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Full text of "L'Art et les artistes"

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L'Art  et  les  Artistes 


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Directeur  :  Armand  DAYOT 


L'Art  et  les  Artistes 


TOME    IX 

(Avril-Septembre    t909) 


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PARIS 

lo,      RUE    SAINT-JOSEPH,      lo 

1909 


LES  GRANDS  CHEFS-D'ŒUVRE 


Cl.  Anâerson,  Rome 


VAN    DYCK    —    PORTRAIT    d'une    INXONXUE    (détail) 


Musct  ࣠ Brera^  Milan. 


JOUEUSES    D  OSSELETS    (groupe) 


TA  N  AG  R A 


UN  soir,  \v  duc  d'Aumale,  ce  grand  soldat  doid)lc 
d'un  grand  artiste,  sortait  délicatement  de 
sa  vitrine  une  sta- 
itutte  ;  il  tenait  reli- 
gieusement, dans  ses 
mains  crispées  par  la 
goutte,  la  fragile  pou- 
])ée  d'argile  et  la  re- 
gardait avec  amour  ; 
il  chantait  intérieure- 
ment la  grâce  et  le 
charme  de  l'ctuvre  et 
dit  ces  simi)lcs  mots  : 
<(  Quel  art  renferme 
une  statuette  de  Ta- 
nagra  !  »  Aussitôt  une 
jeune  femme,  sœur  en 
grâces  de  l'exquise  fi- 
TÊTE  DE  JEUNE   FEMME     gurine,     toute     émue, 


demanda:  «  Cet  artiste  e.\i)ose-t-il  au  Salon?...  » 
La  statuette  faillit  se  briser  sous  les  doigts  du 
prince  et  alla,  confuse,  re])rendre  sa  ]ilace  auiirès 
de  ses  compagnes.... 

Maintenant  la  statuette  habite  Chantill\'  et 
d'autres  innombrables  meublent  les  vitrines  des 
Musées  de  Paris,  de  Berlin,  de  Londres.  Partout 
les  noms  de  Tanagra  et  de  Mx-rina  sont  devenus 
célèbres,  surtout  depuis  les  découvertes  et  les 
admirables  travaux  de  Olivier  Rayet  et  de 
M^L  Pottier  et  S.  Reinach. 

Des  amateiu"s,  eux  aussi,  voulurent  posséder  de 
ces  petits  chefs-d'œuvre,  et  ils  en  trouvèrent.  Alors 
de  toutes  parts  surgirent  des  terres  cuites,  groupes, 
ligures  isolées,  plus  ou  moins  brisés,  et  les  collections 
l)articulières  ?,' enrichirent  de  figurines  ])aïennes, 
vermoulues,  lézardées,  peinturlurées,  décolorées, 
mais  gentilles  à  croquer  ;  ce  fut  la  joie,  ce  fut  la 
lièvre  tanagréennc,  myrinéenne  !  Et  ce  paludisme 


L'ART     ET     LES     ARTLSTES 


L  E.NKOTYLE 


L'ART     ]■;!■     M';  s     AirrivTKS 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


des  terres  cuites  lit  des  ^•ictiInes  :  un  bon  «ombre  de 
ceis  figures  étaient  fausses,...  mais  elles  étaient  si 
jolies,  leur  grâce  si  aimable  et  les  sujets  si  ingé- 
nieux !    Ces    œuvres    maintenant    sont    classées  ; 


STATUETTE    ASSISE    (V  siéclo) 

elles  seraient,  de  l'aveu  relevé  dans  un  récent  cata- 
logue, dues  à  un  artiste  alliénicn  du  x\^*^  sicclc  ! 
Qu'il  soit  d'Athènes,  de  Naples  ou  de  Montmartre, 
jieu  importe,  cet  artiste  moderne  a  beaucoup  de 
talent;  mais  tjue  penser  de  l'entremetteur  cpii  plaça 


des  A'énus  et  des  Amours  d'une  façon  si  spéciale? 

Maintenant  les  collectionneurs  avertis  sont  méfiants 

et  Tanagra  produit...  moins. 

Mais  qu'est-ce  donc  que  Tanagra? 

i(   C'était,  au  iv"  siècle  avant 

notre  ère,  ime  jolie  ville  de  Béo- 
tie,  haute  et  escarpée,  argileuse 
et  blanche  d'aspect,  avec  des 
maisons  à  l'extérieur  élégant  et 
décorées  de  peintures  à  l'encaus- 
tique. » 

Entourée  de  collines  semées 
de  pins  et  de  lentisques,  Tanagra, 
qui  était  située  au  nord  de  la 
vallée  de  l'Asopos,  devait  une 
partie  de  ses  richesses  à  la  vigne 
et  à  l'olivier.  Sa  position  en 
faisait  la  clef  de  la  plaine  thé- 
baine,  et  avec  ses  murailles  for- 
tifiées elle  dominait  la  contrée. 
Sur  le  flanc  de  la  hauteur,  cou- 
ronnée par  l'Acropole,  s'éta- 
geaient,  en  terrasses,  les  temples 
luxueux  qui  surplombaient  les 
demeures,  et  on  y  voj'ait  un 
Triton  acéphale  rappelant  une 
légende  bachique,  des  statues 
célèbres  du  sculpteur  archaïque 
Calamis  :  un  Dionysos  et  un 
Hermès  Criophore  (qui  porte 
un  bélier).  On  vénérait  aussi 
la  mémoire  de  la  poétesse  Co- 
rinne, enfant  de  Tanagra  au 
vi*"  siècle,  et  à  laquelle  ses  com- 
patriotes avaient  élevé  un  somp- 
tueux tombeau.  Avec  Pindare, 
ille  avait  reçu  des  leçons  de 
M\rtis  n  aux  chants  si  dou.x  », 
et,  plus  âgée  que  le  poète  thé- 
liain.  lui  donna  des  conseils, 
puis  en  triompha  dans  cinq  con- 
cours aux  jeux  publics  de  la 
Grèce.  Elle  chanta  en  dialecte 
éolien  «  le  bouclier  de  la  belli- 
(  pieuse  Minerve  »,  et  aussi  «  la 
t,'loire  qu'elle  apporta  aux  Ta- 
nagréennes  au  blanc  pépies  ». 
Même  une  ])einture  du  G\Tn- 
nase  de  Tanagra  représentait 
Il  Corinne  se  ceignant  le  front 
du   bandeau  triomphal    »,    après 

une  victoire  remportée  sur  Pindare. 

De  Tanagra,   célèbre  jadis  par  ses  combats  de 

coqs,    très    endommagée   par   les  Athéniens,  mais 

aussi    peuplée    à    l'époque    romaine    que    l'était 

The.spies,   ville   voisine,    il   ne   reste,   sous   le    nom 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


l.KdlPE    Xl'PTIAI 


du  Grimadha,  que  des  ruines  jx>u  intéressantes 
des  temples,  du  tliéâtre,  de  quelques  maisons  et 
la  nécropole,  distantes  de  3  kilomètres  du  village 
moderne  de  Liatani,  et  le  sol  est  parsemé  de  débris 
de  vases,  de  style  dit  corinthien,  dont  le  caractère 
a  une  origine  lydienne  et  i^hrygienne,  ])rovenant 
de  récipients  ayant  contenu  le  vin  et  l'huile  recueillis 
sur  les  collines  voisines. 


«  Les  Tanagréennes  j)ai;sent  pour  être,  iwr  leur 
taille,  par  leur  démarche  et  ]iar  le  rythme  de  leurs 
mouvements,  les  plus giacieuses  et  les  ])lus  élégantes 
de  la  Grèce.  Leur  conversation  n'a  rien  de  béotien, 
leur  voix  même  est  pleine  de  séduction.  Elles  ont 
aussi  une  façon  inusitée  de  porter  la  jiartie  de 
l'himation  qui  fornie  voile  au-dessus  de  la  tète,  (le 
telle  sorte  que  le  visage  est  réduit  aux  yeux  seuls  à 


découvert  (conune  les  femmes  turcpies  avec  leur 
jéredgé)  ;  tout  le  reste  est  caché  i)ar  le  vêtement. 

<i  Elles  portent  une  chaussure  mince,  basse  et 
étroite,  de  couleur  rouge,  et  si  bien  lacée  que  le 
])ie(l  semble  jiresque  nu. 

i(  Leurs  cheveux  sont  blonds,  ramenés  en  touffes 
sur  le  sommet  de  la  tête,  et  cette  coiffure  ]iorte 
le  nom  de  petilc  lampe,  n  .Ainsi  s'exprimait  au 
IW  siècle  av.  J.-C.  le  poète  grec  Hérakleidès.  On 
ne  saurait  mieux  décrire  les  statuettes  tanagréennes, 
images  hdèles  de  la  femme  thébaine  qu'appréciait 
tant  le  poète  et  qui,  à  son  époque,  reiirésentait  la 
su])rème  distinction,  tout  conune  la  Parisienne 
représente   l'élégance   moderne. 

Et  c'est  au  silence  des  tombeaux  (jue  nous  devons 
la  conservation  de  tant  de  figurines  délicates 
ensevelies  dvpuis  2  500  ans  dans  les  10  000  tombes 
de  la  nécropole,  dans  quelques  temples  et  habi- 
tations :  dons  faits  aux  morts,  offrandes  aux  dieux 


I.'ART     ET     I.KS     ARTISTES 


11-  I   M>     Mil  1-^    JolAM 


S      trlniil 

■iitanN,  I 


llltl'ls      ,1, 


ltl.in>l,i  ,ol. 


(|n  a 


-ti(|iit'^. 
lalHiup 


mrts 
altl- 


rnkV. 

A\Mnt     le     I\''    sire 
('in])r('intis   prrs(|iic  v 
religieux,    iuntaicnt 
style  né  des  (oiucpti 
son  érole,  époiinc 
la  stal)ili1r  aivliiti 


le,      1< 


tatiK'ttes    grecques 

h-i\'enu  ut    d'un   raraetèri 

elK-,     ee(tc     pléuitudi'     (li 

idéales   de   Phidias  et   .!( 

in  la   sculpture  s'iiarniouisait   ; 

tiiialr  il<s  t(uiples,  tabernacle; 


d'iu'i  s'exhalait  le  soutlle  clivui  de  la  \-ie  intérieure 
et  inunualile,  tandis  (pi'au  l\''  siècle  la  statuaire 
se  réclame  <la\anlage  de  la  liberté  jiictiuale  vn 
exaltant  le  sens  di-  la  vie  l'xtérieure,  devenue  miiins 
religieuse,  ])his  pau  nue,  ]ilus  sccj^tique,  et  dcint 
Praxitèle  l't  Sccipas  huent  les  artistes,  les  jioètes 
inconi])arables. 

I£t  l'art,  autrefois  si  jirès  des  dieux,  en  s'hu- 
nianisant  se  féminisa  ;  tout  lut  à  la  jeunesse,  à  la 
beauté,  à  l'anidur.  ("est  ]i(iurqn(ii  les  statuettes 
du  IV''  siècle  n'ont  jias  ce  canutère  di\-iii  de  haute 
moralité,  en  r.ipjielant,  toutefois,  plus  d'une  leuvii' 
antérieure. 


("est  alors  que  la  soujilesse  ondulée  des 
corps,  la  vérité  adorable  des  attitudes,  un 
certain  laisser-aller  fait  de  grâce  amoureuse 
remplacèrent  les  poses  archaïques,  désormais 
passées  de  mode.  Mais  la  coutume  d'adorer 
les  dieux  et  d'honorer  les  morts  entretint 
pendant  de  longs  siècles  l'industrie  des 
terres  cuites,  florissante  tant  en  Grèce  qu'en 
Asie  Mineure,  en  Italie,  en  Afrique  et  ail- 
leurs, d'où  proviennent  de  nombreuses  sta- 
tuettes, qui  n'ont  certes  pas  la  grâce  inimi- 
table des  Tanagréennes. 

Et  rien  ne  fut-il  plus  charmant  qu'une 
jeune  fille,  sur  le  parvis  du  temple,  portant 
sur  son  sein  sa  petite  image  peinte,  Éros. 
femme  drapée  ou  nue,  et  faire  hommage 
aux  dieux,  non  pas  d'un  simulacre  divin, 
mais  de  l'image  de  sa  propre  beauté,  éma- 
nation de  la  beauté  divine  :  et  les  dieux  du- 
rent être  satisfaits.  Les  morts  aussi  furent 
heureux  de  se  sentir  entourés  de  visages 
aimés  et  beaux,  de  gracieux  enfants,  de 
tendres  femmes,  minuscules  souvenirs  de  leur 
vie  passée  devenus  compagnons  de  leur 
v'oyage  éternel.  Et  Corinne  eut  son  partage  : 
de  poétiques  statuettes  «  au  blanc  péplos  » 
tenant  des  lyres 
lui  eut  offertes 
a  la  muse  na- 
tionale comme 
.iiitant  de  stro- 


ihe 


d'amoui 


et  (l'orgueil.  Pi 
à  cette  ])oési< 
de  la  mort  nous 
devons  les  petits 
(  liels -d'ieuxie  (]ue 
nous  aimons  et  ou 
re\it  toute  la  \u- 
luinnouieuse  it  liu- 
inaineiuent  belle  de 
la  (  ité  hellénique. 

Mais,  ainsi  que 
l'écrit  M.  I\ittier, 
dans  un  livre  (pi'il 
publier,  chez  I.au- 
rens,  sur  les  sta- 
tuettes grecciue--. 
Il  comme  chez  les 
]ieuples  qui  vont 
mourir,  on  sent 
dans  la  (irèce  un 
besoin  inésistible  de 
\ivre  et  de  jouii. 
Ceux  ipii  s'étonne- 
raient   de  \-oir    coïll- 


FEMME    Dfi.VPEE 


L'ART     Kï     l.i:>     ARTISTES 


cider  la  décadence  des  iik luis  avec  les  cliannante.s 
figurines  qui  nous  plaisent  tant,  ceux-là  n'ont 
pas  compris  la  vraie  Grèce.  Il  y  a  dans  ces 
jolies  statuettes,  comme  dans  les  œuvres  du 
xviii''  siècle  français,  un  certain  germe  morbide. 
La  grandeur  de  la  cité,  de  la  patrie  et  de  ses  dieux 
n'est  plus  le  but  unique  et  suprême  de  la  vie  so- 
ciale ».  On  comprendra  donc,  ajoute  .M.  Pottier, 
que  les  sujets  familiers  abondent  à  une  pareille 
époque. 

En  effet,  les 
figurines  du 
IV*  siècle  mon- 
trent tout  ce 
que  le  v^  siècle 
cachait  dans 
l'intimité  de  ses 
demeures  ;  la 
vie  s'étala  in- 
souciante au 
grand  soleil  de 
l'indiscrétion 
dans  ses  i^his 
fugitives  ini- 
l)ressions, prises 
comme  par 
(pielque  Cyclo- 
l)e  de  la  Cliam- 
l>re  noire.  Ainsi 
se  présentent 
des  courtisanes 
]iarées  avec  re- 
cherche, des 
jeunes  femmes 
voilées  en  leur 
coquette  ]>u- 
deur  par  l'hi- 
mation  relevé 
sur  la  nuque, 
l)romeneuses 
tenant  l'éven- 
tail, coiffées  du 
chapeau  léger, 
allant  et  ve- 
nant, offrant  à 
chaque  heure 
une  silhouette 
nouvelle,  déli- 
cieusement jeu- 
nes, énigmati- 
quement  sédui- 
santes. 

L'une  d'elles 
n'est-elle  pas 
gentiment  mo- 
derne avec    sa 


Guovi'i;  DU.  r)i:r.\  itmmks  Korimiic) 


longue  mantille?   La  main  levée,  elle  parle,  elle 

passe  avec  une  grâce  infinie.... 

D'autres  s'arrêtent,  posent  ou  se  reposent,  taiidis 

que  plusieurs,  assises,  mélancoliques  et  rêveuses, 

près  d'un  terme  de  Priape,  semblent  attendre. 
Des    jeunes    filles    jouent    aux    osselets,    à    la 

balle  :  l'une,  qui    a    perdu,  porte  sur   son    dos   sa 

compagne,   pénitence   innocente   appelée    enkolylc. 

Celle-ci  cueille  des  fleurs,  celle-là  joue  de  la  mando- 
line, pince  de 
la  l\Te  ;  d'au- 
tres se  livrent 
à  des  passes 
gracieuses, dan- 
sent, tour- 
noient, et  le 
bras  en  avant, 
le  torse  cam- 
bré, le  ])ied  levé, 
semblent  im- 
proviser quel- 
que cake-walk 
antique  ;  et 
toujours  elles 
évoquent  la 
beauté  vivante, 
animée,  souli- 
gnée sans  cesse 
]>ar  l'arabesque 
des  plis  enve- 
loppantsetcha- 
toyants  qui  ca- 
ressent les  jeu- 
nes corps  |ié- 
tris  d'amour  et 
de  vénusté. 
Chaque  mou- 
vement a  son 
INtlline  sug- 
gcstil.  (  haque 
flexion  du  cor)).^ 
est  la  ])hrase 
d'un  poème  ca- 
dencé, ainsi  (]ue 
l'a  si  bien  ré- 
vélé Isadora 
Duncan  dans 
ses  danses  grec- 
ques exquises 
de  grâce  musi- 
cale. Et  dans 
tout  ce  monde 
féminin  l'a- 
mour se  faulile, 
l'amour  tiirte  : 
Lros      couron- 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


nés.  les  ailes  (lépk>\iVs,  nus.  drapés  ou  court 
vêtus,  malins  et  fripons,  conseillers  imprudents  et 
toujours  écoutes,  ainsi  ciu'ils  se  montrent  à  Pompéi 
dans  les  portraits  de  fennnes  auxquelles  ils  chu- 
chotent à  l'oreille  la  chanson  éternelle. 

Pour  charmer  da\-anta!,'e.  à  la  grâce  des  formes, 
au  stvle  de  la  ligne,  à  l'inspiration  amoureuse, 
vient  s'ajouter  le 
ramage  des  ci  u- 
leurs.  car  toute- 
les  statuettes  de 
Tanagra  seraient 
polychromes  si  le 
temps  n'avait  ])as 
aidé  à  en  dépouil- 
ler plusieurs  dr 
leur  brillante  pa- 
rure. Et  que  do 
femmes  aussi  ral- 
finées  que  les  'la- 
nagréennes  n'aient 
pas  varié  de  mo- 
des pendant  de-; 
siècles,  cela  éton- 
nerait ;  les  couleurs 
du  vêtement  ainsi 
que  maints  détails, 
de  Corinne  à  Hé- 
rakleides,  pnur- 
raient  montrer  des 
variantes  sensibles  ; 
toutefois  l'hima- 
tion  ordinaire,  qu'il 
soit  long  (péplos) 
ou  court  (calyptra) , 
à  toute  époque  fut 
porté  de  couleur 
blanche.  A  Tana- 
gra, les  courtisa- 
nes ou  les  femmes 
à  la  mode  se  dra- 
paient dans  l'hi- 
mation  rose  avec 
bande  jaune,  pourpre  ou  noire  (le  péj)los  en  laine 
et  la  calyptra  en  lin). 

La  tunique  (chiton),  généralement  bleue,  rouge 
ou  rose,  rarement  lilas  ou  vert-jxinnne.  est  quelque- 
fois blanche,  gris  foncé,  noire  ou  jaune.  La  chaus- 
sure, comme  le  dit  le  i>oète  grec,  est  collante,  avec 
le /dessus  du  i)ied  jaune  et  la  semelle  rouge,  — ainsi 
les  babouches  turques.  Les  cheveux,  rouge  brun, 
rappellent  le  châtain  clair  des  femmes  béotiennes, 
leurs  yeux  ont  des  teintes  de  pervenche  sous  l'arc 
noir  des  sourcils,  ensemble_harnionisé_du  rose_  clair 
fondu  de  l'incarnat  des  joues.  Certains  visages  sont 
enduits    d'im    émail    qui    conservait    les    couleurs 


JOUEU: 


tendres,  tandis  que  les  colliers,   les  diadèmes,  les 
boucles  d'oreilles  sont  tout  pimpants  d'or. 

Mais  parmi  les  façons  de  coiffures,  il  en  est  trois 
principales  :  tantôt  les  cheveux  sont  redressés  vers 
le  sommet  de  la  tête  et  liés  par  un  bandeau,  de 
manière  à  former  une  touffe,  —  la  petite  lavipe  — 
et  dont  les  mèches  folles  simulaient  la  flamme  ; 
tantôt  aussi  la 
chevelure  est  divi- 
sée par  une  raie 
tracée  au  sommet 
de  la  tête,  chaque 
moitié  disposée  en 
boucles  et  formant 
derrière  la  nuque 
une  sorte  de  chi- 
gnon en  boule  ; 
tantôt  encore  les 
cheveux,  rejetés  en 
arrière,  sont  main- 
tenus par  une 
étofïe  agrafée  au 
sommet  du  crâne. 
Quant  à  l'éventail, 
en  forme  de  feuille 
de  lotus,  il  était 
bleu,  parfois  rouge 
ou  des  deux  cou- 
leurs ;  le  chapeau 
était  en  paille 
jaune. 

Que  l'on  s'imagine 
alors  la  foule  bigar- 
rée, élégante  et 
souple  sous  le  soleil, 
dans  une  viUe  aux 
murailles  peintes, 
et  nous  reverrons 
toute  la  gamme 
chantante  des 
nuances  grecques 
de  la  couleur,  de  la 
joie  et  de  la  \'ie. 
Parmi  cette  foule,  on  rencontre  à  peine  un  pour 
dix  de  hgures  masculines  :  éphèbes  vêtus  de  la 
chlannde  ou  de  la  courte  chemise,  le  large  chapeau 
de  feutre  sur  la  tête.  Jlais  si  nous  allons  de  Tanagra 
à  M\rina.  ville  ruinée  du|^ni<^  siècle,  située  entre 
Pergame  et  Smyrne,  la  piroportion  change  considé- 
rablement, et  nous  pourrions  souvent  y  confondre 
certains  types  de  statuettes  avec  celles  de  Tanagra 
qui,  longtemps,  }•  importa  ses  produits.  A  M\Tina, 
toutefois,  les  Eros  ont  pris  des  libertés,  ils  ont 
quitté  leurs  socles  avec  les  Psychés  et  les  Xikés 
pour  \'oyager  vers  l'infini  au  gré  de  leur  caprice. 
Ce  petit  monde  ailé  accompagne  et  \'énus  et  Bacchus 


DE    M.\NL)(iLP 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


Myrina  a  ((inservé  cjuclques  noms.  On  lit  fré- 
(liK'inmeiit  au  dos  dos  statuettes  la  signature  de 
l'artiste  :  Diphilos,  Pythodoros,  Ménojjhilos,  etc. 
En  modelant  ces  figurines  avec  tant  de  vérité 
1  t  de  vie,  les  artistes  grecs  ont  surtout  cher- 
ché à  j)laire  à  leur  clientèle,  et  il  ne  faut  ]>as 
trop  demander,  quand  le  sujet  n'est  jjas  net- 
tement défini,  si  telle  statuette  rai)i)elle  A])hro- 
dite,  Démeter  ou  Ariane,  car  la  ])lus  grande 
fantaisie  présida  à  la  confection  des  modèles, 
souvent  traités  avec  des  variantes  qui  en  fai- 
saient des  cL'uvres  nouvelles.  Ainsi  l'Hermès  au 
bélier,  en  terre  cuite,  du  Louvre,  peut  aussi  bien 
se  rapprocher  de  l'œuvre  de  Calamis  que  repré- 
senter cet  éphèbe  choisi  chaque  année  parmi  les 
plus  beaux  de  Tanagra,  et  qui,  religieusement, 
taisait  le  tour   de  la  ville  en  portant  un  bélier  : 


JEUNE    FEMME    EX    PKOMENADE 

dont  le  culte  se  colore  en  Asie  Miiu'ure  d'une 
sensualité  particulièrement  inquiétante.  Alors  appa- 
rurent un  plus  grand  nombre  de  statuettes  nues  à 
ras])ect  androg\ne,  groupes  bachiques,  divinités  ré- 
gionales, grotescjues  et  autres,  qui  chantèrent  peu 
discrètement  l'amour  dans  la  «  molle  lonie  »,  où  Bac  - 
chus  se  métamorphosa  en  Herma])hrodite,  confoii 
dant  ainsi  deux  sexes  dans  une  seule  beauté. 

Plus  encore  qu'à  Tanagra,  les  terres  cuites  dr 
Myrina  s'inspirèrent  des  compositions  ])eintes  ou 
sculptées  de  l'époque,  ainsi  que  le  montre  particu- 
lièrement cette  scène  nuptiale  qui  ra])pelle  les  Noces 
il' Alexandre  et  de  Roxaiie,  dont  l'original  peint  étaii 
dû  à  Aetion,  contemporain  d'Alexandre,  et  que  la 
copie  romaine  intitulée  Xoces  Aldobrandines  repro 
duit  dans  son  ensemble. 

De  ces  corojjlastes  de  génie,  dont  jiarle  ]hu  l'histoire, 


DEUX    .\MIES 


[.■ART      I-T      LES     ARTISTES 

céréiiKinic   ik'Stiiiér    à    pcrprtiur    la    inciiioiir    de  ik'   l'épocjne   d'Alcxanilrc,    iiartisan    île   l'étude   de 

l'antique     proiuenaile     (lu'eftectua      Hermès     lui-  la   nature  et   non   des   (euvres   des  artistes.   Aussi 

niénic  ]H)ur  sauver  la    \ille  d'inie    l'pidéniie,   auisi  c<jnil)ien  de  \-ie  observée  les  statuettes  grecques  dû 

([ue    le    ra)iporte   une    légende.  Toutefois   le    ])lus  iv<'  et  du  m'"  siècle   n'ont-cUes   ]ias   enregistré  en 

,y:rand  nombre    des   [lières  sont  originales,  lirées  à  des  images  é\-oratrires  que  l'on  rhercherait  vaine- 

|)lu->icms     iNcmplaires.     et     foiiuées    à  l'i-cole     de  ment  de  nos  jours  ]>armi  les  productions  anonymes 

l'ra.silèlr,    de    Scopas    et    de    Lssippe,     ce    maître  et  populaires. 

PlEKRE    GUSM.W. 


l'ETITS    l'KdS 


TERRE    ANTIQIE 


CORINTHE    »    (Société  nouvelle,    1903) 


RENE      MENARD 


SI  l'on  veut  se  former  une  idée  exacte  du  talent 
j)articulicr  d'un  artiste,  il  convient,  en  i)ieniier 
lieu,  de  se  remémorer  les  conditions  générales  de 
son  art  antérieurement  à  ses  débuts,  ensuite  de  se 
rendre  compte  de  ses  origines  ])ersonnelles.  Les 
critiques  ont  constamment  note  la  tendance  de 
M.  René  Ménard  à  restituer,  dans  ses  i)a\sages, 
([uelque  chose  de  l'idéal  de  l'ancien  «  pa\sage  liis- 
torique  )i.  Il  est  certain  que  ses  évocations  des 
solitudes  aux  lignes  amples,  aux  horizons  sim])les, 
aux  valeurs  dorées,  baignées  de  je  ne  sais  quelle 
atmosphère  de  légende,  rompent  au  principe  des 
«  vues  de  pays  "  étroitement  localisées.  Que  si. 
cependant,  on  examine  d'un  peu  ])rès  ses  (euvres, 
on  s'aperçoit  qu'elles  ne  ré])ondent  nullement  à 
une  volonté  de  retour  en  arrière  et  que,  même,  elles 
s'accompagnent  de  beaucoup  de  recherches  pro- 
prement "  modernes  »,  au  sens  actuel  du  mot. 
La  modalité  coni])lexe  à  laquelle  s'est  arrêté  l'au- 
teur ne  s'est  point  déduite  d'un  concept  théorique 
et  d'un  dessein  a  priori  aboutissant  à  une  formule. 


liiie  ne  jieut  s'cxpiicpier  (|ue  par  le  fait  d'inlluences 
ambiantes,  longuement  respirées  avic  l'aii'  d'un 
milieu  d'enfance,  et  jiar  le  concours  d'imi)ulsions 
typiques  ]>arties  de  l'étlucation,  assez  nettes,  assez 
concordantes  et  assez  suivies  pour  s'être  imposées 
aux  instincts  de  l'enfant  dès  la  formation  de  son 
esprit.  En  d'autres  ternies,  si  chargée  d'éléments 
qu'a])])araisse  la  ]iroiluction  de  M.  Ménard,  son 
caractère  curieusement  concentré  est  l)ien  moins 
arbitraire  qu'on  ne  ])omrait  croire.  1. 'altiste  ne 
s'asservit  ])as  à  des  i>récédents  :  il  obéit  libremiiit 
à  la  loi  de  sa  culture,  ce  cpii  est  singulièrement 
différent.  Par  là  même,  en  ilehors  des  questions 
spéciales  d'esthétique  l't  de  technicpie,  il  desieut 
un  sujet  d'étude  d'un  rare  intérêt. 


L  —  L'histoire  du  paysage  français  depius  dcu.x 
siècles  a  toujours  été  présentée  si  confusément 
qu'il  est  malaisé  de  se  rendre  compte  des  erreurs 


13 


L'ART     ET     LES     AiriTSTES 


.      '     ■  PORTRAIT 

(le  direction  et  îles  l(in.L;s  malentendus.  x\u  com- 
mencement ilu  XVII''  siècle,  Nicolas  Poussin,  maitre 
profond  et  sensible,  qu'on  eût  \-oulu  seulement 
moins  obsédé  du  mirage  de  l'antiiiiuté,  avait  jeté 
sur  la  nature  d'admirables  regards  et  marqué  le 
vivant  accord  entre  un  beau  site  et  des  personnages 
humains  d'une  expressive  poésie.  Son  contemjio- 
rain,  Claude  Gellée,  avait  eu  le  don  de  sentir  et 
le  génie  de  traduire  l'intégrité  de  la  forêt  pénétrée 
d'ombre  aussi  bien  que  la  gloire  du  soleil  sur  la 
mer.  Mais,  depuis,  en  vertu  d'étranges  préjugés 
et  des  plus  ■  fausses  doctrines  sur  l'antique,  le 
terrible  Le  Brun  s'était  enhardi  à  refuser  au  paysage 
son  rang  dans  la  haute  peinture.  En  vain  le 
xviii<5  siècle  essaya  de  réagir  :  ses  bonnes  intentions 
avortèrent.  Louis  David,  renchérissant  sur  Le  Brun, 
n'admit  l'indication  d'un  site  qu'à  l'état  sommaire 
au  fond  d'un  tableau  héroïque,  ou,  isolément,  qu'à 
l'état  de  manifestation  idéale.  Rien  que  des  «Arca- 
dies  »  et  des  «  Vallées  de  Tempe  » ,  peuplées  de  créa- 
tures fictives,  plantées  exclusivement  d'arbres 
«  nobles  »,  uniquement  décorées  de  colonnades,  de 
ruines  et  de  tombeaux.  C'est  le  paysage  académique 
en  toute  sa  pompe  et  en  tout  son  vide. 


Les  choses  sont  allées   de  la  sorte  jusqu'après 


i(S24.  A  cette  époque,  les  nouveaux  maîtres  anglais, 
les  Bonington,  les  Constable,  en  passe  de  s'essayer 
chez  nous,  ramènent  les  meilleurs  d'entre  nos  jeunes 
artistes  à  l'étude  des  vieux  Hollandais  et  vers  la 
nature.  En  pleine  réalité,  des  romantiques  tels  que 
l'aul  Huet  et  Jules  Dupré  s'accointent  à  d'autres 
(  hercheurs,  venus  par  d'autres  chemins.  Corot> 
par  exemple,  élevé,  ni  plus  ni  moins  qu'Align}' 
et  Cabat,  au  giron  classique,  a  éprouvé  le  be- 
soin de  s'envelopper  de  toute  la  vérité  des 
choses  ;  il  a  suivi  les  sentiers  couverts  descendant 
aux  sources  fraîches  ;  il  a  goûté,  en  cheminant, 
le  ravissement  des  buées  de  l'aurore  et  des  va- 
peurs du  soir  ;  mais  son  art  conserve  à  ses  visions 
ingénument  particularisées  quelque  chose  de  ce 
sentiment  généralisateur  demeuré  en  lui  de  son 
apprentissage  primitif.  Parallèlement,  Th.  Rous- 
seau insiste  sur  l'architecture  des  terrains  et 
l'individualité  des  arbres  ;  J.-F.  Millet,  plus  hu- 
mainement rustique,  interprète  les  paysans 
forts  et  massifs  comme  de  frustes  incarnations 
de  la  glèbe  et,  tout  ensemble  aidant  son  esprit 
d'observation  et  son  rêve  poétique  de  l'exercice 
de  sa  mémoire,  il  sait  fixer  l'atmosphère  ^en-ses 
aspects  subtils.  Ensuite,  c'est  Chintreuil,  tour- 
menté de  la  perspective  aérienne  ;  c'est  Dau- 
bigny,  le  peintre  des  bords  de  rivière  et  des 
grasses  vallées  ;  c'est  Courbet,  épris  de  la  soli- 
dité des  matières  ;  c'est  Jongkind,  frappé  du 
mouvement  de  l'atmosphère  et,  pour  ainsi  dire, 
de  la  respiration  du  monde....  Et  demain,  ce 
seront  les  impressionnistes,  ardents  à  décompo- 
ser la  lumière  elle-même  pour  en  mieux  inonder 
U-ius   toiles. 

On  c<inç(iit  qu'avec  cette  variété  de  buts,  cette 
nuiltiplicité  de  ressources  et  ce  rayonnement  de 
vie,  il  ne  soit  plus  question  de  l'académisme. 
Personne  n'accepte  plus  l'emploi  d'une  commune 
formule  jiour  rendre  indifféremment  toutes  les 
contrées.  En  revanche,  les  médiocres  d'idéal  et 
les  trop  habiles  de  technique  tendent  à  substituer 
à  l'abus  d'abstraction  un  non  moincke  abus  d'ana- 
lyse locale.  Les  exposiiions  commencent  à  four- 
miller de  reproductions  de  «  petits  coins  »  sans 
mirage.  Tant  pis,  au  surplus,  pour  qui  n'a  pas 
conscience,  comme  Puvis  de  Chavannes  et  comme 
Cazin,  que  le  paysage  est  devenu  l'un  des  éléments 
fondamentaux  de  la  peinture  d'histoire  ;  que  l'ex- 
jiression  de  l'ambiance  est  aussi  indispensable  à  la 
portée  d'une  composition  que  le  dispositif  du  sujet  ; 
que,  pasplus  aujourd'hui  qu'autrefois,  un  vrai  paysa- 
giste ne  se  contente  de  faire  de  son  ouvrage  le  sec 
procès-verbal  de  constatations  matérielles  et  con- 
tingentes ;  que  le  plus  grand  peintre,  dans  toute 
école,  a  toujours  été  et  sera  toujours  celui  qui  a  le 
mieux  dégagé  des  changeantes  apparences  le  trait 


14 


LART     K'r 


ARTISTES 


FKAr.MEXT    d'un    PROJET    DE    DÉCORATION    POVR    LA    FACULTÉ    DE    DROIT    (exécuté  en   igoS 


fie  jjfrinanpnce  caché,  le  lien  d'union  du  local  à 
i'univ-ersel,   du  fugitif  à  l'essentiel  ! 


Vers  1880,  des  réflexions  de  cet  ordre  se  présen- 
taient d'elles-mêmes  aux  hommes  instruits  et  déli- 
cats, appartenant  aux  milieux  pondérés,  où  l'on 
avait  le  souci  de  comprendre.  Ces  hommes  dédai- 
gnaient d'épouser  aucune  querelle,  mais  visitaient 
les  ilusées,  fréquentaient  les  Salons,  relisaient  les 
vieux  livres  et  concluaient   qu'il  ne  convient  de 


rejeter  en  bloc  ni  tout  le  passé,  ni  tout  le  présent. 
Souvent  le  passé  ménage  au  présent  îles  conseils 
utiles.  Souvent  le  présent,  avec  ses  prétentions 
novatrices,  se  rajuste  au  ])assé  dont  il  reprend  sur 
nouveaux  frais  les  tentatives,  Le  peintre  Kené 
Ménard  est  issu  d'un  de  ces  milieux  sages  où  l'on 
pensait  et  raisonnait  ainsi. 


II.   —    René   Ménard   est    né  à   Paris,   en   iSh2. 
d'une    famille   parisienne   au    moins   dejiuis   deux 


15 


AK 


i:s    Ai\  r 


,i;t''nciatuin>.    Les    Miu.ucl    rt.iuiil    de    bonne    race  tiuutKins  de  sous-dnecteui-  et  y  donnait  nn  cnsei- 

bonrgeoise,  très  saine  (>t  très  droite,  j'ai  beaucouj)  ^'ueinent     littéraire.    Ponit    d'esprit    i)lus    ouvert 

connu  le  ])ère  et  l'oncle  du  jeune  artiste.  Son  jjère  ni  plus  Iranchenient  é(]uilibré.  S'il  admirait  l'anti- 

était  un  critique   d'art   d'un    sèrieu.x    mérite,   bon  quité  et  la  Renaissance  italienne,  ses  préférences 

esthéticien,    bon   historien,    écrivain    clair    et   sur.  allaient,    en    peinture,    à    l'Kcole    hollandaise    du 

Il   remiilissait,   à  l'École   des   Arts   décoratifs.   les  .wii"^  siècle.    Une  de  ses  maximes   favorites  était 


ptcUK    POUK    M.\    Ui;s    l'.\N.\E.\U.\    DE    I.'ÉCCiLK    Dl£    DROIT 

ï6 


I   ART     ET     I  F>     AKTISTI- 


qu'il  ne  faut  jamais  rien  tenter  qu'en  accortl  avec 
la  nature  :  il  en  lit  la  règle  de  conduite  de  son  lils. 
L'oncle  du  ])eintre  ne  fut  autre  que  Louis  Ménard, 
l'auteur  de  ce  livre  fameux  le  Pulylhéismc  hellé- 
nique. Après  avoir  consume  des  années  de  sa  vie 
en  d'enthousiastes  rêves  j^aïens,  il  revint  avec  le 
même  IvTisme  à  des  pensées  chrétiennes.  Il  y  avait 
en  lui  du  jihilosophe  et  du  j)rophète.  Ce  qui  éclate 
de  sentiment  ou,  peut-être,  d'illusion  antique  dans 
le  talent  de  son  neveu  sort  certainement  de  lui. 

L'adolescent  a  fait  ses  classes  suivant  l'usage. 
On  me  le  "dépeint  bon  élève,  sérieu.x  et  attentif, 
sans  rien  du  «  fort  en  thème  "  et  peu  tourmente 
d'imagination.  Lorsque  sa  vocation  pour  la  ])einture 
s'est  nettement  jirononcée,  il  ne  s'est  pas  promis 
de  révolutionner  le  domaine  de  l'art  :  il  s'est  simjile- 
ment  proposé  de  rendre  les  êtres  et  les  choses  le 
mieux  possible,  à  sa  manière.  Ses  jjarents  l'ont 
placé,  pour  apprendre  les  rudiments,  dans  l'un  des 
ateliers  Julian,  sous  la  direction  de  William 
Bouguereau.  Si  ce  peintre  est  du  tempérament  le 
plus  opposé  au  sien,  pour  le  moment  il  n'importe 
guère  :  l'écolier  n'en  est  encore  qu'aux  exercices 


tecliniques.  Le  dcvek>i)|)ement  4^'stliéti(]uc  lui  sera 
ménagé  tout  autrement  et  par  ailleurs.  Incidem- 
ment, Paul  Baudry,  dont  il  a  fait  la  connaissance, 
lui  donne  quelques  conseils.  A  son  intervention  se 
rattache  un  assez  plaisant  souvenir.  Bouguereau, 
qui  en  a  pris  ombrage,  a  dit  au  jeune  artiste: 
"  Qu'avez-vous  besoin  de  considter  Baudry? 
C'est  un  homme  de  grantl  talent,  mais  bien  dange- 
reux à  suivre.  Jamais  il  ne  termine  les  extrémités 
de  ses  figures.  //  mourra  sur  la  paille,  eoiiime 
Rembrandt.  Prenez  garde  à  vous  ".  L'élève  a  souri 
de  ce  langage  assurément  bizarre.  Son  goût  n'est 
pas,  en  fin  de  compte,  de  sacrifier  au  formulaire 
de  l'un  ou  de  l'autre  de  ses  professeurs.  En  présence 
du  modèle  vivant,  il  s'efforce  de  copier  fidèlement 
ce  qu'il  voit.  Ce  qu'il  sera  un  jour,  nul  ne  saurait  le 
deviner  et  il  ne  le  pressent  pas  lui-même.  Au  de- 
meurant, son  travail  régulier  le  jirépare  à  fournir 
une  carrière  de  bon  [leintre  de  ligures,  ai)te  à  tout 
entreprendre  au  gré  des  occasions.  Pour  tout  dire, 
c'est  en  dehors  de  l'atelier  où  se  forme  sa  main  que 
son  esprit  s'ouvre  à  des  influences.  Entre  le  sang- 
froid   de  son  ])ère,  positif,  observateur,  essentiel- 


17 


L'ART     ET     LES     ARTISTE? 


lenient  libéral,  mais  ne  mettant  rien  au-dessus  de 
la  vérité  nue,  et  l'ardeur  de  son  (mcle.  fulgurant, 
vaticinant,  évoquant  les  temps  vécus  et  les  tem|)s 
à  vivre,  exaltant  en  formes,  magnifiques  la  gloire 
des  Grecs,  il  esl  an  ivé  à  saisir  et  cà  concilier  des  no- 
tions i]u'on  (loir, lit  inconciliahlcs.  Son  père,  en 
l'initianf ,  au  l.ou\  ve,  .iu\  sa\'anfes  ordonnances  des 
\ieu\  maifres.  lui  a  ou\rit  les  yeux  sur  l,i  \frtu 
du  juste  rvflime  d'une  com|)osifion  pour  eu 
renforcer  le  caractère  expressif  et  original.  Son 
oncle  a  soulevé  poui'  lui  le  voile  sublime  des  siècles 
et  lui  a  fait  sentir  la  grandeur  vénérable  des  terres 
où  les  idées  se  sont  é])anouies  en  hauts  faifs  et  en 
dit  fs-ir(iu\'ii'.  (_)ui  s'i'-fonneraif .  a]irès  cela,  qu'd 
rêve  d'un  ,irf  très  liuiuain,  fiés  intimement  \iai 
et  un  peu  légendaire.  |iris  au  \il  de  la  nature  et 
mi  peu  symbolique.  -  j'enfends  noinri  d'obsei- 
vation.  ennolili  de  iiensécs  nées  ilu  réel  et  capable 
de  nous  l.iiie  eutrcvoii  l'.iu-delà  des  aiipareuces? 

C'est  à  l),iibi/(in  qwv  ses  yeux  se  sont  éveillés 
à  la  beanf(-  des  p,iv~sages.  Cliaijue  année,  sa  famille 
séjournait,  dui.int  les  mois  de  wicinces.  en  ce 
charmant  \illagf  ou  p.nut  si  souvient  Corot,  où 
Rousseau  et  .Millet  \-é(  ureul  rt  luinnuKiif.  Toutes 
les  pierres  des  i  lieiimis,  fcius  les  sHis  du  \'oisinage 
y  parlent  de  ces  gr.inds  liomiucs.  Leurs  leçons  \' 
sont  dans  l'.in.  Lt  ipielle  meiAcille  que  la  forêt 
de  Fonfameble.iu  ([u'nn  .ippelleiaif  aussi  Wn^n  l;i 
foréf  de  Harlii/ciu  !  D.ins  un  espace  Imufé.  les 
horizons  changenf  à  l'iiUnu.  l.uitcM  sauvages,  tan- 
tc)t  tranquilles,  toujours  poéfiijues,  ])artout  grands. 
L'été,-  le  soleil  et  l'ombre  \-  comliinent  leurs  fêtes 
enchantées  d<ins  la  verdure.  A  r.Lutoimie.  pas  une 
frondaison,  pas  un  taillis  (jui  ne  s'\-  revête  d'un 
somjitueux  manteau  d'or  fauve  à  rehauts  pourjirés. 
Le  jeune  Ménard  se  sent  comme  absorbe,  dans  cette 
immense  majesté  muette,  ])ar  cette  mvstérieuse 
opulence.  Son  âme  s'emplit,  comme  celle  de  Corot, 
de  l'âme  de  la  terre  ; -ses  yeux  retrouvent,  à  con- 
templer les  chênes,  robustes,  aux  frissonnants  et 
murmurants  branchages,  les  sensations  de  Th.  Rous- 
seau ;  il  s.'émeut  presque  de  l'émotion  de  Millet 
à  voir  la  chute  du  jour.  Que  le  hasard  de  l'existence 
le  transporte,  sur  ces  entrefaites,  en  la  sévère,  en  la 
mélancolique  région  de  la  Lozère,  les  silhouettes 
énergiques  des  escarpements,  l'ensenible  de  lignes 
solennelles  dont  s'encadrent  les  campagnes  ajou- 
teront à  son  respect  pour  le  sol  auguste  où  se  con- 
centrent des  puissances  sacrées.  Un  peu  plus  tard, 
il  vouera  ses  pinceaux  à  la  Bretagne,'  la  gueuse  de 
granit,  couronnée  •  de  chênes,  penchée  «m-  iairaw.  •. 
Cette  province  le  séduira  si  bien  qu'il  y  reviendra 
sans  cesse.  Il  aime  ces  terroirs  silencieux  et  sau- 
vages, qui  portent  en  eux  un  principe  de  st\le 
et ,  commandent  à  l'artiste  de  longues  médi- 
tations. 


Sans  aller  plus  loin,  je  dois  toucher  un  mot  des 
figures  dont  René  Ménard  anime  et  même,  parfois, 
domine  ses  motifs  rustiques.  Tout  d'abord,  il  a 
em|irunté  quelques  données  à  la  Bil)lc  et  à  la  lé- 
gende :  par  exemple,  ses  Premiers  astronomes  de 
iiS8  ;,  son  Homère  de  1884,  ses  Bergers  observant 
Siriiis  et  son  Adam  et  Eve  de  1891.  A  partir  de  cette 
date,  il  se  désintéresse  sensiblement  de  ces  thèmes. 
(  )n  le  voit  bien  exposer,  en  1895,  un  nouvel  Homère, 
chantant  devant  des  bergers,  et,  deux  ans  après, 
un  Jugement  i/c  Paris,  petites  figures  dans  un  grand 
]iaysage  ;  mais,  déjà,  sa  préférence  se  montre 
pour  des  ]iersonnihcations  plus  générales,  d'ordre 
l\î  ique  ou  de  genre  pastoral  :  témoin  son  Départ 
dit  traupeuu  dans  un  bois,  au  lever  de  la  lune, 
de  i8()2,  ses  Défricheurs  et  ses  Baigneuses  au 
crépuscule,  de  1893,  son  incarnation  de  l'Automne, 
cueillant  des  pommes  au-dessus  du  rivage  d'un  lac, 
de  1896,  ses  Femmes  dansant  an  milieu  d'une 
clairière,  de  1898,  et  ses  Harmonies  du  soir,  de  1899, 
exi)rimces  par  deux  jeunes  femmes  drapées  comme 
des  ]irêtresses,  l'une  assise,  accoudée,  considérant 
l'horizon  des  flots,  l'autre  debout,  tenant  une  lyre. 
La  nature  a  été  scrupuleusement  consultée  ;  tout 
est  parti  d'elle,  mais  l'œuvre  s'est  constituée  sous 
les  auspices  d'une  poésie  intellectuelle,  intérieure 
et  grave  qui  entend  remonter  aux  sources  et  veut 
ignorer  les  contingences,  l^ne  seule  fois  l'artiste 
s'est  inspiré  d'un  trait  de  nos  mieurs  et  il  a  consacré 
à  nos  curiosités  scientihques,  en  1884,  son  tableau 
de  Deux  médecins  vaquant  à  une  analyse  chimique. 
Mécontent  de  l'issue  de  sa  tentative  ou  totalement 
conquis  à  un  autre  orientation,  jilus  jamais  (hormis 
en  de  rares  et  profonds  portraits  que  nous  signale- 
rons tout  à  l'heure),  il  ne  s'est  asservi  à  un  concept 
d'existence  civilisée,  à  rinter]irétation  d'un  effort 
social  non  primitif,  à  la  représentation  d'une  indi- 
vidualité définie.  Son  goût  n'est  guère  que  de 
rendre  des  corps  nus  ou  drapés  d'un  mode  clas- 
sique, modelés  sous  la  caresse  du  rayon  doré  de 
Claude.  Rien  que  des  gestes  élémentaires,. des  mou- 
vements d'une  signification  quasi  symbolique; 
des  t\pes  humains  aux  formes  pleines,  aux  ac- 
tions instinctives,  aux  primordiales  pensées,  vrais 
mais  séparés  de  nous  par  l'espace  idéal.  Il  \'  ^  cer- 
tainement là  un  aboutissement  particulier  des 
œuvres  d'un  Nicolas  Poussin,  —  le  Poussin  de  la 
Mort  d'Adonis  et  d'Apollon  et  Daphné,  — €t,-  plus 
près  de  nous,  d'un  Puvis  de  Chavannes.  Il  y  a, 
aussi,  l'affirmation  d'un  talent  sensible  et -sincère 
anitoar  duquel  tout  s'est  ligué  pour  réveiller,  en 
les  fécondant,  les  songes  de  jadis.  Et  c'est  l'âme  du 
paysagiste,  nourri  à  l'école  des  maîtres  de  vérité 
et  des  poètes  de  la  campagne,  du  grand  Claude 
au  grand  ]\Iillet  et  au  subtil  et  tendre  Cazin,  qui 
guide    la  main  du   peintre  dans  la  transcription 


18 


NU    SUR    LA    FORÊT    (Société  nrjuvtllc,    1907) 
19 


L'ART    i;t    ies    artistes 


PORTRAIT    (Salon   de  1903 1 

(les    spectacles    où    l'iin    s.ilue    le     réel    à    travers 
le  i-éve. 

\'eiv  iNiiJ.  l'artiste,  ilepuis  liingteini)s  hanté 
(lu  (li''sii  d'aller  deinander  aux  "  terres  antiejues  " 
(les  éni(iti(ins  Cdiifornies  à  son  éducation  et  à  son 
état  d'esprit,  a  préludé  à  des  (lèlerinages  esthé- 
tiques. Tour  à  tour,  il  a  pris  jned  en  Sicile,  en  Grèce, 
en  Palestine,  en  Italie.  Il  en  a  rapporté  des  élé- 
ments pittores(]ues,  utilLsés  par  lui  en  des  toiles 
épisodiques  (tels  ses  Moiitni^iics  de  lu  mer  Morte. 
ses  Errants  endormis  autour  d'un  feu,  sur  la  C(ite 
d'Épire,  sa  /)'((('('  d'Ertnoncs.  à  Corfou.  oux'rages 
auxquels  il  tant  joindre  son  .1  iitinniic  01  (nrsc  et 
ses  Remparts  d'Aigiies-Murtes)  ;  mais,  surtout,  il 
a  dû  à  ses  caravanes  les  matériaux  de  ses  imjior- 
tants  tableaux  des  ruines  des  temples  d'Agrigcnte, 
deSégeste,  deCorinthe  et  d'Égine,  exposés  de  iSqS 
à  1904.  D'autres  eussent  imaginé  des  restitutions 
d'une  archéologie  plus  ou  moins  arbitraire  ou  des 
compositions  d'un  symbolisme  plus  ou  moins 
artificiel.  Il  s'est  dit,  au  contraire,  que  les  monu- 
ments de  l'antiquité  ne  se  ressemblent  jilus  ;  que 
les  sites  mêmes  où  ils  se  dressaient  mentent  à  l'his- 
toire. Arrosés,  ombragés,  peuplés  et  vivants  aux 
vieux  siècles,  ils  sont,  à  présent,  arides,  brûlés, 
mornes,   vides,   aussi  lamentables   que   les   pierres 


(roulantes  des  sanctuaires  abolis.  Pourtant,  une 
dduble  auréole  glorifie,  en  ces  solitudes,  le  fan- 
tome  de  l'immémorial  ;  la  noblesse  des  horizons, 
le  ]irestigc  de  la  lumière.  Pour  charnier  la  déso- 
lation, il  ne  faut  rien  de  plus  que  notre  aban- 
don aux  choses  avec  l'afflux  de  nos  j)ensées 
et  de  nos  souvenirs  sollicités.  De  ces  souvenirs 
et  de  ces  pensées,  René  Ménard  a  fait  une 
atmosphère  interne  à  ces  tableaux,  où,  maté- 
riellement, n'a}ip<iiait  (pic  ce  qu'il  a  i)u  voir. 
Certes,  on  est  en  droU  de  qualifier  de  pareilles 
peintures  de  "  pa\sages  historiques  ».  Elles 
n'en  sont  pas  moins  aux  antipodes  des  froides 
im-entions  des  Micliallon  et  des  Aligny  et  déri- 
\ées  des  ]:)lus  orthodoxes  conceptions  natura- 
listes. 


D'ailleurs,  notre  peintre  se  passionne  de  plus 
en  plus,  à  mesure  tpi'il  avance  dans  sa  carrière, 
pour  les  vastes  scènes  de  la  nature.  J'en  atteste 
son  Estuaire  d'un    fleuve   horizonné    de  forêts, 
bordé   de    pâturages    jieuplés    d'animaux  :   son 
Troupeau   au    bord  d'un  étang,  sous  un  ciel  aux 
nuées  dorées  et  roses  ;  son  Orage  dans    un   bois 
roussi    ]iar    l'automne  ;    soii   Automne    dans  la 
jorèt  de  Fontainebleau....  Il  est  particulièrement 
facile  de  constater    en  cette  série  que  la  géné- 
ralisation du  caractère  est  obtenue  sans  aucune 
altération     des     formes     naturelles,      uniquement 
par  la   pondération  des  masses,  l'ampleur  de  l'in- 
terpiét.ition.     l'unifiante    et    large    harmonie    de 
ciels    liiiii)ides.  ou    no\'és  de  vapeurs,   ou   chargés 
de     nuages     denses,     diversement     lumineux.    La 
sensibilité  de  l'artiste  se  raisonne  elle-même.  Son 
art    non    nait,    mais    savant    et   loyal,    se    fortifie 
du  talent  qui    tire   ])arti    de    tout    pour  atteindre 
la    ))lénitude   de    l'eflet    voulu  et   du    sens   pour- 
suivi. Par  là  même   cet  art   s'ajuste  parfaitement 
aux   convenances  de  la  décoration   monumentale. 
René    Ménard   en  a  tait  l'heureuse  expérience  en 
résumant,  naguère,   sur   deux  pans  de  mur  de  la 
Sorbonne,  ses  visions    du    Temple  ruiné  gardant 
en  lui.  sous  le  soleil,  je  ne  sais  quoi  de  supérieur  au 
temj».  et  de  la  mer  énigmatique  où  se  mirent  les 
destins  des  hommes.  Au  Salon  de  1909  il  donnera 
la   décisive  mesure    de    ses  aptitudes  de  décora- 
teur avec  les  deux  immenses  panneaux  de  pa^'sage 
et  (-le  vie  pastorale   qu'attend  la  Faculté  de  Droit. 
Encore  que  je  ne  puisse  m'étendre  sur  des  pages 
en  cours  d'achèvement,  si   grandement  conçues  et 
vigoureusement     équilibrées  qu'elles     s'affirment. 
les  _  lecteurs   en   trouveront    mieux   qu'un   avant- 
goût    parmi    les    gravures   accompagnant  la   pré- 
sente  notice. 


i.'AKT     KT      LES     ARTISTES 


in.  —  Il  me  l'fsle  à  iinli<iiu'r  somniaiieim'nt 
le  procédé  de  l'auteur  et  à  parfaire  le  signalement 
des  branches  de  sa  production.  Comme  Millet, 
l'uvis  de  Chavannes,  Cazin  et  la  plupart  de  ceu.\ 
pour  qui  la  nature  est  un  livre  à  conunenter,  c'est 
l)ar  des  dessins  élaborés  en  détail  devant  le  réel 
qu'il  prépare  ses  compositions  longtemps  avant  de 
les  peindre.  Ces  dessins  comportent  des  ensembles 
et  des  fragments  étudiés  à  vif  —  notamment  des 
arbres  traités,  pour  ainsi  dire,  en  portraits.  Ce  sont 
ses  documents  essentiels,  ses  sûres  références.  Pour 
le  reste,  aj'ant,  dès  sa  jeunesse,  assidûment  cultivé 
sa  mémoire  visuelle,  il  se  guide  sur  ses  indications. 
Ses  esquisses  colorées  sont  exécutées  de  souvenir, 
à  l'huile  ou,  plus  couramment,  au  pastel.  Au  cours 
de  son  travail,  il  simplifie  ses  dispositifs,  rectifie 
ou  complète  ses  efïets,  parfois  les  transfigure. 
L'accord  de  ses  tons  se  règle  entre  les  points  clairs 
dûment  déterminés  et  les  masses  fortes  fermement 
rythmées.  En  ses  colorations,  où  les  délicatesses 
abondent,  j'ai  le  regret  de  le  voir  troji  volontiers 
s'asservir  à  des  traditions  de  musées,  recourant  à  ce 
qu'on  appelle,  en  argot  d'atelier,  «  les  jus  »,  d'où 
vient  aux  tonalités  un  aspect  factice  roussi, 
jauni,  verdi,  enfumé,  vieilli  ])ar  avance.  Il  n'est  i)as 
bon  qu'un  tableau  nouvellement  fait,  tout  plein 
de  l'âme  vivante  de  l'artiste,  sacrifie  sa  fraîcheur. 
Aux  impressions  d'aujourd'hui  nul  voile  d'ancienne 
apparence  ne  doit  se  superposer.    Mais,   à   ]Mrler 


franc,  jilusieurs  des  envois  du  ])eintre  au  Salon 
de  iqoS  {la  l 'où'  sacrée  à  Rome,  le  Mont  Cervin.  etc.) 
nous  l'ont  montré  en  voie  de  clarifiei"  sa  palette, 
rhez  un  homme  de  sa  complexion.  les  évolutions 
ne  sont  jamais  brusquées.  Celle-ci,  très  normale, 
sera  très  progressive,  mais  elle  aiua,  sans  doute, 
de  riches  conséquences. 

Nous  avons  successivement  rencontré  les  ]iay- 
sages  avec  ou  sans  figures  et  les  ordonnances  déco- 
ratives de  M.  Ménard.. Une  catégorie  sjjéciale  de  ses 
ouvrages  est  demeurée  à  l'écart  de  nos  jugements. 
Je  ne  voudrais,  cependapt,  pour  rien  au  monde, 
ne  point  consigner  ici  le  haut  mérite  de  ses  portraits. 
Ce pa\sagiste grave,  au.x origines  duquel  il  nous  a")>lu 
de  remonter  et  dont  la  personnalité  s'est  révélée 
à  nous  tout  entière,  a  été  autant  de  fois  qu'il  lui 
a  convenu  un  portraitiste  de  la  ])énétration  la  plus 
aiguë.  Dès  ses  débuts,  les  expositions  eurent  de  lui 
quelques  effigies  d'une  acuité  d'exjiression  frap- 
pante :  tels,  en  i8S(),  la  Femme  <■«  blanc,  et, 
en  1890,  l'Homme  aux  liiiiellesjioires.  Or,  en  pos- 
session d'un  don  magistral  de  fouiller  et  de  resti- 
tuer un  caractère,  jamais  il  n'a  consenti  à  user  de  ce 
don  qu'en  faveur  de  ses  inoches  et  île  ses  intimes. 
Sa  galerie  ne  contient  pas  jilus  d'une  douzaine 
de  demi-figures,  mais  du  dessin  le  jihis  incisif, 
du  modelé  le  plus  senti,  de  la  ])his  franche  intensité 
de  vie  profonde  et  pensive  et  d'un  al)solu  naturel. 
L'unique  regret  qu'on  éprouve  en  face  de  ces 
tyjiiques  images,  si  ]irccises  et  d'un  style  si  résolu, 
naît  de  leur  envelojtpe  trop  ambrée,  troj)  spicieuse. 


SdlK    <lli.\<;i:l".\     (S.llnli   ili'    10114) 


J.'AKT      ET      T.ES      ARTISTE?; 


Encore  la  force  de  révélation  humaine  des  visages 
arrive-t-elle  à  nous  obséder  si  bien  que  nous  ne 
prêtons  plus  attention  à  autre  chose.  Ce  sont  de 
significatifs  jiortraits  que  ceux  de  Mme  René  ilénard 
et  de  Mme  Galtier-i^oissière,  des  peintres  Lucien  Si- 
mon et  Charles  Col tct,  du  céramiste  Delaheiclie,  de 
l'esthéticien  André  ('lie\iillon.  Ce  sont  d'énimuants 
chefs-d'ieuvre  c|ue  les  pnriraifs  de  la  mère  du 
penitre  et  il-  >nn  nnilc  Ir  i>liilosuphe  vi^ionnanc 
Louis  Ménard. 


dans  1 
meut 
(hi'ij  1 
("eluid 
].as  SCI 
il 


lit,  cil  délinitne,  du  mieux  tpie  je  Tai  pu, 
■triiit  espace  dont  je  dispose,  mon  senti- 
iui  cil"  sur  un  talent  justement  honoré. 
c  soit  permis  de  conclure  en  deux  mots. 
ut  iiDUN  \cnons  de  nous  occujier  ne  s'impose 

^clllcmcnt  à  la  haute  estime  des  connaisseurs  ; 

iiiiiKindc  leur  sympathie. 

Cliclui  Ciri'jiii.  L.    DE  FOURC-AUD. 


PdKIKAU     DK     M.    CllEVUlM  c  iN 


PIERRE-GASTON    RIGAUD 


liiU'i  ifui    Cl  l_,t:;iis(' 


VArl  el  les  AtliîUs.  n»  4g. 


HAl<n<l;>,     l.i'      MAI  IN     i.l.-^Ml) 


inGAU© 


TROIS  suites  (le  tableaux  et  de  dossiiis  n-liaussés  : 
le  Village,  les  Laudes,  les  Ët^lises.  qu'il  exjjosa, 
le  mois  dernier,  dans  les  Galeries  Georges  Petit, 
révélèrent  Pierre-Gaston  Kigaud,  nature  robuste 
et  mystique,  talent  o])iniâtre.  largement  épanoui 
l)ar  la  beauté  de  notre  France,  l'harmonie  de  ses 
rathédrales,  la  l'orée  de  ses  traditions.  Dans  le 
grou})e  qui  nous  a  donné  Charles  Dulac  et  .Maurice 
Denis,  l'ceuvre  de  Pierre-(iaston  Rigaud  parle 
.i\'ec  un  accent  populaire.  Il  augmente  la  séduction 
lie  cette  i)rière  de  peintre,  dont  on  ne  peut  oulilier 
la    franchise   véhémente,   l'éclat. 

Le  Vilhijie  est  modeste:  Saiiit-M<)rillon.  dans  le 
pays  girondin.  Il  accueillit  l'enfance  de  l'artiste  et 
lui  apprit  les  destinées  de  son  existence.  Aux  heures 
de  doute  et  de  tristesse,  alors  (]ue  les  années  il'ai)- 
jirentissage  condamnaient  Pii'rre-(iaston  Rigaud 
à  n'être  qu'un  ouvrier  de  la  forge  |)aternelle,  le 
village  de  Saint-Morillon  lui  donna  les  leçons  inou- 
bliables de  la  matière  et  de  la  nature. 


Heureux  départ  d'une  existence  d'artiste  !  Toute 
force  s'augmente  ]>ar  la  conq)ression.  Les  pa\"s  où  l'on 
a  souffert  sont  les  pins  beaux  du  monde.  La  clarté 
des  visions  de  Pierre-Gaston  Rigaud,  la  solidité 
de  sa  technique,  le  lyrisme  émouvant  et  discret 
cpi'il  donne  à  ses  images,  tous  les  éléments  consti- 
tutils  de  l'originalité  de  ce  beau  peintre  doivent 
davantage  aux  voix  rustiques  qu'aux  séjours  qu'il 
lit,  de  iiSc)4  à  I.S((8.  dans  les  Lcoles  des  Heaiix-Arts 
de  Bordeaux  et  de  Paris.  Elève  de  Léon  Honnat  et 
d'Albert  Maiguan,  le  jeune  homme  sidiit  ainsi  sans 
les  accepter  les  conventions  scolaires,  les  mensonges 
d'ati'lier,  les  rélicences  i|ui  gouvernent  l'art  olliciel 
d'aujourd'lnii.  Oiiginaire  d'une  pro\ince  où  l'on 
nait  Prix  de  Rome.  Pierri'-Gaston  Rigaud  est 
devenu  peiii/re  en  suivant  îles  routes  moins  ratissées 
(]ue  celle  des  lauréat-^. 

Après  les  années  d'Ecole  des  Heaiix-Arls,  le 
retour  au  -eillaiie  fut  salutaire  à  l'artiste.  S.iint- 
Morillon   s'offrait   à   lui   connue   le   sanatoriiDii    de 


23 


t.'AKT     ÏÏT      LE?      AKTÎsTKS 


l.EUSE     lUlESSANIl 


sa  tuberculose  n(a(li''nii(Hic.  En  iSmS,  il  \'  exécuta 
une  série  (I'i'UkIcs  un  se  laisaiciit  jour  les  teml.mces 
modernes.  La  si]li(iiiiHe  du  l'iu  Iranc  ettaça  le 
souvenir  du  niauue(|niii  \i\Miit  ;  lesas|iectsilu  l'ilhii^c 
qui  s'éveille  ou  s'eiidurt,  si's  ruelles,  ses  bords  de 
ruisseau,  cjiuliien  d'autres  harmonies  sul>tiles  de 
la  vie  aux  champs  clissipèient  les  habitudes  de  la 
rue  Bonajiarte.  An  regard  du  maitre  dispensateur 
de  conseils  autoritaires  en  dehors  desquels  il  n'est 
point  de  salut,  la  nature  substitua  rin\-itation  aux 
essais,  aux  tâtonnements  (|ui  conduisent  l'artiste 
à  se  donner  la  i^reuvi'  de  son  imjniissance  ou  de  S(m 
originalité. 

One  de  dignitaires  de  nf)s  Stiltnis.  que  de  Hors- 
Concours,  que  de  jiorteurs  de  médailles,  souvent 
de  sauvetage,  eussent  gagné  à  se  donner  celte 
preuve,  une  fois  pour  toutes  ! 

L'iniluence  de  Monet,  de  Sisle\-  et  des  impres- 
sionnistes libéra  déllnitivement  Pierre-Gaston  Ri- 
gaud.  Les  Quais  de  Bordeaux  lui  offrirent  bientôt 
riné))uisable  variété  du  leurs  aspects  et  de  leurs 
heures.  L'n  séjour  en  Bretagne  stimula  sa  vision.  La 
Mer  houleiixc.  pur  le  leinps  i^ris.  à  Oiiessant,  exposée 
chez  Georges  Petit,  montrait  quelle  émotion  secoua 


le  ]Kintre  devant  un  spectacle  qu'il  nota  avec  une 
liè\-re  toute  romantique. 

()l)sédante,  impérieuse,  la  beauté  de  l'Océan 
]iciursui\it  longtemps  Pierre-Gaston  Rigaud.  En 
i()oo,  il  \int  s'installer  à  Confis,  dans  les  Landes,  que 
nul  iH-inlre  moderne  n'avait  encore  analysées  comme 
elles  le  méritaient. 

Voisines  du  pavs  gironilin,  moins  avenantes 
mais  de  beaucoup  plus  poignantes  que  lui,  les 
LiUides  défendent  leur  mystérieux  attrait.  Le  pro- 
fane, 1  étranger  que  rien  n'a  préparés  aux  mélan- 
colies de  la  grande  plaine  landaise  redoutent  cette 
solitude  où  le  pin  se  dresse,  solitaire,  brfilc  par  le 
soleil,  jileurant  ses  gemmes  sous  l'outil  du  résinier. 

Avant  de  s'enfoncer  dans  ce  désert,  Pierre- 
Gaston  Rigaud  explora  la  région  des  marais  salants 
girondins,  le  voisinage  des  étangs,  le  bassin  d'Ar- 
cachon  :  la  Hume  et  le  Cap  Ferret  qui  participent 
encore  aux  douceurs  de  la  Guyenne  et  annoncent 
déjà  l'austérité  gasconne.  Les  Gniiids  Pius,  à  La 
Hmne,  debout  devant  une  vastitude  lacustrale, 
sont  le  rideau  des  incantations  landaises  qui  vont 
se  dérouler  dans  r(ruvre  du  iieintre. 

A  t'ontis,  plus  rien  que  la  Dune,  le  Pin  et  rC)ccan, 


24 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


I  E     CniETIKKE 


maîtres  d'un  domaine 
ingrat  et  triste.  Jadis, 
sous  le  nom  de  sdiivelé. 
ces  régions  étaient  l'asile 
inviolable  des  criminels 
et  des  persécutés.  Quel- 
ques heures  suffiraient 
au  voyageur  pour  s'y 
laisser  mourir  d'ennui 
Tel  peintre  y  chercli.i 
vainement  les  raisons  qui 
fixaient  Pierre -Gaston 
Rigaud  en  cette  Th' 
baïde,  oubliant  de  teiui 
compte  des  ressources 
de  l'imagination  desm\"<; 
tiques  pour  lesquels  1' 
trait  d'un  paysage  • 
en  raison  inverse  de  son 
pittoresque. 

Quoi    de    plus    morne 
que  l'alignement  de  troi* 
pins  sur  une  dune?    A 
matin,    dans    les   clai  ; 
roses  de  l'aube,  ces  Trvi^ 
pins    morts  se    dressent, 


K.VVtiN    l>r    SOIK     (N((rRE-I).\ME    DE    (H.AKTKES) 


devant  Pierre-(iast(in  Ri- 
f;aud,  comme  des  té- 
moins sans  (jui  l'harmonie 
de  Contis  sérail  fausse. 
.\insi,  de\"ant  le  sjx'c- 
tacle  des  pires  lianalités, 
riiarks  Dulac  dégageait 
instinctivement,  pour  la 
rendre  dominatrici',  l'ar- 
mature mysti<iue  que 
tout  pa\sage  porte  en 
lui.  Pareillement,  dans 
le  temps  gris,  le  Pin 
tordu  pleure  ses  misères 
de  vieillard  mutilé,  et  la 
symphonie  landaise  de 
Pierre-daston  Rigaud 
convie  ce  pin,  sur  un 
mode  assi^iate,  à  célé- 
brer encore  les  malins 
frileux  qui  animent  la 
solitude,  les  midis  toni- 
fies, les  soirs  d'agonie 
créjjusculaire,  et  les  imits 
de  dunes,  les  nuits  étoi- 
lées,  le   sommeil     de    la 


I.'ART     ET     LES     ARTISTES 

Laiulc       bercée       ])ar       le      rythme      des     fiots.  Les  somptueuses  ruines  île  l'abba-ye  de  La  Sauve 

Xcitre  frère  le  l'iii  obéit.  Il  oublie  'a  tiiste  des-  ((iironde)      conservent,     dans     leurs     parties     du 

linée.  Dans  ce  [)iiysage  ([ue  Pierre-Caston  Rii^aud  xii''   siècle,    mie   sculpture    dont    les   bestiaires   se 

lait  l'un  des  plus  attachants  (pie  l'art  fiançai-  ait  rattachent    aux    influences    languedociennes.    Elle 

connu    ileiniis    Piu'is    de    Cha\'annes    et    Cazin.    il  s'agite  con\ailsi\'ement  sur  les  chapiteaux  envahis 

devient   un  héros  de  tragédie:  celle  de  Y AlLnilidc  par    les    moisissures,    au-dessus    de    colonnes    dar- 

disiiarue.  treiise?..  lelong  (le  cloîtres  qui  font  songer  à  Saint- 

Des   1. amies,   décor  de  scènes  bibliiuies,   Pierre-  Troi)hime  d'Arles.  Les  soleils  du  matin  et  du  soir 


.              .   LES    TROIS  PINS    MORTS                                               :.       .  . 

(iastoii    Rigaud    ]iassa    sans    etfoits    aux    Évjiscs.  lancuil    Kurs    flèches    lumineuses  •  sur    ces    ruines 

Peintre   reli.t,deu\,   il   relia(:a    plusinir-.   épisnde^,   de  (|ue  les  rax'oiis  de  lime  n'oublient  pas. 

la    l'iissioii  ipii   le  rlas-,iiit    paiini   lis  i  iii(i\  ah  urs  Tonte  ruine  dml  dis]  laraitre  laissant  un  souvenir 

d'un  art  aiiiiiiird'lim  luiiil»'  d.iiis  le  mai.i^iiK'  i.mie  trop    s(iu\-eiit    ai(  liéologiipie.    Inestimables    docii- 

de   ]irendi-e   i  (intact    dis   tcmlaiKts   modernes.    Le  ment-,,    les    \ues    de    La    Sauve    de,  Pierre-Gaston 

s])ecta(  le   des   céi éiiicmies   cal li(ili(|iies   lui   Mi,e,!;éia  Rig.iud  séduiront    les  archéologues  et  les  artistes 

(|tiel(|iies  leuxres   impiiilanles  :   K-.   I'yciiiici','\  ci'iii-  p.ir    leur    exactitude    et    la    puissance    qu'elles   ex- 

iiiiii!i(iii/i'\  à   IjinsHinl,   la   Sur/ir  i/i-  ;;;(•«,■  à  Sain/-  priment,    il   n'est    pas   de  jilus   beau  commentaire 

MorilldU.  les  (lunilrcs,  etc.  A\cc  une  série  de  por-  des  rudesses  de  l'art  roman  ipie  U^s  Soleils  dans  les 

traits   de   l.iinille  e\i'cii1és   \-ers   l.i   même   é|)0(pie,  niiiii-''  de  La  Sdjivc.  de  plus  inoubliable  évocation 

ces  ieii\-res  sdut  i  nmparables,  pour  TiHude  ùw  type  (|iu'  le  /.("',7'  de  liiiir  sur  le  ciuieticrc.  et,  i)0ur  l'ana- 

girondin,    aux    mitai  ions    de    t\pes    hielons    par  l\-se    des    influences    saintongcoises    en    Gu\-enne, 

Lucien  Simon  (t  (liailes  ('(.tl(t.  au   xiT'  siè(de.   les  vues  des  ('glises  Saint -Seurin  ou 

Knlm,    Pierre-d.isidii    Rigaud   s'é]>ril    des   ('glises  Sainte  Croix    de     liordeaux     valent     un     texte    de 

romanes  (t   gotliicpus  de   la   (.u\(ime  cl    de   l'Ili-  M.    André   Michel. 

de-France.  Entre    toutes    les    impressions    d'artiste    que    le 


26 


ART     I;T      I  I-      .\RTl<TI-< 


I.A    KKK.Ml-;     NORMANDE    (dissiii) 

mo^'en  âge  français  donna  à  Pierre-Gaston  Kigand,  tV I nlérieiirs  (l'ô^liscx,  les  yo/rc-Dnnu-  de  Taris  et 
celles  qui  lui  accordent  une  place  enviable  —  peut-  de  Chartres,  les  vues  de  Saint-Etienne  du  Mtuit,  de 
être  la  première  —  dans  le  groupe  des   peintres       Saint-Séverin.deSaint-tiervaiset  de  Saint-(HMniain- 


VILLAGE    NORMAND    (dessin) 
27 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 

l'Auxerrois  sont  niai(Hiées  au  coin  d'une  \'utuo-  de  leurs  \-()ùtes,  la  flore  de  leurs  chai)iteaux,  leurs 
site  et  d'une  émotion  reliLïieuses  dépassant  le  niveau  inysièycs  sculptés,  les  fanfares  de  leurs  verrières 
des  œuvres  similaires. 


La  ('iillh-ilrulc  retrouve  le  souvenir  des  Laudes  et 
du  ]'i!Liiic  dans  les  trétonds  de  l'àme  de  ce  mys- 
tique. Il  est  chez  lui  parmi  les  idées  simples  dont 
l'enchainement  édifia  la  Catliédvalc.  Les  tailleurs  de 
pierre,  les  imagiers  et  les  \-erners  parlaient  la  langue 


.xaltent  Pierre-Gaston  Rigaud  jusqu'au  lyrisme, 
nul  jieintre  n'exprime  mieux  les  aspirations  rus- 
kiniennes  vers  la  Beauté  de  ee  qui  vit. 

Lui-même,  conliant  en  ses  rêves,  joyeux  de 
peindre  comme  l'oiseau  de  voler,  quand  il  nous 
offre  1(    -lie,  i.nli    de  l'i^A-iilution  si  normale  de  sa 


LE    PIN    TORDl- 


populaire  que  Pierre-Gaston  Rigaud  impose  encore 
à  son  art.  (  )ù  la  science  de  M.  Emile  Mâle  parvient 
à  nous  montrer  que  tout  est  logique  et  natura- 
lisme, l'art  de  ce  peintre  nous  olilige  à  fléchir  le 
genou,  admiratifs  et  muets,  ilans  la  Cathédrale 
qui  résumait  le  monde,  de\ant  sa  Ruse.  s\'nthèse 
de  l'idéal  de  nos  ancêtres. 

Qu'il  s'isole  dans  le  décor  de  l'église  de  Santeuil- 
le-Perchay  où  nous  jiouvons  méditer  sur  les  origines 
des  Cathédrales.  (|u'il  pi'iiètre  ilans  ces  Cathédrales, 
et    que    la    jiénombie    de    leurs    chajK'Ues,    ren\'ol 


vij  et  (L'  son  reuvre,  loin  des  formules  d'Ecole  et 
des  diiilomaties  de  Salous.  n'a-t-il  pas,  selon  Ruskin, 
Cette  "  espèce  de  Beauté  qu'on  peut  appeler  la 
Beauté  vitale  ",  celle  que  "  toute  chose  vivante 
possède,  qui  semlile  remplir  joyeusement  sa  fonc- 
tion   '1? 

Découxrir   un   peintre   est   plaisir   facile  aujour- 
d'hui. Il-  sont  rares  ceux  qui,  comme  Pierre-Gaston 
l\i!4.iii(l.   eiilerment   dans  leur  leuvre  et   célèbrent 
nolileiueiit    les  caractères  du  génie  de  notre  race. 
.André  Girodie. 


2S 


L'ART    DECORATIF 


le  uecouvene  a  ttoffes  empire 

.  au  Mobilier  Naî 


JE  ^iiis  de  plus  en  jjIus  frap])c  de  la  fausse  ori-  à  la  curée,  et  vous  voyez  en  moins  d'une  saison 
ginalité  des  dessinateurs  ])our  étoffes,  tapis,  l'Oiseiiii  drfcmi.iii/  son  nid  contre  un  reptile  (c'était 
rubans.  Ce  qu'ils  appellent  aujourd'hui,  à  grand  un  motif  à  la  mode)  mis  à  toutes  sauces  dans  la 
fracas,  l'art  moderne,  ne  serait-il  en  définitive  qu'un  vaste  cuisine  industrielle!  .. 
pâle  succédané  d'art  ancien  =■  (  )n 
d'eux,  vers  le  milieu  du 
xixe  siècle  :  «  Ils  vont 
furetant  dans  le  cabinet 
des  estampes,  ils  extraient 
de  ces  catacombes  de  l'art 
quelques  idées,  et  leurs 
yeux,  devenus  une  sorte 
de  kaléidoscope,  tournent 
sur  elles  et  en  tirent  des 
combinaisons  infinies  qui 
suffisent  aux  modes  de 
chaque  jour  et  à  l'ébahis- 
seraent  des  niais,  mais  qui, 
aux  yeux  de  l'homme  de 
goût,  sont  tout  aussi  mé- 
diocres que  l'idée  mère  qui 
leur  a  donne  naissance. 
Comme  on  possède  des 
mécaniques  à  combinai- 
sons arithmétiques,  ces 
artistes  sont  de  véritables 
mécaniques  à  combinai- 
sons de  dessins  ;  ils  n'ob- 
servent pas  un  princiix>, 
ils  ne  suivent  pas  une  règle, 
ils  n'ont  pas  même  une 
faculté  ou  une  prédilec- 
tion. Aussi  quelle  misère 
de  redites  dans  cette 
ornementation  soi-disant 
si  riche  !  Quand  deux  ou 
trois  bons  dessinateurs 
sont  par\-enus  à  trou\-er 
une  idée  vraiment  origi- 
nale, aussitôt  la  foule  i  aium  r  m  ikwaii  pi  n.m'i 
des   imitateurs    d'accourir  .\  tkianon    (ti-mur.-) 


se  rejouissent  !  M.  Duinoii- 
lliier,  administrateur  du 
-Mobilier  national,  a  dé- 
couvert tout  un  lot 
(l'étotfes  de  réjKJcpie  na- 
noléonienne,  avec  les 
documents  qui  en  pré- 
cisent l'origine,  la  valeur 
et  la  destination,  et  de 
tous  ces  documents  écrits 
1  t  figurés,  il  vient  de 
composer  un  livre  extrê- 
mement attachant  qui 
est  une  contribution  ori- 
ginale, aux  études  sur  l'art 
(irnemental  au  tem])S  de 
Napoléon  l''"".  qui  modilie 
sur  certains  points  l'idée 
qu'on  se  faisait  du  style 
Empire,  et  qui  donne  tle 
]>récieux  renseignements 
sur  des  demeures  au- 
ioiud'hui  détruites,  les 
TuiK'ries,  .Meudon  et  Saint- 
Clipud. 

Plus  on  étudie  les  regis- 
tres de  comptes  contem- 
porains. ])lus  on  remariiue 
iiu'autant  Napoléon  !''■■ 
se  montrait  généreux  dans 
ses  dépenses  somptuaires. 
autant  il  était  jirécis.  mi- 
nutieux dans  l'examen  de 
ces  dépenses.  Il  donnait 
beaucoup,  mais  il  ne  ilmi- 
nait  pas  sans  compter. 
C'est     ainsi     qu'il     avait 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


(iRAXI)    SAI-OX    I)K    I.  HMl-HKErK    A    SAINl-(Miri 
(Iftciulll    il. 111^       I.-.       .lllIrllMillIc  lll^       l'nilliliii       lies 

tian,L;rs  et  ilo  j^l.iinK,  (ai  la  iias^tiiuiitcrii-  cnule 
très  (lier.  Va  ratliiiiiii--trat(  m  ilu  (  laKk'-iiKulilc 
il'aldis  tut  tirs  iinliaiiasM-  (luaml  le  ]iL'intrc 
L)a\iil  >'.i\i--a  un  idUi  de  dcssiuii  poui  lt>  Tuiloiits 
(k>  lautcuils  à  liants.  Ce  cin'uii  v>t  coiixtiiu 
ira]i]H-lfr  u-i  "s(\lc  "  nr  ilr|"iicl  sc^anaiit  qm:  il'uu 
détail  iulinif. 

l'ni-  autre  icauariiur.  ('est  ([ue  rciii])ercur  s'oc- 
cupait iK's  uiiiuidic's  détails,  iiucstionnait  les 
entreiireneuis  et  les  artisli-s  siu'  l'état  d'a\ance- 
nient  (.k's  tra\a\L\.  Ijii  «[ui  se  serait  \uluntiers 
contente  d'un  lit  de  eaïup.  (  t  dont  les  gor'its  jier- 
sonnels  étaient  extreuu  in(  iit  simples,  il  uiarcjuail 
sa  prédilci  tiou  pcmi  les  (i|i|eis  (ossus,  solides  d'ap- 
parence, et  ([ui  ié\él(nt  une  giaude  richesse.  Ce 
tut  kl  preiniéie  raisnu  cl'uu  in>u\'(_'.iu  pio!,uès  de 
l'industrie  lyonnaise,  ([iii  a\alt  été  très  éprouxee, 
comme  on  sait,  sous  le  lé.i^uie  de  Louis  X\'l,  par 
la  concurrence  des  tissus  iuipriiués  et  des  indiennes, 
et,  au  teini)s  de  la  l\é\dlution,  jiar  la  manie  cgali- 
taire  et  la  peur  du  luxe. 

L^ne  autre  raison  tut  la  déc  ouverte  du  métier 
Jacquard  (en  1S04).  |)eilectionnciueiit  du  métier 
de  Vaucanson,  i)erinettant  cle  laire  des  tissus  de 
toutes  tailles  et  ik'  tous  dessins  avec  une  facilité 
plus  grande. 

Une  troisième  raison  a  été  Lien  mise  en  lumière 
par  M.  Dumoutliier.  (  )n  sa\'ait  jusqu'à  présent 
qu'en  lMo5  et  en  liSoG,  et  i)lus  tard,  en  iSll,  Na- 
poléon L'''  avait  eu  l'intention  de  restaurer  toutes  les 
anciennes  résidences  royales,  mais  on  n'attribuait 
à  ce  projet  ([ue  la  valeur  tl'un  simple  souhait  fugitif 
et  passager. 

Or,  en  1811,  Xa])oléon  I''"'  \oulut  posilivoiiciil 
faire  de  V'ersailles  un  palais  impérial,  et  la  meil- 
leure jjreuve  c'est  qu'il  commanda  à  cet  effet 
pour  2  millions  d'étoffes,  dont  une  première  com- 
mande de  I  746  027  francs,  soit  en  tentures,  soit 
en  étoffes  d'amcublemi^nt,  aux   divers   fabricants 


lyonnais,  ]ioiir  la  décoration  des  chât<;aux 
de  \'ejsailles,  des  Tuileries,  de  Meudon, 
de  ("oinpiègne,  de  Saint-Cloud  et  de  Fon- 
tainebleau. 

M.  Duinonthier  a  déc<iu\eit  dans  les 
déi)c')ts  de  l'Etat  cette  commande,  et  les 
papiers-devis  des  Lyonnais  qui  l'ont 
hx'rée. 

Ce  sont  en  général  des  damas  de  soie, 
des  lampas,  des  brochés,  des  brocarts  d'or 
et  d'argent,  exécutés  entre  1811  et  1813, 
(luelques-uns  avant  1811,  soit  pour  Na- 
poléon I'''',  soit  pour  Joséphine,  soit  pour 
Marie-Louise,  soit  j)our  le  roi  de  Rome. 
(  )n  \'  voit  que  Josépihine,  qui  était  brune 
cependant,  préférait  les  bleus  et  argent, 
que  reiu])ereur  au  contraire  avait  une  prédilec- 
tion pour  k-s  rouges  et  les  verts.  C'est,  à  Versailles, 
un  ,i;ianil  salon  bleu-indigo,  une  salle  du  Trône 
cramoisi  or  ;  jiour  l'empereur,  un  cabinet  de  repos 
\ert  ;  pour  .Marie-Louise,  un  grand  salon  im- 
jiéiial  en  satin  lileu  broché  or.  A  Fontainebleau, 
c'est  la  chambre  à  coucher  de  Madame  Mère,  en 
mauve.  A  Comj)iègne,  c'est,  pour  l'impératrice 
loséphine,  un  salon  en  soie  bleue  avec  dessin  à 
grecques,  un  cabinet  de  tra\'ail  avec  sièges  vert 
tissé  or.  A  Saint-Cloud.  c'est  le  grand  salon  de 
l'impératrice  Joséphine,  en  bleu  tirochc  d'argent. 
A  Meudon.  c'est  la  chambre  à  coucher  Empire, 
en  jaune  ])arsemé  de  fleurettes.  Aux  Tuileries,  c'est, 
|)our  le  roi  de  Rome,  une  chambre  à  coucher  en 
jaune  \iolet  ;  un  salon  dit  des  Exercices,  en  vert- 
Empire  ;  un  grand  salon  ponceau  à  grandes  cou- 
Kiniies  et  cornes  d'abondance  ;  ])our  Joséphine, 
(luelqucs  années  auparavant,  un  salon  de  musique 
en  couleur  bois  de  citron  parsemée  d'étoiles  mauves, 
une  chambre  à  coucher  en  velours  rouge  avec 
couronnes  mordorées.  \'oilà  pour  les  couleurs. 

Sans  doute,  on  remarque  dans  le  décor,  et  sur- 
tout dans  une  étoffe  ])ompéiennc  en  satin  blanc 
broché  or  et  soie  jio- 
lychrome,  exécutée 
jiar  Pernon  pour  le 
petit  salon  île  José- 
phine à  Saint-Cloud 
et  reproduite,  ce  qui 
est  la  garantie  tlu 
succès,  à  la  Malmai- 
son et  à  \'ersailles. 
la  prédominance  tle 
l'inspiration  anti- 
que, ilais  on  relève 
aussi  quelques  mo- 
tifs, comme  la  corne 
d'abondance ,  dont 
on  niait  jusqu'à  pré- 


■;  =ii>l^iM,'-yÊk.- 

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VELOURS    VAVCHELET 


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„iAUU.j.»a.m.Mm,m^m»»i..,,,,,.„„.^uii....»a.,.;..juiu»tmiMij'jiw.iJi»>iu,.r„.,.iaurttiuumB...»iiu».»i»: ■■ ■„,.» i ii~iium!imi!fti 


A    VERSAILLES 


JI 


T. 'ART     RT     T.F.S     ARTISTES 


'i^.ryyyy>y/vyy^<y>y3vyyvy.>yyyyy7:y>a^ 


PALAIS    DE    FONTAINEBLEAU  :    BORDURE    D  ENCADREMENT 

M-iit  l\iiiril(ii  iliii^  If  ^t\lr  limpire.  Et  surtout  on  luts  :  Dacier,  spécialise  dans  les  damas;  Juubert  de 

observe  à   qurllr   \aruli''    ]>r(Hli,!^ieuse  étaient    jiar-  l'Hiherderie,    spécialisé   dans   la   moire;  Dutillieu, 

venus  les  arlisles  de   ce    Icitips,  <in'(>ii   représente  dont  Perronneau  lit  le  portrait  en  1759,  et  dont  le 

comme  figés  dans  la  n''|H''lition  lourde  et  monotone  descendant  ])articipait,  en  iSll,  à  la  commande  de 

de  certains  thèmes.  l'empereur,   jiour    une    somme    de    96262    francs; 

Enfui  les  mémoires,  ([ui  xiciment  ici  à  l'apimi  des  Pillement,  mort  en  iSoS,  dont  les  études  de  fleurs 

ieu\i"es  mêmes,  éx'oqucnt  le  soux'cmr  de  jilusieurs  fantaisistes    eurent    lieaucoup    d'influence  ;    Rivet, 

de   ces   familles   d'.irtistes   honnais,    modestement  mort  en  i^o  ;,  cjui  dessina  l'habit  offert  au  premier 

attachés  à  leur  ieu\ie  de  beauté  anon\'me,  et  dont  ("oiisul    par    le    Commerce    de   la   ville   de    Lj'on  ; 

M.  Emile   Leroudier  a    si  heureusement  précisé  hi  P)ournes,  mort  en  1808,  qui  composa  beaucoup  de 

mémoire  incertaine   dans   une   excellente  Inochure  dessins  d'ameublement  pour  la  cour  de  Louis  X\T; 

imliliée   en    ii)oS    par  la   Rrriu-  d'hi\titirc  de  Lyaii  Déchazelle,  enfin,  spécialisé  dans  les  gilets  et   les 

On   \'  \-oil   les  noms  île  ces  (/(■ss/»i;/<7/;-,s  de  lu  j,i-  ceintuics,  très  l)eau  coloriste,  dont  David  a  reprc- 

[ifii/iic  Ivniniiiist-  (NI  \\i[V'  siècle   :  le    fameux  l')on\'  sente  la  pinsionomie  dans  le  fond  de  son  tableau 

à  la  manière  l('-gère  et   gracieuse;    i';e\e!.  Plulippe  du    Scui'e.    dénération    d'artistes,    qui  représente 

de    I.asalli',    (|ue    se>    eomp.ilriotes    a\-aicnt    sur-  l'âge  d'ov  de  la  fabrique  lyonnaise,  et  qui,  cepen- 

nommé  le  A'(//i//i/iV  i/// (/cash;  (('i'/(//'r;(/H(-;  Deschamps,  dant,  ccmsidérait  comme  son  plus  grand  honneur 

tjui  dessinait  pour  Luupas  ;  Aubeit,  spécialisé  dans  de  se  montrer  respectueux  de  la  tradition  ! 

le  petit  velours  et  les  dorures  pour  lirodures  d'h.i-  LÉANDFE  Vaillat. 

hln//is  fiiiiuiililiiiunl  ili  /'</'.!  v»r  lui  ihiUonicnni  (c^ll.  cti..ii  ilu  MmImIi.  r  ii.itioii.il  ;.  L.'Xlr  de  .M.  1  )muontliicr.  Album  ck-  70  repro- 
iliicti'iis  (l.'iit  plimirm-.  cil  ciiKiir.  l.'c  nu  i-.i^;i;  ii.ir.iitr.i  fin  ,ivi  il  clu  /  Miiii-  vc'iivr  t  h.iric  s  Schinid,  éditeur.  51.  rue  des  Écoles,  où 
dès  ,'1  pic-~riit.   Mil  1  eut  seiisenn-.  C'est  de  ce  livre  i|ue  sent  extraites  les  reiirMiliictidis  de  l'article  ci-dessus. 


C'^'T'^'-T''T'^'^'T'^'-T'T'^'T'T''T'''T''T''!?^'^'T'-T''7^''T'T'T:  T'^'^T'^T'-^^ 

rT-a?7j7j7jT'X7a.'TjT'jT'Jr-j7j7j7'Jî'J.JT'lTj7j;Tj7j7'j7-J:-j7Jî'j7j7JlJ7j7j; 


VERSAILLES    :    BORDURE    D  ENCADREMENT 


Le    Mois    Artistique 


Exposition  d'esta^ipes  japonaises  primitives 
{Musée  des  Arts  décoratifs  :  pavillon  de  Marsan).  — 
Il  existe  deux  points  de  vue  auxquels  on  peut  se 
placer  pour  faire  de  la  critique  d'art  :  l'un  est 
absolu  et  l'autre  relatif. 

Au  point  de  vue  absolu,  le  critique  envisagerait 
les  œuvres  d'art  non  pas  précisément  dans  leur 
essence,  ce  qui  est  impossible,  mais  dans  leur  con- 
formité avec  une  sorte  d'idéal  très  élevé,  mais  en 
les  comparant  avec  les  plus  i)urs  et  les  plus  incon- 
testables des  chefs-d'œuvre.  Au  jioint  de  vue 
relatif,  il  les  considérerait  plutôt  en  historien,  et 
même  en  petit  historien. 

C'est-à-dire  que,  se  contentant,  en  fait  de  rétro- 
spection,  de  quelques  années  seulement,  il  com- 
parera les  œuvres  qui  lui  seront  jiroposées  aux 
œuvres  du  moment  et  les  jugera  à  leur  place,  en 
conformité  avec  un  idéal  infiniment  ]ilus  éphémère, 
celui  du  siècle,  si  vous  voulez. 

C'est  ainsi  que  cette  critique,  la  critique  des 
expositions  du  mois,  ne  jieut  guère  avoir  la  pré- 
tention  de  soulever  de  grands  problèmes  esthé- 
tiques et  que  je  dois  me  borner  au  second  point 
de  vue,  la  plupart  du  temps. 

Un  des  plus  grands  avantages  d'une  expo- 
sition comme  celle  des  estampes  japonaises  pri- 
mitives est  de  })ermettre  l'une  et  l'autre  de  ces 
attitudes. 

Au  point  de  vue  général,  il  est  i)resque  impos- 
sible de  ne  point  partager  l'avis  de  beaucoup 
d'excellents  esprits  pour  lesquels  l'art  de  la  Chine 
et  du  Japon  est  essentiellement,  et  malgré  tous 
les  prestiges  surprenants  de  l'exécution,  un  art 
matérialiste,  sans  idéal  et  inférieur  à  notre  art 
occidental.  Voici  des  estampes  japonaises  primi- 
tives, c'est-à-dire  choisies  exprès  d'une  époque  où 
le  perfectionnement  des  moyens  techniques  n'avait 
pas  encore  pu  énerver  rins})iration  des  artistes, 
donc,  d'une  certaine  manière,  populaires.  Nous 
n'v  trouvons  jamais,  jamais  une  émotion  :  j'en- 
tends une  émotion  qui  vienne  de  l'âme,  du  cœ-ur 
humain,  qui  fasse  appel  en  nous  à  quelque  chose 
de  plus  profond  que  le  pur  plaisir  esthétique,  le 
plaisir  du  suave  mari  magito.  C'est  le  jnopre  au 
contraire  de  l'art  occidental  (cf.  une  eau-forte  de 


Rembrandt)  de  faire  oublier  sa  technique,  si  étour- 
dissante, si  magique  qu'elle  soit,  pour  nous  faire 
descendre  dans  notre  conscience,  pour  nous  mettre 
en  face  de  nous-mtmes  et  de  nos  raisons  d'être, 
pour  nous  faire  penser,  rêver,  souffrir.  Les  Japo- 
nais, les  Chinois  s'amusent.  Ce  sont  d'admirables 
jouisseurs,  de  raffines  esthètes,  des  sages,  des 
hommes  capables  de  tirer  de  la  vie  la  plus  quoti- 
dienne d'indéfinis  motifs  d'agrément.  Les  plus 
intenses  de  leurs  œuvres,  leurs  jilanches  libres 
Ol  n'v  en  a  pas  à  cette  exposition)  sont  terribles, 
mais  non  émouvantes.  L'impression  qu'elles  pro- 
curent, en  nous  rappelant. avec  une  sorte  de  cruauté, 
que  l'extrême  volupté  confine  à  la  souffrance,  est 
surtout  nerveuse  et,  dirai-je,  intellectuelle  :  il  ne 
s'y  glisse  jamais  cette  mélancolie  propre  à  l'Europe 
et  qui  spiritualise  ces  rêves  sensuels  et  féroces. 
L'âme  extrême-orientale  est  égoïste,  savante  à 
vivre,  cruelle,  et  l'art  de  l'Extrême-Orient  la 
reflète  avec  fidélité.  L'ne  jiromenade  dans  cette 
exposition  nous  renseigne  mieux  à  ce  sujet  que 
les    plus    consciencieux    des    \'oyages. 

Au  j)oint  de  vue  relatif,  et  comparés  aux  hommes 
vivants  qui  exposent  aujourd'hui.  Moronobou,  Kiy- 
nobou,  Massanobou,  Ki\omassou,  Kwaigetsoudo, 
Toshinobou,  Toyonobou,  Shighenaga,  Kiyomitsou, 
Kiyohiro  n'ont  pas  de  peine  à  triomiiher.  Artisans 
jirodigieux,  maîtres  de  leurs  iirocédés  jnesque  au 
moment  même  où  ils  les  inventent,  doués  d'un 
sens  décoratif  si  sûr  que,  même  en  s'imposant 
comme  règle  de  composition  l'arabesque  et  comme 
entrave  un  certain  hiératisme  et  un  nombre  fort 
restreint  de  sujets,  presque  des  clichés,  ils  arrivent 
à  tout  faire  entrer  dans  ces  cadres  étroits,  à  y  faire 
mouvoir  les  gestes  observés,  à  y  noter  les  détails 
de  mœ-urs.  Ils  ont  tout,  absolument  tout,  sauf  le 
sentiment.  Ils  jouent,  littéralement,  ils  jouent  de 
toutes  les  difficultés.  Chacune  de  leurs  planches 
donne  un  plaisir  intellectuel  plus  encore  peut-être 
que  sensible  :  celui  que  l'on  éprouve  en  face  de 
la  solution  élégante  apportée  à  un  ])roblème  com- 
plexe. On  a  beau  avoir  envie  de  chipoter,  de  dis- 
cuter, ce  n'est  |ias  possible.  Il  faut  la  isser  ces  préoc- 
cupations-là à  la  ]iorte.  L'harmonie  des  couleurs 
est  follement  juste  et  de  la  jilus  rare  distinction 


33 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


tlan>  la  piu'  aiiihur.  l'iu-  mesure,  un  tact  suprême 
préside  à  l'accord  pariait  de  tant  d'éléments  dont 
nos  meilleurs  artistes  occidentaux  sont  souvent 
impuissants  à  maintenir  égale  la  perfection  réci- 
jiroque  :  composition,  observation,  transposition 
sur  la  iiortée  sxniliolique,  ou  hiératique,  ou  déco- 
rative, tonalité,  laractère,  etc.  Du  point  de  vue 
tout  relatif  de  la  perfei  tion  matérielle,  c'est  parfait  ; 
et  reconnaissons  d'.iillems  qu'aucune  velléité  d'aller 
plus  loin  n'.i  jamais  hanté,  fut-ce  ime  minute, 
l'imagination  japonaise. 

C'est  jwurquoi  nous  de\'rions  demander  à  cet 
art  de  l'Extrême-Orient  la  leçon  qu'il  peut  nous 
donner  :  ce  n'est  qu'une  leçon  technique.  Nous 
ne  saurons  jamais  trop  notre  métier  et  ses  secrets 
infinis.  Ap])renonsde  chez  eux  :  c'est  une  bonne 
école.  Lavons-\'  nos  yeux  de  toute  \-ul!;arité  et 
tonilions-les  de  toute  iaililesse,  ap])renons-\-  le 
respect  que  nous  de\dns  à  la  beauté  en  soi  d'un 
trait  bien  [lur  et  bien  sif^'uificatif,  d'une  couleur 
juste,  d'un  détail  de  uKeurs  ou  de  nature  fine- 
ment   observé.    Xe    faisons   jias  fi  de  notre  main. 

Mais  (|U('  la  piilection  de  ses  (euvres  ne  nous 
égare  ])as  jusipi'à  ne  i)oint  rêver  au  delà  de  cette 
technique  si  sa\-ante  et  si  juste.  Et  mettons-la 
snnplement  au  ser\-içe  de  la  pensée  et  du  sentiment 
occidentaux,  inclinons-la  à  n'être  plus  que  ce 
qu'elle  doit  être  en  effet,  le  moyen  d'exj^rimer 
notre  idéal  :  intellectuel,  humain,  attendri,  reli- 
gieux, même  si  les  ouxaes  amsi  olitenues  n'f)nt 
a\ec  la  di'coration  de  nos  intérieurs  et  la  joie  innné- 
diate  de  nos  \cux  (jue  de  lointains  rajijxjrts. 

Exposition  D'ii;r\-KES   de    Ekank   Br.\N(,\vl\  ; 

PEI.NTrRHS,       DESSINS,       EAUX-EORTES,      LITHOtlRA- 

PHIES  (Calcric  Baissv  d'Aiii^las,  30,  nie  Boissy- 
d'. Initias).  —  ('elui-(  I  e>t  un  poète  lyrique.  Il 
chante,  à  la  manière  un  peu  de  W'cdt  W'hitman  et 
de  \'erliaeren,  l'émotion  (jne  lui  donne  le  paysage 
d'usines,  de  lumées,  de  maisons  antiques  et  de 
navnes  formidables  et  échoués  qu'il  interj.irète. 
L'honnne  n'est  pas  ])résent  en  tant  tpie  jiersonnage 
dans  ces  1  onqiositi<ins  grandioses  et  tragiques,  et 
})ourtant  on  l'y  dc\ine.  ]>etit,  anonyme,  écrasé, 
ouvrier  d'une  (ru\ie  dont  il  ne  perçoit  que  le 
lal>em',  mais  dont  seule  la  haute  conscience  d'une 
élite  jieut  envisager  l'ensemble  et  le  but,  ou  bien 
passant  éphémère  en  face  de  l'éternité  relative 
des  vieilles  cités  illustres. 

Frank  Brangwin,  dont  le  métier  d'aquafortiste 
est  parmi  les  ])lus  beaux  qui  se  puissent  admirer, 
à  force  d'intensité,  de  poésie  et  de  rêve,  fait  oublier 
ce  métier  et  nous  impose  ce  qu'il  veut  nous  imposer, 
je  pense  :  une  sensation  de  terreur,  de  pitié  et  de 
mystère,  nerveusement  très  forte,  mais  d'un  ordre 
esthétique  très  éle\-é. 


Je  le  répète,  au  jîlan  supérieur  où  tous  les  arts 
s'équivalent  pour  nous  émouvoir  et  se  ressemblent 
malgré  la  différence  de  leur  technique,  l'œuvre 
hallucinante  et  réaliste,  observée  et  mystérieuse 
de  Frank  Brangwin  rejoint  celle  de  Walt  Whitman, 
mais  je  lui  trouve,  pour  l'élever  quand  même  au- 
dessus  des  poèmes  de  l'aède  américain,  je  ne  sais 
cpiel  désintéressement  plus  haut,  l'absence  totale 
d'intentions  didactiques  et  démocratiques,  plus  de 
pureté  en  un  mot. 

Exposition    de    peintures,    aquarelles    et 

GRAVURES     par     BeRNARD     BoUTET     DE     MONVEL, 

Jacques  Brissaud,  Pierre  Brissaud,  Maurice 
Taouov  :  sculptures  de  Philippe  Besnard 
{chc~  Dcvainhcz,  43,  boulevard  M alesherhes) .  — 
\'oilà  de  \rais  jeunes  !  On  l'a  dit,  et  j'ai  peur  de 
\eiiir  troji  tard,  depuis  deux  mois  et  demi  qu'il 
\'  a  des  critiques,  et  qui  le  pensent.  Mais,  tant  pis, 
jiuistjue,  malgré  l'opinion  de  la  critique,  c'est  vrai 
quand  même.  Ce  sont  des  jeunes  qui,  au  lieu  de 
se  contenter  d'être  jeunes  sans  travailler,  tra- 
\aillent,  ce  qui  les  empêchera  de  vieillir  aussi  vite 
(pie  les  autres,  et  ce  qui  augmentera  leur  talent. 
S'ils  font  des  pastiches,  c'est  pour  s'amuser,  et  on 
le  \-oit  bien  à  l'esprit,  à  la  verve,  à  l'intelligence 
de  ces  jiastiches.  S'ils  témoignent  de  goûts  pour 
le  s])ort,  cela  n'a  rien  qui  doive  nous  choquer,  au 
contraire  ;  car  cela  développe  chez  un  peintre  le 
goût  de  faire  en  ])lein  air  des  tableaux  de  plein-air, 
au  lieu  de  les  faire  dans  la  tranquillité  d'un  atelier 
comme  le  font  la  plupart  de  leurs  audacieux  et 
jeunes  contenijiorains.  S'ils  sont  lettrés  et  érudits, 
c'est  encore  tant  mieux,  car  cela  ne  peut  qu'attc- 
mur  en  délicatesse  le  quelque  chose  de  brutal  et 
de  sim])liste  que  la  culture  exclusivement  sportive 
leur  eût  donné. 

Cette  idée  qu'ils  ont  eue  d'exposer  ensemble  est 
charmante  ;  ils  sont  amis  en  effet  et  s'influencent 
les  uns  les  autres,  et  cela  leur  confère  un  certain  air 
de  famille,  tout  en  laissant  à  leurs  différences 
individuelles  toute  leur  saveur  et  leur  ingénuité. 
Ainsi  M.  Bernard  Boutet  de  Monvel  semble  bien 
leur  chef  et  leur  initiateur,  mais  avec  si  peu  de 
morgue  et  tant  de  camaraderie  que  l'odieuse  idée 
d'école  ne  se  présente  pas  une  fois  à  la  pensée  ; 
M.  Jacques  Brissaud  est  plus  âpre,  moins  disposé 
à  jilaire  (ses  trois  portraits  sont  intéressants)  ; 
M.  Pierre  Brissaud  est  un  illustrateur  de  premier 
ordre  (les  Douze  a(]uarelles  pour  illustrer  Clara 
d'EUébeuse  et  Almaïde  d'Etremont  de  Francis 
Jamines,  la  Journée  d'un  Cocodès  sont  des  choses 
riches  et  savoureuses,  et  émues  à  souhait).  11  a 
la  grâce,  la  divination  d'une  époque  ou  d'un  site, 
la  mesure,  le  sens  décoratif  et  l'esprit.  M.  Maurice 
Taquoy  est  chasseur  et  se  jilait  à  nous  représenter 


34 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


lies  lévriers,  des  chevaux,  des  meutes  iiourehassées, 
des  biches,  dans  des  paysages  tout  Iremjjés  de  matin  : 
^L  PhiHppe  Besnard,  sculpteur,  expose  des  plâtres 
et  des  terres  cuites  d'un  sérieux,  d'une  solidité 
surprenants.  Mais  tous  savent  charmer  sans  con- 
cession et  ils  n'ont  jamais  eu  l'idée  de  tabler  sur 
leur  jeunesse  pour  nous  en  imposer.  C'est  sur  leur 
talent  qu'ils  comptent. 

Exposition  de  gr.avikus  de  M.  Félix  Bk.\c- 
QfEMOND  ET  SiK  F.  Seymoir  H.vden  {organisée 
par  les  Arts,  à  l'hôtd  des  Modes,  15.  rue  de  la  Ville- 
l'Évéque).  —  C'est  une  j)ensée  à  la  fois  ingénieuse 
et  généreuse  que  d'avoir  voulu,  par  ces  temps 
d'entente  cordiale,  présenter  ensemble  au  public 
l'œuvre  de  ces  deux  artistes,  la  gloire  de  l'eau- 
forte  en  leurs  pays  respectifs,  tous  deux  pleins 
d'honneurs,  respectés,  savants,  observateurs  pas- 
sionnés et  attendris  de  leur  province  natale,  ado- 
rateurs constants  de  la  nature,  ])leins  de  déférence 
envers  les  secrets  chaque  jour  découverts  de  leur 
métier,  tous  deux  ayant  jiarlé  avec  une  intelligence 
l)leine  de  méditation  et  de  force  persuasive  de  ces 
secrets  si  intéressants. 

Les  deux  œuvres  exposés  là  sont  tellement  con- 
sidérables qu'ils  peuvent  être  regarde^  comme 
complets  et  presque  définitifs.  Je  n'ai  pas  la  pré- 
tention d'en  donner  la  plus  faible  idée.  Songez  que 
le  catalogue  porte  283  numéros  jiour  Félix  Brac- 
qoemond  et  202  jwur  Seymour  Haden.  Tout  ce 
que  je  jjuis  dire,  c'est  conseiller  d'aller  à  la  galerie 
d'Art  décoratif  pour  continuer  à  consulter  ces 
gravures  qui  y  seront  encore  exposées.  On  pourra 
>•  prendie  une  bonne  leçon  de  conscience  et  de 
travail. 

La  Société  moderne  (Galeries  Durand-Riiel, 
16,  nie  Lajfitte).  —  Presque  tous  les  artistes  de  ce 
groupement  sont  très  intéressants  et  je  supplie 
ceux  que  j'aurais  pu  oublier  ou  seulement  méjuger 
de  ne  pas  m'en  vouloir  :  le  \'ocabulaire  mis  à  la  dis- 
position d'un  critique,  même  ému,  même  sympa- 
thique, est  tellement  restreint,  et  tant  de  ]ieintres 
ont  du  talent. 

Du  talent,  ^L  Jacques  Drésa  en  a  jusqu'au  bout 
des  ongles,  talent  très  spirituel,  très  mouvementé, 
très  charmeur,  mais  non  pas  seulement  au  point 
de  vue  des  sujets  qu'il  choisit.  Ce  serait  trop  facile. 
Il  met  du  charme  dans  l'arrangement  de  ses  cou- 
leurs, dans  la  disposition  de  ses  dessins.  Art  léger, 
distingué  sans  mièvrerie,  malicieux  sans  méchan- 
ceté. Puck  et  Graine-de-Moutarde  armés  d'un 
cravon  et  d'un  petit  pinceau  imiteraient  très  bien 
M.  Drésa,  et  encore  !...  J'ai  revu  avec  émotion  les 
esquisses,  j'allais  dire  les  réductions,  pour  les  pan- 
neaux décoratifs  à  la  Sorhonnc,  de  Mlle  Dufau,  et 


le  Saint-Marc,  ]'cnisc  est  une  bien  extjuise  chose. 
Les  bleus  qui  hantent  et  envelo{)peiit  les  intérieurs 
de  Louis  Lcgrand  sont  merveilleux  et  ses  nus  sont 
d'une  nacre  bleue  et  rose  qui  enchante,  tant  elle 
est  savoureuse  et  sensuelle  !  Les  Contes  d'Orient 
(gouache  et  or)  de  M.  Manzana-Pissarro  ne  man- 
quent pas  d'intensité,  malgré  leur  dessin  brutal  et 
sommaire,  et  peut-être  même  à  cause  de  cela. 
M.  Zak  dessine  des  figures  d'une  manière  inou- 
bliable, mais  avec  une  gaucherie  sans  doute  voulue, 
un  je  ne  sais  quoi  de  dissonant  et  de  faux  qui  a 
l'air  rapporté  et  n'est  certes  pas  nécessaire.  M.  Louis 
Braquaval  est  simple, classique  et  sérieux. etM.  Mau- 
rice Chabas  lumineux  et  iioudroyant.  M.  Francis 
Jourdain  est  toujours  un  poète  attendri  et  ingénu 
des  paysages  familiers,  un  Francis  Jannnes  du 
pinceau.  De  ^I.  René  Juste,  la  couleur  est  exquise. 
Le  Bureau  de  tabac  de  Guéménée  (pluie)  est  une  chose 
délicieuse  à  regarder.  Citons  encore  Louis  Périnet, 
dont  le  sentiment  est  analogue  à  celui  de  Rivière, 
pour  la  mélancolie  due  aux  vastes  espaces  tristes  : 
Mlle  Anna  Morstadt,  qui  est  très  forte,  mais  ne  me 
touche  pas:  MM.  Henri  Morisset,  Paul  Madeline, 
G.  d'Espagnat,  Henri  Hourtal,  Georges  Dufrénoy, 
Henri  Déziré,  Gustave  Cariot,  que  j'ai  trouvés 
pareils  à  eux-mêmes  et  tlont  quelques-uns  me 
plaisent    profondément. 

Les  Arts  réunis  (Galeries  Georges  Petit,  S,  rue  de 
Sèzc).  —  Les  arts  mineurs  sont  ici,  à  mon  avis, 
mieux  représentés  que  les  autres.  Eugène  Fenillâtre 
montre  une  vitrine  contenant  des  émaux  et  des 
bijou.x,  notamment  un  vase  fermé,  d'une  couleur 
opaline,  d'une  forme  superbe  ;  H.  de  \'allombreuse 
des  grès  flammés  très  curieux.  Mais  c'est  la  vitrine 
de  Mme  Gaston  Lccreu.x  qui  m'a  le  plus  intéressé  : 
elle  contenait  une  collection  de  clefs  en  argent  et 
cuivre  ciselés,  des  objets  d'art  en  corne,  ambre  et 
ivoire  sculptés  d'un  goût  exquis  dans  la  sobriété, 
d'une  transparence  de  matière  aussi  douce  aux 
veux  qu'elle  devait  l'être  au  tact.  Non  loin.  M.  Gas- 
ton Lecreux  lui-même.  ]irésident  de  ce  groupement, 
exposait  des  tableaux  et  des  gravures  en  c<iuleurs, 
on  eût  dit  tous  dédiés  à  la  gloire  îles  fleurs  :  chry- 
santhèmes, hortensias,  rhododendrons,  magnolias, 
roses,  (cillets.  amoureusement  surjiris  dans  l'éclat 
de  leurs  couleurs  et  comme  tout  emlnis  de  rosée. 

Outre  ces  choses,  et  les  intimités  si  Unes  d'Alliert 
Lcchat  et  les  ]iaysages  berrichons  de  Fernand 
Maillaud.  déjà  aperçus  à  une  précédente  exposition, 
je  ne  pourrais  guère  citer  que  MM.  Georges  Berges, 
amoureux  de  danseuses  espagnoles,  Henri  Guinier 
au  pur  sentiment  breton,  Frédéric  Lauth.  Henri 
Jourdain,  Ernest  Marché,  orientaliste  non  sans 
valeur  et  très  sincère,  et  Louis  Ridel.  vraiment 
guetté  par  la  mièvrerie,  malgré  qu'il  lui  reste  encore 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


beaucouji  île  grâce.  Jlais  c'est  déjà  beaucoup, 
n'est-ce   pas  ? 

Société  d'art  français:  deuxième  exposition 

{Cercle de  lu  Librairie,  iij ,  boulevard  Saint-Germain). 
— De  ce  groupement  aux  tendances  les  plus  opposées, 
certains  artistes  ont  le  plus  bel  avenir  devant  eux: 
Charles  Martel,  par  exemi>le,  dont  les  Venise  et 
la  Nature  murtc  attestent  une  délicatesse  de  vision 
tout  à  fait  rare  rf  (jui  n'exclut  pas  la  force  ;  Charles 
Lacoste,  il<int  le  beau  talent  est  souvent  inégal, 
mais  i|ui  est  uiKintesiabK'iiunt  un  poète;  Jean- 
l'aul  l.aditte  (un  1', ////<'//;•  d'un  très  fier  dessin)  et 
Charles  Ciuénn  dont  j'ai  lieaueiiup  aimé  un  portrait 
d'enfant,  et  l.mns  Delfosse,  un  ravissant  coloriste 
(témoin  une  guingette  de  mariniers  d'une  rareté 
de  tons  surjiren.iute).  et  Edouard  Domergue,  très 
inthiencé  de  Henri  ^Martin  ;  et  Tristan  Klingsor.que 
nos  lecteurs  connaissent  liien  et  qu'ils  retrouve- 
ront aussi  à  Pitil  et  Plume,  et  Louis  Paviot,  et  le 
maître  Prunici",  et  Ricardo  Elorès,  gouailleur  avec 
intensité,  et  l'iene-Eugène  \'ibert,  si  émouvant. 
Tout  cela,  et  les  dessins  de  Rodm  (dont  je  ne 
saurais  plus  rien  ilire,  sinon  cju'ils  sont  toujours  les 
délassements  étonnants  d'un  maître  des  attitudes 
humaines)  suffisent  à  honorer  une  exposition,  malgré 
certaines  autres  choses,  choquantes,  ou  puériles, 
ou  violemment  agressives,  sans  autre  but  que 
d'étonner.  Les  meilleurs  artistes  de  la  Société  d'art 
français    gagneraient     à     être      davantage     entre 


Exposition  du  Lycecm-Club  (zS,  rue  de  la 
Bienfaisance).  —  Parmi  beaucoup  de  choses  sans 
grand  intérêt,  j'ai  eu  i)laisir  à  remarquer  Une 
Pileuse,  bien  oliservée,  de  Mme  Bourgounier  ;  le 
Lierre,  st.itue  \i)liiptiieuse  et  s\'mbolique  de 
^Ime  Gabnelle  Dumontet  ;  des  nus  et  ties  portraits 
(fusains  et  jiastels)  de  Mlle  Térouanne,  pénétrés 
d'un  fort  joli  sentiment,  et  deux  aquarelles  :  Aurore 
sur  les  hauts  f^Lileaux  (Cévennes)  et  Sapins  d'Alle- 
uhii^ne  de  .Mnu'  E.  Rey-Rochat  de  Théollier,  qui 
expose  en  même  temps,  au  Salon  de  l'Union  des 
Femmes  peintres  et  sculpteurs,  une  Maison  eu 
Savoie,  un  carton  de  \'itrail  et  une  affiche  pour 
estampes,  et  dont  l'Art  ei  l'école  a  désigné  deux 
frises  murales  ])our  son  exposition  au  Musée  péda- 
gogique. 

Poil  et  Plume  (Paierie  Boissy  d'Anglas.  ji», 
rue  Boissy-d'Ani^las).  —  Très  amusante,  très  jolie, 
très  variée,  cette  exposition  oii  sont  invités  tous 
les  artistes  à  côté,  tous  ceux  qui  n'ont  pas  l'habi- 
tude du  crayon  ou  du  jiinceau  :  littérateurs,  artistes 
dramatiques,  etc.  Et  ce  n'est  pas  plus  mal  que 
chez   nombre    de    professionnels,    je    vous    assure. 


Même,  beaucoup  d'expositions...  mais  j'allais  dire 
une  méchanceté. 

D'abord  une  rétrospective,  une  toute  petite 
rétrospective  où  vous  pourrez  tout  de  même 
retrouver,  s'il  vous  plaît,  des  noms  comme  ceux 
de  Baudelaire,  de  Gautier,  de  \'erlaine,  de  Rim- 
liaud.  La  plus  belle  chose  de  ce  Salon,  c'est  encore 
un  Joseph  Prudhomme  d'Henri  Monnier,  le  plus 
curieux,  le  plus  complet  de  tous  les  Prudhomme 
inventés  par  les  ennemis  de  cet  ennemi  de  tout 
artiste.  De  Verlaine,  des  dessins  pleins  d'une  verve 
amère  et  féroce,  d'une  gaminerie  que  ses  plus 
cruelles  souffrances  n'avaient  pu  vaincre.  Un  por- 
trait de  Carlotta  Grisi,  par  Théophile  Gautier,  est 
d'une  suavité  exquise  et  d'un  sentiment  pic- 
tural c]ui  fait  comprendre  de  quelle  autorité 
la  critique  du  brillant  poète  pouvait  se  réclamer. 
Quelques  croquis  à  la  plume  de  Baudelaire,  curio- 
sités plutôt,  de  ces  images  enfantines  qu'il  dessi- 
nait en  marge  de  ses  poèmes,  au.x  moments  difficiles 
de  l'insjîiration.  Desboutins  fut  auteur  dramatique, 
et  c'est  à  cette  particularité  que  nous  devons 
d'admirer  ici  de  lui  son  portrait  et  un  portrait 
d'enfant  qui  le  montre,  une  fois  de  plus,  aussi 
savoureu.x  peintre  qu'il  était  beau  graveur.  Deux 
jiochades  de  \'ictor  Hugo  :  petites  choses  qu'il 
offrait  en  bons  points  à  ses  petits-enfants  lorsque 
ceu.x-ci  avaient  été  sages  ;  ce  poète  savait  donner 
de  l'intérêt  à  ses  moindres  actes.  Des  dessins  de 
Rimbaud  qui  attestent  que  cet  incomparable 
visionnaire  avait  aussi  ce  talent  :  c'est  verveu.x, 
emporté,  amusant,  c'est  de  l'art.  Les  portraits  de 
\'erlaine  de  Cazals  :  l'un  sur  son  lit  de  mort  et 
l'autre  dans  le  jardin  de  l'hôpital,  sont  très  émou- 
\ants  et  d'une  vérité  de  ressemblance  et  d'expres- 
sion tout  à  fait  intense.  Les  Travaux  parlementaires 
de  Clovis  Hugues  constituent  de  bien  humoristiques 
souvenirs  sur  la  façon  dont  il  entendait  la  politique. 

Léon  Dier.x  e.xpose  des  bords  de  l'Oise  d'une 
frissonnante  sensibilité  à  la  Corot  ;  l'auteur  gai 
Georges  Auriol  est  un  bien  charmant  graveur  en 
couleurs,  et  bien  attendri,  avec  un  métier  qui  fait 
parfois  songer  à  celui  de  Rivière.  Haraucourt  est 
un  fin  paj'sagiste. 

Un  des  plus  curieu.x  de  tous  ces  exposants  et 
celui  cpii  possède,  à  mon  avis,  le  talent  le  plus  sen- 
sible et  le  plus  profond,  c'est  encore  Camille  Mau- 
clair.  11  faut  voir  ses  cinq  pastels  :  paysages,  por- 
trait et  fleurs  ;  ils  sont  exquis  à  regarder,  d'une 
étrange  justesse  d'observation,  d'une  divination 
étonnante.  C'est,  sans  aucune  prétention  technique, 
l'art  du  poète  rare  que  les  délicats  connaissent,  et 
l'on  comprend  que  lui  aussi,  lorsqu'il  parle  peinture, 
n'en  parle  pas  simplement  en  littérateur.  Son  envoi 
a  été  un  des  plus  admirés. 

René  Peter  est  un  caricaturiste  étourdissant,  un 


36 


L'Al^JT     ET     LES     ARTISTES 


peu  à  la  inaiiiCrc  de  Moniss  et  ilu  l'rtil  Bob,  mais 
a\'ec  plus  de  verve.  Son  Histoire  de  la  création  est 
d'une  folle  fantaisie.  De  Jean  Hess,  un  Calé-concert 
à  Oraii  et  une  Sieste  à  Oiidjda  j)rouvcnt  le  talent 
déformatcur  et  aigu  à  la  fois.  Puisque  nous  sommes 
parmi  les  humoristes,  ne  les  quittons  pas  sans  saluer 
au  passage  Jllle  Mcg  Villars  qui  a  du  brio,  M.  Ernest 
I.ajeunesse  aux  féroces  fantaisies,  Ciolkowski,  im 
l)eu  trop  infîuencé  de  Heardsley,  et  les  jolis  dessins 
de  Ch.  de  Bussy. 

Mounet-Sullysculiile  1res  bien,  témoin  ses  bustes, 
son  masque  et  ses  médaillons.  Remartiuons  aussi 
les  riiains  d'Ibels.  les  boxeurs  de  Dubois,  les  marrons 
sculptés  de  Fortuné   Paillot. 

Citons  enfin  les  croquis  d'escrimeurs  de  Réganiey, 
un  amusant  paysage  d'Armory,  les  en\ois  de  Paul 


Reboux.  de  dyp,  de  Klingsor,  (]v  Pierre  Gusman, 
d'Azénia  (un  beau  ]'ieillard).  de  Clary  ISarons,  de 
Cazeneuve,  <lu  duc  de  Pimodan,  d'Eugène  Morel, 
deCalmettes,  de  Bergerat.de  Montaigu,  de  Mme  \'a- 
lentine  de  Saint-Point,  de  Chérau,  de  Musurus,  etc. 
J'en  oublie  certainement. 

Ce  qui  plaît  le  plus  dans  cette  exposition,  c'est 
son  absence  absolue  de  ])rétention. 

Des  artistes  se  distraient  un  instant,  sans  vouloir 
en  imposer  à  personne.  Certains  ont  du  talent. 
incontestable  ;  d'autres  en  ont  moins;  mais  tous 
ont  de  l'esprit,  ou  de  la  Ijonne  huinetu',  ou  de  la 
sensibilité.  Et  on  n'a  pas  envie  de  s'ennuver.  11 
faut  dire  que  M.  Pierre  Jan  est  le  ))lus  aimable  et 
le   plus   habile   des   organisateurs. 

F.  M. 


MEMENTO    DES    EXPOSITIONS 


Mksi'c  Galliera,  lo,  rue  Pierre-Charron.  —  E.xposition 
générale  d'art  appliqué,  tous  les  jours  de  lo  heures  à 
4  heures,  le  lundi  matin  excepté. 

Coopérative  des  Artistes,  3,  rue  Laffitte.  —  lv,\ position  perma- 
nente d'œuvres  de  maîtres  modernes. 

Grand  Palais,  avenue  d'Antin.  —  Exposition  de  l'Union 
des  Femmes  peintres  et  sculpteurs. 

Cercle  de  l'Union  artistique,  rue  Tioissy-d'Ani;las.  —  ICxpo- 
sition  annuelle  de  peinture  et  sculpture. 

Cercle  artistique  et  littéraire,  rue  Volney.  —  Exposition 
annuelle  d'aquarelles,  dessins  et  gravures. 

Galeries  G.  Petit,  8,  rue  de  Sèze.  —  Exposition  des  Aquarel- 
listes français. 

Galerie  Devambez,  43,  boulevard  J\Ialeshcrbes.  —  Exposi- 
tion de  la  Société  des  Peintres  et  Graveurs  de  Paris. 

Galerie  des  Artistes  modernes,  19,  rue  Caiimartin.  —  Qua- 
trième exposition  de  la  Société  internationale  de  la 
Peinture  à  l'eau. 

Galeries  Georges  Petit,  8,  rue  de  Sèze.  —  Peintures  de  Paul  - 


.Mlîert  Laurens.  .Aquarelles  i\v  Pierre  \'if;ual.  .\(|ua 
relies  et  dessins  de  A.  Calbet. 

Grand  Palais,  avenue  d'Antin. —  Sixième  Salon  <le  l'ivcole 
française. 

Société  des  Peintres  du  Paris-Moderne.  Galerie  d'Art  déco- 
ratif, 7,  rue  I.affitle.  —  Peintures  et  gravures  en  cou- 
leurs de  Harald-Gallcu. 

Galerie  Xotre-Danie  des-C/iamf>s,  73,  rue  Xotre-lJanie-des- 
C/ianips.  —  Œuvres  de  Marie  I.aurencin,  Henri  Rous- 
seau, Eouis  Schelfhout. 

Galeries  Bernheim  jeune  et  Cie,  15  rue  liichepance.  — 
Œuvres  récentes  de  Bounard. 

Galerie  Druct,  20,  rue  Royale.  —  Dessins  rehaussés  de 
Gaston  Hochard. 

Galerie  de  l'Art  contemporain,  3.  rue  Troncliet.  —  Si.xième 
exposition  (.Vuburtin,  Bouchard,  Uespiau,  Lan- 
dowski,  Decœur). 

Galerie  Henry  Graves  et  Cie,  iS,  rue  Caumartin.  — 
Œuvres  de  Paul  Briaudau,  Charles  ]~>ufresne,  Henry 
Ottmann,  Tancrède,  Synave. 


2>7 


Le    Mouvement    Artistique 
à   l'Étranger 


ANGLETERRE 


SANS  précédent,  le  Salon  d'hiver  de  l'Acadenue  royale, 
cette  année,  est  composé  exclusivement  de  la  collec- 
tion de  tableaux  modernes  faite  par  feu  M.  George  5Ic 
Culloch.  Un  jugement  critique  donné  par  JI.  Claude 
Phillips  (de  la  Collection  Wallace)  est  qu'il  contient  «  un 
certairt  nombre  d'œuvres  vraiment  belles,  un  plus  grand 
nombre  qui  sont  tolérables.  et  une  immense  série  de  toiles 
qui  sont  vraiment  insupportables,  choses  à  produire  un 
ennui  terrible,  causes  de  chagrin  pour  le  critique  judi- 
cieux et  capables  de  faire  presque  désespérer  de  l'avenir 
de  l'art  britannique  ».  Cette  appréciation  si  juste  de  la 
collection  Me  Culloch  peut  être  expliquée  par  le  fait  que 
ce  collectionneur  n'avait  pas  un  jugement  indépendant 
comme  Staats  Forbes  ou  Alexander  Young.  Il  était  presque 
entièrement  sous  rinliuence  d'une  petite  coterie  acadé- 
mique d'admirateurs  mutuels,  et  le  résultat  est  un  aver- 
tissement pour  les  collectionneurs  qui  achètent  les  tableaux 
du  jour,  sans  connaissance  de  ce  qui  est  vraiment  la  belle 
peinture. 

Parmi  le  petit  nombre  d'iTuvrcs  »  vraiment  belles  »,  il  y  a 
le  nocturne  Valpamiso  et  le  portrait  du  peintre  par  V.'hist- 
1er,  et  ces  peintures,  quoique  à  l'huile,  sont  honteusement 
cachées  dans  la  salle  des  aciuarelles,  et  de  même  un  petit 
chef-d'iTinrc,  Ir  Mnnii.  di-  William  Orpen  :  un  véritable 
bijou.  Au  l'iiits.  i<nr  .M.itthcw  Maris,  quoique  également 
à  l'huile,  est  encore  enterré  d<ins  la  salle  de  Xoir  et  Blanc. 
Deux  portraits  par  Sargent  et  un  croquis  adorable  :  un 
garçon  qui  pêche  en  Xùrvège,  jiar  le  même,  doivent  être 
compris  parmi  les  eliosfs  précieuses,  auxquelles  il  faut 
ajouter  un  gnnqie  de  beaux  Urchardsons  :  Mnitu'  Béhi' 
L-X  le  Jctiiu-  Duc;  un  .Millais  préraphaélite  :  Siv  Isiiiiibias; 
l'Amour  painii  /<  s  niiiu-^  et  lu  l'iiiicifisc  cndoniiie,  de 
Burne  Jones  ;  Lear  it  Conhlui.  par  Abbey  ;  un  paysage  de 
Jacob  Maris,  trois  (lausiiis,  l^  même  nombre  de  Bastien 
Lepage,  un  I.avery,  j'IiiMiiirs  Dagnan-Bouveret.  et.  parmi 
la  sculpture,  le  jH-tit  j^roupe  en  marlire  /<-  Baiser,  do 
Rodin. 

Le  reste  des  34(1  tableaux  est  dans  le  genre  académique 
très  ordinaire.  Citons  le  Jardin  des  Ht  spêrides,  de  Leighton, 
qui  a  coûté  à  M.  Me  Culloch  jooooo  francs,  et  l'énorme 
Ihiphneporia,  du  même,  dont  le  jirix  originel  était 
V>(>  000  francs.  Il  est  plu-'  i|ue  douteux  que,  si  ces  tableaux 
étaient  mis  en  vente  aujourd'hui,  ils  réaliseraient  jilus 
du  tiers  de  ces  pri.x.  C'est  pitoyable  de  penser  combien 
de  milliers  de  livres  sterling  ce  mécène  moderne  a  pro- 
digués aux  ar(>.   et  pour  (piel   misérable  résultat! 


Chez  Cremetti  (ancienne  galerie  Thomas  M'Clean, 
Haymarket),  on  expose  une  collection  intéressante  des 
intérieurs  des  palais  et  églises  vénitiens,  par  M.  Pierre 
Bracquemond,  dont  nos  critiques  admirent  la  couleur 
Iraiche  et  la  franchise  de  facture. 
JS 

J'annonce  avec  le  plus  grand  regret  la  mort  de  l'artiste 
jiemtre  Charles  Conder.  à  l'âge  de  quarante  et  un  ans. 
Tous  ceux  cpii  connaissaient  ses  œuvres  exquises  et  variées 
ne  cesseront  de  déplorer  la  mort  prématurée  de  ce  véri- 
table L'énie. 


'L'Exposition  des  jolies  femmes  de  la  Société  internatio- 
nale à  la  New  Gallery  est  surtout  remarquable  à  cause 
d'un  groupe  de  très  belles  œuvres  de  cet  artiste  qui 
comprend  des  tableaux  à  l'huile,  des  aquarelles  et  des 
peintures  pour  éventails  et  robes,  et  un  paravent. 

Dans  la  Galerie  ouest,  ce  qui  nous  frappe  le  plus  c'est  le 
portrait  de  Mme  Manet  mère,  par  Edouard  Manet  ;  le  Mrs 
Findlay,  de  Sir  James  Guthrie;  Roubadah,  princesse  de 
Kahiil,  par  Omar  Menerabab;  le  Gold  Girl  et  la  Symphonie 
en  blanc,  numéro  trois,  de  ^\Tlistler  :  Lady  Colin  Campbell, 
de  Boldini  ;  Portrait  di  Donna  Maria  Martinez  del  Puga, 
jiar  Goya;  six  Monticelli,  un  Courbet,  un  Gainsborough  et 
un  Reynolds.  Dans  la  Galerie  nord,  un  groupe  de  portraits 
de  Millais.  un  Renoir,  un  Berthe  Morisot  et  le  Portrait  de 
jeune  fille  de  Mary  Cassatt.  et,  dans  la  section  de  sculpture, 
un  groniH-  d'iruvres,  par  Alfred  Gdbert,  pour  la  collection 
Saint-Gaudens  qui  a  maintenant  disparu.  Au  balcon,  il  y  a 
une  collection  de  gravures  en  couleurs  japonaises,  et  des 
dessins  originaux  de  Harunobu,  Shunsho,  Utainaro  et  Ho- 
kusai  prêtés  par  Charles  Ricketts  et  C.  H.  Shannon. 

Neuf  A'an  Dyck,  autrefois  dans  la  collection  d'Earl  Cow- 
per  à  Panshanger,  ont  été  ])rêtés  par  Lord  Lucas,  à  présent 
leur  propriétaire,  pour  un  terme  de  deux  ans  à  la  Galerie 
Nationale  où.  pour  le  moment,  ils  ont  été  accrochés  à  côté 
de  l'escalier  principal.  Parmi  ces  œuvres  se  trouve  le 
groupe  d'enfants  de  la  famille  d'Abbi  e.xposé  chez  .\gne\v 
il  y  a  deux  ans  ;  le  superbe  portrait  de  Rachel  de  Ruvigny, 
comtesse  île  Southampton.  en  robe  bleue  ;  un  portrait 
lie  Mme  Kirke,  autrefois  dans  la  collection  de  Sir  Peter 
Selliv;  Lords  John  et  Bernard  Stuart  ;  le  marquis  de 
Leganez  ;  Elizabeth.  seconde  femme  du  quatrième  comte 
de  Southampton;  Philip  Lord  Wharton  portant  une  cui- 
rasse ;  et    Anne,  lemnie  de  Robert  Lord   Rich. 

Fr.\nk  RlTTER. 


38 


i.'ARf    I-; 


ARTISTES 


AUTRICHE 


T  ES  bruj'antcs  polémiques  tini.  à  \ii-niu".  ont  suivi  le 
^^  départ  du  directeur  de  l'Opéra.  M.  l'.ustavc  Mailler,  et 
que  son  successeur,  jM.  Woingartner,  attise  sans  cesse,  par 
sa  contradiction  ou  destruction  systématique  de  l'œuvre 
de  son  prédécesseur,  m'amènent  aujourd'hui  à  aborder  de 
nouveau  cette  question  de  la  réforme  de  la  mise  en  scène, 
instaurée,  pour  l'Allemagne,  l'an  dernier,  au  Théâtre  des 
Artistes  à  l'Exposition  de  Munich,  l'as  une  revue  d'art  ni 
de  musique  n'a  signalé,  en  son  temps,  la  réforme  de  l'Opéra 
de  Vienne  accomplie  par  M.  Mahler  et  un  <lécoratcur  véri- 
tablement inspiré,  M.  Alfred  Koller.  Elle  avait  précédé 
de  cinq  ans  celle  de  ilunich  et  la  s  Scène  idé'alc  »  de  Mann- 
heim.  Dès  1905,  avec  le  Don  Juan  de  Mozart,  avait  été 
ticcidée  la  suppression  des  coulisses  et  leur  remplacement 
par  ces  portants  ou  prismes,  dont  le  fonctionnement  si  ingé- 
nieux assure  une  stylisation  du  décora  peu  près  analogue 
à  celle  que  subissent  la  parole,  dans  le  chant,  et  la  vie  elle- 
même,  dans  le  drame.  Qu'on  nous  pardonne  cette  excursion 
rétrospective  dans  un  domaine  qui  n'a  jamais  été  davan- 
tage celui  de  l'art  et,  ici,  de  l'art  le  plus  grand.  Les  maquettes 
et  projets  d'.Alfred  RoUer,  exposés  l'automne  passe  à  la 
Kunstschati  de  Vienne  où  ils  remplirent  jilus  d'une  salle, 
iccompagnés  de  ceux  de  MM.  Czeschka.  Emile  Orlik  et 
ivoloman  Moser,  demeurent,  ne  fut-ce  que  comme  tableaux, 
aquarelles  et  dessins,  des  œuvres  d'art  d'une  haute  signifi- 
cation, longtemps  après  que  leur  réalisation  scénicjue  n'est 
plus  qu'un  souvenir.  Et  c'est  un  événement  d'une  impor- 
tance encore  insoupçonnée  en  France,  que  cette  réforme 
de  la  mise  en  scène,  procédant  un  peu  de  la  construction 
de  la  scène  fixe  du  célèbre  Théâtre  Olympique  de  Viccnce. 
La  Tétralogie,  en  aucun  lieu  du  monde,  n'a  connu  une  réa- 
lisation scénique  aussi  simjilement  merveilleuse  et  imiiec- 
cable  qu'à  Vienne,  sous  Mailler,  dans  les  décors  (le  M.  Koller. 
11  faut  lire,  dans  le  récent  livre  du  1)''  Paul  Stefan,  le 
témoignage  de  ce  ciue  furent,  en  ce  temps-là,  l'Enlèvtmcr.t 
au  sérail,  te  Mariage  de  Figaro  et  la  Flûte  enchantée, 
Lohengrin,  les  Femmes  curieuses  (de  Wolf  Ferrari),  enfin 
I phigénie  en  Atilide.  Aux  représentations  du  chef-d'œu\re 
lie  Gluck,  l'Opéra  de  Vienne,  avec  son  pulilic  dissipé,  (pii 
n'a  d'amour  véritable  que  de  la  gaudriole,  devenait  iiueU[uc 
chose  comme  une  égli.se  où,  devant  une  foule  jiieuse,  se 
célébrait  un  grand  olfice.  Les  scènes  se  déroulaient  comme 
des  bas-reliefs  en  mouvement.  Cela  se  passait  en  1907. 
Ce  fut  le  chant  du  cygne  de  la  glorieuse  collaboration 
Mahler-Roller.  Aujourd'hui,  tout  cela  a  vécu. 

Et  c'est  désormais,  à  X'ienne.  une  lutte  implacable  entre 
l'élite,  qui  a  pris  goût  aux  chefs-d'œuvre  dans  un  décor 
à  leur  image,  et  les  triomphateurs  du  moment,  revenus 
aux  sages  vieilles  routines.  Lue  fatalité  semble  ])eser  sur 
la  grande  ville  impériale  et  vouloir  (jue,  depuis  le  martyre 
de  Beethoven  et  de  Schubert,  toute  vraie  grandeur  y  soit 
méconnue,  toute  vraie  valeur  mise  en  disponibilité.  Le 
médiocre  Makart  fut  seul  â  y  connaître  une  gloire  tie  cos- 
tumier et  d'organisateur  de  cortèges,  qui,  encore  aujour- 
d'hui,  est   refusée  â   un    Klimt,   dont   l'ouvre  capitale,  les 


trois  grandes  compositions  décoratives  :  la  Médiciiie,  la 
Philosophie  et  la  Jurisprudence,  ce  «pie  la  science  de  notre 
temps  a  inspiré  de  plus  beau  à  aucun  peintre,  même  après 
l'Amphithéâtre  de  chimie  de  M.  13esnar<l.  ont  été  igno- 
minieusement refusées  par  ITniversité  de  N'ienne.  à  qui 
elles  étaient  destinées.  Leur  dispersion  est  aujourd'hui  un 
fait  accompli.  L'une  des  plus  grandes  œuvres  d'art  décora- 
tif du  siècle  n'a  pas  même  trouvé  au  Musée  Impérial 
cette  place  que  l'on  n'a  pas  songé  aménager,  lorsqu'il  fut 
question  du  gigantesque  et  plus  que  médiocre  Tu.  felix 
Austria,  nube  de  M.  Brozik,  une  commande  olTicielle  ! 

En  temps  ordinaire,  lorsque  la  féerie  décisive  de  quelque 
Kunstschau  ne  rattrape  pas  pour  Vienne  le  temps  et  le 
terrain  perdus  par  l'art  moderne  pendant  une  période  de 
deux  ou  trois  ans.  je  conseille  de  n'aller  point  chercher  au 
malheureux  et  routinier  Kunsllerhaus  les  chiches  consola- 
tions dont  il  lui  reste  la  spécialité  ;  mais  plutôt  â  la  Séces- 
sion, encore  que  l'exode  de  Klimt  et  de  tous  les  vrais 
talents  «de  l'avenir  »  l'ait  laissée  singulièrement  orpheline 
et  déshéritée;  ou  au  Hagcnltind,  <pii.  malheureu.sement 
pour  lui,  heureusement  pour  nous,  vit  plus  <les  écoles 
slaves  auxquelles  il  lui  arrive  de  donner  l'hospitalité  que 
de  ses  propres  forces.  Enfin  j'enverrais  surtout  aux  galeries 
Miethke.  dont  les  expositions  très  soignées  font  le  plus 
grand  honneur  â  la  gérance  artistique  d'un  jiaysagiste 
autrichien,  d'une  santé,  d'une  distinction  et  d'une  sérénité 
]>eu  communes,  M.   Karl  Moll. 

Il  représente  en  Autriche  l'exacte  ajipropriation  au 
pays  des  conquêtes  les  plus  légitimes  de  l'impressionnisme 
français,  mais  affinées  par  un  sens  décoratif,  inHuencé 
peut-être  un  peu  par  le  voisinage  de  Klimt  et  même  la 
musique  de  Mahler.  car  il  ne  faut  pas  oublier  que  les  deux 
(histave.  Klimt  et  Mahler.  sont  aujourd'hui  les  guides  et 
l'étoile  de  tout  ce  ipii.  en  .\utriche.  compose;  et  cela  dans 
tons  les  domaines,  aussi  bien  le  littéraire  que  l'artisticpie. 
le  musical  que  le  philosophique.  M.  Karl  Moll  s'est  beau- 
coup occupé  des  maisons  encore  subsistantes  que  Beetho- 
ven, l'éternel  errant,  a  habitées  dans  la  banlieue  de  Vienne. 
11  en  a  fait,  en  même  temps  que  des  tableaux  d'une  rare  inti- 
mité, avec  une  notation  de  la  lumière  d'un  charme  bien  à 
lui,  une  série  de  bois  qui  mériterait  à  l'étranger  la  juste 
célébrité  dont  elle  jouit  à  \'ienne.  Sauf  peut-être  Cari 
Larsson  en  Suède,  nul  n'a  aimé  son  intérieur  et  son  jardin 
autant  que  lui.  11  les  a  décrits  dans  son  œuvre,  recoin 
après  recoin,  à  des  heures  nuancées  et  douces,  réussissant  à 
faire  <le  ces  recoins,  non  de  s|)irituelles  illustrations  comme 
Larsson.  mais  des  tableaux  d'une  véritable  grandeur  déco- 
rative et  d'une  impressionnante  tendresse  lumineuse. 
tiè<le  et  concentrée.  Tel  (juel,  "SX.  Karl  Moll  est.  à  l'heure 
actuelle,  en  .\utriclie.  un  représentant  des  tendances  mo- 
dernes du  paysage  aussi  distingué  <pie  les  l'ettenkofeii.  les 
Schiiidler.  puis  les  Kibarz  et  les  Jetlel  le  turent  de  celles 
ipii  régnèrent  de  l'I^cole  de   Barbizou  jus(]u'à    Courbet. 

Wii.iiAM    KiiriR. 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


BELGIQUE 


Te  vous  ai  parlO  à  diverses  reprises  du  cercle  Pottr 
VAit  et  de  l'austérité  de  ses  manifestations.  Ce  cercle 
groupe  quelques-uns  de  nos  plus  purs  artistes,  et  c'est  le 
seul  dont  les  expositions  comptent  toujours  un  certain 
nombre  d'oeuvres  de  peinture  monumentale.  Je  vous  ai 
signalé  déjà  la  renaissance  en  Belgique,  à  travers  tous  les 
obstacles,  de  la  grande  peinture  décorative.  C'est  au  cercle 
Pour  l'Art  que  ce  mouvement  est  né  et  que,  régulièrement, 
on  en  peut  suivre  les  progrés.  Sans  doute,  tous  les  artistes 
qui  participent  à  ce  mouvement  ne  sont  pas  là  :  il  manque 
notamment  Levêque,  Delville,  Montald.  Mais  Fabry, 
Ciamberlani,  Colmant,  et  Langaskens  et  \an  Hoider 
exposent  aux  Salons  de  Pour  l'Art. 

La  présence  de  ces  artistes,  celle  aussi  du  sculpteur  Rous- 
seau, dont  l'art  est  si  pur,  n'ont  pas  été  sans  influence  sur 
les  peintres  du  cercle.  Parmi  ceux-ci,  d'ailleurs,  lorsque  le 
groupe  se  constitua,  se  trouvaient  déjà  plusieurs  personna- 
lités en  possession  de  la  maîtrise,  tels  Lacrmans  et  Ver- 
haeren.  Le  réalisme  pondéré,  médité  et  très  noble  de  ces 
peintres,  maîtres  de  leur  langage,  et  l'idéalisme  des  Ciam- 
berlani, des  Fabry  et  des  Rousseau,  formulé  en  de  précises 
et  fortes  beautés  plastiques,  créèrent  une  atmosphère  de 
sérénité,  une  discipline  de  l'effort  qu'ont  subies  même  les 
plus  jeunes  et  les  plus  fougueux.  Ht  nous  sommes  aujour- 
d'hui en  présence  d'un  grcnquiuent  vraiment  exceptionnel 
où  l'originalité  de  la  viskju,  1  indépendance  de  la  person- 
nalité, la  hardiesse  des  recherches,  le  ginit  du  nouveau 
.s'affirment  en  se  tempérant  de  réflexion,  en  ne  méconnais- 
sant jamais  la  nécessité  des  réalisations  complètes,  du 
métier  loyal,  de  l'expression  claire.  Il  y  a.  au  cercle  Pmn 
l'Art,  des  idéalistes,  des  réalistes,  des  intuuistes,  des  lunil- 
nistes  ;  et  ils  voisinent  sans  heurts,  sans  désaccords,  parce 
que  tous  ont  un  laiigage  mesuré,  parce  qu'aucun  ne  sacrifie 
aux  violentes  et  faciles  impressions.  Ainsi  toutes  les 
œuvres,  quelle  que  soit  la  nuance  de  leur  éloquence,  quelles 
que  soient  leurs  intentions,  dégagent  une  émotion  com- 
mune :  celle  de  la  longue,  de  la  fervente  contemplation. 

Cette  impression  générale  est  plus  forte  qu'elle  ne  le  fut 
jamais  au  Salon  de  cette  année  oii  presque  tout  dit  le  noble 
effort  vers  l'évocation  intégrale  des  beautés  admirées  ou 
rêvées,  où  les  réalités,  par  le  stj-le,  .sont  grandies  d'un  peu 
de  rêve,  où  le  rêve  se  précise  et  devient  vivant  en  de  fortes 
images  de  saine  réalité  évoquée  avec  respect. 

Et  c'est  ici,  je  crois,  que  l'on  peut  le  mieux  se  rendre 
compte  des  résultats,  en  Belgique,  des  évolutions  et  des 
fiévreuses  recherches  de  l'art  en  ces  vingt  dernières  années, 
ici  que  l'on  peut  goûter  la  joie  de  l'aboutissement  dans 
l'atmosphère  apaisée. 

Le  panneau  décoratif,  le  portrait  d'expression  intense. 
VÉvocatioïi,  et  telle  sanguine  —  la  Famille  —  d'Emile  Fabrv, 
ces  figures  où  s'exprime  en  de  la  forme  épurée  toute  la  no- 
blesse d'une  humanité  supérieure  ;  le  panneau  de  Ciamber- 
lani, composition  pleine  d'eurythmie  ;  un  buste  et  des 
figurines  de  Rousseau  —  notamment  une  «  Maternité  » 
où  la  chair  devient  plus  sanguine,  où  la  grâce  flexible 
prend  une  santé  nouvelle  ;  les  toiles  de  Lacrmans,  sur- 
tout le  Silence,  où  tant  de  farouche  recueillement  enve- 
loppe tant  de  discrète  splendeur  ;  les  pastels  de  Firmin 
Baes  qui  donne  à  des  figures  très  humbles  des  ampleurs 
de  statues  ;  les  portraits  tendres  et  lumineux  de  \",in  den 
Eeckhoudt  fixant  les  formes  et  les  consistances  d.ins  uu 
impressionnisme  éclatant,  disent  le  mieux  la  curieuse 
communion  d'efforts  pourtant  très  opposés,  communion 
due  à  la  seule  méditation. 

F'ranz  Van  Hoider,  en  des  portraits,  en  une  page  d'une 


intimité  tendre  :  la  Maison  du  Bonheur,  en  une  Vision 
païenne  d'un  beau  style,  manifeste,  lui  aussi,  un  talent 
réfléchi,  d'expression  pénétrante,  soumis  à  un  métier  volon- 
taire, sobre  et  puissant.  Métier  consciencieux  aussi,  presque 
méticuleux,  chez  François  De  Haspe.  dont  les  paysages 
gardent  pourtant  un  style  épique,  une  sorte  de  langage 
occulte. 

Alfred  Verhaeren.  Amèdée  Lynen.  Opsomer,  Charles 
Michel.  A'iérin.  Coppens,  Clémence  Lacroix,  Dardenne, 
Viandier,  Huib  Luns,  Joseph  Dierickx,  ont  des  envois 
où  se  retrouve  le  même  accord  chez  des  personnalités 
très  différentes.  Et  une  nouvelle  recrue,  M.  Camille  Lam- 
bert, expose  deux  tableaux,  de  composition  grouillante, 
de  mouvement  frénétique,  d'éclatante  et  lumineuse  cou- 
leur :  LonçeJtamfr  fleuri  et  Danse  des  Scythes,  révélant 
un  peintre  aux  dons  très  rares  et  qui  doit  seulement  veiller 
à  modérer  .sa  fougue. 

je 

Parmi  les  autres  expositions  récentes,  il  convient  de 
signaler  celle  de  l'Estampe,  que  dirige  M.  Robert  Sand.  et 
où  fut  fêté  M.  Chahine.  qui  avait  un  envoi  considérable  à 
coté  d'un  important  ensemble  d'œuvres  de  Rops.  et  d'une 
réunion  d'eaux-fortes,  de  gravures  et  de  dessins  d'une 
cinquantaine  d'artistes  belges.  Parmi  ceux-ci,  on  a  remar- 
qué surtout  les  compositions  de  caractère  âpre  de  M.  De 
Bruycker.  un  Gantois  à  la  personnalité  très  curieuse. 

A  la  Galerie  Boute,  il  y  eut  un  Salonnet  organisé  par 
M.  Gins,  et  cjui  groupait  des  peintures  et  des  pastels  de 
cinq  artistes  français  :  MM.  Lauth,  Allaux,  Boucher, 
Erlanger  et  Guignard.  La  tentative  de  M.  Gins  a  été  fort 
appirécièe  et  le  succès  a  été  très  vif  pour  les  cinq  peintres 
français,  notamment  pour  M.  Lauth  et  ses  solides  et 
ardentes  études  rapportées  d'Espagne. 

A  la  Galerie  Boute  encore,  quelques  peintres  du  groupe 
du  Sillon,  dont  je  vous  ai  souvent  parlé,  ont  montré  leurs 
plus  récents  travaux.  De  très  belles  toiles  de  MAL  Smeers, 
Wagemans.  Swyncop,  Simonin,  Haustraete,  Jefferys  ont 
affirmé  brillamment  les  beaux  résultats  obtenus  par  l'adap- 
tation à  la  vision  lumineuse  et  fraîche  d'aujourd'hui  des 
qualités  traditionnelles  de  robustesse,  d'opulence,  de  l'École 
belge. 

Enfin,  au  Cercle  artistique,  une  exposition  mérite  une 
mention  spéciale  :  celle  de  M.  Xykerk,  impressionniste  pon- 
déré, coloriste  original,  dans  ties  vues  de  Bruxelles  et  de 
belles  natures  mortes. 

M 

Au  comnicncement  de  février  est  mort  à  Bruxelles  le 
doyen  de  la  critique  d'art  :  M.  Edouard  Fétis. 

Edouard  Fétis,  fils  du  célèbre  musicologue  François 
Fétis,  était  âgé  de  quatre-vingt-dix-sept  ans.  Depuis 
soi.xante  ans  il  était  critique  d'art  et  critique  musical  de 
l'Indépendance  belge.  Il  était  l'auteur  d'ouvrages  impor- 
tants, tl'une  précieuse  histoire  des  Peintres  belges  à  l'étran- 
ger, notamment.  Il  était  président  de  la  Commission  des 
Musées  royaux. 

C'était  une  physionomie  très  curieuse.  De  sa  jeunesse 
vécue  à  Paris  à  l'époque  des  premières  batailles  du  roman- 
tisme, il  avait  gardé  des  souvenirs  très  nets.  Et  il  racontait 
la  première  li'Hcrnani  à  lacjuelle  il  avait  assisté  dans  le 
groupe  famcu.x  de  Théophile  Ciautier. 

Le  défunt  possédait  une  collection  très  intéressante  de 
tableaux  des  Écoles  flamande  et  hollandaise,  patiemment 
formée.  Il  a  légué  au  Musée  de  Bruxelles  plusieurs  portraits. 

G.  Vanzype. 


40 


L'ART    ]':t    les    artistes 


ETATS=UNIS 


jL    y  a  partout  des    expositions  d'art.   Notre  pays  e^^l 
^  tellement  immense  (presque  cinquante  fois  plus  grand 

que  la  France)  qu'il   faut  des  Salons  annuels  en  plusieurs 

villes. 

Peut-être  le  ])lu^  important  t>t-il  l'.Vcadémie  de  Phila- 


Ces  panneaux  sont  très  beaux  comme  décoration  et  son 
œuvre  possède    l'avantage    d'être   tout   à  fait  personnel. 

A  Washington,  l'exposition  biennale  des  .Artistes  amé- 
ricains a  eu  autant  de  succès. 

Depuis  deux   ans  sciiUiucnt,   notre    tajiilale    a  pris   sa 


AX.XA      IIVAIT 


delphie,  qui  vient  de  s'ouvrir  avec  cinq  cents  tabU-aux  el 
cent  quatre-vingts  morceaux  de  sculpture. 

Les  peintures  de  John  S.  Sargent,  Alexander  Hani.son, 
Elizabeth  Xourse,  Frank  Bcnson,  Gari  Melchers,  Cecclia 
Beau.x  et  Thomas  .\nshutz  comptent  parmi  les  meilleures 
exposées. 

Sargent  a  reçu  le  prix  Cniol  II.  Bicck  pour  son  j)ortiait 
de  Mlle  SowTisend,  et  ,\nshiitz  a  remporté  le  prix  Lippin- 
cott  avec  son   «  Tanagra   < . 

Notre  gouvernement  ne  donne  jamais  de  récompenses  ; 
cela  est  contraire  à  l'esprit  américain,  qui  croit  (pie  toute 
l'initiative  doit  venir  de  l'individu. 

Donc  nos  riches  citoyens  s'arrogent  le  privilège  d'encou- 
rager l'art  en  instituant  ces  i^rix,  plus  ou  moins  considé- 
rables en  argent,  mais  toujours  très  flatteurs  pour  les 
artistes,  parce  que  ce  sont  les  membres  du  \\\vy  qui  les 
adjugent. 

Aussitôt  que  le  Salon  d'hiver  fut  fermé  à  New-York, 
les  expositions  privées  commencèrent.  Il  y  eu  a  plu» 
que  jamais  ;  tous  nos  peintres  et  tous  nos  sculpteurs  dé- 
sirent exposer  dans  cette  ville,  la  plus  riche,  la  plus  com- 
merciale, mais  aussi  la  plus  artistique  d'Amérique.  Parmi 
ces  nombreuses  exhibitions,  une  des  plus  intéressantes 
est  celle  de  William   l-uUer  Curtis. 

Vrai  artiste,  il  a  trouvé  avec  l'humble  moyen  du  bois- 
brûlé  la  possibilité  d'exprimer  ses  pensées  poétiques  et  son 
amour  des  qualités  purement  décoratives. 

Il  emploie  non  seulement  la  pointe  à  pyrograver,  mais  les 
couleurs  .en  gouache,  et  en  minéraux  avec  des  rehauts  d'or. 


place  parmi  les  grandes  villes  du  monde,  avec  un  vrai 
Salon.  Nos  meilleurs  artistes  y  ont  envoyé  leurs  œuvres, 
et  nous  esjiérons  qu'avant  peu  d'années  il  y  aura  une 
exposition  d'Art  internationale,  un  Salon  assez  important 
pour  attirer  tous  les  grands  artistes  du  monde. 

Grâce  à  Théodore Roosevclt, le  Jlusée  national  des  IJeaux- 
.\rts,  à  Washington,  est  un  fait  accompli. 

Notre  président  a  beaucoup  travaillé  pour  le  dévelop- 
pement de  l'art  en  .Amérique. 

Tout  récemment,  il  a  nommé  un  comité  comiiosé  de  nos 
meilleurs  architectes  et  peintres  décorateurs,  pour  surveil- 
ler les  monuments  nationaux.  11  y  a  quelques  artistes  qui 
craignent  qu'un  tel  comité  ait  une  tendance  à  rendre  notre 
art  trop  académitpie,  trop  resserré  tlans  certaines  formules. 
Mais  la  plupart  imt  accueilli  cette  nouvelle  avec  enthou- 
siasme. 

Jusqu'à  aujourd'hui,  toute  la  direction  de  nos  grands 
bâtiments  nationaux  était  concentrée  entre  les  mains  d'un 
seul  architecte,  appointé  par  le  gouvernement. 

En  conséquence,  nos  plus  dispendieux  monuments  sont 
plus  ou  moins  beaux,  plus  ou  moins  laids,  suivant  le  goût 
d'un  seul  homme. 

Heureusement,  tout  cela  sera  changé  dès  que  le  nouveau 
comité  aura  reçu  ses  pleins  pouvoirs  de  notre  Congrès. 

