  face. 

XXXII.  —  I.  Diptyque  de  Boèce.  —  2.  Diptyque   de    Monza.  — 

3.  Diptyque  nuptial  des  Symmaques.  —  4.  Diptyque  au    Musée 
national  de  Florence. 

XXXIII.  —  Coffret  de  Brescia,  ensemble  et  détail. 
L'ART  CHRÉTIEN  PRLMITIF  EN  ORIENT 

XXIV.  —  I.  Peintures  d'un  hypogée  à  Palmvre.  —    2.  FragnuMil 
de  sarcophage. 

XXXV.  —  I.  Intérieur  de  Saint-Démétrius  à  Salomquc.  -     -v  H.im- 
lique  de  Parenzo. 


i88  TABLE  DES  PLANCHES 

XXXVI.  —  I.  Basilique  de  Tourmanin.  —  2.  Abside  de  la  Basi- 
lique de  Kalb-Louzeh, 

XXXVII.  —  I.  Basilique  de  Daouleh,  aile  nord.  —  2.  Basilique 
de  Daouleh,  vue  du  sud. 

XXXVIII.  —  I.  Saint-Michel  de  Silleh.  —  2.  Basilique  de  Khorgoz. 

XXXIX.  —  I.  Sainte-Sophie  de  Constantinople.  —  2.  Sainte- 
Sophie  de  Salonique 

XL.  —  Intérieur  de  Sainte-Sophie  de  Constantinople. 

XLI. —  I.  Chapiteaux  de  l'Athos.  —  2.  Chapiteau  du  Baptistère 
de  Salone  à  Spalato.  —  3.  Vue  intérieure  de  Saint- Démétrius 
à  Salonique, 

XLII.  —  Fragments  del'ambon  de  Salonique  au  Musée  de  Tchinli- 
Kiosk. 

XLIII.  —  Panneaux  de  la  porte  de  Sainte-Sabine  :  i.  L'Ascension. 

—  2.  Le  Couronnement  de  sainte  Sabine.  —  3.  Assomption  d'Elie. 

—  4.  Basilique,  saints,  fidèles. 

XLIV  —  1.  Petit  panneau  de  la  porte  de  Sainte-Sabine  :  Crucifixion. 

—  2.  Ivoire  de  la  Collection  Trivulce,  partie  inférieure.  —  3.  Le 
même,  partie  supérieure. 

XLV.  —  Trône  de  Ravenne  :  i.  Partie  antérieure.  —  2  et  3.  Détails 
des  parties  latérales. 

XLVI.  —  I.  Diptyque  de  la  cathédrale  de  Milan.  —  2.  Diptyque  de 
la  Bibliothèque  nationale.  —  3.  Diptyque  de  Murano.  —  4.  Ivoire 
Barberini. 

XLVII. —  I.  Diptyque  du  Musée  de  Berlin.  —  2.  Diptyque  du 
Musée  britannique.  —  3.  Diptyque  d'Anastasius.  —  4.  Diptyque 
d'un  consul  anonyme.  Bibliothèque  nationale. 


TABLE  DES  PLANCHES  189 

X1.VIII  —  I.  Coffret  byzantin.  —  2.  Triptyque  Harbaville,  Amiens. 

IL.  —  I.  Mosaïque  de  la  Basilique  de  Parenzo.  —  2.  Pavement 
de  Jérusalem.  —  3.  Mosaïque  à  Saint-Georges  de  Salonique. 

L.  —  Miniatures  :  i.  Virgile  du  Vatican.  —  2.  Cosmas  du  Vatican. 

3.  Rouleau  de  Josué  au  Vatican. 

LI.  —  Miniatures  :  i.  Genèse  de  Vienne  :  Rebecca  et   Eliézer.  

2.  Evangile  de  Rossano  :  Saint-Marc. 

LU. —  Miniatures  :  Evangile  de  Rossano  ;  i.  Ix>  jugement  de 
Pilate.  —  2.  Le  Christ  donnant  la  communion  aux  apôtres;  Moïae. 
David,  Salomon. 

