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Full text of "L'art en Chine et au Japon"

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X  I  B  R.  A  R.  Y 

OF   THE 

U  N  IVER.5ITY 

OF    I  LLI  NOIS 

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L'ART 
EN    CHINE 

ET     AU     JAPON 


UNE    FEUILLE    DE    PARAVENT    D'HIKONÉ 
PAR    MATAHEI. 


ERNEST     F.     FENELLOSA 

Ancien    professeur    Je    philosophie    à    l'Université    de    Tokio, 
Commissaire    des    Beaux- Arts    du     Gouvernement    japonais. 


>  L'ART 

EN   CHINE 

ET    AU    JAPON 


ADAPTATION  ET  PRÉFACE 

Par     GASTON     MIGEON 

Conservateur    au    ^Musée   du   Louvre, 
Professeur     à     l'Ecole     du     Louvre. 

AVEC      197     GRAVURES     EN     NOIR 
ET     16     PLANCHES      EN     COULEURS 


HACHETTE    ET    CIE 


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Zcoferaliîistitoit  fur  Kimstgeschiehte 
in  Miinchen 

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Au3g«$chlodon  am  :    j$>i>-(v'J 


10  %  5 


PREFACE 
Par   M.    GASTON  MIGEON 


Ernest  Fenellosa  était  dune  très  ancienne 
famille  espagnole.  Son  père,  un  musicien 
distingué,  était  venu  fixer  sa  vie  en  Amé- 
rique vers  1840  et  s  y  maria  avec  une  jeune 
fille  de  la  colonie  de  Salem,  près  de  Boston, 
qui  mourut  alors  qu  Ernest  Fenellosa  n  était  encore 
qu'un  enfant.  Il  fit  à  l'Université  Harvard  de  bonnes 
études  de  philosophie,  d'histoire  religieuse  et  d'his- 
toire de  l'art,  et  se  trouvait  ainsi  excellemment 
préparé  au  rôle  éducateur  quil  était  destiné  à  jouer 
au   Japon. 

Ce  fut  en  1878  que  F  Université  de  Tokio, 
inaugurant  l'enseignement  étranger,  y  appela  Ernest 
Fenellosa  à  la  chaire  d'économie  politique  et  de 
philosophie.  Il  y  trouva  comme  étudiants  des  hommes 
beaucoup  plus  âgés  que  lui,  dont  il  sut  très  vite,  par 
des  dons  de  séduction  personnelle  rares,  capter  la 
confiance  et  l'affection.  Durant  ces  années  d'ensei- 
gnement il  s  intéressa  profondément  au  vieil  art  du 
Japon,  dont  de  si  magnifiques  chefs-d'œuvre  dans 
les  temples  et  les  collections  se  révélaient  a  lui.  Il 
passait  ses  mois  de  vacances  d'été  à  voyager  à 
travers  les  provinces  les  plus  reculées,  à  visiter  les 
temples  riches  en  trésors   de  peinture  et  de  sculp- 

M 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

ture.  Le  gouvernement  japonais,  très  libéralement, 
lui  facilitait  ces  excursions  archéologiques,  lui  adjoi- 
gnant des  secrétaires  et  des  interprètes.  Fondateur 
d'un  club  artistique,  «  Kangwakai  »,  obstinément 
fidèle  aux  traditions  du  passé  et  acharné  à  les 
rappeler  aux  artistes  du  jeune  Japon  enclins  à  les 
oublier,  il  se  fit  une  grande  place  parmi  les  artistes 
des  vieilles  Ecoles,  si  bien  qu'en  i885  la  Commission 
des  Beaux-Arts,  après  cinq  mois  d études,  sur  le 
rapport  du  professeur  Fenellosa,  décidait  de  res- 
taurer dans  toutes  les  Ecoles  les  vieilles  techniques 
de  l Art  japonais,  le  papier,  l'encre  de  Chine  et  la 
brosse,  sous  l'impulsion  des  artistes  du  club 
Kangwakai,  en  même  temps  qu'était  décidée  la  créa- 
tion d'un  Musée  d'Art  national. 

En  juin  1886,  Ernest  Fenellosa  était  nommé 
membre  de  la  Commission  des  Beaux-Arts,  et  en 
cette  qualité  chargé,  avec  deux  collègues  japonais, 
d'étudier  en  Europe  les  méthodes  d'enseignement  des 
Beaux-Arts,  les  organisations  administratives  et  leur 
possibilité  d'adaptation  au  Japon.  Cela  aboutit,  en 
i88y,  à  l'ouverture  de  l'tcole  normale  d'Art  de 
Tokio.  C'est  alors  que  Fenellosa  fut  adjoint  à 
neuf  experts  artistes  et  archéologues  pour  opérer  le 
classement  de  tous  les  trésors  d'art  du  Japon,  parti- 
culièrement ceux  des  temples,  et  l'on  ne  saurait 
oublier  la  part  d'influence  personnelle  qu'il  y  sut 
prendre  de  1886  à  188g. 

Ces  dix  années  passées  au  Japon  lui  avaient  permis 
d'y  réunir  des  collections  personnelles  qu'il  vendit  en 
1886  au  musée  de  Boston  (en  même  temps  qu'y 
entraient  les  collections  de  M .  Bigelow),  a  la  con- 
dition  quelles  y  demeureraient  toujours   et   quelles 

(mu) 


PREFACE 

porteraient  le  nom  de  Fencllosa.  En  i8go,  on  lui 
offrit  de  devenir  Conservateur  du  nouveau  Départe- 
ment d'Art  oriental  qui  y  était  organisé,  et  qui 
aujourd'hui  est  passé  sous  la  direction  d'un  de  ses 
meilleurs  élèves  japonais,  M.  Okakura  Kaku^o, 
l'auteur  du  remarquable  traité  esthétique  «  The 
ideals  of  the  East  ».  Il  y  demeura  attaché  cinq 
années,  bien  employées  à  dresser  l'inventaire  des 
collections,  à  rédiger  des  catalogues,  à  organiser 
des  expositions,  aussi  bien  des  collections  si  riches 
du  musée  que  d'œuvres  importées  directement  dans 
ce  but  du  Japon  même,  et  à  faire  de  nombreuses 
conférences  dans  les  clubs  et  les  universités.  Et 
ce  labeur  ne  l'empêchait  pas  de  s'intéresser  vi- 
vement aux  problèmes  d'éducation  artistique  en 
Amérique. 

Mais  le  Japon  le  réattirait  encore;  au  prin- 
temps de  i8g6  il  faisait  un  grand  tour  d'études 
dans  les  musées  et  bibliothèques  d'Europe,  et 
l'automne  de  cette  même  année  le  voyait  installé 
aux  environs  de  Kioto,  aux  bords  de  la  rivière 
Kamo,  dans  une  villa  où,  vivant  à  la  japonaise,  il 
ne  recherchait  que  la  société  des  Japonais.  Sa 
maison  étant  un  vrai  centre  de  conversations  et 
d'études,  il  cherchait,  avec  l'archevêque  Sahurai 
Ajari,  à  pénétrer  les  arcanes  du  Bouddhisme .  De 
i8gy  à  igoo,  installé  à  Tokio,  il  ne  cessa  de  cir- 
culer de  Kioto  à  Nara,  de  Tokio  à  Nikko,  époque 
de  grande  activité,  de  curiosité  inassouvie  en  reli- 
gion, en  drames  de  Nô,  en  poésies  chinoise  et  japo- 
naise ;  c'est  ainsi  que  son  esprit  s'enrichissait  de 
toutes  les  idées  qui  devaient  former  plus  tard  le 
solide  tissu  de  cet  ouvrage. 

(00 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

En  igoo,  l'Amérique  le  réclama  de  nouveau. 
Les  villes,  les  cercles,  les  universités  lui  deman- 
daient des  conférences.  Il  résolut  dy  revenir  et 
fixa  sa  résidence  à  New-York.  Il  y  était  plus 
spécialement  attiré  par  son  élève  M.  Dow,  qui 
avait  si  vigoureusement  contribué  à  répandre  en 
Amérique  les  théories  de  Fenellosa  sur  renseigne- 
ment artistique,  et  qui,  en  IQ04,  fut  nommé  pro- 
fesseur à  l'Université  Columbia. 

Ce  fut  en  août  igoô  que  j'eus  l'honneur  et  le 
plaisir  de  faire  sa  connaissance  en  Amérique; 
Charles  Freer,  dont  il  avait  été  le  conseiller  intime 
dans  le  choix  de  ses  magnifiques  collections  de 
peintures  chinoises  et  japonaises  destinées  à  consti- 
tuer un  Musée  d'Art  extrême-oriental  à  Washington, 
nous  avait  réunis  dans  sa  maison  de  Détroit  [Nlichi- 
gan).  Ce  fut  une  semaine  inoubliable  de  longues 
causeries  où,  devant  les  œuvres,  je  pus  juger  de  rétendue 
des  connaissances  de  Fenellosa,  de  la  sûreté  de  son 
goût,  de  la  vivacité  et  de  l'acuité  de  ses  impressions. 
Je  le  quittai  pour  gagner  le  Japon,  muni  de  ses 
lettres  d introduction  qui  m'ouvrirent  les  portes  de 
tant  de  vieilles  et  nobles  demeures  de  là-bas,  où 
je  mesurai  la  persistance  et  la  profondeur  des  sou- 
venirs qu'il  y  avait  laissés. 

Je  revis  M.  Fenellosa  au  cours  de  l'été  de  igo8 
à  Paris  :  il  me  donna  la  joie  de  quelques  charmantes 
heures  de  causerie  et  voulut  examiner  attentive- 
ment avec  moi  les  collections  du  Musée  du  Louvre, 
en  me  donnant  a  leur  sujet  son  avis  si  précieux. 
Malgré  sa  promesse,  je  ne  devais  plus  le  revoir  ; 
j'appris  avec  peine  qu'il  avait  succombé  subitement, 
le  21  septembre  igo8,  à  Londres. 

M 


PRÉFACE 

Le  gouvernement  japonais  se  souvint  des  services 
rendus  en  payant  à  la  mémoire  d'Ernest  Fenellosa 
un  magnifique  tribut;  ses  cendres,  rapportées  au 
Japon,  furent  déposées  sous  une  pierre  tumulaire 
dressée  dans  les  jardins  du  temple  de  Miidera,  en  face 
Omi,  selon  le  désir  souvent  exprimé  par  Fenellosa  à 
ses  amis  ;  Charles  Freer  y  fit  graver  une  épitaphe 
commémorative  et  dédicatoire. 

Fenellosa  a  certainement  été  ÏOccidental  qui  le 
premier  a  passionnément  interrogé  les  arts  anciens 
de  la  Chine  et  du  Japon  ;  il  est  sans  doute,  avec 
MM.  Satoiv,  Chamberlain  et  Lafcadio  Hearn  dans 
le  domaine  littéraire,  de  ceux  auxquels  les 
circonstances  ont  permis  d'étendre  le  plus  loin  au 
Japon  le  cercle  de  leurs  investigations  et  de  leurs 
connaissances.  Il  a  compris  de  l'Art  japonais  le  haut 
idéalisme,  le  sens  intime,  les  prestiges  d'exécution  : 
et,  travaillant  sans  cesse  d'après  les  monuments 
mêmes,  il  a  pu  asseoir  ses  idées  sur  des  bases 
assurées  et  solides. 

On  peut  considérer  cet  ouvrage  comme  son  tes- 
tament intellectuel  :  on  y  trouvera  résumées  vingt 
années  d'études,  et  exprimées  ses  longues  réflexions 
sur  les  Arts  de  la  Chine  et  du  Japon,  plus  parti- 
culièrement sur  la  peinture  et  la  sculpture.  Ce  sont 
ses  notes  manuscrites  auxquelles  sa  veuve,  Mme  Mary 
Fenellosa,  a  donné  une  forme  définitive  avec  le  con- 
cours de  MM.  Ariga  Nagao  et  Kano  Tomonobu.  Sa 
méthode  y  apparaît  bien  plus  synthétique  qu  'ana- 
lytique, les  œuvres  n'y  étant  citées  que  comme  exemples 
venant  illustrer  les  considérations  générales  que  lui 
suggèrent  les  courbes  d' évolution  historique  des  arts 
de    ces  deux  pays.    Il    ne  semble  pas  qu'il  en   pût 

(xi) 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

être  autrement  dans  les  limites  forcément  restreintes 
de  cet  ouvrage. 

Ayant  jadis  entendu  causer  et  discuter  Ernest  Fe- 
nellosa,  l ayant  lu  avec  attention,  j'ai  cherché  à 
conserver  de  son  texte  original  toute  la  substance 
essentielle,  j'ai  retenu  des  monuments  quil  citait  les 
plus  caractéristiques  et  les  plus  beaux,  tout  en  res- 
pectant ses  idées  et  en  suivant  pas  à  pas  les  démar- 
ches de  sa  pensée,  fai  préféré  m  abstenir  de  toute 
intervention  personnelle  et  de  tout  commentaire,  m'é- 
tant  toutefois  attaché  à  une  identification  plus  précise 
dés  monuments  figurés  sur  les  planches. 

Gaston   MIGEON 


® 


INTRODUCTION 
DE  M.  ERNEST  FENELLOSA 


Le  but  de  ce  livre  est  d'apporter  une  contri- 
bution par  des  matériaux  de  première  main 
à  l'histoire  réelle  de  l'Art  extrême-oriental, 
non  seulement  pour  les  savants,  mais  aussi  pour 
les  curieux  de  l'Orient,  pour  ceux  qui  voyage- 
ront en  Asie,  comme  pour  ceux  qui  en  collec- 
tionneront les  choses  d'art.  La  nouveauté  du  sujet 
est  certaine  sous  plusieurs  rapports.  Des  livres 
sur  l'Art  japonais  ont  été  écrits  bien  plutôt  en 
étudiant  les  techniques  des  arts  industriels  qu'en 
considérant  les  recherches  esthétiques  des  Écoles; 
on  a  ainsi  établi  de  fausses  classifications  par 
matières,  au  lieu  de  le  faire  par  périodes  d'acti- 
vité créatrice. 

Nous  considérerons  ici  l'Art  de  chaque  époque 
sous  ses  aspects  particuliers  de  beauté  de  lignes 
et  de  couleurs,  qui  le  différencient  des  autres 
moments  de  l'Art,  et  dont  les  industries  artis- 
tiques de  la  même  époque  ont  subi  les  reflets. 
C'est  ainsi  que  la  Peinture  et  la  Sculpture,  au 
lieu  d'être  les  objets  de  chapitres  séparés  parallèles 
aux  chapitres  qui  traiteraient  des  arts  de  la  Céra- 

(xm) 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

mique,  du  Tissu,  du  Métal,  du  Laque,  etc., 
seront  interrogées  comme  inspiratrices  des  grandes 
Écoles  nationales  d'arts  du  dessin  à  chaque 
époque,  dont  on  retrouvera  les  fécondes  impul- 
sions dans  tous  les  arts  industriels. 

De  plus,  tout  ce  que  Ton  a  écrit  sur  l'Art  chi- 
nois a  dérivé  bien  plutôt  de  l'étude  de  ses  sources 
littéraires  que  de  l'Art  lui-même,  et  l'on  a  cher- 
ché à  classifier  ses  créations  par  ordre  de 
valeurs  esthétiques.  Nous  voudrions  détruire 
cette  vieille  erreur  qui  a  consisté  à  regarder  la 
civilisation  chinoise  comme  étant  demeurée  des 
milliers  d'années  à  peu  près  ankylosée  ;  notre  but 
sera  de  montrer  les  milieux  de  haute  culture 
qui  ont  permis  aux  arts  de  s'y  développer  et  d'y 
produire  à  chaque  période  des  floraisons  nou- 
velles et  variées. 

Il  peut  être  également  assez  nouveau  de  révé- 
ler, dans  les  Arts  chinois  et  japonais,  la  parti- 
cularité de  leur  évolution  esthétique.  Il  est 
évident  qu'ils  eurent  non  seulement  d'étroites 
relations  avec  l'Art  grec  et  avec  l'Art  romain, 
et  comme  le  prouvent  les  dernières  découvertes 
du  Turkestan,  avec  l'art  de  l'Iran,  mais  que  leurs 
phases  diverses  s'enchaînent  en  un  vaste  mouve- 
ment continu  et  lié. 

Nous  croyons  fermement  qu'on  finira  par 
admettre  que  le  travail  artistique  des  races 
humaines  est  un,  et  que,  sous  l'aspect  de  variétés 
infinies,  il  n'y  a  vraiment  qu'un  seul  effort  men- 
tal  et  social.  Jusqu'ici,  les  artistes  et    les  écri- 

(xiv) 


INTRODUCTION 

vains  se  sont  partagés  en  deux  camps  hostiles  : 
les  classiques  et  les  gothiques  ;  et  d'un  côté 
comme  de  l'autre,  on  a  exclu  l'Art  oriental  de 
l'Histoire  de  l'Art,  sous  prétexte  que  ses  lois  et 
ses  formes  n'offraient  aucune  commune  mesure 
qui  puisse  permettre  de  le  comparer  aux  Arts  de 
l'Europe. 

Mais  si  nous  venons  à  considérer  toute  clas- 
sification comme  un  artifice,  qui  vaut  surtout  à 
l'effet  d'établir  des  groupements  chronologiques, 
et  si  nous  admettons  que  les  variations  sont 
infinies  dans  l'esprit  humain,  sous  l'influence 
sociale  et  sous  l'influence  des  lois  d'éternelle 
mutabilité,  nous  constaterons  sans  peine  la 
réelle  et  puissante  unité  d'un  effort  qui  se  dis- 
simule sous  l'infinie  variété  des  techniques. 
Toute  surface  a  ses  limites,  d'où  l'union  de 
formes  harmonieuses  et  de  proportions  :  l'œil  per- 
çoit ces  limites,  la  main  les  fixe  par  des  lignes 
qui  sont  les  éléments  essentiels  de  cette  repré- 
sentation. Les  jeux  de  la  lumière  sur  ces  surfaces 
les  nuancent  à  la  vue,  et  leurs  combinaisons 
rythmées  sont  une  autre  sorte  de  beauté. 
C'est  ce  que  tendra  à  rendre  le  dessin,  déli- 
mitant les  surfaces,  en  modelant  les  reliefs, 
en  indiquant  les  plans  différents  et  les  perspec- 
tives. Il  cherche  ainsi  à  restituer  la  forme  essen- 
tielle à  la  beauté  décorative.  La  couleur  vient 
lui  apporter  son  aide  efficace. 

Il  existe  de  multiples  façons  de  combiner  ces 
différents  genres  de  beauté  en  vue  de  toutes  les 

(XV) 


L'ART  EN  CHINE   ET  AU  JAPON 

suggestions  qu'elle  crée.  Mais  dans  toutes  ces 
recherches  réside  une  sorte  d'ordre  préétabli 
par  l'identité  des  phénomènes  de  l'esprit  humain, 
sous  l'influence  sociale  qui  l'impressionne.  De 
même  que  l'esprit  classique  a  pénétré  l'esprit  du 
moyen  âge,  de  même  les  formules  de  la  Grèce 
ont  cheminé  à  travers  l'Asie. 

Nous  chercherons  ici  à  montrer  les  ressem- 
blances entre  les  grandes  méthodes  chinoises 
de  dessin  par  le  pinceau  et  nos  méthodes  de 
dessin  et  de  gravure  ;  comme  aussi  les  rapports 
existant  entre  le  mode  oriental  de  notation  et 
de  coloration,  et  les  différents  modes  de  nota- 
tion des  Grecs,  des  Vénitiens,  d'artistes  comme 
Rembrandt  ou  Vélasquez,  ou  des  peintres  français 
modernes.  Au  moyen  âge,  les  chefs-d'œuvre  de  la 
peinture  offrent  de  grandes  analogies  de  cou- 
leur dans  les  deux  continents.  Les  principales 
différences  résident  dans  les  méthodes  de  repré- 
sentation ;  elles  sont  de  moins  en  moins  notables 
quand  on  approche  des  temps  modernes. 

Les  écrivains  anglais,  tels  que  le  docteur  Ander- 
son,  ont  presque  invariablement  apprécié  les  Arts 
chinois  et  japonais  du  point  de  vue  de  ce  qu'ils 
appellent  le  Réalisme.  A  leurs  yeux,  tout  l'Art 
chinois  est  forcé  et  affecté,  tandis  que  l'Art  japo- 
nais atteint  son  plus  haut  point  avec  Okio,  les 
artistes  de  l'Oukiyoyé,  et  Hokusai,  par  la  raison 
qu'ils  sont  moins  éloignés  du  goût  européen 
et  plus  aisément  compréhensibles. 

Les  Français  ont  eu  des  vues  plus  justes,  quoi- 

(xvi) 


INTRODUCTION 

qu'ils  aient  voulu  maintenir  une  barrière  entre 
l'art  pictural  et  l'art  décoratif  et  ne  reconnaître 
dans  l'Art  extrême-oriental  que  ses  côtésdécoratifs. 

Nous  avons  cherché,  au  contraire,  à  appliquer 
des  principes  de  critique  auxquels  nous  aurions 
soumis  de  la  même  façon  l'histoire  de  l'Art  euro- 
péen. Ce  seront  toujours  les  hautes  qualités  de 
dessin,  de  notation  et  de  couleurs,  et  la  manière 
dont  l'artiste  leur  aura  fait  exprimer  de  grandes 
idées,  qui  nous  serviront  de  bases  de  classification 
et  d'appréciation. 

Il  semble  bien  que  c'est  la  première  fois  qu'un 
aussi  vaste  sujet  se  trouve  traité.  Et  quoique  le 
caractère  individuel,  si  l'on  peut  dire,  des  diverses 
époques  y  puisse  paraître  dissemblable,  il  y  a 
unité  et  pénétration  des  unes  aux  autres.  Il  est 
fréquent  qu'on  oppose  l'une  à  l'autre  les 
civilisations  chinoise  et  japonaise,  et  souvent 
cette  dernière  n'a  été  considérée  que  comme  un 
pâle  reflet  de  la  culture  chinoise.  Aucune  de 
ces  opinions  n'est  exacte. 

J'ai  cherché  dans  ce  livre  la  concision  et  l'unité, 
et  l'expression  de  mes  impressions  personnelles; 
mon  vif  désir  est  que  les  lecteurs  s'en  aper- 
çoivent. C'est  ainsi  que  je  n'ai  pas  visé  à  une 
somme  complète,  ni  à  un  exposé  encyclopédique, 
et  que  j'ai  voulu  subordonner  les  petits  faits 
aux  grands.  On  pourra  m'objecter  que  j'en 
ai  sacrifié  beaucoup.  Je  répondrai  alors  que 
l'omission  dans  l'espèce  est  très  significa- 
tive,   et    que    mon    constant    effort    a   tendu    à 

(xvn) 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

conserver  au  sujet  les  plus  exactes  et  justes 
proportions. 

Je  n'ai  pas  l'intention  de  traiter  toutes  les 
formes  ni  toutes  les  phases  de  l'Art,  mais  seu- 
lement celles  qui  dénotent  une  activité  de  l'ima- 
gination et  une  force  créatrice.  L'Art  peut  être 
considéré  comme  un  continuel  effort,  un  foyer 
de  production  qui  dure  à  travers  les  âges  et 
qui  jamais  ne  languit  ;  mais  le  plus  souvent,  il 
n'est  que  classique  et  sans  puissance  créatrice. 
C'est  à  rechercher  les  moments  où  vraiment  il  y 
a  eu  invention,  création  originale,  qu'est  la  tâche 
de  l'historien;  et  c'est  ainsi  qu'il  peut  apporter 
d'importantes  contributions  à  l'histoire.  Les  opé- 
rations secondaires  de  l'esprit  humain  sont,  dans 
ce  domaine,  de  minime  et  relative  importance; 
et  nous  ne  considérons  pas  comme  très  grave  ni 
injuste  de  les  négliger. 

Ainsi  que  je  l'ai  dit,  la  plupart  des  écrivains  de 
l'Art  oriental  l'ont  classifié  par  techniques  indus- 
trielles, par  matières,  procédé  commode  à  cet 
étroit  point  de  vue,  mais  fausse  classification 
pleine  de  répétitions,  d'entre-croisements  etd'ana- 
chronismes.  L'Art  est  la  faculté  de  l'imagination 
de  transformer  les  matières,  et  l'histoire  de  l'Art 
devrait  être  l'histoire  de  cette  faculté  bien  plus  que 
des  matériaux  transformés  par  elle.  Aux  périodes 
créatrices,  toutes  les  formes  de  l'Art  entrent  en 
jeu.  De  la  construction  d'un  grand  temple  au 
modelage  d'un  bol  que  le  potier  tourne  sur  sa 
roue,  au  laquage   patient   d'une   écritoire,  tout 

(xvm) 


INTRODUCTION 

l'effort  converge  en  un  style  unique.  Dès  lors,  la 
classification  doit  être  d'époques,  et  quand  on  veut 
pour  la  première  fois  la  tenter,  il  est  nécessaire, 
pour  suivre  l'évolution  d'un  style,  d'en  rechercher 
les  sources  sociales  et  spirituelles.  Ce  doit  être  la 
vraie  méthode  de  l'archéologue  sociologue. 

Pour  d'autres  écrivains,  l'histoire  de  l'Art  se 
fait  à  coups  de  documents  :  c'est  donc  une  his- 
toire de  l'Histoire.  On  ne  saurait  nier  l'impor- 
tance des  documents,  mais  on  ne  peut  assurer 
non  plus  que  les  documents  c'est  l'Art,  et  d'ail- 
leurs eux-mêmes  n'échappent  pas  à  la  troublante 
falsification. 

L'Art  chinois  est  loin  de  se  présenter  sous  des 
formes  simples;  il  s'est  manifesté  sous  de  multi- 
ples caractères  bien  accusés;  c'est  ce  que  n'ont  pas 
toujours  bien  compris  les  savants  chinois.  Souvent 
aussi  leur  erreur  résida  dans  leur  fâcheuse  ten- 
dance à  confondre  l'intérêt  des  inscriptions  avec 
celui  des  qualités  essentielles  de  l'Art.  C'est  sur 
ce  terrain  que  peuvent  différer  d'avis  l'antiquaire 
et  le  critique;  ce  dernier  appuyant  son  opinion  sur 
des  facultés  intuitives,  et  on  peut  dire  recréatrices. 

Je  déclare  tout  d'abord  que  je  ne  me  consi- 
dère pas  comme  un  pur  savant  :  c'est  ce  qui  me 
fit  tant  hésiter  à  écrire  ce  livre.  Je  ne  prétends 
pas  avoir  réalisé  des  recherches  philologiques 
d'une  rare  originalité  parmi  les  documents  chi- 
nois ou  japonais.  A  cet  égard,  les  savants  pour- 
raient me  conseiller  de  garder  le  silence. 

Des  circonstances  tout  à  fait  spéciales  m'ont 

(xix) 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

amené  à  l'étude  de  l'Art  de  l'Extrême-Orient. 
Depuis  des  années,  mes  amis  me  demandaient  de 
donner  aux  observations  que  cette  étude  m'avait 
suggérées  une  forme  définitive.  Si  je  m'y  suis 
décidé,  c'est  que  je  pense  que  j'ai  réellement 
quelque  chose   à  dire. 

Quand  je  commençai  à  étudier  l'Art  du  Japon, 
ce  fut  à  une  époque  de  transition  vraiment  inté- 
ressante. Les  châteaux  forts  des  grands  Daïmos 
féodaux  venaient  d'être  abattus,  et  leurs  trésors 
ancestraux  dispersés.  A  Boston,  j'avais  étudié 
l'Art  en  philosophe.  Au  Japon,  on  me  considéra 
comme  un  antiquaire  curieux,  et  pendant  plu- 
sieurs années  je  fis  partie  de  la  Commission  offi- 
cielle de  recherches  et  de  classement.  Pour  remplir 
cette  mission,  je  me  trouvais  mêlé  à  la  société 
des  connaisseurs  les  plus  fameux,  aux  derniers 
vrais  artistes  ;  je  visitai  tous  les  temples  impor- 
tants, toutes  les  collections  publiques  et  privées. 
De  plus,  j'étais  nécessairement  en  rapport  avec 
tous  les  grands  marchands  d'objets  d'art,  et  rien 
ne  m'échappa  de  ce  qui  passait  entre  leurs  mains. 

Mais  je  devins  aussi  plus  spécialement  l'élève 
en  critique  des  derniers  artistes  des  Écoles 
KanoetTosa,  et  un  peu  plus  tard  de  l'École  Shijo 
à  Kioto.  J'étudiai  de  très  près  leurs  grandes  col- 
lections de  copies  (précieuses  archives  des 
arts  anciens),  je  reçus  d'eux,  oralement,  leurs 
traditions.  C'est  peut-être  pour  cela,  pour  cette 
pratique  reçue  des  vieilles  traditions  qu'on  m'a- 
vait   transmises,    que    la    moderne     Ecole     des 

(XX) 


INTRODUCTION 

jeunes  critiques  japonais,  qui  se  dit  foncièrement 
radicale,  pencha  à  me  croire  ultra-conservateur . 
Je  ne  dis  pas  que  si  j'avais  pu  poursuivre  long- 
temps encore  l'étude  de  cet  art,  mes  opinions 
ne  se  seraient  pas  légèrement  modifiées  avec 
l'âge;  mais  à  différer,  on  n'écrirait  jamais  une 
ligne.  Les  dernières  générations  édifient  sur  les 
substructions  de  leurs  aînées,  et  j'estime  que, 
même  contestables,  mes  impressions  valent  que 
je  les  aie  tout  de  même  exprimées. 

La  question  de  l'appellation  «  à  la  romaine  » 
des  noms  chinois  et  japonais,  et  de  leur  pro- 
nonciation, prête  à  quelque  confusion.  Cela  est 
surtout  vrai  pour  les  noms  chinois.  La  plupart 
des  savants  européens  les  ont  écrits  en  «  man- 
darin moderne  ».  Nécessairement,  c'est  là  une 
prononciation  purement  moderne.  La  manière 
japonaise  de  prononcer  les  noms  de  vieux 
artistes  chinois  est  basée  sur  la  vieille  langue 
chinoise,  conservée  intacte  grâce  à  la  nature  pho- 
nétique du  syllabaire  japonais.  Une  preuve  en 
est  dans  les  traductions  en  syllabaire  japonais 
des  vieux  noms  de  l'Inde  orientale,  qui  y  ont 
encore  leur  prononciation  invariable,  et  par  les 
rimes  des  vieilles  poésies  chinoises,  qui  sont 
aussi  familières  aux  Japonais  instruits  qu'Homère 
et  Virgile  à  des  étudiants  occidentaux.  On  com- 
prend assez  bien  que  des  sinologues  européens 
ou  américains,  qui  ont  soigneusement  étudié  le 
chinois  moderne,  ne  se  résignent  que  difficilement 
à  y  renoncer.  Mais  il  est  tout  aussi  naturel   que 

(xxi) 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

des  savants  japonais,  et  des  étrangers  qui  ont  étu- 
dié l'Art  au  Japon  même,  sentant  qu'ils  sont  fami- 
liers avec  les  vrais  sons  et  qu'ils  ont  cherché  à 
contribuer  au  salut  de  l'Art  chinois,  y  tiennent. 

C'est  au  Japon  qu'on  peut  étudier  l'Art  chi- 
nois, et  les  Japonais  sentent  bien  que  c'est  à 
eux  qu'il  incombe  de  révéler  au  monde  l'Art 
chinois.  C'est  pourquoi  je  suivrai  en  principe  les 
usages  japonais,  quant  à  la  prononciation  japo- 
naise de  la  vieille  langue  chinoise,  et  j'ajouterai 
que,  ce  faisant,  je  me  trouverai  aux  prises  avec 
une  prononciation  moins  rude  et  moins  rebu- 
tante que  n'est  le  mandarin. 

Au  demeurant,  je  me  suis  toujours  considéré 
comme  le  disciple  de  mes  collègues  japonais. 
Pendant  près  de  trente  années,  j'ai  recouru  à  leur 
aide  constante  et  efficace  :  j'ai  recueilli  leur  ensei- 
gnement, leur  interprétation  des  œuvres,  les  tra- 
ductions des  textes.  Je  n'oublierai  jamais  ce  que 
je  dois  au  docteur  Ariga  Nagao,  au  baron  Hamao, 
au  vicomte  Kaneko,  au  professeur  Inouyé,  à 
M.  Hirai,  à  M.  Tatsumi,  au  professeur  Nemoto, 
enfin  à  Mori  Kainen,  le  professeur  de  poésie 
chinoise  à  l'Université  impériale.  Tous  les  sa- 
vants auxquels  il  me  faut  rendre  hommage,  et 
qui  ont  été  pour  moi  des  guides  si  utiles,  ne 
pourraient  être  énumérés  que  par  douzaines, 
et   Marco    Polo    serait   du  nombre. 

Au  moment  de  clore  cette  introduction,  je 
tiens  à  déclarer  que,  désireux  de  faire  de  ce  travail 
un  exposé  d'évolution  artistique  aussi  bien  que 

(xxn) 


INTRODUCTION 

sociale,  il  peut  se  trouver  que  les  périodes 
sociales  ou  artistiques  ne  soient  pas  synchro- 
niques,  à  cause  des  différences  d'incidence  des 
causalités.  Ainsi,  le  grand  mouvement  Tosa 
commence  à  la  fin  des  Fujiwara,  avant  le  sho- 
gunat  de  Kamakura.  D'autre  part,  les  formes 
chinoisantes  de  l'Art  des  Ashikaga  ne  s'élaborent 
fortement  que  quelque  temps  après  que  cette 
dynastie  se  fut  constituée.  De  plus,  avec  un  peu 
d'attention,  nous  verrions  que  tous  ces  grands 
mouvements  chevauchent  les  uns  sur  les  autres, 
et  souvent  sont  parallèles.  Ainsi,  le  mouvement 
Zen  avait  déjà  commencé  à  Kioto  et  à  Kamakura 
longtemps  avant  qu'il  ne  se  manifestât  en  Ashi- 
kaga, et  côte  à  côte  avec  le  genre  Tosa.  De  même, 
en  Tokugawa,  les  courants  se  sont  rencontrés  et 
entre-croisés.  Mais  nous  ne  ferons  pas  de  la 
chronologie  la  clé  de  toute  classification,  et 
nous  ne  jugerons  pas  indispensable  de  nous 
étendre  sur  la  persistance  des  vieilles  Écoles 
jusqu'à  nos  jours  avec    Shoseki. 

Ce  ne  sont  pas  des  noms,  ce  sont  des  forces 
agissantes  que  nous  suivrons,  et  quand  nous  ren- 
contrerons celles  qui  furent  vraiment  créatrices 
et  qui  dominèrent  une  époque,  nous  nous  y 
attacherons.  Il  nous  a  paru  préférable  de  domi- 
ner ainsi  d'assez  haut  un  sujet  d'aussi  vastes 
proportions,  en  cherchant  à  en  dégager  plutôt 
des  idées  générales. 

Ernest  FENELLOSA. 


© 


L'ART 

EN   CHINE   ET  AU  JAPON 


CHAPITRE  I 
L'ART   CHINOIS    PRIMITIF 

3ooo  ANS  —  25o  ANS  AVANT   L'ÈRE  CHRÉTIENNE 

L'ART  DU  PACIFIQUE.  ||  LES  ORIGINES  DE  L'ART  CHINOIS.  0  LES  INFLUENCES 
QU'IL  A  SUBIES  DU  PACIFIQUE,  DE  LA  PERSE  ET  DE  LA  GRÈCE.  ||  LES 
PREMIERS  AGES  HISTORIQUES  DE  LA  CHINE.  ||  LES  EMPEREURS  PATRIARCHES. 
Il  DYNASTIES  HAN,  SHANG,  CHOU.  I  LES  CARACTÈRES  DE  LEURS  ARTS,  a 
LES    BRONZES  ARCHAÏQUES.    (|    LES   POTERIES. 

Il  n'est  pas  d'art  national  qui  soit  un  phéno- 
mène tout  à  fait  isolé,  et  il  n'est  pas  de 
civilisation  dont  les  origines  ne  soient  en- 
veloppées de  mystère.  Nous  ignorons  quelles 
furent  les  toutes  premières  migrations  des 
peuples  ;  et  que  valent  nos  conjectures  sur  les 
causes  qui  les  ont  divisés  en  races  si  forte- 
ment contrastées  ?  La  Chine  n'est  pas  une  entité 
en  dehors  de  tout  :  l'Orient  et  l'Occident 
ont  été  en  continuel  échange,  et  ce  qui  leur  fut 
commun  n'est  pas  le  moins  intéressant  à  cons- 
tater. 

J'estime  qu'au  point  de  vue  des  civilisations 
humaines,  il  y  eut  deux  grands  centres  de  diffu- 
sion :  l'un  qui  fut  le  bassin  oriental  de  la 
Méditerranée,  où  les  trois  continents  Europe,  Asie 
et  Afrique  se  trouvèrent  en  contact  ;  l'autre,  les 

(0 


L'ART  EN   CHINE   ET  AU  JAPON 

régions  limitées  par  les  grandes  îles  du  Pacifique 
occidental,  sans  qu'il  soit  aisé  de  déterminer  avec 
quelque  précision  ces  limites  ;  mais  j'estime  qu'il 
y  eut  unité  artistique  autour  de  cet  immense 
bassin  du  Pacifique,  entre  le  Pérou,  le  Mexique 
et  l'Alaska  —  les  Hawaï  et  les  premiers  insulaires 
de  Formose  —  la  Chine  et  le  Japon,  —  et  que 
ce  n'est  pas  sans  raisons  qu'on  peut  parler 
d'une  «  École  d'Art  du  Pacifique  ». 

Le  centre  de  diffusion  occidental  semble  bien 
avoir  eu  trois  grandes  aires  de  rayonnement  :  la 
Mésopotamie,  la  vallée  du  Nil  et  la  Méditer- 
ranée hellénique.  Les  influences,  à  travers  de 
longues  périodes  du  temps,  s'y  exercèrent  par 
réactions  multiples  ;  un  des  points  de  jonction 
principaux  semble  avoir  été  l'Art  de  Chypre. 
Les  guerres  d'Alexandre,  trois  cents  ans  avant  l'ère 
chrétienne,  emmêlèrent  et  confondirent  les  for- 
mules. L'Inde  ne  saurait  en  être  isolée,  car  elle 
resta  dépendante  des  grands  mouvements  méso- 
potamiens,  soumise  aux  influences  babylonienne, 
perse,  gréco-bactrienne  et  grecque. 

Cette  théorie  vaut  surtout  ici  par  le  fait  que 
l'Art  chinois  est  le  seul  qui  ait  reçu  ses  impul- 
sions créatrices  de  la  combinaison  des  deux 
influences.  La  clé  de  l'Art  chinois  est  dans  cette 
vérité  qu'il  puisa  ses  premières  forces  dans  l'Art 
du  Pacifique,  accrues  plus  tard  par  les  formes 
d'Art  de  la  Grèce  et  de  la  Perse. 

Ses  obscures  origines  semblent  bien  apparte- 
nir au  troisième  millénaire  avant  l'ère  chrétienne  ; 
il  apparaît  déjà  robuste  sous  la  dynastie  des 
Shang   vers    1800,   puis    sous    la    dynastie    des 

M 


L'ART  CHINOIS   PRIMITIF 

Chou  vers  noo,  et  manifeste  une  plus  vigou- 
reuse puissance  créatrice  sous  la  dynastie  des 
Han  au  second  siècle  avant  l'ère;  après  un  ralen- 
tissement, il  a  atteint  à  l'apogée  sous  la  dynastie 
des  Tang  au  vme  siècle  après  l'ère  chrétienne.  Il 
sut  se  maintenir  sous  la  dynastie  des  Song  du 
xie  au  xiic  siècle,  puis  ne  fit  que  décliner  lente- 
ment jusqu'à  la  décadence  finale  actuelle. 

La  ligne  d'évolution  de  l'Art  japonais,  pour  n'a- 
voir pas  atteint  les  mêmes  hauteurs,  n'en  offre  pas 
moins  une  courbe  assez  semblable.  A  l'encontre 
de  1  Art  chinois,  il  apparaît  brisé  en  cinq  moments 
successifs  d'une  égale  vitalité  créatrice,  et  l'on 
peut  dire  que  chacun  de  ces  moments  corres- 
pond à  une  période  florissante  de  l'Art  chinois. 

Il  est  important  d'examiner  de  plus  près  com- 
ment les  formes  d'Art  nées  sur  les  terres  baignées 
par  l'océan  Pacifique  influencèrent  le  premier 
Art  chinois.  Elles  ne  nous  sont  pas  directement 
connues,  à  cause  du  caractère  périssable  des 
matériaux  mis  en  œuvre,  mais  nous  pouvons  les 
supposer  d'après  les  formes  usitées  chez  les 
peuples  polynésiens  actuels,  et  qui  y  apparaissent 
assez  analogues  aux  plus  anciennes  formules 
du  dessin  chinois  que  nous  ont  transmis  les 
bronzes.  Comment  s'établirent  les  communica- 
tions ?  Fut-ce  de  l'Amérique  du  Sud  à  travers 
les  mers  méridionales  du  Pacifique  ?  ou  de 
l'Amérique  du  Nord,  alors  qu'on  peut  songer  à 
la  relative  consanguinité  entre  les  peuples  de 
l'Alaska,  de  l'Amour  et  les  Aïnos,  mais  par  contre 
aussi  entre  les  Philippins  et  les  Japonais  ? 

(0 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

Comment  l'expansion  se  fit-elle  en  Chine  ? 
Sans  doute  en  partant  d'un  point  central  plutôt 
au  Sud,  dans  les  directions  plutôt  du  Nord  et 
du  Nord-Est. 

Est-il  possible  de  fixer  quelques-uns  des 
traits  principaux  de  l'Art  du  Pacifique  ?  Presque 
partout  apparaissent  les  faces  plus  ou  moins 
humaines,  avec  deux  grands  yeux  fixes,  à  pru- 
nelles obsédantes  ;  sur  les  linteaux  et  chevrons 
des  huttes  de  la  Nouvelle-Zélande,  comme  dans 
l'Alaska,  comme  aussi  dans  l'art  de  la  Nouvelle- 
Guinée,  on  trouve  ces  faces  sculptées  ;  sur  des 
manches  d'ustensiles  et  sur  des  statues  de  plein 
relief  ces  faces  dépendent  de  têtes  déjà  plus 
près  des  formes  vraiment  artistiques  de  la  Chine. 
Des  têtes  tatouées  des  Philippines  offrent  des 
yeux  moins  ouverts,  mais  d'expression  plus 
démoniaque. 

Une  face  semblable,  les  deux  yeux  en  amandes 
et  fixes,  les  bosses,  voilà  des  traits  saillants  sur  la 
plupart  des  anciens  bronzes  chinois.  Cette  repré- 
sentation serait  celle  de  l'«ogre  T'ao-tieh»,  qui  est 
un  glouton  avec  un  appétit  de  cannibale.  Et  cette 
forme  traditionnelle  des  plus  anciens  âges  des 
pays  du  Pacifique  transmise  à  la  Chine  venait 
s'appliquer  très  naturellement  aux  bronzes  des- 
tinés à  cuire  et  à  servir  la  nourriture  et  la  bois- 
son dans  les  plus  antiques  cérémonies  funéraires. 
Cette  face  de  désir  glouton  apparaissait  ainsi 
comme  l'esprit  même  de  l'autel  des  aliments. 

On  ne  peut,  il  est  vrai,  préciser  aucun  rapport 
d'origine  entre  les  Chinois  et  les  peuples  du 
Pacifique.  Les  origines  occidentales  des  Chinois, 

(4) 


Têtes  de  Terre  Cuite. 

Art  du  Gandhara,  début  de  l'Ere  chrétienne. 
Musée  de  Lahore  (Indes). 


Planche  I. 


L'ART  CHINOIS   PRIMITIF 

des  bords  de  la  Caspienne,  ne  sont  qu'une  vaine 
conjecture.  Les  plus  anciens  occupants  de  la 
Chine  vivaient  dans  les  régions  septentrionales 
de  Hoang-ho,  non  loin  de  la  mer.  C'est  là  qu'on 
les  retrouve  sous  leurs  premiers  empereurs  pa- 
triarches (2852-2204  avant  l'ère  chrétienne),  avec 
leur  capitale  probablement  assez  voisine  de  Kai- 
fonfu.  Un  de  ces  premiers  chefs,  Huwangti,  était, 
d'après  les  traditions,  un  étranger  ayant  entraîné 
sa  tribu  hors  de  régions  lointaines  et  ayant  ap- 
porté avec  lui  une  vague  organisation  et  un  Art  ; 
et  peut-être  de  ces  époques  datent  les  premiers 
caractères  d'écriture.  Les  plus  anciens  bronzes 
datent-ils  de  ces  âges  reculés,  où  les  Chinois 
croyaient  aux  esprits  :  esprit  de  la  Mort,  esprit 
de  la  Nature,  esprit  du  Ciel  ?  Et  ce  sont  peut- 
être  ces  esprits  dont  les  visages  nous  apparaissent 
sur  ces  primitifs  ustensiles  de  bronze  dont  les 
formes  sont  rudes  et  le  décor  imprégné  de 
symbolisme.  Art  différent  de  celui  des  Polyné- 
siens et  des  Aztèques,  de  recherches  plus  raffi- 
nées et  d'un  effet  plus  agréable. 

Les  premiers  mémoires  se  rapportent  au  grand 
empereur  Yu  de  la  dynastie  Hai  (2205-1707), 
qui,  avec  ses  prédécesseurs  Yan  et  Shun,  passa 
aux  yeux  des  philosophes  pour  un  modèle  de 
conducteur  de  peuples,  dans  des  temps  pacifiques 
où  l'agriculture  était  honorée  avant  toute  autre 
chose.  On  n'a  guère  souvenir  de  représentation 
de  la  figure  humaine  dans  l'Art  de  cette  période  où 
la  poterie  sans  glaçure  était  déjà  certainement 
pratiquée,  et  qui  ne  s'est  révélé  à  nous  que 
par  quelques    ustensiles  de  bronze   de   fouilles. 

(s) 


L'ART  EN   CHINE   ET  AU  JAPON 

Un  autre  motif  décoratif  des  bronzes  est  le 
poisson,  ou  monstre  marin,  ancêtre  du  Dragon 
chinois,  identique  aux  formes  rencontrées  dans 
les  îles  du  Pacifique  méridional  et  dans  les 
pays  de  l'Amérique  du  Nord-Est.  La  tête  est 
différente  de  celle  du  poisson,  le  museau  incurvé, 
les  naseaux  dilatés,  parfois  avec  des  défenses, 
et  la  queue  recourbée.  On  le  rencontre  dans  l'Art 
de  la  Nouvelle-Zélande,  sculpté  aux  manches  des 
ustensiles,  sur  les  gourdes,  ou  tissé  dans  les 
étoffes  ;  il  reparaît  dans  les  dessins  d'objets  de 
l'Alaska.  Et  cette  forme  est  devenue,  dans  les 
primitifs  bronzes  chinois,  le  Dragon,  forme  de 
la  mer,  en  rapport  symbolique  évident  avec  les 
Eaux  ;  dans  les  formules  moins  anciennes  où  les 
défenses  apparaissent,  il  se  rapproche  du  dragon 
des  Aztèques. 

Une  autre  forme  spécifique  des  régions  du 
Pacifique  est  le  masque,  mobile  et  pouvant  être 
porté  par  les  prêtres,  personnifiant  les  esprits 
dans  les  cérémonies  rituelles.  Les  masques  de  la 
Polynésie  et  de  la  Malaisie  ont  les  yeux  dilatés, 
les  faces  tatouées  et  les  caractéristiques  de 
l'ogre  du  Totémisme  :  souvent  ils  portent  un 
nez  très  allongé,  en  forme  de  bec,  surtout  aux 
Philippines,  où,  de  même  qu'à  Bornéo  et  à  la 
Nouvelle-Guinée,  ils  représentent  des  esprits 
sanguinaires.  Les  Chinois  ne  nous  ont  transmis 
aucun  masque,  mais  nous  en  connaissons  d'iden- 
tiques dans  l'Art  primitif  du  Japon,  dont  on  se 
servait  dans  les  danses  sacrées  shintoïstes. 

Une  autre  forme  particulière  est  celle  de 
loiseau-frégate,   si  remarquable  dans  les  meil- 

(6) 


L'ART  CHINOIS   PRIMITIF 

leures  sculptures  de  la  Nouvelle-Guinée  et  qui, 
à  travers  les  siècles,  est  devenue  conventionnelle 
dans  les  superbes  bandes  en  spirale  que  l'on 
rencontre  dans  les  anciens  bronzes  chinois  (1). 

La  seconde  époque  de  la  grande  période  dite 
du  Pacifique  dans  l'Art  chinois  est  celle  de  la 
dynastie  des  Shang  (1766-1122).  Si  nous  en 
jugeons  par  les  bronzes  de  type  Shang  reproduits 
dans  les  livres  chinois,  ce  dut  être  une  époque 
de  haute  culture  et  de  grand  goût.  Les  formes 
en  étaient  dune  singulière  beauté  plastique,  le 
dessin  sévère  et  fort,  dune  noblesse  et  dune 
simplicité  tout  à  fait  helléniques  qui  se  sont  trans- 
mises d'âge  en  âge  à  toutes  les  répétitions  qu'on 
en  fit  en  Chine  et  au  Japon  jusqu'à  nos  jours. 

Ces  formes  sont  non  seulement  parmi  les 
plus  grandioses  que  l'art  humain  ait  inventées, 
mais  l'exécution  est  d'un  art  raffiné  dans  ses 
décors  modelés  en  faible  relief  sur  des  surfaces 
fines  comme  une  soie,  et  que  la  morsure  du 
temps  a  parées  de  la  riche  polychromie  de  ses 
verts,  de  ses  bleus  et  de  ses  rouges. 

Les  motifs  du  décor,  dans  leur  complication 
pleine  de  grâce,  sont  encore  dérivés  des  arts  du 

(1)  Les  archéologues  chinois  (qui  ont  existé  de  tout  temps)  nous  ont  transmis 
de  bien  utiles  renseignements.  Déjà  sous  les  Han,  puis  sous  les  Tang  et  les 
Song,  il  furent  grands  amateurs  de  choses  antiques  ;  ils  publièrent  de  nom- 
breux catalogues  des  pièces  qu'ils  avaient  entre  les  mains.  Sans  aucun  doute, 
ils  tinrent  pour  évident  l'âge  de  certains  monuments  qui  souvent  nous 
échappe.  Et  nous  pouvons  constater  que  leur  critique  est  appuyée  sur  la 
lecture  des  caractères  littéraires  que  les  bronzes  portent  souvent  sous  leur  base. 
Ces  amateurs  connurent  des  milliers  de  monuments  dont  nous  ne  possédons 
plus  que  des  douzaines.  Et  les  reproductions  qu'ils  en  gravèrent,  dont  les  édi- 
tions des  Ming  sont  pour  nous  maintenant  les  plus  anciennes,  sont  des  mer- 
veilles d'exécution:  HokkodyU  (3o  volumes)  écrit  par  Oho,  de  la  dynastie  des 
Song  ;  Kokod^u  (10  volumes)  édité  par  Rotaibo  des  Song. 

(7) 


L'ART  EN   CHINE  ET  AU    JAPON 

Pacifique,  mais  leur  symbolisme  a  rompu  avec 
leurs  origines;  le  motif  de  la  face  est  de  plus 
petite  dimension  et  apparaît  surtout  dans  les 
anses  ;  le  dragon  est  devenu  plus  conventionnel 
et  s'assouplit  dans  la  courbe  des  bandes  orne- 
mentales. 

Il  faut  aussi  remarquer  que  ces  vases  de  bronze 
semblent  se  rapporter  à  des  types  d'argile  qui  les 
ont  précédés.  Non  seulement  les  formes  en 
métal  sont  plastiques  au  suprême  degré,  mais 
elles  montrent  les  trous  d'aération  et  de  tirage 
pour  la  cuisson,  qui  nous  paraissent  si  caracté- 
ristiques des  primitives  poteries  sans  glaçure  de 
la  Chine  et  du  Japon.  En  Chine,  ce  fut  sans 
doute  dans  le  Sud  que  cet  art  de  la  terre  apparut. 

Dans  les  tombeaux  du  Japon  on  a  trouvé  des 
vases  d'argile  bleuâtre  sans  glaçure,  d'assez 
grande  dimension,  avec  une  tige  creuse  au- 
dessus  de  laquelle  se  trouve  un  récipient  cen- 
tral protubérant;  à  l'intérieur  de  la  pièce  se 
trouve  souvent  une  série  de  vases  plus  petits. 
Des  entailles  et  des  trous  sont  ménagés,  à  la  base 
et  au  sommet  du  tuyau  creux,  pour  le  tirage  et 
l'échappement  de  fumée.  Si  bien  qu'un  tel  vase 
pouvait  être  en  même  temps  un  four,  une  chau- 
dière et  un  service  de  table.  Quelques-uns  des 
plus  beaux  bronzes  des  Shang  semblent  avoir 
été  inspirés  de  ce  modèle  (un  bronze,  sorte  de 
réchaud,  est  dans  la  collection  de  M.  Freer). 

Un  autre  caractère  des  poteries  préhistoriques 
du  Japon,  et  peut-être  aussi  de  la  Chine,  était  la 
répartition  sur  leurs  surfaces  de  représentations 
en  argile  moulée,  très  rudes  et  vigoureuses,  d'ani- 

(8) 


Tête  de  Terre  Cuite. 

Provenant  de  Khotan  (Turkestan  Chinois). 
Mission  du  Dr.  Aurel  Stein. 


Planche  II. 


L'ART  CHINOIS   PRIMITIF 

maux  et  d'oiseaux,  tortues,  crapauds  et  lézards, 
parfois  buffles  à  cornes,  chiens  et  chevaux.  Soit 
que  la  signification  de  ces  réprésentations  se  soit 
rapportée  à  la  cuisson  des  viandes,  soit  qu'elle 
ait  été  toute  symbolique,  cet  art  si  adroit  à  trai- 
ter les  animaux  a  beaucoup  aidé  les  bronziers 
de  l'époque  des  Han.  Que  l'art  des  Shang  ait 
traité  les  mêmes  sujets  en  argile  ou  en  bronze, 
c'est  ce  qui  reste  à  déterminer  en  comparant  les 
fragments  qui  ont  été  découverts  :  mais  l'évi- 
dente relation  de  certains  bronzes  des  Shang  avec 
des  vases  d'argile  de  cette  espèce  permet  de  sup- 
poser que  les  Shang  connurent  aussi  cette  poterie. 
Si  l'on  cherche  à  comparer  les  motifs  des  rares 
monuments  des  Shang  avec  d'autres  formes 
connues  des  peuples  du  Pacifique,  ce  n'est  pas 
avec  les  plus  sauvages  que  l'analogie  s'affirme, 
comme  c'est  le  cas  avec  les  primitifs  bronzes 
Hia.  Ce  doit  être  plutôt  avec  les  formes  plus 
achevées  et  plus  esthétiques  de  la  Nouvelle- 
Guinée,  de  la  Nouvelle-Zélande  et  des  Aztèques. 
Le  bronze  de  la  collection  Ch.  Freer  porte  des 
frises  à  entrelacs  triangulaires  tout  à  fait  sem- 
blables aux  motifs  de  pierre  sculptés  aux  fa- 
çades des  temples  mexicains. 

La  troisième  époque  du  primitif  Art  chinois 
est  celle  de  la  dynastie  des  Chou  (i  1 22-2  5  5  avant 
l'ère  chrétienne)  avec  son  fondateur  le  grand  Wen 
Wang  qui  fut  le  premier  grand  philosophe  chinois. 
Ce  fut  lui  qui  élabora  en  captivité  les  éléments 
originaux  du  Y-King,  que  Confucius  ne  fit  plus 
tard    que   reprendre    et    dans    lequel  le    Dragon 

(9) 


L'ART   EN    CHINE   ET   AU   JAPON 

symbolique  est  mêlé  à  tous  les  actes  impériaux. 
La  vie  de  cet  empereur  est  comme  le  point  de 
départ  de  la  poésie  chinoise  (le  livre  des  Odes). 

Ce  sont  encore  les  bronzes  qui  paraissent  être 
les  seuls  monuments  ayant  subsisté  de  ces  époques, 
et  leurs  motifs  décoratifs,  tout  en  étant  demeurés 
très  liés  aux  modèles  des  peuples  du  Pacifique, 
sont  déjà  pénétrés  d'éléments  réalistes.  Leurs 
formes  mêmes  sont  souvent  d'un  animal  ou  d'un 
oiseau.  Le  dessin  tend  à  la  surcharge  et  au  carac- 
tère un  peu  grotesque.  On  peut  jusqu'à  un  cer- 
tain point  y  sentir  une  certaine  décadence.  Ce 
fut  la  mission  de  Confucius  de  tenter  une  recons- 
titution de  la  société  chinoise,  à  l'exemple  des 
patriarches  qui  avaient  précédé  les  Hia,  et  de 
Wen  Wang  lui-même,  modèle  de  toutes  les  vertus. 

Presque  contemporain  de  Confucius,  apparaît 
un  autre  grand  sage,  Laotse  ($80-530),  qui  amena 
le  réveil  de  la  Chine  méridionale  (vallée  du 
Yangtsé)  et  prêcha  comme  un  absolu  l'individua- 
lisme, comme  Confucius  l'avait  fait  pour  le  socia- 
lisme ;  ce  sont  des  principes  dephilosophie  sociolo- 
gique dans  lesquels  nous  n'avons  pas  à  entrer,  si 
ce  n'est  pour  noter  que  Laotse  préconisait  l'art  du 
portrait  peint  ou  sculpté  destiné  à  servir  les 
ambitions  personnelles,  ce  qui  dut  avoir  une 
grande  influence  sur  l'art  plastique  des  Chou  que 
nous  ignorons. 

De  plus,  le  Sud  de  la  Chine  offrait  des  régions 
d'une  grande  beauté  naturelle,  et  il  est  évident 
que  cet  individualisme  taoïste  dut  développer  la 
force  de  l'Art  chinois.  A  la  fin  de  la  dynastie 
des  Chou,  le  grand  poème  de  Kutsugen,  «  Riso 

(10) 


L'ART   CHINOIS   PRIMITIF 

ou  les  Lamentations  »,  présente  des  descriptions 
d'un  temple  chinois  de  l'extrême  Sud,  couvert 
de  peintures  symboliques  et  d'images  des  dieux. 

Il  y  eut,  vers  le  milieu  de  la  dynastie  des  Chou, 
une  première  tentative  d'exploration  des  régions 
occidentales  de  l'Empire.  Vers  600,  l'empereur 
Wa  Tei  (ou  Mou  Wang)  aurait  pénétré  jusqu'aux 
montagnes  du  Kounlung  qui  séparent  le  Thibet 
du  Khotan,  et  serait  entré  en  rapport  avec  une 
sorte  de  reine  de  Saba,  Si  Wang  Mou,  «  la  Reine 
Mère  de  l'Ouest  »,  souveraine  d'un  État  magni- 
fique. Il  convient  de  se  reporter  aux  diverses 
interprétations  historiques  de  ces  faits,  exposées 
dans  l'Art  chinois  de  Bushell,  pages  11  et  42  (tra- 
duction française,  Laurens,  éditeur,  1909).  Tout 
en  faisant  la  part  imaginative  de  ces  récits,  il 
est  probable  que  les  formes  de  l'Art  chinois 
purent  subir  certaines  modifications  au  contact 
de  ces  civilisations  du  Centre  asiatique. 

Les  arts  du  Pacifique  à  leur  déclin,  coïncidant 
avec  la  faiblesse  de  la  dynastie  Chou,  devaient 
faire  place  à  l'arrivée  du  tyran  S  h  in,  qui  réunit 
en  un  immense  Empire  le  Nord  et  le  Centre 
de  la  Chine.  Il  fit  table  rase  de  tout  ce  qui  avait 
été  le  passé  de  la  Chine,  voulant  reconstruire 
l'Empire  de  toutes  pièces.  Son  œuvre  la  plus 
colossale  fut  cette  Muraille  d'une  immense 
étendue,  destinée  à  garantir  l'Empire  contre  les 
invasions  des  Huns.  C'est  une  époque  de  transition 
qui  ne  dut  pas  fournir  de  nouvelles  formes  d'Art, 
mais  qui  du  moins  établissait  de  fortes  assises 
pour  permettre  au  génie  des  Han  de  se  développer 
(202  avant  l'ère  chrétienne). 


© 


CHAPITRE    II 
L'ART  CHINOIS  DE  LA   DYNASTIE  DES  HAN 

INFLUENCE  DE   LA  MÉSOPOTAMIE 
(202   AVANT  L'ÈRE  CHRÉTIENNE  —  221  APRÈS  J.-C.) 

RAPPORTS   COMMERCIAUX  ENTRE    LA    CHINE    ET    LES    PEUPLES    DU    BASSIN 

DE  LA  MÉDITERRANÉE.  I   INFLUENCES  ARTISTIQUES  DE  LA  PERSE  ET  DE  LA 

MÉSOPOTAMIE  SUR   LES   POTERIES    DES    HAN,   ET   PAR    RÉACTION    SUR     LES 

BRONZES.    1    LES   PIERRES   SCULPTÉES. 

C">  ette  rapide  expansion  de  la  Chine  ne  de- 
meura pas  ignorée  du  monde  occidental 
*À  de  la  Méditerranée,  et  les  géographes 
grecs  des  écoles  ptolémaïques  parlent  déjà  des 
Sines  et  emploient  déjà  la  forme  finale  China, 
qui  désigne  les  Chin  ou  Sin  auxquels  la  violente 
dynastie  des  Tsin ,  qui  ne  dura  que  quarante  années, 
avait  laissé  son  nom.  Puis  le  monde  grec  allait 
un  peu  après  appliquer  aux  Chinois  le  nom  de  ces 
Ser  ou  Seres  qui  leur  transmettaient  par  les  cara- 
vanes le  précieux  produit  serika,  la  soie.  Comment 
expliquer  l'usage  de  ces  deux  noms  différents  pour 
désigner  le  même  peuple,  sinon  par  ce  fait  que 
tout  ce  que  les  Tsin  avaient  exporté  et  fait 
connaître  à  l'Occident  prenait  la  route  de  mer 
par  l'océan  Indien,  tandis  que  les  produits  des 
Seres  arrivaient  au  monde  grec  par  les  routes  de 
caravane  du  plateau  central  ?  D'ailleurs  cette 
dualité  entre  le  Nord  et  le  Sud  de  la  Chine  exista 
jusqu'au  jour  où  les  Han  unifièrent  plus  forte- 

(13) 


L'ART  EN  CHINE   ET  AU  JAPON 

ment  l'Empire.  Et  du  Sud  de  la  Chine  dépendait 
cette  vallée  du  Yangtsé  et  sa  dépendance  orien- 
tale de  Chin-Kiang,  la  fameuse  province  de  Wu 
(Go),  dont  les  ports  (Aman  ou  Hangchou) 
établirent  les  premières  relations  maritimes  avec 
le  Sud  et  l'Ouest,  jusqu'au  jour  où  Canton 
devint  une  rivale. 

La  dynastie  des  Han,  qui  est  très  représenta- 
tive des  Seres  dont  ont  parlé  les  Grecs,  venait 
bien  à  son  heure  pour  réparer  les  excès  des  Shin, 
pour  rétablir  avec  une  sévère  critique  la  littéra- 
ture des  ancêtres  dont  les  anciens  livres  avaient 
été  détruits.  Les  causes  qui  se  prêtèrent  à  l'ex- 
pansion de  l'influence  des  Han  vers  l'Ouest  furent 
de  deux  sortes  :  militaire,  par  les  campagnes 
heureuses  contre  les  tribus  tartares,  et  les  rapports 
plus  étroits  établis  avec  les  Scythes  et  les  Huns  — 
et  philosophique  par  l'intérêt  porté  aux  systèmes 
taoïstes  de  l'Ouest.  Le  règne  du  sixième  empereur 
Han,  Wuiei,  qui  monta  sur  le  trône  en  140  avant 
l'ère  chrétienne,  fut  un  âge  d'or.  Il  avait  envoyé  un 
ambassadeur  pour  bien  préciser  la  limite  de  migra- 
tion d'une  des  tribus  scythes  qui  lui  étaient  sou- 
mises, les  Huns  Blancs  :  ce  qui  fut  fait.  Après  des 
années  de  captivité  subie,  il  lui  fut  permis  de  la 
déterminer  lui-même  aux  confins  de  la  Bactriane.  Il 
y  prit  contact  avec  les  Perses  et  les  Grecs  et  s'en 
revint  porteur  d'étranges  trésors  ouvrés  dans  les 
ateliers  du  monde  occidental,  et  ramenant  en 
Chine  la  superbe  race  des  chevaux  du  Turkestan. 

Puis  les  armées  suivirent  les  mêmes  routes 
jusqu'aux  plaines  de  la  Mésopotamie,  même  jus- 
qu'au golfe  Persique,  où  un  général  chinois  pré- 

(14) 


Sculptures  sur  Pierres  de  Chambrettes  Funéraires. 
Art  chinois,  Dynastie  des  Hans.     I — IIe  siècle  après 
l'ère  chrétienne  (reproductions  extraites  du  livre  de 
M.  Chavannes). 


Planche  III. 


L'ART  CHINOIS  DE  LA  DYNASTIE  DES  HAN 

para  plus  tard  un  embarquement  pour  la  mer 
Rouge.  Des  routes  de  caravane  permanentes  s'éta- 
blissaient encore  cent  ans  avant  l'ère  chrétienne 
pour  relier  le  monde  chinois  au  monde  romain. 

On  pourrait  s'étonner  que  ce  contact  n'ait  pas 
produit  au  point  de  vue  artistique  des  infiltrations 
plus  profondes,  si  l'on  ne  savait  combien  s'oppo- 
sèrent à  des  relations  plus  étroites  les  peuples 
intermédiaires  qui  vivaient  de  ces  échanges.  Les 
routes  de  terre  étaient  interceptées  par  les  Parthes, 
et  les  routes  de  mer  par  les  Arabes. 

Examinons  ce  qui  était  le  plus  aisément  trans- 
missible  de  toutes  ces  formes  des  arts  occiden- 
taux. Des  anciennes  formules  artistiques  de  la 
Mésopotamie,  de  l'Assyrie,  de  la  Babylonie  et  de  la 
Perse,  ce  furent  les  motifs  animaux  qui  exercèrent 
la  plus  forte  influence,  non  seulement  au  point  de 
vue  ornemental  des  frises  mais  aussi  dans  la  déco- 
ration des  vases  où  réapparaissent  les  chevaux, 
les  gazelles  et  les  fauves,  comme  l'indiquent  toutes 
ces  scènes  de  chasse  si  familières  aux  arts  de  l'Asie 
antique.  On  voit  s'insinuer  aussi  dans  l'Art  de 
l'Extrême-Orient  ces  formes  d'animaux  ailés, 
quelques-uns  à  corps  humain,  ces  masques  d'oi- 
seaux ou  de  fauves,  ces  taureaux  et  ces  lions,  et 
même  le  Pégase  ailé,  l'arbre  de  vie  (cette  antique 
forme  du  décor  persan),  et  surtout  cet  ornement 
persistant  du  motif  courant  de  fleurs  et  de  rosaces. 
Et  il  est  possible  que  de  ces  grands  centres  céra- 
miques de  la  Perse  et  de  la  Mésopotamie, 
l'influence  de  ces  poteries  à  glaçures,  de  tons 
crémeux,  bleu  profond  ou  vert,  soit  venue  jus- 
qu'en Chine.  Mais  ce    fut  de  l'art  composite  de 

(M) 


L'ART   EN   CHINE   ET  AU  JAPON 

la  Bactriane  que  le  nouvel  Art  des  Han  reçut 
sans  doute  ses  plus  profondes  empreintes. 

Ces  poteries  vernissées  étaient  une  innovation 
et  ne  semblent  pas  avoir  existé  avant  les  Han. 
Les  formes  sont  celles  de  vases  cylindriques  à 
couvercles,  ou  de  vases  à  larges  panses  et  à  col 
assez  haut.  Un  grand  nombre  est  sans  décoration: 
quelques-uns  portent  quelques  cercles  géomé- 
triques, et  les  plus  remarquables  ont  une  frise 
décorée  en  relief  à  la  partie  médiane  de  la  panse. 
Il  semble  évident  que  beaucoup  de  ces  formes 
sont  dérivées  des  bronzes,  par  les  anses  mode- 
lées de  chaque  côté  de  la  partie  médiane,  où  l'on 
voit  des  têtes  monstrueuses  tenant  un  anneau 
dans  la  gueule.  Toutes  ces  poteries  de  terre 
modelée  plus  dure  que  les  terres  cuites  en  biscuit 
et  assez  crayeuses  de  la  Mésopotamie  ont  été 
recouvertes  d'un  émail  presque  semblable,  d'un 
vert  profond,  accidentellement  rompu  d'un  peu 
de  jaune,  et  qui  a  souvent  coulé  en  gouttes 
épaisses  comme  sur  les  poteries  du  Japon.  Ces 
couleurs  se  sont  désoxydées  par  le  séjour  dans 
le  sol  et  irisées,  mais  l'émail  s'est  conservé  dans 
les  parties  les  moins  exposées.  Il  semble  que  si  les 
potiers  chinois,  tout  en  s'inspirant  des  prototypes 
assyriens  et  persans,  n'ont  pas  retrouvé  les 
compositions  chimiques  de  ces  incomparables 
bleus  de  leurs  maîtres,  ils  ont  cherché  dans  leurs 
vases  à  usage  domestique  et  dans  leurs  repré- 
sentations d'animaux  des  analogues  aux  four- 
neaux de  poterie  des  peuples  du  Sud. 

A  considérer  les  motifs  exécutés  en  léger  relief 
sur  les  panses  de  ces  poteries,  si  les   couvercles 

(16) 


L'ART  CHINOIS  DE  LA  DYNASTIE  DES  HAN 

sont  souvent  modelés  en  rangées  de  montagnes 
(peut-être  le  symbole  de  ce  Pamir,  toit  du  monde, 
que  les  généraux  chinois  et  les  marchands  cher- 
chaient alors  à  traverser),  les  panses  des  vases 
portent  souvent  aussi  ce  motif  déroulé  comme 
les  vagues  de  la  mer,  en  très  faible  relief.  Des 
formes  animales  peuvent  s'y  trouver  mêlées,  de 
même  qu'aux  couvercles,  chevaux,  bœufs  ou  lions. 
Mais  elles  s'affirment  souvent  avec  plus  de  force 
dans  ces  scènes  d'hommes  chassant  à  cheval,  de 
lions  blessés,  de  bœufs  sauvages  à  bosses  (comme 
dans  les  monnaies  de  la  Bactriane),  d'oiseaux 
volants.  Des  animaux  apparaissent  ailés,  de 
style  mésopotamien.  On  y  voit  même  des  cava- 
liers se  retournant  sur  leurs  selles,  pour  lancer 
la  flèche  en  arrière,  en  complet  rapport  avec 
l'art  des  Parthes  et  des  peuples  du  Centre  asia- 
tique. 

Les  bronzes  semblent  se  diviser  en  trois  ou 
quatre  types.  Les  uns,  encore  en  usage  pour  les 
rites  ancestraux,  sont  des  copies  plus  ou  moins 
conventionnelles  des  anciens  bronzes  des  Ecoles 
du  Pacifique.  D'autres  ressemblent  aux  poteries 
vernissées  dont  les  motifs  s'y  retrouvent  agrandis. 
Le  troisième  type  est  celui  des  tambours  en 
bronze  que  le  professeur  Hirth  a  bien  démontré 
être  dépendants  de  la  dynastie  des  Han.  Les 
motifs  ornementaux,  sans  se  rattacher  aux  arts 
du  Nord  de  la  Chine  ou  des  Écoles  du  Pacifique, 
semblent  d'une  lointaine  origine  du  Sud  et  peut- 
être  de  la  Malaisie.  Le  décor  est  gravé  en  très 
belles  lignes,  et  ces  tambours  portent  sur  le 
couvercle  de  rudes  représentations  de  crapauds 

■       ('7) 


L'ART   EN    CHINE    ET  AU  JAPON 

en  ronde  bosse,  comme  sur  les  pots  sans  glaçure 
préhistoriques  de  la  Chine  et  du  Japon,  ce  qui 
atteste  encore  ses  origines  méridionales. 

Une  quatrième  série  de  bronzes  est  celle  des 
miroirs,  en  général  des  disques  ronds,  dont  les 
revers  sont  décorés  en  demi  ou  faible  relief.  Ils 
étaient  en  usage  dans  les  régions  du  monde 
hellénique  ou  de  la  Perse.  On  a  beaucoup  discuté 
sur  leur  origine,  car  si  un  grand  nombre,  repro- 
duits dans  les  livres  anciens,  portent  des  inscrip- 
tions à  caractères  d'époque  des  Han,  il  y  en  a 
quelques-uns  remarquables  gravés  au  trait  dans 
des  gravures  chinoises,  qui  sont  en  intime  con- 
nexion avec  des  miroirs  modernes.  La  décoration 
consiste  en  grappes  de  raisins  et  en  chevaux 
marins,  mêlés  à  des  motifs  compliqués  se  déve- 
loppant en  frises  circulaires,  avec  une  rosace 
centrale  de  branchettes  et  de  pampres  où  volent 
des  oiseaux  ;  des  chevaux,  des  lions,  des  lièvres 
s'y  rencontrent.  Le  nœud  central,  saillant  et 
percé  d'un  trou  pour  le  cordon  de  portement, 
est  généralement  formé  d'un  lion,  du  caractère 
rude  des  crapauds  qu'on  trouve  sur  les  tambours 
de  bronze. 

L'art  des  Han  a  produit  d'autres  œuvres  tout 
à  fait  en  harmonie  avec  les  poteries  et  les 
bronzes,  et  dont  les  motifs  offrent  de  la  pa- 
renté avec  l'art  de  la  Mésopotamie  :  ce  sont 
ces  pierres  sculptées  d'après  l'histoire  et  les 
mœurs  chinoises,  qu'on  a  rencontrées  dans  les 
grottes  du  Shantung.  De  très  grande  importance, 
parce  qu'elles  sont  datées  et  offrent  les  plus 
anciennes  représentations  humaines  de  l'Art  chi- 

(18) 


L'ART  CHINOIS  DE  LA  DYNASTIE  DES  HAN 

nois,  et  nous  révèlent  ce  qu'en  pouvaient  expri- 
mer les  artistes  des  Han  (i). 

On  y  peut  constater  deux  séries  :  les  primi- 
tives appartiennent  au  Ier  siècle  avant  l'ère  chré- 
tienne et  présentent  des  figures  humaines,  des 
chars  et  des  chevaux  gravés  au  trait  dans  la 
pierre,  en  frises  superposées,  comme  dans  l'Art 
égyptien.  Les  chevaux  ne  sont  pas  les  poneys 
tartares,  courts  et  râblés,  mais  des  pur-sang, 
piaffant,  aux  cous  et  aux  jambes  arqués,  en  pleine 
action.  On  y  rencontre  des  scènes  mouvementées 
comme  dans  l'Art  occidental  —  surtout  dans  les 
monuments  de  la  seconde  série,  trouvés  aussi  au 
Shantung,  datant  du  11e  siècle  après  l'ère  chré- 
tienne, c'est-à-dire  de  la  fin  des  Han,  quand 
leur  capitale  fut  reportée  à  l'Est,  dans  le  Ho-nan, 
région  de  l'ancien  Empire.  Nous  avons  par  eux 
l'illustration  des  faits  les  plus  importants  de 
l'histoire  de  la  Chine  :  les  héros,  les  patriarches, 
les  empereurs,  des  couronnements  et  des  assas- 
sinats, des  scènes  pastorales,  toutes  sortes  de 
formes  animales,  souvent  hors  de  la  Nature  :  des 
chevaux  ailés  à  queue  de  serpent,  des  singes 
et  des  démons  (semi-humains  —  semi-animaux) 
qui  semblent  perpétuer  le  culte  taoïste  à  une 
époque  où  le  Confucianisme  avait  été  en  quelque 
sorte  accepté  par  l'État  chinois.  Ces  figures  se 
détachent  en  relief  sur  les  dalles  de  pierre.  Dans 
cette  foule  de  cavaliers,  de  piétons,  nobles  et 
soldats  des  plus  anciennes  époques,  le  style  n'est 
plus  celui   des  Han  occidentaux  antérieurs  :  les 

(i)  Les  estampages  anciens  en  ont  été  publiés  par  M.  Chavannes.  Voir  les 
gravures  sur  bois  du  Kitisei  bu  Sa. 

(<9) 


L'ART   EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

chevaux  sont  plus  lourds,  avec  plus  d'exagération 
à  accentuer  le  piaffement.  D'où  l'on  peut  conclure 
que  l'Art  ne  s'est  pas  alors  transformé,  et  que 
cette  influence  dérivée  des  Ecoles  d'art  de  la 
Mésopotamie  tendit  à  s'implanter  avec  une  cer- 
taine fixité. 

Ces  formes  de  chevaux  des  Han  sont  plus 
spiritualisées  qu'elles  ne  furent  plus  tard,  quand 
les  mauvais  modèles  tartares  prirent  le  dessus  ; 
mais  elles  ne  valent  pas  le  beau  dessin  de 
chevaux  des  Écoles  japonaises  des  Tosa  au 
xiie  siècle. 

A  la  fin  de  la  dynastie  des  Han,  commencèrent 
les  relations  commerciales  avec  l'Inde  et  les  mers 
occidentales.  Une  ambassade  de  l'empereur  Marc- 
Aurèle  est  citée  dans  les  annales  chinoises 
comme  étant  venue  de  Rome  à  la  cour  des  Han  du 
Sud;  mais  le  professeur  Hirth  présume  qu'il  n'y 
eut  là  qu'une  caravane  de  marchands  parthes  ou 
arabes,  sujets  romains  de  Syrie,  ayant  usurpé  le 
nom  impérial.  Les  mémoires  chinois  prouvent 
aussi  que  les  Han  connaissaient  parfaitement  le 
système  de  fortifications  de  la  capitale  de  la  Syrie, 
Antioche. 

La  chute  des  Han  fut  déterminée  par  les 
guerres  civiles  qui  démembrèrent  l'Empire  en 
créant  un  deuxième  groupe  d'États  feudataires, 
et  par  l'invasion  des  tribus  tartares  du  Nord  fran- 
chissant la  Grande  Muraille,  et  s'emparant  province 
par  province  du  Nord.  Mais  pour  l'histoire 
de  l'Art  chinois,  il  n'y  eut  rien,  dans  ces 
faits,  qui  égalât  l'importance  de  l'entrée  en 
scène    du    Bouddhisme    hindou    pénétrant    par 

(20) 


L'ART  CHINOIS  DE  LA  DYNASTIE  DES  HAN 

les  passes  des  montagnes  méridionales,  et  qui, 
après  l'influence  des  arts  du  Pacifique  et  des  arts 
de  la  Mésopotamie,  allait  être  la  troisième  étape 
de  son  évolution. 


6 


® 


CHAPITRE    III 

L'ART    CHINOIS    BOUDDHIQUE 
DE  LA  DYNASTIE  DES  TANG 

INFLUENCE  INDIENNE 
III»  SIÈCLE  —  VI»  SIÈCLE  APRÈS  L'ÈRE  CHRÉTIENNE 

INTRODUCTION  DU  BOUDDHISME  EN  CHINE.  1  LES  CONSÉQUENCES  QUI  EN 
RÉSULTÈRENT  QUANT  A  L'ART  PLASTIQUE.  I  NÉCESSITÉ  DE  L'ÉTUDE  DE 
L'ART  PLASTIQUE  DANS  L'INDE,  AVANT  D'INTERROGER  CELUI  DE  LA  CHINE 
ET  DU  JAPON.  Il  CONSÉQUENCES  ARTISTIQUES  DE  LA  DIVISION  DE  L'EMPIRE 
CHINOIS  EN  420.  II  L'ÉCRITURE,  L'ENCRE  ET  LE  PINCEAU.  1  LA  PEINTURE 
NAIT.  0  LES  PREMIÈRES  ÉCOLES  DU  SUD.  [  LES  PEINTRES  KU-K'AI-CHIH. 
ET  WU-TAO-TZU.  J  L'EMPEREUR  WU-TI.  0  LES  ÉCOLES  DU  NORD  DONT  LE 
SENS  PLASTIQUE  DEMEURE  PÉNÉTRÉ  DE  L'ESPRIT  HINDOU  HELLÉNIQUE. 
|    SPLENDEUR   DE   L'ÉPOQUE  DES  TANG. 

L'introduction  du  Bouddhisme  de  l'Inde  en 
Chine,  et  à  travers  la  Chine  en  Corée,  en 
Mongolie,  en  Mandchourie,  au  Japon,  est  un 
des  faits  historiques  les  plus  surprenants,  ana- 
logue à  l'extension  du  Christianisme  parmi  les 
gentils,  et  qui  tendit  à  effacer  les  traits  parti- 
culiers des  races  et  des  nationalités,  en  entraînant 
l'humanité  à  se  soumettre  aux  forces  spirituelles. 
La  civilisation  et  l'Art  de  la  Chine  et  du  Japon 
s'en  trouvèrent  profondément  altérés.  C'est  ce 
qu'aucun  écrivain  de  l'Extrême-Orient  n'a  expliqué. 
D'un  côté  nous  avons  la  vague  affirmation  des 
géographes,  que  quatre  cents  millions  de  boud- 
dhistes en  Chine  seulement  doivent  s'additionner 
à  la  foule  des  fidèles  de  Sakya  Muni.  D'où  l'on 


L'ART   EN  CHINE   ET  AU    JAPON 

peut  naturellement  inférer  que  la  pensée  et  le 
sentiment  bouddhiques  sont  encore  dominants  au 
fond  des  institutions  de  la  civilisation  mongole. 

D'un  autre  côté,  l'impression  des  voyageurs  et 
des  savants  étrangers  en  Chine  est  que  le  Boud- 
dhisme y  est  devenu  un  culte  caduc,  presque 
sans  aucune  prise  sur  les  classes  élevées,  et  facteur 
à  peu  près  négligeable  si  l'on  analyse  l'esprit  des 
institutions  chinoises.  La  force  de  l'idéal  boud- 
dhique dans  la  littérature  chinoise  est  rarement 
mise  en  discussion,  et  l'évidente  nécessité  de  con- 
sidérer l'Inde  comme  génératrice  dans  certaines 
phases  de  l'Art  de  l'Extrême-Orient,  s'explique 
plutôt  comme  un  phénomène  isolé. 

Ce  serait  presque  une  erreur  de  croire  que  la 
masse  des  Chinois  d'aujourd'hui  sont  de  dévots 
bouddhistes,  commeles  Cinghalais. Enréalité,  toute 
l'influence  des  écoles  confucianistes,  très  réelle, 
et  l'énergie  des  mandarins  sont  invinciblement 
opposées  à  l'esprit  du  Bouddhisme,  et  cela  depuis 
le  vme  siècle  et  même  avant.  Il  n'en  est  pas  moins 
vrai  que  la  plus  belle  part  de  forte  pensée  qui  ait 
pénétré  la  vie  chinoise,  et  qui  de  là  se  soit  répandue 
dans  la  littérature  et  dans  l'Art,  a  été  sensible- 
ment teintée  de  Bouddhisme.  Écrire  l'histoire  de 
l'âme  chinoise  sans  envisager  sérieusement  le 
Bouddhisme,  ce  serait  comme  si  l'on  écrivait 
l'histoire  de  l'Europe,  en  montrant  le  Christia- 
nisme comme  une  foi  étrangère  dont  le  déve- 
loppement dans  les  pays  occidentaux  aurait  été 
sporadique  et  funeste. 

Comment  de  grands  peuples  pratiques  comme 
ces  puissants  rejetons  de  la   race   altaïque,   les 

(M) 


Sculptures  Gréco-Bouddhiques  de  Pierre. 
Art  Chinois,  Epoque  des  Tang  VIIIe  siècle. 
Crypte  du  Temple  Gangoji  de  Nara  (Japon). 


Planche  IV. 


L'ART  CHINOIS  DE  LA  DYNASTIE  DES  TANG 

Chinois  et  les  Japonais,  aient  pu  être  réformés 
par  une  religion  aussi  négative,  aussi  pessimiste 
que  la  renonciation  bouddhique,  cela  peut 
paraître  à  beaucoup  de  personnes  une  question 
des  plus  intéressantes.  La  plupart  de  nos  infor- 
mations sur  la  religion  de  l'Inde  proviennent 
des  sources  du  Sud,  du  Pâli  et  de  l'Illumination 
de  Ceylan.  C'est  assez  pour  les  savants  que  le 
Bouddhisme  du  Sud,  «  le  moindre  véhicule  », 
étant  le  plus  ancien  (et  le  plus  facile  à  réfuter), 
doive  être  le  plus  près  des  sources  originelles,  de 
Sakya  Muni  lui-même.  Et  c'est  la  seule  forme  qu'il 
faille  sérieusement  étudier,  le  Bouddhisme  du 
Nord  étant  jugé  une  dérivation  révolutionnaire, 
à  laquelle  ne  peut  s'appliquer  qu'une  fausse 
curiosité.  La  grande  vérité,  qu'ils  oublient,  est 
que  le  Bouddhisme,  comme  le  Christianisme  et 
comme  le  Mahométisme,  a  été  une  religion 
évoluant,  jamais  figée  dans  un  vieux  formalisme, 
mais  animée  d'une  ardeur  spirituelle,  se  réa- 
daptant continuellement  au  tréfonds  de  la  nature 
humaine  avec  laquelle  elle  se  trouvait  en  contact. 

Et  devenant  Bouddhisme  du  Nord,  vraiment 
positif,  en  communication  avec  les  races  vigou- 
reuses du  Nord-Ouest  de  l'Inde,  il  devient  encore 
plus  positif,  social  et  humain  avec  les  grandes 
races  d'un  humanitarisme  pratique  de  la  Chine 
et  du  Japon. 

Le  raisonnement  de  ceux  qui  voudraient  réduire 
au  minimum  l'effet  du  Bouddhisme  en  Chine  est 
contradictoire  :  d'un  côté,  ils  se  demandent 
comment  ces  peuples  sains  et  moraux  auraient 
adopté  ce  pessimisme  dégénéré  du  Sud,  et  d'un 

(M) 


L'ART  EN   CHINE   ET  AU  JAPON 

autre  côté  ils  dénoncent  les  formes  du  Bou  ddhisme 
du  Nord  qui  étaient  devenues  pratiques  et  opti- 
mistes par  cette  féconde  et  puissante  transplanta- 
tion, comme  des  corruptions  de  la  pure  doctrine 
originale.  Il  y  a  là  quelque  chose  qui  correspond 
à  l'histoire  du  Christianisme,  où  les  modernes 
catholiques  et  les  sectes  protestantes  n'ont  vrai- 
ment rien  d'identique  au  Christianisme  primitif 
apostolique. 

Il  faut  rappeler  que  l'introduction  de  l'Art  boud- 
dhique en  Chine  fut  très  lente.  La  date  de  l'an  61 
après  l'ère  chrétienne,  si  souvent  donnée  comme 
la  date  si  importante  de  l'introduction  du  Boud- 
dhisme à  la  cour  de  l'empereur  des  Han,  Meïtei, 
sous  la  forme  d'une  petite  image  dorée,  ne  peut 
être  prise  en  sérieuse  considération,  d'abord 
parce  qu'il  nous  est  impossible  d'identifier  la 
nature  de  cette  image  ;  ensuite  parce  qu'elle  dut 
appartenir  aux  premières  formes,  encore  négatives, 
du  Boud-  dhisme  ;  enfin  parce  qu'en  fait  la  nou- 
velle religion  ne  commença  pas  à  exercer  une 
appréciable  influence  sur  la  Chine  et  sur  l'ima- 
gination chinoise  avant  le  111e  siècle.  Et  de  plus 
nous  ne  pouvons  constater  de  modifications  chi- 
noises dans  l'art  bouddhique,  et  un  véritable  canon 
esthétique  nouveau,  avant  le  111e  ou  ive  siècle. 

Ce  fut  à  ces  dates  extrêmes,  après  la  chute 
finale  de  la  dynastie  des  Han,  qu'on  peut  vraiment 
assister  à  la  naissance  réelle  de  l'Art  bouddhique 
en  Chine.  Et  disons  une  fois  pour  toutes  que  cet 
art  apparaît  exclusivement  plastique,  surtout 
sculptural,  pratiquant  la  fonte  du  bronze,  et  toutes 
ces  formes  des  industries  décoratives  qui    con- 

(26) 


L'ART  CHINOIS  DE  LA  DYNASTIE  DES  TANG 

couraient    à    l'architecture    des    temples    et    au 
rituel. 

Mais  avant  d'entamer  l'étude  détaillée  du  déve- 
loppement de  cet  art  nouveau  dans  l'Empire  du 
Milieu,  il  sera  bon  d'en  éclairer  les  approches 
par  quelques  mots  de  ce  que  nous  savons  de  ce 
primitif  Art  bouddhique  dans  les  diverses  régions 
de  l'Inde. 

Les  origines  de  l'Art  hindou  sont  pleines  de  mys- 
tère. Ses  premières  formes  bouddhiques  ne  datent 
guère  que  du  11e  ou  111e  siècle  avant  l'ère  chrétienne,  et 
l'on  y  sent  les  deux  influences  du  Pacifique  et  de  la 
Mésopotamie.  Fergusson  a  noté  comme  origines 
à  la  première  architecture  bouddhique  l'influence 
de  l'architecture  de  bambous  des  huttes  ou  tentes 
des  tribus,  les  tiges  flexibles  étant  tendues  en  arcs 
demi-pointus  reliés  par  des  tiges  longitudinales, 
ce  qui  permet  d'y  jeter  des  couvertures  à  forme 
demi-cylindrique.  Ces  éléments  se  retrouvent  dans 
les  temples  rupestres  dont  la  nef  cylindrique  se 
brise  ainsi  souvent  en  fenêtres  dans  la  façade,  et 
plus  tard  dans  les  temples  de  bois  de  la  Chine 
et  du  Japon. 

Cette  forme  du  dôme,  la  plus  ancienne  dans  les 
stupas  ou  tumuli  sacrés,  est  passée  dans  l'archi- 
tecture des  plus  anciennes  pagodes,  qui  au  Japon 
ne  sont  qu'un  toit  de  bois  revêtu  de  tuiles,  jeté 
sur  un  dôme  que  supporte  un  carré. 

Quels  éléments  d'art  étranger  ont  pu  pénétrer 
l'Art  bouddhique  de  l'Inde  ?  Si  les  fameux  porches 
de  pierre  du  type  Sanchi  n'ont  rien  de  méso- 
potamien  dans  les  petites  figures    pressées,   du 

(>7) 


L'ART  EN   CHINE   ET  AU  JAPON 

moins  les  animaux  ailés,  les  lions  et  les  taureaux 
des  piliers  dénotent  l'influence  persane,  comme 
la  rosace  rappelle  l'Assyrie. 

Quant  aux  images  mêmes  du  Bouddha,  elles 
n'existent  pas  aux  époques  primitives  et  jusqu'à 
l'ère  chrétienne.  Les  plus  anciennes  furent  peut- 
être  nues,  rudes  au  point  de  n'avoir  que  d'approxi- 
matives formes  humaines,  et  sans  aucun  orne- 
ment. —  La  forme  du  Bodhisattwa  suivit  celle  du 
Bouddha,  figure  gracieuse,  d'aspect  féminin,  coiffée 
dune  haute  tiare,  portant  des  colliers  de  joyaux  le 
long  du  corps.  —  Le  troisième  ordre  de  divinités 
bouddhiques,  qui  correspondent  au  Siva  de 
l'Hindouisme  postérieur,  ne  s'est  pas  développé  à 
cette  primitive  époque.  Nous  les  retrouverons 
dans  les  Arts  chinois  et  japonais.  Toutefois  les 
formes  de  démons  ou  des  esprits  élémentaires, 
d'un  ordre  moins  élevé  que  l'homme,  apparais- 
sent déjà. 

Après  la  chute  de  la  dynastie  des  Han  en  221, 
la  Chine  connut  une  anarchie  effroyable  avec  les 
guerres  des  trois  États,  et  aucune  école  chinoise 
bouddhique  ne  put  se  développer.  Ce  fut  pire 
encore  au  siècle  suivant,  qui  vit  l'invasion  des 
Tartares  du  Nord  venant  arracher  à  l'empereur 
de  Chine  quelques-unes  des  provinces  tributaires 
du  Nord. 

Aussi  loin  que  l'on  puisse  remonter,  l'Art  chinois 
n'offre  que  d'assez  médiocres  changements  des 
types  Indiens.  Le  grand  Bouddha  de  bois  du 
temple  Séiriojï,  près  de  Kioto,  est  probablement 
un  travail  chinois  du  ive  siècle  avec  la  lourdeur 

(28) 


L'ART  CHINOIS  DE  LA  DYNASTIE  DES  TANG 

caractéristique  des  Han,  et  l'esprit  symétrique 
du  décor  des  Indiens  dans  les  plis  des  étoffes. 
La  tradition  y  voit  la  statue  originale  contempo- 
raine du  Bouddha,  apportée  de  l'Inde  en  Chine, 
dérobée  par  un  fanatique  japonais  qui  y  sub- 
stitua une  copie  ;  mais  peut-être  n'est-ce 
simplement  qu'une  œuvre  chinoise  inspirée  d'un 
original  hindou. 

En  l'an  420,  un  fait  gros  de  conséquences  fut 
la  division  très  nette  de  l'Empire  :  les  Tartares 
s'étaient  emparés  des  provinces  du  Nord,  le  fief 
ancestral  ;  les  empereurs  de  pure  race  chinoise 
transportèrent  leur  capitale  dans  le  Sud.  Cette 
scission  dura  presque  deux  siècles,  jusqu'en  5  89,  et 
ce  fut  une  ère  de  paix. 

Si  l'on  sait  peu  de  chose  de  ce  qui  se  passa 
dans  les  régions  tartares  que  jamais  les  historiens 
chinois  n'ont  voulu  connaître,  on  sait  que  la 
nouvelle  capitale,  Nanking  sur  le  Yangtsé,  floris- 
sante par  son  commerce,  voisine  d'une  région  le 
plus  splendidement  pittoresque,  aux  paysages  de 
lacs  et  de  montagnes,  devait  par  ses  beautés 
naturelles  frapper  l'inspiration  chinoise.  C'était 
là  que,  mille  ans  auparavant,  était  né  Laotse,  fon- 
dateur de  l'individualisme  et  du  taoïsme,  et  que  le 
premier  grand  poète  élégiaque,  Kutsugen,  donna 
à  ses  plaintes  les  accents  de  la  plus  riche 
imagination.  Là  aussi  un  peuple  primitif,  de  petite 
stature,  peut-être  en  affinité  avec  les  Japonais, 
avait  créé  des  formes  d'art  rude,  tirées  de  son 
propre  fonds,  des  poteries  sans  glaçure,  des  repré- 
sentations sauvages  d'animaux  et  d'oiseaux.  Ce 
réel  don  plastique  s'était  manifesté  sous  les  der- 


L'ART   EN   CHINE   ET   AU  JAPON 

niers  Han  par  des  bronzes  caractéristiques  tels 
que  les  tambours  avec  leurs  crapauds.  Il  y  avait 
là  une  veine  de  sensibilité  et  de  fraîcheur  capable 
de  joindre  sa  force  créatrice  à  celle  des  destruc- 
teurs des  Han.  En  outre,  cette  Chine  du  Sud  était 
plus  proche  de  l'Inde  par  les  voies  du  cabotage 
maritime,  et  ainsi  en  communication  avec  la 
Perse  des  Sassanides.  D'un  autre  côté,  l'Empire 
byzantin  se  reliait  par  la  voie  des  caravanes  aux 
provinces  tartares  du  Nord. 

Ce  fut  dans  la  Chine  méridionale  taoïste,  indi- 
vidualiste, que  le  Bouddhisme  déposa  ses  germes 
les  plus  féconds.  Les  routes  de  l'Inde  n'étaient 
pas  sûres,  et  les  tribus  superstitieuses  des  déserts 
accueillaient  la  culture  indienne  comme  une 
sorte  de  fétichisme,  tandis  que  les  écoles  des  Wei 
avec  leurs  maîtres  tartares  n'étaient  point  tendres 
aux  moines  bouddhistes.  Ce  fut  dans  cette  vallée 
du  Yangtsé,  dans  ces  monastères  perchés  sur  les 
sauvages  montagnes,  que  les  prêtres  indiens  et 
leurs  élèves  chinois  travaillèrent  à  ces  superbes 
traductions  des  textes  sanscrit  et  pâli,  qui  sont 
devenus  l'aliment  intellectuel  de  l'imagination 
chinoise. 

Il  faut  noter  aussi  que  l'écriture  venait  de  trouver 
alors  un  véhicule  étonnant  dans  ce  papier  végétal, 
sorte  de  papyrus  de  bambou  mêlé  de  soie, 
dans  cette  encre  à  noir  de  fumée  mêlé  de  colle 
et  dans  cette  forme  imprévue  du  pinceau  aux 
soies  ténues  et  appointé,  qui  apportait  une  si 
grande  élasticité  modulée  à  la  touche  et  un  sûr 
réservoir  pour  prolonger  les  traits,  —  si  bien  que 
lecriture   devenait   un   art  calligraphique    dans 

(30) 


L'ART  CHINOIS  DE  LA  DYNASTIE  DES  TANG 

lequel  la  flexibilité  d'un  parfait  coup  de  brosse 
pouvait  s'enrichir  de  beauté  décorative.  Un 
nouvel  art  allait  naître,  qui,  aux  rudes  créations 
du  bronze,  de  la  pierre  et  du  bois,  allait  ajouter 
les  images  plus  libres,  conçues  en  lignes  plus  hau- 
tement décoratives,  et  dans  lesquelles  l'encre  ou 
la  couleur  différencieraient  les  valeurs  des  tons. 
Ce  fut  dans  la  première  des  trois  dynasties 
du  Sud,  les  Song  (So),  que  toutes  ces  innovations 
s'élaborèrent.  Le  grand  poète  Toemmei  tout  d'abord 
chanta  la  vie  de  libre  rusticité  sur  le  Yangtsé. 
Son  contemporain  Wang-Hsi-chih  (Ogishi)  fut 
vraiment  le  père  de  l'écriture  chinoise  dont  il 
fixa  les  règles  de  l'encrage  et  du  coup  de  pinceau, 
et  qui  atteignit  sa  perfection  absolue  sous  les 
Tang.  So  Fukko  établissait  de  son  côté  les  lois 
de  la  peinture  et  enseignait  l'art  de  représenter 
des  dragons  d.ans  des  nuages  en  souples  et 
rapides  coups  de  brosse,  en  de  doux  effets  de  ton. 
Ku-K'ai-chih  (Kogaishi)  cherchait  le  rythme  des 
lignes  pour  rendre  ses  poétiques  figures  les  plus 
purement  chinoises  :  il  fit  le  premier  portrait 
du  Upasaka  Yuima,  le  philosophe  bouddhiste, 
prototype  du  mandarin  confucianiste,  d'où  décou- 
lèrent toutes  les  représentations  ultérieures.  — 
Le  British  Muséum  a  peut-être  une  œuvre  originale 
de  Ku-K'ai-chih,  dont  une  réplique  se  trouverait 
en  Chine  dans  la  collection  Fuan-Tang.  Le  Kin- 
seki  So  donne  deux  figures  gravées  d'après  des 
dessins  de  Ku-K'ai-chih;  et  c'est  peut-être  dans 
son  imitateur  fervent  Wu-Tao-T^u  que  nous  pou- 
vons le  mieux  chercher  ce  que  pouvait  être  l'art 
du  maître. 

