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L'Art et les Artistes
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Directeur : Armand DAYOT
L'Art et les Artistes
TOME IX
(Avril-Septembre t909)
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PARIS
lo, RUE SAINT-JOSEPH, lo
1909
LES GRANDS CHEFS-D'ŒUVRE
Cl. Anâerson, Rome
VAN DYCK — PORTRAIT d'une INXONXUE (détail)
Musct ࣠Brera^ Milan.
JOUEUSES D OSSELETS (groupe)
TA N AG R A
UN soir, \v duc d'Aumale, ce grand soldat doid)lc
d'un grand artiste, sortait délicatement de
sa vitrine une sta-
itutte ; il tenait reli-
gieusement, dans ses
mains crispées par la
goutte, la fragile pou-
])ée d'argile et la re-
gardait avec amour ;
il chantait intérieure-
ment la grâce et le
charme de l'ctuvre et
dit ces simi)lcs mots :
<( Quel art renferme
une statuette de Ta-
nagra ! » Aussitôt une
jeune femme, sœur en
grâces de l'exquise fi-
TÊTE DE JEUNE FEMME gurine, toute émue,
demanda: « Cet artiste e.\i)ose-t-il au Salon?... »
La statuette faillit se briser sous les doigts du
prince et alla, confuse, re])rendre sa ]ilace auiirès
de ses compagnes....
Maintenant la statuette habite Chantill\' et
d'autres innombrables meublent les vitrines des
Musées de Paris, de Berlin, de Londres. Partout
les noms de Tanagra et de Mx-rina sont devenus
célèbres, surtout depuis les découvertes et les
admirables travaux de Olivier Rayet et de
M^L Pottier et S. Reinach.
Des amateiu"s, eux aussi, voulurent posséder de
ces petits chefs-d'œuvre, et ils en trouvèrent. Alors
de toutes parts surgirent des terres cuites, groupes,
ligures isolées, plus ou moins brisés, et les collections
l)articulières ?,' enrichirent de figurines ])aïennes,
vermoulues, lézardées, peinturlurées, décolorées,
mais gentilles à croquer ; ce fut la joie, ce fut la
lièvre tanagréennc, myrinéenne ! Et ce paludisme
L'ART ET LES ARTLSTES
L E.NKOTYLE
L'ART ]■;!■ M'; s AirrivTKS
L'ART ET LES ARTISTES
des terres cuites lit des ^•ictiInes : un bon «ombre de
ceis figures étaient fausses,... mais elles étaient si
jolies, leur grâce si aimable et les sujets si ingé-
nieux ! Ces œuvres maintenant sont classées ;
STATUETTE ASSISE (V siéclo)
elles seraient, de l'aveu relevé dans un récent cata-
logue, dues à un artiste alliénicn du x\^*^ sicclc !
Qu'il soit d'Athènes, de Naples ou de Montmartre,
jieu importe, cet artiste moderne a beaucoup de
talent; mais tjue penser de l'entremetteur cpii plaça
des A'énus et des Amours d'une façon si spéciale?
Maintenant les collectionneurs avertis sont méfiants
et Tanagra produit... moins.
Mais qu'est-ce donc que Tanagra?
i( C'était, au iv" siècle avant
notre ère, ime jolie ville de Béo-
tie, haute et escarpée, argileuse
et blanche d'aspect, avec des
maisons à l'extérieur élégant et
décorées de peintures à l'encaus-
tique. »
Entourée de collines semées
de pins et de lentisques, Tanagra,
qui était située au nord de la
vallée de l'Asopos, devait une
partie de ses richesses à la vigne
et à l'olivier. Sa position en
faisait la clef de la plaine thé-
baine, et avec ses murailles for-
tifiées elle dominait la contrée.
Sur le flanc de la hauteur, cou-
ronnée par l'Acropole, s'éta-
geaient, en terrasses, les temples
luxueux qui surplombaient les
demeures, et on y voj'ait un
Triton acéphale rappelant une
légende bachique, des statues
célèbres du sculpteur archaïque
Calamis : un Dionysos et un
Hermès Criophore (qui porte
un bélier). On vénérait aussi
la mémoire de la poétesse Co-
rinne, enfant de Tanagra au
vi*" siècle, et à laquelle ses com-
patriotes avaient élevé un somp-
tueux tombeau. Avec Pindare,
ille avait reçu des leçons de
M\rtis n aux chants si dou.x »,
et, plus âgée que le poète thé-
liain. lui donna des conseils,
puis en triompha dans cinq con-
cours aux jeux publics de la
Grèce. Elle chanta en dialecte
éolien « le bouclier de la belli-
( pieuse Minerve », et aussi « la
t,'loire qu'elle apporta aux Ta-
nagréennes au blanc pépies ».
Même une ])einture du G\Tn-
nase de Tanagra représentait
Il Corinne se ceignant le front
du bandeau triomphal », après
une victoire remportée sur Pindare.
De Tanagra, célèbre jadis par ses combats de
coqs, très endommagée par les Athéniens, mais
aussi peuplée à l'époque romaine que l'était
The.spies, ville voisine, il ne reste, sous le nom
L'ART ET LES ARTISTES
l.KdlPE Xl'PTIAI
du Grimadha, que des ruines jx>u intéressantes
des temples, du tliéâtre, de quelques maisons et
la nécropole, distantes de 3 kilomètres du village
moderne de Liatani, et le sol est parsemé de débris
de vases, de style dit corinthien, dont le caractère
a une origine lydienne et i^hrygienne, ])rovenant
de récipients ayant contenu le vin et l'huile recueillis
sur les collines voisines.
« Les Tanagréennes j)ai;sent pour être, iwr leur
taille, par leur démarche et ]iar le rythme de leurs
mouvements, les plus giacieuses et les ])lus élégantes
de la Grèce. Leur conversation n'a rien de béotien,
leur voix même est pleine de séduction. Elles ont
aussi une façon inusitée de porter la jiartie de
l'himation qui fornie voile au-dessus de la tète, (le
telle sorte que le visage est réduit aux yeux seuls à
découvert (conune les femmes turcpies avec leur
jéredgé) ; tout le reste est caché i)ar le vêtement.
<i Elles portent une chaussure mince, basse et
étroite, de couleur rouge, et si bien lacée que le
])ie(l semble jiresque nu.
i( Leurs cheveux sont blonds, ramenés en touffes
sur le sommet de la tête, et cette coiffure ]iorte
le nom de petilc lampe, n .Ainsi s'exprimait au
IW siècle av. J.-C. le poète grec Hérakleidès. On
ne saurait mieux décrire les statuettes tanagréennes,
images hdèles de la femme thébaine qu'appréciait
tant le poète et qui, à son époque, reiirésentait la
su])rème distinction, tout conune la Parisienne
représente l'élégance moderne.
Et c'est au silence des tombeaux (jue nous devons
la conservation de tant de figurines délicates
ensevelies dvpuis 2 500 ans dans les 10 000 tombes
de la nécropole, dans quelques temples et habi-
tations : dons faits aux morts, offrandes aux dieux
I.'ART ET I.KS ARTISTES
11- I M> Mil 1-^ JolAM
S trlniil
■iitanN, I
llltl'ls ,1,
ltl.in>l,i ,ol.
(|n a
-ti(|iit'^.
lalHiup
mrts
altl-
rnkV.
A\Mnt le I\'' sire
('in])r('intis prrs(|iic v
religieux, iuntaicnt
style né des (oiucpti
son érole, époiinc
la stal)ili1r aivliiti
le, 1<
tatiK'ttes grecques
h-i\'enu ut d'un raraetèri
elK-, ee(tc pléuitudi' (li
idéales de Phidias et .!(
in la sculpture s'iiarniouisait ;
tiiialr il<s t(uiples, tabernacle;
d'iu'i s'exhalait le soutlle clivui de la \-ie intérieure
et inunualile, tandis (pi'au l\'' siècle la statuaire
se réclame <la\anlage de la liberté jiictiuale vn
exaltant le sens di- la vie l'xtérieure, devenue miiins
religieuse, ])his pau nue, ]ilus sccj^tique, et dcint
Praxitèle l't Sccipas huent les artistes, les jioètes
inconi])arables.
I£t l'art, autrefois si jirès des dieux, en s'hu-
nianisant se féminisa ; tout lut à la jeunesse, à la
beauté, à l'anidur. ("est ]i(iurqn(ii les statuettes
du IV'' siècle n'ont jias ce canutère di\-iii de haute
moralité, en r.ipjielant, toutefois, plus d'une leuvii'
antérieure.
("est alors que la soujilesse ondulée des
corps, la vérité adorable des attitudes, un
certain laisser-aller fait de grâce amoureuse
remplacèrent les poses archaïques, désormais
passées de mode. Mais la coutume d'adorer
les dieux et d'honorer les morts entretint
pendant de longs siècles l'industrie des
terres cuites, florissante tant en Grèce qu'en
Asie Mineure, en Italie, en Afrique et ail-
leurs, d'où proviennent de nombreuses sta-
tuettes, qui n'ont certes pas la grâce inimi-
table des Tanagréennes.
Et rien ne fut-il plus charmant qu'une
jeune fille, sur le parvis du temple, portant
sur son sein sa petite image peinte, Éros.
femme drapée ou nue, et faire hommage
aux dieux, non pas d'un simulacre divin,
mais de l'image de sa propre beauté, éma-
nation de la beauté divine : et les dieux du-
rent être satisfaits. Les morts aussi furent
heureux de se sentir entourés de visages
aimés et beaux, de gracieux enfants, de
tendres femmes, minuscules souvenirs de leur
vie passée devenus compagnons de leur
v'oyage éternel. Et Corinne eut son partage :
de poétiques statuettes « au blanc péplos »
tenant des lyres
lui eut offertes
a la muse na-
tionale comme
.iiitant de stro-
ihe
d'amoui
et (l'orgueil. Pi
à cette ])oési<
de la mort nous
devons les petits
( liels -d'ieuxie (]ue
nous aimons et ou
re\it toute la \u-
luinnouieuse it liu-
inaineiuent belle de
la ( ité hellénique.
Mais, ainsi que
l'écrit M. I\ittier,
dans un livre (pi'il
publier, chez I.au-
rens, sur les sta-
tuettes grecciue--.
Il comme chez les
]ieuples qui vont
mourir, on sent
dans la (irèce un
besoin inésistible de
\ivre et de jouii.
Ceux ipii s'étonne-
raient de \-oir coïll-
FEMME Dfi.VPEE
L'ART Kï l.i:> ARTISTES
cider la décadence des iik luis avec les cliannante.s
figurines qui nous plaisent tant, ceux-là n'ont
pas compris la vraie Grèce. Il y a dans ces
jolies statuettes, comme dans les œuvres du
xviii'' siècle français, un certain germe morbide.
La grandeur de la cité, de la patrie et de ses dieux
n'est plus le but unique et suprême de la vie so-
ciale ». On comprendra donc, ajoute .M. Pottier,
que les sujets familiers abondent à une pareille
époque.
En effet, les
figurines du
IV* siècle mon-
trent tout ce
que le v^ siècle
cachait dans
l'intimité de ses
demeures ; la
vie s'étala in-
souciante au
grand soleil de
l'indiscrétion
dans ses i^his
fugitives ini-
l)ressions, prises
comme par
(pielque Cyclo-
l)e de la Cliam-
l>re noire. Ainsi
se présentent
des courtisanes
]iarées avec re-
cherche, des
jeunes femmes
voilées en leur
coquette ]>u-
deur par l'hi-
mation relevé
sur la nuque,
l)romeneuses
tenant l'éven-
tail, coiffées du
chapeau léger,
allant et ve-
nant, offrant à
chaque heure
une silhouette
nouvelle, déli-
cieusement jeu-
nes, énigmati-
quement sédui-
santes.
L'une d'elles
n'est-elle pas
gentiment mo-
derne avec sa
Guovi'i; DU. r)i:r.\ itmmks Korimiic)
longue mantille? La main levée, elle parle, elle
passe avec une grâce infinie....
D'autres s'arrêtent, posent ou se reposent, taiidis
que plusieurs, assises, mélancoliques et rêveuses,
près d'un terme de Priape, semblent attendre.
Des jeunes filles jouent aux osselets, à la
balle : l'une, qui a perdu, porte sur son dos sa
compagne, pénitence innocente appelée enkolylc.
Celle-ci cueille des fleurs, celle-là joue de la mando-
line, pince de
la l\Te ; d'au-
tres se livrent
à des passes
gracieuses, dan-
sent, tour-
noient, et le
bras en avant,
le torse cam-
bré, le ])ied levé,
semblent im-
proviser quel-
que cake-walk
antique ; et
toujours elles
évoquent la
beauté vivante,
animée, souli-
gnée sans cesse
]>ar l'arabesque
des plis enve-
loppantsetcha-
toyants qui ca-
ressent les jeu-
nes corps |ié-
tris d'amour et
de vénusté.
Chaque mou-
vement a son
INtlline sug-
gcstil. ( haque
flexion du cor)).^
est la ])hrase
d'un poème ca-
dencé, ainsi (]ue
l'a si bien ré-
vélé Isadora
Duncan dans
ses danses grec-
ques exquises
de grâce musi-
cale. Et dans
tout ce monde
féminin l'a-
mour se faulile,
l'amour tiirte :
Lros couron-
L'ART ET LES ARTISTES
nés. les ailes (lépk>\iVs, nus. drapés ou court
vêtus, malins et fripons, conseillers imprudents et
toujours écoutes, ainsi ciu'ils se montrent à Pompéi
dans les portraits de fennnes auxquelles ils chu-
chotent à l'oreille la chanson éternelle.
Pour charmer da\-anta!,'e. à la grâce des formes,
au stvle de la ligne, à l'inspiration amoureuse,
vient s'ajouter le
ramage des ci u-
leurs. car toute-
les statuettes de
Tanagra seraient
polychromes si le
temps n'avait ])as
aidé à en dépouil-
ler plusieurs dr
leur brillante pa-
rure. Et que do
femmes aussi ral-
finées que les 'la-
nagréennes n'aient
pas varié de mo-
des pendant de-;
siècles, cela éton-
nerait ; les couleurs
du vêtement ainsi
que maints détails,
de Corinne à Hé-
rakleides, pnur-
raient montrer des
variantes sensibles ;
toutefois l'hima-
tion ordinaire, qu'il
soit long (péplos)
ou court (calyptra) ,
à toute époque fut
porté de couleur
blanche. A Tana-
gra, les courtisa-
nes ou les femmes
à la mode se dra-
paient dans l'hi-
mation rose avec
bande jaune, pourpre ou noire (le péj)los en laine
et la calyptra en lin).
La tunique (chiton), généralement bleue, rouge
ou rose, rarement lilas ou vert-jxinnne. est quelque-
fois blanche, gris foncé, noire ou jaune. La chaus-
sure, comme le dit le i>oète grec, est collante, avec
le /dessus du i)ied jaune et la semelle rouge, — ainsi
les babouches turques. Les cheveux, rouge brun,
rappellent le châtain clair des femmes béotiennes,
leurs yeux ont des teintes de pervenche sous l'arc
noir des sourcils, ensemble_harnionisé_du rose_ clair
fondu de l'incarnat des joues. Certains visages sont
enduits d'im émail qui conservait les couleurs
JOUEU:
tendres, tandis que les colliers, les diadèmes, les
boucles d'oreilles sont tout pimpants d'or.
Mais parmi les façons de coiffures, il en est trois
principales : tantôt les cheveux sont redressés vers
le sommet de la tête et liés par un bandeau, de
manière à former une touffe, — la petite lavipe —
et dont les mèches folles simulaient la flamme ;
tantôt aussi la
chevelure est divi-
sée par une raie
tracée au sommet
de la tête, chaque
moitié disposée en
boucles et formant
derrière la nuque
une sorte de chi-
gnon en boule ;
tantôt encore les
cheveux, rejetés en
arrière, sont main-
tenus par une
étofïe agrafée au
sommet du crâne.
Quant à l'éventail,
en forme de feuille
de lotus, il était
bleu, parfois rouge
ou des deux cou-
leurs ; le chapeau
était en paille
jaune.
Que l'on s'imagine
alors la foule bigar-
rée, élégante et
souple sous le soleil,
dans une viUe aux
murailles peintes,
et nous reverrons
toute la gamme
chantante des
nuances grecques
de la couleur, de la
joie et de la \'ie.
Parmi cette foule, on rencontre à peine un pour
dix de hgures masculines : éphèbes vêtus de la
chlannde ou de la courte chemise, le large chapeau
de feutre sur la tête. Jlais si nous allons de Tanagra
à M\rina. ville ruinée du|^ni<^ siècle, située entre
Pergame et Smyrne, la piroportion change considé-
rablement, et nous pourrions souvent y confondre
certains types de statuettes avec celles de Tanagra
qui, longtemps, }• importa ses produits. A M\Tina,
toutefois, les Eros ont pris des libertés, ils ont
quitté leurs socles avec les Psychés et les Xikés
pour \'oyager vers l'infini au gré de leur caprice.
Ce petit monde ailé accompagne et \'énus et Bacchus
DE M.\NL)(iLP
L'ART ET LES ARTISTES
Myrina a ((inservé cjuclques noms. On lit fré-
(liK'inmeiit au dos dos statuettes la signature de
l'artiste : Diphilos, Pythodoros, Ménojjhilos, etc.
En modelant ces figurines avec tant de vérité
1 t de vie, les artistes grecs ont surtout cher-
ché à j)laire à leur clientèle, et il ne faut ]>as
trop demander, quand le sujet n'est jjas net-
tement défini, si telle statuette rai)i)elle A])hro-
dite, Démeter ou Ariane, car la ])lus grande
fantaisie présida à la confection des modèles,
souvent traités avec des variantes qui en fai-
saient des cL'uvres nouvelles. Ainsi l'Hermès au
bélier, en terre cuite, du Louvre, peut aussi bien
se rapprocher de l'œuvre de Calamis que repré-
senter cet éphèbe choisi chaque année parmi les
plus beaux de Tanagra, et qui, religieusement,
taisait le tour de la ville en portant un bélier :
JEUNE FEMME EX PKOMENADE
dont le culte se colore en Asie Miiu'ure d'une
sensualité particulièrement inquiétante. Alors appa-
rurent un plus grand nombre de statuettes nues à
ras])ect androg\ne, groupes bachiques, divinités ré-
gionales, grotescjues et autres, qui chantèrent peu
discrètement l'amour dans la « molle lonie », où Bac -
chus se métamorphosa en Herma])hrodite, confoii
dant ainsi deux sexes dans une seule beauté.
Plus encore qu'à Tanagra, les terres cuites dr
Myrina s'inspirèrent des compositions ])eintes ou
sculptées de l'époque, ainsi que le montre particu-
lièrement cette scène nuptiale qui ra])pelle les Noces
il' Alexandre et de Roxaiie, dont l'original peint étaii
dû à Aetion, contemporain d'Alexandre, et que la
copie romaine intitulée Xoces Aldobrandines repro
duit dans son ensemble.
De ces corojjlastes de génie, dont jiarle ]hu l'histoire,
DEUX .\MIES
[.■ART I-T LES ARTISTES
céréiiKinic ik'Stiiiér à pcrprtiur la inciiioiir de ik' l'épocjne d'Alcxanilrc, iiartisan île l'étude de
l'antique proiuenaile (lu'eftectua Hermès lui- la nature et non des (euvres des artistes. Aussi
niénic ]H)ur sauver la \ille d'inie l'pidéniie, auisi c<jnil)ien de \-ie observée les statuettes grecques dû
([ue le ra)iporte une légende. Toutefois le ])lus iv<' et du m'" siècle n'ont-cUes ]ias enregistré en
,y:rand nombre des [lières sont originales, lirées à des images é\-oratrires que l'on rhercherait vaine-
|)lu->icms iNcmplaires. et foiiuées à l'i-cole de ment de nos jours ]>armi les productions anonymes
l'ra.silèlr, de Scopas et de Lssippe, ce maître et populaires.
PlEKRE GUSM.W.
l'ETITS l'KdS
TERRE ANTIQIE
CORINTHE » (Société nouvelle, 1903)
RENE MENARD
SI l'on veut se former une idée exacte du talent
j)articulicr d'un artiste, il convient, en i)ieniier
lieu, de se remémorer les conditions générales de
son art antérieurement à ses débuts, ensuite de se
rendre compte de ses origines ])ersonnelles. Les
critiques ont constamment note la tendance de
M. René Ménard à restituer, dans ses i)a\sages,
([uelque chose de l'idéal de l'ancien « pa\sage liis-
torique )i. Il est certain que ses évocations des
solitudes aux lignes amples, aux horizons sim])les,
aux valeurs dorées, baignées de je ne sais quelle
atmosphère de légende, rompent au principe des
« vues de pays " étroitement localisées. Que si.
cependant, on examine d'un peu ])rès ses (euvres,
on s'aperçoit qu'elles ne ré])ondent nullement à
une volonté de retour en arrière et que, même, elles
s'accompagnent de beaucoup de recherches pro-
prement " modernes », au sens actuel du mot.
La modalité coni])lexe à laquelle s'est arrêté l'au-
teur ne s'est point déduite d'un concept théorique
et d'un dessein a priori aboutissant à une formule.
liiie ne jieut s'cxpiicpier (|ue par le fait d'inlluences
ambiantes, longuement respirées avic l'aii' d'un
milieu d'enfance, et jiar le concours d'imi)ulsions
typiques ]>arties de l'étlucation, assez nettes, assez
concordantes et assez suivies pour s'être imposées
aux instincts de l'enfant dès la formation de son
esprit. En d'autres ternies, si chargée d'éléments
qu'a])])araisse la ]iroiluction de M. Ménard, son
caractère curieusement concentré est l)ien moins
arbitraire qu'on ne ])omrait croire. 1. 'altiste ne
s'asservit ])as à des i>récédents : il obéit libremiiit
à la loi de sa culture, ce cpii est singulièrement
différent. Par là même, en ilehors des questions
spéciales d'esthétique l't de technicpie, il desieut
un sujet d'étude d'un rare intérêt.
L — L'histoire du paysage français depius dcu.x
siècles a toujours été présentée si confusément
qu'il est malaisé de se rendre compte des erreurs
13
L'ART ET LES AiriTSTES
. ' ■ PORTRAIT
(le direction et îles l(in.L;s malentendus. x\u com-
mencement ilu XVII'' siècle, Nicolas Poussin, maitre
profond et sensible, qu'on eût \-oulu seulement
moins obsédé du mirage de l'antiiiiuté, avait jeté
sur la nature d'admirables regards et marqué le
vivant accord entre un beau site et des personnages
humains d'une expressive poésie. Son contemjio-
rain, Claude Gellée, avait eu le don de sentir et
le génie de traduire l'intégrité de la forêt pénétrée
d'ombre aussi bien que la gloire du soleil sur la
mer. Mais, depuis, en vertu d'étranges préjugés
et des plus ■ fausses doctrines sur l'antique, le
terrible Le Brun s'était enhardi à refuser au paysage
son rang dans la haute peinture. En vain le
xviii<5 siècle essaya de réagir : ses bonnes intentions
avortèrent. Louis David, renchérissant sur Le Brun,
n'admit l'indication d'un site qu'à l'état sommaire
au fond d'un tableau héroïque, ou, isolément, qu'à
l'état de manifestation idéale. Rien que des «Arca-
dies » et des « Vallées de Tempe » , peuplées de créa-
tures fictives, plantées exclusivement d'arbres
« nobles », uniquement décorées de colonnades, de
ruines et de tombeaux. C'est le paysage académique
en toute sa pompe et en tout son vide.
Les choses sont allées de la sorte jusqu'après
i(S24. A cette époque, les nouveaux maîtres anglais,
les Bonington, les Constable, en passe de s'essayer
chez nous, ramènent les meilleurs d'entre nos jeunes
artistes à l'étude des vieux Hollandais et vers la
nature. En pleine réalité, des romantiques tels que
l'aul Huet et Jules Dupré s'accointent à d'autres
( hercheurs, venus par d'autres chemins. Corot>
par exemple, élevé, ni plus ni moins qu'Align}'
et Cabat, au giron classique, a éprouvé le be-
soin de s'envelopper de toute la vérité des
choses ; il a suivi les sentiers couverts descendant
aux sources fraîches ; il a goûté, en cheminant,
le ravissement des buées de l'aurore et des va-
peurs du soir ; mais son art conserve à ses visions
ingénument particularisées quelque chose de ce
sentiment généralisateur demeuré en lui de son
apprentissage primitif. Parallèlement, Th. Rous-
seau insiste sur l'architecture des terrains et
l'individualité des arbres ; J.-F. Millet, plus hu-
mainement rustique, interprète les paysans
forts et massifs comme de frustes incarnations
de la glèbe et, tout ensemble aidant son esprit
d'observation et son rêve poétique de l'exercice
de sa mémoire, il sait fixer l'atmosphère ^en-ses
aspects subtils. Ensuite, c'est Chintreuil, tour-
menté de la perspective aérienne ; c'est Dau-
bigny, le peintre des bords de rivière et des
grasses vallées ; c'est Courbet, épris de la soli-
dité des matières ; c'est Jongkind, frappé du
mouvement de l'atmosphère et, pour ainsi dire,
de la respiration du monde.... Et demain, ce
seront les impressionnistes, ardents à décompo-
ser la lumière elle-même pour en mieux inonder
U-ius toiles.
On c<inç(iit qu'avec cette variété de buts, cette
nuiltiplicité de ressources et ce rayonnement de
vie, il ne soit plus question de l'académisme.
Personne n'accepte plus l'emploi d'une commune
formule jiour rendre indifféremment toutes les
contrées. En revanche, les médiocres d'idéal et
les trop habiles de technique tendent à substituer
à l'abus d'abstraction un non moincke abus d'ana-
lyse locale. Les exposiiions commencent à four-
miller de reproductions de « petits coins » sans
mirage. Tant pis, au surplus, pour qui n'a pas
conscience, comme Puvis de Chavannes et comme
Cazin, que le paysage est devenu l'un des éléments
fondamentaux de la peinture d'histoire ; que l'ex-
jiression de l'ambiance est aussi indispensable à la
portée d'une composition que le dispositif du sujet ;
que, pasplus aujourd'hui qu'autrefois, un vrai paysa-
giste ne se contente de faire de son ouvrage le sec
procès-verbal de constatations matérielles et con-
tingentes ; que le plus grand peintre, dans toute
école, a toujours été et sera toujours celui qui a le
mieux dégagé des changeantes apparences le trait
14
LART K'r
ARTISTES
FKAr.MEXT d'un PROJET DE DÉCORATION POVR LA FACULTÉ DE DROIT (exécuté en igoS
fie jjfrinanpnce caché, le lien d'union du local à
i'univ-ersel, du fugitif à l'essentiel !
Vers 1880, des réflexions de cet ordre se présen-
taient d'elles-mêmes aux hommes instruits et déli-
cats, appartenant aux milieux pondérés, où l'on
avait le souci de comprendre. Ces hommes dédai-
gnaient d'épouser aucune querelle, mais visitaient
les ilusées, fréquentaient les Salons, relisaient les
vieux livres et concluaient qu'il ne convient de
rejeter en bloc ni tout le passé, ni tout le présent.
Souvent le passé ménage au présent îles conseils
utiles. Souvent le présent, avec ses prétentions
novatrices, se rajuste au ])assé dont il reprend sur
nouveaux frais les tentatives, Le peintre Kené
Ménard est issu d'un de ces milieux sages où l'on
pensait et raisonnait ainsi.
II. — René Ménard est né à Paris, en iSh2.
d'une famille parisienne au moins dejiuis deux
15
AK
i:s Ai\ r
,i;t''nciatuin>. Les Miu.ucl rt.iuiil de bonne race tiuutKins de sous-dnecteui- et y donnait nn cnsei-
bonrgeoise, très saine (>t très droite, j'ai beaucouj) ^'ueinent littéraire. Ponit d'esprit i)lus ouvert
connu le ])ère et l'oncle du jeune artiste. Son jjère ni plus Iranchenient é(]uilibré. S'il admirait l'anti-
était un critique d'art d'un sèrieu.x mérite, bon quité et la Renaissance italienne, ses préférences
esthéticien, bon historien, écrivain clair et sur. allaient, en peinture, à l'Kcole hollandaise du
Il remiilissait, à l'École des Arts décoratifs. les .wii"^ siècle. Une de ses maximes favorites était
ptcUK POUK M.\ Ui;s l'.\N.\E.\U.\ DE I.'ÉCCiLK Dl£ DROIT
ï6
I ART ET I F> AKTISTI-
qu'il ne faut jamais rien tenter qu'en accortl avec
la nature : il en lit la règle de conduite de son lils.
L'oncle du ])eintre ne fut autre que Louis Ménard,
l'auteur de ce livre fameux le Pulylhéismc hellé-
nique. Après avoir consume des années de sa vie
en d'enthousiastes rêves j^aïens, il revint avec le
même IvTisme à des pensées chrétiennes. Il y avait
en lui du jihilosophe et du j)rophète. Ce qui éclate
de sentiment ou, peut-être, d'illusion antique dans
le talent de son neveu sort certainement de lui.
L'adolescent a fait ses classes suivant l'usage.
On me le "dépeint bon élève, sérieu.x et attentif,
sans rien du « fort en thème " et peu tourmente
d'imagination. Lorsque sa vocation pour la ])einture
s'est nettement jirononcée, il ne s'est pas promis
de révolutionner le domaine de l'art : il s'est simjile-
ment proposé de rendre les êtres et les choses le
mieux possible, à sa manière. Ses jjarents l'ont
placé, pour apprendre les rudiments, dans l'un des
ateliers Julian, sous la direction de William
Bouguereau. Si ce peintre est du tempérament le
plus opposé au sien, pour le moment il n'importe
guère : l'écolier n'en est encore qu'aux exercices
tecliniques. Le dcvek>i)|)ement 4^'stliéti(]uc lui sera
ménagé tout autrement et par ailleurs. Incidem-
ment, Paul Baudry, dont il a fait la connaissance,
lui donne quelques conseils. A son intervention se
rattache un assez plaisant souvenir. Bouguereau,
qui en a pris ombrage, a dit au jeune artiste:
" Qu'avez-vous besoin de considter Baudry?
C'est un homme de grantl talent, mais bien dange-
reux à suivre. Jamais il ne termine les extrémités
de ses figures. // mourra sur la paille, eoiiime
Rembrandt. Prenez garde à vous ". L'élève a souri
de ce langage assurément bizarre. Son goût n'est
pas, en fin de compte, de sacrifier au formulaire
de l'un ou de l'autre de ses professeurs. En présence
du modèle vivant, il s'efforce de copier fidèlement
ce qu'il voit. Ce qu'il sera un jour, nul ne saurait le
deviner et il ne le pressent pas lui-même. Au de-
meurant, son travail régulier le jirépare à fournir
une carrière de bon [leintre de ligures, ai)te à tout
entreprendre au gré des occasions. Pour tout dire,
c'est en dehors de l'atelier où se forme sa main que
son esprit s'ouvre à des influences. Entre le sang-
froid de son ])ère, positif, observateur, essentiel-
17
L'ART ET LES ARTISTE?
lenient libéral, mais ne mettant rien au-dessus de
la vérité nue, et l'ardeur de son (mcle. fulgurant,
vaticinant, évoquant les temps vécus et les tem|)s
à vivre, exaltant en formes, magnifiques la gloire
des Grecs, il esl an ivé à saisir et cà concilier des no-
tions i]u'on (loir, lit inconciliahlcs. Son père, en
l'initianf , au l.ou\ ve, .iu\ sa\'anfes ordonnances des
\ieu\ maifres. lui a ou\rit les yeux sur l,i \frtu
du juste rvflime d'une com|)osifion pour eu
renforcer le caractère expressif et original. Son
oncle a soulevé poui' lui le voile sublime des siècles
et lui a fait sentir la grandeur vénérable des terres
où les idées se sont é])anouies en hauts faifs et en
dit fs-ir(iu\'ii'. (_)ui s'i'-fonneraif . a]irès cela, qu'd
rêve d'un ,irf très liuiuain, fiés intimement \iai
et un peu légendaire. |iris au \il de la nature et
mi peu symbolique. - j'enfends noinri d'obsei-
vation. ennolili de iiensécs nées ilu réel et capable
de nous l.iiie eutrcvoii l'.iu-delà des aiipareuces?
C'est à l),iibi/(in qwv ses yeux se sont éveillés
à la beanf(- des p,iv~sages. Cliaijue année, sa famille
séjournait, dui.int les mois de wicinces. en ce
charmant \illagf ou p.nut si souvient Corot, où
Rousseau et .Millet \-é( ureul rt luinnuKiif. Toutes
les pierres des i lieiimis, fcius les sHis du \'oisinage
y parlent de ces gr.inds liomiucs. Leurs leçons \'
sont dans l'.in. Lt ipielle meiAcille que la forêt
de Fonfameble.iu ([u'nn .ippelleiaif aussi Wn^n l;i
foréf de Harlii/ciu ! D.ins un espace Imufé. les
horizons changenf à l'iiUnu. l.uitcM sauvages, tan-
tc)t tranquilles, toujours poéfiijues, ])artout grands.
L'été,- le soleil et l'ombre \- comliinent leurs fêtes
enchantées d<ins la verdure. A r.Lutoimie. pas une
frondaison, pas un taillis (jui ne s'\- revête d'un
somjitueux manteau d'or fauve à rehauts pourjirés.
Le jeune Ménard se sent comme absorbe, dans cette
immense majesté muette, ])ar cette mvstérieuse
opulence. Son âme s'emplit, comme celle de Corot,
de l'âme de la terre ; -ses yeux retrouvent, à con-
templer les chênes, robustes, aux frissonnants et
murmurants branchages, les sensations de Th. Rous-
seau ; il s.'émeut presque de l'émotion de Millet
à voir la chute du jour. Que le hasard de l'existence
le transporte, sur ces entrefaites, en la sévère, en la
mélancolique région de la Lozère, les silhouettes
énergiques des escarpements, l'ensenible de lignes
solennelles dont s'encadrent les campagnes ajou-
teront à son respect pour le sol auguste où se con-
centrent des puissances sacrées. Un peu plus tard,
il vouera ses pinceaux à la Bretagne,' la gueuse de
granit, couronnée • de chênes, penchée «m- iairaw. •.
Cette province le séduira si bien qu'il y reviendra
sans cesse. Il aime ces terroirs silencieux et sau-
vages, qui portent en eux un principe de st\le
et , commandent à l'artiste de longues médi-
tations.
Sans aller plus loin, je dois toucher un mot des
figures dont René Ménard anime et même, parfois,
domine ses motifs rustiques. Tout d'abord, il a
em|irunté quelques données à la Bil)lc et à la lé-
gende : par exemple, ses Premiers astronomes de
iiS8 ;, son Homère de 1884, ses Bergers observant
Siriiis et son Adam et Eve de 1891. A partir de cette
date, il se désintéresse sensiblement de ces thèmes.
( )n le voit bien exposer, en 1895, un nouvel Homère,
chantant devant des bergers, et, deux ans après,
un Jugement i/c Paris, petites figures dans un grand
]iaysage ; mais, déjà, sa préférence se montre
pour des ]iersonnihcations plus générales, d'ordre
l\î ique ou de genre pastoral : témoin son Départ
dit traupeuu dans un bois, au lever de la lune,
de i8()2, ses Défricheurs et ses Baigneuses au
crépuscule, de 1893, son incarnation de l'Automne,
cueillant des pommes au-dessus du rivage d'un lac,
de 1896, ses Femmes dansant an milieu d'une
clairière, de 1898, et ses Harmonies du soir, de 1899,
exi)rimces par deux jeunes femmes drapées comme
des ]irêtresses, l'une assise, accoudée, considérant
l'horizon des flots, l'autre debout, tenant une lyre.
La nature a été scrupuleusement consultée ; tout
est parti d'elle, mais l'œuvre s'est constituée sous
les auspices d'une poésie intellectuelle, intérieure
et grave qui entend remonter aux sources et veut
ignorer les contingences, l^ne seule fois l'artiste
s'est inspiré d'un trait de nos mieurs et il a consacré
à nos curiosités scientihques, en 1884, son tableau
de Deux médecins vaquant à une analyse chimique.
Mécontent de l'issue de sa tentative ou totalement
conquis à un autre orientation, jilus jamais (hormis
en de rares et profonds portraits que nous signale-
rons tout à l'heure), il ne s'est asservi à un concept
d'existence civilisée, à rinter]irétation d'un effort
social non primitif, à la représentation d'une indi-
vidualité définie. Son goût n'est guère que de
rendre des corps nus ou drapés d'un mode clas-
sique, modelés sous la caresse du rayon doré de
Claude. Rien que des gestes élémentaires,. des mou-
vements d'une signification quasi symbolique;
des t\pes humains aux formes pleines, aux ac-
tions instinctives, aux primordiales pensées, vrais
mais séparés de nous par l'espace idéal. Il \' ^ cer-
tainement là un aboutissement particulier des
œuvres d'un Nicolas Poussin, — le Poussin de la
Mort d'Adonis et d'Apollon et Daphné, — €t,- plus
près de nous, d'un Puvis de Chavannes. Il y a,
aussi, l'affirmation d'un talent sensible et -sincère
anitoar duquel tout s'est ligué pour réveiller, en
les fécondant, les songes de jadis. Et c'est l'âme du
paysagiste, nourri à l'école des maîtres de vérité
et des poètes de la campagne, du grand Claude
au grand ]\Iillet et au subtil et tendre Cazin, qui
guide la main du peintre dans la transcription
18
NU SUR LA FORÊT (Société nrjuvtllc, 1907)
19
L'ART i;t ies artistes
PORTRAIT (Salon de 1903 1
(les spectacles où l'iin s.ilue le réel à travers
le i-éve.
\'eiv iNiiJ. l'artiste, ilepuis liingteini)s hanté
(lu (li''sii d'aller deinander aux " terres antiejues "
(les éni(iti(ins Cdiifornies à son éducation et à son
état d'esprit, a préludé à des (lèlerinages esthé-
tiques. Tour à tour, il a pris jned en Sicile, en Grèce,
en Palestine, en Italie. Il en a rapporté des élé-
ments pittores(]ues, utilLsés par lui en des toiles
épisodiques (tels ses Moiitni^iics de lu mer Morte.
ses Errants endormis autour d'un feu, sur la C(ite
d'Épire, sa /)'((('(' d'Ertnoncs. à Corfou. oux'rages
auxquels il tant joindre son .1 iitinniic 01 (nrsc et
ses Remparts d'Aigiies-Murtes) ; mais, surtout, il
a dû à ses caravanes les matériaux de ses imjior-
tants tableaux des ruines des temples d'Agrigcnte,
deSégeste, deCorinthe et d'Égine, exposés de iSqS
à 1904. D'autres eussent imaginé des restitutions
d'une archéologie plus ou moins arbitraire ou des
compositions d'un symbolisme plus ou moins
artificiel. Il s'est dit, au contraire, que les monu-
ments de l'antiquité ne se ressemblent jilus ; que
les sites mêmes où ils se dressaient mentent à l'his-
toire. Arrosés, ombragés, peuplés et vivants aux
vieux siècles, ils sont, à présent, arides, brûlés,
mornes, vides, aussi lamentables que les pierres
(roulantes des sanctuaires abolis. Pourtant, une
dduble auréole glorifie, en ces solitudes, le fan-
tome de l'immémorial ; la noblesse des horizons,
le ]irestigc de la lumière. Pour charnier la déso-
lation, il ne faut rien de plus que notre aban-
don aux choses avec l'afflux de nos j)ensées
et de nos souvenirs sollicités. De ces souvenirs
et de ces pensées, René Ménard a fait une
atmosphère interne à ces tableaux, où, maté-
riellement, n'a}ip<iiait (pic ce qu'il a i)u voir.
Certes, on est en droU de qualifier de pareilles
peintures de " pa\sages historiques ». Elles
n'en sont pas moins aux antipodes des froides
im-entions des Micliallon et des Aligny et déri-
\ées des ]:)lus orthodoxes conceptions natura-
listes.
D'ailleurs, notre peintre se passionne de plus
en plus, à mesure tpi'il avance dans sa carrière,
pour les vastes scènes de la nature. J'en atteste
son Estuaire d'un fleuve horizonné de forêts,
bordé de pâturages jieuplés d'animaux : son
Troupeau au bord d'un étang, sous un ciel aux
nuées dorées et roses ; son Orage dans un bois
roussi ]iar l'automne ; soii Automne dans la
jorèt de Fontainebleau.... Il est particulièrement
facile de constater en cette série que la géné-
ralisation du caractère est obtenue sans aucune
altération des formes naturelles, uniquement
par la pondération des masses, l'ampleur de l'in-
terpiét.ition. l'unifiante et large harmonie de
ciels liiiii)ides. ou no\'és de vapeurs, ou chargés
de nuages denses, diversement lumineux. La
sensibilité de l'artiste se raisonne elle-même. Son
art non nait, mais savant et loyal, se fortifie
du talent qui tire ])arti de tout pour atteindre
la ))lénitude de l'eflet voulu et du sens pour-
suivi. Par là même cet art s'ajuste parfaitement
aux convenances de la décoration monumentale.
René Ménard en a tait l'heureuse expérience en
résumant, naguère, sur deux pans de mur de la
Sorbonne, ses visions du Temple ruiné gardant
en lui. sous le soleil, je ne sais quoi de supérieur au
temj». et de la mer énigmatique où se mirent les
destins des hommes. Au Salon de 1909 il donnera
la décisive mesure de ses aptitudes de décora-
teur avec les deux immenses panneaux de pa^'sage
et (-le vie pastorale qu'attend la Faculté de Droit.
Encore que je ne puisse m'étendre sur des pages
en cours d'achèvement, si grandement conçues et
vigoureusement équilibrées qu'elles s'affirment.
les _ lecteurs en trouveront mieux qu'un avant-
goût parmi les gravures accompagnant la pré-
sente notice.
i.'AKT KT LES ARTISTES
in. — Il me l'fsle à iinli<iiu'r somniaiieim'nt
le procédé de l'auteur et à parfaire le signalement
des branches de sa production. Comme Millet,
l'uvis de Chavannes, Cazin et la plupart de ceu.\
pour qui la nature est un livre à conunenter, c'est
l)ar des dessins élaborés en détail devant le réel
qu'il prépare ses compositions longtemps avant de
les peindre. Ces dessins comportent des ensembles
et des fragments étudiés à vif — notamment des
arbres traités, pour ainsi dire, en portraits. Ce sont
ses documents essentiels, ses sûres références. Pour
le reste, aj'ant, dès sa jeunesse, assidûment cultivé
sa mémoire visuelle, il se guide sur ses indications.
Ses esquisses colorées sont exécutées de souvenir,
à l'huile ou, plus couramment, au pastel. Au cours
de son travail, il simplifie ses dispositifs, rectifie
ou complète ses efïets, parfois les transfigure.
L'accord de ses tons se règle entre les points clairs
dûment déterminés et les masses fortes fermement
rythmées. En ses colorations, où les délicatesses
abondent, j'ai le regret de le voir troji volontiers
s'asservir à des traditions de musées, recourant à ce
qu'on appelle, en argot d'atelier, « les jus », d'où
vient aux tonalités un aspect factice roussi,
jauni, verdi, enfumé, vieilli ])ar avance. Il n'est i)as
bon qu'un tableau nouvellement fait, tout plein
de l'âme vivante de l'artiste, sacrifie sa fraîcheur.
Aux impressions d'aujourd'hui nul voile d'ancienne
apparence ne doit se superposer. Mais, à ]Mrler
franc, jilusieurs des envois du ])eintre au Salon
de iqoS {la l 'où' sacrée à Rome, le Mont Cervin. etc.)
nous l'ont montré en voie de clarifiei" sa palette,
rhez un homme de sa complexion. les évolutions
ne sont jamais brusquées. Celle-ci, très normale,
sera très progressive, mais elle aiua, sans doute,
de riches conséquences.
Nous avons successivement rencontré les ]iay-
sages avec ou sans figures et les ordonnances déco-
ratives de M. Ménard.. Une catégorie sjjéciale de ses
ouvrages est demeurée à l'écart de nos jugements.
Je ne voudrais, cependapt, pour rien au monde,
ne point consigner ici le haut mérite de ses portraits.
Ce pa\sagiste grave, au.x origines duquel il nous a")>lu
de remonter et dont la personnalité s'est révélée
à nous tout entière, a été autant de fois qu'il lui
a convenu un portraitiste de la ])énétration la plus
aiguë. Dès ses débuts, les expositions eurent de lui
quelques effigies d'une acuité d'exjiression frap-
pante : tels, en i8S(), la Femme <■« blanc, et,
en 1890, l'Homme aux liiiiellesjioires. Or, en pos-
session d'un don magistral de fouiller et de resti-
tuer un caractère, jamais il n'a consenti à user de ce
don qu'en faveur de ses inoches et île ses intimes.
Sa galerie ne contient pas jilus d'une douzaine
de demi-figures, mais du dessin le jihis incisif,
du modelé le plus senti, de la ])his franche intensité
de vie profonde et pensive et d'un al)solu naturel.
L'unique regret qu'on éprouve en face de ces
tyjiiques images, si ]irccises et d'un style si résolu,
naît de leur envelojtpe trop ambrée, troj) spicieuse.
SdlK <lli.\<;i:l".\ (S.llnli ili' 10114)
J.'AKT ET T.ES ARTISTE?;
Encore la force de révélation humaine des visages
arrive-t-elle à nous obséder si bien que nous ne
prêtons plus attention à autre chose. Ce sont de
significatifs jiortraits que ceux de Mme René ilénard
et de Mme Galtier-i^oissière, des peintres Lucien Si-
mon et Charles Col tct, du céramiste Delaheiclie, de
l'esthéticien André ('lie\iillon. Ce sont d'énimuants
chefs-d'ieuvre c|ue les pnriraifs de la mère du
penitre et il- >nn nnilc Ir i>liilosuphe vi^ionnanc
Louis Ménard.
dans 1
meut
(hi'ij 1
("eluid
].as SCI
il
lit, cil délinitne, du mieux tpie je Tai pu,
■triiit espace dont je dispose, mon senti-
iui cil" sur un talent justement honoré.
c soit permis de conclure en deux mots.
ut iiDUN \cnons de nous occujier ne s'impose
^clllcmcnt à la haute estime des connaisseurs ;
iiiiiKindc leur sympathie.
Cliclui Ciri'jiii. L. DE FOURC-AUD.
PdKIKAU DK M. CllEVUlM c iN
PIERRE-GASTON RIGAUD
liiU'i ifui Cl l_,t:;iis('
VArl el les AtliîUs. n» 4g.
HAl<n<l;>, l.i' MAI IN i.l.-^Ml)
inGAU©
TROIS suites (le tableaux et de dossiiis n-liaussés :
le Village, les Laudes, les Ët^lises. qu'il exjjosa,
le mois dernier, dans les Galeries Georges Petit,
révélèrent Pierre-Gaston Kigaud, nature robuste
et mystique, talent o])iniâtre. largement épanoui
l)ar la beauté de notre France, l'harmonie de ses
rathédrales, la l'orée de ses traditions. Dans le
grou})e qui nous a donné Charles Dulac et .Maurice
Denis, l'ceuvre de Pierre-(iaston Rigaud parle
.i\'ec un accent populaire. Il augmente la séduction
lie cette i)rière de peintre, dont on ne peut oulilier
la franchise véhémente, l'éclat.
Le Vilhijie est modeste: Saiiit-M<)rillon. dans le
pays girondin. Il accueillit l'enfance de l'artiste et
lui apprit les destinées de son existence. Aux heures
de doute et de tristesse, alors (]ue les années il'ai)-
jirentissage condamnaient Pii'rre-(iaston Rigaud
à n'être qu'un ouvrier de la forge |)aternelle, le
village de Saint-Morillon lui donna les leçons inou-
bliables de la matière et de la nature.
Heureux départ d'une existence d'artiste ! Toute
force s'augmente ]>ar la conq)ression. Les pa\"s où l'on
a souffert sont les pins beaux du monde. La clarté
des visions de Pierre-Gaston Rigaud, la solidité
de sa technique, le lyrisme émouvant et discret
cpi'il donne à ses images, tous les éléments consti-
tutils de l'originalité de ce beau peintre doivent
davantage aux voix rustiques qu'aux séjours qu'il
lit, de iiSc)4 à I.S((8. dans les Lcoles des Heaiix-Arts
de Bordeaux et de Paris. Elève de Léon Honnat et
d'Albert Maiguan, le jeune homme sidiit ainsi sans
les accepter les conventions scolaires, les mensonges
d'ati'lier, les rélicences i|ui gouvernent l'art olliciel
d'aujourd'lnii. Oiiginaire d'une pro\ince où l'on
nait Prix de Rome. Pierri'-Gaston Rigaud est
devenu peiii/re en suivant îles routes moins ratissées
(]ue celle des lauréat-^.
Après les années d'Ecole des Heaiix-Arls, le
retour au -eillaiie fut salutaire à l'artiste. S.iint-
Morillon s'offrait à lui connue le sanatoriiDii de
23
t.'AKT ÏÏT LE? AKTÎsTKS
l.EUSE lUlESSANIl
sa tuberculose n(a(li''nii(Hic. En iSmS, il \' exécuta
une série (I'i'UkIcs un se laisaiciit jour les teml.mces
modernes. La si]li(iiiiHe du l'iu Iranc ettaça le
souvenir du niauue(|niii \i\Miit ; lesas|iectsilu l'ilhii^c
qui s'éveille ou s'eiidurt, si's ruelles, ses bords de
ruisseau, cjiuliien d'autres harmonies sul>tiles de
la vie aux champs clissipèient les habitudes de la
rue Bonajiarte. An regard du maitre dispensateur
de conseils autoritaires en dehors desquels il n'est
point de salut, la nature substitua rin\-itation aux
essais, aux tâtonnements (|ui conduisent l'artiste
à se donner la i^reuvi' de son imjniissance ou de S(m
originalité.
One de dignitaires de nf)s Stiltnis. que de Hors-
Concours, que de jiorteurs de médailles, souvent
de sauvetage, eussent gagné à se donner celte
preuve, une fois pour toutes !
L'iniluence de Monet, de Sisle\- et des impres-
sionnistes libéra déllnitivement Pierre-Gaston Ri-
gaud. Les Quais de Bordeaux lui offrirent bientôt
riné))uisable variété du leurs aspects et de leurs
heures. L'n séjour en Bretagne stimula sa vision. La
Mer houleiixc. pur le leinps i^ris. à Oiiessant, exposée
chez Georges Petit, montrait quelle émotion secoua
le ]Kintre devant un spectacle qu'il nota avec une
liè\-re toute romantique.
()l)sédante, impérieuse, la beauté de l'Océan
]iciursui\it longtemps Pierre-Gaston Rigaud. En
i()oo, il \int s'installer à Confis, dans les Landes, que
nul iH-inlre moderne n'avait encore analysées comme
elles le méritaient.
Voisines du pavs gironilin, moins avenantes
mais de beaucoup plus poignantes que lui, les
LiUides défendent leur mystérieux attrait. Le pro-
fane, 1 étranger que rien n'a préparés aux mélan-
colies de la grande plaine landaise redoutent cette
solitude où le pin se dresse, solitaire, brfilc par le
soleil, jileurant ses gemmes sous l'outil du résinier.
Avant de s'enfoncer dans ce désert, Pierre-
Gaston Rigaud explora la région des marais salants
girondins, le voisinage des étangs, le bassin d'Ar-
cachon : la Hume et le Cap Ferret qui participent
encore aux douceurs de la Guyenne et annoncent
déjà l'austérité gasconne. Les Gniiids Pius, à La
Hmne, debout devant une vastitude lacustrale,
sont le rideau des incantations landaises qui vont
se dérouler dans r(ruvre du iieintre.
A t'ontis, plus rien que la Dune, le Pin et rC)ccan,
24
L'ART ET LES ARTISTES
I E CniETIKKE
maîtres d'un domaine
ingrat et triste. Jadis,
sous le nom de sdiivelé.
ces régions étaient l'asile
inviolable des criminels
et des persécutés. Quel-
ques heures suffiraient
au voyageur pour s'y
laisser mourir d'ennui
Tel peintre y chercli.i
vainement les raisons qui
fixaient Pierre -Gaston
Rigaud en cette Th'
baïde, oubliant de teiui
compte des ressources
de l'imagination desm\"<;
tiques pour lesquels 1'
trait d'un paysage •
en raison inverse de son
pittoresque.
Quoi de plus morne
que l'alignement de troi*
pins sur une dune? A
matin, dans les clai ;
roses de l'aube, ces Trvi^
pins morts se dressent,
K.VVtiN l>r SOIK (N((rRE-I).\ME DE (H.AKTKES)
devant Pierre-(iast(in Ri-
f;aud, comme des té-
moins sans (jui l'harmonie
de Contis sérail fausse.
.\insi, de\"ant le sjx'c-
tacle des pires lianalités,
riiarks Dulac dégageait
instinctivement, pour la
rendre dominatrici', l'ar-
mature mysti<iue que
tout pa\sage porte en
lui. Pareillement, dans
le temps gris, le Pin
tordu pleure ses misères
de vieillard mutilé, et la
symphonie landaise de
Pierre-daston Rigaud
convie ce pin, sur un
mode assi^iate, à célé-
brer encore les malins
frileux qui animent la
solitude, les midis toni-
fies, les soirs d'agonie
créjjusculaire, et les imits
de dunes, les nuits étoi-
lées, le sommeil de la
I.'ART ET LES ARTISTES
Laiulc bercée ])ar le rythme des fiots. Les somptueuses ruines île l'abba-ye de La Sauve
Xcitre frère le l'iii obéit. Il oublie 'a tiiste des- ((iironde) conservent, dans leurs parties du
linée. Dans ce [)iiysage ([ue Pierre-Caston Rii^aud xii'' siècle, mie sculpture dont les bestiaires se
lait l'un des plus attachants (pie l'art fiançai- ait rattachent aux influences languedociennes. Elle
connu ileiniis Piu'is de Cha\'annes et Cazin. il s'agite con\ailsi\'ement sur les chapiteaux envahis
devient un héros de tragédie: celle de Y AlLnilidc par les moisissures, au-dessus de colonnes dar-
disiiarue. treiise?.. lelong (le cloîtres qui font songer à Saint-
Des 1. amies, décor de scènes bibliiuies, Pierre- Troi)hime d'Arles. Les soleils du matin et du soir
. . LES TROIS PINS MORTS :. . .
(iastoii Rigaud ]iassa sans etfoits aux Évjiscs. lancuil Kurs flèches lumineuses • sur ces ruines
Peintre reli.t,deu\, il relia(:a plusinir-. épisnde^, de (|ue les rax'oiis de lime n'oublient pas.
la l'iissioii ipii le rlas-,iiit paiini lis i iii(i\ ah urs Tonte ruine dml dis] laraitre laissant un souvenir
d'un art aiiiiiiird'lim luiiil»' d.iiis le mai.i^iiK' i.mie trop s(iu\-eiit ai( liéologiipie. Inestimables docii-
de ]irendi-e i (intact dis tcmlaiKts modernes. Le ment-,, les \ues de La Sauve de, Pierre-Gaston
s])ecta( le des céi éiiicmies cal li(ili(|iies lui Mi,e,!;éia Rig.iud séduiront les archéologues et les artistes
(|tiel(|iies leuxres impiiilanles : K-. I'yciiiici','\ ci'iii- p.ir leur exactitude et la puissance qu'elles ex-
iiiiii!i(iii/i'\ à IjinsHinl, la Sur/ir i/i- ;;;(•«,■ à Sain/- priment, il n'est pas de jilus beau commentaire
MorilldU. les (lunilrcs, etc. A\cc une série de por- des rudesses de l'art roman ipie U^s Soleils dans les
traits de l.iinille e\i'cii1és \-ers l.i même é|)0(pie, niiiii-'' de La Sdjivc. de plus inoubliable évocation
ces ieii\-res sdut i nmparables, pour TiHude ùw type (|iu' le /.("',7' de liiiir sur le ciuieticrc. et, i)0ur l'ana-
girondin, aux mitai ions de t\pes hielons par l\-se des influences saintongcoises en Gu\-enne,
Lucien Simon (t (liailes ('(.tl(t. au xiT' siè(de. les vues des ('glises Saint -Seurin ou
Knlm, Pierre-d.isidii Rigaud s'é]>ril des ('glises Sainte Croix de liordeaux valent un texte de
romanes (t gotliicpus de la (.u\(ime cl de l'Ili- M. André Michel.
de-France. Entre toutes les impressions d'artiste que le
26
ART I;T I I- .\RTl<TI-<
I.A KKK.Ml-; NORMANDE (dissiii)
mo^'en âge français donna à Pierre-Gaston Kigand, tV I nlérieiirs (l'ô^liscx, les yo/rc-Dnnu- de Taris et
celles qui lui accordent une place enviable — peut- de Chartres, les vues de Saint-Etienne du Mtuit, de
être la première — dans le groupe des peintres Saint-Séverin.deSaint-tiervaiset de Saint-(HMniain-
VILLAGE NORMAND (dessin)
27
L'ART ET LES ARTISTES
l'Auxerrois sont niai(Hiées au coin d'une \'utuo- de leurs \-()ùtes, la flore de leurs chai)iteaux, leurs
site et d'une émotion reliLïieuses dépassant le niveau inysièycs sculptés, les fanfares de leurs verrières
des œuvres similaires.
La ('iillh-ilrulc retrouve le souvenir des Laudes et
du ]'i!Liiic dans les trétonds de l'àme de ce mys-
tique. Il est chez lui parmi les idées simples dont
l'enchainement édifia la Catliédvalc. Les tailleurs de
pierre, les imagiers et les \-erners parlaient la langue
.xaltent Pierre-Gaston Rigaud jusqu'au lyrisme,
nul jieintre n'exprime mieux les aspirations rus-
kiniennes vers la Beauté de ee qui vit.
Lui-même, conliant en ses rêves, joyeux de
peindre comme l'oiseau de voler, quand il nous
offre 1( -lie, i.nli de l'i^A-iilution si normale de sa
LE PIN TORDl-
populaire que Pierre-Gaston Rigaud impose encore
à son art. ( )ù la science de M. Emile Mâle parvient
à nous montrer que tout est logique et natura-
lisme, l'art de ce peintre nous olilige à fléchir le
genou, admiratifs et muets, ilans la Cathédrale
qui résumait le monde, de\ant sa Ruse. s\'nthèse
de l'idéal de nos ancêtres.
Qu'il s'isole dans le décor de l'église de Santeuil-
le-Perchay où nous jiouvons méditer sur les origines
des Cathédrales. (|u'il pi'iiètre ilans ces Cathédrales,
et que la jiénombie de leurs chajK'Ues, ren\'ol
vij et (L' son reuvre, loin des formules d'Ecole et
des diiilomaties de Salous. n'a-t-il pas, selon Ruskin,
Cette " espèce de Beauté qu'on peut appeler la
Beauté vitale ", celle que " toute chose vivante
possède, qui semlile remplir joyeusement sa fonc-
tion '1?
Découxrir un peintre est plaisir facile aujour-
d'hui. Il- sont rares ceux qui, comme Pierre-Gaston
l\i!4.iii(l. eiilerment dans leur leuvre et célèbrent
nolileiueiit les caractères du génie de notre race.
.André Girodie.
2S
L'ART DECORATIF
le uecouvene a ttoffes empire
. au Mobilier Naî
JE ^iiis de plus en jjIus frap])c de la fausse ori- à la curée, et vous voyez en moins d'une saison
ginalité des dessinateurs ])our étoffes, tapis, l'Oiseiiii drfcmi.iii/ son nid contre un reptile (c'était
rubans. Ce qu'ils appellent aujourd'hui, à grand un motif à la mode) mis à toutes sauces dans la
fracas, l'art moderne, ne serait-il en définitive qu'un vaste cuisine industrielle! ..
pâle succédané d'art ancien =■ ( )n
d'eux, vers le milieu du
xixe siècle : « Ils vont
furetant dans le cabinet
des estampes, ils extraient
de ces catacombes de l'art
quelques idées, et leurs
yeux, devenus une sorte
de kaléidoscope, tournent
sur elles et en tirent des
combinaisons infinies qui
suffisent aux modes de
chaque jour et à l'ébahis-
seraent des niais, mais qui,
aux yeux de l'homme de
goût, sont tout aussi mé-
diocres que l'idée mère qui
leur a donne naissance.
Comme on possède des
mécaniques à combinai-
sons arithmétiques, ces
artistes sont de véritables
mécaniques à combinai-
sons de dessins ; ils n'ob-
servent pas un princiix>,
ils ne suivent pas une règle,
ils n'ont pas même une
faculté ou une prédilec-
tion. Aussi quelle misère
de redites dans cette
ornementation soi-disant
si riche ! Quand deux ou
trois bons dessinateurs
sont par\-enus à trou\-er
une idée vraiment origi-
nale, aussitôt la foule i aium r m ikwaii pi n.m'i
des imitateurs d'accourir .\ tkianon (ti-mur.-)
se rejouissent ! M. Duinoii-
lliier, administrateur du
-Mobilier national, a dé-
couvert tout un lot
(l'étotfes de réjKJcpie na-
noléonienne, avec les
documents qui en pré-
cisent l'origine, la valeur
et la destination, et de
tous ces documents écrits
1 t figurés, il vient de
composer un livre extrê-
mement attachant qui
est une contribution ori-
ginale, aux études sur l'art
(irnemental au tem])S de
Napoléon l''"". qui modilie
sur certains points l'idée
qu'on se faisait du style
Empire, et qui donne tle
]>récieux renseignements
sur des demeures au-
ioiud'hui détruites, les
TuiK'ries, .Meudon et Saint-
Clipud.
Plus on étudie les regis-
tres de comptes contem-
porains. ])lus on remariiue
iiu'autant Napoléon !''■■
se montrait généreux dans
ses dépenses somptuaires.
autant il était jirécis. mi-
nutieux dans l'examen de
ces dépenses. Il donnait
beaucoup, mais il ne ilmi-
nait pas sans compter.
C'est ainsi qu'il avait
L'ART ET LES ARTISTES
(iRAXI) SAI-OX I)K I. HMl-HKErK A SAINl-(Miri
(Iftciulll il. 111^ I.-. .lllIrllMillIc lll^ l'nilliliii lies
tian,L;rs et ilo j^l.iinK, (ai la iias^tiiuiitcrii- cnule
très (lier. Va ratliiiiiii--trat( m ilu ( laKk'-iiKulilc
il'aldis tut tirs iinliaiiasM- (luaml le ]iL'intrc
L)a\iil >'.i\i--a un idUi de dcssiuii poui lt> Tuiloiits
(k> lautcuils à liants. Ce cin'uii v>t coiixtiiu
ira]i]H-lfr u-i "s(\lc " nr ilr|"iicl sc^anaiit qm: il'uu
détail iulinif.
l'ni- autre icauariiur. ('est ([ue rciii])ercur s'oc-
cupait iK's uiiiuidic's détails, iiucstionnait les
entreiireneuis et les artisli-s siu' l'état d'a\ance-
nient (.k's tra\a\L\. Ijii «[ui se serait \uluntiers
contente d'un lit de eaïup. ( t dont les gor'its jier-
sonnels étaient extreuu in( iit simples, il uiarcjuail
sa prédilci tiou pcmi les (i|i|eis (ossus, solides d'ap-
parence, et ([ui ié\él(nt une giaude richesse. Ce
tut kl preiniéie raisnu cl'uu in>u\'(_'.iu pio!,uès de
l'industrie lyonnaise, ([iii a\alt été très éprouxee,
comme on sait, sous le lé.i^uie de Louis X\'l, par
la concurrence des tissus iuipriiués et des indiennes,
et, au teini)s de la l\é\dlution, jiar la manie cgali-
taire et la peur du luxe.
L^ne autre raison tut la déc ouverte du métier
Jacquard (en 1S04). |)eilectionnciueiit du métier
de Vaucanson, i)erinettant cle laire des tissus de
toutes tailles et ik' tous dessins avec une facilité
plus grande.
Une troisième raison a été Lien mise en lumière
par M. Dumoutliier. ( )n sa\'ait jusqu'à présent
qu'en lMo5 et en liSoG, et i)lus tard, en iSll, Na-
poléon L''' avait eu l'intention de restaurer toutes les
anciennes résidences royales, mais on n'attribuait
à ce projet ([ue la valeur tl'un simple souhait fugitif
et passager.
Or, en 1811, Xa])oléon I''"' \oulut posilivoiiciil
faire de V'ersailles un palais impérial, et la meil-
leure jjreuve c'est qu'il commanda à cet effet
pour 2 millions d'étoffes, dont une première com-
mande de I 746 027 francs, soit en tentures, soit
en étoffes d'amcublemi^nt, aux divers fabricants
lyonnais, ]ioiir la décoration des chât<;aux
de \'ejsailles, des Tuileries, de Meudon,
de ("oinpiègne, de Saint-Cloud et de Fon-
tainebleau.
M. Duinonthier a déc<iu\eit dans les
déi)c')ts de l'Etat cette commande, et les
papiers-devis des Lyonnais qui l'ont
hx'rée.
Ce sont en général des damas de soie,
des lampas, des brochés, des brocarts d'or
et d'argent, exécutés entre 1811 et 1813,
(luelques-uns avant 1811, soit pour Na-
poléon I'''', soit pour Joséphine, soit pour
Marie-Louise, soit j)our le roi de Rome.
( )n \' voit que Josépihine, qui était brune
cependant, préférait les bleus et argent,
que reiu])ereur au contraire avait une prédilec-
tion pour k-s rouges et les verts. C'est, à Versailles,
un ,i;ianil salon bleu-indigo, une salle du Trône
cramoisi or ; jiour l'empereur, un cabinet de repos
\ert ; pour .Marie-Louise, un grand salon im-
jiéiial en satin lileu broché or. A Fontainebleau,
c'est la chambre à coucher de Madame Mère, en
mauve. A Comj)iègne, c'est, pour l'impératrice
loséphine, un salon en soie bleue avec dessin à
grecques, un cabinet de tra\'ail avec sièges vert
tissé or. A Saint-Cloud. c'est le grand salon de
l'impératrice Joséphine, en bleu tirochc d'argent.
A Meudon. c'est la chambre à coucher Empire,
en jaune ])arsemé de fleurettes. Aux Tuileries, c'est,
|)our le roi de Rome, une chambre à coucher en
jaune \iolet ; un salon dit des Exercices, en vert-
Empire ; un grand salon ponceau à grandes cou-
Kiniies et cornes d'abondance ; ])our Joséphine,
(luelqucs années auparavant, un salon de musique
en couleur bois de citron parsemée d'étoiles mauves,
une chambre à coucher en velours rouge avec
couronnes mordorées. \'oilà pour les couleurs.
Sans doute, on remarque dans le décor, et sur-
tout dans une étoffe ])ompéiennc en satin blanc
broché or et soie jio-
lychrome, exécutée
jiar Pernon pour le
petit salon île José-
phine à Saint-Cloud
et reproduite, ce qui
est la garantie tlu
succès, à la Malmai-
son et à \'ersailles.
la prédominance tle
l'inspiration anti-
que, ilais on relève
aussi quelques mo-
tifs, comme la corne
d'abondance , dont
on niait jusqu'à pré-
■; =ii>l^iM,'-yÊk.-
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VELOURS VAVCHELET
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A VERSAILLES
JI
T. 'ART RT T.F.S ARTISTES
'i^.ryyyy>y/vyy^<y>y3vyyvy.>yyyyy7:y>a^
PALAIS DE FONTAINEBLEAU : BORDURE D ENCADREMENT
M-iit l\iiiril(ii iliii^ If ^t\lr limpire. Et surtout on luts : Dacier, spécialise dans les damas; Juubert de
observe à qurllr \aruli'' ]>r(Hli,!^ieuse étaient jiar- l'Hiherderie, spécialisé dans la moire; Dutillieu,
venus les arlisles de ce Icitips, <in'(>ii représente dont Perronneau lit le portrait en 1759, et dont le
comme figés dans la n''|H''lition lourde et monotone descendant ])articipait, en iSll, à la commande de
de certains thèmes. l'empereur, jiour une somme de 96262 francs;
Enfui les mémoires, ([ui xiciment ici à l'apimi des Pillement, mort en iSoS, dont les études de fleurs
ieu\i"es mêmes, éx'oqucnt le soux'cmr de jilusieurs fantaisistes eurent lieaucoup d'influence ; Rivet,
de ces familles d'.irtistes honnais, modestement mort en i^o ;, cjui dessina l'habit offert au premier
attachés à leur ieu\ie de beauté anon\'me, et dont ("oiisul par le Commerce de la ville de Lj'on ;
M. Emile Leroudier a si heureusement précisé hi P)ournes, mort en 1808, qui composa beaucoup de
mémoire incertaine dans une excellente Inochure dessins d'ameublement pour la cour de Louis X\T;
imliliée en ii)oS par la Rrriu- d'hi\titirc de Lyaii Déchazelle, enfin, spécialisé dans les gilets et les
On \' \-oil les noms île ces (/(■ss/»i;/<7/;-,s de lu j,i- ceintuics, très l)eau coloriste, dont David a reprc-
[ifii/iic Ivniniiiist- (NI \\i[V' siècle : le fameux l')on\' sente la pinsionomie dans le fond de son tableau
à la manière l('-gère et gracieuse; i';e\e!. Plulippe du Scui'e. dénération d'artistes, qui représente
de I.asalli', (|ue se> eomp.ilriotes a\-aicnt sur- l'âge d'ov de la fabrique lyonnaise, et qui, cepen-
nommé le A'(//i//i/iV i/// (/cash; (('i'/(//'r;(/H(-; Deschamps, dant, ccmsidérait comme son plus grand honneur
tjui dessinait pour Luupas ; Aubeit, spécialisé dans de se montrer respectueux de la tradition !
le petit velours et les dorures pour lirodures d'h.i- LÉANDFE Vaillat.
hln//is fiiiiuiililiiiunl ili /'</'.! v»r lui ihiUonicnni (c^ll. cti..ii ilu MmImIi. r ii.itioii.il ;. L.'Xlr de .M. 1 )muontliicr. Album ck- 70 repro-
iliicti'iis (l.'iit plimirm-. cil ciiKiir. l.'c nu i-.i^;i; ii.ir.iitr.i fin ,ivi il clu / Miiii- vc'iivr t h.iric s Schinid, éditeur. 51. rue des Écoles, où
dès ,'1 pic-~riit. Mil 1 eut seiisenn-. C'est de ce livre i|ue sent extraites les reiirMiliictidis de l'article ci-dessus.
C'^'T'^'-T''T'^'^'T'^'-T'T'^'T'T''T'''T''T''!?^'^'T'-T''7^''T'T'T: T'^'^T'^T'-^^
rT-a?7j7j7jT'X7a.'TjT'jT'Jr-j7j7j7'Jî'J.JT'lTj7j;Tj7j7'j7-J:-j7Jî'j7j7JlJ7j7j;
VERSAILLES : BORDURE D ENCADREMENT
Le Mois Artistique
Exposition d'esta^ipes japonaises primitives
{Musée des Arts décoratifs : pavillon de Marsan). —
Il existe deux points de vue auxquels on peut se
placer pour faire de la critique d'art : l'un est
absolu et l'autre relatif.
Au point de vue absolu, le critique envisagerait
les œuvres d'art non pas précisément dans leur
essence, ce qui est impossible, mais dans leur con-
formité avec une sorte d'idéal très élevé, mais en
les comparant avec les plus i)urs et les plus incon-
testables des chefs-d'œuvre. Au jioint de vue
relatif, il les considérerait plutôt en historien, et
même en petit historien.
C'est-à-dire que, se contentant, en fait de rétro-
spection, de quelques années seulement, il com-
parera les œuvres qui lui seront jiroposées aux
œuvres du moment et les jugera à leur place, en
conformité avec un idéal infiniment ]ilus éphémère,
celui du siècle, si vous voulez.
C'est ainsi que cette critique, la critique des
expositions du mois, ne jieut guère avoir la pré-
tention de soulever de grands problèmes esthé-
tiques et que je dois me borner au second point
de vue, la plupart du temps.
Un des plus grands avantages d'une expo-
sition comme celle des estampes japonaises pri-
mitives est de })ermettre l'une et l'autre de ces
attitudes.
Au point de vue général, il est i)resque impos-
sible de ne point partager l'avis de beaucoup
d'excellents esprits pour lesquels l'art de la Chine
et du Japon est essentiellement, et malgré tous
les prestiges surprenants de l'exécution, un art
matérialiste, sans idéal et inférieur à notre art
occidental. Voici des estampes japonaises primi-
tives, c'est-à-dire choisies exprès d'une époque où
le perfectionnement des moyens techniques n'avait
pas encore pu énerver rins})iration des artistes,
donc, d'une certaine manière, populaires. Nous
n'v trouvons jamais, jamais une émotion : j'en-
tends une émotion qui vienne de l'âme, du cœ-ur
humain, qui fasse appel en nous à quelque chose
de plus profond que le pur plaisir esthétique, le
plaisir du suave mari magito. C'est le jnopre au
contraire de l'art occidental (cf. une eau-forte de
Rembrandt) de faire oublier sa technique, si étour-
dissante, si magique qu'elle soit, pour nous faire
descendre dans notre conscience, pour nous mettre
en face de nous-mtmes et de nos raisons d'être,
pour nous faire penser, rêver, souffrir. Les Japo-
nais, les Chinois s'amusent. Ce sont d'admirables
jouisseurs, de raffines esthètes, des sages, des
hommes capables de tirer de la vie la plus quoti-
dienne d'indéfinis motifs d'agrément. Les plus
intenses de leurs œuvres, leurs jilanches libres
Ol n'v en a pas à cette exposition) sont terribles,
mais non émouvantes. L'impression qu'elles pro-
curent, en nous rappelant. avec une sorte de cruauté,
que l'extrême volupté confine à la souffrance, est
surtout nerveuse et, dirai-je, intellectuelle : il ne
s'y glisse jamais cette mélancolie propre à l'Europe
et qui spiritualise ces rêves sensuels et féroces.
L'âme extrême-orientale est égoïste, savante à
vivre, cruelle, et l'art de l'Extrême-Orient la
reflète avec fidélité. L'ne jiromenade dans cette
exposition nous renseigne mieux à ce sujet que
les plus consciencieux des \'oyages.
Au j)oint de vue relatif, et comparés aux hommes
vivants qui exposent aujourd'hui. Moronobou, Kiy-
nobou, Massanobou, Ki\omassou, Kwaigetsoudo,
Toshinobou, Toyonobou, Shighenaga, Kiyomitsou,
Kiyohiro n'ont pas de peine à triomiiher. Artisans
jirodigieux, maîtres de leurs iirocédés jnesque au
moment même où ils les inventent, doués d'un
sens décoratif si sûr que, même en s'imposant
comme règle de composition l'arabesque et comme
entrave un certain hiératisme et un nombre fort
restreint de sujets, presque des clichés, ils arrivent
à tout faire entrer dans ces cadres étroits, à y faire
mouvoir les gestes observés, à y noter les détails
de mœ-urs. Ils ont tout, absolument tout, sauf le
sentiment. Ils jouent, littéralement, ils jouent de
toutes les difficultés. Chacune de leurs planches
donne un plaisir intellectuel plus encore peut-être
que sensible : celui que l'on éprouve en face de
la solution élégante apportée à un ])roblème com-
plexe. On a beau avoir envie de chipoter, de dis-
cuter, ce n'est |ias possible. Il faut la isser ces préoc-
cupations-là à la ]iorte. L'harmonie des couleurs
est follement juste et de la jilus rare distinction
33
L'ART ET LES ARTISTES
tlan> la piu' aiiihur. l'iu- mesure, un tact suprême
préside à l'accord pariait de tant d'éléments dont
nos meilleurs artistes occidentaux sont souvent
impuissants à maintenir égale la perfection réci-
jiroque : composition, observation, transposition
sur la iiortée sxniliolique, ou hiératique, ou déco-
rative, tonalité, laractère, etc. Du point de vue
tout relatif de la perfei tion matérielle, c'est parfait ;
et reconnaissons d'.iillems qu'aucune velléité d'aller
plus loin n'.i jamais hanté, fut-ce ime minute,
l'imagination japonaise.
C'est jwurquoi nous de\'rions demander à cet
art de l'Extrême-Orient la leçon qu'il peut nous
donner : ce n'est qu'une leçon technique. Nous
ne saurons jamais trop notre métier et ses secrets
infinis. Ap])renonsde chez eux : c'est une bonne
école. Lavons-\' nos yeux de toute \-ul!;arité et
tonilions-les de toute iaililesse, ap])renons-\- le
respect que nous de\dns à la beauté en soi d'un
trait bien [lur et bien sif^'uificatif, d'une couleur
juste, d'un détail de uKeurs ou de nature fine-
ment observé. Xe faisons jias fi de notre main.
Mais (|U(' la piilection de ses (euvres ne nous
égare ])as jusipi'à ne i)oint rêver au delà de cette
technique si sa\-ante et si juste. Et mettons-la
snnplement au ser\-içe de la pensée et du sentiment
occidentaux, inclinons-la à n'être plus que ce
qu'elle doit être en effet, le moyen d'exj^rimer
notre idéal : intellectuel, humain, attendri, reli-
gieux, même si les ouxaes amsi olitenues n'f)nt
a\ec la di'coration de nos intérieurs et la joie innné-
diate de nos \cux (jue de lointains rajijxjrts.
Exposition D'ii;r\-KES de Ekank Br.\N(,\vl\ ;
PEI.NTrRHS, DESSINS, EAUX-EORTES, LITHOtlRA-
PHIES (Calcric Baissv d'Aiii^las, 30, nie Boissy-
d'. Initias). — ('elui-( I e>t un poète lyrique. Il
chante, à la manière un peu de W'cdt W'hitman et
de \'erliaeren, l'émotion (jne lui donne le paysage
d'usines, de lumées, de maisons antiques et de
navnes formidables et échoués qu'il interj.irète.
L'honnne n'est pas ])résent en tant tpie jiersonnage
dans ces 1 onqiositi<ins grandioses et tragiques, et
})ourtant on l'y dc\ine. ]>etit, anonyme, écrasé,
ouvrier d'une (ru\ie dont il ne perçoit que le
lal>em', mais dont seule la haute conscience d'une
élite jieut envisager l'ensemble et le but, ou bien
passant éphémère en face de l'éternité relative
des vieilles cités illustres.
Frank Brangwin, dont le métier d'aquafortiste
est parmi les ])lus beaux qui se puissent admirer,
à force d'intensité, de poésie et de rêve, fait oublier
ce métier et nous impose ce qu'il veut nous imposer,
je pense : une sensation de terreur, de pitié et de
mystère, nerveusement très forte, mais d'un ordre
esthétique très éle\-é.
Je le répète, au jîlan supérieur où tous les arts
s'équivalent pour nous émouvoir et se ressemblent
malgré la différence de leur technique, l'œuvre
hallucinante et réaliste, observée et mystérieuse
de Frank Brangwin rejoint celle de Walt Whitman,
mais je lui trouve, pour l'élever quand même au-
dessus des poèmes de l'aède américain, je ne sais
cpiel désintéressement plus haut, l'absence totale
d'intentions didactiques et démocratiques, plus de
pureté en un mot.
Exposition de peintures, aquarelles et
GRAVURES par BeRNARD BoUTET DE MONVEL,
Jacques Brissaud, Pierre Brissaud, Maurice
Taouov : sculptures de Philippe Besnard
{chc~ Dcvainhcz, 43, boulevard M alesherhes) . —
\'oilà de \rais jeunes ! On l'a dit, et j'ai peur de
\eiiir troji tard, depuis deux mois et demi qu'il
\' a des critiques, et qui le pensent. Mais, tant pis,
jiuistjue, malgré l'opinion de la critique, c'est vrai
quand même. Ce sont des jeunes qui, au lieu de
se contenter d'être jeunes sans travailler, tra-
\aillent, ce qui les empêchera de vieillir aussi vite
(pie les autres, et ce qui augmentera leur talent.
S'ils font des pastiches, c'est pour s'amuser, et on
le \-oit bien à l'esprit, à la verve, à l'intelligence
de ces jiastiches. S'ils témoignent de goûts pour
le s])ort, cela n'a rien qui doive nous choquer, au
contraire ; car cela développe chez un peintre le
goût de faire en ])lein air des tableaux de plein-air,
au lieu de les faire dans la tranquillité d'un atelier
comme le font la plupart de leurs audacieux et
jeunes contenijiorains. S'ils sont lettrés et érudits,
c'est encore tant mieux, car cela ne peut qu'attc-
mur en délicatesse le quelque chose de brutal et
de sim])liste que la culture exclusivement sportive
leur eût donné.
Cette idée qu'ils ont eue d'exposer ensemble est
charmante ; ils sont amis en effet et s'influencent
les uns les autres, et cela leur confère un certain air
de famille, tout en laissant à leurs différences
individuelles toute leur saveur et leur ingénuité.
Ainsi M. Bernard Boutet de Monvel semble bien
leur chef et leur initiateur, mais avec si peu de
morgue et tant de camaraderie que l'odieuse idée
d'école ne se présente pas une fois à la pensée ;
M. Jacques Brissaud est plus âpre, moins disposé
à jilaire (ses trois portraits sont intéressants) ;
M. Pierre Brissaud est un illustrateur de premier
ordre (les Douze a(]uarelles pour illustrer Clara
d'EUébeuse et Almaïde d'Etremont de Francis
Jamines, la Journée d'un Cocodès sont des choses
riches et savoureuses, et émues à souhait). 11 a
la grâce, la divination d'une époque ou d'un site,
la mesure, le sens décoratif et l'esprit. M. Maurice
Taquoy est chasseur et se jilait à nous représenter
34
L'ART ET LES ARTISTES
lies lévriers, des chevaux, des meutes iiourehassées,
des biches, dans des paysages tout Iremjjés de matin :
^L PhiHppe Besnard, sculpteur, expose des plâtres
et des terres cuites d'un sérieux, d'une solidité
surprenants. Mais tous savent charmer sans con-
cession et ils n'ont jamais eu l'idée de tabler sur
leur jeunesse pour nous en imposer. C'est sur leur
talent qu'ils comptent.
Exposition de gr.avikus de M. Félix Bk.\c-
QfEMOND ET SiK F. Seymoir H.vden {organisée
par les Arts, à l'hôtd des Modes, 15. rue de la Ville-
l'Évéque). — C'est une j)ensée à la fois ingénieuse
et généreuse que d'avoir voulu, par ces temps
d'entente cordiale, présenter ensemble au public
l'œuvre de ces deux artistes, la gloire de l'eau-
forte en leurs pays respectifs, tous deux pleins
d'honneurs, respectés, savants, observateurs pas-
sionnés et attendris de leur province natale, ado-
rateurs constants de la nature, ])leins de déférence
envers les secrets chaque jour découverts de leur
métier, tous deux ayant jiarlé avec une intelligence
l)leine de méditation et de force persuasive de ces
secrets si intéressants.
Les deux œuvres exposés là sont tellement con-
sidérables qu'ils peuvent être regarde^ comme
complets et presque définitifs. Je n'ai pas la pré-
tention d'en donner la plus faible idée. Songez que
le catalogue porte 283 numéros jiour Félix Brac-
qoemond et 202 jwur Seymour Haden. Tout ce
que je jjuis dire, c'est conseiller d'aller à la galerie
d'Art décoratif pour continuer à consulter ces
gravures qui y seront encore exposées. On pourra
>• prendie une bonne leçon de conscience et de
travail.
La Société moderne (Galeries Durand-Riiel,
16, nie Lajfitte). — Presque tous les artistes de ce
groupement sont très intéressants et je supplie
ceux que j'aurais pu oublier ou seulement méjuger
de ne pas m'en vouloir : le \'ocabulaire mis à la dis-
position d'un critique, même ému, même sympa-
thique, est tellement restreint, et tant de ]ieintres
ont du talent.
Du talent, ^L Jacques Drésa en a jusqu'au bout
des ongles, talent très spirituel, très mouvementé,
très charmeur, mais non pas seulement au point
de vue des sujets qu'il choisit. Ce serait trop facile.
Il met du charme dans l'arrangement de ses cou-
leurs, dans la disposition de ses dessins. Art léger,
distingué sans mièvrerie, malicieux sans méchan-
ceté. Puck et Graine-de-Moutarde armés d'un
cravon et d'un petit pinceau imiteraient très bien
M. Drésa, et encore !... J'ai revu avec émotion les
esquisses, j'allais dire les réductions, pour les pan-
neaux décoratifs à la Sorhonnc, de Mlle Dufau, et
le Saint-Marc, ]'cnisc est une bien extjuise chose.
Les bleus qui hantent et envelo{)peiit les intérieurs
de Louis Lcgrand sont merveilleux et ses nus sont
d'une nacre bleue et rose qui enchante, tant elle
est savoureuse et sensuelle ! Les Contes d'Orient
(gouache et or) de M. Manzana-Pissarro ne man-
quent pas d'intensité, malgré leur dessin brutal et
sommaire, et peut-être même à cause de cela.
M. Zak dessine des figures d'une manière inou-
bliable, mais avec une gaucherie sans doute voulue,
un je ne sais quoi de dissonant et de faux qui a
l'air rapporté et n'est certes pas nécessaire. M. Louis
Braquaval est simple, classique et sérieux. etM. Mau-
rice Chabas lumineux et iioudroyant. M. Francis
Jourdain est toujours un poète attendri et ingénu
des paysages familiers, un Francis Jannnes du
pinceau. De ^I. René Juste, la couleur est exquise.
Le Bureau de tabac de Guéménée (pluie) est une chose
délicieuse à regarder. Citons encore Louis Périnet,
dont le sentiment est analogue à celui de Rivière,
pour la mélancolie due aux vastes espaces tristes :
Mlle Anna Morstadt, qui est très forte, mais ne me
touche pas: MM. Henri Morisset, Paul Madeline,
G. d'Espagnat, Henri Hourtal, Georges Dufrénoy,
Henri Déziré, Gustave Cariot, que j'ai trouvés
pareils à eux-mêmes et tlont quelques-uns me
plaisent profondément.
Les Arts réunis (Galeries Georges Petit, S, rue de
Sèzc). — Les arts mineurs sont ici, à mon avis,
mieux représentés que les autres. Eugène Fenillâtre
montre une vitrine contenant des émaux et des
bijou.x, notamment un vase fermé, d'une couleur
opaline, d'une forme superbe ; H. de \'allombreuse
des grès flammés très curieux. Mais c'est la vitrine
de Mme Gaston Lccreu.x qui m'a le plus intéressé :
elle contenait une collection de clefs en argent et
cuivre ciselés, des objets d'art en corne, ambre et
ivoire sculptés d'un goût exquis dans la sobriété,
d'une transparence de matière aussi douce aux
veux qu'elle devait l'être au tact. Non loin. M. Gas-
ton Lecreux lui-même. ]irésident de ce groupement,
exposait des tableaux et des gravures en c<iuleurs,
on eût dit tous dédiés à la gloire îles fleurs : chry-
santhèmes, hortensias, rhododendrons, magnolias,
roses, (cillets. amoureusement surjiris dans l'éclat
de leurs couleurs et comme tout emlnis de rosée.
Outre ces choses, et les intimités si Unes d'Alliert
Lcchat et les ]iaysages berrichons de Fernand
Maillaud. déjà aperçus à une précédente exposition,
je ne pourrais guère citer que MM. Georges Berges,
amoureux de danseuses espagnoles, Henri Guinier
au pur sentiment breton, Frédéric Lauth. Henri
Jourdain, Ernest Marché, orientaliste non sans
valeur et très sincère, et Louis Ridel. vraiment
guetté par la mièvrerie, malgré qu'il lui reste encore
L'ART ET LES ARTISTES
beaucouji île grâce. Jlais c'est déjà beaucoup,
n'est-ce pas ?
Société d'art français: deuxième exposition
{Cercle de lu Librairie, iij , boulevard Saint-Germain).
— De ce groupement aux tendances les plus opposées,
certains artistes ont le plus bel avenir devant eux:
Charles Martel, par exemi>le, dont les Venise et
la Nature murtc attestent une délicatesse de vision
tout à fait rare rf (jui n'exclut pas la force ; Charles
Lacoste, il<int le beau talent est souvent inégal,
mais i|ui est uiKintesiabK'iiunt un poète; Jean-
l'aul l.aditte (un 1', ////<'//;• d'un très fier dessin) et
Charles Ciuénn dont j'ai lieaueiiup aimé un portrait
d'enfant, et l.mns Delfosse, un ravissant coloriste
(témoin une guingette de mariniers d'une rareté
de tons surjiren.iute). et Edouard Domergue, très
inthiencé de Henri ^Martin ; et Tristan Klingsor.que
nos lecteurs connaissent liien et qu'ils retrouve-
ront aussi à Pitil et Plume, et Louis Paviot, et le
maître Prunici", et Ricardo Elorès, gouailleur avec
intensité, et l'iene-Eugène \'ibert, si émouvant.
Tout cela, et les dessins de Rodm (dont je ne
saurais plus rien ilire, sinon cju'ils sont toujours les
délassements étonnants d'un maître des attitudes
humaines) suffisent à honorer une exposition, malgré
certaines autres choses, choquantes, ou puériles,
ou violemment agressives, sans autre but que
d'étonner. Les meilleurs artistes de la Société d'art
français gagneraient à être davantage entre
Exposition du Lycecm-Club (zS, rue de la
Bienfaisance). — Parmi beaucoup de choses sans
grand intérêt, j'ai eu i)laisir à remarquer Une
Pileuse, bien oliservée, de Mme Bourgounier ; le
Lierre, st.itue \i)liiptiieuse et s\'mbolique de
^Ime Gabnelle Dumontet ; des nus et ties portraits
(fusains et jiastels) de Mlle Térouanne, pénétrés
d'un fort joli sentiment, et deux aquarelles : Aurore
sur les hauts f^Lileaux (Cévennes) et Sapins d'Alle-
uhii^ne de .Mnu' E. Rey-Rochat de Théollier, qui
expose en même temps, au Salon de l'Union des
Femmes peintres et sculpteurs, une Maison eu
Savoie, un carton de \'itrail et une affiche pour
estampes, et dont l'Art ei l'école a désigné deux
frises murales ])our son exposition au Musée péda-
gogique.
Poil et Plume (Paierie Boissy d'Anglas. ji»,
rue Boissy-d'Ani^las). — Très amusante, très jolie,
très variée, cette exposition oii sont invités tous
les artistes à côté, tous ceux qui n'ont pas l'habi-
tude du crayon ou du jiinceau : littérateurs, artistes
dramatiques, etc. Et ce n'est pas plus mal que
chez nombre de professionnels, je vous assure.
Même, beaucoup d'expositions... mais j'allais dire
une méchanceté.
D'abord une rétrospective, une toute petite
rétrospective où vous pourrez tout de même
retrouver, s'il vous plaît, des noms comme ceux
de Baudelaire, de Gautier, de \'erlaine, de Rim-
liaud. La plus belle chose de ce Salon, c'est encore
un Joseph Prudhomme d'Henri Monnier, le plus
curieux, le plus complet de tous les Prudhomme
inventés par les ennemis de cet ennemi de tout
artiste. De Verlaine, des dessins pleins d'une verve
amère et féroce, d'une gaminerie que ses plus
cruelles souffrances n'avaient pu vaincre. Un por-
trait de Carlotta Grisi, par Théophile Gautier, est
d'une suavité exquise et d'un sentiment pic-
tural c]ui fait comprendre de quelle autorité
la critique du brillant poète pouvait se réclamer.
Quelques croquis à la plume de Baudelaire, curio-
sités plutôt, de ces images enfantines qu'il dessi-
nait en marge de ses poèmes, au.x moments difficiles
de l'insjîiration. Desboutins fut auteur dramatique,
et c'est à cette particularité que nous devons
d'admirer ici de lui son portrait et un portrait
d'enfant qui le montre, une fois de plus, aussi
savoureu.x peintre qu'il était beau graveur. Deux
jiochades de \'ictor Hugo : petites choses qu'il
offrait en bons points à ses petits-enfants lorsque
ceu.x-ci avaient été sages ; ce poète savait donner
de l'intérêt à ses moindres actes. Des dessins de
Rimbaud qui attestent que cet incomparable
visionnaire avait aussi ce talent : c'est verveu.x,
emporté, amusant, c'est de l'art. Les portraits de
\'erlaine de Cazals : l'un sur son lit de mort et
l'autre dans le jardin de l'hôpital, sont très émou-
\ants et d'une vérité de ressemblance et d'expres-
sion tout à fait intense. Les Travaux parlementaires
de Clovis Hugues constituent de bien humoristiques
souvenirs sur la façon dont il entendait la politique.
Léon Dier.x e.xpose des bords de l'Oise d'une
frissonnante sensibilité à la Corot ; l'auteur gai
Georges Auriol est un bien charmant graveur en
couleurs, et bien attendri, avec un métier qui fait
parfois songer à celui de Rivière. Haraucourt est
un fin paj'sagiste.
Un des plus curieu.x de tous ces exposants et
celui cpii possède, à mon avis, le talent le plus sen-
sible et le plus profond, c'est encore Camille Mau-
clair. 11 faut voir ses cinq pastels : paysages, por-
trait et fleurs ; ils sont exquis à regarder, d'une
étrange justesse d'observation, d'une divination
étonnante. C'est, sans aucune prétention technique,
l'art du poète rare que les délicats connaissent, et
l'on comprend que lui aussi, lorsqu'il parle peinture,
n'en parle pas simplement en littérateur. Son envoi
a été un des plus admirés.
René Peter est un caricaturiste étourdissant, un
36
L'Al^JT ET LES ARTISTES
peu à la inaiiiCrc de Moniss et ilu l'rtil Bob, mais
a\'ec plus de verve. Son Histoire de la création est
d'une folle fantaisie. De Jean Hess, un Calé-concert
à Oraii et une Sieste à Oiidjda j)rouvcnt le talent
déformatcur et aigu à la fois. Puisque nous sommes
parmi les humoristes, ne les quittons pas sans saluer
au passage Jllle Mcg Villars qui a du brio, M. Ernest
I.ajeunesse aux féroces fantaisies, Ciolkowski, im
l)eu trop infîuencé de Heardsley, et les jolis dessins
de Ch. de Bussy.
Mounet-Sullysculiile 1res bien, témoin ses bustes,
son masque et ses médaillons. Remartiuons aussi
les riiains d'Ibels. les boxeurs de Dubois, les marrons
sculptés de Fortuné Paillot.
Citons enfin les croquis d'escrimeurs de Réganiey,
un amusant paysage d'Armory, les en\ois de Paul
Reboux. de dyp, de Klingsor, (]v Pierre Gusman,
d'Azénia (un beau ]'ieillard). de Clary ISarons, de
Cazeneuve, <lu duc de Pimodan, d'Eugène Morel,
deCalmettes, de Bergerat.de Montaigu, de Mme \'a-
lentine de Saint-Point, de Chérau, de Musurus, etc.
J'en oublie certainement.
Ce qui plaît le plus dans cette exposition, c'est
son absence absolue de ])rétention.
Des artistes se distraient un instant, sans vouloir
en imposer à personne. Certains ont du talent.
incontestable ; d'autres en ont moins; mais tous
ont de l'esprit, ou de la Ijonne huinetu', ou de la
sensibilité. Et on n'a pas envie de s'ennuver. 11
faut dire que M. Pierre Jan est le ))lus aimable et
le plus habile des organisateurs.
F. M.
MEMENTO DES EXPOSITIONS
Mksi'c Galliera, lo, rue Pierre-Charron. — E.xposition
générale d'art appliqué, tous les jours de lo heures à
4 heures, le lundi matin excepté.
Coopérative des Artistes, 3, rue Laffitte. — lv,\ position perma-
nente d'œuvres de maîtres modernes.
Grand Palais, avenue d'Antin. — Exposition de l'Union
des Femmes peintres et sculpteurs.
Cercle de l'Union artistique, rue Tioissy-d'Ani;las. — ICxpo-
sition annuelle de peinture et sculpture.
Cercle artistique et littéraire, rue Volney. — Exposition
annuelle d'aquarelles, dessins et gravures.
Galeries G. Petit, 8, rue de Sèze. — Exposition des Aquarel-
listes français.
Galerie Devambez, 43, boulevard J\Ialeshcrbes. — Exposi-
tion de la Société des Peintres et Graveurs de Paris.
Galerie des Artistes modernes, 19, rue Caiimartin. — Qua-
trième exposition de la Société internationale de la
Peinture à l'eau.
Galeries Georges Petit, 8, rue de Sèze. — Peintures de Paul -
.Mlîert Laurens. .Aquarelles i\v Pierre \'if;ual. .\(|ua
relies et dessins de A. Calbet.
Grand Palais, avenue d'Antin. — Sixième Salon <le l'ivcole
française.
Société des Peintres du Paris-Moderne. Galerie d'Art déco-
ratif, 7, rue I.affitle. — Peintures et gravures en cou-
leurs de Harald-Gallcu.
Galerie Xotre-Danie des-C/iamf>s, 73, rue Xotre-lJanie-des-
C/ianips. — Œuvres de Marie I.aurencin, Henri Rous-
seau, Eouis Schelfhout.
Galeries Bernheim jeune et Cie, 15 rue liichepance. —
Œuvres récentes de Bounard.
Galerie Druct, 20, rue Royale. — Dessins rehaussés de
Gaston Hochard.
Galerie de l'Art contemporain, 3. rue Troncliet. — Si.xième
exposition (.Vuburtin, Bouchard, Uespiau, Lan-
dowski, Decœur).
Galerie Henry Graves et Cie, iS, rue Caumartin. —
Œuvres de Paul Briaudau, Charles ]~>ufresne, Henry
Ottmann, Tancrède, Synave.
2>7
Le Mouvement Artistique
à l'Étranger
ANGLETERRE
SANS précédent, le Salon d'hiver de l'Acadenue royale,
cette année, est composé exclusivement de la collec-
tion de tableaux modernes faite par feu M. George 5Ic
Culloch. Un jugement critique donné par JI. Claude
Phillips (de la Collection Wallace) est qu'il contient « un
certairt nombre d'œuvres vraiment belles, un plus grand
nombre qui sont tolérables. et une immense série de toiles
qui sont vraiment insupportables, choses à produire un
ennui terrible, causes de chagrin pour le critique judi-
cieux et capables de faire presque désespérer de l'avenir
de l'art britannique ». Cette appréciation si juste de la
collection Me Culloch peut être expliquée par le fait que
ce collectionneur n'avait pas un jugement indépendant
comme Staats Forbes ou Alexander Young. Il était presque
entièrement sous rinliuence d'une petite coterie acadé-
mique d'admirateurs mutuels, et le résultat est un aver-
tissement pour les collectionneurs qui achètent les tableaux
du jour, sans connaissance de ce qui est vraiment la belle
peinture.
Parmi le petit nombre d'iTuvrcs » vraiment belles », il y a
le nocturne Valpamiso et le portrait du peintre par V.'hist-
1er, et ces peintures, quoique à l'huile, sont honteusement
cachées dans la salle des aciuarelles, et de même un petit
chef-d'iTinrc, Ir Mnnii. di- William Orpen : un véritable
bijou. Au l'iiits. i<nr .M.itthcw Maris, quoique également
à l'huile, est encore enterré d<ins la salle de Xoir et Blanc.
Deux portraits par Sargent et un croquis adorable : un
garçon qui pêche en Xùrvège, jiar le même, doivent être
compris parmi les eliosfs précieuses, auxquelles il faut
ajouter un gnnqie de beaux Urchardsons : Mnitu' Béhi'
L-X le Jctiiu- Duc; un .Millais préraphaélite : Siv Isiiiiibias;
l'Amour painii /< s niiiu-^ et lu l'iiiicifisc cndoniiie, de
Burne Jones ; Lear it Conhlui. par Abbey ; un paysage de
Jacob Maris, trois (lausiiis, l^ même nombre de Bastien
Lepage, un I.avery, j'IiiMiiirs Dagnan-Bouveret. et. parmi
la sculpture, le jH-tit j^roupe en marlire /<- Baiser, do
Rodin.
Le reste des 34(1 tableaux est dans le genre académique
très ordinaire. Citons le Jardin des Ht spêrides, de Leighton,
qui a coûté à M. Me Culloch jooooo francs, et l'énorme
Ihiphneporia, du même, dont le jirix originel était
V>(> 000 francs. Il est plu-' i|ue douteux que, si ces tableaux
étaient mis en vente aujourd'hui, ils réaliseraient jilus
du tiers de ces pri.x. C'est pitoyable de penser combien
de milliers de livres sterling ce mécène moderne a pro-
digués aux ar(>. et pour (piel misérable résultat!
Chez Cremetti (ancienne galerie Thomas M'Clean,
Haymarket), on expose une collection intéressante des
intérieurs des palais et églises vénitiens, par M. Pierre
Bracquemond, dont nos critiques admirent la couleur
Iraiche et la franchise de facture.
JS
J'annonce avec le plus grand regret la mort de l'artiste
jiemtre Charles Conder. à l'âge de quarante et un ans.
Tous ceux cpii connaissaient ses œuvres exquises et variées
ne cesseront de déplorer la mort prématurée de ce véri-
table L'énie.
'L'Exposition des jolies femmes de la Société internatio-
nale à la New Gallery est surtout remarquable à cause
d'un groupe de très belles œuvres de cet artiste qui
comprend des tableaux à l'huile, des aquarelles et des
peintures pour éventails et robes, et un paravent.
Dans la Galerie ouest, ce qui nous frappe le plus c'est le
portrait de Mme Manet mère, par Edouard Manet ; le Mrs
Findlay, de Sir James Guthrie; Roubadah, princesse de
Kahiil, par Omar Menerabab; le Gold Girl et la Symphonie
en blanc, numéro trois, de ^\Tlistler : Lady Colin Campbell,
de Boldini ; Portrait di Donna Maria Martinez del Puga,
jiar Goya; six Monticelli, un Courbet, un Gainsborough et
un Reynolds. Dans la Galerie nord, un groupe de portraits
de Millais. un Renoir, un Berthe Morisot et le Portrait de
jeune fille de Mary Cassatt. et, dans la section de sculpture,
un groniH- d'iruvres, par Alfred Gdbert, pour la collection
Saint-Gaudens qui a maintenant disparu. Au balcon, il y a
une collection de gravures en couleurs japonaises, et des
dessins originaux de Harunobu, Shunsho, Utainaro et Ho-
kusai prêtés par Charles Ricketts et C. H. Shannon.
Neuf A'an Dyck, autrefois dans la collection d'Earl Cow-
per à Panshanger, ont été ])rêtés par Lord Lucas, à présent
leur propriétaire, pour un terme de deux ans à la Galerie
Nationale où. pour le moment, ils ont été accrochés à côté
de l'escalier principal. Parmi ces œuvres se trouve le
groupe d'enfants de la famille d'Abbi e.xposé chez .\gne\v
il y a deux ans ; le superbe portrait de Rachel de Ruvigny,
comtesse île Southampton. en robe bleue ; un portrait
lie Mme Kirke, autrefois dans la collection de Sir Peter
Selliv; Lords John et Bernard Stuart ; le marquis de
Leganez ; Elizabeth. seconde femme du quatrième comte
de Southampton; Philip Lord Wharton portant une cui-
rasse ; et Anne, lemnie de Robert Lord Rich.
Fr.\nk RlTTER.
38
i.'ARf I-;
ARTISTES
AUTRICHE
T ES bruj'antcs polémiques tini. à \ii-niu". ont suivi le
^^ départ du directeur de l'Opéra. M. l'.ustavc Mailler, et
que son successeur, jM. Woingartner, attise sans cesse, par
sa contradiction ou destruction systématique de l'œuvre
de son prédécesseur, m'amènent aujourd'hui à aborder de
nouveau cette question de la réforme de la mise en scène,
instaurée, pour l'Allemagne, l'an dernier, au Théâtre des
Artistes à l'Exposition de Munich, l'as une revue d'art ni
de musique n'a signalé, en son temps, la réforme de l'Opéra
de Vienne accomplie par M. Mahler et un <lécoratcur véri-
tablement inspiré, M. Alfred Koller. Elle avait précédé
de cinq ans celle de ilunich et la s Scène idé'alc » de Mann-
heim. Dès 1905, avec le Don Juan de Mozart, avait été
ticcidée la suppression des coulisses et leur remplacement
par ces portants ou prismes, dont le fonctionnement si ingé-
nieux assure une stylisation du décora peu près analogue
à celle que subissent la parole, dans le chant, et la vie elle-
même, dans le drame. Qu'on nous pardonne cette excursion
rétrospective dans un domaine qui n'a jamais été davan-
tage celui de l'art et, ici, de l'art le plus grand. Les maquettes
et projets d'.Alfred RoUer, exposés l'automne passe à la
Kunstschati de Vienne où ils remplirent jilus d'une salle,
iccompagnés de ceux de MM. Czeschka. Emile Orlik et
ivoloman Moser, demeurent, ne fut-ce que comme tableaux,
aquarelles et dessins, des œuvres d'art d'une haute signifi-
cation, longtemps après que leur réalisation scénicjue n'est
plus qu'un souvenir. Et c'est un événement d'une impor-
tance encore insoupçonnée en France, que cette réforme
de la mise en scène, procédant un peu de la construction
de la scène fixe du célèbre Théâtre Olympique de Viccnce.