LUI.  —  I  et  2,  Miniatures  de  l'Évangile  de  Rabula,  Bibliothèque 
Laurentienne.  —  3  et  4.  Détails  de  la  Pala  d'Oro  à  Venise. 

RAVENNE 

LIV.  —  I.  Mausolée  de  Galla  Placidia  à  Ravenne.  —  2.  Mosaïque 
du  bon  Pasteur,  Mausolée  de  Galla  Placidia. 

LV.  —  Intérieur  de  San-Giovanni  in  Fonte,  à  Ravenne. 

LVI. —  Voûte  du  Baptistère  de  San-Giovanni  in  Fonte,  à  Ravenne. 

LVII.  —  Vue  intérieure  de  Saint-Vital,  à  Ravenne.  —  2.  Saint- 
Apollinaire  le  Neuf,  à  Ravenne. 

LVIII.  —  Mosaïque  de  Saint-Appollinaire  le  Neuf  :  1 .  Le  Baiser 
de  Judas.  —  2.  Cortège  de  saintes. 

LIX.  —  I.  Mosaïque  de  Saint-Apollinaire  le  Neuf  ;  le  Christ 
trônant.    —    2.    Mosaïque    de    Saint-Aixillinairc    in    Chisse.    — 

3.  Mosaïque  de  Saint-Apollinaire  le  Neuf  :  le  palais  de  Theodoric. 

LX.  —  Vue  intérieure  de  Saint-Vital  à  Ravenne. 


190  TABLE  DES  PLANCHES 

LXI.  —  Mosaïques  de  Saint- Vital  :  i.  Théodora  et  sa  suite  assis- 
tant à  la  consécration  de  l'Église.  —  2.  Tête  de  Justinien.  — 
3,  Tête  de  Théodora. 

LXII. —  I.  Mosaïque  de  Saint- Vital  :  le  sacrifice  de  Melchisédech. 

—  2.  Mosaïque  du  Palais  archiépiscopal  ;  le   Christ  en   costume 
d'Empereur.  —  3  et  4.  Chapiteaux  de  Saint- Vital. 

LXIII.  —  I.  Sarcophage  de  l'exarque  Isaac,  au  Musée  de  Ravenne. 

—  2  et  3.  Petits  côtés  du  sarcophage  dit  d'Elysée  (tombeau  de 
Braccioforte)    à   Ravenne   :    Salutation   angélique.   Visitation. 

LXIV.  —  I.  Sarcophage  de  Saint- Apollinaire  in  Classe.  —  2  et 
3.  Petits  côtés  du  sarcophage  d' Isaac  :  Résurrection  de  Lazare, 
Daniel  entre  les  lions.  —  4.  Sarcophage  au  Mausolée  de  Galla 
Placidia. 


TABLE  ANALYTIQUE 


Acanthe,  (architecture),  II,  io8. 

Agneau,  voir  bon  Pasteur,  et 
73,  152,  161;  II,  17,  18,  26,  73, 
152,  162. 

Allégories,  II,  126,  131,  132, 
133,  135,  156. 

Ambon,  I74;de  Salonique,  II,iii. 
Amours,   54,   160;   II,   13. 
Ampoules,  II,  43,  142. 

Ancien  Testament:  catacombes, 
54i  55,  66,  104,  105;  sarcophages, 
140,  142,  154,  155,  156,  162;  mo- 
saïques, II,  15,  23,  24;  arts  indus- 
triels, 40,  41,  42,  47,  113;  fresques 
d'Orient,  126,  128;  miniatures,  132, 
133,  134,  136;  Ravenne,  162,  167, 
169. 

Anges,  II,  69,  115,  120,  161, 
165,  167. 

Animaux  symboliques  :  cata- 
combes, 73,  85  (voir  :  bon  Pasteur, 
poisson);  sarcophages,  151,  152, 
161  ;  mosaïques,  11,  16,  26;  orfèvre- 
rie, 38;  ivoires,  115;  miniatures, 
133;  à  Ravenne,  152,  167. 