Mais  peut-être  l'événement  qui  causera  le  plus  grami 
progrès  dans  notre  développement  d'art  est  l'établisse- 
ment, dans  toutes  nos  grandes  villes,  de  sociétés  pour  la 
décoration  des  écoles   publiques. 

Pendant   l'automne,  les   dames   riches   et   cultivées   de 


41 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


Washington  organisent  des  sociétés  de  ce  genre  où  chaque 
membre  paie  5  francs  par  an. 

Déjà  elles  ont  plus  de  5uo(_i  francs  dans  leur  trésorerie  ! 
Avec  cet  argent  on  achètera  des  reproductions  d'après 
les  grands  maîtres,  des  objets  d'art  et  des  décorations 
murales. 

Mais,  chose  encore  plus  significative,  les  architectes  des 
deux  nouvelles  écoles  ont  organisé  un  meeting  avec  les 
membres  du  comité  de  cette  Société,  ]iour  discuter  leurs 
plans,  afin  que  les  décorations  futures  soient  en  accord 
avec  l'architecture. 

Partout  les  enfants  s'intéressent  à  ce  mouvement. 
A  Dayton  (Ohio),  les  élèves  ont  décidé  de  prendre  part 
à  l'embellissement  de  leur  école. 

Comment  allaient-ils  s'y  premlre? 

Question  brûlante  !  Après  une  très  longue  discussion, 
les  enfants  ont  notifié  leur  décision  :  acheter  un  grand 
lion  de  bronze,  pour  mettre  devant  leur  porte. 

Pendant  cinq  ans  ils  ont  épargné  tous  leurs  sous.  Quand 
10  000  francs  furent  amassés,  ils  nommèrent  un  comité 
pour  choisir  le  meilleur  sculpteur  possible. 

Un  de  ces  membres  vit  des  oeuvres  de  Mlle  Hyatt  au  Salon 
annuel  de  Chicago,  où  ses  animaux  ont  attiré  beaucoup 
l'attention.  Après  toutes  sortes  de  «  pourparlers  »,  elle 
reçut  la  commande  du  fameu.x  lion.  Anna  Hyatt  était 
l'élève  la  plus  douée  de  Gutzon  Borglum. 

Sociétaire  de  notre  Société  nationale  de  sculpture,  ses 
œuvres  sont  exposées  partout,  même  à  Paris,  et  partout 


on  est  frappé  par  son  originalité,  par  sa  puissance  de  repré- 
sentation de  la  nature,  et  par  la  vérité  de  son  modelé'. 

Jeune,  jolie,  bien  élevée  et  extrêmement  douée  comme 
sculpteur  d'animaux,  Mlle  Hyatt  est,  par  excellence,  un 
personnage  digue  d'attirer  l'admiration  romanesque  des 
enfants. 

Quand  elle  est  revenue  de  Xaples  (où  elle  était  allée 
pour  fondre  son  lion),  elle  fut  reçue  avec  des  acclamations 
par  les  milliers  de  jeunes  gens  qui  ont  contribué  de  leurs 
sous  à  l'achat  du  lion. 

Elle  fut  conduite  en  triomphe  à  la  salle  d'assemblée  et, 
là,  fut  forcée  de  faire  un  long  discours  sur  la  manière  de 
modeler  et  de  fondre  un  lion. 

Le  maire,  les  adjoints,  les  gens  les  plus  riches,  comme  les 
ouvriers  les  plus  pauvres,  tout  le  monde  de  Dayton  a  pris 
part  à  l'inauguration  du  monument  couronné  par  le  lion. 

Les  enfants  étaient  transportés  de  joie. 

Maintenant  ils  adorent  leur  beau  lion,  pour  lequel  ils 
ont  fait  tant  de  sacrifices. 

Et,  chose  très  importante  pour  l'avenir  de  l'art  à  Daj'ton, 
ils  commencent  à  étudier  toutes  les  statues,  toutes  les  pein- 
tures qui  appartiennent  à  leur  ville;  pour  la  première  fois 
ils  sont  vraiment  intéressés  par  le  Beau. 

Quand  ces  enfants  seront  devenus  des  hommes  et  des 
femmes,  ils  demanderont  de  belles  choses  pour  leurs  maisons. 
Ainsi  l'art  croîtra  dans  ces  petites  villes,  qui  plus  tard,  nous 
espérons,  feront  une  nation  artistique  de  notre  Amérique 
commerciile.  A.    Seaton-Schmidt. 


ITALIE 


■Tl  n'y  a  rien  de  plus  paradoxal,  à  coup  sûr,  (jue  l'Art 
codifié,  inflexiblement  régi  par  des  lois  gouvernemen- 
tales autant  que  par  les  normes  tyranniques  que  la  médio- 
cratie  traditionnaliste  élève  toujours  contre  les  innovateurs, 
de  quelque  catégorie  et  aussi  de  quelque  envergure  qu'ils 
soient.  L'art  procède  par  étapes  d'innovation  et  celle-ci 
est,  par  définition,  contraire  à  la  loi  établie.  Mais  rien  n'est 
plus  ironique,  devant  l'éternité,  que  les  lois  imposées  par 
les  pouvoirs  publics  non  seulement  à  la  manifestation  d'art, 
mais  à  l'inspiration  même  des  artistes.  Ce  sont  là  les  brèves 
considérations  que  tout  concours  national,  réglé  par  des 
ministères  modernes,  peut  susciter. 

Le  monument  à  Victor-Emmanuel,  à  Rome,  doit  aux 
politiciens  de  la  péninsule  son  histoire  déjà  très  lourde. 
Le  dernier  concours  a  été  celui  de  ce  qu'on  appellera 
■•  l'Autel  de  la  Patrie  ».  Il  s'agit  de  la  jiartie  centrale,  vitale, 
du  cœur  de  cette  énorme  masse  de  pierres  que  l'Italie 
moderne  s'efforce  bruyamment  d'élever  en  monument  par 
trop  colossal,  pour  révéler  au  monde  toute  sa  force,  ou 
toute  sa  faiblesse  contemporaine. 

La  sous-commission  loyale  pour  le  concours  de  décora- 
tions de  «  l'Autel  »  a  donné  ses  conclusions.  Elle  avait 
demandé  aux  artistes  de  représenter  :  soit  la  statue  de 
Rome,  aj'ant  à  ses  cotés  un  haut-relief  consacré  à  l'entrée 
des  Piémontais  à  Rome,  et  un  autre  consacré  au  Plébis- 
cite de  la  capitale  ;  soit  la  statue  de  Rome,  ayant  à  ses 
cotés  deux  hauts  reliefs  consacrés  au.x  Précurseurs  du 
«  Risorginiento  »  ;  soit  enfin  tout  autre  sujet  «  correspon- 
dant à  la  signification  civile  et  politique  du  monument  ». 
Le  prix  assigné  an  vainqueur  était  de  60  000  francs.  Vingt- 
sept  concurrents  ont  envoyé  leurs  maquettes,  dont  le  jury 
a  choisi  trilcs  de  .M.  Zanelli  et  celle  de  M.  Dazzi  |>our  un 
]irochain  concours  définitif.  L'Italie  est  donc  sûre  d'avoir 


-on  .\utel  de  la  Patrie,  et  le  jour  de  l'inauguration  les  poli- 
ticiens qui  célébreront  la  solennité  ne  manqueront  pas 
d'affirmer  devant  les  pays  réunis  que.  Rome  étant  pour 
les  Italiens  éternelle  par  tradition  et  capitale  du  monde 
par  définition,  le  monument  à  \'ictor-Emmanuel  est  élevé 
pour  témoigner  une  nouvelle  renaissance  de  l'Art. 

Nous  avons  sous  les  yeux  la  relation  du  concours  que 
M.  Fradeletto  a  lu  devant  la  sous-commission  royale. 
M.  Fradeletto,  conférencier  à  l'éloquence  trop  facile,  popu- 
laire et  fort  versatile,  a  remarqué  que  l'éclosion  de 
jeunes  talents  révélée  par  le  concours  de  «  l'Autel  »  est 
féconde  en  promesses.  Il  a  donc  parlé  naturellement  d'une 
«  magnifique  floraison  de  l'art  plastique  que  ceux  qui  étu- 
dient toute  forme  du  beau  avaient  unanimement  signalée, 
et  qui  constitue  l'une  parmi  les  manifestations  les  plus 
hautes  et  les  plus  caractéristiques  de  l'esprit  national....  » 
Et  il  exalte  l'oeuvre  de  M.  Zanelli,  tiui  a  exprimé  plas- 
tiquement  les  deux  concepts  :  ••  de  l'Amour  de  la  patrie  qui 
lutte  et  triomphe,  et  du  Travail  qui  construit  et  féconde  ». 

L'éloquence  latine  se  pose  encore  une  fois  en  adversaire 
inconsciente  de  l'Art.  La  tradition  très  lourde  d'un  esprit 
atsthétique,  ou  plutôt  d'imitation  esthétique,  d'assimila- 
tion admirable  mais  non  créatrice,  que  les  Romains  nous 
ont  léguée,  triomphe  encore  une  fois.  Le  pathos  historique 
et  des  concetti  gonfle  les  joues  des  parleurs  et  remue  la 
main  des  artistes.  Le  légionnaire  guerrier  et  légiférant  qui 
enferma  toute  la  puissante  subtilité  artistique  dans  le  con- 
tour rude  de  sa  cuirasse,  et  jeta  les  trésors  de  toute  spiri- 
tualité autochtone  sur  un  massif  plateau  de  la  balance  de  sa 
loi,  triomphe  encore,  autant  que  dans  le  Midi  français, 
dans  toute  l'Italie.  \'oilà  pourquoi  un  monument  de  glo- 
rification italienne,  qui  aurait  dû  surgir  du  plus  pur  élan 
de    l'art    contem])orain.    résninant    les    mille    éléments    de 


42 


LART     KT     LES     ARTISTES 


renaissance  (qui  en  sculpture,  par  exemple,  ont  été  apportés 
au  monde  de  Carpeaux  à  Rodin),  montrera  seulement  au 
monde  dé<,ii  une  colossale  distribution  des  éléments  architec- 
turaux de  tous  les  temps,  faite  par  Sacconi,  le  défunt  archi- 
tecte du  monument,  et  la  bonr.e  exécution  sculpturale 
de  M.  Zanelli  ou  de  M.  Dazzi. 

Au  surplus,  la  maquette  de  M.  Dazzi,  par  ses  réelles  qua- 
lités de  force,  par  la  netteté  significative  de  ses  modelés, 
par  le  groupement  vigoureux  des  figures,  et  malgré  le 
caractère  suranné  de  sa  statue  de  Rome,  une  femme  impé- 
riale assise,  et  le  manque  de  ..  gestes  sculpturauxnouveaux  <>, 
nous  semble  préférable  à  l'œuvre  équestre  archaïque  de 
M.  Zanelli,  quoique  celle-ci  soit  fort  habilement  exécutée. 


Quelle  sera  maintenant  la  statue  équestre  du  Roi,  que 
CCS  décorations  sculpturales  de  la  base  doivent  sup- 
porter ? 

Les  Italiens,  dont  le  défaut  architectural,  suivant  les 
Romains,  consiste  surtout  à  mesurer  la  beauté  de  leur 
architecture  sur  l'étendue  de  la  masse  ornée  plutôt  que 
sur  la  profondeur  de  la  masse  animée  à  la  manière  gothique, 
ont  eu  la  gloire  d'avoir  éternisé  dans  le  soleil  les  plus  belles 
statues  équestres  qui  soient.  Une  très  belle  statue  du  Roi 
à  cheval,  même  conçue  dans  les  normes  strictes  de  la  tra- 
dition, pourrait  seule  désormais  relever  le  sort  esthétique  de 
ce  trop  lourd   monument. 

RiCCIOTTO  Canudo. 


ORIENT 


Les  Mosaïques  de  Sainte=Sophie. 


■p»Eux  grosses  nouvelles  me  parviennent  de  Stamboul. 
Toutes  les  deux  sont  faites  pour  combler  de  joie  ceux 
qui  prennent  intérêt  aux  origines  de  l'art  byzantin,  à  cet 
art  dont  Ravenne,  Palerme  et  Grottaferrata  conservent  de 
précieuses  reliques  et  dont  Constantinople  détient  les  purs 
et  merveilleux  chefs-d'œuvre. 

Il  s'agirait  tout  simplement,  d'une  part,  d'enlever  les 
toiles  grossières  collées  sur  la  coupole  et  les  frises  d'Aghia- 
Sophia  et  de  mettre  ainsi  à  découvert  les  admirables 
mosaïques  qui  faisaient  la  gloire  et  l'orgueil  de  la  basilique 
byzantine.  Il  s'agirait,  d'autre  part,  de  faire  restaurer  celles 
des  superbes  mosaïques  de  Kalirié-Djami,  —  ancien  monas- 
tère de  Khora,  —  qui  s'effritent  et  menacent  ruine  :  fort 
heureusement  que  restreint  est  le  nombre  de  ces  dernières 
et  que,  malgré  elles,  l'œil  peut  encore  contempler  la  plus 
admirable  série  de  mosaïques  existante. 

Si,  comme  tout  le  porte  à  croire,  le  dcbadigcoiiiiage  des 
frises  de  Sainte-Sophie  et  le  retrait  des  toiles  de  la  coupole 
ne  sont  plus  qu'une  question  de  semaines,  la  Turquie 
Constitutionnelle  aura  droit  à  la  profonde  reconnaissance 
de  tous  les  amants  du  Beau  pour  le  service  signalé  qu'elle 
pense  rendre  aux  Arts. 

A  cette  place  même,  en  avril  190S,  dans  une  étude  inti- 
tulée la  Corail  et  l'Aii  Osmnnli,  étude  qui  eut  les  honneurs 
de  reproductions  multiples,  j'ai  dit  comment  une  fausse 
interprétation  d'un  verset  du  Livre  Saint  avait,  durant 
des  siècles,  arrêté  le  développement  de  la  peinture  et  de  la 
sculpture  en  Turquie. 

Bien  plus,  croyant  —  toujours  à  cause  de  cette  fausse 
interprétation  —  que  le  culte  islamique  interdisait  la  vue 
même  des  images  saintes,  les  Turcs  ont  maroullé  toutes  les 
icùnes  se  trouvant  dans  les  iglises  du  Bas-Ivmi)ire 
(  onverties  en  mosquées  sous  Sélim  X'^''  et  Suléiman  le 
Magnifique.  C'est  pourquoi,  à  Sainte-Sophie,  sur  les  belles 
mosaïques  des  prophètes,  des  apôtres  et  des  saints  décorant 
les  arcades,  sur  le  merveilleux  panneau  décoratif  surmon- 
tant la  porte  du  narthex,  sur  la  superbe  frise  déroulant  sa 
mosaïque  immense  autour  de  la  vaste  coupole,  des  toiles 
grossières  furent  apposées,  recouvertes  de  badigeon, 
lorsque  le  badigeon  n'était  pas  étendu  à  même  sur  les  pré- 
cieuses œuvres  d'art,  datant,  pour  la  plus  grande  partie,  de 
l'époque  de  Justinien. 

Depuis  la  prise  de  Constantinople  jusqu'au  régne  du 
Mdtan     Abdul -Medjid,    —    pendant     (juatre     siècles.     — 


aucune  tentative  ne  fut  faite  pour  enlever  ces  toiles  qui 
privaient,  ainsi,  l'art  chrétien  des  premières  pages  de  sa 
mosaïque  et  des  élans  de  foi  de  ses  artistes  primitifs. 

C'est  à  l'architecte  italien  Fossati  que  nous  devons  la 
révélation  de  ces  trésors.  Chargé  de  1S47  à  1S49  de  la  res- 
tauration d'-Vghia-Sophia,  il  eut  l'idée  de  découvrir  les 
mosaïques  et  d'en  prendre  copie,  avant  de  reposer  les  toiles 
qui  les  cachent  aux  yeux.  Quelques-unes  de  ces  reproduc- 
tions parues,  en  1854,  à  Berlin,  dans  un  ouvrage  de  Salzen- 
berg  sur  Sainte-Sophie,  firent  entrevoir  et  regretter  les  mer- 
veilles masquées  par  les  toiles  badigeonnées. 

Le  regret  fut  d'autant  plus  vif  que  Fossati,  froissé  des 
procédés  de  Salzenbcrg  qu'il  accusait  de  lui  avoir  soustrait 
le  fruit  de  son  labeur,  a  toujours,  jalousement,  gardé  dans 
ses  cartons  la  série  complète  des  mosaïques  reproduites, 
que  SCS  héritiers,  suivant  ses  désirs,  se  refusent  encore  à 
livrer  au  public. 

Grâce,  cependant,  au  libéralisme  de  la  Turquie  Consti- 
tutionnelle, nous  allons  assister,  bientôt,  à  la  résurrection 
de  cet  art  primitif,  contemporain  de  la  grande  époque 
byzantine  et  de  l'apogée  des  Césars  d'Orient.  Nous  contem- 
plerons l'art  précieux  des  mosaïques  des  arcades  :  les  véné- 
rables figures  des  patriarches  et  des  projihètes,  les  traits 
inspirés  des  apôtres  et  des  martyrs.  Nous  admirerons  les 
panneaux  du  narthex,  entre  autres  celui  de  la  Otoiic  ilit 
Christ  :  Jésus  assis  sur  un  trône  d'or,  une  main  tendue  pour 
bénir,  l'autre  entr'ouvranl  un  livre  où  se  lit  cette  légenile  : 
«  Paix  à  vous,  sur  la  terre.  Je  suis  le  soleil  de  l'univers  ". 
tandis  qu'à  ses  pieds  un  empereur  —  Justinien,  iieut-être 
—  humilie  sa  pourpre  toute  puissante  dans  la  pose  de  la 
prière  et  du  prosternemcnt.  Nous  nous  extasierons,  enlin. 
devant  les  anges  immenses  qui  étendent  leurs  ailes  il'or 
dans  le  fond  bleu  de  la  coupole  et  <iui  semblent,  chargés  de 
s\ipplications  humaines,  prendre  leur  essor  vers  l'infini. 

Lorsque  tous  ces  trésors  seront  mis  à  jour,  il  sera  facile, 
en  étudiant  les  mosaïques  découvertes  dans  l'église  — con- 
vertie eu  mosquée  —  d'.\ghia-Sophia  de  Salonique,  —  dont 
j'ai  entretenu  dernièrement  mes  lecteurs,  —  et  celles  de 
Kahrié-Djami,  —  tlont  j'aurai  à  les  entretenir  i)rochaiiie- 
ment,  —  de  remonter  aux  sources  mêmes  de  cet  art  si  en 
faveur  chez  les  Byzantins,  d'en  faire  la  genèse,  cl'en  recons- 
tituer l'historique,  basés  non  plus  sur  des  controverses,  mais 
sur  lies  données  expérimentales. 

ADoi.riii:    rii.\i.,\ss<i. 


43 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


SUEDE 


T  'exposition  iiuc  Nil-i  Kreiiger  a  organis6c  il  y  n 
quL-lque  temiis  à  Stockliulin  a  dtrechef  attire-  l'atten- 
tion de  ses  compatriotes  sur  cet  artiste  si  solide,  si  origi- 
nal. Je  sais  ijn'il  est  peu  connu  à  l'étranger.  Je  crois  que. 
s'il  était  connu,  il  renconti  erait  une  \-ive  sympathie  de  la 
])art  de  tous  ceuN  i|ui  savent  ajipiécier  l'apport  pcisninhl 


liant  de  l'île  d'Oland  et  s'y  dessinent  contre  les  ciels  d'orage 
([u'aime  l'artiste  et  dont  il  sait  rendre  les  nuages  avec  une 
rare  énergie  et  une  grandeur  peu  commune.  Jléme  pour  le 
calme  majestueux  des  bêtes  à  cornes  qui  a  séduit  les 
artistes  depuis  les  temps  antiques,  Kreuger  a  trouvé  de 
111)11% files   lornies  artistiques.   On  éprouve  avec  une  force 


NILS   KKELOER 


P.\YS.\r,E    D  ORL.WK    (SUEDE) 


et  c|iii  aspirent   a|iiès  ce  qui  est   sain  au   milieu  de  toutes 
les  choses   p.irluniees  el  .irtUieielks  (|ui   se  présentait. 

Xils  Kren^er  est  né  en  1.S5.S  à  Calmar,  sur  le  littoral  <le 
la  province  de  Smaland.  Ajirés  avoir  étudié  la  jieintnre  à 
Stockholm  ))endant  plusieurs  années,  il  partit  en  i,SSi 
pour  Paris.  S.uif  de  r.ires  absences,  il  resta  ]iresque  dix  ans 
en  Fraïue  et  l'.irt  lr.iiii,.iis  et  l,i  tulture  Irançaise  lui  ile- 
vinrent  pendant  ce  temps  très  sympathiques.  L'école  de 
Fontainebleau,  mais  peut  etir  |]his  encore  Cazin,  inlîuen- 
cérent  sa  première  manière.  \  (  rs  1  ,Sgo,  il  s'établit  avec 
quel<pi,s  uiisde  ses  1  ,imai  .ulrs.  K,ni  Nordstrom  et  Richard 


l;.;nit 


Bersh.a  \ 

occideiitali 

tandis  cpie  son  anii  Noi.lst 

Bohnslan  qui   s,-   tri.ii\e  n 

berg  que    Kreii;.4ir  lniiiv,i 

perscuinel  et  d'\  t  lu]i]).i  un 

gens,  mais  qu'on  liiiit  par 


].roviiRe  (11-  Jlalland.sur  la  cote 
M\s  pl.it  ,iu.\  bords  du  Kattégat, 
rniii  peignait  la  côte  rocheuse  du 
I  |H  u  |ilus  au  nord.  C'est  à  \'ar- 
le  style  (|ui  lui  est  proprement 
e  teihniipie  <|iii  choque  bien  des 
ap]irendre  à  aimer  dans  sa  fer- 
meté et  sa  clarté.  C'est  l'ensemble,  le  monumental  qu'il 
veut  faire  ressortir.  La  couleur  avec  ses  surfaces  égales 
sont  souvent  animées  chez  Kreuger  par  des  points  noirs. 
Le  monumental  ap]>arait  autant  s'il  emjiloie  de  petits  pan- 
neaux de  bois  ou  s'il  remplit  des  surfaces  de  10  mètres 
de  largeur.  Ses  motifs  sont  en  général  empruntés  au  lit- 
toral suédois.  Les  derniers  grands  tableaux  de  l'exposi- 
tion étaient  de  la  cote  occidentale,  mais  aussi  de  la  grande 
ile  allongée  d'Oland  dans  la  Laltique.  Des  vaches  et  des 
chevaux  se  voient  .souvent  sur  ces  toiles  et  ils  se  marient 
au  paysage  comme  Kreuger  seul  sait  le  faire.  Tantôt  ces 
chevau.x  se  réunissent  sur  les  bas-fonds  du  rivage  pour 
chercher  à  se  protéger  les  uns  les  autres  contre  le  vent  ; 
tantôt   ils  paissent  Mir  la  colline  qui  forme  le  point  culmi- 


extr.iordiuaire  le  sentiment  que  l'artiste  nous  donne  de 
nouveau  .1  les  vieilles  choses  de  tous  les  jours  »  avec  une 
recrudescence  de  vie.  lorsqu'on  voit  l'art  de  Nils  Kreuger. 

Comme  les  grands  Hollandais,  il  n'est  jamais  monotone, 
(pioiipi'il  restreigne  connue  eux  le  cercle  de  ses  sujets.  Il 
leur  ressemble  aussi  en  ce  qu'il  est  égal,  calme  et  sûr,  et 
iliie  ses  toiles,  si  nombreuses  déjà,  ne  trahissent  jamais 
la  négligence  ni  la  faiblesse. 

Lue  piersonne  qui  a  exercé  une  profonde  influence  sur 
l'art  suédois,  et  dont  nous  déplorons  la  perte  récente, 
Mlle  liva  Boimier.  comprit  bien  vite  le  talent  monumental 
de  Kreuger  et  le  mit  à  prolit.  lîlle  lui  commanda  deux 
immenses  peintures  murales  pour  orner  l'entrée  d'une 
école  primaire  à  Stockholm  ;  c'est  l'une  d'entre  elles  que 
notre  gravure  reproduit  ici. 

L'as.sociation  l'Ait  à  l'icole  dé  Stockholm  a  commandé 
à  Kreuger  une  peinture  murale  de  dimensions  gigantesques 
pour  une  antre  école  primaire  ;  le  sujet  est  tiré  du  port  de 
Stockholm.  C'est  la  veille  de  la  Saint-Jean.  Les  chevaux 
des  camions  et  des  tombereaux  sont  ornés  de  ramilles  de 
bouleau. 

Le  taljleaii.  qui  proiluit  un  effet  ilécoratif  extraordinaire 
avec  son  soleil  d'été  et  la  joie  du  travail  qui  pénètre  par- 
tout, est  un  des  résultats  les  plus  réussis  de  l'association 
r.-lit  à  l'iiolc,  qui  travaille  en  Suède  depuis  douze  ans. 

C'est  dommage  que  Kreuger.  qui  est  certainement 
aujourd'hui  un  des  meilleurs  peintres  de  la  Suède,  ()ui  a 
reçu  des  impressions  si  fortes  et  si  heureuses  de  la  France, 
n'ait  pas  exposé  à   Paris  ces  derniers  temps.... 

Kreuger  est  un  homme  dans  toute  l'acception  du  mot. 
Il  n'a  peur  de  rien,  sauf  du  humbug. 

C.^RL     Cr.     L.\IK1N. 


44 


L'ART     P:T     les     ARTISTKS 


SUISSE 


Plusieurs  expositions  intéressantes,  mais  d'une  inipor- 
tance  secondaire,  se  sont  succédé  cet  hiver  dans  nos 
diverses  villes.  Celles  du  Kunstlerhaus,  à  Zurich,  qui  se 
suivent  régulièrement  de  mois  en  mois,  et  présentent 
prestjue  toujours  quelques  œuvres  artistiques  dignes  de 
reni.uque,  n'ont  pas  brillé,  ces  derniers  temps,  d'un  éclat 
exceptionnel.  En  revanche,  dans  la  même  ville,  les  exjiosi- 
tions  d'art  décoratif,  organisées  à  intervalles  très  rappro- 
chés par  le  très  intelligent  et  très  actif  directeur  de  l'École 
des  .Arts  appliqués,  M.  de  Praetere.  mériteraient  d'être 
connues  de  'étranger  et  j'espère  leur  consacrer  ici.(|uolque 
jour,  mie  étude  spéciale. 

A  Lausanne,  un  petit  groupe  de  l.i  rude  phalange  des 
paysagistes  bernois, MM.  P.  Colond)i,  P.  Senn,  W.  Peux, etc., 
ont  exposé  une  série,  bien  accueillie  du  |)ulilic.  de  leurs 
oeuvres  les  plus  récentes. 

A  Genève,  il  faudrait  pouvoir  faire  mieu.x  cjue  mention- 
ner les  expositions  très  intéressantes  ilu  jiaysagiste  Jacques 
Odier  et  du  maître  bâlois  Hans  Sandreuter  (mort  en  lyoj) , 
disciple  fervent  de  Boecklin  à  ses  débuts  et  qui  flevint 
jilus  tard  un  paysagiste  très  personnel  et  très  puissant.  Pa 
série  des  pastels,  eaux-fortes  et  émau.x  du  bon  peintre 
Rodolphe  Piguet  a  charmé  les  nondneu.x  visiteurs  de  la 
>alle  Phellusson. 

Mais  l'événement  artistique  de  la  saison,  c'est  l'exposition, 
au  Musée  Rath,  des  grands  panneaux  décoratifs  peints 
I)ar  M.  Otto  Vautier.  Commandés  à  l'artiste  par  la  \'illc  de 
Genève,  ces  deu.x  oeuvres  exquises  font  partie  d'un  ensemble 
décoratif  destiné  à  orner  une  grande  salle  de  réunion  ilan-- 
la  vaste  école  primaire  du  quartier  po])uleux  et  faubourien 
des  Pâquis.  Quelques-uns  trouvent  que  c'est  là  un  cadre 
peu  distingué  pour  une  œuvre  de  si  délicate  conception  et 
d'une  e.xécution  si  raffinée.  Ils  voudraient  von-  ces  pein- 
tures briller  dans  le  nouveau  Musée  ou  décorer  quelcpu- 
palais  municipal.  D'autres,  contestant  ce  point  de  vue. 
déclarent  que  les  écoles  sont  les  vrais  palais  de  la  démo- 
cratie et  que  rien  n'est  plus  juste  que  d'égayer  par  cette 


œuvre  de  beauté  un  quartier  jusqu'ici  fort  négligé  sous  ce 
rapport.  Je  vous  cite  ce  débat  local,  parce  qu'il  me  semble 
qu'il  se  produira  bientôt,  sous  des  formes  variées,  dans 
tous  les  États  civilisés  de  gouvernement  démocratique. 
Mais  le  point  sur  lequel  tous  les  Genevois  tombent  d'accord, 
c'est  le  charme  délicat  et  voluptueux  de  cette  peinture 
d'inspiration  subtile  et  poéticiue.  de  large  et  souple  e.xécu- 
tion, de  couleur  charmeu  e  dans  la  lumière  blonde  (jui  la 
baigne. 

Les  deux  panneau.x  e.xposés  sont  <les  visions  de  poésie  et 
de  beauté  plus  que  des  sujets  précis  traités  avec  méthode. 
Dans  la  Baïqiie  aux  voiles  latines,  dorée  par  les  layons  tlu 
soleil,  mi  essaim  de  formes  légères.  ex<piises  et  blanches,  — 
idées,  ftnnies,  illusions  peut-être  de  l'avenir  souriant, — 
s'embarquent,  et,  du  rivage,  une  jeune  femme,  d'un  geste 
adorable  de  ses  bras  étendus,  les  salue  et  bénit  ce  départ. 
A  droite  et  à  gauche  de  cette  ligure,  deux  jeunes  femmes, 
l'une  debout  et  parée  de  roses,  l'autre  assise  et  ornée  de 
bleuets,  contemplent,  dans  une  attente  de  joie  et  d'espoir, 
les  mouvements  câlins  de  ce  départ. 

L'autre  panneau,  qu'on  peut  intituler,  si  l'on  tient  à  un 
titre,  la  Lutte  de  la  Beauté,  v^t  une  délicieuse  et  souriante 
évocation  de  la  beauté  antique  ;  beauté  du  paysage  clas- 
sique, beauté  du  temjîle  en  ruine,  beauté  et  grâce  des 
jeunes  femmes  penchées  sur  la  margelle  d'un  puits  ou 
adossées  à  quelque  tronçon  de  colonne  brisée.  Ce  n'est 
presipie  rien  et  c'est  tout,  cette  vision  de  peintre  qui, 
certes,  a  compris  le  charme  et  le  sens  poétique  de  Théocrite 
ou  de  l'anthologie,  mais  cpii  connaît  aussi  la  force  île  sé<luc- 
tion  et  <l'émotion  de  la  ligne  belle  et  de  la  coideur  calme, 
du  style  voulu  et  surveillé  dans  l'ajipaient  abandon  d'une 
grâce  négligente.... 

Proscrite  de  Genève  pendant  près  île  quatre  siècles,  a 
peinture  décorative  y  renaît  par  un  chef-d'œuvre  d'art 
souriant,  délicat  et  brillant.  Ce  sont  là  les  ironies,  et  les 
revanches,  de  l'histoire. 

Gaspard  V'alleïte. 


Échos    des    Arts 


Fouilles  et  Découvertes- 

M.  Paul  C;aucl<ler,  memlire  corr<'spondant  de  l'.Vcadémie 
des  Inscriptions  et  Pelles-Lettres,  (juidirige  en  ce  moment, 
à  Rome,  les  fouilles  du  Janicule,  vient  d'y  faire  plusieurs 
découvertes  importantes.  II  avait  reconnu,  l'an  passé,  sur 
l'emplacement  du  bois  sacré  de  la  déesse  Furrina,  l'exis- 
tence d'un  sanctuaire  des  dieux  syriens,  et  c'est  ce  sanc 
tuaire  qu'il  s'est  occupé  de  déblayer  cette  année  :  les  cons- 
tructions, aussi  bien  que  les  objets  d'art  (pi'il  a  mis  au  jour, 
jettent  une  lumière  nouvelle  sur  l'histoire  des  religions  a 
Rome,  et  sur  leurs  rapports  avec  les  origines  du  christianisme. 

Le  temple  comprenait  :  i"  au  fond,  à  demi  enfoncé  dans 
la  colline,  le  sanctuaire  proprement  dit  ;  2"  une  cour  en 
terre-plein,  où  l'on  a  retrouvé  des  restes  de  sacrifices  ; 
3"  eu  avant  et  en  contre-bas,  un  second  sanctuaire,  com- 
posé de  deux  loges  symétriques,  toutes  les  deux  ornées 
d'une  statue  de  Dionysos,   en   marbre  blanc,   et  donnant 


accès  ilans  une  cclla  centrale  en  forme  il'liex.igone,  qui  se 
prolonge  en  arrière  par  une  abside. 

Outre  une  des  deux  statues  de  Dionysos,  on  a  retrouvé 
intacte  une  statue  égyplisantc  de  déesse  syrienne  en  basalte 
noir  ;  trois  tombeaux  situés  au  centre  du  sanctuaire  ; 
enfin,  sous  l'autel  de  la  cella  hexagonale,  dans  un  caveau, 
une  idole  de  bronze  doré  de  47  centimètres  de  hauteur, 
représentant  une  jeune  femme  eugainée  comme  une 
ihomie,  dont  un  dragon  enveloppait  le  corps  de  ciiu|  cir- 
convolutions, la  queue  ai)pnyée  contre  les  talons  réunis, 
la  tête  (lardant  au-dessus  du  front.  Dans  tout  ce  qui  reste 
de  l'antiquité,  il  n'existe  à  l'heure  actuelle  aucune  repré- 
.sentation  figurée  analogue,  et  l'on  <liscutc  beaucoup  sur  la 
signification  de  cette  i<lole,  déposée  dans  l'autel  lors  de  la 
consécration  du  temple. 


M.  Diego  Sanl'.Vudirogio  a  acquis  à  bon  compte,  chez 


45 


L'ART     ET     TES     ARTISTES 


un  reNt;nirati-in"  di-  Milaii,  un  tabU'au  représentant  une 
femme  aux  cheveux  hlimils,  nue  jusqu'à  la  ceinture, 
appuyée  à  une  fenêtre  et  ramenant  les  mains  avec  le  geste 
lie  la  Jocunde,  qui  provient  de  Varese  et  qu'il  attribi-e  à 
Léonard  de  Vinci.  Il  s'appuie  sur  ce  fait  que  le  tableau  porte 
à  son  revers  un  cachet  aux  armes  des  Crevenna-Settàla. 
famille  milanaise  aujourd'hui  disparue  ;  or,  un  membre 
de  cette  famille,  le  chanoine  Manfredo,  donna,  en  1680, 
la  collection  de  peinture  qu'il  avait  reçues  de  ses  aïeux  à 
la  Bibliothèque  ambrosienne.  mais,  par  suite  de  contesta- 
tions des  héritiers,  cette  collection  ne  fut  pas  remise  inté- 
gralement ;  certains  objets  furent  détournés.  La  toile 
récemment  retrouvée  pourrait  être  un  de  ces  objets,  car, 
dans  le  catalogue  de  la  collection  Settàla,  dressé  en  1664, 
figure  sous  le  n°  ^^  une  peinture  qui  n'est  pas  parvenue 
à  l'Ambrosienne  et  q>ii  est  désignée  ainsi  :  Mitlicr  credihir 
moctrix  ofius  cximii  illiits  pictoris  Leonardi  de  Vincio  ;  et 
comme  la  collection  fut  formée  par  l'aïeul  du  chanoine 
Manfredo,  Ludovico  Settàla,  l'attribution  à  Léonard  serait 
à  peu  prés  contemporaine  de  la  mort  de  l'artiste. 


Dons  et    Achats. 

Ati  Loitvic.  —  Le  Musée  du  Louvre  vient  de  faire  l'ac- 
quisition d'un  petit  tableau  de  35  centimètres  de  haut  sur 
J2  centimètres  de  large,  par  Ingres,  provenant  de  l'an- 
cienne collection  Coutan.  C'est  un  des  trois  ou  quatre 
morceaux  finis  qu'exécuta  le  maître  à  différentes  époques 
pour  le  Bain  turc  du  Louvre. 

Dans  celui  que  je  viens  de  citer,  le  fond  est  plus  complet 
et  mieux  comjiosé  qu'en  aucun  autre.  Il  fut  exécuté 
en  182S,  et  rappelle  l'aquarelle  de  la  collection  Bonnat, 
ainsi  que  la  petite  peinture  de  la  collection  Valpinçon.  Ici 
la  figure  nue  du  premier  plan  est  aussi  assise,  vue  de  dos, 
sur  un  divan  drapé  de  linge  blanc.  La  femme  est  coiffée 
d'un  turban  blanc  et  jaune.  Une  baigneuse  est  dans  la 
piscine,  et  la  femme  qui  se  fait  coiffer  est  au  dernier  plan 
à  côté  d'une  Persane.  Deux  autres  figures  se  voient  dans 
le  fond  à  droite. 

C'est  là  un  précieux  document  pour  le  Musée  qui  possède 
le  grand  tableau  de  forme  ronde  universellement  connu. 


Une  des  sœurs  du  peintre  Courbet.  Mlle  Juliette  Courbet, 
vient  de  donner  à  la  Mlle  de  l'aris,  pour  ses  collections, 
six  œuvres  du  maître  d'Omans,  savoir  :  Portrait  de  Courbet 
au  chien.  Portrait  de  Mlle  ZHie  Courbet,  Portrait  de  Mlle 
Juliette  Courbet,  la  donatrice  ;  Portrait  du  père  Courbet; 
les  Amants  dans  la  campagne  et  les  Trois  Baigneuses. 
Mlle  Courbet  avait  déjà  donné  à  la  Ville  cet  important 
tableau  :  les  Demoiselles  des  bords  de  la  Seine.  La  \"ille 
possé-dant.  en  outre,  ces  autres  toiles  du  même  artiste  : 
/((  Sieste,  Portrait  de  Proudhon  et  Portrait  de  Corbincau, 
il  a  été  décidé  qu'il  .serait  créé  au  Petit  Palais  une  salle 
particulièrement  consacrée  aux  œuvres  de  Courbet  et  qui 
porterait  son  nom. 


tout  en  argent  ciselé,  porte  encore,  enroulée  autour  de  la 
garde,  son  ancienne  dragonne.  Il  y  a  f|uelques  années,  le 
Sénat  des  États-Unis  avait  voté  un  bill  qui  prévojait  un 
crédit  de  cent  mille  dollars  piour  l'achat  de  cette  épée  ;  la 
Chambre  des  représentants  ayant  refusé  de  ratifier  le  crédit 
ilemandé,  l'épée  de  Washington  resta  entre  les  mains  de 
miss  \'irginia  Taylor  Wise  à  qui  elle  appartenait. 


Aménagements  et  Restaurations. 

Rubens  va  avoir  son  musée,  musée  des  plus  curieux 
où  sera  réuni  tout  ce  ciu'on  pourra  trouver  des  œuvres 
de  l'illustre  peintre  existant  en  Belgique,  ainsi  que  les 
copies  de  ses  œuvres  disséminées  dans  tous  les  musées 
d'Europe  et  chez  les  particuliers.  On  yajoutera  ses  esquisses, 
ses  ébauches  et  ses  lettres.  La  Ville  d'Anvers  se  propose, 
en  effet,  de  reconstituer  la  maison  bâtie  par  Rubens  au 
n"  7  de  la  rue  de  ce  nom  et  d'y  placer  tous  les  souvenirs 
de  l'immortel  auteur  de  tant  de  chefs-d'œuvre. 

On  sait  qu'un  des  premiers  actes  de  Pie  X  fut  d'ordonner 
le  transfert  au  rez-de-chaussée  du  \'atican  de  la  Pinaco- 
thèque qui  occupait  naguère,  au  dernier  étage  du  palaLs, 
un  local  trop  étroit,  médiocrement  éclairé,  exposé  à  des 
risques  d'incendie.  La  nouvelle  galerie  sera  ouverte  au 
public  le  !'■''■  mars.  Elle  a  été  disposée  de  manière  à  présenter 
le  mieux  possible  les  principaux  chefs-d'œuvre,  autour 
desquels  on  a  groupé  les  ou-vxages  secondaires.  L'ancienne 
collection  se  trouvera  enrichie  de  nombreuses  pièces  nou- 
velles, empruntées  au  Musée  des  Mosaïques,  à  celui  de 
Latran,  aux  appartements  des  Papes  et  même  à  la  Biblio- 
thèque qui  conservait  de  petites  peintures  assez  précieuses 
des  xiii"  et  xiv^  siècles.  On  a  fouillé  tous  les  coins  du 
Vatican  pour  y  découvrir  toutes  les  œuvres  dignes  d'entrer 
dans  le  nouveau  Musée,  depuis  un  tript^-que  du  trecento 
florentin  jusqu'à  un  Repos  en  Egypte  du  Baroche  et  un 
1', titrait  de  Cardinal  par  Sassoferrato. 


D'après  les  dessins  présentés  par  M.  Vacherot,  ancien 
collaborateur  d'A  phand  et  vice-président  de  la  Société 
nationale  d'Horticulture,  voici  quel  sera  le  nouveau  parc 
qui  va  être  établi  sur  l'emplacement  des  terres  du  Cours- 
la-Reine.  L'espace  compris  entre  le  pont  des  Invalides  et 
le  pont  de  l'Aima  sera  enclos  de  grilles,  que  l'on  fermera  la 
nuit  seulement,  et  orné  d'une  série  de  massifs  d'arbustes 
et  de  fleurs  rares,  de  plates-bandes  de  boulingrins,  de  carrés 
et  de  pelouses  dévalant  du  Cours-la-Reine  jusqu'au  bord 
de  la  Seine,  en  pente  douce.  De  distance  en  distance,  des 
escaliers  de  pierre,  très  larges,  occuperont  cette  pente 
fleurie  et  donneront  accès  aux  jardins  du  bas-port  qui 
s'étendront  entre  le  fleuve  et  le  mur  du  quai.  Les  travaux 
commenceront  aussitôt  après  la  démolition  des  serres  et 
dans  ce  nouveau  parc  auront  lieu  désormais  les  expositions 
de  fleurs  du  printemps  et  de  l'automne,  sauf  cette  année 
où  ces  expositions  se  tiendront  dans  le  jardin  des  Tuileries. 


M.  Pierpont -Morgan,  qui  s'est  rendu  acquéreur  de  l'épée 
de  Washington,  se  propose  d'offrir  cette  arme  historique 
à  la  Mount  Vernon  Association  qui  a  organisé  dans  la  vieille 
maison  de  Washington,  sur  les  rives  du  Potomac,  un  musée 
spécial.  Cette  épée  est  celle  que  Washington  porta  jus- 
qu'en 1783,  époque  où  il  quitta  le  commandement  de 
l'armée  continentale  de  la  jeune  République.  C'est  une 
arme  d'une  grande   valeur  artistique,   dont  le  pommeau, 


JS 


L'idée  de  construire  dans  les  Champs-Éh'sées  sur  l'em- 
placement de  l'ancien  Cirque  d'Été  un  théâtre  monumental 
sous  le  titre  de  Théâtre-Palace  a  été  repoussée  par  la  com- 
mission du  conseil  municipal  chargée  de  l'examiner. 

La  commission  du  ^'ieux-Pari3  a  émis  à  cette  occasion 
l'avis  d'interdire  toute  nouvelle  construction  aux  Chainps- 
Élysées  ;  la  commission  des  Sites  a  décidé  de  réclamer 
pour  plus  de  sûreté  le  classement  des  Champs-Élj-sées. 


46 


L'ART     KT     LES     ARTISTES 


Monuments. 

Un  coiuitc;  il'arlisu-s  vl  d'umatoiirs  vient  de  se  consti- 
tuer, sous  la  présidence  du  peintre  Alfred  Agache,  en  vue 
d'élever  un  monument  au  peintre  I.ouis-Léopold  Boilly, 
dans  sa  ville  natale,  La  Bassée,  près  de  Lille.  Le  statuaire 
Maurice  Quef  et  l'architecte  de  Montarnal  ont  été  chargés 
de  l'exécution  de  ce  monument. 

Adresser  les  souscriptions  au  trésorier  du  Comité  Roillv, 
M.  Gaston  Lecreux,  artiste  peintre,  19,  rue  de  \'intimilk-, 
Paris. 


Fêtes  et  inaugurations. 

Pendant  les  iëtes  de  la  Pentecôte,  les  29,  30,  31  mai 
prochain,  sera  célébré  à  Arles  le  cinejuantenaire  de  .1//- 
icille,  par  Jlistral.  Ces  jours-là,  le  poète  proven(,;al  fera 
l'ouverture  du  Musée  arlésien  iju'il  a  pu  organiser,  grâce  aux 
fonds  mis  à  sa  disposition  par  l'attribution  qui  lui  a  été 
faite  du  pri.x  Nobel. 


Revue  des  Revues. 

Staryé  Gody  (années  révolues).  —  If  évite  mensuelle 
d'art  ancie-n,  paraissant  le  15  28  de  chaque  mois.  —  1909, 
troisième  année. 

Le  texte  de  Staryé  Gody  étant  rédigé  en  russe,  tous  les 
titres  sont  munis  de  traductions  en  français. 

Pri.x  d'abonnement  pour  l'étranger  :  30  francs  par  an. 
Ou  s'abonne  chez  tous  les  libraires  de  Saint-Pétersbourg 
et  au  bureau  de  la  rédaction  (7,  Solianoï  per)  ;  à  Paris, 
chez  Henri  Leclerc,  libraire.   219.  rue  Saint-Honoré. 

P.  P.  de  Weiner,  directeur  fondateur. 


La  Scundinavie.  —  Revue  mensuelle  illustrée  des 
royaumes  de  Suède,  Norvège,  Danemark  et  grand-duché 
de  Finlande.  —  .Artistique,  littéraire,  scientifique.  — 
Rédaction  et  administration  :  07,  boulevard  Malesherbes, 
et  4,  avenue  de  l'Opéra. 

Directeur  :  Maurice  Chalhoub. 

.Abonnements  :  6  francs  pour  la  l'iance  et  S  francs  pour 
l'étranger. 


envoyer  leurs  ouvres  à  re.\pusilioii  de  1909  fasseiU  um: 
déclaration  immédiate,  car  il  ne  sera  accepté  qu'un  nombre 
très  limite  de  nouveaux  exposants. 

Toutes  les  demandes  de  renseignements,  adhésions  et 
versements  doivent  être  adressées  au  secrétaire  (Frank 
Rutter),  .\llied  .Vrtists'  .Association  Ltd.,  (>/-iy>^.  Chan- 
cery  Lane,  London,  W.  C. 


Divers. 

MM.  (normes  Herger  et  .\rniand  Dayot  (  ni  invité  le 
président  de  la  République  à  inaugurer  l'exposition  des 
Cent  ])ortraits  de  femmes  (écoles  anglaise  et  française  du 
xvm'' siècle),  organisée  au  iirotit  de  la  Société  de  secours 
aux  familles  des  marins  français  naufragés  (fondation 
.Alfred  de  Courcy)  et  dont  S.  M.  la  reine  d'.Angleterre  a 
accepté  le  patronage.  JI.  Falliéres  présidera  le  23  avril  à 
l'ouverture  de  cette  manifestation  artistique,  d'un  intérêt 
uniipie.  Le  comité  fait  savoir  que  la  liste  des  cin(|uante 
portraits  de  femmes  françaises  est  définitivement  arrêtée 
et  (ju'il  ne  pourra,  désormais,  à  son  grand  regret,  examiner 
les  nouvelles  propositions  qui  lui  seraient  faites.  La  liste 
anglaise,  où  figurent  les  plus  grands  chefs-d'œuvre  îles 
maîtres  anglais  du  xviii''  siècle,  depuis  Hogarlh  jusqu'à 
Laurence,  est  également  close. 


Nous  appienous  avec  plaisir  que  notre  e.xcellent  confrère 
et  ami  .M.  Paul  Bureau  vient  d'être  nommé  président  de 
la  Société  des  .Artistes  lithographes  français.  Nos  plus  sin- 
cères félicitations  pour  cette  distinction  si  méritée. 


Le  ministère  des  .Affaires  étrangères  a  fait  construire 
à  \'ienne  (.Autriche)  mi  palais  peur  l'auil  assadc  de 
Irance.  Ce  palais,  dont  M.  Chedanne  a  été  l'architecte, 
étant  terminé,  la  décoration  picturale  en  a  été  confiée  à 
M.  .\lbert  Bcsnard,  <pii  vient  de  partir  pour  Vienne  afin 
d'exécuter  sur  place  les  travaux  dont  il  est  chargé. 
On  sait  que  M.  Bcsnard  a  reçu  également  la  commande 
de  panneaux  destinés  au  Petit  Palais  des  Champs-Klysécs 
et  au.ssi  celle  du  plafond  du  Théâtre-Français  que  l'on 
espère  pouvoir  maroufler  vers  la  fin  de  l'année. 


Association  de  l'Alliance  artistique,  enregistrée  en 
vertu  de  la  loi  sur  les  Sociétés  industrielles  et  de  i>ré- 
voyance.  Siège  social  :  67-69,  Chancerv  Lane,  London, 
W.  C. 

Fondée  eu  1908  dans  le  but  de  permettre  aux  artistes 
de  soumettre  librement  et  sans  restriction  leurs  œuvres 
au  jugement  du  ])ublic. 

-A  l'exposition  annuelle  <le  l'.Association,  chaque  membre 
1  st  autorisé  à  envoyer  trois  œuvres,  dont  toutes  seront 
<  xposées  en  groupe  ou  dispersées,  suivant  le  désir  de  l'ex- 
jiosant. 

Le  deuxième  Salon  de  Londres  de  l'.Association  seaa  tenu 
à  Londres,  au  Royal  Albert  Hall,  au  mois  de  juillet  1909. 

On  devient  membre  de  l'.Association  en  devenant 
icquéreur  d'une  ou  plusieurs  actions  d'une  valeur  nomi- 
nale de  10  shillings  (soit  12  fr.  75),  et  en  payant  une  coti- 
sation annuelle  d'une  guinée  (soit  26  fr.  50).  En  dehors 
de  cette  cotisation,  les  membres  ne  peuvent  encourir  au- 
cune responsabilité  pécuniaire. 

L'administration  de  l'.Association  est  confiée  au  comité 
de  direction  élu  par  les  actionnaires. 

-^'-  fi.  —  //  est  de  toute  nécessité  que  les  artistes  désirant 


.M.  .Alfred  Boucher,  statuaire,  <pii  travaille  en  ce  moment 
.lU  monument  de  Paul  Dubois,  destiné  à  la  ville  de  Nogcnt- 
sur-Seine,  vient  il'achever  l'ensemble  de  cette  œuvre  et 
d'en  livrer  au  fomleur  deux  des  grandes  figures  qui  iloivent 
l'orner,  la  Peinture  et  la  Sculpture,  en  qui  l'artiste  a  per- 
sonnifié les  deux  arts  dont  se  couqiosait  le  talent  de  Paul 
Dubois. 


La  Société  nationale  des  Beaux. \rts  vient  de  recevoir 
du  Conseil  d'État  la  personnalité  civile. 

Un  obtenant  ce  caractère,  elle  devient  désormais  capable 
de  recevoir  les  legs  et  les  donations  qui  pourront  lui  être 
faits.  File  a  déjà  été  dotée  de  deux  fondations  lui  per- 
mettant de  distribuer,  après  chacun  de  ses  Salons,  un  prix 
de  I  (X)0  francs  et  un  pri.x  de  jcxj  francs,  au  sujet  desquels 
toutes  formalités  légales  sont  aujourd'hui  complétées.  Ou 
parle  d'autres  donations  que  se  proposeraient  de  faire 
d'autres  personnes  en  faveur  de  la  Société  et  pour  aider 
aux  études  de  jeunes  artistes  dont  les  ressources  person- 
nelles seraient  iusuflisantes. 


47 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


Eiiata.  —  Nos  lettfurs  auront  sans  doute  rectiliO  d'eux- 
mêmes  l'erreur  commise,  en  notre  dernier  numéro,  dans  le 
titre  du  si  remarqualile  article  de  il.  P.  P.  de  Weiner  : 
Exposition  de  Portraits  anciens  à  Saint-Pétersbourg.  C'est  : 
Peintures  anciennes  i]u'il  faut  lire. 

De  même,  page  247.  c'est  Lcvit:ki  rt  non  Zcvilzki  c|u'il 
faut  lire. 


BULLETIN     DES     EXPOSITIONS 

l'AUlS 
Grand  Palais  da  Chmiips-Élysàs.  —  fent-viugt-scptième 

exposition    de    la    Société    des    Artistes    français, 

du  i  "■  mai  au  30  juin. 
Oiand  Palais,  avenue  d'Antin.  —  Dix-neuvième  exposition 

de  la  Société  nationale  des  Beaux-Arts,  du  1  5  avril 

au  30  juin. 
Parillon  de  Marsan  {Louvre).  —  Exposition  de  la  Dentelle 

de  France,  du   15  mars  au  15  avril. 
Palais  de   Glace  des   Chanips-Élysies.  —   Troisième  Salon 

des  Humoristes,  du  24  avril  au   15  juin. 
l'Uole  nationale  des  Beaux- Arts.  —  Exposition  des  travaux 

d'art  décoratif  de  nos  Écoles  nationales  des  dépar- 
tements, en  mai  prochain. 
Salle  du  Jeu  de  Paume,  jardin  des  Tuileries.  —  Le  23  avril 

prochain,     exposition     de     portraits      de     femmes 

au  xvni"  siècle,  écoles  française  et  anglaise,  organisée 

par    JI.    .\rmand    Dayot,    inspecteur    général     des 

Beaux-Arts, 
Galeries  G.  Petit.  .S.  iiic  de  Sèr.e.  —  L'œuvre  de  Kaftaëlli, 

du  10  juin  au  13  juillet. 

—  Les  Pastellistes,  du  ;  au  .'7  avril. 

—  Œuvres  de  William    Hortiiii.du  lOaii   %navnl. 

Dl'PARTlCMEXTS   ICT   ÉTRANGER 

.\ix-i.es-Bains.  —  ICxposition  internationale  des  Beaux- 
Arts,  Commerce,  Industrie,  Photographie,  etc., 
de  mai  à  septembre. 

Bayonne-Biarritz.  —  Exposition  <les  Beaux-Arts, 
du  23  mars  au  25  avril. 

BoRDE.AUX.  —  Exposition  de  la  Société  des  Amis  des  Arts, 
en   formation.    (Détails   ultérieurement.) 

Blenos  Aires.  —  Exposition  française  des  Beaux-Arts, 
du  i"  juin  à  fin  juillet. 

Calais.  —  Grand  concours  international  de  dessin  de 
dentelle.    Les    envois    doivent    ijarvenir    avant    le 


10  juin  1909  au  siège  de  la  Société  des  Amis  des  Arts, 
14,  rue  de  la  Rivière,  à  Calais,  ou  jusqu'au  8  juin 
chez  JI.  Pottier,  14,  rue  Gaillon,  à  Paris, 
CoNSTANTiNE.  —  Neuvième  exposition  de  la  Société  des 

Amis  des  Arts,  du  10  avril  au  9  mai. 
CoPENH.\GUE.   —  Au   Palais   Royal   de   Charlottenbourg. 
exposition  française  d'art  décoratif,  du  26  juin  au 
13  septembre.  Pour  tous    renseignements,  s'adres- 
ser   à  M.  Roger  Sandoz,  à  Paris. 
Florence.  —  Exposition  de  la  Société  des  Beaux-Arts, 

27,  29,  via  délia  Colonna,  du  20  mars  au  6  juin. 
CiRENOBLE,  —  Salon  de  Grenoble.  Exposition  des  Beaux- 
Arts,  organisée  par  la  Société  des   .\mis   des  Arts, 
du  15  avril  au  15  juin. 
Langres.    —    Exposition    des    Beaux-Arts   de    1909,    du 
31  juilletau  i"septembre.Envoides  œuvresà  M.Tru- 
chot,  au  collège  Diderot,  à  Langres,  avant  le  1 5  juil- 
let,  et  pour  Paris   jusqu'au    14,   chez   M.   Robinot. 
50,   rue  Vanneau. 
Mi'NicH.  —  Dixième  exposition  internationale  des  Beaux- 
.\rts  au  Palais  de  Cristal,  du  i"  juin  à  fin  octobre. 
Nancy.  —  Exposition  internationale  de  l'Est  de  la  France, 
avec  section  des  Beaux-Arts,  organisée  par  la  So- 
ciété Lorraine,  du  i"  juin  à  la  clôture  de  l'Exposition 
internationale.  Envoi  des  notices  avant  le  20  avril  ; 
dépôt  des  ouvrages  chez  M.  Pottier.  rue  Gaillon,  14, 
du  8  au  1 3  .avril  ;  envois  directs  à  l'École  des  Beaux- 
Arts,  du  20  au  30  avril, 
Neuilly-sur-Seine.  —  Cinquième  exposition  de  la  Société 
des  Artistes  de  Neuilly,  le  15  mai  prochain,  réservée 
aux  artistes  de  la  région.  Président.  Emile  Barrau; 
vice-présidents  :    Maurice    Chabas   et    Schommer  ; 
secrétaire  général  ;  Eugène  Delestre. 
Nevers.  —  Exposition  annuelle  du  Groupe  d'émulation 

artistique  du  Nivernais,  du  14  mars  au  10  avril. 
KoiEN.   —   Exposition   des   Beaux-.Vrts,    du    i"''  juin   au 

31  juillet. 
Tananarive.  —  Exposition  d'.\rt  malgache,  comportant  : 
sculptures,  peintures,  tissus,  arts  de  la  femme, 
jouets  et  jeux,  histoire  de  l'art,  art  rétrospectif,  etc., 
en  avril  prochain.  Pour  tous  renseignements, 
s'adresser  au  ministère  des  Colonies. 
Toulon.  —  Société  des  Amis  des  Arts.  Sixième  exposition, 

du  S  avril  à  fin  mai. 
\'enise.  —  Huitième  exposition  internationale  des  Beaux- 
Arts  de  la  Ville,  du  22  avril  au  30  octobre,  organisée 
par  la  municipalité. 


C.   VAX  LOO 


£■,  j?£-r^- 


Maric  Lcczinska,  reine  de  France 

(Musée   du    Louvre) 


Musée  de  SaiU! 


KOl'.ERT  TOlRNIÈl^HS  —  portraits  r.KorpÉs 


LE5   PEINTRES   DE   LA  FEMME 

au   X\?lll'   Siècle 


ÉCOLE     FRANÇAISE 


C'est  avec  une  sorte  de  religieuse  ferveur  que 
les  plus  grands  maîtres  de  la  peinture  ont 
cherché  à  fixer  pour  l'éternité  la  fugitive  vision  de 
leurs  plus  belles  contemporaines,  alors  même  que 
l'analyse  de  la  figure  humaine  n'apparaît  qu'acci- 
dentellement dans  leurs  ueuvres. 

Et  cela  est  aussi  vrai  pour  les  peintres  de  tous 
les  temps  et  de  toutes  les  Écoles  que  jiour  les 
peintres  de  notre  École  du  .\viii<^  siècle,  dont  nous 
entretiendrons  ici  tout  spécialement  le  lecteur,  à 
l'occasion  de  cette  Exposition  des  Cent  Portraits  de 
femmes.  —  organisée  par/'.l  W  et  les  Artistes,  au  profit 
de  la  Société  de  secours  aux  familles  des  marins 
français  naufragés,- — exposition  d'une  si  haute  tenue 
d'art,  d'un  aspect  si  charmeur,  et  qui  met  en  pré- 


sence les  deux  ])liis  brillantes  Mcoles  de  jieinture 
du  xviu<'  siècle,  l'une  avec  le  charme  incomparable 
de  sa  grâce  extérieure,  l'autre  avec  les  fortes 
qualités  de  son  métier  savant  et  la  pénétration  de 
son  analyse  ps\xhologique. 


C'est  en  effet  sous  les  séduisantes  a]>parences  de 
la  Femme,  dejjuis  les  images  de  marbre  des  \'énus 
antiques,  portraits  divins  de  la  mère  d'Éros,  jus- 
qu'à celles  des  belles  favorites  de  la  Régence  et 
des  spirituelles  comédiennes  de  La  Tour,  de  Frago- 
nard,  de  Reynolds  et  de  (iainsboiough....  que  les 
grands  maîtres  de  l'art  ont  roninnmié  de  la  plus 
triomjjhante  manière. 


49 


UART     ET     LES     ARTISTES 


Pifiii  ilfll.i  EiaïKcsca  est  au^si  i^iaïul  par  Irs 
<HU'1(HU-^  (li'liririisrs  ri  sdiii  iaiilc's  iinai;t^  i|u'il 
iH>us  a  lai^^rrs  <lc  ses  ln-lKs  et  arisliui  al  i(HK's  tcui- 
tenilHH.mio  i|Uc  \'a\  toutes  m>  MaildiU's  et  m> 
a)nl^)o^ilil>ll^  i  rliL;i('Uscs.  l.a  liiu-  silluiiul  tf  «le 
(iiovanna  Tdi  nahiiiiiii,  au  (  ol  ilt-  cNf^nic.  ilnut  la 
i;iàcosuiluuu,iiiii' 
illuniiuc  1rs  uuii  s 
dv  Sanl.i  M. .lia 
Xcivella.     a    plus 

lait  |i(iur  la  ^;l(ll^^ 

luiiiiiii  tillc        (lu 

[K'intrc  ipic  ttni'. 
ses  tableaux  iu\  - 

thologiqut'scl  n 

ligieux    ;     ISoiii 

celli,      Pisaiii  II' 

Raphaël,       I  >  " 

nard,   Titiru.   n 

lunnt  jamais 

plus    iluinruinil 

iiisinrés  ([uc  liiis- 

i\\\v  la    Ik-IIc    Si- 

nionutta      à      la 

lèvre     aif;u('     ri 

n-nclle,     Isalh'llr 

d'Est.'    au     ]Unlll 

altici,  la    Eonia- 

I ma    aux    laij^i's 

\  l'ux  ni)iis,  MciU" 

lia  Eisa  à  l'iiiilili 

nissabk'    souiiir, 

LauretleDiauti  a 

la  gorge  chloiiis- 

sante,...  jiosèieiii 

devant        eux. 

N'est-ce  Jiasdaiis 

la  froide  et  éiiig- 

matique      ligure 

d'Eléonore        de 

Tolède    et    dans 

la  fine  et   austo- 

cratique      image 

de  Lucrezia  Pan-  'Mus.  r  i 

ciatichi  que  l'art 

pénétrant  du  Bron/Jno,  auquel  M.  Henry  ^larcel 

consacrait  tout  dernièrement  une  si    remarquai  île 

étude  dans  cette  Revue,  s'est  exprimé  avec  le  plus 

de  noblesse  simple   et  de   force  impressionnante  ? 

Et  serait-il   téméraire   d'affirmer  que  les  portraits 

de  la  Femme  à  l' éventail  de  Buckingham  Palace  et 

de  la   Vieille    Femme   (cette    merveille)   du    Musée 

de  l'Ermitage  eoiiqiteiil  parmi  les  plus  purs  chefs- 

d'cKUvre  de  RenibramU  et  contribuent  autant  à  la 

gloire  de  son  nom  cpie  la  fameuse  Ronde  de  nuit  et 

^es  tragiques  Descentes  de  croix  ? 


IvuIhIIs 

lui  niéi 

'pdsi'.    et 

ave,     (| 

spiiè,  qi 

lell.'   spl, 

son   del 

.ord.iul 

lit   d'Kll 

s.d.eth  1 

Nnus   p, 

ilU  lillllS 

me  ii'a-i-il   ])as  en  quelcpie  sorte 

[uelle  pié(ieuse  mesure,  quel  art 

eiidi  ur  de  cdloris,  toute  l'essence 

et  somptueux  génie  dans  le  por- 

lîiaudt  du  .Musée  dr  Munich? 

multiplier,  presque  à  l'infini,  ces 

exemples  à  tra- 

\eis  les  diverses 

Ecoles   de   pein- 

tille. 

A  l'épocjue  qui 
nous  occu])c,  les 
mêmes  ])héno- 
mènes  de  con- 
leiilration  syn- 
thétique des  plus 
rares  facultés  des 
artistes  sous  les 
apjiarences  de 
l'image  de  la 
Femme  se  j)ro- 
duisent  égale- 
ment très  sou- 
vent. Une  simple 
revue  des  grands 
l)eintres  de  tran- 
sition,c'est-à-dire 
de  Rigaud  et  Lar- 
gillière,  au  der- 
nier peintre  de 
cette  charmante 
époque,  au  pré- 
curseur direct  de 
la  réaction  clas- 
sique,c'est-à-dire 
à  F  r  a  g  o  n  a  r  d , 
suffit  à  le  prou- 
\er. 


XATTIER   —  MAi.;ii-:-Anin,AïDE   de  France 


Kigaud  et  Lar- 
gillière     produi- 
i."u\r<  )  ront  presque  sans 

trêve  pendant 
près  de  la  ]iremière  moitié  du  xvill^  siècle.  Plu- 
sieurs (le  leurs  chefs-d'.euvre,  les  plus  universel- 
lement connus,  dateront  de  cette  époque.  Et  ce- 
jiendant  les  noms  de  ces  deux  artistes,  dont  l'activité 
))rodigieuse  se  prolonge  bien  après  la  mort  de  Wat- 
teau,  restent  attachés  à  l'histoire  de  la  peinture  du 
xvii'^  siècle,  et  il  suffit  de  les  prononcer  pour  qu'aus- 
sitôt s'ébauchent,  puis  se  précisent,  dans  le  souve- 
nir, les  grandes  et  solennelles  images  de  Louis  XIV, 
de  Colbert.  du  duc  de  Noailles,  de  Le  Brun,  de  Bos- 
suet,...  dans  leur  lourd  décor  de  tentures  de  pourpre. 


I,'ART     ET      I.FS     ARTISTES 


r..    CiKI^UZE    PORTRAIT    DE    LA    DLXHl-SSIi    Dli    CUlOISIil  I. 

'C'.ilkction  du  tiaruii  ICdnioiul  de  Kuthscliild  ) 


LaigilliiTc  et  l'Jigaïul  iiouiioiU,  de  1700  à 
1740,  travailler  sans  relâche,  se  livrer  à  une  inces- 
sante production,  avec  parfois  un  très  visible  souci 
de  réagir  contre  un  maniérisme  ])ompeux,  dont 
ils  furent  trop  souvent  victimes,  contre  une  affec- 
tation tombée  en  discrédit,  ils  demeureront  dans 
l'histoire  de  l'art  comme  les  inter])rètes  les  plus 
autorisés  des  attitudes  jiompeuses,  des  accessoires 
somptueux  et  des  perruques  monumentales. 

L'un  et  l'autre  excellèrent  surtout  dans  le  por- 
trait, et  la  persistance  de  leur  notoriété  est  ))rinci- 
palement  due  à  la  haute  tenue  décorative  des 
images  officielles  ou  gracieuses  qu'ils  ])eignirent,  et 
dont  les  Xanteuil,  les  Drevet,  les  Edelinck,  les 
Dcsplaces,  les  Vermeulcn,  les  \'an  Schuppen,...  ont 
popularisé  le  souv'enir 


Mais  tandis  (pie  l.ar;^illièie.  ipii.  comme  Watleau, 
but  à  longs  traits  à  la  fraîche,  linijude.  réconfor- 
tante source  flamande,  ce  qui  lui  i)ermit,  comme  au 
peintre  des  Fèlcs  '^<il<i>ilcs,  d'avoir  une  action  bien- 
faisante sur  l'École  française  au  wiii*'  siècle, 
se  plaisait  et  excellait  dans  l'interprétation  des 
traits  de  la  Femme,  Rigaud  se  distinguait  dans 
l'étude  de  la  ligure  de  l'homme.  Ce  qui  ne  veut 
jias  aire  qu'il  ne  sut  jias  s'illustrer  dans  la  pein- 
ture des  beautés  de  son  temps.  Ses  ])ortraits  de 
la  comtesse  de  Caylus  et  de  la  superbe  Marguerite- 
Henriette  de  la  Briffe,  dans  son  costume  théâtral 
lie  Cérès  aux  cheveux  ])Oudrés.  sont  tles  (vuvres  de 
grand  mérite.  Mais  c'était  toujours  avec  une  véri- 
table inquiétu<le  qu'il  saisi.ssait  ses  pinceaux  lors- 
qu'il  voulait  peindre  un   portrait  de  femme,  et  il 


51 


L'ART      ET      LES     ARTISTES 


aurait  nirmc  dit,  on  parlant  dv  srs  iiKulèk's  tcnii- 
nins  :  «  Si  je  les  lais  telles  qu'elles  sont,  elles  ne 
se  trouvent  pas  assez  belles  ;  si  je  les  flatte,  elles 
ne  sont  pas  ressemblantes  >>. 

Largillière,  au  eontraire,  grâce  à  la  facilité  vrai- 
ment prodigieuse  de  son  junceau,  savait,  sans  trop 
nuire  à  la  ressemblance  de  ses  modèles  féminins, 
et  tout  en  réalisant,  en  quelque  sorte,  un  compromis 
entre  le  réalisme  flamand  et  l'idéalisme  conven- 
tionnel de  son  époque,  faire  éclore  et  fixer  sur  les 
visages,  jiarfois  vulgaires,  des  expressions  caracté- 
ristiques d'une  grâce  fu- 
gitive qui  les  illuminait 
agi'éablement.  Faculté 
l)récieuse  qui  lui  valut 
Inen  vite,  aussi  l)ien  à 
Londres  qu'à  Paris,  une 
clientèle  dont  il  ne  pou 
\"ait  jias  toujours  satis- 
faire les  exigences. 

Le  chiffre;  des  portraits 
exécutés  par  Largillière 
est  considérable.  C'est 
assez  dire  que  la  pluinirt 
des  (euvres  de  cet  artiste, 
prodigieusement  dimé. 
accusent  sou\  <nt  un  mé- 
tier trop  hâtif,  une  exé- 
cution vide  et  flottante. 
Mais  sur  cet  océan  de 
productions  de  comman- 
de surnagent  quelques 
merveilleux  chefs-d'<eu- 
vre,  où  se  révèlent  super- 
bement toutes  les  quali- 
tés de  métier  et  de  com- 
position acquises  près 
d'Antoine  Gcebauw  et 
de  Peter  Lely  :  la  Irai- 
cheur  du  ton,  l'éclat  du 
coloris,  la  franchise  de 
la  touche,  toujours  libre  et  savoureuse,...  puis  la 
science  des  décors  somptueux  et  des  nobles  atti- 
tudes. 

Et  dans  ces  chefs-d'(euvre  Largillière  devient 
l'égal  des  plus  grands  maîtres  du  portrait,  et  ici 
l'hyperbole  cesse  lorsqu'on  l'ajipelle  le  \'an  D\ck 
français. 

On  ne  peut  donc  que  féliciter  le  Comité  d'orga- 
nisation de  la  Section  française  de  cette  Exposifion 
des  Cent  porlraifs  de  femmes  d'avoir  fait  une  large 
part  à  ce  noble  et  somptueux  artiste,  et  surtout  de 
l'avoir  représenté  par  des  chefs-d'œuvre  indiscu- 
tables, comme  le  portrait  de  la  Marquise  de 
Migieii  (collection  Edouard  Kahn),  le  Portrait  de 
Thomas   Germain  et  de  sa  femme   (collection  (lul- 


benkiani.  le  l'uiiniil  de  Mlle  Duclos,  de  la  Comédie- 
b'ra)tçaisc.  ceux  d(  la  Parabère  et  de  la  Baronne 
de  Piiingins  de  la  collection  du  vicomte  Chabtrt, 
celui  de  la  Comtesse  de  Dreiix-Brezé  de  la  collec- 
tion du  baron  Edmond  de  Rothschild,  le  lîiagnifique 
liortrait  de  la  Marquise  de  Bo£;lioiie  delà  collection 
du  marquis  de  (Tiapona\-, 

Largillière   lit    deux   portraits    de  Mlle   Duclos, 
ou    plutôt    il    lit    de  l'original    qui  figure  à  l'Ex- 
position   des    Cent    Portraits    de    femmes,    et    qui 
a]ipartient  à   la  Comédie-Française,  une  réduction 
charmante,   d'un    dessin 
peut-être  plus  accentué  et 
iilus  précis  et  d'un  dessin 
plus  nourri,  qui  figure  au 
château  de  Chantilly.  La 
reproduction    que    nous 
donnons  de  cet  excellent 
portrait  a  été  faite  d'après 
la  toile  du  foyer   de   la 
C  o  médie-Française. 

Largillière  a  représen- 
té son  modèle  dans  le 
rôle  d'Ariane,  rôle  créé 
quelques  années  aupara- 
vant par  la  Champmeslé. 
Le  peintre  paraît 
s'être  inspiré  de  ces  vers 
de  Lamotte,  qui  était 
bien  le  poète  désigné  pour 
célébrer  l'emphase  un 
peu  trop  déclamatoire 
de  la  belle  et  plantureuse 
comédienne  : 

.\b  !    qiif    j'aime   à   te  voir  en 
[amante  abusée 
Le  visage  noyé  de  pleurs!... 


B.  GREUZE   —  i'( 

CH.VMPC 

'CllK-tli'H  du   Co 


IKTK.MT    DE    .m"'     DE 
EXEZ 

iiite  (.rrlhillir. 


Ce  portrait  paraît  da- 
ter des  premières  années 
du  xviiie  siècle.  Mlle  Du- 
clos. née  en  1(170,  jiouvait  avoir  trente-cinq  à  qur.- 
rante    ans  lorsqu'elle  jxisa  devant  Largillière. 


Robert  Tournières,  comme  beaucoup  de  peintres 
de  son  temps,  s'efforça,  dès  le  début  de  sa  carrière, 
d'attirer  l'attention  sur  son  nom  par  rexécution 
de  vastes  toiles  tableaux  d'histoire,  scènes 
m\'thologiques.  tableaux  religieux,  immenses  ma- 
chines dont  on  chercherait  vainement  la  trace 
aujourd'hui  ;  i)uîs,  heureuse  détermination  qui  lui 
l'ermet  d'exécuter  quelques  (êuvres  d'une  assez 
intéressante  originalité,  il  peindra  quelques  petites 
toiles  de  genre  a]irès  avoir  demandé  à  Gérard 
Dow   et   à   Gottfried   Schalcken  le  secret  de    leur 


52 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


NATTIKI'J 


PORTRAIT    DE    M"'"    DE    LA    PORTE,    NEE    CAIMARTIN 
(Collection  du  comte  de  Lariboisière) 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


clair-obscur  et  de  la  pré- 
cision lumineuse  de  leui 
touche. 

Mais  si  le  nom  de  l'ouï  - 
nièrcsest  parvenu  jusqu'à 
nous,  c'est  grâce  siu'- 
tout  à  la  réelle  liabileté 
de  rcimpositidU  qu'il  di'- 
pldWi  dans  des  groupe- 
ments de  portraits,  et  à 
d'assez  subtiles  leclur- 
ehes  ph\'sioniinuqui  ->. 
H.Ulté  pai'  le  soueeiiu" 
d'(  )stade,  et  surtout  de 
Mieris,  il  ehoisis'Slil  de 
piidéren<-e  des  groupes 
de  "  dames  de  (pi.ilité  n. 
Il  aimait  les  IcJlletter. 
i-|i''i;an1es,  i  t ,  non  sans 
ll,dilletc'',  son  plllei-au 
meliiuleux  détaillait  les 
iKiuds  de  inbaiis  et  les 
d.ntelles. 

l'dUl  bien  iiilinaitic 
I  (lumières,  maille  iiitc'-- 
ressailt  de  second  oi  die. 
en  tant  que  peintre 
lie  portraits  île  lemmes, 
il    laul    visiter  le    Mus,',' lie 

Nantes,  bien  que.  sur  les  trois  toiles  impiiiiant(_'s  par 
lesipielles  il  s'\'  iKiin'e  représenté,  deux  aient  subi 
de  très  regrettables  retoiuTies.  La  nieiUture,  à  notre 
a\-is,  est  celle  que  nmis  ri_]niHluisoiis  i(  i  in  tète  de 
cette  étude,  suus  ce  titre  :  l'niiiwils  de  jitmiUc  vu 
/'icd  il,i/i\  un  ■sillon  oiivriiiil  sur  int  jaidiii  (idS^-ijl)*!). 

\'oici  Xattiei,  qui,  rem  hérissant  encore  sur  le 
sonqitueux  jum  éilé'  d'interpii'talion  de  Lai"gillière, 
\.\  diviniser  ses  luodèUs  prnlanes,  sciuvent  très  ])ro- 
lanes,  dans  tles  décors  ohnipieiis,  mais  avec  une 
simplification  de  iletails,  un  sNinluilisme  succincl. 
une  originalité  de  cnneeptiuii  (1  île  métier  qui  le 
séparent  lirusquenu'Ut  des  tiaditinns  de  l'iù'ole 
du  XVII''  siècle  et  font  de  lui  mie  pei  sunnalité  très 
à  part  parmi  les  ])einties  du  .witi''.  Nattier 
lut  \aaiment  le  jieiiitie  d'une  l'inupie,  l'interjuète 
quasi  jirovidcntiel  des  types  de  femmes  si  particu- 
liers de  la  Régence  et  de  la  première  partie  du  règne 
lU'  Louis  X\',  de  ces  beautés  «aux  grâces  alourdies  », 
de  ces  Junon  et  de  ces  Daphné  qui  s'appellent 
la  marquise  de  Chàteauroux,  Mme  de  Flavacourt, 
ilc>nt  les  charmes  plantureux  fout  naitre  les  com- 
]iaraisons  d'Homère  et  de  \'iif;ile  il  les  font  \'enir 
tout  naturellement  à  la  biniche  du  président 
Hénault  ap])elan1  celle-ci  :  "  Reine  de  l'I-'néide  „, 
celle-là:  «  ("léoi>à1re  ]iiipiéi.' par  l'aspii-    .^ 

La     vogue    de    Xattier    comme    portraitiste    fut 


immense.  Les  femmes 
surtout  sollicitaient  com- 
me une  très  haute  faveur 
d'être  ]îeintes  par  lui,  et 
le  secret  de  cet  engoue- 
ment féminin  pour  Xat- 
tier est  clairement  ex- 
pliqué en  ce.s  quelqiies 
lignes  par  Casanova  : 
Il  II  faisait  le  portrait 
d'une  femme  laide  ;  il  le 
peignait  avec  une  ressem- 
blance parfaite,  et,  mal- 
gré cela,  ceux  qui  ne 
vo\aient  que  son  por- 
trait la  trouvaient  belle, 
alors  que  l'examen  le 
[fins  minutieux  ne  fai- 
sait découvrir  dans  le 
jiortrait  aucune  infidélité, 
mais  quelque  chose  d'im- 
perceptible donnait  à 
l'ensemble  une  beauté 
réelle  et  indéfinissable.  » 
De  17  ;o  à  17O3,  Xat- 
l'iiRlK'AlT  |j|.j-    i^-xposa    presque   ré- 

gulièrement à  chaque 
Srdon  jilusieurs  portraits, 
]iresipie  toujours  des  por- 
femmes.  .\ussi  le  nombre  d'images 
iii  lui  sont  attribuées,  et  dont  plu- 
sieurs ne  sdut  d'ailkurs  que  le  médiocre  témoi- 
gnage d'un  art  facile  et  com'uitionnel,  est  consi- 
dérable. Car  si  Xattier  (I),  se  conformant  au  goût 
de  réi)o([ue.  rumme  Antoine  Coy])el,  Van  Loo, 
Aved.  Raoux,  nnihologise,  allégorise  et  olym- 
piiinisc  ses  modèles  et  s'efforce  de  mériter  les  hautes 
faveurs  en  jieignant  avec  conscience  les  maîtresses 
et  les  filles  du  roi,  il  s'abandonne  avec  trop  de 
désinvolture  à  sa  déplorable  facilité  lorsque,  devant 
lui.  posent  des  modèles  de  qualité  moindre.  De  là 
les  fatigantes  uniformités  de  ses  figures  rondes  et 
maquillées  qui  semblent  j)resque  toutes  porter 
une  manpie  de  fabrique  i)luté)t  que  le  sceau  d'une 

(i  )  .\ntoini;  Ciiypoi  peignit  .^drieune  I.ecoiivreur  en  Curin-lic. 
nile  presse  de  ses  belles  mains  éplorées  l'urne  qui  contient  les 
cendres  de  Pompée.  La  marquise  de  Sabran;  maîtresse  du 
Kéfjent,  a  été  représentée  par  Van  Loo  vêtue  d'une  simple 
tunique  grecque,  les  seins  nus,  en  costume  de  .X'éiius  d'Aina- 
thonte.  Quant  à  Raoux.  il  divinisait  toutes  les  belles  dames  de 
la  Cour,  toutes  ks  demoiselles  de  l'Opéra  et  de  la  Comédie- 
Italienne  qui  passaient  dans  son  atelier.  Il  portraitura  en  prê- 
tresse de  Vesta  déposant  un  sarment  enflammé  sur  un  autel  la 
jolie  Mme  Boucher,  femme  d'un  secrétaire  du  roi.  Ce  fut  lui  qui 
peignit,  — et  avec  quel  succès  !  — Mlle  Joussct  en  Diane,  Mlle  Qui- 
iiault  en  .Amphitrite  traînée  par  des  chevaux  marins,  la  jolie 
.\nir  Trév.st.  dr  ropéra.  en  folle  bacchante.  Mlle  Sylvia  en 
1  h.ilie,  MU.-  l  ,ir..ii  .11  naïade,  dans  une  imdilé  .'i  peu  prés  com- 
plète.... 


traits 
léniinm 


54 


ART      RT      LES      ARTISTES 


I.A   Tdl'R    —    I.\    POMI'ADOrR    KX    BERGKRE     (pastel) 
ir.,ll,<Mi..ii   (1<-  Mme  la  inar(|uise  de  Caiiay) 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


NATTIER 


DH     BEAUPRE    (dessin 


originalité.    Ici.    tout    respect    île    la    physionomie 
individuelle  est  sacrifié  à  rin\-ention  du  décor  et, 
sauf     quelques    t\pes    d'orgueilleuse    beauté,     de 
l'ensemble  desquels  se  dégage  une  sorte  de  type 
féminin  de  la   Régence  et   de   la   jiremière  partie 
du  règne  de  Louis  X\',   la  série   des  portraits  de 
femmes  de  Xattur  fait   tio])  songer  à  une  suite 
de  jolies  piiu]iées   an\   jdues   vermillonnées,   aux 
grands  veux  fixes  et  doux,  aux  lè\-res  vaguement 
entr'ouvertes  et  qui.  engoncées  dans   leurs    longs 
corsages  rouges  au.x   broderies  d'or  et  dans  leurs 
robes   fleuries,    semblent  toujours  prêtes,  à  un  si- 
gnal donné,  à  faire  la  révérence,  ou  à  jiromener,  à 
l'aide  <run  mécanisme  ingénieux,  leurs  archets  sur 
leurs  altos  ou  sur  leurs  violoncelles  (i). 

Chez  Xattier,  comme  chez  Largillière,  d'assez 
longues  recherches  sont  nécessaires  à  travers 
l'abondance  excessive  de  la  jiroduction  pour  ar- 
river au  classement  des  définitifs  chefs-d'ceuvre. 
Mais  ici  encore  la  clairvo\-ance  du  Comité  de 
l'exposition  ne  s'est  pas  trouvée  en  défaut,  et  il 
faut  admirer  sans  réser\-e,  dans  les  salles  du  Jeu 
de  Paume,  /(/  Femme  à  l'œillet  (collection  du  ba- 
ron Hein'i  de  Rothschild),  la  Martjiiise  du  Châtelel 
et  sa  fille  (collection  Michel  Ephrussi),  la  Marquise 
(le  Boglione,  de  la  collection  du  marquis  de  Cha- 
ponay,  la  Marquise  iVAutin  (collection  de 
Mme   Edouard  André),  Mme  de   (aumartin  (col- 


lection du  comte  de  l.ariboisière).  l'admirable 
portrait  de  la  fille  de  Mme  Geoffrin  (Musée 
d'Etampes),  le  jiortrait  de  femme  de  la  collection 
Faniax-Murray....  etc. 

Notre  méthode  chronologique  de  la  revue  des 
jirincipaux  portraitistes  de  la  Femme  au  xyiii^  siècle 
iiiius  conduit  à  l'examen  de  l'ceuvre  d'Aved.  Il 
sera  très  rapide,  bien  que  les  peintures  de  cet  ar- 
tiste, d'une  irrégularité  de  métie  rdéconcertante, 
-nient  assez  nombreuses,  mais  d'inégale  valeur. 
Il  faut  retenir  toutefois  dans  cet  œuvre,  dis- 
persé dans  les  Musées  d'Amsterdam,  de  Valen- 
ciennes,  du  Louvre,  de  Montjiellier,  de  Versailles, 
deux  portraits  qui  suffiraient  à  eux  seuls  à  attri- 
liurr,  malgré  la  sécheresse  un  peu  dure  de  leur 
exécution,  une  place  honorable  à  Aved  parmi  les 
peintres  de  la  Femme  au  xyiii""  siècle.  Je  veux  parler 
de  l'intéressant  portrait  de  Mme  de  Tencin  du 
Mu>ée  de  Walenciennes,  et  aussi  de  celui  de 
Mme  Crozat  du   Musée  de  ^lontpellier. 

(  )n  attribua  longtemps  ce  dernier  portrait  à 
Chartlin.  On  retrouve  en  effet  dans  cette  vivante 
image  de  la  femme  du  grand  financier,  amateur 
d'art  et  protecteur  de  Watteau,  toutes  les  qualités 
de  métier  de  Chardin,  et,  en  même  temps  que  le 
prestige  exemplaire  de  sa  technique,  tous  ses  dons 
d'observation  pénétrante  et  aiguë. 

A  l'heure  où  mourait  Nattier  (1766).  à  peine  âgé 
de  soixante-trois  ans,  mais  déjà  presque  abandonné 


(I)  Voy.  l'hi 


(HaclR'lte  <t  Ci 


m  >L\'    —    ÉTUDE    DE    FEMME    Klessiii) 


lAin      F.T     LES     ARTISTES 


DUPI.ESSIS  l'OKTKAIT    DH    M""     I.KXOIK     (MKRK    d'aI  KXANDKH     IKNOIK) 

(.i|i|i.irli  iiiiiit  .1  Mme  Lmoir) 


L'ART     ET     LF.S     AlvITTSTF 


XATlTElv    —      l'DKTKAIT    PKKSrMIL    DE    -M'"     DE    tHATEArK<  )I'\ 
(appartenant  à  \r.  F.  do  C.) 


(Ir  tous  SCS  biillants  nioilrlcs.  et  le  ciLiir  lirisé  ]>ar 
la  MKjrt  d'iui  lils.  jciuic  pciiific  de  ^rand  avriiii". 
qui  périt  dans  le  ril)ic,  six  mois  ajirrs  son  arrivée 
à  l'Académie  de  Fraiu c  à  i\oine,  son  gendre.  Louis 
Tocqué  (i(X)h-i77J),  |ionr'-iii\-ait,  an  milieu  de 
succès  courants,  obtenus  aussi  Lien  en  Russie  et 
en  Danemark,  où  il  lait  les  (xirtraits  des  souverains 
(lu  pays,  qu'en  Fiance,  le  cours  d'une  des  plus 
superbes  carrières  d'arliste.  Juscpi'à  sa  mort, 
aucim  nuage  ne  \inl  doubler  la  ]iarfaite  sérénité 
de  sa  vie,  it,  à  l'encontre  de  son  liean-jière.  ]ioiir 
qui  la  critique  lut  ]Kir{ois  si  miellé  et  si  im[>ito\  able. 


-.urtout  à  la  fin  de  sa  carrière,  il  n'enteml  s'élever 
autour  de  ses  (cu\res,  qu'il  eX]iosc  au  Salon, 
de  17J5  à  ijho,  que  des  concerts  d'éloges  parfois 
excessifs. 

Ce  qui  ressort  très  visiblement  de  la  jilupart  des 
articles  du  temjis  consacrés  aux  lenvrcs  de  Tocqué 
et  signés  des  noms  de  Rachaumont,  de  Lafont  de 
Sainte- Yenne,  de  (irimm  lui-même,  c'est  la  vo- 
lonté de  protester  contre  l'afféterie  devenue 
latiganle  de  l'art  de  Xattier  et  de  ses  m\t!iolo- 
gi(|ues  attributions,  et  le  désir  très  juste  de  van- 
ter l'ait   «le  Toc(pié,  art   dont  le   beau   portrait  de 


5S 


I/AKT      ET     LES      ARTISTE? 


J.-li.    (jKEUZE    —    JEUNE    FILLE    AUX    CULO.MBES 

(Collection  Wallace) 


la  rollcction  (k'  Kanii,  ox]i()Sc  dans  la  Salle  du  Jrii 
lie  Paume,  ronfinne  avec  tant  d'éclat  la  forte 
sincérité. 

«  M.  Tocqué,  dit  Lafont  de  Sainte-Yennc  dans 
son  Saloji  de  i  '^46,  s'est  tiré  de  la  foule  depui.s 
longtemps  i)ar  d'excellents  ouvrages.  Son  portrait 
il'ime  dame,  un  ])eu  âgée,  en  manchon,  a  arrêté 
tout  Paris.  I.a  bienséance  de  son  ajustement, 
extrêmement  conforme  à  son  âge.  a  domié  une  idée 


très  avantageuse  de  l'original,  et  diamétr.Uenient 
o]il)oséo  à  rimjjression  que  fait  avec  justice  sur  le 
jiuhlic  l'iTiipudence  de  celles  qui,  n'étant  ni 
jeunes  ni  jolies,  se  font  représenter  avec  les  galants 
attributs  de  la  déesse  de  la  jeunesse  et  en  ]X)mi)ons 
de  couleins....  Le  portrait  de  cette  dame  âgée  est 
un  ouvrage  excellent.  Tout  y  est  fait  avec  un  bon 
sens,  avec  un  accord,  mie  vérité  de  couleur  et  de 
détail  (jui  ]ieut  S(nitenir  l'examen  k'  plus  sévère    ". 


59 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


TOCOl'iv    —    PdKTKAIT    DE    FEMME    fd.ssni, 

Nous  it^'iioroiis  le  imiii  ihi  jiorf-onnage  qui 
inspira  iittc  ilcscripticui.  Au  prmiirr  abi)i-il.  un 
L'St  i)orté  à  cn)iir  (|n'il  -.'aKit  iln  trts  rt-niaïquable 
portrait  de  Mni^  ilc  (  iiallign\-,  que  nous  reprodui- 
sons ici,  nnr  dus  l.otnics  t(jilcs  de  Tocqué....  Ahiis  la 
présence  du  luaiu  lidii,  dans  la  toilette  décrite  par 
M.  de  Sainte-'S'uuie,  nous  uiterdit  de  chercher 
plus  lon^ti'uqis  le  \-isa,L;e  de  la  ■  pirituelle  anue  de 
X'iiltaue  à  tra\'ers  ces  lignes  qui  nous  disen.t  as-.ez 
(pie  'I'(}C(iué.  ])his  attné  <i\ie  Xattiu  ))ar  le  uu'-- 
tère,  par  Iv  dessous,  par  le  siihsti-iiliiiii  de  la  hgure 
humauie.  se  plaisait  à  hxer  <le  son  iiinceau  péné- 
trant dis  traits  déjà  vieillis,  mais  singulièrement 
ennolilis  et  icinune  spnilu.dise.  ]iar  l'intime  ra\'ou- 
nement  d'une  ànie  (|n'illnuiine  la  science  de  la  vie. 
Louis  Toc([ué  suuble,  lui  aussi,  avoir  résumé  U-s 
plus  iorli's  (pialités  de  son  art  dans  des  ima,t;es 
féminines.  Les  ]iorti"aU' d,-  Mme  ,1e  (iraffi,s;n\'  et  île 
la  reine  Marie  I^ec/iuska,  lour.  deux  au  Musée  du 
Louvre,  jieuvent  être  classés  ))armi  les  meilleures 
(euvres  de  l'excellent  peintre,  encore  cpie  ses  remar- 
quables lacultés  de  coloriste  et  les  ressources  variées 
de  son  dessin  souple  et  ])réçis  se  retrouvent  aussi 
dans  quelques-uns  de  ses  jiortraits  d'homuH's, 
et,  entre  autres,  dans  celui  ilu  marquis  de  ^larigin 
(Musée  de  \'ersailles)  et  dans  ci'lui  de  la  collection 
von  André,  un  inir  chel-d'ieiivre. 

Nos  s\  iiijiathies  personiulles  \(ai1   à  la   toile  on 


l'artiste  a  représenté,  avec  ime  rare  puissance  de 
touche  et  un  pénétrant  esprit  d'observation,  le 
biau  \isage  souriant  de  ]\Ime  de  Graffigny,  inodelé 
in  pic  ine  lumière,  et  si  gracieusement  encadré  d'une 
niant ille  noire  (pii  se  renoue  sous  le  menton.  On 
di\in(_'  qu'en  jnésence  de  ce  céduisant  modèle, 
dont  la  splendeur  des  chairs,  déjà  miires.mais  d'une 
fraîche  et  généreuse  maturité,  rayonne  joyeuse- 
ment sous  l'action  d'un  esprit  toujours  en  activité 
de  jeunesse,  le  peintre  s'absorbe  avec  une  sorte 
d'ivresse  dans  le  sacerdoce  de  son  art.  Rarement 
l'exécution  d'une  œuvre  fut  poussée  avec  une 
conscience  plus  grande,  une  joie  de  peindre  plus 
sensible  et  une  plus  sûre  habileté  de  pinceau.  Ce 
portrait  doit  être  contemporain  de  celui  de  la  pre- 
iiiièie  daupliine  qui  fut  exécuté  en  1747.  C'étjait 
l'époque  où  Mme  de  Oraffigny,  âgée  de  cinquante 
ans  en\'iron,  venait  de  publier  ses  Lettres  d'une 
l'cruricnnc  dont  le  succès  fut  si  considérable. 

Il  est  d'usage  de  considérer  le  portrait  de  Marie 
Leczinska  comme  l'ieuvre  maîtresse  du  peintre. 
Pour  notre  part,  nous  n'v  retrouvons  ni  les  fines 
iiualités  d'observation  qui  se  révèlent  avec  un 
(iiaiiue  si  grand  dans  la  figure  deMme  de  Graffigny, 
ni  le  métier  libre  et  savoureux  du  pinceau  s'aban- 
donnant   complètement  à  la-  volupté  de  peindre. 

Devant  son  royal  modèle,  Tocqué  paraît  surtout 
obsédé  par  la  volonté  de  réaliser  rme  effigie  dont 
tous  les  ih^'tails,  dont  tous  les  accessoires    partici- 


L-1'..    (ikLl'ZH    —    FUKTK.Ml     DE    Sol'IilE 

.\RNOlI  P 

fCollcctiun  WaUacc; 


60 


L'ART      F.T     LES     ARTISTES 


AKGILI.IKKI' 


l'iiKIKAII     DF.    m'  '     DCCI.OS,    Dlî    LA    CO.MICDIK-I-KANrAISE     (KÔLK    D'AKÏAN]': 
(ai'parlciuiril  à  la  C'niiK-dic-l-'raii<,'aist') 


6i 


I.'AKT     HT     LES     ARTISTES 


IHToiil  à  l'cxinosioii  lU'Iiiiil  i\('  ili-  l;i  sdiutiaiiu' 
llUIJisU'.  Dr  là  r.i^pcil  i.ikIc.  |i|rsi|ilr  lili'i  at  iinu 
lie  ^clIl  iHis(iiiiiaL;r,  ilciiil  la  mille,  au  cliir  de  Xollain-, 
ll'rtait   pdiiil   |iilir. 

liHcinr-  s'est  (ciKiidaiil  très  \'isil iKiiiciit  cliiirié, 
sans  .nu  une  ((Hicrs-KHi  à  la  \'lll,L;ai  itr  des  tldils. 
lie  itiidic  l'ail  i\r  soiinantr  lidiiti'  dont  le  \  isage 
de  la  laiiu'  rtait  (  iii|irfiiit.  ]{t  m  c  cla  il  lut  supc- 
iicur  aux  aiitics  portraitistes  de  Marie  l.ee/iiiska, 
à  \'aii  1,11(1.  à  ]-)elle.  (pii  Ile  \iient  dans  la  reprc- 
seiUatioii  île  la  reine  que  prétextes  à  de  pre;  tii,'ituses 
])e)ntures  de  inauteaux  d'iiennine  et  île  rnlies 
fleurdelisées,  à  Xattier  et  à  La  Tour,  dont  les  },do- 
rieuses  images  sont  déjiourvues  de  toute  \éritc 
liistorique.  La  Tour  parait  avoir  concentré  dans  les 
\eux,  sur  les  lèvres,  et  jusque  dans  le  frémissement 
du  nez  de  son  modèle  tout  l'esprit  d'une  époque: 
c'est  un  symbole  d'une  éloquence  excessive  et 
inattendue.  La  grande  sincérité  d'observation  du 
grand  pastelliste  est  ici,  exceptionnellement,  en 
faute.  Ouaiit  à  la  Marie  Leczinska  de  Xattier,  elle 
est  d'une  grâce  mélancolique  en  complet  désaccord 
avec  l'opinion  des  contemporains  qui  prêtaient  à 
la  reine  «  un  esprit  dépourvu  de  toute  \ivacité, 
plus  de  vertus  que  d'attraits,  et  tout  ce  qu'il 
fallait  d'ailleurs  jxiur  lui  assurer  jusqu'à  la  lin  le 
resjiect  du  roi  plutôt  que  pour  retenir  son 
amour    . 

Tout    en    cherchant    à    doiuier     à    son    ro\-al 


1 lele  la   soii\ei,iiiie   attilude   digne  lie  Son   rang 

suprême,  et  cela  sans  faire  d'excessives  concessions 
à  la  nature  qui  \'oiilait,  dans  son  impitoyable 
cruauté,  que  la  hlle  de  Stanislas  Leczinski  eût  le 
nez  gros,  les  \eux  ronds  et  les  lèvres  minces,  mais 
le  sourire  ])lein  de  bonté,  Tocqué  ne  le  céda  en  rien 
à  ses  rivaux  \'an  Loo  et  Helle  pour  l'exécution 
des  étoffes  dans  son  portrait  d'apparat,  et  son 
habile  pinceau  s'est  promené  avec  une  méticuleuse 
conscience,  mais  aussi  avec  un  art  infini,  dans 
l'harmonie  neigeuse  ilu  manteau  royal  et  dans  le 
satin  blanc  fleuri  tle  pavots  rouges  de  la  soni])- 
tueuse  robe  au.x  larges  ])aniers. 

D'ailleurs,  pour  peindre  clans  leurs  plus  intimes 
détails  ces  vêtements  royaux  dont  il  sut  revêtir 
un  modèle  d'emprunt  doué  de  la  plus  louable  pa- 
tience, Tocqué  eut  tous  les  loisirs  nécessaires, 
comme  l'atteste  la  lettre  suivante  : 

"  De  par  le  Roy,  cher  et  bien-aimé,  nous  avons 
commandé  au  sieur  Tocquet  (su),  jjeintre  de  notre 
Académie,  (pielques  ouvrages,  pour  lesquels  il  a 
besoin  du  manteau  royal,  cjui  est  dans  le  Trésor 
royal  de  votre  église.  Nous  vous  mandons  et  or- 
donnons de  lui  faire  remettre,  pour  le  garder  li- 
temps  qui  luy  sera  nécessaire,  en  prenant  pour 
vous  les  sûretés  convenables  et  accoutumées  en 
pareille  occasion.  Si  n'y  faites  faute,  car  tel  est  notre 
bon  plaisir.  Donné  à  Versailles, le  27  septembre  1739. 
Louis    ". 

L'ieinre  de  Tocqué  est  considérable.  Bien  cjue 
tra\aillant  avec  une  certaine  lenteur,  justifiée  jxir 
une  observation  consciencieuse  de  la  nature  et  un 
réel  souci  de  la  vérité,  mérites  assurément  assez 
rares  à  une  é])o(jue  où  la  fantaisie  régnait  en  sou- 
veraine dans  les  arts,  il  a  laissé  de  nombreu-X 
portraits  remarquables  par  la  vérité  des  attitudes 
et  le  charme  du  coloris,  d'un  riche  éclat  dans  les 
toiles  d'ap]iarat,  où  la  fulgurance  des  ors  devait 
lutter  avec  les  chatoiements  des  satins,  et  d'une 
délicate  harmonie  dans  les  peintures  intimes,  surtout 
dans  celles  de  la  deuxième  partie  de  sa  carrière,  alors 
que  son  coloris  un  peu  vif  au  début,  et  parfois 
criard,  s'est  apaisé  dans  un  système  de  nuances 
grises,  comme  clans  le  portrait  exquis  de  Vieille 
jeniine  du  ]\Iusée  de  Nantes. 


Oui  veut  connaitre  Oueiitin  La  Tour  doit  visiter 
le  Musée  de  Saint-Ouentin.  Nous  dirons  plus  :  un 
pèlerinage  à  cette  galerie  d'art  est  presque  aussi 
nécessaire  que  la  lecture  des  Mémoires  de  Bachau- 
mont,  de  la  Correspondance  de  Grimm,  des  com- 
mérages de  MmeCampanet  cies lettres  de  Mmed'Epi- 
na\',  pour  qui  désire  vivre  un  instant  dans  l'atmo- 
sphère du  xviii''  siècle  et  en  resjiirer,  pour  ainsi 
dire,  l'esprit. 


62 


L'AKT      F.T      LES      ARTISTl-:- 


J.    l;     WKEl'Zli        -    LES    DEUX    S(ErKS 
'Miisw  du  Louvre) 

(  c  inMennage,  je  le  lis  ixiiir  la   |)R'mir'ic  lois,  il  rahh'  d'ailKuirs  à   leur  conservation,  une  destina- 

y  a  déjà  de  longues  années,  alors  que  les  pastels  du  tion  j^lus  digne  d'eux. 

maître,  encore  relégués  dans  les  combles  de  l'hôtel  Le    concierge,    vieillard    ingambe    préposé   à   la 

de  ville,  attendaient,   baignés   d'une  ombre   favo-  garde  de  ces  admirtibles  c}iefs-d'ceuvrc,  me  remit, 

63 


LARl      l:.!      LES     AlUIsTES 


I.OriS     J)A\n)  IMlKTKAlT    DE    m"'     JIIIV, 

DE    I.A    L()MÉD1E-FKANc;AISE 

(.ipii.irtcu.mt  à  Kl  Cniiiédie-l-r.inçaise) 

MIT  ma  siniplo  (U'iiiaïKle,  et  a\-ec  un  gfstr  dv 
confianci'  des  j)liis  inriitimc  mais  excessive,  la  clet 
du  sanctuaire.  Ce  lut  dans  le  jilus  pieux  recueil- 
lement et  avec  une  émûtum  léelle  que  je  !;ravis 
les    étages   de  l'immeuble    nuuiicipal. 

Bientôt  je  pénétrais  dans  l'immense  salle  cihscure 
au  ))lafond  bas  où  se  trou\'aient  provisoirement 
remisés  les  chefs-d'feuvre  du   niaitre. 

D'abord,  je  ne  \-is  que  l'or  des  cadres.  Puis,  peu 
à  peu,  mes  yeux  se  familiarisèrent  avec  la  lumière 
quasi  crépusculaire  de  la  pièce,  et  je  perçus  l'ovale 
des  visages,  l'éclair  des  yeux,  la  neige  des  sourires.... 

Oli  !  ces  sourires!...  Ils  partaient, vifs  comme  des 
tlèclies,  de  l'arc  tendu  des  lèvres  et  me  criblaient. 

C'était  comme  une  'protestation  collective  et 
très  acérée  contre  la  lirusque  apparition  de  l'nitrus, 
dont  le  biuit  dis  ]ias  sur  le  vieux  carrelage  de 
bri(pus  du  ,!,'renier  sacré  semblait  avoir  troublé 
les  doux  liavardages,  les  marivaudages  précieux, 
les  colloques  philosophiques  ou  sentimentaux...  des 
Diderot,  des  d'Alembert.'cIes  Jean-Jacques,  des 
Louis  X\',  des  Fel,  des  Camargo,  des  ,Favart,  des 
Pompadour,    des    Puvignw    etc. 

Toute  1.1  uKinlante  et  spirituelle  nonie  ilu 
XVIII''  siècle  m'en\-eloi)pait  dans  cette  salle  obscure 
et  sileiicii  use.  J'entendais  des  rires  étouffés  et  des 
])ropo>  laillcurs  uuunnués  à  voix  basse.  Ta-  visai^e 
aigu   et   railleur  de  Mlle  l-'.-l  me   sembla  to\it    p.irti- 


culièrement  agressif,  et  je  crus  entendre  le  mot  de 
"  rustre  -  sortir  en  un  sifflement  léger  des  lèvres 
tmes  et  minces  de  cette  charmante  et  malicieuse 
personne.  Je  n'oserai  même  pas  affirmer  qu'un 
uumense  éclat  de  rire,  où  détonait,  comme  une 
pétarade,  l'énorme  gaieté  de  Maurice  de  Saxe,  ne 
salua  ma  retraite  lorsque,  très  troublé,  je  m'éloi- 
gnai de  cette  réunion  inquiétante. 

Cette  petite  histoire,  ce  récit  en  quelques  lignes 
de  ma  [iremière  visite  aux  pastels  de  Saint-Quentin 
et  de  l'impression  reçue  ne  tend  à  rien  autre  chose 
tju'à  une  constatation  personnelle  de  l'intensité 
expressive  des  leuvres  de  La  Tour  et  du  caractère 
éternellement  historique  de  son  art.  fait  d'une 
incomjiarable  science  du  dessin  et  d'une  passion 
profonde  ])our  la  vérité.  Nous  le  répétons  :  rien 
n'est  troublant  comme  le  prodigieux  ensemble 
iconograjihique  constitué  par  presque  autant  de 
chefs-d'(euvre  cju'il  y  a  d'images  et  où,  dans  la 
flamme  des  yeux,  «  dans  l'ironie  qui  chatouille, 
fait  vibrer  et  relève  les  coins  de  la  bouche  »,  dans 
ces  expressions  si  diversement  modulées  des  par- 
lantes physionomies,  revit  toute  la  société  intel- 
ligente, railleuse,  sensuelle,  du  xviii*'  siècle. 

L'esprit  de  l'époque  anime  évidemment  tous  ces 
visages.  Chacun  d'eux,  malgré  l'uniformité  peut-être 
trop  accentuée  d'un  même  sourire  voltigeant, 
ironique  et  spirituel  siu"  toutes  les  lèvres,  est  cejjen- 
(-lant  le  clair  et  profond  miroir  des  sentiments 
jiarticuliers.  On  peut  affirmer  qu'il  n'existe  dans 
aucune  école  d'art,  pas  même  dans  l'École  alle- 
mande du  xvi^  siècle,  d'une  si  savante  psychologie, 
d'une  interprétation  si  profondément  synthétique, 
un  jieintre  de  la  ligure  humaine  supérieur  à  La 
Tour. 

Le  grand  artiste,  contrairement  à  Nattier,  à 
Drouais,  qui  se  partageaient  avec  lui  la  riche  clien- 
tèle des  modèles  de  la  Cour,  de  la  Finance  et  du 
Théâtre,  n'hésitait  ])as  à  faire  de  l'image  la  très 
fidèle  représentation  du  piersonnage,  lors  même 
que  celui-ci  avait  été  victime  des  pilus  malicieux 
caprices  de  la  nature. 

On  connaît  la  hautaine  déclaration  du  terrible 
analyste,  parlant  de  ses  modèles  :  «  Ils  croient 
que  je  ne  saisis  que  les  traits  de  leur  visage  ;  mais 
je  descends  au  fond  d'eux-mêmes,  à  leur  insu,  et 
je  les  emporte  tout  entiers  n. 

Toutefois,  malgré  l'impitoyable  sincérité  ■  qui 
domine  tout  "Pieuvre  si  humain  de  La  Tour,  bien 
des  charmants  \'isages  de  femmes  s'y  rencontrent, 
charmants  par  la  grâce  et  l'esprit  de  la  physio- 
nomie, charmants  aussi  par  la  divine  pureté  des 
lignes.  Et  c'est  i)eut-étre  bien  aussi  dans  la  repré- 
sentation féminine  que  l'art  du  grand  artiste 
triomjihe  avec  k-  plus  d'éclat,  jamais  la  force 
expressive  de  ses  crayons  de  couleur  ne  transparaît 


64 


L'AKl      i:i'     LES     ARTISTES 


LAH<.!IT.lKKlv         i'orikam    de  jkune  femme  en  costime  dk   uiaxe 

I  Musée  du  Louvre) 


65 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


mieux  (iiK-  siiiis  k>  éimli-Tiius  diurtés  ik-s 
Pompadour.  dus  ("amarijo.  des  Salle,  îles  Eel, 
des  Pavait,  des  marquise  de  Rumilly,  des 
princesse  de  Saxe...  et  de  tant  d'autres  belles  de 
l'époque,  belles  à  jamais  dis]iarues  et  dont  les 
grands  \eux  pleins  de  lualieieuse  lumière  nous 
regardent  a\e(  nue  lixité  pi  esque  inquiétante  à  tra- 
vers le  lointain  des  à.t^es. 


Plusieurs  historiens  du  i^rand  artiste,  et  non  des 
moindres,  expliquent  sa  sjiéeialis.ition  absolue  ilans 
le  genre  du  jiastel,  non  i)ar  une  antipathie  natu- 
relle ou  raisonnée  de  la  peintui'e  à  l'huile,  mais 
par  une  laiMesse  de  tempérament,  pai'  une  iriita- 
bilité  iier\-euse  (  pli  lui  faisait  trouver  trop  compliquée 
la  pratiipie  du  piiueau.  Nous  jiartagerions  plutôt 
l'opinion  de  ii'ux  i[ui  attribuent  à  La  Tour  la 
volonté  de  rivaliser,  juirle  jnestige  de  son  art,  dans 
une  te(  Imicpie  ledexemu'  brusipiement  à  la  mode, 
,l\-ee  la  Ros.db.i,  ([ui,  lors  de  son  triomphant  ]ias- 
sage  à  Paris,  en  1720  et  en  i7-:i,  lut  recherchée 
du  plus  !;i,intl  momie.  Xe  \it-on  pas  les  plus  nobles 
dames  de  la  Cour,  et  le  Régent  lui-même,  deinand(  r 
à  la  X'énitiemu'  d'éterniser  leui>  tiaits  >ous  la  fra- 
gile  caresse   de  ses   cra\d|is   dt''lieats  ! 

I-'habile  et  giacieuse  altiste  détermina  assuié- 
ment,  pendant  son  séjour  à  Paris,  un  grand  mou- 
vement en  fax'eur  du  pastel,  et  on  peut  dire  que 
c'est  elle  ipii,  par  le  succès  de  ses  fraiches  effigies 
de  femmes  élé.gantes  et  de  grands  seigneurs, 
ranima,  dans  la  France  du  willf  siècle,  le  goiit 
presque  éteint  des  crawnis  du  .wi'^'  siècle.  Mais,  as- 
surément, La  Tour  bénéficia  avec  habileté  de  cette 
popularité  mondaine  faiti'  au  pastel  [xirla  Rosalba, 
et  bientôt,  grâce  au  mouvement  rapiile  de  ses 
crayons,  à  la  parfaite  ressemblance  qu'il  lixait  d'un 
trait  expéditif,  au  charme  léger  de  son  coloris,  et 
aussi  au  ]iri.x  très  modeste  dont  il  se  contentait 
pour  ses  ])remiers  i)ortraits,  il  ne  tarda  pas  à 
acquérir  dans  le  monde  brillant  d(jnt  il  recher- 
chait la  faveur  une  réputation  égale  à  celle  de 
l'artiste  italienne.  "  11  mettait  ]ieu  de  temps 
à  ses  portraits,  dit  Jlariette,  ne  fatiguait  ])oint 
ses  modèles,  les  faisait  ressemblants,  n'était  pas 
cher.  La  presse  était  grande....   » 

Jusqu'en  1773,  ce  fut  la  même  généreuse  et  forte 
production  et  le  persistant  succès. 

Mais  une  adulation  presque  universelle,  un  hymne 
de  gloire  chanté  sur  tous  les  modes,  ne  troublent 
en  rien  la  profonde  conscience  artistique  de  La  Tour, 
et  ni  les  faveurs  royales  et  princières,  ni  les  flatteries 
des  belles  dames  du  temps,  ni  les  éloges  des  plus 
hauts  esprits,  ne  changent  rien  à  l'indépendance  de 
son  caractère  et  n'apportent  aucune  modification 
à  l'originalité  de  son  genre  de  vie. 


\'oici  deux  amusantes  anecdotes  que  nous  em- 
pruntons à  la  monographie  de  M.  Charles  Blanc 
sur  Maurice-Quentin  La  Tour  et  qui,  mieu.x  qu'une 
longue  analyse  psychologique,  instruiront  le  lecteur 
sur  la  nature  de  l'artiste. 

Accablé  de  besogne,  jaloux  de  ne  peindre  que  les 
figures  ipii  ne  lui  déplaisaient  point,  et  peu  endu- 
rant sur  l'éternel  cha])itrc  des  observations  et  des 
conseils,  il  laissait  \()lontiers  interrompu  sur  le 
chevalet   le    jiortrait  ébauché. 

Son  biographe  et  ami,  le  chevalier  d'Estrées, 
nous  raconte  une  anecdote  qui  le  peint  au  vif. 
M.  de  la  Re\nière,  fermier  général,  s'impatien- 
tant  de  la  longueur  des  séances  et  de  leur  répé- 
tition, en\-oie  un  jour  son  domestique  le  pré- 
venir cpi'il  n'est  pas  libre  pour  l'heure  fixée.  «Ton 
inaitre  est  un  sot  que  je  n'aurais  jamais  dû  pein- 
dre I',  s'écrie  La  Tour  furieux. 

Le  domestique  est  assez  de  l'avis  du  peintre. 

«  Assieds-toi,  dit  La  Tour;  ta  figure  me  plaît, 
je  vais  te  peindre. 

—  Mais,  monsieur,  si  je  tarde  à  rendre  réponse 
à  M.  de  la  Keynière,  on  me  mettra  à  la  porte. 

—  Bah  !  je  te  replacerai   n. 
Et  La  Tour  fit  ce  qu'il  voulait. 

l'n  autre  jour,  c'est  avec  un  membrt  de  la  famille 
ro\ale  qu'il  prend  ses  aises. 

1'  Silvestre,  le  directeur  de  l'Académie,  av'ait 
reçu  une  lettre  de  Mlle  Silvestre,  sa  fille,  attachée 
à  !Mme  la  Dauphine,  ]iar  laquelle  elle  demandait  à 
son  jx'ie  de  faire  souvenir  à  M.  de  la  Tour  de 
l'engagement  qu'il  avait  pris  avec  la  princesse, 
mais  prévenant  qu'elle  désirait  qu'au  lieu  de  Fon- 
tainebleau, dont  on  était  convenu,  le  portrait  se 
fit  à  \'ersailles. 

Elle  marquait  que  sa  maîtresse  avait  d'autant 
l>lus  lieu  de  le  désirer  que  son  embonpoint  était 
revenu,  et  que  peut-être  n'aurait-elle  point  un  aussi 
bon  visage  à  lui  offrir  si  elle  redevenait  enceinte  ; 
elle  faisait  assurer  le  peintre  qu'elle  se  revêtirait 
ce  jour-là  de  toute  sa  bonne  humeur  et  qu'elle 
l'invitait  à  en  faire  autant  de  sa  part.... 

La  Tour  répond  froidement  qu'il  ne  peut  se  rendre 
à  l'invitation,  qu'il  n'est  point  îait  pour  ce  pays-là, 
et  cent  autres  choses  qui  allaient  à  le  perdre  si 
elles  étaient  révélées. 

Heureusement,  il  les  disait  à  Silvestre  qui, 
fort  éloigné  de  lui  nuire,  n'en  était  que  plus  em- 
barrassé sur  ce  qu'il  devait  répondre  à  la  lettre 
qui  finissait  par  témoigner  une  sorte  d'impatience 
de  la  part  de  Mme  la  Dauphine. 

La  Tour  fut  inébranlable.  Il  s'excusa  tant 
bien  que  mal  sur  des  occupations  indispensables, 
sur  les  jours  trop  courts  et  trop  sombres....  Il  pria 
qu'on  remît  la  partie  au  printemps,  en  \-ue  appa- 
remment de  ce   qui   devait   arriver.    En   effet,  la 


66 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


daupliiiu'  tlevint  grosse  (K'  luuucau  et  il  ne  hit  plus 
question  du  portrait. 

Et  puisque  nous  sommes  au  chapitre  dis  anec- 
dotes sur  La  Tour,  racontons  encore  celle-ci  ; 
aussi  bien  que  les  deux  précédentes,  elle  contri- 
bue à  fixer  dans  l'esprit  du  lecteur  le  caractère 
du  grand  artiste  qui  jamais  ne  fut  le  courti- 
san de  personne 
et  qui  disait 
volontiers  :  «  Mon 
talent  est  à 
moi  ». 

Appelé  à  faire 
le  portrait  de  la 
Pompadour,  il 
répondit  qu'il 
n'allait  pas  pein- 
dre en  ville. 

On  obtint  de 
lui  pourtant  qu'il 
vînt  à  Versailles. 
Mais  il  mit  iiour 
condition  cju'il 
serait  seul  avec 
son  modèle. 

Arrivé  chez  la 
favorite,  il  se 
mit  à  son  aise, 
détacha  les  bou- 
cles de  ses  escar- 
pins, ses  jarre- 
tières, son  col, 
ôta  sa  perruque, 
se  couvrit  la 
tête  d'un  bonnet 
de  taffetas  et 
commença  le 
portrait. 

Mme  de  Pom- 
padour n'en  re- 
venait pas. 

Tout  à  coup   le   roi  entra   dans  l'appartement. 

La  Tour  dit,  en  ôtant  son  bonnet  :  «  Vous  m'aviez 
promis,  madame,  que  votre  porte  serait  fermée   ». 

Le  roi  rit  du  reproche,  s'amusa  du  costume  de 
l'artiste  et  l'engagea  à  continuer. 

«Il  ne  m'est  pas  possible  d'obéir  à  \'otre  Majesté, 
répliqua  La  Tour  ;  je  n'aime  ])oint  à  être  inter- 
rompu  ». 

Il  emporta  sa  perruque,  ses  jarretières,  et  alla 
s'habiller  dans  une  pièce  voisine. 

La  favorite  dut  défendre  sa  porte,  même  au  roi, 
pour  que  le  portrait  pût  s'achever. 

J.-B.  Perronneau,  dont  les  peintures  sont  au- 
jourd'hui si  recherchées  et  dont  les  savoureux 
pastels    rivalisent   d'éclat  a\-ec   ceux  de   La  Tour, 


M' 


\IGEE-LEHRLN 

(Cnlk'ctioii  (lu  Cl 


lut  loiifitemps  inécomni.  Les  salonniers  du  temps 
ui  parlent  à  peine,  et  .Mariette,  lui-même,  n'a 
pas  une  lois  transcrit  son  nom  sur  les  marges 
(le  VAbecedariiis.  Il  est  juste  de  dire  que  sa  vie 
lut  instable,  «l'instabilité  même  »,  assurait  de  Fon- 
teiiaw  vt  (|u'il  n'a  pas  laissé,  pour  aider  les  his- 
toiinis,  (le   ci's  lirrrs   de   raison  où   Joseph  Vernet, 

son  ami,  consi- 
!;nait  les  moin- 
dres ialls  (le  sa 
\'ie  (piotidienile 
d'artiste. 

I)el73()à  17(13, 
il  lit  ])liisieuis 
exdirsions  en 
Italie  et  des 
séjours  assez 
proloitgés  en 
Hollande,  oii 
lons^temps.  aussi 
bien  d'ailleurs 
(ju'enAngleterre, 
plusieurs  de  ses 
.idiiiirables  ])as- 
lels  figurèrent 
dans  des  galeries 
seigneuriales 
sous  le  nom 
usurpé  de  La 
Tour.  Le  peintre 
de  la  Pompa- 
dour. qui  accapa- 
lait  la  clientèle 
aristocratique, 
contraignit  Per- 
ronneau, en  (pii 
l'opinion  ])iil)li- 
t\nv  a\'ait  un  ins- 
tant salué  son 
rival,  à  se  ra- 
Iwttre  sur  la 
bourgeoisie.  Outre  ses  pastels  d'un  accent  moins 
vibrant,  moins  ]iassionnés  (pie  les  chefs-d'teuvre  de 
La  Tour,  mais  d'une  expression  de  vie  aussi  jiro- 
fonde  et,  il  faut  bien  le  dire,  d'une  harmonie  de 
couleur  plus  chaude  et  plus  généreuse,  J.-B.  Per- 
ronneau fit  de  magnifiques  portraits  à  l'huile, 
notamment  ceux  d'Oudrv  au  Louvre,  de  François 
Drouais,  coiffé  d'une  perruque  bouclée  et  la  main 
sur  un  portefeuille  gaufré  d'or,  de  Gilquin,  une  des 
])erles  de  la  collection  Léon  Michel-Lévy.  Il  exécuta 
aussi  diverses  images  de  femmes,  et  entre  autres 
CCS  portraits  de  la  marquise  de  Sorquainville,  de 
la  collection  David  Weill.  de  la  duchesse  d'A\en 
(collection  Devin  de  Lagarde).  de  Lady  Coventry 
(collection  W'ildenstein),  tiui  tieiment  une  j)lace  si 


roKTK.MT  m-;   i.  .autiste 

iiitc  Croffulhc 


07 


ART      KT      I.KS      ARTISTES 


éclatante  ))anni  les  cent  cliels-d'(eu\Te  aujoui  il'hni 
exposés  dans  les  salles  du  Jeu  de  Paume.  Le  juge- 
ment si  juste  de  ^I.  Reiset,  jiorté  sur  les  portraits 
de  Perronneau  actuellement  au  Louvre,  peut  fort 
bien  s'appliquer  à  cls  admirabks  peintures,  et  en 
général  à  tous  les  ])ortraits  du  noble  et  conscien- 
cieux artiste  ;  «  Les  tètes  et  les  mains  bien  posées, 
dessinées  sur  nature  et  sans  pratique,  sont  expres- 
sives et  facilement 
rendues;  les  vêtements, 
d'un  ton  rompu  et 
doux,  sont  d'un  rendu 
qui  trahit  le  pastelliste, 
car,  contrairement  à 
La  Tour,  qui  donnait 
à  son  pastel  l'éclat  de 
l'huile,  Perronneau 
donne  volontiers  à  ses 
portraits  à  l'huile 
l'harmonie  un  jieu 
affaiblie  du  pastel  ". 

La  famille  \'an  Loi) 
nous  donne,  en  la  per- 
sonne de  Louis-Michel, 
mi  distmgué  peintre 
de  visages,  mais,  à 
l'opposé  de  son  oncle 
Carie,  le  meilleur 
peintre  de  la  famille. 
Louis-^NIichel  réussit 
surtout  le  portrait 
iThonnue.  dû  son  l'in- 
ceau  un  peu  sec  et 
dur,  inhabile  aux 
caresses     savoureuses.  M" 

s'exerçait  avec  plus 
de  sûreté  que  ilans 
celui  de  la  femme. 

Carie,  l'auteur  de  la  Halle  de  cluissc  du  Louvre, 
où  s'admirent,  suivant  l'expression  de  Théophile 
Gautier,  <>  de  si  jolies  tètes  de  femmes  aux  sveltes 
tournures,  aux  costumes  galamment  jiortés  )., 
nous  a  légué  quelques  rares  mais  charmants  por- 
traits de  femmes,  entre  autres  celui  de  Marie 
Leczinska.  reine  de  Franee.  Afin  d'épargner  à  la 
souveraine  la  fatigue  d'une  jiose.  Carie  aurait, 
dit-on,  peint  le  visage  de  son  ro\-al  modèle  d'après 
un  pastel  de  La  Tour.  La  souveraine  est  debout  : 
sa  robe  de  soie  blanche,  large  et  bouffante, 
rehaussée  de  passementeries  argentées,  est  peinte 
avec   la  plus   souple  adresse. 

A  mentionner  aussi,  parmi  les  meilleurs  portraits 
de  femmes  de  Carie  Van  Loo,  la  jolie  guitariste  de 
la  collection  de  Moustier  et  la  Marie  Leczinska 
de  la  collection  du  marquis  de  Richouffts,  une 
des  bonnes   toiles    du  maitre. 


LABILLE-GUL\RD 

l'artiste 

(Cllectinii  df  M.  Sigisiiicnci  Bard.ic 


Ajoutons  cependant  que  si  Louis-Michel  Van 
Loo  fut  surtout  attiré  par  le  modèle  masculin  et 
(jue  si,  pendant  son  long  séjour  à  Madrid,  il  préféra 
très  visiblement  l'interprétation  des  traits  de  Phi- 
lippe V  à  ceux  d'Elisabeth  Farnèse,  il  sut  parfois, 
dans  la  peinture  de  certaines  figures  féminines, 
assouplir  le  jeu  de  son  pinceau,  exprimer  les  plus 
délicates  harmonies,  et  composer  son  sujet  avec 
un  art  infini,  comme 
dans  la  Femme  en  bleu, 
d'une  distinction  si 
fine,  de  la  collection 
Albert  Lehmann,  dans 
le  beau  portrait  de  la 
Marquise  d'Aumieres, 
et  aussi  dans  celui  de 
la  Signora  Sommis, 
épouse  de  l'oncle  Carie, 
qui  figure  dans  l'inté- 
ressant portrait  de 
famille  du  Musée  de 
\'ersailles. 

C'est  de  1757  que 
date  sa  toile  la  Famille 
de  Carie  Van  Loo  qu'il 
exposa  au  Salon  de  la 
même  année  et  qu'on 
peut  admirer  au  Musée 
de  Versailles.  Nous  y 
vo\"ons  le  vieux  Carie 
appliqué  à  dessiner 
le  portrait  de  sa  fille  ; 
autour,  des  garçonnets, 
ses  enfants,  suivent 
son  travail  et  admirent 
la  belle  robe  de  leur 
s(  cur  ;  un  peu  plus 
loin,  la  signora  Som- 
complète  cette  scène 
artistique,  en  s'apprêtant  à  chanter,  un  papier  de 
musique  entre  ses  doigts  fuselés.  Il  règne  dans  cette 
reuvre,  d'une  composition  assez  indécise,  un  charme 
très  réel  qui  fait  songer  de  loin  à  l'intimité  exquise 
des  groupements  familiaux  de  l'École  hollandaise 
du  xvii'^  siècle. 

Louis-Michel  fit  aussi  le  portrait  de  Diderot. 
Mais  ce  dernier,  bien  inspiré  généralement  en  faveur 
de  ce  peintre,  fut  cette  fois  d'une  particulière  sévé- 
rité :  ne  se  jugeant  point  assez  flatté,  il  refît  à  la 
plume  son  portrait  après  celui  de  l'artiste.  Voici 
cette  page  si  amusante  de  l'auteur  des  Salons  : 

<(  J'aime  Michel,  mais  j'aime  encore  mieux  la 
vérité....  Assez  ressemblant,  il  peut  dire  à  ceux 
qui  ne  me  connaissent  pas,  comme  le  jardinier 
de  l 'opéra-comique  :  «  C'est  qu'U  ne  m'a  jamais  \tj 
K  sans  perruque....  »  Trop)  jeune,   tête  trop   petite. 


PORTR.MT    DE 


épouse     de      Cari 


I.AKT     ET      L1-:S     AkTI>rES 


joli  comme  une  femme,  lorgnant,  souriant,  taisant 
le  petit  bec,  la  bouche  en  cœur  et  un  luxe  de  vête- 
ments à  ruiner  le  pauvre  littérateur  si  le  receveur 
de  la  capitation  vient  à  l'imposer  sur  sa  robe  de 
chambre....  Du  reste,  de  belles  mains,  bien 
modelées,  excepté  la  gauche  qui  n'est  pas  dessinée. 


diable  ajipelé  (iarant.  qui  m'attrapa  comme  il 
arrive  à  un  sot  qui  dit  un  bon  mot. 

«  Celui  qui  voit  mon  portrait  par  Garant  me 
\"oit  Ecco  il  vcro  PidcincUo  ». 

Le  Suédois  Alexandre  Koslin  (1718-1795), 
membre  de  l'Académie,  gagna,  nous  apprend  un 


On  le  voit  de  face,  il  a    la  tête  nue;  son  toupet      de  ses  biographes,  800  000  livres  en  quatre  années, 
qui,  avec  sa    mignardise,    lui    donne    l'air    d'une      Ce  chiffre,  énorme  jiour  l'époque,  dit  assez  que  la 

vogue  du  jieintre  fut  très 
grande    de    son    vivant. 
Koslin   lut    un  charmant 
jietit  maître  du  portrait, 
et  s'il  manque  i)arfois  de 
force  et  d'éclat  dans  les 
images  qu'il  exécuta,  de 
son  pinceau  sec  et  précis, 
d'après  FrançoisBoucher, 
Nicolas    Cochin,    l'abbé 
Terray,    Collin   de    Ver- 
mont,...  son  art  se  pare 
d'une    grâce    charmante 
dans    la    représentation 
de  certaines    hgures    de 
femmes,  et    nul,     même 
parmi  les  maîtres  hollan- 
dais, ne  le  dépasse  dans 
la    peinture    des    étoffes 
soyeuses.  La  Jeune  Fille 
ornant      la      statue      de 
l'Amour,    (jui    figure    au 
;\Iusée    du    Louvre,  peut 
être  considérée,  dans   sa 
douce  harmonie  argentée, 
comme  une  de  ses  œuvres 
les    meilleures    avec    le 
c  harmant     portrait     de 
la    duchesse    de    Gram- 
mont     (collection     Cler- 
mont-Tonnerre),    et    m«ii 
art     distingué     est     fort 
bien  représenté  à  VExpo- 
silion   des    Cent    portraits    de  femmes  jiar  la    belle 
peinture  ]irovenant  de  la  collection  de   M.  Adam. 
François-Hubert  Drouais  connut,  conune  Koslin. 
l'engouement  de  ses  contemporains,   et  il  eut  sur 
ce  dernier  l'avantage  d'être  loué  par  Diderot,  qui 
ne  sut  pardonner  à  Koslin  d'avoir  exi>osé  au  Salon 
de  1765  un  Père  de  jamille,  se  jiermettant   ainsi  de 
chasser  sm'  les  terres  réservées  de  Grcuze.  Il  faut 
ajouter  néanmoins  que  si  parfois,  surtout  dans  ses 
grands  portraits  d'apparat,  son  art  est  d'une  froi- 
deur conventionnelle,  déconcertante,  au  contraire 
son  dessin  se  précise  et  s'anime  singulièrement,  sa 
couleur  s'éclaire  d'une  belle  lumière  de  \ie  lorsque, 
abandonné  à  lui-même,  libre  de  peindre,  il  a    jm, 
sinon  choisir  ses  modèles,  du  moins  fermer  l'oreille 


vieille  coquette  qui  fait 
encore  l'aimable  ;  la 
position  d'un  secrétaire 
d'État  et  non  d'un 
philosophe.  C'est  cette 
folle  de  Mme  Van  Loo 
qui  venait  poser  avec 
lui,  tandis  qu'on  le  pei- 
gnait, qui  lui  a  donné 
cet  air-là,  et  qui  a  tout 
gâté.  Si  elle  s'était  mise 
à  son  clavecin  et  qu'elle 
eût  chanté  : 

Non  ha  raggione,  ingrato 
Un  core  abbandonato, 

ou  quelque  autre  mor- 
ceau du  même  genre,  le 
philosophe  sensible  eût 
pris  un  tout  autre  ca- 
ractère, et  le  portrait  s'en 
serait  ressenti.  Ou,  mieux 
encore,  il  fallait  le  laisser 
seul,  et  l'abandonner  à  sa 
rêverie....  Alors  sa  bouche 
se  serait  entr'ouverte, 
ses  regards  distraits  se 
seraient  portés  au  loin, 
le  travail  de  sa  tête,  for- 
tement occupée,  se  serait 
peint  sur  son  visage,  et 
Michel  eût  fait  une  belle 
chose.    Que  \  diront    nos 

petits-enfants  lorsqu'ils  \ienclront  à  comparer 
mes  tristes  ouvrages  avec  ce  riant,  mignon,  effé- 
miné, vieux  coquet-là?...  iles  enfants,  je  vous  pré- 
viens que  ce  n'est  pas  moi.  J'avais  en  une  journée 
cent  physionomies  diverses,  selon  la  chose  dont 
j'étais  affecté.  J'étais  serein,  triste,  rêveur,  tendre, 
violent,  passionné,  enthousiaste,  mais  je  ne  fus 
jamais  tel  que  vous  me  vo\ez  là.  J'avais  un  grand 
front,  des  j-eux  très  vifs,  d'assez  grands  traits, 
la  tête  tout  à  fait  du  caractère  d'un  ancien  orateur, 
une  bonhomie  qui  touchait  de  bien  près  à  la  bêtise, 
à  la  rusticité  des  anciens  temps.  Sans  l'exagération 
de  tous  les  traits  de  la  gravure  qu'on  a  faite  d'a])rès 
le  cra3on  de  Greuze,  je  serais  infiniment  mieux.... 
Je  n'ai  jamais  été  bien  fait   que  par  un   pauvre 


T()COL"É    —    PORTK.MT    DE    M 
GR.\FFIGNY 

(MiisOe  du  I. ouvre) 


69 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


aux  conseils  officiels. 
François-Hubert  Drouais 
fut  un  peintre  très  inégal. 
Certaines  de  ses  œuvres, 
et  même  parmi  celles  t]ui 
ligurent  au  Musée  du 
Louvre,  prêtent  fort  à  la 
critique.  D'autres,  conuiie 
le  magnifique  portrait 
de  la  Dubarry  de  la  cnl- 
lection  Albert  Lehniaiin, 
la  spirituelle  et  ravis- 
sante image  de  Mlle  de 
Roman,  une  des  perles 
de  l'Exposition,  (de  la 
collection  Knemer),  la 
princesse  de  Conti  de  la 
collection  du  baron  de 
Schlicking.  peinture  éga- 
lement charmante,  l'ex- 
(juise  Marie-Antoinette 
de  la  collection  du  comte 
Allard  du  Chollet,  ac. 
sont  des  ceuvre.^  en  to\is 
points  très  remarquables. 
L'ne  jiroionde  lacime 
existerait  dans  cette 
revue  trop  rapide  des 
meilleurs  peintres  de  la 
française   du    .will'^'   siècle. 


A\ED 


:.\IT    DE    11""     CROZ.AT 
:■  M..iit|.,-llier) 


lu 


ninie    d 
e    nom 


,1e    J,. 


l'Ecole 
[oselih 

Duplessis  (1725-1^02)  n'y  li,L;urait  pas.  Les  images 
de  femmes,  troj)  jieu  nondireuses,  exécutées  ])ar 
ce  remarquable  artiste,  sont  en  effet  d'une  rare 
lieauté,  d'une  beauté  faite  d'une  science  de  métier 
consommée,  d'un  respect  protcind  de  la  vérité, 
d'une  analyse  aiguë,  d'un  réalisme  expressif  et 
presque  attendri  sous  sa  gravité  souriante.  Assu- 
rément, ses  tableaux  religieux  sont  remplis  de 
sérieuses  qualités  d'exécution,  et  ses  portraits  de 
Gluck,  de  Franklin,  d'Arnault,  de  Marmontel,  de 
Necker,  de  Lassonne,  médecin  de  Louis  XVL... 
constituent  un  ensemble  d'ceuvres  des  plus  hono- 
rable. Mais  n'est-il  ])as  permis  de  penser  que  le 
nom  de  l'artiste  ne  fut  parvenu  jusqu'à  nous  que 
l^rivé  de  tout  vif  éclat,  et  qu'il  ne  s'auréolerait 
pas  chaque  jour  davantage,  à  mesure  que  le 
recul  des  années  permet  une  vision  jilus  nette  des 
œuvres  passées,  si  Duplessis  n'avait  ajouté  à  la 
liste  de  ses  portraits  des  célébrités  littéraires,  artis- 
tiques et  scientifiques  de  son  temps,  quelques-unes 
de  ces  spirituelles  et  charmantes  figures  de  femmes 
de  haute  bourgeoisie,  où  se  reflète,  comme  en  un 
pur  miroir,  une  des  meilleures  jiarts  de  l'àmc  fémi- 
nine du  XYiu^  siècle  ? 

Quant  à  moi,  je  ne  connais  guère,  parmi  les  jxir- 
traits  de  femmes  de  cette  é])oque,  et  il  en  est  cepen- 


dant de  prodigieusement 
beaux,  deux  spécimens 
du  genre  plus  séduisants 
et  plus  forts,  plus  obsé- 
dants par  l'intensité  de 
vie  qu'ils  dégagent,  de 
nuances  plus  délicates  et 
de  dessin  plus  ferme,  et, 
disons  le  mot,  plus 
foncièrement  français, 
que  ceux  qui  sont  repré- 
sentés par  la  femme  en 
corsage  bleu  et  en  man- 
tille de  la  galerie  Lacaze, 
et  par  la  ravissante  image 
de  Mme  Lenoir,  qui  figure 
à  l'exposition  du  Jeu  de 
Paume  et  dont  nous 
ommes  heureux  de 
donner  une  reproduction 
dans  ce  numéro  de  l'Art 
ci  les  Artistes.  Purs  chefs- 
d'œuvre  d'esprit  et  de 
vérité,  exemples  étemels 
de  ce  que  peuvent  la 
science  et  la  conscience 
du  métier  unies  à  la 
vision  saine  de  la  nature. 
Nous  parlerons  aussi  de  Vestier,  petit  maître 
dont  les  meilleures  qualités  se  révèlent  dans  le 
charmant  jiortrait  qu'il  fit  de  sa  femme,  gracieuse 
image  qui  figure  au  Musée  du  Louvre,  et  dans 
l'étonnant  portrait  de  Mme  Larmoyer  (collection 
Sortais)  qui  figure  à  l'exposition  et  d'où  se  dégage 
une  exjiression  de  force  graphique  toute  davidienne; 
de  Danloux  qui  laisse  plusieurs  petits  chefs- 
d'(euvre,  tels  que  la  Duthé  de  la  collection  Sigis- 
mond  Bardac,  Mme  de  Bange  (collection  Dubufe), 
lu  Femme  en  blanc  (collection  du  prince  d'Aren- 
berg),  etc.  ;  de  Guillaume  Voiriot,  dont  la  facture, 
dure  et  heurtée,  convient  mieux  à  la  peinture  des 
traits  de  l'homme;  de  Hoin,  dont  le  crayon  spirituel 
et  léger  sut  fixer  de  si  aimables  sourires;  de  Raoux, 
pour  la  réputation  duquel  les  élégantes  et  gra- 
cieuses images  de  ^Nllle  Prévost,  de  l'Opéra  (Musée 
de  Tours),  et  de  Mme  Boucher  (Musée  de  \ex- 
sailles)  ont  plus  fait  que  tous  ses  Alexandre  ma- 
lades, ses  Pygmalion  amoureux  et  ses  Télémaque 
cuirassés  de  vertu,  etc.;  d'Ansiaux,  Suisse  d'ori- 
gine, mais  Français  d'esprit,  toujours  gracieux 
jusque  dans  la  sécheresse  un  peu  aiguë  de  son 
dessin,  etc. 

Puis  voici,  très  intermittents  portraitistes  de 
la  femme,  mais  cependant  si  remarquables  en  ce 
genre,  François  Boucher,  le  peintre  des  Grâces  et 
(le  1(1  ]'('liipt(:.vt  J.-B.  (ireiize.qui  se  lait  pai'donner 


70 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


BOUCHER 


PORTRAIT    DE    M""     DK     l'OMPAUOl  K 
(Colloclion  Wallacc) 


L'ART     l-rr     LES     ARTISTES 


Ses  niaiseries  sentimentales,  ses  molles  et  fades 
peintures  de  mœurs  devant  lesquelles  s'exaltait 
éperdument  le  lyrisme  de  Diderot,  par  quelques 
effigies  féminines  où  se  révèlent  les  plus  belles 
qualités  de  peintre  delà  figure  humaine,  comme  dans 
les  portraits  de  Mme  de  Porcin  (Musée  d'Angers), 
de  Sophie  Arnould  (collection  Wallace),  de  la  du- 
chesse de  Choiseul,  de  la  collection  du  baron 
Edmond  de  Rothschild,  que  nous  reproduisons  ici, 
la  gracieuse  jeune  femme  en  noir  de  la  collection 
du  comte  Pastré,  le  superbe  portrait  de  la  collec- 
tion David  Weil,  l'exquis  portrait  de  la  collection 
de  Curel,...  images  d'une  individualité  très  carac- 
térisée et  qui  démentent  cette  opinion  que  dans 
tout  l'ceuvre  de  Greuze  un  type  général  de 
femme  s'impose,  celui  de  Mlle  Babuti,  en  vérité 
très  répandu  à  travers  les  toiles  du  maître  et  ses 
sentimentales   allégories. 

Quant  à  Boucher,  il  est  fort  probable  qu'il  ne 
fut  portraitiste  de  figures  contemporaines  que  «  par 
ordre  »,  et  il  est  peut-être  permis  de  supposer  que 
son  trouble  et  son  embarras  furent  grands  lorsque, 
]:iour  la  première  fois,  sa  bienveillante  et  toute- 
puissante  protectrice,  Mme  de  Pompadour,  apparut 
devant  son  chevalet  si  royalement  belle  dans 
sa  merveilleuse  robe  fleurie  et  enrubannée  et 
sous  son  diadème  de  roses.  Ses  portraits  sont  très 
rares,  et  il  ne  faut  pas  trop  le  regretter,  car  rarement 
peintre  fut  moins  doué  que  lui  pour  l'étude  et 
l'analyse  de  la  figure  humaine.  Il  fut  avant  tout 
un  habile  décorateur  d'une  ingénieuse  et  intaris- 
sable imagination.  Son  sens  du  pittoresque,  son 
inépuisable  fantaisie,  la  légèreté  expéditive  de  son 
pinceau,  sa  rare  imagination  de  coloriste  lui  im- 
posaient, pour  ainsi  dire,  un  genre  de  peinture  où  il 
devait  prendre  le  rang  de  maître. 

A  vrai  dire,  il  ne  fit  guère  que  deux  portraits 
de  femmes  dans  sa  vie,  celui  de  «  la  petite  Morphil  », 
sous  les  traits  charmants  de  laquelle  il  fit  défiler 
devant  les  yeux  de  ses  contemporains  toutes  les 
plus  séduisantes  divinités  de  l'Olympe,  principa- 
lement Vénus,  et  aussi  la  Vierge  Marie,...  et  celui 
de  Mme  de  Pompadour,  qu'il. répéta  plusieurs  fois 
et  dans  l'exécution  duquel  les.  détails  compliqués  de 
la  toilette  le  préoccupent  visiblement  bien  plus  que 
l'analyse  des  traits  et  l'expression  du  visage  (i). 

On  pourrait  porter  presque  le  même  jugement  sur 
Fragonard,  considéré  comme  peintre  de  la  Femme. 
Lui   aussi   aima   passionnément   la   Femme.    Il   la 

(i)  Les  portraits  de  Mme  de  Pompadour  exécutés  par  Boucher 
sont  assez  nombreux.  Nous  connaissons  ceux  de  la  National 
Gallery  d'Edimbourg,  qui  figurera,  nous  l'espérons,  à  l'exposi- 
tion des  Tuileries,  de  la  Galerie  Wallace,  du  South-Kensington. 
de  la  collection  du  baron  de  Schilchting,  petit  chef-d'œuvre 
qui  figure  à  l'Exposition  rfi's  Cents  portniit-i  tir  fnnmes.  de  la  col- 
lection du  baron  Maurice  de  Rothschild,  du  Musir  d'Orléans.  11 
en  est  d'autres,  pent-étrc... 


peignit  d'abord  sous  les  traits  de  Stratonice, 
d'Armide,  d'Iphigénie,  de  Callirhoë,...  puis  sous 
ceux  de  toutes  les  demoiselles  de  l'Opéra  dans  de 
légères  et  charmantes  inventions  joyeusement 
intitulées  ;  la  Chemise  enlevée,  la  Ginthlette,  la 
Fontaine  d'amour,  la  Culbute,  le  Baiser  dangereux, 
le  Baiser  à  la  dérobée,  l'Instant  désiré,  la  Main 
chaude,  etc.  Ici,  la  femme  triomphe  dans  toute  sa 
grâce  fraîche  et  rieuse.  Mais  dans  ces  vives  peintures, 
comme  aussi  dans  les  grandes  compositions  décora- 
tives qui  font  la  gloire  de  l'hôtel  de  M.  Pierpont- 
Morgan  à  Londres,  le  jeu  rapide  du  pinceau  de 
l'élève  brillant  de  Boucher  paraît  peu  s'accom- 
moder des  patients  efforts  nécessaires  à  la  par- 
faite réalisation  d'un  portrait  exécuté  d'après 
nature.  Telles  étaient  cependant  la  virtuosité  de  ce 
pinceau  et  l'acuité  de  vision  de  l'incomparable 
artiste  qui  le  maniait  de  si  prestigieuse  façon, 
qu'on  rencontre  parfois  dans  l'œuvre  de  Frago- 
nard quelques  vivants  portraits  d'hommes  d'une 
audacieuse  facture,  comme  celui  du  Diderot  de  la 
collection  du  comte  André  Pastéeet  quelques  images 
de  femmes  d'un  charme  tout  particulier  dans  leur 
tonalité  d'ambre  et  de  rose,  tels  les  portraits  de 
la  Gnimard  de  la  collection  du  baron  Edmond  de 
Rothschild,  de  Mlle  Colomb  de  la  collection  du 
baron  Edouard  de  Rothschild,  du  Portrait  de  Jeune 
Femme  de  la  collection  Hébert,  et  du  magnifique 
portrait  de  jeune  femme  lisant,  une  des  perles 
de  la  riche  collection  du  D''  Truffier,  et  qu'on 
]icut  admirer  à  l'Exposition  des  Cent  portraits  de 
/on  mes. 

Que  dire  de  Watteau  et  de  Chardin  comme  por- 
traitistes de  la  Femme,  si  ce  n'est  qu'ils  excellèrent 
en  ce  genre,  pour  peu  que,  par  un  jeu  de  l'esprit, on 
se  plaise  à  considérer  le  premier  comme  le  portrai- 
tiste définitif  de  toutes  les  Colombine,  les  Olivia, 
les  Rosalinde,  les  Linda,  les  Viola,  les  Isabelle... 
de  la  Comédie-Italienne,  et  le  bon  Chardin  comme 
celui  de  Marguerite  Pouget  et  de  Mme  Geoffrin. 
la  première  dans  le  Benedicite,  la  Bonne  éducation, 
la  Toilette  du  matin,  sous  la  cornette  blanche  de 
la  Récureuse,  de  la  Mère  laborieuse,  de  la  Lessi- 
veuse, de  la  Gouvernante,  etc.,  la  seconde  dans  la 
Serinette,  dans  la  Femme  cachetant  mie  lettre,  etc. 
Il  existe  cependant,  cela  est  indéniable,  plusieurs 
portraits  véritables  de  Chardin,  autres  que  celui  de 
sa  femme  (Musée  du  Louvre)  et  l'image  introuvable 
de  Mme  Lenoir.  Il  s'agit  de  les  authentifier.  La 
chose  est  parfois  difficile. 

La  Femme  eut  aussi  quelques  brillants  inter- 
prètes féminins  au  xviii''  siècle  et,  parmi  les  meil- 
leurs, Mme  Vigée-Lebrun,  dont  l'amitié  d'une  reine 
universalisa  la  notoriété,  et  Mme  Adélaïde  LabiUe- 
Guiard  (1749-1803),  qui  eut  non  seulement  la  gloire 
d'être  reçue  de  l'Académie,  en  même  temps  que 


72 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


LARr,ILLll-:RE    -  portrait  de  jetne  femme 

(appartenant  à  M.  Sortais) 


sa  triomphante  émule,  mais  dont  certaines  pein- 
tures, comme  les  beaux  portraits  qu'elle  fit  d'elle- 
même  (collections  de  Bardac  et  Wildenstein), 
peuvent  rivaliser  avec  les  remarquables  portraits 
de  Mme  de  Jeaucourt  (collection  Stillmann),  de 
la    princesse   de    Polignac    (collection    du   duc   de 


Polignac),de  la  Dugazon  (collection  de  lacomtesse 
de  Poiutalcs,  etc.). 

L'reuvre  de  Mme  Vigée-Lebrun  (i755-i842),qui, 
en  définitive,  appartient  plus  au  xix^  siècle  qu'au 
xvni'î  siècle,  comme  celle  de  Lawrence,  avec  laquelle 
elle  n'est  pas  sans  analogie,  est  considérable.  De 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


son  vivant,  cllr  dbtint,  grâce  à  son  art  lacile  et  fois  inconi])lètc  et  souveraine  :  l'élégance  du 
aussi  à  la  séduction  de  sa  personne,  le  grand  succès,  maintien,  la  fierté  du  regard,  la  fraîcheur  éclatante 
connue  l'illustre  peintre  anglais.  Elle  aussi  peignit      des  joues.  Elle  a  donné  le  portrait  idéal  de  Marie- 


les  rois,  les  reines,  les  ministres,  les  ambassadeurs, 
les  dames  de  la  cour,  les  reines  du  théâtre,...  et 
cela  (connue  Lawrence)  pendant  ])rès  de  soi.xante 
ans  sans  interruption,  exécutant  parfois,  (.  ntre  deux 
commandes  officielles  froidement  et  consciencieu- 
sement fabriquées,  d'exquis  jiortraits  de  femmes, 
d'un  art  très  libre  et  très 
généreux.  C'est  ainsi  que 
l'art  de  I^awrence,  cet 
autre  jM'oilucteur  infati- 
gable, se  reCDUimande 
bien  plus  à  l'admii  almu 
de  la  ))osténté  par  les 
fines  et  vivantes  images 
de  ^Lstress  Suidons  (la 
ra\onnante  mspiratrice 
lies  grands  jieintres  de 
Sun  fcm])s)  et  de  celles 
de  Lad\-  ('(K.per,  de  Miss 
Farren  (miu  chef-d'ieu- 
vre).de  -Miss  Arbuthnot. 
que  ]iar  les  solennelles 
et  froides  effigies  i\r 
reuqxrcur  A](.Naildri'  et 
de  Charles  X. 

Toutefois,   la  inéscncc 
du    jiersounage    le    jilus 
important   parmi  la  loulr 
de     ses       aristiieiatKpie:. 
mudèles,    je    veux    j)iLrler 
de  la  nine   Marie-.\ntoi- 
nefte,    ilcinl   Mme  \'igée- 
Lebrun     tut      le     peintre 
fa\'ori    pendant    la   dernièi 
trciublée  de  Ll  soux'eraine, 
influence  sur  la  liberté  de  ' 
De   I77()    à     I/SS, 


j.-H.    CiREL'ZE    —    ÉTUDE    DE    JEUNE    FII.I.E 


(Cnllrctl 

péricide  de  l'existence 
e,  n'eut  auciuie  tacheusc 
r  son  art  grac  ieux  et  léger, 
représenta    la    reine    dans 


ostume^ 
■intre  <1 


toutes     les     attitudes,     dans     tous 
Mme  X'igée-Lebrun    mérite    le  titre 
Marie-Autoini-'tte,     comme     La     Tour    celui    de   la 
Pompadour,  et  Drouais   celui  de  la  l)ul>arr\". 

Les  (piatre  ])ortraits  les  plus  connus  de  la  souve- 
raine apiiartieunent   au   Musée  de  \'ersailles. 

La  critique  cpie  l'on  jiourrait  adresser  aux 
jiortraits  de  la  reine  par  Mme  Lebrun,  et  cette 
crititpie  a  d'ailleurs  été  déjà  très  justement  for- 
mulée, c'est  que  l'aimable  artiste,  née  d'ailleurs 
pour  un  rùle  gracieusement  idéalisateiu',  avait 
apporté  trop  de  soins  à  atténuer  les  détails  les  jilus 
fâcheux  des  traits  de  son  auguste  modèle,  tels  que 
les  yeux  ronds  et  à  fleur  de  tète  et  la  lèvre  autri- 
chienne. "  Ce  cpCelle  s'est  attachée  à  dégager, 
c'est  le  charmi'  jiartu  ulier  d'une  beauté  qui  fut  à  la 


Antoinette  en  la  peignant  telle  que  la  reine  voulait 
être  peinte,  et  telle  que  le  sentiment  public,  à  une 
certaine  époque  du  moins,  voulait  la  voir    ». 

Les  bontés  de  la  reine  envers  son  peintre 
«  idéalisateur  »  étaient  des  plus  délicates,  et  l'aima- 
ble artiste  se  plaît  à  nous  le  raconter  dans  son  inté- 
ressant Journal  :  «  Je  ne 
crois  pas  que  la  reine  Ma- 
rie-Antoinette ait  jamais 
manqué  l'occasion  de 
dire  une  chose  agréable 
à  ceux  qui  avaient 
l'honneur  de  l'approcher, 
et  la  bonté  qu'elle  m'a 
toujours  témoignée  est 
un  de  mes  plus  doux  sou- 
\-cnirs. 

"  Un  jour,  il  m'arriva 
de  manquer  au  rendez- 
\"ous  qu'elle  m'avait 
donné  pour  une  séance, 
parce  que,  étant  alors 
très  avancée  dans  ma 
seconde  grossesse,  je 
m'étais  sentie  tout  à  coup 
souffrante.  Je  me  hâtai 
le  lendemain  de  me 
rendre  à  Versailles  pour 
m'excuser. 

"  La  reine  ne  m'atten- 
dait pas;  elle  avait  fait 
atteler  sa  calèche  pour  se 
promener,  et  cette  voi- 
ture fut  la  première  chose  que  j'aperçus  en  entrant 
dans  la  cour  du  château.  Toutefois,  je  n'en  montai 
pas  moins  parler  aux  garçons  de  la  chambre.  L'un 
d'eux,  M.  Campan.me  reçut  d'un  air  sec  et  froid  et 
me  dit  d'un  ton  colère,  avec  sa  voix  de  stentor  : 
"  C'était  hier,  madame,  que  Sa  Majesté  vous 
«  attendait.  Elle  \'a  se  ])i"omener.  et  bien  sûrement 
"   elle  ne  \'ous  ck)nnera  [«s  séance  «. 

'<  Sur  ma  réponse  que  je  venais  simplement 
[)rendre  les  ordres  de  Sa  Majesté  pour  un  autre 
jour,  il  va  trouver  la  reine  cjui  me  fait  entrer 
aussitôt  dans  son  cabinet. 

u  Sa  ALajesté  finissait  sa  toilette  ;  elle  tenait  un 
livre  à  la  main  pour  faire  répéter  une  leçon  à  sa 
tille,  la  jeune  Madame  ;  le  cœur  me  battait,  car 
j'avais  d'autant  plus  peur  que  j'avais  tort. 

I'  La  reine  se  tourna  vers  moi  et  me  dit  avec  dou- 
ceur :  "Je  vous  ai  attendue  hier  toute  la  matinée. 
u  One  vous  est-il  donc  arrivé  ? 

"  —  Hélas!  madame,  répondis-je,  j'étais  si  souf- 


74 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


que, 


'niiiressement    (in 


(I  frante  que  je  n'ai  pu  me  rendre  aux  ordres  de 
«  Votre  Jlajesté.  Je  viens  aujourd'hui  jiour  les 
«  recevoir,  et  je  repars  à  l'instant. 

«  —  Non  !  non  !  ne  partez  pas,  reprit  la  reine  ; 
«  je  ne  veux  pas  que  vous  ayez  fait  cette  course 
((  inutilement    «. 

((  Elle  décommanda  sa  calèche  et  me  donna 
séance. 

((Je  me  rappell 
j'étais  de  ré- 
pondre à  cette 
bonté,  je  saisis 
ma  boîte  à  cou- 
leurs avec  tant  de 
vivacité  qu'elle 
se  renversa  ;  mes 
brosses,  mes  pin- 
ceaux tombèrent 
sur  le  parquet  ; 
je  me  baissai 
pour  réparer 
cette  maladresse. 

((  Laissez,  lais- 
(I  sez,  dit  la  reine  ; 
((  vous  êtes  troji 
((  avancée  dans 
«  votre  grossesse 
«  pour  vous  bais- 
«  ser  ». 

Nous  espérons 
voir  figurer  à 
V  Exposition  des 
Cent  portraits  de 
femmes  celui  de 
la  série  qui  nous 
semble  le  meil- 
leur et  qui  date 
de  1788.  Il  fut 
placé  par  Lonis-Plnlippe  dans  la 
de  la  reine. 

Marie- Antoinette  est  assise  pr 
un  bouquet  est  pose  ;  elle  jiorte  une  robe  lilanclu 
une  toque  et  un  manteau  bleus,  et  ti(nt  un  li\i 
relié  à  ses  armes. 


Cette  rapide  étude  pourrait  à  la  rigueur  s'arrêter 
au  nom  de  Mme  \'igée-Lebrun,  «  j^eintre  de  la 
reine  »,  et  peintre  aussi  de  toutes  nos  frivok;; 
aïeules  de  la  fin  du  xviiip  siècle  «  en  chaiieau  de 
paille,  en  fichu  négligé,  celles  (|ui  cueillent  des 
bleuets  et  des  roses,  celles  qui  serrent  tendrement 
contre  leur  sein  de  blondes  lillettes.  les  mêmes 
que  l'émigration  emmènera,  ou  (pie  prendra 
la  guillotine.  Leur  ])eintre  attitré  nous  aide  à  ]>éné- 
trer  ces  âmes  légères...    ». 


x.vroiR]-: 


M. 


hanilire  à  (dU(  lu  r 
■s   d'ime   t.ihle    où 


Et  cependant,  deux  des  jilus  grands  peintres  de 
notre  école,  David  et  Prud'hon,  dont  l'art  ne  s'épa- 
nouira complètement  que  dans  les  premières  années 
du  xiN^"  siècle,  méritent  d'être  cités  ici,  car  c'est  au 
jeune  talent  de  ces  deu.x  maîtres  que  plusieurs  char- 
mants visages  de  femmes  de  la  période  révolution- 
naire doivent  leur  éternelle  jeunesse. 

Sans  parler  des  portraits  d'un  art  si  raffiné 
de  MmeRécamier.et  de  celui  d'un  dessin  un  peu  sec 

de  Mme  Sériziat, 
qui  tous  deu.x 
figurent  au 
M  usée  du  Louvre, 
et  qui  furent 
lignés,  le  premier 
en  1795  et  le 
second  dans  le 
courant  de  l'an- 
née 1800,  David 
a  laissé  d'autres 
effigies  d'une 
grâce  exquise, 
en  même  temps 
(pie  d'une  exécu- 
tion forte  et  réa- 
liste. (]ui  l'apjja- 

relltellt  aux   plus 

l;i.ui(1>  i>eintres 
(lu  wiii''  siècle, 
(  t  (pii  demeure- 
idut  ]>eut-être,  à 
iia\'ers  l'histoire, 
eounneles  témoi- 
L;nages  les  plus 
oriLjinaiix,  les 
plus  iiersonnels, 
en  même  temps 
(pie  les  jjIus  sé- 
uaturel,  sa  joie  de 
dans  la  série  de  ses 
luits  spontanés  de 
ilans  ses  grandes 
compositions  historiques,  et  si,  iwur  connaître 
ris]Mit  volontaire  du  réacteur  classique,  il  faut 
étudier  ses  grandes  machines  grecques,  romaines 
et  même  najioléoniennes,  c'est  dans  la  vision  des 
délicieuses  images  de:;  marquises  Sorcy  de  Thelus- 
sin,  de  Montgiraud  (collection  du  baron  d'Erlanger), 
de  \'erninac  et  d'Orvilliers,  de  Mme  Lavoisier  (col- 
lection de  Chazelles),  exécutées  en  jileine  tempête 
révolutionnaire.  J'allais  oublier  la  tine  et  char- 
mante image  de  l'infortunée  Mme  Chalgrin.  qui  se 
détache  avec  une  expression  de  si  douloureuse 
mélancolie  sur  le  fond  sanglant  de  la  toile.... 