La Tétralogie, en aucun lieu du monde, n'a connu une réa-
lisation scénique aussi simjilement merveilleuse et imiiec-
cable qu'à Vienne, sous Mailler, dans les décors (le M. Koller.
11 faut lire, dans le récent livre du 1)'' Paul Stefan, le
témoignage de ce ciue furent, en ce temps-là, l'Enlèvtmcr.t
au sérail, te Mariage de Figaro et la Flûte enchantée,
Lohengrin, les Femmes curieuses (de Wolf Ferrari), enfin
I phigénie en Atilide. Aux représentations du chef-d'œu\re
lie Gluck, l'Opéra de Vienne, avec son pulilic dissipé, (pii
n'a d'amour véritable que de la gaudriole, devenait iiueU[uc
chose comme une égli.se où, devant une foule jiieuse, se
célébrait un grand olfice. Les scènes se déroulaient comme
des bas-reliefs en mouvement. Cela se passait en 1907.
Ce fut le chant du cygne de la glorieuse collaboration
Mahler-Roller. Aujourd'hui, tout cela a vécu.
Et c'est désormais, à X'ienne. une lutte implacable entre
l'élite, qui a pris goût aux chefs-d'œuvre dans un décor
à leur image, et les triomphateurs du moment, revenus
aux sages vieilles routines. Lue fatalité semble ])eser sur
la grande ville impériale et vouloir (jue, depuis le martyre
de Beethoven et de Schubert, toute vraie grandeur y soit
méconnue, toute vraie valeur mise en disponibilité. Le
médiocre Makart fut seul â y connaître une gloire tie cos-
tumier et d'organisateur de cortèges, qui, encore aujour-
d'hui, est refusée â un Klimt, dont l'ouvre capitale, les
trois grandes compositions décoratives : la Médiciiie, la
Philosophie et la Jurisprudence, ce «pie la science de notre
temps a inspiré de plus beau à aucun peintre, même après
l'Amphithéâtre de chimie de M. 13esnar<l. ont été igno-
minieusement refusées par ITniversité de N'ienne. à qui
elles étaient destinées. Leur dispersion est aujourd'hui un
fait accompli. L'une des plus grandes œuvres d'art décora-
tif du siècle n'a pas même trouvé au Musée Impérial
cette place que l'on n'a pas songé aménager, lorsqu'il fut
question du gigantesque et plus que médiocre Tu. felix
Austria, nube de M. Brozik, une commande olTicielle !
En temps ordinaire, lorsque la féerie décisive de quelque
Kunstschau ne rattrape pas pour Vienne le temps et le
terrain perdus par l'art moderne pendant une période de
deux ou trois ans. je conseille de n'aller point chercher au
malheureux et routinier Kunsllerhaus les chiches consola-
tions dont il lui reste la spécialité ; mais plutôt â la Séces-
sion, encore que l'exode de Klimt et de tous les vrais
talents «de l'avenir » l'ait laissée singulièrement orpheline
et déshéritée; ou au Hagcnltind, <pii. malheureu.sement
pour lui, heureusement pour nous, vit plus <les écoles
slaves auxquelles il lui arrive de donner l'hospitalité que
de ses propres forces. Enfin j'enverrais surtout aux galeries
Miethke. dont les expositions très soignées font le plus
grand honneur â la gérance artistique d'un jiaysagiste
autrichien, d'une santé, d'une distinction et d'une sérénité
]>eu communes, M. Karl Moll.
Il représente en Autriche l'exacte ajipropriation au
pays des conquêtes les plus légitimes de l'impressionnisme
français, mais affinées par un sens décoratif, inHuencé
peut-être un peu par le voisinage de Klimt et même la
musique de Mahler. car il ne faut pas oublier que les deux
(histave. Klimt et Mahler. sont aujourd'hui les guides et
l'étoile de tout ce ipii. en .\utriche. compose; et cela dans
tons les domaines, aussi bien le littéraire que l'artisticpie.
le musical que le philosophique. M. Karl Moll s'est beau-
coup occupé des maisons encore subsistantes que Beetho-
ven, l'éternel errant, a habitées dans la banlieue de Vienne.
11 en a fait, en même temps que des tableaux d'une rare inti-
mité, avec une notation de la lumière d'un charme bien à
lui, une série de bois qui mériterait à l'étranger la juste
célébrité dont elle jouit à \'ienne. Sauf peut-être Cari
Larsson en Suède, nul n'a aimé son intérieur et son jardin
autant que lui. 11 les a décrits dans son œuvre, recoin
après recoin, à des heures nuancées et douces, réussissant à
faire <le ces recoins, non de s|)irituelles illustrations comme
Larsson. mais des tableaux d'une véritable grandeur déco-
rative et d'une impressionnante tendresse lumineuse.
tiè<le et concentrée. Tel (juel, "SX. Karl Moll est. à l'heure
actuelle, en .\utriclie. un représentant des tendances mo-
dernes du paysage aussi distingué <pie les l'ettenkofeii. les
Schiiidler. puis les Kibarz et les Jetlel le turent de celles
ipii régnèrent de l'I^cole de Barbizou jus(]u'à Courbet.
Wii.iiAM KiiriR.
L'ART ET LES ARTISTES
BELGIQUE
Te vous ai parlO à diverses reprises du cercle Pottr
VAit et de l'austérité de ses manifestations. Ce cercle
groupe quelques-uns de nos plus purs artistes, et c'est le
seul dont les expositions comptent toujours un certain
nombre d'oeuvres de peinture monumentale. Je vous ai
signalé déjà la renaissance en Belgique, à travers tous les
obstacles, de la grande peinture décorative. C'est au cercle
Pour l'Art que ce mouvement est né et que, régulièrement,
on en peut suivre les progrés. Sans doute, tous les artistes
qui participent à ce mouvement ne sont pas là : il manque
notamment Levêque, Delville, Montald. Mais Fabry,
Ciamberlani, Colmant, et Langaskens et \an Hoider
exposent aux Salons de Pour l'Art.
La présence de ces artistes, celle aussi du sculpteur Rous-
seau, dont l'art est si pur, n'ont pas été sans influence sur
les peintres du cercle. Parmi ceux-ci, d'ailleurs, lorsque le
groupe se constitua, se trouvaient déjà plusieurs personna-
lités en possession de la maîtrise, tels Lacrmans et Ver-
haeren. Le réalisme pondéré, médité et très noble de ces
peintres, maîtres de leur langage, et l'idéalisme des Ciam-
berlani, des Fabry et des Rousseau, formulé en de précises
et fortes beautés plastiques, créèrent une atmosphère de
sérénité, une discipline de l'effort qu'ont subies même les
plus jeunes et les plus fougueux. Ht nous sommes aujour-
d'hui en présence d'un grcnquiuent vraiment exceptionnel
où l'originalité de la viskju, 1 indépendance de la person-
nalité, la hardiesse des recherches, le ginit du nouveau
.s'affirment en se tempérant de réflexion, en ne méconnais-
sant jamais la nécessité des réalisations complètes, du
métier loyal, de l'expression claire. Il y a. au cercle Pmn
l'Art, des idéalistes, des réalistes, des intuuistes, des lunil-
nistes ; et ils voisinent sans heurts, sans désaccords, parce
que tous ont un laiigage mesuré, parce qu'aucun ne sacrifie
aux violentes et faciles impressions. Ainsi toutes les
œuvres, quelle que soit la nuance de leur éloquence, quelles
que soient leurs intentions, dégagent une émotion com-
mune : celle de la longue, de la fervente contemplation.
Cette impression générale est plus forte qu'elle ne le fut
jamais au Salon de cette année oii presque tout dit le noble
effort vers l'évocation intégrale des beautés admirées ou
rêvées, où les réalités, par le stj-le, .sont grandies d'un peu
de rêve, où le rêve se précise et devient vivant en de fortes
images de saine réalité évoquée avec respect.
Et c'est ici, je crois, que l'on peut le mieux se rendre
compte des résultats, en Belgique, des évolutions et des
fiévreuses recherches de l'art en ces vingt dernières années,
ici que l'on peut goûter la joie de l'aboutissement dans
l'atmosphère apaisée.
Le panneau décoratif, le portrait d'expression intense.
VÉvocatioïi, et telle sanguine — la Famille — d'Emile Fabrv,
ces figures où s'exprime en de la forme épurée toute la no-
blesse d'une humanité supérieure ; le panneau de Ciamber-
lani, composition pleine d'eurythmie ; un buste et des
figurines de Rousseau — notamment une « Maternité »
où la chair devient plus sanguine, où la grâce flexible
prend une santé nouvelle ; les toiles de Lacrmans, sur-
tout le Silence, où tant de farouche recueillement enve-
loppe tant de discrète splendeur ; les pastels de Firmin
Baes qui donne à des figures très humbles des ampleurs
de statues ; les portraits tendres et lumineux de \",in den
Eeckhoudt fixant les formes et les consistances d.ins uu
impressionnisme éclatant, disent le mieux la curieuse
communion d'efforts pourtant très opposés, communion
due à la seule méditation.
F'ranz Van Hoider, en des portraits, en une page d'une
intimité tendre : la Maison du Bonheur, en une Vision
païenne d'un beau style, manifeste, lui aussi, un talent
réfléchi, d'expression pénétrante, soumis à un métier volon-
taire, sobre et puissant. Métier consciencieux aussi, presque
méticuleux, chez François De Haspe. dont les paysages
gardent pourtant un style épique, une sorte de langage
occulte.
Alfred Verhaeren. Amèdée Lynen. Opsomer, Charles
Michel. A'iérin. Coppens, Clémence Lacroix, Dardenne,
Viandier, Huib Luns, Joseph Dierickx, ont des envois
où se retrouve le même accord chez des personnalités
très différentes. Et une nouvelle recrue, M. Camille Lam-
bert, expose deux tableaux, de composition grouillante,
de mouvement frénétique, d'éclatante et lumineuse cou-
leur : LonçeJtamfr fleuri et Danse des Scythes, révélant
un peintre aux dons très rares et qui doit seulement veiller
à modérer .sa fougue.
je
Parmi les autres expositions récentes, il convient de
signaler celle de l'Estampe, que dirige M. Robert Sand. et
où fut fêté M. Chahine. qui avait un envoi considérable à
coté d'un important ensemble d'œuvres de Rops. et d'une
réunion d'eaux-fortes, de gravures et de dessins d'une
cinquantaine d'artistes belges. Parmi ceux-ci, on a remar-
qué surtout les compositions de caractère âpre de M. De
Bruycker. un Gantois à la personnalité très curieuse.
A la Galerie Boute, il y eut un Salonnet organisé par
M. Gins, et cjui groupait des peintures et des pastels de
cinq artistes français : MM. Lauth, Allaux, Boucher,
Erlanger et Guignard. La tentative de M. Gins a été fort
appirécièe et le succès a été très vif pour les cinq peintres
français, notamment pour M. Lauth et ses solides et
ardentes études rapportées d'Espagne.
A la Galerie Boute encore, quelques peintres du groupe
du Sillon, dont je vous ai souvent parlé, ont montré leurs
plus récents travaux. De très belles toiles de MAL Smeers,
Wagemans. Swyncop, Simonin, Haustraete, Jefferys ont
affirmé brillamment les beaux résultats obtenus par l'adap-
tation à la vision lumineuse et fraîche d'aujourd'hui des
qualités traditionnelles de robustesse, d'opulence, de l'École
belge.
Enfin, au Cercle artistique, une exposition mérite une
mention spéciale : celle de M. Xykerk, impressionniste pon-
déré, coloriste original, dans ties vues de Bruxelles et de
belles natures mortes.
M
Au comnicncement de février est mort à Bruxelles le
doyen de la critique d'art : M. Edouard Fétis.
Edouard Fétis, fils du célèbre musicologue François
Fétis, était âgé de quatre-vingt-dix-sept ans. Depuis
soi.xante ans il était critique d'art et critique musical de
l'Indépendance belge. Il était l'auteur d'ouvrages impor-
tants, tl'une précieuse histoire des Peintres belges à l'étran-
ger, notamment. Il était président de la Commission des
Musées royaux.
C'était une physionomie très curieuse. De sa jeunesse
vécue à Paris à l'époque des premières batailles du roman-
tisme, il avait gardé des souvenirs très nets. Et il racontait
la première li'Hcrnani à lacjuelle il avait assisté dans le
groupe famcu.x de Théophile Ciautier.
Le défunt possédait une collection très intéressante de
tableaux des Écoles flamande et hollandaise, patiemment
formée. Il a légué au Musée de Bruxelles plusieurs portraits.
G. Vanzype.
40
L'ART ]':t les artistes
ETATS=UNIS
jL y a partout des expositions d'art. Notre pays e^^l
^ tellement immense (presque cinquante fois plus grand
que la France) qu'il faut des Salons annuels en plusieurs
villes.
Peut-être le ])lu^ important t>t-il l'.Vcadémie de Phila-
Ces panneaux sont très beaux comme décoration et son
œuvre possède l'avantage d'être tout à fait personnel.
A Washington, l'exposition biennale des .Artistes amé-
ricains a eu autant de succès.
Depuis deux ans sciiUiucnt, notre tajiilale a pris sa
AX.XA IIVAIT
delphie, qui vient de s'ouvrir avec cinq cents tabU-aux el
cent quatre-vingts morceaux de sculpture.
Les peintures de John S. Sargent, Alexander Hani.son,
Elizabeth Xourse, Frank Bcnson, Gari Melchers, Cecclia
Beau.x et Thomas .\nshutz comptent parmi les meilleures
exposées.
Sargent a reçu le prix Cniol II. Bicck pour son j)ortiait
de Mlle SowTisend, et ,\nshiitz a remporté le prix Lippin-
cott avec son « Tanagra < .
Notre gouvernement ne donne jamais de récompenses ;
cela est contraire à l'esprit américain, qui croit (pie toute
l'initiative doit venir de l'individu.
Donc nos riches citoyens s'arrogent le privilège d'encou-
rager l'art en instituant ces i^rix, plus ou moins considé-
rables en argent, mais toujours très flatteurs pour les
artistes, parce que ce sont les membres du \\\vy qui les
adjugent.
Aussitôt que le Salon d'hiver fut fermé à New-York,
les expositions privées commencèrent. Il y eu a plu»
que jamais ; tous nos peintres et tous nos sculpteurs dé-
sirent exposer dans cette ville, la plus riche, la plus com-
merciale, mais aussi la plus artistique d'Amérique. Parmi
ces nombreuses exhibitions, une des plus intéressantes
est celle de William l-uUer Curtis.
Vrai artiste, il a trouvé avec l'humble moyen du bois-
brûlé la possibilité d'exprimer ses pensées poétiques et son
amour des qualités purement décoratives.
Il emploie non seulement la pointe à pyrograver, mais les
couleurs .en gouache, et en minéraux avec des rehauts d'or.
place parmi les grandes villes du monde, avec un vrai
Salon. Nos meilleurs artistes y ont envoyé leurs œuvres,
et nous esjiérons qu'avant peu d'années il y aura une
exposition d'Art internationale, un Salon assez important
pour attirer tous les grands artistes du monde.
Grâce à Théodore Roosevclt, le Jlusée national des IJeaux-
.\rts, à Washington, est un fait accompli.
Notre président a beaucoup travaillé pour le dévelop-
pement de l'art en .Amérique.
Tout récemment, il a nommé un comité comiiosé de nos
meilleurs architectes et peintres décorateurs, pour surveil-
ler les monuments nationaux. 11 y a quelques artistes qui
craignent qu'un tel comité ait une tendance à rendre notre
art trop académitpie, trop resserré tlans certaines formules.
Mais la plupart imt accueilli cette nouvelle avec enthou-
siasme.
Jusqu'à aujourd'hui, toute la direction de nos grands
bâtiments nationaux était concentrée entre les mains d'un
seul architecte, appointé par le gouvernement.
En conséquence, nos plus dispendieux monuments sont
plus ou moins beaux, plus ou moins laids, suivant le goût
d'un seul homme.
Heureusement, tout cela sera changé dès que le nouveau
comité aura reçu ses pleins pouvoirs de notre Congrès.
Mais peut-être l'événement qui causera le plus grami
progrès dans notre développement d'art est l'établisse-
ment, dans toutes nos grandes villes, de sociétés pour la
décoration des écoles publiques.
Pendant l'automne, les dames riches et cultivées de
41
L'ART ET LES ARTISTES
Washington organisent des sociétés de ce genre où chaque
membre paie 5 francs par an.
Déjà elles ont plus de 5uo(_i francs dans leur trésorerie !
Avec cet argent on achètera des reproductions d'après
les grands maîtres, des objets d'art et des décorations
murales.
Mais, chose encore plus significative, les architectes des
deux nouvelles écoles ont organisé un meeting avec les
membres du comité de cette Société, ]iour discuter leurs
plans, afin que les décorations futures soient en accord
avec l'architecture.
Partout les enfants s'intéressent à ce mouvement.
A Dayton (Ohio), les élèves ont décidé de prendre part
à l'embellissement de leur école.
Comment allaient-ils s'y premlre?
Question brûlante ! Après une très longue discussion,
les enfants ont notifié leur décision : acheter un grand
lion de bronze, pour mettre devant leur porte.
Pendant cinq ans ils ont épargné tous leurs sous. Quand
10 000 francs furent amassés, ils nommèrent un comité
pour choisir le meilleur sculpteur possible.
Un de ces membres vit des oeuvres de Mlle Hyatt au Salon
annuel de Chicago, où ses animaux ont attiré beaucoup
l'attention. Après toutes sortes de « pourparlers », elle
reçut la commande du fameu.x lion. Anna Hyatt était
l'élève la plus douée de Gutzon Borglum.
Sociétaire de notre Société nationale de sculpture, ses
œuvres sont exposées partout, même à Paris, et partout
on est frappé par son originalité, par sa puissance de repré-
sentation de la nature, et par la vérité de son modelé'.
Jeune, jolie, bien élevée et extrêmement douée comme
sculpteur d'animaux, Mlle Hyatt est, par excellence, un
personnage digue d'attirer l'admiration romanesque des
enfants.
Quand elle est revenue de Xaples (où elle était allée
pour fondre son lion), elle fut reçue avec des acclamations
par les milliers de jeunes gens qui ont contribué de leurs
sous à l'achat du lion.
Elle fut conduite en triomphe à la salle d'assemblée et,
là, fut forcée de faire un long discours sur la manière de
modeler et de fondre un lion.
Le maire, les adjoints, les gens les plus riches, comme les
ouvriers les plus pauvres, tout le monde de Dayton a pris
part à l'inauguration du monument couronné par le lion.
Les enfants étaient transportés de joie.
Maintenant ils adorent leur beau lion, pour lequel ils
ont fait tant de sacrifices.
Et, chose très importante pour l'avenir de l'art à Daj'ton,
ils commencent à étudier toutes les statues, toutes les pein-
tures qui appartiennent à leur ville; pour la première fois
ils sont vraiment intéressés par le Beau.
Quand ces enfants seront devenus des hommes et des
femmes, ils demanderont de belles choses pour leurs maisons.
Ainsi l'art croîtra dans ces petites villes, qui plus tard, nous
espérons, feront une nation artistique de notre Amérique
commerciile. A. Seaton-Schmidt.
ITALIE
■Tl n'y a rien de plus paradoxal, à coup sûr, (jue l'Art
codifié, inflexiblement régi par des lois gouvernemen-
tales autant que par les normes tyranniques que la médio-
cratie traditionnaliste élève toujours contre les innovateurs,
de quelque catégorie et aussi de quelque envergure qu'ils
soient. L'art procède par étapes d'innovation et celle-ci
est, par définition, contraire à la loi établie. Mais rien n'est
plus ironique, devant l'éternité, que les lois imposées par
les pouvoirs publics non seulement à la manifestation d'art,
mais à l'inspiration même des artistes. Ce sont là les brèves
considérations que tout concours national, réglé par des
ministères modernes, peut susciter.
Le monument à Victor-Emmanuel, à Rome, doit aux
politiciens de la péninsule son histoire déjà très lourde.
Le dernier concours a été celui de ce qu'on appellera
■• l'Autel de la Patrie ». Il s'agit de la jiartie centrale, vitale,
du cœur de cette énorme masse de pierres que l'Italie
moderne s'efforce bruyamment d'élever en monument par
trop colossal, pour révéler au monde toute sa force, ou
toute sa faiblesse contemporaine.
La sous-commission loyale pour le concours de décora-
tions de « l'Autel » a donné ses conclusions. Elle avait
demandé aux artistes de représenter : soit la statue de
Rome, aj'ant à ses cotés un haut-relief consacré à l'entrée
des Piémontais à Rome, et un autre consacré au Plébis-
cite de la capitale ; soit la statue de Rome, ayant à ses
cotés deux hauts reliefs consacrés au.x Précurseurs du
« Risorginiento » ; soit enfin tout autre sujet « correspon-
dant à la signification civile et politique du monument ».
Le prix assigné an vainqueur était de 60 000 francs. Vingt-
sept concurrents ont envoyé leurs maquettes, dont le jury
a choisi trilcs de .M. Zanelli et celle de M. Dazzi |>our un
]irochain concours définitif. L'Italie est donc sûre d'avoir
-on .\utel de la Patrie, et le jour de l'inauguration les poli-
ticiens qui célébreront la solennité ne manqueront pas
d'affirmer devant les pays réunis que. Rome étant pour
les Italiens éternelle par tradition et capitale du monde
par définition, le monument à \'ictor-Emmanuel est élevé
pour témoigner une nouvelle renaissance de l'Art.
Nous avons sous les yeux la relation du concours que
M. Fradeletto a lu devant la sous-commission royale.
M. Fradeletto, conférencier à l'éloquence trop facile, popu-
laire et fort versatile, a remarqué que l'éclosion de
jeunes talents révélée par le concours de « l'Autel » est
féconde en promesses. Il a donc parlé naturellement d'une
« magnifique floraison de l'art plastique que ceux qui étu-
dient toute forme du beau avaient unanimement signalée,
et qui constitue l'une parmi les manifestations les plus
hautes et les plus caractéristiques de l'esprit national.... »
Et il exalte l'oeuvre de M. Zanelli, tiui a exprimé plas-
tiquement les deux concepts : •• de l'Amour de la patrie qui
lutte et triomphe, et du Travail qui construit et féconde ».
L'éloquence latine se pose encore une fois en adversaire
inconsciente de l'Art. La tradition très lourde d'un esprit
atsthétique, ou plutôt d'imitation esthétique, d'assimila-
tion admirable mais non créatrice, que les Romains nous
ont léguée, triomphe encore une fois. Le pathos historique
et des concetti gonfle les joues des parleurs et remue la
main des artistes. Le légionnaire guerrier et légiférant qui
enferma toute la puissante subtilité artistique dans le con-
tour rude de sa cuirasse, et jeta les trésors de toute spiri-
tualité autochtone sur un massif plateau de la balance de sa
loi, triomphe encore, autant que dans le Midi français,
dans toute l'Italie. \'oilà pourquoi un monument de glo-
rification italienne, qui aurait dû surgir du plus pur élan
de l'art contem])orain. résninant les mille éléments de
42
LART KT LES ARTISTES
renaissance (qui en sculpture, par exemple, ont été apportés
au monde de Carpeaux à Rodin), montrera seulement au
monde dé<,ii une colossale distribution des éléments architec-
turaux de tous les temps, faite par Sacconi, le défunt archi-
tecte du monument, et la bonr.e exécution sculpturale
de M. Zanelli ou de M. Dazzi.
Au surplus, la maquette de M. Dazzi, par ses réelles qua-
lités de force, par la netteté significative de ses modelés,
par le groupement vigoureux des figures, et malgré le
caractère suranné de sa statue de Rome, une femme impé-
riale assise, et le manque de .. gestes sculpturauxnouveaux <>,
nous semble préférable à l'œuvre équestre archaïque de
M. Zanelli, quoique celle-ci soit fort habilement exécutée.
Quelle sera maintenant la statue équestre du Roi, que
CCS décorations sculpturales de la base doivent sup-
porter ?
Les Italiens, dont le défaut architectural, suivant les
Romains, consiste surtout à mesurer la beauté de leur
architecture sur l'étendue de la masse ornée plutôt que
sur la profondeur de la masse animée à la manière gothique,
ont eu la gloire d'avoir éternisé dans le soleil les plus belles
statues équestres qui soient. Une très belle statue du Roi
à cheval, même conçue dans les normes strictes de la tra-
dition, pourrait seule désormais relever le sort esthétique de
ce trop lourd monument.
RiCCIOTTO Canudo.
ORIENT
Les Mosaïques de Sainte=Sophie.
■p»Eux grosses nouvelles me parviennent de Stamboul.
Toutes les deux sont faites pour combler de joie ceux
qui prennent intérêt aux origines de l'art byzantin, à cet
art dont Ravenne, Palerme et Grottaferrata conservent de
précieuses reliques et dont Constantinople détient les purs
et merveilleux chefs-d'œuvre.
Il s'agirait tout simplement, d'une part, d'enlever les
toiles grossières collées sur la coupole et les frises d'Aghia-
Sophia et de mettre ainsi à découvert les admirables
mosaïques qui faisaient la gloire et l'orgueil de la basilique
byzantine. Il s'agirait, d'autre part, de faire restaurer celles
des superbes mosaïques de Kalirié-Djami, — ancien monas-
tère de Khora, — qui s'effritent et menacent ruine : fort
heureusement que restreint est le nombre de ces dernières
et que, malgré elles, l'œil peut encore contempler la plus
admirable série de mosaïques existante.
Si, comme tout le porte à croire, le dcbadigcoiiiiage des
frises de Sainte-Sophie et le retrait des toiles de la coupole
ne sont plus qu'une question de semaines, la Turquie
Constitutionnelle aura droit à la profonde reconnaissance
de tous les amants du Beau pour le service signalé qu'elle
pense rendre aux Arts.
A cette place même, en avril 190S, dans une étude inti-
tulée la Corail et l'Aii Osmnnli, étude qui eut les honneurs
de reproductions multiples, j'ai dit comment une fausse
interprétation d'un verset du Livre Saint avait, durant
des siècles, arrêté le développement de la peinture et de la
sculpture en Turquie.
Bien plus, croyant — toujours à cause de cette fausse
interprétation — que le culte islamique interdisait la vue
même des images saintes, les Turcs ont maroullé toutes les
icùnes se trouvant dans les iglises du Bas-Ivmi)ire
( onverties en mosquées sous Sélim X'^'' et Suléiman le
Magnifique. C'est pourquoi, à Sainte-Sophie, sur les belles
mosaïques des prophètes, des apôtres et des saints décorant
les arcades, sur le merveilleux panneau décoratif surmon-
tant la porte du narthex, sur la superbe frise déroulant sa
mosaïque immense autour de la vaste coupole, des toiles
grossières furent apposées, recouvertes de badigeon,
lorsque le badigeon n'était pas étendu à même sur les pré-
cieuses œuvres d'art, datant, pour la plus grande partie, de
l'époque de Justinien.
Depuis la prise de Constantinople jusqu'au régne du
Mdtan Abdul -Medjid, — pendant (juatre siècles. —
aucune tentative ne fut faite pour enlever ces toiles qui
privaient, ainsi, l'art chrétien des premières pages de sa
mosaïque et des élans de foi de ses artistes primitifs.
C'est à l'architecte italien Fossati que nous devons la
révélation de ces trésors. Chargé de 1S47 à 1S49 de la res-
tauration d'-Vghia-Sophia, il eut l'idée de découvrir les
mosaïques et d'en prendre copie, avant de reposer les toiles
qui les cachent aux yeux. Quelques-unes de ces reproduc-
tions parues, en 1854, à Berlin, dans un ouvrage de Salzen-
berg sur Sainte-Sophie, firent entrevoir et regretter les mer-
veilles masquées par les toiles badigeonnées.
Le regret fut d'autant plus vif que Fossati, froissé des
procédés de Salzenbcrg qu'il accusait de lui avoir soustrait
le fruit de son labeur, a toujours, jalousement, gardé dans
ses cartons la série complète des mosaïques reproduites,
que SCS héritiers, suivant ses désirs, se refusent encore à
livrer au public.
Grâce, cependant, au libéralisme de la Turquie Consti-
tutionnelle, nous allons assister, bientôt, à la résurrection
de cet art primitif, contemporain de la grande époque
byzantine et de l'apogée des Césars d'Orient. Nous contem-
plerons l'art précieux des mosaïques des arcades : les véné-
rables figures des patriarches et des projihètes, les traits
inspirés des apôtres et des martyrs. Nous admirerons les
panneaux du narthex, entre autres celui de la Otoiic ilit
Christ : Jésus assis sur un trône d'or, une main tendue pour
bénir, l'autre entr'ouvranl un livre où se lit cette légenile :
« Paix à vous, sur la terre. Je suis le soleil de l'univers ".
tandis qu'à ses pieds un empereur — Justinien, iieut-être
— humilie sa pourpre toute puissante dans la pose de la
prière et du prosternemcnt. Nous nous extasierons, enlin.
devant les anges immenses qui étendent leurs ailes il'or
dans le fond bleu de la coupole et <iui semblent, chargés de
s\ipplications humaines, prendre leur essor vers l'infini.
Lorsque tous ces trésors seront mis à jour, il sera facile,
en étudiant les mosaïques découvertes dans l'église — con-
vertie eu mosquée — d'.\ghia-Sophia de Salonique, — dont
j'ai entretenu dernièrement mes lecteurs, — et celles de
Kahrié-Djami, — tlont j'aurai à les entretenir i)rochaiiie-
ment, — de remonter aux sources mêmes de cet art si en
faveur chez les Byzantins, d'en faire la genèse, cl'en recons-
tituer l'historique, basés non plus sur des controverses, mais
sur lies données expérimentales.
ADoi.riii: rii.\i.,\ss<i.
43
L'ART ET LES ARTISTES
SUEDE
T 'exposition iiuc Nil-i Kreiiger a organis6c il y n
quL-lque temiis à Stockliulin a dtrechef attire- l'atten-
tion de ses compatriotes sur cet artiste si solide, si origi-
nal. Je sais ijn'il est peu connu à l'étranger. Je crois que.
s'il était connu, il renconti erait une \-ive sympathie de la
])art de tous ceuN i|ui savent ajipiécier l'apport pcisninhl
liant de l'île d'Oland et s'y dessinent contre les ciels d'orage
([u'aime l'artiste et dont il sait rendre les nuages avec une
rare énergie et une grandeur peu commune. Jléme pour le
calme majestueux des bêtes à cornes qui a séduit les
artistes depuis les temps antiques, Kreuger a trouvé de
111)11% files lornies artistiques. On éprouve avec une force
NILS KKELOER
P.\YS.\r,E D ORL.WK (SUEDE)
et c|iii aspirent a|iiès ce qui est sain au milieu de toutes
les choses p.irluniees el .irtUieielks (|ui se présentait.
Xils Kren^er est né en 1.S5.S à Calmar, sur le littoral <le
la province de Smaland. Ajirés avoir étudié la jieintnre à
Stockholm ))endant plusieurs années, il partit en i,SSi
pour Paris. S.uif de r.ires absences, il resta ]iresque dix ans
en Fraïue et l'.irt lr.iiii,.iis et l,i tulture Irançaise lui ile-
vinrent pendant ce temps très sympathiques. L'école de
Fontainebleau, mais peut etir |]his encore Cazin, inlîuen-
cérent sa première manière. \ ( rs 1 ,Sgo, il s'établit avec
quel<pi,s uiisde ses 1 ,imai .ulrs. K,ni Nordstrom et Richard
l;.;nit
Bersh.a \
occideiitali
tandis cpie son anii Noi.lst
Bohnslan qui s,- tri.ii\e n
berg que Kreii;.4ir lniiiv,i
perscuinel et d'\ t lu]i]).i un
gens, mais qu'on liiiit par
].roviiRe (11- Jlalland.sur la cote
M\s pl.it ,iu.\ bords du Kattégat,
rniii peignait la côte rocheuse du
I |H u |ilus au nord. C'est à \'ar-
le style (|ui lui est proprement
e teihniipie <|iii choque bien des
ap]irendre à aimer dans sa fer-
meté et sa clarté. C'est l'ensemble, le monumental qu'il
veut faire ressortir. La couleur avec ses surfaces égales
sont souvent animées chez Kreuger par des points noirs.
Le monumental ap]>arait autant s'il emjiloie de petits pan-
neaux de bois ou s'il remplit des surfaces de 10 mètres
de largeur. Ses motifs sont en général empruntés au lit-
toral suédois. Les derniers grands tableaux de l'exposi-
tion étaient de la cote occidentale, mais aussi de la grande
ile allongée d'Oland dans la Laltique. Des vaches et des
chevaux se voient .souvent sur ces toiles et ils se marient
au paysage comme Kreuger seul sait le faire. Tantôt ces
chevau.x se réunissent sur les bas-fonds du rivage pour
chercher à se protéger les uns les autres contre le vent ;
tantôt ils paissent Mir la colline qui forme le point culmi-
extr.iordiuaire le sentiment que l'artiste nous donne de
nouveau .1 les vieilles choses de tous les jours » avec une
recrudescence de vie. lorsqu'on voit l'art de Nils Kreuger.
Comme les grands Hollandais, il n'est jamais monotone,
(pioiipi'il restreigne connue eux le cercle de ses sujets. Il
leur ressemble aussi en ce qu'il est égal, calme et sûr, et
iliie ses toiles, si nombreuses déjà, ne trahissent jamais
la négligence ni la faiblesse.
Lue piersonne qui a exercé une profonde influence sur
l'art suédois, et dont nous déplorons la perte récente,
Mlle liva Boimier. comprit bien vite le talent monumental
de Kreuger et le mit à prolit. lîlle lui commanda deux
immenses peintures murales pour orner l'entrée d'une
école primaire à Stockholm ; c'est l'une d'entre elles que
notre gravure reproduit ici.
L'as.sociation l'Ait à l'icole dé Stockholm a commandé
à Kreuger une peinture murale de dimensions gigantesques
pour une antre école primaire ; le sujet est tiré du port de
Stockholm. C'est la veille de la Saint-Jean. Les chevaux
des camions et des tombereaux sont ornés de ramilles de
bouleau.
Le taljleaii. qui proiluit un effet ilécoratif extraordinaire
avec son soleil d'été et la joie du travail qui pénètre par-
tout, est un des résultats les plus réussis de l'association
r.-lit à l'iiolc, qui travaille en Suède depuis douze ans.
C'est dommage que Kreuger. qui est certainement
aujourd'hui un des meilleurs peintres de la Suède, ()ui a
reçu des impressions si fortes et si heureuses de la France,
n'ait pas exposé à Paris ces derniers temps....
Kreuger est un homme dans toute l'acception du mot.
Il n'a peur de rien, sauf du humbug.
C.^RL Cr. L.\IK1N.
44
L'ART P:T les ARTISTKS
SUISSE
Plusieurs expositions intéressantes, mais d'une inipor-
tance secondaire, se sont succédé cet hiver dans nos
diverses villes. Celles du Kunstlerhaus, à Zurich, qui se
suivent régulièrement de mois en mois, et présentent
prestjue toujours quelques œuvres artistiques dignes de
reni.uque, n'ont pas brillé, ces derniers temps, d'un éclat
exceptionnel. En revanche, dans la même ville, les exjiosi-
tions d'art décoratif, organisées à intervalles très rappro-
chés par le très intelligent et très actif directeur de l'École
des .Arts appliqués, M. de Praetere. mériteraient d'être
connues de 'étranger et j'espère leur consacrer ici.(|uolque
jour, mie étude spéciale.
A Lausanne, un petit groupe de l.i rude phalange des
paysagistes bernois, MM. P. Colond)i, P. Senn, W. Peux, etc.,
ont exposé une série, bien accueillie du |)ulilic. de leurs
oeuvres les plus récentes.
A Genève, il faudrait pouvoir faire mieu.x cjue mention-
ner les expositions très intéressantes ilu jiaysagiste Jacques
Odier et du maître bâlois Hans Sandreuter (mort en lyoj) ,
disciple fervent de Boecklin à ses débuts et qui flevint
jilus tard un paysagiste très personnel et très puissant. Pa
série des pastels, eaux-fortes et émau.x du bon peintre
Rodolphe Piguet a charmé les nondneu.x visiteurs de la
>alle Phellusson.
Mais l'événement artistique de la saison, c'est l'exposition,
au Musée Rath, des grands panneaux décoratifs peints
I)ar M. Otto Vautier. Commandés à l'artiste par la \'illc de
Genève, ces deu.x oeuvres exquises font partie d'un ensemble
décoratif destiné à orner une grande salle de réunion ilan--
la vaste école primaire du quartier po])uleux et faubourien
des Pâquis. Quelques-uns trouvent que c'est là un cadre
peu distingué pour une œuvre de si délicate conception et
d'une e.xécution si raffinée. Ils voudraient von- ces pein-
tures briller dans le nouveau Musée ou décorer quelcpu-
palais municipal. D'autres, contestant ce point de vue.
déclarent que les écoles sont les vrais palais de la démo-
cratie et que rien n'est plus juste que d'égayer par cette
œuvre de beauté un quartier jusqu'ici fort négligé sous ce
rapport. Je vous cite ce débat local, parce qu'il me semble
qu'il se produira bientôt, sous des formes variées, dans
tous les États civilisés de gouvernement démocratique.
Mais le point sur lequel tous les Genevois tombent d'accord,
c'est le charme délicat et voluptueux de cette peinture
d'inspiration subtile et poéticiue. de large et souple e.xécu-
tion, de couleur charmeu e dans la lumière blonde (jui la
baigne.
Les deux panneau.x e.xposés sont <les visions de poésie et
de beauté plus que des sujets précis traités avec méthode.
Dans la Baïqiie aux voiles latines, dorée par les layons tlu
soleil, mi essaim de formes légères. ex<piises et blanches, —
idées, ftnnies, illusions peut-être de l'avenir souriant, —
s'embarquent, et, du rivage, une jeune femme, d'un geste
adorable de ses bras étendus, les salue et bénit ce départ.
A droite et à gauche de cette ligure, deux jeunes femmes,
l'une debout et parée de roses, l'autre assise et ornée de
bleuets, contemplent, dans une attente de joie et d'espoir,
les mouvements câlins de ce départ.
L'autre panneau, qu'on peut intituler, si l'on tient à un
titre, la Lutte de la Beauté, v^t une délicieuse et souriante
évocation de la beauté antique ; beauté du paysage clas-
sique, beauté du temjîle en ruine, beauté et grâce des
jeunes femmes penchées sur la margelle d'un puits ou
adossées à quelque tronçon de colonne brisée. Ce n'est
presipie rien et c'est tout, cette vision de peintre qui,
certes, a compris le charme et le sens poétique de Théocrite
ou de l'anthologie, mais cpii connaît aussi la force île sé<luc-
tion et <l'émotion de la ligne belle et de la coideur calme,
du style voulu et surveillé dans l'ajipaient abandon d'une
grâce négligente....
Proscrite de Genève pendant près île quatre siècles, a
peinture décorative y renaît par un chef-d'œuvre d'art
souriant, délicat et brillant. Ce sont là les ironies, et les
revanches, de l'histoire.
Gaspard V'alleïte.
Échos des Arts
Fouilles et Découvertes-
M. Paul C;aucl<ler, memlire corr<'spondant de l'.Vcadémie
des Inscriptions et Pelles-Lettres, (juidirige en ce moment,
à Rome, les fouilles du Janicule, vient d'y faire plusieurs
découvertes importantes. II avait reconnu, l'an passé, sur
l'emplacement du bois sacré de la déesse Furrina, l'exis-
tence d'un sanctuaire des dieux syriens, et c'est ce sanc
tuaire qu'il s'est occupé de déblayer cette année : les cons-
tructions, aussi bien que les objets d'art (pi'il a mis au jour,
jettent une lumière nouvelle sur l'histoire des religions a
Rome, et sur leurs rapports avec les origines du christianisme.
Le temple comprenait : i" au fond, à demi enfoncé dans
la colline, le sanctuaire proprement dit ; 2" une cour en
terre-plein, où l'on a retrouvé des restes de sacrifices ;
3" eu avant et en contre-bas, un second sanctuaire, com-
posé de deux loges symétriques, toutes les deux ornées
d'une statue de Dionysos, en marbre blanc, et donnant
accès ilans une cclla centrale en forme il'liex.igone, qui se
prolonge en arrière par une abside.
Outre une des deux statues de Dionysos, on a retrouvé
intacte une statue égyplisantc de déesse syrienne en basalte
noir ; trois tombeaux situés au centre du sanctuaire ;
enfin, sous l'autel de la cella hexagonale, dans un caveau,
une idole de bronze doré de 47 centimètres de hauteur,
représentant une jeune femme eugainée comme une
ihomie, dont un dragon enveloppait le corps de ciiu| cir-
convolutions, la queue ai)pnyée contre les talons réunis,
la tête (lardant au-dessus du front. Dans tout ce qui reste
de l'antiquité, il n'existe à l'heure actuelle aucune repré-
.sentation figurée analogue, et l'on <liscutc beaucoup sur la
signification de cette i<lole, déposée dans l'autel lors de la
consécration du temple.
M. Diego Sanl'.Vudirogio a acquis à bon compte, chez
45
L'ART ET TES ARTISTES
un reNt;nirati-in" di- Milaii, un tabU'au représentant une
femme aux cheveux hlimils, nue jusqu'à la ceinture,
appuyée à une fenêtre et ramenant les mains avec le geste
lie la Jocunde, qui provient de Varese et qu'il attribi-e à
Léonard de Vinci. Il s'appuie sur ce fait que le tableau porte
à son revers un cachet aux armes des Crevenna-Settàla.
famille milanaise aujourd'hui disparue ; or, un membre
de cette famille, le chanoine Manfredo, donna, en 1680,
la collection de peinture qu'il avait reçues de ses aïeux à
la Bibliothèque ambrosienne. mais, par suite de contesta-
tions des héritiers, cette collection ne fut pas remise inté-
gralement ; certains objets furent détournés. La toile
récemment retrouvée pourrait être un de ces objets, car,
dans le catalogue de la collection Settàla, dressé en 1664,
figure sous le n° ^^ une peinture qui n'est pas parvenue
à l'Ambrosienne et q>ii est désignée ainsi : Mitlicr credihir
moctrix ofius cximii illiits pictoris Leonardi de Vincio ; et
comme la collection fut formée par l'aïeul du chanoine
Manfredo, Ludovico Settàla, l'attribution à Léonard serait
à peu prés contemporaine de la mort de l'artiste.
Dons et Achats.
Ati Loitvic. — Le Musée du Louvre vient de faire l'ac-
quisition d'un petit tableau de 35 centimètres de haut sur
J2 centimètres de large, par Ingres, provenant de l'an-
cienne collection Coutan. C'est un des trois ou quatre
morceaux finis qu'exécuta le maître à différentes époques
pour le Bain turc du Louvre.
Dans celui que je viens de citer, le fond est plus complet
et mieux comjiosé qu'en aucun autre. Il fut exécuté
en 182S, et rappelle l'aquarelle de la collection Bonnat,
ainsi que la petite peinture de la collection Valpinçon. Ici
la figure nue du premier plan est aussi assise, vue de dos,
sur un divan drapé de linge blanc. La femme est coiffée
d'un turban blanc et jaune. Une baigneuse est dans la
piscine, et la femme qui se fait coiffer est au dernier plan
à côté d'une Persane. Deux autres figures se voient dans
le fond à droite.
C'est là un précieux document pour le Musée qui possède
le grand tableau de forme ronde universellement connu.
Une des sœurs du peintre Courbet. Mlle Juliette Courbet,
vient de donner à la Mlle de l'aris, pour ses collections,
six œuvres du maître d'Omans, savoir : Portrait de Courbet
au chien. Portrait de Mlle ZHie Courbet, Portrait de Mlle
Juliette Courbet, la donatrice ; Portrait du père Courbet;
les Amants dans la campagne et les Trois Baigneuses.
Mlle Courbet avait déjà donné à la Ville cet important
tableau : les Demoiselles des bords de la Seine. La \"ille
possé-dant. en outre, ces autres toiles du même artiste :
/(( Sieste, Portrait de Proudhon et Portrait de Corbincau,
il a été décidé qu'il .serait créé au Petit Palais une salle
particulièrement consacrée aux œuvres de Courbet et qui
porterait son nom.
tout en argent ciselé, porte encore, enroulée autour de la
garde, son ancienne dragonne. Il y a f|uelques années, le
Sénat des États-Unis avait voté un bill qui prévojait un
crédit de cent mille dollars piour l'achat de cette épée ; la
Chambre des représentants ayant refusé de ratifier le crédit
ilemandé, l'épée de Washington resta entre les mains de
miss \'irginia Taylor Wise à qui elle appartenait.
Aménagements et Restaurations.
Rubens va avoir son musée, musée des plus curieux
où sera réuni tout ce ciu'on pourra trouver des œuvres
de l'illustre peintre existant en Belgique, ainsi que les
copies de ses œuvres disséminées dans tous les musées
d'Europe et chez les particuliers. On yajoutera ses esquisses,
ses ébauches et ses lettres. La Ville d'Anvers se propose,
en effet, de reconstituer la maison bâtie par Rubens au
n" 7 de la rue de ce nom et d'y placer tous les souvenirs
de l'immortel auteur de tant de chefs-d'œuvre.
On sait qu'un des premiers actes de Pie X fut d'ordonner
le transfert au rez-de-chaussée du \'atican de la Pinaco-
thèque qui occupait naguère, au dernier étage du palaLs,
un local trop étroit, médiocrement éclairé, exposé à des
risques d'incendie. La nouvelle galerie sera ouverte au
public le !'■''■ mars. Elle a été disposée de manière à présenter
le mieux possible les principaux chefs-d'œuvre, autour
desquels on a groupé les ou-vxages secondaires. L'ancienne
collection se trouvera enrichie de nombreuses pièces nou-
velles, empruntées au Musée des Mosaïques, à celui de
Latran, aux appartements des Papes et même à la Biblio-
thèque qui conservait de petites peintures assez précieuses
des xiii" et xiv^ siècles. On a fouillé tous les coins du
Vatican pour y découvrir toutes les œuvres dignes d'entrer
dans le nouveau Musée, depuis un tript^-que du trecento
florentin jusqu'à un Repos en Egypte du Baroche et un
1', titrait de Cardinal par Sassoferrato.
D'après les dessins présentés par M. Vacherot, ancien
collaborateur d'A phand et vice-président de la Société
nationale d'Horticulture, voici quel sera le nouveau parc
qui va être établi sur l'emplacement des terres du Cours-
la-Reine. L'espace compris entre le pont des Invalides et
le pont de l'Aima sera enclos de grilles, que l'on fermera la
nuit seulement, et orné d'une série de massifs d'arbustes
et de fleurs rares, de plates-bandes de boulingrins, de carrés
et de pelouses dévalant du Cours-la-Reine jusqu'au bord
de la Seine, en pente douce. De distance en distance, des
escaliers de pierre, très larges, occuperont cette pente
fleurie et donneront accès aux jardins du bas-port qui
s'étendront entre le fleuve et le mur du quai. Les travaux
commenceront aussitôt après la démolition des serres et
dans ce nouveau parc auront lieu désormais les expositions
de fleurs du printemps et de l'automne, sauf cette année
où ces expositions se tiendront dans le jardin des Tuileries.
M. Pierpont -Morgan, qui s'est rendu acquéreur de l'épée
de Washington, se propose d'offrir cette arme historique
à la Mount Vernon Association qui a organisé dans la vieille
maison de Washington, sur les rives du Potomac, un musée
spécial. Cette épée est celle que Washington porta jus-
qu'en 1783, époque où il quitta le commandement de
l'armée continentale de la jeune République. C'est une
arme d'une grande valeur artistique, dont le pommeau,
JS
L'idée de construire dans les Champs-Éh'sées sur l'em-
placement de l'ancien Cirque d'Été un théâtre monumental
sous le titre de Théâtre-Palace a été repoussée par la com-
mission du conseil municipal chargée de l'examiner.
La commission du ^'ieux-Pari3 a émis à cette occasion
l'avis d'interdire toute nouvelle construction aux Chainps-
Élysées ; la commission des Sites a décidé de réclamer
pour plus de sûreté le classement des Champs-Élj-sées.
46
L'ART KT LES ARTISTES
Monuments.
Un coiuitc; il'arlisu-s vl d'umatoiirs vient de se consti-
tuer, sous la présidence du peintre Alfred Agache, en vue
d'élever un monument au peintre I.ouis-Léopold Boilly,
dans sa ville natale, La Bassée, près de Lille. Le statuaire
Maurice Quef et l'architecte de Montarnal ont été chargés
de l'exécution de ce monument.
Adresser les souscriptions au trésorier du Comité Roillv,
M. Gaston Lecreux, artiste peintre, 19, rue de \'intimilk-,
Paris.
Fêtes et inaugurations.
Pendant les iëtes de la Pentecôte, les 29, 30, 31 mai
prochain, sera célébré à Arles le cinejuantenaire de .1//-
icille, par Jlistral. Ces jours-là, le poète proven(,;al fera
l'ouverture du Musée arlésien iju'il a pu organiser, grâce aux
fonds mis à sa disposition par l'attribution qui lui a été
faite du pri.x Nobel.
Revue des Revues.
Staryé Gody (années révolues). — If évite mensuelle
d'art ancie-n, paraissant le 15 28 de chaque mois. — 1909,
troisième année.
Le texte de Staryé Gody étant rédigé en russe, tous les
titres sont munis de traductions en français.
Pri.x d'abonnement pour l'étranger : 30 francs par an.
Ou s'abonne chez tous les libraires de Saint-Pétersbourg
et au bureau de la rédaction (7, Solianoï per) ; à Paris,
chez Henri Leclerc, libraire. 219. rue Saint-Honoré.
P. P. de Weiner, directeur fondateur.
La Scundinavie. — Revue mensuelle illustrée des
royaumes de Suède, Norvège, Danemark et grand-duché
de Finlande. — .Artistique, littéraire, scientifique. —
Rédaction et administration : 07, boulevard Malesherbes,
et 4, avenue de l'Opéra.
Directeur : Maurice Chalhoub.
.Abonnements : 6 francs pour la l'iance et S francs pour
l'étranger.
envoyer leurs ouvres à re.\pusilioii de 1909 fasseiU um:
déclaration immédiate, car il ne sera accepté qu'un nombre
très limite de nouveaux exposants.
Toutes les demandes de renseignements, adhésions et
versements doivent être adressées au secrétaire (Frank
Rutter), .\llied .Vrtists' .Association Ltd., (>/-iy>^. Chan-
cery Lane, London, W. C.
Divers.
MM. (normes Herger et .\rniand Dayot ( ni invité le
président de la République à inaugurer l'exposition des
Cent ])ortraits de femmes (écoles anglaise et française du
xvm'' siècle), organisée au iirotit de la Société de secours
aux familles des marins français naufragés (fondation
.Alfred de Courcy) et dont S. M. la reine d'.Angleterre a
accepté le patronage. JI. Falliéres présidera le 23 avril à
l'ouverture de cette manifestation artistique, d'un intérêt
uniipie. Le comité fait savoir que la liste des cin(|uante
portraits de femmes françaises est définitivement arrêtée
et (ju'il ne pourra, désormais, à son grand regret, examiner
les nouvelles propositions qui lui seraient faites. La liste
anglaise, où figurent les plus grands chefs-d'œuvre îles
maîtres anglais du xviii'' siècle, depuis Hogarlh jusqu'à
Laurence, est également close.
Nous appienous avec plaisir que notre e.xcellent confrère
et ami .M. Paul Bureau vient d'être nommé président de
la Société des .Artistes lithographes français. Nos plus sin-
cères félicitations pour cette distinction si méritée.
Le ministère des .Affaires étrangères a fait construire
à \'ienne (.Autriche) mi palais peur l'auil assadc de
Irance. Ce palais, dont M. Chedanne a été l'architecte,
étant terminé, la décoration picturale en a été confiée à
M. .\lbert Bcsnard, <pii vient de partir pour Vienne afin
d'exécuter sur place les travaux dont il est chargé.
On sait que M. Bcsnard a reçu également la commande
de panneaux destinés au Petit Palais des Champs-Klysécs
et au.ssi celle du plafond du Théâtre-Français que l'on
espère pouvoir maroufler vers la fin de l'année.
Association de l'Alliance artistique, enregistrée en
vertu de la loi sur les Sociétés industrielles et de i>ré-
voyance. Siège social : 67-69, Chancerv Lane, London,
W. C.
Fondée eu 1908 dans le but de permettre aux artistes
de soumettre librement et sans restriction leurs œuvres
au jugement du ])ublic.
-A l'exposition annuelle <le l'.Association, chaque membre
1 st autorisé à envoyer trois œuvres, dont toutes seront
< xposées en groupe ou dispersées, suivant le désir de l'ex-
jiosant.
Le deuxième Salon de Londres de l'.Association seaa tenu
à Londres, au Royal Albert Hall, au mois de juillet 1909.
On devient membre de l'.Association en devenant
icquéreur d'une ou plusieurs actions d'une valeur nomi-
nale de 10 shillings (soit 12 fr. 75), et en payant une coti-
sation annuelle d'une guinée (soit 26 fr. 50). En dehors
de cette cotisation, les membres ne peuvent encourir au-
cune responsabilité pécuniaire.
L'administration de l'.Association est confiée au comité
de direction élu par les actionnaires.
-^'- fi. — // est de toute nécessité que les artistes désirant
.M. .Alfred Boucher, statuaire, <pii travaille en ce moment
.lU monument de Paul Dubois, destiné à la ville de Nogcnt-
sur-Seine, vient il'achever l'ensemble de cette œuvre et
d'en livrer au fomleur deux des grandes figures qui iloivent
l'orner, la Peinture et la Sculpture, en qui l'artiste a per-
sonnifié les deux arts dont se couqiosait le talent de Paul
Dubois.
La Société nationale des Beaux. \rts vient de recevoir
du Conseil d'État la personnalité civile.
Un obtenant ce caractère, elle devient désormais capable
de recevoir les legs et les donations qui pourront lui être
faits. File a déjà été dotée de deux fondations lui per-
mettant de distribuer, après chacun de ses Salons, un prix
de I (X)0 francs et un pri.x de jcxj francs, au sujet desquels
toutes formalités légales sont aujourd'hui complétées. Ou
parle d'autres donations que se proposeraient de faire
d'autres personnes en faveur de la Société et pour aider
aux études de jeunes artistes dont les ressources person-
nelles seraient iusuflisantes.
47
L'ART ET LES ARTISTES
Eiiata. — Nos lettfurs auront sans doute rectiliO d'eux-
mêmes l'erreur commise, en notre dernier numéro, dans le
titre du si remarqualile article de il. P. P. de Weiner :
Exposition de Portraits anciens à Saint-Pétersbourg. C'est :
Peintures anciennes i]u'il faut lire.
De même, page 247. c'est Lcvit:ki rt non Zcvilzki c|u'il
faut lire.
BULLETIN DES EXPOSITIONS
l'AUlS
Grand Palais da Chmiips-Élysàs. — fent-viugt-scptième
exposition de la Société des Artistes français,
du i "■ mai au 30 juin.
Oiand Palais, avenue d'Antin. — Dix-neuvième exposition
de la Société nationale des Beaux-Arts, du 1 5 avril
au 30 juin.
Parillon de Marsan {Louvre). — Exposition de la Dentelle
de France, du 15 mars au 15 avril.
Palais de Glace des Chanips-Élysies. — Troisième Salon
des Humoristes, du 24 avril au 15 juin.
l'Uole nationale des Beaux- Arts. — Exposition des travaux
d'art décoratif de nos Écoles nationales des dépar-
tements, en mai prochain.
Salle du Jeu de Paume, jardin des Tuileries. — Le 23 avril
prochain, exposition de portraits de femmes
au xvni" siècle, écoles française et anglaise, organisée
par JI. .\rmand Dayot, inspecteur général des
Beaux-Arts,
Galeries G. Petit. .S. iiic de Sèr.e. — L'œuvre de Kaftaëlli,
du 10 juin au 13 juillet.
— Les Pastellistes, du ; au .'7 avril.
— Œuvres de William Hortiiii.du lOaii %navnl.
Dl'PARTlCMEXTS ICT ÉTRANGER
.\ix-i.es-Bains. — ICxposition internationale des Beaux-
Arts, Commerce, Industrie, Photographie, etc.,
de mai à septembre.
Bayonne-Biarritz. — Exposition <les Beaux-Arts,
du 23 mars au 25 avril.
BoRDE.AUX. — Exposition de la Société des Amis des Arts,
en formation. (Détails ultérieurement.)
Blenos Aires. — Exposition française des Beaux-Arts,
du i" juin à fin juillet.
Calais. — Grand concours international de dessin de
dentelle. Les envois doivent ijarvenir avant le
10 juin 1909 au siège de la Société des Amis des Arts,
14, rue de la Rivière, à Calais, ou jusqu'au 8 juin
chez JI. Pottier, 14, rue Gaillon, à Paris,
CoNSTANTiNE. — Neuvième exposition de la Société des
Amis des Arts, du 10 avril au 9 mai.
CoPENH.\GUE. — Au Palais Royal de Charlottenbourg.
exposition française d'art décoratif, du 26 juin au
13 septembre. Pour tous renseignements, s'adres-
ser à M. Roger Sandoz, à Paris.
Florence. — Exposition de la Société des Beaux-Arts,
27, 29, via délia Colonna, du 20 mars au 6 juin.
CiRENOBLE, — Salon de Grenoble. Exposition des Beaux-
Arts, organisée par la Société des .\mis des Arts,
du 15 avril au 15 juin.
Langres. — Exposition des Beaux-Arts de 1909, du
31 juilletau i"septembre.Envoides œuvresà M.Tru-
chot, au collège Diderot, à Langres, avant le 1 5 juil-
let, et pour Paris jusqu'au 14, chez M. Robinot.
50, rue Vanneau.
Mi'NicH. — Dixième exposition internationale des Beaux-
.\rts au Palais de Cristal, du i" juin à fin octobre.
Nancy. — Exposition internationale de l'Est de la France,
avec section des Beaux-Arts, organisée par la So-
ciété Lorraine, du i" juin à la clôture de l'Exposition
internationale. Envoi des notices avant le 20 avril ;
dépôt des ouvrages chez M. Pottier. rue Gaillon, 14,
du 8 au 1 3 .avril ; envois directs à l'École des Beaux-
Arts, du 20 au 30 avril,
Neuilly-sur-Seine. — Cinquième exposition de la Société
des Artistes de Neuilly, le 15 mai prochain, réservée
aux artistes de la région. Président. Emile Barrau;
vice-présidents : Maurice Chabas et Schommer ;
secrétaire général ; Eugène Delestre.
Nevers. — Exposition annuelle du Groupe d'émulation
artistique du Nivernais, du 14 mars au 10 avril.
KoiEN. — Exposition des Beaux-.Vrts, du i"'' juin au
31 juillet.
Tananarive. — Exposition d'.\rt malgache, comportant :
sculptures, peintures, tissus, arts de la femme,
jouets et jeux, histoire de l'art, art rétrospectif, etc.,
en avril prochain. Pour tous renseignements,
s'adresser au ministère des Colonies.
Toulon. — Société des Amis des Arts. Sixième exposition,
du S avril à fin mai.
\'enise. — Huitième exposition internationale des Beaux-
Arts de la Ville, du 22 avril au 30 octobre, organisée
par la municipalité.
C. VAX LOO
£■, j?£-r^-
Maric Lcczinska, reine de France
(Musée du Louvre)
Musée de SaiU!
KOl'.ERT TOlRNIÈl^HS — portraits r.KorpÉs
LE5 PEINTRES DE LA FEMME
au X\?lll' Siècle
ÉCOLE FRANÇAISE
C'est avec une sorte de religieuse ferveur que
les plus grands maîtres de la peinture ont
cherché à fixer pour l'éternité la fugitive vision de
leurs plus belles contemporaines, alors même que
l'analyse de la figure humaine n'apparaît qu'acci-
dentellement dans leurs ueuvres.
Et cela est aussi vrai pour les peintres de tous
les temps et de toutes les Écoles que jiour les
peintres de notre École du .\viii<^ siècle, dont nous
entretiendrons ici tout spécialement le lecteur, à
l'occasion de cette Exposition des Cent Portraits de
femmes. — organisée par/'.l W et les Artistes, au profit
de la Société de secours aux familles des marins
français naufragés,- — exposition d'une si haute tenue
d'art, d'un aspect si charmeur, et qui met en pré-
sence les deux ])liis brillantes Mcoles de jieinture
du xviu<' siècle, l'une avec le charme incomparable
de sa grâce extérieure, l'autre avec les fortes
qualités de son métier savant et la pénétration de
son analyse ps\xhologique.
C'est en effet sous les séduisantes a]>parences de
la Femme, dejjuis les images de marbre des \'énus
antiques, portraits divins de la mère d'Éros, jus-
qu'à celles des belles favorites de la Régence et
des spirituelles comédiennes de La Tour, de Frago-
nard, de Reynolds et de (iainsboiough.... que les
grands maîtres de l'art ont roninnmié de la plus
triomjjhante manière.
49
UART ET LES ARTISTES
Pifiii ilfll.i EiaïKcsca est au^si i^iaïul par Irs
<HU'1(HU-^ (li'liririisrs ri sdiii iaiilc's iinai;t^ i|u'il
iH>us a lai^^rrs <lc ses ln-lKs et arisliui al i(HK's tcui-
tenilHH.mio i|Uc \'a\ toutes m> MaildiU's et m>
a)nl^)o^ilil>ll^ i rliL;i('Uscs. l.a liiu- silluiiul tf «le
(iiovanna Tdi nahiiiiiii, au ( ol ilt- cNf^nic. ilnut la
i;iàcosuiluuu,iiiii'
illuniiuc 1rs uuii s
dv Sanl.i M. .lia
Xcivella. a plus
lait |i(iur la ^;l(ll^^
luiiiiiii tillc (lu
[K'intrc ipic ttni'.
ses tableaux iu\ -
thologiqut'scl n
ligieux ; ISoiii
celli, Pisaiii II'
Raphaël, I > "
nard, Titiru. n
lunnt jamais
plus iluinruinil
iiisinrés ([uc liiis-
i\\\v la Ik-IIc Si-
nionutta à la
lèvre aif;u(' ri
n-nclle, Isalh'llr
d'Est.' au ]Unlll
altici, la Eonia-
I ma aux laij^i's
\ l'ux ni)iis, MciU"
lia Eisa à l'iiiilili
nissabk' souiiir,
LauretleDiauti a
la gorge chloiiis-
sante,... jiosèieiii
devant eux.
N'est-ce Jiasdaiis
la froide et éiiig-
matique ligure
d'Eléonore de
Tolède et dans
la fine et austo-
cratique image
de Lucrezia Pan- 'Mus. r i
ciatichi que l'art
pénétrant du Bron/Jno, auquel M. Henry ^larcel
consacrait tout dernièrement une si remarquai île
étude dans cette Revue, s'est exprimé avec le plus
de noblesse simple et de force impressionnante ?
Et serait-il téméraire d'affirmer que les portraits
de la Femme à l' éventail de Buckingham Palace et
de la Vieille Femme (cette merveille) du Musée
de l'Ermitage eoiiqiteiil parmi les plus purs chefs-
d'cKUvre de RenibramU et contribuent autant à la
gloire de son nom cpie la fameuse Ronde de nuit et
^es tragiques Descentes de croix ?
IvuIhIIs
lui niéi
'pdsi'. et
ave, (|
spiiè, qi
lell.' spl,
son del
.ord.iul
lit d'Kll
s.d.eth 1
Nnus p,
ilU lillllS
me ii'a-i-il ])as en quelcpie sorte
[uelle pié(ieuse mesure, quel art
eiidi ur de cdloris, toute l'essence
et somptueux génie dans le por-
lîiaudt du .Musée dr Munich?
multiplier, presque à l'infini, ces
exemples à tra-
\eis les diverses
Ecoles de pein-
tille.
A l'épocjue qui
nous occu])c, les
mêmes ])héno-
mènes de con-
leiilration syn-
thétique des plus
rares facultés des
artistes sous les
apjiarences de
l'image de la
Femme se j)ro-
duisent égale-
ment très sou-
vent. Une simple
revue des grands
l)eintres de tran-
sition,c'est-à-dire
de Rigaud et Lar-
gillière, au der-
nier peintre de
cette charmante
époque, au pré-
curseur direct de
la réaction clas-
sique,c'est-à-dire
à F r a g o n a r d ,
suffit à le prou-
\er.
XATTIER — MAi.;ii-:-Anin,AïDE de France
Kigaud et Lar-
gillière produi-
i."u\r< ) ront presque sans
trêve pendant
près de la ]iremière moitié du xvill^ siècle. Plu-
sieurs (le leurs chefs-d'.euvre, les plus universel-
lement connus, dateront de cette époque. Et ce-
jiendant les noms de ces deux artistes, dont l'activité
))rodigieuse se prolonge bien après la mort de Wat-
teau, restent attachés à l'histoire de la peinture du
xvii'^ siècle, et il suffit de les prononcer pour qu'aus-
sitôt s'ébauchent, puis se précisent, dans le souve-
nir, les grandes et solennelles images de Louis XIV,
de Colbert. du duc de Noailles, de Le Brun, de Bos-
suet,... dans leur lourd décor de tentures de pourpre.
I,'ART ET I.FS ARTISTES
r.. CiKI^UZE PORTRAIT DE LA DLXHl-SSIi Dli CUlOISIil I.
'C'.ilkction du tiaruii ICdnioiul de Kuthscliild )
LaigilliiTc et l'Jigaïul iiouiioiU, de 1700 à
1740, travailler sans relâche, se livrer à une inces-
sante production, avec parfois un très visible souci
de réagir contre un maniérisme ])ompeux, dont
ils furent trop souvent victimes, contre une affec-
tation tombée en discrédit, ils demeureront dans
l'histoire de l'art comme les inter])rètes les plus
autorisés des attitudes jiompeuses, des accessoires
somptueux et des perruques monumentales.
L'un et l'autre excellèrent surtout dans le por-
trait, et la persistance de leur notoriété est ))rinci-
palement due à la haute tenue décorative des
images officielles ou gracieuses qu'ils ])eignirent, et
dont les Xanteuil, les Drevet, les Edelinck, les
Dcsplaces, les Vermeulcn, les \'an Schuppen,... ont
popularisé le souv'enir
Mais tandis (pie l.ar;^illièie. ipii. comme Watleau,
but à longs traits à la fraîche, linijude. réconfor-
tante source flamande, ce qui lui i)ermit, comme au
peintre des Fèlcs '^<il<i>ilcs, d'avoir une action bien-
faisante sur l'École française au wiii*' siècle,
se plaisait et excellait dans l'interprétation des
traits de la Femme, Rigaud se distinguait dans
l'étude de la ligure de l'homme. Ce qui ne veut
jias aire qu'il ne sut jias s'illustrer dans la pein-
ture des beautés de son temps. Ses ])ortraits de
la comtesse de Caylus et de la superbe Marguerite-
Henriette de la Briffe, dans son costume théâtral
lie Cérès aux cheveux ])Oudrés. sont tles (vuvres de
grand mérite. Mais c'était toujours avec une véri-
table inquiétu<le qu'il saisi.ssait ses pinceaux lors-
qu'il voulait peindre un portrait de femme, et il
51
L'ART ET LES ARTISTES
aurait nirmc dit, on parlant dv srs iiKulèk's tcnii-
nins : « Si je les lais telles qu'elles sont, elles ne
se trouvent pas assez belles ; si je les flatte, elles
ne sont pas ressemblantes >>.
Largillière, au eontraire, grâce à la facilité vrai-
ment prodigieuse de son junceau, savait, sans trop
nuire à la ressemblance de ses modèles féminins,
et tout en réalisant, en quelque sorte, un compromis
entre le réalisme flamand et l'idéalisme conven-
tionnel de son époque, faire éclore et fixer sur les
visages, jiarfois vulgaires, des expressions caracté-
ristiques d'une grâce fu-
gitive qui les illuminait
agi'éablement. Faculté
l)récieuse qui lui valut
Inen vite, aussi l)ien à
Londres qu'à Paris, une
clientèle dont il ne pou
\"ait jias toujours satis-
faire les exigences.
Le chiffre; des portraits
exécutés par Largillière
est considérable. C'est
assez dire que la pluinirt
des (euvres de cet artiste,
prodigieusement dimé.
accusent sou\ <nt un mé-
tier trop hâtif, une exé-
cution vide et flottante.
Mais sur cet océan de
productions de comman-
de surnagent quelques
merveilleux chefs-d'<eu-
vre, où se révèlent super-
bement toutes les quali-
tés de métier et de com-
position acquises près
d'Antoine Gcebauw et
de Peter Lely : la Irai-
cheur du ton, l'éclat du
coloris, la franchise de
la touche, toujours libre et savoureuse,... puis la
science des décors somptueux et des nobles atti-
tudes.
Et dans ces chefs-d'(euvre Largillière devient
l'égal des plus grands maîtres du portrait, et ici
l'hyperbole cesse lorsqu'on l'ajipelle le \'an D\ck
français.
On ne peut donc que féliciter le Comité d'orga-
nisation de la Section française de cette Exposifion
des Cent porlraifs de femmes d'avoir fait une large
part à ce noble et somptueux artiste, et surtout de
l'avoir représenté par des chefs-d'œuvre indiscu-
tables, comme le portrait de la Marquise de
Migieii (collection Edouard Kahn), le Portrait de
Thomas Germain et de sa femme (collection (lul-
benkiani. le l'uiiniil de Mlle Duclos, de la Comédie-
b'ra)tçaisc. ceux d( la Parabère et de la Baronne
de Piiingins de la collection du vicomte Chabtrt,
celui de la Comtesse de Dreiix-Brezé de la collec-
tion du baron Edmond de Rothschild, le lîiagnifique
liortrait de la Marquise de Bo£;lioiie delà collection
du marquis de (Tiapona\-,
Largillière lit deux portraits de Mlle Duclos,
ou plutôt il lit de l'original qui figure à l'Ex-
position des Cent Portraits de femmes, et qui
a]ipartient à la Comédie-Française, une réduction
charmante, d'un dessin
peut-être plus accentué et
iilus précis et d'un dessin
plus nourri, qui figure au
château de Chantilly. La
reproduction que nous
donnons de cet excellent
portrait a été faite d'après
la toile du foyer de la
C o médie-Française.
Largillière a représen-
té son modèle dans le
rôle d'Ariane, rôle créé
quelques années aupara-
vant par la Champmeslé.
Le peintre paraît
s'être inspiré de ces vers
de Lamotte, qui était
bien le poète désigné pour
célébrer l'emphase un
peu trop déclamatoire
de la belle et plantureuse
comédienne :
.\b ! qiif j'aime à te voir en
[amante abusée
Le visage noyé de pleurs!...
B. GREUZE — i'(
CH.VMPC
'CllK-tli'H du Co
IKTK.MT DE .m"' DE
EXEZ
iiite (.rrlhillir.
Ce portrait paraît da-
ter des premières années
du xviiie siècle. Mlle Du-
clos. née en 1(170, jiouvait avoir trente-cinq à qur.-
rante ans lorsqu'elle jxisa devant Largillière.
Robert Tournières, comme beaucoup de peintres
de son temps, s'efforça, dès le début de sa carrière,
d'attirer l'attention sur son nom par rexécution
de vastes toiles tableaux d'histoire, scènes
m\'thologiques. tableaux religieux, immenses ma-
chines dont on chercherait vainement la trace
aujourd'hui ; i)uîs, heureuse détermination qui lui
l'ermet d'exécuter quelques (êuvres d'une assez
intéressante originalité, il peindra quelques petites
toiles de genre a]irès avoir demandé à Gérard
Dow et à Gottfried Schalcken le secret de leur
52
L'ART ET LES ARTISTES
NATTIKI'J
PORTRAIT DE M"'" DE LA PORTE, NEE CAIMARTIN
(Collection du comte de Lariboisière)
L'ART ET LES ARTISTES
clair-obscur et de la pré-
cision lumineuse de leui
touche.
Mais si le nom de l'ouï -
nièrcsest parvenu jusqu'à
nous, c'est grâce siu'-
tout à la réelle liabileté
de rcimpositidU qu'il di'-
pldWi dans des groupe-
ments de portraits, et à
d'assez subtiles leclur-
ehes ph\'sioniinuqui ->.
H.Ulté pai' le soueeiiu"
d'( )stade, et surtout de
Mieris, il ehoisis'Slil de
piidéren<-e des groupes
de " dames de (pi.ilité n.
Il aimait les IcJlletter.
i-|i''i;an1es, i t , non sans
ll,dilletc'', son plllei-au
meliiuleux détaillait les
iKiuds de inbaiis et les
d.ntelles.
l'dUl bien iiilinaitic
I (lumières, maille iiitc'--
ressailt de second oi die.
en tant que peintre
lie portraits île lemmes,
il laul visiter le Mus,',' lie
Nantes, bien que. sur les trois toiles impiiiiant(_'s par
lesipielles il s'\' iKiin'e représenté, deux aient subi
de très regrettables retoiuTies. La nieiUture, à notre
a\-is, est celle que nmis ri_]niHluisoiis i( i in tète de
cette étude, suus ce titre : l'niiiwils de jitmiUc vu
/'icd il,i/i\ un ■sillon oiivriiiil sur int jaidiii (idS^-ijl)*!).
\'oici Xattiei, qui, rem hérissant encore sur le
sonqitueux jum éilé' d'interpii'talion de Lai"gillière,
\.\ diviniser ses luodèUs prnlanes, sciuvent très ])ro-
lanes, dans tles décors ohnipieiis, mais avec une
simplification de iletails, un sNinluilisme succincl.
une originalité de cnneeptiuii (1 île métier qui le
séparent lirusquenu'Ut des tiaditinns de l'iù'ole
du XVII'' siècle et font de lui mie pei sunnalité très
à part parmi les ])einties du .witi''. Nattier
lut \aaiment le jieiiitie d'une l'inupie, l'interjuète
quasi jirovidcntiel des types de femmes si particu-
liers de la Régence et de la première partie du règne
lU' Louis X\', de ces beautés «aux grâces alourdies »,
de ces Junon et de ces Daphné qui s'appellent
la marquise de Chàteauroux, Mme de Flavacourt,
ilc>nt les charmes plantureux fout naitre les com-
]iaraisons d'Homère et de \'iif;ile il les font \'enir
tout naturellement à la biniche du président
Hénault ap])elan1 celle-ci : " Reine de l'I-'néide „,
celle-là: « ("léoi>à1re ]iiipiéi.' par l'aspii- .^
La vogue de Xattier comme portraitiste fut
immense. Les femmes
surtout sollicitaient com-
me une très haute faveur
d'être ]îeintes par lui, et
le secret de cet engoue-
ment féminin pour Xat-
tier est clairement ex-
pliqué en ce.s quelqiies
lignes par Casanova :
Il II faisait le portrait
d'une femme laide ; il le
peignait avec une ressem-
blance parfaite, et, mal-
gré cela, ceux qui ne
vo\aient que son por-
trait la trouvaient belle,
alors que l'examen le
[fins minutieux ne fai-
sait découvrir dans le
jiortrait aucune infidélité,
mais quelque chose d'im-
perceptible donnait à
l'ensemble une beauté
réelle et indéfinissable. »
De 17 ;o à 17O3, Xat-
l'iiRlK'AlT |j|.j- i^-xposa presque ré-
gulièrement à chaque
Srdon jilusieurs portraits,
]iresipie toujours des por-
femmes. .\ussi le nombre d'images
iii lui sont attribuées, et dont plu-
sieurs ne sdut d'ailkurs que le médiocre témoi-
gnage d'un art facile et com'uitionnel, est consi-
dérable. Car si Xattier (I), se conformant au goût
de réi)o([ue. rumme Antoine Coy])el, Van Loo,
Aved. Raoux, nnihologise, allégorise et olym-
piiinisc ses modèles et s'efforce de mériter les hautes
faveurs en jieignant avec conscience les maîtresses
et les filles du roi, il s'abandonne avec trop de
désinvolture à sa déplorable facilité lorsque, devant
lui. posent des modèles de qualité moindre. De là
les fatigantes uniformités de ses figures rondes et
maquillées qui semblent j)resque toutes porter
une manpie de fabrique i)luté)t que le sceau d'une
(i ) .\ntoini; Ciiypoi peignit .^drieune I.ecoiivreur en Curin-lic.
nile presse de ses belles mains éplorées l'urne qui contient les
cendres de Pompée. La marquise de Sabran; maîtresse du
Kéfjent, a été représentée par Van Loo vêtue d'une simple
tunique grecque, les seins nus, en costume de .X'éiius d'Aina-
thonte. Quant à Raoux. il divinisait toutes les belles dames de
la Cour, toutes ks demoiselles de l'Opéra et de la Comédie-
Italienne qui passaient dans son atelier. Il portraitura en prê-
tresse de Vesta déposant un sarment enflammé sur un autel la
jolie Mme Boucher, femme d'un secrétaire du roi. Ce fut lui qui
peignit, — et avec quel succès ! — Mlle Joussct en Diane, Mlle Qui-
iiault en .Amphitrite traînée par des chevaux marins, la jolie
.\nir Trév.st. dr ropéra. en folle bacchante. Mlle Sylvia en
1 h.ilie, MU.- l ,ir..ii .11 naïade, dans une imdilé .'i peu prés com-
plète....
traits
léniinm
54
ART RT LES ARTISTES
I.A Tdl'R — I.\ POMI'ADOrR KX BERGKRE (pastel)
ir.,ll,<Mi..ii (1<- Mme la inar(|uise de Caiiay)
L'ART ET LES ARTISTES
NATTIER
DH BEAUPRE (dessin
originalité. Ici. tout respect île la physionomie
individuelle est sacrifié à rin\-ention du décor et,
sauf quelques t\pes d'orgueilleuse beauté, de
l'ensemble desquels se dégage une sorte de type
féminin de la Régence et de la jiremière partie
du règne de Louis X\', la série des portraits de
femmes de Xattur fait tio]) songer à une suite
de jolies piiu]iées an\ jdues vermillonnées, aux
grands veux fixes et doux, aux lè\-res vaguement
entr'ouvertes et qui. engoncées dans leurs longs
corsages rouges au.x broderies d'or et dans leurs
robes fleuries, semblent toujours prêtes, à un si-
gnal donné, à faire la révérence, ou à jiromener, à
l'aide <run mécanisme ingénieux, leurs archets sur
leurs altos ou sur leurs violoncelles (i).
Chez Xattier, comme chez Largillière, d'assez
longues recherches sont nécessaires à travers
l'abondance excessive de la jiroduction pour ar-
river au classement des définitifs chefs-d'ceuvre.
Mais ici encore la clairvo\-ance du Comité de
l'exposition ne s'est pas trouvée en défaut, et il
faut admirer sans réser\-e, dans les salles du Jeu
de Paume, /(/ Femme à l'œillet (collection du ba-
ron Hein'i de Rothschild), la Martjiiise du Châtelel
et sa fille (collection Michel Ephrussi), la Marquise
(le Boglione, de la collection du marquis de Cha-
ponay, la Marquise iVAutin (collection de
Mme Edouard André), Mme de (aumartin (col-
lection du comte de l.ariboisière). l'admirable
portrait de la fille de Mme Geoffrin (Musée
d'Etampes), le jiortrait de femme de la collection
Faniax-Murray.... etc.
Notre méthode chronologique de la revue des
jirincipaux portraitistes de la Femme au xyiii^ siècle
iiiius conduit à l'examen de l'ceuvre d'Aved. Il
sera très rapide, bien que les peintures de cet ar-
tiste, d'une irrégularité de métie rdéconcertante,
-nient assez nombreuses, mais d'inégale valeur.
Il faut retenir toutefois dans cet œuvre, dis-
persé dans les Musées d'Amsterdam, de Valen-
ciennes, du Louvre, de Montjiellier, de Versailles,
deux portraits qui suffiraient à eux seuls à attri-
liurr, malgré la sécheresse un peu dure de leur
exécution, une place honorable à Aved parmi les
peintres de la Femme au xyiii"" siècle. Je veux parler
de l'intéressant portrait de Mme de Tencin du
Mu>ée de Walenciennes, et aussi de celui de
Mme Crozat du Musée de ^lontpellier.
( )n attribua longtemps ce dernier portrait à
Chartlin. On retrouve en effet dans cette vivante
image de la femme du grand financier, amateur
d'art et protecteur de Watteau, toutes les qualités
de métier de Chardin, et, en même temps que le
prestige exemplaire de sa technique, tous ses dons
d'observation pénétrante et aiguë.
A l'heure où mourait Nattier (1766). à peine âgé
de soixante-trois ans, mais déjà presque abandonné
(I) Voy. l'hi
(HaclR'lte <t Ci
m >L\' — ÉTUDE DE FEMME Klessiii)
lAin F.T LES ARTISTES
DUPI.ESSIS l'OKTKAIT DH M"" I.KXOIK (MKRK d'aI KXANDKH IKNOIK)
(.i|i|i.irli iiiiiit .1 Mme Lmoir)
L'ART ET LF.S AlvITTSTF
XATlTElv — l'DKTKAIT PKKSrMIL DE -M'" DE tHATEArK< )I'\
(appartenant à \r. F. do C.)
(Ir tous SCS biillants nioilrlcs. et le ciLiir lirisé ]>ar
la MKjrt d'iui lils. jciuic pciiific de ^rand avriiii".
qui périt dans le ril)ic, six mois ajirrs son arrivée
à l'Académie de Fraiu c à i\oine, son gendre. Louis
Tocqué (i(X)h-i77J), |ionr'-iii\-ait, an milieu de
succès courants, obtenus aussi Lien en Russie et
en Danemark, où il lait les (xirtraits des souverains
(lu pays, qu'en Fiance, le cours d'une des plus
superbes carrières d'arliste. Juscpi'à sa mort,
aucim nuage ne \inl doubler la ]iarfaite sérénité
de sa vie, it, à l'encontre de son liean-jière. ]ioiir
qui la critique lut ]Kir{ois si miellé et si im[>ito\ able.
-.urtout à la fin de sa carrière, il n'enteml s'élever
autour de ses (cu\res, qu'il eX]iosc au Salon,
de 17J5 à ijho, que des concerts d'éloges parfois
excessifs.
Ce qui ressort très visiblement de la jilupart des
articles du temjis consacrés aux lenvrcs de Tocqué
et signés des noms de Rachaumont, de Lafont de
Sainte- Yenne, de (irimm lui-même, c'est la vo-
lonté de protester contre l'afféterie devenue
latiganle de l'art de Xattier et de ses m\t!iolo-
gi(|ues attributions, et le désir très juste de van-
ter l'ait «le Toc(pié, art dont le beau portrait de
5S
I/AKT ET LES ARTISTE?
J.-li. (jKEUZE — JEUNE FILLE AUX CULO.MBES
(Collection Wallace)
la rollcction (k' Kanii, ox]i()Sc dans la Salle du Jrii
lie Paume, ronfinne avec tant d'éclat la forte
sincérité.
« M. Tocqué, dit Lafont de Sainte-Yennc dans
son Saloji de i '^46, s'est tiré de la foule depui.s
longtemps i)ar d'excellents ouvrages. Son portrait
il'ime dame, un ])eu âgée, en manchon, a arrêté
tout Paris. I.a bienséance de son ajustement,
extrêmement conforme à son âge. a domié une idée
très avantageuse de l'original, et diamétr.Uenient
o]il)oséo à rimjjression que fait avec justice sur le
jiuhlic l'iTiipudence de celles qui, n'étant ni
jeunes ni jolies, se font représenter avec les galants
attributs de la déesse de la jeunesse et en ]X)mi)ons
de couleins.... Le portrait de cette dame âgée est
un ouvrage excellent. Tout y est fait avec un bon
sens, avec un accord, mie vérité de couleur et de
détail (jui ]ieut S(nitenir l'examen k' plus sévère ".
59
L'ART ET LES ARTISTES
TOCOl'iv — PdKTKAIT DE FEMME fd.ssni,
Nous it^'iioroiis le imiii ihi jiorf-onnage qui
inspira iittc ilcscripticui. Au prmiirr abi)i-il. un
L'St i)orté à cn)iir (|n'il -.'aKit iln trts rt-niaïquable
portrait de Mni^ ilc ( iiallign\-, que nous reprodui-
sons ici, nnr dus l.otnics t(jilcs de Tocqué.... Ahiis la
présence du luaiu lidii, dans la toilette décrite par
M. de Sainte-'S'uuie, nous uiterdit de chercher
plus lon^ti'uqis le \-isa,L;e de la ■ pirituelle anue de
X'iiltaue à tra\'ers ces lignes qui nous disen.t as-.ez
(pie 'I'(}C(iué. ])his attné <i\ie Xattiu ))ar le uu'--
tère, par Iv dessous, par le siihsti-iiliiiii de la hgure
humauie. se plaisait à hxer <le son iiinceau péné-
trant dis traits déjà vieillis, mais singulièrement
ennolilis et icinune spnilu.dise. ]iar l'intime ra\'ou-
nement d'une ànie (|n'illnuiine la science de la vie.
Louis Toc([ué suuble, lui aussi, avoir résumé U-s
plus iorli's (pialités de son art dans des ima,t;es
féminines. Les ]iorti"aU' d,- Mme ,1e (iraffi,s;n\' et île
la reine Marie I^ec/iuska, lour. deux au Musée du
Louvre, jieuvent être classés ))armi les meilleures
(euvres de l'excellent peintre, encore cpie ses remar-
quables lacultés de coloriste et les ressources variées
de son dessin souple et ])réçis se retrouvent aussi
dans quelques-uns de ses jiortraits d'homuH's,
et, entre autres, dans celui ilu marquis de ^larigin
(Musée de \'ersailles) et dans ci'lui de la collection
von André, un inir chel-d'ieiivre.
Nos s\ iiijiathies personiulles \(ai1 à la toile on
l'artiste a représenté, avec ime rare puissance de
touche et un pénétrant esprit d'observation, le
biau \isage souriant de ]\Ime de Graffigny, inodelé
in pic ine lumière, et si gracieusement encadré d'une
niant ille noire (pii se renoue sous le menton. On
di\in(_' qu'en jnésence de ce céduisant modèle,
dont la splendeur des chairs, déjà miires.mais d'une
fraîche et généreuse maturité, rayonne joyeuse-
ment sous l'action d'un esprit toujours en activité
de jeunesse, le peintre s'absorbe avec une sorte
d'ivresse dans le sacerdoce de son art. Rarement
l'exécution d'une œuvre fut poussée avec une
conscience plus grande, une joie de peindre plus
sensible et une plus sûre habileté de pinceau. Ce
portrait doit être contemporain de celui de la pre-
iiiièie daupliine qui fut exécuté en 1747. C'étjait
l'époque où Mme de Oraffigny, âgée de cinquante
ans en\'iron, venait de publier ses Lettres d'une
l'cruricnnc dont le succès fut si considérable.
Il est d'usage de considérer le portrait de Marie
Leczinska comme l'ieuvre maîtresse du peintre.
Pour notre part, nous n'v retrouvons ni les fines
iiualités d'observation qui se révèlent avec un
(iiaiiue si grand dans la figure deMme de Graffigny,
ni le métier libre et savoureux du pinceau s'aban-
donnant complètement à la- volupté de peindre.
Devant son royal modèle, Tocqué paraît surtout
obsédé par la volonté de réaliser rme effigie dont
tous les ih^'tails, dont tous les accessoires partici-
L-1'.. (ikLl'ZH — FUKTK.Ml DE Sol'IilE
.\RNOlI P
fCollcctiun WaUacc;
60
L'ART F.T LES ARTISTES
AKGILI.IKKI'
l'iiKIKAII DF. m' ' DCCI.OS, Dlî LA CO.MICDIK-I-KANrAISE (KÔLK D'AKÏAN]':
(ai'parlciuiril à la C'niiK-dic-l-'raii<,'aist')
6i
I.'AKT HT LES ARTISTES
IHToiil à l'cxinosioii lU'Iiiiil i\(' ili- l;i sdiutiaiiu'
llUIJisU'. Dr là r.i^pcil i.ikIc. |i|rsi|ilr lili'i at iinu
lie ^clIl iHis(iiiiiaL;r, ilciiil la mille, au cliir de Xollain-,
ll'rtait pdiiil |iilir.
liHcinr- s'est (ciKiidaiil très \'isil iKiiiciit cliiirié,
sans .nu une ((Hicrs-KHi à la \'lll,L;ai itr des tldils.
lie itiidic l'ail i\r soiinantr lidiiti' dont le \ isage
de la laiiu' rtait ( iii|irfiiit. ]{t m c cla il lut supc-
iicur aux aiitics portraitistes de Marie l.ee/iiiska,
à \'aii 1,11(1. à ]-)elle. (pii Ile \iient dans la reprc-
seiUatioii île la reine que prétextes à de pre; tii,'ituses
])e)ntures de inauteaux d'iiennine et île rnlies
fleurdelisées, à Xattier et à La Tour, dont les },do-
rieuses images sont déjiourvues de toute \éritc
liistorique. La Tour parait avoir concentré dans les
\eux, sur les lèvres, et jusque dans le frémissement
du nez de son modèle tout l'esprit d'une époque:
c'est un symbole d'une éloquence excessive et
inattendue. La grande sincérité d'observation du
grand pastelliste est ici, exceptionnellement, en
faute. Ouaiit à la Marie Leczinska de Xattier, elle
est d'une grâce mélancolique en complet désaccord
avec l'opinion des contemporains qui prêtaient à
la reine « un esprit dépourvu de toute \ivacité,
plus de vertus que d'attraits, et tout ce qu'il
fallait d'ailleurs jxiur lui assurer jusqu'à la lin le
resjiect du roi plutôt que pour retenir son
amour .
Tout en cherchant à doiuier à son ro\-al
1 lele la soii\ei,iiiie attilude digne lie Son rang
suprême, et cela sans faire d'excessives concessions
à la nature qui \'oiilait, dans son impitoyable
cruauté, que la hlle de Stanislas Leczinski eût le
nez gros, les \eux ronds et les lèvres minces, mais
le sourire ])lein de bonté, Tocqué ne le céda en rien
à ses rivaux \'an Loo et Helle pour l'exécution
des étoffes dans son portrait d'apparat, et son
habile pinceau s'est promené avec une méticuleuse
conscience, mais aussi avec un art infini, dans
l'harmonie neigeuse ilu manteau royal et dans le
satin blanc fleuri tle pavots rouges de la soni])-
tueuse robe au.x larges ])aniers.
D'ailleurs, pour peindre clans leurs plus intimes
détails ces vêtements royaux dont il sut revêtir
un modèle d'emprunt doué de la plus louable pa-
tience, Tocqué eut tous les loisirs nécessaires,
comme l'atteste la lettre suivante :
" De par le Roy, cher et bien-aimé, nous avons
commandé au sieur Tocquet (su), jjeintre de notre
Académie, (pielques ouvrages, pour lesquels il a
besoin du manteau royal, cjui est dans le Trésor
royal de votre église. Nous vous mandons et or-
donnons de lui faire remettre, pour le garder li-
temps qui luy sera nécessaire, en prenant pour
vous les sûretés convenables et accoutumées en
pareille occasion. Si n'y faites faute, car tel est notre
bon plaisir. Donné à Versailles, le 27 septembre 1739.
Louis ".
L'ieinre de Tocqué est considérable. Bien cjue
tra\aillant avec une certaine lenteur, justifiée jxir
une observation consciencieuse de la nature et un
réel souci de la vérité, mérites assurément assez
rares à une é])o(jue où la fantaisie régnait en sou-
veraine dans les arts, il a laissé de nombreu-X
portraits remarquables par la vérité des attitudes
et le charme du coloris, d'un riche éclat dans les
toiles d'ap]iarat, où la fulgurance des ors devait
lutter avec les chatoiements des satins, et d'une
délicate harmonie dans les peintures intimes, surtout
dans celles de la deuxième partie de sa carrière, alors
que son coloris un peu vif au début, et parfois
criard, s'est apaisé dans un système de nuances
grises, comme clans le portrait exquis de Vieille
jeniine du ]\Iusée de Nantes.
Oui veut connaitre Oueiitin La Tour doit visiter
le Musée de Saint-Ouentin. Nous dirons plus : un
pèlerinage à cette galerie d'art est presque aussi
nécessaire que la lecture des Mémoires de Bachau-
mont, de la Correspondance de Grimm, des com-
mérages de MmeCampanet cies lettres de Mmed'Epi-
na\', pour qui désire vivre un instant dans l'atmo-
sphère du xviii'' siècle et en resjiirer, pour ainsi
dire, l'esprit.
62
L'AKT F.T LES ARTISTl-:-
J. l; WKEl'Zli - LES DEUX S(ErKS
'Miisw du Louvre)
( c inMennage, je le lis ixiiir la |)R'mir'ic lois, il rahh' d'ailKuirs à leur conservation, une destina-
y a déjà de longues années, alors que les pastels du tion j^lus digne d'eux.
maître, encore relégués dans les combles de l'hôtel Le concierge, vieillard ingambe préposé à la
de ville, attendaient, baignés d'une ombre favo- garde de ces admirtibles c}iefs-d'ceuvrc, me remit,
63
LARl l:.! LES AlUIsTES
I.OriS J)A\n) IMlKTKAlT DE m"' JIIIV,
DE I.A L()MÉD1E-FKANc;AISE
(.ipii.irtcu.mt à Kl Cniiiédie-l-r.inçaise)
MIT ma siniplo (U'iiiaïKle, et a\-ec un gfstr dv
confianci' des j)liis inriitimc mais excessive, la clet
du sanctuaire. Ce lut dans le jilus pieux recueil-
lement et avec une émûtum léelle que je !;ravis
les étages de l'immeuble nuuiicipal.
Bientôt je pénétrais dans l'immense salle cihscure
au ))lafond bas où se trou\'aient provisoirement
remisés les chefs-d'feuvre du niaitre.
D'abord, je ne \-is que l'or des cadres. Puis, peu
à peu, mes yeux se familiarisèrent avec la lumière
quasi crépusculaire de la pièce, et je perçus l'ovale
des visages, l'éclair des yeux, la neige des sourires....
Oli ! ces sourires!... Ils partaient, vifs comme des
tlèclies, de l'arc tendu des lèvres et me criblaient.
C'était comme une 'protestation collective et
très acérée contre la lirusque apparition de l'nitrus,
dont le biuit dis ]ias sur le vieux carrelage de
bri(pus du ,!,'renier sacré semblait avoir troublé
les doux liavardages, les marivaudages précieux,
les colloques philosophiques ou sentimentaux... des
Diderot, des d'Alembert.'cIes Jean-Jacques, des
Louis X\', des Fel, des Camargo, des ,Favart, des
Pompadour, des Puvignw etc.
Toute 1.1 uKinlante et spirituelle nonie ilu
XVIII'' siècle m'en\-eloi)pait dans cette salle obscure
et sileiicii use. J'entendais des rires étouffés et des
])ropo> laillcurs uuunnués à voix basse. Ta- visai^e
aigu et railleur de Mlle l-'.-l me sembla to\it p.irti-
culièrement agressif, et je crus entendre le mot de
" rustre - sortir en un sifflement léger des lèvres
tmes et minces de cette charmante et malicieuse
personne. Je n'oserai même pas affirmer qu'un
uumense éclat de rire, où détonait, comme une
pétarade, l'énorme gaieté de Maurice de Saxe, ne
salua ma retraite lorsque, très troublé, je m'éloi-
gnai de cette réunion inquiétante.
Cette petite histoire, ce récit en quelques lignes
de ma [iremière visite aux pastels de Saint-Quentin
et de l'impression reçue ne tend à rien autre chose
tju'à une constatation personnelle de l'intensité
expressive des leuvres de La Tour et du caractère
éternellement historique de son art. fait d'une
incomjiarable science du dessin et d'une passion
profonde ])our la vérité. Nous le répétons : rien
n'est troublant comme le prodigieux ensemble
iconograjihique constitué par presque autant de
chefs-d'(euvre cju'il y a d'images et où, dans la
flamme des yeux, « dans l'ironie qui chatouille,
fait vibrer et relève les coins de la bouche », dans
ces expressions si diversement modulées des par-
lantes physionomies, revit toute la société intel-
ligente, railleuse, sensuelle, du xviii*' siècle.
L'esprit de l'époque anime évidemment tous ces
visages. Chacun d'eux, malgré l'uniformité peut-être
trop accentuée d'un même sourire voltigeant,
ironique et spirituel siu" toutes les lèvres, est cejjen-
(-lant le clair et profond miroir des sentiments
jiarticuliers. On peut affirmer qu'il n'existe dans
aucune école d'art, pas même dans l'École alle-
mande du xvi^ siècle, d'une si savante psychologie,
d'une interprétation si profondément synthétique,
un jieintre de la ligure humaine supérieur à La
Tour.
Le grand artiste, contrairement à Nattier, à
Drouais, qui se partageaient avec lui la riche clien-
tèle des modèles de la Cour, de la Finance et du
Théâtre, n'hésitait ])as à faire de l'image la très
fidèle représentation du piersonnage, lors même
que celui-ci avait été victime des pilus malicieux
caprices de la nature.
On connaît la hautaine déclaration du terrible
analyste, parlant de ses modèles : « Ils croient
que je ne saisis que les traits de leur visage ; mais
je descends au fond d'eux-mêmes, à leur insu, et
je les emporte tout entiers n.
Toutefois, malgré l'impitoyable sincérité ■ qui
domine tout "Pieuvre si humain de La Tour, bien
des charmants \'isages de femmes s'y rencontrent,
charmants par la grâce et l'esprit de la physio-
nomie, charmants aussi par la divine pureté des
lignes. Et c'est i)eut-étre bien aussi dans la repré-
sentation féminine que l'art du grand artiste
triomjihe avec k- plus d'éclat, jamais la force
expressive de ses crayons de couleur ne transparaît
64
L'AKl i:i' LES ARTISTES
LAH<.!IT.lKKlv i'orikam de jkune femme en costime dk uiaxe
I Musée du Louvre)
65
L'ART ET LES ARTISTES
mieux (iiK- siiiis k> éimli-Tiius diurtés ik-s
Pompadour. dus ("amarijo. des Salle, îles Eel,
des Pavait, des marquise de Rumilly, des
princesse de Saxe... et de tant d'autres belles de
l'époque, belles à jamais dis]iarues et dont les
grands \eux pleins de lualieieuse lumière nous
regardent a\e( nue lixité pi esque inquiétante à tra-
vers le lointain des à.t^es.
Plusieurs historiens du i^rand artiste, et non des
moindres, expliquent sa sjiéeialis.ition absolue ilans
le genre du jiastel, non i)ar une antipathie natu-
relle ou raisonnée de la peintui'e à l'huile, mais
par une laiMesse de tempérament, pai' une iriita-
bilité iier\-euse ( pli lui faisait trouver trop compliquée
la pratiipie du piiueau. Nous jiartagerions plutôt
l'opinion de ii'ux i[ui attribuent à La Tour la
volonté de rivaliser, juirle jnestige de son art, dans
une te( Imicpie ledexemu' brusipiement à la mode,
,l\-ee la Ros.db.i, ([ui, lors de son triomphant ]ias-
sage à Paris, en 1720 et en i7-:i, lut recherchée
du plus !;i,intl momie. Xe \it-on pas les plus nobles
dames de la Cour, et le Régent lui-même, deinand( r
à la X'énitiemu' d'éterniser leui> tiaits >ous la fra-
gile caresse de ses cra\d|is dt''lieats !
I-'habile et giacieuse altiste détermina assuié-
ment, pendant son séjour à Paris, un grand mou-
vement en fax'eur du pastel, et on peut dire que
c'est elle ipii, par le succès de ses fraiches effigies
de femmes élé.gantes et de grands seigneurs,
ranima, dans la France du willf siècle, le goiit
presque éteint des crawnis du .wi'^' siècle. Mais, as-
surément, La Tour bénéficia avec habileté de cette
popularité mondaine faiti' au pastel [xirla Rosalba,
et bientôt, grâce au mouvement rapiile de ses
crayons, à la parfaite ressemblance qu'il lixait d'un
trait expéditif, au charme léger de son coloris, et
aussi au ]iri.x très modeste dont il se contentait
pour ses ])remiers i)ortraits, il ne tarda pas à
acquérir dans le monde brillant d(jnt il recher-
chait la faveur une réputation égale à celle de
l'artiste italienne. " 11 mettait ]ieu de temps
à ses portraits, dit Jlariette, ne fatiguait ])oint
ses modèles, les faisait ressemblants, n'était pas
cher. La presse était grande.... »
Jusqu'en 1773, ce fut la même généreuse et forte
production et le persistant succès.
Mais une adulation presque universelle, un hymne
de gloire chanté sur tous les modes, ne troublent
en rien la profonde conscience artistique de La Tour,
et ni les faveurs royales et princières, ni les flatteries
des belles dames du temps, ni les éloges des plus
hauts esprits, ne changent rien à l'indépendance de
son caractère et n'apportent aucune modification
à l'originalité de son genre de vie.
\'oici deux amusantes anecdotes que nous em-
pruntons à la monographie de M. Charles Blanc
sur Maurice-Quentin La Tour et qui, mieu.x qu'une
longue analyse psychologique, instruiront le lecteur
sur la nature de l'artiste.
Accablé de besogne, jaloux de ne peindre que les
figures ipii ne lui déplaisaient point, et peu endu-
rant sur l'éternel cha])itrc des observations et des
conseils, il laissait \()lontiers interrompu sur le
chevalet le jiortrait ébauché.
Son biographe et ami, le chevalier d'Estrées,
nous raconte une anecdote qui le peint au vif.
M. de la Re\nière, fermier général, s'impatien-
tant de la longueur des séances et de leur répé-
tition, en\-oie un jour son domestique le pré-
venir cpi'il n'est pas libre pour l'heure fixée. «Ton
inaitre est un sot que je n'aurais jamais dû pein-
dre I', s'écrie La Tour furieux.
Le domestique est assez de l'avis du peintre.
« Assieds-toi, dit La Tour; ta figure me plaît,
je vais te peindre.
— Mais, monsieur, si je tarde à rendre réponse
à M. de la Keynière, on me mettra à la porte.
— Bah ! je te replacerai n.
Et La Tour fit ce qu'il voulait.
l'n autre jour, c'est avec un membrt de la famille
ro\ale qu'il prend ses aises.
1' Silvestre, le directeur de l'Académie, av'ait
reçu une lettre de Mlle Silvestre, sa fille, attachée
à !Mme la Dauphine, ]iar laquelle elle demandait à
son jx'ie de faire souvenir à M. de la Tour de
l'engagement qu'il avait pris avec la princesse,
mais prévenant qu'elle désirait qu'au lieu de Fon-
tainebleau, dont on était convenu, le portrait se
fit à \'ersailles.
Elle marquait que sa maîtresse avait d'autant
l>lus lieu de le désirer que son embonpoint était
revenu, et que peut-être n'aurait-elle point un aussi
bon visage à lui offrir si elle redevenait enceinte ;
elle faisait assurer le peintre qu'elle se revêtirait
ce jour-là de toute sa bonne humeur et qu'elle
l'invitait à en faire autant de sa part....
La Tour répond froidement qu'il ne peut se rendre
à l'invitation, qu'il n'est point îait pour ce pays-là,
et cent autres choses qui allaient à le perdre si
elles étaient révélées.
Heureusement, il les disait à Silvestre qui,
fort éloigné de lui nuire, n'en était que plus em-
barrassé sur ce qu'il devait répondre à la lettre
qui finissait par témoigner une sorte d'impatience
de la part de Mme la Dauphine.
La Tour fut inébranlable. Il s'excusa tant
bien que mal sur des occupations indispensables,
sur les jours trop courts et trop sombres.... Il pria
qu'on remît la partie au printemps, en \-ue appa-
remment de ce qui devait arriver. En effet, la
66
L'ART ET LES ARTISTES
daupliiiu' tlevint grosse (K' luuucau et il ne hit plus
question du portrait.
Et puisque nous sommes au chapitre dis anec-
dotes sur La Tour, racontons encore celle-ci ;
aussi bien que les deux précédentes, elle contri-
bue à fixer dans l'esprit du lecteur le caractère
du grand artiste qui jamais ne fut le courti-
san de personne
et qui disait
volontiers : « Mon
talent est à
moi ».
Appelé à faire
le portrait de la
Pompadour, il
répondit qu'il
n'allait pas pein-
dre en ville.
On obtint de
lui pourtant qu'il
vînt à Versailles.
