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L'ART
EN CHINE
ET AU JAPON
UNE FEUILLE DE PARAVENT D'HIKONÉ
PAR MATAHEI.
ERNEST F. FENELLOSA
Ancien professeur Je philosophie à l'Université de Tokio,
Commissaire des Beaux- Arts du Gouvernement japonais.
> L'ART
EN CHINE
ET AU JAPON
ADAPTATION ET PRÉFACE
Par GASTON MIGEON
Conservateur au ^Musée du Louvre,
Professeur à l'Ecole du Louvre.
AVEC 197 GRAVURES EN NOIR
ET 16 PLANCHES EN COULEURS
HACHETTE ET CIE
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PREFACE
Par M. GASTON MIGEON
Ernest Fenellosa était dune très ancienne
famille espagnole. Son père, un musicien
distingué, était venu fixer sa vie en Amé-
rique vers 1840 et s y maria avec une jeune
fille de la colonie de Salem, près de Boston,
qui mourut alors qu Ernest Fenellosa n était encore
qu'un enfant. Il fit à l'Université Harvard de bonnes
études de philosophie, d'histoire religieuse et d'his-
toire de l'art, et se trouvait ainsi excellemment
préparé au rôle éducateur quil était destiné à jouer
au Japon.
Ce fut en 1878 que F Université de Tokio,
inaugurant l'enseignement étranger, y appela Ernest
Fenellosa à la chaire d'économie politique et de
philosophie. Il y trouva comme étudiants des hommes
beaucoup plus âgés que lui, dont il sut très vite, par
des dons de séduction personnelle rares, capter la
confiance et l'affection. Durant ces années d'ensei-
gnement il s intéressa profondément au vieil art du
Japon, dont de si magnifiques chefs-d'œuvre dans
les temples et les collections se révélaient a lui. Il
passait ses mois de vacances d'été à voyager à
travers les provinces les plus reculées, à visiter les
temples riches en trésors de peinture et de sculp-
M
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
ture. Le gouvernement japonais, très libéralement,
lui facilitait ces excursions archéologiques, lui adjoi-
gnant des secrétaires et des interprètes. Fondateur
d'un club artistique, « Kangwakai », obstinément
fidèle aux traditions du passé et acharné à les
rappeler aux artistes du jeune Japon enclins à les
oublier, il se fit une grande place parmi les artistes
des vieilles Ecoles, si bien qu'en i885 la Commission
des Beaux-Arts, après cinq mois d études, sur le
rapport du professeur Fenellosa, décidait de res-
taurer dans toutes les Ecoles les vieilles techniques
de l Art japonais, le papier, l'encre de Chine et la
brosse, sous l'impulsion des artistes du club
Kangwakai, en même temps qu'était décidée la créa-
tion d'un Musée d'Art national.
En juin 1886, Ernest Fenellosa était nommé
membre de la Commission des Beaux-Arts, et en
cette qualité chargé, avec deux collègues japonais,
d'étudier en Europe les méthodes d'enseignement des
Beaux-Arts, les organisations administratives et leur
possibilité d'adaptation au Japon. Cela aboutit, en
i88y, à l'ouverture de l'tcole normale d'Art de
Tokio. C'est alors que Fenellosa fut adjoint à
neuf experts artistes et archéologues pour opérer le
classement de tous les trésors d'art du Japon, parti-
culièrement ceux des temples, et l'on ne saurait
oublier la part d'influence personnelle qu'il y sut
prendre de 1886 à 188g.
Ces dix années passées au Japon lui avaient permis
d'y réunir des collections personnelles qu'il vendit en
1886 au musée de Boston (en même temps qu'y
entraient les collections de M . Bigelow), a la con-
dition quelles y demeureraient toujours et quelles
(mu)
PREFACE
porteraient le nom de Fencllosa. En i8go, on lui
offrit de devenir Conservateur du nouveau Départe-
ment d'Art oriental qui y était organisé, et qui
aujourd'hui est passé sous la direction d'un de ses
meilleurs élèves japonais, M. Okakura Kaku^o,
l'auteur du remarquable traité esthétique « The
ideals of the East ». Il y demeura attaché cinq
années, bien employées à dresser l'inventaire des
collections, à rédiger des catalogues, à organiser
des expositions, aussi bien des collections si riches
du musée que d'œuvres importées directement dans
ce but du Japon même, et à faire de nombreuses
conférences dans les clubs et les universités. Et
ce labeur ne l'empêchait pas de s'intéresser vi-
vement aux problèmes d'éducation artistique en
Amérique.
Mais le Japon le réattirait encore; au prin-
temps de i8g6 il faisait un grand tour d'études
dans les musées et bibliothèques d'Europe, et
l'automne de cette même année le voyait installé
aux environs de Kioto, aux bords de la rivière
Kamo, dans une villa où, vivant à la japonaise, il
ne recherchait que la société des Japonais. Sa
maison étant un vrai centre de conversations et
d'études, il cherchait, avec l'archevêque Sahurai
Ajari, à pénétrer les arcanes du Bouddhisme . De
i8gy à igoo, installé à Tokio, il ne cessa de cir-
culer de Kioto à Nara, de Tokio à Nikko, époque
de grande activité, de curiosité inassouvie en reli-
gion, en drames de Nô, en poésies chinoise et japo-
naise ; c'est ainsi que son esprit s'enrichissait de
toutes les idées qui devaient former plus tard le
solide tissu de cet ouvrage.
(00
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
En igoo, l'Amérique le réclama de nouveau.
Les villes, les cercles, les universités lui deman-
daient des conférences. Il résolut dy revenir et
fixa sa résidence à New-York. Il y était plus
spécialement attiré par son élève M. Dow, qui
avait si vigoureusement contribué à répandre en
Amérique les théories de Fenellosa sur renseigne-
ment artistique, et qui, en IQ04, fut nommé pro-
fesseur à l'Université Columbia.
Ce fut en août igoô que j'eus l'honneur et le
plaisir de faire sa connaissance en Amérique;
Charles Freer, dont il avait été le conseiller intime
dans le choix de ses magnifiques collections de
peintures chinoises et japonaises destinées à consti-
tuer un Musée d'Art extrême-oriental à Washington,
nous avait réunis dans sa maison de Détroit [Nlichi-
gan). Ce fut une semaine inoubliable de longues
causeries où, devant les œuvres, je pus juger de rétendue
des connaissances de Fenellosa, de la sûreté de son
goût, de la vivacité et de l'acuité de ses impressions.
Je le quittai pour gagner le Japon, muni de ses
lettres d introduction qui m'ouvrirent les portes de
tant de vieilles et nobles demeures de là-bas, où
je mesurai la persistance et la profondeur des sou-
venirs qu'il y avait laissés.
Je revis M. Fenellosa au cours de l'été de igo8
à Paris : il me donna la joie de quelques charmantes
heures de causerie et voulut examiner attentive-
ment avec moi les collections du Musée du Louvre,
en me donnant a leur sujet son avis si précieux.
Malgré sa promesse, je ne devais plus le revoir ;
j'appris avec peine qu'il avait succombé subitement,
le 21 septembre igo8, à Londres.
M
PRÉFACE
Le gouvernement japonais se souvint des services
rendus en payant à la mémoire d'Ernest Fenellosa
un magnifique tribut; ses cendres, rapportées au
Japon, furent déposées sous une pierre tumulaire
dressée dans les jardins du temple de Miidera, en face
Omi, selon le désir souvent exprimé par Fenellosa à
ses amis ; Charles Freer y fit graver une épitaphe
commémorative et dédicatoire.
Fenellosa a certainement été ÏOccidental qui le
premier a passionnément interrogé les arts anciens
de la Chine et du Japon ; il est sans doute, avec
MM. Satoiv, Chamberlain et Lafcadio Hearn dans
le domaine littéraire, de ceux auxquels les
circonstances ont permis d'étendre le plus loin au
Japon le cercle de leurs investigations et de leurs
connaissances. Il a compris de l'Art japonais le haut
idéalisme, le sens intime, les prestiges d'exécution :
et, travaillant sans cesse d'après les monuments
mêmes, il a pu asseoir ses idées sur des bases
assurées et solides.
On peut considérer cet ouvrage comme son tes-
tament intellectuel : on y trouvera résumées vingt
années d'études, et exprimées ses longues réflexions
sur les Arts de la Chine et du Japon, plus parti-
culièrement sur la peinture et la sculpture. Ce sont
ses notes manuscrites auxquelles sa veuve, Mme Mary
Fenellosa, a donné une forme définitive avec le con-
cours de MM. Ariga Nagao et Kano Tomonobu. Sa
méthode y apparaît bien plus synthétique qu 'ana-
lytique, les œuvres n'y étant citées que comme exemples
venant illustrer les considérations générales que lui
suggèrent les courbes d' évolution historique des arts
de ces deux pays. Il ne semble pas qu'il en pût
(xi)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
être autrement dans les limites forcément restreintes
de cet ouvrage.
Ayant jadis entendu causer et discuter Ernest Fe-
nellosa, l ayant lu avec attention, j'ai cherché à
conserver de son texte original toute la substance
essentielle, j'ai retenu des monuments quil citait les
plus caractéristiques et les plus beaux, tout en res-
pectant ses idées et en suivant pas à pas les démar-
ches de sa pensée, fai préféré m abstenir de toute
intervention personnelle et de tout commentaire, m'é-
tant toutefois attaché à une identification plus précise
dés monuments figurés sur les planches.
Gaston MIGEON
®
INTRODUCTION
DE M. ERNEST FENELLOSA
Le but de ce livre est d'apporter une contri-
bution par des matériaux de première main
à l'histoire réelle de l'Art extrême-oriental,
non seulement pour les savants, mais aussi pour
les curieux de l'Orient, pour ceux qui voyage-
ront en Asie, comme pour ceux qui en collec-
tionneront les choses d'art. La nouveauté du sujet
est certaine sous plusieurs rapports. Des livres
sur l'Art japonais ont été écrits bien plutôt en
étudiant les techniques des arts industriels qu'en
considérant les recherches esthétiques des Écoles;
on a ainsi établi de fausses classifications par
matières, au lieu de le faire par périodes d'acti-
vité créatrice.
Nous considérerons ici l'Art de chaque époque
sous ses aspects particuliers de beauté de lignes
et de couleurs, qui le différencient des autres
moments de l'Art, et dont les industries artis-
tiques de la même époque ont subi les reflets.
C'est ainsi que la Peinture et la Sculpture, au
lieu d'être les objets de chapitres séparés parallèles
aux chapitres qui traiteraient des arts de la Céra-
(xm)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
mique, du Tissu, du Métal, du Laque, etc.,
seront interrogées comme inspiratrices des grandes
Écoles nationales d'arts du dessin à chaque
époque, dont on retrouvera les fécondes impul-
sions dans tous les arts industriels.
De plus, tout ce que Ton a écrit sur l'Art chi-
nois a dérivé bien plutôt de l'étude de ses sources
littéraires que de l'Art lui-même, et l'on a cher-
ché à classifier ses créations par ordre de
valeurs esthétiques. Nous voudrions détruire
cette vieille erreur qui a consisté à regarder la
civilisation chinoise comme étant demeurée des
milliers d'années à peu près ankylosée ; notre but
sera de montrer les milieux de haute culture
qui ont permis aux arts de s'y développer et d'y
produire à chaque période des floraisons nou-
velles et variées.
Il peut être également assez nouveau de révé-
ler, dans les Arts chinois et japonais, la parti-
cularité de leur évolution esthétique. Il est
évident qu'ils eurent non seulement d'étroites
relations avec l'Art grec et avec l'Art romain,
et comme le prouvent les dernières découvertes
du Turkestan, avec l'art de l'Iran, mais que leurs
phases diverses s'enchaînent en un vaste mouve-
ment continu et lié.
Nous croyons fermement qu'on finira par
admettre que le travail artistique des races
humaines est un, et que, sous l'aspect de variétés
infinies, il n'y a vraiment qu'un seul effort men-
tal et social. Jusqu'ici, les artistes et les écri-
(xiv)
INTRODUCTION
vains se sont partagés en deux camps hostiles :
les classiques et les gothiques ; et d'un côté
comme de l'autre, on a exclu l'Art oriental de
l'Histoire de l'Art, sous prétexte que ses lois et
ses formes n'offraient aucune commune mesure
qui puisse permettre de le comparer aux Arts de
l'Europe.
Mais si nous venons à considérer toute clas-
sification comme un artifice, qui vaut surtout à
l'effet d'établir des groupements chronologiques,
et si nous admettons que les variations sont
infinies dans l'esprit humain, sous l'influence
sociale et sous l'influence des lois d'éternelle
mutabilité, nous constaterons sans peine la
réelle et puissante unité d'un effort qui se dis-
simule sous l'infinie variété des techniques.
Toute surface a ses limites, d'où l'union de
formes harmonieuses et de proportions : l'œil per-
çoit ces limites, la main les fixe par des lignes
qui sont les éléments essentiels de cette repré-
sentation. Les jeux de la lumière sur ces surfaces
les nuancent à la vue, et leurs combinaisons
rythmées sont une autre sorte de beauté.
C'est ce que tendra à rendre le dessin, déli-
mitant les surfaces, en modelant les reliefs,
en indiquant les plans différents et les perspec-
tives. Il cherche ainsi à restituer la forme essen-
tielle à la beauté décorative. La couleur vient
lui apporter son aide efficace.
Il existe de multiples façons de combiner ces
différents genres de beauté en vue de toutes les
(XV)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
suggestions qu'elle crée. Mais dans toutes ces
recherches réside une sorte d'ordre préétabli
par l'identité des phénomènes de l'esprit humain,
sous l'influence sociale qui l'impressionne. De
même que l'esprit classique a pénétré l'esprit du
moyen âge, de même les formules de la Grèce
ont cheminé à travers l'Asie.
Nous chercherons ici à montrer les ressem-
blances entre les grandes méthodes chinoises
de dessin par le pinceau et nos méthodes de
dessin et de gravure ; comme aussi les rapports
existant entre le mode oriental de notation et
de coloration, et les différents modes de nota-
tion des Grecs, des Vénitiens, d'artistes comme
Rembrandt ou Vélasquez, ou des peintres français
modernes. Au moyen âge, les chefs-d'œuvre de la
peinture offrent de grandes analogies de cou-
leur dans les deux continents. Les principales
différences résident dans les méthodes de repré-
sentation ; elles sont de moins en moins notables
quand on approche des temps modernes.
Les écrivains anglais, tels que le docteur Ander-
son, ont presque invariablement apprécié les Arts
chinois et japonais du point de vue de ce qu'ils
appellent le Réalisme. A leurs yeux, tout l'Art
chinois est forcé et affecté, tandis que l'Art japo-
nais atteint son plus haut point avec Okio, les
artistes de l'Oukiyoyé, et Hokusai, par la raison
qu'ils sont moins éloignés du goût européen
et plus aisément compréhensibles.
Les Français ont eu des vues plus justes, quoi-
(xvi)
INTRODUCTION
qu'ils aient voulu maintenir une barrière entre
l'art pictural et l'art décoratif et ne reconnaître
dans l'Art extrême-oriental que ses côtésdécoratifs.
Nous avons cherché, au contraire, à appliquer
des principes de critique auxquels nous aurions
soumis de la même façon l'histoire de l'Art euro-
péen. Ce seront toujours les hautes qualités de
dessin, de notation et de couleurs, et la manière
dont l'artiste leur aura fait exprimer de grandes
idées, qui nous serviront de bases de classification
et d'appréciation.
Il semble bien que c'est la première fois qu'un
aussi vaste sujet se trouve traité. Et quoique le
caractère individuel, si l'on peut dire, des diverses
époques y puisse paraître dissemblable, il y a
unité et pénétration des unes aux autres. Il est
fréquent qu'on oppose l'une à l'autre les
civilisations chinoise et japonaise, et souvent
cette dernière n'a été considérée que comme un
pâle reflet de la culture chinoise. Aucune de
ces opinions n'est exacte.
J'ai cherché dans ce livre la concision et l'unité,
et l'expression de mes impressions personnelles;
mon vif désir est que les lecteurs s'en aper-
çoivent. C'est ainsi que je n'ai pas visé à une
somme complète, ni à un exposé encyclopédique,
et que j'ai voulu subordonner les petits faits
aux grands. On pourra m'objecter que j'en
ai sacrifié beaucoup. Je répondrai alors que
l'omission dans l'espèce est très significa-
tive, et que mon constant effort a tendu à
(xvn)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
conserver au sujet les plus exactes et justes
proportions.
Je n'ai pas l'intention de traiter toutes les
formes ni toutes les phases de l'Art, mais seu-
lement celles qui dénotent une activité de l'ima-
gination et une force créatrice. L'Art peut être
considéré comme un continuel effort, un foyer
de production qui dure à travers les âges et
qui jamais ne languit ; mais le plus souvent, il
n'est que classique et sans puissance créatrice.
C'est à rechercher les moments où vraiment il y
a eu invention, création originale, qu'est la tâche
de l'historien; et c'est ainsi qu'il peut apporter
d'importantes contributions à l'histoire. Les opé-
rations secondaires de l'esprit humain sont, dans
ce domaine, de minime et relative importance;
et nous ne considérons pas comme très grave ni
injuste de les négliger.
Ainsi que je l'ai dit, la plupart des écrivains de
l'Art oriental l'ont classifié par techniques indus-
trielles, par matières, procédé commode à cet
étroit point de vue, mais fausse classification
pleine de répétitions, d'entre-croisements etd'ana-
chronismes. L'Art est la faculté de l'imagination
de transformer les matières, et l'histoire de l'Art
devrait être l'histoire de cette faculté bien plus que
des matériaux transformés par elle. Aux périodes
créatrices, toutes les formes de l'Art entrent en
jeu. De la construction d'un grand temple au
modelage d'un bol que le potier tourne sur sa
roue, au laquage patient d'une écritoire, tout
(xvm)
INTRODUCTION
l'effort converge en un style unique. Dès lors, la
classification doit être d'époques, et quand on veut
pour la première fois la tenter, il est nécessaire,
pour suivre l'évolution d'un style, d'en rechercher
les sources sociales et spirituelles. Ce doit être la
vraie méthode de l'archéologue sociologue.
Pour d'autres écrivains, l'histoire de l'Art se
fait à coups de documents : c'est donc une his-
toire de l'Histoire. On ne saurait nier l'impor-
tance des documents, mais on ne peut assurer
non plus que les documents c'est l'Art, et d'ail-
leurs eux-mêmes n'échappent pas à la troublante
falsification.
L'Art chinois est loin de se présenter sous des
formes simples; il s'est manifesté sous de multi-
ples caractères bien accusés; c'est ce que n'ont pas
toujours bien compris les savants chinois. Souvent
aussi leur erreur résida dans leur fâcheuse ten-
dance à confondre l'intérêt des inscriptions avec
celui des qualités essentielles de l'Art. C'est sur
ce terrain que peuvent différer d'avis l'antiquaire
et le critique; ce dernier appuyant son opinion sur
des facultés intuitives, et on peut dire recréatrices.
Je déclare tout d'abord que je ne me consi-
dère pas comme un pur savant : c'est ce qui me
fit tant hésiter à écrire ce livre. Je ne prétends
pas avoir réalisé des recherches philologiques
d'une rare originalité parmi les documents chi-
nois ou japonais. A cet égard, les savants pour-
raient me conseiller de garder le silence.
Des circonstances tout à fait spéciales m'ont
(xix)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
amené à l'étude de l'Art de l'Extrême-Orient.
Depuis des années, mes amis me demandaient de
donner aux observations que cette étude m'avait
suggérées une forme définitive. Si je m'y suis
décidé, c'est que je pense que j'ai réellement
quelque chose à dire.
Quand je commençai à étudier l'Art du Japon,
ce fut à une époque de transition vraiment inté-
ressante. Les châteaux forts des grands Daïmos
féodaux venaient d'être abattus, et leurs trésors
ancestraux dispersés. A Boston, j'avais étudié
l'Art en philosophe. Au Japon, on me considéra
comme un antiquaire curieux, et pendant plu-
sieurs années je fis partie de la Commission offi-
cielle de recherches et de classement. Pour remplir
cette mission, je me trouvais mêlé à la société
des connaisseurs les plus fameux, aux derniers
vrais artistes ; je visitai tous les temples impor-
tants, toutes les collections publiques et privées.
De plus, j'étais nécessairement en rapport avec
tous les grands marchands d'objets d'art, et rien
ne m'échappa de ce qui passait entre leurs mains.
Mais je devins aussi plus spécialement l'élève
en critique des derniers artistes des Écoles
KanoetTosa, et un peu plus tard de l'École Shijo
à Kioto. J'étudiai de très près leurs grandes col-
lections de copies (précieuses archives des
arts anciens), je reçus d'eux, oralement, leurs
traditions. C'est peut-être pour cela, pour cette
pratique reçue des vieilles traditions qu'on m'a-
vait transmises, que la moderne Ecole des
(XX)
INTRODUCTION
jeunes critiques japonais, qui se dit foncièrement
radicale, pencha à me croire ultra-conservateur .
Je ne dis pas que si j'avais pu poursuivre long-
temps encore l'étude de cet art, mes opinions
ne se seraient pas légèrement modifiées avec
l'âge; mais à différer, on n'écrirait jamais une
ligne. Les dernières générations édifient sur les
substructions de leurs aînées, et j'estime que,
même contestables, mes impressions valent que
je les aie tout de même exprimées.
La question de l'appellation « à la romaine »
des noms chinois et japonais, et de leur pro-
nonciation, prête à quelque confusion. Cela est
surtout vrai pour les noms chinois. La plupart
des savants européens les ont écrits en « man-
darin moderne ». Nécessairement, c'est là une
prononciation purement moderne. La manière
japonaise de prononcer les noms de vieux
artistes chinois est basée sur la vieille langue
chinoise, conservée intacte grâce à la nature pho-
nétique du syllabaire japonais. Une preuve en
est dans les traductions en syllabaire japonais
des vieux noms de l'Inde orientale, qui y ont
encore leur prononciation invariable, et par les
rimes des vieilles poésies chinoises, qui sont
aussi familières aux Japonais instruits qu'Homère
et Virgile à des étudiants occidentaux. On com-
prend assez bien que des sinologues européens
ou américains, qui ont soigneusement étudié le
chinois moderne, ne se résignent que difficilement
à y renoncer. Mais il est tout aussi naturel que
(xxi)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
des savants japonais, et des étrangers qui ont étu-
dié l'Art au Japon même, sentant qu'ils sont fami-
liers avec les vrais sons et qu'ils ont cherché à
contribuer au salut de l'Art chinois, y tiennent.
C'est au Japon qu'on peut étudier l'Art chi-
nois, et les Japonais sentent bien que c'est à
eux qu'il incombe de révéler au monde l'Art
chinois. C'est pourquoi je suivrai en principe les
usages japonais, quant à la prononciation japo-
naise de la vieille langue chinoise, et j'ajouterai
que, ce faisant, je me trouverai aux prises avec
une prononciation moins rude et moins rebu-
tante que n'est le mandarin.
Au demeurant, je me suis toujours considéré
comme le disciple de mes collègues japonais.
Pendant près de trente années, j'ai recouru à leur
aide constante et efficace : j'ai recueilli leur ensei-
gnement, leur interprétation des œuvres, les tra-
ductions des textes. Je n'oublierai jamais ce que
je dois au docteur Ariga Nagao, au baron Hamao,
au vicomte Kaneko, au professeur Inouyé, à
M. Hirai, à M. Tatsumi, au professeur Nemoto,
enfin à Mori Kainen, le professeur de poésie
chinoise à l'Université impériale. Tous les sa-
vants auxquels il me faut rendre hommage, et
qui ont été pour moi des guides si utiles, ne
pourraient être énumérés que par douzaines,
et Marco Polo serait du nombre.
Au moment de clore cette introduction, je
tiens à déclarer que, désireux de faire de ce travail
un exposé d'évolution artistique aussi bien que
(xxn)
INTRODUCTION
sociale, il peut se trouver que les périodes
sociales ou artistiques ne soient pas synchro-
niques, à cause des différences d'incidence des
causalités. Ainsi, le grand mouvement Tosa
commence à la fin des Fujiwara, avant le sho-
gunat de Kamakura. D'autre part, les formes
chinoisantes de l'Art des Ashikaga ne s'élaborent
fortement que quelque temps après que cette
dynastie se fut constituée. De plus, avec un peu
d'attention, nous verrions que tous ces grands
mouvements chevauchent les uns sur les autres,
et souvent sont parallèles. Ainsi, le mouvement
Zen avait déjà commencé à Kioto et à Kamakura
longtemps avant qu'il ne se manifestât en Ashi-
kaga, et côte à côte avec le genre Tosa. De même,
en Tokugawa, les courants se sont rencontrés et
entre-croisés. Mais nous ne ferons pas de la
chronologie la clé de toute classification, et
nous ne jugerons pas indispensable de nous
étendre sur la persistance des vieilles Écoles
jusqu'à nos jours avec Shoseki.
Ce ne sont pas des noms, ce sont des forces
agissantes que nous suivrons, et quand nous ren-
contrerons celles qui furent vraiment créatrices
et qui dominèrent une époque, nous nous y
attacherons. Il nous a paru préférable de domi-
ner ainsi d'assez haut un sujet d'aussi vastes
proportions, en cherchant à en dégager plutôt
des idées générales.
Ernest FENELLOSA.
©
L'ART
EN CHINE ET AU JAPON
CHAPITRE I
L'ART CHINOIS PRIMITIF
3ooo ANS — 25o ANS AVANT L'ÈRE CHRÉTIENNE
L'ART DU PACIFIQUE. || LES ORIGINES DE L'ART CHINOIS. 0 LES INFLUENCES
QU'IL A SUBIES DU PACIFIQUE, DE LA PERSE ET DE LA GRÈCE. || LES
PREMIERS AGES HISTORIQUES DE LA CHINE. || LES EMPEREURS PATRIARCHES.
Il DYNASTIES HAN, SHANG, CHOU. I LES CARACTÈRES DE LEURS ARTS, a
LES BRONZES ARCHAÏQUES. (| LES POTERIES.
Il n'est pas d'art national qui soit un phéno-
mène tout à fait isolé, et il n'est pas de
civilisation dont les origines ne soient en-
veloppées de mystère. Nous ignorons quelles
furent les toutes premières migrations des
peuples ; et que valent nos conjectures sur les
causes qui les ont divisés en races si forte-
ment contrastées ? La Chine n'est pas une entité
en dehors de tout : l'Orient et l'Occident
ont été en continuel échange, et ce qui leur fut
commun n'est pas le moins intéressant à cons-
tater.
J'estime qu'au point de vue des civilisations
humaines, il y eut deux grands centres de diffu-
sion : l'un qui fut le bassin oriental de la
Méditerranée, où les trois continents Europe, Asie
et Afrique se trouvèrent en contact ; l'autre, les
(0
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
régions limitées par les grandes îles du Pacifique
occidental, sans qu'il soit aisé de déterminer avec
quelque précision ces limites ; mais j'estime qu'il
y eut unité artistique autour de cet immense
bassin du Pacifique, entre le Pérou, le Mexique
et l'Alaska — les Hawaï et les premiers insulaires
de Formose — la Chine et le Japon, — et que
ce n'est pas sans raisons qu'on peut parler
d'une « École d'Art du Pacifique ».
Le centre de diffusion occidental semble bien
avoir eu trois grandes aires de rayonnement : la
Mésopotamie, la vallée du Nil et la Méditer-
ranée hellénique. Les influences, à travers de
longues périodes du temps, s'y exercèrent par
réactions multiples ; un des points de jonction
principaux semble avoir été l'Art de Chypre.
Les guerres d'Alexandre, trois cents ans avant l'ère
chrétienne, emmêlèrent et confondirent les for-
mules. L'Inde ne saurait en être isolée, car elle
resta dépendante des grands mouvements méso-
potamiens, soumise aux influences babylonienne,
perse, gréco-bactrienne et grecque.
Cette théorie vaut surtout ici par le fait que
l'Art chinois est le seul qui ait reçu ses impul-
sions créatrices de la combinaison des deux
influences. La clé de l'Art chinois est dans cette
vérité qu'il puisa ses premières forces dans l'Art
du Pacifique, accrues plus tard par les formes
d'Art de la Grèce et de la Perse.
Ses obscures origines semblent bien apparte-
nir au troisième millénaire avant l'ère chrétienne ;
il apparaît déjà robuste sous la dynastie des
Shang vers 1800, puis sous la dynastie des
M
L'ART CHINOIS PRIMITIF
Chou vers noo, et manifeste une plus vigou-
reuse puissance créatrice sous la dynastie des
Han au second siècle avant l'ère; après un ralen-
tissement, il a atteint à l'apogée sous la dynastie
des Tang au vme siècle après l'ère chrétienne. Il
sut se maintenir sous la dynastie des Song du
xie au xiic siècle, puis ne fit que décliner lente-
ment jusqu'à la décadence finale actuelle.
La ligne d'évolution de l'Art japonais, pour n'a-
voir pas atteint les mêmes hauteurs, n'en offre pas
moins une courbe assez semblable. A l'encontre
de 1 Art chinois, il apparaît brisé en cinq moments
successifs d'une égale vitalité créatrice, et l'on
peut dire que chacun de ces moments corres-
pond à une période florissante de l'Art chinois.
Il est important d'examiner de plus près com-
ment les formes d'Art nées sur les terres baignées
par l'océan Pacifique influencèrent le premier
Art chinois. Elles ne nous sont pas directement
connues, à cause du caractère périssable des
matériaux mis en œuvre, mais nous pouvons les
supposer d'après les formes usitées chez les
peuples polynésiens actuels, et qui y apparaissent
assez analogues aux plus anciennes formules
du dessin chinois que nous ont transmis les
bronzes. Comment s'établirent les communica-
tions ? Fut-ce de l'Amérique du Sud à travers
les mers méridionales du Pacifique ? ou de
l'Amérique du Nord, alors qu'on peut songer à
la relative consanguinité entre les peuples de
l'Alaska, de l'Amour et les Aïnos, mais par contre
aussi entre les Philippins et les Japonais ?
(0
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
Comment l'expansion se fit-elle en Chine ?
Sans doute en partant d'un point central plutôt
au Sud, dans les directions plutôt du Nord et
du Nord-Est.
Est-il possible de fixer quelques-uns des
traits principaux de l'Art du Pacifique ? Presque
partout apparaissent les faces plus ou moins
humaines, avec deux grands yeux fixes, à pru-
nelles obsédantes ; sur les linteaux et chevrons
des huttes de la Nouvelle-Zélande, comme dans
l'Alaska, comme aussi dans l'art de la Nouvelle-
Guinée, on trouve ces faces sculptées ; sur des
manches d'ustensiles et sur des statues de plein
relief ces faces dépendent de têtes déjà plus
près des formes vraiment artistiques de la Chine.
Des têtes tatouées des Philippines offrent des
yeux moins ouverts, mais d'expression plus
démoniaque.
Une face semblable, les deux yeux en amandes
et fixes, les bosses, voilà des traits saillants sur la
plupart des anciens bronzes chinois. Cette repré-
sentation serait celle de l'«ogre T'ao-tieh», qui est
un glouton avec un appétit de cannibale. Et cette
forme traditionnelle des plus anciens âges des
pays du Pacifique transmise à la Chine venait
s'appliquer très naturellement aux bronzes des-
tinés à cuire et à servir la nourriture et la bois-
son dans les plus antiques cérémonies funéraires.
Cette face de désir glouton apparaissait ainsi
comme l'esprit même de l'autel des aliments.
On ne peut, il est vrai, préciser aucun rapport
d'origine entre les Chinois et les peuples du
Pacifique. Les origines occidentales des Chinois,
(4)
Têtes de Terre Cuite.
Art du Gandhara, début de l'Ere chrétienne.
Musée de Lahore (Indes).
Planche I.
L'ART CHINOIS PRIMITIF
des bords de la Caspienne, ne sont qu'une vaine
conjecture. Les plus anciens occupants de la
Chine vivaient dans les régions septentrionales
de Hoang-ho, non loin de la mer. C'est là qu'on
les retrouve sous leurs premiers empereurs pa-
triarches (2852-2204 avant l'ère chrétienne), avec
leur capitale probablement assez voisine de Kai-
fonfu. Un de ces premiers chefs, Huwangti, était,
d'après les traditions, un étranger ayant entraîné
sa tribu hors de régions lointaines et ayant ap-
porté avec lui une vague organisation et un Art ;
et peut-être de ces époques datent les premiers
caractères d'écriture. Les plus anciens bronzes
datent-ils de ces âges reculés, où les Chinois
croyaient aux esprits : esprit de la Mort, esprit
de la Nature, esprit du Ciel ? Et ce sont peut-
être ces esprits dont les visages nous apparaissent
sur ces primitifs ustensiles de bronze dont les
formes sont rudes et le décor imprégné de
symbolisme. Art différent de celui des Polyné-
siens et des Aztèques, de recherches plus raffi-
nées et d'un effet plus agréable.
Les premiers mémoires se rapportent au grand
empereur Yu de la dynastie Hai (2205-1707),
qui, avec ses prédécesseurs Yan et Shun, passa
aux yeux des philosophes pour un modèle de
conducteur de peuples, dans des temps pacifiques
où l'agriculture était honorée avant toute autre
chose. On n'a guère souvenir de représentation
de la figure humaine dans l'Art de cette période où
la poterie sans glaçure était déjà certainement
pratiquée, et qui ne s'est révélé à nous que
par quelques ustensiles de bronze de fouilles.
(s)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
Un autre motif décoratif des bronzes est le
poisson, ou monstre marin, ancêtre du Dragon
chinois, identique aux formes rencontrées dans
les îles du Pacifique méridional et dans les
pays de l'Amérique du Nord-Est. La tête est
différente de celle du poisson, le museau incurvé,
les naseaux dilatés, parfois avec des défenses,
et la queue recourbée. On le rencontre dans l'Art
de la Nouvelle-Zélande, sculpté aux manches des
ustensiles, sur les gourdes, ou tissé dans les
étoffes ; il reparaît dans les dessins d'objets de
l'Alaska. Et cette forme est devenue, dans les
primitifs bronzes chinois, le Dragon, forme de
la mer, en rapport symbolique évident avec les
Eaux ; dans les formules moins anciennes où les
défenses apparaissent, il se rapproche du dragon
des Aztèques.
Une autre forme spécifique des régions du
Pacifique est le masque, mobile et pouvant être
porté par les prêtres, personnifiant les esprits
dans les cérémonies rituelles. Les masques de la
Polynésie et de la Malaisie ont les yeux dilatés,
les faces tatouées et les caractéristiques de
l'ogre du Totémisme : souvent ils portent un
nez très allongé, en forme de bec, surtout aux
Philippines, où, de même qu'à Bornéo et à la
Nouvelle-Guinée, ils représentent des esprits
sanguinaires. Les Chinois ne nous ont transmis
aucun masque, mais nous en connaissons d'iden-
tiques dans l'Art primitif du Japon, dont on se
servait dans les danses sacrées shintoïstes.
Une autre forme particulière est celle de
loiseau-frégate, si remarquable dans les meil-
(6)
L'ART CHINOIS PRIMITIF
leures sculptures de la Nouvelle-Guinée et qui,
à travers les siècles, est devenue conventionnelle
dans les superbes bandes en spirale que l'on
rencontre dans les anciens bronzes chinois (1).
La seconde époque de la grande période dite
du Pacifique dans l'Art chinois est celle de la
dynastie des Shang (1766-1122). Si nous en
jugeons par les bronzes de type Shang reproduits
dans les livres chinois, ce dut être une époque
de haute culture et de grand goût. Les formes
en étaient dune singulière beauté plastique, le
dessin sévère et fort, dune noblesse et dune
simplicité tout à fait helléniques qui se sont trans-
mises d'âge en âge à toutes les répétitions qu'on
en fit en Chine et au Japon jusqu'à nos jours.
Ces formes sont non seulement parmi les
plus grandioses que l'art humain ait inventées,
mais l'exécution est d'un art raffiné dans ses
décors modelés en faible relief sur des surfaces
fines comme une soie, et que la morsure du
temps a parées de la riche polychromie de ses
verts, de ses bleus et de ses rouges.
Les motifs du décor, dans leur complication
pleine de grâce, sont encore dérivés des arts du
(1) Les archéologues chinois (qui ont existé de tout temps) nous ont transmis
de bien utiles renseignements. Déjà sous les Han, puis sous les Tang et les
Song, il furent grands amateurs de choses antiques ; ils publièrent de nom-
breux catalogues des pièces qu'ils avaient entre les mains. Sans aucun doute,
ils tinrent pour évident l'âge de certains monuments qui souvent nous
échappe. Et nous pouvons constater que leur critique est appuyée sur la
lecture des caractères littéraires que les bronzes portent souvent sous leur base.
Ces amateurs connurent des milliers de monuments dont nous ne possédons
plus que des douzaines. Et les reproductions qu'ils en gravèrent, dont les édi-
tions des Ming sont pour nous maintenant les plus anciennes, sont des mer-
veilles d'exécution: HokkodyU (3o volumes) écrit par Oho, de la dynastie des
Song ; Kokod^u (10 volumes) édité par Rotaibo des Song.
(7)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
Pacifique, mais leur symbolisme a rompu avec
leurs origines; le motif de la face est de plus
petite dimension et apparaît surtout dans les
anses ; le dragon est devenu plus conventionnel
et s'assouplit dans la courbe des bandes orne-
mentales.
Il faut aussi remarquer que ces vases de bronze
semblent se rapporter à des types d'argile qui les
ont précédés. Non seulement les formes en
métal sont plastiques au suprême degré, mais
elles montrent les trous d'aération et de tirage
pour la cuisson, qui nous paraissent si caracté-
ristiques des primitives poteries sans glaçure de
la Chine et du Japon. En Chine, ce fut sans
doute dans le Sud que cet art de la terre apparut.
Dans les tombeaux du Japon on a trouvé des
vases d'argile bleuâtre sans glaçure, d'assez
grande dimension, avec une tige creuse au-
dessus de laquelle se trouve un récipient cen-
tral protubérant; à l'intérieur de la pièce se
trouve souvent une série de vases plus petits.
Des entailles et des trous sont ménagés, à la base
et au sommet du tuyau creux, pour le tirage et
l'échappement de fumée. Si bien qu'un tel vase
pouvait être en même temps un four, une chau-
dière et un service de table. Quelques-uns des
plus beaux bronzes des Shang semblent avoir
été inspirés de ce modèle (un bronze, sorte de
réchaud, est dans la collection de M. Freer).
Un autre caractère des poteries préhistoriques
du Japon, et peut-être aussi de la Chine, était la
répartition sur leurs surfaces de représentations
en argile moulée, très rudes et vigoureuses, d'ani-
(8)
Tête de Terre Cuite.
Provenant de Khotan (Turkestan Chinois).
Mission du Dr. Aurel Stein.
Planche II.
L'ART CHINOIS PRIMITIF
maux et d'oiseaux, tortues, crapauds et lézards,
parfois buffles à cornes, chiens et chevaux. Soit
que la signification de ces réprésentations se soit
rapportée à la cuisson des viandes, soit qu'elle
ait été toute symbolique, cet art si adroit à trai-
ter les animaux a beaucoup aidé les bronziers
de l'époque des Han. Que l'art des Shang ait
traité les mêmes sujets en argile ou en bronze,
c'est ce qui reste à déterminer en comparant les
fragments qui ont été découverts : mais l'évi-
dente relation de certains bronzes des Shang avec
des vases d'argile de cette espèce permet de sup-
poser que les Shang connurent aussi cette poterie.
Si l'on cherche à comparer les motifs des rares
monuments des Shang avec d'autres formes
connues des peuples du Pacifique, ce n'est pas
avec les plus sauvages que l'analogie s'affirme,
comme c'est le cas avec les primitifs bronzes
Hia. Ce doit être plutôt avec les formes plus
achevées et plus esthétiques de la Nouvelle-
Guinée, de la Nouvelle-Zélande et des Aztèques.
Le bronze de la collection Ch. Freer porte des
frises à entrelacs triangulaires tout à fait sem-
blables aux motifs de pierre sculptés aux fa-
çades des temples mexicains.
La troisième époque du primitif Art chinois
est celle de la dynastie des Chou (i 1 22-2 5 5 avant
l'ère chrétienne) avec son fondateur le grand Wen
Wang qui fut le premier grand philosophe chinois.
Ce fut lui qui élabora en captivité les éléments
originaux du Y-King, que Confucius ne fit plus
tard que reprendre et dans lequel le Dragon
(9)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
symbolique est mêlé à tous les actes impériaux.
La vie de cet empereur est comme le point de
départ de la poésie chinoise (le livre des Odes).
Ce sont encore les bronzes qui paraissent être
les seuls monuments ayant subsisté de ces époques,
et leurs motifs décoratifs, tout en étant demeurés
très liés aux modèles des peuples du Pacifique,
sont déjà pénétrés d'éléments réalistes. Leurs
formes mêmes sont souvent d'un animal ou d'un
oiseau. Le dessin tend à la surcharge et au carac-
tère un peu grotesque. On peut jusqu'à un cer-
tain point y sentir une certaine décadence. Ce
fut la mission de Confucius de tenter une recons-
titution de la société chinoise, à l'exemple des
patriarches qui avaient précédé les Hia, et de
Wen Wang lui-même, modèle de toutes les vertus.
Presque contemporain de Confucius, apparaît
un autre grand sage, Laotse ($80-530), qui amena
le réveil de la Chine méridionale (vallée du
Yangtsé) et prêcha comme un absolu l'individua-
lisme, comme Confucius l'avait fait pour le socia-
lisme ; ce sont des principes dephilosophie sociolo-
gique dans lesquels nous n'avons pas à entrer, si
ce n'est pour noter que Laotse préconisait l'art du
portrait peint ou sculpté destiné à servir les
ambitions personnelles, ce qui dut avoir une
grande influence sur l'art plastique des Chou que
nous ignorons.
De plus, le Sud de la Chine offrait des régions
d'une grande beauté naturelle, et il est évident
que cet individualisme taoïste dut développer la
force de l'Art chinois. A la fin de la dynastie
des Chou, le grand poème de Kutsugen, « Riso
(10)
L'ART CHINOIS PRIMITIF
ou les Lamentations », présente des descriptions
d'un temple chinois de l'extrême Sud, couvert
de peintures symboliques et d'images des dieux.
Il y eut, vers le milieu de la dynastie des Chou,
une première tentative d'exploration des régions
occidentales de l'Empire. Vers 600, l'empereur
Wa Tei (ou Mou Wang) aurait pénétré jusqu'aux
montagnes du Kounlung qui séparent le Thibet
du Khotan, et serait entré en rapport avec une
sorte de reine de Saba, Si Wang Mou, « la Reine
Mère de l'Ouest », souveraine d'un État magni-
fique. Il convient de se reporter aux diverses
interprétations historiques de ces faits, exposées
dans l'Art chinois de Bushell, pages 11 et 42 (tra-
duction française, Laurens, éditeur, 1909). Tout
en faisant la part imaginative de ces récits, il
est probable que les formes de l'Art chinois
purent subir certaines modifications au contact
de ces civilisations du Centre asiatique.
Les arts du Pacifique à leur déclin, coïncidant
avec la faiblesse de la dynastie Chou, devaient
faire place à l'arrivée du tyran S h in, qui réunit
en un immense Empire le Nord et le Centre
de la Chine. Il fit table rase de tout ce qui avait
été le passé de la Chine, voulant reconstruire
l'Empire de toutes pièces. Son œuvre la plus
colossale fut cette Muraille d'une immense
étendue, destinée à garantir l'Empire contre les
invasions des Huns. C'est une époque de transition
qui ne dut pas fournir de nouvelles formes d'Art,
mais qui du moins établissait de fortes assises
pour permettre au génie des Han de se développer
(202 avant l'ère chrétienne).
©
CHAPITRE II
L'ART CHINOIS DE LA DYNASTIE DES HAN
INFLUENCE DE LA MÉSOPOTAMIE
(202 AVANT L'ÈRE CHRÉTIENNE — 221 APRÈS J.-C.)
RAPPORTS COMMERCIAUX ENTRE LA CHINE ET LES PEUPLES DU BASSIN
DE LA MÉDITERRANÉE. I INFLUENCES ARTISTIQUES DE LA PERSE ET DE LA
MÉSOPOTAMIE SUR LES POTERIES DES HAN, ET PAR RÉACTION SUR LES
BRONZES. 1 LES PIERRES SCULPTÉES.
C"> ette rapide expansion de la Chine ne de-
meura pas ignorée du monde occidental
*À de la Méditerranée, et les géographes
grecs des écoles ptolémaïques parlent déjà des
Sines et emploient déjà la forme finale China,
qui désigne les Chin ou Sin auxquels la violente
dynastie des Tsin , qui ne dura que quarante années,
avait laissé son nom. Puis le monde grec allait
un peu après appliquer aux Chinois le nom de ces
Ser ou Seres qui leur transmettaient par les cara-
vanes le précieux produit serika, la soie. Comment
expliquer l'usage de ces deux noms différents pour
désigner le même peuple, sinon par ce fait que
tout ce que les Tsin avaient exporté et fait
connaître à l'Occident prenait la route de mer
par l'océan Indien, tandis que les produits des
Seres arrivaient au monde grec par les routes de
caravane du plateau central ? D'ailleurs cette
dualité entre le Nord et le Sud de la Chine exista
jusqu'au jour où les Han unifièrent plus forte-
(13)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
ment l'Empire. Et du Sud de la Chine dépendait
cette vallée du Yangtsé et sa dépendance orien-
tale de Chin-Kiang, la fameuse province de Wu
(Go), dont les ports (Aman ou Hangchou)
établirent les premières relations maritimes avec
le Sud et l'Ouest, jusqu'au jour où Canton
devint une rivale.
La dynastie des Han, qui est très représenta-
tive des Seres dont ont parlé les Grecs, venait
bien à son heure pour réparer les excès des Shin,
pour rétablir avec une sévère critique la littéra-
ture des ancêtres dont les anciens livres avaient
été détruits. Les causes qui se prêtèrent à l'ex-
pansion de l'influence des Han vers l'Ouest furent
de deux sortes : militaire, par les campagnes
heureuses contre les tribus tartares, et les rapports
plus étroits établis avec les Scythes et les Huns —
et philosophique par l'intérêt porté aux systèmes
taoïstes de l'Ouest. Le règne du sixième empereur
Han, Wuiei, qui monta sur le trône en 140 avant
l'ère chrétienne, fut un âge d'or. Il avait envoyé un
ambassadeur pour bien préciser la limite de migra-
tion d'une des tribus scythes qui lui étaient sou-
mises, les Huns Blancs : ce qui fut fait. Après des
années de captivité subie, il lui fut permis de la
déterminer lui-même aux confins de la Bactriane. Il
y prit contact avec les Perses et les Grecs et s'en
revint porteur d'étranges trésors ouvrés dans les
ateliers du monde occidental, et ramenant en
Chine la superbe race des chevaux du Turkestan.
Puis les armées suivirent les mêmes routes
jusqu'aux plaines de la Mésopotamie, même jus-
qu'au golfe Persique, où un général chinois pré-
(14)
Sculptures sur Pierres de Chambrettes Funéraires.
Art chinois, Dynastie des Hans. I — IIe siècle après
l'ère chrétienne (reproductions extraites du livre de
M. Chavannes).
Planche III.
L'ART CHINOIS DE LA DYNASTIE DES HAN
para plus tard un embarquement pour la mer
Rouge. Des routes de caravane permanentes s'éta-
blissaient encore cent ans avant l'ère chrétienne
pour relier le monde chinois au monde romain.
On pourrait s'étonner que ce contact n'ait pas
produit au point de vue artistique des infiltrations
plus profondes, si l'on ne savait combien s'oppo-
sèrent à des relations plus étroites les peuples
intermédiaires qui vivaient de ces échanges. Les
routes de terre étaient interceptées par les Parthes,
et les routes de mer par les Arabes.
Examinons ce qui était le plus aisément trans-
missible de toutes ces formes des arts occiden-
taux. Des anciennes formules artistiques de la
Mésopotamie, de l'Assyrie, de la Babylonie et de la
Perse, ce furent les motifs animaux qui exercèrent
la plus forte influence, non seulement au point de
vue ornemental des frises mais aussi dans la déco-
ration des vases où réapparaissent les chevaux,
les gazelles et les fauves, comme l'indiquent toutes
ces scènes de chasse si familières aux arts de l'Asie
antique. On voit s'insinuer aussi dans l'Art de
l'Extrême-Orient ces formes d'animaux ailés,
quelques-uns à corps humain, ces masques d'oi-
seaux ou de fauves, ces taureaux et ces lions, et
même le Pégase ailé, l'arbre de vie (cette antique
forme du décor persan), et surtout cet ornement
persistant du motif courant de fleurs et de rosaces.
Et il est possible que de ces grands centres céra-
miques de la Perse et de la Mésopotamie,
l'influence de ces poteries à glaçures, de tons
crémeux, bleu profond ou vert, soit venue jus-
qu'en Chine. Mais ce fut de l'art composite de
(M)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
la Bactriane que le nouvel Art des Han reçut
sans doute ses plus profondes empreintes.
Ces poteries vernissées étaient une innovation
et ne semblent pas avoir existé avant les Han.
Les formes sont celles de vases cylindriques à
couvercles, ou de vases à larges panses et à col
assez haut. Un grand nombre est sans décoration:
quelques-uns portent quelques cercles géomé-
triques, et les plus remarquables ont une frise
décorée en relief à la partie médiane de la panse.
Il semble évident que beaucoup de ces formes
sont dérivées des bronzes, par les anses mode-
lées de chaque côté de la partie médiane, où l'on
voit des têtes monstrueuses tenant un anneau
dans la gueule. Toutes ces poteries de terre
modelée plus dure que les terres cuites en biscuit
et assez crayeuses de la Mésopotamie ont été
recouvertes d'un émail presque semblable, d'un
vert profond, accidentellement rompu d'un peu
de jaune, et qui a souvent coulé en gouttes
épaisses comme sur les poteries du Japon. Ces
couleurs se sont désoxydées par le séjour dans
le sol et irisées, mais l'émail s'est conservé dans
les parties les moins exposées. Il semble que si les
potiers chinois, tout en s'inspirant des prototypes
assyriens et persans, n'ont pas retrouvé les
compositions chimiques de ces incomparables
bleus de leurs maîtres, ils ont cherché dans leurs
vases à usage domestique et dans leurs repré-
sentations d'animaux des analogues aux four-
neaux de poterie des peuples du Sud.
A considérer les motifs exécutés en léger relief
sur les panses de ces poteries, si les couvercles
(16)
L'ART CHINOIS DE LA DYNASTIE DES HAN
sont souvent modelés en rangées de montagnes
(peut-être le symbole de ce Pamir, toit du monde,
que les généraux chinois et les marchands cher-
chaient alors à traverser), les panses des vases
portent souvent aussi ce motif déroulé comme
les vagues de la mer, en très faible relief. Des
formes animales peuvent s'y trouver mêlées, de
même qu'aux couvercles, chevaux, bœufs ou lions.
Mais elles s'affirment souvent avec plus de force
dans ces scènes d'hommes chassant à cheval, de
lions blessés, de bœufs sauvages à bosses (comme
dans les monnaies de la Bactriane), d'oiseaux
volants. Des animaux apparaissent ailés, de
style mésopotamien. On y voit même des cava-
liers se retournant sur leurs selles, pour lancer
la flèche en arrière, en complet rapport avec
l'art des Parthes et des peuples du Centre asia-
tique.
Les bronzes semblent se diviser en trois ou
quatre types. Les uns, encore en usage pour les
rites ancestraux, sont des copies plus ou moins
conventionnelles des anciens bronzes des Ecoles
du Pacifique. D'autres ressemblent aux poteries
vernissées dont les motifs s'y retrouvent agrandis.
Le troisième type est celui des tambours en
bronze que le professeur Hirth a bien démontré
être dépendants de la dynastie des Han. Les
motifs ornementaux, sans se rattacher aux arts
du Nord de la Chine ou des Écoles du Pacifique,
semblent d'une lointaine origine du Sud et peut-
être de la Malaisie. Le décor est gravé en très
belles lignes, et ces tambours portent sur le
couvercle de rudes représentations de crapauds
■ ('7)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
en ronde bosse, comme sur les pots sans glaçure
préhistoriques de la Chine et du Japon, ce qui
atteste encore ses origines méridionales.
Une quatrième série de bronzes est celle des
miroirs, en général des disques ronds, dont les
revers sont décorés en demi ou faible relief. Ils
étaient en usage dans les régions du monde
hellénique ou de la Perse. On a beaucoup discuté
sur leur origine, car si un grand nombre, repro-
duits dans les livres anciens, portent des inscrip-
tions à caractères d'époque des Han, il y en a
quelques-uns remarquables gravés au trait dans
des gravures chinoises, qui sont en intime con-
nexion avec des miroirs modernes. La décoration
consiste en grappes de raisins et en chevaux
marins, mêlés à des motifs compliqués se déve-
loppant en frises circulaires, avec une rosace
centrale de branchettes et de pampres où volent
des oiseaux ; des chevaux, des lions, des lièvres
s'y rencontrent. Le nœud central, saillant et
percé d'un trou pour le cordon de portement,
est généralement formé d'un lion, du caractère
rude des crapauds qu'on trouve sur les tambours
de bronze.
L'art des Han a produit d'autres œuvres tout
à fait en harmonie avec les poteries et les
bronzes, et dont les motifs offrent de la pa-
renté avec l'art de la Mésopotamie : ce sont
ces pierres sculptées d'après l'histoire et les
mœurs chinoises, qu'on a rencontrées dans les
grottes du Shantung. De très grande importance,
parce qu'elles sont datées et offrent les plus
anciennes représentations humaines de l'Art chi-
(18)
L'ART CHINOIS DE LA DYNASTIE DES HAN
nois, et nous révèlent ce qu'en pouvaient expri-
mer les artistes des Han (i).
On y peut constater deux séries : les primi-
tives appartiennent au Ier siècle avant l'ère chré-
tienne et présentent des figures humaines, des
chars et des chevaux gravés au trait dans la
pierre, en frises superposées, comme dans l'Art
égyptien. Les chevaux ne sont pas les poneys
tartares, courts et râblés, mais des pur-sang,
piaffant, aux cous et aux jambes arqués, en pleine
action. On y rencontre des scènes mouvementées
comme dans l'Art occidental — surtout dans les
monuments de la seconde série, trouvés aussi au
Shantung, datant du 11e siècle après l'ère chré-
tienne, c'est-à-dire de la fin des Han, quand
leur capitale fut reportée à l'Est, dans le Ho-nan,
région de l'ancien Empire. Nous avons par eux
l'illustration des faits les plus importants de
l'histoire de la Chine : les héros, les patriarches,
les empereurs, des couronnements et des assas-
sinats, des scènes pastorales, toutes sortes de
formes animales, souvent hors de la Nature : des
chevaux ailés à queue de serpent, des singes
et des démons (semi-humains — semi-animaux)
qui semblent perpétuer le culte taoïste à une
époque où le Confucianisme avait été en quelque
sorte accepté par l'État chinois. Ces figures se
détachent en relief sur les dalles de pierre. Dans
cette foule de cavaliers, de piétons, nobles et
soldats des plus anciennes époques, le style n'est
plus celui des Han occidentaux antérieurs : les
(i) Les estampages anciens en ont été publiés par M. Chavannes. Voir les
gravures sur bois du Kitisei bu Sa.
(<9)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
chevaux sont plus lourds, avec plus d'exagération
à accentuer le piaffement. D'où l'on peut conclure
que l'Art ne s'est pas alors transformé, et que
cette influence dérivée des Ecoles d'art de la
Mésopotamie tendit à s'implanter avec une cer-
taine fixité.
Ces formes de chevaux des Han sont plus
spiritualisées qu'elles ne furent plus tard, quand
les mauvais modèles tartares prirent le dessus ;
mais elles ne valent pas le beau dessin de
chevaux des Écoles japonaises des Tosa au
xiie siècle.
A la fin de la dynastie des Han, commencèrent
les relations commerciales avec l'Inde et les mers
occidentales. Une ambassade de l'empereur Marc-
Aurèle est citée dans les annales chinoises
comme étant venue de Rome à la cour des Han du
Sud; mais le professeur Hirth présume qu'il n'y
eut là qu'une caravane de marchands parthes ou
arabes, sujets romains de Syrie, ayant usurpé le
nom impérial. Les mémoires chinois prouvent
aussi que les Han connaissaient parfaitement le
système de fortifications de la capitale de la Syrie,
Antioche.
La chute des Han fut déterminée par les
guerres civiles qui démembrèrent l'Empire en
créant un deuxième groupe d'États feudataires,
et par l'invasion des tribus tartares du Nord fran-
chissant la Grande Muraille, et s'emparant province
par province du Nord. Mais pour l'histoire
de l'Art chinois, il n'y eut rien, dans ces
faits, qui égalât l'importance de l'entrée en
scène du Bouddhisme hindou pénétrant par
(20)
L'ART CHINOIS DE LA DYNASTIE DES HAN
les passes des montagnes méridionales, et qui,
après l'influence des arts du Pacifique et des arts
de la Mésopotamie, allait être la troisième étape
de son évolution.
6
®
CHAPITRE III
L'ART CHINOIS BOUDDHIQUE
DE LA DYNASTIE DES TANG
INFLUENCE INDIENNE
III» SIÈCLE — VI» SIÈCLE APRÈS L'ÈRE CHRÉTIENNE
INTRODUCTION DU BOUDDHISME EN CHINE. 1 LES CONSÉQUENCES QUI EN
RÉSULTÈRENT QUANT A L'ART PLASTIQUE. I NÉCESSITÉ DE L'ÉTUDE DE
L'ART PLASTIQUE DANS L'INDE, AVANT D'INTERROGER CELUI DE LA CHINE
ET DU JAPON. Il CONSÉQUENCES ARTISTIQUES DE LA DIVISION DE L'EMPIRE
CHINOIS EN 420. II L'ÉCRITURE, L'ENCRE ET LE PINCEAU. 1 LA PEINTURE
NAIT. 0 LES PREMIÈRES ÉCOLES DU SUD. [ LES PEINTRES KU-K'AI-CHIH.
ET WU-TAO-TZU. J L'EMPEREUR WU-TI. 0 LES ÉCOLES DU NORD DONT LE
SENS PLASTIQUE DEMEURE PÉNÉTRÉ DE L'ESPRIT HINDOU HELLÉNIQUE.
| SPLENDEUR DE L'ÉPOQUE DES TANG.
L'introduction du Bouddhisme de l'Inde en
Chine, et à travers la Chine en Corée, en
Mongolie, en Mandchourie, au Japon, est un
des faits historiques les plus surprenants, ana-
logue à l'extension du Christianisme parmi les
gentils, et qui tendit à effacer les traits parti-
culiers des races et des nationalités, en entraînant
l'humanité à se soumettre aux forces spirituelles.
La civilisation et l'Art de la Chine et du Japon
s'en trouvèrent profondément altérés. C'est ce
qu'aucun écrivain de l'Extrême-Orient n'a expliqué.
D'un côté nous avons la vague affirmation des
géographes, que quatre cents millions de boud-
dhistes en Chine seulement doivent s'additionner
à la foule des fidèles de Sakya Muni. D'où l'on
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
peut naturellement inférer que la pensée et le
sentiment bouddhiques sont encore dominants au
fond des institutions de la civilisation mongole.
D'un autre côté, l'impression des voyageurs et
des savants étrangers en Chine est que le Boud-
dhisme y est devenu un culte caduc, presque
sans aucune prise sur les classes élevées, et facteur
à peu près négligeable si l'on analyse l'esprit des
institutions chinoises. La force de l'idéal boud-
dhique dans la littérature chinoise est rarement
mise en discussion, et l'évidente nécessité de con-
sidérer l'Inde comme génératrice dans certaines
phases de l'Art de l'Extrême-Orient, s'explique
plutôt comme un phénomène isolé.
Ce serait presque une erreur de croire que la
masse des Chinois d'aujourd'hui sont de dévots
bouddhistes, commeles Cinghalais. Enréalité, toute
l'influence des écoles confucianistes, très réelle,
et l'énergie des mandarins sont invinciblement
opposées à l'esprit du Bouddhisme, et cela depuis
le vme siècle et même avant. Il n'en est pas moins
vrai que la plus belle part de forte pensée qui ait
pénétré la vie chinoise, et qui de là se soit répandue
dans la littérature et dans l'Art, a été sensible-
ment teintée de Bouddhisme. Écrire l'histoire de
l'âme chinoise sans envisager sérieusement le
Bouddhisme, ce serait comme si l'on écrivait
l'histoire de l'Europe, en montrant le Christia-
nisme comme une foi étrangère dont le déve-
loppement dans les pays occidentaux aurait été
sporadique et funeste.
Comment de grands peuples pratiques comme
ces puissants rejetons de la race altaïque, les
(M)
Sculptures Gréco-Bouddhiques de Pierre.
Art Chinois, Epoque des Tang VIIIe siècle.
Crypte du Temple Gangoji de Nara (Japon).
Planche IV.
L'ART CHINOIS DE LA DYNASTIE DES TANG
Chinois et les Japonais, aient pu être réformés
par une religion aussi négative, aussi pessimiste
que la renonciation bouddhique, cela peut
paraître à beaucoup de personnes une question
des plus intéressantes. La plupart de nos infor-
mations sur la religion de l'Inde proviennent
des sources du Sud, du Pâli et de l'Illumination
de Ceylan. C'est assez pour les savants que le
Bouddhisme du Sud, « le moindre véhicule »,
étant le plus ancien (et le plus facile à réfuter),
doive être le plus près des sources originelles, de
Sakya Muni lui-même. Et c'est la seule forme qu'il
faille sérieusement étudier, le Bouddhisme du
Nord étant jugé une dérivation révolutionnaire,
à laquelle ne peut s'appliquer qu'une fausse
curiosité. La grande vérité, qu'ils oublient, est
que le Bouddhisme, comme le Christianisme et
comme le Mahométisme, a été une religion
évoluant, jamais figée dans un vieux formalisme,
mais animée d'une ardeur spirituelle, se réa-
daptant continuellement au tréfonds de la nature
humaine avec laquelle elle se trouvait en contact.
Et devenant Bouddhisme du Nord, vraiment
positif, en communication avec les races vigou-
reuses du Nord-Ouest de l'Inde, il devient encore
plus positif, social et humain avec les grandes
races d'un humanitarisme pratique de la Chine
et du Japon.
Le raisonnement de ceux qui voudraient réduire
au minimum l'effet du Bouddhisme en Chine est
contradictoire : d'un côté, ils se demandent
comment ces peuples sains et moraux auraient
adopté ce pessimisme dégénéré du Sud, et d'un
(M)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
autre côté ils dénoncent les formes du Bou ddhisme
du Nord qui étaient devenues pratiques et opti-
mistes par cette féconde et puissante transplanta-
tion, comme des corruptions de la pure doctrine
originale. Il y a là quelque chose qui correspond
à l'histoire du Christianisme, où les modernes
catholiques et les sectes protestantes n'ont vrai-
ment rien d'identique au Christianisme primitif
apostolique.
Il faut rappeler que l'introduction de l'Art boud-
dhique en Chine fut très lente. La date de l'an 61
après l'ère chrétienne, si souvent donnée comme
la date si importante de l'introduction du Boud-
dhisme à la cour de l'empereur des Han, Meïtei,
sous la forme d'une petite image dorée, ne peut
être prise en sérieuse considération, d'abord
parce qu'il nous est impossible d'identifier la
nature de cette image ; ensuite parce qu'elle dut
appartenir aux premières formes, encore négatives,
du Boud- dhisme ; enfin parce qu'en fait la nou-
velle religion ne commença pas à exercer une
appréciable influence sur la Chine et sur l'ima-
gination chinoise avant le 111e siècle. Et de plus
nous ne pouvons constater de modifications chi-
noises dans l'art bouddhique, et un véritable canon
esthétique nouveau, avant le 111e ou ive siècle.
Ce fut à ces dates extrêmes, après la chute
finale de la dynastie des Han, qu'on peut vraiment
assister à la naissance réelle de l'Art bouddhique
en Chine. Et disons une fois pour toutes que cet
art apparaît exclusivement plastique, surtout
sculptural, pratiquant la fonte du bronze, et toutes
ces formes des industries décoratives qui con-
(26)
L'ART CHINOIS DE LA DYNASTIE DES TANG
couraient à l'architecture des temples et au
rituel.
Mais avant d'entamer l'étude détaillée du déve-
loppement de cet art nouveau dans l'Empire du
Milieu, il sera bon d'en éclairer les approches
par quelques mots de ce que nous savons de ce
primitif Art bouddhique dans les diverses régions
de l'Inde.
Les origines de l'Art hindou sont pleines de mys-
tère. Ses premières formes bouddhiques ne datent
guère que du 11e ou 111e siècle avant l'ère chrétienne, et
l'on y sent les deux influences du Pacifique et de la
Mésopotamie. Fergusson a noté comme origines
à la première architecture bouddhique l'influence
de l'architecture de bambous des huttes ou tentes
des tribus, les tiges flexibles étant tendues en arcs
demi-pointus reliés par des tiges longitudinales,
ce qui permet d'y jeter des couvertures à forme
demi-cylindrique. Ces éléments se retrouvent dans
les temples rupestres dont la nef cylindrique se
brise ainsi souvent en fenêtres dans la façade, et
plus tard dans les temples de bois de la Chine
et du Japon.
Cette forme du dôme, la plus ancienne dans les
stupas ou tumuli sacrés, est passée dans l'archi-
tecture des plus anciennes pagodes, qui au Japon
ne sont qu'un toit de bois revêtu de tuiles, jeté
sur un dôme que supporte un carré.
Quels éléments d'art étranger ont pu pénétrer
l'Art bouddhique de l'Inde ? Si les fameux porches
de pierre du type Sanchi n'ont rien de méso-
potamien dans les petites figures pressées, du
(>7)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
moins les animaux ailés, les lions et les taureaux
des piliers dénotent l'influence persane, comme
la rosace rappelle l'Assyrie.
Quant aux images mêmes du Bouddha, elles
n'existent pas aux époques primitives et jusqu'à
l'ère chrétienne. Les plus anciennes furent peut-
être nues, rudes au point de n'avoir que d'approxi-
matives formes humaines, et sans aucun orne-
ment. — La forme du Bodhisattwa suivit celle du
Bouddha, figure gracieuse, d'aspect féminin, coiffée
dune haute tiare, portant des colliers de joyaux le
long du corps. — Le troisième ordre de divinités
bouddhiques, qui correspondent au Siva de
l'Hindouisme postérieur, ne s'est pas développé à
cette primitive époque. Nous les retrouverons
dans les Arts chinois et japonais. Toutefois les
formes de démons ou des esprits élémentaires,
d'un ordre moins élevé que l'homme, apparais-
sent déjà.
Après la chute de la dynastie des Han en 221,
la Chine connut une anarchie effroyable avec les
guerres des trois États, et aucune école chinoise
bouddhique ne put se développer. Ce fut pire
encore au siècle suivant, qui vit l'invasion des
Tartares du Nord venant arracher à l'empereur
de Chine quelques-unes des provinces tributaires
du Nord.
Aussi loin que l'on puisse remonter, l'Art chinois
n'offre que d'assez médiocres changements des
types Indiens. Le grand Bouddha de bois du
temple Séiriojï, près de Kioto, est probablement
un travail chinois du ive siècle avec la lourdeur
(28)
L'ART CHINOIS DE LA DYNASTIE DES TANG
caractéristique des Han, et l'esprit symétrique
du décor des Indiens dans les plis des étoffes.
La tradition y voit la statue originale contempo-
raine du Bouddha, apportée de l'Inde en Chine,
dérobée par un fanatique japonais qui y sub-
stitua une copie ; mais peut-être n'est-ce
simplement qu'une œuvre chinoise inspirée d'un
original hindou.
En l'an 420, un fait gros de conséquences fut
la division très nette de l'Empire : les Tartares
s'étaient emparés des provinces du Nord, le fief
ancestral ; les empereurs de pure race chinoise
transportèrent leur capitale dans le Sud. Cette
scission dura presque deux siècles, jusqu'en 5 89, et
ce fut une ère de paix.
Si l'on sait peu de chose de ce qui se passa
dans les régions tartares que jamais les historiens
chinois n'ont voulu connaître, on sait que la
nouvelle capitale, Nanking sur le Yangtsé, floris-
sante par son commerce, voisine d'une région le
plus splendidement pittoresque, aux paysages de
lacs et de montagnes, devait par ses beautés
naturelles frapper l'inspiration chinoise. C'était
là que, mille ans auparavant, était né Laotse, fon-
dateur de l'individualisme et du taoïsme, et que le
premier grand poète élégiaque, Kutsugen, donna
à ses plaintes les accents de la plus riche
imagination. Là aussi un peuple primitif, de petite
stature, peut-être en affinité avec les Japonais,
avait créé des formes d'art rude, tirées de son
propre fonds, des poteries sans glaçure, des repré-
sentations sauvages d'animaux et d'oiseaux. Ce
réel don plastique s'était manifesté sous les der-
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
niers Han par des bronzes caractéristiques tels
que les tambours avec leurs crapauds. Il y avait
là une veine de sensibilité et de fraîcheur capable
de joindre sa force créatrice à celle des destruc-
teurs des Han. En outre, cette Chine du Sud était
plus proche de l'Inde par les voies du cabotage
maritime, et ainsi en communication avec la
Perse des Sassanides. D'un autre côté, l'Empire
byzantin se reliait par la voie des caravanes aux
provinces tartares du Nord.
Ce fut dans la Chine méridionale taoïste, indi-
vidualiste, que le Bouddhisme déposa ses germes
les plus féconds. Les routes de l'Inde n'étaient
pas sûres, et les tribus superstitieuses des déserts
accueillaient la culture indienne comme une
sorte de fétichisme, tandis que les écoles des Wei
avec leurs maîtres tartares n'étaient point tendres
aux moines bouddhistes. Ce fut dans cette vallée
du Yangtsé, dans ces monastères perchés sur les
sauvages montagnes, que les prêtres indiens et
leurs élèves chinois travaillèrent à ces superbes
traductions des textes sanscrit et pâli, qui sont
devenus l'aliment intellectuel de l'imagination
chinoise.
Il faut noter aussi que l'écriture venait de trouver
alors un véhicule étonnant dans ce papier végétal,
sorte de papyrus de bambou mêlé de soie,
dans cette encre à noir de fumée mêlé de colle
et dans cette forme imprévue du pinceau aux
soies ténues et appointé, qui apportait une si
grande élasticité modulée à la touche et un sûr
réservoir pour prolonger les traits, — si bien que
lecriture devenait un art calligraphique dans
(30)
L'ART CHINOIS DE LA DYNASTIE DES TANG
lequel la flexibilité d'un parfait coup de brosse
pouvait s'enrichir de beauté décorative. Un
nouvel art allait naître, qui, aux rudes créations
du bronze, de la pierre et du bois, allait ajouter
les images plus libres, conçues en lignes plus hau-
tement décoratives, et dans lesquelles l'encre ou
la couleur différencieraient les valeurs des tons.
Ce fut dans la première des trois dynasties
du Sud, les Song (So), que toutes ces innovations
s'élaborèrent. Le grand poète Toemmei tout d'abord
chanta la vie de libre rusticité sur le Yangtsé.
Son contemporain Wang-Hsi-chih (Ogishi) fut
vraiment le père de l'écriture chinoise dont il
fixa les règles de l'encrage et du coup de pinceau,
et qui atteignit sa perfection absolue sous les
Tang. So Fukko établissait de son côté les lois
de la peinture et enseignait l'art de représenter
des dragons d.ans des nuages en souples et
rapides coups de brosse, en de doux effets de ton.
Ku-K'ai-chih (Kogaishi) cherchait le rythme des
lignes pour rendre ses poétiques figures les plus
purement chinoises : il fit le premier portrait
du Upasaka Yuima, le philosophe bouddhiste,
prototype du mandarin confucianiste, d'où décou-
lèrent toutes les représentations ultérieures. —
Le British Muséum a peut-être une œuvre originale
de Ku-K'ai-chih, dont une réplique se trouverait
en Chine dans la collection Fuan-Tang. Le Kin-
seki So donne deux figures gravées d'après des
dessins de Ku-K'ai-chih; et c'est peut-être dans
son imitateur fervent Wu-Tao-T^u que nous pou-
vons le mieux chercher ce que pouvait être l'art
du maître.