Anniser,   II,   43. 

Annonciation,  107  (voir  Vierge) . 

Apocalypse,  II,  17,  2b. 


Apocryphes  (évangiles),  II,  23, 
120,  169. 

Apôtres,  108,  152,  157,  159;   II, 
16,  17,  19,  72,  152,  155,  162. 
Arcatures,  II,   154. 

Architecture,  en  Occident, 
167;  en  Orient,  II,  74  (voir  :  basili- 
ques,   rotondes,    baptistères,   etc.). 

Art  byzantin  (Origines  de  1*), 
théorie  traditionnelle,  H,  57;  ori- 
ginalité de  Rome,  58;  Rome  et 
Alexandrie,  59,  62;  Rome  et  les 
Barbares,  59;  Rome  et  l'Oiient,  60; 
Rome  et  Byzance,  61  —  Théorie 
actuelle,  62  ;  survivance  de  l'art 
grec,  63;  la  Grèce  et  Rome,  f>4;  la 
Grèce  et  l'Orient,  65. 

Art  byzantin,  II,  28,  77,  94, 
108,  121,  128,  129,  140.  '43:  A 
Ravenne,  156,  160;  chez  les  Bar- 
bares, 179. 

Art  carolingien,  II,  179. 

Art  chrétien  hriiiitif.  Sub- 
divisions, 25. 

Art  copte,  11,  128. 

Art  grkc,   II,  46,  68,  69. 

Art  HELLÉNisTiguB,  caractère 
et  influence,  122;  II,  22,  71,  73,  78, 
107,  114,  115,  117,  »22.  125,  laô, 
128,  130,  132,  134,  152.  165. 


192 


TABLE  ANALYTIQUE 


Art  oriental,  voir  Art  byzan- 
tin (origines);  décoration,  II,  69, 
log;  bas-relief,  74,  112;  fresques 
et  mosaïques,  126,  128;  miniatures, 
130»  137;  à  Ravenne,  163,  168; 
chez  les  Barbares,  179,  i8t. 

Art  Pri^-roman,  II,  171. 

Ascension,  II,  116,  137. 

Banquets  :  funèbre,  54,  100, 
loi,  150;  céleste,  85,  100,  loi,  103, 
106;  de  Vibia,  87;  des  Sept,  103, 
106;  des  agapes,  100,  106;  fractio 
panis,  102,  103  (voir  Eucharistie)  ; 
de  Karmouz,  II,  70, 

Baptême,  105,  161,  162;  II,  16, 
155- 

BasiLiQUE,  description  et  ori- 
gine, 171  ;  rapports  avec  la  liturgie, 
174;  avec  la  basilique  civile,  175; 
avec  les  cellœ  des  cimetières,  1 76  ; 
avec  la  maison  romaine,  176;  déco- 
ration et  aspect  extérieur,  181  ;  inté- 
rieur, 182,  II,  16;  basilique  de  type 
hellénistique  en  Orient,  81  ;  types 
orientaux,  82  ;  à  coupole,  84  ;  cruciale, 
68,  84,  85;  décoration  de  fresques, 
125;  à  Ravenne,  156;  chez  les  Bar- 
bares, 175,  180, 

Basiliques,  de  Rome,  178,  181; 
d'Afrique,  180;  de  Palestine,  II,  79 
de  Constantinople,  80  ;  à  Salonique, 
80;  de  Syrie,  82;  d'Asie-Mineure, 
84,  92  ;  d'Algérie  et  Tunisie,  86  ;  de 
Constantinople,  93,  94;  de  Raven- 
ne, 156;  lombardes,  175. 

Baptistères,  185;  description  et 
origines,  185;  baptistères  en  Occi- 
dent, 186;  à  Ravenne,  II,  153, 


Canons,  II,  136,  137, 

Catacombes,  histoire,  35;  des- 
cription, 43, 

Chapelles  des  sacrements,  105. 

Chapiteaux,  en  Orient,  II,  108, 
109;  à  Ravenne,  159,  167. 