Mais il mit iiour
condition cju'il
serait seul avec
son modèle.
Arrivé chez la
favorite, il se
mit à son aise,
détacha les bou-
cles de ses escar-
pins, ses jarre-
tières, son col,
ôta sa perruque,
se couvrit la
tête d'un bonnet
de taffetas et
commença le
portrait.
Mme de Pom-
padour n'en re-
venait pas.
Tout à coup le roi entra dans l'appartement.
La Tour dit, en ôtant son bonnet : « Vous m'aviez
promis, madame, que votre porte serait fermée ».
Le roi rit du reproche, s'amusa du costume de
l'artiste et l'engagea à continuer.
«Il ne m'est pas possible d'obéir à \'otre Majesté,
répliqua La Tour ; je n'aime ])oint à être inter-
rompu ».
Il emporta sa perruque, ses jarretières, et alla
s'habiller dans une pièce voisine.
La favorite dut défendre sa porte, même au roi,
pour que le portrait pût s'achever.
J.-B. Perronneau, dont les peintures sont au-
jourd'hui si recherchées et dont les savoureux
pastels rivalisent d'éclat a\-ec ceux de La Tour,
M'
\IGEE-LEHRLN
(Cnlk'ctioii (lu Cl
lut loiifitemps inécomni. Les salonniers du temps
ui parlent à peine, et .Mariette, lui-même, n'a
pas une lois transcrit son nom sur les marges
(le VAbecedariiis. Il est juste de dire que sa vie
lut instable, «l'instabilité même », assurait de Fon-
teiiaw vt (|u'il n'a pas laissé, pour aider les his-
toiinis, (le ci's lirrrs de raison où Joseph Vernet,
son ami, consi-
!;nait les moin-
dres ialls (le sa
\'ie (piotidienile
d'artiste.
I)el73()à 17(13,
il lit ])liisieuis
exdirsions en
Italie et des
séjours assez
proloitgés en
Hollande, oii
lons^temps. aussi
bien d'ailleurs
(ju'enAngleterre,
plusieurs de ses
.idiiiirables ])as-
lels figurèrent
dans des galeries
seigneuriales
sous le nom
usurpé de La
Tour. Le peintre
de la Pompa-
dour. qui accapa-
lait la clientèle
aristocratique,
contraignit Per-
ronneau, en (pii
l'opinion ])iil)li-
t\nv a\'ait un ins-
tant salué son
rival, à se ra-
Iwttre sur la
bourgeoisie. Outre ses pastels d'un accent moins
vibrant, moins ]iassionnés (pie les chefs-d'teuvre de
La Tour, mais d'une expression de vie aussi jiro-
fonde et, il faut bien le dire, d'une harmonie de
couleur plus chaude et plus généreuse, J.-B. Per-
ronneau fit de magnifiques portraits à l'huile,
notamment ceux d'Oudrv au Louvre, de François
Drouais, coiffé d'une perruque bouclée et la main
sur un portefeuille gaufré d'or, de Gilquin, une des
])erles de la collection Léon Michel-Lévy. Il exécuta
aussi diverses images de femmes, et entre autres
CCS portraits de la marquise de Sorquainville, de
la collection David Weill. de la duchesse d'A\en
(collection Devin de Lagarde). de Lady Coventry
(collection W'ildenstein), tiui tieiment une j)lace si
roKTK.MT m-; i. .autiste
iiitc Croffulhc
07
ART KT I.KS ARTISTES
éclatante ))anni les cent cliels-d'(eu\Te aujoui il'hni
exposés dans les salles du Jeu de Paume. Le juge-
ment si juste de ^I. Reiset, jiorté sur les portraits
de Perronneau actuellement au Louvre, peut fort
bien s'appliquer à cls admirabks peintures, et en
général à tous les ])ortraits du noble et conscien-
cieux artiste ; « Les tètes et les mains bien posées,
dessinées sur nature et sans pratique, sont expres-
sives et facilement
rendues; les vêtements,
d'un ton rompu et
doux, sont d'un rendu
qui trahit le pastelliste,
car, contrairement à
La Tour, qui donnait
à son pastel l'éclat de
l'huile, Perronneau
donne volontiers à ses
portraits à l'huile
l'harmonie un jieu
affaiblie du pastel ".
La famille \'an Loi)
nous donne, en la per-
sonne de Louis-Michel,
mi distmgué peintre
de visages, mais, à
l'opposé de son oncle
Carie, le meilleur
peintre de la famille.
Louis-^NIichel réussit
surtout le portrait
iThonnue. dû son l'in-
ceau un peu sec et
dur, inhabile aux
caresses savoureuses. M"
s'exerçait avec plus
de sûreté que ilans
celui de la femme.
Carie, l'auteur de la Halle de cluissc du Louvre,
où s'admirent, suivant l'expression de Théophile
Gautier, <> de si jolies tètes de femmes aux sveltes
tournures, aux costumes galamment jiortés ).,
nous a légué quelques rares mais charmants por-
traits de femmes, entre autres celui de Marie
Leczinska. reine de Franee. Afin d'épargner à la
souveraine la fatigue d'une jiose. Carie aurait,
dit-on, peint le visage de son ro\-al modèle d'après
un pastel de La Tour. La souveraine est debout :
sa robe de soie blanche, large et bouffante,
rehaussée de passementeries argentées, est peinte
avec la plus souple adresse.
A mentionner aussi, parmi les meilleurs portraits
de femmes de Carie Van Loo, la jolie guitariste de
la collection de Moustier et la Marie Leczinska
de la collection du marquis de Richouffts, une
des bonnes toiles du maitre.
LABILLE-GUL\RD
l'artiste
(Cllectinii df M. Sigisiiicnci Bard.ic
Ajoutons cependant que si Louis-Michel Van
Loo fut surtout attiré par le modèle masculin et
(jue si, pendant son long séjour à Madrid, il préféra
très visiblement l'interprétation des traits de Phi-
lippe V à ceux d'Elisabeth Farnèse, il sut parfois,
dans la peinture de certaines figures féminines,
assouplir le jeu de son pinceau, exprimer les plus
délicates harmonies, et composer son sujet avec
un art infini, comme
dans la Femme en bleu,
d'une distinction si
fine, de la collection
Albert Lehmann, dans
le beau portrait de la
Marquise d'Aumieres,
et aussi dans celui de
la Signora Sommis,
épouse de l'oncle Carie,
qui figure dans l'inté-
ressant portrait de
famille du Musée de
\'ersailles.
C'est de 1757 que
date sa toile la Famille
de Carie Van Loo qu'il
exposa au Salon de la
même année et qu'on
peut admirer au Musée
de Versailles. Nous y
vo\"ons le vieux Carie
appliqué à dessiner
le portrait de sa fille ;
autour, des garçonnets,
ses enfants, suivent
son travail et admirent
la belle robe de leur
s( cur ; un peu plus
loin, la signora Som-
complète cette scène
artistique, en s'apprêtant à chanter, un papier de
musique entre ses doigts fuselés. Il règne dans cette
reuvre, d'une composition assez indécise, un charme
très réel qui fait songer de loin à l'intimité exquise
des groupements familiaux de l'École hollandaise
du xvii'^ siècle.
Louis-Michel fit aussi le portrait de Diderot.
Mais ce dernier, bien inspiré généralement en faveur
de ce peintre, fut cette fois d'une particulière sévé-
rité : ne se jugeant point assez flatté, il refît à la
plume son portrait après celui de l'artiste. Voici
cette page si amusante de l'auteur des Salons :
<( J'aime Michel, mais j'aime encore mieux la
vérité.... Assez ressemblant, il peut dire à ceux
qui ne me connaissent pas, comme le jardinier
de l 'opéra-comique : « C'est qu'U ne m'a jamais \tj
K sans perruque.... » Trop) jeune, tête trop petite.
PORTR.MT DE
épouse de Cari
I.AKT ET L1-:S AkTI>rES
joli comme une femme, lorgnant, souriant, taisant
le petit bec, la bouche en cœur et un luxe de vête-
ments à ruiner le pauvre littérateur si le receveur
de la capitation vient à l'imposer sur sa robe de
chambre.... Du reste, de belles mains, bien
modelées, excepté la gauche qui n'est pas dessinée.
diable ajipelé (iarant. qui m'attrapa comme il
arrive à un sot qui dit un bon mot.
« Celui qui voit mon portrait par Garant me
\"oit Ecco il vcro PidcincUo ».
Le Suédois Alexandre Koslin (1718-1795),
membre de l'Académie, gagna, nous apprend un
On le voit de face, il a la tête nue; son toupet de ses biographes, 800 000 livres en quatre années,
qui, avec sa mignardise, lui donne l'air d'une Ce chiffre, énorme jiour l'époque, dit assez que la
vogue du jieintre fut très
grande de son vivant.
Koslin lut un charmant
jietit maître du portrait,
et s'il manque i)arfois de
force et d'éclat dans les
images qu'il exécuta, de
son pinceau sec et précis,
d'après FrançoisBoucher,
Nicolas Cochin, l'abbé
Terray, Collin de Ver-
mont,... son art se pare
d'une grâce charmante
dans la représentation
de certaines hgures de
femmes, et nul, même
parmi les maîtres hollan-
dais, ne le dépasse dans
la peinture des étoffes
soyeuses. La Jeune Fille
ornant la statue de
l'Amour, (jui figure au
;\Iusée du Louvre, peut
être considérée, dans sa
douce harmonie argentée,
comme une de ses œuvres
les meilleures avec le
c harmant portrait de
la duchesse de Gram-
mont (collection Cler-
mont-Tonnerre), et m«ii
art distingué est fort
bien représenté à VExpo-
silion des Cent portraits de femmes jiar la belle
peinture ]irovenant de la collection de M. Adam.
François-Hubert Drouais connut, conune Koslin.
l'engouement de ses contemporains, et il eut sur
ce dernier l'avantage d'être loué par Diderot, qui
ne sut pardonner à Koslin d'avoir exi>osé au Salon
de 1765 un Père de jamille, se jiermettant ainsi de
chasser sm' les terres réservées de Grcuze. Il faut
ajouter néanmoins que si parfois, surtout dans ses
grands portraits d'apparat, son art est d'une froi-
deur conventionnelle, déconcertante, au contraire
son dessin se précise et s'anime singulièrement, sa
couleur s'éclaire d'une belle lumière de \ie lorsque,
abandonné à lui-même, libre de peindre, il a jm,
sinon choisir ses modèles, du moins fermer l'oreille
vieille coquette qui fait
encore l'aimable ; la
position d'un secrétaire
d'État et non d'un
philosophe. C'est cette
folle de Mme Van Loo
qui venait poser avec
lui, tandis qu'on le pei-
gnait, qui lui a donné
cet air-là, et qui a tout
gâté. Si elle s'était mise
à son clavecin et qu'elle
eût chanté :
Non ha raggione, ingrato
Un core abbandonato,
ou quelque autre mor-
ceau du même genre, le
philosophe sensible eût
pris un tout autre ca-
ractère, et le portrait s'en
serait ressenti. Ou, mieux
encore, il fallait le laisser
seul, et l'abandonner à sa
rêverie.... Alors sa bouche
se serait entr'ouverte,
ses regards distraits se
seraient portés au loin,
le travail de sa tête, for-
tement occupée, se serait
peint sur son visage, et
Michel eût fait une belle
chose. Que \ diront nos
petits-enfants lorsqu'ils \ienclront à comparer
mes tristes ouvrages avec ce riant, mignon, effé-
miné, vieux coquet-là?... iles enfants, je vous pré-
viens que ce n'est pas moi. J'avais en une journée
cent physionomies diverses, selon la chose dont
j'étais affecté. J'étais serein, triste, rêveur, tendre,
violent, passionné, enthousiaste, mais je ne fus
jamais tel que vous me vo\ez là. J'avais un grand
front, des j-eux très vifs, d'assez grands traits,
la tête tout à fait du caractère d'un ancien orateur,
une bonhomie qui touchait de bien près à la bêtise,
à la rusticité des anciens temps. Sans l'exagération
de tous les traits de la gravure qu'on a faite d'a])rès
le cra3on de Greuze, je serais infiniment mieux....
Je n'ai jamais été bien fait que par un pauvre
T()COL"É — PORTK.MT DE M
GR.\FFIGNY
(MiisOe du I. ouvre)
69
L'ART ET LES ARTISTES
aux conseils officiels.
François-Hubert Drouais
fut un peintre très inégal.
Certaines de ses œuvres,
et même parmi celles t]ui
ligurent au Musée du
Louvre, prêtent fort à la
critique. D'autres, conuiie
le magnifique portrait
de la Dubarry de la cnl-
lection Albert Lehniaiin,
la spirituelle et ravis-
sante image de Mlle de
Roman, une des perles
de l'Exposition, (de la
collection Knemer), la
princesse de Conti de la
collection du baron de
Schlicking. peinture éga-
lement charmante, l'ex-
(juise Marie-Antoinette
de la collection du comte
Allard du Chollet, ac.
sont des ceuvre.^ en to\is
points très remarquables.
L'ne jiroionde lacime
existerait dans cette
revue trop rapide des
meilleurs peintres de la
française du .will'^' siècle.
A\ED
:.\IT DE 11"" CROZ.AT
:■ M..iit|.,-llier)
lu
ninie d
e nom
,1e J,.
l'Ecole
[oselih
Duplessis (1725-1^02) n'y li,L;urait pas. Les images
de femmes, troj) jieu nondireuses, exécutées ])ar
ce remarquable artiste, sont en effet d'une rare
lieauté, d'une beauté faite d'une science de métier
consommée, d'un respect protcind de la vérité,
d'une analyse aiguë, d'un réalisme expressif et
presque attendri sous sa gravité souriante. Assu-
rément, ses tableaux religieux sont remplis de
sérieuses qualités d'exécution, et ses portraits de
Gluck, de Franklin, d'Arnault, de Marmontel, de
Necker, de Lassonne, médecin de Louis XVL...
constituent un ensemble d'ceuvres des plus hono-
rable. Mais n'est-il ])as permis de penser que le
nom de l'artiste ne fut parvenu jusqu'à nous que
l^rivé de tout vif éclat, et qu'il ne s'auréolerait
pas chaque jour davantage, à mesure que le
recul des années permet une vision jilus nette des
œuvres passées, si Duplessis n'avait ajouté à la
liste de ses portraits des célébrités littéraires, artis-
tiques et scientifiques de son temps, quelques-unes
de ces spirituelles et charmantes figures de femmes
de haute bourgeoisie, où se reflète, comme en un
pur miroir, une des meilleures jiarts de l'àmc fémi-
nine du XYiu^ siècle ?
Quant à moi, je ne connais guère, parmi les jxir-
traits de femmes de cette é])oque, et il en est cepen-
dant de prodigieusement
beaux, deux spécimens
du genre plus séduisants
et plus forts, plus obsé-
dants par l'intensité de
vie qu'ils dégagent, de
nuances plus délicates et
de dessin plus ferme, et,
disons le mot, plus
foncièrement français,
que ceux qui sont repré-
sentés par la femme en
corsage bleu et en man-
tille de la galerie Lacaze,
et par la ravissante image
de Mme Lenoir, qui figure
à l'exposition du Jeu de
Paume et dont nous
ommes heureux de
donner une reproduction
dans ce numéro de l'Art
ci les Artistes. Purs chefs-
d'œuvre d'esprit et de
vérité, exemples étemels
de ce que peuvent la
science et la conscience
du métier unies à la
vision saine de la nature.
Nous parlerons aussi de Vestier, petit maître
dont les meilleures qualités se révèlent dans le
charmant jiortrait qu'il fit de sa femme, gracieuse
image qui figure au Musée du Louvre, et dans
l'étonnant portrait de Mme Larmoyer (collection
Sortais) qui figure à l'exposition et d'où se dégage
une exjiression de force graphique toute davidienne;
de Danloux qui laisse plusieurs petits chefs-
d'(euvre, tels que la Duthé de la collection Sigis-
mond Bardac, Mme de Bange (collection Dubufe),
lu Femme en blanc (collection du prince d'Aren-
berg), etc. ; de Guillaume Voiriot, dont la facture,
dure et heurtée, convient mieux à la peinture des
traits de l'homme; de Hoin, dont le crayon spirituel
et léger sut fixer de si aimables sourires; de Raoux,
pour la réputation duquel les élégantes et gra-
cieuses images de ^Nllle Prévost, de l'Opéra (Musée
de Tours), et de Mme Boucher (Musée de \ex-
sailles) ont plus fait que tous ses Alexandre ma-
lades, ses Pygmalion amoureux et ses Télémaque
cuirassés de vertu, etc.; d'Ansiaux, Suisse d'ori-
gine, mais Français d'esprit, toujours gracieux
jusque dans la sécheresse un peu aiguë de son
dessin, etc.
Puis voici, très intermittents portraitistes de
la femme, mais cependant si remarquables en ce
genre, François Boucher, le peintre des Grâces et
(le 1(1 ]'('liipt(:.vt J.-B. (ireiize.qui se lait pai'donner
70
L'ART ET LES ARTISTES
BOUCHER
PORTRAIT DE M"" DK l'OMPAUOl K
(Colloclion Wallacc)
L'ART l-rr LES ARTISTES
Ses niaiseries sentimentales, ses molles et fades
peintures de mœurs devant lesquelles s'exaltait
éperdument le lyrisme de Diderot, par quelques
effigies féminines où se révèlent les plus belles
qualités de peintre delà figure humaine, comme dans
les portraits de Mme de Porcin (Musée d'Angers),
de Sophie Arnould (collection Wallace), de la du-
chesse de Choiseul, de la collection du baron
Edmond de Rothschild, que nous reproduisons ici,
la gracieuse jeune femme en noir de la collection
du comte Pastré, le superbe portrait de la collec-
tion David Weil, l'exquis portrait de la collection
de Curel,... images d'une individualité très carac-
térisée et qui démentent cette opinion que dans
tout l'ceuvre de Greuze un type général de
femme s'impose, celui de Mlle Babuti, en vérité
très répandu à travers les toiles du maître et ses
sentimentales allégories.
Quant à Boucher, il est fort probable qu'il ne
fut portraitiste de figures contemporaines que « par
ordre », et il est peut-être permis de supposer que
son trouble et son embarras furent grands lorsque,
]:iour la première fois, sa bienveillante et toute-
puissante protectrice, Mme de Pompadour, apparut
devant son chevalet si royalement belle dans
sa merveilleuse robe fleurie et enrubannée et
sous son diadème de roses. Ses portraits sont très
rares, et il ne faut pas trop le regretter, car rarement
peintre fut moins doué que lui pour l'étude et
l'analyse de la figure humaine. Il fut avant tout
un habile décorateur d'une ingénieuse et intaris-
sable imagination. Son sens du pittoresque, son
inépuisable fantaisie, la légèreté expéditive de son
pinceau, sa rare imagination de coloriste lui im-
posaient, pour ainsi dire, un genre de peinture où il
devait prendre le rang de maître.
A vrai dire, il ne fit guère que deux portraits
de femmes dans sa vie, celui de « la petite Morphil »,
sous les traits charmants de laquelle il fit défiler
devant les yeux de ses contemporains toutes les
plus séduisantes divinités de l'Olympe, principa-
lement Vénus, et aussi la Vierge Marie,... et celui
de Mme de Pompadour, qu'il. répéta plusieurs fois
et dans l'exécution duquel les. détails compliqués de
la toilette le préoccupent visiblement bien plus que
l'analyse des traits et l'expression du visage (i).
On pourrait porter presque le même jugement sur
Fragonard, considéré comme peintre de la Femme.
Lui aussi aima passionnément la Femme. Il la
(i) Les portraits de Mme de Pompadour exécutés par Boucher
sont assez nombreux. Nous connaissons ceux de la National
Gallery d'Edimbourg, qui figurera, nous l'espérons, à l'exposi-
tion des Tuileries, de la Galerie Wallace, du South-Kensington.
de la collection du baron de Schilchting, petit chef-d'œuvre
qui figure à l'Exposition rfi's Cents portniit-i tir fnnmes. de la col-
lection du baron Maurice de Rothschild, du Musir d'Orléans. 11
en est d'autres, pent-étrc...
peignit d'abord sous les traits de Stratonice,
d'Armide, d'Iphigénie, de Callirhoë,... puis sous
ceux de toutes les demoiselles de l'Opéra dans de
légères et charmantes inventions joyeusement
intitulées ; la Chemise enlevée, la Ginthlette, la
Fontaine d'amour, la Culbute, le Baiser dangereux,
le Baiser à la dérobée, l'Instant désiré, la Main
chaude, etc. Ici, la femme triomphe dans toute sa
grâce fraîche et rieuse. Mais dans ces vives peintures,
comme aussi dans les grandes compositions décora-
tives qui font la gloire de l'hôtel de M. Pierpont-
Morgan à Londres, le jeu rapide du pinceau de
l'élève brillant de Boucher paraît peu s'accom-
moder des patients efforts nécessaires à la par-
faite réalisation d'un portrait exécuté d'après
nature. Telles étaient cependant la virtuosité de ce
pinceau et l'acuité de vision de l'incomparable
artiste qui le maniait de si prestigieuse façon,
qu'on rencontre parfois dans l'œuvre de Frago-
nard quelques vivants portraits d'hommes d'une
audacieuse facture, comme celui du Diderot de la
collection du comte André Pastéeet quelques images
de femmes d'un charme tout particulier dans leur
tonalité d'ambre et de rose, tels les portraits de
la Gnimard de la collection du baron Edmond de
Rothschild, de Mlle Colomb de la collection du
baron Edouard de Rothschild, du Portrait de Jeune
Femme de la collection Hébert, et du magnifique
portrait de jeune femme lisant, une des perles
de la riche collection du D'' Truffier, et qu'on
]icut admirer à l'Exposition des Cent portraits de
/on mes.
Que dire de Watteau et de Chardin comme por-
traitistes de la Femme, si ce n'est qu'ils excellèrent
en ce genre, pour peu que, par un jeu de l'esprit, on
se plaise à considérer le premier comme le portrai-
tiste définitif de toutes les Colombine, les Olivia,
les Rosalinde, les Linda, les Viola, les Isabelle...
de la Comédie-Italienne, et le bon Chardin comme
celui de Marguerite Pouget et de Mme Geoffrin.
la première dans le Benedicite, la Bonne éducation,
la Toilette du matin, sous la cornette blanche de
la Récureuse, de la Mère laborieuse, de la Lessi-
veuse, de la Gouvernante, etc., la seconde dans la
Serinette, dans la Femme cachetant mie lettre, etc.
Il existe cependant, cela est indéniable, plusieurs
portraits véritables de Chardin, autres que celui de
sa femme (Musée du Louvre) et l'image introuvable
de Mme Lenoir. Il s'agit de les authentifier. La
chose est parfois difficile.
La Femme eut aussi quelques brillants inter-
prètes féminins au xviii'' siècle et, parmi les meil-
leurs, Mme Vigée-Lebrun, dont l'amitié d'une reine
universalisa la notoriété, et Mme Adélaïde LabiUe-
Guiard (1749-1803), qui eut non seulement la gloire
d'être reçue de l'Académie, en même temps que
72
L'ART ET LES ARTISTES
LARr,ILLll-:RE - portrait de jetne femme
(appartenant à M. Sortais)
sa triomphante émule, mais dont certaines pein-
tures, comme les beaux portraits qu'elle fit d'elle-
même (collections de Bardac et Wildenstein),
peuvent rivaliser avec les remarquables portraits
de Mme de Jeaucourt (collection Stillmann), de
la princesse de Polignac (collection du duc de
Polignac),de la Dugazon (collection de lacomtesse
de Poiutalcs, etc.).
L'reuvre de Mme Vigée-Lebrun (i755-i842),qui,
en définitive, appartient plus au xix^ siècle qu'au
xvni'î siècle, comme celle de Lawrence, avec laquelle
elle n'est pas sans analogie, est considérable. De
L'ART ET LES ARTISTES
son vivant, cllr dbtint, grâce à son art lacile et fois inconi])lètc et souveraine : l'élégance du
aussi à la séduction de sa personne, le grand succès, maintien, la fierté du regard, la fraîcheur éclatante
connue l'illustre peintre anglais. Elle aussi peignit des joues. Elle a donné le portrait idéal de Marie-
les rois, les reines, les ministres, les ambassadeurs,
les dames de la cour, les reines du théâtre,... et
cela (connue Lawrence) pendant ])rès de soi.xante
ans sans interruption, exécutant parfois, (. ntre deux
commandes officielles froidement et consciencieu-
sement fabriquées, d'exquis jiortraits de femmes,
d'un art très libre et très
généreux. C'est ainsi que
l'art de I^awrence, cet
autre jM'oilucteur infati-
gable, se reCDUimande
bien plus à l'admii almu
de la ))osténté par les
fines et vivantes images
de ^Lstress Suidons (la
ra\onnante mspiratrice
lies grands jieintres de
Sun fcm])s) et de celles
de Lad\- ('(K.per, de Miss
Farren (miu chef-d'ieu-
vre).de -Miss Arbuthnot.
que ]iar les solennelles
et froides effigies i\r
reuqxrcur A](.Naildri' et
de Charles X.
Toutefois, la inéscncc
du jiersounage le jilus
important parmi la loulr
de ses aristiieiatKpie:.
mudèles, je veux j)iLrler
de la nine Marie-.\ntoi-
nefte, ilcinl Mme \'igée-
Lebrun tut le peintre
fa\'ori pendant la dernièi
trciublée de Ll soux'eraine,
influence sur la liberté de '
De I77() à I/SS,
j.-H. CiREL'ZE — ÉTUDE DE JEUNE FII.I.E
(Cnllrctl
péricide de l'existence
e, n'eut auciuie tacheusc
r son art grac ieux et léger,
représenta la reine dans
ostume^
■intre <1
toutes les attitudes, dans tous
Mme X'igée-Lebrun mérite le titre
Marie-Autoini-'tte, comme La Tour celui de la
Pompadour, et Drouais celui de la l)ul>arr\".
Les (piatre ])ortraits les plus connus de la souve-
raine apiiartieunent au Musée de \'ersailles.
La critique cpie l'on jiourrait adresser aux
jiortraits de la reine par Mme Lebrun, et cette
crititpie a d'ailleurs été déjà très justement for-
mulée, c'est que l'aimable artiste, née d'ailleurs
pour un rùle gracieusement idéalisateiu', avait
apporté trop de soins à atténuer les détails les jilus
fâcheux des traits de son auguste modèle, tels que
les yeux ronds et à fleur de tète et la lèvre autri-
chienne. " Ce cpCelle s'est attachée à dégager,
c'est le charmi' jiartu ulier d'une beauté qui fut à la
Antoinette en la peignant telle que la reine voulait
être peinte, et telle que le sentiment public, à une
certaine époque du moins, voulait la voir ».
Les bontés de la reine envers son peintre
« idéalisateur » étaient des plus délicates, et l'aima-
ble artiste se plaît à nous le raconter dans son inté-
ressant Journal : « Je ne
crois pas que la reine Ma-
rie-Antoinette ait jamais
manqué l'occasion de
dire une chose agréable
à ceux qui avaient
l'honneur de l'approcher,
et la bonté qu'elle m'a
toujours témoignée est
un de mes plus doux sou-
\-cnirs.
" Un jour, il m'arriva
de manquer au rendez-
\"ous qu'elle m'avait
donné pour une séance,
parce que, étant alors
très avancée dans ma
seconde grossesse, je
m'étais sentie tout à coup
souffrante. Je me hâtai
le lendemain de me
rendre à Versailles pour
m'excuser.
" La reine ne m'atten-
dait pas; elle avait fait
atteler sa calèche pour se
promener, et cette voi-
ture fut la première chose que j'aperçus en entrant
dans la cour du château. Toutefois, je n'en montai
pas moins parler aux garçons de la chambre. L'un
d'eux, M. Campan.me reçut d'un air sec et froid et
me dit d'un ton colère, avec sa voix de stentor :
" C'était hier, madame, que Sa Majesté vous
« attendait. Elle \'a se ])i"omener. et bien sûrement
" elle ne \'ous ck)nnera [«s séance «.
'< Sur ma réponse que je venais simplement
[)rendre les ordres de Sa Majesté pour un autre
jour, il va trouver la reine cjui me fait entrer
aussitôt dans son cabinet.
u Sa ALajesté finissait sa toilette ; elle tenait un
livre à la main pour faire répéter une leçon à sa
tille, la jeune Madame ; le cœur me battait, car
j'avais d'autant plus peur que j'avais tort.
I' La reine se tourna vers moi et me dit avec dou-
ceur : "Je vous ai attendue hier toute la matinée.
u One vous est-il donc arrivé ?
" — Hélas! madame, répondis-je, j'étais si souf-
74
L'ART ET LES ARTISTES
que,
'niiiressement (in
(I frante que je n'ai pu me rendre aux ordres de
« Votre Jlajesté. Je viens aujourd'hui jiour les
« recevoir, et je repars à l'instant.
« — Non ! non ! ne partez pas, reprit la reine ;
« je ne veux pas que vous ayez fait cette course
(( inutilement «.
(( Elle décommanda sa calèche et me donna
séance.
((Je me rappell
j'étais de ré-
pondre à cette
bonté, je saisis
ma boîte à cou-
leurs avec tant de
vivacité qu'elle
se renversa ; mes
brosses, mes pin-
ceaux tombèrent
sur le parquet ;
je me baissai
pour réparer
cette maladresse.
(( Laissez, lais-
(I sez, dit la reine ;
(( vous êtes troji
(( avancée dans
« votre grossesse
« pour vous bais-
« ser ».
Nous espérons
voir figurer à
V Exposition des
Cent portraits de
femmes celui de
la série qui nous
semble le meil-
leur et qui date
de 1788. Il fut
placé par Lonis-Plnlippe dans la
de la reine.
Marie- Antoinette est assise pr
un bouquet est pose ; elle jiorte une robe lilanclu
une toque et un manteau bleus, et ti(nt un li\i
relié à ses armes.
Cette rapide étude pourrait à la rigueur s'arrêter
au nom de Mme \'igée-Lebrun, « j^eintre de la
reine », et peintre aussi de toutes nos frivok;;
aïeules de la fin du xviiip siècle « en chaiieau de
paille, en fichu négligé, celles (|ui cueillent des
bleuets et des roses, celles qui serrent tendrement
contre leur sein de blondes lillettes. les mêmes
que l'émigration emmènera, ou (pie prendra
la guillotine. Leur ])eintre attitré nous aide à ]>éné-
trer ces âmes légères... ».
x.vroiR]-:
M.
hanilire à (dU( lu r
■s d'ime t.ihle où
Et cependant, deux des jilus grands peintres de
notre école, David et Prud'hon, dont l'art ne s'épa-
nouira complètement que dans les premières années
du xiN^" siècle, méritent d'être cités ici, car c'est au
jeune talent de ces deu.x maîtres que plusieurs char-
mants visages de femmes de la période révolution-
naire doivent leur éternelle jeunesse.
Sans parler des portraits d'un art si raffiné
de MmeRécamier.et de celui d'un dessin un peu sec
de Mme Sériziat,
qui tous deu.x
figurent au
M usée du Louvre,
et qui furent
lignés, le premier
en 1795 et le
second dans le
courant de l'an-
née 1800, David
a laissé d'autres
effigies d'une
grâce exquise,
en même temps
(pie d'une exécu-
tion forte et réa-
liste. (]ui l'apjja-
relltellt aux plus
l;i.ui(1> i>eintres
(lu wiii'' siècle,
( t (pii demeure-
idut ]>eut-être, à
iia\'ers l'histoire,
eounneles témoi-
L;nages les plus
oriLjinaiix, les
plus iiersonnels,
en même temps
(pie les jjIus sé-
uaturel, sa joie de
dans la série de ses
luits spontanés de
ilans ses grandes
compositions historiques, et si, iwur connaître
ris]Mit volontaire du réacteur classique, il faut
étudier ses grandes machines grecques, romaines
et même najioléoniennes, c'est dans la vision des
délicieuses images de:; marquises Sorcy de Thelus-
sin, de Montgiraud (collection du baron d'Erlanger),
de \'erninac et d'Orvilliers, de Mme Lavoisier (col-
lection de Chazelles), exécutées en jileine tempête
révolutionnaire. J'allais oublier la tine et char-
mante image de l'infortunée Mme Chalgrin. qui se
détache avec une expression de si douloureuse
mélancolie sur le fond sanglant de la toile....
Ht jiour linir. ]iiquons comme une fleur, au milieu
de tous ces brillants interprètes des charmes fémi-
l'OKTK.MT PRESUME DE M
r:d<.u.ir(l Wiibcli
(luisants de jdli art. Son t;eiile
[leindre se devinent bien mieux
jîortraits si remarquables, pio^
son génie observateur, (pie
I.'AKT KT !.]•> Al<
nins au xviii'- siècle, le nom de Pmd'hoii. dont la
haute et poétique figure demeure fièrement isolée
au milieu de la mêlée des écoles et du choc des
doctrines. Prud'hon fut le peintre de la Femme par
excellence. Qu'il s'agisse de Psyché ou de Mme An-
thonw de Chloé ou de Mme Péan de Saint-Gilles,
de (' l'Innocence préférant l'Amour à la Sagesse»,
ou de ;\Ime Coiiia, de « la Police assise près
d'un sphinx et regardant dans un miroir » (il
sait traiter sur le mode grec les plus invraisem-
blables sujets), ou de la douce Constance IMayer,
ilont le sourire triste et charmant ilhmiine son
(euvre, comme celui de Joconde l'œuvre de
Léonard,... c'est toujours l'essence même de la
grâce féminine que son art exprime. Art tendre
et léger, vaporeux et lumineux reflet de celui du
Corrège, et qui s'clè\'e, doux comme un mélanco-
lique clair de lune, sur la nuit tragique où s'éteignent
les dernières lumières du siècle des fêtes galantes
et des joyeuses mascarades, où meurent les der-
niers éclats de joie du siècle de la Pompadour et de
la Dubarry ;... siècle d'inconsciente folie, mais
aussi de grâce incomparable, essentiellement fran-
çais par l'originalité et la fantaisie spirituelle
d'un art dont l'universel rayonnement provient
surtout des étincelants chefs-d'œuvre où les
Largillière, les Watteau, les Nattier, les Drouais,
les Tocqué, les La Tour, les Perronneau, les Greuze,
les Fragonard, les Duplessis, les Vigée-Lebrun, les
David, les Prud'hon,... et tant d'autres encore,
car nous ne citons que les plus grands, ont su éter-
niser la fraîcheur éphémère, les grâces fugitives et
les charmes fragiles de la Femme.
Arm.wd Dayot.
|.-j. .-WSLM'X — PORTR.MT DE I-EMMI- (iJQtj)
76
J. REYNOLDS
LaVinia, comtesse Althorp
(Collection Lord Spencer. )
lllHiARTH — .MISS L.WINIA FEXKJN
National ('.allcrv )
LES PEINTRES DE LA FEMME
au XVIII Siècle .- .
ÉCOLE ANGLAISE
L'École anglaish doit lejirestigt- dont elle jouit
dans l'univers de l'art à ses portraitistes.
Si grands que soient les paj-sagistes auxquels elle
a donné naissance, si féconde qu'ait été leur in-
fluence, un Constable, un Turner sont loin de lui
avoir valu autant de gloire qu'un Gainsborougli et
qu'un Keynolds ; et il ne faut pas oublier que,
Hogarthmis à part et qui est peut-être, de tous les
peintres anglais, le seul qui soit absolument anglais,
la peinture anglaise n'existait pas avant le portrai-
tiste de l'Enfant bleu, avant le portraitiste de Xelly
O'Brien.
Et que l'École anglaise ait commencé par le \>ox-
trait, il n'y a rien là d'étonnant. La vogue qui avait
favorisé les peintres étrangers venus en Angle-
terre, Holbein, Antonio Moro, Van Djck, était bien
laite pour encourager les peintres anglais à prati-
quer un genre aussi susceptible de jjlaire au public.
« L'Angleterre, dit Hogarth, unit l'égoisme à la
vanité ; aussi la peinture de portrait a toujours
eu et aura toujours dans ce j)ays plus de vogue que
dans tout autre. » Malgré cela, on ne pourrait citer,
à l'exception des miniaturistes Walker et Samuel
Coopcr qui, sous Cromwell, trouvaient à travailler,
un artiste de vraie valeur, en quelque branche de
l'art que ce soit. C'est que toute la faveur n'avait
cessé d'aller, dans tous les genres, à des étrangers :
sous Charles II, Simon Vérelst, que l'on appelait
« le dieu des fleurs » et qui disait avec modestie :
n Le roi peut faire chancelier n'importe qui,
mais il ne peut faire un Vérelst de personne »,
Simon Vérelst est Hollandais ; Antonio Verrio a été
L'ART ET LES ARTISTES
amené de France pour
diriger la manulacturr
de tapisseries de M(ir-
tlake ; Wissing est né
à Amsterdam ; Kneller
est Allemand : I.ely,
dont Hamilton. dans
les Mi'iiioirc:^ lic Cra-
monl, dit que, " île tous
les jieintres modernes,
c'est lui c|ui a le mieux
imite la manière dr
\'an Dvck et s'en .st
le plus approché ''au
ponit ([ue II chaipie
portrait jiarait un chef-
d'ceuvre ■'. Leh' est
Flamand d'origine (il
s'appelle Peter Van der
Vaas) et Westphalieii
de naissance ; Dahl est
Suédois ; Costerman
est Hanovrien. A eux
seuls, ils accaparent
toutes les situations, ils
ramassent tontes les
commandes. Le succès
leur sourit sans cesse,
cependant que les pau-
vres artistes anglais ne
peuvent pas même jiar-
venir à vivre de leur
métier : Henr\' fooke,
un des rares jieintres
anglais employés jiar
Guillaume IH, ayant
essayé de se faire, com-
me on disait, « ])eintre
dévisages », se vit réduit, pour ne jias mourir de
faim, à prendre un petit commerce.
Seul, parmi ces artistes, Peter Lely vaudrait,
si l'on en avait ici la place, d'être étudié d'un peu
près, au point de vue historique plus, d'ailleurs,
qu'au point de vue artistique. En effet, en dépit
de certaines qualités, tout extérieures, dont té-
moignent tels ou tels des innombrables portraits
qu'il signa, Lclv n'est guère qu'un habile faiseur.
Avant tout, il veut plaire et il n'hésite pas à user
de tous les movens pour v parvenir. Dans des inté-
rieurs luxueux, plus souvent dans des paysages
arrangés, il peint toutes les beautés de l'Angleterre
d'alors du même p)inceau maniéré et flatteur.
Fixé à Londres en 1641 (il était né en 1618), il
ne tarda pas à s'imposer. Van Dyck allait mourir.
Pourquoi Lely ne le remplacerait-il pas? En it)47,
il peint Charles I'^'' et le jeune duc d'York à Hamp-
i'HoMAS GAINSBOROUGH — étude .\rx deux
CK.WONS POUR U.N POI-iTR.\IT DE FEMME
iBritish Musmiiii i
ton Court où le roi est
[nisonnier. La révolu-
tion passe. Lely fera
le portrait du Protec-
teur. Mais Cromwell,
qui le sait peu véri-
dique, le prévient :
"Je désire que vous
employiez toute votre
habileté à me peindre
tel que je suis, sans me
fiatter du tout ; sinon,
\ous n'aurez pas un
-I m de moi ».
.Xjirès la Restaura-
tion, Lely conquiert la
faveur de Charles II ;
Lely est sacré « grand
peintre ». Il est doué
d'une étonnante habi-
leté pour donner, dit
un mémorialiste du
temps. Il une singulière
expression aux yeux
de ses figures de fem-
mes, un tendre alan-
guissement, un air de
douceur et de mollesse,
une grâce, enfin, incon-
nue jusqu'à ce jour ».
Tout le secret du suc-
cès de Lely est là ; aussi,
une fois disparu, — il
meurt en 1680, — est-il
vite oublié... et rem-
placé : Kneller et Wis-
sing sont là pour re-
cueillir sa succession.
\"m\. le règne de la reine Anne : époque aussi peu
favorable que la précédente au grand art. Le
De A)ii (iraphica de Du Fresnoy, traduit en 1695
jtar Dryden, constituait l'esthétique à la mode :
.1 II tant, dans les draperies, conseillait le peintre
des Naïades du Louvre aux portraitistes, tenir
compte de la qualité des gens ».
D'autre part, dans ses Characteristics, Shaftes-
burv n'hésitait pas à refuser le titre d'artiste au
peintre de portraits : « Le simple peintre de visages
a peu de choses en commun, affirmait-il, avec le
poète '< ; et il proclamait « antinaturel » tout peintre
soucieux d'expression et de caractérisation.
Quoi qu'il en soit, entre la fin du xvii^ siècle et
le milieu du xvin<^, un grand changement s'était
produit ; quelques années avant le retour de Rome
de Reynolds, il y avait à Londres plus de deux mille
peintres de portraits, et en 1746 Hogarth se faisait
78
l'ART i;t i.!:s akti^te
FETER LELY — iadv denham
(Collection de Lord Spencer)
payer deux cents livres sterling son portrait de
Garrick dans le rôle de Richard III, « prix, disait-il
hii-nicme, qu'aucun artiste anglais n'avait jamais
obtenu pour un simple portrait ". Mais « la condi-
79
I.'ART ET LES AKTISIIlS
Uon (le laiseui- d'odigies ■■ ne lui avait jamais con-
venu.
L'art du jiortrait est donc en plein honneur
quand Gainsborough et Re\Tiolds coirunencent à
produire. La gloire de Lely, de Kneller, de tous
ceux qui n'avaient pu réussir à s'assimiler du génie
de Van Dyck tout ce que le tempérament artistique
anglo-saxon allait bientôt en faire sien, com-
mençait à pâlir : les poncifs qu'ils avaient si long-
fem]is imposés au public et aux artistes se démo-
daient ; on aspirait à autre chose, à un peu plus
de vérité, à une expression plus souple, plus directe,
de la vie. Déjà Hogarth avec son réalisme violent,
avec ses brutalités et ses truculences, avec ses au-
daces qui ne reculaient devant rien, avait ouvert
la voie. Ce n'est cependant pas en lui que Gains-
borough et Reynolds, à leurs débuts, reconnaîtront
un maitrc, ce n'est pas son idéal qui deviendra le leur.
( )n sait que Gravelot s'était fixé à Londres
en 1733. Gravelot n'était qu'un dessinateur de
vignettes, un illustrateur au charme, à la fantaisie
duquel il était difficile tie rester insensible. « Peu
à peu, cependant, dit le regretté Henri Bouchot qui
a écrit sur cette ])ériode de l'art anglais de défini-
tives' pages, une opinion se formait, et par le livre,
où tant de jolies histoires, de figurines pimpantes
et gaies apportaient aux raffinés une autre concep-
tion du charme et du goût, il se produisait chez
nos voisins un de ces courants souvent retrouvés
chez nous-mêmes, non pas une renaissance. — ■ car.
pour renaître, il faut avoir été, — mais une ini-
tiation jileine d'impré\'ii. -i
Thomas Hudson la subit ; il était le Rendre
de Jonathan Kichardson dont les écrits sur la })ein-
ture devaient décider de la vocation de Reynolds,
et c'est dans l'atelier d'Hudson que Reynolds fera
ses premières armes. Hudson connaît, par Gravelot,
Watteau et Lancret. Hudson, certains de ses por-
traits sont là pour le prouver, cherche à se rappro-
cher de l'idéal de grâce, de délicatesse de ces deux
maîtres.
Mais, outre Hudson, il y a Ramsaw Hudson est
de douze ans plus âgé que Ramsay, il est né en 1701.
Ramsay est moins sensible à l'influence française,
ou il l'est autrement; il i)arait, dans telles ou telles
de ses œuvres, viser à une simplicité véridique,
assez rare alors. Sans abandonner absolument les
artifices des poncifs pompeux encore à la mode,
il n'y attache plus qu'une importance secondaire ;
bientôt il 'es négligera entièrement ; certes, jamais
nous ne lui verrons l'acuité réaliste, la vivacité
d'observation, la liberté d'accent que nous admi-
rons chez Hogarth, qui, d'ailleurs, l'exécrait ;
c'est égal, il y a chez Ramsaj' un sens du naturel,
de l'intimité, qui mérite d'être estimé, et dont pro-
fitera Reynolds.
Ramsay, d'autre jmrt, ne manquait ])as de cul-
ture. Son père était poète ; il avait été trois fois
en Italie ; il écrivit, sous le nom à'Investigalor,
plusieurs ouvrages. En 1767, il succéda à J. Shack-
leton comme peintre du roi George HI ; dès lors,
ne pouvant suffire aux commandes royales, — cer-
tains portraits du roi et de la reine Charlotte furent
refaits plus de soixante fois au prix de vingt guinées
la paire ! — il s'adjoignit des collaborateurs ;
l'un était chargé de peindre les étoffes, un autre
les fleurs, un troisième les fonds de paysage ;
Ramsay ne peignait que la tête, et encore ! Cette
façon de procéder, toute commerciale, n'allait pas
sans valoir au peintre de George HI le dédain de
ses confrères. Quand l'Académie Royale fut fondée,
en 1768, Ramsay ne fut pas appelé à en faire partie.
Reynolds, qui, s'il ne doit pas beaucoup au maître
écossais, lui doit cependant quelque chose, ne
pouvait lui pardonner ce que l'on appelait sa « ma-
nufacture d'effigies '>, et Reviiolds n'avait pas tout
à fait tort, car il était de notoriété publique que,
durant son dernier vo\'age en Italie, Ramsay
avait confié à un de ses élèves, Philippe Reinagle,
la direction de sa « manufacture ».
Hogarth, Hudson et Ramsay, voici donc les
trois peintres anglais de valeur, de valeur diverse
certes, qui pratiquent originalement et originai-
rement l'art du portrait, avant que Gainsborough
et Reynolds n'entrent en scène. Le premier, tout à
fait Anglais, cherchant à échapper à toute influence
étrangère ; les deux autres s'efïorçant au contraire
de trouver leur voie en s'assimilant, autrement
iju'on ne l'avait fait jusqu'alors, le glorieux exemple
de Van Dyck et en essayant de faire pénétrer dans
la peinture anglaise un peu de l'esprit, de la grâce,
de la vérité délicate de l'art français.
Entre la date de la naissance de Reynolds et
celle de la naissance de Gainsborough, il n'y a que
quatre ans. Reynolds vient au monde en 1723,
Gainsborough en 1727. Les deux grands rivaux
de l'École anglaise lutteront, toute leur carrière
durant, sur le même terrain, artistique, social et
moral ; ils vivront dans la même société, auront
les mêmes modèles, jouiront d'une même vogue,
se disputeront a\-ec les mêmes armes pendant
quarante ans pour obtenir la suprématie.
Ils sont l'un et l'autre de prodigieux artistes.
Incomparables l'un et l'autre et incomparables
aussi l'un à l'autre, c'est cependant en les rappro-
chant que l'on apprend le mieux à les connaître,
à pénétrer l'intimité de leur pensée et de leur art.
En présence de certains Re^Tiolds, il est impos-
sible de ne pas leur préférer certains Gainsborough,
80
.'ART ET LES ARTISTES
CiAlNSBOROUGH — portrait de la reine charlotte
(Musée du Soulli-Kinsington)
Î>I
L'ART ET LES ARTISTES
et réciproquement.
Mais imaginez réunis
dans une même salle
les dix chefs-d'œuvre
tjue chacun d'eux a
créés : cela ne serait-il
pas éblouissant '
Accrochez par l'ima-
gination sur une mu-
raille : r Enfant hlcu du
duc de Westminster,
Mrs Siddons et la Fa-
mille Baillic de la Na-
tional Galler\-, .'l/;-,s' Ro-
binson en Perdita de
la galerie Wallace, Mi-s
Slwndand Mi-sTickcll.
Mrs Moodcv et ses eii-
jants (lu Musée de Dul-
wich. la Duchesse de
Devonshire de la col-
lection Spencer, la Mrs
Graham de la Galerie
Nationale d'Ecosse, la
Lady Bâte Diidley à
Lord Burton et le Due
et la Duchesse de Cum-
lierland du chàti'au de
Windsor : voici pour
Gainsborough.
De Reynolds, ras-
semblez la Xellx
O' Brien et la Mrs Hoare
et son fils de la galerie
Wallace, la Ladv Cros-
bié à Sir Edwaril Ten-
nant, les Deux Gentilshommes, la Comtesse Alber-
male, les Grâces couronnant l'Hymen, la Robinetta
de la National Gallery, la Duchesse de Devonshire
de Chatsworth, l'Espérance nourrissant l'Amour
au marquis de Lansdowie, la Lady Cockburn et
ses enfants de la collection Alfred Beit.
Reynolds, d'abord, vous donnera l'impression
de l'emporter sur Gainsborough pour la virtuosité,
pour l'aisance et la richesse de l'exécution. Il n'est
rien qu'il ne puisse traiter avec la prodigieuse faci-
lité dont on le sent doué. Il a les dons les plus bril-
lants et la science la plus sûre de son métier. Dans
les collections anglaises, dans les musées d'Italie,
auprès de tous ceux qui ont pratiqué son art, il
s'est formé ; il a raisonné, réfléchi sur tous les pro-
cédés, sur toutes les techniques, sans parti pris,
avec une surprenante clairvoyance. Il admire,
il comprend les maîtres les plus divers : Raphaël
et Franz Hais, Titien et Velasquez, Corrège et
Watteau, Rubens et Téniers, Rembrandt et Steen.
RICHARD COSWAY — portrait de
m" PLOWDEX (dessin rehaussé de gouache )
(British Muséum)
11 tient .Michel- Ange
pour •' un homme di-
vin» et il ose affirmer,
en plein xviii'^ siècle,
que « sous la rudesse
des essais gothiques on
découvre des inven-
tions originales, raison-
nables et même su-
blimes » .
Il paraît ne céder
qu'à des impulsions,
n'être l'esclave que de
sa propre fantaisie, ne
suivre que son caprice,
tant il a de verve,
d'esprit d'à propos,
d'abandon. En effet,
il possède et il est tout
cela, mais jusqu'à un
certain point seule-
ment ; l'esprit d'ana-
lyse le domine sans
cesse. A Venise, l'en-
thousiasme que lui ins-
pirent Titien, Tintoret
et Véronèse ne l'empê-
che pas de scruter froi-
dement leurs œuvres,
afin de tirer de leur
étude tout le profit
possible. « J'ai beau-
coup vu et beaucoup
réfléchi sur ce que je
voyais : j'avais une
sorte d'instinct d'inves-
tigation et une tendance à réduire tout ce
que j'observais, tout ce que j'éprouvais, en méthode
et en système. » — (( A Venise, dit-il, quand j'ob-
servais quelque effet extraordinaire de clair-obscur,
je prenais une feuQle de mon album et je la noircis-
sais à proportion des ombres du tableau, laissant
le papier blanc pour représenter les lumières, — sans
m'inquiéter du sujet ou du dessin des figures. L^n
petit nombre d'épreuves de ce genre devait révéler
leur système de distribution des lumières. De fait,
après quelques expériences, je constatais que mon
papier était toujours taché à peu près de la même
façon : j'en conclus que les Vénitiens avaient pour
sj-stème de ne pas accorder plus d'un quart de leur
peinture aux lumières principales et secondaires,
de rendre un autre quart aussi sombre que possible,
enfin de maintenir le reste estompé. Rubens semble
avoir admis un peu plus de lumière ; Rembrandt,
au contraire, beaucoup moins, à peine un hui-
tième,... etc. »
82
L'ART ET LES ARTISTES
REYXOLDS PORTRAIT DE LA MARQUISE DE CAMHDEY
(Collection de Lord Spencer)
83
L'ART ET LES ARTISTES
Cette acuité de vision que Reynolds mettait à
l'étude des chefs-d'œuvre de son art, il l'apportait
à l'étude de ses modèles. Avec sa haute culture
artistique et littéraire, ses habitudes de raisonne-
ment et d'observation, il était préparé mieux que
personne à devenir un grand portraitiste, non seu-
lement de la grâce, de l'élégance féminines, mais de
l'intelligence et
de la pensée. La
recherche du ca-
ractère et de la
vérité des ex-
pressions et des
gestes était son
souci dominant.
Toute peinture
du prix, disait-
il, dès qu'elle est
fortement carac-
térisée », et l'on
connaît sa maxi-
me favorite: «Le
beau doit être
cherché non pas
au ciel, mais sur
la terre ». Cepen-
dant la peinture
de la seule réa-
lité visible n'est
pas suffisante ;
il existe d'autres
réalités, des réa-
lités morales, des
réalités spirituel-
les que le por-
traitiste ne doit
pasnégliger,dont
il doit se faire
l'interprète. La
forme sans l'ex-
pression est in-
suffisante et Re\nolds ne voulait pas admettre
l'admiration aveugle de ses contemjwrains pour
ces milliers d'antiques qui lui paraissaient ina-
nimés jusqu'à l'insipidité ». — « La valeur et le
rang d'un art se mesurent, proclamait-il. à l'effort
mental qu'il exige et au plaisir mental qu'il pro-
cure. 1) \'oilà la clef du génie de Reynolds. Et
quand on pénètre dans l'étude de son œuvre jiar
la porte qu'ouvre cette clef, on ne peut retenir un
cri d'admiration; on comprend alors toute la gran-
deur et toute la beauté de cet œuvre si fécond en
bienfaisantes influences, si beau en lui-même, et
l'on souscrit au jugement enthousiaste de Ruskin.
« J'en viens à penser, écrit l'auteur du Trésor
des Rois, en considérant tous les désavantages de
circonstances et d'éducation au milieu desquels
son génie s'est développé, qu'il n'y a peut-être
jamais eu un homme possédant de naissance un
don plus intense de pénétration de la nature que
notre Sir Joshua Reynolds. Comme peintre de l'in-
dividualité dans la forme humaine et l'esprit, je le
tiens yiour le prince des portraitistes. Titien a
peint de ])lus
nobles tableaux,
\'an Dyck a eu
lie plus nobles
sujets, mais ni
l'un ni l'autre n'a
approfondi aussi
subtilement que
Sir Joshua les va-
riétés mineures
du cœur et du
caractère hu-
mains; et si l'on
songe que, mal-
gré reffro3''abl(>
conventionnalité
des habitudes so-
ciales qui l'entou-
raient, il a conçu
Us types les plus
simples du char-
me féminin et
enfantin ; — que
dans un climat
septentrional,
avec, autour de
lui, comme colo-
rations dominan-
tes, les gris, les
l)lancs et les
noirs, il est de-
venu un coloriste
que personne
ne dépasse, pas
même les \"énitiens ; —et que, dans un temps où la
jieinture hollandaise et la porcelaine de Dresde
étaient les formes d'art à la mode dans les salons, il
se jeta aux pieds des grands maîtres italiens, puis
se leva pour partager leur trône. — je ne crois
pas que l'on puisse citer dans l'histoire entière
de l'art un autre exemple d'instinct aussi fort,
aussi privé d'aide, aussi infaillible de tout ce qui
était vrai, pur et noble. »
Mais qu'un pareil maître ait trouvé en son temjjs,
dans cette Angleterre étrangement brutale et raf-
finée, le succès qu'il y rencontra, cela déconcerte
un peu. Il aurait peint, dit-on, durant toute sa vie,
près de quatre mille tableaux. De dix guinées jiour
un portrait en buste, de vingt pour un jiortrait
- POKIKAiï DE FE.MME
M. I.éon Cardon)
8^
L'ART ET LES ARTISTES
à mi-corps et de
quarante pour un
portrait en pieihju'il
exigeait en 1735. il
éleva ses prix, en
1757, àquinze, tren-
te et soixante gui-
nées, et il ne pouvait
suffire aux exi-
gences de sa clien-
tèle. Et plus il
augmentait le taux
de ses portraits, plus
les modèles af-
fluaient à son ate-
lier. Avant 1780, ils
atteignaient qua-
rante-cinq, quatre-
vingt-dix et cent
quatre-vingts gui-
nées ; plus tard,
cintjuante, cent et
deux cents. Pour
un portrait de fa-
mille contenant huit
figures, le troisième
duc .leMarll.orough
lui l^aya en 1777
se])t cents guinées,
et en 178(1 ("athe-
iine 1! lui env()\ait
quinze cents guinées.
livres sterling par an
fortune de jilus de deux millidiis et demi de Irancs
de l'époque.
Ce prodigieux succès, 1-^eynolds ne le devait ])as
seulement à son talent, il le «levait en grande partie
à son caractère. \'ei ^ la lin même de sa vie, malgré
que. Gainsborough et Romney l'eussent remplacé
THO.AIAS GAINSBOROUGH —; pdrtk.mt de miss
ELISABETH SINGLETOX
(Collection deorges Salting)
en paiement d'une toile.
Il gagnait i)lus de six mille
et à sa iiKirt il laissait une
de Leicester Square
était somptueuse-
ment aménagée ;
son équipage faisait
sensation ; sa table,
richement servie et
largement ouverte,
était fort recher-
cliée. D'autre part,
il était très répan-
du, fréquentait as-
sidijment les clubs
et les cafés à la
mode et ne man-
quait pas une pre-
mière. Promoteur
de parties, organi-
sateur de sociétés
et de réunions, il
n'était pas seule-
ment une figure en
vue, il était encore
un des membres
les plus actifs du
« Tout - Londres »
de la seconde moi-
tié du xviii« siècle )).
Ces dons de sé-
duction que possé-
dait l'homme, l'ar-
tiste les possédait aussi, il les possède toujours;
séduction un peu superficielle, avouons-le. A de rares
exceptions près, l'oeuvre de Reynolds manque, en
effet, de profondeur, de puissance, de pénétration
jisj^hologique, pour tout dire, d'émotion humaine.
Est-ce de sa faute uniquement, ou, en partie, de
la faute de ses modèles, de la faute du temps où il
a vécu? En ce cas, il est trop facile de lui objecter
Ciainsborough, même Romney dont l'œuvre compte
dans la faveur du public, son prestige était demeuré certaines œuvres plus profondes, plus frémissantes
entier. En I7()q il avait reçu le titre de .S';> et il de vie intime.
avait été acclamé jirésident de l'Académie Royale ;
il faisait ])artie de l'aristocratie anglaise, il était
traité sur le pied d'égalité par les représentants de
cette élite mondaine. « Ses allures, dit un de ses
plus récents monographes, M. François Benoit,
contrastaient singulièrement avec les habitudes de
dissipation grossière et de vulgarité qui dégra-
daient un trop grand nombre de ses confrères. Au
témoignage des contemporains, il avait le caractère,
la tenue et les manières d'un « parfait gentleman ».
Avenant et ])oli, humoriste délicat, « plein de tact
« et de convenance », c'était un partenaire séduisant,
un convive précieux et « un maitre de maison accom-
«pli ». Aussi bien s'entcndait-il à rehausser son exis-
tence de luxe et à l'égayer de mondanité. Sa maison
Le portrait de Xelly (J'L^rien, il faut se rendre à
ré\-idence, est, dans son leuvre, unique. Jamais
il n'a atteint à cette intensité d'expression et à
cette profondeur de caractérisation. Aucun arti-
fice ici, aucun déploiement de gestes séducteurs
et gracieux, aucun maniérisme. C'est une femme
assise de face, dans un jardin, les mains croisées
sur ses genoux, où elle tient un petit chien. Elle est
décolletée en cœur, avec un collier qui accentue la
belle rondeur de son cou ; un chapeau léger de
tulles, en forme de cloche peu creuse, et très régu-
lier de forme, abrite son visage, répand sur son
front, sur ses veux, juscpi'à ses lèvres une pénombre
transparente.
Elle est d'hier et d'aujourd'hui, et de demain et
L'ART ET LES ARTISTES
GAIXSBOROUGH — portrait de m" f. fitzherbert
(appartenant à M. Trotti)
87
L'ART ET LES ARTISTES
(le toujours. Peut-on ilire qu'elle est belle? Je ne
sais : elle est infiniment séduisante, et quand
une lois on l'a vue. on ne jieut l'oublier. C'est le
propre des grandes œuvres d'art de s'imposer
au souvenir, comme des réalités complètes et par-
faites, comme des cristallisations de sentiments,
de rêves, d'observations, de désirs, que sais-je?
qui finissent par en faire des choses plus palpables,
des êtres plus vivants que les choses et que les
êtres existants. Si l'on arrivait à nous prouver que
Mona Lisa ou Nelly O'Brien, que l'on a raison de
comparer, n'ont jamais existé, que nous importe-
rait? Elles existent, elles existeraient quand même.
Gainsborough est, je crois bien, à cet égard, im
plus grand et plus fécond créateur que Sir Joshua.
C'est que son génie a de tmit autres sources, plus
profondes et plus humaines. Il s'est formé autre-
ment, il a une nature numis l)iillante. moins exté-
rieure ; il vit davantage sur lui-même, il tire de
lui-même ses sentiments v\ ses idées ; il se fait
lui-même sa conception de l'art ; il est infiniment
plus primesautier. Ce n'est pas lui (jui, en pré-
sence d'une toile de Titien-ou de Rembrandt, son-
gerait à ces analyses où Reynolds, qui ne cesse
jamais de se posséder, se complait, sachant tout
le profit qu'il en jieut tirer. En serait-il même
capable? J'en doute, (iainsborough, devant un
chef-d'œuvre, comme devant un paysage, est
ému, et c'est du souvenir de cette émotion que
s'enrichit sa sensibilité, que progresse son talent.
Gainsborough est un rêveur et un émotif ; la rai-
son, l'intelligence, n'interviennent chez lui qu'en
second lieu. Auprès de Reynolds, c'est un sim]>le.
un simple de cœur et un simple d'esjint ; il est peu
cultivé, il ne connaît de l'art du passé que les
quelques chefs-d'œuvre qu'il a pu voir en Angle-
terre dans les dem_ares seigneuriales des environs
de Bath où il a vécu quatorze ans ; il n'a pas rai-
sonné sur Van Dyck, sur Rubens. sur Velasquez,
sur Téniers, sur Murillo: il les a copiés avec amour.
Gainsborough, d'autre part, n'est pas devenu,
malgré ses succès mondains, un homme du monde,
comme l'est devenu Reynolds. Il ne faut pas négli-
ger de dire, quand on parle de lui, qu'il est le père
du paysage anglais. Il avait la passion de la nature,
il adorait les arbres, les nuages, l'eau courante, les
décors de son pays natal, dont Constable, qui, lui
aussi, y avait vu le jour, disait : « C'est le Suffolk
qui m'a rendu jieintre ".
Jamais Reynolds, au faite de la gloire, n'aurait
écrit, comme l'écrit Gainsborough à son ami
Jackson : « Je suis dégoûté des portraits, et je
voudrais bien prendre ma viole de gambe et m'i'U
aller dans quelque i)laisant village où je pourrais
peindre des paysages et jouir du bail final de la vie
dans la tranquillité et le bien-être. Mais ces belles
dames, avec leurs tasses de thé, leurs bals, leur
chasse au mari, etc., m'escroqueront mes dix der-
nières années, sans réussir, j'en ai peur, à trouver
des maris. Pourtant, il n'y a rien là à dire, mon
cher Jackson ; il nous faut continuer à rouler cahin-
caha, et nous contenter du tintement des grelots ;
seulement, je hais la poussière. Dieu me damne,
et ce qui soulève la poussière, et d'être en prison
sous le harnais pendant que d'autres sont en voi-
ture, à couvert, allongeant à l'aise leurs jambes
dans la paille et contemplant les arbres verts et
les deux bleus, sans avoir de tout cela la moitié
du goût que j'en ai... et c'est diaboliquement
dur.... ■
Au même ami, il écrivait une autre fois : « J'ai
toujours été d'avis que vous gaspillez journelle-
ment vos dons avec les gentlemen, et que toute
votre étude tend à savoir comment vous devien-
drez vous aussi gentleman. Eh bien ! damnés gent-
lemen, il n'y a pas d'espèce d'ennemis qui soit
]ilus à craindre pour un véritable artiste, quand
on ne les tient pas convenablement à distance.
Ils n'ont en eux qu'une partie qui vaille la peine
qu'on la regarde, c'est leur boui'se, et leur cœur
est rarement dans le voisinage de la place où il
devrait être pour qu'on l'aperçoive ».
L^n tel langage, Reynolds ne l'eût jamais tenu ;
je ne dis point cela pour diminuer le peintre de
Xellv (J'Brien, simplement pour mettre en lumière,
en le rapprochant du sien, le caractère de Gains-
borough.
Il Plus qu'aucun des peintres qui vécurent ici-
bas, dit fort justement Sir Walter Amstrong.
Gainsborough fut l'esclave de ses émotions. II est
impossible de parcourir son œuvre sans que la
conviction s'impose que, pour chacune de ses
créations, le degré de sa réussite a dépendu de la
façon dont le sujet affecta au début son imagi-
nation. » — « Je suis vite perdu, disait-il lui-
même, dès que je prétends raisonner. »
L'œuvre de Gainsborough est donc l'expression
entière de sa sensibilité. C'est celle d'un homme
infiniment impressionnable et infiniment sincère.
Par suite, il reste soumis à toutes les influences sus-
ceptibles d'agir sur ses nerfs et notamment sur sa
vision. Il a besoin d'aimer son modèle pour le
bien peindre, et quand il ne parvient pas, pour une
raison ou une autre, à s'intéresser à son sujet, on
le voit capable, malgré tout son acquit, malgré
toute son expérience, alors qu'il est en pleine pos-
session de son métier, on le voit capable d'une
non-réussite.
Mais quand il réussit, et c'est fréquemment,
L'ART ET LES ARTISTES
RUMNEV
PORTRAIT DE M" DOROTHEA MuKLLV ,.\LE JARVISJ
(appartenant à M. Trotti)
.V)
L'ART ET LES ARTISTES
JOSHUA REYNOLDS — portrait de
m'^ chambers
nul ne lui est comparable. La distinction suprême
et le raffinement sujn'ême, des délicatesses et des
vigueurs surprenantes, une grâce hautaine et dis-
tante, sans artifice, un affleurement délicieux de
la vie intérieure qui baigne les traits de ses figures,
notamment de ses figures de femmes, comme d'un
attendrissement, qui les fait toutes frémissantes
de vérité, une précision de caractérisation qui
n'est jamais sèche ni nnmobilisée, au contraire,
que l'on sent comme flottante — qu'on me par-
donne ces expressions, — une espèce de gravité,
tle solennité, de recueillement devant la vie qui
de la personne du jieintre semble gagner celle du
modèle,... n'y a-t-il ]ias im [leu, ou beaucoup, de
cela dans l'impression que l'on éprouve en pré-
sence des (éuvres maîtresses de Gainsborough?
Puis, comme il paraît, même dans ses morceaux
les plus prodigieu.x d'habileté, alors qu'il triomphe
de toutes les difficultés techniques, tenir peu à sa
virtuosité, en tirer peu d'avantages personnels !
Dans le portrait de la duchesse de Devonshire
de la collection Spencer, dans celui de Mrs Gra-
ham de la Galerie Nationale Écossaise, dans celui
de Mrs Sheridan et Mrs Tickell du Musée de Dul-
\sich, dans celui de Mrs Robinson en Perdita
du Musée Wallace, quelle tendresse répandue,
quel sentiment délicat et pénétrant de la fémi-
nité ! Reynolds et Romney, certes, sont plus
\oluptueux, plus passionnés, mais je vois, dans
ces adorables effigies d'adorables femmes, une
sorte de sensualité extrêmement discrète qui
m'enchante, une sorte d'idéalisme amoureux
dont la présence silencieuse, comme un peu
mélancolique, ajoute un agrément à tant de
séductions.
Ayant cité le jugement de Ruskin sur Rey-
nolds, je me reprocherais de ne pas citer celui
qu'il porte sur Gainsborough.
« Ombre de Gainsborough, dit-il, penseur
profond, solennel Gainsborough!
« La puissance de coloris de Gainsborough
.1 ce qu'il faut pour prendre rang à côté de
celle de Rubens : c'est le plus pur coloriste,
--ans en excepter Sir Joshua lui-même, de toute
l'École anglaise ; avec lui, en fait, l'art de pein-
dre mourut en grande partie et cet art n'existe
pas maintenant en Europe. On verra assez de
preuves dans mes écrits de l'admiration que j'ai
\ouée à Turner, mais je n'hésite pas à dire
ipie, dans l'emploi et la qualité d'une teinte
simple et particulière, dans l'art purement
technique de la peinture, Turner est un en-
fant auprès de Gainsborough.... La main de
Gainsborough est aussi légère que le vol d'un
nuage, aussi rapide que l'éclair d'un rais de
soleil.... Les masses de Gainsborough sont aussi
largement disposées que la division entre la lu-
mière et les ténèbres dans le ciel. Les formes de
Gainsborough sont grandes, simples, idéales....
Gainsborough ne perd jamais de \aie son tableau
comme ensemble.... En un mot, c'est un peintre
munortel, et sa supériorité est fondée sur des prin-
cipes d'art depuis longtemps reconnus et sur des
faits de nature universellement apparents ».
Par Re\-nolds et Gainsborough, l'École anglaise
est ainsi fondée et du premier coup elle possède
une personnalité nettement définie. Elle possède
son domaine propre, ses caractères individuels :
ces deux maîtres ont fixé, si l'on peut dire, son
esthétique et son avenir. Ceux qui viendront après
eux seront contraints d'avoir recours à eux : ce
sont des ancêtres. De leur vivant, ils sont glorieux,
d'une gloire qui, on le sent, demeurera hors des
atteintes de la mode et de l'engouement qui font
et défont les réputations artistiques. Qu'importe
qu'ils aient pour points de départ des exemples
venus de l'étranger? Leur race, si elle avait eu en
90
L'ART ET LES ARTISTES
TH()>L\S GAIXSBOROUGH — jeune fille en costime de chasse
(Collection John Stillmann)
91
L'ART ET LES ARTISTES
elle-même de quoi se créer un art. n'aurait pas
attendu si longtemps de le faire, et c'est au moment
où, sauf en France et à Venise, on peut presque
dire que l'art est mort, qu'il nait en Angleterre.
Et voici qu'en cinquante ans il atteint à sa matu-
rité, il réalise son développement complet.
Ronmey, Raeburn et Hoppner, le premier né
en 1734. le second en I75(', le troisième en 1758.
leur doivent tout ; ce qui ne veut pas dire que
sans eux ils r'auraient rien jni être ; mais il est
incontestable que, malgré les particularités de
leur tempérament, ils n'auraient pas été ce qu'ils
sont devenus.
Quand, en 1762, Romney s'installe à Londres,
le talent de Reynolds et de Gamsborough est en
pleine floraison. Reynolds est déjà célèbre, Gains-
borough commence à l'être. En 1763 et 1765, il
prend part aux concours organisés par la Société
des Arts, et aussil("it il est remarqué. Mais ce n'est
qu'en 1775 ([u'il devient jxiur Reynolds un redou-
table concurrent, plus redoutable encore que
Gainsliorough. L'aristocratie anglaise adoj)te
Romney : en quelques années, il devient le peintre
que tous fêtent, que tous acclament, et voilà
Londres divisé en deux camjis : le camp Reynolds
et le camp Romney. Lord Thurlow, qui apparte-
nait au camp Romney, n'hésite pas à traiter
Reynolds de coquin et de mauvais peintre.
Quoi qu'il en soit, dix ans après, en 1785, Rom-
ney gagne plus de trois mille cinq cents livres
durant ses douze mois de travail. Son fils raconte
qu'il ne mettait pas jilus de trois ou quatre séances,
d'une heure et demie chacune, pour exécuter un
jwrtrait d'homme à mi-corps et que, durant les
mois d'été, il lui arrivait défaire poser dans son atelier
cinq ou six modèles du matin au soir. Il travaillait
ainsi jusqu'à treize heures par jour. Pendant des
années, Romney mène cette existence de labeur
acharné. Pour se reposer, il va passer un mois l'été
chez son ami le poète Hailey, qui devait devenir son
biographe. Une assemblée de Décaméron, parmi
la grasse nature du Sussex, y tient ses assises :
des poètes, des essayistes, des femmes de lettres,
des artistes s'y retrouvent. Romney est le dieu
de ce petit univers : on compose en son honneur
des poèmes dithyrambiques. Tous l'adulent et
tous s'adulent dans cette compagnie : c'est une
société d'admiration mutuelle. A table, on ne s'in-
terpelle que par ces mots : Sappho, Pindare.
Raphaël. Romney, cependant, s'était marié ; mais
il y avait si longtemps qu'il l'avait oublié. Il avait
épousé à l'âge de vingt-deux ans, dans son pays
natal, une jeune femme qui l'avait soigné durant
une maladie et dont il était devenu éperdument
amoureux ; ce qui ne l'avait pas empêché de l'aban-
donner, estimant qu'elle ]iouvait entraver sa car-
rière et lui nuire dans le monde. Mais elle lui
demeura fidèle, quoique depuis son départ pour
Londres jusqu'au jour où, épuisé, sentant la mort
prochaine, il revint dans son Lancashire, il n'était
venu la voir que deux fois.
Romney est, à mes yeux, dans l'École anglaise,
le type du voluptueux. Ce n'est pas dans ses com-
positions légendaires, littéraires ou historiques
qu'il faut le chercher, mais dans ses portraits, sur-
tout dans ceux, fort nombreux heureusement,
de Lady Hamilton. Tout Romney est là. Du jour
où elle lui sert de modèle, on dirait que son art se
transforme : elle lui inspire des accents qu'aucun
])eintre, dans un pays de puritanisme comme
l'Angleterre, ne retrouvera. Le charme de l'ensor-
celeuse agit vite sur lui : où l'a-t-il découverte?
Les uns disent au fond d'une taverne, en train de
chanter des couplets obscènes devant des mate-
lots. C'est en 1791 qu'il la rencontre. Elle revient
de Xaples où elle a fait la conquête de Lord Hamil-
ton. Elle n'est encore qu'Emma Hart ; elle ne tar-
dera pas à devenir Lady Hamilton. Romney a
cinquante-sept ans. « C'est alors, dit Henri Bou-
chot, que, prosterné devant cette beauté ensor-
celante, ce corps aux formes antiques, cette che-
velure plus abondante que nulle femme ne pouvait
en montrer, Romney, outlaw comme cette
gitane, mais vaincu par elle, l'eût gardée long-
temps, oublieux de la tendre créature, autrefois
épousée, et qui, après tant de fugues, le voudra
recueillir et soigner. Alors, dans toutes les poses
les plus sublimes, cachant son trésor de son mieux,
il se hâte de prendre à Emma Lyons, qu'il
sent impatiente de grand air, ce que sa divine
beauté lui révèle. » Reynolds, Angelica Kauffmann,
JIme Vigée-Lebrun l'ont peinte aussi, mais seules
les effigies que Romney nous a léguées d'elle donnent
de sa beauté une impression exaltée et vivante.
Outre les portraits, les études qu'il fait d'elle, il
incarne en elle tous les types de la légende, de
l'allégorie, de la mythologie. Sous son pinceau
amoureux, jamais las de chercher à immortaliser
quelque charme d'elle qu'il aurait pu négliger,
qui aurait pu lui échapper, elle est, tour à tour,
Circé, Cassandre, EuphrosjTie, Ariane, Cah^pso,
Jeanne d'Arc, une Sibylle, une Sainte, une Reli-
gieuse, une Madeleine; elle est la Comédie, et la
Tragédie dans Shakespeare élevé par la Comédie
et la Tragédie ; elle est Alope avec son enfant dans
les bois, elle est une Bacchante, elle est une Fileuse.
A travers ces métamorphoses, elle demeure l'in-
comparable magicienne dont les regards affolaient
tous ceux qui la connurent. La souplesse de ses
gestes, la grâce de ses attitudes, la diversité
d'exfiressions de ses traits, sont irrésistibles. On
conqirend l'ivresse qu'éprouvait Romney à la
L'ART ET LES ARTISTES
GAINSBOROUGH — portrait de georgiana, dixhesse de devonshire
(Collection de Lord Spencer)
93
L'ART ET LES ARTISTES
peindre : touiours changeante, toujours jilus l)elle.
capable ainsi de jouer tous les rôles, inventant sans
cesse de nouvelles armes de séduction. Prête à se
donner, et se refusant tout à coup, rieuse, les
lèvres ardentes, les \'eu\ alauL'ius, et soudain.
plus grande j)artie de l'étc, je serai pris par des
tableaux d'après la divine dame : je ne puis lui
donner une autre épithète, car je la juge supérieure
à toutes les femmes. J'ai deux toiles à peindre d'elle
pour le prince de Galles. Elle dit qu'elle voudrait
HEXRY RAEBL'RX — portrait de m" m. -h. lazarus
(X.Ttional Gallery, Londres)
comme si elle se voilait d'un nuage, devenue loin-
taine, les yeux baissés, gravement, toute son âme
rentrée en elle-même. Son âme !
Le bon Romney y croyait-il lui-même, si aveugle
qu'il fût ; on se le demande. L'emprise, en tout cas,
du modèle sur le peintre était complète et tenace.
«A présent, écrit-il à Hailey en 1791. quelque
temps avant le mariage d'Emma, et pendant la
vous voir avant de quitter l'Angleterre, c'est-à-dire
au commencement de septembre. Elle m'a demandé
si vous n'écriviez pas ma vie ; je lui ai répondu
que vous aviez commencé à le faire : alors, a-t-eUe
dit, elle espère que vous aurez beaucoup à dire
d'elle dans cet ouvrage, car elle est fière de me ser\ar
de modèle ». Et encore, en juillet : « Je consacre
tout mon temps à cette charmante femme, car elle
94
L'ART ET LES ARTISTES
.AWREXCE — PORTRAIT DE FEMME (dessin»
(Musée du Louvre)
95
I.'AKT KT IHS ARTISTES
a k- prdjrl (le (luittrr hi
\-illc a\iT Sir William
pour ilriix ou trois se-
maines. Ils sont très
occupés en ce moment
]iar les préparatifs de
lem" prochain mariage
et tout le monde la
recherche et parle
d'elle : de sorte que si
elle n'a\-ait pas jilus de
bon sens que de vanité,
cela lui ferait tourner
la tète ". Il a alors
quatre portraits d'elle
sur le chantier, mais
elle s'éclipse, se marie,
quitte l'Angleterre ; les
tableaux demeureront
inachevés, Romney ne
la reverra plus.
Sans sa rencontre
avec I.adv Hamilton,
Romney n'eût pas été,
à mon avis.le délicieu.x
artiste que nous con-
naissons. Mais la plus
granile partie de son
(eiivre était accomplie
déjà, dira-t-on, et sa
situation était faite.
C'est exact ; mais je
donnerais liieii tout ce
(ju'a jieint Romney
jjour ses seuls portraits
de l'enchanteresse. Elle
jouerait, aux regards
(cuvre, et ce n'est pa:
suggérer
THOMAS GAIXSBUROUGH — étude .\rx
DEUX CR.\YOXS POUR LE PORTR.MT DE L.\
DUCHESSE DE DEVONSHIRE
(British lliiseum )
sentait l)ien le rôle qu'elle
e la postérité, dans son
]iour rien qu'elle faisait
ar Romney à Hailey de lui réserver dans
la vie du peintre la place à laquelle elle savait
qu'elle avait droit, à laquelle, vraiment, elle a droit.
Raeburn, lui, diffère grandement de Romney. Il
est, dans cette école de portraitistes de carrière,
et, par suite, contraints à satisfaire les exigences de
leur clientèle aristocratique, un talent plus âpre,
plus énergique. Les grands succès mondains de ses
confrères anglais, il ne les connut jamais, il ne les
rechercha pas non plus. Reynolds n'avait pas à
redouter en lui un concurrent, comme Romne\-.
Il le protégea donc et s'intéressa à lui. Quand, après
avoir conquis une certaine notoriété à Edimbourg,
Raeburn vient à Londres pour se perfectionner dans
son art, c'est Reynolds qui l'accueille, cjui lui con-
seille il'aller en Italie :
Il Jeune homme, lui
dit le président de la
Royal Academy, je ne
connais rien de votre
situation de fortune ;
les jeunes peintres sont
rarement riches ; si
vous avez besoin d'ar-
gent pour continuer vos
études à l'étranger, di-
tes-le, et vous n'en
manquerez pas. » Rae-
burn déclina l'offre : il
avait épousé à l'âge de
vingt-deux ans une
comtesse Leslie, plus
âgée que lui de douze
ans, et fort ■ iche, dont
il s'était épris.
A son retour d'Italie,
il se fixe de nouveau
dans sa ville natale, et
des années durant il ne
reçoit pas moins de trois
ou quatre modèles par
jour dans son atelier.
Sa joie, c'est de peindre
les visages et les mains;
les draperies, les détails
de toilette l'ennuient et
l'embarrassent, il éprou-
ve plus de difi&culté à
modeler le pli d'une
étoffe qu'à traduire une
expression. Il y a dans le talent de Raeburn une
espèce de gravité, de ton sérierrx, dont l'époque offre
peu d'exemples. C'est un scrupuleux et un réfléchi,
qui hait les conventions de coquetterie, qui ne
cherche pas à plaire ; aussi les portraits de femmes
sont-ils les moins nombreux dans son œuvre ; ils
n'en sont que plus précieux, tels le portrait d'une
Lady Hamilton, celui de Mrs H. W. Lauzun, et
\a. Femme au grand chapeau de la National Gallery,
comme aussi l'admirable portrait de Lady Stewart
de Coltness de la collection F. C. K. Fleischmann,
qui fut ime des toiles les plus remarquées à l'expo-
sition franco-britannique de l'année dernière.
Raeburn affectionnait particulièrement ces poses
sans apparat, ces physionomies saines et simples
de grandes bourgeoises anglaises. On comprend,
par suite, si l'on y ajoute l'impression, je ne dirai
pas déconcertante, mais un peu... décevante, que
devaient éprouver ses contemporains et ses com-
patriotes de deux ou trois générations après sa
mort devant l'exécution u martelée, plaquée en
96
L'Al'JT ET LES AimSTES
masses, parfois triviale .>, qui lui est coutuiuière,
on comprend l'indifférence où il fut tenu en Angle-
terre jusqu'il >■ a une trentaine d'années. Son-
geons qu'il ne fut admis à la Royal Academy qu'en
1815 — il avait alors cinquante-neuf ans ; il mourut
en 1823 f le roi George IV, voyageant en Ecosse,
lui avait donné en 1822 le titre de Sir, et quelques
mois avant sa mort l'avait nommé : « son peintre
pour l'Ecosse '.
John Hoppnerestle dernier grand portraitiste de
l'École anglaise du xviii'' siècle. Ne en 1750 et
mort en 1810, il est en pleine possession de son talent
et de sa gloire, du vivant déjà de Re\nolds, car à
peine âgé de vingt-quatre ans, grâce au patronage
du prince de Galles, plus tard George I\', il était
déjà considéré comme un des jeunes peintres sur
qui l'on pouvait former les plus belles espérances.
A trente ans, il était marié avec la délicieuse Phébé
Wright qui était le modèle favori de maint peintre,
l^armi lesquels Benjamin West, et, malgré la rivalité
de Reynolds, de Gainsborough et de Romne\ , il
avait déjà exécuté les portraits
du duc et de la duchesse d'York,
du prince de Galles, du duc de
Clarence, qui devait devenir Guil-
laume IV, et de quantité de person-
nages illustres. De sorte que, quand
Reynolds, à la mort de Romney, fut
nommé peintre ordinaire du roi, la
faveur dont Hoppner jouissait déjà
ne fut en rien diminuée : Reynolds
eut le titre, Hoppner la fonction.
On était en 1785. Deux ans après,
Lawrence déliutait à l'-Acadéinic
avec sept portraits qui lui valurent
le plus vif succès. L'attention de la
Cour se porta sur lui : Hoppner
sembla dédaigné. Officiellement, ce-
l)endant, rien ne fut changé ; mais
tandis qu'il continuait à s'intituler;
« Portraitiste du prince de Galles »,
Lawrence prenait le titre de « Portrai-
tiste ordinaire de Sa Majesté ». Com-
me naguère pour Reynolds et Rom-
ney, la Cour et la ville furent divisées
en deux camps, les admirateur>
d'Hoppner, les partisans de Lawrence ,
et tandis qu'un venimeux critique
traitait Hoppner de « filou », un autre,
en vers alors, le saluait connue un
soleil levant qui allait éclairer le
monde do ses raxons et donner à
l'univers la joie de contempler en
sa ])ersonn<> un autre Reynolds. La
bataille fut chaude et dura pendant des années.
Lawrence, de son côté, raconte-t-on, gardait le
silence ; le tempérament ardent d'Hoppner s'en
excitait davantage : « Les dames de Lawrence,
disait-il, font preuve d'une éclatante perversion du
goût, et pèchent contre la chasteté morale et j)ro-
fessionnelle », ce qui n'empêchait nullement Icsdites
dames d'envahir l'atelier du rival d'Hoppner. Cette
animosité virulente, Hoppner la conserva jusqu'à
son dernier jour, et les démarches de Lawrence,
venant jn-endre de ses nouvelles durant sa longue
maladie, ne faisaient que l'irriter davantage ; il
les attribuait à l'impatience que devait éprouver
Lawrence d'ap])rendre sa mort. Étrange attitude
de la part d'un homme que ses contemporains
nous montrent connue une nature loyale, à l'esprit
libre, au cœur généreux, aussi (lé]K)uillé de ])ré-
jugés que pût jamais l'être un .Anglais.
Mais tout ceci nous imjHJrte relativement peu.
L'ceuvre d'Hoppner est ce qu'il est. c'est-à-dire
l'univre d'un jieintre de la fenune digne de prendre
place à côté des meilleurs de sou pa\s. Il a uni'
virtuosité nK-rx-eilleu-e, une aisance cpu enchante.
Fï^ '■•^j
1
H^K^
J
S
1
t)ll
N lit )1T'NER — i.vuv c.vKoi.i.NH i.\.mh
(Cullcctiiin Spencer)
97
L'ART ET LES ARTISTES
même dans ses toiles les plus maniérées, une espèce
de laisser aller, de liberté d'allures charmants.
Les femmes d'Hoppner, comparées aux femmes de
Reynolds, de Gainsborough, de Romney, restent
les femmes d'Hoppner. Elles ont un charme parti-
culier, un peu superficiel peut-être. — on l'accusait
déjà de son temps de rechercher la joliesse quand
même, — mais incontestable et spécial. Puis,
Hoppner est, en regard de Lawrence, le dernier grand
|iortraitiste, on peut le dire, de tradition anglaise.
11 a su. lui. connue Reynolds et Gainsborough,
remonter aux sources, à Van Dyck. Il a, aussi,
leur dignité, leur respect de l'art. Il sait donner la
vie à ses modèles, cette vie conventionnelle de la
peinture qui est comme une seconde vie, plus in-
tense que la vraie peut-être, plus durable en tout
cas. Hoppner, quand il réussit, quand il est \rai-
ment lui-même, apparaît l'égal des plus grands,
bien supérieur, certes, à Lawrence. Avec lui tinit
l'âge héroïque de l'Ecole anglaise de portrait.
Avec Lawrence, la déca<lence conuiience. « .\u
grand st\'le de Re\nolds et de Gainsbc)rough, dit
tort justement M. Gustave Geffroy, se substitue
de plus en plus une manière, une sorte d'habitude
graphique d'inscrire par le dessin, en quelques
touches rapides et superficielles, une attitude et une
physionomie. La jeunesse heureuse, le précoce
génie de Lawrence, ruinent du [ireniier couji les
réputations établies et les vieilles gloires. 11 n'y
aura plus désormais, en Angleterre, pen<lant
trente ans, d'autre fornuile que la sienne. »
Lawrence est l'habileté incarnée et toute sa
science est la science de l'artifice. Ce qui avait fait,
ce qui lait encore la gloire de l'Ecole anglaise
avant lui, c'était sa compréhension noble et élé-
gante de la vérité, cette distinction vraie, sincère,
humaine, cette probité devant les manifestations
de la vie. Ses maîtres avaient donné le plus bel
exemple. Lawrence, hélas ! ne le suit pas. « Toujours
et partout il triche. La beauté simple ne le touche
pas. Il veut la femme élégante et distinguée, il
lui donne des colorations lymphatiques, roses,
bleues, creuses surtout et sans dessous. Et les
femmes ainsi travesties se trouvent ravissantes.
Il a le culte de la toilette. Les falbalas, les fourrures,
les velours, la taille plus ou moins haute, le chignon
plus ou moins relevé, des bandeaux ou des spirales,
voilà ce qui le préoccupe d'abord. Ce n'est plus
Gainsborough ni Reynolds, mais particulièrement
le premier, ne reculant devant aucun caprice de la
mode, et trouvant néanmoins d'une façon si rapide
et si sûre les grandes lignes qui l'affranchissent de
son caractère éventuel. Sir Thomas Lawrence, au
contraire, invente la mode de demain ; il fixe sur
une toile qui durera des siècles un ajustement, une
coupe d'habit qui ne durera qu'un jour. » Ce juge-
ment, qui paraît sévère d'abord, d'Ernest Ches-
neau, ro])inion actuelle le confirme : la mise à sa
vraie place il'un peintre comme Raeburn, trop
longtemps dédaigné, est là pour le prouver. Auprès
des fadeurs de Lawrence, les accents un peu rudes
parfois, mais si sincères, si humains du maître
écossais ont une saveur réconfortante.
On objectera peut-être, en faveur de Lawrence,
le changement du temps et des mœurs. Mauvaise
excuse, l'n grand artiste, quelle que soit l'époque
iiù il vit, saura toujours en dégager l'âme. Les
modèles de Lawrence étaient les mêmes, d'ailleurs,
([ueceux de Reynolds, de Gainsborough, de Romney
et d'Hoppner. Les traditions, dans un pa\'s comme
l'Angleterre, ne se modifient pas en quelque
cinquante ans. Les hauts personnages qui posaient
dans l'atelier de Lawrence, les grandes dames qui
se faisaient peindre par lui, n'avaient sûrement
l>as perdu les traits essentiels de psychologie et de
race que les devanciers du peintre avaient si bien.
si finement et si noblement su démêler.
Lawrence est le type du peintre cosmopolite, en
qui s'effacent de plus en plus les caractères domi-
nants de la famille humaine dont il fait partie pour
être remplacés par des caractères généraux, pure-
ment artificiels et momentanés d'ailleurs, composés
d'éléments hétérogènes presque impossibles à isoler.
Les vrais grands maîtres sont ceux qui instinctive-
ment sont le plus de leur pays et de leur temps ; on
dirait qu'une cristallisation se fait en eux de toutes
les idées, de tous les sentiments, de toutes les
crovances, de tout l'idéal inconscient des généra-
tions et des générations qui les ont précédés et des
générations au milieu desquelles ils vivent et
meurent. La grandeur de l'École anglaise du
xviir' siècle est faite surtout de cela. Née d'un
coup, si l'on peut dire, elle a en elle une puissante
vitalité, simplement parce que des hommes se
trouvent qui, quoique contraints d'avoir recours,
pour s'initier à l'art, à des maîtres étrangers,
veulent être et sont délibérément anglais. Gains-
borough, par exemple, dans l'ensemble de son
leuvre, n'est plus grand que Reynolds que parce
qu'il est plus Anglais, que parce qu'il nous donne,
il'une façon générale, une vision plus complète,
|>lus ex])ressive, de l'individu anglo-saxon.
G.\BRIEL ^lorKEY.
98
Le Mois Artistique
Exposition- de Peintres et de Sculpteurs,
sous LA présidence d'Auguste Rodin {Galeries
Georges Petit, 8, rue de Sèze). — C'est certainement
une des plus belles du mois. Tous les artistes con-
viés ici sont en pleine possession de leur talent,
tous ont fait leurs preuves. Et s'ils gardent encore
assez d'inquiétude pour ne point se figer en une for-
mule, ils ont du moins dépouillé toute âcreté dans
leur recherche et ils ne gardent aucune compromis-
sion avec certaines exagérations furieuses qui se
prennent pour de l'intransigeance. Ils sont calmes,
mesurés, apaisés. MM. Albert Besnard et Rodin
triomphent. Les Cygnes du premier, la Main et
le Nu du second étonnent par leur plénitude,
leur jeunesse, leur chamie, leur lumière. Blanche
et Walter Gay sont un peu froids, mais d'un métier
magistral. Le Sidaner est tout simplement adorable ;
à côté de sa souriante maîtrise, les essais des poin-
tillistes paraissent de, misérables jeux de pédants.
Quoi qu'il peigne : des fenêtres ouvertes, des soleils,
le seuil d'une maison de campagne, il donne aux
objets qu'il interprète une intimité quasi humaine,
une vie seconde et magnétique, quelque chose de
voluptueux et de mystérieux, dont il garde le secret.
Tout l'envoi d'Henri Martin, notamment l'Église
et le Portail, est tout à fait admirable. Que dire
qui ne soit déjà dit, et souvent même à cette place,
d'Aman-Jean, si suave; de Claus, ce maître des
saisons; de Cottet, physionomiste âpi"c et sincère
des figures résignées et intenses du littoral breton ;
de Dauchez et d'Henri Duhcm; de La Gandara,
dont une étude de chrysanthème atteste l'impec-
cable technique; de Griveau, de La Touche, de
Mcnard, de Lucien Schnegg, de Lucien Simon,
du prince Troubetzkoï et de Mlle Jane Poupclet.
tlont les nus pleins, ronds, solides, vivent d'une vie
si ramassée? Presque tout est cxcclK-nt.
Exposition Clément F.aller, 1S19-1901
{Galeries Bernheim jeune, 15, nie Riche pancc). —
Certes ce peintre, dont il est parfaitement juste cpu'
l'on tente aujourd'hui une réhabilitation, mieux,
une révélation auprès du grand public, n'a ]ioinl
les qualités qu'il tient ou semble tenir de quelques
maîtres, au même degré que ces maîtres. Monticelli
travaille à même une pâte plus épaisse et plus riche,
plus savoureuse, plus méridionale. Corot est plus
perlé avec moins de mollesse.
Les impressionnistes ont été ])lus loin dans la
logique de leur audace. En un mot, ses rêves ont
été un peu supérieurs à leur exp^ression. Mais, tels
quels, ils le possédaient avec une si grande inten-
sité que, même trahis par une facture un peu vagiie
et un peu sommaire, où flotte l'allusion incon-
sistante d'un état d'âme plutôt que ne s'impose
sa suggestion par des moyens techniques irrépro-
chables, tels quels, ils n'ont pas perdu la majeure
partie de leur charme et de leur exquisité.
Clément Faller, malgré le côté un peu romance.
un peu illustration d'une partie de ses œuvTes,
restera le poète idéal de la vallée de Che\Teuse et
certains de ses sous-bois, de ses nus, de ses fleurs,
de ses crépuscules, de ses brouillards, garderont
toujours leur séduction mélancolique, leur discrète
suavité.
Première exposition de la Société des
Peintres et Gr.weurs de « Paris » {chez
Dcvambez, 43, boulevard Malesherhes). — Voici les
poètes de Paris. Quoiqu'ils ne soient pas tous Pari-
siens ni même Français, ils comprennent si bien
l'atmosphère unique de cette cité que, malgré des
différences dues à leur tempérament individuel,
ils gardent, en exposant ici, je ne sais quel air de
famille assez singulier, grâce auquel Steinlen et
Lepère, les incontestables rois du Paris populaire,
ne sont pas si éloignés qu'on pourrait le croire de
Jules /Vdler et de Gaston Prunier, d'Ernest Vau-
thrin et de Luigini, de Chapuis et de Gillot. Frank-
Boggs a compris les quartiers jjopulaires avec une
verve savoureuse qui n'exclut ]ias luie àpreté
d'aquafortiste à la Whistler et à la Brangwin.
M. Eugène Béjot montre des vues du Luxembourg,
des quais et des ponts d'une exécution et d'un sen-
timent qui ravissent. Et je ne connaissais pas
M. Garnot (Saintc-Farc), mais ses paysages mont-
martrois sont d'un peintre de talent, de vision origi-
nale, d'un faire vigoureux, agréable et large à la
lois. Jlais la force, l'observation, l'âpretc satirique,
le sentiment populaire, l'habileté du maître graveur
et peintre Lepère dominent, emportent et résument
tout le reste.
Peintures de Pierre Lapkade {Galeries Drucl,
20, rue Royale). — Quelques natures mortes, telles
que la Pie, Grenade cl fleurs. Fleurs cl citrons.
99
I.'AKT ]-:t
,KS ARTISTES
sont là (i)iiiiiic ])(iur i.léiiujutriT que. quand il xcut,
cet artiste, très doue d'ailleurs, se joue des diffi-
cultés, dessine bien et pousse jusqu'au détail sans
rien perdre du charme iniléuia1>le qu'il doit à sa
spontanéité. ;\Iais elles ne font que davantat;e
regretter cjne toutes ces qualités n'aient ]X)int été
emplovées à l'exécution de la série des 1 lies tic
Florence', qui sont véritahleuient trop sonuiiaires.
Elles gardent de l'esquisse la lièvre, la hâte, l'ina-
chevé parfoi; très séduisant. VA \'(v\\, inal,i,'ré lui,
comf)lète la li,L,'ne interrompue, accentue les indi-
cations de tons, achève l'ceuvre. Cependant, toutes
ces toiles sont présentées comme des tableaux délî-
iiitils : leurs diiiiensions ne ]icrmettent pas de s'\-
lioiiqu'r. lùicoie une fois, si M. Pierre Laj)rade ne
■-axait pas liiiir. on ne regretterait rien. Mais il suif.
Alors, coniiiir rinpothèse de ))aresse est inadmis-
sible, })eut-etre faut-il penser (lu'il est une des vic-
times de plus de la théorie ipu coiilond le léché a\'ec
le fini et (]ui, par horreur de'- ieii\re> piinci\-es,
interdit en art tout ce (pii dépasser, lil l'éliaiiche et
la suggestion. Dangereuse théinie, dont di\-raient
plus particulièrement se garder des peintres aussi
charmants et aussi fins que .M. Pierre I,aprade.
Exposition pe 32 tabi.iî.mx de G. ((urbet
(Galeries Beriiliciin jeune cl (ic. 15. nie Richc-
pance). — Au fur et à mesure que l'on oublie com-
bien les idées de Courbet furent sinon funestes,
du moins enfantines, comliieii ses rêves et ses illu-
sions furent iiiescpiins, son art s'imjiose de ])lus en
plus, comme par un moux'ement inverse, chaque
jour plus solide, plus magistral, plus classique. C'est
un bien beau peintre, une gloire de l'art français
contemporain.
Que ses paysages soient sombres malgré leur riche
matière, cela prouve simplement et qu'il choisis-
sait des sites sombres et qu'il ne fut point ébloui
]iar les prestiges de l'Inrpressionnisme. Sa bruta-
lité fut toute dans ses paradoxes, car bien peu de
gens pourraient avoir de telles délicatesses dans
l'observation et dans la touche. Son naturalisme
grossier, encore une plaisanterie. Regardez son
Renard dans la neige, et dites s'il n'y a point là
dedans une divination, une subtilité, une rareté
d'impression qui ne peuvent appartenir qu'à un
très authentique poète. Quant à la théorie qui veut
fpie Courbet ait peint d'un pinceau égal et dans
une ])câte indifférente n'importe quoi qui tombait
devant son chevalet, il faudrait tout de même en
faire justice. 11 serait plus exact de dire que Courbet
élève au style (uniquement d'ailleurs par l'extra-
ordinaire perfection de la matière et par le rendu
de la vie) le moindre objet. Mais si la fougue de
son esquisse, la science de ses plans, l'émail plein et
comme indestructible de sa couleur lui constituent
une sorte de monotonie, pour qui sait voir, au dessous
de cette apparence se discernent des différences
importantes : Courbet comprend le volume pesant
d'une vague comme la chair grasse et blanche d'un
camélia, la peau savoureuse d'une blonde comme
la fourrure électrique d'un fauve, et lorsqu'il
peindra Berlioz il montrera qu'il sait aussi com-
jirendre les ravages que font sur une figure d'homme
les excès de la vie intérieure. N'est pas réaliste
qui veut, de cette manière-là. F. JI.
MEMENTO DES EXPOSITIONS
nniil r,iliu\ (lu Ctiuoun. hiftptijii,. -
peintrt-s i-t smlpteurs de chevaux.
K.xi„
Ahazcir d' Ëté, int.x C/Hitups-Élysécs. — Salon biennal de la
Société des Amateurs [Arts et Caiitas), œuvres de
princes, princesses et notabilités étrangères.
l'nvilton de Mai^an (Louvre). — Exposition de la Dentelle
de France et du Velours Grégoire, avec le enncours
d'amateurs h'onnais et j^arisiens.
Terrasse de l'Oi iiiii;ri ic. — Expositiim des Artistes indépen-
dants.
.-J/(V Tiiilciii^. .salle du Jeu de l'iiinne. — Exposition du
costume.
Ihill de la '■ Dépêche coloiuale . me .•<aiiil-Ge<>ii:t.s, ly. —
Cinquième exposition des arts de la mer.
Galeries G. l'ctil. S. rue de Scze.
— Exposition F. Picabia.
— Pastels de Victor Bourgeois.
— Aquarellistes français.
— Peintures de R.-A. Ulmann.
— Chiens connus et inconnus de Miss ilaud Earl.
— l'iicsdc l'V'H/.sf d'Abel 1 ruchet.
— A.iuarelles de Mathilde Sée.
— X'ingt-cinquième exjiosition des Pastellistes français.
Galerie Bintssod et Vntndon. 24. boulevard des Capucines.
— Exposition des dessins en couleurs de P. Chapuis.
Hue Sainl-Honoré, 416. — Exposition d'artistes femmes
jieintres et sculpteurs.
Galerie de l'Art contemporain. 3. rue Tronchet, à l'entresol.
— Exposition de peintures et dessins de A. -M. Le Petit ;
sculptures de .\.-J. Halou ; grès au grand feu par
X. de Barck.
Galciie Danthiin. 70. boulevard Malesherbcs. — Dessins
aux trois crayons de Tristan Richard.
Galerie Liigène Blot. 11. rue Hichepance. — Peintures de
Briaudau. Deltombe et Ottmann.
Théâtre Méeisto, iS. rue Saint-La:are. — Salon annuel des
chemins de fer.
Galerie Henry Graves. iS. rue Caumarlin. — Exposition
Albert Lechat.
Galeries Bernheim jeune et Cie. 15. rue Richepance. —
Exposition T.-E. lîutler.
Le Mouvement Artistique
à l'Étranger
ALLEMAGNE DU SUD
^ 'exposition (le printemps île la SecesMon iniinichoise
1-* est d'une admirable tenue. Pourtant jircsque tous 'es
maîtres du groupe en sont absents, sauf M. de Uhde, dont
un tableau désorganisé et désharmonisé, selon sa dernière
manière, ne peut que continuer de nuire à la réputation,
et M. de Habermann, au contraire toujours en posture de se
surpasser lui-même. Chez M. de Uhde. ce sont les éternelles
mêmes jeunes filles, balafrées des éternelles mêmes clartés
[Soleil a' après-midi), dans les éternelles mêmes verdures
\ irulentes, de l'éternel même jardinet citadin. Et tous ces
sempiternels recommencements, exécutes sans soin comme
ans poésie, de la même touche lâchée et batailleuse, qu'il
'agisse d'une robe, d'un visage, d'un arbuste, du gravier
■ 'u d'un chien. M. de Habermann est un raffiné du dessin,
de la touche, des harmonies rares, et surtout un connais-
seur de la femme, égal J^resque à Rops et du même goût
que M. von Keller. Anguleux et arrondis à la fois, écrits
tl'une façon hiéroglyphique, sommaire et pourtant com-
jilète, ses nus portent la date de demain sinon d'aujourd'hui
et leurs arrangements sont bien à lui. Il commence du reste
.1 faire école : l'appétissante adolescente, nue dans une salle
à man.ger à la lumière discrète, de M. Paul Roloff ned.écline
]ias la parenté avec ses habituelles façons d'indiquer l'ana-
tomie par de souples, longues et agiles traînées d'un pinceau
bien chargé de matière, retrouvant chaque valeur de même
espèce sur les retours du même plan. Dans la même pro-
portion, M. Hans Lesker subit l'influence de M. Herterich,
plus encore dans sa vieille femme que dans son portrait
de dame en gris. C'est bien le jeune homiue allemand
moderne, tel que le façonnent les sports et nos tailleurs
avec leur<> étoffes neutres, qui nous est présenté jiar M. Karl
Schwalbach. Seuls M. Bernard Boutet delVIonvel et ipielques
Anglais ont su envisager le même type, dans leur [lays, avec
une certaine poésie, et !e réaliser d'une façon décorative
et de grand style austère. L'.Mlemand a trop le culte de
la force jiour ne pas croire trop souvent à l'omnipotence
de la brutalité et, en peinture, de la crudité violente. Ht
cependant ici même il est des portraitistes qui s'essaient
avec bonheur aux subtilités des lumières dégradées et
des harmonies exquises dans les intérieurs intimes; voir
par exemple la petite brodeuse dans les verts, bleus et
rouges de M. Fritz Ilass ; l'.Xndalouse aux couleurs écos-
saises de M. Willy Gciger ; l'étude dans les gris, roses et
blancs, de M. Wilhelm Gallhof ; la jeune fille devant une
porte, dans une atmosphère nacrée, deM. Joscf Knhn /»»«))-.