ÙO 


L'ART  EN  CHINE   ET  AU  JAPON 

La  dynastie  qui  succéda  aux  So  (Sung),  les 
Sei  (Ch'i)  (479-502),  n'eut  que  peu  d'années 
pour  pousser  plus  loin  ces  recherches.  Le  grand 
poète  de  la  Nature,  Shareiun,  après  Toemmei, 
chanta  les  beautés  de  formes  des  montagnes,  et 
inventa  vraiment  le  paysage  classique,  qui  sous 
l'appellation  «  Sansui  »  veut  dire  «  montagne  et 
eau  ».  Ce  fut  alors  également  que  la  peinture 
bouddhique  s'efforça  de  substituer  aux  statues  sur 
les  autels,  les  peintures  sur  un  rouleau  de  soie 
susceptible  de  facile  déplacement.  Le  grand  maître 
en  fut  Wu-tao-t^u  (Godoshi)  au  vin'  siècle. 

Ce  resplendissant  éclat  des  Ecoles  du  Sud  de  la 
Chine  atteignait  son  apogée  avec  la  dynastie  Liang 
en  502,  et  surtout  sous  le  règne  de  H^m-// (Butéi), 
son  fondateur,  et  la  plus  grande  figure  impé- 
riale d'alors.  Il  avait  été  au  début  un  fervent  taoïste, 
enthousiaste  de  la  vieille  littérature  chinoise  ;  mais 
plus  tard  le  vingt-huitième  patriarche  bouddhiste, 
Daruma,  vint  de  l'Inde  dans  la  Chine  occidentale, 
et  Wu-ti  l'invita  à  sa  cour  et  devint  son  plus 
fervent  disciple.  Ce  fut  ce  Daruma  qui,  parmi  les 
paysages  de  la  Chine,  développa  le  sentiment 
d'une  nouvelle  secte  bouddhique,  les  Dhyan  ou 
Zen,  qu'il  disciplina,  et  dont  l'influence  sur  la 
littérature  et  l'art  fut  grande,  surtout  sous  les 
Song.  Et  un  peu  plus  tard,  Wu-ti,  encore  empereur, 
faisait  ses  vœux  comme  prêtre  bouddhiste  dans 
le  temple  de  Dotaiji,  qu'il  avait  fondé.  En  546,  il 
parcourait  son  Empire  en  prêchant  lui-même 
comme  un  simple  moine. 

Le  développement  de  la  littérature  et  du  senti- 
ment de  la  Nature  ainsi  que  de  la  peinture  boud- 


Hîfr111  "-.■»»  ■" 


Sakya  Muni. 

Statue  de  bois  peut-être  Chinoise.     Epoque 

des  Tang  VIII'  siècle. 

Temple  Serioji  près  Kioto  (Japon). 


Planche  V. 


L'ART  CHINOIS  DE  LA  DYNASTIE  DES  TANG 

dhique  fut  considérable  sous  les  Liang,  mais  qu'en 
est-il  resté  ?  Il  est  possible  que  le  fameux  paysage 
peint  à  l'huile  sur  peau  qui  se  trouve  au  Trésor 
du  Sho-Soïn  de  Nara  soit  de  cette  époque,  mais 
le  caractère  tartare  du  paysage  et  des  costumes, 
en  dépit  de  l'éléphant,  nous  incline  à  l'attribuer 
à  l'Art  du  Nord.  Toutefois  ne  faut-il  pas  voir  des 
restes  de  peinture  Liang  dans  le  très  ruiné  Amida 
de  Nara-Ken  ? 

L'Art  des  Ecoles  du  Nord  des  Liang  et  des  Ch'en, 
et  de  la  dynastie  suivante  des  Sut  (  5  89-620)  qui  réu- 
nit les  États  du  Nord  et  du  Sud  après  deux  siècles 
de  séparation,  nous  est  mieux  révélé  par  la  sculp- 
ture que  par  la  peinture.  Il  se  divise  en  deux 
groupes,  du  Nord  et  du  Sud.  L'École  du  Nord 
du  vie  siècle  reste  liée  aux  Han  et  à  l'Art  hindou 
venu  par  les  routes  de  l'Himalaya.  On  y  retrouve 
cet  esprit  hellénique  de  la  Bactriane  et  cet  esprit 
persan  qui  avaient  influencé  les  Han.  Les  traits 
rythmiques  de  la  décoration  mésopotamienne  se 
retrouvent  dans  les  lotus  et  les  halos  des  petits 
bronzes  ;  et  dans  les  reliefs  de  pierre,  la  minceur, 
l'allongement  gracieux  rappellent  les  monnaies  de 
la  Bactriane. 

Dans  le  Sud,  ces  caractères  se  retrouvent  aussi 
jusque  sous  les  Tang;  mais  un  phénomène,  loca- 
lisé aux  provinces  orientales  dites  Gô,  ramène 
cet  art  à  ses  sources  indigènes,  au  génie  plas- 
tique des  poteries  sans  glaçure,  des  tambours  de 
bronze,  des  animaux  de  terre  et  de  bronze.  Ce  gé- 
nie, confiné  dans  la  décoration,  s'épanouit  dans  les 
pures  créations  bouddhiques.  Puissance  et  sévé- 

(H) 


L'ART  EN   CHINE  ET   AU  JAPON 

rite,  la  carrure  des  têtes  et  des  corps,  les  draperies 
collées  au  corps,  les  extrémités  disproportionnées, 
des  profils  plus  durs  et  anguleux,  voilà  les  carac- 
tères de  cet  art  qui  se  rapproche  un  peu  de  Fart 
des  pierres  sculptées  des  Han.  C'est  un  art  demeuré 
plus  primitif  que  l'Art  du  Nord,  qu'a  moins 
touché  le  charme  gréco-bactrien,  plus  dénué 
de  la  suavité  indienne.  Le  type  de  ces  Bouddhas 
et  Bodhisattwas  est  bien  le  monument  de  bronze 
doré,  encore  au  temple  d'Horiuji  au  Japon. 

Nous  présumons  qu'il  y  eut  contact  croissant 
entre  la  Chine  orientale  des  Gô  et  le  primitif 
Japon  —  au  v*  siècle  —  et  transmission  par  les 
routes  maritimes  de  l'écriture  chinoise  (dite 
encore  au  Japon  «  le  San  Gô  »),  de  la  littérature 
classique,  ainsi  que  des  premiers  enseignements 
bouddhiques.  La  tradition  veut  qu'un  sculpteur 
bouddhique  de  l'École  Gô  vint  au  Japon  en  $00, 
se  fit  naturaliser  dans  le  Yamato  sous  le  nom  de 
famille  Tori. 

Le  grand  changement  se  produisit  en  $89, 
quand  se  fonda  la  première  dynastie  impériale 
vraiment  forte  des  Sui,  passionnément  dévouée 
au  Bouddhisme,  qui  dura  peu,  mais  prépara 
les  voies  à  la  brillante  dynastie  des  Tang,  comme 
les  Tsin  avaient  préparé  la  voie  aux  Han.  Ce  lut 
la  fusion  complète  des  sentiments  :  le  Confu- 
cianisme du  Nord  venant  se  mêler  au  Bouddhisme 
et  au  Taoïsme  du  Sud,  pour  créer  un  mou- 
vement puissant  et  créateur,  enrichi  de  toute 
l'expérience  du  vieux  passé  de  la  Chine.  C'est 
ce  qui  fera  la  noblesse  de  l'époque  des    Tang. 

Il  est  juste  de  remarquer  que  les  bronzes  d'alors 

04) 


L'ART  CHINOIS  DE  LA  DYNASTIE  DES  TANG 

se  ressentent  de  la  conjonction  des  deux  idéals, 
et  d'un  temps  d'arrêt  dans  l'évolution,  comme 
on  le  voit  dans  les  œuvres  primitives  de  la  Corée. 
Les  figures  de  l'atelier  de  Tori  ont  des  types  plus 
arrondis,  plus  humains,  d'une  silhouette  plus 
achevée,  —  ainsi  le  Bouddha  de  Salut  (Yakushi), 
avec  sa  longue  robe  relevée  par  la  main  gauche, 
ou  la  grande  figure  assise  de  l'ancienne  collection 
de  M.  S.  Bing,  ou  la  si  parfaite  Kwannon  de 
contemplation  de  l'Académie  des  Beaux-Arts  de 
Kioto,  naïve  comme  un  bronze  égyptien,  humaine 
comme  un  bronze  grec. 

Un  des  plus  beaux  groupes  de  monuments  de 
cette  période  (580-640)  sont  les  statues  de  bois, 
plus  qu'à  demi-nature,  dites  les  cinq  Kakuzo, 
au  temple  de  Toji  à  Kioto,  qui  respirent  le  même 
sentiment  que  les  bronzes  :  les  animaux  qu'elles 
chevauchent  rappellent  les  sculptures  d'argile  et 
de  métal  des  écoles  chinoises  du  Sud.  On  doit 
remarquer  que  les  poitrines  rentrées  et  les  ventres 
proéminents  sont  caractéristiques  de  cette  époque 
vers  600,  aussi  bien  en  Chine,  qu'en  Corée  ou 
au  Japon;  le  lobe  de  l'oreille  étiré,  dû  au  port 
de  bijoux  cylindriques,  est  aussi  caractéristique 
dans  les  statues  chinoises  d'alors,  dans  le  Bis- 
jamon  de  Seiroji  à  Kioto,  le  vrai  guerrier  chinois 
du  Nord,  aux  yeux  obliques,  à  la  stature  haute, 
en  armure. 

Mais  c'est  à  ce  moment  qu'il  faut  essayer  de 
fixer  ce  que  les  arts  de  la  Corée  et  du  Japon  ont 
pu  devoir,  dans  leurs  premières  floraisons,  aux 
influences  venues  de  la  Chine  du  Nord  et  du  Sud, 
et  à  la  civilisation  des  Sui.  Et  dans  cette  étude  on 

(M) 


L'ART  EN   CHINE   ET  AU   JAPON 

ne  saurait  étudier  ces  branches  si  importantes 
qu'en  étroite  connexion  avec  la  souche  originelle. 
On  ne  peut  oublier  aussi  que  l'Art  chinois  lui- 
même  a  pris  de  nouveaux  traits  sous  l'influence 
des  Tang  naissants,  et  a  subi  les  modifications  de 
l'École  gréco-bouddhiste. 

Avant  d'examiner  les  résultats  de  ce  puissant 
dissolvant,  nous  devons  faire  un  scrupuleux  inven- 
taire des  formes  naïves  et  charmantes  de  cet 
art  bouddhique  extrême-oriental,  dont  l'art  des 
Sui  avec  son  éclatant  prestige  demeura  le 
centre.  Au  Japon  particulièrement,  nous  trouve- 
rons les  vestiges  de  cet  art  beaucoup  plus  riches 
et  plus  splendides  que  nous  ne  pourrions  les 
rencontrer  en  Chine. 

Mais  cette  branche  japonaise  n'eut  une  crois- 
sance merveilleuse  que  grâce  à  la  greffe  coréenne, 
et  c'est  ce  qui  doit  nous  conduire  tout  d'abord  à 
examiner  brièvement  les  premiers  arts  de  la  pénin- 
sule coréenne. 


© 


CHAPITRE  IV 

L'ART    BOUDDHIQUE    PRIMITIF 

DE  LA  CORÉE  ET  DU  JAPON 

SOUS   L'INFLUENCE    CHINOISE 

VI«-VII«  SIÈCLE  DE  L'ÈRE  CHRÉTIENNE 

POSITION  GÉOGRAPHIQUE  DE  LA  CORÉE,  EXPLIQUANT  SON  RÔLE  ENTRE 
LA  CHINE  ET  LE  JAPON.  ||  LA  BEAUTÉ  DE  SES  ARTS  DU  IV«  AU  VII'  SIÈCLE 
ET  CE  QUE  LE  JAPON  LUI  DUT.  I  COMMENT  LA  CORÉE  PUT  SUBIR 
L'INFLUENCE  DES  ARTS  IRANIENS.  |  CE  QU'ELLE  DOIT  EN  MÊME  TEMPS  A  LA 
CHINE  DU  NORD  ET  DU  SUD.  a  LES  MONUMENTS  DE  L'ART  CORÉEN 
SUPPOSÉS  ÊTRE  CONSERVÉS  AU  JAPON.  1  LES  SCULPTURES  BOUDDHIQUES 
A  HORIUJI.  H  LA  PREMIÈRE  HAUTE  CIVILISATION  JAPONAISE  SOUS  SUIKO  ET 
SHOTOKU  A  HORIUJI  ET  A  NARA,  ET  LES  GRANDES  CRÉATIONS  DE  LA  SCULPTURE 
BOUDDHIQUE.    1    ÉPOQUES   DE  JOMEI  TENNÔ   ET  DE  TENCHI. 

La  Chine  est  en  fait  Y  «  Empire  du  Milieu  », 
ainsi  quelle  se  dénomme.  Elle  est  semblable 
à  une  énorme  tour  centrale,  entourée  de 
puissants  arcs-boutants  de  races  diverses,  les 
unes  consanguines,  les  autres  tributaires,  mais 
toutes  soumises  aux  influences  de  ses  puissants 
idéals. 

De  ses  voisins  de  l'Ouest  et  du  Sud  — 
Thibétains,  Birmans,  Malais  du  Siam  et  Anna- 
mites —  nous  ne  parlerons  pas,  le  meilleur 
de  leurs  arts  étant  en  plus  étroite  affinité  avec 
l'Inde  qu'avec  la  Mongolie. 

Mais  au  Nord  et  au  Nord-Est,  la  Chine  est 
limitrophe  d'États  et  de  peuples,  tantôt  hostiles, 
tantôt  soumis,  mais  de  son  sang  et  de  sa  parenté. 

07) 


L'ART  EN    CHINE   ET   AU  JAPON 

Eux  aussi  avaient  été  submergés  par  la  vague 
du  Bouddhisme  septentrional,  et  ils  avaient  reçu 
du  foyer  commun  les  principes  du  Taoïsme  et 
du  Confucianisme  dans  de  variables  proportions. 

Les  hordes  des  Huns,  des  Scvthes  et  des 
Mongols,  avaient  trop  peu  bénéficié  des  avantages 
de  la  civilisation,  pour  produire  un  art,  si  ce 
n'est  en  de  courtes  périodes  où  ils  avaient  pu 
se  rendre  maîtres  de  l'Empire.  Ils  n'avaient  que 
fort  peu  éprouvé  ce  que  nous  avons  appelé 
«  l'initiation  du  Pacifique  »  des  primitifs  chinois. 

Mais  pour  les  tribus  campées  sur  les  rives  de 
l'Amour,  — à  un  moindre  degré  pour  les  Manchous, 
pour  les  Coréens,  et  surtout  pour  les  Japonais,  — 
ce  qu'il  y  eut  de  nouveau,  et  de  beau,  et  de  bon 
dans  l'art  chinois  eut  une  signification  vitale,  si 
bien  que  l'on  doit  regarder  ces  civilisations, 
souvent  fortes,  comme  des  parties  intégrantes  du 
grand  mouvement  central. 

Le  plus  original  et  le  plus  indépendant  de  ces 
États  environnants  fut  nécessairement  le  Japon. 
La  civilisation  de  cette  extraordinaire  race  insu- 
laire a  fait  ses  preuves  quant  à  la  souplesse  de 
son  génie  ;  mais  bien  moins  comme  un  sujet, 
que  comme  un  conducteur  indépendant  au  milieu 
du  groupe. 

Plus  près  de  la  Chine  que  le  Japon,  reliée  à 
la  Chine  par  l'esprit  et  par  de  naturelles  commu- 
nications, est  la  péninsule  de  Corée,  à  l'origine 
très  riche  et  prospère.  La  Corée,  seulement  en 
partie  et  pendant  une  très  courte  période,  fut 
annexée  à  l'Empire  chinois.  A  d'autres  époques 
elle   subit  la  domination  du  Japon,  de   l'Empire 

(58) 


L'ART   BOUDDHIQUE   PRIMITIF 

duquel  elle  fait  aujourd'hui  partie  intégrante. 
Mais  aux  premiers  âges  de  la  civilisation,  du  ive 
au  vne  siècle  de  notre  ère,  elle  manifesta  une 
vigueur  et  un  génie  si  indépendants,  dont  l'éclat 
fut,  il  est  vrai,  de  courte  durée,  qu'on  peut  la 
considérer  comme  un  centre  artistique  créateur 
vraiment  important.  Et  cela  à  l'heure  où  le  Japon, 
encore  dans  les  ténèbres  d'une  demi-barbarie, 
se  préparait  à  déchirer  ses  voiles  et  à  apparaître 
dans  la  lumière. 

De  ce  que  la  Corée  ait  pu  être  pendant  une 
courte  période  le  tuteur  du  Japon  voisin,  res- 
sortent  d'heureuses  constatations  pour  se  faire 
quelque  idée  de  son  art  primitif,  tout  à  fait 
à  part  de  l'étude  des  Arts  chinois  et  japonais. 
La  Corée,  en  un  sens  vrai,  fut  un  trait  d'union 
entre  la  Chine  et  le  Japon.  Et  à  un  moment, 
vers  l'année  600,  son  art  revêtit  une  splendeur 
que  n'ont  jamais  surpassée  les  plus  grandes 
réussites  des  deux  autres  pays. 

Une  vue  encore  plus  juste  de  ces  relations  peut 
être  prise  si  l'on  considère  la  position  avancée 
dans  la  mer  de  Chine  de  ces  trois  importantes 
terres  :  la  péninsule  de  Corée  s'avance  au  Sud- 
Est,  la  province  chinoise  de  Gô  au  Nord-Est, 
les  îles  méridionales  du  Japon  au  Sud-Ouest. 
Entre  ces  trois  terres  les  communications  par 
mer  étaient  des  plus  aisées,  et  il  est  très  naturel 
que  la  Corée  et  le  Japon  aient  été  influencés  par 
l'art  de  la  province  chinoise  de  Gô  quand  elles 
étaient  encore  dans  le  bégaiement  de  leurs  arts. 

Quelques  écrivains  européens  ont  prétendu  que 
l'Art  coréen  du  vie  siècle  devait  avoir  subi  spécia- 

(59) 


L'ART  EN   CHINE   ET  AU  JAPON 

lement  l'influence  de  la  Perse  ;  sans  doute  par  la 
supposition  que  l'Art  persan  du  vie  siècle  se 
comporta  comme  au  xme  siècle  et  plus  tard 
dans  son  contact  avec  les  races  mongoles.  Au 
vie  siècle,  l'Art  persan  était  sassanide,  c'est-à-dire 
un  mélange  d'Art  assyrien  abâtardi  et  d'Art 
romain.  Nous  avons  vu  déjà  que  la  primitive 
dynastie  des  Tang  de  la  Chine  eut  quelques  com- 
munications avec  les  Sassanides.  Quoi  qu'il  en 
soit,  une  légère  influence  persane  pénétra  la  Corée 
et  le  Japon  à  l'époque  des  Sassanides,  et  d'un  côté 
comme  de  l'autre  (par  un  choc  en  retour)  ;  sans 
doute  les  rapports  avec  la  pro  vince  chinoise  de  Gô, 
dont  les  relations  commerciales  avec  les  ports  de 
l'océan  Indien  étaient  déjà  assurées,  n'y  étaient 
pas  étrangers. 

Les  analogies  des  Arts  coréen,  chinois  et 
japonais  du  vne  siècle  avec  l'art  persan  d'une 
époque  plus  tardive  sont  dues  beaucoup  plus  à 
un  reflux  d'influence  qui  avait  transporté  les  motifs 
orientaux  dans  l'Asie  occidentale.  Mais  ce  mouve- 
ment comme  tous  ceux  en  sens  contraire  qui 
se  produisirent  entre  la  Chine,  l'Inde  et  la  Perse, 
échappent  à  notre  enquête. 

Le  premier  Art  bouddhique  de  la  Corée,  dont 
nous  pouvons  malaisément  nous  rendre  compte 
avant  le  vie  siècle,  est  dérivé  d'une  convergence 
de  ces  deux  mêmes  courants  que  nous  avons  vus 
enrichir  l'Art  centralisé  de  la  dynastie  chinoise 
des  Dzin,  c'est-à-dire  des  motifs  aussi  bien  du 
Nord  que  du  Sud.  Par  les  routes  terrestres,  la 
Corée  restait  en  étroits  contacts  avec  les  Tartares 
du  Nord,  et  commercialement  avec  les  Mongols, 

(4o) 


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L'ART   BOUDDHIQUE  PRIMITIF 

les  Manchous  et  les  peuples  de  l'Amour,  et 
conçut  ainsi  un  type  bouddhique  primitif  mince  et 
élancé  qui  donne  à  sa  décoration  quelque  chose 
de  féminin.  D'un  autre  côté,  par  les  routes  de 
la  mer,  la  Corée  subissait  l'influence  des  provinces 
méridionales  du  Yangtsé,  avec  leur  style  de 
sculpture  plus  sévère  et  leur  habileté  dans  les 
tontes  du  bronze. 

En  un  sens,  la  Corée  avait  alors  presque  dépassé 
la  dynastie  des  Dzin  dans  son  adresse  à  unifier 
les  deux  courants  du  Nord  et  du  Sud,  et  s'élevait 
à  un  degré  de  puissance  artistique  que  la  Chine 
n'atteignait  pas  alors. 

Toutefois  1  Art  coréen  n'est  pas  l'Art  des  Dzin, 
en  partie  à  cause  de  son  génie  national,  ethnique, 
et  en  partie  parce  que  les  éléments  qui  étaient 
entrés  dans  l'un  comme  dans  l'autre  Art,  s'v 
étaient  combinés  en  proportions  différentes.  Dans 
les  plus  parfaites  œuvres  de  la  Corée,  l'élément 
Gô  joua  probablement  un  rôle  plus  décisif,  parce 
que  cet  élément  Gô,  pour  l'Art  chinois,  n'était 
qu'un  des  éléments  du  Sud,  tandis  qu'il  était, 
pour  la  Corée,  le  Sud  tout  entier.  C'est  ce  qui 
fait  que  dans  l'Art  coréen  du  vie  siècle,  nous 
trouvons  une  série  plus  étendue  de  formes,  entre 
les  deux  extrêmes,  et  la  particularité  de  ces  figures 
courtes  avec  de  larges  têtes. 

La  race  coréenne  eut  vraisemblablement  aux 
temps  préhistoriques,  comme  plus  tard,  des  cou- 
tumes fortement  liées  à  celles  des  races  du 
Pacifique  septentrional  :  mais  les  souvenirs  de  ces 
anciens  jours  sont  peu  précis.  Comme  au  Japon, 
les  restes  retrouvés  dans  les   anciens  tombeaux 

(40 


L'ART   EN  CHINE  ET   AU  JAPON 

fouillés  révèlent  des  formes  semblables  à  celles 
des  Han  de  la  Chine,  sous  lesquelles  les  motifs 
du  Pacifique  sont  presque  recouverts.  Mais  à 
l'époque  même  des  Han,  la  Corée  et  le  Japon, 
tout  à  fait  indépendants  de  l'Empire  chinois, 
étaient  entrés  en  relations,  après  l'invasion 
du  Japon.  Si  nous  pouvions  étudier  en  même 
temps  l'Art  des  deux  peuples  à  ce  moment,  nous 
le  trouverions  «Pacifique». 

La  Corée  paya  tribut  au  Japon  pendant  de 
longues  années.  Ni  l'un  ni  l'autre  peuple  ne 
jouissaient  alors  dune  complète  civilisation.  Les 
commencements  de  la  culture  coréenne,  qui  pré- 
céda la  culture  japonaise,  résultèrent  de  la  dis- 
persion des  races  chinoises  après  les  troubles 
des  guerres  civiles  du  me  siècle.  La  féodalité  s'y 
maintint  jusqu'en  263.  L'Etat  chinois  Gô,  un  des 
trois  plus  importants  alors  en  guerre,  se  soumit 
aux  Shin  occidentaux,  terminant  ainsi  la  guerre  en 
280.  Sans  aucun  doute,  des  groupes  compacts  de 
colons  des  Han  et  de  Gô  vinrent  se  réfugier 
dans  la  péninsule  neutre  et  apportèrent  avec 
eux  les  industries.  L'étude  des  caractères  chinois 
et  de  deux  ou  trois  classiques  de  Confucius 
pénétra  au  Japon  par  la  Corée  en  28$.  Durant 
tout  le  ive  siècle,  les  troubles  continuèrent  et 
la  nouvelle  culture  n'y  put  faire  que  de  faibles 
progrès. 

Mais  avec  la  division  du  Nord  et  du  Sud  au 
111e  siècle,  le  nouvel  Art  bouddhique  qui  avait 
passé  sur  la  Chine  en  deux  vagues  séparées, 
vint  réunir  ses  courants  créateurs  en  Corée. 
C  est    depuis    lors    qu'on    peut    constater    une 

(42) 


Aiguière  D'Argent  Dkcoree 
D'un  Cheval  Ailé.     Art  Sassannide 
à  Horiuji  (Japon). 


Le  Shôsôin   [Vue  extérieure). 

Renfermant  les  Collections  du  trésor  impérial, 
closes  par  l'Empereur  Kwammou  en  794. 
Nara  (Japon). 


Planche  VI I 


L'ART   BOUDDHIQUE   PRIMITIF 

haute  culture  bouddhique  coréenne  naissante, 
destinée  à  substituer  ses  créations  artistiques  à 
celles  des  Han.  Mais  peut-être  n'avons-nous  rien 
à  admirer  de  l'art  coréen  qui  soit  antérieur  au 
vie  siècle.  Et  ce  que  l'on  trouve,  ce  sont  les 
objets  primitivement  importés  au  Japon. 

Nous  ne  chercherons  pas  à  distinguer  entre 
les  Arts  des  trois  États  qui  constituèrent  à  ces 
primitives  époques  la  Corée,  mais  nous  présumons 
que  le  Hiakuzai,  le  plus  voisin  à  la  fois  du  Japon 
et  de  l'État  chinois  Gô,  dut  produire  la  plupart 
des  choses  qui  ont  été  conservées  par  le  Japon. 

Un  de  ces  types  primitifs  est  la  Kwannon  de 
contemplation  assise,  petite  statuette  de  bronze, 
d'extrême  minceur,  d'un  style  mi-han  et  mi-hin- 
dou, et  dont  le  drapé  rappelle  l'Art  chinois  Gô  ; 
—  une  semblable  figure,  plus  grande,  est  exécutée 
en  bois,  et  en  peau  pour  le  drapé.  —  Et  de  plus 
grande  taille  encore  est  la  belle  Kwannon  tenant 
un  vase,  de  l'autel  du  Kondo  d'Horiuji,  à  tête  petite 
et  à  corps  démesurément  allongé,  aux  plis  s'ou- 
vrant  en  s'incurvant,  et  dont  les  ouvertures  de 
manches  bâillent  en  calices  de  fleurs. 

La  peinture  primitive  et  l'écriture  dans  le  style 
Gô  apparaissent  dans  les  rouleaux  enluminés  de 
Bouddhas  entourés  de  disciples,  avec  de  timides 
indications  de  paysages,  qui  semblent  bien  nati- 
vement  coréens  sur  le  Tabernacle  Tamamuschi 
d'Horiuji.  —  Le  chef-d'œuvre  de  la  peinture 
coréenne  est  sans  doute  le  portrait  du  prince  japo- 
nais Shotoku,  peint  au  commencement  du 
vne  siècle   par  son  hôte  le  prince  coréen  Asa. 

Il  subsiste   deux  grands   monuments  de  l'Art 

(43) 


L'ART  EN    CHINE   ET  AU  JAPON 

coréen  du  vie  siècle  :  le  Tabernacle  Tamamuschi  de 
bois,  sorte  de  reliquaire,  offert  à  l'empereur  du 
Japon  en  590,  encore  aujourd'hui  sur  le  grand  autel 
d'Horiuji  près  de  Nara  :  le  toit  est  en  métal 
et  de  forme  tuilée.  Un  étage  inférieur  forme  une 
grande  caisse  décorée  de  peintures  sur  ses  quatre 
côtés,  et  l'étage  supérieur  ouvre  par  des  portes  de 
temple  peintes  extérieurement.  Les  parties  lisibles 
de  paysages  montagneux  rappellent  les  sculptures 
en  relief  des  Han  du  Kounlung;  des  anges  boud- 
dhiques volent  au  milieu  des  bambous.  Les  admi- 
rables divinités  peintes  sur  les  portes  sont  du 
style  mince  et  distingué  des  Wei  du  Nord.  Et 
l'un  des  caractères  les  plus  frappants  de  ce  bel 
objet  est  la  force  et  l'élégance  des  éléments 
architectoniques  :  piliers,  poutrelles  transversales, 
coins  incurvés  garnis  de  bronze  doré,  qui  dénotent 
chez  les  Coréens  un  surprenant  génie  décoratif. 

Quelle  fut  l'origine  de  leur  extraordinaire  pote- 
rie à  glaçure,  dont  on  ne  retrouve  dans  les  trésors 
japonais  aucune  pièce  du  vme  siècle  ?Leur  architec- 
ture nous  est  connue  par  les  plus  anciennes  cons- 
tructions du  temple  d'Horiuji  au  Japon;  leur  génie 
plastique  et  décoratif  se  révèle  dans  les  sculptures 
du  Kondo  d'Horiuji.  Leurs  vêtements  de  prêtres, 
importés  du  Hiakuzai,  montrent  les  rosettes  sassa- 
nides,  et  les  groupes  persans  de  rois  chassant  le 
lion,  au  Trésor  du  Sho-Soïn  de  Nara. 

Le  plus  émouvant  monument  de  l'Art  coréen 
est  le  grand  Bouddha  debout  (peut-être  un 
Bodhisattwa)  du  pavillon  Yumedono  d'Horiuji, 
figure  si  belle,  de  profil,  aux  longs  plis  droits 
tombant  si  simples  jusqu'aux  pieds,  et  qui  allongent 

(44) 


3   >-« 

il* 


L'ART   BOUDDHIQUE   PRIMITIF 

et  dignifient  la  figure,  la  poitrine  légèrement 
rentrée,  le  ventre  en  avant,  avec  son  indéfinissable 
sourire,  et  cette  couronne  ajourée  si  extraordi- 
naire, unissant  la  beauté  grecque  antique  à  la 
beauté  des  primitives  statues  gothiques  de  nos 
cathédrales.  C'est  là  le  monument  capital  de  l'Art 
coréen,  qui  agit  le  plus  puissamment  sur  les 
artistes  de  l'époque  de  Suiko,  et  particulièrement 
sur  Shotoku. 

Si,  après  une  longue  période  de  demi-civili- 
sation, dont  l'art  préhistorique  nous  est  connu 
par  les  objets  de  tombeaux,  l'influence  Gô  de  la 
Chine  avait  pu  pénétrer  directement  au  Japon 
avec  la  famille  des  Tori  et  d'autres  prêtres,  c'est 
avec  de  pareils  monuments  qu'entre  en  scène 
la  Corée.  Elle  avait  envoyé  au  Japon  les  pre- 
miers ouvriers  constructeurs  dès  403,  et  des 
sculptures  de  bronze  et  des  rouleaux  d'écritures 
bouddhiques  étaient  remis  en  $$2  à  l'empereur 
Kimmei  de  la  part  du  prince  de   Corée. 

Chez  ce  peuple  insulaire,  organisé  patriarcale- 
ment,  avec  ses  industries  domestiques,  son  culte 
Shinto,  la  splendide  civilisation  continentale  fut 
lente  à  s'infiltrer.  Le  règne  de  l'impératrice 
Suiko  succédant  à  son  époux  l'empereur  Sujun 
en  $93,  fut  un  tournant  décisif  de  l'histoire  du 
Japon.  Ce  fut  l'introduction  de  la  nouvelle  reli- 
gion du  Bouddha,  comme  religion  d'État,  déjà 
embrassée  par  Sujun,  imposée  par  Suiko, 
appuyée  par  le  prince  impérial  Shotoku,  esprit 
remarquable,  promoteur  de  toutes  les  réformes, 
bien  que  n'ayant  pas  le  pouvoir,  puisqu'il  mourut 
quelques  années  avant  sa  mère.  Son  amitié  pour 

(4  5) 


L'ART  EN  CHINE   ET  AU  JAPON 

le  roi  coréen  du  Hiakuzai,  dont  le  fils,  prince 
Asa,  vint  en  597  à  la  cour  du  Japon  peindre  sans 
doute  le  portrait  de  Shotoku  et  apporter  peut- 
être  le  tabernacle  Tamamushi  offert  à  l'impéra- 
trice Suiko,  ne  l'empêcha  pas  d'envoyer,  en  606, 
un  ambassadeur  à  la  cour  chinoise  des  Dzin 
pour  étudier  la  constitution  et  la  loi. 

On  peut  vraiment  dire  que  l'Art  japonais  date 
ses  origines  de  Suiko.  En  594,  elle  ordonnait  la 
construction  de  temples  bouddhiques,  et  son 
fils  Shotoku  s'employait  à  attirer  de  Corée  les 
architectes,  les  ouvriers,  les  décorateurs.  Et  lui- 
même,  attentif  à  tout  ce  que  les  artistes  étrangers 
lui  révélaient,  zélé  et  pieux  comme  jadis  le  vieil 
empereur  chinois  Butéi  des  Liang,  il  était  le  pre- 
mier à  donner  l'exemple  d'une  sévère  orthodoxie. 

La  capitale  du  Japon,  si  souvent  déplacée  dans 
le  Yamato  depuis  l'époque  du  conquérant  Jomei 
Tennô,  était  alors  àTatsuta,  entre  Osaka  et  Nara. 
C'est  là  que  Shotoku  décida  d'édifier  son  temple. 
Aidé  d'un  peuple  d'ouvriers,  dépensant  son  acti- 
vité sans  compter  grâce  aux  matériaux  de  choix 
importés,  il  put  édifier  ainsi  le  grand  temple 
monastère  d'Horiuji,  inauguré  en  616  devant  les 
prélats  et  les  ambassadeurs  du  Hiakuzai  et  de  la 
cour  des  Dzin.  Et  pendant  les  vingt  années  qui 
suivirent  les  temples  s'élevèrent  de  toutes  parts 
dans  ces  plaines  où  allait  naître  la  cité  de  Nara. 
L'histoire  du  temple  d'Horiuji  est  obscure.  Peut- 
être  le  feu  en  détruisit-il  une  partie,  mais  rien 
qu'une  partie,  en  680  ;  on  peut  croire  que  trois  des 
contructions  furent  épargnées  :  le  portail  gardé 
par  les  deux  statues   de  rois,  la  grande   pagode 

(46) 


Nyoirin  Kwannon  (Bois). 

Attribuée  a  Shotoku-Taishi.     Epoque  de  Suiko, 

Comm'  du  V  II'  siècle. 

Temple  des  nonnes  Shuguji  à  Nara. 


Planche  IX. 


L'ART   BOUDDHIQUE   PRIMITIF 

de  l'avant-cour  et  le  Kondo  contenant  l'autel 
central. 

Si  la  pagode  est  quelque  peu  lourde  en  ses  pro- 
portions, le  Kondo  est  un  type  de  la  plus  grande 
noblesse  de  la  primitive  architecture  chinoise  ou 
japonaise.  Le  portail  de  disposition  gréco-boud- 
dhique, à  en  croire  M.  Cram,  ne  daterait  alors  que 
dune  époque  postérieure  à  l'incendie,  car  il  n'y  a 
pas  d'influence  apparente  hellénique  à  l'époque 
de  Suiko. 

Le  temple  d'Horiuji  contint  de  nombreux  chefs- 
d'œuvre  d'art  coréen.  Aujourd'hui,  sur  cette  plate- 
forme de  maçonnerie  qui  est  le  grand  autel  du 
Kondo,  se  trouvent  le  reliquaire  Tamamuschi,  la 
grande  statue  de  bois  de  la  Kwannon  des  rêves, 
d'autres  reliquaires,  d'autres  sculptures.  Mais  les 
bâtiments  annexes  renferment  encore  de  grands 
trésors  d'art  des  plus  hautes  époques.  Pour  ne 
parler  que  des  objets  de  l'époque  de  Suiko,  capi- 
tale est  la  statuette  en  bronze  doré  raide  et  comme 
équarrie  du  type  Gô  du  ve  siècle,  qui  peut  être 
du  sculpteur  chinois  émigré,  du  nom  de  sa  famille 
japonaise,  Tori.  —  Son  fils  fit  peut-être  la  première 
statuette  de  bronze  qu'on  pourrait  dire  vraiment 
japonaise.  Elle  porte  une  inscription  l'attribuant  au 
second  Tori  (589  ?).  Très  mince,  car  elle  est  faite 
d'une  simple  feuille  de  métal,  elle  est  d'une  grande 
dignité,  et  de  proportions  qui  rappellent  l'art  robuste 
de  Gô.  De  l'Art  coréen  elle  a  emprunté  la  délicate 
inflexion,  le  pur  charme  du  visage .  Entre  la  Kwannon 
dorée  d'art  Gô,  et  la  figure  de  plus  grande  dimension 
du  Yumedono,  celle-ci,  participant  des  deux  idéals, 
établit  une  sorte  de  canon  du  style  de  Suiko. 

(47) 


L'ART  EN  CHINE   ET  AU   JAPON 

Parmi  les  statuettes  qui  affirment  l'unité  de 
style  de  cet  art  primitif  de  Suiko,  il  est  un 
monument  qui  caractérise  l'école  :  c'est  l'autel 
portatif  en  bronze  fondu  sous  l'inspiration  de 
Shotoku  par  la  troisième  génération  de  la  famille 
des  Tori,  la  plus  précieuse  pièce  conservée.  Ce 
sont  trois  statuettes  de  ronde  bosse  placées 
devant  un  magnifique  paravent  de  bronze,  qui 
leur  sert  de  halo;  la  figure  centrale  est  dans 
l'attitude  du  Bouddha;  les  deux  statuettes  de 
bodhisattwas  qui  l'encadrent  sont  assises  sur  des 
fleurs  de  lotus;  elles  ont  des  têtes  carrées  et  des 
proportions  maigres  dans  le  style  de  Gô,  avec 
une  grande  souplesse  de  drapé  comme  dans  la 
statue  coréenne  duYumedono.  Le  Bouddha,  spéci- 
men parfait  des  bronzes  Suiko,  est  du  type  des 
Bouddhas  Gô  du  ve  siècle.  La  tête,  sans  couronne, 
n'est  pas  trop  lourde,  ni  carrée;  les  traits  en  sont 
moins  indiens  que  nègres,  les  mains  très  grandes. 
L'étoffe  entr'ouverte  sur  la  poitrine,  plissée  sur 
les  bras,  retombe  par-dessus  les  jambes  croisées 
sur  le  trône  en  larges  plis  d'une  beauté  toute 
décorative.  L'unité  et  la  beauté  des  trois  figures 
espacées  devant  ce  merveilleux  paravent  de 
bronze  décoré  de  bas-reliefs,  en  fait  un  monu- 
ment où  se  combinent  heureusement  le  génie  de 
la  Chine,  de  la  Corée  et  du  Japon. 

Sur  ce  même  autel  se  présentent  le  fragment 
d'une  autre  statue  de  bronze  d'un  Bouddha,  puis 
les  deux  statues  de  bois  dont  une  provient  du 
Rokkakudo  d'Udzumasa  près  de  Kioto.  —  Très  ana- 
logue aux  Bodhisattwas  de  la  Trinité  de  bronze 
est  la  Kwannon   de  bois,    tenant  un    vase  de  la 

(48) 


La  Trinité  Bouddhique  (Bronze  doré). 

Shaka  entre  Yakuô  et  Yakujô.     Inscription:  Par 
Tori  Busshi,  à  la  mort  de  Shotoku,  en  622. 
Autel  du  Kondo  d'Honuji  (Japon). 


Planche  X. 


L'ART    BOUDDHIQUE    PRIMITIF 

main  gauche;  le  halo,  la  large  tête,  le  trône  de 
lotus  sont  bien  caractéristiques  de  l'Art  coréen  de 
Suiko,  avec  une  tendance  plus  réaliste  dans  la 
partie  supérieure  du  corps.  —  Dans  les  deux 
Bodhisattwas  dorés,  nous  avons  plus  de  douceur 
pensive,  des  têtes  plus  arrondies  et  couronnées, 
d'un  sentiment  presque  hellénique.  —  D'un  type 
tout  différent  est  la  petite  statue  primitive  de  la 
Kwannon  aux  onze  têtes  taillée  dans  un  acajou 
sombre  comme  le  bronze,  plus  vigoureusement 
sculptée  à  la  façon  chinoise,  et  dans  laquelle  les 
influences  méridionales  de  l'Annam  et  de  l'Inde 
se  combinent  avec  celles  de  la  Chine  de  Gô. 
C'était  la  divinité  centrale  des  sanctuaires  de 
Tonomine  au  Yamato,  aujourd'hui  transportée  à 
l'École   des  Beaux-Arts  de  Tokio. 

L'une  des  plus  magnifiques  œuvres  de  bois  de 
ce  moment  est  la  statue-portrait  de  Shotoku 
Taishi,  accompagné  de  son  jeune  fils,  où  l'esprit 
de  sainteté  du  prince  est  si  bien  exprimé.  Il  en 
existe  plusieurs  répétitions,  et  les  visages  des 
enfants  y  ont  souvent  un  type  septentrional 
prononcé,  presque  du  Kamshatka.  —  Dans  ces 
statues-portraits,  celle  d'un  des  Sojos,  qu'on  dit 
avoir  été  le  premier  abbé  d'Horiuji,  est  un  chef- 
d'œuvre  de  force  et  de  vérité  individuelle,  à  peine 
inférieur  aux  portraits  du  vme  siècle. 

Une  autre  forme  des  statues  de  bois  de  l'époque 
Suiko  est  le  type  guerrier  des  gardiens  d'autel, 
les  quatre  Shi-Ten-O,  ou  les  quatre  Rois  Devas  du 
Ciel,  placés  aux  quatre  angles  des  autels  cen- 
traux. On  retrouve  leurs  types  dans  les  pein- 
tures de  l'Amadaji  Mandara  chinois,  et  le  Bisja- 

(49) 


L'ART  EN  CHINE   ET   AU   JAPON 

mon  du  temple  Seirioji  a  le  type  chinois  tartare 
du  vic  siècle.  Dans  les  quatre  rois  grandeur 
nature  de  l'autel  d'Horiuji,  nous  avons  les  types 
du  style  Suiko  ;  ils  avaient  été  précédés  du 
groupe  du  Kaidendo  du  Todaiji  de  Nara, 
détruits  par  le  feu  au  début  du  xixe  siècle.  Les 
faces  sont  lourdes  et  carrées,  presque  nègres, 
comme  dans  lesbronzes  des  Tori;  les  corps  comme 
mal  dégrossis,  et  les  détails  du  costume  (cette 
sorte  de  pantalon  dont  les  jambes  sont  serrées 
par  des  guêtres),  l'espèce  de  cuirasse  de  peau, 
avec  armatures  de  métal,  laisseraient  supposer 
des  influences  persanes  sassanides.  Ces  figures 
se  tiennent  debout  sur  des  animaux  de  bois  à 
mains  humaines  prosternées  sur  des  rochers. 
Elles  seraient  les  œuvres  de  deux  artistes  du 
Japon,  mais  les  prototypes  détruits  du  Shodaiji 
auraient  été  apportés  du  continent  ;  les  costumes 
seraient  peut-être  ceux  de  guerriers  coréens. 

La  pure  décoration  Suiko  a  son  complet 
exemplaire  dans  le  baldaquin  au-dessus  du 
grand  autel  du  Kondo  d'Horiuji,  sans  analogue 
dans  tout  l'art  bouddhique,  avec  cette  espèce 
de  chapeau  central  aux  panneaux  carrés,  rectan- 
gulaires et  triangulaires,  ayant  encore  traces  de 
peintures  de  fleurs  et  de  rosettes,  et  garni  d'une 
frange  à  glands  entrelacés  d'or.  Sur  la  corniche 
et  au-dessus  se  détachent  des  rangées  de  petits 
anges  de  bois  sveltes  sur  des  trônes  à  fleurs  de 
lotus,  et  des  oiseaux  cacatoès  volants.  Des  orne- 
ments ajourés  sont  aux  angles. 

Mais  le  plus  grand  chef-d'œuvre  de  l'art  Suiko, 
une  pure  merveille  de  spiritualité,  est  la  grande 


mm 


Autel  de  Bronze  Doré. 

La  Triade  Amida  entre  Kwannon   et  Seishi. 
Art    Japonais    de    la     Période    Tenchi.      2e 
moitié  du  VIIe  siècle. 
Horiuj  i(Japon). 


rianche  XI. 


L'ART  BOUDDHIQUE   PRIMITIF 

Kwannon  de  contemplation,  de  bois  sombre  et 
assoupli  comme  le  bronze,  maintenant  au  monas- 
tère des  nonnes  du  Chuguji,  près  d'Horiuji.  L'atti- 
tude est  celle  des  statuettes  de  bronze  des  Liang 
ou  des  Dzin.  Le  corps  nu  jusqu'aux  reins,  d'une 
beauté  sans  égale,  est  modelé  comme  par  un 
Égyptien  ;  les  cheveux  sont  relevés  en  masse  sur 
le  sommet  de  la  tête.  L'étoffe  drapée  tombe  des 
reins  en  plis  magnifiques  qui,  suivant  la  courbe 
de  la  jambe  croisée,  viennent  retomber  le  long 
de  la  jambe  droite,  dans  un  rythme  tout  à  fait 
grec.  Sa  sublime  beauté  réside  dans  le  visage, 
empreint  de  tant  de  douceur,  d'amour,  d'une 
tendresse  si  poignante,  dont  les  yeux  se  ferment 
sur  le  rêve  intérieur.  Le  caractère  ethnique  des 
faces  presque  nègres  des  Tori  n'est  plus  percep- 
tible ;  c'est  de  la  plus  haute  et  noble  générali- 
sation. Tant  d'élévation  et  de  noblesse  ne  ren- 
dent pas  impossible  l'attribution  qui  en  fut  faite 
traditionnellement  au  prince  Shotoku  lui-même. 

Des  prémisses  de  l'époque  Suiko,  l'Art  japo- 
nais va  dorénavant  procéder  par  des  élans 
imprévus.  L'empereur  suivant,  Jomei  Tennô 
(620-641),  favorisa  le  Bouddhisme  et  mit  sa 
confiance  dans  son  premier  ministre  Kamatori, 
l'ancêtre  de  la  grande  famille  des  Fujiwara. 
Nous  possédons  son  portrait  contemporain.  La 
dynastie  chinoise  des  Tang  était  entrée  en 
relations  avec  Jomei  et  plus  encore  avec  son 
successeur  l'empereur  Seimei  (642-668).  Les 
relations  avec  la  Corée  étaient  coupées  par  les 
invasions     chinoises.    Le    Japon    allait    pouvoir 

(ïO 


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L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

s'assimiler  lentement  tous  les  apports  indiens, 
chinois,  coréens,  pour  en  parfaire  son  Art  per- 
sonnel. 

De  ce  moment  ont  subsisté  d'assez  nombreuses 
statuettes  de  bronze  faites  pour  les  autels  des 
temples  du  Yamato,  parsemés  sur  cette  mon- 
tagne de  Kasuga  dans  les  parages  de  laquelle 
l'empereur  Shomu  allait  faire  sa  capitale,  Nara. 
La  tradition  veut  qu'il  y  eut  un  atelier  de  bron- 
ziers  dans  un  de  ces  temples,  à  Iwabuchi-dera. 
Cette  série  de  statuettes  de  bronze  offre  vrai- 
ment l'unité  d'un  bel  effort  artistique  à  simplifier 
et  rendre  très  naturelles  les  draperies,  à  donner 
aux  visages  une  grâce  toute  humaine  et  une 
infinie  douceur  pleine  de  sérénité.  On  a  dit  qu'elles 
avaient  un  caractère  grec,  qui  s'expliquerait  par 
l'influence  de  l'art  des  Tang  sous  Tenchi,  si 
pénétré  de  l'esprit  gréco-hindou. 

De  forme  primitive  encore  léguée  par  l'époque 
de  Suiko,  et  encore  liée  aux  traditions  d'Horiuji, 
est  une  statuette  de  bronze,  nue  jusqu'aux  reins, 
avec  une  pesante  tête,  un  peu  nègre.  —  De 
plus  haute  taille  est  une  Kwannon  de  bronze, 
dans  un  bâtiment  d'Horiuji,  qui  est  en  progrès 
sur  la  Kwannon  coréenne  de  l'autel  du  Kondo. 
Elle  tient  un  vase  de  sa  main  gauche  à  demi  levée  ; 
le  corps  est  d'un  modelé  charmant  et  le  visage 
agréable.  —  Le  plus  beau  de  tous  ces  Bouddhas 
debout  est  la  statuette  du  Yakushi  Niorai, 
symbole  du  Bouddha  conseiller  des  âmes,  la  plus 
sainte  pièce  de  l'autel  du  Shin  Yakushiji  de  Nara, 
si  noble  de  proportions,  d'un  drapé  si  simple  et 
si  pur,  le  nez  et  la  bouche  d'un  parfait  dessin 

(s*) 


Détail  de  Fond  D'Autel  en  Bronze  Doré. 
Art  Japonais  de  la  Période  Tenchi. 
2e  moitié  du  VIIe  siècle.      Honuji  (Japon). 


Planche  XII. 


L'ART  BOUDDHIQUE  PRIMITIF 

dans  un  visage  calme,  les  extrémités  petites. 
Une  autre  statuette  de  Bodhisattwa,  conservée 
à  Horiuji,  nous  rappelle  encore  cet  exquis  sen- 
timent dune  Athéna  ou  d'un  Mercure  grecs, 
avec  une  tête  à  forme  plus  sphérique,  la  main  levée 
plus  forte.  Les  plis  en  festons  sur  les  épaules  et 
la  poitrine  tombent  de  la  ceinture  aux  genoux 
en  ondes  incurvées  d'une  grande  beauté  Ici 
encore  tout  le  génie  grec  transparaît. 

Nous  voici  à  l'époque  du  grand  empereur 
Tenchi,  dont  le  court  règne,  qui  date  de  Lan  668, 
se  marque  par  le  transfert  de  la  capitale  à  Shigj, 
près  de  l'actuel  Otsu,  sur  le  lac  Biwa.  Il  fut  très 
féru  des  institutions  chinoises,  et  en  rapport 
par  des  ambassades  avec  la  cour  des  Tang, 
comme  son  successeur  l'empereur  Temmei 
(f  686).  Ce  fut  sans  doute  à  ce  moment  que 
fut  exécuté  un  des  plus  merveilleux  monuments 
de  l'Art  japonais,  très  pénétré  de  l'esprit  gréco- 
bouddhiste  des  Tang.  C'est  une  autre  Trinité  de 
bronze  doré  devant  un  écran,  en  laquelle  on 
perçoit  vivement  ce  qu'en  soixante  ans,  depuis 
l'autre  Trinité  de  bronze  du  type  Suiko,  l'Art 
japonais  a  gagné  en  souplesse,  en  grâce,  en 
rythme  harmonieux.  Les  trois  figures  sont  placées 
de  même  sur  leurs  trônes  de  lotus,  très  finies, 
très  sculptées  même  de  dos,  devant  leurs  splen- 
dides  halos  de  bronze  formant  paravent  modelés 
en  relief  à  trois  plans  différents  de  petits 
Bouddhas,  d'anges  volant  avec  de  longues  étoffes 
flottant  derrière  eux  ;  dans  les  fonds,  des  nuages 
s'étirent    et    de    petits    bouquets    de    fleurs    se 

(S)) 


L'ART  EN  CHINE   ET  AU  JAPON 

dressent.  Il  semblerait  au  premier  aspect  qu'une 
certaine  confusion  doit  régner  dans  cette  com- 
position décorative  ;  il  n'est  rien  au  contraire 
d'aussi  harmonieux,  les  lignes  se  balancent  en 
rythmes  assurés  et  les  reliefs  ont  la  même  dou- 
ceur que  ceux  d'Agostino  Duccio  à  Pérouse  ou 
à  Rimini.  Le  Bouddha  central  est  esthétiquement 
supérieur  à  la  statuette  du  Shin  Yakushiji.  Le 
système  de  draperies  est  d'une  absolue  maîtrise 
dans  le  passage  des  plis  horizontaux  aux  plis 
verticaux  sur  les  jambes  croisées.  Les  mains  et 
les  doigts,  d  une  si  haute  signification  expressive 
dans  leur  action  rituelle,  sont  ici  d'une  beauté 
de  forme  et  de  mouvement  unique. 


© 


CHAPITRE  V 
L'ART  GRÉCO-BOUDDHIQUE   EN  CHINE 

VU*  ET  vill»  SIÈCLE 

L'ART  GRÉCO-BOUDDHIQUE  DU  GANDHARA.  S  LES  RAPPORTS  DE  L'HELLÉNISME 
AVEC  LINDE  PAR  LA  BACTRIANE.  Il  LES  MONUMENTS  DE  SCULPTURE  DU 
GANDHARA.  H  L'EXPANSION  DE  L  ART  GRÉCO-BOUDDHIQUE  DE  LINDE  A  CEYLAN 
ET  A  JAVA.  Il  SON  ACTION  AU  TURK.ESTAN  CHINOIS.  A  K.HOTAN.  U  SA 
PÉNÉTRATION    EN   CHINE  SOUS   LES  TANG,    A  SIN-GAN-FU. 

Après  avoir  constaté  les  trois  influences 
qu'avaient  exercées  sur  l'Art  chinois  les 
Arts  du  Pacifique,  de  la  Mésopotamie 
et  de  la  primitive  Inde  bouddhique,  pour  se 
faire  sentir  jusqu'aux  rives  de  la  Corée  et  du 
Japon  et  se  combiner  vers  la  seconde  moitié  du 
vne  siècle  en  un  monument  merveilleux  comme 
cette  seconde  Trinité  bouddhique  de  bronze, 
il  nous  reste  à  examiner  les  conséquences 
qu'eut  dans  la  destinée  de  l'Art  chinois  ce 
grand  mouvement  d'expansion  de  l'Art  gréco- 
bouddhique  à  travers  toute  l'Asie  centrale  jus- 
qu'en Chine,  qui  trouva  son  plus  parfait  terrain 
de  culture  au  Japon. 

On  s'est  demandé  (dans  l'hypothèse  où  l'Art 
grec  aurait  influencé  l'Art  japonais  par  l'inter- 
médiaire de  la  Chine)  pourquoi  y  aurait-il  été 
connu  si  tard  ?  et  pourquoi  sa  puissance  au 
viie  siècle  aurait-elle  décru  au  vmc  ?  Et  si  la 
Chine  fut  vraiment  en  rapport  avec  la  Bactriane 

(ïî) 


L'ART  EN   CHINE  ET  AU  JAPON 

au  11e  siècle  avant  1  ère  chrétienne,  pourquoi  ne 
fut-ce  point  alors  quelle  ait  subi  la  plus  forte 
influence  de  l'Art  grec  ?  Et  s'il  est  admis  que  les 
bronzes  bouddhiques  primitifs  du  Japon  sont 
très  grecs  de  style,  n'y  doit-on  pas  chercher 
de  filiation  directe?  Et  cet  Art  gréco-bouddhique 
lui-même,  d'où  sa  source  s'épanche-t-elle,  de  la 
Grèce,  de  Rome  ou  de  Byzance  ? 

Les  critiques  ne  sont  pas  tous  d'accord.  M.  Oka- 
kura  Kakuso  ne  trouve  pas  d'influence  classique 
dans  les  Arts  de  l'Inde,  de  la  Chine  et  du  Japon  ; 
—  au  contraire,  le  professeur  Hirth  veut  trouver 
des  influences  grecques  jusque  dans  l'Art  des 
Han. 

Il  n'est  pas  contestable  que  l'Art  gréco-boud- 
dhique date  de  la  conquête  d'Alexandre,  bien 
que,  antérieurement,  des  infiltrations  aient  pu 
se  produire  des  colonies  indiennes  d'Asie  ;  mais 
le  grand  mouvement  suivit  la  marche  du  con- 
quérant grec  vers  l'Inde.  Un  de  ses  généraux, 
Megisthus,  entretint  d'amicales  relations  avec  le 
roi  de  l'Inde  bouddhique,  de  Maghada.  Le  canon 
de  l'Esthétique  grecque  passa  par  les  formes  de 
la  Mésopotamie.  Mais  ce  fut  plutôt  par  le  Nord-Est, 
chez  les  peuples  montagnards  que  n'avaient  pas 
entamés  les  traditions  assyriennes,  les  Bactriens, 
que  cet  Art  hellénique  prit  des  formes  inter- 
médiaires. Les  sceaux  gravés  et  les  monnaies 
en  furent  les  véhicules  évidents,  et  la  minceur 
élégante  de  leurs  figures,  combinées  avec  les 
formes  animales,  se  retrouve  sur  les  premiers 
vases  de  poterie  des  Han  ;  de  même  que  le 
décor   de    feuilles    des   éléments   d'architecture. 


FRESQUE    DU    TEMPLE    D'HORIUJI,   A    NARA. 


&*■.:£  3* 


L'ART  GRÉCO-BOUDDHIQUE  EN   CHINE 

colonnes  ou  chapiteaux,  se  retrouve  dans  les 
restes  de  la  sculpture  du  Gandhara  au  musée 
de  Lahore. 

Comment  a  pu  se  faire  cette  pénétration  des 
traditions  de  la  Grèce  aux  royaumes  du  Gan- 
dhara, au  Nord-Ouest  de  l'Inde  ?  Quand  l'empereur 
de  Chine  Butéi  des  Han  envoya  sa  première 
ambassade  vers  l'Ouest  en  l'an  1 20  avant  notre  ère, 
c'était  pour  relever  les  traces  des  migrations  des 
Yuechi,  Tartares  ou  Scythes,  ou  Huns  blancs. 
Elle  les  rejoignit  dans  les  vallées  de  la  Bactriane. 
Ce  fut  le  premier  contact  que  maintinrent  par 
la  suite  les  caravanes  commerçantes.  Elles 
auraient  pu  véhiculer  en  Chine  ces  éléments  de 
l'Art  grec  que,  pendant  tant  de  siècles  d'incuba- 
tion, avait  pu  faire  siens  la  Perse.  Il  est  certain 
en  outre  que  ces  tribus  scythes  furent  attirées 
par  la  richesse  des  plaines  de  l'Indus,  et  qu'elles 
s'y  taillèrent  un  domaine  immense  au  Nord-Ouest 
de  l'Inde,  le  Gandhara,  où,  imbues  des  méthodes 
grecques,  elles  exercèrent  leur  influence  sur  les 
peuples  de  l'Inde  centrale  et  septentrionale.  Ce 
fut  dans  ce  Gandhara  que  s'élabora  la  nouvelle 
iconographie  d'un  Bouddhisme  septentrional  qui 
trouva  dans  l'imagination  scythe  un  renouveau 
de  fraîcheur  et  des  réserves  de  force. 

Il  prit  alors  au  Gandhara  assez  de  vitalité  pour 
supporter  leslointaines  transplantations  delaChine 
et  du  Japon.  Il  resta  enfermé  dans  ses  sanctuaires 
du  Pendjab  jusqu'au  111e  siècle  de  l'ère.  Entre  les 
111e  et  vie  siècles,  il  se  répandit  vers  le  Sud-Est 
jusqu'à  Java,  et  vers  le  Nord-Est  suivant  les 
routes  du  Turkestan  et  de  Khotan  jusqu'en  Chine. 

(57) 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

Les  monuments  de  l'Art  du  Gandhara  ont  été 
étudiés  par  le  général  Cunningham  et  par 
l'archéologue  français  M.  Foucher,  et  les  fragments 
de  monuments  ruinés  ont  été  recueillis  par  le 
musée  de  Lahore  et  par  quelques  collections 
d'Europe  (la  collection  Foucher  est  au  musée 
du  Louvre).  Leur  rapport  avec  l'Art  hellénique 
de  Syrie  est  évident  dans  les  statues,  portraits  des 
gouverneurs  scythes.  Le  drapé  est  plus  volontaire 
encore  et  n'a  rien  de  la  décadence  romaine.  Ces 
figures  sont  enguirlandées  de  fleurs  et  portent  des 
moustaches;  quelques  têtes  de  guerriers  sont  cou- 
ronnées d'une  coiffure  en  forme  de  serpent.  Les 
plus  tardifs  exemplaires  présentent  la  dernière 
façon  grecque  de  traiter  les  yeux  sans  profondeur, 
en  exécutant  seulement  les  deux  paupières. 

Il  est  d'un  vif  intérêt  de  comparer  à  ces  portraits 
les  statues  de  Sakyamuni,  en  jeune  prince,  avant 
sa  conversion,  figures  debout,  en  marbre,  en 
costumes  du  Gandhara,  avec  les  lourdes  manches 
recouvrant  les  épaules  et  les  bras,  —  l'épaisse 
chevelure  coupée  à  la  grecque,  tombant  sur  les 
épaules,  et  relevée  sur  le  sommet  de  la  tête,  — 
la  poitrine,  les  côtes  et  le  ventre  modelés  dans 
le  style  classique,  —  la  face  assez  ronde  et 
souriante. 

La  transition  et  la  comparaison  nous  sont 
fournies  par  les  statues  isolées,  les  Bouddhas  ascé- 
tiques, les  Sakyamuni  de  renoncement,  les  jambes 
croisées  dans  cette  attitude  si  connue.  La  robe 
n'est  qu'une  simple  étoffe  drapant  de  ses  plis  tout 
le  corps,  ou  ne  recouvrant  qu'une  épaule  ;  ces 
plis  sont  essentiellement  grecs,  d'une  plus  grande 

m 


L'ART  GRÉCO-BOUDDHIQUE    EN   CHINE 

beauté  vraie  que  dans  les  sculptures  de  l'Inde 
primitive.  Les  cheveux  sont  arrangés  au  sommet 
de  la  tête  en  boucles  et  constituent  cette  protu- 
bérance en  forme  de  dôme  très  caractéristique 
du  Bouddha.  L'une  de  ces  têtes  les  plus  belles 
est  au  musée  de  Lahore,  celle  du  Bouddha  de  Taxila, 
du  nom  de  l'endroit  de  sa  découverte,  où  Alexandre 
combattit  Porus.  Les  lobes  des  oreilles  y  sont 
très  étirés  et  percés  pour  y  recevoir  quelque 
ornement  de  joaillerie,  comme  en  portent  aussi 
des  statues  chinoises  des  Dzin. 

Pour  bien  saisir  la  beauté  des  têtes  classiques 
du  Gandhara,  il  faut  examiner  les  types  féminins 
des  Bodhisattwas  ;  quelques-uns  valent  les  portraits 
féminins  romains  du  musée  de  Naples.  Ils  portent 
aussi  la  protubérance  de  cheveux  du  Bouddha, 
mais  sans  qu'elle  implique  le  développement  céré- 
bral anormal,  et  cette  beauté  de  forme  de  la 
coiffure  est  passée  dans  les  plus  belles  statues 
gréco-bouddhiques  du  Japon.  Il  y  a  des  portraits 
de  vieillards  qui,  avec  de  longues  barbes  droites, 
ont  comme  des  masques  de  tragédie,  et  des  jeunes 
gens  aux  visages  clairs,  avec  des  mèches  folles  de 
cheveux  sous  un  bonnet  phrygien.  Dans  ce  Boud- 
dhisme septentrional  de  l'Inde,  l'éléphant  et  le  lion 
servent  de  trônes-piédestaux  aux  figures. 

Les  hauts-reliefs  d'architecture,  sculptés  comme 
par  un  artiste  grec  de  la  décadence  ou  par  un 
Italien  du  temps  des  Pisano,  comportent  à  l'infini 
des  scènes  de  la  vie  du  Bouddha,  trônant,  dans 
l'attitude  de  la  prédication,  la  main  levée,  ou 
penché  sur  le  Nirvana,  ou  mêlé  à  des  actions 
dramatiques.  Une  des  plus  belles  œuvres  décora- 

(59) 


L'ART  EN   CHINE  ET  AU   JAPON 

tives  est  la  composition  de  trois  fenêtres  cintrées  à 
lunettes  concentriques,  où  trois  groupes  de  figures 
s'espacent,  les  angles  du  registre  supérieur  étant 
garnis  de  chimères  gracieuses  et  ailées  à  corps 
de  serpent,  à  pieds  de  centaures.  Ces  processions 
de  figures  à  têtes  d'animaux,  demi-grotesques, 
rappellent  les   sculptures   du  dôme  d'Orvieto. 

D'un  caractère  spécial  sont  les  grandes  figures 
classiques,  debout,  en  plein  ou  demi-relief,  sur 
le  front  des  autels  rectangulaires,  et  séparées 
par  des  colonnes.  Quelques-unes  des  plus  belles, 
bien  que  privées  de  têtes  et  demi-nues,  sont 
drapées  de  façon  toute  classique  et  ont  des 
proportions  d'une  grâce  qui  rappelle  les  statuettes 
ioniques.  Elles  devancent,  dans  cette  disposition 
autour  de  l'autel,  les  sculptures  de  l'Asie  centrale, 
de  Khotan. 

La  terre  cuite  elle-même  y  fut  pratiquée,  ainsi 
que  le  prouvent  ces  quantités  de  têtes  de  Boud- 
dhas et  ces  types  fantaisistes  de  vieillards  et  de 
mendiants,  en  rapport  réel  avec  les  types  dra- 
matiques de  la  Comédie  grecque  et  ses  masques. 
Les  monnaies  de  Scythie  montrent  aussi  cette 
persistance  du  type  grec  de  la  Bactriane. 

Ce  fut  cet  art  du  Gandhara,  pratiqué  par  des 
Scythes  de  la  même  race  tartare  que  les  Chinois 
du  Nord  et  les  Coréens,  qu'étudia  le  pèlerin 
chinois  Hiom-tsang,  et  qui  pénétra  jusqu'aux 
régions  lointaines  de  la  Chine  du  Nord-Est  et 
entra  triomphalement,  au  vif  siècle,  dans  le  nou- 
veau mouvement  artistique  de  la  Chine,  de  la 
Corée  et  du  Japon.  La  sculpture  de  Nara  ne  dérive 
pas  d'une  autre  source. 

(60) 


L'ART  GRÉCO-BOUDDHIQUE   EN  CHINE 

Comment  cet  art  gréco-bouddhique  s'insinua 
dans  le  reste  de  l'Inde  est  demeuré  encore  un 
problème.  On  suppose  qu'il  se  transmit  à  travers 
l'Inde  jusqu'au  Sud-Est  (les  «  topes  »  d'Amravati), 
d'où  il  passa  les  mers  jusqu'à  Java.  Il  est  bien 
difficile  de  décider  si  les  superbes  sculptures  de 
Borobodor  à  Java  sont  d'un  art  gréco-bouddhique, 
d'origine  gandharienne,  ou  si  elles  n'ont  pas  pu 
recevoir  l'empreinte  de  la  beauté  grecque  fécondée 
parle  génie  national  (comme  au  Japon),  en  dehors 
de   tout  élément  proprement  cinghalais. 

Mais  ce  qui  est  maintenant  scientifiquement 
admis,  c'est  que  cette  vague  de  civilisations'épandit 
duGandharaet  delà  vallée  de  l'Indusparlespasses 
des  hautes  montagnes  de  Balkh  et  de  Swat,  tra- 
versa les  plaines  du  Turkestan  entre  les  Pamirs, 
s'épandit  vers  Kashgar  et  Samarcand,  pour  venir 
déferler  jusqu'aux  frontières  chinoises.  Les  sables 
des  déserts  du  Taklamakan  avaient  recouvert  les 
restes  de  puissants  royaumes  bouddhiques  floris- 
sant encore  au  ix8  siècle,  qu'avaient  visités  et 
décrits  avant  leur  ruine  les  pèlerins  chinois 
Fahien  et  Hiom-tsang.  Les  terres  furent  fouil- 
lées (i);  et  depuis  quelques  années  nous  furent 
ainsi  révélés  des  manuscrits  écrits  sur  parchemin 
dans  l'écriture  karasthri  en  usage  au  Gandhara, 
et  scellés  de  sceaux  à  figures  grecques  ;  de  vastes 
autels  décorés  de  figures  gréco-bouddhiques 
de  grandeur  nature,  des  têtes  en  terre  cuite, 
des  Bouddhas  d'argile  drapés  dans  le  style  du 
Gandhara,  —  des  peintures   sur   parchemin    de 

(i)  Les  explorations  de  MM.  Sven  Hedin,  Aurel  Stein,  Grundwedel  et  Lecoq, 
et  du  Français  Paul  Pelliot  l'ont  abondamment  démontré. 

(61) 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

cavaliers  d'un  caractère  très  persan.  Il  est  tel 
grand  autel  retrouvé  dans  ces  régions  de  Khotan 
dont  les  sculptures  de  terre  cuite  rappellent  les 
figures  sans  têtes  très  hellénisées  de  l'autel  du 
Gandhara,  comme  d'ailleurs  aussi  les  sculptures 
gréco-bouddhiques  de  la  Chine  et  du  Japon. 
Ainsi  s'explique  la  transmission  du  canon  de 
proportions  classiques  et  du  caractère  du  drapé 
de  la  Bactriane  à  la  Chine,  huit  siècles  après  l'expé- 
dition occidentale  des  Han.  Non  loin  de  Khotan, 
M.  Aurel  Stein  visita  un  vieux  temple,  peut-être 
du  111e siècle,  où  quelque  ancien  conquérant  venant 
de  l'Ouest,  du  Gandhara,  s'était  déifié  en  cham- 
pion du  Bouddha  en  ces  régions  ;  figure  d'une 
sorte  de  Constantin  en  casque  et  armure  fou- 
lant aux  pieds  les  esprits  du  mal. 

Un  des  traits  de  ces  sculptures  (peut-être  moins 
anciennes)  estime  tendance  à  faire  des  têtes  rondes 
et  de  petite  taille,  mélange  de  type  hymalaïen 
plus  vieux  comme  on  le  retrouve  au  Thibet,  et 
à  figurer  ce  type  tartare  du  Nord  et  de  l'Asie 
orientale  qui  passa  dans  l'Art  coréen;  c'est  ce 
même  type  qu'on  retrouve  sur  les  murs  des  mai- 
sons fouillées  du  Turkestan  chinois. 

Il  nous  faut  revenir  à  l'Art  chinois,  au  moment 
où  il  s'est  trouvé  si  vigoureusement  reconstitué 
par  la  fusion  des  empires  Dzin  et  Tang.  La 
dynastie  Tang,  en  618,  se  présentait  comme  un 
organisme  militaire  puissamment  constitué.  Mais 
son  second  empereur  Taiso  (627-650)  fortifia 
encore  le  pouvoir  de  la  Chine  jusqu'aux  confins 
de  l'Ouest.  Ce  fut  à  ce  moment  que  l'Art  gréco- 

(62) 


L'ART  GRECO-BOUDDHIQUE   EN  CHINE 

bouddhique  s'introduisit.  Les  armées  chinoises  et 
les  missions  pacifiques  sillonnaient  le  Turkestan  : 
le  pèlerin  Hiom-tsang,  dans  ses  séjours  aux 
plus  fameux  sanctuaires  du  Khotan,  du  Gandhara 
et  de  l'Inde  centrale,  recueillait  manuscrits  et 
dessins  et  les  rapportait  en  Chine  en  64$.  La 
Perse  sassanide  avait  ouvert  les  routes  maritimes  : 
des  princes  et  des  savants  vinrent  ainsi  à  la  capitale 
de  l'empereur  Taiso  et  rapportèrent  en  persan 
des  récits  de  voyage  de  l'Empire  du  Milieu.  Les 
empereurs  byzantins  et  leurs  gouverneurs  de  Syrie 
entrèrent  alors  en  rapport  avec  la  Chine  et  implo- 
rèrent même  son  secours  pour  les  débarrasser 
des  Sarrasins.  A  deux  reprises,  la  Chine  avait 
recherché  les  rapports  avec  l'Occident  :  la  première 
fois,  sous  les  Han,  la  jalousie  commerciale  des 
Parthes  les  avait  empêchés;  et  maintenant,  le 
fanatisme  musulman  cherchait  à  isoler  l'Empire 
romain  d'Orient. 

L'Art  gréco-bouddhique  pénétrait  donc  en  Chine 
assez  tard  et  ce  contact  allait  très  rapidement 
épuiser  sa  vigueur.  Après  trois  siècles  de  lentes 
et  faibles  approches,  il  allait,  grâce  à  l'acceptation 
des  Tang  et  grâce  aux  fréquents  et  cordiaux 
échanges  avec  Khotan,  Kashgaret  l'Inde  du  Nord- 
Ouest,  établir  la  communion  de  la  Chine  avec 
ces  civilisations  unies  dans  la  même  religion.  Et 
c'est  à  ce  moment  que  le  grand  mouvement  de 
l'Islam  allait  changer  si  brusquement  le  cours 
des  choses  dans  l'Asie  centrale.  Et  c'est  à  ce  même 
moment  que  s'écroulaient  les  royaumes  du  Tur- 
kestan que  les  sables  allaient  recouvrir  de  leur 
linceul,  et  que  dans  l'Inde   même  les   paisibles 

(6}) 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

monastères  disparaissaient  dans  des  tourmentes 
obscures  et  sanglantes. 

Il  fallait  que  le  Bouddhisme  eût  été  embrassé 
en  Chine  avec  une  singulière  ferveur.  Hiom-tsang 
avait  installé  ses  reliques  dans  un  temple  somp- 
tueux, il  avait  constitué  une  école  de  disciples 
pour  traduire  et  expliquer  les  manuscrits  qu'il 
avait  rapportés.  L'Art  de  Khotan  pénétra  alors 
rapidement  l'Art  chinois  :  des  princes  de  la  maison 
royale  de  Khotan  vécurent  à  la  cour  de  Chine,  et 
les  traditions  disent  qu'en  peinture  ils  avaient 
enseigné  à  donner  aux  figures  des  aspects  de  plein 
relief.  Existe-t-il  encore  des  restes  de  peinture 
semblable,  si  ce  n'est  dans  les  parties  partiellement 
sauvées  des  fresques  d'Horiuji  ?  D'un  autre  côté, 
de  l'Inde,  fuyant  les  révolutions  sanglantes,  des 
émigrants  lettrés,  passant  les  monts,  apportaient 
le  feu  sacré  d'un  nouveau  bouddhisme  ésotérique. 

Il  est  possible  que  le  paysage  chinois  primitif, 
peint  à  l'huile  sur  parchemin  des  collections 
du  Sho-Soïn  de  Nara,  montrant  des  Tartares  sur 
un  éléphant  blanc,  dans  un  paysage  de  grande 
vallée  éclairé  par  un  soleil  couchant,  appartienne 
à  ce  primitif  art  des  Tang.  Mais  si  l'on  compare 
la  statue  du  héros  de  Khotan,  Bisjamon,  aujour- 
d'hui au  Toji  de  Kioto,  avec  l'exemplaire  du 
Seiroji  datant  des  Dzin,  on  voit  de  quelle  richesse 
de  modelé  et  de  quelle  grâce  l'Art  chinois  s'était 
paré.  Les  détails  de  l'armure  si  fortement  rendus, 
le  groupe  que  piétine  le  héros,  correspondent 
exactement  aux  détails  qu'on  relève  dans  le  Bisja- 
mon de  stuc  déterré  par  Aurel  Stein  près  de 
Khotan.  De  la  fin  du  vu"  siècle  est  un  autre  beau 

(64) 


FRESQUE    DU    TEMPLE    D'HORIUJI,  A   NARA. 


L'ART  GRÉCO-BOUDDHIQUE  EN  CHINE 

Bisjamon    chinois,    un    peu   usé   par  le    temps, 
au  temple  japonais  d'Udzumasa. 

Dans  le  Nord-Ouest  de  la  Chine,  près  de 
Suifu,  est  taillée  dans  un  rocher  de  pierre 
sableuse  la  représentation  totale  d'un  Paradis 
bouddhique,  la  Trinité  sur  des  trônes,  des  groupes 
de  fidèles  sur  les  côtés  et  des  temples  étages 
dans  le  fond.  Le  tout  est  indiscutablement  d'ori- 
gine gréco-bouddhique,  comme  de  plus  petites 
sculptures  de  bois,  vrais  reliquaires  de  poche. 

De  ce  court  moment  artistique  subsistent  de 
grandes  statues,  des  miniatures,  des  sculptures 
de  marbre  ou  de  terre  cuite,  qui  furent  décou- 
vertes sous  la  terre  et  les  herbes  de  monticules 
voisins  de  factuelle  capitale  de  Sin-gan-fu.  Ce  fut 
là  l'emplacement  delà  primitive  capitale  desTang, 
près  des  ruines  de  la  primitive  capitale  des  Han, 
et  très  proche  de  la  capitale  des  Chou.  C'est 
là  que  les  fouilleurs  de  l'avenir  pourront 
découvrir  les  restes  de  trois  civilisations  succes- 
sives. 

Des  spécimens  de  sculptures  en  terre  cuite 
dure,  d'un  achèvement  plein  de  grâce,  égaux 
aux  Trinités  de  bronze  japonaises,  sont  conservés 
à  Horiuji.  Leur  groupement  rappelle  celui  de 
quelques-unes  des  fresques  d'Horiuji.  Le  Bouddha 
plein  de  sérénité  y  apparaît  assis,  les  jambes 
non  plus  croisées  ou  repliées,  mais  les  pieds 
posant  à  terre.  Les  lignes  du  drapé  ont  de  nou- 
velles dispositions,  onduleuses  et  d'une  rare 
beauté.  De  gracieux  Bodhisattwas  sont  à  ses 
côtés,  des  moines  rasés  se  tiennent  derrière. 
L'exemplaire  le  plus  typique  de  cet  art  chinois 

(6i) 


L'ART   EN  CHINE  ET   AU    JAPON 

gréco-bouddhique  est  sans  doute  la  statue  en 
terre  cuite  tendre  de  Bouddha,  au  temple  Udzu- 
masa  près  de  Kioto.  Les  traditions  la  disent  plutôt 
coréenne  ;  mais  même  dans  les  figures  d'argile 
de  Sangetsudo,  ne  se  marque  un  modelé  plus 
réaliste,  répudiant  toutes  les  lignes  purement 
décoratives  que  nous  constations  aux  statuettes 
de  bronze.  C'est  une  figure  tout  à  fait  gréco- 
bouddhique,  comme  le  premier  Sakyamuni 
gandharien  du  musée  de  Lahore;  mais  jamais 
aucune  figure  indienne  ne  fut  de  plus  puissante 
conception,  de  plus  ferme  exécution.  Les  grands 
plis  lourds  sont  indiqués  comme  par  la  pression 
du  pouce  modelant  une  terre  cuite.  Il  semble 
que  les  petites  boucles  des  cheveux  ont  été  serrées 
et  tordues  comme  par  les  trois  doigts  de  la  main. 
Et  cette  statue  conserve  quelque  chose  d'une 
puissante  ébauche  qui  n'a  pas  été  poussée  à 
l'achèvement. 

Les  miroirs  de  bronze  de  cette  période  sont 
d'une  autre  phase  de  l'Art  gréco-bouddhique  en 
Chine.  Les  mémoires  chinois  parlent  de  propor- 
tions égales  d'étain  et  de  cuivre  dans  l'alliage. 
Leur  décor  consiste  en  frises  concentriques  de 
symboles  astronomiques  nécromantiques,  mêlés 
d'élégants  caractères  chinois  ;  ces  symboles  rap- 
pellent les  constellations,  des  groupes  de 
triglyphes;  des  tortues  et  oiseaux  de  Hoo,  les 
animaux  signes  du  zodiaque.  Dans  les  livres 
chinois,  de  gracieux  miroirs  sont  quelquefois 
attribués  aux  Han,  avec  des  arabesques  en  spi- 
rales enfermant  des  hoos  et  des  lions,  avec  des 
lleurs,  des  papillons  et    des  oiseaux.  Il    en  est 

(66) 


L'ART   GRECO-BOUDDHIQUE  EN   CHINE 

couverts  entièrement  d'un  décor  en  relief  avec 
des  oiseaux  volant,  sortes  de  hérons,  au  milieu  de 
grappes  de  raisin,  ou  des  animaux,  sortes  de  lions, 
d'ours,  d'écureuils,  autour  d'un  bouton  central  en 
forme  de  grappe.  Les  livres  chinois  les  disent 
Han,  c'est  aussi  l'avis  du  professeur  Hirth,  mais 
non  le  mien.  D'après  les  nombreux  exemplaires 
conservés  au  Trésor  du  Sho-Soïn  de  Nara,  je  croi- 
rais plutôt  que  ces  miroirs  ont  été  des  créations 
plus  tardives  du  genre  chinois,  perfectionnant  les 
motifs  dérivés  du  Gandhara. 

Ce  splendide  éclat  artistique  allait  pâlir  quand 
l'empereur  déplaça  sa  capitale  vers  l'Est,  à 
Loyang,  en  698.  Si  certains  écrivains  ont  cru  à  la 
persistance  de  ce  grand  mouvement  gréco-boud- 
dhiste aux  siècles  suivants  en  Chine  et  au  Japon, 
j'estime  qu'il  faudra  juger  avec  liberté  des  germes 
féconds  que  les  influences  occidentales  de  l'Inde 
et  du  Turkestan  avaient  déposés  en  Chine:  une 
évolution  allait  se  produire  où  les  qualités  pure- 
ment chinoises  pourraient  manifester  leur  intime 
vigueur. 


© 


© 


CHAPITRE  VI 
L'ART  GRÉCO-BOUDDHIQUE  AU  JAPON 

LA  SCULPTURE  A  NARA 

LES  MONUMENTS  DE  SCULPTURE  D'ART  CORÉEN  AU  JAPON.  Il  LE  PLUS  ANCIEN 
ART  GRÉCO-BOUDDHIQUE  JAPONAIS.  »  LE  TEMPLE  D'HORIUJI.  Il  LES  FRESQUES. 

Il  ÉPOQUES  DE  WADO  ET  YORO  AU  JAPON.  Il  LES  GRANDES  FONTES  DE  BRONZE 
AU  JAPON  AU  VIII"  SIÈCLE.   |   LA  TRINITÉ  DU  KONDO  DE  YAKUSHIJI   PAR  GIOGI. 

Il  LA  STATUAIRE  D'ARGILE.  Il  LE  RÈGNE  DE  SHOMU.  ||  LA  PÉRIODE  DE 
TEMPEÏ   A  NARA  ET    LA  SCULPTURE  DE  BOIS.    ||    LES  TRÉSORS   DU  SHO-SOIN 

DE    NARA. 

Observons  jusqu'où  s'épandit  cette  vague  de 
classicisme  qui,  couvrant  la  Chine,  gagna 
ses  frontières  orientales.  Les  Tang  ambi- 
tieux avaient  essayé  d'annexer  la  Corée  en  64$, 
et  y  réussirent  provisoirement  en  668  :  ce  qui 
amena  de  sérieuses  difficultés  pour  la  Chine, 
avec  la  Corée  et  le  Japon.  C'est  ce  qui  fit  que 
le  Japon  vit  ses  communications  avec  la  Corée 
coupées  au  vu6  siècle  et  fut  dans  la  nécessité 
de  ne  vivre  que  de  ses  propres  ressources, 
jusqu'au  jour  où  il  dut  se  retourner  vers  les 
Tang  et  où  la  Corée  ne  put  éviter  les  mêmes 
influences. 

Le  palais  royal  de  Séoul,  au  milieu  de  ses 
splendides  jardins,  ses  terrasses  de  marbre 
sculpté,  ses  ponts,  ses  colonnades,  ses  toits  de 
belles  tuiles,  montre,  malgré  ses  successives  res- 
taurations, les  traces  évidentes  de  l'influence  des 
Tang.  Il  est  impossible  d'affirmer  que  cette  belle 

(69) 


L'ART  EN   CHINE   ET  AU   JAPON 

poterie  d'émail  crémeux  qui  a  rendu  la  Corée 
fameuse,  date  du  vne  siècle.  Mais  nous  connais- 
sons un  grand  bronze  coréen  où  se  combinent 
l'influence  gréco-bouddhique  et  les  traits  propres 
au  génie  coréen,  c'est  la  splendide  Kwannon 
debout  sur  l'autel  central  du  pavillon  Toïndo  du 
Yakushiji  de  Nara,  et  qui  fut  offerte  au  Japon  par 
la  Corée  à  la  fin  du  vne  siècle. 

C'est  en  la  comparant  avec  la  Kwannon  Yu- 
medono  qu'on  peut  exactement  peser  ce  que  l'Art 
coréen  a  gagné  ou  peut-être  perdu  dans  l'inter- 
valle d'un  siècle.  En  tout  cas,  ce  sont  les  deux 
sommets  de  l'Art  coréen.  Cette  Kwannon  se  tient 
debout  avec  un  peu  de  raideur,  un  peu  de  han- 
chement,  sur  un  trône  de  lotus  de  type  nouveau, 
aux  pétales  un  peu  raides  comme  d'une  sorte 
d'artichaut  ;  elle  est  d'une  suprême  beauté.  La 
partie  basse  de  la  statue  garde  beaucoup  du 
sentiment  de  l'Inde  du  Sud  et  de  la  Corée  pri- 
mitive, avec  ses  plis  s'enroulant  étroitement 
autour  des  jambes,  le  manteau  mince  et  d'exécu- 
tion nerveuse  des  Gô  chinois  qui  glisse  des 
épaules,  des  hanches,  des  bras,  jusqu'aux  pieds, 
tandis  que  la  partie  supérieure  nous  ramène  au 
type  gréco-bouddhique  par  ses  proportions,  sa 
poitrine  haute,  la  gracieuse  taille,  les  longs  bras, 
les  mains  si  bien  modelées,  et  surtout  la  tête 
au  si  bel  ovale.  Les  cheveux  sont  du  type  des 
Bodhisattwas  les  plus  gréco-bouddhiques  avec  le 
calot  de  cheveux  aux  petits  enroulements  con- 
ventionnels. Un  magnifique  collier  de  joaillerie 
entoure  le  cou.  On  n'oublie  plus  ce  visage  rayon- 
nant   d'une  surhumaine   beauté  et    gardant  cet 

(7°) 


Le  Fambour  de    Bronze, 

au  Temple  Shinto  de  Kasuga,  à  Nara. 


Planche  XIII. 


L'ART  GRÉCO-BOUDDHIQUE  AU  JAPON 

indéfinissable  et  mystérieux  sourire.  Le  bronze 
est  d'un  brun  jaune  merveilleux,  d'un  alliage 
qu'on    appelle   au    Japon    «    Embugadon    ». 

Ce  fut  la  première  grande  statue  de  bronze  qu'on 
vit  au  Japon,  et  on  peut  penser  quelle  influence 
elle  put  avoir  sur  les  artistes.  Il  se  pourrait 
que  le  colossal  Bouddha  de  bronze  du  Kanemanji 
soit  aussi  une  grande  œuvre  coréenne  de  cette 
époque.  Rien  ne  le  prouve,  toute  tradition  étant 
perdue  ;  mais  le  ton  de  sa  fonte  est  tout  pareil, 
ainsi  que  les  plis  qui  le  drapent.  Et  si  c'est  une 
œuvre  japonaise,  elle  aurait  été  faite  avec  des 
matériaux  coréens  et  sous  l'influence  de  l'esprit 
coréen. 

Les  lents  essais  des  artistes  du  bronze  au 
Japon  avaient  trouvé  leur  plus  haute  expression 
dans  la  Trinité  du  petit  paravent  aux  anges.  C'est 
une  étape  au  delà  de  laquelle  la  force  créatrice 
de  la  Chine  gréco-bouddhiste  allait  se  répandre 
dans  de  nouvelles  directions.  L'empereur  Tenchi 
avait  eu  pour  successeur,  sur  le  trône  impérial  du 
Japon,  Temmu,  puis  sa  veuve  l'impératrice  Jito, 
qui  s'entourait  en  690  d'un  corps  de  fonctionnaires 
femmes  et  promulguait  en  702  le  grand  Code 
de  lois,  le  Taihorio,  qui  allait  déterminer  la  divi- 
sion des  terres  jusqu'alors  détenues  par  la  noblesse. 
Une  caste  guerrière  allait  naître,  avec  ses  privi- 
lèges. Cependant  l'impératrice  continuait  dans 
son  palais  de  Daikiokuden  ses  réceptions  de  nobles 
et  de  fonctionnaires,  tout  à  fait  à  la  façon  des 
souverains  chinois .  Confucius  fut  alors  adoré  ainsi 
que  le  Bouddha  ;  et  un  adepte  du  nouveau  mysti- 
cisme chinois,  En-no  Gioji,  vint  alors  au  Japon. 

(7') 


L'ART  EN   CHINE   ET  AU  JAPON 

C'est  un  des  aspects  de  la  vigoureuse  emprise 
de  la  Chine  des  Tang  sur  le  Japon  d'alors.  Ce 
fut  ainsi  que  le  Bouddha  d'argile  de  Udzumasa, 
et  les  tablettes  de  terre  cuite  durent  être  apportés, 
ainsi  que  la  Kwannon  coréenne  de  bronze  du 
Toïndo.  Ce  fut  apparemment  dans  la  plaine  à 
l'Ouest  de  Nara,  non  loin  des  collines  sablon- 
neuses, et  un  peu  au  Nord  de  la  présente  ville 
de  Koriyama,  que  les  premiers  essais  d'art 
gréco-bouddhique  vraiment  japonais  furent  ten- 
tés. C'est  là  que  s'élève  le  Yakushiji  avec  le 
Toïndo  ;  très  proche  au  Sud  est  le  Shodaiji,  fondé 
un  peu  plus  tard  sur  un  ancien  site  bouddhique. 

Sans  revenir  sur  la  discussion  au  sujet  des 
constructions  d'Horiuji,  que  l'incendie  de  680 
dévasta  et  dont  nous  ne  pouvons  plus  bien 
affirmer  si  le  porche,  la  pagode  et  le  kondo  sont 
bien  seuls  demeurés  du  primitif  édifice,  on  peut 
toutefois  s'accorder  sur  l'antiquité  des  fresques 
qui  décorent  les  quatre  murs  intérieurs  du  kondo, 
qui  à  l'heure  actuelle  présente  un  étrange 
mélange  dé  styles  :  l'autel,  plusieurs  statues  et 
le  grand  baldaquin  étant  purement  d'époque 
Suiko,  les  fresques  murales  et  quelques  statues 
étant  purement  gréco-bouddhiques. 

Nous  disons  «  fresques  »,  parce  qu'elles  sont 
un  des  très  rares  exemples  de  peinture  extrême- 
orientale  sur  plâtre;  mais  il  est  improbable  que 
leur  technique  fut  celle  de  la  fresque,  c'est-à- 
dire  de  l'application  de  la  couleur  sur  une  sur- 
face humide  ;  les  couleurs  semblent  plutôt  y  avoir 
été  appliquées  à  sec,  comme  sur  un  papier,  une 
soie  ou  le  bois.  Des  Anglais  les  ont  comparées 

(72) 


Figures  de  Bronze. 
Sur  un  Bâton  de  prêtre. 


Planche  XIV. 


La  Trinité  Bouddhique. 

Statues  de  bronze  noir  attribuées  à  l'Epoque  de 
l'Impératrice  Jîto  vers  696,  mais  peut-être  de  71S. 
(Construction  du  Temple.) 
Temple  Yakushiji  de  Nara  (Japon). 


Planche  XV. 


L'ART  GRÉCO-BOUDDHIQUE    AU   JAPON 

aux  peintures  d'Adjunta  et  d'autres  temples 
rupestres  de  l'Inde  septentrionale,  mais  il  me 
paraît  qu'il  y  a  de  grandes  différences.  Il  est  vrai 
que  de  part  et  d'autre  les  chairs  apparaissent  en 
rouge,  et  que  les  types  semblent  bien  indiens.  Mais 
pour  l'esthétique,  l'espacement,  les  proportions, 
la  dignité  et  la  plénitude  de  la  couleur,  les  pan- 
neaux d'Horiuji,  bien  que  de  l'Asie  orientale, 
sont  infiniment  supérieurs.  Il  semble  admissible, 
étant  donnée  l'existence  au  Gandhara  de  grandes 
fresques  gréco-bouddhiques,  qu'il  y  ait  eu  des 
influences  imposées  et  subies,  la  dose  d'éléments 
grecs  étant  bien  plus  grande  au  Gandhara.  Ainsi 
s'expliquerait  que  les  peintures  d'Horiuji  dérivées 
du  Gandhara  puissent  présenter  des  traits  que  le 
Gandhara  partage  avec  Adjunta,  et,  par  des  ana- 
logies plus  lointaines,  avec  Pompeï. 

La  longue  frise  de  fresques  d'Horiuji,  inter- 
rompue par  les  quatre  portes  des  quatre 
murs  (trois  cents  pieds  de  développement  sur 
quinze  pieds  de  haut),  comporte  des  compositions 
quadrangulaires  de  proportions  variées,  les  plus 
vastes  présentant  des  Bouddhas,  quelques-uns  très 
abîmés,  des  Bodhisattwas  de  type  grec,  non  plus 
comme  deux  acolytes,  mais  par  groupes  de 
quatre  et  plus,  et  de  saints  personnages  dans  les 
fonds,   comme  dans  les  fragments  du  Gandhara. 

Les  halos  des  Bouddhas  sont  circulaires  ;  ils  sont 
sous  de  riches  baldaquins  ;  des  anges  volant  tout 
en  laissant  flotter  de  souples  draperies  descendent 
du  ciel,  en  répandant  des  fleurs.  D'autres  groupes 
sont  de  Bodhisattwas  seuls,  toujours  avec  le  calot 
de    cheveux  gréco-bouddhique,    ou  les  cheveux 

(73) 


L'ART   EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

épandus  sur  les  épaules.  Les  couleurs  sont  d'une 
richesse  assourdie,  des  rouges  sombres,  des 
verts  pour  les  Bouddhas,  et  les  faces  en  rouge. 

En  connaît-on  les  auteurs  ?  Les  traditions 
d'Horiuji  nomment  Doncho,  un  prêtre  coréen 
qu'y  appela  Shotoku.  Attribution  peu  sérieuse. 
11  est  possible  qu'un  artiste  japonais,  qui  put 
avoir  étudié  en  Chine,  se  soit  approprié  un  style 
étranger.  Il  semble  plus  probable  qu'un  maître 
chinois  qui  avait  travaillé  avec  Michi  Itsung,  ou 
quelque  autre  maître  du  style  de  Khotan,  ait  été 
appelé.  Nous  aurions  ainsi  dû  parler  de  ces 
œuvres  en  nous  occupant  de  l'Art  chinois  gréco- 
bouddhique.  Mais,  eu  égard  à  l'influence  des 
fresques  d'Horiuji  sur  l'Art  japonais  de  style 
gréco-bouddhique,  il  était  préférable  de  s'en 
occuper  ici. 

Cette  influence  et  celle  des  petits  reliefs 
d'argile  sur  la  sculpture  japonaise  de  l'époque 
de  Temmu  (673-688)  est  manifeste  dans  quelques 
remarquables  reliefs  de  pierre  de  la  crypte  du 
temple  presque  détruit  de  Gangoji  à  Nara.  Ils 
sont  profondément  taillés  dans  les  plaques  de 
pierre  du  mur,  et  l'on  y  voit  une  admirable 
Kwannon  aux  onze  têtes  et  plusieurs  Trinités.  La 
Kwannon  est  un  peu  du  style  des  statuettes  de 
bronze;  mais  les  lignes  sont  plus  douces  et  les 
proportions  nouvelles  :  elle  apparaît  dans  une 
niche,  en  si  haut  relief  qu'elle  en  semble  détachée. 
C'est  peut-être  la  plus  belle  sculpture  de  pierre 
japonaise.  Les  Trinités  sont  disposées  dans  le 
pur  style  gréco-bouddhique,  mais  il  n'y  a  plus 
d'assistants.  Les  Bodhisattwas  ont  un  hanchement 

(74) 


Un  des   Bodhisattwas  de  la  Trinité  Bouddhique  (Bronze) 
Vers.  696.     Mais  peut  être  Seulement  de  718. 
Temple  Yakushiji  de  Xara. 


Planche  XVI. 


Statue  de  Bronze. 

Influence  Greco-bouddhique.     Temple  d'Horiuji  (Japon). 


Planche  XVII. 


L'ART  GRÉCO-BOUDDHIQUE   AU  JAPON 

sensible,  et  les  Bouddhas  piétinent  des  lions  dont 
le  style  est  aussi  bien  de  Suiko  que  du  Gandhara. 
En  un  cas,  au  lieu  d'un  baldaquin,  nous  avons 
l'arbre  sacré  sculpté  en  faible  relief  avec  des 
bandes  concentriques  de  feuillages,  persistance 
d'un  motif  mésopotamien. 

Mais  un  fait  nouveau  allait  se  produire.  En  708, 
la  première  année  de  l'empereur  Gemmei  (période 
Wado),  le  cuivre  fut  découvert  au  Japon  en 
quantités.  Il  devint  ainsi  possible  de  faire 
des  images  de  bronze  de  grande  taille,  car  les 
statuettes  de  l'âge  précédent  avaient  été  faites 
de  métal  importé.  Et  le  Japon  allait  ainsi  embras- 
ser l'art  gréco-bouddhique  avec  une  facilité 
et  une  ferveur  que  n'avait  pu  y  apporter 
la  Chine,  que  son  génie  natif  y  prédisposait 
moins. 