Ht  jiour  linir.  ]iiquons  comme  une  fleur,  au  milieu 
de  tous  ces  brillants  interprètes  des  charmes  fémi- 


l'OKTK.MT    PRESUME    DE    M 
r:d<.u.ir(l  Wiibcli 


(luisants  de  jdli  art.  Son  t;eiile 
[leindre  se  devinent  bien  mieux 
jîortraits  si  remarquables,  pio^ 
son    génie    observateur,    (pie 


I.'AKT     KT     !.]•>     Al< 


nins  au  xviii'-  siècle,  le  nom  de  Pmd'hoii.  dont  la 
haute  et  poétique  figure  demeure  fièrement  isolée 
au  milieu  de  la  mêlée  des  écoles  et  du  choc  des 
doctrines.  Prud'hon  fut  le  peintre  de  la  Femme  par 
excellence.  Qu'il  s'agisse  de  Psyché  ou  de  Mme  An- 
thonw  de  Chloé  ou  de  Mme  Péan  de  Saint-Gilles, 
de  ('  l'Innocence  préférant  l'Amour  à  la  Sagesse», 
ou  de  ;\Ime  Coiiia,  de  «  la  Police  assise  près 
d'un  sphinx  et  regardant  dans  un  miroir  »  (il 
sait  traiter  sur  le  mode  grec  les  plus  invraisem- 
blables sujets),  ou  de  la  douce  Constance  IMayer, 
ilont  le  sourire  triste  et  charmant  ilhmiine  son 
(euvre,  comme  celui  de  Joconde  l'œuvre  de 
Léonard,...  c'est  toujours  l'essence  même  de  la 
grâce  féminine  que  son  art  exprime.  Art  tendre 
et  léger,  vaporeux  et  lumineux  reflet  de  celui  du 
Corrège,  et  qui   s'clè\'e,  doux  comme    un  mélanco- 


lique clair  de  lune,  sur  la  nuit  tragique  où  s'éteignent 
les  dernières  lumières  du  siècle  des  fêtes  galantes 
et  des  joyeuses  mascarades,  où  meurent  les  der- 
niers éclats  de  joie  du  siècle  de  la  Pompadour  et  de 
la  Dubarry  ;...  siècle  d'inconsciente  folie,  mais 
aussi  de  grâce  incomparable,  essentiellement  fran- 
çais par  l'originalité  et  la  fantaisie  spirituelle 
d'un  art  dont  l'universel  rayonnement  provient 
surtout  des  étincelants  chefs-d'œuvre  où  les 
Largillière,  les  Watteau,  les  Nattier,  les  Drouais, 
les  Tocqué,  les  La  Tour,  les  Perronneau,  les  Greuze, 
les  Fragonard,  les  Duplessis,  les  Vigée-Lebrun,  les 
David,  les  Prud'hon,...  et  tant  d'autres  encore, 
car  nous  ne  citons  que  les  plus  grands,  ont  su  éter- 
niser la  fraîcheur  éphémère,  les  grâces  fugitives  et 
les  charmes  fragiles  de  la  Femme. 

Arm.wd    Dayot. 


|.-j.    .-WSLM'X    —    PORTR.MT    DE    I-EMMI-     (iJQtj) 


76 


J.  REYNOLDS 


LaVinia,  comtesse  Althorp 

(Collection    Lord   Spencer.  ) 


lllHiARTH    —    .MISS    L.WINIA    FEXKJN 
National  ('.allcrv  ) 


LES  PEINTRES  DE   LA  FEMME 

au   XVIII    Siècle  .-     . 


ÉCOLE     ANGLAISE 


L'École  anglaish  doit  lejirestigt-  dont  elle  jouit 
dans  l'univers  de  l'art  à  ses  portraitistes. 
Si  grands  que  soient  les  paj-sagistes  auxquels  elle 
a  donné  naissance,  si  féconde  qu'ait  été  leur  in- 
fluence, un  Constable,  un  Turner  sont  loin  de  lui 
avoir  valu  autant  de  gloire  qu'un  Gainsborougli  et 
qu'un  Keynolds  ;  et  il  ne  faut  pas  oublier  que, 
Hogarthmis  à  part  et  qui  est  peut-être,  de  tous  les 
peintres  anglais,  le  seul  qui  soit  absolument  anglais, 
la  peinture  anglaise  n'existait  pas  avant  le  portrai- 
tiste de  l'Enfant  bleu,  avant  le  portraitiste  de  Xelly 
O'Brien. 

Et  que  l'École  anglaise  ait  commencé  par  le  \>ox- 
trait,  il  n'y  a  rien  là  d'étonnant.  La  vogue  qui  avait 
favorisé  les  peintres  étrangers  venus  en  Angle- 
terre, Holbein,  Antonio  Moro,  Van  Djck,  était  bien 


laite  pour  encourager  les  peintres  anglais  à  prati- 
quer un  genre  aussi  susceptible  de  jjlaire  au  public. 
«  L'Angleterre,  dit  Hogarth,  unit  l'égoisme  à  la 
vanité  ;  aussi  la  peinture  de  portrait  a  toujours 
eu  et  aura  toujours  dans  ce  j)ays  plus  de  vogue  que 
dans  tout  autre.  »  Malgré  cela,  on  ne  pourrait  citer, 
à  l'exception  des  miniaturistes  Walker  et  Samuel 
Coopcr  qui,  sous  Cromwell,  trouvaient  à  travailler, 
un  artiste  de  vraie  valeur,  en  quelque  branche  de 
l'art  que  ce  soit.  C'est  que  toute  la  faveur  n'avait 
cessé  d'aller,  dans  tous  les  genres,  à  des  étrangers  : 
sous  Charles  II,  Simon  Vérelst,  que  l'on  appelait 
«  le  dieu  des  fleurs  »  et  qui  disait  avec  modestie  : 
n  Le  roi  peut  faire  chancelier  n'importe  qui, 
mais  il  ne  peut  faire  un  Vérelst  de  personne  », 
Simon  Vérelst  est  Hollandais  ;  Antonio  Verrio  a  été 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


amené  de  France  pour 
diriger  la  manulacturr 
de  tapisseries  de  M(ir- 
tlake  ;  Wissing  est  né 
à  Amsterdam  ;  Kneller 
est  Allemand  :  I.ely, 
dont  Hamilton.  dans 
les  Mi'iiioirc:^  lic  Cra- 
monl,  dit  que,  "  île  tous 
les  jieintres  modernes, 
c'est  lui  c|ui  a  le  mieux 
imite  la  manière  dr 
\'an  Dvck  et  s'en  .st 
le  plus  approché  ''au 
ponit  ([ue  II  chaipie 
portrait  jiarait  un  chef- 
d'ceuvre  ■'.  Leh'  est 
Flamand  d'origine  (il 
s'appelle  Peter  Van  der 
Vaas)  et  Westphalieii 
de  naissance  ;  Dahl  est 
Suédois  ;  Costerman 
est  Hanovrien.  A  eux 
seuls,  ils  accaparent 
toutes  les  situations,  ils 
ramassent  tontes  les 
commandes.  Le  succès 
leur  sourit  sans  cesse, 
cependant  que  les  pau- 
vres artistes  anglais  ne 
peuvent  pas  même  jiar- 
venir  à  vivre  de  leur 
métier  :  Henr\'  fooke, 
un  des  rares  jieintres 
anglais  employés  jiar 
Guillaume  IH,  ayant 
essayé  de  se  faire,  com- 
me on  disait,  «  ])eintre 

dévisages  »,   se  vit  réduit,   pour  ne  jias  mourir  de 
faim,  à  prendre  un  petit  commerce. 

Seul,  parmi  ces  artistes,  Peter  Lely  vaudrait, 
si  l'on  en  avait  ici  la  place,  d'être  étudié  d'un  peu 
près,  au  point  de  vue  historique  plus,  d'ailleurs, 
qu'au  point  de  vue  artistique.  En  effet,  en  dépit 
de  certaines  qualités,  tout  extérieures,  dont  té- 
moignent tels  ou  tels  des  innombrables  portraits 
qu'il  signa,  Lclv  n'est  guère  qu'un  habile  faiseur. 
Avant  tout,  il  veut  plaire  et  il  n'hésite  pas  à  user 
de  tous  les  movens  pour  v  parvenir.  Dans  des  inté- 
rieurs luxueux,  plus  souvent  dans  des  paysages 
arrangés,  il  peint  toutes  les  beautés  de  l'Angleterre 
d'alors  du  même  p)inceau  maniéré  et  flatteur. 

Fixé  à  Londres  en  1641  (il  était  né  en  1618),  il 
ne  tarda  pas  à  s'imposer.  Van  Dyck  allait  mourir. 
Pourquoi  Lely  ne  le  remplacerait-il  pas?  En  it)47, 
il  peint  Charles  I'^''  et  le  jeune  duc  d'York  à  Hamp- 


i'HoMAS  GAINSBOROUGH  —  étude  .\rx  deux 

CK.WONS    POUR    U.N    POI-iTR.\IT    DE    FEMME 
iBritish  Musmiiii  i 


ton  Court  où  le  roi  est 
[nisonnier.  La  révolu- 
tion passe.  Lely  fera 
le  portrait  du  Protec- 
teur. Mais  Cromwell, 
qui  le  sait  peu  véri- 
dique,  le  prévient  : 
"Je  désire  que  vous 
employiez  toute  votre 
habileté  à  me  peindre 
tel  que  je  suis,  sans  me 
fiatter  du  tout  ;  sinon, 
\ous  n'aurez  pas  un 
-I  m  de  moi  ». 

.Xjirès  la  Restaura- 
tion, Lely  conquiert  la 
faveur  de  Charles  II  ; 
Lely  est  sacré  «  grand 
peintre  ».  Il  est  doué 
d'une  étonnante  habi- 
leté pour  donner,  dit 
un  mémorialiste  du 
temps.  Il  une  singulière 
expression  aux  yeux 
de  ses  figures  de  fem- 
mes, un  tendre  alan- 
guissement,  un  air  de 
douceur  et  de  mollesse, 
une  grâce,  enfin,  incon- 
nue jusqu'à  ce  jour  ». 
Tout  le  secret  du  suc- 
cès de  Lely  est  là  ;  aussi, 
une  fois  disparu,  —  il 
meurt  en  1680,  —  est-il 
vite  oublié...  et  rem- 
placé :  Kneller  et  Wis- 
sing  sont  là  pour  re- 
cueillir sa  succession. 
\"m\.  le  règne  de  la  reine  Anne  :  époque  aussi  peu 
favorable  que  la  précédente  au  grand  art.  Le 
De  A)ii  (iraphica  de  Du  Fresnoy,  traduit  en  1695 
jtar  Dryden,  constituait  l'esthétique  à  la  mode  : 
.1  II  tant,  dans  les  draperies,  conseillait  le  peintre 
des  Naïades  du  Louvre  aux  portraitistes,  tenir 
compte  de  la  qualité  des  gens  ». 

D'autre  part,  dans  ses  Characteristics,  Shaftes- 
burv  n'hésitait  pas  à  refuser  le  titre  d'artiste  au 
peintre  de  portraits  :  «  Le  simple  peintre  de  visages 
a  peu  de  choses  en  commun,  affirmait-il,  avec  le 
poète  '<  ;  et  il  proclamait  «  antinaturel  »  tout  peintre 
soucieux  d'expression  et  de  caractérisation. 

Quoi  qu'il  en  soit,  entre  la  fin  du  xvii^  siècle  et 
le  milieu  du  xvin<^,  un  grand  changement  s'était 
produit  ;  quelques  années  avant  le  retour  de  Rome 
de  Reynolds,  il  y  avait  à  Londres  plus  de  deux  mille 
peintres  de  portraits,  et  en  1746  Hogarth  se  faisait 


78 


l'ART    i;t    i.!:s    akti^te 


FETER  LELY   —  iadv  denham 

(Collection   de  Lord  Spencer) 


payer  deux  cents  livres  sterling  son   portrait   de 
Garrick  dans  le  rôle  de  Richard  III,  «  prix,  disait-il 


hii-nicme,  qu'aucun  artiste  anglais  n'avait  jamais 
obtenu  pour  un  simple  portrait  ".  Mais  «  la  condi- 


79 


I.'ART     ET     LES     AKTISIIlS 


Uon  (le  laiseui-  d'odigies  ■■  ne  lui  avait  jamais  con- 
venu. 

L'art  du  jiortrait  est  donc  en  plein  honneur 
quand  Gainsborough  et  Re\Tiolds  coirunencent  à 
produire.  La  gloire  de  Lely,  de  Kneller,  de  tous 
ceux  qui  n'avaient  pu  réussir  à  s'assimiler  du  génie 
de  Van  Dyck  tout  ce  que  le  tempérament  artistique 
anglo-saxon  allait  bientôt  en  faire  sien,  com- 
mençait à  pâlir  :  les  poncifs  qu'ils  avaient  si  long- 
fem]is  imposés  au  public  et  aux  artistes  se  démo- 
daient ;  on  aspirait  à  autre  chose,  à  un  peu  plus 
de  vérité,  à  une  expression  plus  souple,  plus  directe, 
de  la  vie.  Déjà  Hogarth  avec  son  réalisme  violent, 
avec  ses  brutalités  et  ses  truculences,  avec  ses  au- 
daces qui  ne  reculaient  devant  rien,  avait  ouvert 
la  voie.  Ce  n'est  cependant  pas  en  lui  que  Gains- 
borough et  Reynolds,  à  leurs  débuts,  reconnaîtront 
un  maitrc,  ce  n'est  pas  son  idéal  qui  deviendra  le  leur. 

(  )n  sait  que  Gravelot  s'était  fixé  à  Londres 
en  1733.  Gravelot  n'était  qu'un  dessinateur  de 
vignettes,  un  illustrateur  au  charme,  à  la  fantaisie 
duquel  il  était  difficile  tie  rester  insensible.  «  Peu 
à  peu,  cependant,  dit  le  regretté  Henri  Bouchot  qui 
a  écrit  sur  cette  ])ériode  de  l'art  anglais  de  défini- 
tives' pages,  une  opinion  se  formait,  et  par  le  livre, 
où  tant  de  jolies  histoires,  de  figurines  pimpantes 
et  gaies  apportaient  aux  raffinés  une  autre  concep- 
tion du  charme  et  du  goût,  il  se  produisait  chez 
nos  voisins  un  de  ces  courants  souvent  retrouvés 
chez  nous-mêmes,  non  pas  une  renaissance.  — ■  car. 
pour  renaître,  il  faut  avoir  été,  —  mais  une  ini- 
tiation jileine  d'impré\'ii.    -i 

Thomas  Hudson  la  subit  ;  il  était  le  Rendre 
de  Jonathan  Kichardson  dont  les  écrits  sur  la  })ein- 
ture  devaient  décider  de  la  vocation  de  Reynolds, 
et  c'est  dans  l'atelier  d'Hudson  que  Reynolds  fera 
ses  premières  armes.  Hudson  connaît,  par  Gravelot, 
Watteau  et  Lancret.  Hudson,  certains  de  ses  por- 
traits sont  là  pour  le  prouver,  cherche  à  se  rappro- 
cher de  l'idéal  de  grâce,  de  délicatesse  de  ces  deux 
maîtres. 

Mais,  outre  Hudson,  il  y  a  Ramsaw  Hudson  est 
de  douze  ans  plus  âgé  que  Ramsay,  il  est  né  en  1701. 
Ramsay  est  moins  sensible  à  l'influence  française, 
ou  il  l'est  autrement;  il  i)arait,  dans  telles  ou  telles 
de  ses  œuvres,  viser  à  une  simplicité  véridique, 
assez  rare  alors.  Sans  abandonner  absolument  les 
artifices  des  poncifs  pompeux  encore  à  la  mode, 
il  n'y  attache  plus  qu'une  importance  secondaire  ; 
bientôt  il  'es  négligera  entièrement  ;  certes,  jamais 
nous  ne  lui  verrons  l'acuité  réaliste,  la  vivacité 
d'observation,  la  liberté  d'accent  que  nous  admi- 
rons chez  Hogarth,  qui,  d'ailleurs,  l'exécrait  ; 
c'est  égal,  il  y  a  chez  Ramsaj'  un  sens  du  naturel, 
de  l'intimité,  qui  mérite  d'être  estimé,  et  dont  pro- 
fitera Reynolds. 


Ramsay,  d'autre  jmrt,  ne  manquait  ])as  de  cul- 
ture. Son  père  était  poète  ;  il  avait  été  trois  fois 
en  Italie  ;  il  écrivit,  sous  le  nom  à'Investigalor, 
plusieurs  ouvrages.  En  1767,  il  succéda  à  J.  Shack- 
leton  comme  peintre  du  roi  George  HI  ;  dès  lors, 
ne  pouvant  suffire  aux  commandes  royales,  — cer- 
tains portraits  du  roi  et  de  la  reine  Charlotte  furent 
refaits  plus  de  soixante  fois  au  prix  de  vingt  guinées 
la  paire  !  —  il  s'adjoignit  des  collaborateurs  ; 
l'un  était  chargé  de  peindre  les  étoffes,  un  autre 
les  fleurs,  un  troisième  les  fonds  de  paysage  ; 
Ramsay  ne  peignait  que  la  tête,  et  encore  !  Cette 
façon  de  procéder,  toute  commerciale,  n'allait  pas 
sans  valoir  au  peintre  de  George  HI  le  dédain  de 
ses  confrères.  Quand  l'Académie  Royale  fut  fondée, 
en  1768,  Ramsay  ne  fut  pas  appelé  à  en  faire  partie. 
Reynolds,  qui,  s'il  ne  doit  pas  beaucoup  au  maître 
écossais,  lui  doit  cependant  quelque  chose,  ne 
pouvait  lui  pardonner  ce  que  l'on  appelait  sa  «  ma- 
nufacture d'effigies  '>,  et  Reviiolds  n'avait  pas  tout 
à  fait  tort,  car  il  était  de  notoriété  publique  que, 
durant  son  dernier  vo\'age  en  Italie,  Ramsay 
avait  confié  à  un  de  ses  élèves,  Philippe  Reinagle, 
la  direction  de  sa  «  manufacture  ». 

Hogarth,  Hudson  et  Ramsay,  voici  donc  les 
trois  peintres  anglais  de  valeur,  de  valeur  diverse 
certes,  qui  pratiquent  originalement  et  originai- 
rement l'art  du  portrait,  avant  que  Gainsborough 
et  Reynolds  n'entrent  en  scène.  Le  premier,  tout  à 
fait  Anglais,  cherchant  à  échapper  à  toute  influence 
étrangère  ;  les  deux  autres  s'efïorçant  au  contraire 
de  trouver  leur  voie  en  s'assimilant,  autrement 
iju'on  ne  l'avait  fait  jusqu'alors,  le  glorieux  exemple 
de  Van  Dyck  et  en  essayant  de  faire  pénétrer  dans 
la  peinture  anglaise  un  peu  de  l'esprit,  de  la  grâce, 
de  la  vérité  délicate  de  l'art  français. 


Entre  la  date  de  la  naissance  de  Reynolds  et 
celle  de  la  naissance  de  Gainsborough,  il  n'y  a  que 
quatre  ans.  Reynolds  vient  au  monde  en  1723, 
Gainsborough  en  1727.  Les  deux  grands  rivaux 
de  l'École  anglaise  lutteront,  toute  leur  carrière 
durant,  sur  le  même  terrain,  artistique,  social  et 
moral  ;  ils  vivront  dans  la  même  société,  auront 
les  mêmes  modèles,  jouiront  d'une  même  vogue, 
se  disputeront  a\-ec  les  mêmes  armes  pendant 
quarante  ans  pour  obtenir  la  suprématie. 

Ils  sont  l'un  et  l'autre  de  prodigieux  artistes. 
Incomparables  l'un  et  l'autre  et  incomparables 
aussi  l'un  à  l'autre,  c'est  cependant  en  les  rappro- 
chant que  l'on  apprend  le  mieux  à  les  connaître, 
à  pénétrer  l'intimité  de  leur  pensée  et  de  leur  art. 

En  présence  de  certains  Re^Tiolds,  il  est  impos- 
sible de  ne  pas  leur  préférer  certains  Gainsborough, 


80 


.'ART     ET     LES     ARTISTES 


CiAlNSBOROUGH  —  portrait  de  la  reine  charlotte 

(Musée  du  Soulli-Kinsington) 


Î>I 


L'ART      ET     LES      ARTISTES 


et  réciproquement. 
Mais  imaginez  réunis 
dans  une  même  salle 
les  dix  chefs-d'œuvre 
tjue  chacun  d'eux  a 
créés  :  cela  ne  serait-il 
pas  éblouissant  ' 

Accrochez  par  l'ima- 
gination sur  une  mu- 
raille :  r Enfant  hlcu  du 
duc  de  Westminster, 
Mrs  Siddons  et  la  Fa- 
mille Baillic  de  la  Na- 
tional Galler\-,  .'l/;-,s'  Ro- 
binson  en  Perdita  de 
la  galerie  Wallace,  Mi-s 
Slwndand  Mi-sTickcll. 
Mrs  Moodcv  et  ses  eii- 
jants  (lu  Musée  de  Dul- 
wich.  la  Duchesse  de 
Devonshire  de  la  col- 
lection Spencer,  la  Mrs 
Graham  de  la  Galerie 
Nationale  d'Ecosse,  la 
Lady  Bâte  Diidley  à 
Lord  Burton  et  le  Due 
et  la  Duchesse  de  Cum- 
lierland  du  chàti'au  de 
Windsor  :  voici  pour 
Gainsborough. 

De  Reynolds,  ras- 
semblez la  Xellx 
O'  Brien  et  la  Mrs  Hoare 
et  son  fils  de  la  galerie 
Wallace,  la  Ladv  Cros- 
bié  à  Sir  Edwaril  Ten- 

nant,  les  Deux  Gentilshommes,  la  Comtesse  Alber- 
male,  les  Grâces  couronnant  l'Hymen,  la  Robinetta 
de  la  National  Gallery,  la  Duchesse  de  Devonshire 
de  Chatsworth,  l'Espérance  nourrissant  l'Amour 
au  marquis  de  Lansdowie,  la  Lady  Cockburn  et 
ses  enfants  de  la  collection  Alfred  Beit. 

Reynolds,  d'abord,  vous  donnera  l'impression 
de  l'emporter  sur  Gainsborough  pour  la  virtuosité, 
pour  l'aisance  et  la  richesse  de  l'exécution.  Il  n'est 
rien  qu'il  ne  puisse  traiter  avec  la  prodigieuse  faci- 
lité dont  on  le  sent  doué.  Il  a  les  dons  les  plus  bril- 
lants et  la  science  la  plus  sûre  de  son  métier.  Dans 
les  collections  anglaises,  dans  les  musées  d'Italie, 
auprès  de  tous  ceux  qui  ont  pratiqué  son  art,  il 
s'est  formé  ;  il  a  raisonné,  réfléchi  sur  tous  les  pro- 
cédés, sur  toutes  les  techniques,  sans  parti  pris, 
avec  une  surprenante  clairvoyance.  Il  admire, 
il  comprend  les  maîtres  les  plus  divers  :  Raphaël 
et  Franz  Hais,  Titien  et  Velasquez,  Corrège  et 
Watteau,  Rubens  et  Téniers,  Rembrandt  et  Steen. 


RICHARD   COSWAY  —  portrait  de 

m"    PLOWDEX    (dessin  rehaussé  de  gouache ) 
(British   Muséum) 


11  tient  .Michel- Ange 
pour  •'  un  homme  di- 
vin» et  il  ose  affirmer, 
en  plein  xviii'^  siècle, 
que  «  sous  la  rudesse 
des  essais  gothiques  on 
découvre  des  inven- 
tions originales,  raison- 
nables et  même  su- 
blimes » . 

Il  paraît  ne  céder 
qu'à  des  impulsions, 
n'être  l'esclave  que  de 
sa  propre  fantaisie,  ne 
suivre  que  son  caprice, 
tant  il  a  de  verve, 
d'esprit  d'à  propos, 
d'abandon.  En  effet, 
il  possède  et  il  est  tout 
cela,  mais  jusqu'à  un 
certain  point  seule- 
ment ;  l'esprit  d'ana- 
lyse le  domine  sans 
cesse.  A  Venise,  l'en- 
thousiasme que  lui  ins- 
pirent Titien,  Tintoret 
et  Véronèse  ne  l'empê- 
che pas  de  scruter  froi- 
dement leurs  œuvres, 
afin  de  tirer  de  leur 
étude  tout  le  profit 
possible.  «  J'ai  beau- 
coup vu  et  beaucoup 
réfléchi  sur  ce  que  je 
voyais  :  j'avais  une 
sorte  d'instinct  d'inves- 
tigation et  une  tendance  à  réduire  tout  ce 
que  j'observais,  tout  ce  que  j'éprouvais,  en  méthode 
et  en  système.  »  —  ((  A  Venise,  dit-il,  quand  j'ob- 
servais quelque  effet  extraordinaire  de  clair-obscur, 
je  prenais  une  feuQle  de  mon  album  et  je  la  noircis- 
sais à  proportion  des  ombres  du  tableau,  laissant 
le  papier  blanc  pour  représenter  les  lumières,  —  sans 
m'inquiéter  du  sujet  ou  du  dessin  des  figures.  L^n 
petit  nombre  d'épreuves  de  ce  genre  devait  révéler 
leur  système  de  distribution  des  lumières.  De  fait, 
après  quelques  expériences,  je  constatais  que  mon 
papier  était  toujours  taché  à  peu  près  de  la  même 
façon  :  j'en  conclus  que  les  Vénitiens  avaient  pour 
sj-stème  de  ne  pas  accorder  plus  d'un  quart  de  leur 
peinture  aux  lumières  principales  et  secondaires, 
de  rendre  un  autre  quart  aussi  sombre  que  possible, 
enfin  de  maintenir  le  reste  estompé.  Rubens  semble 
avoir  admis  un  peu  plus  de  lumière  ;  Rembrandt, 
au  contraire,  beaucoup  moins,  à  peine  un  hui- 
tième,... etc.  » 


82 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


REYXOLDS    PORTRAIT    DE    LA    MARQUISE    DE    CAMHDEY 

(Collection  de  Lord  Spencer) 


83 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


Cette  acuité  de  vision  que  Reynolds  mettait  à 
l'étude  des  chefs-d'œuvre  de  son  art,  il  l'apportait 
à  l'étude  de  ses  modèles.  Avec  sa  haute  culture 
artistique  et  littéraire,  ses  habitudes  de  raisonne- 
ment et  d'observation,  il  était  préparé  mieux  que 
personne  à  devenir  un  grand  portraitiste,  non  seu- 
lement de  la  grâce,  de  l'élégance  féminines,  mais  de 
l'intelligence  et 
de  la  pensée.  La 
recherche  du  ca- 
ractère et  de  la 
vérité  des  ex- 
pressions et  des 
gestes  était  son 
souci  dominant. 
Toute  peinture 
du  prix,  disait- 
il,  dès  qu'elle  est 
fortement  carac- 
térisée »,  et  l'on 
connaît  sa  maxi- 
me favorite:  «Le 
beau  doit  être 
cherché  non  pas 
au  ciel,  mais  sur 
la  terre  ».  Cepen- 
dant la  peinture 
de  la  seule  réa- 
lité visible  n'est 
pas  suffisante  ; 
il  existe  d'autres 
réalités,  des  réa- 
lités morales,  des 
réalités  spirituel- 
les que  le  por- 
traitiste ne  doit 
pasnégliger,dont 
il  doit  se  faire 
l'interprète.  La 
forme  sans  l'ex- 
pression est  in- 
suffisante et  Re\nolds  ne  voulait  pas  admettre 
l'admiration    aveugle  de  ses   contemjwrains   pour 

ces  milliers  d'antiques  qui  lui  paraissaient  ina- 
nimés jusqu'à  l'insipidité  ».  —  «  La  valeur  et  le 
rang  d'un  art  se  mesurent,  proclamait-il.  à  l'effort 
mental  qu'il  exige  et  au  plaisir  mental  qu'il  pro- 
cure. 1)  \'oilà  la  clef  du  génie  de  Reynolds.  Et 
quand  on  pénètre  dans  l'étude  de  son  œuvre  jiar 
la  porte  qu'ouvre  cette  clef,  on  ne  peut  retenir  un 
cri  d'admiration;  on  comprend  alors  toute  la  gran- 
deur et  toute  la  beauté  de  cet  œuvre  si  fécond  en 
bienfaisantes  influences,  si  beau  en  lui-même,  et 
l'on  souscrit  au  jugement  enthousiaste  de  Ruskin. 

«  J'en  viens  à  penser,  écrit  l'auteur  du  Trésor 
des  Rois,  en  considérant  tous  les  désavantages  de 


circonstances  et  d'éducation  au  milieu  desquels 
son  génie  s'est  développé,  qu'il  n'y  a  peut-être 
jamais  eu  un  homme  possédant  de  naissance  un 
don  plus  intense  de  pénétration  de  la  nature  que 
notre  Sir  Joshua  Reynolds.  Comme  peintre  de  l'in- 
dividualité dans  la  forme  humaine  et  l'esprit,  je  le 
tiens   yiour   le    prince   des   portraitistes.    Titien   a 

peint  de  ])lus 
nobles  tableaux, 
\'an  Dyck  a  eu 
lie  plus  nobles 
sujets,  mais  ni 
l'un  ni  l'autre  n'a 
approfondi  aussi 
subtilement  que 
Sir  Joshua  les  va- 
riétés mineures 
du  cœur  et  du 
caractère  hu- 
mains; et  si  l'on 
songe  que,  mal- 
gré reffro3''abl(> 
conventionnalité 
des  habitudes  so- 
ciales qui  l'entou- 
raient, il  a  conçu 
Us  types  les  plus 
simples  du  char- 
me féminin  et 
enfantin  ;  —  que 
dans    un    climat 

septentrional, 
avec,  autour  de 
lui,  comme  colo- 
rations dominan- 
tes, les  gris,  les 
l)lancs  et  les 
noirs,  il  est  de- 
venu un  coloriste 
que  personne 
ne  dépasse,  pas 
même  les  \"énitiens  ;  —et  que,  dans  un  temps  où  la 
jieinture  hollandaise  et  la  porcelaine  de  Dresde 
étaient  les  formes  d'art  à  la  mode  dans  les  salons,  il 
se  jeta  aux  pieds  des  grands  maîtres  italiens,  puis 
se  leva  pour  partager  leur  trône.  —  je  ne  crois 
pas  que  l'on  puisse  citer  dans  l'histoire  entière 
de  l'art  un  autre  exemple  d'instinct  aussi  fort, 
aussi  privé  d'aide,  aussi  infaillible  de  tout  ce  qui 
était  vrai,  pur  et  noble.   » 

Mais  qu'un  pareil  maître  ait  trouvé  en  son  temjjs, 
dans  cette  Angleterre  étrangement  brutale  et  raf- 
finée, le  succès  qu'il  y  rencontra,  cela  déconcerte 
un  peu.  Il  aurait  peint,  dit-on,  durant  toute  sa  vie, 
près  de  quatre  mille  tableaux.  De  dix  guinées  jiour 
un  portrait  en  buste,  de  vingt  pour  un  jiortrait 


-    POKIKAiï    DE    FE.MME 
M.  I.éon  Cardon) 


8^ 


L'ART      ET     LES     ARTISTES 


à  mi-corps  et  de 
quarante  pour  un 
portrait  en  pieihju'il 
exigeait  en  1735.  il 
éleva  ses  prix,  en 
1757,  àquinze,  tren- 
te et  soixante  gui- 
nées,  et  il  ne  pouvait 
suffire  aux  exi- 
gences de  sa  clien- 
tèle. Et  plus  il 
augmentait  le  taux 
de  ses  portraits,  plus 
les  modèles  af- 
fluaient à  son  ate- 
lier. Avant  1780,  ils 
atteignaient  qua- 
rante-cinq, quatre- 
vingt-dix  et  cent 
quatre-vingts  gui- 
nées  ;  plus  tard, 
cintjuante,  cent  et 
deux  cents.  Pour 
un  portrait  de  fa- 
mille contenant  huit 
figures,  le  troisième 
duc  .leMarll.orough 
lui  l^aya  en  1777 
se])t  cents  guinées, 
et  en  178(1  ("athe- 
iine  1!  lui  env()\ait 
quinze  cents  guinées. 
livres  sterling  par  an 
fortune  de  jilus  de  deux  millidiis  et  demi  de  Irancs 
de  l'époque. 

Ce  prodigieux  succès,  1-^eynolds  ne  le  devait  ])as 
seulement  à  son  talent,  il  le  «levait  en  grande  partie 
à  son  caractère.  \'ei ^  la  lin  même  de  sa  vie,  malgré 
que.  Gainsborough  et   Romney   l'eussent  remplacé 


THO.AIAS  GAINSBOROUGH  —;  pdrtk.mt  de  miss 

ELISABETH    SINGLETOX 
(Collection   deorges  Salting) 

en   paiement    d'une     toile. 

Il  gagnait  i)lus  de  six  mille 

et  à  sa  iiKirt  il  laissait  une 


de  Leicester  Square 
était  somptueuse- 
ment aménagée  ; 
son  équipage  faisait 
sensation  ;  sa  table, 
richement  servie  et 
largement  ouverte, 
était  fort  recher- 
cliée.  D'autre  part, 
il  était  très  répan- 
du, fréquentait  as- 
sidijment  les  clubs 
et  les  cafés  à  la 
mode  et  ne  man- 
quait pas  une  pre- 
mière. Promoteur 
de  parties,  organi- 
sateur de  sociétés 
et  de  réunions,  il 
n'était  pas  seule- 
ment une  figure  en 
vue,  il  était  encore 
un  des  membres 
les  plus  actifs  du 
«  Tout  -  Londres  » 
de  la  seconde  moi- 
tié du  xviii«  siècle  )). 
Ces  dons  de  sé- 
duction que  possé- 
dait l'homme,  l'ar- 
tiste les  possédait  aussi,  il  les  possède  toujours; 
séduction  un  peu  superficielle,  avouons-le.  A  de  rares 
exceptions  près,  l'oeuvre  de  Reynolds  manque,  en 
effet,  de  profondeur,  de  puissance,  de  pénétration 
jisj^hologique,  pour  tout  dire,  d'émotion  humaine. 
Est-ce  de  sa  faute  uniquement,  ou,  en  partie,  de 
la  faute  de  ses  modèles,  de  la  faute  du  temps  où  il 
a  vécu?  En  ce  cas,  il  est  trop  facile  de  lui  objecter 
Ciainsborough,  même  Romney  dont  l'œuvre  compte 


dans  la  faveur  du  public,  son  prestige  était  demeuré      certaines  œuvres  plus  profondes,  plus  frémissantes 
entier.   En  I7()q  il  avait  reçu  le  titre  de  .S';>  et  il      de  vie  intime. 


avait  été  acclamé  jirésident  de  l'Académie  Royale  ; 
il  faisait  ])artie  de  l'aristocratie  anglaise,  il  était 
traité  sur  le  pied  d'égalité  par  les  représentants  de 
cette  élite  mondaine.  «  Ses  allures,  dit  un  de  ses 
plus  récents  monographes,  M.  François  Benoit, 
contrastaient  singulièrement  avec  les  habitudes  de 
dissipation  grossière  et  de  vulgarité  qui  dégra- 
daient un  trop  grand  nombre  de  ses  confrères.  Au 
témoignage  des  contemporains,  il  avait  le  caractère, 
la  tenue  et  les  manières  d'un  «  parfait  gentleman  ». 
Avenant  et  ])oli,  humoriste  délicat,  «  plein  de  tact 
«  et  de  convenance  »,  c'était  un  partenaire  séduisant, 
un  convive  précieux  et  «  un  maitre  de  maison  accom- 
«pli  ».  Aussi  bien  s'entcndait-il  à  rehausser  son  exis- 
tence de  luxe  et  à  l'égayer  de  mondanité.  Sa  maison 


Le  portrait  de  Xelly  (J'L^rien,  il  faut  se  rendre  à 
ré\-idence,  est,  dans  son  leuvre,  unique.  Jamais 
il  n'a  atteint  à  cette  intensité  d'expression  et  à 
cette  profondeur  de  caractérisation.  Aucun  arti- 
fice ici,  aucun  déploiement  de  gestes  séducteurs 
et  gracieux,  aucun  maniérisme.  C'est  une  femme 
assise  de  face,  dans  un  jardin,  les  mains  croisées 
sur  ses  genoux,  où  elle  tient  un  petit  chien.  Elle  est 
décolletée  en  cœur,  avec  un  collier  qui  accentue  la 
belle  rondeur  de  son  cou  ;  un  chapeau  léger  de 
tulles,  en  forme  de  cloche  peu  creuse,  et  très  régu- 
lier de  forme,  abrite  son  visage,  répand  sur  son 
front,  sur  ses  veux,  juscpi'à  ses  lèvres  une  pénombre 
transparente. 

Elle  est  d'hier  et  d'aujourd'hui,  et  de  demain  et 


L'ART     ET      LES     ARTISTES 


GAIXSBOROUGH  —  portrait  de  m"  f.  fitzherbert 

(appartenant  à  M.  Trotti) 


87 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


(le  toujours.  Peut-on  ilire  qu'elle  est  belle?  Je  ne 
sais  :  elle  est  infiniment  séduisante,  et  quand 
une  lois  on  l'a  vue.  on  ne  jieut  l'oublier.  C'est  le 
propre  des  grandes  œuvres  d'art  de  s'imposer 
au  souvenir,  comme  des  réalités  complètes  et  par- 
faites, comme  des  cristallisations  de  sentiments, 
de  rêves,  d'observations,  de  désirs,  que  sais-je? 
qui  finissent  par  en  faire  des  choses  plus  palpables, 
des  êtres  plus  vivants  que  les  choses  et  que  les 
êtres  existants.  Si  l'on  arrivait  à  nous  prouver  que 
Mona  Lisa  ou  Nelly  O'Brien,  que  l'on  a  raison  de 
comparer,  n'ont  jamais  existé,  que  nous  importe- 
rait? Elles  existent,  elles  existeraient  quand  même. 


Gainsborough  est,  je  crois  bien,  à  cet  égard,  im 
plus  grand  et  plus  fécond  créateur  que  Sir  Joshua. 
C'est  que  son  génie  a  de  tmit  autres  sources,  plus 
profondes  et  plus  humaines.  Il  s'est  formé  autre- 
ment, il  a  une  nature  numis  l)iillante.  moins  exté- 
rieure ;  il  vit  davantage  sur  lui-même,  il  tire  de 
lui-même  ses  sentiments  v\  ses  idées  ;  il  se  fait 
lui-même  sa  conception  de  l'art  ;  il  est  infiniment 
plus  primesautier.  Ce  n'est  pas  lui  (jui,  en  pré- 
sence d'une  toile  de  Titien-ou  de  Rembrandt,  son- 
gerait à  ces  analyses  où  Reynolds,  qui  ne  cesse 
jamais  de  se  posséder,  se  complait,  sachant  tout 
le  profit  qu'il  en  jieut  tirer.  En  serait-il  même 
capable?  J'en  doute,  (iainsborough,  devant  un 
chef-d'œuvre,  comme  devant  un  paysage,  est 
ému,  et  c'est  du  souvenir  de  cette  émotion  que 
s'enrichit  sa  sensibilité,  que  progresse  son  talent. 
Gainsborough  est  un  rêveur  et  un  émotif  ;  la  rai- 
son, l'intelligence,  n'interviennent  chez  lui  qu'en 
second  lieu.  Auprès  de  Reynolds,  c'est  un  sim]>le. 
un  simple  de  cœur  et  un  simple  d'esjint  ;  il  est  peu 
cultivé,  il  ne  connaît  de  l'art  du  passé  que  les 
quelques  chefs-d'œuvre  qu'il  a  pu  voir  en  Angle- 
terre dans  les  dem_ares  seigneuriales  des  environs 
de  Bath  où  il  a  vécu  quatorze  ans  ;  il  n'a  pas  rai- 
sonné sur  Van  Dyck,  sur  Rubens.  sur  Velasquez, 
sur  Téniers,  sur  Murillo:  il  les  a  copiés  avec  amour. 

Gainsborough,  d'autre  part,  n'est  pas  devenu, 
malgré  ses  succès  mondains,  un  homme  du  monde, 
comme  l'est  devenu  Reynolds.  Il  ne  faut  pas  négli- 
ger de  dire,  quand  on  parle  de  lui,  qu'il  est  le  père 
du  paysage  anglais.  Il  avait  la  passion  de  la  nature, 
il  adorait  les  arbres,  les  nuages,  l'eau  courante,  les 
décors  de  son  pays  natal,  dont  Constable,  qui,  lui 
aussi,  y  avait  vu  le  jour,  disait  :  «  C'est  le  Suffolk 
qui  m'a  rendu  jieintre  ". 

Jamais  Reynolds,  au  faite  de  la  gloire,  n'aurait 
écrit,  comme  l'écrit  Gainsborough  à  son  ami 
Jackson  :  «  Je  suis  dégoûté  des  portraits,  et  je 
voudrais  bien  prendre  ma  viole  de  gambe  et  m'i'U 


aller  dans  quelque  i)laisant  village  où  je  pourrais 
peindre  des  paysages  et  jouir  du  bail  final  de  la  vie 
dans  la  tranquillité  et  le  bien-être.  Mais  ces  belles 
dames,  avec  leurs  tasses  de  thé,  leurs  bals,  leur 
chasse  au  mari,  etc.,  m'escroqueront  mes  dix  der- 
nières années,  sans  réussir,  j'en  ai  peur,  à  trouver 
des  maris.  Pourtant,  il  n'y  a  rien  là  à  dire,  mon 
cher  Jackson  ;  il  nous  faut  continuer  à  rouler  cahin- 
caha,  et  nous  contenter  du  tintement  des  grelots  ; 
seulement,  je  hais  la  poussière.  Dieu  me  damne, 
et  ce  qui  soulève  la  poussière,  et  d'être  en  prison 
sous  le  harnais  pendant  que  d'autres  sont  en  voi- 
ture, à  couvert,  allongeant  à  l'aise  leurs  jambes 
dans  la  paille  et  contemplant  les  arbres  verts  et 
les  deux  bleus,  sans  avoir  de  tout  cela  la  moitié 
du  goût  que  j'en  ai...  et  c'est  diaboliquement 
dur....    ■ 

Au  même  ami,  il  écrivait  une  autre  fois  :  «  J'ai 
toujours  été  d'avis  que  vous  gaspillez  journelle- 
ment vos  dons  avec  les  gentlemen,  et  que  toute 
votre  étude  tend  à  savoir  comment  vous  devien- 
drez vous  aussi  gentleman.  Eh  bien  !  damnés  gent- 
lemen, il  n'y  a  pas  d'espèce  d'ennemis  qui  soit 
]ilus  à  craindre  pour  un  véritable  artiste,  quand 
on  ne  les  tient  pas  convenablement  à  distance. 
Ils  n'ont  en  eux  qu'une  partie  qui  vaille  la  peine 
qu'on  la  regarde,  c'est  leur  boui'se,  et  leur  cœur 
est  rarement  dans  le  voisinage  de  la  place  où  il 
devrait   être   pour   qu'on   l'aperçoive  ». 

L^n  tel  langage,  Reynolds  ne  l'eût  jamais  tenu  ; 
je  ne  dis  point  cela  pour  diminuer  le  peintre  de 
Xellv  (J'Brien,  simplement  pour  mettre  en  lumière, 
en  le  rapprochant  du  sien,  le  caractère  de  Gains- 
borough. 

Il  Plus  qu'aucun  des  peintres  qui  vécurent  ici- 
bas,  dit  fort  justement  Sir  Walter  Amstrong. 
Gainsborough  fut  l'esclave  de  ses  émotions.  II  est 
impossible  de  parcourir  son  œuvre  sans  que  la 
conviction  s'impose  que,  pour  chacune  de  ses 
créations,  le  degré  de  sa  réussite  a  dépendu  de  la 
façon  dont  le  sujet  affecta  au  début  son  imagi- 
nation. »  —  «  Je  suis  vite  perdu,  disait-il  lui- 
même,  dès  que  je  prétends  raisonner.  » 

L'œuvre  de  Gainsborough  est  donc  l'expression 
entière  de  sa  sensibilité.  C'est  celle  d'un  homme 
infiniment  impressionnable  et  infiniment  sincère. 
Par  suite,  il  reste  soumis  à  toutes  les  influences  sus- 
ceptibles d'agir  sur  ses  nerfs  et  notamment  sur  sa 
vision.  Il  a  besoin  d'aimer  son  modèle  pour  le 
bien  peindre,  et  quand  il  ne  parvient  pas,  pour  une 
raison  ou  une  autre,  à  s'intéresser  à  son  sujet,  on 
le  voit  capable,  malgré  tout  son  acquit,  malgré 
toute  son  expérience,  alors  qu'il  est  en  pleine  pos- 
session de  son  métier,  on  le  voit  capable  d'une 
non-réussite. 

Mais    quand   il   réussit,   et    c'est     fréquemment, 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


RUMNEV 


PORTRAIT    DE    M"    DOROTHEA    MuKLLV     ,.\LE    JARVISJ 
(appartenant  à  M.  Trotti) 


.V) 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


JOSHUA  REYNOLDS  —  portrait  de 
m'^  chambers 

nul  ne  lui  est  comparable.  La  distinction  suprême 
et  le  raffinement  sujn'ême,  des  délicatesses  et  des 
vigueurs  surprenantes,  une  grâce  hautaine  et  dis- 
tante, sans  artifice,  un  affleurement  délicieux  de 
la  vie  intérieure  qui  baigne  les  traits  de  ses  figures, 
notamment  de  ses  figures  de  femmes,  comme  d'un 
attendrissement,  qui  les  fait  toutes  frémissantes 
de  vérité,  une  précision  de  caractérisation  qui 
n'est  jamais  sèche  ni  nnmobilisée,  au  contraire, 
que  l'on  sent  comme  flottante  —  qu'on  me  par- 
donne ces  expressions,  —  une  espèce  de  gravité, 
tle  solennité,  de  recueillement  devant  la  vie  qui 
de  la  personne  du  jieintre  semble  gagner  celle  du 
modèle,...  n'y  a-t-il  ]ias  im  [leu,  ou  beaucoup,  de 
cela  dans  l'impression  que  l'on  éprouve  en  pré- 
sence des  (éuvres  maîtresses  de  Gainsborough? 
Puis,  comme  il  paraît,  même  dans  ses  morceaux 
les  plus  prodigieu.x  d'habileté,  alors  qu'il  triomphe 
de  toutes  les  difficultés  techniques,  tenir  peu  à  sa 
virtuosité,  en  tirer  peu  d'avantages  personnels  ! 
Dans  le  portrait  de  la  duchesse  de  Devonshire 
de  la  collection  Spencer,  dans  celui  de  Mrs  Gra- 
ham  de  la  Galerie  Nationale  Écossaise,  dans  celui 
de  Mrs  Sheridan  et  Mrs  Tickell  du  Musée  de  Dul- 


\sich,  dans  celui  de  Mrs  Robinson  en  Perdita 
du  Musée  Wallace,  quelle  tendresse  répandue, 
quel  sentiment  délicat  et  pénétrant  de  la  fémi- 
nité !  Reynolds  et  Romney,  certes,  sont  plus 
\oluptueux,  plus  passionnés,  mais  je  vois,  dans 
ces  adorables  effigies  d'adorables  femmes,  une 
sorte  de  sensualité  extrêmement  discrète  qui 
m'enchante,  une  sorte  d'idéalisme  amoureux 
dont  la  présence  silencieuse,  comme  un  peu 
mélancolique,  ajoute  un  agrément  à  tant  de 
séductions. 

Ayant  cité  le  jugement  de  Ruskin  sur  Rey- 
nolds, je  me  reprocherais  de  ne  pas  citer  celui 
qu'il  porte  sur  Gainsborough. 

«  Ombre  de  Gainsborough,  dit-il,  penseur 
profond,  solennel  Gainsborough! 

«  La   puissance   de   coloris   de  Gainsborough 
.1   ce  qu'il   faut  pour  prendre  rang  à  côté  de 
celle   de    Rubens  :   c'est  le  plus  pur  coloriste, 
--ans  en  excepter  Sir  Joshua  lui-même,  de  toute 
l'École  anglaise  ;  avec  lui,  en  fait,  l'art  de  pein- 
dre mourut  en  grande  partie  et  cet  art  n'existe 
pas  maintenant  en  Europe.  On  verra  assez  de 
preuves  dans  mes  écrits  de  l'admiration  que  j'ai 
\ouée   à  Turner,    mais    je  n'hésite  pas  à  dire 
ipie,    dans   l'emploi    et  la  qualité  d'une  teinte 
simple    et     particulière,     dans    l'art    purement 
technique   de   la   peinture,   Turner   est   un    en- 
fant  auprès   de  Gainsborough....    La   main    de 
Gainsborough  est  aussi   légère  que  le  vol  d'un 
nuage,    aussi   rapide   que   l'éclair  d'un  rais  de 
soleil....  Les  masses  de  Gainsborough  sont  aussi 
largement  disposées  que  la   division  entre   la    lu- 
mière et  les  ténèbres  dans   le   ciel.    Les   formes  de 
Gainsborough    sont     grandes,    simples,    idéales.... 
Gainsborough  ne  perd  jamais   de  \aie  son  tableau 
comme  ensemble....  En  un    mot,   c'est   un   peintre 
munortel,  et  sa  supériorité  est  fondée  sur  des  prin- 
cipes d'art  depuis  longtemps  reconnus  et  sur  des 
faits  de  nature  universellement  apparents  ». 


Par  Re\-nolds  et  Gainsborough,  l'École  anglaise 
est  ainsi  fondée  et  du  premier  coup  elle  possède 
une  personnalité  nettement  définie.  Elle  possède 
son  domaine  propre,  ses  caractères  individuels  : 
ces  deux  maîtres  ont  fixé,  si  l'on  peut  dire,  son 
esthétique  et  son  avenir.  Ceux  qui  viendront  après 
eux  seront  contraints  d'avoir  recours  à  eux  :  ce 
sont  des  ancêtres.  De  leur  vivant,  ils  sont  glorieux, 
d'une  gloire  qui,  on  le  sent,  demeurera  hors  des 
atteintes  de  la  mode  et  de  l'engouement  qui  font 
et  défont  les  réputations  artistiques.  Qu'importe 
qu'ils  aient  pour  points  de  départ  des  exemples 
venus  de  l'étranger?  Leur  race,  si  elle  avait  eu  en 


90 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


TH()>L\S  GAIXSBOROUGH  —  jeune  fille  en  costime  de  chasse 

(Collection  John  Stillmann) 


91 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


elle-même  de  quoi  se  créer  un  art.  n'aurait  pas 
attendu  si  longtemps  de  le  faire,  et  c'est  au  moment 
où,  sauf  en  France  et  à  Venise,  on  peut  presque 
dire  que  l'art  est  mort,  qu'il  nait  en  Angleterre. 
Et  voici  qu'en  cinquante  ans  il  atteint  à  sa  matu- 
rité,  il  réalise  son  développement  complet. 

Ronmey,  Raeburn  et  Hoppner,  le  premier  né 
en  1734.  le  second  en  I75(',  le  troisième  en  1758. 
leur  doivent  tout  ;  ce  qui  ne  veut  pas  dire  que 
sans  eux  ils  r'auraient  rien  jni  être  ;  mais  il  est 
incontestable  que,  malgré  les  particularités  de 
leur  tempérament,  ils  n'auraient  pas  été  ce  qu'ils 
sont  devenus. 

Quand,  en  1762,  Romney  s'installe  à  Londres, 
le  talent  de  Reynolds  et  de  Gamsborough  est  en 
pleine  floraison.  Reynolds  est  déjà  célèbre,  Gains- 
borough  commence  à  l'être.  En  1763  et  1765,  il 
prend  part  aux  concours  organisés  par  la  Société 
des  Arts,  et  aussil("it  il  est  remarqué.  Mais  ce  n'est 
qu'en  1775  ([u'il  devient  jxiur  Reynolds  un  redou- 
table concurrent,  plus  redoutable  encore  que 
Gainsliorough.  L'aristocratie  anglaise  adoj)te 
Romney  :  en  quelques  années,  il  devient  le  peintre 
que  tous  fêtent,  que  tous  acclament,  et  voilà 
Londres  divisé  en  deux  camjis  :  le  camp  Reynolds 
et  le  camp  Romney.  Lord  Thurlow,  qui  apparte- 
nait au  camp  Romney,  n'hésite  pas  à  traiter 
Reynolds    de   coquin    et    de   mauvais   peintre. 

Quoi  qu'il  en  soit,  dix  ans  après,  en  1785,  Rom- 
ney gagne  plus  de  trois  mille  cinq  cents  livres 
durant  ses  douze  mois  de  travail.  Son  fils  raconte 
qu'il  ne  mettait  pas  jilus  de  trois  ou  quatre  séances, 
d'une  heure  et  demie  chacune,  pour  exécuter  un 
jwrtrait  d'homme  à  mi-corps  et  que,  durant  les 
mois  d'été,  il  lui  arrivait  défaire  poser  dans  son  atelier 
cinq  ou  six  modèles  du  matin  au  soir.  Il  travaillait 
ainsi  jusqu'à  treize  heures  par  jour.  Pendant  des 
années,  Romney  mène  cette  existence  de  labeur 
acharné.  Pour  se  reposer,  il  va  passer  un  mois  l'été 
chez  son  ami  le  poète  Hailey,  qui  devait  devenir  son 
biographe.  Une  assemblée  de  Décaméron,  parmi 
la  grasse  nature  du  Sussex,  y  tient  ses  assises  : 
des  poètes,  des  essayistes,  des  femmes  de  lettres, 
des  artistes  s'y  retrouvent.  Romney  est  le  dieu 
de  ce  petit  univers  :  on  compose  en  son  honneur 
des  poèmes  dithyrambiques.  Tous  l'adulent  et 
tous  s'adulent  dans  cette  compagnie  :  c'est  une 
société  d'admiration  mutuelle.  A  table,  on  ne  s'in- 
terpelle que  par  ces  mots  :  Sappho,  Pindare. 
Raphaël.  Romney,  cependant,  s'était  marié  ;  mais 
il  y  avait  si  longtemps  qu'il  l'avait  oublié.  Il  avait 
épousé  à  l'âge  de  vingt-deux  ans,  dans  son  pays 
natal,  une  jeune  femme  qui  l'avait  soigné  durant 
une  maladie  et  dont  il  était  devenu  éperdument 
amoureux  ;  ce  qui  ne  l'avait  pas  empêché  de  l'aban- 
donner, estimant  qu'elle  ]iouvait  entraver  sa  car- 


rière et  lui  nuire  dans  le  monde.  Mais  elle  lui 
demeura  fidèle,  quoique  depuis  son  départ  pour 
Londres  jusqu'au  jour  où,  épuisé,  sentant  la  mort 
prochaine,  il  revint  dans  son  Lancashire,  il  n'était 
venu  la  voir  que  deux  fois. 

Romney  est,  à  mes  yeux,  dans  l'École  anglaise, 
le  type  du  voluptueux.  Ce  n'est  pas  dans  ses  com- 
positions légendaires,  littéraires  ou  historiques 
qu'il  faut  le  chercher,  mais  dans  ses  portraits,  sur- 
tout dans  ceux,  fort  nombreux  heureusement, 
de  Lady  Hamilton.  Tout  Romney  est  là.  Du  jour 
où  elle  lui  sert  de  modèle,  on  dirait  que  son  art  se 
transforme  :  elle  lui  inspire  des  accents  qu'aucun 
])eintre,  dans  un  pays  de  puritanisme  comme 
l'Angleterre,  ne  retrouvera.  Le  charme  de  l'ensor- 
celeuse agit  vite  sur  lui  :  où  l'a-t-il  découverte? 
Les  uns  disent  au  fond  d'une  taverne,  en  train  de 
chanter  des  couplets  obscènes  devant  des  mate- 
lots. C'est  en  1791  qu'il  la  rencontre.  Elle  revient 
de  Xaples  où  elle  a  fait  la  conquête  de  Lord  Hamil- 
ton. Elle  n'est  encore  qu'Emma  Hart  ;  elle  ne  tar- 
dera pas  à  devenir  Lady  Hamilton.  Romney  a 
cinquante-sept  ans.  «  C'est  alors,  dit  Henri  Bou- 
chot, que,  prosterné  devant  cette  beauté  ensor- 
celante, ce  corps  aux  formes  antiques,  cette  che- 
velure plus  abondante  que  nulle  femme  ne  pouvait 
en  montrer,  Romney,  outlaw  comme  cette 
gitane,  mais  vaincu  par  elle,  l'eût  gardée  long- 
temps, oublieux  de  la  tendre  créature,  autrefois 
épousée,  et  qui,  après  tant  de  fugues,  le  voudra 
recueillir  et  soigner.  Alors,  dans  toutes  les  poses 
les  plus  sublimes,  cachant  son  trésor  de  son  mieux, 
il  se  hâte  de  prendre  à  Emma  Lyons,  qu'il 
sent  impatiente  de  grand  air,  ce  que  sa  divine 
beauté  lui  révèle.  »  Reynolds,  Angelica  Kauffmann, 
JIme  Vigée-Lebrun  l'ont  peinte  aussi,  mais  seules 
les  effigies  que  Romney  nous  a  léguées  d'elle  donnent 
de  sa  beauté  une  impression  exaltée  et  vivante. 
Outre  les  portraits,  les  études  qu'il  fait  d'elle,  il 
incarne  en  elle  tous  les  types  de  la  légende,  de 
l'allégorie,  de  la  mythologie.  Sous  son  pinceau 
amoureux,  jamais  las  de  chercher  à  immortaliser 
quelque  charme  d'elle  qu'il  aurait  pu  négliger, 
qui  aurait  pu  lui  échapper,  elle  est,  tour  à  tour, 
Circé,  Cassandre,  EuphrosjTie,  Ariane,  Cah^pso, 
Jeanne  d'Arc,  une  Sibylle,  une  Sainte,  une  Reli- 
gieuse, une  Madeleine;  elle  est  la  Comédie,  et  la 
Tragédie  dans  Shakespeare  élevé  par  la  Comédie 
et  la  Tragédie  ;  elle  est  Alope  avec  son  enfant  dans 
les  bois,  elle  est  une  Bacchante,  elle  est  une  Fileuse. 
A  travers  ces  métamorphoses,  elle  demeure  l'in- 
comparable magicienne  dont  les  regards  affolaient 
tous  ceux  qui  la  connurent.  La  souplesse  de  ses 
gestes,  la  grâce  de  ses  attitudes,  la  diversité 
d'exfiressions  de  ses  traits,  sont  irrésistibles.  On 
conqirend    l'ivresse    qu'éprouvait    Romney    à    la 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


GAINSBOROUGH  —  portrait  de  georgiana,  dixhesse  de  devonshire 

(Collection  de  Lord  Spencer) 


93 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


peindre  :  touiours  changeante,  toujours  jilus  l)elle. 
capable  ainsi  de  jouer  tous  les  rôles,  inventant  sans 
cesse  de  nouvelles  armes  de  séduction.  Prête  à  se 
donner,  et  se  refusant  tout  à  coup,  rieuse,  les 
lèvres    ardentes,    les    \'eu\    alauL'ius,    et    soudain. 


plus  grande  j)artie  de  l'étc,  je  serai  pris  par  des 
tableaux  d'après  la  divine  dame  :  je  ne  puis  lui 
donner  une  autre  épithète,  car  je  la  juge  supérieure 
à  toutes  les  femmes.  J'ai  deux  toiles  à  peindre  d'elle 
pour  le  prince  de  Galles.  Elle  dit  qu'elle  voudrait 


HEXRY  RAEBL'RX   —  portrait  de  m"  m. -h.   lazarus 

(X.Ttional  Gallery,  Londres) 


comme  si  elle  se  voilait  d'un  nuage,  devenue  loin- 
taine, les  yeux  baissés,  gravement,  toute  son  âme 
rentrée  en  elle-même.  Son  âme  ! 

Le  bon  Romney  y  croyait-il  lui-même,  si  aveugle 
qu'il  fût  ;  on  se  le  demande.  L'emprise,  en  tout  cas, 
du  modèle  sur  le  peintre  était  complète  et  tenace. 
«A  présent,  écrit-il  à  Hailey  en  1791.  quelque 
temps   avant   le  mariage  d'Emma,  et  pendant  la 


vous  voir  avant  de  quitter  l'Angleterre,  c'est-à-dire 
au  commencement  de  septembre.  Elle  m'a  demandé 
si  vous  n'écriviez  pas  ma  vie  ;  je  lui  ai  répondu 
que  vous  aviez  commencé  à  le  faire  :  alors,  a-t-eUe 
dit,  elle  espère  que  vous  aurez  beaucoup  à  dire 
d'elle  dans  cet  ouvrage,  car  elle  est  fière  de  me  ser\ar 
de  modèle  ».  Et  encore,  en  juillet  :  «  Je  consacre 
tout  mon  temps  à  cette  charmante  femme,  car  elle 


94 


L'ART     ET      LES     ARTISTES 


.AWREXCE    —   PORTRAIT    DE    FEMME    (dessin» 
(Musée  du  Louvre) 


95 


I.'AKT     KT      IHS     ARTISTES 


a  k-  prdjrl  (le  (luittrr  hi 
\-illc  a\iT  Sir  William 
pour  ilriix  ou  trois  se- 
maines. Ils  sont  très 
occupés  en  ce  moment 
]iar  les  préparatifs  de 
lem"  prochain  mariage 
et  tout  le  monde  la 
recherche  et  parle 
d'elle  :  de  sorte  que  si 
elle  n'a\-ait  pas  jilus  de 
bon  sens  que  de  vanité, 
cela  lui  ferait  tourner 
la  tète  ".  Il  a  alors 
quatre  portraits  d'elle 
sur  le  chantier,  mais 
elle  s'éclipse,  se  marie, 
quitte  l'Angleterre  ;  les 
tableaux  demeureront 
inachevés,  Romney  ne 
la    reverra  plus. 

Sans  sa  rencontre 
avec  I.adv  Hamilton, 
Romney  n'eût  pas  été, 
à  mon  avis.le  délicieu.x 
artiste  que  nous  con- 
naissons. Mais  la  plus 
granile  partie  de  son 
(eiivre  était  accomplie 
déjà,  dira-t-on,  et  sa 
situation  était  faite. 
C'est  exact  ;  mais  je 
donnerais  liieii  tout  ce 
(ju'a  jieint  Romney 
jjour  ses  seuls  portraits 
de  l'enchanteresse.  Elle 
jouerait,  aux  regards 
(cuvre,  et  ce  n'est  pa: 
suggérer 


THOMAS  GAIXSBUROUGH  —  étude  .\rx 

DEUX    CR.\YOXS    POUR    LE    PORTR.MT    DE    L.\ 

DUCHESSE    DE    DEVONSHIRE 

(British  lliiseum  ) 


sentait  l)ien  le  rôle  qu'elle 
e  la  postérité,  dans  son 
]iour  rien  qu'elle  faisait 
ar  Romney  à  Hailey  de  lui  réserver  dans 
la  vie  du  peintre  la  place  à  laquelle  elle  savait 
qu'elle  avait  droit,  à  laquelle,  vraiment,  elle  a  droit. 


Raeburn,  lui,  diffère  grandement  de  Romney.  Il 
est,  dans  cette  école  de  portraitistes  de  carrière, 
et,  par  suite,  contraints  à  satisfaire  les  exigences  de 
leur  clientèle  aristocratique,  un  talent  plus  âpre, 
plus  énergique.  Les  grands  succès  mondains  de  ses 
confrères  anglais,  il  ne  les  connut  jamais,  il  ne  les 
rechercha  pas  non  plus.  Reynolds  n'avait  pas  à 
redouter  en  lui  un  concurrent,  comme  Romne\-. 
Il  le  protégea  donc  et  s'intéressa  à  lui.  Quand,  après 
avoir  conquis  une  certaine  notoriété  à  Edimbourg, 
Raeburn  vient  à  Londres  pour  se  perfectionner  dans 
son  art,  c'est  Reynolds  qui  l'accueille,  cjui  lui  con- 


seille il'aller  en  Italie  : 
Il  Jeune  homme,  lui 
dit  le  président  de  la 
Royal  Academy,  je  ne 
connais  rien  de  votre 
situation  de  fortune  ; 
les  jeunes  peintres  sont 
rarement  riches  ;  si 
vous  avez  besoin  d'ar- 
gent pour  continuer  vos 
études  à  l'étranger,  di- 
tes-le, et  vous  n'en 
manquerez  pas.  »  Rae- 
burn déclina  l'offre  :  il 
avait  épousé  à  l'âge  de 
vingt-deux  ans  une 
comtesse  Leslie,  plus 
âgée  que  lui  de  douze 
ans,  et  fort  ■  iche,  dont 
il  s'était  épris. 

A  son  retour  d'Italie, 
il  se  fixe  de  nouveau 
dans  sa  ville  natale,  et 
des  années  durant  il  ne 
reçoit  pas  moins  de  trois 
ou  quatre  modèles  par 
jour  dans  son  atelier. 
Sa  joie,  c'est  de  peindre 
les  visages  et  les  mains; 
les  draperies,  les  détails 
de  toilette  l'ennuient  et 
l'embarrassent,  il  éprou- 
ve plus  de  difi&culté  à 
modeler  le  pli  d'une 
étoffe  qu'à  traduire  une 
expression.  Il  y  a  dans  le  talent  de  Raeburn  une 
espèce  de  gravité,  de  ton  sérierrx,  dont  l'époque  offre 
peu  d'exemples.  C'est  un  scrupuleux  et  un  réfléchi, 
qui  hait  les  conventions  de  coquetterie,  qui  ne 
cherche  pas  à  plaire  ;  aussi  les  portraits  de  femmes 
sont-ils  les  moins  nombreux  dans  son  œuvre  ;  ils 
n'en  sont  que  plus  précieux,  tels  le  portrait  d'une 
Lady  Hamilton,  celui  de  Mrs  H.  W.  Lauzun,  et 
\a.  Femme  au  grand  chapeau  de  la  National  Gallery, 
comme  aussi  l'admirable  portrait  de  Lady  Stewart 
de  Coltness  de  la  collection  F.  C.  K.  Fleischmann, 
qui  fut  ime  des  toiles  les  plus  remarquées  à  l'expo- 
sition franco-britannique  de  l'année  dernière. 
Raeburn  affectionnait  particulièrement  ces  poses 
sans  apparat,  ces  physionomies  saines  et  simples 
de  grandes  bourgeoises  anglaises.  On  comprend, 
par  suite,  si  l'on  y  ajoute  l'impression,  je  ne  dirai 
pas  déconcertante,  mais  un  peu...  décevante,  que 
devaient  éprouver  ses  contemporains  et  ses  com- 
patriotes de  deux  ou  trois  générations  après  sa 
mort    devant    l'exécution    u  martelée,    plaquée   en 


96 


L'Al'JT     ET      LES     AimSTES 


masses,  parfois  triviale  .>,  qui  lui  est  coutuiuière, 
on  comprend  l'indifférence  où  il  fut  tenu  en  Angle- 
terre jusqu'il  >■  a  une  trentaine  d'années.  Son- 
geons qu'il  ne  fut  admis  à  la  Royal  Academy  qu'en 
1815  —  il  avait  alors  cinquante-neuf  ans  ;  il  mourut 
en  1823  f  le  roi  George  IV,  voyageant  en  Ecosse, 
lui  avait  donné  en  1822  le  titre  de  Sir,  et  quelques 
mois  avant  sa  mort  l'avait  nommé  :  «  son  peintre 
pour  l'Ecosse   '. 


John  Hoppnerestle  dernier  grand  portraitiste  de 
l'École  anglaise  du  xviii''  siècle.  Ne  en  1750  et 
mort  en  1810,  il  est  en  pleine  possession  de  son  talent 
et  de  sa  gloire,  du  vivant  déjà  de  Re\nolds,  car  à 
peine  âgé  de  vingt-quatre  ans,  grâce  au  patronage 
du  prince  de  Galles,  plus  tard  George  I\',  il  était 
déjà  considéré  comme  un  des  jeunes  peintres  sur 
qui  l'on  pouvait  former  les  plus  belles  espérances. 
A  trente  ans,  il  était  marié  avec  la  délicieuse  Phébé 
Wright  qui  était  le  modèle  favori  de  maint  peintre, 
l^armi  lesquels  Benjamin  West,  et,  malgré  la  rivalité 
de  Reynolds,  de  Gainsborough  et  de  Romne\ ,  il 
avait  déjà  exécuté  les  portraits 
du  duc  et  de  la  duchesse  d'York, 
du  prince  de  Galles,  du  duc  de 
Clarence,  qui  devait  devenir  Guil- 
laume IV,  et  de  quantité  de  person- 
nages  illustres.  De  sorte  que,  quand 
Reynolds,  à  la  mort  de  Romney,  fut 
nommé  peintre  ordinaire  du  roi,  la 
faveur  dont  Hoppner  jouissait  déjà 
ne  fut  en  rien  diminuée  :  Reynolds 
eut  le  titre,  Hoppner  la  fonction. 
On  était  en  1785.  Deux  ans  après, 
Lawrence  déliutait  à  l'-Acadéinic 
avec  sept  portraits  qui  lui  valurent 
le  plus  vif  succès.  L'attention  de  la 
Cour  se  porta  sur  lui  :  Hoppner 
sembla  dédaigné.  Officiellement,  ce- 
l)endant,  rien  ne  fut  changé  ;  mais 
tandis  qu'il  continuait  à  s'intituler; 
«  Portraitiste  du  prince  de  Galles  », 
Lawrence  prenait  le  titre  de  «  Portrai- 
tiste ordinaire  de  Sa  Majesté  ».  Com- 
me naguère  pour  Reynolds  et  Rom- 
ney, la  Cour  et  la  ville  furent  divisées 
en  deux  camps,  les  admirateur> 
d'Hoppner,  les  partisans  de  Lawrence , 
et  tandis  qu'un  venimeux  critique 
traitait  Hoppner  de  «  filou  »,  un  autre, 
en  vers  alors,  le  saluait  connue  un 
soleil  levant  qui  allait  éclairer  le 
monde  do  ses  raxons  et  donner  à 
l'univers  la  joie  de  contempler  en 
sa  ])ersonn<>  un  autre  Reynolds.  La 


bataille  fut  chaude  et  dura  pendant  des  années. 
Lawrence,  de  son  côté,  raconte-t-on,  gardait  le 
silence  ;  le  tempérament  ardent  d'Hoppner  s'en 
excitait  davantage  :  «  Les  dames  de  Lawrence, 
disait-il,  font  preuve  d'une  éclatante  perversion  du 
goût,  et  pèchent  contre  la  chasteté  morale  et  j)ro- 
fessionnelle  »,  ce  qui  n'empêchait  nullement  Icsdites 
dames  d'envahir  l'atelier  du  rival  d'Hoppner.  Cette 
animosité  virulente,  Hoppner  la  conserva  jusqu'à 
son  dernier  jour,  et  les  démarches  de  Lawrence, 
venant  jn-endre  de  ses  nouvelles  durant  sa  longue 
maladie,  ne  faisaient  que  l'irriter  davantage  ;  il 
les  attribuait  à  l'impatience  que  devait  éprouver 
Lawrence  d'ap])rendre  sa  mort.  Étrange  attitude 
de  la  part  d'un  homme  que  ses  contemporains 
nous  montrent  connue  une  nature  loyale,  à  l'esprit 
libre,  au  cœur  généreux,  aussi  (lé]K)uillé  de  ])ré- 
jugés  que  pût  jamais  l'être  un  .Anglais. 

Mais  tout  ceci  nous  imjHJrte  relativement  peu. 
L'ceuvre  d'Hoppner  est  ce  qu'il  est.  c'est-à-dire 
l'univre  d'un  jieintre  de  la  fenune  digne  de  prendre 
place  à  côté  des  meilleurs  de  sou  pa\s.  Il  a  uni' 
virtuosité  nK-rx-eilleu-e,  une  aisance  cpu  enchante. 


Fï^  '■•^j 

1 

H^K^ 

J 

S 

1 

t)ll 


N    lit  )1T'NER   —  i.vuv  c.vKoi.i.NH   i.\.mh 

(Cullcctiiin  Spencer) 


97 


L'ART     ET     LES      ARTISTES 


même  dans  ses  toiles  les  plus  maniérées,  une  espèce 
de  laisser  aller,  de  liberté  d'allures  charmants. 
Les  femmes  d'Hoppner,  comparées  aux  femmes  de 
Reynolds,  de  Gainsborough,  de  Romney,  restent 
les  femmes  d'Hoppner.  Elles  ont  un  charme  parti- 
culier, un  peu  superficiel  peut-être.  —  on  l'accusait 
déjà  de  son  temps  de  rechercher  la  joliesse  quand 
même,  —  mais  incontestable  et  spécial.  Puis, 
Hoppner  est,  en  regard  de  Lawrence,  le  dernier  grand 
|iortraitiste,  on  peut  le  dire,  de  tradition  anglaise. 
11  a  su.  lui.  connue  Reynolds  et  Gainsborough, 
remonter  aux  sources,  à  Van  Dyck.  Il  a,  aussi, 
leur  dignité,  leur  respect  de  l'art.  Il  sait  donner  la 
vie  à  ses  modèles,  cette  vie  conventionnelle  de  la 
peinture  qui  est  comme  une  seconde  vie,  plus  in- 
tense que  la  vraie  peut-être,  plus  durable  en  tout 
cas.  Hoppner,  quand  il  réussit,  quand  il  est  \rai- 
ment  lui-même,  apparaît  l'égal  des  plus  grands, 
bien  supérieur,  certes,  à  Lawrence.  Avec  lui  tinit 
l'âge  héroïque  de  l'Ecole  anglaise  de  portrait. 


Avec  Lawrence,  la  déca<lence  conuiience.  «  .\u 
grand  st\'le  de  Re\nolds  et  de  Gainsbc)rough,  dit 
tort  justement  M.  Gustave  Geffroy,  se  substitue 
de  plus  en  plus  une  manière,  une  sorte  d'habitude 
graphique  d'inscrire  par  le  dessin,  en  quelques 
touches  rapides  et  superficielles,  une  attitude  et  une 
physionomie.  La  jeunesse  heureuse,  le  précoce 
génie  de  Lawrence,  ruinent  du  [ireniier  couji  les 
réputations  établies  et  les  vieilles  gloires.  11  n'y 
aura  plus  désormais,  en  Angleterre,  pen<lant 
trente    ans,    d'autre    fornuile    que    la    sienne.    » 

Lawrence  est  l'habileté  incarnée  et  toute  sa 
science  est  la  science  de  l'artifice.  Ce  qui  avait  fait, 
ce  qui  lait  encore  la  gloire  de  l'Ecole  anglaise 
avant  lui,  c'était  sa  compréhension  noble  et  élé- 
gante de  la  vérité,  cette  distinction  vraie,  sincère, 
humaine,  cette  probité  devant  les  manifestations 
de  la  vie.  Ses  maîtres  avaient  donné  le  plus  bel 
exemple.  Lawrence,  hélas  !  ne  le  suit  pas.  «  Toujours 
et  partout  il  triche.  La  beauté  simple  ne  le  touche 
pas.  Il  veut  la  femme  élégante  et  distinguée,  il 
lui  donne  des  colorations  lymphatiques,  roses, 
bleues,  creuses  surtout  et  sans  dessous.  Et  les 
femmes  ainsi  travesties  se  trouvent  ravissantes. 
Il  a  le  culte  de  la  toilette.  Les  falbalas,  les  fourrures, 
les  velours,  la  taille  plus  ou  moins  haute,  le  chignon 
plus  ou  moins  relevé,  des  bandeaux  ou  des  spirales, 
voilà  ce  qui  le  préoccupe  d'abord.  Ce  n'est  plus 
Gainsborough  ni  Reynolds,  mais  particulièrement 
le  premier,  ne  reculant  devant  aucun  caprice  de  la 


mode,  et  trouvant  néanmoins  d'une  façon  si  rapide 
et  si  sûre  les  grandes  lignes  qui  l'affranchissent  de 
son  caractère  éventuel.  Sir  Thomas  Lawrence,  au 
contraire,  invente  la  mode  de  demain  ;  il  fixe  sur 
une  toile  qui  durera  des  siècles  un  ajustement,  une 
coupe  d'habit  qui  ne  durera  qu'un  jour.  »  Ce  juge- 
ment, qui  paraît  sévère  d'abord,  d'Ernest  Ches- 
neau,  ro])inion  actuelle  le  confirme  :  la  mise  à  sa 
vraie  place  il'un  peintre  comme  Raeburn,  trop 
longtemps  dédaigné,  est  là  pour  le  prouver.  Auprès 
des  fadeurs  de  Lawrence,  les  accents  un  peu  rudes 
parfois,  mais  si  sincères,  si  humains  du  maître 
écossais  ont  une  saveur  réconfortante. 

On  objectera  peut-être,  en  faveur  de  Lawrence, 
le  changement  du  temps  et  des  mœurs.  Mauvaise 
excuse,  l'n  grand  artiste,  quelle  que  soit  l'époque 
iiù  il  vit,  saura  toujours  en  dégager  l'âme.  Les 
modèles  de  Lawrence  étaient  les  mêmes,  d'ailleurs, 
([ueceux  de  Reynolds,  de  Gainsborough,  de  Romney 
et  d'Hoppner.  Les  traditions,  dans  un  pa\'s  comme 
l'Angleterre,  ne  se  modifient  pas  en  quelque 
cinquante  ans.  Les  hauts  personnages  qui  posaient 
dans  l'atelier  de  Lawrence,  les  grandes  dames  qui 
se  faisaient  peindre  par  lui,  n'avaient  sûrement 
l>as  perdu  les  traits  essentiels  de  psychologie  et  de 
race  que  les  devanciers  du  peintre  avaient  si  bien. 
si  finement  et  si  noblement  su  démêler. 

Lawrence  est  le  type  du  peintre  cosmopolite,  en 
qui  s'effacent  de  plus  en  plus  les  caractères  domi- 
nants de  la  famille  humaine  dont  il  fait  partie  pour 
être  remplacés  par  des  caractères  généraux,  pure- 
ment artificiels  et  momentanés  d'ailleurs,  composés 
d'éléments  hétérogènes  presque  impossibles  à  isoler. 
Les  vrais  grands  maîtres  sont  ceux  qui  instinctive- 
ment sont  le  plus  de  leur  pays  et  de  leur  temps  ;  on 
dirait  qu'une  cristallisation  se  fait  en  eux  de  toutes 
les  idées,  de  tous  les  sentiments,  de  toutes  les 
crovances,  de  tout  l'idéal  inconscient  des  généra- 
tions et  des  générations  qui  les  ont  précédés  et  des 
générations  au  milieu  desquelles  ils  vivent  et 
meurent.  La  grandeur  de  l'École  anglaise  du 
xviir'  siècle  est  faite  surtout  de  cela.  Née  d'un 
coup,  si  l'on  peut  dire,  elle  a  en  elle  une  puissante 
vitalité,  simplement  parce  que  des  hommes  se 
trouvent  qui,  quoique  contraints  d'avoir  recours, 
pour  s'initier  à  l'art,  à  des  maîtres  étrangers, 
veulent  être  et  sont  délibérément  anglais.  Gains- 
borough, par  exemple,  dans  l'ensemble  de  son 
leuvre,  n'est  plus  grand  que  Reynolds  que  parce 
qu'il  est  plus  Anglais,  que  parce  qu'il  nous  donne, 
il'une  façon  générale,  une  vision  plus  complète, 
|>lus  ex])ressive,  de  l'individu  anglo-saxon. 

G.\BRIEL     ^lorKEY. 


98 


Le    Mois    Artistique 


Exposition-  de  Peintres  et  de  Sculpteurs, 
sous  LA  présidence  d'Auguste  Rodin  {Galeries 
Georges  Petit,  8,  rue  de  Sèze).  —  C'est  certainement 
une  des  plus  belles  du  mois.  Tous  les  artistes  con- 
viés ici  sont  en  pleine  possession  de  leur  talent, 
tous  ont  fait  leurs  preuves.  Et  s'ils  gardent  encore 
assez  d'inquiétude  pour  ne  point  se  figer  en  une  for- 
mule, ils  ont  du  moins  dépouillé  toute  âcreté  dans 
leur  recherche  et  ils  ne  gardent  aucune  compromis- 
sion avec  certaines  exagérations  furieuses  qui  se 
prennent  pour  de  l'intransigeance.  Ils  sont  calmes, 
mesurés,  apaisés.  MM.  Albert  Besnard  et  Rodin 
triomphent.  Les  Cygnes  du  premier,  la  Main  et 
le  Nu  du  second  étonnent  par  leur  plénitude, 
leur  jeunesse,  leur  chamie,  leur  lumière.  Blanche 
et  Walter  Gay  sont  un  peu  froids,  mais  d'un  métier 
magistral.  Le  Sidaner  est  tout  simplement  adorable  ; 
à  côté  de  sa  souriante  maîtrise,  les  essais  des  poin- 
tillistes paraissent  de,  misérables  jeux  de  pédants. 
Quoi  qu'il  peigne  :  des  fenêtres  ouvertes,  des  soleils, 
le  seuil  d'une  maison  de  campagne,  il  donne  aux 
objets  qu'il  interprète  une  intimité  quasi  humaine, 
une  vie  seconde  et  magnétique,  quelque  chose  de 
voluptueux  et  de  mystérieux,  dont  il  garde  le  secret. 
Tout  l'envoi  d'Henri  Martin,  notamment  l'Église 
et  le  Portail,  est  tout  à  fait  admirable.  Que  dire 
qui  ne  soit  déjà  dit,  et  souvent  même  à  cette  place, 
d'Aman-Jean,  si  suave;  de  Claus,  ce  maître  des 
saisons;  de  Cottet,  physionomiste  âpi"c  et  sincère 
des  figures  résignées  et  intenses  du  littoral  breton  ; 
de  Dauchez  et  d'Henri  Duhcm;  de  La  Gandara, 
dont  une  étude  de  chrysanthème  atteste  l'impec- 
cable technique;  de  Griveau,  de  La  Touche,  de 
Mcnard,  de  Lucien  Schnegg,  de  Lucien  Simon, 
du  prince  Troubetzkoï  et  de  Mlle  Jane  Poupclet. 
tlont  les  nus  pleins,  ronds,  solides,  vivent  d'une  vie 
si  ramassée?  Presque  tout  est  cxcclK-nt. 

Exposition  Clément  F.aller,  1S19-1901 
{Galeries  Bernheim  jeune,  15,  nie  Riche pancc).  — 
Certes  ce  peintre,  dont  il  est  parfaitement  juste  cpu' 
l'on  tente  aujourd'hui  une  réhabilitation,  mieux, 
une  révélation  auprès  du  grand  public,  n'a  ]ioinl 
les  qualités  qu'il  tient  ou  semble  tenir  de  quelques 
maîtres,  au  même  degré  que  ces  maîtres.  Monticelli 
travaille  à  même  une  pâte  plus  épaisse  et  plus  riche, 
plus  savoureuse,  plus  méridionale.  Corot  est  plus 
perlé  avec  moins  de  mollesse. 


Les  impressionnistes  ont  été  ])lus  loin  dans  la 
logique  de  leur  audace.  En  un  mot,  ses  rêves  ont 
été  un  peu  supérieurs  à  leur  exp^ression.  Mais,  tels 
quels,  ils  le  possédaient  avec  une  si  grande  inten- 
sité que,  même  trahis  par  une  facture  un  peu  vagiie 
et  un  peu  sommaire,  où  flotte  l'allusion  incon- 
sistante d'un  état  d'âme  plutôt  que  ne  s'impose 
sa  suggestion  par  des  moyens  techniques  irrépro- 
chables, tels  quels,  ils  n'ont  pas  perdu  la  majeure 
partie  de  leur  charme  et  de  leur  exquisité. 

Clément  Faller,  malgré  le  côté  un  peu  romance. 
un  peu  illustration  d'une  partie  de  ses  œuvTes, 
restera  le  poète  idéal  de  la  vallée  de  Che\Teuse  et 
certains  de  ses  sous-bois,  de  ses  nus,  de  ses  fleurs, 
de  ses  crépuscules,  de  ses  brouillards,  garderont 
toujours  leur  séduction  mélancolique,  leur  discrète 
suavité. 

Première  exposition  de  la  Société  des 
Peintres  et  Gr.weurs  de  «  Paris  »  {chez 
Dcvambez,  43,  boulevard  Malesherhes).  —  Voici  les 
poètes  de  Paris.  Quoiqu'ils  ne  soient  pas  tous  Pari- 
siens ni  même  Français,  ils  comprennent  si  bien 
l'atmosphère  unique  de  cette  cité  que,  malgré  des 
différences  dues  à  leur  tempérament  individuel, 
ils  gardent,  en  exposant  ici,  je  ne  sais  quel  air  de 
famille  assez  singulier,  grâce  auquel  Steinlen  et 
Lepère,  les  incontestables  rois  du  Paris  populaire, 
ne  sont  pas  si  éloignés  qu'on  pourrait  le  croire  de 
Jules  /Vdler  et  de  Gaston  Prunier,  d'Ernest  Vau- 
thrin  et  de  Luigini,  de  Chapuis  et  de  Gillot.  Frank- 
Boggs  a  compris  les  quartiers  jjopulaires  avec  une 
verve  savoureuse  qui  n'exclut  ]ias  luie  àpreté 
d'aquafortiste  à  la  Whistler  et  à  la  Brangwin. 
M.  Eugène  Béjot  montre  des  vues  du  Luxembourg, 
des  quais  et  des  ponts  d'une  exécution  et  d'un  sen- 
timent qui  ravissent.  Et  je  ne  connaissais  pas 
M.  Garnot  (Saintc-Farc),  mais  ses  paysages  mont- 
martrois sont  d'un  peintre  de  talent,  de  vision  origi- 
nale, d'un  faire  vigoureux,  agréable  et  large  à  la 
lois.  Jlais  la  force,  l'observation,  l'âpretc  satirique, 
le  sentiment  populaire,  l'habileté  du  maître  graveur 
et  peintre  Lepère  dominent,  emportent  et  résument 
tout   le  reste. 

Peintures  de  Pierre  Lapkade  {Galeries  Drucl, 
20,  rue  Royale).  —  Quelques  natures  mortes,  telles 
que   la   Pie,  Grenade   cl   fleurs.  Fleurs   cl   citrons. 


99 


I.'AKT     ]-:t 


,KS     ARTISTES 


sont  là  (i)iiiiiic  ])(iur  i.léiiujutriT  que.  quand  il  xcut, 
cet  artiste,  très  doue  d'ailleurs,  se  joue  des  diffi- 
cultés, dessine  bien  et  pousse  jusqu'au  détail  sans 
rien  perdre  du  charme  iniléuia1>le  qu'il  doit  à  sa 
spontanéité.  ;\Iais  elles  ne  font  que  davantat;e 
regretter  cjne  toutes  ces  qualités  n'aient  ]X)int  été 
emplovées  à  l'exécution  de  la  série  des  1  lies  tic 
Florence',  qui  sont  véritahleuient  trop  sonuiiaires. 
Elles  gardent  de  l'esquisse  la  lièvre,  la  hâte,  l'ina- 
chevé parfoi;  très  séduisant.  VA  \'(v\\,  inal,i,'ré  lui, 
comf)lète  la  li,L,'ne  interrompue,  accentue  les  indi- 
cations de  tons,  achève  l'ceuvre.  Cependant,  toutes 
ces  toiles  sont  présentées  comme  des  tableaux  délî- 
iiitils  :  leurs  diiiiensions  ne  ]icrmettent  pas  de  s'\- 
lioiiqu'r.  lùicoie  une  fois,  si  M.  Pierre  Laj)rade  ne 
■-axait  pas  liiiir.  on  ne  regretterait  rien.  Mais  il  suif. 
Alors,  coniiiir  rinpothèse  de  ))aresse  est  inadmis- 
sible, })eut-etre  faut-il  penser  (lu'il  est  une  des  vic- 
times de  plus  de  la  théorie  ipu  coiilond  le  léché  a\'ec 
le  fini  et  (]ui,  par  horreur  de'-  ieii\re>  piinci\-es, 
interdit  en  art  tout  ce  (pii  dépasser, lil  l'éliaiiche  et 
la  suggestion.  Dangereuse  théinie,  dont  di\-raient 
plus  particulièrement  se  garder  des  peintres  aussi 
charmants  et  aussi  fins  que  .M.  Pierre  I,aprade. 

Exposition  pe  32  tabi.iî.mx  de  G.  ((urbet 
(Galeries  Beriiliciin  jeune  cl  (ic.  15.  nie  Richc- 
pance).  —  Au  fur  et  à  mesure  que  l'on  oublie  com- 
bien les  idées  de  Courbet  furent  sinon  funestes, 
du  moins  enfantines,  comliieii  ses  rêves  et  ses  illu- 
sions furent  iiiescpiins,  son  art  s'imjiose  de  ])lus  en 
plus,  comme  par  un  moux'ement  inverse,  chaque 
jour  plus  solide,  plus  magistral,  plus  classique.  C'est 


un  bien  beau  peintre,  une  gloire  de  l'art  français 
contemporain. 

Que  ses  paysages  soient  sombres  malgré  leur  riche 
matière,  cela  prouve  simplement  et  qu'il  choisis- 
sait des  sites  sombres  et  qu'il  ne  fut  point  ébloui 
]iar  les  prestiges  de  l'Inrpressionnisme.  Sa  bruta- 
lité fut  toute  dans  ses  paradoxes,  car  bien  peu  de 
gens  pourraient  avoir  de  telles  délicatesses  dans 
l'observation  et  dans  la  touche.  Son  naturalisme 
grossier,  encore  une  plaisanterie.  Regardez  son 
Renard  dans  la  neige,  et  dites  s'il  n'y  a  point  là 
dedans  une  divination,  une  subtilité,  une  rareté 
d'impression  qui  ne  peuvent  appartenir  qu'à  un 
très  authentique  poète.  Quant  à  la  théorie  qui  veut 
fpie  Courbet  ait  peint  d'un  pinceau  égal  et  dans 
une  ])câte  indifférente  n'importe  quoi  qui  tombait 
devant  son  chevalet,  il  faudrait  tout  de  même  en 
faire  justice.  11  serait  plus  exact  de  dire  que  Courbet 
élève  au  style  (uniquement  d'ailleurs  par  l'extra- 
ordinaire perfection  de  la  matière  et  par  le  rendu 
de  la  vie)  le  moindre  objet.  Mais  si  la  fougue  de 
son  esquisse,  la  science  de  ses  plans,  l'émail  plein  et 
comme  indestructible  de  sa  couleur  lui  constituent 
une  sorte  de  monotonie,  pour  qui  sait  voir,  au  dessous 
de  cette  apparence  se  discernent  des  différences 
importantes  :  Courbet  comprend  le  volume  pesant 
d'une  vague  comme  la  chair  grasse  et  blanche  d'un 
camélia,  la  peau  savoureuse  d'une  blonde  comme 
la  fourrure  électrique  d'un  fauve,  et  lorsqu'il 
peindra  Berlioz  il  montrera  qu'il  sait  aussi  com- 
jirendre  les  ravages  que  font  sur  une  figure  d'homme 
les  excès  de  la  vie  intérieure.  N'est  pas  réaliste 
qui  veut,   de  cette  manière-là.  F.  JI. 


MEMENTO    DES    EXPOSITIONS 


nniil    r,iliu\    (lu     Ctiuoun.    hiftptijii,.    - 
peintrt-s    i-t   smlpteurs   de   chevaux. 


K.xi„ 


Ahazcir  d' Ëté,  int.x  C/Hitups-Élysécs.  —  Salon  biennal  de  la 
Société  des  Amateurs  [Arts  et  Caiitas),  œuvres  de 
princes,   princesses   et   notabilités   étrangères. 

l'nvilton  de  Mai^an  (Louvre).  —  Exposition  de  la  Dentelle 
de  France  et  du  Velours  Grégoire,  avec  le  enncours 
d'amateurs   h'onnais   et   j^arisiens. 

Terrasse  de  l'Oi  iiiii;ri  ic.  —  Expositiim  des  Artistes  indépen- 
dants. 

.-J/(V  Tiiilciii^.  .salle  du  Jeu  de  l'iiinne.  —  Exposition  du 
costume. 

Ihill  de  la  '■  Dépêche  coloiuale  .  me  .•<aiiil-Ge<>ii:t.s,  ly.  — 
Cinquième  exposition  des  arts  de  la  mer. 

Galeries  G.  l'ctil.  S.  rue  de  Scze. 

—  Exposition  F.  Picabia. 

—  Pastels  de  Victor  Bourgeois. 

—  Aquarellistes  français. 

—  Peintures  de  R.-A.  Ulmann. 

—  Chiens  connus  et  inconnus  de  Miss  ilaud  Earl. 

—  l'iicsdc  l'V'H/.sf  d'Abel  1  ruchet. 


—  A.iuarelles  de  Mathilde  Sée. 

—  X'ingt-cinquième  exjiosition  des  Pastellistes  français. 
Galerie   Bintssod  et    Vntndon.  24.   boulevard  des  Capucines. 

—  Exposition  des  dessins  en  couleurs  de  P.  Chapuis. 
Hue   Sainl-Honoré,  416.   —  Exposition  d'artistes  femmes 

jieintres  et  sculpteurs. 
Galerie  de   l'Art  contemporain.  3.  rue  Tronchet,  à  l'entresol. 

—  Exposition  de  peintures  et  dessins  de  A. -M. Le  Petit  ; 
sculptures  de  .\.-J.  Halou  ;  grès  au  grand  feu  par 
X.  de  Barck. 

Galciie    Danthiin.    70.    boulevard   Malesherbcs.    —    Dessins 

aux   trois  crayons  de  Tristan   Richard. 
Galerie  Liigène  Blot.    11.   rue  Hichepance.  —  Peintures  de 

Briaudau.   Deltombe  et  Ottmann. 
Théâtre  Méeisto,  iS.  rue  Saint-La:are.  —  Salon  annuel  des 

chemins  de  fer. 
Galerie  Henry  Graves.    iS.   rue  Caumarlin.   —   Exposition 

Albert  Lechat. 
Galeries    Bernheim    jeune    et   Cie.    15.   rue    Richepance.   — 

Exposition  T.-E.  lîutler. 


Le    Mouvement   Artistique 
à   l'Étranger 


ALLEMAGNE    DU    SUD 


^  'exposition  (le  printemps  île  la  SecesMon  iniinichoise 
1-*  est  d'une  admirable  tenue.  Pourtant  jircsque  tous  'es 
maîtres  du  groupe  en  sont  absents,  sauf  M.  de  Uhde,  dont 
un  tableau  désorganisé  et  désharmonisé,  selon  sa  dernière 
manière,  ne  peut  que  continuer  de  nuire  à  la  réputation, 
et  M.  de  Habermann,  au  contraire  toujours  en  posture  de  se 
surpasser  lui-même.  Chez  M.  de  Uhde.  ce  sont  les  éternelles 
mêmes  jeunes  filles,  balafrées  des  éternelles  mêmes  clartés 
[Soleil  a' après-midi),  dans  les  éternelles  mêmes  verdures 
\  irulentes,  de  l'éternel  même  jardinet  citadin.  Et  tous  ces 
sempiternels  recommencements,  exécutes  sans  soin  comme 
ans  poésie,  de  la  même  touche  lâchée  et  batailleuse,  qu'il 
'agisse  d'une  robe,  d'un  visage,  d'un  arbuste,  du  gravier 
■  'u  d'un  chien.  M.  de  Habermann  est  un  raffiné  du  dessin, 
de  la  touche,  des  harmonies  rares,  et  surtout  un  connais- 
seur de  la  femme,  égal  J^resque  à  Rops  et  du  même  goût 
que  M.  von  Keller.  Anguleux  et  arrondis  à  la  fois,  écrits 
tl'une  façon  hiéroglyphique,  sommaire  et  pourtant  com- 
jilète,  ses  nus  portent  la  date  de  demain  sinon  d'aujourd'hui 
et  leurs  arrangements  sont  bien  à  lui.  Il  commence  du  reste 
.1  faire  école  :  l'appétissante  adolescente,  nue  dans  une  salle 
à  man.ger  à  la  lumière  discrète,  de  M.  Paul  Roloff  ned.écline 
]ias  la  parenté  avec  ses  habituelles  façons  d'indiquer  l'ana- 
tomie  par  de  souples,  longues  et  agiles  traînées  d'un  pinceau 
bien  chargé  de  matière,  retrouvant  chaque  valeur  de  même 
espèce  sur  les  retours  du  même  plan.  Dans  la  même  pro- 
portion, M.  Hans  Lesker  subit  l'influence  de  M.  Herterich, 
plus  encore  dans  sa  vieille  femme  que  dans  son  portrait 
de  dame  en  gris.  C'est  bien  le  jeune  homiue  allemand 
moderne,  tel  que  le  façonnent  les  sports  et  nos  tailleurs 
avec  leur<>  étoffes  neutres,  qui  nous  est  présenté  jiar  M.  Karl 
Schwalbach. Seuls  M.  Bernard  Boutet  delVIonvel  et  ipielques 
Anglais  ont  su  envisager  le  même  type,  dans  leur  [lays,  avec 
une  certaine  poésie,  et  !e  réaliser  d'une  façon  décorative 
et  de  grand  style  austère.  L'.Mlemand  a  trop  le  culte  de 
la  force  jiour  ne  pas  croire  trop  souvent  à  l'omnipotence 
de  la  brutalité  et,  en  peinture,  de  la  crudité  violente.  Ht 
cependant  ici  même  il  est  des  portraitistes  qui  s'essaient 
avec  bonheur  aux  subtilités  des  lumières  dégradées  et 
des  harmonies  exquises  dans  les  intérieurs  intimes;  voir 
par  exemple  la  petite  brodeuse  dans  les  verts,  bleus  et 
rouges  de  M.  Fritz  Ilass  ;  l'.Xndalouse  aux  couleurs  écos- 
saises de  M.  Willy  Gciger  ;  l'étude  dans  les  gris,  roses  et 
blancs,  de  M.  Wilhelm  Gallhof  ;  la  jeune  fille  devant  une 
porte,  dans  une  atmosphère  nacrée,  deM.  Joscf  Knhn /»»«))-. 
Les  tableaux  composés,  les  grandes  symphonies  des  cory- 
phées de  l'école,  les  Stuck  et  les  von  Keller,  sont  natu- 
rellement réservés  à  l'exposition  internationale  de  cet 
été  ;  mais  les  paysagistes  sont  là  au  grand  complet.  M.  .\1- 
bert  Lamm  n'a,  grâce  à  Dieu,  pas  finid'explorcr  la  contrée 
sévère,  toute  rocheuse  et  forestière  de  Muggendorf,  qui  eût 


l)lu  à  Courbet,  car  c'est  ])cinr  la  eonstrui  tiou  géologique  une 
véritable  vallée  de  la  I-oue,  moins  la  vigne,  et  du  reste  de 
tous  points  plus  âpre,  plus  germanique,  plus  du  Nord.  Les 
décorateurs  de  Bayreuth,  tout  proche,  ont  pu  s'en  inspirer 
pour  la  mise  en  scène  des  Nihelun»en.  M.  Cari  Keiser 
ne  délaisse  pas  davantage  l'alpestre  Partenkirchcn  et  il 
a  fini  par  s'assimiler  assez  bien  l'indigeste  van  Gogh,  qui 
lui  vaut  parfois,  aujourd'hui,  cette  naïveté  délicieuse  des 
vieux  grands  bons  enfants  :  témoin  sa  vue  à  vol  d'oiseau 
de  la  vallée  de  la  Loisach,  et  ses  morceaux  de  montagnes 
passés,  en  l'air,  au  tamis  des  frêles  verdures  printanières, 
puis,  plus  bas,  posés  solidement  sur  les  tapis  de  populages, 
au.K  verts  humides  et  gras,  ponctués  de  jaunes,  intenses 
comme  des  œufs  mollets.  ,M.  Julius  Schulein,  comme 
M.  Hayek,  s'en  est  allé  du  côté  de  la  Bretagne,  et  ra])])orte 
de  Pont-r.\bbé  des  motifs  traités  tout  à  fait  à  In  façon 
école  écossai.se.  De  M.  Hayek,  au  contraire,  il  y  a  des  des- 
sins bretons,  d'une  fougue  et  d'une  caractéristicjue  toutes 
allemandes.  Je  ne  sais  rien  qui  soit  plus  intéressant  à 
comparer  au.x  travaux  des  artistes  autochtones  q\ie  eeu.x 
des  étrangers  en  voyage  :  leur  vision  est  tellement  autre, 
des  choses  (jue  l'habitude  a  déformées  pour  nous,  i'elle 
petite  ville  d'.Mlemagne.  Kothcnbourg,  par  exemple, 
que  nous  ne  savons  jilus  voir  q\i'à  travers  les  dessins  des 
Angelo  Jauk.  des  Wilhelm  Schuize  etdes  Matliias  Schiesstl. 
a])parailrait.  visitée  et  jieinte  par  \iu  Cl.uide  Mouet.  un 
Le  Sidaner  ou  un  Albert  Baertson.  à  (leu  luès  dénatio- 
nalisée. 

Deux  expositions  ])ostluunes  et  une  douzaine  de  tableaux 
de  Cézanne,  peu  convaincants,  achèvent  di-  donner  sa 
[ihysionomie  ]iartic>diére  à  cette  exposition.  II.  Hrauu. 
de  Carlsruhe,  fut  un  merveilleux  dessinateur  de  vieilles 
villes.  11  sut  manier  le  fusain  et  la  craie,  pour  traduire  les 
façades  déjetées  et  les  vieux  ])làtras,  ]ircscpie  aussi  bien  que 
Menzel  dans  ses  notes  de  voyage.  11  a  l'art  il'adapter  ce 
dessin,  si  vigoureux  et  si  relief,  à  des  papiers  d'emballage, 
(]ui  s'accommodent  aussi  bien  de  la  surcharge  noire  des 
plus  intenses  lithographies  et  eaux-lortes  de  Storm  van's 
(navesande,  que  des  plus  légers  frottis  et  nuages  de  celles 
de  Whistler,  Vibrants  île  lumière  ou  lourds  de  la  suie  dos 
siècles,  ses  vieux  murs  ont  une  physionomie.  Un  don 
de  la  mise  en  scène  fantastique  le  rapiirochc  aussi  de  Victor 
Hugo  dessinateur.  Un  palier  d'escalier  en  délabre,  éclairé 
par  une  lanterne,  dont  l'ombre  de  l'armature  se  casse 
aux  parois  et  à  la  voûte,  mérite  d'être  signalé  parmi  les 
plus  saisissants  d'entre  ces  beaux  dessins,  qu'il  faudrait 
décrire  à  la  façon  de  la  Jacressarde  et  de  la  ruelle  Coutan- 
cliez  dans  les  Tin-.aillciirs  de  la  Mer.  Les  canaux  de  Ham- 
bourg et  le  dôme  de  Cologne  l'ont  aussi  magnifiquement 
inspiré.  l'"t  nul  mieux  que  lui  n'a  rendu  la  désolation  des 
lourdes  pluies  sur  les  masures  suspectes.  Parfois  il  usait 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


d'une  matière  luiileuso.  otciuliif  avtc  des  pinceaux  très 
durs,  sur  surface  polie,  pour  obtenir  de  véritables  mono- 
types, et  les  résultats  de  cet  étrange  procédé  ne  le  cèdent 
en  rien  à  ses  plus  beaux  fusains. 

Rudolf  Wilke.  de  Munich,  fut  un  caricaturiste,  jadi^  de 
Jit!;end,  dernièrement  de  Simplicissimiis,  d'une  causticité 
de  trait,  d'un  ascétisme  de  manière  peu  divertissants, 
mais  bien  cruellement,  volontairement  rosses.  .•Mors  on 
s'étonne  parfois  de  découvrir  auprès  de  ses  vagabonds 
quelque  plant  de  digitale,  ou,  en  arrière,  un  paysage  char- 
mant, dessinés  avec  une  complaisance  où  se  trahit  encore, 
par  contraste,  la  misanthropie.  Quelquefois  aussi  ce  sont 
les  lessiveuses  au  bord  dn  lac  de  Garde,  si  finement  goua- 
chées,  de  très  brèves  notes  de  voyage  ;  moulin  à  vent  de 


la  1-rise  orientale,  des  panoramas  alpestres  où  l'arabesque 
des  montagnes,  légèrement  lavée  d'aquarelle,  l'a  intéressé 
comme  le  profil  d'un  visage....  Et  l'on  n'en  retombe  qu'avec 
plus  d'amertume  au  milieu  de  ses  faiseuses  d'anges,  de  ses 
Lumpoi.  de  ses  .\grariens  et  Aristocrates,  et  de  tout  ce 
monde  crapuleux  des  hautes  et  des  basses  couches  qu'il 
a  exprimé  avec  une  haine  clairvoyante  et  satisfaite, 
en  des  traits  arachnéens  de  minceur,  dont  chacun  a  été 
étudié  avec  les  mêmes  patience  et  rigueur  que  mettait 
Wilhelm  Busch  à  la  lente,  la  savante  élucubration  de 
ses  célèbres  satires.  Mais  Busch  était  un  obser\-ateur  mali- 
cieux, plein  de  nanjuoiserie  et  de  belle  humeur,  tandis  que 
je  ne  sais  pas  un  feuillet  de  Wilke  devant  lequel  on  ait 
seulement  envie  de  rire.  William    Ritter. 


ITALIE 


T  'iT.xLiE  peut  se  vanter  de  posséder  aujourd'hui  tleu-\ 
peintres  décorateurs  assez  féconds  pour  couvrir  de 
toiles  tous  les  palais  sans  style  et  tous  les  monuments 
nationaux  sans  grâce  que.  à  l'instar  de  Rome,  les  villes  de 
la  péninsule  dressent  partout,  comme  pour  corriger,  en 
l'amoindrissant  de  leur  mieu.x.  la  beauté  qui  peut  leur  rester 
des  siècles  morts.  Les  deux  décorateurs  nouveaux  sont 
encore  assez  jeunes  pour  accomplir  la  rude  besogne  de  cou- 
vrir de  leur  art  plusieurs  centaines  de  mètres  de  mur.  Les 
pouvoirs  officiels  n'en  sont  nullement  effrayés,  au  contraire. 
Et  tandis  que  M.  Adolfo  de  Karolis  peint  les  murs  du  Palais 
Provincial  d'Ascoli.  son  pays  natal.  M.  G.-X.  Sartorio 
s'apprête  à  étendre  la  très  longue  série  de  ses  couleurs 
figurées  dans  les  salles  du  nouveau  Palais  de  la  Chambre 
des  députés,  à  Rome. 

L'art  de  ces  deux  ])eintres  a  des  points  de  contact,  des 
analogies  même  très  grandes  et  très  graves.  Au  point  de 
vue  de  l'idée  originaire,  du  mouvement  initial  qui  pousse 
tout  artiste  à  chercher  "  son  expression  i  selon  les  modes 
de  réalisation  particuliers  de  son  art,  les  deux  décorateurs 
.sont  deux  poètes.  Ils  chérissent  les  vastes  conceptions  qui 
se  développent  en  nuage  imagé  autour  de  la  perpétuelle 
source  mythique,  et  restent  par  là  même,  l'un  et  l'autre, 
semblables  à  toute  une  phalange  de  peintres  de  tous  les 
temps  d'imitation.  .\u  point  de  vue  de  la  forme,  de  l'exté- 
riorisation plastique  de  la  vision,  ils  se  rattachent  l'un  et 
l'autre,  avec  plus  ou  moins  d'évidence,  avec  plus  ou  mom-- 
de  bonheur,  à  l'art  des  préraphaélites  anglais. 

Chez  yi.  de  Karolis,  l'influence  anglaise  et  la  dérivation 
mythique  sont  plus  fortes.  Cependant,  dans  la  stvlisation 
de  quelques  formes  autochtones,  de  marins,  de  paysans, 
et  surtout  de  paysannes,  l'art  de  M.  de  Karolis  atteint  un 
degré  d'émotion  souvent  très  noble  sinon  très  intense.  Sa 
matière  est  riche,  opulente  même,  grasse  et  nuancée,  pré- 
sentant à  la  fois  :  un  curieux  mélange  de  souvenirs  clas- 
siques dans  l'ordonnance  générale,  distribution  et  groupe- 
ment, des  sujets  ;  une  recherche  personnelle  d'élégance 
dans  les  attitudes  individuelles,  élégance  qui  malheureu- 
sement aboutit  [jarfois  à  une  absence  regrettable  de  viva- 
cité musculaire  et  nerveuse  ;  enfin  une  volonté  toute  anglaise 
d'intensité  expressive  dans  les  figures.  L'ensemble  de  toute 
œuvre  de  M.  de  Karolis  est  lyrique  et  èvocateur,  le  poète 
y  apparaît  plus  suggestif  que  le  peintre,  mais  l'atmosphère 
de  rêve  créée  par  le  très  habile   décorateur  est  puissante. 

M.  G.-A.  Sartorio  apparaît  à  son  tour  comme  étant  essen- 


tiellement poète.  Ses  conceptions  sont  plus  personnelles  que 
celles  de  JI.  de  Karolis.  Elles  sont  même  d'une  complexité 
symboliste  digne  de  quelque  bon  poète  de  l'école  poétique 
de  transition  où  elles  eussent  été  en  honneur.  iL  G.-A. 
Sartorio  est  appelé  à  une  oeuvre  nationale  de  vastes  dimen- 
sions, qui  aurait  exalté  ou  effrayé  l'habileté  ultra-féconde 
tl'un  Xéronèse.  Les  décorations  de  la  nouvelle  Chambre  des 
députés  seront  présentées  achevées,  paraît-il,  aux  visi- 
teurs <le  la  capitale  italienne  pendant  les  fêtes  nationales 
<|u'on  y  prépare  pour  191 1.  M.  G. -.A.  Sartorio  aura  déve- 
loppé en  couleurs  son  rêve  italien.  Rien  dans  sa  conception 
n'apparaît  vraiment  dégagé  du  fatras  allégorique  laissé 
}>ar  les  siècles  sur  les  murs  des  palais  publics  et  privés. 
L'exaltation  des  A'ertus  et  des  Énergies  nationales  est 
mélangée  avec  celle  des  deux  moments  historiques  cul- 
minants de  la  vie  italienne  :  le  soulèvement  médiéval  des 
Communes  et  le  «  Risorginiento  ».  Deux  choreutes  de  jeunes 
filles  entourent  les  deux  parties  principales  de  la  vision, 
tandis  qu'une  troisième  choreute  soutient  la  porte  sjTiibo- 
lique  d'une  ville. 

Toute  composition  artistique  de  larges  proportions  nous 
impose  toujours  deux  termes  de  comparaison  et  d'appré- 
ciation. L'un  est  celui  de  la  vision,  l'autre  celui  de  l'e.xé- 
cution.  Xous  arrivons  ainsi  à  connaître  la  •'  qualité  »  de 
notre  émotion  devant  l'œuvre  d'art,  si  celle-ci  est  capable 
de  nous  en  donner.  La  vision  de  M.  G.-.\.  Sartorio,  consi- 
dérée comme  un  poème  ou  comme  un  plan  de  symphonie, 
est  sans  doute  intéressante  sans  être  étonnante  :  elle  ne 
sort  pas  des  normes  établies  par  l'œuvre  ancienne.  Son 
exécution  est  très  élégante,  mais  un  peu  flasque  en  même 
temps  que  compliquée  par  un  amour,  excessif  à  notre  gré, 
de  la  ligne  courbe  et  de  ses  combinaisons  d'enveloppement 
dans  les  vêtements  autant  que  dans  les  gestes.  Au  surplus, 
le  mouvement  exagéré  de  l'ordonnance  générale  manque 
de  sérénité,  de  cette  sérénité  typique  qui  peut  concentrer 
clans  une  fresque  une  impression  plastique  d'éternité. 
M.  G.-A.  Sartorio  pèche  par  excès  de  pathétique.  Son  œuvre 
et  celle  de  M.  de  Karolis  nous  font  penser  à  celle  des 
décorateurs  français  les  plus  récents,  de  Delacroix  à  Pu- 
vis  de  Chavannes  et  à  M.  Albert  Besnard.  Les  visions  idéo- 
Icgiques  et  très  vagues  de  ce  dernier  se  rapprochent  de  celles 
de  Jl.  G.-.\.  Sartorio,  quoique  celui-ci  soit  à  coup  sûr  plus 
original  et  jilus  poète.  Il  est  certain  que  Delacroix  et  Puvis 
n'ont  pas  trouvé  leur  égal  parmi  ces  vivants. 

RiCCIOTTO  C.^NUDO. 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


ORIENT 


/^ONSTANTIN'OPLE.  —  Ainsi  que  je  l'annoïKjiii  daii^  ma 
^^  dernière  chronique,  le  Gouvernement  Impérial  Otto- 
man a  décidé  la  réparation  de  quelques  mosaïques  dété- 
riorées —  fort  rares,  heureusement  —  de  Kahrié-Djami. 
cette  église-mosquée  qui  renferme  des  merveilles  d'art 
byzantin  dont  on  chercherait  en  vain  l'équivalent  à  Ka- 
venne  et  en  Sicile. 

Kahrié-Djami  —  ancien  monastère  de  Khora  —  a  été 
fondée  au  commencement  du  \"'  siècle,  sous  Arcadius,  fils 
de  Théodose,  qui  eut  en  partage  l'empire  d'Orient.  L'église 
monastique  fut  entièrement  reconstruite,  à  la  fin  du 
XI''  siècle,  sous  le  règne  d'Ale.xis  I"  Comnène.  C'est,  toute- 
fois, d'Andronic  II,  au  commencement  du  xiv^  siècle,  que 
datent  la  restauration  et  la  décoration  de  Kahrié-Djami 
auxquelles  cette  église  —  la  seule,  peut-être,  que  les  Turcs 
n'ont  pas  convertie  en  mosquée  —  doit  sa  célébrité.  Elle 
est  encore,  aujourd'hui,  considérée  comme  un  des  plus 
purs  chefs-d'œuvre  de  l'art  byzantin,  tant  à  cause  de  son 
architecture  extérieure  et  intérieure  que  de  l'incompa- 
rable série  de  ses  mosaïques  et  des  superbes  appliques  de 
marbres  gris,  coupés  de  bandes  rouges  et  vertes  rayant  sa 
nef  et  ses  narthex  et  encadrant,  à.  l'occasion,  les  mer- 
veilleuses œuvres  d'art.  Kahrié-Djami  est  redevable  de 
cette  décoration  au  fameux  Grand  I.ogothète  d'Andronic  II. 
Théodore  \t  Métochite,  qui  consacra  aux  travaux  plusieurs 
années  de  sa  vie  pie  et  généreuse.  Une  des  mosaïques, 
faite  de  son  vivant  et  admirablement  conservée,  le  repré- 
sente à  genoux  présentant  au  Sauveur  l'édifice  achevé  du 
monastère.  Avant  de  mourir,  il  exprima  le  vœu  d'être 
enterré  dans  l'église  monastique,  et  c'est  près  de  l'autel  du 
sanctuaire  que.  depuis  '.33.1,  le  Métochite  dort  son  dernier 
sonjmeil. 

Sérieusement  endommagée  en  1894.  lors  du  dernier 
tremblement  de  terre,  la  bâtisse  a  été  restaurée  depuis. 
11  n'en  a  pas  été  de  même  des  quelques  mosaïques  dété- 
riorées et  disjointes  par  les  secousses  sismiqucs. 

Une  description  architecturale  de  l'édifice  — même  super- 
ficielle —  nous  mènerait  trop  loin  ;  aussi  le  lecteur  voudra 
bien  m'e.xcuser  si  je  ne  détaille  pas  les  proportions  harmo- 
nieuses de  la  grande  nef,  en  forme  de  croix  grecque,  sur- 
montée de  la  coupole,  du  sanctuaire  terminé  en  abside 
semi-circulaire,  et  la  richesse  des  colonnes  et  des  dente- 
lures   des    galeries  du   narthex   et    de   l'exonarthcx  où   se 


trouvent,  en  grande  partie,  les  mosaïques  qui  nous  inté- 
ressent. 

Ces  mosaïques  sont  nu  nombre  de  quatre  vingts  environ. 
Leur  homogénéité  les  fait  remonter  au  xiV  siècle. 

Il  en  est,  cependant,  —  mais  elles  sont  rares,  —  qu'on 
reconnaît  être  du  xi'^  siècle,  comme,  par  exemple,  celle  du 
Christ  Pantocraior  surmontant  la  grande  porte  qui  relie 
entre  elles  les  deu.x  galeries. 

La  différence  de  ces  époques  se  distingue  aisément. 
Sous  Alexis  I"^  Comnène,  i\ous  voyons  l'art  occupé  à  repro- 
duire la  beauté  en  se  réglant  unifoimément  sur  les  modèles 
antiques  :  nous  le  voyons,  au  contraire,  sous  .\ndronic  II, 
préoccupé  à  copier  la  nature,  à  remplacer  la  beauté  des 
lignes  par  l'expression  des  traits,  et,  rompant  en  visière 
avec  les  poses  convenues,  à  mettre  dans  les  groupes  du  mou- 
vement et  de  la  vie.  En  étudiant  ces  mosaïques,  on  pense, 
malgré  soi.  à  la  Renaissance,  et  l'on  acquiert  vite  la  certi- 
tude —  sans  crainte  de  controverses  —  qu'on  est  devant 
l'œuvre  des  artistes  précurseurs  de  cette  unique  période 
d'art  qui,  durant  deux  siècles,  illustra  l'Italie  et  la  France 
et  à  laquelle  les  noms  des  Médicis,  de  Jules  II,  de  Léon  X 
et  de  François   L'f  sont  inipérissablement  attachés. 

Les  mosaïques  de  Kahrié-Djami  peuvent  être  divisées 
en  trois  séries  distinctes.  Première  série  :  Scènes  de  la  vie 
du  Sauveur.  Cette  série  comprend  trente-huit  mosaïiiues. 
Deuxième  série  :  Scènes  de  la  rie  de  la  sainte  Vierge  :  série 
comprenant  vingt  mosaïques.  Troisième  série  :  Représen- 
tations diverses  de  la  gloire  du  Christ  et  de  la  \  ierge  Marie, 
d'apôtres,  de  saints,  de  martyrs  :  série  comiirennnt  éga- 
lement  une   vingtaine   de   mosaïques. 

Dans  une  prochaine  chronique  je  décrirai  les  principaux 
de  ces  purs  chefs-d'œuvre  qui,  recouverts  de  badigeon, 
enduits  de  plâtre,  furent,  pendant  plus  de  quatre  siècles, 
ignorés  par  les  artistes,  ignorés  par  tous  ceux  qui  ont  le 
culte  du   Beau. 

C'est  en  1876  seulement,  la  première  année  du  règne 
de  S.  -M.  le  Sultan  actuel,  .^bdul  Hamid  II,  que  ces  mo- 
saïques ont  été  retrouvées  et  mises  à  jour.  La  gloire  d'avoir 
restitué  à  la  science  ces  merveilleuses  pages  revient  à  ce 
monarque  qui,  depuis  son  avènement,  a  rendu  aux  Arts, 
en  Turquie,  des  services  aussi  éclatants  (|ue  signalés. 

.\iioi  riii'     lu  vi.Asso. 


Échos   des   Arts 


Monuments. 

l'n  cciMUté  s'est  formé  pour  recueillu  les  fonds  nécessaires 
1  l'érection  d'un  monument  à  .\dani  Mickiewicz.  ipii  fut 
.1  la  fois  un  des  enfants  les  plus  glorieux  de  la  Pologne,  un 
grand  poète  et  un  apôtre  ardent  de  l'idéal  moderne.  I.'exé 
cution  de  ce  monument  a  été  confiée  au  sculpteur  .\ntoine- 
fimile  Bourdelle.  L'importance  de  cette  œuvre  est  toute 
particulière  eu  ce  temps  où  les  sympathies  sont  si  vives 
liour  les  peuples  slaves. 

Le  comité  d'action  contient  les  noms  des  plus  illustres 
représentants  de  la  pensée  contemporaine. 

Prière   d'envoyer    les    souscriptions  à   la   rédaction   du 


Mexuie  de  l'tuiue.  JO.  rue  de  Coudé 
V'  Victor  Xicaise.    ?,   rue  Mollien. 


Revue  des   Revues. 

St.^ryé  Gody  (années  révolues).  —  Revue  mensuelle 
d'urt  ancien,  paraissant  le  1;  j.S  de  clia(|ue  mois.  —  igoq, 
troisième  année. 

Le  te.xte  de  Staryé  Gody  étant  rédigé  en  russe,  tous  les 
titres  sont  munis  de  traductions  en  français. 

Pri.x  il'abonnement  jiour  l'étranger  :  îo  francs  par  an. 
On  s'abonne  chez  tous  les  libraires  de  Saint-Pétersbourg 


103 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


et  au   bureau  de  la   rédaction   (7,   Solianoï  per)  :  à   Paris, 
chez  Heuri  Lecierc.  liliraire,  jig,  rue  Saint-Honoré. 
P.  P.  de  Weiner.  directeur  fou.Iateur. 


jK 


/.((  SiiiiuliiKirii-.  —  Revue  mensuelle  illustrée  des 
royaumes  de  Suède.  Norvège.  Danemark  et  grand-duché 
de  Finlande.  —  Artistiiiue.  littéraire,  scientifique.  — 
Rédaction  et  administration  :  fi".  boulevard  Malesherbes. 
et  4.  avenue  de  l'Opéra. 

Directeur  :  Maurice  Chalhouli. 

Abonnements  :  6  francs  pour  la  France  et  S  francs  pour 
l'étranger. 


Assiicii:lioii  (/(■  r.llliiniti'  ailistiqiif ,  enregistrée  en  vertu 
de  la  loi  sur  les  Sociétés  industrielles  et  <le  prévoyance). 
Siège  social  ;  67-69.  Chancery  Lane,  London.  \V.  C. 

Fondée  en  190S  dans  le  but  de  permettre  aux  artistes 
de  soumettre  librement  et  sans  restriction  leurs  œuvres  au 
ugement  du  public. 

A  l'exposition  annuelle  de  l'Association,  chaque  membre 
est  autorisé  à  envoyer  trois  œuvres,  dont  toutes  seront 
exposées  en  ."roiqie  ou  dispersées,  suivant  le  désir  de 
l'exposant. 

Le  ditnn'iiic  Scili'ii  </<  Lniidiis  de  l'Association  sera  tenu 
à  Londres,  au   Royal  Albiit  Hall,  au  mois  de  juillet   I9'i9. 

On  devient  membre  de  l'Association  en  devenant 
acquéreur  d'une  (ou  plusieurs)  actions  il'une  valeur  nomi- 
nale de  10  shillings  (soit  12  fr.  75),  et  en  payant  une  coti- 
sation annuelle  d'une  guinée  (soit  j6  fr.  50).  En  dehors 
de  cette  cotisation,  les  membres  ne  peuvent  encourir  au- 
cune rcsponsiibilitc  iiécuniaire. 

L'administration  de  l'Association  est  conliée  au  comité 
de  direction  élu  par  les  actionnaires. 

M.  B.  —  //  est  df  loutc  uécciiitf  t/iir  les  altistes  ,/esiiaiit 
eiienyei  /, 7(m-  <elieies  à  f,  i f^ontinll  ,1e  leji).(  lassent  une 
ileilaialleli  liiniieJ laie .  cal  d  ne  seia  aitef'te  qu'un  iiellihie 
liés  limite  de  iioiieeaiix  exposants. 

Toutes  les  demaniles  de  renseignements,  adhésions  et 
versements  doivent  être  adres.sés  au  secrétaire  (l-"rank 
Kutter).  .Mlied  Artists'  .\ssociation  Ltd..  (<;-hQ,  Chan- 
cerv  Lane.  London,  W.  C. 


BULLETIN     DES     EXPOSITIONS 

l'AKls 

Gland  l'alais,  ae,iiue  d'Aiiliii.  —  Dix-uêuviéme  exposi- 
tion de  la  Société  nationale  des  Beaux-Arts,  du  i  ;  avril 
au    ;o  juin. 

Ciaud  fatals  des  Chanif's- l'Uvsees.  —  Cent  vingt-septiéme 
exposition    de    la    Société    des    Artistes    tran.,ais,    du 


I"  mal  au  30  juin. 
fù-ole  nationale  des  lleaux-Aits.  —  E 


xposition 


d'art  décoratif  de  nos  Ecoles  nationales  des  départe- 
ments, en  mai. 

Salle  du  Jeu  de  Paume,  jardin  des  Tuileries.  —  Exposition 
de  portraits  de  femmes  au  xviir'  siècle,  écoles  fran- 
çaise et  anglaise,  23  avril, 

Piemièrc  exposition  de  la  u  Contemporaine  ,  société  nou- 
velle. Pour  tous  renseignements,  s'adresser  à  M.  E. 
André,  24,  rue  Beaurepaire. 

Exposition  de  la  Société  nationale  d'Horticulture,  du  17  au 
23  mai  1909.  Les  artistes  sont  invités  à  y  prendre  part 
pour  toutes  œuvres  d'art  se  rattachant  à  l'horticulture. 
Pour  tous  renseignements,  s'adresser  au  président. 
84,  rue  de  Grenelle. 

Salon  des  Assurances.  —  Première  exposition  en  octobre, 
en  formation.  (Prochainement,  renseignements  pré- 
.cis.) 

Galène  J.  Petit,  N,  lue  de  Sèze.  —  L'œnvie  de  Rafîaëlli,  du 
10  juin  au    13   juillet. 

PROVINCE  ET  ÉTRANGER 

.\nvers.  —  Exposition  d'aquarelles,  dessins,  gravures, 
pastels  et  sculpture,  du  S  mai  au  14  juin. 

BiiRLiN.  —  Exposition  internationale  des  sports,  en 
avril  1909.  sous  le  patronage  de  S.  A.  L  le  Kronprinz. 
Tous  arts  s'y  rattachant.  Galerie  d'art  Keller  et 
Reiner,  Postdamerstrass,  n"  122.  Écrire  directement. 

Buenos  Avres.  —  Exposition  française  des  Beaux-.\rts. 
du  !''•■  juin  à  fin  juillet. 

CoPENK.'\GUE.  —  Au  Palais  royal  de  Charlottenbourg. 
exposition  française  d'art  décoratif,  du  26  juin  au 
1 3  septembre.  Pour  tous  renseignements,  s'adresser 
à  ^L  Roger  Sandoz.  à  Paris. 

('■RENOBLE.  —  Salon  de  Grenoble.  Exposition  des  Beaux- 
Arts  organisée  par  la  Société  des  .\mis  des  Arts,  du 
I  5  avril  au  15  juin. 

I-.\NGREs.  —  Société  artistique  de  la  Haute-Marne.  Expo- 
sition des  Beau.x-Arts  et  d'Art  décoratif,  du  31  juil- 
let an  !'■' septembre. 

MiNicH.  —  Dixième  exposition  internationale  des  Beanx- 
.\rts  au  Palais  de  Cristal,  du   i"  juin  à  fin  octobre. 

X.\Ncv.  —  Exposition  internationale  de  l'Est  de  la  France, 
avec  section  des  Beaux-.\rts,  organisée  par  la  Société 
Lorraine.dll  i"^juin  à  la  clôture  de  l'Exposition  inter- 
nationale. 

Orléans.  —  Exposition  de  la  Société  des  Amis  des  Arts, 
du  16  mai  au  10  juin. 

RoiEN. —  Exiiosition  des  Beaux-. \rts,  du  I'^  juin  au  3  i  juil- 
let. 

Tananarine.  —  Exposition  d'art  malgache,  comportant  : 
■sculptures,  peintures,  tissus,  arts  de  la  femme,  jouets 
et  jeux,  histoire  de  l'art,  art  rétrospectif,  etc.,  en  avril 
prochain.  Pour  tous  renseignements,  s'adresser  au 
ministère  des  Colonies. 

\ENisE.  —  Huitième  exposition  internationale  des  Beaux- 
Arts  de  la  \'ille.  du  22  avril  au  30  octobre,  organisée  par 
la  municipalité. 


104 


LES  GRANDS  CHEFS-D'ŒUVRE 


Coll.  du  prince  Trivulce.  Milan. 


ANTOXELLO  DE  MESSINE  —  portrait  d'ux  inxo.x.vu 


u 


RESQUES  DE  GAUDENÎ 

à  Sainî-ChrisîoDhe  de  Verceil 


L'Italie  est  si  riche  d'œu\Tes  d'art  qu'il  en  est 
qu'on  oublie.  Seules,  les  dévotes  fréquentent 
l'église  de  Saint-Christophe,  à  \'erceil.  Les  ama- 
teurs ne  s'arrêtent  pas  à  MUan  sans  aller  à  la  Char- 
treuse de  Pavie,  mais  ne  se  dérangent  point  pour  le 
chef-d'œu\Te  de  Gaudenzio  Ferrari,  qui  n'est 
guère  plus  éloigné.  Ils  sont  presque  excusables. 
Les  fresques  de  Brera  et  les  tableaux  de  Turin  ne 
donnent  point  le  dé- 
sir bien  \'if  de  con- 
naître plus  intimement 
le  maître.  La  plupart 
de  ses  autres  œu\Tes 
sont  dispersées  dans 
les  bourgades  lom- 
bardes que  la  mode 
n'a  pas  rendues  célè- 
bres comme  les  villa- 
ges toscans.  Les  plai- 
nes du  Pô  ne  sont 
point,  il  est  \Tai,  très 
attrayantes;  les  riziè- 
res qui  entourent  Ver- 
ceil ne  valent  pas  le 
profil  harmonieux  des 
collines  florentines. 
Mais  va-t-on  davan- 
tage à  Varallo  où  se 
trouvent  une  tren- 
taine de  fresques  de 
Gaudenzio?  Je  ne  sais 
\K)int  pourtant  de 
plus  belle  vallée  que 
ce  Val  di  Sesia  où  les 
vertes  forêts  de  châ- 
taigniers et  les  grands 
prés  fleuris  imprè- 
gnent les  Alpes  sévè- 
res de  volupté  et   de 


LE    ^L\RI.\GE    DE    I,.\    VIERGE 


douceur  italiennes.  En  Piémont  et  en  Lombardie, 
on  ne  veut  voir  que  deux  ou  trois  villes  et  les 
lacs.  C'est  une  tradition  bien  établie,  qui  sacrifie 
l'art  et  la  nature  en  d'égales  proportions. 

On  reste  à  la  fois  dérouté  et  charmé  devant  les 
di.x  fresques  de  Saint-Christophe. 

Gaudenzio  Ferrari  les  exécuta  de  1530  à  1534, 
au  moment  du  plein  épanouissement  de  l'école  ita- 
lienne et  de  son  pro- 
pre talent.  On  y  rcn- 
rontre  la  plupart  des 
idées,  des  formules, 
des  procédés  idu 
temps,  mais  la  notion 
de  la- beauté,  le  scn- 
timent,  l'invention 
diffèrent  à  tel  point 
de  cette  sorte  de  ca- 
non auquel  se  sou- 
mettaient les  artistes 
de  la  Péninsule  que 
les  thèmes  religieux 
traditionnels  en  sont 
])i"csque  entièrement 
renouvelés. 

Gaudenzio  Ferrari 
lut  assez  lent  à  se 
lormer.  Il  manquait 
de  cette  forte  disci- 
.iline  qui  faisait  si  vite 
les  artistes  florentins 
les  maîtres  accom- 
'lis.  Il  subit  long- 
icmps  l'influence  des 
Allemands,  de  Léo- 
nard, du  Corrège.  sans 
1  «arvenir  à  donner  une 
tornie  parfaite  à  sa 
pensée.  Ses  corps  dé- 


107 


r;ART     ET     LES     ARTISTES 


gingandés  prenaient  des 
poses  recherchées.  Il 
semble  qu'il  se  soit  effor- 
ce d'être  original,  mais 
ses  efforts  n'aboutis- 
saient guère  cju'à  des 
élégances  prétentieuses. 
Puis  ses  conceptions  de- 
vinrent peu  à  peu  plus 
harmonieuses  et  plus 
solides  ;  l'exemple  des 
grands  maîtres  de  la 
beauté  classique  trans- 
forma son  style  sans  lui 
enle\'er  cette  grâce,  cette 
empreinte  particulière 
qui  font  la  rare  séduc- 
tion des  ceuvres  de  sa 
matm'ité. 

Gaudenzio  avait  à  le- 
présenter,  sur  les  mu- 
railles des  deu.x  bras  du 
transept  ,en  deu.x  grandes 
fresques,rAssomj)tionet 
le  Crucifiement,  et,  en 
huit  [rescjnes  plus  j>e- 
tites.  des  scènes  de  la 
\'ie  de  la  Vierge  et  de 
sainte  Marie-Madeleine. 
En   1704,  lors  de  la  ])ris 


LA    N.MSS.WCE    DE    L.\    VIERGE 


de  \'e 


■il 


par 


le  maré- 


chal de  X'endùme,  un  boulet  ruina  à  j)eu  jirès  la 
nuuailk'  où  était  peinte  la  vie  de  samte  ;\Iatle- 
leine.  C'est  une  perte  irréparalile.  L<i  Saiiitt- 
écoutant  la  prcdicatioit  de  Jcsus,  dont  il  reste  un 
fragment  important,  est  une  merveille.  Made- 
leine est  devenue  la  j)lus  belle  et  la  mieux  parée 
des  courtisanes  italiennes  ;  elle  regarde  lixement 
le  jeune  ^laître  (jui  lui  révèle  une  vie  nouvelle  ; 
renversée  sur  son  siège,  elle  est  prise  tout  entière 
'par  la  ])arole  divine,  le  corps  absent,  ce  lieau 
corps  de  volupté  qui  ne  sera  plus  désormais  que 
l'enveloppe  méprisée  d'une  âme  aimante  et  chaste. 
Nous  touchons  là  au  réalisme  spécial  de  Gaudenzio 
Ferrari.  De  même  que  le  Tintoret,  il  traite  délibéré- 
ment la  peinture  comme  une  scène  de  la  vie  quoti- 
dienne. IMadeleine  est  une  courtisane  milanaise  bien 
plus  nettement  individualisée  que  les  portraits 
florentins  de  (ihirlandajo  à  Sainte-Marie-Xouvelle, 
et  le  décor  a  une  apparence  de  fidèle  vérité.  Les 
fresques  de  Saint-Christophe  sont  de  la  peinture  de 
genre  au  même  titre  que  les  tableaux  de  l'école 
Saint-Roch  à  \'enise,  mais  Gaudenzio  remplace  la 
brutale  violence  du  Tintoret,  dans  le  sentiment 
comme  dans  la  facture,  jiar  une  distinction  aristo- 
cratique que  je  ne  saurais  mieux  définir  ipi'en  la 
comparant  à  celle  de  \'an  l)\ck. 


L'examen  de  Y  Adora- 
tion des  mages  est  plus 
concluant  encore.  Je  ne 
crois  pas  que  Gaudenzio 
ait  cherché  à  en  faire 
une  peinture  religieuse. 
Quelques  gentilshommes 
viennent  présenter  leurs 
dons  à  l'Enfant-Dieu  ; 
ils  n'oublient  pas  l'a- 
bime  social  qui  les  sé- 
jiare  de  la  famille  du 
charpentier  ;  ils  sont  ve- 
nus à  l'étable  comme  ils 
visitent  les  crèches  à  la 
Noël,  avec  ime  dévotion 
un  peu  hautaine,  mise  à 
la  juste  place  qui  con- 
vient à  leur  rang.  En 
fait,  ils  ont  profité,  pour 
voir  le  petit  Jésus, 
d'une  partie  de  chasse  ; 
l'un  d'eux  tient  au  poing 
un  faucon  ;  ils  ont  ame- 
né leurs  pages,  un  singe, 
un  nain,  et  ils  vont  re- 
partir pour  une  brillante 
chevauchée.  L'Adora- 
tion est  devenue  une 
scène  de  la  vie  seigneuriale,  sans  cette  stylisation 
et  cet  arrangement  qui  font  malgré  tout  des 
Adorations  florentines  quelque  chose  d'artificiel, 
d'éloigné  de  la  vérité  familière  ;  et  c'est  surtout 
ime  atlmirable  collection  de  portraits,  ceux  sans 
doute  de  la  famille  de  Giovan-Angelo  Corradi, 
prévôt  de  l'église  de  Saint-Christophe,  qui  avait 
commandé  ces  fresques. 

C'est  un  milieu  plus  simpile  que  nous  fait  con- 
naître la  Naissance  de  la  Vierge.  Le  sujet  est  con- 
sacré ;  la  \'ierge  est  assistée  par  des  femmes  qui  lui 
portent  à  manger  et  prennent  soin  de  l'Enfant.  Le 
geste  de  celle  qui  mesure  la  température  de  l'eau, 
repris  par  Gaudenzio,  se  trouve  dans  nombre  de 
fresques  du  xiv**  siècle.  Mais  la  vérité  ici  est  plus 
intime.  L^ne  plantureuse  Lombarde,  la  gorge  décou- 
verte, nettoie  quelques  vases  d'étain  placés  sur  une 
crédence.  Les  humbles  voisines  de  l'accouchée  sont 
venues  prêter  leurs  services,  affectueuses,  empres- 
sées, inconsciemment  émues  par  ce  mj'stère  de  la 
\-ie  auquel  elles  ont  été  présentes  ;  elles  sont  engon- 
cées dans  leur  robe  de  gros  drap,  la  taille  enve- 
lo]ipée  d'un  chàle,  les  cheveux  serrés  dans  un  fUet. 
Cro\ez-m'en,  elles  sont  toutes  nées  entre  Bergame 
et  Verceil. 

Le  talent  de  Gaudenzio  Ferrari  est  de  ceux  qui 
échapjient  aux  classifications  habituelles,  à  ces  for- 


108 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


RETOUR    Dr    PRINCE    DE    MARSEILLE    ET    SA    RENCONTRE    AVEC    SAINTE    >L\K1K-NL\UELEINE 


mules  générales  qui  s'appliquent  dans  leurs  grandes 
lignes  à  tout  un  groupe  d'artistes  du  même  paj-s  et 
du  même  temps.  C'est  un  réaliste  classique,  et  sans 
doute  il  n'est  pas  le  seul  des  peintres  italiens  de  la 
Renaissance  qui  n'admette  point  la  vérité  sans  le 


style.  Mais  il  se  séjmre  d'eux  parce  qu'il  recherche 
les  vérités  particulières  dont  ne  se  sont  point  préoc- 
cupés la  plupart  de  ses  contemporains.  Point  de  ces 
types  générau.x,  plus  sensuels  qu'intelligents,  qui 
peuplent  les  peintures  du  .wF  siècle  ;  Gaudenzio 


109 


L'ART     ET     LES     AimSTES 


choisit  (les  figures  de  caractère,  individualisées, 
variées,  qui  se  dificrencient  nettement  les  unes  des 
autres.  Les  plus  apparentes  sont  celles  du  paysan 
goitreux  et  du  reître  allemand,  brute  vigoureuse  et 
joviale,  heureuse  île  sa  force  physique.  Parmi  les 
autres  que  l'on  remarque  moins  de  prime  abord,  il 
en  est  quelcpies-mies  d'une  finesse,  d'une  réserve, 
d'une  dignité  (]ui  ne  sont  pas  seulement  la  marque 
de  l'aristocratie  de  classe  de  ceux  qui  servirent  de 
modèle,  mais  (jui  sont 
surtout  le  signe  de  l'aris- 
tocratie d'esprit  du  ])eiii- 
tre  lui-même.  Les  fres- 
ques de  \'erceil  sont  tout 
illunrinées  p  a  r  c  e  1 1  e 
beauté  intérieure  :  elles 
en  prennent  une  ph\'sio- 
nomie  particulière,  élé- 
gante et  hautaine,  de 
rare  distinction.  Faut-il 
le  dire  ?  ce  ne  sont  point 
là  des  qualités  fréquentes 
en  Italie. 

Rien  des  soni]itueuses 
repi'ésenta  tions  (]  u  '  a  i- 
maient  la  phqiart  des 
peintres  d'alors,  mais  ck' 
la  vérité  choisie,  une 
pensée  élevée  et  délicate. 
Comparez  la  Ndissaïu-c 
de  la  l'ù-ro'f'.  dans  la 
cour  de  l'Annunziafa  à 
Florence,  le  chef-d'ieuvre 
d'Andréa  del  Sarto,  avec 
la  Nativilc.  à  Saint- 
Christophe.  Dans  la 
Xaissancc,  vous  ne  trou- 
verez que  de  beaux  corps  voluptueux,  de  belles 
bêtes  humaines,  une  caresse  pour  les  j-eux  et  les 
sens.  C'est  une  joie  de  l'esprit  que  donne  la  Xali- 
vUê  ;  on  y  trou\-e  une  pleine  compréhension  de  la 
vie,  dans  ses  vérités  familières  comme  dans  ce 
qu'elle  a  de  ])lus  noble,  sans  fadeur,  sans  faux 
idéalisme.  La  î\lère,  humble  et  tendre,  est  age- 
nouillée devant  Jésus  cpie  soutiennent  des  anges  ; 
des  paysans  contemplent  la  scène,  dont  l'un  a 
la  tête  intelligente  et  rude  d'un  penseur  rus- 
tique ;  deux  anges  musiciens,  sans  cesser  de  jouer, 
se  penchent  jiour  mieux  voir  l'Enfant  ;  le  geste 
est  ravissant  et  il  est  si  naturel  que  nous  nous 
sentons  moins  éloignés  de  ces  deux  êtres  divins 
à  l'âme  limpide. 

Gaudenzio  possédait  le  secret  de  savoir  mêler 
ainsi  le  réalisme  aux  conceptions  les  plus  élevées  et 
les  plus  pures.  Et  c'est  par  le  réalisme,  par  l'obser- 
vation de  la  nature,  par  la  riche  invention  que  les 


I.  .\SSOMPTION    riE    L.\    VIERGE    (partie  supérieure) 


fresques  de  Verceil  prennent  leur  charme  et  leur  vie. 
Lin  peintre  qui  pense  plus  qu'il  ne  regarde  a  bien 
des  chances  de  s'être  trompé  de  voie  ;  Théophile 
Gautier,  en  se  définissant  «  un  homme  pour  qui  le 
monde  extérieur  existe  »,  donnait  en  vérité  le  pre- 
mier article  de  foi  du  dogme  de  la  peinture.  Ce 
n'est  point  un  maître  italien  qui  devait  y  contre- 
venir. Mais  là  encore,  dans  la  recherche  des  détails 
qui  font  de  ses  compositions  un  tout  bien  vivant, 
_  Gaudenzio  Ferrari  est 
original.  On  ne  recon- 
naît jioint  dans  ses  fres- 
ques ces  figures  et  ces 
objets  de  second  plan, 
ces  décors,  ces  paysages 
qu'on  a  plus  ou  moins 
retrouvé-s  dans  toutes 
les  églises  d'Italie.  Les 
petits  personnages  qui 
peuplent  et  animent  les 
lointains,  et  qu'on  croit 
au  premier  abord  placés 
là  par  simple  effet  pit- 
toresque, forment  une 
série,  de  scènes  de  la  vie 
de  la  Vierge  ou  de  sainte 
Marie-Madeleine  ;  ils  sont 
encadrés  dans  des  archi- 
tectures qui  sont  à  la 
fois  étranges  et  très 
vraies  ;  les  paysages  eux- 
mêmes  ont  un  caractère 
particulier,  un  peu  terne 
de  couleur  peut-être, 
mais  de  beaucoup  d'al- 
lure et  qui  concorde 
admirablement  avec  la 
grâce  sérieuse  et  caressante  de  la  composition 
entière. 

L'exécution  fait  les  délices  du  connaisseur.  Elle 
n'est  pas  cependant  toujours  parfaite.  Certaines 
figures  sont  mal  équilibrées.  Les  peintres  d'Italie 
venaient  à  peine  de  découvrir  toutes  les  ressources 
de  leur  métier,  et  de  très  grands  maîtres  ignoraient 
parfois  ce  que  nos  écoles  d'art  actuelles,  si  faibles 
jiar  ailleurs,  mais  fortes  de  plusieurs  siècles  d'expé- 
rience, enseignent  à  leurs  plus  jeunes  élèves.  Mais 
qui  donc  de  nos  jours  dessine  avec  cette  précision 
et  cette  largeur,  avec  cet  esprit?  Entre  deux 
fresques,  au-dessous  d'une  fenêtre,  pour  remplir 
un  vide,  on  demanda  au  peintre  de  placer  quelques 
personnages,  sainte  Catherine  de  Sienne,  saint 
Nicolas  de  Bari  et  deux  donatrices  agenouillées. 
Comme  couleurs,  des  noirs,  des  blancs,  des  chairs, 
un  vert  foncé.  Y  a-t-il  sujet  plus  ingrat,  plus 
dépourvu    de    moyens    d'expression?    Par   le   seul 


LAKT     ET     1,ES     ARTISTES 


LA    VISITE    DES    ROIS    MAGES 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


mérite  de  la  facture.  (ïaiulenzio  en  til  un  morceau 
d'intérêt  captivant.  Le  dessin  net,  large,  pénétrant, 
note  d'un  trait  un  caractère,  met  en  place  avec 
une  justesse  qui  touche  à  la  perfection.  Le  modelé 
très  simple,  qui  opère  par  des  taches  d'ombre  et  de 
lumière,  arrive  par  sa  précision  à  d'admirables 
effets  de  relief  ;  la  tête  du  saint  évèque  surtout  est 
une  merveille.  Comment  peut-on  parvenir  à  mêler 
ensemble,  à  marier  cette  netteté  et  cette  enveloppe, 
—  car  le  clair-obscur  estompe  toutes  les  duretés  qui 
sembleraient  inévitables  avec  une  telle  technique,  — 
cette  ampleur  et  cette  finesse?  Et  comment   ces 


(pialités  sont-elles  possibles  avec  le  procédé  à 
fresque?  Un  trouve  cependant  cette  même  maîtrise 
dans  toutes  les  compositions  de  Saint-Christophe. 
Beautés  inutiles,  puisque  personne  ne  vient  plus 
songer  devant  elles  !  Varallo,  Verceil,  Saronno,  ces 
glorieuses  étapes  de  la  carrière  de  Gaudenzio  Fer- 
rari, ne  sont  point  des  mots  qui  éveillent  des  échos 
dans  les  âmes  ;  ils  n'ont  pas  encore  été  prononcés 
[lar  des  lèvres  assez  éloquentes.  La  seconde  patrie 
d'Henri  Bejde,  «  Milanese  »,  ne  trouvera-t-elle  point 
l'écrivain  qui  en  sache  dire  le  charme  particulier  et 
le  rare  mérite? 

L.   GlELLV. 

CI.  Aliiiari. 


LA    CRECHE 


MAXET    —    PORTRAIT    DE    CONSTANTIN    i,rv>    A    I    Ai, H    DK    (  H'ATRli-VINCTS   ANS  (bois) 


MOT] 


.Ul  CÛMSTANTHM  GUY; 


D'où  vient  Guys?  Oui  nous  montrera  son  ber- 
ceau? Qui  nous  racontera  son  enfance?  Oui 
nous  décrira  ses  années  de  jeunesse,  les  aventures 
de  sa  vie  vagabonde  jusqu'au  joiu'  où.  la  soixan- 
taine atteinte,  il  plantera  sa  tente  nomade  au 
milieu  des  foules  parisiennes  dont  il  va  devenir 
l'enquêteur  infatigable,  après  avoir  promené  sou 
originale  fantaisie  et  sa  curiosité  toujours  en  éveil 
à  travers  l'Angleterre,  l'Italie,  l'Espagne,  la  Crimée, 
les  pays  d'Orient? 


A  quelle  époque  Guys  connnença-t-il  à  jeter  sur 
les  feuillets  volants  qui  lui  tombaient  sous  la  main 
les  premières  formes  de  ses  visions  de  la  \'ie  moderne, 
les  premières  ébauches  barbares  de  ses  vives  impres- 
sions? Quelle  date  faut-il  assigner  à  l'éclosion  des 
«  barbouillis  primitifs  »  de  l'étrange  artiste? 

Baudelaire  suppose  que  Guys  avait  dépassé  la 
quarantaine  lorsque  l'idée  lui  vint  d'étendre  jiour 


la  première  fois  sur  une  feuille  blanche  de  l'encre 
et  des  couleurs.  «  J'ai  vu  un  grand  nombre  de  ces 
barbouillis  primitifs,  écrit-il.  et  j'avoue  que  la 
jilupart  des  gens  qui  s'y  connaissent  ou  jirétendent 
s'y  connaître  auraient  pu,  sans  déshonneur,  ne  pas 
deviner  le  génie  latent  qui  habitait  dans  ces  téné- 
breuses ébauches  ». 

Et  l'auteur  des  Ciiriosith  csllic/iqitcs  d'ajouter  que 
'  .M.  C.  G...  trouve,  à  lui  seul,  toutes  les  iietites  ruses 
du  métier,  qu'il  fait,  sans  conseils,  sa  propre  édu- 
cation et  que,  devenu  puissant  maître,  à  sa  manière, 
il  ne  garde  de  sa  première  ingénuité  que  ce  qu'il 
en  faut  pour  ajouter  à  ses  riches  facultés  un  assai- 
sonnement inattendu...   » 

Jugement  d'une  irréprochable  justesse,  mais  qui 


(i)  A  l'heure  où  tant  de  solennels  et  rkliculcs  niontnneiits  sont 
Iiréniaturément  érigés  à  des  notoriétés  éphémères,  le  Syndical  lU 
la  Presse  arlisltqiie  se  préparc  à  inaugurer  au  cimetière  de  l'antin 
le  buste  de  Constantin  Guys,  dû  au  ciseau  du  sculpteur  Godebski. 
ijiii  fut  son  ami.C'cst  là  uneheureuse  initiative  à  laquelle  applaudi- 
ront tous  les  admirateurs  du  ■  peintre  de  la  vie  moderne  ■. 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


laisse  encore  le  lecteur  (Unis  l'ignorance  de  l'heure 
historique  où  (iuys,  «  absorbé  par  les  images  qui 
remplissaient  son  cerveau  ».  tenta  pour  la  première 
fois  d'en  fixer  définitivement  le  souvenir,  dans  ces 
croquis  agités,  dans  ces  sombres  et  lumineuses 
peintures   dues  aux  combinaisons  les  plus  invrai- 


semblables d'i-ncr 
rouge  \'ineux.  de 
lilas  tendre,  de 
\-iok't-é\'i''(lUi'.  de 
j-éjiia,  de  blancs 
rehauts  de  goua- 
che.... 

Ou  '  ini]iort  e. 
d'ailleurs  :•'  Et 
puis,  en  (UM'ini- 
tive,  ne  wuit-il 
jias  mieu.x.  niab 
gré  la  cmidsité 
de  jilus  en  jihis 
aiguisée  des 
nombreux  admi- 
rateurs de  (luys, 
que  le  \'oile  de 
mystère  qui  en- 
veloppe sa  vie  ne 
se  soulève 
qu'avec  une  dis- 
crète lenteur. 
L  '  i  m  p  r  é  c  i  s  i  o  n 
troublante  du 
personnage  ne 
1  )  e  u  t  nui  r  e  à 
l'étrangeté  de 
l'ceuvre. 

Œuvre  étrange 
assurément,  — 
mais  liien  jilus 
encore  par  la 
singulière  origi- 
nalité de  l'inter- 
prétation, par  sa 
violente  activité, 
l>ar  l'agitation 
ilu  métier,  que 
d'une  banalit 
lati\x-  ;    t\'pes 


Chine,  de  bleu  de  Prusse,  de 


l'ourlet  de  leurs  robes  à  volants  et  à  falbalas  ; 
hal)ituées  de  chez  Musard,  de  Valentino,  du  Châ- 
teau des  Fleurs  ou  du  Casino  Cadet,  en  quête  de 
chalands  sérieu.x,  leurs  Suivez-moi,  jeune  homme 
an  vent  et  comme  embourgeoisées,  malgré  l'aspect 
félin  de  leur  allure  et  le  clignement  significatif  de 
leurs   yeux  ombrés,  sous  l'austère  encapuchonne- 

ment  de  leur 
immense  capote 
à  brides,  sous  la 
lomxle  draperie 
de  leurs  cache- 
mires dont  la 
pointe  vient  mor- 
dre le  bas  des 
jupes  traînantes. 
Elles  chassent 
avec  une  sorte 
de  glissement  si- 
lencieux ,  les 
MKiins  perdues 
dans  d'énormes 
manchons. 


LES    I'RC)MENErSES    llavis 


à    la    lois    naïve     et     passionnée 

par    le    choix    des    motifs,     tous 

courante    et    d'une    diversité    re- 

e    soldats    empanachés     et    Irin- 

las 


gants  ;  groupes  de  lilles  lassées  dans  des  jioses 
d'attente  sur  les  canapés  délabrés  d'innommables 
refuges  ;  cuisinières  en  courses  dont  l'allure  rapide 
se  détache  avec  une  réelle  élégance  populaire  sur 
un  fond  de  paysage  parisien  troué  de  claires  ave- 
nues ;  rôdeuses  aux  silhouettes  faméliques,  aïeules 
sinistres  et  lamentables  des  pierreuses  de  Rops, 
de  Forain,  de  Toulouse-Lautrec,  de  Steinlen...; 
danseuses  de  Mabille,  soulevant  d'un  geste  provocant 


A  côté  de  la 
dégradation  fé- 
minine, hiérar- 
chisée avec  une 
rare  pénétration 
et  qui  exerce  sur 
Guys  une  fascina- 
tion  invincible, 
c'est  la  peinture 
des  plaisirs  mon- 
dains, des  élé- 
gances aristocra- 
tiques,  figurées 
dans  une  suite 
considérable  de 
croquis  et  d'a- 
quarelles, par  de 
grouillantes  sorties  de  bals  iniblics  et  de  théâtres, 
l)ar  des  rapides  défilés  de  voitures  emportées  vers 
l'allée  de  la  Porte-Maillot  et  où  se  prélassent,  la 
minuscule  «  marquise  »  aux  doigts,  sous  leurs 
capotes  enrubannées,  leurs  toques  à  la  hongroise, 
leurs  chapeaux-cloche,  et  dans  le  débordement  de 
leurs  robes  à  volants,  bombées  par  la  crinoline, 
les  grandes  daines  en  renom  et  les  biches  les  mieux 
cotées. 

Puis  au  détour  d'une  allée  du  Bois,  dont  Guys 
sait  utiliser  merveilleusement  le  parallélisme  des 
grands  arbres,  indiqués  en  quelques  larges  tou- 
ches pour  constituer  le  décor  de  la  scène,  le  fond 


114 


L'ART     ET     I.i;S     ARTISTES 


AL"    BOIS    Iff'-'q 


léger  de  sa  rapide  composition,  c'est  un  brusque 
arrêt  de  voiture.  Et  l'artiste,  consciencieusement 
attentif  à  tous  les  mouvements  de  ses  modèles,  nous 
décrit  d'une  touche  rapide  et  fidèle  le  sens  intime  de 
la  rencontre  entre  la  biche 
et   le   lion  sorti,  comme 
]iar   hasard,  de   l'ombre 
des    fourrés    au    passage 
de   la  calèche   attendue. 
Droits  sur  leurs  sièges, 
dans  une  raideur  presque 
hiératique,     cochers     et 
valets,  la  tête  haute,  im- 
])eccablcment      corrects, 
admirablement     dressés, 
les  \eux au  loin, semblent 
indifférents   à   ce  qui  se 
])assc  près  d'eux.... 


Ce  ne  sont  là,  ccrtaint- 
ment,  que  de  petites 
scènes  de  genre,  que  di 
rapides  visions  de  menus 
faits,  de  «  choses  de  tous 
les  jours  »,  que  de  fugi 
tives  impressions,  saisie> 
par  l'infatigable  artiste, 
au  courant  de  la  plume    élég.\nts  et  élég.\ntes 


et  du  pinceau,  en  dehors  de  toute  ])réoccui«tion 
de  notoriété  publique  et  d'ambitieu.x  calculs.  Sa 
joie  de  peindre,  si  manifestement  répandue  dans 
toute  la  vie  frémissante  de  son  «euvre,  n'a-t-elle 
])as  d'ailleurs  un  glorieux 
prolongement  dans  l'opi- 
nion si  flatteuse  que  pro- 
fessèrent jiour  son  art 
des  juges  tels  (jue  Manet, 
Paul  de  Saint-Victor, 
liaudelaire,  Préault,  Cé- 
lostin  Xanteuil.  Hinty, 
.Vsselineau.  Sainte- 
Beuve,  ChampHeury, 
(iautier,  les  Concourt . 
Delacroix  lui-niènie,  opi- 
nion qui,  bon  nombre 
il'années  jilus  tard,  trou- 
vera sa  définit i\"e  confir- 
mation dans  celle  de 
connaisseurs  de  plus  eu 
plus  nombreux  et  non 
moins  clairvoyants. 

Toutefois  l'esprit  de 
ce  croquiste  de  génie, 
toujours  en  activité 
d'ob.servation  au  milieu 
des  brusques  et  décon- 
certantes transforma- 
DU  SECOND  EMi'iKh"  (lavis)    tions    de    la    vie    mon- 


"5 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


EFFET    DE    CRINOLINE    |l:ivis| 

daine,  avait  acquis  une  jniissance  de  vision  ses  lumnes 
d'une  pénétration  si  aiguë,  et  aussi  d'une  fidélité  flottement  de 
si  persistante,  que  les  sujets  de  vulgarité  apparente  lettcs  et  le  carcan 
dont  il  fixe  à  jamais  les  aspects  fugitifs  prennent.  des lirides dissimulent 
sous  la  fougueuse  balafre  de  ses  pinceaux  chargés  mal  le  surprenant 
de  sépia,  une  physionomie  d'immutabilité  d'où  se  aspect  historique  de 
dégage  une  triomphante  impression  de  vérité  histo-  traits  empruntés  ma- 
nque. Il  sut  l'art  difficile  d'extraire,  avec  une  spon-  licieusement  à  des 
tanéité  géniale,  le  définitif  du  transitoire  et  d'enfer-  beautés  impériales  et 
mer,  en  quelques  coups  de  plume  et  de  pinceau  d'une  princières  ;  ses  grouil- 
étonnante  synthèse  graphique,  toute  une  époque,  lantes  sorties  de 
avec  ses  modes  successives,  ses  types  convenus,  ses  théâtres  et  de  bals 
allures  et  ses  gestes  particuliers  et  jusqu'à  son  publics  ;  son  irrépro- 
atmosphère  spéciale.  chable  carrosserie, 
Oui,  Constantin  Guys  lut  réellement  le  peintre  son  hippisme  si  par- 
de  la  vie  moderne  sous  le  second  Empire.  De  tous  ticulier...  traverse- 
les  artistes  de  cette  époque,  dont  les  rms  se  sont  ront  l'histoire  de  l'art 
presque  exclusivement  spécialisés  dans  l'étude  de  malgré  le  résumé, 
sujets  déterminés,  et  dont  les  autres  ont  trop  sacri-  parfois  un  peu  brutal, 
fié  les  originales  et  solides  qualités  de  leur  art  à  la  de  leurs  fornmles  re- 


représentation conventionnelle  de 
choses  à  peine  entrevues,  il  fut  à 
la  fois  le  plus  compréhensif  et  le 
plus  sincère,  le  plus  curieux  et  le 
plus   évocakiir. 

Après  une  contemplation  pas- 
sionnée de  la  vie,  il  sut  avec  une 
clairvoyante  indépendance  enfermer 
dans  la  bizarre  mais  impression- 
nante formule  de  son  art  abrévia- 
teur  les  mouvements  les  plus 
ïubtiJs  de  toute  une  humanité  dis- 
])arue. 

Sans  doute  il  est  facile  de  cri- 
tiquer l'ingénuité  parfois  enfantine 
ou  barbare  de  cette  formule  im- 
prévue. Mais  en  vérité  ces  cri- 
tiques ne  doivent-elles  pas  s'apai- 
ser devant  l'intensité  de  l'effet 
])roduit  ?  Une  formule  d'art  finit 
d'ailleurs  toujours  par  s'imposer 
lorsqu'elle  est  la  vivante  expres- 
sion de  la  vision  de  l'artiste, 
et  qu'elle  en  exprime  avec  une 
fidélité  originale  toute  la  sincé- 
rité. 