Les tableaux composés, les grandes symphonies des cory-
phées de l'école, les Stuck et les von Keller, sont natu-
rellement réservés à l'exposition internationale de cet
été ; mais les paysagistes sont là au grand complet. M. .\1-
bert Lamm n'a, grâce à Dieu, pas finid'explorcr la contrée
sévère, toute rocheuse et forestière de Muggendorf, qui eût
l)lu à Courbet, car c'est ])cinr la eonstrui tiou géologique une
véritable vallée de la I-oue, moins la vigne, et du reste de
tous points plus âpre, plus germanique, plus du Nord. Les
décorateurs de Bayreuth, tout proche, ont pu s'en inspirer
pour la mise en scène des Nihelun»en. M. Cari Keiser
ne délaisse pas davantage l'alpestre Partenkirchcn et il
a fini par s'assimiler assez bien l'indigeste van Gogh, qui
lui vaut parfois, aujourd'hui, cette naïveté délicieuse des
vieux grands bons enfants : témoin sa vue à vol d'oiseau
de la vallée de la Loisach, et ses morceaux de montagnes
passés, en l'air, au tamis des frêles verdures printanières,
puis, plus bas, posés solidement sur les tapis de populages,
au.K verts humides et gras, ponctués de jaunes, intenses
comme des œufs mollets. ,M. Julius Schulein, comme
M. Hayek, s'en est allé du côté de la Bretagne, et ra])])orte
de Pont-r.\bbé des motifs traités tout à fait à In façon
école écossai.se. De M. Hayek, au contraire, il y a des des-
sins bretons, d'une fougue et d'une caractéristicjue toutes
allemandes. Je ne sais rien qui soit plus intéressant à
comparer au.x travaux des artistes autochtones q\ie eeu.x
des étrangers en voyage : leur vision est tellement autre,
des choses (jue l'habitude a déformées pour nous, i'elle
petite ville d'.Mlemagne. Kothcnbourg, par exemple,
que nous ne savons jilus voir q\i'à travers les dessins des
Angelo Jauk. des Wilhelm Schuize etdes Matliias Schiesstl.
a])parailrait. visitée et jieinte par \iu Cl.uide Mouet. un
Le Sidaner ou un Albert Baertson. à (leu luès dénatio-
nalisée.
Deux expositions ])ostluunes et une douzaine de tableaux
de Cézanne, peu convaincants, achèvent di- donner sa
[ihysionomie ]iartic>diére à cette exposition. II. Hrauu.
de Carlsruhe, fut un merveilleux dessinateur de vieilles
villes. 11 sut manier le fusain et la craie, pour traduire les
façades déjetées et les vieux ])làtras, ]ircscpie aussi bien que
Menzel dans ses notes de voyage. 11 a l'art il'adapter ce
dessin, si vigoureux et si relief, à des papiers d'emballage,
(]ui s'accommodent aussi bien de la surcharge noire des
plus intenses lithographies et eaux-lortes de Storm van's
(navesande, que des plus légers frottis et nuages de celles
de Whistler, Vibrants île lumière ou lourds de la suie dos
siècles, ses vieux murs ont une physionomie. Un don
de la mise en scène fantastique le rapiirochc aussi de Victor
Hugo dessinateur. Un palier d'escalier en délabre, éclairé
par une lanterne, dont l'ombre de l'armature se casse
aux parois et à la voûte, mérite d'être signalé parmi les
plus saisissants d'entre ces beaux dessins, qu'il faudrait
décrire à la façon de la Jacressarde et de la ruelle Coutan-
cliez dans les Tin-.aillciirs de la Mer. Les canaux de Ham-
bourg et le dôme de Cologne l'ont aussi magnifiquement
inspiré. l'"t nul mieux que lui n'a rendu la désolation des
lourdes pluies sur les masures suspectes. Parfois il usait
L'ART ET LES ARTISTES
d'une matière luiileuso. otciuliif avtc des pinceaux très
durs, sur surface polie, pour obtenir de véritables mono-
types, et les résultats de cet étrange procédé ne le cèdent
en rien à ses plus beaux fusains.
Rudolf Wilke. de Munich, fut un caricaturiste, jadi^ de
Jit!;end, dernièrement de Simplicissimiis, d'une causticité
de trait, d'un ascétisme de manière peu divertissants,
mais bien cruellement, volontairement rosses. .•Mors on
s'étonne parfois de découvrir auprès de ses vagabonds
quelque plant de digitale, ou, en arrière, un paysage char-
mant, dessinés avec une complaisance où se trahit encore,
par contraste, la misanthropie. Quelquefois aussi ce sont
les lessiveuses au bord dn lac de Garde, si finement goua-
chées, de très brèves notes de voyage ; moulin à vent de
la 1-rise orientale, des panoramas alpestres où l'arabesque
des montagnes, légèrement lavée d'aquarelle, l'a intéressé
comme le profil d'un visage.... Et l'on n'en retombe qu'avec
plus d'amertume au milieu de ses faiseuses d'anges, de ses
Lumpoi. de ses .\grariens et Aristocrates, et de tout ce
monde crapuleux des hautes et des basses couches qu'il
a exprimé avec une haine clairvoyante et satisfaite,
en des traits arachnéens de minceur, dont chacun a été
étudié avec les mêmes patience et rigueur que mettait
Wilhelm Busch à la lente, la savante élucubration de
ses célèbres satires. Mais Busch était un obser\-ateur mali-
cieux, plein de nanjuoiserie et de belle humeur, tandis que
je ne sais pas un feuillet de Wilke devant lequel on ait
seulement envie de rire. William Ritter.
ITALIE
T 'iT.xLiE peut se vanter de posséder aujourd'hui tleu-\
peintres décorateurs assez féconds pour couvrir de
toiles tous les palais sans style et tous les monuments
nationaux sans grâce que. à l'instar de Rome, les villes de
la péninsule dressent partout, comme pour corriger, en
l'amoindrissant de leur mieu.x. la beauté qui peut leur rester
des siècles morts. Les deux décorateurs nouveaux sont
encore assez jeunes pour accomplir la rude besogne de cou-
vrir de leur art plusieurs centaines de mètres de mur. Les
pouvoirs officiels n'en sont nullement effrayés, au contraire.
Et tandis que M. Adolfo de Karolis peint les murs du Palais
Provincial d'Ascoli. son pays natal. M. G.-X. Sartorio
s'apprête à étendre la très longue série de ses couleurs
figurées dans les salles du nouveau Palais de la Chambre
des députés, à Rome.
L'art de ces deux ])eintres a des points de contact, des
analogies même très grandes et très graves. Au point de
vue de l'idée originaire, du mouvement initial qui pousse
tout artiste à chercher " son expression i selon les modes
de réalisation particuliers de son art, les deux décorateurs
.sont deux poètes. Ils chérissent les vastes conceptions qui
se développent en nuage imagé autour de la perpétuelle
source mythique, et restent par là même, l'un et l'autre,
semblables à toute une phalange de peintres de tous les
temps d'imitation. .\u point de vue de la forme, de l'exté-
riorisation plastique de la vision, ils se rattachent l'un et
l'autre, avec plus ou moins d'évidence, avec plus ou mom--
de bonheur, à l'art des préraphaélites anglais.
Chez yi. de Karolis, l'influence anglaise et la dérivation
mythique sont plus fortes. Cependant, dans la stvlisation
de quelques formes autochtones, de marins, de paysans,
et surtout de paysannes, l'art de M. de Karolis atteint un
degré d'émotion souvent très noble sinon très intense. Sa
matière est riche, opulente même, grasse et nuancée, pré-
sentant à la fois : un curieux mélange de souvenirs clas-
siques dans l'ordonnance générale, distribution et groupe-
ment, des sujets ; une recherche personnelle d'élégance
dans les attitudes individuelles, élégance qui malheureu-
sement aboutit [jarfois à une absence regrettable de viva-
cité musculaire et nerveuse ; enfin une volonté toute anglaise
d'intensité expressive dans les figures. L'ensemble de toute
œuvre de M. de Karolis est lyrique et èvocateur, le poète
y apparaît plus suggestif que le peintre, mais l'atmosphère
de rêve créée par le très habile décorateur est puissante.
M. G.-A. Sartorio apparaît à son tour comme étant essen-
tiellement poète. Ses conceptions sont plus personnelles que
celles de JI. de Karolis. Elles sont même d'une complexité
symboliste digne de quelque bon poète de l'école poétique
de transition où elles eussent été en honneur. iL G.-A.
Sartorio est appelé à une oeuvre nationale de vastes dimen-
sions, qui aurait exalté ou effrayé l'habileté ultra-féconde
tl'un Xéronèse. Les décorations de la nouvelle Chambre des
députés seront présentées achevées, paraît-il, aux visi-
teurs <le la capitale italienne pendant les fêtes nationales
<|u'on y prépare pour 191 1. M. G. -.A. Sartorio aura déve-
loppé en couleurs son rêve italien. Rien dans sa conception
n'apparaît vraiment dégagé du fatras allégorique laissé
}>ar les siècles sur les murs des palais publics et privés.
L'exaltation des A'ertus et des Énergies nationales est
mélangée avec celle des deux moments historiques cul-
minants de la vie italienne : le soulèvement médiéval des
Communes et le « Risorginiento ». Deux choreutes de jeunes
filles entourent les deux parties principales de la vision,
tandis qu'une troisième choreute soutient la porte sjTiibo-
lique d'une ville.
Toute composition artistique de larges proportions nous
impose toujours deux termes de comparaison et d'appré-
ciation. L'un est celui de la vision, l'autre celui de l'e.xé-
cution. Xous arrivons ainsi à connaître la •' qualité » de
notre émotion devant l'œuvre d'art, si celle-ci est capable
de nous en donner. La vision de M. G.-.\. Sartorio, consi-
dérée comme un poème ou comme un plan de symphonie,
est sans doute intéressante sans être étonnante : elle ne
sort pas des normes établies par l'œuvre ancienne. Son
exécution est très élégante, mais un peu flasque en même
temps que compliquée par un amour, excessif à notre gré,
de la ligne courbe et de ses combinaisons d'enveloppement
dans les vêtements autant que dans les gestes. Au surplus,
le mouvement exagéré de l'ordonnance générale manque
de sérénité, de cette sérénité typique qui peut concentrer
clans une fresque une impression plastique d'éternité.
M. G.-A. Sartorio pèche par excès de pathétique. Son œuvre
et celle de M. de Karolis nous font penser à celle des
décorateurs français les plus récents, de Delacroix à Pu-
vis de Chavannes et à M. Albert Besnard. Les visions idéo-
Icgiques et très vagues de ce dernier se rapprochent de celles
de Jl. G.-.\. Sartorio, quoique celui-ci soit à coup sûr plus
original et jilus poète. Il est certain que Delacroix et Puvis
n'ont pas trouvé leur égal parmi ces vivants.
RiCCIOTTO C.^NUDO.
L'ART ET LES ARTISTES
ORIENT
/^ONSTANTIN'OPLE. — Ainsi que je l'annoïKjiii daii^ ma
^^ dernière chronique, le Gouvernement Impérial Otto-
man a décidé la réparation de quelques mosaïques dété-
riorées — fort rares, heureusement — de Kahrié-Djami.
cette église-mosquée qui renferme des merveilles d'art
byzantin dont on chercherait en vain l'équivalent à Ka-
venne et en Sicile.
Kahrié-Djami — ancien monastère de Khora — a été
fondée au commencement du \"' siècle, sous Arcadius, fils
de Théodose, qui eut en partage l'empire d'Orient. L'église
monastique fut entièrement reconstruite, à la fin du
XI'' siècle, sous le règne d'Ale.xis I" Comnène. C'est, toute-
fois, d'Andronic II, au commencement du xiv^ siècle, que
datent la restauration et la décoration de Kahrié-Djami
auxquelles cette église — la seule, peut-être, que les Turcs
n'ont pas convertie en mosquée — doit sa célébrité. Elle
est encore, aujourd'hui, considérée comme un des plus
purs chefs-d'œuvre de l'art byzantin, tant à cause de son
architecture extérieure et intérieure que de l'incompa-
rable série de ses mosaïques et des superbes appliques de
marbres gris, coupés de bandes rouges et vertes rayant sa
nef et ses narthex et encadrant, à. l'occasion, les mer-
veilleuses œuvres d'art. Kahrié-Djami est redevable de
cette décoration au fameux Grand I.ogothète d'Andronic II.
Théodore \t Métochite, qui consacra aux travaux plusieurs
années de sa vie pie et généreuse. Une des mosaïques,
faite de son vivant et admirablement conservée, le repré-
sente à genoux présentant au Sauveur l'édifice achevé du
monastère. Avant de mourir, il exprima le vœu d'être
enterré dans l'église monastique, et c'est près de l'autel du
sanctuaire que. depuis '.33.1, le Métochite dort son dernier
sonjmeil.
Sérieusement endommagée en 1894. lors du dernier
tremblement de terre, la bâtisse a été restaurée depuis.
11 n'en a pas été de même des quelques mosaïques dété-
riorées et disjointes par les secousses sismiqucs.
Une description architecturale de l'édifice — même super-
ficielle — nous mènerait trop loin ; aussi le lecteur voudra
bien m'e.xcuser si je ne détaille pas les proportions harmo-
nieuses de la grande nef, en forme de croix grecque, sur-
montée de la coupole, du sanctuaire terminé en abside
semi-circulaire, et la richesse des colonnes et des dente-
lures des galeries du narthex et de l'exonarthcx où se
trouvent, en grande partie, les mosaïques qui nous inté-
ressent.
Ces mosaïques sont nu nombre de quatre vingts environ.
Leur homogénéité les fait remonter au xiV siècle.
Il en est, cependant, — mais elles sont rares, — qu'on
reconnaît être du xi'^ siècle, comme, par exemple, celle du
Christ Pantocraior surmontant la grande porte qui relie
entre elles les deu.x galeries.
La différence de ces époques se distingue aisément.
Sous Alexis I"^ Comnène, i\ous voyons l'art occupé à repro-
duire la beauté en se réglant unifoimément sur les modèles
antiques : nous le voyons, au contraire, sous .\ndronic II,
préoccupé à copier la nature, à remplacer la beauté des
lignes par l'expression des traits, et, rompant en visière
avec les poses convenues, à mettre dans les groupes du mou-
vement et de la vie. En étudiant ces mosaïques, on pense,
malgré soi. à la Renaissance, et l'on acquiert vite la certi-
tude — sans crainte de controverses — qu'on est devant
l'œuvre des artistes précurseurs de cette unique période
d'art qui, durant deux siècles, illustra l'Italie et la France
et à laquelle les noms des Médicis, de Jules II, de Léon X
et de François L'f sont inipérissablement attachés.
Les mosaïques de Kahrié-Djami peuvent être divisées
en trois séries distinctes. Première série : Scènes de la vie
du Sauveur. Cette série comprend trente-huit mosaïiiues.
Deuxième série : Scènes de la rie de la sainte Vierge : série
comprenant vingt mosaïques. Troisième série : Représen-
tations diverses de la gloire du Christ et de la \ ierge Marie,
d'apôtres, de saints, de martyrs : série comiirennnt éga-
lement une vingtaine de mosaïques.
Dans une prochaine chronique je décrirai les principaux
de ces purs chefs-d'œuvre qui, recouverts de badigeon,
enduits de plâtre, furent, pendant plus de quatre siècles,
ignorés par les artistes, ignorés par tous ceux qui ont le
culte du Beau.
C'est en 1876 seulement, la première année du règne
de S. -M. le Sultan actuel, .^bdul Hamid II, que ces mo-
saïques ont été retrouvées et mises à jour. La gloire d'avoir
restitué à la science ces merveilleuses pages revient à ce
monarque qui, depuis son avènement, a rendu aux Arts,
en Turquie, des services aussi éclatants (|ue signalés.
.\iioi riii' lu vi.Asso.
Échos des Arts
Monuments.
l'n cciMUté s'est formé pour recueillu les fonds nécessaires
1 l'érection d'un monument à .\dani Mickiewicz. ipii fut
.1 la fois un des enfants les plus glorieux de la Pologne, un
grand poète et un apôtre ardent de l'idéal moderne. I.'exé
cution de ce monument a été confiée au sculpteur .\ntoine-
fimile Bourdelle. L'importance de cette œuvre est toute
particulière eu ce temps où les sympathies sont si vives
liour les peuples slaves.
Le comité d'action contient les noms des plus illustres
représentants de la pensée contemporaine.
Prière d'envoyer les souscriptions à la rédaction du
Mexuie de l'tuiue. JO. rue de Coudé
V' Victor Xicaise. ?, rue Mollien.
Revue des Revues.
St.^ryé Gody (années révolues). — Revue mensuelle
d'urt ancien, paraissant le 1; j.S de clia(|ue mois. — igoq,
troisième année.
Le te.xte de Staryé Gody étant rédigé en russe, tous les
titres sont munis de traductions en français.
Pri.x il'abonnement jiour l'étranger : îo francs par an.
On s'abonne chez tous les libraires de Saint-Pétersbourg
103
L'ART ET LES ARTISTES
et au bureau de la rédaction (7, Solianoï per) : à Paris,
chez Heuri Lecierc. liliraire, jig, rue Saint-Honoré.
P. P. de Weiner. directeur fou.Iateur.
jK
/.(( SiiiiuliiKirii-. — Revue mensuelle illustrée des
royaumes de Suède. Norvège. Danemark et grand-duché
de Finlande. — Artistiiiue. littéraire, scientifique. —
Rédaction et administration : fi". boulevard Malesherbes.
et 4. avenue de l'Opéra.
Directeur : Maurice Chalhouli.
Abonnements : 6 francs pour la France et S francs pour
l'étranger.
Assiicii:lioii (/(■ r.llliiniti' ailistiqiif , enregistrée en vertu
de la loi sur les Sociétés industrielles et <le prévoyance).
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Fondée en 190S dans le but de permettre aux artistes
de soumettre librement et sans restriction leurs œuvres au
ugement du public.
A l'exposition annuelle de l'Association, chaque membre
est autorisé à envoyer trois œuvres, dont toutes seront
exposées en ."roiqie ou dispersées, suivant le désir de
l'exposant.
Le ditnn'iiic Scili'ii </< Lniidiis de l'Association sera tenu
à Londres, au Royal Albiit Hall, au mois de juillet I9'i9.
On devient membre de l'Association en devenant
acquéreur d'une (ou plusieurs) actions il'une valeur nomi-
nale de 10 shillings (soit 12 fr. 75), et en payant une coti-
sation annuelle d'une guinée (soit j6 fr. 50). En dehors
de cette cotisation, les membres ne peuvent encourir au-
cune rcsponsiibilitc iiécuniaire.
L'administration de l'Association est conliée au comité
de direction élu par les actionnaires.
M. B. — // est df loutc uécciiitf t/iir les altistes ,/esiiaiit
eiienyei /, 7(m- <elieies à f, i f^ontinll ,1e leji).( lassent une
ileilaialleli liiniieJ laie . cal d ne seia aitef'te qu'un iiellihie
liés limite de iioiieeaiix exposants.
Toutes les demaniles de renseignements, adhésions et
versements doivent être adres.sés au secrétaire (l-"rank
Kutter). .Mlied Artists' .\ssociation Ltd.. (<;-hQ, Chan-
cerv Lane. London, W. C.
BULLETIN DES EXPOSITIONS
l'AKls
Gland l'alais, ae,iiue d'Aiiliii. — Dix-uêuviéme exposi-
tion de la Société nationale des Beaux-Arts, du i ; avril
au ;o juin.
Ciaud fatals des Chanif's- l'Uvsees. — Cent vingt-septiéme
exposition de la Société des Artistes tran.,ais, du
I" mal au 30 juin.
fù-ole nationale des lleaux-Aits. — E
xposition
d'art décoratif de nos Ecoles nationales des départe-
ments, en mai.
Salle du Jeu de Paume, jardin des Tuileries. — Exposition
de portraits de femmes au xviir' siècle, écoles fran-
çaise et anglaise, 23 avril,
Piemièrc exposition de la u Contemporaine , société nou-
velle. Pour tous renseignements, s'adresser à M. E.
André, 24, rue Beaurepaire.
Exposition de la Société nationale d'Horticulture, du 17 au
23 mai 1909. Les artistes sont invités à y prendre part
pour toutes œuvres d'art se rattachant à l'horticulture.
Pour tous renseignements, s'adresser au président.
84, rue de Grenelle.
Salon des Assurances. — Première exposition en octobre,
en formation. (Prochainement, renseignements pré-
.cis.)
Galène J. Petit, N, lue de Sèze. — L'œnvie de Rafîaëlli, du
10 juin au 13 juillet.
PROVINCE ET ÉTRANGER
.\nvers. — Exposition d'aquarelles, dessins, gravures,
pastels et sculpture, du S mai au 14 juin.
BiiRLiN. — Exposition internationale des sports, en
avril 1909. sous le patronage de S. A. L le Kronprinz.
Tous arts s'y rattachant. Galerie d'art Keller et
Reiner, Postdamerstrass, n" 122. Écrire directement.
Buenos Avres. — Exposition française des Beaux-.\rts.
du !''•■ juin à fin juillet.
CoPENK.'\GUE. — Au Palais royal de Charlottenbourg.
exposition française d'art décoratif, du 26 juin au
1 3 septembre. Pour tous renseignements, s'adresser
à ^L Roger Sandoz. à Paris.
('■RENOBLE. — Salon de Grenoble. Exposition des Beaux-
Arts organisée par la Société des .\mis des Arts, du
I 5 avril au 15 juin.
I-.\NGREs. — Société artistique de la Haute-Marne. Expo-
sition des Beau.x-Arts et d'Art décoratif, du 31 juil-
let an !'■' septembre.
MiNicH. — Dixième exposition internationale des Beanx-
.\rts au Palais de Cristal, du i" juin à fin octobre.
X.\Ncv. — Exposition internationale de l'Est de la France,
avec section des Beaux-.\rts, organisée par la Société
Lorraine.dll i"^juin à la clôture de l'Exposition inter-
nationale.
Orléans. — Exposition de la Société des Amis des Arts,
du 16 mai au 10 juin.
RoiEN. — Exiiosition des Beaux-. \rts, du I'^ juin au 3 i juil-
let.
Tananarine. — Exposition d'art malgache, comportant :
■sculptures, peintures, tissus, arts de la femme, jouets
et jeux, histoire de l'art, art rétrospectif, etc., en avril
prochain. Pour tous renseignements, s'adresser au
ministère des Colonies.
\ENisE. — Huitième exposition internationale des Beaux-
Arts de la \'ille. du 22 avril au 30 octobre, organisée par
la municipalité.
104
LES GRANDS CHEFS-D'ŒUVRE
Coll. du prince Trivulce. Milan.
ANTOXELLO DE MESSINE — portrait d'ux inxo.x.vu
u
RESQUES DE GAUDENÎ
à Sainî-ChrisîoDhe de Verceil
L'Italie est si riche d'œu\Tes d'art qu'il en est
qu'on oublie. Seules, les dévotes fréquentent
l'église de Saint-Christophe, à \'erceil. Les ama-
teurs ne s'arrêtent pas à MUan sans aller à la Char-
treuse de Pavie, mais ne se dérangent point pour le
chef-d'œu\Te de Gaudenzio Ferrari, qui n'est
guère plus éloigné. Ils sont presque excusables.
Les fresques de Brera et les tableaux de Turin ne
donnent point le dé-
sir bien \'if de con-
naître plus intimement
le maître. La plupart
de ses autres œu\Tes
sont dispersées dans
les bourgades lom-
bardes que la mode
n'a pas rendues célè-
bres comme les villa-
ges toscans. Les plai-
nes du Pô ne sont
point, il est \Tai, très
attrayantes; les riziè-
res qui entourent Ver-
ceil ne valent pas le
profil harmonieux des
collines florentines.
Mais va-t-on davan-
tage à Varallo où se
trouvent une tren-
taine de fresques de
Gaudenzio? Je ne sais
\K)int pourtant de
plus belle vallée que
ce Val di Sesia où les
vertes forêts de châ-
taigniers et les grands
prés fleuris imprè-
gnent les Alpes sévè-
res de volupté et de
LE ^L\RI.\GE DE I,.\ VIERGE
douceur italiennes. En Piémont et en Lombardie,
on ne veut voir que deux ou trois villes et les
lacs. C'est une tradition bien établie, qui sacrifie
l'art et la nature en d'égales proportions.
On reste à la fois dérouté et charmé devant les
di.x fresques de Saint-Christophe.
Gaudenzio Ferrari les exécuta de 1530 à 1534,
au moment du plein épanouissement de l'école ita-
lienne et de son pro-
pre talent. On y rcn-
rontre la plupart des
idées, des formules,
des procédés idu
temps, mais la notion
de la- beauté, le scn-
timent, l'invention
diffèrent à tel point
de cette sorte de ca-
non auquel se sou-
mettaient les artistes
de la Péninsule que
les thèmes religieux
traditionnels en sont
])i"csque entièrement
renouvelés.
Gaudenzio Ferrari
lut assez lent à se
lormer. Il manquait
de cette forte disci-
.iline qui faisait si vite
les artistes florentins
les maîtres accom-
'lis. Il subit long-
icmps l'influence des
Allemands, de Léo-
nard, du Corrège. sans
1 «arvenir à donner une
tornie parfaite à sa
pensée. Ses corps dé-
107
r;ART ET LES ARTISTES
gingandés prenaient des
poses recherchées. Il
semble qu'il se soit effor-
ce d'être original, mais
ses efforts n'aboutis-
saient guère cju'à des
élégances prétentieuses.
Puis ses conceptions de-
vinrent peu à peu plus
harmonieuses et plus
solides ; l'exemple des
grands maîtres de la
beauté classique trans-
forma son style sans lui
enle\'er cette grâce, cette
empreinte particulière
qui font la rare séduc-
tion des ceuvres de sa
matm'ité.
Gaudenzio avait à le-
présenter, sur les mu-
railles des deu.x bras du
transept ,en deu.x grandes
fresques,rAssomj)tionet
le Crucifiement, et, en
huit [rescjnes plus j>e-
tites. des scènes de la
\'ie de la Vierge et de
sainte Marie-Madeleine.
En 1704, lors de la ])ris
LA N.MSS.WCE DE L.\ VIERGE
de \'e
■il
par
le maré-
chal de X'endùme, un boulet ruina à j)eu jirès la
nuuailk' où était peinte la vie de samte ;\Iatle-
leine. C'est une perte irréparalile. L<i Saiiitt-
écoutant la prcdicatioit de Jcsus, dont il reste un
fragment important, est une merveille. Made-
leine est devenue la j)lus belle et la mieux parée
des courtisanes italiennes ; elle regarde lixement
le jeune ^laître (jui lui révèle une vie nouvelle ;
renversée sur son siège, elle est prise tout entière
'par la ])arole divine, le corps absent, ce lieau
corps de volupté qui ne sera plus désormais que
l'enveloppe méprisée d'une âme aimante et chaste.
Nous touchons là au réalisme spécial de Gaudenzio
Ferrari. De même que le Tintoret, il traite délibéré-
ment la peinture comme une scène de la vie quoti-
dienne. IMadeleine est une courtisane milanaise bien
plus nettement individualisée que les portraits
florentins de (ihirlandajo à Sainte-Marie-Xouvelle,
et le décor a une apparence de fidèle vérité. Les
fresques de Saint-Christophe sont de la peinture de
genre au même titre que les tableaux de l'école
Saint-Roch à \'enise, mais Gaudenzio remplace la
brutale violence du Tintoret, dans le sentiment
comme dans la facture, jiar une distinction aristo-
cratique que je ne saurais mieux définir ipi'en la
comparant à celle de \'an l)\ck.
L'examen de Y Adora-
tion des mages est plus
concluant encore. Je ne
crois pas que Gaudenzio
ait cherché à en faire
une peinture religieuse.
Quelques gentilshommes
viennent présenter leurs
dons à l'Enfant-Dieu ;
ils n'oublient pas l'a-
bime social qui les sé-
jiare de la famille du
charpentier ; ils sont ve-
nus à l'étable comme ils
visitent les crèches à la
Noël, avec ime dévotion
un peu hautaine, mise à
la juste place qui con-
vient à leur rang. En
fait, ils ont profité, pour
voir le petit Jésus,
d'une partie de chasse ;
l'un d'eux tient au poing
un faucon ; ils ont ame-
né leurs pages, un singe,
un nain, et ils vont re-
partir pour une brillante
chevauchée. L'Adora-
tion est devenue une
scène de la vie seigneuriale, sans cette stylisation
et cet arrangement qui font malgré tout des
Adorations florentines quelque chose d'artificiel,
d'éloigné de la vérité familière ; et c'est surtout
ime atlmirable collection de portraits, ceux sans
doute de la famille de Giovan-Angelo Corradi,
prévôt de l'église de Saint-Christophe, qui avait
commandé ces fresques.
C'est un milieu plus simpile que nous fait con-
naître la Naissance de la Vierge. Le sujet est con-
sacré ; la \'ierge est assistée par des femmes qui lui
portent à manger et prennent soin de l'Enfant. Le
geste de celle qui mesure la température de l'eau,
repris par Gaudenzio, se trouve dans nombre de
fresques du xiv** siècle. Mais la vérité ici est plus
intime. L^ne plantureuse Lombarde, la gorge décou-
verte, nettoie quelques vases d'étain placés sur une
crédence. Les humbles voisines de l'accouchée sont
venues prêter leurs services, affectueuses, empres-
sées, inconsciemment émues par ce mj'stère de la
\-ie auquel elles ont été présentes ; elles sont engon-
cées dans leur robe de gros drap, la taille enve-
lo]ipée d'un chàle, les cheveux serrés dans un fUet.
Cro\ez-m'en, elles sont toutes nées entre Bergame
et Verceil.
Le talent de Gaudenzio Ferrari est de ceux qui
échapjient aux classifications habituelles, à ces for-
108
L'ART ET LES ARTISTES
RETOUR Dr PRINCE DE MARSEILLE ET SA RENCONTRE AVEC SAINTE >L\K1K-NL\UELEINE
mules générales qui s'appliquent dans leurs grandes
lignes à tout un groupe d'artistes du même paj-s et
du même temps. C'est un réaliste classique, et sans
doute il n'est pas le seul des peintres italiens de la
Renaissance qui n'admette point la vérité sans le
style. Mais il se séjmre d'eux parce qu'il recherche
les vérités particulières dont ne se sont point préoc-
cupés la plupart de ses contemporains. Point de ces
types générau.x, plus sensuels qu'intelligents, qui
peuplent les peintures du .wF siècle ; Gaudenzio
109
L'ART ET LES AimSTES
choisit (les figures de caractère, individualisées,
variées, qui se dificrencient nettement les unes des
autres. Les plus apparentes sont celles du paysan
goitreux et du reître allemand, brute vigoureuse et
joviale, heureuse île sa force physique. Parmi les
autres que l'on remarque moins de prime abord, il
en est quelcpies-mies d'une finesse, d'une réserve,
d'une dignité (]ui ne sont pas seulement la marque
de l'aristocratie de classe de ceux qui servirent de
modèle, mais (jui sont
surtout le signe de l'aris-
tocratie d'esprit du ])eiii-
tre lui-même. Les fres-
ques de \'erceil sont tout
illunrinées p a r c e 1 1 e
beauté intérieure : elles
en prennent une ph\'sio-
nomie particulière, élé-
gante et hautaine, de
rare distinction. Faut-il
le dire ? ce ne sont point
là des qualités fréquentes
en Italie.
Rien des soni]itueuses
repi'ésenta tions (] u ' a i-
maient la phqiart des
peintres d'alors, mais ck'
la vérité choisie, une
pensée élevée et délicate.
Comparez la Ndissaïu-c
de la l'ù-ro'f'. dans la
cour de l'Annunziafa à
Florence, le chef-d'ieuvre
d'Andréa del Sarto, avec
la Nativilc. à Saint-
Christophe. Dans la
Xaissancc, vous ne trou-
verez que de beaux corps voluptueux, de belles
bêtes humaines, une caresse pour les j-eux et les
sens. C'est une joie de l'esprit que donne la Xali-
vUê ; on y trou\-e une pleine compréhension de la
vie, dans ses vérités familières comme dans ce
qu'elle a de ])lus noble, sans fadeur, sans faux
idéalisme. La î\lère, humble et tendre, est age-
nouillée devant Jésus cpie soutiennent des anges ;
des paysans contemplent la scène, dont l'un a
la tête intelligente et rude d'un penseur rus-
tique ; deux anges musiciens, sans cesser de jouer,
se penchent jiour mieux voir l'Enfant ; le geste
est ravissant et il est si naturel que nous nous
sentons moins éloignés de ces deux êtres divins
à l'âme limpide.
Gaudenzio possédait le secret de savoir mêler
ainsi le réalisme aux conceptions les plus élevées et
les plus pures. Et c'est par le réalisme, par l'obser-
vation de la nature, par la riche invention que les
I. .\SSOMPTION riE L.\ VIERGE (partie supérieure)
fresques de Verceil prennent leur charme et leur vie.
Lin peintre qui pense plus qu'il ne regarde a bien
des chances de s'être trompé de voie ; Théophile
Gautier, en se définissant « un homme pour qui le
monde extérieur existe », donnait en vérité le pre-
mier article de foi du dogme de la peinture. Ce
n'est point un maître italien qui devait y contre-
venir. Mais là encore, dans la recherche des détails
qui font de ses compositions un tout bien vivant,
_ Gaudenzio Ferrari est
original. On ne recon-
naît jioint dans ses fres-
ques ces figures et ces
objets de second plan,
ces décors, ces paysages
qu'on a plus ou moins
retrouvé-s dans toutes
les églises d'Italie. Les
petits personnages qui
peuplent et animent les
lointains, et qu'on croit
au premier abord placés
là par simple effet pit-
toresque, forment une
série, de scènes de la vie
de la Vierge ou de sainte
Marie-Madeleine ; ils sont
encadrés dans des archi-
tectures qui sont à la
fois étranges et très
vraies ; les paysages eux-
mêmes ont un caractère
particulier, un peu terne
de couleur peut-être,
mais de beaucoup d'al-
lure et qui concorde
admirablement avec la
grâce sérieuse et caressante de la composition
entière.
L'exécution fait les délices du connaisseur. Elle
n'est pas cependant toujours parfaite. Certaines
figures sont mal équilibrées. Les peintres d'Italie
venaient à peine de découvrir toutes les ressources
de leur métier, et de très grands maîtres ignoraient
parfois ce que nos écoles d'art actuelles, si faibles
jiar ailleurs, mais fortes de plusieurs siècles d'expé-
rience, enseignent à leurs plus jeunes élèves. Mais
qui donc de nos jours dessine avec cette précision
et cette largeur, avec cet esprit? Entre deux
fresques, au-dessous d'une fenêtre, pour remplir
un vide, on demanda au peintre de placer quelques
personnages, sainte Catherine de Sienne, saint
Nicolas de Bari et deux donatrices agenouillées.
Comme couleurs, des noirs, des blancs, des chairs,
un vert foncé. Y a-t-il sujet plus ingrat, plus
dépourvu de moyens d'expression? Par le seul
LAKT ET 1,ES ARTISTES
LA VISITE DES ROIS MAGES
L'ART ET LES ARTISTES
mérite de la facture. (ïaiulenzio en til un morceau
d'intérêt captivant. Le dessin net, large, pénétrant,
note d'un trait un caractère, met en place avec
une justesse qui touche à la perfection. Le modelé
très simple, qui opère par des taches d'ombre et de
lumière, arrive par sa précision à d'admirables
effets de relief ; la tête du saint évèque surtout est
une merveille. Comment peut-on parvenir à mêler
ensemble, à marier cette netteté et cette enveloppe,
— car le clair-obscur estompe toutes les duretés qui
sembleraient inévitables avec une telle technique, —
cette ampleur et cette finesse? Et comment ces
(pialités sont-elles possibles avec le procédé à
fresque? Un trouve cependant cette même maîtrise
dans toutes les compositions de Saint-Christophe.
Beautés inutiles, puisque personne ne vient plus
songer devant elles ! Varallo, Verceil, Saronno, ces
glorieuses étapes de la carrière de Gaudenzio Fer-
rari, ne sont point des mots qui éveillent des échos
dans les âmes ; ils n'ont pas encore été prononcés
[lar des lèvres assez éloquentes. La seconde patrie
d'Henri Bejde, « Milanese », ne trouvera-t-elle point
l'écrivain qui en sache dire le charme particulier et
le rare mérite?
L. GlELLV.
CI. Aliiiari.
LA CRECHE
MAXET — PORTRAIT DE CONSTANTIN i,rv> A I Ai, H DK ( H'ATRli-VINCTS ANS (bois)
MOT]
.Ul CÛMSTANTHM GUY;
D'où vient Guys? Oui nous montrera son ber-
ceau? Qui nous racontera son enfance? Oui
nous décrira ses années de jeunesse, les aventures
de sa vie vagabonde jusqu'au joiu' où. la soixan-
taine atteinte, il plantera sa tente nomade au
milieu des foules parisiennes dont il va devenir
l'enquêteur infatigable, après avoir promené sou
originale fantaisie et sa curiosité toujours en éveil
à travers l'Angleterre, l'Italie, l'Espagne, la Crimée,
les pays d'Orient?
A quelle époque Guys connnença-t-il à jeter sur
les feuillets volants qui lui tombaient sous la main
les premières formes de ses visions de la \'ie moderne,
les premières ébauches barbares de ses vives impres-
sions? Quelle date faut-il assigner à l'éclosion des
« barbouillis primitifs » de l'étrange artiste?
Baudelaire suppose que Guys avait dépassé la
quarantaine lorsque l'idée lui vint d'étendre jiour
la première fois sur une feuille blanche de l'encre
et des couleurs. « J'ai vu un grand nombre de ces
barbouillis primitifs, écrit-il. et j'avoue que la
jilupart des gens qui s'y connaissent ou jirétendent
s'y connaître auraient pu, sans déshonneur, ne pas
deviner le génie latent qui habitait dans ces téné-
breuses ébauches ».
Et l'auteur des Ciiriosith csllic/iqitcs d'ajouter que
' .M. C. G... trouve, à lui seul, toutes les iietites ruses
du métier, qu'il fait, sans conseils, sa propre édu-
cation et que, devenu puissant maître, à sa manière,
il ne garde de sa première ingénuité que ce qu'il
en faut pour ajouter à ses riches facultés un assai-
sonnement inattendu... »
Jugement d'une irréprochable justesse, mais qui
(i) A l'heure où tant de solennels et rkliculcs niontnneiits sont
Iiréniaturément érigés à des notoriétés éphémères, le Syndical lU
la Presse arlisltqiie se préparc à inaugurer au cimetière de l'antin
le buste de Constantin Guys, dû au ciseau du sculpteur Godebski.
ijiii fut son ami.C'cst là uneheureuse initiative à laquelle applaudi-
ront tous les admirateurs du ■ peintre de la vie moderne ■.
L'ART ET LES ARTISTES
laisse encore le lecteur (Unis l'ignorance de l'heure
historique où (iuys, « absorbé par les images qui
remplissaient son cerveau ». tenta pour la première
fois d'en fixer définitivement le souvenir, dans ces
croquis agités, dans ces sombres et lumineuses
peintures dues aux combinaisons les plus invrai-
semblables d'i-ncr
rouge \'ineux. de
lilas tendre, de
\-iok't-é\'i''(lUi'. de
j-éjiia, de blancs
rehauts de goua-
che....
Ou ' ini]iort e.
d'ailleurs :•' Et
puis, en (UM'ini-
tive, ne wuit-il
jias mieu.x. niab
gré la cmidsité
de jilus en jihis
aiguisée des
nombreux admi-
rateurs de (luys,
que le \'oile de
mystère qui en-
veloppe sa vie ne
se soulève
qu'avec une dis-
crète lenteur.
L ' i m p r é c i s i o n
troublante du
personnage ne
1 ) e u t nui r e à
l'étrangeté de
l'ceuvre.
Œuvre étrange
assurément, —
mais liien jilus
encore par la
singulière origi-
nalité de l'inter-
prétation, par sa
violente activité,
l>ar l'agitation
ilu métier, que
d'une banalit
lati\x- ; t\'pes
Chine, de bleu de Prusse, de
l'ourlet de leurs robes à volants et à falbalas ;
hal)ituées de chez Musard, de Valentino, du Châ-
teau des Fleurs ou du Casino Cadet, en quête de
chalands sérieu.x, leurs Suivez-moi, jeune homme
an vent et comme embourgeoisées, malgré l'aspect
félin de leur allure et le clignement significatif de
leurs yeux ombrés, sous l'austère encapuchonne-
ment de leur
immense capote
à brides, sous la
lomxle draperie
de leurs cache-
mires dont la
pointe vient mor-
dre le bas des
jupes traînantes.
Elles chassent
avec une sorte
de glissement si-
lencieux , les
MKiins perdues
dans d'énormes
manchons.
LES I'RC)MENErSES llavis
à la lois naïve et passionnée
par le choix des motifs, tous
courante et d'une diversité re-
e soldats empanachés et Irin-
las
gants ; groupes de lilles lassées dans des jioses
d'attente sur les canapés délabrés d'innommables
refuges ; cuisinières en courses dont l'allure rapide
se détache avec une réelle élégance populaire sur
un fond de paysage parisien troué de claires ave-
nues ; rôdeuses aux silhouettes faméliques, aïeules
sinistres et lamentables des pierreuses de Rops,
de Forain, de Toulouse-Lautrec, de Steinlen...;
danseuses de Mabille, soulevant d'un geste provocant
A côté de la
dégradation fé-
minine, hiérar-
chisée avec une
rare pénétration
et qui exerce sur
Guys une fascina-
tion invincible,
c'est la peinture
des plaisirs mon-
dains, des élé-
gances aristocra-
tiques, figurées
dans une suite
considérable de
croquis et d'a-
quarelles, par de
grouillantes sorties de bals iniblics et de théâtres,
l)ar des rapides défilés de voitures emportées vers
l'allée de la Porte-Maillot et où se prélassent, la
minuscule « marquise » aux doigts, sous leurs
capotes enrubannées, leurs toques à la hongroise,
leurs chapeaux-cloche, et dans le débordement de
leurs robes à volants, bombées par la crinoline,
les grandes daines en renom et les biches les mieux
cotées.
Puis au détour d'une allée du Bois, dont Guys
sait utiliser merveilleusement le parallélisme des
grands arbres, indiqués en quelques larges tou-
ches pour constituer le décor de la scène, le fond
114
L'ART ET I.i;S ARTISTES
AL" BOIS Iff'-'q
léger de sa rapide composition, c'est un brusque
arrêt de voiture. Et l'artiste, consciencieusement
attentif à tous les mouvements de ses modèles, nous
décrit d'une touche rapide et fidèle le sens intime de
la rencontre entre la biche
et le lion sorti, comme
]iar hasard, de l'ombre
des fourrés au passage
de la calèche attendue.
Droits sur leurs sièges,
dans une raideur presque
hiératique, cochers et
valets, la tête haute, im-
])eccablcment corrects,
admirablement dressés,
les \eux au loin, semblent
indifférents à ce qui se
])assc près d'eux....
Ce ne sont là, ccrtaint-
ment, que de petites
scènes de genre, que di
rapides visions de menus
faits, de « choses de tous
les jours », que de fugi
tives impressions, saisie>
par l'infatigable artiste,
au courant de la plume élég.\nts et élég.\ntes
et du pinceau, en dehors de toute ])réoccui«tion
de notoriété publique et d'ambitieu.x calculs. Sa
joie de peindre, si manifestement répandue dans
toute la vie frémissante de son «euvre, n'a-t-elle
])as d'ailleurs un glorieux
prolongement dans l'opi-
nion si flatteuse que pro-
fessèrent jiour son art
des juges tels (jue Manet,
Paul de Saint-Victor,
liaudelaire, Préault, Cé-
lostin Xanteuil. Hinty,
.Vsselineau. Sainte-
Beuve, ChampHeury,
(iautier, les Concourt .
Delacroix lui-niènie, opi-
nion qui, bon nombre
il'années jilus tard, trou-
vera sa définit i\"e confir-
mation dans celle de
connaisseurs de plus eu
plus nombreux et non
moins clairvoyants.
Toutefois l'esprit de
ce croquiste de génie,
toujours en activité
d'ob.servation au milieu
des brusques et décon-
certantes transforma-
DU SECOND EMi'iKh" (lavis) tions de la vie mon-
"5
L'ART ET LES ARTISTES
EFFET DE CRINOLINE |l:ivis|
daine, avait acquis une jniissance de vision ses lumnes
d'une pénétration si aiguë, et aussi d'une fidélité flottement de
si persistante, que les sujets de vulgarité apparente lettcs et le carcan
dont il fixe à jamais les aspects fugitifs prennent. des lirides dissimulent
sous la fougueuse balafre de ses pinceaux chargés mal le surprenant
de sépia, une physionomie d'immutabilité d'où se aspect historique de
dégage une triomphante impression de vérité histo- traits empruntés ma-
nque. Il sut l'art difficile d'extraire, avec une spon- licieusement à des
tanéité géniale, le définitif du transitoire et d'enfer- beautés impériales et
mer, en quelques coups de plume et de pinceau d'une princières ; ses grouil-
étonnante synthèse graphique, toute une époque, lantes sorties de
avec ses modes successives, ses types convenus, ses théâtres et de bals
allures et ses gestes particuliers et jusqu'à son publics ; son irrépro-
atmosphère spéciale. chable carrosserie,
Oui, Constantin Guys lut réellement le peintre son hippisme si par-
de la vie moderne sous le second Empire. De tous ticulier... traverse-
les artistes de cette époque, dont les rms se sont ront l'histoire de l'art
presque exclusivement spécialisés dans l'étude de malgré le résumé,
sujets déterminés, et dont les autres ont trop sacri- parfois un peu brutal,
fié les originales et solides qualités de leur art à la de leurs fornmles re-
représentation conventionnelle de
choses à peine entrevues, il fut à
la fois le plus compréhensif et le
plus sincère, le plus curieux et le
plus évocakiir.
Après une contemplation pas-
sionnée de la vie, il sut avec une
clairvoyante indépendance enfermer
dans la bizarre mais impression-
nante formule de son art abrévia-
teur les mouvements les plus
ïubtiJs de toute une humanité dis-
])arue.
Sans doute il est facile de cri-
tiquer l'ingénuité parfois enfantine
ou barbare de cette formule im-
prévue. Mais en vérité ces cri-
tiques ne doivent-elles pas s'apai-
ser devant l'intensité de l'effet
])roduit ? Une formule d'art finit
d'ailleurs toujours par s'imposer
lorsqu'elle est la vivante expres-
sion de la vision de l'artiste,
et qu'elle en exprime avec une
fidélité originale toute la sincé-
rité.
La courtisane de Guys, cyni-
ipiement insolente sous la couche
de son fard au rabais ou sous le dur
plaquage de ses bandeaux à la
russe ; ses dandys, vivantes et dé-
finitives représentations des proto-
types mondains du temps : des
Grammont-Caderousse, des d'Orsay,
des Xigra, des Metternich, des Mar-
cellin. des Arsène Houssa\'e, etc. ;
■nrubannées chez lesquelles le
voi-
ÉTUDE DE FEMME (boiS)
I.'ART ET LES ARTISTES
préscntatives, avec la même autorité documen-
taire que les scènes familières des Saint-Aubin
et les solennités des Gravelot et des Moreau
le Jeune. Et de même qu'il est bien diflicile de
pénétrer res]irit de notre xviii<î siècle sans en
avoir, pour ainsi dire, respiré l'atmosphère dans
l'étude des feuillets où ces artistes charmants ont
déposé le meilleur de leur art, de même aussi la
VlUttslriUcd London Xews avec la régularité quo-
tidienne d'un correspondant exemplaire, Guys ne
peignit que de souvenir.
Ses lourdes femmes d'Orient apparues sous leurs
voiles dans l'ombre fraîche et bleue des bazars de
Stamboul ou de Scutari, ses fines et nerveuses
Andalouses agitées jiar le délire tauromachique, ses
élégantes ou virieuses silhouettes parisiennes ren-
ÉTrUK DE FEMME (bois)
physionomie de la société française, avec ses élé-
gances successives et ses galanteries multiformes,
échappera dans son essence à qui n'aura eu la
curiosité de prendre contact avec les foules ano-
nymes, mais d'une si suggestive apparence, dont
l'u-uvre de Guys est tout plein et comme débor-
dant.
Chez Guys, avons-nous dit, l'acuité de vision
était d'une fidélité aussi jiersistante qu'elle était
rapide et pénétrante. E.\i)li(pions-nous.
Sauf, peut-être, dans la suite des rapides croquis
militaires pris sur le vif dans les marais de la
Dobrutcha, dans les Balkans, sur le champ de
bataille de Balaklava et dans les tranchées de
Sébastopol, et (ju'il expédiait à la direction de
contrées dans la turbulente colnie de la grande
ville :
l-'iiiirmillaiitt' cili', cité pleine <!<• rêves.
OVi le spectre en plein jiuir raccroche le passant,
les solennités militaires et nationales dont il excel-
lait à décrire le faste avec une incomparable ardeur
de vie, naquirent à l'écart du motif inspirateur sous
le jeu rapide du pinceau.
Comme certains autres artistes de génie, à la ]ier-
cei)tion synthétique et au mouvement de crayon
abréviateur, il piquait, ]iour ainsi dire d'un trait,
sur son calepin, le ])oint caractéristique, le « jioint
lumineux » du sujet, et, rentré chez lui, il recons-
tituait sa vision d'après cette note évocatrice et la
lixait à jamais dans la jH-rfection d'une ébauche
violemment cernée d'encre, ébauche d'une impres-
117
L'ART ET LES ARTISTES
ÉTUDE DE EEMME llavisl
sionnantr intcnsilc de ccmu'ur, et comme baignée
(riiiK' lumière île \'ie.
11 ét<iil (le ceux ([ui. " accoutumés dès longtemps
à exercer leur mémoire et à la remplir d'images,
trouvent devant le modèle et la nnilti]>licit6 des
détails qu'il comporte leur faculté ]irincipale trou-
Mée et eounne jiaïaU'séi' «.
Lors([u'(in se repié^ente ("iu\s onx'rant le soir,
à la clarté' de la lampe, dans sa unséraMe cliamLre
de li(inne, son callepin si liénial icpie. il'où \a sortir
tout un monde de \-ices et île frivolités, diint le
plus expeditil des pinceaux. iliri,L,é par la fidélité
du sou\enir. éternisera bientôt sur de fragiles
feuillets les fugitifs aspects, la pensée se reporte
d'elle-même vers Danmier. cet autre grand peintre
de son temps, alors qu'autour de sa j)ierre litho-
graphique s'entassaient les étonnantes lioulettes
de terre glaise fiévreusement pétrie dans une tri-
bune du Palais-Bourbon, en jileine séance jiarle-
mentaire, et de l'ensemlile grotesque et ]iresquc
informe desquelles va naître l'admirable ventre
législatif.
Certes, l'ceuvre de Guys mériterait de vivre alors
même que l'artiste se serait borné à décrire avec sa
verve intarissable les formes diverses des monda-
nités de son temjis et les types, aujourd'hui si
lointains, des soldats du second Empire.
Son dandy au tube monumental, au pantalon
damier, à la longue redingote pincée, aux favoris
à l'autrichienne, au monocle dont le large ruban
flotte sur l'échancrure du gilet ; ses lionnes embas-
tillées sous la lourdeur des châles ; ses voitures
d'une structure si précise et presque vivantes... et
qui toutes défilent si vivement, emportées dans le
trot rapide de chevaux aux nerveuses silhouettes ;
ses brillants officiers d'état-major aux tailles de
guêpe et aux bicornes empanachés ; ses cent-gardes
conquérants, ses alertes cuisinières, ses truffards
aux guêtres montantes, aux larges pantalons et
aux shakos dominateurs... toutes ces rapides et
impersonnelles représentations des êtres et des
choses, qui passent et d'où se dégage une saisis-
sante impression de réalité, d'où s'exhale un parfum
de vie presque obsédante, suffiraient à faire vivre
son nom.
Et cependant, ce n'est pas là, croyons-nous, la
j)artie la plus caractéristique, la plus significative
de son oeuvre, celle où passe le frisson le plus aigu
de son art.
Guys aima passionnément la femme. Il l'aima
belle, élégante, parée, s'enveloppant, pour la joie de
nos yeux, pour la conquête de notre âme, pour la
domination de nos seiis, de tous les enivrants
artifices de la toilette « qui sont les attributs et le
piédestal de sa divinité u.
I.TONS ET LIONNES
ii8
L'ART ET LES ARTISTES
Mais il l'aima aussi, et avec plus de ferveur encore,
avec plus de fiè\Te, dirons-nous, avec une sorte de
fièvre maladive où la pitié se mêle, dans le cadre
ordinaire de sa plus irrémédiable déchéance, et
bien avant Edmond de Goncourt, Rops et Mau-
passant, son infatigable curiosité d'artiste, son
avide observation, s'hallucina, pour ainsi dire,
avec ime sorte de joie maladive, au navrant spec-
art aussi de précurseurs, sources vi\-es et profondes,
bordées de floraisons bizarres où tant d'autres,
altérés par la fièvre de la vie, viendront bientôt
boire à longs traits, jusqu'à l'ivresse....
L'obscurité qui régna sur l'existence de Cons-
tantin Gu3-s se dissipe brusquement à partir de
L.\ BONNE .\ TOIT F.VIRE (aqu.irelle)
tacle de la misère humaine en ce (]u'clle a de
plus douloureusement grotesque, de jilus hideuse-
ment pitoyable !
Oh ! cette courtisane de Guys ! Elle hante le
souvenir comme un caprice macabre de Goya....
L'art de Guys est sans précédent, comme celui
de Baudelaire, son frère d'âme.
Art de visionnaires secoués d'un frisson nouveau
par l'intense et douloureuse poésie du transitoire.
l'heure où on le relève brisé et sanglant sous les
roues d'un fiacre dans la rue du Havre, un soir de
( arnaval. Il avait quatre-vingts ans.
Pendant sept années, sept années atroces, il
demeura cloué, dans l'immobilité la ])lus complète,
sur un lit de l'hospice Dubois.
Les amis, très rares, qui le visitèrent pendant sa
longue agonie, s'étonnaient de sa fermeté d'âme,
de la vivacité juvénile de son esprit, toujours ori-
ginal, et de son stoïcisme souriant, au milieu de ses
misères et de ses souffrances.
119
L'ART ET LES ARTISTES
Enfin kl mort vint :
C 'fil l.i m. lit i|iii cniisolc...
et, par un clair soleil de printemps, à l'heure où
les sveltes amazones galopaient rieuses dans les
allées du Bois, à l'heure où, dans la poussière des
Champs-Éh'sces, les roues des rapides calèches
miroitaiiiit innombraliles, à l'heure où
. 1.1 |...U|..
•il stuindc
le peintre de la vie moderne roulait lentement
dans le corbillard des pauvres vers le lieu du repos
éternel, à travers les flots de la foule indifférente,
son grand modèle anonyme, dont il tut, mieux que
personne, fixer d'un trait définitif la vérité des
mouvements et des attitudes, la turbulence éphé-
mère, tout le mystérieux frisson.
Armand Dayot.
,li M. Jacques Bdlraml t
M. H. Flotiry, par ki
,1c M. l'ati! Gallii
■ Constantin Guys de M . Gustave Geffroy, publié chez
ATTHLAGlî ibois)
<
U-
<
ce
Cû
*tièrrAv<
BANLIEUE D HIVER
X=F. lAFFAELLn
LES Égv'ptiens avaient l'admirable cérémonie du
jugement des morts ; nous avons institué, en
art, le jugement des vivants. Certes, c'était une
belle pensée qui inspirait cette re\Tie des mérites
et des faiblesses de celui qui s'en allait ; mais
il était le seul (c'est nous du moins qui le croj-ons)
à ne pas pouvoir profiter des critiques ni recueillir
le fruit des louanges. Avec ce moderne jugement
du vif qu'est l'exposition générale des œuvres d'un
artiste, celui qui comparaît peut du moins revivre
tout son effort passé et recevoir cette récompense
enviable, quand cet effort est certifié méritoire :
voir projeter son œuvre entière dans l'avenir.
Ces expositions modernes sont, à la vérité, de
fraîche date. Au siècle dernier — que c'est étrange
d'écrire ces mots, quand, il y a si peu d'année ■■ encore,
le « siècle dernier » était pour nous celui de Watteau,
de Diderot, de Fragonard, de Voltaire ! — les pre-
miers qui prirent la redoutable initiative de se pré-
senter eux-mêmes d'ensemble, devant le public,
furent Ingres et Courbet ! .Singulière rencontre de
deux hommes qui semblaient exclusifs l'un de
l'autre, et que maintenant nous gratifions d'une
admiration égale. Et il est non moins remarquable
qu'une des plus importantes expositions d'un v'i-
vant ait été, après celles-là, celle d'un peintre aussi
éloigné de l'un que de l'autre comme tempérament,
J.-F. Raffaëlli, qui n'a ni l'académisme d'Ingres,
ni le réalisme absolu de Courbet.
L'exposition que RaffaëUi lit de ses teuvres
en 1884 dans une boutique de l'avenue de l'Opéra
avait donc des précédents d'importance, mais elle
avait toute la valeur d'une innovation, car ses
devanciers étaient précédés d'une réputation consi-
dérable, tandis que lui était en pleine lutte, et de
la réputation ce n'était là que le début. Depuis,
l'exemple qu'il donna ne fut que trop suivi. Sans
doute nous avons pu voir se développer dans son
ampleur le labeur de quelques-uns de nos plus beaux
maîtres. Mais bien des entrepreneurs exhibèrent
leurs « cKuvres complètes » tous les deux ou trois
ans. Raffaëlli, tout en prenant part prépondérante
aux expositions annuelles, tout en montrant par-
fois des ensembles spcciatix, sculptures ajourées,
gravures en couleurs, n'a pas attendu moins de
vingt-cinq ans avant de nous appeler à le juger
de nouveau intégralement. C'est-à-dire que de-
puis 1884 il a accompli encore une longue, magis-
trale, décisive évolution ; que c'est un nouvel artiste
qui s'est ajouté au premier, un peintre qui s'est
donné en épanouissement comme il s'était, de 1870
à 1884, donné en concentration et en intensité, et
ces deux Raffaëlli n'en forment qu'un seul, de qui
la vie trace une belle et noble courbe, que nous
pouvons mesurer du regard et de la pensée, dans
toute sa grandeur et toute son originalité, à la gale-
rie Georges Petit, en entier occupée par ses mul-
tiples travaux dans tous les domaines des arts gra-
phiques.
En 18S4, lorsque s'ouvrit cette exposition de
L'ART ET LES ARTISTES
CHEZ LE FDNDErK
l'avriiiK-ilf !'( )i)rra.(|uV'tait ce Raftaëlli qui, si auda-
< iruscnu'iit.aiipclait le juiMic à \v jn.LTcr. et qui con-
«lucrait la cék'hrité en un tciur de main?"
Il avait, en soninie, |i(inr lui. d'avoir été as.-^ez
fréquemment refusé au Salon. d'a\oir eneouru les
foudres d'Edmond Ahout, le eélèhre homme d'es-
prit, alors très éeouté comme critique, enfin d'avoir
été remarqué par deux ou trois chercheurs d'(eu\-res
mdépcndantes, et d'avoir ex]iosé avec les Impres-
sionnistes.
Pour conquérir l'aris. il faut autre chose (jue cela,
(e (juehiue chose fut l'exposition de l'avenue de
l'Opéra. On y \-it, en somme, sans que l'artiste eût
crié gare, un ensemble singulier, original, éloquent,
ne ressemblant à rien <le ce cpu s'était fait à
l'époque, ni comme ])eintin-e de m<eurs, ni connue
paysages.
Des . petites gens •,, bourgeois végétatifs de la
banlieue la plus médiocre, étaient racontés dans
leur> mesquines occupations, dans leur vie banale
(mais si imjioi tante pour eux !) : des rôdeurs, des
êtres hâves et noirs, étaient étuchés dans leurs al-
lures de bêtes traquées ou ayant toujours ]ieur de
l'être ; des chiffonniers, race sauvage, inconnue,
étaient montrés dans leur contrée ingrate, ren-
trant du « travail », se rendant à leurs demeures
de lattes et de papier goudronné. Et la nature où
cela se passait ! Des ciels bas, tristes, de paxs sans
caresse et sans espoir ; ou bien vastes, mais non
moins implacables et ravagés par d'ai-
gres bises : des plaines aux maigres vé-
gétations ; des camjjagnes de gravât et
de poussière, où de pauvres ânes, mis
on ne peut dire au vert, maij an gris, ne
rencontraient même pas un chardon ;
lieut-être n'en avaient-ils même jamais
vu, s'ils étaient nés en ces lieux. Pour
horizons, point de vivifiantes forêts, mais
des toits et des cheminées d'usines dont
k'S noires fumées renforçaient l'hostilité
du ciel. Pour fraîches rivières, la partie
la jiius déshéritée des rives de la Seine, ne
rappelant en aucune façon les « prés
tleui is II de Mme Deshoulières. Les somp-
tuosités de ces régions, c'étaient les villas
de petits rentiers, ou les mairies qui
n'étaient pas encore d'ambitieux « Hôtels
de ^'ille m, mais bien des bicoques signa-
lées seulement par des affiches et un
drapeau français.
Or, toutes ces choses hargneuses, tous
ces gens farouches, malingres ou mornes,
toute cette nature trop pau\Te pour sou-
. 'K'ijt,.-;. rire, et en même temps trop peu sauvage
])our qu'on la pût qualifier de maudite ;
tout cela ne donnait pas une impression
de tristesse, mais, quel que fût l'accent de mélanco-
lie (ju'on y sentît régner, constituait un spectacle
d'art d'une délicatesse et d'une beauté remarquables.
C'était, impérieusement interprétée, de la vie \Taie
qu'on avait jusque-là dédaigné de regarder. Les
paysagistes s'étaient hâtés de traverser de telles
zones poudreuses pour s'en aller bien vite vers les
Barbizon et les bords de l'Oise éternellement
exploités, et qu'ils n'avaient même pas en le mérite
de décou\rir. Les peintres de figiu:es réalistes
croyaient trouver dans les ou\Tiers de Paris, ou
dans les jiaysans que Millet leur avait désignés,
les uniques modèles qu'on pouvait opposer aux
dieux de r( 'hinpe ou aux seigneurs des quatre Louis
(XllI. XIV," XV, XVI).
Réaliste, le nouvel arrivant se défendait de l'être,
et il ne l'était pas en efïet, car dans son art il entrait
plus de composition que de copie, plus de sélection
que d'acceptation. Dans un écrit qui suivait le
catalogue, il expliquait comment l'art moderne,
tel qu'il le comprenait, devait être aussi éloigné
des conventions académiques que des brutalités
de procès-verbal qu'affectaient les lourds conti-
nuateurs de Courbet, sans avoir sa magnifique et
grandiloquente nature. Oue s'agissait-il donc de
dégager dans l'œuvre d'art nouvelle? Le caractère
des êtres et des choses, et d'y trouver les éléments
de beauté du monde en évolution.
Il lançait, pour désigner cet art, le vocable
L'ART ET LES ARTISTES
REUNION PrBLIOUE
canicléyisiiie, qui était très \ iwnient discuté, et
qui, en somme, impliquait une doctrine très large
et ne bornait pas aux territoires fie Clichy-Leval-
lois et d'Asnières, non plus qu'à leurs ])oi)uIations.
le domaine des artistes innovateurs.
D'ailleurs, lui-même, à son exposition, mon-
trait autre chose que des haillons et des terrains
vagues. Des Ikurs, des iiortraits d'enfants, des
esquisses d'après des contemporains, militants
de la littérature et de la politique, donnaient des
gages de la diversité de ce talent, montraient la
jiromesse de toute une œuvre à venir que l'énergie
endiablée de ce peintre, graveur, écrivain, sculpteur,
conférencier, promettait vaste et féconde.
123
L'ART ET LES ARTISTES
Le succès fut considérable. Raffaëlli l'ut célèbre
du jour au lendemain, et ce qui est beau dans cette
aventure, c'est que le succès, loin de le gâter et de
le spécialiser , lui fit encore étendri' et enrichir son
œuvre. Cet honune de trente-quatre ans, qui
montrait un si important et si complet bagage,
trouvait, dans cette exposition de 1884, un j)oint
de départ, bien plutôt qu'un aboutissement.
En 1885, il expose une ceuvre capitale, le Por-
trait de M. Cleinciiccdii Juiis une rcunion puJ)liqiu\
le plus important morceau de peinture qu'il eût
exécuté depuis la Famille de Jean le Boiteux du
Salon de 1877. L'année d'après encore, ' hez le
VIEILLE FEMME DANS LA NEIGE
fondeur, portrait de Gonon, présidant à la fonte du
bas-relief de Dalou. Ces deux œuvres capitales ont
superbement combattu, au ilusée du Luxembourg,
pour l'art à la fois volontaire et spontané, philo-
sophique et sa\-amment reuvTé, ]ilein de pensée,
et non, comme on affecta naguère de le dire, litté-
raire, qu'instaurait Raffaëlli. Le Clemenceau est
encore du Musée un des numéros les plus éloquents
et les plus rares. Le Gonon est maintenant au ^lusée
de L\()n où il s'affirme avec une surprenante viva-
cité.
Au Salon de 1887, Raffaëlli, soudain, montra une
<euvre qui fut jugée très différente de celles qui
précédaient : la Belle matinée, page toute de volupté
riante, de couleur riche et délicate. Quoi ! Le carac-
tériste allait-il se faire le peintre des grâces ? Certains
sourirent ; d'autres, plus sensés, admirèrent l'œuvre
pour sa belle réussite sans se soucier des théories.
Et tout s'expliqua lorsqu'en 1888 et 1889 on vit
le Portrait de Concourt et certains portraits de
jeunes filles du inonde. La Belle matinée avait été
simplement en même temps le prélude à de nou-
velles explorations du caractère moderne, et le
trait d'union entre la première manière, minutieuse,
fine, acharnée, et une manière nouvelle, plus large
et plus opulente, mais non moins précieuse et non
moins attentive.
Au surplus, l'Exposition universelle de 1889,
grâce à l'intelligence d'Antonin Proust, qui aima
et comprit Raffaëlli comme il avait compris et
aiméManet, fut pour notre peintre l'occasion d'un
triomphe et le plaça définitivement parmi les
maîtres les plus en \Tie du mouvement moderne.
Aussi, lorsqu'en 1890 se fonda la Société nationale
des Beaux- Arts, Raffaëlli ne tarda pas à en devenir
un des exposants les plus importants, un de ceux
dont chaque année on attendait et dont on com-
mentait passionnément les œuvres comme celles
d'un Cazin, d'un Puvis de Cha vannes ou d'un
Rodin.
Alors commence — recommence plutôt — une
série étourdissante de travaux de toute sorte, d'une
variété infinie, d'une ver\-e jamais lasse, d'une
beauté et d'une nouveauté de technique absolu-
ment personnelles. Paysages de Paris, montrant
sous tous leurs aspects la structure et la vie four-
millante de l'immense cité ; tableaux de mœurs
d'une grande importance philosophique comme les
Vieux convalescents, autre chef-d'œu\Te du Luxem-
bourg ; portraits délicieux comme celui de Ger-
maine, fille du peintre, claire et virginale sj-mphonie,
un des plus beaux que notre temps aura légués à la
postérité.
Combattant infatigable autant qu'artiste mer-
veilleux de création et de labeur, RaffaëUi se déci-
dait soudain, en 1S94-1S95, à se rendre en Amé-
124
L'ART ET LES ARTISTES
I.ES PAYSANS DE PI.OUGASNON (FINISTÈRE)
rique, où il allait continuer la lutte par l'exposition,
l'écrit et la parole. Les œuvres étaient pleinement
appréciées, placées d'emblée clans les Musées de
New- York, de Chicago, de Pittsburg. Les confé-
rences, mordantes, enjouées, pleines de bon sens,
d'aperçus ingénieux et profonds sur l'art actuel
et sur l'avenir de l'art, étaient des plus goûtées.
et l'on peut dire que le missionnaire que fut alors
notre peintre remjiorta une réelle victoire non seu-
lement pour son œuvre, mais encore pour l'art fran-
çais. Il fit deux de ces voyages, et tous deux furent
aussi décisifs que fructueux.
Ce qui frappe lorsque l'on considère l'œuvre
dans son ensemble, c'est que celui qui l'accomplit
123
L'ART ];t les artistes
o m-
::j
L APPRENTIE
jamais ne se repose sur un succès, jamais ne se ré-
pète. Il faut toujours qu'il trouve et c^u'ilcrée autre
chose. Il ]iourrait dewnir un spixialis/c, fonction
couuuode ri lucrative ; mais il est trop passionné
]5our s'immobiliser dans une note lieureusement
trouvée. Il a besoin toujoiu's et toujours de ces
bonheurs uouveaux dt.' la lrou\aille impré\-ue. Il
travaille ilans une perpétuelle excitation et il se
conserve d'une jeimesse absolue, puistiue l'on
demeure jeune tant cju'oii ne se répète point.
C'est ainsi qu'aux Salons de 1002 et de 1904 il
ouvre tout un lilon de nouveau.x paysages, sortes
d'interjirétations delà nature, les uns sur des thèmes
bretons, les autres sur des motifs flamands. C'est
ainsi encore qu'au.x Salons de 1907 et de 1908
nous voyons reparaître de grandes études de types
liuniains, l' Apprentie, la Vieille femme dans la
iicr^c, r Automne de la vie, le Bûcheron et son chien,
qui à l'intensitépénétrante d'études i)hysionomiques
telles que les ceuvres de début, joignent une exécution
'le\-enne d'une souplesse et d'une richesse parfaites.
Il s'en faut que toutes ces étapes qui apportent
I hacune avec elle des séries nombreuses de ta-
bleaux, d'esquisses, de peintures toutes significa-
tives et d'une grande valeur, constituent à elles
seules les éléments d'activité de Raffaëlli. A côté de
-(in leinre pr(>|irement dite, voici qu'il fait acte
d'iinenleur, et (ju'à son magniiîque bagage de
]ieiiitre, il ajoute un (euvre de graveur qui suffirait
à lui seul jiour faire le renom d'une carrière.
Comme inventeur, il trouve ces fameux « pastels
à l'huile ». bâtonnets de couleur réalisant le désir
de Titien : " Si l'on pouvait peindre avec des cou-
leurs qu'on aurait au bout des doigts ! » et il
entraine à les expérimenter et à s'en servir un grand
nombre des meilleurs artistes français et étrangers.
II applique son esprit d'investigation à la méca-
nique, aux ])rocédés de technique dans tous les
arts, et notamment celui de la gra\tire en couleurs.
Rien de plus spirituel et de plus raffiné que ces
gra\-ures en plusieurs tons qu'il multiplie, et montre
avec un succès toujours croissant, soit seul, soit
avec la Société qu'il fonde et qu'il préside, à bon
droit, ayant véritablement infusé à cet art une
nouvelle vie. Son leuvre de graveur va du simple
( riHjui- d'un jiersonnage tyi^ique ou d'un coin de
pays à tles planches comme le Grand-Prix de Paris,
qui sont parmi les jilus importantes que la gravure
en couleur ait jamais produites.
Enfin le voici à la tête d'un si riche et si impo-
sant ensemble de travaux qu'en cette année 1909
la galerie Georges Petit tout entière n'est pas trop
grande ])our en présenter dans son ample dévelop-
pement la multiple et profonde évolution.
J'ai forcément, dans cette rapide étude, omis
bien des détails, groupé bien des œuvres sous des
indications générales. C'était d'ailleurs mon but ici,
non jxis de tracer une biographie ainsi qu'une étude
de critique en règle, mais de situer l'œuvre de Raf-
faëlli à sa vraie place qui est une des plus à part
et des })lus belles de notre temps. Reprenons donc,
d'une façon générale, les traits les plus saillants de
cet (euvre et de cet esprit.
Un caractère tout d'abord nous frappe: c'est que,
malgré son extrême di\-ersité, l'œuwe de Raffaëlli
est d'une unité absolue et superbe. Que ce soit un
des fins jietits tableaux du début ou ime des larges
et brillantes peintures de ces dernières années,
126
L'ART ET l.KS ARTISTK
l'accent est le même, et il n'\', a pas
eu de ces hésitations déconcertantes,
do ces volte-face qui montrent
chez un artiste un arrêt dans la vo-
lonté. Un Raffaëlli de 1882 est ana-
logue à un Raffaëlli de iqof) : c'est
la même incisive jK'nsée. le même
beau métier, imprévu avec chaque
leuvre, et constant avec lui-même à
travers toutes. De même, parenté
absolue entre une figure isolée et un
])aysage, entre rmc peinture et \m
dessin, entre une sculpture et inie
gravure à l'eau-forte. Ce qu'on a
ippelé l'universalité chez im artiste,
te n'est autre chose que la persis-
tance d'une volonté ; et en ce sens
notre artiste est universel comme les
beaux maîtres d'autrefois. Il ne songe
même pas au moven qu'il emploie,
car il prend immédiatement celui qui
convient le mieux à la ]icnsée et à
l'émotion du moment. Comme sa
technique, son émotion est univer-
' lie : il reviendra aux jiauvres gens
.i\ec la même sympathie qu'il va
au.x élégances et aux. grands carac-
tères. Une belle jeune hlle le rendra
aussi attentif et aussi beau peintre
qu'un homme d'action comme Cle-
menceau, qu'un homme d'art comme
Edmond de Concourt, ou enfin
qu'une pauvre et âpre épave de la
\ie comme la Vieille femme dans la
iieiqe. Comme il avait peint les ban-
lieues misérables, il comjwse de fraî-
ches et éclatantes symphonies de
fleurs. Il aura tour à tour la note
de drame et la note d'enjouement
Bref c'est un artiste absolument spon-
tané, et qui ne travaille que dans
l'ardeur de la pensée, dans la griserie
de la besogne de bel ouvrier.
Si de là je passe à la conception
même, c'est-à-dire si je iiiiionti- d.
l'aspect immédiat des (etivres et d.
la commotion qu'elles procurent à l.i
pensée et à l'émotion qui les ont iii>-
pii^ées, je discerne que c'est un idéal
très élevé de justice et de bonté ([ui
a présidé à la carrière de ce beau
philosophe et jieintre. Rien de ce (pii
est humain ne lui fut étranger. L'an
teur des Vieux convalescents est ten-
dre pour les abandonnés, et en même temps la ses plus suaves caresses, le trouve interprète vi-
nature, aussi bien dans ses ingratitudes que dans brant, observateur à la fois dominateur et attendri.
I.E lîUCIiEROX F.T SON CIIIICX
127
L'ART ET I,ES AKTISTl^.S
Je regrette de n'avoir pas la place nécessaire pour
citer quek]u'un de ses nombreux écrits sur l'art,
sur la philosophie. On y verrait un esprit sans cesse
en éveil, d'une indépendance absolue, se dressant
aussi fièrement contre un privilège que résistant
à une revendication injustifiée. Dans ses Prome-
nades au Louvre, Raffaëlli a donné une théorie
remarquable de la façon dont il entendait que l'on
peignît le peuple : avec sympathie, mais sans
servilité ; en lui donnant les moyens de s'élever
jusqu'aux esprits éclairés, mais non en contrai-
gnant ceux-ci de s'abaisser vers lui.
Il n'y a pas à dire : une belle pensée est créatrice
d'une belle œuvre d'art. Que chaque artiste pense
à sa manière, soit. Qu'il ne puisse s'exprimer que
par les moyens matériels de son art, c'est non seule-
ment naturel, mais c'est nécessaire. Mais que l'on
ne soutienne pas qu'il faut ne pas penser pour faire
de belles œuvres, ou même simplement que c'est
inutile. Tous les grands artistes de tous les temps,
aussi bien Raphaël que Rembrandt, Chardin que
Watteau, Corot que Puvis de Chavannes, ont été
à leur façon des poètes ou des penseurs.
].-¥. Raffaëlli, épris de pensée, ardent contem-
plateur de la nature et de la vie, se classera parmi
les plus vaillants et les plus originaux artistes de
notre époque, et ce « jugement des vivants >> dont
nous parlions au début, et qui s'instruit en ce mo-
ment à la galerie Georges Petit, est déjà prononcé,
et sans appel, en sa faveur.
Arsène Alexandre.
-ÎJtit'.'l:!:,'^^^
LE DÉMÉN.\(;E:MEXT (sra\un- on couleursi
SKALICA EX HONGRIE lSl..\ ,iq\ii()
VACL_AV JICHA
LA .Moravie est, entre la Bolirnie et la H(iii,i;rie
slovaque, une terre bénie, mais où les |)o])ula-
tions slaves, qui y sont chez elles, endurent une
lutte terrible contre l'invasion allemande, armée
de capitaux inépuisables. Aussi, malgré leur infé-
riorité financière, cherchent-elles à en remontrer à
l'adversaire, dans tous les domaines de la culture,
et particulièrement dans celui des lettres et des arts.
Cette émulation ])roduit, il va sans dire, d'e.xcel-
lents résultats. Au surjilus, ce margraviat llorissant
est, en Autriche, depuis des siècles, le pa\'s par
excellence de l'art populaire. La terre fertile et
l'habitant aux costumes bariolés sont un jk'u à la
patrie tchèque et à Prague, capitale morale des
Slaves, ce que le midi de la France est à Paris. Avec
la hâblerie en moins ! Car, chose curieuse, si un
Fartarin tchèque devait se rencontrer, on le trouve-
rait ])lus faciU'ment en iîoliéme que dans cette
large et douce vallée, épanouie au soleil du côté du
Danube, vraie patrie et dernier refuge de la chanson,
de la broderie et de l'ornement jiopulaire slaves.
Les maîtres d'école moraves sont renommés,
(le])uis l'époque de Comenius et de la h'ralcrnité
déj.à. Paris a entendu, à l'Héitel de Mlle, l'an der-
nier, les concerts d'un de leurs grouj^es choraux
qu'on a présenté comme tchèque, afm sans doute
de n'avoir pas troj) de nuances ethniques et lin-
guistiques à défuiir. L'artisteque je demande à mon
tour la permission de présenter aujourd'hui donne
des leçons de mathématiques et de dessin dans la
l)etite ville de Straznice (Slrajcnitsé, 6 ooo habitants
an plus). Il n'a que ses jours de congé et ses vacances
pour dessiner et peindre. Il n'a jamais fait de son
art un métier et avant le mois dernier n'avait
129
L'AKT ET LES ARTISTES
^>
jamais t'xjiose.
der. Et ce lut ;
graviat, qur ^I
(ieniain, fut aili
Il a fallu un liasard jujur l'\' iléci-
i BiiU) (Miunni, capitak- du uiar-
. X'aclav Jicha, du jour au len-
iii> au preuiur rang îles artistes do
sa patrie et jugé digne de former, avec il.M. Jozka
l'prka et Buhumir Jarcmel:, un trio niagnitujut-
ment tyjiiciue de l'art et de la nature moraves.
Et s])écialement de cette région de la Moravie,
déjà nettement slovaque, qui s'étend entre la
rivière dont le pays tire son nom et la chaine des
Petites Carpathes. C'est la mieux conservée.
M. Ujirka en a célébré l'halntant et ses travaux,
^I. Jicha nous en montre les aspects variés en des
séries d'immenses et lumineuses aquarelles, enle-
vées avec une verve rapide et audacieuse, où la
sauvagerie des maisons blanches, sous chaume ou
bardeaux, enluminées d'ornements écarlate, orange
et bleu céruléen, éclate délicieusement vive dans la
tranquille symjihonie des branches, dorées par
l'automne, ou des fouillis buissonneux, que le
printemps saupoudre de cendre verte. De ]ilus
rapides, de plus tranches, de plus jo\'euses, dans des
dimensions monumentales, je
n'en ai vues en aucun- pa\-s.
Elles ont une santé et une
jeunesse un peu rudes qui
sont celles mêmes de la con-
trée. L'ensemble de l'œuvre
équivaut, piour la Moravie
slovaque, à la collection des
])lanchettes à l'huile de Gri-
goresco pour la Roumanie et
de Stanislawski pour la
Pologne et l'Ukraine. Les
décrire, c'est décrire le pays
lui-même.
La rivière d'abord, cette
Morava blonde que les atlas
allemands baptisent Marsch,
et dont la lenteur morcelle en
îlots un vaste territoire de
ramilles (comme nous apprit
à dire Pouvillon), tout inondé
au printemps. Alors des lacs
de plusieurs lieues s'extra-
\-asent, traversés par les routes
sur remblais et des ponts de
•■ . bois ou de fer, d'où l'on
~-^- domine des réfractions de ciels
T, (_t de nuages miraculeuses.
'^''' ' De grands arbres paludéens
forment des bocages cente-
^ naires d'où s'échappent les
cerfs et les biches. Au loin les
' ' coUines historiques de Velehrad
et de Buchlov bleuissent d'un
coté : de l'autre, celles de la frontière hongroise,
les vignobles de Skalica [Skalitsa] , la ville du gibet
slovaque, passent de l'or à l'outremer avec les
lieures. C'est une première portion de l'ceuvre,
consacrée aux arbres et aux lointains, à la rivière
et à ses inversions de la berge et du zénith. La seule
dont on pourrait trouver à la rigueur l'analogue,
très peigné et amoindri, dans certains paj-sages de
France. J'en aime surtout les aspects d'automne
où le lileu du ciel redouble à travers l'or des
fi\)ndaisons et où les parterres sont tout semés
des pietits clous lilas des colchiques.
Puis les abords des petites villes et des villages,
qui se marquent surtout par d'autres aggloméra-
tions, vrais villages de meules celles-là, dont
^I. Jicha est une façon de Claude Monet aquarelliste.
Les aspects baroques de Skalica formeraient en
quelque sorte la capitale de ce royaume d'aquarelles
barbares et savoureuses, Skalica, ville de couvents,
qui joua un peu le réile, dans cette vallée, de Trnava,
la Romeslo\-aque, dans celle du \\"ah, de l'autre côté
des horizons boisés. C'est-à-dire que ce fut un
130
L'AI
ET LI'S ARTISTES
centre de la réaction catholique contre l'opiniâ-
treté hussite, réfugiée dans ces marécages et ces
vallons forestiers, où, plus tartl, le légendaire bri-
gandage des Janochik profita de cet état d'hostilité,
autre chouannerie, qui devrait liien insjiirer un
Barbey d'Aurevilly local. Ouant aux villages, tels
lis furent au temps des incursions de Jean Zizka
en Hongrie, tels les voici dans l'ieuvre de Jiclia.
blés vermeils, orges jaunes de Xa])les, avoines
glauques, sillons violets ou roux, ])âturagcs vert
de vessie. Et tout à coujj le bouquet rose d'un pom-
mier en fleurs, le bouquet blanc d'un sureau, le
bouquet de corail des sorbiers, et le feu d'artilice
des tournesols. Parfois, de haut, une vaste succes-
sion de plans et d'arrière-plans également tigrés,
de jirés, mêlés de forêts, dont la diaprure diminue
L.\ l'L.VCE DE 1V.\KUZ.\.V LIIUT.V
En grand désordre dans les branches, autour de
la grande régularité des rues centrales ; là, chaque
maison placée de même, l'une connue l'autre, de
même forme, sous im même chaume et d'une égale
blancheur, mais rehaussée d'une autre frise ou d'un
autre soubassement aux plus violentes couleurs.
Puis, longeant les ruisselets qui gazouillent sous
les aubéjiines, nous entrons dans les vallons et
remontons par les bois, vers les lourds ciels d'orage
et le vent froid des frontières et des cols. De cet
acheminement aussi ces aspects, sans ciel, de bro-
chettes de chamnières, enfilées le long d'un chemin
ou d'une haie, à mi-cêjte des cultures zébrées :
colzas jaune-citron, trèfles roses, chanvres brunis,
pavots roses et blancs, vulnéraires cadmium-
orange, lins et luzernes bleus. es])arcettes lilas.
d'intensité dans l'espace, jus(prà l'extrême lointain,
où l'on devine les inunensités plates de la Pologne
ei de la Russie, pages angoissantes par le sentiment
d'infini hostile que ces mornes régions dégagent.
Au premier plan une p\ramide de ])ierres plates et
triangulaires, jeu de i)àtresà demi .sauvages, évoque
la farouche mohila, le sé]nilcre sacré des ancêtres.
Tels les sujets de cette (euvre une et inulti])le.
Comment dire les variations d'un pinceau agile et
hardi à l'excès, sans fausse virtuosité, sans trucs,
sans recettes au service de cette cause? Le paysage
est en désordre, le paysage est immense ; res])rit
anarchique slave souflle sur les toits et les guérets.
Pour faire sentir la grandeur de ce jiaysage, mieux
vaut et! couper un morceau brut qu'y établir un
ordre factice. L'harmonie résultera, si l'on veut, des
131
L'ART ET LES ARTISTES
subtiles associations de viok-ncL-s homéopathiques
ou au contraire du cii à tue-téte de complémen-
taires exaspérées; mais toujours, en même temps,
de l'exquis sentiment d'amour et d'intime jouis-
sance d'un artiste aux \cux \'ierges et à l'imagi-
nation fraîche en lace de la nature natale. Aucun
préjugé d'école, aucune maladresse de paysan
endimanché. L'art tout nu, d'une àme toute nue,
devant la nature nue. ("e mathématicien émérite
ne raisonne plus devant son motif, il lui obéit
et il jubile de sa journée de liberté en plein air.
Les enfants, les chiens, les pâtres ou les gendarmes
viennent le flairer, il n'a cure quv de la décompo-
sition des nuances au fil de l'heure. Peut-être
pense-t-il à la page de l-iacli du de Smetana qu'il a
jouée la veille, au binnnie de Newton qui, dans les
devons d'écoliers, l'attend à la maison, à de beaux
vers de Brezina, à une élucubration du mystique
Bilek, jamais, jamais à un cancan des cercles artis-
tiques de Vienne ou de Prague, jamais à braver ou
capter l'opinion du voisin, à damer le pion à un
confrère. Et rentré chez lui il entasse une ou deux
aquarelles géantes de plus sur les monceaux des
années précédentes, sans l'idée même de les mon-
trer à d'autres qu'à sa femme et à ses amis, et
nul d'entre eux n'a cure des querelles entre les
/.s7t',s- et les ismes à la mode.
Et il est heureux. Puisse-t-il ne pas cesser de
l'être, aujourd'hui qu'il a commencé à devenir
célèbre !
William Ritter.
Cl. ,1e râtelier RcUdi.
.W.\XT LE PRINTEMPS
132
ART DECORATIF
MILJSS©]
Aujourd'hui, parmi ceux qui collaborent à eu
qu'on est convenu d'appeler " les arts appli-
qués à l'industrie », ou « l'art décoratif ", il \- a
deux catégories nettes. Les uns font des dessins, ou
plus exactement des « desseins » (comme on écri\-ait
au temps de l'an-
cienne Académie
royale de peinture
et de sculpture), des
projets, des cartons,
([u'ils remettent à un
patron, à un entre-
preneur. Celui-ci en-
voie le carton à des
artisans chargés de
l'exécuter. Une hié-
rarchie distingue la
concejJtion de l'exé-
cution, les dessina-
teurs des ouvriers.
Cette hiérarchie est
née de l'industrialisa-
tion et de la spécia-
lisation du travail :
la machine tend à
remplacer l'ouvrier,
seul l'artiste reste
l)our ainsi dire le
cerveau de la ma-
chine. Il n'en allait
pas de même à une
époque où la ma-
chine n'existait pas,
où la main-d'œuvre
conservait tous ses
droits, restait souple, patiente et intelligente, où
l'individu social, ayant des privilèges, affirmait sa
personnalité par tous les mo3'ens, par sa bravoure,
son esprit d'initiative, dans sa maison ou son
château, dans son luxe, dans son costume. Ima-
ginez, au début (hi .\x<= siècle, un homme qui
aurait ])u \i\re au xv^' siècle, tra\-aillant dans
sa maison, au milieu des siens, sans le secours de
la machine, avec l'aide de ses seuls outils — les
plus anciens sont les meilleurs, — et réalisant, pour
le compte d'amateurs, des objets d'art qui ne soient
pas de monotones
répétitions ou des
copies mal déguisées,
— tel est Husson,
dont M. Hébrard
vient d'exposer dans
sa galerie l'ieuvre
inlinimeiit divers.
Husson est le type
de l'artiste artisan.
Il exécute sa propre
conception. Il fait
un ])rojet, un simj)le
crocjuis, qu'il inter-
prète, au cours de
l'exécution, en l'élar-
1,'issant ou en l'ame-
nuisant, suivant les
nécessités de la
technique employée,
et corrigeant ainsi ce
(jue le dessein pour-
rait avoir d'im ])eu
abstrait.
On trouve dans
ses origines les élé-
ments d'une person-
nalitéaussicomplète.
Husson, fils d'un
serrurier, a com-
mencé par apprendre le métier de son père, et l'art
du fer est resté sa principale occupation. Une
belle clef exécutée en cachette, montrée et vendue
trois ou quatre louis à un amateur, voilà le point
de départ de sa carrière. Entre temps, il suit
les cours de dessin, le soir, travaille à des
VASE (cuivre
133
L'ART ET LES ARTISTES
CriLLER A SITRE (art;<iit cisi-lc-i
mt-nbles dans \v guut ilc la Kiiiaissaïux-, i)i)ur le
compte (rcntrepifiK'Uis. aluliciiu' touti.' espèce
d'individualité, renonce à sa signature pendant
vinL;t-sept ans. ins(jn'an jour où le fondeur Hé-
hrard, discernanl to\it ce cpi'il y avait en lui
de talent dévoyé, d'orii^'inalilé véritable et de
sûreté technique, l'encourage et le rend pour
ainsi dire à lui-même.
Le genre d'existence q\w mène Husson explique
sa conception ornementale. 11 vit en jileine cam-
pagne, près de Mantes, dans une vieille maison
du pa^■s, au milieu des fleurs et des champs. Les
papillons et les coléoptères qu'il collectionne, les
plantes qu'il arrache ou qu'il entretient lui-même
dans son jardin, lui suggèrent chaque jour des
thèmes de décoration. Par l'exactitude et le
scrupule qu'il ajjporte à imiter la nature dans
'^(■s manifestations et dans ses combinaisons,
Hussein est un ]>ur gothique. C'est à Chartres,
à Reims et à Amiens, aux portails des cathé-
drales, aux ])iédroits qui se répartissent de chaque
ci")té des tympans, sur les chapiteaux fouillés
dans la ])ierre, que vous observerez le même
griiuillenunt de la vie humVile, simple, infinie
des cli.uuiis. le même souci naïf et presque en-
itiutui - ce mot veut définir la fraîcheur de
-■iiisatiiin \isiu-lle — à reproduire des détails
liimiblrs (pii >'harmo!iisaient à merveille avec
hi npréscntatiiin des saints et des apôtres,
mus du pciqile. coiimie chacun sait. Les Grecs
aimaient à sculjiter la feuille d'acanthe, parce
iinc l'acanthe abonde dans les jardins grecs. De
mi'ine. les artistes français du moyen âge re-
^'ard, lient autour d'eux : une bête à bon Dieu sur
une leuillc, un colimaçon sur un chou, un lézard
qui se laufile sur un mur, des feuilles de lierre,
\ii]là toute leur imagination. Ainsi Husson croque
iir son carnet des chauves-souris clouées à un
unir, des cigales, des libellules, du lierre, du panet
sauvage, des algues, des poissons, des colimaçons,
des bêtes à bon Dieu, des sauterelles, du houx.
11 les note avec leurs moindres particularités,
i\. ciuimie cet artisan du portail de Vézelay,
il remarque par exemple que les linéaments du
lierre qui grimpe se tordent au gré des spirales
d'enroulement. ]Mais ces notes, il ne les emploie
])as à tort et à travers. Toujours il leur donne une
destination logique, appropriée à l'usage de
l'objet qu'il s'agit d'orner. Sur la panse d'un grand
\'ase s'épanouissent les ailes éployées d'une
cluuu'e-souris, et entre les ailes, pour mettre de la
FEKMAIL (l.r cibi-le et îi.rgé)
134
L'ART F.r I.i:S ARTISTES
l'LAT DE CUIVRE CISELE ET KEPCJLSSE
variété dans cette ornementation un lun rii^iilr, il
prodigue la floraison du panit ^au\ai,'r. Aux
parois d'un petit vase, ce seront des cit;ales grim-
pant sur les graminées on
sur les roseaux son])les.
A un plat, il donne la
forme d'une coquille; une
tête de Sirène (ornrera k-
nœud de la cocpiille, et la
chevelure se r é p a n tl r a
parmi les algues. De jiart
et d'autre d'un j)lat à
poisson, il représente des
têtes de grondins. Je pour-
rais multi]>lier les exem-
ples ; j)artout c'est la
même harmonie entre le
détail ornemental et l'ai -
chitecture.
Le même équilil)r<-
existe entre le choix du
décor, la matière utilisée
et les techniques propres
à cette matière. Ici Hus-
son se montre un artisan
merveilleux autant qu'un
artiste et réunit les deux
termes de la hiérarchie.
Husson, qui est à l'oc-
.ision menuisier, exécute
parfois des émaux chainj»-
levés, dont on \-erra
quelques exemples à la
galerie Hébrard. Mais l'artl
du métal l'attire tout ])articulièrenient ;
Plusson aime à le forger, à le repousser,
à le ciseler, à l'incruster. Tantôt il emiiloie
ces (iratiques si diverses séparément, tan-
tôt il les combine, dans une exécution
souple et variée où se rencontrent des
délicatesses d'orfèvre et les accents ro-
bustes d'un ferronnier. A ces combinai-
sons de pratique, il ajoute des cond)inai-
sons de matière et les raffinements de la
patine. Il introduit ainsi, dans des objets
d'un usage familier et vulgaire, un peu de
citte noblesse que les artistes s'ingéniaient
à mettre, ])ar toutes sortes de moyens
comme la niellure, la damasquinure, la
ciselure et la fonte des métaux, dans les
armes dont on ne se soucie guère aujour-
d'hui, mais (pu i)articipaient à la gloire
de Godefroy de Hoviillou ou de la cour île
François F''' comliallant à l'avie.
D'une manière générale, il emjjloie le
cuivre rouge qu'il rejxjusse, parfois dans
une épaisseur formidable, pour former les grandes
lignes du décor. Là-dessus il Ncisr (Us roulées
d'argent. Si, à l'arrêt di' l.i - .;iir ilc
i
Hâi|
V.\SE EN CflVKE CISELE ET KEI'OISSE
135
L'ART ET LES ARTISTES
métal s'est solidifuV', vite il la cisèle, iniprovisant
dans cette menue matière un détail charmant, une
bête à bon Dieu, par exemple, qui fait songer aux
sourires de l'art japonais. Ainsi la conception naît
parfois de l'exécution, et ce que les romantiques
appelaient l'inspiration n'a tout bonnement qu'une
origine vulgaire et très prosaïque. Cela ne fait-il i>as
songer à ce mot de Reyer ? LIne femme lui deman-
dait : >• ("lier maître, cet air délicieux, vous avez dû
en trouver VuV'i- un soir, au clair de lune, sur le
bord d'un hu aux l'aux argentées, — Iih non ! rc-
]iondit-il : j'étais sur l'impériale de l'onmibus, à
liourrei ma ]iipe ! »
Pour ]>ar.iche\'er son (e\ivre, il la jiatine, et il
parvient ainsi à miir à la nervosité et à la diversité
de l'exécution le charme un peu \-oilé d'un objet
terni par le teuijjs. Là, il fait preuve, connue
M. Hébrard, non jias de je ne sais quel génie un peu
pervers d'imitation, mais d'un sentiment des
nuances tout à fait exquis. Il emploie plusieurs
procédés. L'anunonia(]ue est un des plus connus.
Dans d'autres cas, il enterre les objets dans des
terres cclIllpll•^|■■(■s. 11 reproduit artificiellement
les terres \-(il( ,iiii(pies de Pcmqiéi. jiar exemple, qui
ont enfoui jiendant des siècles les chefs-d'ceuvre
qu'on voit aujourd'hui au ^lusée de Naples. Il
remarque que les lironzes anciens exposés à l'air
prennent une patine différente suivant les i)ays et
les sulfurations contenues dans l'atmosphère locale.
Il arrose donc les bronzes a\-ec des eaux addition-
nées d'acides variés, qui attaquent lentement le
métal. Il observe, comme M. Hébrard, que les oxy-
dations s'o])èrent en raison des alliages, qu'une
goutte d'argent dans un kilogramme de bronze
varie à l'infini cette (jwdation, que les Japonais
ont ainsi dbteiui des ri'sultats merveillLUX. Et il
suit ainsi son ceuvre avec patience, de l'ébauche à
l'achèvement, pareil aux hommes du quattrocento,
dont il est le digne successeur.
Lé.\.ndre V.-\illat.
N. B. — Voici quelques indications complé-
mentaires sur le travail du repoussé tel que I2 pra-
tique Husson. On prend une plaque de métal que
l'on amène au moyen du marteau à la forme que
l'on veut obtenir et, toujours au marteau, on obtient
ensuite les sujets décoratifs. Ce travail pourrait
s'appeler sculpture au repoussé. C'est en effet le
métal que l'on modèle au moyen du marteau comme
on modèle la glaise avec les doigts.
Ce travail se fait à froid, mais il est nécessaire à
tout instant de chauffer le métal au rouge pour lui
donner de nouveau la malléabilité qu'il a perdue par
le travail au marteau.
Pour l'incrustation, il faut, sur la pièce que l'on
\-eut incruster, champlever le métal dans la forme
que l'on veut donner à son ornement en relevant
légèrement les bords qu'il faut rabattre sur le
métal appliqué dans les intailles.
Il ne reste plus alors qu'à modeler et ciseler ces
ornements. Quant aux coulées de métal, c'est tout
autre chose. La pièce, préalablement chauffée
dans un brasier qui l'entoure de toutes parts, reçoit
le métal cpie l'on tient liquide dans un creuset,
et ipie l'on applique au moyen d'une spatule en
liirme (le cuiller. C'est une opération très délicate,
car il faut surveiller sa pièce qui pourrait fondre,
ce (pii anéantirait en un instant le travail de plu-
sieurs semaines, peut-être de plusieurs mois. Ces
coulées sont modelées à chaua sur la pièce même
jicndant la fusion et retouchées une fois re-
Iroidus.
COFFRE (bois et pcntures de fer furgé
136
AMAX-JEA\
~i\^ ,1 I iMi;.\: ii;k
LE MOIS ARTISTIQUE
i©4®s s^îT le Sateim
Je la S(S)e5éfté Mi\(l5©iîïïa\E(
LE lecteur voudra bien nous excuser de la briè-
veté extrême de ce compte rendu sur des
raisons qu'il comprendra facilement.
D'abord l'apparition, le mois dernier, d'un
numéro spécial sur la magnifique exposition de
portraits de femmes anglaises et françaises au
xviii« siècle, à la salle du Jeu de Paume, nous ren-
dait presque impossible de consacrer aux Salons
du Printemps un second numéro tout entier, ainsi
que nous le fîmes l'année passée. Mais, outre que
ces numéros, à moins de rappeler une manifesta-
tion de première importance et d'art ancien
(comme en mai), peuvent être de nature à rompre
l'harmonie dans la collection de l'année, il faut bien
avouer que les Salons du Printemps sont loin de
présenter l'importance esthétique qu'ils avaient
autrefois. I.'habitude chaque jour plus répandue
des petites expositions, où l'on peut se rendre compte
de l'ensemble de l'a-uvre d'un artiste, rend superflue,
en quelque sorte, l'exposition générale des mois
d'avril et mai, où toutes les écoles se heurtent, où
toutes les techniques se coudoient.
La grosse majorité des producteurs du Salon a
donc déjà jm être examinée, en jiarticujier, dans les
exhibitions de la saison : c'est pourcpioi nos lec-
teurs sont pries de ne pas demander à cette étude
une vue d'ensemble impossible à établir et de ne
jias tenir compte du manque nécessaire de propor-
tions dû au fait que des artistes moins célèbres,
mais n'a^'ant pas exposé en particulier, sont plus
cités que d'autres, ]>lus connus, mais déjà révélés
et appréciés.
Ceci dit, remarquons que la pcintme décorative
— la vraie jjeinture, celle du passé et de l'avenir,
la peinture logique — offre cette année quelques
réalisations particulièrement heureuses.
Citons, hors de pair, l'admirable panneau des-
tiné à la décoration de la coujiole du Petit Palais :
la Plastique, et qui fait partie d'un ensemble de
quatre compositions. M. Albert Besnard voit les
choses de la nature et celles de ses rêves du même
regard sûr et stlon les plans qu'il veut. C'est un
peu notre Tiepolo, à nous Français du xx^ siècle,
mais avec de la pensée en plus ; et les Baigneuses
de M. Alfred Koll (une décoration pour une villa),
une véritable féerie de nacres et de roses, s'appro-
137
L'ART ET LES ARTISTES
fondi^jant dans des bleuités délicieuses; et du
même aussi une Rcptihlique vêtue de rouge et
volante et belle ; et V Après-midi d'un faune et les
Roses d'Ispdhan, interprétations picturales des
musiques de Debussy et de Gabriel Fauré par
M. Lévj'-Dhurmer ; et le Repos, d'un aspect déco-
ratif, si délicat, si distingué, et d'un sentiment si
profond, de M. Pierre Cornillier.
L'Age d'or. Rêve antique, la ]'ie pas/orale, trois
diptyques destinés
par ^L René ^lé-
nard à la décoration
de la Faculté de
Droit, marquent une
véritalde apo.^ée
dans son talent rê-
veur, noble et jien-
sif, et elles méritent
notre admiration,
ainsi que les Cheini-
;k-(ï».v,labelleettorte
toile de ^l. Lher-
lllitte.
J'avoue le goût
profiuid que j'ai
jiDiir les rêves de
M (iaston La Tou-
che. ( )n l'accuse de
bien des choses. mai>
qui donc, sinon lui,
donnerait aux sim-
ples jiaysages pari-
siens ces apparences
de fantaisie et de
folie, en les remplis-
sant d'amours, de
singes, de roses ?■
Le Groupe païen
de M. Caro-Delvaille
(qui montre aussi un
portrait fort élégant
de ^Nlnie Simone) atteste la grâce et la forte beauté
de l'inspiration de ce poète des nus. Et n'oublions
pas la grande composition de yi. Aman-Jean, Comé-
die; celle de M. Auburtin : l'Essor: celle aussi de
^L Dubufe : le Dépari ; le grand panneau de 'SI. Si-
monidy : le Travail, où se retrouvent en s'y perdant
un peu ses qualités de bon peintre de petites toiles :
celles de M. Rixens, de M. Pierre Lagarde, etc..
Il faut tout citer de M. Le Sidaner : l'Ile des
pécheurs (neige), la Treille. le Pavillon, les Iles
(soleil couchant), la Vasque (clair de lune), Isola
madré (clair de lune) , mais surtout les deux derniers
tableaux. Personne autant que lui n'est capable de
dégager l'intimisme d'un paysage, d'en transcrire
l'impression ps}'chiquc, et pourtant il a des frères
P.-E. CORXILLIER
intellectuels, ne serait-ce qu'en M. Duhem et en
;\Ime Duhem, rivalisant tous deux de rêverie et de
mysticisme ; et l'exquis M. Le Jlains. Irai-je ou-
blier les très beaux paysages d'hiver de M. Pierre
Boyer ?
Les petites choses de ^L ^lorrice sont de plus en
plus des « riens » par la dimension, mais aussi de la
peinture de plus en plus exquise. C'est un \\ histler
lamilier auquel M. Francis Jourdain pourrait tendre
la main avec un rien
de goguenardise.
Souvenirs d'É-
_:\pte ou de Breta-
-;ne, les œuvres que
M. Cottet expose
( ette année accusent
une maîtrise défini-
tive, nus puissants
■ t sombres, et suite
d'eaux-fortes d'une
:.ire beauté.
On avait déjà vu
lu Salon d'Automne,
ï son exposition par-
liculière, les peintu-
res remarquées - au-
jourd'hui de M. Le-
père, et personne ne
songe à s'en plaindre.
Leur saveur et leur
arâce ne nuisent pas
à leur solidité.
Jolies, les vues du
Luxembourg de M.
La Gandara, et non
moins jolie, .l/"îfc' .4...,
toute en gris-perle, à
la mode de demain
et somptueuse. A
mentionner aussi le
très intéressant In-
t les spirituelles scènes
teneur du duc de Guiche
de iTKeurs de Jeanniot.