Les  grandes  divinités  de  bronze  qui  appar- 
tiennent à  cet  âge  d'or  (Wado  et  Yoro  :  708-721) 
sont  au  nombre  de  quatre.  La  plus  ancienne 
est  probablement  le  Bouddha  du  Kanimanji 
(déjà  mentionné),  qui  peut  être  coréen,  ou  peut- 
être  fait  au  Japon  avec  du  métal  coréen,  anté- 
rieur à  708.  —  Ensuite,  la  Trinité  de  hautes  statues 
aujourd'hui  au  Kodo  (ou  salle  de  lecture  du  temple 
du  Yakushiji),  dans  les  environs  Ouest  de  Nara, 
qui  originairement  dut  être  édifié  au  Nord  du  site 
actuel.  On  dit  que  cette  Trinité  du  Kodo  fut 
la  pièce  maîtresse  de  l'autel.  Brûlé  un  peu  après, 
le  temple  fut  reconstruit  (où  il  est)  en  716,  mais  le 
goût  esthétique  avait  fait  de  notables  progrès  dans 
cet  intervalle  de  temps  si  court  :  la  gaucherie  de 
ces  sculptures  les  fit  reléguer  dans  le   bâtiment 

(75) 


L'ART  EN   CHINE   ET  AU  JAPON 

secondaire  du  Kodo,  la  superbe  Trinité  en  bronze 
noir  étant  fondue  pour  le  nouveau  Kondo. 

La  première  Trinité  du  Yakushiji,  plus  grande 
que  nature,  est  nettement  dépendante  des  modèles 
de  statuettes,  toutes  proportions  gardées.  Le 
Bouddha  est  très  beau,  la  draperie  retombant  sur 
les  épaules  dune  façon  plus  chinoise  que  dans  la 
figure  du  Kanimanji.  Rien  ne  reste  des  plis  un 
peu  durs  de  la  Corée.  Un  détail  nouveau  consistait 
à  envelopper  le  haut  des  pieds  croisés  dans  les 
draperies;  mais  les  jambes  et  les  pieds  ont  une 
minceur  qui  s'oppose  à  l'exagération  contraire 
du  Bouddha  du  Kanimanji.  Les  cheveux  ne  sont  pas 
plats  comme  dans  l'autre,  mais  en  courtes  boucles 
ondoyantes,  et  les  Bodhisattwas  sont  frappants 
de  parfaite  vérité  dans  leur  hanchement. 

Au  vieux  temple  de  Yakushiji  existe  encore 
l'ancienne  pagode,  qui  date  peut-être  de  Yoro, 
ayant  ainsi  échappé  à  l'incendie  qui  anéantit  le 
Kondo  et  le  Kodo.  C'est  un  type  architectural 
d'une  rare  originalité. 

Mais  les  plus  fortes  impressions  serontressenties 
en  franchissant  les  portes  du  Kondo  du  Yakushiji, 
devant  le  grand  autel  de  pierre  sur  lequel  pose  laTri- 
nité  des  colossales  figures  de  bronze  noir  poli,  d'un 
alliage  qu'on  nomme  le  «  shakudo  »,  quand  on  s'en 
sert  pour  les  petits  ornements  précieux  du  sabre; 
elles  sont  adossées  à  leurs  énormes  halos  de  bronze 
doré  (qui,  eux,  ont  été  refaits).  Les  Bodhisattwas, 
déesses  du  Soleil  et  de  la  Lune,  qui  accompagnent 
Yakushi,  comme  Kwannon  et  Seishido  accom- 
pagnent Amida,  sont  d'une  grâce  accomplie,  de 
proportions   solides,  les   têtes  d'une  souveraine 


Figure  Assise  Laquée 

Art  Japona  s.      Epoque  de  Tempyo  VIIIe  siècle 
Ecole  des  Beaux  Arts  de  Tokio 


Planche  XVIII 


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L'ART  GRÉCO-BOUDDHIQUE   AU   JAPON 

dignité  sous  le  calot  de  la  protubérance  boud- 
dhique. Les  corps  révèlent  même  une  splendide 
musculature.  La  draperie  qui  suit  les  jambes 
est  d'une  liberté  et  d'une  pureté  plus  grandes 
que  dans  les  modèles  de  Toïndo.  Les  doubles 
inflexions  des  colliers  de  joyaux  et  des  légers 
manteaux  sont  dune  harmonieuse  grâce.  Elles 
sont  certainement  parmi  les  plus  sublimes  figures 
de  bronze  du  monde. 

Le  Bouddha  est  un  extraordinaire  intermédiaire 
de  proportions  entre  l'énorme  tête  et  les  jambes 
du  Bouddha  du  Kanimanji  et  la  débilité  de  celui 
du  Kodo.  Les  lignes  du  drapé  ont  moins  de  plé- 
nitude décorative  que  dans  la  Trinité  du  para- 
vent d'Horiuji.  La  tête  est  modelée  dans  un 
superbe  ovale,  mais  offre  un  profil  légèrement 
aigu  comme  le  Yakushi  d'argile  d'Udzumasa.  La 
chute  des  plis  sur  le  bras  gauche  et  le  long 
du  genou  gauche  offre  une  beauté  rythmée  digne 
d'une  statue  de  la  Grèce.  La  main  gauche 
modelée  comme  celle  du  Bouddha  du  petit  para- 
vent, quoique  palmée,  a  des  proportions  tout  à 
fait  vraies.  On  ne  saurait  omettre  le  socle  massif 
de  bronze  sur  lequel  trône  Yakushi  et  devant 
lequel  retombent  ses  draperies.  Il  est  unique  dans 
l'Art  asiatique  et  difficile  à  rattacher  à  quoi  que  ce 
soit,  si  ce  n'est  que  ses  éléments  viennent  des 
Tang  chinois,  en  même  temps  que  de  l'Art  gréco- 
bouddhique.  Le  bord  du  bandeau  supérieur  se 
compose  de  pampres  enroulés,  comme  le  décor 
des  miroirs  chinois  et  certains  motifs  grecs  d'une 
époque  tardive.  Les  rosettes,  les  losanges  et  les 
croix   des  quatre  côtés,  également  en  bas-relief, 

(77) 


L'ART   EN   CHINE   ET  AU  JAPON 

rappellent  les  dessins  primitifs  des  peuples  de  la 
région  de  l'Amour  et  des  Han  chinois.  Un  long 
dragon  y  semble  de  transition  entre  le  type  des 
Han  et  celui  des  Tang.  Mais  ce  qu'il  y  a  de  plus 
remarquable  et  de  plus  imprévu,  ce  sont  les 
groupes  de  figures  accroupies,  deux  à  deux,  sous 
des  arcades  bouddhiques  décoratives,  figures 
étranges  de  type  nègre,  presque  nues,  avec 
d'énormes  têtes  à  cheveux  crépus  comme  ont 
les  Somalis  d'Afrique  ou  les  négritos  de  Bornéo 
ou  desPhilippines.  Ces  têtes  furent-elles  imaginées 
d'après  des  types  observés,  ou  théosophiquement 
comme  des  représentants  d'une  troisième  race, 
des  nains  ou  des  diables?  Mais  le  plus  surpre- 
nant est  la  figure  grotesque  à  queues  de  poisson 
en  guise  de  jambes,  qui  soutient  le  pilier 
d'arrière,  qui  semble  bien  de  réimportation 
polynésienne  (socle  analogue  dans  la  Con  Golubev). 
L'auteur  du  groupe  de  Yakushiji  avait  du  génie, 
et,  par  un  efortune  singulière,  son  nom  nous  est 
parvenu,  Giogi,  dénommé  Bosatsou  ou  Bodhisa- 
ttwa  pour  sa  divine  sagesse,  qui  l'avait  fait  prélat, 
homme  d'État,  conseiller  impérial.  C'est  le  troi- 
sième grand  nom,  un  siècle  après  Tori  Busshi  et 
Shotoku.  Et  par  un  hasard  providentiel,  nous 
avons  encore  sa  propre  statue  de  bois,  de  sa 
main,  dont  l'extraordinaire  beauté  plastique  de 
drapé  la  rend  l'égale  de  son  Yakushi.  Elle  se 
trouve  au  Saidaiji,  temple  au  Nord  du 
Yakushiji. 

Pour  comprendre  ce  que   cette  brève  période 
de  Wado  et  Yoro  révèle  de  précieux  dans  le  premier 


BODHISATTWA,    DIT    AUSSI     BONTEN. 

Terre  séchée  et  laquée  attribuée  à  Riôben. 
Epoque  de  Tempio  VIIIe  siècle. 
Temple  Sangetsudo  de  Nara. 


Planche  XX. 


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Sangetsudo  Vociférant. 

Argile  laqué.     Art  Japonais.  Epoque  de 
Tempio  Ie"  moitié  du  VIII'  siècle. 
Temple  Todaiji  de  Nara  (Japon). 


Planche  XXI. 


L'ART  GRECO-BOUDDHIQUE   AU  JAPON 

épanouissement  artistique  de  la  race  japonaise, 
il  faut  se  rappeler  la  grande  activité  littéraire 
parallèle  à  ces  triomphes  de  la  sculpture. 

Ce  fut  le  moment  des  premiers  célèbres  poètes 
japonais  Hitomaro  et  Akahito.  La  première  grande 
anthologie  japonaise,  le  Manyoshiu,  débutait 
comme  un  recueil  privé  de  la  famille  de  Yaka- 
mochi  Otomo,  s'augmentait  par  accroissements, 
et  était  publié  probablement  entre  750  et  760.  — 
Le  Kojiki,  réduction  des  traditions  transmises  par 
les  annales  religieuses,  fut  achevé  en  712.  —  Le 
Nihonji,  la  première  histoire  critique  du  Japon,  fut 
gravé  en  720.  Ce  fut,  dans  tous  les  sens,  un  grand 
bouillonnement  d'idées,  de  sentiments  littéraires 
purement  japonais,  tout  à  fait  en  dehors  de 
la  Chine.  Les  façons  de  sentir  et  d'imaginer 
de  la  Chine  n'avaient  pas  eu  sur  la  littérature  du 
Japon  la  prise  qu'elles  avaient  eue  sur  les  arts 
bouddhiques. 

Pour  trouver  ce  que  cet  épanouissement  put 
produire  d'original  en  art,  et  spécialement  dans 
les  fontes  de  bronze,  il  faut  considérer  le  Kagen- 
kei,  cet  extraordinaire  tambour  de  bronze,  pendu 
au  temple  Shinto  de  Kasuga,  entre  les  corps 
entrelacés  de  deux  dragons  qui  prennent  point 
d'appui  sur  une  figure  accroupie,  vaguement  d'un 
chien,  et  qui  n'est  peut-être  qu'un  lion  boud- 
dhique. Ce  sont  là  les  dragons-types  des  Tang, 
observés  avec  un  surprenant  sens  réaliste.  Les 
frises  concentriques  du  tambour  portent  en  relief 
un  riche  décor  d'enroulements. 

Mais  le  génie  plastique  du  Japon  ne  se  confina 
pas  alors  exclusivement  dans  les  fontes  de  bronze  : 

(79) 


L'ART  EN  CHINE   ET  AU  JAPON 

il  mit  en  œuvre  l'argile,  cette  argile  du  Japon  de 
ce  merveilleux  ton  gris  argenté,  composée  déterre 
de  Nara  tamisée  et  de  petits  débris  de  papier 
fibreux.  Elle  est  sensible  au  pouce,  prend  une 
surface  polie  qui  durcit  en  séchant  et  résiste 
à  la  désagrégation  atmosphérique.  Un  grand 
nombre  de  statuettes  de  cette  nouvelle  matière 
qui  se  prêta  à  l'interprétation  des  formes  gréco- 
bouddhiques,  se  trouvent  en  groupes  composés 
avec  des  paysages  modelés  aussi,  à  l'étage  infé- 
rieur de  la  pagode  d'Horiuji.  Il  y  a  là  de  petits 
anges  très  grecs,  des  Bodhisattwas  avec  des  rois, 
des  saints  et  des  moines.  La  scène  du  Nirvana, 
entre  autres,  est  traitée  dans  le  menu  détail  ; 
toutes  ces  figurines  de  terre  dans  des  actions  variées 
sont  dramatiques  de  douleur,  naïves  ou  comiques. 
Ces  groupes  sont  probablement  primitifs,  et 
datent  de  la  reconstruction  d'Horiuji. 

Une  suite  de  figures  extraordinaires  est  celle 
des  douze  généraux  qui  accompagnent  Yakushi, 
statues  grandeur  nature  originairement  placées 
autour  du  grand  autel  circulaire  de  Shin  Yaku- 
shiji  de  Nara,  figures  guerrières  dans  de  violentes 
attitudes,  armées  de  lances,  d  epées,  de  flèches. 
Leurs  costumes  rappellent  ceux  des  Bisjamons 
primitifs  de  Khotan,  avec  des  variantes  chinoises. 
La  fantaisie  japonaise  entre  en  jeu,  car  pas  une 
attitude  ne  se  répète.  La  plus  belle  est  sans 
doute  la  figure  au  bras  levé. 

Encore  plus  beaux  de  modelé  et  splendide- 
ment conservés  sont  les  quatre  gardiens  gran- 
deur nature  «  Shi-Ten-o,  ou  quatre  Rois  Devas  » 
placés  sur  le  grand  autel  de  Kaidendo  (Baptis- 

(80) 


Plaque  de  la  Grande  Lanterne  de  Bronze, 
à  l'entrée  du  Temple  Dai  Butsu  à  Nara. 
Art  Japonais.     VIII"  siècle.      (Epoque  Tempio.) 


Planche  XXII. 


Statue  de  Fudô  (en  bois). 
Attribuée  à  Kobodaishi,  après  son  retour 
de    Chine.      Début    du    IXe   siècle. 
Temple  Toji  à  Kyoto. 


Planche  XXIII. 


L'ART  GRÉCO-BOUDDHIQUE   AU   JAPON 

tère)  du  Todaiji  à  Nara,  en  si  vigoureuses  actions 
qu'il  semble  que  des  guerriers  chinois  en  armures 
aient  posé  pour  eux.  Le  modelé  n'en  serait  pas 
plus  beau  s'ils  étaient  de  marbre.  Les  mains  ont 
été  restaurées,  mais  les  visages,  les  corps  et  les 
cheveux  sont  absolument  parfaits.  L'attitude  de 
celui  qui  porte  une  pagode  sur  sa  main  ouverte 
est  particulièrement  admirable;  un  autre  a  la  tête 
couverte  d'un  casque  chinois.  Toutes  ces  figures 
se  tiennent  debout  sur  les  corps  écrasés  de  démons 
représentation  des  éléments  de  la  théosophie 
extrême-orientale.  Il  est  vraisemblable  que  nous 
avons  en  ces  statues  les  reflets  des  originaux 
chinois  ;  elles  peuvent  donc  représentera  nos  yeux 
le  pur  idéal  des  premiers  Tang. 

Une  statue  d'expression  violente  est  le  Shik- 
koudo-Shin,  sorte  de  dieu  Thor  bouddhique, 
lanceur  de  masse,  conservé  dans  le  pavillon 
annexe  de  Sangetsudo  du  Todaiji,  dont  la  face 
respire  la  passion  du  combat.  Les  muscles  et 
tendons  des  bras  et  des  poings  levés  sont  indi- 
qués avec  toutes  les  veines.  Les  lignes  delà  dra- 
perie flottante,  quoique  un  peu  cassées,  sont  d'une 
telle  beauté  qu'on  serait  tenté  de  considérer  cette 
statue  comme  contemporaine  de  la  Trinité  en 
bronze  noir  du  Yakushiji,  et  de  la  croire  de  Giogi 
même.  La  peinture  originale  sur  l'argile  est  des 
mieux  conservées,  donnant  tous  les  détails  de  la 
décoration. 

De  cette  période  Wado  et  Yoro  les  plus  belles 
pièces,  au  sommet  même,  sont  les  Bodhisattwas 
d'argile,  ainsi  que  les  deux  grandes  figures  les 
mains  croisées  pour  prier,  qui  sont  sur  le  grand 

(81) 


L'ART  EN   CHINE  ET  AU  JAPON 

autel  du  Sangetsudo.  En  considérant  ces  statues 
de  Brahma  et  d'Indra  (Bonten  et  Taishaku  en 
japonais),  les  sceptiques  ne  sauraient  nier 
l'influence  grecque  qu'elles  reflètent.  Ce  sont 
sans  doute  de  fausses  appellations,  car  ces  figures 
sont  les  plus  féminines  de  toute  la  sculpture 
archaïque  ;  mais  dans  les  solides  proportions  des 
torses  du  Parthénon  et  de  la  Vénus  de  Milo,  les 
Grecs  archaïques  n'ont  pas  fait  de  plus  beau 
drapé,  ni  de  visages  de  plus  calme  noblesse. 

La  grande  époque  de  Nara  fut  celle  que  les  Ja- 
ponais ont  appelée  de  Tempeï  :  mais  elle  commence 
en  fait  avant  Tempeï,  avec  l'arrivée  au  pouvoir  de 
l'empereur  Shomu  (724-748),  la  première  époque 
japonaise  d'impériale  splendeur.  La  nouvelle  capi- 
tale de  Shomu,  Nara,  couvrait  6  5  kilomètres  carrés, 
et  avait  plus  d'un  million  de  peuple.  L'empereur 
Shomu  était  un  autocrate,  réunissant  les  fonc- 
tions de  roi,  de  général,  de  juge,  de  prêtre. 
Et  cependant  son  règne  coïncida  avec  le 
suprême  épanouissement  de  l'idéal  chinois  et  de 
la  suprématie  chinoise  de  Genso  (713-756),  et  fut 
comme  l'âge  d'or  du  génie  japonais.  Mais  après 
lui  c'est  la  décadence  sous  l'empereur  Kobun. 
Shomu  avait  pris  la  détermination  de  développer 
la  civilisation  et  les  arts  du  Japon  sous  l'impul- 
sion de  ses  éléments  propres,  jadis  fécondés  par 
les  apports  du  continent.  Ce  fut  le  seul  grand 
souverain  bouddhiste  de  son  temps,  dont  le  règne 
fut  délibérément  indépendant  dans  son  éclat. 

Mais  déjà  quelques  ombres  allaient  obscurcir 
cette  radieuse  lumière.  Le  célèbre  poète  Hitomaro 
mourait    la  première  année  du  règne  de  Shomu; 

(82) 


• 


^ 


Bouddha  Assis.    Statue  d'argile  laquée. 
Epoque  de  Jôcho  (Fujiwara  XIe  siècle), 
à  Udzumasa,  près  Kyoto. 


Planche  XXIV. 


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Statue  de  Prêtre  (en  bois  laqué). 

Art  japonais.     Fin  du  XIIe  siècle.      (Epoque 
de  Kamakura.)     Temple  Kofukuji  à  Nara. 


Un  Niô. 

Par  Wunkei.     Début  du  XIIIe  siècle. 
(Epoque  de  Kamakura.) 


Statue  de  Prêtre  (en  bois  laqué). 
Par  Wunkei.     Début  du  XIII'  siècle. 
(Epoque  de  Kamakura.) 
Temple  Kokuhara  Mitsuji  à  Kyoto. 


Statue  en  Bois  de  Tokiori  Hojô, 
Vice-Shogun  de  Kamakura. 
Sculptée  un  peu  après  sa  mort  (1263). 
Temple  Kenchôji  à  Kamakura. 

Planche  XXV, 


L'ART  GRÉCO-BOUDDHIQUE   AU    JAPON 

le  fameux  sculpteur  Giogi  disparaissait.  La  jeune 
nation  japonaise,  sous  une  nouvelle  poussée 
d'influences  de  la  Chine  et  de  la  Corée,  douée 
de  plus  de  sentiment  que  de  caractère,  n'était 
pas  assez  rassise  pour  savoir  que  le  principal 
ennemi  de  l'Art  est  le  succès. 

L'usage  de  l'argile,  qui  avait  été  courant  avec 
les  fontes  de  bronze,  ne  dura  guère  plus  long- 
temps que  le  règne  de  Shomu.  Une  nouvelle 
matière,  sorte  de  composition  laquée,  allait  per- 
mettre, grâce  à  sa  cohésion  et  à  son  poids,  la 
création  de  statues  vraiment  colossales.  Une 
forme  de  bois  (état  primaire  de  la  statue)  était 
tout  d'abord  recouverte  d'une  forte  toile  imbibée 
de  colle,  que  le  pouce  et  la  spatule  enduisaient 
successivement  de  couches  de  laque  mêlée  de 
poudre  d'écorce  d'arbre  :  elles  pouvaient  se 
réduire  par  places  à  la  minceur  d'un  papier,  ou 
à  de  fortes  épaisseurs  dans  les  reliefs.  Deve- 
nues dures  comme  le  roc,  elles  pouvaient  recevoir 
finalement  le  noir  brillant,  la  feuille  d'or,  la  pein- 
ture d'huile. 

Au  début  de  Shomu,  ce  fut  la  pratique  favorite 
des  artistes,  avec  l'inconvénient,  qui  disparut  vite, 
de  la  raideur  de  la  première  forme  de  bois.  C'est  par 
centaines  qu'on  a  retrouvé  des  statues  de  ce  genre, 
grandes,  petites,  complètes  ou  fragmentées,  dans 
les  principaux  temples  autour  de  Nara,  à  Horiuji,  à 
Sangetsudo,  à  Akishino,  au  Kofukuji.  Le  pavillon 
Dembodo  d'Horiuji  en  est  rempli,  celles-ci  sur- 
tout dorées.  D'autres  ne  sont  que  peintes.  Les 
rois  gardiens  du  Sangetsudo  et  certains  Bodhi- 
sattwas  dorés  ont  dix-huit  pieds  de  haut. 

(8;) 


L'ART  EN   CHINE   ET  AU  JAPON 

Un  des  plus  étonnamment  modelés,  toutefois 
inférieur  à  l'Indra  d'argile  et  montrant  déjà  la 
modification  du  calot  de  cheveux  gréco-boud- 
dhique en  boucles  qui  tombent  autour  de  l'ex- 
croissance religieuse,  est  le  Bodhisattwa  assis  de 
l'École  des  Beaux-Arts  de  Tokio,  d'une  prestigieuse 
adresse  d'exécution  qui  rappelle  celle  des  Boud- 
dhas d'argile  purement  chinois. 

Les  statues  Dembodo  dorées  sont  un  peu  plus 
petites  que  nature.  La  meilleure  série  est  d'une 
grâce  et  d'un  fini  dignes  de  Giogi  et  de  ses  bronzes. 
Le  Bodhisattwa,  dont  le  calot  et  le  bras  gauche 
sont  brisés,  a  le  caractère  d'une  statue  d'empe- 
reur romain. 

Sur  l'autel  du  Chukondo  au  Kofukuji  de  Nara 
sont  les  généraux  de  Yakushi  et  ses  prêtres. 
Leurs  visages  ont  dans  les  regards  un  peu  hin- 
dous un  charme  naïf.  La  tradition  serait  que 
leur  auteur  était  un  prêtre  de  l'Inde  qui,  évi- 
tant la  Chine,  vint  droit  à  Shomu,  ce  Constantin 
du  nouvel  Art  bouddhique.  Peut-être  avons-nous 
son  portrait,  dans  la  plus  belle  de  ces  statues 
de  prêtres  à  figure  menue  hindoue. 

De  l'époque  de  Shomu  (724-740)  date  aussi  le 
rare  groupe  de  deux  prêtres  de  bronze,  l'un  priant, 
l'autre  marchant  cérémonieusement  avec  un 
encensoir,  d'un  modelé  et  d'un  drapé  splendides. 

Mais  la  vraie  matière  japonaise,  d'usage  pré- 
féré aussi  en  Chine,  ce  fut  le  bois.  C'était  l'excep- 
tion dans  les  rares  Kwannons  aux  onze  têtes 
des  époques  Suiko,  Yomeï  et  Seimei  (59^-667)  ;  au 
bois  étaient  encore  préférés  le  bronze  et  l'ar- 
gile sous    les   impératrices   Gemmei   de  Wado, 

(84J 


Le  Porteur  de  Lanterne. 
Attribué  à  Koben.     XIIIe  siècle.     (Epoque 
de   Kamakura).       Temple    Kasuga    à  Nara. 


Planche  XXVI. 


L'ART  GRÉCO-BOUDDHIQUE  AU  JAPON 

et  Gensei  de  Yoro.  Mais  dès  Shomu,  les  Kwan- 
nons  de  bois  ont  la  grâce  des  créations  de  Giogi 
et  elles  expriment  toutes  les  qualités  maternelles 
des  Vierges  d'Europe,  avec  le  sentiment  de  la 
fécondité  de  la  Diane  d'Éphèse. 

Une  des  plus  anciennes  et  des  plus  belles  de 
ces  Juichimans  de  bois  de  l'époque  Yoro  est 
celle  de  l'île  Itsushi  au  lac  Biwa,  au  visage  si 
beau  et  si  doux  ;  le  corps  demi-nu  donne  la 
suggestion  plus  que  la  réalisation  des  contours 
féminins  ;  le  profil  magnifique  porte  encore  l'in- 
dice de  la  dépression  ancienne  du  thorax. 

L'épouse  de  Shomu,  l'impératrice  Komio,  d'une 
beauté  souveraine,  était,  dit-on,  pénétrée  de  l'es- 
prit de  Kwannon,  et  dans  son  enthousiasme  aurait 
servi  de  modèle  à  une  de  ces  statues  qu'on  a 
identifiée  avec  celle  du  temple  d'Hokkuji,  cepen- 
dant moins  féminine  que  celle  du  lac  Biwa.  — 
D'une  beauté  égale  est  la  Kwannon  du  Toïndo  du 
Yakushiji,  qui  jadis  occupait  une  niche  aux  côtés 
du  grand  bronze  coréen.  Dans  sa  blancheur,  elle 
paraît  de  marbre.  Dans  sa  pureté  et  sa  grâce, 
elle  rappelle  les  statues  gothiques  françaises  de 
Reims  et  d'Amiens. 

La  sculpture  de  bois  de  Shomu  ne  resta  pas 
limitée  aux  Juichimans  :  elle  nous  a  rendu  des 
Bouddhas,  des  Bodhisattwas,  des  rois  Devas,  des 
prêtres,  des  compagnons  de  Yakushi,  des  êtres 
élémentaires  et  d'autres  formes.  On  les  rencontre 
dans  les  temples  du  Yamato  et  dans  des  lieux 
voisins  où  ils  se  retrouvent  ruinés.  Le  Kondo 
du  Shodaiji  en  est  rempli.  Remarquablement 
conservé  est  le  Bodhisattwa  d'Akishino. 

(8^ 


L'ART  EN   CHINE   ET   AU   JAPON 

Pour  bien  comprendre  le  caractère  du  Bodhi- 
sattwa  de  ce  primitif  Bouddhisme  de  Nara,  il 
faut  savoir  qu'il  exprime  l'idée  d'un  être  aussi 
avancé  que  possible  dans  l'ordre  de  la  sagesse  et 
de  la  connaissance,  suffisamment  délivré  des  liens 
de  la  chair  pour  prétendre  entrer  dans  le  Nirvana  et 
la  sainteté.  Dans  l'humanité,  il  est  l'ultime  incar- 
nation terrestre.  Toutefois,  dans  le  Bouddhisme 
du  Nord,  il  présente  une  signification  spéciale  : 
celle  d'un  être  qui,  ayant  tous  les  droits  au  Nir- 
vana, y  renonce  délibérément,  préférant  rentrer 
dans  les  conditions  terrestres  et  affronter  les  ten- 
tations du  monde,  pour  l'amour  de  l'être  humain. 
Il  y  a  là  une  renonciation  à  la  renonciation,  ou 
plutôt  au  salut,  qui  cesse  d'être  négative,  pour 
entrer  dans  la  voie  active  de  l'amour  et  de  l'assis- 
tance. Ce  vœu  du  Bodhisattwa  dans  le  Boud- 
dhisme du  Nord  a  quelque  chose  d'un  baptême, 
où  il  puise  la  force  de  combattre  pour  la  justice 
et  de  subir  toutes  les  réincarnations  nécessaires 
au  service  de  l'amour  de  ses  semblables.  Voilà 
qui  est  très  voisin  de  l'idée  chrétienne. 

Mais  si,  allant  plus  loin,  cette  âme  déborde 
d'amour  au  point  de  ne  plus  chercher  que  l'incar- 
nation occasionnelle,  c'est  alors  un  Bodhisattwa 
d'une  plus  haute  essence,  encore  plus  chrétienne, 
un  Bodhisattwa  éternel,  invisible  à  l'homme, 
mais  toujours  prêt  à  l'assister  et  à  répondre  à 
sa  prière.  Il  devient  ainsi  comme  le  principe 
de  toute  haute  moralité,  de  toute  spiritualité. 
Il  devient  Aizu,  l'esprit  d'amour  ;  Bisjamon,  l'es- 
prit du  courage;  Jizo,  l'esprit  de  pitié,  surtout 
pour  les    enfants;    Monju,    l'esprit   de    sagesse; 

(86) 


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Statue  D'Asangea  (en  bois). 

XIIe — XIIIe  siècle.      (Epoque  de  Kamakura). 
Temple  Kofukuji  à  Nara. 


Plancha  XXVIII. 


Masque  "Long  Nez." 

Ancien  culte  Shinto-Art  japonais. 
Masque  de  Danse  de  Gigakou. 

Art  japonais  après  le  XVIIIe  siècle.     Musée  du  Louvre. 
Masques  de  Drames  de  No. 

Art  japonais  XVIe — XVIIe  siècle.     Musée  du  Louvre. 


Planche  XXIX. 


L'ART  GRÊCO-BOUDDHIQUE  AU  JAPON 

Kwannon,  l'esprit  de  providence,  de  soutien,  de 
salut. 

C'est  ce  que  s'est  proposé  de  rendre  en  parfait 
achèvement  le  génie  des  sculpteurs.  Ceux  des 
derniers  temps  de  Shomu  n'y  apportèrent  plus  la 
même  grâce  légère  ;  les  redites  d'un  travail  fiévreux 
et  hâtif,  nécessité  par  l'obligation  de  garnir  de 
figures  tant  de  nouveaux  temples  et  monastères, 
donnent  de  la  banalité  à  ces  copies  de  copies. 
Il  en  fut  ainsi  au  déclin  de  l'Art  romain.  La 
Kwannon  de  bois,  au  revers  de  l'autel  du  Kondo 
d'Horiuji,  à  côté  de  la  Kwannon  coréenne,  en  est 
un  exemple. 

Une  autre  phase  de  cette  décadence  nous  est 
manifestée  par  les  grotesques.  De  parfaits 
exemples  sont  les  Shi-tennos  du  Nanzendo  de 
Kofukuji.  Leurs  attitudes  dénotent  une  énergie  un 
peu  soufflée,  et  tendent  à  la  pose.  Leurs  corps  se 
sont  épaissis  au  point  que  le  cou  disparaît  dans 
le  collet  du  gorgerin. 

Un  joli  moment  est  encore  marqué  par  les 
masques  sacrés,  surtout  dans  la  collection  de 
Kasuga,  où  se  mêle  le  type  shinto  préhistorique 
aux  masques  de  danse  de  l'Alaska  et  des  Philip- 
pines, et  aux  types  hindous  ;  d'un  comique  grec 
sont  ceux  à  becs  d'oiseaux  et  à  longs  nez  dérivés 
d'un  type  du  Pacifique,  mais  de  l'adroite  exé- 
cution de  Tempeï. 

Une  autre  face  de  la  sculpture  de  Tempeï  est 
donnée  par  les  représentations  de  femmes  et 
d'enfants,  sous  la  forme  de  divinités  ou  de  por- 
traits. Toutes  ces  statues,  qu'on  a  dénommées 
«  Soi,   déesses  indiennes  de  Fortune  »,  ne  sont 

(87) 


L'ART  EN   CHINE  ET   AU  JAPON 

que  des  représentations  de  jeunes  filles  japo- 
naises, coiffées  à  la  mode  d'alors,  leurs  longs 
cheveux  en  épaisses  boucles  sur  leurs  épaules, 
sous  les  aspects  de  la  nature. 

Les  peintures  permettent  de  mêmes  constata- 
tions :  il  en  est  de  plus  particulièrement  bouddhi- 
ques, où  se  marque  un  mélange  de  traits  chinois  et 
coréens,  avec  des  faiblesses  ou  des  rudesses  de 
drapé,  avec  des  attraits  faciles  de  couleurs.  Ainsi 
sont  certaines  figures  de  femmes  sur  quelques 
paravents  du  Sho-Soïn,  ou  de  beaux  portraits  de 
prêtres,  comme  celui  de  Ganshin  Washo,  fonda- 
teur du  Shodaiji. 

Un  des  derniers  actes  de  Shomu,  deux  ans 
avant  sa  mort,  fut  la  commande  de  la  colossale 
statue  de  bronze  du  Bouddha  Roshara,  le  Bouddha 
de  Lumière  que  les  Japonais  disent  le  «  Daibutsu  », 
destinée  au  grand  monastère  construit  sur  le 
plateau  oriental  de  Nara,  au  pied  de  la  mon- 
tagne Mikasa,  le  Todaiji.  Shomu  mourut  en  748, 
quatre  ans  avant  sa  terminaison;  mais  les  plans 
étaient  de  lui.  Si  le  feu  a  détruit  le  primitif  mo- 
nument, on  l'a  reconstruit  identique  (90  mètres 
de  long  sur  2$  mètres  de  haut).  La  figure  a 
16  mètres  sur  son  trône.  Le  feu  avait  détruit  la  tête 
énorme.  — Il  reste  aussi  un  merveilleux  objet  de 
cet  ensemble,  c'est  la  grande  lanterne  de  bronze 
de  6  mètres  de  haut,  qui  se  trouve  devant  l'entrée 
principale,  sur  un  piédestal  de  granit.  C'est  une 
cage  octogonale  de  bronze  ajourée,  de  surprenante 
technique  :  quatre  faces  portent  des  figures  en  bas- 
relief  de  Bouddhas  non  sans  grâce;  sur  les  quatre 
panneaux  de  portes  volent  dans  les  nuages  des 

(88) 


Ashikaga  Yoshimasa  (statue  de  bois), 
XVe  siècle. 
Temple  Ginkakuji,  près  Kyoto. 


Planche  XXX. 


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L'ART  GRÉCO-BOUDDHIQUE   AU   JAPON 

animaux  à  formes  de  lions.  Toute  la  richesse  de 
l'Empire  contribua  à  créer  ce  colossal  objet  d'art. 
Les  provinces  furent  écrasées  de  taxes  spéciales; 
les  matériaux,  cuivre  et  or,  apportés  de  la  Corée 
et  du  Japon  étaient  amassés  dans  les  monastères. 
Shomu  joua  ici  le  rôle  d'un  Pharaon. 

Mais  cela  n'était  rien  encore.  Shomu,  avant  de 
mourir,  décida  de  dédier  tout  ce  que  contenaient 
ses  palais  au  Bouddha  nouveau,  et,  non  loin  de 
son  temple,  d'édifier  un  monument  pour  enfermer 
ces  trésors.  C'est  ainsi  que  fut  construit  le  fameux 
Sho-Soïn  de  Nara  en  749.  Il  existe  encore  et  ren- 
ferme, si  l'on  se  reporte  à  l'inventaire  original, 
une  grande  part  de  ce  qui  y  fut  alors  déposé.  C'est 
le  plus  extraordinaire  endroit  du  monde,  où  ont 
pu  se  conserver,  malgré  les  siècles  révolus,  les 
objetsdematièreslespluspérissables:  les  rouleaux 
d'écritures  sur  papiers,  les  vêtements  de  la  garde- 
robe  impériale,  les  pantoufles  de  plumes  de  l'impé- 
ratrice, les  joyaux,  les  chapelets  de  verre  ou  de 
pierres  précieuses  ;  lesustensiles  d'usage,  decuisine 
et  de  table,  de  literie,  les  ornements  de  chevaux, 
les  bannières,  les  paravents,  les  miroirs  de  métal, 
les  instruments  de  musique,  les  armes  de  guerre. 
Témoins  inestimables  d'une  vie  et  d'un  art  abolis, 
d'une  civilisation  éteinte.  La  vie  de  Nara,  et  à  tra- 
vers elle  la  vie  de  la  Chine  des  Tang,  apparaissent 
ainsi  plus  perceptibles  que  ne  sont  à  nos  yeux  la 
Chine  et  le  Japon  d'aujourd'hui. 

Ce  sont  là  des  trésors  que  les  empereurs  se 
sont  transmis  d'âge  en  âge,  comme  une  sorte  de 
mystique  héritage.  Ils  furent  toujours  respectés, 
sauf  aux  époques  de  détresse  pendant  lesquelles 

(89) 


L'ART   EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

les  destructions  partielles  firent  leur  œuvre. 
Mais  deux  ou  trois  grandes  parties  demeurèrent 
intactes,  presque  sans  additions.  Ce  fut  en  1868 
qu'une  grande  commission,  fondée  par  M.  Uchida, 
en  fit  le  premier  récolement,  et  constitua  un 
essai  de  musée.  On  l'ouvre  une  fois  par  an,  pour 
aérer;  c'est  alors  que,  par  faveur  spéciale,  on  peut 
le  visiter. 

Si  l'intérêt  des  collections  est  encore  bien  plus 
archéologique  qu'esthétique,  elles  renferment 
cependant  des  objets   de  la  plus  grande  beauté. 

La  construction  a  jo  mètres  de  long  et  dresse 
à  6  mètres  au-dessus  du  sol  la  hauteur  de  ses 
deux  étages  sur  de  lourds  piliers  en  pilotis  qui  ne 
laissent  pas  l'humidité  monter  du  sol.  Plus  de 
mille  années  ont  déposé  sur  les  énormes  poutres 
de  la  construction  une  patine  oxydée.  L'étrange 
impression  d'entrée,  d'y  retrouver  comme  les 
couches  superposées  des  plus  anciennes  civili- 
sations du  monde  :  la  Babylonie,  la  Perse  des 
Sassanides  ;  l'Inde  et  le  Gandhara  ;  l'Annam,  la 
Chine,  la  Corée  !  Et  il  paraît  maintenant  certain 
que  beaucoup  de  ces  choses  sont  d'origine  japo- 
naise. Il  en  est  un  grand  nombre  qui  étaient  des 
cadeaux  accompagnant  les  ambassades  envoyées 
par  les  souverains  continentaux.  Les  verres  et 
les  émaux  venaient  de  Perse  et  de  Chine.  Les 
services  de  table,  assiettes,  coupes  et  bouteilles 
d'une  glaçure  jaune  ou  verte  moirée,  abondent 
par  douzaines;  c'est  une  poterie  inconnue  au 
Japon,  qui  est  peut-être  chinoise  du  temps  des 
Tang,  sous  l'influence  des  céramiques  et  des 
glaçures  des  Han. 

(9°) 


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L'ART  GRÉCO-BOUDDHIQUE   AU  JAPON 

Infiniment  précieuses  sont  les  biwas  chinoises, 
les  luths  piriformes,  dont  les  planchettes  sous 
les  cordes  ont  un  contre-collage  de  peaux  avec 
peintures  ;  le  paysage  avec  l'éléphant  est  une  de 
ces  peintures  les  plus  notables.  Sur  une  autre,  un 
lion  chasse  dans  les  montagnes.  Une  autre  biwa 
porte  de  délicates  incrustations  d'arabesques  de 
fleurs  et  d'oiseaux  en  ivoires  teintés.  D'autres 
boîtes  portent  des  incrustations  de  burgau  et 
d'ivoire;  c'est  ainsi  qu'est  décorée  une  pièce  des 
Tang  avec  des  figures  taoïstes.  Des  petites  plaques 
de  marbre  sculptées  de  combats  d'animaux  ser- 
vaient peut-être  de  poids  pour  les  tentes;  l'une, 
peut-être  d'époque  Tang,  montre  un  sanglier  et 
un  chien  dressé  pour  la  chasse,  d'un  puissant 
dessin,  et  d'une  perfection  toute  égyptienne.  Des 
vases  et  des  boîtes  d'argent  portent  des  décors  en 
relief  ou  gravés  de  motifs  à  la  manière  grecque. 
Des  formes  rappellent  l'art  persan  ;  la  belle  aiguière 
d'argent  à  anse  et  couvercle,  à  décor  de  chevaux 
ailés,  peut  très  bien  être  de  l'art  chinois  des 
premiers  Tang,  dont  se  seraient  inspirés  les  pre- 
miers artisans  de  la  Perse  et  de  l'Inde  des  pri- 
mitives civilisations  musulmanes  ;  car  sa  forme 
rappelle  celle  des  poteries  et  des  bronzes  des  Han; 
le  couvercle  offre  une  sorte  de  dragon  du  Pacifique 
modifié  par  l'esprit  babylonien,  et  le  cheval  ailé 
dérive  tout  à  fait  de  l'art  gréco-bouddhique  ;  on 
le  trouve  dans  les  reliefs  des  Han  plus  massif  et 
plus  robuste,  et,  si  ce  n'est  pas  un  élément 
gréco-bouddhique,  il  serait  venu  de  la  Grèce 
propre,  en  passant  par  la  Perse. 

Quant  à  l'ornementation  florale  en   incrusta- 

(90 


L'ART  EN   CHINE  ET  AU  JAPON 

tions  des  biwas,  on  y  trouve  la  feuille  gracieuse 
du  grenadier  qu'on  retrouve  dans  les  tapis  persans 
et  les  châles  de  l'Inde.  Les  étoffes  bouddhiques 
sont  remplies  d'ornements  sassanides. 

Il  y  a  dans  le  Sho-Soïn  plus  de  cent  magni- 
fiques miroirs  de  bronze  chinois,  petits  ou  grands, 
jadis  crus  japonais,  du  plus  délicat  relief.  Beau- 
coup sont  des  Tang,  avec  les  petits  enroulements, 
les  dragons,  les  tortues,  comme  au  piédestal  de 
bronze  du  Yakushiji,  et  aussi  avec  les  pampres 
et  les  grappes  de  raisin.  Il  est  plausible  que  ces 
miroirs  aient  été  des  répétitions  sous  les 
Tang  de  beaux  miroirs  des  Han,  et  même  que 
certains  aient  été  aussi  exécutés  à  Nara. 

La  fin  de  l'époque  de  Nara  coïncide  avec  le 
règne  de  l'impératrice  Koken,  qui  finit  en  769. 
Elle  vit,  malgré  sa  dévotion,  la  ruine  des  temples 
et  des  palais,  et  les  discussions  religieuses  qui, 
de  Chine  au  Japon,  opposaient  l'une  à  l'autre 
les  religions  de  Confucius  et  du  Bouddha.  L'Art 
de  cette  époque,  si  on  l'étudié  dans  les  statues 
du  Dembodo,  a  cette  raideur  typique  de  l'Art  de 
Koka,  grand  encore  dans  les  bas-reliefs  des 
généraux  du  Tokando  de  Tofukuji  et  les  Shi- 
tennos  du  Saidaiji,  si  sauvages.  Quelques  lueurs 
encore  :  la  peinture  dans  le  Paradis  occidental 
d'Amida,  avec  ses  Trinités  et  ses  anges,  dans  le 
Paradis  énorme,  peint  sur  vélin,  de  Taimadera. 


® 


CHAPITRE    VII 

LA   PEINTURE   MYSTIQUE    BOUDDHIQUE 
EN  CHINE  ET  AU   JAPON 

LOYANG  ET  KIOTO  —  VIII»  SIÈCLE  —  XI»  SIÈCLE 

L'ART  SOUS   LA  DYNASTIE  DES  TANG  EN  CHINE,   g  LES  PEINTRES  WANG  WEI 

ET    WU     TAO-TZU.     1    LEURS    ŒUVRES    SOUS    L'EMPEREUR    GENSO.     g      LES 

MANDARAS.    Il     LA    SCULPTURE  DE  CES  ÉPOQUES. 

Ce  serait  une  erreur  de  croire  que  l'Art 
bouddhique  ait  été  pour  le  génie  de  la 
Chine  autre  chose  qu'une  étape  dans  son 
ascension  vers  les  sommets.  Et  à  ne  le  consi- 
dérer que  comme  point  d'une  des  courbes  de  ce 
rythme  continu,  il  nous  reste  à  expliquer  un  des 
moments  les  plus  émouvants,  le  moment  des 
Tang.  On  peut  considérer  comme  en  états  per- 
manents dans  l'âme  chinoise  l'amour  du  paysage 
en  poésie  et  en  peinture,  excité  encore  par  le 
long  séjour  de  la  cour  des  Liang  dans  les  pro- 
vinces pittoresques  du  Sud,  —  et  le  sentiment 
profondément  religieux  en  peinture,  soit  tartare 
dans  le  Nord  avec  la  préoccupation  des  taches 
colorées,  soit  purement  chinois  dans  le  Sud  avec 
Kogaishi,  et  s'exprimant  puissamment  par  la  sou- 
plesse du  coup  de  pinceau.  Toutes  les  traditions 
écrites  sont  là  pour  l'affirmer. 

Le    génie    des   Tang  est   exceptionnel   par   la 
variété    des     sources    où    il    puisa,    dans    leur 

(9)) 


L'ART  EN   CHINE  ET   AU  JAPON 

réaction  réciproque  au  commun  contact.  La 
puissance  et  la  richesse  n'avaient  jamais  été  si 
grandes,  les  constructions  plus  vastes,  les  cos- 
tumes plus  beaux,  la  chère  plus  riche,  le  peuple 
plus  heureux,  les  travaux  publics  plus  gran- 
dioses. La  capitale  de  l'Est,  Loyang,  dans  la 
vallée  du  Hoang-ho,  était  assez  vaste  pour 
deux  millions  d'habitants,  remplie  de  merveil- 
leux monuments,  de  jardins,  de  palais,  en 
relations  de  commerce  avec  tout  le  monde  asia- 
tique ;  quelque  chose  comme  furent  Bagdad, 
Damas  ou  Samarkand. 

L'esprit  de  la  Chine  et  sa  littérature  s'épa- 
nouissaient en  floraisons  merveilleuses,  sous  le 
règne  de  l'empereur  Hsuan  Tsung  (Genso), 
depuis  713  jusqu'aux  insurrections  et  désastres 
de  7$$.  Le  grand  paysagiste  poète  (qui  était 
aussi  un  homme  d'État)  fut  Wang  Wei  (Okamitsu 
oï)  qui  peignait  des  scènes  de  la  nature  en  belle 
encre  noire,  dans  sa  splendide  demeure,  aux 
horizons  de  lacs,  à  quelques  lieues  de  la  capi- 
tale. Ce  n'était  pas  une  technique  qui  lui  fût 
absolument  personnelle,  ni  particulière  à  l'Art 
des  provinces  du  Sud.  Mais  il  la  pratiqua  avec 
une  force,  une  hardiesse,  qui  se  manifestent 
entièrement  dans  la  grande  cascade  du  Chisha- 
kuin  de  Kioto,  et  en  font  un  des  plus  authen- 
tiques chefs-d'œuvre  de  peinture  du  monde. 

Son  ami  et  son  rival  dans  la  peinture 
à  l'encre  des  paysages,  dans  la  tradition  de 
Liang,  fut  le  célèbre  Wu  Tao-T\u  (Godoshij,  si 
remarquable  dans  les  deux  paysages  du  Shinjuan 
Daitokuji  de  Kioto,  où   l'encre   est  maniée  avec 

(94) 


Kwannon  Assise. 
Par  Yen  Li-pen  (en  japonais  En-riu-hon). 
Con.  CharIes_Freer,  à  Détroit  (Etats-Unis). 


VIIe  siècle. 


Planche  XXXIV 


PEINTURE  BOUDDHIQUE 

une  audace  et  une  vigueur  singulières,  par  coups 
de  brosse  nerveux  d'une  étonnante  fantaisie, 
et  dont  on  retrouvera  plus  tard  toute  la  beauté 
transmise  aux  artistes  des  Song  et  des  Yuen. 

Mais  c'est  dans  l'Art  bouddhique  des  Tang 
que  nous  constaterons  les  plus  fortes  et  origi- 
nales créations  de  l'époque  ;  ce  fut  ce  sentiment 
qui  fut  le  soutien  de  Wu  Tao-Tzu  et  lui  permit 
d'atteindre  si  haut.  L'École  contemplative  pénétrée 
du  Bouddhisme  de  Zen,  fondée  par  Daruma,  avait 
conduit  à  l'art  du  paysage  et  à  une  conception 
plus  humaine  des  divinités  et  des  scènes  sacrées  ; 
l'Art  septentrional  tartare  y  venait  mêler  ses 
propres  traditions.  Mais  voici  que  dans  cet  Art 
des  Tang  un  puissant  dissolvant  s'insinuait  à  la 
suite  du  Gréco-Bouddhisme.  C'était  une  forme 
mystique,  ésotérique  de  la  foi,  qui,  fondée  sur 
l'idéalisme  philosophique  de  Nagajuna,  Vasuban- 
dhu  et  Asangpo,  avait  absorbé  cette  psychologie 
mystique  de  l'Inde  post-védique,  et  s'en  était 
forgé  une  forte  discipline,  une  doctrine.  Ce  fut 
en  grande  partie  l'œuvre  d'un  hérésiarque 
indien  vers  l'année  640.  Et  vers  700  une 
secte  s'était  constituée  de  fervente  piété,  de  puis- 
sant patronage,  dont  le  centre  était  sur  la  fameuse 
montagne  Tientai.  Le  maître  hindou,  Tendaï 
Daishi  (ainsi  l'ont  nommé  les  Japonais),  avait 
organisé  une  école  pour  propager  la  doctrine, 
dans  laquelle  entrèrent  les  jeunes  seigneurs  de 
Loyang.  Dans  cet  effort  pour  réaliser  l'union 
mystique  avec  la  divinité,  sorte  d'extase  néo- 
platonicienne, cette  secte  ésotérique  qui  attri- 
bue  à  l'âme    humaine    un    magique   pouvoir  et 

(9S) 


L'ART   EN  CHINE   ET  AU   JAPON 

un  contact  direct  avec  les  esprits,  fut  dite  la  secte 
Tendaï. 

A  l'heure  où  la  dynastie  des  Tang  s'assimilait 
le  style  tartare  qui  penchait  plutôt  vers  la  déco- 
ration, la  belle  synthèse  de  la  ligne  et  de  la  cou- 
leur pouvait  naître.  Les  célèbres  peintres  de  la 
cour  des  Tang  antérieurs  à  l'âge  d'or  de  Genso, 
Yen  li  Pen  (Enriuhon)  par  exemple  et  Enriutoku, 
pratiquaient  sans  doute  ce  style.  A  cet  Enriuhon 
peut  être  attribuée  cette  grande  Kwannon  assise 
enveloppée  d'une  riche  dentelle,  dont  nous  avons 
des  douzaines  de  répliques  faites  sous  les  Tang  et 
les  Song.  Au  Japon,  cette  représentation  est  cou- 
ramment attribuée  àGodoshi  ;  comme  on  y  attribue 
à  Motonobu  toutes  les  peintures  japonaises  du 
xvie  siècle.  La  plus  importante  et  la  plus  belle  ré- 
plique de  ce  type  est  le  Kakémono,  dit  de  Godoshi, 
qui  est  au  Daitokuji  de  Kiôto.  Ce  peut  être  de 
l'époque  des  Tang,  sinon  de  la  propre  main 
d'Enriuhon.  Une  plus  petite  réplique,  peut-être 
Song,  d'un  original  perdu  d'Enriuhon  est  dans 
la  collection  de  M.  Freer.  La  figure  est  assise 
sur  un  roc  bleu,  vert  et  or,  dans  une  cavité  d'où 
pendent  des  stalactites  au-dessus  de  sa  tête. 
C'est  la  Kwannon,  le  Bodhisattwa  de  providence, 
le  soutien  de  l'homme  ;  et  comme  dans  la  plu- 
part des  représentations  Tang,  elle  porte  une 
légère  moustache.  Ce  détail  et  le  fait  que  les 
Kwannons  des  Song  sont  manifestement  fémi- 
nines ont  conduit  certains  savants  à  conclure 
que  Avalokiteswara  était  primitivement  masculin, 
et  que  le  changement  provenait  d'une  erreur  de 
sexe  faite  par  le  copiste   en  traduisant  quelque 

(96) 


Monju. 

Par  Wu  Tao-Yùan  ou  Wu  Tao-tzu  (en 
japonais  Godoshi).  VIIIe  siècle.  (Epoque 
des  Tang.)     Temple  Tofukuji  à  Kyoto. 


Planche  XXXV. 


PEINTURE  BOUDDHIQUE 

terme  sanscrit  ou  pâli.  C'est  là  un  point  de  vue 
bien  faible  quand  on  constate  que  bien  des  Kwan- 
nons  antérieures  (celle  du  Chukuji  qui  est  de  620, 
celle  à  onze  têtes  du  lac  Biwa  qui  est  de  755) 
sont  nettement  féminines.  La  vérité  est  qu'un 
grand  Bodhisattwa  est,  de  sa  nature,  de  sexe 
indéterminé,  s'étant  élevé  au-dessus  de  ces  dis- 
tinctions, ou  plutôt  ayant  réuni  en  lui-même 
les  grâces  spirituelles  des  deux  sexes.  Il  sem- 
blerait que  les  Tang  considéraient  la  Kwannon 
comme  un  élément  créateur,  un  grand  démiurge, 
alors  que  les  Song  préféraient  lui  conserver 
dominant  son  caractère  maternel.  Le  trait  est 
d'un  coup  de  pinceau  appuyé  ;  la  tunique  est 
retenue  sur  les  jambes  croisées  par  des  plis  très 
sculpturaux,  différents  de  ce  qu'on  voit  dans 
les  sculptures  de  bronze  coréennes  du  type  du 
Toïndo.  L'Art  bouddhiste  tartare  conserva  quel- 
que chose  de  ce  drapé  un  peu  raide  et  nerveux 
jusqu'à  l'époque  des  Ming.  Les  chairs  sont  dorées, 
c'est  un  trait  caractéristique  de  l'art  d'Enriuhon, 
et  qui  longtemps,  dans  l'Art  du  Nord,  restera 
combiné  avec  la  couleur  épaisse  des  costumes. 
La  tête  n'est  plus  grécisante,  mais  longue  et 
ovale,  avec  un  cou  mince.  La  chevelure  est 
arrangée  en  tiare  de  gemmes  colorées  et  de 
fleurs.  Et  ce  qui  est  tout  à  fait  particulier,  c'est 
l'enveloppement  de  ce  voile  de  dentelles  qui  pend 
de  la  tiare  et  tamise  finement  de  ses  tons  crèmes 
les  couleurs  épaisses  qu'il  recouvre.  Le  trait  de 
contour  de  ce  voile  commande  tout  le  rythme 
des  lignes.  Un  vase  de  cristal  est  posé  sur  un 
rocher  à  droite.  Derrière  sont  deux  halos  circu- 

(97) 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

laires,  tous  deux  en  beaux  traits  d'or,  un  petit 
pour  la  tête,  un  plus  grand  pour  le  corps.  De 
l'eau  à  ses  pieds  sortent  de  riches  coraux  et  des 
lotus,  dans  le  style  Tang  dérivé  de  l'Art  un  peu 
babylonien  des  Han.  Un  petit  enfant  chinois  est 
debout  dans  le  fond  sur  un  rocher,  priant  les 
mains  jointes.  La  Kwannon  semble  laisser  tomber 
sur  lui  son  gracieux  regard.  Les  couleurs  sont 
riches  ;  les  rouges,  les  carmins,  les  oranges, 
les  verts  et  les  bleus  sont  relevés  de  touches  d'or. 

Devant  de  pareilles  œuvres,  la  question  se 
posera  toujours  :  est-ce  un  original  ?  est-ce  une 
copie  ?  Les  fameuses  œuvres  de  peinture  des  Tang 
et  antérieures  à  eux,  devinrent  les  modèles 
sur  lesquels  les  maîtres  des  Tang  et  des  Song 
formèrent  leur  style.  Ces  copies  n'ont  sans 
doute  pas  accaparé  toute  la  beauté  technique 
des  originaux.  Cependant  la  beauté  esthétique, 
de  sentiment  ou  de  style,  et  le  caractère  des 
types  n'en  est  pas  moins  pour  nous  d'une  ines- 
timable valeur.  N'en  est-il  pas  de  même  dans 
beaucoup  d'anciennes  copies  d'originaux  grecs 
que  nous  ne  connaîtrons  jamais  ? 

On  ne  sait  ce  qui  a  pu  subsister  des  grandes 
œuvres  de  la  peinture  ancienne  en  Chine.  Le 
sait-on  mieux,  quant  à  ce  qui  a  pu  en  être  con- 
servé au  Japon  ?  Il  est  certain  qu'on  en  importa 
beaucoup  aux  vin'  et  ixe  siècles,  et  encore  aux 
xie  et  xne  siècles,  et  au  xve  siècle  sous  les  Ashi- 
kaga,  quand  Sesshu  eut  voyagé  en  Chine,  où 
on  le  reconnut  à  la  Cour  pour  un  artiste  bien 
plus  considérable  que  tous  ses  confrères  Ming 
contemporains.  Il  put  lui-même  se  faire  un  sens 

(98) 


Shaka-Muni. 

Pa    Wu  Ïao-Yiian  ou  Wu  Tao-tzu  (en  japonais 
Godoshi).     VIIIesiècle.     (Epoque des  Tant;.) 
Con.  Charles  Freer,  à  Détroit  (Etats-Unis). 


Planche  XXXVI. 


PEINTURE    BOUDDHIQUE 

critique  singulièrement  aiguisé  des  vieilles 
peintures  chinoises;  et  songeons  qu'alors 
pour  lui  une  copie  Song  n  était  vieille  que  de 
200  ans,  d'après  un  original  Tang  vieux  de 
700  ans  ;  le  recul  n'était  plus  le  même  pour  lui 
que  pour  nous.  Et  comme  les  traditions  d'esprit 
dans  le  criticisme  se  sont  transmises  aux  maîtres 
japonais  d'âge  en  âge,  leurs  copies  des  maîtres 
chinois  sont  encore,  malgré  tout,  pour  nous  du 
plus  vif  intérêt. 

La  période  de  Genso  Kotei  à  Loyang  avait  donc 
vu  naître  l'un  des  plus  considérables  maîtres,  Wu 
Tao-T\u  (Godoshi),  qui  n'avait  pas  été  seulement 
un  paysagiste,  mais  aussi  un  grand  peintre  boud- 
dhiste, exprimant  les  vastes  conceptions  de  son 
temps.  Plus  qu'Enriuhon  il  chercha  à  être  plus 
direct,  plus  humain,  avec  une  vision  qui  le 
rapproche  de  nous.  Il  revint  au  coup  de  brosse 
flexible  et  souple  de  Ku-K'ai-chih,  s'exerçant  sans 
trêve  à  passer  du  coup  de  pinceau  apposant  la 
tache  au  trait  délié  et  fin,  habile  aux  contrastes 
de  la  touche  rude  et  brusque  et  des  plus  douces 
et  suaves  caresses  du  pinceau.  Ce  fut,  en  art  de 
peindre,  une  façon  d'exprimer  la  beauté  des 
choses,  qui  fut  bien  personnelle  au  vieil  Art 
chinois  ;  l'idéal  d'expression  résidait  dans  le 
trait,  ses  proportions,  ses  formes,  le  système  de 
ses  rythmes,  cette  convention  (tout  dans  l'Art 
n'est-il  pas  convention  dans  le  choix  de  ses 
moyens  d'expression  ?)  à  chercher  ainsi  des  har- 
monies analogues  à  celles  de  la  musique,  dans 
cette   constante   modulation    de  la   couleur  qui 

(99) 


L'ART   EN   CHINE   ET  AU   JAPON 

passait  du  trait  à  la  tache,  de  la  touche  qui 
marquait  puissamment  le  ton  à  la  ligne  qui  par- 
fois avait  la  ténuité  d'un  poil  de  brosse. 

Wu  Tao-Tzu  fut  célèbre  en  son  temps,  les 
mémoires  contemporains  l'attestent.  Il  couvrit 
de  grandes  surfaces  muralespar  des  représentations 
du  Ciel  et  de  l'Enfer,  d'étranges  aventures  de 
la  vie  des  saints,  des  divinités  flamboyantes  et 
courroucées,  les  splendeurs  impériales  de  la  Cour 
bouddhiste  —  d'accord  ainsi  avec  le  propre  idéal 
de  son  temps,  comme  Phidias.  Il  n'existe  peut-être 
plus  de  peinture  originale  de  Wu  Tao-Tzu,  mais 
pour  comprendre  son  autorité  sur  l'Orient,  et  ce 
que  l'Occident  peut  en  saisir,  il  existe  quatre  ou 
cinq  types  de  son  génie  que  des  copies  nous 
permettent  d'étudier.  La  Kwannon  dans  ses  voiles 
de  dentelles  avec  l'enfant  chinois  en  est  un  qui 
date  sans  doute  de  sa  première  période,  et  qui 
le  relie  à  Enriuhon  et  à  ses  prédécesseurs.  Plus 
d'une  version  a  dû  parvenir  au  Japon.  L'une 
d'elles  fut  apportée  du  Japon  en  1904  dans 
la  collection  de  M.  Freer,  à  Détroit  (États- 
Unis),  sans  doute  du  pinceau  d'un  maître  Song, 
qui  s'est  dépouillé  du  style  de  son  époque  en 
respectant  tous  les  principaux  traits  du  génie 
de  Godoshi.  C'est  une  Kwannon  debout,  digne 
et  puissante,  enveloppée  d'un  voile  de  dentelle, 
et  descendant  du  Ciel  sur  un  nuage  épais  qui  se 
répand  en  écume  d'eau  en  traversant  l'espace  ; 
c'est  la  plus  ancienne  façon  de  représenter  l'eau 
comme  le  pur  symbole  élémentaire  de  Kwannon, 
qui  est  habituellement  assise  entourée  des  flots 
de  la  mer,  tenant  l'eau  sacrée   dans  un  vase  de 

(100) 


PEINTURE   BOUDDHIQUE 

cristal.  Un  rideau  de  nuages  épars  traîne  dans 
le  haut  de  la  composition,  cachant  à  demi  la 
tiare,  lourde  et  carrée,  et  non  pointue.  La  divi- 
nité, ici  masculine  par  la  moustache,  descend 
vers  deux  enfants  qui  jouent  sur  un  nuage  à  arran- 
ger de  fraîches  fleurs  de  lotus  dans  un  vase.  Ils 
représentent  la  nature  humaine  dans  sa  spiritua- 
lité originaire  et  son  instinct  religieux  naturel. 
A  droite  s'étire  un  sinistre  nuage  d'un  vert 
sombre,  comme  un  dragon  qui  rampe,  image  du 
mal.  Godoshi  s'était  refusé  à  représenter  un  vrai 
dragon,  comme  le  fit  Chodensu  dans  sa  Kwan- 
non  de  face.  Elle  abaisse  son  regard,  avec  un 
indéfinissable  et  bienfaisant  sourire,  vers  les 
enfants  inconscients  auxquels  elle  apporte  le 
salut  et  l'aide.  De  la  main  gauche  levée,  elle 
porte  une  branchette  de  saule  (qui  dans  d'autres 
peintures  est  dans  un  vase)  comme  pour  asper- 
ger ces  petits  êtres  de  l'eau  du  baptême,  et 
de  la  droite  elle  porte  dans  un  panier  un  grand 
poisson,  symbole  du  soutien  spirituel.  C'est  là 
un  des  traits  de  l'imagination  des  Song,  qui  ne 
devait  pas  se  trouver  dans  l'œuvre  de  Godoshi. 
Le  caractère  de  puissance  est  bien  rendu  par 
la  masse  que  forme  dans  la  composition  l'image 
de  Kwannon,  comme  est  bien  marqué  aussi  le 
caractère  d'espace  que  rompent  seuls  les  enfants 
et  le  grand  poisson.  La  forme  de  Kwannon  est 
superbe  de  vie  et  de  mouvement  ;  elle  prend  un 
solide  point  d'appui  par  ses  lourds  pieds  sur  le 
nuage,  et  sa  tête  est  une  des  plus  belles  de  tout 
l'Art  de  l'Extrême-Orient.  Si  le  rythme  des  lignes 
dans  cette  figure  est  magnifique,   la  couleur  en 

(IOI) 


L'ART   EN   CHINE  ET  AU  JAPON 

est  moins  riche  que  dans  la  peinture  d'Enriuhon. 

Un  autre  type  créé  par  Godoshi  a  été  l'objet 
de  répliques  de  Yeiga,  de  Chodensu,  et  de  Moto- 
nobu;  c'est  la  Kwannon  assise  de  face.  Une  des 
plus  près  de  Godoshi,  celle  de  Motonobu,  est  pas- 
sée des  trésors  du  marquis  Hachisuka  aux  mains 
de  M.  Fenellosa.  Elle  était  célèbre  sous  les  Ashi- 
kaga  et  les  premiers  Tokugawa,  car  les  archives 
des  Kano  en  conservaient  une  superbe  copie  de 
Tanyu. 

Quant  à  la  grande  figure  de  Sakyamuni  de 
Godoshi,  il  en  existe  deux  versions.  L'une  serait 
le  centre  du  triptyque  du  Tofukuji,  que  les  critiques 
japonais  ont  toujours  considéré  comme  un  vrai 
Godoshi  et  son  chef-d'œuvre.  Si  c'était  une  copie 
Song,  elle  ne  pourrait  être  que  de  Riryomin.  Cette 
œuvre  a  influencé  Sesshu  et  tous  les  autres  grands 
artistes  du  Japon.  Le  Bouddha  est  assis  les  jambes 
croisées  sur  un  rocher,  les  mains  réunies  sous 
la  robe  en  un  geste  symbolique  des  doigts,  mys- 
tique et  secret.  La  robe  est  d'un  rouge  tranquille 
qui  devient  orangé  dans  les  angles;  le  visage 
est  d'un  ton  tout  à  fait  vénitien.  La  grandeur 
des  lignes,  la  solidité  de  la  tête  en  font  quelque 
chose  d'impressionnant  et  dont  la  force  idéale 
vous  pénètre. 

Une  autre  réplique,  de  même  format,  serait 
possédée  par  M.  Freer;  elle  vient  de  la  collection 
japonaise  de  Zeshin  où  elle  se  trouvait  avec  les 
Rakans  de  Riryomin.  La  disposition  des  draperies 
est  exactement  la  même  que  dans  l'œuvre  de 
Godoshi  ;  les  lignes  ont  moins  de  souplesse  que 
dans  la   peinture  du  Tofukuji,  et  la  couleur  est 

(102) 


Kwannon  Debout. 

Par  Wu   Tao-Yuan   ou   Wu   Tao-tzu    (en 
japonais  Godoshi).    VIIIe  siècle.    (Epoque 
des  Tang.) 
Ction.  Charles  Freer,  à  Détroit  (Etats-Unis). 

Planche  XXXVII. 


PEINTURE  BOUDDHIQUE 

plus  froide.  La  tête  est  tout  à  fait  du  type  Song, 
plus  émaciée,  les  cheveux  moins  plastiques.  Si 
l'œuvre  du  Tofukuji  n'est  pas  originale,  c'est 
une  copie  des  Tang;  l'œuvre  de  la  collection  Freer 
est  Song,  mais  non  pas  de  Riryomin. 

Les  deux  peintures  du  Tofukuji  qui  flanquent 
le  Sakyamuni  sont  un  jeune  Monju  sur  le  lion 
et  le  jeune  Fugen  sur  l'éléphant,  les  deux  com- 
pagnons de  Sakya,  pour  les  sectes  Tendaï  et 
Ten.  C'était  vraisemblablement  des  personnages 
historiques.  Le  Monju  était  identifié  avec  un  des 
premiers  missionnaires  indiens  au  Nepaul.  Il  est 
généralement  représenté  avec  un  rouleau  d'écriture 
d'une  main  et  une  baguette  enrichie  de  joyaux 
de  l'autre  ;  il  symbolise  le  pouvoir  de  l'écriture,  de 
l'inspiration,  de  la  divine  interprétation.  —  Fugen 
porte  tantôt  une  masse  comme  Monju,  tantôt  un 
livre  ouvert  ou  un  rouleau  d'écriture  :  il  symbo- 
lise le  pouvoir  d'organisation  religieuse,  le  rituel, 
et  la  communion  des  saints.  C'est  là  l'incarnation 
humaine  de  la  Trinité  bouddhique,  des  «  trois 
premières  choses  »  dont  parlent  les  écritures  et 
les  prières. 

Dans  ce  Monju  du  Tofukuji,  nous  avons  de 
Godoshi  la  plus  exquise  figure,  la  jeunesse  d'une 
belle  tête  grecque,  les  longs  cheveux  sur  les 
épaules,  les  superbes  lignes  d'une  souple  draperie. 
Le  Fugen  est  de  lignes  plus  dures  et  serait  peut- 
être  une  copie. 

Il  existe  un  autre  Fugen  au  Mioshinji,  qui, 
quoique  attribué  au  Song  Barin,  n'a  aucun  rapport 
avec  lui.  Ce  doit  être  une  peinture  des  Tang, 
mais  peut-être  un  peu  après  Godoshi,  par  le  peu 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU   JAPON 

de  tranquillité  des  lignes  du  drapé.  Elle  eut  une 
grande  influence  sur  Sesshu. 

Des  primitives  peintures  Tang,  sans  rapport 
avec  Godoshi,  sont  tous  les  Rakans,  incarnant 
des  Arhats  ou  des  saints  bouddistes  avec  des 
animaux  et  des  arbres,  dune  très  riche  couleur 
dans  les  bleus,  les  verts  et  les  oranges  étranges. 

Une  œuvre  des  Tang  est  célèbre  au  Japon  sous  le 
nom  de  Tenju  koku  Mandara;  c'est  une  vieille 
et  splendide  broderie,  qui  aurait  été  faite  par 
les  femmes  de  la  cour  des  Tang  d'après  les  dessins 
dun  peintre  contemporain.  Montée  aujourd'hui 
en  kakémono,  elle  est  conservée  au  monastère 
de  Chuguji,  à  Horiuji. 

Le  règne  esthétique  de  Genso  fut  troublé  en  7  $  5 
par  une  vaste  intrigue  de  palais,  fomentée  par 
Yohiki,  l'ami  dont  il  avait  fait  son  conseiller. 
Genso  fut  obligé  d'abdiquer  en  faveur  de  son  fils. 
Il  revint  donc  solitaire  dans  sa  capitale  en  ruines. 
Mais  loin  de  la  cité,  sur  les  montagnes  de  Tendaï, 
le  Bouddhisme  secret  de  la  purification  surhu- 
maine allait  se  transformer  avec  Daishi,  et 
son  successeur,  Egitsu,  du  Toji.  Un  art  parti- 
culier en  naquit,  participant  de  l'art  des  Tang, 
mais  en  formant  une  branche  très  spéciale. 

Il  s'agit  d'abord  de  ces  pièces  d'autel  hiératiques, 
les  MandaraSj  ou  cercles  mystiques,  qui  étaient 
suspendus  devant  le  pupitre  du  prêtre  officiant, 
lui  présentant  les  catégories  de  la  plus  haute 
spiritualité,  l'aidant  dans  son  invocation  verbale. 
Ces  Mandaras  furent  rapportés  au  Japon  par  des 
missionnaires.  Certains  sont  en  couleurs,  quel- 

(104) 


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Fragment  de  Paysage. 

Par  Wu  Tao-Yiian  ou  Wu  Tao-tzu  (en  japonais  Godoshi). 
VIIIe  siècle.     (Epoque  des  Tang.)     Temple  Daitokuji  à  Kyoto. 


Planche  XXXVIII. 


PEINTURE    BOUDDHIQUE 

ques-uns  en  lignes  d'or  sur  un  fond  noir,  d'une 
finesse  et  dune  qualité  rares.  De  riches  motifs 
floraux,  des  lotus,  et  des  enroulements  en  or, 
entourent  les  panneaux.  Le  centre  renferme 
l'Esprit  de  la  Catégorie  centrale,  le  dieu  de  la  secte 
Shingon  (une  branche  encore  plus  ésotérique  du 
Tendaï),  Dai  Nichi  Niorai,  ou  le  grand  Soleil 
Tathagata.  Il  n'est  pas  même  appelé  un  Bouddha. 
C'est  le  Démiurge  central,  en  costume  de  Bodhi- 
sattwa,  mais  avec  pouvoir  suprême  dans  le  monde. 
Autres  formes  admirables  de  la  peinture  Ten- 
daï sont  les  portraits  de  prêtres,  depuis  Naga- 
juina,  le  fondateur  de  ce  rituel  mystique.  Ces 
portraits  sont  absolument  caractéristiques  des 
Tang  par  leur  énergie,  leurs  tons  de  chair,  leur 
dessin  à  rudes  coups  de  brosse,  généralement  à 
l'encre,  qui  ne  les  grandit  pas  à  l'échelle  de 
Godoshi,  mais  les  rapproche  plutôt  des  Rakans 
du  début  des  Tang.  Beaucoup  de  ces  portraits 
furent  apportés  au  Japon  par  les  nouveaux  fon- 
dateurs. Le  plus  important  de  tous,  et  l'un  des 
plus  puissants  portraits  du  monde,  est  la  pein- 
ture de  Tendaï  Daishi  lui-même,  presque  gran- 
deur nature,  prêchant,  que  possède  l'amateur 
de  Kobé,  M.  Kawasaki.  Les  lignes  en  sont  nobles, 
les  traits  profonds,  et  la  couleur  de  la  plus 
délicate  rareté.  Ce  doit  être  l'œuvre  d'un  des 
plus  grands  maîtres  des  Tang. 

La  sculpture  de  ce  vme  siècle,  si  elle  resta 
subordonnée  à  la  peinture,  n'y  tint  pas  moins 
une  place  importante.  L'énorme  tête  de  Bouddha 
en  céramique,  trouvée  dans  une  caisse  de  frêne 

(■°s) 


L'ART  EN   CHINE   ET  AU   JAPON 

au  Daigogi  en  1884,  que  possède  aujourd'hui 
l'École  des  Beaux-Arts  de  Tokio,  est  une  des  plus 
anciennes  reliques  de  la  sculpture  Tendaï  des 
Tang  du  début  du  vme  siècle.  Elle  appartient 
sans  aucun  doute  à  un  Bouddha  de  céramique 
détruit  par  le  feu  au  xne  siècle.  Cette  tête  a  cette 
forme  ronde  et  ces  gros  traits  du  type  que  Go- 
doshi  avait  adopté  dans  sa  peinture  de  Bouddha 
du  Tofukuji.  La  terre  en  est  blanchâtre,  inter- 
médiaire entre  la  poterie  et  la  vraie  porcelaine. 
L'émail  qui  se  trouvait  surtout  sur  les  boucles 
de  cheveux  est  blanchâtre  avec  un  peu  de  vert. 
Les  traditions  disent  bien  qu'on  fit  de  la  vraie 
porcelaine  sous  les  Tang,  et  cette  pièce  le  confir- 
merait assez.  Il  y  avait  aussi  des  pièces  à  glaçure 
plus  fine  et  plus  douce,  de  plusieurs  couleurs  : 
crème,  blanche,  olive,  brune,  grise  et  jaune,  bien 
que  dans  le  Sho-Soïn  il  n'y  ait  d'objets  vernissés 
que  moirés  de  vert  et  de  jaune.  Le  blanc,  qui 
semble  l'ancêtre  ou  le  contemporain  de  la  fameuse 
glaçure  blanche  des  Coréens,  peut  avoir  été  trouvé 
à  la  fin  du  vme  siècle. 

Mais  une  autre  forme  admirable  de  la  sculpture 
Tendaï  est  de  bois  ;  et  surtout  parmi  ce  que  nous 
en  connaissons,  les  statues-portraits  des  célèbres 
philosophes  et  des  prêtres.  Deux  des  plus  belles, 
un  peu  plus  grandes  que  nature,  sont  celles  de 
Vasubandhu  et  de  Asangpô,  qui  jadis  se  trouvaient 
ensemble  sur  l'autel  du  Chukondo  du  Kofukuji, 
et  que  les  Japonais  ont  considérées  comme  japo- 
naises, et  dune  date  moins  ancienne.  Dans  la 
simplicité  de  leur  style,  leurs  figures  si  puis- 
samment   exprimées,    si    humaines,    les    détails 

(106) 


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PEINTURE  BOUDDHIQUE 

chinois  du  drapé,  et  le  réalisme  du  modelé,  elles 
nous  semblent  n'offrir  aucun  rapport  avec  la 
sculpture  japonaise.  Elles  sont  beaucoup  plus 
fermes,  et  ont  la  vigueur  des  portraits  peints 
de  Tendaï  des  Tang. 

Au  ixe  siècle,  sous  les  successeurs  de  Genso, 
Tokuso  et  Kenso,  la  foi  bouddhique  embrasa  de 
nouveau  la  cour  impériale.  Le  chef  du  Confu- 
cianisme puritain,  Kentaishi,  le  plus  grand  pro- 
sateur chinois,  et  un  des  plus  fameux  poètes  des 
Tang,  osa  écrire  vigoureusement  contre  ce  qu'il 
pensait  être  des  superstitions  dégradantes.  En  818, 
Kenso  ordonna  l'adoration  à  sa  cour  des  reliques 
des  vrais  os  du  Bouddha  qu'il  avait  fait  apporter 
de  l'Inde.  Kentaishi  s'éleva  contre  et  déclara 
dans  un  écrit,  qui  a  servi  depuis  de  constitution 
aux  confucianistes,  que  Kenso  violait  les  coutumes 
sacrées  des  ancêtres.  Ce  fut  la  première  atteinte 
menaçante,  dont  les  effets  seront  graves  sous  les 
Song,  et  qui  aura  amené  la  paralysie  de  l'imagina- 
tion chinoise  à  la  fin  des  Ming.  Les  dernières  années 
du  vme  siècle  virent  s'écrouler  le  pouvoir  des  Tang, 
et  la  capitale  se  déplacer  de  nouveau  à  Loyang. 

Dans  les  peintures  Tang  du  ixe  siècle,  se 
retrouve  le  style  des  anciens  Rakans.  Les  lignes 
n'ont  pas  la  puissance  de  Godoshi,  les  visages  sont 
un  peu  grossiers,  les  formes  sans  grâce.  Mais 
la  couleur  est  très  riche  ;  le  vermillon  y  atteint 
souvent  la  profondeur  d'un  cramoisi.  La  grande 
peinture  du  Nirvana  au  Tofukuji,  attribuée  à 
Godoshi,  est  de  cette  époque,  de  même  que  la 
peinture  du  Bouddha  prêchant  au  temple  Chonoji, 
au  village  d'O'Tokuni,  dans  le  Yamasho. 

(107) 


L'ART  EN   CHINE  ET  AU  JAPON 

Les  peintures  de  Rakans  d'alors  sont  très  soi- 
gneusement dessinées,  et  dans  de  très  riches  paysa- 
ges. Les  arbres,  en  couleurs  profondes  et  opaques 
comme  des  jades,  ont  de  l'avance  sur  ceux  des  pre- 
miers Tang  et  des  Tartares  antérieurs  aux  Tang. 

La  peinture  à  l'encre  est  aussi  très  pratiquée, 
dans  le  style  hiératique  Shingon,  et  use  de  cou- 
leurs opaques  tartares  pour  les  traits  d'or. 
Exemple  dans  le  splendide  Bodhisattwa  avec  le 
paon  du  Ninnoji  de  Kioto. 

Au  xe  siècle,  les  Kettans,  tribu  tartare  du  Nord- 
Ouest,  avaient  presque  occupé  les  provinces  sep- 
tentrionales. Les  pays  du  Sud,  de  l'Ouest,  du  Sud- 
Est  se  détachaient  des  Tang.  Entre  90$  et  960, 
c'est  une  confusion  entre  de  nombreuses  petites 
dynasties,  dont  la  durée  ne  dépasse  jamais  quel- 
ques années.  C'est  ce  qu'on  a  appelé  «  le  mélange 
des  dynasties  ».  Les  confucianistes,  bien  disci- 
plinés, gardaient  le  dessus,  et  victorieux  en  955, 
ils  assistaient  à  la  destruction  d'un  grand  nombre 
d'anciens  Bouddhas  de  bronze,  fondus  et  trans- 
formés en  monnaie.  Ces  époques  de  destruction 
ont  fait  disparaître  grand  nombre  d'objets  d'art 
des  Tang. 

Cependant  une  dernière  phase,  indépendante, 
jetait  encore  des  lueurs  ;  le  génie  particulier  des 
provinces  s'exprimait,  et  quelques  prêtres  boud- 
dhistes, tels  que  Zengetsu,  eurent  encore  de 
magnifiques  conceptions  dans  ces  suites  de 
Rakans,  dont  la  plus  belle  est  celle  des  dix-huit 
Rakans  du  Kodaiji,  dont  les  arbres  sont  d'un  si 
admirable  dessin,  les  couleurs  si  somptueuses 
et  les  figures  si  grandioses. 

(108) 


PEINTURE  BOUDDHIQUE 

Une  question  s'est  posée  :  celle  de  savoir  si  la 
suite  qu'onaappelée  des  «Rakans  juifs»,  au  Kataiji 
de  Higashiyama  près  de  Kioto,  est  de  ce  moment 
ou  du  siècle  précédent  :  l'intention  sémite  y  est 
nette  malgré  les  halos  bouddhiques  ;  visions  sans 
doutes  des  synagogues  élevées  pour  les  Indiens 
en  Chine. 

L'Art  des  Tang,  gréco-bouddhiste  au  vif  siècle, 
au  plus  haut  point  de  grandeur  avec  Godoshi  au 
vin"  siècle,  déclina  aux  ixe  et  x  siècles.  L'art  ne 
reprit  vraiment  son  essor  qu'avec  les  conquérants 
Song  en  960. 


® 


© 


CHAPITRE    VIII 
L'ART  MYSTIQUE  BOUDDHIQUE  AU  JAPON 

SOUS  LES  FUJIWARA 

L'ART     DES    SECTES    TENDAI    ET     SHINGON.     D     L'ART     SOUS     L'EMPEREUR 

K.WAMMU.  P    DENGIO  DAISHI,  KOBO  DAISHI  ET  CHISHO  DAISHI.  ||  L'ÈRE  ENGI. 

Il    LES    FUJIWARA.    B    LE    PEINTRE     K.OSE    NO    KANAWOKA.    11     SES    ÉLÈVES 

KANETADA  ET  HIRATOKA.    Il     ÉCOLES   K.ASUGA  ET  TAKUMA. 

L'art  mystique  bouddhique,  —  ou  l'Art  des 
sectes  mystiques  du  Bouddhisme  que  les 
Japonais  appelaient  Tendai  et  Shingon,  — 
que  nous  avons  étudié  dans  son  développement 
chinois  sous  les  Tang  et  les  Song,  fut  introduit  au 
Japon  dès  le  vme  siècle. 

Pour  comprendre  ce  en  quoi  l'Art  japonais  en 
fut  modifié,  et  en  quoi  cet  Art  nouveau  se  trouva 
lié  aux  transformations  politiques  et  sociales,  il  faut 
se  reporter  à  ce  qu'était  la  civilisation  de  Nara 
à  son  heure  dernière,  après  la  mort  de  Shomu 
Tennô  en  748.  Les  abus  n'avaient  pas  été  rares 
sous  l'impératrice  Koken,  les  hommes  d'État 
exilés,  les  hommes  d'tglise  mis  aux  premières 
charges,  l'Art  garrotté  par  les  traditions.  Les 
grands  jours  du  règne  de  Genso  des  Tang  n'avaient 
pas  eu  de  répercussion  au  Japon  :  les  étudiants 
japonais,  tels  que  Abé  no  Nakamaro,  dans  leur 
jeune  enthousiasme  pour  la  pensée  chinoise, 
ne  trouvaient  qu'un  faible  écho  au  Japon.  L'ermite 
En    no    Giojî,  voulant   chercher  des   prosélytes, 

(m) 


L'ART   EN  CHINE   ET   AU  JAPON 

vit  les  Japonais  le  traiter  de  magicien,  et  le  bannir 
dans  les  montagnes  d'Idzu. 

L'Art  gréco-bouddhique  était  donc  en  pleine 
décadence,  quand,  en  782,  un  nouvel  empereur 
Kwammu,  qui  régna  vingt-quatre  ans,  monta 
sur  le  trône.  Il  commença  par  refréner  les  abus 
anciens,  arrêta  la  construction  de  tout  temple 
nouveau,  et  décida  que  l'extension  de  Nara  avait 
assez  duré,  et  qu'il  était  temps  de  chercher 
l'emplacement  d'une  autre  capitale  —  dans  le 
Yamashiro,  —  où  d'ailleurs  pourraient  être 
renouées  les  traditions  avec  la  Chine,  qui  féconde- 
raient encore  un  Japon  transformé.  Confucius  fut 
alors  presque  publiquement  adoré.  Cette  seconde 
période  d'influence  chinoise,  qui  alla  jusqu'à  la 
fin  du  vme  siècle,  concordait  avec  la  période  si 
brillante  des  Tang.  Ce  fut  exactement  à  ce 
moment  qu'un  Japonais,  vraiment  génial,  un 
jeune  homme  qui  avait  étudié  avec  Dosui,  chef 
de  la  secte  de  la  Montagne  Tendaï,  revint  au  Japon 
comme  un  apôtre  de  la  nouvelle  doctrine.  C'était 
Dengio  Daishi.  Il  convainquit  Kwammu  que  c'était 
vraiment  l'esprit  Tendaï  qui  était  la  base  de  la 
grandeur  spirituelle  chinoise  et  chercha  à  créer 
cette  sorte  de  théocratie  mystique  que  n'avaient 
point  connue  la  Chine  ni  aucun  autre  royaume 
bouddhique. 

En  788,  Dengio  construisait  sa  première  église, 
Enriakuji,  sur  le  mont  Hyei,  baigné  par  les  flots 
du  lac  Biwa,  à  l'image  du  mont  Tendaï.  D'accord 
avec  l'empereur  Kwammu,  il  était  décidé  en  794 
que  la  capitale  y  serait  transférée  de  Nara,  dans 
une    splendide   vallée    du   versant    Sud,    qui    se 

(112) 


Peinture  Bouddhique  Chinoise  Primitive. 
Con.  Charles  Fr>er,  à  Détroit  (Etats-Unis). 


Planche  XL. 


L'ART  MYSTIQUE  BOUDDHIQUE  AU  JAPON 

couvrit  de  palais,  d'avenues  et  de  jardins,  et  qui 
devait  être  Kioto. 

Quelques  années  après,  en  806,  un  autre 
religieux  revenait  de  Chine  avec  le  prestige  d'un 
plus  grand  savoir  que  Dengio,  et  l'âme  d'un  grand 
artiste,  c'était  Kuki,  ou  Kobo  Daishi.  Il  fonda  la 
secte  mystique  de  Shingon,  superposée  à  celle  de 
Tendaï,  la  première  grande  secte  formée  par 
un  Japonais  ;  ce  fut  peut-être  le  cerveau  le  mieux 
organisé  dans  l'ordre  spéculatif  de  toute  l'Asie, 
et  qui  n'aurait  rien  laissé  à  créer  s'il  avait  précédé 
Dengio  dans  cette  voie.  Kobo  Daishi  édifia  sa  pre- 
mière église,  assez  loin  de  Kioto,  sur  le  mont  Koya, 
(le  Koyasanjau  sud  du  Yamato,  en  8 1 6,  et  voyageant 
à  travers  le  Japon,  il  édifiait  des  monastères,  tout 
en  restant  en  communion  étroite  avec  le  peuple. 

Une  mission  d'études  fut  envoyée  en  Chine 
en  803,  et  la  grande  route  du  Tokaido  ouverte 
vers  l'Est  jusqu'à  Hikone.  Toute  la  région  orien- 
tale avait  été  conquise  sur  les  Aïnos  en  801. 
Les  cérémonies  de  rites  chinois  étaient  adoptées 
à  la  Cour  en  820.  Et  en  827  Kobo  Daishi  était 
devenu  si  puissant  à  la  Cour,  que  sur  sa  demande 
l'empereur  ordonnait  que  les  ossements  du 
Bouddha  lui  fussent  apportés  au  palais.  Ono-no 
Takamura,  son  disciple,  qui  avait  peint  son 
portrait,  était  chargé  en  836  d'une  mission  spéciale 
d'étude  en  Chine. 

Dans  l'ordre  artistique,  la  grande  œuvre  de 
Kobo  Daishi  avait  été  d'introduire  au  Japon  l'Art 
des  Tang,  et  surtout  l'Art  du  Tendaï,  et  de 
l'y  naturaliser.  Il  avait  lui-même  rapporté  des 
centaines    de    peintures,     parmi    lesquelles    les 

("}) 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

portraits  des  fondateurs  du  mysticisme,  et  les 
grandes  peintures  de  la  Mandara  magique,  qu'on 
voit  encore  en  assez  fâcheux  état  à  son  temple 
préféré,  le  Toji  de  Kioto,  qui  fut  toujours  le  princi- 
pal temple  Shingon,  comme  Enriakuji  fut  le  temple 
Tendaï,  et  Daitokuji  le  temple  Zen.  Il  y  attirait 
les  jeunes  gens  désireux  de  recevoir  l'ensei- 
gnement chinois,  et  parmi  eux  fut  le  célèbre 
Ono-no  Nakamura.  Kobo,  peintre  et  sculpteur, 
les  incitait  à  créer  des  œuvres  dans  le  style 
puissant  des  Tang.  Ainsi  se  constitua  une 
école  d'artistes  monacaux  dont  Kobo  fut  le 
chef,  qui,  sous  la  discipline  de  la  secte  Shingon, 
peignit  et  sculpta  tant  de  pièces  d'autel. 

Ajoutons  qu'en  864,  un  troisième  prêtre  japo- 
nais, de  retour  du  Tendaï,  fondait  une  filiale  de 
cette  secte,  à  Miidera  d'Otsu,  près  du  lac  Biwa, 
qui  a  conservé  jusqu'à  ce  jour  une  organisation 
toute  à  part  de  celle  de  Hiyei-Zan.  Ce  Chisho 
Daishi,  qui  fut  presque  égal  à  Kobo  Daishi,  vivait 
en  état  de  réclusion.  Il  fut  lui  aussi  un 
grand  peintre,  et  avait  rapporté  également 
de  Chine  de  nombreux  portraits  chinois  des 
Tang. 

Dengio,  Kobo  et  Chisho  furent  vraiment  les 
fondateurs  du  Bouddhisme  mystique  au  Japon, 
et  de  l'Art  qui  s'en  imprégna.  Ce  fut,  durant  le 
ixe  siècle,  un  mélange  du  style  nouveau  des  Tang 
et  des  vieilles  traditions  décoratives  de  l'Art 
ancien  de  Nara  qui  n'avait  jamais  tout  à  fait 
péri.  La  vigueur  particulière  aux  portraits  des 
Tang  contrariait,  il  est  vrai,  cette  direction  :  la 
sculpture  reflète  bien  cette  force  dans  les  portraits 

("4) 


L'ART  MYSTIQUE  BOUDDHIQUE  AU  JAPON 

et  les  images  guerrières,  tandis  que  les  Bouddhas 
et  Bodhisattwas  et  autres  divinités  mandariennes 
portent  les  traces  d'un  goût  efféminé.  Et  cepen- 
dant l'on  peut  affirmer  que  l'Art  du  temps  de 
Kobo  Daishi  est  plus  près  de  l'Art  chinois  que 
ne  le  fut  l'Art  un  peu  plus  tardif  de  Kwanpei 
et  d'Engi. 

La  transition  de  l'Art  ancien  de  Nara  à  l'Art 
de  Kwammu  est  peut-être  marquée  en  peinture 
par  l'image  splendidement  conservée  et  si  brillante, 
sur  soie,  de  la  Kwannon  assise  aux  onze  têtes, 
jadis  à  Horiuji,  aujourd'hui  dans  la  collection 
du  marquis  Inouyé.  Mais  peut-être  aussi  cette 
admirable  pièce,  si  gracieuse,  est-elle  du  type 
d'art  de  Shomu  à  l'époque  Tempei,  bien  plutôt 
que  du  temps  de  Kwammu.  —  En  sculpture,  les 
œuvres  de  transition,  indubitablement,  sont  le 
lourd  Bouddha  debout  de  Mirokou  au  Todaiji,  et 
la  grande  Trinité  dorée,  si  épaisse  aussi,  qui  se 
trouve  sur  l'autel  de  Bisjamondo  au  Seirioji. 

Kobo  Daishi  peut  être  l'auteur  du  triptyque 
peint  de  l'apparition  du  Bouddha  dans  une 
gloire,  porté  par  les  nuages,  entouré  des  Bodhi- 
sattwas, de  couleurs  si  pleines,  avec  des  restes 
de  style  gréco-bouddhique,  mais  sans  rien  des 
duretés  et  du  dessin  coréen  de  l'époque  de 
Tempei.  De  grand  effet,  cette  peinture  établit  bien 
la  transition  avec  le  nouveau  type  chinois  des  Tang. 
Les  panneaux  latéraux,  avec  les  Bodhisattwas 
jouant  des  instruments  de  musique,  sont  de  la 
plus  naïve  beauté  d'expression. 

Kobo  Daishi  fit  encore  le  portrait  d'Ono-no 
Takamura  au   Koninji   du  Yamato,   et  la   figure 

(M  5) 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

debout  du  Jizo  de  la  collection  Fenellosa  au 
musée  de  Boston. 

Très  près  de  lui,  et  de  vrai  style  Tang,  sont  le 
portrait  de  Kobo,  et  le  Jizo  debout  de  face,  peints 
par  Ono-no  Takamura. 

Plusieurs  peintures  sont  attribuées  à  Chisho 
Daishi,  le  vigoureux  Fudo  du  reliquaire  de  Nara 
et  l'étrange  Fudo  qui,  avec  d'autres  nombreux  com- 
pagnons, se  trouve  au  Miooin  du  Koyasan,  tout 
à   fait  d'esprit  Tang. 

Bien  des  sculptures  ont  été  attribuées  à  Kobo, 
parmi  lesquelles  une  des  plus  sûres  serait  le  grand 
Fudo  du  Toji.  C'est  la  première  fois  que  cette  repré- 
sentation apparaît,  sujet  mystique  très  particulier. 
C'est  le  type  des  esprits  violents  du  monde  spirituel, 
dans  lequel  il  vient  se  placer  parmi  les  Bodhi- 
sattwas.  Sa  chair  est  bleue,  il  crache  des  flammes, 
sa  face  est  convulsée,  il  porte  un  glaive  dans  la 
main  droite  et  une  corde  dans  la  main  gauche  : 
on  dirait  une  des  terribles  divinités  de  Shiva 
de  l'Inde  moderne.  Sous  ces  apparences  de 
diable  affreux,  on  peut  voir  en  lui  le  Bodhisattwa 
de  la  volonté,  de  la  puissance  sur  soi-même, 
de  la  force  de  lutter  contre  les  tentations  et  de 
maîtriser  les  passions.  On  l'a  aussi  représenté 
avec  un  halo  de  flammes,  qui  ne  l'inquiète  guère. 
Dans  la  statue  du  Toji,  les  poutres  carrées  de 
son  trône  forment  un  réel  bûcher  de  flammes. 

Jizo  est  aussi  un  type  nouveau  de  Bodhisattwa, 
gracieux  et  tranquille,  le  guide  des  petits  enfants  et 
des  voyageurs,  celui  qui  descend  aux  Enfers  pour 
intercéder  pour  eux.  Le  Japon  est  plein  de  ses 
images.  Lune  des  plus  curieuses,  en  haut-relief, 

(1*6) 


L'ART  MYSTIQUE  BOUDDHIQUE  AU  JAPON 

de  grandeur  nature,  se  trouve  dans  la  montagne 
d'Hakone,  entre  Hakone  et  Ashinoyu;  Kobo 
l'aurait  sculptée  dans  son  voyage  vers  le  Nord. 
Bien  qu'elle  soit  de  caractère  Tang,  et  très 
susceptible  d'être  de  Kobo  même,  il  se  pourrait 
aussi  qu'elle  ait  été  exécutée  après  lui  d'après 
ses  dessins. 

Les  plus  puissantes  effigies  de  ce  temps  sont 
assurément  les  esprits  guerriers,  les  Shi  Ten  O  de 
Bisjamon  et  les  généraux  de  Yakushi,  grandes 
sculptures  de  bois,  animées  d'un  souffle  puissant, 
et  de  mouvements  magnifiques.  Le  drapé  en  est 
plus  riche  que  dans  les  sculptures  chinoises  du 
vne  siècle.  Ils  reflètent  quelque  chose  du  sens 
décoratif  de  Tempei,  avec  la  force  et  l'énergie 
du  sentiment  Tang.  Il  est  difficile  d'affirmer  si 
certaines  de  ces  sculptures  sont  œuvres  chinoises. 
On  rencontre  les  principales  au  Nanyendo  du 
Kofukugi,  au  Toji,  au  Koyasan. 

Du  plus  vif  intérêt  est  l'étude  du  décordes  petits 
objets,  boîtes  de  laques,  bronzes,  tissus.  Nom- 
breux sont  ceux  encore  conservés  au  Koyasan  ou 
au  Saïdaiji. 