Chaire,  d'Aix-la-Chapelle,  II, 
114. 

Christ,  catacombes,  93,  107, 
108;  sarcophages  d'Occident,  143, 
157,  159;  mosaïques,  II,  14,  15, 19, 
20,  26;  sarcophage  d'Orient,  72; 
ivoires,  115;  fresques,  129;  minia- 
tures, 137;  à  Ravenne,  155,  162, 
164. 

Christ  (Vie  du),  catacombes,  91, 
92,  93,  97,  98,  102;  sarcophages, 
140,  144,  146,  153,  154,  155;  verres 
dorés,  II,  41  ;  fresques  orientales, 
70;  ivoires,  49,  115,120;  miniatures, 
136;  à  Ravenne,  159,  169. 

Coffrets  (d'ivoire),  II,  48,  115, 
116,  121. 

Constantinople,  C.  et  Rome,II, 
61,  65  ;  rôle  politique,  75  ;  artistique, 
77,  88,  voir  Art  byzantin. 

Coupole,  II,  68,  84,  85,  89,  90, 
126;  151,  154- 
Croix,  II,  19,  152,  162,  167. 
Coutumes  antiques,   15. 
Cultes  orientaux,  12-13. 
Crucial  (plan), II,  68,  84,  85, 151. 
Crucifixion,  II,  112,  137. 

Cycles  symboliques,  104,  161; 
II,  127. 


TABLE   ANALYTIQUE 


193 


défunts  et  volumen,  i37,  i38, 

Diffusion  du  christianisme,  9. 

Diptyques,  généralités,  II,  44; 
consulaires,  45;  nuptiaux,  46, 
ecclésiastiques,  47  ;occidentaux,  47; 
orientaux,  115,  116,  120,  121; 
byzantins,  121,  123. 

Eglise, — et  Etat,  14; — et  art,  16, 
20;  représentations  symboliques, 
74,  137,  159,  161,  162;  II,  13,  17, 
20. 

Eglises,  domestiques,  167. 

Election  (de  Mathias),  II,  137. 

Esthétique  chrétienne,  24  î 
fresques,  109;  sarcophages,  146! 
basiliques,  182,  186;  mosaïques,  II» 

10,  21,  etc;  en  Orient,  77,  127,  etc; 
à  Ravenne,  165,  etc. 

Eucharistie,  97,  106,  161,  162; 

11,  70. 

EULOGIES,  II,  43,  70. 

EVANGÉLISTES,  76,  I59;  II,  I6, 
19,   118,   136. 

Fleuves  symbolioues,  152;  II, 
16,  26,  38,  128,  152. 

Francs,  II,  178. 

Fresques,  d'El  Bagaouat,  II, 
125;  de  Baouit,  128  (voir  peintu- 
res). 

Gallo-Romains,  II,   178. 

HiPPOLYTE  (saint),  123. 

Images,  21;  II,  123,  127,  129. 

Initiatio,  161. 


Inscriptions    funrraires,    46, 

84,  98,  99 

Introductio,  108,  138.  157, 
158;  II,  26,  41. 

Invasions,  II,  172. 

Ivoires,  généralités,  II,  44; 
d'Occident,  45;  d'Orient,  114; 
d'Aix-la-Chapelle,  114;  alexan- 
drins et  orientaux,  115,  116,  117, 
120;  byzantins,  121,  123;  carolin- 
giens,  179,  181. 

Irlandais  et  Anglo- Saxons,  II, 
177;  ornementation,  177. 

Jean-Baptiste    (saint)    II,    118. 

Joseph,  163;  II,  120. 

Jugement  de  l'ame,   108. 

Lampes,  II,  43,  44. 

Lombards,  11,  175;  ornementa- 
tion, 175. 

Mages,  107,  146,  162;  II,  m, 
160,  169. 

Main  (du  Père),  II,  17,  19,  it>o. 

Martyrs,  42,  157,  1=^8;  II,  126 
152. 

Mausolée  (de  Galla  Placidia),II, 
150. 