Les SIX tableaux envoyés par M. Jacques Blanche
sont d'une étourdissante habileté, mais surtout
l'Esquisse d'un portrait de Sir A . N. B'\ qui est d'un
maître par son autorité, sa verve, son « attaque ».
Le nu de 'SI. Armand Point : Solitude, se déroule
avec noblesse contre une forêt poétisée par l'au-
tomne, et le Portrait de mon fils est d'une délicatesse
exquise.
M. Santiago Rusiûol ne nous lassera jamais des
merveilleux jardins d'Espagne et des Baléares, dont
il nous envoie chaque année les souvenirs décoratifs
et poétiques.
SI. Boldini, plus crispé que jamais, n'a rien perdu
138
L'ART ET LES ARTISTES
CARO-DELVAILTE
PORTRAIT DE MADAME SIMONE
de son élégance : la Comtesse P... a l'air d'être
dessinée furieusement ; M. Raymond W'oog n'a
non plus guère bougé comme portraitiste, a\ant
atteint du premier coup une certaine perfection
savoureuse. M. Louis-Picard s'adonne de plus en
plus au plaisir qu'il éprouve à rêver ces visions
bleues, mystiques, vaporeuses et comme spirites
dont il nous a révélé le cbarme. Les portraits de
jeunes filles de Mlle Marie Bermond, non loin de
lui, sont dignes d'attention. Ceux, masculins, de
M. Ernest Bitler (peintures à l'œuf) sont d'un trait
consciencieux et net qui satisfait tout ce que nous
gardons en l'esprit de linéaire.
Citons encore, comme portraitistes : M. Geo-
\V. Lambert et son prestigieux groupe : le Chapeau
bleu ; les adorables babies de Mlle Béatrice Hovo :
de pures caresses, des merveilles de dessin compré-
hensif et de couleur joyeuse; c'est tout petit, mais
il faut les voir ; la Femme en bleu et la Femme à la
plume rouge, d'une observation si intense, de
^L Ethel Mars ; The Parleur Maid et la délicate
Mrs Geofrey Birbeck du souple et charmeur M. La-
very ; The Sculptress {Miss Bruce), ])ensive étude
de femme du pensif Charles Schannon ; les étranges
et maladives effigies de Mme Olga de Boznanska ;
de M. Maurice Wagemans, une Dame au manchon
qui est de la belle peinture ; le Portrait de M. Emile
Hinzelin, par M. Emile Priant ; les portraits si
précis de M. \\'eerts ; .V. Phil May de M. James-
Jebusc Shannon ; ceux de iL Carolus-Duran, et
bien d'autres, peut-être aussi intéressants, que je
dois oublier.
M. Myron-Barlow est aussi fluide et bleu que
l'an dernier dans ses scènes de la vie familière ;
/(( Petite Coquette de M. Hopkins est une bien jolie
enfant. La Femme nue et les portraits de M. Eugène-
Paul Ulmann sont d'une maîtrise propre à faire un
peu oublier son homonyme Raoul-André et ses
marines mélancoliques, mais un peu ]iareilles ; le
supcrba ensemble de dessins il de ])astels de
]\I. Dagnan-Bouveret.
J'ai eu la joie de quelciues dérouvertes, entre
autres M. Cockeroft : Mardi-gras de ma fenêtre,
fantaisie charmante exécutée dans la technique de
M. Morrice ; ^I. Gustave Greux, un paysagiste
raffiné, chatoyant ; ^L Costantini, dont le tableau
Jaune et noir affirme des qualités d'audace et de
grâce pleines de promesses : c'est net, frais, neuf,
c'est très bien ; enfin surtout M. \'incent Irolli, dont
la Femme aux poules est un morceau de jiremier
139
L'ART ET LES ARTISTES
LL ( lEX SLMON
LA COLLATION
ordre, rutilant comme un Munticelli, merveilleux
à regarder.
Je ne connaissais pas ]\L Fanctl La Farge, pas
plus que Mlle Élizabeth Xourse, mais je me suis
aperçu que notre éminente collaboratrice Mme A.
Seaton-Schmi<lt n'avait pas exagéré en nous en
disant si graml bien.
Citons enfin, en nous excusant ])his que jamais
sur l'ingratitude d'une telle tâche : iL Willaert,
ilme Jlac-Monnier, ^L Marcel RoU dont la pein-
ture est si lumineuse et qui avoue dans ses dessins
une si noire tristesse métaphysique, M. Berton
avec son beau nu de femme, ^BL Gaston Gui-
gnard, A. Gumerj', Migonney, Ablett, Hagborg,
Iwill plein de lumière et d'espace, Louis Dumou-
lin, Montenard, Jules Flandrin, Bonnencontre et
ses visions chiliennes, Muemer, J. Mcsté mélanco-
lique, Henri Gsell, Albert Guillaume, Berton aux
merveilleux nus dorés sur des fonds mauves, Pri-
net si spirituel, Raymond Kœnig avec ses vues
si vivantes et si lumineuses de Vile Bréhai. Walter
Gay, Guirand de Scevola, Jean \'eber toujours
surprenant de verve et d'humour, Pierre Brac-
quemond avec ses nus d'une souplesse si forte et si
lumineuse. Albert Lebourg, Prunier, Waidmann,
Dauchez, Hochard, Richard Stone, Maurice Boutet
de ^lonvel (une très moyenâgeuse Histoire de
Jcaïuic d'Arc), Gervex, Frieseke, Boyer, Morisset,
Clans automnal et magnifique, Harold Speed,
Edouard Sain. Maurice Denis. Marius Michel,
Rupert Bunny. Piet. Garrida étonnant de trucu-
lence, Simon plein de clarté, Dinet, Castelucho
[Chair et étoffes, et quelles étoffes !), Lebasque, Louis
Bracquaval, Zacharian, Pinchon, Maufra, Minartz
observateur de la fête. La Rochefoucauld, Gallén-
Kalléla, delà Xézière, Smeers, Laurent-Gsell, Suréda,
Jean Frélaut, Hayley-Lever, Irving Bacon, Mme Lu-
cienne Boulanger, ^OL Damoye, Saint-John Cadell,
^laurice Tête, Fornerod, de Kollmann, Guillaume
Dulac {le Joyeux Seuil, œuvre lumineuse et belle).
L'ensemble de la sculpture est honorable, mais
ne présente pas un intérêt bien vif. Il ne semble pas
que nous nous trouvions en présence de tentatives
originales. Quelques-unes de celles qui nous avaient
paru telles les années précédentes ont eu le temps de
créer des poncifs. Si les imitateurs de M. Rodin
sont légion, il y a aussi ceux de M. Maillot, ceux de
"M. Schnegg, bien d'autres encore.
140
.■ART ET LES ARTISTES
La petite salle consacrée à la rétrospective
d'Alexandre Charpentier atteste une fois de plus
la valeur considérable de ce créateur si varié, aussi
gracieux que puissant, son sentiment de la vénusté
des corps féminins ne contredisant pas la force
fruste de son inspiration populaire, incessamment
renouvelée. La perte qu'a faite là la sculpture
française est irréparable.
M. Rodin n'expose qu'un portrait de femme
mentale fontaine it une rharmante ligure), Alberl
Mulot, Agathon I,éonard, André de Chastanet.
[Mme Besnard, MM. Bugatti, Dejean (un des plus
ravissants statuaires de notre temps et qui n'est pas
du tout à sa place : sa Décoration de cheminée est une
merveille de goût), Despiau, Constantin Ganesco
(réaliste énergique et verveux), Halou, Injalbert,
[Mestrovic, Lucien Schnegg, Edouard Wittig, un
des plus forts de la jeune génération de sculpteurs
(,A^T().\ l.AK 1(111: - I .\ .M.\K( H.\M-)E d'.\M( rK>
(marbre), mais il est de Rodin ; et M. Bartholomé
un buste, un haut relief et une statue où se
retrouvent sa suprême mélancolie et son charme.
Citons, car la place nous manque, les superbes
animaux en bois de M. Geo Lefèvre, les terres
cuites de I\L de Cedercreutz, la belle statue en bois
de JL Lacombe, le superbe buste de M. Jean-René
Carrière, la jolie vitrine de ^I. Lerclic, les envois
si gracieux et si puissants à la fois île
M. Desbois, les délicieux bibelots de Mme Jane
Poupclet, les bêtes de M. Steinlen et celles du prince
Troubetzskoï, et les envois de ^IM. Henri \'ernhes,
Aronson, Broiuberg, Lamourdedieu (une monu-
{le Poète), l'impressionnante Hi-calc de Pierre
Roche, etc.
Au.x sections de gravure, des>ins, jxistels, etc.,
il ne me sera possible que de citer des noms, malgré
le talent considérable dépensé là. Une salle entière
est consacrée aux dessins et pastels de >L Dagnan-
Bouveret. Disséminés de part et d'autre, les envois
de MAL Prunier, Dufrcsne (jolis comme des Drcsa),
Hochard, Ivanoff, Le Mains, Etienne de Lierres,
Jakimovicz, Léon Kaufman, Ludvik Strimpl
(dont le talent s'affirme de jour en jour), Mmcs Cu-
rot-Barberel et ALaric Bermond, MM. Biessy, Bel-
trand, Beurdeley, Chahine, Pierre Gusman,
141
L'ART ET LES ARTISTES
]\Ille Anna Ganliner. MM. Jeanniot, Paillard.
\'alère Bernard, etc.. etc.
Les sections d'art décoratif sont, à mon avis,
beaucoup plus intéressantes que toutes les autres
(du moins à ne considérer que les ensembles). Il
V a là des réalisations exquises et parfaites de goût,
d'ingéniosité, d'esprit, d'arrangements.
Citons, tout à fait hors pair, la vitrine de M. Frank
Scheidecker (des cuivres d'une originalité suprê-
mement élégante), les bonbonnières en bois sculpté
de M. Carabin : grenouilles, araignées, limaces ; les
tapisseries de Mme Blanche Ory-Robin, les reliures
de M. Charles ^leunicr, la vitrine de Mme Georgette
Strimpl, celle de M. André Marc (reliures), les
envois de MM. Henry Xocq, Lafitte-Daussat,
ilaurice Dufrène (écharpes), Taxile Doat, Léod
(porcelaines), Dammouze (les abat-jour en pâte de
verre). Walter Crâne (admirables papiers peints),
Dampt, Delaherche, John Dunand, Moreau-Néla-
ton, les magnifiques émaux de la princesse
Marie Ténicheff, une grande dame doublée d'une
noble artiste. Edmond Barbarroux (frise décora-
tive : hérons, arums, nénuphars).
N'oublions pas enfin de mentionner, à l'archi-
tecture, les projets intéressants de M. Charles-
Henry Besnard, de M. Julien Poiti (très curieuse
tentative d'art religieux), de MM. Selmersheim,
Périllard. etc. F. M.
Cl. y,::avona.
MEMENTO DES EXPOSITIONS
Grand Palais des Chainps-Élysies. — S;ilon annuel de la
Société des Artistes français : peinture, sculpture,
Sravure, arts décoratifs, jusqu'au 30 juin.
JiiiJiu des Tuileries, salle du Jeu de Paume. — Exposi-
tion de Cent portraits de femmes célèbres des écoles
anglaise et française du xviii'? siècle.
Louvre {pavillon de Marsan). — Union centrale des Arts
décoratifs. Exposition de la Société de l'Histoire du
costume, jusqu'au 10 octobre.
Mtisie Gatliera, 10, rue Pierre-C/iaiiun . — Exposition
générale d'art appliqué tous les jours de 10 heures
à 4 heures, le lundi matin excepté. — Prochaine-
ment : E.xposition des papiers et toiles imprimés et
])Ochés.
Palais de Olaee des Champs-Elysées. — Troisiéir.e Salon
des Humoristes, jusqu'au 15 juin.
Cerele artistique et littéraire, 7, tue Volncy. — Treizième
Salon international du Photo-Clul).
Coopérative des Artistes, 3, rue Laffitte. — Exposition
permanente d'œuvres de maîtres modernes.
Lyceum Club. — Exposition de l'Enfance ' sujets enfan-
tins, portraits fantaisie ayant rapport à l'enfance,
peinture, sculpture, gravure, etc.
Galerie Durand-Ruel, 16, rue Laffitte. — ' Les Nymphéas »,
série de pay.sages d'eau par Claude ilonet.
Galeries Georges Pttit, 8, me de Sè:e. — Expositions Louise
Abbema, Cecil Aldin. Mme Faux-Froidure (aqua-
relles), William Horton, Société des Pastellistes
français, Jan et Tade Styka.
Cercle international des Arts, 97, boulevard Raspail. —
Deuxième exposition de la Société des Artistes ani-
maliers.
Galène de l'Art contemporain, 3. rue Tronchet. — Exposi-
tion de paysages par R. Thibésard.
Galerie Devambez, 43, boulevard Malesherbes. — Exposi-
tion Maurice Eliot, jusqu'au 15 mai ; Gabriel Roby
(aquarelles et pastels du pays basque); Jean Peské
(tableaux, dessins et eaux-fortes).
Galerie des Artistes modernes, 19. rue Caumartin. —
Deuxième exposition de l'International Art Union
(dames).
Galerie J. Allard, 20. rue des Capucines. — Exposition
d'œuvres de M. Barthold.
Clu: Pellet, 51, rue Lepelletier. — Exposition des der-
nières oeuvres de Louis Legrand.
Galerie Boissy d'Anglas, 39. rue Boissy-d'Anglas. —
Œuvres de Frank Boggs.
Galerie Bernheim jeune. 15. nu: Richepance. — Exposi-
tion Luce. Aquarelles et pastels de Cézanne, Cross,
Degas, Jongkind, Camille Pissarro, K.-X. Roussel,
Signac. Vuillard.
Galerie Druet. 20. tue Royale. — Louis Siie. — Gascella.
— Élie Xadelman. — Paul Gauguin. — Armand
Guill^umin.
142
Le Mouvement Artistique
à l'Étranger
ALLEMAGNE DU SUD
¥ Tn nouvel épisode de la vigoureuse défense qu'oppose
^■^ Munich à la concurrence des autres grandes villes
d'Allemagne, qui s'efforcent de lui ravir l'hégémonie
dans le domaine de la culture artistique, est la toute
récente campagne entreprise pour doter la capitale ba-
varoise'd'un jardin zoologique, comparable à ceux qui sont
l'une des attractions de Berlin, de Francfort ou de Ham-
bourg. En efïet, tandis que dans ces trois villes on avait
invoqué le bénéfice de l'histoire naturelle, du commerce
et du développement colonial, à Alunich c'est des artistes
et des élèves des innombrables écoles d'art qu'est parti
le mouvement. Pour bien faire comprendre au public l'uti-
lité d'un jardin zoologique au point de vue artistique, le
Kunstverein a. improvisé une e.xposition de V Animal dans
l'art qui, pour n'avoir été ni très bien ordonnée, ni complète,
n'en a pas moins présenté un e.xtraordinaire intérêt. .\ vrai
dire, prétexte spécieux à une foire artistique de plus....
Quant à la démonstration à laquelle on tendait, le lion de
Saint-Marc dans la nuit, copié grandeur nature, par M. Cai-
rati, des fenêtres du Palais royal aux nouvelles Procuraties,
suffisait.
II s'est agi, il va sans dire, d'art allemand et d'art mo-
derne ; sanscela il est évident que les locaux du Kiinstverein
n'eussent pas suffi. Et encore, à notre avis, étant donnée la
tin à laquelle on tendait, eût-on pu élaguer, d'emblée, l'ani-
mal ornemental des exercices de pochoir des écoles il'art
ajipliqué, et tout ce qui s'inspire des animau.x domestiques.
Bien plus, pour être dans le vrai, fallait-il éliminer toute
■^péce de représentation où l'animal de nos contrées est
iinipris comme élément d'un paysage et celles où il est
représenté en nature morte. L'éternel renard, pendu à un
clou avec un fusil, un carnier et un rameau de sapin, pas
plus que le troupeau de moutons errant dans le moos de
Dachau, sous un vaste ciel lumineux, n'avaient, à propre-
ment parler, le droit de figurer à une telle exposition. Je
l'aurais voulue restreinte aux « Japonais d'.\llemagnc > ,
si je puis ainsi dire ; aux artistes très rares et très raffinés,
qui s'intéressent à l'animal pour lui-même, l'étudient dans
sa vie et ses habitudes, avec un amour de romancier, une
finesse de fabuliste et une passion de naturaliste; ou bien
aux très sérieuses études d'après l'animal, que sont amenés
à faire de très grands artistes, pour telles de leurs œuvres où,
accidentellement, figurent des lions, des serpents, des
aigles. Tout le reste au point de vue animal dans l'art
me parait simple bavardage. Ainsi je n'eus pas admis
même ces admirables poissons dont les Lenbach et les
Hermann Urban font d'abord, pour s'ouvrir l'appétit,
des jeu.x de palette eux-mêfnes si appétissants ; tandis
que, du même Herjrann Urban, l'immense cigogne traver-
sant, dans sa course vers le nord, un ciel printanier ù'agro
yomauo, et formant un avant-jilan céleste diagonal, de tout
son plumage éployé, d'un gris, d'un blanc et d'un noir
sévères et sobres, à un immense paysage à vol d'oiseau, c'est
le cas de le dire, fuyant bien vert, avec le frisson de toute
l'efftorescence de ses arbres, jusqu'à l'horizon où roulent
encore les frimas, me parut rentrer excellemment dans les
limites, soit précisément naturalistes, soit de grand style
animalier, que j'eusse voulu assigner à cette exposition trop
ménagerie, écurie et arche de Xoé. Imaginez qu'une
rétrospective de ce genre se fit : j'y voudrais par e.xemple
Barye, Bodmer, Saint-Marcel, Delacroix, les serpents de
Gustave Moreau préparatoires à son hydre de Lerne, les
lions de Gysis étudiés à Francfort pour sa Bavaria, mais
point du tout Troyon ou Jaques, ou même Segantini, sou-
vent le plus expressif des manières et allures du troupeau.
C'est dire que d'aussi excellents animaliers que MM. Zugel
et Tooby, orgueil des expositions sécessionnistes, avec leurs
moutons, leurs chevaux et leurs basses-cours, conçus en
paysages ou en problèmes de couleurs, me paraissent ordi-
nairement moins faits pour la démonstration souhaitée,
que lorsque le premier d'entre eu.x nous montre cette mare
éclaboussante de soleil, peuplée de pélicans et de flamants.
Il faut regretter aussi que le type du peintre, voyageur et
explorateur, soit absent d'un tel concours : il y avait bien
là quelques éléphants, donnant leur couleur locale à des
paysages du Cameroun, mais rien qui valût, en étrangeté et
en conscience, les moindres dessins et aquarelles rapportés
d'.\sie centrale par M. Pranischnikof, ni surtout les scènes
de la vie des poissons et oiseaux d'Islande de M. Lysmann,
(le Hambourg.
En revanche, M. Paul Neuenborn nous a donné, comme
il le fait du reste depuis de longues années, à défaut de
la haute leçon esthétique occidentale rêvée en réponse
à ccttequestion : A quoi sert l'animal à t'arlislc? ou du petit
cours d'histoire naturelle japonais qu'amènerait cette
autre : Raconter le charme et la beatttf de telle ou telle béte,
une série d'e.xemples parfaits de ce que va aimer et chercher,
dans une ménagerie ou un jardin zoologique, cette sorte de
spécialiste ou de maniaque qu'on pourrait appeler le vir-
tuose de l'animal ; celui qui se comporte à l'égard des bêtes
exotiques comme un pianiste, cherchant des traits brillants
et des occasions de se faire valoir, bien plus qu'il ne nous
révèle les musiques intérieures de son âme et de celle des
maîtres interprétés. Lorsque des surfaces énormes de toile
ou de papier sont couvertes de cent postures et lignes enche-
vêtrées de rhinocéros, de serpents, d'ibis, d'autruches,
M. Neuenborn est content. Ce sont chaque fois des congrès
d'une seule espèce, une ochlocratie d'animaux exotiques,
dontcertainssont vus, je ne le nie pas, avec un véritable sens
de la vie et traduits parfois, grâce à d'admirables dons de
14.3
r,'AKÏ ET LES ARTISTES
peintre, avec une verve coloriste extrêmement heureuse :
mais comparez à la moindre estampe japonaise. Aucune de
ces bêtes n'ad'individualité, n'a son expression, sou allure, sn
fi ,2;ure.... Tel caricaturiste de notre temps, comme Caldecott ou
Caran d'Ache, pourrait sous ce rapport en remontrer à
M. Neuenborn, Rappelez-vous la ^'isitcà la ferme del'un et le
Cheval d'après Biiffon de l'autre. M. Xeuenborn construit, à
propos de bêtes, des fugues de lignes ou des symphonies
de couleurs. Il obtiendrait les mêmes résultats, à peine
moins étranges, avec des éléments paysagistiques, des
étoffes, des intérieurs.... C'est l'amour de la difficulté vain-
cue, de l'enchevêtrement et des bigarrures fabuleuses, plus
que l'amour de l'animal, et il n'est pas besoin, de toute
nécessité, de l'animal pour obtenir ce qu'un art pareil peut
offrir d'en\"iable à la cmiosité de nos \'eux. loute la \"eu-
lerie des animaux en captivité se retrouve du reste au fond
de ces brillantes improvisations, qui essaient de nous donner
le change.... En soi, l'animal ne se peint avec fidélité
qu'en liberté : regardez le moindre croquis de Bodmer ou
le moindre feuillet japonais.
Regardez en revanche encore une fois le lion de Saint-
Marc, grâce à M. Cairati. Cet animal-là est bien mieux
viable, et encore mieux un lion, que le lion de la Fiancée
du lion de quelque Gabriel Max, étudié en quelque jardin
zoologique. Un vrai réaliste, comme un Menzel, ne va dans
ces tristes lieux peindre que la foule. Un vrai grand artiste
de style s'en passe et substitue sa création à la nature.
Enfin, un véritable animalier ne peint pas d'animaux en
captivité. Un jardin zoologique ne produira jamais de
Livre de la Jungle. William Ritter.
ANGLETERRE
y .\ ci-nt trentième exposition de la- Société loyale
^^ d'Artistes 1 ritanniques signale les débuts d'un jeune
peintre écossais : Joseph Simpson, qui jusqu'à présent est
plus connu dans le journalisme (il a fait des caricatures excel-
lentes en noir et blanc) que dans la peinture. Son portrait
d'une dame russe, Re:ka. est vigoureux, bien modelé et
plein de caractère. M. Simpson appartient à l'école la plus
jeune d'Ecosse, une école pour laquelle Raeburn, Whistler
et Manet sont les grands maîtres. Cette école est plus
exactement un groupe de trois, Peploe. Fergusson et
Simpson, qui sont beaucoup plus jeunes que les peintres
connus de Glasgow, et même plus jeunes ipie leurs frères
aînés d'Edimbourg : William Xicholson et |,iines Pryde.
Une nature morte : la Dame Blaiiehe. du même ])eintre
(Simpson), montre de belles qualités de couleur, de tex-
ture et d'arrangement. Il est regrettable qu'un membre
aussi fort que M. J.-D. Fergusson ne soit pas représenté
à cette exposition, mais un autre peintre nous sollicite :
JI. Fred Fd. Foottet envoie un hardi arrangement d'or
et lilas, Coucher de soleil sur le Medway. L'influence de
ces deux artistes luministes commence à se faire sentir
dans la société et des études d'effets lumineux qui donnent
de grandes espérances nous sont montrées par M. Gardner
Symons et d'autre.s.
L'actuelle exposition d'été au Xew Gallery a été entiè-
rement réorganisée. Un nombre limité (loo) d'artistes
sont associés au nouveau New Gallery Company et garantis
d'un paiement de dix livres (250 francs) par an pour cinq
années en échange d'un droit sur un certain espace du
mur. Les associés seuls ont le droit d'exposer et ils ont le
droit d'envoyer trois œuvres. La première exposition
sous ce nouveau régime n'offre pas de grandes surprises.
E.-A. Walton expose un grand paysage, une harmonie en
bleu et blanc, qui est vraiment charmant, et George Henrv
envoie un groupe décoratif de femmes modernes dans un
liois. le soir.
Il y a aussi au New Gallery un Hornel caractéristique,
une mosaïque par Brangwyn. et de bons portraits par
Lavery. Harold Speed et Harrington Mann.
Comme rivale à cette dernière, on a inauguré une e.xpo-
sition intéressante au Grafton Galleries où se trouvent
d'excellents tableaux par Lavery, William Nicholson,
James Pryde, C.-H. Shannon. Harrington Mann, William
Orpen. et d'autres membres du New English et Interna-
tional. Le clou de cette exposition est le grand groupe d'une
famille bohémienne dans lequel M. Augustus John montre
une naïveté primitive de forme et de couleur.
L'exposition de la Royal Academy, cette année, nous
donne quelques nouveautés. Un jeune sculpteur, Merv\ni
Lawrence, débute avec une statue d'homme à la Rodin
et pleine de vie; un jeune peintre, Gerald Kelly, réussit à
merveille un portrait : Mrs Bendixson. très solide et digne,
décoratif, avec des valeurs scrupuleusement observées.
M. George Clausen R. A. montre des paj'sages et des pas-
torales exquises, où il joint la science luministe de Monet
au sentiment tendre de Jean-François Millet. Sargent
envoie un portrait superbe de Lord Wemyss et un très
médiocre de Mrs Astor; mais son chef-d'œuvre, et le clou
de l'exposition, est son panneau décoratif pour la biblio-
thèque de Boston. Le titre en est Israël et la Loi, et M. Sar-
gent traite son thème avec la plus grande simplicité et une
beauté solennelle. Contre l'azur du ciel, un groupe d'auges
drapés de rose déroule le rouleau d'or de la loi. Le ciel
palpitant et radieux, les attitudes calmes et sereines,
d'une beauté toute classique, et leur emplacement sculp-
tural produisent un effet majestueux, et expriment bien
le pouvoir de la loi. tandis que les douces couleurs, les
gris, les roses, les bleus, expriment sa douceur, l'harmonie
qui s'accomplit dans l'obéissance.
Fr.\xk Rutter.
144
L'ART ET LES ARTISTES
ETATS=UNIS
A Lx États-Unis, les expositions d'art se multiplient
■^^ énormément cet hiver, surtout à New- York et à
Boston, où le mouvement artistitjue est toujours plus
accentué.
Parmi les expositions particulières de Xew-York, celles
de John La Farge et de John Alexander ontattiré beaucoup
d'attention, mais, plus que toutes les autres, celle, char-
mante, des œuvres de Joaquin Sorolla y Bastida attira le
public.
Un de nos riches Américains. M. Archer Huntington,
vit ces tableaux en Espagne, et les admira tellement qu'il
conçut le projet de les montrer à ses compatriotes.
Avec la permission de l'artiste, il a transporté toute cette
beauté, toute cette chaude lumière, cette atmosphère
espagnole, à Xew-York.
En un seul jour, plus de vingt-neuf mille Américains
les ont visités. Jamais tableaux chez nous n'ont attiré
si grande foule : deux cent mille personnes en l'espace de
deux semaines ! \"raiment, cette collection était la bien-
venue à Xew-York. où les journaux, les critiques d'art
lui ont accordé un si chaud et généreux accueil !
Les poètes lui ont adressé leurs vers, nos meilleurs écri-
vains l'ont louée ; tout le monde a rendu hommage au
génie du peintre.
On lui a offert presque deux millions de francs pour la
collection !
Pourquoi cet enthousiasme extraordinaire?
Est-ce que notre pays commence à avoir soif du Beau et
que les tableaux de Sorolla ont fait appel à son amour pour
la lumière, pour la vie éclatante de l'Espagne?
Ou, raison plus profonde, que l'artiste a touché nos cœurs
avec ses portraits d'enfants et de mères, avec ses inter-
prétations de la vie universelle, dans laquelle chacun de
nous joue un rôle?
A Boston, on s'impatiente, parce que ces tableaux mer-
veilleux étaient allés d'abord à X'ew-York. En les atten-
dant, on put visiter l'exposition allemande à Copley
Hall.
Mais l'esprit des artistes allemands n'est pas d'accord
avec l'esprit américain, au moins dans leurs iieintures.
Xous adorons la musique de l'Allemagne, mais pas ses
tableaux.
Xéanmoins. on trouva cette exposition fort intéressante
parce qu'elle fournit une bonne occasion de comparer les
tableaux allemands aux peintures américaines exposées
en ce moment au » Art Clubs » de Boston, surtout aux
œuvres de William Paxton, un des poitraitisles les plus
forts de Xew England.
Comme presque tous nos artistes jieintres. Paxton apprit
son métier à Paris.
Il a beaucoup voyagé en Espagne, en Italie, en Hollande,
pour étudier les maîtres d'autrefois. Xaturellement. il a
subi l'influence de Velasquez, de Leonardo, de Gainsbo-
rough et d'Ingres; comme tout homme moderne, il doit
beaucoup aux grands siècles du passé. Malgré cela, son art
est resté tout à fait personnel.
Il possède son métier, mais il a le dédain le plus sain des
recettes de n'importe quelle école.
On lèsent dans les beaux portraits qu'il a faits en plein
air. en pleine lumière. Comme Claude Monet, il pense qu'un
peintre perd quelque chose s'il retouche à l'atelier ses
tableaux faits en plein air: alors, il veut les y finir complè-
tement. Tâche difticile, mais c'est un ouvrier infatigable :
il cherche la vérité de la nature avec une ardeur, une sin-
cérité suprêmes.
S(m portrait du président Cleveland exprime le grand
caractère de cet homme intellectuel si clairement que
Cleveland lui-même a préféré celui-ci à tous ses autres
portraits, parce que l'artiste n'a pas représenté seulement
ses traits, mais aussi son âme.
Paxton. Sarbell, Benson et Decamji forment un groupe
d'artistes fort intéressants.
Ils demeurent tous à Boston, mais leurs œuvres sont
aussi connues à Xew-York, à Pittsburg.à Chicago. Partout
on les regarde comme les hommes de l'avenir. On dit que
la vraie renaissance de la peinture a déjà commencé aux
États-Unis, et que ce groupe est sa force et son inspiration.
A. Se-\ton-Schmidt.
ORIENT
^i les trente-trois années de règne du sultan llainid qui
vient de sombrer de si piteuse façon seront écrits dans
l'histoire en caractères de sang, c'est en lettres d'or que la
Turquie artistique gravera sur ses tablettes le nom de ce
prince qui donna aux arts, en son pays, un développement
inconnu jusqu'à lui.
Étrange nature que celle du monarque déchu. A une
cruauté rappelant la cruauté du sanguinaire Mourad IV, —
\e Caligula ottoman, — il savait joindre le geste protec-
teur du favori d'Auguste. Il est vrai de dire, toutefois,
que Mécène protégea les Lettres et les Arts, tandis que le
souverain déposé fit, au contraire, tout ce qui était en son
pouvoir omnipotent pour bâillonner, étouffer le germe
même d'une pensée généreuse, il'une asiiiration libératrice.
Pendant trente-trois ans, il n'y eut pas de Lettres en Tur-
quie. L'histoire, la poésie, le théâtre furent réduits à néant !
l'ne censure implacable coupait les ailes, à peine naissantes,
de tout noble essor. De ceux dont les écrits indépendants
pouvaient porter ombre d'ombrage à l'absolutisme impé-
rial, les uns, achetés à poids d'or, avaient brisé leur plume et
prostitué leur talent ; les autres, trop fiers pour vendre leur
pensée et se plier aux ordres du tyran, avaient passé à
l'étranger où ils élaborèrent lentement mais sûrement
la révolution qui devait aboutir à la liberté de la Turquie et
à la chute du despote.
Si les Lettres furent impitoyablement persécutées, les
Arts plastiques, par contre, connurent, sous le règne
d'Abdul Hamid, une renaissance, une naissance, plutôt,
comme il n'en existe pas dans les annales artistiques
d'aucun peuple.
Le voya,ge qu'Abdul Hamid fit, en 1867, en France, alors
que, prince impérial, il accompagnait avec son frère aîné
I4.T
L'AKT ET LES ARTISTES
Mourad, — ilcpuis Moiiiail ^■, — le sultan AIhIuI Aziz
à l'Exposition univei^^file, nv fut pas étranger an désir
qu'il conçut de doter la Turquie de chefs-d'œuvre sem-
blables à ceux qu'il voyait dans nos musées. Une étude
de moi : hs Merveilles (ht Musée imptiial ottoman, qui
paraîtra prochainement, relate les impressions artis-
tiques d'AbduI Hamid à cette époque et la conversation
qu'il eut, à ce sujet, avec son oncle le sultan Abdul Aziz.
Lorsqu'en 1S76 le double fetva de déposition des sul-
tans .Aziz et Mourad V mit entre les mains d'Abdul Hamid
le khalifat et le sultanat d'Orient, le nouveau monarque
se ressouvint de ses projets d'art. Il ne tardait pas à les
mettre à exécution, grâce à un homme de haut savoir
dont le nom est impérissablement attaché à la Turquie
artistique : j'ai nommé S. lï. O. Hamdy Bey, directeur
général des Musées impériaux ottomans.
("est en i.SSi qu'Hamdy Bey fut appelé à la
direction i.\n Musée. Ce Musée, installé au pavillon
de 1 chinili-Kiosk, tenait alors tout entier dans ce chef-
d'œuvre architectural de l'art ottoman. En 1S9J, un pre-
mier palais, « le Nouveau Musée ", livrait au public les
superbes trésors retirés de la nécropole de Sidon. En 1902,
un deuxième palais recevait les merveilles qui, depuis
di.x ans, étaient parvenues à Stamljoul de tous les points
de l'empire. Un troisième palais, construit en iqo'i, ouvrait
ses portes en 1908 et entassait dans ses innombrables salles
les antiques déterrés en ces dernières années en Macédoine,
en Asie Mineure et dans la Mésopotamie.
Une autre institution qui honora le régne d'.MiduI
Hamid fut I.i création de l'École impériale des Beaux-.\rts
due également à l'initiative de S. E. O. Hamdy Bey.
On sait que, depuis la fondation de l'Empire jusqu'en
1874, il n'a pas existé de peinture et de peintres- turcs.
J'ai déjà dit, à cette place, dans une chronique intitulée
/(' Coran et l'Art osmanli, les raisons de cet ostra-
cisme. Une autre étude, sous presse, de moi : les Peintres
orientalistes de Turquie, entre longuement dans le détail
de l'évolution artistique qui s'est opérée en Turquie de 1874
à nos jours.
Décrétée en 1881 par iradé impérial et construite en 1882,
l'École impériale des Beaux-Arts était inaugurée en 1883,
en présence de S. E. feu Raïf Pacha, ministre du Com-
merce et des Travaux publics.
La peinture et la sculpture, jusqu'alors en suspicion dans
le pays des Osmanlis, se voyaient, -du coup, affranchies
des préjugés qui pesaient sur elles. Si ces idées n'ont pas
encore pénétré les masses, elles ont fait leur chemin chez
les esprits cultivés. Le premier pas était fait. Aussi, les
résultats artistiques de cette institution ne se firent pas
attendre. Des peintres et des sculpteurs turcs faisant
])léiade aujourd'hui commencèrent à répandre en Europe
leurs noms et leurs œuvres.
Chose vraiment digne de remarque : ce souverain, qui
a perdu le trône pour n'avoir pas su respecter la liberté
constitutionnelle proclamée par son peuple en juillet der-
nier, est le premier parmi les sultans ottomans qui — en
dépit des Hadiss ou recueil des préceptes orau.x du Pro-
jiliéte — octroya à la Turquie son indépendance artis-
tique.
.\dolphe Th.\l.\sso.
POLOGNE
Cracovie. — La treizième e.xposition de la Sztuha marque
une phase nouvelle ilans la vie de cette Société à qui
revient incontestablement le mérite d'avoir, ces dernières
années, fait connaître notre jeune art à l'étranger, notam-
ment en .Autriche et en Allemagne. Renouvellement ou
décadence? C'est à quoi le temps seul pourra nous répondre.
L'important est que, dans ses futures expositions, la Sztitha
jniisse se maintenir au même niveau élevé qui, jusqu'à pré-
sent, dans l'ensemble de notre production artistique, lui
assurait le premier rang et constituait à lui seul sa raison
d'être. La défection de quelques excellents artistes sur-
venue au courant de l'année passée serait finalement une
perte réparable; le pire est que, pour compléter les cadres
ajjpauvris de la Société, c'est plutôt à la quantité qu'à la
qualité qu'on paraît avoir eu recours.
Pourtant, parmi les membres nouveaux de la Sztiikn, il
y a d'excellentes acquisitions. Je pense surtout à JI. Fry-
deryk Pautsch. Voilà bien un peintre pur sang, tout comme
son maître \V\-czolko\v.ski I C'est aujourd'hui déjà un
coloriste remarquable, d'une grande sincérité et d'une
force qui souvent avoisine la brutalité. Heureusement, une
discipline de plus en plus solide maintient cette force
débordante et il est certain que bientôt elle finira par
maîtriser ce que, dans cette œuvre jeune et passionnée,
il y a encore d'inéquilibré. Les études de mendiants de
M. Pautsch et ses portraits — dont un surtout, le repré-
sentant lui-même avec sa fiancée, est une œuvre hardie
et solide — sont peut-être ce qu'il y a de plus fort de toute
l'exposition. Quant à ses grandes compositions, il faut
l'avouer franchement, elles sont, cette fois-ci, déplorables.
.■\h' jiourvu (|u'en .-Mlemagne on n'arrive pas à persuader
à .M. Pautsch. comme à d'autres auparavant, que l'inco-
hérence et la brutalité, voilà justement de hautes qualités —
et foncièrement polonaises !...
Félicitons aussi la S:tuha de s'être adjoint comme
membres MM. Xoakowski et Wojtkiewicz. Le premier,
en une série de dessins, se révèle non seulement un archi-
tecte érudit et inspiré, mais aussi (malgré la trop grande
liberté dont il use envers le clair-obscur) un peintre dis-
tingué. Quant au second, j'ai déjà dit ici même tout le bien
que je pense de son œuvre si originale et profonde, œuvre
dont M. .André Gide, dans sa préface du catalogue de
l'exposition Wojtkiewicz chez Druet, faisait dans le temps
un si subtil éloge.
Parmi les autres expo.sants, membres de la Société ou
invités, ce sont, pour la plupart, d'anciennes connaissances.
\'oilàMllede Boznanska, toujours très Parisienne, toujours
également discrête et raffinée et chez qui, dans un charmant
portrait de deux petites filles, nous constatons avec plaisir
un réveil déjà presque inespéré de la couleur. \'oilà M. .A.xen-
towicz, peintre virtuose de nos élégances mondaines, trop
mièvre parfois et parfumé, et dont ici je goûte surtout le
plaisant petit portrait d'enfant intitulé Archibald, plein
de caractère et d'esprit ! Voilà aussi M. Mehoftèr, très
solide toujours dans quelques détails, mais plus .-Mle-
mand que jamais et dans son arrangement et dans sa ligne
(I sécessionniste » et dans l'assemblage savamment kaléido-
scopique de ses couleurs. (Oh ! la célèbre jupe de soie marron
cjui, dans son portrait de dame » entre deu.x buissons de
laurier ", fait oublier à quelques enthousiastes jusqu'aux
fautes de dessin des mains et de la tête, dépourvue, celle-là,
de toute consistance !) Voilà enfin, — last >iot last, — et
146
L'ART ET LES ARTISTE^
représenté par plusieurs bonnes toiles très différentes comme
sujet et vision, M. Wojciech Weiss, le plus fin peut-être et
certainement le plus cultivé parmi nos- jeunes, dont sûre-
ment je trouverai encore l'occasion de reparler ici plus
longuement, plusieurs de ses œuvres, notamment le beau
portrait des parents de l'artiste, appartenant aux meil-
leures peintures qu'en général on ait produites chez nous
depuis dix ans !...
MM. I-'alat et Ruszczyc, maîtres chacun dans son genre,
cette fois-ci ne sont représentés chacun que par un bon
paysage. Assez nombreuse, par contre, est, comme toujours,
la « pléiade de Stanislawski » avec, en tête, MM. Kamocki
et Podgorski. Ce sont pour la plupart des paysages plus
ou moins bons, mais qui, à force de répéter toujours es
mêmes recettes apprises trop facilement, finissent très vite
par fatiguer. A côté, M. Filipkiewicz, le seul, peut-être,
parmi les élèves du grand paysagiste défunt qui aspire
avec persévérance à un style personnel, e.xpose deu.x
agréables intérieurs.
Nommons encore M. Jarocki, une sorte de Pautsch
assagi et banalisé ; M. Krasnodebski, auteur d'excellentes
gravures sur bois; 51, Sichulski, connu comme le meilleur
interi)rète du montagnard si farouchement p ttoresquc des
Karjiathesruthéniennes, mais dont malheureusement je ne
puis apprécier les vitraux.... .V côté des vivants, les deu.x
grands morts : Stanislawski et Wyspianski, se rappellent
à notre souvenir par quelques belles œuvres encore non
exposées à Cracovie.
Quant aux autres, les nouveaux venus surtout, il y en
a qu'on n'aurait sûrement pas rencontré aux expositions
antérieures de la Société. La sculpture notamment, à
quelques rares exceptions iirès, se ressent péniblement
d'un choix trop inconsidéré Souhaitons très sincère-
ment à la S!:luka de sortir le plus vite possible d'une crise
passagère, de triompher des petites discordes inévitables
partout entre artistes, de ne pas oublier surtout les belles
traditions de son passé qui, aussi et avant tout, sont une
obligation pour l'avenir. .\d.\m de Cybilski.
SUISSE
T E Musée Kath, à Genève, dont les toiles ont déjà
^^ émigré en partie pour les espaces plus vastes du
nouveau Musée central, a ouvert deux de ses salles à une
intéressante et jolie exposition. Organisée par la section
genevoise de la Société, des peintres et sculpteurs suisses,
cette exposition compte à peine deux cents numéros.
Modération très louable, pour le public d'abord qui a le
temps de tout voir et de revenir à ce qui lui plaît davan-
tage, et aussi pour les artistes dont les œuvres sont toutes
présentées en bonne place et en belle lumière,
La plupart de nos meilleurs peintres sont représentés
au Musée Rath par des envois plus ou moins importants.
Les triomphateurs du jour, F, Hodler, qui vient d'envoyer
à l'Université d'Iina sa monumentale peinture murale,
et Otto Vautier, dont je vous signalais naguère l'exquise
décoration pour une salle de conférences, ont tenu tous
deux à soutenir leurs camarades genevois par des œuvres
intéressantes et bien caractéristiques de leur talent. L'étude
de Hodler pour un de ses étudiants-soldats d'Iéna a
particulièrement plu, ainsi que les Femmes de Safièzc
d'Otto Vautier, exquises dans leur cadre ancien aux gri-
siilles de vieil argent.
Nos plus excellents paysagistes, MM. .\. Kehfous,
1>. Estoppey, L. Rheiner aîné et A. Silvestre, ont choisi
heureusement parmi leurs visions toujours sincères et
vraies, autant qu'affinées et aiguës, de notre nature suisse
romande. 'L'Intérieur valaisatt de Rehfous est une belle
page lumineuse et forte, et la Rade d'Estoppey, baignée de
soleil et de brume, est une chose exquise de vérité et de
poésie, dont le souvenir vous accompagne longtemps. .
Il faut dire le plus grand bien de la large et fougueuse
]iiif>>issijn mititaue de Louis Dunki, des portraits de
MM. Cx. de Beaumont et H. de Saussure, des études fémi-
nines de M. H. Coutan, et surtout des très fidèles et cu-
rieuses études de femmes valaisannes par M. Edouard
Vallet.
Mais le grand intérêt, à nos yeux, de cette e.xposilion du
Musée Rath, c'est la présence d'une réjouissante quantité
de jeunes talents, qui s'affirment aujourd'hui et qui s'im-
posent décidément à l'attention.
Parmi les plus débrouillés, et les plus maîtres de leurs
moyens, citons H.-C. Forestier et son Bois de la Pache
flambant dans l'éclat sanglant du soleil couchant ; .\. Hu-
gonnct (natures mortes) et H. Davoisin. Mais il y a plus
(jue des promesses dans les envois justement remarqués de
Guibentif (le Poiil). d'Emile Hornung (Automne), de M. Sar-
kissof (Natures mortes), qui se distinguent tous trois par
de belles qualités décoratives et par une discrétion et une
distinction de sentiment et de vision très peu banales de
nos jours. C'est par la force, la décision, la crânerie du parti
pris que se distinguent les envois de 5L Erich Hermès,
un beau dessinateur qui <leviendra un beau jieintre, affran-
chi qu'il est déjà de quelques écarts de jeunesse dont on
avait pu sourire. Les noms des peintres Ed.-L. Baud,
.\. Blanchet, J, Hellé, G. liohler, Serge Pahnke sont à
retenir parmi ceu.x qui affirment un don hcureu.x ou un
progrès marqué. Le Beethoven de M. H. Hubacher (Par
ta souffrance à la joie !) est un beau morceau de sculpture
qu'anime une pensée virile et grave. Et les émaux de
MM. H. Demole et Ch. Dumont sont, comme toujours,
d'une conception impeccable et d'une exécution brillante.
G.\SPARD \"aL1.ETTE.
147
L'ART ET LES ARTISTES
Échos des Arts
L'Exposition des Cent portraits.
Nous sommes particulioiunient heureux d'annoncer le
très vif succès remporté auprès du public d'élite ])ar la
magnifique Exposition des Cents portraits de femmes des
écoles française', et anglaise du xvinf siècle, à laquelle
notre dernier numéro était consacré, et dont notre revue
avait pris l'heureuse initiative. Le roi d'Angleterre, le
président de la République, l-s ministres, nombre de
hauts fonctionnaires se sont fait un plaisir de la visiter,
et la foule s'est empressée de suivre leur exemple. C'est
d'ailleurs une des plus belles manifestations d'art qu'il
n'eus ait été donné de voir depuis longtemps, et nous ne
saurions trop engager à s'y rendre ceux qui n'en auraient
pas encore eu le temps.
jS
Fouilles et Découvertes-
En démolissant un ain irii (ir]>lirlinat, dans les environs
de l'oligno, on a mi-' au jour une fresque en très bel état
de conservation, dissimulée depuis des siècles ; elle repré-
sente la Passion du Christ et occupe environ 9 mètres
carrés, c'est-à-dire presque toute la surface d'une des
parois. Examinée par le directeur des fouilles et monu-
ments de rOmbrie, M. Luciani, et par plusieurs autres
personnalités compétentes, la fresque va être détachée
avec le plus grand soin ; son importance est extrême en
effet, car on la considère comme un ouvrage de l'école
giottesque, et peut-être comme une œuvre de Giotto lui-
niénie.
JS
Dons et Achats.
I,e Musée du Louvre vient d'acquérir, au Jirix de
121.1000 francs, une suite de flouze émaux du maître li-
mousin Jlonvaerni, le premier qui signa des émaux de
Limoges et dont le Louvre ne possédait encore .lucun
spécimen.
JS
Sur le conseil de ^l. -\lbert Joliet, qui a déjà tant fait pour
le Musée de Dijon, la municipalité de cette ville vient d'ac-
quérir pour ledit Musée une œuvre de la plus haute impor-
tance.
C'est un retable de l'école de sculpture bourgui.gnonne
de la seconde partie du XV siècle, c'est-à-dire de la belle
époque gothique. Il est, comme la plupart de ses .sem-
blables, en bois doré et peint. Et si ces peintures et dorures
sont en bien des endroits altérées, il n'en est pas de même
de la sculpture propre, qui est on ne peut mieux con-
servée.
Le panneau du centre représente la scène capitale de la
Passion : le crucifiement du Christ. Tous les personnages
y sont traités avec un égal souci de vérité, de sincérité
réaliste qui caractérise nos bons imagiers du moyen âge.
Les larrons, qu'une résignation philosophique ne pénétre
pas à l'égal du Christ, se tordent en proie à des souffrances
intolérables, tandis que le «Roi des Juifs » contemple, débon-
naire et placide, toute la foule hurlante des guerriers qui
l'entoure. Les murailles de Jérusalem forment à ce tableau
un fond très pittoresque. Le panneau de gauche, le porte-
ment de la croix, est non moins curieux. Véronique essuie
la Sainte Face, alors que les verges cinglent le corps du
Christ ; les visages hébraïques des personnages sont parti-
culièrement intéressants. Le panneau de droite est réservé
à la descente de croix. La physionomie de la Vierge est on
ne peut plus lamentable et attendrissante, et celle des
jîleureuses empreinte d'un mysticisme et aussi d'une naï-
veté sans égale. Enfin, au bas du panneau principal, la
mise au tombeau.
C'est dans une mansarde de l'ancien êvêché que JL .Albert
Joliet avait découvert ce trésor.
JS
Nécrologie.
Nou-- apjjrenons avec un bien vif regret le décès de
Mme Léon Bertau.x, statuaire, en son château de Lassaj-
(Sarthe), à l'âge de quatre-vingt-quatre ans, presque au
même moment où avait été lancée l'imposante liste de ses
titres pour se présenter aux suffrages de MiL de r,\cadémie
des Beaux--\rts. Nul doute qu'elle n'eiit été, et respectueu-
sement, accueillie. Elle e.xposait. avec un égal bonheur et
un égal talent, depuis 1857. Elle était élève de MM. Pierre
Hébert, son beau-père, et .Auguste Dumont, de l'Institut.
Sa disparition est une véritable perte.
Revue des Revues.
St.\ryé Godv (années révolues). — Revue mensuelle
d'art ancien, paraissant le 15 28 de chaque mois. — 1909,
troisième année.
Le texte de Staryé Gody étant rédigé en russe, tous les
titres sont munis de traductions en français.
Pri.x d'abonnement pour l'étranger : 30 francs par an.
On s'abonne chez tous les libraires de Saint-Pétersbourg
et au bureau de la rédaction (7, Solianoï per) ; à Paris,
chez Henri Leclerc, libraire, 219, rue Saint-Honoré.
P. P. de Weiner, directeur fondateur.
La Scûiidinavie. — Revue mensuelle illustrée des
roj'aumes de Suéde. Norvège, Danemark et grand-duché
de Finlande. — .Artistique, littéraire, scientifique. — Ré-
daction et administration : 67, boulevard Malesherbes,
et 4, avenue de l'Opéra.
Directeur : Maurice Chalhoub.
.Abonnements : 6 francs pour la France et S francs pour
l'étranger.
iS
Association de l'Alliance artistique, enregistrée en vertu
de la Iv,- sur les Sociétés industrielles et de prévoyance.
Siège social : 67-69, Chancery Lane, London, W. C.
Fondée en 1908 dans le but de permettre aux artistes
de soumettre librement et sans restriction leurs œu\Tes au
jugement du public.
.A l'E.xposition annuelle de r.\ssociation. chaque membre
est autorisé à envover trois œuvres, dont toutes seront
exposées, en groupe ou dispersées, suivant le désir de
l'e.xposant.
Le deuxième Salon de Londies de l'.Association sera tenu
à Londres, au Royal Albert Hall, au mois de juillet 1909.
On devient membre de l'.Association en devenant acqué-
reur d'une (ou plusieurs) actions de valeur nominale
de 10 shillings (soit 12 fr. 75), et en payant une cotisation
annuelle d'une guinée (soit 26 fr. 50). En dehors de cette
cotisation, les membres ne peuvent encourir aucune res-
ponsabilité pécuniaire.
I4S
L'ART ET LE
ARTISTES
L'administration de l'Association est conliée au comité
de direction élu par les actionnaires.
.V. B. — // est de toute nécessité que les artistes désirant
■ivoyer leurs œuvres à l'exposition de 1909 fassent une
ùùlaratioii. immédiate, car il ne sera accepte qu'un nombre
très limité de nouveaux exposants.
Toutes les demandes de renseignements, adhésions et
versements doivent être adressés au secrétaire (Frank
Rutter), Allied Artists' Association Ltd., 67-69. Cliancery
l.ane. London, W. C.
M
Divers.
L'e.xposition des Beaux-Arts de Venise, ouverte le
jj avril, sera clôturée le 31 octobre. Deux affiches illus-
trées, l'une de il. A. Sezanne. qui reproduit celle de l'e.xpo-
sition précédente, et l'autre, due à M. A. de Carolis, célé-
brant ^a résurrection du Campanile de Saint-Marc, qui
accomplira pendant la durée du Salon, annoncent cette
: anifestation artistique internationale.
Il existe rue Raynouard. à Passy, une petite maison au
fond d'un jardin, autrefois habitée par Balzac, et dont on
a fait depuis quelques années le Musée Balzac « en y
installant nombre d'objets ayant appartenu ou ayant
rapport à l'illustre auteur de la Comédie humaine. Les
fonds nécessaires à l'entretien de cette maison étant devenus
îisuffisants, un Comité d'admirateurs du grand écrivain
xnt de se former, afin d'assurer, par souscriptions ou
ciiitrement, l'avenir de cet intéressant petit musée.
J6
.\ Copenhague. — Une exposition française d'art déco-
itif aura lieu à Copenhague, du 26 juin au 13 septembre,
-(.us le haut patronage de la reine de Danemark et de la
princesse Marie. Cette e.xposition, organisée par le Comité
des expositions à l'étranger, se tiendra dans le Falais royal
de Charlottenbourg. et y occupera vingt salles mises à la
disposition du Comité par le gouvernement danois.
Elle ne comportera ni jury ni récompenses, et sera sim-
plement un Salon d'art décoratif français, où ne figure-
ront que les artistes et les fabricants qui y auront été in-
vités personnellement par le Comité.
La Commission d'organisation de l'exposition est pré-
sidée par M. Lucien Layus. M. Gustave Roger-Sandoz en
e.st le vice-président.
BULLETIN DES EXPOSITIONS
TARIS
École nationale des Beaux-Arts. — Prochainement, expo-
sition des travau.x d'art décoratif de nos écoles natio-
nales des départements.
Première exposition de la 1 Contemporaine », société
)iouielle. — Pour tous renseignements, s'adresser à
M. E. André, 24, rue Beaurepaire.
Salon des .Assurances. — Première exposition en octobre,
en formation.
Galeries G. Petit. S, rue de St'se. — L'œuvre de Rafïaëlli,
du 10 juin au 13 juillet.
Galerie des Artistes modernes, 19. rue Caiimartin. — Col-
lection d'estampes japonaises, du 7 au 20 juin.
PRGVINXE ET ÉTRANGER
Be.\iv.\is. — Onzième exposition de la Société des Amis
des Arts de l'Oise, du 19 juin au 25 juillet.
BvExos .\1RES. — Exposition française des Beaux-
Arts, du 1"^ juin à fin juillet.
Charenton (Seine). — Quarante et urièn.e exposition de
la Société artistique, du 26 septembre au 19 octobre
prochains. Adresser toutes demandes de renseignements
à M. Leroux, secrétaire-trésorier, 3, place Henri-IV, à
Charenton (Seine).
Clermoxt-Ferraxd. — l^'Vnion artistique d'Auvergne
ouvrira, dans les premiers jours du mois de juin,
sa troisième exposition des Beaux-.\rts et Arts déco-
ratifs, à Clermont-Ferrand. salle Gaillard.
Copenhague. — Au Palais royal de Charlottenbourg,
e.xposition française d'art décoratif, du 26 juin au 13 sep-
tembre. Pour tous renseignements, s'adresser à M. Roger-
Sandoz, à Paris.
Dresde. — Exposition internationale d'aquarelles, pastels
et arts décoratifs, du 15 mai au i»'' octobre.
G.\ND. — Quarantième e.xposition de la Société royale, du
I" août au 27 septembre. Pour tous renseignements,
s'adresser à M. Scribe, rue de la Chênaie, à Gand.
Langres. — Société artistique de la Haute-Marne.
Exposition des Beaux-Arts et d'.\rt décoratif, du 3 1 juillet
au I" septembre.
LoRiENT. — Association lorientaise des Beaux-.\rts.
E.xposition de 1909, du 13 juin au 14 juillet.
Munich. — Dixième exposition internationale des
Beaux-.\rts au Palais de Cristal, du i^' juin à tin octobre-
Nancy. — Exposition internationale de l'Est de la
France, avec section des Beaux-.Arts organisée par
la Société lorraine, du i" juin à la clôture de l'E.xpo-
sition internationale.
PoNTOisE (Seine-et-Oise). — Quinzién.e Salon de la
Société française artistique, à l'Hôtel de \'i!le, du 30 ma
au 30 juin.
Rouen. — Exposition des Beaux-.Xrts, du \" juin au
31 juillet.
Saint-Brieuc. — Première exposition des Beaux.Vrts du
Comité d'initiative artistique, du iS juin au 11 juillet.
Tanaxarive. — Prochainement, e.xposition d'art malgache,
comportant : sculptures, peintures, tissus, arts de la
femme, jouets et jeux, histoire de l'art, art rétro-
spectif, etc. Pour tous renseignements, s'adresser au
ministère des Colonies.
149
■ART ET LES ARTISTES
Bibliographie
LIVRES DART
yiaui!,ls crHatnin- </<• l'Ait. — 1-3 yrai'iirc, par
Léon Rosexihal, docteur es lettres, professeur au lycée
I,ouis-le-Grand. (Un vol. in-<S illustré de 174 gravures.
Broché : 10 fr. : relié : u fr. Envoi franco contre mandat-
poste à H. Laurens, éditeur, 6, rue de Tournon, Paris.)
La collection de^ Manuels d'Histoire de l'Art, inaugurée
par un livre brillant de M. Hourticq sur la Peinture des
origines au X]'I' siècle, s'enrichit d'un solide ouvrage de
!\L Rosenthal sur la Crainte. Depuis plus de vingt-cinq
ans, aucun travail d'ensemble n'avait été fait, en France,
sur un sujet aussi important. M. Rosenthal a suivi la
{.'ravure depuis ses origines jusqu'à nos jours <lans tous les
pays occidentaux où elle s'est développée. Il montre la
marche parallèle de l'évolution esthétique et de l'évolution
technique, et donne sur chaque procédé les renseignements
que peuvent désirer les amateurs. Ce livre n'est consacré
à l'apologie d'aucune esthétique, d'aucune école. Avec une
liberté d'esprit parfaite, l'auteur attire la sympathie sur
les manifestations, quelles qu'elles soient, du talent et du
génie. Il ne préfère pas les Italiens aux Allemands, il
n'exalte pas le burin aux dépens de l'eau-forte. 11 rend aux
graveurs traducteurs un hommage mérité, mais il affirme
la supériorité des esprits originaux qui, par le burin, la
pointe, la lithographie et le bois, ont exprimé des pensées
personnelles. Juste envers JMarc Antoine ou Audran. il ne
les compare pas à Rembrandt, à Albert Diirer, à Callot,
à Whistler ou à ]\Iéryon.
L'ouvrage, écrit avec une clarté extrême, s'adresse à
tous ceux qu'intéressent les choses d'art. Il rendra aussi
des services aux étudiants et tra\ailleurs (]ui y trouveront
des bibliographies copieuses et des référence-, précises.
Une illustration abondante de 174 reproductions choisies
parmi les estampes les plus célèbres et les plus typiques,
exécutées avec le plus grand soin, souligne les démonstra-
tions du texte et constituerait, à elle seule, ime histoire
parlante de la gravure.
Collectinii de^ Ailnhs belles i.niteiiif^.'unii'.. — Victor
Rousseau. \^.n .Maurice des Umiuaix. (Un beau vo-
lume in-8°, illustré de 1} cro(|uis d.ins le texte et de
^4 planches hors texte, dont 3 en caïu.iieu. C. vanOest
et Cie, éditeurs, Bruxelles.)
Là Belgique, si riche en pemtres de orand talent, compte
aussi des sculpteurs que la gloire a consacrés ou que la
renommée favorise, le grand Meunier, Dill-ns, Lambeaux,
van der Stappen, Vinçotte, Lagae, Minne, etc.
Parmi eux, Victor Rousseau, «le sculpteur de l'ingé-
nuité et de la méditation >, voit, à quarante ans, les musées
de Bruxelles, Anvers, Berlin, \'ienne, Glascow, Copen-
hague ouverts à ses œuvres et son esthétique minutieuse-
ment commentée à l'étranger par /t' Studi'. l' F.mpoi lum ,
l'Occident, etc.
Statuaire dans ses motifs de décoration du Pont de
Fragnée, de l'.Xrcade du Cinquantenaire, et autres ; tail-
leur d'effigies qui sont encore des portraits moraux ; phi-
losophe dans tels reliefs; l'Aveugle Destin, etc., ou dans
une simple figure, comme celle de la Femme de trente ans,
Rousseau, ailleurs et avant tout, a incorporé dans le
marbre le sourire clair de la grâce et le reflet harmonieux
d'une pensée sans crispations. Dans la matière la plus
rebelle, il a inscrit des sensations si fluides qu'elles paraissent
déjà indicibles en écriture, sinon au poète de la Chanson
d'Eve, et ne ])ouvoir dépasser le plan musical. F.t non seu-
lement il les e.xjjiime avec une correction d'analyse et une
technique de savant praticien, mais il les enlève en un
rythme qui a tout l'équilibre envolé de la danse. C'est
pourquoi Rousseau est un maître et cette publication
légitime.
M. Maurice des Ombiaux, qui avait déjà, dans les Quatre
artistes liégeois, manifesté son souci d'explorer la sensi-
bilité esthétique de Wal onie, a, dans une substantielle
monographie, étudié Rousseau avec amour, et s'il renseigne
avec précision sur l'ascendance du sculpteur, sur sa for-
mation et sa carrière, il parle avec Ij'risme des aspirations
de l'artiste et avec émotion de son caractère moral.
L'ouvrage forme un beau volume de 88 pages, sous cou-
verture dessinée par Emile Berchmans. Il contient 13 illus-
trations dans le te.xte, d'après des dessins et des cro-
quis inédits de l'artiste, et ji^, planches hors-texte dont
30 reproduisent les oeuvres principales du sculpteur et
3 sont tirées en cama'ieu d'après des dessins à la plume
réservés à cet ouvrage.
Le livre comporte également un portrait de Rousseau
par M. \'an den Eeckhoudt et un catalogue chronologique
de l'œuvre du sculpteur.
L'ouvrage est mis en vente au pri.x de m francs broché
et 1 2 fr. 50 relié.
Édition de luxe. — Il a été tiré de ce livre 25 exemplaires
de luxe, sur papier impérial du Japon, à grandes marges,
texte réimposé, numérotés de i à 25. Ces exemplaires,
outre toute l'illustration de l'édition ordinaire, contiennent
des reproductions en fac-similé de deux dessins de Victor
Rousseau. Les exemplaires de l'édition de luxe sont mis en
souscription au prix de 40 francs.
Collecti'in des .Artistes belges contemporains. — James
Ensor, par Emile \"erhaeren-. (G. van Oest et Cie,
éditeurs, Bruxelles.)
James Ensor occupe dans l'art belge contemporain une
place qu'il n'a prise à personne et qu'il ne partage avec
aucun. Son œuvre est original et reste à l'abri de toute
imitation.
Peintre de natures mortes, Ensor tire des éclats inouïs
d'un chou, d'un coquillage ou d'une raie ; luministe, il
remplit ses intérieurs d'une atmosphère oii la poussière
elle-même vibre. Ensor par là sait peindre, comme sai-aient
peindre Chardin ou Manet. Et si l'on examine ses eaux-
fortes, on V découvrira un technicien non moins miracu-
leux : les nuages qui roulent au-dessus de Mariakerke
ou les Patineurs qui grouillent sur un étang se meuvent
avec une telle liberté que tout procédé disparait, que le
trait échappe.
Aux mains d'Ensor, d'ailleurs, pinceau et burin ne
servent le plus souvent qu'à évoquer des objets et expri-
mer des rêves sur lesquels il est seul à exercer un droit. Il
régne sur un territoire où il pousse des masques comme des
fruits, où la cocasserie se pare de grâces et où la fumisterie
devient philosophique. Il a planté ainsi des champs-
élysées pour pitres et creusé des enfers à l'usage des faux
bienfaiteurs de l'humanité. Juges prévaricateurs et chirur-
giens trop empressés vont à la fournaise comme dans des
farces méd évales ; mais, d'autre part, quelles cathédrales
de féerie éclosent en plein royaume de mufles au son des
orphéons et sous l'œil ébahi des milices bourgeoises !
Du réalisme quasiment organique dans la reproduction
d'objets familiers jusqu'à l'idéalisme le plus angélique dans
L'ART ET LES ARTISTES
tel Projet de chapelle à dédier d S. S. Pierre et Paul,
ou le plus monstrueux dans diverses caricatures anti bour-
geoises, James Ensor apparaît toujours comme un extra-
ordinaire artiste.
On devine avec quelle beauté verbale, avec ciuelle ver\e,
avec quelle fougue le grand écrivain Emile \'erhaeren
analyse pareille œuvre, qui est aussi de la robuste prose et
de la poésie exaltée.
L'ouvrage forme un beau volume d'environ 130 pages
de te.xte, sous couverture dessinée par l'artiste. Un cata-
logue chronologique complet des toiles, des,sins, eaux-
fortes et pointes sèches de l'artiste, ainsi qu'une bibliogra-
phie, font suite à l'étude de Verhaeren.
L'illustration comporte 10 reproductions dans le te.xte,
dont plusieurs en page entière, d'après des dessins et des
croquis généralement inédits, et 35 planches hors texte
dont 2 en héliogravure, reproduisant les toiles, dessins et
gravures les plus marquants de James Ensor, ainsi (jue
2 très beaux dessins reproduits en fac-similé.
L'ouvrage est mis en \ente au prix de !0 francs broché
• \2 fr. 50 relié.
l.dition de luxe. ^ Il a été tiré de ce livre 50 exemplaires
de luxe, sur papier impérial du Japon, à grandes marges.
te.xte réimposé, numérotés de i à 50. Ces exemplaires con-
tiennent, outre toute l'illustration de l'édition ordinaire,
deux eaux-fortes originales de James Knsor. sur papier du
Japon.
Les exemplaires de l'édition de luxe sont mis en sous-
cription au prix de 40 francs.
Reflets ce Roii-e, par G.^spard Willette. (Pion,
Xinirrit et Cie, édit., rue Garancière.)
Sous ce titre charmant, notre excellent collaborateur
yi. Gaspard Vallette, qui nous renseigne avec la compé-
tence que l'on sait sur le' mouvement artistique en Suisse,
a recherché, « dans l'œuvre et la correspondance des
écrivains français, — depuis Montaigne jusqu'à Zola et à
quelques auteurs encore vivants. — comment et pourquoi
ils ont vu Rome, ce qu'ils en ont vu, ce qu'ils en pouvaient
voir, ce qui les a chacun particulièrement frappé, ému
ou intéressé, et enfin quelle fut l'influence de Rome sur
leur esprit ou sur leur oeuvre.... II compare à chaque
occasion les impressions de tel ou tel de ces écrivains sur
Rome en général, ou sur tel spectacle de Rome en parti-
culier, avec l'impression personnelle qu'il a pu éprouver
lui-même.... Et il arrive de la sorte à présenter au lecteur
un tableau pittoresque de Rome à travers ces quatre
siècles, en prenant pour cic roni les meilleurs écrivains
de notre langue, mais en contrôlant toujours leur jugement
et leur émotion par l'impression ipie Rome lui a fait à
lui-même, au début du x.x"' siècle. Et ainsi le livre <le
M. Vallette n'est pas seulement livresque. Rome s'y
reflète vraiment, comme en un miroir subtil et changeant,
mais toujours clair et limpide. Montaigne,' Rabelais, Du
Bellay, Balzac, Gœthe, Chateaubriand, Louis \'euillot.
les écrivains suisses de Bonstetten à Cherbuliez en passant
par Mme de Staël, qui a mal vu Rome, Stendhal dont Us
Promenades révèlent une observation minutieuse et aussi
exacte qu'il était possible à leur auteur, Taine qui leur doit
tant. Concourt et Renan, Paul Pourget, Zola, .\natolo
France, à tous ceux-là Rome a produit une impression
profonde, et tous pourraient ré[)éter, en l'interprétant
chacun à sa manière, le mot de Gœthe : " Je n'ai pas passé
un jour entièrement heureux, depuis que j'ai traversé,
pour revenir, le Ponte Molle ». Mais M. Gaspard Vallette.
qui a l'habitude de séparer le bon grain de l'ivraie, dis-
cerne fort bien, dans l'œuvre touffu de ces pèlerins, ce que
chacun a pris à son devam iei . Rien n'est amusant comme de
le voir disséquer pour ainsi dire les pages et les phrases où
Emile Zola, myope, décrit la grande vue du Janicule, où
Emile Zola, n'ayant pu obtenir une audience de Léon XIII,
se contente d'une enquête " policière » organisée par ses
soins autour du pape, où Emile Zola, prolifique, prend son
bien où il le trouve, et suit docilement... le Bœdeker de
l'Italie centrale, édition de 1S94 !
L. \\
Napoli e 1 arte ceramica dat XIII al XX se-
colo, ])ar LriGi Mosc.\. lXa]iles. Riccardo-Kicci;'.rdi.
190S. Édition de 400 exemplaires. Prix : 10 francs.)
Lucera, écrit l'auteur, devint en 1233 un centre artis-
tique de fabrication de porcelaine à cause des Sarra-ins
de Sicile que Frédéric II avait obligés à vivre dans cette
région après les avoir vaincus. En 1301, Charles II d'.\njou
ayant battu la maison de Souabe et s'étant emparé de
Lucera. Girofalco, .Acerenza, par une ordonnance du
26 janvier, fit rassembler et conduire à Xaples tous les
.■\rabes qui composaient la colonie de Lucera. Ce fut l'ori-
gine de la céramique napolitaine. L'auteur décrit ce qui
reste encore à Xaples de cet art ancien, puis il passe à la
manufacture de Capodimonte d'où sortirent les chefs-
d'œuvre que tout le monde connaît, et qui souvent s'ins-
pirèrent de modèles antiques que l'on commençait à retrou-
ver à Pompéi. Pendant un peu plus d'un demi-siècle, la
nanufacture royale de Capodimonte, par la perfection et
la hardiesse de ses productions, rivalisa vraiment avec
Sèvres et la Saxe. Les événements politiques seuls ame-
nèrent sa décadence. Dans la dernière partie de son
ouvrage, l'avteur traite des moyens de faire renaître cet art
disparu, ainsi que des réformes nécessaires dans les Musées
artistiques industriels d'Italie. Il le fait avec beaucoup de
compétence et d'autorité. Xous souhaitons avec lui un
réveil des traditions artistiques à Xaples cjui fasse refleu-
rir une industrie autrefois si prospère.
Les Mllesd'Art cilèbres. — Vieutdeparaitre: Bordeaux,
par Ch.\rles S.^unier. (l'n vol. in-4 illustré de 112 gra-
vures. Broché 4 fr. ; relié : 5 fr. Envoi franco contre mandat-
poste à H. I.aurens. éditeur. 6. rue de Tournon, Paris,
Vie.)
Le xviii'' siècle français, si justement réputé parmi les
amateurs et les gens de goût, a doté Bordeau.x d'un carac-
tère particulier. L'art de cette époque s'y manifeste avec
toute son élégance dans la décoration des façades monu-
mentales des (juais. du Grand-Théâtre, chef-d'œuvre sou-
vent copié, jamais égalé, et de maints hôtels particuliers.
Mais Bordeaux a encore ses églises du moyen i'ge et
particulièrement sa cathédrale, dont l'une des façades est
célèbre parmi les archéologues, son musée, l'animation de
son port et la séduction d'une ])opulation faite d'esprit
chez l'homme, de beauté piquante chez la femme.
D'une plume enthousiaste et dans un style clair et vif,
.M. Cil. Saunier raconte l'histoire de Bordeaux, mène le
promeneur à travers ses monuments, décrit les richesses
de ses importants musées. En compagnie de l'écrivain,
on assiste au développement de la Cité, ou suit la cous,
truction de ses édifices depuis le moyen âge juscpi'aux
temps modernes, mais plus particulièrement durant ce
xv!!!"^ siècle qui marqua pour Bordeaux une extraordi-
naire période de prospérité.
M. Charles Saunier connaît cette belle ville sous tous ses
aspects ; il aime son ciel, son fleuve, la vie <|ui s'épand de
cette cité heureuse et florissante, et trouve des mots char-
mants pour traduire son admiration.
Les personnes qui ont visité Bordeaux et furent séduites
jiar sa situation et son décor seront charmées de retrouver
dans le nouveau volume des Villes d'Art célèbres \c miroir
de leurs sensations; celles qui ne connaissent point cette
151
L'ART ET LES ARTISTES
partie delà France amont, à la lecture de ce livre attachant,
le désir de connaître une ville qui n'est qu'art, sourire et
lumière.
Les Villts (l'Ait r.lihirs. — Vient de paraître : Oxjord
et Cambridge, par Joseph Avnard, agrégé de l'Hni-
versité. ancien élève de l'École normale supérieure. (Tu vol.
in-4. illustré de 92 gravures. Broché : 3 fr. 50; relié : 4 Ir. 50.
Envoi franco contre mandat-iiosfe ù H. Laurens, éditeur.
6, rue de Tournon, Paris, \1'".)
Le charme de ces deux villes célèbres qu'on a essa\-é
de présenter, dans ce livre, au public français pour la pre-
mière fois, réside surtout dans les souvenirs de plusieurs
siècles d'histoire. Ce sont ces souvenirs qu'on a rappelés
en les commentant ]iar les monuments de chaque époque.
On n'a pas oublié (prOxford et Cambridge sont avant
tout des villes d'Université, et c'est la vie des collèges qui
tient la plus grande iilace dans ce récit sommaire, mais puisé
aux meilleures sources et qu'animent des textes choisis,
parmi les plus significatifs et les plus vivants, dans les
chroniqueurs et les historiens d'Oxford.
On sent que le livre de M. Joseph .\ynard est l'œuvre de
quelqu'un qui ne s'est jias contenté de visiter les Universités
anglaises, mais qui y a m'cu et qui a pu ainsi saisir certains
traits qui ne se révèlent qu'avec le temps.
L'illustration, entièrement préparée sur place, comprend
non seulement les aspects les plus pittoresques de tous les
collèges, mais des reproductions d'œuvres d'art peu con-
nues en France, vitraux, tapisseries, portraits historiques.
Les détails d'architecture y tiennent aussi une grande place.
et, comme les deux villes constituent comme un répertoire
de l'architecture anglaise depuis l'époque romane jusqu'au
néo-gothique, le volume représentera utilement l'Angle-
tern- dans la d.jii iRhe collection des I';7/<s ifAit cilèhif^.
L'Idéal du A'/X^ siècle, par Masius-ArvLebloxd.
Encore qne ce livre ne soit pas un livre d'art proprement
dit, mais plutôt un essai philosophique, il nous semlile-
rait impardonnable de ne pas le citer ici, car il est trop
plein d'aperçus ingénieux et de vues puissantes, à propos
de sociologie, sur des mouvements d'art et des produc-
teurs qui nous M.llit iteiit \ i\ emeiit On y trouvera île
remarquables suggestions sur Kodm Corot, Carrière,
Bourdelle, Segantini, l'uvis de Chavannes, etc.. etc.. et
sur les rapports de l'art et de la littérature au xi-X*" siècle.
C'est pour l'ensemble de ces remarciuahles qualités que cet
ouvrage a obtenu le jirix annuel de la Critique littéraire,
distinction doublement méritée si l'on songe au passé de
travail indépendant et con-ciencieux de MM. Marius-.\ry
Leblond et à l'ensendile de leur œuvre si apprécié des
lettrés.
La Lampe d'Aladin
(Société d'éditions, J3.
DIVERS
s), par
Seine.)
Je.^n Cocte.\u
La Politique religieuse de la République fran-
çaise, par André M.ater. (Emile Xourry, éditeur,
14, rue Xotre-Darae-de-Lorette.)
La République et les Politiciens (Uttrcs de province),
jiar I1e.\rv Levret. (Eugène Fasquelle, éditeur, 11, rue
de Grenelle.)
La Princesse sans cœur, par il.^uRicE Lefèvre.
(l':dition du Monde illusiré. ij, quai \'oltaire.)
La Fourmilière [roman provincial), par [Lucien
Alphonse-Daudet. (Ernest Flammarion, éditeur,
jo, rue Racine.)
Le reste est silence... (roman), par Edmond Jalou.x.
(P.-\'. Stock, éditeur. 155, rue Saint-Honoré.)
Plaisirs d'autn.t par ."\Iichel Cordav. (E. Fasquelle,
éditeur. 11. rue de CTrenelle.)
Les Deux Cœurs, par Georges Denoinville. (Henri
Jouve, éditeur. 15, rue Racine.)
Le Vieux Marcheur [comédie en cinq actes), par Henri
Lwedan. de r.\cadémie française. (Ernest Flamma-
rion, éditeur, 26. rue Racine.)
Le Talion [roman), par \'ictor Margueritte. (E. Fas-
quelle, éditeur, 11, rue de Grenelle.)
Aéropolis (illustrations de René ^■incent), par Henry
Kis EMAEKERS. (E. Fasquelle. éditeur.)
Nitaoukrit (roman de mœurs égyptiennes), par Ch.arles
S.vxoiÉ. (E. Fasquelle. éditeur.)
Les Faux Dieux, par ilARv-GiLL. (Édition du Monde
JHiiitii. 13. quai \'oItaire.)
La Politique de T^enan (d'après des notes et des
docummts inédits), par Gaston Strauss. (Calmann-
Lé\v. éditeur. ^, rue Auber.)
Les Unis, par Edouard Rod. (E. Fasquelle, éditeur.)
Israël (pièce en trois actes), par Henry Bernstein.
(E. Fasquelle. éditeur.)
Le Triomphe des vaincus, par Harlor [roman).
(F. Richardin. P. Lamm et Cie, éditeurs, 7, rue de Lille.)
Un Libérateur [loman). par Louis Thévenin. (Librairie
académicpie Perrin et Cie. 35. quai des Grands-Augus-
tms.)
Italica [Impressions et souvenirs : Milan. Venise. Bo-
logne. l'I'irence). (Librairie académique Perrin et Cie,
3;. quai lies Cîrands-Augustins.)
La Grèce éternelle (préface de Jean Moréaf), par
E. GoMEZ Carillo. (Librairie académique Perrin et Cie,
35, quai des Grands-.\ugustins.)
Le Vent et la Poussière {lonum). par Francis de
Miomandre. fCalmann-Lévy, 3, rue .\uber.)
LES GRANDS CHEFS-D'ŒUVRE
de Schlichitn^
PKUCESSION DE LA PLACE SAINT-.\L\KC EX 149b
TIL
iELLIMn
A LA MORT de Le Brun, il fut dressé un inven
taire des objets d'art réunis dans les ateliers
et logements du premier peintre. Parmi les tableaux
trouvés à son cabinet du Louvre, figure ; « Un
tableau de Jean Belini représentant son ]iortrait
ri celui de son frère, de i pied 3 pouces et demi de
liauteur sur i pied onze pouces de large, ])eint sur
toille, avec sa bordure dorée, n° 107 ». Cette atti i-
bution, qu'appuyait l'autorité de Félibicn, ])assa
longtemps pour indiscutable. Il ne nous est plus
permis aujourd'hui de l'accepter. La double effigie,
comparée à des médailles, ne ressemble en rien aux
deux fiJs de Jacopo Bellini. Le tableau est-il au
moins l'ouvrage de l'un d'eux? Récemment encore
on en faisait honneiu- à Gentile ; les catalogues du
Louvre maintiennent l'attrilnition, contre Crowc
et Cavalcaselle qui projiosèrent le nom de Ca-
riani, de Bergame. La question reste inliniinenl
obscure.
Il était un autre tableau îles collections royales :
Rcccptivn d'un ambassadeur vénitien au Caire, que
la critique du xvii<' siècle considérait comme un
ouvrage de Gentile. Ici les désattributeurs ont eu
beau jeu. L'audience accordée jiar le sultan
Quansou-Ghoury au noble vénitien Domenico
Trevisan eut lieu en 1512, plusieurs années après
la mort de Gentile. On ])eut donc soutenir, avec
des arguments, dont un au moins est irréfutable.
que le Louvre ne possède aucune peinture du
maître que nos pères nommaient, à la française :
Gentil Bellin.
Et pourtant, n'est-ce ]ias dans notre Louvre
(|u'il faut aller chercher l'origine spirituelle du
\ieu\ peintre de la lagune.^ On sait l'histoire du
précieux recueil des dessins de Jacopo Bellini,
découvert, il \- a \-ingt-cin(j ans, dans le grenier
d'un château de (niyenne et si heureusement
acquis par le Louvre. Une ])ublication toute ré-
cente (i), entreprise par un jeune érudit russe des
jilus distingué, M. \'ictor (ioloubew, servira grande-
ment à populariser ce docinnent incomparable.
Nous pensons, avec -M. (îoIouIh'W, (jue dans l'exé-
cution de ces esquisses Jacopo dut jirendre plus
d'une fois ses deu.x fils pour collaborateurs. Quoi
qu'il en soit, nous avons là, sous les yeux, le secret
de la formation artistique des deux frères. L'his-
toire sacrée interprétée dans l'esiirit des huma-
nistes, l'amour des costumes somptueux et des
chevauchées fringantes, le goût des vastes ordon-
nances architecturales, le don de rassembler les
foules en des spectacles majestueux, la recherche
])assionnée de la v'ie, l'ingénieuse et ])ittoresque
copie du siècle, vçilà ce que nous montre le recueil
(I) Victor Goloubew, /t-s Dessins de Jacopo Bellini au
Lotare cl au Brilish Muséum. Bruxelles, ("■. \';m (Jist et Cie,
1908.
155
i;akt et les artistes
LE MIRACLE DE LA SAINTE CROIX 'détail
(lu LoiUTc. Et n'est-ce pas là tout le talent de
Gentile?
Exceiitidii laite ]iour l'ailniiialile tableau île la
Brera, île .Milan, la Prcdualimi de snuit Mure.
un n'ajiiirend (ientile Bellini qu'à l'Académie de
\'enise. ("e niaitre a bénéficié des remaniements si
heureux de la grande collection vénitienne. Deux
nobles chapelles ont été enfin élevées à sa gloire et
à celle de Carpaccio. En quelques leuvres, trop
rares, mais ]Hiissamment significatives, tout le
génie de l'ainé des Bellini est résumé à l'Académie.
Il faut savoir grand gré aux conser\-ateurs du
musée vénitien d'avoir remis en lumière le Portrait
de San Litrcnzii (.iiis/iiiituii. 11 nous souvient du
temjJS où cette j)emture, d'un si beau caractère
ascétique, se trouvait reléguée dans un corridor.
Venue, croit-on, de l'église Santa Maria deU'Orto,
elle était demeurée longtemps au fond des greniers
de l'Académie. Charles Blanc, qui put la voir en
ce lieu de relégation, la jugea « complètement
ruinée ». L'ceuvre a souffert assurément, mais
l'injure du temps n'en a point détruit l'austérité
magnifique. Le peintre, que devait réjouir avant
tout la fête du monde frivole, s'est fait ]u\-stique
})0ur rendre à souhait le ])rofil sévère du
premier patriarche de Venise. Heure unique
dans la carrière de Gentile, oserions-nous
dire, si les théories pouvaient être per-
mises lorsqu'il s'agit d'un maître dont
l'ieuvre immense a jjresque entièrement
jiéri.
" Il faut que Giovanni me surpasse et
(jue Gentile l'emporte sur Giovanni et sur
moi », disait Jacopo. La préférence de
la postérité va volontiers au second des
deux Bellini, au suave poète des madones.
Nous savons mal, au demeurant, auquel
des deux frères les contemporains accor-
daient le premier rang. Vasari; affirme
que si la Seigneurie envo\-a Gentile au
Grand-Turc, ce ne fut qu'à défaut de
Giovanni. Nous ferons toujours nos dé-
lices des contes ingénus de Vasari ; nous
n'osons plus leur accorder toute notre
confiance. Le bon hâbleur enthousiaste
a reçu de l'érudition moderne de si
cruels démentis ! La Sérénissime Répu-
blique ménageait en Mahomet II la vi-
vante incarnation du péril turc. Elle se
sentait atteinte par le conquérant de
Constantinople au cœur même de sa puis-
sance. Venise se mit en frais de coquet-
terie ])Our cet allié, l'ennemi d'hier, de
iimu. demain et de toujours. En dépêchant
chez l'Osmanli Gentile Bellini, c'était
son jiortraitiste par excellence, son meil-
leur conteur, l'imagier de la gloire vénitienne,
qu'elle choisissait pour ambassadeur.
Le jiortrait de prédilection qu'ait peint Gentile,
celui qu'il a recommencé toujours, c'est le portrait
de \'enise elle-même. Le Miracle de la Croix nous
révèle la Sérénissime à son apogée. Quel inappré-
ciable document, évocateur d'un monde ! Tout
l'orgueil de la cité marchande, grisée de bonheur,
grouillante, amusée, luxurieuse et dévote, pose là
devant nous. Il s'agissait de célébrer un prodige de la
grâce divine, mais le narrateur a vu là surtout une
belle occasion de grouper des foules et de surprendre
ta bien-aimée ville en costumes et en attitudes de
gala. Le miracle lui-même devient accessoire. Nous
vo\ons bien, au premier plan, le chef de la Scuola
San Giovanni, Andréa Vendramin, qui eut l'insigne
bonheur de repécher la divine relique dans les eaux
du canal. Mais \'endramin lui-même se perd au
sein de cette féerie qui nous représente Venise en
plaisir et en prière. L'héroïne de ce conte édifiant,
c'est la ville elle-même, follement vaine de sa beauté
et de sa gloire, avec ses quais peuplés de patri-
ciennes bonnes personnes et de bourgeoises aux
airs de princesses. Au premier rang des dames âge-
i=i6
\kT IT l.r-^ AKTI<TT-
li,ii/,;ii;,- ilii lUaux-Arls, T,
II-: MIKACLE Di; LA SAINTE CROIX
157
T.'AKT KT l.KS ARTISTES
TTI
SAINT MARC PRECHANT A ALEXANDRIE
nouillées, mêlée au ix-ii)ile
Chypre, Caterina Cornaro,
Gentile n'eût eugar<l(
déposséilce bon i^ré
mal gré jiar un Inin
de la Seigneurie, se
consolait d'axon
perdu un trône en
«'entretenant avec
Bembo des vérités
platoniciennes. Le
peuple de la lagune
chérissait en elle
une citoyenne ]ia-
triote ; sa place
était marquée parmi
les spectatrices d'un
miracle qui, sous les
pinceaux du portrai-
tiste des fêtes, n'est
])lus qu'un numéro
de j)lus au ino-
gramme de l'heu-
reuse journée. Gen-
tile s'amusait éper-
dument de sa Venise.
Il était profond, à
ses heures, et le plus
aigu des ps\Tholo-
gues, s'il le fallait.
Lorsqu'il eut , devant
lui, l'Ennemi pour
modèle, il le fouilla
jusqu'au fond dv
l'âme. Ce portrait
de Mahomet II, de la
l'ancienne reine de
ïrène son chapelet.
le l'oublier. Cette souveraine.
PORTRAIT DE MAHOMET II
collection Layard, est une merveille de pénétration.
Il y a du incrcauti dans ce type de malice patiente
et de savante fourberie. Grand seigneur, malgré
tout, mais avec plus
de coquinerie que de
seigneurie. L'n ter-
rible sournois, un
félin. Le sourire qui
pourrait sortir de
ces lè\Tes serrées et
secrètes ne saurait
venir que de la joie
lie la vengeance. Ce
joli monstre, gra-
cieusement féroce,
épouvante à force
de douceur. ]\Iaho-
met II fut ravi de
son peintre. Tout
au plus soupçonna-
t-il quelque magie
chez ce sorcier venu
d'Occident qui sa-
vait dérober ainsi
leur secret aux âmes.
« Qitalche divino spi-
rito addosso », dit
Vasari. Le Grand-
Turc n'en conféra
pas moins à Gentile
le titre de Bey et,
en jirenant congé de
lui. lui passa au cou
une chaîne du poids
de deux cent cin-
quante ducats.
158
L'ART ET LES ARTISTES
PORTRAIT DU BIHMU.rKErX Jl-IIMl
159
L'ART ET LES ARTISTES
A la suite dv ([ucllfs aventures ce portrait du sait aux Turcs, ayant écrit des Cumincnlarii délie
sultan l'Sl-il \'enu trouwr asile au jialais Layard ? ('<>se de' Tiirei. L'effigie révélatrice du caractère de
C.entile avait ra|i|i(irté à W'uise un second exeni- .Malioinet II devait figurer à une place d'honneur
plaire de son (ruxie. Le tableau de la collection dans la galerie du docte prélat. Paul Jove, histo-
l.axard est sans doute <elui ()ui figura dans la rien professionnel, devait admirer et respecter en
galerie de Paul |o\-e, sui" les bords du lac de Cônie. (ii-ntile Px'llini un de ses plus puissants prédéces-
L'é\e(|ue di' .\o( ( 1.1 n'ii.iit pas homme à dédaigner seurs dans l'art de raconter les mteurs et de scruter
un jiari'il ilief-d'uin le. (iio\-io était collectionneur les âmes,
parce (pi'il était axant tout historien. Il s'mtéres- Hexry Roujo.x.
If)0
R.-P. BONMVCTON
Vue de Venise (aquarelle»
L'A ri et les Artistes, n'
t'-'-Ht^.^-^,,^,.:!,-'-
t-''^^
•■V.- • -, ■ ,<v.
Ph. T. Filippi. PV»
BEPPE CIARDI — i.E RÉVEIL dc printemps
La
POSIT
TERNATIONÂL!
de Veni,
QUAND, il y a qiiin/.r ans, la nouN'elle sf irpan-
dit dans les nillii'iix artistiques (|iu' la muni-
cipalité dc Venise jinnait l'initial i\T d'organiser
tous les deux ans une ini|)i)i tante expu^ition iiitei-
nationale d'art nuMleiiie. elle ne piiAocpi.i on
]ieut bien le dire, anjonrtrinii (pie le sueeès le
]ilus grand et le ])lus mérité a couronné les eftorts
des promoteurs de cette entre])rise — cpie le doute
et la méfiance.
Une exposition d'art moderne à Venise ! s'éeria-
t-on. Une exposition d'art moderne dans la patrie
des Bellini et de Carpaccio, de ïintoret et de Véro-
nèse, de Guardi et de Tiejxilo, cela ]xuiit uni'
chose impossible ou folle; cela, aussi, lit à certains
l'effet d'un blasphème. Où sont donc les ])eintres
et li'S sculiiteurs, ^e demandaient ceux (pu ne
sont ni peintres ni sculpteui>, (pii auront l'audaee
d'alironlei' le voisina,t;'e de tels niaitres. d'accrocher
leurs toiles, de dresser leurs statues aussi pri"'S des
immortels chefs-d'duvre dont les éi,dises, les palais
et les musées regorgent ? ^hlis il n'\ a pas (pie
le C(")té artistique à envisager. Une l'exposition
s'ouvre ; qui la visitera ? Parmi les étrangers (pii
de mai à octolire peuplent l'eiieliantei esse \ille,
jjèlerins enthousiastes de son passé et de sa gloire,
combien \' en aura-t-il j)our s'intéresser à une
exposition d'art moderne? Est-ce doue là ce qu'ils
viennent chercher à Venise, et quand ils ont l'Aca-
démie, le musée Correr, Saint-Ckorges des Escla-
vons, l'Ecole Saint-Kocli, le palais des Doges,
L'ART ]'.T I-KS ARTISTES
(,1()\AX\I (.lAXI
XOSTAICIE
comment jienscr <iiril> tcinnt le moindre effort
])oiir se tenir an eonrant des dernières nouveautés
artistiques de lierlni. de Paris, de Bruxelles, de
Londres^ Pour ee ijui est des Italiens eux-mêmes,
l'art iiKMkriie. rdiitinuait-on injustement, l'art
moderne n'existe pas en Italie, i-t le nombre, in
tout cas, de ceux i|ue jiassionne le mouvement de
la production artistupic contemporaine en Eiu'op'
n'est certainement pas assez grand ])our assurei
la réussite, sinon matérielk', morale du luoins, de
cette tentative.
Les événements ont dduné à ces prévisions le
démenti le ]>lus formel, et tous ceux qui aiment
l'art s'en réjouissent. 11 faut diie que rien n'avail
été épargné dés le déliut |Miur forcer le succ('~,
que rien n'a été é])argné depuis jiour le conserver
et l'accroître.
Le lieu choisi pour ces expositions est l'un dr--
endroits les ])lus plaisants de Venise : ces char
mants Giardini ([ui, à nu-chemin du Lido, soin
une délicieuse halte de verdure, une oasis dans h
paysage de marbre où traîne sans cesse, selon V
joli mot de Maurice Barrés, « ce soupir suspendu
cette tristesse voluptueuse dont Venise éternelle-
ment se pâme ". A travers les arbres, l'eau île la
lagune miroite et l'on voit étinceler tendrement
là-l)as, parnu l'air nacré, le décor miraculeux du
(juai des Esclavons couronné ]iar les coupoles d'ar-
gent mat de Saint-Marc.
C'est dans les Giardini que fut construit le petit
palais destiné aux expositions de la municipalité
de X'enise. Il était loin d'être, quand s'ouvrit, en
iNii5, la première « mostra veneziana », tel que
nous le vox'ons ; dès la seconde exposition, il était
augmenté de cinq salles nouvelles et il n'a cessé,
dejiuis, de s'agrandir, de se transformer, de s'em-
bellir.
Contrairement à ce qui s'est passé chez nous
lors de la construction du Grand et du Petit Palais,
on s'inquiéta surtout, en en dressant les plans, de
sa destination, et, en l'aménageant, des nécessités
éventuelles qu'il serait appelé à satisfaire, des
modifications qu'il serait susceptible d'avoir à
subir. L'enfouir parmi les arbres, c'était, déjà,
s'interdire toute dépense excessive, si vaine, d'ail-
leurs, en ce genre d'édifices, de décoration exté-
rieure; c'était se libérer sans inconvénient de toutes
les entraves que comporte l'aspect monumental
imposé parfois par le milieu arcliitectonique.
Les salles du palais des Giardini sont claires, de
pro]K)rtions harmonieuses, point trop vastes, point
trop élevées; elles se group)ent logiquement — et
ripenilant avec assez d'imprévu pour enlever à la
promenade que l'on fait à travers elles toute mono-
tonie — autour d'un grand salon d'honneur auquel
on accède par une salle octogonale, dite salle de la
coupole, précédée elle-même d'un vestibule.
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CA:\IILL0 IXXOCEXTI — .\r j.\RDix
162
I.'AKT ET LES ARTISTES
Les quatre premières ex-
positions, 1895, 1897, 1S99.
1901, furent très brillantes,
ainsi qu'on le verra par
les chiffres que je citerai
tout à l'heure, mais c'est
à partir de la cinquième.
1903, que fut applique plus
largement le programme
qui devait faire de ces
expositions des manifesta-
tions artistiques d'un in-
térêt et d'un agrément
incomparables. La fusion
des arts, de l'art pur et
de l'art décoratif en ma-
tière d'expositions, à la-
quelle on av-ait donné déjà
tant de soins en Allema-
gne et en Autriche, devait
vraiment se réaliser à Ve-
nise.
« Les salles d'exposition
habituelles, froides, mono-
tones, où les œuvres s'ali-
gnent avec une uniformité
si fatigante ou s'entassent
pressées, doivent se trans-
former en des milieux
vivants, sympathiques, im-
prégnés de chaudes habitu-
des humaines. Chaque salle
aura l'aspect d'une petite
galerie aménagée par un
amateur intelligent qui.
non seulement excelle à
collectionner de belles clio-
ses, mais tient à les jiré-
senter bien et à bien \i\-r<'
au milieu de leur amicale
compagnie.
i( La présidence de l'ex-
position a l'espoir (pir
cette innovation, si im-
parfaites qu'en soient les
premières ])reuves, sera
féconde en hevneux résul-
tats dans le ])résent et dans
l'avenir
« Aux sensations frat;-
mentaires et contradic-
toires qui assaillent aujour-
d'hui le N'isitc ni" d'une ex-
position :illisti(iue et l'obli-
gent à un tra\Mil jiéiiible
d'orientation et de choix,
I.INO SE1.\'.\TU'C) — PORTR.MT DE L.\ COMTESSE MOROSINO
163
LART KT LES ARTISTE'
ETKjRE Tllu
PAGES D A.MOrK
on verra se substituer une vision plus large et plus
calnie, un de ces r\"thmes harmonieux de formes
et de couleurs qui, en reposant IVeil, disposent
plus facilement l'esprit à la sérénité contemplative.
« Si les expositions ont provoqué incontesta-
blement une sorte de vanité indisciplinée de
Tvlividuelle, si elles ont aussi encouragé
>e habitude de faire « le tableau pour le
ialLdii, la statue pour la statue », le nouvel aména-
gement de nos expositions contribuera peut-être
à modérer cette indiscipline, parce que les artistes
commenceront à se soucier davantage de cette
harmonie de rapports entre rceu\Te peinte ou
rœu\Te sculptée et les images et les objets destinés
à l'entourer, harmonie dont ils connaitront un
jour tous les bienfaits.... »
Programme assez complexe, on le voit, et assez
difficile à exécuter. En 1903, l'exposition de \'enise
se bornait à l'appliquer aux salles des diverses
régions italiennes, et en 1905 aux salles de quelques
nations étrangères : la France, l'Angleterre. l'Alle-
magne, la Suède, la Hongrie.
Des expositions ainsi conçues, ainsi ordonnées
constituent, comme on pense, un spectacle autre-
ment varié, autrement attrayant et fécond en
surprises que nos Salons de Printemps ou d'Au-
tomne, malgré les quelques efforts tentés depuis
quelques années pour en rendre moins monotone
et moins fatigant l'aspect. A chaque catégorie
d'reuvres exécutées sous le même climat, sous les
mêmes influences de traditions, de mœurs, de
pensée, de culture, correspond im décor spécial,
un milieu particulier qui les fait valoir, en les
situant dans leirr atmosphère ; elles ne sont plus
ainsi dépavsées, déracinées. C'est là d'ailleurs le
principe qui a été appliqué à la création, au plan,
à la décoration du nouveau ilusée des Arts déco-
ratifs de Munich et du Kaiser-Friedrich Muséum
de Berlin. Outre qu'il est strictement logique,
en principe, son application permet à l'architecte,
au décorateur de se produire dans des conditions
normales et utiles. A lui, comme au peintre et au
sculpteur, l'avantage est offert de ne plus se trouver
parqué, classitié, étiqueté comme des marchandises
164
I.ART ET LES ARTISTES
dans les ravons d'un grand magasin, et son (cuvre
ne peut que gagner à se retrouver comme dans son
milieu naturel composé d'éléments divers et for-
cément harmonieux.
Qu'une semblable tenta-
tive ait trouvé auprès des
artistes de tous les pays,
auprès des artistes italiens,
auprès du grand public inter-
national pour qui l'Italie est
un lieu de permanent pèle-
rinage, l'accueil qu'elle mé-
ritait, le succès auquel elle
avait droit, U ne faut point
s'en étonner.
« La Commune de \'enisi-.
disent les rapports officiels,
avait trois buts, en créant
ses expositions : montrer au
public les spécimens les plus
beaux ou les plus caracté-
ristiques de la production
artistique contemporaine ;
développer et affiner la cul-
ture esthétique ; créer un
nouveau et important mar
ché d'art.
« Les volumes qui con
tiennent les catalogues illus-
trés de nos expositions prou-
vent que le premier de ce--
buts a été atteint : les nom-
les plus illustres de l'Ai'
dans tout le monde civili^i
brillent au cours de c-
pages.
« Le mouvement passion
né d'études, d'analyses en
tiques, de polémiques tou
chant la production artisti
que d'aujourd'hui, qui s'est
manifesté en Italie depuis
1895, l'importance et la vi-
talité des i)oints de vue par-
ticuliers à chaque camp, at-
testent que le second but
]TOursuivi a également été
atteint.
« Quant au troisième, quelques chiffres sufhront
à démontrer que l'on peut en dire autant. »
Ces chiffres sont, en effet, extrêmement signifi-
catifs ; point n'est besoin d'en citer beaucoup.
Un seul suffît, le total des ventes effectuées par les
soins de la direction des expositions de \'enise
durant les sept premières expositions 1895-1907.
Il s'élève à la jolie somme de 3 043 509 lires, soit
une moyenne de 434 787 francs j)ar exposition.
\'oilà, dans ses grandes lignes, le bilan de r(i'u\Te
accomplie par la municipalité de \'enise. Elle est
LIBER* ) ANDREDin
LKS TROIS IWKQIES
loin, d'ailleurs, d'être achevée ; chaque année ou,
plutôt, chaque couple d'années l'améliore, la per-
fectionne, l'enrichit. C'est ainsi qu'en 1907 fut bâti
dans les jardins le pavillon de la Belgique, que cette
année furent inaugurés trois autres pavillons,
celui de la Hongrie, celui de l'Angleterre, celui de
la Sécession de Munich. En I9ii,elle renouvellera
le décor de certaines salles, notamment du salon
165
I.AKT ET LES ARTISTES
(rhdiiiK'ui- (|ui. de]uiis njuj. L'St orné de peintures
décoratives d'Aristide Sartorio symbolisant, avec
des mythes de l'antiquité classique, en quatre
grands et dix jietits ]ianneaux, le ]ioème de la vie
humaine.
Pour mener à l)ien une telle entreprise, pour
triomjiher des difficultés qu'i'Ile ne peut manquer
de rencontrer au cours de s(in exécution, l'intelli-
gence, la méthode, resjirit de suite, le sens des réa-
lités ne suffisent jias à ceux qui assument la
charge de la mener à i)ien et i]ui y réussissent a\'ec
autant dv maîtrise
et d'éclat. Il leur
laut des facultés
d'enthousiasme, de
dévouement à leur
cause, une clair-
voyance passionnée
de tous les instants,
une volonté ardente
et zélée. MM. Ki-
cardo Selvatico et
Antonio Fradeletto.
à <iui revient l'hon-
neur d'avoir été les
l)roniiiteurs de cette
grande œuvre, les
possédaient, ces
qualités. M. Ricardo
Selvatico était mai-
re de \'enise ; il est
mort il y a quelques
années. M. Anto-
nio Fradeletto est
député de Venise et
secrétaire général de
l'exposition. C'est
un orateur du i>lus
haut mérite, un
éminent esjirit, un ardent patriote, un caractère. Il
s'est voué avec l'énergie qui le caractérise au succès
de cette entreprise qui est, on iieut le dire sans
diminuer en rien les mentes tle ses collalKirateurs,
la sienne. Avec le concours du comte Grimani,
maire de Venise, justement soucieux de la beauté
et de la gloire de sa \-ille, il assure l'organisation
entière des belles manifestations artistiques aux-
quelles [l'Italie doit en grande partie le rang
qu'elle est en train de conciuénr dans le mou\-e-
ment des arts européens.
municipal, que les noms les plus illustres de l'art
universel figurent aux pages des catalogues. Les
noms non seulement les plus illustres, mais aussi
les jjIus représentatifs des diverses orientations
qui caractérisent la j^roduction artistique des deux
mondes. On aurait de la peine à citer un artiste
de vraie valeur, de réelle originalité à qui, toute
question de notoriété mise de côté, les expositions
\-énitiennes n'aient ouvert, une ou plusieurs fois,
leurs portes. Les idéaux les plus différents, les plus
opposes.
:lierchc
les plus audacieuses, les
formules d'art les
plus avancées s'y
sont manifestés, y
ont été accueillis
avec une égale bien-
veillance ; jamais
l'on n'a vu à Ve-
nise, comme on le
\oit trop souvent
dans nos Salons,
des œuvres d'art
reléguées aux mau-
vaises places pour la
simple raison que
l'esthétique de leurs
auteurs n'a point
l'approbation de
leurs confrères char-
ges du placement
et de l'accrochage.