La  courtisane  de  Guys,  cyni- 
ipiement  insolente  sous  la  couche 
de  son  fard  au  rabais  ou  sous  le  dur 
plaquage  de  ses  bandeaux  à  la 
russe  ;  ses  dandys,  vivantes  et  dé- 
finitives représentations  des  proto- 
types mondains  du  temps  :  des 
Grammont-Caderousse,  des  d'Orsay, 
des  Xigra,  des  Metternich,  des  Mar- 
cellin.  des  Arsène  Houssa\'e,  etc.  ; 
■nrubannées  chez  lesquelles  le 
voi- 


ÉTUDE    DE    FEMME     (boiS) 


I.'ART     ET     LES     ARTISTES 


préscntatives,  avec  la  même  autorité  documen- 
taire que  les  scènes  familières  des  Saint-Aubin 
et  les  solennités  des  Gravelot  et  des  Moreau 
le  Jeune.  Et  de  même  qu'il  est  bien  diflicile  de 
pénétrer  res]irit  de  notre  xviii<î  siècle  sans  en 
avoir,  pour  ainsi  dire,  respiré  l'atmosphère  dans 
l'étude  des  feuillets  où  ces  artistes  charmants  ont 
déposé  le  meilleur  de  leur  art,  de  même  aussi  la 


VlUttslriUcd  London  Xews  avec  la  régularité  quo- 
tidienne d'un  correspondant  exemplaire,  Guys  ne 
peignit  que  de  souvenir. 

Ses  lourdes  femmes  d'Orient  apparues  sous  leurs 
voiles  dans  l'ombre  fraîche  et  bleue  des  bazars  de 
Stamboul  ou  de  Scutari,  ses  fines  et  nerveuses 
Andalouses  agitées  jiar  le  délire  tauromachique,  ses 
élégantes  ou  virieuses  silhouettes  parisiennes  ren- 


ÉTrUK    DE    FEMME    (bois) 


physionomie  de  la  société  française,  avec  ses  élé- 
gances successives  et  ses  galanteries  multiformes, 
échappera  dans  son  essence  à  qui  n'aura  eu  la 
curiosité  de  prendre  contact  avec  les  foules  ano- 
nymes, mais  d'une  si  suggestive  apparence,  dont 
l'u-uvre  de  Guys  est  tout  plein  et  comme  débor- 
dant. 


Chez  Guys,  avons-nous  dit,  l'acuité  de  vision 
était  d'une  fidélité  aussi  jiersistante  qu'elle  était 
rapide  et  pénétrante.  E.\i)li(pions-nous. 

Sauf,  peut-être,  dans  la  suite  des  rapides  croquis 
militaires  pris  sur  le  vif  dans  les  marais  de  la 
Dobrutcha,  dans  les  Balkans,  sur  le  champ  de 
bataille  de  Balaklava  et  dans  les  tranchées  de 
Sébastopol,    et    (ju'il    expédiait    à    la    direction    de 


contrées  dans  la  turbulente  colnie  de  la  grande 
ville  : 

l-'iiiirmillaiitt' cili',  cité  pleine  <!<•  rêves. 

OVi  le  spectre  en  plein  jiuir  raccroche  le  passant, 

les  solennités  militaires  et  nationales  dont  il  excel- 
lait à  décrire  le  faste  avec  une  incomparable  ardeur 
de  vie,  naquirent  à  l'écart  du  motif  inspirateur  sous 
le  jeu  rapide  du  pinceau. 

Comme  certains  autres  artistes  de  génie,  à  la  ]ier- 
cei)tion  synthétique  et  au  mouvement  de  crayon 
abréviateur,  il  piquait,  ]iour  ainsi  dire  d'un  trait, 
sur  son  calepin,  le  ])oint  caractéristique,  le  «  jioint 
lumineux  »  du  sujet,  et,  rentré  chez  lui,  il  recons- 
tituait sa  vision  d'après  cette  note  évocatrice  et  la 
lixait  à  jamais  dans  la  jH-rfection  d'une  ébauche 
violemment  cernée  d'encre,  ébauche  d'une  impres- 


117 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


ÉTUDE    DE    EEMME    llavisl 


sionnantr  intcnsilc  de  ccmu'ur,  et  comme  baignée 
(riiiK'  lumière   île   \'ie. 

11  ét<iil  (le  ceux  ([ui.  "  accoutumés  dès  longtemps 
à  exercer  leur  mémoire  et  à  la  remplir  d'images, 
trouvent  devant  le  modèle  et  la  nnilti]>licit6  des 
détails  qu'il  comporte  leur  faculté  ]irincipale  trou- 
Mée  et  eounne  jiaïaU'séi'    «. 

Lors([u'(in  se  repié^ente  ("iu\s  onx'rant  le  soir, 
à  la  clarté'  de  la  lampe,  dans  sa  unséraMe  cliamLre 
de  li(inne,  son  callepin  si  liénial  icpie.  il'où  \a  sortir 
tout  un  monde  de  \-ices  et  île  frivolités,  diint  le 
plus  expeditil  des  pinceaux.  iliri,L,é  par  la  fidélité 
du  sou\enir.  éternisera  bientôt  sur  de  fragiles 
feuillets  les  fugitifs  aspects,  la  pensée  se  reporte 
d'elle-même  vers  Danmier.  cet  autre  grand  peintre 
de  son  temps,  alors  qu'autour  de  sa  j)ierre  litho- 
graphique s'entassaient  les  étonnantes  lioulettes 
de  terre  glaise  fiévreusement  pétrie  dans  une  tri- 
bune du  Palais-Bourbon,  en  jileine  séance  jiarle- 
mentaire,  et  de  l'ensemlile  grotesque  et  ]iresquc 
informe  desquelles  va  naître  l'admirable  ventre 
législatif. 


Certes,  l'ceuvre  de  Guys  mériterait  de  vivre  alors 
même  que  l'artiste  se  serait  borné  à  décrire  avec  sa 
verve  intarissable  les  formes  diverses  des  monda- 
nités de  son  temjis  et  les  types,  aujourd'hui  si 
lointains,  des  soldats  du  second  Empire. 


Son  dandy  au  tube  monumental,  au  pantalon 
damier,  à  la  longue  redingote  pincée,  aux  favoris 
à  l'autrichienne,  au  monocle  dont  le  large  ruban 
flotte  sur  l'échancrure  du  gilet  ;  ses  lionnes  embas- 
tillées sous  la  lourdeur  des  châles  ;  ses  voitures 
d'une  structure  si  précise  et  presque  vivantes...  et 
qui  toutes  défilent  si  vivement,  emportées  dans  le 
trot  rapide  de  chevaux  aux  nerveuses  silhouettes  ; 
ses  brillants  officiers  d'état-major  aux  tailles  de 
guêpe  et  aux  bicornes  empanachés  ;  ses  cent-gardes 
conquérants,  ses  alertes  cuisinières,  ses  truffards 
aux  guêtres  montantes,  aux  larges  pantalons  et 
aux  shakos  dominateurs...  toutes  ces  rapides  et 
impersonnelles  représentations  des  êtres  et  des 
choses,  qui  passent  et  d'où  se  dégage  une  saisis- 
sante impression  de  réalité,  d'où  s'exhale  un  parfum 
de  vie  presque  obsédante,  suffiraient  à  faire  vivre 
son  nom. 

Et  cependant,  ce  n'est  pas  là,  croyons-nous,  la 
j)artie  la  plus  caractéristique,  la  plus  significative 
de  son  oeuvre,  celle  où  passe  le  frisson  le  plus  aigu 
de  son  art. 

Guys  aima  passionnément  la  femme.  Il  l'aima 
belle,  élégante,  parée,  s'enveloppant,  pour  la  joie  de 
nos  yeux,  pour  la  conquête  de  notre  âme,  pour  la 
domination  de  nos  seiis,  de  tous  les  enivrants 
artifices  de  la  toilette  «  qui  sont  les  attributs  et  le 
piédestal  de  sa  divinité   u. 


I.TONS    ET    LIONNES 


ii8 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


Mais  il  l'aima  aussi,  et  avec  plus  de  ferveur  encore, 
avec  plus  de  fiè\Te,  dirons-nous,  avec  une  sorte  de 
fièvre  maladive  où  la  pitié  se  mêle,  dans  le  cadre 
ordinaire  de  sa  plus  irrémédiable  déchéance,  et 
bien  avant  Edmond  de  Goncourt,  Rops  et  Mau- 
passant,  son  infatigable  curiosité  d'artiste,  son 
avide  observation,  s'hallucina,  pour  ainsi  dire, 
avec  ime  sorte  de  joie  maladive,  au  navrant  spec- 


art  aussi  de  précurseurs,  sources  vi\-es  et  profondes, 
bordées  de  floraisons  bizarres  où  tant  d'autres, 
altérés  par  la  fièvre  de  la  vie,  viendront  bientôt 
boire  à  longs  traits,  jusqu'à  l'ivresse.... 


L'obscurité  qui  régna  sur  l'existence  de  Cons- 
tantin Gu3-s  se  dissipe  brusquement  à  partir  de 


L.\    BONNE    .\    TOIT    F.VIRE    (aqu.irelle) 


tacle  de  la  misère  humaine  en  ce  (]u'clle  a  de 
plus  douloureusement  grotesque,  de  jilus  hideuse- 
ment pitoyable  ! 

Oh  !   cette  courtisane   de   Guys  !   Elle   hante  le 
souvenir  comme  un    caprice   macabre   de   Goya.... 


L'art  de  Guys  est  sans  précédent,  comme  celui 
de  Baudelaire,  son  frère  d'âme. 

Art  de  visionnaires  secoués  d'un  frisson  nouveau 
par  l'intense  et  douloureuse  poésie  du  transitoire. 


l'heure  où  on  le  relève  brisé  et  sanglant  sous  les 
roues  d'un  fiacre  dans  la  rue  du  Havre,  un  soir  de 
(  arnaval.  Il  avait  quatre-vingts  ans. 

Pendant  sept  années,  sept  années  atroces,  il 
demeura  cloué,  dans  l'immobilité  la  ])lus  complète, 
sur  un  lit  de  l'hospice  Dubois. 

Les  amis,  très  rares,  qui  le  visitèrent  pendant  sa 
longue  agonie,  s'étonnaient  de  sa  fermeté  d'âme, 
de  la  vivacité  juvénile  de  son  esprit,  toujours  ori- 
ginal, et  de  son  stoïcisme  souriant,  au  milieu  de  ses 
misères  et  de  ses  souffrances. 


119 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


Enfin  kl  mort  vint  : 

C  'fil  l.i  m. lit  i|iii  cniisolc... 

et,  par  un  clair  soleil  de  printemps,  à  l'heure  où 
les  sveltes  amazones  galopaient  rieuses  dans  les 
allées  du  Bois,  à  l'heure  où,  dans  la  poussière  des 
Champs-Éh'sces,  les  roues  des  rapides  calèches 
miroitaiiiit   innombraliles,  à  l'heure  où 


.  1.1    |...U|.. 


•il  stuindc 


le  peintre  de  la  vie  moderne  roulait  lentement 
dans  le  corbillard  des  pauvres  vers  le  lieu  du  repos 
éternel,  à  travers  les  flots  de  la  foule  indifférente, 
son  grand  modèle  anonyme,  dont  il  tut,  mieux  que 
personne,  fixer  d'un  trait  définitif  la  vérité  des 
mouvements  et  des  attitudes,  la  turbulence  éphé- 
mère, tout  le  mystérieux  frisson. 

Armand    Dayot. 


,li  M.   Jacques  Bdlraml  t 


M.  H.  Flotiry,  par  ki 


,1c  M.  l'ati!  Gallii 


■  Constantin  Guys  de  M .  Gustave  Geffroy,  publié  chez 


ATTHLAGlî    ibois) 


< 

U- 

< 

ce 


Cû 


*tièrrAv< 


BANLIEUE    D  HIVER 


X=F.    lAFFAELLn 


LES  Égv'ptiens avaient  l'admirable  cérémonie  du 
jugement  des  morts  ;  nous  avons  institué,  en 
art,  le  jugement  des  vivants.  Certes,  c'était  une 
belle  pensée  qui  inspirait  cette  re\Tie  des  mérites 
et  des  faiblesses  de  celui  qui  s'en  allait  ;  mais 
il  était  le  seul  (c'est  nous  du  moins  qui  le  croj-ons) 
à  ne  pas  pouvoir  profiter  des  critiques  ni  recueillir 
le  fruit  des  louanges.  Avec  ce  moderne  jugement 
du  vif  qu'est  l'exposition  générale  des  œuvres  d'un 
artiste,  celui  qui  comparaît  peut  du  moins  revivre 
tout  son  effort  passé  et  recevoir  cette  récompense 
enviable,  quand  cet  effort  est  certifié  méritoire  : 
voir  projeter  son  œuvre  entière  dans  l'avenir. 

Ces  expositions  modernes  sont,  à  la  vérité,  de 
fraîche  date.  Au  siècle  dernier  —  que  c'est  étrange 
d'écrire  ces  mots,  quand,  il  y  a  si  peu  d'année  ■■  encore, 
le  «  siècle  dernier  »  était  pour  nous  celui  de  Watteau, 
de  Diderot,  de  Fragonard,  de  Voltaire  !  —  les  pre- 
miers qui  prirent  la  redoutable  initiative  de  se  pré- 
senter eux-mêmes  d'ensemble,  devant  le  public, 
furent  Ingres  et  Courbet  !  .Singulière  rencontre  de 
deux  hommes  qui  semblaient  exclusifs  l'un  de 
l'autre,  et  que  maintenant  nous  gratifions  d'une 
admiration  égale.  Et  il  est  non  moins  remarquable 
qu'une  des  plus  importantes  expositions  d'un  v'i- 
vant  ait  été,  après  celles-là,  celle  d'un  peintre  aussi 
éloigné  de  l'un  que  de  l'autre  comme  tempérament, 
J.-F.  Raffaëlli,  qui  n'a  ni  l'académisme  d'Ingres, 
ni  le  réalisme  absolu  de  Courbet. 

L'exposition    que    RaffaëUi    lit    de    ses    teuvres 


en  1884  dans  une  boutique  de  l'avenue  de  l'Opéra 
avait  donc  des  précédents  d'importance,  mais  elle 
avait  toute  la  valeur  d'une  innovation,  car  ses 
devanciers  étaient  précédés  d'une  réputation  consi- 
dérable, tandis  que  lui  était  en  pleine  lutte,  et  de 
la  réputation  ce  n'était  là  que  le  début.  Depuis, 
l'exemple  qu'il  donna  ne  fut  que  trop  suivi.  Sans 
doute  nous  avons  pu  voir  se  développer  dans  son 
ampleur  le  labeur  de  quelques-uns  de  nos  plus  beaux 
maîtres.  Mais  bien  des  entrepreneurs  exhibèrent 
leurs  «  cKuvres  complètes  »  tous  les  deux  ou  trois 
ans.  Raffaëlli,  tout  en  prenant  part  prépondérante 
aux  expositions  annuelles,  tout  en  montrant  par- 
fois des  ensembles  spcciatix,  sculptures  ajourées, 
gravures  en  couleurs,  n'a  pas  attendu  moins  de 
vingt-cinq  ans  avant  de  nous  appeler  à  le  juger 
de  nouveau  intégralement.  C'est-à-dire  que  de- 
puis 1884  il  a  accompli  encore  une  longue,  magis- 
trale, décisive  évolution  ;  que  c'est  un  nouvel  artiste 
qui  s'est  ajouté  au  premier,  un  peintre  qui  s'est 
donné  en  épanouissement  comme  il  s'était,  de  1870 
à  1884,  donné  en  concentration  et  en  intensité,  et 
ces  deux  Raffaëlli  n'en  forment  qu'un  seul,  de  qui 
la  vie  trace  une  belle  et  noble  courbe,  que  nous 
pouvons  mesurer  du  regard  et  de  la  pensée,  dans 
toute  sa  grandeur  et  toute  son  originalité,  à  la  gale- 
rie Georges  Petit,  en  entier  occupée  par  ses  mul- 
tiples travaux  dans  tous  les  domaines  des  arts  gra- 
phiques. 

En   18S4,   lorsque  s'ouvrit   cette  exposition   de 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


CHEZ    LE    FDNDErK 

l'avriiiK-ilf  !'(  )i)rra.(|uV'tait  ce  Raftaëlli  qui,  si  auda- 
<  iruscnu'iit.aiipclait  le  juiMic  à  \v  jn.LTcr.  et  qui  con- 
«lucrait  la  cék'hrité  en  un  tciur  de  main?" 

Il  avait,  en  soninie,  |i(inr  lui.  d'avoir  été  as.-^ez 
fréquemment  refusé  au  Salon.  d'a\oir  eneouru  les 
foudres  d'Edmond  Ahout,  le  eélèhre  homme  d'es- 
prit, alors  très  éeouté  comme  critique,  enfin  d'avoir 
été  remarqué  par  deux  ou  trois  chercheurs  d'(eu\-res 
mdépcndantes,  et  d'avoir  ex]iosé  avec  les  Impres- 
sionnistes. 

Pour  conquérir  l'aris.  il  faut  autre  chose  (jue  cela, 
(e  (juehiue  chose  fut  l'exposition  de  l'avenue  de 
l'Opéra.  On  y  \-it,  en  somme,  sans  que  l'artiste  eût 
crié  gare,  un  ensemble  singulier,  original,  éloquent, 
ne  ressemblant  à  rien  <le  ce  cpu  s'était  fait  à 
l'époque,  ni  comme  ])eintin-e  de  m<eurs,  ni  connue 
paysages. 

Des  .  petites  gens  •,,  bourgeois  végétatifs  de  la 
banlieue  la  plus  médiocre,  étaient  racontés  dans 
leur>  mesquines  occupations,  dans  leur  vie  banale 
(mais  si  imjioi  tante  pour  eux  !)  :  des  rôdeurs,  des 
êtres  hâves  et  noirs,  étaient  étuchés  dans  leurs  al- 
lures de  bêtes  traquées  ou  ayant  toujours  ]ieur  de 
l'être  ;  des  chiffonniers,  race  sauvage,  inconnue, 
étaient  montrés  dans  leur  contrée  ingrate,  ren- 
trant du  «  travail  »,  se  rendant  à  leurs  demeures 
de  lattes  et  de  papier  goudronné.  Et  la  nature  où 
cela  se  passait  !  Des  ciels  bas,  tristes,  de  paxs  sans 
caresse  et  sans  espoir  ;  ou  bien  vastes,  mais  non 


moins  implacables  et  ravagés  par  d'ai- 
gres bises  :  des  plaines  aux  maigres  vé- 
gétations ;  des  camjjagnes  de  gravât  et 
de  poussière,  où  de  pauvres  ânes,  mis 
on  ne  peut  dire  au  vert,  maij  an  gris,  ne 
rencontraient  même  pas  un  chardon  ; 
lieut-être  n'en  avaient-ils  même  jamais 
vu,  s'ils  étaient  nés  en  ces  lieux.  Pour 
horizons,  point  de  vivifiantes  forêts,  mais 
des  toits  et  des  cheminées  d'usines  dont 
k'S  noires  fumées  renforçaient  l'hostilité 
du  ciel.  Pour  fraîches  rivières,  la  partie 
la  jiius  déshéritée  des  rives  de  la  Seine,  ne 
rappelant  en  aucune  façon  les  «  prés 
tleui  is  II  de  Mme  Deshoulières.  Les  somp- 
tuosités de  ces  régions,  c'étaient  les  villas 
de  petits  rentiers,  ou  les  mairies  qui 
n'étaient  pas  encore  d'ambitieux  «  Hôtels 
de  ^'ille  m,  mais  bien  des  bicoques  signa- 
lées seulement  par  des  affiches  et  un 
drapeau  français. 

Or,  toutes  ces  choses  hargneuses,  tous 
ces  gens  farouches,  malingres  ou  mornes, 
toute  cette  nature  trop  pau\Te  pour  sou- 
. 'K'ijt,.-;.  rire,  et  en  même  temps  trop  peu  sauvage 
])our  qu'on  la  pût  qualifier  de  maudite  ; 
tout  cela  ne  donnait  pas  une  impression 
de  tristesse,  mais,  quel  que  fût  l'accent  de  mélanco- 
lie (ju'on  y  sentît  régner,  constituait  un  spectacle 
d'art  d'une  délicatesse  et  d'une  beauté  remarquables. 
C'était,  impérieusement  interprétée,  de  la  vie  \Taie 
qu'on  avait  jusque-là  dédaigné  de  regarder.  Les 
paysagistes  s'étaient  hâtés  de  traverser  de  telles 
zones  poudreuses  pour  s'en  aller  bien  vite  vers  les 
Barbizon  et  les  bords  de  l'Oise  éternellement 
exploités,  et  qu'ils  n'avaient  même  pas  en  le  mérite 
de  décou\rir.  Les  peintres  de  figiu:es  réalistes 
croyaient  trouver  dans  les  ou\Tiers  de  Paris,  ou 
dans  les  jiaysans  que  Millet  leur  avait  désignés, 
les  uniques  modèles  qu'on  pouvait  opposer  aux 
dieux  de  r(  'hinpe  ou  aux  seigneurs  des  quatre  Louis 
(XllI.  XIV,"  XV,  XVI). 

Réaliste,  le  nouvel  arrivant  se  défendait  de  l'être, 
et  il  ne  l'était  pas  en  efïet,  car  dans  son  art  il  entrait 
plus  de  composition  que  de  copie,  plus  de  sélection 
que  d'acceptation.  Dans  un  écrit  qui  suivait  le 
catalogue,  il  expliquait  comment  l'art  moderne, 
tel  qu'il  le  comprenait,  devait  être  aussi  éloigné 
des  conventions  académiques  que  des  brutalités 
de  procès-verbal  qu'affectaient  les  lourds  conti- 
nuateurs de  Courbet,  sans  avoir  sa  magnifique  et 
grandiloquente  nature.  Oue  s'agissait-il  donc  de 
dégager  dans  l'œuvre  d'art  nouvelle?  Le  caractère 
des  êtres  et  des  choses,  et  d'y  trouver  les  éléments 
de  beauté  du  monde  en  évolution. 

Il   lançait,    pour  désigner    cet   art,   le    vocable 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


REUNION    PrBLIOUE 


canicléyisiiie,  qui  était  très  \  iwnient  discuté,  et 
qui,  en  somme,  impliquait  une  doctrine  très  large 
et  ne  bornait  pas  aux  territoires  fie  Clichy-Leval- 
lois  et  d'Asnières,  non  plus  qu'à  leurs  ])oi)uIations. 
le  domaine  des  artistes  innovateurs. 

D'ailleurs,  lui-même,    à    son    exposition,    mon- 
trait autre  chose  que  des  haillons  et  des  terrains 


vagues.  Des  Ikurs,  des  iiortraits  d'enfants,  des 
esquisses  d'après  des  contemporains,  militants 
de  la  littérature  et  de  la  politique,  donnaient  des 
gages  de  la  diversité  de  ce  talent,  montraient  la 
jiromesse  de  toute  une  œuvre  à  venir  que  l'énergie 
endiablée  de  ce  peintre,  graveur,  écrivain,  sculpteur, 
conférencier,  promettait  vaste  et  féconde. 


123 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


Le  succès  fut  considérable.  Raffaëlli  l'ut  célèbre 
du  jour  au  lendemain,  et  ce  qui  est  beau  dans  cette 
aventure,  c'est  que  le  succès,  loin  de  le  gâter  et  de 
le  spécialiser ,  lui  fit  encore  étendri'  et  enrichir  son 
œuvre.  Cet  honune  de  trente-quatre  ans,  qui 
montrait  un  si  important  et  si  complet  bagage, 
trouvait,  dans  cette  exposition  de  1884,  un  j)oint 
de  départ,  bien  plutôt  qu'un  aboutissement. 

En  1885,  il  expose  une  ceuvre  capitale,  le  Por- 
trait de  M.  Cleinciiccdii  Juiis  une  rcunion  puJ)liqiu\ 
le  plus  important  morceau  de  peinture  qu'il  eût 
exécuté  depuis  la  Famille  de  Jean  le  Boiteux  du 
Salon  de    1877.    L'année    d'après    encore,  '  hez    le 


VIEILLE    FEMME    DANS    LA    NEIGE 


fondeur,  portrait  de  Gonon,  présidant  à  la  fonte  du 
bas-relief  de  Dalou.  Ces  deux  œuvres  capitales  ont 
superbement  combattu,  au  ilusée  du  Luxembourg, 
pour  l'art  à  la  fois  volontaire  et  spontané,  philo- 
sophique et  sa\-amment  reuvTé,  ]ilein  de  pensée, 
et  non,  comme  on  affecta  naguère  de  le  dire,  litté- 
raire, qu'instaurait  Raffaëlli.  Le  Clemenceau  est 
encore  du  Musée  un  des  numéros  les  plus  éloquents 
et  les  plus  rares.  Le  Gonon  est  maintenant  au  ^lusée 
de  L\()n  où  il  s'affirme  avec  une  surprenante  viva- 
cité. 

Au  Salon  de  1887,  Raffaëlli,  soudain,  montra  une 
<euvre  qui  fut  jugée  très  différente  de  celles  qui 
précédaient  :  la  Belle  matinée,  page  toute  de  volupté 
riante,  de  couleur  riche  et  délicate.  Quoi  !  Le  carac- 
tériste  allait-il  se  faire  le  peintre  des  grâces  ?  Certains 
sourirent  ;  d'autres,  plus  sensés,  admirèrent  l'œuvre 
pour  sa  belle  réussite  sans  se  soucier  des  théories. 
Et  tout  s'expliqua  lorsqu'en  1888  et  1889  on  vit 
le  Portrait  de  Concourt  et  certains  portraits  de 
jeunes  filles  du  inonde.  La  Belle  matinée  avait  été 
simplement  en  même  temps  le  prélude  à  de  nou- 
velles explorations  du  caractère  moderne,  et  le 
trait  d'union  entre  la  première  manière,  minutieuse, 
fine,  acharnée,  et  une  manière  nouvelle,  plus  large 
et  plus  opulente,  mais  non  moins  précieuse  et  non 
moins  attentive. 

Au  surplus,  l'Exposition  universelle  de  1889, 
grâce  à  l'intelligence  d'Antonin  Proust,  qui  aima 
et  comprit  Raffaëlli  comme  il  avait  compris  et 
aiméManet,  fut  pour  notre  peintre  l'occasion  d'un 
triomphe  et  le  plaça  définitivement  parmi  les 
maîtres  les  plus  en  \Tie  du  mouvement  moderne. 

Aussi,  lorsqu'en  1890  se  fonda  la  Société  nationale 
des  Beaux- Arts,  Raffaëlli  ne  tarda  pas  à  en  devenir 
un  des  exposants  les  plus  importants,  un  de  ceux 
dont  chaque  année  on  attendait  et  dont  on  com- 
mentait passionnément  les  œuvres  comme  celles 
d'un  Cazin,  d'un  Puvis  de  Cha vannes  ou  d'un 
Rodin. 

Alors  commence  —  recommence  plutôt  —  une 
série  étourdissante  de  travaux  de  toute  sorte,  d'une 
variété  infinie,  d'une  ver\-e  jamais  lasse,  d'une 
beauté  et  d'une  nouveauté  de  technique  absolu- 
ment personnelles.  Paysages  de  Paris,  montrant 
sous  tous  leurs  aspects  la  structure  et  la  vie  four- 
millante de  l'immense  cité  ;  tableaux  de  mœurs 
d'une  grande  importance  philosophique  comme  les 
Vieux  convalescents,  autre  chef-d'œu\Te  du  Luxem- 
bourg ;  portraits  délicieux  comme  celui  de  Ger- 
maine, fille  du  peintre,  claire  et  virginale  sj-mphonie, 
un  des  plus  beaux  que  notre  temps  aura  légués  à  la 
postérité. 

Combattant  infatigable  autant  qu'artiste  mer- 
veilleux de  création  et  de  labeur,  RaffaëUi  se  déci- 
dait soudain,  en  1S94-1S95,  à  se  rendre  en  Amé- 


124 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


I.ES    PAYSANS    DE    PI.OUGASNON    (FINISTÈRE) 


rique,  où  il  allait  continuer  la  lutte  par  l'exposition, 
l'écrit  et  la  parole.  Les  œuvres  étaient  pleinement 
appréciées,  placées  d'emblée  clans  les  Musées  de 
New- York,  de  Chicago,  de  Pittsburg.  Les  confé- 
rences, mordantes,  enjouées,  pleines  de  bon  sens, 
d'aperçus  ingénieux  et  profonds  sur  l'art  actuel 
et  sur  l'avenir  de  l'art,  étaient  des  plus  goûtées. 


et  l'on  peut  dire  que  le  missionnaire  que  fut  alors 
notre  peintre  remjiorta  une  réelle  victoire  non  seu- 
lement pour  son  œuvre,  mais  encore  pour  l'art  fran- 
çais. Il  fit  deux  de  ces  voyages,  et  tous  deux  furent 
aussi  décisifs  que  fructueux. 

Ce    qui   frappe   lorsque    l'on   considère  l'œuvre 
dans  son  ensemble,  c'est  que  celui  qui  l'accomplit 


123 


L'ART    ];t   les   artistes 


o  m- 


::j 


L  APPRENTIE 


jamais  ne  se  repose  sur  un  succès,  jamais  ne  se  ré- 
pète. Il  faut  toujours  qu'il  trouve  et  c^u'ilcrée  autre 
chose.  Il  ]iourrait  dewnir  un  spixialis/c,  fonction 
couuuode  ri  lucrative  ;  mais  il  est  trop  passionné 
]5our  s'immobiliser  dans  une  note  lieureusement 
trouvée.  Il  a  besoin  toujoiu's  et  toujours  de  ces 
bonheurs  uouveaux  dt.'  la  lrou\aille  impré\-ue.  Il 
travaille  ilans  une  perpétuelle  excitation  et  il  se 
conserve  d'une  jeimesse  absolue,  puistiue  l'on 
demeure  jeune  tant  cju'oii  ne  se  répète  point. 

C'est  ainsi  qu'aux   Salons  de  1002  et  de  1904  il 
ouvre  tout  un  lilon  de  nouveau.x  paysages,  sortes 


d'interjirétations  delà  nature,  les  uns  sur  des  thèmes 
bretons,  les  autres  sur  des  motifs  flamands.  C'est 
ainsi  encore  qu'au.x  Salons  de  1907  et  de  1908 
nous  voyons  reparaître  de  grandes  études  de  types 
liuniains,  l' Apprentie,  la  Vieille  femme  dans  la 
iicr^c,  r Automne  de  la  vie,  le  Bûcheron  et  son  chien, 
qui  à  l'intensitépénétrante  d'études  i)hysionomiques 
telles  que  les  ceuvres  de  début,  joignent  une  exécution 
'le\-enne  d'une  souplesse  et  d'une  richesse  parfaites. 
Il  s'en  faut  que  toutes  ces  étapes  qui  apportent 

I  hacune  avec  elle  des  séries  nombreuses  de  ta- 
bleaux, d'esquisses,  de  peintures  toutes  significa- 
tives et  d'une  grande  valeur,  constituent  à  elles 
seules  les  éléments  d'activité  de  Raffaëlli.  A  côté  de 
-(in  leinre  pr(>|irement  dite,  voici  qu'il  fait  acte 
d'iinenleur,  et  (ju'à  son  magniiîque  bagage  de 
]ieiiitre,  il  ajoute  un  (euvre  de  graveur  qui  suffirait 
à  lui  seul  jiour  faire  le  renom  d'une  carrière. 

Comme  inventeur,  il  trouve  ces  fameux  «  pastels 
à  l'huile  ».  bâtonnets  de  couleur  réalisant  le  désir 
de  Titien  :  "  Si  l'on  pouvait  peindre  avec  des  cou- 
leurs qu'on  aurait  au  bout  des  doigts  !  »  et  il 
entraine  à  les  expérimenter  et  à  s'en  servir  un  grand 
nombre  des  meilleurs  artistes  français  et  étrangers. 

II  applique  son  esprit  d'investigation  à  la  méca- 
nique, aux  ])rocédés  de  technique  dans  tous  les 
arts,  et  notamment  celui  de  la  gra\tire  en  couleurs. 

Rien  de  plus  spirituel  et  de  plus  raffiné  que  ces 
gra\-ures  en  plusieurs  tons  qu'il  multiplie,  et  montre 
avec  un  succès  toujours  croissant,  soit  seul,  soit 
avec  la  Société  qu'il  fonde  et  qu'il  préside,  à  bon 
droit,  ayant  véritablement  infusé  à  cet  art  une 
nouvelle  vie.  Son  leuvre  de  graveur  va  du  simple 
(  riHjui-  d'un  jiersonnage  tyi^ique  ou  d'un  coin  de 
pays  à  tles  planches  comme  le  Grand-Prix  de  Paris, 
qui  sont  parmi  les  jilus  importantes  que  la  gravure 
en  couleur  ait  jamais  produites. 

Enfin  le  voici  à  la  tête  d'un  si  riche  et  si  impo- 
sant ensemble  de  travaux  qu'en  cette  année  1909 
la  galerie  Georges  Petit  tout  entière  n'est  pas  trop 
grande  ])our  en  présenter  dans  son  ample  dévelop- 
pement la  multiple  et  profonde  évolution. 

J'ai  forcément,  dans  cette  rapide  étude,  omis 
bien  des  détails,  groupé  bien  des  œuvres  sous  des 
indications  générales.  C'était  d'ailleurs  mon  but  ici, 
non  jxis  de  tracer  une  biographie  ainsi  qu'une  étude 
de  critique  en  règle,  mais  de  situer  l'œuvre  de  Raf- 
faëlli à  sa  vraie  place  qui  est  une  des  plus  à  part 
et  des  })lus  belles  de  notre  temps.  Reprenons  donc, 
d'une  façon  générale,  les  traits  les  plus  saillants  de 
cet  (euvre  et  de  cet  esprit. 

Un  caractère  tout  d'abord  nous  frappe:  c'est  que, 
malgré  son  extrême  di\-ersité,  l'œuwe  de  Raffaëlli 
est  d'une  unité  absolue  et  superbe.  Que  ce  soit  un 
des  fins  jietits  tableaux  du  début  ou  ime  des  larges 
et    brillantes    peintures    de    ces    dernières    années, 


126 


L'ART     ET     l.KS     ARTISTK 


l'accent  est  le  même,  et  il  n'\',  a  pas 
eu  de  ces  hésitations  déconcertantes, 
do  ces  volte-face  qui  montrent 
chez  un  artiste  un  arrêt  dans  la  vo- 
lonté. Un  Raffaëlli  de  1882  est  ana- 
logue à  un  Raffaëlli  de  iqof)  :  c'est 
la  même  incisive  jK'nsée.  le  même 
beau  métier,  imprévu  avec  chaque 
leuvre,  et  constant  avec  lui-même  à 
travers  toutes.  De  même,  parenté 
absolue  entre  une  figure  isolée  et  un 
])aysage,  entre  rmc  peinture  et  \m 
dessin,  entre  une  sculpture  et  inie 
gravure  à  l'eau-forte.  Ce  qu'on  a 
ippelé  l'universalité  chez  im  artiste, 
te  n'est  autre  chose  que  la  persis- 
tance d'une  volonté  ;  et  en  ce  sens 
notre  artiste  est  universel  comme  les 
beaux  maîtres  d'autrefois.  Il  ne  songe 
même  pas  au  moven  qu'il  emploie, 
car  il  prend  immédiatement  celui  qui 
convient  le  mieux  à  la  ]icnsée  et  à 
l'émotion  du  moment.  Comme  sa 
technique,  son  émotion  est  univer- 
'  lie  :  il  reviendra  aux  jiauvres  gens 
.i\ec  la  même  sympathie  qu'il  va 
au.x  élégances  et  aux.  grands  carac- 
tères. Une  belle  jeune  hlle  le  rendra 
aussi  attentif  et  aussi  beau  peintre 
qu'un  homme  d'action  comme  Cle- 
menceau, qu'un  homme  d'art  comme 
Edmond  de  Concourt,  ou  enfin 
qu'une  pauvre  et  âpre  épave  de  la 
\ie  comme  la  Vieille  femme  dans  la 
iieiqe.  Comme  il  avait  peint  les  ban- 
lieues misérables,  il  comjwse  de  fraî- 
ches et  éclatantes  symphonies  de 
fleurs.  Il  aura  tour  à  tour  la  note 
de  drame  et  la  note  d'enjouement 
Bref  c'est  un  artiste  absolument  spon- 
tané, et  qui  ne  travaille  que  dans 
l'ardeur  de  la  pensée,  dans  la  griserie 
de  la  besogne  de  bel  ouvrier. 

Si  de  là  je  passe  à  la  conception 
même,  c'est-à-dire  si  je  iiiiionti-  d. 
l'aspect  immédiat  des  (etivres  et  d. 
la  commotion  qu'elles  procurent  à  l.i 
pensée  et  à  l'émotion  qui  les  ont  iii>- 
pii^ées,  je  discerne  que  c'est  un  idéal 
très  élevé  de  justice  et  de  bonté  ([ui 
a  présidé  à  la  carrière  de  ce  beau 
philosophe  et  jieintre.  Rien  de  ce  (pii 
est  humain  ne  lui  fut  étranger.  L'an 
teur  des  Vieux  convalescents  est  ten- 
dre pour  les  abandonnés,  et  en  même  temps  la  ses  plus  suaves  caresses,  le  trouve  interprète  vi- 
nature,  aussi  bien  dans  ses  ingratitudes  que  dans      brant,  observateur  à  la  fois  dominateur  et  attendri. 


I.E    lîUCIiEROX    F.T    SON    CIIIICX 


127 


L'ART     ET     I,ES     AKTISTl^.S 


Je  regrette  de  n'avoir  pas  la  place  nécessaire  pour 
citer  quek]u'un  de  ses  nombreux  écrits  sur  l'art, 
sur  la  philosophie.  On  y  verrait  un  esprit  sans  cesse 
en  éveil,  d'une  indépendance  absolue,  se  dressant 
aussi  fièrement  contre  un  privilège  que  résistant 
à  une  revendication  injustifiée.  Dans  ses  Prome- 
nades au  Louvre,  Raffaëlli  a  donné  une  théorie 
remarquable  de  la  façon  dont  il  entendait  que  l'on 
peignît  le  peuple  :  avec  sympathie,  mais  sans 
servilité  ;  en  lui  donnant  les  moyens  de  s'élever 
jusqu'aux  esprits  éclairés,  mais  non  en  contrai- 
gnant ceux-ci  de  s'abaisser  vers  lui. 

Il  n'y  a  pas  à  dire  :  une  belle  pensée  est  créatrice 
d'une  belle  œuvre  d'art.  Que  chaque  artiste  pense 
à  sa  manière,  soit.  Qu'il  ne  puisse  s'exprimer  que 


par  les  moyens  matériels  de  son  art,  c'est  non  seule- 
ment naturel,  mais  c'est  nécessaire.  Mais  que  l'on 
ne  soutienne  pas  qu'il  faut  ne  pas  penser  pour  faire 
de  belles  œuvres,  ou  même  simplement  que  c'est 
inutile.  Tous  les  grands  artistes  de  tous  les  temps, 
aussi  bien  Raphaël  que  Rembrandt,  Chardin  que 
Watteau,  Corot  que  Puvis  de  Chavannes,  ont  été 
à  leur  façon  des  poètes  ou  des  penseurs. 

].-¥.  Raffaëlli,  épris  de  pensée,  ardent  contem- 
plateur de  la  nature  et  de  la  vie,  se  classera  parmi 
les  plus  vaillants  et  les  plus  originaux  artistes  de 
notre  époque,  et  ce  «  jugement  des  vivants  >>  dont 
nous  parlions  au  début,  et  qui  s'instruit  en  ce  mo- 
ment à  la  galerie  Georges  Petit,  est  déjà  prononcé, 
et  sans  appel,  en  sa  faveur. 

Arsène    Alexandre. 


-ÎJtit'.'l:!:,'^^^ 


LE    DÉMÉN.\(;E:MEXT    (sra\un-  on  couleursi 


SKALICA    EX    HONGRIE    lSl..\  ,iq\ii() 


VACL_AV    JICHA 


LA  .Moravie  est,  entre  la  Bolirnie  et  la  H(iii,i;rie 
slovaque,  une  terre  bénie,  mais  où  les  |)o])ula- 
tions  slaves,  qui  y  sont  chez  elles,  endurent  une 
lutte  terrible  contre  l'invasion  allemande,  armée 
de  capitaux  inépuisables.  Aussi,  malgré  leur  infé- 
riorité financière,  cherchent-elles  à  en  remontrer  à 
l'adversaire,  dans  tous  les  domaines  de  la  culture, 
et  particulièrement  dans  celui  des  lettres  et  des  arts. 
Cette  émulation  ])roduit,  il  va  sans  dire,  d'e.xcel- 
lents  résultats.  Au  surjilus,  ce  margraviat  llorissant 
est,  en  Autriche,  depuis  des  siècles,  le  pa\'s  par 
excellence  de  l'art  populaire.  La  terre  fertile  et 
l'habitant  aux  costumes  bariolés  sont  un  jk'u  à  la 
patrie  tchèque  et  à  Prague,  capitale  morale  des 
Slaves,  ce  que  le  midi  de  la  France  est  à  Paris.  Avec 
la  hâblerie  en  moins  !  Car,  chose  curieuse,  si  un 
Fartarin  tchèque  devait  se  rencontrer,  on  le  trouve- 


rait ])lus  faciU'ment  en  iîoliéme  que  dans  cette 
large  et  douce  vallée,  épanouie  au  soleil  du  côté  du 
Danube,  vraie  patrie  et  dernier  refuge  de  la  chanson, 
de  la  broderie  et  de  l'ornement  jiopulaire  slaves. 

Les  maîtres  d'école  moraves  sont  renommés, 
(le])uis  l'époque  de  Comenius  et  de  la  h'ralcrnité 
déj.à.  Paris  a  entendu,  à  l'Héitel  de  Mlle,  l'an  der- 
nier, les  concerts  d'un  de  leurs  grouj^es  choraux 
qu'on  a  présenté  comme  tchèque,  afm  sans  doute 
de  n'avoir  pas  troj)  de  nuances  ethniques  et  lin- 
guistiques à  défuiir.  L'artisteque  je  demande  à  mon 
tour  la  permission  de  présenter  aujourd'hui  donne 
des  leçons  de  mathématiques  et  de  dessin  dans  la 
l)etite  ville  de  Straznice  (Slrajcnitsé,  6  ooo  habitants 
an  plus).  Il  n'a  que  ses  jours  de  congé  et  ses  vacances 
pour  dessiner  et  peindre.  Il  n'a  jamais  fait  de  son 
art    un   métier  et   avant   le   mois   dernier  n'avait 


129 


L'AKT     ET     LES     ARTISTES 


^> 


jamais  t'xjiose. 
der.  Et  ce  lut  ; 
graviat,   qur   ^I 
(ieniain,  fut  aili 


Il  a  fallu  un  liasard  jujur  l'\'  iléci- 
i  BiiU)  (Miunni,  capitak-  du  uiar- 
.  X'aclav  Jicha,  du  jour  au  len- 
iii>  au  preuiur  rang  îles  artistes  do 


sa  patrie  et  jugé  digne  de  former,  avec  il.M.  Jozka 
l'prka  et  Buhumir  Jarcmel:,  un  trio  niagnitujut- 
ment  tyjiiciue  de  l'art  et  de  la  nature  moraves. 

Et  s])écialement  de  cette  région  de  la  Moravie, 
déjà  nettement  slovaque,  qui  s'étend  entre  la 
rivière  dont  le  pays  tire  son  nom  et  la  chaine  des 
Petites  Carpathes.  C'est  la  mieux  conservée. 
M.  Ujirka  en  a  célébré  l'halntant  et  ses  travaux, 
^I.  Jicha  nous  en  montre  les  aspects  variés  en  des 
séries  d'immenses  et  lumineuses  aquarelles,  enle- 
vées avec  une  verve  rapide  et  audacieuse,  où  la 
sauvagerie  des  maisons  blanches,  sous  chaume  ou 
bardeaux,  enluminées  d'ornements  écarlate,  orange 
et  bleu  céruléen,  éclate  délicieusement  vive  dans  la 
tranquille  symjihonie  des  branches,  dorées  par 
l'automne,  ou  des  fouillis  buissonneux,  que  le 
printemps  saupoudre  de  cendre  verte.  De  ]ilus 
rapides,  de  plus  tranches,  de  plus  jo\'euses,  dans  des 


dimensions  monumentales,  je 
n'en  ai  vues  en  aucun- pa\-s. 
Elles  ont  une  santé  et  une 
jeunesse  un  peu  rudes  qui 
sont  celles  mêmes  de  la  con- 
trée. L'ensemble  de  l'œuvre 
équivaut,  piour  la  Moravie 
slovaque,  à  la  collection  des 
])lanchettes  à  l'huile  de  Gri- 
goresco  pour  la  Roumanie  et 
de  Stanislawski  pour  la 
Pologne  et  l'Ukraine.  Les 
décrire,  c'est  décrire  le  pays 
lui-même. 

La    rivière    d'abord,    cette 

Morava  blonde  que  les  atlas 

allemands  baptisent    Marsch, 

et  dont  la  lenteur  morcelle  en 

îlots    un  vaste    territoire    de 

ramilles    (comme  nous  apprit 

à  dire  Pouvillon),  tout  inondé 

au  printemps.   Alors  des  lacs 

de    plusieurs     lieues    s'extra- 

\-asent,  traversés  par  les  routes 

sur  remblais  et  des  ponts  de 

•■  .     bois     ou     de    fer,    d'où    l'on 

~-^-      domine  des  réfractions  de  ciels 

T,      (_t    de    nuages    miraculeuses. 

'^'''         '       De   grands   arbres   paludéens 

forment    des    bocages    cente- 

^  naires    d'où    s'échappent    les 

cerfs  et  les  biches.  Au  loin  les 

'  '  coUines  historiques  de  Velehrad 

et  de  Buchlov  bleuissent  d'un 

coté  :    de   l'autre,    celles  de  la  frontière  hongroise, 

les  vignobles  de  Skalica  [Skalitsa] ,  la  ville  du  gibet 

slovaque,   passent   de  l'or  à   l'outremer    avec   les 

lieures.  C'est   une  première    portion    de     l'ceuvre, 

consacrée  aux  arbres  et  aux  lointains,  à  la  rivière 

et  à  ses  inversions  de  la  berge  et  du  zénith.  La  seule 

dont  on  pourrait  trouver  à  la  rigueur    l'analogue, 

très  peigné  et  amoindri,  dans  certains  paj-sages  de 

France.    J'en   aime  surtout  les  aspects  d'automne 

où   le   lileu    du  ciel  redouble    à    travers    l'or    des 

fi\)ndaisons    et    où    les    parterres    sont  tout  semés 

des  pietits  clous  lilas  des  colchiques. 

Puis  les  abords  des  petites  villes  et  des  villages, 
qui  se  marquent  surtout  par  d'autres  aggloméra- 
tions, vrais  villages  de  meules  celles-là,  dont 
^I.  Jicha  est  une  façon  de  Claude  Monet  aquarelliste. 
Les  aspects  baroques  de  Skalica  formeraient  en 
quelque  sorte  la  capitale  de  ce  royaume  d'aquarelles 
barbares  et  savoureuses,  Skalica,  ville  de  couvents, 
qui  joua  un  peu  le  réile,  dans  cette  vallée,  de  Trnava, 
la  Romeslo\-aque,  dans  celle  du  \\"ah,  de  l'autre  côté 
des    horizons    boisés.    C'est-à-dire    que   ce    fut    un 


130 


L'AI 


ET     LI'S     ARTISTES 


centre  de  la  réaction  catholique  contre  l'opiniâ- 
treté hussite,  réfugiée  dans  ces  marécages  et  ces 
vallons  forestiers,  où,  plus  tartl,  le  légendaire  bri- 
gandage des  Janochik  profita  de  cet  état  d'hostilité, 
autre  chouannerie,  qui  devrait  liien  insjiirer  un 
Barbey  d'Aurevilly  local.  Ouant  aux  villages,  tels 
lis  furent  au  temps  des  incursions  de  Jean  Zizka 
en  Hongrie,  tels  les  voici  dans  l'ieuvre  de    Jiclia. 


blés  vermeils,  orges  jaunes  de  Xa])les,  avoines 
glauques,  sillons  violets  ou  roux,  ])âturagcs  vert 
de  vessie.  Et  tout  à  coujj  le  bouquet  rose  d'un  pom- 
mier en  fleurs,  le  bouquet  blanc  d'un  sureau,  le 
bouquet  de  corail  des  sorbiers,  et  le  feu  d'artilice 
des  tournesols.  Parfois,  de  haut,  une  vaste  succes- 
sion de  plans  et  d'arrière-plans  également  tigrés, 
de  jirés,  mêlés  de  forêts,  dont  la  diaprure  diminue 


L.\    l'L.VCE    DE     1V.\KUZ.\.V  LIIUT.V 


En  grand  désordre  dans  les  branches,  autour  de 
la  grande  régularité  des  rues  centrales  ;  là,  chaque 
maison  placée  de  même,  l'une  connue  l'autre,  de 
même  forme,  sous  im  même  chaume  et  d'une  égale 
blancheur,  mais  rehaussée  d'une  autre  frise  ou  d'un 
autre  soubassement  aux  plus  violentes  couleurs. 

Puis,  longeant  les  ruisselets  qui  gazouillent  sous 
les  aubéjiines,  nous  entrons  dans  les  vallons  et 
remontons  par  les  bois,  vers  les  lourds  ciels  d'orage 
et  le  vent  froid  des  frontières  et  des  cols.  De  cet 
acheminement  aussi  ces  aspects,  sans  ciel,  de  bro- 
chettes de  chamnières,  enfilées  le  long  d'un  chemin 
ou  d'une  haie,  à  mi-cêjte  des  cultures  zébrées  : 
colzas  jaune-citron,  trèfles  roses,  chanvres  brunis, 
pavots  roses  et  blancs,  vulnéraires  cadmium- 
orange,    lins   et    luzernes    bleus.    es])arcettes    lilas. 


d'intensité  dans  l'espace,  jus(prà  l'extrême  lointain, 
où  l'on  devine  les  inunensités  plates  de  la  Pologne 
ei  de  la  Russie,  pages  angoissantes  par  le  sentiment 
d'infini  hostile  que  ces  mornes  régions  dégagent. 
Au  premier  plan  une  p\ramide  de  ])ierres  plates  et 
triangulaires,  jeu  de  i)àtresà  demi  .sauvages,  évoque 
la  farouche  mohila,  le  sé]nilcre  sacré  des  ancêtres. 
Tels  les  sujets  de  cette  (euvre  une  et  inulti])le. 
Comment  dire  les  variations  d'un  pinceau  agile  et 
hardi  à  l'excès,  sans  fausse  virtuosité,  sans  trucs, 
sans  recettes  au  service  de  cette  cause?  Le  paysage 
est  en  désordre,  le  paysage  est  immense  ;  res])rit 
anarchique  slave  souflle  sur  les  toits  et  les  guérets. 
Pour  faire  sentir  la  grandeur  de  ce  jiaysage,  mieux 
vaut  et!  couper  un  morceau  brut  qu'y  établir  un 
ordre  factice.  L'harmonie  résultera,  si  l'on  veut,  des 


131 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


subtiles  associations  de  viok-ncL-s  homéopathiques 
ou  au  contraire  du  cii  à  tue-téte  de  complémen- 
taires exaspérées;  mais  toujours,  en  même  temps, 
de  l'exquis  sentiment  d'amour  et  d'intime  jouis- 
sance d'un  artiste  aux  \cux  \'ierges  et  à  l'imagi- 
nation fraîche  en  lace  de  la  nature  natale.  Aucun 
préjugé  d'école,  aucune  maladresse  de  paysan 
endimanché.  L'art  tout  nu,  d'une  àme  toute  nue, 
devant  la  nature  nue.  ("e  mathématicien  émérite 
ne  raisonne  plus  devant  son  motif,  il  lui  obéit 
et  il  jubile  de  sa  journée  de  liberté  en  plein  air. 
Les  enfants,  les  chiens,  les  pâtres  ou  les  gendarmes 
viennent  le  flairer,  il  n'a  cure  quv  de  la  décompo- 
sition des  nuances  au  fil  de  l'heure.  Peut-être 
pense-t-il  à  la  page  de  l-iacli  du  de  Smetana  qu'il  a 
jouée  la  veille,  au  binnnie  de  Newton  qui,  dans  les 


devons  d'écoliers,  l'attend  à  la  maison,  à  de  beaux 
vers  de  Brezina,  à  une  élucubration  du  mystique 
Bilek,  jamais,  jamais  à  un  cancan  des  cercles  artis- 
tiques de  Vienne  ou  de  Prague,  jamais  à  braver  ou 
capter  l'opinion  du  voisin,  à  damer  le  pion  à  un 
confrère.  Et  rentré  chez  lui  il  entasse  une  ou  deux 
aquarelles  géantes  de  plus  sur  les  monceaux  des 
années  précédentes,  sans  l'idée  même  de  les  mon- 
trer à  d'autres  qu'à  sa  femme  et  à  ses  amis,  et 
nul  d'entre  eux  n'a  cure  des  querelles  entre  les 
/.s7t',s-  et  les  ismes  à  la  mode. 

Et  il  est  heureux.  Puisse-t-il  ne  pas  cesser  de 
l'être,  aujourd'hui  qu'il  a  commencé  à  devenir 
célèbre  ! 

William  Ritter. 


Cl.  ,1e  râtelier  RcUdi. 


.W.\XT    LE     PRINTEMPS 
132 


ART     DECORATIF 


MILJSS©] 


Aujourd'hui,  parmi  ceux  qui  collaborent  à  eu 
qu'on  est  convenu  d'appeler  "  les  arts  appli- 
qués à  l'industrie  »,  ou  «  l'art  décoratif  ",  il  \-  a 
deux  catégories  nettes.  Les  uns  font  des  dessins,  ou 
plus  exactement  des  «  desseins  »  (comme  on  écri\-ait 
au  temps  de  l'an- 
cienne Académie 
royale  de  peinture 
et  de  sculpture),  des 
projets,  des  cartons, 
([u'ils  remettent  à  un 
patron,  à  un  entre- 
preneur. Celui-ci  en- 
voie le  carton  à  des 
artisans  chargés  de 
l'exécuter.  Une  hié- 
rarchie distingue  la 
concejJtion  de  l'exé- 
cution, les  dessina- 
teurs des  ouvriers. 
Cette  hiérarchie  est 
née  de  l'industrialisa- 
tion et  de  la  spécia- 
lisation du  travail  : 
la  machine  tend  à 
remplacer  l'ouvrier, 
seul  l'artiste  reste 
l)our  ainsi  dire  le 
cerveau  de  la  ma- 
chine. Il  n'en  allait 
pas  de  même  à  une 
époque  où  la  ma- 
chine n'existait  pas, 
où  la  main-d'œuvre 
conservait   tous    ses 

droits,  restait  souple,  patiente  et  intelligente,  où 
l'individu  social,  ayant  des  privilèges,  affirmait  sa 
personnalité  par  tous  les  mo3'ens,  par  sa  bravoure, 
son  esprit  d'initiative,  dans  sa  maison  ou  son 
château,  dans  son  luxe,  dans  son  costume.  Ima- 
ginez,   au    début   (hi    .\x<=  siècle,    un    homme  qui 


aurait  ])u  \i\re  au  xv^'  siècle,  tra\-aillant  dans 
sa  maison,  au  milieu  des  siens,  sans  le  secours  de 
la  machine,  avec  l'aide  de  ses  seuls  outils  —  les 
plus  anciens  sont  les  meilleurs,  —  et  réalisant,  pour 
le  compte  d'amateurs,  des  objets  d'art  qui  ne  soient 
pas  de  monotones 
répétitions  ou  des 
copies  mal  déguisées, 
—  tel  est  Husson, 
dont  M.  Hébrard 
vient  d'exposer  dans 
sa  galerie  l'ieuvre 
inlinimeiit  divers. 
Husson  est  le  type 
de  l'artiste  artisan. 
Il  exécute  sa  propre 
conception.  Il  fait 
un  ])rojet,  un  simj)le 
crocjuis,  qu'il  inter- 
prète, au  cours  de 
l'exécution,  en  l'élar- 
1,'issant  ou  en  l'ame- 
nuisant, suivant  les 
nécessités  de  la 
technique  employée, 
et  corrigeant  ainsi  ce 
(jue  le  dessein  pour- 
rait avoir  d'im  ])eu 
abstrait. 

On  trouve  dans 
ses  origines  les  élé- 
ments d'une  person- 
nalitéaussicomplète. 
Husson,  fils  d'un 
serrurier,  a  com- 
mencé par  apprendre  le  métier  de  son  père,  et  l'art 
du  fer  est  resté  sa  principale  occupation.  Une 
belle  clef  exécutée  en  cachette,  montrée  et  vendue 
trois  ou  quatre  louis  à  un  amateur,  voilà  le  point 
de  départ  de  sa  carrière.  Entre  temps,  il  suit 
les     cours    de     dessin,    le    soir,     travaille    à    des 


VASE    (cuivre 


133 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


CriLLER    A    SITRE    (art;<iit  cisi-lc-i 

mt-nbles  dans  \v  guut  ilc  la  Kiiiaissaïux-,  i)i)ur  le 
compte  (rcntrepifiK'Uis.  aluliciiu'  touti.'  espèce 
d'individualité,  renonce  à  sa  signature  pendant 
vinL;t-sept  ans.  ins(jn'an  jour  où  le  fondeur  Hé- 
hrard,  discernanl  to\it  ce  cpi'il  y  avait  en  lui 
de  talent  dévoyé,  d'orii^'inalilé  véritable  et  de 
sûreté  technique,  l'encourage  et  le  rend  pour 
ainsi  dire  à  lui-même. 

Le  genre  d'existence  q\w  mène  Husson  explique 
sa  conception  ornementale.  11  vit  en  jileine  cam- 
pagne, près  de  Mantes,  dans  une  vieille  maison 
du  pa^■s,  au  milieu  des  fleurs  et  des  champs.  Les 
papillons  et  les  coléoptères  qu'il  collectionne,  les 
plantes  qu'il  arrache  ou  qu'il  entretient  lui-même 
dans  son  jardin,  lui  suggèrent  chaque  jour  des 
thèmes  de  décoration.  Par  l'exactitude  et  le 
scrupule   qu'il   ajjporte  à  imiter   la   nature  dans 


'^(■s  manifestations  et  dans  ses  combinaisons, 
Hussein  est  un  ]>ur  gothique.  C'est  à  Chartres, 
à  Reims  et  à  Amiens,  aux  portails  des  cathé- 
drales, aux  ])iédroits  qui  se  répartissent  de  chaque 
ci")té  des  tympans,  sur  les  chapiteaux  fouillés 
dans  la  ])ierre,  que  vous  observerez  le  même 
griiuillenunt  de  la  vie  humVile,  simple,  infinie 
des  cli.uuiis.  le  même  souci  naïf  et  presque  en- 
itiutui  -  ce  mot  veut  définir  la  fraîcheur  de 
-■iiisatiiin  \isiu-lle  —  à  reproduire  des  détails 
liimiblrs  (pii  >'harmo!iisaient  à  merveille  avec 
hi  npréscntatiiin  des  saints  et  des  apôtres, 
mus  du  pciqile.  coiimie  chacun  sait.  Les  Grecs 
aimaient  à  sculjiter  la  feuille  d'acanthe,  parce 
iinc  l'acanthe  abonde  dans  les  jardins  grecs.  De 
mi'ine.  les  artistes  français  du  moyen  âge  re- 
^'ard, lient  autour  d'eux  :  une  bête  à  bon  Dieu  sur 
une  leuillc,  un  colimaçon  sur  un  chou,  un  lézard 
qui  se  laufile  sur  un  mur,  des  feuilles  de  lierre, 
\ii]là  toute  leur  imagination.  Ainsi  Husson  croque 
iir  son  carnet  des  chauves-souris  clouées  à  un 
unir,  des  cigales,  des  libellules,  du  lierre,  du  panet 
sauvage,  des  algues,  des  poissons,  des  colimaçons, 
des  bêtes  à  bon  Dieu,  des  sauterelles,  du  houx. 

11  les  note  avec  leurs  moindres  particularités, 
i\.  ciuimie  cet  artisan  du  portail  de  Vézelay, 
il  remarque  par  exemple  que  les  linéaments  du 
lierre  qui  grimpe  se  tordent  au  gré  des  spirales 
d'enroulement.  ]Mais  ces  notes,  il  ne  les  emploie 
])as  à  tort  et  à  travers. Toujours  il  leur  donne  une 
destination  logique,  appropriée  à  l'usage  de 
l'objet  qu'il  s'agit  d'orner.  Sur  la  panse  d'un  grand 
\'ase  s'épanouissent  les  ailes  éployées  d'une 
cluuu'e-souris,  et  entre  les  ailes,  pour  mettre  de  la 


FEKMAIL   (l.r  cibi-le  et  îi.rgé) 


134 


L'ART     F.r     I.i:S     ARTISTES 


l'LAT    DE    CUIVRE    CISELE    ET    KEPCJLSSE 

variété  dans  cette  ornementation  un  lun  rii^iilr,  il 
prodigue  la  floraison  du  panit  ^au\ai,'r.  Aux 
parois  d'un  petit  vase,  ce  seront  des  cit;ales  grim- 
pant sur  les  graminées  on 
sur  les  roseaux  son])les. 
A  un  plat,  il  donne  la 
forme  d'une  coquille;  une 
tête  de  Sirène  (ornrera  k- 
nœud  de  la  cocpiille,  et  la 
chevelure  se  r  é  p  a  n  tl  r  a 
parmi  les  algues.  De  jiart 
et  d'autre  d'un  j)lat  à 
poisson,  il  représente  des 
têtes  de  grondins.  Je  pour- 
rais multi]>lier  les  exem- 
ples ;  j)artout  c'est  la 
même  harmonie  entre  le 
détail  ornemental  et  l'ai  - 
chitecture. 

Le  même  équilil)r<- 
existe  entre  le  choix  du 
décor,  la  matière  utilisée 
et  les  techniques  propres 
à  cette  matière.  Ici  Hus- 
son  se  montre  un  artisan 
merveilleux  autant  qu'un 
artiste  et  réunit  les  deux 
termes  de  la  hiérarchie. 
Husson,  qui  est  à  l'oc- 
.ision  menuisier,  exécute 
parfois  des  émaux  chainj»- 
levés,  dont  on  \-erra 
quelques  exemples  à  la 
galerie  Hébrard.  Mais  l'artl 


du  métal  l'attire  tout  ])articulièrenient  ; 
Plusson  aime  à  le  forger,  à  le  repousser, 
à  le  ciseler,  à  l'incruster.  Tantôt  il  emiiloie 
ces  (iratiques  si  diverses  séparément,  tan- 
tôt il  les  combine,  dans  une  exécution 
souple  et  variée  où  se  rencontrent  des 
délicatesses  d'orfèvre  et  les  accents  ro- 
bustes d'un  ferronnier.  A  ces  combinai- 
sons de  pratique,  il  ajoute  des  cond)inai- 
sons  de  matière  et  les  raffinements  de  la 
patine.  Il  introduit  ainsi,  dans  des  objets 
d'un  usage  familier  et  vulgaire,  un  peu  de 
citte  noblesse  que  les  artistes  s'ingéniaient 
à  mettre,  ])ar  toutes  sortes  de  moyens 
comme  la  niellure,  la  damasquinure,  la 
ciselure  et  la  fonte  des  métaux,  dans  les 
armes  dont  on  ne  se  soucie  guère  aujour- 
d'hui, mais  (pu  i)articipaient  à  la  gloire 
de  Godefroy  de  Hoviillou  ou  de  la  cour  île 
François  F''' comliallant  à  l'avie. 

D'une    manière    générale,   il  emjjloie  le 

cuivre  rouge  qu'il  rejxjusse,  parfois  dans 

une  épaisseur  formidable,  pour  former  les  grandes 

lignes    du    décor.    Là-dessus    il    Ncisr   (Us  roulées 

d'argent.  Si,  à  l'arrêt  di'  l.i   -  .;iir  ilc 


i 


Hâi| 


V.\SE    EN    CflVKE    CISELE    ET    KEI'OISSE 


135 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


métal  s'est  solidifuV',  vite  il  la  cisèle,  iniprovisant 
dans  cette  menue  matière  un  détail  charmant,  une 
bête  à  bon  Dieu,  par  exemple,  qui  fait  songer  aux 
sourires  de  l'art  japonais.  Ainsi  la  conception  naît 
parfois  de  l'exécution,  et  ce  que  les  romantiques 
appelaient  l'inspiration  n'a  tout  bonnement  qu'une 
origine  vulgaire  et  très  prosaïque.  Cela  ne  fait-il  i>as 
songer  à  ce  mot  de  Reyer  ?  LIne  femme  lui  deman- 
dait :  >•  ("lier  maître,  cet  air  délicieux,  vous  avez  dû 
en  trouver  VuV'i-  un  soir,  au  clair  de  lune,  sur  le 
bord  d'un  hu  aux  l'aux  argentées,  —  Iih  non  !  rc- 
]iondit-il  :  j'étais  sur  l'impériale  de  l'onmibus,  à 
liourrei  ma  ]iipe  !   » 

Pour  ]>ar.iche\'er  son  (e\ivre,  il  la  jiatine,  et  il 
parvient  ainsi  à  miir  à  la  nervosité  et  à  la  diversité 
de  l'exécution  le  charme  un  peu  \-oilé  d'un  objet 
terni  par  le  teuijjs.  Là,  il  fait  preuve,  connue 
M.  Hébrard,  non  jias  de  je  ne  sais  quel  génie  un  peu 
pervers  d'imitation,  mais  d'un  sentiment  des 
nuances  tout  à  fait  exquis.  Il  emploie  plusieurs 
procédés.  L'anunonia(]ue  est  un  des  plus  connus. 
Dans  d'autres  cas,  il  enterre  les  objets  dans  des 
terres  cclIllpll•^|■■(■s.  11  reproduit  artificiellement 
les  terres  \-(il(  ,iiii(pies  de  Pcmqiéi.  jiar  exemple,  qui 
ont  enfoui  jiendant  des  siècles  les  chefs-d'ceuvre 
qu'on  voit  aujourd'hui  au  ^lusée  de  Naples.  Il 
remarque  que  les  lironzes  anciens  exposés  à  l'air 
prennent  une  patine  différente  suivant  les  i)ays  et 
les  sulfurations  contenues  dans  l'atmosphère  locale. 
Il  arrose  donc  les  bronzes  a\-ec  des  eaux  addition- 
nées d'acides  variés,  qui  attaquent  lentement  le 
métal.  Il  observe,  comme  M.  Hébrard,  que  les  oxy- 
dations s'o])èrent  en  raison  des  alliages,  qu'une 
goutte  d'argent  dans  un  kilogramme  de  bronze 
varie  à  l'infini  cette  (jwdation,  que  les  Japonais 
ont    ainsi   dbteiui    des   ri'sultats   merveillLUX.    Et    il 


suit  ainsi  son  ceuvre  avec  patience,  de  l'ébauche  à 
l'achèvement,  pareil  aux  hommes  du  quattrocento, 
dont  il  est  le  digne  successeur. 

Lé.\.ndre  V.-\illat. 

N.  B.  —  Voici  quelques  indications  complé- 
mentaires sur  le  travail  du  repoussé  tel  que  I2  pra- 
tique Husson.  On  prend  une  plaque  de  métal  que 
l'on  amène  au  moyen  du  marteau  à  la  forme  que 
l'on  veut  obtenir  et,  toujours  au  marteau,  on  obtient 
ensuite  les  sujets  décoratifs.  Ce  travail  pourrait 
s'appeler  sculpture  au  repoussé.  C'est  en  effet  le 
métal  que  l'on  modèle  au  moyen  du  marteau  comme 
on  modèle  la  glaise  avec  les  doigts. 

Ce  travail  se  fait  à  froid,  mais  il  est  nécessaire  à 
tout  instant  de  chauffer  le  métal  au  rouge  pour  lui 
donner  de  nouveau  la  malléabilité  qu'il  a  perdue  par 
le  travail  au  marteau. 

Pour  l'incrustation,  il  faut,  sur  la  pièce  que  l'on 
\-eut  incruster,  champlever  le  métal  dans  la  forme 
que  l'on  veut  donner  à  son  ornement  en  relevant 
légèrement  les  bords  qu'il  faut  rabattre  sur  le 
métal  appliqué  dans  les  intailles. 

Il  ne  reste  plus  alors  qu'à  modeler  et  ciseler  ces 
ornements.  Quant  aux  coulées  de  métal,  c'est  tout 
autre  chose.  La  pièce,  préalablement  chauffée 
dans  un  brasier  qui  l'entoure  de  toutes  parts,  reçoit 
le  métal  cpie  l'on  tient  liquide  dans  un  creuset, 
et  ipie  l'on  applique  au  moyen  d'une  spatule  en 
liirme  (le  cuiller.  C'est  une  opération  très  délicate, 
car  il  faut  surveiller  sa  pièce  qui  pourrait  fondre, 
ce  (pii  anéantirait  en  un  instant  le  travail  de  plu- 
sieurs semaines,  peut-être  de  plusieurs  mois.  Ces 
coulées  sont  modelées  à  chaua  sur  la  pièce  même 
jicndant  la  fusion  et  retouchées  une  fois  re- 
Iroidus. 


COFFRE    (bois  et  pcntures  de  fer  furgé 


136 


AMAX-JEA\ 


~i\^  ,1     I  iMi;.\:  ii;k 


LE     MOIS     ARTISTIQUE 


i©4®s  s^îT  le  Sateim 


Je  la  S(S)e5éfté  Mi\(l5©iîïïa\E( 


LE  lecteur  voudra  bien  nous  excuser  de  la  briè- 
veté extrême  de  ce  compte  rendu  sur  des 
raisons  qu'il  comprendra  facilement. 

D'abord  l'apparition,  le  mois  dernier,  d'un 
numéro  spécial  sur  la  magnifique  exposition  de 
portraits  de  femmes  anglaises  et  françaises  au 
xviii«  siècle,  à  la  salle  du  Jeu  de  Paume,  nous  ren- 
dait presque  impossible  de  consacrer  aux  Salons 
du  Printemps  un  second  numéro  tout  entier,  ainsi 
que  nous  le  fîmes  l'année  passée.  Mais,  outre  que 
ces  numéros,  à  moins  de  rappeler  une  manifesta- 
tion de  première  importance  et  d'art  ancien 
(comme  en  mai),  peuvent  être  de  nature  à  rompre 
l'harmonie  dans  la  collection  de  l'année,  il  faut  bien 
avouer  que  les  Salons  du  Printemps  sont  loin  de 
présenter  l'importance  esthétique  qu'ils  avaient 
autrefois.  I.'habitude  chaque  jour  plus  répandue 
des  petites  expositions,  où  l'on  peut  se  rendre  compte 
de  l'ensemble  de  l'a-uvre  d'un  artiste,  rend  superflue, 
en  quelque  sorte,  l'exposition  générale  des  mois 
d'avril  et  mai,  où  toutes  les  écoles  se  heurtent,  où 
toutes  les  techniques  se  coudoient. 

La  grosse  majorité  des  producteurs  du  Salon  a 


donc  déjà  jm  être  examinée,  en  jiarticujier,  dans  les 
exhibitions  de  la  saison  :  c'est  pourcpioi  nos  lec- 
teurs sont  pries  de  ne  pas  demander  à  cette  étude 
une  vue  d'ensemble  impossible  à  établir  et  de  ne 
jias  tenir  compte  du  manque  nécessaire  de  propor- 
tions dû  au  fait  que  des  artistes  moins  célèbres, 
mais  n'a^'ant  pas  exposé  en  particulier,  sont  plus 
cités  que  d'autres,  ]>lus  connus,  mais  déjà  révélés 
et  appréciés. 

Ceci  dit,  remarquons  que  la  pcintme  décorative 
—  la  vraie  jjeinture,  celle  du  passé  et  de  l'avenir, 
la  peinture  logique  —  offre  cette  année  quelques 
réalisations  particulièrement  heureuses. 

Citons,  hors  de  pair,  l'admirable  panneau  des- 
tiné à  la  décoration  de  la  coujiole  du  Petit  Palais  : 
la  Plastique,  et  qui  fait  partie  d'un  ensemble  de 
quatre  compositions.  M.  Albert  Besnard  voit  les 
choses  de  la  nature  et  celles  de  ses  rêves  du  même 
regard  sûr  et  stlon  les  plans  qu'il  veut.  C'est  un 
peu  notre  Tiepolo,  à  nous  Français  du  xx^  siècle, 
mais  avec  de  la  pensée  en  plus  ;  et  les  Baigneuses 
de  M.  Alfred  Koll  (une  décoration  pour  une  villa), 
une  véritable  féerie  de  nacres  et  de  roses,  s'appro- 


137 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


fondi^jant  dans  des  bleuités  délicieuses;  et  du 
même  aussi  une  Rcptihlique  vêtue  de  rouge  et 
volante  et  belle  ;  et  V Après-midi  d'un  faune  et  les 
Roses  d'Ispdhan,  interprétations  picturales  des 
musiques  de  Debussy  et  de  Gabriel  Fauré  par 
M.  Lévj'-Dhurmer  ;  et  le  Repos,  d'un  aspect  déco- 
ratif, si  délicat,  si  distingué,  et  d'un  sentiment  si 
profond,  de  M.  Pierre  Cornillier. 

L'Age  d'or.  Rêve  antique,  la  ]'ie  pas/orale,  trois 
diptyques  destinés 
par  ^L  René  ^lé- 
nard  à  la  décoration 
de  la  Faculté  de 
Droit,  marquent  une 
véritalde  apo.^ée 
dans  son  talent  rê- 
veur, noble  et  jien- 
sif,  et  elles  méritent 
notre  admiration, 
ainsi  que  les  Cheini- 
;k-(ï».v,labelleettorte 
toile  de  ^l.  Lher- 
lllitte. 

J'avoue  le  goût 
profiuid  que  j'ai 
jiDiir  les  rêves  de 
M  (iaston  La  Tou- 
che. (  )n  l'accuse  de 
bien  des  choses.  mai> 
qui  donc,  sinon  lui, 
donnerait  aux  sim- 
ples jiaysages  pari- 
siens ces  apparences 
de  fantaisie  et  de 
folie,  en  les  remplis- 
sant d'amours,  de 
singes,  de  roses  ?■ 

Le  Groupe  païen 
de  M.  Caro-Delvaille 
(qui  montre  aussi  un 
portrait  fort  élégant 

de  ^Nlnie  Simone)  atteste  la  grâce  et  la  forte  beauté 
de  l'inspiration  de  ce  poète  des  nus.  Et  n'oublions 
pas  la  grande  composition  de  yi.  Aman-Jean,  Comé- 
die; celle  de  M.  Auburtin  :  l'Essor:  celle  aussi  de 
^L  Dubufe  :  le  Dépari  ;  le  grand  panneau  de  'SI.  Si- 
monidy  :  le  Travail,  où  se  retrouvent  en  s'y  perdant 
un  peu  ses  qualités  de  bon  peintre  de  petites  toiles  : 
celles  de  M.  Rixens,  de  M.  Pierre  Lagarde,  etc.. 

Il  faut  tout  citer  de  M.  Le  Sidaner  :  l'Ile  des 
pécheurs  (neige),  la  Treille.  le  Pavillon,  les  Iles 
(soleil  couchant),  la  Vasque  (clair  de  lune),  Isola 
madré  (clair  de  lune) ,  mais  surtout  les  deux  derniers 
tableaux.  Personne  autant  que  lui  n'est  capable  de 
dégager  l'intimisme  d'un  paysage,  d'en  transcrire 
l'impression  ps}'chiquc,  et  pourtant  il  a  des  frères 


P.-E.  CORXILLIER 


intellectuels,  ne  serait-ce  qu'en  M.  Duhem  et  en 
;\Ime  Duhem,  rivalisant  tous  deux  de  rêverie  et  de 
mysticisme  ;  et  l'exquis  M.  Le  Jlains.  Irai-je  ou- 
blier les  très  beaux  paysages  d'hiver  de  M.  Pierre 
Boyer  ? 

Les  petites  choses  de  ^L  ^lorrice  sont  de  plus  en 

plus  des  «  riens  »  par  la  dimension,  mais  aussi  de  la 

peinture  de  plus  en  plus  exquise.  C'est  un  \\  histler 

lamilier  auquel  M.  Francis  Jourdain  pourrait  tendre 

la  main  avec  un  rien 

de  goguenardise. 

Souvenirs  d'É- 
_:\pte  ou  de  Breta- 
-;ne,  les  œuvres  que 
M.  Cottet  expose 
(  ette  année  accusent 
une  maîtrise  défini- 
tive, nus  puissants 
■  t  sombres,  et  suite 
d'eaux-fortes  d'une 
:.ire  beauté. 

On  avait  déjà  vu 
lu  Salon  d'Automne, 
ï  son  exposition  par- 
liculière,  les  peintu- 
res remarquées  -  au- 
jourd'hui de  M.  Le- 
père,  et  personne  ne 
songe  à  s'en  plaindre. 
Leur  saveur  et  leur 
arâce  ne  nuisent  pas 
à  leur  solidité. 

Jolies,  les  vues  du 
Luxembourg  de  M. 
La  Gandara,  et  non 
moins  jolie, .l/"îfc' .4..., 
toute  en  gris-perle,  à 
la  mode  de  demain 
et  somptueuse.  A 
mentionner  aussi  le 
très  intéressant  In- 
t  les  spirituelles  scènes 


teneur  du  duc  de  Guiche 
de   iTKeurs    de    Jeanniot. 

Les  SIX  tableaux  envoyés  par  M.  Jacques  Blanche 
sont  d'une  étourdissante  habileté,  mais  surtout 
l'Esquisse  d'un  portrait  de  Sir  A .  N.  B'\  qui  est  d'un 
maître  par  son  autorité,  sa  verve,  son  «  attaque  ». 

Le  nu  de  'SI.  Armand  Point  :  Solitude,  se  déroule 
avec  noblesse  contre  une  forêt  poétisée  par  l'au- 
tomne, et  le  Portrait  de  mon  fils  est  d'une  délicatesse 
exquise. 

M.  Santiago  Rusiûol  ne  nous  lassera  jamais  des 
merveilleux  jardins  d'Espagne  et  des  Baléares,  dont 
il  nous  envoie  chaque  année  les  souvenirs  décoratifs 
et  poétiques. 

SI.  Boldini,  plus  crispé  que  jamais,  n'a  rien  perdu 


138 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


CARO-DELVAILTE 


PORTRAIT    DE    MADAME    SIMONE 


de  son  élégance  :  la  Comtesse  P...  a  l'air  d'être 
dessinée  furieusement  ;  M.  Raymond  W'oog  n'a 
non  plus  guère  bougé  comme  portraitiste,  a\ant 
atteint  du  premier  coup  une  certaine  perfection 
savoureuse.  M.  Louis-Picard  s'adonne  de  plus  en 
plus  au  plaisir  qu'il  éprouve  à  rêver  ces  visions 
bleues,  mystiques,  vaporeuses  et  comme  spirites 
dont  il  nous  a  révélé  le  cbarme.  Les  portraits  de 
jeunes  filles  de  Mlle  Marie  Bermond,  non  loin  de 
lui,  sont  dignes  d'attention.  Ceux,  masculins,  de 
M.  Ernest  Bitler  (peintures  à  l'œuf)  sont  d'un  trait 
consciencieux  et  net  qui  satisfait  tout  ce  que  nous 
gardons  en  l'esprit  de  linéaire. 

Citons  encore,  comme  portraitistes  :  M.  Geo- 
\V.  Lambert  et  son  prestigieux  groupe  :  le  Chapeau 
bleu  ;  les  adorables  babies  de  Mlle  Béatrice  Hovo  : 
de  pures  caresses,  des  merveilles  de  dessin  compré- 
hensif  et  de  couleur  joyeuse;  c'est  tout  petit,  mais 
il  faut  les  voir  ;  la  Femme  en  bleu  et  la  Femme  à  la 
plume  rouge,  d'une  observation  si  intense,  de 
^L  Ethel  Mars  ;  The  Parleur  Maid  et  la  délicate 
Mrs  Geofrey  Birbeck  du  souple  et  charmeur  M.  La- 
very  ;  The  Sculptress  {Miss  Bruce),  ])ensive  étude 
de  femme  du  pensif  Charles  Schannon  ;  les  étranges 
et  maladives  effigies  de  Mme  Olga  de  Boznanska  ; 


de  M.  Maurice  Wagemans,  une  Dame  au  manchon 
qui  est  de  la  belle  peinture  ;  le  Portrait  de  M.  Emile 
Hinzelin,  par  M.  Emile  Priant  ;  les  portraits  si 
précis  de  M.  \\'eerts  ;  .V.  Phil  May  de  M.  James- 
Jebusc  Shannon  ;  ceux  de  iL  Carolus-Duran,  et 
bien  d'autres,  peut-être  aussi  intéressants,  que  je 
dois  oublier. 

M.  Myron-Barlow  est  aussi  fluide  et  bleu  que 
l'an  dernier  dans  ses  scènes  de  la  vie  familière  ; 
/((  Petite  Coquette  de  M.  Hopkins  est  une  bien  jolie 
enfant.  La  Femme  nue  et  les  portraits  de  M.  Eugène- 
Paul  Ulmann  sont  d'une  maîtrise  propre  à  faire  un 
peu  oublier  son  homonyme  Raoul-André  et  ses 
marines  mélancoliques,  mais  un  peu  ]iareilles  ;  le 
supcrba  ensemble  de  dessins  il  de  ])astels  de 
]\I.  Dagnan-Bouveret. 

J'ai  eu  la  joie  de  quelciues  dérouvertes,  entre 
autres  M.  Cockeroft  :  Mardi-gras  de  ma  fenêtre, 
fantaisie  charmante  exécutée  dans  la  technique  de 
M.  Morrice  ;  ^I.  Gustave  Greux,  un  paysagiste 
raffiné,  chatoyant  ;  ^L  Costantini,  dont  le  tableau 
Jaune  et  noir  affirme  des  qualités  d'audace  et  de 
grâce  pleines  de  promesses  :  c'est  net,  frais,  neuf, 
c'est  très  bien  ;  enfin  surtout  M.  \'incent  Irolli,  dont 
la  Femme  aux  poules  est  un  morceau  de  jiremier 


139 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


LL  (  lEX   SLMON 


LA    COLLATION 


ordre,  rutilant  comme  un  Munticelli,  merveilleux 
à  regarder. 

Je  ne  connaissais  pas  ]\L  Fanctl  La  Farge,  pas 
plus  que  Mlle  Élizabeth  Xourse,  mais  je  me  suis 
aperçu  que  notre  éminente  collaboratrice  Mme  A. 
Seaton-Schmi<lt  n'avait  pas  exagéré  en  nous  en 
disant  si  graml  bien. 

Citons  enfin,  en  nous  excusant  ])his  que  jamais 
sur  l'ingratitude  d'une  telle  tâche  :  iL  Willaert, 
ilme  Jlac-Monnier,  ^L  Marcel  RoU  dont  la  pein- 
ture est  si  lumineuse  et  qui  avoue  dans  ses  dessins 
une  si  noire  tristesse  métaphysique,  M.  Berton 
avec  son  beau  nu  de  femme,  ^BL  Gaston  Gui- 
gnard,  A.  Gumerj',  Migonney,  Ablett,  Hagborg, 
Iwill  plein  de  lumière  et  d'espace,  Louis  Dumou- 
lin, Montenard,  Jules  Flandrin,  Bonnencontre  et 
ses  visions  chiliennes,  Muemer,  J.  Mcsté  mélanco- 
lique, Henri  Gsell,  Albert  Guillaume,  Berton  aux 
merveilleux  nus  dorés  sur  des  fonds  mauves,  Pri- 
net  si  spirituel,  Raymond  Kœnig  avec  ses  vues 
si  vivantes  et  si  lumineuses  de  Vile  Bréhai.  Walter 
Gay,  Guirand  de  Scevola,  Jean  \'eber  toujours 
surprenant  de  verve  et  d'humour,  Pierre  Brac- 
quemond  avec  ses  nus  d'une  souplesse  si  forte  et  si 


lumineuse.  Albert  Lebourg,  Prunier,  Waidmann, 
Dauchez,  Hochard,  Richard  Stone,  Maurice  Boutet 
de  ^lonvel  (une  très  moyenâgeuse  Histoire  de 
Jcaïuic  d'Arc),  Gervex,  Frieseke,  Boyer,  Morisset, 
Clans  automnal  et  magnifique,  Harold  Speed, 
Edouard  Sain.  Maurice  Denis.  Marius  Michel, 
Rupert  Bunny.  Piet.  Garrida  étonnant  de  trucu- 
lence, Simon  plein  de  clarté,  Dinet,  Castelucho 
[Chair  et  étoffes,  et  quelles  étoffes  !),  Lebasque,  Louis 
Bracquaval,  Zacharian,  Pinchon,  Maufra,  Minartz 
observateur  de  la  fête.  La  Rochefoucauld,  Gallén- 
Kalléla,  delà  Xézière, Smeers, Laurent-Gsell,  Suréda, 
Jean  Frélaut,  Hayley-Lever,  Irving  Bacon,  Mme  Lu- 
cienne Boulanger,  ^OL  Damoye,  Saint-John  Cadell, 
^laurice  Tête,  Fornerod,  de  Kollmann,  Guillaume 
Dulac  {le  Joyeux  Seuil,  œuvre  lumineuse  et  belle). 
L'ensemble  de  la  sculpture  est  honorable,  mais 
ne  présente  pas  un  intérêt  bien  vif.  Il  ne  semble  pas 
que  nous  nous  trouvions  en  présence  de  tentatives 
originales.  Quelques-unes  de  celles  qui  nous  avaient 
paru  telles  les  années  précédentes  ont  eu  le  temps  de 
créer  des  poncifs.  Si  les  imitateurs  de  M.  Rodin 
sont  légion,  il  y  a  aussi  ceux  de  M.  Maillot,  ceux  de 
"M.  Schnegg,  bien  d'autres  encore. 


140 


.■ART     ET     LES     ARTISTES 


La  petite  salle  consacrée  à  la  rétrospective 
d'Alexandre  Charpentier  atteste  une  fois  de  plus 
la  valeur  considérable  de  ce  créateur  si  varié,  aussi 
gracieux  que  puissant,  son  sentiment  de  la  vénusté 
des  corps  féminins  ne  contredisant  pas  la  force 
fruste  de  son  inspiration  populaire,  incessamment 
renouvelée.  La  perte  qu'a  faite  là  la  sculpture 
française  est  irréparable. 

M.    Rodin    n'expose  qu'un   portrait    de    femme 


mentale  fontaine  it  une  rharmante  ligure),  Alberl 
Mulot,  Agathon  I,éonard,  André  de  Chastanet. 
[Mme  Besnard,  MM.  Bugatti,  Dejean  (un  des  plus 
ravissants  statuaires  de  notre  temps  et  qui  n'est  pas 
du  tout  à  sa  place  :  sa  Décoration  de  cheminée  est  une 
merveille  de  goût),  Despiau,  Constantin  Ganesco 
(réaliste  énergique  et  verveux),  Halou,  Injalbert, 
[Mestrovic,  Lucien  Schnegg,  Edouard  Wittig,  un 
des  plus  forts  de  la  jeune  génération  de  sculpteurs 


(,A^T().\    l.AK  1(111:  -      I  .\   .M.\K(  H.\M-)E   d'.\M(  rK> 


(marbre),  mais  il  est  de  Rodin  ;  et  M.  Bartholomé 
un  buste,  un  haut  relief  et  une  statue  où  se 
retrouvent  sa  suprême  mélancolie  et  son  charme. 
Citons,  car  la  place  nous  manque,  les  superbes 
animaux  en  bois  de  M.  Geo  Lefèvre,  les  terres 
cuites  de  I\L  de  Cedercreutz,  la  belle  statue  en  bois 
de  JL  Lacombe,  le  superbe  buste  de  M.  Jean-René 
Carrière,  la  jolie  vitrine  de  ^I.  Lerclic,  les  envois 
si  gracieux  et  si  puissants  à  la  fois  île 
M.  Desbois,  les  délicieux  bibelots  de  Mme  Jane 
Poupclet,  les  bêtes  de  M.  Steinlen  et  celles  du  prince 
Troubetzskoï,  et  les  envois  de  ^IM.  Henri  \'ernhes, 
Aronson,    Broiuberg,    Lamourdedieu    (une    monu- 


{le     Poète),     l'impressionnante    Hi-calc     de     Pierre 
Roche,  etc. 

Au.x  sections  de  gravure,  des>ins,  jxistels,  etc., 
il  ne  me  sera  possible  que  de  citer  des  noms,  malgré 
le  talent  considérable  dépensé  là.  Une  salle  entière 
est  consacrée  aux  dessins  et  pastels  de  >L  Dagnan- 
Bouveret.  Disséminés  de  part  et  d'autre,  les  envois 
de  MAL  Prunier,  Dufrcsne  (jolis  comme  des  Drcsa), 
Hochard,  Ivanoff,  Le  Mains,  Etienne  de  Lierres, 
Jakimovicz,  Léon  Kaufman,  Ludvik  Strimpl 
(dont  le  talent  s'affirme  de  jour  en  jour),  Mmcs  Cu- 
rot-Barberel  et  ALaric  Bermond,  MM.  Biessy,  Bel- 
trand,      Beurdeley,      Chahine,      Pierre     Gusman, 


141 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


]\Ille  Anna  Ganliner.  MM.  Jeanniot,  Paillard. 
\'alère  Bernard,  etc..  etc. 

Les  sections  d'art  décoratif  sont,  à  mon  avis, 
beaucoup  plus  intéressantes  que  toutes  les  autres 
(du  moins  à  ne  considérer  que  les  ensembles).  Il 
V  a  là  des  réalisations  exquises  et  parfaites  de  goût, 
d'ingéniosité,    d'esprit,    d'arrangements. 

Citons,  tout  à  fait  hors  pair,  la  vitrine  de  M.  Frank 
Scheidecker  (des  cuivres  d'une  originalité  suprê- 
mement élégante),  les  bonbonnières  en  bois  sculpté 
de  M.  Carabin  :  grenouilles,  araignées,  limaces  ;  les 
tapisseries  de  Mme  Blanche  Ory-Robin,  les  reliures 
de  M.  Charles  ^leunicr,  la  vitrine  de  Mme  Georgette 
Strimpl,    celle   de   M.    André   Marc    (reliures),   les 


envois  de  MM.  Henry  Xocq,  Lafitte-Daussat, 
ilaurice  Dufrène  (écharpes),  Taxile  Doat,  Léod 
(porcelaines),  Dammouze  (les  abat-jour  en  pâte  de 
verre).  Walter  Crâne  (admirables  papiers  peints), 
Dampt,  Delaherche,  John  Dunand,  Moreau-Néla- 
ton,  les  magnifiques  émaux  de  la  princesse 
Marie  Ténicheff,  une  grande  dame  doublée  d'une 
noble  artiste.  Edmond  Barbarroux  (frise  décora- 
tive :  hérons,  arums,  nénuphars). 

N'oublions  pas  enfin  de  mentionner,  à  l'archi- 
tecture, les  projets  intéressants  de  M.  Charles- 
Henry  Besnard,  de  M.  Julien  Poiti  (très  curieuse 
tentative  d'art  religieux),  de  MM.  Selmersheim, 
Périllard.  etc.  F.  M. 

Cl.  y,::avona. 


MEMENTO    DES    EXPOSITIONS 


Grand  Palais  des  Chainps-Élysies.  —  S;ilon  annuel  de  la 
Société  des  Artistes  français  :  peinture,  sculpture, 
Sravure,   arts  décoratifs,   jusqu'au   30  juin. 

JiiiJiu  des  Tuileries,  salle  du  Jeu  de  Paume.  —  Exposi- 
tion de  Cent  portraits  de  femmes  célèbres  des  écoles 
anglaise  et  française  du  xviii'?  siècle. 

Louvre  {pavillon  de  Marsan).  —  Union  centrale  des  Arts 
décoratifs.  Exposition  de  la  Société  de  l'Histoire  du 
costume,  jusqu'au   10  octobre. 

Mtisie  Gatliera,  10,  rue  Pierre-C/iaiiun .  —  Exposition 
générale  d'art  appliqué  tous  les  jours  de  10  heures 
à  4  heures,  le  lundi  matin  excepté.  —  Prochaine- 
ment :  E.xposition  des  papiers  et  toiles  imprimés  et 
])Ochés. 

Palais  de  Olaee  des  Champs-Elysées.  —  Troisiéir.e  Salon 
des  Humoristes,  jusqu'au   15  juin. 

Cerele  artistique  et  littéraire,  7,  tue  Volncy.  —  Treizième 
Salon  international  du  Photo-Clul). 

Coopérative  des  Artistes,  3,  rue  Laffitte.  —  Exposition 
permanente    d'œuvres    de    maîtres    modernes. 

Lyceum  Club.  —  Exposition  de  l'Enfance  '  sujets  enfan- 
tins, portraits  fantaisie  ayant  rapport  à  l'enfance, 
peinture,   sculpture,   gravure,   etc. 

Galerie  Durand-Ruel,  16,  rue  Laffitte.  —  '  Les  Nymphéas  », 
série  de  pay.sages  d'eau  par  Claude  ilonet. 

Galeries  Georges  Pttit,  8,  me  de  Sè:e.  —  Expositions  Louise 
Abbema,    Cecil    Aldin.     Mme    Faux-Froidure    (aqua- 


relles), William  Horton,  Société  des  Pastellistes 
français,    Jan   et  Tade   Styka. 

Cercle  international  des  Arts,  97,  boulevard  Raspail.  — 
Deuxième  exposition  de  la  Société  des  Artistes  ani- 
maliers. 

Galène  de  l'Art  contemporain,  3.  rue  Tronchet.  —  Exposi- 
tion de  paysages  par  R.  Thibésard. 

Galerie  Devambez,  43,  boulevard  Malesherbes.  —  Exposi- 
tion Maurice  Eliot,  jusqu'au  15  mai  ;  Gabriel  Roby 
(aquarelles  et  pastels  du  pays  basque);  Jean  Peské 
(tableaux,   dessins  et  eaux-fortes). 

Galerie  des  Artistes  modernes,  19.  rue  Caumartin.  — 
Deuxième  exposition  de  l'International  Art  Union 
(dames). 

Galerie  J.  Allard,  20.  rue  des  Capucines.  —  Exposition 
d'œuvres  de  M.  Barthold. 

Clu:  Pellet,  51,  rue  Lepelletier.  —  Exposition  des  der- 
nières oeuvres  de  Louis  Legrand. 

Galerie  Boissy  d'Anglas,  39.  rue  Boissy-d'Anglas.  — 
Œuvres  de  Frank  Boggs. 

Galerie  Bernheim  jeune.  15.  nu:  Richepance.  —  Exposi- 
tion Luce.  Aquarelles  et  pastels  de  Cézanne,  Cross, 
Degas,  Jongkind,  Camille  Pissarro,  K.-X.  Roussel, 
Signac.  Vuillard. 

Galerie  Druet.  20.  tue  Royale.  —  Louis  Siie.  —  Gascella. 
—  Élie  Xadelman.  —  Paul  Gauguin.  —  Armand 
Guill^umin. 


142 


Le    Mouvement    Artistique 
à   l'Étranger 


ALLEMAGNE    DU    SUD 


¥  Tn  nouvel  épisode  de  la  vigoureuse  défense  qu'oppose 
^■^  Munich  à  la  concurrence  des  autres  grandes  villes 
d'Allemagne,  qui  s'efforcent  de  lui  ravir  l'hégémonie 
dans  le  domaine  de  la  culture  artistique,  est  la  toute 
récente  campagne  entreprise  pour  doter  la  capitale  ba- 
varoise'd'un  jardin  zoologique,  comparable  à  ceux  qui  sont 
l'une  des  attractions  de  Berlin,  de  Francfort  ou  de  Ham- 
bourg. En  efïet,  tandis  que  dans  ces  trois  villes  on  avait 
invoqué  le  bénéfice  de  l'histoire  naturelle,  du  commerce 
et  du  développement  colonial,  à  Alunich  c'est  des  artistes 
et  des  élèves  des  innombrables  écoles  d'art  qu'est  parti 
le  mouvement.  Pour  bien  faire  comprendre  au  public  l'uti- 
lité d'un  jardin  zoologique  au  point  de  vue  artistique,  le 
Kunstverein  a.  improvisé  une  e.xposition  de  V Animal  dans 
l'art  qui,  pour  n'avoir  été  ni  très  bien  ordonnée,  ni  complète, 
n'en  a  pas  moins  présenté  un  e.xtraordinaire  intérêt.  .\  vrai 
dire,  prétexte  spécieux  à  une  foire  artistique  de  plus.... 
Quant  à  la  démonstration  à  laquelle  on  tendait,  le  lion  de 
Saint-Marc  dans  la  nuit,  copié  grandeur  nature,  par  M.  Cai- 
rati,  des  fenêtres  du  Palais  royal  aux  nouvelles  Procuraties, 
suffisait. 

II  s'est  agi,  il  va  sans  dire,  d'art  allemand  et  d'art  mo- 
derne ;  sanscela  il  est  évident  que  les  locaux  du  Kiinstverein 
n'eussent  pas  suffi.  Et  encore,  à  notre  avis,  étant  donnée  la 
tin  à  laquelle  on  tendait,  eût-on  pu  élaguer,  d'emblée,  l'ani- 
mal ornemental  des  exercices  de  pochoir  des  écoles  il'art 
ajipliqué,  et  tout  ce  qui  s'inspire  des  animau.x  domestiques. 
Bien  plus,  pour  être  dans  le  vrai,  fallait-il  éliminer  toute 
■^péce  de  représentation  où  l'animal  de  nos  contrées  est 
iinipris  comme  élément  d'un  paysage  et  celles  où  il  est 
représenté  en  nature  morte.  L'éternel  renard,  pendu  à  un 
clou  avec  un  fusil,  un  carnier  et  un  rameau  de  sapin,  pas 
plus  que  le  troupeau  de  moutons  errant  dans  le  moos  de 
Dachau,  sous  un  vaste  ciel  lumineux,  n'avaient,  à  propre- 
ment parler,  le  droit  de  figurer  à  une  telle  exposition.  Je 
l'aurais  voulue  restreinte  aux  «  Japonais  d'.\llemagnc  > , 
si  je  puis  ainsi  dire  ;  aux  artistes  très  rares  et  très  raffinés, 
qui  s'intéressent  à  l'animal  pour  lui-même,  l'étudient  dans 
sa  vie  et  ses  habitudes,  avec  un  amour  de  romancier,  une 
finesse  de  fabuliste  et  une  passion  de  naturaliste;  ou  bien 
aux  très  sérieuses  études  d'après  l'animal,  que  sont  amenés 
à  faire  de  très  grands  artistes,  pour  telles  de  leurs  œuvres  où, 
accidentellement,  figurent  des  lions,  des  serpents,  des 
aigles.  Tout  le  reste  au  point  de  vue  animal  dans  l'art 
me  parait  simple  bavardage.  Ainsi  je  n'eus  pas  admis 
même  ces  admirables  poissons  dont  les  Lenbach  et  les 
Hermann  Urban  font  d'abord,  pour  s'ouvrir  l'appétit, 
des  jeu.x  de  palette  eux-mêfnes  si  appétissants  ;  tandis 
que,  du  même  Herjrann  Urban,  l'immense  cigogne  traver- 
sant, dans  sa  course  vers  le  nord,  un  ciel  printanier  ù'agro 


yomauo,  et  formant  un  avant-jilan  céleste  diagonal,  de  tout 
son  plumage  éployé,  d'un  gris,  d'un  blanc  et  d'un  noir 
sévères  et  sobres,  à  un  immense  paysage  à  vol  d'oiseau,  c'est 
le  cas  de  le  dire,  fuyant  bien  vert,  avec  le  frisson  de  toute 
l'efftorescence  de  ses  arbres,  jusqu'à  l'horizon  où  roulent 
encore  les  frimas,  me  parut  rentrer  excellemment  dans  les 
limites,  soit  précisément  naturalistes,  soit  de  grand  style 
animalier,  que  j'eusse  voulu  assigner  à  cette  exposition  trop 
ménagerie,  écurie  et  arche  de  Xoé.  Imaginez  qu'une 
rétrospective  de  ce  genre  se  fit  :  j'y  voudrais  par  e.xemple 
Barye,  Bodmer,  Saint-Marcel,  Delacroix,  les  serpents  de 
Gustave  Moreau  préparatoires  à  son  hydre  de  Lerne,  les 
lions  de  Gysis  étudiés  à  Francfort  pour  sa  Bavaria,  mais 
point  du  tout  Troyon  ou  Jaques,  ou  même  Segantini,  sou- 
vent le  plus  expressif  des  manières  et  allures  du  troupeau. 
C'est  dire  que  d'aussi  excellents  animaliers  que  MM.  Zugel 
et  Tooby,  orgueil  des  expositions  sécessionnistes,  avec  leurs 
moutons,  leurs  chevaux  et  leurs  basses-cours,  conçus  en 
paysages  ou  en  problèmes  de  couleurs,  me  paraissent  ordi- 
nairement moins  faits  pour  la  démonstration  souhaitée, 
que  lorsque  le  premier  d'entre  eu.x  nous  montre  cette  mare 
éclaboussante  de  soleil,  peuplée  de  pélicans  et  de  flamants. 
Il  faut  regretter  aussi  que  le  type  du  peintre,  voyageur  et 
explorateur,  soit  absent  d'un  tel  concours  :  il  y  avait  bien 
là  quelques  éléphants,  donnant  leur  couleur  locale  à  des 
paysages  du  Cameroun,  mais  rien  qui  valût,  en  étrangeté  et 
en  conscience,  les  moindres  dessins  et  aquarelles  rapportés 
d'.\sie  centrale  par  M.  Pranischnikof,  ni  surtout  les  scènes 
de  la  vie  des  poissons  et  oiseaux  d'Islande  de  M.  Lysmann, 
(le  Hambourg. 

En  revanche,  M.  Paul  Neuenborn  nous  a  donné,  comme 
il  le  fait  du  reste  depuis  de  longues  années,  à  défaut  de 
la  haute  leçon  esthétique  occidentale  rêvée  en  réponse 
à  ccttequestion  :  A  quoi  sert  l'animal  à  t'arlislc?  ou  du  petit 
cours  d'histoire  naturelle  japonais  qu'amènerait  cette 
autre  :  Raconter  le  charme  et  la  beatttf  de  telle  ou  telle  béte, 
une  série  d'e.xemples  parfaits  de  ce  que  va  aimer  et  chercher, 
dans  une  ménagerie  ou  un  jardin  zoologique,  cette  sorte  de 
spécialiste  ou  de  maniaque  qu'on  pourrait  appeler  le  vir- 
tuose de  l'animal  ;  celui  qui  se  comporte  à  l'égard  des  bêtes 
exotiques  comme  un  pianiste,  cherchant  des  traits  brillants 
et  des  occasions  de  se  faire  valoir,  bien  plus  qu'il  ne  nous 
révèle  les  musiques  intérieures  de  son  âme  et  de  celle  des 
maîtres  interprétés.  Lorsque  des  surfaces  énormes  de  toile 
ou  de  papier  sont  couvertes  de  cent  postures  et  lignes  enche- 
vêtrées de  rhinocéros,  de  serpents,  d'ibis,  d'autruches, 
M.  Neuenborn  est  content.  Ce  sont  chaque  fois  des  congrès 
d'une  seule  espèce,  une  ochlocratie  d'animaux  exotiques, 
dontcertainssont  vus,  je  ne  le  nie  pas,  avec  un  véritable  sens 
de  la  vie  et  traduits  parfois,  grâce  à  d'admirables  dons  de 


14.3 


r,'AKÏ     ET     LES     ARTISTES 


peintre,  avec  une  verve  coloriste  extrêmement  heureuse  : 
mais  comparez  à  la  moindre  estampe  japonaise.  Aucune  de 
ces  bêtes  n'ad'individualité,  n'a  son  expression,  sou  allure,  sn 
fi  ,2;ure.... Tel  caricaturiste  de  notre  temps, comme  Caldecott  ou 
Caran  d'Ache,  pourrait  sous  ce  rapport  en  remontrer  à 
M.  Neuenborn,  Rappelez-vous  la  ^'isitcà  la  ferme  del'un  et  le 
Cheval  d'après  Biiffon  de  l'autre.  M.  Xeuenborn  construit,  à 
propos  de  bêtes,  des  fugues  de  lignes  ou  des  symphonies 
de  couleurs.  Il  obtiendrait  les  mêmes  résultats,  à  peine 
moins  étranges,  avec  des  éléments  paysagistiques,  des 
étoffes,  des  intérieurs....  C'est  l'amour  de  la  difficulté  vain- 
cue, de  l'enchevêtrement  et  des  bigarrures  fabuleuses,  plus 
que  l'amour  de  l'animal,  et  il  n'est  pas  besoin,  de  toute 
nécessité,  de  l'animal  pour  obtenir  ce  qu'un  art  pareil  peut 
offrir  d'en\"iable  à  la  cmiosité  de  nos  \'eux.  loute  la  \"eu- 


lerie  des  animaux  en  captivité  se  retrouve  du  reste  au  fond 
de  ces  brillantes  improvisations,  qui  essaient  de  nous  donner 
le  change....  En  soi,  l'animal  ne  se  peint  avec  fidélité 
qu'en  liberté  :  regardez  le  moindre  croquis  de  Bodmer  ou 
le  moindre  feuillet  japonais. 

Regardez  en  revanche  encore  une  fois  le  lion  de  Saint- 
Marc,  grâce  à  M.  Cairati.  Cet  animal-là  est  bien  mieux 
viable,  et  encore  mieux  un  lion,  que  le  lion  de  la  Fiancée 
du  lion  de  quelque  Gabriel  Max,  étudié  en  quelque  jardin 
zoologique.  Un  vrai  réaliste,  comme  un  Menzel,  ne  va  dans 
ces  tristes  lieux  peindre  que  la  foule.  Un  vrai  grand  artiste 
de  style  s'en  passe  et  substitue  sa  création  à  la  nature. 
Enfin,  un  véritable  animalier  ne  peint  pas  d'animaux  en 
captivité.  Un  jardin  zoologique  ne  produira  jamais  de 
Livre  de  la  Jungle.  William   Ritter. 


ANGLETERRE 


y  .\  ci-nt  trentième  exposition  de  la-  Société  loyale 
^^  d'Artistes  1  ritanniques  signale  les  débuts  d'un  jeune 
peintre  écossais  :  Joseph  Simpson,  qui  jusqu'à  présent  est 
plus  connu  dans  le  journalisme  (il  a  fait  des  caricatures  excel- 
lentes en  noir  et  blanc)  que  dans  la  peinture.  Son  portrait 
d'une  dame  russe,  Re:ka.  est  vigoureux,  bien  modelé  et 
plein  de  caractère.  M.  Simpson  appartient  à  l'école  la  plus 
jeune  d'Ecosse,  une  école  pour  laquelle  Raeburn,  Whistler 
et  Manet  sont  les  grands  maîtres.  Cette  école  est  plus 
exactement  un  groupe  de  trois,  Peploe.  Fergusson  et 
Simpson,  qui  sont  beaucoup  plus  jeunes  que  les  peintres 
connus  de  Glasgow,  et  même  plus  jeunes  ipie  leurs  frères 
aînés  d'Edimbourg  :   William   Xicholson  et    |,iines   Pryde. 

Une  nature  morte  :  la  Dame  Blaiiehe.  du  même  ])eintre 
(Simpson),  montre  de  belles  qualités  de  couleur,  de  tex- 
ture et  d'arrangement.  Il  est  regrettable  qu'un  membre 
aussi  fort  que  M.  J.-D.  Fergusson  ne  soit  pas  représenté 
à  cette  exposition,  mais  un  autre  peintre  nous  sollicite  : 
JI.  Fred  Fd.  Foottet  envoie  un  hardi  arrangement  d'or 
et  lilas,  Coucher  de  soleil  sur  le  Medway.  L'influence  de 
ces  deux  artistes  luministes  commence  à  se  faire  sentir 
dans  la  société  et  des  études  d'effets  lumineux  qui  donnent 
de  grandes  espérances  nous  sont  montrées  par  M.  Gardner 
Symons  et  d'autre.s. 

L'actuelle  exposition  d'été  au  Xew  Gallery  a  été  entiè- 
rement réorganisée.  Un  nombre  limité  (loo)  d'artistes 
sont  associés  au  nouveau  New  Gallery  Company  et  garantis 
d'un  paiement  de  dix  livres  (250  francs)  par  an  pour  cinq 
années  en  échange  d'un  droit  sur  un  certain  espace  du 
mur.  Les  associés  seuls  ont  le  droit  d'exposer  et  ils  ont  le 
droit  d'envoyer  trois  œuvres.  La  première  exposition 
sous  ce  nouveau  régime  n'offre  pas  de  grandes  surprises. 
E.-A.  Walton  expose  un  grand  paysage,  une  harmonie  en 
bleu  et  blanc,  qui  est  vraiment  charmant,  et  George  Henrv 
envoie  un  groupe  décoratif  de  femmes  modernes  dans  un 
liois.  le  soir. 


Il  y  a  aussi  au  New  Gallery  un  Hornel  caractéristique, 
une  mosaïque  par  Brangwyn.  et  de  bons  portraits  par 
Lavery.   Harold  Speed  et  Harrington  Mann. 

Comme  rivale  à  cette  dernière,  on  a  inauguré  une  e.xpo- 
sition  intéressante  au  Grafton  Galleries  où  se  trouvent 
d'excellents  tableaux  par  Lavery,  William  Nicholson, 
James  Pryde,  C.-H.  Shannon.  Harrington  Mann,  William 
Orpen.  et  d'autres  membres  du  New  English  et  Interna- 
tional. Le  clou  de  cette  exposition  est  le  grand  groupe  d'une 
famille  bohémienne  dans  lequel  M.  Augustus  John  montre 
une  naïveté  primitive  de  forme  et  de  couleur. 

L'exposition  de  la  Royal  Academy,  cette  année,  nous 
donne  quelques  nouveautés.  Un  jeune  sculpteur,  Merv\ni 
Lawrence,  débute  avec  une  statue  d'homme  à  la  Rodin 
et  pleine  de  vie;  un  jeune  peintre,  Gerald  Kelly,  réussit  à 
merveille  un  portrait  :  Mrs  Bendixson.  très  solide  et  digne, 
décoratif,  avec  des  valeurs  scrupuleusement  observées. 
M.  George  Clausen  R.  A.  montre  des  paj'sages  et  des  pas- 
torales exquises,  où  il  joint  la  science  luministe  de  Monet 
au  sentiment  tendre  de  Jean-François  Millet.  Sargent 
envoie  un  portrait  superbe  de  Lord  Wemyss  et  un  très 
médiocre  de  Mrs  Astor;  mais  son  chef-d'œuvre,  et  le  clou 
de  l'exposition,  est  son  panneau  décoratif  pour  la  biblio- 
thèque de  Boston.  Le  titre  en  est  Israël  et  la  Loi,  et  M.  Sar- 
gent traite  son  thème  avec  la  plus  grande  simplicité  et  une 
beauté  solennelle.  Contre  l'azur  du  ciel,  un  groupe  d'auges 
drapés  de  rose  déroule  le  rouleau  d'or  de  la  loi.  Le  ciel 
palpitant  et  radieux,  les  attitudes  calmes  et  sereines, 
d'une  beauté  toute  classique,  et  leur  emplacement  sculp- 
tural produisent  un  effet  majestueux,  et  expriment  bien 
le  pouvoir  de  la  loi.  tandis  que  les  douces  couleurs,  les 
gris,  les  roses,  les  bleus,  expriment  sa  douceur,  l'harmonie 
qui  s'accomplit  dans  l'obéissance. 

Fr.\xk   Rutter. 


144 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


ETATS=UNIS 


A  Lx  États-Unis,  les  expositions  d'art  se  multiplient 
■^^  énormément  cet  hiver,  surtout  à  New- York  et  à 
Boston,  où  le  mouvement  artistitjue  est  toujours  plus 
accentué. 

Parmi  les  expositions  particulières  de  Xew-York,  celles 
de  John  La  Farge  et  de  John  Alexander  ontattiré  beaucoup 
d'attention,  mais,  plus  que  toutes  les  autres,  celle,  char- 
mante, des  œuvres  de  Joaquin  Sorolla  y  Bastida  attira  le 
public. 

Un  de  nos  riches  Américains.  M.  Archer  Huntington, 
vit  ces  tableaux  en  Espagne,  et  les  admira  tellement  qu'il 
conçut  le  projet  de  les  montrer  à  ses  compatriotes. 

Avec  la  permission  de  l'artiste,  il  a  transporté  toute  cette 
beauté,  toute  cette  chaude  lumière,  cette  atmosphère 
espagnole,  à  Xew-York. 

En  un  seul  jour,  plus  de  vingt-neuf  mille  Américains 
les  ont  visités.  Jamais  tableaux  chez  nous  n'ont  attiré 
si  grande  foule  :  deux  cent  mille  personnes  en  l'espace  de 
deux  semaines  !  \"raiment,  cette  collection  était  la  bien- 
venue à  Xew-York.  où  les  journaux,  les  critiques  d'art 
lui  ont  accordé  un  si  chaud  et  généreux  accueil  ! 

Les  poètes  lui  ont  adressé  leurs  vers,  nos  meilleurs  écri- 
vains l'ont  louée  ;  tout  le  monde  a  rendu  hommage  au 
génie  du  peintre. 

On  lui  a  offert  presque  deux  millions  de  francs  pour  la 
collection  ! 

Pourquoi  cet  enthousiasme  extraordinaire? 

Est-ce  que  notre  pays  commence  à  avoir  soif  du  Beau  et 
que  les  tableaux  de  Sorolla  ont  fait  appel  à  son  amour  pour 
la  lumière,  pour  la  vie  éclatante  de  l'Espagne? 

Ou,  raison  plus  profonde,  que  l'artiste  a  touché  nos  cœurs 
avec  ses  portraits  d'enfants  et  de  mères,  avec  ses  inter- 
prétations de  la  vie  universelle,  dans  laquelle  chacun  de 
nous  joue  un  rôle? 

A  Boston,  on  s'impatiente,  parce  que  ces  tableaux  mer- 
veilleux étaient  allés  d'abord  à  X'ew-York.  En  les  atten- 
dant, on  put  visiter  l'exposition  allemande  à  Copley 
Hall. 

Mais  l'esprit  des  artistes  allemands  n'est  pas  d'accord 


avec  l'esprit  américain,  au  moins  dans  leurs  iieintures. 
Xous  adorons  la  musique  de  l'Allemagne,  mais  pas  ses 
tableaux. 

Xéanmoins.  on  trouva  cette  exposition  fort  intéressante 
parce  qu'elle  fournit  une  bonne  occasion  de  comparer  les 
tableaux  allemands  aux  peintures  américaines  exposées 
en  ce  moment  au  »  Art  Clubs  »  de  Boston,  surtout  aux 
œuvres  de  William  Paxton,  un  des  poitraitisles  les  plus 
forts  de  Xew  England. 

Comme  presque  tous  nos  artistes  jieintres.  Paxton  apprit 
son  métier  à  Paris. 

Il  a  beaucoup  voyagé  en  Espagne,  en  Italie,  en  Hollande, 
pour  étudier  les  maîtres  d'autrefois.  Xaturellement.  il  a 
subi  l'influence  de  Velasquez,  de  Leonardo,  de  Gainsbo- 
rough  et  d'Ingres;  comme  tout  homme  moderne,  il  doit 
beaucoup  aux  grands  siècles  du  passé.  Malgré  cela,  son  art 
est  resté  tout  à  fait  personnel. 

Il  possède  son  métier,  mais  il  a  le  dédain  le  plus  sain  des 
recettes  de  n'importe  quelle  école. 

On  lèsent  dans  les  beaux  portraits  qu'il  a  faits  en  plein 
air.  en  pleine  lumière.  Comme  Claude  Monet,  il  pense  qu'un 
peintre  perd  quelque  chose  s'il  retouche  à  l'atelier  ses 
tableaux  faits  en  plein  air:  alors,  il  veut  les  y  finir  complè- 
tement. Tâche  difticile,  mais  c'est  un  ouvrier  infatigable  : 
il  cherche  la  vérité  de  la  nature  avec  une  ardeur,  une  sin- 
cérité suprêmes. 

S(m  portrait  du  président  Cleveland  exprime  le  grand 
caractère  de  cet  homme  intellectuel  si  clairement  que 
Cleveland  lui-même  a  préféré  celui-ci  à  tous  ses  autres 
portraits,  parce  que  l'artiste  n'a  pas  représenté  seulement 
ses  traits,  mais  aussi  son  âme. 

Paxton.  Sarbell,  Benson  et  Decamji  forment  un  groupe 
d'artistes  fort  intéressants. 

Ils  demeurent  tous  à  Boston,  mais  leurs  œuvres  sont 
aussi  connues  à  Xew-York,  à  Pittsburg.à  Chicago.  Partout 
on  les  regarde  comme  les  hommes  de  l'avenir.  On  dit  que 
la  vraie  renaissance  de  la  peinture  a  déjà  commencé  aux 
États-Unis,  et  que  ce  groupe  est  sa  force  et  son  inspiration. 
A.  Se-\ton-Schmidt. 


ORIENT 


^i  les  trente-trois  années  de  règne  du  sultan  llainid  qui 
vient  de  sombrer  de  si  piteuse  façon  seront  écrits  dans 
l'histoire  en  caractères  de  sang,  c'est  en  lettres  d'or  que  la 
Turquie  artistique  gravera  sur  ses  tablettes  le  nom  de  ce 
prince  qui  donna  aux  arts,  en  son  pays,  un  développement 
inconnu  jusqu'à  lui. 

Étrange  nature  que  celle  du  monarque  déchu.  A  une 
cruauté  rappelant  la  cruauté  du  sanguinaire  Mourad  IV,  — 
\e  Caligula  ottoman,  —  il  savait  joindre  le  geste  protec- 
teur du  favori  d'Auguste.  Il  est  vrai  de  dire,  toutefois, 
que  Mécène  protégea  les  Lettres  et  les  Arts,  tandis  que  le 
souverain  déposé  fit,  au  contraire,  tout  ce  qui  était  en  son 
pouvoir  omnipotent  pour  bâillonner,  étouffer  le  germe 
même  d'une  pensée  généreuse,  il'une  asiiiration  libératrice. 
Pendant  trente-trois  ans,  il  n'y  eut  pas  de  Lettres  en  Tur- 
quie. L'histoire,  la  poésie,  le  théâtre  furent  réduits  à  néant  ! 


l'ne  censure  implacable  coupait  les  ailes,  à  peine  naissantes, 
de  tout  noble  essor.  De  ceux  dont  les  écrits  indépendants 
pouvaient  porter  ombre  d'ombrage  à  l'absolutisme  impé- 
rial, les  uns,  achetés  à  poids  d'or,  avaient  brisé  leur  plume  et 
prostitué  leur  talent  ;  les  autres,  trop  fiers  pour  vendre  leur 
pensée  et  se  plier  aux  ordres  du  tyran,  avaient  passé  à 
l'étranger  où  ils  élaborèrent  lentement  mais  sûrement 
la  révolution  qui  devait  aboutir  à  la  liberté  de  la  Turquie  et 
à  la  chute  du  despote. 

Si  les  Lettres  furent  impitoyablement  persécutées,  les 
Arts  plastiques,  par  contre,  connurent,  sous  le  règne 
d'Abdul  Hamid,  une  renaissance,  une  naissance,  plutôt, 
comme  il  n'en  existe  pas  dans  les  annales  artistiques 
d'aucun  peuple. 

Le  voya,ge  qu'Abdul  Hamid  fit,  en  1867,  en  France,  alors 
que,  prince  impérial,  il  accompagnait  avec  son  frère  aîné 


I4.T 


L'AKT     ET     LES     ARTISTES 


Mourad,  —  ilcpuis  Moiiiail  ^■,  —  le  sultan  AIhIuI  Aziz 
à  l'Exposition  univei^^file,  nv  fut  pas  étranger  an  désir 
qu'il  conçut  de  doter  la  Turquie  de  chefs-d'œuvre  sem- 
blables à  ceux  qu'il  voyait  dans  nos  musées.  Une  étude 
de  moi  :  hs  Merveilles  (ht  Musée  imptiial  ottoman,  qui 
paraîtra  prochainement,  relate  les  impressions  artis- 
tiques d'AbduI  Hamid  à  cette  époque  et  la  conversation 
qu'il  eut,  à  ce  sujet,  avec  son  oncle   le  sultan  Abdul  Aziz. 

Lorsqu'en  1S76  le  double  fetva  de  déposition  des  sul- 
tans .Aziz  et  Mourad  V  mit  entre  les  mains  d'Abdul  Hamid 
le  khalifat  et  le  sultanat  d'Orient,  le  nouveau  monarque 
se  ressouvint  de  ses  projets  d'art.  Il  ne  tardait  pas  à  les 
mettre  à  exécution,  grâce  à  un  homme  de  haut  savoir 
dont  le  nom  est  impérissablement  attaché  à  la  Turquie 
artistique  :  j'ai  nommé  S.  lï.  O.  Hamdy  Bey,  directeur 
général     des    Musées    impériaux    ottomans. 

("est  en  i.SSi  qu'Hamdy  Bey  fut  appelé  à  la 
direction  i.\n  Musée.  Ce  Musée,  installé  au  pavillon 
de  1  chinili-Kiosk,  tenait  alors  tout  entier  dans  ce  chef- 
d'œuvre  architectural  de  l'art  ottoman.  En  1S9J,  un  pre- 
mier palais,  «  le  Nouveau  Musée  ",  livrait  au  public  les 
superbes  trésors  retirés  de  la  nécropole  de  Sidon.  En  1902, 
un  deuxième  palais  recevait  les  merveilles  qui,  depuis 
di.x  ans,  étaient  parvenues  à  Stamljoul  de  tous  les  points 
de  l'empire.  Un  troisième  palais,  construit  en  iqo'i,  ouvrait 
ses  portes  en  1908  et  entassait  dans  ses  innombrables  salles 
les  antiques  déterrés  en  ces  dernières  années  en  Macédoine, 
en  Asie  Mineure  et  dans  la  Mésopotamie. 

Une  autre  institution  qui  honora  le  régne  d'.MiduI 
Hamid  fut  I.i  création  de  l'École  impériale  des  Beaux-.\rts 


due    également    à    l'initiative    de    S.    E.    O.    Hamdy   Bey. 

On  sait  que,  depuis  la  fondation  de  l'Empire  jusqu'en 
1874,  il  n'a  pas  existé  de  peinture  et  de  peintres- turcs. 
J'ai  déjà  dit,  à  cette  place,  dans  une  chronique  intitulée 
/('  Coran  et  l'Art  osmanli,  les  raisons  de  cet  ostra- 
cisme. Une  autre  étude,  sous  presse,  de  moi  :  les  Peintres 
orientalistes  de  Turquie,  entre  longuement  dans  le  détail 
de  l'évolution  artistique  qui  s'est  opérée  en  Turquie  de  1874 
à  nos  jours. 

Décrétée  en  1881  par  iradé  impérial  et  construite  en  1882, 
l'École  impériale  des  Beaux-Arts  était  inaugurée  en  1883, 
en  présence  de  S.  E.  feu  Raïf  Pacha,  ministre  du  Com- 
merce et  des  Travaux  publics. 

La  peinture  et  la  sculpture,  jusqu'alors  en  suspicion  dans 
le  pays  des  Osmanlis,  se  voyaient,  -du  coup,  affranchies 
des  préjugés  qui  pesaient  sur  elles.  Si  ces  idées  n'ont  pas 
encore  pénétré  les  masses,  elles  ont  fait  leur  chemin  chez 
les  esprits  cultivés.  Le  premier  pas  était  fait.  Aussi,  les 
résultats  artistiques  de  cette  institution  ne  se  firent  pas 
attendre.  Des  peintres  et  des  sculpteurs  turcs  faisant 
])léiade  aujourd'hui  commencèrent  à  répandre  en  Europe 
leurs  noms  et  leurs  œuvres. 

Chose  vraiment  digne  de  remarque  :  ce  souverain,  qui 
a  perdu  le  trône  pour  n'avoir  pas  su  respecter  la  liberté 
constitutionnelle  proclamée  par  son  peuple  en  juillet  der- 
nier, est  le  premier  parmi  les  sultans  ottomans  qui  —  en 
dépit  des  Hadiss  ou  recueil  des  préceptes  orau.x  du  Pro- 
jiliéte  —  octroya  à  la  Turquie  son  indépendance  artis- 
tique. 

.\dolphe    Th.\l.\sso. 


POLOGNE 


Cracovie.  —  La  treizième  e.xposition  de  la  Sztuha  marque 
une  phase  nouvelle  ilans  la  vie  de  cette  Société  à  qui 
revient  incontestablement  le  mérite  d'avoir,  ces  dernières 
années,  fait  connaître  notre  jeune  art  à  l'étranger,  notam- 
ment en  .Autriche  et  en  Allemagne.  Renouvellement  ou 
décadence?  C'est  à  quoi  le  temps  seul  pourra  nous  répondre. 
L'important  est  que,  dans  ses  futures  expositions,  la  Sztitha 
jniisse  se  maintenir  au  même  niveau  élevé  qui,  jusqu'à  pré- 
sent, dans  l'ensemble  de  notre  production  artistique,  lui 
assurait  le  premier  rang  et  constituait  à  lui  seul  sa  raison 
d'être.  La  défection  de  quelques  excellents  artistes  sur- 
venue au  courant  de  l'année  passée  serait  finalement  une 
perte  réparable;  le  pire  est  que,  pour  compléter  les  cadres 
ajjpauvris  de  la  Société,  c'est  plutôt  à  la  quantité  qu'à  la 
qualité  qu'on  paraît  avoir  eu  recours. 

Pourtant,  parmi  les  membres  nouveaux  de  la  Sztiikn,  il 
y  a  d'excellentes  acquisitions.  Je  pense  surtout  à  JI.  Fry- 
deryk  Pautsch.  Voilà  bien  un  peintre  pur  sang,  tout  comme 
son  maître  \V\-czolko\v.ski  I  C'est  aujourd'hui  déjà  un 
coloriste  remarquable,  d'une  grande  sincérité  et  d'une 
force  qui  souvent  avoisine  la  brutalité.  Heureusement,  une 
discipline  de  plus  en  plus  solide  maintient  cette  force 
débordante  et  il  est  certain  que  bientôt  elle  finira  par 
maîtriser  ce  que,  dans  cette  œuvre  jeune  et  passionnée, 
il  y  a  encore  d'inéquilibré.  Les  études  de  mendiants  de 
M.  Pautsch  et  ses  portraits  —  dont  un  surtout,  le  repré- 
sentant lui-même  avec  sa  fiancée,  est  une  œuvre  hardie 
et  solide  —  sont  peut-être  ce  qu'il  y  a  de  plus  fort  de  toute 
l'exposition.  Quant  à  ses  grandes  compositions,  il  faut 
l'avouer  franchement,  elles  sont,  cette  fois-ci,  déplorables. 
.■\h'  jiourvu  (|u'en  .-Mlemagne  on  n'arrive  pas  à  persuader 


à  .M.  Pautsch.  comme  à  d'autres  auparavant,  que  l'inco- 
hérence et  la  brutalité,  voilà  justement  de  hautes  qualités  — 
et  foncièrement  polonaises  !... 

Félicitons  aussi  la  S:tuha  de  s'être  adjoint  comme 
membres  MM.  Xoakowski  et  Wojtkiewicz.  Le  premier, 
en  une  série  de  dessins,  se  révèle  non  seulement  un  archi- 
tecte érudit  et  inspiré,  mais  aussi  (malgré  la  trop  grande 
liberté  dont  il  use  envers  le  clair-obscur)  un  peintre  dis- 
tingué. Quant  au  second,  j'ai  déjà  dit  ici  même  tout  le  bien 
que  je  pense  de  son  œuvre  si  originale  et  profonde,  œuvre 
dont  M.  .André  Gide,  dans  sa  préface  du  catalogue  de 
l'exposition  Wojtkiewicz  chez  Druet,  faisait  dans  le  temps 
un  si  subtil  éloge. 

Parmi  les  autres  expo.sants,  membres  de  la  Société  ou 
invités,  ce  sont,  pour  la  plupart,  d'anciennes  connaissances. 
\'oilàMllede  Boznanska,  toujours  très  Parisienne,  toujours 
également  discrête  et  raffinée  et  chez  qui,  dans  un  charmant 
portrait  de  deux  petites  filles,  nous  constatons  avec  plaisir 
un  réveil  déjà  presque  inespéré  de  la  couleur.  \'oilà  M.  .A.xen- 
towicz,  peintre  virtuose  de  nos  élégances  mondaines,  trop 
mièvre  parfois  et  parfumé,  et  dont  ici  je  goûte  surtout  le 
plaisant  petit  portrait  d'enfant  intitulé  Archibald,  plein 
de  caractère  et  d'esprit  !  Voilà  aussi  M.  Mehoftèr,  très 
solide  toujours  dans  quelques  détails,  mais  plus  .-Mle- 
mand  que  jamais  et  dans  son  arrangement  et  dans  sa  ligne 
(I  sécessionniste  »  et  dans  l'assemblage  savamment  kaléido- 
scopique  de  ses  couleurs.  (Oh  !  la  célèbre  jupe  de  soie  marron 
cjui,  dans  son  portrait  de  dame  »  entre  deu.x  buissons  de 
laurier  ",  fait  oublier  à  quelques  enthousiastes  jusqu'aux 
fautes  de  dessin  des  mains  et  de  la  tête,  dépourvue,  celle-là, 
de  toute   consistance  !)  Voilà   enfin,  —   last  >iot  last,   — et 


146 


L'ART     ET     LES     ARTISTE^ 


représenté  par  plusieurs  bonnes  toiles  très  différentes  comme 
sujet  et  vision,  M.  Wojciech  Weiss,  le  plus  fin  peut-être  et 
certainement  le  plus  cultivé  parmi  nos- jeunes,  dont  sûre- 
ment je  trouverai  encore  l'occasion  de  reparler  ici  plus 
longuement,  plusieurs  de  ses  œuvres,  notamment  le  beau 
portrait  des  parents  de  l'artiste,  appartenant  aux  meil- 
leures peintures  qu'en  général  on  ait  produites  chez  nous 
depuis  dix  ans  !... 

MM.  I-'alat  et  Ruszczyc,  maîtres  chacun  dans  son  genre, 
cette  fois-ci  ne  sont  représentés  chacun  que  par  un  bon 
paysage.  Assez  nombreuse,  par  contre,  est,  comme  toujours, 
la  «  pléiade  de  Stanislawski  »  avec,  en  tête,  MM.  Kamocki 
et  Podgorski.  Ce  sont  pour  la  plupart  des  paysages  plus 
ou  moins  bons,  mais  qui,  à  force  de  répéter  toujours  es 
mêmes  recettes  apprises  trop  facilement,  finissent  très  vite 
par  fatiguer.  A  côté,  M.  Filipkiewicz,  le  seul,  peut-être, 
parmi  les  élèves  du  grand  paysagiste  défunt  qui  aspire 
avec  persévérance  à  un  style  personnel,  e.xpose  deu.x 
agréables  intérieurs. 


Nommons  encore  M.  Jarocki,  une  sorte  de  Pautsch 
assagi  et  banalisé  ;  M.  Krasnodebski,  auteur  d'excellentes 
gravures  sur  bois;  51,  Sichulski,  connu  comme  le  meilleur 
interi)rète  du  montagnard  si  farouchement  p  ttoresquc  des 
Karjiathesruthéniennes,  mais  dont  malheureusement  je  ne 
puis  apprécier  les  vitraux....  .V  côté  des  vivants,  les  deu.x 
grands  morts  :  Stanislawski  et  Wyspianski,  se  rappellent 
à  notre  souvenir  par  quelques  belles  œuvres  encore  non 
exposées  à  Cracovie. 

Quant  aux  autres,  les  nouveaux  venus  surtout,  il  y  en 
a  qu'on  n'aurait  sûrement  pas  rencontré  aux  expositions 
antérieures  de  la  Société.  La  sculpture  notamment,  à 
quelques  rares  exceptions  iirès,  se  ressent  péniblement 
d'un  choix  trop  inconsidéré Souhaitons  très  sincère- 
ment à  la  S!:luka  de  sortir  le  plus  vite  possible  d'une  crise 
passagère,  de  triompher  des  petites  discordes  inévitables 
partout  entre  artistes,  de  ne  pas  oublier  surtout  les  belles 
traditions  de  son  passé  qui,  aussi  et  avant  tout,  sont  une 
obligation  pour  l'avenir.              .\d.\m    de    Cybilski. 


SUISSE 


T  E  Musée  Kath,  à  Genève,  dont  les  toiles  ont  déjà 
^^  émigré  en  partie  pour  les  espaces  plus  vastes  du 
nouveau  Musée  central,  a  ouvert  deux  de  ses  salles  à  une 
intéressante  et  jolie  exposition.  Organisée  par  la  section 
genevoise  de  la  Société,  des  peintres  et  sculpteurs  suisses, 
cette  exposition  compte  à  peine  deux  cents  numéros. 
Modération  très  louable,  pour  le  public  d'abord  qui  a  le 
temps  de  tout  voir  et  de  revenir  à  ce  qui  lui  plaît  davan- 
tage, et  aussi  pour  les  artistes  dont  les  œuvres  sont  toutes 
présentées  en  bonne  place  et  en  belle  lumière, 

La  plupart  de  nos  meilleurs  peintres  sont  représentés 
au  Musée  Rath  par  des  envois  plus  ou  moins  importants. 
Les  triomphateurs  du  jour,  F,  Hodler,  qui  vient  d'envoyer 
à  l'Université  d'Iina  sa  monumentale  peinture  murale, 
et  Otto  Vautier,  dont  je  vous  signalais  naguère  l'exquise 
décoration  pour  une  salle  de  conférences,  ont  tenu  tous 
deux  à  soutenir  leurs  camarades  genevois  par  des  œuvres 
intéressantes  et  bien  caractéristiques  de  leur  talent.  L'étude 
de  Hodler  pour  un  de  ses  étudiants-soldats  d'Iéna  a 
particulièrement  plu,  ainsi  que  les  Femmes  de  Safièzc 
d'Otto  Vautier,  exquises  dans  leur  cadre  ancien  aux  gri- 
siilles  de  vieil  argent. 

Nos  plus  excellents  paysagistes,  MM.  .\.  Kehfous, 
1>.  Estoppey,  L.  Rheiner  aîné  et  A.  Silvestre,  ont  choisi 
heureusement  parmi  leurs  visions  toujours  sincères  et 
vraies,  autant  qu'affinées  et  aiguës,  de  notre  nature  suisse 
romande.  'L'Intérieur  valaisatt  de  Rehfous  est  une  belle 
page  lumineuse  et  forte,  et  la  Rade  d'Estoppey,  baignée  de 
soleil  et  de  brume,  est  une  chose  exquise  de  vérité  et  de 
poésie,  dont  le  souvenir  vous  accompagne  longtemps.  . 

Il  faut  dire  le  plus  grand  bien  de  la  large  et  fougueuse 


]iiif>>issijn  mititaue  de  Louis  Dunki,  des  portraits  de 
MM.  Cx.  de  Beaumont  et  H.  de  Saussure,  des  études  fémi- 
nines de  M.  H.  Coutan,  et  surtout  des  très  fidèles  et  cu- 
rieuses études  de  femmes  valaisannes  par  M.  Edouard 
Vallet. 

Mais  le  grand  intérêt,  à  nos  yeux,  de  cette  e.xposilion  du 
Musée  Rath,  c'est  la  présence  d'une  réjouissante  quantité 
de  jeunes  talents,  qui  s'affirment  aujourd'hui  et  qui  s'im- 
posent décidément  à  l'attention. 

Parmi  les  plus  débrouillés,  et  les  plus  maîtres  de  leurs 
moyens,  citons  H.-C.  Forestier  et  son  Bois  de  la  Pache 
flambant  dans  l'éclat  sanglant  du  soleil  couchant  ;  .\.  Hu- 
gonnct  (natures  mortes)  et  H.  Davoisin.  Mais  il  y  a  plus 
(jue  des  promesses  dans  les  envois  justement  remarqués  de 
Guibentif  (le  Poiil).  d'Emile  Hornung  (Automne),  de  M.  Sar- 
kissof  (Natures  mortes),  qui  se  distinguent  tous  trois  par 
de  belles  qualités  décoratives  et  par  une  discrétion  et  une 
distinction  de  sentiment  et  de  vision  très  peu  banales  de 
nos  jours.  C'est  par  la  force,  la  décision,  la  crânerie  du  parti 
pris  que  se  distinguent  les  envois  de  5L  Erich  Hermès, 
un  beau  dessinateur  qui  <leviendra  un  beau  jieintre,  affran- 
chi qu'il  est  déjà  de  quelques  écarts  de  jeunesse  dont  on 
avait  pu  sourire.  Les  noms  des  peintres  Ed.-L.  Baud, 
.\.  Blanchet,  J,  Hellé,  G.  liohler,  Serge  Pahnke  sont  à 
retenir  parmi  ceu.x  qui  affirment  un  don  hcureu.x  ou  un 
progrès  marqué.  Le  Beethoven  de  M.  H.  Hubacher  (Par 
ta  souffrance  à  la  joie  !)  est  un  beau  morceau  de  sculpture 
qu'anime  une  pensée  virile  et  grave.  Et  les  émaux  de 
MM.  H.  Demole  et  Ch.  Dumont  sont,  comme  toujours, 
d'une  conception  impeccable  et  d'une  exécution  brillante. 

G.\SPARD  \"aL1.ETTE. 


147 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


Échos   des    Arts 


L'Exposition  des  Cent  portraits. 

Nous  sommes  particulioiunient  heureux  d'annoncer  le 
très  vif  succès  remporté  auprès  du  public  d'élite  ])ar  la 
magnifique  Exposition  des  Cents  portraits  de  femmes  des 
écoles  française',  et  anglaise  du  xvinf  siècle,  à  laquelle 
notre  dernier  numéro  était  consacré,  et  dont  notre  revue 
avait  pris  l'heureuse  initiative.  Le  roi  d'Angleterre,  le 
président  de  la  République,  l-s  ministres,  nombre  de 
hauts  fonctionnaires  se  sont  fait  un  plaisir  de  la  visiter, 
et  la  foule  s'est  empressée  de  suivre  leur  exemple.  C'est 
d'ailleurs  une  des  plus  belles  manifestations  d'art  qu'il 
n'eus  ait  été  donné  de  voir  depuis  longtemps,  et  nous  ne 
saurions  trop  engager  à  s'y  rendre  ceux  qui  n'en  auraient 
pas  encore  eu  le  temps. 

jS 

Fouilles   et  Découvertes- 

En  démolissant  un  ain  irii  (ir]>lirlinat,  dans  les  environs 
de  l'oligno,  on  a  mi-'  au  jour  une  fresque  en  très  bel  état 
de  conservation,  dissimulée  depuis  des  siècles  ;  elle  repré- 
sente la  Passion  du  Christ  et  occupe  environ  9  mètres 
carrés,  c'est-à-dire  presque  toute  la  surface  d'une  des 
parois.  Examinée  par  le  directeur  des  fouilles  et  monu- 
ments de  rOmbrie,  M.  Luciani,  et  par  plusieurs  autres 
personnalités  compétentes,  la  fresque  va  être  détachée 
avec  le  plus  grand  soin  ;  son  importance  est  extrême  en 
effet,  car  on  la  considère  comme  un  ouvrage  de  l'école 
giottesque,  et  peut-être  comme  une  œuvre  de  Giotto  lui- 
niénie. 

JS 
Dons  et  Achats. 

I,e  Musée  du  Louvre  vient  d'acquérir,  au  Jirix  de 
121.1000  francs,  une  suite  de  flouze  émaux  du  maître  li- 
mousin Jlonvaerni,  le  premier  qui  signa  des  émaux  de 
Limoges  et  dont  le  Louvre  ne  possédait  encore  .lucun 
spécimen. 

JS 

Sur  le  conseil  de  ^l.  -\lbert  Joliet,  qui  a  déjà  tant  fait  pour 
le  Musée  de  Dijon,  la  municipalité  de  cette  ville  vient  d'ac- 
quérir pour  ledit  Musée  une  œuvre  de  la  plus  haute  impor- 
tance. 

C'est  un  retable  de  l'école  de  sculpture  bourgui.gnonne 
de  la  seconde  partie  du  XV  siècle,  c'est-à-dire  de  la  belle 
époque  gothique.  Il  est,  comme  la  plupart  de  ses  .sem- 
blables, en  bois  doré  et  peint.  Et  si  ces  peintures  et  dorures 
sont  en  bien  des  endroits  altérées,  il  n'en  est  pas  de  même 
de  la  sculpture  propre,  qui  est  on  ne  peut  mieux  con- 
servée. 

Le  panneau  du  centre  représente  la  scène  capitale  de  la 
Passion  :  le  crucifiement  du  Christ.  Tous  les  personnages 
y  sont  traités  avec  un  égal  souci  de  vérité,  de  sincérité 
réaliste  qui  caractérise  nos  bons  imagiers  du  moyen  âge. 
Les  larrons,  qu'une  résignation  philosophique  ne  pénétre 
pas  à  l'égal  du  Christ,  se  tordent  en  proie  à  des  souffrances 
intolérables,  tandis  que  le  «Roi  des  Juifs  »  contemple,  débon- 
naire et  placide,  toute  la  foule  hurlante  des  guerriers  qui 
l'entoure.  Les  murailles  de  Jérusalem  forment  à  ce  tableau 
un  fond  très  pittoresque.  Le  panneau  de  gauche,  le  porte- 
ment de  la  croix,  est  non  moins  curieux.  Véronique  essuie 
la  Sainte  Face,  alors  que  les  verges  cinglent  le  corps  du 
Christ  ;  les  visages  hébraïques  des  personnages  sont  parti- 


culièrement intéressants.  Le  panneau  de  droite  est  réservé 
à  la  descente  de  croix.  La  physionomie  de  la  Vierge  est  on 
ne  peut  plus  lamentable  et  attendrissante,  et  celle  des 
jîleureuses  empreinte  d'un  mysticisme  et  aussi  d'une  naï- 
veté sans  égale.  Enfin,  au  bas  du  panneau  principal,  la 
mise  au  tombeau. 

C'est  dans  une  mansarde  de  l'ancien  êvêché  que  JL  .Albert 
Joliet  avait  découvert  ce  trésor. 

JS 
Nécrologie. 

Nou--  apjjrenons  avec  un  bien  vif  regret  le  décès  de 
Mme  Léon  Bertau.x,  statuaire,  en  son  château  de  Lassaj- 
(Sarthe),  à  l'âge  de  quatre-vingt-quatre  ans,  presque  au 
même  moment  où  avait  été  lancée  l'imposante  liste  de  ses 
titres  pour  se  présenter  aux  suffrages  de  MiL  de  r,\cadémie 
des  Beaux--\rts.  Nul  doute  qu'elle  n'eiit  été,  et  respectueu- 
sement, accueillie.  Elle  e.xposait.  avec  un  égal  bonheur  et 
un  égal  talent,  depuis  1857.  Elle  était  élève  de  MM.  Pierre 
Hébert,  son  beau-père,  et  .Auguste  Dumont,  de  l'Institut. 
Sa  disparition  est  une  véritable  perte. 

Revue   des   Revues. 

St.\ryé  Godv  (années  révolues).  —  Revue  mensuelle 
d'art  ancien,  paraissant  le  15  28  de  chaque  mois.  —  1909, 
troisième  année. 

Le  texte  de  Staryé  Gody  étant  rédigé  en  russe,  tous  les 
titres  sont  munis  de  traductions  en  français. 

Pri.x  d'abonnement  pour  l'étranger  :  30  francs  par  an. 
On  s'abonne  chez  tous  les  libraires  de  Saint-Pétersbourg 
et  au  bureau  de  la  rédaction  (7,  Solianoï  per)  ;  à  Paris, 
chez   Henri   Leclerc,   libraire,   219,   rue  Saint-Honoré. 

P.  P.  de  Weiner,  directeur  fondateur. 


La  Scûiidinavie.  —  Revue  mensuelle  illustrée  des 
roj'aumes  de  Suéde.  Norvège,  Danemark  et  grand-duché 
de  Finlande.  —  .Artistique,  littéraire,  scientifique.  —  Ré- 
daction et  administration  :  67,  boulevard  Malesherbes, 
et  4,  avenue  de  l'Opéra. 

Directeur  :  Maurice  Chalhoub. 

.Abonnements  :  6  francs  pour  la  France  et  S  francs  pour 
l'étranger. 

iS 

Association  de  l'Alliance  artistique,  enregistrée  en  vertu 
de  la  Iv,-  sur  les  Sociétés  industrielles  et  de  prévoyance. 
Siège  social  :  67-69,  Chancery  Lane,  London,  W.  C. 

Fondée  en  1908  dans  le  but  de  permettre  aux  artistes 
de  soumettre  librement  et  sans  restriction  leurs  œu\Tes  au 
jugement  du  public. 

.A  l'E.xposition  annuelle  de  r.\ssociation.  chaque  membre 
est  autorisé  à  envover  trois  œuvres,  dont  toutes  seront 
exposées,  en  groupe  ou  dispersées,  suivant  le  désir  de 
l'e.xposant. 

Le  deuxième  Salon  de  Londies  de  l'.Association  sera  tenu 
à  Londres,  au  Royal  Albert  Hall,  au  mois  de  juillet  1909. 

On  devient  membre  de  l'.Association  en  devenant  acqué- 
reur d'une  (ou  plusieurs)  actions  de  valeur  nominale 
de  10  shillings  (soit  12  fr.  75),  et  en  payant  une  cotisation 
annuelle  d'une  guinée  (soit  26  fr.  50).  En  dehors  de  cette 
cotisation,  les  membres  ne  peuvent  encourir  aucune  res- 
ponsabilité pécuniaire. 


I4S 


L'ART     ET     LE 


ARTISTES 


L'administration  de  l'Association  est  conliée  au  comité 
de  direction  élu  par  les  actionnaires. 

.V.  B.  —  //  est  de  toute  nécessité  que  les  artistes  désirant 
■ivoyer  leurs   œuvres   à   l'exposition   de    1909  fassent  une 
ùùlaratioii.  immédiate,  car  il  ne  sera  accepte  qu'un  nombre 
très  limité  de  nouveaux  exposants. 

Toutes  les  demandes  de  renseignements,  adhésions  et 
versements  doivent  être  adressés  au  secrétaire  (Frank 
Rutter),  Allied  Artists'  Association  Ltd.,  67-69.  Cliancery 
l.ane.  London,  W.  C. 

M 
Divers. 

L'e.xposition  des  Beaux-Arts  de  Venise,  ouverte  le 
jj  avril,  sera  clôturée  le  31  octobre.  Deux  affiches  illus- 
trées, l'une  de  il.  A.  Sezanne.  qui  reproduit  celle  de  l'e.xpo- 
sition  précédente,  et  l'autre,  due  à  M.  A.  de  Carolis,  célé- 
brant ^a  résurrection  du  Campanile  de  Saint-Marc,  qui 
accomplira  pendant  la  durée  du  Salon,  annoncent  cette 
:   anifestation  artistique  internationale. 

Il  existe  rue  Raynouard.  à  Passy,  une  petite  maison  au 
fond  d'un  jardin,  autrefois  habitée  par  Balzac,  et  dont  on 
a  fait  depuis  quelques  années  le  Musée  Balzac  «  en  y 
installant  nombre  d'objets  ayant  appartenu  ou  ayant 
rapport  à  l'illustre  auteur  de  la  Comédie  humaine.  Les 
fonds  nécessaires  à  l'entretien  de  cette  maison  étant  devenus 
îisuffisants,  un  Comité  d'admirateurs  du  grand  écrivain 
xnt  de  se  former,  afin  d'assurer,  par  souscriptions  ou 
ciiitrement,  l'avenir  de  cet  intéressant  petit  musée. 

J6 

.\  Copenhague.  —  Une  exposition  française  d'art  déco- 
itif  aura  lieu  à  Copenhague,  du  26  juin  au  13  septembre, 
-(.us  le  haut  patronage  de  la  reine  de  Danemark  et  de  la 
princesse  Marie.  Cette  e.xposition,  organisée  par  le  Comité 
des  expositions  à  l'étranger,  se  tiendra  dans  le  Falais  royal 
de  Charlottenbourg.  et  y  occupera  vingt  salles  mises  à  la 
disposition  du  Comité  par  le  gouvernement  danois. 

Elle  ne  comportera  ni  jury  ni  récompenses,  et  sera  sim- 
plement un  Salon  d'art  décoratif  français,  où  ne  figure- 
ront que  les  artistes  et  les  fabricants  qui  y  auront  été  in- 
vités personnellement  par  le  Comité. 

La  Commission  d'organisation  de  l'exposition  est  pré- 
sidée par  M.  Lucien  Layus.  M.  Gustave  Roger-Sandoz  en 
e.st  le  vice-président. 


BULLETIN      DES     EXPOSITIONS 

TARIS 

École  nationale  des  Beaux-Arts.  —  Prochainement,  expo- 
sition des  travau.x  d'art  décoratif  de  nos  écoles  natio- 
nales des  départements. 

Première    exposition    de    la     1     Contemporaine    »,     société 


)iouielle.  —  Pour  tous  renseignements,  s'adresser  à 
M.  E.  André,  24,  rue  Beaurepaire. 

Salon  des  .Assurances.  —  Première  exposition  en  octobre, 
en   formation. 

Galeries  G.  Petit.  S,  rue  de  St'se.  —  L'œuvre  de  Rafïaëlli, 
du  10  juin  au  13  juillet. 

Galerie  des  Artistes  modernes,  19.  rue  Caiimartin.  —  Col- 
lection d'estampes  japonaises,  du  7  au  20  juin. 

PRGVINXE  ET  ÉTRANGER 

Be.\iv.\is.  —  Onzième  exposition  de  la  Société  des  Amis 
des  Arts  de  l'Oise,  du  19  juin  au  25  juillet. 

BvExos  .\1RES.  —  Exposition  française  des  Beaux- 
Arts,  du  1"^  juin  à  fin  juillet. 

Charenton  (Seine).  —  Quarante  et  urièn.e  exposition  de 
la  Société  artistique,  du  26  septembre  au  19  octobre 
prochains.  Adresser  toutes  demandes  de  renseignements 
à  M.  Leroux,  secrétaire-trésorier,  3,  place  Henri-IV,  à 
Charenton  (Seine). 

Clermoxt-Ferraxd.  —  l^'Vnion  artistique  d'Auvergne 
ouvrira,  dans  les  premiers  jours  du  mois  de  juin, 
sa  troisième  exposition  des  Beaux-.\rts  et  Arts  déco- 
ratifs, à  Clermont-Ferrand.  salle  Gaillard. 

Copenhague.  —  Au  Palais  royal  de  Charlottenbourg, 
e.xposition  française  d'art  décoratif,  du  26  juin  au  13  sep- 
tembre. Pour  tous  renseignements,  s'adresser  à  M.  Roger- 
Sandoz,  à  Paris. 

Dresde.  —  Exposition  internationale  d'aquarelles,  pastels 
et  arts  décoratifs,  du  15  mai  au  i»''  octobre. 

G.\ND.  —  Quarantième  e.xposition  de  la  Société  royale,  du 
I"  août  au  27  septembre.  Pour  tous  renseignements, 
s'adresser  à  M.  Scribe,  rue  de  la  Chênaie,  à  Gand. 

Langres.  —  Société  artistique  de  la  Haute-Marne. 
Exposition  des  Beaux-Arts  et  d'.\rt  décoratif,  du  3 1  juillet 
au  I"  septembre. 

LoRiENT.  —  Association  lorientaise  des  Beaux-.\rts. 
E.xposition  de  1909,  du  13  juin  au  14  juillet. 

Munich.  —  Dixième  exposition  internationale  des 
Beaux-.\rts  au  Palais  de  Cristal,  du  i^'  juin  à  tin  octobre- 

Nancy.  —  Exposition  internationale  de  l'Est  de  la 
France,  avec  section  des  Beaux-.Arts  organisée  par 
la  Société  lorraine,  du  i"  juin  à  la  clôture  de  l'E.xpo- 
sition  internationale. 

PoNTOisE  (Seine-et-Oise).  —  Quinzién.e  Salon  de  la 
Société  française  artistique,  à  l'Hôtel  de  \'i!le,  du  30  ma 
au  30  juin. 

Rouen.  —  Exposition  des  Beaux-.Xrts,  du  \"  juin  au 
31  juillet. 

Saint-Brieuc.  —  Première  exposition  des  Beaux.Vrts  du 
Comité  d'initiative  artistique,  du    iS  juin  au  11  juillet. 

Tanaxarive. —  Prochainement,  e.xposition  d'art  malgache, 
comportant  :  sculptures,  peintures,  tissus,  arts  de  la 
femme,  jouets  et  jeux,  histoire  de  l'art,  art  rétro- 
spectif, etc.  Pour  tous  renseignements,  s'adresser  au 
ministère   des  Colonies. 


149 


■ART     ET     LES     ARTISTES 


Bibliographie 


LIVRES     DART 


yiaui!,ls  crHatnin-  </<•  l'Ait.  —  1-3  yrai'iirc,  par 
Léon  Rosexihal,  docteur  es  lettres,  professeur  au  lycée 
I,ouis-le-Grand.  (Un  vol.  in-<S  illustré  de  174  gravures. 
Broché  :  10  fr.  :  relié  :  u  fr.  Envoi  franco  contre  mandat- 
poste   à   H.   Laurens,   éditeur,   6,   rue  de  Tournon,  Paris.) 

La  collection  de^  Manuels  d'Histoire  de  l'Art,  inaugurée 
par  un  livre  brillant  de  M.  Hourticq  sur  la  Peinture  des 
origines  au  X]'I'  siècle,  s'enrichit  d'un  solide  ouvrage  de 
!\L  Rosenthal  sur  la  Crainte.  Depuis  plus  de  vingt-cinq 
ans,  aucun  travail  d'ensemble  n'avait  été  fait,  en  France, 
sur  un  sujet  aussi  important.  M.  Rosenthal  a  suivi  la 
{.'ravure  depuis  ses  origines  jusqu'à  nos  jours  <lans  tous  les 
pays  occidentaux  où  elle  s'est  développée.  Il  montre  la 
marche  parallèle  de  l'évolution  esthétique  et  de  l'évolution 
technique,  et  donne  sur  chaque  procédé  les  renseignements 
que  peuvent  désirer  les  amateurs.  Ce  livre  n'est  consacré 
à  l'apologie  d'aucune  esthétique,  d'aucune  école.  Avec  une 
liberté  d'esprit  parfaite,  l'auteur  attire  la  sympathie  sur 
les  manifestations,  quelles  qu'elles  soient,  du  talent  et  du 
génie.  Il  ne  préfère  pas  les  Italiens  aux  Allemands,  il 
n'exalte  pas  le  burin  aux  dépens  de  l'eau-forte.  11  rend  aux 
graveurs  traducteurs  un  hommage  mérité,  mais  il  affirme 
la  supériorité  des  esprits  originaux  qui,  par  le  burin,  la 
pointe,  la  lithographie  et  le  bois,  ont  exprimé  des  pensées 
personnelles.  Juste  envers  JMarc  Antoine  ou  Audran.  il  ne 
les  compare  pas  à  Rembrandt,  à  Albert  Diirer,  à  Callot, 
à  Whistler  ou  à  ]\Iéryon. 

L'ouvrage,  écrit  avec  une  clarté  extrême,  s'adresse  à 
tous  ceux  qu'intéressent  les  choses  d'art.  Il  rendra  aussi 
des  services  aux  étudiants  et  tra\ailleurs  (]ui  y  trouveront 
des  bibliographies  copieuses  et  des  référence-,  précises. 
Une  illustration  abondante  de  174  reproductions  choisies 
parmi  les  estampes  les  plus  célèbres  et  les  plus  typiques, 
exécutées  avec  le  plus  grand  soin,  souligne  les  démonstra- 
tions du  texte  et  constituerait,  à  elle  seule,  ime  histoire 
parlante  de  la  gravure. 

Collectinii  de^  Ailnhs  belles  i.niteiiif^.'unii'..  —  Victor 
Rousseau.  \^.n  .Maurice  des  Umiuaix.  (Un  beau  vo- 
lume in-8°,  illustré  de  1}  cro(|uis  d.ins  le  texte  et  de 
^4  planches  hors  texte,  dont  3  en  caïu.iieu.  C.  vanOest 
et  Cie,  éditeurs,  Bruxelles.) 

Là  Belgique,  si  riche  en  pemtres  de  orand  talent,  compte 
aussi  des  sculpteurs  que  la  gloire  a  consacrés  ou  que  la 
renommée  favorise,  le  grand  Meunier,  Dill-ns,  Lambeaux, 
van  der  Stappen,  Vinçotte,  Lagae,  Minne,  etc. 

Parmi  eux,  Victor  Rousseau,  «le  sculpteur  de  l'ingé- 
nuité et  de  la  méditation  >,  voit,  à  quarante  ans,  les  musées 
de  Bruxelles,  Anvers,  Berlin,  \'ienne,  Glascow,  Copen- 
hague ouverts  à  ses  œuvres  et  son  esthétique  minutieuse- 
ment commentée  à  l'étranger  par /t'  Studi'.  l' F.mpoi lum , 
l'Occident,  etc. 

Statuaire  dans  ses  motifs  de  décoration  du  Pont  de 
Fragnée,  de  l'.Xrcade  du  Cinquantenaire,  et  autres  ;  tail- 
leur d'effigies  qui  sont  encore  des  portraits  moraux  ;  phi- 
losophe dans  tels  reliefs;  l'Aveugle  Destin,  etc.,  ou  dans 
une  simple  figure,  comme  celle  de  la  Femme  de  trente  ans, 
Rousseau,  ailleurs  et  avant  tout,  a  incorporé  dans  le 
marbre  le  sourire  clair  de  la  grâce  et  le  reflet  harmonieux 
d'une  pensée  sans  crispations.  Dans  la  matière  la  plus 
rebelle,  il  a  inscrit  des  sensations  si  fluides  qu'elles  paraissent 
déjà  indicibles  en  écriture,  sinon  au  poète  de  la  Chanson 
d'Eve,  et  ne  ])ouvoir  dépasser  le  plan  musical.  F.t  non  seu- 


lement il  les  e.xjjiime  avec  une  correction  d'analyse  et  une 
technique  de  savant  praticien,  mais  il  les  enlève  en  un 
rythme  qui  a  tout  l'équilibre  envolé  de  la  danse.  C'est 
pourquoi  Rousseau  est  un  maître  et  cette  publication 
légitime. 

M.  Maurice  des  Ombiaux,  qui  avait  déjà,  dans  les  Quatre 
artistes  liégeois,  manifesté  son  souci  d'explorer  la  sensi- 
bilité esthétique  de  Wal  onie,  a,  dans  une  substantielle 
monographie,  étudié  Rousseau  avec  amour,  et  s'il  renseigne 
avec  précision  sur  l'ascendance  du  sculpteur,  sur  sa  for- 
mation et  sa  carrière,  il  parle  avec  Ij'risme  des  aspirations 
de  l'artiste  et  avec  émotion  de  son  caractère  moral. 

L'ouvrage  forme  un  beau  volume  de  88  pages,  sous  cou- 
verture dessinée  par  Emile  Berchmans.  Il  contient  13  illus- 
trations dans  le  te.xte,  d'après  des  dessins  et  des  cro- 
quis inédits  de  l'artiste,  et  ji^,  planches  hors-texte  dont 
30  reproduisent  les  oeuvres  principales  du  sculpteur  et 
3  sont  tirées  en  cama'ieu  d'après  des  dessins  à  la  plume 
réservés  à  cet  ouvrage. 

Le  livre  comporte  également  un  portrait  de  Rousseau 
par  M.  \'an  den  Eeckhoudt  et  un  catalogue  chronologique 
de  l'œuvre  du  sculpteur. 

L'ouvrage  est  mis  en  vente  au  pri.x  de  m  francs  broché 
et  1 2  fr.  50  relié. 