ÙO
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
La dynastie qui succéda aux So (Sung), les
Sei (Ch'i) (479-502), n'eut que peu d'années
pour pousser plus loin ces recherches. Le grand
poète de la Nature, Shareiun, après Toemmei,
chanta les beautés de formes des montagnes, et
inventa vraiment le paysage classique, qui sous
l'appellation « Sansui » veut dire « montagne et
eau ». Ce fut alors également que la peinture
bouddhique s'efforça de substituer aux statues sur
les autels, les peintures sur un rouleau de soie
susceptible de facile déplacement. Le grand maître
en fut Wu-tao-t^u (Godoshi) au vin' siècle.
Ce resplendissant éclat des Ecoles du Sud de la
Chine atteignait son apogée avec la dynastie Liang
en 502, et surtout sous le règne de H^m-// (Butéi),
son fondateur, et la plus grande figure impé-
riale d'alors. Il avait été au début un fervent taoïste,
enthousiaste de la vieille littérature chinoise ; mais
plus tard le vingt-huitième patriarche bouddhiste,
Daruma, vint de l'Inde dans la Chine occidentale,
et Wu-ti l'invita à sa cour et devint son plus
fervent disciple. Ce fut ce Daruma qui, parmi les
paysages de la Chine, développa le sentiment
d'une nouvelle secte bouddhique, les Dhyan ou
Zen, qu'il disciplina, et dont l'influence sur la
littérature et l'art fut grande, surtout sous les
Song. Et un peu plus tard, Wu-ti, encore empereur,
faisait ses vœux comme prêtre bouddhiste dans
le temple de Dotaiji, qu'il avait fondé. En 546, il
parcourait son Empire en prêchant lui-même
comme un simple moine.
Le développement de la littérature et du senti-
ment de la Nature ainsi que de la peinture boud-
Hîfr111 "-.■»» ■"
Sakya Muni.
Statue de bois peut-être Chinoise. Epoque
des Tang VIII' siècle.
Temple Serioji près Kioto (Japon).
Planche V.
L'ART CHINOIS DE LA DYNASTIE DES TANG
dhique fut considérable sous les Liang, mais qu'en
est-il resté ? Il est possible que le fameux paysage
peint à l'huile sur peau qui se trouve au Trésor
du Sho-Soïn de Nara soit de cette époque, mais
le caractère tartare du paysage et des costumes,
en dépit de l'éléphant, nous incline à l'attribuer
à l'Art du Nord. Toutefois ne faut-il pas voir des
restes de peinture Liang dans le très ruiné Amida
de Nara-Ken ?
L'Art des Ecoles du Nord des Liang et des Ch'en,
et de la dynastie suivante des Sut ( 5 89-620) qui réu-
nit les États du Nord et du Sud après deux siècles
de séparation, nous est mieux révélé par la sculp-
ture que par la peinture. Il se divise en deux
groupes, du Nord et du Sud. L'École du Nord
du vie siècle reste liée aux Han et à l'Art hindou
venu par les routes de l'Himalaya. On y retrouve
cet esprit hellénique de la Bactriane et cet esprit
persan qui avaient influencé les Han. Les traits
rythmiques de la décoration mésopotamienne se
retrouvent dans les lotus et les halos des petits
bronzes ; et dans les reliefs de pierre, la minceur,
l'allongement gracieux rappellent les monnaies de
la Bactriane.
Dans le Sud, ces caractères se retrouvent aussi
jusque sous les Tang; mais un phénomène, loca-
lisé aux provinces orientales dites Gô, ramène
cet art à ses sources indigènes, au génie plas-
tique des poteries sans glaçure, des tambours de
bronze, des animaux de terre et de bronze. Ce gé-
nie, confiné dans la décoration, s'épanouit dans les
pures créations bouddhiques. Puissance et sévé-
(H)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
rite, la carrure des têtes et des corps, les draperies
collées au corps, les extrémités disproportionnées,
des profils plus durs et anguleux, voilà les carac-
tères de cet art qui se rapproche un peu de Fart
des pierres sculptées des Han. C'est un art demeuré
plus primitif que l'Art du Nord, qu'a moins
touché le charme gréco-bactrien, plus dénué
de la suavité indienne. Le type de ces Bouddhas
et Bodhisattwas est bien le monument de bronze
doré, encore au temple d'Horiuji au Japon.
Nous présumons qu'il y eut contact croissant
entre la Chine orientale des Gô et le primitif
Japon — au v* siècle — et transmission par les
routes maritimes de l'écriture chinoise (dite
encore au Japon « le San Gô »), de la littérature
classique, ainsi que des premiers enseignements
bouddhiques. La tradition veut qu'un sculpteur
bouddhique de l'École Gô vint au Japon en $00,
se fit naturaliser dans le Yamato sous le nom de
famille Tori.
Le grand changement se produisit en $89,
quand se fonda la première dynastie impériale
vraiment forte des Sui, passionnément dévouée
au Bouddhisme, qui dura peu, mais prépara
les voies à la brillante dynastie des Tang, comme
les Tsin avaient préparé la voie aux Han. Ce lut
la fusion complète des sentiments : le Confu-
cianisme du Nord venant se mêler au Bouddhisme
et au Taoïsme du Sud, pour créer un mou-
vement puissant et créateur, enrichi de toute
l'expérience du vieux passé de la Chine. C'est
ce qui fera la noblesse de l'époque des Tang.
Il est juste de remarquer que les bronzes d'alors
04)
L'ART CHINOIS DE LA DYNASTIE DES TANG
se ressentent de la conjonction des deux idéals,
et d'un temps d'arrêt dans l'évolution, comme
on le voit dans les œuvres primitives de la Corée.
Les figures de l'atelier de Tori ont des types plus
arrondis, plus humains, d'une silhouette plus
achevée, — ainsi le Bouddha de Salut (Yakushi),
avec sa longue robe relevée par la main gauche,
ou la grande figure assise de l'ancienne collection
de M. S. Bing, ou la si parfaite Kwannon de
contemplation de l'Académie des Beaux-Arts de
Kioto, naïve comme un bronze égyptien, humaine
comme un bronze grec.
Un des plus beaux groupes de monuments de
cette période (580-640) sont les statues de bois,
plus qu'à demi-nature, dites les cinq Kakuzo,
au temple de Toji à Kioto, qui respirent le même
sentiment que les bronzes : les animaux qu'elles
chevauchent rappellent les sculptures d'argile et
de métal des écoles chinoises du Sud. On doit
remarquer que les poitrines rentrées et les ventres
proéminents sont caractéristiques de cette époque
vers 600, aussi bien en Chine, qu'en Corée ou
au Japon; le lobe de l'oreille étiré, dû au port
de bijoux cylindriques, est aussi caractéristique
dans les statues chinoises d'alors, dans le Bis-
jamon de Seiroji à Kioto, le vrai guerrier chinois
du Nord, aux yeux obliques, à la stature haute,
en armure.
Mais c'est à ce moment qu'il faut essayer de
fixer ce que les arts de la Corée et du Japon ont
pu devoir, dans leurs premières floraisons, aux
influences venues de la Chine du Nord et du Sud,
et à la civilisation des Sui. Et dans cette étude on
(M)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
ne saurait étudier ces branches si importantes
qu'en étroite connexion avec la souche originelle.
On ne peut oublier aussi que l'Art chinois lui-
même a pris de nouveaux traits sous l'influence
des Tang naissants, et a subi les modifications de
l'École gréco-bouddhiste.
Avant d'examiner les résultats de ce puissant
dissolvant, nous devons faire un scrupuleux inven-
taire des formes naïves et charmantes de cet
art bouddhique extrême-oriental, dont l'art des
Sui avec son éclatant prestige demeura le
centre. Au Japon particulièrement, nous trouve-
rons les vestiges de cet art beaucoup plus riches
et plus splendides que nous ne pourrions les
rencontrer en Chine.
Mais cette branche japonaise n'eut une crois-
sance merveilleuse que grâce à la greffe coréenne,
et c'est ce qui doit nous conduire tout d'abord à
examiner brièvement les premiers arts de la pénin-
sule coréenne.
©
CHAPITRE IV
L'ART BOUDDHIQUE PRIMITIF
DE LA CORÉE ET DU JAPON
SOUS L'INFLUENCE CHINOISE
VI«-VII« SIÈCLE DE L'ÈRE CHRÉTIENNE
POSITION GÉOGRAPHIQUE DE LA CORÉE, EXPLIQUANT SON RÔLE ENTRE
LA CHINE ET LE JAPON. || LA BEAUTÉ DE SES ARTS DU IV« AU VII' SIÈCLE
ET CE QUE LE JAPON LUI DUT. I COMMENT LA CORÉE PUT SUBIR
L'INFLUENCE DES ARTS IRANIENS. | CE QU'ELLE DOIT EN MÊME TEMPS A LA
CHINE DU NORD ET DU SUD. a LES MONUMENTS DE L'ART CORÉEN
SUPPOSÉS ÊTRE CONSERVÉS AU JAPON. 1 LES SCULPTURES BOUDDHIQUES
A HORIUJI. H LA PREMIÈRE HAUTE CIVILISATION JAPONAISE SOUS SUIKO ET
SHOTOKU A HORIUJI ET A NARA, ET LES GRANDES CRÉATIONS DE LA SCULPTURE
BOUDDHIQUE. 1 ÉPOQUES DE JOMEI TENNÔ ET DE TENCHI.
La Chine est en fait Y « Empire du Milieu »,
ainsi quelle se dénomme. Elle est semblable
à une énorme tour centrale, entourée de
puissants arcs-boutants de races diverses, les
unes consanguines, les autres tributaires, mais
toutes soumises aux influences de ses puissants
idéals.
De ses voisins de l'Ouest et du Sud —
Thibétains, Birmans, Malais du Siam et Anna-
mites — nous ne parlerons pas, le meilleur
de leurs arts étant en plus étroite affinité avec
l'Inde qu'avec la Mongolie.
Mais au Nord et au Nord-Est, la Chine est
limitrophe d'États et de peuples, tantôt hostiles,
tantôt soumis, mais de son sang et de sa parenté.
07)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
Eux aussi avaient été submergés par la vague
du Bouddhisme septentrional, et ils avaient reçu
du foyer commun les principes du Taoïsme et
du Confucianisme dans de variables proportions.
Les hordes des Huns, des Scvthes et des
Mongols, avaient trop peu bénéficié des avantages
de la civilisation, pour produire un art, si ce
n'est en de courtes périodes où ils avaient pu
se rendre maîtres de l'Empire. Ils n'avaient que
fort peu éprouvé ce que nous avons appelé
« l'initiation du Pacifique » des primitifs chinois.
Mais pour les tribus campées sur les rives de
l'Amour, — à un moindre degré pour les Manchous,
pour les Coréens, et surtout pour les Japonais, —
ce qu'il y eut de nouveau, et de beau, et de bon
dans l'art chinois eut une signification vitale, si
bien que l'on doit regarder ces civilisations,
souvent fortes, comme des parties intégrantes du
grand mouvement central.
Le plus original et le plus indépendant de ces
États environnants fut nécessairement le Japon.
La civilisation de cette extraordinaire race insu-
laire a fait ses preuves quant à la souplesse de
son génie ; mais bien moins comme un sujet,
que comme un conducteur indépendant au milieu
du groupe.
Plus près de la Chine que le Japon, reliée à
la Chine par l'esprit et par de naturelles commu-
nications, est la péninsule de Corée, à l'origine
très riche et prospère. La Corée, seulement en
partie et pendant une très courte période, fut
annexée à l'Empire chinois. A d'autres époques
elle subit la domination du Japon, de l'Empire
(58)
L'ART BOUDDHIQUE PRIMITIF
duquel elle fait aujourd'hui partie intégrante.
Mais aux premiers âges de la civilisation, du ive
au vne siècle de notre ère, elle manifesta une
vigueur et un génie si indépendants, dont l'éclat
fut, il est vrai, de courte durée, qu'on peut la
considérer comme un centre artistique créateur
vraiment important. Et cela à l'heure où le Japon,
encore dans les ténèbres d'une demi-barbarie,
se préparait à déchirer ses voiles et à apparaître
dans la lumière.
De ce que la Corée ait pu être pendant une
courte période le tuteur du Japon voisin, res-
sortent d'heureuses constatations pour se faire
quelque idée de son art primitif, tout à fait
à part de l'étude des Arts chinois et japonais.
La Corée, en un sens vrai, fut un trait d'union
entre la Chine et le Japon. Et à un moment,
vers l'année 600, son art revêtit une splendeur
que n'ont jamais surpassée les plus grandes
réussites des deux autres pays.
Une vue encore plus juste de ces relations peut
être prise si l'on considère la position avancée
dans la mer de Chine de ces trois importantes
terres : la péninsule de Corée s'avance au Sud-
Est, la province chinoise de Gô au Nord-Est,
les îles méridionales du Japon au Sud-Ouest.
Entre ces trois terres les communications par
mer étaient des plus aisées, et il est très naturel
que la Corée et le Japon aient été influencés par
l'art de la province chinoise de Gô quand elles
étaient encore dans le bégaiement de leurs arts.
Quelques écrivains européens ont prétendu que
l'Art coréen du vie siècle devait avoir subi spécia-
(59)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
lement l'influence de la Perse ; sans doute par la
supposition que l'Art persan du vie siècle se
comporta comme au xme siècle et plus tard
dans son contact avec les races mongoles. Au
vie siècle, l'Art persan était sassanide, c'est-à-dire
un mélange d'Art assyrien abâtardi et d'Art
romain. Nous avons vu déjà que la primitive
dynastie des Tang de la Chine eut quelques com-
munications avec les Sassanides. Quoi qu'il en
soit, une légère influence persane pénétra la Corée
et le Japon à l'époque des Sassanides, et d'un côté
comme de l'autre (par un choc en retour) ; sans
doute les rapports avec la pro vince chinoise de Gô,
dont les relations commerciales avec les ports de
l'océan Indien étaient déjà assurées, n'y étaient
pas étrangers.
Les analogies des Arts coréen, chinois et
japonais du vne siècle avec l'art persan d'une
époque plus tardive sont dues beaucoup plus à
un reflux d'influence qui avait transporté les motifs
orientaux dans l'Asie occidentale. Mais ce mouve-
ment comme tous ceux en sens contraire qui
se produisirent entre la Chine, l'Inde et la Perse,
échappent à notre enquête.
Le premier Art bouddhique de la Corée, dont
nous pouvons malaisément nous rendre compte
avant le vie siècle, est dérivé d'une convergence
de ces deux mêmes courants que nous avons vus
enrichir l'Art centralisé de la dynastie chinoise
des Dzin, c'est-à-dire des motifs aussi bien du
Nord que du Sud. Par les routes terrestres, la
Corée restait en étroits contacts avec les Tartares
du Nord, et commercialement avec les Mongols,
(4o)
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L'ART BOUDDHIQUE PRIMITIF
les Manchous et les peuples de l'Amour, et
conçut ainsi un type bouddhique primitif mince et
élancé qui donne à sa décoration quelque chose
de féminin. D'un autre côté, par les routes de
la mer, la Corée subissait l'influence des provinces
méridionales du Yangtsé, avec leur style de
sculpture plus sévère et leur habileté dans les
tontes du bronze.
En un sens, la Corée avait alors presque dépassé
la dynastie des Dzin dans son adresse à unifier
les deux courants du Nord et du Sud, et s'élevait
à un degré de puissance artistique que la Chine
n'atteignait pas alors.
Toutefois 1 Art coréen n'est pas l'Art des Dzin,
en partie à cause de son génie national, ethnique,
et en partie parce que les éléments qui étaient
entrés dans l'un comme dans l'autre Art, s'v
étaient combinés en proportions différentes. Dans
les plus parfaites œuvres de la Corée, l'élément
Gô joua probablement un rôle plus décisif, parce
que cet élément Gô, pour l'Art chinois, n'était
qu'un des éléments du Sud, tandis qu'il était,
pour la Corée, le Sud tout entier. C'est ce qui
fait que dans l'Art coréen du vie siècle, nous
trouvons une série plus étendue de formes, entre
les deux extrêmes, et la particularité de ces figures
courtes avec de larges têtes.
La race coréenne eut vraisemblablement aux
temps préhistoriques, comme plus tard, des cou-
tumes fortement liées à celles des races du
Pacifique septentrional : mais les souvenirs de ces
anciens jours sont peu précis. Comme au Japon,
les restes retrouvés dans les anciens tombeaux
(40
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
fouillés révèlent des formes semblables à celles
des Han de la Chine, sous lesquelles les motifs
du Pacifique sont presque recouverts. Mais à
l'époque même des Han, la Corée et le Japon,
tout à fait indépendants de l'Empire chinois,
étaient entrés en relations, après l'invasion
du Japon. Si nous pouvions étudier en même
temps l'Art des deux peuples à ce moment, nous
le trouverions «Pacifique».
La Corée paya tribut au Japon pendant de
longues années. Ni l'un ni l'autre peuple ne
jouissaient alors dune complète civilisation. Les
commencements de la culture coréenne, qui pré-
céda la culture japonaise, résultèrent de la dis-
persion des races chinoises après les troubles
des guerres civiles du me siècle. La féodalité s'y
maintint jusqu'en 263. L'Etat chinois Gô, un des
trois plus importants alors en guerre, se soumit
aux Shin occidentaux, terminant ainsi la guerre en
280. Sans aucun doute, des groupes compacts de
colons des Han et de Gô vinrent se réfugier
dans la péninsule neutre et apportèrent avec
eux les industries. L'étude des caractères chinois
et de deux ou trois classiques de Confucius
pénétra au Japon par la Corée en 28$. Durant
tout le ive siècle, les troubles continuèrent et
la nouvelle culture n'y put faire que de faibles
progrès.
Mais avec la division du Nord et du Sud au
111e siècle, le nouvel Art bouddhique qui avait
passé sur la Chine en deux vagues séparées,
vint réunir ses courants créateurs en Corée.
C est depuis lors qu'on peut constater une
(42)
Aiguière D'Argent Dkcoree
D'un Cheval Ailé. Art Sassannide
à Horiuji (Japon).
Le Shôsôin [Vue extérieure).
Renfermant les Collections du trésor impérial,
closes par l'Empereur Kwammou en 794.
Nara (Japon).
Planche VI I
L'ART BOUDDHIQUE PRIMITIF
haute culture bouddhique coréenne naissante,
destinée à substituer ses créations artistiques à
celles des Han. Mais peut-être n'avons-nous rien
à admirer de l'art coréen qui soit antérieur au
vie siècle. Et ce que l'on trouve, ce sont les
objets primitivement importés au Japon.
Nous ne chercherons pas à distinguer entre
les Arts des trois États qui constituèrent à ces
primitives époques la Corée, mais nous présumons
que le Hiakuzai, le plus voisin à la fois du Japon
et de l'État chinois Gô, dut produire la plupart
des choses qui ont été conservées par le Japon.
Un de ces types primitifs est la Kwannon de
contemplation assise, petite statuette de bronze,
d'extrême minceur, d'un style mi-han et mi-hin-
dou, et dont le drapé rappelle l'Art chinois Gô ;
— une semblable figure, plus grande, est exécutée
en bois, et en peau pour le drapé. — Et de plus
grande taille encore est la belle Kwannon tenant
un vase, de l'autel du Kondo d'Horiuji, à tête petite
et à corps démesurément allongé, aux plis s'ou-
vrant en s'incurvant, et dont les ouvertures de
manches bâillent en calices de fleurs.
La peinture primitive et l'écriture dans le style
Gô apparaissent dans les rouleaux enluminés de
Bouddhas entourés de disciples, avec de timides
indications de paysages, qui semblent bien nati-
vement coréens sur le Tabernacle Tamamuschi
d'Horiuji. — Le chef-d'œuvre de la peinture
coréenne est sans doute le portrait du prince japo-
nais Shotoku, peint au commencement du
vne siècle par son hôte le prince coréen Asa.
Il subsiste deux grands monuments de l'Art
(43)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
coréen du vie siècle : le Tabernacle Tamamuschi de
bois, sorte de reliquaire, offert à l'empereur du
Japon en 590, encore aujourd'hui sur le grand autel
d'Horiuji près de Nara : le toit est en métal
et de forme tuilée. Un étage inférieur forme une
grande caisse décorée de peintures sur ses quatre
côtés, et l'étage supérieur ouvre par des portes de
temple peintes extérieurement. Les parties lisibles
de paysages montagneux rappellent les sculptures
en relief des Han du Kounlung; des anges boud-
dhiques volent au milieu des bambous. Les admi-
rables divinités peintes sur les portes sont du
style mince et distingué des Wei du Nord. Et
l'un des caractères les plus frappants de ce bel
objet est la force et l'élégance des éléments
architectoniques : piliers, poutrelles transversales,
coins incurvés garnis de bronze doré, qui dénotent
chez les Coréens un surprenant génie décoratif.
Quelle fut l'origine de leur extraordinaire pote-
rie à glaçure, dont on ne retrouve dans les trésors
japonais aucune pièce du vme siècle ?Leur architec-
ture nous est connue par les plus anciennes cons-
tructions du temple d'Horiuji au Japon; leur génie
plastique et décoratif se révèle dans les sculptures
du Kondo d'Horiuji. Leurs vêtements de prêtres,
importés du Hiakuzai, montrent les rosettes sassa-
nides, et les groupes persans de rois chassant le
lion, au Trésor du Sho-Soïn de Nara.
Le plus émouvant monument de l'Art coréen
est le grand Bouddha debout (peut-être un
Bodhisattwa) du pavillon Yumedono d'Horiuji,
figure si belle, de profil, aux longs plis droits
tombant si simples jusqu'aux pieds, et qui allongent
(44)
3 >-«
il*
L'ART BOUDDHIQUE PRIMITIF
et dignifient la figure, la poitrine légèrement
rentrée, le ventre en avant, avec son indéfinissable
sourire, et cette couronne ajourée si extraordi-
naire, unissant la beauté grecque antique à la
beauté des primitives statues gothiques de nos
cathédrales. C'est là le monument capital de l'Art
coréen, qui agit le plus puissamment sur les
artistes de l'époque de Suiko, et particulièrement
sur Shotoku.
Si, après une longue période de demi-civili-
sation, dont l'art préhistorique nous est connu
par les objets de tombeaux, l'influence Gô de la
Chine avait pu pénétrer directement au Japon
avec la famille des Tori et d'autres prêtres, c'est
avec de pareils monuments qu'entre en scène
la Corée. Elle avait envoyé au Japon les pre-
miers ouvriers constructeurs dès 403, et des
sculptures de bronze et des rouleaux d'écritures
bouddhiques étaient remis en $$2 à l'empereur
Kimmei de la part du prince de Corée.
Chez ce peuple insulaire, organisé patriarcale-
ment, avec ses industries domestiques, son culte
Shinto, la splendide civilisation continentale fut
lente à s'infiltrer. Le règne de l'impératrice
Suiko succédant à son époux l'empereur Sujun
en $93, fut un tournant décisif de l'histoire du
Japon. Ce fut l'introduction de la nouvelle reli-
gion du Bouddha, comme religion d'État, déjà
embrassée par Sujun, imposée par Suiko,
appuyée par le prince impérial Shotoku, esprit
remarquable, promoteur de toutes les réformes,
bien que n'ayant pas le pouvoir, puisqu'il mourut
quelques années avant sa mère. Son amitié pour
(4 5)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
le roi coréen du Hiakuzai, dont le fils, prince
Asa, vint en 597 à la cour du Japon peindre sans
doute le portrait de Shotoku et apporter peut-
être le tabernacle Tamamushi offert à l'impéra-
trice Suiko, ne l'empêcha pas d'envoyer, en 606,
un ambassadeur à la cour chinoise des Dzin
pour étudier la constitution et la loi.
On peut vraiment dire que l'Art japonais date
ses origines de Suiko. En 594, elle ordonnait la
construction de temples bouddhiques, et son
fils Shotoku s'employait à attirer de Corée les
architectes, les ouvriers, les décorateurs. Et lui-
même, attentif à tout ce que les artistes étrangers
lui révélaient, zélé et pieux comme jadis le vieil
empereur chinois Butéi des Liang, il était le pre-
mier à donner l'exemple d'une sévère orthodoxie.
La capitale du Japon, si souvent déplacée dans
le Yamato depuis l'époque du conquérant Jomei
Tennô, était alors àTatsuta, entre Osaka et Nara.
C'est là que Shotoku décida d'édifier son temple.
Aidé d'un peuple d'ouvriers, dépensant son acti-
vité sans compter grâce aux matériaux de choix
importés, il put édifier ainsi le grand temple
monastère d'Horiuji, inauguré en 616 devant les
prélats et les ambassadeurs du Hiakuzai et de la
cour des Dzin. Et pendant les vingt années qui
suivirent les temples s'élevèrent de toutes parts
dans ces plaines où allait naître la cité de Nara.
L'histoire du temple d'Horiuji est obscure. Peut-
être le feu en détruisit-il une partie, mais rien
qu'une partie, en 680 ; on peut croire que trois des
contructions furent épargnées : le portail gardé
par les deux statues de rois, la grande pagode
(46)
Nyoirin Kwannon (Bois).
Attribuée a Shotoku-Taishi. Epoque de Suiko,
Comm' du V II' siècle.
Temple des nonnes Shuguji à Nara.
Planche IX.
L'ART BOUDDHIQUE PRIMITIF
de l'avant-cour et le Kondo contenant l'autel
central.
Si la pagode est quelque peu lourde en ses pro-
portions, le Kondo est un type de la plus grande
noblesse de la primitive architecture chinoise ou
japonaise. Le portail de disposition gréco-boud-
dhique, à en croire M. Cram, ne daterait alors que
dune époque postérieure à l'incendie, car il n'y a
pas d'influence apparente hellénique à l'époque
de Suiko.
Le temple d'Horiuji contint de nombreux chefs-
d'œuvre d'art coréen. Aujourd'hui, sur cette plate-
forme de maçonnerie qui est le grand autel du
Kondo, se trouvent le reliquaire Tamamuschi, la
grande statue de bois de la Kwannon des rêves,
d'autres reliquaires, d'autres sculptures. Mais les
bâtiments annexes renferment encore de grands
trésors d'art des plus hautes époques. Pour ne
parler que des objets de l'époque de Suiko, capi-
tale est la statuette en bronze doré raide et comme
équarrie du type Gô du ve siècle, qui peut être
du sculpteur chinois émigré, du nom de sa famille
japonaise, Tori. — Son fils fit peut-être la première
statuette de bronze qu'on pourrait dire vraiment
japonaise. Elle porte une inscription l'attribuant au
second Tori (589 ?). Très mince, car elle est faite
d'une simple feuille de métal, elle est d'une grande
dignité, et de proportions qui rappellent l'art robuste
de Gô. De l'Art coréen elle a emprunté la délicate
inflexion, le pur charme du visage . Entre la Kwannon
dorée d'art Gô, et la figure de plus grande dimension
du Yumedono, celle-ci, participant des deux idéals,
établit une sorte de canon du style de Suiko.
(47)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
Parmi les statuettes qui affirment l'unité de
style de cet art primitif de Suiko, il est un
monument qui caractérise l'école : c'est l'autel
portatif en bronze fondu sous l'inspiration de
Shotoku par la troisième génération de la famille
des Tori, la plus précieuse pièce conservée. Ce
sont trois statuettes de ronde bosse placées
devant un magnifique paravent de bronze, qui
leur sert de halo; la figure centrale est dans
l'attitude du Bouddha; les deux statuettes de
bodhisattwas qui l'encadrent sont assises sur des
fleurs de lotus; elles ont des têtes carrées et des
proportions maigres dans le style de Gô, avec
une grande souplesse de drapé comme dans la
statue coréenne duYumedono. Le Bouddha, spéci-
men parfait des bronzes Suiko, est du type des
Bouddhas Gô du ve siècle. La tête, sans couronne,
n'est pas trop lourde, ni carrée; les traits en sont
moins indiens que nègres, les mains très grandes.
L'étoffe entr'ouverte sur la poitrine, plissée sur
les bras, retombe par-dessus les jambes croisées
sur le trône en larges plis d'une beauté toute
décorative. L'unité et la beauté des trois figures
espacées devant ce merveilleux paravent de
bronze décoré de bas-reliefs, en fait un monu-
ment où se combinent heureusement le génie de
la Chine, de la Corée et du Japon.
Sur ce même autel se présentent le fragment
d'une autre statue de bronze d'un Bouddha, puis
les deux statues de bois dont une provient du
Rokkakudo d'Udzumasa près de Kioto. — Très ana-
logue aux Bodhisattwas de la Trinité de bronze
est la Kwannon de bois, tenant un vase de la
(48)
La Trinité Bouddhique (Bronze doré).
Shaka entre Yakuô et Yakujô. Inscription: Par
Tori Busshi, à la mort de Shotoku, en 622.
Autel du Kondo d'Honuji (Japon).
Planche X.
L'ART BOUDDHIQUE PRIMITIF
main gauche; le halo, la large tête, le trône de
lotus sont bien caractéristiques de l'Art coréen de
Suiko, avec une tendance plus réaliste dans la
partie supérieure du corps. — Dans les deux
Bodhisattwas dorés, nous avons plus de douceur
pensive, des têtes plus arrondies et couronnées,
d'un sentiment presque hellénique. — D'un type
tout différent est la petite statue primitive de la
Kwannon aux onze têtes taillée dans un acajou
sombre comme le bronze, plus vigoureusement
sculptée à la façon chinoise, et dans laquelle les
influences méridionales de l'Annam et de l'Inde
se combinent avec celles de la Chine de Gô.
C'était la divinité centrale des sanctuaires de
Tonomine au Yamato, aujourd'hui transportée à
l'École des Beaux-Arts de Tokio.
L'une des plus magnifiques œuvres de bois de
ce moment est la statue-portrait de Shotoku
Taishi, accompagné de son jeune fils, où l'esprit
de sainteté du prince est si bien exprimé. Il en
existe plusieurs répétitions, et les visages des
enfants y ont souvent un type septentrional
prononcé, presque du Kamshatka. — Dans ces
statues-portraits, celle d'un des Sojos, qu'on dit
avoir été le premier abbé d'Horiuji, est un chef-
d'œuvre de force et de vérité individuelle, à peine
inférieur aux portraits du vme siècle.
Une autre forme des statues de bois de l'époque
Suiko est le type guerrier des gardiens d'autel,
les quatre Shi-Ten-O, ou les quatre Rois Devas du
Ciel, placés aux quatre angles des autels cen-
traux. On retrouve leurs types dans les pein-
tures de l'Amadaji Mandara chinois, et le Bisja-
(49)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
mon du temple Seirioji a le type chinois tartare
du vic siècle. Dans les quatre rois grandeur
nature de l'autel d'Horiuji, nous avons les types
du style Suiko ; ils avaient été précédés du
groupe du Kaidendo du Todaiji de Nara,
détruits par le feu au début du xixe siècle. Les
faces sont lourdes et carrées, presque nègres,
comme dans lesbronzes des Tori; les corps comme
mal dégrossis, et les détails du costume (cette
sorte de pantalon dont les jambes sont serrées
par des guêtres), l'espèce de cuirasse de peau,
avec armatures de métal, laisseraient supposer
des influences persanes sassanides. Ces figures
se tiennent debout sur des animaux de bois à
mains humaines prosternées sur des rochers.
Elles seraient les œuvres de deux artistes du
Japon, mais les prototypes détruits du Shodaiji
auraient été apportés du continent ; les costumes
seraient peut-être ceux de guerriers coréens.
La pure décoration Suiko a son complet
exemplaire dans le baldaquin au-dessus du
grand autel du Kondo d'Horiuji, sans analogue
dans tout l'art bouddhique, avec cette espèce
de chapeau central aux panneaux carrés, rectan-
gulaires et triangulaires, ayant encore traces de
peintures de fleurs et de rosettes, et garni d'une
frange à glands entrelacés d'or. Sur la corniche
et au-dessus se détachent des rangées de petits
anges de bois sveltes sur des trônes à fleurs de
lotus, et des oiseaux cacatoès volants. Des orne-
ments ajourés sont aux angles.
Mais le plus grand chef-d'œuvre de l'art Suiko,
une pure merveille de spiritualité, est la grande
mm
Autel de Bronze Doré.
La Triade Amida entre Kwannon et Seishi.
Art Japonais de la Période Tenchi. 2e
moitié du VIIe siècle.
Horiuj i(Japon).
rianche XI.
L'ART BOUDDHIQUE PRIMITIF
Kwannon de contemplation, de bois sombre et
assoupli comme le bronze, maintenant au monas-
tère des nonnes du Chuguji, près d'Horiuji. L'atti-
tude est celle des statuettes de bronze des Liang
ou des Dzin. Le corps nu jusqu'aux reins, d'une
beauté sans égale, est modelé comme par un
Égyptien ; les cheveux sont relevés en masse sur
le sommet de la tête. L'étoffe drapée tombe des
reins en plis magnifiques qui, suivant la courbe
de la jambe croisée, viennent retomber le long
de la jambe droite, dans un rythme tout à fait
grec. Sa sublime beauté réside dans le visage,
empreint de tant de douceur, d'amour, d'une
tendresse si poignante, dont les yeux se ferment
sur le rêve intérieur. Le caractère ethnique des
faces presque nègres des Tori n'est plus percep-
tible ; c'est de la plus haute et noble générali-
sation. Tant d'élévation et de noblesse ne ren-
dent pas impossible l'attribution qui en fut faite
traditionnellement au prince Shotoku lui-même.
Des prémisses de l'époque Suiko, l'Art japo-
nais va dorénavant procéder par des élans
imprévus. L'empereur suivant, Jomei Tennô
(620-641), favorisa le Bouddhisme et mit sa
confiance dans son premier ministre Kamatori,
l'ancêtre de la grande famille des Fujiwara.
Nous possédons son portrait contemporain. La
dynastie chinoise des Tang était entrée en
relations avec Jomei et plus encore avec son
successeur l'empereur Seimei (642-668). Les
relations avec la Corée étaient coupées par les
invasions chinoises. Le Japon allait pouvoir
(ïO
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&*
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
s'assimiler lentement tous les apports indiens,
chinois, coréens, pour en parfaire son Art per-
sonnel.
De ce moment ont subsisté d'assez nombreuses
statuettes de bronze faites pour les autels des
temples du Yamato, parsemés sur cette mon-
tagne de Kasuga dans les parages de laquelle
l'empereur Shomu allait faire sa capitale, Nara.
La tradition veut qu'il y eut un atelier de bron-
ziers dans un de ces temples, à Iwabuchi-dera.
Cette série de statuettes de bronze offre vrai-
ment l'unité d'un bel effort artistique à simplifier
et rendre très naturelles les draperies, à donner
aux visages une grâce toute humaine et une
infinie douceur pleine de sérénité. On a dit qu'elles
avaient un caractère grec, qui s'expliquerait par
l'influence de l'art des Tang sous Tenchi, si
pénétré de l'esprit gréco-hindou.
De forme primitive encore léguée par l'époque
de Suiko, et encore liée aux traditions d'Horiuji,
est une statuette de bronze, nue jusqu'aux reins,
avec une pesante tête, un peu nègre. — De
plus haute taille est une Kwannon de bronze,
dans un bâtiment d'Horiuji, qui est en progrès
sur la Kwannon coréenne de l'autel du Kondo.
Elle tient un vase de sa main gauche à demi levée ;
le corps est d'un modelé charmant et le visage
agréable. — Le plus beau de tous ces Bouddhas
debout est la statuette du Yakushi Niorai,
symbole du Bouddha conseiller des âmes, la plus
sainte pièce de l'autel du Shin Yakushiji de Nara,
si noble de proportions, d'un drapé si simple et
si pur, le nez et la bouche d'un parfait dessin
(s*)
Détail de Fond D'Autel en Bronze Doré.
Art Japonais de la Période Tenchi.
2e moitié du VIIe siècle. Honuji (Japon).
Planche XII.
L'ART BOUDDHIQUE PRIMITIF
dans un visage calme, les extrémités petites.
Une autre statuette de Bodhisattwa, conservée
à Horiuji, nous rappelle encore cet exquis sen-
timent dune Athéna ou d'un Mercure grecs,
avec une tête à forme plus sphérique, la main levée
plus forte. Les plis en festons sur les épaules et
la poitrine tombent de la ceinture aux genoux
en ondes incurvées d'une grande beauté Ici
encore tout le génie grec transparaît.
Nous voici à l'époque du grand empereur
Tenchi, dont le court règne, qui date de Lan 668,
se marque par le transfert de la capitale à Shigj,
près de l'actuel Otsu, sur le lac Biwa. Il fut très
féru des institutions chinoises, et en rapport
par des ambassades avec la cour des Tang,
comme son successeur l'empereur Temmei
(f 686). Ce fut sans doute à ce moment que
fut exécuté un des plus merveilleux monuments
de l'Art japonais, très pénétré de l'esprit gréco-
bouddhiste des Tang. C'est une autre Trinité de
bronze doré devant un écran, en laquelle on
perçoit vivement ce qu'en soixante ans, depuis
l'autre Trinité de bronze du type Suiko, l'Art
japonais a gagné en souplesse, en grâce, en
rythme harmonieux. Les trois figures sont placées
de même sur leurs trônes de lotus, très finies,
très sculptées même de dos, devant leurs splen-
dides halos de bronze formant paravent modelés
en relief à trois plans différents de petits
Bouddhas, d'anges volant avec de longues étoffes
flottant derrière eux ; dans les fonds, des nuages
s'étirent et de petits bouquets de fleurs se
(S))
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
dressent. Il semblerait au premier aspect qu'une
certaine confusion doit régner dans cette com-
position décorative ; il n'est rien au contraire
d'aussi harmonieux, les lignes se balancent en
rythmes assurés et les reliefs ont la même dou-
ceur que ceux d'Agostino Duccio à Pérouse ou
à Rimini. Le Bouddha central est esthétiquement
supérieur à la statuette du Shin Yakushiji. Le
système de draperies est d'une absolue maîtrise
dans le passage des plis horizontaux aux plis
verticaux sur les jambes croisées. Les mains et
les doigts, d une si haute signification expressive
dans leur action rituelle, sont ici d'une beauté
de forme et de mouvement unique.
©
CHAPITRE V
L'ART GRÉCO-BOUDDHIQUE EN CHINE
VU* ET vill» SIÈCLE
L'ART GRÉCO-BOUDDHIQUE DU GANDHARA. S LES RAPPORTS DE L'HELLÉNISME
AVEC LINDE PAR LA BACTRIANE. Il LES MONUMENTS DE SCULPTURE DU
GANDHARA. H L'EXPANSION DE L ART GRÉCO-BOUDDHIQUE DE LINDE A CEYLAN
ET A JAVA. Il SON ACTION AU TURK.ESTAN CHINOIS. A K.HOTAN. U SA
PÉNÉTRATION EN CHINE SOUS LES TANG, A SIN-GAN-FU.
Après avoir constaté les trois influences
qu'avaient exercées sur l'Art chinois les
Arts du Pacifique, de la Mésopotamie
et de la primitive Inde bouddhique, pour se
faire sentir jusqu'aux rives de la Corée et du
Japon et se combiner vers la seconde moitié du
vne siècle en un monument merveilleux comme
cette seconde Trinité bouddhique de bronze,
il nous reste à examiner les conséquences
qu'eut dans la destinée de l'Art chinois ce
grand mouvement d'expansion de l'Art gréco-
bouddhique à travers toute l'Asie centrale jus-
qu'en Chine, qui trouva son plus parfait terrain
de culture au Japon.
On s'est demandé (dans l'hypothèse où l'Art
grec aurait influencé l'Art japonais par l'inter-
médiaire de la Chine) pourquoi y aurait-il été
connu si tard ? et pourquoi sa puissance au
viie siècle aurait-elle décru au vmc ? Et si la
Chine fut vraiment en rapport avec la Bactriane
(ïî)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
au 11e siècle avant 1 ère chrétienne, pourquoi ne
fut-ce point alors quelle ait subi la plus forte
influence de l'Art grec ? Et s'il est admis que les
bronzes bouddhiques primitifs du Japon sont
très grecs de style, n'y doit-on pas chercher
de filiation directe? Et cet Art gréco-bouddhique
lui-même, d'où sa source s'épanche-t-elle, de la
Grèce, de Rome ou de Byzance ?
Les critiques ne sont pas tous d'accord. M. Oka-
kura Kakuso ne trouve pas d'influence classique
dans les Arts de l'Inde, de la Chine et du Japon ;
— au contraire, le professeur Hirth veut trouver
des influences grecques jusque dans l'Art des
Han.
Il n'est pas contestable que l'Art gréco-boud-
dhique date de la conquête d'Alexandre, bien
que, antérieurement, des infiltrations aient pu
se produire des colonies indiennes d'Asie ; mais
le grand mouvement suivit la marche du con-
quérant grec vers l'Inde. Un de ses généraux,
Megisthus, entretint d'amicales relations avec le
roi de l'Inde bouddhique, de Maghada. Le canon
de l'Esthétique grecque passa par les formes de
la Mésopotamie. Mais ce fut plutôt par le Nord-Est,
chez les peuples montagnards que n'avaient pas
entamés les traditions assyriennes, les Bactriens,
que cet Art hellénique prit des formes inter-
médiaires. Les sceaux gravés et les monnaies
en furent les véhicules évidents, et la minceur
élégante de leurs figures, combinées avec les
formes animales, se retrouve sur les premiers
vases de poterie des Han ; de même que le
décor de feuilles des éléments d'architecture.
FRESQUE DU TEMPLE D'HORIUJI, A NARA.
&*■.:£ 3*
L'ART GRÉCO-BOUDDHIQUE EN CHINE
colonnes ou chapiteaux, se retrouve dans les
restes de la sculpture du Gandhara au musée
de Lahore.
Comment a pu se faire cette pénétration des
traditions de la Grèce aux royaumes du Gan-
dhara, au Nord-Ouest de l'Inde ? Quand l'empereur
de Chine Butéi des Han envoya sa première
ambassade vers l'Ouest en l'an 1 20 avant notre ère,
c'était pour relever les traces des migrations des
Yuechi, Tartares ou Scythes, ou Huns blancs.
Elle les rejoignit dans les vallées de la Bactriane.
Ce fut le premier contact que maintinrent par
la suite les caravanes commerçantes. Elles
auraient pu véhiculer en Chine ces éléments de
l'Art grec que, pendant tant de siècles d'incuba-
tion, avait pu faire siens la Perse. Il est certain
en outre que ces tribus scythes furent attirées
par la richesse des plaines de l'Indus, et qu'elles
s'y taillèrent un domaine immense au Nord-Ouest
de l'Inde, le Gandhara, où, imbues des méthodes
grecques, elles exercèrent leur influence sur les
peuples de l'Inde centrale et septentrionale. Ce
fut dans ce Gandhara que s'élabora la nouvelle
iconographie d'un Bouddhisme septentrional qui
trouva dans l'imagination scythe un renouveau
de fraîcheur et des réserves de force.
Il prit alors au Gandhara assez de vitalité pour
supporter leslointaines transplantations delaChine
et du Japon. Il resta enfermé dans ses sanctuaires
du Pendjab jusqu'au 111e siècle de l'ère. Entre les
111e et vie siècles, il se répandit vers le Sud-Est
jusqu'à Java, et vers le Nord-Est suivant les
routes du Turkestan et de Khotan jusqu'en Chine.
(57)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
Les monuments de l'Art du Gandhara ont été
étudiés par le général Cunningham et par
l'archéologue français M. Foucher, et les fragments
de monuments ruinés ont été recueillis par le
musée de Lahore et par quelques collections
d'Europe (la collection Foucher est au musée
du Louvre). Leur rapport avec l'Art hellénique
de Syrie est évident dans les statues, portraits des
gouverneurs scythes. Le drapé est plus volontaire
encore et n'a rien de la décadence romaine. Ces
figures sont enguirlandées de fleurs et portent des
moustaches; quelques têtes de guerriers sont cou-
ronnées d'une coiffure en forme de serpent. Les
plus tardifs exemplaires présentent la dernière
façon grecque de traiter les yeux sans profondeur,
en exécutant seulement les deux paupières.
Il est d'un vif intérêt de comparer à ces portraits
les statues de Sakyamuni, en jeune prince, avant
sa conversion, figures debout, en marbre, en
costumes du Gandhara, avec les lourdes manches
recouvrant les épaules et les bras, — l'épaisse
chevelure coupée à la grecque, tombant sur les
épaules, et relevée sur le sommet de la tête, —
la poitrine, les côtes et le ventre modelés dans
le style classique, — la face assez ronde et
souriante.
La transition et la comparaison nous sont
fournies par les statues isolées, les Bouddhas ascé-
tiques, les Sakyamuni de renoncement, les jambes
croisées dans cette attitude si connue. La robe
n'est qu'une simple étoffe drapant de ses plis tout
le corps, ou ne recouvrant qu'une épaule ; ces
plis sont essentiellement grecs, d'une plus grande
m
L'ART GRÉCO-BOUDDHIQUE EN CHINE
beauté vraie que dans les sculptures de l'Inde
primitive. Les cheveux sont arrangés au sommet
de la tête en boucles et constituent cette protu-
bérance en forme de dôme très caractéristique
du Bouddha. L'une de ces têtes les plus belles
est au musée de Lahore, celle du Bouddha de Taxila,
du nom de l'endroit de sa découverte, où Alexandre
combattit Porus. Les lobes des oreilles y sont
très étirés et percés pour y recevoir quelque
ornement de joaillerie, comme en portent aussi
des statues chinoises des Dzin.
Pour bien saisir la beauté des têtes classiques
du Gandhara, il faut examiner les types féminins
des Bodhisattwas ; quelques-uns valent les portraits
féminins romains du musée de Naples. Ils portent
aussi la protubérance de cheveux du Bouddha,
mais sans qu'elle implique le développement céré-
bral anormal, et cette beauté de forme de la
coiffure est passée dans les plus belles statues
gréco-bouddhiques du Japon. Il y a des portraits
de vieillards qui, avec de longues barbes droites,
ont comme des masques de tragédie, et des jeunes
gens aux visages clairs, avec des mèches folles de
cheveux sous un bonnet phrygien. Dans ce Boud-
dhisme septentrional de l'Inde, l'éléphant et le lion
servent de trônes-piédestaux aux figures.
Les hauts-reliefs d'architecture, sculptés comme
par un artiste grec de la décadence ou par un
Italien du temps des Pisano, comportent à l'infini
des scènes de la vie du Bouddha, trônant, dans
l'attitude de la prédication, la main levée, ou
penché sur le Nirvana, ou mêlé à des actions
dramatiques. Une des plus belles œuvres décora-
(59)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
tives est la composition de trois fenêtres cintrées à
lunettes concentriques, où trois groupes de figures
s'espacent, les angles du registre supérieur étant
garnis de chimères gracieuses et ailées à corps
de serpent, à pieds de centaures. Ces processions
de figures à têtes d'animaux, demi-grotesques,
rappellent les sculptures du dôme d'Orvieto.
D'un caractère spécial sont les grandes figures
classiques, debout, en plein ou demi-relief, sur
le front des autels rectangulaires, et séparées
par des colonnes. Quelques-unes des plus belles,
bien que privées de têtes et demi-nues, sont
drapées de façon toute classique et ont des
proportions d'une grâce qui rappelle les statuettes
ioniques. Elles devancent, dans cette disposition
autour de l'autel, les sculptures de l'Asie centrale,
de Khotan.
La terre cuite elle-même y fut pratiquée, ainsi
que le prouvent ces quantités de têtes de Boud-
dhas et ces types fantaisistes de vieillards et de
mendiants, en rapport réel avec les types dra-
matiques de la Comédie grecque et ses masques.
Les monnaies de Scythie montrent aussi cette
persistance du type grec de la Bactriane.
Ce fut cet art du Gandhara, pratiqué par des
Scythes de la même race tartare que les Chinois
du Nord et les Coréens, qu'étudia le pèlerin
chinois Hiom-tsang, et qui pénétra jusqu'aux
régions lointaines de la Chine du Nord-Est et
entra triomphalement, au vif siècle, dans le nou-
veau mouvement artistique de la Chine, de la
Corée et du Japon. La sculpture de Nara ne dérive
pas d'une autre source.
(60)
L'ART GRÉCO-BOUDDHIQUE EN CHINE
Comment cet art gréco-bouddhique s'insinua
dans le reste de l'Inde est demeuré encore un
problème. On suppose qu'il se transmit à travers
l'Inde jusqu'au Sud-Est (les « topes » d'Amravati),
d'où il passa les mers jusqu'à Java. Il est bien
difficile de décider si les superbes sculptures de
Borobodor à Java sont d'un art gréco-bouddhique,
d'origine gandharienne, ou si elles n'ont pas pu
recevoir l'empreinte de la beauté grecque fécondée
parle génie national (comme au Japon), en dehors
de tout élément proprement cinghalais.
Mais ce qui est maintenant scientifiquement
admis, c'est que cette vague de civilisations'épandit
duGandharaet delà vallée de l'Indusparlespasses
des hautes montagnes de Balkh et de Swat, tra-
versa les plaines du Turkestan entre les Pamirs,
s'épandit vers Kashgar et Samarcand, pour venir
déferler jusqu'aux frontières chinoises. Les sables
des déserts du Taklamakan avaient recouvert les
restes de puissants royaumes bouddhiques floris-
sant encore au ix8 siècle, qu'avaient visités et
décrits avant leur ruine les pèlerins chinois
Fahien et Hiom-tsang. Les terres furent fouil-
lées (i); et depuis quelques années nous furent
ainsi révélés des manuscrits écrits sur parchemin
dans l'écriture karasthri en usage au Gandhara,
et scellés de sceaux à figures grecques ; de vastes
autels décorés de figures gréco-bouddhiques
de grandeur nature, des têtes en terre cuite,
des Bouddhas d'argile drapés dans le style du
Gandhara, — des peintures sur parchemin de
(i) Les explorations de MM. Sven Hedin, Aurel Stein, Grundwedel et Lecoq,
et du Français Paul Pelliot l'ont abondamment démontré.
(61)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
cavaliers d'un caractère très persan. Il est tel
grand autel retrouvé dans ces régions de Khotan
dont les sculptures de terre cuite rappellent les
figures sans têtes très hellénisées de l'autel du
Gandhara, comme d'ailleurs aussi les sculptures
gréco-bouddhiques de la Chine et du Japon.
Ainsi s'explique la transmission du canon de
proportions classiques et du caractère du drapé
de la Bactriane à la Chine, huit siècles après l'expé-
dition occidentale des Han. Non loin de Khotan,
M. Aurel Stein visita un vieux temple, peut-être
du 111e siècle, où quelque ancien conquérant venant
de l'Ouest, du Gandhara, s'était déifié en cham-
pion du Bouddha en ces régions ; figure d'une
sorte de Constantin en casque et armure fou-
lant aux pieds les esprits du mal.
Un des traits de ces sculptures (peut-être moins
anciennes) estime tendance à faire des têtes rondes
et de petite taille, mélange de type hymalaïen
plus vieux comme on le retrouve au Thibet, et
à figurer ce type tartare du Nord et de l'Asie
orientale qui passa dans l'Art coréen; c'est ce
même type qu'on retrouve sur les murs des mai-
sons fouillées du Turkestan chinois.
Il nous faut revenir à l'Art chinois, au moment
où il s'est trouvé si vigoureusement reconstitué
par la fusion des empires Dzin et Tang. La
dynastie Tang, en 618, se présentait comme un
organisme militaire puissamment constitué. Mais
son second empereur Taiso (627-650) fortifia
encore le pouvoir de la Chine jusqu'aux confins
de l'Ouest. Ce fut à ce moment que l'Art gréco-
(62)
L'ART GRECO-BOUDDHIQUE EN CHINE
bouddhique s'introduisit. Les armées chinoises et
les missions pacifiques sillonnaient le Turkestan :
le pèlerin Hiom-tsang, dans ses séjours aux
plus fameux sanctuaires du Khotan, du Gandhara
et de l'Inde centrale, recueillait manuscrits et
dessins et les rapportait en Chine en 64$. La
Perse sassanide avait ouvert les routes maritimes :
des princes et des savants vinrent ainsi à la capitale
de l'empereur Taiso et rapportèrent en persan
des récits de voyage de l'Empire du Milieu. Les
empereurs byzantins et leurs gouverneurs de Syrie
entrèrent alors en rapport avec la Chine et implo-
rèrent même son secours pour les débarrasser
des Sarrasins. A deux reprises, la Chine avait
recherché les rapports avec l'Occident : la première
fois, sous les Han, la jalousie commerciale des
Parthes les avait empêchés; et maintenant, le
fanatisme musulman cherchait à isoler l'Empire
romain d'Orient.
L'Art gréco-bouddhique pénétrait donc en Chine
assez tard et ce contact allait très rapidement
épuiser sa vigueur. Après trois siècles de lentes
et faibles approches, il allait, grâce à l'acceptation
des Tang et grâce aux fréquents et cordiaux
échanges avec Khotan, Kashgaret l'Inde du Nord-
Ouest, établir la communion de la Chine avec
ces civilisations unies dans la même religion. Et
c'est à ce moment que le grand mouvement de
l'Islam allait changer si brusquement le cours
des choses dans l'Asie centrale. Et c'est à ce même
moment que s'écroulaient les royaumes du Tur-
kestan que les sables allaient recouvrir de leur
linceul, et que dans l'Inde même les paisibles
(6})
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
monastères disparaissaient dans des tourmentes
obscures et sanglantes.
Il fallait que le Bouddhisme eût été embrassé
en Chine avec une singulière ferveur. Hiom-tsang
avait installé ses reliques dans un temple somp-
tueux, il avait constitué une école de disciples
pour traduire et expliquer les manuscrits qu'il
avait rapportés. L'Art de Khotan pénétra alors
rapidement l'Art chinois : des princes de la maison
royale de Khotan vécurent à la cour de Chine, et
les traditions disent qu'en peinture ils avaient
enseigné à donner aux figures des aspects de plein
relief. Existe-t-il encore des restes de peinture
semblable, si ce n'est dans les parties partiellement
sauvées des fresques d'Horiuji ? D'un autre côté,
de l'Inde, fuyant les révolutions sanglantes, des
émigrants lettrés, passant les monts, apportaient
le feu sacré d'un nouveau bouddhisme ésotérique.
Il est possible que le paysage chinois primitif,
peint à l'huile sur parchemin des collections
du Sho-Soïn de Nara, montrant des Tartares sur
un éléphant blanc, dans un paysage de grande
vallée éclairé par un soleil couchant, appartienne
à ce primitif art des Tang. Mais si l'on compare
la statue du héros de Khotan, Bisjamon, aujour-
d'hui au Toji de Kioto, avec l'exemplaire du
Seiroji datant des Dzin, on voit de quelle richesse
de modelé et de quelle grâce l'Art chinois s'était
paré. Les détails de l'armure si fortement rendus,
le groupe que piétine le héros, correspondent
exactement aux détails qu'on relève dans le Bisja-
mon de stuc déterré par Aurel Stein près de
Khotan. De la fin du vu" siècle est un autre beau
(64)
FRESQUE DU TEMPLE D'HORIUJI, A NARA.
L'ART GRÉCO-BOUDDHIQUE EN CHINE
Bisjamon chinois, un peu usé par le temps,
au temple japonais d'Udzumasa.
Dans le Nord-Ouest de la Chine, près de
Suifu, est taillée dans un rocher de pierre
sableuse la représentation totale d'un Paradis
bouddhique, la Trinité sur des trônes, des groupes
de fidèles sur les côtés et des temples étages
dans le fond. Le tout est indiscutablement d'ori-
gine gréco-bouddhique, comme de plus petites
sculptures de bois, vrais reliquaires de poche.
De ce court moment artistique subsistent de
grandes statues, des miniatures, des sculptures
de marbre ou de terre cuite, qui furent décou-
vertes sous la terre et les herbes de monticules
voisins de factuelle capitale de Sin-gan-fu. Ce fut
là l'emplacement delà primitive capitale desTang,
près des ruines de la primitive capitale des Han,
et très proche de la capitale des Chou. C'est
là que les fouilleurs de l'avenir pourront
découvrir les restes de trois civilisations succes-
sives.
Des spécimens de sculptures en terre cuite
dure, d'un achèvement plein de grâce, égaux
aux Trinités de bronze japonaises, sont conservés
à Horiuji. Leur groupement rappelle celui de
quelques-unes des fresques d'Horiuji. Le Bouddha
plein de sérénité y apparaît assis, les jambes
non plus croisées ou repliées, mais les pieds
posant à terre. Les lignes du drapé ont de nou-
velles dispositions, onduleuses et d'une rare
beauté. De gracieux Bodhisattwas sont à ses
côtés, des moines rasés se tiennent derrière.
L'exemplaire le plus typique de cet art chinois
(6i)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
gréco-bouddhique est sans doute la statue en
terre cuite tendre de Bouddha, au temple Udzu-
masa près de Kioto. Les traditions la disent plutôt
coréenne ; mais même dans les figures d'argile
de Sangetsudo, ne se marque un modelé plus
réaliste, répudiant toutes les lignes purement
décoratives que nous constations aux statuettes
de bronze. C'est une figure tout à fait gréco-
bouddhique, comme le premier Sakyamuni
gandharien du musée de Lahore; mais jamais
aucune figure indienne ne fut de plus puissante
conception, de plus ferme exécution. Les grands
plis lourds sont indiqués comme par la pression
du pouce modelant une terre cuite. Il semble
que les petites boucles des cheveux ont été serrées
et tordues comme par les trois doigts de la main.
Et cette statue conserve quelque chose d'une
puissante ébauche qui n'a pas été poussée à
l'achèvement.
Les miroirs de bronze de cette période sont
d'une autre phase de l'Art gréco-bouddhique en
Chine. Les mémoires chinois parlent de propor-
tions égales d'étain et de cuivre dans l'alliage.
Leur décor consiste en frises concentriques de
symboles astronomiques nécromantiques, mêlés
d'élégants caractères chinois ; ces symboles rap-
pellent les constellations, des groupes de
triglyphes; des tortues et oiseaux de Hoo, les
animaux signes du zodiaque. Dans les livres
chinois, de gracieux miroirs sont quelquefois
attribués aux Han, avec des arabesques en spi-
rales enfermant des hoos et des lions, avec des
lleurs, des papillons et des oiseaux. Il en est
(66)
L'ART GRECO-BOUDDHIQUE EN CHINE
couverts entièrement d'un décor en relief avec
des oiseaux volant, sortes de hérons, au milieu de
grappes de raisin, ou des animaux, sortes de lions,
d'ours, d'écureuils, autour d'un bouton central en
forme de grappe. Les livres chinois les disent
Han, c'est aussi l'avis du professeur Hirth, mais
non le mien. D'après les nombreux exemplaires
conservés au Trésor du Sho-Soïn de Nara, je croi-
rais plutôt que ces miroirs ont été des créations
plus tardives du genre chinois, perfectionnant les
motifs dérivés du Gandhara.
Ce splendide éclat artistique allait pâlir quand
l'empereur déplaça sa capitale vers l'Est, à
Loyang, en 698. Si certains écrivains ont cru à la
persistance de ce grand mouvement gréco-boud-
dhiste aux siècles suivants en Chine et au Japon,
j'estime qu'il faudra juger avec liberté des germes
féconds que les influences occidentales de l'Inde
et du Turkestan avaient déposés en Chine: une
évolution allait se produire où les qualités pure-
ment chinoises pourraient manifester leur intime
vigueur.
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CHAPITRE VI
L'ART GRÉCO-BOUDDHIQUE AU JAPON
LA SCULPTURE A NARA
LES MONUMENTS DE SCULPTURE D'ART CORÉEN AU JAPON. Il LE PLUS ANCIEN
ART GRÉCO-BOUDDHIQUE JAPONAIS. » LE TEMPLE D'HORIUJI. Il LES FRESQUES.
Il ÉPOQUES DE WADO ET YORO AU JAPON. Il LES GRANDES FONTES DE BRONZE
AU JAPON AU VIII" SIÈCLE. | LA TRINITÉ DU KONDO DE YAKUSHIJI PAR GIOGI.
Il LA STATUAIRE D'ARGILE. Il LE RÈGNE DE SHOMU. || LA PÉRIODE DE
TEMPEÏ A NARA ET LA SCULPTURE DE BOIS. || LES TRÉSORS DU SHO-SOIN
DE NARA.
Observons jusqu'où s'épandit cette vague de
classicisme qui, couvrant la Chine, gagna
ses frontières orientales. Les Tang ambi-
tieux avaient essayé d'annexer la Corée en 64$,
et y réussirent provisoirement en 668 : ce qui
amena de sérieuses difficultés pour la Chine,
avec la Corée et le Japon. C'est ce qui fit que
le Japon vit ses communications avec la Corée
coupées au vu6 siècle et fut dans la nécessité
de ne vivre que de ses propres ressources,
jusqu'au jour où il dut se retourner vers les
Tang et où la Corée ne put éviter les mêmes
influences.
Le palais royal de Séoul, au milieu de ses
splendides jardins, ses terrasses de marbre
sculpté, ses ponts, ses colonnades, ses toits de
belles tuiles, montre, malgré ses successives res-
taurations, les traces évidentes de l'influence des
Tang. Il est impossible d'affirmer que cette belle
(69)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
poterie d'émail crémeux qui a rendu la Corée
fameuse, date du vne siècle. Mais nous connais-
sons un grand bronze coréen où se combinent
l'influence gréco-bouddhique et les traits propres
au génie coréen, c'est la splendide Kwannon
debout sur l'autel central du pavillon Toïndo du
Yakushiji de Nara, et qui fut offerte au Japon par
la Corée à la fin du vne siècle.
C'est en la comparant avec la Kwannon Yu-
medono qu'on peut exactement peser ce que l'Art
coréen a gagné ou peut-être perdu dans l'inter-
valle d'un siècle. En tout cas, ce sont les deux
sommets de l'Art coréen. Cette Kwannon se tient
debout avec un peu de raideur, un peu de han-
chement, sur un trône de lotus de type nouveau,
aux pétales un peu raides comme d'une sorte
d'artichaut ; elle est d'une suprême beauté. La
partie basse de la statue garde beaucoup du
sentiment de l'Inde du Sud et de la Corée pri-
mitive, avec ses plis s'enroulant étroitement
autour des jambes, le manteau mince et d'exécu-
tion nerveuse des Gô chinois qui glisse des
épaules, des hanches, des bras, jusqu'aux pieds,
tandis que la partie supérieure nous ramène au
type gréco-bouddhique par ses proportions, sa
poitrine haute, la gracieuse taille, les longs bras,
les mains si bien modelées, et surtout la tête
au si bel ovale. Les cheveux sont du type des
Bodhisattwas les plus gréco-bouddhiques avec le
calot de cheveux aux petits enroulements con-
ventionnels. Un magnifique collier de joaillerie
entoure le cou. On n'oublie plus ce visage rayon-
nant d'une surhumaine beauté et gardant cet
(7°)
Le Fambour de Bronze,
au Temple Shinto de Kasuga, à Nara.
Planche XIII.
L'ART GRÉCO-BOUDDHIQUE AU JAPON
indéfinissable et mystérieux sourire. Le bronze
est d'un brun jaune merveilleux, d'un alliage
qu'on appelle au Japon « Embugadon ».
Ce fut la première grande statue de bronze qu'on
vit au Japon, et on peut penser quelle influence
elle put avoir sur les artistes. Il se pourrait
que le colossal Bouddha de bronze du Kanemanji
soit aussi une grande œuvre coréenne de cette
époque. Rien ne le prouve, toute tradition étant
perdue ; mais le ton de sa fonte est tout pareil,
ainsi que les plis qui le drapent. Et si c'est une
œuvre japonaise, elle aurait été faite avec des
matériaux coréens et sous l'influence de l'esprit
coréen.
Les lents essais des artistes du bronze au
Japon avaient trouvé leur plus haute expression
dans la Trinité du petit paravent aux anges. C'est
une étape au delà de laquelle la force créatrice
de la Chine gréco-bouddhiste allait se répandre
dans de nouvelles directions. L'empereur Tenchi
avait eu pour successeur, sur le trône impérial du
Japon, Temmu, puis sa veuve l'impératrice Jito,
qui s'entourait en 690 d'un corps de fonctionnaires
femmes et promulguait en 702 le grand Code
de lois, le Taihorio, qui allait déterminer la divi-
sion des terres jusqu'alors détenues par la noblesse.
Une caste guerrière allait naître, avec ses privi-
lèges. Cependant l'impératrice continuait dans
son palais de Daikiokuden ses réceptions de nobles
et de fonctionnaires, tout à fait à la façon des
souverains chinois . Confucius fut alors adoré ainsi
que le Bouddha ; et un adepte du nouveau mysti-
cisme chinois, En-no Gioji, vint alors au Japon.
(7')
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
C'est un des aspects de la vigoureuse emprise
de la Chine des Tang sur le Japon d'alors. Ce
fut ainsi que le Bouddha d'argile de Udzumasa,
et les tablettes de terre cuite durent être apportés,
ainsi que la Kwannon coréenne de bronze du
Toïndo. Ce fut apparemment dans la plaine à
l'Ouest de Nara, non loin des collines sablon-
neuses, et un peu au Nord de la présente ville
de Koriyama, que les premiers essais d'art
gréco-bouddhique vraiment japonais furent ten-
tés. C'est là que s'élève le Yakushiji avec le
Toïndo ; très proche au Sud est le Shodaiji, fondé
un peu plus tard sur un ancien site bouddhique.
Sans revenir sur la discussion au sujet des
constructions d'Horiuji, que l'incendie de 680
dévasta et dont nous ne pouvons plus bien
affirmer si le porche, la pagode et le kondo sont
bien seuls demeurés du primitif édifice, on peut
toutefois s'accorder sur l'antiquité des fresques
qui décorent les quatre murs intérieurs du kondo,
qui à l'heure actuelle présente un étrange
mélange dé styles : l'autel, plusieurs statues et
le grand baldaquin étant purement d'époque
Suiko, les fresques murales et quelques statues
étant purement gréco-bouddhiques.
Nous disons « fresques », parce qu'elles sont
un des très rares exemples de peinture extrême-
orientale sur plâtre; mais il est improbable que
leur technique fut celle de la fresque, c'est-à-
dire de l'application de la couleur sur une sur-
face humide ; les couleurs semblent plutôt y avoir
été appliquées à sec, comme sur un papier, une
soie ou le bois. Des Anglais les ont comparées
(72)
Figures de Bronze.
Sur un Bâton de prêtre.
Planche XIV.
La Trinité Bouddhique.
Statues de bronze noir attribuées à l'Epoque de
l'Impératrice Jîto vers 696, mais peut-être de 71S.
(Construction du Temple.)
Temple Yakushiji de Nara (Japon).
Planche XV.
L'ART GRÉCO-BOUDDHIQUE AU JAPON
aux peintures d'Adjunta et d'autres temples
rupestres de l'Inde septentrionale, mais il me
paraît qu'il y a de grandes différences. Il est vrai
que de part et d'autre les chairs apparaissent en
rouge, et que les types semblent bien indiens. Mais
pour l'esthétique, l'espacement, les proportions,
la dignité et la plénitude de la couleur, les pan-
neaux d'Horiuji, bien que de l'Asie orientale,
sont infiniment supérieurs. Il semble admissible,
étant donnée l'existence au Gandhara de grandes
fresques gréco-bouddhiques, qu'il y ait eu des
influences imposées et subies, la dose d'éléments
grecs étant bien plus grande au Gandhara. Ainsi
s'expliquerait que les peintures d'Horiuji dérivées
du Gandhara puissent présenter des traits que le
Gandhara partage avec Adjunta, et, par des ana-
logies plus lointaines, avec Pompeï.
La longue frise de fresques d'Horiuji, inter-
rompue par les quatre portes des quatre
murs (trois cents pieds de développement sur
quinze pieds de haut), comporte des compositions
quadrangulaires de proportions variées, les plus
vastes présentant des Bouddhas, quelques-uns très
abîmés, des Bodhisattwas de type grec, non plus
comme deux acolytes, mais par groupes de
quatre et plus, et de saints personnages dans les
fonds, comme dans les fragments du Gandhara.
Les halos des Bouddhas sont circulaires ; ils sont
sous de riches baldaquins ; des anges volant tout
en laissant flotter de souples draperies descendent
du ciel, en répandant des fleurs. D'autres groupes
sont de Bodhisattwas seuls, toujours avec le calot
de cheveux gréco-bouddhique, ou les cheveux
(73)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
épandus sur les épaules. Les couleurs sont d'une
richesse assourdie, des rouges sombres, des
verts pour les Bouddhas, et les faces en rouge.
En connaît-on les auteurs ? Les traditions
d'Horiuji nomment Doncho, un prêtre coréen
qu'y appela Shotoku. Attribution peu sérieuse.
11 est possible qu'un artiste japonais, qui put
avoir étudié en Chine, se soit approprié un style
étranger. Il semble plus probable qu'un maître
chinois qui avait travaillé avec Michi Itsung, ou
quelque autre maître du style de Khotan, ait été
appelé. Nous aurions ainsi dû parler de ces
œuvres en nous occupant de l'Art chinois gréco-
bouddhique. Mais, eu égard à l'influence des
fresques d'Horiuji sur l'Art japonais de style
gréco-bouddhique, il était préférable de s'en
occuper ici.
Cette influence et celle des petits reliefs
d'argile sur la sculpture japonaise de l'époque
de Temmu (673-688) est manifeste dans quelques
remarquables reliefs de pierre de la crypte du
temple presque détruit de Gangoji à Nara. Ils
sont profondément taillés dans les plaques de
pierre du mur, et l'on y voit une admirable
Kwannon aux onze têtes et plusieurs Trinités. La
Kwannon est un peu du style des statuettes de
bronze; mais les lignes sont plus douces et les
proportions nouvelles : elle apparaît dans une
niche, en si haut relief qu'elle en semble détachée.
C'est peut-être la plus belle sculpture de pierre
japonaise. Les Trinités sont disposées dans le
pur style gréco-bouddhique, mais il n'y a plus
d'assistants. Les Bodhisattwas ont un hanchement
(74)
Un des Bodhisattwas de la Trinité Bouddhique (Bronze)
Vers. 696. Mais peut être Seulement de 718.
Temple Yakushiji de Xara.
Planche XVI.
Statue de Bronze.
Influence Greco-bouddhique. Temple d'Horiuji (Japon).
Planche XVII.
L'ART GRÉCO-BOUDDHIQUE AU JAPON
sensible, et les Bouddhas piétinent des lions dont
le style est aussi bien de Suiko que du Gandhara.
En un cas, au lieu d'un baldaquin, nous avons
l'arbre sacré sculpté en faible relief avec des
bandes concentriques de feuillages, persistance
d'un motif mésopotamien.
Mais un fait nouveau allait se produire. En 708,
la première année de l'empereur Gemmei (période
Wado), le cuivre fut découvert au Japon en
quantités. Il devint ainsi possible de faire
des images de bronze de grande taille, car les
statuettes de l'âge précédent avaient été faites
de métal importé. Et le Japon allait ainsi embras-
ser l'art gréco-bouddhique avec une facilité
et une ferveur que n'avait pu y apporter
la Chine, que son génie natif y prédisposait
moins.
Les grandes divinités de bronze qui appar-
tiennent à cet âge d'or (Wado et Yoro : 708-721)
sont au nombre de quatre. La plus ancienne
est probablement le Bouddha du Kanimanji
(déjà mentionné), qui peut être coréen, ou peut-
être fait au Japon avec du métal coréen, anté-
rieur à 708. — Ensuite, la Trinité de hautes statues
aujourd'hui au Kodo (ou salle de lecture du temple
du Yakushiji), dans les environs Ouest de Nara,
qui originairement dut être édifié au Nord du site
actuel. On dit que cette Trinité du Kodo fut
la pièce maîtresse de l'autel. Brûlé un peu après,
le temple fut reconstruit (où il est) en 716, mais le
goût esthétique avait fait de notables progrès dans
cet intervalle de temps si court : la gaucherie de
ces sculptures les fit reléguer dans le bâtiment
(75)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
secondaire du Kodo, la superbe Trinité en bronze
noir étant fondue pour le nouveau Kondo.