De tout ce que
je viens de dire, on
peut juger de l'ac-
tion exercée par les
expositions de Ve-
nise et sur le goût
du public et sur le
goût des artistes
italiens. L'Italie se trouvait, de par sa position
géographique, relativement à l'écart du grand
mouvement artistique qui se ramifie de Berlin
à Londres par Paris, et de Paris à Amsterdam par
Bruxelles. EUe manquait de sources d'informa-
tion, elle restait trop isolée, elle vivait trop exclu-
sivement sur elle-même et de son passé. La géné-
reuse émulation que crée entre les artistes
d'aujourd'hui le coude-à-coude dans les salles
des grandes ex]iositions internationales, l'encou-
ragement qui leur est apporté par le suffrage
Il me reste à parler, avant d'aborder l'exposition des amateurs et de la critique, les points de com-
de cette année, des tendances artistiques qui se paraison qu'il leur est alors plus aisé d'établir entre
sont manifestées à Venise et qui ont présidé au leur idéal et celui de leurs coexposants, le profit
choix des œuvres exposées et des artistes invités iprils ne peuvent que retirer de se trouver tout à
depuis la première exjiosition. M. Fradeletto avait couj) transplantés dans un milieu différent du leur,
raison d'affirmer, dans son rapport au conseil tout cela, les expositions de \'cnise l'ont fourni
ZANETTI ZILLA
LES VOII.lERi
i66
L'ART ET LES ARTISTE:^
PIETKO CHIESA — la maison des sorcières (panneau central)
PIETKO CHIKSA — VERS la forêt
(panneau de gauche)
PIETRO CHIESA — le retour
(panneau de droite)
167
L'ART ET LES ARTISTES
aux artistes italiens. En nu-me temi)s que se faisait
rédiicaliim d'un i)ublic, assez indifférent, on ])iut
bien le dire, aux choses de l'art moderne, — indiffé-
rence (jui a son excuse dans la prodigieuse et inépui-
sable surabondance de chefs-d'teuvre consacrés
au milieu desquels il vit, — les jiroducteurs eux-
mêmes \- trouvaient un enseignement précieux,
d'utiles et fécondes leçiins dont déjà l'on discerne
tout le bénéfice qu'ils ont su tirer.
La façon dont a été organisée, aménagée et pré-
sentée la huitième exposition internationale d'art
moderne de X'emse, relie actuellement ouverte,
est une ])reuve de ]ilus du souci de nouveauté qui
a toujours donmié les organisateurs. La construc-
tion des pa\-illons de la Hongrie et de la Sécession
de Munuh, rmstallatiiiii ilu ])avillon de l'Angleterre
dans un ])etit éditu e )>ir-.(iue abandonné à l'extré-
mité des Gz((;'(/(»/. du r(]|é du I.ido, ont contribué
grandement, il'.dinrd, à marquer celte exposition
d'un caractère ]iarticulii'r. Le comité d'organisation
a eu, lie ce fait seul, à sa disposition, beaucoup ])lus
de jilace dans les bâtiments du Palais central, ce
qui lui a ])ermis de combiner tout différemment
que lors de la précédente exposition les éléments
fonciers de celle-ci.
Le Palais, en Kjoj, était divisé en trente-quatre
salles, dont onze réservées aux huit nations étran-
gères invitées, soit l'Allemagne, l'Angletef^eJ'Au-
triche, la France, la Hollande, la Norvège, la Russie,
la Suède, douze aux différentes régions italiennes,
Rome, la Vénétie, la Lombardie, l'Emilie, le
Piémont, la Toscane, plus six salles internationales,
dont deux consacrées aux « Artistes du Rê%'e ».
Cette année, au contraire, les salles nationales
collectives ont été remplacées par des salles natio-
nales individuelles, pour ainsi dire ; au lieu d'in-
viter plusieurs artistes à représenter leur pa3's,
le comité de l'exposition a jugé bon de n'en
inviter qu'un. C'est ainsi que notre Albert Besnard
représente, fort noblement d'ailleurs, et fort magni-
fiquement, la France, tandis que AL Peter Severin
Kro\'er re]irésente la Norvège, M. Franz Stuck
l'Allemagne, M. Anders Zorn la Suède. Ils occupent
chacun une salle, et ce n'est pas un des moindres
attraits de cette huitième exposition de Venise
PAVILLON DE .MUNICH — intérieur d'une s.\lle
i.'Ai>:
AU ri^i'i-:s
EMMA C.IARDI — le jardin de e'amour
que d'y ])ouvoir se faire une iilée eoniplète. ou à
]>eu près, du talent, de l'art, de l'duvri' de ces
n)aîtres éminents. Ensuite, outre six salles inter-
nationales, dont quatre limitées à la gravure, ou,
)iour être plus exact, au blanc et noir, on a accorde
une salle aux artistes américains résidant à Paris,
et une autre aux États-Unis ; le reste aux artistes
italiens, en accordant aux plus importants, aux
jikis représentatifs des tendances de leur région,
une plus large place, de sorte que dans cette section
spéciale de l'exposition il est permis, comme dans
la section étrangère, grâce à une série, naturelle-
ment plus nombreuse, d'expositions individuelles,
de prendre contact plus étroitement qu'à l'ordi-
naire avec nombre de peintres de vrai mérite,
qui sont les chefs des diverses écoles de la jiénin-
sule.
Franchissons maintenant le seuil du clianiianl
l'alais des Giardini, et donnons un regard attentif
aux décorations dont le ]M;intre GalilcoChini a orné
la coupole du premier salon d'entrée. Dans des
harmonies de colorations extrêmement brillantes
où les bleus et les oi's dominent et qui donnent aux
tranches de ce dôme octogonal l'éclat de certaines
coupes d'émaux cloisonnés de l'i-lxlrriiic-f )iiciit ,
l'artiste a symlxilisé l'histoire héroïque, mystique et
sensuelle de l'Art. C'est d'abord les Origines, la
naissance de l'Art ; la Beauté, portée jmr les Muses
et guidée par l'Amour, va vers l'homme ; puis les
Arts primitifs, l'Egypte, Babylone, l'Assyrie ;
viennent ensuite la Grèce et l'Italie, l'Art byzantin.
Dit moyen âge à la Renaissance, Michel-Ange,
le Règne dit Baroque, la Civilisation nouvelle, où
l'on voit figurées les énergies modernes qui inspirent
les artistes et les artisans, dans l'éclatante lumière
de la science où les chevaux de l'industrie et du
commerce s'élancent jmur les conquêtes de l'ax-euir.
L'effort de M. Chini est des ]ilus estimalile ; il
témoigne de dons de création décorative jieu com-
muns. Le parti pris qu'il a ado])té, par exemple,
de diviser en trois zones le cham]) de chaciue tranche
de la coupole est extrêmement ingénieux, et il fait
montre, dans l'ornementation de ces différentes
]iarties, d'une imagination très vive et très brillante.
Quant aux figures, elles ne sont souvent que troji
mouvementées et elles m'ont paru d'échelle un ])eu
tro]) réduite ])ar rapport à la hauteur où elles se
trouvent placées et au rêile qu'elles jouent ou
169
[;ak'
ET I.KS ARTISTES
(iIKoLAMO ( AIKATI
AITOMNE Sl'R LE LAC DE GARDL
ilf\iairiit joinT dans l'fnseiiihk- de la décoration.
M. Cliini est je ])cnso, l'élcvc di- M. Aristide Sar-
torio. dont nons aurons l'oixasion de jiarler.... En
tout cas, il nie ])arait a\oir subi trè^ tortement, trop
fortement, jieut-étrc, son influence. .Mais ne nous
attardons jias....
La salle Albert Besnard est éblouissante : (jne de
grâces, que de sourires, quel triomphe di; lumière,
d'élégance, de fine et tière beauté ! Puis, (pielle
verve du pinceau, quel sentiment e.xquis et >omp-
tueux de la fi}niie ! Et (juelle imagination et qui'lle
compréhension, unique, vn vérité, de la modernité !
Tout n'est pas là, et bien des leiivres lesjilus magis-
trales du grand [leintre — le portrait de Réjane,
notamment — se font regretter, sans parler des
(cuvres décoratives, intransportables celles-
là ; mais que l'on jniisse \' voii', parmi ]>h\>
de cinquante toiles fort bien choisies et (jui
lorment un admirable ensemble, quelques-
unes des jilus célèbres et des jilus parfaites
ieu\-res d'.^lliert Besnard, les ])ortraits de
la princesse Mathilde, de Mme Besnard,
de .Aime Lisle, île Mme Roger Jourdain,
lie ]\Ime Rouché, les Clwvdiix luinc/cs par
des fiio)is, les Lacustres, la I.cda et la
toujours enivrante Féerie intime, cela suffit,
et bien au delà, à montrer sous toutes ses
faces le généreux talent du plus grand de
nos peintres contemporains. Le succès de
Besnard, cela ne surprendra personne, est
très vif à Venise ; on le fête, on l'admire
et on l'aime ; on salue en lui, et fort légiti-
mement, le représentant le plus digne et le
plus glorieux de l'école française : ses com-
jiatriotes ont le droit, n'est-il pas
vrai ? d'en être tiers.
De la salle Besnard, on entre dans
la salle Zorn. M. Zorn est, dans
toute l'acception du ternie, un ex-
cellent peintre, qui connaît comme
personne les ressources de son mé-
tier. Il a de la vigueur, de la sou-
plesse, du piquant. Quand il veut
se modérer, il touche presque à la
jierfection; mais, même alors, que
lui manque-t-il ? car on sent qu'il
lui manque quelque chose pour y
atteindre tout à fait. Je ne sais.
Quoi qu'il en soit, d'ailleurs, le grand
]ieintre suédois est admirablement
représenté ici, par quatre portraits
de la famille royale de Suède, les
effigies, déjà célèbres, de M. W.
Olsson et de M. Westrup, un por-
trait, tout à fait beau et du moder-
nisme le plus aigu, de M. Charles
Deering de Chicago, une série de ces études de
nu débordantes de vie, presque trop vivantes,
qui ont tant contribué à sa gloire, et quelques
toiles d'un réalisme étonnamment vibrant, comme
Vlntéricur d'une brasserie, Effet de nuit, les Den-
tellières de ]'enise. Mais c'est aux eau.x-fortes de
AI. Zorn ciu'iront, quel que soit le prestige de ses
lieintures, tous les délicats. Qui oserait ici se
permettre la moindre restriction ? M. Zorn est un
maître graveur du génieleplus vif.leplusaudacieux.
le ])lus spontané et le plus spirituel. Ah ! comme
on oublie vite le peintre excellent qu'il est, devant
ces planches si expressives et si profondes ! A'oilà
de l'art, et du ])lus grand.... et de l'art universel.
De l'art uni\x'rsel ! Ce n'est pas à propos des
PAVILLON" HONGROIS (façade
170
L'ART ET LES ARTISTES
Roger BhIIu.
Armand D.iyo
Borniat. Roty.
J.U<,bs,
Del^Linche.
Bonnat. Rot:
Chapu. Falguic
Mercié.
Paul Dubois.
P. S. KROYER — LE COMITÉ de l'exposition fkan(;aise des beaux-arts
A COPENHAGUE, EN 1888
Clupl.iii
teuvres de M. Franz Stuck que le mot viendrait au
bout de ma plume. M. Stuck serait-il seulement
flatte qu'il y \-înt ? Je ne le crois pas. Tous les
efforts de ^L Stuck tendent à donner l'impression
la plus énergique, la plus violente, la plus bruta-
lement dominatrice qu'il est Allemand. Il est im-
possible, je crois, d'y mieux réussir. Son art est le
prototype de l'art allemand : volontaire, prétentieux,
faussement puissant, farci d'intentions philoso-
phiques ou passionnelles, que sais-je encore? Tout le
contraire de ce que nous demandons à l'art, nous
autres Latins, de nous donner, et il est naturel que
cela nous soit absolument antipathique. L'espèce
d'aversion que m'inspire personnellement le talent
de JL Franz Stuck ne m'empêche pas, cependant,
de constater qu'étant donné son idéal il lui arrive
souvent, sinon de l'atteindre, du moins d'en ap-
procher de très près, d'aussi près que possible, de
constater aussi qu'il ne manque ni d'imagination
ni de fantaisie, que ses lourdeurs habituelles enfin
et l'insistance où il se complaît finissent ])ar donner
à ses sujets une espèce de grandeur ramassée,
concentrée, tassée, qui n'est pas sans originalité.
La salle où sont accrochées les toiles de "SI. Stuck
est tendue d'une étoffe vert-pomme, du ton le plus
acide qui se puisse rêver. Eh bien, cela leur fait
vraiment le fond qui leur convient et complète
l'impression d'étrangeté suraiguë qui s'en dégage.
Les œuvres de M. Peter Séverin Kroyer exposées
dans une salle mitoyenne risqueraient bien de
jiaraître faibles jusqu'à la pire fadeur en venant de
quitter iL Stuck, si on ne les sentait si véridiques,
si touchantes de sincérité et de simple émotion
devant la vie et la nature. On respire ici une
atmosphère de vérité et d'intimité qui réconforte et
rassérène. M. Kroyer n'a ni la maîtrise de Besnard
ni la virtuosité de Zorn, ni, heureusement jwur lui
et pour nous, les prétentions de M. Stuck: il est un
peu terre à terre ; c'est un peintre familier qui est
resté passionnément attaché aux choses de son
pays et qui ne se plaît qu'à peindre les aspects, les
scènes de la vie que l'on y mène quotidiennement.
On revoit, par suite, avec infiniment de plaisir, sur
les nmrailles de l'exjiosition des Giardini, tels et
tels de ses tableaux le plus justement fameux, le
beau portrait de Bjornstjarnc Bjôrnson, le Qua-
tuor dans mon atelier, les Petits baigneurs, le Soir
d'été sur la plage de Skagen et ce groupe de por-
traits si exacts et si vivants d'artistes français
groupés autour de notre grand Pasteur, le Comité
171
I.AKT ET LES ARTISTES
GALILEO CHINI
- DECORATION DE LA COUPOLE LH
d'entrée (frasiiKiitl
(/(■ rcxpo^Uiiii] liiiiiçaise des Bcuux-Arts à Capcn-
haguc en i(Si\(S. et l'exquise (olliition : ce sont
vraiment des morceaux pleins de cjualités char-
mantes ou sérieuses et qui justifieraient ample-
ment, si elle avait besoin de l'être, la haute
estime dont jouit leur auteur.
Je n'avais pas eu l'occasion, depuis notre Ex])0-
sition universelle de IQOO, de voir réunies un cer-
tain nombre de toiles américaines. Il y en a là une
centaine qui sont de fort médiocres choses d'une
insignifiance flagrante tant au point de vue de la
conception qu'au point de vue de l'exécution. Mis
à part un tal)Ieau de Mme Cecilia Beaux. Mcrc cl
fih. le fameux portrait de Gladstone par ^I. John
M. Lure Hamilton, dont l'intérêt documentaire
est demeuré entier, et un portrait de Mrs Helcn
Brice. simplement honorable, sans jilus, par
M. John S. Sargent, je ne vois rien qui vaille la
peine d'être signalé, et après un regard aux petits
bronzes de M. Paul Bartlett, pé-
nétrons dans la petite salle oii
MM. RichardMiller et Cari Frieseke
ont été choisis pour représenter
les " artistes américains habitant
Paris ». Choix excellent à tous les
égards, car il montre, mieux que
n'aurait pu le faire aucun autre, de
quelle manière des sensibilités aussi
différentes que celles de ces deux
artistes ont su profiter, je ne dirai
pas de l'enseignement de l'art
français, mais des leçons de l'atmo-
sphère parisienne, du milieu raffiné,
subtil, un peu trop parfois même,
de la grande ville. Cette petite
salle est une des plus harmonieuses
de l'exposition ; il 3^ a là des ima-
ges, des visions de femmes et d'en-
fants qui ont un charme incompa-
rable; telles, entre autres, la Robe
chinoise et le portrait des enfants
Lascroof de M. ililler, l'Ombrelle
japonaise et la Femme nue à sa
toilette de M. Frieseke.
.\l)ordons à présent les sections
italiennes.
Dans la salle romaine, M. Ca-
millo Innocenti triomphe. C'est un
artiste du goût le plus délicat et
le plus fin, épris des grâces fémi-
nines et des élégances modernes: il chérit les harmo-
nies de couleurs rompues que réchauffe soudain et
fait chanter une note violente, les effets tendres et
pénétrants de lumière dans les intérieurs clairs ;
il aime tout ce qui est intime et discret, élégant et
voluptueux. On aimerait, seulement, pour goûter
à la contemplation de ses œuvres un plaisir com-
plet, on aimerait le voir serrer d'un peu plus près
la réalité des formes, mettre plus de précision à
fixer certains détails de ses figures : ce serait une
qualité de plus ajoutée à toutes celles qu'il possède
et qui déjà lui assignent une place des plus en-
\'iable dans la jeune école italienne.
^I. Antonio Mancini, lui, qui cependant n'est
])lus un tout jeune homme, n'a rien perdu de la
vigueur que nous lui connaissions ; c'est, certaine-
ment, un des plus originaux coloristes de notre
temps. 11 suffirait, pour s'en convaincre, de re-
garder le portrait de Charles Hunier qu'il expose
ici. morceau de premier ordre, en dépit des empâ-
tements excessifs dont M. Mancini est coutumier.
Dans le voisinage de cette forte toile, les Hommes
I.Airr ET LES ARTISTES
/'/(, William Cray.
[OHX I.AMn^Y — LE jrARCHÉ A TANGER
el chevaux de ^I. Adolfo de Carolis paraissent bien
vagues, bien funienx ; ils le paraîtraient, j'en ai
peur, où qu'ils soient. M. de Carolis est, cependant,
un dessinateur charmant, et quand on se rappelle
les illustrations et les ornementations qu'il a exé-
cutées pour les ouvrages de Gabriel d'Annuiizio,
on est surpris de voir combien ses dons de |H-iutre
sont faibles et insuffisants.
Dans la salle du Piémont, je ne vois guère à citer
que les tableaux alpestres de .M. Cesare Maggi,
i\m sont d'une vérité saisissante ; malheureuse-
ment, on ne peut s'empêcher de songer, en les
regardant, — que M. Maggi ne prenne pas ci'tte
remarque jiour un reproche, — à Segantini.
Une salle entière est réservée à une exposition
d'ensemble d'Alberto Pasini (1826-1899). Il >• a là
une centaine de ces petites études d'Egypte,
d'Espagne, de Turquie, des environs de Fontaine-
bleau, qui sont des notations charmantes ; un j)eu
trop précises parfois, un peu trop minutieuses ;
mais souvent aussi très fines, très vivantes et bien
supérieures, en tout cas, à ses tableaux poinilarisés
par la gravure.
Une autre salle est également consacrée à un
artiste disj^aru. Giuseppe Pilliz/a. de \'i)lpedo,
(|ui se tua de désesjioir. peu île temps a]>rès la
mort de sa femme, il \- a ileiix ans. ("était un
homme du plus rare talent et (pii aurait, certaine-
ment, donné de grandes (i'u\'res, car il était doué
d'une vision personnelle el d'une si'usibilité origi-
nale. Il sa\'ait. jxjur a\iiir longuement léliéchi,
ce qu'il jjouvait, ce ipi'il dex'ait, ce qu'il \'oulail
faire.
Les questions de teclinitiue le i)réoccu])aient
beaucoup ; il avait subi fortement reiu])reinte
de l'admirable el génial artiste (pu' lut Seg.iutini et
il était demeuré pieusement fidèle aux Idiinules
du divisionnisme, mais en les tem])éranl et en les
assouplissant à la chaleur d'une sentimentalité
presque maladive. (Euvre étrange que la sienne !
pleine du plus vibrant amour de la nature et de
la poésie des choses, pleine de vérité, débordante de
tendresse et de bonté ! Il n'y a là que vingt-sept
tableaux de lui, mais on peut se faire une idée assez
exacte de son talent. Le tryptique de l'Amour
dans la vie, la Prairie en fleurs. Dans le jcnil. Kspoirs
déçus me paraissent résumer tout ce qu'il >■ eut de
profond et de douloureux, de passionné et d'inli-
173
L'AKT ET LES ARTISTES
PLINIO NU.MEI. 1.1X1
LE CHANTIER
niniont chaste dans l'âme et le génie de Giuseppe
Pelliz/a.
( lUglielnio Ciardi orrnpe une salle entière, ("est
un (le-- niaitrrs du iiavsagc italien: il a aujourd'liui
soi.\aiite-st-pt ans. X'énitien d'tnigine, ("iardi est,
comme le dit fort pistemeut l'écrivain Attilio
Ceiitelli. " le poète des lagunes et des champs,
l'exaltateur de Venise dans les gloires de son ciel,
de sa lumière, de ses
couleurs, (11- sa puissance
et de sa richesse ancien-
nes », Nul, je I rois, n'a
mieu.x chanté que lui la
poésie de la campagne
vénitienne, de cette na-
ture jiarticulière dout
le charme est si déli-
cieux. Certaines toiles
de (7 iardi, notamment le
grand ])aysage Messi-
dor, qui appartient au
Musée de Rome, peuvent
être considérées comim-
de maîtresses ceuvres de
la peinture italienne
contemporaine.
L'école vénitienne ap-
paraît d'ailleurs, ici.
sous un jour très fa\'o-
rahle ; que n'ai-je la
jilace de dire, comme je
le voudrais, tout ce
qu'il y a à dire des
paysages de M. Bartlio-
lomeo Bezzi, empreints, RICHARD MILLER
surtout celui que nous reproduisons. Poésie hiver-
nale, d'une si pénétrante mélancolie et d'un si
juste sentiment de la nature; de cette danse de
fillettes ilans une prairie au bord de la mer, si
traiche de gestes et de couleurs, que M. Beppe
Ciardi intitule le Réveil du Printemps ; de la Poésie
du soir de M. Battista Costantini, excellent pa\--
sage créi)usculaire au ciel doré sur des collines
violettes où passent des
paysannes portant
d'énormes bottes de foin,
J 'ai beaucoup aimé aussi
les Voiliers de AL Za-
netti-ZiUa, qui excelle
à ces compositions de
fantaisie décorative ; la
Journée de bourrasque
du grand paj'sagiste
Pietro Fragiacomo, qui
peint exactement et fi-
nement la grandeur et
la beauté du ciel véni-
tien ; les délicates et
vibrantes études de fem-
mes, Portrait de Mme K.
it la Dessinatrice, de
-M. Mncenzo de Stefani;
et je n'aurais garde
d'oublier un délicat cou-
cher de soleil à la Corot
de M. Trajano Chitarin :
le large, puissant et
infiniment séduisant
portrait de la belle
lA KiiiiE CHiXdisE comtesse Annina Moro-
174
I.'ART ET LES ARIIS'IES
sini ]).ir M. l.ino Selvatico. vl les scènes de la
vie vénitienne de M. Feiriuio Seattola et de
M. Alessandro Milesi, en faisant une place à
part aux deux toiles exquises de Mlle Emma
Ciardi, surtout au Jardin de l'Amour, où la
charmante artiste a su évoquer avec tant de déli-
catesse mélancolique, comme dans un songe loin-
tain qui laisse au réveil le cceur harcelé île regrets,
la vision des fastes du i)assé, aux beaux jours
du Carnaval vénitien.
C'est encore \'enise qui triomphe tlans les
leuvres et le talent
de M. Ettore Tito,
qui est bien, peut-
être, le plus Vénitien
de tous les peintres
vénitiens d'aujour-
d'hui. Il \' a chez
Etti)re Tito im cu-
rieux mélange de
réalisme et de fan-
taisie, de véristue
et d'invention ima-
giiiative. Il a le rare
sens de dégager la
grâce comme aris-
tocratique de ces
jiersonnagcs du pe-
tit jx'uple de \'e-
nise qui s'agite dans
ses iableaux : la vie
populaire vénitien-
ne n'a pas de pein-
tre plus exact ni qui
sache mieux e.xalter.
en même temps,
toute sa beauté in
time. C'est dans ci>
visions directes que
Tito me paraît le
plus à son aise ;
voilà son domaine; on l'y sent mieux <lu'Z lui
que lorsqu'il ambitionne de rehausser st's obser-
vations véridiques en \- introduisant une intention
symbolique. Pour ma i)art, je préfère ck' beaucoup
ses Pages d'amour, son Passage du train et le
Câble à la Bacchanale, nralgré la hardiesse de l'en-
semble, et à l'Amour et les Parques, lualgré la \-raie
beauté des figures nues du premier ])lan. Mais, ici
et là, Tito s'affirme égalenuiit \irveux et savou-
reux, abondant et fort et conuiie dessinateur et
comme peintre ; Tito est une des personnalités les
jilus marquantes de l'école italienne.
Que la kiçon dont ^I. Marins de Maria conçoit
la peinture est différente de celle (jui est clière à un
Ettore Tito ! M. de Maria est romantique ; serait-ce
ALBERT P.ESX.ARl) — 1'Oktr.\it de m""' besnard
parce qu'il est Bolonais ? Peu imjiorte ; il t-st lidèle
à un idéal cjui, pour être en moindre faveur de nos
jours, n'en mérite pas moins l'estime, surtout quand
on le sent pratiqué avec autant de sincérité et de
conscience — et j'ajouterai de talent et d'origina-
lité. — Mais M. de Maria est un romantique réa-
liste ; je veux dire qu'ayant choisi et observé dans
la réalité un effet particulièrement intense et im-
]n"essionnant, il ne consentira jaiuais à en traduire
l'aspect artificiel ou superficiel, il ne s'abaissera
jamais à en rendre l'imjiression momentanée ou
fantaisiste. Il veut
avant tout que l'ef-
fet soit traduit par
des nioxens précis
et exacts ; il ne se
contenterait ]ii)ur
rien au monde de
l'a peu près dont
ou \'oit tant tle
peintres uKHlerncs
se satisfaire. Il ar-
rive. ]iar suite,
ipi'avec sa passion
de \érité, tels de ses
tableaux finissent
pal' être faits d'une
UKitièie pesante
i oiuine niac;()iiiiéi'.
trop liiiiide : mais
il atteint aussi, sou-
\ eut , à une 1 irhesse
d 'exécii t 11)11 peu
(■(iiniuuiie et qui
ia\il tous ceux ipii
aiiiiein la belle pâte:
témoins, certains de
ces effets de luiie.
ou de ces jeux con-
trariés ik' lumière
où il excelle, i>ar
exemple ta Lune stir les lahles d'une auher'^e aux
Prati di Castello (Rome) ou l'admirable Clair de
lune à Rome ou Un clair de lune à lirénie sur un
banc solitaire. Je ne connais rien de plus poignant,
de ])lus douloureusement évocateur ipie ces p<'tites
toiles si simples. ce]ieiidailt, et de composition et de
métier.
Parmi les (euvres exposées par d'autres artistes
de riùnilie, je ne vois guère à signaler (|ue le
Paolo et Francesca de M. Gaetano Pic'\-iali, de
qui je n'ai jamais rien vu d'aussi faible, et un ])etit
Tryptique de Noël de M. Carlo Donati, dont les
qualités d'imagination rachètent heuri'useiuent
la mollesse et la monotonie de l'exéciitiou.
Trois paysagistes, M. (iirolamo Cairati, M. l'ran-
175
L'ART ET LES ARTISTES
GIUSEPPE PELLIZZA
DANS LE FENIL
cesco Oicili (_t AL Ettorc de ALiria Bergk-r ont fixé
jKiui" hi plus grande joie de nos yeux quelques-uns
des asjiects les plus séduisants de la patrie ita-
lienne. M. Cairati nous conduit sur les bords du lac
d'Alhano et du lac de Xéini, dans les marais de
Riniiiii. vers la Pineta de Ravenne. à ilontefalco,
à Assi>e et à San Gimignano ; M. Gioli nous conte
avec tendresse et précision de délicates impressions
florentines; 'SI. de ]\Liria Bergler nous conduit
admirer, dans une salle décorée et meublée très
confortablement par M. \'ittorio Ducrot, d'après
les dessins de Î\L E. Basile, — deux noms que con-
naissent et estiment tous ceux qui suivent de près
le mouvement de l'art décoratif italien. — les
" Beautés de la Sicile n.
Nous ne nous y attarderons point, sollicités j>ar
l'exposition de deux artistes disparus : Telemaco
Signorini (1835-1900) et Giovanni Fattori (1825-
ICJ08), dont les œuvres donnent une idée assez
exacte de ce qu'était la peinture italienne d'il y a
deux générations. Sous des apparences fort sages
et des allures modérées, ces deux peintres furent,
en somme, quand on \- regarde de près, des réalistes
relativement audacieux, des observateurs impar-
tiaux des faits et de la vie de leur temps. Des
tableaux comme la Toilette du matin de T. Signo-
rini, ou comme certaines des scènes militaires de
G. Fattori,si violemment et si simplement tragiques,
sont loin d'être des choses indifférentes. Il se peut
qu'elles manquent d'acuité, de saveur, de tout ce
que l'on demande aujourd'hui, à tort ou à raison,
à l'art, mais ce sont là des morceaux dignes d'in-
térêt et d'estime.
Je me .garderai, en tout cas, de leur préférer des
toiles à effet facile, platement sentimentales, comme
la Graziella de M. Lionello Balestrieri, mais, dans
la même salle, je m'arrêterai avec plaisir devant la
Soirée d'été et la Bouquetière romaine du peintre
napolitain Enrico Lionne qui y a traduit avec de
curieuses audaces de pointilliste certains efïets de
lumière parmi des milieux et des types d'élé-
gances toutes modernes ; cela est, ma foi, fort
bien.
Je \-eux dire aussi quelle joie m'a donnée le joli
tryptique oii M. Pietro Chiesa nous a conté l'histoire
d'une troupe d'enfants qui part à l'aventure dans
une forêt, croit découvrir une retraite de sorcières
ou de quelque ogre, et revient le soir à la maison
heureuse et fleurie de fleurs sauvages. Les physio-
nomies, les gestes, les expressions de toutes ces
figures enfantines sont traités avec la plus char-
mante diversité et la plus délicate justesse ; rien
d'appuyé ni de maniéré ; le paysage est frais, dou-
cement lumineu.x ; tout a été patiemment et scru-
puleusement étudié par l'artiste, et cela, cependant,
ne sent jamais la fatigue. La Vie enfantine de
M. Chiesa est, certainement, une des meilleures
oeu\'Tes de l'exposition de 190g.
Quoi d'étonnant qu'auprès d'elle, si délicate et
si sentie, le A u plein air et le Coin de Chioggia de
M. Leonardo Bazzaro paraissent vulgaires et bru-
taux! M. Bazzaro est, à n'en pas douter ce-
pendant, un homme de talent, mais cet art vio-
lent, outrancier, ces gros efïets de lumière
fatiguent vite : M. Bazzaro fait un peu songer,
en moins raffiné, à M. Sorolla \' Bastida.
176
L'ART ET LKS ARTISTES
n. (;. .\,r,.i, i Vii.o
AXL)ER> Zt)l\N — DliNTKI.LIÈKES DE VENISE
L'ART ET I.F.S Al-îTISTES
Les peintures décoratives sont pen nombreuses
<-otlc annér à l'exposition île Wnise, et je ne vois
1,'uère à eiter cpie les deux vastes panncanx de
M. l'iiiiio Xiiiiielliiii. desliiiés au Palais communal
de Sampii-rdaiena : le (Iniulicr, tout grouillant de
monvcniiiil, d'une belle m ilonnaiiee, et ht Nouvelle
Raeei:\\\\ iiioiilre un ,L;r(.inpe d'hommes et de Icmmes
j/ortant des étendards et des couronnes, ])arvenus
au sommet d'une colline, jiarmi la lirise et la lu-
mièi-e, en marche, j'imagine, vers l'avenir.
Il \- a aussi l'esquisse sonunairc de la grande frise
décorative que M. Aristide Sartorio est en train
d'exécuter ])onr la Chambre des députés. Le sujet
est VHistoire idéale du peuple italien. Il est fort
dillicile, on le comprend, de se prononcer sur une
leuMe de cette importance d'après ce que l'artiste
nous en montre ici. Mais, en venant de voir les déco-
rations tlont .M. Sartorio avait orné les murs du
salon d'honneur du palais des Giardini, il est permis
cejJendant d'éprouver un sentiment d'inquiétude.
B. BEZZI — POÉSIE HIVERNALE
178
T'ART FT TF^ ARTISTE^
EMILE CLAUS
de crainte même, en songeant à ce que sera, peut-
être, l'œuvre en préparation. Certes, on ne saurait
refuser à M. Sartorio de rares dons d'invention, un
sens assez étendu du symbole, de la culture et du
métier. Mais on ne parvient pas à démêler les jirin-
cipes selon lesquels il conçoit et compose ses déco-
rations, ni à comprendre pourquoi il accumule
avec tant d'insistance et de confusion les ligures,
et encore moins pourquoi il les condamne toutes à
cette sveltesse, à cette maigreur presque maladives.
Puis toutes, toutes, gesticulent à l'e.xcès : on dirait
une écolede gymnastique, et toutes grimacent ]>lus
ou moins ; M. Sartorio ferait bien de lire et de relire
le beau sonnet de Baudelaire à la Beauté :
Jf hais le movivement qui drpl.icc les lisnrs....
Mais encore une fois, je ne porte pas ici un juge-
ment sur le talent de M. Sartorio ; je ne fais que
fornuder l'impression que j'ai ressentie devant sa
décoration, achevée, celle-là. du salon d'iionneur.
et devant l'esquisse de la décoration qu'il ]>ré|)are
pour la Chambre italienne.
Que d'œuvres encore, ici et là, dont je xoudrais
LES UK.\1L^ i)l L.\;.A1
parler : l'Ëlé dans la haute inonta'^nc et En plein
hiver de M. Filii)i)o Carcano, jiaysages de lièrc
allure exécutés i)ar un consciencieux et ]irobe
artiste qui connaît toutes les ressources de son
art et a ouvert, me dit-on, la \'oie à tous ceux qui
ont voulu étudier et jifindre la montagne ; les
l'ieilles de M. Feliee Casorali. bon ri curieux ta-
bleau assez imprévu de couleur et dont l'arran-
gement rappelle un ])eu certaines façons chères au
grand peintre espagnol Ignazio Zidoaga ; et une
iwignante toile de M. Pietro Mentessi, empreinte
de ce sentiment de grandi'ur et de mystère qui lui
est particulier ; et un exquis ]>a\-sage tout doré de
M. I.odovico Tommasi. Ç';a'n».s !il)er: et une F oiVf
aux bestiaux fort bien peinte de M. I-uigi (iioli.
La section de gravure et de blanc et noir, enfin,
distribuée en plusieurs salles, com])rend de savou-
reux envois, représentatifs de la manière et du
talent de chacun d'eux, de MM. Henr\- de (iroux,
David Camcron, Besnard, Alfred Hast, Helleu,
Charles Houdard, Axel (iallen. Frantz Charlct,
Se\-mour Haden. Louis l.egrand. Klinger. Emile
Orlik. Hans Thoma. A. I.unois. Henr\- Meunier,
179
[;art i:t les artistes
AIJ1]-:1v;T() .MAKTIM - i.a ntut
ÉTRANGÈRE
rhaiirs SlianiiDii. Steiiilin, François Maréchal, rt
iiiu' sciic (le dix (k'ssms à la iihuiic du M. Alliertn
Martini qu'il faut mettre hors de jiair. En troi-
cadres, il nous offre à contempler hi Belle Eiiiui-
i,'c7Y. Mm-iniii et huit dessins destinés à illustrer li -
His/dîies cxiraurdinaire^ d'Edgar Poe.
Le talent de ^NL Akirtini me fut ré\-élé il \- ,i
quelques années par l'excellent et miraculeusement
intuitif Vittorio Pica qui lui consacrait dans le
cinquième fascicule de son bel ouvrage Attraversc
gli Albi et le CarteUe, qui est comme un diction-
naire universel de la gravure et du dessin modernes,
une cojiieuse et élogieuse notice. Tout jeune encore,
il a ]>roduit beaucoup et il jouit en Italie de l'estime
de tous les artistes et de tous les vrais amateur-
d'art. Son illustration de la Secchia raf>ita. pica
resqiie, truculente, déljordante de mouvement
de verve, de fantaisie, fantastique et libre, ses com-
])ositions pour les Cours des iiiimcles, pour le Poèiiu
du travail, ])our la Divine Comédie, cent dessins d'e.x-
libris, de couvertures de livres, l'ont désigné à
l'attention et ont fait sa notoriété ; ses dernier-
travau.x, les huit illustrations des contes d'Edgar
Poe, ne le cèdent en rien à ses précédents ouvrages :
son imagination éprise de fantastique et de macabre,
étrangement voluptueuse et en qui persistent des
obsessions du moyen âge et de la Renaissance en
Allemagne et en Italie, jiarmi des curiosités ultra-
modernes, l'a servi ici admirablement. Alberto
Martini est un dessinateur de premier ordre en qui
se perpétuent les traditions les plus vivaces de sa
race artistique ; ce m'est un plaisir que l'occasion
me soit offerte de dire toute l'estime où je tiens son
original talent.
Avant de franchir le seuil du palais des Giardini
pour visiter les pavillons étrangers, nous nous
arrêterons devant les quelques œuvres de sculpture
i|ui y sont exposées. Peu nombreuses, d'abord,
et ]ieu significatives, du moins en ce qui concerne
l'Italie, d'un mouvement appréciable. Je ne ferai
i|iie mentionner, en passant, les Chevaux dit, soleil
lie ;\I. Clémente Origo, les Amants de M. Giovanni
l'iini. le Cocher de M. Davide Calandra, la Paix
de .M. Giovanni Xicolini, et les ceuvres froides de
.M. Francesco Jerace. M. Paul Troubetzko'i et
M. Rembrandt Bugatti sont présents, en revanche,
et il faut s'en réjouir. Dix œuvres représentent le
liremier ; toutes nous sont connues; il en va de
même pour les seize bronzes exposés par le second ;
nous n'\' insisterons donc pas.
Mais nous examinerons avec soin deux cadres
' niitenant neuf petites plaquettes en métal — re-
poussé, je crois bien, et non fondu — de M. Renato
j-îrozzi qui sont vraiment de précieuses choses.
ALBERTO :\IARTIXI
TETITE DISCUSSION' AVEC VNE MOMIE
(ilhistr.itii'tt (lu conte d'Edgar Poe)
i8o
L'ART ET LES ARTISTES
Ce sont des animaux, des gazelles, des moutons, îles
petits cochons, des cerfs et des biches traités avec
une finesse de modelé, une délicatesse et une pureté
de contour qui font penser à certains dessins de
[acopo Bellini et de Pisanello; cela est d'une per-
fection absolue et qui enchante ; on ne se lasse pas
d'admirer l'esprit et l'amour avec lesquels l'artiste
.1 observé, étudié ses sujets, la minutieuse conscience
,ivec laquelle il
>est appliqué à
en résumer toute
la beauté expres-
sive et vivante,
et l'on jouit de
la joie dont on
^ent bien qu'il a
'té visité en exé-
cutant son œu- ^^^^^
\Te. ^^^' "^'-fcNY
J'en dirai au-
tant d'une œuvre
exposée là, œu-
vre d'un tout
jeune homme,
M. Libero An-
dreotti; les Trois
Parques. J'avais
déjà vu, de lui, ^^H? I v '^
il y a deux ans, ^^B S^
à l'exposition des ^^wl '
Divisionnistes ^^V^ ' ' "^W
italiens, dans les
serres du Cours-
la -Reine, une
cinquantaine, si-
non plus, de
morceaux pleins
de promesses,
des plaquettes,
des statuettes où
s'annonçait un
vrai talent àv
statuaire. « On
le voit, écrivais-
je alors dans les Arts, tourmenté et indécis, à la
recherche de lui-même ; mais les dons les meOIeurs,
il les possède. Il a de la grâce, de la souplesse, de la
fantaisie, del'imagination, un peu tro]urimagination
même, à mon goût, et certaines de ses compositions
gagneraient à vouloir signifier un ])eu moins de
choses subtiles et profondes. Je leur préfère, et de
beaucoup, telles figurines qui sont des portraits,
telles statuettes où, se trouvant retenu dans les limi-
tes d'une vérité plus directe, il se montre observa-
teur délicat et nuancé des formes, des exjiressions,
des caractères. Il faut retenir le nom de ce jeune ar-
CAKL ERIESEKE
tiste ; une fois dégagé de certaines influences symbo-
listes venues d'Allemagne et d'Autriche, je ne doute
pas qu'il nous donne de fortes et charmantes a*u-
■vTes ». J'ai eu la satisfaction de constater que je ne
m' étais pas trompé. L'art de ^I. Libero Andreot t i s'est
déjà élargi et simplifié, sans rien perdre de l'acuité
d'accent, de la vervosité de modelé (qu'on me par-
donne ce mot) qui m'avaiimt surpris et enchanté
dans ses précé-
dentes œu\Tes.
11 n'a cessé, d'ail-
leurs, depuis
deux ans, de tra-
vailler et de pro-
duire, et j'ai pu
voir ces jours
derniers à Paris,
où il va, me dit-
on, se fixer, quel-
ques-unes de ses
récentes produc-
tions. Que ^LAn-
dreotti conserve
la vivacité de sa
vision et son en-
thousiasme de-
vant la nature
l'I la vie, qu'il
s'exalte encore
davantage dans
le sens de la
clarté et de la
pureté des for-
mes, qu'il achève
de discipliner
^on imagination :
il y a en lui
; étoffe d'un
i;rand sculpteur.
EM.ME .\ui-: .\ s.\ loii.ErrE Le pavillon de
Belgique est fort
bien aménagé, quoique dans un st\-le un peu trop
viennois, mais sans rien d'agressif, il faut bien en
convenir. Le vestibule est tout en marbre d'un ton
jaune rosé avec une gentille fontaine qui gazouille
au milieu.
Une salle y est réservée aux iieintres belges de
Venise ; il suffit de lui donner un coup d'œ'il,
car de meilleures (vu\Tes,et plus dignes d'attention,
nous attendent. D'abord, le délicieux et fantastique
Jardin d'amour de James Ensor qui marie ici,
dirait-on. les élégances de Wattcau avec les per-
versités d'Anbrey Beardsley ; jniis F Ombrelle vcric
iSi
i,'ai>:t et les artistes
FELICE CASORATI
LES VIEII TES
l't lu l'ililc iiKnlisIc. liuilc en Iraichi'S et Iraiichrs
ciiloratidiiN, (le M. (".rcui^'cs Miiiicn : et aussi un
liùs sa\iiuicu\ Vi//(ii;c cii l'hindrc ik- 1\I. Isidurc.'
( )j)siiiinr, a\'('c (ks \-uk'ts i-t des haniùrcs l)k'us
jiarini k's Manchmirs ilr la ncii^'c...
\)v Fcrnand KliiiDplf. \u\v M\\vd\v\\v liiératicjur
et niystéi ii'usc, l'Aiii^c; de M. Elan/. Snirris, /7;7(',
des tenuiies éclatantes sur une j'iage; un jioi'trait
de M. Franz Melchers, et <leux f^jrandes décorations
de M. Constant Montald, /(/ Barque de l' Idéal, la
Fdiilaiiic de rinspirahmi, dont la composition est
pleine de nolilesse, mais dont le parti pris de eolo-
latinii me |iarait mal appr(ijirié à d'aussi
v.istes suiiaees. Uuelques morceaux de
sculpture de MM. Georges Minne, Pierre
Braecke. X'ictor l^f)usseau : de ce di'rnier,
une tête de \'.[nli'inuc \-riiiment lielh; de
mélancolie <'t île recueillement. < )n est
enlin dans la salle réserx'ée aux Priiilre^
de la Lys, groupés autour de leur maître.
Emile Claus. Le bon maître, et ipie son
enseignement est fécond ! N'oici de char-
mantes visions de nature, toutes frémis-
santes de vie et de vérité, de MM. Georges
Buysse, Gustave de Smet, Léon de Smet,
R. de Saegher, E. Viérin. de Mme A. de
Weert, et de Mlle jenny Montigny, dont
les Ih'ux iiilérieurs et le Matin de sep-
tembre sont parmi les meilleurs paysages
du pavillon beige. „, j j:,,,^^, ,.,„„,,
Mais c'est aux huit tabkaux de Claus MARIUS DE MARL\
«pi'il faudrait jiou\(iir longuement
s'arrêter pour jouir de toutes les
beautés qu'ils renferment ; beautés
si simples, si vraies, si naturelles,
si extérieures à toute convention
et à toute esthétique que ceux qui
sont insensibles à leur réalité peu-
vent ])asser auprès de ces admira-
bles paysages sans les découvrir. Je
connaissais tous ces morceaux de
l'(euvre de Claus, et j'ai éprouvé à
les étudier de nouveau une joie in-
liniiiiejit plus ])rof onde que celle que
]'ai ressentie quand je les ai vus
pour la première fois. Claus est un
grand paysagiste, un ceil d'une fi-
nesse merveilleuse, une main tou-
jours émue et naïve devant les
beautés qu'il veut peindre, une
conscience d'artiste irréprochable,
d'une cristalline pureté. Tous ceux
qui l'aiment, tous ceux qui l'admi-
rent se réjouiront du très grand suc-
cès qu'il remporte à l'exposition de
Venise.
De pareilles joies ne nous attendent pas. hélas !
dans le i>a\'illon de Hongrie. Les œuvres d'art qui
y sont ex])osces n'ont qu'une valeur fort relative
et je ne vois rien à signaler cpii en vaille la peine ;
l'école hongroise de peinture et de sculpture est
peu féconde en brillantes personnalités, en vraies
originalités : M. Laszlo lui-même me paraît nian-
(pier tout à fait de génie. En revanche, les objets
d'art décoratif exposés là, l'aménagement des
salles, entin l'architecture du bâtiment lui-même
tant à l'intérieur qu'à l'extérieur sont on ne peut
]ilus intéressants, pleins de jolis détails ingénieux
\. H0PIT.\I. DES CONT.\GIErX
182
ART ET LES ARTISTES
et plaisant--, d'un caractère ne-tteiiinit inipulaire
l'I natidiial (|ui ne manque point de sa\enr. 11 tant
iiiidre justice aux ordonnatetiis de ce décor,
MM. de/.a Maroti, Sandor N'agy et .Aladar Kôriisfoi.
Les pavillons de la Sécession de .Munich et de
la (irande-Bretagne, s'ils sont loin de présenter
autant d'agrément au point de vue architectural,
en ottrent davantage au point de vue des leuvres
rxposées.
Forcé d'abréger jiour ne ])as e.\céder les limites
qui me sont fixées, je me contenterai de mentionner,
étant donné que tout le monde a présents à l'esjM'it
les traits dominants du talent et de la personnalité
de chacun d'eux, les noms des principaux expo-
sants anglais : MM. D.-J. Cameron, Charles Shan-
non, Grosvenor Thomas, sir Ernest Waterloo,
Anning Bell, William Xicholson, William Rothen-
stcin, John Lavery, James Guthrie, Alfred East,
William Orpen, Arthur Rackham, Frank Brang-
wvn, sir George Frampton, Alfred Drury ; l'en-
semble est satisfaisant, sans rien de sensationnel ;
la décoration des salles, exécutée sous la direction
de Frank Brangwyn, a la sobriété un peu froide de
l'art décoratif anglais d'aujourd'hui qui semble
^'attrister et s'assombrir de plus en plus.
La décoration et l'aménagement des salles du
IKivillon de la Sécession de Munich sont, au lon-
traire, tcnit clartés, ■ fraîches couleurs, moulures
pimpantes ; des blancs purs on crémeux ou grises,
des toiles claires, un accrochage imprévu et très
savamment onldiiiie : di-- conil liii.ii^nn^ trr> heu-
reuses d'oltjets d'art, de sculptures, de meubles,
de tableaux, cela est vérital)lement exipiis à l'ieil.
Les meubles, soit dit en passant, sont de M. lîruno
Paul. Tout est donc pour le mieux ; mais un regard
d'ensemble est suffisant, car je ne saurais dire
combien les œuvres exposées, à de rares, troji rares
exceptions près, m'ont ]niru indifférentes, m'ont
donné une impression de déjà vu. Je ])ourrais, si
j'en avais la place, — et je regrette vivement de ne
pas l'avoir, — justifier cette impression, e>sa\cr
tout au moins d'en dire les raisons ; je flois ilonc me
borner à citer ([tielques noms et quekjues (euvres,
les envois tout frémissants de modernisme de
M. Hugo von Habermann, IcModcle, Bdccliciii/cvidt:
M. Fritz von L'hde. toujours divers et souple et
dont je j)réfère inliniment la sinq)le étude .1»
Jardin à ce mélodramatique portrait de l'Aiiciir
Wolmiilh dans /<• rôle de Richard 1 1 1 ; enliu K> toiles
de M^L Gotthard von Kuelil, Tlicodor Hummel,
Josef Kûhn, lùigen Spiro, les gravures de .M.M. ( )lto
Greiner, Oscar (iraf-Freiburg. et en sculpture les
animaux de ]\BL Fritz Belin et Theodor Georgii,
les bustes de M. Ulfert Janssen.
Ajirès cette longue i^romenade à travers l'art
contemporain, on n'a ([u'un ]ias à faire pour dé-
couvrir, à travers les arlues. le miroiteiiK'ut nacré
de la lagune, les sourires du ciil. l.i bi-auté des
palais de marbre, là-bas, sur le (piai blanc au ras
de l'eau, et la floraison des doines et descam]ianiles
dans la lumière.... et cela est délicieux.
G.\imiEi. MoïKiiY.
Ph. T- .V«v», I
El 1UK1-:
183
m
^f^»-^
- ■■'■>■■
r:^J^
^^^HÊt
Société nationale cUs Beaux Ar.
CHAPELLE DE l'ÉCOLE DES ROCHE?, A VEKXEUIL, {vue (extérieure) (M. Storez, architecte )
L'ART DECORATIF
al©în\s d'Ârefeiteet^re em T
LES Salons de 1009, comme les précédents,
comme ceux de 1910. seml)lent prouver que
les architectes, dont il ne faut pas nier le talent,
la science et l'habileté professionnelle, ne savent
pas éviter deux dangers : d'une part, et il ne s'agit
pas exclusivement des jeunes, la manie de se
faire remarquer, de se créer une originalité tran-
chée. D'autre part, c'est l'excès contraire, l'archéo-
logie, j'entends jnir là l'impuissance à dégager des
formules anciennes une adaptation aux besoins de
la vie moderne, à faire autre chose qu'une copie.
M. F. Garas (Société nationale), édifia donc, dans
ses rêves, un temple à la Pensée, dédié à Beethoven.
Oui ne voit le danger des abstractions ? Pourquoi
Beethoven, qui fut un pur musicien, s\'mboliserait-il
à lui seul la pensée. Pourquoi lui attribuer, comme
'M. René Fauchois l'a fait, des attitudes roman-
tiques et des idées qu'il n'a jamais eues que confu-
sément. Il a eu des pensées musicales, il les a exé-
cutées avec la technique particulière à son art.
Mais écoutez plutôt la description que l'auteur nous
donne lui-même de son temple :
« L'extérieur se compose de trois parties qui
définissent l'évolution de la pensée : 1° l'inquié-
tude devant le mystère, représentée par l'énorme
sphinx à peine ébauché qui garde l'entrée ; 2° le
recueillement, représenté par la coupole surbaissée,
seniblablc à un crâne gigantesque et soutenue par
1S4
L'ART ET LES ARTISTES
des sphinx, plus construits
que le premier, mais con-
servant leur caractère
énigniatique et calme :
30 l'effort de la pensée ver-
l'infini, représenté par l'élan
de la tour. Le style un
]icu composite de mon
temple peut être interpréta
conune une union des sym-
boles de l'Inde, de l'Égypti
et du christianisme primitil.
« A l'intérieur, chacun des
huit groupes de piliers com-
porterait un épisode de la
vie humaine : la naissance
et la mort, puis la guerre, la
vie pastorale, l'industrie, la
religion, la philosophie et la
science, représentées par des
haut-reliefs d'un art très
réaliste. Les chapiteaux
seraient ornés de figures
allégoriques, au contraire,
s\nthétisant chacun de ces
groupes. Au-dessus, à la
naissance des voûtes, s'or-
donnerait toute une com-
position en mosaïque d'or
représentant les divers
aspects de la nature ter-
restre, idéalisés en des pas-
sages de rêve. Chaque
voussure comperterait une
composition en harmonie
avec l'idée exprimée par le
pilier correspondant.
« Au-dessus de ces com-
positions, dans une ha mie
de ciel les dominant toutes.
planerait, autour de la coupole, une théorie de
ligures représentant les arts, et. ]iarticulièromt iit.
la musique berçant le rêve humain.
« A la partie supérit'urc de la ct)Ui)ole,
dominant la réalité et l'art synthétisés ]«ir les
mosaïques précédentes, les ligures colossales des
philosophes et des religions conservant, dans
leur attitude et leur fX]iression. le calme éternel
du Boudha.
« Les peintures murales des petites chapelles ]iour-
raient évoquer les diverses ctai)es de l'humanité,
chacune étant consacrée à l'idée qui résumerait
le mieux chaque époque ».
Au pied des contreforts rocheux sur lesquels
s'élève son temple, M. Garas construit « sa jietite
maison », réalisant ainsi, dans un contraste facile.
CHAPELLE DE l'ÉCOLE DES ROCHES. .\ VERNEUIL (vm- iiiU-riciire)
le rêve de Senancourt : " Réunir K- songe des grantU'S
choses à la paix tl'une vie obscure ".
Mettons à part ce svndiolisme un ])eu vague
dont M. Garas fait étalage, indiquons (pie la part
du sculjHeur et du littérateur est plus grande dans
son (euvrc que celle de l'architecte, et ne retenons
de son jjrogramme que l'aveu d'un style compo-
silc. groupant des cléments em]5rnntés surtout à
l'Orient et même à l'Iixtrême-Orient. pour la
réalisation d'un rêve.
Ainsi l'originalité de beaucoup de nos contem-
porains n'est que superficielle ; elle résulte i)lus de
leurs conversations que de leurs (euvres. Il y a au
Grand Palais, de chaque côté de cette cloison en
carton qui sépare deux totirniquets plutôt que deux
théories, d'excellents, minutieux et intelligents
185
L'ART ET LES AIMISTES
relevés qui témoignent du respect avec lequel les
professeurs de l'École des Beaux-Arts )>arlent à
leurs élèves de la tradition gréco-romaine, de la
Renaissance, du wW et du xviii*' siècle, des églises
gothiques, et qui jirouvtnt au moins, par leur éclec-
tisme, une jKirfaite bonne foi. une absence absolue
de parti jiris. Je citerai demi au hasard le donjon
de Vincennes.par M. Vorin; le château de Fougères,
par M. Charles-Henri Besnard ; le Lazzaretto de
Milan, le Castello de Mantoue,])ar M. Jules-J. Pin;
l'abbatiale de Beaulic'u, par .M. Andral; le cliàteau
de Pierrefonds, par M. I^idarcnix; la laçade du
Trésor à Saint-Rém\- de l)iep])e, i)ar M. Belen ;
le temple de Baion à Angkor-Thom (Cambodge),
par M. Bernard; et je n'en Unirais pas de les nom-
mer. C'est là une des caractéristiques de notre
époque, que notre goût pour les vieilles choses. Mais
Il il y a entre l'art et l'archéologie toute la diffé-
rence d'une langue vivante à une langue morte ".
Vous avez ajipris, messieur--. à parler latin, et vous
parlez latin, sans ddutc, pdiu les bcMinis de la
cause. Mais, quittée \(itre lobe nuire, dites-nous un
langage compris de nous tous, et soyez éloquents,
si l'éloquence consiste à e\|irimer clairement ce
qui correspond exactement à la mentalité des audi-
teurs, et à leur révéler ce qu'ils pensaient oliseu-
rénient.
Il ne s'agit pas de créer de toutes ])ièces cette
nrchitechtre iioiivelU' que certains iourn;iu\ et re\'ues
réclament à grands cris, coiimie. sur les murs,
on ilemande un remplaçant et des apprentis....
« Lorsque Ictinus, assisté de Phidias, construisit
le Parthénon, cinquante ans après que le temple
de Thésée s'était élevé lUins la \'ille d'Athènes,
on ne se plaignit pas qn'\\ eut cujiie >on de\'ancier,
qu'il n'eût rien fait de bien nouveau, car dans l'ar-
chitecture, le nouveau, c'est rimi)0ssilile, c'est
l'absurde, c'est le sculiitt'ur cherclumt à tonner
une figure humaine dilféiente de riiomme créé
par Dieu ; Ictinus n'a\'ait point de ces \ues lolles,
mais dans son Partliénon il atteignit la jieitection
idéale de l'architecture, et c'était là uiu' iimneauté
saluée par la (îrèce d'un luiuant ,i]i|il,iu(lissriiient
qui s'est prolongé jusiju'à nous. "
La nouveauté consiste non i)as dans l'étrange,
mais dans la science siire des différents styles, et
dans l'adaptation des éléments pris à ces styles,
comme des mots à un dictionnaire, à des liesoins
modernes, aux nécessités du milieu, du public, du
climat. On se plaint communément (pie le champ
d'activité des architectes soit singulièrement rei -
treint; je n'en crois rien. Le développement du
syndicalisme, du parlementarisme, tpii sont des
formes du collectivisme, nécessite la création de
chambres de discussions, de bourses du (nmmerce,
du travail ; le goîit des sjiectacles tait ((instruire
des théâtres ; l'instruction obligatoire veut de
grandes écoles ; le trafic et les voyages ne vont pas
sans gares ; l'hygiène, sans bains publics, sans
dispensaires et sans hôpitaux ; l'amélioration du
bien-être, sans grands magasins, sans logements
à bon marché, sans maisons ouvrières, sans villas.
Le renouvellement des modes d'existence, et sur-
tout des conceptions sur l'hvgiène, sur la médecine,
logiquement, doit provoquer le renouvellement de
l'architecture, c'est-à-dire une nouvelle adaptation
des vieilles formules à des besoins nouveaux.
Or. Ces vieilles formules, on en trouve certains
facteurs dans la tradition gréco-romaine et dans
la tradition gothique, et certains autres dans les
constructions non pas nationales, car le nationa-
lisme n'existe pas en architecture, mais provin-
ciales. Il y a dans les vieilles maisons, dans les
palais, dans les églises de chaque province, des
t\-pes qui doivent inspirer les architectes d'aujour-
d'hui ])arce qu'ils correspondent à des nécessités
climatériques ou économiques qui n'ont pas sensi-
blement changé. C'est ce que j'ai essayé de montrer
ici même, dans un article sur V Architecture en Suisse;
c'est ce que je développerai dans un prochain ar-
ticle sur les ]'icilh's iihiisons provinciales. C'est ce
(pii lait l'intérêt d'une tentativ'e comme celle de
M. Stort_z. de la Société nationale des Beaux- Arts.
M. Storez avait à édifier pour les élèves catholiques
de l'École des Roches, à Verneuil, en Normandie,
une chapelle pouvant contenir environ 200 à 250 per-
sonnes, avec vestiaire, sacristie, et place réservée
au chant. La somme dont il disposait étant assez
faible, il fallait trouver un mode économique pour
couvrir un espace relativement important, 9 mètres
(le largeur sur 20 de longueur. M. Storez, se pro-
menant aux environs de \'erneiiil, découvrit une
bergerie aj'ant sensiblement les mêmes dimensions
que celles de la future chapelle, et qu'un siècle
n'avait pu endommager. Elle était couverte par
une charpente composée de cercles en bois de faible
épaissi'ur assemblés à couvre-joints. M. Storez fut
fra]ipé de la grande simplicité du système, connu
d'ailleurs depuis longtemps, mais rarement em-
]iloyé, sans doute à cause de la routine qui sévit
en architecture plus que partout ailleurs. Dans sa
chapelle, il conserva le système des cercles qui lui
jiennettait d'établir une construction demandant
peu de maçonnerie (j m. 50 depuis le niveau de
l'église), une charpente légère qu'un menuisier
[uiuvait facilement façonner, et réalisa ainsi une
lU'l intiniment harmonieuse et svelte, puisque
aucune tr.i\-erse horizontale ou verticale ne venait
plus gêner la vue, comme il est d'usage dans les
églises à charpente a]ijxirente.
Lé.\xdre \'aill.-\t.
IS6
LE
OIS ARTISTIQUE
LE SAU
ARTISTES FRANCAI
CINQ MiLLE-trois cent -treize numéros d'uin-rcs
exposées. Il faudrait le génie le plus intuitif
pour prétendre avoir discerné les ))romesses de
talents nouveaux au milieu de cette avalanche.
D'ailleurs, pres-
([ue tous les pein-
tres exposant là
sont déjà coniuis et
il n'est pas jusqu'à
leur production de
l'année courante qui
n'ait été ré^-élée au
public par les pe-
tites expositions. Et
je défie bien le plus
infatigable des cri-
'l'iues d'avoir les
- ux nets après une
il lie promenade.
Soyons francs, les
Salons sont deve-
nus des cohues in-
formes, où toutes
les écoles se cou-
doient sans même
se battre, car elles
se sont réconciliées,
dirait-on, par leur
commune adoption
lie certaines for-
mules sans vie, de
quelques recettes.
destinées à faire
croire à de l'audace
alors qu'il ne s'agit
que d'escamotage.
Ce sont de grands
bazars internationaux où chaque fabricant envoie,
expose les produits de sa marque, et ce de manière
à ce qu'on le reconnaisse tout de suite. Ou'ij ait
' ommcncé jiar des leuvres originales ou qu'il st-
-"it contenté de ]5eindre comme on le lui avait
' iiseigné. chacun de ces faliricnnts a eu vite fait
P.ALI, ( HAB.VS
de rboisu' certauis su|rls traités d'uni> certaine
laçon. et il ne (juitte ])lus cettr .ittitude.
Au fond., c'est très mélancolique (|ue de n-lrouver
ainsi chaque année le tabli'au de l'année <lernière,
])ius ou moins re-
touché ; sans coni])-
ter qu'au lieu de
se iHTtcclioinier, les
artistes, à emplo\-er
jiareiJle méthode,
perdeiil graduelle-
ment tout l'aiactère
personnel cl il arrive
un nmnirnt où ils ne
font ])lus (pie se re-
coi)ier. sans plus
s'en référer à la na-
ture.
Soyons plus francs
encore. Le Salon des
Aiiis/ts /rtinçciis est
inférietu" à celui de
la N (1/ ioïKih'. Il
semble qu'il ne soit
guère composé que
de ])ri\ de Rome,
traitani des anec-
dotes sentimentales
et des snji'tsdi' jijio-
togra]'hies en cou-
Irursawc une abso-
lue inconscience de
ce que ]>eu\"ent être
les lins de la jiein-
ture. \'ous y Irou-
\-ere/. une foison de
portraits de dames
])lus ou moins élégantes, a\'i'c des robes dont
chaque détail citer est soigneusement rendu, de
chiens fidèles, de révoltes et de récits, de curés
offrant à boire à des militaires, de femmes nues
tenant dans leur main les attributs les ])lus oiseux.
Parfois même, rarement, il est vrai, celui qui \tn-
.VLGVE
187
L'ART ET LES Al-iTISTES
gnait lies {eiiinies nues s'aventure à peindre des
soldats ou des portraits, et réciproquement.
Mais l'absence d'art de tout cela est navrante.
On se sent en présence d'o]iérations commerciales
admirablement organisées et l'on prend la plus
haute idée de la fortune juiblique que ne semble
pas épuiser l'achat de tant de toiles; mais, même
quand l'ceuvre luirait liit'u jintc. il ne faut pas troji
s'approcher ; il >• niaiique trop souvent ce je ne
sais quoi d.- sincère et de vivant à quoi l'on recon-
nait l'artiste vrai.
Pourtant, au milieu de
cette uni\'erselle médio-
crité, queUpies belles
choses et un certain nom-
bre lie choses intéres-
santes font (pielque con-
traste. Xdlre )ilai^ir à
les déciiuxi ir est d'autant
plus vif.
Pas (l'Henri Martin
cette année, malheureu-
sement. Mais M. Jules
Adier e.xpose. outre
r Hoininca tix il- mhcs , âpre
étude d'humanité, un
( 'luirl(i'iiii\iu est une sorte
de fresque très belle, très
grande, ofi flotte un sen-
timent à la 13rang\vin du
plus intense effet, ("e
pemlic a une émoti<ui
X'iMinicut |i(iignaiite, d'es-
sence iio])ulaire et qui se
réalise plastiquement de
savoureuse manière.
/,(' Cliiint puni- Ui
licaitlc lie .Mlle Hélène
Dutau l'st un panneau
décoratif de j)etites di-
mensions, mais de pro-
portions vastes. Plus que
sa science du plein air,
qui est parlaite, plus que son habileté à faire
frémir la \'ie sous la jx'au lumineuse, ench<nite sa
comjiréheiision du sens dccoraiij de la jK'inture,
Non .seulement elle aiiiii' à peindre, mais elle sait
ce qu'il faut faire lorsqu'on a envie de peindre.
C'est une sensible et une intellectuelle.
Le toujours virtuose M. Hoffbauer e.xpose une
liwcutc des plus impressionnante et des ji
sombre, mais on attend toujours le moment où
ce peintre, abandonnant sa virtuosité, en reviendra
à la qualité d'émotion si particulière que révélèrent
ses premières oeuvres. M. Rochegrosse aborde la
vie antique avec cette science et ce sens qu'il en a
jusque dans ses scènes les jtlus familières : Fclc
intime et Dans la rue.
Admirons le Portrait de M. André Des,taillcnr et
le Jardin de M. Jean-Pierre Laurens ; la Fin de
marché en Sologne, une très remarquable toile de
M. Guillonnet, qui passe aisément du tableau
officiel au tableau de genre et dont la Rencontre
de l'homme est si pleine d'humour, de fantaisie
et de lumière ; les belles espagnoleries de M. La-
parra, d'une anahse si aiguë et qui m'ont semblé
presque égales, cette fois,
à celles de M. Zuloaga,
malgré qu'il }• manque
un peu de cette sorte de
fièvre dans le réalisme
qui caractérise le second
artiste.
L'Algue de M. Paul
Chabas est séduisante
au possible avec son
jeune nu caressé par les
derniers rayons du soir,
son eau morte et opalisée.
C'est un des meilleurs
Chabas.
Ce que j'ai le plus
goûté dans la rétrospec-
tive d'Albert Maignan,
ce sont ses petites études
d'aquarium, mais le reste
est d'un s\Tnbolisme si
enfantin à la fois et si
pesant et il y a là dedans
si peu de qualités vrai-
ment picturales qu'on ne
l>eut guère être ému ni
intéressé.
M. Joseph Bail peint
des Communiantes avec
cette perfection un peu
froide qui lui est habi-
tuelle, et M. du Gardier
continue à représenter la
\achts. La vague de M. Ma-
tisse-Auguste ne s'appelle pas la Vague, mais elle
ressemble à celle de l'an dernier. La princesse Ga-
garine-Stourdza e.xpose un beau nu, solide et cons-
ciencieux, et Mlle Delasalle aussi. J'ai trouvé fort
bien le Commérage en Flandre de M. Louis Prat,
malgré que le sujet en soit bien vulgairement
lus anecdotique. Cette remarque d'ailleurs ne s'apj^lique
ANDRÉ DEVAMBEZ — fusion de l'école
NORMALE ET DE L.\ SORBONNE
■ élégante à liord de
pas qu'à lui. Je retendrais volontiers au Païenne
de M. Fouqueray. tableau historique et même
naval, à les Vieilles au fuseau de M. Pierre Vaillant,
toile de genre, à d'autres encore. J'ai préféré, et
de lieaucoup, les scènes espagnoles de M. Carlos
L'ART ET LES ARTISTES
WILLLAM LAPPARA
SUR LA ROl'TE
\'azquez et de iL Chicharro-Aguera (celle-ci re-
marquable) à celles de M Georges Berges, qui
répète toujours la même attitude.
j'ai découv^ert quelques toiles de peintres moins
' lèbres, et qui m'ont beaucoup jilu, comme, par
exemple : la Princesse et la Grenouille, si spiri-
tuelle, si jolie de couleur, de Mme Greene-Blumen-
schein; Perdu, de Mme \'an Duyl Schwartze, de la
fort belle peinture, un peu musée ; la Promenade
de W. Max Bohm ; le Jour de la Fêle du jardin de
MUeKretzinger; d'autres certainement que j'oublie.
Je mets tout à fait hors de pair M. Hubbell avec
-'S deux œuvres : Au coin du feu et le Manteau
orange, si délicates, si douces à regarder et qui
satisfont pleinement les jilus difficiles; jnLHughes-
Stanton et Cabié avec leurs beaux paysages ;
M. Ernest Laurent et ses portraits de femmes,
d'une atmosphère si magnétique ; M. Roger Rebous-
sin qui, avec une Biche et ses faon s, se classe d'emblée
parmi nos meilleurs animaliers. Vous entendrez
reparler de ce jeune peintre, encore très peu connu.
Citons encore les Bateliers de M. ("■. Pierre, le
Portrait de Mme B... de Mlle Hélène Hlankstein.
celui de M. l'an Saanen de Barbey (remarquable),
celui de M. Robert Lemercier de M. Raoul Tonnelier ;
les Enfants de chœur et surtout la très décorative
Entrée du Palais des doges de M. Saint-Germier ;
l'Automne au château d'Aubry, d'un beau sentiment
et de bien agréable couleur, de Î\L Eugène Chigot ;
la gracieuse danseuse espagnole, si gentiment
mâtinée de Parisienne, i)ar M. Patricot; les pan-
neaux décoratifs de ^L Paul Sleck, d'une conception
si émue et d'une harmonie si fine ; les Vendanges de
"SI. Dupuy, moins heureuses peut-être que son beau
]iortrait féminin du Salon précédent ; les gracieuses
Princesses modernes de ^L Avy.
Je ne puis guère rien dire de JL Edouard Zier et
de ses souvenirs de Jordaens, ni du très hnnineux
Gagliardini, ni du tableau de Cécil Ja\-. ^L Ridel
se répète, et si le Vice d'Asie de JL Henri V'ollet
est niais de présentation, du moins la nature morte
du fond en est-elle très « peintre ». N'oublions j^is
189
AK'
ET LES ARTISTES
CHARLES HOFFBAUER
L EMETTE
les si gentils 7 '('///s f^lKn/ius de .Mme I)eiii<)iU-]->iet(Jii.
ni les lieaux paxsages de M. G. Motelez et de
M. Eéiiii jnuliert, ni kl tciut à lait ravissante eliose
([u'est la ('('in- de /'liospici' à Bruges de ^L Félix
Eyskens, ni la ficiii' d'Eugène Pascaii. ddnt la
cciniposition est exeellente, Citons eneort' les soin-
niaires mais vives Omiiiits de ;\[. Calhet. V fjudc
dt- jciiuc jUh- de M. Maunee Mathnrin, (';; soir dans
l\tlclicr de M. Lul.rl-Riehe, le CuUivtr eu l.niriiée
de M. A. Devamhez et sa l-'usiini de F Éenle nor-
iiuile el de la Sorhomie, tableau oftîeiel, mais très
vivant; l'exciuise luifaii/ à la erinoliiie de M. Théo-
.lore Deseh ; M„ii père, ixntrait de M. Pierre Tran-
ehant ; un portrait di- Rodin de ^L joliii Pliiliiip. la
délicate T'r;//â' (r/:'/'\' de- M. Hem-\- (,ros]ean. les
(euvres de .ALM. T. R'émond. Zo. Oswald Birlev
(une remarquable Kidu- niiiiie). Ribéra, Styka, etc.
A la seul]>tuic.remar(iuons les envois deM. Ernest
Hulin : une Sciliaiié. liaut-relief en plâtre, excellent ;
les statues en pierre de .M. Vigoureux {le Par/uni)
et de M. Gaston Rnxiuet (Jeux de taiiiies) ; l'admi-
rable Essai de seiilp/iire iiioiuiiiieiilale de M. Soud-
binine; le Cliiiii,\ti!:é si expressif cie M. Mérite;
les gracieuses statuettes de M. Henri \'arenne ;
la Mort de la Cigale, nu jietit chef-d'(euvre en
marbre rose de M. Constant Roux ; l'Orphelin de
M. Terroir ; la noble Prière du Pean-Rouge au
Manitou du célèbre artiste des États-Unis IM, Dal-
Im; /<-,s Ménétriers bretons de Ouilivic ; la Lor-
raine de M. Jacquot; l'envoi de M. René Héclu, la
Dernière Goutte, d'unv facture aimable et gentiment
observé ; le superbe buste en marbre de Condot-
tiere par M. Cordonnier, que nous reproduisons ici.
Citons encore, à la section
de gravure, M. Belleroche,
:i\'ec ses magnifiques litho-
grajihies d'un art si souple,
si large et si personnel ; Deté
avec ses beaux bois ; Henry
Detouche avec ses vivantes
gravures en couleur, etc.
Aux objets d'art, leschoses
vraiment merveilleuses de
.^L Lalique : c'est un grand
artiste ; les émaux libres de
M. G. Dumoulin, les pâtes
de verre de M. Decorche-
inont, la vitrine de bijoux
de M. Lucien Gaillard, les
reliures de M. Blanche-
tière, etc., etc.
Le S.\LO\ DES Humoristes
[Palais de Glace). — Le grand
progrès accompli par l'art
de la caricature à la fin du
.\i.\'' siècle fut de se libérer des entraves appor-
tées par le texte jiour faire la part plus belle à
la couleur, à l'intention décorative. Caran d'Ache
marquerait assez bien la transition de l'une à
l'autre manière. Entre Daumier et Cappiello,
il est le trait d'union génial, le conciliateur.
Ce merveilleux humoriste était, qu'on ne s'y
tromi)e ])as, un artiste de génie. Il en avait l'infa-
tigable ver\-e, l'observation prodigieuse, le sens
social sans tléfaut, l'indifférence supérieure. Sa
fantaisie n'est jamais folle : c'est celle d'un poète
et d'un caractériste ; il sait la vie, la vie de tout
le monde, comme un Balzac, mais il en rit
comme un Hogarth, et avec le goût d'un Banville.
Ses dessins politiques ne sont pas le meilleur de
son ceuvre, et. cependant, comme ils sont supérieurs
à ceux de la galerie d'en haut, à l'ensemble de cette
rétrospective qui va de Louis-Philippe à la troisième
République ! Tous, Isabey, Traviès, Philipon, Dan-
tan, Benjamin, etc., tous, sauf Daumier, qui est
un maître, un maître de l'épouvante et de l'âpreté,
tous sont pénibles. Allusions dont le sens est perdu
et que l'on sent lamentables, comme tout cela est
peu drôle ! Oh ! les collaborateurs du Panthéon
Xadar !..,
Combien j'aime mieux les modernes ! Ils ne .sont
jias profonds, mais qu'importe? Puisque leur grâce
légère est de traiter avec tinesse l'éphémère actua-
lité, acceptons-les tels qu'ils sont, songeons à ce
joli courage, si français, que déploient ces impro-
visateurs à sacrifier tous les jours leur talent en
petites a'uvres.
C'est Carlègle, le poète humoristique de la vie
IQO
î •
I.'AlvT ET I.I-:
AKT
(les maisons, Gus Bofa, Jean Ka}' et ses délornia-
tions d'enfants, si cocasses ; c'est Drésa (|ui sort
.l'un conte de Candide, Willette au délicieux
esprit, et Louis ]\Iorin non moins l'xcjuis. C'est Bac
qui fait son petit I.onghi, Ricaido Murés et tout
l'esprit des fortifs, Ihels et ses lutteurs, .Métnel
-i fou, Gousse, Feldmann, Raphaël Kirchner aux
s\nibolismes amusants, Pourriol aux belles eidu-
ininures, Hémard très en progrès, Hermann-Paul
aux imaginations sinistres, André Hellé dont tous
les dessins ont l'air de jouets ; Delaw, un vrai frère
de Carlègle, mais plus
attendri, sorte d'Ander-
sen du crayon ; Prcje-
lean aux mouvements
endiablés, Galanis, An-
dré Devambez, Edouard
Bernard, Torné-Es-
quius ; Chéret, pastel-
liste unique ; Brunelles-
chi, Touraine et Fabia-
no. très " \'ie pari-
sienne » ; De touche,
Poulbot et ses gosses si
touchants: Cappiello,
flambant comme une
tfamme de punch ; Gra nd-
jouan (qui nous donne
d'excellentes attitudes
de l'insaisissable miss
Duncan), Markous, .Mor-
riss, Rordiille au sens
décoratif si audacieux
et si sûr, Léandre, Jean
Vcber, Sem sautillant et
cruel, Cadel qui ])eiut
aussi excellemment.
Gottlob qui rit sérii'U-
sement. en moraliste :
Guillaume, (ierbault, un
peu lourd ; Abel Faivre.
(ialantara aux folles et
féroces fantaisies ; et d'auti
je ne j)uis même énumérer.
Je trouve cette année la sculiuure un jieu en-
vahie par les « travaux de ])atience ". 11 \- ui a
d'exquis et d'autres trop sages, sans fantaisie ni
\erve. Mais je mets hors de jiair les marrons de
René Doucieux, les bouchons comiques d'Eggi-
niann, les sculptures de Rai)haël Diligent et celles
de Gir (une classe de danse, si juste, si mouve-
mentée, si variée), et les admirables animaux de
Réalier-Dumas, taillés en jilein bois avec un
esprit extraordinaire, une \-ie ml(nse: de \rais
chefs-d'onivre.
Quant à la rétrosi)ective de Willu'lm lîusli, le
\.-A. ( ORDOXXIER
I m.irbrc-
et il'autn
(pu
Caran d'Aclie allemand, je n'ai rien à en dire après
les pages excellentes (pie .M. R.-A. Meyer a consa-
ciées ici même, l'année dernière, à cet artiste.
I.KS XVMI'H1-.\S. SKKIK I)i-; l'.WS.VlES D'E.M-,
i'.\K CiArni-; Moni;t {(uilrrirs Durand-Ritd. ib.
rue I.ajiUte). — Des coins d'étang (pii n'ont pas
d'autres rivages cpie l'or du cadre. De l'eau ; sur
cette eau des nymphéas et ])arfois les reflets du
ciel. C'est tout. Ouarante-huit fois ce motif sollicite
le i)mceau du jilus grand peintre (pii' ncnis jiossé-
diciiis anjiimiriiiii. Et
cpiaïaiite-huit lois il
r(''s(iul le ]>roblème a\'ec
une \irtu(isit(' passion-
née. ("es| nu énu i"\eil-
leliKlll. Le ])oème <le
toutes les heures du jour
dans toutes k's saisons
chante suavement sur
l'eau <iui l'écoute, immo-
bile, des préludes pâles
et bliiis de l'aiilie aux
splendl<les finales de
poinpie du cré]niscule.
|e ne connais incscpie
lien il.ius l'art moderne
(|ui suit aussi sua\c'.
aussi |iureiuent jo\'eii\.
aussi tr.uiciuille, aussi
serein. Le panthéiste
aède de l,i Nature achève
l'ode tumultueuse, (ju'll
ccMc'br.l depuis c in-
cpniitc' ans. sur ces
aceoicls .ipaisés. d'une
richesse sourde, d'un
éclat \'oilé. ma.t,'iiirKpies
et ])leins de rè\'eri(-.
- BISTE UK CONDOTTIERE
cl iiroiizf) ExposrnoN mes (i-;r-
VRES nr S( ll.l'TKCK
O'CoNNOK (Galerie Hébrard, me Royale). La Ri'-
vuea déjà consacré, tn 1905, un article à cet artiste
si intéressant. 11 n'a fait de])nis qui' des |)rogrès.
Statues, tètes, bas-reliefs, médailles, grouiH'S,
compositions décoratives, en marbre, en bronze,
en jjierre, en plâtre, son œuvre à ce jour atteste une
activité prodigieuse s'exerçant dans tous les ilo-
maines où peut évoluer la sculpture. S'il me fallait
dégager en un mot le sens et comme qui dirait la
\aleur de ce considérable effort, je dirais que
M. O'Connor est un des très rares sculi)teurs qui
aient gardé le sens de l'architecture. La majorité
de ses confrères exécute des morceaux ]>lus ou moins
hal)iles. plus ou moins .. en fa(;ade ", gratuitement.
191
L'ART ET IT-.S ARTISTES
si l'on ]H'iit (lire, sans s'uctiiiier ni de leur destina-
tion ni même son\'ent dv leur rapport avec l'idée
([u'ils représentent. M. OTonnor, lui. ne trax'aille
j)oint sans se soucier de ce jiroblème très important.
Sa moindre ligure émane du monument qu'elle est
destinée à déroi'ei-, selon la très pure tradition
médiévale ; et non seulement elle en émane, mai--
elle garde dans sa construction ]iersonnelle quel-
i]uc chose de plein et de soliile qui lui vient ']<■
cette origine. Il y a toujours du has-reliet dans
n'imiKirte quelle oinie de .M. ( JTonnoi'.
A qui se lrou\c aussi pi olundément dans II' \'rai
chemin (|u'il doit siii\re. l'avenir est réservé. Cette
leçon sans paroles (pie doime là le jeune artiste
américain dex'rait Imn ser\-ir à quantité de nos
sculpteurs, satislaits (ra\'oir moilelé sans but
décoratif quelques corpis inutiles. Dois-je ajouter
que ni la grâce, ni l'observation, ni l'ingéniosité
ne manquent à ce consciencieux et à ce sévère?
E-XPOSiTiox Je.-\nès (Galeries Devambez, 43, boule-
viird Males/ierbes). — La place me manque, mal-
heureusement, j>our dire tout le bien qu'il faudrait
de ce subtil aquarelliste dont les procédés restent
mystérieu.x. mais les magies certaines. Il se contente,
p((ur sxiithèse, d'un amour passionné de la nature
(pu lui lait découvrir le moment qu'il faut, le site
e.xact et complet, l'impression totale. Et quel
charme dans l'exécution !... Quelle riche matière
(pie ce je ne sais quoi coloré qui se dérobe à l'exa-
men ! Décidément, M. Jeanès mérite le succès qu'il
obtient.
F. .M.
MEMENTO DES EXPOSITIONS
ClniUim ,1, Ini^^ot,!!,. ,i,i Un,, ,/,■ l;„„Ui^iif. — (jii.itrirnu
e\]K)sitiiin ivti(i--|)i.-ctive oij^anisée par la Soci(lté
nation, lie dis ['.(.■an.\- Arts : Portraits de femmes
ci^'lcliivs de 1^1 pninière à la troisième République.
Jdii/iii (/(S Tiiihih'. sdll, ilii Jeu lie Paume. — Exposition
de Cent |iiiitraits de femmes célèbres des écoles
anglaise et franc,aise du xviii'' siècle.
I.nuvic ipavillnn de Miifiiiii). — Union centrale des .\rts
diconitifs. Kx]iosition de la Société de l'Histoire du
costunie.
Cnoptiiitire ,/,-. .\lll-.te
manente d'univre
Galène J. AUaid. y<
ac|uarelles et des^
I Kl I. al fille. — E.xposition per-
.• maîtres modernes.
e des Capueincs. — Tableaux,
d'.Vlfredo Rames Martinez.
t, alênes Ge,ai;e!i Petit, S nie de Sèsc. — Tableaux d'.\u
;,'ustus Koopman. Tableaux d'.Mbert Thomas. Aqua-
relles de Casimir Raj-mond.
Ceiele de la Librairie, 117, boulevard Saint-Germain. —
" Palais-Salon ■>. quatrième exposition annuelle.
Galerie des Artistes modernes, 19, rue Caumartin. — E.xpo-
sition des tableaux de M. Tkatckenko, peintre russe.
Galeiie de l'Art contemporain 3, rue Tronchet. — Expo-
sition de paysages par R. Thibésard. jusqu'au 5 juin.
Clie: l'ellet, 5 i , rue Lepelletier. — Exposition des dernières
œuvres de Louis Legrand.
Atelier de M. Sarhis Diranian, 10, rue Aljred-Stevens. —
E.xposition des peintures de cet artiste.
Galerie Druet, 20. rue Rovale. — Peintures de G.-L. Jaulmes.
XTCTOR GITLLOXXET
L.\ RENCONTRE DE T HOMME
192
Le Mouvement Artistique
à l'Étranger
AUTRICHE
T A saison parait être, à \'ienno. tonte aux artistes
iiioraves, dispersés parmi leurs confrères d'Autriche
dans les trois locaux d'exposition Kunstlcrhaus. Sécession
et Hngenbund. tandis que, en Moravie même, un événe-
ment artistique, gros de conséquences, vient de se produire.
A Hodonin (baptême allemand : Gœding), une exposition
morave-polonaise a démontré les étroits liens de parenté
de l'art des deux nations et des façons analogues d'envi-
sager le problème artistique national. Il est d'ores et déjà
acquis que. s'il y a, entre l'art citadin de Prague et l'art
de Moravie, la parenté de deux frères, dont l'un se serait
établi en ville à faire le monsieur à la mode et dont l'autre
serait demeuré gentiment sur ses terres, il y a entre ce
<lernier et l'art polonais mariage d'inclination. C'est la
fille, cossue et opulente, du grand seigneur terrien qui
épouse le frais et charmant paysanneau son voisin.
En Pologne, la nation entière étant de bonne noblesse,
on a toujours pu être national sans craindre de déchoir.
Aristocratique et paysan ne font qu'un. Citadins et terriens
sont les mêmes personnages. Et les artistes de Cracovie et
de Lcmberg ont peint ce qu'ils avaient sous leurs yeux
aussi bien que les grands, les fastueux décorateurs de
l'école, Matejko et Mehofïer, ont ennobli, stylisé, glorifié
l'histoire royale et l'ornement populaire. Art catholique
et somptueux au premier chef, en même temps qu'essen-
tiellement national, art d'une complète indépendance
aujourd'hui à l'égard de celui des nations d'Occident et du
Centre, il est le meilleur exemple à proposer aux autres
nationalités sous tutelle, car il a démontré la possibilité
d'être aussi universel que désirable en demeurant profon-
dément local, aussi raffiné et aristocratique qu'on le peut
souhaiter en demeurant populaire. Bref, il se comiwrte
de nos jours exactement comme jadis on vit un art tout
analogue se comporter dans les républiques italiennes.
En Moravie, une république artistique rurale a été fondée
par Jozka Uprka. qui prend aujo\ird'hui, avec les frères
Jaronek, Vaclav Jicha et leurs disciples, un <iéveloppement
magnifique. La république aristocratique et la république
paysanne se sont senties si bien animées des mêmes pas
sions de liberté et d'indépendance .slaves que, forcément,
l'union devait en résulter. Elle a été scellée ce printemps
au nom des artistes moraves par Jozka Uprka, au nom des
Polonais par JI. Tetmajer, deux artistes qu'unissent
d'étroites affinités, peintres, chacun dans son pays, des
foules bariolées au soleil et des scènes, variées .à chaque
saison, de la vie rurale. Qui a vu, de M. Wladzimierz
Tetmajer, un seul tableau, tel que la liittcdi^tion des herbes.
ou de M. Uprka. les Danses d'enfants, exposées au Hagen-
hund de Vienne, en sait plus en une fois sur la vie paysanne
du margraviat et du rojaume de Galicie, sur les aspects
grouillants et hauts en couleurs des fêtes religieuses et de
la liesse populaire, qu'après la lecture des ouvrages spé-
ciaux les plus complets. Rien ne vaut le folk-Iore, enseigné
par de belles œuvres d'artistes, consciencieux et convaincus.
\'oyez plutôt.
.Au printemps, dans les campagnes de la Morava, l'ivresse
du premier soleil, la joie d'être délivré de la prison hiver-
nale, donnent naissance à un jeu particulier. Se tenant
par la main, les enfants se précipitent à travers les landes,
décrivant dans leur élan effréné les plus singulières figures.
A travers le tableau de Uprka, une immense S de petites
filles, pieds nus, légères comme des fleurs, sillonne les prés
timidement reverdis. Les premières, en avant, lancées
hors du cadre, semblent voler comme feuilles sèches au vent
d'automne. Jambes maigres et genoux anguleux comme
sarments, sous la corolle des robes d'indienne voyante,
elles apparaissent subitement telles que des fées pour-
chassées et dyonisiaques, des bacchantes qui seraient des
poupées. Elles ont aux mains, à la ceinture et dans les
cheveux les fleurs de la saison, et ressemblent aux petites
saintes vierges des oratoires voisins qui, subitement ivres,
prendraient leur envol. Dans les fonds, montent les fumées
lilas de la glèbe qui se réchauffe. Les couleurs vives, comme
éclaboussées, font explosion à l'avant-plan. Une sorte de
délire sacré emporte toute la composition, heurtée, singu-
lière et probablement l'une des plus complètes svnthèses
que les jeux d'enfants aient inspirée.
Je laisse de côté, à mon grand regret, tant à Vienne qu'à
Hodonin, les tableaux polonais, puisque l'Art et les Artistes
a la sagesse de consacrer à la Pologne une rubrique spé-
ciale, et je n'insiste plus pour le moment sur les artistes
moraves dont j'ai tant parlé l'an passé. Mais je ne puis
assez me réjouir de constater une fois de ]>lus le fonction-
nement de l'éternelle loi qui fait que. en .Autriche, toute
vitalité artisti<pie soit essentiellement slave.
Ces peuples, tenus en étroite dépendance au nom de la
culture allemande en deçà de la Lcitha, au nom de la culture
madyare au delà, n'en sont pas moins le levain, sur toute
l'étendue du territoire de la double monarchie, de l'art,
des lettres et de la musique. Rien qui ne vienne d'eux,
directement, ou parce que des musiciens, des poètes et
des peintres allemands ou hongrois se sont rajeunis à leur
contact. Juscpi'ici le terrible, l'irrémissible péché de ces
nationalités était de se dévorer entre elles, et que, chez elles-
mêmes, chacim s'y entre-dévorât encore, .\ussi enregis-
trons-nous aujourd'hui, avec une joie sans égale, les pre-
miers symptômes de l'organisation d'une confédération
artistique slave en .\utriche. Puisse l'exposition morave-
polonaise de Hodonin avoir marqué un pas en avant
définitif dans la voie de cette union (jui tout de suite
après le talent fait la force !
.\ Prague, chez Topic, le grand éditeur et marchand d'art
tchèque, la princesse Tenicheff a transporté l'exposition
de sa colonie de Talachkino, vue jadis à Paris. Encore
un bon exemple d'art authentiquement slave, donné à l'un
des pays slaves qui a le plus de peine à renouer une tra-
dition harmonieusement synarchique artistique, entre la
loi génératrice de son passé et l'inquiet libre arbitre indi-
viduel moderniste.
WlIJ.I.VM KiTTER.
193
L'AIvT ET
-E^ ARTISTES
BELGIQUE
llKi'XEM Fs a ilrM)nnais un jjiaïKl Salon anniR'l. N'aKUcrc,
t-n (Iflioi-, tlu Salon oitkiel triennal, il n'y avait à
Hiiixt-Ues ijne le-- i'X])oMtions i\r ucrclcs. très rfstrL'niti-s.
L'an ili>rnicr, la Société ilt-. Beaux Arts a tenté d'organ!-.rr.
dans les vastes locaux du l'alais du Cin(|uantonaire, le
Salon de Printemps. Elle renonvelle sa tentative cette
année. Et tout fait prévoir qu'il s'a.yit d'une institution.
Or, comme la Société des Beaux-.\rts est très éclectii]ne,
comme elle a rénssi à f;ronper les artistes de toutes les
tendances, puisque cette année M. \an Rv^^ellierf,du
expose à céité de M. de Ealainf;. il ne s'ajjit plu- de la m.mi
festation d'un cercle, mais d\i L;rand S.don .iiiuiiel dont
I'ora;anisation ét.nt -ouli.iitee depuis l<int;tr'iiips.
L'exposition, .|iii s'e-l ouverte ,iu commencement de
m,ii, est fort iiit.'re--,iiile, ,|e tiV-- 1,1 lie tenue. On v a traii-,
jiorte IcN (riiMis de ( ,irpe.iii\ .pu lurent à .\nvers. ;'i WhI
iiiiili-iiipiiKiiii, et qui ié\élent à ceu.x cpii la connaissaient
insnflisamment l.i pui-s,inte personnalité du ,[;rand scnlp
teur français. On .1 ivinii aussi une tri'iitaine cle tableaux
et de nombreux dessins de l'aul Hiiet cpii n'.i ]>as nue iilaee
assez large dans l'ailnuration \ouée à la magniliipie
lîléiade des paysagistes français dn xix^' siècle. On a formé
également un ensemble d'œuvres du paysagiste belge
.\. Heymans, afin de rendre hommage à nn artiste encore
en jîleine force de ]iroiliK tioii et (pu, par ,es victorieuses
recherches de l'accord entre l,i vwioii lumineuse d'aujour-
d'hui et les tradition^ de vi.gueur de l'école flamande
a exercé une inllueiice sur l'évolution de l'art belge.
Enfin on a organisé une ex])osition rétrospective de
l'œuvre de Louis Dubois, un Belge mort il v a quaninfi- an-
et qui fut parmi les libérateurs de la iieintme ]i,irnii ceux
qui luttèrent ici pour la liberté île l'art, pour son affran-
chissement dcN loiniule-. et de- routines académique-,
Louis Dubois est mconqiléteinent connu ; on croit trop
qu'il peignit uniquement le p,i\sage et la nature morte
et qu'il fut exclu-u ,-miiit un coloriste. Lue boutade, sou-
vent rappelée comme une justification par certain- iiii
pressionnistes d'aujourd'hui: .1 Le dessin, je le donne jiar-
dessus le marché.,, , a fortifié cette erreur. Or. au Salon
de Printemps, on a réuni surtinit .les figures de Duboi-.
Et ces figures -,,ut admirable-, et par l'o]iulence de la
matière, et par la S]>lendeur larouche de la couleur vibrante,
et surtout par la forme puissante, qui fait penser à des
morceaux de sculpture. La foule apprend ainsi que Louis
Dubois fitt un grand peintre de la figure humaine. Et ainsi
sont réparées une erreur et une injustice.
La même erreur s'attache, d'ailleurs, dans l'opinion,
à toute l'école belge. On a souvent répété que cette école
ne brille plus que dans le paysage, .-Vssurément, ici comme
partout, à côte de quelques maîtres, il v a be.iucrnip. il
y a trop de paysagistes de second ordre. IVmlant quelques
années, on a pu croire que les jieintres belges négligeaient
l'étude de la figure. Peut-être, dans l'évolution qui modifiait
la technique, hésitaient ils à appliquer à la figure des pro-
cédés nouveaux encore mal expérimentes. :\Iaintenant que
l'évolution est accomplie, que l'équilibre se rétablit, que se
retrouvent entières des traditions précieuses modifiées
seulement en des nuances de sensibilité, ils reviennent
a la figure. Et le présent Salon témoigne d'un bel épanouis-
sement. Les très beaux panneaux décoratifs de l'abrv.
celui de Cianoberlani. celui de M. Langoskens ; les portraits
de .VI. Van Holder, de M. .\ndré Cluysenaer. de M. Montald.
de .M. Pinot, de M. Suyncop. de M. Wageman-. de
.M. Wolles. de ^^. Cels ; les œuvres de M. Laermans, de
,M. Irédéric, de JL Smeers, de JL Jean Souweloos, de iL F.
B.ies, de M. Delannois, de M. Hermann Courtens. de
.M. Dom. de M. Dierckx. de M. Thomas, de JL Bastien,
de M. \'an Zovenberghen. de ^L Landy, manifestent cet
érpiilibre revenu, montrent les traditions de la peinture
flamande assouplies, accordées à une vision nouvelle, mais
ayant gardé ce qu'elles avaient d'essentiel : le respect de
la forme vigoureuse.
T'est ce qui frappe le plus dans ce Salon de Printemps,
111 ce qui concerne l'école liel.ge de peinture. Quant à la
-c iilpture belge, elle montre un pur chef-d'œuvre : le buste
de Jeune fille de Victor Rousseau, œuvre simple, délicate,
lorte, d'une expression rayonnante, d'une absolue per-
lection,
I-'art fr.inçais, représenté jiar Carpeau.x et par Huet,
l'est encore par le nu lumineux de Caro Delvaille : Sommeil
/liiii'i. très admiré pour ses superbes qualités de couleur
i-t cle consistance ; par deu.x des panneaux de Besnard pour
la coupole du Petit Palais ; par des toiles de Cottet, notam-
ment le l'iiiilon à Ploii^asttl : par Lucien Simon, qui a
envoyé son Goûter ruisselant de lumière ; par trois beaux
morceaux de Bartholomè,
Il y a un portrait de Lavery, une toile délicieuse, de fac-
ture fraîche, onctueuse et précise, de l'Écossais Hornel ;
l''.Ui!l, s eut piipiUnii ; il y a des portraits élégants et
minces de Laszlo ; il y a une étrange série de portraits de
l'ie \. de présentation théâtrale, par M. Hierl-Deronco.
de Munich ; enfin il y a aussi une salle consacrée à la jeune
école vénitienne, et où l'on admire des choses étonuammeut
harmonieuses et solides de >L Zanetti Zilla, un vrai peintre,
à la \ision sourdement, délicatement somptueuse.
je
Presque en même temps que ce Salon de Bruxelles s'est
ouvert, à Liège, un Salon organisé par la Société pour l'en-
couragement des Beaux-Arts ; très belle exposition à
laquelle participent la plupart des artistes belges, et où
une très large place est faite à l'école française. ,
-A -\nvers. à côté d'un Salon des aquarellistes, on a or-
ganisé une c.xiiosition de l'ivuvre de Jef Lambeaux, le
]>uissant statuaire mort l'an dernier. La personnalité cu-
rieuse de Lambeaux, de santé débordante et joyeuse, et
qui s'apparente si directement aux opulents Flamands
de la Renaissance, a, comme eux. de soudaines gravités,
des heures d'éloquence supérieure, et aussi justement
glorifiée. Un incident a marcpié l'ouverture de cette expo-
sition : un député d'.\nvers a vivement protesté auprès du
représentantdu ministre des Sciences et Arts pour l'absence
à cette exposition du grand carton du bas-relief des
Plissions humaines. Ce carton appartient à l'État. On lui
a demandé de le prêter ; il n'a pas répondu. Et l'on a appris
ijue l'œuvre, roulée, est, depuis quinze ans, dans une caisse,
au fond d'un grenier de l'Institut supérieur des Beaux-
-\rts. On n'ose f)as l'en retirer, parce que l'on s'attend
à la voir tomber en poussière.
JS
Parmi les expositions particulic>res, il en est une qu'il
convient de signaler particulièrement : celle de JI. Firniin
Baes, qui a montré, au Cercle artistique, à Bru.xelles, une
série d'admirables dessins rehaussés de pastel, d'une grande
inireté. d'une grande noblesse de formes et d'expression,
d'une conception siniiile, d'un style solirement lyrique.
G. \ ANZYPE.
i<j4
L'ART ET LliS ARTISTES
ITALIE
T KXPOSITION liifiiiiali- (k- W'iiise attire cette année
■^ tout l'intérêt <les artistes italiens. Depuis plus d'un an,
après les triomphes ou les désillusions de l'exposition j)récé-
dente, les artistes cjui ont l'habitude d'y être admis et
ceux qui y aspirent conctntraient toutes leurs forces et
leurs espoirs vers le grand événement vénitien. C'est que
l'esprit mercenaire qui domine la plus grande iiartie des
■1 artistes » de notre temps voit dans cette exposition, en
l'exagérant à loisir peut-être, un atlmirable marché. On
s'efforce d'y arriver avec la j>lus étonnante marchandise
et l'espoir du gain le plus considérable. X'enise. qui, sem-
blable à presque toutes les grandes villes italiennes, fait
de son mieu.x pour parer sa coquetterie et attirer le visiteur
généreux, accueille tous les deux ans labeurs et espoirs
artistiques, s'orne ainsi d'une nouvelle gloire, accroît
ainsi son importance, et vient en aide à la marche du com-
merce artistique des Italiens et à la marche de l'art lui-
même.
Les avantages matériels et moraux de la « Mostra
vénitienne sont sans doute les plus consi<lérables que
l'Italie puisse ofïrir à la phalange innombrable de ses
artisans de l'art et à celle, plus e.xiguë. certes, de ses artistes.
Mais la préparation et l'attente de l'exposition de \'enise
n'ont pas empêché quelques manifestations particulières,
d'une importance plus limitée, dans quelques villes,
Rome et Florence ont eu leurs e.xjHisitions habituelles, dont
l'intérêt a été assez vif.
On a pu remarquer à Florence, à WApositîDH dv la Sociiié
des Beaux-Arts, non' pas la révélation d'un formidable
talent ou l'indication d'une grande tendance, mais l'af-
firmation de quelques jeunes artistes desquels on attend
beaucou]). Les frères Costetti, Giovanni et Roméo, maîtres
<le techniques diverses, ont arrêté l'attention du public
artiste. M. Giovanni Costetti, dont le styh- du poitrail
évolue peut-être trop longuement entre des conceptions
diverses, et qui avait déjà éveillé des espérances il y a
quelques années avec des attitudes à double caractère
hollandais et florentin, soit pour la construction, soit pour
la couleur et les fonds, expose des portraits assez puissants,
où il affirme de nouveau la volonté psychologique de sa
recherche expressive. M. Roméo Costetti, plus nerveu.x et
nouveau, se montre, comme portraitiste, absolument
maître de .ses moyens <]u'il harmonise avec une volonté
étrange et ferme. M. .\rinando S|)adini, jeune peintre à la
fantaisie fraîche et à l'expression à la fois très fine et très
solide, compose de tendresses grises >es figures pleines de
charme, et se montre dans le portrait comme un des
chercheurs les plus sérieu.x et les plus attentifs.
D'autres artistes plus c<mnus, des aines, comme
MM, .\dolfo de Karolis, Plinio Xomellini, etc., se mon-
trent tels qu'on est habitué à les considérer, ne révèlent
aucun tournant nouveau de leur art. l'arnii les sculpteurs,
on a pu remarcpier les envois de MM. Italo Griselli.
Rafïaello Romanelli, etc.
La soixanle-dix-neuvicmc exposition inlcriuitioiialc des
/JfrtH.v-.l)Vs.àRome,a groupé aussi un grand nombre d'env-ois
plus ou moins remarquables, d'artistes jeunes et d'artisans
glorieu.x. Les «divisionnistes », les tenants de ce genre d'art
parfois séduisant mais par trop profané dans l'odieux
métier pur et simple, dérivé <les luttes et des triomphes
modernes de l'art français, sont assez nombreux. D'autres
peintres et sculpteurs s'acharnent à des copies de paysages
et de figures, à des copies plus ou moins heureuses, plus ou
moins nobles. MM. Igor Grabar, Lionne, Lovatti. parmi les
« divisionnistes », se font particulièrement remar<|uer par
leurs hardiesses ou par leur faiblesse. M. Giacomo Balla
exprime très noblement son sens sacré du travailleur avec
une .singulière vigueur du portrait humain dans un fond
géorgique. 51. B. J. Blommers peint avec une grâce naïve
d'inutiles Enfants dit pécheur «jui jouent les pieds dans l'eau.
M. Victor Rousseau fait une nudité de femme assez vigou-
reuse d'e.xécution. mais coniiilétemeut inesthétique d'inten-
tions.
Parmi les dessins, on a pu admirer ou ne pas comprendre
un Rodiu, s'intéresser à un Carrière, à une eau-forte de
Whistler.
Meme.nto di;s hommes, des choses et des i>iiîlic.\-
Tio.NS d'art. — .\ Rome a eu lieu un événement que les
artistes ont salué avec joie : la nouvelle distribution de la
Pinacothèque vaticane. Des oeuvres nomtireuses y appa-
raissent comme nouvelles ou nouvellement découvertes,
soit ])armi les Toscans de la classe des Primitifs, soit parmi
les Vénitiens. Les amateurs espèrent surtout que les galeries
italiennes, souvent touffues, mal distribuées, suivent
l'exemidedonné par le Vatican, l'e.xeniple d'une ordonnance
critique et éclairée des trésors cpii s'y trouvent.
Les restaurations de la Basilique de Saint-Marc, com-
mencées par MM. .Manfretli et Louis Maraiigoni, pour-
suivies par ce dernier, continuent à a.ssurer au vieux
graml temiile de la gloire vénitienne sa puissance et sa
résistance séculaires.
RiCCIOTTO C.X.M'DO.
ORIENT
La Peinture Persane.
1 Tne nouvelle sensationnelle nous parvient de Tauris.
^^ Lors de la dernière révolte, au sujet du maintien de la
Constitution jiersane, les insurgés, en creusant une tranchée
près du mur Sud de la ville, ont mis à jour, à z mètres sous
terre, une chambre entièrement recouverte de fresques
démontables encadrées de zinc et parfaitement conservées.
On suppose que c'est l'emplacement où s'élevait autrefois
l'ancien palais des rois de Perse. Les peintures représentent
la vie et les hauts faits d'armes de différents monarques,
entre autres de Schah Ismaïl 1'^ lïlles semblent remontei
au commencement du xV siècle. Klles ont toutes été
soigneusement enlevées sous la direction <lii i jeune per-
san » .\li-Mirza, un officier doublé d'un artiste de valeur,
et seront, prochainement, dirigées sur Téhéran.
Cette découverte renouvelle la question de la peinture
chez les musulmans. Elle atteste une (ois de plus la com-
préhension très large que, de tous temps, les Persans ont
eue du fameux verset du Coran visant les statues et des non
195
L'ART ET LES ARTISTES
EXPOSITION DES ARTS DÉCORATIFS A STOCKHOLM : LA COUPOLE CENTRALE [Ferdinand Boberg, architecte)
moins fameux liailiss ou préct'pte= oraux recueillis par les
disciples du Prophète, visant la peinture.