Édition  de  luxe.  —  Il  a  été  tiré  de  ce  livre  25  exemplaires 
de  luxe,  sur  papier  impérial  du  Japon,  à  grandes  marges, 
texte  réimposé,  numérotés  de  i  à  25.  Ces  exemplaires, 
outre  toute  l'illustration  de  l'édition  ordinaire,  contiennent 
des  reproductions  en  fac-similé  de  deux  dessins  de  Victor 
Rousseau.  Les  exemplaires  de  l'édition  de  luxe  sont  mis  en 
souscription  au  prix  de  40  francs. 

Collecti'in  des  .Artistes  belges  contemporains.  —  James 
Ensor,  par  Emile  \"erhaeren-.  (G.  van  Oest  et  Cie, 
éditeurs,  Bruxelles.) 

James  Ensor  occupe  dans  l'art  belge  contemporain  une 
place  qu'il  n'a  prise  à  personne  et  qu'il  ne  partage  avec 
aucun.  Son  œuvre  est  original  et  reste  à  l'abri  de  toute 
imitation. 

Peintre  de  natures  mortes,  Ensor  tire  des  éclats  inouïs 
d'un  chou,  d'un  coquillage  ou  d'une  raie  ;  luministe,  il 
remplit  ses  intérieurs  d'une  atmosphère  oii  la  poussière 
elle-même  vibre.  Ensor  par  là  sait  peindre,  comme  sai-aient 
peindre  Chardin  ou  Manet.  Et  si  l'on  examine  ses  eaux- 
fortes,  on  V  découvrira  un  technicien  non  moins  miracu- 
leux :  les  nuages  qui  roulent  au-dessus  de  Mariakerke 
ou  les  Patineurs  qui  grouillent  sur  un  étang  se  meuvent 
avec  une  telle  liberté  que  tout  procédé  disparait,  que  le 
trait  échappe. 

Aux  mains  d'Ensor,  d'ailleurs,  pinceau  et  burin  ne 
servent  le  plus  souvent  qu'à  évoquer  des  objets  et  expri- 
mer des  rêves  sur  lesquels  il  est  seul  à  exercer  un  droit.  Il 
régne  sur  un  territoire  où  il  pousse  des  masques  comme  des 
fruits,  où  la  cocasserie  se  pare  de  grâces  et  où  la  fumisterie 
devient  philosophique.  Il  a  planté  ainsi  des  champs- 
élysées  pour  pitres  et  creusé  des  enfers  à  l'usage  des  faux 
bienfaiteurs  de  l'humanité.  Juges  prévaricateurs  et  chirur- 
giens trop  empressés  vont  à  la  fournaise  comme  dans  des 
farces  méd  évales  ;  mais,  d'autre  part,  quelles  cathédrales 
de  féerie  éclosent  en  plein  royaume  de  mufles  au  son  des 
orphéons  et  sous  l'œil  ébahi  des  milices  bourgeoises  ! 

Du  réalisme  quasiment  organique  dans  la  reproduction 
d'objets  familiers  jusqu'à  l'idéalisme  le  plus  angélique  dans 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


tel  Projet  de  chapelle  à  dédier  d  S. S.  Pierre  et  Paul, 
ou  le  plus  monstrueux  dans  diverses  caricatures  anti  bour- 
geoises, James  Ensor  apparaît  toujours  comme  un  extra- 
ordinaire artiste. 

On  devine  avec  quelle  beauté  verbale,  avec  ciuelle  ver\e, 
avec  quelle  fougue  le  grand  écrivain  Emile  \'erhaeren 
analyse  pareille  œuvre,  qui  est  aussi  de  la  robuste  prose  et 
de  la  poésie  exaltée. 

L'ouvrage  forme  un  beau  volume  d'environ  130  pages 
de  te.xte,  sous  couverture  dessinée  par  l'artiste.  Un  cata- 
logue chronologique  complet  des  toiles,  des,sins,  eaux- 
fortes  et  pointes  sèches  de  l'artiste,  ainsi  qu'une  bibliogra- 
phie, font  suite  à  l'étude  de  Verhaeren. 

L'illustration  comporte  10  reproductions  dans  le  te.xte, 
dont  plusieurs  en  page  entière,  d'après  des  dessins  et  des 
croquis  généralement  inédits,  et  35  planches  hors  texte 
dont  2  en  héliogravure,  reproduisant  les  toiles,  dessins  et 
gravures  les  plus  marquants  de  James  Ensor,  ainsi  (jue 
2  très  beaux  dessins  reproduits  en  fac-similé. 

L'ouvrage  est  mis  en  \ente  au  prix  de  !0  francs  broché 
•    \2  fr.  50  relié. 

l.dition  de  luxe.  ^  Il  a  été  tiré  de  ce  livre  50  exemplaires 
de  luxe,  sur  papier  impérial  du  Japon,  à  grandes  marges. 
te.xte  réimposé,  numérotés  de  i  à  50.  Ces  exemplaires  con- 
tiennent, outre  toute  l'illustration  de  l'édition  ordinaire, 
deux  eaux-fortes  originales  de  James  Knsor.  sur  papier  du 
Japon. 

Les  exemplaires  de  l'édition  de  luxe  sont  mis  en  sous- 
cription au  prix  de  40  francs. 

Reflets  ce  Roii-e,  par  G.^spard  Willette.  (Pion, 
Xinirrit  et  Cie,  édit.,  rue  Garancière.) 

Sous  ce  titre  charmant,  notre  excellent  collaborateur 
yi.  Gaspard  Vallette,  qui  nous  renseigne  avec  la  compé- 
tence que  l'on  sait  sur  le'  mouvement  artistique  en  Suisse, 
a  recherché,  «  dans  l'œuvre  et  la  correspondance  des 
écrivains  français,  —  depuis  Montaigne  jusqu'à  Zola  et  à 
quelques  auteurs  encore  vivants.  —  comment  et  pourquoi 
ils  ont  vu  Rome,  ce  qu'ils  en  ont  vu,  ce  qu'ils  en  pouvaient 
voir,  ce  qui  les  a  chacun  particulièrement  frappé,  ému 
ou  intéressé,  et  enfin  quelle  fut  l'influence  de  Rome  sur 
leur  esprit  ou  sur  leur  oeuvre....  II  compare  à  chaque 
occasion  les  impressions  de  tel  ou  tel  de  ces  écrivains  sur 
Rome  en  général,  ou  sur  tel  spectacle  de  Rome  en  parti- 
culier, avec  l'impression  personnelle  qu'il  a  pu  éprouver 
lui-même....  Et  il  arrive  de  la  sorte  à  présenter  au  lecteur 
un  tableau  pittoresque  de  Rome  à  travers  ces  quatre 
siècles,  en  prenant  pour  cic  roni  les  meilleurs  écrivains 
de  notre  langue,  mais  en  contrôlant  toujours  leur  jugement 
et  leur  émotion  par  l'impression  ipie  Rome  lui  a  fait  à 
lui-même,  au  début  du  x.x"'  siècle.  Et  ainsi  le  livre  <le 
M.  Vallette  n'est  pas  seulement  livresque.  Rome  s'y 
reflète  vraiment,  comme  en  un  miroir  subtil  et  changeant, 
mais  toujours  clair  et  limpide.  Montaigne,' Rabelais,  Du 
Bellay,  Balzac,  Gœthe,  Chateaubriand,  Louis  \'euillot. 
les  écrivains  suisses  de  Bonstetten  à  Cherbuliez  en  passant 
par  Mme  de  Staël,  qui  a  mal  vu  Rome,  Stendhal  dont  Us 
Promenades  révèlent  une  observation  minutieuse  et  aussi 
exacte  qu'il  était  possible  à  leur  auteur,  Taine  qui  leur  doit 
tant.  Concourt  et  Renan,  Paul  Pourget,  Zola,  .\natolo 
France,  à  tous  ceux-là  Rome  a  produit  une  impression 
profonde,  et  tous  pourraient  ré[)éter,  en  l'interprétant 
chacun  à  sa  manière,  le  mot  de  Gœthe  :  "  Je  n'ai  pas  passé 
un  jour  entièrement  heureux,  depuis  que  j'ai  traversé, 
pour  revenir,  le  Ponte  Molle  ».  Mais  M.  Gaspard  Vallette. 
qui  a  l'habitude  de  séparer  le  bon  grain  de  l'ivraie,  dis- 
cerne fort  bien,  dans  l'œuvre  touffu  de  ces  pèlerins,  ce  que 
chacun  a  pris  à  son  devam  iei .  Rien  n'est  amusant  comme  de 
le  voir  disséquer  pour  ainsi  dire  les  pages  et  les  phrases  où 


Emile  Zola,  myope,  décrit  la  grande  vue  du  Janicule,  où 
Emile  Zola,  n'ayant  pu  obtenir  une  audience  de  Léon  XIII, 
se  contente  d'une  enquête  "  policière  »  organisée  par  ses 
soins  autour  du  pape,  où  Emile  Zola,  prolifique,  prend  son 
bien  où  il  le  trouve,  et  suit  docilement...  le  Bœdeker  de 
l'Italie  centrale,  édition  de   1S94  ! 

L.  \\ 

Napoli  e  1  arte  ceramica  dat  XIII  al  XX  se- 
colo,  ])ar  LriGi  Mosc.\.  lXa]iles.  Riccardo-Kicci;'.rdi. 
190S.  Édition  de  400  exemplaires.  Prix  :   10  francs.) 

Lucera,  écrit  l'auteur,  devint  en  1233  un  centre  artis- 
tique de  fabrication  de  porcelaine  à  cause  des  Sarra-ins 
de  Sicile  que  Frédéric  II  avait  obligés  à  vivre  dans  cette 
région  après  les  avoir  vaincus.  En  1301,  Charles  II  d'.\njou 
ayant  battu  la  maison  de  Souabe  et  s'étant  emparé  de 
Lucera.  Girofalco,  .Acerenza,  par  une  ordonnance  du 
26  janvier,  fit  rassembler  et  conduire  à  Xaples  tous  les 
.■\rabes  qui  composaient  la  colonie  de  Lucera.  Ce  fut  l'ori- 
gine de  la  céramique  napolitaine.  L'auteur  décrit  ce  qui 
reste  encore  à  Xaples  de  cet  art  ancien,  puis  il  passe  à  la 
manufacture  de  Capodimonte  d'où  sortirent  les  chefs- 
d'œuvre  que  tout  le  monde  connaît,  et  qui  souvent  s'ins- 
pirèrent de  modèles  antiques  que  l'on  commençait  à  retrou- 
ver à  Pompéi.  Pendant  un  peu  plus  d'un  demi-siècle,  la 
nanufacture  royale  de  Capodimonte,  par  la  perfection  et 
la  hardiesse  de  ses  productions,  rivalisa  vraiment  avec 
Sèvres  et  la  Saxe.  Les  événements  politiques  seuls  ame- 
nèrent sa  décadence.  Dans  la  dernière  partie  de  son 
ouvrage,  l'avteur  traite  des  moyens  de  faire  renaître  cet  art 
disparu,  ainsi  que  des  réformes  nécessaires  dans  les  Musées 
artistiques  industriels  d'Italie.  Il  le  fait  avec  beaucoup  de 
compétence  et  d'autorité.  Xous  souhaitons  avec  lui  un 
réveil  des  traditions  artistiques  à  Xaples  cjui  fasse  refleu- 
rir une  industrie  autrefois  si  prospère. 

Les  Mllesd'Art  cilèbres. —  Vieutdeparaitre:  Bordeaux, 
par  Ch.\rles  S.^unier.  (l'n  vol.  in-4  illustré  de  112  gra- 
vures. Broché  4  fr.  ;  relié  :  5  fr.  Envoi  franco  contre  mandat- 
poste  à  H.  I.aurens.  éditeur.  6.  rue  de  Tournon,  Paris, 
Vie.) 

Le  xviii'' siècle  français,  si  justement  réputé  parmi  les 
amateurs  et  les  gens  de  goût,  a  doté  Bordeau.x  d'un  carac- 
tère particulier.  L'art  de  cette  époque  s'y  manifeste  avec 
toute  son  élégance  dans  la  décoration  des  façades  monu- 
mentales des  (juais.  du  Grand-Théâtre,  chef-d'œuvre  sou- 
vent copié,  jamais  égalé,  et  de  maints  hôtels  particuliers. 

Mais  Bordeaux  a  encore  ses  églises  du  moyen  i'ge  et 
particulièrement  sa  cathédrale,  dont  l'une  des  façades  est 
célèbre  parmi  les  archéologues,  son  musée,  l'animation  de 
son  port  et  la  séduction  d'une  ])opulation  faite  d'esprit 
chez  l'homme,  de  beauté  piquante  chez  la   femme. 

D'une  plume  enthousiaste  et  dans  un  style  clair  et  vif, 
.M.  Cil.  Saunier  raconte  l'histoire  de  Bordeaux,  mène  le 
promeneur  à  travers  ses  monuments,  décrit  les  richesses 
de  ses  importants  musées.  En  compagnie  de  l'écrivain, 
on  assiste  au  développement  de  la  Cité,  ou  suit  la  cous, 
truction  de  ses  édifices  depuis  le  moyen  âge  juscpi'aux 
temps  modernes,  mais  plus  particulièrement  durant  ce 
xv!!!"^  siècle  qui  marqua  pour  Bordeaux  une  extraordi- 
naire période  de   prospérité. 

M.  Charles  Saunier  connaît  cette  belle  ville  sous  tous  ses 
aspects  ;  il  aime  son  ciel,  son  fleuve,  la  vie  <|ui  s'épand  de 
cette  cité  heureuse  et  florissante,  et  trouve  des  mots  char- 
mants pour  traduire  son  admiration. 

Les  personnes  qui  ont  visité  Bordeaux  et  furent  séduites 
jiar  sa  situation  et  son  décor  seront  charmées  de  retrouver 
dans  le  nouveau  volume  des  Villes  d'Art  célèbres  \c  miroir 
de  leurs  sensations;  celles  qui  ne  connaissent  point  cette 


151 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


partie  delà  France  amont,  à  la  lecture  de  ce  livre  attachant, 
le  désir  de  connaître  une  ville  qui  n'est  qu'art,  sourire  et 
lumière. 

Les  Villts  (l'Ait  r.lihirs.  —  Vient  de  paraître  :  Oxjord 
et  Cambridge,  par  Joseph  Avnard,  agrégé  de  l'Hni- 
versité.  ancien  élève  de  l'École  normale  supérieure.  (Tu  vol. 
in-4.  illustré  de  92  gravures.  Broché  :  3  fr.  50;  relié  :  4  Ir.  50. 
Envoi  franco  contre  mandat-iiosfe  ù  H.  Laurens,  éditeur. 
6,  rue  de  Tournon,  Paris,  \1'".) 

Le  charme  de  ces  deux  villes  célèbres  qu'on  a  essa\-é 
de  présenter,  dans  ce  livre,  au  public  français  pour  la  pre- 
mière fois,  réside  surtout  dans  les  souvenirs  de  plusieurs 
siècles  d'histoire.  Ce  sont  ces  souvenirs  qu'on  a  rappelés 
en  les  commentant  ]iar  les  monuments  de  chaque  époque. 

On  n'a  pas  oublié  (prOxford  et  Cambridge  sont  avant 
tout  des  villes  d'Université,  et  c'est  la  vie  des  collèges  qui 
tient  la  plus  grande  iilace  dans  ce  récit  sommaire,  mais  puisé 
aux  meilleures  sources  et  qu'animent  des  textes  choisis, 
parmi  les  plus  significatifs  et  les  plus  vivants,  dans  les 
chroniqueurs  et  les  historiens  d'Oxford. 

On  sent  que  le  livre  de  M.  Joseph  .\ynard  est  l'œuvre  de 
quelqu'un  qui  ne  s'est  jias  contenté  de  visiter  les  Universités 
anglaises,  mais  qui  y  a  m'cu  et  qui  a  pu  ainsi  saisir  certains 
traits  qui  ne  se  révèlent  qu'avec  le  temps. 

L'illustration,  entièrement  préparée  sur  place,  comprend 
non  seulement  les  aspects  les  plus  pittoresques  de  tous  les 
collèges,  mais  des  reproductions  d'œuvres  d'art  peu  con- 
nues en  France,  vitraux,  tapisseries,  portraits  historiques. 
Les  détails  d'architecture  y  tiennent  aussi  une  grande  place. 
et,  comme  les  deux  villes  constituent  comme  un  répertoire 
de  l'architecture  anglaise  depuis  l'époque  romane  jusqu'au 
néo-gothique,  le  volume  représentera  utilement  l'Angle- 
tern-  dans  la  d.jii  iRhe  collection  des  I';7/<s  ifAit  cilèhif^. 

L'Idéal  du  A'/X^  siècle,  par  Masius-ArvLebloxd. 

Encore  qne  ce  livre  ne  soit  pas  un  livre  d'art  proprement 
dit,  mais  plutôt  un  essai  philosophique,  il  nous  semlile- 
rait  impardonnable  de  ne  pas  le  citer  ici,  car  il  est  trop 
plein  d'aperçus  ingénieux  et  de  vues  puissantes,  à  propos 
de  sociologie,  sur  des  mouvements  d'art  et  des  produc- 
teurs qui  nous  M.llit  iteiit  \  i\  emeiit  On  y  trouvera  île 
remarquables  suggestions  sur  Kodm  Corot,  Carrière, 
Bourdelle,  Segantini,  l'uvis  de  Chavannes,  etc..  etc..  et 
sur  les  rapports  de  l'art  et  de  la  littérature  au  xi-X*"  siècle. 
C'est  pour  l'ensemble  de  ces  remarciuahles  qualités  que  cet 
ouvrage  a  obtenu  le  jirix  annuel  de  la  Critique  littéraire, 
distinction  doublement  méritée  si  l'on  songe  au  passé  de 
travail  indépendant  et  con-ciencieux  de  MM.  Marius-.\ry 
Leblond  et  à  l'ensendile  de  leur  œuvre  si  apprécié  des 
lettrés. 


La    Lampe  d'Aladin 

(Société  d'éditions,    J3. 


DIVERS 


s),    par 
Seine.) 


Je.^n    Cocte.\u 


La  Politique  religieuse  de  la  République  fran- 
çaise, par  André  M.ater.  (Emile  Xourry,  éditeur, 
14,  rue  Xotre-Darae-de-Lorette.) 

La  République  et  les  Politiciens  (Uttrcs  de  province), 
jiar  I1e.\rv  Levret.  (Eugène  Fasquelle,  éditeur,  11,  rue 
de  Grenelle.) 

La  Princesse  sans  cœur,  par  il.^uRicE  Lefèvre. 
(l':dition   du   Monde  illusiré.    ij,   quai   \'oltaire.) 

La  Fourmilière  [roman  provincial),  par  [Lucien 
Alphonse-Daudet.  (Ernest  Flammarion,  éditeur, 
jo,  rue  Racine.) 

Le  reste  est  silence...  (roman),  par  Edmond  Jalou.x. 
(P.-\'.  Stock,  éditeur.   155,  rue  Saint-Honoré.) 

Plaisirs   d'autn.t  par  ."\Iichel  Cordav.  (E.  Fasquelle, 

éditeur.    11.   rue   de   CTrenelle.) 

Les  Deux  Cœurs,  par  Georges  Denoinville.  (Henri 
Jouve,  éditeur.   15,  rue  Racine.) 

Le  Vieux  Marcheur  [comédie  en  cinq  actes),  par  Henri 
Lwedan.  de  r.\cadémie  française.  (Ernest  Flamma- 
rion, éditeur,  26.  rue  Racine.) 

Le  Talion  [roman),  par  \'ictor  Margueritte.  (E.  Fas- 
quelle, éditeur,   11,  rue  de  Grenelle.) 

Aéropolis  (illustrations  de  René  ^■incent),  par  Henry 
Kis   EMAEKERS.    (E.    Fasquelle.    éditeur.) 

Nitaoukrit  (roman  de  mœurs  égyptiennes),  par  Ch.arles 
S.vxoiÉ.   (E.   Fasquelle.  éditeur.) 

Les  Faux  Dieux,  par  ilARv-GiLL.  (Édition  du  Monde 
JHiiitii.   13.  quai  \'oItaire.) 

La   Politique   de  T^enan  (d'après  des  notes  et   des 

docummts   inédits),    par    Gaston    Strauss.    (Calmann- 

Lé\v.  éditeur.    ^,    rue  Auber.) 

Les    Unis,  par   Edouard  Rod.   (E.   Fasquelle,  éditeur.) 

Israël    (pièce    en    trois   actes),    par    Henry    Bernstein. 

(E.   Fasquelle.  éditeur.) 

Le  Triomphe  des  vaincus,  par  Harlor  [roman). 
(F.  Richardin.  P.  Lamm  et  Cie,  éditeurs,  7,  rue  de  Lille.) 

Un  Libérateur  [loman).  par  Louis  Thévenin.  (Librairie 
académicpie    Perrin  et  Cie.  35.  quai   des  Grands-Augus- 

tms.) 

Italica  [Impressions  et  souvenirs  :  Milan.  Venise.  Bo- 
logne. l'I'irence).  (Librairie  académique  Perrin  et  Cie, 
3;.  quai  lies  Cîrands-Augustins.) 

La  Grèce  éternelle  (préface  de  Jean  Moréaf),  par 
E.  GoMEZ  Carillo.  (Librairie  académique  Perrin  et  Cie, 
35,  quai  des  Grands-.\ugustins.) 

Le  Vent  et  la  Poussière  {lonum).  par  Francis  de 
Miomandre.  fCalmann-Lévy,  3,  rue  .\uber.) 


LES  GRANDS  CHEFS-D'ŒUVRE 


de  Schlichitn^ 


PKUCESSION    DE    LA    PLACE    SAINT-.\L\KC    EX    149b 


TIL 


iELLIMn 


A  LA  MORT  de  Le  Brun,  il  fut  dressé  un  inven 
taire  des  objets  d'art  réunis  dans  les  ateliers 
et  logements  du  premier  peintre.  Parmi  les  tableaux 
trouvés  à  son  cabinet  du  Louvre,  figure  ;  «  Un 
tableau  de  Jean  Belini  représentant  son  ]iortrait 
ri  celui  de  son  frère,  de  i  pied  3  pouces  et  demi  de 
liauteur  sur  i  pied  onze  pouces  de  large,  ])eint  sur 
toille,  avec  sa  bordure  dorée,  n°  107  ».  Cette  atti  i- 
bution,  qu'appuyait  l'autorité  de  Félibicn,  ])assa 
longtemps  pour  indiscutable.  Il  ne  nous  est  plus 
permis  aujourd'hui  de  l'accepter.  La  double  effigie, 
comparée  à  des  médailles,  ne  ressemble  en  rien  aux 
deux  fiJs  de  Jacopo  Bellini.  Le  tableau  est-il  au 
moins  l'ouvrage  de  l'un  d'eux?  Récemment  encore 
on  en  faisait  honneiu-  à  Gentile  ;  les  catalogues  du 
Louvre  maintiennent  l'attrilnition,  contre  Crowc 
et  Cavalcaselle  qui  projiosèrent  le  nom  de  Ca- 
riani,  de  Bergame.  La  question  reste  inliniinenl 
obscure. 

Il  était  un  autre  tableau  îles  collections  royales  : 
Rcccptivn  d'un  ambassadeur  vénitien  au  Caire,  que 
la  critique  du  xvii<'  siècle  considérait  comme  un 
ouvrage  de  Gentile.  Ici  les  désattributeurs  ont  eu 
beau  jeu.  L'audience  accordée  jiar  le  sultan 
Quansou-Ghoury  au  noble  vénitien  Domenico 
Trevisan  eut  lieu  en  1512,  plusieurs  années  après 
la  mort  de  Gentile.  On  ])eut  donc  soutenir,  avec 
des  arguments,  dont  un  au  moins  est  irréfutable. 


que  le  Louvre  ne  possède  aucune  peinture  du 
maître  que  nos  pères  nommaient,  à  la  française  : 
Gentil  Bellin. 

Et  pourtant,  n'est-ce  ]ias  dans  notre  Louvre 
(|u'il  faut  aller  chercher  l'origine  spirituelle  du 
\ieu\  peintre  de  la  lagune.^  On  sait  l'histoire  du 
précieux  recueil  des  dessins  de  Jacopo  Bellini, 
découvert,  il  \-  a  \-ingt-cin(j  ans,  dans  le  grenier 
d'un  château  de  (niyenne  et  si  heureusement 
acquis  par  le  Louvre.  Une  ])ublication  toute  ré- 
cente (i),  entreprise  par  un  jeune  érudit  russe  des 
jilus  distingué,  M.  \'ictor  (ioloubew,  servira  grande- 
ment à  populariser  ce  docinnent  incomparable. 
Nous  pensons,  avec  -M.  (îoIouIh'W,  (jue  dans  l'exé- 
cution de  ces  esquisses  Jacopo  dut  jirendre  plus 
d'une  fois  ses  deu.x  fils  pour  collaborateurs.  Quoi 
qu'il  en  soit,  nous  avons  là,  sous  les  yeux,  le  secret 
de  la  formation  artistique  des  deux  frères.  L'his- 
toire sacrée  interprétée  dans  l'esiirit  des  huma- 
nistes, l'amour  des  costumes  somptueux  et  des 
chevauchées  fringantes,  le  goût  des  vastes  ordon- 
nances architecturales,  le  don  de  rassembler  les 
foules  en  des  spectacles  majestueux,  la  recherche 
])assionnée  de  la  v'ie,  l'ingénieuse  et  ])ittoresque 
copie  du  siècle,  vçilà  ce  que  nous  montre  le  recueil 

(I)  Victor  Goloubew,  /t-s  Dessins  de  Jacopo  Bellini  au 
Lotare  cl  au  Brilish  Muséum.  Bruxelles,  ("■.  \';m  (Jist  et  Cie, 
1908. 


155 


i;akt    et    les    artistes 


LE    MIRACLE    DE    LA    SAINTE    CROIX    'détail 


(lu  LoiUTc.  Et  n'est-ce  pas  là  tout  le  talent  de 
Gentile? 

Exceiitidii  laite  ]iour  l'ailniiialile  tableau  île  la 
Brera,  île  .Milan,  la  Prcdualimi  de  snuit  Mure. 
un  n'ajiiirend  (ientile  Bellini  qu'à  l'Académie  de 
\'enise.  ("e  niaitre  a  bénéficié  des  remaniements  si 
heureux  de  la  grande  collection  vénitienne.  Deux 
nobles  chapelles  ont  été  enfin  élevées  à  sa  gloire  et 
à  celle  de  Carpaccio.  En  quelques  leuvres,  trop 
rares,  mais  ]Hiissamment  significatives,  tout  le 
génie  de  l'ainé  des  Bellini  est  résumé  à  l'Académie. 

Il  faut  savoir  grand  gré  aux  conser\-ateurs  du 
musée  vénitien  d'avoir  remis  en  lumière  le  Portrait 
de  San  Litrcnzii  (.iiis/iiiituii.  11  nous  souvient  du 
temjJS  où  cette  j)emture,  d'un  si  beau  caractère 
ascétique,  se  trouvait  reléguée  dans  un  corridor. 
Venue,  croit-on,  de  l'église  Santa  Maria  deU'Orto, 
elle  était  demeurée  longtemps  au  fond  des  greniers 
de  l'Académie.  Charles  Blanc,  qui  put  la  voir  en 
ce  lieu  de  relégation,  la  jugea  «  complètement 
ruinée  ».  L'ceuvre  a  souffert  assurément,  mais 
l'injure  du  temps  n'en  a  point  détruit  l'austérité 
magnifique.  Le  peintre,  que  devait  réjouir  avant 
tout  la  fête  du  monde  frivole,  s'est  fait  ]u\-stique 


})0ur  rendre  à  souhait  le  ])rofil  sévère  du 
premier  patriarche  de  Venise.  Heure  unique 
dans  la  carrière  de  Gentile,  oserions-nous 
dire,  si  les  théories  pouvaient  être  per- 
mises lorsqu'il  s'agit  d'un  maître  dont 
l'ieuvre  immense  a  jjresque  entièrement 
jiéri. 

"  Il  faut  que  Giovanni  me  surpasse  et 
(jue  Gentile  l'emporte  sur  Giovanni  et  sur 
moi  »,  disait  Jacopo.  La  préférence  de 
la  postérité  va  volontiers  au  second  des 
deux  Bellini,  au  suave  poète  des  madones. 
Nous  savons  mal,  au  demeurant,  auquel 
des  deux  frères  les  contemporains  accor- 
daient le  premier  rang.  Vasari;  affirme 
que  si  la  Seigneurie  envo\-a  Gentile  au 
Grand-Turc,  ce  ne  fut  qu'à  défaut  de 
Giovanni.  Nous  ferons  toujours  nos  dé- 
lices des  contes  ingénus  de  Vasari  ;  nous 
n'osons  plus  leur  accorder  toute  notre 
confiance.  Le  bon  hâbleur  enthousiaste 
a  reçu  de  l'érudition  moderne  de  si 
cruels  démentis  !  La  Sérénissime  Répu- 
blique ménageait  en  Mahomet  II  la  vi- 
vante incarnation  du  péril  turc.  Elle  se 
sentait  atteinte  par  le  conquérant  de 
Constantinople  au  cœur  même  de  sa  puis- 
sance. Venise  se  mit  en  frais  de  coquet- 
terie ])Our  cet  allié,  l'ennemi  d'hier,  de 
iimu.  demain  et  de  toujours.  En  dépêchant 
chez  l'Osmanli  Gentile  Bellini,  c'était 
son  jiortraitiste  par  excellence,  son  meil- 
leur conteur,  l'imagier  de  la  gloire  vénitienne, 
qu'elle  choisissait  pour  ambassadeur. 

Le  jiortrait  de  prédilection  qu'ait  peint  Gentile, 
celui  qu'il  a  recommencé  toujours,  c'est  le  portrait 
de  \'enise  elle-même.  Le  Miracle  de  la  Croix  nous 
révèle  la  Sérénissime  à  son  apogée.  Quel  inappré- 
ciable document,  évocateur  d'un  monde  !  Tout 
l'orgueil  de  la  cité  marchande,  grisée  de  bonheur, 
grouillante,  amusée,  luxurieuse  et  dévote,  pose  là 
devant  nous.  Il  s'agissait  de  célébrer  un  prodige  de  la 
grâce  divine,  mais  le  narrateur  a  vu  là  surtout  une 
belle  occasion  de  grouper  des  foules  et  de  surprendre 
ta  bien-aimée  ville  en  costumes  et  en  attitudes  de 
gala.  Le  miracle  lui-même  devient  accessoire.  Nous 
vo\ons  bien,  au  premier  plan,  le  chef  de  la  Scuola 
San  Giovanni,  Andréa  Vendramin,  qui  eut  l'insigne 
bonheur  de  repécher  la  divine  relique  dans  les  eaux 
du  canal.  Mais  \'endramin  lui-même  se  perd  au 
sein  de  cette  féerie  qui  nous  représente  Venise  en 
plaisir  et  en  prière.  L'héroïne  de  ce  conte  édifiant, 
c'est  la  ville  elle-même,  follement  vaine  de  sa  beauté 
et  de  sa  gloire,  avec  ses  quais  peuplés  de  patri- 
ciennes bonnes  personnes  et  de  bourgeoises  aux 
airs  de  princesses.  Au  premier  rang  des  dames  âge- 


i=i6 


\kT     IT     l.r-^     AKTI<TT- 


li,ii/,;ii;,-  ilii    lUaux-Arls,  T, 


II-:    MIKACLE    Di;    LA    SAINTE    CROIX 


157 


T.'AKT     KT     l.KS     ARTISTES 


TTI 


SAINT    MARC    PRECHANT    A    ALEXANDRIE 


nouillées,  mêlée  au  ix-ii)ile 
Chypre,  Caterina  Cornaro, 
Gentile  n'eût  eugar<l( 
déposséilce  bon  i^ré 
mal  gré  jiar  un  Inin 
de  la  Seigneurie,  se 
consolait  d'axon 
perdu  un  trône  en 
«'entretenant  avec 
Bembo  des  vérités 
platoniciennes.  Le 
peuple  de  la  lagune 
chérissait  en  elle 
une  citoyenne  ]ia- 
triote  ;  sa  place 
était  marquée  parmi 
les  spectatrices  d'un 
miracle  qui,  sous  les 
pinceaux  du  portrai- 
tiste des  fêtes,  n'est 
])lus  qu'un  numéro 
de  j)lus  au  ino- 
gramme  de  l'heu- 
reuse journée.  Gen- 
tile s'amusait  éper- 
dument  de  sa  Venise. 
Il  était  profond,  à 
ses  heures,  et  le  plus 
aigu  des  ps\Tholo- 
gues,  s'il  le  fallait. 
Lorsqu'il  eut ,  devant 
lui,  l'Ennemi  pour 
modèle,  il  le  fouilla 
jusqu'au  fond  dv 
l'âme.  Ce  portrait 
de  Mahomet  II,  de  la 


l'ancienne    reine    de 

ïrène    son    chapelet. 

le  l'oublier.  Cette  souveraine. 


PORTRAIT    DE    MAHOMET    II 


collection  Layard,  est  une  merveille  de  pénétration. 
Il  y  a  du  incrcauti  dans  ce  type  de  malice  patiente 
et  de  savante  fourberie.  Grand  seigneur,  malgré 
tout,  mais  avec  plus 
de  coquinerie  que  de 
seigneurie.  L'n  ter- 
rible sournois,  un 
félin.  Le  sourire  qui 
pourrait  sortir  de 
ces  lè\Tes  serrées  et 
secrètes  ne  saurait 
venir  que  de  la  joie 
lie  la  vengeance.  Ce 
joli  monstre,  gra- 
cieusement féroce, 
épouvante  à  force 
de  douceur.  ]\Iaho- 
met  II  fut  ravi  de 
son  peintre.  Tout 
au  plus  soupçonna- 
t-il  quelque  magie 
chez  ce  sorcier  venu 
d'Occident  qui  sa- 
vait dérober  ainsi 
leur  secret  aux  âmes. 
«  Qitalche  divino  spi- 
rito  addosso  »,  dit 
Vasari.  Le  Grand- 
Turc  n'en  conféra 
pas  moins  à  Gentile 
le  titre  de  Bey  et, 
en  jirenant  congé  de 
lui.  lui  passa  au  cou 
une  chaîne  du  poids 
de  deux  cent  cin- 
quante   ducats. 


158 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


PORTRAIT    DU    BIHMU.rKErX    Jl-IIMl 


159 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 

A  la   suite  dv  ([ucllfs  aventures  ce  portrait  du  sait  aux  Turcs,  ayant  écrit  des  Cumincnlarii  délie 

sultan  l'Sl-il   \'enu  trouwr  asile  au  jialais  Layard  ?  ('<>se  de'  Tiirei.  L'effigie  révélatrice  du  caractère  de 

C.entile  avait   ra|i|i(irté  à  W'uise  un  second  exeni-  .Malioinet   II  devait  figurer  à  une  place  d'honneur 

plaire  de  son   (ruxie.    Le  tableau  de  la  collection  dans  la  galerie  du  docte  prélat.  Paul  Jove,  histo- 

l.axard   est    sans    doute   <elui   ()ui   figura    dans   la  rien   professionnel,  devait  admirer  et  respecter  en 

galerie  de  Paul   |o\-e,  sui"  les  bords  du  lac  de  Cônie.  (ii-ntile  Px'llini  un  de  ses  plus  puissants  prédéces- 

L'é\e(|ue  di'  .\o(  (  1.1  n'ii.iit  pas  homme  à  dédaigner  seurs  dans  l'art  de  raconter  les  mteurs  et  de  scruter 

un  jiari'il  ilief-d'uin  le.  (iio\-io  était  collectionneur  les  âmes, 

parce  (pi'il  était  axant   tout   historien.   Il  s'mtéres-  Hexry    Roujo.x. 


If)0 


R.-P.    BONMVCTON 


Vue    de    Venise    (aquarelle» 


L'A  ri  et  les  Artistes,  n' 


t'-'-Ht^.^-^,,^,.:!,-'- 


t-''^^ 


•■V.-  •    -,  ■  ,<v. 


Ph.  T.  Filippi.  PV» 


BEPPE  CIARDI  —  i.E  RÉVEIL  dc  printemps 


La 


POSIT 


TERNATIONÂL! 


de  Veni, 


QUAND,  il  y  a  qiiin/.r  ans,  la  nouN'elle  sf  irpan- 
dit  dans  les  nillii'iix  artistiques  (|iu'  la  muni- 
cipalité dc  Venise  jinnait  l'initial i\T  d'organiser 
tous  les  deux  ans  une  ini|)i)i  tante  expu^ition  iiitei- 
nationale  d'art  nuMleiiie.  elle  ne  piiAocpi.i  on 
]ieut  bien  le  dire,  anjonrtrinii  (pie  le  sueeès  le 
]ilus  grand  et  le  ])lus  mérité  a  couronné  les  eftorts 
des  promoteurs  de  cette  entre])rise  —  cpie  le  doute 
et  la  méfiance. 

Une  exposition  d'art  moderne  à  Venise  !  s'éeria- 
t-on.  Une  exposition  d'art  moderne  dans  la  patrie 
des  Bellini  et  de  Carpaccio,  de  ïintoret  et  de  Véro- 
nèse,  de  Guardi  et  de  Tiejxilo,  cela  ]xuiit  uni' 
chose  impossible  ou  folle;  cela,  aussi,  lit  à  certains 
l'effet  d'un  blasphème.  Où  sont   donc  les  ])eintres 


et  li'S  sculiiteurs,  ^e  demandaient  ceux  (pu  ne 
sont  ni  peintres  ni  sculpteui>,  (pii  auront  l'audaee 
d'alironlei'  le  voisina,t;'e  de  tels  niaitres.  d'accrocher 
leurs  toiles,  de  dresser  leurs  statues  aussi  pri"'S  des 
immortels  chefs-d'duvre  dont  les  éi,dises,  les  palais 
et  les  musées  regorgent  ?  ^hlis  il  n'\  a  pas  (pie 
le  C(")té  artistique  à  envisager.  Une  l'exposition 
s'ouvre  ;  qui  la  visitera  ?  Parmi  les  étrangers  (pii 
de  mai  à  octolire  peuplent  l'eiieliantei  esse  \ille, 
jjèlerins  enthousiastes  de  son  passé  et  de  sa  gloire, 
combien  \'  en  aura-t-il  j)our  s'intéresser  à  une 
exposition  d'art  moderne?  Est-ce  doue  là  ce  qu'ils 
viennent  chercher  à  Venise,  et  quand  ils  ont  l'Aca- 
démie, le  musée  Correr,  Saint-Ckorges  des  Escla- 
vons,    l'Ecole    Saint-Kocli,    le    palais    des    Doges, 


L'ART     ]'.T     I-KS     ARTISTES 


(,1()\AX\I   (.lAXI 


XOSTAICIE 


comment  jienscr  <iiril>  tcinnt  le  moindre  effort 
])oiir  se  tenir  an  eonrant  des  dernières  nouveautés 
artistiques  de  lierlni.  de  Paris,  de  Bruxelles,  de 
Londres^  Pour  ee  ijui  est  des  Italiens  eux-mêmes, 
l'art  iiKMkriie.  rdiitinuait-on  injustement,  l'art 
moderne  n'existe  pas  en  Italie,  i-t  le  nombre,  in 
tout  cas,  de  ceux  i|ue  jiassionne  le  mouvement  de 
la  production  artistupic  contemporaine  en  Eiu'op' 
n'est  certainement  pas  assez  grand  ])our  assurei 
la  réussite,  sinon  matérielk',  morale  du  luoins,  de 
cette  tentative. 

Les  événements  ont  dduné  à  ces  prévisions  le 
démenti  le  ]>lus  formel,  et  tous  ceux  qui  aiment 
l'art  s'en  réjouissent.  11  faut  diie  que  rien  n'avail 
été  épargné  dés  le  déliut  |Miur  forcer  le  succ('~, 
que  rien  n'a  été  é])argné  depuis  jiour  le  conserver 
et  l'accroître. 

Le  lieu  choisi  pour  ces  expositions  est  l'un  dr-- 
endroits  les  ])lus  plaisants  de  Venise  :  ces  char 
mants  Giardini  ([ui,  à  nu-chemin  du  Lido,  soin 
une  délicieuse  halte  de  verdure,  une  oasis  dans  h 
paysage  de  marbre  où  traîne  sans  cesse,  selon  V 
joli  mot  de  Maurice  Barrés,  «  ce  soupir  suspendu 
cette  tristesse  voluptueuse  dont  Venise  éternelle- 
ment se  pâme  ".  A  travers  les  arbres,  l'eau  île  la 
lagune  miroite  et  l'on  voit  étinceler  tendrement 
là-l)as,  parnu   l'air  nacré,  le   décor  miraculeux  du 


(juai  des  Esclavons  couronné  ]iar  les  coupoles  d'ar- 
gent mat  de  Saint-Marc. 

C'est  dans  les  Giardini  que  fut  construit  le  petit 
palais  destiné  aux  expositions  de  la  municipalité 
de  X'enise.  Il  était  loin  d'être,  quand  s'ouvrit,  en 
iNii5,  la  première  «  mostra  veneziana  »,  tel  que 
nous  le  vox'ons  ;  dès  la  seconde  exposition,  il  était 
augmenté  de  cinq  salles  nouvelles  et  il  n'a  cessé, 
dejiuis,  de  s'agrandir,  de  se  transformer,  de  s'em- 
bellir. 

Contrairement  à  ce  qui  s'est  passé  chez  nous 
lors  de  la  construction  du  Grand  et  du  Petit  Palais, 
on  s'inquiéta  surtout,  en  en  dressant  les  plans,  de 
sa  destination,  et,  en  l'aménageant,  des  nécessités 
éventuelles  qu'il  serait  appelé  à  satisfaire,  des 
modifications  qu'il  serait  susceptible  d'avoir  à 
subir.  L'enfouir  parmi  les  arbres,  c'était,  déjà, 
s'interdire  toute  dépense  excessive,  si  vaine,  d'ail- 
leurs, en  ce  genre  d'édifices,  de  décoration  exté- 
rieure; c'était  se  libérer  sans  inconvénient  de  toutes 
les  entraves  que  comporte  l'aspect  monumental 
imposé  parfois  par  le  milieu  arcliitectonique. 

Les  salles  du  palais  des  Giardini  sont  claires,  de 
pro]K)rtions  harmonieuses,  point  trop  vastes,  point 
trop  élevées;  elles  se  group)ent  logiquement  —  et 
ripenilant  avec  assez  d'imprévu  pour  enlever  à  la 
promenade  que  l'on  fait  à  travers  elles  toute  mono- 
tonie —  autour  d'un  grand  salon  d'honneur  auquel 
on  accède  par  une  salle  octogonale,  dite  salle  de  la 
coupole,  précédée  elle-même  d'un  vestibule. 


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162 


I.'AKT     ET     LES     ARTISTES 


Les  quatre  premières  ex- 
positions, 1895,  1897,  1S99. 
1901,  furent  très  brillantes, 
ainsi  qu'on  le  verra  par 
les  chiffres  que  je  citerai 
tout  à  l'heure,  mais  c'est 
à  partir  de  la  cinquième. 
1903,  que  fut  applique  plus 
largement  le  programme 
qui  devait  faire  de  ces 
expositions  des  manifesta- 
tions artistiques  d'un  in- 
térêt et  d'un  agrément 
incomparables.  La  fusion 
des  arts,  de  l'art  pur  et 
de  l'art  décoratif  en  ma- 
tière d'expositions,  à  la- 
quelle on  av-ait  donné  déjà 
tant  de  soins  en  Allema- 
gne et  en  Autriche,  devait 
vraiment  se  réaliser  à  Ve- 
nise. 

«  Les  salles  d'exposition 
habituelles,  froides,  mono- 
tones, où  les  œuvres  s'ali- 
gnent avec  une  uniformité 
si  fatigante  ou  s'entassent 
pressées,  doivent  se  trans- 
former en  des  milieux 
vivants,  sympathiques,  im- 
prégnés de  chaudes  habitu- 
des humaines.  Chaque  salle 
aura  l'aspect  d'une  petite 
galerie  aménagée  par  un 
amateur  intelligent  qui. 
non  seulement  excelle  à 
collectionner  de  belles  clio- 
ses,  mais  tient  à  les  jiré- 
senter  bien  et  à  bien  \i\-r<' 
au  milieu  de  leur  amicale 
compagnie. 

i(  La  présidence  de  l'ex- 
position a  l'espoir  (pir 
cette  innovation,  si  im- 
parfaites qu'en  soient  les 
premières  ])reuves,  sera 
féconde  en  hevneux  résul- 
tats dans  le  ])résent  et  dans 
l'avenir 

«  Aux  sensations  frat;- 
mentaires  et  contradic- 
toires qui  assaillent  aujour- 
d'hui le  N'isitc  ni"  d'une  ex- 
position :illisti(iue  et  l'obli- 
gent à  un  tra\Mil  jiéiiible 
d'orientation   et    de  choix, 


I.INO    SE1.\'.\TU'C)    —    PORTR.MT    DE    L.\    COMTESSE    MOROSINO 


163 


LART     KT     LES     ARTISTE' 


ETKjRE  Tllu 


PAGES    D  A.MOrK 


on  verra  se  substituer  une  vision  plus  large  et  plus 
calnie,  un  de  ces  r\"thmes  harmonieux  de  formes 
et  de  couleurs  qui,  en  reposant  IVeil,  disposent 
plus  facilement  l'esprit  à  la  sérénité  contemplative. 
«  Si  les  expositions  ont  provoqué  incontesta- 
blement une  sorte  de  vanité  indisciplinée  de 
Tvlividuelle,  si  elles  ont  aussi  encouragé 
>e  habitude  de  faire  «  le  tableau  pour  le 

ialLdii,  la  statue  pour  la  statue  »,  le  nouvel  aména- 
gement de  nos  expositions  contribuera  peut-être 
à  modérer  cette  indiscipline,  parce  que  les  artistes 
commenceront  à  se  soucier  davantage  de  cette 
harmonie  de  rapports  entre  rceu\Te  peinte  ou 
rœu\Te  sculptée  et  les  images  et  les  objets  destinés 
à  l'entourer,  harmonie  dont  ils  connaitront  un 
jour  tous  les  bienfaits....    » 

Programme  assez  complexe,  on  le  voit,  et  assez 
difficile  à  exécuter.  En  1903,  l'exposition  de  \'enise 
se  bornait  à  l'appliquer  aux  salles  des  diverses 
régions  italiennes,  et  en  1905  aux  salles  de  quelques 
nations  étrangères  :  la  France,  l'Angleterre.  l'Alle- 
magne, la  Suède,  la  Hongrie. 


Des  expositions  ainsi  conçues,  ainsi  ordonnées 
constituent,  comme  on  pense,  un  spectacle  autre- 
ment varié,  autrement  attrayant  et  fécond  en 
surprises  que  nos  Salons  de  Printemps  ou  d'Au- 
tomne, malgré  les  quelques  efforts  tentés  depuis 
quelques  années  pour  en  rendre  moins  monotone 
et  moins  fatigant  l'aspect.  A  chaque  catégorie 
d'reuvres  exécutées  sous  le  même  climat,  sous  les 
mêmes  influences  de  traditions,  de  mœurs,  de 
pensée,  de  culture,  correspond  im  décor  spécial, 
un  milieu  particulier  qui  les  fait  valoir,  en  les 
situant  dans  leirr  atmosphère  ;  elles  ne  sont  plus 
ainsi  dépavsées,  déracinées.  C'est  là  d'ailleurs  le 
principe  qui  a  été  appliqué  à  la  création,  au  plan, 
à  la  décoration  du  nouveau  ilusée  des  Arts  déco- 
ratifs de  Munich  et  du  Kaiser-Friedrich  Muséum 
de  Berlin.  Outre  qu'il  est  strictement  logique, 
en  principe,  son  application  permet  à  l'architecte, 
au  décorateur  de  se  produire  dans  des  conditions 
normales  et  utiles.  A  lui,  comme  au  peintre  et  au 
sculpteur,  l'avantage  est  offert  de  ne  plus  se  trouver 
parqué,  classitié,  étiqueté  comme  des  marchandises 


164 


I.ART     ET     LES     ARTISTES 


dans  les  ravons  d'un  grand  magasin,  et  son  (cuvre 
ne  peut  que  gagner  à  se  retrouver  comme  dans  son 
milieu  naturel  composé  d'éléments  divers  et  for- 
cément harmonieux. 

Qu'une  semblable  tenta- 
tive ait  trouvé  auprès  des 
artistes  de  tous  les  pays, 
auprès  des  artistes  italiens, 
auprès  du  grand  public  inter- 
national pour  qui  l'Italie  est 
un  lieu  de  permanent  pèle- 
rinage, l'accueil  qu'elle  mé- 
ritait, le  succès  auquel  elle 
avait  droit,  U  ne  faut  point 
s'en  étonner. 

«  La  Commune  de  \'enisi-. 
disent  les  rapports  officiels, 
avait  trois  buts,  en  créant 
ses  expositions  :  montrer  au 
public  les  spécimens  les  plus 
beaux  ou  les  plus  caracté- 
ristiques de  la  production 
artistique  contemporaine  ; 
développer  et  affiner  la  cul- 
ture esthétique  ;  créer  un 
nouveau  et  important  mar 
ché  d'art. 

«  Les  volumes  qui  con 
tiennent  les  catalogues  illus- 
trés de  nos  expositions  prou- 
vent que  le  premier  de  ce-- 
buts  a  été  atteint  :  les  nom- 
les  plus  illustres  de  l'Ai' 
dans  tout  le  monde  civili^i 
brillent  au  cours  de  c- 
pages. 

«  Le  mouvement  passion 
né  d'études,  d'analyses  en 
tiques,    de   polémiques   tou 
chant   la  production  artisti 
que    d'aujourd'hui,  qui  s'est 
manifesté   en    Italie    depuis 
1895,  l'importance  et  la  vi- 
talité des  i)oints  de  vue  par- 
ticuliers à  chaque  camp,  at- 
testent   que    le    second    but 
]TOursuivi    a    également    été 
atteint. 

«  Quant  au  troisième,  quelques  chiffres  sufhront 
à  démontrer  que  l'on  peut  en  dire  autant.    » 

Ces  chiffres  sont,  en  effet,  extrêmement  signifi- 
catifs ;  point  n'est  besoin  d'en  citer  beaucoup. 
Un  seul  suffît,  le  total  des  ventes  effectuées  par  les 
soins  de  la  direction  des  expositions  de  \'enise 
durant  les  sept  premières  expositions  1895-1907. 
Il  s'élève  à  la  jolie  somme  de  3  043  509  lires,   soit 


une   moyenne    de   434  787  francs  j)ar    exposition. 

\'oilà,  dans  ses  grandes  lignes,  le  bilan  de  r(i'u\Te 

accomplie  par  la  municipalité  de  \'enise.  Elle  est 


LIBER*  )  ANDREDin 


LKS    TROIS    IWKQIES 


loin,  d'ailleurs,  d'être  achevée  ;  chaque  année  ou, 
plutôt,  chaque  couple  d'années  l'améliore,  la  per- 
fectionne, l'enrichit.  C'est  ainsi  qu'en  1907  fut  bâti 
dans  les  jardins  le  pavillon  de  la  Belgique,  que  cette 
année  furent  inaugurés  trois  autres  pavillons, 
celui  de  la  Hongrie,  celui  de  l'Angleterre,  celui  de 
la  Sécession  de  Munich.  En  I9ii,elle  renouvellera 
le  décor  de  certaines  salles,  notamment  du  salon 


165 


I.AKT     ET     LES     ARTISTES 


(rhdiiiK'ui-  (|ui.  de]uiis  njuj.  L'St  orné  de  peintures 
décoratives  d'Aristide  Sartorio  symbolisant,  avec 
des  mythes  de  l'antiquité  classique,  en  quatre 
grands  et  dix  jietits  ]ianneaux,  le  ]ioème  de  la  vie 
humaine. 

Pour  mener  à  l)ien  une  telle  entreprise,  pour 
triomjiher  des  difficultés  qu'i'Ile  ne  peut  manquer 
de  rencontrer  au  cours  de  s(in  exécution,  l'intelli- 
gence, la  méthode,  resjirit  de  suite,  le  sens  des  réa- 
lités ne  suffisent  jias  à  ceux  qui  assument  la 
charge  de  la  mener  à  i)ien  et  i]ui  y  réussissent  a\'ec 
autant  dv  maîtrise 
et  d'éclat.  Il  leur 
laut  des  facultés 
d'enthousiasme,  de 
dévouement  à  leur 
cause,  une  clair- 
voyance passionnée 
de  tous  les  instants, 
une  volonté  ardente 
et  zélée.  MM.  Ki- 
cardo  Selvatico  et 
Antonio  Fradeletto. 
à  <iui  revient  l'hon- 
neur d'avoir  été  les 
l)roniiiteurs  de  cette 
grande  œuvre,  les 
possédaient,  ces 
qualités.  M.  Ricardo 
Selvatico  était  mai- 
re de  \'enise  ;  il  est 
mort  il  y  a  quelques 
années.  M.  Anto- 
nio Fradeletto  est 
député  de  Venise  et 
secrétaire  général  de 
l'exposition.  C'est 
un  orateur  du  i>lus 
haut      mérite,       un 

éminent  esjirit,  un  ardent  patriote,  un  caractère.  Il 
s'est  voué  avec  l'énergie  qui  le  caractérise  au  succès 
de  cette  entreprise  qui  est,  on  iieut  le  dire  sans 
diminuer  en  rien  les  mentes  tle  ses  collalKirateurs, 
la  sienne.  Avec  le  concours  du  comte  Grimani, 
maire  de  Venise,  justement  soucieux  de  la  beauté 
et  de  la  gloire  de  sa  \-ille,  il  assure  l'organisation 
entière  des  belles  manifestations  artistiques  aux- 
quelles [l'Italie  doit  en  grande  partie  le  rang 
qu'elle  est  en  train  de  conciuénr  dans  le  mou\-e- 
ment  des  arts  européens. 


municipal,  que  les  noms  les  plus  illustres  de  l'art 
universel  figurent  aux  pages  des  catalogues.  Les 
noms  non  seulement  les  plus  illustres,  mais  aussi 
les  jjIus  représentatifs  des  diverses  orientations 
qui  caractérisent  la  j^roduction  artistique  des  deux 
mondes.  On  aurait  de  la  peine  à  citer  un  artiste 
de  vraie  valeur,  de  réelle  originalité  à  qui,  toute 
question  de  notoriété  mise  de  côté,  les  expositions 
\-énitiennes  n'aient  ouvert,  une  ou  plusieurs  fois, 
leurs  portes.  Les  idéaux  les  plus  différents,  les  plus 


opposes. 


:lierchc 


les  plus  audacieuses,  les 
formules  d'art  les 
plus  avancées  s'y 
sont  manifestés,  y 
ont  été  accueillis 
avec  une  égale  bien- 
veillance ;  jamais 
l'on  n'a  vu  à  Ve- 
nise, comme  on  le 
\oit  trop  souvent 
dans  nos  Salons, 
des  œuvres  d'art 
reléguées  aux  mau- 
vaises places  pour  la 
simple  raison  que 
l'esthétique  de  leurs 
auteurs  n'a  point 
l'approbation  de 
leurs  confrères  char- 
ges du  placement 
et  de  l'accrochage. 
De  tout  ce  que 
je  viens  de  dire,  on 
peut  juger  de  l'ac- 
tion exercée  par  les 
expositions  de  Ve- 
nise et  sur  le  goût 
du  public  et  sur  le 
goût  des  artistes 
italiens.  L'Italie  se  trouvait,  de  par  sa  position 
géographique,  relativement  à  l'écart  du  grand 
mouvement  artistique  qui  se  ramifie  de  Berlin 
à  Londres  par  Paris,  et  de  Paris  à  Amsterdam  par 
Bruxelles.  EUe  manquait  de  sources  d'informa- 
tion, elle  restait  trop  isolée,  elle  vivait  trop  exclu- 
sivement sur  elle-même  et  de  son  passé.  La  géné- 
reuse émulation  que  crée  entre  les  artistes 
d'aujourd'hui  le  coude-à-coude  dans  les  salles 
des  grandes  ex]iositions  internationales,  l'encou- 
ragement qui  leur  est  apporté  par  le  suffrage 
Il  me  reste  à  parler,  avant  d'aborder  l'exposition  des  amateurs  et  de  la  critique,  les  points  de  com- 
de  cette  année,  des  tendances  artistiques  qui  se  paraison  qu'il  leur  est  alors  plus  aisé  d'établir  entre 
sont  manifestées  à  Venise  et  qui  ont  présidé  au  leur  idéal  et  celui  de  leurs  coexposants,  le  profit 
choix  des  œuvres  exposées  et  des  artistes  invités  iprils  ne  peuvent  que  retirer  de  se  trouver  tout  à 
depuis  la  première  exjiosition.  M.  Fradeletto  avait  couj)  transplantés  dans  un  milieu  différent  du  leur, 
raison    d'affirmer,    dans    son    rapport    au    conseil      tout   cela,   les   expositions   de   \'cnise  l'ont    fourni 


ZANETTI  ZILLA 


LES    VOII.lERi 


i66 


L'ART     ET     LES     ARTISTE:^ 


PIETKO   CHIESA   —   la    maison    des   sorcières    (panneau  central) 


PIETKO  CHIKSA  —  VERS  la  forêt 

(panneau  de  gauche) 


PIETRO  CHIESA  —  le  retour 

(panneau  de  droite) 


167 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


aux  artistes  italiens.  En  nu-me  temi)s  que  se  faisait 
rédiicaliim  d'un  i)ublic,  assez  indifférent,  on  ])iut 
bien  le  dire,  aux  choses  de  l'art  moderne,  —  indiffé- 
rence (jui  a  son  excuse  dans  la  prodigieuse  et  inépui- 
sable surabondance  de  chefs-d'teuvre  consacrés 
au  milieu  desquels  il  vit,  —  les  jiroducteurs  eux- 
mêmes  \-  trouvaient  un  enseignement  précieux, 
d'utiles  et  fécondes  leçiins  dont  déjà  l'on  discerne 
tout  le  bénéfice  qu'ils  ont  su  tirer. 


La  façon  dont  a  été  organisée,  aménagée  et  pré- 
sentée la  huitième  exposition  internationale  d'art 
moderne  de  X'emse,  relie  actuellement  ouverte, 
est  une  ])reuve  de  ]ilus  du  souci  de  nouveauté  qui 
a  toujours  donmié  les  organisateurs.  La  construc- 
tion des  pa\-illons  de  la  Hongrie  et  de  la  Sécession 
de  Munuh,  rmstallatiiiii  ilu  ])avillon  de  l'Angleterre 
dans  un  ])etit  éditu  e  )>ir-.(iue  abandonné  à  l'extré- 
mité des  Gz((;'(/(»/.  du  r(]|é  du  I.ido,  ont  contribué 
grandement,  il'.dinrd,  à  marquer  celte  exposition 
d'un  caractère  ]iarticulii'r.  Le  comité  d'organisation 
a  eu,  lie  ce  fait  seul,  à  sa  disposition,  beaucoup  ])lus 


de  jilace  dans  les  bâtiments  du  Palais  central,  ce 
qui  lui  a  ])ermis  de  combiner  tout  différemment 
que  lors  de  la  précédente  exposition  les  éléments 
fonciers  de  celle-ci. 

Le  Palais,  en  Kjoj,  était  divisé  en  trente-quatre 
salles,  dont  onze  réservées  aux  huit  nations  étran- 
gères invitées,  soit  l'Allemagne,  l'Angletef^eJ'Au- 
triche,  la  France,  la  Hollande,  la  Norvège,  la  Russie, 
la  Suède,  douze  aux  différentes  régions  italiennes, 
Rome,  la  Vénétie,  la  Lombardie,  l'Emilie,  le 
Piémont,  la  Toscane,  plus  six  salles  internationales, 
dont  deux  consacrées  aux  «  Artistes  du  Rê%'e  ». 

Cette  année,  au  contraire,  les  salles  nationales 
collectives  ont  été  remplacées  par  des  salles  natio- 
nales individuelles,  pour  ainsi  dire  ;  au  lieu  d'in- 
viter plusieurs  artistes  à  représenter  leur  pa3's, 
le  comité  de  l'exposition  a  jugé  bon  de  n'en 
inviter  qu'un.  C'est  ainsi  que  notre  Albert  Besnard 
représente,  fort  noblement  d'ailleurs,  et  fort  magni- 
fiquement, la  France,  tandis  que  AL  Peter  Severin 
Kro\'er  re]irésente  la  Norvège,  M.  Franz  Stuck 
l'Allemagne,  M.  Anders  Zorn  la  Suède.  Ils  occupent 
chacun  une  salle,  et  ce  n'est  pas  un  des  moindres 
attraits   de   cette   huitième   exposition    de   Venise 


PAVILLON  DE  .MUNICH  —  intérieur  d'une   s.\lle 


i.'Ai>: 


AU  ri^i'i-:s 


EMMA  C.IARDI  —  le  jardin  de  e'amour 


que  d'y  ])ouvoir  se  faire  une  iilée  eoniplète.  ou  à 
]>eu  près,  du  talent,  de  l'art,  de  l'duvri'  de  ces 
n)aîtres  éminents.  Ensuite,  outre  six  salles  inter- 
nationales, dont  quatre  limitées  à  la  gravure,  ou, 
)iour  être  plus  exact,  au  blanc  et  noir,  on  a  accorde 
une  salle  aux  artistes  américains  résidant  à  Paris, 
et  une  autre  aux  États-Unis  ;  le  reste  aux  artistes 
italiens,  en  accordant  aux  plus  importants,  aux 
jikis  représentatifs  des  tendances  de  leur  région, 
une  plus  large  place,  de  sorte  que  dans  cette  section 
spéciale  de  l'exposition  il  est  permis,  comme  dans 
la  section  étrangère,  grâce  à  une  série,  naturelle- 
ment plus  nombreuse,  d'expositions  individuelles, 
de  prendre  contact  plus  étroitement  qu'à  l'ordi- 
naire avec  nombre  de  peintres  de  vrai  mérite, 
qui  sont  les  chefs  des  diverses  écoles  de  la  jiénin- 
sule. 

Franchissons  maintenant  le  seuil  du  clianiianl 
l'alais  des  Giardini,  et  donnons  un  regard  attentif 
aux  décorations  dont  le  ]M;intre  GalilcoChini  a  orné 
la  coupole  du  premier  salon  d'entrée.  Dans  des 
harmonies  de  colorations  extrêmement  brillantes 
où  les  bleus  et  les  oi's  dominent  et  qui  donnent  aux 
tranches  de  ce  dôme  octogonal  l'éclat  de  certaines 


coupes  d'émaux  cloisonnés  de  l'i-lxlrriiic-f  )iiciit , 
l'artiste  a  symlxilisé  l'histoire  héroïque,  mystique  et 
sensuelle  de  l'Art.  C'est  d'abord  les  Origines,  la 
naissance  de  l'Art  ;  la  Beauté,  portée  jmr  les  Muses 
et  guidée  par  l'Amour,  va  vers  l'homme  ;  puis  les 
Arts  primitifs,  l'Egypte,  Babylone,  l'Assyrie  ; 
viennent  ensuite  la  Grèce  et  l'Italie,  l'Art  byzantin. 
Dit  moyen  âge  à  la  Renaissance,  Michel-Ange, 
le  Règne  dit  Baroque,  la  Civilisation  nouvelle,  où 
l'on  voit  figurées  les  énergies  modernes  qui  inspirent 
les  artistes  et  les  artisans,  dans  l'éclatante  lumière 
de  la  science  où  les  chevaux  de  l'industrie  et  du 
commerce  s'élancent  jmur  les  conquêtes  de  l'ax-euir. 
L'effort  de  M.  Chini  est  des  ]ilus  estimalile  ;  il 
témoigne  de  dons  de  création  décorative  jieu  com- 
muns. Le  parti  pris  qu'il  a  ado])té,  par  exemple, 
de  diviser  en  trois  zones  le  cham])  de  chaciue  tranche 
de  la  coupole  est  extrêmement  ingénieux,  et  il  fait 
montre,  dans  l'ornementation  de  ces  différentes 
]iarties,  d'une  imagination  très  vive  et  très  brillante. 
Quant  aux  figures,  elles  ne  sont  souvent  que  troji 
mouvementées  et  elles  m'ont  paru  d'échelle  un  ])eu 
tro])  réduite  ])ar  rapport  à  la  hauteur  où  elles  se 
trouvent    placées    et    au    rêile    qu'elles    jouent    ou 


169 


[;ak' 


ET     I.KS     ARTISTES 


(iIKoLAMO  (  AIKATI 


AITOMNE    Sl'R    LE    LAC    DE    GARDL 


ilf\iairiit  joinT  dans  l'fnseiiihk-  de  la  décoration. 
M.  Cliini  est  je  ])cnso,  l'élcvc  di-  M.  Aristide  Sar- 
torio.  dont  nons  aurons  l'oixasion  de  jiarler....  En 
tout  cas,  il  nie  ])arait  a\oir  subi  trè^  tortement,  trop 
fortement,  jieut-étrc,  son  influence.  .Mais  ne  nous 
attardons  jias.... 

La  salle  Albert  Besnard  est  éblouissante  :  (jne  de 
grâces,  que  de  sourires,  quel  triomphe  di;  lumière, 
d'élégance,  de  fine  et  tière  beauté  !  Puis,  (pielle 
verve  du  pinceau,  quel  sentiment  e.xquis  et  >omp- 
tueux  de  la  fi}niie  !  Et  (juelle  imagination  et  qui'lle 
compréhension,  unique,  vn  vérité,  de  la  modernité  ! 
Tout  n'est  pas  là,  et  bien  des  leiivres  lesjilus  magis- 
trales du  grand  [leintre  —  le  portrait  de  Réjane, 
notamment  —  se  font  regretter,  sans  parler  des 
(cuvres  décoratives,  intransportables  celles- 
là  ;  mais  que  l'on  jniisse  \'  voii',  parmi  ]>h\> 
de  cinquante  toiles  fort  bien  choisies  et  (jui 
lorment  un  admirable  ensemble,  quelques- 
unes  des  jilus  célèbres  et  des  jilus  parfaites 
ieu\-res  d'.^lliert  Besnard,  les  ])ortraits  de 
la  princesse  Mathilde,  de  Mme  Besnard, 
de  .Aime  Lisle,  île  Mme  Roger  Jourdain, 
lie  ]\Ime  Rouché,  les  Clwvdiix  luinc/cs  par 
des  fiio)is,  les  Lacustres,  la  I.cda  et  la 
toujours  enivrante  Féerie  intime,  cela  suffit, 
et  bien  au  delà,  à  montrer  sous  toutes  ses 
faces  le  généreux  talent  du  plus  grand  de 
nos  peintres  contemporains.  Le  succès  de 
Besnard,  cela  ne  surprendra  personne,  est 
très  vif  à  Venise  ;  on  le  fête,  on  l'admire 
et  on  l'aime  ;  on  salue  en  lui,  et  fort  légiti- 
mement, le  représentant  le  plus  digne  et  le 
plus  glorieux  de  l'école  française  :  ses   com- 


jiatriotes  ont   le   droit,  n'est-il   pas 
vrai  ?   d'en  être  tiers. 

De  la  salle  Besnard,  on  entre  dans 
la  salle  Zorn.  M.  Zorn  est,  dans 
toute  l'acception  du  ternie,  un  ex- 
cellent peintre,  qui  connaît  comme 
personne  les  ressources  de  son  mé- 
tier. Il  a  de  la  vigueur,  de  la  sou- 
plesse, du  piquant.  Quand  il  veut 
se  modérer,  il  touche  presque  à  la 
jierfection;  mais,  même  alors,  que 
lui  manque-t-il  ?  car  on  sent  qu'il 
lui  manque  quelque  chose  pour  y 
atteindre  tout  à  fait.  Je  ne  sais. 
Quoi  qu'il  en  soit,  d'ailleurs,  le  grand 
]ieintre  suédois  est  admirablement 
représenté  ici,  par  quatre  portraits 
de  la  famille  royale  de  Suède,  les 
effigies,  déjà  célèbres,  de  M.  W. 
Olsson  et  de  M.  Westrup,  un  por- 
trait, tout  à  fait  beau  et  du  moder- 
nisme le  plus  aigu,  de  M.  Charles 
Deering  de  Chicago,  une  série  de  ces  études  de 
nu  débordantes  de  vie,  presque  trop  vivantes, 
qui  ont  tant  contribué  à  sa  gloire,  et  quelques 
toiles  d'un  réalisme  étonnamment  vibrant,  comme 
Vlntéricur  d'une  brasserie,  Effet  de  nuit,  les  Den- 
tellières de  ]'enise.  Mais  c'est  aux  eau.x-fortes  de 
AI.  Zorn  ciu'iront,  quel  que  soit  le  prestige  de  ses 
lieintures,  tous  les  délicats.  Qui  oserait  ici  se 
permettre  la  moindre  restriction  ?  M.  Zorn  est  un 
maître  graveur  du  génieleplus  vif.leplusaudacieux. 
le  ])lus  spontané  et  le  plus  spirituel.  Ah  !  comme 
on  oublie  vite  le  peintre  excellent  qu'il  est,  devant 
ces  planches  si  expressives  et  si  profondes  !  A'oilà 
de  l'art,  et  du  ])lus  grand....  et  de  l'art  universel. 
De  l'art   uni\x'rsel  !   Ce  n'est  pas  à  propos  des 


PAVILLON"    HONGROIS    (façade 


170 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


Roger  BhIIu. 
Armand  D.iyo 
Borniat.  Roty. 


J.U<,bs, 


Del^Linche. 

Bonnat.  Rot: 

Chapu.  Falguic 

Mercié. 

Paul  Dubois. 

P.  S.  KROYER  —  LE  COMITÉ  de  l'exposition  fkan(;aise  des  beaux-arts 

A    COPENHAGUE,    EN    1888 


Clupl.iii 


teuvres  de  M.  Franz  Stuck  que  le  mot  viendrait  au 
bout  de  ma  plume.  M.  Stuck  serait-il  seulement 
flatte  qu'il  y  \-înt  ?  Je  ne  le  crois  pas.  Tous  les 
efforts  de  ^L  Stuck  tendent  à  donner  l'impression 
la  plus  énergique,  la  plus  violente,  la  plus  bruta- 
lement dominatrice  qu'il  est  Allemand.  Il  est  im- 
possible, je  crois,  d'y  mieux  réussir.  Son  art  est  le 
prototype  de  l'art  allemand  :  volontaire,  prétentieux, 
faussement  puissant,  farci  d'intentions  philoso- 
phiques ou  passionnelles,  que  sais-je  encore?  Tout  le 
contraire  de  ce  que  nous  demandons  à  l'art,  nous 
autres  Latins,  de  nous  donner,  et  il  est  naturel  que 
cela  nous  soit  absolument  antipathique.  L'espèce 
d'aversion  que  m'inspire  personnellement  le  talent 
de  JL  Franz  Stuck  ne  m'empêche  pas,  cependant, 
de  constater  qu'étant  donné  son  idéal  il  lui  arrive 
souvent,  sinon  de  l'atteindre,  du  moins  d'en  ap- 
procher de  très  près,  d'aussi  près  que  possible,  de 
constater  aussi  qu'il  ne  manque  ni  d'imagination 
ni  de  fantaisie,  que  ses  lourdeurs  habituelles  enfin 
et  l'insistance  où  il  se  complaît  finissent  ])ar  donner 
à  ses  sujets  une  espèce  de  grandeur  ramassée, 
concentrée,  tassée,  qui  n'est  pas  sans  originalité. 
La  salle  où  sont  accrochées  les  toiles  de  "SI.  Stuck 
est  tendue  d'une  étoffe  vert-pomme,  du  ton  le  plus 


acide  qui  se  puisse  rêver.  Eh  bien,  cela  leur  fait 
vraiment  le  fond  qui  leur  convient  et  complète 
l'impression  d'étrangeté  suraiguë  qui  s'en  dégage. 
Les  œuvres  de  M.  Peter  Séverin  Kroyer  exposées 
dans  une  salle  mitoyenne  risqueraient  bien  de 
jiaraître  faibles  jusqu'à  la  pire  fadeur  en  venant  de 
quitter  iL  Stuck,  si  on  ne  les  sentait  si  véridiques, 
si  touchantes  de  sincérité  et  de  simple  émotion 
devant  la  vie  et  la  nature.  On  respire  ici  une 
atmosphère  de  vérité  et  d'intimité  qui  réconforte  et 
rassérène.  M.  Kroyer  n'a  ni  la  maîtrise  de  Besnard 
ni  la  virtuosité  de  Zorn,  ni,  heureusement  jwur  lui 
et  pour  nous,  les  prétentions  de  M.  Stuck:  il  est  un 
peu  terre  à  terre  ;  c'est  un  peintre  familier  qui  est 
resté  passionnément  attaché  aux  choses  de  son 
pays  et  qui  ne  se  plaît  qu'à  peindre  les  aspects,  les 
scènes  de  la  vie  que  l'on  y  mène  quotidiennement. 
On  revoit,  par  suite,  avec  infiniment  de  plaisir,  sur 
les  nmrailles  de  l'exjiosition  des  Giardini,  tels  et 
tels  de  ses  tableaux  le  plus  justement  fameux,  le 
beau  portrait  de  Bjornstjarnc  Bjôrnson,  le  Qua- 
tuor dans  mon  atelier,  les  Petits  baigneurs,  le  Soir 
d'été  sur  la  plage  de  Skagen  et  ce  groupe  de  por- 
traits si  exacts  et  si  vivants  d'artistes  français 
groupés  autour  de  notre  grand  Pasteur,  le  Comité 


171 


I.AKT     ET     LES     ARTISTES 


GALILEO  CHINI 


-    DECORATION    DE    LA    COUPOLE    LH 
d'entrée    (frasiiKiitl 


(/(■  rcxpo^Uiiii]  liiiiiçaise  des  Bcuux-Arts  à  Capcn- 
haguc  en  i(Si\(S.  et  l'exquise  (olliition  :  ce  sont 
vraiment  des  morceaux  pleins  de  cjualités  char- 
mantes ou  sérieuses  et  qui  justifieraient  ample- 
ment, si  elle  avait  besoin  de  l'être,  la  haute 
estime  dont  jouit  leur  auteur. 


Je  n'avais  pas  eu  l'occasion,  depuis  notre  Ex])0- 
sition  universelle  de  IQOO,  de  voir  réunies  un  cer- 
tain nombre  de  toiles  américaines.  Il  y  en  a  là  une 
centaine  qui  sont  de  fort  médiocres  choses  d'une 
insignifiance  flagrante  tant  au  point  de  vue  de  la 
conception  qu'au  point  de  vue  de  l'exécution.  Mis 
à  part  un  tal)Ieau  de  Mme  Cecilia  Beaux.  Mcrc  cl 
fih.  le  fameux  portrait  de  Gladstone  par  ^I.  John 
M.  Lure  Hamilton,  dont  l'intérêt  documentaire 
est  demeuré  entier,  et  un  portrait  de  Mrs  Helcn 
Brice.  simplement  honorable,  sans  jilus,  par 
M.  John  S.  Sargent,  je  ne  vois  rien  qui  vaille  la 
peine  d'être  signalé,  et  après  un  regard  aux  petits 


bronzes  de  M.  Paul  Bartlett,  pé- 
nétrons dans  la  petite  salle  oii 
MM.  RichardMiller  et  Cari  Frieseke 
ont  été  choisis  pour  représenter 
les  "  artistes  américains  habitant 
Paris  ».  Choix  excellent  à  tous  les 
égards,  car  il  montre,  mieux  que 
n'aurait  pu  le  faire  aucun  autre,  de 
quelle  manière  des  sensibilités  aussi 
différentes  que  celles  de  ces  deux 
artistes  ont  su  profiter,  je  ne  dirai 
pas  de  l'enseignement  de  l'art 
français,  mais  des  leçons  de  l'atmo- 
sphère parisienne,  du  milieu  raffiné, 
subtil,  un  peu  trop  parfois  même, 
de  la  grande  ville.  Cette  petite 
salle  est  une  des  plus  harmonieuses 
de  l'exposition  ;  il  3^  a  là  des  ima- 
ges, des  visions  de  femmes  et  d'en- 
fants qui  ont  un  charme  incompa- 
rable; telles,  entre  autres,  la  Robe 
chinoise  et  le  portrait  des  enfants 
Lascroof  de  M.  ililler,  l'Ombrelle 
japonaise  et  la  Femme  nue  à  sa 
toilette  de  M.  Frieseke. 


.\l)ordons  à  présent  les  sections 
italiennes. 

Dans  la  salle  romaine,  M.  Ca- 
millo  Innocenti  triomphe.  C'est  un 
artiste  du  goût  le  plus  délicat  et 
le  plus  fin,  épris  des  grâces  fémi- 
nines et  des  élégances  modernes:  il  chérit  les  harmo- 
nies de  couleurs  rompues  que  réchauffe  soudain  et 
fait  chanter  une  note  violente,  les  effets  tendres  et 
pénétrants  de  lumière  dans  les  intérieurs  clairs  ; 
il  aime  tout  ce  qui  est  intime  et  discret,  élégant  et 
voluptueux.  On  aimerait,  seulement,  pour  goûter 
à  la  contemplation  de  ses  œuvres  un  plaisir  com- 
plet, on  aimerait  le  voir  serrer  d'un  peu  plus  près 
la  réalité  des  formes,  mettre  plus  de  précision  à 
fixer  certains  détails  de  ses  figures  :  ce  serait  une 
qualité  de  plus  ajoutée  à  toutes  celles  qu'il  possède 
et  qui  déjà  lui  assignent  une  place  des  plus  en- 
\'iable  dans  la  jeune  école  italienne. 

^I.  Antonio  Mancini,  lui,  qui  cependant  n'est 
])lus  un  tout  jeune  homme,  n'a  rien  perdu  de  la 
vigueur  que  nous  lui  connaissions  ;  c'est,  certaine- 
ment, un  des  plus  originaux  coloristes  de  notre 
temps.  11  suffirait,  pour  s'en  convaincre,  de  re- 
garder le  portrait  de  Charles  Hunier  qu'il  expose 
ici.  morceau  de  premier  ordre,  en  dépit  des  empâ- 
tements excessifs  dont  M.  Mancini  est  coutumier. 
Dans  le  voisinage  de  cette  forte  toile,  les  Hommes 


I.Airr     ET     LES     ARTISTES 


/'/(,   William  Cray. 


[OHX     I.AMn^Y    —    LE     jrARCHÉ    A    TANGER 


el  chevaux  de  ^I.  Adolfo  de  Carolis  paraissent  bien 
vagues,  bien  funienx  ;  ils  le  paraîtraient,  j'en  ai 
peur,  où  qu'ils  soient.  M.  de  Carolis  est,  cependant, 
un  dessinateur  charmant,  et  quand  on  se  rappelle 
les  illustrations  et  les  ornementations  qu'il  a  exé- 
cutées pour  les  ouvrages  de  Gabriel  d'Annuiizio, 
on  est  surpris  de  voir  combien  ses  dons  de  |H-iutre 
sont  faibles  et  insuffisants. 

Dans  la  salle  du  Piémont,  je  ne  vois  guère  à  citer 
que  les  tableaux  alpestres  de  .M.  Cesare  Maggi, 
i\m  sont  d'une  vérité  saisissante  ;  malheureuse- 
ment, on  ne  peut  s'empêcher  de  songer,  en  les 
regardant,  —  que  M.  Maggi  ne  prenne  pas  ci'tte 
remarque  jiour  un  reproche,  —  à  Segantini. 

Une  salle  entière  est  réservée  à  une  exposition 
d'ensemble  d'Alberto  Pasini  (1826-1899).  Il  >•  a  là 
une  centaine  de  ces  petites  études  d'Egypte, 
d'Espagne,  de  Turquie,  des  environs  de  Fontaine- 
bleau, qui  sont  des  notations  charmantes  ;  un  j)eu 
trop  précises  parfois,  un  peu  trop  minutieuses  ; 
mais  souvent  aussi  très  fines,  très  vivantes  et  bien 
supérieures,  en  tout  cas,  à  ses  tableaux  poinilarisés 
par  la  gravure. 

Une  autre  salle  est  également   consacrée   à  un 


artiste  disj^aru.  Giuseppe  Pilliz/a.  de  \'i)lpedo, 
(|ui  se  tua  de  désesjioir.  peu  île  temps  a]>rès  la 
mort  de  sa  femme,  il  \-  a  ileiix  ans.  ("était  un 
homme  du  plus  rare  talent  et  (pii  aurait,  certaine- 
ment, donné  de  grandes  (i'u\'res,  car  il  était  doué 
d'une  vision  personnelle  el  d'une  si'usibilité  origi- 
nale. Il  sa\'ait.  jxjur  a\iiir  longuement  léliéchi, 
ce  qu'il  jjouvait,  ce  ipi'il  dex'ait,  ce  qu'il  \'oulail 
faire. 

Les  questions  de  teclinitiue  le  i)réoccu])aient 
beaucoup  ;  il  avait  subi  fortement  reiu])reinte 
de  l'admirable  el  génial  artiste  (pu'  lut  Seg.iutini  et 
il  était  demeuré  pieusement  fidèle  aux  Idiinules 
du  divisionnisme,  mais  en  les  tem])éranl  et  en  les 
assouplissant  à  la  chaleur  d'une  sentimentalité 
presque  maladive.  (Euvre  étrange  que  la  sienne  ! 
pleine  du  plus  vibrant  amour  de  la  nature  et  de 
la  poésie  des  choses,  pleine  de  vérité,  débordante  de 
tendresse  et  de  bonté  !  Il  n'y  a  là  que  vingt-sept 
tableaux  de  lui,  mais  on  peut  se  faire  une  idée  assez 
exacte  de  son  talent.  Le  tryptique  de  l'Amour 
dans  la  vie,  la  Prairie  en  fleurs.  Dans  le  jcnil.  Kspoirs 
déçus  me  paraissent  résumer  tout  ce  qu'il  >■  eut  de 
profond  et  de  douloureux,  de  passionné  et  d'inli- 


173 


L'AKT     ET     LES     ARTISTES 


PLINIO  NU.MEI. 1.1X1 


LE    CHANTIER 


niniont  chaste  dans  l'âme  et  le  génie  de  Giuseppe 
Pelliz/a. 

(  lUglielnio  Ciardi  orrnpe  une  salle  entière,  ("est 
un  (le--  niaitrrs  du  iiavsagc  italien:  il  a  aujourd'liui 
soi.\aiite-st-pt  ans.  X'énitien  d'tnigine,  ("iardi  est, 
comme  le  dit  fort  pistemeut  l'écrivain  Attilio 
Ceiitelli.  "  le  poète  des  lagunes  et  des  champs, 
l'exaltateur  de  Venise  dans  les  gloires  de  son  ciel, 
de  sa  lumière,  de  ses 
couleurs,  (11- sa  puissance 
et  de  sa  richesse  ancien- 
nes »,  Nul,  je  I  rois,  n'a 
mieu.x  chanté  que  lui  la 
poésie  de  la  campagne 
vénitienne,  de  cette  na- 
ture jiarticulière  dout 
le  charme  est  si  déli- 
cieux. Certaines  toiles 
de  (7 iardi,  notamment  le 
grand  ])aysage  Messi- 
dor, qui  appartient  au 
Musée  de  Rome,  peuvent 
être  considérées  comim- 
de  maîtresses  ceuvres  de 
la  peinture  italienne 
contemporaine. 

L'école  vénitienne  ap- 
paraît d'ailleurs,  ici. 
sous  un  jour  très  fa\'o- 
rahle  ;  que  n'ai-je  la 
jilace  de  dire,  comme  je 
le  voudrais,  tout  ce 
qu'il  y  a  à  dire  des 
paysages  de  M.  Bartlio- 
lomeo  Bezzi,  empreints,  RICHARD  MILLER 


surtout  celui  que  nous  reproduisons.  Poésie  hiver- 
nale,   d'une   si   pénétrante   mélancolie  et   d'un   si 
juste  sentiment   de  la  nature;  de  cette  danse  de 
fillettes   ilans   une  prairie  au  bord  de  la  mer,   si 
traiche   de  gestes  et   de  couleurs,   que  M.   Beppe 
Ciardi  intitule  le  Réveil  du  Printemps  ;  de  la  Poésie 
du  soir  de  M.  Battista  Costantini,  excellent  pa\-- 
sage  créi)usculaire  au  ciel  doré  sur  des    collines 
violettes  où  passent  des 
paysannes         portant 
d'énormes  bottes  de  foin, 
J 'ai  beaucoup  aimé  aussi 
les    Voiliers  de  AL    Za- 
netti-ZiUa,    qui    excelle 
à    ces   compositions    de 
fantaisie   décorative  ;  la 
Journée    de     bourrasque 
du     grand      paj'sagiste 
Pietro   Fragiacomo,  qui 
peint  exactement  et  fi- 
nement la   grandeur  et 
la  beauté   du  ciel  véni- 
tien ;    les    délicates     et 
vibrantes  études  de  fem- 
mes, Portrait  de  Mme  K. 
it    la    Dessinatrice,     de 
-M.  Mncenzo  de  Stefani; 
et     je     n'aurais     garde 
d'oublier  un  délicat  cou- 
cher de  soleil  à  la  Corot 
de  M.  Trajano  Chitarin  : 
le     large,    puissant     et 
infiniment         séduisant 
portrait      de     la     belle 
lA  KiiiiE  CHiXdisE  comtesse  Annina   Moro- 


174 


I.'ART     ET     LES     ARIIS'IES 


sini  ]).ir  M.  l.ino  Selvatico.  vl  les  scènes  de  la 
vie  vénitienne  de  M.  Feiriuio  Seattola  et  de 
M.  Alessandro  Milesi,  en  faisant  une  place  à 
part  aux  deux  toiles  exquises  de  Mlle  Emma 
Ciardi,  surtout  au  Jardin  de  l'Amour,  où  la 
charmante  artiste  a  su  évoquer  avec  tant  de  déli- 
catesse mélancolique,  comme  dans  un  songe  loin- 
tain qui  laisse  au  réveil  le  cceur  harcelé  île  regrets, 
la  vision  des  fastes  du  i)assé,  aux  beaux  jours 
du   Carnaval  vénitien. 

C'est  encore  \'enise  qui  triomphe  tlans  les 
leuvres  et  le  talent 
de  M.  Ettore  Tito, 
qui  est  bien,  peut- 
être,  le  plus  Vénitien 
de  tous  les  peintres 
vénitiens  d'aujour- 
d'hui. Il  \'  a  chez 
Etti)re  Tito  im  cu- 
rieux mélange  de 
réalisme  et  de  fan- 
taisie, de  véristue 
et  d'invention  ima- 
giiiative.  Il  a  le  rare 
sens  de  dégager  la 
grâce  comme  aris- 
tocratique de  ces 
jiersonnagcs  du  pe- 
tit jx'uple  de  \'e- 
nise  qui  s'agite  dans 
ses  iableaux  :  la  vie 
populaire  vénitien- 
ne n'a  pas  de  pein- 
tre plus  exact  ni  qui 
sache  mieux  e.xalter. 
en  même  temps, 
toute  sa  beauté  in 
time.  C'est  dans  ci> 
visions  directes  que 
Tito  me  paraît  le 
plus    à    son     aise  ; 

voilà  son  domaine;  on  l'y  sent  mieux  <lu'Z  lui 
que  lorsqu'il  ambitionne  de  rehausser  st's  obser- 
vations véridiques  en  \-  introduisant  une  intention 
symbolique.  Pour  ma  i)art,  je  préfère  ck'  beaucoup 
ses  Pages  d'amour,  son  Passage  du  train  et  le 
Câble  à  la  Bacchanale,  nralgré  la  hardiesse  de  l'en- 
semble, et  à  l'Amour  et  les  Parques,  lualgré  la  \-raie 
beauté  des  figures  nues  du  premier  ])lan.  Mais,  ici 
et  là,  Tito  s'affirme  égalenuiit  \irveux  et  savou- 
reux, abondant  et  fort  et  conuiie  dessinateur  et 
comme  peintre  ;  Tito  est  une  des  personnalités  les 
jilus  marquantes  de  l'école  italienne. 

Que  la  kiçon  dont  ^I.  Marins  de  Maria  conçoit 
la  peinture  est  différente  de  celle  (jui  est  clière  à  un 
Ettore  Tito  !  M.  de  Maria  est  romantique  ;  serait-ce 


ALBERT  P.ESX.ARl)  —  1'Oktr.\it  de  m""'  besnard 


parce  qu'il  est  Bolonais  ?  Peu  imjiorte  ;  il  t-st  lidèle 
à  un  idéal  cjui,  pour  être  en  moindre  faveur  de  nos 
jours,  n'en  mérite  pas  moins  l'estime,  surtout  quand 
on  le  sent  pratiqué  avec  autant  de  sincérité  et  de 
conscience  —  et  j'ajouterai  de  talent  et  d'origina- 
lité. —  Mais  M.  de  Maria  est  un  romantique  réa- 
liste ;  je  veux  dire  qu'ayant  choisi  et  observé  dans 
la  réalité  un  effet  particulièrement  intense  et  im- 
]n"essionnant,  il  ne  consentira  jaiuais  à  en  traduire 
l'aspect  artificiel  ou  superficiel,  il  ne  s'abaissera 
jamais  à  en  rendre  l'imjiression  momentanée  ou 
fantaisiste.  Il  veut 
avant  tout  que  l'ef- 
fet soit  traduit  par 
des  nioxens  précis 
et  exacts  ;  il  ne  se 
contenterait  ]ii)ur 
rien  au  monde  de 
l'a  peu  près  dont 
ou  \'oit  tant  tle 
peintres  uKHlerncs 
se  satisfaire.  Il  ar- 
rive. ]iar  suite, 
ipi'avec  sa  passion 
de  \érité,  tels  de  ses 
tableaux  finissent 
pal'  être  faits  d'une 
UKitièie  pesante 
i  oiuine  niac;()iiiiéi'. 
trop  liiiiide  :  mais 
il  atteint  aussi,  sou- 
\  eut ,  à  une  1  irhesse 
d  'exécii  t  11)11  peu 
(■(iiniuuiie  et  qui 
ia\il  tous  ceux  ipii 
aiiiiein  la  belle  pâte: 
témoins, certains  de 
ces  effets  de  luiie. 
ou  de  ces  jeux  con- 
trariés ik'  lumière 
où  il  excelle,  i>ar 
exemple  ta  Lune  stir  les  lahles  d'une  auher'^e  aux 
Prati  di  Castello  (Rome)  ou  l'admirable  Clair  de 
lune  à  Rome  ou  Un  clair  de  lune  à  lirénie  sur  un 
banc  solitaire.  Je  ne  connais  rien  de  plus  poignant, 
de  ])lus  douloureusement  évocateur  ipie  ces  p<'tites 
toiles  si  simples.  ce]ieiidailt,  et  de  composition  et  de 
métier. 

Parmi  les  (euvres  exposées  par  d'autres  artistes 
de  riùnilie,  je  ne  vois  guère  à  signaler  (|ue  le 
Paolo  et  Francesca  de  M.  Gaetano  Pic'\-iali,  de 
qui  je  n'ai  jamais  rien  vu  d'aussi  faible,  et  un  ])etit 
Tryptique  de  Noël  de  M.  Carlo  Donati,  dont  les 
qualités  d'imagination  rachètent  heuri'useiuent 
la  mollesse  et  la  monotonie  de  l'exéciitiou. 

Trois  paysagistes,  M.  (iirolamo  Cairati,  M.  l'ran- 


175 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


GIUSEPPE  PELLIZZA 


DANS    LE    FENIL 


cesco  Oicili  (_t  AL  Ettorc  de  ALiria  Bergk-r  ont  fixé 
jKiui"  hi  plus  grande  joie  de  nos  yeux  quelques-uns 
des  asjiects  les  plus  séduisants  de  la  patrie  ita- 
lienne. M.  Cairati  nous  conduit  sur  les  bords  du  lac 
d'Alhano  et  du  lac  de  Xéini,  dans  les  marais  de 
Riniiiii.  vers  la  Pineta  de  Ravenne.  à  ilontefalco, 
à  Assi>e  et  à  San  Gimignano  ;  M.  Gioli  nous  conte 
avec  tendresse  et  précision  de  délicates  impressions 
florentines;  'SI.  de  ]\Liria  Bergler  nous  conduit 
admirer,  dans  une  salle  décorée  et  meublée  très 
confortablement  par  M.  \'ittorio  Ducrot,  d'après 
les  dessins  de  Î\L  E.  Basile,  —  deux  noms  que  con- 
naissent et  estiment  tous  ceux  qui  suivent  de  près 
le  mouvement  de  l'art  décoratif  italien.  —  les 
"  Beautés  de  la  Sicile   n. 

Nous  ne  nous  y  attarderons  point,  sollicités  j>ar 
l'exposition  de  deux  artistes  disparus  :  Telemaco 
Signorini  (1835-1900)  et  Giovanni  Fattori  (1825- 
ICJ08),  dont  les  œuvres  donnent  une  idée  assez 
exacte  de  ce  qu'était  la  peinture  italienne  d'il  y  a 
deux  générations.  Sous  des  apparences  fort  sages 
et  des  allures  modérées,  ces  deux  peintres  furent, 
en  somme,  quand  on  \-  regarde  de  près,  des  réalistes 
relativement  audacieux,  des  observateurs  impar- 
tiaux des  faits  et  de  la  vie  de  leur  temps.  Des 
tableaux  comme  la  Toilette  du  matin  de  T.  Signo- 
rini, ou  comme  certaines  des  scènes  militaires  de 
G.  Fattori,si  violemment  et  si  simplement  tragiques, 
sont  loin  d'être  des  choses  indifférentes.  Il  se  peut 
qu'elles  manquent  d'acuité,  de  saveur,  de  tout  ce 
que  l'on  demande  aujourd'hui,  à  tort  ou  à  raison, 
à  l'art,  mais  ce  sont  là  des  morceaux  dignes  d'in- 
térêt et  d'estime. 


Je  me  .garderai,  en  tout  cas,  de  leur  préférer  des 
toiles  à  effet  facile,  platement  sentimentales,  comme 
la  Graziella  de  M.  Lionello  Balestrieri,  mais,  dans 
la  même  salle,  je  m'arrêterai  avec  plaisir  devant  la 
Soirée  d'été  et  la  Bouquetière  romaine  du  peintre 
napolitain  Enrico  Lionne  qui  y  a  traduit  avec  de 
curieuses  audaces  de  pointilliste  certains  efïets  de 
lumière  parmi  des  milieux  et  des  types  d'élé- 
gances toutes  modernes  ;  cela  est,  ma  foi,  fort 
bien. 

Je  \-eux  dire  aussi  quelle  joie  m'a  donnée  le  joli 
tryptique  oii  M.  Pietro  Chiesa  nous  a  conté  l'histoire 
d'une  troupe  d'enfants  qui  part  à  l'aventure  dans 
une  forêt,  croit  découvrir  une  retraite  de  sorcières 
ou  de  quelque  ogre,  et  revient  le  soir  à  la  maison 
heureuse  et  fleurie  de  fleurs  sauvages.  Les  physio- 
nomies, les  gestes,  les  expressions  de  toutes  ces 
figures  enfantines  sont  traités  avec  la  plus  char- 
mante diversité  et  la  plus  délicate  justesse  ;  rien 
d'appuyé  ni  de  maniéré  ;  le  paysage  est  frais,  dou- 
cement lumineu.x  ;  tout  a  été  patiemment  et  scru- 
puleusement étudié  par  l'artiste,  et  cela,  cependant, 
ne  sent  jamais  la  fatigue.  La  Vie  enfantine  de 
M.  Chiesa  est,  certainement,  une  des  meilleures 
oeu\'Tes  de  l'exposition  de  190g. 

Quoi  d'étonnant  qu'auprès  d'elle,  si  délicate  et 
si  sentie,  le  A  u  plein  air  et  le  Coin  de  Chioggia  de 
M.  Leonardo  Bazzaro  paraissent  vulgaires  et  bru- 
taux! M.  Bazzaro  est,  à  n'en  pas  douter  ce- 
pendant, un  homme  de  talent,  mais  cet  art  vio- 
lent, outrancier,  ces  gros  efïets  de  lumière 
fatiguent  vite  :  M.  Bazzaro  fait  un  peu  songer, 
en  moins  raffiné,  à  M.  Sorolla  \'  Bastida. 


176 


L'ART     ET     LKS     ARTISTES 


n.  (;.  .\,r,.i,  i Vii.o 


AXL)ER>    Zt)l\N    —    DliNTKI.LIÈKES    DE    VENISE 


L'ART     ET     I.F.S     Al-îTISTES 


Les  peintures  décoratives  sont  pen  nombreuses 
<-otlc  annér  à  l'exposition  île  Wnise,  et  je  ne  vois 
1,'uère  à  eiter  cpie  les  deux  vastes  panncanx  de 
M.  l'iiiiio  Xiiiiielliiii.  desliiiés  au  Palais  communal 
de  Sampii-rdaiena  :  le  (Iniulicr,  tout  grouillant  de 
monvcniiiil,  d'une  belle  m  ilonnaiiee,  et  ht  Nouvelle 
Raeei:\\\\  iiioiilre  un  ,L;r(.inpe  d'hommes  et  de  Icmmes 
j/ortant  des  étendards  et  des  couronnes,  ])arvenus 
au  sommet  d'une  colline,  jiarmi  la  lirise  et  la  lu- 
mièi-e,  en  marche,  j'imagine,  vers  l'avenir. 


Il  \-  a  aussi  l'esquisse  sonunairc  de  la  grande  frise 
décorative  que  M.  Aristide  Sartorio  est  en  train 
d'exécuter  ])onr  la  Chambre  des  députés.  Le  sujet 
est  VHistoire  idéale  du  peuple  italien.  Il  est  fort 
dillicile,  on  le  comprend,  de  se  prononcer  sur  une 
leuMe  de  cette  importance  d'après  ce  que  l'artiste 
nous  en  montre  ici.  Mais,  en  venant  de  voir  les  déco- 
rations tlont  .M.  Sartorio  avait  orné  les  murs  du 
salon  d'honneur  du  palais  des  Giardini,  il  est  permis 
cejJendant  d'éprouver  un  sentiment  d'inquiétude. 


B.    BEZZI    —    POÉSIE    HIVERNALE 
178 


T'ART     FT     TF^     ARTISTE^ 


EMILE   CLAUS 

de  crainte  même,  en  songeant  à  ce  que  sera,  peut- 
être,  l'œuvre  en  préparation.  Certes,  on  ne  saurait 
refuser  à  M.  Sartorio  de  rares  dons  d'invention,  un 
sens  assez  étendu  du  symbole,  de  la  culture  et  du 
métier.  Mais  on  ne  parvient  pas  à  démêler  les  jirin- 
cipes  selon  lesquels  il  conçoit  et  compose  ses  déco- 
rations, ni  à  comprendre  pourquoi  il  accumule 
avec  tant  d'insistance  et  de  confusion  les  ligures, 
et  encore  moins  pourquoi  il  les  condamne  toutes  à 
cette  sveltesse,  à  cette  maigreur  presque  maladives. 
Puis  toutes,  toutes,  gesticulent  à  l'e.xcès  :  on  dirait 
une  écolede  gymnastique,  et  toutes  grimacent  ]>lus 
ou  moins  ;  M.  Sartorio  ferait  bien  de  lire  et  de  relire 
le   beau  sonnet  de  Baudelaire  à  la  Beauté  : 

Jf  hais  le  movivement   qui  drpl.icc  les  lisnrs.... 

Mais  encore  une  fois,  je  ne  porte  pas  ici  un  juge- 
ment sur  le  talent  de  M.  Sartorio  ;  je  ne  fais  que 
fornuder  l'impression  que  j'ai  ressentie  devant  sa 
décoration,  achevée,  celle-là.  du  salon  d'iionneur. 
et  devant  l'esquisse  de  la  décoration  qu'il  ]>ré|)are 
pour  la  Chambre  italienne. 

Que  d'œuvres  encore,  ici  et  là,  dont  je  xoudrais 


LES    UK.\1L^    i)l      L.\;.A1 

parler  :  l'Ëlé  dans  la  haute  inonta'^nc  et  En  plein 
hiver  de  M.  Filii)i)o  Carcano,  jiaysages  de  lièrc 
allure  exécutés  i)ar  un  consciencieux  et  ]irobe 
artiste  qui  connaît  toutes  les  ressources  de  son 
art  et  a  ouvert,  me  dit-on,  la  \'oie  à  tous  ceux  qui 
ont  voulu  étudier  et  jifindre  la  montagne  ;  les 
l'ieilles  de  M.  Feliee  Casorali.  bon  ri  curieux  ta- 
bleau assez  imprévu  de  couleur  et  dont  l'arran- 
gement rappelle  un  ])eu  certaines  façons  chères  au 
grand  peintre  espagnol  Ignazio  Zidoaga  ;  et  une 
iwignante  toile  de  M.  Pietro  Mentessi,  empreinte 
de  ce  sentiment  de  grandi'ur  et  de  mystère  qui  lui 
est  particulier  ;  et  un  exquis  ]>a\-sage  tout  doré  de 
M.  I.odovico  Tommasi.  Ç';a'n».s  !il)er:  et  une  F oiVf 
aux  bestiaux  fort  bien  peinte  de  M.  I-uigi  (iioli. 

La  section  de  gravure  et  de  blanc  et  noir,  enfin, 
distribuée  en  plusieurs  salles,  com])rend  de  savou- 
reux envois,  représentatifs  de  la  manière  et  du 
talent  de  chacun  d'eux,  de  MM.  Henr\-  de  (iroux, 
David  Camcron,  Besnard,  Alfred  Hast,  Helleu, 
Charles  Houdard,  Axel  (iallen.  Frantz  Charlct, 
Se\-mour  Haden.  Louis  l.egrand.  Klinger.  Emile 
Orlik.   Hans  Thoma.   A.    I.unois.    Henr\-   Meunier, 


179 


[;art    i:t    les    artistes 


AIJ1]-:1v;T()  .MAKTIM   -     i.a  ntut 

ÉTRANGÈRE 

rhaiirs  SlianiiDii.  Steiiilin,  François  Maréchal,  rt 
iiiu'  sciic  (le  dix  (k'ssms  à  la  iihuiic  du  M.  Alliertn 
Martini  qu'il  faut  mettre  hors  de  jiair.  En  troi- 
cadres,  il  nous  offre  à  contempler  hi  Belle  Eiiiui- 
i,'c7Y.  Mm-iniii  et  huit  dessins  destinés  à  illustrer  li  - 
His/dîies  cxiraurdinaire^  d'Edgar  Poe. 

Le  talent  de  ^NL  Akirtini  me  fut  ré\-élé  il  \-  ,i 
quelques  années  par  l'excellent  et  miraculeusement 
intuitif  Vittorio  Pica  qui  lui  consacrait  dans  le 
cinquième  fascicule  de  son  bel  ouvrage  Attraversc 
gli  Albi  et  le  CarteUe,  qui  est  comme  un  diction- 
naire universel  de  la  gravure  et  du  dessin  modernes, 
une  cojiieuse  et  élogieuse  notice.  Tout  jeune  encore, 
il  a  ]>roduit  beaucoup  et  il  jouit  en  Italie  de  l'estime 
de  tous  les  artistes  et  de  tous  les  vrais  amateur- 
d'art.  Son  illustration  de  la  Secchia  raf>ita.  pica 
resqiie,  truculente,  déljordante  de  mouvement 
de  verve,  de  fantaisie,  fantastique  et  libre,  ses  com- 
])ositions  pour  les  Cours  des  iiiimcles,  pour  le  Poèiiu 
du  travail,  ])our  la  Divine  Comédie,  cent  dessins  d'e.x- 
libris,  de  couvertures  de  livres,  l'ont  désigné  à 
l'attention  et  ont  fait  sa  notoriété  ;  ses  dernier- 
travau.x,  les  huit  illustrations  des  contes  d'Edgar 
Poe,  ne  le  cèdent  en  rien  à  ses  précédents  ouvrages  : 
son  imagination  éprise  de  fantastique  et  de  macabre, 
étrangement  voluptueuse  et  en  qui  persistent  des 
obsessions  du  moyen  âge  et  de  la  Renaissance  en 
Allemagne  et  en  Italie,  jiarmi  des  curiosités  ultra- 


modernes,  l'a  servi  ici  admirablement.  Alberto 
Martini  est  un  dessinateur  de  premier  ordre  en  qui 
se  perpétuent  les  traditions  les  plus  vivaces  de  sa 
race  artistique  ;  ce  m'est  un  plaisir  que  l'occasion 
me  soit  offerte  de  dire  toute  l'estime  où  je  tiens  son 
original  talent. 

Avant  de  franchir  le  seuil  du  palais  des  Giardini 
pour  visiter  les  pavillons  étrangers,  nous  nous 
arrêterons  devant  les  quelques  œuvres  de  sculpture 
i|ui  y  sont  exposées.  Peu  nombreuses,  d'abord, 
et  ]ieu  significatives,  du  moins  en  ce  qui  concerne 
l'Italie,  d'un  mouvement  appréciable.  Je  ne  ferai 
i|iie  mentionner,  en  passant,  les  Chevaux  dit,  soleil 
lie  ;\I.  Clémente  Origo,  les  Amants  de  M.  Giovanni 
l'iini.  le  Cocher  de  M.  Davide  Calandra,  la  Paix 
de  .M.  Giovanni  Xicolini,  et  les  ceuvres  froides  de 
.M.  Francesco  Jerace.  M.  Paul  Troubetzko'i  et 
M.  Rembrandt  Bugatti  sont  présents,  en  revanche, 
et  il  faut  s'en  réjouir.  Dix  œuvres  représentent  le 
liremier  ;  toutes  nous  sont  connues;  il  en  va  de 
même  pour  les  seize  bronzes  exposés  par  le  second  ; 
nous  n'\'  insisterons  donc  pas. 

Mais  nous  examinerons  avec  soin  deux  cadres 
'  niitenant  neuf  petites  plaquettes  en  métal  —  re- 
poussé, je  crois  bien,  et  non  fondu  —  de  M.  Renato 
j-îrozzi    qui    sont    vraiment    de   précieuses   choses. 


ALBERTO  :\IARTIXI 

TETITE    DISCUSSION'    AVEC    VNE    MOMIE 
(ilhistr.itii'tt  (lu  conte  d'Edgar  Poe) 


i8o 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


Ce  sont  des  animaux,  des  gazelles,  des  moutons,  îles 
petits  cochons,  des  cerfs  et  des  biches  traités  avec 
une  finesse  de  modelé,  une  délicatesse  et  une  pureté 
de  contour  qui  font  penser  à  certains  dessins  de 
[acopo  Bellini  et  de  Pisanello;  cela  est  d'une  per- 
fection absolue  et  qui  enchante  ;  on  ne  se  lasse  pas 
d'admirer  l'esprit  et  l'amour  avec  lesquels  l'artiste 
.1  observé,  étudié  ses  sujets,  la  minutieuse  conscience 
,ivec  laquelle  il 
>est  appliqué  à 
en  résumer  toute 
la  beauté  expres- 
sive et  vivante, 
et  l'on  jouit  de 
la  joie  dont  on 
^ent  bien  qu'il  a 
'té  visité  en  exé- 
cutant son  œu-  ^^^^^ 
\Te.  ^^^'     "^'-fcNY 

J'en  dirai  au- 
tant d'une  œuvre 
exposée  là,  œu- 
vre d'un  tout 
jeune  homme, 
M.  Libero  An- 
dreotti;  les  Trois 
Parques.  J'avais 

déjà  vu,  de  lui,      ^^H?         I  v    '^ 
il  y  a  deux  ans,      ^^B  S^ 

à  l'exposition  des      ^^wl       ' 

Divisionnistes  ^^V^  '  '  "^W 
italiens,  dans  les 
serres  du  Cours- 
la -Reine,  une 
cinquantaine,  si- 
non plus,  de 
morceaux  pleins 
de  promesses, 
des  plaquettes, 
des  statuettes  où 
s'annonçait  un 
vrai  talent  àv 
statuaire.  «  On 
le  voit,  écrivais- 

je  alors  dans  les  Arts,  tourmenté  et  indécis,  à  la 
recherche  de  lui-même  ;  mais  les  dons  les  meOIeurs, 
il  les  possède.  Il  a  de  la  grâce,  de  la  souplesse,  de  la 
fantaisie,  del'imagination,  un  peu  tro]urimagination 
même,  à  mon  goût,  et  certaines  de  ses  compositions 
gagneraient  à  vouloir  signifier  un  ])eu  moins  de 
choses  subtiles  et  profondes.  Je  leur  préfère,  et  de 
beaucoup,  telles  figurines  qui  sont  des  portraits, 
telles  statuettes  où,  se  trouvant  retenu  dans  les  limi- 
tes d'une  vérité  plus  directe,  il  se  montre  observa- 
teur délicat  et  nuancé  des  formes,  des  exjiressions, 
des  caractères.  Il  faut  retenir  le  nom  de  ce  jeune  ar- 


CAKL  ERIESEKE 


tiste  ;  une  fois  dégagé  de  certaines  influences  symbo- 
listes venues  d'Allemagne  et  d'Autriche,  je  ne  doute 
pas  qu'il  nous  donne  de  fortes  et  charmantes  a*u- 
■vTes  ».  J'ai  eu  la  satisfaction  de  constater  que  je  ne 
m' étais  pas  trompé.  L'art  de  ^I.  Libero  Andreot  t  i  s'est 
déjà  élargi  et  simplifié,  sans  rien  perdre  de  l'acuité 
d'accent,  de  la  vervosité  de  modelé  (qu'on  me  par- 
donne ce  mot)  qui  m'avaiimt  surpris  et  enchanté 

dans  ses  précé- 
dentes œu\Tes. 
11  n'a  cessé,  d'ail- 
leurs, depuis 
deux  ans,  de  tra- 
vailler et  de  pro- 
duire, et  j'ai  pu 
voir  ces  jours 
derniers  à  Paris, 
où  il  va,  me  dit- 
on,  se  fixer,  quel- 
ques-unes de  ses 
récentes  produc- 
tions. Que  ^LAn- 
dreotti  conserve 
la  vivacité  de  sa 
vision  et  son  en- 
thousiasme de- 
vant la  nature 
l'I  la  vie,  qu'il 
s'exalte  encore 
davantage  dans 
le  sens  de  la 
clarté  et  de  la 
pureté  des  for- 
mes, qu'il  achève 
de  discipliner 
^on  imagination  : 
il  y  a  en  lui 
;  étoffe  d'un 
i;rand  sculpteur. 


EM.ME  .\ui-:  .\  s.\   loii.ErrE  Le  pavillon  de 

Belgique  est  fort 
bien  aménagé,  quoique  dans  un  st\-le  un  peu  trop 
viennois,  mais  sans  rien  d'agressif,  il  faut  bien  en 
convenir.  Le  vestibule  est  tout  en  marbre  d'un  ton 
jaune  rosé  avec  une  gentille  fontaine  qui  gazouille 
au  milieu. 

Une  salle  y  est  réservée  aux  iieintres  belges  de 
Venise  ;  il  suffit  de  lui  donner  un  coup  d'œ'il, 
car  de  meilleures  (vu\Tes,et  plus  dignes  d'attention, 
nous  attendent.  D'abord,  le  délicieux  et  fantastique 
Jardin  d'amour  de  James  Ensor  qui  marie  ici, 
dirait-on.  les  élégances  de  Wattcau  avec  les  per- 
versités d'Anbrey  Beardsley  ;  jniis  F  Ombrelle  vcric 


iSi 


i,'ai>:t    et    les    artistes 


FELICE  CASORATI 


LES    VIEII  TES 


l't  lu  l'ililc  iiKnlisIc.  liuilc  en  Iraichi'S  et  Iraiichrs 
ciiloratidiiN,  (le  M.  (".rcui^'cs  Miiiicn  :  et  aussi  un 
liùs  sa\iiuicu\  Vi//(ii;c  cii  l'hindrc  ik-  1\I.  Isidurc.' 
(  )j)siiiinr,  a\'('c  (ks  \-uk'ts  i-t  des  haniùrcs  l)k'us 
jiarini  k's  Manchmirs  ilr  la  ncii^'c... 

\)v  Fcrnand   KliiiDplf.   \u\v  M\\vd\v\\v  liiératicjur 
et  niystéi  ii'usc,  l'Aiii^c;  de  M.  Elan/.  Snirris, /7;7(', 
des  tenuiies  éclatantes  sur  une  j'iage;  un  jioi'trait 
de  M.  Franz  Melchers,  et  <leux  f^jrandes  décorations 
de  M.  Constant  Montald,  /(/   Barque  de  l' Idéal,  la 
Fdiilaiiic  de  rinspirahmi,  dont  la  composition  est 
pleine  de  nolilesse,  mais  dont  le  parti  pris  de  eolo- 
latinii    me    |iarait  mal  appr(ijirié  à  d'aussi 
v.istes    suiiaees.    Uuelques    morceaux     de 
sculpture  de  MM.  Georges  Minne,    Pierre 
Braecke.  X'ictor  l^f)usseau  :  de  ce  di'rnier, 
une  tête  de   \'.[nli'inuc  \-riiiment   lielh;    de 
mélancolie    <'t    île    recueillement.    <  )n    est 
enlin    dans  la  salle  réserx'ée  aux  Priiilre^ 
de  la  Lys,  groupés  autour  de  leur  maître. 
Emile  Claus.  Le  bon  maître,    et  ipie  son 
enseignement  est  fécond  !   N'oici   de  char- 
mantes visions  de  nature,   toutes   frémis- 
santes de  vie  et  de  vérité,  de  MM.  Georges 
Buysse,   Gustave  de  Smet,  Léon  de  Smet, 
R.   de  Saegher,  E.  Viérin.  de  Mme  A.  de 
Weert,  et   de   Mlle  jenny  Montigny,  dont 
les  Ih'ux   iiilérieurs  et   le    Matin    de    sep- 
tembre  sont  parmi  les  meilleurs  paysages 
du  pavillon  beige.  „,    j  j:,,,^^,  ,.,„„,, 

Mais  c'est  aux  huit  tabkaux   de   Claus         MARIUS  DE  MARL\ 


«pi'il  faudrait  jiou\(iir  longuement 
s'arrêter  pour  jouir  de  toutes  les 
beautés  qu'ils  renferment  ;  beautés 
si  simples,  si  vraies,  si  naturelles, 
si  extérieures  à  toute  convention 
et  à  toute  esthétique  que  ceux  qui 
sont  insensibles  à  leur  réalité  peu- 
vent ])asser  auprès  de  ces  admira- 
bles paysages  sans  les  découvrir.  Je 
connaissais  tous  ces  morceaux  de 
l'(euvre  de  Claus,  et  j'ai  éprouvé  à 
les  étudier  de  nouveau  une  joie  in- 
liniiiiejit  plus  ])rof onde  que  celle  que 
]'ai  ressentie  quand  je  les  ai  vus 
pour  la  première  fois.  Claus  est  un 
grand  paysagiste,  un  ceil  d'une  fi- 
nesse merveilleuse,  une  main  tou- 
jours émue  et  naïve  devant  les 
beautés  qu'il  veut  peindre,  une 
conscience  d'artiste  irréprochable, 
d'une  cristalline  pureté.  Tous  ceux 
qui  l'aiment,  tous  ceux  qui  l'admi- 
rent se  réjouiront  du  très  grand  suc- 
cès qu'il  remporte  à  l'exposition  de 
Venise. 
De  pareilles  joies  ne  nous  attendent  pas.  hélas  ! 
dans  le  i>a\'illon  de  Hongrie.  Les  œuvres  d'art  qui 
y  sont  ex])osces  n'ont  qu'une  valeur  fort  relative 
et  je  ne  vois  rien  à  signaler  cpii  en  vaille  la  peine  ; 
l'école  hongroise  de  peinture  et  de  sculpture  est 
peu  féconde  en  brillantes  personnalités,  en  vraies 
originalités  :  M.  Laszlo  lui-même  me  paraît  nian- 
(pier  tout  à  fait  de  génie.  En  revanche,  les  objets 
d'art  décoratif  exposés  là,  l'aménagement  des 
salles,  entin  l'architecture  du  bâtiment  lui-même 
tant  à  l'intérieur  qu'à  l'extérieur  sont  on  ne  peut 
]ilus  intéressants,  pleins  de  jolis  détails  ingénieux 


\.  H0PIT.\I.    DES    CONT.\GIErX 


182 


ART     ET     LES     ARTISTES 


et  plaisant--,  d'un  caractère  ne-tteiiinit  inipulaire 
l'I  natidiial  (|ui  ne  manque  point  de  sa\enr.  11  tant 
iiiidre  justice  aux  ordonnatetiis  de  ce  décor, 
MM.  de/.a  Maroti,  Sandor  N'agy  et  .Aladar  Kôriisfoi. 

Les  pavillons  de  la  Sécession  de  .Munich  et  de 
la  (irande-Bretagne,  s'ils  sont  loin  de  présenter 
autant  d'agrément  au  point  de  vue  architectural, 
en  ottrent  davantage  au  point  de  vue  des  leuvres 
rxposées. 

Forcé  d'abréger  jiour  ne  ])as  e.\céder  les  limites 
qui  me  sont  fixées,  je  me  contenterai  de  mentionner, 
étant  donné  que  tout  le  monde  a  présents  à  l'esjM'it 
les  traits  dominants  du  talent  et  de  la  personnalité 
de  chacun  d'eux,  les  noms  des  principaux  expo- 
sants anglais  :  MM.  D.-J.  Cameron,  Charles  Shan- 
non,  Grosvenor  Thomas,  sir  Ernest  Waterloo, 
Anning  Bell,  William  Xicholson,  William  Rothen- 
stcin,  John  Lavery,  James  Guthrie,  Alfred  East, 
William  Orpen,  Arthur  Rackham,  Frank  Brang- 
wvn,  sir  George  Frampton,  Alfred  Drury  ;  l'en- 
semble est  satisfaisant,  sans  rien  de  sensationnel  ; 
la  décoration  des  salles,  exécutée  sous  la  direction 
de  Frank  Brangwyn,  a  la  sobriété  un  peu  froide  de 
l'art  décoratif  anglais  d'aujourd'hui  qui  semble 
^'attrister  et  s'assombrir  de  plus  en  plus. 

La  décoration  et  l'aménagement  des  salles  du 
IKivillon  de  la  Sécession  de  Munich  sont,  au  lon- 
traire,  tcnit  clartés, ■  fraîches  couleurs,  moulures 
pimpantes  ;  des  blancs  purs  on  crémeux  ou  grises, 
des  toiles  claires,  un  accrochage  imprévu  et  très 
savamment  onldiiiie  :   di--  conil  liii.ii^nn^   trr>  heu- 


reuses d'oltjets  d'art,  de  sculptures,  de  meubles, 
de  tableaux,  cela  est  vérital)lement  exipiis  à  l'ieil. 
Les  meubles,  soit  dit  en  passant,  sont  de  M.  lîruno 
Paul.  Tout  est  donc  pour  le  mieux  ;  mais  un  regard 
d'ensemble  est  suffisant,  car  je  ne  saurais  dire 
combien  les  œuvres  exposées,  à  de  rares,  troji  rares 
exceptions  près,  m'ont  ]niru  indifférentes,  m'ont 
donné  une  impression  de  déjà  vu.  Je  ])ourrais,  si 
j'en  avais  la  place,  —  et  je  regrette  vivement  de  ne 
pas  l'avoir,  —  justifier  cette  impression,  e>sa\cr 
tout  au  moins  d'en  dire  les  raisons  ;  je  flois  ilonc  me 
borner  à  citer  ([tielques  noms  et  quekjues  (euvres, 
les  envois  tout  frémissants  de  modernisme  de 
M. Hugo  von  Habermann,  IcModcle,  Bdccliciii/cvidt: 
M.  Fritz  von  L'hde.  toujours  divers  et  souple  et 
dont  je  j)réfère  inliniment  la  sinq)le  étude  .1» 
Jardin  à  ce  mélodramatique  portrait  de  l'Aiiciir 
Wolmiilh  dans  /<•  rôle  de  Richard  1 1 1 ;  enliu  K>  toiles 
de  M^L  Gotthard  von  Kuelil,  Tlicodor  Hummel, 
Josef  Kûhn,  lùigen  Spiro,  les  gravures  de  .M.M.  (  )lto 
Greiner,  Oscar  (iraf-Freiburg.  et  en  sculpture  les 
animaux  de  ]\BL  Fritz  Belin  et  Theodor  Georgii, 
les  bustes  de  M.  Ulfert  Janssen. 

Ajirès  cette  longue  i^romenade  à  travers  l'art 
contemporain,  on  n'a  ([u'un  ]ias  à  faire  pour  dé- 
couvrir, à  travers  les  arlues.  le  miroiteiiK'ut  nacré 
de  la  lagune,  les  sourires  du  ciil.  l.i  bi-auté  des 
palais  de  marbre,  là-bas,  sur  le  (piai  blanc  au  ras 
de  l'eau,  et  la  floraison  des  doines  et  descam]ianiles 
dans  la  lumière....  et  cela  est   délicieux. 

G.\imiEi.  MoïKiiY. 


Ph.  T-  .V«v»,   I 


El  1UK1-: 


183 


m 

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-  ■■'■>■■ 

r:^J^ 

^^^HÊt 

Société  nationale  cUs  Beaux  Ar. 
CHAPELLE    DE    l'ÉCOLE    DES    ROCHE?,    A    VEKXEUIL,    {vue  (extérieure)  (M.  Storez,  architecte  ) 


L'ART     DECORATIF 


al©în\s    d'Ârefeiteet^re    em    T 


LES  Salons  de  1009,  comme  les  précédents, 
comme  ceux  de  1910.  seml)lent  prouver  que 
les  architectes,  dont  il  ne  faut  pas  nier  le  talent, 
la  science  et  l'habileté  professionnelle,  ne  savent 
pas  éviter  deux  dangers  :  d'une  part,  et  il  ne  s'agit 
pas  exclusivement  des  jeunes,  la  manie  de  se 
faire  remarquer,  de  se  créer  une  originalité  tran- 
chée. D'autre  part,  c'est  l'excès  contraire,  l'archéo- 
logie, j'entends  jnir  là  l'impuissance  à  dégager  des 
formules  anciennes  une  adaptation  aux  besoins  de 
la  vie  moderne,  à  faire  autre  chose  qu'une  copie. 
M.  F.  Garas  (Société  nationale),  édifia  donc,  dans 
ses  rêves,  un  temple  à  la  Pensée,  dédié  à  Beethoven. 
Oui  ne  voit  le  danger  des  abstractions  ?  Pourquoi 


Beethoven,  qui  fut  un  pur  musicien,  s\'mboliserait-il 
à  lui  seul  la  pensée.  Pourquoi  lui  attribuer,  comme 
'M.  René  Fauchois  l'a  fait,  des  attitudes  roman- 
tiques et  des  idées  qu'il  n'a  jamais  eues  que  confu- 
sément. Il  a  eu  des  pensées  musicales,  il  les  a  exé- 
cutées avec  la  technique  particulière  à  son  art. 
Mais  écoutez  plutôt  la  description  que  l'auteur  nous 
donne  lui-même  de  son  temple  : 

«  L'extérieur  se  compose  de  trois  parties  qui 
définissent  l'évolution  de  la  pensée  :  1°  l'inquié- 
tude devant  le  mystère,  représentée  par  l'énorme 
sphinx  à  peine  ébauché  qui  garde  l'entrée  ;  2°  le 
recueillement,  représenté  par  la  coupole  surbaissée, 
seniblablc  à  un  crâne  gigantesque  et  soutenue  par 


1S4 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


des  sphinx,  plus  construits 
que  le  premier,  mais  con- 
servant leur  caractère 
énigniatique  et  calme  : 
30  l'effort  de  la  pensée  ver- 
l'infini,  représenté  par  l'élan 
de  la  tour.  Le  style  un 
]icu  composite  de  mon 
temple  peut  être  interpréta 
conune  une  union  des  sym- 
boles de  l'Inde,  de  l'Égypti 
et  du  christianisme  primitil. 

«  A  l'intérieur,  chacun  des 
huit  groupes  de  piliers  com- 
porterait un  épisode  de  la 
vie  humaine  :  la  naissance 
et  la  mort,  puis  la  guerre,  la 
vie  pastorale,  l'industrie,  la 
religion,  la  philosophie  et  la 
science,  représentées  par  des 
haut-reliefs  d'un  art  très 
réaliste.  Les  chapiteaux 
seraient  ornés  de  figures 
allégoriques,  au  contraire, 
s\nthétisant  chacun  de  ces 
groupes.  Au-dessus,  à  la 
naissance  des  voûtes,  s'or- 
donnerait toute  une  com- 
position en  mosaïque  d'or 
représentant  les  divers 
aspects  de  la  nature  ter- 
restre, idéalisés  en  des  pas- 
sages de  rêve.  Chaque 
voussure  comperterait  une 
composition  en  harmonie 
avec  l'idée  exprimée  par  le 
pilier  correspondant. 

«  Au-dessus  de  ces  com- 
positions, dans  une  ha  mie 
de  ciel  les  dominant  toutes. 

planerait,  autour  de  la  coupole,  une  théorie  de 
ligures  représentant  les  arts,  et.  ]iarticulièromt  iit. 
la  musique  berçant  le  rêve  humain. 

«  A  la  partie  supérit'urc  de  la  ct)Ui)ole, 
dominant  la  réalité  et  l'art  synthétisés  ]«ir  les 
mosaïques  précédentes,  les  ligures  colossales  des 
philosophes  et  des  religions  conservant,  dans 
leur  attitude  et  leur  fX]iression.  le  calme  éternel 
du    Boudha. 

«  Les  peintures  murales  des  petites  chapelles  ]iour- 
raient  évoquer  les  diverses  ctai)es  de  l'humanité, 
chacune  étant  consacrée  à  l'idée  qui  résumerait 
le  mieux  chaque  époque  ». 

Au  pied  des  contreforts  rocheux  sur  lesquels 
s'élève  son  temple,  M.  Garas  construit  «  sa  jietite 
maison  »,  réalisant  ainsi,  dans  un  contraste  facile. 


CHAPELLE    DE    l'ÉCOLE    DES    ROCHES.    .\    VERNEUIL    (vm-  iiiU-riciire) 


le  rêve  de  Senancourt  :  "  Réunir  K-  songe  des  grantU'S 
choses  à  la  paix  tl'une  vie  obscure   ". 

Mettons  à  part  ce  svndiolisme  un  ])eu  vague 
dont  M.  Garas  fait  étalage,  indiquons  (pie  la  part 
du  sculjHeur  et  du  littérateur  est  plus  grande  dans 
son  (euvrc  que  celle  de  l'architecte,  et  ne  retenons 
de  son  jjrogramme  que  l'aveu  d'un  style  compo- 
silc.  groupant  des  cléments  em]5rnntés  surtout  à 
l'Orient  et  même  à  l'Iixtrême-Orient.  pour  la 
réalisation  d'un  rêve. 

Ainsi  l'originalité  de  beaucoup  de  nos  contem- 
porains n'est  que  superficielle  ;  elle  résulte  i)lus  de 
leurs  conversations  que  de  leurs  (euvres.  Il  y  a  au 
Grand  Palais,  de  chaque  côté  de  cette  cloison  en 
carton  qui  sépare  deux  totirniquets  plutôt  que  deux 
théories,    d'excellents,    minutieux    et    intelligents 


185 


L'ART     ET     LES     AIMISTES 


relevés  qui  témoignent  du  respect  avec  lequel  les 
professeurs  de  l'École  des  Beaux-Arts  )>arlent  à 
leurs  élèves  de  la  tradition  gréco-romaine,  de  la 
Renaissance,  du  wW  et  du  xviii*'  siècle,  des  églises 
gothiques,  et  qui  jirouvtnt  au  moins,  par  leur  éclec- 
tisme, une  jKirfaite  bonne  foi.  une  absence  absolue 
de  parti  jiris.  Je  citerai  demi  au  hasard  le  donjon 
de  Vincennes.par  M.  Vorin;  le  château  de  Fougères, 
par  M.  Charles-Henri  Besnard  ;  le  Lazzaretto  de 
Milan,  le  Castello  de  Mantoue,])ar  M.  Jules-J.  Pin; 
l'abbatiale  de  Beaulic'u,  par  .M.  Andral;  le  cliàteau 
de  Pierrefonds,  par  M.  I^idarcnix;  la  laçade  du 
Trésor  à  Saint-Rém\-  de  l)iep])e,  i)ar  M.  Belen  ; 
le  temple  de  Baion  à  Angkor-Thom  (Cambodge), 
par  M.  Bernard;  et  je  n'en  Unirais  pas  de  les  nom- 
mer. C'est  là  une  des  caractéristiques  de  notre 
époque,  que  notre  goût  pour  les  vieilles  choses.  Mais 
Il  il  y  a  entre  l'art  et  l'archéologie  toute  la  diffé- 
rence d'une  langue  vivante  à  une  langue  morte  ". 
Vous  avez  ajipris,  messieur--.  à  parler  latin,  et  vous 
parlez  latin,  sans  ddutc,  pdiu  les  bcMinis  de  la 
cause.  Mais,  quittée  \(itre  lobe  nuire,  dites-nous  un 
langage  compris  de  nous  tous,  et  soyez  éloquents, 
si  l'éloquence  consiste  à  e\|irimer  clairement  ce 
qui  correspond  exactement  à  la  mentalité  des  audi- 
teurs, et  à  leur  révéler  ce  qu'ils  pensaient  oliseu- 
rénient. 

Il  ne  s'agit  pas  de  créer  de  toutes  ])ièces  cette 
nrchitechtre  iioiivelU'  que  certains  iourn;iu\  et  re\'ues 
réclament  à  grands  cris,  coiimie.  sur  les  murs, 
on  ilemande  un  remplaçant  et  des  apprentis.... 
«  Lorsque  Ictinus,  assisté  de  Phidias,  construisit 
le  Parthénon,  cinquante  ans  après  que  le  temple 
de  Thésée  s'était  élevé  lUins  la  \'ille  d'Athènes, 
on  ne  se  plaignit  pas  qn'\\  eut  cujiie  >on  de\'ancier, 
qu'il  n'eût  rien  fait  de  bien  nouveau,  car  dans  l'ar- 
chitecture, le  nouveau,  c'est  rimi)0ssilile,  c'est 
l'absurde,  c'est  le  sculiitt'ur  cherclumt  à  tonner 
une  figure  humaine  dilféiente  de  riiomme  créé 
par  Dieu  ;  Ictinus  n'a\'ait  point  de  ces  \ues  lolles, 
mais  dans  son  Partliénon  il  atteignit  la  jieitection 
idéale  de  l'architecture,  et  c'était  là  uiu'  iimneauté 
saluée  par  la  (îrèce  d'un  luiuant  ,i]i|il,iu(lissriiient 
qui  s'est  prolongé  jusiju'à  nous.    " 

La  nouveauté  consiste  non  i)as  dans  l'étrange, 
mais  dans  la  science  siire  des  différents  styles,  et 
dans  l'adaptation  des  éléments  pris  à  ces  styles, 
comme  des  mots  à  un  dictionnaire,  à  des  liesoins 
modernes,  aux  nécessités  du  milieu,  du  public,  du 
climat.  On  se  plaint  communément  (pie  le  champ 
d'activité  des  architectes  soit  singulièrement  rei  - 
treint;  je  n'en  crois  rien.  Le  développement  du 
syndicalisme,  du  parlementarisme,  tpii  sont  des 
formes  du  collectivisme,  nécessite  la  création  de 
chambres  de  discussions,  de  bourses  du  (nmmerce, 
du   travail  ;  le  goîit  des  sjiectacles  tait   ((instruire 


des  théâtres  ;  l'instruction  obligatoire  veut  de 
grandes  écoles  ;  le  trafic  et  les  voyages  ne  vont  pas 
sans  gares  ;  l'hygiène,  sans  bains  publics,  sans 
dispensaires  et  sans  hôpitaux  ;  l'amélioration  du 
bien-être,  sans  grands  magasins,  sans  logements 
à  bon  marché,  sans  maisons  ouvrières,  sans  villas. 
Le  renouvellement  des  modes  d'existence,  et  sur- 
tout des  conceptions  sur  l'hvgiène,  sur  la  médecine, 
logiquement,  doit  provoquer  le  renouvellement  de 
l'architecture,  c'est-à-dire  une  nouvelle  adaptation 
des  vieilles  formules  à  des  besoins  nouveaux. 

Or.  Ces  vieilles  formules,  on  en  trouve  certains 
facteurs  dans  la  tradition  gréco-romaine  et  dans 
la  tradition  gothique,  et  certains  autres  dans  les 
constructions  non  pas  nationales,  car  le  nationa- 
lisme n'existe  pas  en  architecture,  mais  provin- 
ciales. Il  y  a  dans  les  vieilles  maisons,  dans  les 
palais,  dans  les  églises  de  chaque  province,  des 
t\-pes  qui  doivent  inspirer  les  architectes  d'aujour- 
d'hui ])arce  qu'ils  correspondent  à  des  nécessités 
climatériques  ou  économiques  qui  n'ont  pas  sensi- 
blement changé.  C'est  ce  que  j'ai  essayé  de  montrer 
ici  même,  dans  un  article  sur  V Architecture  en  Suisse; 
c'est  ce  que  je  développerai  dans  un  prochain  ar- 
ticle sur  les  ]'icilh's  iihiisons  provinciales.  C'est  ce 
(pii  lait  l'intérêt  d'une  tentativ'e  comme  celle  de 
M.  Stort_z.  de  la  Société  nationale  des  Beaux- Arts. 
M.  Storez  avait  à  édifier  pour  les  élèves  catholiques 
de  l'École  des  Roches,  à  Verneuil,  en  Normandie, 
une  chapelle  pouvant  contenir  environ  200  à  250  per- 
sonnes, avec  vestiaire,  sacristie,  et  place  réservée 
au  chant.  La  somme  dont  il  disposait  étant  assez 
faible,  il  fallait  trouver  un  mode  économique  pour 
couvrir  un  espace  relativement  important,  9  mètres 
(le  largeur  sur  20  de  longueur.  M.  Storez,  se  pro- 
menant aux  environs  de  \'erneiiil,  découvrit  une 
bergerie  aj'ant  sensiblement  les  mêmes  dimensions 
que  celles  de  la  future  chapelle,  et  qu'un  siècle 
n'avait  pu  endommager.  Elle  était  couverte  par 
une  charpente  composée  de  cercles  en  bois  de  faible 
épaissi'ur  assemblés  à  couvre-joints.  M.  Storez  fut 
fra]ipé  de  la  grande  simplicité  du  système,  connu 
d'ailleurs  depuis  longtemps,  mais  rarement  em- 
]iloyé,  sans  doute  à  cause  de  la  routine  qui  sévit 
en  architecture  plus  que  partout  ailleurs.  Dans  sa 
chapelle,  il  conserva  le  système  des  cercles  qui  lui 
jiennettait  d'établir  une  construction  demandant 
peu  de  maçonnerie  (j  m.  50  depuis  le  niveau  de 
l'église),  une  charpente  légère  qu'un  menuisier 
[uiuvait  facilement  façonner,  et  réalisa  ainsi  une 
lU'l  intiniment  harmonieuse  et  svelte,  puisque 
aucune  tr.i\-erse  horizontale  ou  verticale  ne  venait 
plus  gêner  la  vue,  comme  il  est  d'usage  dans  les 
églises  à  charpente  a]ijxirente. 

Lé.\xdre    \'aill.-\t. 


IS6 


LE 


OIS     ARTISTIQUE 


LE  SAU 


ARTISTES  FRANCAI 


CINQ  MiLLE-trois  cent -treize  numéros  d'uin-rcs 
exposées.  Il  faudrait  le  génie  le  plus  intuitif 
pour  prétendre  avoir  discerné  les  ))romesses  de 
talents   nouveaux   au    milieu    de   cette   avalanche. 

D'ailleurs,  pres- 
([ue  tous  les  pein- 
tres exposant  là 
sont  déjà  coniuis  et 
il  n'est  pas  jusqu'à 
leur  production  de 
l'année  courante  qui 
n'ait  été  ré^-élée  au 
public  par  les  pe- 
tites expositions.  Et 
je  défie  bien  le  plus 
infatigable  des  cri- 
'l'iues  d'avoir  les 
-  ux  nets  après  une 
il  lie    promenade. 

Soyons  francs,  les 
Salons  sont  deve- 
nus des  cohues  in- 
formes, où  toutes 
les  écoles  se  cou- 
doient sans  même 
se  battre,  car  elles 
se  sont  réconciliées, 
dirait-on,  par  leur 
commune  adoption 
lie  certaines  for- 
mules sans  vie,  de 
quelques  recettes. 
destinées  à  faire 
croire  à  de  l'audace 
alors  qu'il  ne  s'agit 
que  d'escamotage. 
Ce  sont   de   grands 

bazars  internationaux  où  chaque  fabricant  envoie, 
expose  les  produits  de  sa  marque,  et  ce  de  manière 
à  ce  qu'on  le  reconnaisse  tout  de  suite.  Ou'ij  ait 
'  ommcncé  jiar  des  leuvres  originales  ou  qu'il  st- 
-"it  contenté  de  ]5eindre  comme  on  le  lui  avait 
'  iiseigné.    chacun  de   ces  faliricnnts  a  eu  vite  fait 


P.ALI,  (  HAB.VS 


de   rboisu'   certauis    su|rls   traités    d'uni>   certaine 
laçon.  et   il  ne  (juitte  ])lus  cettr  .ittitude. 

Au  fond.,  c'est  très  mélancolique  (|ue  de  n-lrouver 
ainsi  chaque  année  le  tabli'au  de  l'année  <lernière, 
])ius  ou  moins  re- 
touché ;  sans  coni])- 
ter  qu'au  lieu  de 
se  iHTtcclioinier,  les 
artistes,  à  emplo\-er 
jiareiJle  méthode, 
perdeiil  graduelle- 
ment tout  l'aiactère 
personnel  cl  il  arrive 
un  nmnirnt  où  ils  ne 
font  ])lus  (pie  se  re- 
coi)ier.  sans  plus 
s'en  référer  à  la  na- 
ture. 

Soyons  plus  francs 
encore.  Le  Salon  des 
Aiiis/ts  /rtinçciis  est 
inférietu"  à  celui  de 
la  N  (1/  ioïKih'.  Il 
semble  qu'il  ne  soit 
guère  composé  que 
de  ])ri\  de  Rome, 
traitani  des  anec- 
dotes sentimentales 
et  des  snji'tsdi'  jijio- 
togra]'hies  en  cou- 
Irursawc  une  abso- 
lue inconscience  de 
ce  que  ]>eu\"ent  être 
les  lins  de  la  jiein- 
ture.  \'ous  y  Irou- 
\-ere/.  une  foison  de 
portraits  de  dames 
])lus  ou  moins  élégantes,  a\'i'c  des  robes  dont 
chaque  détail  citer  est  soigneusement  rendu,  de 
chiens  fidèles,  de  révoltes  et  de  récits,  de  curés 
offrant  à  boire  à  des  militaires,  de  femmes  nues 
tenant  dans  leur  main  les  attributs  les  ])lus  oiseux. 
Parfois  même,  rarement,  il  est   vrai,  celui   qui  \tn- 


.VLGVE 


187 


L'ART     ET     LES     Al-iTISTES 


gnait  lies  {eiiinies  nues  s'aventure  à  peindre  des 
soldats  ou  des  portraits,  et    réciproquement. 

Mais  l'absence  d'art  de  tout  cela  est  navrante. 
On  se  sent  en  présence  d'o]iérations  commerciales 
admirablement  organisées  et  l'on  prend  la  plus 
haute  idée  de  la  fortune  juiblique  que  ne  semble 
pas  épuiser  l'achat  de  tant  de  toiles;  mais,  même 
quand  l'ceuvre  luirait  liit'u  jintc.  il  ne  faut  pas  troji 
s'approcher  ;  il  >•  niaiique  trop  souvent  ce  je  ne 
sais  quoi  d.-  sincère  et  de  vivant  à  quoi  l'on  recon- 
nait  l'artiste  vrai. 

Pourtant,  au  milieu  de 
cette  uni\'erselle  médio- 
crité, queUpies  belles 
choses  et  un  certain  nom- 
bre lie  choses  intéres- 
santes font  (pielque  con- 
traste. Xdlre  )ilai^ir  à 
les  déciiuxi  ir  est  d'autant 
plus  vif. 

Pas  (l'Henri  Martin 
cette  année,  malheureu- 
sement. Mais  M.  Jules 
Adier  e.xpose.  outre 
r Hoininca tix il- mhcs ,  âpre 
étude  d'humanité,  un 
(  'luirl(i'iiii\iu  est  une  sorte 
de  fresque  très  belle,  très 
grande,  ofi  flotte  un  sen- 
timent à  la  13rang\vin  du 
plus  intense  effet,  ("e 
pemlic  a  une  émoti<ui 
X'iMinicut  |i(iignaiite,  d'es- 
sence iio])ulaire  et  qui  se 
réalise  plastiquement  de 
savoureuse  manière. 

/,('  Cliiint  puni-  Ui 
licaitlc  lie  .Mlle  Hélène 
Dutau  l'st  un  panneau 
décoratif  de  j)etites  di- 
mensions, mais  de  pro- 
portions vastes.  Plus  que 
sa   science   du   plein  air, 

qui  est  parlaite,  plus  que  son  habileté  à  faire 
frémir  la  \'ie  sous  la  jx'au  lumineuse,  ench<nite  sa 
comjiréheiision  du  sens  dccoraiij  de  la  jK'inture, 
Non  .seulement  elle  aiiiii'  à  peindre,  mais  elle  sait 
ce  qu'il  faut  faire  lorsqu'on  a  envie  de  peindre. 
C'est  une  sensible  et   une  intellectuelle. 

Le  toujours  virtuose  M.  Hoffbauer  e.xpose  une 
liwcutc  des  plus  impressionnante  et  des  ji 
sombre,  mais  on  attend  toujours  le  moment  où 
ce  peintre,  abandonnant  sa  virtuosité,  en  reviendra 
à  la  qualité  d'émotion  si  particulière  que  révélèrent 
ses  premières  oeuvres.  M.  Rochegrosse  aborde  la 
vie  antique  avec  cette  science  et  ce  sens  qu'il  en  a 


jusque   dans   ses  scènes   les   jtlus   familières  :   Fclc 
intime  et  Dans  la  rue. 

Admirons  le  Portrait  de  M.  André  Des,taillcnr  et 

le   Jardin  de  M.  Jean-Pierre  Laurens  ;  la  Fin  de 

marché  en  Sologne,  une  très  remarquable  toile  de 

M.    Guillonnet,    qui    passe    aisément    du    tableau 

officiel  au  tableau  de  genre  et  dont  la  Rencontre 

de   l'homme    est  si    pleine  d'humour,  de  fantaisie 

et  de  lumière  ;  les  belles  espagnoleries  de  M.  La- 

parra,  d'une  anahse  si  aiguë  et  qui  m'ont  semblé 

presque  égales,  cette  fois, 

à  celles  de   M.  Zuloaga, 

malgré   qu'il   }•   manque 

un  peu  de  cette  sorte  de 

fièvre    dans    le   réalisme 

qui  caractérise  le  second 

artiste. 

L'Algue  de  M.  Paul 
Chabas  est  séduisante 
au  possible  avec  son 
jeune  nu  caressé  par  les 
derniers  rayons  du  soir, 
son  eau  morte  et  opalisée. 
C'est  un  des  meilleurs 
Chabas. 

Ce  que  j'ai  le  plus 
goûté  dans  la  rétrospec- 
tive d'Albert  Maignan, 
ce  sont  ses  petites  études 
d'aquarium,  mais  le  reste 
est  d'un  s\Tnbolisme  si 
enfantin  à  la  fois  et  si 
pesant  et  il  y  a  là  dedans 
si  peu  de  qualités  vrai- 
ment picturales  qu'on  ne 
l>eut  guère  être  ému  ni 
intéressé. 

M.    Joseph   Bail  peint 
des   Communiantes   avec 
cette    perfection  un  peu 
froide    qui  lui  est  habi- 
tuelle, et  M.  du  Gardier 
continue  à  représenter  la 
\achts.  La  vague  de  M.  Ma- 
tisse-Auguste  ne  s'appelle  pas  la  Vague,  mais  elle 
ressemble  à  celle  de  l'an  dernier.  La  princesse  Ga- 
garine-Stourdza  e.xpose  un  beau  nu,  solide  et  cons- 
ciencieux, et  Mlle  Delasalle  aussi.  J'ai  trouvé  fort 
bien  le  Commérage  en  Flandre  de  M.  Louis  Prat, 
malgré    que    le    sujet    en    soit    bien    vulgairement 
lus      anecdotique.  Cette  remarque  d'ailleurs  ne  s'apj^lique 


ANDRÉ  DEVAMBEZ  —  fusion  de  l'école 

NORMALE    ET    DE    L.\    SORBONNE 

■  élégante  à  liord  de 


pas  qu'à  lui.  Je  retendrais  volontiers  au  Païenne 
de  M.  Fouqueray.  tableau  historique  et  même 
naval,  à  les  Vieilles  au  fuseau  de  M.  Pierre  Vaillant, 
toile  de  genre,  à  d'autres  encore.  J'ai  préféré,  et 
de   lieaucoup,   les  scènes  espagnoles  de  M.  Carlos 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


WILLLAM  LAPPARA 


SUR    LA    ROl'TE 


\'azquez  et  de  iL  Chicharro-Aguera  (celle-ci  re- 
marquable) à  celles  de  M  Georges  Berges,  qui 
répète  toujours  la  même  attitude. 

j'ai  découv^ert  quelques  toiles  de  peintres  moins 
'  lèbres,  et  qui  m'ont  beaucoup  jilu,  comme,  par 
exemple  :  la  Princesse  et  la  Grenouille,  si  spiri- 
tuelle, si  jolie  de  couleur,  de  Mme  Greene-Blumen- 
schein;  Perdu,  de  Mme  \'an  Duyl  Schwartze,  de  la 
fort  belle  peinture,  un  peu  musée  ;  la  Promenade 
de  W.  Max  Bohm  ;  le  Jour  de  la  Fêle  du  jardin  de 
MUeKretzinger;  d'autres  certainement  que  j'oublie. 
Je  mets  tout  à  fait  hors  de  pair  M.  Hubbell  avec 
-'S  deux  œuvres  :  Au  coin  du  feu  et  le  Manteau 
orange,  si  délicates,  si  douces  à  regarder  et  qui 
satisfont  pleinement  les  jilus  difficiles;  jnLHughes- 
Stanton  et  Cabié  avec  leurs  beaux  paysages  ; 
M.  Ernest  Laurent  et  ses  portraits  de  femmes, 
d'une  atmosphère  si  magnétique  ;  M.  Roger  Rebous- 
sin  qui, avec  une  Biche  et  ses  faon  s,  se  classe  d'emblée 
parmi  nos  meilleurs  animaliers.  Vous  entendrez 
reparler  de  ce  jeune  peintre,  encore  très  peu  connu. 


Citons  encore  les  Bateliers  de  M.  ("■.  Pierre,  le 
Portrait  de  Mme  B...  de  Mlle  Hélène  Hlankstein. 
celui  de  M.  l'an  Saanen  de  Barbey  (remarquable), 
celui  de  M.  Robert  Lemercier  de  M.  Raoul  Tonnelier  ; 
les  Enfants  de  chœur  et  surtout  la  très  décorative 
Entrée  du  Palais  des  doges  de  M.  Saint-Germier  ; 
l'Automne  au  château  d'Aubry,  d'un  beau  sentiment 
et  de  bien  agréable  couleur,  de  Î\L  Eugène  Chigot  ; 
la  gracieuse  danseuse  espagnole,  si  gentiment 
mâtinée  de  Parisienne,  i)ar  M.  Patricot;  les  pan- 
neaux décoratifs  de  ^L  Paul  Sleck,  d'une  conception 
si  émue  et  d'une  harmonie  si  fine  ;  les  Vendanges  de 
"SI.  Dupuy,  moins  heureuses  peut-être  que  son  beau 
]iortrait  féminin  du  Salon  précédent  ;  les  gracieuses 
Princesses  modernes  de  ^L   Avy. 

Je  ne  puis  guère  rien  dire  de  JL  Edouard  Zier  et 
de  ses  souvenirs  de  Jordaens,  ni  du  très  hnnineux 
Gagliardini,  ni  du  tableau  de  Cécil  Ja\-.  ^L  Ridel 
se  répète,  et  si  le  Vice  d'Asie  de  JL  Henri  V'ollet 
est  niais  de  présentation,  du  moins  la  nature  morte 
du  fond  en  est-elle  très  «  peintre  ».  N'oublions  j^is 


189 


AK' 


ET     LES     ARTISTES 


CHARLES  HOFFBAUER 


L  EMETTE 


les  si  gentils 7 '('///s  f^lKn/ius  de  .Mme  I)eiii<)iU-]->iet(Jii. 
ni  les  lieaux  paxsages  de  M.  G.  Motelez  et  de 
M.  Eéiiii  jnuliert,  ni  kl  tciut  à  lait  ravissante  eliose 
([u'est  la  ('('in-  de  /'liospici'  à  Bruges  de  ^L  Félix 
Eyskens,  ni  la  ficiii'  d'Eugène  Pascaii.  ddnt  la 
cciniposition  est  exeellente,  Citons  eneort'  les  soin- 
niaires  mais  vives  Omiiiits  de  ;\[.  Calhet.  V fjudc 
dt-  jciiuc  jUh-  de  M.  Maunee  Mathnrin,  (';;  soir  dans 
l\tlclicr  de  M.  Lul.rl-Riehe,  le  CuUivtr  eu  l.niriiée 
de  M.  A.  Devamhez  et  sa  l-'usiini  de  F Éenle  nor- 
iiuile  el  de  la  Sorhomie,  tableau  oftîeiel,  mais  très 
vivant;  l'exciuise  luifaii/  à  la  erinoliiie  de  M.  Théo- 
.lore  Deseh  ;  M„ii  père,  ixntrait  de  M.  Pierre  Tran- 
ehant  ;  un  portrait  di-  Rodin  de  ^L  joliii  Pliiliiip.  la 
délicate  T'r;//â' (r/:'/'\'  de-  M.  Hem-\-  (,ros]ean.  les 
(euvres  de  .ALM.  T.  R'émond.  Zo.  Oswald  Birlev 
(une  remarquable  Kidu-  niiiiie).  Ribéra,  Styka,  etc. 
A  la  seul]>tuic.remar(iuons  les  envois  deM.  Ernest 
Hulin  :  une  Sciliaiié.  liaut-relief  en  plâtre,  excellent  ; 
les  statues  en  pierre  de  .M.  Vigoureux  {le  Par/uni) 
et  de  M.  Gaston  Rnxiuet  (Jeux  de  taiiiies)  ;  l'admi- 
rable Essai  de  seiilp/iire  iiioiuiiiieiilale  de  M.  Soud- 
binine;  le  Cliiiii,\ti!:é  si  expressif  cie  M.  Mérite; 
les  gracieuses  statuettes  de  M.  Henri  \'arenne  ; 
la  Mort  de  la  Cigale,  nu  jietit  chef-d'(euvre  en 
marbre  rose  de  M.  Constant  Roux  ;  l'Orphelin  de 
M.  Terroir  ;  la  noble  Prière  du  Pean-Rouge  au 
Manitou  du  célèbre  artiste  des  États-Unis  IM,  Dal- 
Im;  /<-,s  Ménétriers  bretons  de  Ouilivic  ;  la  Lor- 
raine de  M.  Jacquot;  l'envoi  de  M.  René  Héclu,  la 
Dernière  Goutte,  d'unv  facture  aimable  et  gentiment 
observé  ;  le  superbe  buste  en  marbre  de  Condot- 
tiere par  M.  Cordonnier,  que  nous  reproduisons  ici. 


Citons  encore,  à  la  section 
de  gravure,  M.  Belleroche, 
:i\'ec  ses  magnifiques  litho- 
grajihies  d'un  art  si  souple, 
si  large  et  si  personnel  ;  Deté 
avec  ses  beaux  bois  ;  Henry 
Detouche  avec  ses  vivantes 
gravures  en  couleur,  etc. 

Aux  objets  d'art,  leschoses 
vraiment  merveilleuses  de 
.^L  Lalique  :  c'est  un  grand 
artiste  ;  les  émaux  libres  de 
M.  G.  Dumoulin,  les  pâtes 
de  verre  de  M.  Decorche- 
inont,  la  vitrine  de  bijoux 
de  M.  Lucien  Gaillard,  les 
reliures  de  M.  Blanche- 
tière,  etc.,  etc. 

Le  S.\LO\  DES  Humoristes 
[Palais  de  Glace).  —  Le  grand 
progrès  accompli  par  l'art 
de  la  caricature  à  la  fin  du 
.\i.\''  siècle  fut  de  se  libérer  des  entraves  appor- 
tées par  le  texte  jiour  faire  la  part  plus  belle  à 
la  couleur,  à  l'intention  décorative.  Caran  d'Ache 
marquerait  assez  bien  la  transition  de  l'une  à 
l'autre  manière.  Entre  Daumier  et  Cappiello, 
il  est  le  trait  d'union  génial,  le  conciliateur. 

Ce  merveilleux  humoriste  était,  qu'on  ne  s'y 
tromi)e  ])as,  un  artiste  de  génie.  Il  en  avait  l'infa- 
tigable ver\-e,  l'observation  prodigieuse,  le  sens 
social  sans  tléfaut,  l'indifférence  supérieure.  Sa 
fantaisie  n'est  jamais  folle  :  c'est  celle  d'un  poète 
et  d'un  caractériste  ;  il  sait  la  vie,  la  vie  de  tout 
le  monde,  comme  un  Balzac,  mais  il  en  rit 
comme  un  Hogarth,  et  avec  le  goût  d'un  Banville. 

Ses  dessins  politiques  ne  sont  pas  le  meilleur  de 
son  ceuvre,  et.  cependant,  comme  ils  sont  supérieurs 
à  ceux  de  la  galerie  d'en  haut,  à  l'ensemble  de  cette 
rétrospective  qui  va  de  Louis-Philippe  à  la  troisième 
République  !  Tous,  Isabey,  Traviès,  Philipon,  Dan- 
tan,  Benjamin,  etc.,  tous,  sauf  Daumier,  qui  est 
un  maître,  un  maître  de  l'épouvante  et  de  l'âpreté, 
tous  sont  pénibles.  Allusions  dont  le  sens  est  perdu 
et  que  l'on  sent  lamentables,  comme  tout  cela  est 
peu  drôle  !  Oh  !  les  collaborateurs  du  Panthéon 
Xadar  !.., 

Combien  j'aime  mieux  les  modernes  !  Ils  ne  .sont 
jias  profonds,  mais  qu'importe?  Puisque  leur  grâce 
légère  est  de  traiter  avec  tinesse  l'éphémère  actua- 
lité, acceptons-les  tels  qu'ils  sont,  songeons  à  ce 
joli  courage,  si  français,  que  déploient  ces  impro- 
visateurs à  sacrifier  tous  les  jours  leur  talent  en 
petites  a'uvres. 

C'est  Carlègle,  le  poète  humoristique  de  la  vie 


IQO 


î  • 


I.'AlvT     ET     I.I-: 


AKT 


(les  maisons,  Gus  Bofa,  Jean  Ka}'  et  ses  délornia- 
tions  d'enfants,  si  cocasses  ;  c'est  Drésa  (|ui  sort 
.l'un  conte  de  Candide,  Willette  au  délicieux 
esprit,  et  Louis  ]\Iorin  non  moins  l'xcjuis.  C'est  Bac 
qui  fait  son  petit  I.onghi,  Ricaido  Murés  et  tout 
l'esprit  des  fortifs,  Ihels  et  ses  lutteurs,  .Métnel 
-i  fou,  Gousse,  Feldmann,  Raphaël  Kirchner  aux 
s\nibolismes  amusants,  Pourriol  aux  belles  eidu- 
ininures,  Hémard  très  en  progrès,  Hermann-Paul 
aux  imaginations  sinistres,  André  Hellé  dont  tous 
les  dessins  ont  l'air  de  jouets  ;  Delaw,  un  vrai  frère 
de  Carlègle,  mais  plus 
attendri,  sorte  d'Ander- 
sen du  crayon  ;  Prcje- 
lean  aux  mouvements 
endiablés,  Galanis,  An- 
dré Devambez,  Edouard 
Bernard,  Torné-Es- 
quius  ;  Chéret,  pastel- 
liste unique  ;  Brunelles- 
chi,  Touraine  et  Fabia- 
no.  très  "  \'ie  pari- 
sienne »  ;  De  touche, 
Poulbot  et  ses  gosses  si 
touchants:  Cappiello, 
flambant  comme  une 
tfamme  de  punch  ;  Gra  nd- 
jouan  (qui  nous  donne 
d'excellentes  attitudes 
de  l'insaisissable  miss 
Duncan),  Markous,  .Mor- 
riss,  Rordiille  au  sens 
décoratif  si  audacieux 
et  si  sûr,  Léandre,  Jean 
Vcber,  Sem  sautillant  et 
cruel,  Cadel  qui  ])eiut 
aussi  excellemment. 
Gottlob  qui  rit  sérii'U- 
sement.  en  moraliste  : 
Guillaume,  (ierbault,  un 
peu  lourd  ;  Abel  Faivre. 
(ialantara  aux  folles  et 
féroces  fantaisies  ;  et  d'auti 
je  ne  j)uis   même  énumérer. 

Je  trouve  cette  année  la  sculiuure  un  jieu  en- 
vahie par  les  «  travaux  de  ])atience  ".  11  \-  ui  a 
d'exquis  et  d'autres  trop  sages,  sans  fantaisie  ni 
\erve.  Mais  je  mets  hors  de  jiair  les  marrons  de 
René  Doucieux,  les  bouchons  comiques  d'Eggi- 
niann,  les  sculptures  de  Rai)haël  Diligent  et  celles 
de  Gir  (une  classe  de  danse,  si  juste,  si  mouve- 
mentée, si  variée),  et  les  admirables  animaux  de 
Réalier-Dumas,  taillés  en  jilein  bois  avec  un 
esprit  extraordinaire,  une  \-ie  ml(nse:  de  \rais 
chefs-d'onivre. 

Quant  à  la  rétrosi)ective  de   Willu'lm    lîusli,   le 


\.-A.  (  ORDOXXIER 

I  m.irbrc- 


et     il'autn 


(pu 


Caran  d'Aclie  allemand,  je  n'ai  rien  à  en  dire  après 
les  pages  excellentes  (pie  .M.  R.-A.  Meyer  a  consa- 
ciées  ici  même,  l'année  dernière,  à  cet  artiste. 

I.KS      XVMI'H1-.\S.     SKKIK      I)i-;      l'.WS.VlES     D'E.M-, 

i'.\K  CiArni-;  Moni;t  {(uilrrirs  Durand-Ritd.  ib. 
rue  I.ajiUte).  —  Des  coins  d'étang  (pii  n'ont  pas 
d'autres  rivages  cpie  l'or  du  cadre.  De  l'eau  ;  sur 
cette  eau  des  nymphéas  et  ])arfois  les  reflets  du 
ciel.  C'est  tout.  Ouarante-huit  fois  ce  motif  sollicite 
le  i)mceau  du  jilus  grand  peintre  (pii'  ncnis  jiossé- 
diciiis  anjiimiriiiii.  Et 
cpiaïaiite-huit  lois  il 
r(''s(iul  le  ]>roblème  a\'ec 
une  \irtu(isit('  passion- 
née. ("es|  nu  énu  i"\eil- 
leliKlll.  Le  ])oème  <le 
toutes  les  heures  du  jour 
dans  toutes  k's  saisons 
chante  suavement  sur 
l'eau  <iui  l'écoute,  immo- 
bile, des  préludes  pâles 
et  bliiis  de  l'aiilie  aux 
splendl<les  finales  de 
poinpie  du  cré]niscule. 
|e  ne  connais  incscpie 
lien  il.ius  l'art  moderne 
(|ui  suit  aussi  sua\c'. 
aussi  |iureiuent  jo\'eii\. 
aussi  tr.uiciuille,  aussi 
serein.  Le  panthéiste 
aède  de  l,i  Nature  achève 
l'ode  tumultueuse,  (ju'll 
ccMc'br.l  depuis  c  in- 
cpniitc'  ans.  sur  ces 
aceoicls  .ipaisés.  d'une 
richesse  sourde,  d'un 
éclat  \'oilé.  ma.t,'iiirKpies 
et  ])leins  de  rè\'eri(-. 