La première Trinité du Yakushiji, plus grande
que nature, est nettement dépendante des modèles
de statuettes, toutes proportions gardées. Le
Bouddha est très beau, la draperie retombant sur
les épaules dune façon plus chinoise que dans la
figure du Kanimanji. Rien ne reste des plis un
peu durs de la Corée. Un détail nouveau consistait
à envelopper le haut des pieds croisés dans les
draperies; mais les jambes et les pieds ont une
minceur qui s'oppose à l'exagération contraire
du Bouddha du Kanimanji. Les cheveux ne sont pas
plats comme dans l'autre, mais en courtes boucles
ondoyantes, et les Bodhisattwas sont frappants
de parfaite vérité dans leur hanchement.
Au vieux temple de Yakushiji existe encore
l'ancienne pagode, qui date peut-être de Yoro,
ayant ainsi échappé à l'incendie qui anéantit le
Kondo et le Kodo. C'est un type architectural
d'une rare originalité.
Mais les plus fortes impressions serontressenties
en franchissant les portes du Kondo du Yakushiji,
devant le grand autel de pierre sur lequel pose laTri-
nité des colossales figures de bronze noir poli, d'un
alliage qu'on nomme le « shakudo », quand on s'en
sert pour les petits ornements précieux du sabre;
elles sont adossées à leurs énormes halos de bronze
doré (qui, eux, ont été refaits). Les Bodhisattwas,
déesses du Soleil et de la Lune, qui accompagnent
Yakushi, comme Kwannon et Seishido accom-
pagnent Amida, sont d'une grâce accomplie, de
proportions solides, les têtes d'une souveraine
Figure Assise Laquée
Art Japona s. Epoque de Tempyo VIIIe siècle
Ecole des Beaux Arts de Tokio
Planche XVIII
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L'ART GRÉCO-BOUDDHIQUE AU JAPON
dignité sous le calot de la protubérance boud-
dhique. Les corps révèlent même une splendide
musculature. La draperie qui suit les jambes
est d'une liberté et d'une pureté plus grandes
que dans les modèles de Toïndo. Les doubles
inflexions des colliers de joyaux et des légers
manteaux sont dune harmonieuse grâce. Elles
sont certainement parmi les plus sublimes figures
de bronze du monde.
Le Bouddha est un extraordinaire intermédiaire
de proportions entre l'énorme tête et les jambes
du Bouddha du Kanimanji et la débilité de celui
du Kodo. Les lignes du drapé ont moins de plé-
nitude décorative que dans la Trinité du para-
vent d'Horiuji. La tête est modelée dans un
superbe ovale, mais offre un profil légèrement
aigu comme le Yakushi d'argile d'Udzumasa. La
chute des plis sur le bras gauche et le long
du genou gauche offre une beauté rythmée digne
d'une statue de la Grèce. La main gauche
modelée comme celle du Bouddha du petit para-
vent, quoique palmée, a des proportions tout à
fait vraies. On ne saurait omettre le socle massif
de bronze sur lequel trône Yakushi et devant
lequel retombent ses draperies. Il est unique dans
l'Art asiatique et difficile à rattacher à quoi que ce
soit, si ce n'est que ses éléments viennent des
Tang chinois, en même temps que de l'Art gréco-
bouddhique. Le bord du bandeau supérieur se
compose de pampres enroulés, comme le décor
des miroirs chinois et certains motifs grecs d'une
époque tardive. Les rosettes, les losanges et les
croix des quatre côtés, également en bas-relief,
(77)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
rappellent les dessins primitifs des peuples de la
région de l'Amour et des Han chinois. Un long
dragon y semble de transition entre le type des
Han et celui des Tang. Mais ce qu'il y a de plus
remarquable et de plus imprévu, ce sont les
groupes de figures accroupies, deux à deux, sous
des arcades bouddhiques décoratives, figures
étranges de type nègre, presque nues, avec
d'énormes têtes à cheveux crépus comme ont
les Somalis d'Afrique ou les négritos de Bornéo
ou desPhilippines. Ces têtes furent-elles imaginées
d'après des types observés, ou théosophiquement
comme des représentants d'une troisième race,
des nains ou des diables? Mais le plus surpre-
nant est la figure grotesque à queues de poisson
en guise de jambes, qui soutient le pilier
d'arrière, qui semble bien de réimportation
polynésienne (socle analogue dans la Con Golubev).
L'auteur du groupe de Yakushiji avait du génie,
et, par un efortune singulière, son nom nous est
parvenu, Giogi, dénommé Bosatsou ou Bodhisa-
ttwa pour sa divine sagesse, qui l'avait fait prélat,
homme d'État, conseiller impérial. C'est le troi-
sième grand nom, un siècle après Tori Busshi et
Shotoku. Et par un hasard providentiel, nous
avons encore sa propre statue de bois, de sa
main, dont l'extraordinaire beauté plastique de
drapé la rend l'égale de son Yakushi. Elle se
trouve au Saidaiji, temple au Nord du
Yakushiji.
Pour comprendre ce que cette brève période
de Wado et Yoro révèle de précieux dans le premier
BODHISATTWA, DIT AUSSI BONTEN.
Terre séchée et laquée attribuée à Riôben.
Epoque de Tempio VIIIe siècle.
Temple Sangetsudo de Nara.
Planche XX.
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Sangetsudo Vociférant.
Argile laqué. Art Japonais. Epoque de
Tempio Ie" moitié du VIII' siècle.
Temple Todaiji de Nara (Japon).
Planche XXI.
L'ART GRECO-BOUDDHIQUE AU JAPON
épanouissement artistique de la race japonaise,
il faut se rappeler la grande activité littéraire
parallèle à ces triomphes de la sculpture.
Ce fut le moment des premiers célèbres poètes
japonais Hitomaro et Akahito. La première grande
anthologie japonaise, le Manyoshiu, débutait
comme un recueil privé de la famille de Yaka-
mochi Otomo, s'augmentait par accroissements,
et était publié probablement entre 750 et 760. —
Le Kojiki, réduction des traditions transmises par
les annales religieuses, fut achevé en 712. — Le
Nihonji, la première histoire critique du Japon, fut
gravé en 720. Ce fut, dans tous les sens, un grand
bouillonnement d'idées, de sentiments littéraires
purement japonais, tout à fait en dehors de
la Chine. Les façons de sentir et d'imaginer
de la Chine n'avaient pas eu sur la littérature du
Japon la prise qu'elles avaient eue sur les arts
bouddhiques.
Pour trouver ce que cet épanouissement put
produire d'original en art, et spécialement dans
les fontes de bronze, il faut considérer le Kagen-
kei, cet extraordinaire tambour de bronze, pendu
au temple Shinto de Kasuga, entre les corps
entrelacés de deux dragons qui prennent point
d'appui sur une figure accroupie, vaguement d'un
chien, et qui n'est peut-être qu'un lion boud-
dhique. Ce sont là les dragons-types des Tang,
observés avec un surprenant sens réaliste. Les
frises concentriques du tambour portent en relief
un riche décor d'enroulements.
Mais le génie plastique du Japon ne se confina
pas alors exclusivement dans les fontes de bronze :
(79)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
il mit en œuvre l'argile, cette argile du Japon de
ce merveilleux ton gris argenté, composée déterre
de Nara tamisée et de petits débris de papier
fibreux. Elle est sensible au pouce, prend une
surface polie qui durcit en séchant et résiste
à la désagrégation atmosphérique. Un grand
nombre de statuettes de cette nouvelle matière
qui se prêta à l'interprétation des formes gréco-
bouddhiques, se trouvent en groupes composés
avec des paysages modelés aussi, à l'étage infé-
rieur de la pagode d'Horiuji. Il y a là de petits
anges très grecs, des Bodhisattwas avec des rois,
des saints et des moines. La scène du Nirvana,
entre autres, est traitée dans le menu détail ;
toutes ces figurines de terre dans des actions variées
sont dramatiques de douleur, naïves ou comiques.
Ces groupes sont probablement primitifs, et
datent de la reconstruction d'Horiuji.
Une suite de figures extraordinaires est celle
des douze généraux qui accompagnent Yakushi,
statues grandeur nature originairement placées
autour du grand autel circulaire de Shin Yaku-
shiji de Nara, figures guerrières dans de violentes
attitudes, armées de lances, d epées, de flèches.
Leurs costumes rappellent ceux des Bisjamons
primitifs de Khotan, avec des variantes chinoises.
La fantaisie japonaise entre en jeu, car pas une
attitude ne se répète. La plus belle est sans
doute la figure au bras levé.
Encore plus beaux de modelé et splendide-
ment conservés sont les quatre gardiens gran-
deur nature « Shi-Ten-o, ou quatre Rois Devas »
placés sur le grand autel de Kaidendo (Baptis-
(80)
Plaque de la Grande Lanterne de Bronze,
à l'entrée du Temple Dai Butsu à Nara.
Art Japonais. VIII" siècle. (Epoque Tempio.)
Planche XXII.
Statue de Fudô (en bois).
Attribuée à Kobodaishi, après son retour
de Chine. Début du IXe siècle.
Temple Toji à Kyoto.
Planche XXIII.
L'ART GRÉCO-BOUDDHIQUE AU JAPON
tère) du Todaiji à Nara, en si vigoureuses actions
qu'il semble que des guerriers chinois en armures
aient posé pour eux. Le modelé n'en serait pas
plus beau s'ils étaient de marbre. Les mains ont
été restaurées, mais les visages, les corps et les
cheveux sont absolument parfaits. L'attitude de
celui qui porte une pagode sur sa main ouverte
est particulièrement admirable; un autre a la tête
couverte d'un casque chinois. Toutes ces figures
se tiennent debout sur les corps écrasés de démons
représentation des éléments de la théosophie
extrême-orientale. Il est vraisemblable que nous
avons en ces statues les reflets des originaux
chinois ; elles peuvent donc représentera nos yeux
le pur idéal des premiers Tang.
Une statue d'expression violente est le Shik-
koudo-Shin, sorte de dieu Thor bouddhique,
lanceur de masse, conservé dans le pavillon
annexe de Sangetsudo du Todaiji, dont la face
respire la passion du combat. Les muscles et
tendons des bras et des poings levés sont indi-
qués avec toutes les veines. Les lignes delà dra-
perie flottante, quoique un peu cassées, sont d'une
telle beauté qu'on serait tenté de considérer cette
statue comme contemporaine de la Trinité en
bronze noir du Yakushiji, et de la croire de Giogi
même. La peinture originale sur l'argile est des
mieux conservées, donnant tous les détails de la
décoration.
De cette période Wado et Yoro les plus belles
pièces, au sommet même, sont les Bodhisattwas
d'argile, ainsi que les deux grandes figures les
mains croisées pour prier, qui sont sur le grand
(81)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
autel du Sangetsudo. En considérant ces statues
de Brahma et d'Indra (Bonten et Taishaku en
japonais), les sceptiques ne sauraient nier
l'influence grecque qu'elles reflètent. Ce sont
sans doute de fausses appellations, car ces figures
sont les plus féminines de toute la sculpture
archaïque ; mais dans les solides proportions des
torses du Parthénon et de la Vénus de Milo, les
Grecs archaïques n'ont pas fait de plus beau
drapé, ni de visages de plus calme noblesse.
La grande époque de Nara fut celle que les Ja-
ponais ont appelée de Tempeï : mais elle commence
en fait avant Tempeï, avec l'arrivée au pouvoir de
l'empereur Shomu (724-748), la première époque
japonaise d'impériale splendeur. La nouvelle capi-
tale de Shomu, Nara, couvrait 6 5 kilomètres carrés,
et avait plus d'un million de peuple. L'empereur
Shomu était un autocrate, réunissant les fonc-
tions de roi, de général, de juge, de prêtre.
Et cependant son règne coïncida avec le
suprême épanouissement de l'idéal chinois et de
la suprématie chinoise de Genso (713-756), et fut
comme l'âge d'or du génie japonais. Mais après
lui c'est la décadence sous l'empereur Kobun.
Shomu avait pris la détermination de développer
la civilisation et les arts du Japon sous l'impul-
sion de ses éléments propres, jadis fécondés par
les apports du continent. Ce fut le seul grand
souverain bouddhiste de son temps, dont le règne
fut délibérément indépendant dans son éclat.
Mais déjà quelques ombres allaient obscurcir
cette radieuse lumière. Le célèbre poète Hitomaro
mourait la première année du règne de Shomu;
(82)
•
^
Bouddha Assis. Statue d'argile laquée.
Epoque de Jôcho (Fujiwara XIe siècle),
à Udzumasa, près Kyoto.
Planche XXIV.
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Statue de Prêtre (en bois laqué).
Art japonais. Fin du XIIe siècle. (Epoque
de Kamakura.) Temple Kofukuji à Nara.
Un Niô.
Par Wunkei. Début du XIIIe siècle.
(Epoque de Kamakura.)
Statue de Prêtre (en bois laqué).
Par Wunkei. Début du XIII' siècle.
(Epoque de Kamakura.)
Temple Kokuhara Mitsuji à Kyoto.
Statue en Bois de Tokiori Hojô,
Vice-Shogun de Kamakura.
Sculptée un peu après sa mort (1263).
Temple Kenchôji à Kamakura.
Planche XXV,
L'ART GRÉCO-BOUDDHIQUE AU JAPON
le fameux sculpteur Giogi disparaissait. La jeune
nation japonaise, sous une nouvelle poussée
d'influences de la Chine et de la Corée, douée
de plus de sentiment que de caractère, n'était
pas assez rassise pour savoir que le principal
ennemi de l'Art est le succès.
L'usage de l'argile, qui avait été courant avec
les fontes de bronze, ne dura guère plus long-
temps que le règne de Shomu. Une nouvelle
matière, sorte de composition laquée, allait per-
mettre, grâce à sa cohésion et à son poids, la
création de statues vraiment colossales. Une
forme de bois (état primaire de la statue) était
tout d'abord recouverte d'une forte toile imbibée
de colle, que le pouce et la spatule enduisaient
successivement de couches de laque mêlée de
poudre d'écorce d'arbre : elles pouvaient se
réduire par places à la minceur d'un papier, ou
à de fortes épaisseurs dans les reliefs. Deve-
nues dures comme le roc, elles pouvaient recevoir
finalement le noir brillant, la feuille d'or, la pein-
ture d'huile.
Au début de Shomu, ce fut la pratique favorite
des artistes, avec l'inconvénient, qui disparut vite,
de la raideur de la première forme de bois. C'est par
centaines qu'on a retrouvé des statues de ce genre,
grandes, petites, complètes ou fragmentées, dans
les principaux temples autour de Nara, à Horiuji, à
Sangetsudo, à Akishino, au Kofukuji. Le pavillon
Dembodo d'Horiuji en est rempli, celles-ci sur-
tout dorées. D'autres ne sont que peintes. Les
rois gardiens du Sangetsudo et certains Bodhi-
sattwas dorés ont dix-huit pieds de haut.
(8;)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
Un des plus étonnamment modelés, toutefois
inférieur à l'Indra d'argile et montrant déjà la
modification du calot de cheveux gréco-boud-
dhique en boucles qui tombent autour de l'ex-
croissance religieuse, est le Bodhisattwa assis de
l'École des Beaux-Arts de Tokio, d'une prestigieuse
adresse d'exécution qui rappelle celle des Boud-
dhas d'argile purement chinois.
Les statues Dembodo dorées sont un peu plus
petites que nature. La meilleure série est d'une
grâce et d'un fini dignes de Giogi et de ses bronzes.
Le Bodhisattwa, dont le calot et le bras gauche
sont brisés, a le caractère d'une statue d'empe-
reur romain.
Sur l'autel du Chukondo au Kofukuji de Nara
sont les généraux de Yakushi et ses prêtres.
Leurs visages ont dans les regards un peu hin-
dous un charme naïf. La tradition serait que
leur auteur était un prêtre de l'Inde qui, évi-
tant la Chine, vint droit à Shomu, ce Constantin
du nouvel Art bouddhique. Peut-être avons-nous
son portrait, dans la plus belle de ces statues
de prêtres à figure menue hindoue.
De l'époque de Shomu (724-740) date aussi le
rare groupe de deux prêtres de bronze, l'un priant,
l'autre marchant cérémonieusement avec un
encensoir, d'un modelé et d'un drapé splendides.
Mais la vraie matière japonaise, d'usage pré-
féré aussi en Chine, ce fut le bois. C'était l'excep-
tion dans les rares Kwannons aux onze têtes
des époques Suiko, Yomeï et Seimei (59^-667) ; au
bois étaient encore préférés le bronze et l'ar-
gile sous les impératrices Gemmei de Wado,
(84J
Le Porteur de Lanterne.
Attribué à Koben. XIIIe siècle. (Epoque
de Kamakura). Temple Kasuga à Nara.
Planche XXVI.
L'ART GRÉCO-BOUDDHIQUE AU JAPON
et Gensei de Yoro. Mais dès Shomu, les Kwan-
nons de bois ont la grâce des créations de Giogi
et elles expriment toutes les qualités maternelles
des Vierges d'Europe, avec le sentiment de la
fécondité de la Diane d'Éphèse.
Une des plus anciennes et des plus belles de
ces Juichimans de bois de l'époque Yoro est
celle de l'île Itsushi au lac Biwa, au visage si
beau et si doux ; le corps demi-nu donne la
suggestion plus que la réalisation des contours
féminins ; le profil magnifique porte encore l'in-
dice de la dépression ancienne du thorax.
L'épouse de Shomu, l'impératrice Komio, d'une
beauté souveraine, était, dit-on, pénétrée de l'es-
prit de Kwannon, et dans son enthousiasme aurait
servi de modèle à une de ces statues qu'on a
identifiée avec celle du temple d'Hokkuji, cepen-
dant moins féminine que celle du lac Biwa. —
D'une beauté égale est la Kwannon du Toïndo du
Yakushiji, qui jadis occupait une niche aux côtés
du grand bronze coréen. Dans sa blancheur, elle
paraît de marbre. Dans sa pureté et sa grâce,
elle rappelle les statues gothiques françaises de
Reims et d'Amiens.
La sculpture de bois de Shomu ne resta pas
limitée aux Juichimans : elle nous a rendu des
Bouddhas, des Bodhisattwas, des rois Devas, des
prêtres, des compagnons de Yakushi, des êtres
élémentaires et d'autres formes. On les rencontre
dans les temples du Yamato et dans des lieux
voisins où ils se retrouvent ruinés. Le Kondo
du Shodaiji en est rempli. Remarquablement
conservé est le Bodhisattwa d'Akishino.
(8^
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
Pour bien comprendre le caractère du Bodhi-
sattwa de ce primitif Bouddhisme de Nara, il
faut savoir qu'il exprime l'idée d'un être aussi
avancé que possible dans l'ordre de la sagesse et
de la connaissance, suffisamment délivré des liens
de la chair pour prétendre entrer dans le Nirvana et
la sainteté. Dans l'humanité, il est l'ultime incar-
nation terrestre. Toutefois, dans le Bouddhisme
du Nord, il présente une signification spéciale :
celle d'un être qui, ayant tous les droits au Nir-
vana, y renonce délibérément, préférant rentrer
dans les conditions terrestres et affronter les ten-
tations du monde, pour l'amour de l'être humain.
Il y a là une renonciation à la renonciation, ou
plutôt au salut, qui cesse d'être négative, pour
entrer dans la voie active de l'amour et de l'assis-
tance. Ce vœu du Bodhisattwa dans le Boud-
dhisme du Nord a quelque chose d'un baptême,
où il puise la force de combattre pour la justice
et de subir toutes les réincarnations nécessaires
au service de l'amour de ses semblables. Voilà
qui est très voisin de l'idée chrétienne.
Mais si, allant plus loin, cette âme déborde
d'amour au point de ne plus chercher que l'incar-
nation occasionnelle, c'est alors un Bodhisattwa
d'une plus haute essence, encore plus chrétienne,
un Bodhisattwa éternel, invisible à l'homme,
mais toujours prêt à l'assister et à répondre à
sa prière. Il devient ainsi comme le principe
de toute haute moralité, de toute spiritualité.
Il devient Aizu, l'esprit d'amour ; Bisjamon, l'es-
prit du courage; Jizo, l'esprit de pitié, surtout
pour les enfants; Monju, l'esprit de sagesse;
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Statue D'Asangea (en bois).
XIIe — XIIIe siècle. (Epoque de Kamakura).
Temple Kofukuji à Nara.
Plancha XXVIII.
Masque "Long Nez."
Ancien culte Shinto-Art japonais.
Masque de Danse de Gigakou.
Art japonais après le XVIIIe siècle. Musée du Louvre.
Masques de Drames de No.
Art japonais XVIe — XVIIe siècle. Musée du Louvre.
Planche XXIX.
L'ART GRÊCO-BOUDDHIQUE AU JAPON
Kwannon, l'esprit de providence, de soutien, de
salut.
C'est ce que s'est proposé de rendre en parfait
achèvement le génie des sculpteurs. Ceux des
derniers temps de Shomu n'y apportèrent plus la
même grâce légère ; les redites d'un travail fiévreux
et hâtif, nécessité par l'obligation de garnir de
figures tant de nouveaux temples et monastères,
donnent de la banalité à ces copies de copies.
Il en fut ainsi au déclin de l'Art romain. La
Kwannon de bois, au revers de l'autel du Kondo
d'Horiuji, à côté de la Kwannon coréenne, en est
un exemple.
Une autre phase de cette décadence nous est
manifestée par les grotesques. De parfaits
exemples sont les Shi-tennos du Nanzendo de
Kofukuji. Leurs attitudes dénotent une énergie un
peu soufflée, et tendent à la pose. Leurs corps se
sont épaissis au point que le cou disparaît dans
le collet du gorgerin.
Un joli moment est encore marqué par les
masques sacrés, surtout dans la collection de
Kasuga, où se mêle le type shinto préhistorique
aux masques de danse de l'Alaska et des Philip-
pines, et aux types hindous ; d'un comique grec
sont ceux à becs d'oiseaux et à longs nez dérivés
d'un type du Pacifique, mais de l'adroite exé-
cution de Tempeï.
Une autre face de la sculpture de Tempeï est
donnée par les représentations de femmes et
d'enfants, sous la forme de divinités ou de por-
traits. Toutes ces statues, qu'on a dénommées
« Soi, déesses indiennes de Fortune », ne sont
(87)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
que des représentations de jeunes filles japo-
naises, coiffées à la mode d'alors, leurs longs
cheveux en épaisses boucles sur leurs épaules,
sous les aspects de la nature.
Les peintures permettent de mêmes constata-
tions : il en est de plus particulièrement bouddhi-
ques, où se marque un mélange de traits chinois et
coréens, avec des faiblesses ou des rudesses de
drapé, avec des attraits faciles de couleurs. Ainsi
sont certaines figures de femmes sur quelques
paravents du Sho-Soïn, ou de beaux portraits de
prêtres, comme celui de Ganshin Washo, fonda-
teur du Shodaiji.
Un des derniers actes de Shomu, deux ans
avant sa mort, fut la commande de la colossale
statue de bronze du Bouddha Roshara, le Bouddha
de Lumière que les Japonais disent le « Daibutsu »,
destinée au grand monastère construit sur le
plateau oriental de Nara, au pied de la mon-
tagne Mikasa, le Todaiji. Shomu mourut en 748,
quatre ans avant sa terminaison; mais les plans
étaient de lui. Si le feu a détruit le primitif mo-
nument, on l'a reconstruit identique (90 mètres
de long sur 2$ mètres de haut). La figure a
16 mètres sur son trône. Le feu avait détruit la tête
énorme. — Il reste aussi un merveilleux objet de
cet ensemble, c'est la grande lanterne de bronze
de 6 mètres de haut, qui se trouve devant l'entrée
principale, sur un piédestal de granit. C'est une
cage octogonale de bronze ajourée, de surprenante
technique : quatre faces portent des figures en bas-
relief de Bouddhas non sans grâce; sur les quatre
panneaux de portes volent dans les nuages des
(88)
Ashikaga Yoshimasa (statue de bois),
XVe siècle.
Temple Ginkakuji, près Kyoto.
Planche XXX.
X
x
u
L'ART GRÉCO-BOUDDHIQUE AU JAPON
animaux à formes de lions. Toute la richesse de
l'Empire contribua à créer ce colossal objet d'art.
Les provinces furent écrasées de taxes spéciales;
les matériaux, cuivre et or, apportés de la Corée
et du Japon étaient amassés dans les monastères.
Shomu joua ici le rôle d'un Pharaon.
Mais cela n'était rien encore. Shomu, avant de
mourir, décida de dédier tout ce que contenaient
ses palais au Bouddha nouveau, et, non loin de
son temple, d'édifier un monument pour enfermer
ces trésors. C'est ainsi que fut construit le fameux
Sho-Soïn de Nara en 749. Il existe encore et ren-
ferme, si l'on se reporte à l'inventaire original,
une grande part de ce qui y fut alors déposé. C'est
le plus extraordinaire endroit du monde, où ont
pu se conserver, malgré les siècles révolus, les
objetsdematièreslespluspérissables: les rouleaux
d'écritures sur papiers, les vêtements de la garde-
robe impériale, les pantoufles de plumes de l'impé-
ratrice, les joyaux, les chapelets de verre ou de
pierres précieuses ; lesustensiles d'usage, decuisine
et de table, de literie, les ornements de chevaux,
les bannières, les paravents, les miroirs de métal,
les instruments de musique, les armes de guerre.
Témoins inestimables d'une vie et d'un art abolis,
d'une civilisation éteinte. La vie de Nara, et à tra-
vers elle la vie de la Chine des Tang, apparaissent
ainsi plus perceptibles que ne sont à nos yeux la
Chine et le Japon d'aujourd'hui.
Ce sont là des trésors que les empereurs se
sont transmis d'âge en âge, comme une sorte de
mystique héritage. Ils furent toujours respectés,
sauf aux époques de détresse pendant lesquelles
(89)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
les destructions partielles firent leur œuvre.
Mais deux ou trois grandes parties demeurèrent
intactes, presque sans additions. Ce fut en 1868
qu'une grande commission, fondée par M. Uchida,
en fit le premier récolement, et constitua un
essai de musée. On l'ouvre une fois par an, pour
aérer; c'est alors que, par faveur spéciale, on peut
le visiter.
Si l'intérêt des collections est encore bien plus
archéologique qu'esthétique, elles renferment
cependant des objets de la plus grande beauté.
La construction a jo mètres de long et dresse
à 6 mètres au-dessus du sol la hauteur de ses
deux étages sur de lourds piliers en pilotis qui ne
laissent pas l'humidité monter du sol. Plus de
mille années ont déposé sur les énormes poutres
de la construction une patine oxydée. L'étrange
impression d'entrée, d'y retrouver comme les
couches superposées des plus anciennes civili-
sations du monde : la Babylonie, la Perse des
Sassanides ; l'Inde et le Gandhara ; l'Annam, la
Chine, la Corée ! Et il paraît maintenant certain
que beaucoup de ces choses sont d'origine japo-
naise. Il en est un grand nombre qui étaient des
cadeaux accompagnant les ambassades envoyées
par les souverains continentaux. Les verres et
les émaux venaient de Perse et de Chine. Les
services de table, assiettes, coupes et bouteilles
d'une glaçure jaune ou verte moirée, abondent
par douzaines; c'est une poterie inconnue au
Japon, qui est peut-être chinoise du temps des
Tang, sous l'influence des céramiques et des
glaçures des Han.
(9°)
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L'ART GRÉCO-BOUDDHIQUE AU JAPON
Infiniment précieuses sont les biwas chinoises,
les luths piriformes, dont les planchettes sous
les cordes ont un contre-collage de peaux avec
peintures ; le paysage avec l'éléphant est une de
ces peintures les plus notables. Sur une autre, un
lion chasse dans les montagnes. Une autre biwa
porte de délicates incrustations d'arabesques de
fleurs et d'oiseaux en ivoires teintés. D'autres
boîtes portent des incrustations de burgau et
d'ivoire; c'est ainsi qu'est décorée une pièce des
Tang avec des figures taoïstes. Des petites plaques
de marbre sculptées de combats d'animaux ser-
vaient peut-être de poids pour les tentes; l'une,
peut-être d'époque Tang, montre un sanglier et
un chien dressé pour la chasse, d'un puissant
dessin, et d'une perfection toute égyptienne. Des
vases et des boîtes d'argent portent des décors en
relief ou gravés de motifs à la manière grecque.
Des formes rappellent l'art persan ; la belle aiguière
d'argent à anse et couvercle, à décor de chevaux
ailés, peut très bien être de l'art chinois des
premiers Tang, dont se seraient inspirés les pre-
miers artisans de la Perse et de l'Inde des pri-
mitives civilisations musulmanes ; car sa forme
rappelle celle des poteries et des bronzes des Han;
le couvercle offre une sorte de dragon du Pacifique
modifié par l'esprit babylonien, et le cheval ailé
dérive tout à fait de l'art gréco-bouddhique ; on
le trouve dans les reliefs des Han plus massif et
plus robuste, et, si ce n'est pas un élément
gréco-bouddhique, il serait venu de la Grèce
propre, en passant par la Perse.
Quant à l'ornementation florale en incrusta-
(90
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
tions des biwas, on y trouve la feuille gracieuse
du grenadier qu'on retrouve dans les tapis persans
et les châles de l'Inde. Les étoffes bouddhiques
sont remplies d'ornements sassanides.
Il y a dans le Sho-Soïn plus de cent magni-
fiques miroirs de bronze chinois, petits ou grands,
jadis crus japonais, du plus délicat relief. Beau-
coup sont des Tang, avec les petits enroulements,
les dragons, les tortues, comme au piédestal de
bronze du Yakushiji, et aussi avec les pampres
et les grappes de raisin. Il est plausible que ces
miroirs aient été des répétitions sous les
Tang de beaux miroirs des Han, et même que
certains aient été aussi exécutés à Nara.
La fin de l'époque de Nara coïncide avec le
règne de l'impératrice Koken, qui finit en 769.
Elle vit, malgré sa dévotion, la ruine des temples
et des palais, et les discussions religieuses qui,
de Chine au Japon, opposaient l'une à l'autre
les religions de Confucius et du Bouddha. L'Art
de cette époque, si on l'étudié dans les statues
du Dembodo, a cette raideur typique de l'Art de
Koka, grand encore dans les bas-reliefs des
généraux du Tokando de Tofukuji et les Shi-
tennos du Saidaiji, si sauvages. Quelques lueurs
encore : la peinture dans le Paradis occidental
d'Amida, avec ses Trinités et ses anges, dans le
Paradis énorme, peint sur vélin, de Taimadera.
®
CHAPITRE VII
LA PEINTURE MYSTIQUE BOUDDHIQUE
EN CHINE ET AU JAPON
LOYANG ET KIOTO — VIII» SIÈCLE — XI» SIÈCLE
L'ART SOUS LA DYNASTIE DES TANG EN CHINE, g LES PEINTRES WANG WEI
ET WU TAO-TZU. 1 LEURS ŒUVRES SOUS L'EMPEREUR GENSO. g LES
MANDARAS. Il LA SCULPTURE DE CES ÉPOQUES.
Ce serait une erreur de croire que l'Art
bouddhique ait été pour le génie de la
Chine autre chose qu'une étape dans son
ascension vers les sommets. Et à ne le consi-
dérer que comme point d'une des courbes de ce
rythme continu, il nous reste à expliquer un des
moments les plus émouvants, le moment des
Tang. On peut considérer comme en états per-
manents dans l'âme chinoise l'amour du paysage
en poésie et en peinture, excité encore par le
long séjour de la cour des Liang dans les pro-
vinces pittoresques du Sud, — et le sentiment
profondément religieux en peinture, soit tartare
dans le Nord avec la préoccupation des taches
colorées, soit purement chinois dans le Sud avec
Kogaishi, et s'exprimant puissamment par la sou-
plesse du coup de pinceau. Toutes les traditions
écrites sont là pour l'affirmer.
Le génie des Tang est exceptionnel par la
variété des sources où il puisa, dans leur
(9))
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
réaction réciproque au commun contact. La
puissance et la richesse n'avaient jamais été si
grandes, les constructions plus vastes, les cos-
tumes plus beaux, la chère plus riche, le peuple
plus heureux, les travaux publics plus gran-
dioses. La capitale de l'Est, Loyang, dans la
vallée du Hoang-ho, était assez vaste pour
deux millions d'habitants, remplie de merveil-
leux monuments, de jardins, de palais, en
relations de commerce avec tout le monde asia-
tique ; quelque chose comme furent Bagdad,
Damas ou Samarkand.
L'esprit de la Chine et sa littérature s'épa-
nouissaient en floraisons merveilleuses, sous le
règne de l'empereur Hsuan Tsung (Genso),
depuis 713 jusqu'aux insurrections et désastres
de 7$$. Le grand paysagiste poète (qui était
aussi un homme d'État) fut Wang Wei (Okamitsu
oï) qui peignait des scènes de la nature en belle
encre noire, dans sa splendide demeure, aux
horizons de lacs, à quelques lieues de la capi-
tale. Ce n'était pas une technique qui lui fût
absolument personnelle, ni particulière à l'Art
des provinces du Sud. Mais il la pratiqua avec
une force, une hardiesse, qui se manifestent
entièrement dans la grande cascade du Chisha-
kuin de Kioto, et en font un des plus authen-
tiques chefs-d'œuvre de peinture du monde.
Son ami et son rival dans la peinture
à l'encre des paysages, dans la tradition de
Liang, fut le célèbre Wu Tao-T\u (Godoshij, si
remarquable dans les deux paysages du Shinjuan
Daitokuji de Kioto, où l'encre est maniée avec
(94)
Kwannon Assise.
Par Yen Li-pen (en japonais En-riu-hon).
Con. CharIes_Freer, à Détroit (Etats-Unis).
VIIe siècle.
Planche XXXIV
PEINTURE BOUDDHIQUE
une audace et une vigueur singulières, par coups
de brosse nerveux d'une étonnante fantaisie,
et dont on retrouvera plus tard toute la beauté
transmise aux artistes des Song et des Yuen.
Mais c'est dans l'Art bouddhique des Tang
que nous constaterons les plus fortes et origi-
nales créations de l'époque ; ce fut ce sentiment
qui fut le soutien de Wu Tao-Tzu et lui permit
d'atteindre si haut. L'École contemplative pénétrée
du Bouddhisme de Zen, fondée par Daruma, avait
conduit à l'art du paysage et à une conception
plus humaine des divinités et des scènes sacrées ;
l'Art septentrional tartare y venait mêler ses
propres traditions. Mais voici que dans cet Art
des Tang un puissant dissolvant s'insinuait à la
suite du Gréco-Bouddhisme. C'était une forme
mystique, ésotérique de la foi, qui, fondée sur
l'idéalisme philosophique de Nagajuna, Vasuban-
dhu et Asangpo, avait absorbé cette psychologie
mystique de l'Inde post-védique, et s'en était
forgé une forte discipline, une doctrine. Ce fut
en grande partie l'œuvre d'un hérésiarque
indien vers l'année 640. Et vers 700 une
secte s'était constituée de fervente piété, de puis-
sant patronage, dont le centre était sur la fameuse
montagne Tientai. Le maître hindou, Tendaï
Daishi (ainsi l'ont nommé les Japonais), avait
organisé une école pour propager la doctrine,
dans laquelle entrèrent les jeunes seigneurs de
Loyang. Dans cet effort pour réaliser l'union
mystique avec la divinité, sorte d'extase néo-
platonicienne, cette secte ésotérique qui attri-
bue à l'âme humaine un magique pouvoir et
(9S)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
un contact direct avec les esprits, fut dite la secte
Tendaï.
A l'heure où la dynastie des Tang s'assimilait
le style tartare qui penchait plutôt vers la déco-
ration, la belle synthèse de la ligne et de la cou-
leur pouvait naître. Les célèbres peintres de la
cour des Tang antérieurs à l'âge d'or de Genso,
Yen li Pen (Enriuhon) par exemple et Enriutoku,
pratiquaient sans doute ce style. A cet Enriuhon
peut être attribuée cette grande Kwannon assise
enveloppée d'une riche dentelle, dont nous avons
des douzaines de répliques faites sous les Tang et
les Song. Au Japon, cette représentation est cou-
ramment attribuée àGodoshi ; comme on y attribue
à Motonobu toutes les peintures japonaises du
xvie siècle. La plus importante et la plus belle ré-
plique de ce type est le Kakémono, dit de Godoshi,
qui est au Daitokuji de Kiôto. Ce peut être de
l'époque des Tang, sinon de la propre main
d'Enriuhon. Une plus petite réplique, peut-être
Song, d'un original perdu d'Enriuhon est dans
la collection de M. Freer. La figure est assise
sur un roc bleu, vert et or, dans une cavité d'où
pendent des stalactites au-dessus de sa tête.
C'est la Kwannon, le Bodhisattwa de providence,
le soutien de l'homme ; et comme dans la plu-
part des représentations Tang, elle porte une
légère moustache. Ce détail et le fait que les
Kwannons des Song sont manifestement fémi-
nines ont conduit certains savants à conclure
que Avalokiteswara était primitivement masculin,
et que le changement provenait d'une erreur de
sexe faite par le copiste en traduisant quelque
(96)
Monju.
Par Wu Tao-Yùan ou Wu Tao-tzu (en
japonais Godoshi). VIIIe siècle. (Epoque
des Tang.) Temple Tofukuji à Kyoto.
Planche XXXV.
PEINTURE BOUDDHIQUE
terme sanscrit ou pâli. C'est là un point de vue
bien faible quand on constate que bien des Kwan-
nons antérieures (celle du Chukuji qui est de 620,
celle à onze têtes du lac Biwa qui est de 755)
sont nettement féminines. La vérité est qu'un
grand Bodhisattwa est, de sa nature, de sexe
indéterminé, s'étant élevé au-dessus de ces dis-
tinctions, ou plutôt ayant réuni en lui-même
les grâces spirituelles des deux sexes. Il sem-
blerait que les Tang considéraient la Kwannon
comme un élément créateur, un grand démiurge,
alors que les Song préféraient lui conserver
dominant son caractère maternel. Le trait est
d'un coup de pinceau appuyé ; la tunique est
retenue sur les jambes croisées par des plis très
sculpturaux, différents de ce qu'on voit dans
les sculptures de bronze coréennes du type du
Toïndo. L'Art bouddhiste tartare conserva quel-
que chose de ce drapé un peu raide et nerveux
jusqu'à l'époque des Ming. Les chairs sont dorées,
c'est un trait caractéristique de l'art d'Enriuhon,
et qui longtemps, dans l'Art du Nord, restera
combiné avec la couleur épaisse des costumes.
La tête n'est plus grécisante, mais longue et
ovale, avec un cou mince. La chevelure est
arrangée en tiare de gemmes colorées et de
fleurs. Et ce qui est tout à fait particulier, c'est
l'enveloppement de ce voile de dentelles qui pend
de la tiare et tamise finement de ses tons crèmes
les couleurs épaisses qu'il recouvre. Le trait de
contour de ce voile commande tout le rythme
des lignes. Un vase de cristal est posé sur un
rocher à droite. Derrière sont deux halos circu-
(97)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
laires, tous deux en beaux traits d'or, un petit
pour la tête, un plus grand pour le corps. De
l'eau à ses pieds sortent de riches coraux et des
lotus, dans le style Tang dérivé de l'Art un peu
babylonien des Han. Un petit enfant chinois est
debout dans le fond sur un rocher, priant les
mains jointes. La Kwannon semble laisser tomber
sur lui son gracieux regard. Les couleurs sont
riches ; les rouges, les carmins, les oranges,
les verts et les bleus sont relevés de touches d'or.
Devant de pareilles œuvres, la question se
posera toujours : est-ce un original ? est-ce une
copie ? Les fameuses œuvres de peinture des Tang
et antérieures à eux, devinrent les modèles
sur lesquels les maîtres des Tang et des Song
formèrent leur style. Ces copies n'ont sans
doute pas accaparé toute la beauté technique
des originaux. Cependant la beauté esthétique,
de sentiment ou de style, et le caractère des
types n'en est pas moins pour nous d'une ines-
timable valeur. N'en est-il pas de même dans
beaucoup d'anciennes copies d'originaux grecs
que nous ne connaîtrons jamais ?
On ne sait ce qui a pu subsister des grandes
œuvres de la peinture ancienne en Chine. Le
sait-on mieux, quant à ce qui a pu en être con-
servé au Japon ? Il est certain qu'on en importa
beaucoup aux vin' et ixe siècles, et encore aux
xie et xne siècles, et au xve siècle sous les Ashi-
kaga, quand Sesshu eut voyagé en Chine, où
on le reconnut à la Cour pour un artiste bien
plus considérable que tous ses confrères Ming
contemporains. Il put lui-même se faire un sens
(98)
Shaka-Muni.
Pa Wu Ïao-Yiian ou Wu Tao-tzu (en japonais
Godoshi). VIIIesiècle. (Epoque des Tant;.)
Con. Charles Freer, à Détroit (Etats-Unis).
Planche XXXVI.
PEINTURE BOUDDHIQUE
critique singulièrement aiguisé des vieilles
peintures chinoises; et songeons qu'alors
pour lui une copie Song n était vieille que de
200 ans, d'après un original Tang vieux de
700 ans ; le recul n'était plus le même pour lui
que pour nous. Et comme les traditions d'esprit
dans le criticisme se sont transmises aux maîtres
japonais d'âge en âge, leurs copies des maîtres
chinois sont encore, malgré tout, pour nous du
plus vif intérêt.
La période de Genso Kotei à Loyang avait donc
vu naître l'un des plus considérables maîtres, Wu
Tao-T\u (Godoshi), qui n'avait pas été seulement
un paysagiste, mais aussi un grand peintre boud-
dhiste, exprimant les vastes conceptions de son
temps. Plus qu'Enriuhon il chercha à être plus
direct, plus humain, avec une vision qui le
rapproche de nous. Il revint au coup de brosse
flexible et souple de Ku-K'ai-chih, s'exerçant sans
trêve à passer du coup de pinceau apposant la
tache au trait délié et fin, habile aux contrastes
de la touche rude et brusque et des plus douces
et suaves caresses du pinceau. Ce fut, en art de
peindre, une façon d'exprimer la beauté des
choses, qui fut bien personnelle au vieil Art
chinois ; l'idéal d'expression résidait dans le
trait, ses proportions, ses formes, le système de
ses rythmes, cette convention (tout dans l'Art
n'est-il pas convention dans le choix de ses
moyens d'expression ?) à chercher ainsi des har-
monies analogues à celles de la musique, dans
cette constante modulation de la couleur qui
(99)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
passait du trait à la tache, de la touche qui
marquait puissamment le ton à la ligne qui par-
fois avait la ténuité d'un poil de brosse.
Wu Tao-Tzu fut célèbre en son temps, les
mémoires contemporains l'attestent. Il couvrit
de grandes surfaces muralespar des représentations
du Ciel et de l'Enfer, d'étranges aventures de
la vie des saints, des divinités flamboyantes et
courroucées, les splendeurs impériales de la Cour
bouddhiste — d'accord ainsi avec le propre idéal
de son temps, comme Phidias. Il n'existe peut-être
plus de peinture originale de Wu Tao-Tzu, mais
pour comprendre son autorité sur l'Orient, et ce
que l'Occident peut en saisir, il existe quatre ou
cinq types de son génie que des copies nous
permettent d'étudier. La Kwannon dans ses voiles
de dentelles avec l'enfant chinois en est un qui
date sans doute de sa première période, et qui
le relie à Enriuhon et à ses prédécesseurs. Plus
d'une version a dû parvenir au Japon. L'une
d'elles fut apportée du Japon en 1904 dans
la collection de M. Freer, à Détroit (États-
Unis), sans doute du pinceau d'un maître Song,
qui s'est dépouillé du style de son époque en
respectant tous les principaux traits du génie
de Godoshi. C'est une Kwannon debout, digne
et puissante, enveloppée d'un voile de dentelle,
et descendant du Ciel sur un nuage épais qui se
répand en écume d'eau en traversant l'espace ;
c'est la plus ancienne façon de représenter l'eau
comme le pur symbole élémentaire de Kwannon,
qui est habituellement assise entourée des flots
de la mer, tenant l'eau sacrée dans un vase de
(100)
PEINTURE BOUDDHIQUE
cristal. Un rideau de nuages épars traîne dans
le haut de la composition, cachant à demi la
tiare, lourde et carrée, et non pointue. La divi-
nité, ici masculine par la moustache, descend
vers deux enfants qui jouent sur un nuage à arran-
ger de fraîches fleurs de lotus dans un vase. Ils
représentent la nature humaine dans sa spiritua-
lité originaire et son instinct religieux naturel.
A droite s'étire un sinistre nuage d'un vert
sombre, comme un dragon qui rampe, image du
mal. Godoshi s'était refusé à représenter un vrai
dragon, comme le fit Chodensu dans sa Kwan-
non de face. Elle abaisse son regard, avec un
indéfinissable et bienfaisant sourire, vers les
enfants inconscients auxquels elle apporte le
salut et l'aide. De la main gauche levée, elle
porte une branchette de saule (qui dans d'autres
peintures est dans un vase) comme pour asper-
ger ces petits êtres de l'eau du baptême, et
de la droite elle porte dans un panier un grand
poisson, symbole du soutien spirituel. C'est là
un des traits de l'imagination des Song, qui ne
devait pas se trouver dans l'œuvre de Godoshi.
Le caractère de puissance est bien rendu par
la masse que forme dans la composition l'image
de Kwannon, comme est bien marqué aussi le
caractère d'espace que rompent seuls les enfants
et le grand poisson. La forme de Kwannon est
superbe de vie et de mouvement ; elle prend un
solide point d'appui par ses lourds pieds sur le
nuage, et sa tête est une des plus belles de tout
l'Art de l'Extrême-Orient. Si le rythme des lignes
dans cette figure est magnifique, la couleur en
(IOI)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
est moins riche que dans la peinture d'Enriuhon.
Un autre type créé par Godoshi a été l'objet
de répliques de Yeiga, de Chodensu, et de Moto-
nobu; c'est la Kwannon assise de face. Une des
plus près de Godoshi, celle de Motonobu, est pas-
sée des trésors du marquis Hachisuka aux mains
de M. Fenellosa. Elle était célèbre sous les Ashi-
kaga et les premiers Tokugawa, car les archives
des Kano en conservaient une superbe copie de
Tanyu.
Quant à la grande figure de Sakyamuni de
Godoshi, il en existe deux versions. L'une serait
le centre du triptyque du Tofukuji, que les critiques
japonais ont toujours considéré comme un vrai
Godoshi et son chef-d'œuvre. Si c'était une copie
Song, elle ne pourrait être que de Riryomin. Cette
œuvre a influencé Sesshu et tous les autres grands
artistes du Japon. Le Bouddha est assis les jambes
croisées sur un rocher, les mains réunies sous
la robe en un geste symbolique des doigts, mys-
tique et secret. La robe est d'un rouge tranquille
qui devient orangé dans les angles; le visage
est d'un ton tout à fait vénitien. La grandeur
des lignes, la solidité de la tête en font quelque
chose d'impressionnant et dont la force idéale
vous pénètre.
Une autre réplique, de même format, serait
possédée par M. Freer; elle vient de la collection
japonaise de Zeshin où elle se trouvait avec les
Rakans de Riryomin. La disposition des draperies
est exactement la même que dans l'œuvre de
Godoshi ; les lignes ont moins de souplesse que
dans la peinture du Tofukuji, et la couleur est
(102)
Kwannon Debout.
Par Wu Tao-Yuan ou Wu Tao-tzu (en
japonais Godoshi). VIIIe siècle. (Epoque
des Tang.)
Ction. Charles Freer, à Détroit (Etats-Unis).
Planche XXXVII.
PEINTURE BOUDDHIQUE
plus froide. La tête est tout à fait du type Song,
plus émaciée, les cheveux moins plastiques. Si
l'œuvre du Tofukuji n'est pas originale, c'est
une copie des Tang; l'œuvre de la collection Freer
est Song, mais non pas de Riryomin.
Les deux peintures du Tofukuji qui flanquent
le Sakyamuni sont un jeune Monju sur le lion
et le jeune Fugen sur l'éléphant, les deux com-
pagnons de Sakya, pour les sectes Tendaï et
Ten. C'était vraisemblablement des personnages
historiques. Le Monju était identifié avec un des
premiers missionnaires indiens au Nepaul. Il est
généralement représenté avec un rouleau d'écriture
d'une main et une baguette enrichie de joyaux
de l'autre ; il symbolise le pouvoir de l'écriture, de
l'inspiration, de la divine interprétation. — Fugen
porte tantôt une masse comme Monju, tantôt un
livre ouvert ou un rouleau d'écriture : il symbo-
lise le pouvoir d'organisation religieuse, le rituel,
et la communion des saints. C'est là l'incarnation
humaine de la Trinité bouddhique, des « trois
premières choses » dont parlent les écritures et
les prières.
Dans ce Monju du Tofukuji, nous avons de
Godoshi la plus exquise figure, la jeunesse d'une
belle tête grecque, les longs cheveux sur les
épaules, les superbes lignes d'une souple draperie.
Le Fugen est de lignes plus dures et serait peut-
être une copie.
Il existe un autre Fugen au Mioshinji, qui,
quoique attribué au Song Barin, n'a aucun rapport
avec lui. Ce doit être une peinture des Tang,
mais peut-être un peu après Godoshi, par le peu
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
de tranquillité des lignes du drapé. Elle eut une
grande influence sur Sesshu.
Des primitives peintures Tang, sans rapport
avec Godoshi, sont tous les Rakans, incarnant
des Arhats ou des saints bouddistes avec des
animaux et des arbres, dune très riche couleur
dans les bleus, les verts et les oranges étranges.
Une œuvre des Tang est célèbre au Japon sous le
nom de Tenju koku Mandara; c'est une vieille
et splendide broderie, qui aurait été faite par
les femmes de la cour des Tang d'après les dessins
dun peintre contemporain. Montée aujourd'hui
en kakémono, elle est conservée au monastère
de Chuguji, à Horiuji.
Le règne esthétique de Genso fut troublé en 7 $ 5
par une vaste intrigue de palais, fomentée par
Yohiki, l'ami dont il avait fait son conseiller.
Genso fut obligé d'abdiquer en faveur de son fils.
Il revint donc solitaire dans sa capitale en ruines.
Mais loin de la cité, sur les montagnes de Tendaï,
le Bouddhisme secret de la purification surhu-
maine allait se transformer avec Daishi, et
son successeur, Egitsu, du Toji. Un art parti-
culier en naquit, participant de l'art des Tang,
mais en formant une branche très spéciale.
Il s'agit d'abord de ces pièces d'autel hiératiques,
les MandaraSj ou cercles mystiques, qui étaient
suspendus devant le pupitre du prêtre officiant,
lui présentant les catégories de la plus haute
spiritualité, l'aidant dans son invocation verbale.
Ces Mandaras furent rapportés au Japon par des
missionnaires. Certains sont en couleurs, quel-
(104)
.
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Fragment de Paysage.
Par Wu Tao-Yiian ou Wu Tao-tzu (en japonais Godoshi).
VIIIe siècle. (Epoque des Tang.) Temple Daitokuji à Kyoto.
Planche XXXVIII.
PEINTURE BOUDDHIQUE
ques-uns en lignes d'or sur un fond noir, d'une
finesse et dune qualité rares. De riches motifs
floraux, des lotus, et des enroulements en or,
entourent les panneaux. Le centre renferme
l'Esprit de la Catégorie centrale, le dieu de la secte
Shingon (une branche encore plus ésotérique du
Tendaï), Dai Nichi Niorai, ou le grand Soleil
Tathagata. Il n'est pas même appelé un Bouddha.
C'est le Démiurge central, en costume de Bodhi-
sattwa, mais avec pouvoir suprême dans le monde.
Autres formes admirables de la peinture Ten-
daï sont les portraits de prêtres, depuis Naga-
juina, le fondateur de ce rituel mystique. Ces
portraits sont absolument caractéristiques des
Tang par leur énergie, leurs tons de chair, leur
dessin à rudes coups de brosse, généralement à
l'encre, qui ne les grandit pas à l'échelle de
Godoshi, mais les rapproche plutôt des Rakans
du début des Tang. Beaucoup de ces portraits
furent apportés au Japon par les nouveaux fon-
dateurs. Le plus important de tous, et l'un des
plus puissants portraits du monde, est la pein-
ture de Tendaï Daishi lui-même, presque gran-
deur nature, prêchant, que possède l'amateur
de Kobé, M. Kawasaki. Les lignes en sont nobles,
les traits profonds, et la couleur de la plus
délicate rareté. Ce doit être l'œuvre d'un des
plus grands maîtres des Tang.
La sculpture de ce vme siècle, si elle resta
subordonnée à la peinture, n'y tint pas moins
une place importante. L'énorme tête de Bouddha
en céramique, trouvée dans une caisse de frêne
(■°s)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
au Daigogi en 1884, que possède aujourd'hui
l'École des Beaux-Arts de Tokio, est une des plus
anciennes reliques de la sculpture Tendaï des
Tang du début du vme siècle. Elle appartient
sans aucun doute à un Bouddha de céramique
détruit par le feu au xne siècle. Cette tête a cette
forme ronde et ces gros traits du type que Go-
doshi avait adopté dans sa peinture de Bouddha
du Tofukuji. La terre en est blanchâtre, inter-
médiaire entre la poterie et la vraie porcelaine.
L'émail qui se trouvait surtout sur les boucles
de cheveux est blanchâtre avec un peu de vert.
Les traditions disent bien qu'on fit de la vraie
porcelaine sous les Tang, et cette pièce le confir-
merait assez. Il y avait aussi des pièces à glaçure
plus fine et plus douce, de plusieurs couleurs :
crème, blanche, olive, brune, grise et jaune, bien
que dans le Sho-Soïn il n'y ait d'objets vernissés
que moirés de vert et de jaune. Le blanc, qui
semble l'ancêtre ou le contemporain de la fameuse
glaçure blanche des Coréens, peut avoir été trouvé
à la fin du vme siècle.
Mais une autre forme admirable de la sculpture
Tendaï est de bois ; et surtout parmi ce que nous
en connaissons, les statues-portraits des célèbres
philosophes et des prêtres. Deux des plus belles,
un peu plus grandes que nature, sont celles de
Vasubandhu et de Asangpô, qui jadis se trouvaient
ensemble sur l'autel du Chukondo du Kofukuji,
et que les Japonais ont considérées comme japo-
naises, et dune date moins ancienne. Dans la
simplicité de leur style, leurs figures si puis-
samment exprimées, si humaines, les détails
(106)
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PEINTURE BOUDDHIQUE
chinois du drapé, et le réalisme du modelé, elles
nous semblent n'offrir aucun rapport avec la
sculpture japonaise. Elles sont beaucoup plus
fermes, et ont la vigueur des portraits peints
de Tendaï des Tang.
Au ixe siècle, sous les successeurs de Genso,
Tokuso et Kenso, la foi bouddhique embrasa de
nouveau la cour impériale. Le chef du Confu-
cianisme puritain, Kentaishi, le plus grand pro-
sateur chinois, et un des plus fameux poètes des
Tang, osa écrire vigoureusement contre ce qu'il
pensait être des superstitions dégradantes. En 818,
Kenso ordonna l'adoration à sa cour des reliques
des vrais os du Bouddha qu'il avait fait apporter
de l'Inde. Kentaishi s'éleva contre et déclara
dans un écrit, qui a servi depuis de constitution
aux confucianistes, que Kenso violait les coutumes
sacrées des ancêtres. Ce fut la première atteinte
menaçante, dont les effets seront graves sous les
Song, et qui aura amené la paralysie de l'imagina-
tion chinoise à la fin des Ming. Les dernières années
du vme siècle virent s'écrouler le pouvoir des Tang,
et la capitale se déplacer de nouveau à Loyang.
Dans les peintures Tang du ixe siècle, se
retrouve le style des anciens Rakans. Les lignes
n'ont pas la puissance de Godoshi, les visages sont
un peu grossiers, les formes sans grâce. Mais
la couleur est très riche ; le vermillon y atteint
souvent la profondeur d'un cramoisi. La grande
peinture du Nirvana au Tofukuji, attribuée à
Godoshi, est de cette époque, de même que la
peinture du Bouddha prêchant au temple Chonoji,
au village d'O'Tokuni, dans le Yamasho.
(107)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
Les peintures de Rakans d'alors sont très soi-
gneusement dessinées, et dans de très riches paysa-
ges. Les arbres, en couleurs profondes et opaques
comme des jades, ont de l'avance sur ceux des pre-
miers Tang et des Tartares antérieurs aux Tang.
La peinture à l'encre est aussi très pratiquée,
dans le style hiératique Shingon, et use de cou-
leurs opaques tartares pour les traits d'or.
Exemple dans le splendide Bodhisattwa avec le
paon du Ninnoji de Kioto.
Au xe siècle, les Kettans, tribu tartare du Nord-
Ouest, avaient presque occupé les provinces sep-
tentrionales. Les pays du Sud, de l'Ouest, du Sud-
Est se détachaient des Tang. Entre 90$ et 960,
c'est une confusion entre de nombreuses petites
dynasties, dont la durée ne dépasse jamais quel-
ques années. C'est ce qu'on a appelé « le mélange
des dynasties ». Les confucianistes, bien disci-
plinés, gardaient le dessus, et victorieux en 955,
ils assistaient à la destruction d'un grand nombre
d'anciens Bouddhas de bronze, fondus et trans-
formés en monnaie. Ces époques de destruction
ont fait disparaître grand nombre d'objets d'art
des Tang.
Cependant une dernière phase, indépendante,
jetait encore des lueurs ; le génie particulier des
provinces s'exprimait, et quelques prêtres boud-
dhistes, tels que Zengetsu, eurent encore de
magnifiques conceptions dans ces suites de
Rakans, dont la plus belle est celle des dix-huit
Rakans du Kodaiji, dont les arbres sont d'un si
admirable dessin, les couleurs si somptueuses
et les figures si grandioses.
(108)
PEINTURE BOUDDHIQUE
Une question s'est posée : celle de savoir si la
suite qu'onaappelée des «Rakans juifs», au Kataiji
de Higashiyama près de Kioto, est de ce moment
ou du siècle précédent : l'intention sémite y est
nette malgré les halos bouddhiques ; visions sans
doutes des synagogues élevées pour les Indiens
en Chine.
L'Art des Tang, gréco-bouddhiste au vif siècle,
au plus haut point de grandeur avec Godoshi au
vin" siècle, déclina aux ixe et x siècles. L'art ne
reprit vraiment son essor qu'avec les conquérants
Song en 960.
®
©
CHAPITRE VIII
L'ART MYSTIQUE BOUDDHIQUE AU JAPON
SOUS LES FUJIWARA
L'ART DES SECTES TENDAI ET SHINGON. D L'ART SOUS L'EMPEREUR
K.WAMMU. P DENGIO DAISHI, KOBO DAISHI ET CHISHO DAISHI. || L'ÈRE ENGI.
Il LES FUJIWARA. B LE PEINTRE K.OSE NO KANAWOKA. 11 SES ÉLÈVES
KANETADA ET HIRATOKA. Il ÉCOLES K.ASUGA ET TAKUMA.
L'art mystique bouddhique, — ou l'Art des
sectes mystiques du Bouddhisme que les
Japonais appelaient Tendai et Shingon, —
que nous avons étudié dans son développement
chinois sous les Tang et les Song, fut introduit au
Japon dès le vme siècle.
Pour comprendre ce en quoi l'Art japonais en
fut modifié, et en quoi cet Art nouveau se trouva
lié aux transformations politiques et sociales, il faut
se reporter à ce qu'était la civilisation de Nara
à son heure dernière, après la mort de Shomu
Tennô en 748. Les abus n'avaient pas été rares
sous l'impératrice Koken, les hommes d'État
exilés, les hommes d'tglise mis aux premières
charges, l'Art garrotté par les traditions. Les
grands jours du règne de Genso des Tang n'avaient
pas eu de répercussion au Japon : les étudiants
japonais, tels que Abé no Nakamaro, dans leur
jeune enthousiasme pour la pensée chinoise,
ne trouvaient qu'un faible écho au Japon. L'ermite
En no Giojî, voulant chercher des prosélytes,
(m)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
vit les Japonais le traiter de magicien, et le bannir
dans les montagnes d'Idzu.
L'Art gréco-bouddhique était donc en pleine
décadence, quand, en 782, un nouvel empereur
Kwammu, qui régna vingt-quatre ans, monta
sur le trône. Il commença par refréner les abus
anciens, arrêta la construction de tout temple
nouveau, et décida que l'extension de Nara avait
assez duré, et qu'il était temps de chercher
l'emplacement d'une autre capitale — dans le
Yamashiro, — où d'ailleurs pourraient être
renouées les traditions avec la Chine, qui féconde-
raient encore un Japon transformé. Confucius fut
alors presque publiquement adoré. Cette seconde
période d'influence chinoise, qui alla jusqu'à la
fin du vme siècle, concordait avec la période si
brillante des Tang. Ce fut exactement à ce
moment qu'un Japonais, vraiment génial, un
jeune homme qui avait étudié avec Dosui, chef
de la secte de la Montagne Tendaï, revint au Japon
comme un apôtre de la nouvelle doctrine. C'était
Dengio Daishi. Il convainquit Kwammu que c'était
vraiment l'esprit Tendaï qui était la base de la
grandeur spirituelle chinoise et chercha à créer
cette sorte de théocratie mystique que n'avaient
point connue la Chine ni aucun autre royaume
bouddhique.
En 788, Dengio construisait sa première église,
Enriakuji, sur le mont Hyei, baigné par les flots
du lac Biwa, à l'image du mont Tendaï. D'accord
avec l'empereur Kwammu, il était décidé en 794
que la capitale y serait transférée de Nara, dans
une splendide vallée du versant Sud, qui se
(112)
Peinture Bouddhique Chinoise Primitive.
Con. Charles Fr>er, à Détroit (Etats-Unis).
Planche XL.
L'ART MYSTIQUE BOUDDHIQUE AU JAPON
couvrit de palais, d'avenues et de jardins, et qui
devait être Kioto.
Quelques années après, en 806, un autre
religieux revenait de Chine avec le prestige d'un
plus grand savoir que Dengio, et l'âme d'un grand
artiste, c'était Kuki, ou Kobo Daishi. Il fonda la
secte mystique de Shingon, superposée à celle de
Tendaï, la première grande secte formée par
un Japonais ; ce fut peut-être le cerveau le mieux
organisé dans l'ordre spéculatif de toute l'Asie,
et qui n'aurait rien laissé à créer s'il avait précédé
Dengio dans cette voie. Kobo Daishi édifia sa pre-
mière église, assez loin de Kioto, sur le mont Koya,
(le Koyasanjau sud du Yamato, en 8 1 6, et voyageant
à travers le Japon, il édifiait des monastères, tout
en restant en communion étroite avec le peuple.
Une mission d'études fut envoyée en Chine
en 803, et la grande route du Tokaido ouverte
vers l'Est jusqu'à Hikone. Toute la région orien-
tale avait été conquise sur les Aïnos en 801.
Les cérémonies de rites chinois étaient adoptées
à la Cour en 820. Et en 827 Kobo Daishi était
devenu si puissant à la Cour, que sur sa demande
l'empereur ordonnait que les ossements du
Bouddha lui fussent apportés au palais. Ono-no
Takamura, son disciple, qui avait peint son
portrait, était chargé en 836 d'une mission spéciale
d'étude en Chine.
Dans l'ordre artistique, la grande œuvre de
Kobo Daishi avait été d'introduire au Japon l'Art
des Tang, et surtout l'Art du Tendaï, et de
l'y naturaliser. Il avait lui-même rapporté des
centaines de peintures, parmi lesquelles les
("})
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
portraits des fondateurs du mysticisme, et les
grandes peintures de la Mandara magique, qu'on
voit encore en assez fâcheux état à son temple
préféré, le Toji de Kioto, qui fut toujours le princi-
pal temple Shingon, comme Enriakuji fut le temple
Tendaï, et Daitokuji le temple Zen. Il y attirait
les jeunes gens désireux de recevoir l'ensei-
gnement chinois, et parmi eux fut le célèbre
Ono-no Nakamura. Kobo, peintre et sculpteur,
les incitait à créer des œuvres dans le style
puissant des Tang. Ainsi se constitua une
école d'artistes monacaux dont Kobo fut le
chef, qui, sous la discipline de la secte Shingon,
peignit et sculpta tant de pièces d'autel.
Ajoutons qu'en 864, un troisième prêtre japo-
nais, de retour du Tendaï, fondait une filiale de
cette secte, à Miidera d'Otsu, près du lac Biwa,
qui a conservé jusqu'à ce jour une organisation
toute à part de celle de Hiyei-Zan. Ce Chisho
Daishi, qui fut presque égal à Kobo Daishi, vivait
en état de réclusion. Il fut lui aussi un
grand peintre, et avait rapporté également
de Chine de nombreux portraits chinois des
Tang.
Dengio, Kobo et Chisho furent vraiment les
fondateurs du Bouddhisme mystique au Japon,
et de l'Art qui s'en imprégna. Ce fut, durant le
ixe siècle, un mélange du style nouveau des Tang
et des vieilles traditions décoratives de l'Art
ancien de Nara qui n'avait jamais tout à fait
péri. La vigueur particulière aux portraits des
Tang contrariait, il est vrai, cette direction : la
sculpture reflète bien cette force dans les portraits
("4)
L'ART MYSTIQUE BOUDDHIQUE AU JAPON
et les images guerrières, tandis que les Bouddhas
et Bodhisattwas et autres divinités mandariennes
portent les traces d'un goût efféminé. Et cepen-
dant l'on peut affirmer que l'Art du temps de
Kobo Daishi est plus près de l'Art chinois que
ne le fut l'Art un peu plus tardif de Kwanpei
et d'Engi.
La transition de l'Art ancien de Nara à l'Art
de Kwammu est peut-être marquée en peinture
par l'image splendidement conservée et si brillante,
sur soie, de la Kwannon assise aux onze têtes,
jadis à Horiuji, aujourd'hui dans la collection
du marquis Inouyé. Mais peut-être aussi cette
admirable pièce, si gracieuse, est-elle du type
d'art de Shomu à l'époque Tempei, bien plutôt
que du temps de Kwammu. — En sculpture, les
œuvres de transition, indubitablement, sont le
lourd Bouddha debout de Mirokou au Todaiji, et
la grande Trinité dorée, si épaisse aussi, qui se
trouve sur l'autel de Bisjamondo au Seirioji.
Kobo Daishi peut être l'auteur du triptyque
peint de l'apparition du Bouddha dans une
gloire, porté par les nuages, entouré des Bodhi-
sattwas, de couleurs si pleines, avec des restes
de style gréco-bouddhique, mais sans rien des
duretés et du dessin coréen de l'époque de
Tempei. De grand effet, cette peinture établit bien
la transition avec le nouveau type chinois des Tang.
Les panneaux latéraux, avec les Bodhisattwas
jouant des instruments de musique, sont de la
plus naïve beauté d'expression.
Kobo Daishi fit encore le portrait d'Ono-no
Takamura au Koninji du Yamato, et la figure
(M 5)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
debout du Jizo de la collection Fenellosa au
musée de Boston.
Très près de lui, et de vrai style Tang, sont le
portrait de Kobo, et le Jizo debout de face, peints
par Ono-no Takamura.
Plusieurs peintures sont attribuées à Chisho
Daishi, le vigoureux Fudo du reliquaire de Nara
et l'étrange Fudo qui, avec d'autres nombreux com-
pagnons, se trouve au Miooin du Koyasan, tout
à fait d'esprit Tang.
Bien des sculptures ont été attribuées à Kobo,
parmi lesquelles une des plus sûres serait le grand
Fudo du Toji. C'est la première fois que cette repré-
sentation apparaît, sujet mystique très particulier.
C'est le type des esprits violents du monde spirituel,
dans lequel il vient se placer parmi les Bodhi-
sattwas. Sa chair est bleue, il crache des flammes,
sa face est convulsée, il porte un glaive dans la
main droite et une corde dans la main gauche :
on dirait une des terribles divinités de Shiva
de l'Inde moderne. Sous ces apparences de
diable affreux, on peut voir en lui le Bodhisattwa
de la volonté, de la puissance sur soi-même,
de la force de lutter contre les tentations et de
maîtriser les passions. On l'a aussi représenté
avec un halo de flammes, qui ne l'inquiète guère.
Dans la statue du Toji, les poutres carrées de
son trône forment un réel bûcher de flammes.
Jizo est aussi un type nouveau de Bodhisattwa,
gracieux et tranquille, le guide des petits enfants et
des voyageurs, celui qui descend aux Enfers pour
intercéder pour eux. Le Japon est plein de ses
images. Lune des plus curieuses, en haut-relief,
(1*6)
L'ART MYSTIQUE BOUDDHIQUE AU JAPON
de grandeur nature, se trouve dans la montagne
d'Hakone, entre Hakone et Ashinoyu; Kobo
l'aurait sculptée dans son voyage vers le Nord.
Bien qu'elle soit de caractère Tang, et très
susceptible d'être de Kobo même, il se pourrait
aussi qu'elle ait été exécutée après lui d'après
ses dessins.
Les plus puissantes effigies de ce temps sont
assurément les esprits guerriers, les Shi Ten O de
Bisjamon et les généraux de Yakushi, grandes
sculptures de bois, animées d'un souffle puissant,
et de mouvements magnifiques. Le drapé en est
plus riche que dans les sculptures chinoises du
vne siècle. Ils reflètent quelque chose du sens
décoratif de Tempei, avec la force et l'énergie
du sentiment Tang. Il est difficile d'affirmer si
certaines de ces sculptures sont œuvres chinoises.
On rencontre les principales au Nanyendo du
Kofukugi, au Toji, au Koyasan.
Du plus vif intérêt est l'étude du décordes petits
objets, boîtes de laques, bronzes, tissus. Nom-
breux sont ceux encore conservés au Koyasan ou
au Saïdaiji.
Toute cette culture chinoise allait s'épanouir
en lentes floraisons, après trois générations, au
moment de l'empereur Daïgo, de 898 jusqu'en 950,
années parmi lesquelles vingt-deux forment l'ère
Engi (901-922). Ce fut pour le Japon un âge d'or
comparable à celui de Genso (ère Ka'ïgen) en
Chine. Jamais il n'y eut pareille abondance de
génie, et peut-être à aucun moment dans le
monde n'y eut-il plus de finesse subtile et
("7)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
d'exquise délicatesse, dans une société théocra-
tique. Ce fut la grande différence avec des civi-
lisations comme celles d'Athènes et de Florence,
franchement païennes. La Kioto d'Engi n'était qu'un
vaste temple, où brûlaient les flammes du cœur
et de l'esprit. Le Bouddhisme mystique de Tendaï
et de Shingon y trouva son vrai royaume, bien
mieux qu'en Chine. C'était ce qu'avaient
lentement préparé Dengio sur sa montagne Hiyei,
et Kwammu au bord de la rivière Kamo. Étroite
union entre l'Église et l'État, les prélats de Tendaï
demeurant les conseillers du trône et ses soutiens,
les immenses monastères si populeux étant
toujours prêts à le défendre, même par les
armes. Et bien qu'elle ait duré plusieurs siècles,
même alors que l'autorité des Shoguns l'eût contre-
carrée bien souvent, jamais cette puissance reli-
gieuse n'eut plus de grandeur que sous l'ère
Mais voici qu'une autre puissance allait se
révéler dans l'Empire, une vaste aristocratie civile
qui, empruntant sa richesse aux diverses provinces,
s'y relierait par les rouages d'une parfaite admi-
nistration. Cette aristocratie était constituée par
la grande famille des Fujiwara assistée des nom-
breuses maisons collatérales qui en dépendaient,
toute prête à offrir à Kwammu son appui et ses
êtres pour constituer l'administration qu'il vou-
lut organiser. Très cultivés, les Fujiwara ne tar-
dèrent pas à être de fervents sectateurs du Ten-
daï, et soucieux d'enrichir leurs personnalités des
plus précieuses conquêtes spirituelles de la Chine
et de la Corée. Ce fut vraiment une aristocratie,
(118)
L'ART MYSTIQUE BOUDDHIQUE AU JAPON
par la volonté de n'admettre à gouverner que les
meilleurs. Par les Fujiwara, on peut dire que le
Japon connut à Kioto le second grand âge de
son histoire, jusqu'au xne siècle.