Ouoitpie leur foi, à cause de certaines divergences
portant sur l'héritage de Mahomet et la succession au
khalifat, soit un schisme plutôt politique que religieux
dans la croyance musulmane, il n'en reste pas moins
acquis que leur religion, absolument identique à celle des
Turcs et des Arabes, puise toutes ses sources dans l'Alcoran.
Cette question de filiation qui porte les Persans à consi-
dérer le gendre du Prophète, Ali, comme son héritier
direct, en lieu et place d'Abou-Bekr, beau-père du Réfor-
mateur, n'ébranle pas, comme les hérésies chrétiennes,
des lois fondamentales et n'infirme aucunement la révéla-
tion musulmane. Or, les Persans n'ont jamais vu dans le
Livre-Saint un passage leur défendant la représentation
de la forme humaine, même dans l'intérieur des mosquées.
A l'exception d'Allah et de Mahomet, ils sont allés jusqu'à
représenter leurs prophètes, leurs martyrs, leurs apôtres.
Dans la mosquée de Vendredi, à Ispahan. on voit un tableau
reproduisant la trinité du martyrologe persan : Ali, Hassan
et Hussein.
Ils ont représenté leurs souverains. L'illustre Behzadé
fit les portraits du Sultan-Hussein et de Chah-Ismaïl-
Ibn-Haïdan. Sur les murs de la grande mosquée de la
capitale, on admire, surmontant son tombeau, le portrait
du monarque qui chassa les Turcomans, restaura le culte
des .A.lides, rétablit la monarchie et, le premier, prit le
titre de schah.
Depuis les khalifes à nos jours, les Persans ont cultivé la
peinture. Ils ont eu des coloristes impeccables, des maîtres
dessinateurs et des portraitistes de tout premier ordre.
Les miniatures de leurs manuscrits peuvent rivaliser
avec les chefs-d'oeuvre du genre laissés par nos plus grands
artistes. Abd-el-Rizan. cité comme un des plus habiles
enlumineurs de la Perse, ne le cède en rien à Giulio Clovio.
le célèbre miniaturiste italien de la Renaissance.
Leur école de peinture, l'école persane qui occupe, en
Orient, la première place, s'enorgueillit, non sans raison,
de noms comme ceux de Behzadé, de Dinanghir, de Bokhary,
du célèbre Mani, et de Shoudja-el-Daoula, le Watteau
persan, qui ne signait jamais sans ajouter à son nom la
mention glorieuse : élève de Mii>7i.
De savants orientalistes opposent à cette anomalie,
qui a suscité bien des controverses, des raisons très simples.
Les Persans, déclarent-ils, accusant d'imposture — d'où
leur schisme — les premiers khalifes, considérés par es
Turcs comme les successeurs immédiats de Mahomet,
n'acceptent pas les liadiss dont l'autorité s'appuie, pré-
cisément, sur ces premiers khalifes. Or, ce sont les hadiss
et non l'Alcoran qui défendent la représentation de Dieu
et de la figure humaine. Inde....
Ces raisons peuvent paraître plausibles à nous autres.
Européens, mais elles sont de nulle valeur au point de vue
oriental, au point de vue. surtout, de la religion musulmane,
basée, entièrement, sur le Livre du Prophète, inspirée par
.-\Ilah, et non sur les liadiss qui sont l'ouvrage des hommes
et n'ont aux yeux des croyants que la valeur dogmatique
qu'il convient à chaque confession de leur donner. Car si
les Turcs considèrent les Persans comme des sectaires, la
réciproque a lieu pour les Persans à l'égard des Turcs.
■ .\dolphe Thaiasso.
196
L'ART ET LES ARTISTES
SUEDE
Exposition des Arts décoratifs à StocKholm.
/^ETTE exposition, ouverte
^^ entre le 4 juin et le
15 septembre, comprend —
il est vrai — principalement
des meubles et des objets
d'art dans la plus vaste
compréhension du mot. mais
on a aussi pris soin d'orner
les intérieurs de tableaux et
de sculptures des meilleurs
artistes modernes de la
Suède, des Cari Larsson.
Zorn, Liljefors, Milles, etc.
L'unité de style, chose
bien rare dans les e.xposi-
tions, trop souvent d'une
bigarrure inartistique, est
Échos
rcmière e.xjjosition
avait eu
dc vue industriel,
vivement que la
ouvelle exposition
il résulte
constater de nouv
progrès considérable
a été ac-
veau.x progrès.
Exposition de Écoles
de province à l'Ecole
nationale des Beaux-
Arts.
La deuxième ex]iosition
des travaux d'élèves des
écoles départementales des
Beaux-Arts, d'Art décoratif
et d'Art industriel a été
inaugurée le 12 mai i)ar
M. Dujardin-Beaumetz.
On se souvient que la
lieu en 1905.
De l'ensemble de cette
que, dejjuis quatre ans. un pr
compli. On sent que les écoles de province, conscientes
de n'être plus isolées et comme ignorées, ont fait un véri-
table efïort. Si nous ajoutons que cet effort couronné de
succès s'est (iroduit surtout dans les sections de l'art ap-
pliqué à l'industrie, on comprendra quel intérêt doit
s'attacher à cette importante manifestation.
Parmi les grandes écoles dont les envois ont été le plus
remarqués, nous citerons l'école de Rennes, aussi intéres-
sante dans la section des Beaux-Arts que dans celle des
Arts décoratifs : il y a des portraits peints, de la sculpture
et des croquis qui pourraient être signés non par des élèves,
mais par de véritables artistes ; l'école de Dijon, où nous
avons noté de la sculpture sur bois et un morceau de sculi>-
ture en marbre, travail de praticien tout à fait intéres-
.sant ; l'école de Lyon avec ses dessins et ses exécutions
de soieries et une figure peinte harmonieuse de tons ; celle
de Roubaix, très complète et qui a été présentée d'une
manière qui fait honneur à l'organisateur de la 'ection.
Il y a aussi des petites écoles bien iivtéressantes, surtout
quand on pense à la modicité des ressources dont elles
disposent et au dévouement dont leurs professeurs, si
peu rétribués, font preuve. Nous signalerons jirincipale-
ici heureusement sauvegar-
dée. Un seul artiste, l'émi-
nent architecte Ferdinand
Boberg (né en i,S6o). a fait
tous les dessins, tant pour
les différents édifices que
pour les vitrines, ainsi que
les ])lans de l'ensemble.
M. Boberg, qui dessina
1 original pavillon suédois à
l'Exposition de Parisen 1900,
'St le premier architecte sué-
dois dans le goût moderne.
it il est une autorité de
compétence incontestée en
matière d'expositions.
C.\RL G. L.WRIN.
des Arts
ment les écoles de Caudrv
et lie Tarare dont les dessins
de dentelles sont parfaits, et
enfin la toute petite école de
Parthenay qui a envoyé des
objets de céramique, de
forme et de tons très inté-
E.\P()SITU)N DES ARTS DECORATIFS A STOCKIK II.M
TNE COLONNE DE LA COIPOLE
res
;uits
Chacun cnnqirend le rùle
considérable que peuvent
jouer en France, au point
coles d'art ; aussi souhaitons-nous
ème exjiosition nous permette de
cltorts <-t de jiniclamer de nou-
Atnénagements et Restaurations.
Il est iiue^tioM <rin-.t.ilKr à Madrid un musée du Greco.
dans la maison même que cet artiste a naguère habitée et
récemment cédée à l'État jiar le marquis de Végla, grand
amateur et collectionneur, qui a généreusement consacré
des sommes importantes à la restauration et à l'encadrc-
nieiit des œuvres du maître.
Monuments.
I.e j mai a eu lieu, à Saint-Mihiel. sa ville natale, l'inau-
guration du monument élevé à Ligier-Richier, le vieux
maître sculpteur. Parmi ses œuvres les plus remarquables,
on cite le Sipukic qui se trouve dans l'église Saint-iitienne
de Saint-Mihiel, le Mausolée du prince René de Chàlons
dans l'église Saint- Etienne de Bar-le-Duc, le Tombeau de
Philippe de Cucldic dans l'église des Cordcliers, à Nancy, etc.
Le Sépulcre se compose île treize personnages, un peu ]iliis
grands que nature.
197
i;akt et les artistes
Ligier-Richicr est né à Saint-Miliiel, au coniiiR-iicemcnt
du xvi^ siècle, et il mourut à Genève en 1567. C'est à
Rome que dans sa jeunesse il se perfectionna dans l'art
de la sculpture, à l'école de Michel-Ange. Sa statue est
l'œuvre de M. I.éon Vadel. le socle de M. Lucien Gallant.
tous deux originaires de Saiut-Mihiel, qui méritent les plus
grands éloges pour le bel aspect de l'ensemble. Tout en
bronze et ne pesant pas moins de 500 kilogrammes, le
monument représente Ligier-Richier debout, appuyé sur
une élégante colonne Renaissance et sculptant une tête
d'ange.
Le 14 juillet prochain, sera iii.iugurée à Loches, sa
ville natale, la statue d'Alfred de Vigny, due au ciseau
du sculpteur Sicard. Xous reproduisons avec plaisir cette
(puvre si intéressante, où l'artiste a si bien su rendre
la physionomie fière et noble ilu jilus h.int.iin et du
jilus stoïque de nos poètes.
La statue de Mistral, que l'on a inaugurée le ;o mai à
Arles, est due au sculpteur Théodore Rivière, qui a repré-
senté l'auteur de Miii'iUc de grandeur naturelle, debout,
dans une attitude fort simple. Sur la face du haut piédestal
est gravé ce vers du fameux chant de Mireille : « Ciinlo
iiiio chato lie Pyouvcnço ■•. Sur le côté opposé, l'artiste a
placé un niédalllon représent. int une Arlésienne avec cette
inscription : « La l'ro\euie à Mistral >.
JS
Dons et Achats.
JM. Ivan Tsviétkov vient de donner à la Ville .sa magni-
fique collection de tableaux russes, qui fera comme le pen-
dant de la galerie Trctiakov. La collection comprend près
de I 500 numéros, aquarelles et dessins, dont près de
300 tableaux proprement dits. F.n même temps que sa col-
lection, M. 'rs\iétkiiv donne à la X'ille la inaiMiu qui la con-
tient, con-,truite en style ru^s,; ^ur les pl.ms île \ Rtor \as-
nétsov.
M
Nécrologie.
ïùnilc Miche! était né à Metz le 19 juillet 1S2S. Élève de
Maréchal et de A. Roland, il exposa régulièrement aux
Salons depiuis 1853 des tableaux de genre et des paysages,
en particulier des vues de la forêt de Lontainebleau : le
Musée du Luxembourg garde ses Stiitiiilhs i/'iiiitonine du
Salon de 1S73, et celui de N.inev une \iiil il't/,' n,S;j).
Parallèlement à son œuvre de peintre, lïniile Michel
avait mis à profit ses études dans les Musées d'.\lleniagne
pour donner à la Revue des Deux-Mondes des articles,
réunis ensuite en volumes (1SS3 et 18S5) ; on lui doit, en
outre, une série de monographies, dont certaines de très
haute valeur : Ronbrandt (18S6), Hohbema (1890). Ruvs-
daël (1890), et ensuite, à des dates plus récentes, Ritbnis.
Paul l'otter. Terborgh, etc. Il collaborait activement aux
iliverses revues d'art, et ses articles rassemblés ont paru
sous le titre iVF./ndes siiy l'hisloiii' de l'ail (1S95) et île
^.'uueellrs études, eh. (1908) ; il faut encore citer son grand
ouvrage sur les Miiities du paysage (1907). Parmi les articles
qu'il donna à la Revue, on retiendra en particulier : les
Peintures de M. Curnion im Muséum (1S9S) ; Rubciis nu
château de Steeu (1S99) ; Au pays de Giorgione et de Titien
(1907). etc. Il avait été élu. en 1S92, membre de l'.Xcadémie
des ]',eaux-Arts, en remplacement de M. de Nieiiweikerke.
organiser le second Salon des aquarellistes français, est
mort subitement pendant la traversée. Fils et petit-fils de
peintres qui furent célèbres, Guillaume Dubufe était né à
Paris en 1853. Il prit une part active à la fondation de la
Société nationale, et il avait accepté la lourde tâche d'en
organiser les Salons annuels, ce dont il s'acquittait avec un
goût auquel tout le monde se plaisait à rendre hommage
Il ne cessait d'ailleurs pas de produire, alternant les grandes
décorations — comme la Musique sacrée et la Musique
profane du Musée d'Amiens, V Apothéose de Puvis de Cha-
vannes du Grand Palais, des panneaux pour la Sorbonne.
l'Hôtel de Ville de Paris, l'Elysée, etc. — avec des pastels
et des aquarelles de plus petites dimensions, comme ces
Vues de Capri, qu'il réunissait naguère à la galerie Georges
Petit et qui résumaient le meilleur de ses qualités. On lui
doit aussi des rapports sur la section de peinture des der-
nières lî.xpositions universelles et un ouvrage sur /a Valeur
de l'art, publié l'an dernier. Il était officier de la Légion
d'honneur.
Revue des Revues.
St.\ryk Godv (années révolues). — Revue mensuelle
d'ait ancien, paraissant le 15 28 de chaque mois. — 1909,
troisième année.
Le texte de Staryé Gody étant rédigé en russe, tous les
titres sont munis de traductions en français.
Prix d'abonnement pour l'étranger : 30 francs par an.
On s'abonne chez tous les libraires de Saint-Pétersbourg
et au bureau de la rédaction (7, Solianoï per) ; à Paris,
chez Henri Leclerc, libraire. 219, rue Saint-Honorc.
I'. P. de W'einer. directeur fondateur.
La Scaiulinavic. — Revue mensuelle illustrée des
royaumes de Suède. Norvège, Danemark et grand-duché
de Finlande. — .Artistique, littéraire, scientifique. — Ré-
d.iction et administration : (>y. boulevard Malesherbes,
et 4. avenue de l'Opéra.
Directeur : Maurice Chalhoub.
.\bonnernents : 6 francs pour la France et S francs pour
l'étranger.
Le peintre Guillniiine Diihiife, qui s'ét.iit enibaixpié. il
y a une qninz.iine de jours, pmn Buenos .\ires. 011 il all.iit
Association de l'Alliance aitistique, enregistrée en vertu
de la loi sur les Sociétés industrielles et de prévoyance.
Siège social : 67-69, Chancery Lane. London. \V. C.
Fondée en 1908 dans le but de permettre aux artistes
de soumettre librement et sans restriction leurs œuvres au
jugement public.
A l'Exposition annuelle de l'.Vssociation, chaque membre
est autorisé à envoyer trois œuvres, dont toutes seront
exposées, en groupe ou dispersées, suivant le désir de
l'exposant.
Le deuxième Salon de Londres de l'Association sera tenu
à Londres, au Lioyal Albert Liait, au mois de juillet 1909.
On devient membre de l'Association en devenant acqué-
reur d'une (ou plusieurs) actions de valeur nominale de
10 shillings (soit 12 fr. y^), et en payant une cotisation
annuelle d'une guinée (soit 26 fr. 50). En dehors de cette
cotisation, les membres ne peuvent encourir aucune res-
ponsabilité pécuniaire.
L'administration de l'.Association est confiée au comité
de direction élu par les actionnaires.
Toutes les demandes de renseignements, adhésions et
versements doivent être adressées au secrétaire (Frank
Rutter), Allied Artists' .\ssociation Ltd., 67-69, Chancery
Lane, London. \V. C.
198
L'ART 1-r r,K
ARTISTES
BULLETIN DES EXPOSITIONS
PARIS
École nationale des Beaux-Arts. — Prochaine-
ment, exposition des travaux d'art déco-
ratif de nos écoles nationales des départe-
ments.
Première exposition de la Contemporaine, sociiti
nouvelle. — Pour tous renseignements,
s'adresser à M. E. .\ndré, 24, rue Bcaure-
paire.
Salon des Assurances. — Première exposition
en octobre, en formation. (Prochainement,
renseignements précis.)
Galerie des Artistes modernes, 19, rue Caiimartiu.
— Collection d'estampes japonaises, du
7 au 20 juin.
PROVINCE ET ÉTRANGER
Beauvais. — Onzième exposition de la Société
des Amis des .\rts de l'Oise, du 19 juin au
25 juillet.
Bordeaux. — Exposition d'.\rt humoristique.
réservée au.x artistes de la région, en oc-
tobre et novembre.
Bl'ENOS-Aires. — Exposition française des
Beaux-Arts, du l" juin à lin juillet.
Charenton (Seine). — Quarante et unième
exposition de la Société artistique, du
26 septembre au 19 octobre prochains,
-adresser toutes demandes de renseignements
à M. Leroux, secrétaire-trésorier, 3, ])lace
Henri IV, à Charenton (Seine).
Coi'ENH.\GUE. — Au Palais Royal de Ciiarlottin
bourg, exposition française d'art décorât il,
du 26 juin au 13 septembre. Pour tous ren
seignements, s'adresser à M. Roger Sandoz.
à Paris.
Douai. — Cin<iuante-cinquiéme ex])osition de
la Société des .\mis des Arts, du 1 1 juillet
au 6 août.
Gand. — Quarantième e.xposition de la Société
royale, du i'' août au 27 septembre. Pour tous ren-
seignements, s'adresser à .M. Scribe, rue de la Chênaie,
à Gand.
LancRES. — Société artistique de la Haute .Marne, expo-
sition des Beaux-.\rts et (l'.\rt décoratif, du -^ i juillet
au I" septembre.
LoRiENT. — .\ssociation lorientaise <ies He.uix- Arts, expo-
sition de 1909, du I î juin au i.) juillet.
S KARL)
MONf.MKNT I) .\I FKED DE VIGNY
Nancv. — Exposition internationale de l'est de la France,
avec section des Beaux-.Vrts organisée par la Société
lorraine, du V juin à la clôture de l'Exiiosition inter-
nationale.
KouKN. — Expo-'ition des I'.eaux-,\rts, du i'"' juin au
31 juillet.
Sai.nt-Brieuc. Première ex]iositiou des Beaux-Arts du
Comité il'luitiative artistique, du I S juin au i r juillet.
Bibliographie
LIVRES D'ART
V Art appliqué à l'industrie, ]ar .\. Brooi-kiet,
inspecteur régional de l'enseignement techni(pie.(ru volunu'
in-i8 de 412 pages avec 122 figures clans le texte. Garnier
frères, éditeurs.)
Ce traité, comme son nom l'indique, est essentiellement
pratique, et l'auteur, en l'écrivant, a eu pour but non point
de faire connaître et de faire prendre contact avec l'art
considéré dans un Sens alistrait, mais d'initier le lecteur
à l'art, puis, dans un sens pratique, de montrer les ap-
plications que l'on peut en tirer avec l'industrie.
De nombreux dessins et compositions décoratives, ainsi
que de superbes modèles d'éventails, complètent, d'une
façon supérieure, ces conseils et peuvent en même temps
servir d'exemiiles. Joignez à cela un historiiiue fort bien
documenté où, d'une façon brillante, l'auteur nous retrace
toutes les phases par les<pielles l'art décoratif a passé
depuis ses origines jusqu'à nos jours.
En résumé, l'Art appliqué à l'industrie n'est pas un
guide, c'est un véritable professeur enseignant d'une façon
sûre ceux qui désirent se livrer à l'étude de toutes les
ajtplications tpie l'on en peut tirer.
Cet ouvrage a .sa place marquée dans toutes les biblio-
thèques digiu'S de ce nom.
fc'n Sicile, impressions d'art et de nature, par ICdmoxd
199
L'ART ET LES ARTISTES
Kadet. (Librairie Pion i-t Nourrit, .S. rue Garancière.)
Le nouveau livre ijue publie M, Edmond Radet est,
comme il nous le dit d.ms son avant-propos, la suite
naturelle de son précédent ouvrage : Visiciis hrci'rs, Xntes
if'iiit et de voyage en Italie, aucjuel le public a lait un si cha-
leureux accueil.
Dans ce nouveau volume. En Sicile, nous retrouvons
toutes les qualités de vision et d'érudition propres à l'au-
teur. Des descriptions émues et colorées de paysages,
avant tout des impressions d'art toujours inspirées par une
critique claire et bien renseignée, alternant avec des traits
de mœurs et de rapides renseignements historiques, font
ilu livre de M. Edmond Kadet un guide attrayant et sûr
en ce prestigieux pays de Sicile, où la Fable, la Nature sous
ses formes les plus séduisantes et les plus terribles, l'art
grec, l'art siculo-normand, ont accumulé d'incomparables
sujets d'étude.
Nul mieux que Jl. IMuiond Radet ne saurait nous con-
duire à travers ces mer\eilles. nous en faire sentir la beauté,
es souligner d'un trait plus précis, les décrire d'une i>lume
]ilus alerte et plus souple,
La maison Pion, en aj)portant son goiit habituel à la
iniblication du livre de M. Edmond Radet, tiré à 250 exem-
]ilaires numérotés, eu a fait un véritable livre de biblio-
phlle.
Lei Ciandei 1 iistituti.nn de h'iauce. — \'ient de [laraitre :
Le Musée du Louvre. Les peintures, les dessins, la
c/ialcograpliie, par Je,\n Guiffrey, attaché au Musée
du Louvre, (l'n volume in-S illustré de 105 gravures,
liroché : î fr. ;u; relié : 4 fr. 30. 11. I.aurens. éditeur,
". rue de To\uuùn, Paris.)
Cette nouvelle série de volumes de la collection des
Glandes Inslitutions de France sera consacrée aux diverses
sections de notre grand Musc-e national et destinée à ins-
truire les visiteurs du Musée du Louvre de l'histoire même
et de l'accroissement progressif de ses collections, à leur
tracer en même temps un tableau exact et raisonné de la
distribution de ses richesses, dont l'abondance déroute
souvent le nouveau venu à travers la multiplicité des gale-
ries et des salles.
La rédaction de ces volumes a été contiée à plusieurs
conservate\irs, conservateurs adjoints et attachés du
Musée du Louvre ; nulles personnalités n'étaient mieux
désignées pour en faire connaître au public le piassé artis-
tique dt'jà long et le glorieu.x état actuel.
Dans ce premier volume, en termes précis et excellents,
M. Jean Guiffrey a retracé le développement des collec-
tions de tableaux, de dessins et de planches gravées depuis
leur origine au temps de François I" jusqu'à 1909, en
marquant les principau.x événements de cette longue his-
toire. Puis, parcourant les salles du Musée, il appelle l'atten-
tion du lecteur sur les principales oeuvres dans une sorte
de promenade où se trouve résumée en quelques jiages
l'évolution de l'art depuis Cimabuë jusqu'à Manet.
De nombreuses illustrations d'après les princijiau.x
chefs-d'œuvre du Mu.sée du Louvre, les vues de salles et
(pielques documents inédits donnent à ce volume un attrait
particulier. Une bibliographie des catalogues, des tableau.x,
des dessins et de la chalcographie du Louvre lui ajoutent
un élément scientifique,
l.e Musée du Louvre comprendra en tout cinq volumes.
Les quatre <iui restent à paraître sont : Le Palais. Histniie
générale du .Musée. — Antiquités égyptiennes et orientales.
— Antiquités grecques et romaines. — Sculptures et objets
d'art du moyen dge, de la licnaissancc et des temps modernes.
Frans Hais. sa vie et son œuvre, par E, W. Woes,
directeur ilu cabinet des estampes d'.\msterdam, (G, \'an
Oest et Cie. éditeurs, id. ])late du Musée. Bruxelles.)
I^a gloire de Hais est admise. Il n'est personne qui ne
connaisse au moins la Bohémienne, le Joyeux Buveur et
les Réunions d'arquebusiers et n'ait quelque idée de l'esthé-
tique du maître de Harlem. Mais sa carrière restait des
plus obscure et une légende relativement calomnieuse
lui tenait, chez la plupart, lieu de biographie.
Tous les touristes qui traversèrent la Hollande ont
commenté le réalisme bourgeois des portraits, le sens
social, collectif qui émane des groupes de Hais, et pas un
critique qui ne se soit étendu sur les bonheurs de sa tech-
nique, sur ses larges coups de pinceau, ses épaisses coulées
de blanc, ses balafres de gris et jaune ; mais il ne semblait
pas que le public fût à même de satisfaire sa curiosité en
pénétrant dans la vie de l'artiste. On louait le peintre,
mais on ignorait l'homme.
Le livrede M. E, W. Moes — cjui.au reste, est la première
publication en langue française consacrée à Frans Hais —
fi.xe l'histoire de la vie et de l'œuvre de celui-ci avec la
précision souhaitée.
Nul n'était mieu.x qualifié pour y réussir que le savant
directeur du cabinet des estampes d'.\msterdam. Depuis
des années, il e.xplorait les secrets de la carrière de Hais,
en vérifiait les conjectures, en dégageait les inconnues.
La présente monographie de Hais se trouve donc rédi-
gée plus par un historien que par un critique d'art ; les
considérations esthétiques si abondamment développées
par le premier spectateur venu cèdent le pas ici aux don-
nées documentaires.
Se fondant sur tous les renseignements livresques et
sur toutes les pièces d'archives dépouillées à ce jour — et
même certaines inédites, — comme aussi sur toutes les
toiles répertoriées dans des dépôts publics ou signalées
dans des collections privées. M, Moes est parvenu à établir
une analyse minutieuse de la vie et de l'activité de Hais.
.\ sa biographie, toujours justifiée par des textes, est
jointe une table généalogique de sa parenté et descen-
dance, et ce relevé, loin d'être un hors-d'œuvre de vainc
érudition, a une portée, si l'on tient compte que Hais a
trouvé chez ses proches des modèles pour ses tableau.x et
des confrères dans son art.
La production du peintre se trouve étudiée avec la même
science. Les tableaux se rangent dorénavant dans un ordre
de date admissible, certaines œuvres prennent un sens
nouveau et des portraits livrent pour la première fois le
secret du personnage représenté.
In catalogue de près de 300 pièces est dressé en fin de
la monographie, indiquant pour chacune leur situation
actuelle ; à quelques exceptions près, cette liste ne com-
prend que des œuvres strictement authentiquées à ce jour
et vérifiées par l'auteur.
Eu outre, M. Moes a tenu à résumer tout ce qu'on sait
de la vie et de l'œuvre des frères, fils et gendre de Hais,
peintres, et à èclaircir son influence sur ses élèves et con-
tinuateurs.
L'illustration elle-même est choisie en fonction de ren-
seignement ; les planches reproduisent non seulement les
plus belles œuvres de Hais, mais elles fournissent aussi les
types les plus saillants de toutes ses manières différentes
au.\ diverses périodes de sa carrière.
Des e.xemples de la manière de Dirk, Frans J', Herman,
Jan, Revnier et Nicolas Hais et de Pierre Roestraeten y
sont joints.
Cette documentation graphique, e.xcessivement abon-
dante, ne comporte pas moins de 54 planches hors-texte
tirées en héliogravure, phototj-pie et typogravure, dont
plusieurs d'après des œuvres extraites de collections pri-
vées d'.\ngleterre, d'.-Mlemagne et d'.^mérique et photo-
graphiées pour la première fois.
LES GRANDS CHEFS-D'ŒUVRE
FIGURE DE VICTOIRE (trj
^^^mmk'S^mm'^^^^^
iiiiîi îffiîï ïîi^iîï ïihii ÏÉÏhï ïîiÏÉÏ limi Mil Sffiï Hm Mi
PANNEAU CENTRAL
LE lETAlLË D'MAEKEMPOVE)!
VERS l'an 690, trois s(L-urs, JL-unes lilles de race
noble, et que la légende apparente à certain
empereur Octavien, inconnu des historiens, réso-
lurent de se consacrer à Dieu.
Après avoir renoncé au monde, fait vœu de céli-
l'at et fixé dans les campagnes flamandes le lieu
ilr leur retraite, elles voulurent faire un j)ieux usage
de leurs biens terrestres en assumant la construc-
tion d'une église dédiée au Saint Sauveur.
La réalisation de ce simple projet n'alla point
sans épreuves ni tribulations.
Ayant choisi un endroit nonmié Haybout. elles
>■ firent commencer les travaux, mais bien vite
elles connurent que ce site n'était point au gré du
Seigneur, car des anges descendus du Ciel vinrent
démolir la bâtisse au fur et à mesure qu'elle s'éle-
vait au-dessus du sol.
Les jeunes filles se remirent en oraison, jiuis
désignèrent un autre terrain à Steenberg où la
construction d'une deuxième église fut bientôt
entreprise.
Mais, hélas! les anges réajjparus détruisirent les
203
L'ART ET IT
ANTI^TF'^
PANNEAU DE
iioTivL-lles murailles comme
les premières, sans laisser
liierre sur pierre.
Redoublant de dévo-
tion, les trois sœurs ne se
découragèrent pas. Et le
Seigneur, sans doute, enlin
touché de leur constance,
leur fit connaître sa vo-
lonté par l'intermédiaire
il'un oiseau.
Obéissant à l'avis d'En
Haut, les jeunes Saintes se
mirent en route pour
Haekendover où, malgré
l'hiver, elles devaient aper-
cevoir une épine blanche
toute en fleurs. A l'endroit
précis où elles découvri-
raient l'arbre miraculeu.x,
le maître-autel de leur
église devait être placé.
Elles n'eurent point de
peine à trouver l'épine.
A l'entour, sur le sol gelé
et couvert de neige, un
espace verdoyant, tapissé
du plus fin gazon, dessi-
nait le plan de l'édifice.
Un fil de soie rouge en
marquait les contours.
Des anges chantaient de
chaque côté de l'épine
blanche ; l'un d'eux
s'avança vers les fonda-
trices. Il déploya un par-
chemin. Elles y lurent ■
«Ceci est l'emplacement
choisi par Dieu et montré
aux trois Vierges pour la
construction d'un temple
consacre sous le nom et
à la gloire du pacifique
Sauveur du monde Notre
Seigneur Jésus-Christ ».
Puis l'ange parla et
dit :
- A kl construction de
cette église, vous emploie-
rez douze ou\Tiers et pas
un de plus, car Dieu lui-
même veut être le trei-
zième ".
Dès lors tout marcha
comme par enchantement.
A peine le bel arbre abattu
204
L'ART ET LES ARTISTl!?
et les fondations creusées,
vit-on les murs grandir
hors de terre. Selon la pré-
diction céleste, tandis que
l'architecte n'avait embau-
ché que douze maçons, un
treizième travailleur aj^j'a-
rut chaque jour parmi iiix
Il besognait de façon pn'
digieusemcnt experte i ■
rapide, et l'ouvrage qnil
accomplissait surpassait
celui réalisé par tous ses
compagnons réunis. Mais
cet assistant mystérieux
devenait invisible dès que
sonnait l'heure des repas
ou celle de la paye, car 11
était le Sauveur lui-même,
collaborant de Ses mains
divines à l'érection de Sa
demeure !
Lorsque l'église fut ache-
vée, trois évêques vinrent
pour la consacrer et la bénir.
Mais, frappés de cécité et
de paralysie, ils sentirent
leurs membres se dessécher.
Il fallut que le Saint Sau-
veur en personne procédât
à la cérémonie et les trois
Vierges le virent de leurs
3'eux sortir du monument
comme de Chez Lui, atin de
bien marquer qu'il avait
agréé l'habitation qu'elles
Lui avaient préparée.
C'est cette légende naïve
et merveilleuse qu'un « lail-
leur d' ymaiges » de la seconde
moitié du xiye siècle entre-
prit de représenter en un
retable sculpté en plein bois
et revêtu de toutes les ri-
chesses d'une brillante ])(>-
lychromie rehaussée de
dorures.
L'église d'Haekcndo\ir
abrite encore à cette heure
l'œuvre renommée.
Elle est, cette église.
dans la plaine lirabançonne,
non loin de Tirlcment. un
peu à l'écart de la grand'-
route du Limbourg. La
construction, ancienne et
PANNEAU DE DROITE
205
LART ET LES AKTISTEs
gardant des traces d'opu-
ence. ne montre ])lus
rien qui la rattache au
siècle de sa prétendue
fondation.
Vaste, solitaire, dégra-
dée, rebâtie par parties
à diverses époques, elle
est belle encore, et tou-
chante, malgré les modi-
fications irrespectueuses
apportées à son plan
primitif.
Entouré d'un cini.e-
tière. le temjile ]irend
pied à même les herbages
que le lent apport des
générations a, peu à peu,
haussés le long de ses
soubassements.
Le retable y demeura.
à sa p)lace primitive sur
le maître-autel, jusqu'au
XYiiii^siècle. Il fut ensuite
transporté dans la cha-
]ielle de la Vierge. Com-
bien nuitilé, incohérent dét\ii
et cruellement déjiaré
}iar des restaurations malhabiles
jourd'hui à nos yeu.x !
Evidemment, dans son orddunance ]irimiti\-e,
Ja composition s'agençait en trois compartiments
formant triptyque, une partie centrale et deux
volets, se dévelopjiant en rangées superposées de
sculptures.
Autour d'un crucifiement placé, avec ses groupes
symétriques de saintes femmes et de bourreaux,
au centre de l'ouvrage, l'artiste a\-ait résumé en
treize épisodes significatifs toute l'histoire com-
pliquée de la fondation de l'église.
On y voyait les noliles filles se plonger dans leurs
oraisons ; les maçons procéder aux constructions
^uccessives; les anges se hàtir de démolir les
murailles à peine conunencées ; l'oiseau, messager
céleste, expliquer la volonté divine ; puis les bûche-
rons abattre l'éjiine miraculeuse ; plus loin l'église
définitive érigée ; les ouvriers payés ])ar le maî-
tre de l'ceuvre ; l'essai de consécration ]iar les
évêques mal inspirés et,tnfin,le Christ en jx^-sonne
sortant de l'édifice comme de sa demeure.
Sans doute, ces groupes expressifs occujiaient
jadis le bas des compartiments, tandis qu'au-des-
sus étaient placées la statue du Père Éternel —
celle-ci couronnant l'encadrement arrondi domi-
nant le centre — ci celles, plus petites, d'une
série d'Apôtres, de Saints et de Saintes.
Dans l'arrangement
actuel. Dieu le Père,
beaucoup trop grand à
cette place, a été des-
cendu là où s'élevait
jadis le Christ en croix,
entre les deux scènes
à petits personnages
retraçant classiquement
V Évanouissement de la
Vierge et le Coup de
lance.
Ces remaniements ont
eu lieu à la suite de plu-
sieurs incendies auxquels
les groupes et les sta-
tuettes mobiles du reta-
ble ont pu être arrachés,
tandis que la partie
architectonique formant
la huche primitive, fixée
à la paroi, était aban-
ilonnée au feu.
Ces groupes et ces
figurines sont les seuls
exemplaires conservés en
Belgique de l'art de nos
sculi)teurs sur bois de
la seconde moitié du xiv*" siècle. Ils constituent
des documents fort imjiortants pour l'histoire de
l'école Brabançonne.
I^es trois sœurs sont tout particulièrement
tyjiées. Elles portent les ajustements caractéris-
tiques de réjioque. Leurs robes, tout d'une venue,
moulent étroitement leurs bustes renflés, leurs
tailles cintrées et leurs hanches rondes. Leurs
manches longues et collantes retombent sur les
mains ou se replient au poignet. Leurs chevelures
emprisonnées dans des résilles se massent en
deux touffes rondes au-dessus des tempes. Debout
ou agenouillées, les jeunes patriciennes se tiennent
en des poses familières. Elles sont un peu courtes
de btature dans le jet simple et souple des drape-
ries largement traitées par l'artiste. Toujours
identiques à elles-mêmes, elles reparaissent dans
les divers épisodes, et l'aînée des sceurs, afin que
nul n'ignore leur munificence, ne quitte pas une
énorme sacoche bourrée d'écus.
L'n des groupes les plus cin-ieux montre l'archi-
tecte — ou l'entrepreneur — payant ses hommes
en présence des fondatrices. Cet agencement de
quinze figures, touffu et cependant aisément intel-
ligible, abonde en détails pittoresques d'une obser-
vation sainement réaliste.
Les statues du Créateur, des Apôtres, des Saints
et des Saintes, n.'oflrent pas le même caractère
P.\XNE.\U CEXTR.XL (LES TROIS SŒURS
)ffr
206
L'ART ET LES ARTISTES
de portraits d'après nature; elles sont ])lus tra-
ditionnelles et prévues, mais non moins adiniral)les
d'expression et de vie.
La huche actuelle, de style ogival flruri. sur-
monte de ses pinacles ciselés des niches jumelles.
Il est manifeste que les architectures ménagées
au milieu de la partie centrale sont maladroite-
ment mises en œuvre et mal raccordées.
Non seulement le crucifix a disparu, mais d'au-
tres morceau.x importants n'existent jïIus et ne
nous sont connus que par des répliques de basse
exécution. Des têtes et la plupart des mains ont été
renouvelées ou restaurées de la plus barbare façon.
Enfin il ne reste aucune trace de la polychromie
primitive ni des inscriptions qui jadis ajoutaient
à l'éloquence naïve et sa\'oureuse de la sculjiture
les ressources significatives de textes ex])licatifs.
Des hypothèses, des attributions, des contro-
\-erses d'érudits se sont élevées nombreuses autour
du retable ancinxnie d'Haekendover. Faut-il y
voir une aiivre de CoUard Garnet qui tra\'aillait
à Bruxelles vers I3f)j et fut l'auteur apprécié du
tombeau, scul])té en pierre de touche, érigé à
Jean III, duc de Brabant, dans l'église de l'abbaye
de \iilers? Les éléments de com]iaraison et d'ajipré-
dation font défaut. Et d'ailleurs, ([u'iuiporte à
l'artiste un éclaircissement liistori([ue et archéolo-
gique ? L'émotion d'une (LU\'re fiiNriite et pitto-
rescjue ne suffit-elle pas à sa dilection et le niy-^-
tère imjiénétré qui la pare n'ajoute-t-il ]ias encore
à son prestige et à sa séduction.-'
P.\UL L.\MBOTTE.
Inspecteur des Reaux-.Vrl?
(«.•IgiqiK).
DKT.MI. Dr r.\NNE.\r CENTK.M, (l-ES TROIS SŒl'KS)
207
ETUDE D ENFANT
LOUE,
DE FRAN
ATTEAU
11^ e^t des noms Itmids à porter et dont le rayon-
nement, lf)in de laeiliter le succès aux descen-
dants d'un homme illustre, laisse leur mérite dans
l'ombre. Telle fut l.i mésaventure du neveu et du
petit-neveu d'Antoine W'.itteau, — les Wiit/i\iii dt-
Lille (I).
II) Allt..illr W.lttr.ui. I(i.S.|.17JI.
L..uis Wattc.in. 1731-1 7i),s,
I-'r.inrnis \V;ill(-.iii. 17.vS.1S2,.
Louis et François, le père et le fils, ont joui d'une
grosse ré]iutation provinciale Nés à \'alenciennes,
comme l'Oncle, ils sont restés attachés à la contrée
natale, ne se prodiguant point à Paris et conqué-
rant à Lille une situation officielle qui consacrait
leur talent. Leurs (eu\Tes sont demeurées dans le
\(irtl, contînées dans les Musées de Lille, de ^'alcn
ciennes ou les collections particulières, et il a fallu le
hasard de ventes privées pour que se révélât au
20S
L'ART ET LES ARTISTES
grand public leur indéniable talent. Le plus bel
éloge qu'on en puisse faire, c'est qu'ils ne sont pas
indignes de leur nom.
François Watteau, le dernier venu de la famille,
ne connut pas les rudes débuts de son grand-oncle,
et il faut peut-être le regretter pour son appren-
tissage artistique. Louis,
son père, était à Lille
professeur de dessin
de la ville. Artiste cons
ciencieux, il avait peint
avec succès des ta-
bleaux de genre, com-
me la Joueuse de vielh
et le Montreur de singes.
qui sont au Musée de
\'alenciennes ; mais il
s'était spécialisé dans
les scènes militaire? :
le Camp de Saiut-Omer.
le Racoleur, le Cong:
absolu, sont des docu-
ments amusants et
précis sur nos troupi>
à la fin de l'ancien
régime. Il avait, en
outre, de l'indépen-
dance et ne craignait
pas les innovations
l'autorité supérieuri
l'avait quelque temp>
suspendu pour avoir
substitué dans les écok-
le modèle vivant an
modèle de convention
mais lescandale n'avait
pas duré....
De son père, Fran
çois Watteau acquit
une technique excellen-
te, un très sûr métier
En 1774, à seize ans
on lui décerna la mé
daille d'honneur dr
l'Académie lilloise qni
lui valait d'être envové
à Paris et l'on peut croire que l'on mit dans
ses bagages le pronostic d'atteindre l)ientot la
gloire de son grand-oncle et celle même de son père
dont Lille s'enorgueillissait peut-être davantage....
Pendant les quelques années où il vécut à Paris —
jusqu'en 1785 environ — François Watteau sut
voir et comprendre. Il suivait les cours de l'Aca-
démie des Beaux-Arts et il en recevait, en 1782,
une médaille. Il était encore médaillé, en 1783, à
VExposition de la Jeunesse, ces « Indépendants »
de l'époque qui se tenaient place Daujibine, en
plein vent. C'est là que Chardin, n'appartenant
point à l'Académie et ne pouvant exposer au
Lou\Te, avait en 1728 accroche à rau\ent d'une
boutique sa Raie et son Buffet que le Louvre aujour-
d'hui s'honore de posséder. François Watteau ne
lE PETIT BRICOLEUK
nous a laissé ni la Raie, ni le Bh^iV. mais.en venant
place Dauphine, il témoignait d'un désir de vivre
avec son époque, et l'on doit reconnaître que son
meilleur enseignement, il le reçut de la foule agis-
sante, mouvementée qu'il allait observer dans les
jardins publics, dans la rue. Il devenait le jieintre
attentif, consciencieux de ce peuple en évolution
qui, des premières années du règne de Louis X\T
jusqu'en 1789, s'achemine insensiiilement, sûre-
ment vers le pouvoir.
209
L'ART ET LES ARTISTES
ITn artiste sriupiilcnx, qui n'idéalise point se
moilèli-s, niais 1rs rend avec une jxirfaite lionne
te(é. telle est bien l'inijiression que nous
laissent les dessins du petit-neveu de Wat-
teaii. \'oyez ce jietit saute-ruisseau, les che-
\'enx einlironssaillcs. les joues bien rondes,
le nienlon à fossette, fortement appuvc sur sa
tri([ue. Et cet autre, coiffé d'un large feutre,
accroupi sur sa boite, le dos au mur, quekiue
bi-i(()l(iir en plein \-eiit alleiidant sans ini-
paiiiiKe. un bâton aux doigts, la clientèle
«pii viendrait troubler son farniente ? N'est-ce
pas luicpie nous retrouvf)ns ])lus tard, en long
earrirk à double collet, les bas de travers,
pesamnunt assis sur une chaise des Tuileries
ou du Luxembourg, regardant avec ironie dé-
filer les dernières élégantes et tenant un solide
.gouiilin, le même ([u'il maniait assis sur sa
lioite, le même où s'appnie le jeune saute-
ruisseau, le même dont François Watteau
se sert pour camper son jietit jiaysan au
])rofil ]icrdu si rieur, à la pose si joliment
didi.inchée ? Tout cela est vivant et inquié-
tant. Il y a dans ces mains noueuses bien ar-
mées, dans ces yeux pensifs, de la force ciui
alfend....
Antoine Watteau ne nous a pas habitués à
tout ce réalisme, et son nom seul é\'oque tant
de grâces légères qu'on s'étonne d'vn peu
bor
la l
trouver dans l'ceuvre de son petit-neveu.
Il convient de n'en pas tirer contre . celui-
ci de trop sévères conclusions. Si souple que
fut le talent du grand Watteau, on l'imagine
malaisément au travail à l'époque et dans le
cadre social où peignit François. Il y eût à
coup stir apporté cet idéalisme, ce raffinement
dont sont empreintes ses moindres oeuvres.
Il y eût mis la nervosité supérieure d'un
crayon en relation constante avec son cer-
veau et n'eiit pas employé ce procédé par
traits, « au carré », qui, chez François Wat-
teau, rappelle parfois l'école. Sans doute.
Mais il n'eût pas été non plus le portraitiste
fidèle de cette foule inélégante dont il était
distant, moins par ses origines que par son
sens naturel du beau.
François Watteau a été ce portraitiste. Il
a été le ])eintre du « tiers », de la classe qui
alors montait. Et si nous ne retrouvons pas,
dans ses liourgeoises un peu « posées pour
l'artiste », les grâces étincelantes, le trait
sulitil et nerveux du grand-oncle, elles don-
nent en revanche une impression de vérité,
'h' franchise dont l'historien doit savoir gré
au peintre. Sa jeune femme au iicliu Marie-
Antoinette que ses paniers tiennent posée au
d de la chaise et cette autre en bonnet dont
ournure nous laisse dans l'incertitude pénible
ETUDE DE VIEILLE EEMME
i;akt et les artistes
de la savoir assise ou debout, vahut une Ion- l'Heureuse famille et la Suiiil-yicohis. au .Mus^e
gue critique des modes. Au surplus, et il \' faut de Lille.
insister, la teclmique est excellente. Les étoffes Cette évolution de son talent s'affirme avec
tombent à merveille et les poses, d'un naturel les années et jamais il ne sera plus vivant que dans
parfait dans leur inélégance, reflètent à la fois le les scènes du genri' kiTine^sc : l,i Viic du Broquc-
ETUDE DE JEL-NE FEMME
tcm]5éram(nt d'un artiste et l'âme de la loule
où il trouva ses modèles.
Revenu à I-ille en 1786, connue adjoint de son
])ère, François Watteau a|)])li(iue désormais son
es]irit d'observation, aiguisé ])ar Paris, à la vie qui
l'entoure, à des scènes locales. Il y prend, certes,
plus de j)laisir encore qu'aux promenades pari-
siennes et il en tire des sujets charmants : ainsi le
Menuet sons tut chêne, au Musée de Valenciennes ;
/('/ et 1(1 Braderie. Ses qualités de réaliste s'y dé\'e-
lojijieront sous l'influence flamande.
Dans les dessins que nos lecteurs trouwronl ici,
François Watteau n'en est jias encore à cette
période. C'est le Watteau en exode à Paris et (jui
exerce, avec une réelle habileté, à cette é])0(|ue où
les nuances s'atténuent, où le ni\'ellement \v\u\ à
les effacer, ses factdfés d'observateur adroit. On ne
retrouve point en lui les grâces (\\\ xviir' siècle —
L'ART ET LES ARTISTES
celles mêmes que ressuscita de nos jours l'exquis là une vivante source d'histoire. L'art officiel qui
(iustave ]acquet ([ui \ient de mourir — mais il dans peu va naître, savant mais froid, dominé par
sut mettre en relief dans ses modèles populaires la préoccupation de l'antique, fera regretter long-
le trait qui leur est connnun : la force bientôt tem]is l'aimable fantaisie du petit-neveu de Wat-
agissante. teau.
Et il faut lui sa\-oir trré de nous a\-oir conservé Edmond Cleray.
L HOMME AU GOURDIN
\EIILEUR DE NUIT
JULES ADLER
NAÎTRE à Luxeui), un ravissant petit village de
la Haute-Saône, dans un frais décor de nature
champêtre, presque à l'ombre des piliers d'un vieux
cloître, parmi les pampres et la floraison des ceri-
siers, puis, à l'âge d'homme, s'attarder de préfé-
rence au bord des fosses minières des pays noirs,
fortement subjugué par la misère de tout un
peuple d'hommes, de femmes et d'enfants voues
aux calamités tragiques du destin ; fraterniser
entre temps, sur le sol parisien, avec les ouvriers
héroïques du faubourg de la République et gagner
rapidement d'être considéré comme un des meil-
leurs peintres de la vie sociale, en s'inscrivant au
nombre de ceux qui en rendent avec ]ilus de foi et
d'enthousiasme les nuilti]>les caractères de beauté ..
Tel est déjà, vers la quarantaine à peine sonnée,
l'emploi de travail d'une belle carrière d'artiste
en passe d'évoluer vers une autre formule esthé-
tique plus générique, avant d'atteindre au terme
proche d'un idéal décoratif définitif.
M. Jules Adler cherche à s'expliquer i)ar quel effet
de bizarre antithèse il fut amené à contrarier tout
d'abord l'émoi de sa vocation naturelle, et pour-
quoi, au lieu de peindre les séduisants motifs de
pavsages qu'il avait constamment sous les yeux
durant sa jeunesse, il en vint, presque sans tran-
213
L'ART ]-:r i.i:s artistes
LE PETIT .MOUSSE (dessin)
>ition, à se ((iin|il.iirc dans l\-tu(k- ,t,'ra\'e et àpic
(li's t(ii,L,'<'s il (1(.^ IkiuIs tcnuncaiix. S'il est mciitaiit
pour lui (le jUL^uiuer (jue son atavisme se réclame
du sang bleu et riche de (luehiiie vague aïeul ne
dans la Haute-Alsace, simjile lils de ses œuvres qui
mania jadis le pic et le marteau, il sied davantage
pour nous d'admirer en lui un des continuateurs
des I.enain, ces premiers réalistes méditatifs de
l'àme populaire, coiiime aussi du Delacroix de la
Liberté sur Il\ IliimUitli-s, du Courbet des Casseurs
de pierres, du .Millet de VA)i^clus et des Glaneuses,
et l'égal en pensers charitables de ses contempo-
rains immédiats : Bastien-Lepage, Jules Breton,
Constantin ^Meunier, Eugène Carrière, Renoir,
Pissaro, Lhermitte, Roll, Kaffaëlli, Lepère.
En ces derniers temps, combien d'artistes de
notoriété déjà effacée, moins imbus de lasaine et virile
croyance de M. Adler, mais plus avides de réclame,
incités par ce courant nouwau d'efïluves humani-
taires, auquel l'extraordinaire éclosion d'une litté-
rature Scandinave, érigeant à sa tête comme un
phare de lumière le radieux génie russe de Tolstoï,
ne fut pas étrangère, se sont empressés de greffer
sur d'estimables antiennes à la mode leurs palino-
dies intéressées. De telle sorte que nos Salons furent
et sont encore encombrés par des scènes d'un
mérite très frelaté, — de la rue et des champs, —
n'ayant qu'un rapport équi\-oque et lointain avec
cet art d'évocation magnifique, si bien défini par
Eugène Carrière, le premier à regretter que la
peinture, plus ]iar snobisme que par réelle convic-
tion, se lit le i)orte-étendard des revendications des
artisans, et laillît ainsi à l'éclectisme de sa mission
sacrée.
u II n'y a ])as d'art social, me disait, un jour,
le maitre, en substance, mais mieux un art s'ins-
pirant de toutes les beautés infinies de la vie
sociale, si féconde en enseignements sans cesse
renouvelés. »
Dans ce cadre suggestif, l'ieuvre jnctural de
M. Adler conserve l'empreinte inéluctable de son
tourment moral et de ses joies ardentes. II confirme
dejniis ses premiers envois au Salon des Artistes
français, jusqu'aux derniers, en ne citant que les
]>lus imi)ortants : fin de journée, Mère et Chemi-
iictui, Paris F été, Au Pays de la nmie, le Banc.
1(1 Soupe, les Haleurs, Matinée au faubourg, le
]'ciUcur de nuit, le Coron, le Retour du pardon
un des rares tableau.x de l'artiste dont le sujet ait
été i)ris en Bretagne, la persistance généreuse de
Son effort et la sincérité de son identification spiri-
tuelle.
M. Jules Adler est, de fait, le peintre du «popu-
laire H par excellence. Mais la pratique de son art
n'a nullement eu à souffrir de cet envoïitement
démocratique. La délicatesse de son sentiment ne
lut ]ias émoussée par l'objet de tant de forces ori-
ginelles que son pinceau se glorifiait d'évoquer. Il
alla vers elles avec la foi d'un véritable poète que
l'inspiration de sa muse conduit au.x sources inta-
rissables de la vie même. La clairière était si vaste,
si colorée, les motifs si abondants, l'émotion de son
.V5
FILLE DE PECHEURS ,iless:n :
214
T ' \1M VT I I-s ARl'lSTKS
!lftw'*;w;ï.'*ww
JVLr.5 ADUTK .
LE TKCJTTI.N (SAl.UN DE iguSj
cœur si profonde. Ah ! certes, il est passé, le temjjs
des rois et des bergères des Trianons!... « Les dieux
sont partis, s'écriait, il y a déjà un demi-siècle,
Castagnary; l'Homme demeure !... »
Il est là partout dans la nature où il y a de l'air,
du soleil, des rires et des chansons, des tristesses et
des pleurs. Jules Adler n'eut pas de peine à être
convaincu. Tout le prédestinait au rôle de sa mis-
L'ART ET LES ARTISTES
^_Tr
JEUNE CHEMINEAU (de
sion quasi evaii-
,i,'éli(.HU-. D'ins-
tinct, il aimait
les hunihlfs (iiii
assunu'iit la ta-
che lourde (le
travailler sans
cesse. Lui-niénie
n'était-il pas du
niinibre, a\ant
re(,-u du ciel en
partage ce don
admirable ipii le
différenciait tou-
tetois, avec cei-
tains des autres.
aux yeux de
tous : son amour
de l'art.
Dansla muette
solennitt' du
spectacle ipie lui
offrait l'aiiciid iiia,!,'istr.demcnt [londéré du ciel et
de la terre, si s,l (onsc lem c s'alarma en secret des
inégalités secul.nies (pTuii sort injuste laisse sub-
sister à l'eiu'i d.iiis l'ordre social, Jules Adler avait
ili' plus \'clu'mcnts soni is d'art (pie celui de diffuser
la rau( nue et laisser transpercer le di'pit d'autrui.
Jamais il n'entie])iit d'exciter les i)auvres contre
les riches, les (K'^shiiités contre les jinissants.
En s'attai haut à iieuidre des scènes émouvantes
de la vie sociale, ((imme
entre toutes sa Sarlic du -.j- , - -
CrcH>.ot. il céda à la lièvre ' \ ''^ t.^ .
de son tempçr,inu-nt plus
apte à \'onloir dé(on\rii
la mâle beauté autre part
qu'à tra\'ers le th.'iue n--
battu lU's félicités boui-
geoises.
Pour un coloriste épris
"l'esthétitjue. (pielle joie
intense de parvenir à tra-
duire, sur les visages éma-
ciés de ces laborieux aux
membres endoloris |)ar
les rigueurs plnsiques, le
sentiment du fardeau qui
les accable, A.v l'angoisse
sourde qui les dévore, de
la famine cpii les guette,
comme aussi de l'espoir
(\m les ranime et les sou-
tient sans cesse. L'aridité
du paysage oi'i s'éternise
leur long calvaire, l'asjject
d'abandon de ces
terrains dénudés,
liossués par les
noires monta-
gnes de charbon,
que dépasse le
faite des hautes
cheminées cra-
chant des fumées
grises, cadre
d'effroi et d'é-
]5ouvante avec
l'image de dé-
tresse de ces
créatures isolées.
La couleur mê-
me de leurs hail-
lons entrevus
dans l'ambiance
fuligineuse de
l'austère décor
minier est aussi
tl'
-"^^'f
j>
-— -^/1"■ '^^ • X i' 'Ik-K: ^f^- I.'-î*
Ï-Vf
SAUV.^GEONNE (dessin.!
séduisante à étudier que celle des riches pour-
points Il émane d'elle plus de psychologie péné-
trante et de mélancolie.
Au même titre, les vertus de la maternité, qui
sont égales chez toutes les mères, gagnent en atten-
drissement touchant, quand il s'agit de représenter
une femme du peuple allaitant son enfant. Les
Inunbles ont des grâces pirimitives et simples que
les favoris de la fortune perdent plus aisément.
L'art, par conséquent,
, s'en tresse une couronne
~ , , . / plus subtile.
Comme il était beau à
peindre, ainsi que l'a fait
yi. Adler, ce chemineau
piarcourt en chantant
routes de France, por-
sa pelle sur l'épaule
comme un fusil, la cour-
îf roie de son vieux bissac de
troupier rempli d'une mai-
gre pitance cerclant ses
reins solides. Il va libre
et fier parmi les vastes
plaines et les champs pro-
digues de moissons, vers
les horizons bleus. Dans
l'ieuvre de INI. Adler, nous
l'avons rencontré sou-
vent, ce chemineau, sur la
place de la République
et ailleurs. Nous sommes
tentés tle le retrouver
sous une autre contlilion.
^^'^W:.^:?!!^^ qmpa
l- _ _.\ \ ..'VY'^^ L^ comuK
216
L'ART ET LES ARTISTES
dans le tabk-au Jfs Hulturs. iiièlc au j^'roujie de
quelques camarades, qui s'appliquent, dans une
même tension d'énergie, à tirer sur le câble attaché
Ml bateau. L'effort est rude. On le devine par la
oucentration rythmique et parallèle de leurs
reins courbés et aplatis en oblique. De l'autre côté
de la rive, les maisons s'estompent dans une brunie
blonde et seul, se détache en vigueur le faisceau
humain qui peine à la tâche et halette. Ce motif n'a
d'autre prétention que d'exprimer une chose vue,
un de ces mille côtés du labeur social journalier.
Mais M. Adler a su y mettre un tel sentiment -de
nature, une telle impression d'art, qu'il est presque
aussi palpitant qu'une page de haut fait et qu'on
oublie le sujet, par lui-même assez insignihant,pour
admirer surtout l'artiste qui a su l'exprimer avec
tant d'à-propos heureux et de maîtrise.
Quand il n'est pas dans les mines, ^I. Adler iiabite
tout près de la place de la République. De telle
sorte qu'il vit ainsi au milieu du peuple qu'il aime
et en plein cœur de Paris. Il a fait de ce quartier
ses Champs-Elysées d'élection. Mais que d'impres-
sions plus originales les préoccupations, les dis-
tractions de cette foule ont éveillées en lui ! Quel
kaléidoscope changeant ! Quelle diversité de spec-
tacles ! Quel chatoiement de couleurs, la semaine.
comme les jours de dimanches et fêtes !...
M. Jules Adler a peint Paris l'été, lorsque les
couples se pressent, que les jeunes mères portent
leurs bébés sur les bras, sous la clarté douce des
étoiles. Tout ce monde se heurte, se rencontre, se
coudoie. Ils sont gens de
même famille. Petits et
grands sont des enfants
bien sages, quand les
misères de la grève m-
font pas gronder leurs
voix comme un tonnerre.
Il a peint aussi une Ma-
tinée au Faubourg. Tout
un peuple descend et se
rend au travail dans la
longue rue où clapotent
aux vitrines des bazars
les plis des drapeaux qui
jettent une note chan-
tante dans l'atmosphère
poudreuse confondant les
gens et les choses dans
les plans éloignes. C'est
simple, exjîrcssif, sincèrr
d'observation. Le couple
de la jeune ouvrière et
du compagnon, la jjetite
modiste sont naturels de
mouvement. On i)ourrait
taire volontiers vii^rer le couplet sentimental. Oui,
c'est bien Paris, le Paris des faubourgs ; c'est aussi
l'amour sous la mansarde délaissée le jour et les
hasards bons ou mauvais de la vie à deux : enfin
c'est la vie, l'existence de travail. M. Adler a l'es-
prit hanté de ces visions saines et jiopidaires. Elles
sont vraies parce que éternelles.
Il a peint le Banc, la Soupe, et "n toutes ces
iL'Uvres le frisson de son âme émue de initié s'est
essoré en stances délicates et pathétiques. M. Jules
Adler est en pleine maturité de talent. On ne jieut
lui reprocher encore d'une manière générale ce
que Taine, judicieusement, considérait « comme
une preuve de la décadence d'un artiste, (piaiid,
dans la seconde partie de son existence, celui-ci,
arrive au terme de ses découvertes, parait ne plus
devoir (t-uvrt-r qu'avec les recettes ramassées dans
le courant de son expérience •>.
M. Adler est un trop véritable amant de la nature
et un analyste trop distingué ])()ur s'attirer jamais,
à fond, cette critique.
C'est en 1901, si je me .souviens bien, qu'il lit
une exposition d'études et de dessins des jjIus
remarquable. Depuis cette époque, à tliftcrents
intervalles, le jeime maître est allé là-bas, dans les
dunes, près de Berck, au pays du grand paysagiste
Cazin. Il en a rapporté des dessins, des figures, des
))einturfs et des paysages très clairs. Sous l'empire
de la lirise du large, il semble que sa ]>alette est
rajeunie, et que ce soit un autre champ d'humanité
peint avec des couleurs jilus fraîches. ]ilus enso-
leillées, ([ue sa vision a
embrassé, dans le calme
rejiosant de la vie rurale.
Devons-nous y découvrir
pour demain la ])romesse
et la iiersjiective d'une
nein'e conception de
beaux et chanqiêtres dé-
cors où ses facultés maî-
tresses et son jjersistant
courage continueront à
>e reiiomeler et à s'aftîr-
mei eu toute certitude
d'espoir îles superbes
triomphes ultimes? Ce-
pendant, qu'avant de
x'oguei". pi'Ut-ètre, vers
des ciels plus cléments.
.M. Jules Atlkr élabore
jjour le Salon prochain un
immense tableau ilont le
sujet, encore pris au Pays
de la Mine, fera certaine-
ment sensation.
(jEOKGES Dknoinvii.i.e.
217
"^•'^""^^^^l^-v
SOIR D HIVER (Kouacbi)
WELLHAM MÛITÛ
M HnKT0X..t
^t un ( liassiui" de paysages. Point
nialniak' qu'il ne l'ait devancée,
point i\v prnitniip-. dont il n'ait surpris le pre-
mier ra\(in >nr les < rrisifrs en tleurs ou sur une
humide prairie à l'horizon liorné de cimes encore
neigeuses. Le soleil, à son lever, déjà le trouve
embusqué derrière un rideau de peupliers ou sur
une éminence d'où l'on voit se dérouler les lignes
agiles du paysage. Et quand le soir descend, chan-
geant l'aspect des choses et rougissant la terre
labourée, quand les troupeaux rentrent et que
les hommes se re])oseiit, M. Horton est encore ce
dernier spectateur de la beauté du jour que vous
voyez attardé sur la lande, jaloux de cette nature
qui lui a])]iartient ]iar l'amour qu'il lui porte,
anxieux que les couleurs ne se fanent, que les formes
ne s'évanouissent dans la l)rume sans qu'il les
ait emprisonnées sous sa paupière et dans son
cœur. L'hiver retenait M. Horton sur les rives de
la Seine, parmi les fumées des petits remorqueurs,
au cieur de ce Paris dont il goûte mieux qu'un
autre, lui qui n'est pas d'ici, les mélancoliques
jardins défeuillés. Le printemps le trouvera aux
cimes d'Engadine, à moins que ce ne soit au ver-
sant italien. L'automne n'aura pas encore accordé
ses splendeurs quand Grenade ou Biarritz, ou Lon-
dres, ou \'enise. ou quelque village ignoré dans le
Pa\s de Galles accueillera cet inlassable prome-
neur.
C'est l'extrême rajudité de sa démarche de tou-
riste, c'est l'entière soumission du rythme de sa
vie au r\"thnie des saisons et des heures, qui donnent
z
o
cr:
O
X
_1
o
L'ART ET LES ARTISTES
aux peintures de ^L William S. Hurton une \-ai'iété
si attrayante, une saveur si unique de sur]irise,
de spontanéité, de plaisir. Ni les engouements de la
mode, ni les théories passagères, ni les exemples
déconcertants, ni les funestes conseils n'ont de
prise sur cet artiste absolument libre. Il peint, parce
bue telle est sa fonction dans le monde : pour obéir
ton l'est par délinilion. Les impressions le traversent
de ])art en ]iart. Elles se succèdent en lui avec netteté,
avec relief, sans déborder les unes sur les autres.
Elles se déposent en son cerveau comme en milieu
intact. Son souci le plus éminent est de les garder
pures de tout mélange', sauves de toute altération,
de préserver ce qu'elles ont d'individuel (!<■< in-
Vn; DE MMHOUKC,
à son instinct, jiour se satisfaire lui-même, pour
causer du plaisir à sa main souple, à son leil ])reste.
Cet œil, tous les spectacles qui s'offrent à lui sur
son chemin le trouvent neuf, naïf et disjios. net
de sensations antérieures, clair comme le jdur (pi'i!
reflète. Nul art, plus que celui de .M. Hortuu, n'est
exempt de dogmatisme. Pom' lui, l'homme le plus
peintre, c'est l'homme le ])lus im])ressionnal)le, le
plus capable de laisser \enu" à lui les choses, d'ac-
cueillir en lui le dehors, le mieux jiréparé ])ar l'en-
traînement du travail, la connaissance techiii(|ue
et la réflexion à transcrire sur la toile ce qui est
écrit dans l'univers, à obéir à ce qui existe, à se con-
former à la vérité. Donc, impressionniste, ^L Hor-
tluences de sa ])ersonnalité même. « L'art, dit le
\-ieil adage baconien. c'est l'honune ajouté à la
nature. " M. Horton professerait plutôt que c'est
l'homme ;(;;;■ à la nature et confondu avec elle :
pelletier par l,i lei\-(iir et se laisser i)énélrer par la
patience. Il ac((]ite l.i nature, définitivement, et
n'entend point la remanier. Elle est ce qu'il y a de
plus beau, ce qu'il \- a d'éternel et d'absolu, ce que
l'homme, en toute candeur, doit imiter, sans aucune
feinte. A cet acte de foi se borne, je pense, l'esthé-
ti([ue de M. Horton.
Si soumis, cependant, qu'il soit à son motif, si
attentif à lixer les jeux les plus subtils, les plus fugi-
tifs lie la lumière. M. Horton n'est pas -^ans apporter
219
L'ART ET LE^ ARTlsTES
jAKDIX DES TUILERIES (APRES-Mih; I>H1\LK,
une i-fclicrche visihle dans la composition du ]>a\- chez lui. k- choix. Épris cîe la rareté des effets,
sage, l.a .i^'oniinandise de sensations nV-xclut pas. il n'est point inaccessible au sentiment de la pemia-
<fm'~^'':J'\!l.
l'MXT HE riETR.x A \'i:roxe (Jt-ssîm
L'ART ET 1T':> ARTISTES
LES PEUPL^•:K^^
nence et de la majesté dans la nature. Impression-
niste par goût, par tempérament, jiar la souplesse
et la variété de la technique, par la tonalité de la
palette, sa raison et sa culture l'empêchent de se
borner à cette formule incomplète du pa\"sage que
nous a léguée la plus récente école du plein air.
L'exposition tle M. William S. Horton, chez
Georges Petit, montrait, il \' a quelques mois, une
curieuse série de notations et d'études, tels ce Grand
vase ail, jardin des Tuileries et ces Cerisiers et Neit^e
fondante, d'une justesse si franche, d'une imiiro-
visation si décisive. Certains voudront peut-être
voir dans ces rapides croquis de couleur la jiart la
plus captivante de la |)roduction du ])eintre. Et,
certes, on sent bien que c'est de cette manière que
M. Horton s'exprime le plus aisément. Mais ceux
qui ont le souci de son développement attacheront
plus de ])rix encore à des toiles comme Jour d'été
et Pays fleuri oii les faciUtés du peintre se con-
traignent davantaije et se subordonnent à la
recherche de la comi)osition et ilu st\'le. Elles
sont moins attrayantes, sans doute, moins si)on-
tanées aussi et d'une facture ])eut-étre moins
savoureuse. Mais elles intli(|uent ime visée plus
haute, elles marquent ime recherche plus ample
et plus volontaire. J'imagine, d'ailleurs, (jue. cjuand
il se sera mis ])ar un tra\ail acharné, par des
expériences répétées et aussi variées (]ue possible
en possession de la nat\ire. M. Horton consentira
plus délibérément à se détacher d'elle, à lui déso-
béir ])our rex]irimer avec plus de force et d'au-
torité. Son ré]iertoire est déjà considérable et,
conune on dirait d'un écrivain, sa « lecttire »
immense. Il lui faut désormais « re]ienser » tout
ce qu'il a appris, s'apjiroprier tout ce qu'il a
acquis, unifier enfin dans une vigoureuse synthèse
les éléments que sa sensibilité ductile a puisés
dans le spectacle changeant du monde. Et déjà
en mainte page de son (euvre.on devine un effort,
auquel la sincérité n'a rien à ])erdre, ])our orga-
niser les sensations. Certains tableaux, /l'.s Tui-
leries, Soir d'hiver, par exemple, jïeuvent n'être
L'AKT HT LES ARTISTES
DLEIL. BRI )ril. LARD ET TACHES DE NEIGE
considcris que comiiie de grandes études.
Mais dans tels autres (la ]'illa ituliciuic. le
Printemps ,'i Croiudc, le l'aliizzn Capdlo à Venise,
les Peupliers), le balancement des masses, l'heu-
reuse distribution des lumières, l'inflexion précise
du dessin tendent vers une reconstruction mentale
du paysage, trahissent une réaction sensible de
spectateur sur le spectacle. Encore un jias. et le
style apparaîtrait. Il laut se garder de confondre
le style avec la •> manière ». C'est par une salu-
taire horreur de la manière, sans doute, que M. Hor-
ton s'est répandu dans une diversité un peu exces-
sive. C'est par crainte de s'alourdii, de se hger,
qu'il refuse jusqu'à présent de se limiter, de se
résumer. Et nous serions sur]iris s'il s'accommodait
jamais d'un strict parti [iris de vision que d'inces-
santes métamorphoses atmosphériques viendraient
autour de lui, heure par heure, contester et démentir.
Comme un enfant apprend de sa mère à former les
premiers sons, il s'efforce de répéter après elle les
mots que la nature artinile. L'artiste doit être cet
enfant attentif. Il doit rester longtemps un écolier.
Mais l'heure vient où nous voulons l'entendre
s'exprimer dans son propre langage, et grouper les
propositions de sa phrase selon les exigences d'un
esprit original. Ni virtuose, ni copiste ; c'est pour
le peintre un difficile problème que de se tenir
entre ces deux extrêmes, entre le document
servile et la creuse fantaisie. Le paysagiste excep-
tionnellement doué qu'est M. Horton pourrait,
sinon s'v conformer, du moins méditer avec fruit
cette parole qu'on attribue à M. Degas : il ne faut
pas peindre d'après nature. Le maître ne voulait
jias dire par là qu'il ne faut pas peindre la nature....
La plus précieuse qualité de M. Horton, c'est la
finesse de son reil, cette tendresse du coloris qui
lui piermettent de rendre avec une surprenante
exactitude t<iutcs les nuances printanières, et qui
le poussent à une recherche constante de valeurs
rapprochées dans les blancs, les roses et les verts.
Jamais une fausse note, jamais une brutalité,
partout de la sou])lesse et de la fraîcheur. Point de
L'ART ET LES ARTISTE^
mièvrerie non plus. Sa dcmi-tointe, si assourdie
qu'elle soit, est toujours colorée. On souhaiterait,
parfois, plus d'accent. Mais les plus difficiles ne
relèveraient nulle part la moindre faute de distinc-
tion. Enfin, s'il fallait résumer l'impression qui
pour nous se dégage de la peinture de ^L William
Horton, nous dirions qu'elle possède en puissance
un grand nombre de qualités fort rares, mais que
ces qualités demandent à n'être plus voilées de
tant de discrétion. M. Horton, pour devenir tout
à fait excellent, n'a pas à changer sa manière,
ni à différer dans sa recherche. Il lui faudra seule-
ment s'échauffer de quelques degrés et, dût son
goût en être quelque peu froissé, laisser la l)ride
plus lâche à son tempérament.
J.^CQUES C0PE.\f.
SOUVENIR DES BORDS DU RHIN (defsin)
223
TETES DE CdUKTlSANS
UN CARICATURISTE ALLEMAND
RUDOLF WILKE
DANS les études que nous avons publiées naguèie
sur les caricaturistes allemands, nous avons
apprécié le talent ]iuissant de Wilhelm Busch et
la satire mordante de Olaf Gulbransson. Ces études
nous ont donné l'occasion d'esquisser en traits
rapides le développement de l'art caricatural en
Allemagne, qui. littéraire et politique en 1^48. à
ses débuts, était devenu plat et bassement comique
dans l'imitation insipide du grand satirique qu'était
Wilhelm Busch. Nous avions caractérisé le nouvel
essor que la caricature allemande avait pris au
moment où le ])euple allemand s'était cru dans
l'obligation de se sentir une grande nation et d'en
assumer les charges militaires et représentatives.
Ce sont deux revues hebdomadaires, parues à peu
près au même moment, qui marquent ce nouveau
pas de la caricature allemande ; le Jw^eiid et le
Siiiiplicissimiis ; le jnemier création de la gaieté
débordante de la jeunesse artistique de Munich,
le second plus séné, plus mordant, plus concentré,
composé par un groupe de quelques artistes seule-
ment, sous la direction d'un Philippon moderne,
d'Albert T.angen, qu'une mort prématurée vient
d'enlever. ^lentionnons seulement Thomas Theo-
dor Heine. Olaf Gulbransson, Thoeni, Wilhelm
Schulz, Bruno Paul et Rudolf Wilke, qui tiennent
les premières places dans l'orchestre de cette
Il Caricature » moderne. C'est à ce dernier, décédé il
\" a jieu de temps, que nous consacrerons l'étude
]irésente.
Rudoll Wilke est mort tout jeune encore vers la
tin de l'année dernière. Il était né. comme Wilhebn
Busch, cet autre giand caricaturiste allemand, en
jiays saxon, et on retrouve dans son œuvre, comme
dans celui de Busch. le génie de sa race : ces des-
cendants de la vieille race saxonne jiaraissent au
224
L'ART ET LES ARTISTES
pixiiiKT abord trùs fermés, très réalistes i:t très
prosaïques, iiiip roiinaissance plus intime fait
découvrir en eux un don merveilleux d'observer ce
qui les entoure, et leur âme sait dé.ijager de cette
observation sévère une poésie intime des choses
qui, comparable à l'humour de leurs cousins d'outre-
mer, oscille entre un large sourire gai. mordant et
ironique, et une ré-
flexion tantôt ])hiloso-
jjhique. tantôt débor-
dante de sentiment.
Cette constitution
morale comporte un
danger : elle entraine
facilement à donner trop
d'importance à lapensi <
et aux choses abstrait' -
au détriment de la forn.-
extérieure. Tout r;i;
caricatural allemand il'
la première moitié «b
siècle passé en a dii
souffrir ; 'Buscli lui
même n'a pas complr
tement échappé à i:i
défaut. C'est le grand
mérite de Wilke de ii.
jamais s'être abandonm
à ce penchant dangi
reux : il est resté avani
tout un observateiii
attentif delà réalité, il j
ramassé dansson ccrvea 1 1
tant de formes carai
téristiques que son a 1 1
ne tombe jamais dan-
la sécheresse de l'ab-
traction.
Moins que la plupai ■
de ses confrères, Wilkr
se laisse attirer par lr>
événements et les ques-
tions du jour. Quand il
peint la vie contempo- ~ ■~- . ■ " '■ ,.«...., ^
raine, ce n'est pas pour
discuter une théorie 110-
litique ou sociale. Il n'est pas jiartisan de la propa-
tjande par le craxon, la lutte de tous les jours ni'
l'intéresse pas et il la contemjile plutôt en i)hilo-
sophe sceptique, que le déroulement automatique
de la vie incite j^ai fois à souiire. parfois à se mo-
quer. Jamais il n'a décrié l'injustice sociale en
dessinant les misérables et les déshérités. Pour lui.
le plus misérable des prolétaires ou le snob richis-
sime ne sont que des individus dont il aime étudier
la forme extérieure et la pensée intime et, en artiste
lin et vibrant, il en a une vision ])lus nuancée et
jilus intéressante que tous ces dogmatiques qui ne
voient que la misère des ])auvres et les joies des
riches. Il aime au contraire montrer les délices du
laisscr-alIer dans ces êtres grotesques en haillons et
l'ennui de la richesse, qui a perdu la faculté de jouir.
Les célébrités du jour n'otïn ?it p:i< pIik <r;i!lr,iit
'ÈàMè^M
simple voyou.
|)our Wilke. Quand son étoile eut coumuiicé à se
lever, l'éditeur de la Jn^end. le docteur Hirlh,
l'avait envoyé à Berlin jjour éterniser les traits des
]>arlemcntaires les j^lus illustres dans une série de
caricatures. Wilke s'est acquitté avec beaucouj)
d'esprit de cette tâclic, mais de sa ])roi)rc initiative
il n'a i^as repris ce genre où, quelques années ]>lus
tard, Gulbransson (Unait r(ni])ort(r de si grands
succès.
La psychologie in(li\idnelle a\ait moins d'attrait
L'ART ET LES ARTISTES
])(iiir lui; il prék'iMit [iliiUit «lis modrlcs ijui m.'
s'imposent pastnip et ([iii laissent le chainji libre
à rimat,Mnati<iii fantaisiste.
C'est ce hesiiin irindepemlance (jui a iléteiinine
les snjets que W'ilke alxinlait de piéféreiice. Il dé-
teste tout ce qui est unitoiine dans le sens le plus
large du mot. Uniforme veut dire tout ce qui oppose
une résistance réfléchie et continue à une forme
donnée 1 m à la déloriuation naturelle. Il ne réussit
d'aliord .tjuère dans la reprdductmn de l'uniforme
féminin. La beauté ék^ante, la coquetterie qui se
soumet à la forme artificielle du corset, qui relève
savamment certaines lignes, certaines rondeurs,
cette grande inspiratrice de tant de crayons spi-
rituels, le laisse profondément indifférent. Jamais
W'ilke n'a réussi à faire la charge d'une mondaine
élégante. Les militaires dans leurs tuniques liom-
bées, les dandies, soigneu.x d'évitn" le lUduvenient
brusque qui détruirait les ])lis du coup de fer sur
le pantalon, eux aussi n'ont guère eu l'honneur du
crayon de W'ilke. Mais tous les hommes qui se
laissent aller moralement ou physiquement sont
les sujets préférés de l'artiste. Personne ne le \aut
jjour décrire fidèlement le tra\'ail du tenii)s sur un
vieux j)aletot, sur une figure, sur un corps humain
Il n'y a que WTike j)our étudier tout ce travail
systématique et ]inur1ant si impréx-u et piaradoxal.
Partout où le temps a rongé, creusé, ridé, ])lié, râpé,
usé, effiloché, ]iartout où il a déformé, gonflé ou
ii'tu'ci, paitout où nul effort ne s'est opposé à ce
travail lent et destructeur, le craj'on de Wilke y
t louve ses modèles. Il aime toutes ces énomiités,
ces formes qui paraissent au premier abord impos-
sibles ou exagérées, et il les décrit religieusement,
avec des lignes qui semblent presque timides, comme
s'il voulait dire: » Oue \'ouIez-vous?je ne le croirais
piescpir jias moi-même, mais enfin je l'ai décrit
comme je l'ai vu, et \-ous \-oyez à mon trait inha-
bile ([ue je ne serais jamais capable d'ajoiiter ou
d'introduire (]uelque chose ([ue je n'aurais pas vu
ilevant mes \eux ... C'est cette naïveté apparente
peut-être qiu dtmne le [ilus de force et de conviction
aux dessins de W'ilke.
Mais ce n'est pas seulement un problème de forme
qui attire Wilke vers ces sujets. Il y a aussi un côté
moral dans son leuvre. On ne sait si Wilke aime
mieux le travail destructeur du temps ou l'inertie
béate qui ne lui oj)pose rien. L'œuvre de Wilke
est comme une épopée de la paresse. Il exalte la
paresse de la misère, qui fait naître un étrange
bonheur, le bonheur de ne rien faire, le bonheur
d'être tran(]uillement emporté par le fleuve. Ce
bonheur, on le croyait jusqu'à présent un privi-
lège des races du ^lidi. Wilke a su découvrir aussi
dans les pays septentrionaux les joies du dolce
far iiiriitt'. Il croit en ce tx)nheur,et quand il dessine
- On devrait tout di ivhiic fonda une li«ui ni,/jt i'alus
qu'on commet de l'alcool, en s'en servant peur l'éclai-
rage et le chaiifjage.
L'ART ET LES ART1STE>
Nfs vagalionds et misé-
rables, il leur en met
l)resque toujours les sym-
boles dans les mains.
II y a d'après lui une
providence, qui prend
soin que jamais la
bouteille d'eau-de-vie ne
soit un décor inutile et
vide à côté du pauvre
diable, qu'il lui reste tou-
jours une goutte à boire,
et Wilke saura toujour-
lui trouver un mégot
quelconque dont la lumér
consolatrice sera le sym-
bole de la futilité et dv
l'inutilité de tout effort
humain. Ses voyous, st^
chemineaux, ses pauvre>
diables sont tous heu-
reux ; ils savent jouii
du moment. Les vaga-
bonds s'extasient devant
la campagne ensoleillée _ ,,^, , ,,^, ,„ , ,.,
dont la beauté est rehaus-
sée par l'absence de tout gendarme incommoc
vagabond qui bouquine, étenilu stii un talus
e. Le
dans
Aide-moi un peu. Voilà mon canasson qui s'es! flanque par tenc.
J'pctix pas : j'ai les maiits dans les poches.
vague banlieue', le roman ([u'il a trouN'é datts
])oubelle quelconque, est heureux de ses
instincts littéraires, et les deux misé-
rables dans nue triste cour de grande
\illc sont lirrs à la pensée que ce sera
à eux de payer les ]>ots que le gouver-
nement a cassés dans le Sud-Ouest-
Alrica.
Dans lotis ces dessins. Wilke se révèle
observateur éminent. La paresse de ses
figures ]iaraît imrtout. Ils ont des mains
et des pieds énormes qu'ils n'ont jamais
sti diriger. Ce ne sont pas des membres
loinpus au travail: ce sont les extré-
mités de personnes cpii lont tout
mouvement lentement, qui jirennent
toujours soin d'éviter un geste qui pour-
rait les fatiguer. Les mains sont telle-
ment lotirdes que leurs piopriétaires
semblent obligés de les abandonner
à la force atti active de la terre, et les
pieds sont également des organes dif-
ficiles à remuer, difficiles à .soulever.
Leurs lèvres sont épaisses et grosses,
(pii ne parlent qu'en traînant; leurs
yeux paisibles et hébétés montrent
qu'ils n'observent et qu'ils ne réflé-
chissent que très lentement. Malgré
cela, leurs pensées ne sont pas sans
intérêt, car cette paresse énorme a
Z27
L'ART ET LES ARTISTES
amené chez eux un simplisme grotesque dont
l'indolence grandiose nous surprend et nous attire.
Wilke est l'obseivatenr le plus lin de toutes
ces lourdeurs. Il sait donner une expression, une
vie toute particulière à toutes ces énormités. Il
sait dessiner le pas lourd du marin, il rend la
volupté de ne rien faiie jus(iue dans les doigts
du jiied nu de son vagabond.
Son métier lui donne la force nécessaire pour
exprimer tout ce qu'il a vu. II sait toujours éviter
un réalisme plat. Ses dessins ne veulent pas don-
ner mie illusion, de la réalité ]>ar une iorte op])osi-
tion des omlires et des lumières.
Ce sont généralement des arabesques, composées
de traits de plume très fins de même force dont
on ne \'oit ]ias au premier abord l'habileté, et il
sendtle diflicile de découvrir, dans ce fouillis, ce
qui est secondaire et ce qui est de première imjxir-
tance. C'est ce qui augmente encore le charme
paradoxal de ces dessins. Les figures sont souvent
griffonnées avec une simplicité surprenante. Cela
donne une force d'exjiression incomparafile. Tout
est vibrant et inspiré i)ar la fantaisie la plus
prime-sautière. \\'ilke n'aspire ni à la s\-nthèse de
lignes harmonieuses ni à l'expression caractéris-
tique par le trait, ilais cette façon indépendante et
personnelle de voir nous fait d'autant plus appré-
cier ses dessins. Il est un des artistes qui ont ouvert
des voies nouvelles à la caricature allemande, en lui
imprimant une note artistique.
Par ce fait, il s'est inspiré, comme toute la pléiade
du Siiiiplicissiiniis. de l'art français, où des artistes
comme Daumier ou Gavarni ont anobli la carica-
ture en l'affranchissant du joug des littérateurs.
Si la caricature française et ses aspirations lui ont
donné un précieux enseignement, il n'en est point
l'imitateur. Tout son œuvre est très personnel,
son tempérament d'Allemand du Nord s'y mani-
feste continuellement et offre de nombreuses
affinités avec celui de son grand compatriote
W'ilhelm Busch, comme nous l'avons dit. Son
(euvre ne jiérira jias, car il émane d'un talent grand
et sincère.
Rudolf Mever-Riefstahl.
j,n,l pas U-
ti!a, iiiL'ii yiOfi'Ji
s viai»iciit froid.
te /< Hi l'inniu
228
UN JEUNE SCULPTEUR FRANÇAIS
IPAUL PAIS®]
Nous (n'ons reçu if un de nos corrcspdudtiiil.s.
M. Mdx Thcrou. peintre el 'graveur de
talent, hahitant à Lodève (Hérault), une lettre si
intéressante que. maliiré qu'elle nous jût adressée
personnellement et qu'un nous y priât de nous
substituer éi elle auprès des lecteurs de l'Art it
les Artistes, nous n'avons pu résister au désir de
la publier dans notre revue.
Telle quelle, écrite par quelqu'un éi qui la pointe
est plus fainilière que la plume, elle vaut j/iieu.x.
nous en sommes persu(ulé. pour la ]eu)ic 'gloire
quelle annonce, que ne l'aurait jait la meilleure
application d'un professionnel, iiiai's qui n'aurait
pas vu les (cuvres de cet artiste im^éiiii.
Nous n'avons sup-
primé de cette lettre que
les passages qui nous
concernaient stricte-
ment.
Monsieur
le Directeur,
Souffrez ([u'iui lec-
teur (le r.\rt et les
Artistes \-irnnc \'ou>
demander l'hospitalité
de votre revue en fa-
veur d'un jeune paysan
I' ciseleur de cailloux
et qui se révèle déjà un
bel artiste, ainsi (pu
sauront vous le dénion-
trer - - je l'espère
— les photogra])hics
que j'ai fait prendre
d'après quelques-unes
de ses (euvres.
Mais d'abord, (pie
je vous dise coiniiient
Dardé m'a été révélé ;
je dis révélé, car, à
proprement parler, je
n'ai pas été le premier
à le découvrir.
Au cours d'une journée de tin nox'embre dernier,
joliment lumineuse mali;ré — ou peut-être à cause
de — la brume, peu dense d'ailleurs, j'errais, ainsi
(|iie i'ai coutume de le faire à mes rares loisirs,
dans la délicieuse cam])ai,'iie (|ui ceinture I-odève
(l'écrin \-aut mieux (jue le bijou). Le hasard
me ht rencontrer M. l'.iul .Martin, homme de
goût cultivé, enthousiaste passiciimé de toutes les
manifestations de l'esprit, noiaii'e en cette ville,
()ui donna libre cours « au plaisir de me trouver
à un moment où il dc^sirait \i\(iiieiit me \-oir ».
.Mors, il me conta que, jjarti la veille en excur-
sidii de l'autre C(3té de la Souloudre, il avait poussé
iu-~iiirà I'>ell)(/('' on l'el l^u'v.é (littérnlement Belle
\'ue). Ni'iitable nid
d'ai;.;les, et (jue, s'étant
a])))rociié des habita-
lions de ce petit do-
m.une, — où les parents
de Dardé sont « ranio-
iiet> (!) ", il s'était
irou\-é en i)résence
d'une soite de jeune
\,det de fenile |)arais-
■-ant fiiil (lecui)é à
gratter un bloc de
pierre....
S'étant approciié de
plus ])rès, il constata
avec siirj)rise (jue ce
liloc oft'rait des ])arties
joliment travaillées ; il
sup])osa alors (pie n()tre
jeune lionime s'em
plo\ait à H ravaler »
une aiiti(pie sculpture
' afin de la remettre à
neiit " en enlevant la
vieille patine? Il s'en
en(|nit, et sa suri)rise
se mua en étonnement
M.\SQL'E (ni.irbro vciiip)
(I) Siirtc tic premier valet
j;érant correspond exacle-
iiierit ail /)«>■»■<.■ provençal.
229
L'AK'
ET LES ARTISTES
MATIHTTKS HX (.VI';
i'ihvIU. — A (Imit,- : ■■ L,- Pinplictc de:
]'■
adiriiutil i|n;iiiil il ap])!"!! ([ue It- relief était son
H-lUTe.
Ii.iiilc -— car c'était bien lui — ne se lit jias
trop plier ])Oiir (.'xliilier i|iiaiitité de pièces ])lus ou
moins imjiortantes, mais toutes infiniment intéres-
santes à tous égards, et qui décelaient un talent
précoce et fort original. — Je \'ais avoir la grande
joie de vous présenter tout à l'heure celles que
je crois les meilleures entre toutes.
Et mon interlocuteur ajouta : " Je ne me crois
pas assez Ixiii juge en la matière pour apprécier
ce qu'il m'a été donné de \ciir et dire ce que vaut
ou pourrait \-aloir Darde' ; mais, \-rai, j'ai été pro-
fondément èimi, '< c iiipdigné " jiar son (ein're —
avant la lettre, ])nurrait-(in dire — déjà considé-
rable, et je me serais lait un cas de conscience de
ne vous i-n ]ioint park'r. Allez, voyez, — la honne
surprise vous dédommagera amplement du déran-
gement, — et décidez s'il y a quelque chose à
faire pour cet étrange garçon. "
Inutile d'insister davantage, ma démarche au-
près de vous dit assez les sentiments que j'éprouvai
à mon tour devant les productions de Dardé.
Immédiatement, sans la moindre hésitation, comme
une chose toute naturelle, la pensée me vint de
vous écrire, estimant avec juste raison que l'auto-
rité qui s'attache à \otre nom, jointe à la réputa-
tion de l'Art et les Artistes, lui serait la meilleure
des conditions pour hâter le complet épanouisse-
ment de cet artiste « nature » — ou, pour emplo\-er
un vieu.x cliché, « tils de ses ccuvres n — plus que
quiconque l'ait jamais été.
Uernièrement, — à l'occasion d'un compte rendu
d'une ex]iosition de Rodin, — fort embarrassé pour
exprimer la sensation qui se dégage, qui rayonne
de toute leuvre de beauté, j'en fus réduit à forger
un terme, — peut-être obscur pour autrui, — mais
qui rendait toute ma pensée. J'appelai ces sortes
d'eftlu\-es esthétiques des radiations plastiques.
Eh bien ! ces sortes de radiations que j'enre-
gistre infailliblement devant toute œuvre capitale
— et que ne manquent pas de percevoir tous les
êtres tant soit peu affinés et sensibles, — je les ai
assez fortement ressenties devant certains mor-
ceaux de Dardé.
C'est vous dire ma ferme conviction que cet
artiste n'est ]ias quelconque, qu'il promet beau-
coup, et ([u'il tiendra bien plus encore.
Paul Dardé est né le 3 juillet iSqo à Olmet,
petit hameau perdu au sommet d'une haute colline
à 5 ou 6 kilomètres de Lodève.
D'aucuns pourraient disserter longuement sur
l'influence du milieu géographique, du paysage
sur certaines natures, ainsi que l'a fait Taine dans
sa Philosophie de l'Art en Grèce; je ne suis pas
qualifié pour cela. Mais il n'est pas douteux que
la nature tour à tour gracieuse et chaotiquement
tourmentée qui l'a vu naître et grandir ait con-
tribué à l'heureuse éclosion de son talent.
Nanti d'une très nidimentaire instruction pri-
maire, il fut lie bonne heure utilisé aux travaux
230
l'Ai
ET LES ARTISTES
FArXE ipiii-i
toniiques et quclfiues j)ar tro]) excessives naïve-
tés, nombre de Ijons i)rofessi()nneIs ne dédaigne-
raient pas de signer ses meilleurs morceaux.
Si j'insiste sur la valeur de la précoce technique
de Dardé, c'est qu'elle a tle quoi confondre, quand
on considère son éducation artistique toute per-
sonnelle et forcément em]5irique.
Il est comme un jirimitif à (jui, juir une sorte
■ il- révélation m\-stérieuse, toute la science que
dé\'eloppcront les générations futures serait subi-
tement, spontanément venue.
l'renez, par exemple, ce masque d'homme à
ii>ii])et 1830 qui respire l'intelligence, l'énergie et
la sérénité. — et ce buste de Silène, au masque de
paillard édenté, — et encore cette joyeuse tête cré-
pue qu'on retrouve un peu moins hilare [ilus loin,
à côté du médaillon de filletti- d'un si délicieux
I uatuiismc ».
Son olraipien — à force de noblesse et de ma-
jesté - pi'ophète Jérémie cpii n'est qu'une réduc-
tion ])artielle d'une monumentale statue de glaise,
- -sa gracieuse et forte statuette .S"z7)y//t', presque un
Tanagra, ses innombrables presse-papier presque
tciujours faits de mer\-eilleux médaillons de femmes
111 liaul-reiiet. etc., etc.
Dardé peint aussi, mais pas avec la même assu-
des champs jiar sa famille. C'est due (lu'il
n'a pas eu la moindre leçon, ni le moindre
contact pouvant déterminer sa vocation : ci
qui confirme une fois encore que le « roman
d'un peintre » — à quelques variantes \i\\-~
— est vécu à d'assez nombreux exemplaires.
Mais, avide de savoir et iiossédé du « démon
de l'art », il prenait sur ses nuits pour
s'instruire et tailler à plaisir dans le g\'i>s<
et la meulière, — qu'il trouvait à jiroximité,
— avec un outillage digne de l'âge des ca-
\X'rnes, des reliefs étonnants.
Le cas de Dardé tient du ]irodige. Dè>
l'enfance il a compris le langage de l'art et
l'a parlé d'instinct.
Avec l'audacieuse foi des néophytes, il
s'attaqua au roc et de suite sut l'animer ; il
lui communiqua la vie en des (euvres i)leines
de force.
Ce furent d'aiiord des icônes Ijarbares,
iniis, un ]h-u plus tard, de roides figurine>
gothiqui's ([u'on l'ùt cru descendues des
niches et des chapiteaux d'une cathédrale
ilu XIII'' siècle. Les rej^roductions que je
vous adresse vous diront, mieux c}ue je ne
saurais le faire, à quel point il est arrivé à
adoucir les angles et assouplir la matière.
Si ce n'étaient quelques « faiblesses » ana-
l'uKrK.MT n'iiOMMi; (mcd.iilloii en marbre)
L'ART ET LES ARTISTES
raiicc. la nu-ine virtuosito, — je dirai jilus — la
inéine joie qu'il met à sculpter. Néanmoins, tel
(juel, il fait encore un [H'intre ])eu banal.
Ses tons bitumeu.x. et d'une manière générale
le défaut d'air et de eoulrm-, enlèvent bien un peu
de leur charme à ses étranges compositions.
]Mais ça viendra, n't'U doutez pas ; l'étude et la
connaissance des maîtres auront raison de tout
cela.
11 i>eint sur tout ce qui Un tombe sous la main :
londs de \ieilles boites, \ieilles j)lanches vermou-
lues, tissus tiuelconciues enduits de n'importe quoi,
et, malgré sa palette rudimentaire, il obtient des
effets superbes, sur des éluculirations merveilleu-
sement origmales, d'une conception très per-
sonnelle et neuve.
Je regrette intinimeut de ne ]iou\-i.iir vous en-
vo\'er connue sj)écimen île sa peinture ([ue le
(Sli)'isl ,111 jiirdiii (/(-s Olives cl l'aiili) et I-rdiuesea.
scène tuée de VEiifer du Dante (édition jnètée à
l'artiste j)ar quelque rustique bibliophile du voisi-
nage), l'aurais voulu \' joindre sa Lutte de Jacoli
ireec l'Aiii^e cjui, à mon humble avis, est son meilleur
morceau de peinture. A son défaut, je vous commu-
ni<iue deu.x idées différentes de cette composition,
que Dardé avait cherchées au fusain -- un ] uge-
iiieii! (leniier grouillant de \iiniiiie humaine qui
atteste une fornudable iiiiaguiatiiin. .Mais l'objectif
s'est refusé à rendre tes .ipocalypliques visions, les
clichés étaient nn'connaiss.ililes et ne donnaient
que les grands clairs (i).
(I) L'i''tat de ri
permis que n> mis
ductions.
,.hot.
..pl„
ualheureuseinent ]>.
satisfaisantes renr'
Bien plus, Dardé, tpii m'avait vu graver et tirer
cpielques pointes sèches, me pria de lui en expliquer
sommairement la valeur technique et le procédé
dans ses grandes lignes.
Peu de temps après, je le vis arriver m'apportant
des rognures de zinc qu'il avait récoltées au passage,
chez quelque ferblantier. Mais ces bouts de métal,
il les avait « égratignés » de belle manière avec la
pointe de son couteau, et il venait me prier d'en
tirer quelques épreuves sur ma petite presse en
taille-douce.
Ces épreuves, qui jettent un jour nouveau sur les
multiples aptitudes de notre artiste, pourraient faire
l'objet d'une étude ultérieure sur Dardé graveur.
Je dois me limiter, cai il serait superflu de ne
donner qu'une sèche nomenclature de quantité de
belles choses, anciennes ou récentes, dont l'espèce
de cave humide et mal éclairée qui sert d'atelier à
Dardé regorge. Mais vous voudrez bien certaine-
ment estimer avec moi qu'il ne lui reste pas beau-
coup à apprendre pour créer de belles (euvres
pleines de force et de vie.
Il est d'ailleurs d'une grande énergie et, s'il est
mis à même de comjjléter ses dons naturels par de
solides M humanités i', notre pays comptera un
nouvel artiste d'une étonnante originalité.
Soyez son " Homme-Providence » — selon le mot
d'un très distingué magistrat, lequel prétend que
les êtres de réelle valeur rencontrent tôt ou tard
leur homme-providence pour les révéler aux foules —
et vous aurez, une fois de plus, bien mérité de l'Art.
Veuillez, ilonsieur le Directeur, agréer l'assu-
rance de ma plus respectueuse considération.
;\L\\ ThÉrox, peintre-graveur.
OUTII.S DE L .\RTISTE
232
GEORGES GRËGCJIKE - la fontaine lm<\
m au pochiiir
LA RT D ECO RATI F
LES PAIFiïElS ET TOILES
ÏÏMIPinMÉS ET IP(
é® Gaflliéira
LE Musée Galliéra et son distingué directeur,
M. Delard, ont coutume, comme chacun sait,
d'organiser chaque année une exposition consacrée
à l'une des diverses manifestations de l'art indus-
triel. Ils nous convient cette fois-ci à une exposition
lie papiers et toiles imprimés et poches. Elle com-
prend deux parties : une partie rétrospective,
groupée dans la jwtite salle du Musée ; une partie
moderne, présentée dans la grande salle. Et c'est
matière à réflexions et à comjiaraisons, comme bien
vous pensez.
Il \- a notamment tout l'historiciue de la toile
de Jouy, avec pièces à l'appui, prêtées jiar MM. Cha-
tel et Tassinari, sauf un mouchoir très curieux, à
décor dit de la Charte, qui appartient à M. le con-
seiller Vignon. « C'est Oberkampf, manufactu-
rier bavarois naturalisé français, qui introduisit en
France l'impression des tissus de coton, et les per-
fectionna, d'ajirès des procédés dont son ]ière avait
découvert les principes. Il n'avait pour modèle que
des étoffes de Perse ou de l'Inde, où le trait seul était
im{)rimé, les sujets étant coloriés au pinceau. II se
fit à la fois constructeur, dessinateur, graveur,
im]irimeur, teinturier, et jmrvint, après des efforts
longs et coûteux, à créer un outillage complet, à
former de bons ouvriers, et à produire enfin méca-
niquement ces belles toiles peintes qui, sous le nom
d'indiennes et de toiles de Jouy, eurent une si
grande vogue à la fin du règne de Louis X\'I et sous
l'Empire. Les ateliers de Jouy furent détruits lors
2iZ
L'ART ET LES ARTISTES
JULES C(JUDVSER — rideau velours
DÉGRADÉ I ombelles)
de l'invasion de 1N15, 01 Oberkanipl, ruiné, en mou-
rut de chagrin ; mais l'industrie qu'il avait créée
prospéra et devint bientôt une des plus fécondes
branches de notre production industrielle. "
A parcourir du regard ces échantillons de toiles
de Jouy, on a deux impressions : la jjremière, c'est
C]ue ces toiles étaient parfois de tonalité assez crue
et violente, et que le Temps, grand magicien, leur
a donné le charme des choses voilées et ternies.
La seconde, c'est que les décorateurs d'autrefois,
j usqu 'à une époque très avancée du xix*' siècle, n'hési-
taient pas à utiliser les motifs que leur suggérait la
\-ie contemporaine, que jamais ils n'utilisaient des
motifs archéologiques, et qu'à leur exemple les
.irtistes d'aujourd'hui doivent regarder autour
d'eux et nous raconter la vie de notre temps.
L'histoire du papier peint n'est représentée dans
cette rétrospective que par un paravent Empire,
représentant une scène de chasse (à M. Alexis
(lodillot), par la collection amusante des boîtes
en carton imprimé appartenant à M. Ouentin-
Bauchart, et se rapportant presque toutes à
l'époque romantique, et enfin par une collection
de boîtes historiques, où l'on remarque la boîte de
baptême du duc d'Orléans, fils de Louis-Philippe.
Je \eu.\ croire que la place a fait défaut aux orga-
nisateurs, car les papiers peints, les dominos,
comme on disait alors, d'un usage restreint au
.wi^' >iècle où l'on commençait à en voir dans les
garile-robes et les cabinets de débarras, eurent
l)caucouj5 de vogue au siècle suivant. On les faisait
x'enir d'Angleterre ou de Chine. !Mme de Pompadour
les prisait fort. L'antiquaire Lazare Duvaux dispo-
sait dans les jilus beaux hôtels de nombreux
panneaux, châssis, dessus de portes et paravents
in jiapier des Indes, en papier de la Chine et en
pa])ier-tissu. Papillon en parle dans son Traité de
la gravure en bois : i' Ils ont à la Chine une espèce
de ]ni])ier fort singulier en ce qu'il paraît, à manier
et à \'iv\\. comme si c'était une étoffe tricotée. On
ne sçait pas encore positivement comme il se fait, et
s'il se fabriquerait comme se fait la toile qu'il imite
]iarf alternent. Les couleurs étant imprimées ou
jieintes dessus légèrement, il paraît encore plus toile
(pie quand il n'y a rien dessus ». À leur imitation,
on en fabriqua en Allemagne, en Angleterre, puis
à Paris. " Les papiers dorés et argentés à fleurs et à
ornements, dont l'époque de l'invention n'est pas
ancienne, se font à Francfort, à \\'orms, et autres
\illes d'Allemagne. Leurs planches sont de cui\Te
jaune et à taille d'épaigne, comme celles de bois ;
elles sont chauffées à un certain degré de chaleur
jiour pou\"oir faire prendre les feuilles de métal sur
le Jiapier, le brassant sous un cylindre ou presse en
taille-douce.... Dans les papiers d'Angleterre main-
tenant si en vogue, de damas velouté et ciselé, et
qu'on appelle tontisses, par pièces de neuf aunes
de longueur, les fonds sont d'abord couchés tout
unis, avec la brosse ou par masse, par des couleurs
éjiaisses et pâteuses, plusieurs planches de bois y
234
L'ART 1-:T ].]■:< ARTISTES
impriment, pardessus et avec des couleurs
(UMuêmes qualités, des dessins colorés : les
uns comme des espèces de camayeux ,
les autres à fleurs, damas, ornements, etc..
avec couleurs différentes, le tout à dé-
trempe et sans lustre, connue seraient des
décorations de théâtre.... Ces jwjjiers sont
si sujets à se détremper, qu'à peine peut-on
les coller et les mettre en place sans qu'il
s'en enlève, et s'attache au.x doigts la plus
grande partie.... " Mme de Pompadour et
les amateurs, à l'imitation du Garde-
meuble de la Couronne, possédaient des
provisions de papiers de tenture. « Cette
espèce de tapisserie, dit l'Encyclopédie.
n'avait longtemps servi cpi'aux gens de
la campagne et au petit peuple de Paris,
pour orner et pour ainsi dire tapisser
quelques endroits de leurs cabanes et
de leurs boutiques. Mais sur la lui du
wu'^ siècle, on les a poussés à un pouit
de perfection et d'agrément, qu'outre les
grands envois qui s'en font pour les pa\'s
étrangers et pour les principales villes du
royaume, il n'est point de maison à Paris,
])our magnifique qu'elle soit, qui n'ait
quelque endroit qui n'en soit tajMssé et
assez agréablement orne.... L'on ne dit
point ici quels sont les sujets représentés
sur ces légères taj^isseries, cela dépend
du goût et du génie du jieintre, mais il
semble que les grotesques et les compar-
timents mêlés de fleurs, de fruits, d'ani-
maux et de quelques })etits personnages
ont jusqu'ici mieux réussi que les paysa-
ges et les espèces de hautes-lisses qu'on
y a quelquefois voulu peindre. "
Peu à peu les papiers d'Angleterre vi-
sent à remplacer tous les autres. Puis on
les copie parfaitement en Franre. Le fils
du grav'cur Huguier établit aux environs
de Paris une manufacture de papiers peints.