-    BISTE    UK    CONDOTTIERE 

cl  iiroiizf)  ExposrnoN  mes  (i-;r- 

VRES       nr        S(  ll.l'TKCK 

O'CoNNOK  (Galerie  Hébrard,  me  Royale).  La  Ri'- 
vuea  déjà  consacré,  tn  1905,  un  article  à  cet  artiste 
si  intéressant.  11  n'a  fait  de])nis  qui'  des  |)rogrès. 
Statues,  tètes,  bas-reliefs,  médailles,  grouiH'S, 
compositions  décoratives,  en  marbre,  en  bronze, 
en  jjierre,  en  plâtre,  son  œuvre  à  ce  jour  atteste  une 
activité  prodigieuse  s'exerçant  dans  tous  les  ilo- 
maines  où  peut  évoluer  la  sculpture.  S'il  me  fallait 
dégager  en  un  mot  le  sens  et  comme  qui  dirait  la 
\aleur  de  ce  considérable  effort,  je  dirais  que 
M.  O'Connor  est  un  des  très  rares  sculi)teurs  qui 
aient  gardé  le  sens  de  l'architecture.  La  majorité 
de  ses  confrères  exécute  des  morceaux  ]>lus  ou  moins 
hal)iles.  plus  ou  moins  ..  en  fa(;ade  ",  gratuitement. 


191 


L'ART     ET     IT-.S     ARTISTES 


si  l'on  ]H'iit  (lire,  sans  s'uctiiiier  ni  de  leur  destina- 
tion ni  même  son\'ent  dv  leur  rapport  avec  l'idée 
([u'ils  représentent.  M.  OTonnor,  lui.  ne  trax'aille 
j)oint  sans  se  soucier  de  ce  jiroblème  très  important. 
Sa  moindre  ligure  émane  du  monument  qu'elle  est 
destinée  à  déroi'ei-,  selon  la  très  pure  tradition 
médiévale  ;  et  non  seulement  elle  en  émane,  mai-- 
elle  garde  dans  sa  construction  ]iersonnelle  quel- 
i]uc  chose  de  plein  et  de  soliile  qui  lui  vient  ']<■ 
cette  origine.  Il  y  a  toujours  du  has-reliet  dans 
n'imiKirte  quelle  oinie  de  .M.  (  JTonnoi'. 

A  qui  se  lrou\c  aussi  pi olundément  dans  II'  \'rai 
chemin  (|u'il  doit  siii\re.  l'avenir  est  réservé.  Cette 
leçon  sans  paroles  (pie  doime  là  le  jeune  artiste 
américain  dex'rait  Imn  ser\-ir  à  quantité  de  nos 
sculpteurs,     satislaits     (ra\'oir     moilelé     sans     but 


décoratif  quelques  corpis  inutiles.  Dois-je  ajouter 
que  ni  la  grâce,  ni  l'observation,  ni  l'ingéniosité 
ne  manquent  à  ce  consciencieux  et  à  ce  sévère? 
E-XPOSiTiox  Je.-\nès  (Galeries  Devambez,  43,  boule- 
viird  Males/ierbes).  —  La  place  me  manque,  mal- 
heureusement, j>our  dire  tout  le  bien  qu'il  faudrait 
de  ce  subtil  aquarelliste  dont  les  procédés  restent 
mystérieu.x.  mais  les  magies  certaines.  Il  se  contente, 
p((ur  sxiithèse,  d'un  amour  passionné  de  la  nature 
(pu  lui  lait  découvrir  le  moment  qu'il  faut,  le  site 
e.xact  et  complet,  l'impression  totale.  Et  quel 
charme  dans  l'exécution  !...  Quelle  riche  matière 
(pie  ce  je  ne  sais  quoi  coloré  qui  se  dérobe  à  l'exa- 
men !  Décidément,  M.  Jeanès  mérite  le  succès  qu'il 
obtient. 

F.  .M. 


MEMENTO    DES    EXPOSITIONS 


ClniUim  ,1,  Ini^^ot,!!,.  ,i,i  Un,,  ,/,■  l;„„Ui^iif.  —  (jii.itrirnu 
e\]K)sitiiin  ivti(i--|)i.-ctive  oij^anisée  par  la  Soci(lté 
nation, lie  dis  ['.(.■an.\- Arts  :  Portraits  de  femmes 
ci^'lcliivs  de  1^1   pninière   à   la   troisième   République. 

Jdii/iii  (/(S  Tiiihih'.  sdll,  ilii  Jeu  lie  Paume.  —  Exposition 
de  Cent  |iiiitraits  de  femmes  célèbres  des  écoles 
anglaise  et  franc,aise  du   xviii''  siècle. 

I.nuvic  ipavillnn  de  Miifiiiii).  —  Union  centrale  des  .\rts 
diconitifs.  Kx]iosition  de  la  Société  de  l'Histoire  du 
costunie. 

Cnoptiiitire  ,/,-.  .\lll-.te 
manente   d'univre 

Galène   J.    AUaid.    y< 
ac|uarelles  et  des^ 


I  Kl   I. al  fille.  —  E.xposition  per- 
.•   maîtres   modernes. 
e    des    Capueincs.    —    Tableaux, 
d'.Vlfredo  Rames  Martinez. 


t, alênes  Ge,ai;e!i  Petit,  S  nie  de  Sèsc.  —  Tableaux  d'.\u 
;,'ustus  Koopman.  Tableaux  d'.Mbert  Thomas.  Aqua- 
relles de  Casimir   Raj-mond. 

Ceiele  de  la  Librairie,  117,  boulevard  Saint-Germain.  — 
"   Palais-Salon    ■>.  quatrième  exposition  annuelle. 

Galerie  des  Artistes  modernes,  19,  rue  Caumartin.  —  E.xpo- 
sition    des   tableaux  de  M.  Tkatckenko,  peintre  russe. 

Galeiie  de  l'Art  contemporain  3,  rue  Tronchet.  —  Expo- 
sition de  paysages  par  R.  Thibésard.  jusqu'au  5  juin. 

Clie:  l'ellet,  5  i ,  rue  Lepelletier.  —  Exposition  des  dernières 
œuvres   de   Louis   Legrand. 

Atelier  de  M.  Sarhis  Diranian,  10,  rue  Aljred-Stevens.  — 
E.xposition  des  peintures  de  cet  artiste. 

Galerie  Druet,  20.  rue  Rovale.  —  Peintures  de  G.-L.  Jaulmes. 


XTCTOR  GITLLOXXET 


L.\    RENCONTRE    DE    T  HOMME 


192 


Le    Mouvement    Artistique 
à   l'Étranger 


AUTRICHE 


T  A  saison  parait  être,  à  \'ienno.  tonte  aux  artistes 
iiioraves,  dispersés  parmi  leurs  confrères  d'Autriche 
dans  les  trois  locaux  d'exposition  Kunstlcrhaus.  Sécession 
et  Hngenbund.  tandis  que,  en  Moravie  même,  un  événe- 
ment artistique,  gros  de  conséquences,  vient  de  se  produire. 
A  Hodonin  (baptême  allemand  :  Gœding),  une  exposition 
morave-polonaise  a  démontré  les  étroits  liens  de  parenté 
de  l'art  des  deux  nations  et  des  façons  analogues  d'envi- 
sager le  problème  artistique  national.  Il  est  d'ores  et  déjà 
acquis  que.  s'il  y  a,  entre  l'art  citadin  de  Prague  et  l'art 
de  Moravie,  la  parenté  de  deux  frères,  dont  l'un  se  serait 
établi  en  ville  à  faire  le  monsieur  à  la  mode  et  dont  l'autre 
serait  demeuré  gentiment  sur  ses  terres,  il  y  a  entre  ce 
<lernier  et  l'art  polonais  mariage  d'inclination.  C'est  la 
fille,  cossue  et  opulente,  du  grand  seigneur  terrien  qui 
épouse  le  frais  et  charmant  paysanneau  son  voisin. 

En  Pologne,  la  nation  entière  étant  de  bonne  noblesse, 
on  a  toujours  pu  être  national  sans  craindre  de  déchoir. 
Aristocratique  et  paysan  ne  font  qu'un.  Citadins  et  terriens 
sont  les  mêmes  personnages.  Et  les  artistes  de  Cracovie  et 
de  Lcmberg  ont  peint  ce  qu'ils  avaient  sous  leurs  yeux 
aussi  bien  que  les  grands,  les  fastueux  décorateurs  de 
l'école,  Matejko  et  Mehofïer,  ont  ennobli,  stylisé,  glorifié 
l'histoire  royale  et  l'ornement  populaire.  Art  catholique 
et  somptueux  au  premier  chef,  en  même  temps  qu'essen- 
tiellement national,  art  d'une  complète  indépendance 
aujourd'hui  à  l'égard  de  celui  des  nations  d'Occident  et  du 
Centre,  il  est  le  meilleur  exemple  à  proposer  aux  autres 
nationalités  sous  tutelle,  car  il  a  démontré  la  possibilité 
d'être  aussi  universel  que  désirable  en  demeurant  profon- 
dément local,  aussi  raffiné  et  aristocratique  qu'on  le  peut 
souhaiter  en  demeurant  populaire.  Bref,  il  se  comiwrte 
de  nos  jours  exactement  comme  jadis  on  vit  un  art  tout 
analogue    se    comporter    dans    les    républiques    italiennes. 

En  Moravie,  une  république  artistique  rurale  a  été  fondée 
par  Jozka  Uprka.  qui  prend  aujo\ird'hui,  avec  les  frères 
Jaronek,  Vaclav  Jicha  et  leurs  disciples,  un  <iéveloppement 
magnifique.  La  république  aristocratique  et  la  république 
paysanne  se  sont  senties  si  bien  animées  des  mêmes  pas 
sions  de  liberté  et  d'indépendance  .slaves  que,  forcément, 
l'union  devait  en  résulter.  Elle  a  été  scellée  ce  printemps 
au  nom  des  artistes  moraves  par  Jozka  Uprka,  au  nom  des 
Polonais  par  JI.  Tetmajer,  deux  artistes  qu'unissent 
d'étroites  affinités,  peintres,  chacun  dans  son  pays,  des 
foules  bariolées  au  soleil  et  des  scènes,  variées  .à  chaque 
saison,  de  la  vie  rurale.  Qui  a  vu,  de  M.  Wladzimierz 
Tetmajer,  un  seul  tableau,  tel  que  la  liittcdi^tion  des  herbes. 
ou  de  M.  Uprka.  les  Danses  d'enfants,  exposées  au  Hagen- 
hund  de  Vienne,  en  sait  plus  en  une  fois  sur  la  vie  paysanne 
du  margraviat  et  du  rojaume  de  Galicie,  sur  les  aspects 
grouillants  et  hauts  en  couleurs  des  fêtes  religieuses  et  de 
la  liesse  populaire,  qu'après  la  lecture  des  ouvrages  spé- 
ciaux les  plus  complets.  Rien  ne  vaut  le  folk-Iore,  enseigné 
par  de  belles  œuvres  d'artistes,  consciencieux  et  convaincus. 
\'oyez  plutôt. 


.Au  printemps,  dans  les  campagnes  de  la  Morava,  l'ivresse 
du  premier  soleil,  la  joie  d'être  délivré  de  la  prison  hiver- 
nale, donnent  naissance  à  un  jeu  particulier.  Se  tenant 
par  la  main,  les  enfants  se  précipitent  à  travers  les  landes, 
décrivant  dans  leur  élan  effréné  les  plus  singulières  figures. 
A  travers  le  tableau  de  Uprka,  une  immense  S  de  petites 
filles,  pieds  nus,  légères  comme  des  fleurs,  sillonne  les  prés 
timidement  reverdis.  Les  premières,  en  avant,  lancées 
hors  du  cadre,  semblent  voler  comme  feuilles  sèches  au  vent 
d'automne.  Jambes  maigres  et  genoux  anguleux  comme 
sarments,  sous  la  corolle  des  robes  d'indienne  voyante, 
elles  apparaissent  subitement  telles  que  des  fées  pour- 
chassées et  dyonisiaques,  des  bacchantes  qui  seraient  des 
poupées.  Elles  ont  aux  mains,  à  la  ceinture  et  dans  les 
cheveux  les  fleurs  de  la  saison,  et  ressemblent  aux  petites 
saintes  vierges  des  oratoires  voisins  qui,  subitement  ivres, 
prendraient  leur  envol.  Dans  les  fonds,  montent  les  fumées 
lilas  de  la  glèbe  qui  se  réchauffe.  Les  couleurs  vives,  comme 
éclaboussées,  font  explosion  à  l'avant-plan.  Une  sorte  de 
délire  sacré  emporte  toute  la  composition,  heurtée,  singu- 
lière et  probablement  l'une  des  plus  complètes  svnthèses 
que  les  jeux  d'enfants  aient  inspirée. 

Je  laisse  de  côté,  à  mon  grand  regret,  tant  à  Vienne  qu'à 
Hodonin,  les  tableaux  polonais,  puisque  l'Art  et  les  Artistes 
a  la  sagesse  de  consacrer  à  la  Pologne  une  rubrique  spé- 
ciale, et  je  n'insiste  plus  pour  le  moment  sur  les  artistes 
moraves  dont  j'ai  tant  parlé  l'an  passé.  Mais  je  ne  puis 
assez  me  réjouir  de  constater  une  fois  de  ]>lus  le  fonction- 
nement de  l'éternelle  loi  qui  fait  que.  en  .Autriche,  toute 
vitalité  artisti<pie  soit  essentiellement  slave. 

Ces  peuples,  tenus  en  étroite  dépendance  au  nom  de  la 
culture  allemande  en  deçà  de  la  Lcitha,  au  nom  de  la  culture 
madyare  au  delà,  n'en  sont  pas  moins  le  levain,  sur  toute 
l'étendue  du  territoire  de  la  double  monarchie,  de  l'art, 
des  lettres  et  de  la  musique.  Rien  qui  ne  vienne  d'eux, 
directement,  ou  parce  que  des  musiciens,  des  poètes  et 
des  peintres  allemands  ou  hongrois  se  sont  rajeunis  à  leur 
contact.  Juscpi'ici  le  terrible,  l'irrémissible  péché  de  ces 
nationalités  était  de  se  dévorer  entre  elles,  et  que,  chez  elles- 
mêmes,  chacim  s'y  entre-dévorât  encore,  .\ussi  enregis- 
trons-nous aujourd'hui,  avec  une  joie  sans  égale,  les  pre- 
miers symptômes  de  l'organisation  d'une  confédération 
artistique  slave  en  .\utriche.  Puisse  l'exposition  morave- 
polonaise  de  Hodonin  avoir  marqué  un  pas  en  avant 
définitif  dans  la  voie  de  cette  union  (jui  tout  de  suite 
après  le  talent  fait  la  force  ! 

.\  Prague,  chez  Topic,  le  grand  éditeur  et  marchand  d'art 
tchèque,  la  princesse  Tenicheff  a  transporté  l'exposition 
de  sa  colonie  de  Talachkino,  vue  jadis  à  Paris.  Encore 
un  bon  exemple  d'art  authentiquement  slave,  donné  à  l'un 
des  pays  slaves  qui  a  le  plus  de  peine  à  renouer  une  tra- 
dition harmonieusement  synarchique  artistique,  entre  la 
loi  génératrice  de  son  passé  et  l'inquiet  libre  arbitre  indi- 
viduel   moderniste. 

WlIJ.I.VM      KiTTER. 


193 


L'AIvT     ET 


-E^     ARTISTES 


BELGIQUE 


llKi'XEM  Fs  a  ilrM)nnais  un  jjiaïKl  Salon  anniR'l.  N'aKUcrc, 
t-n  (Iflioi-,  tlu  Salon  oitkiel  triennal,  il  n'y  avait  à 
Hiiixt-Ues  ijne  le--  i'X])oMtions  i\r  ucrclcs.  très  rfstrL'niti-s. 
L'an  ili>rnicr,  la  Société  ilt-.  Beaux  Arts  a  tenté  d'organ!-.rr. 
dans  les  vastes  locaux  du  l'alais  du  Cin(|uantonaire,  le 
Salon  de  Printemps.  Elle  renonvelle  sa  tentative  cette 
année.   Et  tout  fait  prévoir  qu'il  s'a.yit  d'une  institution. 

Or,  comme  la  Société  des  Beaux-.\rts  est  très  éclectii]ne, 
comme  elle  a  rénssi  à  f;ronper  les  artistes  de  toutes  les 
tendances,  puisque  cette  année  M.  \an  Rv^^ellierf,du 
expose  à  céité  de  M.  de  Ealainf;.  il  ne  s'ajjit  plu-  de  la  m.mi 
festation  d'un  cercle,  mais  d\i  L;rand  S.don  .iiiuiiel  dont 
I'ora;anisation   ét.nt   -ouli.iitee  depuis   l<int;tr'iiips. 

L'exposition,  .|iii  s'e-l  ouverte  ,iu  commencement  de 
m,ii,  est  fort  iiit.'re--,iiile,  ,|e  tiV--  1,1  lie  tenue.  On  v  a  traii-, 
jiorte  IcN  (riiMis  de  (  ,irpe.iii\  .pu  lurent  à  .\nvers.  ;'i  WhI 
iiiiili-iiipiiKiiii,  et  qui  ié\élent  à  ceu.x  cpii  la  connaissaient 
insnflisamment  l.i  pui-s,inte  personnalité  du  ,[;rand  scnlp 
teur  français.  On  .1  ivinii  aussi  une  tri'iitaine  cle  tableaux 
et  de  nombreux  dessins  de  l'aul  Hiiet  cpii  n'.i  ]>as  nue  iilaee 
assez  large  dans  l'ailnuration  \ouée  à  la  magniliipie 
lîléiade  des  paysagistes  français  dn  xix^'  siècle.  On  a  formé 
également  un  ensemble  d'œuvres  du  paysagiste  belge 
.\.  Heymans,  afin  de  rendre  hommage  à  nn  artiste  encore 
en  jîleine  force  de  ]iroiliK  tioii  et  (pu,  par  ,es  victorieuses 
recherches  de  l'accord  entre  l,i  vwioii  lumineuse  d'aujour- 
d'hui et  les  tradition^  de  vi.gueur  de  l'école  flamande 
a  exercé  une  inllueiice  sur  l'évolution  de  l'art  belge. 

Enfin  on  a  organisé  une  ex])osition  rétrospective  de 
l'œuvre  de  Louis  Dubois,  un  Belge  mort  il  v  a  quaninfi-  an- 
et  qui  fut  parmi  les  libérateurs  de  la  iieintme  ]i,irnii  ceux 
qui  luttèrent  ici  pour  la  liberté  île  l'art,  pour  son  affran- 
chissement dcN  loiniule-.  et  de-  routines  académique-, 
Louis  Dubois  est  mconqiléteinent  connu  ;  on  croit  trop 
qu'il  peignit  uniquement  le  p,i\sage  et  la  nature  morte 
et  qu'il  fut  exclu-u  ,-miiit  un  coloriste.  Lue  boutade,  sou- 
vent rappelée  comme  une  justification  par  certain-  iiii 
pressionnistes  d'aujourd'hui:  .1  Le  dessin,  je  le  donne  jiar- 
dessus  le  marché.,,  ,  a  fortifié  cette  erreur.  Or.  au  Salon 
de  Printemps,  on  a  réuni  surtinit  .les  figures  de  Duboi-. 
Et  ces  figures  -,,ut  admirable-,  et  par  l'o]iulence  de  la 
matière,  et  par  la  S]>lendeur  larouche  de  la  couleur  vibrante, 
et  surtout  par  la  forme  puissante,  qui  fait  penser  à  des 
morceaux  de  sculpture.  La  foule  apprend  ainsi  que  Louis 
Dubois  fitt  un  grand  peintre  de  la  figure  humaine.  Et  ainsi 
sont  réparées  une  erreur  et  une  injustice. 

La  même  erreur  s'attache,  d'ailleurs,  dans  l'opinion, 
à  toute  l'école  belge.  On  a  souvent  répété  que  cette  école 
ne  brille  plus  que  dans  le  paysage,  .-Vssurément,  ici  comme 
partout,  à  côte  de  quelques  maîtres,  il  v  a  be.iucrnip.  il 
y  a  trop  de  paysagistes  de  second  ordre.  IVmlant  quelques 
années,  on  a  pu  croire  que  les  jieintres  belges  négligeaient 
l'étude  de  la  figure.  Peut-être,  dans  l'évolution  qui  modifiait 
la  technique,  hésitaient  ils  à  appliquer  à  la  figure  des  pro- 
cédés nouveaux  encore  mal  expérimentes.  :\Iaintenant  que 
l'évolution  est  accomplie,  que  l'équilibre  se  rétablit,  que  se 
retrouvent  entières  des  traditions  précieuses  modifiées 
seulement  en  des  nuances  de  sensibilité,  ils  reviennent 
a  la  figure.  Et  le  présent  Salon  témoigne  d'un  bel  épanouis- 
sement. Les  très  beaux  panneaux  décoratifs  de  l'abrv. 
celui  de  Cianoberlani.  celui  de  M.  Langoskens  ;  les  portraits 
de  .VI.  Van  Holder,  de  M.  .\ndré  Cluysenaer.  de  M.  Montald. 
de    .M.     Pinot,    de     M.    Suyncop.    de     M.     Wageman-.    de 


.M.  Wolles.  de  ^^.  Cels  ;  les  œuvres  de  M.  Laermans,  de 
,M.  Irédéric,  de  JL  Smeers,  de  JL  Jean  Souweloos,  de  iL  F. 
B.ies,  de  M.  Delannois,  de  M.  Hermann  Courtens.  de 
.M.  Dom.  de  M.  Dierckx.  de  M.  Thomas,  de  JL  Bastien, 
de  M.  \'an  Zovenberghen.  de  ^L  Landy,  manifestent  cet 
érpiilibre  revenu,  montrent  les  traditions  de  la  peinture 
flamande  assouplies,  accordées  à  une  vision  nouvelle,  mais 
ayant  gardé  ce  qu'elles  avaient  d'essentiel  :  le  respect  de 
la  forme  vigoureuse. 

T'est  ce  qui  frappe  le  plus  dans  ce  Salon  de  Printemps, 
111  ce  qui  concerne  l'école  liel.ge  de  peinture.  Quant  à  la 
-c  iilpture  belge,  elle  montre  un  pur  chef-d'œuvre  :  le  buste 
de  Jeune  fille  de  Victor  Rousseau,  œuvre  simple,  délicate, 
lorte,  d'une  expression  rayonnante,  d'une  absolue  per- 
lection, 

I-'art  fr.inçais,  représenté  jiar  Carpeau.x  et  par  Huet, 
l'est  encore  par  le  nu  lumineux  de  Caro  Delvaille  :  Sommeil 
/liiii'i.  très  admiré  pour  ses  superbes  qualités  de  couleur 
i-t  cle  consistance  ;  par  deu.x  des  panneaux  de  Besnard  pour 
la  coupole  du  Petit  Palais  ;  par  des  toiles  de  Cottet,  notam- 
ment le  l'iiiilon  à  Ploii^asttl  :  par  Lucien  Simon,  qui  a 
envoyé  son  Goûter  ruisselant  de  lumière  ;  par  trois  beaux 
morceaux  de  Bartholomè, 

Il  y  a  un  portrait  de  Lavery,  une  toile  délicieuse,  de  fac- 
ture fraîche,  onctueuse  et  précise,  de  l'Écossais  Hornel  ; 
l''.Ui!l,  s  eut  piipiUnii  ;  il  y  a  des  portraits  élégants  et 
minces  de  Laszlo  ;  il  y  a  une  étrange  série  de  portraits  de 
l'ie  \.  de  présentation  théâtrale,  par  M.  Hierl-Deronco. 
de  Munich  ;  enfin  il  y  a  aussi  une  salle  consacrée  à  la  jeune 
école  vénitienne,  et  où  l'on  admire  des  choses  étonuammeut 
harmonieuses  et  solides  de  >L  Zanetti  Zilla,  un  vrai  peintre, 
à  la  \ision  sourdement,  délicatement  somptueuse. 

je 

Presque  en  même  temps  que  ce  Salon  de  Bruxelles  s'est 
ouvert,  à  Liège,  un  Salon  organisé  par  la  Société  pour  l'en- 
couragement des  Beaux-Arts  ;  très  belle  exposition  à 
laquelle  participent  la  plupart  des  artistes  belges,  et  où 
une  très  large  place  est  faite  à  l'école  française.  , 

-A  -\nvers.  à  côté  d'un  Salon  des  aquarellistes,  on  a  or- 
ganisé une  c.xiiosition  de  l'ivuvre  de  Jef  Lambeaux,  le 
]>uissant  statuaire  mort  l'an  dernier.  La  personnalité  cu- 
rieuse de  Lambeaux,  de  santé  débordante  et  joyeuse,  et 
qui  s'apparente  si  directement  aux  opulents  Flamands 
de  la  Renaissance,  a,  comme  eux.  de  soudaines  gravités, 
des  heures  d'éloquence  supérieure,  et  aussi  justement 
glorifiée.  Un  incident  a  marcpié  l'ouverture  de  cette  expo- 
sition :  un  député  d'.\nvers  a  vivement  protesté  auprès  du 
représentantdu  ministre  des  Sciences  et  Arts  pour  l'absence 
à  cette  exposition  du  grand  carton  du  bas-relief  des 
Plissions  humaines.  Ce  carton  appartient  à  l'État.  On  lui 
a  demandé  de  le  prêter  ;  il  n'a  pas  répondu.  Et  l'on  a  appris 
ijue  l'œuvre,  roulée,  est,  depuis  quinze  ans,  dans  une  caisse, 
au  fond  d'un  grenier  de  l'Institut  supérieur  des  Beaux- 
-\rts.  On  n'ose  f)as  l'en  retirer,  parce  que  l'on  s'attend 
à  la  voir  tomber  en  poussière. 
JS 

Parmi  les  expositions  particulic>res,  il  en  est  une  qu'il 
convient  de  signaler  particulièrement  :  celle  de  JI.  Firniin 
Baes,  qui  a  montré,  au  Cercle  artistique,  à  Bru.xelles,  une 
série  d'admirables  dessins  rehaussés  de  pastel,  d'une  grande 
inireté.  d'une  grande  noblesse  de  formes  et  d'expression, 
d'une  conception  siniiile,  d'un  style  solirement  lyrique. 

G.    \  ANZYPE. 


i<j4 


L'ART      ET      LliS     ARTISTES 


ITALIE 


T  KXPOSITION  liifiiiiali-  (k-  W'iiise  attire  cette  année 
■^  tout  l'intérêt  <les  artistes  italiens.  Depuis  plus  d'un  an, 
après  les  triomphes  ou  les  désillusions  de  l'exposition  j)récé- 
dente,  les  artistes  cjui  ont  l'habitude  d'y  être  admis  et 
ceux  qui  y  aspirent  conctntraient  toutes  leurs  forces  et 
leurs  espoirs  vers  le  grand  événement  vénitien.  C'est  que 
l'esprit  mercenaire  qui  domine  la  plus  grande  iiartie  des 
■1  artistes  »  de  notre  temps  voit  dans  cette  exposition,  en 
l'exagérant  à  loisir  peut-être,  un  atlmirable  marché.  On 
s'efforce  d'y  arriver  avec  la  j>lus  étonnante  marchandise 
et  l'espoir  du  gain  le  plus  considérable.  X'enise.  qui,  sem- 
blable à  presque  toutes  les  grandes  villes  italiennes,  fait 
de  son  mieu.x  pour  parer  sa  coquetterie  et  attirer  le  visiteur 
généreux,  accueille  tous  les  deux  ans  labeurs  et  espoirs 
artistiques,  s'orne  ainsi  d'une  nouvelle  gloire,  accroît 
ainsi  son  importance,  et  vient  en  aide  à  la  marche  du  com- 
merce artistique  des  Italiens  et  à  la  marche  de  l'art  lui- 
même. 

Les  avantages  matériels   et   moraux   de  la    «  Mostra 
vénitienne    sont    sans    doute    les   plus   consi<lérables   que 
l'Italie   puisse    ofïrir    à    la  phalange  innombrable  de  ses 
artisans  de  l'art  et  à  celle,  plus  e.xiguë.  certes,  de  ses  artistes. 

Mais  la  préparation  et  l'attente  de  l'exposition  de  \'enise 
n'ont  pas  empêché  quelques  manifestations  particulières, 
d'une  importance  plus  limitée,  dans  quelques  villes, 
Rome  et  Florence  ont  eu  leurs  e.xjHisitions  habituelles,  dont 
l'intérêt  a  été  assez  vif. 

On  a  pu  remarquer  à  Florence,  à  WApositîDH  dv  la  Sociiié 
des  Beaux-Arts,  non'  pas  la  révélation  d'un  formidable 
talent  ou  l'indication  d'une  grande  tendance,  mais  l'af- 
firmation de  quelques  jeunes  artistes  desquels  on  attend 
beaucou]).  Les  frères  Costetti,  Giovanni  et  Roméo,  maîtres 
<le  techniques  diverses,  ont  arrêté  l'attention  du  public 
artiste.  M.  Giovanni  Costetti,  dont  le  styh-  du  poitrail 
évolue  peut-être  trop  longuement  entre  des  conceptions 
diverses,  et  qui  avait  déjà  éveillé  des  espérances  il  y  a 
quelques  années  avec  des  attitudes  à  double  caractère 
hollandais  et  florentin,  soit  pour  la  construction,  soit  pour 
la  couleur  et  les  fonds,  expose  des  portraits  assez  puissants, 
où  il  affirme  de  nouveau  la  volonté  psychologique  de  sa 
recherche  expressive.  M.  Roméo  Costetti,  plus  nerveu.x  et 
nouveau,  se  montre,  comme  portraitiste,  absolument 
maître  de  .ses  moyens  <]u'il  harmonise  avec  une  volonté 
étrange  et  ferme.  M.  .\rinando  S|)adini,  jeune  peintre  à  la 
fantaisie  fraîche  et  à  l'expression  à  la  fois  très  fine  et  très 
solide,  compose  de  tendresses  grises  >es  figures  pleines  de 
charme,   et   se   montre   dans   le   portrait   comme   un   des 


chercheurs  les  plus  sérieu.x  et  les  plus  attentifs. 
D'autres  artistes  plus  c<mnus,  des  aines,  comme 
MM,  .\dolfo  de  Karolis,  Plinio  Xomellini,  etc.,  se  mon- 
trent tels  qu'on  est  habitué  à  les  considérer,  ne  révèlent 
aucun  tournant  nouveau  de  leur  art.  l'arnii  les  sculpteurs, 
on  a  pu  remarcpier  les  envois  de  MM.  Italo  Griselli. 
Rafïaello  Romanelli,  etc. 

La  soixanle-dix-neuvicmc  exposition  inlcriuitioiialc  des 
/JfrtH.v-.l)Vs.àRome,a  groupé  aussi  un  grand  nombre  d'env-ois 
plus  ou  moins  remarquables,  d'artistes  jeunes  et  d'artisans 
glorieu.x.  Les  «divisionnistes  »,  les  tenants  de  ce  genre  d'art 
parfois  séduisant  mais  par  trop  profané  dans  l'odieux 
métier  pur  et  simple,  dérivé  <les  luttes  et  des  triomphes 
modernes  de  l'art  français,  sont  assez  nombreux.  D'autres 
peintres  et  sculpteurs  s'acharnent  à  des  copies  de  paysages 
et  de  figures,  à  des  copies  plus  ou  moins  heureuses,  plus  ou 
moins  nobles.  MM.  Igor  Grabar,  Lionne,  Lovatti.  parmi  les 
«  divisionnistes  »,  se  font  particulièrement  remar<|uer  par 
leurs  hardiesses  ou  par  leur  faiblesse.  M.  Giacomo  Balla 
exprime  très  noblement  son  sens  sacré  du  travailleur  avec 
une  .singulière  vigueur  du  portrait  humain  dans  un  fond 
géorgique.  51.  B.  J.  Blommers  peint  avec  une  grâce  naïve 
d'inutiles  Enfants  dit  pécheur  «jui  jouent  les  pieds  dans  l'eau. 
M.  Victor  Rousseau  fait  une  nudité  de  femme  assez  vigou- 
reuse d'e.xécution.  mais  coniiilétemeut  inesthétique  d'inten- 
tions. 

Parmi  les  dessins,  on  a  pu  admirer  ou  ne  pas  comprendre 
un  Rodiu,  s'intéresser  à  un  Carrière,  à  une  eau-forte  de 
Whistler. 

Meme.nto  di;s  hommes,  des  choses  et  des  i>iiîlic.\- 
Tio.NS  d'art.  —  .\  Rome  a  eu  lieu  un  événement  que  les 
artistes  ont  salué  avec  joie  :  la  nouvelle  distribution  de  la 
Pinacothèque  vaticane.  Des  oeuvres  nomtireuses  y  appa- 
raissent comme  nouvelles  ou  nouvellement  découvertes, 
soit  ])armi  les  Toscans  de  la  classe  des  Primitifs,  soit  parmi 
les  Vénitiens.  Les  amateurs  espèrent  surtout  que  les  galeries 
italiennes,  souvent  touffues,  mal  distribuées,  suivent 
l'exemidedonné  par  le  Vatican,  l'e.xeniple  d'une  ordonnance 
critique  et  éclairée  des  trésors  cpii  s'y  trouvent. 

Les  restaurations  de  la  Basilique  de  Saint-Marc,  com- 
mencées par  MM.  .Manfretli  et  Louis  Maraiigoni,  pour- 
suivies par  ce  dernier,  continuent  à  a.ssurer  au  vieux 
graml  temiile  de  la  gloire  vénitienne  sa  puissance  et  sa 
résistance  séculaires. 

RiCCIOTTO      C.X.M'DO. 


ORIENT 


La    Peinture    Persane. 


1  Tne  nouvelle  sensationnelle  nous  parvient  de  Tauris. 
^^  Lors  de  la  dernière  révolte,  au  sujet  du  maintien  de  la 
Constitution  jiersane,  les  insurgés,  en  creusant  une  tranchée 
près  du  mur  Sud  de  la  ville,  ont  mis  à  jour,  à  z  mètres  sous 
terre,  une  chambre  entièrement  recouverte  de  fresques 
démontables  encadrées  de  zinc  et  parfaitement  conservées. 
On  suppose  que  c'est  l'emplacement  où  s'élevait  autrefois 
l'ancien  palais  des  rois  de  Perse.  Les  peintures  représentent 
la  vie  et  les  hauts  faits  d'armes  de  différents  monarques, 


entre  autres  de  Schah  Ismaïl  1'^  lïlles  semblent  remontei 
au  commencement  du  xV  siècle.  Klles  ont  toutes  été 
soigneusement  enlevées  sous  la  direction  <lii  i  jeune  per- 
san »  .\li-Mirza,  un  officier  doublé  d'un  artiste  de  valeur, 
et  seront,  prochainement,  dirigées  sur  Téhéran. 

Cette  découverte  renouvelle  la  question  de  la  peinture 
chez  les  musulmans.  Elle  atteste  une  (ois  de  plus  la  com- 
préhension très  large  que,  de  tous  temps,  les  Persans  ont 
eue  du  fameux  verset  du  Coran  visant  les  statues  et  des  non 


195 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


EXPOSITION    DES    ARTS    DÉCORATIFS    A    STOCKHOLM  :    LA    COUPOLE    CENTRALE    [Ferdinand   Boberg,  architecte) 


moins  fameux  liailiss  ou  préct'pte=  oraux  recueillis  par  les 
disciples  du  Prophète,  visant  la  peinture. 

Ouoitpie  leur  foi,  à  cause  de  certaines  divergences 
portant  sur  l'héritage  de  Mahomet  et  la  succession  au 
khalifat,  soit  un  schisme  plutôt  politique  que  religieux 
dans  la  croyance  musulmane,  il  n'en  reste  pas  moins 
acquis  que  leur  religion,  absolument  identique  à  celle  des 
Turcs  et  des  Arabes,  puise  toutes  ses  sources  dans  l'Alcoran. 

Cette  question  de  filiation  qui  porte  les  Persans  à  consi- 
dérer le  gendre  du  Prophète,  Ali,  comme  son  héritier 
direct,  en  lieu  et  place  d'Abou-Bekr,  beau-père  du  Réfor- 
mateur, n'ébranle  pas,  comme  les  hérésies  chrétiennes, 
des  lois  fondamentales  et  n'infirme  aucunement  la  révéla- 
tion musulmane.  Or,  les  Persans  n'ont  jamais  vu  dans  le 
Livre-Saint  un  passage  leur  défendant  la  représentation 
de  la  forme  humaine,  même  dans  l'intérieur  des  mosquées. 
A  l'exception  d'Allah  et  de  Mahomet,  ils  sont  allés  jusqu'à 
représenter  leurs  prophètes,  leurs  martyrs,  leurs  apôtres. 
Dans  la  mosquée  de  Vendredi,  à  Ispahan.  on  voit  un  tableau 
reproduisant  la  trinité  du  martyrologe  persan  :  Ali,  Hassan 
et  Hussein. 

Ils  ont  représenté  leurs  souverains.  L'illustre  Behzadé 
fit  les  portraits  du  Sultan-Hussein  et  de  Chah-Ismaïl- 
Ibn-Haïdan.  Sur  les  murs  de  la  grande  mosquée  de  la 
capitale,  on  admire,  surmontant  son  tombeau,  le  portrait 
du  monarque  qui  chassa  les  Turcomans,  restaura  le  culte 
des  .A.lides,  rétablit  la  monarchie  et,  le  premier,  prit  le 
titre  de  schah. 

Depuis  les  khalifes  à  nos  jours,  les  Persans  ont  cultivé  la 
peinture.  Ils  ont  eu  des  coloristes  impeccables,  des  maîtres 
dessinateurs  et  des  portraitistes  de  tout   premier  ordre. 


Les  miniatures  de  leurs  manuscrits  peuvent  rivaliser 
avec  les  chefs-d'oeuvre  du  genre  laissés  par  nos  plus  grands 
artistes.  Abd-el-Rizan.  cité  comme  un  des  plus  habiles 
enlumineurs  de  la  Perse,  ne  le  cède  en  rien  à  Giulio  Clovio. 
le  célèbre  miniaturiste  italien  de  la  Renaissance. 

Leur  école  de  peinture,  l'école  persane  qui  occupe,  en 
Orient,  la  première  place,  s'enorgueillit,  non  sans  raison, 
de  noms  comme  ceux  de  Behzadé,  de  Dinanghir,  de  Bokhary, 
du  célèbre  Mani,  et  de  Shoudja-el-Daoula,  le  Watteau 
persan,  qui  ne  signait  jamais  sans  ajouter  à  son  nom  la 
mention  glorieuse  :  élève  de  Mii>7i. 

De  savants  orientalistes  opposent  à  cette  anomalie, 
qui  a  suscité  bien  des  controverses,  des  raisons  très  simples. 
Les  Persans,  déclarent-ils,  accusant  d'imposture  —  d'où 
leur  schisme  —  les  premiers  khalifes,  considérés  par  es 
Turcs  comme  les  successeurs  immédiats  de  Mahomet, 
n'acceptent  pas  les  liadiss  dont  l'autorité  s'appuie,  pré- 
cisément, sur  ces  premiers  khalifes.  Or,  ce  sont  les  hadiss 
et  non  l'Alcoran  qui  défendent  la  représentation  de  Dieu 
et  de  la  figure  humaine.  Inde.... 

Ces  raisons  peuvent  paraître  plausibles  à  nous  autres. 
Européens,  mais  elles  sont  de  nulle  valeur  au  point  de  vue 
oriental,  au  point  de  vue.  surtout,  de  la  religion  musulmane, 
basée,  entièrement,  sur  le  Livre  du  Prophète,  inspirée  par 
.-\Ilah,  et  non  sur  les  liadiss  qui  sont  l'ouvrage  des  hommes 
et  n'ont  aux  yeux  des  croyants  que  la  valeur  dogmatique 
qu'il  convient  à  chaque  confession  de  leur  donner.  Car  si 
les  Turcs  considèrent  les  Persans  comme  des  sectaires,  la 
réciproque  a  lieu  pour  les  Persans  à  l'égard  des  Turcs. 

■  .\dolphe  Thaiasso. 


196 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


SUEDE 


Exposition    des    Arts    décoratifs    à    StocKholm. 


/^ETTE  exposition,  ouverte 
^^  entre  le  4  juin  et  le 
15  septembre,  comprend  — 
il  est  vrai  —  principalement 
des  meubles  et  des  objets 
d'art  dans  la  plus  vaste 
compréhension  du  mot.  mais 
on  a  aussi  pris  soin  d'orner 
les  intérieurs  de  tableaux  et 
de  sculptures  des  meilleurs 
artistes  modernes  de  la 
Suède,  des  Cari  Larsson. 
Zorn,  Liljefors,  Milles,  etc. 
L'unité  de  style,  chose 
bien  rare  dans  les  e.xposi- 
tions,  trop  souvent  d'une 
bigarrure     inartistique,     est 


Échos 


rcmière    e.xjjosition 

avait    eu 

dc  vue    industriel, 
vivement   que   la 

ouvelle    exposition 

il    résulte 

constater  de  nouv 

progrès  considérable 

a  été  ac- 

veau.x  progrès. 

Exposition  de  Écoles 
de  province  à  l'Ecole 
nationale  des  Beaux- 
Arts. 

La  deuxième  ex]iosition 
des  travaux  d'élèves  des 
écoles  départementales  des 
Beaux-Arts,  d'Art  décoratif 
et  d'Art  industriel  a  été 
inaugurée  le  12  mai  i)ar 
M.   Dujardin-Beaumetz. 

On   se   souvient   que   la 
lieu  en    1905. 

De  l'ensemble  de  cette 
que,  dejjuis  quatre  ans.  un  pr 
compli.  On  sent  que  les  écoles  de  province,  conscientes 
de  n'être  plus  isolées  et  comme  ignorées,  ont  fait  un  véri- 
table efïort.  Si  nous  ajoutons  que  cet  effort  couronné  de 
succès  s'est  (iroduit  surtout  dans  les  sections  de  l'art  ap- 
pliqué à  l'industrie,  on  comprendra  quel  intérêt  doit 
s'attacher  à  cette  importante  manifestation. 

Parmi  les  grandes  écoles  dont  les  envois  ont  été  le  plus 
remarqués,  nous  citerons  l'école  de  Rennes,  aussi  intéres- 
sante dans  la  section  des  Beaux-Arts  que  dans  celle  des 
Arts  décoratifs  :  il  y  a  des  portraits  peints,  de  la  sculpture 
et  des  croquis  qui  pourraient  être  signés  non  par  des  élèves, 
mais  par  de  véritables  artistes  ;  l'école  de  Dijon,  où  nous 
avons  noté  de  la  sculpture  sur  bois  et  un  morceau  de  sculi>- 
ture  en  marbre,  travail  de  praticien  tout  à  fait  intéres- 
.sant  ;  l'école  de  Lyon  avec  ses  dessins  et  ses  exécutions 
de  soieries  et  une  figure  peinte  harmonieuse  de  tons  ;  celle 
de  Roubaix,  très  complète  et  qui  a  été  présentée  d'une 
manière  qui  fait  honneur  à  l'organisateur  de  la    'ection. 

Il  y  a  aussi  des  petites  écoles  bien  iivtéressantes,  surtout 
quand  on  pense  à  la  modicité  des  ressources  dont  elles 
disposent  et  au  dévouement  dont  leurs  professeurs,  si 
peu   rétribués,   font   preuve.   Nous  signalerons   jirincipale- 


ici  heureusement  sauvegar- 
dée. Un  seul  artiste,  l'émi- 
nent  architecte  Ferdinand 
Boberg  (né  en  i,S6o).  a  fait 
tous  les  dessins,  tant  pour 
les  différents  édifices  que 
pour  les  vitrines,  ainsi  que 
les  ])lans  de  l'ensemble. 

M.  Boberg,  qui  dessina 
1  original  pavillon  suédois  à 
l'Exposition  de  Parisen  1900, 
'St  le  premier  architecte  sué- 
dois dans  le  goût  moderne. 
it  il  est  une  autorité  de 
compétence  incontestée  en 
matière  d'expositions. 

C.\RL     G.     L.WRIN. 


des   Arts 


ment  les  écoles  de  Caudrv 
et  lie  Tarare  dont  les  dessins 
de  dentelles  sont  parfaits,  et 
enfin  la  toute  petite  école  de 
Parthenay  qui  a  envoyé  des 
objets  de  céramique,  de 
forme  et  de   tons  très  inté- 


E.\P()SITU)N    DES  ARTS   DECORATIFS  A  STOCKIK  II.M 
TNE    COLONNE    DE    LA    COIPOLE 


res 


;uits 


Chacun   cnnqirend   le  rùle 

considérable     que     peuvent 

jouer  en    France,  au    point 

coles  d'art  ;  aussi   souhaitons-nous 

ème   exjiosition   nous   permette  de 

cltorts    <-t    de    jiniclamer   de    nou- 


Atnénagements  et  Restaurations. 

Il  est  iiue^tioM  <rin-.t.ilKr  à  Madrid  un  musée  du  Greco. 
dans  la  maison  même  que  cet  artiste  a  naguère  habitée  et 
récemment  cédée  à  l'État  jiar  le  marquis  de  Végla,  grand 
amateur  et  collectionneur,  qui  a  généreusement  consacré 
des  sommes  importantes  à  la  restauration  et  à  l'encadrc- 
nieiit  des  œuvres  du  maître. 


Monuments. 

I.e  j  mai  a  eu  lieu,  à  Saint-Mihiel.  sa  ville  natale,  l'inau- 
guration du  monument  élevé  à  Ligier-Richier,  le  vieux 
maître  sculpteur.  Parmi  ses  œuvres  les  plus  remarquables, 
on  cite  le  Sipukic  qui  se  trouve  dans  l'église  Saint-iitienne 
de  Saint-Mihiel,  le  Mausolée  du  prince  René  de  Chàlons 
dans  l'église  Saint- Etienne  de  Bar-le-Duc,  le  Tombeau  de 
Philippe  de  Cucldic  dans  l'église  des  Cordcliers,  à  Nancy,  etc. 
Le  Sépulcre  se  compose  île  treize  personnages,  un  peu  ]iliis 
grands  que  nature. 


197 


i;akt   et   les   artistes 


Ligier-Richicr  est  né  à  Saint-Miliiel,  au  coniiiR-iicemcnt 
du  xvi^  siècle,  et  il  mourut  à  Genève  en  1567.  C'est  à 
Rome  que  dans  sa  jeunesse  il  se  perfectionna  dans  l'art 
de  la  sculpture,  à  l'école  de  Michel-Ange.  Sa  statue  est 
l'œuvre  de  M.  I.éon  Vadel.  le  socle  de  M.  Lucien  Gallant. 
tous  deux  originaires  de  Saiut-Mihiel,  qui  méritent  les  plus 
grands  éloges  pour  le  bel  aspect  de  l'ensemble.  Tout  en 
bronze  et  ne  pesant  pas  moins  de  500  kilogrammes,  le 
monument  représente  Ligier-Richier  debout,  appuyé  sur 
une  élégante  colonne  Renaissance  et  sculptant  une  tête 
d'ange. 

Le  14  juillet  prochain,  sera  iii.iugurée  à  Loches,  sa 
ville  natale,  la  statue  d'Alfred  de  Vigny,  due  au  ciseau 
du  sculpteur  Sicard.  Xous  reproduisons  avec  plaisir  cette 
(puvre  si  intéressante,  où  l'artiste  a  si  bien  su  rendre 
la  physionomie  fière  et  noble  ilu  jilus  h.int.iin  et  du 
jilus  stoïque  de  nos  poètes. 

La  statue  de  Mistral,  que  l'on  a  inaugurée  le  ;o  mai  à 
Arles,  est  due  au  sculpteur  Théodore  Rivière,  qui  a  repré- 
senté l'auteur  de  Miii'iUc  de  grandeur  naturelle,  debout, 
dans  une  attitude  fort  simple.  Sur  la  face  du  haut  piédestal 
est  gravé  ce  vers  du  fameux  chant  de  Mireille  :  «  Ciinlo 
iiiio  chato  lie  Pyouvcnço  ■•.  Sur  le  côté  opposé,  l'artiste  a 
placé  un  niédalllon  représent. int  une  Arlésienne  avec  cette 
inscription  :    «  La   l'ro\euie  à   Mistral     >. 

JS 
Dons  et   Achats. 

JM.  Ivan  Tsviétkov  vient  de  donner  à  la  Ville  .sa  magni- 
fique collection  de  tableaux  russes,  qui  fera  comme  le  pen- 
dant de  la  galerie  Trctiakov.  La  collection  comprend  près 
de  I  500  numéros,  aquarelles  et  dessins,  dont  près  de 
300  tableaux  proprement  dits.  F.n  même  temps  que  sa  col- 
lection, M. 'rs\iétkiiv  donne  à  la  X'ille  la  inaiMiu  qui  la  con- 
tient, con-,truite  en  style  ru^s,;  ^ur  les  pl.ms  île  \  Rtor  \as- 
nétsov. 

M 
Nécrologie. 

ïùnilc  Miche!  était  né  à  Metz  le  19  juillet  1S2S.  Élève  de 
Maréchal  et  de  A.  Roland,  il  exposa  régulièrement  aux 
Salons  depiuis  1853  des  tableaux  de  genre  et  des  paysages, 
en  particulier  des  vues  de  la  forêt  de  Lontainebleau  :  le 
Musée  du  Luxembourg  garde  ses  Stiitiiilhs  i/'iiiitonine  du 
Salon  de  1S73,  et  celui  de  N.inev  une  \iiil  il't/,'  n,S;j). 

Parallèlement  à  son  œuvre  de  peintre,  lïniile  Michel 
avait  mis  à  profit  ses  études  dans  les  Musées  d'.\lleniagne 
pour  donner  à  la  Revue  des  Deux-Mondes  des  articles, 
réunis  ensuite  en  volumes  (1SS3  et  18S5)  ;  on  lui  doit,  en 
outre,  une  série  de  monographies,  dont  certaines  de  très 
haute  valeur  :  Ronbrandt  (18S6),  Hohbema  (1890).  Ruvs- 
daël  (1890),  et  ensuite,  à  des  dates  plus  récentes,  Ritbnis. 
Paul  l'otter.  Terborgh,  etc.  Il  collaborait  activement  aux 
iliverses  revues  d'art,  et  ses  articles  rassemblés  ont  paru 
sous  le  titre  iVF./ndes  siiy  l'hisloiii'  de  l'ail  (1S95)  et  île 
^.'uueellrs  études,  eh.  (1908)  ;  il  faut  encore  citer  son  grand 
ouvrage  sur  les  Miiities  du  paysage  (1907).  Parmi  les  articles 
qu'il  donna  à  la  Revue,  on  retiendra  en  particulier  :  les 
Peintures  de  M.  Curnion  im  Muséum  (1S9S)  ;  Rubciis  nu 
château  de  Steeu  (1S99)  ;  Au  pays  de  Giorgione  et  de  Titien 
(1907).  etc.  Il  avait  été  élu.  en  1S92,  membre  de  l'.Xcadémie 
des  ]',eaux-Arts,  en  remplacement  de  M.  de  Nieiiweikerke. 


organiser  le  second  Salon  des  aquarellistes  français,  est 
mort  subitement  pendant  la  traversée.  Fils  et  petit-fils  de 
peintres  qui  furent  célèbres,  Guillaume  Dubufe  était  né  à 
Paris  en  1853.  Il  prit  une  part  active  à  la  fondation  de  la 
Société  nationale,  et  il  avait  accepté  la  lourde  tâche  d'en 
organiser  les  Salons  annuels,  ce  dont  il  s'acquittait  avec  un 
goût  auquel  tout  le  monde  se  plaisait  à  rendre  hommage 
Il  ne  cessait  d'ailleurs  pas  de  produire,  alternant  les  grandes 
décorations  —  comme  la  Musique  sacrée  et  la  Musique 
profane  du  Musée  d'Amiens,  V Apothéose  de  Puvis  de  Cha- 
vannes  du  Grand  Palais,  des  panneaux  pour  la  Sorbonne. 
l'Hôtel  de  Ville  de  Paris,  l'Elysée,  etc.  —  avec  des  pastels 
et  des  aquarelles  de  plus  petites  dimensions,  comme  ces 
Vues  de  Capri,  qu'il  réunissait  naguère  à  la  galerie  Georges 
Petit  et  qui  résumaient  le  meilleur  de  ses  qualités.  On  lui 
doit  aussi  des  rapports  sur  la  section  de  peinture  des  der- 
nières lî.xpositions  universelles  et  un  ouvrage  sur /a  Valeur 
de  l'art,  publié  l'an  dernier.  Il  était  officier  de  la  Légion 
d'honneur. 


Revue  des  Revues. 

St.\ryk  Godv  (années  révolues).  —  Revue  mensuelle 
d'ait  ancien,  paraissant  le  15  28  de  chaque  mois.  —  1909, 
troisième  année. 

Le  texte  de  Staryé  Gody  étant  rédigé  en  russe,  tous  les 
titres  sont  munis  de  traductions  en  français. 

Prix  d'abonnement  pour  l'étranger  :  30  francs  par  an. 
On  s'abonne  chez  tous  les  libraires  de  Saint-Pétersbourg 
et  au  bureau  de  la  rédaction  (7,  Solianoï  per)  ;  à  Paris, 
chez  Henri  Leclerc,  libraire.  219,  rue  Saint-Honorc. 

I'.  P.  de  W'einer.  directeur  fondateur. 


La  Scaiulinavic.  —  Revue  mensuelle  illustrée  des 
royaumes  de  Suède.  Norvège,  Danemark  et  grand-duché 
de  Finlande.  —  .Artistique,  littéraire,  scientifique.  —  Ré- 
d.iction  et  administration  :  (>y.  boulevard  Malesherbes, 
et  4.  avenue  de  l'Opéra. 

Directeur  :    Maurice   Chalhoub. 

.\bonnernents  :  6  francs  pour  la  France  et  S  francs  pour 
l'étranger. 


Le   peintre   Guillniiine   Diihiife,   qui    s'ét.iit    enibaixpié.    il 
y  a  une  qninz.iine  de  jours,  pmn   Buenos   .\ires.  011   il  all.iit 


Association  de  l'Alliance  aitistique,  enregistrée  en  vertu 
de  la  loi  sur  les  Sociétés  industrielles  et  de  prévoyance. 
Siège  social  :  67-69,  Chancery  Lane.  London.  \V.  C. 

Fondée  en  1908  dans  le  but  de  permettre  aux  artistes 
de  soumettre  librement  et  sans  restriction  leurs  œuvres  au 
jugement  public. 

A  l'Exposition  annuelle  de  l'.Vssociation,  chaque  membre 
est  autorisé  à  envoyer  trois  œuvres,  dont  toutes  seront 
exposées,  en  groupe  ou  dispersées,  suivant  le  désir  de 
l'exposant. 

Le  deuxième  Salon  de  Londres  de  l'Association  sera  tenu 
à  Londres,  au  Lioyal  Albert  Liait,  au  mois  de  juillet  1909. 

On  devient  membre  de  l'Association  en  devenant  acqué- 
reur d'une  (ou  plusieurs)  actions  de  valeur  nominale  de 
10  shillings  (soit  12  fr.  y^),  et  en  payant  une  cotisation 
annuelle  d'une  guinée  (soit  26  fr.  50).  En  dehors  de  cette 
cotisation,  les  membres  ne  peuvent  encourir  aucune  res- 
ponsabilité pécuniaire. 

L'administration  de  l'.Association  est  confiée  au  comité 
de  direction  élu  par  les  actionnaires. 

Toutes  les  demandes  de  renseignements,  adhésions  et 
versements  doivent  être  adressées  au  secrétaire  (Frank 
Rutter),  Allied  Artists'  .\ssociation  Ltd.,  67-69,  Chancery 
Lane,  London.  \V.  C. 


198 


L'ART    1-r    r,K 


ARTISTES 


BULLETIN      DES      EXPOSITIONS 

PARIS 

École  nationale  des  Beaux-Arts.  —  Prochaine- 
ment, exposition  des  travaux  d'art  déco- 
ratif de  nos  écoles  nationales  des  départe- 
ments. 

Première  exposition  de  la  Contemporaine,  sociiti 
nouvelle.  —  Pour  tous  renseignements, 
s'adresser  à  M.  E.  .\ndré,  24,  rue  Bcaure- 
paire. 

Salon  des  Assurances.  —  Première  exposition 
en  octobre,  en  formation.  (Prochainement, 
renseignements  précis.) 

Galerie  des  Artistes  modernes,  19,  rue  Caiimartiu. 
—  Collection  d'estampes  japonaises,  du 
7  au  20  juin. 

PROVINCE  ET  ÉTRANGER 
Beauvais.  —  Onzième  exposition  de  la  Société 
des  Amis  des  .\rts  de  l'Oise,  du  19  juin  au 

25  juillet. 
Bordeaux.  —   Exposition  d'.\rt  humoristique. 

réservée  au.x  artistes  de  la  région,  en  oc- 
tobre et  novembre. 

Bl'ENOS-Aires.  —  Exposition  française  des 
Beaux-Arts,   du  l"  juin  à  lin  juillet. 

Charenton  (Seine).  —  Quarante  et  unième 
exposition    de     la     Société    artistique,    du 

26  septembre  au  19  octobre  prochains, 
-adresser  toutes  demandes  de  renseignements 
à  M.  Leroux,  secrétaire-trésorier,  3,  ])lace 
Henri  IV,  à  Charenton   (Seine). 

Coi'ENH.\GUE.  —  Au  Palais  Royal  de  Ciiarlottin 
bourg,  exposition  française  d'art  décorât  il, 
du  26  juin  au  13  septembre.  Pour  tous  ren 
seignements,  s'adresser  à  M.  Roger  Sandoz. 
à  Paris. 

Douai.  —  Cin<iuante-cinquiéme  ex])osition  de 
la  Société  des  .\mis  des  Arts,  du  1 1  juillet 
au  6  août. 

Gand.  —  Quarantième  e.xposition  de  la  Société 

royale,  du  i''  août  au  27  septembre.  Pour  tous  ren- 
seignements, s'adresser  à  .M.  Scribe,  rue  de  la  Chênaie, 
à  Gand. 

LancRES.  —  Société  artistique  de  la  Haute  .Marne,  expo- 
sition des  Beaux-.\rts  et  (l'.\rt  décoratif,  du  -^  i  juillet 
au  I"  septembre. 

LoRiENT.  —  .\ssociation  lorientaise  <ies  He.uix- Arts,  expo- 
sition de  1909,  du  I  î  juin  au   i.)  juillet. 


S  KARL) 


MONf.MKNT    I)  .\I  FKED    DE    VIGNY 


Nancv.  —  Exposition  internationale  de  l'est  de  la  France, 
avec  section  des  Beaux-.Vrts  organisée  par  la  Société 
lorraine,  du  V  juin  à  la  clôture  de  l'Exiiosition  inter- 
nationale. 

KouKN.  —  Expo-'ition  des  I'.eaux-,\rts,  du  i'"'  juin  au 
31   juillet. 

Sai.nt-Brieuc.  Première  ex]iositiou  des  Beaux-Arts  du 

Comité  il'luitiative  artistique,  du   I  S  juin  au  i  r  juillet. 


Bibliographie 


LIVRES     D'ART 


V  Art  appliqué  à  l'industrie,  ]ar  .\.  Brooi-kiet, 
inspecteur  régional  de  l'enseignement  techni(pie.(ru  volunu' 
in-i8  de  412  pages  avec  122  figures  clans  le  texte.  Garnier 
frères,  éditeurs.) 

Ce  traité,  comme  son  nom  l'indique,  est  essentiellement 
pratique,  et  l'auteur,  en  l'écrivant,  a  eu  pour  but  non  point 
de  faire  connaître  et  de  faire  prendre  contact  avec  l'art 
considéré  dans  un  Sens  alistrait,  mais  d'initier  le  lecteur 
à  l'art,  puis,  dans  un  sens  pratique,  de  montrer  les  ap- 
plications que  l'on  peut  en  tirer  avec   l'industrie. 

De  nombreux  dessins  et  compositions  décoratives,  ainsi 
que    de    superbes    modèles    d'éventails,  complètent,  d'une 


façon  supérieure,  ces  conseils  et  peuvent  en  même  temps 
servir  d'exemiiles.  Joignez  à  cela  un  historiiiue  fort  bien 
documenté  où,  d'une  façon  brillante,  l'auteur  nous  retrace 
toutes  les  phases  par  les<pielles  l'art  décoratif  a  passé 
depuis  ses  origines  jusqu'à  nos  jours. 

En  résumé,  l'Art  appliqué  à  l'industrie  n'est  pas  un 
guide,  c'est  un  véritable  professeur  enseignant  d'une  façon 
sûre  ceux  qui  désirent  se  livrer  à  l'étude  de  toutes  les 
ajtplications  tpie  l'on  en  peut  tirer. 

Cet  ouvrage  a  .sa  place  marquée  dans  toutes  les  biblio- 
thèques digiu'S  de  ce  nom. 

fc'n  Sicile,  impressions  d'art  et  de  nature,  par  ICdmoxd 


199 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


Kadet.    (Librairie   Pion    i-t   Nourrit,   .S.    rue    Garancière.) 

Le  nouveau  livre  ijue  publie  M,  Edmond  Radet  est, 
comme  il  nous  le  dit  d.ms  son  avant-propos,  la  suite 
naturelle  de  son  précédent  ouvrage  :  Visiciis  hrci'rs,  Xntes 
if'iiit  et  de  voyage  en  Italie,  aucjuel  le  public  a  lait  un  si  cha- 
leureux accueil. 

Dans  ce  nouveau  volume.  En  Sicile,  nous  retrouvons 
toutes  les  qualités  de  vision  et  d'érudition  propres  à  l'au- 
teur. Des  descriptions  émues  et  colorées  de  paysages, 
avant  tout  des  impressions  d'art  toujours  inspirées  par  une 
critique  claire  et  bien  renseignée,  alternant  avec  des  traits 
de  mœurs  et  de  rapides  renseignements  historiques,  font 
ilu  livre  de  M.  Edmond  Kadet  un  guide  attrayant  et  sûr 
en  ce  prestigieux  pays  de  Sicile,  où  la  Fable,  la  Nature  sous 
ses  formes  les  plus  séduisantes  et  les  plus  terribles,  l'art 
grec,  l'art  siculo-normand,  ont  accumulé  d'incomparables 
sujets  d'étude. 

Nul  mieux  que  Jl.  IMuiond  Radet  ne  saurait  nous  con- 
duire à  travers  ces  mer\eilles.  nous  en  faire  sentir  la  beauté, 
es  souligner  d'un  trait  plus  précis,  les  décrire  d'une  i>lume 
]ilus  alerte  et  plus  souple, 

La  maison  Pion,  en  aj)portant  son  goiit  habituel  à  la 
iniblication  du  livre  de  M.  Edmond  Radet,  tiré  à  250  exem- 
]ilaires  numérotés,  eu  a  fait  un  véritable  livre  de  biblio- 
phlle. 

Lei  Ciandei  1  iistituti.nn  de  h'iauce.  —  \'ient  de  [laraitre  : 

Le  Musée  du  Louvre.  Les  peintures,  les  dessins,  la 
c/ialcograpliie,  par  Je,\n  Guiffrey,  attaché  au  Musée 
du  Louvre,  (l'n  volume  in-S  illustré  de  105  gravures, 
liroché  :  î  fr.  ;u;  relié  :  4  fr.  30.  11.  I.aurens.  éditeur, 
".  rue  de  To\uuùn,   Paris.) 

Cette  nouvelle  série  de  volumes  de  la  collection  des 
Glandes  Inslitutions  de  France  sera  consacrée  aux  diverses 
sections  de  notre  grand  Musc-e  national  et  destinée  à  ins- 
truire les  visiteurs  du  Musée  du  Louvre  de  l'histoire  même 
et  de  l'accroissement  progressif  de  ses  collections,  à  leur 
tracer  en  même  temps  un  tableau  exact  et  raisonné  de  la 
distribution  de  ses  richesses,  dont  l'abondance  déroute 
souvent  le  nouveau  venu  à  travers  la  multiplicité  des  gale- 
ries et  des  salles. 

La  rédaction  de  ces  volumes  a  été  contiée  à  plusieurs 
conservate\irs,  conservateurs  adjoints  et  attachés  du 
Musée  du  Louvre  ;  nulles  personnalités  n'étaient  mieux 
désignées  pour  en  faire  connaître  au  public  le  piassé  artis- 
tique dt'jà  long  et  le  glorieu.x  état  actuel. 

Dans  ce  premier  volume,  en  termes  précis  et  excellents, 
M.  Jean  Guiffrey  a  retracé  le  développement  des  collec- 
tions de  tableaux,  de  dessins  et  de  planches  gravées  depuis 
leur  origine  au  temps  de  François  I"  jusqu'à  1909,  en 
marquant  les  principau.x  événements  de  cette  longue  his- 
toire. Puis,  parcourant  les  salles  du  Musée,  il  appelle  l'atten- 
tion du  lecteur  sur  les  principales  oeuvres  dans  une  sorte 
de  promenade  où  se  trouve  résumée  en  quelques  jiages 
l'évolution  de  l'art  depuis  Cimabuë  jusqu'à  Manet. 

De  nombreuses  illustrations  d'après  les  princijiau.x 
chefs-d'œuvre  du  Mu.sée  du  Louvre,  les  vues  de  salles  et 
(pielques  documents  inédits  donnent  à  ce  volume  un  attrait 
particulier.  Une  bibliographie  des  catalogues,  des  tableau.x, 
des  dessins  et  de  la  chalcographie  du  Louvre  lui  ajoutent 
un  élément  scientifique, 

l.e  Musée  du  Louvre  comprendra  en  tout  cinq  volumes. 
Les  quatre  <iui  restent  à  paraître  sont  :  Le  Palais.  Histniie 
générale  du  .Musée.  —  Antiquités  égyptiennes  et  orientales. 
—  Antiquités  grecques  et  romaines.  —  Sculptures  et  objets 
d'art  du  moyen  dge,  de  la  licnaissancc  et  des  temps  modernes. 

Frans  Hais. sa  vie  et  son  œuvre,  par  E,  W.  Woes, 
directeur  ilu  cabinet  des  estampes  d'.\msterdam,  (G,  \'an 
Oest  et  Cie.  éditeurs,  id.  ])late  du  Musée.  Bruxelles.) 


I^a  gloire  de  Hais  est  admise.  Il  n'est  personne  qui  ne 
connaisse  au  moins  la  Bohémienne,  le  Joyeux  Buveur  et 
les  Réunions  d'arquebusiers  et  n'ait  quelque  idée  de  l'esthé- 
tique du  maître  de  Harlem.  Mais  sa  carrière  restait  des 
plus  obscure  et  une  légende  relativement  calomnieuse 
lui  tenait,  chez  la  plupart,  lieu  de  biographie. 

Tous  les  touristes  qui  traversèrent  la  Hollande  ont 
commenté  le  réalisme  bourgeois  des  portraits,  le  sens 
social,  collectif  qui  émane  des  groupes  de  Hais,  et  pas  un 
critique  qui  ne  se  soit  étendu  sur  les  bonheurs  de  sa  tech- 
nique, sur  ses  larges  coups  de  pinceau,  ses  épaisses  coulées 
de  blanc,  ses  balafres  de  gris  et  jaune  ;  mais  il  ne  semblait 
pas  que  le  public  fût  à  même  de  satisfaire  sa  curiosité  en 
pénétrant  dans  la  vie  de  l'artiste.  On  louait  le  peintre, 
mais  on  ignorait  l'homme. 

Le  livrede  M.  E,  W.  Moes — cjui.au  reste,  est  la  première 
publication  en  langue  française  consacrée  à  Frans  Hais  — 
fi.xe  l'histoire  de  la  vie  et  de  l'œuvre  de  celui-ci  avec  la 
précision  souhaitée. 

Nul  n'était  mieu.x  qualifié  pour  y  réussir  que  le  savant 
directeur  du  cabinet  des  estampes  d'.\msterdam.  Depuis 
des  années,  il  e.xplorait  les  secrets  de  la  carrière  de  Hais, 
en   vérifiait  les  conjectures,   en   dégageait  les  inconnues. 

La  présente  monographie  de  Hais  se  trouve  donc  rédi- 
gée plus  par  un  historien  que  par  un  critique  d'art  ;  les 
considérations  esthétiques  si  abondamment  développées 
par  le  premier  spectateur  venu  cèdent  le  pas  ici  aux  don- 
nées documentaires. 

Se  fondant  sur  tous  les  renseignements  livresques  et 
sur  toutes  les  pièces  d'archives  dépouillées  à  ce  jour  —  et 
même  certaines  inédites,  —  comme  aussi  sur  toutes  les 
toiles  répertoriées  dans  des  dépôts  publics  ou  signalées 
dans  des  collections  privées.  M,  Moes  est  parvenu  à  établir 
une  analyse  minutieuse  de  la  vie  et  de  l'activité  de  Hais. 

.\  sa  biographie,  toujours  justifiée  par  des  textes,  est 
jointe  une  table  généalogique  de  sa  parenté  et  descen- 
dance, et  ce  relevé,  loin  d'être  un  hors-d'œuvre  de  vainc 
érudition,  a  une  portée,  si  l'on  tient  compte  que  Hais  a 
trouvé  chez  ses  proches  des  modèles  pour  ses  tableau.x  et 
des  confrères  dans  son  art. 

La  production  du  peintre  se  trouve  étudiée  avec  la  même 
science.  Les  tableaux  se  rangent  dorénavant  dans  un  ordre 
de  date  admissible,  certaines  œuvres  prennent  un  sens 
nouveau  et  des  portraits  livrent  pour  la  première  fois  le 
secret  du  personnage  représenté. 

In  catalogue  de  près  de  300  pièces  est  dressé  en  fin  de 
la  monographie,  indiquant  pour  chacune  leur  situation 
actuelle  ;  à  quelques  exceptions  près,  cette  liste  ne  com- 
prend que  des  œuvres  strictement  authentiquées  à  ce  jour 
et  vérifiées  par  l'auteur. 

Eu  outre,  M.  Moes  a  tenu  à  résumer  tout  ce  qu'on  sait 
de  la  vie  et  de  l'œuvre  des  frères,  fils  et  gendre  de  Hais, 
peintres,  et  à  èclaircir  son  influence  sur  ses  élèves  et  con- 
tinuateurs. 

L'illustration  elle-même  est  choisie  en  fonction  de  ren- 
seignement ;  les  planches  reproduisent  non  seulement  les 
plus  belles  œuvres  de  Hais,  mais  elles  fournissent  aussi  les 
types  les  plus  saillants  de  toutes  ses  manières  différentes 
au.\  diverses  périodes  de  sa  carrière. 

Des  e.xemples  de  la  manière  de  Dirk,  Frans  J',  Herman, 
Jan,  Revnier  et  Nicolas  Hais  et  de  Pierre  Roestraeten  y 
sont  joints. 

Cette  documentation  graphique,  e.xcessivement  abon- 
dante, ne  comporte  pas  moins  de  54  planches  hors-texte 
tirées  en  héliogravure,  phototj-pie  et  typogravure,  dont 
plusieurs  d'après  des  œuvres  extraites  de  collections  pri- 
vées d'.\ngleterre,  d'.-Mlemagne  et  d'.^mérique  et  photo- 
graphiées pour  la  première  fois. 


LES   GRANDS   CHEFS-D'ŒUVRE 


FIGURE    DE    VICTOIRE    (trj 


^^^mmk'S^mm'^^^^^ 


iiiiîi  îffiîï  ïîi^iîï  ïihii  ÏÉÏhï  ïîiÏÉÏ  limi  Mil  Sffiï  Hm  Mi 


PANNEAU    CENTRAL 


LE   lETAlLË   D'MAEKEMPOVE)! 


VERS  l'an  690,  trois  s(L-urs,  JL-unes  lilles  de  race 
noble,  et  que  la  légende  apparente  à  certain 
empereur  Octavien,  inconnu  des  historiens,  réso- 
lurent de  se  consacrer  à  Dieu. 

Après  avoir  renoncé  au  monde,  fait  vœu  de  céli- 
l'at  et  fixé  dans  les  campagnes  flamandes  le  lieu 
ilr  leur  retraite,  elles  voulurent  faire  un  j)ieux  usage 
de  leurs  biens  terrestres  en  assumant  la  construc- 
tion d'une  église  dédiée  au  Saint  Sauveur. 

La  réalisation  de  ce  simple  projet  n'alla  point 
sans  épreuves  ni  tribulations. 


Ayant  choisi  un  endroit  nonmié  Haybout.  elles 
>■  firent  commencer  les  travaux,  mais  bien  vite 
elles  connurent  que  ce  site  n'était  point  au  gré  du 
Seigneur,  car  des  anges  descendus  du  Ciel  vinrent 
démolir  la  bâtisse  au  fur  et  à  mesure  qu'elle  s'éle- 
vait au-dessus  du  sol. 

Les  jeunes  filles  se  remirent  en  oraison,  jiuis 
désignèrent  un  autre  terrain  à  Steenberg  où  la 
construction  d'une  deuxième  église  fut  bientôt 
entreprise. 

Mais,  hélas!  les  anges  réajjparus  détruisirent  les 


203 


L'ART     ET     IT 


ANTI^TF'^ 


PANNEAU    DE 


iioTivL-lles  murailles  comme 
les  premières,  sans  laisser 
liierre  sur  pierre. 

Redoublant  de  dévo- 
tion, les  trois  sœurs  ne  se 
découragèrent  pas.  Et  le 
Seigneur,  sans  doute,  enlin 
touché  de  leur  constance, 
leur  fit  connaître  sa  vo- 
lonté par  l'intermédiaire 
il'un  oiseau. 

Obéissant  à  l'avis  d'En 
Haut,  les  jeunes  Saintes  se 
mirent  en  route  pour 
Haekendover  où,  malgré 
l'hiver,  elles  devaient  aper- 
cevoir une  épine  blanche 
toute  en  fleurs.  A  l'endroit 
précis  où  elles  découvri- 
raient l'arbre  miraculeu.x, 
le  maître-autel  de  leur 
église  devait  être  placé. 

Elles  n'eurent  point  de 
peine  à  trouver  l'épine. 
A  l'entour,  sur  le  sol  gelé 
et  couvert  de  neige,  un 
espace  verdoyant,  tapissé 
du  plus  fin  gazon,  dessi- 
nait le  plan  de  l'édifice. 
Un  fil  de  soie  rouge  en 
marquait  les  contours. 
Des  anges  chantaient  de 
chaque  côté  de  l'épine 
blanche  ;  l'un  d'eux 
s'avança  vers  les  fonda- 
trices. Il  déploya  un  par- 
chemin.   Elles   y   lurent  ■ 

«Ceci  est  l'emplacement 
choisi  par  Dieu  et  montré 
aux  trois  Vierges  pour  la 
construction  d'un  temple 
consacre  sous  le  nom  et 
à  la  gloire  du  pacifique 
Sauveur  du  monde  Notre 
Seigneur   Jésus-Christ  ». 

Puis  l'ange  parla  et 
dit   : 

-  A  kl  construction  de 
cette  église,  vous  emploie- 
rez douze  ou\Tiers  et  pas 
un  de  plus,  car  Dieu  lui- 
même  veut  être  le  trei- 
zième ". 

Dès  lors  tout  marcha 
comme  par  enchantement. 
A  peine  le  bel  arbre  abattu 


204 


L'ART     ET     LES     ARTISTl!? 


et  les  fondations  creusées, 
vit-on  les  murs  grandir 
hors  de  terre.  Selon  la  pré- 
diction céleste,  tandis  que 
l'architecte  n'avait  embau- 
ché que  douze  maçons,  un 
treizième  travailleur  aj^j'a- 
rut  chaque  jour  parmi  iiix 
Il  besognait  de  façon  pn' 
digieusemcnt  experte  i  ■ 
rapide,  et  l'ouvrage  qnil 
accomplissait  surpassait 
celui  réalisé  par  tous  ses 
compagnons  réunis.  Mais 
cet  assistant  mystérieux 
devenait  invisible  dès  que 
sonnait  l'heure  des  repas 
ou  celle  de  la  paye,  car  11 
était  le  Sauveur  lui-même, 
collaborant  de  Ses  mains 
divines  à  l'érection  de  Sa 
demeure  ! 

Lorsque  l'église  fut  ache- 
vée, trois  évêques  vinrent 
pour  la  consacrer  et  la  bénir. 
Mais,  frappés  de  cécité  et 
de  paralysie,  ils  sentirent 
leurs  membres  se  dessécher. 
Il  fallut  que  le  Saint  Sau- 
veur en  personne  procédât 
à  la  cérémonie  et  les  trois 
Vierges  le  virent  de  leurs 
3'eux  sortir  du  monument 
comme  de  Chez  Lui,  atin  de 
bien  marquer  qu'il  avait 
agréé  l'habitation  qu'elles 
Lui  avaient  préparée. 

C'est  cette  légende  naïve 
et  merveilleuse  qu'un  «  lail- 
leur  d' ymaiges  »  de  la  seconde 
moitié  du  xiye  siècle  entre- 
prit de  représenter  en  un 
retable  sculpté  en  plein  bois 
et  revêtu  de  toutes  les  ri- 
chesses d'une  brillante  ])(>- 
lychromie  rehaussée  de 
dorures. 

L'église  d'Haekcndo\ir 
abrite  encore  à  cette  heure 
l'œuvre  renommée. 

Elle  est,  cette  église. 
dans  la  plaine  lirabançonne, 
non  loin  de  Tirlcment.  un 
peu  à  l'écart  de  la  grand'- 
route  du  Limbourg.  La 
construction,     ancienne    et 


PANNEAU    DE    DROITE 


205 


LART     ET     LES     AKTISTEs 


gardant  des  traces  d'opu- 
ence.  ne  montre  ])lus 
rien  qui  la  rattache  au 
siècle  de  sa  prétendue 
fondation. 

Vaste,  solitaire,  dégra- 
dée, rebâtie  par  parties 
à  diverses  époques,  elle 
est  belle  encore,  et  tou- 
chante, malgré  les  modi- 
fications irrespectueuses 
apportées  à  son  plan 
primitif. 

Entouré  d'un  cini.e- 
tière.  le  temjile  ]irend 
pied  à  même  les  herbages 
que  le  lent  apport  des 
générations  a,  peu  à  peu, 
haussés  le  long  de  ses 
soubassements. 

Le  retable  y  demeura. 
à  sa  p)lace  primitive  sur 
le  maître-autel,  jusqu'au 
XYiiii^siècle.  Il  fut  ensuite 
transporté  dans  la  cha- 
]ielle  de  la  Vierge.  Com- 
bien nuitilé,  incohérent  dét\ii 
et  cruellement  déjiaré 
}iar  des  restaurations  malhabiles 
jourd'hui  à  nos  yeu.x  ! 

Evidemment,  dans  son  orddunance  ]irimiti\-e, 
Ja  composition  s'agençait  en  trois  compartiments 
formant  triptyque,  une  partie  centrale  et  deux 
volets,  se  dévelopjiant  en  rangées  superposées  de 
sculptures. 

Autour  d'un  crucifiement  placé,  avec  ses  groupes 
symétriques  de  saintes  femmes  et  de  bourreaux, 
au  centre  de  l'ouvrage,  l'artiste  a\-ait  résumé  en 
treize  épisodes  significatifs  toute  l'histoire  com- 
pliquée de  la  fondation  de  l'église. 

On  y  voyait  les  noliles  filles  se  plonger  dans  leurs 
oraisons  ;  les  maçons  procéder  aux  constructions 
^uccessives;  les  anges  se  hàtir  de  démolir  les 
murailles  à  peine  conunencées  ;  l'oiseau,  messager 
céleste,  expliquer  la  volonté  divine  ;  puis  les  bûche- 
rons abattre  l'éjiine  miraculeuse  ;  plus  loin  l'église 
définitive  érigée  ;  les  ouvriers  payés  ])ar  le  maî- 
tre de  l'ceuvre  ;  l'essai  de  consécration  ]iar  les 
évêques  mal  inspirés  et,tnfin,le  Christ  en  jx^-sonne 
sortant  de  l'édifice  comme  de  sa  demeure. 

Sans  doute,  ces  groupes  expressifs  occujiaient 
jadis  le  bas  des  compartiments,  tandis  qu'au-des- 
sus étaient  placées  la  statue  du  Père  Éternel  — 
celle-ci  couronnant  l'encadrement  arrondi  domi- 
nant le  centre  —  ci  celles,  plus  petites,  d'une 
série  d'Apôtres,  de  Saints  et  de  Saintes. 


Dans  l'arrangement 
actuel.  Dieu  le  Père, 
beaucoup  trop  grand  à 
cette  place,  a  été  des- 
cendu là  où  s'élevait 
jadis  le  Christ  en  croix, 
entre  les  deux  scènes 
à  petits  personnages 
retraçant  classiquement 
V Évanouissement  de  la 
Vierge  et  le  Coup  de 
lance. 

Ces  remaniements  ont 
eu  lieu  à  la  suite  de  plu- 
sieurs incendies  auxquels 
les  groupes  et  les  sta- 
tuettes mobiles  du  reta- 
ble ont  pu  être  arrachés, 
tandis  que  la  partie 
architectonique  formant 
la  huche  primitive,  fixée 
à  la  paroi,  était  aban- 
ilonnée  au  feu. 

Ces     groupes     et    ces 

figurines   sont   les    seuls 

exemplaires  conservés  en 

Belgique  de  l'art  de  nos 

sculi)teurs    sur   bois    de 

la  seconde  moitié  du  xiv*"  siècle.  Ils    constituent 

des  documents    fort  imjiortants  pour  l'histoire  de 

l'école  Brabançonne. 

I^es  trois  sœurs  sont  tout  particulièrement 
tyjiées.  Elles  portent  les  ajustements  caractéris- 
tiques de  réjioque.  Leurs  robes,  tout  d'une  venue, 
moulent  étroitement  leurs  bustes  renflés,  leurs 
tailles  cintrées  et  leurs  hanches  rondes.  Leurs 
manches  longues  et  collantes  retombent  sur  les 
mains  ou  se  replient  au  poignet.  Leurs  chevelures 
emprisonnées  dans  des  résilles  se  massent  en 
deux  touffes  rondes  au-dessus  des  tempes.  Debout 
ou  agenouillées,  les  jeunes  patriciennes  se  tiennent 
en  des  poses  familières.  Elles  sont  un  peu  courtes 
de  btature  dans  le  jet  simple  et  souple  des  drape- 
ries largement  traitées  par  l'artiste.  Toujours 
identiques  à  elles-mêmes,  elles  reparaissent  dans 
les  divers  épisodes,  et  l'aînée  des  sceurs,  afin  que 
nul  n'ignore  leur  munificence,  ne  quitte  pas  une 
énorme  sacoche  bourrée  d'écus. 

L'n  des  groupes  les  plus  cin-ieux  montre  l'archi- 
tecte —  ou  l'entrepreneur  —  payant  ses  hommes 
en  présence  des  fondatrices.  Cet  agencement  de 
quinze  figures,  touffu  et  cependant  aisément  intel- 
ligible, abonde  en  détails  pittoresques  d'une  obser- 
vation  sainement  réaliste. 

Les  statues  du  Créateur,  des  Apôtres,  des  Saints 
et    des  Saintes,  n.'oflrent    pas   le  même  caractère 


P.\XNE.\U    CEXTR.XL    (LES    TROIS   SŒURS 


)ffr 


206 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


de  portraits  d'après  nature;  elles  sont  ])lus  tra- 
ditionnelles et  prévues,  mais  non  moins  adiniral)les 
d'expression  et  de  vie. 

La  huche  actuelle,  de  style  ogival  flruri.  sur- 
monte de  ses  pinacles  ciselés  des  niches  jumelles. 
Il  est  manifeste  que  les  architectures  ménagées 
au  milieu  de  la  partie  centrale  sont  maladroite- 
ment mises  en  œuvre  et  mal  raccordées. 

Non  seulement  le  crucifix  a  disparu,  mais  d'au- 
tres morceau.x  importants  n'existent  jïIus  et  ne 
nous  sont  connus  que  par  des  répliques  de  basse 
exécution.  Des  têtes  et  la  plupart  des  mains  ont  été 
renouvelées  ou  restaurées  de  la  plus  barbare  façon. 

Enfin  il  ne  reste  aucune  trace  de  la  polychromie 
primitive  ni  des  inscriptions  qui  jadis  ajoutaient 
à  l'éloquence  naïve  et  sa\'oureuse  de  la  sculjiture 


les  ressources  significatives  de  textes  ex])licatifs. 
Des  hypothèses,  des  attributions,  des  contro- 
\-erses  d'érudits  se  sont  élevées  nombreuses  autour 
du  retable  ancinxnie  d'Haekendover.  Faut-il  y 
voir  une  aiivre  de  CoUard  Garnet  qui  tra\'aillait 
à  Bruxelles  vers  I3f)j  et  fut  l'auteur  apprécié  du 
tombeau,  scul])té  en  pierre  de  touche,  érigé  à 
Jean  III,  duc  de  Brabant,  dans  l'église  de  l'abbaye 
de  \iilers?  Les  éléments  de  com]iaraison  et  d'ajipré- 
dation  font  défaut.  Et  d'ailleurs,  ([u'iuiporte  à 
l'artiste  un  éclaircissement  liistori([ue  et  archéolo- 
gique ?  L'émotion  d'une  (LU\'re  fiiNriite  et  pitto- 
rescjue  ne  suffit-elle  pas  à  sa  dilection  et  le  niy-^- 
tère  imjiénétré  qui  la  pare  n'ajoute-t-il  ]ias  encore 
à  son  prestige  et  à  sa  séduction.-' 

P.\UL    L.\MBOTTE. 

Inspecteur  des  Reaux-.Vrl? 

(«.•IgiqiK). 


DKT.MI.    Dr    r.\NNE.\r    CENTK.M,    (l-ES   TROIS    SŒl'KS) 


207 


ETUDE    D  ENFANT 


LOUE, 


DE  FRAN 


ATTEAU 


11^  e^t  des  noms  Itmids  à  porter  et  dont  le  rayon- 
nement, lf)in  de  laeiliter  le  succès  aux  descen- 
dants d'un  homme  illustre,  laisse  leur  mérite  dans 
l'ombre.  Telle  fut  l.i  mésaventure  du  neveu  et  du 
petit-neveu  d'Antoine  W'.itteau,  — les  Wiit/i\iii  dt- 
Lille  (I). 

II)   Allt..illr    W.lttr.ui.   I(i.S.|.17JI. 

L..uis  Wattc.in.  1731-1  7i),s, 
I-'r.inrnis  \V;ill(-.iii.  17.vS.1S2,. 


Louis  et  François,  le  père  et  le  fils,  ont  joui  d'une 
grosse  ré]iutation  provinciale  Nés  à  \'alenciennes, 
comme  l'Oncle,  ils  sont  restés  attachés  à  la  contrée 
natale,  ne  se  prodiguant  point  à  Paris  et  conqué- 
rant à  Lille  une  situation  officielle  qui  consacrait 
leur  talent.  Leurs  (eu\Tes  sont  demeurées  dans  le 
\(irtl,  contînées  dans  les  Musées  de  Lille,  de  ^'alcn 
ciennes  ou  les  collections  particulières,  et  il  a  fallu  le 
hasard  de  ventes  privées  pour  que  se  révélât  au 


20S 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


grand  public  leur  indéniable  talent.  Le  plus  bel 
éloge  qu'on  en  puisse  faire,  c'est  qu'ils  ne  sont  pas 
indignes  de  leur  nom. 

François  Watteau,  le  dernier  venu  de  la  famille, 
ne  connut  pas  les  rudes  débuts  de  son  grand-oncle, 
et  il  faut  peut-être  le  regretter  pour  son  appren- 
tissage artistique.  Louis, 
son  père,  était  à  Lille 
professeur  de  dessin 
de  la  ville.  Artiste  cons 
ciencieux,  il  avait  peint 
avec  succès  des  ta- 
bleaux de  genre,  com- 
me la  Joueuse  de  vielh 
et  le  Montreur  de  singes. 
qui  sont  au  Musée  de 
\'alenciennes  ;  mais  il 
s'était  spécialisé  dans 
les  scènes  militaire?  : 
le  Camp  de  Saiut-Omer. 
le  Racoleur,  le  Cong: 
absolu,  sont  des  docu- 
ments amusants  et 
précis  sur  nos  troupi> 
à  la  fin  de  l'ancien 
régime.  Il  avait,  en 
outre,  de  l'indépen- 
dance et  ne  craignait 
pas  les  innovations 
l'autorité  supérieuri 
l'avait  quelque  temp> 
suspendu  pour  avoir 
substitué  dans  les  écok- 
le  modèle  vivant  an 
modèle  de  convention 
mais  lescandale  n'avait 
pas  duré.... 

De  son  père,  Fran 
çois  Watteau  acquit 
une  technique  excellen- 
te, un  très  sûr  métier 

En  1774,  à  seize  ans 
on  lui  décerna  la  mé 
daille  d'honneur  dr 
l'Académie  lilloise  qni 
lui  valait  d'être  envové 

à  Paris  et  l'on  peut  croire  que  l'on  mit  dans 
ses  bagages  le  pronostic  d'atteindre  l)ientot  la 
gloire  de  son  grand-oncle  et  celle  même  de  son  père 
dont  Lille  s'enorgueillissait  peut-être  davantage.... 

Pendant  les  quelques  années  où  il  vécut  à  Paris  — 
jusqu'en  1785  environ  —  François  Watteau  sut 
voir  et  comprendre.  Il  suivait  les  cours  de  l'Aca- 
démie des  Beaux-Arts  et  il  en  recevait,  en  1782, 
une  médaille.  Il  était  encore  médaillé,  en  1783,  à 
VExposition  de  la  Jeunesse,  ces    «  Indépendants  » 


de  l'époque  qui  se  tenaient  place  Daujibine,  en 
plein  vent.  C'est  là  que  Chardin,  n'appartenant 
point  à  l'Académie  et  ne  pouvant  exposer  au 
Lou\Te,  avait  en  1728  accroche  à  rau\ent  d'une 
boutique  sa  Raie  et  son  Buffet  que  le  Louvre  aujour- 
d'hui s'honore  de  posséder.   François  Watteau  ne 


lE    PETIT    BRICOLEUK 

nous  a  laissé  ni  la  Raie,  ni  le  Bh^iV.  mais.en  venant 
place  Dauphine,  il  témoignait  d'un  désir  de  vivre 
avec  son  époque,  et  l'on  doit  reconnaître  que  son 
meilleur  enseignement,  il  le  reçut  de  la  foule  agis- 
sante, mouvementée  qu'il  allait  observer  dans  les 
jardins  publics,  dans  la  rue.  Il  devenait  le  jieintre 
attentif,  consciencieux  de  ce  peuple  en  évolution 
qui,  des  premières  années  du  règne  de  Louis  X\T 
jusqu'en  1789,  s'achemine  insensiiilement,  sûre- 
ment vers  le  pouvoir. 


209 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


ITn  artiste  sriupiilcnx,  qui  n'idéalise  point  se 
moilèli-s,  niais  1rs  rend  avec  une  jxirfaite  lionne 
te(é.  telle  est  bien  l'inijiression  que  nous 
laissent  les  dessins  du  petit-neveu  de  Wat- 
teaii.  \'oyez  ce  jietit  saute-ruisseau,  les  che- 
\'enx  einlironssaillcs.  les  joues  bien  rondes, 
le  nienlon  à  fossette,  fortement  appuvc  sur  sa 
tri([ue.  Et  cet  autre,  coiffé  d'un  large  feutre, 
accroupi  sur  sa  boite,  le  dos  au  mur,  quekiue 
bi-i(()l(iir  en  plein  \-eiit  alleiidant  sans  ini- 
paiiiiKe.  un  bâton  aux  doigts,  la  clientèle 
«pii  viendrait  troubler  son  farniente  ?  N'est-ce 
pas  luicpie  nous  retrouvf)ns  ])lus  tard,  en  long 
earrirk  à  double  collet,  les  bas  de  travers, 
pesamnunt  assis  sur  une  chaise  des  Tuileries 
ou  du  Luxembourg,  regardant  avec  ironie  dé- 
filer les  dernières  élégantes  et  tenant  un  solide 
.gouiilin,  le  même  ([u'il  maniait  assis  sur  sa 
lioite,  le  même  où  s'appnie  le  jeune  saute- 
ruisseau,  le  même  dont  François  Watteau 
se  sert  pour  camper  son  jietit  jiaysan  au 
])rofil  ]icrdu  si  rieur,  à  la  pose  si  joliment 
didi.inchée  ?  Tout  cela  est  vivant  et  inquié- 
tant. Il  y  a  dans  ces  mains  noueuses  bien  ar- 
mées, dans  ces  yeux  pensifs,  de  la  force  ciui 
alfend.... 

Antoine  Watteau  ne  nous  a  pas  habitués  à 
tout  ce  réalisme,  et  son  nom  seul  é\'oque  tant 
de    grâces    légères    qu'on    s'étonne    d'vn     peu 


bor 

la  l 


trouver  dans  l'ceuvre  de  son  petit-neveu. 
Il  convient  de  n'en  pas  tirer  contre .  celui- 
ci  de  trop  sévères  conclusions.  Si  souple  que 
fut  le  talent  du  grand  Watteau,  on  l'imagine 
malaisément  au  travail  à  l'époque  et  dans  le 
cadre  social  où  peignit  François.  Il  y  eût  à 
coup  stir  apporté  cet  idéalisme,  ce  raffinement 
dont  sont  empreintes  ses  moindres  oeuvres. 
Il  y  eût  mis  la  nervosité  supérieure  d'un 
crayon  en  relation  constante  avec  son  cer- 
veau et  n'eiit  pas  employé  ce  procédé  par 
traits,  «  au  carré  »,  qui,  chez  François  Wat- 
teau, rappelle  parfois  l'école.  Sans  doute. 
Mais  il  n'eût  pas  été  non  plus  le  portraitiste 
fidèle  de  cette  foule  inélégante  dont  il  était 
distant,  moins  par  ses  origines  que  par  son 
sens  naturel  du  beau. 

François  Watteau  a  été  ce  portraitiste.  Il 
a  été  le  ])eintre  du  «  tiers  »,  de  la  classe  qui 
alors  montait.  Et  si  nous  ne  retrouvons  pas, 
dans  ses  liourgeoises  un  peu  «  posées  pour 
l'artiste  »,  les  grâces  étincelantes,  le  trait 
sulitil  et  nerveux  du  grand-oncle,  elles  don- 
nent en  revanche  une  impression  de  vérité, 
'h'  franchise  dont  l'historien  doit  savoir  gré 
au  peintre.  Sa  jeune  femme  au  iicliu  Marie- 
Antoinette  que  ses  paniers  tiennent  posée  au 
d  de  la  chaise  et  cette  autre  en  bonnet  dont 
ournure  nous  laisse  dans  l'incertitude  pénible 


ETUDE    DE    VIEILLE  EEMME 


i;akt    et    les    artistes 

de  la  savoir  assise   ou   debout,    vahut    une  Ion-  l'Heureuse  famille  et  la  Suiiil-yicohis.   au    .Mus^e 

gue   critique  des  modes.   Au  surplus,  et  il  \'  faut  de  Lille. 

insister,    la    teclmique    est    excellente.  Les    étoffes  Cette  évolution   de    son     talent    s'affirme    avec 

tombent   à   merveille  et  les  poses,    d'un    naturel  les  années  et  jamais  il  ne  sera  plus  vivant  que  dans 

parfait  dans  leur  inélégance,  reflètent  à  la  fois  le  les  scènes  du  genri'   kiTine^sc  :  l,i  Viic  du  Broquc- 


ETUDE    DE    JEL-NE    FEMME 


tcm]5éram(nt    d'un    artiste   et    l'âme    de    la    loule 
où  il  trouva  ses  modèles. 

Revenu  à  I-ille  en  1786,  connue  adjoint  de  son 
])ère,  François  Watteau  a|)])li(iue  désormais  son 
es]irit  d'observation,  aiguisé  ])ar  Paris,  à  la  vie  qui 
l'entoure,  à  des  scènes  locales.  Il  y  prend,  certes, 
plus  de  j)laisir  encore  qu'aux  promenades  pari- 
siennes et  il  en  tire  des  sujets  charmants  :  ainsi  le 
Menuet  sons  tut  chêne,  au  Musée  de  Valenciennes  ; 


/('/  et  1(1  Braderie.  Ses  qualités  de  réaliste  s'y  dé\'e- 
lojijieront   sous  l'influence  flamande. 

Dans  les  dessins  que  nos  lecteurs  trouwronl  ici, 
François  Watteau  n'en  est  jias  encore  à  cette 
période.  C'est  le  Watteau  en  exode  à  Paris  et  (jui 
exerce,  avec  une  réelle  habileté,  à  cette  é])0(|ue  où 
les  nuances  s'atténuent,  où  le  ni\'ellement  \v\u\  à 
les  effacer,  ses  factdfés  d'observateur  adroit.  On  ne 
retrouve  point  en  lui  les  grâces  (\\\  xviir'  siècle  — 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 

celles  mêmes  que  ressuscita  de  nos  jours  l'exquis  là  une  vivante  source  d'histoire.  L'art  officiel  qui 

(iustave   ]acquet  ([ui  \ient  de  mourir  —  mais  il  dans  peu  va  naître,  savant  mais  froid,  dominé  par 

sut  mettre  en  relief  dans  ses  modèles  populaires  la  préoccupation  de  l'antique,  fera  regretter  long- 

le  trait    qui   leur  est   connnun   :    la    force   bientôt  tem]is  l'aimable  fantaisie  du  petit-neveu  de  Wat- 

agissante.  teau. 

Et  il  faut  lui  sa\-oir  trré  de  nous  a\-oir  conservé  Edmond  Cleray. 


L  HOMME    AU    GOURDIN 


\EIILEUR    DE    NUIT 


JULES     ADLER 


NAÎTRE  à  Luxeui),  un  ravissant  petit  village  de 
la  Haute-Saône,  dans  un  frais  décor  de  nature 
champêtre,  presque  à  l'ombre  des  piliers  d'un  vieux 
cloître,  parmi  les  pampres  et  la  floraison  des  ceri- 
siers, puis,  à  l'âge  d'homme,  s'attarder  de  préfé- 
rence au  bord  des  fosses  minières  des  pays  noirs, 
fortement  subjugué  par  la  misère  de  tout  un 
peuple  d'hommes,  de  femmes  et  d'enfants  voues 
aux  calamités  tragiques  du  destin  ;  fraterniser 
entre  temps,  sur  le  sol  parisien,  avec  les  ouvriers 
héroïques  du  faubourg  de  la  République  et  gagner 
rapidement  d'être  considéré  comme  un  des  meil- 
leurs peintres  de  la  vie  sociale,  en  s'inscrivant  au 


nombre  de  ceux  qui  en  rendent  avec  ]ilus  de  foi  et 
d'enthousiasme  les  nuilti]>les  caractères  de  beauté  .. 
Tel  est  déjà,  vers  la  quarantaine  à  peine  sonnée, 
l'emploi  de  travail  d'une  belle  carrière  d'artiste 
en  passe  d'évoluer  vers  une  autre  formule  esthé- 
tique plus  générique,  avant  d'atteindre  au  terme 
proche  d'un  idéal  décoratif  définitif. 

M.  Jules  Adler  cherche  à  s'expliquer  i)ar  quel  effet 
de  bizarre  antithèse  il  fut  amené  à  contrarier  tout 
d'abord  l'émoi  de  sa  vocation  naturelle,  et  pour- 
quoi, au  lieu  de  peindre  les  séduisants  motifs  de 
pavsages  qu'il  avait  constamment  sous  les  yeux 
durant  sa  jeunesse,  il  en  vint,  presque  sans  tran- 


213 


L'ART    ]-:r    i.i:s    artistes 


LE   PETIT    .MOUSSE  (dessin) 

>ition,  à  se  ((iin|il.iirc  dans  l\-tu(k-  ,t,'ra\'e  et  àpic 
(li's  t(ii,L,'<'s  il  (1(.^  IkiuIs  tcnuncaiix.  S'il  est  mciitaiit 
pour  lui  (le  jUL^uiuer  (jue  son  atavisme  se  réclame 
du  sang  bleu  et  riche  de  (luehiiie  vague  aïeul  ne 
dans  la  Haute-Alsace,  simjile  lils  de  ses  œuvres  qui 
mania  jadis  le  pic  et  le  marteau,  il  sied  davantage 
pour  nous  d'admirer  en  lui  un  des  continuateurs 
des  I.enain,  ces  premiers  réalistes  méditatifs  de 
l'àme  populaire,  coiiime  aussi  du  Delacroix  de  la 
Liberté  sur  Il\  IliimUitli-s,  du  Courbet  des  Casseurs 
de  pierres,  du  .Millet  de  VA)i^clus  et  des  Glaneuses, 
et  l'égal  en  pensers  charitables  de  ses  contempo- 
rains immédiats  :  Bastien-Lepage,  Jules  Breton, 
Constantin  ^Meunier,  Eugène  Carrière,  Renoir, 
Pissaro,  Lhermitte,  Roll,  Kaffaëlli,  Lepère. 

En  ces  derniers  temps,  combien  d'artistes  de 
notoriété  déjà  effacée,  moins  imbus  de  lasaine  et  virile 
croyance  de  M.  Adler,  mais  plus  avides  de  réclame, 
incités  par  ce  courant  nouwau  d'efïluves  humani- 
taires, auquel  l'extraordinaire  éclosion  d'une  litté- 
rature Scandinave,  érigeant  à  sa  tête  comme  un 
phare  de  lumière  le  radieux  génie  russe  de  Tolstoï, 
ne  fut  pas  étrangère,  se  sont  empressés  de  greffer 
sur  d'estimables  antiennes  à  la  mode  leurs  palino- 
dies intéressées.  De  telle  sorte  que  nos  Salons  furent 
et  sont  encore  encombrés  par  des  scènes  d'un 
mérite  très  frelaté,  —  de  la  rue  et  des  champs,  — 
n'ayant  qu'un  rapport  équi\-oque  et  lointain  avec 
cet  art  d'évocation  magnifique,  si  bien  défini  par 
Eugène  Carrière,  le  premier  à  regretter  que  la 
peinture,  plus  ]iar  snobisme  que  par  réelle  convic- 


tion, se  lit  le  i)orte-étendard  des  revendications  des 
artisans,  et  laillît  ainsi  à  l'éclectisme  de  sa  mission 
sacrée. 

u  II  n'y  a  ])as  d'art  social,  me  disait,  un  jour, 
le  maitre,  en  substance,  mais  mieux  un  art  s'ins- 
pirant  de  toutes  les  beautés  infinies  de  la  vie 
sociale,  si  féconde  en  enseignements  sans  cesse 
renouvelés.    » 

Dans  ce  cadre  suggestif,  l'ieuvre  jnctural  de 
M.  Adler  conserve  l'empreinte  inéluctable  de  son 
tourment  moral  et  de  ses  joies  ardentes.  II  confirme 
dejniis  ses  premiers  envois  au  Salon  des  Artistes 
français,  jusqu'aux  derniers,  en  ne  citant  que  les 
]>lus  imi)ortants  :  fin  de  journée,  Mère  et  Chemi- 
iictui,  Paris  F  été,  Au  Pays  de  la  nmie,  le  Banc. 
1(1  Soupe,  les  Haleurs,  Matinée  au  faubourg,  le 
]'ciUcur  de  nuit,  le  Coron,  le  Retour  du  pardon 
un  des  rares  tableau.x  de  l'artiste  dont  le  sujet  ait 
été  i)ris  en  Bretagne,  la  persistance  généreuse  de 
Son  effort  et  la  sincérité  de  son  identification  spiri- 
tuelle. 

M.  Jules  Adler  est,  de  fait,  le  peintre  du  «popu- 
laire H  par  excellence.  Mais  la  pratique  de  son  art 
n'a  nullement  eu  à  souffrir  de  cet  envoïitement 
démocratique.  La  délicatesse  de  son  sentiment  ne 
lut  ]ias  émoussée  par  l'objet  de  tant  de  forces  ori- 
ginelles que  son  pinceau  se  glorifiait  d'évoquer.  Il 
alla  vers  elles  avec  la  foi  d'un  véritable  poète  que 
l'inspiration  de  sa  muse  conduit  au.x  sources  inta- 
rissables de  la  vie  même.  La  clairière  était  si  vaste, 
si  colorée,  les  motifs  si  abondants,  l'émotion  de  son 


.V5 


FILLE    DE    PECHEURS    ,iless:n  : 


214 


T  '  \1M      VT     I  I-s     ARl'lSTKS 


!lftw'*;w;ï.'*ww 


JVLr.5    ADUTK  . 


LE    TKCJTTI.N    (SAl.UN    DE    iguSj 


cœur  si  profonde.  Ah  !  certes,  il  est  passé,  le  temjjs 
des  rois  et  des  bergères  des  Trianons!...  «  Les  dieux 
sont  partis,  s'écriait,  il  y  a  déjà  un  demi-siècle, 
Castagnary;  l'Homme  demeure  !...  » 


Il  est  là  partout  dans  la  nature  où  il  y  a  de  l'air, 
du  soleil,  des  rires  et  des  chansons,  des  tristesses  et 
des  pleurs.  Jules  Adler  n'eut  pas  de  peine  à  être 
convaincu.  Tout  le  prédestinait  au  rôle  de  sa  mis- 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


^_Tr 


JEUNE    CHEMINEAU      (de 


sion  quasi  evaii- 
,i,'éli(.HU-.  D'ins- 
tinct, il  aimait 
les  hunihlfs  (iiii 
assunu'iit  la  ta- 
che lourde  (le 
travailler  sans 
cesse.  Lui-niénie 
n'était-il  pas  du 
niinibre,  a\ant 
re(,-u  du  ciel  en 
partage  ce  don 
admirable  ipii  le 
différenciait  tou- 
tetois,  avec  cei- 
tains  des  autres. 
aux  yeux  de 
tous  :  son  amour 
de  l'art. 

Dansla  muette 
solennitt'  du 
spectacle  ipie  lui 
offrait  l'aiiciid  iiia,!,'istr.demcnt  [londéré  du  ciel  et 
de  la  terre,  si  s,l  (onsc  lem c  s'alarma  en  secret  des 
inégalités  secul.nies  (pTuii  sort  injuste  laisse  sub- 
sister à  l'eiu'i  d.iiis  l'ordre  social,  Jules  Adler  avait 
ili'  plus  \'clu'mcnts  soni  is  d'art  (pie  celui  de  diffuser 
la  rau(  nue  et  laisser  transpercer  le  di'pit  d'autrui. 
Jamais  il  n'entie])iit  d'exciter  les  i)auvres  contre 
les  riches,  les  (K'^shiiités  contre  les  jinissants. 

En  s'attai  haut  à  iieuidre  des  scènes  émouvantes 
de  la  vie   sociale,   ((imme 

entre  toutes  sa  Sarlic  du  -.j-     ,   -   - 

CrcH>.ot.  il  céda  à  la  lièvre  '  \         ''^       t.^  . 

de  son  tempçr,inu-nt  plus 
apte  à  \'onloir  dé(on\rii 
la  mâle  beauté  autre  part 
qu'à  tra\'ers  le  th.'iue  n-- 
battu  lU's  félicités  boui- 
geoises. 

Pour  un  coloriste  épris 
"l'esthétitjue.  (pielle  joie 
intense  de  parvenir  à  tra- 
duire, sur  les  visages  éma- 
ciés  de  ces  laborieux  aux 
membres  endoloris  |)ar 
les  rigueurs  plnsiques,  le 
sentiment  du  fardeau  qui 
les  accable,  A.v  l'angoisse 
sourde  qui  les  dévore,  de 
la  famine  cpii  les  guette, 
comme  aussi  de  l'espoir 
(\m  les  ranime  et  les  sou- 
tient sans  cesse.  L'aridité 
du  paysage  oi'i  s'éternise 
leur  long  calvaire,  l'asjject 


d'abandon  de  ces 
terrains  dénudés, 
liossués  par  les 
noires  monta- 
gnes de  charbon, 
que  dépasse  le 
faite  des  hautes 
cheminées  cra- 
chant des  fumées 
grises,  cadre 

d'effroi  et  d'é- 
]5ouvante  avec 
l'image  de  dé- 
tresse de  ces 
créatures  isolées. 
La  couleur  mê- 
me de  leurs  hail- 
lons entrevus 
dans  l'ambiance 
fuligineuse  de 
l'austère  décor 
minier  est  aussi 


tl' 


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j> 


-— -^/1"■  '^^  •  X  i' 'Ik-K:   ^f^-    I.'-î* 


Ï-Vf 


SAUV.^GEONNE    (dessin.! 


séduisante  à  étudier  que  celle  des  riches  pour- 
points Il  émane  d'elle  plus  de  psychologie  péné- 
trante et  de  mélancolie. 

Au  même  titre,  les  vertus  de  la  maternité,  qui 
sont  égales  chez  toutes  les  mères,  gagnent  en  atten- 
drissement touchant,  quand  il  s'agit  de  représenter 
une  femme  du  peuple  allaitant  son  enfant.  Les 
Inunbles  ont  des  grâces  pirimitives  et  simples  que 
les  favoris  de  la  fortune  perdent  plus  aisément. 
L'art,  par  conséquent, 
,  s'en  tresse  une  couronne 
~  ,       ,       .  /      plus  subtile. 

Comme  il  était  beau  à 
peindre,  ainsi  que  l'a  fait 
yi.  Adler,  ce  chemineau 
piarcourt  en  chantant 
routes  de  France,  por- 
sa  pelle  sur  l'épaule 
comme  un  fusil,  la  cour- 
îf  roie  de  son  vieux  bissac  de 
troupier  rempli  d'une  mai- 
gre pitance  cerclant  ses 
reins  solides.  Il  va  libre 
et  fier  parmi  les  vastes 
plaines  et  les  champs  pro- 
digues de  moissons,  vers 
les  horizons  bleus.  Dans 
l'ieuvre  de  INI.  Adler,  nous 
l'avons  rencontré  sou- 
vent, ce  chemineau,  sur  la 
place  de  la  République 
et  ailleurs.  Nous  sommes 
tentés  tle  le  retrouver 
sous  une  autre  contlilion. 


^^'^W:.^:?!!^^  qmpa 

l-    _  _.\  \        ..'VY'^^       L^     comuK 


216 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


dans  le  tabk-au  Jfs  Hulturs.  iiièlc  au  j^'roujie  de 
quelques  camarades,  qui  s'appliquent,  dans  une 
même  tension  d'énergie,  à  tirer  sur  le  câble  attaché 
Ml  bateau.  L'effort  est  rude.  On  le  devine  par  la 
oucentration  rythmique  et  parallèle  de  leurs 
reins  courbés  et  aplatis  en  oblique.  De  l'autre  côté 
de  la  rive,  les  maisons  s'estompent  dans  une  brunie 
blonde  et  seul,  se  détache  en  vigueur  le  faisceau 
humain  qui  peine  à  la  tâche  et  halette.  Ce  motif  n'a 
d'autre  prétention  que  d'exprimer  une  chose  vue, 
un  de  ces  mille  côtés  du  labeur  social  journalier. 
Mais  M.  Adler  a  su  y  mettre  un  tel  sentiment  -de 
nature,  une  telle  impression  d'art,  qu'il  est  presque 
aussi  palpitant  qu'une  page  de  haut  fait  et  qu'on 
oublie  le  sujet,  par  lui-même  assez  insignihant,pour 
admirer  surtout  l'artiste  qui  a  su  l'exprimer  avec 
tant  d'à-propos  heureux  et  de  maîtrise. 

Quand  il  n'est  pas  dans  les  mines,  ^I.  Adler  iiabite 
tout  près  de  la  place  de  la  République.  De  telle 
sorte  qu'il  vit  ainsi  au  milieu  du  peuple  qu'il  aime 
et  en  plein  cœur  de  Paris.  Il  a  fait  de  ce  quartier 
ses  Champs-Elysées  d'élection.  Mais  que  d'impres- 
sions plus  originales  les  préoccupations,  les  dis- 
tractions de  cette  foule  ont  éveillées  en  lui  !  Quel 
kaléidoscope  changeant  !  Quelle  diversité  de  spec- 
tacles !  Quel  chatoiement  de  couleurs,  la  semaine. 
comme  les  jours  de  dimanches  et  fêtes  !... 

M.  Jules  Adler  a  peint  Paris  l'été,  lorsque  les 
couples  se  pressent,  que  les  jeunes  mères  portent 
leurs  bébés  sur  les  bras,  sous  la  clarté  douce  des 
étoiles.  Tout  ce  monde  se  heurte,  se  rencontre,  se 
coudoie.  Ils  sont  gens  de 
même  famille.  Petits  et 
grands  sont  des  enfants 
bien  sages,  quand  les 
misères  de  la  grève  m- 
font  pas  gronder  leurs 
voix  comme  un  tonnerre. 

Il  a  peint  aussi  une  Ma- 
tinée au  Faubourg.  Tout 
un  peuple  descend  et  se 
rend  au  travail  dans  la 
longue  rue  où  clapotent 
aux  vitrines  des  bazars 
les  plis  des  drapeaux  qui 
jettent  une  note  chan- 
tante dans  l'atmosphère 
poudreuse  confondant  les 
gens  et  les  choses  dans 
les  plans  éloignes.  C'est 
simple,  exjîrcssif,  sincèrr 
d'observation.  Le  couple 
de  la  jeune  ouvrière  et 
du  compagnon,  la  jjetite 
modiste  sont  naturels  de 
mouvement.  On  i)ourrait 


taire  volontiers  vii^rer  le  couplet  sentimental.  Oui, 
c'est  bien  Paris,  le  Paris  des  faubourgs  ;  c'est  aussi 
l'amour  sous  la  mansarde  délaissée  le  jour  et  les 
hasards  bons  ou  mauvais  de  la  vie  à  deux  :  enfin 
c'est  la  vie,  l'existence  de  travail.  M.  Adler  a  l'es- 
prit hanté  de  ces  visions  saines  et  jiopidaires.  Elles 
sont  vraies  parce  que  éternelles. 

Il  a  peint  le  Banc,  la  Soupe,  et  "n  toutes  ces 
iL'Uvres  le  frisson  de  son  âme  émue  de  initié  s'est 
essoré  en  stances  délicates  et  pathétiques.  M.  Jules 
Adler  est  en  pleine  maturité  de  talent.  On  ne  jieut 
lui  reprocher  encore  d'une  manière  générale  ce 
que  Taine,  judicieusement,  considérait  «  comme 
une  preuve  de  la  décadence  d'un  artiste,  (piaiid, 
dans  la  seconde  partie  de  son  existence,  celui-ci, 
arrive  au  terme  de  ses  découvertes,  parait  ne  plus 
devoir  (t-uvrt-r  qu'avec  les  recettes  ramassées  dans 
le  courant  de  son  expérience  •>. 

M.  Adler  est  un  trop  véritable  amant  de  la  nature 
et  un  analyste  trop  distingué  ])()ur  s'attirer  jamais, 
à  fond,  cette  critique. 

C'est  en  1901,  si  je  me  .souviens  bien,  qu'il  lit 
une  exposition  d'études  et  de  dessins  des  jjIus 
remarquable.  Depuis  cette  époque,  à  tliftcrents 
intervalles,  le  jeime  maître  est  allé  là-bas,  dans  les 
dunes,  près  de  Berck,  au  pays  du  grand  paysagiste 
Cazin.  Il  en  a  rapporté  des  dessins,  des  figures,  des 
))einturfs  et  des  paysages  très  clairs.  Sous  l'empire 
de  la  lirise  du  large,  il  semble  que  sa  ]>alette  est 
rajeunie,  et  que  ce  soit  un  autre  champ  d'humanité 
peint  avec  des  couleurs  jilus  fraîches.  ]ilus  enso- 
leillées, ([ue  sa  vision  a 
embrassé,  dans  le  calme 
rejiosant  de  la  vie  rurale. 
Devons-nous  y  découvrir 
pour  demain  la  ])romesse 
et  la  iiersjiective  d'une 
nein'e  conception  de 
beaux  et  chanqiêtres  dé- 
cors où  ses  facultés  maî- 
tresses et  son  jjersistant 
courage  continueront  à 
>e  reiiomeler  et  à  s'aftîr- 
mei  eu  toute  certitude 
d'espoir  îles  superbes 
triomphes  ultimes?  Ce- 
pendant, qu'avant  de 
x'oguei".  pi'Ut-ètre,  vers 
des  ciels  plus  cléments. 
.M.  Jules  Atlkr  élabore 
jjour  le  Salon  prochain  un 
immense  tableau  ilont  le 
sujet,  encore  pris  au  Pays 
de  la  Mine,  fera  certaine- 
ment sensation. 
(jEOKGES  Dknoinvii.i.e. 


217 


"^•'^""^^^^l^-v 


SOIR    D  HIVER    (Kouacbi) 


WELLHAM    MÛITÛ 


M      HnKT0X..t 


^t  un  (  liassiui"  de  paysages.  Point 
nialniak'  qu'il  ne  l'ait  devancée, 
point  i\v  prnitniip-.  dont  il  n'ait  surpris  le  pre- 
mier ra\(in  >nr  les  <  rrisifrs  en  tleurs  ou  sur  une 
humide  prairie  à  l'horizon  liorné  de  cimes  encore 
neigeuses.  Le  soleil,  à  son  lever,  déjà  le  trouve 
embusqué  derrière  un  rideau  de  peupliers  ou  sur 
une  éminence  d'où  l'on  voit  se  dérouler  les  lignes 
agiles  du  paysage.  Et  quand  le  soir  descend,  chan- 
geant l'aspect  des  choses  et  rougissant  la  terre 
labourée,  quand  les  troupeaux  rentrent  et  que 
les  hommes  se  re])oseiit,  M.  Horton  est  encore  ce 
dernier  spectateur  de  la  beauté  du  jour  que  vous 
voyez  attardé  sur  la  lande,  jaloux  de  cette  nature 
qui  lui  a])]iartient  ]iar  l'amour  qu'il  lui  porte, 
anxieux  que  les  couleurs  ne  se  fanent,  que  les  formes 


ne  s'évanouissent  dans  la  l)rume  sans  qu'il  les 
ait  emprisonnées  sous  sa  paupière  et  dans  son 
cœur.  L'hiver  retenait  M.  Horton  sur  les  rives  de 
la  Seine,  parmi  les  fumées  des  petits  remorqueurs, 
au  cieur  de  ce  Paris  dont  il  goûte  mieux  qu'un 
autre,  lui  qui  n'est  pas  d'ici,  les  mélancoliques 
jardins  défeuillés.  Le  printemps  le  trouvera  aux 
cimes  d'Engadine,  à  moins  que  ce  ne  soit  au  ver- 
sant italien.  L'automne  n'aura  pas  encore  accordé 
ses  splendeurs  quand  Grenade  ou  Biarritz,  ou  Lon- 
dres, ou  \'enise.  ou  quelque  village  ignoré  dans  le 
Pa\s  de  Galles  accueillera  cet  inlassable  prome- 
neur. 

C'est  l'extrême  rajudité  de  sa  démarche  de  tou- 
riste, c'est  l'entière  soumission  du  rythme  de  sa 
vie  au  r\"thnie  des  saisons  et  des  heures,  qui  donnent 


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L'ART     ET     LES     ARTISTES 


aux  peintures  de  ^L  William  S.  Hurton  une  \-ai'iété 
si  attrayante,  une  saveur  si  unique  de  sur]irise, 
de  spontanéité,  de  plaisir.  Ni  les  engouements  de  la 
mode,  ni  les  théories  passagères,  ni  les  exemples 
déconcertants,  ni  les  funestes  conseils  n'ont  de 
prise  sur  cet  artiste  absolument  libre.  Il  peint,  parce 
bue  telle  est  sa  fonction  dans  le  monde  :  pour  obéir 


ton  l'est  par  délinilion.  Les  impressions  le  traversent 
de  ])art  en  ]iart.  Elles  se  succèdent  en  lui  avec  netteté, 
avec  relief,  sans  déborder  les  unes  sur  les  autres. 
Elles  se  déposent  en  son  cerveau  comme  en  milieu 
intact.  Son  souci  le  plus  éminent  est  de  les  garder 
pures  de  tout  mélange',  sauves  de  toute  altération, 
de  préserver  ce  qu'elles  ont    d'individuel    (!<■<   in- 


Vn;    DE    MMHOUKC, 


à  son  instinct,  jiour  se  satisfaire  lui-même,  pour 
causer  du  plaisir  à  sa  main  souple,  à  son  leil  ])reste. 
Cet  œil,  tous  les  spectacles  qui  s'offrent  à  lui  sur 
son  chemin  le  trouvent  neuf,  naïf  et  disjios.  net 
de  sensations  antérieures,  clair  comme  le  jdur  (pi'i! 
reflète.  Nul  art,  plus  que  celui  de  .M.  Hortuu,  n'est 
exempt  de  dogmatisme.  Pom'  lui,  l'homme  le  plus 
peintre,  c'est  l'homme  le  ])lus  im])ressionnal)le,  le 
plus  capable  de  laisser  \enu"  à  lui  les  choses,  d'ac- 
cueillir en  lui  le  dehors,  le  mieux  jiréparé  ])ar  l'en- 
traînement du  travail,  la  connaissance  techiii(|ue 
et  la  réflexion  à  transcrire  sur  la  toile  ce  qui  est 
écrit  dans  l'univers,  à  obéir  à  ce  qui  existe,  à  se  con- 
former à  la  vérité.  Donc,  impressionniste,  ^L  Hor- 


tluences  de  sa  ])ersonnalité  même.  «  L'art,  dit  le 
\-ieil  adage  baconien.  c'est  l'honune  ajouté  à  la 
nature.  "  M.  Horton  professerait  plutôt  que  c'est 
l'homme  ;(;;;■  à  la  nature  et  confondu  avec  elle  : 
pelletier  par  l,i  lei\-(iir  et  se  laisser  i)énélrer  par  la 
patience.  Il  ac((]ite  l.i  nature,  définitivement,  et 
n'entend  point  la  remanier.  Elle  est  ce  qu'il  y  a  de 
plus  beau,  ce  qu'il  \-  a  d'éternel  et  d'absolu,  ce  que 
l'homme,  en  toute  candeur,  doit  imiter,  sans  aucune 
feinte.  A  cet  acte  de  foi  se  borne,  je  pense,  l'esthé- 
ti([ue  de  M.  Horton. 

Si  soumis,  cependant,  qu'il  soit  à  son  motif,  si 
attentif  à  lixer  les  jeux  les  plus  subtils,  les  plus  fugi- 
tifs lie  la  lumière.  M.  Horton  n'est  pas  -^ans  apporter 


219 


L'ART     ET     LE^     ARTlsTES 


jAKDIX    DES    TUILERIES    (APRES-Mih;    I>H1\LK, 

une  i-fclicrche  visihle  dans  la  composition  du  ]>a\-      chez    lui.  k-   choix.  Épris  cîe  la   rareté  des  effets, 
sage,   l.a  .i^'oniinandise  de  sensations  nV-xclut  pas.      il  n'est  point  inaccessible  au  sentiment  de  la  pemia- 


<fm'~^'':J'\!l. 


l'MXT  HE  riETR.x  A  \'i:roxe  (Jt-ssîm 


L'ART     ET     1T':>     ARTISTES 


LES    PEUPL^•:K^^ 


nence  et  de  la  majesté  dans  la  nature.  Impression- 
niste par  goût,  par  tempérament,  jiar  la  souplesse 
et  la  variété  de  la  technique,  par  la  tonalité  de  la 
palette,  sa  raison  et  sa  culture  l'empêchent  de  se 
borner  à  cette  formule  incomplète  du  pa\"sage  que 
nous  a  léguée  la  plus  récente  école  du  plein  air. 

L'exposition  tle  M.  William  S.  Horton,  chez 
Georges  Petit,  montrait,  il  \'  a  quelques  mois,  une 
curieuse  série  de  notations  et  d'études,  tels  ce  Grand 
vase  ail,  jardin  des  Tuileries  et  ces  Cerisiers  et  Neit^e 
fondante,  d'une  justesse  si  franche,  d'une  imiiro- 
visation  si  décisive.  Certains  voudront  peut-être 
voir  dans  ces  rapides  croquis  de  couleur  la  jiart  la 
plus  captivante  de  la  |)roduction  du  ])eintre.  Et, 
certes,  on  sent  bien  que  c'est  de  cette  manière  que 
M.  Horton  s'exprime  le  plus  aisément.  Mais  ceux 
qui  ont  le  souci  de  son  développement  attacheront 
plus  de  ])rix  encore  à  des  toiles  comme  Jour  d'été 
et  Pays  fleuri  oii  les  faciUtés  du  peintre  se  con- 
traignent davantaije  et  se  subordonnent  à  la 
recherche    de    la    comi)osition    et    ilu   st\'le.    Elles 


sont  moins  attrayantes,  sans  doute,  moins  si)on- 
tanées  aussi  et  d'une  facture  ])eut-étre  moins 
savoureuse.  Mais  elles  intli(|uent  ime  visée  plus 
haute,  elles  marquent  ime  recherche  plus  ample 
et  plus  volontaire.  J'imagine,  d'ailleurs,  (jue.  cjuand 
il  se  sera  mis  ])ar  un  tra\ail  acharné,  par  des 
expériences  répétées  et  aussi  variées  (]ue  possible 
en  possession  de  la  nat\ire.  M.  Horton  consentira 
plus  délibérément  à  se  détacher  d'elle,  à  lui  déso- 
béir ])our  rex]irimer  avec  plus  de  force  et  d'au- 
torité. Son  ré]iertoire  est  déjà  considérable  et, 
conune  on  dirait  d'un  écrivain,  sa  «  lecttire  » 
immense.  Il  lui  faut  désormais  «  re]ienser  »  tout 
ce  qu'il  a  appris,  s'apjiroprier  tout  ce  qu'il  a 
acquis,  unifier  enfin  dans  une  vigoureuse  synthèse 
les  éléments  que  sa  sensibilité  ductile  a  puisés 
dans  le  spectacle  changeant  du  monde.  Et  déjà 
en  mainte  page  de  son  (euvre.on  devine  un  effort, 
auquel  la  sincérité  n'a  rien  à  ])erdre,  ])our  orga- 
niser les  sensations.  Certains  tableaux,  /l'.s  Tui- 
leries,  Soir    d'hiver,  par  exemple,   jïeuvent   n'être 


L'AKT     HT     LES     ARTISTES 


DLEIL.    BRI  )ril. LARD    ET    TACHES    DE    NEIGE 


considcris  que  comiiie  de  grandes  études. 
Mais  dans  tels  autres  (la  ]'illa  ituliciuic.  le 
Printemps  ,'i  Croiudc,  le  l'aliizzn  Capdlo  à  Venise, 
les  Peupliers),  le  balancement  des  masses,  l'heu- 
reuse distribution  des  lumières,  l'inflexion  précise 
du  dessin  tendent  vers  une  reconstruction  mentale 
du  paysage,  trahissent  une  réaction  sensible  de 
spectateur  sur  le  spectacle.  Encore  un  jias.  et  le 
style  apparaîtrait.  Il  laut  se  garder  de  confondre 
le  style  avec  la  •>  manière  ».  C'est  par  une  salu- 
taire horreur  de  la  manière,  sans  doute,  que  M.  Hor- 
ton  s'est  répandu  dans  une  diversité  un  peu  exces- 
sive. C'est  par  crainte  de  s'alourdii,  de  se  hger, 
qu'il  refuse  jusqu'à  présent  de  se  limiter,  de  se 
résumer.  Et  nous  serions  sur]iris  s'il  s'accommodait 
jamais  d'un  strict  parti  [iris  de  vision  que  d'inces- 
santes métamorphoses  atmosphériques  viendraient 
autour  de  lui,  heure  par  heure,  contester  et  démentir. 
Comme  un  enfant  apprend  de  sa  mère  à  former  les 
premiers  sons,  il  s'efforce  de  répéter  après  elle  les 
mots  que  la  nature  artinile.  L'artiste  doit  être  cet 


enfant  attentif.  Il  doit  rester  longtemps  un  écolier. 
Mais  l'heure  vient  où  nous  voulons  l'entendre 
s'exprimer  dans  son  propre  langage,  et  grouper  les 
propositions  de  sa  phrase  selon  les  exigences  d'un 
esprit  original.  Ni  virtuose,  ni  copiste  ;  c'est  pour 
le  peintre  un  difficile  problème  que  de  se  tenir 
entre  ces  deux  extrêmes,  entre  le  document 
servile  et  la  creuse  fantaisie.  Le  paysagiste  excep- 
tionnellement doué  qu'est  M.  Horton  pourrait, 
sinon  s'v  conformer,  du  moins  méditer  avec  fruit 
cette  parole  qu'on  attribue  à  M.  Degas  :  il  ne  faut 
pas  peindre  d'après  nature.  Le  maître  ne  voulait 
jias  dire  par  là  qu'il  ne  faut  pas  peindre  la  nature.... 
La  plus  précieuse  qualité  de  M.  Horton,  c'est  la 
finesse  de  son  reil,  cette  tendresse  du  coloris  qui 
lui  piermettent  de  rendre  avec  une  surprenante 
exactitude  t<iutcs  les  nuances  printanières,  et  qui 
le  poussent  à  une  recherche  constante  de  valeurs 
rapprochées  dans  les  blancs,  les  roses  et  les  verts. 
Jamais  une  fausse  note,  jamais  une  brutalité, 
partout  de  la  sou])lesse  et  de  la  fraîcheur.  Point  de 


L'ART     ET     LES     ARTISTE^ 


mièvrerie  non  plus.  Sa  dcmi-tointe,  si  assourdie 
qu'elle  soit,  est  toujours  colorée.  On  souhaiterait, 
parfois,  plus  d'accent.  Mais  les  plus  difficiles  ne 
relèveraient  nulle  part  la  moindre  faute  de  distinc- 
tion. Enfin,  s'il  fallait  résumer  l'impression  qui 
pour  nous  se  dégage  de  la  peinture  de  ^L  William 
Horton,  nous  dirions  qu'elle  possède  en  puissance 
un  grand  nombre  de  qualités  fort  rares,  mais  que 


ces  qualités  demandent  à  n'être  plus  voilées  de 
tant  de  discrétion.  M.  Horton,  pour  devenir  tout 
à  fait  excellent,  n'a  pas  à  changer  sa  manière, 
ni  à  différer  dans  sa  recherche.  Il  lui  faudra  seule- 
ment s'échauffer  de  quelques  degrés  et,  dût  son 
goût  en  être  quelque  peu  froissé,  laisser  la  l)ride 
plus  lâche  à  son  tempérament. 

J.^CQUES      C0PE.\f. 


SOUVENIR    DES    BORDS    DU    RHIN    (defsin) 


223 


TETES    DE    CdUKTlSANS 


UN  CARICATURISTE  ALLEMAND 


RUDOLF    WILKE 


DANS  les  études  que  nous  avons  publiées  naguèie 
sur  les  caricaturistes  allemands,  nous  avons 
apprécié  le  talent  ]iuissant  de  Wilhelm  Busch  et 
la  satire  mordante  de  Olaf  Gulbransson.  Ces  études 
nous  ont  donné  l'occasion  d'esquisser  en  traits 
rapides  le  développement  de  l'art  caricatural  en 
Allemagne,  qui.  littéraire  et  politique  en  1^48.  à 
ses  débuts,  était  devenu  plat  et  bassement  comique 
dans  l'imitation  insipide  du  grand  satirique  qu'était 
Wilhelm  Busch.  Nous  avions  caractérisé  le  nouvel 
essor  que  la  caricature  allemande  avait  pris  au 
moment  où  le  ])euple  allemand  s'était  cru  dans 
l'obligation  de  se  sentir  une  grande  nation  et  d'en 
assumer  les  charges  militaires  et  représentatives. 
Ce  sont  deux  revues  hebdomadaires,  parues  à  peu 
près  au  même  moment,  qui  marquent  ce  nouveau 
pas  de  la  caricature  allemande  ;  le  Jw^eiid  et  le 
Siiiiplicissimiis  ;  le   jnemier   création   de   la   gaieté 


débordante  de  la  jeunesse  artistique  de  Munich, 
le  second  plus  séné, plus  mordant,  plus  concentré, 
composé  par  un  groupe  de  quelques  artistes  seule- 
ment, sous  la  direction  d'un  Philippon  moderne, 
d'Albert  T.angen,  qu'une  mort  prématurée  vient 
d'enlever.  ^lentionnons  seulement  Thomas  Theo- 
dor  Heine.  Olaf  Gulbransson,  Thoeni,  Wilhelm 
Schulz,  Bruno  Paul  et  Rudolf  Wilke,  qui  tiennent 
les  premières  places  dans  l'orchestre  de  cette 
Il  Caricature  »  moderne.  C'est  à  ce  dernier,  décédé  il 
\"  a  jieu  de  temps,  que  nous  consacrerons  l'étude 
]irésente. 

Rudoll  Wilke  est  mort  tout  jeune  encore  vers  la 
tin  de  l'année  dernière.  Il  était  né.  comme  Wilhebn 
Busch,  cet  autre  giand  caricaturiste  allemand,  en 
jiays  saxon,  et  on  retrouve  dans  son  œuvre,  comme 
dans  celui  de  Busch.  le  génie  de  sa  race  :  ces  des- 
cendants de  la  vieille  race  saxonne  jiaraissent  au 


224 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


pixiiiKT  abord  trùs  fermés,  très  réalistes  i:t  très 
prosaïques,  iiiip  roiinaissance  plus  intime  fait 
découvrir  en  eux  un  don  merveilleux  d'observer  ce 
qui  les  entoure,  et  leur  âme  sait  dé.ijager  de  cette 
observation  sévère  une  poésie  intime  des  choses 
qui,  comparable  à  l'humour  de  leurs  cousins  d'outre- 
mer, oscille  entre  un  large  sourire  gai.  mordant  et 
ironique,  et  une  ré- 
flexion tantôt  ])hiloso- 
jjhique.  tantôt  débor- 
dante de  sentiment. 

Cette    constitution 
morale    comporte    un 
danger  :     elle    entraine 
facilement  à  donner  trop 
d'importance  à  lapensi  < 
et  aux  choses  abstrait'  - 
au  détriment  de  la  forn.- 
extérieure.     Tout     r;i; 
caricatural  allemand  il' 
la   première    moitié    «b 
siècle    passé    en    a    dii 
souffrir  ;  'Buscli    lui 
même    n'a    pas  complr 
tement    échappé     à    i:i 
défaut.  C'est    le    grand 
mérite  de  Wilke  de  ii. 
jamais  s'être  abandonm 
à    ce    penchant    dangi 
reux  :  il  est  resté  avani 
tout      un     observateiii 
attentif  delà  réalité,  il  j 
ramassé  dansson  ccrvea  1 1 
tant    de    formes    carai 
téristiques  que   son    a  1 1 
ne    tombe   jamais  dan- 
la   sécheresse   de    l'ab- 
traction. 

Moins  que  la  plupai  ■ 
de  ses  confrères,  Wilkr 
se  laisse  attirer  par  lr> 
événements  et  les  ques- 
tions du  jour.  Quand  il 

peint   la   vie  contempo-    ~  ■~-    .   ■  " '■  ,.«....,    ^ 

raine,  ce  n'est  pas  pour 
discuter  une  théorie  110- 

litique  ou  sociale.  Il  n'est  pas  jiartisan  de  la  propa- 
tjande  par  le  craxon,  la  lutte  de  tous  les  jours  ni' 
l'intéresse  pas  et  il  la  contemjile  plutôt  en  i)hilo- 
sophe  sceptique,  que  le  déroulement  automatique 
de  la  vie  incite  j^ai  fois  à  souiire.  parfois  à  se  mo- 
quer. Jamais  il  n'a  décrié  l'injustice  sociale  en 
dessinant  les  misérables  et  les  déshérités.  Pour  lui. 
le  plus  misérable  des  prolétaires  ou  le  snob  richis- 
sime ne  sont  que  des  individus  dont  il  aime  étudier 
la  forme  extérieure  et  la  pensée  intime  et,  en  artiste 


lin  et  vibrant,  il  en  a  une  vision  ])lus  nuancée  et 
jilus  intéressante  que  tous  ces  dogmatiques  qui  ne 
voient  que  la  misère  des  ])auvres  et  les  joies  des 
riches.  Il  aime  au  contraire  montrer  les  délices  du 
laisscr-alIer  dans  ces  êtres  grotesques  en  haillons  et 
l'ennui  de  la  richesse,  qui  a  perdu  la  faculté  de  jouir. 
Les  célébrités  du  jour  n'otïn  ?it  p:i<  pIik  <r;i!lr,iit 


'ÈàMè^M 


simple   voyou. 


|)our  Wilke.  Quand  son  étoile  eut  coumuiicé  à  se 
lever,  l'éditeur  de  la  Jn^end.  le  docteur  Hirlh, 
l'avait  envoyé  à  Berlin  jjour  éterniser  les  traits  des 
]>arlemcntaires  les  j^lus  illustres  dans  une  série  de 
caricatures.  Wilke  s'est  acquitté  avec  beaucouj) 
d'esprit  de  cette  tâclic,  mais  de  sa  ])roi)rc  initiative 
il  n'a  i^as  repris  ce  genre  où,  quelques  années  ]>lus 
tard,  Gulbransson  (Unait  r(ni])ort(r  de  si  grands 
succès. 

La  psychologie  in(li\idnelle  a\ait  moins  d'attrait 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


])(iiir  lui;  il  prék'iMit  [iliiUit  «lis  modrlcs  ijui  m.' 
s'imposent  pastnip  et  ([iii  laissent  le  chainji  libre 
à  rimat,Mnati<iii    fantaisiste. 

C'est  ce  hesiiin  irindepemlance  (jui  a  iléteiinine 
les  snjets  que  W'ilke  alxinlait  de  piéféreiice.  Il  dé- 
teste tout  ce  qui  est  unitoiine  dans  le  sens  le  plus 
large  du  mot.  Uniforme  veut  dire  tout  ce  qui  oppose 
une  résistance  réfléchie  et  continue  à  une  forme 
donnée  1  m  à  la  déloriuation  naturelle.  Il  ne  réussit 
d'aliord  .tjuère  dans  la  reprdductmn  de  l'uniforme 
féminin.  La  beauté  ék^ante,  la  coquetterie  qui  se 
soumet  à  la  forme  artificielle  du  corset,  qui  relève 
savamment  certaines  lignes,  certaines  rondeurs, 
cette  grande  inspiratrice  de  tant  de  crayons  spi- 
rituels, le  laisse  profondément  indifférent.  Jamais 
W'ilke  n'a  réussi  à  faire  la  charge  d'une  mondaine 
élégante.  Les  militaires  dans  leurs  tuniques  liom- 
bées,  les  dandies,  soigneu.x  d'évitn"  le  lUduvenient 
brusque  qui  détruirait  les  ])lis  du  coup  de  fer  sur 
le  pantalon,  eux  aussi  n'ont  guère  eu  l'honneur  du 
crayon  de  W'ilke.  Mais  tous  les  hommes  qui  se 
laissent  aller  moralement  ou  physiquement  sont 
les  sujets  préférés  de  l'artiste.  Personne  ne  le  \aut 
jjour  décrire  fidèlement  le  tra\'ail  du  tenii)s  sur  un 
vieux  j)aletot,  sur  une  figure,  sur  un  corps  humain 
Il  n'y  a  que  WTike  j)our  étudier  tout  ce  travail 
systématique  et  ]inur1ant  si  impréx-u  et  piaradoxal. 
Partout  où  le  temps  a  rongé,  creusé,  ridé,  ])lié,  râpé, 


usé,  effiloché,  ]iartout  où  il  a  déformé,  gonflé  ou 
ii'tu'ci,  paitout  où  nul  effort  ne  s'est  opposé  à  ce 
travail  lent  et  destructeur,  le  craj'on  de  Wilke  y 
t louve  ses  modèles.  Il  aime  toutes  ces  énomiités, 
ces  formes  qui  paraissent  au  premier  abord  impos- 
sibles ou  exagérées,  et  il  les  décrit  religieusement, 
avec  des  lignes  qui  semblent  presque  timides,  comme 
s'il  voulait  dire:  »  Oue  \'ouIez-vous?je  ne  le  croirais 
piescpir  jias  moi-même,  mais  enfin  je  l'ai  décrit 
comme  je  l'ai  vu,  et  \-ous  \-oyez  à  mon  trait  inha- 
bile ([ue  je  ne  serais  jamais  capable  d'ajoiiter  ou 
d'introduire  (]uelque  chose  ([ue  je  n'aurais  pas  vu 
ilevant  mes  \eux  ...  C'est  cette  naïveté  apparente 
peut-être  qiu  dtmne  le  [ilus  de  force  et  de  conviction 
aux  dessins  de  W'ilke. 

Mais  ce  n'est  pas  seulement  un  problème  de  forme 
qui  attire  Wilke  vers  ces  sujets.  Il  y  a  aussi  un  côté 
moral  dans  son  leuvre.  On  ne  sait  si  Wilke  aime 
mieux  le  travail  destructeur  du  temps  ou  l'inertie 
béate  qui  ne  lui  oj)pose  rien.  L'œuvre  de  Wilke 
est  comme  une  épopée  de  la  paresse.  Il  exalte  la 
paresse  de  la  misère,  qui  fait  naître  un  étrange 
bonheur,  le  bonheur  de  ne  rien  faire,  le  bonheur 
d'être  tran(]uillement  emporté  par  le  fleuve.  Ce 
bonheur,  on  le  croyait  jusqu'à  présent  un  privi- 
lège des  races  du  ^lidi.  Wilke  a  su  découvrir  aussi 
dans  les  pays  septentrionaux  les  joies  du  dolce 
far  iiiriitt'.  Il  croit  en  ce  tx)nheur,et  quand  il  dessine 


-  On  devrait  tout  di  ivhiic  fonda  une  li«ui  ni,/jt  i'alus 
qu'on  commet  de  l'alcool,  en  s'en  servant  peur  l'éclai- 
rage et  le  chaiifjage. 


L'ART     ET     LES     ART1STE> 


Nfs  vagalionds  et  misé- 
rables, il  leur  en  met 
l)resque  toujours  les  sym- 
boles dans  les  mains. 
II  y  a  d'après  lui  une 
providence,  qui  prend 
soin  que  jamais  la 
bouteille  d'eau-de-vie  ne 
soit  un  décor  inutile  et 
vide  à  côté  du  pauvre 
diable,  qu'il  lui  reste  tou- 
jours une  goutte  à  boire, 
et  Wilke  saura  toujour- 
lui  trouver  un  mégot 
quelconque  dont  la  lumér 
consolatrice  sera  le  sym- 
bole de  la  futilité  et  dv 
l'inutilité  de  tout  effort 
humain.  Ses  voyous,  st^ 
chemineaux,  ses  pauvre> 
diables  sont  tous  heu- 
reux ;  ils  savent  jouii 
du  moment.  Les  vaga- 
bonds s'extasient  devant 
la  campagne  ensoleillée  _  ,,^,  ,  ,,^,  ,„  ,  ,., 
dont  la  beauté  est  rehaus- 
sée par  l'absence  de  tout  gendarme  incommoc 
vagabond  qui  bouquine,  étenilu  stii  un  talus 


e.  Le 
dans 


Aide-moi  un  peu.    Voilà  mon  canasson  qui  s'es!  flanque  par  tenc. 
J'pctix  pas   :  j'ai  les  maiits  dans  les  poches. 


vague  banlieue',  le  roman  ([u'il  a  trouN'é  datts 
])oubelle  quelconque,  est  heureux  de  ses 
instincts  littéraires,  et  les  deux  misé- 
rables dans  nue  triste  cour  de  grande 
\illc  sont  lirrs  à  la  pensée  que  ce  sera 
à  eux  de  payer  les  ]>ots  que  le  gouver- 
nement a  cassés  dans  le  Sud-Ouest- 
Alrica. 

Dans  lotis  ces  dessins.  Wilke  se  révèle 
observateur  éminent.  La  paresse  de  ses 
figures  ]iaraît  imrtout.  Ils  ont  des  mains 
et  des  pieds  énormes  qu'ils  n'ont  jamais 
sti  diriger.  Ce  ne  sont  pas  des  membres 
loinpus  au  travail:  ce  sont  les  extré- 
mités de  personnes  cpii  lont  tout 
mouvement  lentement,  qui  jirennent 
toujours  soin  d'éviter  un  geste  qui  pour- 
rait les  fatiguer.  Les  mains  sont  telle- 
ment lotirdes  que  leurs  piopriétaires 
semblent  obligés  de  les  abandonner 
à  la  force  atti active  de  la  terre,  et  les 
pieds  sont  également  des  organes  dif- 
ficiles à  remuer,  difficiles  à  .soulever. 
Leurs  lèvres  sont  épaisses  et  grosses, 
(pii  ne  parlent  qu'en  traînant;  leurs 
yeux  paisibles  et  hébétés  montrent 
qu'ils  n'observent  et  qu'ils  ne  réflé- 
chissent que  très  lentement.  Malgré 
cela,  leurs  pensées  ne  sont  pas  sans 
intérêt,    car    cette    paresse    énorme    a 


Z27 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


amené  chez  eux  un  simplisme  grotesque  dont 
l'indolence  grandiose  nous  surprend  et  nous  attire. 

Wilke  est  l'obseivatenr  le  plus  lin  de  toutes 
ces  lourdeurs.  Il  sait  donner  une  expression,  une 
vie  toute  particulière  à  toutes  ces  énormités.  Il 
sait  dessiner  le  pas  lourd  du  marin,  il  rend  la 
volupté  de  ne  rien  faiie  jus(iue  dans  les  doigts 
du    jiied   nu    de  son  vagabond. 

Son  métier  lui  donne  la  force  nécessaire  pour 
exprimer  tout  ce  qu'il  a  vu.  II  sait  toujours  éviter 
un  réalisme  plat.  Ses  dessins  ne  veulent  pas  don- 
ner mie  illusion,  de  la  réalité  ]>ar  une  iorte  op])osi- 
tion  des  omlires  et  des  lumières. 

Ce  sont  généralement  des  arabesques,  composées 
de  traits  de  plume  très  fins  de  même  force  dont 
on  ne  \'oit  ]ias  au  premier  abord  l'habileté,  et  il 
sendtle  diflicile  de  découvrir,  dans  ce  fouillis,  ce 
qui  est  secondaire  et  ce  qui  est  de  première  imjxir- 
tance.  C'est  ce  qui  augmente  encore  le  charme 
paradoxal  de  ces  dessins.  Les  figures  sont  souvent 
griffonnées  avec  une  simplicité  surprenante.  Cela 
donne  une  force  d'exjiression  incomparafile.  Tout 


est  vibrant  et  inspiré  i)ar  la  fantaisie  la  plus 
prime-sautière.  \\'ilke  n'aspire  ni  à  la  s\-nthèse  de 
lignes  harmonieuses  ni  à  l'expression  caractéris- 
tique par  le  trait,  ilais  cette  façon  indépendante  et 
personnelle  de  voir  nous  fait  d'autant  plus  appré- 
cier ses  dessins.  Il  est  un  des  artistes  qui  ont  ouvert 
des  voies  nouvelles  à  la  caricature  allemande,  en  lui 
imprimant  une  note  artistique. 

Par  ce  fait,  il  s'est  inspiré,  comme  toute  la  pléiade 
du  Siiiiplicissiiniis.  de  l'art  français, où  des  artistes 
comme  Daumier  ou  Gavarni  ont  anobli  la  carica- 
ture en  l'affranchissant  du  joug  des  littérateurs. 
Si  la  caricature  française  et  ses  aspirations  lui  ont 
donné  un  précieux  enseignement,  il  n'en  est  point 
l'imitateur.  Tout  son  œuvre  est  très  personnel, 
son  tempérament  d'Allemand  du  Nord  s'y  mani- 
feste continuellement  et  offre  de  nombreuses 
affinités  avec  celui  de  son  grand  compatriote 
W'ilhelm  Busch,  comme  nous  l'avons  dit.  Son 
(euvre  ne  jiérira  jias,  car  il  émane  d'un  talent  grand 
et  sincère. 

Rudolf  Mever-Riefstahl. 


j,n,l  pas   U- 


ti!a,   iiiL'ii   yiOfi'Ji 
s  viai»iciit  froid. 


te  /<  Hi  l'inniu 


228 


UN    JEUNE    SCULPTEUR     FRANÇAIS 


IPAUL   PAIS®] 


Nous  (n'ons  reçu  if un  de  nos  corrcspdudtiiil.s. 
M.  Mdx  Thcrou.  peintre  el  'graveur  de 
talent,  hahitant  à  Lodève  (Hérault),  une  lettre  si 
intéressante  que.  maliiré  qu'elle  nous  jût  adressée 
personnellement  et  qu'un  nous  y  priât  de  nous 
substituer  éi  elle  auprès  des  lecteurs  de  l'Art  it 
les  Artistes,  nous  n'avons  pu  résister  au  désir  de 
la  publier  dans  notre  revue. 

Telle  quelle,  écrite  par  quelqu'un  éi  qui  la  pointe 
est  plus  fainilière  que  la  plume,  elle  vaut  j/iieu.x. 
nous  en  sommes  persu(ulé.  pour  la  ]eu)ic  'gloire 
quelle  annonce,  que  ne  l'aurait  jait  la  meilleure 
application  d'un  professionnel,  iiiai's  qui  n'aurait 
pas  vu  les  (cuvres  de  cet  artiste  im^éiiii. 

Nous  n'avons  sup- 
primé de  cette  lettre  que 
les  passages  qui  nous 
concernaient  stricte- 
ment. 

Monsieur 

le  Directeur, 

Souffrez  ([u'iui  lec- 
teur (le  r.\rt  et  les 
Artistes  \-irnnc  \'ou> 
demander  l'hospitalité 
de  votre  revue  en  fa- 
veur d'un  jeune  paysan 
I'  ciseleur  de  cailloux 
et  qui  se  révèle  déjà  un 
bel  artiste,  ainsi  (pu 
sauront  vous  le  dénion- 
trer  -  -  je  l'espère 
—  les  photogra])hics 
que  j'ai  fait  prendre 
d'après  quelques-unes 
de  ses   (euvres. 

Mais  d'abord,  (pie 
je  vous  dise  coiniiient 
Dardé  m'a  été  révélé  ; 
je  dis  révélé,  car,  à 
proprement  parler,  je 
n'ai  pas  été  le  premier 
à  le  découvrir. 


Au  cours  d'une  journée  de  tin  nox'embre  dernier, 
joliment  lumineuse  mali;ré  —  ou  peut-être  à  cause 
de  —  la  brume,  peu  dense  d'ailleurs,  j'errais,  ainsi 
(|iie  i'ai  coutume  de  le  faire  à  mes  rares  loisirs, 
dans  la  délicieuse  cam])ai,'iie  (|ui  ceinture  I-odève 
(l'écrin  \-aut  mieux  (jue  le  bijou).  Le  hasard 
me  ht  rencontrer  M.  l'.iul  .Martin,  homme  de 
goût  cultivé,  enthousiaste  passiciimé  de  toutes  les 
manifestations  de  l'esprit,  noiaii'e  en  cette  ville, 
()ui  donna  libre  cours  «  au  plaisir  de  me  trouver 
à  un  moment  où  il  dc^sirait  \i\(iiieiit  me  \-oir  ». 
.Mors,  il  me  conta  que,  jjarti  la  veille  en  excur- 
sidii  de  l'autre  C(3té  de  la  Souloudre,  il  avait  poussé 
iu-~iiirà  I'>ell)(/(''  on  l'el  l^u'v.é  (littérnlement  Belle 
\'ue).  Ni'iitable  nid 
d'ai;.;les,  et  (jue,  s'étant 
a])))rociié  des  habita- 
lions  de  ce  petit  do- 
m.une,  — où  les  parents 
de  Dardé  sont  «  ranio- 
iiet>  (!)  ",  il  s'était 
irou\-é  en  i)résence 
d'une  soite  de  jeune 
\,det  de  fenile  |)arais- 
■-ant  fiiil  (lecui)é  à 
gratter  un  bloc  de 
pierre.... 

S'étant  approciié  de 
plus  ])rès,  il  constata 
avec  siirj)rise  (jue  ce 
liloc  oft'rait  des  ])arties 
joliment  travaillées  ;  il 
sup])osa  alors  (pie  n()tre 
jeune  lionime  s'em 
plo\ait  à  H  ravaler  » 
une  aiiti(pie  sculpture 
'  afin  de  la  remettre  à 
neiit  "  en  enlevant  la 
vieille  patine?  Il  s'en 
en(|nit,  et  sa  suri)rise 
se  mua  en  étonnement 


M.\SQL'E    (ni.irbro  vciiip) 


(I)  Siirtc  tic  premier  valet 
j;érant  correspond  exacle- 
iiierit  ail   /)«>■»■<.■  provençal. 


229 


L'AK' 


ET     LES     ARTISTES 


MATIHTTKS    HX    (.VI'; 
i'ihvIU.  —  A  (Imit,-  :    ■■  L,-  Pinplictc  de: 


]'■ 


adiriiutil    i|n;iiiil    il    ap])!"!!    ([ue   It-   relief   était   son 

H-lUTe. 

Ii.iiilc  -—  car  c'était  bien  lui  —  ne  se  lit  jias 
trop  plier  ])Oiir  (.'xliilier  i|iiaiitité  de  pièces  ])lus  ou 
moins  imjiortantes,  mais  toutes  infiniment  intéres- 
santes à  tous  égards,  et  qui  décelaient  un  talent 
précoce  et  fort  original.  —  Je  \'ais  avoir  la  grande 
joie  de  vous  présenter  tout  à  l'heure  celles  que 
je   crois   les   meilleures  entre   toutes. 

Et  mon  interlocuteur  ajouta  :  "  Je  ne  me  crois 
pas  assez  Ixiii  juge  en  la  matière  pour  apprécier 
ce  qu'il  m'a  été  donné  de  \ciir  et  dire  ce  que  vaut 
ou  pourrait  \-aloir  Darde'  ;  mais,  \-rai,  j'ai  été  pro- 
fondément èimi,  '<  c  iiipdigné  "  jiar  son  (ein're  — 
avant  la  lettre,  ])nurrait-(in  dire  —  déjà  considé- 
rable, et  je  me  serais  lait  un  cas  de  conscience  de 
ne  vous  i-n  ]ioint  park'r.  Allez,  voyez,  —  la  honne 
surprise  vous  dédommagera  amplement  du  déran- 
gement, —  et  décidez  s'il  y  a  quelque  chose  à 
faire  pour  cet  étrange  garçon.    " 

Inutile  d'insister  davantage,  ma  démarche  au- 
près de  vous  dit  assez  les  sentiments  que  j'éprouvai 
à  mon  tour  devant  les  productions  de  Dardé. 
Immédiatement,  sans  la  moindre  hésitation,  comme 
une  chose  toute  naturelle,  la  pensée  me  vint  de 
vous  écrire,  estimant  avec  juste  raison  que  l'auto- 
rité qui  s'attache  à  \otre  nom,  jointe  à  la  réputa- 
tion de  l'Art  et  les  Artistes,  lui  serait  la  meilleure 
des  conditions  pour  hâter  le  complet  épanouisse- 
ment de  cet  artiste  «  nature  »  —  ou,  pour  emplo\-er 
un  vieu.x  cliché,  «  tils  de  ses  ccuvres  n  —  plus  que 
quiconque  l'ait  jamais  été. 


Uernièrement,  —  à  l'occasion  d'un  compte  rendu 
d'une  ex]iosition  de  Rodin, —  fort  embarrassé  pour 
exprimer  la  sensation  qui  se  dégage,  qui  rayonne 
de  toute  leuvre  de  beauté,  j'en  fus  réduit  à  forger 
un  terme,  —  peut-être  obscur  pour  autrui, —  mais 
qui  rendait  toute  ma  pensée.  J'appelai  ces  sortes 
d'eftlu\-es  esthétiques  des  radiations  plastiques. 

Eh  bien  !  ces  sortes  de  radiations  que  j'enre- 
gistre infailliblement  devant  toute  œuvre  capitale 
—  et  que  ne  manquent  pas  de  percevoir  tous  les 
êtres  tant  soit  peu  affinés  et  sensibles,  —  je  les  ai 
assez  fortement  ressenties  devant  certains  mor- 
ceaux de  Dardé. 

C'est  vous  dire  ma  ferme  conviction  que  cet 
artiste  n'est  ]ias  quelconque,  qu'il  promet  beau- 
coup, et  ([u'il  tiendra  bien  plus  encore. 


Paul  Dardé  est  né  le  3  juillet  iSqo  à  Olmet, 
petit  hameau  perdu  au  sommet  d'une  haute  colline 
à  5  ou  6  kilomètres  de  Lodève. 

D'aucuns  pourraient  disserter  longuement  sur 
l'influence  du  milieu  géographique,  du  paysage 
sur  certaines  natures,  ainsi  que  l'a  fait  Taine  dans 
sa  Philosophie  de  l'Art  en  Grèce;  je  ne  suis  pas 
qualifié  pour  cela.  Mais  il  n'est  pas  douteux  que 
la  nature  tour  à  tour  gracieuse  et  chaotiquement 
tourmentée  qui  l'a  vu  naître  et  grandir  ait  con- 
tribué à  l'heureuse  éclosion  de  son  talent. 

Nanti  d'une  très  nidimentaire  instruction  pri- 
maire,  il  fut  lie  bonne  heure  utilisé  aux  travaux 


230 


l'Ai 


ET     LES     ARTISTES 


FArXE    ipiii-i 


toniiques  et  quclfiues  j)ar  tro])  excessives  naïve- 
tés, nombre  de  Ijons  i)rofessi()nneIs  ne  dédaigne- 
raient pas  de  signer  ses  meilleurs    morceaux. 

Si  j'insiste  sur  la  valeur  de  la  précoce  technique 
de  Dardé,  c'est  qu'elle  a  tle  quoi  confondre,  quand 
on  considère  son  éducation  artistique  toute  per- 
sonnelle et  forcément  em]5irique. 

Il  est  comme  un  jirimitif  à  (jui,  juir  une  sorte 
■  il-  révélation  m\-stérieuse,  toute  la  science  que 
dé\'eloppcront  les  générations  futures  serait  subi- 
tement,  spontanément   venue. 

l'renez,  par  exemple,  ce  masque  d'homme  à 
ii>ii])et  1830  qui  respire  l'intelligence,  l'énergie  et 
la  sérénité. — et  ce  buste  de  Silène,  au  masque  de 
paillard  édenté,  —  et  encore  cette  joyeuse  tête  cré- 
pue qu'on  retrouve  un  peu  moins  hilare  [ilus  loin, 
à  côté  du  médaillon  de  filletti-  d'un  si  délicieux 
I  uatuiismc   ». 

Son  olraipien  —  à  force  de  noblesse  et  de  ma- 
jesté -  pi'ophète  Jérémie  cpii  n'est  qu'une  réduc- 
tion ])artielle  d'une  monumentale  statue  de  glaise, 
-  -sa  gracieuse  et  forte  statuette  .S"z7)y//t', presque  un 
Tanagra,  ses  innombrables  presse-papier  presque 
tciujours  faits  de  mer\-eilleux  médaillons  de  femmes 
111    liaul-reiiet.    etc.,    etc. 

Dardé  peint  aussi,  mais  pas  avec  la  même  assu- 


des  champs  jiar  sa  famille.  C'est  due  (lu'il 
n'a  pas  eu  la  moindre  leçon,  ni  le  moindre 
contact  pouvant  déterminer  sa  vocation  :  ci 
qui  confirme  une  fois  encore  que  le  «  roman 
d'un  peintre   »  —  à  quelques  variantes  \i\\-~ 

—  est  vécu  à  d'assez  nombreux  exemplaires. 
Mais,  avide  de  savoir  et  iiossédé  du  «  démon 

de  l'art  »,  il  prenait  sur  ses  nuits  pour 
s'instruire  et  tailler  à  plaisir  dans  le  g\'i>s< 
et  la  meulière,  —  qu'il  trouvait  à  jiroximité, 

—  avec  un  outillage  digne  de  l'âge  des  ca- 
\X'rnes,  des  reliefs  étonnants. 

Le  cas  de  Dardé  tient  du  ]irodige.  Dè> 
l'enfance  il  a  compris  le  langage  de  l'art  et 
l'a  parlé  d'instinct. 

Avec  l'audacieuse  foi  des  néophytes,  il 
s'attaqua  au  roc  et  de  suite  sut  l'animer  ;  il 
lui  communiqua  la  vie  en  des  (euvres  i)leines 
de  force. 