Toute  cette  culture  chinoise  allait  s'épanouir 
en  lentes  floraisons,  après  trois  générations,  au 
moment  de  l'empereur  Daïgo,  de  898  jusqu'en 950, 
années  parmi  lesquelles  vingt-deux  forment  l'ère 
Engi  (901-922).  Ce  fut  pour  le  Japon  un  âge  d'or 
comparable  à  celui  de  Genso  (ère  Ka'ïgen)  en 
Chine.  Jamais  il  n'y  eut  pareille  abondance  de 
génie,  et  peut-être  à  aucun  moment  dans  le 
monde    n'y    eut-il    plus    de    finesse     subtile    et 

("7) 


L'ART   EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

d'exquise  délicatesse,  dans  une  société  théocra- 
tique.  Ce  fut  la  grande  différence  avec  des  civi- 
lisations comme  celles  d'Athènes  et  de  Florence, 
franchement  païennes.  La  Kioto  d'Engi  n'était  qu'un 
vaste  temple,  où  brûlaient  les  flammes  du  cœur 
et  de  l'esprit.  Le  Bouddhisme  mystique  de  Tendaï 
et  de  Shingon  y  trouva  son  vrai  royaume,  bien 
mieux  qu'en  Chine.  C'était  ce  qu'avaient 
lentement  préparé  Dengio  sur  sa  montagne  Hiyei, 
et  Kwammu  au  bord  de  la  rivière  Kamo.  Étroite 
union  entre  l'Église  et  l'État,  les  prélats  de  Tendaï 
demeurant  les  conseillers  du  trône  et  ses  soutiens, 
les  immenses  monastères  si  populeux  étant 
toujours  prêts  à  le  défendre,  même  par  les 
armes.  Et  bien  qu'elle  ait  duré  plusieurs  siècles, 
même  alors  que  l'autorité  des  Shoguns  l'eût  contre- 
carrée bien  souvent,  jamais  cette  puissance  reli- 
gieuse  n'eut   plus    de    grandeur   que   sous  l'ère 

Mais  voici  qu'une  autre  puissance  allait  se 
révéler  dans  l'Empire,  une  vaste  aristocratie  civile 
qui,  empruntant  sa  richesse  aux  diverses  provinces, 
s'y  relierait  par  les  rouages  d'une  parfaite  admi- 
nistration. Cette  aristocratie  était  constituée  par 
la  grande  famille  des  Fujiwara  assistée  des  nom- 
breuses maisons  collatérales  qui  en  dépendaient, 
toute  prête  à  offrir  à  Kwammu  son  appui  et  ses 
êtres  pour  constituer  l'administration  qu'il  vou- 
lut organiser.  Très  cultivés,  les  Fujiwara  ne  tar- 
dèrent pas  à  être  de  fervents  sectateurs  du  Ten- 
daï, et  soucieux  d'enrichir  leurs  personnalités  des 
plus  précieuses  conquêtes  spirituelles  de  la  Chine 
et  de  la  Corée.  Ce  fut  vraiment  une  aristocratie, 

(118) 


L'ART  MYSTIQUE  BOUDDHIQUE  AU  JAPON 

par  la  volonté  de  n'admettre  à  gouverner  que  les 
meilleurs.  Par  les  Fujiwara,  on  peut  dire  que  le 
Japon  connut  à  Kioto  le  second  grand  âge  de 
son  histoire,  jusqu'au  xne  siècle. 

En  soutenant  Kwammu  dans  son  alliance  avec 
les  prêtres,  il  était  clair  que  les  Fujiwara  n'allaient 
pas  tarder  à  influencer  l'empereur.  En  88 1,  le 
chef  de  la  famille,  Mototsune,  homme  de  grande 
ambition,  devenaitpremierministre,  etrapidement 
si  puissant  qu'en  884  il  détrônait  l'empereur,  et  le 
remplaçait  parle  prince,  son  fils.  En  892,  la  fille  de 
Mototsune  épousait  l'empereur  Uda.  Les  dangers 
d'une  telle  suprématie,  sans  contrepoids,  allaient 
susciter  aux  Fujiwara  des  rivaux,  et  parmi 
ceux-ci  Sugawara  no  Michizane  leur  était  supé- 
rieur: très  pénétré  de  la  civilisation  chinoise, 
grand  écrivain,  grand  poète,  grand  artiste  et  de 
la  plus  haute  intégrité.  Se  mettant  en  travers 
des  ambitions  des  Fujiwara,  il  fut  banni  de  l'Em- 
pire. Son  histoire,  devenue  légendaire,  qui  en  fit 
presque  un  Tenjin,  dieu  japonais  des  lettres,  fut 
le  thème  des  plus  curieuses  peintures  en  rou- 
leaux fmakimonos)  de  Nobuzane. 

Si  les  Fujiwara  gardèrent  vraiment  le  pouvoir 
pendant  deux  siècles,  ce  fut  grâce  à  leur  alliance 
avec  les  prêtres,  par  lesquels  ils  dominaient  les 
empereurs,  qui  d'ailleurs  furent  si  souvent  de 
leur  famille.  Le  grand  empereur  de  l'ère  d'Engi, 
Daïgo,  était  petit-fils  de  Fujiwara  Mototsune.  Le 
luxe  de  cour  des  Fujiwara  était  extrême;  ils 
construisirent  d'immenses  palais,  poussèrent 
aussi  loin  que  possible  le  goût  des  somp- 
tueuses    étoffes    dans   les    costumes,    et    aimé- 

("9) 


L'ART  EN  CHINE   ET  AU  JAPON 

rent  à  la  passion  la  musique  à  laquelle  venaient 
se  mêler  les  danses  avec  chœurs,  de  caractère 
souvent  dramatique  et  religieux.  Si  la  poésie  fut 
honorée,  pratiquée  par  Tsurayuki,  Ono  no  Ko- 
machi,  ou  Narihira,  la  prose  revêtit  d'admira- 
bles formes  avec  le  Geni  Monogatari  de  Mura- 
saki,  peinture  si  raffinée  de  la  vie  contemporaine 
où  l'homme  et  la  femme  étaient  égaux,  en  parfaite 
éducation  sociale.  Et  toute  la  vie  des  Fujiwara 
était  brûlante  d'enthousiasme  religieux,  et  jamais 
peut-être  la  peinture  bouddhique  ne  fut  en  plus 
grand  honneur  au  Japon.  Un  homme  de  cour, 
Kose  no  Kanawoka,  un  admirable  peintre,  fut 
spécialisé  à  la  cour  dans  cet  emploi  par  Daïgo, 
comme  Godoshi  l'avait  été  en  Chine  par  Genso. 
Malheureusement  il  est  bien  difficile  aujourd'hui 
d'identifier  ses  travaux.  De  quelles  sources  déri- 
vaient les  éléments  de  son  style  ?  Des  Tang  à  tra- 
vers Kobo  et  Chisho  Daishi,  et  c'est  le  style 
Mandara,  ainsi  que  celui  des  portraits.  Mais  on 
peut  se  demander  ce  qui  des  grands  travaux  des 
premiers  Tang  a  pu  être  familier  aux  Japonais 
du  temps  de  Daïgo.  Nous  pensons  que  Kanawoka 
entreprit  de  révéler  à  son  maître  d'Engi  quelque 
chose  du  prestige  de  Godoshi.  Il  y  a  deux 
théories  sur  le  style  de  Kanawoka;  l'une,  qu'il 
fut  un  artiste  minutieux,  le  dessinateur  de  traits 
d'or  fins  comme  des  cheveux,  dont  le  style  menu 
fut  dominant  un  siècle  plus  tard  avec  Yeishin 
Sozu;  l'autre  (et  c'était  l'opinion  de  Sumiyoshi), 
que  les  peintures  très  caractéristiques  de  Kanawoka 
ont  les  belles  lignes  fermes  des  Tang,  avec  un 
peu  plus  de  nerf  que  chez  Godoshi;  il  faut  ajouter, 

(120) 


PORTRAIT    DU    PRINCE    SHOTOKU-TAISHI 
PAR    KANAWOKA,    IXe    SIÈCLE. 

Au  Temple  Nennaii   he   Kioto. 


L'ART  MYSTIQUE  BOUDDHIQUE  AU  JAPON 

à  mon  avis,  qu'il  n'est  pas  invraisemblable  que 
Kanawoka  ait  pu  parfois  chercher  personnellement 
une  synthèse  entre  ces  deux  systèmes.  Dans  les 
peintures  d'autels  qu'il  fit  pour  les  temples 
Shingon,  il  amincissait  sans  doute  ses  traits, 
sans  toutefois  les  affaiblir;  mais  dans  les  guerriers, 
les  combats,  les  scènes  de  l'Enfer,  il  usa  le  plus 
qu'il  put  du  coup  de  brosse  si  puissant  de  Godoshi, 
dont  il  connut  aussi  la  manière  monochrome 
à  l'encre  de  Chine,  ainsi  que  celle  d'Omakitsu. 
Des  peintures  que  nous  pouvons  croire  avec 
quelque  vraisemblance  de  Kanawoka  sont  plusieurs 
Fudos  assis,  avec  deux  serviteurs.  Le  trait  en  a  été 
conservé  dans  un  dessin  de  Sumiyoshi,  dont  on 
trouvera  ici  la  reproduction.  L'autre,  un  peu 
moins  ancien,  est  celui  qu'étudia  le  premier  le 
Dr  Anderson  en  1879  au  Daishoji  du  Shiba  de 
Tokio,  et  qui  est  au  musée  de  Boston.  —  Le  magni- 
fique portrait  de  Shotoku  Taishi  enfant  au  temple 
Ninnaji  de  Kioto,  a  été  toujours  considéré 
comme  une  de  ses  œuvres  les  plus  authentiques. 
La  pureté  de  ses  lignes,  la  couleur  et  l'expression 
ne  se  retrouveraient  dans  aucune  œuvre  de  Tosa 
ultérieure.  —  Le  grand  kakémono  de  lotus  et  de 
canards  sauvages,  que  des  traditions  très 
anciennes  d'Horiuji  ont  continué  d'attribuer 
à  Godoshi,  est  bien  plutôt  de  Kanawoka,  dans  le 
style  chinois  presque  sans  alliage.  Aurait-il  alors 
subi  l'influence  d'un  artiste  chinois  des  cinq  dynas- 
ties, comme  Joki  ?  —  De  lui  aussi  le  superbe  Monju 
jadis  au  Koyasan,  que  possède  M.  Ch.  Freer. — Les 
œuvres  à  l'encre  de  Chine  sont  bien  représentées 
par  les  dragons  et  les  dieux  du  Tonnerre   dans 

fl20 


L'ART   EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

de  violents  nuages  au  temple  Anjuin  de  Bizen. 

Mais  ce  que  j'appelle  le  style  de  Godoshi  dans 
les  œuvres  de  Kanawokaest  éminemment  formulé 
dans  les  grandes  peintures  très  abîmées  des 
Shi  Ten  O,  jadis  au  Todaiji  de  Nara,  et  aujour- 
d'hui au  musée  de  Boston.  On  n'a  qu'à  consi- 
dérer la  tête  ici  reproduite,  avec  la  touche  accen- 
tuée de  ses  lignes  et  la  couleur  puissante  de  sa 
face.  Le  grand  mouvement  des  draperies  rap- 
pelle les  statues  guerrières  du  Nanyendo,  d'es- 
prit Tang.  C'est  cette  forme  du  style  de  Kanawoka, 
qui  passa  dans  le  temple  shintoïste  de  Daigoji 
en  Yamashina,  où  fut  trouvée  la  tête  de  porce- 
laine, et  où  toute  une  école  de  peinture  boud- 
dhique d'inspiration  Tang  produisit  de  belles 
œuvres. 

On  a  attribué  aux  fils  de  Kanawoka  un  certain 
nombre  d'œuvres  :  les  beaux  Rakans  chinois  de 
la  collection  de  copies  de  Sumiyoshi  seraient  de 
Ahimi,  et  de  Kanetada  le  grand  Bisjamon  de  la 
suite  des  douze  Devas  du  Koriuji  de  Kioto. 

Un  autre  Bisjamon  de  même  touche  dans  les 
draperies,  dont  la  force  rappelle  Godoshi  dans 
le  rouge  démon  qu'il  foule  aux  pieds,  est  au 
musée  de  Boston.  —  On  pourrait  aussi  lui  attribuer 
le  beau  Jizo,  rapporté  parWakaià  Paris,  reproduit 
dans  VArt  japonais  de  M.  Gonse,  et  qui  fut  jadis 
au  temple  Enriakuji  du  Hiyei-Zan  (aujourd'hui 
au  Musée  de  Berlin)  :  ne  serait-ce  pas  un  des 
douze  Devas  présentés  avec  un  caractère  nouveau 
par  la  secte  Shingon  au  moment  du  retour  de 
Kobo  Daishi,  et  devenus  populaires  au  Japon? 
Ils  doivent  figurer  dans  les  baptêmes.  —  Il  était 

(122) 


L'ART  MYSTIQUE  BOUDDHIQUE  AU  JAPON 

admis  qu'un  paravent  décoré  d'un  beau  paysage 
était  l'image  de  la  Nature  présente.  Il  est  un  de 
ces  paravents  au  Toji  qui  peut  être  de  Kanetada, 
avec  des  collines  et  des  arbres  d'un  vert  très  franc, 
aux  rameaux  retombants  dans  le  vieux  style  chi- 
nois tartare,  participant  des  arbres  du  paravent 
du  Sho-Soïn  et  des  paysages  des  vieux  Tosa.  Ce 
genre  de  paysages,  enrichis  d'un  peu  d'or,  se 
retrouve  dans  l'œuvre  du  petit-fils  de  Kanawoka, 
Kose  Kanemochi  (la  Benten  du  musée  de  Boston, 
dans  un  jardin  très  caractéristique  de  ceux  de 
Kanawoka). 

L'arrière-petit-fils  de  Kanawoka,  Hirotaka,  le 
quatrième  de  la  lignée,  et  le  plus  connu  après 
lui,  eut  infiniment  de  grâce  et  de  délicatesse.  Ses 
Jizos  sont  uniques  en  ce  genre  (au  musée  de 
Boston).  Il  fit  beaucoup  de  Monjus  et  de  Fugens. 
Ses  types  devinrent  d'ailleurs  les  plus  familiers 
aux  artistes  des  Fujiwara  qui  les  répétèrent  si 
bien  qu'ils  sont  souvent  indiscernables  de  ceux 
qui  les  ont  précédés.  Une  de  ses  œuvres  fameuses 
est  le  paravent  peint  de  scènes  de  danses  à  la 
Cour,  de  couleurs  polychromes.  Les  musiciens 
en  splendides  costumes  sont  assis  dans  le  fond, 
adossés  à  un  rideau  ;  un  groupe  de  moines  du 
Hiyei-Zan,  enveloppés  d'étoffes  blanches,  sont 
debout  à  droite  ;  on  les  sent  armés  sous  leurs 
robes,  avec  un  air  de  férocité  dont  leurs  faces 
sont  empreintes.  Au  centre  danse  un  jeune 
garçon,  habillé  d'un  vieux  costume  chinois,  et 
dont  la  robe  blanche  traîne  derrière  lui.  —  Mais 
sa  grande  œuvre  se  révèle  dans  les  soixante 
grandes  peintures,  dites  «  les  Dix  Mondes  »,  au 

(123) 


L'ART  EN   CHINE  ET  AU  JAPON 

Raikoji  de  Sakamoto,  de  sujets  infiniment  variés, 
puisque  les  scènes  se  passent  au  Ciel,  dans 
l'Enfer,  dans  le  monde  vivant,  parmi  les  Devas,  les 
Esprits  élémentaires  et  l'Humanité.  Que  de  pré- 
textes àrendre  la  réalité  !  Les  meilleures  et  les  mieux 
conservées  nous  montrent  l'Enfer  bouddhique, 
la  splendeur  du  feu,  la  magnificence  des  scènes 
où  des  diables  rouges  et  verts  attisent  les  feux 
alimentés  par  des  blocs  noirs  charbonneux  : 
reflets  des  scènes  traditionnelles  que  Godoshi 
dut  peindre  sur  les  murailles  de  Changan.  Nous 
reproduisons  une  partie  de  la  grande  salle  des 
Jugements,  où  Emma,  dieu  infernal,  à  la  face 
rouge,  siège  dans  une  atmosphère  de  terreurs  : 
ce  doit  être  l'ancienne  cour  de  justice  criminelle 
desTang.  Quand  les  scènes  de  la  vie  des  hommes 
nous  sont  présentées,  avec  les  chevaliers  armés, 
les  allures  des  chevaux,  les  fuites  de  paysans, 
nous  pouvons  juger  déjà  de  ce  que  seront  les 
compositions  mouvementées  dans  l'Ecole  de 
Tosa. 

Le  xe  et  le  xie  siècle  furent  des  époques  d'iso- 
lement pour  le  Japon;  les  Fujiwara  n'entrete- 
naient plus  de  relations  avec  la  Chine  des  Song. 
La  religion  se  simplifiait,  s'adressant  plus  au 
peuple,  à  son  âme.  Quelques  prêtres  de  Tendaï 
comme  Eikwan  tendaient  à  l'adoration  domi- 
nante d'Amida.  Le  Paradis  d'Amida  n'était  pas 
chose  nouvelle  en  Chine  ni  au  Japon.  D'an- 
ciennes représentations  en  avaient  été  faites, 
tissées  ou  peintes.  Et  maintenant  la  mystique 
vision  nouvelle   tendait    à   écarter    les  rites  de 

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L'ART  MYSTIQUE  BOUDDHIQUE  AU  JAPON 

Fudo  et  de  Kwannon,  pour  invoquer  I'Amida  cen- 
tral, le  Bouddha  d'éclatante  lumière,  entouré  du 
groupe  merveilleux  des  Bosatsous,  eux  aussi 
éblouissants.  Ces  visions,  presque  aussi  lumi- 
neuses que  celles  des  néo-platoniciens  d'Alexan- 
drie, ne  pouvaient  s'interpréter  parla  couleur;  la 
splendeur  de  l'or  seule  pouvait  les  suggérer  non 
seulement  dans  les  chairs,  mais  dans  les  plus 
petits  détails  du  drapé.  L'or  était  alors  apposé 
par  fines  bandes  adhérant  par  la  gomme,  à  moins 
qu'on  ne  peignît  d'abord  les  traits  à  la  gomme 
pour  y  fixer  ensuite  les  fines  feuilles  d'or. 
On  revenait  par  conséquent  aux  suggestions 
des  belles  lignes  dorées  des  figures  de 
Mandara  sous  les  Tang  anciens,  qui  étaient 
exécutées  à  la  brosse  par  la  peinture  d'or  délayé, 
et  plus  encore  à  la  finesse  de  traits  de  la  pein- 
ture de  Nara.  Retour  à  des  traditions  nationales 
un  peu  opposées  au  sentiment  chinois  des  pre- 
miers Fujiwara,  et  qui  produisit  à  la  fin  de  ce 
régime  cette  remarquable  école,  dite  du  Yamato. 
Son  chef  en  était  aussi  un  grand  prêtre,  Yeishin 
So^u,  une  imagination  d'enfant  dans  des  visions 
rendues  par  Fart  d'un  peintre  génial.  Ce  fut  un 
peu  le  Fra  Angelico  du  Japon.  Ses  œuvres,  moins 
rares  que  celles  de  Kanawoka,  ont  trait  surtout 
à  la  Trinité  d'Amida,  la  gloire  d'Amida,  le  Para- 
dis d'Amida,  la  vie  de  béatitude  des  anges  musi- 
ciens. Dans  celle  qui  est  ici  reproduite,  ses  deux 
assistants  Bodhisattwas,  Kwannon  et  Seishi, 
s'inclinent  gracieusement  de  droite  et  de  gauche 
à  ses  pieds;  l'or  y  est  distribué  en  bandes  si  fines 
et  serrées  que  de  loin  cela  forme  comme    une 

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L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

buée  d'or,  et,  sur  un  bleu  profond  cet  or  produit 
une  étonnante  irradiation  de  lumière  autour  des 
corps.  — Une  autre  belle  Trinité  est  au  musée  de 
Boston.  —  Le  temple  de  Chionin  de  Kioto  en 
possède  plusieurs,  dont  l'inoubliable  descente 
d' Amida  et  des  anges  portés  sur  un  nuage,  vision 
si  large,  si  originale,  dégagée  de  toute  influence 
chinoise,  où  les  anges  ont  le  charme  et  l'innocence 
enfantine  des  anges  musiciens  des  panneaux  à 
fond  d'or  d'Angelico  aux  Uffizi.  —  Le  plus  splendide 
Amidaest  peut-être  celui  du  Kin-kui-kio-Miyoji 
Kurodani  de  Kioto  :  les  visages  du  plus  pur 
ovale  sont  ici  parfaits.  —  Un  autre  Amida  dans 
une  gloire  de  soleil  levant,  plus  coloré,  est  au 
Zenrinji  de  Kioto  ;  ici  les  deux  Bodhisattwas  ont 
déjà  traversé  les  monts  pour  saluer  Amida;  et 
toute  une  suite  d'esprits  menée  par  deux  petites 
figures  royales  de  la  Terre,  suivent  les  fonds  des 
vallées. 

Ce  mouvement  artistique,  vers  l'an  mille, 
aboutit  à  la  scission  en  deux  Ecoles  bouddhiques, 
qui  autrement  auraient  été  des  branches  de 
l'École  Kose  :  ce  sont  les  familles  Kasuga  et 
Takuma.  Les  primitifs  travaux  de  Takuma  sont 
difficilement  identifiables,  mais  nous  savons 
que  l'intérieur  du  splendide  reliquaire  du 
Biodoïn,  qui  datait  de  1501,  avait  été  peint  par 
Takuma  Tamanari.  Très  ruinées,  ces  peintures 
représentent  des  visions  du  Paradis. 

L'École  Kasuga,  qui  continua  l'École  de  Tosa, 
avait  été  fondée  par  Motomitsu,  dont  les  œuvres 
sont  si  proches  de  celles  d'Hirotaka  et  de 
Yeishin,  qu'on  pourrait  le    croire  un  disciple  de 

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L'ART  MYSTIQUE  BOUDDHIQUE  AU  JAPON 

Kose.  Ce  nom  de  famille  Kasuga  indique  que, 
commepeintredelaCour,Motomitsudutcollaborer 
au  reliquaire  Shinto  de  ce  nom  à  Nara.  Splendide 
est  sa  Kwannon  trônant  du  Toji,  dont  le  halo 
est  fait  de  losanges  d'or.  —  Avec  d'aussi  belles 
draperies  d'or  fin  que  dans  les  œuvres  d'Yeishin, 
est  le  noble  Amida  du  triptyque  de  Boston.  —  Les 
douze  extraordinaires  Juni  Ten  du  Jingoji  de 
Takawo  peuvent  lui  être  attribués,  avec  leurs 
prodigieux  verts,  jaunes  et  orangés,  sur  des 
orangés  et  des  pourpres  plus  profonds  encore. 
Mais  une  de  ses  œuvres  les  plus  impressionnantes 
est  l'étonnante  vue  à  travers  les  pavillons  des 
jardins  d'Amida,  de  la  collection  Freer.  Ils  nous 
suggèrent  la  fine  architecture  des  Fujiwara,  par 
leur  tracé  d'or. 

De  cette  famille  Kasuga  sont  le  prêtre  Chinkaï, 
qui  peignit  des  Monjus;  son  fils  Takayoshî,  son 
petit-fils  Takachika.  De  Takayoshi  sont  les  meil- 
leurs des  grands  Paradis,  en  or  et  couleurs,  du 
Chionin  de  Kioto,  dans  un  style  moins  naïf  et 
moins  libre  que  par  Yeishin  ou  Motomitsu  ;  les 
figures  pressées  y  sont  plutôt  dans  la  composi- 
tion traditionnelle  et  le  hiératisme  de  Nara,  qui 
ne  faisaient  que  dériver  d'un  original  pré-Tang 
d'environ  600. 

Takachika  marque  nettement  le  caractère 
efféminé  de  l'Art  de  la  fin  des  Fujiwara.  Ses 
lignes  s'affinent  jusqu'à  la  minceur  d'un  cheveu; 
ses  visages  sont  de  poupées,  les  yeux  et  les 
bouches  indiqués  d'un  simple  trait  ;  ses  couleurs 
sont  défaillantes.  Le  musée  de  Boston  possède  un 
Fugen  de  lui.  Ses  célèbres  illustrations  du  Mono- 

(»7) 


L'ART  EN   CHINE  ET   AU  JAPON 

gatari,  expression  de  la  vie  des  Fujiwara, 
sont  plus  intéressantes  par  leur  intérêt  histo- 
rique et  leur  caractère  naïf,  leur  charme  de  cou- 
leurs, que  pour  la  beauté  de  dessin  des  figures. 
Elles  eurent  pourtant  une  grande  influence  sur 
l'art  de  Tosa  des  Tokugawa  et  sur  l'École  de  Korin. 

La  sculpture  eut  une  véritable  renaissance  qui 
accompagna  l'art  d'un  Yeishin.  Les  sculptures 
d'autels  en  bois,  très  demandées,  suivaient 
toujours  les  modèles  Tang.  Mais  les  autels 
n'étaient  plus  les  vastes  plates-formes  de  Nara, 
c'étaient  des  réduits  pour  reliquaire  clos,  avec 
la  place  des  chandeliers  et  des  vases.  Un  grand 
sculpteur  se  produisit  encore,  Jocho;  tout  en 
étant  imbu  des  traditions  de  Nara,  il  modifia  ses 
types  pour  les  conformer  aux  proportions  plus 
arrondies  des  divinités  de  Yeishin.  Son  Amida  est 
un  peu  court  et  banal,  à  côté  des  bronzes  du 
Yakushiji,  mais  apaisé  et  doux. 

Dans  le  style  de  Jocho,  Yeishin  Sozu,  travail- 
lant en  sculpteur,  fit  la  grande  statue  dorée 
d'Amida  au  centre  du  Hondô  de  Biodoïn. 

De  Jocho  est  encore  la  belle  suite  de  petites 
figures  guerrières,  imitées  avec  quelques  variantes 
des  généraux  de  Yakushi,  et  aujourd'hui  auTokondo 
du  Kofukuji,  qui  comptent  parmi  les  plus  belles 
choses  de  l'Art  japonais. 

Ce  sont  toujours  les  traditions  de  Kose  Kana- 
woka.  Et  la  manière  d'Hirotaka,  passée  à  un 
pupille  de  Jocho,  se  manifeste  dans  le  petit 
reliquaire  portatif  si  remarquable  dont  un  cou- 
vercle ouvrant  montre  en  fort  relief  Monju  che- 
vauchant son  lion. 


CHAPITRE   IX 
L'ART   FÉODAL    AU    JAPON 

ÉPOQUE  DE  KAMAKURA  ET  ÉCOLE  TOSA 

LES  FAMILLES  RIVALES  DES  TAIRA  ET  DES  MINAMOTO.  Il  LE  PRÊTRE 
ARTISTE  TOBA  SOJO.  «  LES  PEINTRES  TAKANOBU,  NOBUZANE,  MITSUNAGA 
ET  KEION.  Il  L ÉPOQUE  DES  HOJOS  A  KAMAKURA.  Il  L'ÉCOLE  DE  TOSA 
Il      LES     SCULPTEURS    WUNKEI    ET    TANKEI.    n     LES   ÉCOLES     KOSE    ET    DE 

TAKUMA. 

La  théorie  d'Hegel,  que  toutes  les  formes 
de  la  vie  tendent  à  se  succéder  par  leurs 
contraires,  trouverait  sa  plus  complète  jus- 
tification dans  la  société  japonaise  du  xne  siècle. 
Il  n'est  pas  d'art  arrivé  à  son  plein  épanouis- 
sement, qui  ne  renferme  en  lui  des  germes  de 
destruction.  Et  plus  longue  a  été  son  évolution, 
et  plus  parfaites  ses  floraisons,  plus  violentes 
apparaissent  les  réactions  qui  le  ruineront.  L'Art 
des  Fujiwara  avait  été  d'un  idéalisme  suprême- 
ment aristocratique,  l'ennoblissement  de  la  vie 
pour  un  clan  très  étroit.  Tant  que  des  hommes 
puissants  le  dirigèrent,  il  était  indestructible. 
Quand  des  dissensions  religieuses  commencèrent 
à  l'ébranler,  déjà  au  xie  siècle,  ses  chances  de 
survie  avaient  bien  diminué,  et  toute  la  première 
moitié  du  xne  siècle  fut  remplie  au  Japon  de  luttes 
intestines  sanglantes.  Les  Fujiwara  étaient  alors 
énervés  par  des  siècles  de  paix  et  de  luxe,  et 
incapables  de  se  muer  en  hommes  de  guerre; 
comme  les  princes  des  villes  italiennes  du  xve  siècle, 

(129) 


L'ART  EN  CHINE   ET  AU  JAPON 

ils  firent  appel  aux  mercenaires.  Le  dernier  mot 
devait  rester  au  plus  ambitieux  et  au  plus  éner- 
gique de  leurs  généraux.  Dans  cette  guerre  civile 
de  trois  années,  qu'on  a  appelée  la  guerre  de 
Hogen  Heiji,  quelles  atteintes  furent  portées  aux 
monuments  et  aux  choses  d'art! 

Parmi  ces  généraux  qui  commandaient  aux 
armées  des  Fujiwara,  un  de  ceux  qui  illustrèrent 
la  famille  guerrière  des  Taira,  Masakado,  avait  sa 
cour  et  son  camp  dans  la  région  de  Yedo  (TokioJ. 
Il  se  révolta  contre  ses  maîtres  et  chercha  à  se 
faire  reconnaître  empereur.  Des  chefs  rivaux, 
demeurés  fidèles,  le  combattirent  et  le  tuèrent. 
Cette  famille  des  Taira,  à  la  fin  du  xe  siècle,  était 
ainsi  contrecarrée  et  supplantée  par  une  autre 
famille  militaire,  les  Minamoto  \  l'un  d'eux,  Mina- 
moto  Yorimichi,  édifiait  en  io$i  le  splendide 
sanctuaire  de  Biodoïn.  Ce  fut  entre  1053  et  io^ 
que  la  lutte  d'influences  entre  les  deux  familles 
fut  la  plus  aiguë.  Elle  durait  encore  au  xne  siècle 
quand  Minamoto  Yoshitomo  fut  tué  par  un  chef 
des  Taira  Kiyomori,  qui  supplantait  les  Fujiwara 
eux-mêmes  en  1 16 5 ,  devenait  premier  ministre, 
et  au  comble  de  la  faveur,  mariait  sa  propre  fille 
au  Mikado  en  1171.  Détenant  le  pouvoir  absolu, 
la  famille  des  Tairas,  entre  11 60  et  1180,  eut  à 
Kioto  son  plus  beau  moment.  Mais  l'Art  souf- 
frait alors  des  luttes  et  des  malheurs  dont  toute  la 
société  était  ébranlée. 

Un  nouveau  style  cependant  s'affirma,  très  dif- 
férent de  ce  qu'on  avait  connu,  créé  par  un  prêtre 
Kakuyu,  plus  fameux  sous  le  nom  de  Toba  Sojo. 
Peut-être    fut-ce    pour    distraire     l'affliction    de 


FRAGMENT    D'UN    MAKIMONO. 
SUITE    DES    MIRACLES    DE    KASUGA    PAR   TAKANANÉ. 

Maison  Impériale  no  Japon. 


L'ART    FÉODAL   AU   JAPON 

son  empereur  qu'il  faisait  ces  makimonos  si  pleins 
d'humour,  où  les  animaux,  chevaux,  buffles,  chiens, 
boucs  et  crapauds,  apparaissent  dans  des  actions 
toutes  humaines.  Quelque  esprit  de  satire  boud- 
dhique ne  se  cache-t-il  pas  derrière  ces  inven- 
tions ?  L'exécution  n'en  est  jamais  qu'au  trait, 
mais  d'une  vigueur  rare,  et  d'un  sens  de  la  vie 
surprenant.  C'est  la  première  apparition  d'un  Art 
séculier,  opposé  à  l'ancien  Art  religieux  toujours 
sculpturesque,et  dans  lequel  pour  la  première  fois 
éclate  cet  humour  qui  fut  au  Japon  une  des  faces 
les  plus  extraordinaires  de  son  esprit  national. 
Beaucoup  de  ces  rouleaux  appartiennent  au 
temple  de  Kozanji  de  Kioto. 

Une  œuvre  d'une  liberté  de  trait  surprenante  de 
ce  Toba  Sojo,  conservée  dans  le  temple  de  la 
montagne  Shigi  en  Yamato,  au  Nord-Ouest 
de  Tatsuta,  le  Shigi-^an-Engi,  est  également 
pleine  d'humour  dans  les  récits  du  miracle  qui 
fit  qu'un  magasin  plein  de  riz  fut  transporté  à 
travers  les  airs  jusqu'aux  abbés  réduits  aux 
abois  et  affamés  par  un  siège. 

Un  autre  grand  artiste  créateur  de  ce  temps, 
fut  un  rejeton  de  l'aristocratique  maison  des 
Fujiwara,  Takanobu,  dont  les  œuvres  sont  rares, 
et  dont  le  musée  de  Boston  a  la  bonne  fortune 
de  posséder  cette  suite  de  grandes  peintures 
racontant  la  vie  si  romantique  de  Shotoku  Taishi, 
possédée  jadis  par  la  famille  Sumiyoshi.  Dans 
les  centaines  de  personnages  et  d'animaux 
qu'on  y  rencontre,  s'il  y  a  moins  d'originalité  et 
de  liberté  que  dans  Toba  Sojo,  les  coups  de 
pinceau  y  ont  une    souplesse    rare.    Le  mouve- 


L'ART  EN   CHINE  ET  AU  JAPON 

ment  et  l'art  du  groupement  y  sont  surprenants, 
aussi  bien  que  le  caractère  individuel  des  visages, 
si  criants  de  vérité,  où  rien  de  l'esprit  chinois 
bouddhique  qu'avait  encore  Kose  n'est  resté.  Et 
les  fonds  de  paysages  aux  montagnes  vertes  et 
bleues  annoncent  pleinement  Tosa. 

La  plus  grande  renommée  contemporaine  de 
Takanobu  réside  en  ses  portraits.  En  quelques 
traits  il  révélait  la  profonde  individualité  des 
êtres  qu'il  représentait.  Quelques-unes  de  ces 
figures  assises,  peintes  sur  soie,  sont  conservées 
au  temple  Jingoji  à  Takawo,  une  des  créations 
de  Kobo  Daishi;  et  certes  la  plus  importante 
esthétiquement  et  historiquement  est  le  portrait 
de  Minamoto  Yoritomo,  le  fils  de  ce  Yoshitomo 
que  défit  Kyomori  en  1 160. 

Yoritomo  avait  établi  sa  nouvelle  capitale  à 
Kamakura  sur  la  baie  de  Suruga,  tandis  que  son 
frère  Yoshitsune  restait  maître  de  la  région  de 
Kioto;  mais  ce  dernier,  suspect  à  son  frère,  ayant 
été  supplanté  et  tué  par  lui  en  1189,  Yoritomo 
recevait  le  pouvoir  des  Shoguns  des  mains  de 
l'empereur  en  1192,  pouvoir  nouveau  qui  allait 
jouer  dans  l'histoire  du  Japon  un  rôle  décisif,  et 
qui,  s'appuyant  sur  un  système  féodal,  a  régi 
le  Japon  jusqu'aux  temps  modernes.  Ce  sont 
ces  petites  cours  de  Daïmios,  où  l'énergie  indi- 
viduelle prenait  toute  sa  valeur,  qui  mirent  à  la 
mode  ces  récits  épiques  racontés  au  long  déploie- 
ment des  makimonos,  et  aussi  cette  narration 
humoristique  que  Toba  Sojo  avait  déjà  mise  à 
la  mode. 

Sans  doute  la  plus  belle  période  de  l'Art  sous 


L'ART   FÉODAL   AU   JAPON 

Yoritomo  fut  celle  des  dix  ans  après  1190. 
Takanobu  vivait  probablement  encore  ;  son  petit- 
fils  Fujiwara  Nobu^ane  venait  d'apparaître.  Les 
fils  de  Kasuga,  Takachilu,  Mitsunaga  et  Keion, 
entraient  en  scène  ;  on  peut  dire  d'eux  qu'ils 
furent  la  seconde  et  la  plus  brillante  génération 
des  artistes  de  Tosa(i). 

De  ces  trois  grands  artistes,  Nobu^ane:  le  plus 
jeune,  avait  sans  doute  la  plus  forte  personnalité. 
C'est  lui  qui  se  rapproche  le  plus  de  Toba  Sojo 
dans  ses  makimonos  conservés  au  Kozanji,  et 
représentant  les  transmissions  de  la  doctrine 
Kegon  de  Chine  au  Japon  par  la  Corée.  Le  dessin 
en  noir  et  blanc  est  rendu  par  des  lignes  souples, 
nerveuses  etfluides.  La  barque  du  missionnaire  bat- 
tue par  de  terribles  vagues,  et  poursuivie  par  l'hor- 
rible dragon  des  tempêtes,  est  une  œuvre  conçue 
encore  dans  le  style  des  Tang,  en  dépit  du  coup 
de  pinceau  tout  japonais.  Une  des  plus  belles  pages 
est  celle  du  débarquement  des  navigateurs  que  des 
porteurs  attendent  avec  des  buffles  et  des  chevaux, 
scène  d'un  réalisme  rustique  inimitable,  avec  une 
pointe  d'humour  qui  relève  toujours  l'observation. 

Que  dire  des  portraits  de  Nobuzane  par 
lesquels  il  nous  a  laissé  le  souvenir  des  Fuji- 
wara à  leur  déclin,  ainsi  que  celui  des  trente- 
six  poètes  célèbres  des  âges  révolus  ?  Il  a  voulu 
aussi  que  son  pinceau  rendît  une  réunion 
publique  dans  une  chaumière  délabrée  où  il  se 
représente  buvant  et  dansant  avec  les  cama- 
rades misérables. 

(1)  En  fait,  le  nom  de  Tosa  ne  fut  donné  à  cette  école  que  plus  tard,  avec  le 
fils  de  Mitsunaga,  Tsunetaka. 


L'ART   EN   CHINE   ET  AU  JAPON 

Mais  la  plus  considérable  œuvre  en  forme  de 
makimono  de  Nobuzane,  si  ce  n'est  l'œuvre 
maîtresse  de  l'École  Tosa,  est  la  longue  histoire, 
au  cours  des  neuf  rouleaux,  de  la  vie  de  Mîchi- 
^ane,  le  savant  ministre  d'Engi,  exécutée  avec  une 
sorte  d'emportement,  d'une  telle  puissance  et 
d'une  telle  individualité  qu'on  oublie  ce  quelle 
a  d'un  peu  forcené  ;  et  la  couleur  étrange  est 
d'une  telle  invention  imprévue,  que  je  ne  crois 
pas  qu'il  y  ait  rien  au  monde  de  plus  impres- 
sionnant dans  l'Art.  Cette  œuvre  est  un  monde 
immense  où  toutes  les  qualités  d'un  si  rare  génie 
se  manifestent,  par  l'observation  attentive,  cor- 
diale, narquoise  et  tendre,  par  l'imagination 
puissante  en  ses  visions  grandioses,  qui  découvre 
bien  au  delà  des  limites  du  réel  les  profondeurs  de 
l'insoupçonné,  et  par  un  génie  pictural  qui  le 
classe  parmi  les  plus  grands  artistes  du  monde. 

Le  second  artiste,  Kasuga  Mitsunaga,  fils  ou 
peut-être  petit-fils  de  Takachika,  fondateur  de 
l'art  nouveau,  est  peut-être  celui  qui  par  l'exé- 
cution fougueuse  se  rapproche  le  plus  de  Toba 
Sojo  et  représente  le  mieux  le  génie  de  l'École 
Tosa  au  début  de  Kamakura.  Sa  couleur  puis- 
sante passe  des  jaunes  citron  aux  orangés,  des 
bleus  foncés  aux  verts  olive.  Sa  plus  grande 
œuvre  était  le  «  Nenchiu  Giogi  »,  sorte  de  jour- 
nal en  soixante  rouleaux  de  la  vie  de  Kioto  à 
tous  les  moments  de  l'année.  Une  vingtaine 
subsistaient  dans  le  Trésor  impérial,  et,  rap- 
portés à  Tokio  en  1868,  périrent  quelque  temps 
après  dans  un  incendie  (1). 

(1)  Sumiyoshi  en  avait  pris  des  copies;  c'est  de  celles-ci  que  des  relevés  au 


L'ART  FÉODAL  AU  JAPON 

Des  œuvres  moins  importantes  sont  un  frag- 
ment de  l'Enfer  et  deux  rouleaux  de  la  visite  de 
l'abbé  No  Nakamaro  en  Chine,  tout  en  contrastes 
amusants  entre  les  coutumes  chinoises  ou  japo- 
naises, et  dont  une  scène  vraiment  étonnante 
est  celled'une  opération  chirurgicale.  Mais  rienn'est 
sans  doute  supérieur  aux  peintures  originales  de 
l'incendie  des  Portes,  avec  le  tumulte  des  rues 
dans  une  atmosphère  de  feu. 

Quant  au  plus  jeune  frère  de  Mitsunaga,  qui 
prit  le  nom  religieux  de  Sumiyoshi  Keion,  il  fut  à 
maints  égards  le  plus  grand  des  trois.  Il  avait  un 
peu  de  l'humour  de  Toba  Sojo  et  des  autres,  sa 
couleur  reposant  sur  des  rouges  francs,  des 
bleus  et  des  verts.  Il  n'est  pas  impressionniste  à 
la  façon  de  Nobuzane,  il  est  plus  équilibré.  Mais 
il  n'a  pas  de  rival  dans  la  multiplicité  des  lignes 
pressées  pour  rendre  la  totalité  des  mouvements; 
ses  sujets  d'ailleurs  s'y  prêtaient.  Car  bien  plus 
que  les  autres  il  est  le  peintre  des  batailles.  Il 
dut  voir  dans  sa  jeunesse  les  horreurs  de  la 
guerre  de  Hogen  Heiji,  il  vit  Yoshitsune,  et  fut 
témoin  du  triomphe  de  Kyomori. 

Keion  nous  a  laissé  un  très  intéressant  maki- 
mono  à  sujet  religieux,  mais  traité  avec  une 
grande  liberté.  11  s'y  montre  très  humain,  en 
présentant  Amida  et  ses  Bodhisattwas  musiciens 
glissant  à  travers  un  paysage  de  caractère  Tosa 
pour  accomplir  leur  mission  de  bénédiction.  Ce 
ne  sont  plus  les  figures  hiératiques  éclatantes 
d'or    des    autels  :    elles  planent    sur    les    eaux 

trail  dus  à  Sumiyoshi  Jokei  existent  aujourd'hui  au  musée  de  Boston,  recueil- 
lis par  M.  Fenellosa. 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

comme  de  légers  nuages.  Il  est  certaines  de  ces 
figures,  telles  qu'un  guerrier  monté,  en  armure, 
se  retournant  sur  sa  selle  et  regardant  en  arrière, 
qui  se  retrouvent  en  originaux  ou  en  copies.  Un 
des  plus  remarquables  groupes  fut  copié  sur  un 
éventail  par  un  artiste  qui  n'était  rien  moins  que 
Koyetsu.  Mais  était-ce  une  copie?  ou  une  compo- 
sition originale  dans  le  style  deKeion?  car  Koyetsu 
avait  certes  bien  étudié  les  grands  maîtres  de  Tosa, 
surtout  Nobuzane  et  Keion,  et  on  peut  très  bien 
admettre  que  ce  ne  fut  là  qu'une  transcription 
libre  d'après  une  œuvre  perdue  de  Keion.  Le 
sujet  est  la  capture  d'un  courrier  armé  par 
cinq  soldats  du  parti  ennemi,  à  faces  puissamment 
rendues. 

La  grande  œuvre  de  Keion,  c'est  sa  suite  de 
trois  longs  makimonos  de  scènes  de  la  guerre 
Hogen  Heiji,  dissociés  depuis  le  début  de  l'époque 
des  Tokugawa.  Deux  sont  encore  au  Japon  dans 
des  collections  privées.  Sur  l'un,  dans  de  vastes 
étendues  de  montagnes  et  de  forêts  circulent  des 
groupes  de  personnages  ;  en  un  point  gît  le  cada- 
vre d'un  guerrier,  la  gorge  coupée.  C'est  une 
des  plus  fortes  gageures  de  raccourci  de  dessin 
de  tout  l'Art  chinois  ou  japonais.  —  Dans  le  second 
rouleau,  un  escadron  de  cavalerie  avance  lente- 
ment entre  deux  rangées  de  chariots  à  buffles, 
précédé  par  un  chef  sur  un  cheval  noir  d  une 
allure  extraordinaire.  —  Le  troisième  rouleau  est 
peut-être  le  plus  significatif  de  l'art  de  Keion  : 
jadis  possédé  par  la  famille  Honda,  aujourd'hui 
au  musée  de  Boston  où  il  est  entré  avec  toutes 
les  peintures  de  M.    Fenellosa.  On  y  rencontre  à 

(136) 


PORTRAIT    D'UN    PRÊTRE. 

ÉCOLE    ROSA,    XIIIe    SIÈCLE. 

Musée  du  Louvre.     Don  de  Mme.  Gillot  en  souvenir   ete  son  mari. 


L'ART   FEODAL   AU  JAPON 

peu  près  tous  les  spectacles  de  mouvements  et 
de  mêlées  où  les  combattants  se  choquent,  dans 
la  pittoresque  confusion  des  chariots  et  la  fureur 
des  rencontres. 

Très  peu  de  temps  après  la  mort  de  Yoritomo, 
sa  dynastie  de  Shoguns  subit  à  Kamakura  le  même 
genre  d'éclipsé  que  les  premiers  empereurs  de 
Kioto  sous  la  tutelle  des  Fujiwara.  C'étaient 
maintenant  les  ministres  Hojo  qui  gouvernaient, 
famille  cruelle,  mais  adroite  et  forte  qui  put  pen- 
dant près  de  cent  cinquante  ans  dominer  un  peuple 
qui  se  rebellait  contre  elle.  Ces  sombres  jours 
de  tyrannie  et  de  révoltes  sont  le  sujet  de  nom- 
breux drames  de  Nô  du  xve  siècle.  Les  Hojos 
eurent  à  repousser  l'attaque  des  Mongols  qui,  en 
1269,  déjà  maîtres  d'une  partie  de  l'Asie,  avaient 
songé  à  envahir  les  îles  :  Kublai  Khan  fut  re- 
poussé par  Hojo  Tokimune. 

Que  fut  l'art  de  cette  époque  de  transition  ? 
Au  milieu  du  xnf  siècle,  les  grands  peintres  de  la 
principale  Ecole,  dite  Tosa,  furent  Tsunetaka,  fils 
de  Mitsunaga,  et  Yoshinobu,  son  petit-fils.  Le  des- 
sin du  premier  est  d'une  extrême  finesse  :  il  ne 
traite  pas  les  figures  en  grands  ensembles  comme 
Keion,  et  souvent  il  peint  en  blanc  et  noir.  Dans 
ses  paysages,  les  arbres  sont  d'un  merveilleux 
dessin,  et  sont  les  fonds  les  plus  complètement 
parfaits  de  l'Ecole  Tosa.  Son  batelier  manœu- 
vrant à  la  perche  au  milieu  des  rapides  est  une 
création  d'une  rare  audace  ;  Koyetsu  l'a  refait 
souvent. 

Yoshimhsu  rappelle  parfois  un  peu  Nobuzane. 

(137) 


L'ART  EN   CHINE  ET  AU  JAPON 

Il  nous  a  laissé  des  compositions  serrées,  pas 
aussi  rigoureusement  construites  que  celles  de 
Keion,  mais  dune  puissance  de  vie  étonnante. 
Ses  quarante-huit  rouleaux  de  la  vie  de  Honen 
Shonin,  possédés  par  la  maison  impériale  du  Japon, 
sont  particulièrement  beaux.  A  remarquer  le 
groupe  de  femmes  qui  descendent  les  degrés  du 
palais.  —  Ses  paysages  sont  d'une  extrême  liberté  et 
très  impressionnistes.  S'ils  sont  reliés,  par  leurs 
caractères  purement  japonais,  aux  paysages  chi- 
nois du  style  du  vie  siècle  qui  a  précédé  les  Tang, 
ils  reflètent  d'une  surprenante  façon  les  paysages 
réels  du  Japon  d'aujourd'hui,  si  bien  qu'en  par- 
courant la  vallée  sauvage  qui  avoisine  Kozanji 
près  de  Kioto,  il  arrive  souvent  qu'on  s'écrie  : 
«  C'est  tout  à  fait  un  paysage  des  Tosa  ». 

Dans  les  rouleaux  enluminés  d'écriture  boud- 
dhique, nous  rencontrons  de  charmants  exemples 
du  pur  décor  Tosa  ;  dans  l'un  d'eux,  un  daïmio 
Fujiwara  et  ses  dames  de  cour  sont  en  contem- 
plation devant  un  jardin  de  lotus  baigné  d'une 
atmosphère  tachetée  d'or,  d'une  couleur  plus  riche 
que  le  plus  somptueux  laque  moderne. 

Il  faut  noter  que  dès  cette  époque  (1229), 
Toshiro  établissait  à  Seto,  en  Owari,  le  premier 
four  pour  faire  des  poteries  d'art.  Ses  émaux 
d'un  brun  profond  ont  quelque  chose  de  la 
beauté  des  poteries  des  Song. 

Les  laques  de  la  même  époque,  soit  qu'ils  aient 
été  décorés  de  paysages  de  style  Tosa,  en  or 
épais  ou  en  noir,  soit  qu'ils  portent  des  motifs 
de  fleurs  ou  d'oiseaux  incrustés  en  burgau  sur 
un  fond  poudré  d'or,  présentent  beaucoup  moins 

(138) 


L'ART   FÉODAL  AU   JAPON 

de  raideur  et  de  convention  que  les  objets  de 
même  espèce  des  Fujiwara.  C'était  ces  impres- 
sions de  jardins,  inspirées  des  makimonos  de 
Yoshimitsu,  que  Koyetsu  et  Korin  devaient  faire 
revivre  au  moment  de  la  grande  renaissance  des 
laques  au  xvne  siècle. 

Des  troisième  et  quatrième  générations  de 
l'École  de  Tosa,  Yukimitsu  et  Yukihiro  sont  à  un 
degré  encore  plus  bas,  et  ne  sont  plus  qu'une 
menue  monnaie  de  Keion. 

Parallèlement  à  ces  descendants  des  Fujiwara 
et  des  Tosa,  une  suite  des  familles  de  Kose  et  de 
Takuma  florissait  encore,  et  après  les  objets 
d'autels  traditionnels,  faisaient  au  xive  siècle  des 
travaux  sur  makimonos.  L'un  d'eux,  Kose  Na^ataka, 
dit  aussi  «  Echizen  no  Kami  Nazataka  »,  nous 
a  laissé  une  vue  contemporaine  de  la  destruction 
de  la  flotte  des  Mongols  par  Tokimune.  —  Kose 
Korehisa  faisait  de  son  côté  de  grandes  compo- 
sitions guerrières.  Cette  lignée  de  Kose  conser- 
vait un  style  plus  rude  et  plus  vibrant  que  n'eut 
jamais  Tosa;  mais  de  plus  en  plus  ces  écoles  se 
confondirent,  au  milieu  du  xive  siècle,  et  il 
devient  difficile  de  distinguer  Tosa  Yukihida 
de  Kose  Arishige  et  de  Takuma  Rioson. 

Le  dernier  stage  du  premier  shogunat  de  Kama- 
kura  avait  débuté  par  une  série  de  guerres  intes- 
tines coïncidant  avec  la  délivrance  de  l'empereur 
Godaigo  Tenno  en  1 3  3 1 .  Les  Hojos  avaient  connu 
la  totale  impopularité.  Mais  les  généraux  impé- 
riaux qui  les  avaient  vaincus  et  réduits,  jaloux 
les  uns  des  autres,  se  combattaient  entre  eux, 
et   l'un    d'eux,  infidèle    à  la  couronne,  Ashikaga 

(I39J 


L'ART   EN   CHINE  ET  AU   JAPON 

Takanji,  se  proclamait  shogun  d'un  État  du  Nord 
indépendant  en  1337,  et  défaisait  l'empire  de 
Godaigo,  malgré  les  efforts  infructueux  de  son 
fidèle  général  Kusunoki.  Après  leur  défaite,  les 
troupes  de  l'empereur  du  Sud  restaient  groupées 
autour  de  lui  dans  leurs  forteresses  du  Yoshino, 
et  ce  ne  fut  qu'en  1372  qu'elles  se  soumirent  à 
Kioto  au  rival  heureux  qu'avait  soutenu  la  famille 
d'Ashikaga. 

Ashikaga  avait  été  proclamé  shogun  en  1337, 
mais  les  traditions  de  Kamakura  subsistaient 
après  la  chute  de  ce  régime;  car  Takanji  était 
mort  en  1358,  sans  la  certitude  du  succès  et  de 
la  durée  de  sa  dynastie.  Pour  établir  une  démar- 
cation entre  les  deux  périodes,  il  faut,  je  pense, 
prendre  comme  date  1368,  alors  que  le  troisième 
Ashikaga  devint  shogun  à  Kioto,  Yoshimitsu, 
homme  remarquable  et  d'une  politique  toute 
nouvelle. 

L'Art  de  Tosa  s'était  bien  affaibli,  à  cette 
époque  de  guerre  civile  ;  une  de  ses  meilleures 
œuvres  était  cependant  ce  portrait  équestre  de 
Ashikaga  Takanji,  peut-être  par  Tosa  Awatagu- 
chi  Takamitsu,  dont  nous  avons  conservé  une 
copie.  Les  Tosa  s'étaient  divisés  en  plusieurs 
branches;  une  nouvelle  École,  Shiba,  n'était 
qu'un  composé  atténué  de  Kose,  Tosa  et  Taku- 
ma.  Mais  nous  verrons  encore  les  vrais  descen- 
dants de  Tosa  briller  sous  les  Ashikaga, 
Hirochika  et  Mîtsunobu. 

Nous  avons  dit  et  expliqué  que  le  makimono 
avait  été  une  des  formes  les  plus  originales  et  sai- 

(140) 


L'ART  FÉODAL  AU  JAPON 

sissantes  de  la  pure  École  japonaise  des  Tosa.  Mais 
les  plus  grands  artistes  de  cette  Ecole  furent  aussi 
des  portraitistes  éminents,  ce  qui  ne  peut  étonner 
dune  époque  si  éprise  d'individualisme.  Taka- 
nobu  et  Nobuzane  firent  des  portraits  merveilleux. 
Du  premier  nous  avons  déjà  mentionné  le  grand 
portrait  de  Yoritomo.  Nobuzane  portraitura  les 
trente-six  poètes,  parmi  lesquels  surtout  Ono  no 
Komachi  et  Hitomaro.  Son  Hitomaro  assis,  de 
la  collection  Kawasaki  à  Kobe,  est  le  plus  beau. 
Koyetsu,  par  la  copie  qu'il  en  fit,  a  immortalisé 
le  portrait  si  individuel  d'un  noble  Fujiwara  un 
peu  gras.  Le  portrait  d'Ono  no  Tofu  calligra- 
phiant est  d'un  humour  charmant. 

Les  artistes  de  l'Ecole  de  Takuma  firent  de 
magnifiques  portraits  de  prêtres.  L'un  des  plus 
beaux,  rappelant  l'art  profond  d'Holbein,  fut 
donné  au  musée  du  Louvre  par  Mme  Gillot. 

Cet  art  du  portrait  allait  revivre  avec  éclat 
dans  la  sculpture  dont  l'époque  des  Fujiwara 
avait  rétréci  le  champ.  Deux  grands  artistes, 
Wunkei  et  Tankei,  aussi  fameux  au  Japon  que 
Donatello  ou  Michel-Ange  en  Occident,  furent 
les  chefs  d'une  nouvelle  École  de  sculpteurs,  à 
l'époque  de  violence  de  Yoritomo  ;  et  sous  leurs 
mains  le  portrait  allait  prendre  sinon  toute  la 
place,  du  moins  le  premier  rang.  C'est  à  Nara 
qu'ils  travaillèrent  surtout,  rendant  ainsi  à  la 
vieille  capitale  un  lustre  artistique  que  Kioto 
lui  avait  enlevé.  Leur  matière  est  le  bois  :  ou- 
bliés sont  le  bronze,  l'argile  et  le  laque  qui 
avaient  triomphé  aux  beaux   jours  du  Yamato. 

(HO 


L'ART   EN   CHINE  ET  AU  JAPON 

Nous  voyons  Wunkei  sous  la  forme  d'un  prêtre 
au  crâne  chauve,  égrenant  son  chapelet.  On  a 
cru  le  reconnaître  aussi,  sous  les  traits  d'un 
vieux  prêtre,  à  la  vieille  face  simiesque.  —  Inou- 
bliables et  tenant  du  prodige  sont  les  six  portraits 
de  prêtres  assis  sur  le  bord  de  l'autel  du  Chu- 
kondo  de  Tofukuji  à  Nara,  effigies  surprenantes 
d'individualité,  de  vie  surprise  à  l'instant  fugitif 
de  la  plus  profonde  et  intime  émotion,  avec  tous 
les  détails  particuliers  de  structure  minutieuse- 
ment rendus,  avec  la  ferveur  d'une  interrogation 
affectueuse  et  l'émotion  communicative  que  l'ar- 
tiste a  éprouvée  à  surprendre  et  à  comprendre 
le  modèle  vivant,  portraits  dignes  d'être  compa- 
rés aux  plus  saisissantes  effigies  de  l'Art  égyptien, 
qu'ils  égalent. 

Il  ne  faut  pas  oublier  les  portraits  des  seigneurs 
de  Kamakura  et  des  chefs  militaires,  dans  leurs 
costumes  si  curieux  avec  leurs  grands  chapeaux 
à  pointe  et  leurs  larges  pantalons  qui  cachent 
les  pieds,  par  exemple  ce  portrait  de  Hojo 
Tokiyori,  le  cinquième  de  la  lignée  de  Kama- 
kura entre  1246  et  1261,  dans  la  pose  qui 
n'est  pas  celle  des  genoux  plies  sous  le  corps  ou 
croisés  devant,  mais  des  jambes  allongées. 

Mais  il  ne  faudrait  pas  croire  que  ces  époques 
aient  rompu  entièrement  avec  l'art  religieux,  si 
riche  aux  anciennes  époques  :  jamais  au  Japon 
il  n'y  eut  d'interruption  dans  ces  traditions  artis- 
tiques. Wunkei  et  Tankei  sculptèrent  aussi  des 
figures  bouddhiques,  ces  Niôs,  gardiens  des  portes, 
et  ces  Shi-tennos,  gardiens  des  autels.  Qu'on  se 
rappelle   les    statues  colossales  des    Niôs  de  la 

(142) 


L'ART  FÉODAL  AU  JAPON 

grande  porte  du  Todaiji  de  Nara,  et  les  deux 
statues  de  l'autel  du  Chukondo  de  Kofukuji, 
formidables  de  violence  et  d'effort  musculaire, 
un  peu  forcenées,  comme  le  sont  d'ailleurs  quel- 
ques gens  de  courdeNobuzane,  quelques  guerriers 
de  Keion.  Une  remarque  peut  être  faite,  qu'alors 
les  yeux  sont  généralement  faits  d'un  globe  de 
cristal  pour  figurer  la  cornée. 

Les  Shi-tennos  de  Wunkei  sont  typiques  au 
Toïndo  du  Yakushiji  et  au  Seigwanji  de  Kioto. 
Les  Bodhisattwas,  Saints  et  Devas,  qu'on  voit  sur 
l'autel  central  du  Sanji  san  Gendo  de  Kioto  sont 
des  œuvres  remarquables  d'une  ou  de  deux 
générations  plus  tard.  Les  Bouddhas  et  les  Amidas 
subsistent  très  nombreux,  quelques-uns  des  plus 
beaux,  sculptés  en  plein  bois  et  dorés,  datant 
de  la  fin  du  xiii"  siècle.  —  Le  premier  rang  revient 
au  colossal  Bouddha  de  bronze  de  Kamakura, 
sur  lequel  tout  a  été  dit,  car  il  est  célébré  dans 
tous  les  journaux  de  route  de  globe-trotters.  Il 
est  du  type  de  la  génération  qui  suivit  Wunkei. 
Si  on  pense  aux  peintres  du  même  moment,  c'est 
de  Tosa  Yoshimitsu  qu'il  se  rapproche  comme 
esprit,  bien  plus  que  de  Keion  ou  de  Mitsunaga. 
Il  est  évidemment  supérieur  au  grand  Bouddha 
de  Nara,  parce  qu'il  est  le  point  culminant  de 
cette  époque  de  Kamakura,  tandis  que  l'autre 
n'est  que  d'une  époque  déclinante.  —  De  très 
belles  œuvres  et  pleines  de  grâce  sont  encore 
les  six  grandes  Kwannons  sculptées  dans  le  bois 
naturel  au  Rokukwando,  au  Nord  de  Kioto. 

Les  sculptures  du  xiv"  siècle  de  l'École  de 
Wunkei  ne  sont  pas  rares,  mais  elles  indiquent 


L'ART  EN   CHINE  ET  AU   JAPON 

plus  de  faiblesse.  Excellentes  encore  dans  les 
types  grotesques  comme  le  porteur  de  lanterne  de 
Kasuga  par  Kobun. 

A  la  fin  de  ce  xiv"  siècle,  un  moment  encore 
magnifique  est  celui  du  groupe  de  bronze  Shin- 
gon,  du  premier  pèlerin  mystique  Enno  Giogi, 
et  des  deux  esprits  familiers  de  la  montagne  ; 
mais  la  même  pauvreté  de  style  va  s'accentuer 
dans  la  sculpture,  comme  dans  la  peinture  de 
l'Ecole  Shiba  du  même  moment. 

A  ces  mêmes  époques,  la  peinture  religieuse 
subit  les  mêmes  destinées  que  la  sculpture, 
pratiquée  aussi  par  les  mêmes  artistes  des  Ecoles 
de  Tosa.  Keion  nous  a  laissé  des  aspects  charmants 
des  jardins  et  des  constructions  du  temple  Kasuga 
de  Nara,  avec  des  fonds  de  paysages  à  la  Tosa. 
Tsunetaka  se  distingue  par  ses  dieux  stellaires,  ses 
belles  figures  bouddhiques,  les  esprits  planétaires, 
flottant  sur  des  nuages  dans  les  cieux.  De  beaux 
exemplaires  sont  ce  Mandara  du  musée  de  Boston, 
ou  celui  de  la  collection  Freer.  —  Yoshimitsu  fit 
spécialement  des  peintures  de  type  Shingon,  secte 
qui  avait  repris  une  grande  vitalité  au  xnf  siècle, 
avec  des  Dai-nichis,  des  Fudos,  des  Aizens.  De 
très  belles  peintures  de  ce  genre  sont  au  Daigoji 
en  Yamashino. 

Mais  parallèlement  aux  Tosa  avait  grandi  avec 
Kose  Genkei,  contemporain  de  Kiyomori  et  de 
Yoritomo,  toute  une  génération  d'artistes  de  Kose, 
probablement  des  descendants  de  Kanawoka  et 
dHirotaka,  qui  avaient  introduit  dans  les  peintures 
d'autels  le  dessin  libre  et  l'esprit  plus  personnel 
que  l'on  demandait  alors.   Un   très  remarquable 

(144) 


L'ART  FÉODAL  AU  JAPON 

exemple  nous  est  fourni  par  lajizo  Mandara  de 
Genkei  dans  la  collection  Freer. 

Au  xiv"  siècle,  les  peintures  d'autels  de  Kose 
ont  un  hiératisme  suave,  de  la  même  source  que 
les  gracieux  Amidas  ou  Kwannons  de  la  sculpture 
laquée  (Kwannon  de  Kose  Arishige  dans  la  collec- 
tion Freer).  L'École  de  Shiba  de  son  côté,  avec 
Rinken  (musée  de  Boston),  offre  encore  un  charme 
assez  analogue  à  celui  des  formules  byzantines. 

Enfin  l'École  de  Takuma,  bien  que  connexe  aux 
autres,  manifesta  ses  préférences  à  se  prêter  aux 
inspirations  de  la  secte  Zen,  qui  émanaient  des 
Song  du  Nord  chinois.  Ce  fut  là  l'esprit  même 
desHojosdeKamakura.  Et  ce  style  de  Takuma  de  la 
troisièmepériode  combine  les  lignes  un  peulourdes 
et  les  nobles  proportions  de  Riryomin  avec  le  coup 
de  brosse  nerveux  et  vivant  des  Tosa.  Les  grands 
maîtres  furent  Kukin  et  Takuma  Shoga  :  ce  dernier 
vivait  dans  les  montagnes  de  Takawo,  au  Nord- 
Ouest  de  Kioto  près  de  Kozanji,  où  l'on  conserve 
toujours  sa  grande  suite  des  douze  Ten  Bapteri 
Bodhisattwas.  L'und'eux,  le  Kwaten,  oudieu  du  Feu, 
est  sous  les  traits  d'un  vieillard  ;  une  autre,  la  déesse 
Lune,  est  une  gracieuse  figure  de  profil,  portant  sur 
un  disque  d'or  le  croissant  lunaire  enfermant  un 
lapin.  Ses  successeurs  Erichibo,  Rioga,  Riosan, 
Choga,  Yeiga,  répétèrent  son  style,  en  subissant  de 
temps  en  temps  l'influence  de  Kose  et  de  Tosa.  Mais 
au  demeurant,  et  sous  les  impulsions  de  Riryomin 
et  des  premiers  apôtres  Zen,  l'Art  de  Takuma  est 
le  seul  sous  Kamakura  qui  forme  une  sorte  de 
transition  avec  la  forte  influence  des  Song  qui  va 
peser  sur  l'Art  des  Ashikaga. 


10 


© 


CHAPITRE  X 
L'ART    IDÉALISTE    EN    CHINE 

I.  LES  SONG  DU  NORD  A  KAIFONGFU 

LA  DOCTRINE  BOUDDHIQUE  DE  ZEN.  g  SON  INFLUENCE  SUR  L'ART  CHINOIS 
DES  SONG.  Il  SON  SENTIMENT  DE  LA  NATURE  ET  L'ART  DU  PAYSAGE.  I 
LES  PEINTRES  CHU  HUI,  CHAO  CH'ANG,  LI  CH'EN  ET  KUO  HSI.  Il  L'ESSAI 
THÉORIQUE  SUR  LA  PEINTURE  DE  KUO  HSI.  «  LE  PEINTRE  LI  LUNG  MIEN 
ET  L'EMPEREUR  ARTISTE    HIN  TSUNG    (KISOKOTEI). 

Il  nous  faut  revenir  à  l'Art  chinois,  après  avoir 
étudié  l'Art  japonais  et  nous  être  convaincus 
de  la  complète  indépendance  des  deux  civili- 
sations durant  le  moyen  âge.  En  Chine  aussi,  en 
revenant  en  arrière,  après  cet  intervalle  de  temps, 
nous  allons  comprendre  la  profonde  évolution 
allant  de  ce  que  nous  avons  appelé  Y  Art  mystique 
à  l'Art  que  nous  allons  appeler  Y  Art  idéaliste. 

Et  ce  changement  significatif,  «  ce  qui  fait  les 
époques  »,  n'est  rien  moins  que  la  transition  du 
Bouddhisme  Tendaï  au  Bouddhisme  Zen  :  tran- 
sition qui  ne  fut  pas  soudaine,  car  les  deux  Arts 
avaient  eu  un  développement  parallèle  même 
pendant  les  Tang.  Elle  a  naturellement  été  ignorée 
des  historiens  officiels  chinois,  pour  lesquels  toutes 
ces  disputes  bouddhiques  en  Extrême-Orient  ne 
sont  que  de  petits  faits  répartis  sur  un  court 
espace  de  temps.  Et  cet  Art  idéaliste,  plus  tourné 
désormais  vers  le  naturel  que  vers  le  surnaturel, 
devint  une  grande  École  d'interprétation  poétique. 

On  peut  objecter  qu'en  poésie,  l'École  est  en 

(*47) 


L'ART  EN   CHINE  ET  AU  JAPON 

partie  dépendante  des  Tang;  et  je  n'y  contre- 
dirai pas.  Mais  j'admettrai  aussi  et  même  j'affir- 
merai qu'elle  est  très  liée  aux  Liang  du  Sud  et 
aux  Song  dans  leur  capitale  Nanking,  et  que 
Tommei  fut  son  fondateur.  Ce  fut  alors  que 
l'Indien  Daruma  transplanta  les  germes  de  cette 
doctrine,  soigneusement  cultivée  par  les  prêtres 
chinois  Yeyan  et  ceux  du  cercle  des  Lotus  blancs. 

Ce  fut  alors  que  le  Taoïsme  vint  s'unir  à  la 
doctrine  Zen,  et  nous  l'avons  montré  dans 
le  chapitre  III  de  cet  ouvrage.  Quand  le  Nord 
et  le  Sud  refirent  l'unité  sous  les  Tang  au  vu"  siècle, 
quelque  chose  de  cet  esprit  Zen,  réellement  enrichi 
de  la  pensée  taoïste  et  de  l'image  représentative, 
tendit  à  s'unir  provisoirement  avec  ce  qui  était 
le  meilleur  de  la  tradition  de  Confucius. 

Le  plus  parfait  exemple  de  cette  union  est  dans 
la  poésie  Genso  de  Rihaku  et  de  Toshimi,  où  les 
représentations  d'aprè  s  la  nature  viennent  renforcer 
le  criticisme  social.  Le  pur  paysage  poétique  des 
Tang,  celui  d'Omakitsu,  est  bien  plus  d'esprit 
taoïste  que  d'esprit  Zen.  Le  mélange  de  Boud- 
dhisme ésotérique,  à  ce  moment,  dérivait  alors 
plutôt  du  Bouddhisme  Zen. 

Si  un  critique  avait  à  analyser  les  tendances 
du  vm"  siècle,  il  les  aurait  probablement  énu- 
mérées  comme  Confucianisme ,  Taoïsme  et  Ten- 
daïsme.  Zen  était  la  réalité;  seulement  ses  fleurs 
n'avaient  pas  donné  de  fruits,  et  il  avait  conservé 
pour  lui-même  tout  le  domaine  de  l'idéalisme 
jusqu'aux  jours  plus  conscients  des  Song. 

Ce  qu'il  y  a  de  remarquable  dans  la  pensée 
Zen  des   Song  du  Nord,    c'est   cette   opposition 

(148) 


t 


Un  Rakan  ou  Arhat. 

Par  le  prêtre  Kuan  Hsiu  (en  japonais 
Zengetsu  Daishi.  X'  siècle.  Temple 
Kodaiji. 


Planche  XLI. 


L'ART  IDÉALISTE  EN   CHINE 

déclarée  et  méprisante  à  tout  ce  que  le  Confu- 
cianisme a  de  plus  cher.  Soit  que  cette  union  des 
extrêmes  fût  en  730  une  vraie  communauté,  ou 
seulement  un  rapprochement  de  trêve,  elle  fut 
brisée  par  le  conflit  de  1060.  La  vérité  est  que 
la  secte  étroite  des  confucianistes,  quand  elle 
parvint  à  la  demi-conscience  de  son  puritanisme, 
ne  put  jamais  tolérer  aucune  comparaison  ni 
réelle  union  avec  personne.  Ils  apportaient  une 
obstination  de  bull-dogs  à  s'en  tenir  à  la  lettre 
de  la  loi,  Nous  avons  vu  comment  ils  se  livrèrent  à 
des  persécutions  brutales  de  bouddhistes  avant  la 
fin  des  Tang.  Les  critiques  Tang  eux-mêmes  ne 
furent  guère  capables  de  se  rendre  compte  de  la 
situation;  ils  demeurèrent  bouche  bée  devant 
des  violences  qu'ils  ne  pouvaient  comprendre. 
L'élément  confucianiste  dans  la  première  culture 
des  Tang,  comme  dans  les  examens  des  services 
civils  et  de  l'Université,  a  été  très  fort.  Le  peuple 
pouvait  difficilement  se  faire  une  opinion  pour 
condamner  ou  pour  admirer  ceux  qui  dirigeaient 
le  mouvement. 

Avec  la  dynastie  Song,  cet  état  de  confusion  et 
de  doute  cessa.  Durant  les  cinquante-cinq  années 
des  cinq  courtes  dynasties  intermédiaires  entre 
Tang  et  Song,  au  xe  siècle,  une  sorte  d'indépendance 
relative  s'était  développée  dans  les  provinces 
séparées,  gage  d'un  individualisme  et  d'une  décen- 
tralisation qui  donne  déjà  idée  du  changement  qui 
plus  tard  devait  transformer  le  Japon  à  la  période 
Kamakura.  Et  quand  l'union  se  fit  de  nouveau  au 
début  des  Song  dans  leur  nouvelle  capitale  de 
Kaifongfu  en  960,    et    que  des  énergies   jeunes 

(H9) 


L'ART  EN   CHINE  ET   AU  JAPON 

affluèrent  des  provinces  pour  apporter  leurs 
forces  à  la  nouvelle  cour,  il  y  eutpresque  immépia- 
tement  une  rupture  entre  les  individualistes  et  les 
anti-individualistes.  Ce  furent  les  premiers  qui 
tout  d'abord  l'emportèrent,  et  c'est  ce  qui  fit  l'Art 
primitif  des  Song  si  brillant,  avec  l'aide  possible 
d'un  génie  supérieur  tel  que  Riryomin. 

Mais  les  confucianistes,  sans  se  décourager, 
insistèrent  pour  qu'on  en  revînt  aux  mêmes 
institutions  qui  avaient  prévalu  sous  les 
Tang.  Dans  leurs  conceptions  du  système 
d'éducation  en  particulier,  ils  repoussèrent  avec 
énergie  toutes  tendances  à  sentir  ou  à  penser 
librement,  insistant  sur  la  rigidité  d'une  morale 
remontant  plus  haut  que  les  Han.  Ils  con- 
sidéraient même  comme  une  atteinte  à  leurs 
prérogatives  toutes  méthodes  libérales  de  taxes 
destinées  à  activer  la  force  productrice  de  l'Etat, 
et  les  heureux  résultats  de  ses  industries.  Il  y  eut 
là  un  des  plus  grands  conflits  que  le  monde  ait 
connus,  pour  étouffer  l'essor  de  la  liberté  intel- 
lectuelle, et  dont  les  détails  ne  diffèrent  guère 
de  ceux  qui  ont  amené  la  faiblesse  de  la  Chine  au 
xx°  siècle. 

Avec  la  première  pénétrante  intelligence  des 
Song,  la  Chine  se  trouvait  entraînée  aux  méthodes 
scientifiques  du  raisonnement  et  vers  l'industrie. 
Elle  était  à  la  veille  d'un  renouvellement  analogue 
à  celui  de  la  Renaissance  européenne.  Mais  tout 
ce  qui  devait  le  ruiner  agissait  obscurément  et 
sournoisement  ;  cela  se  passait  dans  l'esprit 
chinois  même,  sous  l'influence  de  son  système 
d'éducation. 

(M°) 


KWANNON. 

Par  Mu  Ch'i  (en  japonais  Mokkei).  XI*  siècle.    (Epoque 
des  Song).     Temple  Daitokuji  à  Kyoto. 


Planche  XL1I. 


L'ART  IDÉALISTE   EN   CHINE 

Les  fortes  intelligences  et  les  réformateurs  des 
Song  du  Nord  durent  compter  les  heures  tra- 
giques. La  dégénérescence  desTang  avait  été  un 
symptôme  grave  pour  la  vitalité  de  la  Chine 
même,  et  sans  doute  à  tout  jamais.  L'âme  chinoise, 
dès  le  début,  avait  été  assez  molle.  La  civilisation 
très  spéciale  de  toute  la  dynastie  des  Song,  aussi 
bien  ceux  du  Nord  que  ceux  du  Midi,  fut  une 
protestation  désespérée  contre  ce  mal  insidieux, 
qui  fut  le  plus  mortel  danger  au  cours  de  toute  l'his- 
toire de  la  Chine. 

C'est  ce  qui  fait  que  les  modernes  annalistes 
chinois  ont  jeté  une  sorte  d'anathème  contre  la 
dvnastie  des  Song.  Ce  sont  ces  qualités  créatrices 
de  l'imagination  des  Song  qu'ils  ont  eues  en 
haine.  Mais  ces  créations,  comment  pouvons-nous 
les  juger  sous  la  forme  des  copies  douteuses  qui 
tes  ont  travesties? 

Quelle  surprise  et  quelle  étrange  chose  pour 
des  savants  européens  qui  se  sont  habitués  à 
regarder  la  culture  chinoise  comme  un  désert  de 
morne  uniformité  pendant  trois  mille  années, 
de  lire  les  paroles  des  hommes  qui,  parmi  les 
Song  du  Nord,  étaient  débordants  d'espérances, 
tels  que  des  artistes  critiques  comme  Kaki, 
disant  «  que  la  vraie  nature  de  l'homme  est  de 
repousser  tout  ce  qui  est  vieux,  et  de  s'attacher 
à  tout  ce  qui  est  neuf  ».  Toute  la  culture  des 
Song  est  un  immense  domaine  de  souvenirs  qui 
nous  montrent  le  peuple  chinois  pendant  trois 
siècles  occupé  à  mettre  debout  des  choses  que 
nous  sommes  disposés  à  considérer  comme  non 
chinoises.    Dans    ces    grands    mouvements   des 

(MO 


L'ART   EN   CHINE   ET  AU   JAPON 

Song  du  Nord,  le  Bouddhisme  Zen  commença 
à  jouer  un  certain  rôle.  Le  mysticisme,  ni  taoïste, 
ni  tendaï,  ne  pouvait  s'adresser  aux  étudiants 
des  Universités.  Tourner  le  dos  à  la  Nature  était 
le  cri  des  savants  comme  celui  des  pieux  boud- 
dhistes. Comment  le  Bouddhisme  montra  des 
possibilités  à  devenir  une  «  contemplation  de  la 
Nature  »,  voilà  ce  qui  est  une  chose  infiniment 
mystérieuse  pour  ces  savants  Pâli  qui  supposaient 
qu'il  n'avait  pu  y  avoir  jamais  de  Bouddhisme 
réel  ne  prenant  pas  son  point  d'appui  sur  «  les 
cinq  nobles  vérités  ». 

Le  Bouddhisme  métaphysique  était  déjà  mort  en 
Chine,  même  avant  le  Bouddhisme  mystique. 
Certainement,  de  toutes  les  professions  de  foi 
bouddhiques,  la  plus  esthétique  est  cette  char- 
mante doctrine  Zen,  qui  considère  l'homme  et  la 
Nature  comme  deux  groupes  de  formes  caracté- 
ristiques entre  lesquels  s'établit  la  parfaite  sym- 
pathie. Dans  l'espèce,  c'est  un  peu  comme  la 
doctrine  swedenborgienne  des  «  correspon- 
dances ».  Mais  la  doctrine  Zen  va  bien  au  delà 
des  théories  européennes,  en  poussant  bien 
plus  loin  les  détails  de  ces  correspondances, 
et  en  les  affranchissant  d'un  purisme  éthique 
trop  étroit.  Elle  a  quelque  chose  de  la  liberté  et 
de  l'humanisme  de  la  Renaissance,  sans  ce  que 
cette  dernière  renferme  encore  de  Paganisme. 

Un  principe  extrême  de  Zen  est  que  les  livres 
sont  mauvais,  surtout  dans  la  période  éducative. 
Elle  se  détourne  de  la  parole  écrite,  et  de  toute 
la  littérature  de  cet  ordre.  C'en  était  assez  pour 
la  condamner   aux  yeux  des    étudiants    chinois 

G'!') 


• 


Un  Rakan  ou  Arhat  avec  un  Serpent. 

Par  Mu  Ch'i  (en  japonais  Mokkei).   XIe  siècle.   (Epoque  des  Song 


Planche^XLIII. 


L'ART   IDÉALISTE    EN   CHINE 

qui  regardent  la  parole  écrite  comme  une  sorte 
de  talisman  sacré.  L'es  philosophes  Zen  ensei- 
gnaient que  le  Livre  de  Vie,  c'était  le  Livre 
de  la  Nature  ;  que  le  néophyte  devait  voir  par  lui- 
même  comment  les  animaux  et  les  oiseaux,  les 
rivières  et  les  nuages,  les  montagnes  et  les  rocs, 
étaient  formés.  C'était  un  essai  pour  reformer 
les  catégories  de  la  pensée  de  novo,  en  pre- 
nant comme  base  solide  l'organisation  de  la 
Nature.  C'est  le  cri  qui  échappe  joyeusement  à 
l'écrivain  Kakki  aux  premières  lignes  de  la  préface 
de  son  essai  :  «  Pourquoi  les  hommes  aiment-ils 
la  Nature  ?  Parce  que  c'est  d'elle  que  perpétuel- 
lement jaillit  la  vie.  »  La  vie?  Non  pas  cette  col- 
lection de  poids  et  mesures  morts,  ou  ces  limites 
des  ordres  sociaux  rangés  rang  par  rang,  et 
numérotés  dans  un  ordre  analytique.  La  mésen- 
tente avec  Confucius,  c'est  qu'il  a  raisonné 
comme  si  ce  squelette  était  la  vie.  Avait-il  conçu 
un  Empire  de  Chine  ainsi  déterminé  pour  l'éter- 
nité ?  Ses  disciples  d'ailleurs  exagérèrent  ses 
défauts,  et  après  lui  ils  allèrent  répétant  que  le 
moyen  de  comprendre  le  sens  de  la  vie,  ce 
n'était  pas  d'écouter  les  battements  du  cœur  et 
le  souffle  des  poumons,  mais  de  compter  le 
nombre  de  côtes.  Ce  fut  sur  ce  terrain  que  le 
système  d'éducation  de  Zen  fut  à  un  tel  degré 
antithétique. 

Un  autre  grand  point  de  la  doctrine  Zen  était 
qu'en  s'attachant  aux  formes  caractéristiques  et 
aux  traits  particuliers  de  la  Nature,  l'étudiant 
n'avait  pas  d'autre  guide  que  sa  propre  intelli- 
gence,  entièrement  libre.    Le    maître   le    plaçait 

(MJ) 


L'ART   EN   CHINE   ET  AU  JAPON 

ainsi  devant  les  rochers  et  les  nuages,  et  lui 
demandait  ce  qu'il  voyait.  Le  prêtre  était  un 
examinateur,  non  pas  un  précepteur.  Il  laissait 
l'intelligence  constituer  elle-même  son  domaine 
par  le  sens  des  subtiles  affinités  entre  les  choses, 
pour  organiser  ainsi  un  enchaînement  orga- 
nique de  nouvelles  catégories.  En  résumé, 
l'éducation  ne  pouvait  que  développer  l'indivi- 
dualité. 

C'est  pourquoi  les  grands  portraits  des  prêtres 
Zen  (tels  que  celui  que  la  générosité  de 
Mme  Gillot  a  permis  au  musée  du  Louvre  de 
posséder)  présentent  un  aspect  de  puissance  par 
la  tête  et  les  yeux. 

Mais  cette  individualité  n'est  pas  une  fin  ultime, 
puisque  par  delà  les  voies  d'approche  apparaîtra 
quelque  chose  d'un  grand  système  spirituel  reliant 
l'homme  à  la  Nature.  En  ce  sens,  c'est  une  doc- 
trine hégélienne  qui  se  dissimule  derrière  les 
deux  mondes  objectif  et  subjectif.  Il  est  possible 
que  le  pouvoir  télépathique  du  maître  et  l'influence 
du  rayonnement  de  Zen  s'insinuaient  dans  tous 
les  phénomènes  de  perception  du  néophyte,  pour 
le  placer  à  une  unité  de  plan. 

Qu'une  telle  doctrine  ait  pu  devenir  un  puis- 
sant adjuvant  de  la  poésie,  depuis  Sharéiun  des 
Liang,  jusqu'à  So-Toba  des  Song,  cela  est  dû  à 
une  pénétrante  conception  des  analogies.  Toute 
poésie  réelle  est  justement  cette  percep- 
tion cachée  des  relations  organiques.  La 
Nature  était  si  plastique  et  claire  aux  yeux  de 
l'homme  primitif  que  ce  que  nous  appelons 
métaphore  éclatait   à  ses  yeux  comme  l'identité 

(■54) 


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PL) 


L'ART  IDEALISTE   EN  CHINE 

spirituelle  à  laquelle  le  langage  donnait  une 
forme  en  poésie  et  en  mythe.  Zen  chercha  seule- 
ment à  revenir  à  ce  primitif  éclaircissement. 
Un  mot  comme  une  chose  a  autant  de  signi- 
fication que  vous  pouvez  y  trouver,  et  brille  de 
mille  nuances;  le  poète  seul  ayant  l'idée  de  la 
couleur  originale,  sait  comment  s'en  servir.  Ainsi, 
danslapoésie  chinoise,  chaque  caractère  a  en  défi- 
nitive deux  nuances  de  signification,  —  naturelle 
et  spirituelle,  —  chaque  mot  y  est  ainsi  chargé  de 
sens,  au  point  extrême  de  condensation. 

On  peut  comprendre  ce  qu'une  telle  doctrine 
put  avoir  de  puissante  influence  sur  l'Art,  et  déjà 
l'époque  des  Tang  eut  une  Ecole  de  paysagistes 
tels  que  l'Occident  n'en  put  connaître  qu'au 
xixc  siècle,  en  ce  sens  que  tout  ce  qui  est  carac- 
téristique et  essentiel  de  structure  dans  chaque 
forme  organique  et  inorganique  est  sensible  à 
l'homme,  l'émeut,  et  répond  aux  larges  mouve- 
ments de  son  esprit.  Quand  Wordsworth  déclare 
que  «  every  florver  enjoys  lhe  air  it  breathes  »,  il 
humanise  la  Nature,  comme  le  faisait  la  doctrine 
Zen  qui  y  voyait  le  miroir  de  l'humanité. 

Les  vraies  origines  de  cet  art  du  paysage 
peint  doivent  être  cherchées  dans  l'Art  du  milieu 
de  la  dynastie  des  Tang,  et  les  deux  grands 
maîtres  en  ont  été  Wang  Wei  (Omakitsu)  et  Wu 
Tao  T\u  (Godoshi).  La  critique  chinoise  a  tou- 
jours considéré  le  premier  comme  le  plus  apaisé, 
et  le  second  comme  le  plus  âpre  et  le  plus  violent 
de  dessin.  Le  seul  grand  paysage  d'Omakitsu 
qu'on  ait  conservé  au  Japon  est  la  grande  cata- 

(m  ri 


L'ART  EN   CHINE  ET  AU  JAPON 

racte  au  milieu  des  rocs,  que  possède  le  Kotaiji 
Higa  Shugama,  que  tous  les  érudits  ont  conclu  à 
considérer  comme  authentique,  et  qui  est  dune 
incomparable  puissance,  aussi  bien  de  vision  que 
d'exécution. 

Les  deux  chefs-d'œuvre  de  Wu  Tao  Tzu 
sont  au  Daitokuji  de  Kioto,  extraordinaires,  et 
dont  est  sorti  l'art  de  Risei  et  de  Kakkei.  Les 
montagnes  sont  dressées  comme  un  vaste  écran 
dans  tout  le  fond  de  la  composition,  si  bien  que 
rien  n'apparaît  du  ciel.  Ce  n'est  qu'un  fond  de 
paysage  de  montagne  avec  des  torrents  préci- 
pités, et  de  froides  brumes  ;  toute  la  beauté  du 
dessin  et  des  lignes  réside  dans  les  arbres,  tous 
traités  avec  un  âpre  caractère,  et  dont  les  valeurs 
varient  selon  leur  plan. 

Le  paysage,  néanmoins,  ne  fut  pas  une  des 
formes  les  plus  riches  de  l'Art  des  Tang,  surtout 
tourné  vers  l'homme  et  la  religion.  Cen'est  qu'aux 
derniers  temps  que  la  pensée  Zen  lui  donna 
une  toute  nouvelle  importance,  et  que  Taisu  fut 
l'artiste  qui  sut  transmettre  le  mieux  ces  nobles 
et  fraîches  traditions  aux  Song. 

Ce  Taisu  aimait  à  peindre  les  conducteurs 
de  buffles  dans  des  paysages,  alors  qu'ils  les 
chevauchent  en  jouant  de  la  flûte,  joyeux  du  frais 
bruissement  des  saules  et  inspirés  par  les  nobles 
formes  delà  montagne.  (Une  copie  faite  par  Kano 
Isen  est  dans  la  collection  Freer.) 

Une  période  a  séparé  les  arts  des  Tang  et  des 
Song.  C'est  celle  des  cinq  dynasties  où,  pendant 
cinquante-cinq  ans,  la  Chine  fut  disloquée  en  plu- 


Un  des  Rakaxs  ou  Arhats. 

Par  Li  Kung-lin,  dit  Li  Lung-Mien  (en  japonais 
Ri-rio-min).      -   1106.      (Epoque   des   Song.) 
Collection  Charles  Freer,  à  Détroit  (Etats-Unis). 


Planche  XLV. 


L'ART  IDÉALISTE   EN  CHINE 

sieurs  provinces  dans  un  état  de  demi-indépen- 
dance. Le  créateur  de  Fart  du  paysage  dans  le 
Nord-Est  fut  Keiko,  qui  vécut  sous  les  Tang,  mais 
fut  en  pleine  production  sous  Liang  (907-922). 
Fan  Kuan  (Hankwan)  et  Kivando,  son  élève,  furent 
les  grands  paysagistes  du  commencement  du 
xc  siècle.  On  disait  de  Fan  Kuan  que  ses  paysages 
étaient  l'image  même  de  la  nature  qu'on  avait 
devant  les  yeux.  Il  vécut  probablement  sous  les 
premiers  Song,  et  ne  fut  pas  sans  influencer  Li 
Cli  en  (Risei).  Dans  la  forme  de  ses  arbres,  dans 
la  façon  d'indiquer  les  troncs  avec  plus  de  clarté 
que  les  feuilles,  il  rappelle  Godoshi,  ce  qui  fai- 
sait dire  au  critique  des  Song,  Mi  Yuan  Chang 
(Beigensho),  que  «  ses  arbres  étaient  tout  en  bran- 
ches, sans  troncs  »,  ce  que  Kwando  semble  avoir 
encore  exagéré.  Ce  dernier  cherchait  des  eflets 
de  brouillard  et  de  pluie. 

Dans  la  région  pittoresque  du  Yangtsé,  vécut 
un  des  plus  grands  génies  de  cette  époque  de 
transition,  Ch'u  Hni  (Joki),  peintre  de  fleurs  et 
d'oiseaux,  comblé  d'honneurs  par  son  souverain. 
Ce  fut  la  gloire  de  la  capitale  des  premiers 
Song,  celui  qui  créa  ce  genre  Kwacho  (fleurs  et 
oiseaux)  si  honoré  dans  l'Art  chinois.  Il  était 
supérieur  dans  sa  façon  de  peindre  les  hérons. 
Il  aimait  à  se  servir  d'une  grosse  soie  dont  Bei- 
gensho disait  qu'elle  était  forte  comme  du  coton. 
Il  était  aussi  remarquable  en  cherchant  à  rendre 
les  lotus,  dont  on  a  peut-être  une  admirable 
interprétation  de  lui  à  Horiuji,  qu'on  a  souvent 
attribuée  à  son  contemporain  japonais  Kanawoka. 
En  tout  cas,  Horiuji  possède  des  copies  de  pein- 

(>57) 


L'ART  EN   CHINE   ET  AU  JAPON 

tares  de  lotus  de  Chu  Hui,  dont  les  feuilles  sont 
bordées,  et  ponctuées  aux  extrémités  d'un  rouge 
cramoisi  merveilleux  :  quels  modèles  y  trouvè- 
rent tant  d'artistes  des  Yuen  et  des  Ming  ! 

Dans  l'ouest  de  la  Chine  au  Szechuan,  de 
nombreux  artistes  s'illustrèrent.  L'un  d'eux,  Chao- 
Ch'ang  (Chosho),  fut  un  rival  de  Chu  Hui.  Un 
critique,  Risen,  dit  de  lui  qu'il  faisait  de  jolies  fleurs 
«  comme  des  broderies  ».  Dans  ce  genre  Kwa- 
cho  Huang  Cliuan  (Kosen)  était  aussi  remarquable. 
M.  Freer  possède  une  copie  faite  sans  doute  par 
Shunkio  des  Yuen,  d'une  belle  pivoine  de  Huang 
Ch'uan,  dont  les  pétales  souples  portent  les 
mille  nuances  du  pourpre. 

L'Art  des  Song  reçut  une  très  forte  impulsion 
du  fait  de  l'extrême  culture  des  gouverneurs  de 
provinces,  soucieux  de  s'illustrer  par  l'activité  artis- 
tique qu'ils  éveillaient  autour  d'eux.  C'est  ainsi 
que  Li  Ch'en  (Risei)  était  venu  de  la  province 
du  Yeikei,  au  Hoangho,  peignant,  entre  980  et 
1020,  de  beaux  troncs  d'arbres  comme  Fan  Kuan, 
avec  des  légèretés  d'encre  accentuées  de  larges 
taches,  et  cherchant  des  effets  de  profondes  forêts, 
de  fumées  et  de  brouillards.  Ce  fut  le  grand 
peintre  du  début  des  Song,  mais  peut-être  sur- 
passé par  son  élève  Kuô  Hsi  (Kakki),  natif  du 
Honan,  le  peintre  des  vastes  espaces,  noyés  dans 
les  brouillards  immobiles,  exécutés,  disait-on, 
«  à  coups  de  pinceaux  doux  et  pleins  d'inten- 
tions secrètes  »,  et  aussi  des  forêts  en  hiver;  et 
toujours  il  reste  doué  d'un  étrange  pouvoir  de 
suggestion.  Le  plus  curieux  est  que  Kakki  fut 
surtout  le  décorateur  des  grands  murs  blancs  des 

(158) 


Tête  de  Femme. 

Dessin  de  Li  Kung-lin,  dit  Li   Lung-Mien  (en 
japonais  Ri-rio-min).      +  1106.      (Epoque  des 
Song.) 


Planche  XLVI. 


L'ART   IDÉALISTE  EN  CHINE 

palais  et  des  temples,  le  premier  sans  doute  qui 
appliqua  l'art  du  pur  paysage  à  la  décoration 
murale.  Il  mourut  probablement  à  la  période 
Genko  1078- 1088,  date  de  sa  dernière  œuvre,  un 
énorme  paysage  sur  soie.  Il  ne  put  avoir  connu 
Risei  que  dans  sa  jeunesse,  etpeut-être  aussi  Riryo- 
min.  On  doit  se  rappeler  que  Kakkei,  le  plus 
grand  paysagiste  des  Song  du  Sud,  étudia  Kakki 
à  fond  et  copia  souvent  ses  peintures. 

Et  malgré  tout,  un  des  plus  grands  titres  de 
gloire  de  Kakki,  c'est  le  grand  traité  qu'il  écrivit 
sur  le  paysage  à  l'intention,  disait-il,  de  son  fils 
Jakkio,  qui  de  fait  l'édita  après  la  mort  du  père.  Cet 
écrit  est  d'une  importance  exceptionnelle,  on  peut 
dire  universelle.  Il  nous  permet  de  comprendre 
les  rapports  du  paysage  avec  la  culture  générale 
et  l'imagination  chinoises,  et  tout  ce  que  l'amour 
de  la  nature  donna  de  force  de  pensée  et  de  sen- 
timents aux  préceptes  de  la  secte  Zen. 

Il  est  évident  que  la  suprême  influence  de  Zen 
ne  s'était  pas  encore  exercée,  et  que  ce  sont  les 
essayistes  paysagistes  des  Song  du  Sud  qui  com- 
plètent la  peinture  de  Kakki.  On  doit  recon- 
naître que  le  Taoïsme  avait  un  rôle  considérable 
à  jouer  dans  cet  amour  de  la  nature,  et  qu'il 
y  eut  toutes  sortes  de  mélanges  dans  l'esprit  des 
hommes  entre  Bouddhisme,  Taoïsme  et  Confu- 
cianisme, mélanges  destinés  à  être  fortifiés  en 
splendide  synthèse  par  les  derniers  philosophes 

Sons- 

Je  voudrais  donc  ici  donner  quelques  extraits 
de  cet  essai,  comme  le  meilleur  témoignage 
qui  puisse   être  fourni   de  la  virtuosité  chinoise 

(M9) 


L'ART  EN  CHINE   ET  AU   JAPON 

à  cette  époque  si  importante.  Il  montre  bien 
comment  chaque  forme  caractéristique  des  choses 
peut  être  amenée  à  correspondre  aux  phases  de 
compréhension  de  l'âme  humaine;  comment,  par 
exemple,  les  arbres  dans  leurs  surprenantes  con- 
torsions, pins  des  montagnes  ou  cèdres  puissants, 
aimés  des  anciens  Chinois  et  plus  tard  des 
Japonais  (et  notre  vue  superficielle  d'occi- 
dental n'y  voyait  d'abord  qu'un  goût  barbare  pour 
le  monstrueux),  dévoilent  réellement  le  profond 
penseur  Zen  par  leurs  énormes  nodosités  et 
branches  squameuses  qui  ont  lutté  contre  les 
tempêtes,  les  brouillards,  les  tremblements  de 
terre.  Il  est  des  suites  de  circonstances  à  peu  près 
identiques  à  travers  lesquelles  les  luttes  de  la  vie 
d'un  homme  avec  ses  ennemis,  l'adversité,  la 
douleur  se  trouvent  imprimées  en  ses  rides  et 
dans  les  muscles  raidis  de  son  vieux  visage. 

Ainsi  la  nature  devient  un  immense  monde 
pictural,  un  répertoire  d'étude  de  «  caractère  », 
et  cela  peut  mener  à  la  lourdeur  didactique  et 
auconcept  littéraire,  parce  que  le  caractère,  dans 
les  deux  sens  d'individualité  humaine  et  d'indi- 
vidualité naturelle,  tend  à  s'unifier.  La  vraie 
beauté  du  côté  nature  est  le  contraire  de  tout 
formalisme  moral  latent,  et  c'est  là  l'antithèse  du 
dernier  «  bunjinga,  art  littéraire  »  qui  vraiment, 
comme  son  nom  peut  l'indiquer,  fait  sombrer  la 
beauté  dans  le  pédantisme. 

Les  confucianistes  purement  modernes  reculent 
avec  horreur  devant  la  souillure  de  la  pensée  et 
du  sentiment  bouddhiques  et,  ce  faisant,  ignorent 
ou  renoncent  à  comprendre  la  plus  grande  part 

(160) 


. 


Hotei  Dormant. 
Par  Li  Kung-lin,  dit  Li  Lung-Mien  (en  japonais 
Ri-rio-min).      +  iioo.     (Epoque  des  Song.) 


Le  Célèbre  Yuima  (Copte). 

Par  Li  Kung-lin,  dit  Li  Lung-Mien  (en  japonais 
Ki-no-mm).      +110O.     (Epoque  des  Song.) 


Planche  XLVII. 


La  Villa  "  Riomin-Zan," 

Habitation  du  peintre  Li  Kung-lin,  dit  Li 
Lung-Micn  (en  japonais  Ri-rio-min).  Par 
lui-même.     +  noo.      (Epoque  des  Song.) 


Planche  XLVIII. 