En soutenant Kwammu dans son alliance avec
les prêtres, il était clair que les Fujiwara n'allaient
pas tarder à influencer l'empereur. En 88 1, le
chef de la famille, Mototsune, homme de grande
ambition, devenaitpremierministre, etrapidement
si puissant qu'en 884 il détrônait l'empereur, et le
remplaçait parle prince, son fils. En 892, la fille de
Mototsune épousait l'empereur Uda. Les dangers
d'une telle suprématie, sans contrepoids, allaient
susciter aux Fujiwara des rivaux, et parmi
ceux-ci Sugawara no Michizane leur était supé-
rieur: très pénétré de la civilisation chinoise,
grand écrivain, grand poète, grand artiste et de
la plus haute intégrité. Se mettant en travers
des ambitions des Fujiwara, il fut banni de l'Em-
pire. Son histoire, devenue légendaire, qui en fit
presque un Tenjin, dieu japonais des lettres, fut
le thème des plus curieuses peintures en rou-
leaux fmakimonos) de Nobuzane.
Si les Fujiwara gardèrent vraiment le pouvoir
pendant deux siècles, ce fut grâce à leur alliance
avec les prêtres, par lesquels ils dominaient les
empereurs, qui d'ailleurs furent si souvent de
leur famille. Le grand empereur de l'ère d'Engi,
Daïgo, était petit-fils de Fujiwara Mototsune. Le
luxe de cour des Fujiwara était extrême; ils
construisirent d'immenses palais, poussèrent
aussi loin que possible le goût des somp-
tueuses étoffes dans les costumes, et aimé-
("9)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
rent à la passion la musique à laquelle venaient
se mêler les danses avec chœurs, de caractère
souvent dramatique et religieux. Si la poésie fut
honorée, pratiquée par Tsurayuki, Ono no Ko-
machi, ou Narihira, la prose revêtit d'admira-
bles formes avec le Geni Monogatari de Mura-
saki, peinture si raffinée de la vie contemporaine
où l'homme et la femme étaient égaux, en parfaite
éducation sociale. Et toute la vie des Fujiwara
était brûlante d'enthousiasme religieux, et jamais
peut-être la peinture bouddhique ne fut en plus
grand honneur au Japon. Un homme de cour,
Kose no Kanawoka, un admirable peintre, fut
spécialisé à la cour dans cet emploi par Daïgo,
comme Godoshi l'avait été en Chine par Genso.
Malheureusement il est bien difficile aujourd'hui
d'identifier ses travaux. De quelles sources déri-
vaient les éléments de son style ? Des Tang à tra-
vers Kobo et Chisho Daishi, et c'est le style
Mandara, ainsi que celui des portraits. Mais on
peut se demander ce qui des grands travaux des
premiers Tang a pu être familier aux Japonais
du temps de Daïgo. Nous pensons que Kanawoka
entreprit de révéler à son maître d'Engi quelque
chose du prestige de Godoshi. Il y a deux
théories sur le style de Kanawoka; l'une, qu'il
fut un artiste minutieux, le dessinateur de traits
d'or fins comme des cheveux, dont le style menu
fut dominant un siècle plus tard avec Yeishin
Sozu; l'autre (et c'était l'opinion de Sumiyoshi),
que les peintures très caractéristiques de Kanawoka
ont les belles lignes fermes des Tang, avec un
peu plus de nerf que chez Godoshi; il faut ajouter,
(120)
PORTRAIT DU PRINCE SHOTOKU-TAISHI
PAR KANAWOKA, IXe SIÈCLE.
Au Temple Nennaii he Kioto.
L'ART MYSTIQUE BOUDDHIQUE AU JAPON
à mon avis, qu'il n'est pas invraisemblable que
Kanawoka ait pu parfois chercher personnellement
une synthèse entre ces deux systèmes. Dans les
peintures d'autels qu'il fit pour les temples
Shingon, il amincissait sans doute ses traits,
sans toutefois les affaiblir; mais dans les guerriers,
les combats, les scènes de l'Enfer, il usa le plus
qu'il put du coup de brosse si puissant de Godoshi,
dont il connut aussi la manière monochrome
à l'encre de Chine, ainsi que celle d'Omakitsu.
Des peintures que nous pouvons croire avec
quelque vraisemblance de Kanawoka sont plusieurs
Fudos assis, avec deux serviteurs. Le trait en a été
conservé dans un dessin de Sumiyoshi, dont on
trouvera ici la reproduction. L'autre, un peu
moins ancien, est celui qu'étudia le premier le
Dr Anderson en 1879 au Daishoji du Shiba de
Tokio, et qui est au musée de Boston. — Le magni-
fique portrait de Shotoku Taishi enfant au temple
Ninnaji de Kioto, a été toujours considéré
comme une de ses œuvres les plus authentiques.
La pureté de ses lignes, la couleur et l'expression
ne se retrouveraient dans aucune œuvre de Tosa
ultérieure. — Le grand kakémono de lotus et de
canards sauvages, que des traditions très
anciennes d'Horiuji ont continué d'attribuer
à Godoshi, est bien plutôt de Kanawoka, dans le
style chinois presque sans alliage. Aurait-il alors
subi l'influence d'un artiste chinois des cinq dynas-
ties, comme Joki ? — De lui aussi le superbe Monju
jadis au Koyasan, que possède M. Ch. Freer. — Les
œuvres à l'encre de Chine sont bien représentées
par les dragons et les dieux du Tonnerre dans
fl20
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
de violents nuages au temple Anjuin de Bizen.
Mais ce que j'appelle le style de Godoshi dans
les œuvres de Kanawokaest éminemment formulé
dans les grandes peintures très abîmées des
Shi Ten O, jadis au Todaiji de Nara, et aujour-
d'hui au musée de Boston. On n'a qu'à consi-
dérer la tête ici reproduite, avec la touche accen-
tuée de ses lignes et la couleur puissante de sa
face. Le grand mouvement des draperies rap-
pelle les statues guerrières du Nanyendo, d'es-
prit Tang. C'est cette forme du style de Kanawoka,
qui passa dans le temple shintoïste de Daigoji
en Yamashina, où fut trouvée la tête de porce-
laine, et où toute une école de peinture boud-
dhique d'inspiration Tang produisit de belles
œuvres.
On a attribué aux fils de Kanawoka un certain
nombre d'œuvres : les beaux Rakans chinois de
la collection de copies de Sumiyoshi seraient de
Ahimi, et de Kanetada le grand Bisjamon de la
suite des douze Devas du Koriuji de Kioto.
Un autre Bisjamon de même touche dans les
draperies, dont la force rappelle Godoshi dans
le rouge démon qu'il foule aux pieds, est au
musée de Boston. — On pourrait aussi lui attribuer
le beau Jizo, rapporté parWakaià Paris, reproduit
dans VArt japonais de M. Gonse, et qui fut jadis
au temple Enriakuji du Hiyei-Zan (aujourd'hui
au Musée de Berlin) : ne serait-ce pas un des
douze Devas présentés avec un caractère nouveau
par la secte Shingon au moment du retour de
Kobo Daishi, et devenus populaires au Japon?
Ils doivent figurer dans les baptêmes. — Il était
(122)
L'ART MYSTIQUE BOUDDHIQUE AU JAPON
admis qu'un paravent décoré d'un beau paysage
était l'image de la Nature présente. Il est un de
ces paravents au Toji qui peut être de Kanetada,
avec des collines et des arbres d'un vert très franc,
aux rameaux retombants dans le vieux style chi-
nois tartare, participant des arbres du paravent
du Sho-Soïn et des paysages des vieux Tosa. Ce
genre de paysages, enrichis d'un peu d'or, se
retrouve dans l'œuvre du petit-fils de Kanawoka,
Kose Kanemochi (la Benten du musée de Boston,
dans un jardin très caractéristique de ceux de
Kanawoka).
L'arrière-petit-fils de Kanawoka, Hirotaka, le
quatrième de la lignée, et le plus connu après
lui, eut infiniment de grâce et de délicatesse. Ses
Jizos sont uniques en ce genre (au musée de
Boston). Il fit beaucoup de Monjus et de Fugens.
Ses types devinrent d'ailleurs les plus familiers
aux artistes des Fujiwara qui les répétèrent si
bien qu'ils sont souvent indiscernables de ceux
qui les ont précédés. Une de ses œuvres fameuses
est le paravent peint de scènes de danses à la
Cour, de couleurs polychromes. Les musiciens
en splendides costumes sont assis dans le fond,
adossés à un rideau ; un groupe de moines du
Hiyei-Zan, enveloppés d'étoffes blanches, sont
debout à droite ; on les sent armés sous leurs
robes, avec un air de férocité dont leurs faces
sont empreintes. Au centre danse un jeune
garçon, habillé d'un vieux costume chinois, et
dont la robe blanche traîne derrière lui. — Mais
sa grande œuvre se révèle dans les soixante
grandes peintures, dites « les Dix Mondes », au
(123)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
Raikoji de Sakamoto, de sujets infiniment variés,
puisque les scènes se passent au Ciel, dans
l'Enfer, dans le monde vivant, parmi les Devas, les
Esprits élémentaires et l'Humanité. Que de pré-
textes àrendre la réalité ! Les meilleures et les mieux
conservées nous montrent l'Enfer bouddhique,
la splendeur du feu, la magnificence des scènes
où des diables rouges et verts attisent les feux
alimentés par des blocs noirs charbonneux :
reflets des scènes traditionnelles que Godoshi
dut peindre sur les murailles de Changan. Nous
reproduisons une partie de la grande salle des
Jugements, où Emma, dieu infernal, à la face
rouge, siège dans une atmosphère de terreurs :
ce doit être l'ancienne cour de justice criminelle
desTang. Quand les scènes de la vie des hommes
nous sont présentées, avec les chevaliers armés,
les allures des chevaux, les fuites de paysans,
nous pouvons juger déjà de ce que seront les
compositions mouvementées dans l'Ecole de
Tosa.
Le xe et le xie siècle furent des époques d'iso-
lement pour le Japon; les Fujiwara n'entrete-
naient plus de relations avec la Chine des Song.
La religion se simplifiait, s'adressant plus au
peuple, à son âme. Quelques prêtres de Tendaï
comme Eikwan tendaient à l'adoration domi-
nante d'Amida. Le Paradis d'Amida n'était pas
chose nouvelle en Chine ni au Japon. D'an-
ciennes représentations en avaient été faites,
tissées ou peintes. Et maintenant la mystique
vision nouvelle tendait à écarter les rites de
(124)
L'ART MYSTIQUE BOUDDHIQUE AU JAPON
Fudo et de Kwannon, pour invoquer I'Amida cen-
tral, le Bouddha d'éclatante lumière, entouré du
groupe merveilleux des Bosatsous, eux aussi
éblouissants. Ces visions, presque aussi lumi-
neuses que celles des néo-platoniciens d'Alexan-
drie, ne pouvaient s'interpréter parla couleur; la
splendeur de l'or seule pouvait les suggérer non
seulement dans les chairs, mais dans les plus
petits détails du drapé. L'or était alors apposé
par fines bandes adhérant par la gomme, à moins
qu'on ne peignît d'abord les traits à la gomme
pour y fixer ensuite les fines feuilles d'or.
On revenait par conséquent aux suggestions
des belles lignes dorées des figures de
Mandara sous les Tang anciens, qui étaient
exécutées à la brosse par la peinture d'or délayé,
et plus encore à la finesse de traits de la pein-
ture de Nara. Retour à des traditions nationales
un peu opposées au sentiment chinois des pre-
miers Fujiwara, et qui produisit à la fin de ce
régime cette remarquable école, dite du Yamato.
Son chef en était aussi un grand prêtre, Yeishin
So^u, une imagination d'enfant dans des visions
rendues par Fart d'un peintre génial. Ce fut un
peu le Fra Angelico du Japon. Ses œuvres, moins
rares que celles de Kanawoka, ont trait surtout
à la Trinité d'Amida, la gloire d'Amida, le Para-
dis d'Amida, la vie de béatitude des anges musi-
ciens. Dans celle qui est ici reproduite, ses deux
assistants Bodhisattwas, Kwannon et Seishi,
s'inclinent gracieusement de droite et de gauche
à ses pieds; l'or y est distribué en bandes si fines
et serrées que de loin cela forme comme une
(»5)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
buée d'or, et, sur un bleu profond cet or produit
une étonnante irradiation de lumière autour des
corps. — Une autre belle Trinité est au musée de
Boston. — Le temple de Chionin de Kioto en
possède plusieurs, dont l'inoubliable descente
d' Amida et des anges portés sur un nuage, vision
si large, si originale, dégagée de toute influence
chinoise, où les anges ont le charme et l'innocence
enfantine des anges musiciens des panneaux à
fond d'or d'Angelico aux Uffizi. — Le plus splendide
Amidaest peut-être celui du Kin-kui-kio-Miyoji
Kurodani de Kioto : les visages du plus pur
ovale sont ici parfaits. — Un autre Amida dans
une gloire de soleil levant, plus coloré, est au
Zenrinji de Kioto ; ici les deux Bodhisattwas ont
déjà traversé les monts pour saluer Amida; et
toute une suite d'esprits menée par deux petites
figures royales de la Terre, suivent les fonds des
vallées.
Ce mouvement artistique, vers l'an mille,
aboutit à la scission en deux Ecoles bouddhiques,
qui autrement auraient été des branches de
l'École Kose : ce sont les familles Kasuga et
Takuma. Les primitifs travaux de Takuma sont
difficilement identifiables, mais nous savons
que l'intérieur du splendide reliquaire du
Biodoïn, qui datait de 1501, avait été peint par
Takuma Tamanari. Très ruinées, ces peintures
représentent des visions du Paradis.
L'École Kasuga, qui continua l'École de Tosa,
avait été fondée par Motomitsu, dont les œuvres
sont si proches de celles d'Hirotaka et de
Yeishin, qu'on pourrait le croire un disciple de
(126)
L'ART MYSTIQUE BOUDDHIQUE AU JAPON
Kose. Ce nom de famille Kasuga indique que,
commepeintredelaCour,Motomitsudutcollaborer
au reliquaire Shinto de ce nom à Nara. Splendide
est sa Kwannon trônant du Toji, dont le halo
est fait de losanges d'or. — Avec d'aussi belles
draperies d'or fin que dans les œuvres d'Yeishin,
est le noble Amida du triptyque de Boston. — Les
douze extraordinaires Juni Ten du Jingoji de
Takawo peuvent lui être attribués, avec leurs
prodigieux verts, jaunes et orangés, sur des
orangés et des pourpres plus profonds encore.
Mais une de ses œuvres les plus impressionnantes
est l'étonnante vue à travers les pavillons des
jardins d'Amida, de la collection Freer. Ils nous
suggèrent la fine architecture des Fujiwara, par
leur tracé d'or.
De cette famille Kasuga sont le prêtre Chinkaï,
qui peignit des Monjus; son fils Takayoshî, son
petit-fils Takachika. De Takayoshi sont les meil-
leurs des grands Paradis, en or et couleurs, du
Chionin de Kioto, dans un style moins naïf et
moins libre que par Yeishin ou Motomitsu ; les
figures pressées y sont plutôt dans la composi-
tion traditionnelle et le hiératisme de Nara, qui
ne faisaient que dériver d'un original pré-Tang
d'environ 600.
Takachika marque nettement le caractère
efféminé de l'Art de la fin des Fujiwara. Ses
lignes s'affinent jusqu'à la minceur d'un cheveu;
ses visages sont de poupées, les yeux et les
bouches indiqués d'un simple trait ; ses couleurs
sont défaillantes. Le musée de Boston possède un
Fugen de lui. Ses célèbres illustrations du Mono-
(»7)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
gatari, expression de la vie des Fujiwara,
sont plus intéressantes par leur intérêt histo-
rique et leur caractère naïf, leur charme de cou-
leurs, que pour la beauté de dessin des figures.
Elles eurent pourtant une grande influence sur
l'art de Tosa des Tokugawa et sur l'École de Korin.
La sculpture eut une véritable renaissance qui
accompagna l'art d'un Yeishin. Les sculptures
d'autels en bois, très demandées, suivaient
toujours les modèles Tang. Mais les autels
n'étaient plus les vastes plates-formes de Nara,
c'étaient des réduits pour reliquaire clos, avec
la place des chandeliers et des vases. Un grand
sculpteur se produisit encore, Jocho; tout en
étant imbu des traditions de Nara, il modifia ses
types pour les conformer aux proportions plus
arrondies des divinités de Yeishin. Son Amida est
un peu court et banal, à côté des bronzes du
Yakushiji, mais apaisé et doux.
Dans le style de Jocho, Yeishin Sozu, travail-
lant en sculpteur, fit la grande statue dorée
d'Amida au centre du Hondô de Biodoïn.
De Jocho est encore la belle suite de petites
figures guerrières, imitées avec quelques variantes
des généraux de Yakushi, et aujourd'hui auTokondo
du Kofukuji, qui comptent parmi les plus belles
choses de l'Art japonais.
Ce sont toujours les traditions de Kose Kana-
woka. Et la manière d'Hirotaka, passée à un
pupille de Jocho, se manifeste dans le petit
reliquaire portatif si remarquable dont un cou-
vercle ouvrant montre en fort relief Monju che-
vauchant son lion.
CHAPITRE IX
L'ART FÉODAL AU JAPON
ÉPOQUE DE KAMAKURA ET ÉCOLE TOSA
LES FAMILLES RIVALES DES TAIRA ET DES MINAMOTO. Il LE PRÊTRE
ARTISTE TOBA SOJO. « LES PEINTRES TAKANOBU, NOBUZANE, MITSUNAGA
ET KEION. Il L ÉPOQUE DES HOJOS A KAMAKURA. Il L'ÉCOLE DE TOSA
Il LES SCULPTEURS WUNKEI ET TANKEI. n LES ÉCOLES KOSE ET DE
TAKUMA.
La théorie d'Hegel, que toutes les formes
de la vie tendent à se succéder par leurs
contraires, trouverait sa plus complète jus-
tification dans la société japonaise du xne siècle.
Il n'est pas d'art arrivé à son plein épanouis-
sement, qui ne renferme en lui des germes de
destruction. Et plus longue a été son évolution,
et plus parfaites ses floraisons, plus violentes
apparaissent les réactions qui le ruineront. L'Art
des Fujiwara avait été d'un idéalisme suprême-
ment aristocratique, l'ennoblissement de la vie
pour un clan très étroit. Tant que des hommes
puissants le dirigèrent, il était indestructible.
Quand des dissensions religieuses commencèrent
à l'ébranler, déjà au xie siècle, ses chances de
survie avaient bien diminué, et toute la première
moitié du xne siècle fut remplie au Japon de luttes
intestines sanglantes. Les Fujiwara étaient alors
énervés par des siècles de paix et de luxe, et
incapables de se muer en hommes de guerre;
comme les princes des villes italiennes du xve siècle,
(129)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
ils firent appel aux mercenaires. Le dernier mot
devait rester au plus ambitieux et au plus éner-
gique de leurs généraux. Dans cette guerre civile
de trois années, qu'on a appelée la guerre de
Hogen Heiji, quelles atteintes furent portées aux
monuments et aux choses d'art!
Parmi ces généraux qui commandaient aux
armées des Fujiwara, un de ceux qui illustrèrent
la famille guerrière des Taira, Masakado, avait sa
cour et son camp dans la région de Yedo (TokioJ.
Il se révolta contre ses maîtres et chercha à se
faire reconnaître empereur. Des chefs rivaux,
demeurés fidèles, le combattirent et le tuèrent.
Cette famille des Taira, à la fin du xe siècle, était
ainsi contrecarrée et supplantée par une autre
famille militaire, les Minamoto \ l'un d'eux, Mina-
moto Yorimichi, édifiait en io$i le splendide
sanctuaire de Biodoïn. Ce fut entre 1053 et io^
que la lutte d'influences entre les deux familles
fut la plus aiguë. Elle durait encore au xne siècle
quand Minamoto Yoshitomo fut tué par un chef
des Taira Kiyomori, qui supplantait les Fujiwara
eux-mêmes en 1 16 5 , devenait premier ministre,
et au comble de la faveur, mariait sa propre fille
au Mikado en 1171. Détenant le pouvoir absolu,
la famille des Tairas, entre 11 60 et 1180, eut à
Kioto son plus beau moment. Mais l'Art souf-
frait alors des luttes et des malheurs dont toute la
société était ébranlée.
Un nouveau style cependant s'affirma, très dif-
férent de ce qu'on avait connu, créé par un prêtre
Kakuyu, plus fameux sous le nom de Toba Sojo.
Peut-être fut-ce pour distraire l'affliction de
FRAGMENT D'UN MAKIMONO.
SUITE DES MIRACLES DE KASUGA PAR TAKANANÉ.
Maison Impériale no Japon.
L'ART FÉODAL AU JAPON
son empereur qu'il faisait ces makimonos si pleins
d'humour, où les animaux, chevaux, buffles, chiens,
boucs et crapauds, apparaissent dans des actions
toutes humaines. Quelque esprit de satire boud-
dhique ne se cache-t-il pas derrière ces inven-
tions ? L'exécution n'en est jamais qu'au trait,
mais d'une vigueur rare, et d'un sens de la vie
surprenant. C'est la première apparition d'un Art
séculier, opposé à l'ancien Art religieux toujours
sculpturesque,et dans lequel pour la première fois
éclate cet humour qui fut au Japon une des faces
les plus extraordinaires de son esprit national.
Beaucoup de ces rouleaux appartiennent au
temple de Kozanji de Kioto.
Une œuvre d'une liberté de trait surprenante de
ce Toba Sojo, conservée dans le temple de la
montagne Shigi en Yamato, au Nord-Ouest
de Tatsuta, le Shigi-^an-Engi, est également
pleine d'humour dans les récits du miracle qui
fit qu'un magasin plein de riz fut transporté à
travers les airs jusqu'aux abbés réduits aux
abois et affamés par un siège.
Un autre grand artiste créateur de ce temps,
fut un rejeton de l'aristocratique maison des
Fujiwara, Takanobu, dont les œuvres sont rares,
et dont le musée de Boston a la bonne fortune
de posséder cette suite de grandes peintures
racontant la vie si romantique de Shotoku Taishi,
possédée jadis par la famille Sumiyoshi. Dans
les centaines de personnages et d'animaux
qu'on y rencontre, s'il y a moins d'originalité et
de liberté que dans Toba Sojo, les coups de
pinceau y ont une souplesse rare. Le mouve-
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
ment et l'art du groupement y sont surprenants,
aussi bien que le caractère individuel des visages,
si criants de vérité, où rien de l'esprit chinois
bouddhique qu'avait encore Kose n'est resté. Et
les fonds de paysages aux montagnes vertes et
bleues annoncent pleinement Tosa.
La plus grande renommée contemporaine de
Takanobu réside en ses portraits. En quelques
traits il révélait la profonde individualité des
êtres qu'il représentait. Quelques-unes de ces
figures assises, peintes sur soie, sont conservées
au temple Jingoji à Takawo, une des créations
de Kobo Daishi; et certes la plus importante
esthétiquement et historiquement est le portrait
de Minamoto Yoritomo, le fils de ce Yoshitomo
que défit Kyomori en 1 160.
Yoritomo avait établi sa nouvelle capitale à
Kamakura sur la baie de Suruga, tandis que son
frère Yoshitsune restait maître de la région de
Kioto; mais ce dernier, suspect à son frère, ayant
été supplanté et tué par lui en 1189, Yoritomo
recevait le pouvoir des Shoguns des mains de
l'empereur en 1192, pouvoir nouveau qui allait
jouer dans l'histoire du Japon un rôle décisif, et
qui, s'appuyant sur un système féodal, a régi
le Japon jusqu'aux temps modernes. Ce sont
ces petites cours de Daïmios, où l'énergie indi-
viduelle prenait toute sa valeur, qui mirent à la
mode ces récits épiques racontés au long déploie-
ment des makimonos, et aussi cette narration
humoristique que Toba Sojo avait déjà mise à
la mode.
Sans doute la plus belle période de l'Art sous
L'ART FÉODAL AU JAPON
Yoritomo fut celle des dix ans après 1190.
Takanobu vivait probablement encore ; son petit-
fils Fujiwara Nobu^ane venait d'apparaître. Les
fils de Kasuga, Takachilu, Mitsunaga et Keion,
entraient en scène ; on peut dire d'eux qu'ils
furent la seconde et la plus brillante génération
des artistes de Tosa(i).
De ces trois grands artistes, Nobu^ane: le plus
jeune, avait sans doute la plus forte personnalité.
C'est lui qui se rapproche le plus de Toba Sojo
dans ses makimonos conservés au Kozanji, et
représentant les transmissions de la doctrine
Kegon de Chine au Japon par la Corée. Le dessin
en noir et blanc est rendu par des lignes souples,
nerveuses etfluides. La barque du missionnaire bat-
tue par de terribles vagues, et poursuivie par l'hor-
rible dragon des tempêtes, est une œuvre conçue
encore dans le style des Tang, en dépit du coup
de pinceau tout japonais. Une des plus belles pages
est celle du débarquement des navigateurs que des
porteurs attendent avec des buffles et des chevaux,
scène d'un réalisme rustique inimitable, avec une
pointe d'humour qui relève toujours l'observation.
Que dire des portraits de Nobuzane par
lesquels il nous a laissé le souvenir des Fuji-
wara à leur déclin, ainsi que celui des trente-
six poètes célèbres des âges révolus ? Il a voulu
aussi que son pinceau rendît une réunion
publique dans une chaumière délabrée où il se
représente buvant et dansant avec les cama-
rades misérables.
(1) En fait, le nom de Tosa ne fut donné à cette école que plus tard, avec le
fils de Mitsunaga, Tsunetaka.
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
Mais la plus considérable œuvre en forme de
makimono de Nobuzane, si ce n'est l'œuvre
maîtresse de l'École Tosa, est la longue histoire,
au cours des neuf rouleaux, de la vie de Mîchi-
^ane, le savant ministre d'Engi, exécutée avec une
sorte d'emportement, d'une telle puissance et
d'une telle individualité qu'on oublie ce quelle
a d'un peu forcené ; et la couleur étrange est
d'une telle invention imprévue, que je ne crois
pas qu'il y ait rien au monde de plus impres-
sionnant dans l'Art. Cette œuvre est un monde
immense où toutes les qualités d'un si rare génie
se manifestent, par l'observation attentive, cor-
diale, narquoise et tendre, par l'imagination
puissante en ses visions grandioses, qui découvre
bien au delà des limites du réel les profondeurs de
l'insoupçonné, et par un génie pictural qui le
classe parmi les plus grands artistes du monde.
Le second artiste, Kasuga Mitsunaga, fils ou
peut-être petit-fils de Takachika, fondateur de
l'art nouveau, est peut-être celui qui par l'exé-
cution fougueuse se rapproche le plus de Toba
Sojo et représente le mieux le génie de l'École
Tosa au début de Kamakura. Sa couleur puis-
sante passe des jaunes citron aux orangés, des
bleus foncés aux verts olive. Sa plus grande
œuvre était le « Nenchiu Giogi », sorte de jour-
nal en soixante rouleaux de la vie de Kioto à
tous les moments de l'année. Une vingtaine
subsistaient dans le Trésor impérial, et, rap-
portés à Tokio en 1868, périrent quelque temps
après dans un incendie (1).
(1) Sumiyoshi en avait pris des copies; c'est de celles-ci que des relevés au
L'ART FÉODAL AU JAPON
Des œuvres moins importantes sont un frag-
ment de l'Enfer et deux rouleaux de la visite de
l'abbé No Nakamaro en Chine, tout en contrastes
amusants entre les coutumes chinoises ou japo-
naises, et dont une scène vraiment étonnante
est celled'une opération chirurgicale. Mais rienn'est
sans doute supérieur aux peintures originales de
l'incendie des Portes, avec le tumulte des rues
dans une atmosphère de feu.
Quant au plus jeune frère de Mitsunaga, qui
prit le nom religieux de Sumiyoshi Keion, il fut à
maints égards le plus grand des trois. Il avait un
peu de l'humour de Toba Sojo et des autres, sa
couleur reposant sur des rouges francs, des
bleus et des verts. Il n'est pas impressionniste à
la façon de Nobuzane, il est plus équilibré. Mais
il n'a pas de rival dans la multiplicité des lignes
pressées pour rendre la totalité des mouvements;
ses sujets d'ailleurs s'y prêtaient. Car bien plus
que les autres il est le peintre des batailles. Il
dut voir dans sa jeunesse les horreurs de la
guerre de Hogen Heiji, il vit Yoshitsune, et fut
témoin du triomphe de Kyomori.
Keion nous a laissé un très intéressant maki-
mono à sujet religieux, mais traité avec une
grande liberté. 11 s'y montre très humain, en
présentant Amida et ses Bodhisattwas musiciens
glissant à travers un paysage de caractère Tosa
pour accomplir leur mission de bénédiction. Ce
ne sont plus les figures hiératiques éclatantes
d'or des autels : elles planent sur les eaux
trail dus à Sumiyoshi Jokei existent aujourd'hui au musée de Boston, recueil-
lis par M. Fenellosa.
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
comme de légers nuages. Il est certaines de ces
figures, telles qu'un guerrier monté, en armure,
se retournant sur sa selle et regardant en arrière,
qui se retrouvent en originaux ou en copies. Un
des plus remarquables groupes fut copié sur un
éventail par un artiste qui n'était rien moins que
Koyetsu. Mais était-ce une copie? ou une compo-
sition originale dans le style deKeion? car Koyetsu
avait certes bien étudié les grands maîtres de Tosa,
surtout Nobuzane et Keion, et on peut très bien
admettre que ce ne fut là qu'une transcription
libre d'après une œuvre perdue de Keion. Le
sujet est la capture d'un courrier armé par
cinq soldats du parti ennemi, à faces puissamment
rendues.
La grande œuvre de Keion, c'est sa suite de
trois longs makimonos de scènes de la guerre
Hogen Heiji, dissociés depuis le début de l'époque
des Tokugawa. Deux sont encore au Japon dans
des collections privées. Sur l'un, dans de vastes
étendues de montagnes et de forêts circulent des
groupes de personnages ; en un point gît le cada-
vre d'un guerrier, la gorge coupée. C'est une
des plus fortes gageures de raccourci de dessin
de tout l'Art chinois ou japonais. — Dans le second
rouleau, un escadron de cavalerie avance lente-
ment entre deux rangées de chariots à buffles,
précédé par un chef sur un cheval noir d une
allure extraordinaire. — Le troisième rouleau est
peut-être le plus significatif de l'art de Keion :
jadis possédé par la famille Honda, aujourd'hui
au musée de Boston où il est entré avec toutes
les peintures de M. Fenellosa. On y rencontre à
(136)
PORTRAIT D'UN PRÊTRE.
ÉCOLE ROSA, XIIIe SIÈCLE.
Musée du Louvre. Don de Mme. Gillot en souvenir ete son mari.
L'ART FEODAL AU JAPON
peu près tous les spectacles de mouvements et
de mêlées où les combattants se choquent, dans
la pittoresque confusion des chariots et la fureur
des rencontres.
Très peu de temps après la mort de Yoritomo,
sa dynastie de Shoguns subit à Kamakura le même
genre d'éclipsé que les premiers empereurs de
Kioto sous la tutelle des Fujiwara. C'étaient
maintenant les ministres Hojo qui gouvernaient,
famille cruelle, mais adroite et forte qui put pen-
dant près de cent cinquante ans dominer un peuple
qui se rebellait contre elle. Ces sombres jours
de tyrannie et de révoltes sont le sujet de nom-
breux drames de Nô du xve siècle. Les Hojos
eurent à repousser l'attaque des Mongols qui, en
1269, déjà maîtres d'une partie de l'Asie, avaient
songé à envahir les îles : Kublai Khan fut re-
poussé par Hojo Tokimune.
Que fut l'art de cette époque de transition ?
Au milieu du xnf siècle, les grands peintres de la
principale Ecole, dite Tosa, furent Tsunetaka, fils
de Mitsunaga, et Yoshinobu, son petit-fils. Le des-
sin du premier est d'une extrême finesse : il ne
traite pas les figures en grands ensembles comme
Keion, et souvent il peint en blanc et noir. Dans
ses paysages, les arbres sont d'un merveilleux
dessin, et sont les fonds les plus complètement
parfaits de l'Ecole Tosa. Son batelier manœu-
vrant à la perche au milieu des rapides est une
création d'une rare audace ; Koyetsu l'a refait
souvent.
Yoshimhsu rappelle parfois un peu Nobuzane.
(137)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
Il nous a laissé des compositions serrées, pas
aussi rigoureusement construites que celles de
Keion, mais dune puissance de vie étonnante.
Ses quarante-huit rouleaux de la vie de Honen
Shonin, possédés par la maison impériale du Japon,
sont particulièrement beaux. A remarquer le
groupe de femmes qui descendent les degrés du
palais. — Ses paysages sont d'une extrême liberté et
très impressionnistes. S'ils sont reliés, par leurs
caractères purement japonais, aux paysages chi-
nois du style du vie siècle qui a précédé les Tang,
ils reflètent d'une surprenante façon les paysages
réels du Japon d'aujourd'hui, si bien qu'en par-
courant la vallée sauvage qui avoisine Kozanji
près de Kioto, il arrive souvent qu'on s'écrie :
« C'est tout à fait un paysage des Tosa ».
Dans les rouleaux enluminés d'écriture boud-
dhique, nous rencontrons de charmants exemples
du pur décor Tosa ; dans l'un d'eux, un daïmio
Fujiwara et ses dames de cour sont en contem-
plation devant un jardin de lotus baigné d'une
atmosphère tachetée d'or, d'une couleur plus riche
que le plus somptueux laque moderne.
Il faut noter que dès cette époque (1229),
Toshiro établissait à Seto, en Owari, le premier
four pour faire des poteries d'art. Ses émaux
d'un brun profond ont quelque chose de la
beauté des poteries des Song.
Les laques de la même époque, soit qu'ils aient
été décorés de paysages de style Tosa, en or
épais ou en noir, soit qu'ils portent des motifs
de fleurs ou d'oiseaux incrustés en burgau sur
un fond poudré d'or, présentent beaucoup moins
(138)
L'ART FÉODAL AU JAPON
de raideur et de convention que les objets de
même espèce des Fujiwara. C'était ces impres-
sions de jardins, inspirées des makimonos de
Yoshimitsu, que Koyetsu et Korin devaient faire
revivre au moment de la grande renaissance des
laques au xvne siècle.
Des troisième et quatrième générations de
l'École de Tosa, Yukimitsu et Yukihiro sont à un
degré encore plus bas, et ne sont plus qu'une
menue monnaie de Keion.
Parallèlement à ces descendants des Fujiwara
et des Tosa, une suite des familles de Kose et de
Takuma florissait encore, et après les objets
d'autels traditionnels, faisaient au xive siècle des
travaux sur makimonos. L'un d'eux, Kose Na^ataka,
dit aussi « Echizen no Kami Nazataka », nous
a laissé une vue contemporaine de la destruction
de la flotte des Mongols par Tokimune. — Kose
Korehisa faisait de son côté de grandes compo-
sitions guerrières. Cette lignée de Kose conser-
vait un style plus rude et plus vibrant que n'eut
jamais Tosa; mais de plus en plus ces écoles se
confondirent, au milieu du xive siècle, et il
devient difficile de distinguer Tosa Yukihida
de Kose Arishige et de Takuma Rioson.
Le dernier stage du premier shogunat de Kama-
kura avait débuté par une série de guerres intes-
tines coïncidant avec la délivrance de l'empereur
Godaigo Tenno en 1 3 3 1 . Les Hojos avaient connu
la totale impopularité. Mais les généraux impé-
riaux qui les avaient vaincus et réduits, jaloux
les uns des autres, se combattaient entre eux,
et l'un d'eux, infidèle à la couronne, Ashikaga
(I39J
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
Takanji, se proclamait shogun d'un État du Nord
indépendant en 1337, et défaisait l'empire de
Godaigo, malgré les efforts infructueux de son
fidèle général Kusunoki. Après leur défaite, les
troupes de l'empereur du Sud restaient groupées
autour de lui dans leurs forteresses du Yoshino,
et ce ne fut qu'en 1372 qu'elles se soumirent à
Kioto au rival heureux qu'avait soutenu la famille
d'Ashikaga.
Ashikaga avait été proclamé shogun en 1337,
mais les traditions de Kamakura subsistaient
après la chute de ce régime; car Takanji était
mort en 1358, sans la certitude du succès et de
la durée de sa dynastie. Pour établir une démar-
cation entre les deux périodes, il faut, je pense,
prendre comme date 1368, alors que le troisième
Ashikaga devint shogun à Kioto, Yoshimitsu,
homme remarquable et d'une politique toute
nouvelle.
L'Art de Tosa s'était bien affaibli, à cette
époque de guerre civile ; une de ses meilleures
œuvres était cependant ce portrait équestre de
Ashikaga Takanji, peut-être par Tosa Awatagu-
chi Takamitsu, dont nous avons conservé une
copie. Les Tosa s'étaient divisés en plusieurs
branches; une nouvelle École, Shiba, n'était
qu'un composé atténué de Kose, Tosa et Taku-
ma. Mais nous verrons encore les vrais descen-
dants de Tosa briller sous les Ashikaga,
Hirochika et Mîtsunobu.
Nous avons dit et expliqué que le makimono
avait été une des formes les plus originales et sai-
(140)
L'ART FÉODAL AU JAPON
sissantes de la pure École japonaise des Tosa. Mais
les plus grands artistes de cette Ecole furent aussi
des portraitistes éminents, ce qui ne peut étonner
dune époque si éprise d'individualisme. Taka-
nobu et Nobuzane firent des portraits merveilleux.
Du premier nous avons déjà mentionné le grand
portrait de Yoritomo. Nobuzane portraitura les
trente-six poètes, parmi lesquels surtout Ono no
Komachi et Hitomaro. Son Hitomaro assis, de
la collection Kawasaki à Kobe, est le plus beau.
Koyetsu, par la copie qu'il en fit, a immortalisé
le portrait si individuel d'un noble Fujiwara un
peu gras. Le portrait d'Ono no Tofu calligra-
phiant est d'un humour charmant.
Les artistes de l'Ecole de Takuma firent de
magnifiques portraits de prêtres. L'un des plus
beaux, rappelant l'art profond d'Holbein, fut
donné au musée du Louvre par Mme Gillot.
Cet art du portrait allait revivre avec éclat
dans la sculpture dont l'époque des Fujiwara
avait rétréci le champ. Deux grands artistes,
Wunkei et Tankei, aussi fameux au Japon que
Donatello ou Michel-Ange en Occident, furent
les chefs d'une nouvelle École de sculpteurs, à
l'époque de violence de Yoritomo ; et sous leurs
mains le portrait allait prendre sinon toute la
place, du moins le premier rang. C'est à Nara
qu'ils travaillèrent surtout, rendant ainsi à la
vieille capitale un lustre artistique que Kioto
lui avait enlevé. Leur matière est le bois : ou-
bliés sont le bronze, l'argile et le laque qui
avaient triomphé aux beaux jours du Yamato.
(HO
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
Nous voyons Wunkei sous la forme d'un prêtre
au crâne chauve, égrenant son chapelet. On a
cru le reconnaître aussi, sous les traits d'un
vieux prêtre, à la vieille face simiesque. — Inou-
bliables et tenant du prodige sont les six portraits
de prêtres assis sur le bord de l'autel du Chu-
kondo de Tofukuji à Nara, effigies surprenantes
d'individualité, de vie surprise à l'instant fugitif
de la plus profonde et intime émotion, avec tous
les détails particuliers de structure minutieuse-
ment rendus, avec la ferveur d'une interrogation
affectueuse et l'émotion communicative que l'ar-
tiste a éprouvée à surprendre et à comprendre
le modèle vivant, portraits dignes d'être compa-
rés aux plus saisissantes effigies de l'Art égyptien,
qu'ils égalent.
Il ne faut pas oublier les portraits des seigneurs
de Kamakura et des chefs militaires, dans leurs
costumes si curieux avec leurs grands chapeaux
à pointe et leurs larges pantalons qui cachent
les pieds, par exemple ce portrait de Hojo
Tokiyori, le cinquième de la lignée de Kama-
kura entre 1246 et 1261, dans la pose qui
n'est pas celle des genoux plies sous le corps ou
croisés devant, mais des jambes allongées.
Mais il ne faudrait pas croire que ces époques
aient rompu entièrement avec l'art religieux, si
riche aux anciennes époques : jamais au Japon
il n'y eut d'interruption dans ces traditions artis-
tiques. Wunkei et Tankei sculptèrent aussi des
figures bouddhiques, ces Niôs, gardiens des portes,
et ces Shi-tennos, gardiens des autels. Qu'on se
rappelle les statues colossales des Niôs de la
(142)
L'ART FÉODAL AU JAPON
grande porte du Todaiji de Nara, et les deux
statues de l'autel du Chukondo de Kofukuji,
formidables de violence et d'effort musculaire,
un peu forcenées, comme le sont d'ailleurs quel-
ques gens de courdeNobuzane, quelques guerriers
de Keion. Une remarque peut être faite, qu'alors
les yeux sont généralement faits d'un globe de
cristal pour figurer la cornée.
Les Shi-tennos de Wunkei sont typiques au
Toïndo du Yakushiji et au Seigwanji de Kioto.
Les Bodhisattwas, Saints et Devas, qu'on voit sur
l'autel central du Sanji san Gendo de Kioto sont
des œuvres remarquables d'une ou de deux
générations plus tard. Les Bouddhas et les Amidas
subsistent très nombreux, quelques-uns des plus
beaux, sculptés en plein bois et dorés, datant
de la fin du xiii" siècle. — Le premier rang revient
au colossal Bouddha de bronze de Kamakura,
sur lequel tout a été dit, car il est célébré dans
tous les journaux de route de globe-trotters. Il
est du type de la génération qui suivit Wunkei.
Si on pense aux peintres du même moment, c'est
de Tosa Yoshimitsu qu'il se rapproche comme
esprit, bien plus que de Keion ou de Mitsunaga.
Il est évidemment supérieur au grand Bouddha
de Nara, parce qu'il est le point culminant de
cette époque de Kamakura, tandis que l'autre
n'est que d'une époque déclinante. — De très
belles œuvres et pleines de grâce sont encore
les six grandes Kwannons sculptées dans le bois
naturel au Rokukwando, au Nord de Kioto.
Les sculptures du xiv" siècle de l'École de
Wunkei ne sont pas rares, mais elles indiquent
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
plus de faiblesse. Excellentes encore dans les
types grotesques comme le porteur de lanterne de
Kasuga par Kobun.
A la fin de ce xiv" siècle, un moment encore
magnifique est celui du groupe de bronze Shin-
gon, du premier pèlerin mystique Enno Giogi,
et des deux esprits familiers de la montagne ;
mais la même pauvreté de style va s'accentuer
dans la sculpture, comme dans la peinture de
l'Ecole Shiba du même moment.
A ces mêmes époques, la peinture religieuse
subit les mêmes destinées que la sculpture,
pratiquée aussi par les mêmes artistes des Ecoles
de Tosa. Keion nous a laissé des aspects charmants
des jardins et des constructions du temple Kasuga
de Nara, avec des fonds de paysages à la Tosa.
Tsunetaka se distingue par ses dieux stellaires, ses
belles figures bouddhiques, les esprits planétaires,
flottant sur des nuages dans les cieux. De beaux
exemplaires sont ce Mandara du musée de Boston,
ou celui de la collection Freer. — Yoshimitsu fit
spécialement des peintures de type Shingon, secte
qui avait repris une grande vitalité au xnf siècle,
avec des Dai-nichis, des Fudos, des Aizens. De
très belles peintures de ce genre sont au Daigoji
en Yamashino.
Mais parallèlement aux Tosa avait grandi avec
Kose Genkei, contemporain de Kiyomori et de
Yoritomo, toute une génération d'artistes de Kose,
probablement des descendants de Kanawoka et
dHirotaka, qui avaient introduit dans les peintures
d'autels le dessin libre et l'esprit plus personnel
que l'on demandait alors. Un très remarquable
(144)
L'ART FÉODAL AU JAPON
exemple nous est fourni par lajizo Mandara de
Genkei dans la collection Freer.
Au xiv" siècle, les peintures d'autels de Kose
ont un hiératisme suave, de la même source que
les gracieux Amidas ou Kwannons de la sculpture
laquée (Kwannon de Kose Arishige dans la collec-
tion Freer). L'École de Shiba de son côté, avec
Rinken (musée de Boston), offre encore un charme
assez analogue à celui des formules byzantines.
Enfin l'École de Takuma, bien que connexe aux
autres, manifesta ses préférences à se prêter aux
inspirations de la secte Zen, qui émanaient des
Song du Nord chinois. Ce fut là l'esprit même
desHojosdeKamakura. Et ce style de Takuma de la
troisièmepériode combine les lignes un peulourdes
et les nobles proportions de Riryomin avec le coup
de brosse nerveux et vivant des Tosa. Les grands
maîtres furent Kukin et Takuma Shoga : ce dernier
vivait dans les montagnes de Takawo, au Nord-
Ouest de Kioto près de Kozanji, où l'on conserve
toujours sa grande suite des douze Ten Bapteri
Bodhisattwas. L'und'eux, le Kwaten, oudieu du Feu,
est sous les traits d'un vieillard ; une autre, la déesse
Lune, est une gracieuse figure de profil, portant sur
un disque d'or le croissant lunaire enfermant un
lapin. Ses successeurs Erichibo, Rioga, Riosan,
Choga, Yeiga, répétèrent son style, en subissant de
temps en temps l'influence de Kose et de Tosa. Mais
au demeurant, et sous les impulsions de Riryomin
et des premiers apôtres Zen, l'Art de Takuma est
le seul sous Kamakura qui forme une sorte de
transition avec la forte influence des Song qui va
peser sur l'Art des Ashikaga.
10
©
CHAPITRE X
L'ART IDÉALISTE EN CHINE
I. LES SONG DU NORD A KAIFONGFU
LA DOCTRINE BOUDDHIQUE DE ZEN. g SON INFLUENCE SUR L'ART CHINOIS
DES SONG. Il SON SENTIMENT DE LA NATURE ET L'ART DU PAYSAGE. I
LES PEINTRES CHU HUI, CHAO CH'ANG, LI CH'EN ET KUO HSI. Il L'ESSAI
THÉORIQUE SUR LA PEINTURE DE KUO HSI. « LE PEINTRE LI LUNG MIEN
ET L'EMPEREUR ARTISTE HIN TSUNG (KISOKOTEI).
Il nous faut revenir à l'Art chinois, après avoir
étudié l'Art japonais et nous être convaincus
de la complète indépendance des deux civili-
sations durant le moyen âge. En Chine aussi, en
revenant en arrière, après cet intervalle de temps,
nous allons comprendre la profonde évolution
allant de ce que nous avons appelé Y Art mystique
à l'Art que nous allons appeler Y Art idéaliste.
Et ce changement significatif, « ce qui fait les
époques », n'est rien moins que la transition du
Bouddhisme Tendaï au Bouddhisme Zen : tran-
sition qui ne fut pas soudaine, car les deux Arts
avaient eu un développement parallèle même
pendant les Tang. Elle a naturellement été ignorée
des historiens officiels chinois, pour lesquels toutes
ces disputes bouddhiques en Extrême-Orient ne
sont que de petits faits répartis sur un court
espace de temps. Et cet Art idéaliste, plus tourné
désormais vers le naturel que vers le surnaturel,
devint une grande École d'interprétation poétique.
On peut objecter qu'en poésie, l'École est en
(*47)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
partie dépendante des Tang; et je n'y contre-
dirai pas. Mais j'admettrai aussi et même j'affir-
merai qu'elle est très liée aux Liang du Sud et
aux Song dans leur capitale Nanking, et que
Tommei fut son fondateur. Ce fut alors que
l'Indien Daruma transplanta les germes de cette
doctrine, soigneusement cultivée par les prêtres
chinois Yeyan et ceux du cercle des Lotus blancs.
Ce fut alors que le Taoïsme vint s'unir à la
doctrine Zen, et nous l'avons montré dans
le chapitre III de cet ouvrage. Quand le Nord
et le Sud refirent l'unité sous les Tang au vu" siècle,
quelque chose de cet esprit Zen, réellement enrichi
de la pensée taoïste et de l'image représentative,
tendit à s'unir provisoirement avec ce qui était
le meilleur de la tradition de Confucius.
Le plus parfait exemple de cette union est dans
la poésie Genso de Rihaku et de Toshimi, où les
représentations d'aprè s la nature viennent renforcer
le criticisme social. Le pur paysage poétique des
Tang, celui d'Omakitsu, est bien plus d'esprit
taoïste que d'esprit Zen. Le mélange de Boud-
dhisme ésotérique, à ce moment, dérivait alors
plutôt du Bouddhisme Zen.
Si un critique avait à analyser les tendances
du vm" siècle, il les aurait probablement énu-
mérées comme Confucianisme , Taoïsme et Ten-
daïsme. Zen était la réalité; seulement ses fleurs
n'avaient pas donné de fruits, et il avait conservé
pour lui-même tout le domaine de l'idéalisme
jusqu'aux jours plus conscients des Song.
Ce qu'il y a de remarquable dans la pensée
Zen des Song du Nord, c'est cette opposition
(148)
t
Un Rakan ou Arhat.
Par le prêtre Kuan Hsiu (en japonais
Zengetsu Daishi. X' siècle. Temple
Kodaiji.
Planche XLI.
L'ART IDÉALISTE EN CHINE
déclarée et méprisante à tout ce que le Confu-
cianisme a de plus cher. Soit que cette union des
extrêmes fût en 730 une vraie communauté, ou
seulement un rapprochement de trêve, elle fut
brisée par le conflit de 1060. La vérité est que
la secte étroite des confucianistes, quand elle
parvint à la demi-conscience de son puritanisme,
ne put jamais tolérer aucune comparaison ni
réelle union avec personne. Ils apportaient une
obstination de bull-dogs à s'en tenir à la lettre
de la loi, Nous avons vu comment ils se livrèrent à
des persécutions brutales de bouddhistes avant la
fin des Tang. Les critiques Tang eux-mêmes ne
furent guère capables de se rendre compte de la
situation; ils demeurèrent bouche bée devant
des violences qu'ils ne pouvaient comprendre.
L'élément confucianiste dans la première culture
des Tang, comme dans les examens des services
civils et de l'Université, a été très fort. Le peuple
pouvait difficilement se faire une opinion pour
condamner ou pour admirer ceux qui dirigeaient
le mouvement.
Avec la dynastie Song, cet état de confusion et
de doute cessa. Durant les cinquante-cinq années
des cinq courtes dynasties intermédiaires entre
Tang et Song, au xe siècle, une sorte d'indépendance
relative s'était développée dans les provinces
séparées, gage d'un individualisme et d'une décen-
tralisation qui donne déjà idée du changement qui
plus tard devait transformer le Japon à la période
Kamakura. Et quand l'union se fit de nouveau au
début des Song dans leur nouvelle capitale de
Kaifongfu en 960, et que des énergies jeunes
(H9)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
affluèrent des provinces pour apporter leurs
forces à la nouvelle cour, il y eutpresque immépia-
tement une rupture entre les individualistes et les
anti-individualistes. Ce furent les premiers qui
tout d'abord l'emportèrent, et c'est ce qui fit l'Art
primitif des Song si brillant, avec l'aide possible
d'un génie supérieur tel que Riryomin.
Mais les confucianistes, sans se décourager,
insistèrent pour qu'on en revînt aux mêmes
institutions qui avaient prévalu sous les
Tang. Dans leurs conceptions du système
d'éducation en particulier, ils repoussèrent avec
énergie toutes tendances à sentir ou à penser
librement, insistant sur la rigidité d'une morale
remontant plus haut que les Han. Ils con-
sidéraient même comme une atteinte à leurs
prérogatives toutes méthodes libérales de taxes
destinées à activer la force productrice de l'Etat,
et les heureux résultats de ses industries. Il y eut
là un des plus grands conflits que le monde ait
connus, pour étouffer l'essor de la liberté intel-
lectuelle, et dont les détails ne diffèrent guère
de ceux qui ont amené la faiblesse de la Chine au
xx° siècle.
Avec la première pénétrante intelligence des
Song, la Chine se trouvait entraînée aux méthodes
scientifiques du raisonnement et vers l'industrie.
Elle était à la veille d'un renouvellement analogue
à celui de la Renaissance européenne. Mais tout
ce qui devait le ruiner agissait obscurément et
sournoisement ; cela se passait dans l'esprit
chinois même, sous l'influence de son système
d'éducation.
(M°)
KWANNON.
Par Mu Ch'i (en japonais Mokkei). XI* siècle. (Epoque
des Song). Temple Daitokuji à Kyoto.
Planche XL1I.
L'ART IDÉALISTE EN CHINE
Les fortes intelligences et les réformateurs des
Song du Nord durent compter les heures tra-
giques. La dégénérescence desTang avait été un
symptôme grave pour la vitalité de la Chine
même, et sans doute à tout jamais. L'âme chinoise,
dès le début, avait été assez molle. La civilisation
très spéciale de toute la dynastie des Song, aussi
bien ceux du Nord que ceux du Midi, fut une
protestation désespérée contre ce mal insidieux,
qui fut le plus mortel danger au cours de toute l'his-
toire de la Chine.
C'est ce qui fait que les modernes annalistes
chinois ont jeté une sorte d'anathème contre la
dvnastie des Song. Ce sont ces qualités créatrices
de l'imagination des Song qu'ils ont eues en
haine. Mais ces créations, comment pouvons-nous
les juger sous la forme des copies douteuses qui
tes ont travesties?
Quelle surprise et quelle étrange chose pour
des savants européens qui se sont habitués à
regarder la culture chinoise comme un désert de
morne uniformité pendant trois mille années,
de lire les paroles des hommes qui, parmi les
Song du Nord, étaient débordants d'espérances,
tels que des artistes critiques comme Kaki,
disant « que la vraie nature de l'homme est de
repousser tout ce qui est vieux, et de s'attacher
à tout ce qui est neuf ». Toute la culture des
Song est un immense domaine de souvenirs qui
nous montrent le peuple chinois pendant trois
siècles occupé à mettre debout des choses que
nous sommes disposés à considérer comme non
chinoises. Dans ces grands mouvements des
(MO
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
Song du Nord, le Bouddhisme Zen commença
à jouer un certain rôle. Le mysticisme, ni taoïste,
ni tendaï, ne pouvait s'adresser aux étudiants
des Universités. Tourner le dos à la Nature était
le cri des savants comme celui des pieux boud-
dhistes. Comment le Bouddhisme montra des
possibilités à devenir une « contemplation de la
Nature », voilà ce qui est une chose infiniment
mystérieuse pour ces savants Pâli qui supposaient
qu'il n'avait pu y avoir jamais de Bouddhisme
réel ne prenant pas son point d'appui sur « les
cinq nobles vérités ».
Le Bouddhisme métaphysique était déjà mort en
Chine, même avant le Bouddhisme mystique.
Certainement, de toutes les professions de foi
bouddhiques, la plus esthétique est cette char-
mante doctrine Zen, qui considère l'homme et la
Nature comme deux groupes de formes caracté-
ristiques entre lesquels s'établit la parfaite sym-
pathie. Dans l'espèce, c'est un peu comme la
doctrine swedenborgienne des « correspon-
dances ». Mais la doctrine Zen va bien au delà
des théories européennes, en poussant bien
plus loin les détails de ces correspondances,
et en les affranchissant d'un purisme éthique
trop étroit. Elle a quelque chose de la liberté et
de l'humanisme de la Renaissance, sans ce que
cette dernière renferme encore de Paganisme.
Un principe extrême de Zen est que les livres
sont mauvais, surtout dans la période éducative.
Elle se détourne de la parole écrite, et de toute
la littérature de cet ordre. C'en était assez pour
la condamner aux yeux des étudiants chinois
G'!')
•
Un Rakan ou Arhat avec un Serpent.
Par Mu Ch'i (en japonais Mokkei). XIe siècle. (Epoque des Song
Planche^XLIII.
L'ART IDÉALISTE EN CHINE
qui regardent la parole écrite comme une sorte
de talisman sacré. L'es philosophes Zen ensei-
gnaient que le Livre de Vie, c'était le Livre
de la Nature ; que le néophyte devait voir par lui-
même comment les animaux et les oiseaux, les
rivières et les nuages, les montagnes et les rocs,
étaient formés. C'était un essai pour reformer
les catégories de la pensée de novo, en pre-
nant comme base solide l'organisation de la
Nature. C'est le cri qui échappe joyeusement à
l'écrivain Kakki aux premières lignes de la préface
de son essai : « Pourquoi les hommes aiment-ils
la Nature ? Parce que c'est d'elle que perpétuel-
lement jaillit la vie. » La vie? Non pas cette col-
lection de poids et mesures morts, ou ces limites
des ordres sociaux rangés rang par rang, et
numérotés dans un ordre analytique. La mésen-
tente avec Confucius, c'est qu'il a raisonné
comme si ce squelette était la vie. Avait-il conçu
un Empire de Chine ainsi déterminé pour l'éter-
nité ? Ses disciples d'ailleurs exagérèrent ses
défauts, et après lui ils allèrent répétant que le
moyen de comprendre le sens de la vie, ce
n'était pas d'écouter les battements du cœur et
le souffle des poumons, mais de compter le
nombre de côtes. Ce fut sur ce terrain que le
système d'éducation de Zen fut à un tel degré
antithétique.
Un autre grand point de la doctrine Zen était
qu'en s'attachant aux formes caractéristiques et
aux traits particuliers de la Nature, l'étudiant
n'avait pas d'autre guide que sa propre intelli-
gence, entièrement libre. Le maître le plaçait
(MJ)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
ainsi devant les rochers et les nuages, et lui
demandait ce qu'il voyait. Le prêtre était un
examinateur, non pas un précepteur. Il laissait
l'intelligence constituer elle-même son domaine
par le sens des subtiles affinités entre les choses,
pour organiser ainsi un enchaînement orga-
nique de nouvelles catégories. En résumé,
l'éducation ne pouvait que développer l'indivi-
dualité.
C'est pourquoi les grands portraits des prêtres
Zen (tels que celui que la générosité de
Mme Gillot a permis au musée du Louvre de
posséder) présentent un aspect de puissance par
la tête et les yeux.
Mais cette individualité n'est pas une fin ultime,
puisque par delà les voies d'approche apparaîtra
quelque chose d'un grand système spirituel reliant
l'homme à la Nature. En ce sens, c'est une doc-
trine hégélienne qui se dissimule derrière les
deux mondes objectif et subjectif. Il est possible
que le pouvoir télépathique du maître et l'influence
du rayonnement de Zen s'insinuaient dans tous
les phénomènes de perception du néophyte, pour
le placer à une unité de plan.
Qu'une telle doctrine ait pu devenir un puis-
sant adjuvant de la poésie, depuis Sharéiun des
Liang, jusqu'à So-Toba des Song, cela est dû à
une pénétrante conception des analogies. Toute
poésie réelle est justement cette percep-
tion cachée des relations organiques. La
Nature était si plastique et claire aux yeux de
l'homme primitif que ce que nous appelons
métaphore éclatait à ses yeux comme l'identité
(■54)
1-1
X
a.
H
3
«il
15 _
<
PL)
L'ART IDEALISTE EN CHINE
spirituelle à laquelle le langage donnait une
forme en poésie et en mythe. Zen chercha seule-
ment à revenir à ce primitif éclaircissement.
Un mot comme une chose a autant de signi-
fication que vous pouvez y trouver, et brille de
mille nuances; le poète seul ayant l'idée de la
couleur originale, sait comment s'en servir. Ainsi,
danslapoésie chinoise, chaque caractère a en défi-
nitive deux nuances de signification, — naturelle
et spirituelle, — chaque mot y est ainsi chargé de
sens, au point extrême de condensation.
On peut comprendre ce qu'une telle doctrine
put avoir de puissante influence sur l'Art, et déjà
l'époque des Tang eut une Ecole de paysagistes
tels que l'Occident n'en put connaître qu'au
xixc siècle, en ce sens que tout ce qui est carac-
téristique et essentiel de structure dans chaque
forme organique et inorganique est sensible à
l'homme, l'émeut, et répond aux larges mouve-
ments de son esprit. Quand Wordsworth déclare
que « every florver enjoys lhe air it breathes », il
humanise la Nature, comme le faisait la doctrine
Zen qui y voyait le miroir de l'humanité.
Les vraies origines de cet art du paysage
peint doivent être cherchées dans l'Art du milieu
de la dynastie des Tang, et les deux grands
maîtres en ont été Wang Wei (Omakitsu) et Wu
Tao T\u (Godoshi). La critique chinoise a tou-
jours considéré le premier comme le plus apaisé,
et le second comme le plus âpre et le plus violent
de dessin. Le seul grand paysage d'Omakitsu
qu'on ait conservé au Japon est la grande cata-
(m ri
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
racte au milieu des rocs, que possède le Kotaiji
Higa Shugama, que tous les érudits ont conclu à
considérer comme authentique, et qui est dune
incomparable puissance, aussi bien de vision que
d'exécution.
Les deux chefs-d'œuvre de Wu Tao Tzu
sont au Daitokuji de Kioto, extraordinaires, et
dont est sorti l'art de Risei et de Kakkei. Les
montagnes sont dressées comme un vaste écran
dans tout le fond de la composition, si bien que
rien n'apparaît du ciel. Ce n'est qu'un fond de
paysage de montagne avec des torrents préci-
pités, et de froides brumes ; toute la beauté du
dessin et des lignes réside dans les arbres, tous
traités avec un âpre caractère, et dont les valeurs
varient selon leur plan.
Le paysage, néanmoins, ne fut pas une des
formes les plus riches de l'Art des Tang, surtout
tourné vers l'homme et la religion. Cen'est qu'aux
derniers temps que la pensée Zen lui donna
une toute nouvelle importance, et que Taisu fut
l'artiste qui sut transmettre le mieux ces nobles
et fraîches traditions aux Song.
Ce Taisu aimait à peindre les conducteurs
de buffles dans des paysages, alors qu'ils les
chevauchent en jouant de la flûte, joyeux du frais
bruissement des saules et inspirés par les nobles
formes delà montagne. (Une copie faite par Kano
Isen est dans la collection Freer.)
Une période a séparé les arts des Tang et des
Song. C'est celle des cinq dynasties où, pendant
cinquante-cinq ans, la Chine fut disloquée en plu-
Un des Rakaxs ou Arhats.
Par Li Kung-lin, dit Li Lung-Mien (en japonais
Ri-rio-min). - 1106. (Epoque des Song.)
Collection Charles Freer, à Détroit (Etats-Unis).
Planche XLV.
L'ART IDÉALISTE EN CHINE
sieurs provinces dans un état de demi-indépen-
dance. Le créateur de Fart du paysage dans le
Nord-Est fut Keiko, qui vécut sous les Tang, mais
fut en pleine production sous Liang (907-922).
Fan Kuan (Hankwan) et Kivando, son élève, furent
les grands paysagistes du commencement du
xc siècle. On disait de Fan Kuan que ses paysages
étaient l'image même de la nature qu'on avait
devant les yeux. Il vécut probablement sous les
premiers Song, et ne fut pas sans influencer Li
Cli en (Risei). Dans la forme de ses arbres, dans
la façon d'indiquer les troncs avec plus de clarté
que les feuilles, il rappelle Godoshi, ce qui fai-
sait dire au critique des Song, Mi Yuan Chang
(Beigensho), que « ses arbres étaient tout en bran-
ches, sans troncs », ce que Kwando semble avoir
encore exagéré. Ce dernier cherchait des eflets
de brouillard et de pluie.
Dans la région pittoresque du Yangtsé, vécut
un des plus grands génies de cette époque de
transition, Ch'u Hni (Joki), peintre de fleurs et
d'oiseaux, comblé d'honneurs par son souverain.
Ce fut la gloire de la capitale des premiers
Song, celui qui créa ce genre Kwacho (fleurs et
oiseaux) si honoré dans l'Art chinois. Il était
supérieur dans sa façon de peindre les hérons.
Il aimait à se servir d'une grosse soie dont Bei-
gensho disait qu'elle était forte comme du coton.
Il était aussi remarquable en cherchant à rendre
les lotus, dont on a peut-être une admirable
interprétation de lui à Horiuji, qu'on a souvent
attribuée à son contemporain japonais Kanawoka.
En tout cas, Horiuji possède des copies de pein-
(>57)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
tares de lotus de Chu Hui, dont les feuilles sont
bordées, et ponctuées aux extrémités d'un rouge
cramoisi merveilleux : quels modèles y trouvè-
rent tant d'artistes des Yuen et des Ming !
Dans l'ouest de la Chine au Szechuan, de
nombreux artistes s'illustrèrent. L'un d'eux, Chao-
Ch'ang (Chosho), fut un rival de Chu Hui. Un
critique, Risen, dit de lui qu'il faisait de jolies fleurs
« comme des broderies ». Dans ce genre Kwa-
cho Huang Cliuan (Kosen) était aussi remarquable.
M. Freer possède une copie faite sans doute par
Shunkio des Yuen, d'une belle pivoine de Huang
Ch'uan, dont les pétales souples portent les
mille nuances du pourpre.
L'Art des Song reçut une très forte impulsion
du fait de l'extrême culture des gouverneurs de
provinces, soucieux de s'illustrer par l'activité artis-
tique qu'ils éveillaient autour d'eux. C'est ainsi
que Li Ch'en (Risei) était venu de la province
du Yeikei, au Hoangho, peignant, entre 980 et
1020, de beaux troncs d'arbres comme Fan Kuan,
avec des légèretés d'encre accentuées de larges
taches, et cherchant des effets de profondes forêts,
de fumées et de brouillards. Ce fut le grand
peintre du début des Song, mais peut-être sur-
passé par son élève Kuô Hsi (Kakki), natif du
Honan, le peintre des vastes espaces, noyés dans
les brouillards immobiles, exécutés, disait-on,
« à coups de pinceaux doux et pleins d'inten-
tions secrètes », et aussi des forêts en hiver; et
toujours il reste doué d'un étrange pouvoir de
suggestion. Le plus curieux est que Kakki fut
surtout le décorateur des grands murs blancs des
(158)
Tête de Femme.
Dessin de Li Kung-lin, dit Li Lung-Mien (en
japonais Ri-rio-min). + 1106. (Epoque des
Song.)
Planche XLVI.
L'ART IDÉALISTE EN CHINE
palais et des temples, le premier sans doute qui
appliqua l'art du pur paysage à la décoration
murale. Il mourut probablement à la période
Genko 1078- 1088, date de sa dernière œuvre, un
énorme paysage sur soie. Il ne put avoir connu
Risei que dans sa jeunesse, etpeut-être aussi Riryo-
min. On doit se rappeler que Kakkei, le plus
grand paysagiste des Song du Sud, étudia Kakki
à fond et copia souvent ses peintures.
Et malgré tout, un des plus grands titres de
gloire de Kakki, c'est le grand traité qu'il écrivit
sur le paysage à l'intention, disait-il, de son fils
Jakkio, qui de fait l'édita après la mort du père. Cet
écrit est d'une importance exceptionnelle, on peut
dire universelle. Il nous permet de comprendre
les rapports du paysage avec la culture générale
et l'imagination chinoises, et tout ce que l'amour
de la nature donna de force de pensée et de sen-
timents aux préceptes de la secte Zen.
Il est évident que la suprême influence de Zen
ne s'était pas encore exercée, et que ce sont les
essayistes paysagistes des Song du Sud qui com-
plètent la peinture de Kakki. On doit recon-
naître que le Taoïsme avait un rôle considérable
à jouer dans cet amour de la nature, et qu'il
y eut toutes sortes de mélanges dans l'esprit des
hommes entre Bouddhisme, Taoïsme et Confu-
cianisme, mélanges destinés à être fortifiés en
splendide synthèse par les derniers philosophes
Sons-
Je voudrais donc ici donner quelques extraits
de cet essai, comme le meilleur témoignage
qui puisse être fourni de la virtuosité chinoise
(M9)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
à cette époque si importante. Il montre bien
comment chaque forme caractéristique des choses
peut être amenée à correspondre aux phases de
compréhension de l'âme humaine; comment, par
exemple, les arbres dans leurs surprenantes con-
torsions, pins des montagnes ou cèdres puissants,
aimés des anciens Chinois et plus tard des
Japonais (et notre vue superficielle d'occi-
dental n'y voyait d'abord qu'un goût barbare pour
le monstrueux), dévoilent réellement le profond
penseur Zen par leurs énormes nodosités et
branches squameuses qui ont lutté contre les
tempêtes, les brouillards, les tremblements de
terre. Il est des suites de circonstances à peu près
identiques à travers lesquelles les luttes de la vie
d'un homme avec ses ennemis, l'adversité, la
douleur se trouvent imprimées en ses rides et
dans les muscles raidis de son vieux visage.
Ainsi la nature devient un immense monde
pictural, un répertoire d'étude de « caractère »,
et cela peut mener à la lourdeur didactique et
auconcept littéraire, parce que le caractère, dans
les deux sens d'individualité humaine et d'indi-
vidualité naturelle, tend à s'unifier. La vraie
beauté du côté nature est le contraire de tout
formalisme moral latent, et c'est là l'antithèse du
dernier « bunjinga, art littéraire » qui vraiment,
comme son nom peut l'indiquer, fait sombrer la
beauté dans le pédantisme.
Les confucianistes purement modernes reculent
avec horreur devant la souillure de la pensée et
du sentiment bouddhiques et, ce faisant, ignorent
ou renoncent à comprendre la plus grande part
(160)
.
Hotei Dormant.
Par Li Kung-lin, dit Li Lung-Mien (en japonais
Ri-rio-min). + iioo. (Epoque des Song.)
Le Célèbre Yuima (Copte).
Par Li Kung-lin, dit Li Lung-Mien (en japonais
Ki-no-mm). +110O. (Epoque des Song.)
Planche XLVII.
La Villa " Riomin-Zan,"
Habitation du peintre Li Kung-lin, dit Li
Lung-Micn (en japonais Ri-rio-min). Par
lui-même. + noo. (Epoque des Song.)
Planche XLVIII.
L'ART IDÉALISTE EN CHINE
de ce qui a fait la Chine et les Chinois puissants
par leurs arts sous les grands Song. Être pur
comme la fleur du prunier, libre comme l'oiseau,
fort comme un pin, pliant comme un saule, cela
fut tout l'idéal des Chinois Song, comme des plus
récents Ashikaga du Japon, et cela pénétra
partout avec la pensée Zen.
EXTRAITS DU FAMEUX ESSAI
SUR LA PEINTURE PAR KAKKI {KUO HSI) (i).
KAKKI (KUO HSI DES SONG). SUR LE GOUT DES
FORETS ET DES SOURCES. RÉDACTION
D'APRES DES NOTES FRAGMENTAIRES PAR
SON FILS, LAICH1 LAIFU, COMMANDANT EN
CHEF L'INFANTERIE, KAKUSHI JAKKIO.
Préface.
Le sage a dit : « Il est bon d'aspirer aux principes.de la
Morale (Tao) pour ne devoir l'autorité dans chaque chose
qu à la Vertu, pour avoir comme principe de conduite la
Bonté (charité), et pour permettre à notre esprit de se ré-
pandre dans le domaine de l'Art ».
Quant à moi, Kakku Jakkio, dès mon enfance, j'ai suivi
mon ami respecté (son père, Kakki), voyageant avec lui
au milieux des torrents et des rochers, et chaque fois qu'il
peignait la scène de la Nature qu'il avait devant lui il
disait : « Dans la peinture sansui (de paysage), il existe
des principes qui ne peuvent être exprimés grossièrement
ni précipitamment ». Et chaque fois qu'il prononçait des
(i) Les extraits que nous donnons furent empruntés à la traduction faite au
Japon, il y a de nombreuses années, par des étudiants japonais pour le profes-
seur Fenellosa; ce dernier les avait toujours gardés parmi ses papiers les
plus précieux, et il s'en servit fréquemment dans les conférences qu'il donna
aux universités américaines. Ce qu'on trouvera ici, c'est ce que le professeur
Fenellosa avait marqué comme capital; et quand il mit en marge de son
manuscrit une note particulière, nous l'avons répétée.
ii
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
paroles dignes d'être rappelées, je prenais mon pinceau
et je les transcrivais. Ces souvenirs, qui ont été ainsi
conservés par centaines, je les publie pour ceux qui aiment
l'Art.