Miniatures,  en  Occident,  II,  51  ; 
en  Orient,  129;  Caractères  130; 
profanes,  131,  132,  133;  rrligcuses, 
133;  bibles,  133;  psautiers,  135; 
évangéliaircs,  130,  138;  m.  irlan- 
daises, 178;  carolingiennes,  181. 

Montagne  (de  Sion),  II,  19,  38, 
162,  170. 

Morale,  15. 


194 


TABLE   ANALYTIQUE 


Mosaïque,  II,  7;  antique,  8; 
chrétienne,  9;  rôle  et  caractère 
général,  10;  souvenirs  antiques, 
14;  symbolisme  triomphal,  15; 
cycles  historiques,  15;  évolution, 
12-33;  en  Orient,  129;  à  Ra venue, 
151  et  suiv. 

Mosaïques,  de  Sainte-Constance, 
II,  12,  14;  de  Sainte- Pudentienne, 
18;  de  Sainte- Ru  fine,  22;de  Sainte- 
Marie  Majeure,  22;  d'autres  églises 
romaines  du  ve  siècle,  22,  25  ;  des 
Saints-Cosme  et  Damien,  25,  31  ;  de 
Saint-Laurent  hors  les  Murs,  28;de 
Sainte-Agnès,  h.  1.  M.,  28;  romaines 
du  vue  au  ixe  siècle,  31  ;  du  Vati- 
can, 18,  32;  de  Sainte-Praxède,  32; 
de  Milan,  Capoue,  Naples,  Sipon- 
te,  22;  de  Salonique,  129;  de  Paren- 
zo,  129;  de  Constantinople,  129; 
de  Ravenne,  25,  151,  154,  158,  162. 

Motifs  et  figures  de  pure 
DÉCORATION  :  catacombcs,  53,  54; 
sarcophages,  133,  136;  mosaïques, 
II,  13,  14;  dans  les  arts  industriels, 
38,  117;  décoration  monumentale, 
126;  miniatures,  137;  à  Ravenne, 
152,  154,  166,  167. 

Objets  symboliques  :  cata- 
combes, 53,  73,  74,  79,  80,  95, 
97,  102  (voir  :  banquets,  paradis, 
pain);  sarcophages,  136,  140,  150, 
151,  152,  160,  161;  mosaïques,  II, 
17,  19;  les  arts  industriels,  37,  38, 
115;  à  Ravenne,  155,  166,  167,  169. 

Octogonal  (plan),  II,  85,  162, 
180. 

Orfèvrerie,  généralités,  II,  35; 
antique,  37;  croix  et  coffrets,  38; 


en  Orient,  141;  technique,  142; 
byzantine,  143;  chez  les  Barbares, 
140,  173;  verroterie,  174;  émaux, 
175;  o.  lombarde,  177;  franque, 
179. 

Orante  :  catacombes,  55,  80, 
106,  107;  sarcophages,  136,  137, 
138,  140. 

Orient  et  Rome,  théorie  tradi- 
tionnelle, II,  57. 

Pain  et  vin,  97,  99,  102,  103. 

Palais,  de  Spalato,  II,  78;  de 
Théodoric,  157,  160. 

Palmiers  symboliques,  II,  16, 
26,  165. 

Paneas  (groupe  de),  119. 

Paradis  :  aux  catacombes,  78, 
83,  84,  85,  88,  109  (voir  banquet 
céleste.  Introduction)  ;  sur  les  sar- 
cophages, 139,  157,  159;  dans  les 
mosaïques,  II,  15,  26,  37;  à  Raven- 
ne, 155,  164,  167,  169. 

PASsrON,  140. 

Pasteur  (bon)  :  aux  catacombes, 
77>  93>  io~î  statue,  121;  sur  les 
sarcophages,  136,  138,  140,  142; 
dans  les  arts  industriels,  II,  43;  à 
Ravenne,  152. 

Pastorales,  paysages,  scènes 
champêtres,  54,  56,  85,  137,  139, 
152;   II,    12,    127,    128,    135,    152. 