L'ART   IDÉALISTE   EN   CHINE 

de  ce  qui  a  fait  la  Chine  et  les  Chinois  puissants 
par  leurs  arts  sous  les  grands  Song.  Être  pur 
comme  la  fleur  du  prunier,  libre  comme  l'oiseau, 
fort  comme  un  pin,  pliant  comme  un  saule,  cela 
fut  tout  l'idéal  des  Chinois  Song,  comme  des  plus 
récents  Ashikaga  du  Japon,  et  cela  pénétra 
partout  avec  la  pensée  Zen. 


EXTRAITS  DU  FAMEUX  ESSAI 
SUR  LA  PEINTURE  PAR  KAKKI  {KUO  HSI)  (i). 

KAKKI  (KUO  HSI  DES  SONG).  SUR  LE  GOUT  DES 
FORETS  ET  DES  SOURCES.  RÉDACTION 
D'APRES  DES  NOTES  FRAGMENTAIRES  PAR 
SON  FILS,  LAICH1  LAIFU,  COMMANDANT  EN 
CHEF  L'INFANTERIE,  KAKUSHI  JAKKIO. 

Préface. 

Le  sage  a  dit  :  «  Il  est  bon  d'aspirer  aux  principes.de  la 
Morale  (Tao)  pour  ne  devoir  l'autorité  dans  chaque  chose 
qu  à  la  Vertu,  pour  avoir  comme  principe  de  conduite  la 
Bonté  (charité),  et  pour  permettre  à  notre  esprit  de  se  ré- 
pandre dans  le  domaine  de  l'Art  ». 

Quant  à  moi,  Kakku  Jakkio,  dès  mon  enfance,  j'ai  suivi 
mon  ami  respecté  (son  père,  Kakki),  voyageant  avec  lui 
au  milieux  des  torrents  et  des  rochers,  et  chaque  fois  qu'il 
peignait  la  scène  de  la  Nature  qu'il  avait  devant  lui  il 
disait  :  «  Dans  la  peinture  sansui  (de  paysage),  il  existe 
des  principes  qui  ne  peuvent  être  exprimés  grossièrement 
ni  précipitamment  ».  Et  chaque  fois  qu'il  prononçait  des 

(i)  Les  extraits  que  nous  donnons  furent  empruntés  à  la  traduction  faite  au 
Japon,  il  y  a  de  nombreuses  années,  par  des  étudiants  japonais  pour  le  profes- 
seur Fenellosa;  ce  dernier  les  avait  toujours  gardés  parmi  ses  papiers  les 
plus  précieux,  et  il  s'en  servit  fréquemment  dans  les  conférences  qu'il  donna 
aux  universités  américaines.  Ce  qu'on  trouvera  ici,  c'est  ce  que  le  professeur 
Fenellosa  avait  marqué  comme  capital;  et  quand  il  mit  en  marge  de  son 
manuscrit  une  note  particulière,  nous  l'avons  répétée. 

ii 


L'ART  EN   CHINE   ET   AU   JAPON 

paroles  dignes  d'être  rappelées,  je  prenais  mon  pinceau 
et  je  les  transcrivais.  Ces  souvenirs,  qui  ont  été  ainsi 
conservés  par  centaines,  je  les  publie  pour  ceux  qui  aiment 
l'Art. 

Il  faut  dire  que  mon  père,  quand  il  était  jeune,  étudiait 
avec  un  maître  taoïste,  et  en  conséquence  était  toujours 
amené  à  rejeter  ce  qui  était  ancien,  et  à  s'attacher  à  ce  qui 
était  nouveau  (ainsi  noté  par  le  professeur  Fenellosa  comme 
une  chose  très  importante).  Il  fut  un  homme  dont  toutes 
les  démarches  de  la  pensée  furent  en  dehors  des  régions 
régulières  (il  veut  dire  le  monde  confucianiste  figé  dans  des 
formules  strictes  et  conventionnelles).  C'est  ainsi  que,  ne 
comptant  pas  de  peintres  parmi  ses  ancêtres,  tout  ce  qu'il 
portait  en  lui-même  dérivait  de  sa  pure  intuition.  Durant 
tout  le  cours  de  sa  vie,  il  parcourut  les  domaines  de  l'Art  et 
y  acquit  sa  renommée.  Quant  à  son  caractère  privé,  il 
dirigea  sa  vie  vertueusement,  pieux  vis-à-vis  de  ses  parents, 
bon  pour  ses  amis  avec  ferveur.  C'est  un  devoir  pour  ses 
descendants  d'en  rendre  un  éclatant  témoignage. 

[Après  ces  lignes  de  préface,  Jakkio,  expliquant  certains 
termes  familiers  à  son  père,  rapporte  de  lui  ces  traits 
charmants  :] 

Il  y  a  quelques  années,  je  vis  mon  père  peignant  deux 
ou  trois  peintures,  qu'il  laissait  inachevées  pendant  dix 
à  vingt  jours,  probablement  parce  qu'il  s'en  était  détaché. 
C'était  ce  qu'il  appelait  la  maladie  spirituelle  du  peintre. 
Et  de  nouveau,  quand  ces  peintures  le  réattiraient,  il 
oubliait  tout  ce  qui  n'était  pas  elles.  Mais  la  moindre 
chose  qui  le  troublait,  lui  faisait  laisser  là  sa  peinture  vers 
laquelle  il  ne  tournait  même  plus  les  yeux.  Ainsi  était-ce 
quand  une  pensée  sombre  lui  traversait  l'esprit. 

Quand  il  commençait  à  peindre,  il  ouvrait  toutes  les 
fenêtres,  essuyait  son  pupitre,  brûlait  de  l'encens  de  droite 
et  de  gauche,  se  lavait  les  mains,  nettoyait  sa  pierre  à 
encre.  Et  ce  faisant,  son  esprit  se  calmait,  et  sa  pensée  com- 
mençait à  composer.  Ce  n'est  qu'ensuite  qu'il  commen- 
çait à  peindre.  (Le  professeur  Fenellosa  écrivit  en  marge 
de  ces  lignes  ce  simple  mot  :  Whistler.) 

Commencer  par  esquisser  sa  peinture,  et  tâcher  de  la 
construire,  en  donnant  plus  d'importance  à  quelque 
qualité,  ou  à  quelque  partie,  puis  la  mouiller  de  nouveau 

(162) 


Un  Rakan  ou  Arhat  en  Extase  Sur  Les  Eaux. 
Ecole  de  Li  Kung-lin,  dit  Li  Lung-Mien 
(en      japonais      Ri-rio-min).        +  1106. 
(Epoque  des  Song.) 

Planche  XLIX. 


Groupe  de  Rakans  ou  Arhats  regardant 
des  Cigognes. 

Ecole  de  Li  Kung-lin,  dit  Li  Lung-Mien 
(en  japonais  Ri-rio-min).     +  1106.    (Epoque  des  Song.) 


Planche  L. 


L'ART   IDÉALISTE  EN   CHINE 

pour  revenir  deux  fois  sur  une  première  touche,  ou  même 
trois  fois  sur  deux,  tracer  de  nouveau  chaque  trait  incurvé, 
essayer  toujours  d'améliorer,  mais  finalement  n'éprouver 
que  mécontentement  et  déception  :  tel  est  le  sens  qu'il 
donnait  à  l'Art  de  peindre,  d'un  cœur  généreux. 


Extraits  supposés  des  sentences  certaines  de  Kakki. 

En  quoi  consistent  les  raisons  qui  font  que  des  hommes 
vertueux  aiment  «  sansui  »  le  paysage?  C'est  pour  ces 
motifs  qu'un  paysage  est  une  place  où  la  végétation  croît, 
nourrie  par  le  sol  et  le  sous-sol,  où  les  printemps  et  les 
rochers  s'amusent  comme  des  enfants,  une  place  que  fré- 
quentent ordinairement  les  hommes  des  forêts  et  les 
étudiants  qui  fuient  le  monde,  où  les  singes  ont  leurs 
tribus,  et  où  les  cigognes  volent  en  criant  à  grand  bruit  leur 
joie  dans  la  nature. 

Le  tumulte  du  monde  poudreux,  et  le  renfermé  des 
habitations  humaines,  est  ce  que  la  nature  humaine,  à 
ses  hauts  degrés,  hait  perpétuellement  ;  —  tandis  qu'au 
contraire  les  brumes,  le  brouillard  et  les  sennins  pleins 
de  sagesse  (c'est-à-dire,  poétiquement,  les  vieux  esprits  qui 
sont  supposés  hanter  les  montagnes),  sont  ce  que  la 
nature  humaine  recherche,  mais  ne  peut  que  rarement 
rencontrer;  mais  il  y  a  une  grande  paix  et  des  jours  bénis, 
où  les  âmes  du  maître  comme  de  l'élève  sont  hautes  et 
joyeuses,  et  où  il  est  possible  pour  l'un  de  régler  sa  con- 
duite avec  pureté,  avec  rectitude  et  honnêteté  durant  sa 
carrière  entière.  Et  alors  quelles  nécessités,  quels  motifs 
pourraient  déterminer  l'homme  de  bien  à  se  tenir  à 
l'écart,  à  s'éloigner  du  monde,  à  fuir  les  lieux  fréquentés 
par  ses  semblables  ?  Plutôt  se  mêlerait-il  à  eux  dans  une 
joie  générale.  Mais  puisque  ce  n'est  pas  le  cas,  quelle 
délicieuse  chose  cela  est  pour  les  amoureux  des  forêts  et 
des  sources,  pour  les  amis  des  brumes  et  des  brouil- 
lards, d'avoir  à  portée  de  la  main  un  paysage  peint  par  un 
habile  artiste  !  Avoir  ainsi  la  possibilité  permanente  de 
voir  l'eau  et  les  pics,  d'entendre  le  cri  des  singes,  le  chant 
des  oiseaux,  sans  sortir  de  sa  chambre. 

En  ce  sens,  une  chose  ainsi  réalisée  par  la  volonté  d'un 
autre  satisfait  complètement  votre   propre  esprit.  C'est  là 


L'ART   EN   CHINE   ET  AU   JAPON 

l'idée  fondamentale  de  respect  du  vaste  monde  pour  la 
peinture  «  sansui  »  (de  paysage).  Si  bien  que  si  l'artiste, 
sans  réaliser  cette  idée,  peint  «  sansui  »  d'un  cœur  indif- 
férent, c'est  comme  s'il  jetait  de  la  terre  sur  une  divinité, 
ou  s'il  répandait  des  impuretés  dans  le  vent  clair. 

En  peignant  «  sansui  »,  on  devrait  se  souvenir  que  tout 
a  sa  propre  forme,  de  sorte  que  si  une  peinture 
admirable  couvre  toute  la  surface  d'un  grand  morceau  de 
soie,  il  n'y  a  rien  là  qui  soit  excessif.  Et  si  une  petite 
scène  est  peinte  sur  un  petit  morceau  de  soie,  il  n'y  a  rien 
qui  manque.  Les  critiques  de  sansui  (paysages)  donnent 
généralement  au  paysage  représenté  de  telles  qualités 
qu'elles  le  rendraient  tout  à  fait  propre  à  être  admiré,  età 
permettre  d'y  marcher,  de  s'y  promener,  d'y  vivre.  Le 
sansui  qui  atteint  au  degré  supérieur  combine  ces  quatre 
qualités.  Toutefois,  s'il  ne  fallait  seulement  que  deux  de 
ces  qualités,  ce  sont  celles  qui  permettraient  d'y  vivre 
et  d'y  promener  qui  seraient  préférables. 

Celui  qui  étudie  la  peinture  est  dans  les  mêmes  condi- 
tions que  celui  qui  étudie  l'écriture.  Celui  qui  en  écriture 
ferait  de  Sho-ô  ou  de  Gurinku  son  maître,  n'exécuterait 
qu'un  travail  identique  à  celui  du  maître,  et  rien  de  plus. 
C'est  la  même  chose  en  peinture.  Le  grand  artiste  qui 
circule  ne  doit  pas  se  renfermer  dans  un  école,  mais  doit 
étudier  dans  plusieurs,  de  même  qu'il  lit,  et  qu'il  obéit 
aux  raisons  que  lui  fournissent  les  pensées  de  la  suite  de 
ceux  qui  l'ont  précédé,  subissant  ainsi  une  cristallisation 
qui  forme  son  propre  style.  Et  seulement  alors  il  peut 
dire  pour  la  première  fois  qu'il  est  devenu  un  artiste. 

Mais  de  nos  jours  les  hommes  de  Seï  et  de  Rô  suivent 
des  hommes  tels  que  Yeiku  :  et  des  hommes  de  Kwankio 
suivent  seulement  Hankwan.  Le  seul  fait  de  s'attacher  à  un 
seul  maître  ne  doit  pas  être  encouragé  ;  il  faut  ajouter  que 
Seï,  Rô  et  Kwankio  sont  des  régions  très  limitées  et  non 
pas  tout  l'Empire.  Les  spécialistes,  depuis  les  temps  les 
plus  anciens,  ont  toujours  été  considérés  comme  les  vic- 
times d'une  maladie,  et  comme  des  hommes  refusant 
d'obéir  aux  paroles  des  autres. 

Celui  qui  veut  étudier  la  peinture  de  fleurs  placera  une 
plante  fleurie  dans  un  pot  de  terre,  et  l'examinera  de  haut  ; 
celui  qui  étudie  la  peinture  des  bambous,  prendra  une 

(164) 


""V  .'.*  IBW 


Paysage. 

Par  l'empereur  Hui-Tsung  (en  japonais 
Kisô-Kôtei).  +  1135.  Temple  Daitokuji 
à  Kyoto. 


Planche  LI. 


Une  Dame  de  L'Epoque  des  Song  S'Appuyant  Contre  un  Pin. 
Par  Chao-Tsien-Li  (en  japonais  Chosenri).    XIIe  siècle. 
Collection  Charles  Frcer,  à  Détroit  (Etats-Unis). 


Planche  LU. 


L'ART  IDEALISTE   EN   CHINE 

branche  ûe  bambou,  et  projettera  son  ombre  par  une  nuit 
de  lune  sur  un  mur  blanc. 

La  peinture  des  nuages. 

L'aspect  des  nuages  en  peinture  «  sansui  »  est  différent 
selon  les  quatre  saisons.  Au  printemps  ils  sont  doux  et 
calmes  ;  en  été,  épais  et  couvant  des  orages  ;  en  automne, 
ils  sont  rares  et  légers  ;  en  hiver,  sombres  et  gris.  Dans  la 
peinture  des  nuages,  si  on  n'essaye  pas  de  saisir  le  détail 
de  chaque  instant,  mais  si  on  se  contente  uniquement  du 
grand  effet  total  de  la  chose,  alors  seulement  les  formes  et 
les  proportions  des  nuages  vivront.  Parmi  les  nuages  il  y 
en  a  qui  ont  la  forme  d'une  maison.  Il  y  a  des  vents  forts 
et  des  nuages  légers  :  un  grand  vent  a  la  force  d'une  tem- 
pête de  sable,  et  un  nuage  léger  peut  avoir  la  forme  d'un 
vêtement  léser  flottant. 


*6* 


Les  montagnes  et  l'eau. 

L'eau  est  le  sang  des  montagnes  ;  les  gazons  et  les  arbres, 
leur  chevelure  ;  les  brumes  et  les  nuages,  leur  divine  colo- 
ration. L'eau  est  le  visage  des  montagnes,  —  les  sourcils 
et  les  yeux  des  maisons  et  de  leurs  clôtures,  l'âme  des 
pêcheurs.  C'est  pourquoi  les  montagnes  sont  infiniment 
plus  belles  par  leurs  eaux,  plaisantes  et  joyeuses  par  leurs 
maisons  et  leurs  clôtures,  libres  par  leurs  pêcheurs.  Ainsi 
se  combinent  les  montagnes  et  l'eau. 

La  montagne  est  une  chose  puissante  ;  sa  forme  doit  être 
haute  et  escarpée,  à  libres  mouvements  comme  un  homme 
à  l'aise,  se  dressant  avec  grandeur,  ou  s'étalant  comme  un 
enfant  de  fermier  ;  ayant  comme  un  abri  au-dessus  d'elle, 
un  chariot  sous  elle  ;  ayant  comme  un  support  au  front 
pour  s'incliner,  et  quelque  chose  derrière  elle  pour  s'ap- 
puyer, et  comme  contemplant  quelque  chose  qui  serait 
plus  bas  qu'elle.  Tels  sont  quelques-uns  des  grands  aspects 
des  montagnes. 

L'eau  est  une  chose  qui  vit  :  sa  forme  est  profonde  et 
tranquille  ;  ou  douce  et  unie,  ou  vaste  et  comme  un  océan, 
ou  pleine  comme  de  la  chair,  ou  cerclée  comme  des  ailes, 
ou  s'élançant  et  svelte,  ou  rapide  et  violente  comme  une 
flèche,  riche   comme    une   fontaine  qui  s'écoule  de  loin, 

('60 


L'ART   EN   CHINE   ET  AU   JAPON 

faisant  cascades,  tissant  des  brumes  sur  le  ciel,  se  préci- 
pitant sur  la  terre  où  les  pêcheurs  sont  à  l'aise.  Les  gazons 
et  les  arbres  des  rives  la  regardent  avec  joie,  et  sont 
comme  de  charmantes  femmes  sous  des  voiles  de  brumes, 
ou  quelquefois  brillants  et  éclatants  comme  le  soleil 
rayonne  sur  la  vallée. 
Tels  sont  les  aspects  vivants  de  l'eau. 

Les  montagnes. 

Les  montagnes  sont  tantôt  hautes,  tantôt  basses.  Les 
montagnes  hautes  ont  une  chaîne  de  sang  (vieille  expres- 
sion chinoise).  Leurs  épaules  et  leurs  cuisses  sont  larges 
et  étendues,  leur  base  et  leurs  jambes  vigoureuses  et 
épaisses.  Les  montagnes  âpres,  les  montagnes  à  dos  rond 
ou  aplanies  apparaissent  toujours  puissantes,  s'étreignant, 
s'embrassant  l'une  l'autre,  avec  leur  chaîne  continue  et 
éclatante.  Telles  sont  les  formes  des  hautes  montagnes,  et 
elles  ne  sont  pas  solitaires.  Les  montagnes  plus  basses 
ont  leur  circulation  de  sang  plus  élevée,  avec  un  cou  court 
et  une  base  plus  élargie. 

Une  montagne  qui  n'aurait  ni  brumes,  ni  nuages,  serait 
comme  un  printemps  sans  fleurs  ni  herbes. 

Les  montagnes  sans  nuages  ne  sont  pas  belles  ;  sans 
eau,  elles  n'ont  aucune  magnificence  ;  sans  routes  ni  sen- 
tiers, elles  ne  sont  pas  habitables,  et  sans  forêts,  elles  ne 
sont  pas  vivantes.  Si  une  montagne  n'est  pas  profonde  et 
lointaine,  elle  est  insignifiante  —  et  sans  être  aplanie  et 
lointaine  elle  est  proche  —  et  sans  être  élevée  et  lointaine 
elle  est  basse. 

En  montagne  il  y  a  trois  sortes  de  distances  ;  en  hau- 
teur quand  on  la  regarde  de  bas  en  haut  ;  en  profondeur 
quand  on  regarde  de  haut  en  bas,  et  en  distance  de  plans 
quand  on  regarde  des  montagnes  voisines. 

La  force  de  la  distance  en  hauteur  est  impulsive  ;  l'idée 
de  la  distance  en  profondeur  est  lourde  ;  l'idée  de  la 
distance  des  plans  est  de  douceur  dans  la  grandeur,  comme 
celle  de  l'Océan  (i). 

(i)  L'expression  de  premier  plan  signifie  ce  qui  dans  la  peinture  est  juste 
devant  l'oeil  et  doit  par  conséquent  appeler  toute  l'attention,  non  pas  tout  le 
premier  plan  avec  ses  côtés.  Donc  les  autres  parties  désignent  non  seulement 
toute  la  distance  supérieure,  mais  l'espace  de  côté  et  aussi  en  arrière.  (Note 
de  M.  Fenellosa.) 

(166) 


Un  Tartare  Chassant  un  Daim. 

Par  Li  Ngan-Chung  (en  japonais  Ri-an-Chiu) 
XIIe  siècle.      (Epoque  des  Song.) 


Planche  LUI. 


Villa  En  Hiver  Sous  Les  Bambous. 
Par  Ma  Yuan  (en  japonais  Bayen). 
Début  du  XIIIe  siècle. 


Planche  LIV. 


L'ART   IDÉALISTE   EN    CHINE 

En  montagne,  il  y  a  trois  grandeurs.  Une  montagne  est 
plus  grande  qu'un  arbre,  et  un  arbre  plus  grand  qu'un 
homme.  Une  montagne  à  une  certaine  distance,  non  pas 
plus  loin,  prend  l'aspect  d'un  arbre  ;  comme  l'arbre  à  une 
certaine  distance  prend  l'aspect  d'un  homme.  La  mon- 
tagne et  l'arbre  ne  sont  donc  pas  grands.  La  comparaison 
d'un  arbre  avec  un  homme  commence  avec  ses  feuilles,  et 
la  comparaison  d'un  homme  avec  un  grand  arbre  com- 
mence avec  sa  tête.  Un  certain  nombre  de  feuilles  d'arbre 
rivaliseraient  avec  la  tête  d'un  homme,  et  la  tête  d'un 
homme  se  compose  d'un  certain  nombre  de  feuilles.  Ainsi 
donc  la  grandeur  et  la  petitesse  d'un  homme,  d'un  arbre 
et  d'une  montagne  sont  tout  à  fait  en  dehors  d'une 
moyenne  raison.  Telles  sont  les  trois  sortes  de  grandeurs. 

Une  montagne,  bien  que  prétendue  grande,  ne  peut  l'être 
dans  toutes  ses  parties  visibles.  Elle  peut  être  grande  seu- 
lement quand  le  brouillard  et  les  brumes  viennent 
envelopper  ses  lointains.  L'eau,  bien  que  prétendue  éloi- 
gnée, peut  être  seulement  éloignée  à  travers  la  visibilité 
ou  l'invisibilité  qui  interrompt  son  cours.  Et  qui  plus  est, 
une  montagne  visible  dans  toutes  ses  parties  est  non  seu- 
lement sans  beauté,  mais  est  disgracieuse,  comme  un  mor- 
tier à  riz.  Et  l'eau  qui  se  voit  en  toutes  ses  parties,  est 
non  seulement  sans  la  grâce  que  lui  donne  la  distance, 
mais  ressemble  à  une  peinture  qui  représenterait  un 
serpent. 

Quoique  les  vallées,  les  montagnes,  les  forêts  et  les 
arbres  au  premier  plan  d'une  peinture  s'arrondissent  et 
se  courbent  comme  pour  venir  en  avant,  et  comme  pour 
ajouter  à  l'effet  merveilleux  du  spectacle,  et  bien  que  faits 
avec  tous  les  détails,  cela  ne  fatiguera  pas  le  spectateur  ; 
car  l'œil  humain  a  le  pouvoir  de  saisir  tous  les  détails  rap- 
prochés. Et  d'autre  part,  quoique  ayant  une  étendue 
aplanie  et  lointaine,  des  pics  striés  qui  sont  comme  les 
vagues  continues  d'un  océan,  se  reculant  dans  l'éioigne- 
ment,  le  spectateur  ne  sera  pas  accablé  par  la  distance, 
parce  que  l'œil  humain  est  capable  de  voir  loin  et  large. 

Les  rochers. 

Les  rochers  sont  les  os  du  ciel  et  de  la  terre  ;  et  leur 
noblesse  est  faite  d'âpreté  et  de  profondeur.  La  rosée  et 

fi67) 


L'ART   EN   CHINE   ET   AU   JAPON 

l'eau  sont  le  sang  du  ciel  et  de  la  terre,  et  tout  ce  qui  coule 
librement  est  un  noble  sang. 

En  peinture,  les  rochers  et  es  forêts  doivent  éminemment 
avoir  raison.  Un  pin  puissant  doit  être  peint  tout  le  pre- 
mier :  c'est  le  patriarche,  et  dans  la  mêlée  des  arbres,  des 
graminées,  des  plantes  grimpantes,  des  cailloux  et  des 
rochers  qui  l'entourent,  comme  des  sujets  qu'il  regarde  de 
haut,  il  est  comme  un  sage  au-dessus  des  hommes  infé- 
rieurs— 

Si  une  montagne  de  sable  a  des  forêts  qui  sont  épaisses 
et  basses,  la  montagne  rocheuse  doit  avoir  des  forêts 
maigres  et  élevées...  Les  grands  rocs  et  les  pins  doivent 
toujours  être  peints  à  côté  de  grandes  rives  de  terre  en 
lalaises,  et  non  pas  à  côté  d'une  eau  basse  et  peu  profonde. 
Certaines  eaux  se  précipitent  en  torrents  ;  certains  rochers 
se  dressent  sur  les  sommets,  ou  bien  des  cascades  se  brisent 
au  milieu  des  arbres  perchés,  et  des  rocs  aux  formes 
étranges  s'accrochent  de  chaque  côté  du  chemin. 

Considérations  sur  la  peinture. 

Dans  le  monde,  les  hommes  savent  seulement  se  servir 
de  leur  pinceau,  et  par  conséquent  peindre  ;  mais  ils  ne 
songent  pas  que  la  peinture  est  une  chose  difficile  par  tout 
ce  qu'il  y  a  sous  la  technique.  Un  véritable  artiste  doit 
nourrir  en  son  âme  la  douceur,  la  beauté,  la  magnanimité. 
Il  lui  faut  en  lui-même  d'aimables  pensées  et  des  idées  ;  des 
pensées  decelles  qu'Ichokushi  appelait  «onctueuses  comme 
l'huile  ».  Il  doit  être  capable  de  comprendre  et  de  recons- 
truire dans  son  propre  esprit  les  émotions  et  les  états  d'âme 
d'autres  êtres  humains.  Étant  ainsi  arrivé  à  la  compré- 
hension d'autrui,  il  le  tiendra  inconsciemment  au  bout  de 
son  pinceau.  Kogaishi  des  Shin  (Ku  k'ai  chih  des  Tsin)avait 
un  pavillon  célèbre,  comme  cabinet  d'étude,  où  sa  pensée 
pouvait  être  plus  libre.  Si  la  pensée  devient  déprimée, 
mélancolique  et  à  idée  fixe,  comment  des  artistes  seraient- 
ils  capables  de  travailler  d'après  de  pareilles  idées,  ou  de 
sentir  les  caractéristiques  mentales  des  autres  ?  A  moins 
d'habiter  une  maison  tranquille,  a^-sis  dans  une  chambre 
écartée,  les  lenêtres  ouvertes,  la  table  époussetée,  l'encens 
brûlant,  et  dix  mille  pensées  vulgaires  exprimées,  je 
ne  puis  éprouver   aucun    bon    sentiment  pour    peindre, 

(168) 


Villa  Sols  Les  Pins. 

Par  Ma  Yuan  (en  japonais  Bayen). 
Début  «lu  XIII    siècle. 


*    il 


Planche  \,\", 


Le  Poète  Rinnasei. 

Par  Hsia-Kuei  (en  japonais  Kakei). 
Début  du  XIIIe  siècle. 


Planche  LVI. 


L'ART   IDÉALISTE   EN   CHINE 

aucun  goût  élevé,  ni  créer  le  «  yu  »  mystérieux  et  mer- 
veilleux. Après  avoir  rangé  toutes  choses  autour  de  moi 
dans  leur  ordre,  c'est  seulement  alors  que  ma  main  et 
mon  esprit  répondent  à  un  autre,  et  se  meuvent  avec  une 
parfaite  liberté  : 

N'avoir  jamais  qu'une  sorte  de  coup  de  pinceau,  c'est 
ne  pas  avoir  du  tout  de  coup  de  pinceau,  —  et  ne  se  servir 
que  d'une  sorte  d'encre,  c'est  ne  rien  connaître  à  l'encrage. 
Ainsi,  quoique  la  brosse  et  l'encre  soient  les  choses  les 
plus  simples  du  monde,  très  peu  d'artistes  savent  comment 
les  manier  avec  liberté. 

On  a  dit  de  Ogishi  (Wang-Hsi-chih)  qu'il  aimait  beau- 
coup les  oies,  son  idée  étant  que  l'aise  et  la  courbure  gra- 
cieuse de  leurs  longs  cous  rappelaient  celles  delà  main  d'un 
homme  tenant  un  pinceau,  avec  le  libre  maniement  de  son 
bras. 

Pour  ce  qui  est  des  brosses,  il  en  est  de  bien  des  sortes, 
pointues,  arrondies,  dures,  douces,  comme  une  aiguille, 
comme  un  couteau.  Pour  ce  qui  est  de  l'encrage,  quel- 
quefois l'encre  claire  doit  servir,  quelquefois  l'encre 
noire  et  épaisse,  quelquefois  l'encre  brûlée,  parfois  l'encre 
marinée,  d'autre  fois  l'encre  rapidement  coulée  de  la 
pierre  à  encre,  ou  bien  encore  mêlée  de  «  sei-tai  »  (bleu), 
ou  bien  l'encre  malpropre  gardée  dans  le  cabinet.  L'encre 
claire  repassée  six  ou  sept  fois  fait  une  encre  épaisse,  dont 
la  couleur  est  mouillée,  et  non  pas  morte  et  sèche.  L'encre 
épaisse  et  l'encre  brûlée  doivent  servir  à  faire  les  tracés, 
car,  à  moins  qu'elle  soit  sombre,  la  forme  des  pins  et  des 
rocs  anguleuxnes'imposerapas. Après  avoirfait  descontours 
serrés,  ils  doivent  être  repris  avec  le  bleu  et  l'encre.  Et  alors 
les  formes  semblent  se  dégager  des  brumes  et  de  la  rosée. 

Sur  la  poésie. 

Ici,  dans  mes  jours  de  loisir,  je  lis  de  vieilles  poésies  et  des 
nouvelles,  et  j'extrais  de  stances  admirables  ce  que  je  sens 
être  l'expre9sion  complète  de  ce  que  mon  âme  ressent.  Les 
anciens  sages  disaient  qu'un  poème  est  une  peinture  sans 
forme  visible,  et  une  peinture  est  une  poésie  qui  a  pris 
forme.  Ces  paroles  sont  sans  cesse  en  moi.  Je  veux  main- 
tenant me  rappeler  quelques-uns  de  ces  vers  des  vieux 
maîtres  que  j'avais  l'habitude  de  réciter. 

(169) 


L'ART  EN   CHINE   ET   AU   JAPON 

La  civilisation  en  Chine  sous  les  Song  du  Nord 
à  Kaïfongfu,  entre  1060  et  1 126,  connut  un  de  ses 
plus  resplendissants  moments  que  seules  égalèrent 
la    période  des  Tang    sous  Genso  à   Sin-gan-fu 

(71 5~75  5)»  et  ce^e  ^es  Song  du  Sud  à  Hangchow 
(1172-1186).  Le  mouvement  des  Tang  avait  été 
plus  large  dans  ses  développements  internatio- 
naux affectant  la  moitié  de  l'Asie;  celui  des  Song 
du  Nord,  plus  ramassé,  plus  intimement  chinois, 
d'esprit  particulier.  Celui  qui  suivra  fut  plus 
replié  encore,  les  Song  du  Sud  ayant  été  coupés 
de  toute  la  Chine  du  Nord  alors  occupée  par  les 
Tartares.  Autre  différence  essentielle,  c'est  que  la 
culture  des  Tang  trouva  sans  doute  sa  suprême 
expression  dans  la  poésie,  et  que  celle  des  Song 
la  trouva  dans  la  peinture.  Si  les  premiers  n'avaient 
eu  Godoshi,  un  rival  inégalable,  ils  seraient  loin 
de  pouvoir  approcher  des  Song  comme  goût, 
comme  variété,  comme  liberté.  Et  certains  ne 
seront  peut-être  pas  éloignés  de  penser  que  Riryo- 
min  vaut  Godoshi. 

Les  confucianistes,  qui  avaient  été  les  mai  très  sous 
les  derniers  Tang,  avaient  cherché  à  dominer 
encore  les  premiers  Song.  Ils  avaient  amené  l'em- 
pereur à  les  nommer  gouverneurs  locaux  en  963. 
Mais  une  force  contraire  n'allait  pas  tarder  à  leur 
faire  échec.  En  984,  Kwazan  Inshi,  un  ermite 
taoïste,  vint  à  la  cour,  demanda  à  y  résider  et  à 
prêcher.  Ses  miracles  attirèrent  l'attention  de 
l'empereur.  En  1012,  un  second  vint  encore.  On 
les  regardait  comme  des  Sennins,  c'est-à-dire  des 
hommes  réels,  mais  qui,  parleur  communication 
directe  et  pure  avec  la  nature  et  la  soumission 

Ci  70) 


M    ■-.  -,& 

-, 


Paysage. 

Par  Hsia-Kuei  (en  japonais  Kakei). 
Début  du  XIIIe  siècle. 


Cascade. 

Par  Hsia-Kuei  (en  japonais  Kakei). 
Début  du  XIIIe  siècle.  Copie  par 
Kano  Tanyu. 


Paysage. 

Par  Hsia-Kuei  (en  japonais  Kakei). 
Début  du  XIIIe  siècle. 

Planche  LVII. 


L'Ermite  Kanzan. 

Par  Yen  Hui  (en  japonais  Ganki). 
Collection  Kawasaki,  à  Osaka. 


XIVe  siècle. 


Planche  LVIII. 


L'ART   IDÉALISTE   EN   CHINE 

de  leur  personnalité,  ont  une  sorte  de  pouvoir 
sur  les  choses  et  peuvent  même  échapper  à  la 
mort.  Il  est  clair  qu'une  telle  doctrine  devait  être 
en  accord  avec  le  Bouddhisme,  et  surtout  avec 
la  secte  Zen.  En  102},  l'empereur  Ninso  commen- 
çait un  règne  qui  devait  durer  quarante  et  une 
années.  De  ce  qu'on  le  dit  un  sennin,  on  peut 
conclure  de  ce  que  la  doctrine  taoïste  avait  gagné 
de  terrain  à  la  cour,  et  du  champ  qu'elle  allait 
prendre  pour  imprégner  l'esprit  chinois  à 
jamais. 

Le  parti  de  Confucius  avait  un  grand  directeur, 
Oyoshi,  savant,  écrivain  et  homme  d'État,  qui 
pensait,  par  le  raisonnement  calme  et  philoso- 
phique, convaincre  le  peuple  que  la  vie  devait 
être  austère,  et  que  libérer  la  personnalité  était 
un  grave  danger;  c'était  un  peu  la  même  chose 
qui  entraîna  les  sophistes  contre  Socrate,  et  les 
puritains  contre  Emerson. 

Il  vit  se  dresser  devant  lui  un  homme  extra- 
ordinaire :  Wang  an  Shih  (Oanseki),  qui,  grâce  à 
l'appui  de  plusieurs  empereurs,  put  établir  sa 
doctrine  vraiment  scientifique  sur  la  raison  et 
l'observation,  et  jeter  les  bases  d'un  enseignement 
rationnel  et  entièrement  libre,  en  rejetant  tous  les 
classiques  du  Confucianisme.  Il  mourut  en  1086, 
après  être  parvenu  à  détrôner  le  système  scolaire 
des  confucianistes,  et  à  supprimer  leurs  classiques 
pour  les  remplacer  par  de  nouvelles  séries  de 
livres. 

C'est  dans  ce  grand  milieu  intellectuel  que 
Kakki  mourut,  et  que  Li  lung  Mien  (Riryomin) 
grandit  ;   les  querelles  s'étaient  apaisées,    et  ce 

(■70 


L'ART   EN   CHINE   ET   AU  JAPON 

grand  esprit  de  liberté  intellectuelle,  et  de 
poétique  idéalisation  de  la  Nature  qui  a  dominé 
toute  la  période  des  Song,  permit  à  un  groupe 
d'hommes  remarquables  de  lui  donner  l'éclat  de 
leurs  talents  les  plus  variés  :  le  ministre  Oyoshi, 
l'historien  Shiba,  le  prosateur  Bunyoka,  le  poète 
Toba,  le  critique  Beigensho,  le  réformateur 
Oanseki,  l'essayiste  Kakki,  le  peintre  Riryomin 
et  le  jeune  prince  Cho  Kitsu,  qui  devait  devenir 
le  grand  empereur  artiste,  Kiso  Kotei. 

Li  ïung  Mien  (Riryomin)  a  été  une  figure  des 
plus  attachantes  :  peintre  éminent  d'images  boud- 
dhiques et  de  Rakans  faiseurs  de  miracles,  esprit 
de  large  tolérance,  vivant  en  étroite  intimité 
avec  le  poète  confucianiste  Toba,  dont  l'idéal 
était  à  l'antipode  du  sien,  fait  de  libéralisme  et 
d'une  liberté  d'esprit  qui  admettait  bien  des 
idées  opposées  et  les  conciliait  par  l'ingéniosité 
et  la  subtilité  d'une  rare  intelligence.  Poète 
comme  Michel-Ange,  prosateur,  humoriste,  mora- 
liste, amateur  et  collectionneur,  illustrateur  de 
livres,  que  ne  fut-il  pas?  Et  s'il  a  été  un  peintre 
bouddhiste  extraordinaire,  il  convient  de  consi- 
dérer le  rôle  qu'il  a  joué  comme  peintre  de  la 
vie.  Il  avait  vécu  sa  jeunesse  dans  une  contrée 
d'élevage  de  chevaux  pur  sang,  et  il  s'intéressa  à 
leurs  allures  vives  et  sauvages  ;  il  devint  un 
peintre  de  chevaux  étonnant  que  les  critiques 
ont  égalé  au  grand  peintre  de  chevaux  des  Tang, 
Kankan.  Il  excella  surtout  dans  la  peinture  de 
chevaux  montés  par  des  cavaliers  (le  Japonais 
Okio  en  a  laissé  une  copie  admirable). 

Si  ce  n'est  pour  ses  œuvres  d'autels,  Riryomin 

(*7*) 


Le  Sennin  Takkai. 

Par  Yen  Hui  (en  japonais  Ganki). 
XIVe  siècle. 


Planche  LIX. 


Un  Ermite  de  la  Montagne. 

Par  Liang  Chi  (en  japonais  Riôkai). 
XIVe  siècle. 


Planche  LX. 


L'ART   IDÉALISTE   EN    CHINE 

se  servit  surtout  pour  peindre  de  papier  plutôt 
que  de  soie,  et  il  peignit  à  l'encre.  Mais  dans 
ses  œuvres  bouddhiques  sa  couleur  était  réputée 
«  divine  »,  et  il  a  peint  aussi  des  paysages  en 
couleurs.  On  lui  a  reproché  de  ne  s'être  servi  de 
couleurs  que  dans  ses  copies,  ce  qui  est  faux. 
Il  a  déclaré  lui-même  qu'il  avait  beaucoup  aimé 
faire  des  copies  des  œuvres  des  grands  maîtres 
antérieurs.  Il  peignit  Upasaka  Yuima  visité  par 
Ananda,  peut-être  d'après  la  peinture  de  Kogaishi. 
Une  de  ses  œuvres  sur  papier  délicatement  colorée, 
est  un  gros  Hotei  dormant,  très  supérieur  à  ceux 
de  Sesshu  et  de  Motonobu.  Il  portraitura  le 
poète  Rihaku  et  manifesta  son  génie  humoris- 
tique dans  cette  étonnante  bataille  de  musiciens 
aveugles. 

Comme  paysagiste,  il  semble  dépendant  des 
Tang,  plutôt  que  rallié  au  style  nouveau  de  Kakki. 
Il  y  fut  minutieux,  épris  de  riches  couleurs.  Il 
fit  souvent  sa  demeure,  Riryominzan,  dont  un 
spécimen  est  connu  au  Japon  ;  il  se  montre  très 
fin,  très  intime,  amoureux  du  détail,  d'un  charme 
naïf  et  doux.  En  i  ioo,  il  était  déjà  tout  à  fait  retiré 
de  la  vie  publique. 

On  ne  peut  oublier  le  profond  respect  qu'il 
montrait  pour  les  vertus  domestiques  de  la 
femme,  et  ce  fut  un  de  ses  sujets  favoris  de 
peindre  les  grandes  dames  de  la  Cour  dans  la 
splendeur  de  leur  beauté. 

Les  contemporains  de  Rirvomin  furent  les 
savants  Bunyoka,  Toba  et  Beigensho;  mais,  à  lire 
entre  les  lignes  des  commentateurs,  il  semble 
certain  que  très  célèbres  littérateurs,  ils  ne  furent 

('7î) 


L'ART  EN   CHINE   ET  AU  JAPON 

en  art  que  des  amateurs,  et  très  peu  personnels, 
reflétant  dans  leurs  travaux  le  style  de  divers 
maîtres. 

En  iooi,  H  in  Tsung  (Kiso  Kotei)  montait  sur 
le  trône,  et  avec  lui  s'ouvrait  une  ère  d'Art  asia- 
tique de  la  plus  grande  splendeur.  Il  commença 
par  s'entourer  des  plus  notables  artistes  de  son 
temps,  comme  d'une  Académie,  très  officielle, 
dont  les  confucianistes  se  sont  toujours  moqués. 
Nul  doute  qu'il  n'y  eût  là  des  risques,  si  le  drapeau 
de  l'Art  n'avait  pas  été  tenu  très  haut  et  très  droit 
par  l'empereur  même.  Il  avait  réuni  le  plus  extra- 
ordinaire musée  de  choses  d'art  chinoises  qui  fût 
jamais;  la  collection  Senkwa  (période  du  même 
nom,  1119-112$),  qui  comprenait  plus  d'une 
centaine  de  peintures  de  Riryomin,  fut  publiée 
et  gravée  ;  les  Japonais  ont  nommé  ce  catalogue 
«  Haibunsai  Shogwafu».  Et  l'empereur,  au  milieu 
de  ses  collections,  discutait  avec  les  artistes  de 
son  Académie  des  mérites  des  œuvres,  usant  de 
son  influence  au  profit  des  plus  beaux  exemples  et 
des  meilleurs  modèles.  Et  lui-même,  cet  empereur 
Kiso,  n'était-il  pas  un  artiste,  et  très  grand  ?  Ses 
biographes  ont  dit  que  son  style  dérivait  de 
Riryomin,  dernière  manière.  On  peut  en  juger 
d'après  sa  merveilleuse  peinture  de  Shaka,  Monju 
et  Fugen,  en  couleurs,  conservée  dans  un  temple 
près  de  Kioto.  Il  n'est  pas  de  plus  gracieuse 
figure,  d'esprit  tout  hellénique,  d'un  Art  plus 
délicat  et  féminin  que  celui  de  Riryomin,  que  ce 
jeune  Monju,  drapé  dans  les  longs  plis  de  son 
manteau,  figure  presque  féminine.  —  Le  pigeon 
blanc  et  le  pigeon  mordoré  au  milieu  des  fleurs 

(174) 


Copie  D'Apres  une  Peinture  de  Liang  Chi 
(en  japonais  Riôkai).     XIVe  siècle. 

Planche  LXI. 


MffiTMffi* 


L'ART   IDÉALISTE   EN   CHINE 

de  pêcher  de  Kiso,  le  montrent  inspiré  de  Joki. 
—  Mais  peut-être  est-il  le  plus  grand  dans  le 
paysage,  avec  les  deux  merveilleux  kakémonos 
du  Daitokuji  de  Kioto.  L'un  montre  un  poète, 
(et  c'est  presque  un  Riryomin),  dans  un  surprenant 
décor  de  montagnes  :  il  s'est  assis  au  pied  d'un 
cèdre  que  les  tempêtes  ont  ravagé  ;  un  grand  roc 
se  dresse  au  premier  plan,  et  au  loin  une  chaîne 
de  pics  rudes  ;  de  blancs  nuages  flottent  dans 
une  atmosphère  lourde,  et  une  cigogne  sauvage 
vole  et  semble  s'abandonner  à  l'infini.  La  pose 
du  poète,  que  la  Nature  a  repris  tout  entier,  et 
qui  se  livre  à  elle  dans  l'oubli  total  de  sa  con- 
dition, un  bras  contre  le  rude  tronc  du  cèdre  aux 
branches  convulsées  comme  les  faisait  Zengetsu 
Daishi,  est  d'une  beauté  sans  égale.  —  L'autre 
peinture  représente  un  paysage  de  rocs  et  de 
bambous  au  bord  d'une  cascade  qui  s'échappe  d'un 
défilé  ;  un  singe  est  suspendu  à  un  arbre  au- 
dessus  de  la  cascade.  Au  milieu  des  rocs 
écroulés  une  figure  se  tient  debout,  contem- 
plant les  abîmes.  C'est  au  petit  matin,  alors 
que  les  brumes  de  la  nuit  rôdent  lourdement 
autour  des  rochers.  Dans  de  tels  paysages,  le 
style  de  Kiso  n'a  rien  de  Godoshi  ni  de  Kakki. 
Le  trait,  chez  lui,  a  une  grande  force,  mais  aussi 
une  suprême  élégance  ;  il  ne  cherche  pas  à  rendre 
l'espace  par  de  grands  partis  pris  de  lumière  et 
d'ombre,  ni  à  établir  ses  masses  par  des  effets 
impressionnistes.  Aucun  détail  n'est  négligé, 
et  cependant  l'effet  est  large  par  la  perfection 
même  de  la  touche. 

Dans  ce  long  règne  artistique  de  Kiso  (iioi- 

(■75) 


L'ART  EN   CHINE   ET  AU  JAPON 

ii  26),  il  ne  fut  pas  sans  influencer  d'autres 
membres  de  la  famille  royale  Cho  des  Song, 
spécialement  Chao-ta-nien  (Chotainen),  le  paysa- 
giste exquis  en  couleurs,  et  Chao-Chienli 
(Chosenri).  —  Ritonous  alaisséde  beaux  paysages 
avec  buffles,  mais  où  il  se  montre  inférieur  à 
Taisu  des  Tang.  Fameux  vers  nu,  il  mourut  à 
quatre-vingts  ans  vers  n 30.  —  Li-Ti  (Riteiki), 
artiste  de  l'Académie  impériale,  s'illustra  dans  le 
paysage  et  les  figures.  —  Li  an-Chung  (Rianchu) 
fut  excellent  dans  les  oiseaux  et  les  chevaux  en 
mouvement  ;  il  nous  a  laissé  de  vivantes  visions 
des  Tartares  Kins,  qui  dévastaient  l'empire  du 
Nord  ;  comme  il  a  su  bien  rendre  le  Tartare  à 
cheval  tuant  un  daim  sauvage  !  Jinkouin  nous  a 
transmis  de  curieuses  scènes  de  vie  rurale. 

Une  des  plus  belles  peintures  de  cette  époque, 
très  près  de  Kiso  Kotei,  est  celle  de  cette  grande 
dame  des  Song  appuyée  à  un  grand  pin,  de  la 
collection  Ch.  Freer,  marquée  de  sceaux  impé- 
riaux, et  exécutée  avec  tant  de  force  unie  à 
tant  de  douceur.  On  a  pu  avec  vraisemblance 
l'attribuer  à  Chao-ta-nien,  cousin  de  Kiso 
Kotei. 

II.  LES  SONG  DU  SUD  A  HANGCHOW  SUR  LE  YANGTSÉ. 

L'AMOUR  DE  LA  NATURE,  ET  L'ART  DU  PAYSAGE  PÉNÉTRÉ  DE  LA  DOCTRINE 
ZEN.  I  LES  PEINTRES  MA  YUAN,  HSIA  KUEI,  ET  MU  CHI.  H  L'INVASION  ET  LA 
CONQUÊTE     MONGOLE.    1     LA    DYNASTIE    MONGOLE    DES    YUEN*.     Il     L'ÉCOLE 

RÉALISTE  DES    YUEN. 

Ces  vingt-cinq  années  resplendissantes  de  Kiso 
Kotei  à  Kaifongfu,  sur  la  rive  sud  du  fleuve 
Hoangho,  un  des  centres  les  plus  vénérables  de  la 

(■76) 


RÀKKANS    PAR    LIX    TING-KUEI. 

Ac   DAtTOKujj   i.k   KroTn. 


L'ART   IDÉALISTE   EN   CHINE 

vieille  civilisation  chinoise,  sombrèrent  dans  la 
plus  terrible  secousse  que  la  Chine  ait  subie  depuis 
Genso  des  Tang.  La  cité  fut  prise  et  tout  le 
Nord  de  la  Chine  occupé  par  les  Tartares  Kins 
en  ii  26.  Les  historiens  en  ont  chargé  Kiso  Kotei, 
l'esthète  impie;  ils  en  ont  fait  une  sorte  de  Néron, 
devant  Kaifong  en  feu.  Les  confucianistes 
n'avaient-ils  pas  été  les  premiers  à  lui  donner  les 
plus  funestes  conseils  ? 

Ces  Tartares,  les  plus  civilisés  de  leur  race, 
étaient  en  contact  avec  la  Chine  depuis  quelque 
temps  :  la  culture  des  Song  les  avait  pénétrés. 
Comme  en  11 14  ils  serraient  de  près  les  Liang, 
ceux-ci,  sans  en  référer  aux  Song,  les  avaient 
attaqués  et  vaincus.  Ces  Liang  rebelles,  les 
Tartares  avaient  offert  à  Kiso  de  l'aider  à  les 
soumettre,  et  ils  les  réduisaient  après  une  dure 
guerre  de  sept  années.  Mais  alors  les  Tartares 
se  retournaient  vers  l'empereur  et  demandaient  la 
récompense  de  leur  aide.  Ce  prix  fut  tout  le  Nord 
de  la  Chine,  la  captivité  de  Kiso  lui-même,  et 
la  capitale  reculée  aux  provinces  du  Sud.  Ce 
désastre  de  11 27  est  le  point  douloureux  de 
l'histoire  chinoise.  La  capitale,  en  11 38,  était 
transférée  à  Hangchoiv,  sur  les  bords  si  pitto- 
resques du  Yangtsé,  avec  la  proximité  du  beau 
lac  voisin  entouré  de  montagnes,  au  bord  duquel 
on  éleva  un  grand  mur,  interrompu  de  grandes 
portes  d'accès  ;  avec  ses  canaux  et  ses  ponts 
arqués,  Hangchow  devint  une  sorte  de  Venise, 
et  le  palais  s'élevait  sur  une  langue  de  terre 
qui  séparait  le  lac  de  la  rivière  Sento,  vaste 
estuaire  ouvert  sur  la  mer. 

il77) 

12 


L'ART  EN  CHINE   ET  AU  JAPON 

Marco  Polo  vit  la  magnifique  cité  vers  n  jo 
et  en  fit  une  description  enthousiaste.  Qu'est- 
il  resté  de  ces  splendeurs  après  sa  terrible  destruc- 
tion par  les  Taipings  en  1860  ? 

Kiso,  prisonnier  des  Tartares  Kins  qui  avaient 
leur  capitale  près  du  site  actuel  de  Pékin,  y 
vécut  au  milieu  de  nombreux  Chinois  qui  l'avaient 
suivi  ;  et,  déchu  de  son  pouvoir,  il  n'en  poursui- 
vait pas  moins  ses  rêves  d'art,  et  ne  pouvait 
que  civiliser  heureusement  ses  maîtres.  Ils 
n'étaient  plus  du  tout  des  sauvages  quand,  un 
siècle  plus  tard,  les  Mongols  les  absorbèrent. 
L'étude  de  cette  période  de  la  civilisation 
tartare  sera  digne  d'étude.  Kiso  mourut  captif 
en  113  J. 

Bien  loin  que  l'esthéticisme  excessif  de  Kiso  ait 
été  une  cause  de  réaction,  le  nouveau  gouver- 
nement d'Hangchow  se  plongea  dans  les  délices 
des  arts  avec  une  nouvelle  ardeur.  L'Institut 
Impérial  d'Art  devint  un  organe  même  des  ser- 
vices de  la  Cour,  avec  une  suite  d'examens  et 
un  rang  hiérarchique  analogues  à  ceux  des  Belles- 
Lettres.  Et  ce  qui  est  stupéfiant,  c'est  que  des 
artistes  officiels  comme  Ma  Yuan  (Bayen)  ou 
Hsia  Kuei  (Kakei)  aient  pu,  dans  cette  dépen- 
dance, rester  aussi  libres  et  peindre  avec  autant 
de  fantaisie  personnelle  et  de  personnalité  res- 
pectée. Au  fond,  ils  étaient  à  la  Cour  comme 
Phidias  devant  Périclès,  ou  les  quattrocentistes 
devant  les  Médicis. 

Jamais  l'amour  de  la  Nature  et  la  passion  du 
paysage  ne  furent  plus  ardents.  Cette  cour  des 
Song   était  là   dans   son    milieu  natif.  Non  loin 

(i78) 


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Femmes  Chinoises  Écrivant. 
Par  Torin  (Dynastie  des  Ming). 
Collection  Charles  Freer,  à  Détroit  (Etats-Unis). 


Planche  LXIV 


L'ART   IDÉALISTE  EN   CHINE 

était  cette  rivière  pathétique  où  Butei  de  Rio 
avait  conçu  ses  créations  bouddhiques  dans 
l'ancienne  Nanking.  Non  loin  s'élevaient  les 
grandes  chaînes  de  montagnes,  étincelantes  de 
leurs  lacs,  où  Toemmei  et  Shareiun  avaient 
trouvé  l'inspiration  de  leurs  plus  célèbres  poésies 
naturistes.  C'avait  été  toujours  cette  puissante 
imagination  du  Sud  qui  avait  soutenu  l'inspiration 
du  Nord;  et  elle  revenait  à  ses  sources  les  plus 
pures  après  cinq  siècles  d'absence.  Elle  y  reprit 
un  bain  salutaire  et  vivifiant;  et  l'on  vit  ce  pro- 
dige d'un  peuple  entier  exprimant,  par  l'art,  ses 
plus  intimes  émotions,  ses  rêves  et  ses  méditations, 
comme  avait  été  chrétien  l'art  du  cinquecento 
italien,  comme  avait  été  bouddhique  l'art  des 
Fujiwara  à  Kioto.  Mokkei  était  digne  d'entrer 
dans  la  société  de  Fra  Angelico  ou  de  Yeishin 
Sozu. 

Ce  furent  donc  ces  Song  du  Sud  qui  ont  con- 
tinué avec  leur  originalité  propre  la  contem- 
plation de  la  Nature  de  la  secte  Zen.  Elle 
réalisait  tout  ce  que  le  Taoïsme  avait  pensé  et 
interprété,  tout  ce  que  Kakki  avait  expliqué 
dans  les  développements  symboliques  et  poétiques 
de  son  grand  Essai.  Chaque  moine  Zen,  chaque 
abbé  devient  un  peintre  de  paysage  et  imagine 
des  figures  qui  sont  substance  même  de  ces 
paysages  et  ne  pourraient  plus  en  être  isolées. 
On  a  continué  d'écrire  sur  la  Nature,  on  a  con- 
tinué à  faire  des  vers,  mais  le  vrai  génie  de 
l'époque  s'était  tout  entier  adonné  à  la  peinture. 

Loin  de  se  sentir  enclins  à  revenir  au  rituel 
ascétique      des     confucianistes,     les     nouveaux 

^79) 


L'ART  EN   CHINE  ET  AU  JAPON 

empereurs  du  Sud,  au  lieu  de  résister  au  Confu- 
cianisme, cherchèrent  à  le  transformer,  et  trois 
générations  se  mirent  en  quête  d'un  système  où 
Confucianisme,  Taoïsme  et  Bouddhisme  Zen  se 
seraient  confondus.  Mais  il  aurait  fallu  compter 
sans  Genghis  Khan,  chef  des  Mongols  en  1206, 
maître  de  toute  l'Asie  et  d'une  moitié  de 
l'Europe. 

La  vie  à  Hangchow  fut  un  miracle  d'épanouis- 
sement idyllique.  Hommes  d'État,  artistes,  poètes, 
prêtres  Zen,  étaient  sur  le  pied  d'une  totale  éga- 
lité spirituelle,  amis  intéressés  dans  leurs  res- 
pectifs travaux  ;  le  matin  était  consacré  au 
travail,  mais  les  journées  et  les  soirées  se 
passaient  sur  les  lacs,  sur  les  terrasses,  sur  les 
degrés  des  temples,  dans  les  villas  au  bord  des 
baies.  Autour  des  villas  des  jardins  s'étendaient 
avec  de  fraîches  terrasses,  des  ponts  de  marbre  : 
on  en  peut  voir  encore  les  restes  à  Hangchow  et 
à  Fuchow. 

Si  l'on  s'occupait  de  philosophie,  d'histoire  et 
de  peinture,  quelle  passion  pour  la  poterie  !  Ce 
furent  les  vrais  créateurs  des  bruns  crémeux,  des 
gris  marbrés,  des  rouges  pourpres  et  des  bleus 
laiteux  dans  les  émaux  opaques. 

La  première  génération  de  ces  artistes  des 
Song  du  Sud,  de  si  prenante  influence  sur  les 
Japonais,  appartenait  déjà  à  la  grande  Ecole 
Senkwa  de  Kiso  Kotei  ;  c'étaient  Riteiki  et  Rianchu 
et  le  vieux  Rito  et  Sokanshin.  Mais  Yangpu  Chili 
(Yohoshi)  s'était  dérobé  aux  avances  de  Kiso  qui 
cherchait  à  l'attirer.  C'était  un  talent  fruste,  qui 
ne  prenait  conseil  que  de  sa  propre  sensibilité, 

(180) 


Camélias. 

Par  Shun-Kù  (en  japonais  Shunkio). 


Dynastie  des  Ming. 


Planche  LXV. 


tâ&ttbtL 

§1 

- 

-  - 

Cigogne  au  Vol. 
Par  Renshiren. 


Temple  Shokokuji. 


Planche  LXVI. 


L'ART  IDÉALISTE   EN   CHINE 

se  bornait  à  peindre  à  l'encre  de  plusieurs  tons 
des  branchettes  de  prunier,  des  orchidées,  des 
bambous,  des  pins. 

Parmi  les  plus  anciens  artistes  qui  aient  apparus 
dans  la  Chine  du  Sud  sous  le  premier  empereur, 
furent  Bakoso,  le  critique  de  la  nouvelle  Académie, 
et  Bahvashi,  natif  d'Hangchow,  qui  peignit  une 
suite  de  trois  cents  pièces  illustrant  les  anciennes 
odes  composées  par  Confucius.  Un  commentaire 
poétique  les  accompagnait,  et  ce  devint  vite  une 
coutume  de  tracer  des  écritures  sur  les  fonds 
des  œuvres  peintes  aussitôt  faites,  et  qui  se 
transmit  au  Japon  des  Ashikaga  ;  ainsi  l'œuvre 
pouvait  avoir  une  triple  beauté,  quand  à  la 
peinture  et  à  la  poésie  venait  se  joindre  la  calli- 
graphie. 

Ce  premier  empereur  Koso,  qui  avait  édifié  le 
palais  de  Hangchow  en  1138,  avait  gouverné  en 
pleine  paix,  en  grand  patron  des  arts,  jusqu'en 
1162,  et  vécut  jusqu'en  1 187,  bienqu'ayantrésigné 
le  pouvoir  aux  mains  du  second  empereur. 

D'autres  artistes  de  cette  éclatante  période  de 
Koso  furent  Mosho,  animalier,  et  son  fils  Mao 
Yih  (Moyeki),  qui  fut  surtout  dans  la  période  Kendo 
(1 165-1 175),  le  peintre  des  chats  et  des  tigres, 
dont  il  rendit  si  bien  les  pelages  (le  tigre  de  la 
collection  Freer). 

Ce  fut  vraiment  le  règne  du  quatrième  empe- 
reur de  Hangchow, Nin  Tsung(Neiso),  quifutl'apo- 
gée  du  resplendissant  génie  des  Song(i  195-1224). 
Mais  cette  belle  période  comprit  aussi  la  fin  de 
règne  du  deuxième  empereur  et  le  court  règne 
du  troisième,   si  bien  que  cette  grande  ère  his- 

(181) 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

torique  et  artistique  peut  être  ainsi  divisée  : 
la  vie  de  Koso,  n  27-1 187;  l'âge  de  Neiso, 
1 187-1225;    le    règne    de  Riso,   122 5-1 264. 

L'âge  de  Neiso,  qu'avaient  préparé  l'ère  Senkwa 
et  l'époque  de  Koso,  vit  la  consécration  définitive 
et  le  triomphe  de  la  pensée  philosophique  et  de 
Shuki  ;  époque  de  raffinement  intellectuel  et  d'intel- 
ligente compréhension  féminine.  Ce  fut  le  moment 
des  grands  peintres  du  Sud  Ma  Yuan  (Bayen), 
Hsia  Kuei  (Kakei)  et  Mu  Chi  (Mokkei). 

Ma  Yuan  (Bayen)  était  d'une  famille  qui,  à  de 
bien  lointaines  générations  en  arrière,  avait  pro- 
duit des  artistes.  Son  grand-père  Bakos  avait 
été  un  des  grands  critiques,  et  un  des  fondateurs 
de  l'Académie  du  Sud.  Son  père  Bakeisei  avait 
occupé  un  rang  élevé  sous  le  second  empereur. 
Son  oncle  était  le  célèbre  Bakoku.  Lui-même 
devint  un  des  plus  célèbres  professeurs,  et  ses 
peintures,  fameuses  déjà  de  son  temps,  étaient 
encore  l'objet  des  études  passionnées  des  Ming. 
Il  fut  le  premier  à  peindre  les  trois  grands  fon- 
dateurs de  religions  et  de  philosophie  de  la 
Chine,  Sakyamuni  (ou  Bouddha),  Confucius  et 
Laotse,  que  le  professeur  Giles  avait  pris  pour 
un  portrait  du  Christ  et  de  ses  disciples  !  Ce  fut 
peut-être  d'après  Bayen  que  Kano  Masanobu 
reprit  le  même  sujet.  A  la  composition  s'applique 
exactement  la  description  d'un  critique  des  Song, 
qui  parle  de  Shaka  se  promenant  et  se  retournant 
vers  Laotse  et  Confucius  qui  marchent  ensemble. 
L'influence  bouddhique  de  l'Inde  en  découle 
encore  formellement.  —  Bayen  fut  le  second  à 
peindre  les  huit  fameuses  vues    du  lac  Shosei, 

(182) 


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Danse  de  Femmes. 

Peinture  au  trait,  par  K'iu  Ying  (en  japonais 
Kiuyei).     Dynastie  des  Ming. 


Planche   I.XYII 


5 


eu 


L'ART  IDÉALISTE   EN   CHINE 

que  seul  Sobunshi  avait  peintes  un  peu  avant  lui; 
mais  l'œuvre  de  Bayen,  beaucoup  plus  belle,  est 
devenue  typique  dans  la  suite  pour  tous  les 
artistes  chinois  et  japonais. 

Tout  ce  que  Bayen  peignait  pour  l'empereur 
Neiso  portait  le  commentaire  délicatement  poé- 
tique, et  la  calligraphie  delà  jeune  sœur  de  l'empe- 
reur, Yokei,  preuve  de  la  haute  situation  de 
Bayen  à  la  Cour,  et  de  l'influence  délicate  des 
femmes. 

Le  Japon  possède  encore,  dans  les  vieilles 
familles  de  Daimios  et  dans  ses  temples,  de  nom- 
breuses peintures  de  Bayen.  Il  s'y  montre  digne 
héritier  de  Kiso  Kotei  dans  les  paysages,  et  aussi 
de  Riryomin  dans  les  figures.  On  retrouve  peu 
dans  ses  œuvres  les  grands  effets  par  taches  de 
brumes,  de  nuages  et  de  feuillées  que  réussirent 
les  premiers  Song,  Kakki  et  Risei.  Sa  touche  est 
plus  claire,  nette  et  ferme,  sans  heureux  hasards, 
mais  volontaire.  Sa  couleur  est  très  légère,  faite 
de  quelques  teintes  transparentes,  juste  assez 
pour  modifier  le  ton  de  l'encre  et  du  papier. 
Il  est  le  vrai  maître  de  l'École  Kano  au  Japon.  Il 
aimait  à  peindre  les  charmantes  villas  qui  entou- 
raientlelac  de  l'Ouest,  et  qui  étaient  serties  comme 
des  pierres  précieuses,  dans  la  vallée.  Il  savait 
aussi  supérieurement  placer  un  arbre  dans  sa 
composition,  en  en  cherchant  attentivement  et 
passionnément  le  dessin,  jusqu'à  lui  donner  une 
vraie  individualité. 

Kakeî  peut  être  considéré  comme  un  des  plus 
grands  paysagistes  de  l'Art  chinois,  et  peut-être 
même  du  monde  entier.  Il  était  un  vrai  disciple 

(183) 


L'ART   EN   CHINE   ET   AU   JAPON 

de  Kakki,  et  continua  à  poursuivre  ces  effets  de 
brumes  où  les  oppositions  du  blanc  et  noir  sont 
cherchées  avec  une  subtilité  de  touche  et  une  fran- 
chise, également  dignes  de  Whistler  et  de  Manet. 
Il  fit  rarement  des  figures  ;  ce  fut  un  pur  paysa- 
giste étonnamment  impressionniste.  Il  aima 
peindre  les  vues  de  côtes  de  l'estuaire  de  Sientang, 
tout  près  de  Hangchow.  Une  peinture  célèbre, 
que  Sesshu  connut  bien,  montre  ainsi  un  pavillon 
au  bord  d'une  crique,  un  fond  de  montagnes  dans 
le  brouillard  de  l'autre  côté  de  la  baie,  avec  de 
superbes  groupes  d'arbres,  grands  pins,  chênes 
et  saules. 

Une  autre  série  d'oeuvres  montre  Kakei  sur- 
prenant les  brumes  flottant  sur  les  plaines  maré- 
cageuses, desquelles  se  dégage  la  forme  tordue 
d'un  arbre  (très  caractéristique  de  Kakei). 

Une  œuvre  fameuse  était  un  long  rouleau, 
suite  panoramique  de  la  rivière  Yangtsé,  ses 
sources  en  ruisselets,  son  passage  dans  des 
gorges,  son  embouchure.  Telle  partie,  avec  ses 
pics  sauvages,  est  comme  une  grande  étude  géo- 
logique, conçue  avec  l'emportement  d'un  Turner. 
Il  peignait  encore  de  merveilleuses  cascades, 
(Tanyu  en  copia  une)  avec  sa  poussière 
d'eau  et  ses  brumes.  Une  copie  du  temps  des 
Yuen  ou  des  premiers  Ming  nous  révèle  de  Kakei 
un  magnifique  aspect  de  la  côte  chinoise,  une 
cité  entourée  de  murs,  au  bord  d'une  petite  baie; 
et  tout  est  rendu  dans  la  distance  et  dans  l'atmo- 
sphère avec  une  vérité  poétique  et  un  art  tout  à 
fait  rares. 

Parmi  les  artistes  qui,  sous  l'empereur  Neiso, 

(184) 


Un  Palais. 

Par  Kameiyen  (Hsia-Ming-Yuan) 


Planche  LXIX. 


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y 


La  JIusique  Sans  Instruments. 
Par  Gessan.     XIXe  siècle. 


Planche  LXX. 


L'ART  IDÉALISTE   EN   CHINE 

entouraient  Bayen  et  Kakei,  nous  connaissons 
Moyeki,  le  grand  peintre  de  tigres.  Il  y  eut  Baki, 
le  jeune  frère  de  Bayen,  Barin  et  Karin,  les  fils 
de  Bayen  et  de  Kakei  ;  Rinshonen  était  célèbre 
pour  ses  paysages  de  fermes  et  ses  scènes  de 
tissages,  imitées  parles  Kanos,  et  pour  ses  scènes 
enfantines.  Sa  couleur  riche,  dans  les  bleus,  les 
verts  et  les  rouges,  a  eu  une  très  certaine 
influence  sur  les  Ming. 

LiSung  (Risu)  était  un  charpentier,  qui  s'éleva 
peu  à  peu  dans  la  hiérarchie  académique.  Il 
peignait  des  paysages  du  lac  Seiko.  Yen  T^u 
ping-  (Enjihei)  rappelle  Kakei,  mais  plus  dur  et 
anguleux.  Hsia  Ming  Yuan  (Kameiyen)  faisait  de 
grandes  architectures  dans  des  paysages  colorés. 
Liang  Chieh  (Riokai)  enfin,  peintre  de  figures, 
d'une  suprême  habileté  et  d'une  touche  violente 
dans  ses  coups  de  pinceau  audacieux. 

Sous  le  règne  de  Riso,  paraissent  Wang  Hui 
(Oki),  peintre  de  villas,  imitateur  de  Bayen;  Fan 
an-jen  (Hannanjin),  peintre  de  poissons  ;  Ma-Lui 
(Barin)  et  Hsia-Lui  (Karin).  Renshiren  a  laissé 
une  splendide  peinture,  au  temple  japonais  Sho- 
kokuji,  d'une  cigogne  volant  devant  un  fond  de 
montagne,  qui  semble  avoir  été  un  des  grands 
modèles  de  ce  genre   pour   les  Japonais. 

Mais  celui  qui  domine  vraiment  cette  troisième 
époque  est  Mu  Chi  (Mokkei),  avec  ses  élèves  les 
prêtres  Zen,  étrangersà  l'Académie,  qui  poussèrent 
encore  plus  loin  l'impression  passionnée  de  Riokai. 
Dédaigné  des  critiques  chinois,  à  cause  de  son 
indépendance,  nous  savons  peu  de  chose  de  lui. 
Il  est  le  suprême  impressionniste  de  l'encre,  car 

O85) 


L'ART   EN   CHINE   ET  AU  JAPON 

il  ne  peignit  pas  avec  les  couleurs.  Il  n'a  sans 
doute  pas  la  violence  et  l'audace  hasardeuse 
du  coup  de  brosse.  Son  pinceau  est  subtil  et  doux; 
pour  rendre  les  impressions  poétiques  de  la  nature, 
il  n'a  pas  de  rival.  Il  a  été  le  grand  modèle  des 
Japonais,  de  Sesshu  et  de  Noâmi;  Kano  Motono- 
bou,  dans  son  style  adouci,  procède  de  lui,  comme 
toute  l'École  Kinkakuji  de  Kioto.  Il  fut  le  centre 
d'une  école  d'artistes  religieux,  que  les  confu- 
cianistes  voulurent  ignorer,  et  qui  par  son  pur 
esprit  Zen  fut  intégralement  adoptée  par  les  Japo- 
nais. On  trouve  dans  son  œuvre  des  moineaux  sur 
une  branchette,  des  groupes  de  hérons  dans  les 
lotus,  ou  un  héron  dont  le  vol  s'abat  sous  une 
averse  de  pluie,  une  poule  et  ses  poussins,  des 
raisins  pendant  à  la  vigne;  et  quand  il  peignait  de 
purs  paysages,  il  n'était  pas  inférieur  aux  plus 
célèbres,  de  même  que  dans  ses  figures  de  Rakans 
ou  de  Daruma,  il  a  la  noblesse  qu'apportait  Millet 
dans  ses  fusains. 

Cinq  peintures  sur  soie  de  Mokkei  sont  au 
Daitokuji  de  Kioto  :  deux  cigognes  et  des 
bambous,  un  tigre  grognant  à  la  pluie,  la 
tête  d'un  dragon  émergeant  d'un  nuage,  une 
guenon  à  longs  bras  et  son  petit  perchés  au 
sommet  d'un  arbre  enguirlandé  de  vignes, 
toutes  peintures  inspiratrices  des  artistes  des 
Ashikaga,  sans  excepter  Sesshu.  Mais  la  cin- 
quième de  ces  peintures  est  sansdoute,  avec  celles 
de  Godoshi  et  de  Riryomin,  une  des  plus  gran- 
dioses compositions  que  la  peinture  chinoise 
nous  ait  révélées  :  c'est  la  Kwannon  blanche, 
assise  dans  une  caverne  rocheuse,  avec  les  flots 

•     {186) 


.Fleurs,  Feuillages  et  Oiseaux. 
Par  Gioku-wô.     XIX'   siècle. 
Musée  de  Boston  (Etats-Unis). 


Planche  LXXI 


Bosquet  de  Bambous  Sous  la  Tempête. 
Par  Danshidzui. 


Planche  LXX1I. 


L'ART   IDÉALISTE   EN   CHINE 

qui  baignent  ses  pieds  ;  un  vase  de  cristal  dans 
lequel  trempe  une  branchette  de  saule  est  posé 
sur  un  roc  à  gauche;  des  herbes  retombent  de 
la  voûte  de  la  caverne.  De  légères  nuées  blan- 
châtres traînent  dans  l'espace.  La  plus  absolue 
beauté  réside  dans  la  figure  même  de  la  Kwannon, 
infiniment  gracieuse  dans  sa  pose  un  peu  inclinée 
en  avant,  comme  si  elle  prêtait  l'oreille  aux  voix 
des  marins  en  détresse  qui  lui  arrivent  sur  les 
flots,  figure  toute  féminine  comme  on  la  voit  sur 
les  porcelaines  modernes.  Figure  toute  plastique 
aussi,  exécutée  dans  la  pureté  et  la  fermeté  de 
ses  formes  comme  une  statue  de  marbre,  et 
dune  expression  tendre  que  n'ont  jamais  eue  les 
figures  semblables  de  Riryomin. 

De  nombreux  artistes  de  la  secte  Zen  suivirent 
Mokkei  à  la  fin  de  l'époque  des  Song.  Un  des  plus 
remarquables  est  Mu  An  (Mokuan),  dont  le  trait  de 
dessin  est  plus  lourd  et  plus  écrasé.  Mommukan 
a  moins  de  vigueur.  Konenki,  avec  ses  paysages 
brumeux,  peignait  aussi  les  mouvements  de  l'eau 
et  des  nuages,  et  leur  esprit  familier,  le  dragon. 

La  logique  et  le  souci  d'être  complet  pour- 
raient amener  à  consacrer  deux  chapitres  isolés 
à  l'Art  des  deux  dynasties  qui  suivirent  les  Song, 
à  celui  des  Yuen  (Gen)  qui  suivit,  et  au  long 
apogée  des  Ming.  Serait-ce  un  juste  souci  de 
proportion  ?  Le  xive  et  le  xv°  siècle  produisirent 
certes  de  notables  œuvres  d'art,  mais  la 
beauté  des  formes  en  sera  désormais  trop 
souvent  absente.  Les  grandes  époques  sont 
passées.  L'étude  de    l'Art  des  Yuen  et  de  celui 

(187) 


L'ART  EN   CHINE   ET  AU   JAPON 

des  Ming  est  surtout  intéressante  pour  y  chercher 
la  courbe  des  rapports  entre  l'Art  des  Song  en 
Chine,  et  l'Art  des  Ashikaga  au  Japon. 

La  fin  de  la  dynastie  Song  est  une  époque 
tragique  dans  l'histoire  de  l'humanité,  celle  de  la 
conquête  mongole,  houle  dévastatrice,  des  rivages 
du  Danube  et  de  la  Baltique  aux  rives  des  mers 
de  Chine.  Et  cependant  il  en  résulta  ceci,  qui 
est  important,  le  contact  direct  entre  Chine 
et  Europe.  Durant  la  courte  dynastie  mon- 
gole des  Han(i  280-1 368),  les  princes  chinois  furent 
reçus  à  Rome  par  le  Pape,  les  missions  francis- 
caines s'organisèrent  en  Chine,  Marco  Polo  visita 
Hangchow  et  nous  en  laissa  un  récit  véridique. 
Après  les  Yuen,  il  se  passa  deux  siècles  où  les 
Européens  n'y  purent  pénétrer,  et  durant  ces 
deux  cents  ans  le  sentiment  des  Song  s'était  vola- 
tilisé. Gengis  Khan  était  devenu  chef  des  Mongols 
en  1206.  Dès  121 3,  il  dominait  déjà  les  Kins,  les 
adversaires  invétérés  de  Hangchow.  En  1227, 
Gengis  Khan  avait  soumis  à  l'Ouest  les  Sarrasins. 
En  1234,  ses  successeurs  avaient  anéanti  les  Kins, 
et  commencé  à  envahir  le  Sud  de  la  Chine. 
Malgré  l'étonnante  résistance  de  cette  civilisation 
d'Hangchow  durant  cinquante  ans  encore,  peu  à 
peu  les  Mongols  la  réduisirent  cité  par  cité,  et 
Marco  Polo  les  y  aida.  En  1276,  la  famille  impé- 
riale fuyait  Hangchow,  et,  en  1280,  le  conqué- 
rant mongol  Kublai  Kan  (pour  les  Japonais  Seiso), 
devenait  premier  empereur  Yuen.  Aussitôt  les 
confucianistes  proposèrent  leurs  services,  et  tous 
les  rouages  administratifs  furent  de  nouveau 
entre  ces  mains    natives;    ils  faisaient   détruire 

(188) 


Le  Célèbre  Tabernacle  Coréen  Tamami  shi, 
A  Horiuji  (Japon).     VI   siècle. 


Planche-  LXXIII. 


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L'ART  IDÉALISTE   EN   CHINE 

tous  les  livres  «  hérétiques  »  des  philosophes 
d'Hangchow.  On  allait  revoir  les  anciens  jours 
du  formalisme  ancien  ;  c'était  reculer  à  la  men- 
talité du  xe  siècle. 

L'Art  chinois  se  plia  à  la  compréhension  de 
ses  nouveaux  maîtres  :  l'Art  des  Yuen  devient 
réaliste,  pour  interpréter  en  brillantes  couleurs 
les  arbres  et  les  fleurs  deleurs  jardins,  lesanimaux 
qu'ils  préféraient,  surtout  les  chevaux,  les  détails 
de  la  vie  matérielle.  Ils  demandent  conseil  aux 
maîtres  les  plus  réalistes  des  derniers  Tang  et 
des  premiers  Song.  Toute  trace  d'idéalisme  Zen 
a  disparu.  Ce  sont  les  chevaux  de  Soba,  Kankan 
et  Riryomin  qu'on  imite  ;  la  sécularité  de  style 
de  Seikinkoji  et  de  Ganki  dans  les  figures  ;  et 
pour  les  fleurs,  le  style  de  Joki,  Kosen  et 
Chosho.  Les  grands  maîtres  des  Yuen  sont  Chao 
T\u-ang  (Chosugo),  Chien  Shun-CJiii  (Sen- 
Shunkio)  et  Gessan,  peintres  de  figures  de  belles 
lignes,  mais  ténues,  groupées,  hommes  et  femmes 
se  distrayant  dans  les  jardins,  les  figures  fémi- 
nines un  peu  conventionnelles  et  poupées,  avec 
bien  moins  de  grâce  et  de  liberté  que  sous  les 
Song.  On  peignit  aussi  des  scènes  historiques 
ordonnées  par  les  confucianistes,  comme  instruc- 
tives. Une  composition  de  Gessan  où  des  per- 
sonnages sont  en  extase,  les  yeux  fermés  comme 
pour  goûter  une  imaginaire  musique  ;  la  figure 
centrale,  devant  une  table,  semblant  jouer  d'un 
luth  absent,  est  d'une  pure  ironie  d'idéalisme. 
Des  portraits  de  Shunkio  et  de  Sugo,  non  dénués 
de  beauté,  ne  sont  que  réalistes.  Le  grand  repas 
peint  par  Fugo,  frère  de  Sugo,  rappelle  les  sou- 

(i89) 


L'ART  EN   CHINE   ET  AU   JAPON 

pers  des  Romains  de  la  décadence,  d'un  beau 
sentiment  de  composition,  mais  faible  de  dessin, 
et  comme  d'un  Riryomin  éteint.  Dans  des  pay- 
sages, Sugo  manie  l'encre  à  la  façon  des  Song, 
mais  leur  esprit  même  ne  s'y  retrouve  plus. 

Shukei,  dans  ses  paysages  et  son  exécution 
colorée,  vrai  disciple  de  Rishikui,  se  montre 
inspiré  plutôt  des  Tang  que  des  Song.  Tous  ces 
artistes  sont  vieillots  et  font  du  vieux  neuf.  C'est 
encore  dans  les  fleurs  et  les  branches  isolées 
qu'ils  sont  les  plus  forts.  Il  y  a  plus  de  rigueur 
(mais  est-ce  mieux  qu'une  photographie  colorée?) 
dans  un  camélia  de  Shunkio.  Les  hérons  de  Cho- 
kuboku  dérivent  d'un  original  Song.  On  ne  sait 
jamais  si  leur  meilleure  œuvre  qu'on  a  devant  les 
yeux  n'est  pas  une  pure  copie. 

Une  autre  branche  de  l'Art  des  Yuen  se  déve- 
loppe sous  l'esprit  de  révolte  confucianiste  contre 
ce  style  réaliste  des  peintres  de  la  cour  des 
Mongols.  Dans  les  provinces,  la  tradition  des 
Song  n'était  pas  morte  parmi  ces  peintres-poètes 
comme  Toba  et  Beigensho,  individuels  et  indé- 
pendants. Ils  étaient  suivis  par  des  jeunes  hommes 
comme  Moggiokkan,  Choyen,  Randenshuku  ;  ils 
étaient  très  littéraires,  mais  aptes  à  rendre  leurs 
émotions  sous  des  formes  picturales  plus  arrêtées 
et  voulues.  Ils  aimaient  les  grands  effets  de 
brumes  sur  les  montagnes,  traversées  de 
rayonnements  de  soleil.  Ils  cherchaient  à  attein- 
dre une  haute  et  réelle  beauté.  Cette  nouvelle 
École  de  paysagistes-poètes  ne  fut  guère  connue 
au  Japon  avant  le  xvme  siècle. 

Mais  ce  ne    sont  pas  vraiment  ces  écoles  qui 

(190) 


Le  Prince  Shotoku-taishi  (+621)  et  ses  Deux  Enfants. 
Peinture  par  le  prince  coréen  Asa. 


Planche  LXXV. 


Peintures  et  incrustations  de  Nacre  au  dos 
D'Instruments  de  Musique  Appelés  "  Biwa." 
VIIIe  siècle.     Trésor  du  Sho-Soïn  à  Xara. 


Planche  LXXV1. 


L'ART   IDÉALISTE   EN   CHINE 

aidèrent  à  la  transition  des  Song  du  Sud  aux 
Ashikaga  du  Japon.  Ce  fut  l'Art  conservé  dans 
les  temples  Zen  que  la  mer  avait  toujours  main- 
tenus en  relations  maritimes  avec  le  Japon.  Ce 
fut  cet  esprit  Zen  que  deux  ou  trois  grands  maîtres 
avaient  religieusement  conservé  au  xive  siècle, 
comme  le  souvenir  impérissable  d'Hangchow,  et 
qui  s'était  aussi  conservé  dans  les  provinces  de 
l'Ouest  et  du  Centre,  le  Shoku  et  le  Szechuan. 
L'un  des  plus  fameux  fut  le  paysagiste  et  peintre 
de  bambous  Danshid%ui:  presque  aussi  remarquable 
que  Kakkei.  Son  bosquet  de  bambous  courbés 
sous  la  rafale,  qui  tamise  la  lumière  du  soleil  le- 
vant, est  un  beau  souvenir  des  Song.  —  Un  autre 
remarquable  peintre  de  figures  est  Gankî.  Comme 
il  sut  bien  peindre  les  sauvages  serviteurs  du 
temple  de  Bouddha,  Kanzan  et  Jittoku  !  (collection 
Kawasaki  à  Kobe).  Son  Takkai  Sennin  exhalant  sa 
propre  image  sous  la  forme  d'un  souffle  de  ses 
lèvres  est  au  Daitokuji  de  Kioto.  On  y  trouve 
quelque  chose  du  profond  sentiment  de  Mokkei, 
et  du  grand  peintre  des  Song,  Zengetsu  Daishi. 
Les  Mongols  devaient  disparaître  devant  le 
soulèvement  des  vrais  Chinois,  assez  analogue 
à  ce  que  fut  au  xixe  siècle  la  révolte  des  Taipings 
contre  les  Manchous.  Cela  commença  vers  1348, 
mais  prit  toute  sa  violence  avec  Gensho,  vrai  génie 
militaire,  en  1355;  après  une  lutte  opiniâtre,  il 
était  proclamé  empereur  en  1368,  et  fondateur 
de  la  nouvelle  dynastie  des  Ming.  La  révolte  na- 
quit dans  le  Sud,  Gensho  rétablissait  la  capitale 
à  Nankin  g,  vieille  cité  de  la  puissance  des  Liang 
au  vie  siècle.  Ce  fut  au  milieu  d'un  enthousiasme 

(190 


L'ART   EN   CHINE   ET   AU   JAPON 

national  inouï  qui  revoyait  déjà  les  beaux  jours 
d'Hangchow,  mais  hélas  suivi  de  cruelles  désil- 
lusions. L'esprit  chinois  avait  été  bien  modifié 
par  la  débauche  des  Gen  ;  il  n'existait  plus  de 
génie  pour  faire  revivre  la  philosophie  des  Song. 

L'art  des  Ming,  au  début,  pendant  cinquante 
à  cent  ans,  s'appuie  sur  Bayen  et  Kakei.  Et 
c'est  lui  qui  opéra  la  transition  entre  l'art  des 
Song  et  le  Japon  des  premiers  Ashikaga.  De  grands 
paysagistes  qui  le  représentent,  sont  Taibunshin 
et  Sonkuntaku,  mais  avec  une  certaine  maladresse 
de  dessin.  Les  fleurs  de  Rioki  sont  conformes 
aux  données  de  Yoki  et  de  Chosho.  Le  coup  de 
pinceau  est  grossier,  là  où  celui  des  Yuen  était 
si  vif  et  distingué.  Et  comment  se  retrouver  au 
milieu  de  tant  de  copies!  Ces  figures  sont  de 
traits  encore  beaux,  mais  les  proportions  des 
corps  sont  moins  classiques  que  celles  des  Yuen, 
les  têtes  trop  larges  et  lourdes  chez  les  femmes 
surtout,  et  les  cous  trop  petits,  les  épaules  si 
retombantes  que  les  corps  en  semblent  privés. 
Les  meilleurs  de  ces  peintres  sont  Kinyei  et  Torin 
(collection  Ch.  Freer). 

Ch'uan  Shih  (Rinno)  est  le  Mokkei  de  son 
temps,  par  l'entrain  étonnant  de  son  coup  de  pin- 
ceau; son  grand  phœnix,  oiseau  Hoo  du  Sokokuji 
de  Kioto,  est  vraiment  admirable. 

Shubun  semble  avoir  été  une  résurrection  de 
Kakei.  On  le  connaît  surtout  du  côté  japonais; 
car  il  dut  venir  au  Japon  comme  immigrant  et  y 
fut  naturalisé  sous  le  nom  de  famille  Soga  vers 
1420.  Il  vécut  et  peignit  au  Daitokuji  où  il  fonda 
la  grande  École  Soga  des  Ashikaga. 

(192) 


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L'ART   IDÉALISTE   EN   CHINE 

Cent  ans  après  le  premier  Ming,  cette  renais- 
sance artistique  non  seulement  n'existait  plus, 
mais  était  déjà  oubliée.  Les  confucianistes  qui 
avaient  tout  pouvoir  à  la  cour  avaient  décidé,  en 
142 1,  le  troisième  empereur  Ming  à  reporter  de 
nouveau  la  capitale  au  Nord,  à  Pékin,  où 
furent  les  Mongols,  où  les  confucianistes  avaient 
le  champ  libre.  Il  est  fort  heureux  que  Sesshu, 
le  plus  grand  génie  du  Japon,  et  qui  était  un 
prêtre  Zen,  soit  venu  en  Chine  vers  1466,  avant 
que  le  Confucianisme  n'ait  pu  tout  y  changer.  Peu 
d'années  plus  tard,  c'eût  été  comme  un  voile 
baissé  sur  l'ancien  monde,  et  l'art  y  serait 
apparu  comme  celui  d'une  autre  planète. 


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CHAPITRE   XI 

L'ART   IDÉALISTE  DES   ASHIKAGA 
AU  JAPON 

LES  RAPPORTS  DU  JAPON  AVEC  L'EMPIRE  CHINOIS  DES  MING.  0  L'INFLUENCE 
DE  LA  DOCTRINE  ZEN  SUR  LA  PENSÉE  JAPONAISE.  ||  L'ÉCOLE  DE  TAK.UMA 
ET  CHODENSU.  I  NOAMI,  GEIAMI,  SOAMI,  SHUBUN,  JASOKU  ET  SHIUBUN. 
Il      SESSHU.    Il     SESSON  ET   SOTAN.     Il    LES    QUATRE   GRANDS    TEMPLES    ZEN 

DE  KIOTO. 


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uel  était  l'état  de  choses  au  Japon  à  la  fin 
du  xiv*  siècle  ?  La  fin  de  l'oligarchie  des 
Fujiwara  au  xne  siècle  avait  ruiné  ces 
influences  chinoises  que  le  Japon  subissait 
depuis  les  Tang.  L'âge  féodal  de  Kamakura  lui 
avait  donné  du  moins  ses  institutions  démo- 
cratiques et  son  goût  dramatique  qui  s'était 
adapté  à  des  formes  bien  nationales.  Bien  que 
divisé,  le  Japon  avait  su  résister  au  choc  des 
Mongols.  Mais  quand  la  dynastie  Ming  se  fut 
solidement  constituée  en  Chine  en  1368,  la  situa- 
tion changea.  Cette  date  était  exactement  celle 
où  le  troisième  Ashikaga  Yoshimitsu,  en  vrai 
homme  d'État,  sentit  que  le  Japon  avait  un  pres- 
sant besoin  de  centralisation,  que  loin  de  vivre 
séparés  du  Mikado,  les  Shoguns  devaient  s'en 
rapprocher.  Il  ramena  la  capitale  shogunale  à 
Kioto,  rapprochant  ainsi  les  deux  cours,  impé- 
riale et  militaire.  L'Empire  Ming  était  alors 
coupé  de  toutes  ses  provinces  du  Nord-Ouest  : 
Turkestan,     Mongolie,    Manchourie,     et    n'était 

(195) 


L'ART  EN  CHINE   ET  AU  JAPON 

pas  fâché  de  s'appuyer  sur  ses  amis  de  l'Est, 
dans  une  commune  haine  des  Mongols.  Une 
mission  japonaise  vint  alors  à  Nanking,  la  troi- 
sième année  de  la  nouvelle  dynastie. 

C'était  à  ce  moment  une  Chine  transformée  et  un 
nouveau  Japon  qui  se  trouvaient  en  présence.  Le 
Japon  n'avait  pour  ainsi  dire  rien  connu  des  ten- 
dances libératrices  de  l'esprit  chinois  des  Song,  de 
la  nouvelle  philosophie,  du  goût  contemplatif  de 
Zen,  des  grandes  écoles  académiques  de  Paysage 
de  Kaifong  et  d'Hangchow  ;  et  d'un  autre  côté 
ce  Japon,  déchiré  par  de  longues  luttes,  privé 
depuis  si  longtemps  de  toute  discipline  sociale, 
d'éducation  et  d'arts,  était  profondément  affaibli 
de  si  constantes  saignées.  Les  conditions  se 
représentaient  donc  semblables  à  celles  qui  sous 
Shotoku  au  vne  siècle  avaient  fait  vibrer  le  Japon 
au  premier  contact  du  bouddhisme  ésotérique 
chinois,  etpuis  encore  de  nouveau  sous  les  Fujiwara 
au  ixe  siècle.  Mais  les  conditions  étaient  peut- 
être  plus  favorables  encore.  Ce  fut  là  le  côté 
génial  de  Yoshimitsu  de  sentir  combien  cette 
renaissance  de  l'esprit  des  Song,  pénétré  de  médi- 
tation pacifique  par  les  Ming,  pouvait  être  pour 
le  Japon  le  salut.  Il  pensait  lui  redonner  le 
culte  de  l'idéal,  et  par  là  refaire  l'unité 
spirituelle   de  la  nation. 

Le  grand  palais  Muromachi  de  Kioto  fut  bâti 
en  1378,  et  aussitôt  la  culture  des  Song  péné- 
trait le  Japon  par  ses  livres,  sa  philosophie,  sa 
poésie,  la  religion  Zen,  et  l'art  d'Hangchow.  Ce 
fut  à  cette  date  que  le  Japon  reçut  de  Chine 
tant  de  peintures  Tang  et  Song  originales,  sans 

(196) 


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Portrait  de  Prêtre. 

l'.ir  Kobo-Daishi  (774- — 834). 


Planche  LXXX. 


L'ART  IDEALISTE  DES  ASHIKAGA  AU  JAPON 

compter  les  innombrables  copies  Yuen  et  Ming, 
dont  les  Tokugawa  furent  si  riches.  Et  cela  fut 
heureux,  car  c'était  des  derniers  moments  de  la 
grande  ferveur  de  sentiment  des  Song,  et  de  la 
haute  culture  chinoise  que  le  Japon  recueillit  à 
temps  les  bienfaits,  dont  il  a  joui  jusqu'à  la  fin  ; 
et  l'on  peut  dire  que  jusqu'en  1894  il  a  reflété 
sans  en  avoir  brisé  la  continuité  les  plus  purs 
rayons  de  l'illumination  d'Hangchow. 

La  vie  de  Ashikaga  Yoshimitsu  peut  se  diviser 
en  deux  parties  ;  les  vingt-six  années  de  i}68 
à  1  }Ç4  où  il  fut  Shogun  ;  et  les  quatorze  années 
de  1394  à  1408,  date  de  sa  mort,  période  durant 
laquelle,  ayant  déposé  le  pouvoir  en  faveur  de 
Yoshimochi,  il  n'en  détint  pas  moins  toute  auto- 
rité dans  sa  nouvelle  vie  de  prêtre  Zen,  et  dans 
l'éloignement  de  sa  splendide  villa-temple  du 
Kinkakuji,  au  Nord-Ouest  de  Kioto.  Dans  la  pre- 
mière période  il  put,  au  milieu  de  difficultés  graves, 
préparer  ce  qu'il  devait  voir  pleinement  réalisé 
dans  la  seconde  :  le  grand  mouvement  de  cul- 
ture chinoise,  d'où  l'art  japonais  devait  rece- 
voir une  force  nouvelle,  impulsive  et  créa- 
trice. 

Il  n'est  pas  absolument  juste  de  dire  que  l'art 
des  Song  et  que  l'influence  Zen  aient  été  tota- 
lement ignorés  du  Japon  durant  la  période  de 
Kamakura.  Il  y  a  bien  des  raisons  de  supposer 
qu'au  xe  siècle  déjà,  le  grand  peintre  japonais 
Kose  Kanawoka  a  pu  être  influencé  par  l'ancêtre 
des  Song  Chu  Hui  (Joki).  Il  est  plus  certain 
encore,  qu'au  début  de  Kamakura,  des  prêtres 
Zen   chassés    des  provinces   du   Nord   des  Song 


L'ART  EN   CHINE   ET   AU  JAPON 

par  les  Kins,  et  des  provinces  du  Sud  par  les 
Mongols,  s'étaient  réiugiés  au  Japon  pour  y 
fonder  des  temples  Zen,  surtout  à  Kamakura, 
ou  Kenchoji  fut  édifié  en  1253.  Il  est  même  évi- 
dent que  la  cour  féodale  de  Kamakura  a  patronné 
en  un  certain  sens  cet  art,  en  opposition  à  l'art 
Tosa  pur  qui  était  plutôt  l'expression  de  la  cour 
impériale  de  Kioto. 

C'est  cette  influence  Song  de  Riryomin  et  de  Zen 
qui  pénétra  l'École  de  Takuma.  Au  début  du 
xive  siècle,  les  traditions  de  Takuma,  de  Tosa 
et  de  Kose,  étaient  assez  confondues,  mais  à  la 
fin  du  xive  siècle,  la  haute  culture  de  Yoshimitsu, 
l'autorité  des  temples  Zen  de  Kioto  avaient 
incliné  Takuma  Yeiga  à  la  religion  Zen  et  à  la 
compréhension  de  Ririomin.  S'ilfit  quelques  beaux 
portraits  Zen,  il  tenta  aussi  à  la  fin  de  donner  à 
ses  figures  colorées  des  fonds  de  paysages  mono- 
chromes, dans  une  sorte  de  style  Ming,  sans 
abandonner  pour  cela  le  pur  paysage  à  l'encre 
des  vieux  Song.  11  était  ainsi  le  véritable  repré- 
sentant et  chef  d'une  des  écoles  d'art  sous  Yoshi- 
mitsu, alors  que  d'autres  artistes  plus  épris  des 
Song  suivaient  plutôt    les  traditions  de  Mokkei. 

Ce  fut  un  disciple  de  Takuma  Yeiga,  Cho- 
densu,  qui  personnifia  encore  mieux  ces  idées. 
Comme  Noâmi,  il  démontrait  les  avantages  de 
l'étude  dans  les  temples  Zen  qui  entouraient 
Kioto,  comme  les  ancêtres  l'avaient  fait  autour 
du  lac  Suiko  à  Hangchow,  mais  sans  oublier 
jamais  que  l'âme  japonaise  devait  maintenir 
intact  le  prestige  des  grands  souvenirs  militaires 
de  son   passé. 

(198) 


Trinité  Bouddhique:  Amida,  Kwannon  et  Seishi. 
Par  Yeishin  Sozu  (1017). 


Planche  LXXX1. 


Amida. 

Par  Yeishin  Sozu  (+  1017). 


Planche  LXXXII. 


L'ART  IDÉALISTE  DES  ASHIKAGA  AU  JAPON 

Ce  fut  alors  que  ce  passé  reçut  une  forme 
d'expression  admirable,  dans  le  drame  de 
No,  la  plus  noble  forme  de  la  littérature  des 
Ashikaga.  Et  si  Yoshimitsu  avait  dépouillé 
tout  pouvoir  virtuel,  sa  demeure  de  Kinkakuji 
n'en  restait  pas  moins  un  centre  de  haute  spi- 
ritualité, où  il  continuait  à  recevoir  même  le 
tribut  des  empereurs  Ming. 

La  véritable  floraison  de  l'art  nouveau  du  Japon 
se  produisit  entre  1394  et  1428,  si  bien  soumis 
à  l'influence  Zen,  que  les  grandes  Écoles  pou- 
vaient se  dire  dépendantes  des  quatre  grands 
temples  Zen  de  Kioto  :  Kinkakuji,  Tofukuji, 
Daitokuji  et  Shokokuji. 