Ce  furent  d'aiiord  des  icônes  Ijarbares, 
iniis,  un  ]h-u  plus  tard,  de  roides  figurine> 
gothiqui's  ([u'on  l'ùt  cru  descendues  des 
niches  et  des  chapiteaux  d'une  cathédrale 
ilu  XIII''  siècle.  Les  rej^roductions  que  je 
vous  adresse  vous  diront,  mieux  c}ue  je  ne 
saurais  le  faire,  à  quel  point  il  est  arrivé  à 
adoucir  les  angles  et  assouplir  la  matière. 
Si  ce  n'étaient  quelques    «  faiblesses  »   ana- 


l'uKrK.MT    n'iiOMMi;    (mcd.iilloii  en  marbre) 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


raiicc.  la  nu-ine  virtuosito,  —  je  dirai  jilus  —  la 
inéine  joie  qu'il  met  à  sculpter.  Néanmoins,  tel 
(juel,  il  fait  encore  un  [H'intre  ])eu  banal. 

Ses  tons  bitumeu.x.  et  d'une  manière  générale 
le  défaut  d'air  et  de  eoulrm-,  enlèvent  bien  un  peu 
de  leur  charme  à  ses  étranges  compositions. 

]Mais  ça  viendra,  n't'U  doutez  pas  ;  l'étude  et  la 
connaissance  des  maîtres  auront  raison  de  tout 
cela. 

11  i>eint  sur  tout  ce  qui  Un  tombe  sous  la  main  : 
londs  de  \ieilles  boites,  \ieilles  j)lanches  vermou- 
lues, tissus  tiuelconciues  enduits  de  n'importe  quoi, 
et,  malgré  sa  palette  rudimentaire,  il  obtient  des 
effets  superbes,  sur  des  éluculirations  merveilleu- 
sement origmales,  d'une  conception  très  per- 
sonnelle et  neuve. 

Je  regrette  intinimeut  de  ne  ]iou\-i.iir  vous  en- 
vo\'er  connue  sj)écimen  île  sa  peinture  ([ue  le 
(Sli)'isl  ,111  jiirdiii  (/(-s  Olives  cl  l'aiili)  et  I-rdiuesea. 
scène  tuée  de  VEiifer  du  Dante  (édition  jnètée  à 
l'artiste  j)ar  quelque  rustique  bibliophile  du  voisi- 
nage), l'aurais  voulu  \'  joindre  sa  Lutte  de  Jacoli 
ireec  l'Aiii^e  cjui,  à  mon  humble  avis,  est  son  meilleur 
morceau  de  peinture.  A  son  défaut,  je  vous  commu- 
ni<iue  deu.x  idées  différentes  de  cette  composition, 
que  Dardé  avait  cherchées  au  fusain  --  un  ] uge- 
iiieii!  (leniier  grouillant  de  \iiniiiie  humaine  qui 
atteste  une  fornudable  iiiiaguiatiiin.  .Mais  l'objectif 
s'est  refusé  à  rendre  tes  .ipocalypliques  visions,  les 
clichés  étaient  nn'connaiss.ililes  et  ne  donnaient 
que    les    grands    clairs    (i). 


(I)  L'i''tat  de  ri 
permis  que  n>  mis 
ductions. 


,.hot. 


..pl„ 


ualheureuseinent    ]>. 
satisfaisantes    renr' 


Bien  plus,  Dardé,  tpii  m'avait  vu  graver  et  tirer 
cpielques  pointes  sèches,  me  pria  de  lui  en  expliquer 
sommairement  la  valeur  technique  et  le  procédé 
dans  ses  grandes  lignes. 

Peu  de  temps  après,  je  le  vis  arriver  m'apportant 
des  rognures  de  zinc  qu'il  avait  récoltées  au  passage, 
chez  quelque  ferblantier.  Mais  ces  bouts  de  métal, 
il  les  avait  «  égratignés  »  de  belle  manière  avec  la 
pointe  de  son  couteau,  et  il  venait  me  prier  d'en 
tirer  quelques  épreuves  sur  ma  petite  presse  en 
taille-douce. 

Ces  épreuves,  qui  jettent  un  jour  nouveau  sur  les 
multiples  aptitudes  de  notre  artiste,  pourraient  faire 
l'objet  d'une  étude  ultérieure  sur    Dardé  graveur. 

Je  dois  me  limiter,  cai  il  serait  superflu  de  ne 
donner  qu'une  sèche  nomenclature  de  quantité  de 
belles  choses,  anciennes  ou  récentes,  dont  l'espèce 
de  cave  humide  et  mal  éclairée  qui  sert  d'atelier  à 
Dardé  regorge.  Mais  vous  voudrez  bien  certaine- 
ment estimer  avec  moi  qu'il  ne  lui  reste  pas  beau- 
coup à  apprendre  pour  créer  de  belles  (euvres 
pleines  de  force  et  de  vie. 

Il  est  d'ailleurs  d'une  grande  énergie  et,  s'il  est 
mis  à  même  de  comjjléter  ses  dons  naturels  par  de 
solides  M  humanités  i',  notre  pays  comptera  un 
nouvel  artiste  d'une  étonnante  originalité. 

Soyez  son  "  Homme-Providence  »  — selon  le  mot 
d'un  très  distingué  magistrat,  lequel  prétend  que 
les  êtres  de  réelle  valeur  rencontrent  tôt  ou  tard 
leur  homme-providence  pour  les  révéler  aux  foules  — 
et  vous  aurez,  une  fois  de  plus,  bien  mérité  de  l'Art. 

Veuillez,    ilonsieur   le   Directeur,   agréer   l'assu- 
rance   de   ma   plus   respectueuse   considération. 
;\L\\  ThÉrox,  peintre-graveur. 


OUTII.S    DE    L  .\RTISTE 


232 


GEORGES  GRËGCJIKE  -    la   fontaine  lm<\ 


m  au  pochiiir 


LA  RT     D  ECO  RATI  F 


LES    PAIFiïElS  ET  TOILES 
ÏÏMIPinMÉS   ET   IP( 


é®    Gaflliéira 


LE  Musée  Galliéra  et  son  distingué  directeur, 
M.  Delard,  ont  coutume,  comme  chacun  sait, 
d'organiser  chaque  année  une  exposition  consacrée 
à  l'une  des  diverses  manifestations  de  l'art  indus- 
triel. Ils  nous  convient  cette  fois-ci  à  une  exposition 
lie  papiers  et  toiles  imprimés  et  poches.  Elle  com- 
prend deux  parties  :  une  partie  rétrospective, 
groupée  dans  la  jwtite  salle  du  Musée  ;  une  partie 
moderne,  présentée  dans  la  grande  salle.  Et  c'est 
matière  à  réflexions  et  à  comjiaraisons,  comme  bien 
vous  pensez. 

Il  \-  a  notamment  tout  l'historiciue  de  la  toile 
de  Jouy,  avec  pièces  à  l'appui,  prêtées  jiar  MM.  Cha- 
tel  et  Tassinari,  sauf  un  mouchoir  très  curieux,  à 
décor  dit  de  la  Charte,  qui  appartient  à  M.  le  con- 


seiller Vignon.  «  C'est  Oberkampf,  manufactu- 
rier bavarois  naturalisé  français,  qui  introduisit  en 
France  l'impression  des  tissus  de  coton,  et  les  per- 
fectionna, d'ajirès  des  procédés  dont  son  ]ière  avait 
découvert  les  principes.  Il  n'avait  pour  modèle  que 
des  étoffes  de  Perse  ou  de  l'Inde,  où  le  trait  seul  était 
im{)rimé,  les  sujets  étant  coloriés  au  pinceau.  II  se 
fit  à  la  fois  constructeur,  dessinateur,  graveur, 
im]irimeur,  teinturier,  et  jmrvint,  après  des  efforts 
longs  et  coûteux,  à  créer  un  outillage  complet,  à 
former  de  bons  ouvriers,  et  à  produire  enfin  méca- 
niquement ces  belles  toiles  peintes  qui,  sous  le  nom 
d'indiennes  et  de  toiles  de  Jouy,  eurent  une  si 
grande  vogue  à  la  fin  du  règne  de  Louis  X\'I  et  sous 
l'Empire.  Les  ateliers  de  Jouy  furent  détruits  lors 


2iZ 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


JULES   C(JUDVSER  —  rideau  velours 

DÉGRADÉ     I  ombelles) 

de  l'invasion  de  1N15,  01  Oberkanipl,  ruiné,  en  mou- 
rut de  chagrin  ;  mais  l'industrie  qu'il  avait  créée 
prospéra  et  devint  bientôt  une  des  plus  fécondes 
branches    de    notre    production    industrielle.  " 


A  parcourir  du  regard  ces  échantillons  de  toiles 
de  Jouy,  on  a  deux  impressions  :  la  jjremière,  c'est 
C]ue  ces  toiles  étaient  parfois  de  tonalité  assez  crue 
et  violente,  et  que  le  Temps,  grand  magicien,  leur 
a  donné  le  charme  des  choses  voilées  et  ternies. 
La  seconde,  c'est  que  les  décorateurs  d'autrefois, 
j  usqu  'à  une  époque  très  avancée  du  xix*'  siècle,  n'hési- 
taient  pas  à  utiliser  les  motifs  que  leur  suggérait  la 
\-ie  contemporaine,  que  jamais  ils  n'utilisaient  des 
motifs  archéologiques,  et  qu'à  leur  exemple  les 
.irtistes  d'aujourd'hui  doivent  regarder  autour 
d'eux  et  nous  raconter  la  vie  de  notre  temps. 

L'histoire  du  papier  peint  n'est  représentée  dans 
cette  rétrospective  que  par  un  paravent  Empire, 
représentant  une  scène  de  chasse  (à  M.  Alexis 
(lodillot),  par  la  collection  amusante  des  boîtes 
en  carton  imprimé  appartenant  à  M.  Ouentin- 
Bauchart,  et  se  rapportant  presque  toutes  à 
l'époque  romantique,  et  enfin  par  une  collection 
de  boîtes  historiques,  où  l'on  remarque  la  boîte  de 
baptême  du  duc  d'Orléans,  fils  de  Louis-Philippe. 
Je  \eu.\  croire  que  la  place  a  fait  défaut  aux  orga- 
nisateurs, car  les  papiers  peints,  les  dominos, 
comme  on  disait  alors,  d'un  usage  restreint  au 
.wi^'  >iècle  où  l'on  commençait  à  en  voir  dans  les 
garile-robes  et  les  cabinets  de  débarras,  eurent 
l)caucouj5  de  vogue  au  siècle  suivant.  On  les  faisait 
x'enir  d'Angleterre  ou  de  Chine.  !Mme  de  Pompadour 
les  prisait  fort.  L'antiquaire  Lazare  Duvaux  dispo- 
sait dans  les  jilus  beaux  hôtels  de  nombreux 
panneaux,  châssis,  dessus  de  portes  et  paravents 
in  jiapier  des  Indes,  en  papier  de  la  Chine  et  en 
pa])ier-tissu.  Papillon  en  parle  dans  son  Traité  de 
la  gravure  en  bois  :  i'  Ils  ont  à  la  Chine  une  espèce 
de  ]ni])ier  fort  singulier  en  ce  qu'il  paraît,  à  manier 
et  à  \'iv\\.  comme  si  c'était  une  étoffe  tricotée.  On 
ne  sçait  pas  encore  positivement  comme  il  se  fait,  et 
s'il  se  fabriquerait  comme  se  fait  la  toile  qu'il  imite 
]iarf alternent.  Les  couleurs  étant  imprimées  ou 
jieintes  dessus  légèrement,  il  paraît  encore  plus  toile 
(pie  quand  il  n'y  a  rien  dessus  ».  À  leur  imitation, 
on  en  fabriqua  en  Allemagne,  en  Angleterre,  puis 
à  Paris.  "  Les  papiers  dorés  et  argentés  à  fleurs  et  à 
ornements,  dont  l'époque  de  l'invention  n'est  pas 
ancienne,  se  font  à  Francfort,  à  \\'orms,  et  autres 
\illes  d'Allemagne.  Leurs  planches  sont  de  cui\Te 
jaune  et  à  taille  d'épaigne,  comme  celles  de  bois  ; 
elles  sont  chauffées  à  un  certain  degré  de  chaleur 
jiour  pou\"oir  faire  prendre  les  feuilles  de  métal  sur 
le  Jiapier,  le  brassant  sous  un  cylindre  ou  presse  en 
taille-douce....  Dans  les  papiers  d'Angleterre  main- 
tenant si  en  vogue,  de  damas  velouté  et  ciselé,  et 
qu'on  appelle  tontisses,  par  pièces  de  neuf  aunes 
de  longueur,  les  fonds  sont  d'abord  couchés  tout 
unis,  avec  la  brosse  ou  par  masse,  par  des  couleurs 
éjiaisses  et  pâteuses,  plusieurs  planches  de  bois  y 


234 


L'ART     1-:T     ].]■:<     ARTISTES 


impriment,  pardessus  et  avec  des  couleurs 
(UMuêmes  qualités,  des  dessins  colorés  :  les 
uns  comme  des  espèces  de  camayeux  , 
les  autres  à  fleurs,  damas,  ornements,  etc.. 
avec  couleurs  différentes,  le  tout  à  dé- 
trempe et  sans  lustre,  connue  seraient  des 
décorations  de  théâtre....  Ces  jwjjiers  sont 
si  sujets  à  se  détremper,  qu'à  peine  peut-on 
les  coller  et  les  mettre  en  place  sans  qu'il 
s'en  enlève,  et  s'attache  au.x  doigts  la  plus 
grande  partie....  "  Mme  de  Pompadour  et 
les  amateurs,  à  l'imitation  du  Garde- 
meuble  de  la  Couronne,  possédaient  des 
provisions  de  papiers  de  tenture.  «  Cette 
espèce  de  tapisserie,  dit  l'Encyclopédie. 
n'avait  longtemps  servi  cpi'aux  gens  de 
la  campagne  et  au  petit  peuple  de  Paris, 
pour  orner  et  pour  ainsi  dire  tapisser 
quelques  endroits  de  leurs  cabanes  et 
de  leurs  boutiques.  Mais  sur  la  lui  du 
wu'^  siècle,  on  les  a  poussés  à  un  pouit 
de  perfection  et  d'agrément,  qu'outre  les 
grands  envois  qui  s'en  font  pour  les  pa\'s 
étrangers  et  pour  les  principales  villes  du 
royaume,  il  n'est  point  de  maison  à  Paris, 
])our  magnifique  qu'elle  soit,  qui  n'ait 
quelque  endroit  qui  n'en  soit  tajMssé  et 
assez  agréablement  orne....  L'on  ne  dit 
point  ici  quels  sont  les  sujets  représentés 
sur  ces  légères  taj^isseries,  cela  dépend 
du  goût  et  du  génie  du  jieintre,  mais  il 
semble  que  les  grotesques  et  les  compar- 
timents mêlés  de  fleurs,  de  fruits,  d'ani- 
maux et  de  quelques  })etits  personnages 
ont  jusqu'ici  mieux  réussi  que  les  paysa- 
ges et  les  espèces  de  hautes-lisses  qu'on 
y  a  quelquefois  voulu  peindre.  " 

Peu  à  peu  les  papiers  d'Angleterre  vi- 
sent à  remplacer  tous  les  autres.  Puis  on 
les  copie  parfaitement  en  Franre.  Le  fils 
du  grav'cur  Huguier  établit  aux  environs 
de  Paris  une  manufacture  de  papiers  peints. 
Aubert,  marchand  et  graveur,  rue  Saint- 
Jacques,  près  la  fontaine  Saint-Séverin, 
à  l'enseigne  du  Pajiillon,  donne  avis,  en 
1756,  qu'il  a  trouvé  la  véritable  façon  de 
lain'iquer  les  papiers  veloutés  ou  ])apier> 
d'Angleterre  en  façon  de  damas  et  vc 
lours  d'Utrecht,  en  une  et  plusieurs  cou- 
leurs. Vers  1770,  Réveillon  crée  une 
fabrique  dans  le  fauliourg  Saint-Antoine, 
d'où  sortent  des  ])api('rs  de  tenture  fort 
l)raux,  d'un   pri.x  al)<)nlal)le  à  toutes  les  houist's. 

Il  tant  savoir  gré  à  M.  Delard  d'avoir  compris 
ipTune  exposition  a  un  intérêt  pratique,  immédiat, 
ciineret,  que  des  jiapiers  et  des  étoffes  de   tenturi' 


i;K.\i:.^r  m  ri: 


-    DLCOK    IXtVli   eU.\.MliKI.    IIKMA.M 
(frise,  rideau,  chaise) 


ne  (loi\-eiit  pas  être  feuilletés  comme 
dans  un  album,  mais  vus  sur  k-  mur 
recouvrir,  dans  leur  cadre  haliituel. 
Il  a  donc  fait  établir  tout  autour 


qu  I 


gra\ures 
s  iloivent 

la  grande 


\:\\<' 


Kl 


.KS     ART 


:]-:s 


DESFOSSÉ  ET  KARTTl   —  les  moutons  (frise) 


salir  une  inarclic  d'cscilier  riTDUwrtu  il'uii  tapis, 
ft  Ir  long  lies  murs,  nnc  plintlir.  luie  corniclie.  puis 
un  \-ehnn  en  reto\u\  annulant  jiartaiteuii  nt  le 
lli^p(lsitif  habituel  (l'uiie  niaifun  habitée.  Bien 
niiL'UX,  il  a  di^ixisé  (le\ant  la  cimaise  des  meubles 
sur  les  meubles  il  a  [ilacé  des  grès,  des  ser\'ices  à 
tlié.  des  fleurs,  et  ainsi  démontré  la  beauté  }iar- 
ticulière  d'une  tenture,  qui  n'a  jias  une  valeur  abso- 
lue, abstraite,  mais  relative.  S(Ui  rôle  est  de  consti- 
tuer un  fond  sur  le(|uel  le  nujbilier  et  les  drajieries 
tiendront  leur  place,  l'n  pa|>ier  de  tenture  ne  doit 


jamais,  p.ir  sa  couK  ur  ou  par  ses  ( 
à  l'attention  et  constituer  par  lui 
seul  une  ilécoration  ;  c'est  pour- 
(pioi  le  papier  avec  scènes  comi- 
cpies  ou  pa\-sai4es,  et.  <lans  une 
certaine  manière,  la  toile  de  jouw 
est  un  non-sens  et  l'indice  d'un 
dél.iut  de  goût.  C'est  ce  cpie  sem- 
blent avoir  également  compris 
les  exposants  (pii,  d'une  manière 
générale,  ont  une  tendance  à 
emi)lo\er  des  papiers  unis,  aux 
tonalités  infiniment  discrètes  et 
liarmonieuses,  créant  dans  une 
chamlire  une  zone  |)aisible  ou 
viennent  se  fondre  les  arabes - 
(]ues  de  lumière  ou  de  couleur, 
comme  l'écho  mélange  au  loin  les 
notes  successives  d'un  chant.  I.,i 
décoration  imprimée  ou  pochée 
est  donc  reléguée  d'une  manière 
générale  dans  la  frise  où  l'on 
apporte  ime  fantaisie  amusante. 
Quelquefois  un  motif  de  végéta- 
tion encadre  ces  scènes  familières, 
et  se  détache  légèrement  de  la 
frise,  comme  un  lil  de  glycine  se 
séjiare  de  la  branche  qui  encercle 
im  vieux  mur.  Je  cite  presque  au 
hasard,  et  en  m'excusant  de  ne 
pas  citer  tout  le  monde:  le  motif 
Chd/s.  Enfants,  ]iar  M.  Ernest 
Duru  ;  -  -  hs   Maiiloii'^,  lu   Clm- 


imjioser 


r 


ERNEST  Dl'RU  -  frise  .ch.\ts 


l'icrc,  par  MM.  ("ousin  et  Erancis  Jourdain  ;  — 
les  projets  de  M.  Jacques  Bille  ;  —  la  Seine  ait 
l'ont  Alexandre,  la  Foiilaine  Carpeaux,  panneaux 
an  pochfiir  jiar  M.  Georges  Grégoire  :  —  la  frise  au 
pochoir  la  (aravane,  par  M.  Laugier  ;  —  les 
papiers-frises  les  Cygnes,  les  Coqs,  les  Arbres,  par 
M.  Petitjean  ;  —  les  toiles  au  pochoir  par  M.  Mau- 
rice Dufrène  ;  —  les  décorations  pour  chambres 
d'enfants  jiar  André  Hellé  ;  les  toiles  au  pochoir 
par  M.  Jules  Coudyser.  Et  j'insiste  sur  le  haut  goût 
de  ces  créations,  sur  la  délicatesse  des  camaïeux, 
sur  la  variété  des  effets  obtenus  avec  deux  ou  trois 
tons  seulement,  de  manière  à 
respecter  l'homogénéité  du  jjapier 
et  tle  la  frise.  Tout  au  plus  pour- 
rais-je  reprocher,  dans  le  décor 
de  la  plante,  une  stylisation  exces- 
sive, un  parti  pris  de  réduire  une 
forme  souple,  naturelle,  à  une 
écriture  géométrique  et  presque 
enfantine  ;  et  je  fais  allusion  aux 
toiles  d'une  tonalité  jaune  si  déli- 
acte  que  ^I.  Jules  Coudyser  a 
décorées,  au  pochoir,  de  pommes 
de  pin.  N'est-ce  pas  là  le  fait  du 
procédé  lui-même  ?  Mais  dans  le 
décor  animé,  quelle  aimable  ingé- 
niosité! Et  comme  je  vois  avec 
plaisir  ces  artistes  comprendre 
([u'il  leur  faut  non  plus  feuilleter 
de  vieilles  estampes,  mais  regarder 
autour  d'eux,  ouvrir  les  yeux 
tout  grands  à  la  lumière  de  la 
\ie,  au  jour  qui  nous  éclaire,  à 
la  profusion  des  belles  choses  que 
les  êtres  animés  créent,  sans  le 
savoir,  simplement  en  se  mou- 
\ant  autour  de  nous. 

Faute  de  place,  on  n'a  pu 
exposer  au  Musée  Galliéra  les 
cartonnages  de  théâtre,  et  'SI.  Bé- 
rard  en  aurait  certes  fourni  de 
fort  intéressants.  Par  contre,  on 
a  ]>u  réunir  dans  les  vitrines  quel- 


-r-i 


236 


I-'ART     ET     LES     AKTL-^TES 


ques  autres  applications  du  j)ai)ii.T  ])i-inl  ou  iiocluS 
quelques  industries  d'art  de  la  niénie  famille.  E'une 
contient  des  éventails  de  Léanilre.  tle  Redon,  de 
Xoël  Dorville,  de  Chéret,  de  José  Helon,  de  l^ohida, 
de  Mme  Madeleine  Lemaire,  d'André  Gilles,  de 
Bac,  de  Mlle  Abbema.  avec  des  autographes  de 
Hérédia,  Jules  Lcmaître.  François  Copjiée  et  Paul 
Bourget.  Une  autre  contient  d'excellentes  jilaques 
de  reliure  prêtées  par  la  librairie  Hachette  et  exé- 
cutées par  Giacomelli.  par  Halierl  Dys  et  par  Ros- 


signeux.  Une  autre  contient  des  l)oites  de  i)arlu- 
merie  décorées  par  Duirène,  par  Aubcrt,  jiar 
Lalique.  Une  autre,  des  reliuies  toiles  et  papiers 
jiar  Frantz.  Un  cadre  présente  des  ])apiers  de  gariles 
très  délicats  de  Georges  Auriol.  On  s'arrêtera  enlin 
devant  la  collection  des  reliures  1840  de  la  biblio- 
thèque de  M.  Henri  Beraldi  ;  et  l'on  emportera  des 
idées  sur  le  goût  moderne,  et  un  souvenir  amusé, 
de  cette  exposition  variée,  comjilète...  et  utile. 
Lh.xmikk   \'.\ii  1  .\t. 


JULES  COUDYSER      -    oiîcok.ation  d'ln  c.\binet  de  tr.\v.\il 


Le    Mois    Artistique 


LA  Misère  sociale  de  la  femme  :  Peintures, 
DESSINS,  ESTAMPES  {(ialcric  Dcvinuhcz.  4J, 
boulevard  Malcs/ierbes).  —  Organisée  au  profit  de 
l'Œuvre  des  libérées  de  Saint-Lazare,  cette  expo- 
sition a  lin  double  caractère  :  nettement  social 
et  aussi  esthéticjue.  Et  inènie  il  serait  ])lus  exact  de 
dire  que  ces  deux  caractères  ne  sont  point  séparés 
et  que  l'émotion  d'art  que  l'on  peut  éprouver  en 
face  de  cette  collection  ne  se  différencie  pas  d'avec 
l'autre. 

Cela  pni\-ient  de  ce  que  les  peintres  et  dessina- 
teurs qui  >e  sont  occupés  de  ces  questions  l'ont 
toujours  lait  a\cc  une  arrière-pensée,  sinon  atten- 
drie, tout  au  moins  documentaire,  mais  lias  uni- 
quement esthétique.  Au  bas  de  toutes  ces  œuvres, 
il  \  a  toujours  une  lé,t;ende,  exprimée  ou  sous-en- 
tendue, ("'est  de  l'art  d'illustration. 

Comme  elles  ont  toutes  été  exécutées  sans  in- 
tention moralisatrice,  elles  gardent,  aujourd'hui 
qu'on  les  a  réunies  dans  ce  but,  toute  leur  portée, 
et  l'on  peut  très  bien,  si  l'on  veut,  prendre  en  les 
regardant  une  haute  leçon  de  pitié  humaine.  On 
peut  également  \'  suivre  l'évolution  du  sentiment 
de  l'artiste  envers  son  [lauvre  modèle,  dejmis 
l'indifférence  cruelle  jiis(|u'à  la  compassion,  sen- 
timent reflétant  d'ailleurs  celui  de  l'époque. 

Jusqu'au  XVIll''  siècle,  ou  à  peu  près,  la  fille  de 
joie  est  considérée  comme  un  être  de  perdition, 
envers  qui  il  est  naturel  que  la  société  se  montre 
sans  miséricorde.  Et  ce  ne  sont  que  gravures  ter- 
ribles, à  tendances  religieuses,  sermonneuses  même, 
où  la  vie  de  la  prostituée  est  décrite  dans  ses  plus 
mauvais  moments,  et  aboutit  toujours  à  la  maladie, 
à  l'abjection,  à  la  mort  ignominieuse. 

Les  images  d'Épinal  racontant  en  seize  planches 
les  aventures  d'un  petit  mauvais  sujet  jusqu'à 
l'échafaud  final  ne  procèdent  pas  autrement.  Au 
XVIII''  siècle,  l'élément  pittoresque  entre  en  jeu,  qui 
adoucit  un  peu  l'àjireté  de  la  vision,  et  surtout, 
je  crois,  intervient  cette  passion  du  plaisir  qui  ne 
voulait  pas  voir  les  suites  du  plaisir,  mais  seule- 
ment ses  heures  brillantes. 

Mais  c'est  au  xin*"  siècle  que  la  pitié  se  mêle  à 
la  vision  des  artistes  qu'intéresse  la  prostituée. 
Cette  jiitié,  masquée  par  la  gouaillerie,  le  rire 
cynique  et  léger  d'un  Gavarni,  d'un  Traviès,  par 
les  mystérieuses  allures  d'un  Constantin  Guys, 
par  l'intensité  luxurieuse  d'un  Rops,  arri\-e  à  son 


apogée  avec  Toulouse-Lautrec  et  Forain,  cruels 
sans  doute,  mais  moins  pour  les  misérables  créatures 
dont  ils  fouillent  les  tares  que  pour  l'organisation 
sociale  et  les  égoïsmes  bourgeois  qui  les  ont  cau- 
sées. Mais  c'est  chez  Steinlen  que  je  découvre  le 
plus  de  \Taie  bonté.  Celui-là  est  vraiment  ému, 
fraternellement.  Sa  connaissance  des  dessous  de 
la  vie  parisienne,  au  lieu  de  l'endurcir,  lui  a  donné 
des  choses  une  appréciation  saine,  nuancée,  juste. 
Il  n'est  pas  humanitaire,  mais  il  est  humain. 

Quant  aux  estampes  japonaises,  d'ailleurs  techni- 
quement admirables,  qui  sont,  elles  aussi,  consacrées 
(mais  bien  sans  le  vouloir)  à  la  Misère  sociale  de 
la  femme,  elles  ne  prouvent  qu'une  chose,  c'est 
qu'il  y  a  des  races  où  l'on  ne  prend  rien  au  tragique 
et  où  l'on  veut  que  la  vie  soit  un  sourire.  Et  le  fait 
est  d'ailleurs  que  cette  volonté  réduit  au  minimum 
les  déchéances  finales.  Il  est  vrai  que  les  Orientaux 
se  font  de  toutes  choses  des  idées  si  différentes  des 
nôtres  que  leur  mentalité  —  et  partant  leur  art  — 
nous  est  jiropreinent  impénétrable. 

Exposition  Forain  :  Eaux-fortes,  tableaux 
ET  DESSINS  {Galeries  Bernheim  jeune  et  Cie,  15,  rue 
Riclicpiince).  —  Deux  cent  soixante-dix  œuvres. 
Ensemble  suffisant  pour  juger  tout  Forain.  Sur- 
tout que  ne  manquent  pas  les  tableaux,  au  nombre 
de  vingt-six  et  qui  attestent  la  science  de  l'artiste 
en  tant  que  peintre. 

Encore  que  leur  «  atmosphère  » ,  assez  pareille  à  celle 
de  Degas,  reste  d'un  peintre,  leur  dessin,  leur  sujet 
surtout  appartiennent  à  l'illustration,  illustration 
plus  générale,  si  l'on  veut,  que  celle  des  dessins  pro- 
prement dits,  mais  illustration  cependant,  et  sur- 
tout humoristique. 

Après  Caran  d'Ache,  c'est  notre  plus  grand  cari- 
caturiste, et,  pour  beaucoup  même,  il  est  plus  grand. 
Il  a  de  moins  que  son  illustre  émule  je  ne  sais  quelle 
ampleui,  quelle  fantaisie  optimiste,  quelle  généro- 
sité sans  amertume,  mais  il  a  poussé  aussi  loin  que 
possible  dans  un  domaine  d'observation  restreint. 
La  politique,  la  vénalité,  le  vice  parisien  n'ont  pas 
de  secrets  pour  lui,  et  il  en  a  cruellement  marqué 
les  tares. 

On  a  justement  observé  que  ses  légendes  et  ses 
dessftis  font  corps  ensemble,  et  qu'il  était  difficile 
de  les  séparer  :  c'<est  vrai.  Mais  sa  cruauté  d'anal\-se 
n'est  jMs  que  verbale  :  elle  se  retrouve  tout  entière 


238 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


dans  son  trait.  11  l'apiniie,  l'éciase.  le  dclonnc  avec 
une  déconcertante  sûreté,  et  c'est  toujours  pour 
souligner,  pour  désigner  plutôt  quelque  iinjierfec- 
tion  physique,  derrière  laquelle  se  devine  quelque 
laideur  morale  qui  en  est  la  cause.  M.  Forain  est 
un  réaliste  à  sa  manière. 

Il  traite  le  nu  comme  un  inaitre  :  il  l'écrit  plus 
qu'il  ne  le  dessine,  et  le  suggère  plus  (pi'il  ne  l'in- 
dique. Quelques  traits,  qui  ne  se  donnent  même 
pas  la  peine  de  se  rejoindre,  et  le  corps  est  «  établi  », 
avec  son  attitude  particulière,  vivante,  avec  ses 
tares.  Dessin  abréviatif,  algébrique,  qui  cependant 
n'a  rien  d'abstrait,  tout  au  moins  dans  l'impression 
qu'il  cause,  et  qui,  somme  toute,  est  d'mi  classique. 

D'ailleurs,  pour  se  bien  rendre  conqjte  à  quel 
point  JL  Forain  est  dans  la  tradition  classique,  il 
suffit  de  jeter  un  coup  d'ceil  sur  ses  eau.x-fortes. 
Elles  sont  d'un  métier  admirable,  intenses  et  légères 
à  la  fois,  pathétiques  d'intentions  et  souveraine- 
ment «  artistes  »  d'exécution  :  de  fort  belles  choses, 
qui  suffiraient  à  sa  gloire  et  qui,  en  tout  cas,  l'établis- 
sent avec  le  plus  de  sûreté. 


ExposiTio.N  Nicoi,.\s  T.\RKHOFF  {''•alcric  Dr  lui, 
2  0.  rue  Royale).  —  Les  dessins  de  cet  artiste,  qui  ne 
manque  ni  de  force  ni  de  caractère,  ni  d'avenir, 
surtout,  sont  solides  et  bien  construits.  Mais,  sauf  en 
quelques  œuvres  particulièrement  heureuses  :  ma- 
ternités attendries,  fines  notations  de  paysages, 
animaux  très  justement  observés  et  très  vivants, 
sa  couleur  est  ])énibie  et  brutale.  11  croit  devoir 
accentue!  son  énergie  native,  indiscutable  certes, 
et  fort  précieuse,  par  une  violence  de  touche  bien 
superflue.  Car  cette  violence  de  touche,  ces  valeurs 
contrastées  sans  j)assages,  ces  tons  entiers  sans 
raison  sont  la  caractéristique  des  peintres  qui,  ne 
sachant  ])as  dessiner,  s'imaginent  être  originaux 
eu  étonnant  la  \'ision  du  spectateur  par  des  couleurs 
inattendues.  Fort  heureusement,  il  semlile  bien  {(ue, 
pour  JL  Tarkhoff,  de  tels  défauts  ne  soient  jias  des 
qualités  et  cju'il  s'en  débarrassera  pour  le  plus 
grand  bien  de  sa  sincérité,  de  son  talent  et  de  sa 
réputation,  car  c'est  un  consciencieux  et  un  tra- 
\ailleur. 

F.   M. 


MEMENTO    DES     EXPOSITIONS 


Coopcyative  des  Artistes,  3,  lue  Lajfitte.  —  E.xposition  per- 
manente (l'œuvres  de  maîtres  modernes. 

Galerie  Otaries  Brunner,  11.  rue  Royale.  —  Exposition 
rétrospective    de    portraits    de    maîtres    français, 


anglais  et  liollandais,  au  prolit  de  la  Société  L' Aitivn 
maritime. 
Galerie  de  l'Art  Contemporain,  3,  rue  Troiieliet.  —  Peintures 
et  croquis  de  Marie  Baudet. 


239 


Le    Mouvement    Artistique 
à   l'Étranger 


ALLEMAGNE    DU    SUD 


■^roiCI  ouverte,  au  Glusf^dlmt  de  -Muiiieli,  liuie  il.-  us 
énormes  expositions  internationales  (|ui,  tous  les 
quatre  ans,  nous  offrent  encore  le  meilleur,  le  plus  un])ar- 
tial  moveu  île  eniitrulcr  les  tendances  des  diverses 
écoles,  réduites  ,i  liui  ileniier  degré  de  concentration.  L'art 
mondial  v  est  à  son  étia^e  (|uadriennal.  Qui  les  suit  atten- 
tivement peut  mieux  qu'ailleurs  (car  les  garanties  d'im- 
partialité sont  absolues,  chaque  pays  ayant  son  jury 
propre,  en  dehors  île  touti-  unuuxtion  des  jurys  allemands) 
se  rendre  compte,  eu  ,i;r(is,  du  jeu  des  courants  et  des 
influences  prédomuiiiutrs,  it  de  l'échiquier  des  diverses 
positions,  prises  ji.ii  Ir^  iui(|  nu  six  individualités  direc- 
trices :  Rerich  en  Ku^^ie,  L.ii^soii  et  Fjaestad  en  Suède. 
Hodler  en  Suis-c,  (iu^t,i\e  Klinit  en  .\utriche.  Fritz  Erler 
en  AllemaKUe  :  je  in'.ilistieiulr.n  île  dire  qui  en  France,  puis- 
que les  noms  véuén^  .k-  l\(..|iu  et  Monet  ne  sont  pas  au  ca- 
talogue. Je  n'ai  du  i  e^te  milleiuent  l'outrecuidance  de  tenter 
ici  une  chroui(|ue  luteruationale.  mon  rôle  étant  simjile- 
ment  de  me  Imnier  à  quelcjues' constatations  allemandes 
aujourd'hui  et  le  mois  prochain  à  quelques  autrichiennes. 

La  grande  médaille  d'or  vient  d'être  décernée  certaine- 
ment à  l'artiste  d'.'Mlemagne  qui  la  méritait  le  mieux, 
jiar  sa  carrière  non  seulement,  mais  aussi  par  la  singulière 
préexcellenee  de  sdu  exposition  actuelle.  Et  puis  JL  Fritz 
Erler  n'est  pas  que  le  jiortraitiste  sensationnel  et  effroya- 
blement discuté  de  nos  plus  notables  contemporains,  sous 
des  aspects  décoratifs,  d'une  xiolence  de  couleur  aussi 
passionnée  que  rare,  et  dans  des  recherches  d'harmonies 
jusqu'ici  décriées  ou  même  réprouvées  ;  il  n'est  pas  non  plus 
exclusivement  le  décorateur  de  Wiesbaden,  spécialement 
mis  à  l'index  par  d'impériales  désapprobations,  ni  le  chef 
de  cette  turbulente  ScliclU'.  qui  est  la  pépinière  îles  plus 
fougueux  manieurs  de  belles  pâtes  en  Allemagne  ;  il  est 
aussi  le  réformateur  de  la  mise  en  scène  des  théâtres  d'ar- 
tistes à  Munich  et  à  Berlin,  celui  auc^uel  on  dut  l'an  passé 
ce  Faust  rigoureux,  catégonc|ue  et  schématique,  que  le 
Hamlet  de  cette  année  vient  non  pas  de  surpasser,  mais 
d'égaler  en  basant  sur  les  mêmes  principes  de  déconcer- 
tante simplicité  une  série  de  trouvailles  nouvelles  et  ado- 
rables, petites  colombes  blanches  et  mauves  d'aujourd'hui, 
nées  de  l'œuf  de  Colomb  d'hier.  On  peut  du  reste  parcourir 
les  quatre-vingts  salles  de  cette  exposition,  on  ne  trouvera 
nulle  part  individualité,  affichée  d'une  façon  plus  éclatante, 
que  dans  les  cinq  portraits  en  décor,  qui  sont  la  grande,  la 
légitime  attraction  de  la  SchoUe  cette  année. 

Comme  on  sait,  les  artistes  allemands  ont  le  droit  de 
former  selon  leurs  affinités,  non  pas  régionales,  mais,  si 
je  puis  ainsi  dire,  électives-artistiques,  de  puissantes  orga- 
nisations, à  chacune  desquelles  une  salle  est  dévolue  :  il 
en  résulte  de  l'ordre  dans  la  iliversité  et.  pour  le  spectateur, 
une  grande  facilité  de  classifier  et  d'atteindre  à  travers 
la  milliasse  d'exposants  à  quelques  notions  d'ordre  général. 
Dans  une  salle  on  a  tel  goût,  dans  l'autre  tel  préjugé  ; 
dans  celle-ci  le  faire  est  tout  ;  la  voisine  a  de  plus  ambi- 
tieuses visées,  à  moins  tpie  de  moindres  :  être  de  la  SchoUe, 
de  la  Sécession  (incroyablement  nulle  cette  année),  du  groupe 


l.uill'iiiti  ou  ilu  gioujie  Biiiihe,  équivaut  à  un  programme 
chez  les  chefs  de  file,  à  une  confession  chez  les  acolytes. 
On  se  déclare  inféodé  à  M.  Erler  et  à  M.  Putz  plutôt  qu'à 
M.  t'rban  ou  M.  de  Bartels,  à  JMM,  von  Keller  et  Haber- 
mann  jîlutôt  iju'à  M,  Kaulbach,  Et  puisque  le  nom  de  M.  de 
Habermann  vient  de  se  rencontrer  sous  notre  plume,  disons 
cpie  ses  soixante  ans  sont  célébrés  en  ce  moment  par  une 
très  fjelle  exposition  d'ensemble  à  cette  Galerie  moderne, 
à  laijuelle  M.  François-Joseph  Brakl  consacre  des  soins  si 
avisés,  avec  un  flair  si  averti. 

l'ne  remarciue  curieuse,  dans  le  domaine  du  paysage  aussi 
bien  internaticmal  qu'allemand  du  reste,  c'est  l'envahisse- 
ment des  tableau.x  de  neige.  Les  sports  d'hiver,  les  cosmo- 
polis de  l'Engadine  imitées  partout,  les  funiculaires  dépu- 
celant toutes  les  Jungfrau.  les  villas  confortablement  chauf- 
fées à  2OO0  mètres  d'altitude  alpestre,  ou  sur  les  bords 
du  fjord,  permettent  au.x  peintres  de  surprendre  les 
mystères,  petits  et  grands,  des  frimas  dans  la  montagne. 
.•\utrefois  pour  l'Alpe,  ne  fut-ce  qu'en  été.  il  fallait  s'équi- 
per à  l'égal  des  explorateurs  arctiques  et  faire  une  belle 
dépense  d'énergies  physiques.  Et  le  goiit  de  peindre  la 
neige  a  été  augmentant,  au  fur  et  à  mesure  que  les  facilités 
ont  été  données  aux  artistes  de  contempler  autre  chose  que 
les  sales  dégels  de  boue  et  de  suie  de  nos  grandes  villes. 
Il  y  a  vingt  ans,  dans  les  cartons  ou  aux  murs  des  premiers 
paysagistes  de  France  et  de  partout,  vous  ne  trouviez 
qu'exceptionnellement  une  étude  de  neige.  Aujourd'hui, 
un  tiers  des  meilleurs  paysages  d'une  exposition  interna- 
tionale de  l'importance  de  celle-ci  se  trouve  être  des 
neiges,  et  sans  que  l'appoint  de  la  Russie  et  de  la  Suède 
contribue  beaucoup  à  élever  le  chiffre  de  cette  moyenne. 
En  revanche,  justification  de  notre  appréciation  des  causes, 
les  Suisses  y  seraient  pour  beaucoup  plus  que  toute  autre 
nation.  Il  y  aurait  du  reste  un  bien  joli  chapitre  à  ajouter 
à  une  liistoire  de  la  peinture  alpestre  :  histoire  de  la  décou- 
verte de  la  beauté  hivernale.  Car  cette  découverte  s'est 
faite  par  l'Alpe  :  il  a  fallu  un  siècle  pour  arriver  à  ce 
truisme  qu'il  serait  peut-être  aussi  intéressant  de  peindre, 
l'hiver,  dans  la  plaine,  ce  qu'on  allait  chercher,  à  tant  de 
frais  et  avec  tant  de  fatigues,  l'été,  par  delà  l'altitude  de 
:;o<Kj  mètres.  Et  jusqu'au  théâtre,  les  scènes  d'Hamlet  sur 
la  terrasse  d'Elseneur  sont  devenues,  chez  M.  F'ritz  Erler, 
le  plus  beau  tableau  de  neige  de  l'an  1909. 

Le  tableau  d'histoire  a  complètement  disparu,  le  tableau 
oriental  de  même,  en  dehors  de  la  salle  turque.  Xous 
nous  intéressons  à  nos  gens  et  à  nos  paysages.  L'allégorie 
et  le  svmbole  se  sont  modifiés  complètement  dans  un  sens 
scientifique,  décoratif  stylisé  et  parfois  même  caricatural. 
Le  gros  humour  vieil  allemand  a  pris  des  formes  ultra- 
modernes avec  lesquelles  on  l'eût  cru  par  définition  incom- 
patible. Enfin  certaines  inquiétudes  anglaises  ou  françaises 
du  temps  d'Oscar  Wilde  ou  de  Mallarmé  ont  trouvé  enfin 
une  expression  allemande  d'un  spécial  raffinement.  Un  ta- 
bleau comme  l'Éveil  de  M.  Hans  Hanner.  où  le  mysticisme 
de  la  chair  et  la  santé  panthéiste  sont  aussi  également 
dosées  qu'une  recherche  de  rythme  à  la  Hodler  et  de  per- 


240 


l.AKT     1:T     les     AkTlSTi:^ 


fection  primitive  à  la  Paul  Kobcrt  (li-  NLUcliâtolois).  me 
semble  une  œuvre  aussi  tyi>i<liu'  «Je  l'Alleniafiue  moderne, 
la  plus  raffinée,  que  telle  scène  de  M.  Hauptmann.  tel 
drame  de  JI.  Wedekind.  telle  puérilité  adorable  et  inat- 
tendue, subitement,  au  milieu  des  pires  conflagrations 
orchestrales  de   la  musique   de  Mailler. 

Ces  salles  allemandes  seraient  à  un  examen  définitif 
et  détaillé  du  plus  haut  intérêt  :  on  y  est  tout  à  la  fois  plus 
arriéré  et  aussi  plus  avancé  qu'aux  pires  extrêmes  de  l'art 
français,  en  dehors  de  toutes  les  discussions  sur  le  bon  ou 
le  mauvais  goût,  ou  simplement  sur  les   goûts  ou   les  cou- 


leurs, qui  ne  nous  paraîtraient  de  mise  que  dans  la 
bouche  de  gens  ayant  au  moins  vécu  aussi  longtcm|)S  à 
l'étranger  que  chez  eux.  Si  vraiment  comprendre  c'est  tout 
pardonner,  ne  faudrait-il  pas  en  déduire  que,  tant  (]ue  rien 
n'est  pardonné,  rien  n'a  été  compris?  X'n  an  dans  les 
paysages  d'.Xllemagne  en  appreml  i>liis  sur  le  coloris, 
le  goût  et  les  arts  allemands  ipie  la  iirétcndue  obligation 
de  vérifier  par  leur  moyen  des  théorèmes  d'esthéticjues 
soi-disant  indiscutables.  .\  jilus  forte  raison  pratiquer 
le  même  laps  de  temps  les  esprits  allemands  eux-mêmes. 
William     Rittkr. 


ANGLETERRE 


Tl  y    a    peu    de    doute    que    ceux    qui    ont    de   l'exiH 
rieuce    pour    juger    ne    trouvrnt    qu'-    rexpo^itiini    .1 
(■New  English  Art  Clul)   .  qui 
vient  d'ouvrir  à  la  galerie  du 
Royal  Britisli    Artists.  à.  Siif- 
folk  Street,  soit  la  plus  iiité 
ressante  et  la  plus  importante 
qui  ait  eu  lieu  dans  ces  gale 
ries    depuis    que   Whistler  .1 
cessé  d'être  président  du  /(oyal 
British  Artisls.  L'espace  plus 
étendu   mis   à    la  disposition 
du  Club  a   ses  dangers   aussi 
bien  que  ses  avantages  ;  mais 
on  doit  constater  que  le  Club 
a    maintenu   ses  hautes  qua- 
lités, et  que  les  œuvres  vrai- 
ment    intéressantes     et      de 
premier  ordre  sont  en  majo- 
rité ici    en    comparaison    de 
toutes  les  autres  expositions 
à   présent   ouvertes.    C'est  la 
seule  à  Londres  où  se  trouve 
sérieusement     représenté      le 
nouveau  mouvement  ipii  suc 
cède   à    celui    qu'on    a])j)elle 
Impressionnisme     ou    Lumi- 
nisme  :      cette      tendance     à 
rendre  avec  le   plus    de  sim- 
plicité   la    nature,    en    oppo- 
sition   à    celle    qui    exprime 
d'une   manière  plus  compli- 
quée    ses     aspects     subtils     et     momentanés.    Quelques- 
uns,   peut-être,    désireraient  voir  un   plus  grand   nombre 
d'artistes    de     ce     mouvement    représentés     à     Suftolk 
Street,     mais,    s'ils    sont     moins     nombreux,     ils      sont 
forts,   individuellement.      Est-il     nécessaire    que     je    <lise 
que  ces  interprètes  sont  :  M.  .Augustus  E.  John  et  le  pro- 
fesseur C.  J.  Holmes  ?  Jamais  M.  John  n'avait  donné  la 
preuve  de  sa  forme  et  de  l'étendue  de  son  style.  Son  por- 
trait de   William   Xic/ialsnn  est   une  œuvre  noble  qui,  un 
jour,  pourrait  faire  époque  comme  le  C^rlvlc  de  Whistler. 
C'est   en    même    temps    un    magnifique   exemple   comme 
actualité,  décoration  et  psychologie   <Ians  l'ardeur  de  l'ex- 
pression personnelle.  La  grande  toile  de  M.  John,  h-  Clu- 
min  de  la  mer.  sans  doute  sera  moins  facile  à  comprenilre. 
quoique  ce  soit  son  plus  grand  succès  dans  ce  genre  jus- 
qu'à  présent.  Mais  ce  genre  est  si  nouveau  pour  tant  de 
nous  que,  quoique  acceptant  le  groupement  des  femmes  et 


AUGISTL'S  JOHN         ik  chemin  de  ea  mek 


lu  petit  garçon,  la  simplicité  audacieuse  de  la  couleur, 
i  >  pin  -.iDniiiii!' -  i  II.  .i~i.-i.  nous  ne  comprenons  pas.  .analy- 
sons nos  objections.  .M.  John, 
en  choisissant  pour  modèles 
.!■  simples  robes  d'une  seule 
■l'iileur.  ne  fait  (pie  ce  que 
I  itien  et  beaucoup  d'autres 
giarids  maîtres  décoratifs  ont 
fait  dans  le  passé.  C'est  la 
nouveauté  qui  nous  choque, 
non  les  couleurs  ni  la  combi- 
naison. 

Nos    yeu.x    ne    sont     i>lus 

.nxoutumés      à     cette     sim- 

pluité  austère,  mais   si  nous 

nous  donnons  le  temps  de  re- 

irder  cette  peinture,  comme 

Il   doit  le   faire   pour   toutes 

corations.  d'une  bonne  dis- 

•    nce.  nous  découvrirons  ipi'il 

\     a    vraiment   rien  de   cru 

11    <le    discordant    dans    les 

couleurs,  mais  que  c'est  beau. 

au  contraire.  <le  la  beauté  qui 

]irovient  de   la  simplicité,  de 

l'ordre  et  de  la  force. 

l'uis,  quand  j'entends  dire 
■  .les  gens  :  .  Oh!  mais  John 
l  si  pervers  !  11  cultive  le 
laul  !  1  je  veux  leur  rappeler 
ce  ipie  dit  Kodin  :  Il  n'y  a 
|)as  de  laideur  .Voici  une  pro- 
fonde vérité  :  la  laiileur  n'e.xiste  pas.  Il  y  a  seulement 
des  degrés  relatifs  de  beauté,  et  quelcpi'un  de  plus  grand 
que  Rodin  nous  a  dit  que  dans  ce  monde  merveilleu.v  il 
n'y  a  rien  de  commun  ni  d'impur.  Regardant  sérieusement 
les  physionomies  rei)résentées  ])ar  M.  John,  peut-on  dire 
que  ces  physionomies  soient  mauvaises  ou  méchantes? 
N'ont-elles  pas  beaucoup  de  caractère?  Je  ne  vois  rien  de 
mal  dans  ces  grands  yeux  regardant  et  rétléchissant  avec 
surprise  l'univers,  ces  larges  narines  sensitives.  ces  lèvres 
et  ces  mentons  fermes.  Les  grandes  âmes  d'aujounTliui. 
comme  celles  d'autrefois,  ont  plus  d'attrait  par  le  carac- 
tère que  par  le  teint.  Kst-il  donc  si  surprenant,  si  difficile  à 
comprendre  que.  pour  quelques-uns.  une  gitane  —  cette 
enfant  de  la  nature  —  peut  paraître  beaucoup  plus  belle 
qu'une  débutante  de  Mnvfan.  et  qu'une  physionomie  hon- 
nête et  pleine  de  caractère  peut  inspirer  un  artiste  plus  pro- 
fondément qu'une  beauté  .  rose  et  blanche .  ?  M.  Beerbohm 


241 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


il  (lit  sous  forme  ck- 
plaisanterie  une  vérité, 
lorsque,  dans  sa  carica- 
ture, il  dépeint  uncriti- 
(]ue  étonné  devant  un 
srou])e  de  modèles  de 
M.Johnctdisant:  «C'est 
fort  bizarre  que.  dans 
trente  ans,  je  puisse  et  ri' 
amoureux  de  tes  d,i 
mes  '.  tl  parait  hizarrr 
maintenant  à  plusievn- 
qu'on  puisse  avoir  été 
amoureux  des  dames  de 
Iînl)en«.  Il  y  a  cin- 
(plante  ans  qu'il  parais, 
sait  lii  zarre  d 'être  amou  - 
reux  des  dames  de  Ko 
setti.  -\Iais  quand  un 
j,'rand  artiste  dépeint 
pour  la  iiremiére  fii;^ 
une  fieauté  noljle  d'un 
type  humain  jusque-là 
incompris,  cela  semljlera  toujours 
qu'arrive  le  règne  de  ITtopie,  o 
»  snobs  n  ni  dans  l'art,  ni  dans  la  v 


HOLMES 


liizarre  ",  jusqu'à 
il    n'v  aura    plus 


Dans  son  propre  style.  M.  C.  J.  Holmes,  professeur  des 
Beaux-Arts  à  l'Université  d'Oxford,  a  fait  des  développe- 
ments sur  les  mêmes  lignes  de  pensée  que  M.  Jolin.  et  cette 
année  il  a  fait  un  !»rand  progrès  dans  ses  peintures  à  l'huile, 
(pii  niainten.iut  ont  le-^  mêmes  grandes  (|ualités  (pi'avaient 


possédées  ses  a(piarelles 
seules.  Dans  trois  nobles 
paysages,  "  Dutton  Pike 
•  nid  Cross  Fell'  Matin  • . 
la  Cale  de  Durham  »  et 
Coastguard  Station, 
liitde  »,  il  note  avec  une 
grande  force  et  une 
excellente  distribution 
du  détail  les  grandes 
masses  devant  ses  yeux. 
Le  trivial,  les  points 
--econdaires,  sont  élimi- 
nés pour  que  les  plus 
importants  ressortent 
avec  plus  de  dignité  et 
de  splendeur  monumen- 
tile.  Voilà  ce  qui  cor- 
respond, en  paysage, 
.luxtableauxdeM.  John 
qui  expriment  avec  force 
la  philosophie  nouvelle 
qui  maintenant  occupe 
le  monde.  .\  un  âge  de  destruction  et  d'analyse  succède  un 
âge  de  construction  et  de  synthèse.  Au  lieu  de  découper 
le  monde  entier  en  petits  morceaux,  on  tâche  de  ramasser 
les  morceaux  que  nos  aïeux  nous  ont  laissés  et  de  recons- 
truire. Au  lieu  d'essayer  de  montrer  la  variété  infinie  de  la 
nature,  les  paysagistes  les  plus  avancés  d'aujourd'hui 
insistent,  comme  M.  Holmes  insiste,  à  montrer  son  unité 
éternelle.  Ce  sont  les  avant-coureurs  du  futur,  et  leur 
message  est  plein  de  grandeur  et  d'espoir. 

Tr.snk  Rutter. 


ETATS=UNIS 


T  'intérêt  natiouid  a  été  ((HiCfiitré  tout  à  l'heure  sur 
Washington,  parce  que  le  jiremier  congrès  d'artistes 
ipii  ait  été  convoqué  chez  nous  a  eu  heu  dans  notre  capi- 
tale. 

l^i's  115  délégués,  représentant  6;  organisations  d'art, 
sont  venus  de  tous  les  céjtés  de  notre  vaste  pays. 

La  première  séance  était  ouverte  par  M.  Sherman. 
vice-président  des  États-LTnis.  Les  sénateurs  Root  et  New- 
lands  ont  fait  des  discours  enthousiastes.  Ils  expliquèrent 
que  le  but  de  cette  réunion  était  l'établissement  d'une 
Fédération  composée  de  toutes  les  Sociétés  d'art  en  .Amé- 
rique pour  leur  encouragement  mutuel  et  pour  la  culture 
de  l'amour  du  Beau  parmi  le  peuple. 

Pendant  trois  jours,  toutes  les  questions  rel.itivcs  à  ces 
sujets  furent  discutées  :  l'enseignement  d'art  dans  nos 
écoles  pul)li(]ues;  l'alliance  plus  complète  entre  artistes  et 
artisans  ;  l'architecture  ci\  ile  —  les  statues  dans  nos  parcs, 
les  annonces  dans  les  rues,  —  en  un  mot.  l'emploi  de  l'art 
pour  le  peuple,  —  l'art  non  pour  l'art,  mais  pour  l'humanité. 

La  réunion  a  eu  un  succès  éclatant,  et  une  Société 
nationale  fut  organisée,  'J'/ie  I-cdcraiion  0/  American  Art. 
avec  Charles  L.  Hutchinson,  de  Chicago,  pour  président. 
Parmi  les  membres,  citons  John  Alexander,  F.  D.  JUIlet. 
Ralph  \.  Cram  et  Herbert  Adams.  11  y  aura  une  réunion 
d'art  annuelle  à  Washington. 

11  est  impossible  de  préciser  l'influence  que  peut  avoir 
cette  confédération  sur  toutes  les  choses  d'art.  Nos  artistes 
sont  comblés  de  joie  :  ils  croient  (jue  l'aurore  de  notre  renais, 
sance  est  venu''  ! 


Si  nos  espérances  pour  une  grande  réduction  de  tarif 
sont  réalisées,  l'année  1909  sera  une  page  d'or  dans  l'his- 
toire de  l'art  américain. 

.\utre  bonne  nouvelle  :  le  conseil  municipal  de  Kansas 
City  a  voté  presque  un  million  de  francs  pour  établir  un 
musée  d'art  !  C'est  la  première  fois  qu'une  ville  américaine 
a  fondé  un  musée  quelconque;  ce  furent  toujours  les  dons 
des  citoyens  riches  et  patriotes. 

Votre  grand  Napoléon  a  dit  :  •<  L'imagination  gouverne 
le  inonde  '.  Il  avait  raison.  .\  Boston,  ville  très  conserva- 
trice, le  numéro  1915  est  devenu  un  symbole.  Tout  le 
monde  a  résolu  de  faire  de  sa  ville  A  City  Bcautiful  pour 
l'année  191 5.  Tous  les  enfants  des  écoles,  tous  les  jeunes 
gens  (jni  travaillent,  les  hommes  do  commerce,  les  dames 
riches,  ont  pr's  pour  shiholeth  (mot  d'ordre)  «  1915  ». 
Les  conférences  sur  l'art  augmentent,  les  Sociétés  de  I  ()  1 5 
se  forment,  tout  le  monde  veut  savoir  comment  embellir 
sa  ville  avant  l'année  191;.  Oui  a  jeté  le  premier  ce  cri? 
qui  a  bouté  le  feu?  Personne  ne  le  sait.  Peut-être  les  expo- 
sitions d'art  ont-elles  éveillé  l'enthousiasme,  surtout 
celles  de  Sargent,  de  Sorolla  et  du  ■  Sen  1,  qui  viennent 
de  se  fermer. 

Parmi  les  tableaux  exposés  par  le  «  Sen  .,  il  y  avait  une 
toile  de  Frank  W.  Benson  qui  m'attira  beaucoup. 

Cet  artiste  appartient  à  une  vieille  famille  de  Salem, 
Massachusetts,  une  de  nos  villes  les  plus  aristocratiques, 
et  son  oeuvre,  dans  sa  beauté  saine  et  solide,  possède  la 
haute  distinction,  la  noble  sincérité  des  vieux  Puritains, 
ses  ancêtres. 


242 


LART     ET     LES     ARTISTES 


Comme  presque  tous  nos  artistes  de  grande  valeur,  il 
est  allé  à  Paris  pour  faire  ses  études.  Là,  il  fut  un  bon 
ouvrier,  car  il  croyait  qu'un  peintre  doit  conquérir  son 
métier  en  commençant  —  surtout  dans  le  dessin, —  mais 
en  revenant  chez  lui  il  a  ajouté  à  sa  technique  excellente 
quelque  chose  de  tout  personnel.  Il  y  a  un  grand  charme 
dans  l'arrangement  de  ses  lignes,  dans  la  disposition  de  ses 
couleurs  ;  il  possède  un  sens  décoratif  très  développé 
C'est  pourquoi  il  n'est  jamais  monotone,  quoiqu'il  res- 
treigne le  cercle  de  ces  sujets.  Son  tableau  produit  un  effet 
décoratif  extraordinaire,  avec  son  soleil  d'été  et  les  jolis 
vêtements  de  ses  enfants  assis  sous  les  arbres  et  enveloppés 
dans  une  atmosphère  palpitante,  lumineuse,  le  feuillage 
est  si  vert,  la  mer  d'un  bleu  intense,  mais  tous  les  éclats 
de  la  couleur  s'harmonisent  dans  la  vision  d'un  artiste  qui 
demeure  conscient  de  sa  tâche  de  beauté. 

Il  adore  les  enfants  et  on  sent  cet  amour  dans  cette  toile 
lumineuse  qui  respire  la  joie  et  la  fraîcheur  de  la  nature  en 
fleurs. 

L'artiste  l'a  peinte  tout  à  fait  en  plein  air,  —  comme 
tant  d'autres  de  ses  tableau.x  où   il  révèle   sa  conscience 


sérieuse  et  sincère  devant  la  nature.  Il  ne  choisit  jamais  de 
motifs  décoratifs  fondés  sur  le  caprice;  il  s'appuie  toujours 
sur  les  lois  éternelles  qui  gouvernent  la  lumière,  l'atmo- 
sphère, les  harmonies  divines  de  la  nature. 

Pendant  l'été,  M.  Benson  demeure  dans  le  Maine,  au  bord 
de  la  mer,  où  il  a  acheté  une  grande  ferme,  pour  mieux  étu- 
dier la  nature.  Avec  sa  femme,  ses  enfants,  il  passe  quelques 
mois  de  recueillement  et  de  travail. 

Son  atelier  d'hiver  est  à  Boston,  mais  il  demeure  toujours 
à  Salem,  tout  près  de  Boston. 

Il  s'est  écoulé  vingt  ans  depuis  qu'il  a  fait  ses  études  à 
Paris.  Il  parle  de  ces  jours  heureux  avec  enthousiasme; 
il  a  grande  envie  d'y  retourner.  Mais  le  travail  le  réclame 
Comme  portraiti.ste,  il  est  au  premier  rang,  et  son  talent 
est  justement  honoré  partout  II  a  reçu  des  médailles,  des 
pri.x  de  toutes  sortes.  Ses  tableaux  sont  très  recherchés. 
Le  Metropolitan  Gallciy  de  New- York,  les  Musées  de 
Bufïalo,  de  Worcester,  de  Pro\idence,  possèdent  ses  meil- 
leures toiles.  Le  jour  viendra,  j'espère,  où  je  pourrai  ajouter 
»  et  son  dernier  tableau  est  au  Luxembourg   >•. 

.\.  Sk.\ton'  Schmidt. 


POLOGNE 


T  A  réputation  dont  jouit  aujourd'hui  la  culture  ,uti^ 
tique  de  Varsovie  n'est  certainement  pas  des  plus 
flatteuse  et  presque  nuls  y  sont  les  vestiges  du  temps  où. 
sous  notre  dernier  roi,  travaillèrent  et  enseignèrent  ici  les 
Canaletto,  les  Bacciarelli,  les  J.  P.  Norblin  de  la  Gourdaine. 
La  cause  en  est  évidemment  au  joug  étranger,  aux  cata- 
clysmes politiques  qui  depuis  plus  d'un  siècle  s'achar- 
nèrent sur  la  malheureuse  et  héroïque  capitale;  Une  i)ros- 
périté  économique  relativement  grande  que,  malgré  tout, 
elle  réussit  à  conquérir  n'y  engendra  dans  ces  conditions 
déplorables  qu'une  superficielle  civilisation  matérielle. 
En  art  et  en  littérature,  c'est  chez  le  public  varsovien  une 
franche  hostilité  envers  tout  ce  qui  ose  sortir  de  la  bana- 
lité patronnée  par  une  presse  quotidienne  stupide  et  puis- 
sante. Les  dernières  années  si  agitées  et  pleines  d'espoirs, 
déçus  depuis  cruellement,  permirent,  il  est  vrai,  la  fonda- 
tion d'une  école  des  Beaux-.Xrts  ;  l'avenir  pourtant  de  cette 
institution  privée,  qui  pour  le  moment  traverse  une  crise 
dangereuse,  parait  toujours  des  plus  incertain. 

Une  indifférence  générale  (sinon  l'indignation)  accueille 
ici  en  principe  toute  manifestation  d'art  plus  intéressante. 
Tel  fut,  au  courant  de  l'année  passée,  le  sort  de  quelques 
bonnes  expositions,  entre  autres  de  celles  du  peintre 
Slewinski  et  du  sculpteur  Dunikowski,  qui  tous  les  deux 
—  avec  Stabrowski,  Krzyzanowski  et  Frojanowski  —  sont 
actuellement  professeurs  à  l'école  mentionnée.  J'ai  parlé 
déjà  ici  du  premier,  lors  de  son  exposition  à  Cracovie  ; 
quant  au  second,  j'espère  avoir  encore  l'occasion  de  pré- 
senter aux  lecteurs  de  l'Art  et  les  Artistes  son  œuvre 
si  original  et  troublant  et  qu'un  hardi  «  gothicisme  . 
(n'est-ce  pas^  plutôt  le  rêve  im[)érieux  d'un  retour  vers 
l'architecture?)  apparente  de  loin  à  celui  du  Belge (Jeorges 
Minne. 

Plus  de  succès  eut  à  Varsovie  le  cinquième  Salon  de  la 
Société  pour  l'encouragement  (!)  des  Beaux-.^rts  (dé- 
cembre et  janvier),  et  cela  malgré,  ou  plutôt  à  cause 
de  son  niveau  général  parfaitement  médiocre. 


S'il  eu  est  ainsi  de  la  capitale  de  la  Pologne  russe,  que 
dire  de  celle,  peut-être  plus  malheureuse  encore,  de  la  Po- 
logne allemande  ?  X'est-il  pas  compréhensible  d'ailleurs 
que  là  où  il  s'agit  avant  tout  de  sauvegarder  à  chaque  pas 
la  terre,  la  langue,  l'existence  même  d'une  nation,  toutes 
les  forces  soient  prises  dans  cet  exaspérant  combat  quo- 
tidien !  Aussi  Pûsen,  admirable  par  la  résistance  qu'elle 
oppose  au  système  antipolonais  de  Bismarck,  ne  compte 
simplement  pas  aujourd'hui  dans  notre  art.... 

Même  Lemberg,.  que  depuis  1772  r.-\utriche  a  promu  au 
grade  de  capitale  de  la  Galicie,  démontre  déjà  plus  de  vita- 
lité à  cet  égard.  .-V  un  moment,  vers  la  moitié  du  siècle 
passé,  ce  fut,  grâce  à  quelques  bons  peintres,  presque  un 
petit  centre  artistique.  A  présent  encore,  on  a  ici  parfois 
des  aspirations  fort  louables.  En  1S94,  par  e.xemple.  —  date 
mémorable  pour  l'historiographie  de  notre  art.  —  nous  vîmes 
ici,  grâce  aux  soins  du  professeur  .Xntoniewicz,  l'unique 
grande    exposition    rétrospective    de    peinture    polonaise. 

Les  dernières  expositions  à  la  Société  des  .Xmis  des  Beaux- 
.^rts  de  Lemberg,  en  dehors  des  tableaux  de  MM.  Pautsch 
et  Sichulski,  ne  nous  ont  presque  apporté  que  des  œuvres 
d'importance  locale.  Par  contre,  tout  le  pays  retentit  d'un 
scandale  qui  se  produisit  à  Lemberg  il  y  a  deux  ans  et 
qui  à  présent  vient  de  s'affirmer  irrémédiable.  Il  s'agit 
li'un  achat  fait  par  la  ville  (et  pour  une  somme  impor- 
tante !)  d'une  collection  privée  de  tableaux  et  de  meubles 
anciens  devant  servir  de  base  à  un  futur  musée  municipal 
et  qui,  avec  son  inévitable  Raphaël  en  tète,  s'est  montré 
d'une  valeur  plus  que  douteuse.,..  Vu  l'exiguïté  des  moyens 
dont  en  général  peut  disposer  le  pays  pour  les  choses 
^^art,   l'affaire  perd   beaucoup  de  son  comique. 


Malgré  que  Cracovie  ressemble  fort  ]ieu  à  cette  Florence 
moderne  que  voudrait  apercevoir  en  elle  l'enthousiasme 
de  M.  William  Ritter.  c'est  néanmoins  de  nos  jours  la  capi- 
tale intellectuelle  et  artistique  de  la  Pologne  entière  où  un 


-M.5 


I.'AKT     V.T     LKS     ARTISTES 


yloiii-ux  pa^sr  (K-  ciilUiic.  liifii  (|ir)nli-i-rompu  dès  le 
xvii^'  siècle,  féconde  parfois  ou  fout  au  moins  excite  nos 
aspirations  jîréscntes.  S'il  ne  manque  pas  de  bons  peintres 
à  Cracovie.  il  y  manque  trop  de  Médicis,  et  en  principe 
même  les  grandeurs  nationales,  comme  Wyspianski.  n'y 
sont  aiiprècièes  qu'a]irès  leur  mort....  En  somme,  c'est  ici 
pourtant,  dans  cette  calme  ville  universitaire  si  riche  en 
trésors  d'art  ancien  (allemand  et  italien)  et  si  jiittorestpie, 
qu'il  V  a  encore  une  certaine  atmosphère  artistique.  Autour 
de  l'Académie  des  Heau.x- Arts,  du  Musée  National  (enriclii 
récemment  par  l,i  belle  (.nllettion  (loldstein).  de  la  Société 
d'Art  décoratif  polonais,  etc.,  se  groupent  lentement  des 
énergies  qui,  de  temps  en  temps  au  moins,  arrivent  à  triom- 
pher de  l'apathie  générale  et  lentement  préparent  peut-être 
un  meilleur  avemr. 

Quant  à  notre  peinture  moilerue,  si  ]ileine  de  vie  et 
d'intérêt  ([u'elle  .1  su  inipnsrr  le  respect  même  à  nos  voisins 
allemands.  Inm  .|ii',iii|ciiird'liui  elle  ait  conquis  Cracovie 
définitivcmini .  le  n'^st  pourtant  pas  d'ici  qu'elle  a  pris 
son  essor.  Se-,  pi 01,1,141 11  listes  d'hier,  comme  Chelmonski. 
les  frères  (;ier\  in^Ui.  W'itkiewicz  et  tant  d'autres,  outre 
qu'ils  sont  jioiir  l.i  pliip.iit  cins»inaires  de  la  Pologne  russe. 
Iiiiit  leur  appreul  i^-.i;-;e  a  .Miiiiicli  ou  à  Taris  et  vivent  long- 
temps a  l'étranger.  l{ii  ,i;eiural,  ce  sont  des  efforts  isolés 
dé])our\  us  de  iDUt  encouragement,  au  contraire  combattus 
\ioleninient,  qui  vers  iSSo  ont  préparé  l'avèirement  de  cette 
}ieinture....(  rai  n\ie  fascinée  par  l'art  historique  de  Ma  tej  ko. 


longtemjis  leur  rr-,t.\ 
commenva  sruhiniii 
représentants  de  i  r 
a  succession  <\<-  M.i 
J'ai  parle  dej.i  k 
notre  ■■  ÉeoU-  des  ]'. 
la  plupart  de  sis  u 
nieueer  étaii.'uf  loreé 


iidifférente 
depuis   ,pr 


l'u  certain  changement 
par  pur  hasard,  un  des 
détrie  ])nt  à  r.\cadéinie 


même  de  lùiliil  comme  directeur  de 
ni.\  .\its  .  Comme  peintre,  ainsi  que 
iteni|iiir,iins  ]iolonais.  qui  pour  coin- 
de  (.lierilier  a  l'étranger  le  pain  et  la 
un    ,iutiidiil,iete,    se   devant    presque 


exclusi\'euient  à  son  tident  et  à  son  amour  de  la  nature.... 
En  une  ex]>osition  collective  (ouverte  en  janvier  à  Craco- 
vie. ]mis.  eu  février,  à  \'arsovie).  ce  talent  vient  une  fois  de 
plus  d'afhrmer  sa  belle  vitalité.  Aquarelliste  par  excellence, 
Ealat  est  un  virtuose  de  la  notation  large  et  rapide  qui,  se 
jouant  des  difficultés  techniques,  par  la  sagacité  et  la 
fraîcheur  de  son  impression,  arrive  parfois  à  une  synthèse 
presque  jaiionaise.  Personnalité  toute  d'instinct  et  de  tem- 
pérament, il  a  toujours  été  attiré  avec  force  par  la  vie  de 
chasseur  ;  et  la  jioésie  de  nos  forêts,  de  nos  plaines,  de  la 
neige  surtout,  a  trouvé  en  lui  un  de  ses  meilleurs  évocateurs. 
(Il  est  très  piquant  que  justement  ce  peintre  de  nature  si 
foncièrement  polonaise  fut  pendant  longtemps  un  des 
artistes  favoris  de  S.  M.  Guillaume  II.) 


Nos  concours  artistiques  ont  déjà  leur  histoire,  et  des  plus 
triste.  Le  monument  de  Mickiewicz,  à  Cracovie,  en  est  no- 
tamment la  piage  la  plus  tragiquement  ridicule.  Par  une 
courtoisie  sceptique,  les  membres  étrangers  du  jury  qui 
vient  de  juger  le  concours  pour  le  monument  de  Chopin  à 
Varsovie  n'ont  pas  voulu  porter  atteinte  à  ces  traditions 
nationales.  Ils  ont  agi  sagement,  et  Varsovie,  qui,  en  fait 
d'art  moderne,  possède  déjà...  l'Hôtel  Bristol,  leur  en  sera 
reconnaissante. 

Le  pri.x  Barszczewski.  pour  la  meilleure  œuvre  picturale 
lie  190S.  vient  d'être  décerné  par  l'Académie  des  Sciences  à 
Jacek  .Malczewski.  Il  n'y  aurait  qu'à  applaudir.,..  Malheu- 
reusement, renonciation  que  l'.-\cadémie  publie  comme 
d'habitude  à  cette  occasion  et  où,  férule  en  main,  elle  passe 
en  revue  toute  la  production  artistique  de  l'année  passée, 
est  une  fois  de  plus  non  seulement  un  manquede  tact,  mais 
aussi  un  document  d'esthétique  paroissiale  désarmant  de 
naïveté...  académique.  Ne  serait-ce  pas,  et  de  beaucoup, 
plus  facile...  de  se  taire? 

.\D.iM     DE     CyBULSKI. 


Échos   des   Arts 


Fouilles  et  Découvertes. 


Dans    la    séance    1 
Inscriptions  et  BelK 
derniers    résultats 
sur  la  côte  de  Main 


1  4  piui  deriuer  de  l'Académie  des 
irttrrs,  M.  Merlin  a  communiqué  les 
es  Iduilles  .sous-marines  entreprises 
a   pour  relever  les  œuvres  d'art  dont 


était  charge  un  vaisseau  barbare  qui  sombra  avec  les 
dépouilles  de  l'Italie,  sans  doute  au  v  siècle.  Parmi  les 
fragments  récemment  récupérés,  se  remarque  une  lampe 
encore  munie  de  sa  mèche  carbonisée. 

M,  Gauckler  a  communiipié  à  r.\cadémie  la  photogra- 
phie d'une  statuette  en  bronze  doré,  qu'il  a  découverte 
dans  les  fouilles  qu'il  exécute  à  Rome,  avec  MM.  Nicole  et 
Darier,  sur  le  Janicule.  dans  les  ruines  d'un  temple  svrien 
construit  aux  abords  du  I.uftis  Furrinœ.  Cette  idole  énig- 
matique  était  couchée  au  fond  d'une  sorte  de  cuve  triangu- 
laire en  blocage  ;  cette  cuve  avait  été  ménagée  au  centre 
d'une  cella  octogonale,  dont  la  forme  rappelait  celle  des 
premiers  baptistères  chrétiens.  Dans  cette  cella.  on  devine 
une  chapelle  qui  aurait  été  réservée  à  la  célébration  des 
mystères   et   aux    initiations   du    culte   svrien.    L'idole   est 


engoncée  comme  une  momie  ;  un  dragon  à  crête  dentelée 
en  fait  se])t  fois  le  tour.  Entre  les  circonvolutions  du 
monstre,  sept  œufs  de  poule  avaient  été  déposés,  en  ligne, 
sur  la  statuette.  En  pourrissant,  ils  ont  éclaté:  les  débris 
des  coques  sont  tombés  à  droite  et  à  gauche,  M.  Gauckler 
cherche  à  démontrer  qu'il  ne  faut  pas  voir  dans  cette  sta- 
tuette, comme  on  l'a  proposé,  un  Kronos  mithriaque.  Il 
reconnaît  ici  une  .\targatis  naissante,  une  Atargatis  sortant 
lie  l'œuf  dont  étaient  issus,  dit  Arnobe,  les  dieux  syriens 
Hadad  et  .Atargatis, 


En  faisant  les  travaux  nécessaires  à  l'établissement 
d'une  nouvelle  voie  entre  Saint-Germain  des  Prés  et  le 
Pont-Xeuf,  on  a  découvert  dans  la  cour  d'une  maison  de  la 
rue  Guénégaud  une  tour  de  l'enceinte  de  Philippe-.\uguste 
dont  on  ignorait  l'existence  et  qui  est  en  bon  état  de  con- 
servation. La  commission  du  Vieu.x-Paris  a  émis  le  vœu 
que  cette  tour  ne  fût  pas  atteinte  par  la  nouvelle  voie  pro- 
jetée et  cpi'elle  formât  l'ornement  principal  d'une  place 
ou  d'un  carrefour. 


244 


i;art    ht    i.i;s    artistes 


M.  Alliert  Gayct  vient  de  nuiiii-  au  musc-c  trEnnory 
les  résultats  de  sa  dei'nicre  cam]>agne  tle  fouilles  à  Antinoë  ; 
c'est  une  série  d'objets  du  iir'  siècle,  parmi  lesquels  on 
remarque  deux  momies  :  celle  de  la  pleureiise  Isidora  et 
celle  d'une  officiante  ou  figurante  des  rites  d'Isis. 

Une  im))ortante  découverte  \ient  d'être  faite  dans  les 
ruines  de  l'ompéi.  Au  cours  des  fouilles  «pii  y  sont  jirati- 
quées,  on  a  dégage  des  cendres  une  magnilicpie  villa  en 
parfait  état  de  conservation  et  ornée  de  fresques  du  jilus 
grand  prix.  Cette  villa  renferme  en  outre  des  œuvres  de 
sculpture  grec<iue  et  romaine,  des  meul)les  ti'és  riches,  sur- 
montés d'objets  précieux,  des  vases  de  style  et  divers 
cofirets  remplis  de  monnaie  d'or  et  d'argent.  Dans  le  sous- 
sol,  on  a  trouvé  d'énormes  amphores  et,  dans  le  triclinium 
des  tables  préparées  pour  une  trentaine  de  convives. 
L'argenterie,  très  fine,  est  égale  en  poi<ls  et  eii  beauté  à 
celle  que  possède  le  Louvre. 


Dons  et  Achats. 

M.  Cliaucliard,  qui  vient  tle  mourir,  a  légué  à  l'État, 
pour  le  Musée  du  Louvre,  sa  galerie,  ipii  comprend  près  de 
deux  cents  toiles  de  Jlillet,  Troyou,  Corot,  Daubiguy, 
Decamps,  Diaz,  Jules  Dupré,  Th.  Rousseau,  Fromentin. 
Delacroix,  Isabey,  Meissonier,  Ziem,  llenner.  etc.,  achetées, 
dit-on,  par  le  donateur  au  pri.x  de  vingt-sept  millions 
environ. 

Parmi  les  Millet,  citons  :  l'Am^cltis.  payé  Stxj.oocj  francs  ; 
la  Bergère,  qui  coilta  i  million  ;  la  Rintric  des  moutons  la 
nuit,  i.ioo.ooo  francs;  le  Vanneur;  la  Filcuse  ;  la  h'er- 
mière  ;  la  Petite  Bergère,  etc. 

Corot  est  représenté  par  un  grand  nombre  de  toiles,  et 
notamment  par  l'Amour  désarmé,  la  Danse  des  Xymplws 
dans  la  clairière,  la  Danse  rustique  à  l'entrée  du  bois,  la 
Charrette,  le  Matin  à   Ville-d'Avray,  etc. 

Troyon  occupe  une  belle  place  avec  la  Vdehe  blanche, 
les  Bœufs  allant  au  labour,  le  Retour  du  marché,  le  Garde- 
chasse  et  ses  chiens,  les  Vaches  au  pâturage,  la  Mare,  etc. 

Tous  les  granils  paysagistes  sont  représentés  ;  Théodore 
Rousseau  avec  la  Charrette,  l'Orage,  l'Avenue  de  la  foret  de 
risle-Adam  ;  Jules  Dupré,  avec  la  Vanne,  le  Chêne,  la  Mare 
aux  chênes  ;  Daubigny.  avec  la  Vallée  d'Arqués,  les  Cavernes 
au  bord  de  l'Oise,  le  Soleil  couchant  ;  Ziem,  Diaz,  etc.,  etc. 

Delacroix,  Decamps,  Fromentin,  Isabey,  sont  représen- 
tés par  trente-cinq  toiles  ;  Isabey  par  le  Déjeuner  de  la  reine, 
le  Mariage  royal,  la  Sortie  du  prêche,  le  Départ  du  duc 
d'Albe,  la  Séparation. 

Citons  enfin  les  quarante  Meissonier,  avec  le  fameu.x  1814, 
le  Fumeur,  la  Confidence,  le  Liseur  blanc,  le  Liseur  noir. 
l'Homme  à  l'épée  qui  vient  de  la  collection  Van  Praët, 
le  Poste  d'avant-garde,  l'Auberge  de  J'oissy,  le  liieur,  la 
Route  d'Antibes,  etc. 

M.  Chauchard  ajoute  à  sa  collection  de  l'école  de  1830 
tous  les  tableaux  qui  ornaient  les  salons  du  rez-de-chaussée 
de  son  hôtel  de  l'avenue  Velasquez  :  ce  sont  <les  œuvres  de 
Nattier,  Drouais,  Gainsborough  ;  des  marbres  de  Coysevox, 
Lemoyne,  Coustou,  Caffieri  et  une  .série  des  premières 
épreuves  de  Barye. 

Tout  cela  ira  au  Musée  du  Louvre,  avec  le  portrait  du 
donateur  par  Benjamin  Constant. 

Et,  pour  aider  à  l'installation  de  ces  œuvres  d'art, 
M.  Chauchard  laisse  à  la  disposition  de  son  exécuteur  tes- 
tamentaire, M*'  Jousselin,  et  à  M.  Georges  Leygues.  spé- 
cialement chargé  de  surveiller  l'aménagement  de  la  future 
«  salle  Chauchard    •,   les  sommes  qui  seront  nécessaires  à 


ifin  «lu'aucune  ilépense 


la  direction  du  Musée  tlu  Lou' 
n'incombe  à  l'État. 

.\  la  Ville  de  Paris,  il  laisse  les  deux  groupes  de  bronze 
de  Cain.  toutes  les  statues  de  marbre  et  tous  les  objets  qui 
ornent  les  jardins  du  château  de  Longcliamp.  dont  il  était 
le  locataire. 

JS 

Le  Musée  Carnavalet  a  re(,'u  îles  héritiers  de  \"ictoricn 
Sardou.  en  don,  le  fronton  de  l'ancienne  porte  de  la  maison 
de  Danton,  qui  faisait  partie  des  collections  Sardou.  récem- 
ment dispersées.  La  commission  d'achats  de  ce  Musée  a  fait 
aux  ventes  .Sardou  les  ac<iuisitions  suivantes  ;  une  ]'uc  du 
Louvre,  lors  de  l'arrivée  de  Louis  X\'I  à  Paris,  le  i-  juil- 
let 17S9,  aquarelle  attribuée  à  Sergent  Marceau:  l'Arri- 
vée du  roi  aux  Tuileries,  en  1779,  par  Prieur  ;  /<•  Pont 
Xotrc-Dame  et  la  ]'oi'ite  du  Chàtelct,  aquarelle,  jiar  Xicolle; 
/(•  Passage  des  ]'ariétés,  acjuarelle.dont  l'auteur  e.st  inconnu  : 
l'Ecole  militaire,  dessin  lavis  attri'Duc  à  Duplessis-Bertaux; 
un  jilan  de  la  Bastille,  par  Palloy,  et  un  dessin  non  signé  : 
l'Allemande  dansant  che:  Ruggieri.  L'ensemble  de  ces 
acquisitions  s'élève,  avec  les  frais,  à  environ  6  000  francs. 
On  attend,  pour  cpie  l'acquisition  .soit  définitive,  l'appro- 
bation administrative  qui  est  indispensable  à  cet  efïet. 


Le  Musée  métropolitain  de  New- York  vient  d'acquérir, 
pour  la  somme  de  ,^50000  francs,  les  trois  belles  tapisse- 
ries du  temps  de  Charles  VII  :  ta  Baillée  des  roses,  (pii 
furent  si  remar(|uées  naguère  à  l'exposition  des  Primitifs 
Fran(,nis.  On  dit  <|ue  le  Conseil  supérieur  des  Musées  natio- 
naux avait  précédemment  voté  l'acquisition  île  ces  chefs- 
d'œuvre  <lc  l'art  décoratif  français,  mais  que  sa  proposition 
avait  été  rejetée  par  le  ministre  de  l'Instruction  publique. 

JS 

Aménagements  et  Restaurations. 

Trente  et  un  magniruiues  ta])is  de  la  Savonnerie  et  une 
très  belle  suite  de  Gobelins,  appartenant  au  Garde-Meuble, 
vont  être  exposés  dans  le  palais  de  \'crsaillcs,  conformé- 
ment aux  instructions  de  M.  le  sous-secrétaire  d'htat  au.x 
Beaux-.\rts.  —  les  tajiis  dans  le  grand  ai^iiartement  et  la 
galerie  des  glaces,  et  les  tapisseries  dans  le  salon  d'Her- 
cule, la  chapelle  et  la  galerie  des  rois. 


Revue  des  Revues. 

>iAK\i:  GoLiv  i.uiuées  révolues).  —  Revue  mensuelle 
d'art  ancien,  paraissant  le  15  jS  de  chaque  mois.  —  1909, 
troisième  année. 

Le  texte  de  Staryé  Gody  étant  rédigé  en  russe,  tous  les 
titres  sont  munis  de  traductions  en  français. 

Prix  d'abonnement  pour  l'étranger  :  30  francs  par  an. 
On  s'abonne  chez  tous  les  libraires  de  Saint-Pétersl>ourg 
et  an  bureau  de  la  rédaction  (7,  Solianoï  per);  à  Paris,  chez 
Henri  Leclerc,  libraire,  219,  rue  Saint-Honoré. 

P.  P.  de  Weiner,  directeur  fondateur. 


La  Scandinavie.  ---  Revue  mensuelle  illustrée  des 
rovaumcs  de  Suède,  Norvège,  Danemark  et  grand-duché 
de  l'inlande.  —  Artistique,  littéraire,  scientifique.  — 
Rédaction  et  administration  :  67.  boulevard  Malesherbes, 
et  4,  avenue  de  l'Opéra. 

Directeur  :    Maurice   Chalhoub. 

Abonnements  :  6  francs  pour  la  France  et  8  francs  pour 
l'étranger. 


245 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


Associnlinii  (h-  VAlliaiicc  aitisliqnc.  enregistri-e  en  vertu 
lie  la  loi  sur  les  Sociétés  industrielles  et  de  prévoyance. 
Siège  social  ;  67-69.  Chancery  Lane,  London,  W.  C. 

Fondée  en  1908  dans  le  but  de  permettre  aux  artistes  de 
soumettre  librement  et  sans  restriction  leurs  œuvre;,  au 
jugement  du  public. 

A  l'E.xposition  annuelle  de  l'Association,  chaque  membre 
est  autorisé  à  envover  trois  œuvres,  dont  toutes  seront 
exposées,  en  groupe  ou  dispersées,  suivant  le  désir  de 
l'exposant. 

On  devient  membre  de  l'Association  en  devenant  acqué- 
reur d'une  (ou  plusieurs)  actions  d'une  valeur  nominale  de 
10  shillings  (soit  24  fr,  75),  et  en  payant  une  cotisation 
annuelle  d'une  guinée  (soit  26  fr.  50).  En  dehors  de  cette 
cotisation,  les  membres  ne  peuvent  encourir  aucune  iis- 
f^Diisûbililc  pécuniaire. 

L'administration  de  l'.Vssociation  est  conhée  au  comité 
de  direction  élu  par  les  actionnaires. 

Toutes  les  demandes  de  renseignements,  adhésions  et 
versements  doivent  être  adressés  au  secrétaire  iFrank 
Kutterl.  Allied  .\rtists'  .\ssociation  Ltd.,  67-69.  Chancery 
Lane,  London.  W.  C. 

M 

Divers. 

L'ambassadeur  de  France  en  .Xinéricpie,  M.  Jusserand, 
a  remis,  la  semaine  dernière,  à  la  ville  de  San- Francisco 
une  superbe  médaille  d'or,  en  commémoration  de  la  recons- 
truction de  la  ville  si  cruellement  éprouvée  par  le  tremble- 
ment de  terre  de  1906.  La  médaille  ainsi  offerte,  œuvre  du 
graveur  Louis  Bottée,  est  en  or,  et  il  n'en  a  été  tiré  qu'un 
seul  exemplaire.  Une  des  faces  montre  d'une  façon  emlilé- 
matique  la  ville  de  San-Francisco  sortant  de  sa  tombe  et  se 
débarrassant  de  son  linceul,  grande  et  belle  comme  tou- 
jours ;  sur  l'autre  face,  on  voit  la  France  offrant  une 
branche  de  laurier  à  l'Amérique. 


L'exposition  de  l'acrost.ition  et  de  l'aviation  à  travers 
les  âges,  organisée  ])ar  yiM.  Graiul-Carteret  et  Léo  Delteil, 
est  ouverte  depuis  le  15  juillet,  au  Grand  Palais,  coté  des 
Champs-Elysées,  dans  les  salles  du  rez-de-chaussée,  consa- 
crées par  la  Société  des  Artistes  français  aux  projets  d'archi- 
tecture. Cette  exposition,  composée  d'estampes  anciennes, 
livres,  reliures,  médailles,  éventails,  faïences,  bibelots  et 
curiosités  de  toutes  sortes,  contient  également  une  section 
moderne  de  dessins  dans  la  note  humoristique.  On  y  voit 
tous  les  projets  de  locomotion  aérienne  dus  à  l'esprit  inventif 
des  inventeurs  depuis  plus  d'un  siècle  ;  c'est  tout  le  passé 
des  sphériqueset  tous  les  essais  d'aviation,  sans  oublier  les 
hommes  volants.  MM.  Grand-Carteret  et  Léo  Delteil  doi- 
vent, au  mois  d'août,  transporter  leur  exposition  à 
Francfort,   à   V I>iternalionah<  Luftscliiffiilnt  Aiissltlluji!;. 

JS 

BULLETIN      DES      EXPOSITIONS 

.\lx-LEb-B.\iNS.  —  Exposition  internationale  des  Beaux- 
Arts,  commerce,  industrie,  [ihotographie.  etc..  jus- 
qu'à septembre. 

Av.\LLON.  —  Exposition  de  la  Société  des  Amis  des  .\rts 
de  l'Avallonnais,  du   i'"'  août  au  30  septembre. 

BoRDEAU.x.  —  Exposition  d'Art  humoristique,  réservée 
aux  artistes  de  la  région,  en  octobre  et  novembre, 

Ch.\renton  (Seinei.  —  Quarante  et  unième  exposition  de 
la  Société  artistique,  du  j6  septembre  au  19  octobre 
prochains,    .adresser    toutes    demandes     de    ren>eigne- 


ments  à  M.  Leroux,  secrétaire-trésorier,  3,  place 
Henri  IV,  à  Charenton  (Seine). 

Copenhague.  —  Au  Palais  Royal  de  Charlottenbourg. 
exposition  française  d'art  décoratif,  jusqu'au  13  sep- 
tembre. 

Dresde.  —  Exposition  internationale  d'aquarelles,  pas- 
tels et  arts  décoratifs,  jusqu'au  i"  octobre. 

Gand.  —  Quarantième  exposition  de  la  Société  royale,  du 
I"  août  au  27  septembre.  Pour  tous  renseignements, 
s'adresser  au  secrétaire.  M.  Scribe,  rue  de  la  Chênaie, 
à  Gand. 

Langres.  —  Société  artistique  de  la  Haute-Marne,  e.xpo- 
sition  des  Beaux-Arts  et  d'Art  décoratif,  du  31  juillet 
au  i""'  septembre.  Dépôt,  à  Paris,  chez  Robinot,  50, 
rue  N'aneau,  avant  le  14  juillet. 

Munich.  —  Dixième  exposition  internationale  des  Beaux 
Arts  au  Palais  de  Cristal,  jusqu'à  fin  octobre. 

Nancy.  —  Exposition  internationale  de  l'est  de  la  France, 
avec  section  des  Beaux-Arts  organisée  par  la  Société 
lorraine,  jusqu'à  la  clôture  de  l'Exposition  interna- 
tionale (octobre). 

RUEIL  (Seine-et-Oise).  —  Château  de  La  Malmaison,  expo- 
sition d'étoffes  pour  ameublement  de  l'époque  napo- 
léonienne. 

Tan.\n.\rive.  —  Prochainement,  exposition  d'art  mal- 
gache, comportant  ;  sculptures,  peintures,  tissus,  arts 
de  la  femme,  jouets  et  jeux,  histoire  de  l'art,  art  rétros- 
pectif, etc.  Pour  tous  renseignements,  s'adresser  au 
ministère  des  Colonies. 

Valenciennes.  —  Exposition  de  la  Société  valencien- 
noise  des  Arts,  aux  salons  de  l'Hôtel  de  Ville,  du 
12  septembre  au  10  octobre.  Dépôt  des  œuvres  à 
Paris,  chez  M.  Robinot,  avant  le  25  août,  et  à 
Valenciennes,  chez  M.  Ch.  Marlière,  secrétaire  de  la 
Société,   avant  le  4   septembre. 

COXCtU'RS 

Le  neuvième  concours  Lépine  aura  lieu  du  10  septembre 
au  10  octobre  1909,  dans  le  jardin  des  Tuileries,  salles  et 
terrasse  ciu  Jeu  de  Paume, 

Cet  événement  si  connu,  qui  offre  aux  fabricants  et  au.x 
inventeurs  l'occasion  de  faire  connaître  au  public  le  pro- 
duit de  leur  imagination,  leur  ofïre  aussi  un  certificat  de 
i;ariintic  qui  les  protégera  en  France  et  dans  les  pays  tinio- 
iintes.  sans  aucun  frais,  pendant  douze  mois,  avant  la  prise 
facultative  du  brevet  d'invention  définitif. 

Deux  cent  quatre-vingt-dix-sept  certificats  ont  été 
accordés  au  concours   190S. 

Fondé  par  M.  le  préfet  de  police  en  1901,  le  concours, 
spécialisé  d'abord  aux  jeux  et  jouets,  s'étend  aujourd'hui 
à  toutes  les  branches  de  l'industrie.  Il  est  ouvert  aux  arti- 
sans de  toutes  professions,  métaux,  bois,  cuir,  papier,  céra- 
mique, tissus,  etc.,  etc. 

Le  concours  comprendra  une  section  spéciale  pour  les 
Sports  et  I'Aviation. 

Le  comité  d'organisation  adresse  un  pressant  appel  à 
tous  ceu.x  cpii,  avant  créé  une  nouveauté,  cherchent  à  en 
tirer  proht. 

Le  prix  d'admission  est  à  la  portée  des  bourses  les  plus 
modestes;  il  est,  pour  un  mètre  linéaire  agencé,  de  3  fr.  50 
pour  les  sociétaires  et  de  :i  francs  pour  les  non-sociétaires, 
assurance  comprise. 

Des  prix  nombreux  et  importants  en  espèces,  objets 
d'art,  médailles  et  diplômes  seront  attribués  aux  lauréats. 

Le  règlement  du  concours  est  adressé  franco  à  toute 
personne  qui  en  fait  la  demande  au  siège  social  de  la 
Société  des  Petits  Fabricants  et  Inventeurs  français.  145, 
rue  du  Temple,    Pans   (lU'i. 


246 


L'ART     ET     I.IiS     ARTISTES 


Bibliographie 


LIVRES     D'ART 


Histoire  de  l'Art  depuis  les  premiers  temps  chrétiens 
j-usquA  nos  jours,  publiée  sous  la  direction  de  M.  André 
MicHKi..  —  Tome  III  :  Le  Réalisme.  Les  débuts  de 

la  Renaissance  (Seconde  partie).  (Un  volume  in-S 
grand  Jésus  de  512  pages,  291  gravures  et  7  héliogravures 
hors  texte.  Librairie  Armand  Colin,  rue  de  Mczières,  5, 
Paris.  Broché  :  15  francs;  relié  demi-chagrin,  tête  dorée  ; 
22  francs.) 

Cette  seconde  partie  du  tome  III,  qui  forme  le  si.Kième 
volume  de  l'Histoire  de  l'Art,  nous  mène  jusqu'à  la  période 
de  plein  épanouissement  de  la  Renaissance  proprement 
dite. 

M.  Marcel  Reymond  y  étudie  l'architecture  italienne 
du  xv«  siècle  ;  M.  .\ndré  Michel,  la  sculpture  italienne  de 
Ghiberti  aux  dernières  années  de  Donatello  ;  M.  .A.  Pératé. 
la  peinture  en  Toscane,  à  Rome,  en  Ombrie,  à  Venise,  à 
Padoue  et  à  Ferrare  pendant  tout  le  cours  du  xV  siècle. 
Le  développement  de  la  peinture  et  de  la  sculpture 
espagnoles  jusqu'au  temps  des  rois  catholiques  est  e.xposé 
par  M.  É.  Bertaux.  Les  arts  mineurs  à  la  fin  du  moyen 
âge  et  au  début  de  la  Renaissance  sont  étudiés  par 
MM.  G.  Migeon  (céramique  italienne),  O.  von  Falke  (orfè- 
vrerie et  émaillerie),  E.  Babelon  (médailles).  Le  volume 
se  termine  par  un  chapitre  de  M.  G.  Millet  sur  la  dernière 
évolution  de  l'art  byzantin. 

291  gravures  et  7  planches  hors  te.xte,  d'une  exécution 
admirable,  ornent  ce  beau  volume  de  512  pages.  L'aperçu 
que  nous  venons  de  donner  de  sou  contenu  suffit  à  en  indi- 
quer la  richesse  et  l'intérêt.  Il  continue  dignement  le  magis- 
tral ouvrage  qui  fait  un  égal  honneur  à  la  science  et  à  la 
librairie  françaises. 

Les  Grands  Artistes.  —  N'iennent  de  [jaraitre  :  Les 
Peintres  de  manuscrits  et  la  Miniature  en 
France,  par  Henry  M.\rtin,  administrateur  de  la 
Bibliothèque  de  l'Arsenal.  Un  vol.  -  Frans  Hais,  par 
André  Fontainas.  Un  vol.  (Chaque  volume  in-S  avec 
24  gravures  hors  te.xte.  Broché  ;  2  fr.  jo;  relié  :  ;  fr.  50. 
H.  Laurens,  éditeur,  6,  rue  de  Tournon,  Paris,  \']'-.) 

L'exposition  des  primitifs  français,  en  1904,  mit  défini- 
tivement à  la  mode  auprès  du  grand  public  les  délicieuses 
])eintures  des  manuscrits  du  moyen  âge.  L'un  des  orga- 
nisateurs de  cette  exposition,  M.  Henry  Martin,  qui  liés 
longtemps  s'est  voué  à  l'étude  de  nos  anciens  enlumineurs, 
présente  dans  ce  livre  un  tableau  succinct,  mais  complet, 
de  cet  art  charmant  du  miniaturiste.  D'une  lecture  acces- 
sible à  tous,  l'ouvrage  est  comme  une  préface  à  l'histoire 
de  la  peinture  française.  Grâce  à  une  illustration  (jui  ne 
comprend  pas  moins  de  34  reproductions  des  œuvres  les 
plus  célèbres,  on  peut  suivre  pas  à  pas  les  transformations 
de  la  miniature  dans  notre  pays,  observer  les  tâtonnements 
du  début,  les  progrès  réalisés  au  xiil"^  et  au  xiV  siècle.  le 
plein  épanouissement  au  x\-<^  siècle,  puis  la  décadence  à 
partir  du  jour  où  l'imprimerie  est  vulgarisée. 

Le  grand  portraitiste  de  Haarlcm.  Frans  Hais,  a  été 
jusqu'ici  fort  négligé  par  les  historiens  il'art.  surtout 
en  France.  Et  pourtant  nul  plus  que  Hais  n'a  exercé 
d'influence  sur  le  renouveau  de  notre  peinture,  depuis 
Courbet  jusqu'à  nos  jours.  La  collection  les  Grands  Artistes 
rend  justice  à  ce  peintre  puissant  et  encore  mal  connu.  Nul 
n'était  mieu.x  qualifié  que  M.  André  Fontainas.  l'auteur 
estimé  d'une  Histoire  de  la  Peinture  fra)i(:iise  au  A'/A''"  siècle. 


pour  mettre  clairement  en  valeur,  avec  une  érudition  par- 
faite et  une  connaissance  approfondie  de  son  sujet,  les  belles 
qualités  de  conception  et  d'exécution  qui  ont  fait  de  Frans 
Hais  un  des  maîtres  les  plus  passionnants  de  la  peinture 
moderne.  Des  illustrations,  qui  résument  à  souhait  l'œuvre 
de  Frans  Hais,  rehaussent  le  prestige  de  ce  volume,  le 
«piarante-septième  de  la  collection  des  Grands  Artistes. 

.lean-François  Raffa&lli.  peintre,  graveur  et  sculp- 
teur, par.\RsÈNE  .\lexandre.  (H.  Floury,  éditeur,  i,  boule- 
vard des  Capucines.) 

C'est  toujours  un  événement  littéraire  et  artistique  ipie 
l'apparition  d'un  livre  de  M.  .\rscne  .\le.xandre.  Ses  quali- 
tés de  documentation  scrupuleuse,  alliées  à  une  imagina- 
tion vive  et  à  une  originale  interprétation  de  la  vie.  con- 
courent, avec  la  forme  très  précise  et  très  pure  de  son  stvle, 
à  faire  de  ses  ouvrages,  même  de  critique  ou  d'histoire 
artistique,  une  lecture  attachante  comme  un  roman. 

Cette  fois,  c'est  l'exposition  considérable  de  l'œuvre  de 
Raffaëlli,  cet  été,  qui  lui  a  donné  l'occasion  d'écrire  une 
de  ses  plus  curieuses  et  de  ses  jilus  ty]nqiies  monographies 
d'artistes. 

Rien  de  plus  personnel  et  de  plus  divers  <pie  l'œuvre 
immense  de  J.-F.  Raffaëlli.  Il  va  des  tableaux  de  misère 
ou  de  vie  populaire  du  début  aux  grands  portraits  contem- 
jiorains,  comme  celui  de  M.  Clemenceau,  d'Edmond  de 
Goncourt,  d'Huysmans,  et  de  ceux-ci  au.x  scènes  de  la  vie 
la  plus  raffinée,  ainsi  qu'au.x  paysages  les  plus  délicats  et 
les  plus  spirituels  que  l'école  moderne  ait  produits. 

Ce  n'est  pas  tout  :  l'éminent  artiste  est  étudié  comme 
graveur,  sculpteur,  écrivain,  inventeur.  Sa  carrière  est  un 
exemple  superbe  d'activité  intellectuelle  et  de  passion  créa- 
trice. C'est  une  belle  et  vivante  figure,  que  le  livre  d'.Vrsène 
.\lexandre  a  campée  de  main  de  nuiitr  •. 

Il  faut  ajouter  qu'une  magnifique  illustration  contribue 
à  rendre  cet  ouvrage  une  véritable  œuvre  d'art.  Plus  de 
30  planches  hors  texte  et  de  150  illustrations  répandues 
dans  le  texte  et  hors  texte,  qu'elles  suivent  fidèlement, 
font  du  livre  un  régal  d'artiste  et  de  bibliophile,  à  des  con- 
ditions de  prix  vraiment  surprenantes. 

Écrits  d'amateurs  et    d'arlisl,s.  Discoiir.-i    sur   la 

peinture.  Lettres  au  flâneur  et  \'oyaycs  pitto- 
resques, de  Reynolds,  publiée  avec  une  introduction, 
des  notes  et  un  index,  par  Louis  Dimier.  (Un  vol.  in-S 
raisin  illustré  de  16  planches  hors  texte.  Broché  :  ij  francs  ; 
relié  :  15  francs.  H.  Laurens,  éditeur,  6,  rue  de  Tournon, 
Paris,  VI<;.) 

La  collection  des  Écrits  d'amateurs  cl  d'artistes,  inau- 
gurée il  y  a  quelques  mois  par  les  .Mémoires  de  Charles 
Perrault,  se  poursuit  par  la  publication  des  Discours  sur 
la  peinture  de  lieynoUls,  ainsi  que  par  celle  de  ses  Notes  de 
voyages  en  Flandre,  en  Italie  et  dans  les  Pays-Bas. 

Jamais  l'école  anglaise  n'a  été  plus  à  la  mode  chez  les 
amateurs  français.  Il  est  naturel  que  chacun  souhaite  d'en 
connaître  l'histoire.  Ce  que  cette  histoire  a  de  plus  merveil- 
leux, c'est  la  rapidité  de  sa  création,  (jui  est  due  tout 
entière  à  Reynolds,  le  peintre  de  !a  cour  royale  anglai.se, 
dont  la  récente  exposition  des  «  Cent  portraits  île  femmes  - 
nous  a  fait  admirer  une  fois  de  plus  le  proiligieu.x  talent. 

Rien  donc  ne  vient  plus  à  propos  que  ce  livre.  Les  prin- 
cipes qui  présidèrent  à  la  création  de  cette  école  anglaise 


247 


■ART     KT     LES     ARTISTES 


ck-  ])<.-intuiv  xmt  rN|>(isr-,  ]iar  lvi->ni)Kl,  liiiMiicnu-.  Srs 
HisCiiiiis  siii  !ii  /i,  ïi(/(ii.',  prououci's  dc-vuLit  les  (.■•tudiaiU'- lie 
rAcadcmie  de  Londres,  contiennent  cet  exposé  en  termes 
d'une  ampleur  et  d'une  philosophie  magniticpies.  On  y 
trouve  des  jugements  s\ir  le-  nuiitres  de  l'art  motivés  avec 
une  jnécision  ]iariaite,  et  île  plus  tout  un  discours  sur  le 
mérite  de  Gainsborough,  particulièrement  digne  de 
remanpie. 

Les  r,iVi(V'S  /i(//e/cs,/»<>,  puliliés  pour  la  première  fois 
au  complet,  fournissent  au  lecteur  attentif  comme  une  pré- 
paration tcchnu]ue  des  discours.  Ils  peuvent  servir  de  guiile 
infiniment  précieux  pour  un  voyage  soit  en  Italie  on  nous 
\iMtuu-<  sucee-^u  eiurul  Koiue.  Assise.  Pérouse.  Florence. 
Maiitoue.  r.oingiir.  \riii-,e,  etc..  soit  dans  les  Pays-Bas  où 
l'auteur  non-  tondnit  à  Pruges.  Cand,  Pruxelles.  :\Ialines, 
Anvers.  La   ll.i\r,   Ain-^lerdam,  etc. 

La  traduetinii  est  nouvelle.  J-es  erreurs  et  les  obscurités 
de  l'ancienne  \  -ont  heureusement  éclaircies.  Des  notes  et 
une  préface  reiuleiit  l,i  lecture  de  ce  volume  facile  et  ins- 
tructive, en  même  temps  que  i(>  planches  hors  texte,  reprr- 
duisant  des  œuvres  d'art  et  des  scènes  de  l'Académie,  en 
complètent  le  charme. 

Lis  ]'ill, si/'Ail ,,lfhi:'i. —  \u-ut  dei).iraitre  Aviynon 
et  le  Comtat  \'enais>in.  inir  Amjké  H.m.i  ws.  (l'n 
vol.  111-4,  illustré  de  IJ-  gravures.  Proche  ;  4  francs: 
relie  :  ;  fr.iius.  H.  Laiirens.  éditeur,  (•.  rue  cle  lournon. 
Paris.   \  l'.| 

Par  l'imposante  beauté  de  sou  site,  la  grandeur  de  -on 
histoire,  la  magnificence  de  ses  miiuuiueuts  du  moyen  ,àge. 
le  goéit  délicat  de  ses  constructions  .lu  x\  iir'  siècle,  l'abon- 
dance de  ses  richesses  artistiques,  Avignon  est  peut-être  la 
ville  de  France  la  plus  digne  d'attirer  l'attention  des  voya- 
geurs. M.  André  Ilallays  s'est  efforcé  démontrer  les  aspects 
grandioses  ou  t  li.irin.iuts  de  i  c-tte  ville  extraordinaire,  la 
physionomie  p.irlii  uhei  e  qu'elle  tient  du  séjour  des  papes 
et  de  la  longue  doiiiin.iti.iii  des  légats  italiens. 

Le  plus  vaste  et  le  plus  i,l,4ire  des  édifices  d'Avignon,  le 
Palais  des  papes.  .1  1  ti  iMguére  enlevé  aux  troujies  cpii 
l'occupaient  et  la  rest,iui .it ion  des  b.'itiments  est  commen- 
cée. On  trouvera  d.iiis  le  livre  de  .M.  André  Hallays  une 
ra]n<le  description  du  P.d.iis  tel  cpie  nruis  le  révèlent  les 
premiers  travaux  de  deblaienunt  entrepris  par  les  services 
des  monuments  histompies. 

L'auteur  ne  s'en  est  pas  tenu  au  tableau  de  la  ville,  il 
en  a  exploré  les  environs  :  sur  la  rive  droite  du  Rhéme.  les 
admirables  ruines  de  ^'illiihiifc-lcs-Avigii'in.  et.  sur  la  rive 
gauche,  le  Comtat  l'ciiaissiv.  c'est-à-dire  l'ancien  État  pon- 
tifical, région  incomparable  qui,  entre  le  \'entoux.  le 
Rhône  et  la  Durance,  présente  de  merveilleux  paysages,  et 
où  l'on  rencontre  les  chefs-d'œuvre  de  l'art  roman  proven- 
çal, comme  l'église  du  Thor,  la  cathédrale  de  Vayson,  la 
cathédrale  de  Cavaillon,  etc. 

127  gravures  reproduisant  les  monuments  les  plus 
célèbres,  les  sites  les  plus  caractéristiques  d'Avignon  et  du 
Comtat,  complètent  le  charme  de  cet  ouvrage  appelé  au 
même  succès  que  le  .V<î;;tv  donné  précédemment  par 
M.  André  Hallays  à  l'intéressante  collection  des  \'iUci 
d'Art  célèbres. 


DIVERS 

Correspondance  entre  Victor  Hugo  et  Paul 
Aleun'ce.  IM'face  de  Jiles  Ciaketii:.  de  l'Académie 
française,   (lùigène  I-asquelle,  éditeur.  11.  rue  de  Grenelle.) 

Contes  de  Caliban.  par  Emile   Bergerat.  fEugène 

l'"asquelle.   é<liteiir.    11.   rue  de   (Crénelle.  I 

Petite  Histoire  de  la  Revue  de  fin  d 'année.  i>ar 

Robert  Dke'.fl-s.   (Eugène  Fasquelle.  éditeur,   u,  rue  de 
(irenelle.) 

L'Espritde  M.  de  Talleyrand, par  Lovis  Thomas. 

(lidltion  des  Uihliupliilcs  fantaisistes.)  (Dorbon  aîné,  éditeur, 
;î  1,1.  quai  des  C '.rands-Augustins.) 

Ondine  X'almore  par  Jacques  Boulenger.  (Édi- 
tion des  JSililh'p/iilis  fantaisistes.)  (Dorbon  aine,  éditeur, 
;î  /(  ) ,  (pi.ii    des    Grands-Augustins.) 

Les  Printemps  (poèmes),  par  Joachim  Gasquet. 
^Librairie  académique  Perrin  et  Cie,  35,  quai  des  Grands- 

.\iigiistins.) 

.Aéropolis,  par  Henry  Kistemaekers  (illustrations 
de  Keiie  Xintiiui.  iKiioène  Fasquelle,  éditeur,  1 1,  rue  de 
Grenelle.] 

L'Esthétique  positiviste.  i>ar  Christian  Cherfils. 
iLilirairie  Léon  \anier,  éditeur  ;  A.  ilessein,  successeur,  19, 
ipiai   des   Grands-Augustins.) 

Les  Napoléons  [rialiti  et  nnai^ination),  par  Théodore 
Iii/KET.   (E.   l'asijuelle,  éditeur,  11,   rue   de  Grenelle.) 

Le  Conte  des  Marennes  et  autres  lieu.\,  ]wr 

X'alentix   Mandelstamm.  (E.   Fasquelle,  éditeur,  ii,   rue 
de   Grenelle.  I 

Les  Ressouvenirs  ipotsies).  par  Henri  Fauvel. 
(.\lphonse  Lemerre.  éditeur.   23.  passage  Choiseul.) 

Poésies    choisies,    par   Henri    Fauvel.    (Alphonse 

Lemerre,  éditeur,   23.  passage  Choiseul.) 

Les    Ames    de    la   mer    ipuésies),  par    Emilie    de 

ViLLERS.    (Kudeval.  éditeur,  4,  rue  Antome-Dubois.) 

Israël  {pièce  en  3  netef),  par  Henry  Bernstein. 
(Eugène  l'asquelle,  éditeur,    11.  rue  de  Grenelle.) 

L'Enfant  honuni).  par  Alcide  Pépin.  (Librairie 
l'niverselle.    jo.   rue   Saint-Marc.) 

Justice  paternelle  {lomaii).  par  Alcide  Pépin. 
(Librairie   Universelle,    jci,   rue   Saint-Marc.) 

Contemplations  scientifiques,  par  Camille 
Flam.marion.    (Ernest   I-'lanimarion,  éditeur.) 

Bridge  {loinan),  par  Cosmo-Hamilton,  traduit  de 
l'anglais  par  Mme  Thérèse  Berton,  (Eugène  Fasquelle, 
éditeur,    11,   rue  de  Grenelle.) 

Le  Médecin  (i,'niaii\,  par  Charles-Edouard  Lévy. 
(Eugène   Fasquelle,  éditeur.    11,   rue  de  Grenelle.) 


248 


GRANDS    ET    PETITS   CHEFS-D'ŒUVRE 


Wsf  %| 


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M.    LEVETT    EN    COSTUME    TURC    (Jess: 


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\  i)lnmede  I.io- 
tard  n'avait 
ni  la  facilite,  m 
l'élcgantc  précision 
(le  son  crayon, 
comme  on  pourra 
s'en  rendre  compte 
en  lisant  ces  quel- 
([ues  notes  ;  et  cela 
est  vraiment  fortre- 
t;ret  table,  car,  étant 
données  l'excentri- 
cité de  son  carac- 
tère, son  humeur 
voyageuse,  bon 
nombre  de  pitto- 
resques aventures 
durent  signaler  ses 
lointaines  et  folles 
pérégrinations,  l'n  journal  lidèlc,  une  sincère  auto- 


l'UKTRAIT    KE     I.  .',K1 
LUI-MÊME 


biographie  nous  eût  sans  doute  permis  d'esquisser 
ici  de  cet  étrange  personnage,  trop  peu  connu 
aujourd'hui,  un  portrait  curieux  et  vivant. 

Jean-Étienne  Liotard  avait  en  effet  l'humeur 
voyageuse  au  plus  haut  degré. 

«  Par  la  curiosité,  comme  jiar  l'amour  du  mou- 
vement, dit  M.  Edouard  Humbert  dans  l'élude 
qu'il  a  consacrée  à  son  compatriote,  il  n'est  pas 
loin  de  nous  rappeler  l'un  de  nos  vieux  chroni- 
queurs aux  lointaines  chevauchées,  un  artiste  aussi, 
en  son  genre,  Jehan  Froissart.  Sans  l'éloigner 
d'ailleius  du  but  souverain  de  l'art,  les  pérégrina- 
tions auxquelles  l'âge  seul  le  contraignit  de  renoncer^ 
eurent  l'excellent  effet  de  féconder  son  talent  et 
d'accroître  sa  nouvelle  facilite  de  travail.  Où  qu'il 
se  phit  à  séjourner,  à  ré.sider,  à  penser,  il  entrait 
en  commerce  intime  avec  la  nature  ;  et  c'est  ainsi 
que,  sans  cesse  à  la  recherche  du  vrai,  il  a  donné 
à  ses  œuvres  la  fraîcheur  délicate  et  la  grâce  qui 
ont  vaincu  le  temps  ». 


251 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


E. 


^■î>^- 


'^^ 


:''i»»i|é^^j(i,^: 


Cl.  Vizsavoiia. 


LA    SIGNORA    LANETO    DE    PAROS    (dessin) 


Sans  doute  il  nous  est  l'esté  de  lui  j)lusieurs 
lettres  très  caractéristiques  de  la  nature  de  son 
esjnit,  et  un  certain  nombre  d'anecdotes  fantai- 
sistes relatives  à  ses  excentricités  ont  été  pieusement 
recueillies  par  ses  compatriotes  genevois,  puis  nous 
sont  parvenues  a\"ec  une  sorte  de  couleur  de 
légende.  Mais,  à  \'rai  dire,  les  renseignements 
sur  le  personnage,  sur  les  détails  de  son  existence 
si  orageuse,  si  ballottée,  sont  trop  incomplets  pour 
([u'on  en  puisse  faire  une  biographie  minutieuse, 
et  en  essayer  même  une  psychologie  superficielle. 

A  défaut  de  ce  journal,  Liotard  a  fait  cependant 
œuvre  d'écrivain  en  publiant  sous  ce  titre  :  Traité 
des  pn')icipcs  et  des  rci^lcs  de  la  peinture,  un  ouvrage 
dans  le  genre  didactique,  avec  une  éjiigra]ihe  em- 


ju'untéi'  à  V Art  poétique  d'Horace  : 

"   Ergo    tuiigar   vice,   cotis,^  acutum. 

Reddcre    (juae    ferrum    valet,    exsors 

[ipsa  secandi  ••. 


I  «    J*-'    f*"'''''    donc    l'office    de    la 

pierre  à  aiguiser  qui  ne  coupe  point, 
mais  qui  met  le  fer  en  état  de  cou- 
per.   " 

Excusez   du   peu. 

J 'ai  eu  le  courage  de  lire  jusqu'au 
bout  ce  petit  volume,  qui  parut  à 
Genève  en  1781,  et  qui  s'ouvre  par 
une  extraordinaire  épître  dédica- 
toire  au  nom  de  Corrège,  que 
Uotarcl,  })ar  im  singulier  caprice 
de  goût,ii)lace  toujours  en  pre- 
mière ligne  parmi  les  grands  maîtres 
de  la  peinture.  «  Divin  Corrège, 
Appelle  moderne,  ô  mon  maître!...  » 
Cette  h-rique  invocation  est  suivie 
d'une  série  de  théories  esthétiques 
]ioncives.  lourdement  exprimées 
dans  un  langage  barbare  ;  et  pres- 
que toutes  d'ailleurs,  fort  heureu- 
sement, en  complète  contradiction 
avec  l'art  si  délicat,  si  lumineux, 
jT  .  si    distingué    de    notre    artiste.    Je 

me  souviens,  entre  autres  divaga- 
tions, d'une  discussion  interminable 
sur  "  le  fini  du  tableau  sans  tou- 
ches et  le  grossier  du  tableau  tou- 
ché »  qui.  par  ses  formules  gongo- 
resques,  ses  arrêts  décisifs,  ses  juge- 
ments contradictoires,  me  plongea 
dans    une  douce  gaieté. 

Mais     brisons    là    avec    le    théo- 
ricien  d'art    et    occupons-nous   du 
simple  artiste.  Laissons  la  doctrine 
pour  l'a-uvre,  le   prédicateur  pour 
ier.   Le  sujet  oftre  plus  d'intérêt. 


lean-Étienne  Liotard  naquit  à  Genève,  en  1702, 
de  parents  français,  qui  s'étaient  réfugiés  dans  la 
ville  forte  du  ]irotestantisme  après  la  révocation 
de  l'Édit  de  Nantes.  Dans  ses.  Renseignements 
sur  les  Beau.x-Artsà  Genève.  J.-J.  Rigaud  consacre 
quelques  pages  à  Liotard.  et  nous  en  extrayons 
les  lignes  suivantes,  qui  prouvent  que  notre 
artiste,  destiné  à  devenir  un  des  petits-maîtres 
les  iilus  distingues  et  les  plus  recherchés  du 
xviii^'  siècle,  ne  fit  pas  exception  à  la  règle,  en 
affirmant  sa  vocation  avec  éclat  dès  son  âge 
le  plus  tendre  : 


252 


LAKT     ET     LES     AKTISTICS 


"   Il  y  avait  au  collège  de  Ge- 
nève, en  l'année  ijii,  un  enfant 

d'un  caractère  vit,  d'une  figure 

originale,  meilleur  camarade  que 

bon  écolier,  et   dont   les  cahiers 

offraient    un   mélange   constant 

de    ligures   tracées   à   la    plume 

ou  au  crayon  et   de  thèmes  ou 

de  passages  latins.   Parfois,   les 

écoliers  se  groupaient  hors  de  la 

classe  autour  de  leur  camarade  : 

celui-ci      s'amusait       alors       à 

crayonner     leur     portrait,      et. 

quand  la  ressemblance  s'v  trou- 
vait, celui  qui  venait  de   poser 

obtenait,  au  moyen  d'une  pièce 

de    trois    sols,    le    chef-d'œuvre 

qu'il  emportait  ensuite  dans  sa 

famille  ». 
La  voilà   bien   doctoralement 

établie,  la  précocité  de  vocation 

du  jeune  Jean-Étienne  Liotard. 
Son  père,  homme  d'esprit  po- 
sitif et  pratique,  que  les  désas- 
treuses spéculations  de  Law 
avaient  en  partie  ruiné,  voulut 
d'abord  la  contrarier  ;  mais,  n'y 
pouvant  réussir,  il  lui  donna,  à 
Genève  même,  un  professeur  de 
dessin,  appelé  Gordelle.  Bientôt 
Liotard  quittait  l'atelier,  presque 
aussi  habile  que  son  maître, 
pour  se  rendre  à  Paris,  où  il 
étudia  à  l'atelier  de  Massé,  bon 
peintre  en  miniature,  mais  dont 
l'enseignement  était  déplorable. 
Il  y  séjourna  peu  de  temps  et, 
après  avoir  pris  les  conseils  de 
Lemoine,  qui,  après  l'e-xaniin 
de  ses  œuvres,  lui  conseilla 
vivement  de  ne  ])eindre  que 
d'après  nature,  «  ne  connaissant 
personne  mieux  capable  que  lui  de  la  représenter  «, 
il  partit  pour  l'Italie  en  compagnie  du  marquis 
de  Puisieu.x,  ambassadeur  de  France  à  Xaples, 
personnage  providentiel  qui,  d'ailleurs,  toujours  le 
favorisa. 


La  période  des  voyages,  des  aventures,  des  succès, 
des  triomphes  va  s'ouvrir. 

Le  voici  donc  en  Italie,  jniis  dans  les  ilcs  de  la 
Grèce,  à  Constantinople,  en  Asie  Mineure,  en 
Autriche,  en  Angleterre,  en  France,  en  Hollande,... 
toujours  travaillant,  toujours  son  cra\-on  au  doigt 
et  emprisonnant   avec   une   prestigieuse   maîtrise. 


I  A    61GNOR.\    MAKIGOT,    SMVRNK    idessin) 

sur  les  feuillets  de  ses  albums,  dans  le  trait  souple 
et  délicat  de  ses  crayons  de  couleur,  les  traits  des 
paysannes  de  Chio,  des  effendis,  des  pachas,  des 
belles  SnuTniotes,  des  hospodars,  des  em]K'reurs, 
des  brodeuses  roumaines,  des  impératrices,  des  ser- 
vantes hollandaises,  des  stathouders,  des  grands 
seigneurs  à  la  mode,  des  ladies,  des  princes  et  des 
princesses  du  sang,  des  cardinaux,  voire  même 
du  pape  Clément  \TI,  car,  à  peine  débarqué  à 
Kome,  Liotard,  qui  ne  doutait  de  rien,  put,  grâce 
à  l'intervention  du  cardinal  Biancheri,  qu'il  con- 
naissait un  peu,  obtenir  deux  séances  du  pape,  dont 
il  reproduisit  au  pastel  la  physionomie. 

Liotard,  dans  une  de  ses  lettres,  rapporte  même 


253 


LART     Eï     LES     ARTISTES 


que,  i)eiulant  une  des  séances,  le  Souverain  Pontile 
lui  aurait  dit  :  «  Si  j'étais  peintre,  je  ne  peindrais 
jias  le  iiape.  parce  que,  quand  les  jiapes  sont  morts. 
leurs  })ortraits  vont  aux...    - 

Peu  de  jours  après  avoir  peint  le  portrait  de  Clé- 
ment \'II,  Liotard  partit  jiour  Florence,  et  c'est 
là  qu'il  fit  l'heureuse  rencontre  de  quelques  jeunes 
Anglais  propriétaires  d'un  navire  dont  le  mouil- 
lage était  à  Xaples,  et  qui,  sans  aucune  sérieuse 
résistance  desa  part,  le  décidèrent  à  les  accompagner 
dans  un  assez  long  voyage  qui  devait  être  d'un  prix 
inestimable  pour  l'artiste. 

La  bande  joyeuse  s'embarqua  à  Xaples  par  un 
jour  de  printemps  et  toucha  d'abord  à  Capri,  à 
Messine,  à  Syracuse,  à  ]\Lalte.  à  Mile,  à  Parcs,  à 
Délos,  puis  à  Cliio.  à  Sm\Tne,  à  Constantinople 
enfin. 

Jusqu'à  ce  jour,  on  ne  connaissait  guère  l'Orient 
que  par  la  traduction  des  Mille  et  une  Xiiils.  de 
l'abbé  Galland. 

Qu'on  juge  des  nupressions  éprouvées  par  Lio- 
tard en  se  promenant  sur  les  quais  de  Smyrne  et 
dans  les  bazars  de  Stamboul  I 

De  ce  pèlerinage  au  pa\-s  du  soleil,  il  rapporta 
im   très  grand  nombre  de   dessins,   ceuvres   d'une 


traicheur  et  d'une  expression  délicieuses,  et  dont  la 
plupart  dorment  encore,  sans  doute,  enfouies  dans 
des  greniers  de  château.x. 

Puissent  toutes  ces  œuvres  exquises  sortir  bien- 
tôt de  cette  nuit  de  l'oubli  ! 

Toutes  cependant  n'ont  pas  été  perdues,  et  le 
]Musée  du  Lou\Te  a  acquis,  il  y  a  quelques  années, 
de  ^L  le  chanoine  Gallet,  une  série  de  dessins,  la 
plupart  exécutés  en  Orient  ou  dans  les  îles  de  la 
Grèce. 

Grâce  à  la  faveur  de  ]\Iehemet-Aga.  Liotard  obtint 
à  Constantinople  un  succès  considérable,  et,  après 
avoir  été  accueilli  au  mieux  par  la  société  euro- 
péenne, il  fut  très  recherché  des  Turcs  de  distinc- 
tion, charmés  de  poser  devant  lui  malgré  les  pres- 
criptions du  Coran. 

Lorsqu'il  quitta  Constantinople  pour  se  rendre 
en  Autriche,  où  il  était  appelé,  U  était  célèbre  et 
déjà  riche,  car  chacun  de  ses  portraits,  pastel  ou 
dessin,  lui  était  grassement  payé. 

L'orientalisme  s'était  si  fortement  emparé  de 
Liotard.  qu'il  fut  sur  le  point  d'épouser,  confor- 
mément au  rite  musulman,  une  charmante  jeune 
fille  nommée  ^limica.  Puis,  trouvant  que  la  robe 
et  le  turban  lui  allaient  à  merveille,  il  adopta  le 


234 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


U  liPlNAV     (peinture) 


costuiiU'  turc,  sous  lequel  il  se  présenta  crailleur> 
chez  le  inincc  de  Moldavie,  dont  il  fit  le  portrait 
ainsi  que  celui  de  la  princesse  et  de  sa  tille.  Il  se 
rendit  ensuite  en  Transylvanie,  puis  en  Hongrie, 
et  atteignit  enfin  Vienne  le  z  septembre  174.;,  tou- 
jours sous  son  accoutrement  oriental. 

Son  aspect  extérieur  de  parfait  musulman  était 
encore  rendu  ])lus  frappant  par  une  barlie  flu\'iale 
(pii  descendait  en  cascades  sur  sa  poitrine. 

"  Le  peintre  turc  »,  c'est  le  sobriquet  sous  lequel 
on  le  désignait,  ne  tarda  pas  à  devcjiir  l'homme  du 
jour.  Il  fut  reçu  à  la  cour  et  Marie-Thérèse,  charmée 
par    la    liru;-que   originalité   de   son   esprit    autant 


IHUt-étre  que  de  son  talent,  le  prit  en  affection. 
11  quitta  \'ienne  comblé  de  faveurs,  après  avoir  fait 
les  portraits  de  F"rançois  de  Lorraine,  grand-duc 
de  Toscane,  de  Marie-Thérèse,  de  l'impératrice 
mère,  du  prince  Charles  de  Lorraine,  de  la  sieur  de 
l'impératrice,  de  la  princesse  Charlotte,  des  archi- 
duchesses et  d'une  foule  de  grands  dignitaires. 


De  \'ienne,  Liotard  se  rtndit  à  Paris  après  une 
courte  halte  à  Genève,  où  son  étrange  costume 
])rochiisit  un  véritable  scandale  parmi  ses  graves 
compatriotes. 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


PORTRAIT    11  HOMME 

L'accueil  qu'il  reçut  à  Paris  ne  le  céda  en  rien  à 
celui  de  \'ienne  ;  ce  lut  à  qui  ferait  faire  son  por- 
trait jiar  IJotard,  malgré  le  jirix  très  élevé  de  ses 
iniiindres  croquis. 

Le  roi,  la  reine,  le  dauphin,  le  maréchal  de  Saxe 
posèrent  devant  lui.  11  peignit  aussi  \'oltaire, 
CrébilIon,Fontenelle,j)eut-étre  même  Jean- Jacques, 
bien  qu'aucune  gravure  ne  soit  restée  du  pastel 
qu'il  dut  faire  de  l'auteur  d'Éjnilc  dans  le  courant 
de  l'année  1770. 

Au  sujet  de  ce  portrait  qu'il  désirait  beaucoup 
faire,  il  eut  avec  le  philosophe  un  curieux  échange 
de  lettres,  et  nous  demandons  au  lecteur  de  nous 
autoriser  à  reproduire  ici  quelques  passages  de 
celle  qu'il  écrivit  de  Genève  à  Rousseau,  le  2  sep- 
tembre 1765.  Ces  lignes,  mieux  qu'une  longue  ana- 
h'se,  feront  ressortir  toute  la  bizarre  originalité 
de  cette  étrange  nature. 

«  Monsieur,  le  plus  grand  de  mes  jilaisirs  est  de 
chercher  à  penser  piurement,  naturellement  et 
sans  aucun  préjugé.  Nous  n'avons  au-dessus  des 
bêtes  que  la  seule  faculté  de  nous  communiquer  nos 
pensées  par  le  langage....  Sur  tout  le  reste  je  cherche 
à  penser  comme  les  animaux  qui  n'ont  ni  mau- 
vaise habitude,  ni  iiréjugés. 

I     "  J'ai  des  idées  très  singulières  ;  voici  les  prin- 
cipales : 


■I  Nous  devrions,  pour  vivre  longtemps,  être 
rien,  et  marcher  à  quatre  pattes  ;  peut-être 
sommes-nous  de  la  classe  des  animaux  qui  ne 
doivent  point  boire,  qui  ne  doivent  pas  dormir, 
mais  se  reposer..,.  Un  médecin  est  un  aveugle 
qui  peint.  La  médecine  est  une  des  sciences 
les  plus  incertaines.  Toute  nourriture  cuite  est 
moins  saine,  et  plus  elle  cuit  et  moins  elle 
nourrit. 

'•  Je  ne  crois  à  aucun  «  on  dit  »  sans 
examen.  Je  crois  que  la  loi  naturelle  est  la 
loi  du  plus  fort  et  du  plus  adroit.  Tout 
homme  qui  veut  vivre  en  société  doit  agir 
selon  cette  loi  de  ne  fake  à  autrui  que  ce  que 
nous  voudrions  qu'on  nous  fît. 

"  J'ai  de  plus  à  vous  communiquer  des 
idées  sur  la  peinture,  singulières.  Les  prin- 
cipes les  plus  essentiels  sont  des  axiomes.  J'ai 
à  vous  faire  voir  des  tableaux  d'un  nou- 
veau genre  de  peinture  et  où  la  peinture 
est  poussée  à  son  plus  haut  période  et  les 
idées  relatives  à  ce  sujet  à  vous  communi- 
quer.... 

I  "  Je  jiensais  aller  voir  avec  ^L  Wilque.... 
^'ous  me  renvoyez  cet  honneur  au  mois  d'oc- 
tobre. J'eusse  été  bien  charmé  que  ce  fût 
dans  ce  mois.  Mais  patience,  j'apporterai  ce 
qu'il  me  faut  et  vous  prierai  de  me   donner  quel- 


P0KTK.\1T    DE    FEMME    idissm) 


256 


L'ART     HT     LES     ARTISTES 


M°"'    LONGNARD,    DITE    u   \.\    DAMK    AUX    DENTELLES 


257 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


V'/^ 


yi'tKVovi^n 


U^). 


)T 


naître  que  celui  qui  l'écrivit 
semble,  pour  emplo\'er  une 
expression  familière,  avoir 
reçu  un  joli  coup  de  marteau 
sur  la  tête. 

Jusqu'à  la  tin  de  sa  carrière, 
Liotard  se  singularisa  par  des 
excentricités  extraordinaires. 
Aux  approches  de  la  soixan- 
taine, l'idée  lui  vint  de  prendre 
femme,  et  il  fut  épouser  une 
jeune  Française  en  Hollande. 
.Malgré  la  disproportion  d'âge 
des  deux  époux,  la  chronique 
ne  nous  apprend  pas  que 
l'excellent  Liotard  fut  mal- 
heureux. Il  eut  même,  phé- 
nomène d'ailleurs  peu  surpre- 
nant, plusieurs  enfants  de  sa 
jeune  femme,  près  de  laquelle 
il  termina  paisiblement  ses 
jours  dans  un  âge  très  avancé 
après  un  nouveau  voyage  à 
Paris  et  à  Menne,  regrettant 
toujours  sa  robe,  sa  barbe 
fluviale  et  son  turban,  dont 
il  avait,  non  sans  chagrin,  fait 
le  sacrifice  à  Mme  Liotard. 


lA    SIGNOR.\    M.\K(>XliI.\    ul.ssiin) 

ques    moments    jiour   avon-   votre  ressemblance.... 

Il  J'ai  apjiris  que  vous  \'ous  étiez  un  peu  amusé 
de  la  peinture  ou  du  dessin.  Je  serais  charmé  de 
pouvoir  vous  aider  à  mieux  faire. 

Il  J'ai  l'honneur  d'être,  avec  toute  l'estime  et 
la  considération  possible.  Monsieur,  \-otre  très 
humble  et  très  obéissant  serviteur. 

J.    E.    LlOT.\RD. 
«  Geuèvc,  ;  septembre  1765  ». 


Il  y  a  dans  cette  1 
mations    très  sensées 


■ttie,  j'en  conviens,  des  affir- 
et  cependant    il  faut  recon- 


L  ceu\-re     de     Liotard    est 
considérable.    On     peut    dire 
que  de  1720  à  1788,   pendant 
une  période  de  soixante-huit 
années,  il  ne  cessa  de  travail- 
ler. Malgré  toute  la  conscience 
qu'il  mettait  dans  l'exécution 
de  ses  plus  légers  dessins  aux 
trois    cravons,    presque    tous 
ornés  de  légendes  explicatives, 
sa    puissance    de    production 
était  prodigieuse.  Tour  à  tour  pastelliste,  émailleur, 
miniaturiste,   graveur,   il   ne  s'appliqua    qu'en  de 
rares  occasions    à  la   peinture  à  l'huile.    Et   c'est 
pourtant   en  ce  genre  qu'il  a  laissé,  entre  autres 
essais,  une  de  ses  œuvres  les  meilleures,  un   très 
intéressant  portrait  de  lui-même  à  la  fin  de  sa  vie. 
Portrait   inconnu  de  la   plupart  des  amateurs  et 
qui   est    devenu  la  propriété  d'un  descendait  de 
l'artiste. 

Ses  (euvres  principales  sont  :  la  Belle  Chocola- 
tière du  ^lusée  de  Dresde,  reuvre  exquise  dans  sa 
grâce  un  yieu  maniérée,  que  le  comte  Algarotti 
acheta  en  1745.  J^our  le  roi  de  Pologne,  au 
prix    de    120    scquins,    c'est-à-dire    2  (140  livres  : 


2.SS 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


'I  J'ai  acheté,  ccrit-iL  <lii  lanuux  Liotanl  un  tablfau 
de  pastel  d'environ  j  pieds  de  hauteur.  11  reiiré- 
sente  en  profil  une  jeune  fille  de  chanilne  alle- 
mande, qtii  porte  un  bassin  sur  kxjuel  est  un  verre 
d'eau  et  une  tasse  de  chocolat.  Cette  peinture  est 
presque  sans  ombre,  dans  un  fond  clair,  et  elle 
prend  son  jour  de  tleux  fenêtres  dont  l'image  se 
réfléchit    dans      le     vcrn  ,     l'.llr    r<t     lr;n-;iill('-c    à 


malicieuse  et  mélancolique.  Le  visage  est  maigre 
et  fatigué,  Liotard  la  peignit  en  1738,  lorsque, 
très  souffrante,  elle  vint  à  Genève  pour  être  traitée 
par  le  D'  Tronchin.  On  ne  jieut  regarder  cette 
(euvre  remarquable  sans  songer  au  ])ortrait 
que  Mme  d'Epinay  fait  d'elle-même  dans  ses 
Mémoires  et  Correspu)idciiiccs  : 

je  ne  <iii<  ]w>int  Julie  ;  je  ne  suis  ce])endant  pas 


demi-teintes,  avec  des  dégradations  de  lumière 
invisibles,  et  d'un  relief  parfait.  Quoique  ])einture 
d'Europe,  elle  serait  du  goût  des  Chinois,  ennemis 
jurés  de  l'ombre....  «:  les  portraits  du  maréchal  de 
Saxe,  de  la  princesse  de  Galles,  de  l'empereur 
Joseph  II,  de  l'impératrice  Marie-Thérèse,  de 
l'archiduchesse  Marie  d'Autriche,  et  surtout  celui 
de  Mme  d'Épinay,  un  petit  chef-d'teuvre  qui  vaut 
à  lui  seul  un  pèlerinage  au  Musée  de  Genève. 

C'est  une  merveilleuse  image,  toute  vibrante 
d'expression.  \'oilà  bien  la  sjjirituclle  et  charmante 
amie  de  Grimm.  L'ne  de  ses  mains  tient  un  livre 
à  demi  fermé,  le  Petit-Prophète  de  BoehmiscMwoda. 
peut-être  ;    l'autre    soutient    sa    figure    à    la    fois 


laide  ;  je  suis  i)etite,  maigre,  très  bien  faite.  J'ai 
l'air  jeune,  sans  fraîcheur,  noble,  doux,  vif.  spirituel 
et  intéressant.  Mon  imagination  est  trancpiillc  ; 
mon  esprit  est  lent,  juste,  réfléchi,  et  sans  suite....  )> 

Qui  veut  vraiment  connaître  Liotard  et  iiénétrcr 
tous  les  secrets  de  son  art,  d'ailleurs  juni  mystérieux 
et  très  sinij^lifié,  n'a  qu'à  étudier  ce  portrait,  admi- 
rable synthèse  de  toutes  les  qualités  du  iieintre. 
A  lui  seul,  ce  jiortrail  suffirait  à  la  gloire  de  Lio- 
tard. 

"  Je  ne  sais,  a  dit  M.  Ingres,  s'il  y  a  un  i>lus  lieau 
portrait  que  celui-là  dans  toute  l'Italie.    ■ 

On  ne  peut  vraiment  songer  sans  tristesse  que, 
jiarmi  les  u-uvres  innombrables   de  Liotard,  (luel- 


259 


I.'ART     ET     LES     ARTISTES 


ques-uncs     s^ulcnuiU     sont     conmu'S     du     piililic. 

Puissions-nous,  par  la  publication  de  ces  quelques 
notes,  contribuer  à  faire  sortir  de  la  poussière  des 
cartons  celles  qu'une  coupable  négligence  y  a 
laissées  jusqu'ici.  Parfois  je  me  plais  à  m'imaginer 
ce  que  serait  une  exposition  où  figureraient  jiar 
centaines  les  jxistels,  les  cra\'ons,  les  croquis,  les 
gravures  d'Etienne  I.iotard. 

Quel  régal  ])onr  les  amateurs  persistants  des 
formes  précises  et  des  couleurs  raisonnées  !  Et  cjnel 


jirécieux  enseignement  aussi  pour  l'historien  du 
XVIII''  siècle,  qui  verrait  soudainement  revivre 
devant  ses  yeux  la  plujiart  des  figures  qui  illustraient 
cette  époque,  toutes  reproduites  avec  la  plus 
grande  sincérité  sous  le  lumineux  cra\on  cl'un 
Holhcin  en  pastel. 

L'expression  est  du  comte  Algarotti,  un  des  plus 
fins  connaisseurs  de  ce  temps. 

Armand  D.-wot. 


a.  I  •;.-.-, 


M.    PÉLER.-\N,    CONSUL    DE    FRAN'CE    A    SMYRNE,    i;  \     I7_;> 


260 


E.    DEZAUNAY 


Jeune    Bretonne 


L'Art  et  les  Artistes,  ii»  54. 


1  Kl  11^     I  1,1    M: 


EMILE     BOURDELLE 


ON  oppose  volontiers  l'art  antique  et  l'art 
du  moyen  âge,  et  sans  doute  dans  leurs 
périodes  les  plus  pures,  au  moment  où  les  caractères 
spécifiques  l'emportent  sur  les  caractères  généraux, 
l'art  grec  et  l'art  gothique  se  différencient  visible- 
ment, le  premier  soumettant  peu  à  peu  les  formes 
à  un  code  de  beauté  préétabli,  le  second,  au  con- 
traire, recherchant  surtout  l'expression  de  la  vie. 
Ces  périodes,  que  les  uns  tiennent  pour  celles  de 
parfait  épanouissement,  sont  par  d'autres  consi- 
dérées comme  les  ]:)remiers  moments  de  la  déca- 
dence ;  elles  marquent  en  somme  tout  à  la  fois 
l'extrémité  d'une  montée  et  le  commencement  d'une 
descente.  Or,  si  l'on  a  facilement  constaté  que  l'art 
ancien  et  l'art  moderne  se  rapi)rochaient  ensuite 
aux  temps  de  la  Renaissance,  on  a  moins  aperçu  que 
les  primitifs  gothiques  tenaient  d'assez  près  aux 
primitifs  grecs  et  même  aux  l'gyptiens.  L'un  des 
mérites  du  sculpteur  Emile  Bourdelle  a  été  de  s'en 


rendre  compte  el   d'en  tirer  le   plus  grand  ))rolît. 

Avant,  en  effet,  que  les  sculpteurs  grecs  arrivent 
à  une  grâce  un  peu  apprêtée  et  convenue,  avant 
que  les  sculpteurs  de  France  ai  rivent  à  un  vérisme 
trop  savant  peut-être,  ils  suivaient,  comme  les 
Égyptiens,  des  règles  plus  architecturales,  conser- 
vant les  masses  puissantes,  soumettant  complè- 
tement le  détail  aux  ensembles,  reliant  tous  les 
membres  en  de  grands  blocs,  simplifiant  les 
silhouettes  et  donnant  par  cela  mênre  aux  lignes 
plus  de  pouvoir  expressif.  Une  longue  évolution 
nous  fait  comprendre  mieux  maintenant  le  prix  de 
pareilles  oualitcs.  Et  si  on  les  connaît  vraiment, 
si  l'on  ne  s'en  tient  pas  aux  apparences  et  aux 
pastiches,  si  l'on  donne  une  force  nouvelle  à  ces 
vérités  antiques,  une  formule  d'art  tout  à  fait 
intéressante  en  peut  résulter.  Emile  Bourdelle  en 
aura  été  le  précurseur. 

Les  dates  d'un  Masque  de  iw'r  et  de  sa  Mur- 


261 


L'ART      ET     LES     ARTISTES 


chaude  de  fleurs 
(iS()i))  le  mon- 
trent a\'ant  Mail- 
loi  préoccupé  de 
puiser  airx  sour- 
ces égyptienne 
et  grecque  ;  et 
dès  la  iiiênie  épo- 
que, en  ses  pre- 
mières études 
jujur  son  buste 
de  Beethoven,  le 
vieux  tourment 
gothique  le  trou- 
ble ou  plutcit  le 
dirige.  Mais  qu'il 
s'agisse  du  mas- 
(jue  de  noir  ou 
du  masque  de 
Beethoven,  c'est 
la  recheiche  des 
s\-nthèses  qui  do- 
mine en  son  art; 
rinnnoliilité  de 
l'un,  le  mouve- 
ment de  l'autre 
ne  détruisent  pas 
ce  caractère  pre- 
mier. 

S'il  lallait 
jioiu'tant  classer 
selon     ce     mode 

quelques-unes 
des  (euvres   d'É- 
mile     Bourdelle, 
on     rattacherait 

sans  doute  à  la  série  d'inspiration  grecque  la 
Miirehaude  de  fleurs,  la  Fenuiie  sculpteur  au  travail 
(iqo;),  VAngèle  l'aleufi  et  le  buste  de  .1/.  Rou- 
veyre.  à  la  série  d'ins])iration  gothique  le  bas-reliel 
des  Couitjattauts,  le  (Itevalier  Rnlaud.  la  Vieille 
jemui-  eu  prière  et  la  statue  de  Carreaux.  Néan- 
moins, de  pareils  classements  ont  toujours  quelque 
chose  d'arbitraire,  et  la  majorité  des  sculptures 
d'Emile  Bourdelle  y  échapperaient.  Si  attique 
que  puisse  paraître  la  Femme  sculpteur  au  travail. 
inspirée  précisément  par  un  modèle  athénien, 
habillée  d'un  costume  à  jilis  sinq^les  qui  rajjpellent 
naturellement  les  draperies,  il  ne  s'agit  pas  là 
cependant  d'une  adroite  reconstitution  :  la  nature 
de  l'auteur  se  dévoile  dans  le  groupement  massif 
des  formes,  à  tel  point  que  cette  œuvre  toute 
greccpie  d'inspiration  est  en  même  temps  très 
proche  du  phis  primitif  gothiijue  ]iar  le  grand 
caractère. 

Emile  Bourdelle  n'unit  d'ailleurs  en  lui  le  troût 


C-\KPi:.\r.\  .\r   TK.w.\ii. 


1'..!;;! 
l>last 
c'est 


harmonieu.x  des 
Méridionaux  et 
leur  fougue.  Ces 
dons  contraires 
excellemment 
équilibrés  don- 
nent à  son  art 
une  saveur  par- 
ticulière, en  mê- 
me temp3  qu'ils 
en  étendent  la 
signification  et 
la  portée.  Emile 
Bourdelle  à  nou- 
veau a  réalisé  le 
vieu.x  miracle  dé- 
jà opéré  jadis  par 
un  Jean  Goujon; 
il  a  fait  sien,  il  a 
fait  français  l'art 
antique,  il  a  fait 
moderne  l'art  go- 
thique. Ces  élé- 
ments divers  se 
tout  fondus  dans 
son  œuvre,  et 
si  intimement 
qu'il  est,  comme 
je  l'ai  dit,  im- 
possible de  trou- 
ver des  sculptu- 
res qui  dérivent 
uniquement  de 
l'un  ou  l'autre 
courant.  Même 
si  l'on  pense  à 
jtVi'  Valent!,  ce  n'est  pas  seulement  de  la 
ique  grecque  qu'on  la  peut  rapprocher  ; 
aussi    d'un    Falconet  ou    d'un  Goujon. 


I-a  nouveauté  jaillit  ici  de  la  combinaison  de 
qualités  en  apparence  dissemblables  ou  plutôt  de 
la  découverte  et  de  la  mise  en  œuvre  de  ce  que  ces 
qualités,  malgré  l'apparence,  conservaient  de  com- 
mun. J.'Héraklès.  jiar  son  st\-le  archaïque,  se 
rattache  jnesque  autant  aux  gothiques  qu'à  l'an- 
tique. La  fusion  est  absolument  complète  dans  les 
dernières  œu\Tes,  et  l'une  des  plus  significatives 
à  cet  égard  est  l'admirable  buste  d'Ingres.  Exécutée 
en  quelques  jours,  mais  avec  la  science  de  nom- 
breuses années  d'étude,  cette  figure  est  Tune  des 
plus  belles  et  des  mieux  venues  qu'ait  modelées 
le  sculpteur.  L'énergie  du  mouvement  et  de  l'ex- 
pression, la  puissance  du  modelé  font  de  ce  visage 
imaginaire  le  plus  vrai  et  le  plus  vivant  des  visages. 
Emile    Bourdelle    n'a    consulté    le    document    que 


2()2 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


y 


MATERNITE 


263 


L'ART     ET     LES     ARTISTE^ 


COMBATTANT 


jU-^ti'  autant  ([ii'il  li 
lallait  ;  il  m-  s'e^t 
embarrassé  de  rien 
d'inutile,  et  c'est 
l'esjirit  du  niaitre 
qu'il  a  surtout  cher- 
ché à  traduire  ;  il 
y  a  pleinement 
réussi. 

Il  était  du  reste 
excellemment  pré- 
paré aune  telle  œuvre 
pai'  de  précédents 
travaux.  Dès  long- 
temps il  avait  esquissé 
son  effigie  de  Beetho- 
ven :  la  premièri 
étude  en  remonte  a 
i.SiSj.  Hanté  par  ce 
jirojet,  il  devait  le 
reprendre  à  di\'erses 
reprises  et  ne  donner 
l'état  définitif  que 
plus  de  douze  ans 
après  les  essais  du 
début.  Le  côté  pensif 
du  musicien  y  est  de 
plus  en  [lins  fortement 


J  -B.    CARPEAU.X    (buste,   i. 


accusé.  C'est  dans  le 
même  sens  qu'il  con- 
çoit son  liuste  de 
('ar  peaux,  puis  son 
Car  peaux  au  travail. 
Le  maitre  est  re- 
])résenté  debout,  te- 
nant d'une  main  une 
rtatuette  et  de  l'au- 
tre la  glaise  à  mode- 
ler. La  belle  tête 
songeuse  de  ce  type 
d'homme  du  Nord 
au  front  haut,  au.x 
\-eux  clairs,  est  admi- 
rablement construite; 
la  blouse  de  travail 
qui  vient  relier  tou- 
tes les  fomaes  est 
traitée  avec  une  lar- 
geur, avec  un  sens 
de  la  beauté  sculptu- 
rale tout  à  fait  rares. 
Tout  est  ici  préparé 
pour  accrocher  la 
lumière,  ou  créer 
l'ombre,  et  les  oppo- 
sitions  de  taches,  la 


264 


L'ART     ET     LES    ARTISTES 


LA    MARCHANDE    DE    FLEURS     (iSog) 


265 


L'ART     ET     LES     ARTISTE? 


PKEMIHKK    ETUDE    DU    i<    BEETHf)\-EX     •<    n 

))rolon(leiii  des  noirs,  la  force  des  accents  donnent 
à  cette  léuvre  une  remarquable  ampleur. 

Si  lùuile  Bourdelle  revient,  comme  en  son 
Jn'clIidVi-ii,  aussi  Ircquemmcnt  à  la  même  leiivre, 
c'est  justement  ])arce  qu'il  croit  fermement  à  la 
nécessité  des  synthèses  ;  chaque  nouvelle  épreuve 
devient  à  la  fois  plus  simple  et  plus  exjiressive,  et 
c'est  ce  long  travail  de  l'esjirit,  de  r(eil  et  de  la 
main  (jui  lui  permet  de  créer  maintenant  d'admi- 
rables ceuvres  de  premier  jet,  telles  que  le  Jcnii- 
Doniiniqitc  Ingres  ou  la  récente  statue  de  Jeanne 
â'  Arc. 

L'objet  de  cette  recherche  n'est  pas  seulement 
la  facture,  mais  aussi  naturellement  la  ligne  géné- 
rale et  le  rapport  des  proportions.  Le  caractère 
s'exprime  en  effet  autant  par  l'attitude  que  par 
la  physionomie  ;  le  mouvement  du  cor])s,  k-  geste 
des  bras,  l'inclinaison  de  la  tête  contribuent,  autant 
que  la  phj-sionomie,  à  l'effet  <ren>emble.  Le  \isage 


penché  du  Beethoven  contraste 
ainsi  avec  l'allure  décidée  du  buste 
(l'Ingres.  Telle  vieille  femme  en 
prière  sera  toute  ramassée  sur  elle- 
même,  tandis  qu'un  des  Comhat- 
itints  prêt  à  frapper  de  l'épée 
dévelojipe  tout  son  corps  dans  un 
efïort  suprême. 

Lorsqu'il  s'agit  de  la  proportion, 
il  faut  songer  d'abord  à  la  place 
qu'occupera  le  fragment  dans  l'en- 
semble, et  là  encore  Emile  Bour- 
di'lle  s'est  fait  l'élève  des  anciens. 
Il  veut  ensuite  accuser  ime  im- 
pression de  force  et  volontairement 
il  développe  les  muscles  d'un  tireur 
d'arc  ou  la  croupe  puissante  d'une 
jeune  femme  nue.  Ces  éléments  di- 
\-ers  peu  à  peu  s'unissent  en  ses 
leuvres  pour  aboutir  à  cette  large 
esquisse  des  Jeux  de  la  mère  et  de 
l'enjant  et  à  ce  Bélier  africain  d'un 
admirable  style. 

J'ai  surtout  montré  Emile  Bour- 
delle préoccupé  des  Egyptiens  et 
des  gothiques  ;  mais  l'homme  est 
trop  cultivé  pour  oublier  les  maîtres 
])ostérieurs,  et  l'un  de  ceux  qui  l'ont 
dès  le  début  séduit  le  plus  forte- 
ment est  Léonard.  Dans  quclques- 
imes  de  ses  figures  sculptées,  Emile 
Bourdelle  a  transporté  le  mysté- 
rieux charme  des  visages  du  Vinci  ; 
il  a  obéi  à  son  souvenir  plus  encore 
en  ses  peintures  et  en  ses  pastels. 
""  Car  ce  sculpteur-né  est  un  merveil- 

leux dessinateur  ;  sa  connaissance 
des  formes  lui  permet  d'établir  largement  les  plans, 
de  serrer  les  modelés  ;  je  n'ai  pas  à  y  insister  ici. 

Si  Bourdelle  est  près  de  tous  ces  maîtres  du 
passé,  c'est  que.  comme  l'a  dit  Elie  Faure,  <'  jamais 
personnalité  plus  puissante  ne  tenta  de  gravir  la 
cime  où  vit  l'impersonnalité  ».  Mais  avec  un  héri- 
tage aussi  riche  de  qualités  antiques,  il  est  l'un  de 
nos  artistes  les  plus  modernes.  C'est  que  notre 
goût,  lassé  de  la  perfection  d'exécution  du  détail, 
\-eut  des  synthèses  plus  larges  de  la  forme,  veut  voir 
dominer  le  caractère  dans  l'allure  générale  aussi 
bien  ipie  dans  le  morceau,  et  que  ces  qualités,  nous 
les  trouvons  dans  les  ceuvres  du  sculpteur  des 
Combattants,  de  la  Femme  au  travail  et  du  buste 
iV Ingres.  J'ai  comervc  pour  la  fin  Lon  admirable 
étude  de  Maternité.  S'il  fallait  encore  insister  sur 
la  richesse  de  l'héritage  artistique  d'Emile  Bour- 
delle allié  à  la  facture  la  ])lus  large  et  la  plus  mo- 
deiiK-,  une  telle  ceuvre,  qui  évoque  les  plus  grands 


266 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


noms  du  passé  et  surtout  les  prédécesseurs  de 
Léonard,  suffirait  à  compléter  une  démonstration 
déjà  vérifiée.  Comme  dans  le  buste  d'Ingres,  la 
sculpture  est  d'une  seule  venue,  d'une  unité  de 
rvthme  étonnante,  et  cette  maîtrise  de  la  traduction 
permet  à  l'artiste  d'exprimer  lil)rement  et  ]irolon- 


dément  le  plus  ])renaiit  peut-être  des  sentiments 
humains  :  un  sujet  d'une  signification  si  générale 
est  pour  lùnile  Bomdelle  l'occasion  d'un  nouveau 
et  définitif  triomphe. 

Tkist.w  Leclkkk. 


UrSTE    DK    FEMME 


267 


MADEMOISELLE    B.     H. 


UNE     ARTISTE    AMERICAINE 


ADA 


CLÏÏFFÛIS©=®AEME¥ 


SANS  être  ignorée  du  public  français,  puisqu'iuie 
exposition  de  ses  principaux  pastels  et  de  quel- 
ques-unes (malheureusement  très  rares)  de  ses  pein- 
tures en  ont  réuni  les  suffrages  l'automne  dernier  à 
la  galerie  Bernheim  jeune  et  Cie,  Mme  Clifford- 
Barney  mérite  cependant  d'être  beaucouji  plus 
connue  qu'elle  ne  l'est,  non  seulement  à  cause  de 


son  talent,  qui  est  très  réel,  mais  encore  et  surtout 
à  cause  des  caractères  si  divers  qui  composent  sa 
personnalité  artistique  et  que  je  m'efforcerai  de 
dégager  dans  cette  brève  étude. 

Mme  Clifford-Barney  appartient  à  cette  élite 
américaine  dont  la  suprématie  tend  là-bas  de  plus 
en  ]ilus  à  s'établir  et  qui,  sans  mépriser  le  génie 


26S 


L'ART     ET     LES     ARlI^rES 


commercial  et  industriel  qui  a  iiennis  la  grandeur 
de  son  pays,  prétend  cependant  que  ce  gcnie-là 
n'est  pas  tout  et  qu'il  faut  y  adjoindre,  jwur  le  ])lus 
grand  bien  de  la  nation,  les  préoccupations  d'ordre 
moral,  intellectuel,  artistique  dont  l'ensemble  cons- 
titue l'ornement,  le  loisir,  la  beauté  d'une  société. 

Dans  les  chaleureuses  et  précises  études  que, 
presque  chaque  mois,  Mme  A.  Seaton-Sclmiidt  nous 
envoie  de  Washington,  elle  nous  entretient  de  cet 
effort  constant  et  tenace  jiour  élever  le  niveau 
esthétique  des  masses  auquel  nous  devons,  entre 
autres  choses,  d'aussi 
curieuses  institution- 
que  ces  «  Settlemeni 
liouses  )>  dont  nous 
reparlerons  tout  à 
l'heure,  effort  dont  les 
résultats  heureux  se 
font  sentir  actuelk- 
ment  dans  tous  K- 
Etats  :  de  la  Louisiani 
à  l'Orégon  et  de  l.i 
Californie  au  Jlary- 
land,  sur  toute  l.i 
superficie  de  la  jeum 
république. 

M.  Jules  Huret, 
M.  Paul  Adam  nou> 
ont  successivement 
]iarlé  de  cet  effort, 
des  réalisations  par- 
fois magnifiques  au.\- 
quelles  il  a  donné  lieu 
et  comment  la  cul- 
ture générale,  mais 
l)lus  particulièrement 
celle  de  quelques-uns, 
en  avait  profité.  On 
peut  se  rendre  compte 

([u'il  y  a  déjà  longtemps  que  les  siije/s.  si  je  puis 
dire,  entraînés  à  ces  sports  intellectuels  ont  dépassé 
la  période  des  tentatives  gauches  et  attendris- 
santes et  que,  avec  les  dons  de  jiatience,  d'assi- 
milation et  d'activité  propres  à  leur  race,  ils  sont 
arrivés  à  pouvoir  être  comparés  aisément  au.\ 
meilleurs  des  bons  esprits  de  l'Europe. 