Paul,  iconographie,  158;  II,  48. 
PÊCHEUR  :  aux  catacombes,  54, 
105;  sur  les  sarcophages,  137. 

Peintures  cimétériales.  Tech- 
nique, 49;  composition,  51;  en 
Orient,  II,  70,  73. 


TABLE  ANALYTIQUE 


195 


Pendentifs,  II,  89,  90;  byzan- 
tins, 91;  ravennates,  151. 

Pentecôte,  II,  137. 

Persécutions,  13,  41,  171. 

Personnages  historiques,  II, 
13,  14,  23,  26,  29,  45,  126,  131, 
137,  162,  165,  166. 

Philosophie,  12. 

Pierre.  Statue,  123;  iconogra- 
phie, 159;  II,  41.  49,  50- 

Pierre  et  Paul,  108,  138, 
158;  II,  16,  26,  120. 

Poisson  symbolique,  origine, 
94;  signification,  96,  97,  98,  99, 
voir  Eucharistie;  136. 

Porte  (de  S*»- Sabine),  II,  112; 
de  sépulcre,  115. 

Prières  funéraires,  68,  91. 

Prophètes,    107;    II,    154,    167. 

Ravenne,  histoire,  II,  147,  156; 
monuments  disparus  ou  transfor- 
més, 150;  voir  Architecture,basi- 
liques,  etc. 

Résurrection,  II,  115,  137. 

Rotondes,  183;  rapports  avec 
les  édifices  romains,  183;  origine 
orientale,  184;  rotondes  de  Rome, 
184;  en  Palestine,  II,  79;  à  Saloni- 
que,  80;  en  Syrie,  83;  à  Ravenne, 
153;  chez  les  Barbares,  175,  180. 

Sainte-Sophie,  II,  94. 

Saint-Esprit,   162;   II,   17. 

Saints,  109,  138,  157;  II,  26, 
519,  160. 


Saisons,  55,  60,  151. 

Sarcophages,   gén'    v"  tig; 

chronologie,    132;  ty]  •  rcnt», 

132,  137,  140,  142,  145;  méthode 
d'interprétation,  lOi;  d'Asic-Mi- 
neure,  11,  72,  iio;  d'Hélène  et  de 
Sainte-Constance,  iio;  de  Raven- 
ne, 168;  de  Gaule,  171. 

Scènes  de  famille,  io<j. 

Sort  des  œuvres  d'art,  17. 

Statuaire,  117;  II,  m. 

Style  monumental,  II.  126, 
127,  128,  129,  130,  136. 

Style  pittoresque,  139;  II,  46, 
114,  122,  125,  126,  127,  128,  130. 
132,  133,  135,  152. 

Terres  cuites,  11,  42. 
Tissus,     techniques,     II,      139; 
d'Egypte,  140;  byzantins,  140. 

Titres,  169. 

Tombeau  de  Dioclétien,  à  SpaJa- 
to,  185,11,  85,  151;  de  Palinyrc.  II. 
68,  84,  128;   saint  sépulcre,  II,  115 

Traditio  coronae,  152,  157;  II, 
17,  26,  155. 

Traditio  legis,  108,  158,  161; 
II,  15,  l6y. 

Transfiguration,  II,  ibi. 

Trompes,  II,  89,  90. 

Trône  (de  Ravenne),  II,  117. 

Types   an  catacombea, 

61,  03,  05;  .     igfs,  137.  138, 

140,  151  et  note,  155;  II,  12;  arts 
industriels,  4(1,  114,  lii,  134;  à 
Ravenne,  150. 


196  TABLE  ANALYTIQUE 

Verrerie,  II,  38.  Vigne,  61,  138,  151  ;  II,  13,  22, 

117,  126,  167. 

VÊTURE,   106. 

Villes  symboliques,  II,  16,  17, 
Vieillards,  II,  17.  ,ç^  26,  165. 

Vierge,  106, 107, 162  ;  II,  23, 1 11 ,         Visitation,  II,  169. 
120,  129,  137. 


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»  1302