Kinkakuji,  villa-palais  de  Yoshimitsu,  était 
aussi  un  temple  où  prêtres  et  étudiants  vivaient 
comme  à  Hangchow.  Mais  la  grande  École  d'art 
était  moins  religieuse  qu'académique  à  la  façon 
chinoise,  sous  la  direction  d'un  artiste,  maître 
des  études.  C'était  Noâmi,  tout  pénétré  de  la 
doctrine  Zen,  mais  préparé  à  la  haute  critique 
par  de  constants  travaux  et  par  l'étude  des 
innombrables  chefs-d'œuvre  de  l'art  chinois  qu'il 
put  connaître  alors,  et  dont  tous  les  éléments 
d'appréciation  transmis  par  lui  à  des  générations 
d'artistes  érudits  sont  encore  aujourd'hui  la 
base  des  études  archéologiques  du  Japon. 
Mais  s'il  fut  critique,  Noâmi  fut  aussi  un  grand 
peintre,  et  s'il  copia  des  originaux  chinois,  il  fit 
aussi  des  œuvres  imprégnées  de  leur  esprit,  dans 
la  tradition  Zen,  et  dans  le  goût  de  Mokkei.  Il  est 
exquis  de  délicatesse  dans  ses  encres,  d'une 
exécution     si    mouillée,    dans    la  finesse    de  sa 

(J99) 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

touche  légère.  Un  de  ses  chefs-d'œuvre  est  le 
promontoire  avec  le  pin  (Miyo  no  Matsubara  ; 
près  du  port  de  Tiji)  qui  est  une  feuille  d'un  de 
ses  paravents.  La  villa  sur  la  colline  brumeuse, 
un  des  trois  kakémonos  de  la  suite  du  musée  de 
Boston,  le  montre  paysagiste  de  profond  sentiment. 
Les  grands  paravents  de  Boston,  avec  le  Dragon 
et  le  Tigre,  doivent  être  de  sa  dernière  manière, 
la  plus  puissante.  Il  peignit  aussi  des  figures, 
et  les  belles  décorations  d'oiseaux  volant  dans 
les  chambres  du  palais  de  Kinkakuji. 

Avec  lui  travaillèrent  son  fils  Geiami  et  son 
petit-fils  Soâmi  :  celui-ci  fut  un  des  peintres  de 
cour  de  Yoshimasa. 

En  1880,  le  temple  de  Tofukuji  était  un  im- 
mense monastère  encore  intact,  avec  un  portail 
massif  au  Sud  et  deux  halls  colossaux  portés 
extérieurement  par  de  gigantesques  piliers  faits  de 
simples  troncs  de  cèdres  de  Chine  de  dix-sept 
mètres  de  haut,  que  la  tradition  disait  avoir  été 
apportés  du  Yangtsé.  A  l'intérieur,  dans  l'énorme 
espace,  était  un  grand  panneau  circulaire  de 
dix  mètres  de  diamètre,  peint  d'un  colossal  dragon 
par  Chodensu.  Quatre  hautes  statues  de  gar- 
diens de  temple  du  temps  de  Wunkei  se  dres- 
saient sur  l'autel.  Dans  le  couloir  derrière 
l'autel,  des  poulies  permettaient  de  dérouler 
trois  immenses  kakémonos,  dont  au  centre 
le  colossal  Daruma  de  six  mètres  de  haut, 
exécuté  à  l'encre  de  Chine  par  de  sauvages  et 
rudes  coups  de  brosses.  En  1882,  le  feu  a  détruit 
les  halls  centraux,  mais  on  put  sauver  le  pont, 
le  porche,  les  chambres  des  prêtres  et  le  maga- 

(200) 


•Cascade. 

Par  Kanawoka.      IXe  siècle. 


Flanche  LXXXIII. 


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L'ART  IDÉALISTE  DES  ASHIKAGA  AU  JAPON 

sin  où  Ion  conservait  les  chefs-d'œuvre  artis- 
tiques —  les  Shaka,  Monju  et  Fugen  de 
Godoshi  —  et  la  mort  du  Bouddha  qui,  s'il  n'est 
pas  de  Godoshi,  est  de  quelque  artiste  Tang 
postérieur.  —  L'homme  de  génie  du  temple  de 
Tofukuji,  chef  de  l'École  au  temps  de  Yoshimi- 
tsu,  était  un  prêtre  Zen,  Chodensu,  qui  avait 
reçu  les  traditions  des  Song  et  l'enseignement 
du  fameux  artiste  des  Takuma,  Yeiga.  Comme  son 
maître,  il  avait  peint  des  paysages  à  l'encre  avec 
bien  de  la  délicatesse,  mais  son  style  en  géné- 
ral était  fait  de  puissance  et  d'emportement  dans 
ce  dragon  et  ce  Daruma  que  l'incendie  a 
dévorés.  Il  a  peint  en  couleur,  d'après  Riryomin, 
ses  seize  Rakans  (une  série  se  trouve  chez 
M.  Freer),  et  ses  cinq  cents  Rakans  au  Daitokuji, 
qu'on  a  pu  croire  être  de  Riryomin  lui-même. 
Il  fit  aussi  de  nombreuses  Kwannons,  dont  une 
des  plus  charmantes  est  une  petite  Kwannon 
assise  de  face,  de  lignes  délicates  et  de  subtiles 
couleurs,  qui  appartient  au  musée  de  Boston  ; 
le  bel  arrangement  des  plis  ne  rappelle  pas  un 
original  de  Godoshi,  mais  plutôt  un  type  primitif 
des  Tang,  d'Enriuhon,  peut-être  copié  par  Kiso. 
—  On  ne  saurait  oublier  qu'un  des  meilleurs 
disciples  de  Chodensu  fut  le  shogun  Yoshimitsu 
lui-même. 

Au  temple  de  Daitokuji,  une  cinquantaine 
de  vastes  salles  du  temps  des  Ashikaga  sub- 
sistent encore  bien  conservées.  Le  Trésor  du 
temple  est  riche  d'oeuvres  chinoises.  Cinq  œuvres 
importantes  de  Mokkei,  dont  sa  magnifique 
Kwannon,    —   des  restes    de   la  suite   des   cinq 

(201) 


L'ART   EN   CHINE   ET  AU   JAPON 

cents  Rakans  de  Riryomin,  —  et  la  plus  grande 
Kwannon  du  type  d'Enriuhon.  —  Le  plus  grand 
maître  qui  y  enseigna  fut  ce  Shubun,  qu'on  dit 
être  venu  de  Chine  se  faire  naturaliser  sous  le 
nom  de  famille  de  Soga.  Comme  Chinois,  il  est 
bien  plus  directement  pénétré  du  génie  chinois 
que  ses  émules  Chodensu  ou  Noâmi.  Il  vécut 
dans  une  dépendance  du  Daitokuji,  au  Shinjuan, 
où  il  peignit  les  portes  glissières  de  ses  appar- 
tements, que  le  comte  Inouyé  acquit  en  1886 
pour  ses  collections.  Ce  sont  de  purs  paysages 
chinois,  à  une  échelle  tout  à  fait  exceptionnelle, 
comme  Kakei  put  en  exécuter  pour  la  capitale 
des  Song  —  avec  des  pins  tordus  sur  d'abruptes 
falaises,  surmontées  de  pavillons  à  toits  poin- 
tus, et  des  poètes  assis  sur  des  rochers  pittores- 
ques, —  ou  bien  avec  des  vols  d'oiseaux  sauvages, 

—  avec  des  échassiers  picorant  dans  des  marais 

—  qui  rappellent  le  style  de  Mokkei.  Peut-être 
Shubun  fit-il  aussi  les  deux  beaux  paravents  du 
musée  de  Boston,  avec  leurs  grands  paysages 
montagneux,  à  torrents  et  à  beaux  arbres  bai- 
gnés de  brumes,  dont  les  effets  d'atmosphère 
sont  aussi  étonnants  que  ceux  de  Sesshu  —  et  ce 
splendide  paravent  à  quatre  feuilles  de  paysages 
à  l'encre  de  Chine,  de  la  collection  Freer. 

Les  meilleurs  élèves  de  Shubun  au  Daitokuji 
furent  son  fils  Soga  Jasoku,  qui  vécut  au  Shin- 
juan et  y  décora  les  murailles,  et  Nara  Kantei. 
Jasoku,  en  dehors  de  ses  puissants  paysages, 
fit  aussi  des  oiseaux  de  proie,  des  grands  aigles 
et  des  faucons,  et  créa  ainsi  une  branche  de 
l'École  de  Soga,    qui  dura  plus  de  quatre  gêné- 

(202) 


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L'ART  IDÉALISTE  DES  ASHIKAGA  AU  JAPON 

rations  (deux  paravents  au  musée  de  Boston).  Il 
fit  aussi  des  figures  très  belles,  comme  ses  trois 
prêtres  Zen  au  Shinjuan,  peut-être  inspirés  d'ori- 
ginaux de  Ganki. 

La  quatrième  grande  École  de  Yoshimitsu  était 
auShokokuji,  qui  occupe  à  Kioto  le  site  de  l'ancien 
Palais  de  Kwammu.  Le  feu  a  détruit  bien  des 
constructions  et  une  bonne  part  de  ses  célèbres 
collections.  Le  grand  maître  Josetsu  y  vécut  ; 
bien  que  la  tradition  l'ait  rapporté,  il  n'est  pas 
absolument  certain  qu'il  ait  été,  comme  Shubun, 
un  émigrant  chinois.  Il  semble  que  son  art  est 
bien  plus  d'un  artiste  Ming  très  éclectique,  que 
d'un  artiste  prêtre  japonais  Zen.  Le  musée  de 
Boston  possède  de  lui  un  grand  paysage,  un 
confluent  de  rivières  chinoises,  où  il  apparaît 
plutôt  comme  un  homme  subissant  des  influences, 
comme  un  copiste,  que  comme  un  grand  créa- 
teur tel  qu'était  Soga  Shubun. 

Parmi  ses  élèves,  l'un  d'eux  le  dépassa  : 
c'était  un  prêtre  Zen,  Shiubun,  qui  fut  le  premier 
artiste  des  Ashikaga  vraiment  japonais,  capable 
de  se  hausser  à  la  puissance  de  l'Art  d'Hangchow. 
Très  épris  de  Kakei,  cela  est  manifeste  dans  une 
peinture  du  musée  de  Boston  où  les  encres 
s'étendent  en  poussière  d'eau  traversées  de  lueurs 
frappant  les  arbres  et  les  rochers,  les  brouillards 
enveloppant  toutes  choses  que  dore  un  chaud 
lever  de  soleil.  —  Plus  tard,  Shiubun  eut  une 
manière  plus  vigoureuse,  avec  des  touches  de 
pinceau  plus  nerveuses  ;  des  effets  de  couleur 
orange  et  bleuâtre  interviennent  comme  dans  une 
peinture  de  la  collection  Freer.  Les  vieilles  collec- 

(203) 


L'ART  EN   CHINE   ET  AU   JAPON 

tions  de  Daïmios  possèdent  encore  de  nombreuses 
peintures  de  Shiubun.  11  fit  aussi  des  figures, 
surtout  de  Sennins  taoïstes  —  et  on  ne  saurait 
oublier  qu'il  fut  le  premier  maître  de  Sesshu. 

La  fin  de  cette  période  préparatoire  peut  être 
datée  de  1428,  date  de  la  mort  de  Yoshimoshi. 
La  période  suivante,  qui  fut  de  réalisation,  s'éten- 
dit des  shoguns  qui  précédèrent  Yoshimasa,  et 
d'Ashikaga  Yoshimasa  lui-même,  à  la  date  de  la 
guerre  d'Onin  qui  commença  en  1467,  à  peu 
près  au  retour  de  Chine  de  Sesshu  en  1469.  L'es- 
prit militaire  avait  faibli,  les  plaisirs  esthétiques 
passaient  avant  tout,  et  cela  fut  l'âme  même  du 
Japon,  pendant  plus  de  quarante  ans,  jusqu'en 
1490.  La  culture  chinoise  y  était  l'objet  d'une 
dévotion  encore  plus  ardente  ;  et  si  Yoshimasa 
ne  connut  pas  la  triste  fin  de  vie  et  le  bannis- 
sement de  l'empereur  Kiso  Kotei,  du  moins  contri- 
bua-t-il  aussi  à  énerver  le  pouvoir  par  le  triomphe 
de  tous  ses  goûts  esthétiques. 

Les  artistes  qui  dominent  sont  encore  :  Geîami 
au  Kinkakugi,  Jasoku  au  Daitokuji,  et  Shiubun  au 
Shokokuji.  C'est  dans  ce  dernier  temple  que 
vivait  un  jeune  prêtre,  Sesshu,  qui  devait  dépas- 
ser tous  ses  prédécesseurs. 

Geiami  travailla  un  peu  dans  les  traces  de 
son  père  Noâmi,  en  cherchant  à  rendre  les  états 
d'atmosphère  et  les  frondaisons  qui  s'en  dégagent, 
un  peu  comme  notre  Corot  (paysage  du  musée 
de  Boston  ;  —  deux  paravents  de  la  collection 
Freer). 

Cette  époque  ne  donna  peut-être  pas  tous  les 
brillants  résultats   qu'on  aurait   pu    espérer  de 

(204) 


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L'ART  IDÉALISTE  DES  ASHIKAGA  AU  JAPON 

l'impulsion  de  Yoshimitsu.  Comment  admettre  que 
le  terroir  même  n'ait  pu  y  assurer  de  floraison  ? 
car,  à  l'exception  de  Noâmi,  il  n'est  pas  un  artiste 
japonais  qui  ait  cherché  un  sujet  qui  ne  fût  pas 
purement  chinois.  Tout  sujet  emprunté  à  la 
vie  japonaise  eût  paru  vulgaire  et  inesthé- 
tique ;  c'était  bien  là  un  peu  la  faute  de 
l'idéalisme  Zen.  Yoshimasa  avait  compris  qu'il 
devait  se  tourner  de  nouveau  vers  les  Ecoles  des 
Ming  et  leur  demander  conseil  ;  mais  l'Art  à  ce 
moment  y  était  bien  appauvri  et  se  contentait 
de  redites  et  de  copies.  Les  œuvres  qui  de  Chine 
furent  alors  envoyées  à  Yoshimasa  subirent  la 
critique  sévère  de  Geiami.  Si  beaucoup  d'artistes 
japonais  s'en  contentèrent,  Sesshu  ne  fut  pas  de 
ceux-là!  Aussi,  vers  1465,  accompagné,  dit-on, 
de  ses  élèves  Sesson  et  Shuko,  il  demeura  quelques 
années  à  la  cour  des  Ming,  où  il  copia  non 
seulement  toutes  les  œuvres  de  Kakei  qu'il  put 
connaître,  mais  il  voulut  visiter  les  lieux  mêmes 
où  les  grands  paysagistes  des  Song  avaient  reçu 
de  la  nature  chinoise  leurs  plus  émouvantes 
impressions.  Il  revint  au  Japon  en  1469  avec 
des  milliers  d'impressions  fraîches  et  directes. 
Ce  fut  ce  trésor  de  matériaux  amassé  par  son 
vigoureux  génie  qui  donna  à  l'Art  des  Ashikaga 
une  direction  toute  nouvelle. 

Yoshimasa  avait  subi  les  horreurs  de  la  guerre 
civile  d'Onin,  dont  Kioto  fut  bouleversée  comme 
au  xne  siècle  par  la  guerre  d'Hogen  Heiji,  et  qui 
vit  détruire  tant  de  palais,  de  monastères  Zen, 
et  de  trésors  chinois  qui  s'y  trouvaient,  même 
certainement  des  œuvres  de  Godoshi.  Le  résultat 

(205) 


L'ART   EN   CHINE   ET   AU   JAPON 

fut  l'abdication  de  Yoshimasa  en  1472  ;  en  1479 
il  avait  construit  le  nouveau  pavillon  de  Ginka- 
kuji,  «  les  terrasses  d'argent»,  où  il  se  retira  avec 
les  plus  grands  artistes  de  son  temps  jusqu'en 
1490,  date  de  sa  mort.  Soâmi,  fils  de  Geiami,  était 
son  directeur  des  Arts,  et  avait  tracé  le  dispositif 
des  jardins.  Sôtan,  le  successeur  de  Shiubun  au 
Shokokuji,  en  avait  peint  les  murs  avec  son 
disciple  Kano  Masanobu.  Sesshu  était  là  pour 
donner  de  bons  avis,  bien  que  la  dernière  période 
de  sa  vie  il  l'ait  passée  à  Choshu.  Et  l'on  faisait 
encore  appel,  pour  recevoir  de  belles  œuvres 
chinoises,  aux  Ming,  bien  qu'ils  fussent  nettement 
alors  dans  une  période  de  décadence.  Yoshimasa 
a  son  tombeau  dans  cette  chère  demeure  de 
Ginkakuji  ;  le  grand  shogun  y  est  représenté  en 
statue  de  bois  sombre,  la  figure  éclairée  d'un  sou- 
rire grave,  les  mains  jointes  dans  un  mouvement 
pathétique,  vrai  Laurent  de  Médicis  du  Japon. 

Parmi  les  artistes  dont  nous  venons  de  parler, 
domine  de  très  haut  Sesshu  ;  il  était  retourné  en 
Chine  même,  il  avait  fait  revivre  dans  son  imagi- 
nation la  Chine  d'Hangchow,  s'était  enrichi  de  faits 
et  de  souvenirs,  et,  revenu  au  Japon,  il  chercha 
à  donner  de  ce  merveilleux  passé  la  vision  qu'il 
en  avait  eue,  traversée  des  lueurs  de  son  génie 
créateur.  C'est  par  lui,  par  ses  yeux,  que  le  Japon 
et  le  monde  entier  connaîtront  à  jamais  cette 
Chine  ressuscitée  d'un  autre  âge.  Avant  qu'il 
ne  partît  pour  la  Chine,  on  connaît  peu  de 
chose  de  lui,  si  ce  n'est  que  déjà  il  exerçait 
une  puissante  influence  sur  ses  amis,  même  sur 
Yoshimasa.  Il  y  vint  comme  un  prêtre  Zen  impor- 

(206) 


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Portrait  de  Yoritomo. 

Par  Takanobu   (Fujiwara)    (+  1205). 


Planche   XC. 


L'ART  IDÉALISTE  DES  ASHIKAGA  AU  JAPON 

tant,  devant  lequel  s'ouvraient  les  portes  des 
monastères.  Il  y  vint  aussi  accrédité  par  son  em- 
pereur, et  reçu  officiellement  à  la  Cour  impériale. 
Les  artistes  chinois  eux-mêmes  le  reconnaissaient 
comme  supérieur  à  eux  :  ils  s'émerveillaient 
de  l'aisance  avec  laquelle  il  couvrait  ses  car- 
nets d'impressions.  Dans  sa  propre  manière,  et 
sans  chercher  à  répéter  Kakei,  il  fut  comme 
un  nouvel  artiste  de  génie  disciple  tardif 
d'Hangchow.  Et  sa  place  est  à  côté  de  Bayen, 
de  Kakei  et  de  Mokkei.  Il  traita  de  la  Chine 
toute  la  variété  de  ses  sujets  :  figures,  mo- 
tifs religieux,  historiques,  symboliques,  bio- 
graphiques ;  la  vie  du  peuple  dans  les  cités,  dans 
les  temples,  dans  les  palais,  dans  les  vallées  de 
montagnes,  dans  les  fermes  ;  le  monde  des 
animaux  sauvages  et  apprivoisés.  Mais  ce  fut 
dans  les  paysages,  en  bon  serviteur  de  Zen,  qu'il 
triompha  ;  et,  pénétré  de  l'esprit  des  Song,  il 
rendit  de  la  nature  chinoise  les  plus  grandioses 
ou  poétiques  aspects.  —  Il  peignit  dans  le 
palais  de  l'empereur  Ming  de  grandes  compo- 
sitions murales,  comme  il  le  fit  de  nouveau  plus 
tard  au  Japon,  et  il  n'est  pas  douteux  que  les 
archives  chinoises  n'aient  conservé  quelques 
kakémonos  de  lui.  Accompagné,  jusqu'au  navire 
qui  l'emportait,  par  les  artistes  et  les  nobles,  sa 
rentrée  au  Japon  fut  un  événement  national. 
Il  refusa  toute  pension  de  la  cour  de  Yoshimasa 
et  se  retira  comme  prêtre  Zen  dans  la  paroisse 
rurale  de  Unkoku-an  en  Choshu,  où  l'on  venait 
le  visiter  en  pèlerinage.  Il  y  vécut  jusqu'à  sa  mort 
survenue  à  l'âge  de  quatre-vingt-quatre  ans,  en 

(207) 


L'ART   EN    CHINE    ET  AU   JAPON 

i  $06 ou  1  $07.  Il  peignit  les  murailles  de  nombreux 
monastères  aujourd'hui  détruits,  et  des  centaines 
de  paravents.  Il  reste  encore  de  lui  de  nombreuses 
peintures  originales  au  Japon,  sans  compter 
toutes  les  copies  qu'en  firent  encore  les  peintres 
Kano  des  Tokugawa. 

Le  style  de  Sesshu  est  tout  à  fait  capital  dans 
l'Art  de  l'Extrême-Orient.  Son  importance  réside 
surtout  dans  le  trait,  où  nul  maître  de  la  pein- 
ture monochrome  ne  l'égale,  si  ce  n'est  peut-être 
Riryomin,  et  seul  Bayen,  dans  ses  paysages, 
l'approche.  Son  trait  est  rude  et  brisé,  comme 
si  sa  brosse  avait  été  intentionnellement  faite  de 
poils  de  sanglier  irrégulièrement  liés.  Certai- 
nement il  s'est  souvenu  de  la  liberté  du  coup  de 
brosse  de  Mokkei.  Il  est  le  grand  maître  du 
trait  droit  et  anguleux.  C'est  le  plus  admirable 
des  constructeurs  ;  bien  que  son  trait  domine 
toujours  sa  masse  et  sa  couleur,  sa  notation 
totale  des  choses  est  la  plus  surprenante  —  avec 
celle  de  Kakei,  —  et  il  n'est  pas  d'être  ou  de 
chose  dont  il  n'ait  su  dégager  tous  les  caractères, 
l'esprit  ou  l'âme. 

Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  de  tenter  l'énumération 
des  chefs-d'œuvre  existant  encore  de  Sesshu. 
Bornons-nous  à  parler  de  ceux  dont  on  trouvera 
dans  ce  livre  les  illustrations  :  les  grands  Shaka, 
Monju  et  Fugen  de  la  collection  Kawasaki  de 
Kobé,  —  la  suite  des  Rakans  duDaitokuji,  —  les 
Rakans  de  la  collection  Ch.  Freer.  Dans  les  trois 
divinités  se  combinent  les  qualités  de  Riryomin 
et  de  Mokkei.  —  Le  Rakan  de  la  collection  Freer 
a  plus  de  douceur  de  trait  que  d'autres  figures.  — 

(208) 


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L'ART  IDÉALISTE  DES  ASHIKAGA  AU  JAPON 

Son  portrait  de  Daruma,  jadis  possédé  par  le 
comte  Saisho,  gouverneur  de  Nara,  est  dune  force 
singulière  ;  les  cheveux  et  la  barbe  sont  traités 
d'un  coup  de  pinceau  énergique  comme  un  coup  de 
burin.  —  Sa  plus  belle  figure  est  peut-être  un  Juro- 
jin  en  couleur,  qui  dut  être  exécuté  pour  l'empe- 
reur chinois  Ming.  Ce  chef-d'œuvre,  signé  Sesshu, 
aujourd'hui  dans  les  collections  du  Marquis 
Hachisuba,  avait  été  rapporté  du  Palais  royal  de 
Séoul  par  Kata  Kiyomasa,  après  l'occupation 
japonaise  de  1595.  Il  avait  dû  être  un  présent 
de  l'Empereur  de  Chine.  C'est  le  portrait  d'un 
très  vieil  homme,  aux  longs  sourcils  et  à  la  barbe 
grise,  très  courbé,  marchant  au  milieu  d'un  fourré 
de  pins  feuillus  et  de  bambous.  Il  est  coiffé  d'un 
grand  chapeau  en  crins  de  cheval,  et  porte  à  la 
main  un  bâton  noueux.  C'est  la  figure  symbo- 
lique de  la  Longévité,  dans  sa  signification  la 
plus  abstraite  et  la  plus  poétique.  —  Dans  la 
peinture  des  oiseaux  et  des  fleurs,  Sesshu  atteint 
aussi  le  plus  haut  point  de  suggestion  et  de 
condensation,  comme  dans  le  merle  en  équilibre 
sur  une  ramille  du  musée  de  Boston,  et  de  com- 
plication comme  dans  la  grande  cigogne  empêtrée 
dans  le  prunier  sauvage  et  les  roseaux  qui  fut 
copiée  par  Jasunobu  au  xvne  siècle  d'après  un 
paravent  de  Choshu.  —  Le  grand  paravent  de 
Boston,  des  anciennes  collections  des  princes 
Togugawa  de  Kishu,  est  un  morceau  franchement 
à  la  Mokkei.  —  Dans  le  paysage,  ce  que 
nous  connaissons  de  plus  beau  de  Sesshu 
est  dans  les  paravents,  ou  dans  les  makimonos  de 
sujets  chinois.  Le  plus  remarquable  de  ces  derniers 

(209J 

14 


L'ART   EN   CHINE   ET   AU   JAPON 

comme  variété  et  composition  se  trouve  dans  les 
collections  du  prince  Mori  de  Choshu.  Quelques 
scènes  rustiques  en  brusques  traits,  simples  et 
rudes,  rappellent  les  fusains  de  Millet.  Et  quand  il 
peint  les  montagnes,  il  y  apporte  une  exécution 
violente  comme  dans  le  grand  paravent  de  la  col- 
lection Weggener  aujourd'hui  chez  M.  Ch.  Freer, 
ou  dans  les  quatre  grands  paysages  montagneux 
de  la  collection  du  Marquis  Kuroda. 

Autour  de  Sesshu  se  sont  groupés  de  nombreux 
élèves,  surtout  prêtres  Zen  ;  le  plus  grand  d'entre 
eux  est  Sesson.  Les  beaux  paravents  de  singes 
dans  les  bambous  du  musée  de  Boston  sont 
d'une  touche  à  la  Mokkei.  —  D'autres  paravents 
des  collections  de  M.  Freer  montrent  une  fine 
observation  à  la  Whistler,  dans  les  blancs  etnoirsde 
singes  cueillant  les  raisins  d'une  vigne  sauvage  ; 
mais  rien  n'égale  le  splendide  paysage  de  neige 
de  la  collection  Ch.  Freer,  tout  à  fait  digne  de 
Sesshu,  et  peintcomme  il  le  faisait  dans  sa  manière 
rude  «  Shin  ». 

Shiugetsu  fut  aussi  un  grand  élève  de  Sesshu  — 
comme  aussi  Shukô,  Vnkei,  Yugetsu  et  Soân. 
Parmi  ses  plus  fameux  contemporains  furent 
Soâmi  et  Keishoki,  sortis  de  l'École  de  Geiami  au 
Ginkakuji,  comme  Tobun  et  Sôtan  furent  élèves 
de  Shiubun  au  Shokokuji. 

Soâmi  est  plus  tendre  et  féminin  que  ses 
ancêtres,  réduisant  en  formules  les  effets  les 
plus  doux  de  Mokkei.  Keishoki,  qui  souvent 
travailla  pour  Kakamura,  se  rapprocha  plutôt  du 
style  rude  de  Sesshu.  Tobun  excelle  dans  les 
effets  d'encres  brunes  lumineuses. 

(210) 


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L'ART  IDÉALISTE  DES  ASHIKAGA  AU  JAPON 

Sôtan  est  peut-être  le  plus  vigoureux  talent 
après  Sesshu  et  Sesson  qui  se  rapproche 
du  genre  des  Song.  Les  grands  paravents  avec 
les  vues  du  lac  Shosei  en  Chine,  dune  touche 
rude  si  vigoureuse  sont  au  musée  de  Boston, 
et  la  collection  Freer  possède  de  superbes  fleurs 
et  oiseaux,  rappelant  Joki,  Kose  et  Chosho. 

Yoshimasa  était  mort  en  1490,  Sesson  en  1494, 
Sesshu  seulement  en  1507.  Après  i$oo  toute  la 
force  picturale  des  artistes  de  Kioto  dans  le  style 
d'Hangchow  est  passée  dans  une  famille,  celle 
des  Kano. 


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CHAPITRE  XII 

L'ART  IDÉALISTE  DE  L'ÉCOLE  PRIMITIVE 
DES  KANO  AU  JAPON 

LES    SHOGUNS    TOKUGAWA.    ]     MASANOBU   ET  MOTONOBU.    H    KANO   SHOYEI 
SOUSNOBUNAGA.  ||  LE  GRAND  DÉCORATEUR  KANO  YEITOKU  SOUS  HIDEYOSHI. 

Il     SANRAKU. 

Il  fallait  que  les  germes  de  la  culture  Zen 
d'Hangchow  fussent  bien  vivaces  pour  pro- 
duire à  Kioto  des  floraisons  aussi  brillantes 
après  la  chute  du  pouvoir  des  Ashikaga  (qui 
après  Yoshimasa  n'était  plus  que  nominal)  sous 
Nobunaga  en   1573. 

En  1 542  surviennent  deux  faits  importants,  l'ap- 
parition d'une  nouvelle  famille  de  Shoguns  avec 
Tokugawa  Yeyasu,  et  le  premier  contact  du  Japon 
avec  l'Europe  quand  les  Portugais  débarquèrent 
dans  l'île  de  Kiushu.  De  ce  jour  commencèrent 
les  intrigues  catholiques  avec  l'expansion  des 
Jésuites  en  Asie.  Ce  fut  alors  que  le  daïmio  de 
Bungo  envoya  un  ambassadeur  en  Portugal,  tout 
comme  aurait  fait  un  souverain,  comme  d'ailleurs 
avait  agi  Ashikaga  Yoshimitsu.  En  1549  débarque 
comme  missionnaire  saint  François  Xavier.  En 
157},  une  grande  cathédrale  s'élève  à  Kioto.  De 
nombreux  daïmios  se  tourneraient  alors  volon- 
tiers vers  le  catholicisme  de  l'Europe,  comme 
Yoshimitsu  vers  la  secte  Zen  de  Chine.  C'est  la 
pure  anarchie. 

(21?) 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

C'est  à  cette  date  de  i  $  $o  que  se  fait  sentir  la 
rude  main  d'un  chef,  Ota  Nobunaga,  petit  daïmio 
d'Owari.  En  1 5  59  il  entre  dans  Kioto.  Il  se  mit 
en  bons  termes  avec  les  missionnaires,  mais  en 
1^82  il  était  assassiné,  et  le  pouvoir  passait  aux 
mains  d'un  de  ses  généraux,  Hideyoshi,  de  très 
basse  extraction.  Qu'allait  être  l'attitude  de  ce 
dernier  vis-à-vis  des  chrétiens  ?  Il  décida  de  les 
expulser.  Ce  fut  le  salut  du  Japon  que  cette 
barrière  opposée  par  les  Tokugawa  à  l'influence 
de  l'Ouest. 

Hideyoshi  s'installa  lui-même  en  souverain 
à  Osaka,  et  dans  son  palais  doré  de  Fushimi.  Il 
se  pensait  l'égal  des  anciens  empereurs  Tang  de 
Chine.  Il  envahit  la  Corée  en  1592,  y  défait  les 
armées  des  Ming,  et  cinq  ans  plus  tard  songea 
même  à  faire  marcher  ses  armées  sur  Pékin.  Mais 
la  mort  vint  le  surprendre. 

Ce  xvie  siècle  si  plein  d'événements  peut,  au 
point  de  vue  de  l'art,  se  diviser  en  trois  grandes 
périodes  :  i°  de  la  décadence  des  Ashikaga  (1490J 
à  la  suprématie  de  Nobunaga  vers  1560;  c'est 
l'époque  où  les  Kanos  Masanobu  et  Molonobu 
sont  les  grands  peintres  de  la  cour  des  Shoguns; 
20  de  i$6o,  date  de  l'arrivée  de  Nobunaga,  à  sa 
mort  en  1 582,  période  de  l'activité  de  Kano  Shoyei; 
30  la  souveraineté  d'Hideyoshi,  1  $82,  jusqu'à  la 
chute  d'Hideyori  en  1600,  dates  de  la  grande 
renommée  de  Yeitoku,  comme  décorateur  des 
Palais  d'Hideyoshi. 

Cette  situation  de  peintre  de  la  cour  n'était 
pas  nouvelle  pour  les  peintres  des  Kano.  Noâmi, 
Geiami  et  Soâmi  avaient  été  à  ce  titre  attachés  à 

(214) 


Rakans  ou  Arhats. 

Par  Cho-Densu  (Meicho  ou  Mincho). 
1351 — 1427.  Temple  Tofukuji  à 
Kyoto. 


Planche  XCV. 


Deux  Feuilles  de  Paravent. 

Par  Jasoku  (Soga).     2e  moitié  du  XVe  siècle. 


Planche  XCVI. 


L'ART  IDÉALISTE  DES  KANO  AU  JAPON 

la  personne  des  premiers  Ashikaga.  Le  peintre 
de  cour  d'un  Shogun  était  surtout  un  maître  du 
goût.  Mais  après  Yoshimasa,  Kano  Masanobu, 
élève  de  Sotan  au  Shokokuji,  qui  avait  travaillé 
aux  décorations  du  Ginkakuji,  s'était  rendu  indis- 
pensable au  dilettantisme  des  Ashikaga.  La  grande 
influence  de  la  culture  chinoise  s'était  éteinte  : 
Masanobu  et  ses  fils  amassaient  en  eux-mêmes 
tout  le  savoir  et  toute  la  puissance  créatrice  qui 
pouvaient  préserver  de  tout  oubli  la  culture 
d'Hangchow,  parce  qu'ils  l'avaient  reçue  comme 
un  flambeau  qui  des  mains  de  Kakei  aux  mains 
de  Sesshu  était  repassé  aux  leurs. 

Kano  Masanobu  avait  été  présenté,  patronné 
par  Sesshu,  à  Yoshimasa;  ses  vrais  frères  spiri- 
tuels étaient  donc  les  deux  Shubuns,  Sotan, 
Soâmi  et  Sesshu.  Son  style,  aussi  élevé  que  celui 
de  Sotan,  rappelle  surtout,  par  le  souci  de  la 
construction  et  la  carrure  de  la  touche,  l'art  de 
Bayen.  Il  n'use  que  de  teintes  légères,  comme 
Geiami  et  Keishoki.  Il  a  une  grande  force  de  con- 
ception égale  peut-être  à  celle  de  Sesshu.  Il  est 
très  équilibré,  très  calme,  très  clair,  dans  ses 
inspirations  moyennes.  Il  est  également  remar- 
quable dans  les  figures,  les  fleurs  et  oiseaux,  et 
le  paysage.  Aucun  de  ses  travaux  de  décoration 
murale  n'est  resté.  Seulement  quelques  paravents. 
Son  Fukurokujin  et  ses  serviteurs  au  musée  de 
Boston,  œuvre  de  sa  vieillesse,  dérivent  de 
Mokkei,  à  travers  Sesshu  et  Keishoki.  Sa  grande 
peinture  en  couleurs  du  musée  de  Boston,  si  célè- 
bre sous  les  Tokugava  est  peut-être  une  copie  de 
Bayen.  Le  Monju  est  une  gracieuse  et  belle  figure. 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

Mais  dune  supérieure  noblesse  est  le  portrait 
de  Confucius  à  l'université  Ashikaga,  dont  le 
caractère  dérive  d'une  importante  statue  des  Song, 
et  dont  Kano  Tanyu  a  laissé  une  soigneuse  copie, 
aujourd'hui  au  musée  de  Boston.  Son  oiseau  sur 
unebranchette  de  bambou,  à  l'encre,  dans  la  vieille 
collection  du  marquis  Hachisuka,  est  d'une  rare 
noblesse.  Le  fameux  paravent  de  Shinjuin  au  Dai- 
tokuji  montre  une  grande  cigogne  s'abattant  au 
milieu  d'un  paysage  rocheux.  Il  fit  certainement 
aussi  des  fleurs  en  couleurs,  comme  Sotan.  — 
Dans  le  paysage  il  s'approcha  de  Bayen  ;  au  musée 
de  Boston,  le  splendide  petit  paysage  peint  sur 
soie,  du  général  chinois  Oshobanni  faisant 
paître  ses  moutons,  est  sans  doute  une  copie 
d'après  Bayen  ou  d'après  un  de  ses  contemporains. 
—  Peut-être  son  plus  important  paysage  est-il 
le  paravent  avec  la  terrasse  chinoise  surmontée 
d'un  énorme  pin  tordu  en  zigzag,  qui  appartint 
jadis,  sous  les  Tokugawa,  au  prince  Kinoshita, 
et  fut  alors  copié  par  Kano  Yasunobu.  Les  lois  de 
la  perspective  y  sont   étonnamment  comprises. 

Masanobu,  mort  en  1490,  avait  eu  deux  fils  : 
Motonobu,  nommé  aussi  Yeisen,  et  Utanosuke,  dit 
aussi  Yukinobu.  Motonobu,  né  vers  1480,  fut  un 
homme  surprenant,  l'unique  critique,  l'unique 
créateur  de  son  temps.  Tout  ce  que  Kaifong  et 
Hangchow  avaient  rêvé,  tout  ce  que  Kinkakuji 
et  Ginkakugi  avaient  réalisé,  tout  cela  s'était 
combiné  comme  une  somme  dans  ce  prodigieux 
cerveau.  Ses  styles  sont  comme  la  consécration 
et  l'aboutissement  de  tous  les  autres.  Dans  la 
carrure  de  sa  touche  ($hin)  c'est  Bayen,  à  travers 

(216) 


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JURO-JIN    OU    L'ESPRIT    DE    LA    LONGÉVITÉ. 

Par  Sesshu  (1420 — 1506) 

Collection  du  Marquis  Hacjisuka  (Japon). 


Planche  XCVII. 


Paysage. 

Par  Sesshu  (1420— 1506). 


Planche  XCVIII. 


L'ART  IDÉALISTE  DES  KANO  AU  JAPON 

Sesshu,  Sotan,  et  son  père  JMasanobu;  et  dans  la 
souplesse  de  sa  touche  (Sô)  c'est  Mokkei 
à  travers  Noâmi  et  Soâmi.  Dans  ses  merveilleux 
«  fleurs  et  oiseaux  »  il  rappelle  Joki  à  travers 
Sotan.  Dans  son  style  griffu  il  reflète  Riokkai, 
Giokkwan,  et  Sesshu.  Dans  ses  figures,  à  la 
suite  de  Bayen  et  de  Kiso,  c'est  lui  qui  nous  a 
donné  les  plus  justes  visions  de  la  vie  des  Song. 
Dans  ses  figures  bouddhiques  il  approche 
Riryomin  et  Godoshi,  et  surtout  Chodensu.  Mais 
au  milieu  de  tant  d'influences  qui  auraient  pu  en 
étouffer  d'autres  que  lui,  il  choisit,  il  fortifie,  il 
assure.  Son  style  est  aussi  ferme,  personnel 
et  souple  que  celui  de  Sesshu.  Il  a  un  peu  plus 
de  manières,  mais  elles  sont  d'un  tel  ordre  que 
nous  en  sentons  malaisément  les  limites.  Comme 
«exécution»,  c'est  la  perfection  même;  comme 
composition,  c'est  la  plénitude.  On  peut  dire  qu'il 
s'était  créé  à  lui-même  un  nouveau  royaume 
d'Hangchow,  où  il  avait  voulu  régner  en  maître. 
Il  était  comme  la  conscience  du  passé  de  deux 
grands  peuples  ;  l'immense  quantité  de  copies 
d'après  des  originaux  chinois  qu'il  avait  exécu- 
tées avec  ses  élèves  fut  malheureusement  détruite 
durant  le  xvne  siècle. 

Mais  tout  plein  des  sujets  chinois  et  de  la 
technique  chinoise,  il  ne  cessait  de  retremper  son 
art  aux  sources  mêmes  de  la  nature  japonaise. 
Pourquoi  faut-il  que  tous  ces  cahiers  d'impres- 
sions prises  avant  Tanyu  aient  été  détruits  ? 

Un  exemple  caractéristique  des  figures  de  Moto- 
nobu  monochromes  est  la  peinture  des  trois  per- 
sonnages Song  du  musée  de  Boston.  Quelle  per- 

(217) 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

fection  de  touche  où  rien  n'est  laissé  au  hasard  ! 
Son  interprétation  des  trois  fondateurs  de  la 
collection  Dwight  Davis,  de  Saint-Louis  (États- 
Unis),  n'est  pas  inférieure  dans  l'admirable  dessin 
des  visages.  Beaucoup  de  paravents  à  figures 
furent  copiés  par  Yasunobu,  groupes  de  Chinois 
philosophes,  Sennins,  avec  de  beaux  fonds  de 
paysages.  Dans  ses  premiers  travaux  son  coup 
de  brosse  était  d'une  vigueur  un  peu  brutale  ;  il 
l'adoucit  par  la  suite  comme  dans  le  bel  éventail 
des  Sages  de  la  collection  Ch.  Freer. 

Les  fleurs  et  oiseaux  de  Motonobu,  dans  son 
style  carré  (Shin),  exécutés  sursoie,  sont  souvent 
d'une  éclatante  polychromie,  alors  que  les 
paravents  de  papier  sont  plutôt  seulement 
teintés.  Dans  son  style  plus  souple  (Sô)  à  la 
façon  deMokkei  il  ajoute  à  ses  fonds  de  paysage 
des  groupes  d'oiseaux,  des  feuillages  et  des 
fleurs  à  l'encre.  De  remarquables  exemplaires  de 
ce  genre  furent  exposés  à  Tokio  en  1882  en 
deux  paravents  à  six  feuilles,  dont  on  trouvera 
ici  une  reproduction  offrant  le  merveilleux  con- 
traste de  ses  hérons  blancs  sur  les  branches  et  de 
son  noir  corbeau  sur  le  roc.  La  couleur  en  est 
exaltée  par  la  neige  qui  n'est  pas  peinte  par 
empâtement,  mais  laissée  en  réserve  de  valeur 
sur  les  teintes  qui  l'entourent. 

De  très  significatifs  paysages  de  Motonobu  à 
l'encre,  du  style  «  Shin  »,  sont  les  douze  splen- 
dides  feuilles  de  paravents  du  prince  Mori,  où 
se  retrouve  un  peu  de  la  manière  de  Masanobu, 
tandis  que  la  façon  de  Mokkei  apparaît  bien 
plus    dans  le    beau  kakémono   de  la  collection 

(218) 


Feuille  de  Paravent  :  Cigogne  et  Prunier. 
Par  Sesshu  (14-îo — i5(>l>). 


Planche  XCIX. 


Paravent:  Paysage. 

Par  Shiubun.  1ère  moitié  du  XVe  siècle. 
Musée  de  Boston  (Etats-Unis). 


Paravent  :  Paysage. 

Par  Sesshu  (1420 — 1506).  Anct.  collection  Waggener, 
à  Washington.  Actuellt.  collection  Charles  Freer,  à 
Détroit  (États-Unis). 


Planche  C 


L'ART  IDEALISTE  DES  KANO  AU  JAPON 

Ch.  Freer,  où  comme  dans  ses  belles  vieilles 
œuvres  la  valeur  de  l'or  sur  le  papier  donne  aux 
encres  une  vague  atmosphère  violacée.  —  La 
grande  suite  de  paysages  possédés  par  le  Mioshinji 
de  Kioto,  qui  furent  autrefois  des  décorations 
murales  de  ses  salles  de  réception,  rappelle  le 
dessin  «  Shin  »  des  Ming,  et  même  les  impressions 
griffues  de  Riokkai.  On  en  trouve  un  autre  parfait 
exemplaire  en  un  grand  kakémono  sur  papier  de 
la  collection  Freer. 

Motonobu  fit  aussi  de  grandes  œuvres  de  déco- 
ration très  colorées,  en  s'appuyant  sur  le  sou- 
venir des  œuvres  de  couleurs  des  Song.  Telles 
sont  ses  grandes  compositions  de  Tartares  chas- 
sant dans  des  paysages  sauvages,  où  les  chênes 
raidissent  leurs  feuillages  pointus  qui  rappellent 
les  bourres  de  châtaignes  ;  les  colorations  vibrent 
du  violet  au  jaune  ;  les  costumes  et  les 
tentes  sont  en  rouge  et  vert.  Deux  panneaux  de  ce 
genre  sont  au  musée  de  Boston,  et  l'Ecole  tardive 
de  Yeitoku  sous  Hideyoshi  s'en  est  bien  inspirée. 

D'autres  fois  il  pousse  son  style  de  décoration 
murale  plus  loin,  par  de  plus  solides  empâte- 
ments, de  craie,  d'azur  poudré  et  d'or,  surtout 
dans  ses  sujets  bouddhiques  ;  l'on  en  retrou- 
vera plus  tard  l'influence  sur  les  panoramas  de 
Yeitoku,  et  dans  l'École  de  Tokugawa  de  Korin. 

Arrivé  à  un  certain  point  de  la  vie  de  Moto- 
nobu, on  ne  saurait  oublier  ce  qu'il  était  advenu 
des  destinées  de  lEcole  Tosa,  où  s'était  réfu- 
gié le  sentiment  intime  de  la  Cour  impériale, 
des  temples  bouddhistes  réfractaires  à  la  doctrine 

(219) 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

Zen,  et  des  daïmios  provinciaux.  Ainsi  en  avait- 
il  été  de  Yukihide  et  de  son  fils  Hirochika,  au 
xve siècle,  puis  de  Tosa  Mitsunobu  sous  Yoshimasa, 
seul  opposé  au  prestige  d'Hangchow  et  fidèle 
au  rêve  de  son  empereur.  Et  durant  le  xvie  siècle, 
il  n'y  eut  pas  de  rupture  dans  ce  développement 
d'un  Art  tout  national,  grâce  à  Mitsunori,  Mitsu- 
nari,  Mitsushigo,  Mitsumochi.  Le  pire  qu'on  en 
puisse  dire  c'est  qu'ils  n'avaient  plus  l'ombre 
d'individualité,  et  que  ce  n'était  plus  entre  leurs 
mains  qu'un  art  figé  et  tout  de  formules.  Mitsu- 
nobu avait  été  le  dernier  Tosa  ayant  conservé 
intactes  la  vitalité  et  la  force  de  l'époque  de  Kama- 
kura.  Quand,  en  1 500,  Masanobu  était  le  maître 
des  arts  à  la  cour  des  Shoguns,  le  vieux  Mitsu- 
nobu exerçait  à  peu  près  la  même  fonction  à  la 
cour  bien  diminuée  du  Mikado.  Ils  se  connais- 
saient et  entretenaient  des  relations  courtoises. 
Le  vieux  Kano  voyait  grandir  son  fils  Motonobu, 
et  le  vieux  Tosa  avait  une  fille,  artiste  accomplie 
marchant  sur  les  traces  artistiques  de  son  père. 
Quel  plus  beau  rêve  que  d'unir  Kano  Motonobu  à 
Tosa  Mitsuhisa,  et  de  mêler  ainsi  en  une  même  fa- 
mille les  traditions  de  deux  époques,  on  pourrait 
même  dire  de  deux  races  de  l'Asie  !  De  ce  jour 
les  Kano  purent  se  considérer  comme  ayant 
hérité  du  droit  légitime  de  peindre  des  scènes 
japonaises  dans  un  style  demi-Tosa. 

C'est  dans  les  laques  qu'on  peut  trouver  des 
œuvres  signées  de  Kano  Mitsuhisa.  Des  œuvres 
qui  supposent  l'intime  collaboration  avec  Moto- 
nobu il  semble  bien  que  se  dégage  l'indication 
d'un  échange  de  dons  entre  eux;  Motonobu  y  prit 

(220) 


Paysage  de  Style   Ride. 
Par  Sesshu  (1420 — 1506). 


Arbres  Dans  la  Brlime. 

Détail  du  Makimono  Mori,  par  Sesshu  (1420 — 1506; 


Planche  CI 


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a 


L'ART  IDÉALISTE  DES  KANO  AU  JAPON 

un  style  plus  coloré  et  le  goût  des  scènes  de  la 
vie  japonaise  dans  les  costumes  nationaux, 
comme  dans  la  suite  de  kakémonos  conservés 
au  Seiroji  près  de  Kioto,  racontant  la  translation 
d  une  très  ancienne  statue  de  Bouddha  de  l'Inde 
et  de  la  Chine  au  Japon  :  le  fond  de  la  compo- 
sition est  un  très  beau  paysage  de  style  Tosa,  en 
vigoureux  tons  bleu,  vert  et  or,  qui  rappellent  peut- 
être  encore  mieux  certains  fonds  de  peintures 
d'autels  de  style  Kose.  —  Motonobu,  aidé  de  ses 
fils,  fit  aussi  des  sujets  de  bataille  tirés  de  l'époque 
Heike. 

Un  des  signes  frappants  d'une  évolution  de 
l'Art  japonais  au  temps  de  Motonobu  réside 
dans  le  goût  renouvelé  pour  les  laques,  qui 
jamais  n'était  mort,  mais  qui  tendit  alors  à  une 
décoration  plus  achevée,  surtout  de  paysages 
chinois  et  de  fleurs,  or  sur  or,  ou  or  sur  noir 
moucheté  d'or.  —  Ce  fut  aussi  vers  1 5 10  que  la 
première  fabrication  de  porcelaine  dans  la 
manière  des  Ming  apparut  au  Japon. 

Tout  cela  prouve  que  dans  l'Art  de  Motonobu, 
si  le  sentiment  chinois  d'Hangchow  s'épanouit 
sous  des  formes  achevées,  un  courant  se  mani- 
feste desprit  bien  japonais,  de  sentiment  bien 
national;  et  somme  toute  son  âme  est  surtout 
japonaise. 

Son  jeune  frère  Utanosuke,  qu'on  appela  aussi 
Yukinobu,  suivit  de  très  près  ses  traces,  non 
sans  avoir  une  certaine  personnalité.  Le  para- 
vent à  six  feuilles  de  M.  Ch.  Freer  est  une  belle 
œuvre,  avec  ses  groupes  de  Chinois  dans  un 
paysage     à  la    Motonobu,    mais    de   lignes    plus 

(221) 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

douces.  Son  harmonie  de  teintes  un  peu  sourdes 
sur  un  vieux  papier,  donne  ces  tons  couleur 
bois  qu'ont  parfois  les  paravents  des  premiers 
Kano.  Une  belle  figure  en  noir  du  poète  chinois 
chevauchant  un  buffle  est  au  musée  de  Boston. 
Dans  la  représentation  des  fleurs  et  des  oiseaux 
Utanosuke  fit  même  des  paravents  supérieurs  à 
ceux  de  son  frère  ;  il  y  en  a  quatre  au  musée 
de  Boston.  Son  dessin  et  ses  couleurs  de  plantes 
dans  ces  grands  paysages  sont  peut-être  les 
plus  beaux  de  l'art  japonais  chinoisant.  Comme 
oiseau,  rien  n'est  supérieur  au  grand  aigle  sur 
une  branche  de  pin,  jadis  au  marquis  Hachisuka, 
et  aujourd'hui  au  musée  de  Boston,  qui  est  peut-être 
la  plus  belle  interprétation  d'oiseau  du  monde. 
Tanyu  en  avait  fait  une  fameuse  copie.  Ce  fut  avec 
la  célèbre  Kwannon  de  Motonobu,  les  deux 
plus  grands  chefs-d'œuvre  de  la  première  expo- 
sition historique  des  peintures  de  l'Ecole  Kano 
organisée  à  Tokio  en  1885.  —  Utanosuke  fit  des 
décorations  murales  de  purs  paysages  dans 
divers  temples  au  Shinjuan  du  Daitokuji,  mais 
d'un  ordre  inférieur  à  Motonobu. 

Quand  Nobunaga  vint  à  Kioto,  il  trouva 
Motonobu  et  Utanosuke  en  pleine  production, 
entourés  d'élèves.  Mais  Motonobu,  orgueilleu- 
sement, ne  sembla  y  faire  aucune  attention,  et 
poursuivit  ses  travaux,  comme  s'il  ignorait.  Le 
rude  soldat  goûta  cette  marque  d'indépendance, 
et  quand  il  fit  construire  à  Kioto,  fortifié  en 
murs  de  granit,  le  grand  château  du  Nijo,  il 
demanda  aux  Kano  de  lui  en  fournir  le  plan 
et  la  décoration  murale.  Il  faisait  ainsi  de  Kioto 

(222) 


fc»  * 


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Portrait  de  Confucius. 
Par  Kano  Masanobu  (1453-1490).     Copie  de  Kano  Tanyu. 
Musée  de  Boston  (Etats-l'ni*). 


Planche  CIII 


Peinture. 

Par  Kano  Motonubu  (1476 — 1559). 


Planche  CI  Y. 


L'ART  IDÉALISTE  DES  KANO  AU  JAPON 

sa  résidence  de  1568  à  1582,  date  de  sa  mort. 
Motonobu  était  mort  en  1559,  à  un  âge  avancé. 
Son  second  fils,  Kano  Shoyei,  devint  le  chef  de 
la  grande  Académie  Kano  que  son  père  avait 
créée.  C'est  alors  que  Nobunaga  l'employa.  C'est 
ainsi  que  nous  pouvons  estimer  l'époque  de 
Nobunaga  (1 559-1 582),  comme  la  période  de  la 
troisième  génération,  celle  de  Kano  Shoyei  et  de 
ses  disciples.  Si  le  groupe  était  en  nombre, 
aucun  homme  de  génie  n'y  pouvait  prétendre 
jouer  le  rôle  d'un  Motonobu  ou  d'un  Utanosuke. 
Le  fils  aîné  de  Motonobu,  Soshin,  était  mort 
avant  lui.  Ses  autres  frères,  Yusetsu  et  Suyeyoti, 
étaient  inexistants.  Un  fils  adoptif,  Yosetsu,  et  un 
neveu,  Giokuraku,  étaient  un  peu  plus  dignes  de 
la  lignée.  Genya,  Doan,  Sadanobu  et  Kimura 
Nagamitsu  dépassaient  un  peu  le  niveau  de  l'École. 
Ce  dernier  était  peut-être  le  meilleur,  et  il  ne 
doit  pas  être  oublié  comme  père  du  célèbre 
Sanraku.  Le  musée  de  Boston  possède  d'excel- 
lentes œuvres  de  tous  ces  maîtres. 

Mais  le  vrai  chef  fut  Shoyei,  sinon  par  le 
génie,  du  moins  par  dévolution  des  traditions. 
Ce  fut  un  bon  travailleur,  sans  variété,  très 
traditionnel,  prisonnier  de  formules  connues. 

Dans  toutes  les  œuvres  de  ce  groupe  on  ne 
sent  même  plus  l'influence  des  grands  originaux 
chinois,  ni  même  de  Sesshu.  Le  long  triomphe 
de  Motonobu  avait  établi  une  sorte  de  tradition 
indiscutable,  accablante,  qui  pesa  sur  toute 
l'École,  et  le  pire  fut  que  cette  influence  fut 
celle  de  ses  dernières  œuvres,  de  ses  plus 
faibles. 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

Ainsi  pouvait  finir  un  puissant  mouvement 
artistique  qui  avait  commencé  deux  siècles  plus 
tôt  avec  Noâmi  et  Soga-Shubun.  Mais  l'école  Kano 
ne  sombra  pas  avec  les  Ashikaga,  et  soutenue 
par  les  ressources  foncières  de  son  génie  en  sa 
quatrième  génération,  elle  se  releva  et  s'adapta 
à  de  nouvelles  conditions  que  lui  créaient  les 
circonstances  entre  1582  et  1600.  On  ne  pensait 
plus  beaucoup  à  l'idéalisme  Zen,  ni  à  la  Chine, 
ni  à  la  nature.  Hideyoshi  seul  était  en  scène, 
tout  devait  s'incliner  devant  son  omnipotence. 
Son  rival  même,  Tokugawa  Iyeyasu,  la  reconnais- 
sait. La  conquête  de  la  Corée,  le  succès  des 
armes  japonaises,  ramenaient  en  toutes  choses 
le  Japon  au  sentiment  orgueilleux  de  sa  supé- 
riorité. Et  cependant  pourquoi  l'art  ne  revint-il 
pas  alors  davantage  aux  purs  sujets  japonais  ? 
Une  seule  explication  est  possible  :  la  vanité 
d'Hideyoshi  et  le  génie  de  Kano  Yeitoku.  Hide- 
yoshi ne  s'encombrait  pas  d'idéalisme  :  il  était 
aussi  éloigné  du  mysticisme  bouddhique  que  du 
mysticisme  chrétien.  Il  sentait  bien  aussi  que 
ses  généraux  méprisaient  au  fond  ses  origines 
plébéiennes  ;  aussi  amena-t-il  l'Empereur  à  le 
nommer  Kwambaku  ou  Régent,  titre  impérial 
que  n'avaient  jamais  eu  Daïmio  ni  Shogun,  et  qui 
était  à  jamais  réservé  à  un  descendant  des  Fuji- 
wara.  Il  édifia  le  magnifique  château  d'Osaka, 
qui  dépassa  par  ses  proportions  tous  les  autres. 
Il  voulut  que  sa  cour  éclipsât  en  splendeur 
même  la  Cour  impériale.  Il  construisit  aussi  le 
grand  palais  de  Fushimi,  sans  rival  au  Japon 
pour  le  luxe  de  ses  décorations  en  couleurs  et  or. 

(224) 


.  91 1 


Un  Aigle. 

Par  Kano  Utanosuke  ou  Yukinobu  (1513-1575) 
Musée  de  Boston  (Etats-Unis). 


Planche  CV. 


L'ART  IDÉALISTE  DES  KANO  AU  JAPON 

Les  costumes  des  personnages  de  la  cour  furent 
d'un  luxe  inouï,  les  robes  des  épaules  aux  talons 
retombant  en  plis  décorés  des  plus  merveilleux 
motifs.  Les  sculptures,  d'une  richesse  et  d'un 
fini  d'exécution  remarquables,  ne  se  bornaient 
plus  aux  bas-reliefs,  mais  avaient  des  ajourages 
du  plus  fin  travail. 

Quelles  étaient  les  sources  d'un  tel  art,  de  quel 
idéal,  de  quelle  maîtrise  était-il  sorti?  Un  homme, 
un  seul  homme  semble  avoir  dominé  toute  cette 
époque,  Kano  Yeitoku,  et  son  idée  fut  non  pas 
de  revenir  à  l'idéalisme  Song,  ni  à  l'esprit  du 
Japon  féodal,  mais  droit  à  la  splendeur  de  la 
Cour  impériale  des  premiers  Tang  de  la  Chine, 
de  Taiso  le  vainqueur  des  Tartares,  de  Genso 
le  maître  du  monde  de  l'Extrême-Orient.  La 
décoration  des  grandes  murailles  des  Palais  ou 
Châteaux  déploierait  aux  yeux  de  tous  les  pompes 
de  la  cour  des  Tang,  avec  la  foule  des  seigneurs 
et  des  dames  de  la  suite  des  empereurs,  vêtus 
des  plus  splendides  costumes,  avec  les  perspec- 
tives des  beaux  jardins  aux  plantes  rares,  peu- 
plés d'animaux,  ornés  de  pavillons  aux  archi- 
tectures de  céramique.  Le  Taiko  voulait  ainsi 
impressionner  ses  sujets  de  l'éclat  d'une  magni- 
ficence que  le  Japon  n'avait  pas  encore  connue. 

Et  l'homme  qui  fut  chargé  d'exécuter  ce  pro- 
gramme, sorte  de  Le  Brun  d'un  Louis  XIV  de 
l'Extrême-Orient,  fut  Kano  Yeitoku,  le  second  fils 
de  Shoyei.  Malgré  sa  jeunesse,  il  était  devenu  le 
chef  des  Kano  depuis  1582.  Il  fut  aidé  dans  cette 
tâche  par  ses  deux  frères,  Soshu  et  Kinhaku,  et 
un  vaste   atelier   d'élèves,   d'où  se  détachent  en 


(2M) 


15 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

importance  Sdnraku  et  Yuscho,  et  plus  tard  les 
jeunes  fils  de  Yeitoku,  Mitsunobu,  Takanobu  et 
Gcnshichiro. 

Tout  enfant,  Kano  Yeitoku  avait  senti  la  per- 
sonnelle influence  de  son  grand-père  Motonobu, 
et  sous  la  conduite  de  son  père  avait  produit 
des  œuvres  animées  du  vieil  esprit  et  du  fougueux 
coup  de  brosse  des  premiers  Kano  ;  ce  sont,  par 
exemple,  les  splendides  et  si  vigoureuses  déco- 
rations de  pins  et  de  pruniers  fleuris  exécutées  à 
l'encre  sur  les  portes  glissières  du  Daitokuji.  — 
Une  petite  peinture  en  couleur  d'un  ramier  sur  un 
camélia  au  musée  de  Boston,  digne  d'Utanosuke, 
est  de  cet  ordre,  ainsi  qu'un  paysage  à  l'encre, 
très  impressionniste,  où  éclate  toute  la  tradition 
de  Motonobu. 

Yeitoku  était  alors  mûr  pour  réaliser  les  volontés 
d'Hideyoshi  après  le  triomphe  de  1 582,  etpour  con- 
cevoir ces  grandes  décorations  de  nobles  figures 
chinoises,  fastueuses  sur  les  vastes  fonds  d'or,  qui 
furent  une  vraie  révolution  dans  le  style  des  Kano  et 
dans  l'art  japonais.  Aussi  haut  qu'on  puisse  remon- 
ter pour  les  origines  de  ce  style,  il  faut  revenir  aux 
groupes  en  couleurs  des  Tang  et  des  Song,  aux 
temps  de  Godoshi  et  de  Roshibu.  Les  scènes 
de  chasses  chinoises  dont  les  prototypes  doivent 
être  recherchés  chez  les  Assyriens  et  les  Han, 
dérivent  de  Rianchu,  des  Kins  et  des  Mongols. 
La  grande  nouveauté  était  de  reprendre  ces 
motifs  décorativement  en  couleurs,  et  de  les 
amener  à  l'échelle  des  murailles.  Déjà  Motonobu 
avait  tenté  l'aventure  dans  ses  calmes  décorations 
colorées  ;    mais  en  usant  rarement  de  la  feuille 

(226) 


CV<U 


Sx 


L'ART  IDÉALISTE  DES  KANO  AU  JAPON 

d'or  que  les  derniers  Tosa,  tel  Mitsunobu,  avaient 
cependant  déjà  employée.  Yeitoku  en  fit  un  des 
principaux  éléments  de  son  art,  l'étendant  sur 
ses  fonds  de  composition,  la  rappelant  dans  les 
détails  de  ses  costumes,  en  faisant  une  valeur 
utile  à  ses  jaunes,  à  ses  orangés,  à  ses  rouges, 
bruns,  verts,  pourpres,  massés  franchement  comme 
dans  une  vaste  mosaïque.  Ses  architectures  de 
bois  exécutées  dans  des  tons  bruns  et  or  étaient 
relevées  par  les  pourpres,  bleus,  verts  de  ses  toits 
aux  tuiles  vernissées.  Des  impressions  plus 
directes  des  scènes  de  Palais  des  derniers  Ming 
se  retrouvaient  sur  les  grands  paravents  de 
brillantes  couleurs,  et  ces  décors  panoramiques 
rappelaient  les  meilleures  œuvres  de  cette  espèce 
en  Chine.  Il  y  eut  aussi  une  forme  coréenne  de 
cette  décoration,  encore  plus  splendide,  où  la 
feuille  d'or  s'imposait  avec  le  laque. 

Dans  l'exécution,  une  des  originalités  de  Yei- 
toku fut  l'emploi  de  couleurs  foncées,  obtenues 
parglaçure  des  tons  transparents  sur  fond  coloré 
comme  dans  la  tempera  ou  la  peinture  à  l'huile 
de  l'Europe,  ou  par  tons  opaques  colorés  sur  fond 
clair.  Il  pouvait  ainsi  demander  à  ses  masses  colo- 
rées un  contraste  et  une  puissance  d'effet  compa- 
rables à  ce  que  ses  ancêtres  avaient  obtenu  avec 
les  encres.  Les  verts  s'approfondissaient  en  olives, 
ses  bleus  en  lapis-lazuli,  ses  oranges  et  ses 
rouges  en  carmins  de  cochenille.  Appliquant  ces 
effets  aux  feuillages  des  arbres,  il  dépassa  peut- 
être  en  force  les  réussites  d'Utanosuké.  Yei- 
toku a-t-il  pu  dans  ces  recherches  tirer  parti  des 
trouvailles  de  peinture  à  l'huile  de  l'Europe  ? 

(227) 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

L'École  de  Yeitoku  fut  sans  doute  la  plus  bril- 
lante école  d'art  laïque  de  toute  l'Asie.  L'emploi 
de  l'or,  et  son  ignorance  de  l'ombré,  la  rap- 
prochent de  la  peinture  des  primitifs  italiens.  Et 
quelle  est  sa  place  historique  dans  ce  grand 
courant  d'art  dont  elle  fut  un  moment  ?  Ses 
sujets  sont  chinois,  et  par  là  elle  reste  d'accord 
avec  l'art  des  Song  et  d'Ashikaga.  Comme  des- 
sin elle  est  le  développement  de  Shubun,  de 
Sotan  et  de  Motonobu.  Dans  l'ordre  de  la  déco- 
ration murale  elle  suit  les  prédécesseurs  de 
Sesshu.  Elle  prend  de  fortes  racines  dans  le 
passé  du  sentiment  chinois.  D'un  autre  côté  elle 
se  sépare  nettement  de  l'esprit  Zen.  Plus  trace 
d'amour  profond  de  la  Nature,  si  ce  n'est  res- 
senti décorativement  ;  la  noble  sobriété  mono- 
chrome a  fait  place  à  l'éclat  des  couleurs.  C'est 
une  école  de  transition  entre  les  Ashikaga  et  les 
Tokugawa.  Les  espérances  d'un  retour  au  senti- 
ment japonais  sont  déjà  en  elle  :  nous  verrons 
qu'elle  a  rendu  possibles  l'École  de  Korin  comme 
l'École  de  l'Oukiyoye.  Mais  elle-même,  en  ses 
grands  jours,  ne  montre  effectivement  rien 
de  ces  tendances.  Déjà  en  contact  avec  l'Europe, 
elle  reste  étroitement  asiatique.  Contemporaine 
de  la  fin  des  Ming,  époque  confuse  et  de  goûts 
très  contestables,  il  semble  bien  qu'elle  n'ait  rien 
emprunté  de  ce  mouvement. 

Les  plus  parfaits  exemples  de  l'art  de  Yeitoku 
sont  les  décorations  de  la  grande  salle  du  Nishi 
Honganji  de  Kioto,  temple  favori  de  Hideyoshi, 
où  il  avait  transporté  des  pavillons,  des  portes 
sculptées,     et     des     plafonds     dorés      de     son 

(228) 


LES    TROIS   SAGES    PAR    KANO    MOTONOBU. 

Musée  de  Boston. 


L'ART  IDÉALISTE  DES  KANO  AU  JAPON 

palais  Monoyama  de  Fushimi.  Son  fameux  sculp- 
teur de  bois  avait  été  Hidari  Jingoro,  et  la 
magnifique  porte  d'entrée  du  Nishi  Honganji, 
avec  ses  belles  figures  de  cavaliers,  montre  à 
quel  point  le  dessin  de  Jingoro  était  tributaire 
de  Yeitoku;  —  de  même  qu'il  est  évident  que  les 
beaux  tissus  de  soie,  et  les  laques  magnifiques 
de  ce  moment  empruntent  leurs  grandioses 
motifs  décoratifs  à  Yeitoku.  Le  plafond  porté  sur 
piliers  de  la  vaste  salle  du  Honganji  est  divisé 
en  caissons  bordés  de  noir  et  or,  et  peints  de 
fleurs  en  couleurs  par  Yeitoku,  et  il  décora  trois 
côtés  des  murs  de  panoramas  en  couleurs 
et  or. 

Mais  c'est  dans  ses  paravents  qu'on  peut  le 
mieux  juger  de  son  génie.  Le  musée  de  Boston 
possède  deux  paravents  à  six  feuilles  provenant 
de  Kanazawa,  la  capitale  du  riche  daïmio  de 
Kaga,  la  famille  Mayeda  les  ayant  reçus  en  don 
d'Hideyoshi  même.  C'est  la  réception  des  ambas- 
sadeurs étrangers  apportant  de  précieux  tributs  à 
la  Cour  de  l'empereur  Taiso  de  To.  Il  n'est  rien 
de  plus  somptueux  de  Yeitoku.  —  Dans  le  même 
musée,  un  paravent  à  deux  feuilles  montre  des 
personnages  traversant  en  barque  d'or  un  lac 
d'un  bleu  profond.  Le  dessin,  les  figures  et  les 
costumes  sont  dignes  de  Motonobu.  —  Un  para- 
vent à  deux  feuilles  de  M.  Freer  montre  un 
empereur  et  des  dames  de  la  cour.  Un  magni- 
fique paravent  à  six  feuilles  du  même  genre  est 
au  musée  du  Louvre. 

Dans  d'autres  œuvres,  Yeitoku  abandonne  les 
figures    chinoises    et   ne    cherche   plus  les    élé- 

("9) 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

ments  de  son  décor  que  dans  les  splendides 
feuilles  et  fleurs  exécutées  en  feuilles  d'or  et 
d'argent,  dont  l'épaisseur  accuse  parfois  un  cer- 
tain relief.  Une  très  belle  peinture  de  ce  genre 
sur  deux  panneaux  d'érable  est  au  musée  de 
Boston.  Plus  beau  est  le  grand  paravent  à  six 
feuilles  de  la  collection  Freer  où  les  feuilles  de 
vigne  pendent  d'une  treille  aux  vigoureux  tons 
verts,  olives,  et  pourpres  sur  argent. 

Le  vrai  successeur  de  Yeitoku  fut  Sanraku, 
fils  de  Kimura  Nagamitsu  que  Yeitoku  avait 
adopté.  Son  style  à  l'encre  est  aigu  et  fleuri, 
quoique  moins  violent  que  celui  de  son  père 
adoptif,  dont  il  est  presque  l'égal  dans  les  déco- 
rations murales  dorées  et  colorées.  Si  son  dessin 
est  moins  nerveux,  ses  figures  sont  plus  suaves 
et  plus  gracieuses,  sa  couleur  plus  belle.  Le 
musée  de  Boston  a  de  lui  un  superbe  paravent 
de  musiciens  à  la  Cour  impériale. 

Yeitoku  eut  deux  frères  :  Soshu  et  Kiuhaku.  Du 
premier  M.  Freer  possède  deux  beaux  paravents 
qui  comportent  plus  de  vingt  sujets  de  la  Cour 
impériale  de  Chine  interrompus  par  des  nuages 
d'or.  Deux  autres  du  musée  de  Boston  montrent 
de  nombreuses  dames  sur  une  terrasse.  Kiuhaku 
est  certainement  le  plus  grand  des  élèves  de 
Yeitoku,  et  le  plus  personnel.  Le  Daitokuji  et  le 
Mioshinji  ont  gardé  ses  œuvres.  Le  paravent 
aux  pivoines  sur  or  montre  un  des  plus  typiques 
motifs  ;  comme  les  pampres  de  Yeitoku,  ce  fut 
un  des  motifs  les  plus  imités  de  Koyetsu. 

Yeitoku  eut  aussi  des  fils  peintres  :  Mitsunobu, 
Takanobu  et  Genshichiro.  Le  premier  devint  chef 

(230) 


PARAVENT    AUX    IRIS    PAR     KORIN. 
DEUXIÈME  MOITIÉ  DU   XVIIe  SIÈCLE. 


L'ART  IDÉALISTE  DES  KANO  AU  JAPON 

de  la  famille  après  la  mort  de  Yeitoku,  survenue 
avant  celle  de  son  maître  Iyeyasu,  et  qui  marque 
la  fin  de  l'art  des  Ashikaga,  bien  que  par  la  date 
il  appartînt  déjà  aux  Tokugawa. 


© 


© 


CHAPITRE  XIII 

L'ART  ARISTOCRATIQUE   MODERNE 
AU  JAPON 

LES  DERNIERS  KANO  ET  L'ÉCOLE  DE  KORIN 

KANO   TANYU.   Il    RENAISSANCE  DE  L'ÉCOLE  TOSA  AVEC  MITSUOK.I.    Il    L'ART 
INDÉPENDANT  DE   IlONNAMI  KOYETSU.    Il   SOTATSU    ET  KORIN.   Il   KENZAN. 

La  dynastie  des  Shoguns  Tokugawa  (1600- 
1868)  forme  la  dernière  grande  période  de 
la  civilisation  et  de  l'Art  Japonais,  trait  d'u- 
nion entre  un  merveilleux  passé  (tantôt  chinoisant, 
tantôt  national)  et  le  Japon  nouveau  de  nos  jours. 
On  l'a  beaucoup  exaltée  ;  en  fait,  je  n'y  vois 
qu'un  vrai  génie,  Koyetsu.  C'est  une  période 
d'essais  en  tous  sens,  un  peu  décousue,  dispersée 
en  ses  efforts,  d'un  art  qui  a  peu  cherché  à  se 
concentrer.  Ce  qui  semble  la  mieux  caractériser 
c'est  l'accession  du  peuple  à  un  degré  plus 
élevé  de  civilisation  que  cet  art  refléta,  et  où  il 
put  retrouver  son  image  fidèle.  On  a  dit  que  la 
valeur  du  Japon  moderne  avait  résidé  dans  sa 
classe  de  Samuraïs.  Ce  sont  ces  deux  grands 
courants  aristocratique  et  plébéien  qui  ont  donné 
toute  sa  valeur  à  l'art  des  Tokugawa. 

Iyeyasu  avait  fortifié  sa  dynastie  en  divisant 
les  terres  entre  ses  plus  loyaux  serviteurs  et  en 
les  obligeant  à  résider  six  mois  de  l'année  à 
Yedo,    sa    capitale.   Cette  résidence    forcée,  les 

fa?) 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

deux  cent  cinquante  années  de  paix  que  ne  purent 
troubler  ces  guerriers  soumis,  les  échanges  entre 
la  vie  des  châteaux  et  celle  de  la  capitale  où 
s'élevait  sur  ses  collines  le  grand  château  métro- 
politain, —  ce  sont  là  vraiment  les  traits  spéciaux 
de  la  civilisation  des  Tokugawa,  qui  put  ainsi  se 
développer  comme  son  art,  sur  son  propre 
fonds,  en  n'empruntant  rien  au  dehors,  dans  un 
magnifique  isolement. 

Nous  avons  vu  que  l'École  de  Yeitoku  avait  con- 
tinué l'art  du  maître;  mais  déjà,  avec  le  shogun 
Iyemitsu,  l'art  semble  retourner  à  la  tranquillité 
de  l'encre  monochrome,  et  au  goût  du  paysage, 
plutôt  chinois  (de  1620  à  1640).  Sansetsu,  le  fils 
de  Sanraku,  avait  commencé  à  peindre  à  l'encre 
des  paravents  à  figures.  Mitsunobu,  devenu  le 
chef  des  Kano,  y  montrait  une  rare  maladresse; 
son  fils  Sadanobu,  mort  trop  jeune,  était  plus 
adroit  ;  et  surtout  son  élève  Koi,  si  prestigieux 
dans  les  lavis  d'encre,  relevés  du  nerveux  accent 
de  ses  traits,  vrai  continuateur  de  Sesshu.  Ce  fut 
à  Koi  que  Takanobu,  le  second  fils  de  Yeitoku, 
confia  ses  enfants  Tanyu  et  Naonobu,  pour  les 
éduquer. 

Kano  Tanyu,  le  grand  artiste  de  la  sixième  géné- 
ration des  Kano,  après  1630,  avait  dépassé  son 
maître  par  la  suprême  habileté  de  la  tache,  moins 
lourde  que  chez  Koi  ;  il  n'eut  pas  d'égal  dans  son 
art  à  rendre  les  nuages  par  une  goutte  d'eau  sur 
la  soie.  Il  fut  vraiment  l'homme  de  génie  de  cette 
troisième  génération  de  l'École  Kano,  aussi  fécond 
que  Sesshu  ou  Motonobu,  d'un  impressionnisme 
délicat  qui  rappelle  l'époque  d'Ashikaga.  Il  a  de 

(2H) 


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Ferme  et  Paysans. 

Par  Kano  Koi  (+   1636). 


Planche  CIX. 


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L'ART  ARISTOCRATIQUE  MODERNE 

plus  le  mérite  de  revenir  à  la  Chine.  Curieux, 
il  étudia  tous  ces  trésors  de  peintures  chinoises 
des  vieilles  collections  du  Japon,  et  le  grand 
incendie  de  Kioto  en  ayant  beaucoup  détruit,  il 
prit  à  cœur,  avec  son  frère,  d'exécuter  des  copies 
des  vieux  chefs-d'œuvre.  Il  établit  le  centre  de 
l'École  Kano,  si  anciennement  fidèle  à  Kioto,  à  la 
cour  même  de  Yedo,  exerçant  ainsi  un  puissant 
rayonnement  sur  les  petites  cours  des  daïmios 
provinciaux,  dociles  aux  ordres  des  Shoguns  pour 
faire  connaître  les  vieilles  peintures  de  leurs  col- 
lections et  pour  les  laisser  copier.  C'est  ainsi  que 
s'est  formée  l'immense  série  de  copies,  dues 
surtout  à  Yasunobu,  qui  existe  encore  au  Japon. 
Ce  fut  en  même  temps  le  nouveau  lien  par  lequel 
le  Japon  se  rattachait  à  la  vieille  Chine. 

Naonobu,  le  frère  de  Tanyu,  lui  fut  très  infé- 
rieur ;  ses  décorations  murales  du  Chionin  de 
Kioto  sont  estimées.  Ce  fut  en  sa  faveur  que 
Tanyu  renonça  à  la  succession  de  son  père  Taka- 
nobu,  résolu  à  fonder  une  nouvelle  famille.  Le 
fils  de  Naonobu,  Tsunenobu,  était  un  artiste  d'un 
talent  infini,  si  pénétré  des  formules  et  de  l'exé- 
cution de  son  oncle  Tanyu,  qu'il  est  fréquemment 
difficile  de  les  distinguer.  Ce  fut  lui  qui  maintint 
sa  tradition  fermement  jusqu'au  xvme  siècle. 

Si  Yasunobu  (Yeishin)  était  devenu  le  chef 
nominal  de  l'École  Kano,  Tanyu,  jusqu'à  sa  mort 
en  1675,  en  fut  le  chef  réel.  Il  laissait  après  lui 
d'excellents  disciples,  Tou>un,  Mori  Kage,  Yoshi- 
nobu,  et  un  élève  de  Yasunobu,  Itcho.  Ce  sont  les 
plus  célèbres  justement,  car  le  nombre  des 
artistes  de  son  école  inscrits  sur  les  registres  de 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

1700  est  de  plus  de  deux  cents,  et  son  impérieuse 
influence  s'exerça  ainsi  sur  plusieurs  générations 
d'artistes  des  Tokugawa. 

Tanyu,  comme  Motonobu,  n'avait  pasété  l'artiste 
d'une  seule  manière.  En  dehors  de  son  style  à 
l'encre  monochrome  habituel,  il  décora  somptueu- 
sement des  murs  de  palais  en  couleurs  et  or, 
avec  plus  de  légèreté  que  Yeitoku,  et  sa  tradition 
se  retrouve  encore  dans  les  tombeaux  de  Shoguns 
à  Nikko  et  à  Shiba.  Il  fut  aussi  un  artiste  de 
Tosa,  mais  restant  bien  lui-même  dans  ses 
makimonos,  épris  de  sujets  essentiellement  japo- 
nais, figures  et  paysages.  L'influence  de  son 
dessin  des  kakémonos  de  paysages  se  retrouve 
dans  les  dessins  des  jardins,  tel  celui  du  comte 
Katsu  à  Kinegawa,  près  de  Tokio,  et  dans  l'ornemen- 
tation des  bois  ajourés,  des  laques  d'or  (Yama- 
moto  Shunsho),  des  petits  objets  de  fer  (Somin) 
et  de  bronze,  des  tissus  de  soie,  des  poteries 
(Ninsei)  et  des  porcelaines  (Kaga  et  Satsuma). 

Dans  ses  rapports  avec  la  nature  il  est  bien 
plus  près  des  artistes  Song,  que  des  artistes 
d'Ashikaga.  Ses  innombrables  études  de  poissons, 
oiseaux,  reptiles,  insectes,  fleurs,  pour  leur  pure 
beauté  et  leur  vérité,  surpassent  les  fameuses 
réussites  d'Hokusai.  Et  il  triompha  encore  dans 
ses  réductions  magistrales  des  vieux  chefs- 
d'œuvre  chinois  ou  japonais,  qui  plus  tard  furent 
gravées  et  imprimées  ;  et  tous  les  livres  de  son 
élève  Morikuni  n'en  sont  que  le  souvenir.  On 
voit  ainsi  que  son  domaine  s'étendit  à  tous  les 
arts  de  son  pays. 

Le    musée     de     Boston     possède     bien    une 


■1 


Le  "Jugement  D'Emma,"  Scène  de  L'enfer. 
Par  Kanawoka.     Copie  par 
Hirotaka  Sumivoshi. 

Planche  CXI. 


Paravent  a  2  Feuilles  :  Décor  de  Lierre. 
Par  Honnami  Koyetsu  (+  1637). 
Musée  de  Boston  (Etats-Unis). 


Planche  CXII. 


L'ART  ARISTOCRATIQUE  MODERNE 

vingtaine  de  ses  œuvres  (le  poète  appuyé  à  un 
grand  pin  devant  la  cascade, — le  Bouddha  assis  sur 
les  nuages,  —  le  paysage  neigeux).  La  collection 
Freer  au  moins  autant  (la  ramille  de  bambou 
avec  le  passereau,  exécuté  comme  par  Mokkei, 
—  le  paysage  si  caractéristique  de  la  maison  d'été 
avec  le  pin  et  la  cascade,  — leFujiyama  par  temps 
de  neige). 

Ce  fut  durant  la  période  Genroku  à  la  fin  du 
xvne  siècle  que,  pour  la  première  fois,  s'accusa  la 
scission  entre  l'aristocratie  et  le  peuple.  Au 
milieu  du  xvme  siècle  le  fossé  était  creusé  :  les 
samuraïs  étaient  privés  par  la  loi  des  plaisirs 
des  théâtres  populaires  et  des  maisons  de  thé. 

L'art  de  Tanvu  avait  subi  des  vicissitudes.  Ses 

J 

fils,  ceux  de  Tsunenobu,  ceux  de  Yasunobu, 
incapables  de  créer,  s'enlisèrent  dans  d'insipides 
redites.  Cette  déchéance  détermine  en  17^0  la 
fameuse  diatribe  de  Motoori  contre  l'art  contem- 
porain. Ce  qu'il  appelait  de  ses  vœux,  c'était  une 
inspiration  nouvelle  et  fraîche.  Le  jeune  Okio, 
fondateur  de  l'École  Shijo,  allait  y  répondre  vic- 
torieusement. 

L'art  de  Kano  (quatrième  période)  allait  jeter 
encore  un  dernier  éclat  mourant  dans  la 
deuxième  moitié  du  xvme  siècle  avec  Kano  Yeisen, 
petit-fils  de  Chikanobu,  sorte  de  renaissance  au 
Japon  dans  l'amour  de  l'art  chinois,  qui  coïncide 
comme  date  (1780)  avec  la  souveraineté  d'Okio 
à  Kioto,  et  de  Kiyonaga  à  Yedo.  Yeisen  fait  retour 
pour  l'inspiration  à  Motonobu,  Yosen  à  Sesshu  ; 
et  le  fils    de  Yosen,    Kano  Isen,   ainsi    que    son 

(237) 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

contemporain,  Kano  Tanshi  II  (1820- 1830)  faisant 
œuvre  critique,  réétudient,  reclassent  et  recopient 
les  vieilles  peintures  originales  chinoises  existant 
encore  au  Japon,  et  dont  un  si  grand  nombre 
ne  nous  sont  connus  que  par  leurs  copies  ;  et  (ce 
qu'avaient  réprouvé  Motonobu  et  Tanyu)  faisant 
de  Kakei,  de  Bayen,  de  Mokkei,  de  vivantes 
réalités  aux  yeux  des  étudiants  de  1840,  comme 
les  avait  compris  Sesshu. 

Parallèlement  à  cette  ultime  branche  de  l'École 
Kano,  il  y  eut  sous  les  Tokugawa  une  renais- 
sance de  la  peinture  bouddhique  en  couleurs  et 
or,  rappelant  la  vieille  Ecole  Kose  et  l'art 
de  Yeishin  Sozu.  Ses  œuvres  sont  demeurées 
au  Temple  du  troisième  Shogun  à  Nikko,  au 
Chionji  Yodo  de  Kioto,  et  au  Kofukuin  de  Nara. 

Un  mouvement  bien  plus  important  fut  la 
résurrection  de  l'École  de  Tosa  et  de  l'art  natio- 
nal, au  xvne  siècle,  avec  un  retour  violent  aux 
traditions  et  aux  sujets  japonais,  ce  qui  amena  en 
même  temps  la  revision  et  l'étude  des  vieilles 
peintures  de  Kose,  de  Kasuga  et  de  Tosa.  Le 
principal  représentant  de  ce  mouvement  fut  Tosa 
Mitsuoki.  —  Un  second  mouvement  partit  vers  1650 
d'un  peintre,  SumiyoshîJokei,  travaillant  encore  plus 
dans  le  style  des  Tosa  que  Mitsuoki.  Il  s'acharnait 
à  copier  les  makimonos  de  Keion,  de  Toba,  de 
Mitsunaga  et  de  Nobuzane,  et  ses  disciples  à  la 
cour  des  Shoguns  à  Yedo,  devinrent  les  peintres 
critiques  des  traditions  de  Tosa,  comme  les  Kano 
à  Kioto  l'avaient  été  des  traditions  chinoises. 

En  dehors   de    ces    grands   mouvements   d'art 

(238) 


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L'ART  ARISTOCRATIQUE  MODERNE 

traditionnel  sous  les  aristocratiques  Tokugawa, 
un  autre  se  produisit,  très  indépendant,  qui  les 
éclipsa  tous  de  sa  splendeur  et  de  son  originalité, 
c'est  celui  de  l'Ecole  du  maître  de  Korin,  Honnami 
Koyetsu,  artiste  très  longtemps  ignoré,  dont 
aucune  œuvre  ne  se  trouvait  dans  les  temples, 
ni  chez  les  daïmios,  qui  avait  été  très  estimé 
au  Japon  d'amateurs  de  la  classe  Kugé,  mais 
ensuite  oublié  au  xixe  siècle,  et  que  l'Occident, 
on  peut  bien  le  dire,  a  vraiment  découvert  pour 
le  révéler  de  nouveau  par  son  enthousiasme  au 
Japon,  comme  un  de  ses  génies  les  plus  extraor- 
dinaires. Avec  cette  École  de  Koyetsu-Korin,  nous 
assistons  bien,  après  la  débauche  d'idéalisme 
d'Ashikaga,  au  retour  naturel  à  des  sujets  natio- 
naux, japonais,  à  l'amour  des  vieilles  Ecoles  Tosa 
et  Fujiwara,  et  à  la  tendance  à  les  réadapter  à 
des  conditions  nouvelles.  Ils  cherchèrent  à 
grandir  l'art  des  makimonos,  à  l'échelle  des 
décorations  murales  de  Palais,  en  modifiant 
nécessairement  beaucoup  l'exécution.  Ce  furent 
les  «  impressionnistes  »  du  Japon,  habiles  à 
indiquer,  à  suggérer  plutôt  les  formes  des  choses 
par  les  taches  colorées  hardiment  posées  par 
masses.  Suprêmes  décorateurs  par  leur  science 
à  agencer  de  belles  compositions  où  les  arbres, 
les  nuages,  les  figures,  les  buissons  fleuris  sont 
indiqués  en  touches  splendides  d'écarlate,  de 
pourpre,  d'orange,  d'olive,  de  jaune  et  de  cen- 
taines de  tons  dérivés.  Et  ces  recherches  étaient 
toujours  les  résultats  de  minutieuses  observations 
et  études  des  choses  japonaises,  particulièrement 
des  végétaux  et  des  fleurs,  par  lesquelles  leur 

(2?9) 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

impressionnisme  repose  sur  le  plus  loyal  respect 
des  choses  de  la  Nature. 

De  la  vie  de  cet  Honnami  Koyetsu,  nous  ne 
connaissons  rien  par  les  documents  ;  ses  œuvres 
permettent  de  supposer  qu'il  était  un  laqueur. 
Son  art  est  sorti  évidemment  de  celui  de  Kano 
Yeitoku  à  sa  seconde  époque,  à  en  juger  par 
ses  qualités  de  décorateur,  par  son  sens  de  la 
couleur  riche  et  profonde,  par  ses  nuages  d'or 
et  ses  feuilles  d'argent.  Parmi  ses  nombreuses 
œuvres  dans  la  collection  Ch.  Freer,  le  paravent 
aux  lierres  est  parmi  les  plus  beaux  avec  ses 
verts  et  ses  olives,  les  feuilles  d'argent  de  ses 
ampélopsis  tombant  sur  un  sol  de  feuilles 
d'argent.  Rien  de  Tosa,  mais  l'harmonie  des  plus 
riches  paravents  de  fleurs  de  Yeitoku;  aucune 
recherche  du  dessin  par  le  serré  du  trait,  mais 
au  contraire  la  tache  décorative  librement  ap- 
posée.—  Il  inventa  aussi  ces  paravents  à  éventails 
exécutés  également  en  or,  argent  et  couleurs,  réu- 
nissantavec  une  étonnante  fantaisie  une  trentaine 
de  ces  éventails  sur  le  même  paravent,  les  uns 
de  style  de  Kano,  les  autres  de  style  Tosa, 
quelquefois  aussi  exécutés  à  l'encre  comme  par 
un  Kano.  Il  s'inspire  de  Yeitoku  dans  ses  feuilles 
d'érable  en  relief  doré,  dans  ses  nuages  de  rouge 
épais  (les  érables  de  Yeitoku  au  musée  de  Bos- 
ton) ;  et  parfois  aussi  de  Tosa  dans  un  éventail 
de  grands  iris  pourprés.  Dans  deux  paravents  de 
la  collection  Freer,  il  mêle  le  style  Kano  à  une 
étude  serrée  de  la  nature  et  à  la  technique  d'un 
maître  laqueur,  avec  cette  symphonie  d'or  de 
délicates  graminées,  de  robustes  chrysanthèmes 

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Deux  Oies  Sauvages  au  Vol. 

Par  Sotatsu.     2'  moitié  du  XVII"  siècle. 


Planche  CXVI. 


L'ART  ARISTOCRATIQUE  MODERNE 

tous  en  relief  d'or  peint  sur  un  fond  de  feuilles 
d'or  assourdi.  Au  milieu  de  ses  fleurs  sont  répan- 
dues de  petites  bandes,  dites  «  Shiki-Shi  »  pour 
recevoir  l'écriture  depoésies  japonaises  :  sur  leurs 
fonds  teintés,  Koyetsu  écrivait  en  caractères  d'or 
ou  d'argent  des  poésies  de  cette  calligraphie  splen- 
dide  et  inimitable  dans  laquelle  il  était  passé 
maître. 

Mais  Koyetsu,  non  satisfait  de  ces  prodiges 
d'exécution,  de  ces  délicieuses  fantaisies,  voulut 
atteindre  ce  que  le  sentiment  japonais  a  de  plus 
profond,  et  en  faire  son  propre  style.  Il  remonta 
donc  aux  ancêtres,  avant  Mitsuoki,  étudia  les 
grands  chefs-d'œuvre  de  figures  et  d'arbres  des 
vieux  Tosa,  Mitsunaga,  Keion,  Nobuzane;  parfois 
il  se  contentait  sans  doute  de  copier  dans  ses 
petites  figures  quelques  fragments  d'un  original 
ancien,  mais  plus  souvent  il  crée  une  œuvre  toute 
personnelle,  dans  le  style  des  vieux  maîtres,  et 
qui  ne  leur  est  pas  inférieure,  et  que  Korin  ne 
fera  que  reprendre. 

Ces  trois  faces  du  génie  de  Koyetsu  se  retrou- 
vent unifiées,  amplifiées  dans  ses  décorations 
murales,  sans  doute  antérieures  à  1640.  Ce  ne 
sont  probablement  que  des  fragments,  ces  deux 
grands  paravents  aux  maïs  de  la  collection  Freer, 
où  sur  un  fond  d'argent  terni  la  masse  des  épis 
et  des  feuilles  s'incline  en  larges  volutes  sous  le 
vent.  Au  milieu  de  ces  épis  d'un  pâle  olive,  grim- 
pent les  fleurs  bleues  des  volubilis,  et  à  droite 
éclate  comme  une  fanfare  une  plante  écarlate 
dont  les  feuilles  sont  mouchetées  de  rouge  et 
d'ambre,      symphonie     colorée     supérieurement 

(MO 

16 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

orchestrée  dont  des  mots  ne  sauraient  donner  la 
moindre  idée.  —  Le  plus  grand  chef-d'œuvre  de  ce 
genre  de  Koyetsu  était  le  paravent  à  six  feuilles 
en  paysage  de  l'ancienne  collection  Charles  Gillot 
avec  sa  rivière  argentée  coulant  entre  des  rives  de 
papier  bruni  et  d'argent  terni,  où  se  dressait  un 
roc  olive  et  cuivré  :  deux  masses  d'arbres  balan- 
çaient la  composition,  à  droite  un  magnolia  dans 
des  bruns  sourds,  des  olives  et  des  jaunes,  avec 
des  graminées  d'un  ton  crème  plus  léger  que 
celui  du  flot,  et  à  gauche  un  arbre  à  feuilles 
automnales  de  cadmium  se  mêlant  aux  feuillages 
écarlates  d'un  érable. 

Koyetsu  fut  un  peintre  de  génie  :  en  lui  le  maître 
laqueur  ne  fut  pas  inégal  dans  sa  prestigieuse  tech- 
nique, dans  sa  conception  des  formes  et  des  cou- 
leurs. Il  eut  une  prédilection  pour  les  petites  boîtes, 
«  Suzuri  bako  »,  ou  les  écritoires.  Quelle  gran- 
deur dans  certaines  de  ses  réminiscences  de 
l'époque  Fujiwara  !  Certaines  interprétations  de  la 
fleur  y  sont  grandioses  comme  dans  ses  paravents. 

Si  on  le  connaît  moins  comme  décorateur 
de  poteries,  il  fut  là  encore  un  merveilleux 
interprète  de  la  nature  dans  cette  extraordinaire 
boîte  de  céramique  de  la  collection  Freer,  dont 
le  couvercle  porte  un  paysage  digne  d'un  artiste 
d'Hangchow.  Que  n'aurait  pas  été  Koyetsu  !  (et 
peut-être  le  fut-il),  un  architecte,  un  décorateur 
d'intérieur,  un  dessinateur  de  ciselures  de  fer 
et  de  bronze. 

Un  autre  grand  génie  de  cette  École  fut  Taiva- 
raya  Sotatsu.  Il  se  rattache  au  style  des  Kano,  à 

(242) 


Paravent  a  Décor  de  Chrysanthèmes. 
Par  Oçata  Korin.     2e  moitié  du  XVII"  siècle. 


Etude  d'Œillets  Sauvages  (détail). 
Par  Sotatsu.     2e  moitié  du  XVII"  siècle. 


Planche  CXVII. 


Personnages  dans  un  Parterre  d'Iris. 
Par  Ogata  Korin.     2e  moitié  du  XVIIe  siècle. 


Planche  C XVIII. 


L'ART  ARISTOCRATIQUE  MODERNE 

la  période  de  Yeitoku,  et  subit  manifestement 
l'influence  de  Koyetsu.  Comme  lui  il  a  rendu  en 
couleurs  d'un  puissant  impressionnisme  ce  que 
la  Nature  lui  suggérait,  avec  les  souvenirs  de 
l'Art  des  Tosa.  Ce  n'est  qu'un  peintre,  il  ne  semble 
pas  qu'il  ait  touché  aux  laques,  ni  à  la  poterie. 
Il  a  peint  aussi  des  paravents  et  des  décors  de 
murailles,  mais  plus  que  Koyetsu  des  kakémo- 
nos. Il  a  moins  que  lui  l'imagination  créatrice, 
étant  plus  asservi  à  la  nature,  et  plus  soumis  à 
en  restituer  réellement  les  aspects  sans  les  défor- 
mer décorativement.  Son  œuvre  existante  est  aussi 
bien  plus  considérable.  La  collection  Freer  a  de 
lui  la  grande  paire  de  paravents  aux  vagues,  assez 
inspirés  de  Sansetsu,  et  d'une  largeur  d'exécution 
digne  de  Koyetsu  (Korin  s'est  bien  inspiré  de 
cette  œuvre  fameuse).  —  Le  musée  de  Boston 
possède  un  superbe  kakémono  de  deux  oies  sau- 
vages en  plein  vol  ;  et  la  paire  de  paravents  de 
fleurs  à  empâtements  épais  sur  fond  d'or  des 
collections  de  Yanagisawa  Keija,  le  daïmio  artiste 
de  Karnisawa,  prouve  une  observation  aiguë,  et 
une  surprenante  richesse  de  coloris. 

Dans  un  magnifique  paravent  de  la  collection 
Freer,  des  dames  de  la  cour  des  Fujiwara  en 
anciens  costumes  se  promènent  dans  un  grand 
parc,  figures  d'un  sentiment  poétique  à  la  Nobu- 
zane.  —  Dans  sa  dernière  manière  était  la  paire  de 
paravents   de  l'ancienne  collection  Bing. 

On  a  généralement  considéré  Korin  comme 
le  successeur  de  Koyetsu,  surtout  dans  les  œuvres 
de  laque.  Comme  peintre,  il  lui  est  inférieur  en 

04}) 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

prestige  d'exécution  ;  il  a  un  style  Tosa  plus  figé, 
mais  dans  l'interprétation  des  fleurs  et  des  gra- 
minées il  apporte  le  même  naturalisme  que  So- 
tatsu.  Mme  Gardner,  à  Boston,  possède  de  beaux 
paravents  de  lui,  de  même  que  M.  Freer  à 
Détroit.  Le  Japon  en  a  conservé  un  grand  nombre 
au  Nishi  Hongangi,  chez  le  comte  Inouyé  (le  décor 
de  sa  bibliothèque).  Le  musée  de  Boston  a  une 
de  ses  œuvres  les  plus  célèbres,  le  grand  paravent 
de  six  feuilles  avec  les  vagues  d'une  mer  démon- 
tée battant  les  rochers,  d'un  impressionnisme 
violent.  Pour  bien  juger  la  richesse  et  la  com- 
plexité de  ses  conceptions  décoratives  il  faut 
étudier  les  transcriptions  gravées  qu'a  données 
de  ses  œuvres  Hoitsu  à  la  fin  du  xvme  siècle. 