Il faut dire que mon père, quand il était jeune, étudiait
avec un maître taoïste, et en conséquence était toujours
amené à rejeter ce qui était ancien, et à s'attacher à ce qui
était nouveau (ainsi noté par le professeur Fenellosa comme
une chose très importante). Il fut un homme dont toutes
les démarches de la pensée furent en dehors des régions
régulières (il veut dire le monde confucianiste figé dans des
formules strictes et conventionnelles). C'est ainsi que, ne
comptant pas de peintres parmi ses ancêtres, tout ce qu'il
portait en lui-même dérivait de sa pure intuition. Durant
tout le cours de sa vie, il parcourut les domaines de l'Art et
y acquit sa renommée. Quant à son caractère privé, il
dirigea sa vie vertueusement, pieux vis-à-vis de ses parents,
bon pour ses amis avec ferveur. C'est un devoir pour ses
descendants d'en rendre un éclatant témoignage.
[Après ces lignes de préface, Jakkio, expliquant certains
termes familiers à son père, rapporte de lui ces traits
charmants :]
Il y a quelques années, je vis mon père peignant deux
ou trois peintures, qu'il laissait inachevées pendant dix
à vingt jours, probablement parce qu'il s'en était détaché.
C'était ce qu'il appelait la maladie spirituelle du peintre.
Et de nouveau, quand ces peintures le réattiraient, il
oubliait tout ce qui n'était pas elles. Mais la moindre
chose qui le troublait, lui faisait laisser là sa peinture vers
laquelle il ne tournait même plus les yeux. Ainsi était-ce
quand une pensée sombre lui traversait l'esprit.
Quand il commençait à peindre, il ouvrait toutes les
fenêtres, essuyait son pupitre, brûlait de l'encens de droite
et de gauche, se lavait les mains, nettoyait sa pierre à
encre. Et ce faisant, son esprit se calmait, et sa pensée com-
mençait à composer. Ce n'est qu'ensuite qu'il commen-
çait à peindre. (Le professeur Fenellosa écrivit en marge
de ces lignes ce simple mot : Whistler.)
Commencer par esquisser sa peinture, et tâcher de la
construire, en donnant plus d'importance à quelque
qualité, ou à quelque partie, puis la mouiller de nouveau
(162)
Un Rakan ou Arhat en Extase Sur Les Eaux.
Ecole de Li Kung-lin, dit Li Lung-Mien
(en japonais Ri-rio-min). + 1106.
(Epoque des Song.)
Planche XLIX.
Groupe de Rakans ou Arhats regardant
des Cigognes.
Ecole de Li Kung-lin, dit Li Lung-Mien
(en japonais Ri-rio-min). + 1106. (Epoque des Song.)
Planche L.
L'ART IDÉALISTE EN CHINE
pour revenir deux fois sur une première touche, ou même
trois fois sur deux, tracer de nouveau chaque trait incurvé,
essayer toujours d'améliorer, mais finalement n'éprouver
que mécontentement et déception : tel est le sens qu'il
donnait à l'Art de peindre, d'un cœur généreux.
Extraits supposés des sentences certaines de Kakki.
En quoi consistent les raisons qui font que des hommes
vertueux aiment « sansui » le paysage? C'est pour ces
motifs qu'un paysage est une place où la végétation croît,
nourrie par le sol et le sous-sol, où les printemps et les
rochers s'amusent comme des enfants, une place que fré-
quentent ordinairement les hommes des forêts et les
étudiants qui fuient le monde, où les singes ont leurs
tribus, et où les cigognes volent en criant à grand bruit leur
joie dans la nature.
Le tumulte du monde poudreux, et le renfermé des
habitations humaines, est ce que la nature humaine, à
ses hauts degrés, hait perpétuellement ; — tandis qu'au
contraire les brumes, le brouillard et les sennins pleins
de sagesse (c'est-à-dire, poétiquement, les vieux esprits qui
sont supposés hanter les montagnes), sont ce que la
nature humaine recherche, mais ne peut que rarement
rencontrer; mais il y a une grande paix et des jours bénis,
où les âmes du maître comme de l'élève sont hautes et
joyeuses, et où il est possible pour l'un de régler sa con-
duite avec pureté, avec rectitude et honnêteté durant sa
carrière entière. Et alors quelles nécessités, quels motifs
pourraient déterminer l'homme de bien à se tenir à
l'écart, à s'éloigner du monde, à fuir les lieux fréquentés
par ses semblables ? Plutôt se mêlerait-il à eux dans une
joie générale. Mais puisque ce n'est pas le cas, quelle
délicieuse chose cela est pour les amoureux des forêts et
des sources, pour les amis des brumes et des brouil-
lards, d'avoir à portée de la main un paysage peint par un
habile artiste ! Avoir ainsi la possibilité permanente de
voir l'eau et les pics, d'entendre le cri des singes, le chant
des oiseaux, sans sortir de sa chambre.
En ce sens, une chose ainsi réalisée par la volonté d'un
autre satisfait complètement votre propre esprit. C'est là
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
l'idée fondamentale de respect du vaste monde pour la
peinture « sansui » (de paysage). Si bien que si l'artiste,
sans réaliser cette idée, peint « sansui » d'un cœur indif-
férent, c'est comme s'il jetait de la terre sur une divinité,
ou s'il répandait des impuretés dans le vent clair.
En peignant « sansui », on devrait se souvenir que tout
a sa propre forme, de sorte que si une peinture
admirable couvre toute la surface d'un grand morceau de
soie, il n'y a rien là qui soit excessif. Et si une petite
scène est peinte sur un petit morceau de soie, il n'y a rien
qui manque. Les critiques de sansui (paysages) donnent
généralement au paysage représenté de telles qualités
qu'elles le rendraient tout à fait propre à être admiré, età
permettre d'y marcher, de s'y promener, d'y vivre. Le
sansui qui atteint au degré supérieur combine ces quatre
qualités. Toutefois, s'il ne fallait seulement que deux de
ces qualités, ce sont celles qui permettraient d'y vivre
et d'y promener qui seraient préférables.
Celui qui étudie la peinture est dans les mêmes condi-
tions que celui qui étudie l'écriture. Celui qui en écriture
ferait de Sho-ô ou de Gurinku son maître, n'exécuterait
qu'un travail identique à celui du maître, et rien de plus.
C'est la même chose en peinture. Le grand artiste qui
circule ne doit pas se renfermer dans un école, mais doit
étudier dans plusieurs, de même qu'il lit, et qu'il obéit
aux raisons que lui fournissent les pensées de la suite de
ceux qui l'ont précédé, subissant ainsi une cristallisation
qui forme son propre style. Et seulement alors il peut
dire pour la première fois qu'il est devenu un artiste.
Mais de nos jours les hommes de Seï et de Rô suivent
des hommes tels que Yeiku : et des hommes de Kwankio
suivent seulement Hankwan. Le seul fait de s'attacher à un
seul maître ne doit pas être encouragé ; il faut ajouter que
Seï, Rô et Kwankio sont des régions très limitées et non
pas tout l'Empire. Les spécialistes, depuis les temps les
plus anciens, ont toujours été considérés comme les vic-
times d'une maladie, et comme des hommes refusant
d'obéir aux paroles des autres.
Celui qui veut étudier la peinture de fleurs placera une
plante fleurie dans un pot de terre, et l'examinera de haut ;
celui qui étudie la peinture des bambous, prendra une
(164)
""V .'.* IBW
Paysage.
Par l'empereur Hui-Tsung (en japonais
Kisô-Kôtei). + 1135. Temple Daitokuji
à Kyoto.
Planche LI.
Une Dame de L'Epoque des Song S'Appuyant Contre un Pin.
Par Chao-Tsien-Li (en japonais Chosenri). XIIe siècle.
Collection Charles Frcer, à Détroit (Etats-Unis).
Planche LU.
L'ART IDEALISTE EN CHINE
branche ûe bambou, et projettera son ombre par une nuit
de lune sur un mur blanc.
La peinture des nuages.
L'aspect des nuages en peinture « sansui » est différent
selon les quatre saisons. Au printemps ils sont doux et
calmes ; en été, épais et couvant des orages ; en automne,
ils sont rares et légers ; en hiver, sombres et gris. Dans la
peinture des nuages, si on n'essaye pas de saisir le détail
de chaque instant, mais si on se contente uniquement du
grand effet total de la chose, alors seulement les formes et
les proportions des nuages vivront. Parmi les nuages il y
en a qui ont la forme d'une maison. Il y a des vents forts
et des nuages légers : un grand vent a la force d'une tem-
pête de sable, et un nuage léger peut avoir la forme d'un
vêtement léser flottant.
*6*
Les montagnes et l'eau.
L'eau est le sang des montagnes ; les gazons et les arbres,
leur chevelure ; les brumes et les nuages, leur divine colo-
ration. L'eau est le visage des montagnes, — les sourcils
et les yeux des maisons et de leurs clôtures, l'âme des
pêcheurs. C'est pourquoi les montagnes sont infiniment
plus belles par leurs eaux, plaisantes et joyeuses par leurs
maisons et leurs clôtures, libres par leurs pêcheurs. Ainsi
se combinent les montagnes et l'eau.
La montagne est une chose puissante ; sa forme doit être
haute et escarpée, à libres mouvements comme un homme
à l'aise, se dressant avec grandeur, ou s'étalant comme un
enfant de fermier ; ayant comme un abri au-dessus d'elle,
un chariot sous elle ; ayant comme un support au front
pour s'incliner, et quelque chose derrière elle pour s'ap-
puyer, et comme contemplant quelque chose qui serait
plus bas qu'elle. Tels sont quelques-uns des grands aspects
des montagnes.
L'eau est une chose qui vit : sa forme est profonde et
tranquille ; ou douce et unie, ou vaste et comme un océan,
ou pleine comme de la chair, ou cerclée comme des ailes,
ou s'élançant et svelte, ou rapide et violente comme une
flèche, riche comme une fontaine qui s'écoule de loin,
('60
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
faisant cascades, tissant des brumes sur le ciel, se préci-
pitant sur la terre où les pêcheurs sont à l'aise. Les gazons
et les arbres des rives la regardent avec joie, et sont
comme de charmantes femmes sous des voiles de brumes,
ou quelquefois brillants et éclatants comme le soleil
rayonne sur la vallée.
Tels sont les aspects vivants de l'eau.
Les montagnes.
Les montagnes sont tantôt hautes, tantôt basses. Les
montagnes hautes ont une chaîne de sang (vieille expres-
sion chinoise). Leurs épaules et leurs cuisses sont larges
et étendues, leur base et leurs jambes vigoureuses et
épaisses. Les montagnes âpres, les montagnes à dos rond
ou aplanies apparaissent toujours puissantes, s'étreignant,
s'embrassant l'une l'autre, avec leur chaîne continue et
éclatante. Telles sont les formes des hautes montagnes, et
elles ne sont pas solitaires. Les montagnes plus basses
ont leur circulation de sang plus élevée, avec un cou court
et une base plus élargie.
Une montagne qui n'aurait ni brumes, ni nuages, serait
comme un printemps sans fleurs ni herbes.
Les montagnes sans nuages ne sont pas belles ; sans
eau, elles n'ont aucune magnificence ; sans routes ni sen-
tiers, elles ne sont pas habitables, et sans forêts, elles ne
sont pas vivantes. Si une montagne n'est pas profonde et
lointaine, elle est insignifiante — et sans être aplanie et
lointaine elle est proche — et sans être élevée et lointaine
elle est basse.
En montagne il y a trois sortes de distances ; en hau-
teur quand on la regarde de bas en haut ; en profondeur
quand on regarde de haut en bas, et en distance de plans
quand on regarde des montagnes voisines.
La force de la distance en hauteur est impulsive ; l'idée
de la distance en profondeur est lourde ; l'idée de la
distance des plans est de douceur dans la grandeur, comme
celle de l'Océan (i).
(i) L'expression de premier plan signifie ce qui dans la peinture est juste
devant l'oeil et doit par conséquent appeler toute l'attention, non pas tout le
premier plan avec ses côtés. Donc les autres parties désignent non seulement
toute la distance supérieure, mais l'espace de côté et aussi en arrière. (Note
de M. Fenellosa.)
(166)
Un Tartare Chassant un Daim.
Par Li Ngan-Chung (en japonais Ri-an-Chiu)
XIIe siècle. (Epoque des Song.)
Planche LUI.
Villa En Hiver Sous Les Bambous.
Par Ma Yuan (en japonais Bayen).
Début du XIIIe siècle.
Planche LIV.
L'ART IDÉALISTE EN CHINE
En montagne, il y a trois grandeurs. Une montagne est
plus grande qu'un arbre, et un arbre plus grand qu'un
homme. Une montagne à une certaine distance, non pas
plus loin, prend l'aspect d'un arbre ; comme l'arbre à une
certaine distance prend l'aspect d'un homme. La mon-
tagne et l'arbre ne sont donc pas grands. La comparaison
d'un arbre avec un homme commence avec ses feuilles, et
la comparaison d'un homme avec un grand arbre com-
mence avec sa tête. Un certain nombre de feuilles d'arbre
rivaliseraient avec la tête d'un homme, et la tête d'un
homme se compose d'un certain nombre de feuilles. Ainsi
donc la grandeur et la petitesse d'un homme, d'un arbre
et d'une montagne sont tout à fait en dehors d'une
moyenne raison. Telles sont les trois sortes de grandeurs.
Une montagne, bien que prétendue grande, ne peut l'être
dans toutes ses parties visibles. Elle peut être grande seu-
lement quand le brouillard et les brumes viennent
envelopper ses lointains. L'eau, bien que prétendue éloi-
gnée, peut être seulement éloignée à travers la visibilité
ou l'invisibilité qui interrompt son cours. Et qui plus est,
une montagne visible dans toutes ses parties est non seu-
lement sans beauté, mais est disgracieuse, comme un mor-
tier à riz. Et l'eau qui se voit en toutes ses parties, est
non seulement sans la grâce que lui donne la distance,
mais ressemble à une peinture qui représenterait un
serpent.
Quoique les vallées, les montagnes, les forêts et les
arbres au premier plan d'une peinture s'arrondissent et
se courbent comme pour venir en avant, et comme pour
ajouter à l'effet merveilleux du spectacle, et bien que faits
avec tous les détails, cela ne fatiguera pas le spectateur ;
car l'œil humain a le pouvoir de saisir tous les détails rap-
prochés. Et d'autre part, quoique ayant une étendue
aplanie et lointaine, des pics striés qui sont comme les
vagues continues d'un océan, se reculant dans l'éioigne-
ment, le spectateur ne sera pas accablé par la distance,
parce que l'œil humain est capable de voir loin et large.
Les rochers.
Les rochers sont les os du ciel et de la terre ; et leur
noblesse est faite d'âpreté et de profondeur. La rosée et
fi67)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
l'eau sont le sang du ciel et de la terre, et tout ce qui coule
librement est un noble sang.
En peinture, les rochers et es forêts doivent éminemment
avoir raison. Un pin puissant doit être peint tout le pre-
mier : c'est le patriarche, et dans la mêlée des arbres, des
graminées, des plantes grimpantes, des cailloux et des
rochers qui l'entourent, comme des sujets qu'il regarde de
haut, il est comme un sage au-dessus des hommes infé-
rieurs—
Si une montagne de sable a des forêts qui sont épaisses
et basses, la montagne rocheuse doit avoir des forêts
maigres et élevées... Les grands rocs et les pins doivent
toujours être peints à côté de grandes rives de terre en
lalaises, et non pas à côté d'une eau basse et peu profonde.
Certaines eaux se précipitent en torrents ; certains rochers
se dressent sur les sommets, ou bien des cascades se brisent
au milieu des arbres perchés, et des rocs aux formes
étranges s'accrochent de chaque côté du chemin.
Considérations sur la peinture.
Dans le monde, les hommes savent seulement se servir
de leur pinceau, et par conséquent peindre ; mais ils ne
songent pas que la peinture est une chose difficile par tout
ce qu'il y a sous la technique. Un véritable artiste doit
nourrir en son âme la douceur, la beauté, la magnanimité.
Il lui faut en lui-même d'aimables pensées et des idées ; des
pensées decelles qu'Ichokushi appelait «onctueuses comme
l'huile ». Il doit être capable de comprendre et de recons-
truire dans son propre esprit les émotions et les états d'âme
d'autres êtres humains. Étant ainsi arrivé à la compré-
hension d'autrui, il le tiendra inconsciemment au bout de
son pinceau. Kogaishi des Shin (Ku k'ai chih des Tsin)avait
un pavillon célèbre, comme cabinet d'étude, où sa pensée
pouvait être plus libre. Si la pensée devient déprimée,
mélancolique et à idée fixe, comment des artistes seraient-
ils capables de travailler d'après de pareilles idées, ou de
sentir les caractéristiques mentales des autres ? A moins
d'habiter une maison tranquille, a^-sis dans une chambre
écartée, les lenêtres ouvertes, la table époussetée, l'encens
brûlant, et dix mille pensées vulgaires exprimées, je
ne puis éprouver aucun bon sentiment pour peindre,
(168)
Villa Sols Les Pins.
Par Ma Yuan (en japonais Bayen).
Début «lu XIII siècle.
* il
Planche \,\",
Le Poète Rinnasei.
Par Hsia-Kuei (en japonais Kakei).
Début du XIIIe siècle.
Planche LVI.
L'ART IDÉALISTE EN CHINE
aucun goût élevé, ni créer le « yu » mystérieux et mer-
veilleux. Après avoir rangé toutes choses autour de moi
dans leur ordre, c'est seulement alors que ma main et
mon esprit répondent à un autre, et se meuvent avec une
parfaite liberté :
N'avoir jamais qu'une sorte de coup de pinceau, c'est
ne pas avoir du tout de coup de pinceau, — et ne se servir
que d'une sorte d'encre, c'est ne rien connaître à l'encrage.
Ainsi, quoique la brosse et l'encre soient les choses les
plus simples du monde, très peu d'artistes savent comment
les manier avec liberté.
On a dit de Ogishi (Wang-Hsi-chih) qu'il aimait beau-
coup les oies, son idée étant que l'aise et la courbure gra-
cieuse de leurs longs cous rappelaient celles delà main d'un
homme tenant un pinceau, avec le libre maniement de son
bras.
Pour ce qui est des brosses, il en est de bien des sortes,
pointues, arrondies, dures, douces, comme une aiguille,
comme un couteau. Pour ce qui est de l'encrage, quel-
quefois l'encre claire doit servir, quelquefois l'encre
noire et épaisse, quelquefois l'encre brûlée, parfois l'encre
marinée, d'autre fois l'encre rapidement coulée de la
pierre à encre, ou bien encore mêlée de « sei-tai » (bleu),
ou bien l'encre malpropre gardée dans le cabinet. L'encre
claire repassée six ou sept fois fait une encre épaisse, dont
la couleur est mouillée, et non pas morte et sèche. L'encre
épaisse et l'encre brûlée doivent servir à faire les tracés,
car, à moins qu'elle soit sombre, la forme des pins et des
rocs anguleuxnes'imposerapas. Après avoirfait descontours
serrés, ils doivent être repris avec le bleu et l'encre. Et alors
les formes semblent se dégager des brumes et de la rosée.
Sur la poésie.
Ici, dans mes jours de loisir, je lis de vieilles poésies et des
nouvelles, et j'extrais de stances admirables ce que je sens
être l'expre9sion complète de ce que mon âme ressent. Les
anciens sages disaient qu'un poème est une peinture sans
forme visible, et une peinture est une poésie qui a pris
forme. Ces paroles sont sans cesse en moi. Je veux main-
tenant me rappeler quelques-uns de ces vers des vieux
maîtres que j'avais l'habitude de réciter.
(169)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
La civilisation en Chine sous les Song du Nord
à Kaïfongfu, entre 1060 et 1 126, connut un de ses
plus resplendissants moments que seules égalèrent
la période des Tang sous Genso à Sin-gan-fu
(71 5~75 5)» et ce^e ^es Song du Sud à Hangchow
(1172-1186). Le mouvement des Tang avait été
plus large dans ses développements internatio-
naux affectant la moitié de l'Asie; celui des Song
du Nord, plus ramassé, plus intimement chinois,
d'esprit particulier. Celui qui suivra fut plus
replié encore, les Song du Sud ayant été coupés
de toute la Chine du Nord alors occupée par les
Tartares. Autre différence essentielle, c'est que la
culture des Tang trouva sans doute sa suprême
expression dans la poésie, et que celle des Song
la trouva dans la peinture. Si les premiers n'avaient
eu Godoshi, un rival inégalable, ils seraient loin
de pouvoir approcher des Song comme goût,
comme variété, comme liberté. Et certains ne
seront peut-être pas éloignés de penser que Riryo-
min vaut Godoshi.
Les confucianistes, qui avaient été les mai très sous
les derniers Tang, avaient cherché à dominer
encore les premiers Song. Ils avaient amené l'em-
pereur à les nommer gouverneurs locaux en 963.
Mais une force contraire n'allait pas tarder à leur
faire échec. En 984, Kwazan Inshi, un ermite
taoïste, vint à la cour, demanda à y résider et à
prêcher. Ses miracles attirèrent l'attention de
l'empereur. En 1012, un second vint encore. On
les regardait comme des Sennins, c'est-à-dire des
hommes réels, mais qui, parleur communication
directe et pure avec la nature et la soumission
Ci 70)
M ■-. -,&
-,
Paysage.
Par Hsia-Kuei (en japonais Kakei).
Début du XIIIe siècle.
Cascade.
Par Hsia-Kuei (en japonais Kakei).
Début du XIIIe siècle. Copie par
Kano Tanyu.
Paysage.
Par Hsia-Kuei (en japonais Kakei).
Début du XIIIe siècle.
Planche LVII.
L'Ermite Kanzan.
Par Yen Hui (en japonais Ganki).
Collection Kawasaki, à Osaka.
XIVe siècle.
Planche LVIII.
L'ART IDÉALISTE EN CHINE
de leur personnalité, ont une sorte de pouvoir
sur les choses et peuvent même échapper à la
mort. Il est clair qu'une telle doctrine devait être
en accord avec le Bouddhisme, et surtout avec
la secte Zen. En 102}, l'empereur Ninso commen-
çait un règne qui devait durer quarante et une
années. De ce qu'on le dit un sennin, on peut
conclure de ce que la doctrine taoïste avait gagné
de terrain à la cour, et du champ qu'elle allait
prendre pour imprégner l'esprit chinois à
jamais.
Le parti de Confucius avait un grand directeur,
Oyoshi, savant, écrivain et homme d'État, qui
pensait, par le raisonnement calme et philoso-
phique, convaincre le peuple que la vie devait
être austère, et que libérer la personnalité était
un grave danger; c'était un peu la même chose
qui entraîna les sophistes contre Socrate, et les
puritains contre Emerson.
Il vit se dresser devant lui un homme extra-
ordinaire : Wang an Shih (Oanseki), qui, grâce à
l'appui de plusieurs empereurs, put établir sa
doctrine vraiment scientifique sur la raison et
l'observation, et jeter les bases d'un enseignement
rationnel et entièrement libre, en rejetant tous les
classiques du Confucianisme. Il mourut en 1086,
après être parvenu à détrôner le système scolaire
des confucianistes, et à supprimer leurs classiques
pour les remplacer par de nouvelles séries de
livres.
C'est dans ce grand milieu intellectuel que
Kakki mourut, et que Li lung Mien (Riryomin)
grandit ; les querelles s'étaient apaisées, et ce
(■70
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
grand esprit de liberté intellectuelle, et de
poétique idéalisation de la Nature qui a dominé
toute la période des Song, permit à un groupe
d'hommes remarquables de lui donner l'éclat de
leurs talents les plus variés : le ministre Oyoshi,
l'historien Shiba, le prosateur Bunyoka, le poète
Toba, le critique Beigensho, le réformateur
Oanseki, l'essayiste Kakki, le peintre Riryomin
et le jeune prince Cho Kitsu, qui devait devenir
le grand empereur artiste, Kiso Kotei.
Li ïung Mien (Riryomin) a été une figure des
plus attachantes : peintre éminent d'images boud-
dhiques et de Rakans faiseurs de miracles, esprit
de large tolérance, vivant en étroite intimité
avec le poète confucianiste Toba, dont l'idéal
était à l'antipode du sien, fait de libéralisme et
d'une liberté d'esprit qui admettait bien des
idées opposées et les conciliait par l'ingéniosité
et la subtilité d'une rare intelligence. Poète
comme Michel-Ange, prosateur, humoriste, mora-
liste, amateur et collectionneur, illustrateur de
livres, que ne fut-il pas? Et s'il a été un peintre
bouddhiste extraordinaire, il convient de consi-
dérer le rôle qu'il a joué comme peintre de la
vie. Il avait vécu sa jeunesse dans une contrée
d'élevage de chevaux pur sang, et il s'intéressa à
leurs allures vives et sauvages ; il devint un
peintre de chevaux étonnant que les critiques
ont égalé au grand peintre de chevaux des Tang,
Kankan. Il excella surtout dans la peinture de
chevaux montés par des cavaliers (le Japonais
Okio en a laissé une copie admirable).
Si ce n'est pour ses œuvres d'autels, Riryomin
(*7*)
Le Sennin Takkai.
Par Yen Hui (en japonais Ganki).
XIVe siècle.
Planche LIX.
Un Ermite de la Montagne.
Par Liang Chi (en japonais Riôkai).
XIVe siècle.
Planche LX.
L'ART IDÉALISTE EN CHINE
se servit surtout pour peindre de papier plutôt
que de soie, et il peignit à l'encre. Mais dans
ses œuvres bouddhiques sa couleur était réputée
« divine », et il a peint aussi des paysages en
couleurs. On lui a reproché de ne s'être servi de
couleurs que dans ses copies, ce qui est faux.
Il a déclaré lui-même qu'il avait beaucoup aimé
faire des copies des œuvres des grands maîtres
antérieurs. Il peignit Upasaka Yuima visité par
Ananda, peut-être d'après la peinture de Kogaishi.
Une de ses œuvres sur papier délicatement colorée,
est un gros Hotei dormant, très supérieur à ceux
de Sesshu et de Motonobu. Il portraitura le
poète Rihaku et manifesta son génie humoris-
tique dans cette étonnante bataille de musiciens
aveugles.
Comme paysagiste, il semble dépendant des
Tang, plutôt que rallié au style nouveau de Kakki.
Il y fut minutieux, épris de riches couleurs. Il
fit souvent sa demeure, Riryominzan, dont un
spécimen est connu au Japon ; il se montre très
fin, très intime, amoureux du détail, d'un charme
naïf et doux. En i ioo, il était déjà tout à fait retiré
de la vie publique.
On ne peut oublier le profond respect qu'il
montrait pour les vertus domestiques de la
femme, et ce fut un de ses sujets favoris de
peindre les grandes dames de la Cour dans la
splendeur de leur beauté.
Les contemporains de Rirvomin furent les
savants Bunyoka, Toba et Beigensho; mais, à lire
entre les lignes des commentateurs, il semble
certain que très célèbres littérateurs, ils ne furent
('7î)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
en art que des amateurs, et très peu personnels,
reflétant dans leurs travaux le style de divers
maîtres.
En iooi, H in Tsung (Kiso Kotei) montait sur
le trône, et avec lui s'ouvrait une ère d'Art asia-
tique de la plus grande splendeur. Il commença
par s'entourer des plus notables artistes de son
temps, comme d'une Académie, très officielle,
dont les confucianistes se sont toujours moqués.
Nul doute qu'il n'y eût là des risques, si le drapeau
de l'Art n'avait pas été tenu très haut et très droit
par l'empereur même. Il avait réuni le plus extra-
ordinaire musée de choses d'art chinoises qui fût
jamais; la collection Senkwa (période du même
nom, 1119-112$), qui comprenait plus d'une
centaine de peintures de Riryomin, fut publiée
et gravée ; les Japonais ont nommé ce catalogue
« Haibunsai Shogwafu». Et l'empereur, au milieu
de ses collections, discutait avec les artistes de
son Académie des mérites des œuvres, usant de
son influence au profit des plus beaux exemples et
des meilleurs modèles. Et lui-même, cet empereur
Kiso, n'était-il pas un artiste, et très grand ? Ses
biographes ont dit que son style dérivait de
Riryomin, dernière manière. On peut en juger
d'après sa merveilleuse peinture de Shaka, Monju
et Fugen, en couleurs, conservée dans un temple
près de Kioto. Il n'est pas de plus gracieuse
figure, d'esprit tout hellénique, d'un Art plus
délicat et féminin que celui de Riryomin, que ce
jeune Monju, drapé dans les longs plis de son
manteau, figure presque féminine. — Le pigeon
blanc et le pigeon mordoré au milieu des fleurs
(174)
Copie D'Apres une Peinture de Liang Chi
(en japonais Riôkai). XIVe siècle.
Planche LXI.
MffiTMffi*
L'ART IDÉALISTE EN CHINE
de pêcher de Kiso, le montrent inspiré de Joki.
— Mais peut-être est-il le plus grand dans le
paysage, avec les deux merveilleux kakémonos
du Daitokuji de Kioto. L'un montre un poète,
(et c'est presque un Riryomin), dans un surprenant
décor de montagnes : il s'est assis au pied d'un
cèdre que les tempêtes ont ravagé ; un grand roc
se dresse au premier plan, et au loin une chaîne
de pics rudes ; de blancs nuages flottent dans
une atmosphère lourde, et une cigogne sauvage
vole et semble s'abandonner à l'infini. La pose
du poète, que la Nature a repris tout entier, et
qui se livre à elle dans l'oubli total de sa con-
dition, un bras contre le rude tronc du cèdre aux
branches convulsées comme les faisait Zengetsu
Daishi, est d'une beauté sans égale. — L'autre
peinture représente un paysage de rocs et de
bambous au bord d'une cascade qui s'échappe d'un
défilé ; un singe est suspendu à un arbre au-
dessus de la cascade. Au milieu des rocs
écroulés une figure se tient debout, contem-
plant les abîmes. C'est au petit matin, alors
que les brumes de la nuit rôdent lourdement
autour des rochers. Dans de tels paysages, le
style de Kiso n'a rien de Godoshi ni de Kakki.
Le trait, chez lui, a une grande force, mais aussi
une suprême élégance ; il ne cherche pas à rendre
l'espace par de grands partis pris de lumière et
d'ombre, ni à établir ses masses par des effets
impressionnistes. Aucun détail n'est négligé,
et cependant l'effet est large par la perfection
même de la touche.
Dans ce long règne artistique de Kiso (iioi-
(■75)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
ii 26), il ne fut pas sans influencer d'autres
membres de la famille royale Cho des Song,
spécialement Chao-ta-nien (Chotainen), le paysa-
giste exquis en couleurs, et Chao-Chienli
(Chosenri). — Ritonous alaisséde beaux paysages
avec buffles, mais où il se montre inférieur à
Taisu des Tang. Fameux vers nu, il mourut à
quatre-vingts ans vers n 30. — Li-Ti (Riteiki),
artiste de l'Académie impériale, s'illustra dans le
paysage et les figures. — Li an-Chung (Rianchu)
fut excellent dans les oiseaux et les chevaux en
mouvement ; il nous a laissé de vivantes visions
des Tartares Kins, qui dévastaient l'empire du
Nord ; comme il a su bien rendre le Tartare à
cheval tuant un daim sauvage ! Jinkouin nous a
transmis de curieuses scènes de vie rurale.
Une des plus belles peintures de cette époque,
très près de Kiso Kotei, est celle de cette grande
dame des Song appuyée à un grand pin, de la
collection Ch. Freer, marquée de sceaux impé-
riaux, et exécutée avec tant de force unie à
tant de douceur. On a pu avec vraisemblance
l'attribuer à Chao-ta-nien, cousin de Kiso
Kotei.
II. LES SONG DU SUD A HANGCHOW SUR LE YANGTSÉ.
L'AMOUR DE LA NATURE, ET L'ART DU PAYSAGE PÉNÉTRÉ DE LA DOCTRINE
ZEN. I LES PEINTRES MA YUAN, HSIA KUEI, ET MU CHI. H L'INVASION ET LA
CONQUÊTE MONGOLE. 1 LA DYNASTIE MONGOLE DES YUEN*. Il L'ÉCOLE
RÉALISTE DES YUEN.
Ces vingt-cinq années resplendissantes de Kiso
Kotei à Kaifongfu, sur la rive sud du fleuve
Hoangho, un des centres les plus vénérables de la
(■76)
RÀKKANS PAR LIX TING-KUEI.
Ac DAtTOKujj i.k KroTn.
L'ART IDÉALISTE EN CHINE
vieille civilisation chinoise, sombrèrent dans la
plus terrible secousse que la Chine ait subie depuis
Genso des Tang. La cité fut prise et tout le
Nord de la Chine occupé par les Tartares Kins
en ii 26. Les historiens en ont chargé Kiso Kotei,
l'esthète impie; ils en ont fait une sorte de Néron,
devant Kaifong en feu. Les confucianistes
n'avaient-ils pas été les premiers à lui donner les
plus funestes conseils ?
Ces Tartares, les plus civilisés de leur race,
étaient en contact avec la Chine depuis quelque
temps : la culture des Song les avait pénétrés.
Comme en 11 14 ils serraient de près les Liang,
ceux-ci, sans en référer aux Song, les avaient
attaqués et vaincus. Ces Liang rebelles, les
Tartares avaient offert à Kiso de l'aider à les
soumettre, et ils les réduisaient après une dure
guerre de sept années. Mais alors les Tartares
se retournaient vers l'empereur et demandaient la
récompense de leur aide. Ce prix fut tout le Nord
de la Chine, la captivité de Kiso lui-même, et
la capitale reculée aux provinces du Sud. Ce
désastre de 11 27 est le point douloureux de
l'histoire chinoise. La capitale, en 11 38, était
transférée à Hangchoiv, sur les bords si pitto-
resques du Yangtsé, avec la proximité du beau
lac voisin entouré de montagnes, au bord duquel
on éleva un grand mur, interrompu de grandes
portes d'accès ; avec ses canaux et ses ponts
arqués, Hangchow devint une sorte de Venise,
et le palais s'élevait sur une langue de terre
qui séparait le lac de la rivière Sento, vaste
estuaire ouvert sur la mer.
il77)
12
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
Marco Polo vit la magnifique cité vers n jo
et en fit une description enthousiaste. Qu'est-
il resté de ces splendeurs après sa terrible destruc-
tion par les Taipings en 1860 ?
Kiso, prisonnier des Tartares Kins qui avaient
leur capitale près du site actuel de Pékin, y
vécut au milieu de nombreux Chinois qui l'avaient
suivi ; et, déchu de son pouvoir, il n'en poursui-
vait pas moins ses rêves d'art, et ne pouvait
que civiliser heureusement ses maîtres. Ils
n'étaient plus du tout des sauvages quand, un
siècle plus tard, les Mongols les absorbèrent.
L'étude de cette période de la civilisation
tartare sera digne d'étude. Kiso mourut captif
en 113 J.
Bien loin que l'esthéticisme excessif de Kiso ait
été une cause de réaction, le nouveau gouver-
nement d'Hangchow se plongea dans les délices
des arts avec une nouvelle ardeur. L'Institut
Impérial d'Art devint un organe même des ser-
vices de la Cour, avec une suite d'examens et
un rang hiérarchique analogues à ceux des Belles-
Lettres. Et ce qui est stupéfiant, c'est que des
artistes officiels comme Ma Yuan (Bayen) ou
Hsia Kuei (Kakei) aient pu, dans cette dépen-
dance, rester aussi libres et peindre avec autant
de fantaisie personnelle et de personnalité res-
pectée. Au fond, ils étaient à la Cour comme
Phidias devant Périclès, ou les quattrocentistes
devant les Médicis.
Jamais l'amour de la Nature et la passion du
paysage ne furent plus ardents. Cette cour des
Song était là dans son milieu natif. Non loin
(i78)
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Ê3
Femmes Chinoises Écrivant.
Par Torin (Dynastie des Ming).
Collection Charles Freer, à Détroit (Etats-Unis).
Planche LXIV
L'ART IDÉALISTE EN CHINE
était cette rivière pathétique où Butei de Rio
avait conçu ses créations bouddhiques dans
l'ancienne Nanking. Non loin s'élevaient les
grandes chaînes de montagnes, étincelantes de
leurs lacs, où Toemmei et Shareiun avaient
trouvé l'inspiration de leurs plus célèbres poésies
naturistes. C'avait été toujours cette puissante
imagination du Sud qui avait soutenu l'inspiration
du Nord; et elle revenait à ses sources les plus
pures après cinq siècles d'absence. Elle y reprit
un bain salutaire et vivifiant; et l'on vit ce pro-
dige d'un peuple entier exprimant, par l'art, ses
plus intimes émotions, ses rêves et ses méditations,
comme avait été chrétien l'art du cinquecento
italien, comme avait été bouddhique l'art des
Fujiwara à Kioto. Mokkei était digne d'entrer
dans la société de Fra Angelico ou de Yeishin
Sozu.
Ce furent donc ces Song du Sud qui ont con-
tinué avec leur originalité propre la contem-
plation de la Nature de la secte Zen. Elle
réalisait tout ce que le Taoïsme avait pensé et
interprété, tout ce que Kakki avait expliqué
dans les développements symboliques et poétiques
de son grand Essai. Chaque moine Zen, chaque
abbé devient un peintre de paysage et imagine
des figures qui sont substance même de ces
paysages et ne pourraient plus en être isolées.
On a continué d'écrire sur la Nature, on a con-
tinué à faire des vers, mais le vrai génie de
l'époque s'était tout entier adonné à la peinture.
Loin de se sentir enclins à revenir au rituel
ascétique des confucianistes, les nouveaux
^79)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
empereurs du Sud, au lieu de résister au Confu-
cianisme, cherchèrent à le transformer, et trois
générations se mirent en quête d'un système où
Confucianisme, Taoïsme et Bouddhisme Zen se
seraient confondus. Mais il aurait fallu compter
sans Genghis Khan, chef des Mongols en 1206,
maître de toute l'Asie et d'une moitié de
l'Europe.
La vie à Hangchow fut un miracle d'épanouis-
sement idyllique. Hommes d'État, artistes, poètes,
prêtres Zen, étaient sur le pied d'une totale éga-
lité spirituelle, amis intéressés dans leurs res-
pectifs travaux ; le matin était consacré au
travail, mais les journées et les soirées se
passaient sur les lacs, sur les terrasses, sur les
degrés des temples, dans les villas au bord des
baies. Autour des villas des jardins s'étendaient
avec de fraîches terrasses, des ponts de marbre :
on en peut voir encore les restes à Hangchow et
à Fuchow.
Si l'on s'occupait de philosophie, d'histoire et
de peinture, quelle passion pour la poterie ! Ce
furent les vrais créateurs des bruns crémeux, des
gris marbrés, des rouges pourpres et des bleus
laiteux dans les émaux opaques.
La première génération de ces artistes des
Song du Sud, de si prenante influence sur les
Japonais, appartenait déjà à la grande Ecole
Senkwa de Kiso Kotei ; c'étaient Riteiki et Rianchu
et le vieux Rito et Sokanshin. Mais Yangpu Chili
(Yohoshi) s'était dérobé aux avances de Kiso qui
cherchait à l'attirer. C'était un talent fruste, qui
ne prenait conseil que de sa propre sensibilité,
(180)
Camélias.
Par Shun-Kù (en japonais Shunkio).
Dynastie des Ming.
Planche LXV.
tâ&ttbtL
§1
-
- -
Cigogne au Vol.
Par Renshiren.
Temple Shokokuji.
Planche LXVI.
L'ART IDÉALISTE EN CHINE
se bornait à peindre à l'encre de plusieurs tons
des branchettes de prunier, des orchidées, des
bambous, des pins.
Parmi les plus anciens artistes qui aient apparus
dans la Chine du Sud sous le premier empereur,
furent Bakoso, le critique de la nouvelle Académie,
et Bahvashi, natif d'Hangchow, qui peignit une
suite de trois cents pièces illustrant les anciennes
odes composées par Confucius. Un commentaire
poétique les accompagnait, et ce devint vite une
coutume de tracer des écritures sur les fonds
des œuvres peintes aussitôt faites, et qui se
transmit au Japon des Ashikaga ; ainsi l'œuvre
pouvait avoir une triple beauté, quand à la
peinture et à la poésie venait se joindre la calli-
graphie.
Ce premier empereur Koso, qui avait édifié le
palais de Hangchow en 1138, avait gouverné en
pleine paix, en grand patron des arts, jusqu'en
1162, et vécut jusqu'en 1 187, bienqu'ayantrésigné
le pouvoir aux mains du second empereur.
D'autres artistes de cette éclatante période de
Koso furent Mosho, animalier, et son fils Mao
Yih (Moyeki), qui fut surtout dans la période Kendo
(1 165-1 175), le peintre des chats et des tigres,
dont il rendit si bien les pelages (le tigre de la
collection Freer).
Ce fut vraiment le règne du quatrième empe-
reur de Hangchow, Nin Tsung(Neiso), quifutl'apo-
gée du resplendissant génie des Song(i 195-1224).
Mais cette belle période comprit aussi la fin de
règne du deuxième empereur et le court règne
du troisième, si bien que cette grande ère his-
(181)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
torique et artistique peut être ainsi divisée :
la vie de Koso, n 27-1 187; l'âge de Neiso,
1 187-1225; le règne de Riso, 122 5-1 264.
L'âge de Neiso, qu'avaient préparé l'ère Senkwa
et l'époque de Koso, vit la consécration définitive
et le triomphe de la pensée philosophique et de
Shuki ; époque de raffinement intellectuel et d'intel-
ligente compréhension féminine. Ce fut le moment
des grands peintres du Sud Ma Yuan (Bayen),
Hsia Kuei (Kakei) et Mu Chi (Mokkei).
Ma Yuan (Bayen) était d'une famille qui, à de
bien lointaines générations en arrière, avait pro-
duit des artistes. Son grand-père Bakos avait
été un des grands critiques, et un des fondateurs
de l'Académie du Sud. Son père Bakeisei avait
occupé un rang élevé sous le second empereur.
Son oncle était le célèbre Bakoku. Lui-même
devint un des plus célèbres professeurs, et ses
peintures, fameuses déjà de son temps, étaient
encore l'objet des études passionnées des Ming.
Il fut le premier à peindre les trois grands fon-
dateurs de religions et de philosophie de la
Chine, Sakyamuni (ou Bouddha), Confucius et
Laotse, que le professeur Giles avait pris pour
un portrait du Christ et de ses disciples ! Ce fut
peut-être d'après Bayen que Kano Masanobu
reprit le même sujet. A la composition s'applique
exactement la description d'un critique des Song,
qui parle de Shaka se promenant et se retournant
vers Laotse et Confucius qui marchent ensemble.
L'influence bouddhique de l'Inde en découle
encore formellement. — Bayen fut le second à
peindre les huit fameuses vues du lac Shosei,
(182)
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Danse de Femmes.
Peinture au trait, par K'iu Ying (en japonais
Kiuyei). Dynastie des Ming.
Planche I.XYII
5
eu
L'ART IDÉALISTE EN CHINE
que seul Sobunshi avait peintes un peu avant lui;
mais l'œuvre de Bayen, beaucoup plus belle, est
devenue typique dans la suite pour tous les
artistes chinois et japonais.
Tout ce que Bayen peignait pour l'empereur
Neiso portait le commentaire délicatement poé-
tique, et la calligraphie delà jeune sœur de l'empe-
reur, Yokei, preuve de la haute situation de
Bayen à la Cour, et de l'influence délicate des
femmes.
Le Japon possède encore, dans les vieilles
familles de Daimios et dans ses temples, de nom-
breuses peintures de Bayen. Il s'y montre digne
héritier de Kiso Kotei dans les paysages, et aussi
de Riryomin dans les figures. On retrouve peu
dans ses œuvres les grands effets par taches de
brumes, de nuages et de feuillées que réussirent
les premiers Song, Kakki et Risei. Sa touche est
plus claire, nette et ferme, sans heureux hasards,
mais volontaire. Sa couleur est très légère, faite
de quelques teintes transparentes, juste assez
pour modifier le ton de l'encre et du papier.
Il est le vrai maître de l'École Kano au Japon. Il
aimait à peindre les charmantes villas qui entou-
raientlelac de l'Ouest, et qui étaient serties comme
des pierres précieuses, dans la vallée. Il savait
aussi supérieurement placer un arbre dans sa
composition, en en cherchant attentivement et
passionnément le dessin, jusqu'à lui donner une
vraie individualité.
Kakeî peut être considéré comme un des plus
grands paysagistes de l'Art chinois, et peut-être
même du monde entier. Il était un vrai disciple
(183)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
de Kakki, et continua à poursuivre ces effets de
brumes où les oppositions du blanc et noir sont
cherchées avec une subtilité de touche et une fran-
chise, également dignes de Whistler et de Manet.
Il fit rarement des figures ; ce fut un pur paysa-
giste étonnamment impressionniste. Il aima
peindre les vues de côtes de l'estuaire de Sientang,
tout près de Hangchow. Une peinture célèbre,
que Sesshu connut bien, montre ainsi un pavillon
au bord d'une crique, un fond de montagnes dans
le brouillard de l'autre côté de la baie, avec de
superbes groupes d'arbres, grands pins, chênes
et saules.
Une autre série d'oeuvres montre Kakei sur-
prenant les brumes flottant sur les plaines maré-
cageuses, desquelles se dégage la forme tordue
d'un arbre (très caractéristique de Kakei).
Une œuvre fameuse était un long rouleau,
suite panoramique de la rivière Yangtsé, ses
sources en ruisselets, son passage dans des
gorges, son embouchure. Telle partie, avec ses
pics sauvages, est comme une grande étude géo-
logique, conçue avec l'emportement d'un Turner.
Il peignait encore de merveilleuses cascades,
(Tanyu en copia une) avec sa poussière
d'eau et ses brumes. Une copie du temps des
Yuen ou des premiers Ming nous révèle de Kakei
un magnifique aspect de la côte chinoise, une
cité entourée de murs, au bord d'une petite baie;
et tout est rendu dans la distance et dans l'atmo-
sphère avec une vérité poétique et un art tout à
fait rares.
Parmi les artistes qui, sous l'empereur Neiso,
(184)
Un Palais.
Par Kameiyen (Hsia-Ming-Yuan)
Planche LXIX.
R
y
La JIusique Sans Instruments.
Par Gessan. XIXe siècle.
Planche LXX.
L'ART IDÉALISTE EN CHINE
entouraient Bayen et Kakei, nous connaissons
Moyeki, le grand peintre de tigres. Il y eut Baki,
le jeune frère de Bayen, Barin et Karin, les fils
de Bayen et de Kakei ; Rinshonen était célèbre
pour ses paysages de fermes et ses scènes de
tissages, imitées parles Kanos, et pour ses scènes
enfantines. Sa couleur riche, dans les bleus, les
verts et les rouges, a eu une très certaine
influence sur les Ming.
LiSung (Risu) était un charpentier, qui s'éleva
peu à peu dans la hiérarchie académique. Il
peignait des paysages du lac Seiko. Yen T^u
ping- (Enjihei) rappelle Kakei, mais plus dur et
anguleux. Hsia Ming Yuan (Kameiyen) faisait de
grandes architectures dans des paysages colorés.
Liang Chieh (Riokai) enfin, peintre de figures,
d'une suprême habileté et d'une touche violente
dans ses coups de pinceau audacieux.
Sous le règne de Riso, paraissent Wang Hui
(Oki), peintre de villas, imitateur de Bayen; Fan
an-jen (Hannanjin), peintre de poissons ; Ma-Lui
(Barin) et Hsia-Lui (Karin). Renshiren a laissé
une splendide peinture, au temple japonais Sho-
kokuji, d'une cigogne volant devant un fond de
montagne, qui semble avoir été un des grands
modèles de ce genre pour les Japonais.
Mais celui qui domine vraiment cette troisième
époque est Mu Chi (Mokkei), avec ses élèves les
prêtres Zen, étrangersà l'Académie, qui poussèrent
encore plus loin l'impression passionnée de Riokai.
Dédaigné des critiques chinois, à cause de son
indépendance, nous savons peu de chose de lui.
Il est le suprême impressionniste de l'encre, car
O85)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
il ne peignit pas avec les couleurs. Il n'a sans
doute pas la violence et l'audace hasardeuse
du coup de brosse. Son pinceau est subtil et doux;
pour rendre les impressions poétiques de la nature,
il n'a pas de rival. Il a été le grand modèle des
Japonais, de Sesshu et de Noâmi; Kano Motono-
bou, dans son style adouci, procède de lui, comme
toute l'École Kinkakuji de Kioto. Il fut le centre
d'une école d'artistes religieux, que les confu-
cianistes voulurent ignorer, et qui par son pur
esprit Zen fut intégralement adoptée par les Japo-
nais. On trouve dans son œuvre des moineaux sur
une branchette, des groupes de hérons dans les
lotus, ou un héron dont le vol s'abat sous une
averse de pluie, une poule et ses poussins, des
raisins pendant à la vigne; et quand il peignait de
purs paysages, il n'était pas inférieur aux plus
célèbres, de même que dans ses figures de Rakans
ou de Daruma, il a la noblesse qu'apportait Millet
dans ses fusains.
Cinq peintures sur soie de Mokkei sont au
Daitokuji de Kioto : deux cigognes et des
bambous, un tigre grognant à la pluie, la
tête d'un dragon émergeant d'un nuage, une
guenon à longs bras et son petit perchés au
sommet d'un arbre enguirlandé de vignes,
toutes peintures inspiratrices des artistes des
Ashikaga, sans excepter Sesshu. Mais la cin-
quième de ces peintures est sansdoute, avec celles
de Godoshi et de Riryomin, une des plus gran-
dioses compositions que la peinture chinoise
nous ait révélées : c'est la Kwannon blanche,
assise dans une caverne rocheuse, avec les flots
• {186)
.Fleurs, Feuillages et Oiseaux.
Par Gioku-wô. XIX' siècle.
Musée de Boston (Etats-Unis).
Planche LXXI
Bosquet de Bambous Sous la Tempête.
Par Danshidzui.
Planche LXX1I.
L'ART IDÉALISTE EN CHINE
qui baignent ses pieds ; un vase de cristal dans
lequel trempe une branchette de saule est posé
sur un roc à gauche; des herbes retombent de
la voûte de la caverne. De légères nuées blan-
châtres traînent dans l'espace. La plus absolue
beauté réside dans la figure même de la Kwannon,
infiniment gracieuse dans sa pose un peu inclinée
en avant, comme si elle prêtait l'oreille aux voix
des marins en détresse qui lui arrivent sur les
flots, figure toute féminine comme on la voit sur
les porcelaines modernes. Figure toute plastique
aussi, exécutée dans la pureté et la fermeté de
ses formes comme une statue de marbre, et
dune expression tendre que n'ont jamais eue les
figures semblables de Riryomin.
De nombreux artistes de la secte Zen suivirent
Mokkei à la fin de l'époque des Song. Un des plus
remarquables est Mu An (Mokuan), dont le trait de
dessin est plus lourd et plus écrasé. Mommukan
a moins de vigueur. Konenki, avec ses paysages
brumeux, peignait aussi les mouvements de l'eau
et des nuages, et leur esprit familier, le dragon.
La logique et le souci d'être complet pour-
raient amener à consacrer deux chapitres isolés
à l'Art des deux dynasties qui suivirent les Song,
à celui des Yuen (Gen) qui suivit, et au long
apogée des Ming. Serait-ce un juste souci de
proportion ? Le xive et le xv° siècle produisirent
certes de notables œuvres d'art, mais la
beauté des formes en sera désormais trop
souvent absente. Les grandes époques sont
passées. L'étude de l'Art des Yuen et de celui
(187)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
des Ming est surtout intéressante pour y chercher
la courbe des rapports entre l'Art des Song en
Chine, et l'Art des Ashikaga au Japon.
La fin de la dynastie Song est une époque
tragique dans l'histoire de l'humanité, celle de la
conquête mongole, houle dévastatrice, des rivages
du Danube et de la Baltique aux rives des mers
de Chine. Et cependant il en résulta ceci, qui
est important, le contact direct entre Chine
et Europe. Durant la courte dynastie mon-
gole des Han(i 280-1 368), les princes chinois furent
reçus à Rome par le Pape, les missions francis-
caines s'organisèrent en Chine, Marco Polo visita
Hangchow et nous en laissa un récit véridique.
Après les Yuen, il se passa deux siècles où les
Européens n'y purent pénétrer, et durant ces
deux cents ans le sentiment des Song s'était vola-
tilisé. Gengis Khan était devenu chef des Mongols
en 1206. Dès 121 3, il dominait déjà les Kins, les
adversaires invétérés de Hangchow. En 1227,
Gengis Khan avait soumis à l'Ouest les Sarrasins.
En 1234, ses successeurs avaient anéanti les Kins,
et commencé à envahir le Sud de la Chine.
Malgré l'étonnante résistance de cette civilisation
d'Hangchow durant cinquante ans encore, peu à
peu les Mongols la réduisirent cité par cité, et
Marco Polo les y aida. En 1276, la famille impé-
riale fuyait Hangchow, et, en 1280, le conqué-
rant mongol Kublai Kan (pour les Japonais Seiso),
devenait premier empereur Yuen. Aussitôt les
confucianistes proposèrent leurs services, et tous
les rouages administratifs furent de nouveau
entre ces mains natives; ils faisaient détruire
(188)
Le Célèbre Tabernacle Coréen Tamami shi,
A Horiuji (Japon). VI siècle.
Planche- LXXIII.
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C
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'.1 "•
L'ART IDÉALISTE EN CHINE
tous les livres « hérétiques » des philosophes
d'Hangchow. On allait revoir les anciens jours
du formalisme ancien ; c'était reculer à la men-
talité du xe siècle.
L'Art chinois se plia à la compréhension de
ses nouveaux maîtres : l'Art des Yuen devient
réaliste, pour interpréter en brillantes couleurs
les arbres et les fleurs deleurs jardins, lesanimaux
qu'ils préféraient, surtout les chevaux, les détails
de la vie matérielle. Ils demandent conseil aux
maîtres les plus réalistes des derniers Tang et
des premiers Song. Toute trace d'idéalisme Zen
a disparu. Ce sont les chevaux de Soba, Kankan
et Riryomin qu'on imite ; la sécularité de style
de Seikinkoji et de Ganki dans les figures ; et
pour les fleurs, le style de Joki, Kosen et
Chosho. Les grands maîtres des Yuen sont Chao
T\u-ang (Chosugo), Chien Shun-CJiii (Sen-
Shunkio) et Gessan, peintres de figures de belles
lignes, mais ténues, groupées, hommes et femmes
se distrayant dans les jardins, les figures fémi-
nines un peu conventionnelles et poupées, avec
bien moins de grâce et de liberté que sous les
Song. On peignit aussi des scènes historiques
ordonnées par les confucianistes, comme instruc-
tives. Une composition de Gessan où des per-
sonnages sont en extase, les yeux fermés comme
pour goûter une imaginaire musique ; la figure
centrale, devant une table, semblant jouer d'un
luth absent, est d'une pure ironie d'idéalisme.
Des portraits de Shunkio et de Sugo, non dénués
de beauté, ne sont que réalistes. Le grand repas
peint par Fugo, frère de Sugo, rappelle les sou-
(i89)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
pers des Romains de la décadence, d'un beau
sentiment de composition, mais faible de dessin,
et comme d'un Riryomin éteint. Dans des pay-
sages, Sugo manie l'encre à la façon des Song,
mais leur esprit même ne s'y retrouve plus.
Shukei, dans ses paysages et son exécution
colorée, vrai disciple de Rishikui, se montre
inspiré plutôt des Tang que des Song. Tous ces
artistes sont vieillots et font du vieux neuf. C'est
encore dans les fleurs et les branches isolées
qu'ils sont les plus forts. Il y a plus de rigueur
(mais est-ce mieux qu'une photographie colorée?)
dans un camélia de Shunkio. Les hérons de Cho-
kuboku dérivent d'un original Song. On ne sait
jamais si leur meilleure œuvre qu'on a devant les
yeux n'est pas une pure copie.
Une autre branche de l'Art des Yuen se déve-
loppe sous l'esprit de révolte confucianiste contre
ce style réaliste des peintres de la cour des
Mongols. Dans les provinces, la tradition des
Song n'était pas morte parmi ces peintres-poètes
comme Toba et Beigensho, individuels et indé-
pendants. Ils étaient suivis par des jeunes hommes
comme Moggiokkan, Choyen, Randenshuku ; ils
étaient très littéraires, mais aptes à rendre leurs
émotions sous des formes picturales plus arrêtées
et voulues. Ils aimaient les grands effets de
brumes sur les montagnes, traversées de
rayonnements de soleil. Ils cherchaient à attein-
dre une haute et réelle beauté. Cette nouvelle
École de paysagistes-poètes ne fut guère connue
au Japon avant le xvme siècle.
Mais ce ne sont pas vraiment ces écoles qui
(190)
Le Prince Shotoku-taishi (+621) et ses Deux Enfants.
Peinture par le prince coréen Asa.
Planche LXXV.
Peintures et incrustations de Nacre au dos
D'Instruments de Musique Appelés " Biwa."
VIIIe siècle. Trésor du Sho-Soïn à Xara.
Planche LXXV1.
L'ART IDÉALISTE EN CHINE
aidèrent à la transition des Song du Sud aux
Ashikaga du Japon. Ce fut l'Art conservé dans
les temples Zen que la mer avait toujours main-
tenus en relations maritimes avec le Japon. Ce
fut cet esprit Zen que deux ou trois grands maîtres
avaient religieusement conservé au xive siècle,
comme le souvenir impérissable d'Hangchow, et
qui s'était aussi conservé dans les provinces de
l'Ouest et du Centre, le Shoku et le Szechuan.
L'un des plus fameux fut le paysagiste et peintre
de bambous Danshid%ui: presque aussi remarquable
que Kakkei. Son bosquet de bambous courbés
sous la rafale, qui tamise la lumière du soleil le-
vant, est un beau souvenir des Song. — Un autre
remarquable peintre de figures est Gankî. Comme
il sut bien peindre les sauvages serviteurs du
temple de Bouddha, Kanzan et Jittoku ! (collection
Kawasaki à Kobe). Son Takkai Sennin exhalant sa
propre image sous la forme d'un souffle de ses
lèvres est au Daitokuji de Kioto. On y trouve
quelque chose du profond sentiment de Mokkei,
et du grand peintre des Song, Zengetsu Daishi.
Les Mongols devaient disparaître devant le
soulèvement des vrais Chinois, assez analogue
à ce que fut au xixe siècle la révolte des Taipings
contre les Manchous. Cela commença vers 1348,
mais prit toute sa violence avec Gensho, vrai génie
militaire, en 1355; après une lutte opiniâtre, il
était proclamé empereur en 1368, et fondateur
de la nouvelle dynastie des Ming. La révolte na-
quit dans le Sud, Gensho rétablissait la capitale
à Nankin g, vieille cité de la puissance des Liang
au vie siècle. Ce fut au milieu d'un enthousiasme
(190
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
national inouï qui revoyait déjà les beaux jours
d'Hangchow, mais hélas suivi de cruelles désil-
lusions. L'esprit chinois avait été bien modifié
par la débauche des Gen ; il n'existait plus de
génie pour faire revivre la philosophie des Song.
L'art des Ming, au début, pendant cinquante
à cent ans, s'appuie sur Bayen et Kakei. Et
c'est lui qui opéra la transition entre l'art des
Song et le Japon des premiers Ashikaga. De grands
paysagistes qui le représentent, sont Taibunshin
et Sonkuntaku, mais avec une certaine maladresse
de dessin. Les fleurs de Rioki sont conformes
aux données de Yoki et de Chosho. Le coup de
pinceau est grossier, là où celui des Yuen était
si vif et distingué. Et comment se retrouver au
milieu de tant de copies! Ces figures sont de
traits encore beaux, mais les proportions des
corps sont moins classiques que celles des Yuen,
les têtes trop larges et lourdes chez les femmes
surtout, et les cous trop petits, les épaules si
retombantes que les corps en semblent privés.
Les meilleurs de ces peintres sont Kinyei et Torin
(collection Ch. Freer).
Ch'uan Shih (Rinno) est le Mokkei de son
temps, par l'entrain étonnant de son coup de pin-
ceau; son grand phœnix, oiseau Hoo du Sokokuji
de Kioto, est vraiment admirable.
Shubun semble avoir été une résurrection de
Kakei. On le connaît surtout du côté japonais;
car il dut venir au Japon comme immigrant et y
fut naturalisé sous le nom de famille Soga vers
1420. Il vécut et peignit au Daitokuji où il fonda
la grande École Soga des Ashikaga.
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L'ART IDÉALISTE EN CHINE
Cent ans après le premier Ming, cette renais-
sance artistique non seulement n'existait plus,
mais était déjà oubliée. Les confucianistes qui
avaient tout pouvoir à la cour avaient décidé, en
142 1, le troisième empereur Ming à reporter de
nouveau la capitale au Nord, à Pékin, où
furent les Mongols, où les confucianistes avaient
le champ libre. Il est fort heureux que Sesshu,
le plus grand génie du Japon, et qui était un
prêtre Zen, soit venu en Chine vers 1466, avant
que le Confucianisme n'ait pu tout y changer. Peu
d'années plus tard, c'eût été comme un voile
baissé sur l'ancien monde, et l'art y serait
apparu comme celui d'une autre planète.
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CHAPITRE XI
L'ART IDÉALISTE DES ASHIKAGA
AU JAPON
LES RAPPORTS DU JAPON AVEC L'EMPIRE CHINOIS DES MING. 0 L'INFLUENCE
DE LA DOCTRINE ZEN SUR LA PENSÉE JAPONAISE. || L'ÉCOLE DE TAK.UMA
ET CHODENSU. I NOAMI, GEIAMI, SOAMI, SHUBUN, JASOKU ET SHIUBUN.
Il SESSHU. Il SESSON ET SOTAN. Il LES QUATRE GRANDS TEMPLES ZEN
DE KIOTO.
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uel était l'état de choses au Japon à la fin
du xiv* siècle ? La fin de l'oligarchie des
Fujiwara au xne siècle avait ruiné ces
influences chinoises que le Japon subissait
depuis les Tang. L'âge féodal de Kamakura lui
avait donné du moins ses institutions démo-
cratiques et son goût dramatique qui s'était
adapté à des formes bien nationales. Bien que
divisé, le Japon avait su résister au choc des
Mongols. Mais quand la dynastie Ming se fut
solidement constituée en Chine en 1368, la situa-
tion changea. Cette date était exactement celle
où le troisième Ashikaga Yoshimitsu, en vrai
homme d'État, sentit que le Japon avait un pres-
sant besoin de centralisation, que loin de vivre
séparés du Mikado, les Shoguns devaient s'en
rapprocher. Il ramena la capitale shogunale à
Kioto, rapprochant ainsi les deux cours, impé-
riale et militaire. L'Empire Ming était alors
coupé de toutes ses provinces du Nord-Ouest :
Turkestan, Mongolie, Manchourie, et n'était
(195)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
pas fâché de s'appuyer sur ses amis de l'Est,
dans une commune haine des Mongols. Une
mission japonaise vint alors à Nanking, la troi-
sième année de la nouvelle dynastie.
C'était à ce moment une Chine transformée et un
nouveau Japon qui se trouvaient en présence. Le
Japon n'avait pour ainsi dire rien connu des ten-
dances libératrices de l'esprit chinois des Song, de
la nouvelle philosophie, du goût contemplatif de
Zen, des grandes écoles académiques de Paysage
de Kaifong et d'Hangchow ; et d'un autre côté
ce Japon, déchiré par de longues luttes, privé
depuis si longtemps de toute discipline sociale,
d'éducation et d'arts, était profondément affaibli
de si constantes saignées. Les conditions se
représentaient donc semblables à celles qui sous
Shotoku au vne siècle avaient fait vibrer le Japon
au premier contact du bouddhisme ésotérique
chinois, etpuis encore de nouveau sous les Fujiwara
au ixe siècle. Mais les conditions étaient peut-
être plus favorables encore. Ce fut là le côté
génial de Yoshimitsu de sentir combien cette
renaissance de l'esprit des Song, pénétré de médi-
tation pacifique par les Ming, pouvait être pour
le Japon le salut. Il pensait lui redonner le
culte de l'idéal, et par là refaire l'unité
spirituelle de la nation.
Le grand palais Muromachi de Kioto fut bâti
en 1378, et aussitôt la culture des Song péné-
trait le Japon par ses livres, sa philosophie, sa
poésie, la religion Zen, et l'art d'Hangchow. Ce
fut à cette date que le Japon reçut de Chine
tant de peintures Tang et Song originales, sans
(196)
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Portrait de Prêtre.
l'.ir Kobo-Daishi (774- — 834).
Planche LXXX.
L'ART IDEALISTE DES ASHIKAGA AU JAPON
compter les innombrables copies Yuen et Ming,
dont les Tokugawa furent si riches. Et cela fut
heureux, car c'était des derniers moments de la
grande ferveur de sentiment des Song, et de la
haute culture chinoise que le Japon recueillit à
temps les bienfaits, dont il a joui jusqu'à la fin ;
et l'on peut dire que jusqu'en 1894 il a reflété
sans en avoir brisé la continuité les plus purs
rayons de l'illumination d'Hangchow.
La vie de Ashikaga Yoshimitsu peut se diviser
en deux parties ; les vingt-six années de i}68
à 1 }Ç4 où il fut Shogun ; et les quatorze années
de 1394 à 1408, date de sa mort, période durant
laquelle, ayant déposé le pouvoir en faveur de
Yoshimochi, il n'en détint pas moins toute auto-
rité dans sa nouvelle vie de prêtre Zen, et dans
l'éloignement de sa splendide villa-temple du
Kinkakuji, au Nord-Ouest de Kioto. Dans la pre-
mière période il put, au milieu de difficultés graves,
préparer ce qu'il devait voir pleinement réalisé
dans la seconde : le grand mouvement de cul-
ture chinoise, d'où l'art japonais devait rece-
voir une force nouvelle, impulsive et créa-
trice.
Il n'est pas absolument juste de dire que l'art
des Song et que l'influence Zen aient été tota-
lement ignorés du Japon durant la période de
Kamakura. Il y a bien des raisons de supposer
qu'au xe siècle déjà, le grand peintre japonais
Kose Kanawoka a pu être influencé par l'ancêtre
des Song Chu Hui (Joki). Il est plus certain
encore, qu'au début de Kamakura, des prêtres
Zen chassés des provinces du Nord des Song
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
par les Kins, et des provinces du Sud par les
Mongols, s'étaient réiugiés au Japon pour y
fonder des temples Zen, surtout à Kamakura,
ou Kenchoji fut édifié en 1253. Il est même évi-
dent que la cour féodale de Kamakura a patronné
en un certain sens cet art, en opposition à l'art
Tosa pur qui était plutôt l'expression de la cour
impériale de Kioto.
C'est cette influence Song de Riryomin et de Zen
qui pénétra l'École de Takuma. Au début du
xive siècle, les traditions de Takuma, de Tosa
et de Kose, étaient assez confondues, mais à la
fin du xive siècle, la haute culture de Yoshimitsu,
l'autorité des temples Zen de Kioto avaient
incliné Takuma Yeiga à la religion Zen et à la
compréhension de Ririomin. S'ilfit quelques beaux
portraits Zen, il tenta aussi à la fin de donner à
ses figures colorées des fonds de paysages mono-
chromes, dans une sorte de style Ming, sans
abandonner pour cela le pur paysage à l'encre
des vieux Song. 11 était ainsi le véritable repré-
sentant et chef d'une des écoles d'art sous Yoshi-
mitsu, alors que d'autres artistes plus épris des
Song suivaient plutôt les traditions de Mokkei.
Ce fut un disciple de Takuma Yeiga, Cho-
densu, qui personnifia encore mieux ces idées.
Comme Noâmi, il démontrait les avantages de
l'étude dans les temples Zen qui entouraient
Kioto, comme les ancêtres l'avaient fait autour
du lac Suiko à Hangchow, mais sans oublier
jamais que l'âme japonaise devait maintenir
intact le prestige des grands souvenirs militaires
de son passé.
(198)
Trinité Bouddhique: Amida, Kwannon et Seishi.
Par Yeishin Sozu (1017).
Planche LXXX1.
Amida.
Par Yeishin Sozu (+ 1017).
Planche LXXXII.
L'ART IDÉALISTE DES ASHIKAGA AU JAPON
Ce fut alors que ce passé reçut une forme
d'expression admirable, dans le drame de
No, la plus noble forme de la littérature des
Ashikaga. Et si Yoshimitsu avait dépouillé
tout pouvoir virtuel, sa demeure de Kinkakuji
n'en restait pas moins un centre de haute spi-
ritualité, où il continuait à recevoir même le
tribut des empereurs Ming.
La véritable floraison de l'art nouveau du Japon
se produisit entre 1394 et 1428, si bien soumis
à l'influence Zen, que les grandes Écoles pou-
vaient se dire dépendantes des quatre grands
temples Zen de Kioto : Kinkakuji, Tofukuji,
Daitokuji et Shokokuji.
Kinkakuji, villa-palais de Yoshimitsu, était
aussi un temple où prêtres et étudiants vivaient
comme à Hangchow. Mais la grande École d'art
était moins religieuse qu'académique à la façon
chinoise, sous la direction d'un artiste, maître
des études. C'était Noâmi, tout pénétré de la
doctrine Zen, mais préparé à la haute critique
par de constants travaux et par l'étude des
innombrables chefs-d'œuvre de l'art chinois qu'il
put connaître alors, et dont tous les éléments
d'appréciation transmis par lui à des générations
d'artistes érudits sont encore aujourd'hui la
base des études archéologiques du Japon.
Mais s'il fut critique, Noâmi fut aussi un grand
peintre, et s'il copia des originaux chinois, il fit
aussi des œuvres imprégnées de leur esprit, dans
la tradition Zen, et dans le goût de Mokkei. Il est
exquis de délicatesse dans ses encres, d'une
exécution si mouillée, dans la finesse de sa
(J99)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
touche légère. Un de ses chefs-d'œuvre est le
promontoire avec le pin (Miyo no Matsubara ;
près du port de Tiji) qui est une feuille d'un de
ses paravents. La villa sur la colline brumeuse,
un des trois kakémonos de la suite du musée de
Boston, le montre paysagiste de profond sentiment.
Les grands paravents de Boston, avec le Dragon
et le Tigre, doivent être de sa dernière manière,
la plus puissante. Il peignit aussi des figures,
et les belles décorations d'oiseaux volant dans
les chambres du palais de Kinkakuji.
Avec lui travaillèrent son fils Geiami et son
petit-fils Soâmi : celui-ci fut un des peintres de
cour de Yoshimasa.
En 1880, le temple de Tofukuji était un im-
mense monastère encore intact, avec un portail
massif au Sud et deux halls colossaux portés
extérieurement par de gigantesques piliers faits de
simples troncs de cèdres de Chine de dix-sept
mètres de haut, que la tradition disait avoir été
apportés du Yangtsé. A l'intérieur, dans l'énorme
espace, était un grand panneau circulaire de
dix mètres de diamètre, peint d'un colossal dragon
par Chodensu. Quatre hautes statues de gar-
diens de temple du temps de Wunkei se dres-
saient sur l'autel. Dans le couloir derrière
l'autel, des poulies permettaient de dérouler
trois immenses kakémonos, dont au centre
le colossal Daruma de six mètres de haut,
exécuté à l'encre de Chine par de sauvages et
rudes coups de brosses. En 1882, le feu a détruit
les halls centraux, mais on put sauver le pont,
le porche, les chambres des prêtres et le maga-
(200)
•Cascade.
Par Kanawoka. IXe siècle.
Flanche LXXXIII.
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L'ART IDÉALISTE DES ASHIKAGA AU JAPON
sin où Ion conservait les chefs-d'œuvre artis-
tiques — les Shaka, Monju et Fugen de
Godoshi — et la mort du Bouddha qui, s'il n'est
pas de Godoshi, est de quelque artiste Tang
postérieur. — L'homme de génie du temple de
Tofukuji, chef de l'École au temps de Yoshimi-
tsu, était un prêtre Zen, Chodensu, qui avait
reçu les traditions des Song et l'enseignement
du fameux artiste des Takuma, Yeiga. Comme son
maître, il avait peint des paysages à l'encre avec
bien de la délicatesse, mais son style en géné-
ral était fait de puissance et d'emportement dans
ce dragon et ce Daruma que l'incendie a
dévorés. Il a peint en couleur, d'après Riryomin,
ses seize Rakans (une série se trouve chez
M. Freer), et ses cinq cents Rakans au Daitokuji,
qu'on a pu croire être de Riryomin lui-même.