Je  le  répète,  Mme  Clifîord-Barney  appartient 
à  cette  élite.  Elle  a  de  qui  tenir.  Quelque  peu  Fran- 
çaise, d'ailleurs,  elle  descend,  du  côté  maternel, 
d'une  famille  normande  que  la  Révolution  obligea 
à  quitter  la  France  et  qui  vint  s'établir  en  Loui- 
siane. Son  arricre-grand-père  y  devint  même  juge 
et  notable  et  fut  choisi  par  ses  compatriotes  pour 
les  représenter  à  la  signature  de  l'acte  par  lequel 
la  France  vendit  la  Louisiane  au.x  États-l'nis. 

Le  père  de  Mme  Barney,  amateur  j)assionné  de 


MISS    P.\TRICK    C.VMPBELL    (pastel) 


musique,  et  qui  habitait  alors  Cincinnati,  a]irès  de 
longues  objurgations  à  ses  concitoyens  pour  les 
amener  à  s'en  occuper  comme  lui,  prit  la  résolution 
de  faire  bâtir  lui-même,  à  ses  frais,  le  grand  Opéra 
de  Cincinnati,  dont  il  fut  le  premier  directeur  et 
qui  remporta  le  plus  grand  succès.  C'était  à  l'époque 
où  le  prince  de  Galles,  depuis  roi  d'Angleterre,  fit 
son  grand  voj-age  en  Amérique. 

On  peut  considérer  comme  un  triomphe,  à  ce 
moment  de  l'évolution  des  Etats-Unis,  que  d'ar- 
river à  un  tel  résultat,  surtout  dans  l'Ouest,  et  s'il 
fut  moins  heureu.x  en 
essayant     la      même 
chose  à  New- York,  le 
tait    d'\'    avoir   pensé 
demeure     et     honore 
-j  .mdement  son  esprit 
liniiiative      et      son 
iiiour  désintéressé  de 
,irt. 

C'est  sans  doute  de 
lui  que  Mme  Clifford- 
Harney  tint  cette  dis- 
position pour  la  mu- 
sique qu'interrompit 
fâcheusement  une  ma- 
ladie après  laquelle, 
ne  pouvant  plus  chan- 
ter, elle  s'adonna  ré- 
solument à  la  pein- 
ture. Elle  vint  pres- 
tpie  aussitôt  à  Paris 
pour  y  recevoir  l'en- 
seignement des  maî- 
tres. Elle  en  eut  plu- 
sieurs.î  Retenons  les 
noms  de  Henner  et 
de  M.  Carolus-Duran 
([ui  furent  les  pre- 
miers et  celui  de  Whistler  ([ui  fut  le  dernier. 

Très  heureusement  douée,  il  ne  lui  fallut  pas  plus 
d'une  année  d'études  pour  arriver  à  faire  un  tableau 
qui  hit  reçu  au  Salon  :  une  Piiysaïuic  russe,  peinture 
à  l'huile. 

Mme  Clifford-Barney  ne  se  contente  pas  de 
peindre,  de  devenir  ce  spécimen  humain  si  fréquent 
chez  nous  ;  l'être  qui  s'est  si)écialisé  dans  un  art 
donné  et  qui,  après  avoir  saisi  quelques  recettes 
commodes,  les  applique  éternellement.  Elle  s'inté- 
resse à  tout.  Et  en  ceci,  elle  est  bien  de  sa  race.  Les 
recherches  d'art  décoratif,  notamment,  l'attirent. 
Ainsi,  c'est  elle  qui  fit  les  plans  de  sa  maison  de 
Washington  et  qui  arrangea  elle-même  toutes  les 
dispositions  de  son  intérieur,  que  les  personnes  qui 
le  connaissent  s'accordent  à  déclarer  entièrement 
original  et  personnel. 


269 


I.'AKT     ET     LES     ARTISTES 


l'cintrr,  -Mmi-  (  litford-Barni-v  tU  surtout  (k-:, 
l>(iiliaits,  it  c'est  surtout  jmr  ses  portraits  qu'elle 
est  connue',  mais  il  ne  m'a  ]ias  semblé  inutile  de 
parler  des  ]iréoccuj)ations  qui  chez  elle  sont  étran- 
gères à  l'art  pictural  proprement  dit  et  qui  cepen- 
dant ne  j)euv-ent  que  donner  à  cet  art  plus  de  ri- 
chesse et  plus  d'intérêt.  Car  la  perfection  banale 
à  quoi  l'on  arrive  en  se  s])éciali£ant  est  trompeuse 
et  appauvrit  très  sûrement  et  très  vite  les  sources 
de  l'nisjuration.  Je  trouve  dans  la  façon  dont  ces 
portraits  sont  présentés,  dans  leur  arabesque,  dans 
leur  intensité  plus  ou  moins  accentuée  d'expression, 
dans  toutes  leurs  nuances  en  un  mot  de  psychologie 
et  de  technique,  des  traces  très  caractérisées  des 
jiréoccupations  décoratives  et  des  spéculations 
littéraires  et  intellectuelles  qui,  par  ailleurs,  occu- 
ltent la  pensée  de  leur  auteur. 

Le  i)laisir  éprouvé  à  regarder  ces  tableaux  se 
suffit  certes  à  soi-même  et  il  n'y  a  rien  de  gratuit 
ni  d'inexplicable  dans  les  nuances  dont  je  parle, 
mais  enfui  il  \-aut  toujours  mieux,  en  face  d'une 
(euvre  d'art,  savoir  bien  qui  l'a  faite.  Ce  qu'elle 
pciil  d'inattendu  et  de  mystère  est  compensé  par 
ce  qu'elle  regagne  à  être  pleinement  comprise, 
jusqu'en  ses  intentions  et  ses  détails. 

Nombreuses  sont  les  personnalités  de  tout  ordre 


JI.    c;.-K.    CHESTERTON     (pastel) 

En  Ain(Ti(|nc,  il  ai"ri\-f  siin\'ent  (]uc  des  ]iarticu- 
lit-rs  (ir.^'aniscnl  des  cspèi  es  de  \"entes  de  cliaiité  : 
ccréMKinics  aitisli([ues  pour  lr--(pielles  ils  loucnl 
la  salle  d'nn  tluatie  un  ils  donnent  de  \-érital)les 
représentai  iniis.  non  pas  en  vidgaires  amateurs, 
mais  a\ic  le  ^oin,  le  ^('lieux  et  la  conscience  cle 
inoirs>iiinncls.  Po\u  ces  Irtis.  ^liiie  Clifford-Barney 
composa  le  texte  des  opérettes  et  autres  pièces 
rei)rcsentécs   et   aiian,i,'ea   é,t;alement    des   décors. 

J'ai  jiarh'',  ([ueliiues  para,i,'r.Lphes  |)lus  haut,  des 
"  Settleuirnt  lionses  i-.  Ce  -ont  des  chilis  Jionr  les 
]iauvres  ;  et  xi.inncnl  l'on  ]ieut  affirmer  cpie  ce 
genre  d'in\entioiis  ne  llenrit  (ju'aux  Etats-Unis. 
."Mors  (jue  chc/,  nous,  d.ins  les  misérables  réduits  où 
l'on  héberge  les  ]Mu\-ies,  on  se  contente  de  leur 
donner  à  manger,  là-lias  on  s'efforce,  en  outre,  de 
leur  inculquer  le  goût  des  jolies  choses;  on  les  inté- 
resse à  des  travaux  artistiques  ;  broderies,  fers 
forgés,  tressage  de  paniers  indiens,  que  sais-je  ? 
mille  choses  capables  de  leur  faire  trouver  la  vie 
moins  aride  et  par  conséquent  de  leur  redonner  le 
goût  de  l'action.  Mme  Clifford-Barney  s'est  occupée 
de  ces  i'  Settlenient  liouscs  >  avec  beaucoup  de 
sollicitude  :  elle  dnige,  choisit  les  gens  capables 
d'enseigner  dans  ces  écoles  d'im  genre  si  spécial. 
En  un  mot,  son  activité  ne  \'eut  rien  négliger  de  ce 
qui  la  sollicite. 


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M.    G. -BERNARD    SH.\W    (pastel; 


270 


L'ART     HT     LES     ARTISTES 


(Qu'elle  a  peintes.  Citons,  biièvenunt,  la  lille  du  j)ié- 
sident  Roosevelt  :  la  princesse  Alice;  John  Calhoun, 
le  grand  homme  iiolitique  américain  (portrait  dont 
l'Etat  ût  la  commande  pour  le  Ca]>itole)  ;  la  com- 
tesse de  Suffolk,  sreur  de  l'ex-vice-reine  des  Indes, 
lady  Curzon;  Mme  Delarue-Mardrus;  José  de 
Charmoy;  Mme  Emma  Calvé;  Bernard  Shaw  ;  son 
rival,  M.  G.-K.  Chesterton  ;  miss  Patrick  Campbell, 
la  créatrice  de  la  Seconde  Mme  Tanqueray  de 
Pinero  (nous  reproduisons  ici  ces  trois  derniers 
irortraits). 

Éprise  de  psychologie,  elle  trouve,  à  bon  droit, 
que  sur  ces  figures  illustres  les  marques  de  lu  beauté, 
de  l'intelligence,  de  la  domination  et  du  rêve  se 
sont  plus  profondément  enfoncées  et  sont  plus 
visibles.  Elle  s'efforce  de  les  rendre. 

Intuitive,  elle  saisit  vite  le  caractère  essentiel 
d'une  physionomie,  l'aspect  principal  et  permanent 
autour  duquel,  semble-t-il,  évoluent,  pour  aussitôt 
disparaître,  les  autres  aspects,  fugaces  et  momen- 
tanés. C'est  en  cela  que  consiste  son  étude;  mais, 
une  fois  l'aspect  découvert  et  l'inspiration  venue, 
alors,  elle  s'y  li\Te simplement  et  travaille,  avec  viva- 
cité, avec  fougue,  et  finit  en  quelques  heures.  Il  lui 
est  impossible  de  reprendre,  de  retoucher  le  travail 
matériel.  C'est  ce  qui  donne  à  toutes  ses  œuvres 
cette  apparence  spontanée,  large  et  légère  qu'elles 


MISS    LAUR.\    CLIFrOKD-B.\KNEV     l.i 


IMStvI; 


ont  et  qui  est  parfois  si  séduisante  ;  c'est  aussi  ce 
qui  explique  sa  prédilection  pour  le  jirocédé  du 
pastel,  qui  ne  permet  presque  jias  le  repentir  et 
dont  elle  use  d'ailleurs  suivant  la  plus  classique 
tradition,  effleurant  le  pajner  où  de  grands  blancs 
ménagés  laissent  le  maximum  de  lumières. 

Cette  fougue,  cette  ardeur,  cette  rajndité  d'ex- 
]ircssion  graphique  inquiétaient  même  quelque 
peu  W'histler,  qui  lui  dit  un  jour,  avec  son  humour 
brusque  :  «  Yoii  are  too  élever.  Becarejul!  », 
jjhrase  presque  intraduisible  (i)  qui,  dans  la  bouche 
du  raffiné  et  scrupuleux  technicien  qu'était  Whist- 
1er.  signifiait  moins  un  reproche  que  la  constata- 
tion d'un  tempérament  pictural  très  éloigné  du 
sien.  Pour  moi,  j'avoue  estimer  j)leinement  ce  con- 
traste produit  entre  l'intensité  de  ces  physionomies 
et  la  largeur  des  traits  qui  les  représentent.  On  y 
voit  que  tout  le  travail  a  été  celui  dv  la  réflexion  : 
c'est  le  seul  qui  vaille.  Après  tout,  n'est-ce  pas  le 
même  W'histler  qui,  dans  un  jirocès  fameux,  aflirnie 
le  droit  de  l'artiste  à  la  production  rapide  d'une 
œuvre  qu'explique  un  long  travail  préparatoire  : 


VERS   LA   FIN    (pastel) 


(i)  Clever  ne  signifie  ([u'approximativenient  habile  ou  adroit. 
11  s'y  joint,  dans  une  proportion  difficile  à  préciser,  le  sens  de 
rapidité  d'intuition  et  d'intelligence  qui  en  nuxiifie  flatteuse- 
ment  l'effet  fâcheux. 


IJl 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


«  J'ai  mis  quinze  ans  à  pmivt)n-  fane  co  tableau  en 
huit  jours,   d 

Parler  des  expositions  récentes  ou  actuelles  de 
;\Inie  Clifford-Barney  en  Amérique  ne  serait  ])as 
apprendre  grand'chose  au  public  français.  Ce  (pii 
peut  l'intéresser  davantage,  c'est  de  savoir  que 
cette  artiste  exposera  à  Paris  le  printemps  prochain, 
et  cette  fois  sans  doute  davantage  de  tableaux  que 
l'automne  dernier  où  elle  ne  présenta  guère  que 
des  pastels.  Nul  doute  ([ue  ce  ne  soit  mieux  que 
très  attachant. 

Je  ne  vomirais  ]ias  terminer  cette  trop  courte 
étude  sans  dire  que.  marchant  sur  les  traces  de 
leur  mère,  les  deux  lille>  de  Mme  Clifford-Barne}- 
—  et  qui  lut  ont  toi  t  souvent  servi  de  modèles  — 
s'occupent,  elles  aussi,  de  questions  d'art  et  de  pensée  : 


l'une,  miss  Laura,  dont  nous  reproduisons  deux 
effigies,  a  traduit  du  ])ersan  en  anglais  les  Leçons 
de  Saint- Jean  d'Acre,  li\'re  du  jirophète  Abbas- 
Effendi  dont  l'influence  lut  grande  sur  l'émanci- 
pation de  la  Perse  et  sur  le  développement  des 
idées  modernes  en  Orient  ;  l'autre,  miss  Natalie, 
jKuticulièrement  attirée  par  les  questions  de  pro- 
sodie française,  publia  naguère  un  livre  de  vers 
et  va  bientôt  nous  en  offrir  un  autre. 

Comme  on  le  voit,  ainsi  précédée,  ainsi  suivie, 
Mme  Clifford-Barney,  artiste  sensible,  délicat 
et  intellectuel,  portraitiste  pénétrant  et  véhément, 
esprit  ouvert  à  toutes  les  manifestations  esthé- 
tiques, ne  doit  point  se  sentir  isolée  dans  le  culte 
actif  et  sincère  qu'elle  rend  à  l'idée  du  Beau. 
Fran'cis  de  Miomandre. 


MISS    LAURA    CLIFFORD-BARNEY    ipastel' 
272 


'^t-ApoUinairc,   Ravenne. 


MOSAÏQUE    DE    LA    NEF    PRINCIPALE    (VI'    SIECLE)    idctaiij 


VARIETES 


AU 


u 


L 


TU 


ETANT  donné  un  costume,  une  toilette...  ou  ce  qu'en 
peinture  on  appelle  un  ajustement,  comment 
distinguer  avec  certitude  les  cléments  de  beauté 
permanente  qu'il  faut  choisir,  soit  pour  les  peindre, 
soit  pour  les  porter,  des  éléments  de  mode  périssable 
qu'il  vaudrait  mieux  rejeter?  —  Voici  le  problème 
tel  qu'il  s'était  posé  dans  mon  esprit  à  la  suite  d'une 
visite  chez  une  charmante  femme  qui,  voyant  mes 
regards  fixés  sur  son  portrait  par  le  célèbre  X..., 
s'était  répandue  en  lamentations,  parce  que  ledit 
portrait,  peint  seulement  il  y  a  cinq  ou  six  ans,  la 
représentait  dans  un  costume  démode,  désormais 
ridicule,  dont  souriait  tous  ses  visiteurs. 

Eh  bien,  quoiqu'il  ne  puisse  y  avoir  à  ]5ropre- 
ment  parler  une  Loi  dans  une  question  où  rai)])ré- 
ciation  personnelle  est  après  tout  seule  importante, 
et  que  l'instinct  de  l'artiste,  comme  celui  de  la 
femme,  doivent  toujours  prédominer,  je  crois  avoir, 
en  creusant  le  problème,  trouve  trois  principes  qui, 
en  cas  d'hésitation,  seraient  certainement  très 
utiles  pour  vérifier  la  valeur  de  l'instinct  et  com- 


Ixitlrc  l'intluence  inconsciente'  (|uc  les  .iroùts  du 
jour,  les  goi"its  de  l'heure,  nous  font  subir  à  tous, 
artistes  comme  gens  du   monde. 

Je  vais  tout  d'abord  énoncer  ces  trois  principes 
sous  une  forme  concise  et  je  tâcherai  ensuite  d'en 
démontrer  le  bien  fondé  jiar  des  exemples. 

Premier  principe  :  Tout  élément  qui,  dans  un  cos- 
tume ou  un  ajustement,  est  une  cause  de  déformation 
de  la  structure  du  corps  et  donne  une  apparence  arti- 
ficielle et  fausse  à  la  conformation  normale  doit  être 
absolument  rejeté. 

Second  principe  :  Tout  élément  qui  laisse  voir, 
explique  ou  affirme  la  construction  de  l'être,  ou 
amplifie  ce  que  nous  considérons  comme  des  beautés 
humaines,  doit  être  soigneusement  choisi  et  retenu. 

Troisième  principe  (qui  s'adresse  spécialement 
aux  artistes  et  qui  conditionne  les  deux  autres)  : 
Lorsque, dansun  costume, un  élément(ou  des  éléments 
et  parfois  le  costume  tout  entier)  a  un  but  d'utilité 
réelle,  qu'il  est  en  quelque  sorte  nécessaire  au  rôle 
ou  à  la  vie  du  personnage,  il  a  par  cela  même  une 


273 


I.AKT     F.T     LES     ARTISTES 


MARS    BUKGHESE 

7<(i!t-!ir     th-     Cdi-actci-i-     tV     //     dtn/     ctrc     conserve. 

Analysciiis  maintenant  chacun  de  Cl■^  ]irinci])es. 
et  ^■|ly()ns  t(int  d'alniKl  dans  le  incniicr  ce  cju'cst 
un  élcinciit  pniiriiiif  donner  une  (ipf>iirence  arlificicUe 
et  fausse  à  ht  structure  du  corps. 

Mon  Dieu,  dans  la  ])ériodc  contemporaine  nous 
n'aurions  c}ue  l'eniliarras  du  choix;  rappelons-nous 
du  récent  passé  les  tc.iurnures  strapontins  de  ces 
Dames,  les  ])antalons  ])ied-d'éléphants  de  ces  Mes- 
sieurs, etc.  Actuellement  nous  avons  une  nouvelle 
anatomie.  revue  et  corrigée  à  chaque  saison  par 
Messieurs  les  Couturiers  et  Mesdames  les  Corse- 
tières,  et  suivant  leur  inéluctable  décision  les 
«estomacs»  sont  refoulés  en  lias.  —  parfois,  liélasl 
sans  la  force  de  protester, —  les  hanches  sont  rabo- 
tées, les  ventres  mis  en  hiite,  etc.,  etc. 

Mais,  avant  tout,  il  serait  peut-être  nécessaire 
Yiouv  notre  analyse  de  ]M-endre  comme  base  de  com- 
paraison deux  beaux  types  de  notre  humanité, 
deux  êtres  d'une  anatomie  parfaite,  —  par  exemjile, 
cette  délicieuse  Vénus  de  Médicis,  si  féminine,  et 
ce  superbe  Mars  Borghese,  appelé  aussi  l'Achille, 
si  mâle  —  et  d'essayer  sur  eux  les  costumes  des 
différentes  époques.  Nous  verrions  quelles  modifi- 
cations ils  causent  à  leurs  formes  splendides,  et 
s'il  y  a,  comme  je  le  prétends,  une  relation  exacte 
entre  le  caractère  de  ces  modifications  et  l'admira- 
tion esthétique  accordée  à  ces  costumes. 


Remarquons  jtremièrement  que.  durant  la  regret- 
table période  où  ces  deux  êtres  pouvaient  exister, 
point  de  costume  était  déjà  un  admirable  cos- 
tuine,...  et  en  les  regardant  il  nous  est  certes  aisé 
dr  le  comprendre  !  Mais,  hâtons-nous  de  le  dire, 
point  de  costume  était  une  toilette  exceptionnelle 
qui-  l'on  mettait  pour  des  jeux,  des  luttes,  certaines 
lètes  ci\'iqucs  ou  religieuses,  mais,  en  somme,  dans  la 
\ic  ordinaire,  ces  êtres-là  étaient  très  habDlés. 
Eh  bien,  si  vous  voulez  passer  rapidement  en  revue 
tout  le  costume  de  l'antiquité  classique,  —  ce  cos- 
tume qui  ])endant  des  siècles  et  des  siècles  a  pu 
retenir  l'intérêt  et  l'admiration  de  tous,  à  tel  titre 
qu'aujourd'hui  encore  il  est  d'usage  en  peinture, — 
\ous  ne  trouverez  pas  un  seul  de  ses  éléments  qui 
soit  une  cause  de  déformation  ])Our  la  noble  struc- 
ture de  nos  héros.  L'Achille  peut  jeter  la  chlamj'de 
sur  ses  épaules  pour  une  belle  chevauch'ée  dans  les 
]ilaines  attiques,  il  peut  au  retour  passer  sa  tunique 
et  s'envelopper  du  pallium  pour  aller  au  Pirée  ou 
au  Céramique,...  son  exquise  compagne  peut  se 
\'êtir  des  plus  lu.xueuses  draperies,  mettre  les  unes 
par-dessus  les  autres  jusqu'à  six  tuniques  de  trans- 
jiarence  et  de  longueur  diverses  en  les  fixant  à 
l'aide  du  cinetus  ;  elle  peut  suspendre  les  inaures 
à  ses  oreilles,  se  ganter  des  digitales  ;...  tous  deux 
ainsi  parés  n'en  laisseront  pas  moins  deviner  leurs 
corps  splendides,  leurs  proportions  admirables. 

Si,  d'Athènes,  ils  passent  à  Rome,  ils  n'auront 
guère  qu'à  allonger  un  peu  leurs  draperies  ; 
le  pallium  deviendra  toge  pour  l'Achille,  la 
tunique  deviendra  stola  pour  la  Vénus,  mais  en 
somme,  plus  ou  moins  long,  plus  ou  moins  ample, 
jilus  ou  moins  décoré,  leur  costume  restera  toujours 
composé  des  deux  parties  essentielles  :  l'indutus, 
vêtement  de  dessous  fermé,  équivalent  à  peu  près 
à  ce  qu'en  bon  français  on  appelle  une  chemise,  et 
l'amictus,  vêtement  de  dessus  ample  et  flottant, 
dont  ils  s'enveloppaient,  en  réalité  draperies,  c'est- 
à-dire  étoffes  souples,  auxquelles  le  corps  lui-même 
donnait  sa  propre  forme. 

Le  seul  exemple  peut-être  d'un  commencement 
d'ajustement  artificiel  serait  la  j)ièce  supplémen- 
taire que  les  femmes  à  la  mode  fixaient  sous  la 
seconde  ceinture  de  leur  stola,...  et  qui  tombait  à 
terre,  cachant  les  talons  et  traînant  sur  le  sol  de 
quelques  centimètres,  —  comme  vous  pouvez  le 
voir  dans  plusieurs  statues  antiques; — c'était  l'ins- 
tita,  première  tentative  d'apport  inutile,  perpé- 
trée par  un  cerveau  féminin,...  et  dont  l'aboutis- 
sement terrible  a  été  la  tournure  moderne  ! 

Je  n'ai  jias  la  prétention  de  faire  un  cours  de 
costume  en  quelques  pages,  et,  ne  cherchant 
actuellement  que  des  causes  de  déformations,  je 
passerai  rajjidement  sur  les  époques  antiques  et 
sur  le  moyen  âge  pour  en   arriver  à    la   Renais- 


274 


L'ART     ET     LE^ 


ARTISTES 


sance.  Dans  les  époques  intermédiaires,  en  effet 
je  ne  jwurrais  guère  trouver  de  réelles  déforma 
tions. 

Durant  la  décadence  romaine,  le  costume  fut 
toujours  beau,  et  de  même,  aux  premiers  tcmi>- 
du  christianisme,  les  vêtements  portés  jjar  1( - 
chrétiens  des  catacombes  sont  de  simples  et 
beaux  ajustements.  A  l'époque  suivante,  qu. 
j'appellerai  byzantine,  c'est  la  décoration  du  vr 
tement  qui  se  dévelojijje  et  jirend  une  imjjortanc  ^ 
exagérée,  mais  le  vêtement  est  encore  draperit 
De  même,  après  l'an  looo  en  Italie,  la  patrie  dw 
beau  et  du  noble  par  excellence,  je  ne  puis  trou 
ver  dans  mon  superficiel  examen  d'éléments  fran 
chement  artificiels  dans  le  vêtement.  Il  s'est  faii 
il  est  vrai,  un  grand  changement  :  les  draperie- 
se  sont  transformées  en  costume,  mais  costunii 
ajusté  sur  le  corps  et  ne  j)ouvant  qu'en  accuse  i 
et  en  expliquer  les  formes.  Ici  encore  notr< 
\'énus,  notre  Achille  paraîtront  ce  qu'ils  sont  :  K 
toise  puissant  de  l'homme  fera  bomber  le  justau 
corps,  son  jarret  nerveux  apparaîtra  sous  K 
maillot  collant,...  et  si  dès  lors  —  et  surtout 
un  peu  plus  tard  —  les  étoffes  commencent  à 
s'alourdir,  changeant  les  souples  tuniques  en  gaines 
roides  et  en  jupes  pesantes,  au  moins  les  belles 
proportions   d'un  corps  sont-elles  respectées. 

Nous  pouvons  traverser  la  renaissance  italienne, 
nous  ne  noterons  la  déformation  qu'à  titre  acci- 
dentel. 

ilais,  je  l'ai  dit,  l'Italie  est  la  patrie  du  Beau,  et  si 
les  êtres  qui  y  vivaient  en  ces  temps  avaient  l'ins- 
tinct du  goût  et  de  la  distinction,  il  n'en  était  pas 
de  même  dans  les  Flandres,  ni  dans  les  contrées 
germaniques,...  et  là,  aux  mêmes  époques,  nous 
trouverons  ample  matière  à  nos   remarques. 

Par  suite  d'influences  de  race  et  de  conditions 
climatériques  produisant  une  psychologie  spéciale, 
nous  constatons  dans  ces  pays  une  difficulté  évi- 
dente à  la  compréhension  des  beautés  anatoniiqucs. 
Le  corps  humain  n'est  plus  admiré  en  lui-même,  il 
est  seulement  le  mannequin  devant  servir  à  la 
montre  de  lu.xuriantes  étoffes.  Ces  races  aiment  le 
luxe  et  le  faste  non  tant  pour  leurs  propres  beautés 
que  parce  qu'ils  témoignent  de  leurs  richesses  et 
de  leur  pouvoir  de  dépense,...  et  la  conséquence  en 
est  une  invraisemblable  extravagance  en  fait  de 
costume  ! 

Cène  seront  guère  les  artistes  qui  nous  documen- 
teront à  ce  sujet  ;  ils  se  refusent  généralement  à 
représenter  de  telles  absurdités  !  Ce  sont  les  chro- 
niqueurs qui  nous  racontent  les  robes  d'une 
longueur  de  douze  aunes  portées  j)ar  les  femmes, 
les  jaquettes  de  Bohême,  aux  manches  si  longues 
qu'elles  traînaient  à  terre,  portées  par  les  hommes. 
\'o\'ez-vous  notre  héros  grec  affublé  de  cet  habit 


VENUS    DE    MEDICIS 

de  mascarade,...  ayant  à  ses  jiieds  les  longues 
chaussures  à  la  poulainc  dont  la  pointe  se  terminait 
en  griffes  de  lions,  en  queues  de  scorpions,  en  têtes 
d'oiseaux  !  Il  pouvait,  il  est  vrai,  troquer  sa  jaquette 
au.x  manches  traînantes  contre  une  cotte  brodée 
d'animaux,  ou  de  devises,  ou  de  notes  de  musique  ; 
on  pourra  ainsi  lire  une  petite  histoire  ou  chanter 
une  chanson  sur  son  dos.... 

Notre  pauvre  \'cnus.  afin  de  dignement  l'accom- 
pagner, choisira  une  robe  bariolée  sur  laquelle  seront 
figurés  des  licornes,  ou  des  léopards,  ou  mieux 
encore  des  hommes  .sauvages.  Comme  coiffure,  elle 
aura  un  de  ces  cônes  monstrueux  ou  un  de  ces  extra- 
vagants croissants  dont  l'existence  aujourd'hui 
nous  paraît  invraisemblable  !  Ainsi  harnachée,  elle 
pourra  s'asseoir,  sans  confort  je  le  crains,  sur  un 
siège  représentant  une  jx^tite  cathédrale  dorée 
et  sculptée....  Un  autre  jour,  elle  saura  varier 
son  plaisir  et  manifester  plus  complètement  sa 
richesse  en  s'emprisonnant  dans  une  robe  cou- 
verte d'hirondelles  en  orfèvrerie,  chacune  de  ces 
hirondelles  tenant  dans  son  bec  un  bassin  d'or. 
On  a  compté,  dit  un  chroniquem",  1400  de  ces 
bassins  sur  un  costume  !  Et,  dans  un  autre, 
900  grosses  perles  étaient  employées  à  broder 
une  chan.son  sur  l'habit  ! 

Bref,  c'est  un  vrai  carnaval  ! 

Quel  dégoût  éprouveront  nos  deux  héros  en  sen- 


275 


I.'AIvT     ET     LES     ARTISTES 


FEMME    DRAPEE    (\I'    SIÈCLE    .W.    J.-C.) 
(fouilles  de  Delphes) 

tant  leur  ci)r]is  splciitlidi"  tra\-i'sti  ut  j>aial\sé  ridi- 
culeiiKiit  i)ar  ces  1,'rott'sqiR's  appareils  !  Coinhien 
regretterunt-ils  alors  l'ample  et  sciu])le  draperie, 
la  caressante  tunique  dont  leur  corps  se  \'oilait  ou 
se  dénudait  si  à  l'aise  ! 

^lais  je  veux  en  arri\er  \'ite  aux  dclorniations 
des  costumes  modernes  dont  l'exemple  est  i>lus 
lra]i]iant  jiour  nous.  Notons  seulement  en  ]xissant 
les  modes  de  ce  ])ays  tlans  les  époques  immédia- 
tement précédentes. 

Que  pensez-vous  de  notre  W-nus  soumise  aux 
paniers  Louis  XV?  Et  plus  tard  suivant  la  mode 
de  certaines  coiffures  Louis  XVI  :  à  la  Belle-Poule, 
aux  jardins  d'Armide,  etc.?  Ces  coiffures  n'avaient 
guère  que  80  centimètres  de  hauteur  ;  dans  la  pre- 
mière les  cheveux  figuraient  une  mer  orageuse, 
gonflée  par  le  souffle  colérique  de  Borée.  Quelques 
frégates  et  vaisseaux  de  haut  bord  —  en  miniature 
—  s'y  balançaient  avec  furie  !  Dans  la  seconde,  ce 
n'était  que  bosquets  et  pourpris,  mails  et  quin- 
conces, que  traversaient  des  allées  sinueuses  ren- 
contrant çà  et  là  des  imitations  de  fontaines  et  de 
pièces  d'eau  ;  le  tout  en  cheveux  ! 

En  revanche,  si  notre  belle  amie  n'a  pas  porté  sa 
coiffure  et  sa  tête  sur  l'échafaud,  elle  pourra, 
quelques  années  plus  tard,  se  promener  demi- 
nue,  un  simple  ténia  autour  des  cheveux,  dans  le 


jardin  du  Palais-Royal  sous  le  prétexte  de  faire 
len. litre  le  costume  antique....  Pouira-t-elle  donc 
.linsi  retrou\-er  les  impressions  si  lointaines  d'une 
]ironienade  aux  jardins  d'Académus  ?...  Hélas! 
non.  car  son  ami  l'escorte,  ridiculement  attifé  de 
ce  faux  col  de  mascarade,  de  ces  revers  d'habit 
carnavalesques,  de  cette  frétillante  queue  de 
<  lown,...  vrai  attirail  de  saltimbanque,  bon  pour 
une  parade  de  foire.... 

La  vie  d'Athènes  est  bien  morte  ! 
Arrivons  enfin  à  l'époque  moderne  proprement 
dite  et  voyons  les  déformations  dont  quelques-uns 
jianm  nous  ont  été  témoins  oculaires. 

De  lointains  souvenirs  d'enfance  me  permettent 
de  revoir,  quelque  peu  vaguement,  cet  objet  bizarre 
dénommé  crinoline.  Pourrait-on  jamais  croire, 
■-ans  l'avoir  vu  soi-même,  que  ce  baroque  attribut 
fut  un  élément  de  toilette  féminine  ?  Il  s'accompa- 
gnait, et  en  parfaite  harmonie,  je  dois  le  reconnaître, 
des  manches  dites  pagode.  Toutes  nos  mères  — 
])ardon,  toutes  vos  grand'mères  —  en  ont  porté.... 
Et  elles  étaient  charmantes  ainsi,  s'il  faut  en  croire 
nos  pères  et  vos  grands-pères.  Charmantes  ainsi  ! 
(Combien  plus  charmantes  alors  eussent-elles  été 
autrement  ! 

\'oilà  certes  un  bel  exemple  d'apparence  artifi- 
cielle et  fausse  donnée  à  la  structure  normale,...  et 
exemple  d'autant  plus  complet  que  cette  mode 
n'était  pas  seulement  l'attribut  d'une  caste  peu 
nombreuse,  oisiv'e  et  dépravée,  comme  certaines 
modes  historiques  aussi  étranges  ;  non,  c'était  d'un 
emploi  général  :  aristocrates  ou  petites  bourgeoises 
s'affublèrent  de  ce  comique  ballon,  dont  l'usage, 
semblerait-il,  devait  terriblement  compliquer  la 
vie  ! 

Que  ceux  qui  n'ont  point  vu,  de  leurs  veux  vu, 
la  crinoline  ne  se  plaignent  pas  trop  ;  il  leur  est 
resté  la  joie  des  tournures  de  nos  Dames,  la  gaieté 
des  pantalons  pied-d'éléphants  de  nos  Messieurs. 
\'ous  pourrez  examiner  dans  un  recueil  ethnolo- 
gique les  différentes  tenues  de  l'être  humain  dans 
tous  les  pays  et  dans  tous  les  temps,... et  vous  cons- 
taterez alors  avec  tristesse...  que  chez  les  Patagons, 
comme  chez  les  Papouins,  chez  les  Groenlandais, 
comme  chez  les  habitants  des  îles  Marquises,  on  ne 
trouve  rien  de  plus  extrême  comme  aberration  du 
goût  et  dépravation  du  sens  esthétique  !  Cette  fois, 
je  n'aurai  pas  le  courage  d'infliger  cette  honte  au 
corps  divin  de  la  Vénus  !  Même  pour  un  franc  rire, 
je  refuse  de  ridiculiser  ce  que  j'aime,...  et  nous 
resterons  entre  nous  pour  essayer  ces  horribles 
choses  :  tournures,  chapeaux  de  haute  forme, 
pieds-d'éléphants,  corsets  et  appareils  orthopé- 
diques divers,  etc. 

Je  vous  ai  montré  le  côté  un  peu  gros  des  défor- 
mations   du   costume    moderne  ;  néanmoins,    tout 


L'ART    ET    LES     ARTISTES 


._         ~  !    1  .IION    Dr    VEAT    IM)K     ,i.-t.iil) 

Le  tékmcnt  de  la  figure  centrale  e%t  le  type  du  beau  costume  lieiiaissance. 


277 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


superficiel  qu'ait  été  mon  examen,  j'espère  qu'il 
vous  aura  sulfisanunent  fait  comprendre  la  vé- 
rité du  premier  principe  et  la  valeur  de  son 
apjilication. 

\'o\-ons  maintenant  celui  (jui  \-iont  ai>rès  : 
Tout  clément  qui  laisse  voir,  t.x'l'lit/iu-  on  ajfiniic  lu 
amslnuiioii  iiorniuh-  de  relie,  oit  eiieore  uiiipli/ie  ee 
(/lie  nous  coiisitiéniiis  coiiiiiie  lies  heiiulés  liiiniaines, 
doil  être  soi'^neiiseiiienl  choisi  et  consereé. 

La  première  recommandation  est  d'une  vérité 
lmi]nde  :  tout  cicinent 
qui  laisse  voir  la  coiis- 
Iniclioii  de  l'elrc  doit 
être  conservé,  ("est  bien 
évident,  jniisque,  les 
formes  du  corps  humain 
étant  imnuiables  et  au- 
ilessus  de  la  luode, 
nous  sommes  cirt.iins 
(l'avoir  en  leur  repré- 
sentation im  élément 
d'intérêt  durable  c\  per- 
manent. I,a  forme  d'un 
cou,  le  contoui  d'un 
bras,  le  modelé  d'une 
Ljori^e  ou  d'tm  do^  ne 
s.iuraient  \-ieilln  !  Certes. 
aucune  lenmie  portrai- 
tmée  ne  se  phiindra  que 
sa  mique  ne  ^oit  plu> 
à  la  mode  ou  qti'.'  ses 
épaules  soient  siu'an- 
nées  !  Le  nu  est  pour 
nous  une  vérité  dont 
nous  ne  devons  jamais 
jierdre  l'occasion...  et 
teinte  forme  de  en^tume 
on  d'ajustement  qui 
1.1  fusera     \'c)ir     un     beau 

morceau  île  corps  doit  être  siii^neusement  conser- 
\éi',  il  n'est  pas  besoin  d'y  in>istc'r.  ]v  dis,  après, 
qui-  l'on  ili-\-ra  choisir  tout  élément  exf^li quant  ou 
ajlinnant  la  construction  du  corps.  Que  juiis-je 
l'Htendre  par  là?  Jlais,  mon  Dieu,  il  suffira  d'exa- 
miner les  beaux  costumes  des  diftérentes  époques 
poiu"  comjirendre  ma  pensée....  Pourquoi,  par 
exemple,  le  costume  de  guerrier  antique  est-il  admi- 
rable ?  Mais  simplement  parce  que  cette  cuirasse  mo- 
delée sur  la  poitrine,  ces  cnémides  ajustées  sur  les 
janrbes  ne  font  qu'expliquer,  qu'affirmer  l'anato- 
mie  de  l'être.  Rappelez-vous  ces  torses  d'empereurs 
romains  avec  leurs  belles  divisions  ornementées. 
Toute  la  partie  décorative  n'est  qu'une  affirmation 
des  dessous  osseux  ou  musculaires. 

Eh  bien,  dans  tous  les  beaux  costumes  des  belles 
époques,  au  xni>'  siècle  italien  cornm,^  à  la  Renais- 


M.M{C-,\URELE 


sance,  vous  trouverez  toujours  ce  principe  appliqué. 
Vo\'ez  les  armures  si  ingénieuses  de  Botticelli,  de 
Mantegna,  de  Cellini,  voyez  les  admirables  cos- 
tumes des  tableaux  vénitiens,  ils  sont  toujours  une 
explication,  une  affirmation  du  corps,  un  revête- 
ment correspondant  à  ses  proportions  générales. 
Dans  la  toilette  des  femmes,  quoi  de  plus  beau 
que  ces  ornementations  du  corsage  et  des  hanches 
révélatrices  des  formes  abritées.  Parfois  encore 
actuellement  dans  les  modes  modernes  on  peut 
retrouver  une  explica- 
tion du  corps  ou  tout 
au  moins  le  respect  de 
Ses  jiroportions.  Cer- 
taines formes  de  blou- 
ses, de  corselets,  d'épau- 
lettes,  peuvent  être  bien 
]iroportionnées,  logique- 
ment divisées  par  les 
garnitures,  et  donner 
ainsi  une  très  réelle  im- 
j^ression  de  beauté.  LTn 
sim]ile  veston  d'homme 
peut  avoir  une  beauté  ! 
Sa  coupe,  ses  divisions 
])euvent  correspondre 
avec  les  proportions  du 
corps.... 

Par  exemple,  suppo- 
MZ  un  veston  ordinaire 
avec  des  poches  de  poi- 
trine à  droite  et  à  gau- 
che ;  si  les  petites  bandes 
de  fermeture  sont  à  la 
hauteur  des  pectoraux, 
leur  bouton  correspon- 
dant au  mamelon,  l'as- 
pect du  vêtement  ne 
sera  pas  désagréable,  il 
aura  une  harmonie.  Placez  les  poches  lo  centi- 
mètres jilus  bas.  ce  sera  fausser  les  proportions. 
Bien  entendu,  tout  élément  qui  dans  un  costume 
pourra  être  ou  devenir  draperie  sera  retenu  : 
dentelles,  écharpes,  pèlerines  souples,  etc.,  toute 
étoffe,  tout  tissu  auquel  le  corps  lui-même  peut 
donner  sa  propre  forme. 

Maintenant,  qu'ai-je  pu  vouloir  dire  en  ajoutant 
dans  ce  deuxième  principe  que  tout  élément  qui 
amplifie  ou  exagère  ce  que  nous  considérons  comme 
des  beautés  humaines  peut  être  également  conservé} 
L'amplification  d'une  forme  n'est-elle  donc  pas  une 
déformation  ? 

Il  faut  d'abord  s'entendre  sur  ce  que  j'appelle 
.'  beautés  humaines  »,  car  nous  pourrions  ne  pas 
nous  comprendre  ;  une  main  jietite,  un  pied  minus- 
cule, une  taille  de  guêpe,  etc..  ne  sont-ils  pas  en 


278 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


effet  considérés  comme  des  beautés,...  et  dans  ce 
cas  la  manche  pagode,  le  pantalon  à  la  mexicaine, 
la  crinoline,  etc.,  exagérant  l'impression  de  leur 
petitesse,  ne  de\Taient-ils  donc  pas  être  conservés  ? 

Eh  bien,  non,  la  main  petite,  la  taille  de 
guêpe,  etc..  sont  des  modes  et  non  des  beautés. 

A  presque  toutes  les  époques,  de  même  qu'il  v  a 
des  modes  pour  le  costume,  il  y  a  des  modes  pour 
la  forme  corporelle,  modes  souvent  données  par 
l'influence  d'une  courtisane  ou  d'une  maîtresse 
femme  quelconque  à  laquelle  les  autres  s'efforcent 
de  ressembler,...  et  les  peintres  et  sculpteurs,  — 
bons  courtisans,  eu.x  aussi,  —  reproduisant  plus 
spécialement  le  caractère  physique  aimé,  aident 
encore  à  en  répandre  le  goût.  On  peut  voir  qu'au 
xviii<^  siècle  les  femmes  petites  et  gracieuses  étaient 
à  la  mode.  Il  fallait  le  cou  long,  les  épaules  tom- 
bantes, la  gorge  haute  et  pleine,  la  main  petite  et 
potelée  pour  être  jolie  femme.  Les  Pompadour. 
les  Manon  avaient  ce  type  de  grâce  et  de  vivacité 
piquante.... 

Au  siècle  précédent,  la  jolie  femme,  au  contraire, 
devait  être  de  corps  imposant,  de  chairs  un  peu 
fortes,...  alors  qu'au  xvi»  siècle  la  femme  à  la  mode 
était  maigre,  très  longue,  sans  gorge,  de  formes 
garçonnières. 

Chaque  époque  a  son  goilt  sjiécial. 

Il  faut  donc  se  tenir  en  garde  contre  la  beauté  à 
la  mode  et  ne  pas  retenir  les  éléments  de  costume 
qui  peuvent  amplifier  ou  exagérer  les  caractères 
spéciaux  de  cette  mode. 

Ce  que  j'apjielle  «  Beauté  »  n'est  j)oint  une  con- 
vention momentanée,  un  goût  du  jour  ;  c'est  la 
manifestation  plastique  des  forces  physiologiques, 
des  supériorités  vitales  qui  dans  le  principe  ont 
déterminé  ce  que  curieusement  nous  considérons 
maintenant  comme  un  idéal. 

A  ce  point  de  vue,  à  la  fois  jihilosophique  et 
expérimental,  les  proportions  des  statues  grecques 
resteront  la  ])Ius  complète  expression  de  Beauté 
que  peut  acquérir  notre  race  humaine,  car,  en 
effet,  c'est  par  ces  i)roportions  qu'est  atteint  l'équi- 
libre parfait  de  la  force,  de  la  soui)lesse...  et  de  la 
santé.  Avant  d'être  im  homme  admirable,  l'athlète 
grec  est  un  animal  admirable,...  et  c'est  son  parfait 
équilibre  ph3-siologique  qui  se  révêle  par  ces  formes 
que  nous  qualifions  de  nobles,  de  pures,  d'idéales! 

Sa  largeur  d'épaules  est  une  beauté  parce  que 
dans  une  large  poitrine  se  trouvent  de  puissants  pou- 
mons aspirant  pleinement  la  vie  ;  ses  membres, 
forts  à  leur  sortie  du  tronc  et  se  terminant  par  des 
attaches  déliées,  sont  une  beauté  parce  que  le  pre- 
mier caractère  indique  la  vigueur  et  la  force,  et  le 
second  la  souplesse,  la  rapidité  et  la  précision 
exacte  dans  les  mouvements.  C'est  un  caractère 
physique  purement  animal  et  commun  à  tous  les 


Cl.  Durar.j.l 

CL.AUDE  .M().\1-:T  —  l'oKiK.Mi  uu  .m  '    m.  iii\5i)) 

cor]is  vivants  qui  unissent  la  force  et  la  ^■oupIesse  : 
les  grands  félins  comme  les  fauves  de  nos  forêts, 
comme  les  chevaux  de  j)ur  sang  ou  les  lévriers,... 
et  lorsque  dans  un  costume  vous  trouvez  une 
iorme  qui  amplifie  un  de  ces  caractères  de  beauté 
l)hysiologique,  —  beauté  éternelle,  —  vous  pouvez 
la  conser\-er. 

Enfin  il  peut  se  présenter  un  cas  spécial,  celui  qui 
a  nécessité  mon  paragraphe  trois  :  dans  xme  (euvre 
d'art,  vous  pouvez  désirer  faire  intervenir,  ou  vous 
pouvez  être  obligé  de  subir  en  bloc,  la  représenta- 
tion de  certains  costumes  contenant  des  éléments 
de  déformation  qui,  d'ajirès  mon  ])remier  princijie, 
devraient  être  rejetés.  Par  exemjile,  dans  une  com- 
position décorative,  vous  désirez  i)lacerun«  homme 
de  mer  »  synthétisant  la  race  des  [lêcheurs  et  des 
marins....  Allez-vous  donc  lui  enlever  son  étrange 
coiffure  —  le  stiroûa.  —  lui  diminuer,  lui  afhner  ses 
énormes  bottes,  sa  casaque  huilée  sous  prétexte 
que  ce  sont  des  causes  de  déformation?  Si  en  j)his, 
dans  cette  même  (euvre.  vous  j)Iacez  une  paysaime 
du  pays,  intervenant  là  ])otir  rejirésenter  sa  race  et 
son  type  social,  et  ayant  dans  son  costuiue  réel  de 
terribles  artifices,  comme  ce  gonflement  des  hanches 


279 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


et   du  ventre  causé  par  un 
placé  sous  la  ju]ie. 
fraude,  bizarrement 
de  quelque  idole  liarh.u 


rouleau   d'étofte 

rtaines  autres  pièces  de 

■,,(|ni  lui  donnent  l'aspect 

allez-\'ous  donc  réduire 


et  arranger  le  tout,  atlîner,  épuier...  en  raison  du 
premier  princii)e  ?  A  coup  sûr  non,  car  ]iar  cela 
même  que  ces  attril>uts  sont  nécessaires  au  rôle  ou 
à  la  vie  du  personnage,  ils  possèdent  une  valeur  de 
caractère  et  vous  devez  les  conserver  intacts. 

Du  reste  —  et  ceci  s'adresse  spécialement  aux 
artistes  découragés  ]iar  les  apparentes  laideurs  de 
notre  époque  —  il  y  a  dans  tout  costume,  quel  qu'il 
soit,  une  manitestation  de  l'individualité  qui  le 
porte  et  de  là  peut  provenir  une  source  de  pittoresque 
extrêmement  jirécieux  pour  notre  art  pictural. 
Connaissez-vous,  par  exemple,  un  costume  plus  laid 
et  plus  gauche  que  celui  du  petit  soldat  français  en 
tenue  de  revue  nu  de  sortie?  Regardez-en  une 
douzaine  en  train  d'errer  dans  les  salles  d'un  musée 
ou  dans  les  allées  d'un  jardin  public  :  les  liras  lial- 
lants,  les  pieds  lourds,  ils  se  balancent  gauchement, 
empêtrés  de  leur  longue  cajjotc,  gênés  de  leurs 
gants  qui  les  clialdnillciit,  l'air  aliuri  ;  on  i  rouah 
plutôt  voir  un  ])au\rc  bétail  é.t^'aré  qu'une  escouade 
de  valeureux  guerriers  prêts  à  mourir  ]>our  la 
patrie  ! 

Ehbieii.ces  inémi-s  petits  soldats  ahuris,  envoyez- 
les  en  exj)édilioii  on  loiit 
simplement  en  maïKcii- 
vres  et  examine/.-les  di\ 
jours  a])rès  le  dc'-paii. 
\-ous  ne  les  reconnaitre/ 
])lus  !  Ce  sont  mainte- 
nant des  hommes  aux 
prises  avec  lesdillicultes 
et  les  angoisses  i;t  cons- 
cients qu'ils  ne  doivinf 
comjiter  que  sur  eux- 
mêmes  ]>our  leur  soula- 
gement et  leur  sécurité'. 
D'un  coup  la  souffrance 
les  a  marqués  et  leur  ,i 
fait  acquérir  cette  allim 
farouche  qui  ne  jieriuet 
plus  le  rire,  et  fait  menu 
comprencke  la  possibi^ 
lité  de  l'héroïsme. 


A]:)rès  huit  jours  de  marches,  d'insomnie,  de 
maigre  chère,  chacun  a  dû  trouver  un  moyen  per- 
sonnel de  résistance  à  la  terrible  usure,  et  chaque 
homme  fait  exjjrimer  à  son  costume  son  mode 
inifniduel  de  souffrir  et  de  réagir.  Plus  d'uni- 
lormes  ;  c'est  maintenant  un  pittoresque  ajuste- 
ment. Les  uns  ont  simplement  rentré  leur  pantalon 
ilans  leurs  guêtres  et  relevé  les  pans  de  leur  capote; 
d'autres,  moins  réservés,  dégrafent  leur  plastron, 
desserrent  leur  cravate;  quelques-uns,  plus  sensibles, 
plus  énervés  par  la  lutte,  vont  jusqu'à  se  dénuder 
conqilètement  la  gorge  ;  enfin  les  rageurs,  les  vio- 
lents indépendants  se  soulagent  de  partout  :  les 
manches  sont  retroussées,  les  poitrines  débraillées, 
les  képis  à  la  main  ou  suspendus,...  et  peu  à  peu 
ainsi  dans  ce  costume  primitivement  laid  et  sans 
intérêt  esthétique,  la  Vie  crée  une  valeur  nouvelle 
jiour  notre  art  pictural.... 


Partis  de  la  gracieuse  chlamyde,  de  la  noble 
stola,  nous  avons  eu  la  honte  d'aboutir  à  la  jupe  et 
au  corset,. ..et  nos  deux  nobles  amis  —  la  Vénus  et 
r.\chille  —  élevés  dans  une  atmosphère  de  pure 
beauté  préféreront  sans  doute  renoncer  à  la  lumière 
que  se  soumettre  aux  exigences  de  notre  existence 
moderne....  IMais  en  les  reconduisant  au  piédestal 
d'où  nous  les  avions  fait 
descendre,  dans  ces  sal- 
les de  la  sculpture  an- 
tique qui  sont  les  gran- 
dioses cimetières  de  la 
Forme,...  nous  ne  nous 
désespérerons  pas,  car  si 
le  pouvoir  de  reproduire 
une  idéale  perfection 
corporelle  est  là,  gisant 
à  tout  jamais  peut-être, 
il  nous  reste  cet  élément 
d'intérêt,  essentielle- 
ment et  éternellement 
lié  aux  phénomènes  de 
la  \'ie  —  le  Pittoresque 
—  qui  pourra  fournir 
matière  à  des  beautés 
infinies  aux  artistes  de 
tous  les  temps. 
Pierre-Émile 

cornillier. 


A.  DE   L.\  (^lANDAKA 

PORTR.-\IT    DE    M""    d'.\NNUNZIO    (1907) 


2S0 


PONT    FORTIFIE    DE    VALENTKE     (gothiquci 


L'ART     DECORATIF 


Li 


IT: 


CECI  pour  faire  suite  à  l'article  que  nous 
avons  public  ici  iiicmc.  Pour  la  déjensc  de 
nos  sites.  Il  en  est  des  ponts  comme  des  fabriques 
que  les  peintres  du  xvii<^  et  du  xviii"^  siècle 
introduisaient  dans  leurs  paysages.  Il  faut  qu'ils 
soient  placés  au  bon  endroit,  et  que  leur  ma- 
tière s'harmonise  avec  le  paysage,  et  prennent 
ainsi  de  la  consistance,  et  semblent  avoir  été  créés 
en  même  temps  que  lui,  et  devoir  durer  autant  que 
lui.  Depuis  de  troj)  longues  années,  on  abîme  les 
sites  les  plus  merveilleux  avec  des  passerelles  qui 
barrent  l'horizon  et  traversent  l'espace,  sans 
noblesse,   sans   allure,    comme   des   échafaudages. 


Les  ponts  de  fer  n'ont  pas  le  caractère  d'éternité 
des  ponts  de  pierre.  Même  dans  des  proportions 
gigantesques,  ils  offrent  un  aspect  mesquin.  Ils 
ont  eu  leur  utilité  à  une  époque  et  dans  des  pays 
où  l'on  était  pressé  de  consti"uire.  Je  voudrais  qu'on 
les  considérât  comme  des  monuments  provisoires. 
D'autre  jmrt,  leur  solidité  est  contestée  depuis 
quelques  années  ;  en  Suisse  et  en  .Mlemagne,  on 
va  quelquefois  au  ciment  armé,  au  fer  ;  on  revient 
volontiers  à  la  pierre,  qui  a  fait  ses  preuves  d'utilité, 
de  durée  et  de  beauté.  Je  voudrais  insister  sur  ce 
dernier  caractère  de  beauté,  et  proposer  à  mes  lec- 
teurs quelques  modèles  de  ponts,  quelques  t\-pes 


281 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


caractéristiques     des     différents      styles      romain, 
roman,  gothicjue  et  renaissance. 

Chacun  connaît  le  fameux  passage  des  Confessions 
sur  le  Pont  du  Gard  :  «  C'était  le  premier  oux'rage 
des  Romains  que  j'eusse  vu.  Je  m'attendais  à  voir 
un  monument  digne  des  mains  qui  l'avaient  cons- 
truit. Pour  le  coup,  l'objet  passa  mon  attente,  et 
ce  fut  la  seule  fois  en  ma  vie.  11  n'ap])artenait 
qu'aux  Romains  de  produire  cet  effet.  L'aspect  de 
ce  simple  et  noble  ouvrage  me  frapjia  d'autant  plus 


jaunies  jiar  le  temps,  dorées  par  le  soleil,  ont 
été  extraites  d'une  carrière  voisine,  à  500  mètres, 
sur  la  rive  gauche  du  Gardon. 

L'é])oque  romane  continua  les  belles  traditions 
de  l'époque  gallo-romaine.  <i  L'érection  des  ponts, 
écrit  excellemment  M.  Enlart,  était  considérée 
comme  une  œuvre  trop  utile  aux  hommes  pour 
n'être  pas  méritoire  aux  yeux  de  Dieu  ;  c'est  ce 
que  dit  en  jiropres  termes  une  charte  du  comte 
Eudes,  ordonnant  la  construction  du  pont  de  Tours, 


Cl.  MouttmcHls  hhtoriq\ 


PdNT    DU    G.\RD    igallo-romaini  unsemble  côt 


qu'il  est  au  milieu  d'un  désert  où  le  silence  et  la 
solitude  rendent  l'objet  plus  frappant  et  l'admira- 
tion j)lus  vive,  car  ce  prétendu  pont  n'était  qu'un 
aqueduc.  On  se  demande  quelle  force  a  transporté 
ces  pierres  énormes  si  loin  de  toute  carrière,  et  a 
réuni  les  bras  de  tant  de  milliers  d'hommes  dans 
un  lieu  où  il  n'en  habite  aucun.  Je  jiarcourus  les 
trois  étages  de  ce  superbe  éditice,  que  le  respect 
m'empêchait  presque  d'oser  fouler  sous  mes  pieds. 
Le  retentissement  de  mes  pas  sous  ces  immenses 
voûtes  me  faisait  croire  entendre  la  forte  voix 
de  ceux  qui  les  avaient  bâties.  Je  me  perdais  comme 
un  insecte  dans  cette  immensité.  Je  sentais,  tout 
en  me  faisant  petit,  je  ne  sais  quoi  qui  m'élevait 
l'âme  ;  et  je  me  disais  en  soupirant  :  «  Que  ne 
«  suis-je  né  Romain?  > 
Voilà  qui  est  fort  bien  dit.  INIais  les  belles  pierres, 


entre  1061  et  1137  '  qui  avait  27  arches.  Des 
associations  s'organisèrent  pour  ériger  et  entre- 
tenir les  ]ionts  et  les  routes  ;  l'une  d'elles  éleva,  au 
milieu  du  xii<^  siècle,  le  pont  de  Maupas  sur  la 
Durance,  ce  qui  fit  changer  le  nom  de  Maupas  en 
Bonpas  ;  saint  Bénezet  quêta  les  fonds  nécessaires 
au  pont  d'Avignon,  le  plus  célèbre  des  ponts  romans 
(1177  à  11S5).  Ainsi  de  l'évêque  Hervé,  à  Lyon, 
en  1150  ;  de  l'archevêque  Hugues  de  Toucy,  à 
Pont-sur- Yonne,  en  iiSi  ;  des  frères  de  Saint- 
Jacques  du  Haut-Pas.  à  San  lliniato,  au  xi*^  siècle  ; 
de  Saint-Jean  l'Ermite,  en  Espagne,  à  la  tin  du 
xn«  siècle. 

Ce  qui  nous  en  reste  suftit  à  les  juger  très 
remarquables  :  ils  sont  d'une  largeur  modeste, 
5  mètres.  «  Les  culées  ont  des  éperons  triangulaires 
pour  mieux  fendi'e  le  courant  et  ne  pas  accrocher 


282 


L'ART    ET    LES    ARTISTES 


LE    PONT    DE    QUÉZAC    tr..man) 


PONTE-VECCHIO,    FLORENCE    igotlii- 


283 


LAKT     ET     LES     ARTISTES 


PONT    SANTA     TRINITA,    FLORENCE    iRenaissann- 


1rs  (iliJL-ts  qu'il  t'iitrainc,  surtmit  les  glaçnns  ; 
(luaiit  au  nioilc  de  construction,  il  est  inspiré  de 
praticiues  romaines  ;  le  pont  romain  d'Airvault 
(Deux-Sèvres)  a  pour  arches  plusieurs  arcs  paral- 
lèles entre  lesquels  est  posé  un  dallage  formant 
tablier  ;  le  jiont  d'Avignon  imite  le  pont  romain 
liàti  ])ar  Julien  ;  ses  arches  sont  tracées  en  ellipse, 
et  au-dessus  des  piles  sont  ménagées  des  baies 
(lui  allègent  la  maçonnerie,  étrésillonnent  les 
arches  et  li\"rent  passage  au  courant  en  temps 
d'inondation,  diminuant  ainsi  de  beaucoup  la 
fatigue  de  la  construction.  Sur  l'une  des  culées  du 
pont  se  voit  une  chapelle  ;  c'était  l'usage,  et  le 
plus  souvent  elle  était  dédiée  à  saint  Nicolas,  jvatron 
des  vo\'ageui's.    » 

Aux  xiii^"  et  xiv-'  siècles,  les  données  sont  sen- 
sil)lement  les  mêmes,  sauf  que  les  arches,  au  lieu 
d'être  en  plein  cintre,  sont  en  tiers-point.  Citons  : 
le  pont  Saint-Esprit,  construit  par  les  soins  des 
frères  Pontifes  ;  les  ponts  Saint-Martial  et  Saint- 
Etienne  à  Limoges  ;  le  jiont  de  la  Frégeoire  à  Najac 
(1238)  ;  le  pont  de  Valentré  (xiii''  siècle)  à  Cahors  ; 
le  pont  de  Champagnac  et  la  Roque  (Gard),  du 
xiii<=  siècle  ;  les  ponts  d'Orthez,  Mende,  Albi, 
Entraygues,  Bourdeilles  et  Xyons.  Les  nécessités 
de  la  défense  militaire  faisaient  parfois  édifier  à 
chaque  extrémité  et  au  milieu  du  pont,  comme  à 


Cahors,  une  tour  fortifiée  qui  contribue  à  lui  donner 
un  aspect  plus  majestueu.x  encore. 


En  Italie,  c'est,  à  la  même  époque,  le  pont  de 
Vérone,  et  un  peu  ]5artout  l'imitation  des  aqueducs 
romains  à  arcades.  Au  xiii^  siècle,  l'aqueduc  de 
rabba\-e  de  Casamari  comporte  des  arcades  de 
pierre  en  plein  cintre,  portées  sur  de  larges  et 
lourds  piliers.  L'aqueduc  de  Salone  est  plus  élé- 
gant, avec  ses  arcs  en  tiers-point  et  ses  piles  carrées 
couronnées  d'impostes  (1256).  Il  faut  mettre  tout 
à  fait  à  part  le  Ponte  \'ecchio,  à  Florence,  à  trois 
arches,  dont  l'existence  remonte,  dit-on,  à  l'époque 
romaine,  qui  a  été  maintes  fois  détruit  et  rebâti 
en  IJ45,  probablement  par  Taddeo  Gaddi,  — 
l'attribution  est  controversée.  Mais  ce  qui  fait  le 
charme  et  l'intérêt  de  ce  pont,  ce  sont  les  quarante- 
quatre  boutiques  d'orfèvres  rangées  de  part  et 
d'autre  de  la  voie  qui  le  traverse,  où  les  Ghiberti, 
les  \'errocchio,  les  Brunellescho,  les  Maso  Finiguerra 
ont  fait  leur  apprentissage.  Vieux  pont  dont  les 
épaules,  comme  dit  \'asari,  furent  assez  robustes 
pour  résister  à  la  terrible  crue  de  l'Arno,  qui,  au 
xv!*"  siècle,  renversa  ou  emporta  tous  les  autres 
ponts  de  Florence. 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


C'est  un  pou  j)lus  tard,  à  rc]ioque  du  gothique 
flamboyant,  qu'ont  été  construits  les  deux  ponts  de 
bois  de  Lucerne,  bâtis  sur  piles  de  pierre  et  couverts 
de  toits  de  charpente.  «  L'un  est  jiourvu  d'une  cha- 
pelle et  orné  d'une  suite  de  tableaux  de  la  Danse 
des  Morts,  exécutés  du  xvi'-'  au  xviii'=  siècle  ; 
l'autre  est  défendu  vers  son  centre  par  une  tour 
de  pierre  octogone  à  bossages,  dite  Tour  d'Eau 
(Wasserthurm)  )> . 

A  partir  du  xvi"-'  siècle,  on  vise  plus  à  l'élégance 
qu'à  la  force.  Le  fameux  pont  Santa  Trinita, 
souvent  imité  dans  la  suite,  notamment  à  Pisc, 
déroule  ses  arches  en  cinti"e  surbaissé  suivant  un 
rythme  d'une  noblesse  sans  pareille. 


Nous  avons  reproduit  ici,  en  manière  de  con- 
clusion, une  photographie  saisissante,  qui  a  été 
prise  dans  la  vallée  de  la  Truyère.  On  voit  au  jire- 
mier  plan  le  vieux  pont  de  pierre,  au  second  plan 
le  viaduc  de  Garabit,  construit  par  Eiffel  jiour  le 
chemin  de  fer  de  Béziers  à  Clermont-Ferrand. 
On  mesure  la  différence  qui  séj^are  ce  vieux  pont 
à  doux  arches,  harmonisé  aux  grandes  lignes  du 
décor,  et  le  viaduc,  qui,  malgré  ses  dimensions, 
couvre  le  fond  mouvant  du  ciel  et  des  nuages  d'un 
filigrane  sans  majesté.  Et  l'on  souhaite  que  désor- 
mais la  science  des  ingénieurs  ne  soit  utilisée  que 
pour  réaliser  les  inspirations  d'un  artiste. 

LÉ.-\NDRE    V.\II,L.\T. 


VI.\Dl"C    DE    G.\K.\HIT    (.11  (c-r| 


2S5 


Le    Mouvement    Artistique 
à   l'Étranger 


AUTRICHE 


LES  salles  autrichiennes  de  l'exposition  internationale 
(le  Munich  sont  parmi  les  plus  intéressantes;  elles  ont 
pu,  sans  faire  rire  d'elles,  se  déclarer  hors  concours.  Elles 
valent,  avant  tout,  il  va  sans  dire,  par  Klimt  et  sa  Kunst- 
schati,  par  les  Tchèques  et  les  Polonais.  Il  est  vrai  qu'on 
a  eu  bien  soin  de  déporter  quelques-unes  des  œuvres  les 
plus  importantes  de  ces  derniers  dans  les  combles,  de 
façon  à  éviter  à  la  section  autrichienne  un  aspect  trop 
sauvagement  slave  !  Que  les  visiteurs  du  Glaspalast 
n'oublient  pas  de  monter  ,-i  l'étage,  pour  les  architectes 
russi'S  et  pour  trois  intenses  représentations  de  scènes 
populaires  ruthènes  de  MM.  Sichulski,  Jarocki  et  Fry- 
deryk  Pautsch.  Je  n'ai  du  reste  pas  à  m'occuper  de  la 
Pologne  ici  et  rien  de  nouveau  à  vous  apprendre  sur  le 
prodigieux  Klimt  (très  mal  placé,  lui  aussi),  ni  sur  les 
Tchèques.  Je  demande  donc  la  permission  de  ni'arréter 
à  quelques  .\utrichicns,  encore  Slaves  pour  la  plupart, 
mais  ne  faisant  pas  partie  des  groupements  nationalistes 
ordinaires. 

C'est  tout  d'abord  un  sculpteur  de  mérite,  M.  .\nton 
Ilanak,  dont  un  torse  maigre,  mouvementé  et  étiré, 
en  marbre  rose  fauve  de  Untersberg,  semble  le  tronc  d'un 
saint  Sébastien  mutilé.  C'est  de  l'effort,  de  la  tension 
nerveuse,  de  la  souffrance  ;  le  mouvement,  le  frisson  de 
la  souffrance  surtout,  en  beau  marbre  rude,  veineux  et 
poli.  Je  ne  trouve  pas,  dans  les  du  reste  très  pauvres  halles, 
réservées  à  la  sculpture,  im  second  morceau  de  cette  valeur. 
Ce  n'est  qu'un  morceau,  mais  je  ne  l'échangerais  pas 
même  pour  le  magnifique  cheval  de  la  statue  équestre 
de  saint  ^'aclav.  par  M.  J.  V.  Jlyslbeck,  qui,  après  avoir 
dominé  le  grand  vestibule  central  du  Palais,  va  s'en 
aller  enfin,  après  des  années  et  des  années  de  perpétration, 
piaffer  sur  la  plus  vaste  place  de  Prague. 

M.  Adolf  Zdrazila  est  un  Silésien  qui,  en  une  œuvre 
doucement  unifiée  et  chaude,  a  su  enfermer  toute  la  déli- 
cate émotion  des  soirées  d'été  à  la  lumière  déclinante 
et  sans  fortes  ombres,  sur  un  toit  slave,  quelques  arbres 
fruitiers  et  une  mare,  couverte  de  ses  jaunâtres  écumes 
organiques.  Tout  senrble  de  la  même  couleur,  tant  le  ciel 
imprègne  de  sa  spéciale  lueur,  à  la  fois  plénière  et  sourde, 
les  objets  clairs  et  sans  relief.  Le  paysage  vert  de  foin  fané 
est  ainsi  réduit  en  délicieuse  tapisserie.  Et  il  peut  passer 
pour  un  des  types  de  la  campagne  slave  au  nord  de  \'\\i- 
triche.  M.  Hugo  Baar  nous  dit  l'hiver  dans  les  Beskides, 
autre  région  slave,  et  c'est  pour  cause  de  slavisrae  encore 
que  son  meilleur  tableau.  Sur  le  chemin  du  cimetière,  a  été 
rejoindre  les  scènes  rousniaques  au  triste  dépotoir  d'en 
haut,  dont  quatre-vingt-dix  visiteurs  sur  cent  ne  sav'ent 
pas  l'existence.  La  lente  démarche  dans  la  neige  des  deux 
vieilles  aux  bisquins  de  peau  de  mouton  blancs,  tandis 
que  là-haut  le  cortège  et  le  cercueil  sur  le  traîneau  atteignent 


déjà  le  petit  carré  de  murs  enseveli  sous  les  frimas,  le  champ 
presque  entier  du  tableau  réserv'é  à  la  neige  ;  tout  comme 
dans  son  autre  tableau,  centralisé,  si  le  vide  et  l'espace 
peuvent  se  centraliser,  autour  d'une  de  ces  planches  votives 
qui  rappellent  quelque  accident  et  que  l'Allemand  appelle 
si  joliment  Marterl  (de  martyre) .  font  de  M.  Baar  l'un  des 
meilleurs  de  tous  ces  peintres  de  l'hiver,  dont  j'ai  dit 
l'autre  jour  à  quel  point  ils  abondent. 

L'un  de  ces  tableaux  d'hiver,  encore  parmi  les  plus 
beaux,  celui  qui  réalise  le  mieux  le  tj^e  des  sapins,  enca- 
puchonnés ou  carapaces,  de  la  cime  à  la  base,  de  neige  et 
de  glace,  au  point  d'en  perdre  toute  forme  végétale  et  de 
se  présenter  comme  d'éblouissants  mannequins  recou- 
verts de  cascades  gelées,  aspect  dont  on  a  peu  ou  pas  idée 
en  France,  et  que  nous  retrouvons  fréquemment  repré- 
senté aux  sections  Scandinaves  et  russes,  appartient  à 
un  .\llemand  de  Bohême,  il.  W.  Franz  Jaeger.  Il  en  est 
allé  chercher  le  motif  dans  ces  montagnes  de  l'Iser,  immor- 
talisées par  le  célèbre  roman  tchèque  Babicka.  J'y  pourrais 
trouver  la  page  qui  servirait  le  mieux  à  le  décrire.  Plutôt 
que  de  taquiner  de  cette  façon  un  pangermaniste  avéré,  je 
préfère  reconrraitre  à  un  véritable  artiste  des  qualités 
exquises  de  grâce  stylisée,  de  fraîcheur  distinguée  et  de 
consciencieuse  observation.  Son  œuvre  est  unique  en  son 
genre.  Elle  vaut  même  les  neiges  du  Suédois  Gustave 
Fjaestad  et  ne  leur  ressemble  en  rien. 

L'École  de  natation  de  il.  Ludwig  Ferdinand  Graf  est 
encore  un  sujet  étrange.  Un  bassin,  entouré  de  cabines, 
dans  les  arbres,  au  soleil  du  soir,  semble  n'être  plus  que  de 
l'émeraude  en  transparence  contre  de  la  lumière  ;  les 
reflets  d'un  vert  de  mousse  montent  partout  dans  les 
poitrines  et  le  long  des  membres  des  baigneurs.  C'est  fort 
étrange,  fort  bien  observé  et  cela  réalise  un  accord  chair 
et  vert  chaud,  un  vert  imprévu  et,  je  crois,  jamais  encore 
peint,  tout  à  fait  anormal  dont  on  est  pas  mal  estomaqué 
au  premier  abord,  puis  autiuel  on  revient  bientôt,  indi- 
ciblement  fasciné. 

M.  Albin  Egger-Lienz,  c'est  la  rudesse  tvTolienne  en 
personne,  et  c'est  l'art  de  voir  et  de  mettre  en  scène  d'une 
façon  brutalement  décorative  les  épisodes  violents  de  la 
n  Danse  des  morts  de  l'an  9  » .  Des  paysans  peints  par  un 
pavsan  qui  voit  grand.  Xous  voici  bien  loin  de  Defregger, 
artiste  consommé,  mais  anecdotique.  C'est  ici  l'épopée, 
peinte  comme  elle  aurait  pu  l'être  par  quelqu'un  qui 
l'aurait  vécue.  Si  il.  Egger-Lienz  n'émettait  pas  la  préten- 
tion de  recevoir  des  sommes  fabuleuses,  pour  qu'il  lui  soit 
fait  l'honneur  de  reproduire  ses  tableaux  dans  nos  revues, 
il  V  a  beau  temps  que  l'un  des  plus  magnifiques  peintres 
d'Autriche  serait  célèbre  hors  de  son  pays.  On  ne  se  doute 
pas  dans  le  public  du  stupide  rôle  que  joue  cette  question 
hors   de   France.    Parlez   d'un   grand   peintre   étranger  à 


286 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


Paris.  Que  de  fois  ne  lit-on  pas  l'incréclulité  dans  les  yeux 
de  l'interlocuteur  :  «  Comment  se  fait-il  que  nous  n'ayons 
jamais  rien  vu  de  lui  dans  les  revues?   » 

JM.  Max  V.  Poosch,  de  Klosterneuburg,  éveille,  un  beau 
matin  d'hiver  pas  trop  rude,  le  Wicnerwald,  par  l'arrivée 
des  Rois  mages  sur  des  haridelles  étiques,  avec  leur  suite 
en  costume  moyenâgeux.  S'agit-il  de  parachronisme  ou 
d'un  jeu  traditionnel  !  Peu  importe  !  Comme  cela  sied 
bien  avec  le  décor  i  Oh  !  le  beau  paysage,  l'un  des  plus 
beaux  que  les  charmants  environs  de  Vienne  aient  inspiré. 
Un  site  d'Autriche  qui  trouvera  des  peintres  pour  s'y 
installer,  tant  qu'on  restera  sensible  au  charme  des  rochers 
terribles  et  des  vieilles  ruines  au  bord  d'un  grand  fleuve, 


c'est  Durnstein  sur  le  Danube,  le  point  le  plus  pittoresque 
de  la  descente  fluviale.  MM.  Anton  Nowak  et  Max  Suppan- 
tschitsch  y  sont  revenus  avec  bonheur  cette  année.  Mais 
c'est  du  Waldviertel,  cette  forestière  Sibérie  autrichienne, 
située  entre  la  Bohême  et  le  Danube,  que  nous  vient  le 
plus  beau  paysage,  dû  à  un  artiste  viennois  :  des  jaunes 
touffes  d'herbes  aquatiques  sèches  au  bord  d'un  ruisseau. 
De  tristes  glèbes  montantes,  un  triste  ciel  calme.  I,e  silence, 
la  solitude  et  l'appréhension  de  l'hiver,  une  nature  immobile 
dont  le  premier  mouvement  sera  le  frisson.  C'est  redou- 
table et  navrant  et  cela  empoigne  comme  certains  accents 
de  détresse  chez  Mahler,  né  pas  loin  do  là....  .\uteur  : 
M.  Edouard  Ameseder.  \Villi,\.\i    Kitter. 


BELGIQUE 


^^N  commence  à  s'occuper  1)eaucoup  de  l'exposition 
Albert  et  Isabelle  qui  doit  s'ouvrir  l'an  prochain, 
au  mois  d'avril,  et  fournir  une  dos  attractions  de  l'H.xposi- 
tion  universelle  de  Bruxelles. 

L'idée  de  l'exposition,  l'appellation  <|u'on  lui  donne 
surtout,  ont  provoqué  des  discussions  d'ordre  politique. 
Les  partis  d'opposition  trouvent  superflu  de  glorifier  le 
souvenir  des  archiducs  Albert  et  Isabelle  qui  gouvernèrent 
la  Belgique  au  nom  de  Phili])pe  II.  Mais  on  est  d'accord 
pour  trouver  (pi'au  point  de  vue  artistique  on  peut  réaliser 
quelque  chose  de  fort  beau,  un  ensemble  qu'  fermera 
dignement  le  cycle  commencé  jiar  l'exposition  des  F'rimi- 
tifs  flamands  et  poursuivi  par  celle  de  la    Toison  d'Or. 

L'époque  d'.Mbert  et  d'Isabelle  est  la  plus  brillante 
pour  notre  art  dans  le  passé.  Malheureusement,  la  plupart 
des  grandes  œuvres  qu'elle  a  vu  éclore  sont  à  l'étranger,  en 
Espagne,  en  France,  en  Angleterre,  en  .Mlemagne.  lit  pour 
en  réunir  un  nombre  suffisant,  il  faut  user  de  diplomatie. 
Lors  des  fêtes  jubilaires  de  1905,  les  organisateurs  de 
l'exposition  des  tapisseries  anciennes  ont  essuyé  en 
Espagne  un  refus  poli  :  le  roi  ne  voulut  point  prêter  les 
merveilleuses  tapisseries  flamandes  <le  l'Escurial. 

Cette  fois,  il  paraît  qu'on  a  rencontré  à  Madrid  im  pou 
plus  de  bonne  volonté.  M.  le  baron  Kervyn  de  Lettenhove, 
l'organisateur  des  expositions  de  Bruges,  vient  de  revenir 
de  Madrid  avec  des  promesses  de  large  participation. 
M.  Kervyn  avait,  il  est  vrai,  rédigé  un  rapport  sur  l'expo- 
sition projetée,  destiné  spécialement  aux  personnalités 
espagnoles  dont  il  devait  solliciter  le  concours.  Le  succès 
de  sa  mission  semble  assuier  celui  de  l'exposition  .\lbert 
et  Isabelle.  En  France,  en  Angleterre,  en  Allemagne,  les 
sollicitations  du  comité  organisateur  et  du  gouvernouient 
belge  avaient  reçu  déjà  le  meilleur  accueil.  Et  il  parait 
dès  à  présent  certain  que  l'on  ])Ourra  former  pour  l'an  pro- 
chain une  sélection  d'oeuvres  de  Kubens,  de  \'an  Dyck,  de 
Jordaens,  des  De  Vos. 

On  ne  peut  évidemment  songer  à  offrir  un  ensemble 
plus  ou  moins  complet  de  la  production  formidable  de  la 
peinture  flamande  à  cette  époque.  Le  but  est  seulement 
de  montrer  quelques  spécimens  marquants,  caractéris- 
tiques et  présentant,  autant  que  possible,  un  intérêt  au 
point  de  vue  de  l'histoire.  Car  ce  que  l'on  veut  faire,  c'est 
surtout  une  exposition  d'histoire.  Mais  la  vie  publique, 
en  cette  période,  est  si  intimement  liée  à  celle  de  l'art 
qu'il  y  aura  de  l'art  partout.  C'est  le  temps  où  l'on  chargeait 
Rubens  de  missions  diploniatiipies.  Le  grand  peintre 
flamand  est  un  des  personnages  officiels  du  règne  des  archi- 
ducs. Et  même  il  semble,  en  dépit  de  l'étiquette  adoptée, 


ipie  cette  exposition  doive  être,  en  réalité,  l'exposition 
Rubens,  tant  le  génie  de  l'artiste  domine  et  personnifte 
cette  [ihase  de  l'histoire  des  provinces  belges. 


On  peut  voir,  depuis  quelques  jours,  au  Musée  ancien, 
à  Bruxelles,  le  \'an  Dyck  de  la  collection  du  roi,  acquis 
par  l'État  afin  d'empêcher  que  le  tableau  quitte  le  pays. 

C'est,  on  le  sait,  un  portrait  —  dedimensions  restreintes  — 
du  sculpteur  Duquesnoy.  Le  modèle  est  peint  à  mi-corps, 
vêtu  d'un  large  manteau  noir  ;  les  mains  pétrissent  un 
masque  de  terre  glaise.  Ce  n'est  point  \nic  des  œuvres 
maîtresses  de  \'an  Dyck,  et  le  portrait  d'.Mexandre  Délia 
Faille,  au  même  Musée,  lui  est  certes  très  suiiérieur.  Il  n'v 
a  ]K>int.  dans  le  tableau  de  la  collection  du  roi.  cette 
souveraine  aisance  de  la  facture  et  cette  allure  d'élégance 
affinée  qui  fut  le  charme  du  grand  élève  de  Kubens.  C'est 
pourtant  un  beau  morceau  :  le  visage  est  d'un  modelé 
puissant  ;  les  noirs  chauds  du  vêtement  sont  siqjerbes  ;  les 
mains  sont  nerveuses  et  sou|)les.  .Mais  le  Musée  de  Bruxelles 
n'a  point  encore  le  chef-d'œuvre  de  \'an  Dyck  qu'il  devrait 
avoir,  quelque  chose  de  comparable  aux  portraits  du 
Louvre  ou  à  ceux  des  collections  anglaises. 


Le  cercle  des  Indipcndnnis  a  fait  une  exposition  i 
Bruxelles,  dans  les  salles  du  Musée  moderne.  Cercle  de 
jeunes,  impressionnistes  fougueux  jiour  la  plupart.  On 
avait  invité  le  sculpteur  impressionniste  Rosso  que  l'on 
ne  connaissait  pas  ici.  Et  si  certaines  œuvres,  très  artistes, 
mais  de  forme  un  peu  trop  confuse,  de  M.  Rosso  ont 
dérouté,  ont  paru  méconnaître  un  peu  la  beauté  essentielle 
<le  la  sculpture,  d'autres,  comme  /..  Rieuse,  Mire  et  Eii/aiil, 
ont  été  fort  admirées  pour  leur  intense  et  délicate  expres- 
sion. 

Parmi  les  peintres,  il  faut  citer  M.  Craha\-.  ilont  les 
marines  et  les  figures  sont  d'une  égale  vigueur  et  d'un 
style  ample  ;  JI.  Jefïcrys,  impressionniste  subtil  ;  M.  -Mi- 
chaux, M.  lleintz,  M.  l'rison,  M.  Lantoine,  M.  Willem, 
M.  Oleffc,  M.  Leroux,  M.  Martinez,  .M.  Patterson,  M.  Pae- 
rels,  M.  Otmann,  M.  Petyt,  M.  Thévenet,  M.  Spillaert; 
M.  Thonet,  paysagiste  vigoureux  ;  M.  Lemmon,  M.  Guilbert, 
M.  Fain;  .M.  Alfred  Bastien,  avec  d'éclatantes  étuiles 
peintes  en  .Vlgérie  :  les  dessinateurs  Blandin,  Constant 
et  Edmond  Van  Offel,  M.  Paulus. 

Parmi  les  sculpteurs,  JI.  Marnix  d'Mavelooze  dont  les 


287 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


portraits  l't  11110  Siiln)iii  sont  d'iint-  savoureuse  et  Apre 
vision  ;  M.  Wouters.  M.  \\'ansart,  M.  Schirren.  Mlle  \'ar 
Hall,  et  JI.  A.  Lambert  ilont  les  panneaux  en  cuivrt 
repoussé  sont   artistement   décoratifs. 


Vùlifiera-t-on    le    niouuineii 
Meunier?  L'État  avait  acqui 


T)i'vatl   de   Constantin 
bas-reliefs  et  les  figures 


ijui  le  composent  pour  les  exposer  dans  une  salle  du  Musée. 
Mais,  à  l'exposition  Meunier  ouverte  à  Louvain,  on  a  dressé 
le  monument  en  plein  air.  tel  que  l'artiste  l'avait  conçu, 
la  figure  du  Semeur  le  dominant. 

Lt  l'on  parle  d'édifier  l'œuvre  ainsi,  définitivement, 
soit  à  Bruxelles,  au  faîte  du  futur  Jlont  des  Arts,  soit  à 
Louvain.  où  il  semble  que  les  autorités  communales  soient 
favorables  au   projet. 

G.  Vanzype. 


ETATS=UNIS 


icains     de     l'Oue 
de    mer,    surtout 


cote  ])ar  les  gens  riches 
rester  (Mass.)  choisisse  l'été 
exposition    très    intéressante 


T  'ÉVÉNEMENT  artistique  de  ce  mois  fut  le  grand  .spcc- 
tacle  en  plein  air  à  Harvard  Collège,  Cambridge,  où 
la  Jeanne  d'Arc  de  Schiller  fut  représentée  par  presque 
deux  mille  acteurs,  avec  Mautl  .\dams  dans  le  rôle  de 
Jeanne. 

Jamais  spectacle,  chez  nous,  n'attira  une  si  grande  foule. 
Il  y  avait  plus  de  quinze  mille  spectateurs  I 

Ce  succès  éclatant  est  une  preuve  de  notre  progrès  dans 
le  domaine  du  Beau. 

C'est  grâce  à  votre  poète  Mistral,  créateur  d'une 
véritable  renaissance  de  ces  spectacles  de  plein  air  aux 
arènes  anciennes,  qu'ils  ont  pris  place  parmi  nos  divertis- 
sements les  plus  à  la  mode. 

En  cela,  comme  en  toute  chose  d'art,  nous  avons  subi 
l'influence  de  la  France. 

Pendant  l'été,  beaucoup  d'AnK 
viennent  dans  l'iîst  pour  les  bains 
New  England. 

Cet  envahissement  de  l.i 
e.xplique  que  la  ville  de  Wi 
pour  son  exposition  d'.irt, 
qui  vient  de  s'ouvrir. 

Nos  meilleurs  artistes  y  envoient  leurs  tableaux,  leurs 
sculptures,  surtout  cette  année,  parce  que  tout  le  monde 
espère  y  vendre  un  chef-d'iruvre  1  Un  milliardaire  a  récem- 
ment légué  six  uiillions  de  dollars  (trente  millions  de 
francs  !)  au  Musée  de  Worcester!  Pareille  munificence  est  à 
souhaiter  pour  beaucoup  d'autres  musées  chez  nous  où  le 
gouvernement  ne  s'en  occupe  pas.  Mais  si  tous  ne  peuvent 
pas  espérer  six  millions  de  dollars,  beaucoup  ont  dtqà  reçu 
des  legs  considérables. 

Heureusement,  nos  riches  ,-\niéricains  commencent  à 
s'intéresser  à  l'embellissement  de  leurs  villes  natales. 
Même  les  employés,  les  ouvriers,  les  enfants  des  écoles 
veulent  donner  quelques  sous  pour  augmenter  le  Fuiid. 
fondé  par  les  riches  pour  ériger  des  statues  artistiques 
dans  les  rues  ou  pour  rendre  plus  beaux  leurs  parcs  publics. 

Depuis  dix  ans  nous  avons  fait  un  progrès  immense  au 
point  de  vue  de  l'esthélupie  municipale.  Prenez,  par 
exemple,  la  ville  de  Ilarrisburg,  la  capitale  de  Pennsylvania. 
Si  vous  l'avez  visitée  peuilant  l'année  1900,  elle  vous 
aura  choqué  par  sa  laideur,  par  son  manque  de  propreté, 
dont  la  conséc|uence  est   une  considérable  mortalité. 

-\ujourd'hui  vous  la  trouverez  une  des  plus  belles,  une 
des  plus  propres  parmi  nos  villes  de  l'Ouest. 

Le  20  décembre  1900,  Mlle  Mira  Dock  a  fait  une  confé- 
rence publique  sur  The  City  Beaniijul. 

-■\vec  un  grand  nombre  de  projections,  elle  a  montré  aux 
citoyens  de  Harrisburg  la  différence  entre  leur  ville  laide 
et  sale  et  les  plus  belles  villes  du  monde. 

Harrisburg,  comme  Paris,  est  divisée  par  un  fleuve  ; 
mais,  au  lieu  d'embellir  la  ville,  cette  rivière  était  devenue 


dégoûtante  à  cause  des  déchets,  des  chiffons  jetés  sur  ses 
rives  ;  par  suite,  il  y  avait  beaucoup  de  fièvre  typhoïde 
parmi  toutes  les  classes  de  citoyens. 

La  conférence  de  Mlle  Dock  fit  beaucoup  d'impression  ; 
tous  les  journaux  en  parlèrent  et  les  hommes  d'affaires, 
aussi  bien  que  les  philantliropes,  s'organisèrent  en  une 
Lccigue   for   Mtinieipal   Improvement. 

-Xprès  quelques  séances,  le  maire  de  Harrisburg  et  tous 
les  officiers  de  la  ville  étaient  invités  à  s'unir  aux  membres 
de  la  Lccigue  pour  bien  étudier  et  discuter  The  City  Beau- 
tiful. 

Trente  mille  francs  furent  offerts  par  quelques  citoyens 
patriotes  pour  les  frais  de  la  ligue.  Trois  ingénieurs  très 
célèbres  furent  invités  à  venir  à  Harrisburg  pour  faire  un 
plan  intelligent  et  pratique  en  vue  de  l'embellissement 
de  la  ville. 

Quand  tout  cela  fut  bien  préparé,  la  ligue  déclara  qu'il 
fallait  cinq  millions  de  francs  pour  transformer  Harris- 
burg en  une  belle  ville.  Les  habitants  furent  consternés! 
I^our  une  ville  de  moins  de  cent  mille  âmes,  emprunter 
cinq  millions  de  francs  était  chose  très  grave  :  il  fallait 
recueillir  le  vote  de  tout  le  monde. 

-Mors,  commença  une  campagne  politique  unique  dans 
l'histoire  de  nos  villes. 

A  cause  de  l'augmentation  des  impôts,  le  plan  adopté 
par  la  ligue  rencontra  beaucoup  d'opposition. 

Les  membres  de  cette  société  donnèrent  partout  des 
conférences  avec  projections  ;  leurs  brochures  furent  dis- 
tribuées par  les  jeunes  gens  des  écoles  publiques  ;  tous  les 
ministres  des  Églises  furent  sollicités  de  faire  leurs  prônes 
sur  le  sujet  de  Good  Government.  L'évêque  catholique 
publia  une  lettre  pastorale  en  priant  ses  paroissiens  de 
\-oter  pour  les  hommes  voués  aux  réformes,  au  progrès. 

Les  grandes  dames  appartenant  à  la  ligue  visitèrent 
chaque  école  d'Harrisburg  pour  parler  aux  enfants,  pour 
leur  bien  expliquer  le  plan.  Grâce  à  leur  éloquence,  elles 
éveillèrent  un  vif  enthousiasme  parmi  les  élèves,  eux  qui 
ont  tant  d'influence  sur  leurs  parents,  surtout  parmi  les 
classes  pauvres. 

La  Compagnie  électrique  prêta  à  la  ligue  un  tram  élec- 
trique pour  parcourir  la  ville  jour  et  nuit,  tout  couvert 
d'annonces  et  de  photographies,  les  plus  laides  possible, 
du  Harrisburg  actuel,  et,  en  contraste,  de  la  belle  ville  du 
"  pla)!  >•. 

Le  samedi  avant  les  élections,  la  ligue  publia  un  journal 
intitulé  The  Harrisburg  Plan,  résumé  de  toutes  les  dis- 
cussions en  faveur  du  progrès. 

Ce  soir-là,  il  y  en  eut  un  exemplaire  distribué  en 
chaque  maison  de  Harrisburg  par  les  High  School  boys  ! 

Enfin,  un  grand  meeting  se  tint  à  l'hôtel  de  ville,  où  le 
gouverneur  de  Pennsylvania,  un  sénateur,  deux  ministres 
et   le   représentant   de   la   ligue   supplièrent   les   citoyens 


288 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


d'ouvrir  leurs  yeux  au  danger  de  l'eau  impure  qui  sème 
les  maladies,  à  la  laideur  des  écoles  publiques  sans  jardins, 
à  la  tristesse  des  rues  sans  arbres,  des  quartiers  pauvres 
sans  parcs,  à  la  hideur  des  annonces  partout  répandues. 

Quand  le  résultat  des  élections  fut  proclamé,  tout  le 
monde,  même  les  membres  de  la  ligue,  fut  étonné  du 
triomphe  ! 

Sans  exception,  les  personnalités  cjui  avaient  donné  leur 
adhésion  au  plan  étaient  nommées,  qu'elles  fussent  Democrat 
ou  Republican.  Qu'importaient  au  ])ub!ic  leurs  sentiments 
politiques!  Tout  ce  qu'il  demandait,  c'était  leur  assenti- 
ment aux  réformes  ! 

En  deux  ans   cette    ville  hideuse  et  sale  est  devenue 


belle  et  propre:  les  maladies, la  mortalité,  même  les  crimes, 
ont   beaucoup  diminué. 

«  C'est  de  la  magie  1  »  s'écria  tout  le  monde.  Mais  non, 
c'était  seulement  la  bonne  volonté  d'un  peuple  uni  dans  un 
but  supérieur  :  la  conquête  du  Beau  et  la  réforme  munici- 
pale. 

Depuis  ce  temps -là,  presque  toutes  nos  villes,  encoura- 
gées par  ce  bon  exemple,  ont  organisé  une  Municipal 
Leagtie,  et  partout  ces  ligues,  composées  de  nos  meilleurs 
citoyens,  jouent  leur  rôle  de  fées,  et  nos  villes  deviennent 
trannée  en  année  plus  belles,  plus  dignes  de  notre  grande 
république. 

A.  Seaton-Schmidt. 


ITALIE 


';V 


CHATE.\t:    DI-:    CASTEr-DEI-MONir.    lAlTIIE),    I-IEVIC    l'.\R    FREDERIC    II    Hii 


1"  A  richesse  souterraine  de  l'Italie,  violée  fiévreusement 
par  les  hommes  nouveaux,  offre  généreusement  ses 
merveilles  aux  investigateurs.  Les  fouilles  se  multiplient 
partout,  et  les  résultats  en  sont  étonnants.  Les  insistances 
des  amateurs  d'art  auprès  du  gouvernement  arrivent  peu  à 
peu  à  le  fléchir,  quoique  l'aide  officielle,  qui  devrait 
être    très   réelle,    n'est    souvent   qu'illusoire    et    toujours 


insuffisante,  .\insi  que  pour  les  fouilles,  les  quelques  con- 
naisseurs acharnés  à  rectifier  ou  à  préciser  ou  même  à 
renouveler  l'histoire  de  l'.Vrt  par  la  découverte  des  docu- 
ments richissimes  que  les  siècles  ont  cachés,  souffrent  de 
l'indifférence  officielle  pour  toutes  les  restaurations  que 
réclament  les  innombrables  monuments  historiques  ré- 
pandus dans  la  péninsule.  La  région  apulienne,  qui  garde 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


particulièrement  les  plus  parfaits  documents  des  origines 
de  l'architecture  italienne  au  moyen  âge.  et  les  docu- 
■  ments  les  plus  précieux  de  la  domination  et  de  l'art  nor- 
mands dans  l'Italie  méridionale,  commence  à  peine  à 
acquérir  la  connaissance  des  trésors  qu'elle  renferme,  et  ces 
trésors,  à  peu  près  inconnus  ou  méconnus  jusqu'ici,'  sont 
sans  doute  parmi  les  plus  imposants  de  l'Italie. 

Le  gouvernement  italien  n'a  pas  pu  cependant  rester 
trop  longtemps  indifférent  aux  recherches,  méthoditiue- 
ment  répétées,  des  Allemands.  Vn  bureau  de  «  Surin- 
tendance pour  les  monuments  de  l'Apulie  et  du  Molise  » 
vient  d'être  organisé  à  Bari.  Les  travaux  confiés  à.  ce 
bureau  sont  de  la  plus  haute  importance,  pour  la  joie  des 
savants  historiens  comme  pour  la  joie  pure  et  simple  des 
amateurs  d'art. 

Le  château  de  Bari  va  être  liientôt  entièrement  restauré. 
Ce  château,  comme  presque  tous  les  châteaux  apuliens, 
se  compose  d'une  masse  de  quatre  tours  réunies  par 
quatre  courtines.  Sa  construction  est  de  la  plus  pure 
architecture  guerrière  sarrasine,  enrichie  très  sobrement 
et  très  sagement  de  réminiscences  classiques,  dues,  celles-ci, 
à  l'apport  de  la  main-d'œuvre  indigène,  d'un  peuple 
d'origines  helléniques.  Une  des  tours  du  château  date 
des  temps  les  plus  reculés  d'Apulie,  étant  une  tour  mes- 
sapienne.  Et  l'immense  bâtiment  sarrasin  s'élève  encore 
admirablement  campé  en  face  de  l'Adriatique,  ramassé 
et  puissant.  Sur  quelques  chapiteaux,  on  lit  les  noms  de 
quelques-uns  des  constructeurs,  arabes  et  apuliens.  Un 
chapiteau  déclare  :  Ismatl  me  fecif  ;  un  autre  porte  le  nom 
apulien  de  Melis  de  Stigliano,  un  autre  de  Minerbus  de 
Canusio. 

La  cathédrale  de  Bari,  dont  j'ai  parlé  dans  ces  chro- 
niques il  y  a  quelques  années,  chef-d'œuvre  d'architecture 
médiévale  entièrement  «  habillée  «  par  le  plâtre  baroque 
du  xvii"  siècle  profanateur,  sera  bientôt  ■  déshabillée  ».  Son 


architecture  primitive  sera  dépouillée  des  ornementations 
de  plâtre  sui>erposées,  et  révélera  entièrement  son  ancienne 
et  aimable  structure.  Le  bureau  de  Bari  va  s'intéresser 
aussi  avec  une  activité  renouvelée  à  cette  pure  merveille 
architecturale  qu'est  le  Castel-del-Monte,  l'original  et 
incomparable  château  de  chasse,  que  Frédéric  II  de  Souabe, 
le  roi  poète,  éleva  à  la  gloire  de  son  plaisir.  La  porte  du 
château  montre  le  passage  de  la  forme  arabo-romane 
apulienne  au  classicisme.  Elle  est  due  à  Jean  de  Gio- 
vinazzo  ;  on  la  retrouve  au  château  de  Prato,  en  Toscane, 
œuvre  également  de  l'époque  des  Souabe,  pour  laquelle 
travaillèrent  probablement  les  mêmes  artistes  arabo- 
apuliens  de  Castel-del-Monte,  c'est-à-dire  Pisano,  Jean 
de  Giovinazzo,  Barthélémy  de  Foggia,  etc. 

JI.  Pantaleo,  qui  fait  partie  du  bureau  de  Bari,  a  de  son 
coté  presque  achevé  la  restauration  du  château  de 
Gioja,  que  son  propriétaire,  le  marquis  de  Luca-Resta, 
fait  restaurer  à  ses  frais.  Ce  château,  fondé  par  Robert 
Sinisçpleo,  passé  ensuite  aux  mains  des  Bénédictins  de 
Bari,  résume  dans  l'histoire  de  sa  construction  et  dans 
celle  de  sa  gloire  militaire  l'histoire  de  presque  tous  les 
châteaux  apuliens.  L'admirable  salle  du  trône,  entière- 
ment restaurée,  l'escaher,  les  fenêtres,  sont  une  grande 
promesse  de  toute  l'antique  beauté,  oubliée  et  profanée  à 
travers  les  siècles,  à  laquelle  les  modernes  restaurateurs 
doivent  faire  une  gloire  nouvelle.  La  restauration  du 
tombeau  de  Bohémond,  à  Canosa,  et  de  l'abbaj'e  de  la 
Trinité,  à  Venosa,  le  Panthéon  des  rois  normands,  sera 
spécialement   étudiée. 

Car  cet  art,  aux  aspects  très  particuliers  à  la  fois  de 
transition  et  d'affirmation,  jailli  de  la  fusion  de  génies 
et  de  volontés  divers,  grecs,  italiques,  normands,  allemands, 
se  révèle  de  plus  en  plus,  depuis  quelques  années,  comme 
la  grande  expression  de  conjonction  entre  l'art  millénaire 
de  l'Orient  et  l'art  nouveau-né  de  l'Occident. 

RiccioTio  Canudo. 


ORIENT 

La  Peinture  Grecque   Moderne. 


A  THÈNEÇ.  —  C'est  d'Athènes,  où  je  me  trouve  depui^ 
^^  plus  d'un  mois,  que  je  vous  adresse  ces  notes  recueillies 
hâtivement   sur   la   peinture   grecque   moderne. 

L'effort  d'art  réalisé  en  Grèce,  en  ces  dernières  années, 
est  digne  d'admiration,  d'une  admiration  d'autant  plus 
grande  que  le  gouvernement  hellénique  —  jusqu'à  ce 
jour  du  moins  —  s'est  montré  désintéressé  de  cet  essor 
vers  le  Beau  et  n'a  pas  encore,  par  quelques  acquisitions, 
encouragé  le  mérite  des  peintres  qui  suivent  le  chemin 
glorieux  tracé,  il  n'y  a  pas  longtemps,  par  Ghisi  et  par 
Litra. 

II  n'est  pas  d'artiste  qui  ne  connaisse  l'œuvre  de  ces 
deu.x  peintres  dont  la  réputation  est  universelle.  .\  la  mort 
de  Ghisi,  le  Studio  nous  offrait  en  quelques  pages  concises 
une  étude  très  substantielle  sur  le  talent  et  les  principales 
toiles  de  l'artiste  qui  sut  importer  en  Allemagne  une 
palette  ensoleillée  par  le  beau  ciel  de  l'Attique.  ;\Ioi-raéme 
j'ai  eu  l'occasion  d'admirer  à  la  Pinacothèque  nationale 
d'Athènes  plusieurs  toiles  de  ce  maitre  sur  l'œuvre  duquel 
je  reviendrai  prochainement.  Il  y  a  là,  entre  autres  tableaux, 
deux  études  de  têtes  d'un  sentiment  exquis  et  deux  com- 
positions de  facture  et  de  coloris  impeccables  :  l'Amour 
et  Psyché  et   le    l'aiu  ;   une  joliesse   charmante  se  dégage 


de  la  première,  un  puissant  souffle  dramatique  anime  la 
seconde. 

Dans  la  même  salle  de  la  Pinacothèque,  les  yeux  sont 
attirés  par  la  dernière  œuvre  de  Litra.  La  mort  surprit 
l'artiste  avant  qu'il  ait  complètement  achevé  la  toile. 
Aptî'S  le  dtcis  est  un  des  meilleurs  tableaux  du  maître  qui 
a  immortalisé  son  nom  en  peignant  l'héroïsme  de  Canaris 
devant  Chio,  qu'on  admire  dans  la  galerie  de  !M.  Serpieri. 

Suivant  les  traces  de  ces  deux  maîtres,  M.  Théodore 
Ralli,  qui  habite  Paris  et  qui  fait,  annuellement,  d'impor- 
tants envois  à  notre  Salon  de  peinture,  et  M.  Jacovidés, 
éphore  de  la  Pinacothèque  nationale  et  professeur  à  l'École 
des  Beaux-.\rts,  qui  habite  Athènes,  continuent  résolu- 
ment l'œuvre  de  la  renaissance  artistique  grecque.  Qui  n'a 
admiré  aux  Champs-Elysées  ces  belles  toiles  intitulées 
le  Butin.  In  soir  nu  monastère,  les  Mauvaises  Nouvelles, 
Devant  les  Icônes,  la  Marehande  de  roses  au  Parthénon, 
qui  font  le  plus  grand  honneur  à  yi.  Th.  Ralli  ?  Qui  n'a  xti, 
à  la  Pinacothèque  nationale  et  dans  l'atelier  de  M.  Jaco- 
vidés, les  tableaux  qui  ont  noms  le  Concert  improvisé,  le 
Bain  froid.  Paul  Mêlas.  Coucou  et  /,■  Méchant  Petit-Fils,  et 
n'v  a  reconnu  une  palette  riche  autant  que   puissante  ? 

Si  M.  Th.   Ralli  excelle  dans  les  sujets  de  composition. 


290 


L'ART    ET     LES     ARTISTES 


presque  to\is  relatifs  à  la  Grèce,  et  M.  Jacovidès  clans  les 
groupes  où  l'enfance,  aux  prises  avec  la  vieillesse,  joue, 
de  façon  charmante,  toujours  le  premier  rôle,  MM.  Bocche- 
ciampi  et  Giallina,  tous  les  deux  Corliotes,  habitant  Corfou, 
excellent,  à  leur  tour,  le  premier  dans  les  types  grecs,  le 
second  dans  les  paysages  prestigieux  de  l'île  enchanteresse. 

Beauté  grecque,  Jeune  plie  de  Corfoii.  l'Épousée  de  Mc- 
gara,  trois  aquarelles  admirables  que  j'ai  vues  chez  M.  .^s- 
pioti,  à  Athènes,  où  elles  étaient  exposées,  dénotent  chez 
leur  auteur,  M.  Boccheciampi,  une  entente  savante  de  la 
psychologie  féminine.  Finesse  et  charme  s'allient  à  un 
dessin  très  pur  et  à  un  lumineux  coloris. 

Le  chaud  soleil  de  la  Grèce  se  joue  dans  les  paysages 
de  M.  Giallina.  1  elles  de  ses  toiles  sont  des  poèmes  de 
rayons.  J'aurai  toujours  devant  les  yeux  son  merveilleux 
Retour  du  troupeau  envoyé  au  Zappion  d'.Mhènes  pour 
l'exposition   de   peinture   ouverte   dernièrement. 

Aux  côtés  de  ces  maîtres,  d'autres  jeunes  maîtresse  sont 


affirmés  :  .M.  .Mathiopoulo,  puissant  coloriste  et  por- 
traitiste de  haute  valeur  :  son  Portrait  du  roi  Georges. 
que  j'espère  prochainement  faire  connaître  aux  Parisiens, 
est  une  auvre  d'art,  de  grand  art;  M.  Roïlos,  un  peintre 
de  sujets  militaires  dont  les  toiles  Bataille  de  Pliarsala  et 
le  Combat  de  Déléria  sont  parmi  les  meilleures  du  genre; 
M.  Alectoridès,  un  ancien  élève  des  Beaux-.\rts  de  Cons- 
tantinople  et  de  mon  ami  F.  Zonaro,  qui  s'est  mis  en  tête 
de  moderniser  la  fresque  byzantine  :  sa  série  d'icônes,  sur 
fond  or,  témoigne  d'un  talent  épris  du  passé  et  d'un  cher- 
cheur osé  et  original. 

Il  est  encore  quelques  autres  peintres  grecs  dont  j'aurais 
pris  plaisir  à  vous  entretenir,  comme  M.  Chabas  qui  habite 
Paris,  Androuzzo  d'.Athènes,  etc.  ;  malheureusement,  la 
place  restreinte  dont  je  dispose  m'oblige  à  clore  cette 
petite  chronique  qui  n'est,  pour  ainsi  dire,  que  le  résumé 
de  la  longue  étude  que  je  prépare  sur  les  Peintres  grecs 
modernes.  .•Vdolfhe    ThaLasso. 


Échos  des   Arts 


Fouilles  et  Découvertes. 

Le  plateau  du  Mont-Auxois  (Côte-d'Or),  où  s'élevait 
l'ancienne  Alesia  de  César  et  de  Vercingétorix,  est  depuis 
quatre  ans  un  chantier  important  de  fouilles.  La  Société 
des  sciences  historiques  et  naturelles  de  Semur  y  a  obtenu 
des  résultats  importants  et  des  restes  variés  de  l'ancienne 
ville  gallo-romaine  ont  été  mis  au  jour,  non  sans  livrer 
des  objets  d'art  et  dés  instruments  de  travail  d'une  grande 
valeur  artistique  et  documentaire.  Il  n'y  a  rien  là,  cepen- 
dant, qui  constitue  une  révélation,  et  d'autres  champs  de 
fouilles  ont  livré  des  monuments  ensevelis  et  des  objets 
d'art  analogues,  égaux  à  ce  que  l'on  rencontre  ici.  Plus 
rares  sont  les  produits  des  fouilles  personnelles  pratiquées 
au  lieu  dit  la  Croix-Saint-Charles,  par  M.  le  commandant 
Espérandieu,  correspondant  de  l'Institut,  et  M.  le  docteur 
Spery,  ancien  maire  d'Alise-Sainte-Reine.  Ces  fouilles,  con- 
duites avec  la  plus  rigoureuse  méthode  scientifique,  ont  fait 
découvrir  un  temple  octogone,  un  autre  temple  rectangu- 
laire, plus  petit,  relié  au  premier  par  une  aire  dallée  ;  enfin, 
un  édicule  aussi  rectangulaire  qui  semble  avoir  été  une 
dépendance  des  premiers  édifices.  Une  belle  tête  d'ajiplique 
en  pierre,  un  petit  buste  en  bronze  de  basse  époque,  une 
tête  d'Hygie,  de  nombreux  ex-voto  en  pierre  et  bronze 
estampé,  quelquefois  doré,  tout  démontre  que  les  explo- 
rateurs sont  arrivés  au  sanctuaire  principal  d 'Alesia  ;  ces 
découvertes,  qui  rappellent  celles  qui  ont  été  faites  il  y  a 
soixante  ans  au  temple  élevé  aux  sources  de  la  Seine  (Côte- 
d'Or)  et  aujourd'hui  conservées  au  Musée  archéologique 
de  Dijon,  sont  d'un  intérêt  de  premier  ordre  et  ont  fait 
l'objet  d'une  communication  à  l'Institut. 


Aménagements  et  Restaurations. 

Le  lo  juillet,  a  été  inaugurée,  par  M.  le  sous-secrétaire 
d'État  aux  Beaux-Arts,  la  réunion  des  meubles  et  des 
objets  d'art  qui  commencent  à  garnir  le  château  d'Azay- 
le-Rideau,  acquis  par  l'État,  il  y  a  quelques  années,  grâce 
au  legs  de  l'ingénieur  Dru.  Quelques  généreux  amateurs, 
comprenant  le  réel  intérêt  qu'il  y  aurait  à  donner  à  cette 
admirable  résidence  du  xvi<'  siècle  une  physionomie  plus 
vivante,  ont  offert  des  meubles  et  des  tapisseries,  des  pein- 
tures et  des  sculptures,  non  pas  pour  faire  d'Azay-le-Rideau 


un  nouveau  musée,  mais  pour  donner  aux  visiteurs  l'im- 
pression d'une  demeure  habitée. 

Parmi  les  objets  les  plus  intéressants,  citons  une  crédence 
aux  armes  de  France  et  Bretagne,  don  de  Mme  Louis  Stem  ; 
une  tapisserie  datant  des  débuts  du  .wi'^  siècle,  offerte  par 
M.  le  baron  Edmond  de  Rothschild  ;  un  beau  buste  de 
femme  en  pierre  —  autrefois  sur  la  façade  d'une  maison 
d'Orléans  —  donné  par  M.  le  baron  ICdouard  de  Rothschild  ; 
une  table  et  un  coffre,  don  de  M.  Fernand  Halphen  ;  un 
banc  à  deux  places,  don  de  M.  Doistau  ;  une  porte  en  bois 
sculpté,  de  l'époque  de  la  Renaissance,  don  de  M.  le  baron 
Henri  de  Rothschild  ;  un  dressoir  français  en  marqueterie 
à  dessin  de  fleurs,  don  de  M.  Larcade  ;  un  grand  cabi- 
net, travail  portugais  du  xvi'  siècle,  don  de  -M.  le  comte 
ïrotti,  etc. 

Le  Musée  du  Louvre  a  envoyé  quelques  meubles,  et  le 
Jlusée  de  Cluny  un  fort  beau  tapis  persan  du  .\vi<=  siècle  et 
deux  lits,  avec  la  tenture  complète  des  doux  chambres  en 
damas,  provenant  du  château  du  maréchal  d'EITiat.  Enfin, 
le  Garde-meuble  national  a  fait  tendre,  dans  une  des  grandes 
salles  du  château,  cinq  pièces  de  la  très  belle  série  de  l'His- 
toire de  Constantin,  exécutées  à  la  manufacture  des  Gobe- 
lins  d'après  les  cartons  de  Rubens. 


Les  travau.x  de  reconstruction  des  bureaux  de  la  préfec- 
ture de  Dijon  vont  faire  disparaître  l'étage  souterrain,  le 
seul  conservé,  d'un  cellier  cistercien  dépendant  de  l'ancien 
hôtel  des  abbés  de  Clairvaux.  C'était  une  belle  crypte  rec- 
tangulaire et  à  deux  nefs,  construite  dans  le  style  grave  et 
sans  ornements,  qui  est  la  marque  caractéristique  de  l'art 
de  Citeaux.  Mais  si  Dijon  perd  ainsi  un  monument,  dont 
la  disparition  ne  sera  peut-être  pas  compensée  par  le  futur 
édifice  bureaucratique,  il  va  gagner  la  mise  eu  état  et  la 
restauration  d'une  construction  des  plus  intéressante 
comprise  dans  les  bâtiments  très  modernisés  de  l'ancien 
séminaire  désaffecté.  Il  s'agit  d'une  vaste  salle  voûtée, 
de  52  mètres  de  longueur  sur  15  mètres  de  large,  divisée  en 
trois  nefs,  début  du  xiv<=  siècle,  dépendant  de  l'ancienne 
abbaye  de  Saint-Bénigne,  dont  l'église  sert,  depuis  plus 
d'un  siècle,  de  cathédrale  au  diocèse.  Ce  beau  vaisseau,  qui 
menaçait  ruine,  est  en  pleine  restauration,  et,  comme  les 
travaux    dureront   plusieurs   années,    il    serait    téméraire 


291 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


d'assigner,    dès   à   présent,    une   destination   quelconque  à 
l'édifice  renouvelé  et  sauvé. 

La  \'ille  de  Paris  ayant  repris  la  libre  disposition  de 
l'ancien  couvent  des  Bernardins,  situé  rue  de  Poissy,  entre 
le  boulevard  Saint-Germain  et  la  rue  des  Écoles,  va  faire 
de  ce  couvent,  très  intéressant  par  son  architecture  en 
ogives  du  ni0)-en  âge,  qui  était  une  caserne  de  pompiers, 
un  nouveau  musée,  succursale  du  Musée  Carnavalet,  qui 
sera  spécialement  consacré  à  la  section  lapidaire.  Là  seront 
transportées  les  vieilles  pierres  qui  encombrent  les  galeries 
et  le  jardin  du  Musée  Carnavalet.  On  y  installera,  dit -on, 
tout  d'abord,  le  fronton  xvii'^  siècle  du  «  grenier  à  sel  »  que 
l'on  démolit  en  ce  moment  rue  Saint-Germain  l'Auxerrois. 
On  sait  à  ce  propos  que  la  commission  du  Vieux-Paris 
sous  la  conduite  de  M.  Lambeau,  en  visitant  les  travaux 
exécutés  autour  de  Saint-Germain-l'Auxerrois,  a  acheté 
le  fronton  de  l'ancien  grenier  à  sel.  Ce  fronton,  qui  remonte 
au  xvil'  siècle,  est  triangulaire.  Il  porte  deux  cornes  d'abon- 
dance à  droite  et  à  gauche,  et  au  centre,  entre  les  pilastres, 
un  grand  soleil  dardant  ses  ravons. 


M.  Vicaires,  un  des  érudits  sous-bibliothécaires  du  palais 
Mazarin,  vient  d'être  nommé  par  l'Institut  conservateur 
des  collections  de  manuscrits  d'écrivains  modernes  et 
autres  documents  légués  par  M.  Spoelberch  de  Lovenjoul. 
Ces  collections  vont  être  prochainement  installées  à  Chan- 
tilly, dans  le  couvent  entièrement  transformé  des  sœurs 
de  Saint-Joseph  de  Cluny.  La  salle  centrale  de  lecture 
réservée  aux  travailleurs  est  déjà  presque  achevée;  elle 
occupe  une  galerie  d'une  vingtaine  de  mètres,  éclairée  par 
le  haut.  La  bibliothèque  sera  ainsi  une  annexe  du  Musée 
de  Condé. 

JX 

Par  arrêté  du  ministre  de  l'Instruction  publique  et  des 
Beaux-Arts,  en  date  du  S  juillet,  a  été  instituée  auprès  de 
l'administration  des  Beaux-Arts  une  commission,  composée 
de  sénateurs,  de  députés,  de  conseillers  municipaux,  de 
plusieurs  personnalités  de  l'administration  départementale 
et  communale,  d'avocats,  d'architectes  et  de  peintres,  qui 
aura  «  pour  mission  de  centraliser  l'action  des  divers  ser- 
vices chargés  de  veiller  au  maintien  des  perspectives  monu- 
mentales de  la  \i]\e  de  Paris   «. 


Fêtes  et  inaugurations. 

L'ouverture  du  Salon  d'Automne  de  ly^y  aura  lieu  au 
Grand  Palais  des  Champs-Elysées,  le  i"  octobre  prochain. 
La  journée  du  30  septembre  sera  consacrée  au  vernissage 
et  la  fermeture  du  Salon  est  fixée  au  8  novembre.  On  trouve 
le  règlement  et  les  notices  d'inscription,  pour  les  différentes 
sections  de  cette  exposition,  au  Grand  Palais  des  Champs- 
Elysées,  porte  G. 

JS 

On  a  inauguré,  au  Palais  de  Justice,  le  Music  du  Barycnn, 
installé  au-dessus  de  la  Bibliothèque  des  avocats.  Les  col- 
lections de  ce  musée  se  composent  surtout  de  gravures, 
d'aquarelles,  de  dessins  relatifs  au  Palais  de  Justice  et  à 
la  vie  judiciaire.  On  y  voit  entre  autres  choses  les  états 
successifs  du  monument  à  travers  les  âges  ;  la  Cour  du  Mai 
au  xviie  siècle,  telle  qu'elle  était  encore  avec  ses  pavillons 
construits  du  temps  de  Louis  XI  et  qui  encadraient  l'an- 
cienne Sainte-Chapelle.  Puis  on  assiste  aux  incendies  du 
Palais  qui  eurent  lieu  sous  Louis  XVI  et  plus  tard  sous  la 
Commune,  et  aux  reconstitutions  qui  s'ensuivirent.  De 
nombreuses   gravures   rappellent   les   événements   qui   se 


passaient  d'ordinaire  en  ce  lieu  :  audiences  solennelles,  lits 
de  justice  ;  puis  ce  sont  des  portraits  de  magistrats  et  d'avo- 
cats célèbres,  des  livres  à  gravures,  manuscrits,  etc.,  et  des 
vues  des  quelques  monuments  qui  avoisinent  le  Palais.  Ce 
musée,  que  des  dons  prochains  enrichiront  encore,  est  dû 
à  l'initiative  et  aux  soins  de  MM.  Ernest  Cartier,  Brizard, 
Deroy,  Georges  Durant,  Rodrigues  qui  en  ont  été  les  orga- 
nisateurs. 

JS 
Nécrologie. 

Il  n'est  guère  d'artistes  qui  aient,  moins  que  Chaplain, 
sacrifié  à  la  renommée  et  recherché  le  succès  facile  ;  et 
pourtant  on  peut  dire  que  l'éminent  artiste,  qui  vient  de 
mourir  à  soixante-dix  ans,  après  une  vie  laborieuse  et  dis- 
crète, était  populaire  en  quelque  façon  :  pour  tout  le  monde, 
en  effet,  les  noms  de  Chaplain  et  de  Roty  ont  une  signifi- 
cation précise,  qui  est  la  renaissance  de  la  médaille,  et 
pour  avoir  été  mêlés,  de  par  leur  talent,  à  la  commémora- 
tion de  tous  les  grands  événements  historiques  de  notre 
pays  depuis  quelques  années,  ces  deux  artistes  ont  conquis 
une  renommée  que  ne  connurent  jamais  les  Oudiné  ni  les 
Gatteaux. 

Xé  à  Mortagne  (Orne)  en  1839,  J.-C.  Chaplain  fut  élève 
de  Jouffroy  et  d'Oudiné  ;  il  obtint  son  prix  de  Rome  en 
1863.  sa  première  récompense  au  Salon  de  1870  et  sa  place 
à  l'Académie  des  Beaux-Arts  en  1 881  ;  il  était  commandeur 
de  la  Légion  d'honneur. 

Ainsi  se  résume  l'essentiel  de  sa  vie,  dont  toutes  les  autres 
dates  sont  représentées  par  autant  d'œuvres  marquantes, 
riches  de  pittoresque  dans  l'arrangement  autant  que  vigou- 
reuses et  serrées  dans  l'expression  des  physionomies  ;  car 
ce  qui  fait  le  charme  des  médailles  de  Chaplain,  c'est  non 
seulement  la  solide  qualité  des  portraits,  mais  aussi  la  sim- 
plicité harmonieuse  des  «  revers  »  allégoriques,  double 
réussite  à  laquelle  concourt  un  renouvellement  de  la  tech- 
nique (choix  de  la  lettre,  suppression  du  listel,  etc.).  dans 
le  détail  duquel  il  est  impossible  d'entrer  ici. 

C'est  un  curieux,  un  sincère,  un  bel  artiste  qui  disparaît. 

M 
Revue  des   Revues. 

Starve  Godv  (années  révolues).  —  Revue  mensuelle 
d'att  ancien,  paraissant  le  I5;::S  de  chaque  mois.  —  1909. 
troisième  année. 

Le  texte  de  Staryé  Gody  étant  rédigé  en  russe,  tous  les 
titres  sont  munis  de  traductions  en  français. 

Prix  d'abonnement  pour  l'étranger  :  30  francs  par  an. 
On  s'abonne  chez  tous  les  libraires  de  Saint-Pétersbourg 
et  au  bureau  de  la  rédaction  (7,  Solianoï  per)  ;  à  Paris,  chez 
Henri  Leclerc,  libraire,  219,  rue  Saint-Honoré. 

P.  P.  de  Weiner,  directeur  fondateur. 

M 

La  Scandinavie.  —  Revue  mensuelle  illustrée  des 
ro\aumes  de  Suède,  Xorvège,  Danemark  et  grand-duché 
de  l'inlande.  —  Artistique,  littérahe,  scientifique.  — 
Rédaction  et  administration  :  67.  boulevard  Malesherbes, 
et  4.  avenue  de  l'Opéra. 

Directeur  :  Maurice  Chalhoub. 

Abonnements  :  6  francs  pour  la  France  et  S  francs  pour 
l'étranger. 

JS 

Association  de  l'Alliance  artistique,  enregistrée  en  vertu 
de  la  loi  sur  les  Sociétés  industrielles  et  de  prévoj'ance. 
Siège  social  :  67-69,  Chancery  Lane,  London,  W.  C. 

Fondée  en  190S  dans  le  but  de  permettre  aux  artistes  de 
soumettre  librement  et  sans  restriction  leurs  œuvres  au 
jugement  du  public. 


292 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


A  l'exposition  annuelle  de  l'Association,  chaque  membre 
est  autorisé  à  envoyer  trois  œuvres,  dont  toutes  seront 
exposées,  en  groupe  ou  dispersées,  suivant  le  désir  de 
l'exposant. 

On  devient  membre  de  l'Association  en  devenant  acqué- 
reur d'une  (ou  plusieurs)  actions  d'une  valeur  nominale  de 
lo  shillings  (soit  24  fr.  7;),  et  en  payant  une  cotisation 
annuelle  d'une  guinée  (soit  26  fr.  50).  En  dehors  de  cette 
cotisation,  les  membres  ne  peuvent  encourir  aucune  res- 
ponsabilUé  pécuniaire. 

L'administration  de  l'Association  est  confiée  au  comité 
de  direction  élu  par  les  actionnaires. 

Toutes  les  demandes  de  renseignements,  adhésions  et 
versements  doivent  être  adressés  au  secrétaire  (Frank 
Rutter),  .\llied  Artists'  Association  Ltd.,  67-69.  Chancery 
Lane,  London,  \V.  C. 

JS 
Divers. 

La  classe  des  Beaux-Arts  de  l'Académie  royale  de  Bel- 
gique a  élu,  dans  sa  dernière  séance,  deux  nouveaux  mem- 
bres associés  étrangers  :  M.  A.  Roll,  artiste  peintre  à  Paris, 
président  de  la  Société  nationale  des  Beaux-Arts,  qui  suc- 
cède à  Hébert,  et  M.  Philippe  Rûfer,  compositeur  à  Berlin, 
en  remplacement  d'Ernest  Reyer. 


Dans  sa  séance  du  17  juillet,  la  Chambre  des 
députés,  sur  la  proposition  de  iOI.  Aynard,  Senibat,  Jules 
Roche,  Delcassé,  Jaurès  et  Denys  Cochin,  a  voté  la  loi 
suivante,  —  dont  l'importance  est  considérable  à  l'heure 
actuelle,  —  0  en  vue  d'empêcher  l'exportation  d'objets 
mobiliers  d'un  grand  intérêt  artistique  ou  historique  n  : 

«  Article  premier.  —  Les  objets  mobiliers  autres  que 
ceux  qui  ajjpartiennent  aux  départements,  aux  communes 
ou  à  des  établissements  publics  et  dont  la  conservation 
présente,  au  point  de  vue  de  l'art  ou  de  l'histoire,  un 
intérêt  national,  peuvent  être  classés  avec  le  consentement 
du  propriétaire. 

II  Art.  2.  —  Les  objets  mobiliers  classés  ne  pourront  être 
restaurés,  réparés  ou  modifiés  qu'avec  l'autorisation  du 
ministre  des  Beaux-.\rts  et  sous  la  surv^eillance  de  son 
administration. 

«  .\rt.  3.  —  L'exportation  hors  de  France  de  tout  monu- 
ment ou  de  tout  objet  classé  est  interdite. 

0  .'Vrt.  4.  —  Les  effets  du  classement  suivent,  en  quelques 
mains  qu'ils  passent,  tout  objet  mobilier  ou  tout  immeuble 
par  destination  redevenu  meuble. 

«  Art.  5.  —  Toute  infraction  aux  dispositions  qui  pré- 
cèdent sera  punie  d'une  amende  de  100  à  10  000  francs, 
sans  préjudice  de  l'action  en  dommages-intérêts  qui  pourra 
être  intentée  au  nom  de  l'État.  Un  règlement  d'adminis- 
tration publique  déterminera  les  mesures  propres  à  assurer 
l'application  de  la  présente  loi  ». 


Nous  insérons  très  volontiers  la  lettre  suivante  qui 
nous  paraît  de  nature  à  intéresser  nos  lecteurs  : 

«  5  août  1909. 
»  Monsieur  le  Directeur, 

•1  Je  ne  saurais  mieux  confier,  il  nie  semble,  une  cause 
artistique  et  féminine  qu'en  la  présentant  aux  lecteurs  et 
lectrices  de  l'Art  et  les  Artistes,  et  en  vous  demandant 
votre  appui  pour  la  mener  à  bien. 

0  II  y  a  trois  ans,  j'avais  déjà,  dans  le  Supplément  de  Modes 
du  New  York  Herald,  lancé  l'idée  de  l'utilité  de  la  création 


d'un  Muscc  de  la  Mode  à  Paris.  Le  Gaulois  et  le  Fiearo 
soidignérent  alors  par  des  articles,  dans  le  même  sens, 
l'intérêt  de  ce  projet.  Dernièrement  plusieurs  journaux, 
notamment  la  Liberté  sous  la  signature  d'Etienne  Charles, 
parlèrent  du  Musée  de  la  Mode,  à  la  suite  d'un  article  paru 
le  30  mai  dernier  dans  le  Supplément  de  Modes  du  Herald 
et  rappelant  en  ces  termes  l'idée  première  :  «  Combien 
'.  serait  intéressante  et  utile  la  création  d'une  exposition 
11  permanente  de  l'histoùe  du  costume  où  l'on  enregistrerait, 
«  chaque  année,  ce  qui  sj-mbolise  la  mode  parisienne  !  — que 
"  de  documents  précieux  pour  les  siècles  futurs  !  —  et,  sans 
«  attendre  si  loin,  combien  nous  serait  souvent  utile  la  con- 
«  sultation  des  modes  d'une  vingtaine  d'années,  ne  serait-ce 
1  que  pour  éviter  certaines  erreurs  ou  raieu.x  nous  appliquer 
à  tirer  parti  d'une  trouvaille  peu  exploitée  ou  d'une  gami- 
.  ture  restée  alors  sans  succès.  Dans  une  ville  comme  Paris, 
i  où  l'art  du  costume  est  un  des  ressorts  imjrartants  du 
«  commerce,  cette  exposition  aurait  sa  place  toute  marquée. 
'  Et  si  l'on  objecte  la  versatilité  de  la  mode  et  la  place  qu'il 

0  faudrait  pour  enregistrer  ses  caprices,  on  peut  dire  qu'avec 
..  deux  toilettes  par  an  on  synthétiserait  fort  bien  la  mode 

1  et  que,  même  si  l'on  ne  pouvait  enregistrer  que  des  rcduc- 
'  tions  de  toilettes,  cela  aurait  encore  son  intérêt  ». 

.1  11  en  résulte  donc  que  mon  idée  est  plus  que  jamais 
«  dans  l'air  »  et  que  sa  réalisation  s' impose  de  plus  en  plus. 
Mais  à  combien  de  <lifficultés  va-t-on  se  heurter  pour  une 
chose  qui  parait  si  simple  et  si  logique.  Ne  pourriez-vous 
m'aider  à  les  aplanir?  L'n  comité  de  femmes  du  monde 
réputées  pour  leur  goût,  quelques  peintres  très  compétents 
dans  le  domaine  des  grâces  féminines,  quelques  artistes 
pour  lesquelles  l'art  de  la  toilette  complète  l'art  IjTiquc, 
se  réuniraient  pour  juger  et  choisir  les  toilettes  appelées 
à  symboliser  le  mieux  la  mode  du  moment.  Les  couturiers 
ne  demanderaient  certes  pas  mieux  que  d'offrir  au  Musée  les 
modèles  choisis  qui  consacreraient  ainsi  leur  talent  dans 
le  présent  et  dans  l'avenir.  Des  gravures,  des  dessins,  des 
photographies,  un  album  réunissant  les  meilleui"s  articles 
de    modes    compléteraient    les    documents   à    garder. 

.  Mais  voilà  où  commence  la  difficulté.  Quel  local  abritera 
ces  intéressants  souvenirs?  Le  Musée  des  Arts  décoratifs 
pourra-t-il  les  loger?  De  quel  ministère  dépend  la  réali- 
sation d'un  tel  projet  ? 

«  Devrons-nous  nous  adres.ser  au  ministère  du  Commerce  ? 
à  celui  des  Beaux-.\rts?  à  la  Ville  de  Paris?  ou  faudra-t-il 
attendre  la  générosité  problématique  d'un  bienfaiteur 
bien  inspiré  qui  offrira  un  local  pour  abriter  dignement 
une  collection  aussi  attrayante  à  bien  des  points  de  vue  et 
q)ic  nous  devons  créer  pour  l'histoire  de  Paris  ? 

1  .\idez-moi,  Monsieur  le  Directeur,  de  vos  lumières  et 
<ic  votre  influence  pour  faire  aboutir  ce  projet  que  mon 
amour-propre  de  femme  et  de  Parisienne  verrait  réaliser 
avec  joie  et  fierté. 

.  I-orsque  nous  voulons,  en  ce  moment,  trouver  un  docu- 
ment de  modes  des  siècles  passés,  nous  n'avons  que  quelques 
rares  collections  particulières,  difficiles  à  aborder,  des 
journaux  de  modes,  souvent  incomplets  et  ne  permettant 
pas  l'opinion  d'une  façon  tangible  comme  le  ferait  le  vu 
de  la  toilette.  Il  faut  créer  l'historique  du  costume  français 
pour  les  générations  futures  :  c'est  une  des  plus  belles 
choses  que  laissera  notre  siècle  où  le  règne  du  chiffon 
guidé  par  l'art  vaut  bien  d'autres  règnes.  Et  s'il  semble 
l'emblème  de  la  frivolité,  il  se  double  d'une  utilité  très 
grande  :  celle  d'attirer  à  nous  tous  les  étrangers  qui  appor- 
tent à  Paris  le  tribut  de  leur  fortune  avec  celui  de  leur 
admiration. 

•i  Veuillez  agréer.  Monsieur  le  Directeur,  l'expression  de 
mes  sentiments  très  distingués. 

i^  J.  Ferr.vnt. 
«  Paris,  28,  rue  d'Artois.  > 


293 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


BULLETIN      DES      EXPOSITIONS 

OUVERTES 

t'AKIS 
Louvre    (pavillon    de    Marsan).    —    Union    centrale    des 

Arts  décoratifs.  Exposition  de  la  Société  de  l'Histoire 

du  costume,  jusqu'au  lo  octobre. 
Musée  Galliera,    10,  rue  Pierre-Charron. —  Exposition  des 

papiers   et  toiles  imprimés  et  pochés,  tous   les  jours, 

de    lo  heures  à  4  heures,  le  lundi  excepté. 
Hôtel  Le  Peletier  Saint-Fargeaii,    2y,  rue  de  Sévigné.   — 

Exposition  de    »  Paris  sous  la  Képiiljlique  de    1848  -, 

jusqu'au  i"  octobre. 
Coopérative   des    Artistes.    3,    me    Lafjilte.    —    Exposition 

permanente  d'n-uvres  de   maîtres  modernes. 
Galerie  Charl,^    linniiiei.    11.   me  Royale.   —   Exposition 

rétrospective  de  portraits  de  maîtres  français,  anglais 

et  hollandais,  au  profit  de  la  Société  l'Aetioii  maritime. 

PROVINCE    ET    ÉTRANGER 
AvALLON,  —  Exposition  de  la  Société  des  Amis  des  Arts 

de  r.\valonnais,  du  !<"'■  août  au  30  septembre. 
Copenhague.  —  .\u    Palais  Royal  de   Charlottenbourg. 

Exposition  française  d'art  décoratif,  jusqu'au   13  sep- 

temlire. 
Dresde.  —  Exiiositiou  internationale  d'aquarelles,  pastels 

et  arts  décoratifs,  jusqu'au    i''  octobre. 
Gand.  —  Quarantième   exposition    de  la  Société   rovale, 

du  I'"' août  au  27  septembre.  Pour  tous  renseignements, 

s'adresser  au  secrétaire,  M.  Scrilie,  rue  de  la  Chênaie, 

à  Gand. 
Langres.  —  Société  artistique  de  la  Haute-Marne.  Expo- 
sition des  Beaux-Arts  et  d'.Art  décoratif,  du  31  juillet 

au   I"  septembre. 
Munich.  —  Dixième  exposition  internationale  des  Beaux 

Arts  au  Palais  de  Cristal,  jusqu'à  fin  octobre. 


Nancy.  —  Exposition  internationale  de  l'est  de  la  France, 
avec  section  des  Beaux-Arts  organisée  par  la  Société 
lorraine,  jusqu'à  la  clôture  de  l'Exposition  interna- 
tionale  (octobre). 

Ri'EiL  (Seine-et-Oise).  —  Château  de  La  Malmaison. 
Exposition  d'étofïes  pour  ameublement  de  l'époque 
napoléonienne. 

Venise.  —  Huitième  exposition  internationale  des  Beaux- 
Arts  de  la  ville,  jusqu'au  30  octobre,  organisée  par  la 
municipalité. 

ANNONCÉES 

Paris.  —  Salon  d'Automne.  —  Exposition  annuelle,  du 
30  septembre  au  8  novembre.  S'adresser,  pour  rensei- 
gnements, au  Grand  Palais,  porte  G. 

Paris.  —  Rétrospective.  —  Camille  Corot:  tableaux  à  figures. 

Bordeaux.  —  E.xposition  d'Art  humoristique,  réservée 
aux  artistes  de  la  région,   en  octobre    et    novembre. 

Charenton  (Seine).  —  La  quarante  et  unième  exposition 
de  la  Société  artistique  est  reportée  à  l'année  pro- 
chaine, la  municipalité  ne  pouvant  mettre  cette 
année  le  local  à  la  disposition  de  la  Société. 

Liverpool.  —  Exposition  internationale.  Galerie  Walker, 
du  20  septembre  au  S  janvier  prochain.  Pour  tous 
renseignements,  s'adresser  chez  M.  Pottier,  14,  rue 
Gaillon,  à  Paris. 

Tananarive.  —  Prochainement,  exposition  d'Art  mal- 
gache, comportant  :  sculptures,  peintures,  tissus,  arts 
de  la  femme,  jouets  et  jeux,  histoire  de  l'art,  art 
rétrospectif,  etc.  Pour  tous  renseignements,  s'adresser 
au  ministère  des  Colonies. 

\'ai.enciennes.  —  Exposition  organisée  par  la  Société 
valenciennoise,  du  12  septembre  au  10  octobre.  Der- 
nier délai  d'arrivée  en  gare  de  Valenciennes,  le  4  sep- 
tembre. Pour  Paris,  dépôt  chez  Robinot,  emballeur- 
expéditeur,  50,  rue  Vaneau,  avant  le  25  août. 


CONCOURS   DE   DECORATION   D'UN   FUSIL   DE  CHASSE 


La  Société  des  Art--  ilu  l'tnx-z.  avec  l'appui  de  la 
Chambre  syndicale  des  lal)rn:ants  d'armes  qui  donne 
300  francs  de  prix,  om  re  1111  concours  entre  tous  les 
artistes  français,  pour  la  d,ioi,ition  d'un  fusil  de  ehasse 
Hammerless  ou  fusil  s.ins  chien  avec  ou  sans  contre- 
platine. 

Pour  que  le  concours  ait  un  résultat  pratique  et  que  les 
projets  primés  puissent  être  employés  par  la  Chambre 
syndicale  des  fabricants  d'armes,  il  est  bien  spécifié  que 
les  projets  présentés  ne  devront  pas,  sous  peine  d'exclusion 
des  trois  catégories  ci-dessous,  dépasser  comme  prix 
d'exécution   les   sommes   fi.xées   dans   chacune   d'elles. 

1'^  catégorie.  —  Projets  dont  le  prix  d'exécution  ne 
dépasserait  pas  25  francs. 

i'^  prix  :  40  francs  :  2"  prix  :  20  francs. 

26  catégorie.  —  Projets  dont  le  prix  d'exécution  serait 
compris  entre  25  et  40  francs. 

I"  prix  :  60  francs  ;  2"  pri.x  :  30  francs. 

3^  catégorie.  —  Projets  dont  le  prix  d'exécution  serait 
compris  entre  40  et  60  francs. 

I"  prix  :   100  francs  ;  2»  pri.x  :  50  francs. 

4«  catégorie.  —  Pour  encourager  les  artistes  à  qui  le 
manque  de  connaissances  sur  les  prix  d'exécution  pourrait 
empêcher  de  prendre  part  au  concours,  la  Société  des 
.^rts  du  Forez  offre  un  prix  de  1 50  francs  au  meilleur  projet 
présenté,  quel  qu'en  soit  le  prix  d'e.xécution. 


Les  projets  pourront  être  complets  ou  ne  porter  que  sur 
la  partie  métallique. 

Les  formes  du  fusil  Hammerless  étant  nouvelles,  le 
décor  qu'elles  comportent  doit  être  en  harmonie  avec  elles, 
par  conséquent  essentiellement  nouveau.  Les  motifs  seront 
empruntés  à  la  faune  ou  à  la  flore. 

Le  choix  est  laissé  aux  concurrents  entre  les  différents 
genres  de  gravure  (burin,  échoppe,  eau-forte,  fond 
creux,  etc.),  d'incrustations  (rasée  ou  reliée,  gravée  ou 
ciselée),  de  damasquine,  de  ciselure,  etc.  On  admet  aussi 
un  composé  de  ces  différents  genres  d'ornement  itiou. 

Il  pourra  être  présenté  des  dessins,  des  modelages  au 
double  ou  au  triple  d'exécution  ;  ils  seront  en  ce  cas  accom- 
pagnés de  réductions  photographiques  à  la  grandeur  réelle. 

Conditions  essentielles.  —  Les  projets  présentés  au  con- 
cours devront  avoir  un  caractère  décoratif  franchement 
nouveau  ;  les  compositions  conçues  dans  un  style  connu  ou 
révélant  une  imitation  quelconque  par  trop  évidente  seront 
écartées. 

Dépôt  des  œuvres.  —  Plusieurs  projets  peuvent  être 
adressés  par  le  même  auteur  ;  en  ce  cas  le  meilleur  projet 
concourra  seul  pour  une  récompense. 

Les  projets  envoyés  sur  châssis  pour  en  faciliter  l'expo- 
sition ne  porteront  pas  d'autre  indication  qu'une  devise 
ou  un  signe  reproduit  sur  enveloppe  cachetée  et  répété  à 
l'intérieur  sur  une  carte,  à  côté  du  nom  de  l'auteur  ;  le 


294 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


candidat  désireux  de  conserver  l'anonymat  vis-à-vis  de 
ses  concurrents  et  du  public  devra  en  faire  la  mention  sur 
cette  carte. 

Les  projets,  exécutions  et  envelopi>es  cachetées  doivent 
être  déposés  à  l'École  des  Arts  industriels  ou  expédiés 
franco  au  président  de  la  Société  des  Arts  du  Forez,  au 
siège  social.  École  des  Arts  industriels,  le  i''  octobre  lyof) 
au  plus  lard. 

Le  jury,  à  la  suite  du  classement  dont  il  est  chargé, 
fournira  le  procès-verbal  de  son  opération,  donnera  le 
nombre  des  concurrents,  les  noms  des  lauréats,  leurs  récom- 
penses et  la  critique  artistique  et  technique  des  projets  ; 
cette  critique  désignera  les  projets  par  les  devises  ou  les 


signes  adoptés  et  non  par  les  noms  des  candidats.  L'en- 
semble de  ces  documents  sera  adressé  sous  forme  de  cir- 
culaire à  chacun  dés  membres  de  la  Société  et  aux  personnes 
ayant  pris  part  an  concours. 

Les  projets  primés  dans  les  trois  premières  catégories 
appartiendront  à  la  Chambre  syndicale  des  fabricants 
d'armes  qui  en  disposera  à  son  gré,  et  celui  primé  dans  la 
quatrième  catégorie  sera  la  pleine  propriété  de  la  Société 
des  .\mis  du  Forez. 

I,e  droit  de  reproduction  industrielle  ou  de  la  simple 
reproduction  en  phot<igraphie  ou  en  <lessin  des  concours 
non  primés  ne  sera  accordé  que  sur  Vassottimcnt  de 
l'auteur. 


Bibliographie 


LIVRES     D'ART 


Petites  monographies  des  srands  édifices  de  la  l'iaïut .  — 
\iennent  de  paraître  :  La  cathédrale  de  Chartres, 
par  René  Merlet.  ancien  archiviste  d'Eure-el-Loir. 
Un  vol.  in-S  avec  38  gravures  et  ->  plans.  ^-  Le 
Château  de  Coucy,  par  1".  Li;i  ùvre-Pontalis, 
directeur  de  la  Société  française  d'archéologie,  professeur 
à  l'École  des  Chartes,  t'n  vol.  in-S  avec  56  gravures  et 
2  plans.  (Chaque  volume,  broché  :  2  francs  ;  relié  :  2  fr.  50. 
H.  Laurens,  éditeur,  6,  rue  de  Tournon.  l'aris,  W.) 

Que  de  fois  n'avons-nous  pas  entendu  les  toiiristés  et 
les  archéologues  qui  visitent  les  grands  monuments  de  la 
France  réclamer  des  l'eliles  wonographies  d'un  format 
pratique,  au  courant  de  la  science  moderne  et  illustrées 
par  les  e.xcellents  j)rocédés  photographi<iues  actuels. 

Grâce  à  l'initiative  de  M.  Fugéne  Lefèvre-Pontalis, 
directeur  de  la  Société  française  d'archéologie,  professeur 
à  l'École  (les  Chartes,  une  collection  de  ce  genre  est  en 
cours  de  publication. 

La  première  monographie,  œuvre  de  M.  René  Merlet, 
ancien  archiviste  d'Eure-et-Loir,  est  consacrée  à  la  Cathé- 
drale de  Chartres  :  elle  renferme  38  gravures  et  2  plans  ; 
la  seconde  étudie  le  Château  de  Coucy  :  c'est  une  descrip- 
tion méthodique  de  la  ville  et  du  château  dont  M.  Lcfcvre- 
Pontalis  est  l'auteur.  Précédée  d'une  courte  histoire  des 
sires  de  Coucy  par  M.  Ph.  Laucr,  elle  renferme  36  gravures 
et  2  plans. 

Cette  collection  des  Petites  monographies  {/es  graiuls 
édifices  de  la  I-'rance  est  une  oeuvre  éminemment  utile,  qui 
comprendra  la  description  sommaire  des  cathédrales,  des 
grandes  églises,  des  monuments  civils,  châteaux,  etc.,  de 
la  France,  en  volumes  distincts  :  l' Hôtel  des  Invalides, 
les  Cathédrales  de  Reims,  du  Mans.  d'Amiens,  de  Bourges, 
de  Coutances,  d'Au.xerre,  les  Chdteau.x  de  Hambouillet,  de 
Vitré,  de  Vincennes  sont  en  préparation. 

Petites  monographies  des  grands  édifices  de  la  I-'rance.  — 
Vient  de  paraître  ;  L'Abbaye  de  V'«5ze/ai/,  par  Ch.xrles 
PoRÉE,  archiviste  de  l'Yonne.  (Un  vol.  in-S"  avec  39  gra- 
vures et  I  plan.  Prix  :  broché  :  2  francs  ;  relié  toile 
souple  :  2  fr.  50.  H.  Laurens,  éditeur,  6,  rue  de  Tournon, 
Paris,  Vie.) 

L'abbaye  de  Vézelay,  q\ii  est  l'un  des  plus  beaux  si)é- 
cimens  de  l'architecture  romane  et  présente  des  morceau.x 
très  intéressants  de  la  statuaire  du  xii*^  siècle,  devait 
figurer  au  premier  rang  dans  cette  collection  des  Petites 


ni'uh'graphies  des  grands  édifices  de  la  France.  Dans  le 
volume  qu'il  lui  a  consacré,  M.  Porée,  après  avoir  résumé 
l'histoire  de  l'abbaye,  fi.xe  les  époques  de  la  construction 
de  l'église,  étudie  chacune  de  ses  parties,  date  et  décrit 
en  détail  les  curieu.x  chapiteaux  de  la  nef  et  les  magni- 
fiques sculptures  des  portails.  I^'ouvrage  se  termine  par 
la  description   de   l'église  de   Saint-Père-sous-\'ézelay. 

\'ient  de  paraître  :   La  Miniature  sur   ivoire,  par 

Mme  G.  Debillemont-Chardcin.  (l'n  vol.  in-.S"  [25  X  16]. 
illustré  de  16  planches  phototypiques  hors  texte.  Pri.V  : 
broché  :  6  francs.  11.  Laurens,  éditeur,  6,  rue  <le  Tournon,. 
Paris,  VI'\) 

Mme  Debillemont-Chardon.  (pii  a  donné  par  ses  oeuvres 
tant  de  preuves  de  talent  et,  par  les  élèves  qu'elle  a  formées, 
tant  de  témoignages  de  l'excellence  de  sa  méthode,  con- 
sent, en  quelque  sorte,  en  publiant  son  traité  de  la  Minia- 
ture sur  ivoire,  à  dévoiler  tous  ses  procédés  et  ses  secrets. 

L'éminente  artiste  a  pensé  qu'elle  se  devait  à  elle- 
même  de  ne  rien  cacher  de  ce  qu'elle  sait  sur  cet  art  déli- 
cieu.x  et  délicat  pour  la  renaissance  duquel  elle  est  arrivée 
aux  résultats  (jue  tout  le  monde  connaît. 

M.  Léonce  Bénédite,  le  distingué  conservateur  du  Musée 
du  Luxembourg,  appréciant  à  sa  juste  valeur  l'artiste 
qu'est  Mme  Debillemont-Chardon,  a  écrit  pour  ce  volume 
une  e.xcellente  préface. 

Vient  de  paraître:  L'Art  et  les  Mœurs  en  France, 

par  Raymond  Bouver,  Léon  Desiiairs,  Emile  Hinze- 
LiN,  Henry  JIarcel,  Pierre  Marcel,  .\ndré  Michel, 
François  Monod,  Charles  Normand,  Edmond  Pilon, 

LÉON  ROSENTHAL,  ÉdOUARD  SaRRADIN,  CHARLES  SAU- 
NIER, Gaston  Schéfer,  ALwrice  Tourneix.  (Un  vol.  in-8 
raisin  illustré  de  24  planches  hors  texte  en  phototypic. 
Broché:  12  francs  ;  toile:  15  francs;  reliure  artistique: 
17  francs.) 

Dans  quelle  mesure  les  artistes  s'inspirent-ils  de  leur 
temps?  Quelle  interprétation  en  donnent-ils?  Comment 
les  moeurs,  les  coutumes,  les  événements  contemporains 
influent-ils  sur  le  développement  de  leur  talent?  Voilà  les 
questions  auxquelles  les  auteurs  de  l'.lrt  et  les  Mœurs  en 
I-'rance  ont  tenté  de  répondre  pour  l'art  français. 

On  verra  comment,  dès  le  moyen  âge,  sculpteurs  et 
peintres  déjà  trouvaient  dans  la  réalité  contemporaine  le 
meilleur  de  leur  inspiration.  .\u  xvi''  siècle,  au  contraire, 
il  semble  que  l'idéalisme  ait  dominé  l'école  française  ;  nos 


295 


L'ART     ET     LES     ARTISTES 


artistes  ont  coiisultr  l'antiquité  et  les  maîtres  italiens  avant 
de  regarder  autour  d'eux  dans  la  nature  et  dans  la  vie. 
Avec  Callot,  Abraham  Bosse,  les  Le  Nain,  l'interprétation 
des  mœurs  et  des  travers  rentre  en  grâce.  Le  Brun  semble 
interrompre  cette  venue  d'art  réaliste.  En  réalité,  même 
dans  ses  œuvres  les  plus  pompeuses,  il  peint  exactement 
son  temps.  Puis  c'est  Watteau  dont  le  rêve  exquis  habille 
la  réalité  de  brillants  habits  de  fête,  et  tous  les  maîtres  du 
XVIII'' siècle  qu'on  appelle  à  tort  des  petits-maîtres:  Frago- 
nard,  Chardin,  Jaurat,  Lépicié.  Greuze,  Moreau  le 
Jeune, etc.,  etc..  qui  tous  regardent  autour  d'eux  et  inter- 
prètent la  vie  selon  leur  tempérament  et  leur  vision  per- 
sonnelle. Les  heures  tragiques  de  la  Révolution  revivent 
aussi  avec  une  émouvante  intensité  sons  le  pinceau,  le 
crayon  ou  la  plume  des  artistes  contemporains.  Puis  c'est 
le  xix^'  siècle  si  fécond  et  si  varié,  siècle  de  la  satire  poli- 
tique et  de  la  critique  acerbe  des  mœurs  bourgeoises,  avec 
des  hommes  tels  que  Granville.  Traviès,  Henri  Monnier 
et  surtout  Daumier  et  Gavarni,  siècle  aussi  de  la  peinture 
la  plus  vraie,  la  plus  sincère,  la  plus  proche  de  la  vie,  avec 
des  hommes  tels  que  Manet  et   Fantin-Latour. 

L'art  français  est  le  seul  peut-être  où  on  puisse  étudier 
une  peinture  de  mœurs  florissante  pendant  tant  de  siècles. 
L'Italie, à  ce  point  de  vue,  n'est  pas  comparable  à  la  France. 
Quant  à  la  Flandre,  où  plusieurs  de  ses  artistes  serrent  la 
réalité  d'aussi  près,  de  plus  près  même  que  les  maîtres  fran- 
çais, ils  sont  tous  groupés  dans  un  demi-siècle  à  peine. 

Les  Mditrcs  île  l'Ait,  collection  publiée  sous  le  haut 
patronage  du  ministère  de  l'Instruction  publique  et  des 
Beaux-Arts. —  Charles  Le  Brun,  par  Pierre  M.^rcel. 
(Un  volume  in-S".  Pri.x  :  3  fr.  50.  Librairie  Plon-\ourrit 
et  Cie,  8,  rue  Garancière.  Paris,  \'I".) 

La  belle  collection  des  Mailiei  île  l'Ail  vient  de  s'enri- 
chir d'une  nouvelle  monographie  due  à  la  plume  autorisée 
de  M.  Pierre  Jlarcel  et  consacrée  au  peintre  ordinaire  de 
Louis  XIV,  à  Charles  Le  Brun.  De  cette  étude  serrée  et 
lumineuse,  la  physionomie  de  l'auteur  des  Batailles 
d'Alexandre  se  dégage  avec  une  netteté  surprenante, 
exprimant,  sans  doute,  une  sensibilité  médiocre,  mais 
rachetée  par  des  qualités  supérieures  d'homme  d'action. 
Le  Brun,  à  la  faveur  de  ces  subtiles  déductions,  de  cet 
exposé  substantiel  et  abondamment  documenté,  apparaît 
décidément  comme  un  décorateur  avant  tout,  dont  les 
conceptions  s'adaptèrent  de  façon  merveilleuse  «  à  la 
grandeur  et  à  la  beauté  des  synthèses  du  siècle  du  Roi- 
Soleil  ».  Il  fut  aussi  un  administrateur  de  premier  ordre 
et,  rien  que  pour  ses  créations  des  Gobelins,  il  mériterait 
de  voir  durer  son  nom.  L'art  français  lui  dut,  avec  le 
triomphe  provisoii'e  de  l'académisme,   une   impulsion  qui 


permit,  un  peu  contre  son  vœu,  l'évolution  des  tempé- 
raments. Rien  de  plus  mélancolique  que  les  efîet-s  de  la 
malheureuse  rivalité  du  maître  avec  Mignard  et  le  déclin 
de  sa  gloire  après  la  mort  de  son  protecteur  Colbert. 
M.  Pierre  Marcel  a  rappelé  cette  triste  fin  de  carrière  en 
termes  sobres,  avec  la  scrupuleuse  exactitude  qui  met  son 
travail  à  un  rang  si  honorable. 

Monticelll.  par  Ch.\rles  Faure.  (Édition  de  la 
Glande  Revue.  37,  rue  de  Constantinople.) 

L'illustre  peintre  marseillais  a  inspiré  à  M.  Charles  Faure 
une  fort  belle  étude  que  liront  avec  infiniment  de  plaisir  et 
de  profit  les  nombreux  admirateurs  du  singulier  et  puissant 
artiste. 

DIVERS 

Francine,  actrice  de  drame  {roman  de  la  vie 
théâtrale),  par  Paul  Gixisty.  (Eugène  Fasquelle,  édi- 
teur,   1 1,  rue  de  Grenelle,  Paris.) 

Voici  la  femme,  par  .\urel.  (E.  Sansot  et  Cie,  édi- 
teurs,  7,  rue  de  l'Éperon.) 

Polochon  (paysages  animés,  paysages  chimériques). 
par  G.   DE  Pawlowski.   (Eugène  Fasquelle,  éditeur.) 

Pour  la    paix   {notes  et  documents),    par    Frédéric 

Passy,   membre  de  l'Institut.  (Eugène  Fasquelle,  éditeur.) 

Les  Epigrammes  {vers),  par  Paul  Mariétox.  (Édi- 
tion du  Mfutiie  de   Fiante,  26,  rue  de  Coudé. > 

Les  Confidences  de  Souricette,  dame  d'hon- 
nenr  de  l'impératrice  Eugénie,  par  Adolphe 
L).\KVANi.   (Eugène  Fasquelle,  éditeur.) 

Mémoires  d'un  Jeune  observateur,  par  Ernest 
Depré.  (Édition  du  Monde  illustré,  13,  quai  ^'oltaire, 
Paris.) 

Aimons  les  arbres,  par  Louis  Piérard.  (Duframe- 
Friart,  éditeur,  Frameries,  Belgique.) 

Les  Révélées  {roman),  par  Michel  Cordav.  (E.  Fas- 
quelle, éditeur.) 

Fachoda,  le  partage  de  l'Ajriquc,  par  Gabriel  Hano- 
taux.  de  l'Académie  française.  (Ernest  Flammarion,  édi- 
teur.) 

Fine     Mouche,     par    Serge    B.\sset.    (Édition    du 

Monde   Illustre.) 

Les  Illusions,  par  ^Iichel  Provins.  (Eugène  Fas- 
quelle. éditeur.) 


296 


Table   des    Matières 


Table  des  Matières  du   Tome  IX 


(Avril-Svptvnihrc  1909) 


Table   des    Articles 


Adier   (Jules),  Gcorsics   Denoinville 

Alt  dOcoratif  (1'),  I.éandkic  \'aii.i..\t  : 

—  Une    docouvcrto    d'i'-totk-s    Emiiirc    au    Mnhilier 


natioual 

-  Husson 

-  Les  Salons  d'architecture  en  iQoo 

-  Les    papiei's    et    toiles    imprimés    et    )iotiii' 
Musée  Galliéra 


—  Les  Ponts 

Bellini   (Gentile),  Henry  Rorjox 

P,iMioL;ra])hie 1 50,    igo,   2.17 

Bourdelle  dîmilel,  Tristan  Leci.kre 


Clifford=Barney  (Une  artiste  américaine  :  Mme), 

1- RANCIS    DE    JIiOMANDRE 


Dardé  (Un    jeune  sculpteur   français:   Paul),   Max 

Théron 

Échos  des  Arts 45,    103.    14S.    197,   244, 

Exposition  internationale  de   Venise  (la,  S^').  Gabriel 
IMOUREY 

Gaudenzio  Ferrari  à  Saint-Christophe  de  \'erceil 
(lus  fresques  de),  L.  GlELLY 

Guys  (Notes  sur  Constantin),  .\rmani)  Dayot 

Horton  (William).  Jacques  I.opeau 

Jicha  iX'aclav),  William  Ritter 

Liotard  (J.-E.),  Armand  Dayot 


1S4 


--9 
-91 


14,1. 

240 

144. 

-MI 

193. 

2S6 

194. 

28- 

242, 

2SS 

195. 

289 

195. 

290 

I4f'. 

-43 

Ménard    loné),  Louis  de  l'orRCArn i  ^ 

.M<)i>  artistique  (le),  I''.  , M    33,99,    137,    1S7,      23S 

Mouvement  artistique  à  l'Ivlran-^er  (le). 

—  .'Mlcmagne  du  Sud.  William  KiTTKR  .      loi 

—  Angleterre.  I'kank  Kijtter 3.S 

—  .\utriche,  William  Ritter 3g 

—  lîel.^iciue,  Gustane  Vanzyte 40 

—  litats-Uuis,  .\.  Seaton  SciiMiDT  .      41.    145 

—  Italie,  RicciOTo  Canudo 42,    102 

—  Orient,  Adolphe 'l'iiALAsso,.     43,    103,    145 

—  Pologne.  .\dam  de  Cviu.'lski 

—  Suéile,  Cari.  G.  Lai'Rin 44,      197 

—  Suisse,  Gaspard  \'allette 4;,     147 

Pcinlies  Je  la  Femme  an  VXIU'-  siècle  (les)  • 

—  Kcole  Française,  .Arsiand  Day'ot 49 

—  lùole  .\nglaisc.-,  (^AisKiEi.  MouREY' 77 

Raffaëlli  (J.  !•"  ),  .\hsi'ne  Alexandre 121 

Retaille    d'Uaekendover    (le)    Paul    I. am hotte.  ..  .      203 

Rigaud  (Pierre  Gaston).  André;  Girodie 23 

Tanagra,   Pierre  Gusmax 3 

Variétés  :   Causerie  sur   le    Costume,   Pierre-Emile 

Cormillier 273 

Watteau  ((|uelques  dessins  de  François),  Edmond 

Cllray' 208 

WilRe  (fncaricaluristi'  alleniand:  Rudolf),  Rudolf 

Meyer-Riefstaiii 224 


Table  des  Grands  et  Petits  Chefs-d'Œuvre 


Portrait  d'une   incoiin 

Brera,    Milan) 

Portrait   d'un   Inconnu,   d'AxTOXELLO   d 


le  Van   Dyik  (Musi 
iMi 


Jeune  \'éuitienne  à  sa  toilette,  de  J  ACOP0  Palma  ,  .  ,  .  153 
l'i.mire  de  Vietoite  (Musée  de  l'Acropole,  Athènes).  .  .  202 
J.a  lu-lie  Chocolatière,  de  Liotard  (Musée  de  Dresde).      250 


Table    des    Épreuves    d'Art 


Intérieur  d'Église   (peinture),   par   l'ierre-G.iston  I.e  boulevard   des    Italiens    (peinture),  par  J.  F. 

Rigaud N"  -19  Ralfaclli N"  ;  i 

Marie  Leczinska,  rc-ine  de  l--rance.  p,ir  L.  Wm  I.oo  \''"-  '"<^'  Denise  (aip.arelle),  par  R.  P.  Honinglon   . . .      N»  52 

(bois  de  Dété)    N"   5'i       Guii;nol  sur  la  plage  (peinture),  par  William  S.  Hor- 
ton         X"  .^3 


Lavinia,  comtesse  Altliorp,  ])ar  Josua    Reynolds 
(bois  de  Dété) 


X"   50       Jeune  Bretonne  (peinture)  par  E.  Dezaunay X"  54 


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