Il  n'est  guère  de  collection  qui  ne  s'enorgueil- 
lisse de  laques  de  Korin,  incrustées  de  nacre  et 
d'étain,  comme  les  vieilles  pièces  de  Kamakura, 
mais  dans  un  sentiment  décoratif  bien  plus  réa- 
liste. —  Il  pratiqua  aussi  la  poterie,  mais  dans  cet 
art  ce  fut  son  jeune  frère  Kenyan  qui  l'emporta 
comme  décorateur  ;  il  se  montre  supérieur  dans 
l'exécution  des  petites  pièces  décorées  d'un  motif 
de  nature  choisi  avec  une  exquise  fantaisie.  Ce 
Kenzan  fut  aussi  un  grand  peintre,  comme  le 
prouve  le  splendide  kakémono  aux  pavots  du 
musée  de  Boston,  et  la  branche  couverte  de  neige 
de  la  collection  Freer.  Mais  il  n'est  jamais  puis- 
sant constructeur  comme  Koyetsu  ou  même 
comme  Korin. 

Ces  quatre  génies  eurent  d'innombrables  élèves. 
Un  autre  frère  de  Korin,  Kuchu-sai  fut  aussi  peintre, 
potier  et  laqueur.  Un  prêtre,  Hoitsu,  chercha  à  faire 

(244) 


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Paravent  a  Décor  de  Fleurs  (Détail). 

Par  Ogata  Korin.      2e  moitié  du  XVIP  siècle. 


Trois  Poteries  Décorées, 
Par  Kenyan  (166,3 — x743)- 


Planche  CXX. 


L'ART  ARISTOCRATIQUE  MODERNE 

revivre  à  la  fin  du  xvme  siècle  l'art  de  Korin. 
Et  si  nous  jetons  un  regard  en  arrière  sur  ces 
écoles  aristocratiques  du  Japon,  nous  voyons 
dominer  l'École  de  Kano  et  celle  de  Korin  :  toutes 
deux  de  grandiose  décoration,  même  quand  elles 
passaient  de  la  chambre  de  thé  au  décor  des 
objets  d'usage  pour  les  daïmios  et  les  samuraïs; 
la  première  ayant  fourni  plus  spécialement  des 
modèles  aux  brodeurs  et  aux  ciseleurs  de  métal, 
la  seconde  aux  potiers  et  aux  laqueurs.  Toutes 
deux  sont  sorties  de  l'École  Kano  de  Yeitoku  sous 
Hideyoshi,  les  Kano  ayant  modifié  son  style  à 
l'encre,  Korin  ayant  transposé  son  style  en  cou- 
leur. Les  grands  maîtres  contemporains  en  sont 
Tanyu  et  Koyetsu,  à  leur  apogée  vers  1660.  Korin 
dut  à  Koyetsu  à  peu  près  autant  que  Tsunénobu 
à  Tanyu,  tous  deux  à  leur  apogée  vers  1700.  Et 
Kenzan  fut  tributaire  de  Korin,  à  peu  près  comme 
Chikanobu  de  Tsunénobu  vers  1730. 


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CHAPITRE  XIV 
L'ART   MODERNE  CHINOIS 

LES   DYNASTIES  TSING  ET  MANCHOU 

LES  INDUSTRIES  DÉCORATIVES.   ||  LAPORCELAINE.il  LESPRIT  CONFUCIANISTE 

PARALYSE  LART  CHINOIS.   »    LA    PEINTURE  «  BUNJINGA  ».    Il     L'ART  SOUS  LES 

EMPEREURS   KANGHI   ET   KIENLl'NG. 

Aie  considérer  au  point  de  vue  esthétique 
(qui  a  été  jusqu'ici,  autant  qu'il  m'a  été  pos- 
sible, mon  critérium  dans  l'étude  des  plus 
rayonnantes  époques),  l'Art  chinois  moderne 
ne  mériterait  qu'une  assez  brève  mention, 
qui  a  suffi  à  tant  de  personnalités  d'un  rang 
inférieur  des  précédentes  périodes.  Une  étude 
totale,  pour  gardersa  cohésion,  devraitêtre  comme 
la  carte  de  quelque  époque  géologique  qui,  pour 
être  complète,  devrait  indiquer  les  chaînes  de 
montagnes,  aussi  bien  que  les  vallées  que  la  mer  a 
depuis  longtemps  submergées.  S'il  n'était  question 
dans  un  essai  de  ce  genre  que  des  génies  suprê- 
mes, ce  serait  un  peu  comme  si  seuls  étaient 
dignes  de  remarque  les  volcans  encore  en  acti- 
vité au  milieu  d'un  océan  qui  aurait  recouvert 
tout  le  reste. 

J'ai  dû  ici  délibérément,  il  est  vrai,  faire  la 
part  principale  au  grand  Art;  et  je  dois  par  con- 
séquent expliquer  les  raisons  qui  me  détermi- 
nent à  parler  de  l'Art  de  la  dynastie 
des   Tsing.  C'est  que   quelques-unes   de  ses  in- 

(M7) 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

dustries  décoratives  ont  une  réelle  valeur, 
telles  les  Porcelaines,  et  que  surtout  il  y  eut 
sous  les  Tsing  permanence  de  causalités, 
de  forces  en  continuelle  action,  comme  nous 
lavons  déjà  signalé  au  cours  de  l'histoire  de  la 
Chine. 

La  chute  de  la  culture  moderne  chinoise  est 
en  quelque  sorte  une  part  organique  de  l'his- 
toire de  son  développement,  et  son  importance 
sous  les  Tsing  apparaîtra  plus  grande  encore, 
en  regard  de  l'art  populaire  du  Japon  qui  lui 
fut  contemporain. 

La  décadence  de  l'Art  chinois  moderne,  déjà 
sensible  au  milieu  de  la  dynastie  des  Ming, 
s'accentua  surtout  dans  l'art  de  peindre,  et 
partout  où  il  est  fait  appel  à  l'imagination. 
Dans  les  primitifs  arts  chinois  et  japonais,  les 
motifs  décoratifs  étaient  des  rejetons  de  l'Art 
central,  de  la  sculpture.  Dans  les  deux  arts, 
après  le  vme  siècle,  le  dessin  est  particulière- 
ment déterminé  par  les  causes  qui  régirent  leur 
créatrice,  la  peinture. 

Mais  au  cours  des  derniers  siècles  en  Chine, 
et  aussi  également  pendant  certaines  périodes 
assez  vides  de  l'Art  moderne  au  Japon,  on  peut  dire 
que  pour  la  première  fois  le  dessin  se  sépare  de  ses 
vrais  motifs  inspirateurs,  dépendant  bien  plus 
de  l'adresse  de  la  main,  que  des  grands  rapports 
de  ses  lignes  constructives.  Ce  n'est  pas  vrai  de 
l'Ecole  de  Korin,  comme  nous  avons  pu  le  voir 
antérieurement,  mais  cela  est  parfaitement  certain 
de  l'architecture  des  Tokugawa,  spécialement 
dans  les  temples,  et  c'est  encore  plus  générale- 

(248) 


LE    PARADIS   TERRESTRE. 
EPOQUE    DES    BING. 

British  Muséum. 


s 


L'ART  MODERNE  CHINOIS 

ment  vrai  de  la  masse  du  «  bric-à-brac  » 
moderne  chinois.  Et  c'est  cela  cependant  que  les 
amateurs  étrangers  ont  le  plus  activement  recher- 
ché, et  c'est  ainsi  que  le  dessin  chinois  type 
est  pour  eux    celui   qui   est  du  plus  bas  niveau. 

Dans  la  même  voie,  comme  je  l'ai  déjà  mon- 
tré, ceux  qui  en  Europe  étudient  l'Art  chinois 
en  sont  venus  à  adopter  les  procédés  intellectuels 
les  plus  bas  des  mandarins  modernes,  et  sont  abso- 
lument inconscients  de  l'imagination  magnifique 
et  puissante  des  premiers  siècles.  Cestpour  main- 
tenir devant  nos  yeux  ces  hauts  sommets  qu'il 
nous  faut  regarder  au-dessus  des  basses  collines, 
même  si  elles  s'abaissent  au-dessous  de  notre 
propre  horizon. 

Le  professeur  Hirth  a  quelque  peu  protesté 
contre  cette  opinion  de  la  décadence  de 
l'Art  de  la  peinture  moderne  en  Chine,  qu'avait 
affirmée  le  professeur  Giles.  Il  n'est  pas  dou- 
teux qu'il  y  ait  eu  une  quantité  de  peintres 
modernes  des  Tsing  avec  des  traditions  d'Écoles 
toutes  faites,  et  des  bibliographies  complètes, 
absolument  comme  nous  avons  beaucoup  plus  de 
renseignements  aujourd'hui  sur  la  vie  de  quelque 
dramaturge  populaire  moderne,  que  sur  Shake- 
speare. Mais  si  nous  adoptons  quelque  cri- 
térium général  de  portée  esthétique,  la  largeur 
de  vision,  le  caractère  bien  compris  des  choses,  la 
puissance  des  couleurs,  nous  nous  apercevrons 
que  la  peinture  moderne  chinoise  est  tombée  à 
un  point  de  faiblesse  débile,  et  de  symbolisme 
inopérant,  à  peu  près  au  même  point  où  est 
tombé     l'Art   chrétien    d'Europe    dans    les    plus 

049) 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

misérables  mosaïques  de  l'empire  byzantin.  L'Art 
commence  par  une  enfance  pleine  de  promesses, 
et  retombe  dans  une  enfance  sans  espoir. 

La  réelle  rupture  entre  le  passé  de  la  Chine  et 
son  présent  se  produisit  au  xvie  siècle  sous  la 
dynastie  Ming,  après  qu'elle  eut  transmis  ses 
meilleures  traditions  au  Japon  des  Ashikaga, 
et  quand  les  troubles  des  luttes  locales  au  Japon 
eurent  leur  contre-partie  dans  les  luttes  qui  se 
préparaient  en  Chine  entre  un  empire  affaibli  et 
les  Tartares  du  Nord.  Il  y  eut  alors  parallélisme 
de  destinées  entre  la  Chine  et  le  Japon. 

Ce  qui  se  produisit  en  Chine,  ce  fut  la  défaite 
complète  des  premières  tendances  des  Ming 
à  faire  revivre  l'anti-confucianisme  et  le  génie 
de  la  civilisation  du  Sud,  qui  avait  eu  son  heure 
de  resplendissement  à  Hangchow  et  son  antithèse 
sous  les  Yuen.  Il  n'y  avait  pas  assez  d'idéalisme 
chez  les  Ming  pour  supporter  cette  tension. 

Dès  142 1,  la  renaissance  des  Ming  subissait  le 
dommage  que  lui  causa  le  déplacement  de  la 
capitale,  de  la  vallée  du  Yangtsé  au  lointain 
Nord-Est,  où  allait  s'élever  la  capitale  tartare  de 
Pékin.  Pékin  n'avait  jamais  été  la  capitale  de  la 
Chine,  avant  les  jours  des  Kins  et  des  Mongols. 
Elle  n'avait  aucun  monument  de  grand  Art,  ni 
aucunes  collections  d'anciennes  choses.  Sonpeuple 
était  tout  à  fait  de  sang  tartare.  Les  traditions  de 
suprématie  mongole  étaient  toutes  de  splendeur 
matérielle,  et  non  pas  d'idéalisme  caché. 

C'était  là  autant  de  raisons  pour  que  Pékin 
offrît  un  champ  excellent  à  exploiter  aux  confu- 
cianistes  conservateurs.  Mis  sur  la  défensive  par 

(250) 


L'ART  MODERNE  CHINOIS 

les  Song  du  Nord,  réformés  contre  leur  gré  par 
les  Song  du  Sud,  ils  avaient  sauté  à  la  tête  des 
chevaux  tartares  et  guidé  la  course  de  leurs 
maîtres  étrangers  en  politique.  Il  est  curieux  que 
les  Mongols  et  les  Manchous  aient  prêté  une 
oreille  également  attentive  à  la  propagande 
répressive  des  athées  confucianistes  et  des 
chrétiens,  et  aient  au  contraire  ruiné  tout  ce  que 
l'idéalisme  bouddhique  et  taoïste  avait  offert 
d'aliment  à  l'imagination  chinoise.  Les  plus 
honnêtes  de  ces  confucianistes  avaient  le  désir 
de  faire  de  la  Chine  une  machine  morale,  où 
chaque  rite,  chaque  cérémonie,  chaque  industrie, 
et  même  chaque  pensée  serait  déterminée  par 
des  formules  préétablies. 

Leur  idéal  était  de  créer  l'uniformité  ;  leur 
marque  c'est  l'autorité,  et  non  pas  la  libre  connais- 
sance des  choses  ;  leurs  conceptions  littéraires 
étaient  bornées  au  dictionnaire.  Leur  haine  était 
réservée  à  toute  manifestation  de  liberté  indivi- 
duelle. 

Les  moins  honnêtes  cherchaient  sans  aucun 
doute  à  favoriser  cette  méthode  d'absorption  des 
patronages  officiels  locaux,  pour  lesquels  des 
listes  de  taxation  devenaient  des  moyens  légi- 
times de  violence. 

C'était  ce  monstre  hideux,  caché  derrière  le 
formalisme  de  ses  contemporains  confucianistes, 
qu'Oanseki  en  1090  devinait,  et  combattait, 
comme  s'il  avait  prévu  le  coup  mortel  qu'il 
pourrait  porter  un  jour  à  l'âme  chinoise.  La 
dynastie  des  Song  fut  tout  entière  une  protes- 
tation   passionnée     contre    cette    tyrannie    qui 

(250 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

voulait  s'implanter  —  et  c'est  contre  la  dynastie 
des  Song  que  tous  les  historiens  sortis  des  rangs 
ennemis  victorieux  ont  dressé  leurs  violents 
réquisitoires.  —  Et  aujourd'hui  nous  avons  le 
spectacle  d'une  Chine  se  vantant  du  poison  qui 
l'a  tuée. 

Voyons  quels  rapports  cela  put  avoir  avec 
l'Art.  Les  mandarins  haïssaient  tout  signe  de  vie 
caché  dans  les  réussites  des  premiers  Ming. 
L'Art  d'Hangchow  était  pour  eux  un  drapeau  honni. 
Ce  dut  être  pour  eux  de  bonne  politique  de  le 
décrier  et  de  vilipender  les  Kakei  et  les  Mokkei. 

Ce  fut  dans  la  seconde  moitié  des  Ming  qu'eut 
lieu  la  tentative  de  développer  une  nouvelle 
école  d'Art  confucianiste,  entièrement  opposée  à 
celle  d'Hangchow.  Et  ce  ne  fut  pas  sans  succès. 
Ce  fut  cet  Art  confucianiste,  très  voisin  de  ce 
que  nous  appelons  «  le  Bunjinga  »,  et  mêlé  d'une 
barbarie  tartare  et  d'un  Bouddhisme  thibétain, 
en  même  temps  que  d'un  goût  tartare  de  réa- 
lisme et  d'ornements  crus,  qui  s'imposa  sous  la 
dynastie  manchou. 

Que  faut-il  considérer  comme  ayant  été  l'Art 
spécial  aux  confucianistes  des  Ming,  ces  nou- 
velles lumières  de  l'Empire  ?  Toute  tradition  n'en 
était  pas  bannie.  En  Art,  ils  ne  pouvaient  pas 
revenir  complètement  à  Confucius,  car  à  l'époque 
de  Confucius  il  n'y  avait  pas  d'Art.  Tout  d'abord 
ils  se  tournèrent  en  arrière,  vers  la  dynastie  des 
Yuen,  qui  avait  précédé  celle  des  Ming,  et  ils 
eurent  ainsi  la  vision  d'un  style  scolaire  qui  avait 
résisté  à  la  fois  au  matérialisme  et  à  l'esprit  des 
Song  —  cet  Art  assez  libre,  du  paysage  par  taches, 

(*5*) 


Ecole  de  Matahei. 


Planche  CXXI. 


L'ART  MODERNE  CHINOIS 

qui  faisait  vivre  en  masses  brillantes  mais  sans 
formes    voulues  les    nuages    et    les  brouillards. 

Ce  style,  à  la  vérité,  repoussait  toute  connais- 
sance exacte  des  formes,  des  effets  variés  de  la 
nature,  pour  n'être  seulement  qu'un  style  d'im- 
pressions. Sa  simplicité  et  son  uniformité  suffi- 
saient toutefois  à  le  rendre  cher  aux  étudiants.  Il 
n'était  pas  dépourvu  de  certaine  platitude.  Dans 
un  tel  Art,  c'était  littérairement  comme  si  Shel- 
ley,  ayant  écrit  un  poème  sur  un  nuage,  tous 
les  futurs  poètes  dignes  de  ce  nom  eussent  tenté 
de  faire  la  même  chose.  Ce  style  assez  bon 
mais  borné  des  peintres-poètes  des  Yuen  con- 
fucianistes,  avait  été  développé  par  l'effort 
de  Beigensho  et  de  son  fils,  sous  les  Song  du 
Nord.  A  la  vérité,  toute  l'œuvre  détestée  de  la 
réforme  des  Song  partit  des  patriotes  Ming 
pour  faire  d'Oanseki  le  centre  de  la  résistance 
à  Beigensho,  à  Toba,  à  Bunyoka,  et  à  tous  les 
stricts    confucianistes  de   Kaifong   au  xie  siècle. 

Il  y  eut  alors  un  certain  nombre  d'écrivains 
et  d'artistes  vers  la  fin  de  la  dynastie  des  Ming, 
pour  essayer  de  formuler  cette  théorie  —  et  pour 
montrer  qu'il  n'y  avait  réellement  qu'un  véritable 
Art  chinois,  celui  de  l'École  Yuen.  A  leur  tête, 
comme  excitateur  était  un  écrivain  du  nom  de 
Tung  Ch'i  Ch'ang  (Tokishô)  dont  les  idées  ont 
vicié  le  criticisme  chinois  depuis  lors.  Il  ne  se 
contentait  pas  de  reporter  l'origine  de  ce  style 
aussi  loin  que  Beigensho  des  Song;  il  entreprit, 
contre  toute  évidence,  de  le  reculer  jusqu'aux  Tang, 
et  d'en  infliger  la  paternité  au  pauvre  Omakitsu 
(Wangwei),  parce   qu'en  réalité   Omakitsu  avait 

(2H) 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

été  le  premier  des  grands  peintres-poètes  du 
paysage.  Il  lui  fallut  alors  donner  un  nom  à  cette 
École  chinoise  universelle,  et  ce  fut  le  nom  de 
«  Méridionale  »,  peut-être  parce  que  la  source 
réelle  du  paysage  poétique  et  de  l'Art  avait  été 
dans  le  Sud.  La  tradition  en  remontait  jusqu'à 
Toemmei,  au  ve  siècle. 

En  opposition  à  ce  mouvement,  dit  orthodoxe, 
Tokishô  éleva  une  Ecole  dite  du  Nord,  qui  était 
supposée  être  la  tradition  des  Tartares  bouddhistes 
des  provinces  du  Nord,  et  de  l'académie  hérétique 
de  Kiso  Kotei  chez  les  Song  du  Nord.  En  suivant 
ce  raisonnement,  Mokkei,  Kakei  et  Bayen,  bien 
que  méridionaux,  étaient  les  pionniers  de  l'École 
du  Nord,  parce  que  leur  Art  dérivait  des  formules 
académiques  de  Kiso.  Ceshommes  étaient  dépour- 
vus de  principes,  d'âme  ;  ils  étaient  tout  uniment 
soumis  à  la  faveur  impériale.  Le  grand  Art  indé- 
pendant, plein  dame,  était  anti-académique, 
c'est-à-dire  fait  de  ces  travaux  déplorables 
(ôl  amateurs)  des  opposants.  Car  c'est  être  le 
plus  anti-confucianiste  que  d'être  un  profession- 
nel, et  il  est  juste  que  de  semblables  choses, 
peintures  et  poèmes,  soient  à  rejeter  comme  de 
simples  amusettes.  En  dernier  lieu,  Tokishô  inventa 
et  réadapta  à  son  usage  un  nom  spécial  à  ce 
genre  d'Art,  «  Bunjinga  »,  ou  peintures  de  litté- 
rateurs. 

Stupéfiante  fut  l'erreur  historique  engendrée 
par  toute  cette  théorie  chinoise  moderne  de  l'Art. 
Elle  essaya  d'attirer  à  l'appellation  «  Méridio- 
nale »  tout  le  prestige  de  Liang  et  d'Hangchow, 
qui    furent  les  centres  mêmes   des  bouddhistes 

Oh) 


L'ART  MODERNE  CHINOIS 

Zen,  ses  ennemis  les  plus  acharnés.  —  Toute 
la  grande  École  des  paysages  de  la  Chine,  réelle- 
ment originaire  du  Sud,  l'œuvre  des  Omakitsu 
(Wang  Wei),  Godoshi  (Wu-tao-tzu),  Risei  (Li 
ch'eng),  Kakki  (Kuo  Hsi),  ou  Kakkei  (Hsia  Kuei), 
était  exactement  à  l'opposé  de  tout  ce  qu'aimait 
Tokishô,  et  était  réellement  ce  qu'il  méprisait 
comme  étant  l'Ecole  du  Nord.  Et  même  le  paysage 
de  Kiso  des  Song  du  Nord  n'existait  que  parce 
qu'il  était  sorti  du  Sud.  Et  aussi  dans  la  théorie 
de  Tokishô,  ce  qu'il  appelait  «  Nord  »  était  essen- 
tiellement «  Sud  ».  Ce  qu'il  appelait  «  Sud  »  était 
véritablement  dérivé  des  confucianistes  septen- 
trionaux de  Kaifong. 

Toutefois  ces  vues  rétrospectives  et  classifica- 
trices  n'avaient  aucune  base  sérieuse.  Beigensho, 
il  est  vrai,  créait  un  style  personnel,  mais  que 
ne  devaient  pas  adopter  ses  contemporains  con- 
fucianistes, et  qui  ne  devait  pas  être  le  fondement 
d'une  méthode  scolastique  avant  les  Yuen.  Il  n'y 
a  aucune  raison  de  supposer  que  ses  compagnons 
Song,  tels  que  Toba  et  Bunyoka,  et  Sanboku 
s'imaginaient  créer  dans  leurs  paysages  quelque 
chose  de  tout  à  fait  contraire  à  Kakki  et  à 
Riryomin,  leur  autre  groupe  d'amis.  La  seule 
différence  résidait  en  ceci  qu'ils  étaient  des 
amateurs,  et  bien  plus  limités  en  leurs  sujets. 
Mais  les  bambous  de  Toba,  par  exemple,  ne  sont 
pas  essentiellement  différents  de  ceux  de  Mokkei 
et  de  Bayen  et  de  toute  la  grande  Ecole  des 
Song  du  Sud. 

En  définitive,  l'exact  terme  «  Bunjinga  »,  pein- 
tures d hommes  de  lettres,   la  caractérise   suffisam- 

(M!) 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

ment  et  la  condamne.  Ce  fut  plutôt  une  manière 
de  penser  et  une  évolution  qu'un  grand  courant 
d'imagination  visuelle.  C'est  comme  si  nous 
désignions  cheval  le  dessin  d'un  enfant  figu- 
rant un  cheval.  Pour  les  esprits  purement  litté- 
raires, la  peinture  était  le  signe  de  l'idée,  c'est-à 
dire  un  autre  genre  d'expression.  Ils  voulaient 
ignorer  et  n'avoir  aucun  souci  de  tout  ce  qui  se 
trouve  enfermé  dans  les  lignes  originales  du 
dessin  ;  tout  cela  pour  eux  n'était  que  la  pure 
technique. 

Comment  concilier  cela  avec  l'esprit  des  vieux 
maîtres!  Ils  étaient  connus  par  des  copies  de 
copies  :  il  était  simplement  nécessaire  de  les 
recopier  une  ou  deux  fois  de  plus,  en  style 
«  Bunjinga  »,  pour  prouver  que  les  vieux  maîtres 
étaient  eux-mêmes  des  peintres  «  bunjin  ».  Je  ne 
vais  pas  jusqu'à  prétendre  que  dans  tous  les  cas, 
ou  du  moins  dans  la  plupart  des  cas,  ces  ten- 
dances fussent  à  base  de  mauvaise  foi.  Ils  pré- 
tendaient ouvertement  trouver  un  avantage,  dans 
cette  voie  de  la  copie,  et  ne  pas  chercher  à 
suivre  les  lignes  exactes  et  la  touche  même  des 
originaux,  mais  à  les  traduire  dans  leur  propre 
style  créateur,  de  la  même  façon  qu'un  poète 
en  use  avec  un  génie  étranger  dont  il  traduirait 
un  chef-d'œuvre.  En  d'autres  termes,  ils  voyaient 
dans  des  originaux  anciens  uniquement  les  traits 
qui  leur  paraissaient  plus  ou  moins  s'adapter  à 
leur  propre  manière  de  voir,  qui  était  «  Bun- 
jinga »,  manière  informe  et  vide.  C'est  ce  qui 
explique  que  dans  tant  de  recopies,  tout  ce 
qu'il  y  avait  de  fort  et  de  beau  dans  le  dessin  des 


Peinture. 

Ecole  de  Matahei.     Fin  du  XVIIe  siècle. 


Planche  CXXII. 


L'ART  MODERNE  CHINOIS 

originaux  s'est  évanoui,  et  qu'il  n'en  est  plus 
resté  que  l'extravagante  exagération  de  leurs 
traits  les  plus  cotonneux.  Il  ne  faut  pas  chercher 
d'autre  raison  à  ce  fait  que  le  grand  nombre 
des  copies  Tsing  des  vieux  maîtres,  certifiées  par 
les  attestations  être  des  copies  de  copies,  ne 
présentent  plus  que  la  facture  enfantine  des 
modernes,  un  jeu  de  pinceau  sans  trace  d'ima- 
gination, et  qui  n'a  plus  aucun  rapport  avec  ce 
qu'ont  cherché  les  fameux  maîtres  des  précé- 
dentes dynasties,  excepté  quelques  maîtres  des 
Yuen.  C'est  bien  comme  si  les  artisans  d'icônes 
grecs  du  mont  Athos,  ne  se  contentant  pas 
d'affirmer  simplement  leur  tradition  de  hiéra- 
tisme, voulaient  nous  faire  croire  que  leurs 
poupées  à  traits  d'or  sont  les  copies  authentiques 
des  chefs-d'œuvre  d'Apelle  et  de  Parrhasius. 

Le  mal  que  fit  l'impudent  «  Bunjinga  »,  qui 
bientôt  se  cristallisa  de  façon  très  orthodoxe 
dans  l'imagination  de  tous  les  étudiants  chinois, 
se  traduisit  par  une  dégénérescence  de  l'art  si 
rapide  que  vers  la  fin  des  Ming  on  aurait 
trouvé  difficilement  une  honnête  œuvre  d'art,  en 
dehors  d'une  sorte  de  peinture  affaiblie  de  jolies 
fleurs.  Les  figures  étaient  devenues  des  poupées, 
aux  épaules  rondes,  désossées,  avec  des  faces 
idiotes,  d'où  toutes  proportions  et  sentiment  des 
lignes  avaient  disparu.  Pour  un  fervent  de 
«  Bunjinga  »  de  la  fin  des  Ming  ou  des  Tsing, 
toutes  les  hautes  qualités  qui  avaient  constitué 
l'Art  chinois  étaient  ignorées  ou  travesties.  Et 
quelle  pitié  doit  éprouver  un  artiste  euro- 
péen à  comparer    ce   qui   est  vanté  comme   les 

(M  7) 

»7 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

chefs-d'œuvre  des  Tsing  avec  les  plus  médiocres 
originaux  des  Song  —  car  quoique  les  prédéces- 
seurs Yuen  fussent  seulement  des  grands  hommes 
dans  les  lignes  circonscrites  de  leur  dessin,  et 
doivent  être  reconnus  comme  tels  par  les  artistes 
de  toutes  les  nations,  leurs  successeurs  Tsing 
ayant  irrémédiablement  perdu  le  sens  visuel  des 
proportions  ne  pouvaient  même  pas  se  douter 
devant  les  chefs-d'œuvre  des  Yuen  de  ce  qui  les 
faisait  grands. 

Pour  les  successeurs  de  Tokishô  c'était  d'em- 
piler des  pics  informes  sur  d'autres  pics,  qui 
était  l'essentiel,  et  non  pas  la  magnifique  indi- 
cation des  nuages  qui  les  enveloppaient.  En 
résumé  la  touche  pour  les  Chinois  modernes, 
aussi  bien  que  la  forme  réelle,  avaient  cessé 
d'exister.  La  touche,  ce  qui  est  la  tache  actuelle 
de  sombre  et  de  clair  sur  leurs  peintures,  ces- 
sait d'avoir  toutes  relations  avec  le  sombre  et 
le  clair  dans  la  Nature,  et  ne  recueillait  d'admi- 
ration qu'en  proportion  de  ce  qu'elle  ressemblait 
aux  variations  répétées  du  tracé  d'encre  sur  un 
manuscrit  d'écriture. 

On  peut  dire  que  l'effet  naturel  de  la  théorie 
«  Bunjinga  »  était  d'effacer  toute  distinction 
entre  la  peinture  et  l'écriture. 

Mais  ce  ne  fut  pas  seulement  l'histoire  de 
l'Art  et  la  production  artistique  qui  furent  ruinées 
par  cinquante  années  de  ce  triomphe  confucia- 
niste.  La  critique  d'art  fit  une  telle  chute  que 
les  commentaires  de  ceux  qui  écrivent  après 
1550  n'ont  pas  plus  de  rapport  avec  les  façons 
de    comprendre  des    grands    critiques    anciens, 

(*5  8) 


L'ART  MODERNE  CHINOIS 

que  les  écrits  des  anarchistes  modernes  n'en 
auraient  avec  Aristote.  Et  même  dans  les  grandes 
compilations  des  Tsing  d'après  toute  la  littéra- 
ture chinoise  sur  l'Art,  les  opinions  des  critiques 
récents  sont  citées  parallèlement  à  celles  des 
anciens,  dans  une  parfaite  inconscience  de 
l'abîme  intellectuel  et  imaginatif  qui  les  sépare. 
De  sorte  que  le  savant  européen  se  tromperait 
étrangement  en  présentant  la  critique  «  Bunjinga  » 
moderne  en  équivalence  sur  les  questions  d'art 
avec  la  critique  ancienne. 

Le  passage  de  cette  École  «  Bunjinga  »  sur 
la  Chine  aux  xvie  et  xvne  siècles  fut  comme  un 
feu  brillant  qui  ne  laissa  qu'un  désert  de  cendres 
derrière  lui.  L'immense  domaine  de  l'Art  chinois 
fut  non  seulement  abandonné,  mais  fermé.  Il 
semble  bien  regrettable  qu'une  révolution  men- 
tale aussi  absolue  ait  pu  se  produire  chez  un 
peuple  aussi  robuste.  Mais  nous  en  avons  mal- 
heureusement un  exemple  européen  semblable, 
dans  la  transformation  du  sentiment  artistique 
de  la  Grèce  dans  les  écoles  de  Byzance. 

Les  Tartares  manchous  avaient  lutté  contre  le 
derniers  des  Ming  pendant  quarante  ans,  et  en 
avaient  eu  raison  en  1660.  On  le  bannit  l'année 
suivante  à  Formose.  En  1662,  Kanghi,  second 
empereur  de  la  dynastie  Manchou,  monte  sur  le 
trône,  et  eut  jusqu'en  1722  un  long  règne  de 
soixante  ans.  Après  le  court  règne  de  YungChing, 
«  Kienlung  »,  le  petit-fils  de  Kanghi,  régna 
soixante  ans  (1756-1796). 

Ce   furent    ces    deux    longs    règnes    de  deux 

fa  59) 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

empereurs  Tartares  pleins  de  sagesse,  qui  cons- 
tituèrent le  centre,  et  aussi  la  grandeur  de  la 
dynastie  Tsing.  Tout  ce  qui  de  la  civilisation 
manchoue  avait  un  principe  vital,  sort  de  ces 
deux  règnes.  La  Chine  moderne  a  été  façonnée 
par  leurs  méthodes. 

Il  semblait,  avec  l'arrivée  de  Kanghi,  qu'une 
nouvelle  ère  glorieuse  s'ouvrait  pour  la  Chine. 
Non  seulement  les  Manchous  étaient  une  race 
toute  neuve,  vigoureuse,  d'une  intelligence  qui 
n'avait  pas  été  encore  cultivée;  mais  de  plus  les 
Jésuites  d'Europe,  qui  déjà  s'étaient  montrés  sous 
les  derniers  Ming,  voyaient  leur  influence 
croître  sous  ce  premier  long  règne  manchou. 
Grand  était  l'espoir  des  chrétiens,  qui  se 
rappelaient  les  gracieusetés  que  leur  avaient 
prodiguées  les  Mongols  trois  cents  ans  plus  tôt. 
Un  nouveau  courant  de  relations  s'établissait 
avec  l'Europe  dans  les  deux  sens  :  Macao  était  un 
port  portugais  ;  Canton  et  Whampoa  étaient 
largement  ouverts  aux  Européens.  Kanghi 
accorda  aux  missionnaires  jésuites  l'autorisation 
de  construire  leur  cathédrale  près  du  palais  de 
Pékin  et  les  prit  comme  précepteurs  de  ses 
enfants. 

Quel  surprenant  contraste  avec  le  Japon,  qui 
s'était  barricadé  à  l'approche  des  chrétiens  et 
luttait  de  tout  son  pouvoir  contre  les  nouveautés  ! 
Combien  il  paraissait  évident  que  le  Japon,  dans 
son  «  splendide  et  persistant  isolement  »,  courait 
à  l'épuisement  et  à  la  décrépitude,  tandis  que 
la  Chine,  entrant  dans  les  voies  de  la  culture 
mondiale,  aurait  vite  fait  de  dépasser  sa  rivale 

(260) 


L'ART  MODERNE  CHINOIS 

insulaire.  Et  Ton  peut  constater  les  résultats. 
Le  Japon  vit  son  conservatisme  nourrir  sa  force 
mentale  et  morale  :  la  Chine  fit  river  par  la 
liberté   les  propres  chaînes  de  son  formalisme. 

La  réponse  qu'on  y  peut  faire  est  que  le  règne 
de  Kanghi,  qui  s'ouvrit  sous  les  plus  rayonnants 
espoirs  pour  la  chrétienté  et  pour  la  Chine,  finit 
dans  les  jours  sombres  des  premières  persécu- 
tions de  chrétiens.  Et  cela  ne  fut  que  la  con- 
séquence de  l'erreur  de  la  Cour  papale  de 
Rome  et  de  ses  conseillers,  jaloux  du  succès  des 
Jésuites.  Les  Jésuites,  en  avisés  politiques,  avaient 
essayé  autant  que  possible  de  faire  se  pénétrer 
ce  qui  était  vital  dans  la  constitution  chinoise 
et  l'âme  chrétienne.  Leur  politique  de  tolérance 
amenait  à  une  rapide  conversion  beaucoup  de 
nobles  chinois  et  leurs  familles,  et  même  l'empe- 
reur, sous  certaines  conditions,  serait  devenu 
chrétien.  Il  entretint  une  amicale  correspon- 
dance avec  Louis  XIV.  Des  Français  furent  tout- 
puissants  à  la  cour  de  Kanghi.  Quelques-uns 
même,  des  artistes,  y  introduisirent  les  procédés 
de  la  peinture  à  l'huile. 

Mais  quand  l'autorité  papale  déclara  qu'un 
Chinois,  pour  devenir  chrétien,  devait  virtuelle- 
ment renoncer  à  ses  institutions,  à  son  respect 
des  ancêtres,  au  Confucianisme,  —  toute  la  Chine, 
même  celle  qui  était  la  plus  favorable  aux  chré- 
tiens, se  souleva  révoltée.  Kanghi,  solennellement, 
avertit  lEurope  de  la  faute  énorme  qu'elle  allait 
commettre.  L'Europe  la  commit.  La  Chine,  qui 
en  1700  allait  devenir  presque  européenne,  édic- 
tait  en  1 720,  sous  l'empereur  Yung  Ching,  de  cruels 

(261) 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

édits  contre   les  chrétiens,  étrangers  et  chinois. 

C'était  le  même  ancien  conservatisme  qui 
avait  combattu  le  Bouddhisme  mystique  des 
Tang,  le  Bouddhisme  idéaliste  des  Song  et  la 
renaissance  d'Hangchow  des  Ming.  Il  s'était 
trouvé  devant  un  nouvel  adversaire,  duquel 
émanaient  un  idéalisme  religieux  plus  émouvant 
que  celui  de  Zen  et  des  vues  d'administration 
et  d'éducation  plus  radicales  que  celles  d'Oanseki. 
Le  patriotisme  des  Chinois  persuada  à  Kanghi, 
l'ami  manchou  des  Européens,  que  les  institu- 
tions chinoises  ne  pouvaient  être  modifiées.  La 
Chine  se  trouvait  devant  le  même  problème 
historique,  mais  maintenant  l'élément  de  liberté 
était  étranger.  L'Europe,  dans  sa  stupide  igno- 
rance, n'ayant  pas  compris  l'appel  des  Jésuites, 
fit  ainsi  le  jeu  des   confucianistes. 

Le  règne  de  Kanghi  avait  été  brillant  à  maints 
égards,  non  pas  qu'il  ait  produit  des  génies 
créateurs,  mais  au  contraire  des  liseurs,  des  gens 
qui  connaissaient  les  mots  mieux  que  les  idées. 
D'où  ces  remarquables  compilations,  ces  ency- 
clopédies, ces  dictionnaires.  Dans  tout  ceci, 
Kanghi,  le  Manchou,  fut  plus  réellement  chinois 
que  les  confucianistes  eux-mêmes  ne  l'auraient 
espéré.  Son  esprit  n'était  pas  paralysé  de  for- 
malisme. Il  cherchait  à  comprendre  de  lui-même 
et  aurait  voulu  que  la  Chine  prît  une  claire 
conscience  d'elle-même  au  temps  où  il  cherchait 
à  introduire  des  réformes  européennes.  C'était  la 
meilleure  politique  anti-confucianiste  de  maintenir 
les  étudiants  dans  des  recherches  sans  fin  et  dans 
des  compilations  qui  ne  leur  laissaient  que  peu 

(262) 


L'ART  MODERNE  CHINOIS 

de  temps  pour  les  intrigues  politiques.  Kanghi 
avait  su  très  bien  se  diriger  au  milieu  de  tous 
les  écueils. 

Mais  quand  l'Europe  eut  fait  son  lamentable 
geste  de  la  bulle  papale  de  1702,  quand 
Kanghi,  si  regretté  de  ses  amis  jésuites,  fut 
mort,  quand  Yung  Ching  avait  vu  la  nécessité  de 
dresser  l'armée  du  conservatisme  chinois  pour 
l'opposer  à  l'influence  chrétienne  insidieuse,  les 
confucianistes  se  virent  tout  d'un  coup  dans  une 
position  d'influence  très  grande.  Ils  avaient  tout 
le  jeu  en  mains  :  ils  n'avaient  qu'à  renforcer  les 
plus  étroites  de  leurs  formules  pour  inspirer  les 
patriotes.  Tout  le  règne  de  Kienlung,  péné- 
trant érudit  comme  il  était,  et  d'un  esprit  bien 
plus  élevé  que  la  moyenne  des  mandarins,  ne  fut 
que  de  suivre  leur  propagande. 

Aussi  l'époque  de  Kienlung  n'est  pas,  comme 
celle  de  Kanghi,  d'espoir  et  d'essais,  mais  de 
recroquevillement.  Impossible  de  concevoir  une 
nouvelle  forme  de  Bouddhisme  ou  de  Taoïsme. 
L'inspiration  chinoise  s'était  consumée  :  elle  ne 
pouvait  que  se  répéter. 

Depuis  l'abdication  de  Kienlung  en  1796,  l'his- 
toire de  la  Chine  ne  comporte  plus  aucun  déve- 
loppement interne,  mais  n'est  plus  qu'une  succes- 
sion d'efforts  à  lutter  contre  l'invasion  euro- 
péenne. Ce  n'était  plus  le  problème  qu'avaient 
posé  les  Jésuites  :  mais  dorénavant  s'imposait 
celui  des  missions  protestantes  et  celui  bien  plus 
dangereux  du  commerce  européen.  A  quoi  bon 
énumérer  les  traités  avec  l'Angleterre,  la  prohibi- 
tion de  l'opium  en    1838,    la  rentrée  forcée    de 

(263) 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

l'opium  en  1860,  Hongkong,  les  empiétements 
delà  France,  de  l'Allemagne,  et  finalement  de  la 
Russie?  La  Chine  pouvait  craindre  son  démembre- 
ment pour  la  fin  du  xixe  siècle,  mais  c'est  alors 
que  le  Japon  entra  en  scène.  Et  on  peut  se 
demander  si  la  Chine  n'est  pas  aujourd'hui  aussi 
inquiète  des  progrès  du  Japon  et  de  ses  réformes, 
qu'elle  ne  le  fut  de  tout  ce  que  l'Europe  voulait 
lui  révéler. 

Durant  cette  longue  période,  l'Art  chinois  des 
Tsing  peut  se  diviser  en  trois  époques  :  l'époque 
de  Kanghi,  pleine  d'espérances  et  d'essais,  —  l'épo- 
que de  Kienlung,seraidissantcontrelamauvaisefor- 
tune,  —  le  xixe  siècle,  où  tout  se  perdit  sans  espoir. 

L'Art  de  Kanghi  est  plutôt  un  composé  de 
diverses  tendances,  qu'un  mouvement  isolé 
d'impulsion,  un  peu  comme  l'Art  japonais  des 
Tokugawa. 

i°  Retour  aux  anciens  styles  déjà  remis  en 
honneur  par  les  premiers  Ming.  En  peinture, 
on  ne  crée  plus  de  fortes  figures  originales,  le 
paysage  est  accaparé  par  les  confucianistes,  on 
se  contente  de  la  joliesse  de  la  fleur  et  de 
l'oiseau  en  couleurs.  Si  on  peint  encore  une 
figure  de  Cour,  c'est  une  poupée  sans  vie  telle 
qu'on  en  voit  sur  les  paravents  de  laque. 

20  Un  artiste  domine,  Reibun  ;  de  la  valeur  des 
grands  réalistes  des  Yuen,  Shunkio  et  Chosugo. 
Mais  dans  son  domaine,  qui  est  la  fleur,  avec 
un  réel  sentiment  des  lignes  et  des  proportions, 
laissa-t-il  autre  chose  qu'une  série  d'oeuvres  pour 
illustrer  un  traité  de  botanique  ? 

(264) 


FEMME    DANS   UN    PAYSAGE  (ÉCRAN). 
ÉPOQUE   DES   MING. 


L'ART  MODERNE  CHINOIS 

j°  L'influence  des  Jésuites,  et  par  eux  de  la 
peinture  à  l'huile  des  Occidentaux,  qui  détermina 
peut-être  une  certaine  richesse  de  couleurs  pro- 
fondes. 

4°  La  persistance  des  styles  tartares  dans  l'Art 
bouddhiste  du  Nord,  en  Mongolie  et  Manchourie, 
qu'on  retrouve  encore  aujourd'hui  dans  les  formes 
bouddhiques  modernes  de  la  Corée.  C'est  aussi 
ces  formes  d'art  qui  sont  devenues  celles  des 
couvents  lamaïques  du  Thibet,  après  la  conquête 
des  Tsing,  et  ont  contribué  à  former  cet  art 
minutieux,  analogue  à  celui  des  moines  byzan- 
tinisants  du  mont  Athos. 

$°  Le  mouvement  «  Bunjinga  »  des  confucia- 
nistes,  avec  ses  paysages  à  l'encre  dérivés  de 
l'Art  des  Ming,  son  ignorance  du  dessin,  sa  nota- 
tion froide  et  monotone;  aucun  sentiment  de 
l'éloignement,  des  distances,  de  la  perspective; 
des  flots  d'encre  grossièrement  maniés  ;  sans 
doute  une  grande  dextérité,  mais  tellement  de 
formules  aveuglément  appliquées,  une  telle  mono- 
tonie, un  telle  absence  de  sentiment  et  de  per- 
sonnalité, qu'on  en  est  vite  excédé. 

6°  La  seule  tendance  vraiment  intéressante  du 
règne  de  Kanghi,  l'adaptation  d'un  dessin  éclec- 
tique au  décor  des  industries  d'art.  L'architecture 
fut  la  première  à  en  profiter;  elle  offre  une 
grandeur  et  une  splendeur  réelles  avec  ses  ter- 
rasses de  marbres,  ses  arcades,  ses  superstruc- 
tures en  faïence  émaillée  (le  grand  arc  triomphal 
de  Confucius  à  Pékin,  les  gracieux  ponts  arqués 
de  marbre  des  jardins  impériaux,  les  plafonds 
splendides  du  Temple  du  Ciel). 

(265) 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

A  quelles  sources  cet  Art  chinois  de  la  déca- 
dence demandait-il  ses  inspirations,  ses  motifs? 
Aux  anciens  bronzes  de  ses  origines.  A  toutes 
les  époques  il  en  avait  d'ailleurs  été  ainsi  :  et 
déjà  sous  les  Song  (So)  on  copiaitles  types  anciens, 
non  pas  le  plus  souvent  d'après  les  originaux, 
mais  d'après  les  gravures  du  Hokkodzu.  Les  Han 
et  les  Tang  avaient  eu  leurs  styles  propres,  mais 
déjà  les  Tang  archaïsaient.  Les  porcelaines  des 
Song  sont  toutes  copiées  d'après  les  bronzes 
des  Shang  (Shô)  ou  des  Chow  (Shu).  Les  plus 
anciens  éléments  du  décor  des  arts  du  Pacifique, 
qui  avaient  été  le  répertoire  des  Han,  n'avaient 
jamais  été  oubliés  ;  légèrement  modifiés,  ils 
forment  encore  la  décoration  des  Ming  et  des 
Tsing,  comme  ces  motifs  carrés  abstraits  qui 
ressemblent  à  des  clés  et  ne  sont  que  des 
interprétations  du  dragon,  du  visage,  ou  du 
nuage  des  anciens  bronzes  du  Pacifique. 

L'art  principal  de  la  Chine  moderne,  c'est  la 
Porcelaine,  et  mieux  que  les  pièces  mono- 
chromes, si  splendides  de  ton,  les  pièces  à  décor 
sont  intéressantes  par  tous  les  sujets  qu'elles 
présentent,  qui  n'ont  plus  de  haute  valeur  pictu- 
rale, mais  sont  si  riches  encore  de  signification.  Sur 
les  panses  de  ces  vases  se  retrouvent  ces  repré- 
sentations réalistes  des  oiseaux,  des  fleurs  et  des 
fruits,  avec  leurs  brillantes  couleurs.  Sur  d'autres 
apparaissent  ces  petites  figures  — poupées  bleues 
ou  roses,  sous  des  architectures,  dans  des  jardins  — 
qu'on  retrouve  dans  les  albums  de  l'époque,  et 
qui  sont  comme  une  transcription  de  l'imagerie 
sur    papier    de    riz.     On    pourrait    évidemment 

(266) 


L'ART  MODERNE  CHINOIS 

retrouver  l'origine  des  décors  de  la  porcelaine 
dans  tous  les  arts  de  la  peinture  et  de  la  sculpture 
chinoises  anciens,  mais  cela  ne  porterait  aucune 
atteinte  à  l'intelligence  avec  laquelle  ces  vieux 
motifs  ont  été  appliqués  à  l'art  exquis  de  la  por- 
celaine. 

Avec  le  règne  de  Kienlung  apparaît  la  grande 
prépondérance  de  l'Art  «  Bunjinga  »,  grâce  au 
triomphe  du  parti  confucianiste  après  l'échec 
des  chrétiens.  Les  arts  décoratifs  tendent  à  ne 
répéter  que  les  motifs  de  l'Art  Kanghi;  toutefois 
l'Art  «  Bunjinga  »  parvient  à  imposer  ses  décors 
à  la  porcelaine,  et  l'on  voit  alors  apparaître  sur 
la  panse  des  vases  les  formes  aveulies  des  pein- 
tures confucianistes.  La  peinture  de  fleurs  indé- 
pendante, de  si  jolies  couleurs,  a  elle-même 
disparu. 

On  peut  vraiment  affirmer  qu'il  n'y  eut  plus  de 
grand  art  en  Chine  après  le  début  des  Ming,  si 
ce  n'est  l'art  de  la  porcelaine  des  derniers  Ming 
et  des  premiers  Tsing,  et  qu'à  vrai  dire  les  très 
grands  arts  n'ont  pas  survécu  aux  Song  et  aux 
premiers  Yuen.  C'est  donc  sur  plusieurs  siècles 
que  s'inscrit  la  longue  ligne  de  chute  de  l'Art 
chinois. 


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CHAPITRE  XV 
L'ART   MODERNE   POPULAIRE    A   KIOTO 

L'ÉCOLE  SHIJO 

SON  ESPRIT  AVAIT  DÉJÀ  SA  SOURCE  DANS  L'ART  DE  MAITRES  CHINOIS  DES 
TSING  INSTALLÉS  A  NAGASAKI.  8  INFLUENCE  DU  STYLE  «  BUNJINGA  »  AU 
JAPON.  1  OKIO.  u  SES  ÉLÈVES  GOSHUN  ET  KEIBUN.  Il  SOSEN  ET  GANKU.  g 
INFLUENCE  DE  L ÉCOLE  SHIJO  SUR  LES  DÉCORATEURS  A  KIOTO,  SURTOUT 
DANS  LE   DÉCOR  DES   TISSUS. 

De  toutes  les  périodes  d'Art  du  Japon,  celle 
des  Tokugawa  fut  la  plus  troublée,  partagée 
en  efforts  locaux,  sans  grand  idéal  national, 
sans  grande  concentration  de  style.  La  première 
scission  se  produisit  entre  les  aristocrates  et  le 
peuple  :  les  artisans  des  cités,  comme  les  paysans 
des  campagnes,  n'étaient  plus  des  sauvages,  mais 
des  êtres  d'une  certaine  culture  encore  assez 
neuve.  Nous  n'avons  pas  beaucoup  de  données 
exactes  sur  la  vie  intellectuelle  du  peuple  sous 
les  Fujiwara,  les  Hojo,  les  Ashikaga.  Elle  devait 
être  assez  pauvre.  L'Art  était  la  distraction  des 
seigneurs  de  la  Cour  impériale,  ou  de  la  Cour  des 
Shoguns  ou  des  Daïmios.  Mais  le  peuple  japonais 
ne  fut  jamais  une  masse  inerte  et  ignorante 
comme  le  peuple  russe.  Aux  anciens  jours  de 
Nara,  l'ordre  social  était  relativement  démocra- 
tique, et  il  n'est  pas  rare,  dans  certains  drames  de 
Nô,  de  voir  des  serviteurs  participer  de  la  culture 
de  leurs  maîtres. 

Nul  doute   que   dans    ces  deux  cultures  diffé- 

(269) 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

rentes  de  la  noblesse  et  de  la  populace,  chacun 
souffrît  de  la  division.  Il  manqua  à  l'Art  des  Kano 
de  se  servir  de  la  pensée  vigoureuse  de  ses 
voisins,  et  l'Art  populaire,  abandonné  par 
ceux  qui  auraient  dû  le  diriger  dans  les  voies  du 
goût  raffiné,  tendit  souvent  vers  la  trivialité. 

Les  Écoles  de  Kano  et  de  Korin  furent  les  nou- 
velles écoles  de  dessin  qui  surgirent  parmi  la 
populace  ouvrière  de  Kioto,  et  parmi  les  artisans 
et  marchands  de  Yedo.  Plus  faibles  encore  furent 
d'autres  Écoles  locales,  à  Nagasaki,  à  Nagoya,  à 
Fukui.  Dans  les  deux  capitales  seules  pouvait  se 
développer  un  art  vraiment  nouveau,  explicable, 
d'une  claire  technique,  de  caractère  esthétique, 
éduquant  de  grandes  classes  d'élèves,  et  se  déve- 
loppant non  seulement  sur  les  murailles  peintes, 
mais  aussi  en  tous  les  motifs  de  décor  des 
industries.  Un  tel  idéal  fut  atteint  aussi  bien  par 
l'École  Shijo,  que  par  l'École  de  l'Ukiyo-yé.  Voyons 
ce  que  fut  l'École  Shijo  à  Kioto. 

On  ne  saurait  prétendre  que  la  rupture  entre  les 
deux  représentations  de  l'art  sous  les  Tokugawa 
ait  été  un  événement  brusque.  Elle  se  produisit  par 
étapes,  et  l'on  peut  même  dire  qu'elle  commença  à 
se  produire  avant  la  période  Genroku  de  1688. 
Alors  les  deux  mouvements  d'art  Kano  et  Koyetsu 
avaient  atteint  leur  plein  développement,  et 
entraient  même  en  décadence  à  la  fin  de  Gen- 
roku. Yedo  était  devenue  une  grande  cité,  qui 
avait  attiré  de  nombreux  artisans  et  de  vieilles 
écoles  d'artistes  de  Kioto,  qui  jamais  ne  fut  plus 
oublié.  De  plus,  après  les  Ming,  venait  de  régner 
en  Chine  le  célèbre  empereur  manchou  Kanghi, 

(270) 


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L'ART  MODERNE  POPULAIRE  A  KIOTO 

et  les  nouvelles  formes  d'activité  littéraire  et 
artistique  des  Tsing,  malgré  les  barrières,  péné- 
traient malgré  tout  au  Japon,  de  même  que  Naga- 
saki n'était  pas  un  port  fermé  aux  navires  des 
Hollandais.  Le  peuple  était  partagé  entre  un 
Bouddhisme  mystique,  un  idéalisme  de  la  nature 
et  les  traditions  des  Fujiwara,  mais  déjà  conscient 
avant  tout  qu'il  était  un  grand  peuple,  avec  un 
grand  passé.  Le  théâtre,  en  dehors  des  drames 
de  Nô,  devenait  populaire,  avec  des  sujets  légen- 
daires nationaux.  Un  vif  désir  se  manifestait 
d'investigations  dans  les  sciences  naturelles,  qui 
amenait  à  regarder  la  nature  de  très  près,  d'une 
observation  minutieuse  et  attentive. 

A  ce  moment,  des  bandes  de  marchands  et  d'étu- 
diants chinois  gagnaient  Nagasaki,  fuyant  la 
domination  manchoue  ou  par  un  besoin  d'émi- 
gration. Ils  apportaient  avec  eux  cette  nouvelle 
conception  de  la  vie  et  de  l'art  ultra-confucianiste, 
mûrie  déjà  sous  les  derniers  Ming,  que  le  Japon 
n'avait  pas  encore  connue.  Le  Japon  devint  l'asile 
de  ces  puritains  chinois.  Ils  apportaient  leurs 
porcelaines,  leurs  sièges  de  bois  de  teck,  leurs 
bâtons  d'encre  dorés,  leurs  poids  de  marbre,  de 
cristal  et  de  jade,  leur  livres,  leurs  précieuses 
peintures  «  Bunjinga  ».  Ils  eurent  beaucoup  de 
succès,  et  chacun  voulut  les  imiter. 

Le  Japon  fut  alors  heureusement  préservé  des 
périls  du  Confucianisme  ;  et  puis  ce  n'était  pas 
uniquement  l'Art  «  Bunjinga  »  que  ces  immigrants 
apportaient  avec  eux,  mais  aussi  toutes  ces  jolies 
formules  du  dernier  art  des  Ming,  la  peinture  des 
animaux,  fleurs  et  oiseaux,  et  aussi  la  porcelaine 

(27O 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

décorée,  qui  aussitôt  fut  imitée  dans  la  province 
de  Nagasaki,  à  Hizen. 

Deux  Écoles  d'Art  chinois  contemporain 
venaient  en  même  temps  installer  des  filiales  à 
Nagasaki.  Parmi  les  maîtres  de  la  peinture  de 
fleurs  et  oiseaux,  un  des  plus  fameux  était 
Chinnampin,  encore  un  peu  teinté  de  «  Bunjinga», 
mais  d'un  charme  d'observation  exquise,  sans 
grande  force  cependant,  peignant  dans  de  belles 
couleurs.  Son  beau  dessin  de  lapins  au  pied 
d'un  prunier  noueux  est  une  pure  relique  d'Art 
Ming  digne  de  Rioki.  Cette  école  fit  fortune  à 
Kioto  comme  à  Yedo.  Ses  artistes  japonais  furent 
Yuht\   Sorin7  Soshiseki  et  Shukî. 

Une  autre  école  dirigée  par  un  maître  chinois, 
Hosaigan,  semble  être  venue  s'installer  à  Kioto, 
même.  Son  style  est  plutôt  de  blanc  et  noir  ; 
mais  elle  diffère  peu  de  la  première. 

Mais  après  l'accession  au  trône  chinois  de 
Kienlung  en  1726  et  la  défaite  des  Jésuites, 
l'influence  du  style  «  Bunjinga  »  ne  rencontra 
plus  de  résistance  au  Japon,  et  entre  17^0  et  1760, 
il  fut  tout-puissant  dans  les  deux  pays.  Aucune 
estime  ne  s'attachait  plus  aux  formes  des  arts 
anciens,  et  c'était  une  telle  passion  pour  cet 
art  littéraire  d'amateur  que  jusqu'à  nos  jours, 
dans  beaucoup  de  maisons  du  Japon,  c'est 
toujours  le  kakémono  «  Bunjinga  »  qui  a  les 
honneurs  du  tokonoma  et  fait  dans  les  ventes 
publiques  des  prix  exorbitants  quand  il  porte 
la  signature  de  Taigado  ou  de  Shabuson.  On 
peut  supposer  ce  qui  serait  advenu  des  chefs- 
d'œuvre    de    l'Art  ancien   un   siècle  plus  tôt  au 

(272) 


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Singes. 

Par  Mori  Sosen  (1747-1821) 


Planche  CXXVI. 


L'ART  MODERNE  POPULAIRE  A  KIOTO 

Japon,  si  ces  enragés  confucianistes  y  avaient 
été  les  maîtres  ;  ils  les  y  auraient  détruits,  comme 
ils  les  anéantirent  en  Chine.  Ce  furent  les  Samuraïs, 
ses  justes  défenseurs,  et  aussi  le  génie  de  Tanyu 
et  des  maîtres  de  Kano  qui  les  sauvèrent.  Leur 
influence,  à  Yedo  même,  y  contrebalança  si  bien 
celle  de  la  Chine  que  les  deux  styles  bien  fréquem- 
ment se  mêlent  comme  chez  les  artistes  de  l'École 
de  Tant  Buncho  vers  1800.  —  A  Kioto,  cité 
d'artisans  cultivés  plus  que  de  Samuraïs,  ces 
influences  chinoises  complexes  se  développèrent; 
Buson  vers  1750,  en  de  nombreuses  tentatives  d'art, 
y  fonda  sa  grande  Ecole  «  Bunjinga»;  Kivanyei  y 
faisait  revivre  des  sortes  de  figures  taoïstes  comme 
celles  des  Ming;  Shohaku,  un  admirateur  de 
Shiubun  et  de  Jasoku,  y  perpétuait  d'extravagantes 
représentations  d'anciens  groupes  et  d'anciens 
paysages  de  la  Chine.  Il  était  bien  nécessaire 
qu'un  homme  de  génie  vînt  mettre  un  peu  d'ordre 
dans  ce  chaos  et  imposer  la  personnalité  de  sa 
manière. 

Cet  hom  me  fut  Maruyama  Okio.  Il  était  sorti 
des  rangs  des  artisans  éduqués  qui  tissaient  la 
soie  ou  fondaient  les  bronzes  à  Kioto.  Son  style 
montre  bien  toutes  les  influences  qu'il  avait 
subies,  mais  que  sa  force  lui  avait  permis  de 
dominer.  D'abord  il  avait  été  un  disciple  d'une 
branche  de  l'École  Kano  de  Kioto  :  son  maître 
Yutei  était  d'une  famille  dont  les  origines  artis- 
tiques pouvaient  remonter  jusqu'à  Tanyu,  dans 
la  peinture  délicate  de  fleurs  et  oiseaux,  mi-Kano, 
mi-Tosa,  imprégnée  d'une  pointe  de  réalisme 
chinois.    Mais    en  littérature  et  en   écriture,    le 

(273) 

18 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

maître  d'Okio  avait  été  un  maître  de  «  Bunjinga»  : 
Watanabe  Shiko,  qui  eut  beaucoup  d'autorité  sur 
lui  et  le  mena  sur  les  traces  de  Buson.  Mais 
Okio  avait  une  nature  énergique,  réagissante,  et, 
non  content  de  remonter  pour  son  art  aux 
sources  de  l'Art  chinois,  il  fit  retour  en  arrière 
jusqu'au  pur  réalisme  de  Shunkio  dans  la  doctrine 
Zen,  au  réalisme  des  Yuen,  en  même  temps  que 
le  réalisme  plus  étroit  de  son  maître  Yutei  l'inci- 
tait à  ouvrir  les  yeux  sur  les  magnificences  de 
ia  nature  et  sur  les  merveilleux  paysages  qui  font 
à  Kioto  la  plus  belle  ceinture  pittoresque  ;  et 
dans  cette  nature  son  observation  attentive  se 
porta  sur  les  poules,  les  singes,  les  poissons,  qu'il 
chercha  à  surprendre  dans  toutes  les  attitudes 
de  leurs  mouvements. 

Le  génie  d'Okio  a  été  bien  méconnu  de 
certains  Occidentaux.  Le  docteur  Anderson  lui  a 
reproché  de  ne  pas  avoir  haussé  son  idéal 
réaliste  et  le  style  de  son  dessin  aux  caractères 
de  l'Art  européen.  Quelle  étrange  idée  !  A  ce  faire 
son  art  eût  été  déraciné.  S'il  a  été  le  chef  dune 
École,  ce  n'est  pas  qu'il  ait  trouvé  un  nouveau 
genre  de  sujets  à  exploiter,  ni  que  son  réalisme 
se  soit  plié  à  une  représentation  photographique 
des  choses,  mais  parce  que  son  génie  lui  pro- 
curait de  nouvelles  formes  de  dessin  adéquates 
aux  suggestions  que  lui  apportait  la  nature, 
qu'il  inventait  de  nouvelles  façons  de  noter  les 
plumes  des  bêtes,  les  feuillages  des  plantes,  et 
d'exprimer  toutes  ces  beautés  par  l'adresse  de 
son  pinceau.  Ce  sont  toutes  nouveautés  que  son 
coup  de  brosse,  la  qualité  de  son  encre  et  de  sa 

(274) 


Singes. 

Par  Mon  Sosen  (1747 — 1821). 


Planche  CXXV'I. 


Daims. 

Par  Ganku  (1745-1834). 


Planche  CXXVIII. 


L'ART  MODERNE  POPULAIRE  A  KIOTO 

couleur,    le    choix  de    son  papier,    sa  façon   de 
manier  le  pinceau  et  la  goutte  d'eau. 

Son  domaine,  c'est  les  scènes  de  la  nature  qui 
environnait  Kioto,  et  les  animaux  qui  la 
peuplaient;  il  y  introduisit  parfois  des  groupes 
chinois,  mais  il  avait  peu  de  génie  symbolique 
ou  de  composition.  Ses  recherches  passion- 
nées étaient  de  mouvements,  de  notations 
de  dessin.  Le  paysage,  pour  lui,  c'était  surtout 
l'espace  et  des  états  d'atmosphère.  Son  imagi- 
nation puissante  lui  faisait  trouver  cet  extra- 
ordinaire dragon  chevauchant  le  nuage  en  fuite, 
où  il  atteint  les  grandioses  effets  des  Song.  Ses 
pavsages  sont  grands,  faibles  de  couleur:  il  est  le 
maître  des  tons  gris.  Quand  il  traite  les  animaux 
et  les  oiseaux,  il  ne  laisse  rien  au  hasard;  tout 
est  médité,  voulu;  chaque  coup  de  brosse,  chaque 
trait,  chaque  touche  doivent  concourir  à  l'effet 
organique  total.  Dans  les  figures  il  est  plus  faible, 
parce  qu'alors  il  se  souvient  trop  des  anciens. 
Quand  il  peint  les  paysans,  les  jeunes  filles  des 
villes,  les  courtisanes,  c'est  déjà  une  des  formes 
de  l'Ukiyo-yé  de  Kioto.  Son  art  d'ailleurs  y 
fleurissait  déjà  sous  le  patronage  du  peuple, 
appuyé  par  les  tisseurs  de  soie,  les  bronziers, 
les  potiers,  les  gros  marchands.  Riches  d'argent, 
et  ayant  du  goût,  leurs  maisons  s'ornaient  de 
belles  choses.  Jadis  patrons  des  Kanos  et  des 
Tosas,  ils  avaient  versé  dans  le  goût«  Bunjinga  », 
mais  surtout  parce  que  c'était  la  mode  ;  car 
aucune  industrie  d'art  n'y  pouvait  rencontrer 
de  motifs  d'inspiration  pour  ses  décors.  Avec 
Okio,   il  en  allait  tout  autrement.  Ses  pavsages 

(^75) 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

s'adaptaient  si  bien  aux  fukusas  brodés,  ses 
études  de  fleurs  aux  robes  des  femmes,  à  ces 
tissus  de  coton  imprimés  au  pochoir  qui  étaient 
les  vêtements  du  bas  peuple.  Ses  poissons  et  ses 
singes  étaient  le  décor  plastique  naturel  des 
bronzes.  Et  tout  ce  qu'imaginait  Okio  était  si 
familier  aux  yeux  des  citadins  de  Kioto,  c'étaient  les 
détails  même  du  paysage,  de  leurs  vallées  et  de 
leurs  montagnes,  Arashiyama,Takano,  Chionin, 
le  lac  Biwa,  le  Yodogawa  à  Biodoïn,  Fushimi, 
—  les  vieux  jardins  des  Ashikaga,  —  la  neige 
sur  les  grands  pins,  les  oiseaux  posés  sur  les 
branches  sauvages,  les  daims  et  les  singes  de 
Kozanji. 

Les  œuvres  d'Okio  ont  pénétré  dans  toutes  les 
collections  du  monde.  Ce  qu'il  y  a  peut-être  de 
plus  exceptionnellement  nouveau  dans  son  art, 
c'est  les  animaux,  singes,  chiens,  chats,  renards, 
daims,  vraiment  matière  pour  lui  à  de  nouveaux 
effets  de  peinture  ;  nul  n'a  peint  comme  lui  les 
tout  petits  chiens.  Il  a  rendu  d'extraordinaire 
manière  la  souplesse  lente  de  mouvements  des 
poissons  (le  paravent  à  la  grande  carpe  du  prince 
Daté  de  Sendai). 

Parmi  les  oiseaux,  sa  prédilection  va  aux  poules 
et  aux  canards  sauvages,  dont  il  a  su  rendre  de 
splendide  façon  les  plumages.  Pour  les  canards, 
les  oies  sauvages  en  plein  vol,  c'est  un  miracle 
de  rendu  de  mouvements  commepourlespoissons. 
Ils  ne  sont  pas  barbouillés  comme  les  oiseaux 
des  Kanos,  ni  par  petites  touches  comme  ceux 
de  Sesshu,  mais  plutôt  comme  les  animaux  de 
Toba  Sojo,  libres   d'exécution,   définitifs  comme 

(276) 


■ 


Trois  Canards. 
Par  Manju. 


<lï> 


I 


J  ^*#       ,   ':"*"' 


Planche  CXXIX. 


Le  Fuji  vu  d'Enoshima. 

Par  Ho-yen.  (Ecole  d'Okio).     Fin  du  XVIIIe  siècle. 
Musée  de  Boston  (Etats-Unis). 


i 

4 


Une  Ferme. 

Par  Ho-yen  (Ecole  d'Okio).     Fin  du  XVIIIe  siècle. 
Musée  de  Boston  (Etats-Unis). 


Planche  CXXX. 


L'ART  MODERNE  POPULAIRE  A  KIOTO 

apposition  de  la  touche  dans  la  goutte  d'eau 
(paravent  à  quatre  feuilles  des  deux  oies  volant 
de  la  collection  Freer). 

Dans  ses  paysages,  le  style  le  plus  ancien  d'Okio 
rappelle  en  quelque  sorte  Kano  et  même  Tanyu 
(comme  dans  le  Fujiyama  avec  le  nuage  du  musée 
de  Boston).  Dans  les  aspects  de  neige,  sans 
égaler  en  grandeur  Sesshu  et  Motonobu,  il  se 
montre  très  grand  artiste,  avec  une  façon  très 
neuve  et  très  réaliste  d'en  rendre  le  dessin  et 
l'étendue.  La  collection  Dwight  F.  Davis  de  Saint- 
Louis  (États-Unis)  possède  un  splendide  paysage 
de  cascade  se  précipitant  d'un  lac  de  montagne 
à  travers  des  rives  de  granit  jusqu'à  une  exquise 
vallée.  Son  plus  beau  paysage,  d'un  grand  pin 
et  de  rivages,  décore  le  mur  d'une  salle  de  la 
maison  M.  Kawasaki  à  Kobé,  et  M.  Nishimura, 
de  Kioto,  possède  des  paravents  de  rocs  et  de 
cascades.  Les  plus  surprenantes  réalisations 
d'Okio,  c'est  quand  son  choix  combine  des  motifs 
de  paysage,  de  nuage  d'orage,  et  de  formes  de 
dragon  en  violent  mouvement.  Il  approche  alors 
de  Mokkei  et  de  Chisho. 

Quand  il  peint  des  figures,  il  y  apporte  plus  de 
délicatesse.  Ses  dames  chinoises,  très  colorées, 
sont  exquises.  Il  a  encore  plus  d'adresse  et 
de  force  de  dessin  dans  ses  makimonos  de 
scènes  de  la  vie  réelle,  comme  dans  ses  Sept 
Malheurs  humains  conservés  à  Miidera  d'Otsu. 
Il  y  montre  les  foules  victimes  des  tremblements 
de  terre,  tempêtes,  guerres,  meurtres,  avec  un 
réalisme  parfois  aussi  violent  que  celui  d'un 
Goya.    D'une    terrible    émotion    est    une    petite 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

figure  en  fuite  se  prosternant  devant  un  éclair 
qui  illumine  le  ciel  dans  la  tempête  au  milieu  des 
arbres  ployés.  Si  on  le  compare  avec  Nobuzane 
et  ses  scènes  de  torture  infernale,  la  supériorité 
de  ce  dernier  éclate  dans  la  splendeur  de  la  com- 
position et  de  la  couleur. 

Okio  était  un  génie  trop  original,  pour  former 
des  disciples  capables  d'appliquer  ses  techniques. 
Mais  dans  la  longue  suite  de  noms  d'artistes  qui 
ont  illustré  cette  École  Shijo  durant  trois  ou 
quatre  générations,  se  trouve  un  groupe  d'esprits 
distingués  qui,  loin  d'avoir  la  puissance  du 
maître,  ont  apporté  une  fraîcheur  de  sentiment 
et  des  ressources  d'exécution  tout  à  fait  remar- 
quables. 

L'un  des  principaux  est  Goshun,  avec  ses  deux 
frères  Keibun  et  Toyohiko.  Goshun,  au  début,  avait 
été  un  maître  de  «  Bunjinga  »  de  réel  talent,  un 
émule  de  Buson  et  de  Taigado.  Mais  plus  tard 
Okio  l'attira.  L'atelier  s'établit  à  la  pointe  de 
Shijo,  au  pont  de  la  quatrième  avenue  à  Kioto, 
d'où  LÉcole  issue  d'Okio  prit  son  nom.  Des 
critiques  modernes  ne  l'ont  pas  entendu  ainsi, 
prétendant  que  cette  école  s'était  fondée  en  se  sé- 
parant d'Okio,  et  que  les  vrais  descendants  d'Okio 
devaient  porter  le  nom  d'École  Maruyama.  A  les 
suivre,  on  reconnaîtrait  ainsi  vingt  Ecoles  dissi- 
dentes. Il  est  plus  simple  et  vrai  de  dire  qu'entre 
1760  et  1800,  tous  les  artistes  de  Kioto  relèvent 
d'Okio,  et  qu'ainsi  ce  mouvement  d'art  total  peut 
porter  justement  le  nom  d'École  Shijo. 

Si  la  composition  dans  les  œuvres  de  Goshun- 

(278) 


tÊÊÊ 


Jranche  de  Prunier  et  Rossignols. 
Par  Ho-yen  (Ecole  d'Okio).     Fin  du  XVIII'   siècle. 
Musée  de  Boston  (Etats-Unis). 

Planche  CXXXI. 


Renard  Dormant. 

Par  Tetsuzan  ou  Tessan  (Ecole  d'Okio)  +  1841. 


Planche  CXXXII. 


L'ART  MODERNE  POPULAIRE  A  KIOTO 

Keibun  est  bien  de  l'esprit  d'Okio,  l'exécution 
est  plus  douce  et  les  couleurs  plus  fondues, 
d'un  aspect  plus  fluide,  avec  plus  de  variété  de 
tons  dans  les  coups  de  pinceau.  Les  paysages, 
et  spécialement  les  tiges  de  bambous  de  Goshun, 
sont  d'une  particulière  beauté  !  Keibun  réussit 
surtout  les  fleurs  et  oiseaux.  De  Toyohiko  le 
musée  de  Boston  a  un  très  beau  paravent  à  deux 
feuilles  d'un  daim  sous  un  pin. 

Les  disciples  directs  d'Okio  forment  un  groupe 
d'artistes  très  originaux.  Tokei  est  un  ultra- 
impressionniste. Ge?iki  a  poussé  aux  extrêmes 
limites  de  la  subtilité  les  tons  gris  d'Okio,  dont 
le  propre  fils,  G{w/,  a  fait  d'Arashiyama  le  plus 
splendide  des  paysages  (musée  de  Boston). 
Rosetsou  marque  infiniment  d'humour  dans 
l'expression  de  ses  petits  chiens.  Taichu  rend  le 
paysage  comme  il  le  voit,  avec  la  sûreté  d'un 
objectif  photographique.  Chokkcn  a  fait  d'éton- 
nants animaux  et  oiseaux,  surtout  dans  la  neige. 
Mais  l'un  des  plus  habiles  est  Tetsu^an,  qui  touche 
à  tous  les  sujets  avec  un  égal  bonheur,  et  fit  un 
jour  un  rare  chef-d'œuvre  avec  son  renard 
endormi  du  musée  de  Boston.  Toko  est  le  grand 
peintre  des  poissons.  Nangaku  fit  surtout  des 
figures,  particulièrement  charmantes,  de  beautés 
des  maisons  de  thé. 

Deux  artistes  d'un  infini  talent  ont  suivi  Okio, 
sans  être  étroitement  liés  à  lui,  et  ont  chacun 
fondé  une  Ecole,  comme  animaliers  de  premier 
rang.  Le  plus  célèbre  est  Sosen,  le  peintre  des 
singes,  qui  fut  le  maître  de  la  folle  exécution, 
tantôt  minutieuse  jusqu'à  rendre  le  pelage  de  la 

(279) 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

bête  poil  par  poil,  tantôt  large  jusqu'à  en  donner 
la  plus  totale  impression  d'un  seul  coup  de  pin- 
ceau magistralement  posé.  De  ces  deux  styles  le 
musée  de  Boston  possède  de  merveilleux  spéci- 
mens. Mais  il  n'a  pas  peint  exclusivement  les 
singes  :  il  fit  toutes  sortes  d'animaux,  chats,  rats, 
chiens,  renards,  daims,  et  d'admirables  oiseaux 
(le  paon  en  couleurs  de  la  collection  Freer).  Il  a 
fait  aussi  des  paysages,  mais  très  peu  de  figures. 
L'autre  artiste  est  Ganku,  qui  à  l'origine  peignit 
dans  le  pur  style  chinois  Nanping  de  Nagasaki, 
avant  de  subir  l'influence  d'Okio  ;  mais  jamais  il  ne 
suivit  le  style  minutieux  et  fin  d'Okio,  préférant 
le  style  large  et  vigoureux.  Il  fut  également 
remarquable  dans  les  animaux,  les  paysages  et 
les  figures,  ces  dernières  cependant  étant  un  peu 
monotones  et  dans  le  goût  chinois  moderne.  Son 
paon  peint  en  couleurs  sur  soie  de  la  collection 
Nishimura  de  Kioto  est  fameux  au  Japon.  Per- 
sonne n'a  peint  comme  lui  les  tigres  :  il  est  là 
l'égal  de  Barye.  Mais  son  plus  grand  chef- 
d'œuvre  est  la  peinture  sur  soie  de  deux 
daims  sacrés  au  musée  de  Boston,  dont  aucun 
peintre  animalier  n'a  jamais  atteint  la  grandeur, 
la  majesté  naturelle,  servies  ici  par  la  plus  déli- 
cate poésie  avec  laquelle  est  traité  le  paysage, 
et  la  plus  prodigieuse  exécution. 

La  troisième  génération  de  Shijo  (1840-1850)  a 
compris  des  artistes  de  grand  mérite,  les  disciples 
de  Goshun,  Keibun,  Gito,  Toyohiko;  —  ceux  de 
Keibun,  Seiki,  Giohuko  et  Hoyen  ;  —  le  fils  de  Tet- 
suzan,  Mori  Kivansai)  —  le  fils  adoptif  de  Ganku, 
Ren^an,  et  les  fils  de  celui-ci,  Ganiei  et  Ganrio. 

(280) 


Arbres. 

Par  Kano  Soshu. 


Planche  CXXXIII 


L'ART  MODERNE   POPULAIRE  A  KIOTO 

Parmi  ces  peintres  de  Kioto  vers  1840,  un 
groupe  de  paysagistes  se  détache  :  Yokayama 
Kwa^an,  un  pupille  de  Ganku,  —  Ippo,  l'élève  de 
Tetsuzan,  qui  a  mérité  le  nom  de  «  Sesshu  de 
Shijo»,  —  Bunrin,  élève  de  Toyohiko,  le  maître  des 
états  de  l'atmosphère,  de  la  neige  et  du  brouillard, 
—  et  Nishiyama  Hoyen,  merveilleux  paysagiste. 

De  la  quatrième  génération  de  Shijo,  peu 
d'artistes  ont  acquis  une  très  grande  renommée. 
Leur  don  d'imitation  a  frappé  leur  art  de  stérilité. 
Beaucoup  vivaient  encore  à  la  fin  du  xixc  siècle. 

On  ne  saurait  oublier  les  services  que  l'École 
Shijo  a  rendus  aux  industries  d'art  du  Japon, 
surtout  aux  tisseurs  ;  la  plupart  des  beaux  des- 
sins qui  nous  charment  sur  les  brocatelles  sorties 
des  boutiques  de  Mitsui,  étaient  les  modèles 
fournis  par  les  peintres  de  Shijo.  Ce  sont  Bunrin 
et  Chikudo  qui  dessinaient  les  motifs  des  bro- 
deries et  des  velours  coupés  des  grandes  maisons 
de  Kioto,  qui  de  là  passaient  souvent  aux  déli- 
cieuses cotonnades  imprimées  dont  se  vêtait  la 
populace.  C'est  un  des  splendides  aspects  de 
l'Art  japonais  du  xixe  siècle  que  son  application 
à  l'art  industriel  populaire  de  son  temps. 


@ 


® 


CHAPITRE  XVI 
L'ART  MODERNE  POPULAIRE  A  YEDO 

L'UKIYO-YÉ 

SON    INFLUENCE    SUR   L'ART  MODERNE  EUROPÉEN.    D    ELLE   FUT  LE   REFLET 

DE   LA  VIE  JAPONAISE   ET  DE  L'ESPRIT  POPULAIRE,   g  MATAHEI.  Il  MORONOBU. 

1   LES  LIVRES  ET  LES  ESTAMPES.    Il  LES  TORII.    Il    HARUNOBU,    ||    K.ORIUSAI.  || 

KIYONAGA.    ||  UTAMARO.  ||  HOKUSAI.    H   HIROSHIGHÉ. 

Il  nous  reste  à  étudier  l'ultime  branche  de  l'Art 
de  l'Extrême-Orient,  dont  la  tige  japonaise  a 
fleuri  miraculeusement.  Cette  grande  École 
japonaise  d'Art  populaire  qui  s'est  étendue  sur 
trois  siècles,  sattachant  aux  aspects  de  la  vie, 
est  sans  doute  la  plus  importante  de  toutes,  au 
double  point  de  vue  historique  et  esthétique. 
C'est  celle  que  l'Europe  et  l'Amérique  ont  le 
mieux  connue,  surtout  par  les  estampes  et  les 
livres  illustrés.  Déjà  en  1850,  après  l'ouverture 
du  Japon,  des  exemples  en  étaient  transmis  en 
Amérique,  à  Londres  et  à  Paris.  Des  écrivains 
comme  Jarves,  des  artistes  comme  Lafarge,  Fran- 
çois Millet  et  Whistler,  leur  demandaient  des 
révélations  dont  leur  art  devait  emprunter 
quelques  reflets.  Et  l'Art  européen  des  cinquante 
dernières  années  en  porte  la  marque  profonde. 
L'Ecole  française  impressionniste  ne  peut  renier 
les  influences  qu'elle  a  subies  de  l'Ukiyo-yé,  mais 
peut-être  est-ce  surtout  Whistler  qui  en  fut  le 
plus  subtil  interprète. 

(283) 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

De  tout  ce  qu'on  a  dit  de  l'Ukiyo-yé,  il  n'y  a 
pas  que  d'exactes  vérités.  Déclarer  qu'elle  a  été 
la  seule  forme  pure  de  l'Art  japonais,  indemne 
de  l'influence  chinoise,  c'est  ignorer  que  tout  l'Art 
Tosa  de  la  troisième  période,  et  tout  l'Art  aristo- 
cratique de  l'Ecole  Korin,  sont  purement  japo- 
nais de  sujets  et  de  styles.  Prétendre  que  cet 
Art  de  Yedo  est  la  seule  forme  d'art  d'Extrême- 
Orient  qui  se  soit  développée  sous  l'influence  du 
peuple  et  pour  le  satisfaire,  c'est  méconnaître 
l'École  Shijo  de  Kioto  et  d'Osaka.  On  a  souvent 
écrit  aussi  que  l'Ukiyo-yé  fut  dans  le  principe  une 
École  d'estampeurs  et  d'illustrateurs  de  livres; 
cela  n'est  vrai  que  si  l'on  dit  que,  originairement 
École  de  peinture,  comme  fut  l'École  Shijo,  beau- 
coup de  livres  illustrés  reflètent  l'Art  de  Shijo 
de  même  que  l'Art  Kano  des   élèves  de    Tanyu. 

En  dépit  de  ces  erreurs  d'opinion,  il  est  vrai 
que  l'École  Ukiyo-yé  est  avant  tout,  dans  les  temps 
modernes,  celle  qui  prit  la  vie  japonaise  pour 
motif  de  ses  inspirations,  qu'elle  fut  l'art  s'adres- 
sant  au  peuple  des  cités  populeuses  du  Japon, 
et  que  l'art  des  estampes  en  couleurs  est  sorti 
des  ateliers  d'artistes  de  Yedo  ;  mais  il  ne  faudrait 
pas  oublier  que  cet  art  des  estampes  n'eût-il 
pas  existé,  l'École  de  peinture  d'Ukiyo-yé  n'en  eût 
pas  moins  été  profondément  originale  et  consi- 
dérable. 

Aux  xvme  et  xixe  siècles  à  Yedo,  capitale  des  Sho- 
guns, l'antagonisme  avait  été  vif  entre  l'Art  des 
hommes  de  sabre  (Kano)  et  l'Art  du  peuple  (Ukiyo- 
yé)  ;  et  ce  dernier,  à  sa  naissance  au  xvne  siècle, 
ne  se  caractérise  point  par  cette  opposition,  car, 

(284) 


L'ART  MODERNE  POPULAIRE  A  YEDO 

sorti  de  l'École  Kano,    il   était    alors   pratiqué  à 
Kioto. 

Pour  bien  comprendre  l'origine  de  ce  mouve- 
ment, il  est  bon  de  revenir  en  arrière.  Nous  avons 
vu  qu'un  certain  courant  vers  le  style  et  les  sujets 
japonais  s'était  déjà  déclaré  sous  les  derniers 
Ashikaga,  mêlant  la  vieille  École  de  Tosa,  née 
aux  xiie  et  xme  siècles,  à  la  renaissance  des  Toku- 
gawa  au  xvne siècle.  Il  y  eut  alors  une  sorte  d'union 
entre  les  deux  Écoles  Kano  et  Tosa.  Kano  Tanyu 
lui-même  toucha  très  heureusement  aux  sujets 
japonais,  dans  la  manière  Tosa.  Mais  cette  phase 
des  Kano  ne  constitue  pas  un  moment  de  l'Uki- 
yo-yé,  caria  plupart  des  sujets  Kano  sont  encore 
des  scènes  de  la  Cour  des  Fujiwara,  de  la  tragé- 
die militaire  d'Heike,  ou  des  récits  de  la  fonda- 
tion du  temple  d'Engi,  alors  que  l'Ukiyo-yé  a 
fait  plus  spécialement  son  étude  de  la  vie  japo- 
naise contemporaine,   et  surtout  populaire. 

Le  besoin  de  mettre  quelque  chose  d'expres- 
sif dans  les  sujets  chinois  avait  augmenté  avec 
Yeitoku,  dans  sa  seconde  phase  de  stvle  Kano, 
décorant  les  murs  des  palais  d'Hideyoshi'de  splen- 
dides  décorations,  or  et  couleurs.  Les  Kano  ne 
pouvaient-ils  alors  mêler  à  ces  seigneurs  et  à 
ces  dames  de  Cour  un  peu  de  gaîté  avec  ces 
lutteurs  et  ces  danseuses  qui  créaient  des  diver- 
tissements si  goûtés  de  Kioto  ?  Peut-être  pourrait- 
on  en  trouver  déjà  des  exemples  du  pinceau  de 
Yeitoku,  la  richesse  de  ses  costumes  de  personnages 
chinois  l'acheminant  facilement  à  la  non  moins 
grande  somptuosité  des  robes  de  danseuses;  et 
ce  que  nous  connaîtrons  des  costumes  populaires 

M) 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

du  style  d'Hideyoshi  nous  sera  révélé  par  ces 
rares  peintures.  Si  nous  imaginons  ensuite  Kano 
Sanraku,  vers  1600,  disposant  ses  personnages 
de  la  Cour  des  Tang,  dans  ses  décorations 
murales  et  ses  paravents,  mêlés  aux  gracieuses 
figures  des  danseuses  contemporaines,  dans  le 
même  style  des  Kano,  dans  la  même  richesse  de 
couleurs,  et  le  même  éclat  des  ors,  nous  discer- 
nerons les  réels  débuts  de  l'Ukiyo-yé,  bien  con- 
temporains de  la  grande  époque  de  Yeitoku  et  de 
Koyetsu.  Entre  1600  et  1620  il  arrive  souvent  que 
les  figures  japonaises  Ukiyo-yé  des  Kano  appa- 
raissent plus  petites  sur  les  paravents,  comme 
elles  le  sont  aussi  sur  leurs  paravents  desprit 
tout  à  fait  chinois  ;  on  les  rencontre  ainsi  sur 
leurs  kakémonos  ou  leurs  éventails.  A  partir  de 
1620  il  n'y  a  plus  de  séparation  d'inspiration  ou 
de  nom  entre  les  deux  mouvements  divergents, 
la  peinture  des  danseuses  de  Sanraku  et  les 
peintures  de  fleurs  de  Koyetsu,  avec  les  couleurs 
de  Yeitoku,  sous  cette  seule  différence  que  San- 
raku était  plus  frappé  par  le  réalisme  du  monde 
qui  l'entourait,  et  que  Koyetsu,  était  plutôt  de 
nature  à  le  transcrire  sous  une  sorte  d'impres- 
sionnisme qui  lui  était  suggéré  par  les  vieux  Tosa. 
A  la  suite  de  Sanraku,  ses  fils  et  les  pupilles 
de  Yeitoku,  surtout  Mitsuoki,  adoptèrent  ce 
nouveau  style  de  Kioto  et  nous  ont  laissé  de 
magnifiques  paravents  à  fonds  d'or  qui  ne  diffè- 
rent de  ceux  de  Yeitoku  que  par  les  sujets  (col- 
lection Charles  Freer  :  quatre  portes  glissières 
avec  de  gracieuses  figures  de  femmes  et  d'en- 
fants). Au  musée  ds  Boston,  un  très  beau  kaké- 

(286; 


Estampes  Chinoises. 
Musée  du  Louvre. 
Iere  Moitié  du  XVIIe  siècle. 


Planche  CXXXIII. 


Illustration  de  Livre. 

Par  Hishigawa  Moronobu  (1638-1714  ou  1617-1694  d'après  Tajima) 


Exemples  de  Otsuyê. 


Planche  CXXXV. 


L'ART  MODERNE  POPULAIRE  A  YEDO 

mono  sur  soie,  d'une  dame  japonaise  assise  sur 
un  fauteuil  chinois  à  haut  dossier,  signé  San- 
raku.  De  Kano  Mitsunobu  le  paravent  de  six 
feuilles  d'un  intérieur  japonais  décoré  dans  le 
style  de  Yeitoku,  avec  de  grandes  jeunes  filles  et 
des  enfants  sur  un  fond  de  nuages  d'or,  dont  les  cu- 
rieuses attitudes  sont  très  naturelles  et  observées. 

A  ce  moment,  le  nom  d'Ukiyo-yé  et  la  pensée 
d'une  école  indépendante  ne  s'étaient  pas  pré- 
sentés. On  ne  peut  vraiment  en  situer  le  départ 
qu'avec  un  artiste  nouveau,  Iwasa  Matahei,  qui 
avait  constitué  son  style  sur  le  style  Kano 
de  l'Ecole  de  Yeitoku,  et  sur  les  figures  japo- 
naises de  Sanraku,  pour  traiter  les  sujets  de 
la  vie  courante  dans  une  manière  qui  lui  serait 
tout  à  fait  personnelle.  On  a  beaucoup  écrit  sur 
cet  artiste  mystérieux,  dont  les  œuvres  ont  été 
confondues  avec  celles  de  nombreux  de  ses  con- 
temporains. Comment  établir  son  opinion  entre  les 
critiques  et  amateurs  européens  qui  considèrent 
comme  d'authentiques  Matahei  toutes  les  pein- 
tures de  femmes  japonaises  de  riche  couleur  et 
d'or  qui  furent  exécutées  entre  1620  et  1680,  et  la 
thèse  des  récents  critiques  japonais  qui  préten- 
dent n'avoir  même  pas  la  moindre  preuve  que 
Matahei  ait  jamais  existé  ? 

Il  nous  faut  considérer  deux  grands  mouvements 
dans  cette  École  Ukiyo-yé  du  xvne  siècle  :  l'un 
dérivé  de  Sanraku,  l'autre  de  Mitsunobu,  une  demi- 
douzaine  de  vrais  artistes  ayant  peut-être  tra- 
vaillé dans  chacun  de  ces  styles.  Et  du  groupe 
se  détache  une  individualité  marquante,  ayant 
développé  la  grâce  de  Sanraku  dans  un  réalisme 

(287J 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

agréable.   Peu  importe  son  nom  ;  pour  le  dési- 


gner 


nommons-le  Matahei. 


Le  chef-d'œuvre  de  cet  artiste  est  le 
grand  paravent  de  six  feuilles,  dit  «  Hikone 
Biobu  »  du  nom  du  daïmo  du  château  Hikone  au 
lac  Biwa  qui  le  possédait.  On  l'a  vu  à  Paris 
à  l'Exposition  de  1900.  Il  représente  de  gracieuses 
figures  d'hommes,  de  jeunes  filles  et  d'enfants 
en  riches  coloris  sur  fond  d'or,  assis  sur  les 
nattes  dans  les  attitudes  japonaises.  Un  musicien 
aveugle  donne  une  leçon  de  shamisen  à  deux 
jeunes  filles,  tandis  qu'une  partie  des  jeunes 
gens  jouent  au  Go.  Le  fond  est  fourni  par  un 
splendide  paravent  Kano  reproduit  certainement 
d'après  Motonobu.  Un  autre  groupe  de  jeunes  filles 
de  haute  taille,  comme  les  types  de  Sanraku, 
se  promène,  tandis  qu'un  jeune  Samuraï  s'appuie 
sur  son  long  sabre.  —  M.  Freer  possède  un 
autre  paravent  à  six  feuilles  basses  sur  fond 
d'or,  qui  lui  aussi  porte  représenté  un  paravent 
à  paysage  de  Motonobu,  ce  qui  montre  bien 
l'admiration  de  Matahei  pour  les  Kano.  —  Ces 
œuvres  datent  de  1630  à  1640,  à  s'en  rapporter 
au  style  des  figures,  aux  costumes,  aux  coiffures. 
—  Dans  sa  dernière  période,  Matahei  montra  un 
plus  profond  réalisme,  négligeant  les  fonds  d'or, 
avec  des  figures  de  jeunes  filles  et  d'enfants 
d'une  touche  plus  aiguë,  dans  des  harmonies 
plus  argentées  comme  les  aimaient  Koyetsu  et 
Sanraku. 

La  prétention  de  Matahei  à  avoir  fondé  l'Ukiyo- 
yé  est  légitime,  et  confirmée  par  la  légion 
d'élèves,  la  plupart  impossibles  à  identifier,  qu'il 

(288) 


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Courtisam:  Avec  sa  Suivante. 
Estampe  on  couleurs  à  la  main,  par 
Okumura  Masanobu  (1685 — 1764). 


Planche  CXXXVII. 


L'ART  MODERNE  POPULAIRE  A  YEDO 

a  laissée.  Ce  sont  leurs  œuvres  qui  font  la  tran- 
sition entre  i6<,o  et  1680,  époque  à  laquelle 
apparut  Moronobu.  Matahei  eut  un  fils. 
M.  Freer  a  sans  doute  de  lui  un  charmant  petit 
kakémono  d'un  baladin  montrant  un  singe  à  des 
jeunes  filles. 

Iwasa  a  été  aussi  confondu  avec  un  autre 
artiste  de  nom  semblable,  Matahei  ou  Matabei 
qui  travailla  plus  tard  à  Echizen.  Son  dessin  est 
plus  faible,  ses  visages  plus  allongés  et  plus 
négligés  dans  un  style  Tosa,  les  joues  et  les 
mentons  sont  bouffis.  Les  couleurs  rappellent 
Yeitoku  dans  sa  dernière  manière.  A  partir 
de  1670  les  couleurs  à  la  Yeitoku  se  sont 
réduites  à  un  vert  un  peu  dur,  un  orange  et 
de  l'or.  Cette  nouvelle  Ecole  dite  «  Otsu-yé  » 
cherchait  à  populariser,  à  mettre  à  portée  de 
toutes  les  bourses,  des  recueils  à  nombreuses 
éditions.  Un  trait  rapide  à  l'encre  sur  le 
papier,  et  les  vides  mouillés  de  quelques 
touches  de  vert,  d'orange  et  de  jaune.  Vendues 
en  grand  nombre,  ces  feuilles  représentaient  un 
art  précurseur  de  l'estampe.  Comme  ce  Matahei 
vécut  un  moment  à  Otsu  du  lac  Biwa,  d'où  ces 
feuilles  de  papier  provenaient,  on  a  dit  qu'il  en 
avait  été  l'auteur.  La  plupart  de  ces  «  otsu-yé  » 
datent  de  1700  ;  il  en  est  qui  peuvent,  par  leur 
style,  remonter  à  1660  ou  1670.  Les  marchands 
actuels,  en  attachant  le  nom  de  Matahei  à  ces 
feuilles,  n'ont  pas  peu  contribué  à  brouiller  la 
question. 

Bien  que  les  livres  illustrés  japonais  aient 
apparu  dès  1608,  ils  n'avaient  à  l'origine  aucun 

(289) 

19 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

rapport  avec  l'Ukiyo-yé.  Le  premier  livre  imprimé 
sur  des  bois  était  une  édition  de  Vise  Monoga- 
tari,  nécessairement  avec  figures  japonaises  de 
style  Tosa,  dans  des  paysages  de  pur  style  Kano 
de  Yeitoku.  La  gravure  avait  été  une  forme 
d'illustration  du  livre  depuis  longtemps  usitée 
en  Chine,  et  c'est  à  la  manière  Ming  que  les  bois 
japonais  étaient  taillés.  Les  dessins  y  apparais- 
saient comme  faits  par  Kano  Mitsunobu.  Beau- 
coup d'autres  livres  semblables  suivirent.  Ce  ne 
fut  guère  avant  1650  que  l'illustration  devint 
franchement  Ukiyo-yé,  dans  le  style  de  l'École 
de  Matahei,  avec  des  figures  gracieuses  et 
allongées;  mais  elle  est  relativement  rare  encore 
jusqu'en  1670. 

L'Ukiyo-yé  eut  une  phase  difficile  et  hésitante 
après  1645.  H  fallait  qu'un  maître  eût  l'énergie 
de  traiter  ses  sujets  de  la  vie  réelle  dans  la 
nouvelle  façon  triomphante  de  Tanyu  ou  de 
Tsunenobu.  Cet  artiste  fut  Hishikawa  Moronobu, 
un  dessinateur  de  motifs  de  robes  de  Kioto, 
adroit  à  manier  les  lumineuses  et  brillantes 
couleurs,  avec  le  beau  dessin  nerveux  des  nou- 
veaux artistes  Kano.  Il  commença  vers  1670  à 
développer  l'Ukiyo-yé  dans  trois  voies  parallèles, 
la  peinture,  l'illustration  des  livres,  et  cette 
nouvelle  forme  d'art,  Y  estampe  sur  papier.  Au 
début,  il  avait  adopté  la  composition  panora- 
mique des  Tosa,  avec  de  gaies  scènes  de  festin, 
de  fêtes  des  rues,  de  promenades  de  jeunes 
filles,  de  foules.  Ensuite,  il  élargit  les  figures 
des  précédents  livres  d'Ukiyo-yé,  et  d'un  trait 
vigoureux,  à  la  Tanyu,  il  les  arrangea  en  groupes 

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L'ART  MODERNE  POPULAIRE  A  YEDO 

plus  compliqués,  comme  dans  les  peintures  de 
ses  makimonos.  Plus  tard  encore,  et  cela  eut 
une  importance  capitale  pour  l'avenir,  il  appa- 
rut très  influencé  par  les  recueils  d'Otsu-yé. 
Et  enfin  dans  les  livres  imprimés  sur  bois,  tout 
à  fait  soustraits  aux  influences  chinoises,  il 
chercha  dans  des  éditions  considérables  à 
reproduire  le  trait  gravé  en  noir.  11  prit  pour 
cela  de  larges  feuilles  où  les  sujets  se  dévelop- 
paient latéralement,  panoramiquement,  ou  bien  de 
grandes  feuilles  rectangulaires  où  il  représentait 
des  figures,  surtout  de  femmes.  Quelques 
touches  de  vert  et  d'orange  apposées  à  la  main, 
qui  par  places  donnaient  des  accents  au  dessin, 
semblent  encore  un  rappel  du  procédé  de 
lOtsu-yé.    Mais    dans  sa   dernière  période,  vers 

1680,  Moronobu  répudie  ce  procédé  et  n'imprime 
plus  qu'en  blanc  et  noir  (Sumi-yé). 