Il fit aussi de nombreuses Kwannons, dont une
des plus charmantes est une petite Kwannon
assise de face, de lignes délicates et de subtiles
couleurs, qui appartient au musée de Boston ;
le bel arrangement des plis ne rappelle pas un
original de Godoshi, mais plutôt un type primitif
des Tang, d'Enriuhon, peut-être copié par Kiso.
— On ne saurait oublier qu'un des meilleurs
disciples de Chodensu fut le shogun Yoshimitsu
lui-même.
Au temple de Daitokuji, une cinquantaine
de vastes salles du temps des Ashikaga sub-
sistent encore bien conservées. Le Trésor du
temple est riche d'oeuvres chinoises. Cinq œuvres
importantes de Mokkei, dont sa magnifique
Kwannon, — des restes de la suite des cinq
(201)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
cents Rakans de Riryomin, — et la plus grande
Kwannon du type d'Enriuhon. — Le plus grand
maître qui y enseigna fut ce Shubun, qu'on dit
être venu de Chine se faire naturaliser sous le
nom de famille de Soga. Comme Chinois, il est
bien plus directement pénétré du génie chinois
que ses émules Chodensu ou Noâmi. Il vécut
dans une dépendance du Daitokuji, au Shinjuan,
où il peignit les portes glissières de ses appar-
tements, que le comte Inouyé acquit en 1886
pour ses collections. Ce sont de purs paysages
chinois, à une échelle tout à fait exceptionnelle,
comme Kakei put en exécuter pour la capitale
des Song — avec des pins tordus sur d'abruptes
falaises, surmontées de pavillons à toits poin-
tus, et des poètes assis sur des rochers pittores-
ques, — ou bien avec des vols d'oiseaux sauvages,
— avec des échassiers picorant dans des marais
— qui rappellent le style de Mokkei. Peut-être
Shubun fit-il aussi les deux beaux paravents du
musée de Boston, avec leurs grands paysages
montagneux, à torrents et à beaux arbres bai-
gnés de brumes, dont les effets d'atmosphère
sont aussi étonnants que ceux de Sesshu — et ce
splendide paravent à quatre feuilles de paysages
à l'encre de Chine, de la collection Freer.
Les meilleurs élèves de Shubun au Daitokuji
furent son fils Soga Jasoku, qui vécut au Shin-
juan et y décora les murailles, et Nara Kantei.
Jasoku, en dehors de ses puissants paysages,
fit aussi des oiseaux de proie, des grands aigles
et des faucons, et créa ainsi une branche de
l'École de Soga, qui dura plus de quatre gêné-
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L'ART IDÉALISTE DES ASHIKAGA AU JAPON
rations (deux paravents au musée de Boston). Il
fit aussi des figures très belles, comme ses trois
prêtres Zen au Shinjuan, peut-être inspirés d'ori-
ginaux de Ganki.
La quatrième grande École de Yoshimitsu était
auShokokuji, qui occupe à Kioto le site de l'ancien
Palais de Kwammu. Le feu a détruit bien des
constructions et une bonne part de ses célèbres
collections. Le grand maître Josetsu y vécut ;
bien que la tradition l'ait rapporté, il n'est pas
absolument certain qu'il ait été, comme Shubun,
un émigrant chinois. Il semble que son art est
bien plus d'un artiste Ming très éclectique, que
d'un artiste prêtre japonais Zen. Le musée de
Boston possède de lui un grand paysage, un
confluent de rivières chinoises, où il apparaît
plutôt comme un homme subissant des influences,
comme un copiste, que comme un grand créa-
teur tel qu'était Soga Shubun.
Parmi ses élèves, l'un d'eux le dépassa :
c'était un prêtre Zen, Shiubun, qui fut le premier
artiste des Ashikaga vraiment japonais, capable
de se hausser à la puissance de l'Art d'Hangchow.
Très épris de Kakei, cela est manifeste dans une
peinture du musée de Boston où les encres
s'étendent en poussière d'eau traversées de lueurs
frappant les arbres et les rochers, les brouillards
enveloppant toutes choses que dore un chaud
lever de soleil. — Plus tard, Shiubun eut une
manière plus vigoureuse, avec des touches de
pinceau plus nerveuses ; des effets de couleur
orange et bleuâtre interviennent comme dans une
peinture de la collection Freer. Les vieilles collec-
(203)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
tions de Daïmios possèdent encore de nombreuses
peintures de Shiubun. 11 fit aussi des figures,
surtout de Sennins taoïstes — et on ne saurait
oublier qu'il fut le premier maître de Sesshu.
La fin de cette période préparatoire peut être
datée de 1428, date de la mort de Yoshimoshi.
La période suivante, qui fut de réalisation, s'éten-
dit des shoguns qui précédèrent Yoshimasa, et
d'Ashikaga Yoshimasa lui-même, à la date de la
guerre d'Onin qui commença en 1467, à peu
près au retour de Chine de Sesshu en 1469. L'es-
prit militaire avait faibli, les plaisirs esthétiques
passaient avant tout, et cela fut l'âme même du
Japon, pendant plus de quarante ans, jusqu'en
1490. La culture chinoise y était l'objet d'une
dévotion encore plus ardente ; et si Yoshimasa
ne connut pas la triste fin de vie et le bannis-
sement de l'empereur Kiso Kotei, du moins contri-
bua-t-il aussi à énerver le pouvoir par le triomphe
de tous ses goûts esthétiques.
Les artistes qui dominent sont encore : Geîami
au Kinkakugi, Jasoku au Daitokuji, et Shiubun au
Shokokuji. C'est dans ce dernier temple que
vivait un jeune prêtre, Sesshu, qui devait dépas-
ser tous ses prédécesseurs.
Geiami travailla un peu dans les traces de
son père Noâmi, en cherchant à rendre les états
d'atmosphère et les frondaisons qui s'en dégagent,
un peu comme notre Corot (paysage du musée
de Boston ; — deux paravents de la collection
Freer).
Cette époque ne donna peut-être pas tous les
brillants résultats qu'on aurait pu espérer de
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L'ART IDÉALISTE DES ASHIKAGA AU JAPON
l'impulsion de Yoshimitsu. Comment admettre que
le terroir même n'ait pu y assurer de floraison ?
car, à l'exception de Noâmi, il n'est pas un artiste
japonais qui ait cherché un sujet qui ne fût pas
purement chinois. Tout sujet emprunté à la
vie japonaise eût paru vulgaire et inesthé-
tique ; c'était bien là un peu la faute de
l'idéalisme Zen. Yoshimasa avait compris qu'il
devait se tourner de nouveau vers les Ecoles des
Ming et leur demander conseil ; mais l'Art à ce
moment y était bien appauvri et se contentait
de redites et de copies. Les œuvres qui de Chine
furent alors envoyées à Yoshimasa subirent la
critique sévère de Geiami. Si beaucoup d'artistes
japonais s'en contentèrent, Sesshu ne fut pas de
ceux-là! Aussi, vers 1465, accompagné, dit-on,
de ses élèves Sesson et Shuko, il demeura quelques
années à la cour des Ming, où il copia non
seulement toutes les œuvres de Kakei qu'il put
connaître, mais il voulut visiter les lieux mêmes
où les grands paysagistes des Song avaient reçu
de la nature chinoise leurs plus émouvantes
impressions. Il revint au Japon en 1469 avec
des milliers d'impressions fraîches et directes.
Ce fut ce trésor de matériaux amassé par son
vigoureux génie qui donna à l'Art des Ashikaga
une direction toute nouvelle.
Yoshimasa avait subi les horreurs de la guerre
civile d'Onin, dont Kioto fut bouleversée comme
au xne siècle par la guerre d'Hogen Heiji, et qui
vit détruire tant de palais, de monastères Zen,
et de trésors chinois qui s'y trouvaient, même
certainement des œuvres de Godoshi. Le résultat
(205)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
fut l'abdication de Yoshimasa en 1472 ; en 1479
il avait construit le nouveau pavillon de Ginka-
kuji, « les terrasses d'argent», où il se retira avec
les plus grands artistes de son temps jusqu'en
1490, date de sa mort. Soâmi, fils de Geiami, était
son directeur des Arts, et avait tracé le dispositif
des jardins. Sôtan, le successeur de Shiubun au
Shokokuji, en avait peint les murs avec son
disciple Kano Masanobu. Sesshu était là pour
donner de bons avis, bien que la dernière période
de sa vie il l'ait passée à Choshu. Et l'on faisait
encore appel, pour recevoir de belles œuvres
chinoises, aux Ming, bien qu'ils fussent nettement
alors dans une période de décadence. Yoshimasa
a son tombeau dans cette chère demeure de
Ginkakuji ; le grand shogun y est représenté en
statue de bois sombre, la figure éclairée d'un sou-
rire grave, les mains jointes dans un mouvement
pathétique, vrai Laurent de Médicis du Japon.
Parmi les artistes dont nous venons de parler,
domine de très haut Sesshu ; il était retourné en
Chine même, il avait fait revivre dans son imagi-
nation la Chine d'Hangchow, s'était enrichi de faits
et de souvenirs, et, revenu au Japon, il chercha
à donner de ce merveilleux passé la vision qu'il
en avait eue, traversée des lueurs de son génie
créateur. C'est par lui, par ses yeux, que le Japon
et le monde entier connaîtront à jamais cette
Chine ressuscitée d'un autre âge. Avant qu'il
ne partît pour la Chine, on connaît peu de
chose de lui, si ce n'est que déjà il exerçait
une puissante influence sur ses amis, même sur
Yoshimasa. Il y vint comme un prêtre Zen impor-
(206)
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Portrait de Yoritomo.
Par Takanobu (Fujiwara) (+ 1205).
Planche XC.
L'ART IDÉALISTE DES ASHIKAGA AU JAPON
tant, devant lequel s'ouvraient les portes des
monastères. Il y vint aussi accrédité par son em-
pereur, et reçu officiellement à la Cour impériale.
Les artistes chinois eux-mêmes le reconnaissaient
comme supérieur à eux : ils s'émerveillaient
de l'aisance avec laquelle il couvrait ses car-
nets d'impressions. Dans sa propre manière, et
sans chercher à répéter Kakei, il fut comme
un nouvel artiste de génie disciple tardif
d'Hangchow. Et sa place est à côté de Bayen,
de Kakei et de Mokkei. Il traita de la Chine
toute la variété de ses sujets : figures, mo-
tifs religieux, historiques, symboliques, bio-
graphiques ; la vie du peuple dans les cités, dans
les temples, dans les palais, dans les vallées de
montagnes, dans les fermes ; le monde des
animaux sauvages et apprivoisés. Mais ce fut
dans les paysages, en bon serviteur de Zen, qu'il
triompha ; et, pénétré de l'esprit des Song, il
rendit de la nature chinoise les plus grandioses
ou poétiques aspects. — Il peignit dans le
palais de l'empereur Ming de grandes compo-
sitions murales, comme il le fit de nouveau plus
tard au Japon, et il n'est pas douteux que les
archives chinoises n'aient conservé quelques
kakémonos de lui. Accompagné, jusqu'au navire
qui l'emportait, par les artistes et les nobles, sa
rentrée au Japon fut un événement national.
Il refusa toute pension de la cour de Yoshimasa
et se retira comme prêtre Zen dans la paroisse
rurale de Unkoku-an en Choshu, où l'on venait
le visiter en pèlerinage. Il y vécut jusqu'à sa mort
survenue à l'âge de quatre-vingt-quatre ans, en
(207)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
i $06 ou 1 $07. Il peignit les murailles de nombreux
monastères aujourd'hui détruits, et des centaines
de paravents. Il reste encore de lui de nombreuses
peintures originales au Japon, sans compter
toutes les copies qu'en firent encore les peintres
Kano des Tokugawa.
Le style de Sesshu est tout à fait capital dans
l'Art de l'Extrême-Orient. Son importance réside
surtout dans le trait, où nul maître de la pein-
ture monochrome ne l'égale, si ce n'est peut-être
Riryomin, et seul Bayen, dans ses paysages,
l'approche. Son trait est rude et brisé, comme
si sa brosse avait été intentionnellement faite de
poils de sanglier irrégulièrement liés. Certai-
nement il s'est souvenu de la liberté du coup de
brosse de Mokkei. Il est le grand maître du
trait droit et anguleux. C'est le plus admirable
des constructeurs ; bien que son trait domine
toujours sa masse et sa couleur, sa notation
totale des choses est la plus surprenante — avec
celle de Kakei, — et il n'est pas d'être ou de
chose dont il n'ait su dégager tous les caractères,
l'esprit ou l'âme.
Ce n'est pas ici le lieu de tenter l'énumération
des chefs-d'œuvre existant encore de Sesshu.
Bornons-nous à parler de ceux dont on trouvera
dans ce livre les illustrations : les grands Shaka,
Monju et Fugen de la collection Kawasaki de
Kobé, — la suite des Rakans duDaitokuji, — les
Rakans de la collection Ch. Freer. Dans les trois
divinités se combinent les qualités de Riryomin
et de Mokkei. — Le Rakan de la collection Freer
a plus de douceur de trait que d'autres figures. —
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L'ART IDÉALISTE DES ASHIKAGA AU JAPON
Son portrait de Daruma, jadis possédé par le
comte Saisho, gouverneur de Nara, est dune force
singulière ; les cheveux et la barbe sont traités
d'un coup de pinceau énergique comme un coup de
burin. — Sa plus belle figure est peut-être un Juro-
jin en couleur, qui dut être exécuté pour l'empe-
reur chinois Ming. Ce chef-d'œuvre, signé Sesshu,
aujourd'hui dans les collections du Marquis
Hachisuba, avait été rapporté du Palais royal de
Séoul par Kata Kiyomasa, après l'occupation
japonaise de 1595. Il avait dû être un présent
de l'Empereur de Chine. C'est le portrait d'un
très vieil homme, aux longs sourcils et à la barbe
grise, très courbé, marchant au milieu d'un fourré
de pins feuillus et de bambous. Il est coiffé d'un
grand chapeau en crins de cheval, et porte à la
main un bâton noueux. C'est la figure symbo-
lique de la Longévité, dans sa signification la
plus abstraite et la plus poétique. — Dans la
peinture des oiseaux et des fleurs, Sesshu atteint
aussi le plus haut point de suggestion et de
condensation, comme dans le merle en équilibre
sur une ramille du musée de Boston, et de com-
plication comme dans la grande cigogne empêtrée
dans le prunier sauvage et les roseaux qui fut
copiée par Jasunobu au xvne siècle d'après un
paravent de Choshu. — Le grand paravent de
Boston, des anciennes collections des princes
Togugawa de Kishu, est un morceau franchement
à la Mokkei. — Dans le paysage, ce que
nous connaissons de plus beau de Sesshu
est dans les paravents, ou dans les makimonos de
sujets chinois. Le plus remarquable de ces derniers
(209J
14
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
comme variété et composition se trouve dans les
collections du prince Mori de Choshu. Quelques
scènes rustiques en brusques traits, simples et
rudes, rappellent les fusains de Millet. Et quand il
peint les montagnes, il y apporte une exécution
violente comme dans le grand paravent de la col-
lection Weggener aujourd'hui chez M. Ch. Freer,
ou dans les quatre grands paysages montagneux
de la collection du Marquis Kuroda.
Autour de Sesshu se sont groupés de nombreux
élèves, surtout prêtres Zen ; le plus grand d'entre
eux est Sesson. Les beaux paravents de singes
dans les bambous du musée de Boston sont
d'une touche à la Mokkei. — D'autres paravents
des collections de M. Freer montrent une fine
observation à la Whistler, dans les blancs etnoirsde
singes cueillant les raisins d'une vigne sauvage ;
mais rien n'égale le splendide paysage de neige
de la collection Ch. Freer, tout à fait digne de
Sesshu, et peintcomme il le faisait dans sa manière
rude « Shin ».
Shiugetsu fut aussi un grand élève de Sesshu —
comme aussi Shukô, Vnkei, Yugetsu et Soân.
Parmi ses plus fameux contemporains furent
Soâmi et Keishoki, sortis de l'École de Geiami au
Ginkakuji, comme Tobun et Sôtan furent élèves
de Shiubun au Shokokuji.
Soâmi est plus tendre et féminin que ses
ancêtres, réduisant en formules les effets les
plus doux de Mokkei. Keishoki, qui souvent
travailla pour Kakamura, se rapprocha plutôt du
style rude de Sesshu. Tobun excelle dans les
effets d'encres brunes lumineuses.
(210)
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L'ART IDÉALISTE DES ASHIKAGA AU JAPON
Sôtan est peut-être le plus vigoureux talent
après Sesshu et Sesson qui se rapproche
du genre des Song. Les grands paravents avec
les vues du lac Shosei en Chine, dune touche
rude si vigoureuse sont au musée de Boston,
et la collection Freer possède de superbes fleurs
et oiseaux, rappelant Joki, Kose et Chosho.
Yoshimasa était mort en 1490, Sesson en 1494,
Sesshu seulement en 1507. Après i$oo toute la
force picturale des artistes de Kioto dans le style
d'Hangchow est passée dans une famille, celle
des Kano.
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CHAPITRE XII
L'ART IDÉALISTE DE L'ÉCOLE PRIMITIVE
DES KANO AU JAPON
LES SHOGUNS TOKUGAWA. ] MASANOBU ET MOTONOBU. H KANO SHOYEI
SOUSNOBUNAGA. || LE GRAND DÉCORATEUR KANO YEITOKU SOUS HIDEYOSHI.
Il SANRAKU.
Il fallait que les germes de la culture Zen
d'Hangchow fussent bien vivaces pour pro-
duire à Kioto des floraisons aussi brillantes
après la chute du pouvoir des Ashikaga (qui
après Yoshimasa n'était plus que nominal) sous
Nobunaga en 1573.
En 1 542 surviennent deux faits importants, l'ap-
parition d'une nouvelle famille de Shoguns avec
Tokugawa Yeyasu, et le premier contact du Japon
avec l'Europe quand les Portugais débarquèrent
dans l'île de Kiushu. De ce jour commencèrent
les intrigues catholiques avec l'expansion des
Jésuites en Asie. Ce fut alors que le daïmio de
Bungo envoya un ambassadeur en Portugal, tout
comme aurait fait un souverain, comme d'ailleurs
avait agi Ashikaga Yoshimitsu. En 1549 débarque
comme missionnaire saint François Xavier. En
157}, une grande cathédrale s'élève à Kioto. De
nombreux daïmios se tourneraient alors volon-
tiers vers le catholicisme de l'Europe, comme
Yoshimitsu vers la secte Zen de Chine. C'est la
pure anarchie.
(21?)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
C'est à cette date de i $ $o que se fait sentir la
rude main d'un chef, Ota Nobunaga, petit daïmio
d'Owari. En 1 5 59 il entre dans Kioto. Il se mit
en bons termes avec les missionnaires, mais en
1^82 il était assassiné, et le pouvoir passait aux
mains d'un de ses généraux, Hideyoshi, de très
basse extraction. Qu'allait être l'attitude de ce
dernier vis-à-vis des chrétiens ? Il décida de les
expulser. Ce fut le salut du Japon que cette
barrière opposée par les Tokugawa à l'influence
de l'Ouest.
Hideyoshi s'installa lui-même en souverain
à Osaka, et dans son palais doré de Fushimi. Il
se pensait l'égal des anciens empereurs Tang de
Chine. Il envahit la Corée en 1592, y défait les
armées des Ming, et cinq ans plus tard songea
même à faire marcher ses armées sur Pékin. Mais
la mort vint le surprendre.
Ce xvie siècle si plein d'événements peut, au
point de vue de l'art, se diviser en trois grandes
périodes : i° de la décadence des Ashikaga (1490J
à la suprématie de Nobunaga vers 1560; c'est
l'époque où les Kanos Masanobu et Molonobu
sont les grands peintres de la cour des Shoguns;
20 de i$6o, date de l'arrivée de Nobunaga, à sa
mort en 1 582, période de l'activité de Kano Shoyei;
30 la souveraineté d'Hideyoshi, 1 $82, jusqu'à la
chute d'Hideyori en 1600, dates de la grande
renommée de Yeitoku, comme décorateur des
Palais d'Hideyoshi.
Cette situation de peintre de la cour n'était
pas nouvelle pour les peintres des Kano. Noâmi,
Geiami et Soâmi avaient été à ce titre attachés à
(214)
Rakans ou Arhats.
Par Cho-Densu (Meicho ou Mincho).
1351 — 1427. Temple Tofukuji à
Kyoto.
Planche XCV.
Deux Feuilles de Paravent.
Par Jasoku (Soga). 2e moitié du XVe siècle.
Planche XCVI.
L'ART IDÉALISTE DES KANO AU JAPON
la personne des premiers Ashikaga. Le peintre
de cour d'un Shogun était surtout un maître du
goût. Mais après Yoshimasa, Kano Masanobu,
élève de Sotan au Shokokuji, qui avait travaillé
aux décorations du Ginkakuji, s'était rendu indis-
pensable au dilettantisme des Ashikaga. La grande
influence de la culture chinoise s'était éteinte :
Masanobu et ses fils amassaient en eux-mêmes
tout le savoir et toute la puissance créatrice qui
pouvaient préserver de tout oubli la culture
d'Hangchow, parce qu'ils l'avaient reçue comme
un flambeau qui des mains de Kakei aux mains
de Sesshu était repassé aux leurs.
Kano Masanobu avait été présenté, patronné
par Sesshu, à Yoshimasa; ses vrais frères spiri-
tuels étaient donc les deux Shubuns, Sotan,
Soâmi et Sesshu. Son style, aussi élevé que celui
de Sotan, rappelle surtout, par le souci de la
construction et la carrure de la touche, l'art de
Bayen. Il n'use que de teintes légères, comme
Geiami et Keishoki. Il a une grande force de con-
ception égale peut-être à celle de Sesshu. Il est
très équilibré, très calme, très clair, dans ses
inspirations moyennes. Il est également remar-
quable dans les figures, les fleurs et oiseaux, et
le paysage. Aucun de ses travaux de décoration
murale n'est resté. Seulement quelques paravents.
Son Fukurokujin et ses serviteurs au musée de
Boston, œuvre de sa vieillesse, dérivent de
Mokkei, à travers Sesshu et Keishoki. Sa grande
peinture en couleurs du musée de Boston, si célè-
bre sous les Tokugava est peut-être une copie de
Bayen. Le Monju est une gracieuse et belle figure.
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
Mais dune supérieure noblesse est le portrait
de Confucius à l'université Ashikaga, dont le
caractère dérive d'une importante statue des Song,
et dont Kano Tanyu a laissé une soigneuse copie,
aujourd'hui au musée de Boston. Son oiseau sur
unebranchette de bambou, à l'encre, dans la vieille
collection du marquis Hachisuka, est d'une rare
noblesse. Le fameux paravent de Shinjuin au Dai-
tokuji montre une grande cigogne s'abattant au
milieu d'un paysage rocheux. Il fit certainement
aussi des fleurs en couleurs, comme Sotan. —
Dans le paysage il s'approcha de Bayen ; au musée
de Boston, le splendide petit paysage peint sur
soie, du général chinois Oshobanni faisant
paître ses moutons, est sans doute une copie
d'après Bayen ou d'après un de ses contemporains.
— Peut-être son plus important paysage est-il
le paravent avec la terrasse chinoise surmontée
d'un énorme pin tordu en zigzag, qui appartint
jadis, sous les Tokugawa, au prince Kinoshita,
et fut alors copié par Kano Yasunobu. Les lois de
la perspective y sont étonnamment comprises.
Masanobu, mort en 1490, avait eu deux fils :
Motonobu, nommé aussi Yeisen, et Utanosuke, dit
aussi Yukinobu. Motonobu, né vers 1480, fut un
homme surprenant, l'unique critique, l'unique
créateur de son temps. Tout ce que Kaifong et
Hangchow avaient rêvé, tout ce que Kinkakuji
et Ginkakugi avaient réalisé, tout cela s'était
combiné comme une somme dans ce prodigieux
cerveau. Ses styles sont comme la consécration
et l'aboutissement de tous les autres. Dans la
carrure de sa touche ($hin) c'est Bayen, à travers
(216)
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JURO-JIN OU L'ESPRIT DE LA LONGÉVITÉ.
Par Sesshu (1420 — 1506)
Collection du Marquis Hacjisuka (Japon).
Planche XCVII.
Paysage.
Par Sesshu (1420— 1506).
Planche XCVIII.
L'ART IDÉALISTE DES KANO AU JAPON
Sesshu, Sotan, et son père JMasanobu; et dans la
souplesse de sa touche (Sô) c'est Mokkei
à travers Noâmi et Soâmi. Dans ses merveilleux
« fleurs et oiseaux » il rappelle Joki à travers
Sotan. Dans son style griffu il reflète Riokkai,
Giokkwan, et Sesshu. Dans ses figures, à la
suite de Bayen et de Kiso, c'est lui qui nous a
donné les plus justes visions de la vie des Song.
Dans ses figures bouddhiques il approche
Riryomin et Godoshi, et surtout Chodensu. Mais
au milieu de tant d'influences qui auraient pu en
étouffer d'autres que lui, il choisit, il fortifie, il
assure. Son style est aussi ferme, personnel
et souple que celui de Sesshu. Il a un peu plus
de manières, mais elles sont d'un tel ordre que
nous en sentons malaisément les limites. Comme
«exécution», c'est la perfection même; comme
composition, c'est la plénitude. On peut dire qu'il
s'était créé à lui-même un nouveau royaume
d'Hangchow, où il avait voulu régner en maître.
Il était comme la conscience du passé de deux
grands peuples ; l'immense quantité de copies
d'après des originaux chinois qu'il avait exécu-
tées avec ses élèves fut malheureusement détruite
durant le xvne siècle.
Mais tout plein des sujets chinois et de la
technique chinoise, il ne cessait de retremper son
art aux sources mêmes de la nature japonaise.
Pourquoi faut-il que tous ces cahiers d'impres-
sions prises avant Tanyu aient été détruits ?
Un exemple caractéristique des figures de Moto-
nobu monochromes est la peinture des trois per-
sonnages Song du musée de Boston. Quelle per-
(217)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
fection de touche où rien n'est laissé au hasard !
Son interprétation des trois fondateurs de la
collection Dwight Davis, de Saint-Louis (États-
Unis), n'est pas inférieure dans l'admirable dessin
des visages. Beaucoup de paravents à figures
furent copiés par Yasunobu, groupes de Chinois
philosophes, Sennins, avec de beaux fonds de
paysages. Dans ses premiers travaux son coup
de brosse était d'une vigueur un peu brutale ; il
l'adoucit par la suite comme dans le bel éventail
des Sages de la collection Ch. Freer.
Les fleurs et oiseaux de Motonobu, dans son
style carré (Shin), exécutés sursoie, sont souvent
d'une éclatante polychromie, alors que les
paravents de papier sont plutôt seulement
teintés. Dans son style plus souple (Sô) à la
façon deMokkei il ajoute à ses fonds de paysage
des groupes d'oiseaux, des feuillages et des
fleurs à l'encre. De remarquables exemplaires de
ce genre furent exposés à Tokio en 1882 en
deux paravents à six feuilles, dont on trouvera
ici une reproduction offrant le merveilleux con-
traste de ses hérons blancs sur les branches et de
son noir corbeau sur le roc. La couleur en est
exaltée par la neige qui n'est pas peinte par
empâtement, mais laissée en réserve de valeur
sur les teintes qui l'entourent.
De très significatifs paysages de Motonobu à
l'encre, du style « Shin », sont les douze splen-
dides feuilles de paravents du prince Mori, où
se retrouve un peu de la manière de Masanobu,
tandis que la façon de Mokkei apparaît bien
plus dans le beau kakémono de la collection
(218)
Feuille de Paravent : Cigogne et Prunier.
Par Sesshu (14-îo — i5(>l>).
Planche XCIX.
Paravent: Paysage.
Par Shiubun. 1ère moitié du XVe siècle.
Musée de Boston (Etats-Unis).
Paravent : Paysage.
Par Sesshu (1420 — 1506). Anct. collection Waggener,
à Washington. Actuellt. collection Charles Freer, à
Détroit (États-Unis).
Planche C
L'ART IDEALISTE DES KANO AU JAPON
Ch. Freer, où comme dans ses belles vieilles
œuvres la valeur de l'or sur le papier donne aux
encres une vague atmosphère violacée. — La
grande suite de paysages possédés par le Mioshinji
de Kioto, qui furent autrefois des décorations
murales de ses salles de réception, rappelle le
dessin « Shin » des Ming, et même les impressions
griffues de Riokkai. On en trouve un autre parfait
exemplaire en un grand kakémono sur papier de
la collection Freer.
Motonobu fit aussi de grandes œuvres de déco-
ration très colorées, en s'appuyant sur le sou-
venir des œuvres de couleurs des Song. Telles
sont ses grandes compositions de Tartares chas-
sant dans des paysages sauvages, où les chênes
raidissent leurs feuillages pointus qui rappellent
les bourres de châtaignes ; les colorations vibrent
du violet au jaune ; les costumes et les
tentes sont en rouge et vert. Deux panneaux de ce
genre sont au musée de Boston, et l'Ecole tardive
de Yeitoku sous Hideyoshi s'en est bien inspirée.
D'autres fois il pousse son style de décoration
murale plus loin, par de plus solides empâte-
ments, de craie, d'azur poudré et d'or, surtout
dans ses sujets bouddhiques ; l'on en retrou-
vera plus tard l'influence sur les panoramas de
Yeitoku, et dans l'École de Tokugawa de Korin.
Arrivé à un certain point de la vie de Moto-
nobu, on ne saurait oublier ce qu'il était advenu
des destinées de lEcole Tosa, où s'était réfu-
gié le sentiment intime de la Cour impériale,
des temples bouddhistes réfractaires à la doctrine
(219)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
Zen, et des daïmios provinciaux. Ainsi en avait-
il été de Yukihide et de son fils Hirochika, au
xve siècle, puis de Tosa Mitsunobu sous Yoshimasa,
seul opposé au prestige d'Hangchow et fidèle
au rêve de son empereur. Et durant le xvie siècle,
il n'y eut pas de rupture dans ce développement
d'un Art tout national, grâce à Mitsunori, Mitsu-
nari, Mitsushigo, Mitsumochi. Le pire qu'on en
puisse dire c'est qu'ils n'avaient plus l'ombre
d'individualité, et que ce n'était plus entre leurs
mains qu'un art figé et tout de formules. Mitsu-
nobu avait été le dernier Tosa ayant conservé
intactes la vitalité et la force de l'époque de Kama-
kura. Quand, en 1 500, Masanobu était le maître
des arts à la cour des Shoguns, le vieux Mitsu-
nobu exerçait à peu près la même fonction à la
cour bien diminuée du Mikado. Ils se connais-
saient et entretenaient des relations courtoises.
Le vieux Kano voyait grandir son fils Motonobu,
et le vieux Tosa avait une fille, artiste accomplie
marchant sur les traces artistiques de son père.
Quel plus beau rêve que d'unir Kano Motonobu à
Tosa Mitsuhisa, et de mêler ainsi en une même fa-
mille les traditions de deux époques, on pourrait
même dire de deux races de l'Asie ! De ce jour
les Kano purent se considérer comme ayant
hérité du droit légitime de peindre des scènes
japonaises dans un style demi-Tosa.
C'est dans les laques qu'on peut trouver des
œuvres signées de Kano Mitsuhisa. Des œuvres
qui supposent l'intime collaboration avec Moto-
nobu il semble bien que se dégage l'indication
d'un échange de dons entre eux; Motonobu y prit
(220)
Paysage de Style Ride.
Par Sesshu (1420 — 1506).
Arbres Dans la Brlime.
Détail du Makimono Mori, par Sesshu (1420 — 1506;
Planche CI
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L'ART IDÉALISTE DES KANO AU JAPON
un style plus coloré et le goût des scènes de la
vie japonaise dans les costumes nationaux,
comme dans la suite de kakémonos conservés
au Seiroji près de Kioto, racontant la translation
d une très ancienne statue de Bouddha de l'Inde
et de la Chine au Japon : le fond de la compo-
sition est un très beau paysage de style Tosa, en
vigoureux tons bleu, vert et or, qui rappellent peut-
être encore mieux certains fonds de peintures
d'autels de style Kose. — Motonobu, aidé de ses
fils, fit aussi des sujets de bataille tirés de l'époque
Heike.
Un des signes frappants d'une évolution de
l'Art japonais au temps de Motonobu réside
dans le goût renouvelé pour les laques, qui
jamais n'était mort, mais qui tendit alors à une
décoration plus achevée, surtout de paysages
chinois et de fleurs, or sur or, ou or sur noir
moucheté d'or. — Ce fut aussi vers 1 5 10 que la
première fabrication de porcelaine dans la
manière des Ming apparut au Japon.
Tout cela prouve que dans l'Art de Motonobu,
si le sentiment chinois d'Hangchow s'épanouit
sous des formes achevées, un courant se mani-
feste desprit bien japonais, de sentiment bien
national; et somme toute son âme est surtout
japonaise.
Son jeune frère Utanosuke, qu'on appela aussi
Yukinobu, suivit de très près ses traces, non
sans avoir une certaine personnalité. Le para-
vent à six feuilles de M. Ch. Freer est une belle
œuvre, avec ses groupes de Chinois dans un
paysage à la Motonobu, mais de lignes plus
(221)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
douces. Son harmonie de teintes un peu sourdes
sur un vieux papier, donne ces tons couleur
bois qu'ont parfois les paravents des premiers
Kano. Une belle figure en noir du poète chinois
chevauchant un buffle est au musée de Boston.
Dans la représentation des fleurs et des oiseaux
Utanosuke fit même des paravents supérieurs à
ceux de son frère ; il y en a quatre au musée
de Boston. Son dessin et ses couleurs de plantes
dans ces grands paysages sont peut-être les
plus beaux de l'art japonais chinoisant. Comme
oiseau, rien n'est supérieur au grand aigle sur
une branche de pin, jadis au marquis Hachisuka,
et aujourd'hui au musée de Boston, qui est peut-être
la plus belle interprétation d'oiseau du monde.
Tanyu en avait fait une fameuse copie. Ce fut avec
la célèbre Kwannon de Motonobu, les deux
plus grands chefs-d'œuvre de la première expo-
sition historique des peintures de l'Ecole Kano
organisée à Tokio en 1885. — Utanosuke fit des
décorations murales de purs paysages dans
divers temples au Shinjuan du Daitokuji, mais
d'un ordre inférieur à Motonobu.
Quand Nobunaga vint à Kioto, il trouva
Motonobu et Utanosuke en pleine production,
entourés d'élèves. Mais Motonobu, orgueilleu-
sement, ne sembla y faire aucune attention, et
poursuivit ses travaux, comme s'il ignorait. Le
rude soldat goûta cette marque d'indépendance,
et quand il fit construire à Kioto, fortifié en
murs de granit, le grand château du Nijo, il
demanda aux Kano de lui en fournir le plan
et la décoration murale. Il faisait ainsi de Kioto
(222)
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Portrait de Confucius.
Par Kano Masanobu (1453-1490). Copie de Kano Tanyu.
Musée de Boston (Etats-l'ni*).
Planche CIII
Peinture.
Par Kano Motonubu (1476 — 1559).
Planche CI Y.
L'ART IDÉALISTE DES KANO AU JAPON
sa résidence de 1568 à 1582, date de sa mort.
Motonobu était mort en 1559, à un âge avancé.
Son second fils, Kano Shoyei, devint le chef de
la grande Académie Kano que son père avait
créée. C'est alors que Nobunaga l'employa. C'est
ainsi que nous pouvons estimer l'époque de
Nobunaga (1 559-1 582), comme la période de la
troisième génération, celle de Kano Shoyei et de
ses disciples. Si le groupe était en nombre,
aucun homme de génie n'y pouvait prétendre
jouer le rôle d'un Motonobu ou d'un Utanosuke.
Le fils aîné de Motonobu, Soshin, était mort
avant lui. Ses autres frères, Yusetsu et Suyeyoti,
étaient inexistants. Un fils adoptif, Yosetsu, et un
neveu, Giokuraku, étaient un peu plus dignes de
la lignée. Genya, Doan, Sadanobu et Kimura
Nagamitsu dépassaient un peu le niveau de l'École.
Ce dernier était peut-être le meilleur, et il ne
doit pas être oublié comme père du célèbre
Sanraku. Le musée de Boston possède d'excel-
lentes œuvres de tous ces maîtres.
Mais le vrai chef fut Shoyei, sinon par le
génie, du moins par dévolution des traditions.
Ce fut un bon travailleur, sans variété, très
traditionnel, prisonnier de formules connues.
Dans toutes les œuvres de ce groupe on ne
sent même plus l'influence des grands originaux
chinois, ni même de Sesshu. Le long triomphe
de Motonobu avait établi une sorte de tradition
indiscutable, accablante, qui pesa sur toute
l'École, et le pire fut que cette influence fut
celle de ses dernières œuvres, de ses plus
faibles.
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
Ainsi pouvait finir un puissant mouvement
artistique qui avait commencé deux siècles plus
tôt avec Noâmi et Soga-Shubun. Mais l'école Kano
ne sombra pas avec les Ashikaga, et soutenue
par les ressources foncières de son génie en sa
quatrième génération, elle se releva et s'adapta
à de nouvelles conditions que lui créaient les
circonstances entre 1582 et 1600. On ne pensait
plus beaucoup à l'idéalisme Zen, ni à la Chine,
ni à la nature. Hideyoshi seul était en scène,
tout devait s'incliner devant son omnipotence.
Son rival même, Tokugawa Iyeyasu, la reconnais-
sait. La conquête de la Corée, le succès des
armes japonaises, ramenaient en toutes choses
le Japon au sentiment orgueilleux de sa supé-
riorité. Et cependant pourquoi l'art ne revint-il
pas alors davantage aux purs sujets japonais ?
Une seule explication est possible : la vanité
d'Hideyoshi et le génie de Kano Yeitoku. Hide-
yoshi ne s'encombrait pas d'idéalisme : il était
aussi éloigné du mysticisme bouddhique que du
mysticisme chrétien. Il sentait bien aussi que
ses généraux méprisaient au fond ses origines
plébéiennes ; aussi amena-t-il l'Empereur à le
nommer Kwambaku ou Régent, titre impérial
que n'avaient jamais eu Daïmio ni Shogun, et qui
était à jamais réservé à un descendant des Fuji-
wara. Il édifia le magnifique château d'Osaka,
qui dépassa par ses proportions tous les autres.
Il voulut que sa cour éclipsât en splendeur
même la Cour impériale. Il construisit aussi le
grand palais de Fushimi, sans rival au Japon
pour le luxe de ses décorations en couleurs et or.
(224)
. 91 1
Un Aigle.
Par Kano Utanosuke ou Yukinobu (1513-1575)
Musée de Boston (Etats-Unis).
Planche CV.
L'ART IDÉALISTE DES KANO AU JAPON
Les costumes des personnages de la cour furent
d'un luxe inouï, les robes des épaules aux talons
retombant en plis décorés des plus merveilleux
motifs. Les sculptures, d'une richesse et d'un
fini d'exécution remarquables, ne se bornaient
plus aux bas-reliefs, mais avaient des ajourages
du plus fin travail.
Quelles étaient les sources d'un tel art, de quel
idéal, de quelle maîtrise était-il sorti? Un homme,
un seul homme semble avoir dominé toute cette
époque, Kano Yeitoku, et son idée fut non pas
de revenir à l'idéalisme Song, ni à l'esprit du
Japon féodal, mais droit à la splendeur de la
Cour impériale des premiers Tang de la Chine,
de Taiso le vainqueur des Tartares, de Genso
le maître du monde de l'Extrême-Orient. La
décoration des grandes murailles des Palais ou
Châteaux déploierait aux yeux de tous les pompes
de la cour des Tang, avec la foule des seigneurs
et des dames de la suite des empereurs, vêtus
des plus splendides costumes, avec les perspec-
tives des beaux jardins aux plantes rares, peu-
plés d'animaux, ornés de pavillons aux archi-
tectures de céramique. Le Taiko voulait ainsi
impressionner ses sujets de l'éclat d'une magni-
ficence que le Japon n'avait pas encore connue.
Et l'homme qui fut chargé d'exécuter ce pro-
gramme, sorte de Le Brun d'un Louis XIV de
l'Extrême-Orient, fut Kano Yeitoku, le second fils
de Shoyei. Malgré sa jeunesse, il était devenu le
chef des Kano depuis 1582. Il fut aidé dans cette
tâche par ses deux frères, Soshu et Kinhaku, et
un vaste atelier d'élèves, d'où se détachent en
(2M)
15
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
importance Sdnraku et Yuscho, et plus tard les
jeunes fils de Yeitoku, Mitsunobu, Takanobu et
Gcnshichiro.
Tout enfant, Kano Yeitoku avait senti la per-
sonnelle influence de son grand-père Motonobu,
et sous la conduite de son père avait produit
des œuvres animées du vieil esprit et du fougueux
coup de brosse des premiers Kano ; ce sont, par
exemple, les splendides et si vigoureuses déco-
rations de pins et de pruniers fleuris exécutées à
l'encre sur les portes glissières du Daitokuji. —
Une petite peinture en couleur d'un ramier sur un
camélia au musée de Boston, digne d'Utanosuke,
est de cet ordre, ainsi qu'un paysage à l'encre,
très impressionniste, où éclate toute la tradition
de Motonobu.
Yeitoku était alors mûr pour réaliser les volontés
d'Hideyoshi après le triomphe de 1 582, etpour con-
cevoir ces grandes décorations de nobles figures
chinoises, fastueuses sur les vastes fonds d'or, qui
furent une vraie révolution dans le style des Kano et
dans l'art japonais. Aussi haut qu'on puisse remon-
ter pour les origines de ce style, il faut revenir aux
groupes en couleurs des Tang et des Song, aux
temps de Godoshi et de Roshibu. Les scènes
de chasses chinoises dont les prototypes doivent
être recherchés chez les Assyriens et les Han,
dérivent de Rianchu, des Kins et des Mongols.
La grande nouveauté était de reprendre ces
motifs décorativement en couleurs, et de les
amener à l'échelle des murailles. Déjà Motonobu
avait tenté l'aventure dans ses calmes décorations
colorées ; mais en usant rarement de la feuille
(226)
CV<U
Sx
L'ART IDÉALISTE DES KANO AU JAPON
d'or que les derniers Tosa, tel Mitsunobu, avaient
cependant déjà employée. Yeitoku en fit un des
principaux éléments de son art, l'étendant sur
ses fonds de composition, la rappelant dans les
détails de ses costumes, en faisant une valeur
utile à ses jaunes, à ses orangés, à ses rouges,
bruns, verts, pourpres, massés franchement comme
dans une vaste mosaïque. Ses architectures de
bois exécutées dans des tons bruns et or étaient
relevées par les pourpres, bleus, verts de ses toits
aux tuiles vernissées. Des impressions plus
directes des scènes de Palais des derniers Ming
se retrouvaient sur les grands paravents de
brillantes couleurs, et ces décors panoramiques
rappelaient les meilleures œuvres de cette espèce
en Chine. Il y eut aussi une forme coréenne de
cette décoration, encore plus splendide, où la
feuille d'or s'imposait avec le laque.
Dans l'exécution, une des originalités de Yei-
toku fut l'emploi de couleurs foncées, obtenues
parglaçure des tons transparents sur fond coloré
comme dans la tempera ou la peinture à l'huile
de l'Europe, ou par tons opaques colorés sur fond
clair. Il pouvait ainsi demander à ses masses colo-
rées un contraste et une puissance d'effet compa-
rables à ce que ses ancêtres avaient obtenu avec
les encres. Les verts s'approfondissaient en olives,
ses bleus en lapis-lazuli, ses oranges et ses
rouges en carmins de cochenille. Appliquant ces
effets aux feuillages des arbres, il dépassa peut-
être en force les réussites d'Utanosuké. Yei-
toku a-t-il pu dans ces recherches tirer parti des
trouvailles de peinture à l'huile de l'Europe ?
(227)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
L'École de Yeitoku fut sans doute la plus bril-
lante école d'art laïque de toute l'Asie. L'emploi
de l'or, et son ignorance de l'ombré, la rap-
prochent de la peinture des primitifs italiens. Et
quelle est sa place historique dans ce grand
courant d'art dont elle fut un moment ? Ses
sujets sont chinois, et par là elle reste d'accord
avec l'art des Song et d'Ashikaga. Comme des-
sin elle est le développement de Shubun, de
Sotan et de Motonobu. Dans l'ordre de la déco-
ration murale elle suit les prédécesseurs de
Sesshu. Elle prend de fortes racines dans le
passé du sentiment chinois. D'un autre côté elle
se sépare nettement de l'esprit Zen. Plus trace
d'amour profond de la Nature, si ce n'est res-
senti décorativement ; la noble sobriété mono-
chrome a fait place à l'éclat des couleurs. C'est
une école de transition entre les Ashikaga et les
Tokugawa. Les espérances d'un retour au senti-
ment japonais sont déjà en elle : nous verrons
qu'elle a rendu possibles l'École de Korin comme
l'École de l'Oukiyoye. Mais elle-même, en ses
grands jours, ne montre effectivement rien
de ces tendances. Déjà en contact avec l'Europe,
elle reste étroitement asiatique. Contemporaine
de la fin des Ming, époque confuse et de goûts
très contestables, il semble bien qu'elle n'ait rien
emprunté de ce mouvement.
Les plus parfaits exemples de l'art de Yeitoku
sont les décorations de la grande salle du Nishi
Honganji de Kioto, temple favori de Hideyoshi,
où il avait transporté des pavillons, des portes
sculptées, et des plafonds dorés de son
(228)
LES TROIS SAGES PAR KANO MOTONOBU.
Musée de Boston.
L'ART IDÉALISTE DES KANO AU JAPON
palais Monoyama de Fushimi. Son fameux sculp-
teur de bois avait été Hidari Jingoro, et la
magnifique porte d'entrée du Nishi Honganji,
avec ses belles figures de cavaliers, montre à
quel point le dessin de Jingoro était tributaire
de Yeitoku; — de même qu'il est évident que les
beaux tissus de soie, et les laques magnifiques
de ce moment empruntent leurs grandioses
motifs décoratifs à Yeitoku. Le plafond porté sur
piliers de la vaste salle du Honganji est divisé
en caissons bordés de noir et or, et peints de
fleurs en couleurs par Yeitoku, et il décora trois
côtés des murs de panoramas en couleurs
et or.
Mais c'est dans ses paravents qu'on peut le
mieux juger de son génie. Le musée de Boston
possède deux paravents à six feuilles provenant
de Kanazawa, la capitale du riche daïmio de
Kaga, la famille Mayeda les ayant reçus en don
d'Hideyoshi même. C'est la réception des ambas-
sadeurs étrangers apportant de précieux tributs à
la Cour de l'empereur Taiso de To. Il n'est rien
de plus somptueux de Yeitoku. — Dans le même
musée, un paravent à deux feuilles montre des
personnages traversant en barque d'or un lac
d'un bleu profond. Le dessin, les figures et les
costumes sont dignes de Motonobu. — Un para-
vent à deux feuilles de M. Freer montre un
empereur et des dames de la cour. Un magni-
fique paravent à six feuilles du même genre est
au musée du Louvre.
Dans d'autres œuvres, Yeitoku abandonne les
figures chinoises et ne cherche plus les élé-
("9)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
ments de son décor que dans les splendides
feuilles et fleurs exécutées en feuilles d'or et
d'argent, dont l'épaisseur accuse parfois un cer-
tain relief. Une très belle peinture de ce genre
sur deux panneaux d'érable est au musée de
Boston. Plus beau est le grand paravent à six
feuilles de la collection Freer où les feuilles de
vigne pendent d'une treille aux vigoureux tons
verts, olives, et pourpres sur argent.
Le vrai successeur de Yeitoku fut Sanraku,
fils de Kimura Nagamitsu que Yeitoku avait
adopté. Son style à l'encre est aigu et fleuri,
quoique moins violent que celui de son père
adoptif, dont il est presque l'égal dans les déco-
rations murales dorées et colorées. Si son dessin
est moins nerveux, ses figures sont plus suaves
et plus gracieuses, sa couleur plus belle. Le
musée de Boston a de lui un superbe paravent
de musiciens à la Cour impériale.
Yeitoku eut deux frères : Soshu et Kiuhaku. Du
premier M. Freer possède deux beaux paravents
qui comportent plus de vingt sujets de la Cour
impériale de Chine interrompus par des nuages
d'or. Deux autres du musée de Boston montrent
de nombreuses dames sur une terrasse. Kiuhaku
est certainement le plus grand des élèves de
Yeitoku, et le plus personnel. Le Daitokuji et le
Mioshinji ont gardé ses œuvres. Le paravent
aux pivoines sur or montre un des plus typiques
motifs ; comme les pampres de Yeitoku, ce fut
un des motifs les plus imités de Koyetsu.
Yeitoku eut aussi des fils peintres : Mitsunobu,
Takanobu et Genshichiro. Le premier devint chef
(230)
PARAVENT AUX IRIS PAR KORIN.
DEUXIÈME MOITIÉ DU XVIIe SIÈCLE.
L'ART IDÉALISTE DES KANO AU JAPON
de la famille après la mort de Yeitoku, survenue
avant celle de son maître Iyeyasu, et qui marque
la fin de l'art des Ashikaga, bien que par la date
il appartînt déjà aux Tokugawa.
©
©
CHAPITRE XIII
L'ART ARISTOCRATIQUE MODERNE
AU JAPON
LES DERNIERS KANO ET L'ÉCOLE DE KORIN
KANO TANYU. Il RENAISSANCE DE L'ÉCOLE TOSA AVEC MITSUOK.I. Il L'ART
INDÉPENDANT DE IlONNAMI KOYETSU. Il SOTATSU ET KORIN. Il KENZAN.
La dynastie des Shoguns Tokugawa (1600-
1868) forme la dernière grande période de
la civilisation et de l'Art Japonais, trait d'u-
nion entre un merveilleux passé (tantôt chinoisant,
tantôt national) et le Japon nouveau de nos jours.
On l'a beaucoup exaltée ; en fait, je n'y vois
qu'un vrai génie, Koyetsu. C'est une période
d'essais en tous sens, un peu décousue, dispersée
en ses efforts, d'un art qui a peu cherché à se
concentrer. Ce qui semble la mieux caractériser
c'est l'accession du peuple à un degré plus
élevé de civilisation que cet art refléta, et où il
put retrouver son image fidèle. On a dit que la
valeur du Japon moderne avait résidé dans sa
classe de Samuraïs. Ce sont ces deux grands
courants aristocratique et plébéien qui ont donné
toute sa valeur à l'art des Tokugawa.
Iyeyasu avait fortifié sa dynastie en divisant
les terres entre ses plus loyaux serviteurs et en
les obligeant à résider six mois de l'année à
Yedo, sa capitale. Cette résidence forcée, les
fa?)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
deux cent cinquante années de paix que ne purent
troubler ces guerriers soumis, les échanges entre
la vie des châteaux et celle de la capitale où
s'élevait sur ses collines le grand château métro-
politain, — ce sont là vraiment les traits spéciaux
de la civilisation des Tokugawa, qui put ainsi se
développer comme son art, sur son propre
fonds, en n'empruntant rien au dehors, dans un
magnifique isolement.
Nous avons vu que l'École de Yeitoku avait con-
tinué l'art du maître; mais déjà, avec le shogun
Iyemitsu, l'art semble retourner à la tranquillité
de l'encre monochrome, et au goût du paysage,
plutôt chinois (de 1620 à 1640). Sansetsu, le fils
de Sanraku, avait commencé à peindre à l'encre
des paravents à figures. Mitsunobu, devenu le
chef des Kano, y montrait une rare maladresse;
son fils Sadanobu, mort trop jeune, était plus
adroit ; et surtout son élève Koi, si prestigieux
dans les lavis d'encre, relevés du nerveux accent
de ses traits, vrai continuateur de Sesshu. Ce fut
à Koi que Takanobu, le second fils de Yeitoku,
confia ses enfants Tanyu et Naonobu, pour les
éduquer.
Kano Tanyu, le grand artiste de la sixième géné-
ration des Kano, après 1630, avait dépassé son
maître par la suprême habileté de la tache, moins
lourde que chez Koi ; il n'eut pas d'égal dans son
art à rendre les nuages par une goutte d'eau sur
la soie. Il fut vraiment l'homme de génie de cette
troisième génération de l'École Kano, aussi fécond
que Sesshu ou Motonobu, d'un impressionnisme
délicat qui rappelle l'époque d'Ashikaga. Il a de
(2H)
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Ferme et Paysans.
Par Kano Koi (+ 1636).
Planche CIX.
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L'ART ARISTOCRATIQUE MODERNE
plus le mérite de revenir à la Chine. Curieux,
il étudia tous ces trésors de peintures chinoises
des vieilles collections du Japon, et le grand
incendie de Kioto en ayant beaucoup détruit, il
prit à cœur, avec son frère, d'exécuter des copies
des vieux chefs-d'œuvre. Il établit le centre de
l'École Kano, si anciennement fidèle à Kioto, à la
cour même de Yedo, exerçant ainsi un puissant
rayonnement sur les petites cours des daïmios
provinciaux, dociles aux ordres des Shoguns pour
faire connaître les vieilles peintures de leurs col-
lections et pour les laisser copier. C'est ainsi que
s'est formée l'immense série de copies, dues
surtout à Yasunobu, qui existe encore au Japon.
Ce fut en même temps le nouveau lien par lequel
le Japon se rattachait à la vieille Chine.
Naonobu, le frère de Tanyu, lui fut très infé-
rieur ; ses décorations murales du Chionin de
Kioto sont estimées. Ce fut en sa faveur que
Tanyu renonça à la succession de son père Taka-
nobu, résolu à fonder une nouvelle famille. Le
fils de Naonobu, Tsunenobu, était un artiste d'un
talent infini, si pénétré des formules et de l'exé-
cution de son oncle Tanyu, qu'il est fréquemment
difficile de les distinguer. Ce fut lui qui maintint
sa tradition fermement jusqu'au xvme siècle.
Si Yasunobu (Yeishin) était devenu le chef
nominal de l'École Kano, Tanyu, jusqu'à sa mort
en 1675, en fut le chef réel. Il laissait après lui
d'excellents disciples, Tou>un, Mori Kage, Yoshi-
nobu, et un élève de Yasunobu, Itcho. Ce sont les
plus célèbres justement, car le nombre des
artistes de son école inscrits sur les registres de
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
1700 est de plus de deux cents, et son impérieuse
influence s'exerça ainsi sur plusieurs générations
d'artistes des Tokugawa.
Tanyu, comme Motonobu, n'avait pasété l'artiste
d'une seule manière. En dehors de son style à
l'encre monochrome habituel, il décora somptueu-
sement des murs de palais en couleurs et or,
avec plus de légèreté que Yeitoku, et sa tradition
se retrouve encore dans les tombeaux de Shoguns
à Nikko et à Shiba. Il fut aussi un artiste de
Tosa, mais restant bien lui-même dans ses
makimonos, épris de sujets essentiellement japo-
nais, figures et paysages. L'influence de son
dessin des kakémonos de paysages se retrouve
dans les dessins des jardins, tel celui du comte
Katsu à Kinegawa, près de Tokio, et dans l'ornemen-
tation des bois ajourés, des laques d'or (Yama-
moto Shunsho), des petits objets de fer (Somin)
et de bronze, des tissus de soie, des poteries
(Ninsei) et des porcelaines (Kaga et Satsuma).
Dans ses rapports avec la nature il est bien
plus près des artistes Song, que des artistes
d'Ashikaga. Ses innombrables études de poissons,
oiseaux, reptiles, insectes, fleurs, pour leur pure
beauté et leur vérité, surpassent les fameuses
réussites d'Hokusai. Et il triompha encore dans
ses réductions magistrales des vieux chefs-
d'œuvre chinois ou japonais, qui plus tard furent
gravées et imprimées ; et tous les livres de son
élève Morikuni n'en sont que le souvenir. On
voit ainsi que son domaine s'étendit à tous les
arts de son pays.
Le musée de Boston possède bien une
■1
Le "Jugement D'Emma," Scène de L'enfer.
Par Kanawoka. Copie par
Hirotaka Sumivoshi.
Planche CXI.
Paravent a 2 Feuilles : Décor de Lierre.
Par Honnami Koyetsu (+ 1637).
Musée de Boston (Etats-Unis).
Planche CXII.
L'ART ARISTOCRATIQUE MODERNE
vingtaine de ses œuvres (le poète appuyé à un
grand pin devant la cascade, — le Bouddha assis sur
les nuages, — le paysage neigeux). La collection
Freer au moins autant (la ramille de bambou
avec le passereau, exécuté comme par Mokkei,
— le paysage si caractéristique de la maison d'été
avec le pin et la cascade, — leFujiyama par temps
de neige).
Ce fut durant la période Genroku à la fin du
xvne siècle que, pour la première fois, s'accusa la
scission entre l'aristocratie et le peuple. Au
milieu du xvme siècle le fossé était creusé : les
samuraïs étaient privés par la loi des plaisirs
des théâtres populaires et des maisons de thé.
L'art de Tanvu avait subi des vicissitudes. Ses
J
fils, ceux de Tsunenobu, ceux de Yasunobu,
incapables de créer, s'enlisèrent dans d'insipides
redites. Cette déchéance détermine en 17^0 la
fameuse diatribe de Motoori contre l'art contem-
porain. Ce qu'il appelait de ses vœux, c'était une
inspiration nouvelle et fraîche. Le jeune Okio,
fondateur de l'École Shijo, allait y répondre vic-
torieusement.
L'art de Kano (quatrième période) allait jeter
encore un dernier éclat mourant dans la
deuxième moitié du xvme siècle avec Kano Yeisen,
petit-fils de Chikanobu, sorte de renaissance au
Japon dans l'amour de l'art chinois, qui coïncide
comme date (1780) avec la souveraineté d'Okio
à Kioto, et de Kiyonaga à Yedo. Yeisen fait retour
pour l'inspiration à Motonobu, Yosen à Sesshu ;
et le fils de Yosen, Kano Isen, ainsi que son
(237)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
contemporain, Kano Tanshi II (1820- 1830) faisant
œuvre critique, réétudient, reclassent et recopient
les vieilles peintures originales chinoises existant
encore au Japon, et dont un si grand nombre
ne nous sont connus que par leurs copies ; et (ce
qu'avaient réprouvé Motonobu et Tanyu) faisant
de Kakei, de Bayen, de Mokkei, de vivantes
réalités aux yeux des étudiants de 1840, comme
les avait compris Sesshu.
Parallèlement à cette ultime branche de l'École
Kano, il y eut sous les Tokugawa une renais-
sance de la peinture bouddhique en couleurs et
or, rappelant la vieille Ecole Kose et l'art
de Yeishin Sozu. Ses œuvres sont demeurées
au Temple du troisième Shogun à Nikko, au
Chionji Yodo de Kioto, et au Kofukuin de Nara.
Un mouvement bien plus important fut la
résurrection de l'École de Tosa et de l'art natio-
nal, au xvne siècle, avec un retour violent aux
traditions et aux sujets japonais, ce qui amena en
même temps la revision et l'étude des vieilles
peintures de Kose, de Kasuga et de Tosa. Le
principal représentant de ce mouvement fut Tosa
Mitsuoki. — Un second mouvement partit vers 1650
d'un peintre, SumiyoshîJokei, travaillant encore plus
dans le style des Tosa que Mitsuoki. Il s'acharnait
à copier les makimonos de Keion, de Toba, de
Mitsunaga et de Nobuzane, et ses disciples à la
cour des Shoguns à Yedo, devinrent les peintres
critiques des traditions de Tosa, comme les Kano
à Kioto l'avaient été des traditions chinoises.
En dehors de ces grands mouvements d'art
(238)
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L'ART ARISTOCRATIQUE MODERNE
traditionnel sous les aristocratiques Tokugawa,
un autre se produisit, très indépendant, qui les
éclipsa tous de sa splendeur et de son originalité,
c'est celui de l'Ecole du maître de Korin, Honnami
Koyetsu, artiste très longtemps ignoré, dont
aucune œuvre ne se trouvait dans les temples,
ni chez les daïmios, qui avait été très estimé
au Japon d'amateurs de la classe Kugé, mais
ensuite oublié au xixe siècle, et que l'Occident,
on peut bien le dire, a vraiment découvert pour
le révéler de nouveau par son enthousiasme au
Japon, comme un de ses génies les plus extraor-
dinaires. Avec cette École de Koyetsu-Korin, nous
assistons bien, après la débauche d'idéalisme
d'Ashikaga, au retour naturel à des sujets natio-
naux, japonais, à l'amour des vieilles Ecoles Tosa
et Fujiwara, et à la tendance à les réadapter à
des conditions nouvelles. Ils cherchèrent à
grandir l'art des makimonos, à l'échelle des
décorations murales de Palais, en modifiant
nécessairement beaucoup l'exécution. Ce furent
les « impressionnistes » du Japon, habiles à
indiquer, à suggérer plutôt les formes des choses
par les taches colorées hardiment posées par
masses. Suprêmes décorateurs par leur science
à agencer de belles compositions où les arbres,
les nuages, les figures, les buissons fleuris sont
indiqués en touches splendides d'écarlate, de
pourpre, d'orange, d'olive, de jaune et de cen-
taines de tons dérivés. Et ces recherches étaient
toujours les résultats de minutieuses observations
et études des choses japonaises, particulièrement
des végétaux et des fleurs, par lesquelles leur
(2?9)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
impressionnisme repose sur le plus loyal respect
des choses de la Nature.
De la vie de cet Honnami Koyetsu, nous ne
connaissons rien par les documents ; ses œuvres
permettent de supposer qu'il était un laqueur.
Son art est sorti évidemment de celui de Kano
Yeitoku à sa seconde époque, à en juger par
ses qualités de décorateur, par son sens de la
couleur riche et profonde, par ses nuages d'or
et ses feuilles d'argent. Parmi ses nombreuses
œuvres dans la collection Ch. Freer, le paravent
aux lierres est parmi les plus beaux avec ses
verts et ses olives, les feuilles d'argent de ses
ampélopsis tombant sur un sol de feuilles
d'argent. Rien de Tosa, mais l'harmonie des plus
riches paravents de fleurs de Yeitoku; aucune
recherche du dessin par le serré du trait, mais
au contraire la tache décorative librement ap-
posée.— Il inventa aussi ces paravents à éventails
exécutés également en or, argent et couleurs, réu-
nissantavec une étonnante fantaisie une trentaine
de ces éventails sur le même paravent, les uns
de style de Kano, les autres de style Tosa,
quelquefois aussi exécutés à l'encre comme par
un Kano. Il s'inspire de Yeitoku dans ses feuilles
d'érable en relief doré, dans ses nuages de rouge
épais (les érables de Yeitoku au musée de Bos-
ton) ; et parfois aussi de Tosa dans un éventail
de grands iris pourprés. Dans deux paravents de
la collection Freer, il mêle le style Kano à une
étude serrée de la nature et à la technique d'un
maître laqueur, avec cette symphonie d'or de
délicates graminées, de robustes chrysanthèmes
(240J
>
•A
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M
J o
Sa
Deux Oies Sauvages au Vol.
Par Sotatsu. 2' moitié du XVII" siècle.
Planche CXVI.
L'ART ARISTOCRATIQUE MODERNE
tous en relief d'or peint sur un fond de feuilles
d'or assourdi. Au milieu de ses fleurs sont répan-
dues de petites bandes, dites « Shiki-Shi » pour
recevoir l'écriture depoésies japonaises : sur leurs
fonds teintés, Koyetsu écrivait en caractères d'or
ou d'argent des poésies de cette calligraphie splen-
dide et inimitable dans laquelle il était passé
maître.
Mais Koyetsu, non satisfait de ces prodiges
d'exécution, de ces délicieuses fantaisies, voulut
atteindre ce que le sentiment japonais a de plus
profond, et en faire son propre style. Il remonta
donc aux ancêtres, avant Mitsuoki, étudia les
grands chefs-d'œuvre de figures et d'arbres des
vieux Tosa, Mitsunaga, Keion, Nobuzane; parfois
il se contentait sans doute de copier dans ses
petites figures quelques fragments d'un original
ancien, mais plus souvent il crée une œuvre toute
personnelle, dans le style des vieux maîtres, et
qui ne leur est pas inférieure, et que Korin ne
fera que reprendre.
Ces trois faces du génie de Koyetsu se retrou-
vent unifiées, amplifiées dans ses décorations
murales, sans doute antérieures à 1640. Ce ne
sont probablement que des fragments, ces deux
grands paravents aux maïs de la collection Freer,
où sur un fond d'argent terni la masse des épis
et des feuilles s'incline en larges volutes sous le
vent. Au milieu de ces épis d'un pâle olive, grim-
pent les fleurs bleues des volubilis, et à droite
éclate comme une fanfare une plante écarlate
dont les feuilles sont mouchetées de rouge et
d'ambre, symphonie colorée supérieurement
(MO
16
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
orchestrée dont des mots ne sauraient donner la
moindre idée. — Le plus grand chef-d'œuvre de ce
genre de Koyetsu était le paravent à six feuilles
en paysage de l'ancienne collection Charles Gillot
avec sa rivière argentée coulant entre des rives de
papier bruni et d'argent terni, où se dressait un
roc olive et cuivré : deux masses d'arbres balan-
çaient la composition, à droite un magnolia dans
des bruns sourds, des olives et des jaunes, avec
des graminées d'un ton crème plus léger que
celui du flot, et à gauche un arbre à feuilles
automnales de cadmium se mêlant aux feuillages
écarlates d'un érable.
Koyetsu fut un peintre de génie : en lui le maître
laqueur ne fut pas inégal dans sa prestigieuse tech-
nique, dans sa conception des formes et des cou-
leurs. Il eut une prédilection pour les petites boîtes,
« Suzuri bako », ou les écritoires. Quelle gran-
deur dans certaines de ses réminiscences de
l'époque Fujiwara ! Certaines interprétations de la
fleur y sont grandioses comme dans ses paravents.
Si on le connaît moins comme décorateur
de poteries, il fut là encore un merveilleux
interprète de la nature dans cette extraordinaire
boîte de céramique de la collection Freer, dont
le couvercle porte un paysage digne d'un artiste
d'Hangchow. Que n'aurait pas été Koyetsu ! (et
peut-être le fut-il), un architecte, un décorateur
d'intérieur, un dessinateur de ciselures de fer
et de bronze.
Un autre grand génie de cette École fut Taiva-
raya Sotatsu. Il se rattache au style des Kano, à
(242)
Paravent a Décor de Chrysanthèmes.
Par Oçata Korin. 2e moitié du XVII" siècle.
Etude d'Œillets Sauvages (détail).
Par Sotatsu. 2e moitié du XVII" siècle.
Planche CXVII.
Personnages dans un Parterre d'Iris.
Par Ogata Korin. 2e moitié du XVIIe siècle.
Planche C XVIII.
L'ART ARISTOCRATIQUE MODERNE
la période de Yeitoku, et subit manifestement
l'influence de Koyetsu. Comme lui il a rendu en
couleurs d'un puissant impressionnisme ce que
la Nature lui suggérait, avec les souvenirs de
l'Art des Tosa. Ce n'est qu'un peintre, il ne semble
pas qu'il ait touché aux laques, ni à la poterie.
Il a peint aussi des paravents et des décors de
murailles, mais plus que Koyetsu des kakémo-
nos. Il a moins que lui l'imagination créatrice,
étant plus asservi à la nature, et plus soumis à
en restituer réellement les aspects sans les défor-
mer décorativement. Son œuvre existante est aussi
bien plus considérable. La collection Freer a de
lui la grande paire de paravents aux vagues, assez
inspirés de Sansetsu, et d'une largeur d'exécution
digne de Koyetsu (Korin s'est bien inspiré de
cette œuvre fameuse). — Le musée de Boston
possède un superbe kakémono de deux oies sau-
vages en plein vol ; et la paire de paravents de
fleurs à empâtements épais sur fond d'or des
collections de Yanagisawa Keija, le daïmio artiste
de Karnisawa, prouve une observation aiguë, et
une surprenante richesse de coloris.
Dans un magnifique paravent de la collection
Freer, des dames de la cour des Fujiwara en
anciens costumes se promènent dans un grand
parc, figures d'un sentiment poétique à la Nobu-
zane. — Dans sa dernière manière était la paire de
paravents de l'ancienne collection Bing.
On a généralement considéré Korin comme
le successeur de Koyetsu, surtout dans les œuvres
de laque. Comme peintre, il lui est inférieur en
04})
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
prestige d'exécution ; il a un style Tosa plus figé,
mais dans l'interprétation des fleurs et des gra-
minées il apporte le même naturalisme que So-
tatsu. Mme Gardner, à Boston, possède de beaux
paravents de lui, de même que M. Freer à
Détroit. Le Japon en a conservé un grand nombre
au Nishi Hongangi, chez le comte Inouyé (le décor
de sa bibliothèque). Le musée de Boston a une
de ses œuvres les plus célèbres, le grand paravent
de six feuilles avec les vagues d'une mer démon-
tée battant les rochers, d'un impressionnisme
violent. Pour bien juger la richesse et la com-
plexité de ses conceptions décoratives il faut
étudier les transcriptions gravées qu'a données
de ses œuvres Hoitsu à la fin du xvme siècle.
Il n'est guère de collection qui ne s'enorgueil-
lisse de laques de Korin, incrustées de nacre et
d'étain, comme les vieilles pièces de Kamakura,
mais dans un sentiment décoratif bien plus réa-
liste. — Il pratiqua aussi la poterie, mais dans cet
art ce fut son jeune frère Kenyan qui l'emporta
comme décorateur ; il se montre supérieur dans
l'exécution des petites pièces décorées d'un motif
de nature choisi avec une exquise fantaisie. Ce
Kenzan fut aussi un grand peintre, comme le
prouve le splendide kakémono aux pavots du
musée de Boston, et la branche couverte de neige
de la collection Freer. Mais il n'est jamais puis-
sant constructeur comme Koyetsu ou même
comme Korin.
Ces quatre génies eurent d'innombrables élèves.
Un autre frère de Korin, Kuchu-sai fut aussi peintre,
potier et laqueur. Un prêtre, Hoitsu, chercha à faire
(244)
•A
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Paravent a Décor de Fleurs (Détail).
Par Ogata Korin. 2e moitié du XVIP siècle.
Trois Poteries Décorées,
Par Kenyan (166,3 — x743)-
Planche CXX.
L'ART ARISTOCRATIQUE MODERNE
revivre à la fin du xvme siècle l'art de Korin.
Et si nous jetons un regard en arrière sur ces
écoles aristocratiques du Japon, nous voyons
dominer l'École de Kano et celle de Korin : toutes
deux de grandiose décoration, même quand elles
passaient de la chambre de thé au décor des
objets d'usage pour les daïmios et les samuraïs;
la première ayant fourni plus spécialement des
modèles aux brodeurs et aux ciseleurs de métal,
la seconde aux potiers et aux laqueurs. Toutes
deux sont sorties de l'École Kano de Yeitoku sous
Hideyoshi, les Kano ayant modifié son style à
l'encre, Korin ayant transposé son style en cou-
leur. Les grands maîtres contemporains en sont
Tanyu et Koyetsu, à leur apogée vers 1660. Korin
dut à Koyetsu à peu près autant que Tsunénobu
à Tanyu, tous deux à leur apogée vers 1700. Et
Kenzan fut tributaire de Korin, à peu près comme
Chikanobu de Tsunénobu vers 1730.
©
©
CHAPITRE XIV
L'ART MODERNE CHINOIS
LES DYNASTIES TSING ET MANCHOU
LES INDUSTRIES DÉCORATIVES. || LAPORCELAINE.il LESPRIT CONFUCIANISTE
PARALYSE LART CHINOIS. » LA PEINTURE « BUNJINGA ». Il L'ART SOUS LES
EMPEREURS KANGHI ET KIENLl'NG.
Aie considérer au point de vue esthétique
(qui a été jusqu'ici, autant qu'il m'a été pos-
sible, mon critérium dans l'étude des plus
rayonnantes époques), l'Art chinois moderne
ne mériterait qu'une assez brève mention,
qui a suffi à tant de personnalités d'un rang
inférieur des précédentes périodes. Une étude
totale, pour gardersa cohésion, devraitêtre comme
la carte de quelque époque géologique qui, pour
être complète, devrait indiquer les chaînes de
montagnes, aussi bien que les vallées que la mer a
depuis longtemps submergées. S'il n'était question
dans un essai de ce genre que des génies suprê-
mes, ce serait un peu comme si seuls étaient
dignes de remarque les volcans encore en acti-
vité au milieu d'un océan qui aurait recouvert
tout le reste.
J'ai dû ici délibérément, il est vrai, faire la
part principale au grand Art; et je dois par con-
séquent expliquer les raisons qui me détermi-
nent à parler de l'Art de la dynastie
des Tsing. C'est que quelques-unes de ses in-
(M7)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
dustries décoratives ont une réelle valeur,
telles les Porcelaines, et que surtout il y eut
sous les Tsing permanence de causalités,
de forces en continuelle action, comme nous
lavons déjà signalé au cours de l'histoire de la
Chine.
La chute de la culture moderne chinoise est
en quelque sorte une part organique de l'his-
toire de son développement, et son importance
sous les Tsing apparaîtra plus grande encore,
en regard de l'art populaire du Japon qui lui
fut contemporain.
La décadence de l'Art chinois moderne, déjà
sensible au milieu de la dynastie des Ming,
s'accentua surtout dans l'art de peindre, et
partout où il est fait appel à l'imagination.
Dans les primitifs arts chinois et japonais, les
motifs décoratifs étaient des rejetons de l'Art
central, de la sculpture. Dans les deux arts,
après le vme siècle, le dessin est particulière-
ment déterminé par les causes qui régirent leur
créatrice, la peinture.
Mais au cours des derniers siècles en Chine,
et aussi également pendant certaines périodes
assez vides de l'Art moderne au Japon, on peut dire
que pour la première fois le dessin se sépare de ses
vrais motifs inspirateurs, dépendant bien plus
de l'adresse de la main, que des grands rapports
de ses lignes constructives. Ce n'est pas vrai de
l'Ecole de Korin, comme nous avons pu le voir
antérieurement, mais cela est parfaitement certain
de l'architecture des Tokugawa, spécialement
dans les temples, et c'est encore plus générale-
(248)
LE PARADIS TERRESTRE.
EPOQUE DES BING.
British Muséum.
s
L'ART MODERNE CHINOIS
ment vrai de la masse du « bric-à-brac »
moderne chinois. Et c'est cela cependant que les
amateurs étrangers ont le plus activement recher-
ché, et c'est ainsi que le dessin chinois type
est pour eux celui qui est du plus bas niveau.
Dans la même voie, comme je l'ai déjà mon-
tré, ceux qui en Europe étudient l'Art chinois
en sont venus à adopter les procédés intellectuels
les plus bas des mandarins modernes, et sont abso-
lument inconscients de l'imagination magnifique
et puissante des premiers siècles. Cestpour main-
tenir devant nos yeux ces hauts sommets qu'il
nous faut regarder au-dessus des basses collines,
même si elles s'abaissent au-dessous de notre
propre horizon.
Le professeur Hirth a quelque peu protesté
contre cette opinion de la décadence de
l'Art de la peinture moderne en Chine, qu'avait
affirmée le professeur Giles. Il n'est pas dou-
teux qu'il y ait eu une quantité de peintres
modernes des Tsing avec des traditions d'Écoles
toutes faites, et des bibliographies complètes,
absolument comme nous avons beaucoup plus de
renseignements aujourd'hui sur la vie de quelque
dramaturge populaire moderne, que sur Shake-
speare. Mais si nous adoptons quelque cri-
térium général de portée esthétique, la largeur
de vision, le caractère bien compris des choses, la
puissance des couleurs, nous nous apercevrons
que la peinture moderne chinoise est tombée à
un point de faiblesse débile, et de symbolisme
inopérant, à peu près au même point où est
tombé l'Art chrétien d'Europe dans les plus
049)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
misérables mosaïques de l'empire byzantin. L'Art
commence par une enfance pleine de promesses,
et retombe dans une enfance sans espoir.
La réelle rupture entre le passé de la Chine et
son présent se produisit au xvie siècle sous la
dynastie Ming, après qu'elle eut transmis ses
meilleures traditions au Japon des Ashikaga,
et quand les troubles des luttes locales au Japon
eurent leur contre-partie dans les luttes qui se
préparaient en Chine entre un empire affaibli et
les Tartares du Nord. Il y eut alors parallélisme
de destinées entre la Chine et le Japon.
Ce qui se produisit en Chine, ce fut la défaite
complète des premières tendances des Ming
à faire revivre l'anti-confucianisme et le génie
de la civilisation du Sud, qui avait eu son heure
de resplendissement à Hangchow et son antithèse
sous les Yuen. Il n'y avait pas assez d'idéalisme
chez les Ming pour supporter cette tension.
Dès 142 1, la renaissance des Ming subissait le
dommage que lui causa le déplacement de la
capitale, de la vallée du Yangtsé au lointain
Nord-Est, où allait s'élever la capitale tartare de
Pékin. Pékin n'avait jamais été la capitale de la
Chine, avant les jours des Kins et des Mongols.
Elle n'avait aucun monument de grand Art, ni
aucunes collections d'anciennes choses. Sonpeuple
était tout à fait de sang tartare. Les traditions de
suprématie mongole étaient toutes de splendeur
matérielle, et non pas d'idéalisme caché.
C'était là autant de raisons pour que Pékin
offrît un champ excellent à exploiter aux confu-
cianistes conservateurs. Mis sur la défensive par
(250)
L'ART MODERNE CHINOIS
les Song du Nord, réformés contre leur gré par
les Song du Sud, ils avaient sauté à la tête des
chevaux tartares et guidé la course de leurs
maîtres étrangers en politique. Il est curieux que
les Mongols et les Manchous aient prêté une
oreille également attentive à la propagande
répressive des athées confucianistes et des
chrétiens, et aient au contraire ruiné tout ce que
l'idéalisme bouddhique et taoïste avait offert
d'aliment à l'imagination chinoise. Les plus
honnêtes de ces confucianistes avaient le désir
de faire de la Chine une machine morale, où
chaque rite, chaque cérémonie, chaque industrie,
et même chaque pensée serait déterminée par
des formules préétablies.
Leur idéal était de créer l'uniformité ; leur
marque c'est l'autorité, et non pas la libre connais-
sance des choses ; leurs conceptions littéraires
étaient bornées au dictionnaire. Leur haine était
réservée à toute manifestation de liberté indivi-
duelle.
Les moins honnêtes cherchaient sans aucun
doute à favoriser cette méthode d'absorption des
patronages officiels locaux, pour lesquels des
listes de taxation devenaient des moyens légi-
times de violence.
C'était ce monstre hideux, caché derrière le
formalisme de ses contemporains confucianistes,
qu'Oanseki en 1090 devinait, et combattait,
comme s'il avait prévu le coup mortel qu'il
pourrait porter un jour à l'âme chinoise. La
dynastie des Song fut tout entière une protes-
tation passionnée contre cette tyrannie qui
(250
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
voulait s'implanter — et c'est contre la dynastie
des Song que tous les historiens sortis des rangs
ennemis victorieux ont dressé leurs violents
réquisitoires. — Et aujourd'hui nous avons le
spectacle d'une Chine se vantant du poison qui
l'a tuée.
Voyons quels rapports cela put avoir avec
l'Art. Les mandarins haïssaient tout signe de vie
caché dans les réussites des premiers Ming.
L'Art d'Hangchow était pour eux un drapeau honni.
Ce dut être pour eux de bonne politique de le
décrier et de vilipender les Kakei et les Mokkei.
Ce fut dans la seconde moitié des Ming qu'eut
lieu la tentative de développer une nouvelle
école d'Art confucianiste, entièrement opposée à
celle d'Hangchow. Et ce ne fut pas sans succès.
Ce fut cet Art confucianiste, très voisin de ce
que nous appelons « le Bunjinga », et mêlé d'une
barbarie tartare et d'un Bouddhisme thibétain,
en même temps que d'un goût tartare de réa-
lisme et d'ornements crus, qui s'imposa sous la
dynastie manchou.
Que faut-il considérer comme ayant été l'Art
spécial aux confucianistes des Ming, ces nou-
velles lumières de l'Empire ? Toute tradition n'en
était pas bannie. En Art, ils ne pouvaient pas
revenir complètement à Confucius, car à l'époque
de Confucius il n'y avait pas d'Art. Tout d'abord
ils se tournèrent en arrière, vers la dynastie des
Yuen, qui avait précédé celle des Ming, et ils
eurent ainsi la vision d'un style scolaire qui avait
résisté à la fois au matérialisme et à l'esprit des
Song — cet Art assez libre, du paysage par taches,
(*5*)
Ecole de Matahei.
Planche CXXI.
L'ART MODERNE CHINOIS
qui faisait vivre en masses brillantes mais sans
formes voulues les nuages et les brouillards.
Ce style, à la vérité, repoussait toute connais-
sance exacte des formes, des effets variés de la
nature, pour n'être seulement qu'un style d'im-
pressions. Sa simplicité et son uniformité suffi-
saient toutefois à le rendre cher aux étudiants. Il
n'était pas dépourvu de certaine platitude. Dans
un tel Art, c'était littérairement comme si Shel-
ley, ayant écrit un poème sur un nuage, tous
les futurs poètes dignes de ce nom eussent tenté
de faire la même chose. Ce style assez bon
mais borné des peintres-poètes des Yuen con-
fucianistes, avait été développé par l'effort
de Beigensho et de son fils, sous les Song du
Nord. A la vérité, toute l'œuvre détestée de la
réforme des Song partit des patriotes Ming
pour faire d'Oanseki le centre de la résistance
à Beigensho, à Toba, à Bunyoka, et à tous les
stricts confucianistes de Kaifong au xie siècle.
Il y eut alors un certain nombre d'écrivains
et d'artistes vers la fin de la dynastie des Ming,
pour essayer de formuler cette théorie — et pour
montrer qu'il n'y avait réellement qu'un véritable
Art chinois, celui de l'École Yuen. A leur tête,
comme excitateur était un écrivain du nom de
Tung Ch'i Ch'ang (Tokishô) dont les idées ont
vicié le criticisme chinois depuis lors. Il ne se
contentait pas de reporter l'origine de ce style
aussi loin que Beigensho des Song; il entreprit,
contre toute évidence, de le reculer jusqu'aux Tang,
et d'en infliger la paternité au pauvre Omakitsu
(Wangwei), parce qu'en réalité Omakitsu avait
(2H)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
été le premier des grands peintres-poètes du
paysage. Il lui fallut alors donner un nom à cette
École chinoise universelle, et ce fut le nom de
« Méridionale », peut-être parce que la source
réelle du paysage poétique et de l'Art avait été
dans le Sud. La tradition en remontait jusqu'à
Toemmei, au ve siècle.
En opposition à ce mouvement, dit orthodoxe,
Tokishô éleva une Ecole dite du Nord, qui était
supposée être la tradition des Tartares bouddhistes
des provinces du Nord, et de l'académie hérétique
de Kiso Kotei chez les Song du Nord. En suivant
ce raisonnement, Mokkei, Kakei et Bayen, bien
que méridionaux, étaient les pionniers de l'École
du Nord, parce que leur Art dérivait des formules
académiques de Kiso. Ceshommes étaient dépour-
vus de principes, d'âme ; ils étaient tout uniment
soumis à la faveur impériale. Le grand Art indé-
pendant, plein dame, était anti-académique,
c'est-à-dire fait de ces travaux déplorables
(ôl amateurs) des opposants. Car c'est être le
plus anti-confucianiste que d'être un profession-
nel, et il est juste que de semblables choses,
peintures et poèmes, soient à rejeter comme de
simples amusettes. En dernier lieu, Tokishô inventa
et réadapta à son usage un nom spécial à ce
genre d'Art, « Bunjinga », ou peintures de litté-
rateurs.
Stupéfiante fut l'erreur historique engendrée
par toute cette théorie chinoise moderne de l'Art.
Elle essaya d'attirer à l'appellation « Méridio-
nale » tout le prestige de Liang et d'Hangchow,
qui furent les centres mêmes des bouddhistes
Oh)
L'ART MODERNE CHINOIS
Zen, ses ennemis les plus acharnés. — Toute
la grande École des paysages de la Chine, réelle-
ment originaire du Sud, l'œuvre des Omakitsu
(Wang Wei), Godoshi (Wu-tao-tzu), Risei (Li
ch'eng), Kakki (Kuo Hsi), ou Kakkei (Hsia Kuei),
était exactement à l'opposé de tout ce qu'aimait
Tokishô, et était réellement ce qu'il méprisait
comme étant l'Ecole du Nord. Et même le paysage
de Kiso des Song du Nord n'existait que parce
qu'il était sorti du Sud. Et aussi dans la théorie
de Tokishô, ce qu'il appelait « Nord » était essen-
tiellement « Sud ». Ce qu'il appelait « Sud » était
véritablement dérivé des confucianistes septen-
trionaux de Kaifong.
Toutefois ces vues rétrospectives et classifica-
trices n'avaient aucune base sérieuse. Beigensho,
il est vrai, créait un style personnel, mais que
ne devaient pas adopter ses contemporains con-
fucianistes, et qui ne devait pas être le fondement
d'une méthode scolastique avant les Yuen. Il n'y
a aucune raison de supposer que ses compagnons
Song, tels que Toba et Bunyoka, et Sanboku
s'imaginaient créer dans leurs paysages quelque
chose de tout à fait contraire à Kakki et à
Riryomin, leur autre groupe d'amis. La seule
différence résidait en ceci qu'ils étaient des
amateurs, et bien plus limités en leurs sujets.
Mais les bambous de Toba, par exemple, ne sont
pas essentiellement différents de ceux de Mokkei
et de Bayen et de toute la grande Ecole des
Song du Sud.
En définitive, l'exact terme « Bunjinga », pein-
tures d hommes de lettres, la caractérise suffisam-
(M!)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
ment et la condamne. Ce fut plutôt une manière
de penser et une évolution qu'un grand courant
d'imagination visuelle. C'est comme si nous
désignions cheval le dessin d'un enfant figu-
rant un cheval. Pour les esprits purement litté-
raires, la peinture était le signe de l'idée, c'est-à
dire un autre genre d'expression. Ils voulaient
ignorer et n'avoir aucun souci de tout ce qui se
trouve enfermé dans les lignes originales du
dessin ; tout cela pour eux n'était que la pure
technique.
Comment concilier cela avec l'esprit des vieux
maîtres! Ils étaient connus par des copies de
copies : il était simplement nécessaire de les
recopier une ou deux fois de plus, en style
« Bunjinga », pour prouver que les vieux maîtres
étaient eux-mêmes des peintres « bunjin ». Je ne
vais pas jusqu'à prétendre que dans tous les cas,
ou du moins dans la plupart des cas, ces ten-
dances fussent à base de mauvaise foi. Ils pré-
tendaient ouvertement trouver un avantage, dans
cette voie de la copie, et ne pas chercher à
suivre les lignes exactes et la touche même des
originaux, mais à les traduire dans leur propre
style créateur, de la même façon qu'un poète
en use avec un génie étranger dont il traduirait
un chef-d'œuvre. En d'autres termes, ils voyaient
dans des originaux anciens uniquement les traits
qui leur paraissaient plus ou moins s'adapter à
leur propre manière de voir, qui était « Bun-
jinga », manière informe et vide. C'est ce qui
explique que dans tant de recopies, tout ce
qu'il y avait de fort et de beau dans le dessin des
Peinture.
Ecole de Matahei. Fin du XVIIe siècle.
Planche CXXII.
L'ART MODERNE CHINOIS
originaux s'est évanoui, et qu'il n'en est plus
resté que l'extravagante exagération de leurs
traits les plus cotonneux. Il ne faut pas chercher
d'autre raison à ce fait que le grand nombre
des copies Tsing des vieux maîtres, certifiées par
les attestations être des copies de copies, ne
présentent plus que la facture enfantine des
modernes, un jeu de pinceau sans trace d'ima-
gination, et qui n'a plus aucun rapport avec ce
qu'ont cherché les fameux maîtres des précé-
dentes dynasties, excepté quelques maîtres des
Yuen. C'est bien comme si les artisans d'icônes
grecs du mont Athos, ne se contentant pas
d'affirmer simplement leur tradition de hiéra-
tisme, voulaient nous faire croire que leurs
poupées à traits d'or sont les copies authentiques
des chefs-d'œuvre d'Apelle et de Parrhasius.
Le mal que fit l'impudent « Bunjinga », qui
bientôt se cristallisa de façon très orthodoxe
dans l'imagination de tous les étudiants chinois,
se traduisit par une dégénérescence de l'art si
rapide que vers la fin des Ming on aurait
trouvé difficilement une honnête œuvre d'art, en
dehors d'une sorte de peinture affaiblie de jolies
fleurs. Les figures étaient devenues des poupées,
aux épaules rondes, désossées, avec des faces
idiotes, d'où toutes proportions et sentiment des
lignes avaient disparu. Pour un fervent de
« Bunjinga » de la fin des Ming ou des Tsing,
toutes les hautes qualités qui avaient constitué
l'Art chinois étaient ignorées ou travesties. Et
quelle pitié doit éprouver un artiste euro-
péen à comparer ce qui est vanté comme les
(M 7)
»7
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
chefs-d'œuvre des Tsing avec les plus médiocres
originaux des Song — car quoique les prédéces-
seurs Yuen fussent seulement des grands hommes
dans les lignes circonscrites de leur dessin, et
doivent être reconnus comme tels par les artistes
de toutes les nations, leurs successeurs Tsing
ayant irrémédiablement perdu le sens visuel des
proportions ne pouvaient même pas se douter
devant les chefs-d'œuvre des Yuen de ce qui les
faisait grands.
Pour les successeurs de Tokishô c'était d'em-
piler des pics informes sur d'autres pics, qui
était l'essentiel, et non pas la magnifique indi-
cation des nuages qui les enveloppaient. En
résumé la touche pour les Chinois modernes,
aussi bien que la forme réelle, avaient cessé
d'exister. La touche, ce qui est la tache actuelle
de sombre et de clair sur leurs peintures, ces-
sait d'avoir toutes relations avec le sombre et
le clair dans la Nature, et ne recueillait d'admi-
ration qu'en proportion de ce qu'elle ressemblait
aux variations répétées du tracé d'encre sur un
manuscrit d'écriture.
On peut dire que l'effet naturel de la théorie
« Bunjinga » était d'effacer toute distinction
entre la peinture et l'écriture.
Mais ce ne fut pas seulement l'histoire de
l'Art et la production artistique qui furent ruinées
par cinquante années de ce triomphe confucia-
niste. La critique d'art fit une telle chute que
les commentaires de ceux qui écrivent après
1550 n'ont pas plus de rapport avec les façons
de comprendre des grands critiques anciens,
(*5 8)
L'ART MODERNE CHINOIS
que les écrits des anarchistes modernes n'en
auraient avec Aristote. Et même dans les grandes
compilations des Tsing d'après toute la littéra-
ture chinoise sur l'Art, les opinions des critiques
récents sont citées parallèlement à celles des
anciens, dans une parfaite inconscience de
l'abîme intellectuel et imaginatif qui les sépare.
De sorte que le savant européen se tromperait
étrangement en présentant la critique « Bunjinga »
moderne en équivalence sur les questions d'art
avec la critique ancienne.
Le passage de cette École « Bunjinga » sur
la Chine aux xvie et xvne siècles fut comme un
feu brillant qui ne laissa qu'un désert de cendres
derrière lui. L'immense domaine de l'Art chinois
fut non seulement abandonné, mais fermé. Il
semble bien regrettable qu'une révolution men-
tale aussi absolue ait pu se produire chez un
peuple aussi robuste. Mais nous en avons mal-
heureusement un exemple européen semblable,
dans la transformation du sentiment artistique
de la Grèce dans les écoles de Byzance.
Les Tartares manchous avaient lutté contre le
derniers des Ming pendant quarante ans, et en
avaient eu raison en 1660. On le bannit l'année
suivante à Formose. En 1662, Kanghi, second
empereur de la dynastie Manchou, monte sur le
trône, et eut jusqu'en 1722 un long règne de
soixante ans. Après le court règne de YungChing,
« Kienlung », le petit-fils de Kanghi, régna
soixante ans (1756-1796).
Ce furent ces deux longs règnes de deux
fa 59)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
empereurs Tartares pleins de sagesse, qui cons-
tituèrent le centre, et aussi la grandeur de la
dynastie Tsing. Tout ce qui de la civilisation
manchoue avait un principe vital, sort de ces
deux règnes. La Chine moderne a été façonnée
par leurs méthodes.
Il semblait, avec l'arrivée de Kanghi, qu'une
nouvelle ère glorieuse s'ouvrait pour la Chine.
Non seulement les Manchous étaient une race
toute neuve, vigoureuse, d'une intelligence qui
n'avait pas été encore cultivée; mais de plus les
Jésuites d'Europe, qui déjà s'étaient montrés sous
les derniers Ming, voyaient leur influence
croître sous ce premier long règne manchou.
Grand était l'espoir des chrétiens, qui se
rappelaient les gracieusetés que leur avaient
prodiguées les Mongols trois cents ans plus tôt.
Un nouveau courant de relations s'établissait
avec l'Europe dans les deux sens : Macao était un
port portugais ; Canton et Whampoa étaient
largement ouverts aux Européens. Kanghi
accorda aux missionnaires jésuites l'autorisation
de construire leur cathédrale près du palais de
Pékin et les prit comme précepteurs de ses
enfants.
Quel surprenant contraste avec le Japon, qui
s'était barricadé à l'approche des chrétiens et
luttait de tout son pouvoir contre les nouveautés !
Combien il paraissait évident que le Japon, dans
son « splendide et persistant isolement », courait
à l'épuisement et à la décrépitude, tandis que
la Chine, entrant dans les voies de la culture
mondiale, aurait vite fait de dépasser sa rivale
(260)
L'ART MODERNE CHINOIS
insulaire. Et Ton peut constater les résultats.
Le Japon vit son conservatisme nourrir sa force
mentale et morale : la Chine fit river par la
liberté les propres chaînes de son formalisme.
La réponse qu'on y peut faire est que le règne
de Kanghi, qui s'ouvrit sous les plus rayonnants
espoirs pour la chrétienté et pour la Chine, finit
dans les jours sombres des premières persécu-
tions de chrétiens. Et cela ne fut que la con-
séquence de l'erreur de la Cour papale de
Rome et de ses conseillers, jaloux du succès des
Jésuites. Les Jésuites, en avisés politiques, avaient
essayé autant que possible de faire se pénétrer
ce qui était vital dans la constitution chinoise
et l'âme chrétienne. Leur politique de tolérance
amenait à une rapide conversion beaucoup de
nobles chinois et leurs familles, et même l'empe-
reur, sous certaines conditions, serait devenu
chrétien. Il entretint une amicale correspon-
dance avec Louis XIV. Des Français furent tout-
puissants à la cour de Kanghi. Quelques-uns
même, des artistes, y introduisirent les procédés
de la peinture à l'huile.
Mais quand l'autorité papale déclara qu'un
Chinois, pour devenir chrétien, devait virtuelle-
ment renoncer à ses institutions, à son respect
des ancêtres, au Confucianisme, — toute la Chine,
même celle qui était la plus favorable aux chré-
tiens, se souleva révoltée. Kanghi, solennellement,
avertit lEurope de la faute énorme qu'elle allait
commettre. L'Europe la commit. La Chine, qui
en 1700 allait devenir presque européenne, édic-
tait en 1 720, sous l'empereur Yung Ching, de cruels
(261)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
édits contre les chrétiens, étrangers et chinois.
C'était le même ancien conservatisme qui
avait combattu le Bouddhisme mystique des
Tang, le Bouddhisme idéaliste des Song et la
renaissance d'Hangchow des Ming. Il s'était
trouvé devant un nouvel adversaire, duquel
émanaient un idéalisme religieux plus émouvant
que celui de Zen et des vues d'administration
et d'éducation plus radicales que celles d'Oanseki.
Le patriotisme des Chinois persuada à Kanghi,
l'ami manchou des Européens, que les institu-
tions chinoises ne pouvaient être modifiées. La
Chine se trouvait devant le même problème
historique, mais maintenant l'élément de liberté
était étranger. L'Europe, dans sa stupide igno-
rance, n'ayant pas compris l'appel des Jésuites,
fit ainsi le jeu des confucianistes.
Le règne de Kanghi avait été brillant à maints
égards, non pas qu'il ait produit des génies
créateurs, mais au contraire des liseurs, des gens
qui connaissaient les mots mieux que les idées.
D'où ces remarquables compilations, ces ency-
clopédies, ces dictionnaires. Dans tout ceci,
Kanghi, le Manchou, fut plus réellement chinois
que les confucianistes eux-mêmes ne l'auraient
espéré. Son esprit n'était pas paralysé de for-
malisme. Il cherchait à comprendre de lui-même
et aurait voulu que la Chine prît une claire
conscience d'elle-même au temps où il cherchait
à introduire des réformes européennes. C'était la
meilleure politique anti-confucianiste de maintenir
les étudiants dans des recherches sans fin et dans
des compilations qui ne leur laissaient que peu
(262)
L'ART MODERNE CHINOIS
de temps pour les intrigues politiques. Kanghi
avait su très bien se diriger au milieu de tous
les écueils.
Mais quand l'Europe eut fait son lamentable
geste de la bulle papale de 1702, quand
Kanghi, si regretté de ses amis jésuites, fut
mort, quand Yung Ching avait vu la nécessité de
dresser l'armée du conservatisme chinois pour
l'opposer à l'influence chrétienne insidieuse, les
confucianistes se virent tout d'un coup dans une
position d'influence très grande. Ils avaient tout
le jeu en mains : ils n'avaient qu'à renforcer les
plus étroites de leurs formules pour inspirer les
patriotes. Tout le règne de Kienlung, péné-
trant érudit comme il était, et d'un esprit bien
plus élevé que la moyenne des mandarins, ne fut
que de suivre leur propagande.
Aussi l'époque de Kienlung n'est pas, comme
celle de Kanghi, d'espoir et d'essais, mais de
recroquevillement. Impossible de concevoir une
nouvelle forme de Bouddhisme ou de Taoïsme.
L'inspiration chinoise s'était consumée : elle ne
pouvait que se répéter.
Depuis l'abdication de Kienlung en 1796, l'his-
toire de la Chine ne comporte plus aucun déve-
loppement interne, mais n'est plus qu'une succes-
sion d'efforts à lutter contre l'invasion euro-
péenne. Ce n'était plus le problème qu'avaient
posé les Jésuites : mais dorénavant s'imposait
celui des missions protestantes et celui bien plus
dangereux du commerce européen. A quoi bon
énumérer les traités avec l'Angleterre, la prohibi-
tion de l'opium en 1838, la rentrée forcée de
(263)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
l'opium en 1860, Hongkong, les empiétements
delà France, de l'Allemagne, et finalement de la
Russie? La Chine pouvait craindre son démembre-
ment pour la fin du xixe siècle, mais c'est alors
que le Japon entra en scène. Et on peut se
demander si la Chine n'est pas aujourd'hui aussi
inquiète des progrès du Japon et de ses réformes,
qu'elle ne le fut de tout ce que l'Europe voulait
lui révéler.
Durant cette longue période, l'Art chinois des
Tsing peut se diviser en trois époques : l'époque
de Kanghi, pleine d'espérances et d'essais, — l'épo-
que de Kienlung,seraidissantcontrelamauvaisefor-
tune, — le xixe siècle, où tout se perdit sans espoir.
L'Art de Kanghi est plutôt un composé de
diverses tendances, qu'un mouvement isolé
d'impulsion, un peu comme l'Art japonais des
Tokugawa.
i° Retour aux anciens styles déjà remis en
honneur par les premiers Ming. En peinture,
on ne crée plus de fortes figures originales, le
paysage est accaparé par les confucianistes, on
se contente de la joliesse de la fleur et de
l'oiseau en couleurs. Si on peint encore une
figure de Cour, c'est une poupée sans vie telle
qu'on en voit sur les paravents de laque.
20 Un artiste domine, Reibun ; de la valeur des
grands réalistes des Yuen, Shunkio et Chosugo.
Mais dans son domaine, qui est la fleur, avec
un réel sentiment des lignes et des proportions,
laissa-t-il autre chose qu'une série d'oeuvres pour
illustrer un traité de botanique ?
(264)
FEMME DANS UN PAYSAGE (ÉCRAN).
ÉPOQUE DES MING.
L'ART MODERNE CHINOIS
j° L'influence des Jésuites, et par eux de la
peinture à l'huile des Occidentaux, qui détermina
peut-être une certaine richesse de couleurs pro-
fondes.
4° La persistance des styles tartares dans l'Art
bouddhiste du Nord, en Mongolie et Manchourie,
qu'on retrouve encore aujourd'hui dans les formes
bouddhiques modernes de la Corée. C'est aussi
ces formes d'art qui sont devenues celles des
couvents lamaïques du Thibet, après la conquête
des Tsing, et ont contribué à former cet art
minutieux, analogue à celui des moines byzan-
tinisants du mont Athos.
$° Le mouvement « Bunjinga » des confucia-
nistes, avec ses paysages à l'encre dérivés de
l'Art des Ming, son ignorance du dessin, sa nota-
tion froide et monotone; aucun sentiment de
l'éloignement, des distances, de la perspective;
des flots d'encre grossièrement maniés ; sans
doute une grande dextérité, mais tellement de
formules aveuglément appliquées, une telle mono-
tonie, un telle absence de sentiment et de per-
sonnalité, qu'on en est vite excédé.
6° La seule tendance vraiment intéressante du
règne de Kanghi, l'adaptation d'un dessin éclec-
tique au décor des industries d'art. L'architecture
fut la première à en profiter; elle offre une
grandeur et une splendeur réelles avec ses ter-
rasses de marbres, ses arcades, ses superstruc-
tures en faïence émaillée (le grand arc triomphal
de Confucius à Pékin, les gracieux ponts arqués
de marbre des jardins impériaux, les plafonds
splendides du Temple du Ciel).
(265)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
A quelles sources cet Art chinois de la déca-
dence demandait-il ses inspirations, ses motifs?
Aux anciens bronzes de ses origines. A toutes
les époques il en avait d'ailleurs été ainsi : et
déjà sous les Song (So) on copiaitles types anciens,
non pas le plus souvent d'après les originaux,
mais d'après les gravures du Hokkodzu. Les Han
et les Tang avaient eu leurs styles propres, mais
déjà les Tang archaïsaient. Les porcelaines des
Song sont toutes copiées d'après les bronzes
des Shang (Shô) ou des Chow (Shu). Les plus
anciens éléments du décor des arts du Pacifique,
qui avaient été le répertoire des Han, n'avaient
jamais été oubliés ; légèrement modifiés, ils
forment encore la décoration des Ming et des
Tsing, comme ces motifs carrés abstraits qui
ressemblent à des clés et ne sont que des
interprétations du dragon, du visage, ou du
nuage des anciens bronzes du Pacifique.
L'art principal de la Chine moderne, c'est la
Porcelaine, et mieux que les pièces mono-
chromes, si splendides de ton, les pièces à décor
sont intéressantes par tous les sujets qu'elles
présentent, qui n'ont plus de haute valeur pictu-
rale, mais sont si riches encore de signification. Sur
les panses de ces vases se retrouvent ces repré-
sentations réalistes des oiseaux, des fleurs et des
fruits, avec leurs brillantes couleurs. Sur d'autres
apparaissent ces petites figures — poupées bleues
ou roses, sous des architectures, dans des jardins —
qu'on retrouve dans les albums de l'époque, et
qui sont comme une transcription de l'imagerie
sur papier de riz. On pourrait évidemment
(266)
L'ART MODERNE CHINOIS
retrouver l'origine des décors de la porcelaine
dans tous les arts de la peinture et de la sculpture
chinoises anciens, mais cela ne porterait aucune
atteinte à l'intelligence avec laquelle ces vieux
motifs ont été appliqués à l'art exquis de la por-
celaine.
Avec le règne de Kienlung apparaît la grande
prépondérance de l'Art « Bunjinga », grâce au
triomphe du parti confucianiste après l'échec
des chrétiens. Les arts décoratifs tendent à ne
répéter que les motifs de l'Art Kanghi; toutefois
l'Art « Bunjinga » parvient à imposer ses décors
à la porcelaine, et l'on voit alors apparaître sur
la panse des vases les formes aveulies des pein-
tures confucianistes. La peinture de fleurs indé-
pendante, de si jolies couleurs, a elle-même
disparu.
On peut vraiment affirmer qu'il n'y eut plus de
grand art en Chine après le début des Ming, si
ce n'est l'art de la porcelaine des derniers Ming
et des premiers Tsing, et qu'à vrai dire les très
grands arts n'ont pas survécu aux Song et aux
premiers Yuen. C'est donc sur plusieurs siècles
que s'inscrit la longue ligne de chute de l'Art
chinois.
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CHAPITRE XV
L'ART MODERNE POPULAIRE A KIOTO
L'ÉCOLE SHIJO
SON ESPRIT AVAIT DÉJÀ SA SOURCE DANS L'ART DE MAITRES CHINOIS DES
TSING INSTALLÉS A NAGASAKI. 8 INFLUENCE DU STYLE « BUNJINGA » AU
JAPON. 1 OKIO. u SES ÉLÈVES GOSHUN ET KEIBUN. Il SOSEN ET GANKU. g
INFLUENCE DE L ÉCOLE SHIJO SUR LES DÉCORATEURS A KIOTO, SURTOUT
DANS LE DÉCOR DES TISSUS.
De toutes les périodes d'Art du Japon, celle
des Tokugawa fut la plus troublée, partagée
en efforts locaux, sans grand idéal national,
sans grande concentration de style. La première
scission se produisit entre les aristocrates et le
peuple : les artisans des cités, comme les paysans
des campagnes, n'étaient plus des sauvages, mais
des êtres d'une certaine culture encore assez
neuve. Nous n'avons pas beaucoup de données
exactes sur la vie intellectuelle du peuple sous
les Fujiwara, les Hojo, les Ashikaga. Elle devait
être assez pauvre. L'Art était la distraction des
seigneurs de la Cour impériale, ou de la Cour des
Shoguns ou des Daïmios. Mais le peuple japonais
ne fut jamais une masse inerte et ignorante
comme le peuple russe. Aux anciens jours de
Nara, l'ordre social était relativement démocra-
tique, et il n'est pas rare, dans certains drames de
Nô, de voir des serviteurs participer de la culture
de leurs maîtres.
Nul doute que dans ces deux cultures diffé-
(269)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
rentes de la noblesse et de la populace, chacun
souffrît de la division. Il manqua à l'Art des Kano
de se servir de la pensée vigoureuse de ses
voisins, et l'Art populaire, abandonné par
ceux qui auraient dû le diriger dans les voies du
goût raffiné, tendit souvent vers la trivialité.
Les Écoles de Kano et de Korin furent les nou-
velles écoles de dessin qui surgirent parmi la
populace ouvrière de Kioto, et parmi les artisans
et marchands de Yedo. Plus faibles encore furent
d'autres Écoles locales, à Nagasaki, à Nagoya, à
Fukui. Dans les deux capitales seules pouvait se
développer un art vraiment nouveau, explicable,
d'une claire technique, de caractère esthétique,
éduquant de grandes classes d'élèves, et se déve-
loppant non seulement sur les murailles peintes,
mais aussi en tous les motifs de décor des
industries. Un tel idéal fut atteint aussi bien par
l'École Shijo, que par l'École de l'Ukiyo-yé. Voyons
ce que fut l'École Shijo à Kioto.
On ne saurait prétendre que la rupture entre les
deux représentations de l'art sous les Tokugawa
ait été un événement brusque. Elle se produisit par
étapes, et l'on peut même dire qu'elle commença à
se produire avant la période Genroku de 1688.
Alors les deux mouvements d'art Kano et Koyetsu
avaient atteint leur plein développement, et
entraient même en décadence à la fin de Gen-
roku. Yedo était devenue une grande cité, qui
avait attiré de nombreux artisans et de vieilles
écoles d'artistes de Kioto, qui jamais ne fut plus
oublié. De plus, après les Ming, venait de régner
en Chine le célèbre empereur manchou Kanghi,
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L'ART MODERNE POPULAIRE A KIOTO
et les nouvelles formes d'activité littéraire et
artistique des Tsing, malgré les barrières, péné-
traient malgré tout au Japon, de même que Naga-
saki n'était pas un port fermé aux navires des
Hollandais. Le peuple était partagé entre un
Bouddhisme mystique, un idéalisme de la nature
et les traditions des Fujiwara, mais déjà conscient
avant tout qu'il était un grand peuple, avec un
grand passé. Le théâtre, en dehors des drames
de Nô, devenait populaire, avec des sujets légen-
daires nationaux. Un vif désir se manifestait
d'investigations dans les sciences naturelles, qui
amenait à regarder la nature de très près, d'une
observation minutieuse et attentive.
A ce moment, des bandes de marchands et d'étu-
diants chinois gagnaient Nagasaki, fuyant la
domination manchoue ou par un besoin d'émi-
gration. Ils apportaient avec eux cette nouvelle
conception de la vie et de l'art ultra-confucianiste,
mûrie déjà sous les derniers Ming, que le Japon
n'avait pas encore connue. Le Japon devint l'asile
de ces puritains chinois. Ils apportaient leurs
porcelaines, leurs sièges de bois de teck, leurs
bâtons d'encre dorés, leurs poids de marbre, de
cristal et de jade, leur livres, leurs précieuses
peintures « Bunjinga ». Ils eurent beaucoup de
succès, et chacun voulut les imiter.
Le Japon fut alors heureusement préservé des
périls du Confucianisme ; et puis ce n'était pas
uniquement l'Art « Bunjinga » que ces immigrants
apportaient avec eux, mais aussi toutes ces jolies
formules du dernier art des Ming, la peinture des
animaux, fleurs et oiseaux, et aussi la porcelaine
(27O
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
décorée, qui aussitôt fut imitée dans la province
de Nagasaki, à Hizen.
Deux Écoles d'Art chinois contemporain
venaient en même temps installer des filiales à
Nagasaki. Parmi les maîtres de la peinture de
fleurs et oiseaux, un des plus fameux était
Chinnampin, encore un peu teinté de « Bunjinga»,
mais d'un charme d'observation exquise, sans
grande force cependant, peignant dans de belles
couleurs. Son beau dessin de lapins au pied
d'un prunier noueux est une pure relique d'Art
Ming digne de Rioki. Cette école fit fortune à
Kioto comme à Yedo. Ses artistes japonais furent
Yuht\ Sorin7 Soshiseki et Shukî.
Une autre école dirigée par un maître chinois,
Hosaigan, semble être venue s'installer à Kioto,
même. Son style est plutôt de blanc et noir ;
mais elle diffère peu de la première.
Mais après l'accession au trône chinois de
Kienlung en 1726 et la défaite des Jésuites,
l'influence du style « Bunjinga » ne rencontra
plus de résistance au Japon, et entre 17^0 et 1760,
il fut tout-puissant dans les deux pays. Aucune
estime ne s'attachait plus aux formes des arts
anciens, et c'était une telle passion pour cet
art littéraire d'amateur que jusqu'à nos jours,
dans beaucoup de maisons du Japon, c'est
toujours le kakémono « Bunjinga » qui a les
honneurs du tokonoma et fait dans les ventes
publiques des prix exorbitants quand il porte
la signature de Taigado ou de Shabuson. On
peut supposer ce qui serait advenu des chefs-
d'œuvre de l'Art ancien un siècle plus tôt au
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Singes.
Par Mori Sosen (1747-1821)
Planche CXXVI.
L'ART MODERNE POPULAIRE A KIOTO
Japon, si ces enragés confucianistes y avaient
été les maîtres ; ils les y auraient détruits, comme
ils les anéantirent en Chine. Ce furent les Samuraïs,
ses justes défenseurs, et aussi le génie de Tanyu
et des maîtres de Kano qui les sauvèrent. Leur
influence, à Yedo même, y contrebalança si bien
celle de la Chine que les deux styles bien fréquem-
ment se mêlent comme chez les artistes de l'École
de Tant Buncho vers 1800. — A Kioto, cité
d'artisans cultivés plus que de Samuraïs, ces
influences chinoises complexes se développèrent;
Buson vers 1750, en de nombreuses tentatives d'art,
y fonda sa grande Ecole « Bunjinga»; Kivanyei y
faisait revivre des sortes de figures taoïstes comme
celles des Ming; Shohaku, un admirateur de
Shiubun et de Jasoku, y perpétuait d'extravagantes
représentations d'anciens groupes et d'anciens
paysages de la Chine. Il était bien nécessaire
qu'un homme de génie vînt mettre un peu d'ordre
dans ce chaos et imposer la personnalité de sa
manière.
Cet hom me fut Maruyama Okio. Il était sorti
des rangs des artisans éduqués qui tissaient la
soie ou fondaient les bronzes à Kioto. Son style
montre bien toutes les influences qu'il avait
subies, mais que sa force lui avait permis de
dominer. D'abord il avait été un disciple d'une
branche de l'École Kano de Kioto : son maître
Yutei était d'une famille dont les origines artis-
tiques pouvaient remonter jusqu'à Tanyu, dans
la peinture délicate de fleurs et oiseaux, mi-Kano,
mi-Tosa, imprégnée d'une pointe de réalisme
chinois. Mais en littérature et en écriture, le
(273)
18
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
maître d'Okio avait été un maître de « Bunjinga» :
Watanabe Shiko, qui eut beaucoup d'autorité sur
lui et le mena sur les traces de Buson. Mais
Okio avait une nature énergique, réagissante, et,
non content de remonter pour son art aux
sources de l'Art chinois, il fit retour en arrière
jusqu'au pur réalisme de Shunkio dans la doctrine
Zen, au réalisme des Yuen, en même temps que
le réalisme plus étroit de son maître Yutei l'inci-
tait à ouvrir les yeux sur les magnificences de
ia nature et sur les merveilleux paysages qui font
à Kioto la plus belle ceinture pittoresque ; et
dans cette nature son observation attentive se
porta sur les poules, les singes, les poissons, qu'il
chercha à surprendre dans toutes les attitudes
de leurs mouvements.
Le génie d'Okio a été bien méconnu de
certains Occidentaux. Le docteur Anderson lui a
reproché de ne pas avoir haussé son idéal
réaliste et le style de son dessin aux caractères
de l'Art européen. Quelle étrange idée ! A ce faire
son art eût été déraciné. S'il a été le chef dune
École, ce n'est pas qu'il ait trouvé un nouveau
genre de sujets à exploiter, ni que son réalisme
se soit plié à une représentation photographique
des choses, mais parce que son génie lui pro-
curait de nouvelles formes de dessin adéquates
aux suggestions que lui apportait la nature,
qu'il inventait de nouvelles façons de noter les
plumes des bêtes, les feuillages des plantes, et
d'exprimer toutes ces beautés par l'adresse de
son pinceau. Ce sont toutes nouveautés que son
coup de brosse, la qualité de son encre et de sa
(274)
Singes.
Par Mon Sosen (1747 — 1821).
Planche CXXV'I.
Daims.
Par Ganku (1745-1834).
Planche CXXVIII.
L'ART MODERNE POPULAIRE A KIOTO
couleur, le choix de son papier, sa façon de
manier le pinceau et la goutte d'eau.
Son domaine, c'est les scènes de la nature qui
environnait Kioto, et les animaux qui la
peuplaient; il y introduisit parfois des groupes
chinois, mais il avait peu de génie symbolique
ou de composition. Ses recherches passion-
nées étaient de mouvements, de notations
de dessin. Le paysage, pour lui, c'était surtout
l'espace et des états d'atmosphère. Son imagi-
nation puissante lui faisait trouver cet extra-
ordinaire dragon chevauchant le nuage en fuite,
où il atteint les grandioses effets des Song. Ses
pavsages sont grands, faibles de couleur: il est le
maître des tons gris. Quand il traite les animaux
et les oiseaux, il ne laisse rien au hasard; tout
est médité, voulu; chaque coup de brosse, chaque
trait, chaque touche doivent concourir à l'effet
organique total. Dans les figures il est plus faible,
parce qu'alors il se souvient trop des anciens.
Quand il peint les paysans, les jeunes filles des
villes, les courtisanes, c'est déjà une des formes
de l'Ukiyo-yé de Kioto. Son art d'ailleurs y
fleurissait déjà sous le patronage du peuple,
appuyé par les tisseurs de soie, les bronziers,
les potiers, les gros marchands. Riches d'argent,
et ayant du goût, leurs maisons s'ornaient de
belles choses. Jadis patrons des Kanos et des
Tosas, ils avaient versé dans le goût« Bunjinga »,
mais surtout parce que c'était la mode ; car
aucune industrie d'art n'y pouvait rencontrer
de motifs d'inspiration pour ses décors. Avec
Okio, il en allait tout autrement. Ses pavsages
(^75)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
s'adaptaient si bien aux fukusas brodés, ses
études de fleurs aux robes des femmes, à ces
tissus de coton imprimés au pochoir qui étaient
les vêtements du bas peuple. Ses poissons et ses
singes étaient le décor plastique naturel des
bronzes. Et tout ce qu'imaginait Okio était si
familier aux yeux des citadins de Kioto, c'étaient les
détails même du paysage, de leurs vallées et de
leurs montagnes, Arashiyama,Takano, Chionin,
le lac Biwa, le Yodogawa à Biodoïn, Fushimi,
— les vieux jardins des Ashikaga, — la neige
sur les grands pins, les oiseaux posés sur les
branches sauvages, les daims et les singes de
Kozanji.
Les œuvres d'Okio ont pénétré dans toutes les
collections du monde. Ce qu'il y a peut-être de
plus exceptionnellement nouveau dans son art,
c'est les animaux, singes, chiens, chats, renards,
daims, vraiment matière pour lui à de nouveaux
effets de peinture ; nul n'a peint comme lui les
tout petits chiens. Il a rendu d'extraordinaire
manière la souplesse lente de mouvements des
poissons (le paravent à la grande carpe du prince
Daté de Sendai).
Parmi les oiseaux, sa prédilection va aux poules
et aux canards sauvages, dont il a su rendre de
splendide façon les plumages. Pour les canards,
les oies sauvages en plein vol, c'est un miracle
de rendu de mouvements commepourlespoissons.
Ils ne sont pas barbouillés comme les oiseaux
des Kanos, ni par petites touches comme ceux
de Sesshu, mais plutôt comme les animaux de
Toba Sojo, libres d'exécution, définitifs comme
(276)
■
Trois Canards.
Par Manju.
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Planche CXXIX.
Le Fuji vu d'Enoshima.
Par Ho-yen. (Ecole d'Okio). Fin du XVIIIe siècle.
Musée de Boston (Etats-Unis).
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Une Ferme.
Par Ho-yen (Ecole d'Okio). Fin du XVIIIe siècle.
Musée de Boston (Etats-Unis).
Planche CXXX.
L'ART MODERNE POPULAIRE A KIOTO
apposition de la touche dans la goutte d'eau
(paravent à quatre feuilles des deux oies volant
de la collection Freer).
Dans ses paysages, le style le plus ancien d'Okio
rappelle en quelque sorte Kano et même Tanyu
(comme dans le Fujiyama avec le nuage du musée
de Boston). Dans les aspects de neige, sans
égaler en grandeur Sesshu et Motonobu, il se
montre très grand artiste, avec une façon très
neuve et très réaliste d'en rendre le dessin et
l'étendue. La collection Dwight F. Davis de Saint-
Louis (États-Unis) possède un splendide paysage
de cascade se précipitant d'un lac de montagne
à travers des rives de granit jusqu'à une exquise
vallée. Son plus beau paysage, d'un grand pin
et de rivages, décore le mur d'une salle de la
maison M. Kawasaki à Kobé, et M. Nishimura,
de Kioto, possède des paravents de rocs et de
cascades. Les plus surprenantes réalisations
d'Okio, c'est quand son choix combine des motifs
de paysage, de nuage d'orage, et de formes de
dragon en violent mouvement. Il approche alors
de Mokkei et de Chisho.
Quand il peint des figures, il y apporte plus de
délicatesse. Ses dames chinoises, très colorées,
sont exquises. Il a encore plus d'adresse et
de force de dessin dans ses makimonos de
scènes de la vie réelle, comme dans ses Sept
Malheurs humains conservés à Miidera d'Otsu.
Il y montre les foules victimes des tremblements
de terre, tempêtes, guerres, meurtres, avec un
réalisme parfois aussi violent que celui d'un
Goya. D'une terrible émotion est une petite
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
figure en fuite se prosternant devant un éclair
qui illumine le ciel dans la tempête au milieu des
arbres ployés. Si on le compare avec Nobuzane
et ses scènes de torture infernale, la supériorité
de ce dernier éclate dans la splendeur de la com-
position et de la couleur.
Okio était un génie trop original, pour former
des disciples capables d'appliquer ses techniques.
Mais dans la longue suite de noms d'artistes qui
ont illustré cette École Shijo durant trois ou
quatre générations, se trouve un groupe d'esprits
distingués qui, loin d'avoir la puissance du
maître, ont apporté une fraîcheur de sentiment
et des ressources d'exécution tout à fait remar-
quables.
L'un des principaux est Goshun, avec ses deux
frères Keibun et Toyohiko. Goshun, au début, avait
été un maître de « Bunjinga » de réel talent, un
émule de Buson et de Taigado. Mais plus tard
Okio l'attira. L'atelier s'établit à la pointe de
Shijo, au pont de la quatrième avenue à Kioto,
d'où LÉcole issue d'Okio prit son nom. Des
critiques modernes ne l'ont pas entendu ainsi,
prétendant que cette école s'était fondée en se sé-
parant d'Okio, et que les vrais descendants d'Okio
devaient porter le nom d'École Maruyama. A les
suivre, on reconnaîtrait ainsi vingt Ecoles dissi-
dentes. Il est plus simple et vrai de dire qu'entre
1760 et 1800, tous les artistes de Kioto relèvent
d'Okio, et qu'ainsi ce mouvement d'art total peut
porter justement le nom d'École Shijo.
Si la composition dans les œuvres de Goshun-
(278)
tÊÊÊ
Jranche de Prunier et Rossignols.
Par Ho-yen (Ecole d'Okio). Fin du XVIII' siècle.
Musée de Boston (Etats-Unis).
Planche CXXXI.
Renard Dormant.
Par Tetsuzan ou Tessan (Ecole d'Okio) + 1841.
Planche CXXXII.
L'ART MODERNE POPULAIRE A KIOTO
Keibun est bien de l'esprit d'Okio, l'exécution
est plus douce et les couleurs plus fondues,
d'un aspect plus fluide, avec plus de variété de
tons dans les coups de pinceau. Les paysages,
et spécialement les tiges de bambous de Goshun,
sont d'une particulière beauté ! Keibun réussit
surtout les fleurs et oiseaux. De Toyohiko le
musée de Boston a un très beau paravent à deux
feuilles d'un daim sous un pin.
Les disciples directs d'Okio forment un groupe
d'artistes très originaux. Tokei est un ultra-
impressionniste. Ge?iki a poussé aux extrêmes
limites de la subtilité les tons gris d'Okio, dont
le propre fils, G{w/, a fait d'Arashiyama le plus
splendide des paysages (musée de Boston).
Rosetsou marque infiniment d'humour dans
l'expression de ses petits chiens. Taichu rend le
paysage comme il le voit, avec la sûreté d'un
objectif photographique. Chokkcn a fait d'éton-
nants animaux et oiseaux, surtout dans la neige.
Mais l'un des plus habiles est Tetsu^an, qui touche
à tous les sujets avec un égal bonheur, et fit un
jour un rare chef-d'œuvre avec son renard
endormi du musée de Boston. Toko est le grand
peintre des poissons. Nangaku fit surtout des
figures, particulièrement charmantes, de beautés
des maisons de thé.
Deux artistes d'un infini talent ont suivi Okio,
sans être étroitement liés à lui, et ont chacun
fondé une Ecole, comme animaliers de premier
rang. Le plus célèbre est Sosen, le peintre des
singes, qui fut le maître de la folle exécution,
tantôt minutieuse jusqu'à rendre le pelage de la
(279)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
bête poil par poil, tantôt large jusqu'à en donner
la plus totale impression d'un seul coup de pin-
ceau magistralement posé. De ces deux styles le
musée de Boston possède de merveilleux spéci-
mens. Mais il n'a pas peint exclusivement les
singes : il fit toutes sortes d'animaux, chats, rats,
chiens, renards, daims, et d'admirables oiseaux
(le paon en couleurs de la collection Freer). Il a
fait aussi des paysages, mais très peu de figures.
L'autre artiste est Ganku, qui à l'origine peignit
dans le pur style chinois Nanping de Nagasaki,
avant de subir l'influence d'Okio ; mais jamais il ne
suivit le style minutieux et fin d'Okio, préférant
le style large et vigoureux. Il fut également
remarquable dans les animaux, les paysages et
les figures, ces dernières cependant étant un peu
monotones et dans le goût chinois moderne. Son
paon peint en couleurs sur soie de la collection
Nishimura de Kioto est fameux au Japon. Per-
sonne n'a peint comme lui les tigres : il est là
l'égal de Barye. Mais son plus grand chef-
d'œuvre est la peinture sur soie de deux
daims sacrés au musée de Boston, dont aucun
peintre animalier n'a jamais atteint la grandeur,
la majesté naturelle, servies ici par la plus déli-
cate poésie avec laquelle est traité le paysage,
et la plus prodigieuse exécution.
La troisième génération de Shijo (1840-1850) a
compris des artistes de grand mérite, les disciples
de Goshun, Keibun, Gito, Toyohiko; — ceux de
Keibun, Seiki, Giohuko et Hoyen ; — le fils de Tet-
suzan, Mori Kivansai) — le fils adoptif de Ganku,
Ren^an, et les fils de celui-ci, Ganiei et Ganrio.
(280)
Arbres.
Par Kano Soshu.
Planche CXXXIII
L'ART MODERNE POPULAIRE A KIOTO
Parmi ces peintres de Kioto vers 1840, un
groupe de paysagistes se détache : Yokayama
Kwa^an, un pupille de Ganku, — Ippo, l'élève de
Tetsuzan, qui a mérité le nom de « Sesshu de
Shijo», — Bunrin, élève de Toyohiko, le maître des
états de l'atmosphère, de la neige et du brouillard,
— et Nishiyama Hoyen, merveilleux paysagiste.
De la quatrième génération de Shijo, peu
d'artistes ont acquis une très grande renommée.
Leur don d'imitation a frappé leur art de stérilité.
Beaucoup vivaient encore à la fin du xixc siècle.
On ne saurait oublier les services que l'École
Shijo a rendus aux industries d'art du Japon,
surtout aux tisseurs ; la plupart des beaux des-
sins qui nous charment sur les brocatelles sorties
des boutiques de Mitsui, étaient les modèles
fournis par les peintres de Shijo. Ce sont Bunrin
et Chikudo qui dessinaient les motifs des bro-
deries et des velours coupés des grandes maisons
de Kioto, qui de là passaient souvent aux déli-
cieuses cotonnades imprimées dont se vêtait la
populace. C'est un des splendides aspects de
l'Art japonais du xixe siècle que son application
à l'art industriel populaire de son temps.
@
®
CHAPITRE XVI
L'ART MODERNE POPULAIRE A YEDO
L'UKIYO-YÉ
SON INFLUENCE SUR L'ART MODERNE EUROPÉEN. D ELLE FUT LE REFLET
DE LA VIE JAPONAISE ET DE L'ESPRIT POPULAIRE, g MATAHEI. Il MORONOBU.
1 LES LIVRES ET LES ESTAMPES. Il LES TORII. Il HARUNOBU, || K.ORIUSAI. ||
KIYONAGA. || UTAMARO. || HOKUSAI. H HIROSHIGHÉ.
Il nous reste à étudier l'ultime branche de l'Art
de l'Extrême-Orient, dont la tige japonaise a
fleuri miraculeusement. Cette grande École
japonaise d'Art populaire qui s'est étendue sur
trois siècles, sattachant aux aspects de la vie,
est sans doute la plus importante de toutes, au
double point de vue historique et esthétique.
C'est celle que l'Europe et l'Amérique ont le
mieux connue, surtout par les estampes et les
livres illustrés. Déjà en 1850, après l'ouverture
du Japon, des exemples en étaient transmis en
Amérique, à Londres et à Paris. Des écrivains
comme Jarves, des artistes comme Lafarge, Fran-
çois Millet et Whistler, leur demandaient des
révélations dont leur art devait emprunter
quelques reflets. Et l'Art européen des cinquante
dernières années en porte la marque profonde.
L'Ecole française impressionniste ne peut renier
les influences qu'elle a subies de l'Ukiyo-yé, mais
peut-être est-ce surtout Whistler qui en fut le
plus subtil interprète.
(283)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
De tout ce qu'on a dit de l'Ukiyo-yé, il n'y a
pas que d'exactes vérités. Déclarer qu'elle a été
la seule forme pure de l'Art japonais, indemne
de l'influence chinoise, c'est ignorer que tout l'Art
Tosa de la troisième période, et tout l'Art aristo-
cratique de l'Ecole Korin, sont purement japo-
nais de sujets et de styles. Prétendre que cet
Art de Yedo est la seule forme d'art d'Extrême-
Orient qui se soit développée sous l'influence du
peuple et pour le satisfaire, c'est méconnaître
l'École Shijo de Kioto et d'Osaka. On a souvent
écrit aussi que l'Ukiyo-yé fut dans le principe une
École d'estampeurs et d'illustrateurs de livres;
cela n'est vrai que si l'on dit que, originairement
École de peinture, comme fut l'École Shijo, beau-
coup de livres illustrés reflètent l'Art de Shijo
de même que l'Art Kano des élèves de Tanyu.
En dépit de ces erreurs d'opinion, il est vrai
que l'École Ukiyo-yé est avant tout, dans les temps
modernes, celle qui prit la vie japonaise pour
motif de ses inspirations, qu'elle fut l'art s'adres-
sant au peuple des cités populeuses du Japon,
et que l'art des estampes en couleurs est sorti
des ateliers d'artistes de Yedo ; mais il ne faudrait
pas oublier que cet art des estampes n'eût-il
pas existé, l'École de peinture d'Ukiyo-yé n'en eût
pas moins été profondément originale et consi-
dérable.
Aux xvme et xixe siècles à Yedo, capitale des Sho-
guns, l'antagonisme avait été vif entre l'Art des
hommes de sabre (Kano) et l'Art du peuple (Ukiyo-
yé) ; et ce dernier, à sa naissance au xvne siècle,
ne se caractérise point par cette opposition, car,
(284)
L'ART MODERNE POPULAIRE A YEDO
sorti de l'École Kano, il était alors pratiqué à
Kioto.
Pour bien comprendre l'origine de ce mouve-
ment, il est bon de revenir en arrière. Nous avons
vu qu'un certain courant vers le style et les sujets
japonais s'était déjà déclaré sous les derniers
Ashikaga, mêlant la vieille École de Tosa, née
aux xiie et xme siècles, à la renaissance des Toku-
gawa au xvne siècle. Il y eut alors une sorte d'union
entre les deux Écoles Kano et Tosa. Kano Tanyu
lui-même toucha très heureusement aux sujets
japonais, dans la manière Tosa. Mais cette phase
des Kano ne constitue pas un moment de l'Uki-
yo-yé, caria plupart des sujets Kano sont encore
des scènes de la Cour des Fujiwara, de la tragé-
die militaire d'Heike, ou des récits de la fonda-
tion du temple d'Engi, alors que l'Ukiyo-yé a
fait plus spécialement son étude de la vie japo-
naise contemporaine, et surtout populaire.
Le besoin de mettre quelque chose d'expres-
sif dans les sujets chinois avait augmenté avec
Yeitoku, dans sa seconde phase de stvle Kano,
décorant les murs des palais d'Hideyoshi'de splen-
dides décorations, or et couleurs. Les Kano ne
pouvaient-ils alors mêler à ces seigneurs et à
ces dames de Cour un peu de gaîté avec ces
lutteurs et ces danseuses qui créaient des diver-
tissements si goûtés de Kioto ? Peut-être pourrait-
on en trouver déjà des exemples du pinceau de
Yeitoku, la richesse de ses costumes de personnages
chinois l'acheminant facilement à la non moins
grande somptuosité des robes de danseuses; et
ce que nous connaîtrons des costumes populaires
M)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
du style d'Hideyoshi nous sera révélé par ces
rares peintures. Si nous imaginons ensuite Kano
Sanraku, vers 1600, disposant ses personnages
de la Cour des Tang, dans ses décorations
murales et ses paravents, mêlés aux gracieuses
figures des danseuses contemporaines, dans le
même style des Kano, dans la même richesse de
couleurs, et le même éclat des ors, nous discer-
nerons les réels débuts de l'Ukiyo-yé, bien con-
temporains de la grande époque de Yeitoku et de
Koyetsu. Entre 1600 et 1620 il arrive souvent que
les figures japonaises Ukiyo-yé des Kano appa-
raissent plus petites sur les paravents, comme
elles le sont aussi sur leurs paravents desprit
tout à fait chinois ; on les rencontre ainsi sur
leurs kakémonos ou leurs éventails. A partir de
1620 il n'y a plus de séparation d'inspiration ou
de nom entre les deux mouvements divergents,
la peinture des danseuses de Sanraku et les
peintures de fleurs de Koyetsu, avec les couleurs
de Yeitoku, sous cette seule différence que San-
raku était plus frappé par le réalisme du monde
qui l'entourait, et que Koyetsu, était plutôt de
nature à le transcrire sous une sorte d'impres-
sionnisme qui lui était suggéré par les vieux Tosa.
A la suite de Sanraku, ses fils et les pupilles
de Yeitoku, surtout Mitsuoki, adoptèrent ce
nouveau style de Kioto et nous ont laissé de
magnifiques paravents à fonds d'or qui ne diffè-
rent de ceux de Yeitoku que par les sujets (col-
lection Charles Freer : quatre portes glissières
avec de gracieuses figures de femmes et d'en-
fants). Au musée ds Boston, un très beau kaké-
(286;
Estampes Chinoises.
Musée du Louvre.
Iere Moitié du XVIIe siècle.
Planche CXXXIII.
Illustration de Livre.
Par Hishigawa Moronobu (1638-1714 ou 1617-1694 d'après Tajima)
Exemples de Otsuyê.
Planche CXXXV.
L'ART MODERNE POPULAIRE A YEDO
mono sur soie, d'une dame japonaise assise sur
un fauteuil chinois à haut dossier, signé San-
raku. De Kano Mitsunobu le paravent de six
feuilles d'un intérieur japonais décoré dans le
style de Yeitoku, avec de grandes jeunes filles et
des enfants sur un fond de nuages d'or, dont les cu-
rieuses attitudes sont très naturelles et observées.
A ce moment, le nom d'Ukiyo-yé et la pensée
d'une école indépendante ne s'étaient pas pré-
sentés. On ne peut vraiment en situer le départ
qu'avec un artiste nouveau, Iwasa Matahei, qui
avait constitué son style sur le style Kano
de l'Ecole de Yeitoku, et sur les figures japo-
naises de Sanraku, pour traiter les sujets de
la vie courante dans une manière qui lui serait
tout à fait personnelle. On a beaucoup écrit sur
cet artiste mystérieux, dont les œuvres ont été
confondues avec celles de nombreux de ses con-
temporains. Comment établir son opinion entre les
critiques et amateurs européens qui considèrent
comme d'authentiques Matahei toutes les pein-
tures de femmes japonaises de riche couleur et
d'or qui furent exécutées entre 1620 et 1680, et la
thèse des récents critiques japonais qui préten-
dent n'avoir même pas la moindre preuve que
Matahei ait jamais existé ?
Il nous faut considérer deux grands mouvements
dans cette École Ukiyo-yé du xvne siècle : l'un
dérivé de Sanraku, l'autre de Mitsunobu, une demi-
douzaine de vrais artistes ayant peut-être tra-
vaillé dans chacun de ces styles. Et du groupe
se détache une individualité marquante, ayant
développé la grâce de Sanraku dans un réalisme
(287J
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
agréable. Peu importe son nom ; pour le dési-
gner
nommons-le Matahei.
Le chef-d'œuvre de cet artiste est le
grand paravent de six feuilles, dit « Hikone
Biobu » du nom du daïmo du château Hikone au
lac Biwa qui le possédait. On l'a vu à Paris
à l'Exposition de 1900. Il représente de gracieuses
figures d'hommes, de jeunes filles et d'enfants
en riches coloris sur fond d'or, assis sur les
nattes dans les attitudes japonaises. Un musicien
aveugle donne une leçon de shamisen à deux
jeunes filles, tandis qu'une partie des jeunes
gens jouent au Go. Le fond est fourni par un
splendide paravent Kano reproduit certainement
d'après Motonobu. Un autre groupe de jeunes filles
de haute taille, comme les types de Sanraku,
se promène, tandis qu'un jeune Samuraï s'appuie
sur son long sabre. — M. Freer possède un
autre paravent à six feuilles basses sur fond
d'or, qui lui aussi porte représenté un paravent
à paysage de Motonobu, ce qui montre bien
l'admiration de Matahei pour les Kano. — Ces
œuvres datent de 1630 à 1640, à s'en rapporter
au style des figures, aux costumes, aux coiffures.
— Dans sa dernière période, Matahei montra un
plus profond réalisme, négligeant les fonds d'or,
avec des figures de jeunes filles et d'enfants
d'une touche plus aiguë, dans des harmonies
plus argentées comme les aimaient Koyetsu et
Sanraku.
La prétention de Matahei à avoir fondé l'Ukiyo-
yé est légitime, et confirmée par la légion
d'élèves, la plupart impossibles à identifier, qu'il
(288)
y
y
y
u
a es
- a
Courtisam: Avec sa Suivante.
Estampe on couleurs à la main, par
Okumura Masanobu (1685 — 1764).
Planche CXXXVII.
L'ART MODERNE POPULAIRE A YEDO
a laissée. Ce sont leurs œuvres qui font la tran-
sition entre i6<,o et 1680, époque à laquelle
apparut Moronobu. Matahei eut un fils.
M. Freer a sans doute de lui un charmant petit
kakémono d'un baladin montrant un singe à des
jeunes filles.
Iwasa a été aussi confondu avec un autre
artiste de nom semblable, Matahei ou Matabei
qui travailla plus tard à Echizen. Son dessin est
plus faible, ses visages plus allongés et plus
négligés dans un style Tosa, les joues et les
mentons sont bouffis. Les couleurs rappellent
Yeitoku dans sa dernière manière. A partir
de 1670 les couleurs à la Yeitoku se sont
réduites à un vert un peu dur, un orange et
de l'or. Cette nouvelle Ecole dite « Otsu-yé »
cherchait à populariser, à mettre à portée de
toutes les bourses, des recueils à nombreuses
éditions. Un trait rapide à l'encre sur le
papier, et les vides mouillés de quelques
touches de vert, d'orange et de jaune. Vendues
en grand nombre, ces feuilles représentaient un
art précurseur de l'estampe. Comme ce Matahei
vécut un moment à Otsu du lac Biwa, d'où ces
feuilles de papier provenaient, on a dit qu'il en
avait été l'auteur. La plupart de ces « otsu-yé »
datent de 1700 ; il en est qui peuvent, par leur
style, remonter à 1660 ou 1670. Les marchands
actuels, en attachant le nom de Matahei à ces
feuilles, n'ont pas peu contribué à brouiller la
question.
Bien que les livres illustrés japonais aient
apparu dès 1608, ils n'avaient à l'origine aucun
(289)
19
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
rapport avec l'Ukiyo-yé. Le premier livre imprimé
sur des bois était une édition de Vise Monoga-
tari, nécessairement avec figures japonaises de
style Tosa, dans des paysages de pur style Kano
de Yeitoku. La gravure avait été une forme
d'illustration du livre depuis longtemps usitée
en Chine, et c'est à la manière Ming que les bois
japonais étaient taillés. Les dessins y apparais-
saient comme faits par Kano Mitsunobu. Beau-
coup d'autres livres semblables suivirent. Ce ne
fut guère avant 1650 que l'illustration devint
franchement Ukiyo-yé, dans le style de l'École
de Matahei, avec des figures gracieuses et
allongées; mais elle est relativement rare encore
jusqu'en 1670.
L'Ukiyo-yé eut une phase difficile et hésitante
après 1645. H fallait qu'un maître eût l'énergie
de traiter ses sujets de la vie réelle dans la
nouvelle façon triomphante de Tanyu ou de
Tsunenobu. Cet artiste fut Hishikawa Moronobu,
un dessinateur de motifs de robes de Kioto,
adroit à manier les lumineuses et brillantes
couleurs, avec le beau dessin nerveux des nou-
veaux artistes Kano. Il commença vers 1670 à
développer l'Ukiyo-yé dans trois voies parallèles,
la peinture, l'illustration des livres, et cette
nouvelle forme d'art, Y estampe sur papier. Au
début, il avait adopté la composition panora-
mique des Tosa, avec de gaies scènes de festin,
de fêtes des rues, de promenades de jeunes
filles, de foules. Ensuite, il élargit les figures
des précédents livres d'Ukiyo-yé, et d'un trait
vigoureux, à la Tanyu, il les arrangea en groupes
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L'ART MODERNE POPULAIRE A YEDO
plus compliqués, comme dans les peintures de
ses makimonos. Plus tard encore, et cela eut
une importance capitale pour l'avenir, il appa-
rut très influencé par les recueils d'Otsu-yé.
Et enfin dans les livres imprimés sur bois, tout
à fait soustraits aux influences chinoises, il
chercha dans des éditions considérables à
reproduire le trait gravé en noir. 11 prit pour
cela de larges feuilles où les sujets se dévelop-
paient latéralement, panoramiquement, ou bien de
grandes feuilles rectangulaires où il représentait
des figures, surtout de femmes. Quelques
touches de vert et d'orange apposées à la main,
qui par places donnaient des accents au dessin,
semblent encore un rappel du procédé de
lOtsu-yé. Mais dans sa dernière période, vers
1680, Moronobu répudie ce procédé et n'imprime
plus qu'en blanc et noir (Sumi-yé).
Les œuvres de Moronobu sont d'une époque
dite « Genroku » (1688-170}), qui réellement doit
comprendre aussi « Tenwa et Teikio » depuis
1681. C'est de ce moment que date la grande
expansion de Yedo, et que le peuple et les
Samuraïs y prirent vraiment conscience d'eux-
mêmes. Intéressés aux plaisirs des maisons de
thé et des joyeux quartiers des danseuses,
débridés dans le plaisir, ne pensant qu'à la fan-
taisie des costumes et à la joie de la danse, il
leur fallait une nouvelle forme d'expression de
ce mouvement et de ces jeux qui satisfit leur
goût ; ce fut le théâtre populaire. Ce sont
ces scènes que Moronobu et ses élèves peigni-
rent et imprimèrent à Kioto d'abord, à Yedo
(291)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
ensuite. Le flirt entre Samuraïs et filles du
peuple se révèle dans un livre de 1680. Une
simple figure de jeune fille apparaît dans une
grande estampe de 1688.
L'art de Moronobu est d'un ordre très élevé,
et fut infiniment estimé de la classe des Samu-
raïs. Ses figures n'ont pas la souplesse de celles
de Matahei ; elles sont plus raides et plus pou-
pées. La vigueur de son illustration en blanc et
noir n'a pas été outrepassée.
Mais l'extravagance de la période Genroku ne
pouvait avoir qu'un temps. Iyeyasu avait décidé
d'établir une règle morale pour la classe des
Samuraïs. Des mesures restrictives tendirent à
partager ces deux classes sociales. Le peuple
ne dut pas continuer à mêler les Samuraïs à ses
dissipations ; ces derniers durent se priver des
théâtres populaires, se contenter des drames de
Nô, rester dans leurs « yashikis », se vouer
uniquement aux exercices militaires et à l'étude
de Confucius. C'est un peu pour cela que vers
1700 l'Art de l'Ukiyo-yé prit une troisième et
décisive forme, rompant toutes relations avec
l'Art de Kano et revêtant de nouveaux aspects,
avec une expression très originale dans le carac-
tère du dessin et la coloration. Bien que l'Ukiyo-
yé n'ait pas abandonné Kioto, il fut surtout
l'art distinctif du peuple de Yedo, et l'estampe y
prit dorénavant une place prépondérante.
Et cependant, même à Yedo, les règles ne
pouvaient pas tout d'un coup être établies de
façon rigide. Entre 1700 et 1725, on y trouve
bien deux Ecoles d'Ukiyo-yé rivales, celle de
(292)
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Kakémono- YÉ.