Les  œuvres  de  Moronobu  sont  d'une  époque 
dite  «  Genroku  »  (1688-170}),  qui  réellement  doit 
comprendre  aussi    «  Tenwa    et    Teikio  »  depuis 

1681.  C'est  de  ce  moment  que  date  la  grande 
expansion  de  Yedo,  et  que  le  peuple  et  les 
Samuraïs  y  prirent  vraiment  conscience  d'eux- 
mêmes.  Intéressés  aux  plaisirs  des  maisons  de 
thé  et  des  joyeux  quartiers  des  danseuses, 
débridés  dans  le  plaisir,  ne  pensant  qu'à  la  fan- 
taisie des  costumes  et  à  la  joie  de  la  danse,  il 
leur  fallait  une  nouvelle  forme  d'expression  de 
ce  mouvement  et  de  ces  jeux  qui  satisfit  leur 
goût  ;  ce  fut  le  théâtre  populaire.  Ce  sont 
ces  scènes  que  Moronobu  et  ses  élèves  peigni- 
rent   et  imprimèrent   à    Kioto  d'abord,    à   Yedo 

(291) 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

ensuite.  Le  flirt  entre  Samuraïs  et  filles  du 
peuple  se  révèle  dans  un  livre  de  1680.  Une 
simple  figure  de  jeune  fille  apparaît  dans  une 
grande  estampe  de  1688. 

L'art  de  Moronobu  est  d'un  ordre  très  élevé, 
et  fut  infiniment  estimé  de  la  classe  des  Samu- 
raïs. Ses  figures  n'ont  pas  la  souplesse  de  celles 
de  Matahei  ;  elles  sont  plus  raides  et  plus  pou- 
pées. La  vigueur  de  son  illustration  en  blanc  et 
noir  n'a  pas  été  outrepassée. 

Mais  l'extravagance  de  la  période  Genroku  ne 
pouvait  avoir  qu'un  temps.  Iyeyasu  avait  décidé 
d'établir  une  règle  morale  pour  la  classe  des 
Samuraïs.  Des  mesures  restrictives  tendirent  à 
partager  ces  deux  classes  sociales.  Le  peuple 
ne  dut  pas  continuer  à  mêler  les  Samuraïs  à  ses 
dissipations  ;  ces  derniers  durent  se  priver  des 
théâtres  populaires,  se  contenter  des  drames  de 
Nô,  rester  dans  leurs  «  yashikis  »,  se  vouer 
uniquement  aux  exercices  militaires  et  à  l'étude 
de  Confucius.  C'est  un  peu  pour  cela  que  vers 
1700  l'Art  de  l'Ukiyo-yé  prit  une  troisième  et 
décisive  forme,  rompant  toutes  relations  avec 
l'Art  de  Kano  et  revêtant  de  nouveaux  aspects, 
avec  une  expression  très  originale  dans  le  carac- 
tère du  dessin  et  la  coloration.  Bien  que  l'Ukiyo- 
yé  n'ait  pas  abandonné  Kioto,  il  fut  surtout 
l'art  distinctif  du  peuple  de  Yedo,  et  l'estampe  y 
prit  dorénavant  une  place  prépondérante. 

Et  cependant,  même  à  Yedo,  les  règles  ne 
pouvaient  pas  tout  d'un  coup  être  établies  de 
façon  rigide.  Entre  1700  et  1725,  on  y  trouve 
bien   deux    Ecoles    d'Ukiyo-yé  rivales,    celle  de 

(292) 


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Kakémono- YÉ. 
Par   Koriusai. 

Planche  CXLI. 


L'ART  MODERNE  POPULAIRE  A  YEDO 

Miyagawa  Choshun,  confinée  dans  la  peinture,  et, 
malgré  des  différences,  influencée  par  Tsunenobu 
qui  lui-même,  en  s'en  cachant,  peignit  en 
Ukiyoyé.  —  M.  Freer  possède  un  splendide  para- 
vent de  foules  avec  de  riches  couleurs,  sans 
doute  de  Kano  Chikanobu.  Les  cheveux  sont 
maintenant  aplatis  sur  le  sommet  de  la  tête 
et  ramenés  en  une  étroite  natte  séparée  sur  le 
cou.  —  On  ne  connaît  qu'un  des  nombreux  élèves 
de  Choshun  qui  ait  été  estampeur,  c'est  Kwaiget- 
sudo.  Son  trait  est  puissant,  qu'il  ait  peint  ou 
gravé  ;  il  fait  songer  aux  dessins  des  anciens 
bouddhistes,  et  sa  couleur  rappelle  Koyetsu  et 
Korin.  —  Un  pupille  de  Choshun,  Shunsui,  qui 
vers  1740  prit  le  nom  de  Katsugawa,  dirigea  la 
grande  École  de  peinture  de  l'Ukiyo-yé,  la  limi- 
tant à  la  représentation  des  jeunes  filles  dans  la 
vie  d'intérieur,  jusqu'en  1760. 

L'autre  École  de  Yedo,  celle  des  Torii,  se  voua 
franchement  à  représenter  par  les  estampes  la 
vie  de  la  populace  dans  toute  sa  jovialité,  et 
en  particulier  les  scènes  et  les  acteurs  des 
théâtres  populaires.  Ce  mouvement  même, 
dérivé  des  Kano,  a  deux  formes,  étroitement 
liées  :  l'École  d'Okumura  Masanobu,  attachée  prin- 
cipalement à  rendre  les  scènes  de  «  romans  »,  et 
l'Ecole  du  peuple,  celle  des  Torii  —  spécialement 
vouée  aux  scènes  violentes  du  théâtre.  Mais  si 
les  deux  Écoles  ne  négligèrent  ni  la  peinture,  ni 
le  livre  illustré,  elles  pratiquèrent  surtout  la  simple 
estampe  de  papier,  dans  la  forme  consacrée 
par  Moronobu,  qui  se  répandait  par  masses  très 
loin    dans    les   provinces,    surtout    du  Nord,   et 

(29?) 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

qui  portait  dans  les  campagnes,  chez  les  fer- 
miers, un  écho  de  la  gaîté  de  la  capitale. 

Masanobu,  comme  Choshun,  était  sorti  de 
l'École  de  Moronobu,  pendant  Genroku.  Torii 
Kyonobu,  le  fondateur  de  son  École,  et  Kiyomasu, 
son  ami  et  peut-être  son  frère  plus  jeune,  eurent 
d'autres  origines,  assez  obscures.  Cet  atelier  de 
Kondo  Kiyonobu,  sous  Genroku,  semble  dériver 
traditionnellement  de  l'Ukiyo-yé  débutant,  de 
Kano  Mitsunobu,  sans  être  passé  à  travers  les 
modifications  de  Matahei  et  de  Moronobu.  C'est 
ce  qui  expliquerait  son  coloris  un  peu  lourd,  très 
beau,  mais  odieux  aux  Samuraïs  de  Yedo,  et 
l'apparition  de  ces  tons  d'olive  pâle  et  d'orange 
apposés  à  la  main  sur  ces  estampes  dites  tan- 
yé  (colorées  orange),  souvenir  de  l'influence 
de  Kano  Yeitoku. 

Ces  trois  artistes  (Okumura  et  les  deux  Torii), 
déjà  connus  vers  1700,  continuèrent  leur  œuvre 
jusqu'après  1750,  jetant  ainsi  des  fondements 
solides  à  l'École  Ukiyo-yé,  dont  les  développe- 
ments allaient  être  si  considérables.  —  La 
seconde  étape  de  leur  œuvre  est  entre  171 5 
et  1720  ;  ils  étendent  alors  le  procédé  de  colo- 
ration à  la  main  des  estampes,  de  l'orange  do- 
minant aux  rouges,  aux  bleus,  aux  pourpres, 
aux  bruns  et  aux  jaunes,  et  font  intervenir 
les  noirs  et  la  poudre  d'or  appliqués  assez  épais 
comme  un  laque,  d'où  le  nom  Urushi-yé. 
—  Dimension  plus  petite  de  l'estampe,  com- 
posée en  triptyque  de  trois  feuilles  isolées, 
qu'on  pouvait  ainsi  séparer.  —  Spécialisation 
dans    la     représentation    des    acteurs,    mouve- 

(294) 


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Estampes  en  Couleurs  "  Kake-Mono-Yè. 
Par  Suzuki  Harunobu  (i  71S — 1770). 


Flanche  CXLII. 


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L'ART  MODERNE  POPULAIRE  A  YEDO 

ment  auquel  se  mêla  Masanobu  lui-même  en 
son  temps.  Cela  dura  jusque  vers  1740,  époque 
durant  laquelle  le  groupe  grossit  de  nom- 
breuses recrues,  l'une  des  principales  avant 
été  un  des  élèves  de  Masanobu,  Nishimura  Shi- 
genaga.  M.  Freer  possède  un  magnifique  kaké- 
mono de  Masanobu,  scène  dans  un  jardin,  dont 
Shighenaga  a  gravé  en  Urushi-yé  une  belle 
estampe. 

La  troisième  étape  commence  donc  avec  l'ac- 
tivité de  ces  quatre  artistes  vers  1740,  qui 
dura  une  quinzaine  d'années,  se  caractérisant 
surtout  par  le  grand  progrès  des  estampes  en 
couleurs.  Jusqu'alors  le  trait  en  noir  avait  seul 
été  gravé,  sur  une  unique  planche  ;  l'apposition 
des  couleurs  à  la  main  était  coûteuse.  Une 
grande  économie  pouvait  être  réalisée  en  les 
obtenant  de  même  valeur  colorée,  par  autant  de 
planches  taillées  ;  d'un  autre  côté  on  modifierait 
l'effet  esthétique  en  limitant  le  nombre  des 
couleurs.  Au  début  on  n'en  choisit  que  deux,  le 
rose  et  le  vert  pâle.  Cela  faisait  donc  quatre 
tons  avec  le  blanc  de  la  réserve  et  le  noir  du 
trait  de  dessin  (1). 

L'apposition  de  couleurs  à  la  main  ne  disparut 
cependant  pas  d'un  seul  coup  après  1742  ;  elle 
continua  à  paraître  sur  les  estampes  soignées 
et  coûteuses,  qui  deviennent  d'un  grand  format, 
qu'on    n'avait  pas  vu  tel  depuis  17 1 5 .  Les  deux 

(i)Ces  dates  importantes  ne  se  trouvent  nulle  part.  Tous  les  historiens 
européens  ont  suivi  Anderson,  en  datant  de  1696  ia  première  apparition  des 
estampes  en  couleurs,  jusqu'au  catalogue  que  rît  paraître  Fenellosa  en  1896, 
résultat  d'études  de  seize  années  basées  sur  l'observation  et  la  comparaison 
des  œuvres,  et  la  notation  des  modes  et  des  coiffures. 

090 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

manières  ont  ainsi  cheminé,  les  petites  estampes 
de  triptyques,  en  rose  et  vert  pâle,  à  représen- 
tation plutôt  d'acteurs,  —  et  les  grandes  feuilles 
colorées  à  la  main,  vraies  peintures  de  scènes 
des  rues  et  des  campagnes,  et  portraits  de  belles 
femmes.  Mais  ces  dernières  disparaissent  vers  17  $0. 

Ce  fameux  groupe  des  quatre  artistes  voyait 
venir  Torii  Kiyomiîsu,  fils  ou  petit-fils  de 
Kiyomasu,  hhïkawa  Toyonobu,  élève  de  Masanobu, 
et  Suzuki  Harunobu,  élève  de  Shighenaga.  Ces 
sept  maîtres  travaillèrent  ainsi  dans  les  deux 
données,  produisant  des  chefs-d'œuvre,  jusqu'à 
la  mort  de  Masanobu  vers  1752.  Il  était  le  plus 
pur  de  tous  dans  son  dessin.  Son  triptyque 
admirable  en  deux  couleurs  est  daté  de  17^0 
(collection  L.-L.  Morse  d'Evanston).  Kiyonobu cessa 
de  produire  vers    1754,   et   Kiyomasu  vers  1756. 

Une  courte  période  de  transition  est  celle  de 
l'introduction  d'une  troisième  planche  en  couleur 
vers  1758.  Les  six  années  suivantes  virent  toutes 
les  sortes  de  changements  que  produisirent 
les  combinaisons  résultantes.  Le  jaune  accom- 
pagna d  abord  le  rouge  et  le  vert.  Puis,  le  bleu 
se  substituant  au  vert,  les  couleurs  primaires 
rendirent  alors  possibles  des  tons  secondaires 
par  superposition.  Les  quatre  maîtres  estampeurs 
qui  avaient  continué,  s'adjoignirent  Toyoharu, 
élève  de  Toyonobu,  et  Shigemasa,  élève  de 
Shighenaga.  Mais  Kiyomasu  et  Harunobu  s'étaient 
posés  en  rivaux,  le  premier  gravant  en  tons 
délicats  et  purs,  le  dernier  en  tons  de  superpo- 
sition. Le  format  long  et  étroit  «  kakemono-yé  » 
apparaît. 

(296) 


KATSUGAWA    SHUNSHO  (1726-1792).    ÉCRAN. 
ESTAMPE    EN    COULEURS. 

Collection  de  M.  Bullieh,  Paris. 


L'ART  MODERNE  POPULAIRE  A  YEDO 

C'est  vraiment  alors  en  1765  que  l'estampe 
atteint  son  plus  haut  point  de  perfection  techni- 
que avec  le  vieil  Harunobu  et  ses  estampes  polv- 
chromes  nécessitant  autant  de  planches  qu'elles 
requéraient  de  tons.  C'est  une  période  qui  va 
de  176$  à  1806,  avec  des  sous-divisions  qui 
peuvent  aller  de  1765  à  1780,  de  1780  à  1788, 
et  de    1788  à  1806. 

Harunobu,  dont  l'œuvre  de  peinture  remonte 
à  1735,  a  donc  réalisé  son  évolution  trente  ans 
plus  tard.  Il  se  servit  d'autant  de  planches  qu'il 
lui  fallait  de  tons,  et  qu'il  cherchait  très  doux.  Il 
couvrait  tout  son  papier,  sauf  les  visages  en 
réserve,  choisissant  des  tons  différents  pour  le 
ciel,  le  sol  et  les  constructions.  Il  laissait  à 
d'autres  les  sujets  d'acteurs  et  de  courtisanes, 
préférant  les  scènes  domestiques  et  les  incidents 
de  la  jeunesse.  Deux  influences  le  commandaient: 
le  succès  de  ces  sujets  dans  les  livres  illustrés  en 
noir  qu'il  avait  publiés  depuis  1750,  et  le  désir 
de  suivre,  dans  les  estampes,  la  voie  que 
Shunsui  s'était  tracée  depuis  1725  dans  ses 
peintures.  Il  se  dit  lui-même  «  artiste  du  Yamato  », 
affirmant  ainsi  qu'il  entendait  faire  ce  que  les 
vieux  artistes  de  Tosa  avaient  si  bien  réussi 
en  1200,  en  traitant  comme  eux  les  scènes  les 
plus  naïves  de  la  vie  nationale,  sans  cependant 
emprunter  rien  de  leur  technique.  Et  il  eut  le  génie 
de  découvrir  que  l'estampe  de  pleines  couleurs 
était  la  forme  la  plus  appropriée  à  ses  desseins. 

Il  fut  en  pleine  renommée  comme  estampeur 
entre  1765  et  1772.  Il  avait  adopté  le  format 
carré,  plus  commode  pour  de  belles  compositions 

(297) 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

picturales.  Il  fut  un  merveilleux  artiste  dans  le 
format  du  «  kakemono-yé  ».  Son  coloris  a  un 
charme  de  suavité  incomparable.  Il  était  sans 
cesse  en  quête  de  nouveaux  papiers,  de  nouvelles 
couleurs.  Tantôt  il  appuyait  si  légèrement  sa 
planche,  qu'une  simple  buée  transparente  de  ton 
restait  sur  le  papier;  tantôt  le  ton  était  solide, 
opaque  ;  tantôt  il  estampait  son  papier  d'un  bloc 
sans  couleur.  Ses  couleurs  sont  les  plus  douces  de 
1765  à  1766,  les  plus  riches  de  1767  à  1769, 
et  tendent  à  de  vigoureux  effets  de  blanc  et  noir 
alternant  avec  les  couleurs,  de  1770  à  1772. 
Ses  figures,  qui  sont  courtes  en  1765,  grandissent 
et  s'allongent  vers  1770.  Les  bandeaux  de  cheveux 
disposés  de  chaque  côté  sur  les  oreilles  comme 
une  sorte  de  coquille  creuse  commencent  en  1768, 
pour  devenir  plus  bouffants  et  lourds  sur  le 
sommet  de  la  tête  en  1772.  La  prédominance  du 
vert  comme  ton  date  de  1770. 

Les  essais  d'Harunobu  furent  continués  par 
son  meilleur  élève  Haruhiro,  plus  connu  sous  le 
nom  de  Koriusai.  D'une  inspiration  inférieure  à 
celle  de  son  maître,  il  a  surtout  une  technique 
parfaite  dans  des  œuvres  qui  ne  sont  souvent  que 
des  «  gravures  de  modes  ».  Dans  ses  groupes  de 
portraits  de  belles  du  Yoshiwara,  il  adopta  un 
format  carré  plus  grand  que  n'avait  fait  Harunobu, 
et  dans  la  forme  du  «  kakemono-yé  »  il  fît  preuve 
d'une  singulière  adresse  de  composition  plus 
compliquée  à  trois  ou  quatre  figures.  C'est  là  où 
il  triomphe.  Dans  ses  couleurs  il  a  un  orange 
très  vigoureux,  et  vers  1775  il  cherchait  à  rem- 
placer le  vert  d'Harunobu  par  un  bleu  très  doux. 

(298) 


i 


Estampe  en  Couleur. 

Par  Katsukawa  Shunsho  (1726 — 1792). 


Planche  CXLIV. 


Sur  le  Balcon. 

Estampe  en  couleurs.     Par  Katsukawa  Shunmann. 
Fin  du  XVIIIe  siècle. 


Planche  CXLV. 


L'ART  MODERNE  POPULAIRE  A  YEDO 

Ses  figures,  grandes  et  minces  en  1772-1773, 
deviennent  courtes  et  corpulentes  vers  1776, 
puis  des  femmes  grandes  et  fortes  vers  1778  ;  les 
vêtements  portent  toujours  d'admirables  décors  ; 
les  chevelures  deviennent  toujours  de  plus  en 
plus  lourdes  sur  le  sommet  des  têtes,  et  donnent  à 
celles  de  Koriusai  une  dignité  toute  spéciale.  Il 
a  laissé  aussi  de  nombreuses  peintures. 

Trois  Écoles  parallèles  à  celles  d'Harunobu 
entre  1765  et  1780,  tout  en  adoptant  ses  méthodes 
pour  les  couleurs,  en  firent  d'individuelles  appli- 
cations. Celle  de  Toyoharu  compose  de  charmants 
groupes  de  jeunes  filles  au  jeu.  Il  fit  beaucoup 
de  peintures.  —  Celle  de  Shigemasa,  au  dessin 
plus  puissant,  au  coup  de  pinceau  plus  rude, 
tend  vers  des  nuances  finement  grises.  Il  sait 
très  bien  rendre  les  mouvements,  les  belles 
danses  des  acteurs  de  Nô.  —  La  troisième,  celle 
de  Shunsho,  élève  de  Shunsui,  qu'il  abandonna 
comme  peintre  de  femmes,  pour  suivre  les  Torii 
dans  leurs  portraits  d'acteurs.  Il  en  fit  énormé- 
ment en  triptyques  de  feuilles  séparées  de  1765 
à  1780,  abandonnant  la  manière  un  peu  raide 
des  Torii,  et  adoptant  les  nouvelles  couleurs 
d'Harunobu.  Les  décors  des  robes  d'un  ton 
exquis  suivent  les  modes  telles  qu'elles  existaient 
en  1778.  Les  figures  qui  suivent  celles  de  Koriusai 
sont  très  grandes  en  1780.  On  peut  suivre,  grâce 
à  elles,  toute  l'évolution  du  théâtre  japonais. 
—  Shunsho  peignit  aussi,  et  il  a  laissé  les  plus 
délicieux  livres  illustrés,  dont  le  principal  est  le 
Seiro  Bijin  Awase,  en  collaboration  avec  Shige- 
masa,  et  daté  de  1776. 

(299) 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

Mais  un  bien  plus  grand  maître  que  Koriusai  ou 
Shunsho  entre  en  scène  en  1780,  héritier  des  plus 
savantes  techniques,  mais  prodigieux  génie  natu- 
rel. C'est  Torii  K jyonaga,  fils  adoptif  de  Kiyomitsu. 
Déjà,  enfant,  il  montrait  son  talent  dans  le  manie- 
ment des  trois  couleurs.  Jeune  homme,  il  essaya  la 
technique  polychrome  d'Harunobu,  puis  en  1774 
il  adoptait  la  nouvelle  École  de  Shunsho  et 
venait  rivaliser  avec  Koriusai  dans  les  estampes 
de  scènes  de  la  vie  japonaise.  Cette  rivalité 
explique  les  progrès  des  deux  maîtres  en  r  77  5 
et  1780.  Sur  les  traces  de  Shigemasa,  Kiyonaga 
apporte  au  dessin  de  ses  figures  plus  de  souplesse 
de  pinceau,  plus  d'invention  dans  ses  motifs  de 
décor  et  dans  ses  couleurs.  Il  aime  surtout 
à  montrer  ses  groupes  en  plein  air,  en  donnant 
dans  ses  fonds  une  importance  au  ciel  et  au  sol. 
Harunobu  avait  déjà  cette  intuition  ;  mais  avec 
lui  la  vigueur  de  ses  figures  ne  les  détachait  pas 
suffisamment  sur  l'atmosphère,  sauf  s'il  faisait 
intervenir  le  noir.  Kiyonaga,  pour  arriver  à  ce 
relief,  répand  une  grande  lumière,  et  en  légères 
touches  note  les  détails  qui  donnent  au  paysage 
sa  solidité.  Il  enlevait  ainsi  aux  visages,  qu'il  ne 
prenait  pas  souci  de  teinter,  la  fausseté  de  leur 
ton  blanc  excessif.  Ainsi,  en  liberté  de  mouve- 
ments et  en  impression  d'atmosphère,  Kiyonaga 
est  très  au-dessus  de  Koriusai.  C'est  seulement 
à  partir  de  1780  que,  sans  rival,  il  arrive 
aux  plus  hauts  sommets  de  son  art.  Il  est  le 
maître  incontesté  de  la  période  Temmei  :  les 
disciples  de  Toyoharu,  de  Shigemasa,  de  Shunsho, 
viennent  en  foule   vers   lui.    Ses  figures  magni- 

(300) 


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Peinture. 

Par  Kitao  Shighemasa  (1739- 


-1819  ?)      Collection  Charles  Freer,  à  Détroit  (Etats-l 


Planche  CXLVI. 


L'ART  MODERNE  POPULAIRE  A  YEDO 

fiques,  les  plus  nobles  et  les  plus  dignes,  sont 
d'environ  1786  :  elles  se  composent  dans  la  large 
feuille  carrée  qu'avait  adoptée  Koriusai,  en 
six  figures  au  moins.  Les  couleurs  de  Kiyonaga 
sont  gaies,  ses  costumes  très  colorés,  les  fonds 
de  collines  souvent  indiqués  en  jaune  pur. 
Dans  le  «  kakemono-yé  »  il  égale  Harunobu  et 
Koriusai.  Il  fit  aussi  d'admirables  peintures. 

Il  se  montre  habile  à  saisir  et  à  rendre  les 
mouvements  dans  sa  période  «  Koriusai  », 
comme  dans  l'estampe  des  enfants  jouant  avec 
une  femme  —  ou  dans  sa  peinture  de  trois 
femmes  se  promenant  dans  le  vent  sur  les  bords 
de  la  Sumida  (collection  Georges  Vanderbilt). 
Ceci  date  d'environ  1782  et  montre  l'apparition 
des  bandeaux  de  cheveux.  Le  nœud  de  cheveux 
massé  au  sommet  de  la  tête  est  devenu  un  petit 
ballon,  et  la  queue  de  castor,  si  évidente  de  1740 
à  1760,  a  fait  place  à  un  petit  toupet  rudimen- 
taire.  —  La  noblesse  des  lignes  dans  les  estampes 
de  1784- 1786  apparaît  dans  les  trois  grandes 
filles  sur  un  banc  de  maison  de  thé,  et  dans 
les  quatre  femmes  avec  un  enfant.  De  1786  est 
l'estampe  des  trois  figures  dans  la  neige,  l'homme 
dans  une  magnifique  robe  de  velours  noir  entre 
deux  femmes  vêtues  d'une  étoffe  d'un  doux 
orangé.  Il  n'y  a  pas  mieux  comme  noblesse  de 
lignes  et  puissance  de  tons  dans  l'Ukiyo-yé. 
Incomparable  et  de  la  même  année  est  l'estampe 
des  trois  jeunes  filles  à  la  fenêtre  regardant  la 
mer  sous  la  nuit  de  lune  ;  l'intérieur  est  éclairé 
de  lueurs  chaudes  par  le  lampion  japonais  ;  et 
la  nuit  est   d'un    gris    lumineux   sous    la  lune  à 

(PO 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

demi  voilée  de  légers  nuages  ;  des  bateaux  dans 
la  baie  ont  des  torches  qui  rougeoient.  Pareille 
étude  de  trois  sources  de  lumière,  sans  l'expé- 
dient d'aucune  ombre,  n'avait  jamais  été  tentée. 
Le  balancement  des  lignes,  leur  eurythmie 
souveraine  fait  de  Kiyonaga  l'égal  des  plus  grands 
génies  du  monde,  des  grands  maîtres  de  la  Grèce, 
et  du  divin  Botticelli. 

Après  1786,  le  style  de  Kiyonaga  fléchit  par  le 
raccourcissement  de  ses  figures  et  l'exagération 
de  ses  lignes  incurvées.  Les  cheveux  font  masse 
plus  ronde  aux  sommets  des  têtes.  Les  types 
de  tous  les  artistes  d'alors  ont  moins  de  beauté. 
Le  kakémono  de  la  collection  Freer  où  Kiyonaga 
a  représenté  une  jeune  fille  arrangeant  sa 
chevelure,  les  bras  levés,  est  admirable  encore. 
Après  1790  il  semble  avoir  renoncé  au  travail, 
bien  qu'il  ait  vécu  jusqu'en  181 5,  jugeant  les 
modes  décadentes  et  dédaignant  les  extrava- 
gances picturales  qu'il  voyait  se  produire  autour 
de  lui. 

Les  artistes  de  cette  époque  relèvent  tous  de 
Kiyonaga  :  plus  près  de  lui  était  Shuncho  primi- 
tivement élève  de  Shunsho.  Une  impression 
d'essai  sur  la  planche  du  trait,  avant  que  les 
planches  de  couleurs  n'aient  été  taillées,  montre 
la  beauté  de  sa  ligne  et  sa  méthode  de  travail. 
Ses  estampes,  parfois  indiscernables  de  celles 
de  Kiyonaga  sans  la  signature,  se  datent  de  1782 
à  1792.  Il  a  fait  quelques  livres,  mais  pas  de 
peintures.  —  Kitao  Shigemasa,  lui-même,  à  ce 
moment  subit  l'influence  de  Kiyonaga,  comme 
l'indique  la  superbe  peinture  de  plusieurs  person- 

(302) 


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Estampes  en  Couleurs. 
Par  Kiyonaga  (1742 — 1815). 


Planche  CXLVII1. 


L'ART  MODERNE  POPULAIRE  A  YEDO 

nages  marchant  sur  la  route  d'Oji  ^collection 
Freer).  Le  dessin,  qui  en  est  charmant,  est  relevé 
des  plus  exquises  couleurs  dans  les  tons  de 
Kiyonaga,  avec  des  bleus  délicats. 

Shunman,  le  meilleur  élève  de  Shigemasa, 
travaillant  dans  la  manière  de  Kiyonaga,  devient 
une  sorte  de  Whistler,  comme  le  montrent  ces 
deux  femmes  charmantes  contemplant  la  rivière 
d'un  balcon.  Les  touches  colorées,  bien  que  taillées 
dans  le  bois,  y  ont  la  fermeté  et  la  décision  d'une 
gravure  au  burin.  —  Shuncho  et  Toyoharu,  qui 
firent  des  estampes  après  1782,  sont  dans  leurs 
peintures  assez  influencés  par  les  proportions  de 
Kiyonaga. 

A  cette  époque  du  xvuie  siècle  avancé,  les 
causes  qui  pouvaient  donner  à  la  société  des 
Tokugawa  son  caractère  particulier,  étaient  en 
plein  essor.  Le  peuple  (les  Samuraïs  mis  à  part) 
avait  ses  écoles,  ses  historiens,  sa  littérature. 
Conscient  de  l'usurpation  du  shogunat,  il  avait 
déjà  un  vif  enthousiasme  national  et  un  instinct 
secret  de  liberté.  Motoori  avait  déjà  construit  sa 
théorie  de  l'origine  divine  du  Mikado  à  travers 
Shinto.  L'art  Kano  des  nobles  n'était  plus  que 
l'étude  éclectique  des  anciens  idéals  de  la  Chine. 
Dans  le  peuple  on  désirait  bien  aussi  étudier  le 
passé  de  la  Chine  aussi  bien  que  celui  du  Japon, 
et  de  grands  romans  populaires  apparaissaient 
bientôt,  basés  sur  la  tradition  des  deux  pays. 
Une  nouvelle  poésie  populaire  naissait.  On  était 
déjà  sous  l'influence  hollandaise,  qui  dans 
l'Ukiyo-yé  avait  affecté  un  artiste  comme  Toyo- 
haru. La  science  était   suivie,   surtout  en  méde- 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

cine,  et  déterminait  des  collections  de  dessins 
précis  de  fleurs,  d'oiseaux,  d'animaux.  La  curio- 
sité du  peuple  n'avait  plus  de  limites.  L'histoire  de 
son  pays  l'intéressait  tant,  que  chacun  souhaitait 
voyager  à  travers  les  campagnes  pour  visiter  les 
sites  fameux  pour  leur  beauté  ou  pour  leur 
association  à  de  grands  faits.  Voyager  devint  une 
passion. 

En  art,  des  trois  mouvements  bien  enracinés  : 
«  Bunjinga  »  dans  le  Sud,  Shijo  surtout  à  Osaka 
et  à  Kioto,  Ukiyo-yé  à  Yedo  et  en  lutte  avec 
«  Bunjinga  »  dans  le  Nord,  ce  fut  cette  dernière 
École  devant  laquelle  s'ouvraient  les  plus  vastes 
horizons,  puisque  le  peuple  presque  tout  entier 
était  prêt  à  la  comprendre  et  à  l'adopter.  Le 
point  culminant  en  avait  été  atteint  par  Kiyonaga. 
Son  sentiment  de  la  beauté  était  sans  doute  trop 
élevé,  trop  abstrait,  trop  distant  des  goûts  du 
peuple,  délibérément  en  opposition  avec  l'autorité, 
et  bouillonnant  de  désirs  nouveaux  en  même 
temps  que  de  défiance.  Il  semble  bien  que  vers 
1800,  le  goût  perçait  déjà  d'un  vague  nivellement 
égalitaire,  et  d'un  abaissement  aussi  bien  moral 
qu'artistique.  Le  peuple  se  livrait  alors  aux  extra- 
vagances d'une  réelle  vulgarité.  Le  shogunat  dut 
préciser  ses  restrictions. 

La  décadence  de  l'Ukiyo-yé  ne  se  manifesta  pas 
d'un  coup.  Les  trois  maîtres  de  l'estampe  qui 
dominent  leur  époque  de  1790  à  1806,  Yeishi, 
Utamaro,  Toyokuni,  avaient  été  influencés  par  le 
noble  art  de  Kiyonaga.  Toyokuni,  en  vérité,  était 
le  principal  élève  de  Toyoharu,  lui-même  élève 
deToyonobu  vers  1760.  Utamaro  avait  été  instruit 

(304) 


Estampes  en  Couleurs. 
Par  Kiyonaga  (1742 — 1815). 


Planche  CXLIX. 


L'ART  MODERNE  POPULAIRE  A  YEDO 

par  Sekyen,  dont  l'art  avait  été  un  composé  de 
«  Bunjinga»  et  de  Kano.  Yeishi  avait  été  un  élève, 
assez  imbu  de  Kano,  de  cet  Yeisen  qui  avait  fondé 
une  École  éclectique.  Mais  vers  1786  tous 
avaient  été  séduits  par  la  grâce  de  Kiyonaga, 
aussi  bien  sous  le  rapport  du  dessin  que  de  la 
composition  et  de  la  couleur;  et  longtemps 
après  sa  retraite  le  pouvoir  de  son  influence 
avait  continué  à  les  subjuguer  et  à  les  maintenir 
à  un  très  haut  degré  de  noblesse.  Vers  1796, 
Utamaro  commence  à  produire  quelques  livres 
d'études  naturelles  en  gravure  de  couleurs  admi- 
rables. Il  mit  aussi  à  la  mode  cette  quantité  de 
papiers  de  vœux  de  nouvel  an  et  de  congratu- 
lation, qu'on  a  appelés  «  suri-mono  ».  Dans 
ses  grandes  feuilles  il  adopte  en  même  temps 
un  allongement  graduel  de  ses  figures,  le  goût 
du  mouvement  vif,  parfois  violent,  et  les  attitudes 
excentriques.  Ces  manières  suivaient  la  mode 
qui  augmenta  de  volume  les  coiffures  sur  les 
têtes  des  femmes,  ce  qui  nécessitait,  pour 
l'esthétique  des  proportions,  l'allongement  des 
visages  et  des  corps,  et  aussi  une  balance  diffé- 
rente des  attitudes.  Ces  excentricités  d'Utamaro 
plurent  au  goût  déjà  moins  sain  de  son  époque, 
et  c'est  peut-être  par  là  qu'il  fut  l'objet  d'un  tel 
engouement  en  France.  Aucun  grand  principe  de 
structure  n'est  plus  appliqué.  Utamaro  et  Yeishi 
gravent  des  portraits  en  grandes  têtes,  et  de 
hardies  scènes  de  la  vie  domestique.  Toyokuni 
donna  une  suite  à  l'École  de  gravure  d'acteurs, 
avec  des  œuvres  bien  plus  grossières  et  disgra- 
cieuses que  celles  de  Shunsho.    Le   paysage    est 

20 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

traité  de  façon  théâtrale;  Toyokuni  y  introduit 
des  arbres  dont  le  dessin  s'inspire  de  l'Art  des 
Hollandais  :  une  fausse  perspective  n'y  montre 
qu'une  demi-intelligence  de  l'Art  étranger.  Toute 
trace  du  beau  dessin,  de  la  noblesse,  des  justes 
proportions  de  Kiyonaga  a  disparu.  Ce  ne  sont 
plus  qu'yeux  trop  largement  fendus,  longs  nez, 
violentes  postures,  compositions  anguleuses  et 
aigres  couleurs.  Et  cependant,  entre  1802  et  1803, 
certaines  figures  de  Toyokuni  ont  encore  une 
réelle  grandeur,  avant  que  cet  art  ne  sombre 
définitivement.  Les  étapes  de  ces  changements  sont 
notées  par  nos  illustrations. 

Cette  décadence  détermina  dans  l'Ukiyo-yé  un 
cinquième  et  dernier  grand  mouvement  qui 
commença  en  1807.  Les  élèves  d'Utamaro  pous- 
sèrent aux  dernières  limites  les  extravagances  du 
maître.  Toyokuni  et  Yeishi  eux-mêmes  n'étaient 
pas  des  tempéraments  à  réagir.  L'artiste  qui  a 
peut-être  avec  le  plus  de  hideur  exprimé  l'idéal 
des  proportions  et  du  dessin  de  son  École  entre 
1807  et  1820  est  Yeizan.  Figures  aussi  courtes 
que  trapues,  têtes  aussi  longues  que  larges,  les 
yeux  sont  comme  tailladés  dans  les  faces  et 
deviennent,  vers  18 12,  fixes  avec  des  prunelles 
exorbitées.  Les  figures  de  jeunes  filles  sont  comme 
les  reines  de  cœur  des  jeux  de  cartes.  Les  fonds 
de  paysage  et  les  costumes  seuls  font  de  belles 
taches  de  couleur,  quand  les  estampes  sont  mises 
au  mur.  Plus  décadent  encore  que  son  maître 
Yeizan  est  Yeizen,  qui  fit  des  estampes  de 
paysages  à  la  manière  d'Hiroshighé  entre  1825 
et     1840;    Kunisada  et    Kunyoshi    suivent    leur 

(306) 


UTAMARO    (1753 -1806). 

PROMENADE   DE   JEUNES   FILLES.     ESTAMPES    EN 

COULEURS. 

British  Musedm. 


-V- 


L'ART  MODERNE  POPULAIRE  A  YEDO 

maître  Toyokuni.  Cn  a  peine  à  admettre  que  la 
grimace  et  la  dislocation  des  estampes  de  18 1 5 
aient  pu  sortir  de  l'art  parfait,  pur  et  noble  de 
Kiyonaga,  de  vingt-cinq  ans  seulement  antérieur. 
Et  c'est  cet  unique  art  déjà  décomposé  que 
connurent  l'Europe  et  l'Amérique,  au  début  des 
exportations. 

Mais  entre  cet  artiste  considérable  et  les  derniers 
représentants  si  peu  recommandables  de  son  art 
en  1830,  apparaît  un  homme  qui,  dans  sa  longue 
existence  si  féconde,  a  rendu  l'infinie  variété 
d'impressions  que  la  Nature  lui  avait  fournies  ; 
et  c'est  cet  Hokusai  que  les  Européens  ont  consi- 
déré comme  le  plus  grand  génie  du  Japon.  Son 
œuvre  est  tout  entière  dans  des  milliers  de  pein- 
tures, d'estampes  et  de  livres  illustrés,  où  il 
n'apparaît  jamais  le  même,  tellement  est  grande 
sa  mutabilité.  Il  vécut  tout  à  fait  ignoré  du  monde 
des  Samuraïs  ;  ses  œuvres  s'adressèrent  unique- 
ment aux  plus  humbles  de  son  temps.  Ce  fut  un 
prodigieux  vulgarisateur,  et  en  si  étroite  sym- 
pathie avec  les  aspects  multiples  que  lui  offraient 
les  basses  couches  du  peuple,  qu'il  en  dégagea 
un  véritable  style  et  en  fit  de  la  beauté  et  de 
l'art. 

La  si  longue  carrière  d'Hokusai  est  passion- 
nante à  suivre,  parce  qu'il  n'est  pour  ainsi  dire 
pas  d'année  où  l'on  ne  puisse  surprendre  en  son 
art  une  modification  de  style.  Elle  est  comme  un 
pont  jeté  sur  l'abîme  qui  sépare  Torii  Kiyomitsu 
de  Kunisada.  Il  n'a  rien  ignoré  des  œuvres 
d'Harunobu,  de  Koriusai,  de  Sunsho,  de 
Kiyonaga,  d'Utamaro   et  de   Toyokuni,    mais   il 

0°7) 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

demeure  toujours  lui-môme.  Sans  signature  ni 
date,  on  peut  toujours  identifier  les  estampes 
d'Hokusai,  et  presque  les  situer  année  par  année. 
Et  cependant,  tout  en  reconnaissant  son  génie, 
nous  ne  pouvons  l'admettre  au  rang  des  Masa- 
nobu,  des  Harunobu,  des  Kiyonaga. 

Ce  n'est  pas  au  Japon  qu'il  a  le  plus  passionné 
les  amateurs.  Pour  ne  parler  que  de  l'Amérique, 
les  plus  riches  collections  de  ses  peintures  sont 
chez  M.  Freer,  à  Détroit;  de  ses  livres  illustrés, 
chez  M.  Morse  d'Evanston;  de  ses  premières 
estampes,  chez  M.  Lathrop,àNew-York,  —  et  toute 
son  œuvre  est  remarquablement  représentée  en 
son  ensemble,  dans  les  collections  de  Bigelow  au 
musée  de  Boston. 

Ses  premières  œuvres  sont  les  contes  illustrés, 
et  quelques  estampes  en  couleurs  de  figures 
d'acteurs  dans  le  style  de  son  maître  Shunsho, 
d'à  peu  près  1 77  5  ;  il  avait  alors  quinze  ans. 
Il  fit  beaucoup  de  portraits  d'acteurs  jusqu'en 
1780.  C'est  alors  qu'il  commença  à  essayer  les 
«  kakemono-yé  »  et  les  estampes  carrées  dans 
le  style  de  Kiyonaga.  Son  nom,  dans  toutes  ces 
œuvres,  est  Shunro;  parfois  il  se  nomme  Takitaro 
dans  ses  livres.  De  1790  à  1796  il  est  sous 
l'influence  temporaire  d'Utamaro,  bien  que  ses 
peintures  conservent  toujour.s  les  fortes  qualités 
de  Shunsho.  A  partir  de  1796,  le  style  d'Hokusai, 
comme  son  nom  de  pinceau,  change  si  fré- 
quemment, qu'il  est  difficile  à  suivre.  Il  est 
évident  qu'on  pourrait  marquer  avec  lui  la 
même  popularisation,  le  même  allongement  que 
dans  le  style  d'Utamaro  et  de  Toyokuni  ;  cepen- 

(308) 


HOKUSAI   (1760-1849). 

LA    CASCADE    DE    VORO.     ESTAMPE    EN    COULEURS. 

British  Muséum. 


Peinture. 

Par  Hokusai  (1760- 1849). 
Collection  Charles  Freer,  à  Détroit 
(Etats-Unis). 

Planche  CLI. 


L'ART  MODERNE  POPULAIRE  A  YEDO 

dant,  chez  Hokusai,  on  pourrait  remarquer 
quelque  chose  de  plus,  l'influence  hollandaise,  des 
gravures  hollandaises,  des  couleurs  de  la  pein- 
ture à  l'huile.  Il  n'échappe  pas  non  plus  à 
l'influence  de  deux  hommes  obscurs,  Torin  et 
Hishikawa  Sori,  qui  cependant  avaient  un  style 
relâché,  lourd  et  grossier.  Vers  1798  il  semble 
pour  un  temps  avoir  songé  à  s'inspirer  de  la 
technique  de  Sotatsu.  Il  se  nomme  lui-même  Sori, 
Hiakurinsai  Son',  Tawaraya  Sori,  Hishigawa  ou 
Hishikawa  Sori,  Kako,  Hokusai  Sori,  et  cela  jusqu'en 
1800.  Le  nom  d'Hokusai,  comme  nom  de  pinceau, 
apparaît  vers  1797,  mais  jusqu'en  1800  seulement 
occasionnellement,  et  toujours  accompagné  de 
Sori.  De  1800  à  1802  on  constate  dans  ses  signa- 
tures qu'il  avait  abandonné  le  nom  de  Sori  pour 
celui  d'Hokusai. 

De  1796  à  1802,  son  œuvre  se  compose  d'une 
quantité  de  livres  à  planches  en  couleurs  avec 
des  figures,  des  milliers  de  grandes  estampes 
sur  papier,  d'une  exquise  délicatesse  de  ton 
(celles  qu'aurait  dû  aimer  le  plus  Whistler) 
et  d'une  grâce  infinie  de  formes  et  de  mouve- 
ments. 

De  1802  à  1810  environ,  c'est  son  nom 
d'Hokusai  qui  reparaît  le  plus,  parfois  ceux  de 
Gwakiojin,  de  Kaîsushika,  de  Toyo.  De  1798  a  1802, 
il  se  nomma  parfois  Kako.  Son  style  devient 
alors  plus  rude,  de  lignes  plus  fermes,  de  cou- 
leurs plus  profondes  dans  ses  peintures.  Dès 
1804  il  se  servait  beaucoup  d'un  rouge  opaque 
et  d'un  blanc,  mêlés  à  des  gris.  Comme  livres 
illustrés,    il  a   collaboré  aux  nombreux   romans 

(3°9) 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

de  Bakin  et  d'autres.  En  1810  il  prend  le  nom 
de  Taito  et  le  garde  jusqu'en  1820  :  c'est  la 
période  de  sa  prodigieuse  illustration-encyclo- 
pédie de  la  Mangwa.  Il  abandonne  la  gravure 
d'estampes,  en  laquelle  il  avait  été  si  fécond  vers 
1802;  ses  peintures  sont  rares.  Son  dessin 
dégénère  souvent  en  d'âpres  ébauches  carica- 
turales, en  lignes  saccadées  ;  sa  couleur  est  dure, 
sans  délicatesse. 

Après  1820  il  change  encore  de  nom,  se 
nomme  Tameichi,  pendant  peut-être  vingt  ans. 
De  1820  à  1826,  il  produit  encore  de  nombreux 
recueils,  avec  des  recherches  de  gris,  essayant 
des  planches  à  deux  tons,  orange  et  bleu,  ou 
rouge  et  vert.  Il  aime  à  graver  des  légumes,  des 
fruits,  des  fleurs,  des  paysages;  dans  ses  essais 
de  couleurs  il  étend  sa  palette,  fait  intervenir  un 
jaune  dans  les  clairs  et  un  profond  vert  bleu  dans 
les  sombres  (1826-1830).  De  1828  à  1830,  il 
semble  s'être  décidé  à  abandonner  un  peu  le 
livre  illustré,  pour  produire  de  belles  œuvres  de 
peinture,  traitées  avec  l'art  le  plus  achevé  et  le 
plus  soigneux.  C'est  le  beau  moment  de  sa 
période  de  transition,  où  ses  lignes  se  calment, 
s'ordonnent,  où  il  atteint  par  son  drapé  et  le 
rythme  de  ses  lignes  à  la  noblesse  de  Kiyonaga. 

De  1830  à  1840,  peintures  et  gravures  ont  des 
tons  de  couleurs  profonds,  des  jaunes  épais,  des 
gris  bleus.  Son  maniérisme  est  complet.  Il  traite 
alors  plutôt  les  paysages  (sa  suite  du  Fuji)  et 
exécute  de  grands  paravents  peints.  Les  belles 
courbes  de  son  dessin  de  18^0  se  rompent.  Les 
dix  dernières    années   de    sa  vie  (1840-18 50)  son 


La  Vague. 

Estampe  en  couleurs,  de  la  suite  des  trente-six  vues  du  Fuji. 


Le  Fuji. 

De  la  suite  des  trente-six  vues  du  Fuji.     Par  Hokusai  (1760 — 1849). 


Planche  CLII. 


Ces  Renards  Fantômes. 

Estampe  en  couleurs,  par  Hiroshi^he  (1797 — 1S5S). 


Planche  CLIII. 


L'ART  MODERNE  POPULAIRE  A  YEDO 

style  s'assombrit,  s'alourdit;  son  coup  de  pinceau 
se  brise  en  lignes  plus  rudes  et  plus  appuyées. 
Mais  peut-être  a-t-il  gagné  en  largeur  et  en 
puissance. 

Dans  ses  peintures,  après  sa  quatre-ving- 
tième année,  il  rappelait  toujours  son  âge  ;  il 
avait  adopté  le  nom  de  «  homme  Gwakiojin  »  et 
son  sceau  le  renferme  ainsi  que  le  Fuji  repré- 
senté. Les  trois  dernières  années  de  sa  vie,  son 
sceau  ne  porte  plus  que  le  caractère  du  nombre 
ioo.  Ses  estampes  et  ses  livres  sont  alors  deve- 
nus très  rares. 

A  toutes  les  périodes  de  sa  vie,  il  eut  de 
nombreux  élèves  :  le  plus  connu  est  Hokkei. 

Reste  un  très  grand  artiste  de  cette  École  qui 
a  occupé  une  place  éminente,  Hiroshighé,  qui  fut, 
avant  1810,  élève  de  Toyohiro,  le  frère  de  Toya- 
haru.  Il  fit  de  nombreuses  gravures  de  figures 
avant  1820.  Mais  après  cette  date,  son  goût 
d'illustrateur  de  livres,  surtout  de  guides  pour 
voyageurs,  le  poussa  à  graver  de  grandes  feuilles 
de  paysages  en  couleurs,  qui  étaient  publiées 
en  suites  de  vues  du  Tokaido,  de  Yedo,  du  Kiso- 
kaido,  etc.,  entre  1820  et  1840.  Ses  premières 
grandes  séries  du  Tokaido  parurent  probable- 
ment vers  1825.  En  dehors  de  ces  paysages,  il  fit 
d'innombrables  estampes  en  couleurs  de  fleurs, 
poissons  et  oiseaux.  Ses  figures  de  1830  ont  la 
dignité  de  celles  d'Hokusai.  Mais  c'est  comme 
paysagiste  qu'il  occupe  la  première  place  dans 
î'Ukiyo-yé.  C'est  par  Hokusai  et  Hiroshighé  comme 
paysagistes  que  la  décade  de  1850  à  1840  a  brillé 
du  plus  resplendissant  éclat.  Mais  le  particulier 

On) 


L'ART  EN  CHINE  ET  AU  JAPON 

amour  d'Hiroshighé  pour  le  paysage  lui  a  fait 
réaliser  de  plus  grandes  merveilles  d'art.  Sans 
recherche  particulière  de  lignes  ou  de  notation, 
c'est  par  simples  et  harmonieuses  taches  colorées 
qu'il  a  rendu  les  aspects  de  sa  terre  natale,  un 
bleu  franc  pour  le  ciel,  un  bleu  plus  foncé  pour 
la  mer,  des  verts  clairs  pour  les  arbres  et  les 
herbes,  des  tons  de  bois  pour  les  constructions, 
de  petits  tons  vifs  pour  les  costumes.  Ses 
impressions  de  nature  furent  si  justes,  si  exac- 
tement rendues,  qu'après  soixante  ans  écoulés 
on  reconnaît  encore,  malgré  les  changements,  les 
lieux  qu'il  voulut  rendre.  Mais  il  ne  s'attacha  pas 
obstinément  aux  tons  unis  ;  ayant  appris  à  les 
rompre,  il  donnait  ainsi  des  modulations  à  ses 
tons  de  ciel.  Il  n'eut  dans  ses  effets  de  nuit  qu'un 
rival,  Whistler,  auquel  d'ailleurs  il  suggéra  tant 
d'impressions.  Dans  les  effets  d'atmosphère,  levers 
de  lune,  neiges,  brouillards  et  pluies,  il  fut  le 
plus  vari  qui  ait  jamais  existé  dans  aucun  art. 
Ce  fut  le  pur  impressionniste,  bien  avant  Claude 
Monet. 

Des  critiques  européens  ont  prétendu  que 
l'œuvre  que  nous  connaissons  d'Hiroshighé  appar- 
tient à  trois  artistes  différents,  et  que  les 
estampes  dans  le  sens  vertical  sont  du  second 
Hiroshighé.  C'est  une  absurdité.  Car  s'il  est  vrai 
que  les  feuilles  de  paysages  en  largeur  semblent 
dominer  dans  sa  période  la  plus  ancienne  (182 5- 
1830),  il  n'y  a  pas  à  cet  égard  d'absolu.  On 
pourrait  dénombrer  de  multiples  estampes  de 
182$  à  1850  dans  lesquelles  il  est  manifeste  que 
le  même  artiste  a  évolué  comme  style  :  semblable 

(3») 


HIROSHIGHE   (1797-1855). 
LA  PLUIE.     ESTAMPE  EN  COULEURS.     CENT  VUES  DE  YEDO. 

British  Mdseum. 


La  Nuit  sur  la  Rivière  Kamo,  à  Kyoto. 

Estampe  en  couleurs  par  Hiroshighé,  1797 — 1818. 


Sous  le  Pont  de  la  Sumida. 

Estampe  en  couleurs,  par  Hiroshighé  (1797-1S5S). 


Planche  CLIV. 


L'ART  MODERNE  POPULAIRE  A  YEDO 

constatation  pourrait  d'ailleurs  être  faite  dans 
ses  peintures.  En  général,  son  dessin  se  relâche 
après  18^5,  mais  sa  puissance  de  couleurs  ne 
fait  que  croître  jusqu'en  1845.  Ses  peintures  de 
1850,  et  postérieures,  sont  faibles. 

Il  y  eut  sans  doute  un  second  Hiroshighé 
dont  l'œuvre  ne  comprend  qu'un  petit  nombre 
de  choses,  et  postérieures  à  1860,  alors  que 
l'estampe  en  couleurs  était  tombée  au  dernier 
degré  d'avilissement.  Elle  ne  faisait  que  suivre 
l'état  général  des  Arts  au  Japon. 


© 


TABLE  DES  PLANCHES  EN  COULEURS 


PLANCHE  i. 

Une  feuille  de  Paravent  d'Hikoné  par  Matahei Frontispice 

PLANCHE  2. 

Fresque  du  Temple  d'Horiuji,  a  Nara 56 

PLANCHE  3. 

Fresque  du  Temple  d'Horiuji,  a  Nara 64 

PLANCHE  4. 

Portrait  du  Prince  Shotoku-Taishi,  par  Kanawoka,  ixesiècle. 
(Au  Temple  Nennaji  de  Kioto.) 120 

PLANCHE  5. 

Fragment  d'un  Makimono.  Suite  des  Miracles  de  Kasuga  par 
Takanané.  (Maison  Impériale  du  Japon.) 1 3o 

PLANCHE  6. 

Portrait  d'un  Prêtre.  École  Rosa,  xnia  siècle.  (Musée  du 
Louvre.  Don  de  Mme  Gillot  en  souvenir  de  son  mari.) ....      1 36 

PLANCHE  7. 

Rakkans  par  Lin  Ting-Kuei.  (Au  Daitokuji  de  Kioto.) 176 

PLANCHE  8. 

Les  trois  Sages  par  Kano  Motonobu.  (Musée  de  Boston.). . .  228 
PLANCHE  g. 

Paravent  aux  Irispar  Korin.  Deuxième  moitié  du  xvue  siècle.     23o 

PLANCHES  10-11. 

Le   Paradis    Terrestre.    Époque  des   Bing.  (British   Mu- 
séum.)       248-249 

PLANCHE  12. 

Femme  dans  un  paysage  (Écran).  Epoque  des  Ming 264 


0  m) 


TABLE  DES  PLANCHES  EN  COULEURS 

PLANCHE   i3. 

Katsugawa  Shunsho  (1726-1792).  Écran.  Estampe  en  couleurs 
{Collection  de  M.  Bullier,  Paris.) 296 

PLANCHE  14. 

Utamaro  (1753-1806).  Promenade  de  jeunes  filles.  Estampes 
en  couleurs.  (British  Muséum.) 3o6 

PLANCHE  i5. 

Hokusai  (1 760-1 849).  La  Cascade  de  Yoro.  Estampe  en  cou- 
leurs, les  Huit  Cascades.  (British  Muséum.) 3o8 

PLANCHE  16. 

Hiroshighé(  1797-1858).  La  Pluie.  Estampe  en  couleurs.  Cent 
vues  de  Yedo.  (British  Muséum.) 3 1 2 


@ 


TABLE  DES  PLANCHES  EN    NOIR 


PLANCHE  i. 

Têtes  de  terre  cuite.  Art  du  Gandhara,  début  de  l'ère  chré- 
tienne. (Musée  de  Lahore,  Indes.) 4 

PLANCHE  2. 

Tète  de  terre  cuite,  provenant  de  Khotan,  Turkestan  chi- 
nois. (Mission  du  D'  Aurel  Stein.) 8 

PLANCHE  3. 

Sculptures  sur  pierre  de  chambrettes  funéraires.  Art  chi- 
nois. Dynastie  des  Han,  ier— 1 1*"  siècle  après  l'ère  chrétienne. 
(Reproductions  extraites  du  livre  de  M.  Chavannes.). ...       14 

PLANCHE  4. 

Sculptures  gréco-bouddhiques  de  pierre.  Art  chinois. 
Epoque  des  Tang,  vin'  siècle.  (Crypte  du  Temple  Gangoji 
de  Nara,  Japon.) 24 

PLANCHE  5. 

Sakya  Muni.  Statue  de  bois  peut-être  chinoise.  Époque  des 
Tang,  vnT  siècle.  (Temple  Seirioji,  près  de Kioto,  Japon.)       32 

PLANCHE  6. 

Les  cinq  Kokuzo.  Statues  de  bois  dites  chinoises  ou  coréennes, 
apportées  au  Japon  en  847  par  Yennsozu,  prêtre  d'Omi. 
(A  u  Temple  Toji  de  Kioto ,  Japon.) 40 

PLANCHE  7. 

Aiguière  d'argent  décorée  d'un  cheval  ailé.  Art  sassanide. 
(Horiuji,  Japon.)  —  Le  Sho-Soïn  :  Vue  extérieure.  Renfer- 
mant les  collections  du  trésor  impérial,  closes  par  l'empe- 
reur Kwammou  en  794.  (Nara,  Japon.) 4a 

PLANCHE  8. 

La.  Kwannon  tenant  un  vase  (face  et  profil).  Bois.  Hindoue 
ou  coréenne.  Milieu  du  vr"  siècle.  (Grand  autel  du  Kondo 


0'7) 


TABLE  DES  PLANCHES  EN  NOIR 

d'Horiuji,  Japon.)  —  Kwannon  assise.  Bronze.  Art  japo- 
nais. Epoque  de  Suiko,  vu*  siècle.  (Temple  d'Horiuji, 
Japon.) 44 

PLANCHE  o. 

Nyoirin  Kwannon.  Bois.  Attribuée  à Shotoku-Taishi.  Époque 
de  Suiko,  commencement  du  vu' siècle.  (Temple  des  nonnes 
Shuguji,  à  Nara.) 46 

PLANCHE  10. 

La  Trinité  bouddhique.  Bronze  doré.  Shaka  entre  Yakuo  et 
Yakujo.  Inscription  :  par  Tori  Busshi,  à  la  mort  de  Sho- 
toku,  en  622.  (Autel  du  Kondo  d'Horiuji,  Japon.) 48 

PLANCHE  11. 

Autel  de  bronze  doré.  La  Triade  Amida  entre  Kwannon  et 
Seishi.  Art  japonais  de  la  période  Tenchi.  Deuxième  moitié 
du  vu'  siècle.  (Horiuji,  Japon.) 5o 

PLANCHE  12. 

Détail  de  fond  d'autel  en  bronze  doré.  Art  japonais  de  la 
période  Tenchi.  Deuxième  moitié  de  vir*  siècle.  (Horiuji, 
Japon.) 52 

PLANCHE  i3. 

Le  Tambour  de  bronze.  (Au  temple  Shinto  de  Kasuga,  à 
Nara.) 70 

PLANCHE  14. 

Figures  de  bronze  sur  un  bâton  de  prêtre 72 

PLANCHE  i5. 

La  Trinité  bouddhique.  Statues  de  bronze  noir  attribuées  à 
l'époque  de  l'impératrice  Jîto  vers  696,  mais  peut-être 
de  718  (construction  du  Temple).  (Temple  Yakushiji  de 
Nara,  Japon.) 73 

PLANCHE  16. 

Un  des  Bodhisattwas  de  la  Trinité  bouddhique.  Bronze. 
Vers  696.  Mais  peut-être  seulement  de  718.  (Temple  Yaku- 
shiji de  Nara.) 74 

PLANCHE  17. 

Statue  de  bronze.  Influence  gréco-bouddhique.  (Temple 
d'Horiuji,  Japon.) 75 

PLANCHE  18. 

Figure  assise  laquée.  Art  japonais.  Epoque  de  Tempyo, 
vme  siècle.  (Ecole  des  Beaux-Arts  de  Tokio.) 76 


(318) 


TABLE  DES  PLANCHES  EN  NOIR 

PLANCHE  19. 

Sakya  prêchant  sa  loi.  Bronze.  Art  japonais  de  l'Époque 
Tempyo.  Première  moitié  du  vm"  siècle.  (Temple  Kani- 
mangi  de  Kioto,  Japon.) 77 

PLANCHE  20. 

Bodhisattwa  dit  aussi  Bonten.  Terre  séchée  et  laquée  attri- 
buée à  Riôben.  Epoque  de  Tempyo,  vnf"  siècle.  (Temple 
Sangetsudo  de  Nara.) 78 

PLANCHE  21. 

Sangetsudo  vociférant.  Argile  laquée.  Art  japonais.  Époque 
de  Tempyo,  première  moitié  du  vm'  siècle.  (Temple 
Todaiji  de  Nara,  Japon.) 79 

PLANCHE  22. 

Plaque  de  la  grande  lanterne  de  bronze,  a  l'entrée  du 
Temple  Daibutsu.  Art  japonais,  vnr"  siècle.  Epoque 
l'empyo 80 

PLANCHE  23. 

Statue  de  Fudo.  En  bois.  Attribuée  à  Kobodaishi,  après  son 
retour  de  Chine.  Début  du  ixc  siècle.  (Temple  Toji,  à 
Kioto.) 81 

PLANCHE  24. 

Bouddha  assis.  Statue  d'argile  laquée.  Epoque  de  Jôcho. 
Fujiwara,  xie  siècle.  (A  Ud^umasa,  près  de  Kioto.) 82 

PLANCHE  25. 

Statue  de  Prêtre.  En  bois  laqué.  Art  japonais.  Fin  du 
xue  siècle.  Epoque  de  Kamakura.  (Temple  Kofukuji,  à 
Nara.)  —  Un  Niô.  Par  Wunkei.  Début  du  xur"  siècle. 
Epoque  de  Kamakura.  —  Statue  de  Prêtre.  En  bois  laqué. 
Par  Wunkei.  Début  du  xme  siècle.  Epoque  de  Kamakura. 
(Temple  Rokuhara  Mitsuji,  à  Kioto.)  —  Statue  en  bois 
de  Tokiori  Hojo,  vice-shogun  de  Kamakura.  Sculptée  un 
peu  après  sa  mort,  1263.  (Temple  Kenchôji,  à  Kamakura.)      83 

PLANCHE  26. 

Le  Porteur  de  lanterne.  Attribué  à  Koben.  xuic  siècle, 
époque  de  Kamakura.  (Temple  Kasuga,  à  Nara.) 84 

PLANCHE  27. 

Trois  démons.  En  bois.  xme  siècle.  Epoque  de  Kamakura. 
( Temple  Kofukuji,  à  Nara.) 86 


(5 '9) 


TABLE  DES  PLANCHES  EN  NOIR 

PLANCHE  28. 

Statue  d'Asangba  :  En  bois.xiic-xme  siècle.  Époque  de  Kama- 
kura.  (Temple  Kofukugi,  à  Nara.) 86 

PLANCHE  29. 

Masque  «  Long  nez  ».  Ancien  culte  Shinto.  Art  japonais.  — 
Masque  de  danse  de  Gigakou.  Art  japonais  après  le 
xviii8  siècle.  (Musée  du  Louvre.)  —  Masques  de  Drames  de 
Nô.  Art  japonais,  xvie-xvne  siècle.  (Musée  du  Louvre.) 87 

PLANCHE  3o. 

Ashikaga  Yoshimasa  :  Statue  de  bois.  xve  siècle.  (Temple 
Ginkakuji,  près  de   Kioto.) 88 

PLANCHE  3i. 

Château  de  Kumamoto 89 

PLANCHE  32. 

Temple  de  Biodoin,  a  Kioto 90 

PLANCHE  33. 

Jardin  du  Temple  Tofukuji,  a  Kioto 91 

PLANCHE  34. 

Kwannon  assise,  par  Yen  Li-pen  (en  japonais  En-riu-hon). 
viie  siècle.  (Collection  Charles  Freer,  à  Détroit,  États- 
Unis.)  94 

PLANCHE  35. 

Monju,  par  Wu  Tao-Yùan  ou  Wu  Tao-tzu  (en  japonais 
Godoshi).  vme  siècle.  Epoque  des  Tang.  (Temple  Tofukuji, 
à  Kioto.) 96 

PLANCHE  36. 

Sakya-Muni,  par  Wu  Tao-Yûan  ou  Wu  Tao-tzu  (en  japonais 
Godoshi).  vme  siècle.  Epoque  des  Tang.  (Collection 
Charles  Freer,  à  Détroit,  Etats-Unis.) 98 

PLANCHE  37. 

Kwannon  debout,  par  Wu  Tao-Yûan  ou  Wu  Tao-tzu  (en 
japonais  Godoshi).  vme  siècle.  Epoque  des  Tang.  (Collection 
Charles  Freer,  à  Retrait.  Etats-Unis.) 102 

PLANCHE  38. 

Fragment  de  paysage,  par  Wu  Tao-Yûan  ou  Wu  Tao-tzu 


(po) 


TABLE  DES  PLANCHES  EN  NOIR 

(en   japonais   Godoshi).  vm8  siècle.    Époque    des  Tang. 

(  Temple  Daitokuji,  à  Kioto) 104 

PLANCHE  3g. 

La  Chute  d'eau,  par  Wang  Wei  (en  japonais  O-i  ou  Oma- 
kitsu).  699-?  Époque  des  Tang.  {Temple  Chishahuin,  à 
Kioto.) I06 

PLANCHE  40. 

Peinture  bouddhique  chinoise  primitive.  (Collection  Charles 
Freer,  à  Détroit,  Etats- Unis.) 112 

PLANCHE    41. 

Un  Rakan  ou  Arhat,  par  le  prêtre  Kuan  Hsiu  (en  japonais 
Zengetsu  Daishi).  xe siècle.  (Temple  Kodaiji.) 148 

PLANCHE  42. 

Kwannon,  par  Mu  Ch'i  (en  japonais  Mokkei).  xia  siècle. 
Epoque  des  Song.  (Temple  Daitokuji,  à  Kioto.) i?0 

PLANCHE  43. 

Un  Rakan  ou  Arhat  avec  un  serpent,  par  Mu  Ch'i  (en 
japonais  Mokkei).  xie  siècle.  Epoque  des  Song i52 

PLANCHE  44. 

Paysage  avec  un  buffle,  par  Fan  K'uan  (en  japonais  Hank- 
wan).  Début  du  xie  siècle.  Epoque  des  Song 154 

PLANCHE  45. 

Un  des  Rakans  ou  Arhats,  par  Li  Kung-lin,  dit  Li  Lung- 
Mien  (en  japonais  Riryomin).  f  1106.  Epoque  des  Song. 
(Collection  Charles  Freer,  à  Détroit,  Etats-Unis.) i56 

PLANCHE  46. 

Tète  de  Femme.  Dessin  de  Li  Kung-lin,  dit  Li  Lung-Mien 
(en  japonais  Riryomin).  f  1 106?  Epoquedes  Song 1 58 

PLANCHE  47 . 

Hoteï  dormant,  par  Li  Kung-lin,  dit  Li  Lung-Mien  (en 
japonais  Riryomin).  f  1 106.  Epoque  des  Song.  —  Le 
célèbre  Yuima.  Copie,  par  Li  Kung-lin,  dit  Li  Lung-Mien 
(en  japonais  Riryomin).  -f-  1106.  Epoque  des  Song 160 

PLANCHE  48. 

La  Villa  «  Riomin-Zan  »,  habitation  du  peintre  Li  Kung- 
lin,  dit  Li  Lung-Mien  (en  japonais  Riryomin).  Par  lui- 
même,  f  1 106.  Époque  des  Song 161 


(?») 


21 


TABLE  DES  PLANCHES  EN  NOIR 

PLANCHE  49. 

Un  Rakan  ou  Arhat  en  extase  sur  les  eaux.  Ecole  de  Li 
Kung-lin,  dit  Li  Lung-Mien  (en  japonais  Riryomin). 
f  1 106.  Epoque  des  Song 162 

PLANCHE  5o. 

Groupe  de  Rakans  ou  Arhats  regardant  des  cigognes. 
Ecole  de  Li  Kung-lin,  dit  Li  Lung-Mien  (en  japonais  Ri- 
ryomin). f  1 106.  Epoque  des  Song i63 

PLANCHE  5i. 

Paysage,  par  l'empereur  Hui-Tsung  (en  japonais  Kisô-Kôtei). 
f  1 1 35.  {Temple  Daitokuji,  à  Kioto.) 164 

PLANCHE  52. 

Une  dame  de  l'époque  des  Song  s'appuyant  contre  un  pin, 
par  Chao-Tsien-Li  (en  japonais  Chosenri).  xne  siècle. 
{Collection  Charles  Freer,  à  Détroit,  Etats-Unis.) i65 

PLANCHE  53. 

Un  Tartare  chassant  un  daim,  par  Li  Ngan-Chung  (en 
japonais  Ri-an-Chin).  xne  siècle.  Epoque  des  Song 166 

PLANCHE  54. 

Villa  en  hiver  sous  les  bambous,  par  Ma  Yuan  (en  japonais 
Bayen).  Début  du  xme  siècle 167 

PLANCHE  55. 

Villa  sous  les  pins,  par  Ma  Yuan  (en  japonais  Bayen).  Début 
du  xme  siècle 168 

PLANCHE  56. 

Le  poète  Rinnasei,  par  Hsia-Kuei  (en  japonais  Kakei).  Début 
du  xme  siècle 169 

PLANCHE  57. 

Paysage,  par  Hsia-Kuei  (en  japonais  Kakei).  Début  du 
xme  siècle.  —  Cascade,  par  Hsia-Kuei  (en  japonais  Kakei). 
Début  du  xme  siècle.  Copie  par  Kano  Tanyu.  —  Paysage, 
par  Hsia-Kuei  (en  japonais  Kakei).  Début  du  xin°  siècle. .     170 

PLANCHE  58. 

L'Ermite  Kanzan,  par  Yen  Hui  (en  japonais  Ganki). 
xive  siècle.  {Collection  Kawasaki,  à  Osaka.) 171 


(322) 


TABLE  DES  PLANCHES  EN  NOIR 

PLANCHE  5g. 

Le  Sennin  Takkai,  par  Yen  Hui  (en  japonais  Ganki). 
xive  siècle 172 

PLANCHE  60. 

Un  Ermite  de  la  montagne,  par  Liang  Cru  (en  japonais 
Riôkai).  xive  siècle 1  j3 

PLANCHE  61. 

Copie  d'après  un  peintre  de  Liang  Chi  (en  japonais  Riôkai). 
xive  siècle 174 

PLANCHE  62. 

Gokuanshi  peignit  le  roc,  les  orchidées  et  le  bambou  dans 
un  disque.  —  Nen  Kawo  peignit  la  baignade  des  buffles. 
Milieu  du  xive  siècle 175 

PLANCHE   63. 

Un  Sennin  voyageant  sur  un  daim,  par  Mommukan  ?  Copie.     178 

PLANCHE  64. 

Femmes  chinoises  écrivant,  par  Torin.  Dynastie  des  Ming. 
[Collection  Charles  Freer,  à  Détroit,  États-Unis.) 179 

PLANCHE  65. 

Camélias,  par  Shun-Kù  (en  japonais  Shunkio).  Dynastie  des 
Ming. .    " 180 

PLANCHE  66. 

Cigogne  au  vol,  par  Renshiren.  [Temple  Sokokuji.) 181 

PLANCHE  67. 

Danse  de  femmes,  peinture  au  trait,  par  K'iu  Ying  (en  japonais 
Kiuyei).  Dynastie  des  Ming 182 

PLANCHE  68. 

Un  Souper,  par  Sujo,  frère  de  Sugo i83 

PLANCHE  6g. 

Un  Palais,  par  Kameiyen  (Hsia-Ming-Yûan) 184 

PLANCHE  70. 

La  Musique  sans  instruments,  par  Gessan.  xixe  siècle 1 85 


i)2)) 


TABLE  DES  PLANCHES  EN  NOIR 

PLANCHE  71. 

Fleurs,  feuillages  et  oiseaux,  par  Gioku-wô.  xixe  siècle. 
{Musée  de  Boston,  Etats-Unis.) 186 

PLANCHE  72. 

Bosquet  de  bambous  sous  la  tempête,  par  Danshidzui 187 

PLANCHE  73. 

Le  Célèbre  Tabernacle  coréen  Tamamushi.  vie  siècle.  (Ho- 
riuji,  Japon.) 188 

PLANCHE  74. 

Le  Tabernacle  Tamamushi  :  Détail.  vie  siècle.  (Horiuji,  Japon.) 
—  Le  Tabernacle  Tamamushi  :  Peintures  de  la  porte. 
vie  siècle.  (Horiuji,  Japon.) 189 

PLANCHE  75. 

Le  Prince  Shotoku-Taishi  (f  621)  et  ses  deux  enfants.  Pein- 
ture par  le  prince  coréen  Âsa 190 

PLANCHE  76. 

Peintures  et  incrustations  de  nacre  au  dos  d'instruments 
de  musique  appelés  «  Biva  ».  vme  siècle.  (  Trésor  du  Sho- 
Soïn,  à  Nara.) 191 

PLANCHE  77. 

Feuilles  de  paravent  de  style  hindou.  vme  siècle.  (Trésor 
du  Sho-Soïn,  à  Nara.)  —  Peintures  sur  peau  de  style 
hindou.  vme  siècle.  (Trésor  du  Sho-Soïn,  à  Nara.) 192 

PLANCHE  78. 

Fresques  du  Temple  d'Horiuji,  a  Nara,  reconstruit  de  708  à 
7i5  :  Détail 193 

PLANCHE  7g . 

Anges  musiciens  avec  le  biwa  et  le  koto,  par  Kobo-Daishi 
(774-83^ 196 

PLANCHE  80. 

Portrait  de  Prêtre,  par  Kobo-Daishi  (774-834) 197 

PLANCHE  81. 

Trinité  bouddhique:  Amida,  Kwannon  et  Seishi,  par  Yeishin 
Sozu  (f  1017) 198 


024) 


TABLE  DES   PLANCHES   EN   NOIR 

PLANCHE  82. 

Amida,  par  Yeshin  Sozu  (f  1017) igg 

PLANCHE  83. 

Cascade,  par  Kanawoka.  ixe  siècle 200 

PLANCHE  84. 

Comrat  de  Taureaux.  Fragment  de  Makimono  à  l'encre  de 
Chine,  par  Toba  Sojo  (f  1140?).  {Temple  Kausanji, 
Yamato.) 201 

PLANCHE  85. 

Bataille  de  Coqs,  par  Kasuga  Mitsunaga  (Tosa).  Deuxième 
moitié  du  xne  siècle 202 

PLANCHE  86. 

Une  opération  chirurgicale.  Détail  du  Makimono  «  Nen- 
chiu  Giogi  »,  par  Kasuga  Mitsunaga  (Fugiwara  Tosa). 
Deuxième  moitié  du  xue  siècle.  {Musée  de  Boston,  Etats- 
Unis.) 203 

PLANCHE  87. 

Bouddha  descendant  du  ciel  a  travers  les  nuages.  D'après  le 
Mandara  Taima.  Peut-être  par  Keion.  xme  siècle 204 

PLANCHE  88. 

Fragment  du  Makimono  de  la  Guerre  Hogen-Heiji.  Keion. 
xme  siècle.  {Musée  de  Boston,  Etats-Unis.) 2o5 

PLANCHE  8g. 

Fragment  du  Makimono  de  la  Guerre  Hogen-Heiji.  Keion. 
xme  siècle.  {Musée  de  Boston,  Etats-Unis.) 206 

PLANCHE  90. 

Portrait  de  Yoritomo,  par  Takanobu  (Fujiwara)  (f  i2o5)...     207 

PLANCHE  gi. 

Détail  du  Makimono  «  Kitano  Tenjin  Engi  »,  par  Nobuzane 
(1 177-1265) 208 

PLANCHE  g2. 

Détail  du  Makimono  «  Tenjin  Engi  »,  par  Nobuzane  (1177- 
1 2Ô5) 209 

PLANCHE  g3. 

Fragment  de  Makimono,  par  INoDuzane  (1 177-1265) 210 


(PO 


TABLE  DES  PLANCHES  EN  NOIR 

PLANCHE  94. 

Fragment  du  Makjmono  de  «  l'Enfer  »,  par  Nobuzane  (1177- 
1265) 211 

PLANCHE  g5. 

Rakans  ou  Arhats,  par  Cho-Densu  (Meicho  ou  Mincho). 
1351-1427.  {Temple  Tofukuji,  à  Kioto.) 214 

PLANCHE  96. 

Deux  feuilles  de  Paravent,  par  Jasoku  (Soga).  Deuxième 
moitié  du  xve  siècle 2i5 

PLANCHE  gy. 

Juro-Jin  ou  l'Esprit  de  la  longévité,  par  Sesshu(i42o-i5o6). 
(Collection  du  marquis  Hachisuka,  Japon.) 216 

PLANCHE  98. 

Paysage,  par  Sesshu  (1420-1506) 217 

PLANCHE  gg. 

Feuille  de  Paravent  :  Cigogne  et  Prunier,  par  Sesshu  (1420- 
i5o6) 218 

PLANCHE  100. 

Paravent  :  Paysage,  par  Shiubun.  Première  moitié  du 
xve  siècle.  (Musée  de  Boston,  Etats-Unis.)  —  Paravent  : 
Paysage,  par  Sesshu  (1 420-1506).  (Anciennement,  Collection 
Waggener,  à  Washington.  Actuellement,  Collection 
Charles  Freer,  à  Détroit,  Etats-Unis.) 219 

PLANCHE  101. 

Paysage  de  style  rude,  par  Sesshu  (1420-1506).  —  Arbres 
dans  la  brume.  Détail  du  Makimono  Mori,  par  Sesshu  (1420- 
i5o6) 220 

PLANCHE  102. 

Détail  du  célèbre  Makimono  Mori,  par  Sesshu  (1420-1506)..     221 

PLANCHE  io3. 

Portrait  de  Confucius,  par  Kano  Masanobu  (1453-1490). 
Copie  de  Kano  Tanyu.  (Musée  de  Boston,  Etats-Unis.). . .     222 

PLANCHE  104. 

Peinture,  par  Kano  Motonobu  (1476-1559.) 223 


()*) 


TABLE  DES  PLANCHES  EN  NOIR 

PLANCHE   io5. 

Un  Aigle,  par  Kano  Utanosuke  ou  Yukinobu  (i5i3-i575). 
(Musée  de  Boston,  Etats-Unis.) 224 

PLANCHE  106. 

Paravent  représentant  la  Cour  impériale  de  Chine,  par 
Kano  Yeitoku  (1 545-1 592).  (Musée  de  Boston,  Etats-Unis.)    225 

PLANCHE  107. 

Branche  de  prunier  sous  la  neige,  par  Kano  Yeitoku  (i545- 
1592) 226 

PLANCHE  108. 

Décoration  intérieure  du  Château  de  Nijo,  à  Kioto. 
xvne  siècle 227 

PLANCHE  109. 

Ferme  et  Paysans,  par  Kano  Koi  (f  i636) 234 

PLANCHE  110. 

Palais  chinois  et  terrasses,  par  Kano  Tanyu  (1602-1674.)-.  •     235 

PLANCHE  m. 

Le  «  Jugement  d'Emma  »,  scène  de  l'Enfer,  par  Kanawoka. 
Copie  par  Hirotaka  Sumiyoshi 236 

PLANCHE  112. 

Paravent  a  deux  feuilles  :  Décor  de  lierre,  par  Honnami 
Koyetsu  (f  1637).  (Musée  de  Boston,  Etats-Unis.) 237 

PLANCHE   11 3. 

Paravent  aux  Magnolias,  par  Honnami  Koyetsu  (-{- 1637). 
(Ancienne  Collection  Ch.  Gillot.) 238 

PLANCHE  114. 

Paravent.  Détail  :  'liges  de  maïs  secouées  par  le  vent,  par 
Honnami  Kovetsu  (f  1637).  (Collection  Charles  Freer,  à 
Détroit,  Etats-Unis.) 239 

PLANCHE  n5. 

Éventail,  par  Honnami  Koyetsu  (f  1637) 240 

PLANCHE  116. 

Deux  oies  sauvages  au  vol,  par  Sotatsu.  Deuxième  moitié  du 
xvne  siècle 24r 


TABLE  DES  PLANCHES  EN  NOIR 

PLANCHE  u7. 

Paravent  a  décor  de  chrysanthèmes,  par  Ogata  Korin. 
Deuxième  moitié  du  xvne  siècle.  —  Etude  d'œillets 
sauvages  :  Détail,  par  Sotatsu.  Deuxième  moitié  du 
xvii»  siècle 242 

PLANCHE  118. 

Personnages  dans  un  parterre  d'iris,  par  Ogata  Korin. 
Deuxième  moitié  du  xvne  siècle 243 

PLANCHE   11  g. 

Paravent  a  décor  de  vagues,  par  Ogata  Korin.  Deuxième 
moitié  du  xvne  siècle.  (Musée  de  Boston,  Etats-Unis.) 244 

PLANCHE  120. 

Paravent  a  décor  de  fleurs,  par  Ogata  Korin.  Deuxième 
moitié  du  xvne  siècle.  —  Trois  poteries  décorées,  par 
Kenzan  (1663-1743.) 245 

PLANCHE  121. 

Ecole  de  Matahei 252 

PLANCHE  122. 

Peinture.  Ecole  de  Matahei.  Fin  du  xvne  siècle 256 

PLANCHE  123. 

Paravent  :  Paysages  d'hiver,  par  Maru-Yama  Okio  (iy33-?).     270 

PLANCHE  124. 

Oie  sauvage  et  lune,  par  Maru-Yama  (1733-?) 271 

PLANCHE  125. 

Paravent  décoré  d'un  dragon  dans  la  tempête,  par  Maru- 
Yama  Okio  (1733-?) 272 

PLANCHE  126. 

Singes,  par  Mori-Sosen  (1747-1821) 273 

PLANCHE  127. 

Singes,  par  Mori-Sosen  (1747-1821) 274 

PLANCHE  128. 

Daims,  par  Ganku  (1745-1834) 275 


(328) 


TABLE  DES  PLANCHES  EN  NOIR 

PLANCHE  129. 

Trois  canards,  par  Aianju 276 

PLANCHE  i3o. 

Le  Fuji  vu  d'Enoshima,  par  Ho-yen  (Ecole  d'Okio).  Fin  du 
tviiic  siècle.  {Musée  de  Boston,  Etats-Unis.)  —  Une 
Ferme,  par  Ho-yen  (Ecole  d'Okio).  Fin  du  xvme  siècle. 
(Musée  de  Boston,  Etats-Unis.) 277 

PLANCHE  i3i. 

Branche  de  Prunier  et  Rossignols,  par  Ho-ven  (Ecole  d'Okio). 
Fin  du  xvme  siècle.  {Musée  de  Boston,  États-Unis.) 278 

PLANCHE  i32. 

Renard  dormant,  par  Tetsuzan  ou  Tessan  (Ecole  d'Okio) 
(t  1841) 279 

PLANCHE  i33. 

Arbres,  par  Kano  Soshu 280 

PLANCHE  134. 

Estampes  chinoises.  Musée  du  Louvre.  Première  moitié  du 
xvne  siècle 286 

PLANCHE  i35. 

Illustration  de  livre,  par  Hishigawa  Moronobu  (  1 638-1714 
ou  1617-1694,  d'après  Tajima).  —  Exemples  de  Otsu-yé..     287 

PLANCHE  i36. 

Fragment  de  Paravent,  par  Hishigawa  Moronobu  (1638-1714 
ou  16 17-1694,  d'après  Tajima) 288 

PLANCHE  i3j. 

Courtisane  avec  sa  suivante.  Estampe  en  couleurs  à  la  main, 
par  Okumura  Masanobu  (1685-1764) 289 

PLANCHE  i38. 

Estampe  colorée  a  la  main,  dite  «  Tan-Ye  »,  par  Torii  Kyo- 
masu  (1 679-1 763).  —  Estampe  en  blanc  et  noir,  par  Torii 
Kiyonolu  (1664-1729).  —  Estampe  colorée  a  la  main,  par 
Torii  Kiyomasu  (  1679-1763) 290 

PLANCHE   i3g. 

Peinture,  par  Suzu-ki  Haronobu  (1718-1770).  {Collection 
Charles  Freer,  à  Détroit,  Etats-Unis.) 291 


029) 


TABLE  DES  PLANCHES  EN  NOIR 

PLANCHE  140. 

Estampes  en  couleurs,  par  Suzu-ki  Haronobu  (1718-1770).. .     292 
PLANCHE   141. 

Kakemono-yé,  par  Koriusai 2g3 

PLANCHE  142. 

Estampes  en  couleurs  «  Kakemono-yé  »,  par  Suzu-ki  Haro- 
nobu (1718-1770) 294 

PLANCHE  143. 

Peinture,  par  Nishigawa  Sukenobu  (1674- 1754) 295 

PLANCHE  144. 

Estampe  en  couleurs,  par  Katsukawa  Shunsho  (1726-1792)..     298 

PLANCHE  145. 

Sur  le  Balcon.  Estampe  en  couleurs,  par  Katsukawa  Shun- 
man.  Fin  du  xvme  siècle 299 

PLANCHE  146. 

Peinture,  par  Kitao  Sbighemasa  (1739-1819  ?).  (Collection 
Charles  Freer,  à  Détroit,  Etats-Unis.) 3oo-3oi 

PLANCHE  147. 

Peinture,  par  Kiyonaga  (1742-1815).  {Collection  G.-W.  Van- 
derbilt,  a  New-York.) 3o2 

PLANCHE  148. 

Estampes  en  couleurs,  par  Kiyonaga  (1742-1815) 3o3 

PLANCHE  149. 

Estampes  en  couleurs,  par  Kiyonaga  (1 742-1 81 5) 304 

PLANCHE  i5o. 

Rentrée  nocturne.  —  Scène  maternelle.  Estampes  en  cou- 
leurs, par  Utamaro  (i753-i8o6) 3o5 

PLANCHE  i5i. 

Peinture,   par  Hokusai   (1760-1849).   (Collection   Freer,   à 
Détroit,  Etats-Unis.) 309 

PLANCHE  i52. 

La  Vague.  —  Le  Fuji.  Estampes  en  couleurs,  de  la  suite  des 
36  vues  du  Fuji,  par  Hokusai  (1760-1849) 3io 


(330) 


TABLE  DES  PLANCHES  EN  NOIR 

PLANCHE  i53. 

Les  Renards  fantômes.  Estampe  en  couleurs,  par  Hiroshighé 
(1797-1858) 3u 

PLANCHE  154. 

La  Nuit  sur  la  rivière  Kamo,  a  Kioto.  —  Sous  le  pont  de  la 
Sumida.  Estampes  en  couleurs,  par  Hiroshighé  (1797-1858).     3i3 


© 


® 


TABLE  DES  MATIERES 


Préface,  par  M.  Gaston  Migeon vu 

Introduction  de  M.  Ernest  Fenellosa xm 

CHAPITRE  I 
L'ART  CHINOIS  PRIMITIF 

3  ooo  Ans  —  25o  ans  avant  l'ère  chrétienne  :  L'Art 
du  Pacifique.  —  Les  origines  de  l'Art  chinois.  —  Les 
influences  qu'il  a  subies  du  Pacifique,  de  la  Perse  et  de  la 
Grèce.  —  Les  premiers  âges  historiques  de  la  Chine.  — 
Les  empereurs  patriarches.  —  Dynasties  Han,  Shang, 
Chou.  —  Les  caractères  de  leurs  arts.  —  Les  bronzes 
archaïques.  —  Les  poteries i 

CHAPITRE  II 
L'ART  CHINOIS  DE  LA  DYNASTIE  DES  HAN 

Influence  de  la  Mésopotamie  (202  avant  l'ère  chrétienne 

—  221  après  J.-C.)  :  Rapports  commerciaux  entre  la  Chine 
et  les  peuples  du  bassin  de  la  Méditerranée.  —  Influences 
artistiques  de  la  Perse  et  de  la  Mésopotamie  sur  les  pote- 
ries des  Han,  et  par  réaction  sur  les  bronzes.  —  Les  pierres 
sculptées i3 

CHAPITRE  III 
L'ART  CHINOIS  BOUDDHIQUE  DE  LA  DYNASTIE 
DES  TANG 

Influence  indienne  (m8  siècle  —  vi8  siècle  après  l'ère 
chrétienne)  :  Introduction  du  Bouddhisme  en  Chine.  — 
Les  conséquences  qui  en  résultèrent  quant  à  l'art  plastique. 

—  Nécessité  de  l'étude  de  l'art  plastique  dans  l'Inde,  avant 
d'interroger  celui  de  la  Chine  et  du  Japon.  —  Consé- 
quences artistiques  de  la  division  de  1  Empire  chinois 
en  420.  —  L'écriture,  l'encre  et  le  pinceau.  —  La  peinture 
naît.  —  Les  premières  Ecoles  du  Sud.  —  Les  peintres 
K.u-K'ai-chih  et  Wu-tao-tzu.  —  L'empereur  Wu-ti.  — 
Les  Écoles  du  Nord  dont  le  sens  plastique  demeure  pénétré 
de  l'esprit  hindou  hellénique.   —  Splendeur  de  l'époque 

des  Tang 23 


(m) 


TABLE  DES  MATIÈRES 

CHAPITRE  IV 

L'ART   BOUDDHIQUE   PRIMITIF   DE    LA   CORÉE 
ET  DU  JAPON  SOUS  L'INFLUENCE  CHINOISE 


VIe-vne  siècle  de  l'ère  chrétienne  :  Position  géogra- 
phique de  la  Corée,  expliquant  son  rôle  entre  la  Chine  et 
le  Japon.  —  La  beauté  de  ses  arts  du  ive  au  vne  siècle  et  ce 


que  le  Japon  lui  dut.  —  Comment  la  Corée  put  subir 
l'influence  des  arts  iraniens.  —  Ce  qu'elle  doit  en  même 
temps  à  la  Chine  du  Nord  et  du  Sud.  —  Les  monuments 
de  1  Art  coréen  supposés  être  conservés  au  Japon.  —  Les 
sculptures  bouddhiques  à  Horiuji.  —  La  première  haute 
civilisation  japonaise  sous  Suiko  et  Shotoku  à  Horiuji  et  à 
Nara,  et  les  grandes  créations  de  la  sculpture  bouddhique. 

—  Epoques  de  Jomei  Tennô  et  de  Tenchi 3j 

CHAPITRE  V 
L'ART  GRÉCO-BOUDDHIQUE  EN  CHINE 

VIIe  et  vme  siècle  :  L'Art  gréco-bouddhique  du  Gandhara. 

—  Les  rapports  de  l'hellénisme  avec  l'Inde  par  la  Bactriane. 

—  Les  monuments  de  sculpture  du  Gandhara.  —  L'expan- 
sion de  l'Art  gréco-boudahique  de  l'Inde  à  Ceylan  et  à 
Java.  —  Son  action  au  Turkestan  chinois,  à  Khotan.  —  Sa 
pénétration  en  Chine  sous  les  Tang,  à  Sin-gan-fu 55 

CHAPITRE  VI 

L'ART  GRÉCO-BOUDDHIQUE  AU  JAPON 

La  sculpture  a  Nara  :  Les  monuments  de  sculpture  d'Art 
coréen  au  Japon.  —  Le  plus  ancien  Art  gréco-bouddhique 
japonais.  —  Le  temple  d'Horiuji.  —  Les  fresques.  — 
Epoques  de  Wado  et  Yoro  au  Japon.  —  Les  grandes  fontes 
de  bronze  au  Japon  au  viue  siècle.  —  La  Trinité  du  Kondo 
de  Yakushiji  par  Giogi.  —  La  statuaire  d'argile.  —  Le 
règne  de  Shomu.  —  La  période  de  Tempeï  à  Nara  et  la 
sculpture  de  bois.  —  Les  trésors  du  Sho-soïn  de  Nara 69 

CHAPITRE  VII 

LA     PEINTURE    MYSTIQUE     BOUDDHIQUE     EN 
CHINE  ET  AU  JAPON 

Loyang  ET  KlOTO  (vine  siècle  —  xie  siècle)  :  L'Art  sous 
la  dynastie  des  Tang  en  Chine.  —  Les  peintres  Wang 
Wei  et  Wu-Tao-Tzu.  —  Leurs  œuvres  sous  l'empereur 
Genso.  — Les  Mandaras.  —  La  sculpture  de  ces  époques.       q3 


(3  34) 


TABLE  DES  MATIERES 

CHAPITRE  VIII 

L'ART  MYSTIQUE  BOUDDHIQUE  AU  JAPON 

Sous  les  Fujiwara  :  L'Art  des  sectes  Tendai  et  Shingon.  — 
L'Art  sous  l'empereur  Rwammu. —  Dengio  Daishi,  Kobo 
Daishi  et  Chisho  Daishi.  —  L'ère  Engi.  —  Les  Fujiwara. 

—  Le  peintre  Kose  no  Kanawoka.  —  Ses  élèves  Kanetada 

et  Hiratoka.  —  Ecoles  Kasuga  et  Takuma ni 

CHAPITRE  IX 

L'ART  FÉODAL  AU  JAPON 

Époque  de  Kamakura  et  École  Tosa  :  Les  familles  rivales 
des  Taira  et  des  Minamoto.  —  Le  prêtre  artiste  Toba  Sojo. 

—  Les  peintres  Takanobu,  Nobuzane,  Mitsunaga  et 
Keion.  —  L'époque  des  Hojos  à  Kamakura.  —  L'École  de 
Tosa.  —  Les  sculpteurs  Wunkci  et  Tankei.  —  Les  Écoles 
Kose  et  de  Takuma 1 29 

CHAPITRE  X 
L'ART  IDÉALISTE  EN  CHINE 

I.  Les  Song  du  Nord  a  Kaifongfu  :  La  doctrine  boud- 
dhique de  Zen.  —  Son  influence  sur  l'Art  chinois  des 
Song.  —  Son  sentiment  de  la  nature  et  l'art  du  paysage. 

—  Les  peintres  Chu  Hui,  Chao  Ch'ang,  Li  Ch'en  et  Kuo 
Hsi.  —  L'essai  théorique  sur  la  peinture  de  Kuo  Hsi.  — 
Le  peintre  Li  Lung  Mien  et  l'empereur  artiste  Hin  Tsung 
Kiso-Kotei 147 

II.  Les  Song  du  Sud  a  Hangchow  sur  le  Yangtsé  : 
L'amour  de  la  nature  et  l'art  du  paysage  pénétré  de  la 
doctrine  Zen.  —  Les  peintres  Ma  Yuan,  Hsia  Kuei,  et 
Mu  Chi.  —  L'invasion  et  la  conquête  mongole.  —  La 
dynastie  mongole  des  Yuen.  —  L'ccole  réaliste  des  Yuen. .     176 

CHAPITRE  XI 
L'ART  IDÉALISTE  DES  ASHIKAGA  AU  JAPON 

Les  rapports  du  Japon  avec   l'empire  chinois  des  Ming. 

—  L'influence  de  la  doctrine  Zen  sur  la  pensée  japonaise. 

—  L'  cole  de  Takuma  et  Chodensu.  —  Noami,  Geiami, 
Soami,  Shubun,  Jasoku  et  Shiubun.  —  Sesshu.  —  Sesson 

et  Sotan.  —  Les  quatre  grands  temples  Zen  de  Kioto ig5 

CHAPITRE  XII 
L'ART  IDÉALISTE  DE  L'ÉCOLE  PRIMITIVE  DES 
KANO  AU  JAPON 

Les  shoguns  Tokugawa.  —  Masanobu  et  Motonobu.  — 

035) 


TABLE  DES  MATIERES 

Kano  Shoyei  sous  Nobunaga.  —  Le  grand  décorateur 
Kano  Yeitoku  sous  Hideyoshi.  —  Sanraku 2i3 

CHAPITRE  XIII 

L'ART  ARISTOCRATIQUE  MODERNE  AU  JAPON 

Les  derniers  Kano  et  l'Ecole  de  Korin  :  Kano  Tanyu. 
—  Renaissance  de  l'Ecole  Tosa  avec  Mitsuoki.  —  Lart 
indépendant  de  Honnami  Koyetsu.  —  Sotatsu  et  Korin.  — 
Kenzan 233 

CHAPITRE  XIV 

L'ART  MODERNE  CHINOIS 

Les  dynasties  Tsing  et  Manchou  :  Les  industries  décora- 
tives.(  —  La  porcelaine.  —  L'esprit  confucianiste  para- 
lyse l'Art  chinois.  —  La  peinture  «  Bunjinga  ».  —  L'Art 
sous  les  empereurs  Kanghi  et  Kienlung 247 

CHAPITRE  XV 

L'ART  MODERNE  POPULAIRE  A  KIOTO 

L'École  Shijo  :  Son  esprit  avait  déjà  sa  source  dans  l'Art 
de  maîtres  chinois  des  Tsing  installés  à  Nagasaki.  — 
Influence  du  style  «  Bunjinga  »  au  Japon.  —  Okio.  —  Ses 
élèves  Goshun  et  Keibun.  —  Sosen  et  Ganku.  —  Influence 
de  l'Ecole  Shijo  sur  les  décorateurs  à  Kioto,  surtout  dans  le 
décor  des  tissus 269 

CHAPITRE  XVI 

L'ART  MODERNE  POPULAIRE  A  YEDO 

L'Ukiyo-yé  :  Son  influence  sur  l'Art  moderne  européen. 
—  Elle  fut  le  reflet  de  la  vie  japonaise  et  de  l'esprit  popu- 
laire. —  Matahei.  —  Moronobu.  —  Les  livres  et  les 
estampes.  —  Les  Torii.  —  Harunobu.  —  Koriusai.  — 
Kyonaga.  —  Utamaro.  —  Hokusai.  —  Hiroshighé 283 

TABLE   DES  PLANCHES   EN   COULEURS 3i5 

TABLE  DES  PLANCHES  EN  NOIR 3i7 


© 


I  M  P  .      CRETE, 
CORBEIL  (S.-ET-O.) 


r