Par Koriusai.
Planche CXLI.
L'ART MODERNE POPULAIRE A YEDO
Miyagawa Choshun, confinée dans la peinture, et,
malgré des différences, influencée par Tsunenobu
qui lui-même, en s'en cachant, peignit en
Ukiyoyé. — M. Freer possède un splendide para-
vent de foules avec de riches couleurs, sans
doute de Kano Chikanobu. Les cheveux sont
maintenant aplatis sur le sommet de la tête
et ramenés en une étroite natte séparée sur le
cou. — On ne connaît qu'un des nombreux élèves
de Choshun qui ait été estampeur, c'est Kwaiget-
sudo. Son trait est puissant, qu'il ait peint ou
gravé ; il fait songer aux dessins des anciens
bouddhistes, et sa couleur rappelle Koyetsu et
Korin. — Un pupille de Choshun, Shunsui, qui
vers 1740 prit le nom de Katsugawa, dirigea la
grande École de peinture de l'Ukiyo-yé, la limi-
tant à la représentation des jeunes filles dans la
vie d'intérieur, jusqu'en 1760.
L'autre École de Yedo, celle des Torii, se voua
franchement à représenter par les estampes la
vie de la populace dans toute sa jovialité, et
en particulier les scènes et les acteurs des
théâtres populaires. Ce mouvement même,
dérivé des Kano, a deux formes, étroitement
liées : l'École d'Okumura Masanobu, attachée prin-
cipalement à rendre les scènes de « romans », et
l'Ecole du peuple, celle des Torii — spécialement
vouée aux scènes violentes du théâtre. Mais si
les deux Écoles ne négligèrent ni la peinture, ni
le livre illustré, elles pratiquèrent surtout la simple
estampe de papier, dans la forme consacrée
par Moronobu, qui se répandait par masses très
loin dans les provinces, surtout du Nord, et
(29?)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
qui portait dans les campagnes, chez les fer-
miers, un écho de la gaîté de la capitale.
Masanobu, comme Choshun, était sorti de
l'École de Moronobu, pendant Genroku. Torii
Kyonobu, le fondateur de son École, et Kiyomasu,
son ami et peut-être son frère plus jeune, eurent
d'autres origines, assez obscures. Cet atelier de
Kondo Kiyonobu, sous Genroku, semble dériver
traditionnellement de l'Ukiyo-yé débutant, de
Kano Mitsunobu, sans être passé à travers les
modifications de Matahei et de Moronobu. C'est
ce qui expliquerait son coloris un peu lourd, très
beau, mais odieux aux Samuraïs de Yedo, et
l'apparition de ces tons d'olive pâle et d'orange
apposés à la main sur ces estampes dites tan-
yé (colorées orange), souvenir de l'influence
de Kano Yeitoku.
Ces trois artistes (Okumura et les deux Torii),
déjà connus vers 1700, continuèrent leur œuvre
jusqu'après 1750, jetant ainsi des fondements
solides à l'École Ukiyo-yé, dont les développe-
ments allaient être si considérables. — La
seconde étape de leur œuvre est entre 171 5
et 1720 ; ils étendent alors le procédé de colo-
ration à la main des estampes, de l'orange do-
minant aux rouges, aux bleus, aux pourpres,
aux bruns et aux jaunes, et font intervenir
les noirs et la poudre d'or appliqués assez épais
comme un laque, d'où le nom Urushi-yé.
— Dimension plus petite de l'estampe, com-
posée en triptyque de trois feuilles isolées,
qu'on pouvait ainsi séparer. — Spécialisation
dans la représentation des acteurs, mouve-
(294)
''
\
Estampes en Couleurs " Kake-Mono-Yè.
Par Suzuki Harunobu (i 71S — 1770).
Flanche CXLII.
1-1
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Z ni
O,
L'ART MODERNE POPULAIRE A YEDO
ment auquel se mêla Masanobu lui-même en
son temps. Cela dura jusque vers 1740, époque
durant laquelle le groupe grossit de nom-
breuses recrues, l'une des principales avant
été un des élèves de Masanobu, Nishimura Shi-
genaga. M. Freer possède un magnifique kaké-
mono de Masanobu, scène dans un jardin, dont
Shighenaga a gravé en Urushi-yé une belle
estampe.
La troisième étape commence donc avec l'ac-
tivité de ces quatre artistes vers 1740, qui
dura une quinzaine d'années, se caractérisant
surtout par le grand progrès des estampes en
couleurs. Jusqu'alors le trait en noir avait seul
été gravé, sur une unique planche ; l'apposition
des couleurs à la main était coûteuse. Une
grande économie pouvait être réalisée en les
obtenant de même valeur colorée, par autant de
planches taillées ; d'un autre côté on modifierait
l'effet esthétique en limitant le nombre des
couleurs. Au début on n'en choisit que deux, le
rose et le vert pâle. Cela faisait donc quatre
tons avec le blanc de la réserve et le noir du
trait de dessin (1).
L'apposition de couleurs à la main ne disparut
cependant pas d'un seul coup après 1742 ; elle
continua à paraître sur les estampes soignées
et coûteuses, qui deviennent d'un grand format,
qu'on n'avait pas vu tel depuis 17 1 5 . Les deux
(i)Ces dates importantes ne se trouvent nulle part. Tous les historiens
européens ont suivi Anderson, en datant de 1696 ia première apparition des
estampes en couleurs, jusqu'au catalogue que rît paraître Fenellosa en 1896,
résultat d'études de seize années basées sur l'observation et la comparaison
des œuvres, et la notation des modes et des coiffures.
090
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
manières ont ainsi cheminé, les petites estampes
de triptyques, en rose et vert pâle, à représen-
tation plutôt d'acteurs, — et les grandes feuilles
colorées à la main, vraies peintures de scènes
des rues et des campagnes, et portraits de belles
femmes. Mais ces dernières disparaissent vers 17 $0.
Ce fameux groupe des quatre artistes voyait
venir Torii Kiyomiîsu, fils ou petit-fils de
Kiyomasu, hhïkawa Toyonobu, élève de Masanobu,
et Suzuki Harunobu, élève de Shighenaga. Ces
sept maîtres travaillèrent ainsi dans les deux
données, produisant des chefs-d'œuvre, jusqu'à
la mort de Masanobu vers 1752. Il était le plus
pur de tous dans son dessin. Son triptyque
admirable en deux couleurs est daté de 17^0
(collection L.-L. Morse d'Evanston). Kiyonobu cessa
de produire vers 1754, et Kiyomasu vers 1756.
Une courte période de transition est celle de
l'introduction d'une troisième planche en couleur
vers 1758. Les six années suivantes virent toutes
les sortes de changements que produisirent
les combinaisons résultantes. Le jaune accom-
pagna d abord le rouge et le vert. Puis, le bleu
se substituant au vert, les couleurs primaires
rendirent alors possibles des tons secondaires
par superposition. Les quatre maîtres estampeurs
qui avaient continué, s'adjoignirent Toyoharu,
élève de Toyonobu, et Shigemasa, élève de
Shighenaga. Mais Kiyomasu et Harunobu s'étaient
posés en rivaux, le premier gravant en tons
délicats et purs, le dernier en tons de superpo-
sition. Le format long et étroit « kakemono-yé »
apparaît.
(296)
KATSUGAWA SHUNSHO (1726-1792). ÉCRAN.
ESTAMPE EN COULEURS.
Collection de M. Bullieh, Paris.
L'ART MODERNE POPULAIRE A YEDO
C'est vraiment alors en 1765 que l'estampe
atteint son plus haut point de perfection techni-
que avec le vieil Harunobu et ses estampes polv-
chromes nécessitant autant de planches qu'elles
requéraient de tons. C'est une période qui va
de 176$ à 1806, avec des sous-divisions qui
peuvent aller de 1765 à 1780, de 1780 à 1788,
et de 1788 à 1806.
Harunobu, dont l'œuvre de peinture remonte
à 1735, a donc réalisé son évolution trente ans
plus tard. Il se servit d'autant de planches qu'il
lui fallait de tons, et qu'il cherchait très doux. Il
couvrait tout son papier, sauf les visages en
réserve, choisissant des tons différents pour le
ciel, le sol et les constructions. Il laissait à
d'autres les sujets d'acteurs et de courtisanes,
préférant les scènes domestiques et les incidents
de la jeunesse. Deux influences le commandaient:
le succès de ces sujets dans les livres illustrés en
noir qu'il avait publiés depuis 1750, et le désir
de suivre, dans les estampes, la voie que
Shunsui s'était tracée depuis 1725 dans ses
peintures. Il se dit lui-même « artiste du Yamato »,
affirmant ainsi qu'il entendait faire ce que les
vieux artistes de Tosa avaient si bien réussi
en 1200, en traitant comme eux les scènes les
plus naïves de la vie nationale, sans cependant
emprunter rien de leur technique. Et il eut le génie
de découvrir que l'estampe de pleines couleurs
était la forme la plus appropriée à ses desseins.
Il fut en pleine renommée comme estampeur
entre 1765 et 1772. Il avait adopté le format
carré, plus commode pour de belles compositions
(297)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
picturales. Il fut un merveilleux artiste dans le
format du « kakemono-yé ». Son coloris a un
charme de suavité incomparable. Il était sans
cesse en quête de nouveaux papiers, de nouvelles
couleurs. Tantôt il appuyait si légèrement sa
planche, qu'une simple buée transparente de ton
restait sur le papier; tantôt le ton était solide,
opaque ; tantôt il estampait son papier d'un bloc
sans couleur. Ses couleurs sont les plus douces de
1765 à 1766, les plus riches de 1767 à 1769,
et tendent à de vigoureux effets de blanc et noir
alternant avec les couleurs, de 1770 à 1772.
Ses figures, qui sont courtes en 1765, grandissent
et s'allongent vers 1770. Les bandeaux de cheveux
disposés de chaque côté sur les oreilles comme
une sorte de coquille creuse commencent en 1768,
pour devenir plus bouffants et lourds sur le
sommet de la tête en 1772. La prédominance du
vert comme ton date de 1770.
Les essais d'Harunobu furent continués par
son meilleur élève Haruhiro, plus connu sous le
nom de Koriusai. D'une inspiration inférieure à
celle de son maître, il a surtout une technique
parfaite dans des œuvres qui ne sont souvent que
des « gravures de modes ». Dans ses groupes de
portraits de belles du Yoshiwara, il adopta un
format carré plus grand que n'avait fait Harunobu,
et dans la forme du « kakemono-yé » il fît preuve
d'une singulière adresse de composition plus
compliquée à trois ou quatre figures. C'est là où
il triomphe. Dans ses couleurs il a un orange
très vigoureux, et vers 1775 il cherchait à rem-
placer le vert d'Harunobu par un bleu très doux.
(298)
i
Estampe en Couleur.
Par Katsukawa Shunsho (1726 — 1792).
Planche CXLIV.
Sur le Balcon.
Estampe en couleurs. Par Katsukawa Shunmann.
Fin du XVIIIe siècle.
Planche CXLV.
L'ART MODERNE POPULAIRE A YEDO
Ses figures, grandes et minces en 1772-1773,
deviennent courtes et corpulentes vers 1776,
puis des femmes grandes et fortes vers 1778 ; les
vêtements portent toujours d'admirables décors ;
les chevelures deviennent toujours de plus en
plus lourdes sur le sommet des têtes, et donnent à
celles de Koriusai une dignité toute spéciale. Il
a laissé aussi de nombreuses peintures.
Trois Écoles parallèles à celles d'Harunobu
entre 1765 et 1780, tout en adoptant ses méthodes
pour les couleurs, en firent d'individuelles appli-
cations. Celle de Toyoharu compose de charmants
groupes de jeunes filles au jeu. Il fit beaucoup
de peintures. — Celle de Shigemasa, au dessin
plus puissant, au coup de pinceau plus rude,
tend vers des nuances finement grises. Il sait
très bien rendre les mouvements, les belles
danses des acteurs de Nô. — La troisième, celle
de Shunsho, élève de Shunsui, qu'il abandonna
comme peintre de femmes, pour suivre les Torii
dans leurs portraits d'acteurs. Il en fit énormé-
ment en triptyques de feuilles séparées de 1765
à 1780, abandonnant la manière un peu raide
des Torii, et adoptant les nouvelles couleurs
d'Harunobu. Les décors des robes d'un ton
exquis suivent les modes telles qu'elles existaient
en 1778. Les figures qui suivent celles de Koriusai
sont très grandes en 1780. On peut suivre, grâce
à elles, toute l'évolution du théâtre japonais.
— Shunsho peignit aussi, et il a laissé les plus
délicieux livres illustrés, dont le principal est le
Seiro Bijin Awase, en collaboration avec Shige-
masa, et daté de 1776.
(299)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
Mais un bien plus grand maître que Koriusai ou
Shunsho entre en scène en 1780, héritier des plus
savantes techniques, mais prodigieux génie natu-
rel. C'est Torii K jyonaga, fils adoptif de Kiyomitsu.
Déjà, enfant, il montrait son talent dans le manie-
ment des trois couleurs. Jeune homme, il essaya la
technique polychrome d'Harunobu, puis en 1774
il adoptait la nouvelle École de Shunsho et
venait rivaliser avec Koriusai dans les estampes
de scènes de la vie japonaise. Cette rivalité
explique les progrès des deux maîtres en r 77 5
et 1780. Sur les traces de Shigemasa, Kiyonaga
apporte au dessin de ses figures plus de souplesse
de pinceau, plus d'invention dans ses motifs de
décor et dans ses couleurs. Il aime surtout
à montrer ses groupes en plein air, en donnant
dans ses fonds une importance au ciel et au sol.
Harunobu avait déjà cette intuition ; mais avec
lui la vigueur de ses figures ne les détachait pas
suffisamment sur l'atmosphère, sauf s'il faisait
intervenir le noir. Kiyonaga, pour arriver à ce
relief, répand une grande lumière, et en légères
touches note les détails qui donnent au paysage
sa solidité. Il enlevait ainsi aux visages, qu'il ne
prenait pas souci de teinter, la fausseté de leur
ton blanc excessif. Ainsi, en liberté de mouve-
ments et en impression d'atmosphère, Kiyonaga
est très au-dessus de Koriusai. C'est seulement
à partir de 1780 que, sans rival, il arrive
aux plus hauts sommets de son art. Il est le
maître incontesté de la période Temmei : les
disciples de Toyoharu, de Shigemasa, de Shunsho,
viennent en foule vers lui. Ses figures magni-
(300)
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Peinture.
Par Kitao Shighemasa (1739-
-1819 ?) Collection Charles Freer, à Détroit (Etats-l
Planche CXLVI.
L'ART MODERNE POPULAIRE A YEDO
fiques, les plus nobles et les plus dignes, sont
d'environ 1786 : elles se composent dans la large
feuille carrée qu'avait adoptée Koriusai, en
six figures au moins. Les couleurs de Kiyonaga
sont gaies, ses costumes très colorés, les fonds
de collines souvent indiqués en jaune pur.
Dans le « kakemono-yé » il égale Harunobu et
Koriusai. Il fit aussi d'admirables peintures.
Il se montre habile à saisir et à rendre les
mouvements dans sa période « Koriusai »,
comme dans l'estampe des enfants jouant avec
une femme — ou dans sa peinture de trois
femmes se promenant dans le vent sur les bords
de la Sumida (collection Georges Vanderbilt).
Ceci date d'environ 1782 et montre l'apparition
des bandeaux de cheveux. Le nœud de cheveux
massé au sommet de la tête est devenu un petit
ballon, et la queue de castor, si évidente de 1740
à 1760, a fait place à un petit toupet rudimen-
taire. — La noblesse des lignes dans les estampes
de 1784- 1786 apparaît dans les trois grandes
filles sur un banc de maison de thé, et dans
les quatre femmes avec un enfant. De 1786 est
l'estampe des trois figures dans la neige, l'homme
dans une magnifique robe de velours noir entre
deux femmes vêtues d'une étoffe d'un doux
orangé. Il n'y a pas mieux comme noblesse de
lignes et puissance de tons dans l'Ukiyo-yé.
Incomparable et de la même année est l'estampe
des trois jeunes filles à la fenêtre regardant la
mer sous la nuit de lune ; l'intérieur est éclairé
de lueurs chaudes par le lampion japonais ; et
la nuit est d'un gris lumineux sous la lune à
(PO
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
demi voilée de légers nuages ; des bateaux dans
la baie ont des torches qui rougeoient. Pareille
étude de trois sources de lumière, sans l'expé-
dient d'aucune ombre, n'avait jamais été tentée.
Le balancement des lignes, leur eurythmie
souveraine fait de Kiyonaga l'égal des plus grands
génies du monde, des grands maîtres de la Grèce,
et du divin Botticelli.
Après 1786, le style de Kiyonaga fléchit par le
raccourcissement de ses figures et l'exagération
de ses lignes incurvées. Les cheveux font masse
plus ronde aux sommets des têtes. Les types
de tous les artistes d'alors ont moins de beauté.
Le kakémono de la collection Freer où Kiyonaga
a représenté une jeune fille arrangeant sa
chevelure, les bras levés, est admirable encore.
Après 1790 il semble avoir renoncé au travail,
bien qu'il ait vécu jusqu'en 181 5, jugeant les
modes décadentes et dédaignant les extrava-
gances picturales qu'il voyait se produire autour
de lui.
Les artistes de cette époque relèvent tous de
Kiyonaga : plus près de lui était Shuncho primi-
tivement élève de Shunsho. Une impression
d'essai sur la planche du trait, avant que les
planches de couleurs n'aient été taillées, montre
la beauté de sa ligne et sa méthode de travail.
Ses estampes, parfois indiscernables de celles
de Kiyonaga sans la signature, se datent de 1782
à 1792. Il a fait quelques livres, mais pas de
peintures. — Kitao Shigemasa, lui-même, à ce
moment subit l'influence de Kiyonaga, comme
l'indique la superbe peinture de plusieurs person-
(302)
A
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o
H L-i
2 ni
r, P*
Estampes en Couleurs.
Par Kiyonaga (1742 — 1815).
Planche CXLVII1.
L'ART MODERNE POPULAIRE A YEDO
nages marchant sur la route d'Oji ^collection
Freer). Le dessin, qui en est charmant, est relevé
des plus exquises couleurs dans les tons de
Kiyonaga, avec des bleus délicats.
Shunman, le meilleur élève de Shigemasa,
travaillant dans la manière de Kiyonaga, devient
une sorte de Whistler, comme le montrent ces
deux femmes charmantes contemplant la rivière
d'un balcon. Les touches colorées, bien que taillées
dans le bois, y ont la fermeté et la décision d'une
gravure au burin. — Shuncho et Toyoharu, qui
firent des estampes après 1782, sont dans leurs
peintures assez influencés par les proportions de
Kiyonaga.
A cette époque du xvuie siècle avancé, les
causes qui pouvaient donner à la société des
Tokugawa son caractère particulier, étaient en
plein essor. Le peuple (les Samuraïs mis à part)
avait ses écoles, ses historiens, sa littérature.
Conscient de l'usurpation du shogunat, il avait
déjà un vif enthousiasme national et un instinct
secret de liberté. Motoori avait déjà construit sa
théorie de l'origine divine du Mikado à travers
Shinto. L'art Kano des nobles n'était plus que
l'étude éclectique des anciens idéals de la Chine.
Dans le peuple on désirait bien aussi étudier le
passé de la Chine aussi bien que celui du Japon,
et de grands romans populaires apparaissaient
bientôt, basés sur la tradition des deux pays.
Une nouvelle poésie populaire naissait. On était
déjà sous l'influence hollandaise, qui dans
l'Ukiyo-yé avait affecté un artiste comme Toyo-
haru. La science était suivie, surtout en méde-
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
cine, et déterminait des collections de dessins
précis de fleurs, d'oiseaux, d'animaux. La curio-
sité du peuple n'avait plus de limites. L'histoire de
son pays l'intéressait tant, que chacun souhaitait
voyager à travers les campagnes pour visiter les
sites fameux pour leur beauté ou pour leur
association à de grands faits. Voyager devint une
passion.
En art, des trois mouvements bien enracinés :
« Bunjinga » dans le Sud, Shijo surtout à Osaka
et à Kioto, Ukiyo-yé à Yedo et en lutte avec
« Bunjinga » dans le Nord, ce fut cette dernière
École devant laquelle s'ouvraient les plus vastes
horizons, puisque le peuple presque tout entier
était prêt à la comprendre et à l'adopter. Le
point culminant en avait été atteint par Kiyonaga.
Son sentiment de la beauté était sans doute trop
élevé, trop abstrait, trop distant des goûts du
peuple, délibérément en opposition avec l'autorité,
et bouillonnant de désirs nouveaux en même
temps que de défiance. Il semble bien que vers
1800, le goût perçait déjà d'un vague nivellement
égalitaire, et d'un abaissement aussi bien moral
qu'artistique. Le peuple se livrait alors aux extra-
vagances d'une réelle vulgarité. Le shogunat dut
préciser ses restrictions.
La décadence de l'Ukiyo-yé ne se manifesta pas
d'un coup. Les trois maîtres de l'estampe qui
dominent leur époque de 1790 à 1806, Yeishi,
Utamaro, Toyokuni, avaient été influencés par le
noble art de Kiyonaga. Toyokuni, en vérité, était
le principal élève de Toyoharu, lui-même élève
deToyonobu vers 1760. Utamaro avait été instruit
(304)
Estampes en Couleurs.
Par Kiyonaga (1742 — 1815).
Planche CXLIX.
L'ART MODERNE POPULAIRE A YEDO
par Sekyen, dont l'art avait été un composé de
« Bunjinga» et de Kano. Yeishi avait été un élève,
assez imbu de Kano, de cet Yeisen qui avait fondé
une École éclectique. Mais vers 1786 tous
avaient été séduits par la grâce de Kiyonaga,
aussi bien sous le rapport du dessin que de la
composition et de la couleur; et longtemps
après sa retraite le pouvoir de son influence
avait continué à les subjuguer et à les maintenir
à un très haut degré de noblesse. Vers 1796,
Utamaro commence à produire quelques livres
d'études naturelles en gravure de couleurs admi-
rables. Il mit aussi à la mode cette quantité de
papiers de vœux de nouvel an et de congratu-
lation, qu'on a appelés « suri-mono ». Dans
ses grandes feuilles il adopte en même temps
un allongement graduel de ses figures, le goût
du mouvement vif, parfois violent, et les attitudes
excentriques. Ces manières suivaient la mode
qui augmenta de volume les coiffures sur les
têtes des femmes, ce qui nécessitait, pour
l'esthétique des proportions, l'allongement des
visages et des corps, et aussi une balance diffé-
rente des attitudes. Ces excentricités d'Utamaro
plurent au goût déjà moins sain de son époque,
et c'est peut-être par là qu'il fut l'objet d'un tel
engouement en France. Aucun grand principe de
structure n'est plus appliqué. Utamaro et Yeishi
gravent des portraits en grandes têtes, et de
hardies scènes de la vie domestique. Toyokuni
donna une suite à l'École de gravure d'acteurs,
avec des œuvres bien plus grossières et disgra-
cieuses que celles de Shunsho. Le paysage est
20
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
traité de façon théâtrale; Toyokuni y introduit
des arbres dont le dessin s'inspire de l'Art des
Hollandais : une fausse perspective n'y montre
qu'une demi-intelligence de l'Art étranger. Toute
trace du beau dessin, de la noblesse, des justes
proportions de Kiyonaga a disparu. Ce ne sont
plus qu'yeux trop largement fendus, longs nez,
violentes postures, compositions anguleuses et
aigres couleurs. Et cependant, entre 1802 et 1803,
certaines figures de Toyokuni ont encore une
réelle grandeur, avant que cet art ne sombre
définitivement. Les étapes de ces changements sont
notées par nos illustrations.
Cette décadence détermina dans l'Ukiyo-yé un
cinquième et dernier grand mouvement qui
commença en 1807. Les élèves d'Utamaro pous-
sèrent aux dernières limites les extravagances du
maître. Toyokuni et Yeishi eux-mêmes n'étaient
pas des tempéraments à réagir. L'artiste qui a
peut-être avec le plus de hideur exprimé l'idéal
des proportions et du dessin de son École entre
1807 et 1820 est Yeizan. Figures aussi courtes
que trapues, têtes aussi longues que larges, les
yeux sont comme tailladés dans les faces et
deviennent, vers 18 12, fixes avec des prunelles
exorbitées. Les figures de jeunes filles sont comme
les reines de cœur des jeux de cartes. Les fonds
de paysage et les costumes seuls font de belles
taches de couleur, quand les estampes sont mises
au mur. Plus décadent encore que son maître
Yeizan est Yeizen, qui fit des estampes de
paysages à la manière d'Hiroshighé entre 1825
et 1840; Kunisada et Kunyoshi suivent leur
(306)
UTAMARO (1753 -1806).
PROMENADE DE JEUNES FILLES. ESTAMPES EN
COULEURS.
British Musedm.
-V-
L'ART MODERNE POPULAIRE A YEDO
maître Toyokuni. Cn a peine à admettre que la
grimace et la dislocation des estampes de 18 1 5
aient pu sortir de l'art parfait, pur et noble de
Kiyonaga, de vingt-cinq ans seulement antérieur.
Et c'est cet unique art déjà décomposé que
connurent l'Europe et l'Amérique, au début des
exportations.
Mais entre cet artiste considérable et les derniers
représentants si peu recommandables de son art
en 1830, apparaît un homme qui, dans sa longue
existence si féconde, a rendu l'infinie variété
d'impressions que la Nature lui avait fournies ;
et c'est cet Hokusai que les Européens ont consi-
déré comme le plus grand génie du Japon. Son
œuvre est tout entière dans des milliers de pein-
tures, d'estampes et de livres illustrés, où il
n'apparaît jamais le même, tellement est grande
sa mutabilité. Il vécut tout à fait ignoré du monde
des Samuraïs ; ses œuvres s'adressèrent unique-
ment aux plus humbles de son temps. Ce fut un
prodigieux vulgarisateur, et en si étroite sym-
pathie avec les aspects multiples que lui offraient
les basses couches du peuple, qu'il en dégagea
un véritable style et en fit de la beauté et de
l'art.
La si longue carrière d'Hokusai est passion-
nante à suivre, parce qu'il n'est pour ainsi dire
pas d'année où l'on ne puisse surprendre en son
art une modification de style. Elle est comme un
pont jeté sur l'abîme qui sépare Torii Kiyomitsu
de Kunisada. Il n'a rien ignoré des œuvres
d'Harunobu, de Koriusai, de Sunsho, de
Kiyonaga, d'Utamaro et de Toyokuni, mais il
0°7)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
demeure toujours lui-môme. Sans signature ni
date, on peut toujours identifier les estampes
d'Hokusai, et presque les situer année par année.
Et cependant, tout en reconnaissant son génie,
nous ne pouvons l'admettre au rang des Masa-
nobu, des Harunobu, des Kiyonaga.
Ce n'est pas au Japon qu'il a le plus passionné
les amateurs. Pour ne parler que de l'Amérique,
les plus riches collections de ses peintures sont
chez M. Freer, à Détroit; de ses livres illustrés,
chez M. Morse d'Evanston; de ses premières
estampes, chez M. Lathrop,àNew-York, — et toute
son œuvre est remarquablement représentée en
son ensemble, dans les collections de Bigelow au
musée de Boston.
Ses premières œuvres sont les contes illustrés,
et quelques estampes en couleurs de figures
d'acteurs dans le style de son maître Shunsho,
d'à peu près 1 77 5 ; il avait alors quinze ans.
Il fit beaucoup de portraits d'acteurs jusqu'en
1780. C'est alors qu'il commença à essayer les
« kakemono-yé » et les estampes carrées dans
le style de Kiyonaga. Son nom, dans toutes ces
œuvres, est Shunro; parfois il se nomme Takitaro
dans ses livres. De 1790 à 1796 il est sous
l'influence temporaire d'Utamaro, bien que ses
peintures conservent toujour.s les fortes qualités
de Shunsho. A partir de 1796, le style d'Hokusai,
comme son nom de pinceau, change si fré-
quemment, qu'il est difficile à suivre. Il est
évident qu'on pourrait marquer avec lui la
même popularisation, le même allongement que
dans le style d'Utamaro et de Toyokuni ; cepen-
(308)
HOKUSAI (1760-1849).
LA CASCADE DE VORO. ESTAMPE EN COULEURS.
British Muséum.
Peinture.
Par Hokusai (1760- 1849).
Collection Charles Freer, à Détroit
(Etats-Unis).
Planche CLI.
L'ART MODERNE POPULAIRE A YEDO
dant, chez Hokusai, on pourrait remarquer
quelque chose de plus, l'influence hollandaise, des
gravures hollandaises, des couleurs de la pein-
ture à l'huile. Il n'échappe pas non plus à
l'influence de deux hommes obscurs, Torin et
Hishikawa Sori, qui cependant avaient un style
relâché, lourd et grossier. Vers 1798 il semble
pour un temps avoir songé à s'inspirer de la
technique de Sotatsu. Il se nomme lui-même Sori,
Hiakurinsai Son', Tawaraya Sori, Hishigawa ou
Hishikawa Sori, Kako, Hokusai Sori, et cela jusqu'en
1800. Le nom d'Hokusai, comme nom de pinceau,
apparaît vers 1797, mais jusqu'en 1800 seulement
occasionnellement, et toujours accompagné de
Sori. De 1800 à 1802 on constate dans ses signa-
tures qu'il avait abandonné le nom de Sori pour
celui d'Hokusai.
De 1796 à 1802, son œuvre se compose d'une
quantité de livres à planches en couleurs avec
des figures, des milliers de grandes estampes
sur papier, d'une exquise délicatesse de ton
(celles qu'aurait dû aimer le plus Whistler)
et d'une grâce infinie de formes et de mouve-
ments.
De 1802 à 1810 environ, c'est son nom
d'Hokusai qui reparaît le plus, parfois ceux de
Gwakiojin, de Kaîsushika, de Toyo. De 1798 a 1802,
il se nomma parfois Kako. Son style devient
alors plus rude, de lignes plus fermes, de cou-
leurs plus profondes dans ses peintures. Dès
1804 il se servait beaucoup d'un rouge opaque
et d'un blanc, mêlés à des gris. Comme livres
illustrés, il a collaboré aux nombreux romans
(3°9)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
de Bakin et d'autres. En 1810 il prend le nom
de Taito et le garde jusqu'en 1820 : c'est la
période de sa prodigieuse illustration-encyclo-
pédie de la Mangwa. Il abandonne la gravure
d'estampes, en laquelle il avait été si fécond vers
1802; ses peintures sont rares. Son dessin
dégénère souvent en d'âpres ébauches carica-
turales, en lignes saccadées ; sa couleur est dure,
sans délicatesse.
Après 1820 il change encore de nom, se
nomme Tameichi, pendant peut-être vingt ans.
De 1820 à 1826, il produit encore de nombreux
recueils, avec des recherches de gris, essayant
des planches à deux tons, orange et bleu, ou
rouge et vert. Il aime à graver des légumes, des
fruits, des fleurs, des paysages; dans ses essais
de couleurs il étend sa palette, fait intervenir un
jaune dans les clairs et un profond vert bleu dans
les sombres (1826-1830). De 1828 à 1830, il
semble s'être décidé à abandonner un peu le
livre illustré, pour produire de belles œuvres de
peinture, traitées avec l'art le plus achevé et le
plus soigneux. C'est le beau moment de sa
période de transition, où ses lignes se calment,
s'ordonnent, où il atteint par son drapé et le
rythme de ses lignes à la noblesse de Kiyonaga.
De 1830 à 1840, peintures et gravures ont des
tons de couleurs profonds, des jaunes épais, des
gris bleus. Son maniérisme est complet. Il traite
alors plutôt les paysages (sa suite du Fuji) et
exécute de grands paravents peints. Les belles
courbes de son dessin de 18^0 se rompent. Les
dix dernières années de sa vie (1840-18 50) son
La Vague.
Estampe en couleurs, de la suite des trente-six vues du Fuji.
Le Fuji.
De la suite des trente-six vues du Fuji. Par Hokusai (1760 — 1849).
Planche CLII.
Ces Renards Fantômes.
Estampe en couleurs, par Hiroshi^he (1797 — 1S5S).
Planche CLIII.
L'ART MODERNE POPULAIRE A YEDO
style s'assombrit, s'alourdit; son coup de pinceau
se brise en lignes plus rudes et plus appuyées.
Mais peut-être a-t-il gagné en largeur et en
puissance.
Dans ses peintures, après sa quatre-ving-
tième année, il rappelait toujours son âge ; il
avait adopté le nom de « homme Gwakiojin » et
son sceau le renferme ainsi que le Fuji repré-
senté. Les trois dernières années de sa vie, son
sceau ne porte plus que le caractère du nombre
ioo. Ses estampes et ses livres sont alors deve-
nus très rares.
A toutes les périodes de sa vie, il eut de
nombreux élèves : le plus connu est Hokkei.
Reste un très grand artiste de cette École qui
a occupé une place éminente, Hiroshighé, qui fut,
avant 1810, élève de Toyohiro, le frère de Toya-
haru. Il fit de nombreuses gravures de figures
avant 1820. Mais après cette date, son goût
d'illustrateur de livres, surtout de guides pour
voyageurs, le poussa à graver de grandes feuilles
de paysages en couleurs, qui étaient publiées
en suites de vues du Tokaido, de Yedo, du Kiso-
kaido, etc., entre 1820 et 1840. Ses premières
grandes séries du Tokaido parurent probable-
ment vers 1825. En dehors de ces paysages, il fit
d'innombrables estampes en couleurs de fleurs,
poissons et oiseaux. Ses figures de 1830 ont la
dignité de celles d'Hokusai. Mais c'est comme
paysagiste qu'il occupe la première place dans
î'Ukiyo-yé. C'est par Hokusai et Hiroshighé comme
paysagistes que la décade de 1850 à 1840 a brillé
du plus resplendissant éclat. Mais le particulier
On)
L'ART EN CHINE ET AU JAPON
amour d'Hiroshighé pour le paysage lui a fait
réaliser de plus grandes merveilles d'art. Sans
recherche particulière de lignes ou de notation,
c'est par simples et harmonieuses taches colorées
qu'il a rendu les aspects de sa terre natale, un
bleu franc pour le ciel, un bleu plus foncé pour
la mer, des verts clairs pour les arbres et les
herbes, des tons de bois pour les constructions,
de petits tons vifs pour les costumes. Ses
impressions de nature furent si justes, si exac-
tement rendues, qu'après soixante ans écoulés
on reconnaît encore, malgré les changements, les
lieux qu'il voulut rendre. Mais il ne s'attacha pas
obstinément aux tons unis ; ayant appris à les
rompre, il donnait ainsi des modulations à ses
tons de ciel. Il n'eut dans ses effets de nuit qu'un
rival, Whistler, auquel d'ailleurs il suggéra tant
d'impressions. Dans les effets d'atmosphère, levers
de lune, neiges, brouillards et pluies, il fut le
plus vari qui ait jamais existé dans aucun art.
Ce fut le pur impressionniste, bien avant Claude
Monet.
Des critiques européens ont prétendu que
l'œuvre que nous connaissons d'Hiroshighé appar-
tient à trois artistes différents, et que les
estampes dans le sens vertical sont du second
Hiroshighé. C'est une absurdité. Car s'il est vrai
que les feuilles de paysages en largeur semblent
dominer dans sa période la plus ancienne (182 5-
1830), il n'y a pas à cet égard d'absolu. On
pourrait dénombrer de multiples estampes de
182$ à 1850 dans lesquelles il est manifeste que
le même artiste a évolué comme style : semblable
(3»)
HIROSHIGHE (1797-1855).
LA PLUIE. ESTAMPE EN COULEURS. CENT VUES DE YEDO.
British Mdseum.
La Nuit sur la Rivière Kamo, à Kyoto.
Estampe en couleurs par Hiroshighé, 1797 — 1818.
Sous le Pont de la Sumida.
Estampe en couleurs, par Hiroshighé (1797-1S5S).
Planche CLIV.
L'ART MODERNE POPULAIRE A YEDO
constatation pourrait d'ailleurs être faite dans
ses peintures. En général, son dessin se relâche
après 18^5, mais sa puissance de couleurs ne
fait que croître jusqu'en 1845. Ses peintures de
1850, et postérieures, sont faibles.
Il y eut sans doute un second Hiroshighé
dont l'œuvre ne comprend qu'un petit nombre
de choses, et postérieures à 1860, alors que
l'estampe en couleurs était tombée au dernier
degré d'avilissement. Elle ne faisait que suivre
l'état général des Arts au Japon.
©
TABLE DES PLANCHES EN COULEURS
PLANCHE i.
Une feuille de Paravent d'Hikoné par Matahei Frontispice
PLANCHE 2.
Fresque du Temple d'Horiuji, a Nara 56
PLANCHE 3.
Fresque du Temple d'Horiuji, a Nara 64
PLANCHE 4.
Portrait du Prince Shotoku-Taishi, par Kanawoka, ixesiècle.
(Au Temple Nennaji de Kioto.) 120
PLANCHE 5.
Fragment d'un Makimono. Suite des Miracles de Kasuga par
Takanané. (Maison Impériale du Japon.) 1 3o
PLANCHE 6.
Portrait d'un Prêtre. École Rosa, xnia siècle. (Musée du
Louvre. Don de Mme Gillot en souvenir de son mari.) .... 1 36
PLANCHE 7.
Rakkans par Lin Ting-Kuei. (Au Daitokuji de Kioto.) 176
PLANCHE 8.
Les trois Sages par Kano Motonobu. (Musée de Boston.). . . 228
PLANCHE g.
Paravent aux Irispar Korin. Deuxième moitié du xvue siècle. 23o
PLANCHES 10-11.
Le Paradis Terrestre. Époque des Bing. (British Mu-
séum.) 248-249
PLANCHE 12.
Femme dans un paysage (Écran). Epoque des Ming 264
0 m)
TABLE DES PLANCHES EN COULEURS
PLANCHE i3.
Katsugawa Shunsho (1726-1792). Écran. Estampe en couleurs
{Collection de M. Bullier, Paris.) 296
PLANCHE 14.
Utamaro (1753-1806). Promenade de jeunes filles. Estampes
en couleurs. (British Muséum.) 3o6
PLANCHE i5.
Hokusai (1 760-1 849). La Cascade de Yoro. Estampe en cou-
leurs, les Huit Cascades. (British Muséum.) 3o8
PLANCHE 16.
Hiroshighé( 1797-1858). La Pluie. Estampe en couleurs. Cent
vues de Yedo. (British Muséum.) 3 1 2
@
TABLE DES PLANCHES EN NOIR
PLANCHE i.
Têtes de terre cuite. Art du Gandhara, début de l'ère chré-
tienne. (Musée de Lahore, Indes.) 4
PLANCHE 2.
Tète de terre cuite, provenant de Khotan, Turkestan chi-
nois. (Mission du D' Aurel Stein.) 8
PLANCHE 3.
Sculptures sur pierre de chambrettes funéraires. Art chi-
nois. Dynastie des Han, ier— 1 1*" siècle après l'ère chrétienne.
(Reproductions extraites du livre de M. Chavannes.). ... 14
PLANCHE 4.
Sculptures gréco-bouddhiques de pierre. Art chinois.
Epoque des Tang, vin' siècle. (Crypte du Temple Gangoji
de Nara, Japon.) 24
PLANCHE 5.
Sakya Muni. Statue de bois peut-être chinoise. Époque des
Tang, vnT siècle. (Temple Seirioji, près de Kioto, Japon.) 32
PLANCHE 6.
Les cinq Kokuzo. Statues de bois dites chinoises ou coréennes,
apportées au Japon en 847 par Yennsozu, prêtre d'Omi.
(A u Temple Toji de Kioto , Japon.) 40
PLANCHE 7.
Aiguière d'argent décorée d'un cheval ailé. Art sassanide.
(Horiuji, Japon.) — Le Sho-Soïn : Vue extérieure. Renfer-
mant les collections du trésor impérial, closes par l'empe-
reur Kwammou en 794. (Nara, Japon.) 4a
PLANCHE 8.
La. Kwannon tenant un vase (face et profil). Bois. Hindoue
ou coréenne. Milieu du vr" siècle. (Grand autel du Kondo
0'7)
TABLE DES PLANCHES EN NOIR
d'Horiuji, Japon.) — Kwannon assise. Bronze. Art japo-
nais. Epoque de Suiko, vu* siècle. (Temple d'Horiuji,
Japon.) 44
PLANCHE o.
Nyoirin Kwannon. Bois. Attribuée à Shotoku-Taishi. Époque
de Suiko, commencement du vu' siècle. (Temple des nonnes
Shuguji, à Nara.) 46
PLANCHE 10.
La Trinité bouddhique. Bronze doré. Shaka entre Yakuo et
Yakujo. Inscription : par Tori Busshi, à la mort de Sho-
toku, en 622. (Autel du Kondo d'Horiuji, Japon.) 48
PLANCHE 11.
Autel de bronze doré. La Triade Amida entre Kwannon et
Seishi. Art japonais de la période Tenchi. Deuxième moitié
du vu' siècle. (Horiuji, Japon.) 5o
PLANCHE 12.
Détail de fond d'autel en bronze doré. Art japonais de la
période Tenchi. Deuxième moitié de vir* siècle. (Horiuji,
Japon.) 52
PLANCHE i3.
Le Tambour de bronze. (Au temple Shinto de Kasuga, à
Nara.) 70
PLANCHE 14.
Figures de bronze sur un bâton de prêtre 72
PLANCHE i5.
La Trinité bouddhique. Statues de bronze noir attribuées à
l'époque de l'impératrice Jîto vers 696, mais peut-être
de 718 (construction du Temple). (Temple Yakushiji de
Nara, Japon.) 73
PLANCHE 16.
Un des Bodhisattwas de la Trinité bouddhique. Bronze.
Vers 696. Mais peut-être seulement de 718. (Temple Yaku-
shiji de Nara.) 74
PLANCHE 17.
Statue de bronze. Influence gréco-bouddhique. (Temple
d'Horiuji, Japon.) 75
PLANCHE 18.
Figure assise laquée. Art japonais. Epoque de Tempyo,
vme siècle. (Ecole des Beaux-Arts de Tokio.) 76
(318)
TABLE DES PLANCHES EN NOIR
PLANCHE 19.
Sakya prêchant sa loi. Bronze. Art japonais de l'Époque
Tempyo. Première moitié du vm" siècle. (Temple Kani-
mangi de Kioto, Japon.) 77
PLANCHE 20.
Bodhisattwa dit aussi Bonten. Terre séchée et laquée attri-
buée à Riôben. Epoque de Tempyo, vnf" siècle. (Temple
Sangetsudo de Nara.) 78
PLANCHE 21.
Sangetsudo vociférant. Argile laquée. Art japonais. Époque
de Tempyo, première moitié du vm' siècle. (Temple
Todaiji de Nara, Japon.) 79
PLANCHE 22.
Plaque de la grande lanterne de bronze, a l'entrée du
Temple Daibutsu. Art japonais, vnr" siècle. Epoque
l'empyo 80
PLANCHE 23.
Statue de Fudo. En bois. Attribuée à Kobodaishi, après son
retour de Chine. Début du ixc siècle. (Temple Toji, à
Kioto.) 81
PLANCHE 24.
Bouddha assis. Statue d'argile laquée. Epoque de Jôcho.
Fujiwara, xie siècle. (A Ud^umasa, près de Kioto.) 82
PLANCHE 25.
Statue de Prêtre. En bois laqué. Art japonais. Fin du
xue siècle. Epoque de Kamakura. (Temple Kofukuji, à
Nara.) — Un Niô. Par Wunkei. Début du xur" siècle.
Epoque de Kamakura. — Statue de Prêtre. En bois laqué.
Par Wunkei. Début du xme siècle. Epoque de Kamakura.
(Temple Rokuhara Mitsuji, à Kioto.) — Statue en bois
de Tokiori Hojo, vice-shogun de Kamakura. Sculptée un
peu après sa mort, 1263. (Temple Kenchôji, à Kamakura.) 83
PLANCHE 26.
Le Porteur de lanterne. Attribué à Koben. xuic siècle,
époque de Kamakura. (Temple Kasuga, à Nara.) 84
PLANCHE 27.
Trois démons. En bois. xme siècle. Epoque de Kamakura.
( Temple Kofukuji, à Nara.) 86
(5 '9)
TABLE DES PLANCHES EN NOIR
PLANCHE 28.
Statue d'Asangba : En bois.xiic-xme siècle. Époque de Kama-
kura. (Temple Kofukugi, à Nara.) 86
PLANCHE 29.
Masque « Long nez ». Ancien culte Shinto. Art japonais. —
Masque de danse de Gigakou. Art japonais après le
xviii8 siècle. (Musée du Louvre.) — Masques de Drames de
Nô. Art japonais, xvie-xvne siècle. (Musée du Louvre.) 87
PLANCHE 3o.
Ashikaga Yoshimasa : Statue de bois. xve siècle. (Temple
Ginkakuji, près de Kioto.) 88
PLANCHE 3i.
Château de Kumamoto 89
PLANCHE 32.
Temple de Biodoin, a Kioto 90
PLANCHE 33.
Jardin du Temple Tofukuji, a Kioto 91
PLANCHE 34.
Kwannon assise, par Yen Li-pen (en japonais En-riu-hon).
viie siècle. (Collection Charles Freer, à Détroit, États-
Unis.) 94
PLANCHE 35.
Monju, par Wu Tao-Yùan ou Wu Tao-tzu (en japonais
Godoshi). vme siècle. Epoque des Tang. (Temple Tofukuji,
à Kioto.) 96
PLANCHE 36.
Sakya-Muni, par Wu Tao-Yûan ou Wu Tao-tzu (en japonais
Godoshi). vme siècle. Epoque des Tang. (Collection
Charles Freer, à Détroit, Etats-Unis.) 98
PLANCHE 37.
Kwannon debout, par Wu Tao-Yûan ou Wu Tao-tzu (en
japonais Godoshi). vme siècle. Epoque des Tang. (Collection
Charles Freer, à Retrait. Etats-Unis.) 102
PLANCHE 38.
Fragment de paysage, par Wu Tao-Yûan ou Wu Tao-tzu
(po)
TABLE DES PLANCHES EN NOIR
(en japonais Godoshi). vm8 siècle. Époque des Tang.
( Temple Daitokuji, à Kioto) 104
PLANCHE 3g.
La Chute d'eau, par Wang Wei (en japonais O-i ou Oma-
kitsu). 699-? Époque des Tang. {Temple Chishahuin, à
Kioto.) I06
PLANCHE 40.
Peinture bouddhique chinoise primitive. (Collection Charles
Freer, à Détroit, Etats- Unis.) 112
PLANCHE 41.
Un Rakan ou Arhat, par le prêtre Kuan Hsiu (en japonais
Zengetsu Daishi). xe siècle. (Temple Kodaiji.) 148
PLANCHE 42.
Kwannon, par Mu Ch'i (en japonais Mokkei). xia siècle.
Epoque des Song. (Temple Daitokuji, à Kioto.) i?0
PLANCHE 43.
Un Rakan ou Arhat avec un serpent, par Mu Ch'i (en
japonais Mokkei). xie siècle. Epoque des Song i52
PLANCHE 44.
Paysage avec un buffle, par Fan K'uan (en japonais Hank-
wan). Début du xie siècle. Epoque des Song 154
PLANCHE 45.
Un des Rakans ou Arhats, par Li Kung-lin, dit Li Lung-
Mien (en japonais Riryomin). f 1106. Epoque des Song.
(Collection Charles Freer, à Détroit, Etats-Unis.) i56
PLANCHE 46.
Tète de Femme. Dessin de Li Kung-lin, dit Li Lung-Mien
(en japonais Riryomin). f 1 106? Epoquedes Song 1 58
PLANCHE 47 .
Hoteï dormant, par Li Kung-lin, dit Li Lung-Mien (en
japonais Riryomin). f 1 106. Epoque des Song. — Le
célèbre Yuima. Copie, par Li Kung-lin, dit Li Lung-Mien
(en japonais Riryomin). -f- 1106. Epoque des Song 160
PLANCHE 48.
La Villa « Riomin-Zan », habitation du peintre Li Kung-
lin, dit Li Lung-Mien (en japonais Riryomin). Par lui-
même, f 1 106. Époque des Song 161
(?»)
21
TABLE DES PLANCHES EN NOIR
PLANCHE 49.
Un Rakan ou Arhat en extase sur les eaux. Ecole de Li
Kung-lin, dit Li Lung-Mien (en japonais Riryomin).
f 1 106. Epoque des Song 162
PLANCHE 5o.
Groupe de Rakans ou Arhats regardant des cigognes.
Ecole de Li Kung-lin, dit Li Lung-Mien (en japonais Ri-
ryomin). f 1 106. Epoque des Song i63
PLANCHE 5i.
Paysage, par l'empereur Hui-Tsung (en japonais Kisô-Kôtei).
f 1 1 35. {Temple Daitokuji, à Kioto.) 164
PLANCHE 52.
Une dame de l'époque des Song s'appuyant contre un pin,
par Chao-Tsien-Li (en japonais Chosenri). xne siècle.
{Collection Charles Freer, à Détroit, Etats-Unis.) i65
PLANCHE 53.
Un Tartare chassant un daim, par Li Ngan-Chung (en
japonais Ri-an-Chin). xne siècle. Epoque des Song 166
PLANCHE 54.
Villa en hiver sous les bambous, par Ma Yuan (en japonais
Bayen). Début du xme siècle 167
PLANCHE 55.
Villa sous les pins, par Ma Yuan (en japonais Bayen). Début
du xme siècle 168
PLANCHE 56.
Le poète Rinnasei, par Hsia-Kuei (en japonais Kakei). Début
du xme siècle 169
PLANCHE 57.
Paysage, par Hsia-Kuei (en japonais Kakei). Début du
xme siècle. — Cascade, par Hsia-Kuei (en japonais Kakei).
Début du xme siècle. Copie par Kano Tanyu. — Paysage,
par Hsia-Kuei (en japonais Kakei). Début du xin° siècle. . 170
PLANCHE 58.
L'Ermite Kanzan, par Yen Hui (en japonais Ganki).
xive siècle. {Collection Kawasaki, à Osaka.) 171
(322)
TABLE DES PLANCHES EN NOIR
PLANCHE 5g.
Le Sennin Takkai, par Yen Hui (en japonais Ganki).
xive siècle 172
PLANCHE 60.
Un Ermite de la montagne, par Liang Cru (en japonais
Riôkai). xive siècle 1 j3
PLANCHE 61.
Copie d'après un peintre de Liang Chi (en japonais Riôkai).
xive siècle 174
PLANCHE 62.
Gokuanshi peignit le roc, les orchidées et le bambou dans
un disque. — Nen Kawo peignit la baignade des buffles.
Milieu du xive siècle 175
PLANCHE 63.
Un Sennin voyageant sur un daim, par Mommukan ? Copie. 178
PLANCHE 64.
Femmes chinoises écrivant, par Torin. Dynastie des Ming.
[Collection Charles Freer, à Détroit, États-Unis.) 179
PLANCHE 65.
Camélias, par Shun-Kù (en japonais Shunkio). Dynastie des
Ming. . " 180
PLANCHE 66.
Cigogne au vol, par Renshiren. [Temple Sokokuji.) 181
PLANCHE 67.
Danse de femmes, peinture au trait, par K'iu Ying (en japonais
Kiuyei). Dynastie des Ming 182
PLANCHE 68.
Un Souper, par Sujo, frère de Sugo i83
PLANCHE 6g.
Un Palais, par Kameiyen (Hsia-Ming-Yûan) 184
PLANCHE 70.
La Musique sans instruments, par Gessan. xixe siècle 1 85
i)2))
TABLE DES PLANCHES EN NOIR
PLANCHE 71.
Fleurs, feuillages et oiseaux, par Gioku-wô. xixe siècle.
{Musée de Boston, Etats-Unis.) 186
PLANCHE 72.
Bosquet de bambous sous la tempête, par Danshidzui 187
PLANCHE 73.
Le Célèbre Tabernacle coréen Tamamushi. vie siècle. (Ho-
riuji, Japon.) 188
PLANCHE 74.
Le Tabernacle Tamamushi : Détail. vie siècle. (Horiuji, Japon.)
— Le Tabernacle Tamamushi : Peintures de la porte.
vie siècle. (Horiuji, Japon.) 189
PLANCHE 75.
Le Prince Shotoku-Taishi (f 621) et ses deux enfants. Pein-
ture par le prince coréen Âsa 190
PLANCHE 76.
Peintures et incrustations de nacre au dos d'instruments
de musique appelés « Biva ». vme siècle. ( Trésor du Sho-
Soïn, à Nara.) 191
PLANCHE 77.
Feuilles de paravent de style hindou. vme siècle. (Trésor
du Sho-Soïn, à Nara.) — Peintures sur peau de style
hindou. vme siècle. (Trésor du Sho-Soïn, à Nara.) 192
PLANCHE 78.
Fresques du Temple d'Horiuji, a Nara, reconstruit de 708 à
7i5 : Détail 193
PLANCHE 7g .
Anges musiciens avec le biwa et le koto, par Kobo-Daishi
(774-83^ 196
PLANCHE 80.
Portrait de Prêtre, par Kobo-Daishi (774-834) 197
PLANCHE 81.
Trinité bouddhique: Amida, Kwannon et Seishi, par Yeishin
Sozu (f 1017) 198
024)
TABLE DES PLANCHES EN NOIR
PLANCHE 82.
Amida, par Yeshin Sozu (f 1017) igg
PLANCHE 83.
Cascade, par Kanawoka. ixe siècle 200
PLANCHE 84.
Comrat de Taureaux. Fragment de Makimono à l'encre de
Chine, par Toba Sojo (f 1140?). {Temple Kausanji,
Yamato.) 201
PLANCHE 85.
Bataille de Coqs, par Kasuga Mitsunaga (Tosa). Deuxième
moitié du xne siècle 202
PLANCHE 86.
Une opération chirurgicale. Détail du Makimono « Nen-
chiu Giogi », par Kasuga Mitsunaga (Fugiwara Tosa).
Deuxième moitié du xue siècle. {Musée de Boston, Etats-
Unis.) 203
PLANCHE 87.
Bouddha descendant du ciel a travers les nuages. D'après le
Mandara Taima. Peut-être par Keion. xme siècle 204
PLANCHE 88.
Fragment du Makimono de la Guerre Hogen-Heiji. Keion.
xme siècle. {Musée de Boston, Etats-Unis.) 2o5
PLANCHE 8g.
Fragment du Makimono de la Guerre Hogen-Heiji. Keion.
xme siècle. {Musée de Boston, Etats-Unis.) 206
PLANCHE 90.
Portrait de Yoritomo, par Takanobu (Fujiwara) (f i2o5)... 207
PLANCHE gi.
Détail du Makimono « Kitano Tenjin Engi », par Nobuzane
(1 177-1265) 208
PLANCHE g2.
Détail du Makimono « Tenjin Engi », par Nobuzane (1177-
1 2Ô5) 209
PLANCHE g3.
Fragment de Makimono, par INoDuzane (1 177-1265) 210
(PO
TABLE DES PLANCHES EN NOIR
PLANCHE 94.
Fragment du Makjmono de « l'Enfer », par Nobuzane (1177-
1265) 211
PLANCHE g5.
Rakans ou Arhats, par Cho-Densu (Meicho ou Mincho).
1351-1427. {Temple Tofukuji, à Kioto.) 214
PLANCHE 96.
Deux feuilles de Paravent, par Jasoku (Soga). Deuxième
moitié du xve siècle 2i5
PLANCHE gy.
Juro-Jin ou l'Esprit de la longévité, par Sesshu(i42o-i5o6).
(Collection du marquis Hachisuka, Japon.) 216
PLANCHE 98.
Paysage, par Sesshu (1420-1506) 217
PLANCHE gg.
Feuille de Paravent : Cigogne et Prunier, par Sesshu (1420-
i5o6) 218
PLANCHE 100.
Paravent : Paysage, par Shiubun. Première moitié du
xve siècle. (Musée de Boston, Etats-Unis.) — Paravent :
Paysage, par Sesshu (1 420-1506). (Anciennement, Collection
Waggener, à Washington. Actuellement, Collection
Charles Freer, à Détroit, Etats-Unis.) 219
PLANCHE 101.
Paysage de style rude, par Sesshu (1420-1506). — Arbres
dans la brume. Détail du Makimono Mori, par Sesshu (1420-
i5o6) 220
PLANCHE 102.
Détail du célèbre Makimono Mori, par Sesshu (1420-1506).. 221
PLANCHE io3.
Portrait de Confucius, par Kano Masanobu (1453-1490).
Copie de Kano Tanyu. (Musée de Boston, Etats-Unis.). . . 222
PLANCHE 104.
Peinture, par Kano Motonobu (1476-1559.) 223
()*)
TABLE DES PLANCHES EN NOIR
PLANCHE io5.
Un Aigle, par Kano Utanosuke ou Yukinobu (i5i3-i575).
(Musée de Boston, Etats-Unis.) 224
PLANCHE 106.
Paravent représentant la Cour impériale de Chine, par
Kano Yeitoku (1 545-1 592). (Musée de Boston, Etats-Unis.) 225
PLANCHE 107.
Branche de prunier sous la neige, par Kano Yeitoku (i545-
1592) 226
PLANCHE 108.
Décoration intérieure du Château de Nijo, à Kioto.
xvne siècle 227
PLANCHE 109.
Ferme et Paysans, par Kano Koi (f i636) 234
PLANCHE 110.
Palais chinois et terrasses, par Kano Tanyu (1602-1674.)-. • 235
PLANCHE m.
Le « Jugement d'Emma », scène de l'Enfer, par Kanawoka.
Copie par Hirotaka Sumiyoshi 236
PLANCHE 112.
Paravent a deux feuilles : Décor de lierre, par Honnami
Koyetsu (f 1637). (Musée de Boston, Etats-Unis.) 237
PLANCHE 11 3.
Paravent aux Magnolias, par Honnami Koyetsu (-{- 1637).
(Ancienne Collection Ch. Gillot.) 238
PLANCHE 114.
Paravent. Détail : 'liges de maïs secouées par le vent, par
Honnami Kovetsu (f 1637). (Collection Charles Freer, à
Détroit, Etats-Unis.) 239
PLANCHE n5.
Éventail, par Honnami Koyetsu (f 1637) 240
PLANCHE 116.
Deux oies sauvages au vol, par Sotatsu. Deuxième moitié du
xvne siècle 24r
TABLE DES PLANCHES EN NOIR
PLANCHE u7.
Paravent a décor de chrysanthèmes, par Ogata Korin.
Deuxième moitié du xvne siècle. — Etude d'œillets
sauvages : Détail, par Sotatsu. Deuxième moitié du
xvii» siècle 242
PLANCHE 118.
Personnages dans un parterre d'iris, par Ogata Korin.
Deuxième moitié du xvne siècle 243
PLANCHE 11 g.
Paravent a décor de vagues, par Ogata Korin. Deuxième
moitié du xvne siècle. (Musée de Boston, Etats-Unis.) 244
PLANCHE 120.
Paravent a décor de fleurs, par Ogata Korin. Deuxième
moitié du xvne siècle. — Trois poteries décorées, par
Kenzan (1663-1743.) 245
PLANCHE 121.
Ecole de Matahei 252
PLANCHE 122.
Peinture. Ecole de Matahei. Fin du xvne siècle 256
PLANCHE 123.
Paravent : Paysages d'hiver, par Maru-Yama Okio (iy33-?). 270
PLANCHE 124.
Oie sauvage et lune, par Maru-Yama (1733-?) 271
PLANCHE 125.
Paravent décoré d'un dragon dans la tempête, par Maru-
Yama Okio (1733-?) 272
PLANCHE 126.
Singes, par Mori-Sosen (1747-1821) 273
PLANCHE 127.
Singes, par Mori-Sosen (1747-1821) 274
PLANCHE 128.
Daims, par Ganku (1745-1834) 275
(328)
TABLE DES PLANCHES EN NOIR
PLANCHE 129.
Trois canards, par Aianju 276
PLANCHE i3o.
Le Fuji vu d'Enoshima, par Ho-yen (Ecole d'Okio). Fin du
tviiic siècle. {Musée de Boston, Etats-Unis.) — Une
Ferme, par Ho-yen (Ecole d'Okio). Fin du xvme siècle.
(Musée de Boston, Etats-Unis.) 277
PLANCHE i3i.
Branche de Prunier et Rossignols, par Ho-ven (Ecole d'Okio).
Fin du xvme siècle. {Musée de Boston, États-Unis.) 278
PLANCHE i32.
Renard dormant, par Tetsuzan ou Tessan (Ecole d'Okio)
(t 1841) 279
PLANCHE i33.
Arbres, par Kano Soshu 280
PLANCHE 134.
Estampes chinoises. Musée du Louvre. Première moitié du
xvne siècle 286
PLANCHE i35.
Illustration de livre, par Hishigawa Moronobu ( 1 638-1714
ou 1617-1694, d'après Tajima). — Exemples de Otsu-yé.. 287
PLANCHE i36.
Fragment de Paravent, par Hishigawa Moronobu (1638-1714
ou 16 17-1694, d'après Tajima) 288
PLANCHE i3j.
Courtisane avec sa suivante. Estampe en couleurs à la main,
par Okumura Masanobu (1685-1764) 289
PLANCHE i38.
Estampe colorée a la main, dite « Tan-Ye », par Torii Kyo-
masu (1 679-1 763). — Estampe en blanc et noir, par Torii
Kiyonolu (1664-1729). — Estampe colorée a la main, par
Torii Kiyomasu ( 1679-1763) 290
PLANCHE i3g.
Peinture, par Suzu-ki Haronobu (1718-1770). {Collection
Charles Freer, à Détroit, Etats-Unis.) 291
029)
TABLE DES PLANCHES EN NOIR
PLANCHE 140.
Estampes en couleurs, par Suzu-ki Haronobu (1718-1770).. . 292
PLANCHE 141.
Kakemono-yé, par Koriusai 2g3
PLANCHE 142.
Estampes en couleurs « Kakemono-yé », par Suzu-ki Haro-
nobu (1718-1770) 294
PLANCHE 143.
Peinture, par Nishigawa Sukenobu (1674- 1754) 295
PLANCHE 144.
Estampe en couleurs, par Katsukawa Shunsho (1726-1792).. 298
PLANCHE 145.
Sur le Balcon. Estampe en couleurs, par Katsukawa Shun-
man. Fin du xvme siècle 299
PLANCHE 146.
Peinture, par Kitao Sbighemasa (1739-1819 ?). (Collection
Charles Freer, à Détroit, Etats-Unis.) 3oo-3oi
PLANCHE 147.
Peinture, par Kiyonaga (1742-1815). {Collection G.-W. Van-
derbilt, a New-York.) 3o2
PLANCHE 148.
Estampes en couleurs, par Kiyonaga (1742-1815) 3o3
PLANCHE 149.
Estampes en couleurs, par Kiyonaga (1 742-1 81 5) 304
PLANCHE i5o.
Rentrée nocturne. — Scène maternelle. Estampes en cou-
leurs, par Utamaro (i753-i8o6) 3o5
PLANCHE i5i.
Peinture, par Hokusai (1760-1849). (Collection Freer, à
Détroit, Etats-Unis.) 309
PLANCHE i52.
La Vague. — Le Fuji. Estampes en couleurs, de la suite des
36 vues du Fuji, par Hokusai (1760-1849) 3io
(330)
TABLE DES PLANCHES EN NOIR
PLANCHE i53.
Les Renards fantômes. Estampe en couleurs, par Hiroshighé
(1797-1858) 3u
PLANCHE 154.
La Nuit sur la rivière Kamo, a Kioto. — Sous le pont de la
Sumida. Estampes en couleurs, par Hiroshighé (1797-1858). 3i3
©
®
TABLE DES MATIERES
Préface, par M. Gaston Migeon vu
Introduction de M. Ernest Fenellosa xm
CHAPITRE I
L'ART CHINOIS PRIMITIF
3 ooo Ans — 25o ans avant l'ère chrétienne : L'Art
du Pacifique. — Les origines de l'Art chinois. — Les
influences qu'il a subies du Pacifique, de la Perse et de la
Grèce. — Les premiers âges historiques de la Chine. —
Les empereurs patriarches. — Dynasties Han, Shang,
Chou. — Les caractères de leurs arts. — Les bronzes
archaïques. — Les poteries i
CHAPITRE II
L'ART CHINOIS DE LA DYNASTIE DES HAN
Influence de la Mésopotamie (202 avant l'ère chrétienne
— 221 après J.-C.) : Rapports commerciaux entre la Chine
et les peuples du bassin de la Méditerranée. — Influences
artistiques de la Perse et de la Mésopotamie sur les pote-
ries des Han, et par réaction sur les bronzes. — Les pierres
sculptées i3
CHAPITRE III
L'ART CHINOIS BOUDDHIQUE DE LA DYNASTIE
DES TANG
Influence indienne (m8 siècle — vi8 siècle après l'ère
chrétienne) : Introduction du Bouddhisme en Chine. —
Les conséquences qui en résultèrent quant à l'art plastique.
— Nécessité de l'étude de l'art plastique dans l'Inde, avant
d'interroger celui de la Chine et du Japon. — Consé-
quences artistiques de la division de 1 Empire chinois
en 420. — L'écriture, l'encre et le pinceau. — La peinture
naît. — Les premières Ecoles du Sud. — Les peintres
K.u-K'ai-chih et Wu-tao-tzu. — L'empereur Wu-ti. —
Les Écoles du Nord dont le sens plastique demeure pénétré
de l'esprit hindou hellénique. — Splendeur de l'époque
des Tang 23
(m)
TABLE DES MATIÈRES
CHAPITRE IV
L'ART BOUDDHIQUE PRIMITIF DE LA CORÉE
ET DU JAPON SOUS L'INFLUENCE CHINOISE
VIe-vne siècle de l'ère chrétienne : Position géogra-
phique de la Corée, expliquant son rôle entre la Chine et
le Japon. — La beauté de ses arts du ive au vne siècle et ce
que le Japon lui dut. — Comment la Corée put subir
l'influence des arts iraniens. — Ce qu'elle doit en même
temps à la Chine du Nord et du Sud. — Les monuments
de 1 Art coréen supposés être conservés au Japon. — Les
sculptures bouddhiques à Horiuji. — La première haute
civilisation japonaise sous Suiko et Shotoku à Horiuji et à
Nara, et les grandes créations de la sculpture bouddhique.
— Epoques de Jomei Tennô et de Tenchi 3j
CHAPITRE V
L'ART GRÉCO-BOUDDHIQUE EN CHINE
VIIe et vme siècle : L'Art gréco-bouddhique du Gandhara.
— Les rapports de l'hellénisme avec l'Inde par la Bactriane.
— Les monuments de sculpture du Gandhara. — L'expan-
sion de l'Art gréco-boudahique de l'Inde à Ceylan et à
Java. — Son action au Turkestan chinois, à Khotan. — Sa
pénétration en Chine sous les Tang, à Sin-gan-fu 55
CHAPITRE VI
L'ART GRÉCO-BOUDDHIQUE AU JAPON
La sculpture a Nara : Les monuments de sculpture d'Art
coréen au Japon. — Le plus ancien Art gréco-bouddhique
japonais. — Le temple d'Horiuji. — Les fresques. —
Epoques de Wado et Yoro au Japon. — Les grandes fontes
de bronze au Japon au viue siècle. — La Trinité du Kondo
de Yakushiji par Giogi. — La statuaire d'argile. — Le
règne de Shomu. — La période de Tempeï à Nara et la
sculpture de bois. — Les trésors du Sho-soïn de Nara 69
CHAPITRE VII
LA PEINTURE MYSTIQUE BOUDDHIQUE EN
CHINE ET AU JAPON
Loyang ET KlOTO (vine siècle — xie siècle) : L'Art sous
la dynastie des Tang en Chine. — Les peintres Wang
Wei et Wu-Tao-Tzu. — Leurs œuvres sous l'empereur
Genso. — Les Mandaras. — La sculpture de ces époques. q3
(3 34)
TABLE DES MATIERES
CHAPITRE VIII
L'ART MYSTIQUE BOUDDHIQUE AU JAPON
Sous les Fujiwara : L'Art des sectes Tendai et Shingon. —
L'Art sous l'empereur Rwammu. — Dengio Daishi, Kobo
Daishi et Chisho Daishi. — L'ère Engi. — Les Fujiwara.
— Le peintre Kose no Kanawoka. — Ses élèves Kanetada
et Hiratoka. — Ecoles Kasuga et Takuma ni
CHAPITRE IX
L'ART FÉODAL AU JAPON
Époque de Kamakura et École Tosa : Les familles rivales
des Taira et des Minamoto. — Le prêtre artiste Toba Sojo.
— Les peintres Takanobu, Nobuzane, Mitsunaga et
Keion. — L'époque des Hojos à Kamakura. — L'École de
Tosa. — Les sculpteurs Wunkci et Tankei. — Les Écoles
Kose et de Takuma 1 29
CHAPITRE X
L'ART IDÉALISTE EN CHINE
I. Les Song du Nord a Kaifongfu : La doctrine boud-
dhique de Zen. — Son influence sur l'Art chinois des
Song. — Son sentiment de la nature et l'art du paysage.
— Les peintres Chu Hui, Chao Ch'ang, Li Ch'en et Kuo
Hsi. — L'essai théorique sur la peinture de Kuo Hsi. —
Le peintre Li Lung Mien et l'empereur artiste Hin Tsung
Kiso-Kotei 147
II. Les Song du Sud a Hangchow sur le Yangtsé :
L'amour de la nature et l'art du paysage pénétré de la
doctrine Zen. — Les peintres Ma Yuan, Hsia Kuei, et
Mu Chi. — L'invasion et la conquête mongole. — La
dynastie mongole des Yuen. — L'ccole réaliste des Yuen. . 176
CHAPITRE XI
L'ART IDÉALISTE DES ASHIKAGA AU JAPON
Les rapports du Japon avec l'empire chinois des Ming.
— L'influence de la doctrine Zen sur la pensée japonaise.
— L' cole de Takuma et Chodensu. — Noami, Geiami,
Soami, Shubun, Jasoku et Shiubun. — Sesshu. — Sesson
et Sotan. — Les quatre grands temples Zen de Kioto ig5
CHAPITRE XII
L'ART IDÉALISTE DE L'ÉCOLE PRIMITIVE DES
KANO AU JAPON
Les shoguns Tokugawa. — Masanobu et Motonobu. —
035)
TABLE DES MATIERES
Kano Shoyei sous Nobunaga. — Le grand décorateur
Kano Yeitoku sous Hideyoshi. — Sanraku 2i3
CHAPITRE XIII
L'ART ARISTOCRATIQUE MODERNE AU JAPON
Les derniers Kano et l'Ecole de Korin : Kano Tanyu.
— Renaissance de l'Ecole Tosa avec Mitsuoki. — Lart
indépendant de Honnami Koyetsu. — Sotatsu et Korin. —
Kenzan 233
CHAPITRE XIV
L'ART MODERNE CHINOIS
Les dynasties Tsing et Manchou : Les industries décora-
tives.( — La porcelaine. — L'esprit confucianiste para-
lyse l'Art chinois. — La peinture « Bunjinga ». — L'Art
sous les empereurs Kanghi et Kienlung 247
CHAPITRE XV
L'ART MODERNE POPULAIRE A KIOTO
L'École Shijo : Son esprit avait déjà sa source dans l'Art
de maîtres chinois des Tsing installés à Nagasaki. —
Influence du style « Bunjinga » au Japon. — Okio. — Ses
élèves Goshun et Keibun. — Sosen et Ganku. — Influence
de l'Ecole Shijo sur les décorateurs à Kioto, surtout dans le
décor des tissus 269
CHAPITRE XVI
L'ART MODERNE POPULAIRE A YEDO
L'Ukiyo-yé : Son influence sur l'Art moderne européen.
— Elle fut le reflet de la vie japonaise et de l'esprit popu-
laire. — Matahei. — Moronobu. — Les livres et les
estampes. — Les Torii. — Harunobu. — Koriusai. —
Kyonaga. — Utamaro. — Hokusai. — Hiroshighé 283
TABLE DES PLANCHES EN COULEURS 3i5
TABLE DES PLANCHES EN NOIR 3i7
©
I M P . CRETE,
CORBEIL (S.-ET-O.)
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