Aubert, marchand et graveur, rue Saint-
Jacques, près la fontaine Saint-Séverin,
à l'enseigne du Pajiillon, donne avis, en
1756, qu'il a trouvé la véritable façon de
lain'iquer les papiers veloutés ou ])apier>
d'Angleterre en façon de damas et vc
lours d'Utrecht, en une et plusieurs cou-
leurs. Vers 1770, Réveillon crée une
fabrique dans le fauliourg Saint-Antoine,
d'où sortent des ])api('rs de tenture fort
l)raux, d'un pri.x al)<)nlal)le à toutes les houist's.
Il tant savoir gré à M. Delard d'avoir compris
ipTune exposition a un intérêt pratique, immédiat,
ciineret, que des jiapiers et des étoffes de tenturi'
i;K.\i:.^r m ri:
- DLCOK IXtVli eU.\.MliKI. IIKMA.M
(frise, rideau, chaise)
ne (loi\-eiit pas être feuilletés comme
dans un album, mais vus sur k- mur
recouvrir, dans leur cadre haliituel.
Il a donc fait établir tout autour
qu I
gra\ures
s iloivent
la grande
\:\\<'
Kl
.KS ART
:]-:s
DESFOSSÉ ET KARTTl — les moutons (frise)
salir une inarclic d'cscilier riTDUwrtu il'uii tapis,
ft Ir long lies murs, nnc plintlir. luie corniclie. puis
un \-ehnn en reto\u\ annulant jiartaiteuii nt le
lli^p(lsitif habituel (l'uiie niaifun habitée. Bien
niiL'UX, il a di^ixisé (le\ant la cimaise des meubles
sur les meubles il a [ilacé des grès, des ser\'ices à
tlié. des fleurs, et ainsi démontré la beauté }iar-
ticulière d'une tenture, qui n'a jias une valeur abso-
lue, abstraite, mais relative. S(Ui rôle est de consti-
tuer un fond sur le(|uel le nujbilier et les drajieries
tiendront leur place, l'n pa|>ier de tenture ne doit
jamais, p.ir sa couK ur ou par ses (
à l'attention et constituer par lui
seul une ilécoration ; c'est pour-
(pioi le papier avec scènes comi-
cpies ou pa\-sai4es, et. <lans une
certaine manière, la toile de jouw
est un non-sens et l'indice d'un
dél.iut de goût. C'est ce cpie sem-
blent avoir également compris
les exposants (pii, d'une manière
générale, ont une tendance à
emi)lo\er des papiers unis, aux
tonalités infiniment discrètes et
liarmonieuses, créant dans une
chamlire une zone |)aisible ou
viennent se fondre les arabes -
(]ues de lumière ou de couleur,
comme l'écho mélange au loin les
notes successives d'un chant. I.,i
décoration imprimée ou pochée
est donc reléguée d'une manière
générale dans la frise où l'on
apporte ime fantaisie amusante.
Quelquefois un motif de végéta-
tion encadre ces scènes familières,
et se détache légèrement de la
frise, comme un lil de glycine se
séjiare de la branche qui encercle
im vieux mur. Je cite presque au
hasard, et en m'excusant de ne
pas citer tout le monde: le motif
Chd/s. Enfants, ]iar M. Ernest
Duru ; - - hs Maiiloii'^, lu Clm-
imjioser
r
ERNEST Dl'RU - frise .ch.\ts
l'icrc, par MM. ("ousin et Erancis Jourdain ; —
les projets de M. Jacques Bille ; — la Seine ait
l'ont Alexandre, la Foiilaine Carpeaux, panneaux
an pochfiir jiar M. Georges Grégoire : — la frise au
pochoir la (aravane, par M. Laugier ; — les
papiers-frises les Cygnes, les Coqs, les Arbres, par
M. Petitjean ; — les toiles au pochoir par M. Mau-
rice Dufrène ; — les décorations pour chambres
d'enfants jiar André Hellé ; les toiles au pochoir
par M. Jules Coudyser. Et j'insiste sur le haut goût
de ces créations, sur la délicatesse des camaïeux,
sur la variété des effets obtenus avec deux ou trois
tons seulement, de manière à
respecter l'homogénéité du jjapier
et tle la frise. Tout au plus pour-
rais-je reprocher, dans le décor
de la plante, une stylisation exces-
sive, un parti pris de réduire une
forme souple, naturelle, à une
écriture géométrique et presque
enfantine ; et je fais allusion aux
toiles d'une tonalité jaune si déli-
acte que ^I. Jules Coudyser a
décorées, au pochoir, de pommes
de pin. N'est-ce pas là le fait du
procédé lui-même ? Mais dans le
décor animé, quelle aimable ingé-
niosité! Et comme je vois avec
plaisir ces artistes comprendre
([u'il leur faut non plus feuilleter
de vieilles estampes, mais regarder
autour d'eux, ouvrir les yeux
tout grands à la lumière de la
\ie, au jour qui nous éclaire, à
la profusion des belles choses que
les êtres animés créent, sans le
savoir, simplement en se mou-
\ant autour de nous.
Faute de place, on n'a pu
exposer au Musée Galliéra les
cartonnages de théâtre, et 'SI. Bé-
rard en aurait certes fourni de
fort intéressants. Par contre, on
a ]>u réunir dans les vitrines quel-
-r-i
236
I-'ART ET LES AKTL-^TES
ques autres applications du j)ai)ii.T ])i-inl ou iiocluS
quelques industries d'art de la niénie famille. E'une
contient des éventails de Léanilre. tle Redon, de
Xoël Dorville, de Chéret, de José Helon, de l^ohida,
de Mme Madeleine Lemaire, d'André Gilles, de
Bac, de Mlle Abbema. avec des autographes de
Hérédia, Jules Lcmaître. François Copjiée et Paul
Bourget. Une autre contient d'excellentes jilaques
de reliure prêtées par la librairie Hachette et exé-
cutées par Giacomelli. par Halierl Dys et par Ros-
signeux. Une autre contient des l)oites de i)arlu-
merie décorées par Duirène, par Aubcrt, jiar
Lalique. Une autre, des reliuies toiles et papiers
jiar Frantz. Un cadre présente des ])apiers de gariles
très délicats de Georges Auriol. On s'arrêtera enlin
devant la collection des reliures 1840 de la biblio-
thèque de M. Henri Beraldi ; et l'on emportera des
idées sur le goût moderne, et un souvenir amusé,
de cette exposition variée, comjilète... et utile.
Lh.xmikk \'.\ii 1 .\t.
JULES COUDYSER - oiîcok.ation d'ln c.\binet de tr.\v.\il
Le Mois Artistique
LA Misère sociale de la femme : Peintures,
DESSINS, ESTAMPES {(ialcric Dcvinuhcz. 4J,
boulevard Malcs/ierbes). — Organisée au profit de
l'Œuvre des libérées de Saint-Lazare, cette expo-
sition a lin double caractère : nettement social
et aussi esthéticjue. Et inènie il serait ])lus exact de
dire que ces deux caractères ne sont point séparés
et que l'émotion d'art que l'on peut éprouver en
face de cette collection ne se différencie pas d'avec
l'autre.
Cela pni\-ient de ce que les peintres et dessina-
teurs qui >e sont occupés de ces questions l'ont
toujours lait a\cc une arrière-pensée, sinon atten-
drie, tout au moins documentaire, mais lias uni-
quement esthétique. Au bas de toutes ces œuvres,
il \ a toujours une lé,t;ende, exprimée ou sous-en-
tendue, ("'est de l'art d'illustration.
Comme elles ont toutes été exécutées sans in-
tention moralisatrice, elles gardent, aujourd'hui
qu'on les a réunies dans ce but, toute leur portée,
et l'on peut très bien, si l'on veut, prendre en les
regardant une haute leçon de pitié humaine. On
peut également \' suivre l'évolution du sentiment
de l'artiste envers son [lauvre modèle, dejmis
l'indifférence cruelle jiis(|u'à la compassion, sen-
timent reflétant d'ailleurs celui de l'époque.
Jusqu'au XVIll'' siècle, ou à peu près, la fille de
joie est considérée comme un être de perdition,
envers qui il est naturel que la société se montre
sans miséricorde. Et ce ne sont que gravures ter-
ribles, à tendances religieuses, sermonneuses même,
où la vie de la prostituée est décrite dans ses plus
mauvais moments, et aboutit toujours à la maladie,
à l'abjection, à la mort ignominieuse.
Les images d'Épinal racontant en seize planches
les aventures d'un petit mauvais sujet jusqu'à
l'échafaud final ne procèdent pas autrement. Au
XVIII'' siècle, l'élément pittoresque entre en jeu, qui
adoucit un peu l'àjireté de la vision, et surtout,
je crois, intervient cette passion du plaisir qui ne
voulait pas voir les suites du plaisir, mais seule-
ment ses heures brillantes.
Mais c'est au xin*" siècle que la pitié se mêle à
la vision des artistes qu'intéresse la prostituée.
Cette jiitié, masquée par la gouaillerie, le rire
cynique et léger d'un Gavarni, d'un Traviès, par
les mystérieuses allures d'un Constantin Guys,
par l'intensité luxurieuse d'un Rops, arri\-e à son
apogée avec Toulouse-Lautrec et Forain, cruels
sans doute, mais moins pour les misérables créatures
dont ils fouillent les tares que pour l'organisation
sociale et les égoïsmes bourgeois qui les ont cau-
sées. Mais c'est chez Steinlen que je découvre le
plus de \Taie bonté. Celui-là est vraiment ému,
fraternellement. Sa connaissance des dessous de
la vie parisienne, au lieu de l'endurcir, lui a donné
des choses une appréciation saine, nuancée, juste.
Il n'est pas humanitaire, mais il est humain.
Quant aux estampes japonaises, d'ailleurs techni-
quement admirables, qui sont, elles aussi, consacrées
(mais bien sans le vouloir) à la Misère sociale de
la femme, elles ne prouvent qu'une chose, c'est
qu'il y a des races où l'on ne prend rien au tragique
et où l'on veut que la vie soit un sourire. Et le fait
est d'ailleurs que cette volonté réduit au minimum
les déchéances finales. Il est vrai que les Orientaux
se font de toutes choses des idées si différentes des
nôtres que leur mentalité — et partant leur art —
nous est jiropreinent impénétrable.
Exposition Forain : Eaux-fortes, tableaux
ET DESSINS {Galeries Bernheim jeune et Cie, 15, rue
Riclicpiince). — Deux cent soixante-dix œuvres.
Ensemble suffisant pour juger tout Forain. Sur-
tout que ne manquent pas les tableaux, au nombre
de vingt-six et qui attestent la science de l'artiste
en tant que peintre.
Encore que leur « atmosphère » , assez pareille à celle
de Degas, reste d'un peintre, leur dessin, leur sujet
surtout appartiennent à l'illustration, illustration
plus générale, si l'on veut, que celle des dessins pro-
prement dits, mais illustration cependant, et sur-
tout humoristique.
Après Caran d'Ache, c'est notre plus grand cari-
caturiste, et, pour beaucoup même, il est plus grand.
Il a de moins que son illustre émule je ne sais quelle
ampleui, quelle fantaisie optimiste, quelle généro-
sité sans amertume, mais il a poussé aussi loin que
possible dans un domaine d'observation restreint.
La politique, la vénalité, le vice parisien n'ont pas
de secrets pour lui, et il en a cruellement marqué
les tares.
On a justement observé que ses légendes et ses
dessftis font corps ensemble, et qu'il était difficile
de les séparer : c'<est vrai. Mais sa cruauté d'anal\-se
n'est jMs que verbale : elle se retrouve tout entière
238
L'ART ET LES ARTISTES
dans son trait. 11 l'apiniie, l'éciase. le dclonnc avec
une déconcertante sûreté, et c'est toujours pour
souligner, pour désigner plutôt quelque iinjierfec-
tion physique, derrière laquelle se devine quelque
laideur morale qui en est la cause. M. Forain est
un réaliste à sa manière.
Il traite le nu comme un inaitre : il l'écrit plus
qu'il ne le dessine, et le suggère plus (pi'il ne l'in-
dique. Quelques traits, qui ne se donnent même
pas la peine de se rejoindre, et le corps est « établi »,
avec son attitude particulière, vivante, avec ses
tares. Dessin abréviatif, algébrique, qui cependant
n'a rien d'abstrait, tout au moins dans l'impression
qu'il cause, et qui, somme toute, est d'mi classique.
D'ailleurs, pour se bien rendre conqjte à quel
point JL Forain est dans la tradition classique, il
suffit de jeter un coup d'ceil sur ses eau.x-fortes.
Elles sont d'un métier admirable, intenses et légères
à la fois, pathétiques d'intentions et souveraine-
ment « artistes » d'exécution : de fort belles choses,
qui suffiraient à sa gloire et qui, en tout cas, l'établis-
sent avec le plus de sûreté.
ExposiTio.N Nicoi,.\s T.\RKHOFF {''•alcric Dr lui,
2 0. rue Royale). — Les dessins de cet artiste, qui ne
manque ni de force ni de caractère, ni d'avenir,
surtout, sont solides et bien construits. Mais, sauf en
quelques œuvres particulièrement heureuses : ma-
ternités attendries, fines notations de paysages,
animaux très justement observés et très vivants,
sa couleur est ])énibie et brutale. 11 croit devoir
accentue! son énergie native, indiscutable certes,
et fort précieuse, par une violence de touche bien
superflue. Car cette violence de touche, ces valeurs
contrastées sans j)assages, ces tons entiers sans
raison sont la caractéristique des peintres qui, ne
sachant ])as dessiner, s'imaginent être originaux
eu étonnant la \'ision du spectateur par des couleurs
inattendues. Fort heureusement, il semlile bien {(ue,
pour JL Tarkhoff, de tels défauts ne soient jias des
qualités et cju'il s'en débarrassera pour le plus
grand bien de sa sincérité, de son talent et de sa
réputation, car c'est un consciencieux et un tra-
\ailleur.
F. M.
MEMENTO DES EXPOSITIONS
Coopcyative des Artistes, 3, lue Lajfitte. — E.xposition per-
manente (l'œuvres de maîtres modernes.
Galerie Otaries Brunner, 11. rue Royale. — Exposition
rétrospective de portraits de maîtres français,
anglais et liollandais, au prolit de la Société L' Aitivn
maritime.
Galerie de l'Art Contemporain, 3, rue Troiieliet. — Peintures
et croquis de Marie Baudet.
239
Le Mouvement Artistique
à l'Étranger
ALLEMAGNE DU SUD
■^roiCI ouverte, au Glusf^dlmt de -Muiiieli, liuie il.- us
énormes expositions internationales (|ui, tous les
quatre ans, nous offrent encore le meilleur, le plus un])ar-
tial moveu île eniitrulcr les tendances des diverses
écoles, réduites ,i liui ileniier degré de concentration. L'art
mondial v est à son étia^e (|uadriennal. Qui les suit atten-
tivement peut mieux qu'ailleurs (car les garanties d'im-
partialité sont absolues, chaque pays ayant son jury
propre, en dehors île touti- unuuxtion des jurys allemands)
se rendre compte, eu ,i;r(is, du jeu des courants et des
influences prédomuiiiutrs, it de l'échiquier des diverses
positions, prises ji.ii Ir^ iui(| nu six individualités direc-
trices : Rerich en Ku^^ie, L.ii^soii et Fjaestad en Suède.
Hodler en Suis-c, (iu^t,i\e Klinit en .\utriche. Fritz Erler
en AllemaKUe : je in'.ilistieiulr.n île dire qui en France, puis-
que les noms véuén^ .k- l\(..|iu et Monet ne sont pas au ca-
talogue. Je n'ai du i e^te milleiuent l'outrecuidance de tenter
ici une chroui(|ue luteruationale. mon rôle étant simjile-
ment de me Imnier à quelcjues' constatations allemandes
aujourd'hui et le mois prochain à quelques autrichiennes.
La grande médaille d'or vient d'être décernée certaine-
ment à l'artiste d'.'Mlemagne qui la méritait le mieux,
jiar sa carrière non seulement, mais aussi par la singulière
préexcellenee de sdu exposition actuelle. Et puis JL Fritz
Erler n'est pas que le jiortraitiste sensationnel et effroya-
blement discuté de nos plus notables contemporains, sous
des aspects décoratifs, d'une xiolence de couleur aussi
passionnée que rare, et dans des recherches d'harmonies
jusqu'ici décriées ou même réprouvées ; il n'est pas non plus
exclusivement le décorateur de Wiesbaden, spécialement
mis à l'index par d'impériales désapprobations, ni le chef
de cette turbulente ScliclU'. qui est la pépinière îles plus
fougueux manieurs de belles pâtes en Allemagne ; il est
aussi le réformateur de la mise en scène des théâtres d'ar-
tistes à Munich et à Berlin, celui auc^uel on dut l'an passé
ce Faust rigoureux, catégonc|ue et schématique, que le
Hamlet de cette année vient non pas de surpasser, mais
d'égaler en basant sur les mêmes principes de déconcer-
tante simplicité une série de trouvailles nouvelles et ado-
rables, petites colombes blanches et mauves d'aujourd'hui,
nées de l'œuf de Colomb d'hier. On peut du reste parcourir
les quatre-vingts salles de cette exposition, on ne trouvera
nulle part individualité, affichée d'une façon plus éclatante,
que dans les cinq portraits en décor, qui sont la grande, la
légitime attraction de la SchoUe cette année.
Comme on sait, les artistes allemands ont le droit de
former selon leurs affinités, non pas régionales, mais, si
je puis ainsi dire, électives-artistiques, de puissantes orga-
nisations, à chacune desquelles une salle est dévolue : il
en résulte de l'ordre dans la iliversité et. pour le spectateur,
une grande facilité de classifier et d'atteindre à travers
la milliasse d'exposants à quelques notions d'ordre général.
Dans une salle on a tel goût, dans l'autre tel préjugé ;
dans celle-ci le faire est tout ; la voisine a de plus ambi-
tieuses visées, à moins tpie de moindres : être de la SchoUe,
de la Sécession (incroyablement nulle cette année), du groupe
l.uill'iiiti ou ilu gioujie Biiiihe, équivaut à un programme
chez les chefs de file, à une confession chez les acolytes.
On se déclare inféodé à M. Erler et à M. Putz plutôt qu'à
M. t'rban ou M. de Bartels, à JMM, von Keller et Haber-
mann jîlutôt iju'à M, Kaulbach, Et puisque le nom de M. de
Habermann vient de se rencontrer sous notre plume, disons
cpie ses soixante ans sont célébrés en ce moment par une
très fjelle exposition d'ensemble à cette Galerie moderne,
à laijuelle M. François-Joseph Brakl consacre des soins si
avisés, avec un flair si averti.
l'ne remarciue curieuse, dans le domaine du paysage aussi
bien internaticmal qu'allemand du reste, c'est l'envahisse-
ment des tableau.x de neige. Les sports d'hiver, les cosmo-
polis de l'Engadine imitées partout, les funiculaires dépu-
celant toutes les Jungfrau. les villas confortablement chauf-
fées à 2OO0 mètres d'altitude alpestre, ou sur les bords
du fjord, permettent au.x peintres de surprendre les
mystères, petits et grands, des frimas dans la montagne.
.•\utrefois pour l'Alpe, ne fut-ce qu'en été. il fallait s'équi-
per à l'égal des explorateurs arctiques et faire une belle
dépense d'énergies physiques. Et le goiit de peindre la
neige a été augmentant, au fur et à mesure que les facilités
ont été données aux artistes de contempler autre chose que
les sales dégels de boue et de suie de nos grandes villes.
Il y a vingt ans, dans les cartons ou aux murs des premiers
paysagistes de France et de partout, vous ne trouviez
qu'exceptionnellement une étude de neige. Aujourd'hui,
un tiers des meilleurs paysages d'une exposition interna-
tionale de l'importance de celle-ci se trouve être des
neiges, et sans que l'appoint de la Russie et de la Suède
contribue beaucoup à élever le chiffre de cette moyenne.
En revanche, justification de notre appréciation des causes,
les Suisses y seraient pour beaucoup plus que toute autre
nation. Il y aurait du reste un bien joli chapitre à ajouter
à une liistoire de la peinture alpestre : histoire de la décou-
verte de la beauté hivernale. Car cette découverte s'est
faite par l'Alpe : il a fallu un siècle pour arriver à ce
truisme qu'il serait peut-être aussi intéressant de peindre,
l'hiver, dans la plaine, ce qu'on allait chercher, à tant de
frais et avec tant de fatigues, l'été, par delà l'altitude de
:;o<Kj mètres. Et jusqu'au théâtre, les scènes d'Hamlet sur
la terrasse d'Elseneur sont devenues, chez M. F'ritz Erler,
le plus beau tableau de neige de l'an 1909.
Le tableau d'histoire a complètement disparu, le tableau
oriental de même, en dehors de la salle turque. Xous
nous intéressons à nos gens et à nos paysages. L'allégorie
et le svmbole se sont modifiés complètement dans un sens
scientifique, décoratif stylisé et parfois même caricatural.
Le gros humour vieil allemand a pris des formes ultra-
modernes avec lesquelles on l'eût cru par définition incom-
patible. Enfin certaines inquiétudes anglaises ou françaises
du temps d'Oscar Wilde ou de Mallarmé ont trouvé enfin
une expression allemande d'un spécial raffinement. Un ta-
bleau comme l'Éveil de M. Hans Hanner. où le mysticisme
de la chair et la santé panthéiste sont aussi également
dosées qu'une recherche de rythme à la Hodler et de per-
240
l.AKT 1:T les AkTlSTi:^
fection primitive à la Paul Kobcrt (li- NLUcliâtolois). me
semble une œuvre aussi tyi>i<liu' «Je l'Alleniafiue moderne,
la plus raffinée, que telle scène de M. Hauptmann. tel
drame de JI. Wedekind. telle puérilité adorable et inat-
tendue, subitement, au milieu des pires conflagrations
orchestrales de la musique de Mailler.
Ces salles allemandes seraient à un examen définitif
et détaillé du plus haut intérêt : on y est tout à la fois plus
arriéré et aussi plus avancé qu'aux pires extrêmes de l'art
français, en dehors de toutes les discussions sur le bon ou
le mauvais goût, ou simplement sur les goûts ou les cou-
leurs, qui ne nous paraîtraient de mise que dans la
bouche de gens ayant au moins vécu aussi longtcm|)S à
l'étranger que chez eux. Si vraiment comprendre c'est tout
pardonner, ne faudrait-il pas en déduire que, tant (]ue rien
n'est pardonné, rien n'a été compris? X'n an dans les
paysages d'.Xllemagne en appreml i>liis sur le coloris,
le goût et les arts allemands ipie la iirétcndue obligation
de vérifier par leur moyen des théorèmes d'esthéticjues
soi-disant indiscutables. .\ jilus forte raison pratiquer
le même laps de temps les esprits allemands eux-mêmes.
William Rittkr.
ANGLETERRE
Tl y a peu de doute que ceux qui ont de l'exiH
rieuce pour juger ne trouvrnt qu'- rexpo^itiini .1
(■New English Art Clul) . qui
vient d'ouvrir à la galerie du
Royal Britisli Artists. à. Siif-
folk Street, soit la plus iiité
ressante et la plus importante
qui ait eu lieu dans ces gale
ries depuis que Whistler .1
cessé d'être président du /(oyal
British Artisls. L'espace plus
étendu mis à la disposition
du Club a ses dangers aussi
bien que ses avantages ; mais
on doit constater que le Club
a maintenu ses hautes qua-
lités, et que les œuvres vrai-
ment intéressantes et de
premier ordre sont en majo-
rité ici en comparaison de
toutes les autres expositions
à présent ouvertes. C'est la
seule à Londres où se trouve
sérieusement représenté le
nouveau mouvement ipii suc
cède à celui qu'on a])j)elle
Impressionnisme ou Lumi-
nisme : cette tendance à
rendre avec le plus de sim-
plicité la nature, en oppo-
sition à celle qui exprime
d'une manière plus compli-
quée ses aspects subtils et momentanés. Quelques-
uns, peut-être, désireraient voir un plus grand nombre
d'artistes de ce mouvement représentés à Suftolk
Street, mais, s'ils sont moins nombreux, ils sont
forts, individuellement. Est-il nécessaire que je <lise
que ces interprètes sont : M. .Augustus E. John et le pro-
fesseur C. J. Holmes ? Jamais M. John n'avait donné la
preuve de sa forme et de l'étendue de son style. Son por-
trait de William Xic/ialsnn est une œuvre noble qui, un
jour, pourrait faire époque comme le C^rlvlc de Whistler.
C'est en même temps un magnifique exemple comme
actualité, décoration et psychologie <Ians l'ardeur de l'ex-
pression personnelle. La grande toile de M. John, h- Clu-
min de la mer. sans doute sera moins facile à comprenilre.
quoique ce soit son plus grand succès dans ce genre jus-
qu'à présent. Mais ce genre est si nouveau pour tant de
nous que, quoique acceptant le groupement des femmes et
AUGISTL'S JOHN ik chemin de ea mek
lu petit garçon, la simplicité audacieuse de la couleur,
i > pin -.iDniiiii!' - i II. .i~i.-i. nous ne comprenons pas. .analy-
sons nos objections. .M. John,
en choisissant pour modèles
.!■ simples robes d'une seule
■l'iileur. ne fait (pie ce que
I itien et beaucoup d'autres
giarids maîtres décoratifs ont
fait dans le passé. C'est la
nouveauté qui nous choque,
non les couleurs ni la combi-
naison.
Nos yeu.x ne sont i>lus
.nxoutumés à cette sim-
pluité austère, mais si nous
nous donnons le temps de re-
irder cette peinture, comme
Il doit le faire pour toutes
corations. d'une bonne dis-
• nce. nous découvrirons ipi'il
\ a vraiment rien de cru
11 <le discordant dans les
couleurs, mais que c'est beau.
au contraire. <le la beauté qui
]irovient de la simplicité, de
l'ordre et de la force.
l'uis, quand j'entends dire
■ .les gens : . Oh! mais John
l si pervers ! 11 cultive le
laul ! 1 je veux leur rappeler
ce ipie dit Kodin : Il n'y a
|)as de laideur .Voici une pro-
fonde vérité : la laiileur n'e.xiste pas. Il y a seulement
des degrés relatifs de beauté, et quelcpi'un de plus grand
que Rodin nous a dit que dans ce monde merveilleu.v il
n'y a rien de commun ni d'impur. Regardant sérieusement
les physionomies rei)résentées ])ar M. John, peut-on dire
que ces physionomies soient mauvaises ou méchantes?
N'ont-elles pas beaucoup de caractère? Je ne vois rien de
mal dans ces grands yeux regardant et rétléchissant avec
surprise l'univers, ces larges narines sensitives. ces lèvres
et ces mentons fermes. Les grandes âmes d'aujounTliui.
comme celles d'autrefois, ont plus d'attrait par le carac-
tère que par le teint. Kst-il donc si surprenant, si difficile à
comprendre que. pour quelques-uns. une gitane — cette
enfant de la nature — peut paraître beaucoup plus belle
qu'une débutante de Mnvfan. et qu'une physionomie hon-
nête et pleine de caractère peut inspirer un artiste plus pro-
fondément qu'une beauté . rose et blanche . ? M. Beerbohm
241
L'ART ET LES ARTISTES
il (lit sous forme ck-
plaisanterie une vérité,
lorsque, dans sa carica-
ture, il dépeint uncriti-
(]ue étonné devant un
srou])e de modèles de
M.Johnctdisant: «C'est
fort bizarre que. dans
trente ans, je puisse et ri'
amoureux de tes d,i
mes '. tl parait hizarrr
maintenant à plusievn-
qu'on puisse avoir été
amoureux des dames de
Iînl)en«. Il y a cin-
(plante ans qu'il parais,
sait lii zarre d 'être amou -
reux des dames de Ko
setti. -\Iais quand un
j,'rand artiste dépeint
pour la iiremiére fii;^
une fieauté noljle d'un
type humain jusque-là
incompris, cela semljlera toujours
qu'arrive le règne de ITtopie, o
» snobs n ni dans l'art, ni dans la v
HOLMES
liizarre ", jusqu'à
il n'v aura plus
Dans son propre style. M. C. J. Holmes, professeur des
Beaux-Arts à l'Université d'Oxford, a fait des développe-
ments sur les mêmes lignes de pensée que M. Jolin. et cette
année il a fait un !»rand progrès dans ses peintures à l'huile,
(pii niainten.iut ont le-^ mêmes grandes (|ualités (pi'avaient
possédées ses a(piarelles
seules. Dans trois nobles
paysages, " Dutton Pike
• nid Cross Fell' Matin • .
la Cale de Durham » et
Coastguard Station,
liitde », il note avec une
grande force et une
excellente distribution
du détail les grandes
masses devant ses yeux.
Le trivial, les points
--econdaires, sont élimi-
nés pour que les plus
importants ressortent
avec plus de dignité et
de splendeur monumen-
tile. Voilà ce qui cor-
respond, en paysage,
.luxtableauxdeM. John
qui expriment avec force
la philosophie nouvelle
qui maintenant occupe
le monde. .\ un âge de destruction et d'analyse succède un
âge de construction et de synthèse. Au lieu de découper
le monde entier en petits morceaux, on tâche de ramasser
les morceaux que nos aïeux nous ont laissés et de recons-
truire. Au lieu d'essayer de montrer la variété infinie de la
nature, les paysagistes les plus avancés d'aujourd'hui
insistent, comme M. Holmes insiste, à montrer son unité
éternelle. Ce sont les avant-coureurs du futur, et leur
message est plein de grandeur et d'espoir.
Tr.snk Rutter.
ETATS=UNIS
T 'intérêt natiouid a été ((HiCfiitré tout à l'heure sur
Washington, parce que le jiremier congrès d'artistes
ipii ait été convoqué chez nous a eu heu dans notre capi-
tale.
l^i's 115 délégués, représentant 6; organisations d'art,
sont venus de tous les céjtés de notre vaste pays.
La première séance était ouverte par M. Sherman.
vice-président des États-LTnis. Les sénateurs Root et New-
lands ont fait des discours enthousiastes. Ils expliquèrent
que le but de cette réunion était l'établissement d'une
Fédération composée de toutes les Sociétés d'art en .Amé-
rique pour leur encouragement mutuel et pour la culture
de l'amour du Beau parmi le peuple.
Pendant trois jours, toutes les questions rel.itivcs à ces
sujets furent discutées : l'enseignement d'art dans nos
écoles pul)li(]ues; l'alliance plus complète entre artistes et
artisans ; l'architecture ci\ ile — les statues dans nos parcs,
les annonces dans les rues, — en un mot. l'emploi de l'art
pour le peuple, — l'art non pour l'art, mais pour l'humanité.
La réunion a eu un succès éclatant, et une Société
nationale fut organisée, 'J'/ie I-cdcraiion 0/ American Art.
avec Charles L. Hutchinson, de Chicago, pour président.
Parmi les membres, citons John Alexander, F. D. JUIlet.
Ralph \. Cram et Herbert Adams. 11 y aura une réunion
d'art annuelle à Washington.
11 est impossible de préciser l'influence que peut avoir
cette confédération sur toutes les choses d'art. Nos artistes
sont comblés de joie : ils croient (jue l'aurore de notre renais,
sance est venu'' !
Si nos espérances pour une grande réduction de tarif
sont réalisées, l'année 1909 sera une page d'or dans l'his-
toire de l'art américain.
.\utre bonne nouvelle : le conseil municipal de Kansas
City a voté presque un million de francs pour établir un
musée d'art ! C'est la première fois qu'une ville américaine
a fondé un musée quelconque; ce furent toujours les dons
des citoyens riches et patriotes.
Votre grand Napoléon a dit : •< L'imagination gouverne
le inonde '. Il avait raison. .\ Boston, ville très conserva-
trice, le numéro 1915 est devenu un symbole. Tout le
monde a résolu de faire de sa ville A City Bcautiful pour
l'année 191 5. Tous les enfants des écoles, tous les jeunes
gens (jni travaillent, les hommes do commerce, les dames
riches, ont pr's pour shiholeth (mot d'ordre) « 1915 ».
Les conférences sur l'art augmentent, les Sociétés de I () 1 5
se forment, tout le monde veut savoir comment embellir
sa ville avant l'année 191;. Oui a jeté le premier ce cri?
qui a bouté le feu? Personne ne le sait. Peut-être les expo-
sitions d'art ont-elles éveillé l'enthousiasme, surtout
celles de Sargent, de Sorolla et du ■ Sen 1, qui viennent
de se fermer.
Parmi les tableaux exposés par le « Sen ., il y avait une
toile de Frank W. Benson qui m'attira beaucoup.
Cet artiste appartient à une vieille famille de Salem,
Massachusetts, une de nos villes les plus aristocratiques,
et son oeuvre, dans sa beauté saine et solide, possède la
haute distinction, la noble sincérité des vieux Puritains,
ses ancêtres.
242
LART ET LES ARTISTES
Comme presque tous nos artistes de grande valeur, il
est allé à Paris pour faire ses études. Là, il fut un bon
ouvrier, car il croyait qu'un peintre doit conquérir son
métier en commençant — surtout dans le dessin, — mais
en revenant chez lui il a ajouté à sa technique excellente
quelque chose de tout personnel. Il y a un grand charme
dans l'arrangement de ses lignes, dans la disposition de ses
couleurs ; il possède un sens décoratif très développé
C'est pourquoi il n'est jamais monotone, quoiqu'il res-
treigne le cercle de ces sujets. Son tableau produit un effet
décoratif extraordinaire, avec son soleil d'été et les jolis
vêtements de ses enfants assis sous les arbres et enveloppés
dans une atmosphère palpitante, lumineuse, le feuillage
est si vert, la mer d'un bleu intense, mais tous les éclats
de la couleur s'harmonisent dans la vision d'un artiste qui
demeure conscient de sa tâche de beauté.
Il adore les enfants et on sent cet amour dans cette toile
lumineuse qui respire la joie et la fraîcheur de la nature en
fleurs.
L'artiste l'a peinte tout à fait en plein air, — comme
tant d'autres de ses tableau.x où il révèle sa conscience
sérieuse et sincère devant la nature. Il ne choisit jamais de
motifs décoratifs fondés sur le caprice; il s'appuie toujours
sur les lois éternelles qui gouvernent la lumière, l'atmo-
sphère, les harmonies divines de la nature.
Pendant l'été, M. Benson demeure dans le Maine, au bord
de la mer, où il a acheté une grande ferme, pour mieux étu-
dier la nature. Avec sa femme, ses enfants, il passe quelques
mois de recueillement et de travail.
Son atelier d'hiver est à Boston, mais il demeure toujours
à Salem, tout près de Boston.
Il s'est écoulé vingt ans depuis qu'il a fait ses études à
Paris. Il parle de ces jours heureux avec enthousiasme;
il a grande envie d'y retourner. Mais le travail le réclame
Comme portraiti.ste, il est au premier rang, et son talent
est justement honoré partout II a reçu des médailles, des
pri.x de toutes sortes. Ses tableaux sont très recherchés.
Le Metropolitan Gallciy de New- York, les Musées de
Bufïalo, de Worcester, de Pro\idence, possèdent ses meil-
leures toiles. Le jour viendra, j'espère, où je pourrai ajouter
» et son dernier tableau est au Luxembourg >•.
.\. Sk.\ton' Schmidt.
POLOGNE
T A réputation dont jouit aujourd'hui la culture ,uti^
tique de Varsovie n'est certainement pas des plus
flatteuse et presque nuls y sont les vestiges du temps où.
sous notre dernier roi, travaillèrent et enseignèrent ici les
Canaletto, les Bacciarelli, les J. P. Norblin de la Gourdaine.
La cause en est évidemment au joug étranger, aux cata-
clysmes politiques qui depuis plus d'un siècle s'achar-
nèrent sur la malheureuse et héroïque capitale; Une i)ros-
périté économique relativement grande que, malgré tout,
elle réussit à conquérir n'y engendra dans ces conditions
déplorables qu'une superficielle civilisation matérielle.
En art et en littérature, c'est chez le public varsovien une
franche hostilité envers tout ce qui ose sortir de la bana-
lité patronnée par une presse quotidienne stupide et puis-
sante. Les dernières années si agitées et pleines d'espoirs,
déçus depuis cruellement, permirent, il est vrai, la fonda-
tion d'une école des Beaux-.Xrts ; l'avenir pourtant de cette
institution privée, qui pour le moment traverse une crise
dangereuse, parait toujours des plus incertain.
Une indifférence générale (sinon l'indignation) accueille
ici en principe toute manifestation d'art plus intéressante.
Tel fut, au courant de l'année passée, le sort de quelques
bonnes expositions, entre autres de celles du peintre
Slewinski et du sculpteur Dunikowski, qui tous les deux
— avec Stabrowski, Krzyzanowski et Frojanowski — sont
actuellement professeurs à l'école mentionnée. J'ai parlé
déjà ici du premier, lors de son exposition à Cracovie ;
quant au second, j'espère avoir encore l'occasion de pré-
senter aux lecteurs de l'Art et les Artistes son œuvre
si original et troublant et qu'un hardi « gothicisme .
(n'est-ce pas^ plutôt le rêve im[)érieux d'un retour vers
l'architecture?) apparente de loin à celui du Belge (Jeorges
Minne.
Plus de succès eut à Varsovie le cinquième Salon de la
Société pour l'encouragement (!) des Beaux-.^rts (dé-
cembre et janvier), et cela malgré, ou plutôt à cause
de son niveau général parfaitement médiocre.
S'il eu est ainsi de la capitale de la Pologne russe, que
dire de celle, peut-être plus malheureuse encore, de la Po-
logne allemande ? X'est-il pas compréhensible d'ailleurs
que là où il s'agit avant tout de sauvegarder à chaque pas
la terre, la langue, l'existence même d'une nation, toutes
les forces soient prises dans cet exaspérant combat quo-
tidien ! Aussi Pûsen, admirable par la résistance qu'elle
oppose au système antipolonais de Bismarck, ne compte
simplement pas aujourd'hui dans notre art....
Même Lemberg,. que depuis 1772 r.-\utriche a promu au
grade de capitale de la Galicie, démontre déjà plus de vita-
lité à cet égard. .-V un moment, vers la moitié du siècle
passé, ce fut, grâce à quelques bons peintres, presque un
petit centre artistique. A présent encore, on a ici parfois
des aspirations fort louables. En 1S94, par e.xemple. — date
mémorable pour l'historiographie de notre art. — nous vîmes
ici, grâce aux soins du professeur .Xntoniewicz, l'unique
grande exposition rétrospective de peinture polonaise.
Les dernières expositions à la Société des .Xmis des Beaux-
.^rts de Lemberg, en dehors des tableaux de MM. Pautsch
et Sichulski, ne nous ont presque apporté que des œuvres
d'importance locale. Par contre, tout le pays retentit d'un
scandale qui se produisit à Lemberg il y a deux ans et
qui à présent vient de s'affirmer irrémédiable. Il s'agit
li'un achat fait par la ville (et pour une somme impor-
tante !) d'une collection privée de tableaux et de meubles
anciens devant servir de base à un futur musée municipal
et qui, avec son inévitable Raphaël en tète, s'est montré
d'une valeur plus que douteuse.,.. Vu l'exiguïté des moyens
dont en général peut disposer le pays pour les choses
^^art, l'affaire perd beaucoup de son comique.
Malgré que Cracovie ressemble fort ]ieu à cette Florence
moderne que voudrait apercevoir en elle l'enthousiasme
de M. William Ritter. c'est néanmoins de nos jours la capi-
tale intellectuelle et artistique de la Pologne entière où un
-M.5
I.'AKT V.T LKS ARTISTES
yloiii-ux pa^sr (K- ciilUiic. liifii (|ir)nli-i-rompu dès le
xvii^' siècle, féconde parfois ou fout au moins excite nos
aspirations jîréscntes. S'il ne manque pas de bons peintres
à Cracovie. il y manque trop de Médicis, et en principe
même les grandeurs nationales, comme Wyspianski. n'y
sont aiiprècièes qu'a]irès leur mort.... En somme, c'est ici
pourtant, dans cette calme ville universitaire si riche en
trésors d'art ancien (allemand et italien) et si jiittorestpie,
qu'il V a encore une certaine atmosphère artistique. Autour
de l'Académie des Heau.x- Arts, du Musée National (enriclii
récemment par l,i belle (.nllettion (loldstein). de la Société
d'Art décoratif polonais, etc., se groupent lentement des
énergies qui, de temps en temps au moins, arrivent à triom-
pher de l'apathie générale et lentement préparent peut-être
un meilleur avemr.
Quant à notre peinture moilerue, si ]ileine de vie et
d'intérêt ([u'elle .1 su inipnsrr le respect même à nos voisins
allemands. Inm .|ii',iii|ciiird'liui elle ait conquis Cracovie
définitivcmini . le n'^st pourtant pas d'ici qu'elle a pris
son essor. Se-, pi 01,1,141 11 listes d'hier, comme Chelmonski.
les frères (;ier\ in^Ui. W'itkiewicz et tant d'autres, outre
qu'ils sont jioiir l.i pliip.iit cins»inaires de la Pologne russe.
Iiiiit leur appreul i^-.i;-;e a .Miiiiicli ou à Taris et vivent long-
temps a l'étranger. l{ii ,i;eiural, ce sont des efforts isolés
dé])our\ us de iDUt encouragement, au contraire combattus
\ioleninient, qui vers iSSo ont préparé l'avèirement de cette
}ieinture....( rai n\ie fascinée par l'art historique de Ma tej ko.
longtemjis leur rr-,t.\
commenva sruhiniii
représentants de i r
a succession <\<- M.i
J'ai parle dej.i k
notre ■■ ÉeoU- des ]'.
la plupart de sis u
nieueer étaii.'uf loreé
iidifférente
depuis ,pr
l'u certain changement
par pur hasard, un des
détrie ])nt à r.\cadéinie
même de lùiliil comme directeur de
ni.\ .\its . Comme peintre, ainsi que
iteni|iiir,iins ]iolonais. qui pour coin-
de (.lierilier a l'étranger le pain et la
un ,iutiidiil,iete, se devant presque
exclusi\'euient à son tident et à son amour de la nature....
En une ex]>osition collective (ouverte en janvier à Craco-
vie. ]mis. eu février, à \'arsovie). ce talent vient une fois de
plus d'afhrmer sa belle vitalité. Aquarelliste par excellence,
Ealat est un virtuose de la notation large et rapide qui, se
jouant des difficultés techniques, par la sagacité et la
fraîcheur de son impression, arrive parfois à une synthèse
presque jaiionaise. Personnalité toute d'instinct et de tem-
pérament, il a toujours été attiré avec force par la vie de
chasseur ; et la jioésie de nos forêts, de nos plaines, de la
neige surtout, a trouvé en lui un de ses meilleurs évocateurs.
(Il est très piquant que justement ce peintre de nature si
foncièrement polonaise fut pendant longtemps un des
artistes favoris de S. M. Guillaume II.)
Nos concours artistiques ont déjà leur histoire, et des plus
triste. Le monument de Mickiewicz, à Cracovie, en est no-
tamment la piage la plus tragiquement ridicule. Par une
courtoisie sceptique, les membres étrangers du jury qui
vient de juger le concours pour le monument de Chopin à
Varsovie n'ont pas voulu porter atteinte à ces traditions
nationales. Ils ont agi sagement, et Varsovie, qui, en fait
d'art moderne, possède déjà... l'Hôtel Bristol, leur en sera
reconnaissante.
Le pri.x Barszczewski. pour la meilleure œuvre picturale
lie 190S. vient d'être décerné par l'Académie des Sciences à
Jacek .Malczewski. Il n'y aurait qu'à applaudir.,.. Malheu-
reusement, renonciation que l'.-\cadémie publie comme
d'habitude à cette occasion et où, férule en main, elle passe
en revue toute la production artistique de l'année passée,
est une fois de plus non seulement un manquede tact, mais
aussi un document d'esthétique paroissiale désarmant de
naïveté... académique. Ne serait-ce pas, et de beaucoup,
plus facile... de se taire?
.\D.iM DE CyBULSKI.
Échos des Arts
Fouilles et Découvertes.
Dans la séance 1
Inscriptions et BelK
derniers résultats
sur la côte de Main
1 4 piui deriuer de l'Académie des
irttrrs, M. Merlin a communiqué les
es Iduilles .sous-marines entreprises
a pour relever les œuvres d'art dont
était charge un vaisseau barbare qui sombra avec les
dépouilles de l'Italie, sans doute au v siècle. Parmi les
fragments récemment récupérés, se remarque une lampe
encore munie de sa mèche carbonisée.
M, Gauckler a communiipié à r.\cadémie la photogra-
phie d'une statuette en bronze doré, qu'il a découverte
dans les fouilles qu'il exécute à Rome, avec MM. Nicole et
Darier, sur le Janicule. dans les ruines d'un temple svrien
construit aux abords du I.uftis Furrinœ. Cette idole énig-
matique était couchée au fond d'une sorte de cuve triangu-
laire en blocage ; cette cuve avait été ménagée au centre
d'une cella octogonale, dont la forme rappelait celle des
premiers baptistères chrétiens. Dans cette cella. on devine
une chapelle qui aurait été réservée à la célébration des
mystères et aux initiations du culte svrien. L'idole est
engoncée comme une momie ; un dragon à crête dentelée
en fait se])t fois le tour. Entre les circonvolutions du
monstre, sept œufs de poule avaient été déposés, en ligne,
sur la statuette. En pourrissant, ils ont éclaté: les débris
des coques sont tombés à droite et à gauche, M. Gauckler
cherche à démontrer qu'il ne faut pas voir dans cette sta-
tuette, comme on l'a proposé, un Kronos mithriaque. Il
reconnaît ici une .\targatis naissante, une Atargatis sortant
lie l'œuf dont étaient issus, dit Arnobe, les dieux syriens
Hadad et .Atargatis,
En faisant les travaux nécessaires à l'établissement
d'une nouvelle voie entre Saint-Germain des Prés et le
Pont-Xeuf, on a découvert dans la cour d'une maison de la
rue Guénégaud une tour de l'enceinte de Philippe-.\uguste
dont on ignorait l'existence et qui est en bon état de con-
servation. La commission du Vieu.x-Paris a émis le vœu
que cette tour ne fût pas atteinte par la nouvelle voie pro-
jetée et cpi'elle formât l'ornement principal d'une place
ou d'un carrefour.
244
i;art ht i.i;s artistes
M. Alliert Gayct vient de nuiiii- au musc-c trEnnory
les résultats de sa dei'nicre cam]>agne tle fouilles à Antinoë ;
c'est une série d'objets du iir' siècle, parmi lesquels on
remarque deux momies : celle de la pleureiise Isidora et
celle d'une officiante ou figurante des rites d'Isis.
Une im))ortante découverte \ient d'être faite dans les
ruines de l'ompéi. Au cours des fouilles «pii y sont jirati-
quées, on a dégage des cendres une magnilicpie villa en
parfait état de conservation et ornée de fresques du jilus
grand prix. Cette villa renferme en outre des œuvres de
sculpture grec<iue et romaine, des meul)les ti'és riches, sur-
montés d'objets précieux, des vases de style et divers
cofirets remplis de monnaie d'or et d'argent. Dans le sous-
sol, on a trouvé d'énormes amphores et, dans le triclinium
des tables préparées pour une trentaine de convives.
L'argenterie, très fine, est égale en poi<ls et eii beauté à
celle que possède le Louvre.
Dons et Achats.
M. Cliaucliard, qui vient tle mourir, a légué à l'État,
pour le Musée du Louvre, sa galerie, ipii comprend près de
deux cents toiles de Jlillet, Troyou, Corot, Daubiguy,
Decamps, Diaz, Jules Dupré, Th. Rousseau, Fromentin.
Delacroix, Isabey, Meissonier, Ziem, llenner. etc., achetées,
dit-on, par le donateur au pri.x de vingt-sept millions
environ.
Parmi les Millet, citons : l'Am^cltis. payé Stxj.oocj francs ;
la Bergère, qui coilta i million ; la Rintric des moutons la
nuit, i.ioo.ooo francs; le Vanneur; la Filcuse ; la h'er-
mière ; la Petite Bergère, etc.
Corot est représenté par un grand nombre de toiles, et
notamment par l'Amour désarmé, la Danse des Xymplws
dans la clairière, la Danse rustique à l'entrée du bois, la
Charrette, le Matin à Ville-d'Avray, etc.
Troyon occupe une belle place avec la Vdehe blanche,
les Bœufs allant au labour, le Retour du marché, le Garde-
chasse et ses chiens, les Vaches au pâturage, la Mare, etc.
Tous les granils paysagistes sont représentés ; Théodore
Rousseau avec la Charrette, l'Orage, l'Avenue de la foret de
risle-Adam ; Jules Dupré, avec la Vanne, le Chêne, la Mare
aux chênes ; Daubigny. avec la Vallée d'Arqués, les Cavernes
au bord de l'Oise, le Soleil couchant ; Ziem, Diaz, etc., etc.
Delacroix, Decamps, Fromentin, Isabey, sont représen-
tés par trente-cinq toiles ; Isabey par le Déjeuner de la reine,
le Mariage royal, la Sortie du prêche, le Départ du duc
d'Albe, la Séparation.
Citons enfin les quarante Meissonier, avec le fameu.x 1814,
le Fumeur, la Confidence, le Liseur blanc, le Liseur noir.
l'Homme à l'épée qui vient de la collection Van Praët,
le Poste d'avant-garde, l'Auberge de J'oissy, le liieur, la
Route d'Antibes, etc.
M. Chauchard ajoute à sa collection de l'école de 1830
tous les tableaux qui ornaient les salons du rez-de-chaussée
de son hôtel de l'avenue Velasquez : ce sont <les œuvres de
Nattier, Drouais, Gainsborough ; des marbres de Coysevox,
Lemoyne, Coustou, Caffieri et une .série des premières
épreuves de Barye.
Tout cela ira au Musée du Louvre, avec le portrait du
donateur par Benjamin Constant.
Et, pour aider à l'installation de ces œuvres d'art,
M. Chauchard laisse à la disposition de son exécuteur tes-
tamentaire, M*' Jousselin, et à M. Georges Leygues. spé-
cialement chargé de surveiller l'aménagement de la future
« salle Chauchard •, les sommes qui seront nécessaires à
ifin «lu'aucune ilépense
la direction du Musée tlu Lou'
n'incombe à l'État.
.\ la Ville de Paris, il laisse les deux groupes de bronze
de Cain. toutes les statues de marbre et tous les objets qui
ornent les jardins du château de Longcliamp. dont il était
le locataire.
JS
Le Musée Carnavalet a re(,'u îles héritiers de \"ictoricn
Sardou. en don, le fronton de l'ancienne porte de la maison
de Danton, qui faisait partie des collections Sardou. récem-
ment dispersées. La commission d'achats de ce Musée a fait
aux ventes .Sardou les ac<iuisitions suivantes ; une ]'uc du
Louvre, lors de l'arrivée de Louis X\'I à Paris, le i- juil-
let 17S9, aquarelle attribuée à Sergent Marceau: l'Arri-
vée du roi aux Tuileries, en 1779, par Prieur ; /<• Pont
Xotrc-Dame et la ]'oi'ite du Chàtelct, aquarelle, jiar Xicolle;
/(• Passage des ]'ariétés, acjuarelle.dont l'auteur e.st inconnu :
l'Ecole militaire, dessin lavis attri'Duc à Duplessis-Bertaux;
un jilan de la Bastille, par Palloy, et un dessin non signé :
l'Allemande dansant che: Ruggieri. L'ensemble de ces
acquisitions s'élève, avec les frais, à environ 6 000 francs.
On attend, pour cpie l'acquisition .soit définitive, l'appro-
bation administrative qui est indispensable à cet efïet.
Le Musée métropolitain de New- York vient d'acquérir,
pour la somme de ,^50000 francs, les trois belles tapisse-
ries du temps de Charles VII : ta Baillée des roses, (pii
furent si remar(|uées naguère à l'exposition des Primitifs
Fran(,nis. On dit <|ue le Conseil supérieur des Musées natio-
naux avait précédemment voté l'acquisition île ces chefs-
d'œuvre <lc l'art décoratif français, mais que sa proposition
avait été rejetée par le ministre de l'Instruction publique.
JS
Aménagements et Restaurations.
Trente et un magniruiues ta])is de la Savonnerie et une
très belle suite de Gobelins, appartenant au Garde-Meuble,
vont être exposés dans le palais de \'crsaillcs, conformé-
ment aux instructions de M. le sous-secrétaire d'htat au.x
Beaux-.\rts. — les tajiis dans le grand ai^iiartement et la
galerie des glaces, et les tapisseries dans le salon d'Her-
cule, la chapelle et la galerie des rois.
Revue des Revues.
>iAK\i: GoLiv i.uiuées révolues). — Revue mensuelle
d'art ancien, paraissant le 15 jS de chaque mois. — 1909,
troisième année.
Le texte de Staryé Gody étant rédigé en russe, tous les
titres sont munis de traductions en français.
Prix d'abonnement pour l'étranger : 30 francs par an.
On s'abonne chez tous les libraires de Saint-Pétersl>ourg
et an bureau de la rédaction (7, Solianoï per); à Paris, chez
Henri Leclerc, libraire, 219, rue Saint-Honoré.
P. P. de Weiner, directeur fondateur.
La Scandinavie. --- Revue mensuelle illustrée des
rovaumcs de Suède, Norvège, Danemark et grand-duché
de l'inlande. — Artistique, littéraire, scientifique. —
Rédaction et administration : 67. boulevard Malesherbes,
et 4, avenue de l'Opéra.
Directeur : Maurice Chalhoub.
Abonnements : 6 francs pour la France et 8 francs pour
l'étranger.
245
L'ART ET LES ARTISTES
Associnlinii (h- VAlliaiicc aitisliqnc. enregistri-e en vertu
lie la loi sur les Sociétés industrielles et de prévoyance.
Siège social ; 67-69. Chancery Lane, London, W. C.
Fondée en 1908 dans le but de permettre aux artistes de
soumettre librement et sans restriction leurs œuvre;, au
jugement du public.
A l'E.xposition annuelle de l'Association, chaque membre
est autorisé à envover trois œuvres, dont toutes seront
exposées, en groupe ou dispersées, suivant le désir de
l'exposant.
On devient membre de l'Association en devenant acqué-
reur d'une (ou plusieurs) actions d'une valeur nominale de
10 shillings (soit 24 fr, 75), et en payant une cotisation
annuelle d'une guinée (soit 26 fr. 50). En dehors de cette
cotisation, les membres ne peuvent encourir aucune iis-
f^Diisûbililc pécuniaire.
L'administration de l'.Vssociation est conhée au comité
de direction élu par les actionnaires.
Toutes les demandes de renseignements, adhésions et
versements doivent être adressés au secrétaire iFrank
Kutterl. Allied .\rtists' .\ssociation Ltd., 67-69. Chancery
Lane, London. W. C.
M
Divers.
L'ambassadeur de France en .Xinéricpie, M. Jusserand,
a remis, la semaine dernière, à la ville de San- Francisco
une superbe médaille d'or, en commémoration de la recons-
truction de la ville si cruellement éprouvée par le tremble-
ment de terre de 1906. La médaille ainsi offerte, œuvre du
graveur Louis Bottée, est en or, et il n'en a été tiré qu'un
seul exemplaire. Une des faces montre d'une façon emlilé-
matique la ville de San-Francisco sortant de sa tombe et se
débarrassant de son linceul, grande et belle comme tou-
jours ; sur l'autre face, on voit la France offrant une
branche de laurier à l'Amérique.
L'exposition de l'acrost.ition et de l'aviation à travers
les âges, organisée ])ar yiM. Graiul-Carteret et Léo Delteil,
est ouverte depuis le 15 juillet, au Grand Palais, coté des
Champs-Elysées, dans les salles du rez-de-chaussée, consa-
crées par la Société des Artistes français aux projets d'archi-
tecture. Cette exposition, composée d'estampes anciennes,
livres, reliures, médailles, éventails, faïences, bibelots et
curiosités de toutes sortes, contient également une section
moderne de dessins dans la note humoristique. On y voit
tous les projets de locomotion aérienne dus à l'esprit inventif
des inventeurs depuis plus d'un siècle ; c'est tout le passé
des sphériqueset tous les essais d'aviation, sans oublier les
hommes volants. MM. Grand-Carteret et Léo Delteil doi-
vent, au mois d'août, transporter leur exposition à
Francfort, à V I>iternalionah< Luftscliiffiilnt Aiissltlluji!;.
JS
BULLETIN DES EXPOSITIONS
.\lx-LEb-B.\iNS. — Exposition internationale des Beaux-
Arts, commerce, industrie, [ihotographie. etc.. jus-
qu'à septembre.
Av.\LLON. — Exposition de la Société des Amis des .\rts
de l'Avallonnais, du i'"' août au 30 septembre.
BoRDEAU.x. — Exposition d'Art humoristique, réservée
aux artistes de la région, en octobre et novembre,
Ch.\renton (Seinei. — Quarante et unième exposition de
la Société artistique, du j6 septembre au 19 octobre
prochains, .adresser toutes demandes de ren>eigne-
ments à M. Leroux, secrétaire-trésorier, 3, place
Henri IV, à Charenton (Seine).
Copenhague. — Au Palais Royal de Charlottenbourg.
exposition française d'art décoratif, jusqu'au 13 sep-
tembre.
Dresde. — Exposition internationale d'aquarelles, pas-
tels et arts décoratifs, jusqu'au i" octobre.
Gand. — Quarantième exposition de la Société royale, du
I" août au 27 septembre. Pour tous renseignements,
s'adresser au secrétaire. M. Scribe, rue de la Chênaie,
à Gand.
Langres. — Société artistique de la Haute-Marne, e.xpo-
sition des Beaux-Arts et d'Art décoratif, du 31 juillet
au i""' septembre. Dépôt, à Paris, chez Robinot, 50,
rue N'aneau, avant le 14 juillet.
Munich. — Dixième exposition internationale des Beaux
Arts au Palais de Cristal, jusqu'à fin octobre.
Nancy. — Exposition internationale de l'est de la France,
avec section des Beaux-Arts organisée par la Société
lorraine, jusqu'à la clôture de l'Exposition interna-
tionale (octobre).
RUEIL (Seine-et-Oise). — Château de La Malmaison, expo-
sition d'étoffes pour ameublement de l'époque napo-
léonienne.
Tan.\n.\rive. — Prochainement, exposition d'art mal-
gache, comportant ; sculptures, peintures, tissus, arts
de la femme, jouets et jeux, histoire de l'art, art rétros-
pectif, etc. Pour tous renseignements, s'adresser au
ministère des Colonies.
Valenciennes. — Exposition de la Société valencien-
noise des Arts, aux salons de l'Hôtel de Ville, du
12 septembre au 10 octobre. Dépôt des œuvres à
Paris, chez M. Robinot, avant le 25 août, et à
Valenciennes, chez M. Ch. Marlière, secrétaire de la
Société, avant le 4 septembre.
COXCtU'RS
Le neuvième concours Lépine aura lieu du 10 septembre
au 10 octobre 1909, dans le jardin des Tuileries, salles et
terrasse ciu Jeu de Paume,
Cet événement si connu, qui offre aux fabricants et au.x
inventeurs l'occasion de faire connaître au public le pro-
duit de leur imagination, leur ofïre aussi un certificat de
i;ariintic qui les protégera en France et dans les pays tinio-
iintes. sans aucun frais, pendant douze mois, avant la prise
facultative du brevet d'invention définitif.
Deux cent quatre-vingt-dix-sept certificats ont été
accordés au concours 190S.
Fondé par M. le préfet de police en 1901, le concours,
spécialisé d'abord aux jeux et jouets, s'étend aujourd'hui
à toutes les branches de l'industrie. Il est ouvert aux arti-
sans de toutes professions, métaux, bois, cuir, papier, céra-
mique, tissus, etc., etc.
Le concours comprendra une section spéciale pour les
Sports et I'Aviation.
Le comité d'organisation adresse un pressant appel à
tous ceu.x cpii, avant créé une nouveauté, cherchent à en
tirer proht.
Le prix d'admission est à la portée des bourses les plus
modestes; il est, pour un mètre linéaire agencé, de 3 fr. 50
pour les sociétaires et de :i francs pour les non-sociétaires,
assurance comprise.
Des prix nombreux et importants en espèces, objets
d'art, médailles et diplômes seront attribués aux lauréats.
Le règlement du concours est adressé franco à toute
personne qui en fait la demande au siège social de la
Société des Petits Fabricants et Inventeurs français. 145,
rue du Temple, Pans (lU'i.
246
L'ART ET I.IiS ARTISTES
Bibliographie
LIVRES D'ART
Histoire de l'Art depuis les premiers temps chrétiens
j-usquA nos jours, publiée sous la direction de M. André
MicHKi.. — Tome III : Le Réalisme. Les débuts de
la Renaissance (Seconde partie). (Un volume in-S
grand Jésus de 512 pages, 291 gravures et 7 héliogravures
hors texte. Librairie Armand Colin, rue de Mczières, 5,
Paris. Broché : 15 francs; relié demi-chagrin, tête dorée ;
22 francs.)
Cette seconde partie du tome III, qui forme le si.Kième
volume de l'Histoire de l'Art, nous mène jusqu'à la période
de plein épanouissement de la Renaissance proprement
dite.
M. Marcel Reymond y étudie l'architecture italienne
du xv« siècle ; M. .\ndré Michel, la sculpture italienne de
Ghiberti aux dernières années de Donatello ; M. .A. Pératé.
la peinture en Toscane, à Rome, en Ombrie, à Venise, à
Padoue et à Ferrare pendant tout le cours du xV siècle.
Le développement de la peinture et de la sculpture
espagnoles jusqu'au temps des rois catholiques est e.xposé
par M. É. Bertaux. Les arts mineurs à la fin du moyen
âge et au début de la Renaissance sont étudiés par
MM. G. Migeon (céramique italienne), O. von Falke (orfè-
vrerie et émaillerie), E. Babelon (médailles). Le volume
se termine par un chapitre de M. G. Millet sur la dernière
évolution de l'art byzantin.
291 gravures et 7 planches hors te.xte, d'une exécution
admirable, ornent ce beau volume de 512 pages. L'aperçu
que nous venons de donner de sou contenu suffit à en indi-
quer la richesse et l'intérêt. Il continue dignement le magis-
tral ouvrage qui fait un égal honneur à la science et à la
librairie françaises.
Les Grands Artistes. — N'iennent de [jaraitre : Les
Peintres de manuscrits et la Miniature en
France, par Henry M.\rtin, administrateur de la
Bibliothèque de l'Arsenal. Un vol. - Frans Hais, par
André Fontainas. Un vol. (Chaque volume in-S avec
24 gravures hors te.xte. Broché ; 2 fr. jo; relié : ; fr. 50.
H. Laurens, éditeur, 6, rue de Tournon, Paris, \']'-.)
L'exposition des primitifs français, en 1904, mit défini-
tivement à la mode auprès du grand public les délicieuses
])eintures des manuscrits du moyen âge. L'un des orga-
nisateurs de cette exposition, M. Henry Martin, qui liés
longtemps s'est voué à l'étude de nos anciens enlumineurs,
présente dans ce livre un tableau succinct, mais complet,
de cet art charmant du miniaturiste. D'une lecture acces-
sible à tous, l'ouvrage est comme une préface à l'histoire
de la peinture française. Grâce à une illustration (jui ne
comprend pas moins de 34 reproductions des œuvres les
plus célèbres, on peut suivre pas à pas les transformations
de la miniature dans notre pays, observer les tâtonnements
du début, les progrès réalisés au xiil"^ et au xiV siècle. le
plein épanouissement au x\-<^ siècle, puis la décadence à
partir du jour où l'imprimerie est vulgarisée.
Le grand portraitiste de Haarlcm. Frans Hais, a été
jusqu'ici fort négligé par les historiens il'art. surtout
en France. Et pourtant nul plus que Hais n'a exercé
d'influence sur le renouveau de notre peinture, depuis
Courbet jusqu'à nos jours. La collection les Grands Artistes
rend justice à ce peintre puissant et encore mal connu. Nul
n'était mieu.x qualifié que M. André Fontainas. l'auteur
estimé d'une Histoire de la Peinture fra)i(:iise au A'/A''" siècle.
pour mettre clairement en valeur, avec une érudition par-
faite et une connaissance approfondie de son sujet, les belles
qualités de conception et d'exécution qui ont fait de Frans
Hais un des maîtres les plus passionnants de la peinture
moderne. Des illustrations, qui résument à souhait l'œuvre
de Frans Hais, rehaussent le prestige de ce volume, le
«piarante-septième de la collection des Grands Artistes.
.lean-François Raffa&lli. peintre, graveur et sculp-
teur, par.\RsÈNE .\lexandre. (H. Floury, éditeur, i, boule-
vard des Capucines.)
C'est toujours un événement littéraire et artistique ipie
l'apparition d'un livre de M. .\rscne .\le.xandre. Ses quali-
tés de documentation scrupuleuse, alliées à une imagina-
tion vive et à une originale interprétation de la vie. con-
courent, avec la forme très précise et très pure de son stvle,
à faire de ses ouvrages, même de critique ou d'histoire
artistique, une lecture attachante comme un roman.
Cette fois, c'est l'exposition considérable de l'œuvre de
Raffaëlli, cet été, qui lui a donné l'occasion d'écrire une
de ses plus curieuses et de ses jilus ty]nqiies monographies
d'artistes.
Rien de plus personnel et de plus divers <pie l'œuvre
immense de J.-F. Raffaëlli. Il va des tableaux de misère
ou de vie populaire du début aux grands portraits contem-
jiorains, comme celui de M. Clemenceau, d'Edmond de
Goncourt, d'Huysmans, et de ceux-ci au.x scènes de la vie
la plus raffinée, ainsi qu'au.x paysages les plus délicats et
les plus spirituels que l'école moderne ait produits.
Ce n'est pas tout : l'éminent artiste est étudié comme
graveur, sculpteur, écrivain, inventeur. Sa carrière est un
exemple superbe d'activité intellectuelle et de passion créa-
trice. C'est une belle et vivante figure, que le livre d'.Vrsène
.\lexandre a campée de main de nuiitr •.
Il faut ajouter qu'une magnifique illustration contribue
à rendre cet ouvrage une véritable œuvre d'art. Plus de
30 planches hors texte et de 150 illustrations répandues
dans le texte et hors texte, qu'elles suivent fidèlement,
font du livre un régal d'artiste et de bibliophile, à des con-
ditions de prix vraiment surprenantes.
Écrits d'amateurs et d'arlisl,s. Discoiir.-i sur la
peinture. Lettres au flâneur et \'oyaycs pitto-
resques, de Reynolds, publiée avec une introduction,
des notes et un index, par Louis Dimier. (Un vol. in-S
raisin illustré de 16 planches hors texte. Broché : ij francs ;
relié : 15 francs. H. Laurens, éditeur, 6, rue de Tournon,
Paris, VI<;.)
La collection des Écrits d'amateurs cl d'artistes, inau-
gurée il y a quelques mois par les .Mémoires de Charles
Perrault, se poursuit par la publication des Discours sur
la peinture de lieynoUls, ainsi que par celle de ses Notes de
voyages en Flandre, en Italie et dans les Pays-Bas.
Jamais l'école anglaise n'a été plus à la mode chez les
amateurs français. Il est naturel que chacun souhaite d'en
connaître l'histoire. Ce que cette histoire a de plus merveil-
leux, c'est la rapidité de sa création, (jui est due tout
entière à Reynolds, le peintre de !a cour royale anglai.se,
dont la récente exposition des « Cent portraits île femmes -
nous a fait admirer une fois de plus le proiligieu.x talent.
Rien donc ne vient plus à propos que ce livre. Les prin-
cipes qui présidèrent à la création de cette école anglaise
247
■ART KT LES ARTISTES
ck- ])<.-intuiv xmt rN|>(isr-, ]iar lvi->ni)Kl, liiiMiicnu-. Srs
HisCiiiiis siii !ii /i, ïi(/(ii.', prououci's dc-vuLit les (.■•tudiaiU'- lie
rAcadcmie de Londres, contiennent cet exposé en termes
d'une ampleur et d'une philosophie magniticpies. On y
trouve des jugements s\ir le- nuiitres de l'art motivés avec
une jnécision ]iariaite, et île plus tout un discours sur le
mérite de Gainsborough, particulièrement digne de
remanpie.
Les r,iVi(V'S /i(//e/cs,/»<>, puliliés pour la première fois
au complet, fournissent au lecteur attentif comme une pré-
paration tcchnu]ue des discours. Ils peuvent servir de guiile
infiniment précieux pour un voyage soit en Italie on nous
\iMtuu-< sucee-^u eiurul Koiue. Assise. Pérouse. Florence.
Maiitoue. r.oingiir. \riii-,e, etc.. soit dans les Pays-Bas où
l'auteur non- tondnit à Pruges. Cand, Pruxelles. :\Ialines,
Anvers. La ll.i\r, Ain-^lerdam, etc.
La traduetinii est nouvelle. J-es erreurs et les obscurités
de l'ancienne \ -ont heureusement éclaircies. Des notes et
une préface reiuleiit l,i lecture de ce volume facile et ins-
tructive, en même temps que i(> planches hors texte, reprr-
duisant des œuvres d'art et des scènes de l'Académie, en
complètent le charme.
Lis ]'ill, si/'Ail ,,lfhi:'i. — \u-ut dei).iraitre Aviynon
et le Comtat \'enais>in. inir Amjké H.m.i ws. (l'n
vol. 111-4, illustré de IJ- gravures. Proche ; 4 francs:
relie : ; fr.iius. H. Laiirens. éditeur, (•. rue cle lournon.
Paris. \ l'.|
Par l'imposante beauté de sou site, la grandeur de -on
histoire, la magnificence de ses miiuuiueuts du moyen ,àge.
le goéit délicat de ses constructions .lu x\ iir' siècle, l'abon-
dance de ses richesses artistiques, Avignon est peut-être la
ville de France la plus digne d'attirer l'attention des voya-
geurs. M. André Ilallays s'est efforcé démontrer les aspects
grandioses ou t li.irin.iuts de i c-tte ville extraordinaire, la
physionomie p.irlii uhei e qu'elle tient du séjour des papes
et de la longue doiiiin.iti.iii des légats italiens.
Le plus vaste et le plus i,l,4ire des édifices d'Avignon, le
Palais des papes. .1 1 ti iMguére enlevé aux troujies cpii
l'occupaient et la rest,iui .it ion des b.'itiments est commen-
cée. On trouvera d.iiis le livre de .M. André Hallays une
ra]n<le description du P.d.iis tel cpie nruis le révèlent les
premiers travaux de deblaienunt entrepris par les services
des monuments histompies.
L'auteur ne s'en est pas tenu au tableau de la ville, il
en a exploré les environs : sur la rive droite du Rhéme. les
admirables ruines de ^'illiihiifc-lcs-Avigii'in. et. sur la rive
gauche, le Comtat l'ciiaissiv. c'est-à-dire l'ancien État pon-
tifical, région incomparable qui, entre le \'entoux. le
Rhône et la Durance, présente de merveilleux paysages, et
où l'on rencontre les chefs-d'œuvre de l'art roman proven-
çal, comme l'église du Thor, la cathédrale de Vayson, la
cathédrale de Cavaillon, etc.
127 gravures reproduisant les monuments les plus
célèbres, les sites les plus caractéristiques d'Avignon et du
Comtat, complètent le charme de cet ouvrage appelé au
même succès que le .V<î;;tv donné précédemment par
M. André Hallays à l'intéressante collection des \'iUci
d'Art célèbres.
DIVERS
Correspondance entre Victor Hugo et Paul
Aleun'ce. IM'face de Jiles Ciaketii:. de l'Académie
française, (lùigène I-asquelle, éditeur. 11. rue de Grenelle.)
Contes de Caliban. par Emile Bergerat. fEugène
l'"asquelle. é<liteiir. 11. rue de (Crénelle. I
Petite Histoire de la Revue de fin d 'année. i>ar
Robert Dke'.fl-s. (Eugène Fasquelle. éditeur, u, rue de
(irenelle.)
L'Espritde M. de Talleyrand, par Lovis Thomas.
(lidltion des Uihliupliilcs fantaisistes.) (Dorbon aîné, éditeur,
;î 1,1. quai des C '.rands-Augustins.)
Ondine X'almore par Jacques Boulenger. (Édi-
tion des JSililh'p/iilis fantaisistes.) (Dorbon aine, éditeur,
;î /( ) , (pi.ii des Grands-Augustins.)
Les Printemps (poèmes), par Joachim Gasquet.
^Librairie académique Perrin et Cie, 35, quai des Grands-
.\iigiistins.)
.Aéropolis, par Henry Kistemaekers (illustrations
de Keiie Xintiiui. iKiioène Fasquelle, éditeur, 1 1, rue de
Grenelle.]
L'Esthétique positiviste. i>ar Christian Cherfils.
iLilirairie Léon \anier, éditeur ; A. ilessein, successeur, 19,
ipiai des Grands-Augustins.)
Les Napoléons [rialiti et nnai^ination), par Théodore
Iii/KET. (E. l'asijuelle, éditeur, 11, rue de Grenelle.)
Le Conte des Marennes et autres lieu.\, ]wr
X'alentix Mandelstamm. (E. Fasquelle, éditeur, ii, rue
de Grenelle. I
Les Ressouvenirs ipotsies). par Henri Fauvel.
(.\lphonse Lemerre. éditeur. 23. passage Choiseul.)
Poésies choisies, par Henri Fauvel. (Alphonse
Lemerre, éditeur, 23. passage Choiseul.)
Les Ames de la mer ipuésies), par Emilie de
ViLLERS. (Kudeval. éditeur, 4, rue Antome-Dubois.)
Israël {pièce en 3 netef), par Henry Bernstein.
(Eugène l'asquelle, éditeur, 11. rue de Grenelle.)
L'Enfant honuni). par Alcide Pépin. (Librairie
l'niverselle. jo. rue Saint-Marc.)
Justice paternelle {lomaii). par Alcide Pépin.
(Librairie Universelle, jci, rue Saint-Marc.)
Contemplations scientifiques, par Camille
Flam.marion. (Ernest I-'lanimarion, éditeur.)
Bridge {loinan), par Cosmo-Hamilton, traduit de
l'anglais par Mme Thérèse Berton, (Eugène Fasquelle,
éditeur, 11, rue de Grenelle.)
Le Médecin (i,'niaii\, par Charles-Edouard Lévy.
(Eugène Fasquelle, éditeur. 11, rue de Grenelle.)
248
GRANDS ET PETITS CHEFS-D'ŒUVRE
Wsf %|
C s^
^y^^
M. LEVETT EN COSTUME TURC (Jess:
L I OT A R D
%
-%s
L
\ i)lnmede I.io-
tard n'avait
ni la facilite, m
l'élcgantc précision
(le son crayon,
comme on pourra
s'en rendre compte
en lisant ces quel-
([ues notes ; et cela
est vraiment fortre-
t;ret table, car, étant
données l'excentri-
cité de son carac-
tère, son humeur
voyageuse, bon
nombre de pitto-
resques aventures
durent signaler ses
lointaines et folles
pérégrinations, l'n journal lidèlc, une sincère auto-
l'UKTRAIT KE I. .',K1
LUI-MÊME
biographie nous eût sans doute permis d'esquisser
ici de cet étrange personnage, trop peu connu
aujourd'hui, un portrait curieux et vivant.
Jean-Étienne Liotard avait en effet l'humeur
voyageuse au plus haut degré.
« Par la curiosité, comme jiar l'amour du mou-
vement, dit M. Edouard Humbert dans l'élude
qu'il a consacrée à son compatriote, il n'est pas
loin de nous rappeler l'un de nos vieux chroni-
queurs aux lointaines chevauchées, un artiste aussi,
en son genre, Jehan Froissart. Sans l'éloigner
d'ailleius du but souverain de l'art, les pérégrina-
tions auxquelles l'âge seul le contraignit de renoncer^
eurent l'excellent effet de féconder son talent et
d'accroître sa nouvelle facilite de travail. Où qu'il
se phit à séjourner, à ré.sider, à penser, il entrait
en commerce intime avec la nature ; et c'est ainsi
que, sans cesse à la recherche du vrai, il a donné
à ses œuvres la fraîcheur délicate et la grâce qui
ont vaincu le temps ».
251
L'ART ET LES ARTISTES
E.
^■î>^-
'^^
:''i»»i|é^^j(i,^:
Cl. Vizsavoiia.
LA SIGNORA LANETO DE PAROS (dessin)
Sans doute il nous est l'esté de lui j)lusieurs
lettres très caractéristiques de la nature de son
esjnit, et un certain nombre d'anecdotes fantai-
sistes relatives à ses excentricités ont été pieusement
recueillies par ses compatriotes genevois, puis nous
sont parvenues a\"ec une sorte de couleur de
légende. Mais, à \'rai dire, les renseignements
sur le personnage, sur les détails de son existence
si orageuse, si ballottée, sont trop incomplets pour
([u'on en puisse faire une biographie minutieuse,
et en essayer même une psychologie superficielle.
A défaut de ce journal, Liotard a fait cependant
œuvre d'écrivain en publiant sous ce titre : Traité
des pn')icipcs et des rci^lcs de la peinture, un ouvrage
dans le genre didactique, avec une éjiigra]ihe em-
ju'untéi' à V Art poétique d'Horace :
" Ergo tuiigar vice, cotis,^ acutum.
Reddcre (juae ferrum valet, exsors
[ipsa secandi ••.
I « J*-' f*"''''' donc l'office de la
pierre à aiguiser qui ne coupe point,
mais qui met le fer en état de cou-
per. "
Excusez du peu.
J 'ai eu le courage de lire jusqu'au
bout ce petit volume, qui parut à
Genève en 1781, et qui s'ouvre par
une extraordinaire épître dédica-
toire au nom de Corrège, que
Uotarcl, })ar im singulier caprice
de goût,ii)lace toujours en pre-
mière ligne parmi les grands maîtres
de la peinture. « Divin Corrège,
Appelle moderne, ô mon maître!... »
Cette h-rique invocation est suivie
d'une série de théories esthétiques
]ioncives. lourdement exprimées
dans un langage barbare ; et pres-
que toutes d'ailleurs, fort heureu-
sement, en complète contradiction
avec l'art si délicat, si lumineux,
jT . si distingué de notre artiste. Je
me souviens, entre autres divaga-
tions, d'une discussion interminable
sur " le fini du tableau sans tou-
ches et le grossier du tableau tou-
ché » qui. par ses formules gongo-
resques, ses arrêts décisifs, ses juge-
ments contradictoires, me plongea
dans une douce gaieté.
Mais brisons là avec le théo-
ricien d'art et occupons-nous du
simple artiste. Laissons la doctrine
pour l'a-uvre, le prédicateur pour
ier. Le sujet oftre plus d'intérêt.
lean-Étienne Liotard naquit à Genève, en 1702,
de parents français, qui s'étaient réfugiés dans la
ville forte du ]irotestantisme après la révocation
de l'Édit de Nantes. Dans ses. Renseignements
sur les Beau.x-Artsà Genève. J.-J. Rigaud consacre
quelques pages à Liotard. et nous en extrayons
les lignes suivantes, qui prouvent que notre
artiste, destiné à devenir un des petits-maîtres
les iilus distingues et les plus recherchés du
xviii^' siècle, ne fit pas exception à la règle, en
affirmant sa vocation avec éclat dès son âge
le plus tendre :
252
LAKT ET LES AKTISTICS
" Il y avait au collège de Ge-
nève, en l'année ijii, un enfant
d'un caractère vit, d'une figure
originale, meilleur camarade que
bon écolier, et dont les cahiers
offraient un mélange constant
de ligures tracées à la plume
ou au crayon et de thèmes ou
de passages latins. Parfois, les
écoliers se groupaient hors de la
classe autour de leur camarade :
celui-ci s'amusait alors à
crayonner leur portrait, et.
quand la ressemblance s'v trou-
vait, celui qui venait de poser
obtenait, au moyen d'une pièce
de trois sols, le chef-d'œuvre
qu'il emportait ensuite dans sa
famille ».
La voilà bien doctoralement
établie, la précocité de vocation
du jeune Jean-Étienne Liotard.
Son père, homme d'esprit po-
sitif et pratique, que les désas-
treuses spéculations de Law
avaient en partie ruiné, voulut
d'abord la contrarier ; mais, n'y
pouvant réussir, il lui donna, à
Genève même, un professeur de
dessin, appelé Gordelle. Bientôt
Liotard quittait l'atelier, presque
aussi habile que son maître,
pour se rendre à Paris, où il
étudia à l'atelier de Massé, bon
peintre en miniature, mais dont
l'enseignement était déplorable.
Il y séjourna peu de temps et,
après avoir pris les conseils de
Lemoine, qui, après l'e-xaniin
de ses œuvres, lui conseilla
vivement de ne ])eindre que
d'après nature, « ne connaissant
personne mieux capable que lui de la représenter «,
il partit pour l'Italie en compagnie du marquis
de Puisieu.x, ambassadeur de France à Xaples,
personnage providentiel qui, d'ailleurs, toujours le
favorisa.
La période des voyages, des aventures, des succès,
des triomphes va s'ouvrir.
Le voici donc en Italie, jniis dans les ilcs de la
Grèce, à Constantinople, en Asie Mineure, en
Autriche, en Angleterre, en France, en Hollande,...
toujours travaillant, toujours son cra\-on au doigt
et emprisonnant avec une prestigieuse maîtrise.
I A 61GNOR.\ MAKIGOT, SMVRNK idessin)
sur les feuillets de ses albums, dans le trait souple
et délicat de ses crayons de couleur, les traits des
paysannes de Chio, des effendis, des pachas, des
belles SnuTniotes, des hospodars, des em]K'reurs,
des brodeuses roumaines, des impératrices, des ser-
vantes hollandaises, des stathouders, des grands
seigneurs à la mode, des ladies, des princes et des
princesses du sang, des cardinaux, voire même
du pape Clément \TI, car, à peine débarqué à
Kome, Liotard, qui ne doutait de rien, put, grâce
à l'intervention du cardinal Biancheri, qu'il con-
naissait un peu, obtenir deux séances du pape, dont
il reproduisit au pastel la physionomie.
Liotard, dans une de ses lettres, rapporte même
253
LART Eï LES ARTISTES
que, i)eiulant une des séances, le Souverain Pontile
lui aurait dit : « Si j'étais peintre, je ne peindrais
jias le iiape. parce que, quand les jiapes sont morts.
leurs })ortraits vont aux... -
Peu de jours après avoir peint le portrait de Clé-
ment \'II, Liotard partit jiour Florence, et c'est
là qu'il fit l'heureuse rencontre de quelques jeunes
Anglais propriétaires d'un navire dont le mouil-
lage était à Xaples, et qui, sans aucune sérieuse
résistance desa part, le décidèrent à les accompagner
dans un assez long voyage qui devait être d'un prix
inestimable pour l'artiste.
La bande joyeuse s'embarqua à Xaples par un
jour de printemps et toucha d'abord à Capri, à
Messine, à Syracuse, à ]\Lalte. à Mile, à Parcs, à
Délos, puis à Cliio. à Sm\Tne, à Constantinople
enfin.
Jusqu'à ce jour, on ne connaissait guère l'Orient
que par la traduction des Mille et une Xiiils. de
l'abbé Galland.
Qu'on juge des nupressions éprouvées par Lio-
tard en se promenant sur les quais de Smyrne et
dans les bazars de Stamboul I
De ce pèlerinage au pa\-s du soleil, il rapporta
im très grand nombre de dessins, ceuvres d'une
traicheur et d'une expression délicieuses, et dont la
plupart dorment encore, sans doute, enfouies dans
des greniers de château.x.
Puissent toutes ces œuvres exquises sortir bien-
tôt de cette nuit de l'oubli !
Toutes cependant n'ont pas été perdues, et le
]Musée du Lou\Te a acquis, il y a quelques années,
de ^L le chanoine Gallet, une série de dessins, la
plupart exécutés en Orient ou dans les îles de la
Grèce.
Grâce à la faveur de ]\Iehemet-Aga. Liotard obtint
à Constantinople un succès considérable, et, après
avoir été accueilli au mieux par la société euro-
péenne, il fut très recherché des Turcs de distinc-
tion, charmés de poser devant lui malgré les pres-
criptions du Coran.
Lorsqu'il quitta Constantinople pour se rendre
en Autriche, où il était appelé, U était célèbre et
déjà riche, car chacun de ses portraits, pastel ou
dessin, lui était grassement payé.
L'orientalisme s'était si fortement emparé de
Liotard. qu'il fut sur le point d'épouser, confor-
mément au rite musulman, une charmante jeune
fille nommée ^limica. Puis, trouvant que la robe
et le turban lui allaient à merveille, il adopta le
234
L'ART ET LES ARTISTES
U liPlNAV (peinture)
costuiiU' turc, sous lequel il se présenta crailleur>
chez le inincc de Moldavie, dont il fit le portrait
ainsi que celui de la princesse et de sa tille. Il se
rendit ensuite en Transylvanie, puis en Hongrie,
et atteignit enfin Vienne le z septembre 174.;, tou-
jours sous son accoutrement oriental.
Son aspect extérieur de parfait musulman était
encore rendu ])lus frappant par une barlie flu\'iale
(pii descendait en cascades sur sa poitrine.
" Le peintre turc », c'est le sobriquet sous lequel
on le désignait, ne tarda pas à devcjiir l'homme du
jour. Il fut reçu à la cour et Marie-Thérèse, charmée
par la liru;-que originalité de son esprit autant
IHUt-étre que de son talent, le prit en affection.
11 quitta \'ienne comblé de faveurs, après avoir fait
les portraits de F"rançois de Lorraine, grand-duc
de Toscane, de Marie-Thérèse, de l'impératrice
mère, du prince Charles de Lorraine, de la sieur de
l'impératrice, de la princesse Charlotte, des archi-
duchesses et d'une foule de grands dignitaires.
De \'ienne, Liotard se rtndit à Paris après une
courte halte à Genève, où son étrange costume
])rochiisit un véritable scandale parmi ses graves
compatriotes.
L'ART ET LES ARTISTES
PORTRAIT 11 HOMME
L'accueil qu'il reçut à Paris ne le céda en rien à
celui de \'ienne ; ce lut à qui ferait faire son por-
trait jiar IJotard, malgré le jirix très élevé de ses
iniiindres croquis.
Le roi, la reine, le dauphin, le maréchal de Saxe
posèrent devant lui. 11 peignit aussi \'oltaire,
CrébilIon,Fontenelle,j)eut-étre même Jean- Jacques,
bien qu'aucune gravure ne soit restée du pastel
qu'il dut faire de l'auteur d'Éjnilc dans le courant
de l'année 1770.
Au sujet de ce portrait qu'il désirait beaucoup
faire, il eut avec le philosophe un curieux échange
de lettres, et nous demandons au lecteur de nous
autoriser à reproduire ici quelques passages de
celle qu'il écrivit de Genève à Rousseau, le 2 sep-
tembre 1765. Ces lignes, mieux qu'une longue ana-
h'se, feront ressortir toute la bizarre originalité
de cette étrange nature.
« Monsieur, le plus grand de mes jilaisirs est de
chercher à penser piurement, naturellement et
sans aucun préjugé. Nous n'avons au-dessus des
bêtes que la seule faculté de nous communiquer nos
pensées par le langage.... Sur tout le reste je cherche
à penser comme les animaux qui n'ont ni mau-
vaise habitude, ni iiréjugés.
I " J'ai des idées très singulières ; voici les prin-
cipales :
■I Nous devrions, pour vivre longtemps, être
rien, et marcher à quatre pattes ; peut-être
sommes-nous de la classe des animaux qui ne
doivent point boire, qui ne doivent pas dormir,
mais se reposer..,. Un médecin est un aveugle
qui peint. La médecine est une des sciences
les plus incertaines. Toute nourriture cuite est
moins saine, et plus elle cuit et moins elle
nourrit.
'• Je ne crois à aucun « on dit » sans
examen. Je crois que la loi naturelle est la
loi du plus fort et du plus adroit. Tout
homme qui veut vivre en société doit agir
selon cette loi de ne fake à autrui que ce que
nous voudrions qu'on nous fît.
" J'ai de plus à vous communiquer des
idées sur la peinture, singulières. Les prin-
cipes les plus essentiels sont des axiomes. J'ai
à vous faire voir des tableaux d'un nou-
veau genre de peinture et où la peinture
est poussée à son plus haut période et les
idées relatives à ce sujet à vous communi-
quer....
I " Je jiensais aller voir avec ^L Wilque....
^'ous me renvoyez cet honneur au mois d'oc-
tobre. J'eusse été bien charmé que ce fût
dans ce mois. Mais patience, j'apporterai ce
qu'il me faut et vous prierai de me donner quel-
P0KTK.\1T DE FEMME idissm)
256
L'ART HT LES ARTISTES
M°"' LONGNARD, DITE u \.\ DAMK AUX DENTELLES
257
L'ART ET LES ARTISTES
V'/^
yi'tKVovi^n
U^).
)T
naître que celui qui l'écrivit
semble, pour emplo\'er une
expression familière, avoir
reçu un joli coup de marteau
sur la tête.
Jusqu'à la tin de sa carrière,
Liotard se singularisa par des
excentricités extraordinaires.
Aux approches de la soixan-
taine, l'idée lui vint de prendre
femme, et il fut épouser une
jeune Française en Hollande.
.Malgré la disproportion d'âge
des deux époux, la chronique
ne nous apprend pas que
l'excellent Liotard fut mal-
heureux. Il eut même, phé-
nomène d'ailleurs peu surpre-
nant, plusieurs enfants de sa
jeune femme, près de laquelle
il termina paisiblement ses
jours dans un âge très avancé
après un nouveau voyage à
Paris et à Menne, regrettant
toujours sa robe, sa barbe
fluviale et son turban, dont
il avait, non sans chagrin, fait
le sacrifice à Mme Liotard.
lA SIGNOR.\ M.\K(>XliI.\ ul.ssiin)
ques moments jiour avon- votre ressemblance....
Il J'ai apjiris que vous \'ous étiez un peu amusé
de la peinture ou du dessin. Je serais charmé de
pouvoir vous aider à mieux faire.
Il J'ai l'honneur d'être, avec toute l'estime et
la considération possible. Monsieur, \-otre très
humble et très obéissant serviteur.
J. E. LlOT.\RD.
« Geuèvc, ; septembre 1765 ».
Il y a dans cette 1
mations très sensées
■ttie, j'en conviens, des affir-
et cependant il faut recon-
L ceu\-re de Liotard est
considérable. On peut dire
que de 1720 à 1788, pendant
une période de soixante-huit
années, il ne cessa de travail-
ler. Malgré toute la conscience
qu'il mettait dans l'exécution
de ses plus légers dessins aux
trois cravons, presque tous
ornés de légendes explicatives,
sa puissance de production
était prodigieuse. Tour à tour pastelliste, émailleur,
miniaturiste, graveur, il ne s'appliqua qu'en de
rares occasions à la peinture à l'huile. Et c'est
pourtant en ce genre qu'il a laissé, entre autres
essais, une de ses œuvres les meilleures, un très
intéressant portrait de lui-même à la fin de sa vie.
Portrait inconnu de la plupart des amateurs et
qui est devenu la propriété d'un descendait de
l'artiste.
Ses (euvres principales sont : la Belle Chocola-
tière du ^lusée de Dresde, reuvre exquise dans sa
grâce un yieu maniérée, que le comte Algarotti
acheta en 1745. J^our le roi de Pologne, au
prix de 120 scquins, c'est-à-dire 2 (140 livres :
2.SS
L'ART ET LES ARTISTES
'I J'ai acheté, ccrit-iL <lii lanuux Liotanl un tablfau
de pastel d'environ j pieds de hauteur. 11 reiiré-
sente en profil une jeune fille de chanilne alle-
mande, qtii porte un bassin sur kxjuel est un verre
d'eau et une tasse de chocolat. Cette peinture est
presque sans ombre, dans un fond clair, et elle
prend son jour de tleux fenêtres dont l'image se
réfléchit dans le vcrn , l'.llr r<t lr;n-;iill('-c à
malicieuse et mélancolique. Le visage est maigre
et fatigué, Liotard la peignit en 1738, lorsque,
très souffrante, elle vint à Genève pour être traitée
par le D' Tronchin. On ne jieut regarder cette
(euvre remarquable sans songer au ])ortrait
que Mme d'Epinay fait d'elle-même dans ses
Mémoires et Correspu)idciiiccs :
je ne <iii< ]w>int Julie ; je ne suis ce])endant pas
demi-teintes, avec des dégradations de lumière
invisibles, et d'un relief parfait. Quoique ])einture
d'Europe, elle serait du goût des Chinois, ennemis
jurés de l'ombre.... «: les portraits du maréchal de
Saxe, de la princesse de Galles, de l'empereur
Joseph II, de l'impératrice Marie-Thérèse, de
l'archiduchesse Marie d'Autriche, et surtout celui
de Mme d'Épinay, un petit chef-d'teuvre qui vaut
à lui seul un pèlerinage au Musée de Genève.
C'est une merveilleuse image, toute vibrante
d'expression. \'oilà bien la sjjirituclle et charmante
amie de Grimm. L'ne de ses mains tient un livre
à demi fermé, le Petit-Prophète de BoehmiscMwoda.
peut-être ; l'autre soutient sa figure à la fois
laide ; je suis i)etite, maigre, très bien faite. J'ai
l'air jeune, sans fraîcheur, noble, doux, vif. spirituel
et intéressant. Mon imagination est trancpiillc ;
mon esprit est lent, juste, réfléchi, et sans suite.... )>
Qui veut vraiment connaître Liotard et iiénétrcr
tous les secrets de son art, d'ailleurs juni mystérieux
et très sinij^lifié, n'a qu'à étudier ce portrait, admi-
rable synthèse de toutes les qualités du iieintre.
A lui seul, ce jiortrail suffirait à la gloire de Lio-
tard.
" Je ne sais, a dit M. Ingres, s'il y a un i>lus lieau
portrait que celui-là dans toute l'Italie. ■
On ne peut vraiment songer sans tristesse que,
jiarmi les u-uvres innombrables de Liotard, (luel-
259
I.'ART ET LES ARTISTES
ques-uncs s^ulcnuiU sont conmu'S du piililic.
Puissions-nous, par la publication de ces quelques
notes, contribuer à faire sortir de la poussière des
cartons celles qu'une coupable négligence y a
laissées jusqu'ici. Parfois je me plais à m'imaginer
ce que serait une exposition où figureraient jiar
centaines les jxistels, les cra\'ons, les croquis, les
gravures d'Etienne I.iotard.
Quel régal ])onr les amateurs persistants des
formes précises et des couleurs raisonnées ! Et cjnel
jirécieux enseignement aussi pour l'historien du
XVIII'' siècle, qui verrait soudainement revivre
devant ses yeux la plujiart des figures qui illustraient
cette époque, toutes reproduites avec la plus
grande sincérité sous le lumineux cra\on cl'un
Holhcin en pastel.
L'expression est du comte Algarotti, un des plus
fins connaisseurs de ce temps.
Armand D.-wot.
a. I •;.-.-,
M. PÉLER.-\N, CONSUL DE FRAN'CE A SMYRNE, i; \ I7_;>
260
E. DEZAUNAY
Jeune Bretonne
L'Art et les Artistes, ii» 54.
1 Kl 11^ I 1,1 M:
EMILE BOURDELLE
ON oppose volontiers l'art antique et l'art
du moyen âge, et sans doute dans leurs
périodes les plus pures, au moment où les caractères
spécifiques l'emportent sur les caractères généraux,
l'art grec et l'art gothique se différencient visible-
ment, le premier soumettant peu à peu les formes
à un code de beauté préétabli, le second, au con-
traire, recherchant surtout l'expression de la vie.
Ces périodes, que les uns tiennent pour celles de
parfait épanouissement, sont par d'autres consi-
dérées comme les ]:)remiers moments de la déca-
dence ; elles marquent en somme tout à la fois
l'extrémité d'une montée et le commencement d'une
descente. Or, si l'on a facilement constaté que l'art
ancien et l'art moderne se rapi)rochaient ensuite
aux temps de la Renaissance, on a moins aperçu que
les primitifs gothiques tenaient d'assez près aux
primitifs grecs et même aux l'gyptiens. L'un des
mérites du sculpteur Emile Bourdelle a été de s'en
rendre compte el d'en tirer le plus grand ))rolît.
Avant, en effet, que les sculpteurs grecs arrivent
à une grâce un peu apprêtée et convenue, avant
que les sculpteurs de France ai rivent à un vérisme
trop savant peut-être, ils suivaient, comme les
Égyptiens, des règles plus architecturales, conser-
vant les masses puissantes, soumettant complè-
tement le détail aux ensembles, reliant tous les
membres en de grands blocs, simplifiant les
silhouettes et donnant par cela mênre aux lignes
plus de pouvoir expressif. Une longue évolution
nous fait comprendre mieux maintenant le prix de
pareilles oualitcs. Et si on les connaît vraiment,
si l'on ne s'en tient pas aux apparences et aux
pastiches, si l'on donne une force nouvelle à ces
vérités antiques, une formule d'art tout à fait
intéressante en peut résulter. Emile Bourdelle en
aura été le précurseur.
Les dates d'un Masque de iw'r et de sa Mur-
261
L'ART ET LES ARTISTES
chaude de fleurs
(iS()i)) le mon-
trent a\'ant Mail-
loi préoccupé de
puiser airx sour-
ces égyptienne
et grecque ; et
dès la iiiênie épo-
que, en ses pre-
mières études
jujur son buste
de Beethoven, le
vieux tourment
gothique le trou-
ble ou plutcit le
dirige. Mais qu'il
s'agisse du mas-
(jue de noir ou
du masque de
Beethoven, c'est
la recheiche des
s\-nthèses qui do-
mine en son art;
rinnnoliilité de
l'un, le mouve-
ment de l'autre
ne détruisent pas
ce caractère pre-
mier.
S'il lallait
jioiu'tant classer
selon ce mode
quelques-unes
des (euvres d'É-
mile Bourdelle,
on rattacherait
sans doute à la série d'inspiration grecque la
Miirehaude de fleurs, la Fenuiie sculpteur au travail
(iqo;), VAngèle l'aleufi et le buste de .1/. Rou-
veyre. à la série d'ins])iration gothique le bas-reliel
des Couitjattauts, le (Itevalier Rnlaud. la Vieille
jemui- eu prière et la statue de Carreaux. Néan-
moins, de pareils classements ont toujours quelque
chose d'arbitraire, et la majorité des sculptures
d'Emile Bourdelle y échapperaient. Si attique
que puisse paraître la Femme sculpteur au travail.
inspirée précisément par un modèle athénien,
habillée d'un costume à jilis sinq^les qui rajjpellent
naturellement les draperies, il ne s'agit pas là
cependant d'une adroite reconstitution : la nature
de l'auteur se dévoile dans le groupement massif
des formes, à tel point que cette œuvre toute
greccpie d'inspiration est en même temps très
proche du phis primitif gothiijue ]iar le grand
caractère.
Emile Bourdelle n'unit d'ailleurs en lui le troût
C-\KPi:.\r.\ .\r TK.w.\ii.
1'..!;;!
l>last
c'est
harmonieu.x des
Méridionaux et
leur fougue. Ces
dons contraires
excellemment
équilibrés don-
nent à son art
une saveur par-
ticulière, en mê-
me temp3 qu'ils
en étendent la
signification et
la portée. Emile
Bourdelle à nou-
veau a réalisé le
vieu.x miracle dé-
jà opéré jadis par
un Jean Goujon;
il a fait sien, il a
fait français l'art
antique, il a fait
moderne l'art go-
thique. Ces élé-
ments divers se
tout fondus dans
son œuvre, et
si intimement
qu'il est, comme
je l'ai dit, im-
possible de trou-
ver des sculptu-
res qui dérivent
uniquement de
l'un ou l'autre
courant. Même
si l'on pense à
jtVi' Valent!, ce n'est pas seulement de la
ique grecque qu'on la peut rapprocher ;
aussi d'un Falconet ou d'un Goujon.
I-a nouveauté jaillit ici de la combinaison de
qualités en apparence dissemblables ou plutôt de
la découverte et de la mise en œuvre de ce que ces
qualités, malgré l'apparence, conservaient de com-
mun. J.'Héraklès. jiar son st\-le archaïque, se
rattache jnesque autant aux gothiques qu'à l'an-
tique. La fusion est absolument complète dans les
dernières œu\Tes, et l'une des plus significatives
à cet égard est l'admirable buste d'Ingres. Exécutée
en quelques jours, mais avec la science de nom-
breuses années d'étude, cette figure est Tune des
plus belles et des mieux venues qu'ait modelées
le sculpteur. L'énergie du mouvement et de l'ex-
pression, la puissance du modelé font de ce visage
imaginaire le plus vrai et le plus vivant des visages.
Emile Bourdelle n'a consulté le document que
2()2
L'ART ET LES ARTISTES
y
MATERNITE
263
L'ART ET LES ARTISTE^
COMBATTANT
jU-^ti' autant ([ii'il li
lallait ; il m- s'e^t
embarrassé de rien
d'inutile, et c'est
l'esjirit du niaitre
qu'il a surtout cher-
ché à traduire ; il
y a pleinement
réussi.
Il était du reste
excellemment pré-
paré aune telle œuvre
pai' de précédents
travaux. Dès long-
temps il avait esquissé
son effigie de Beetho-
ven : la premièri
étude en remonte a
i.SiSj. Hanté par ce
jirojet, il devait le
reprendre à di\'erses
reprises et ne donner
l'état définitif que
plus de douze ans
après les essais du
début. Le côté pensif
du musicien y est de
plus en [lins fortement
J -B. CARPEAU.X (buste, i.
accusé. C'est dans le
même sens qu'il con-
çoit son liuste de
('ar peaux, puis son
Car peaux au travail.
Le maitre est re-
])résenté debout, te-
nant d'une main une
rtatuette et de l'au-
tre la glaise à mode-
ler. La belle tête
songeuse de ce type
d'homme du Nord
au front haut, au.x
\-eux clairs, est admi-
rablement construite;
la blouse de travail
qui vient relier tou-
tes les fomaes est
traitée avec une lar-
geur, avec un sens
de la beauté sculptu-
rale tout à fait rares.
Tout est ici préparé
pour accrocher la
lumière, ou créer
l'ombre, et les oppo-
sitions de taches, la
264
L'ART ET LES ARTISTES
LA MARCHANDE DE FLEURS (iSog)
265
L'ART ET LES ARTISTE?
PKEMIHKK ETUDE DU i< BEETHf)\-EX •< n
))rolon(leiii des noirs, la force des accents donnent
à cette léuvre une remarquable ampleur.
Si lùuile Bourdelle revient, comme en son
Jn'clIidVi-ii, aussi Ircquemmcnt à la même leiivre,
c'est justement ])arce qu'il croit fermement à la
nécessité des synthèses ; chaque nouvelle épreuve
devient à la fois plus simple et plus exjiressive, et
c'est ce long travail de l'esjirit, de r(eil et de la
main (jui lui permet de créer maintenant d'admi-
rables ceuvres de premier jet, telles que le Jcnii-
Doniiniqitc Ingres ou la récente statue de Jeanne
â' Arc.
L'objet de cette recherche n'est pas seulement
la facture, mais aussi naturellement la ligne géné-
rale et le rapport des proportions. Le caractère
s'exprime en effet autant par l'attitude que par
la physionomie ; le mouvement du cor])s, k- geste
des bras, l'inclinaison de la tête contribuent, autant
que la phj-sionomie, à l'effet <ren>emble. Le \isage
penché du Beethoven contraste
ainsi avec l'allure décidée du buste
(l'Ingres. Telle vieille femme en
prière sera toute ramassée sur elle-
même, tandis qu'un des Comhat-
itints prêt à frapper de l'épée
dévelojipe tout son corps dans un
efïort suprême.
Lorsqu'il s'agit de la proportion,
il faut songer d'abord à la place
qu'occupera le fragment dans l'en-
semble, et là encore Emile Bour-
di'lle s'est fait l'élève des anciens.
Il veut ensuite accuser ime im-
pression de force et volontairement
il développe les muscles d'un tireur
d'arc ou la croupe puissante d'une
jeune femme nue. Ces éléments di-
\-ers peu à peu s'unissent en ses
leuvres pour aboutir à cette large
esquisse des Jeux de la mère et de
l'enjant et à ce Bélier africain d'un
admirable style.
J'ai surtout montré Emile Bour-
delle préoccupé des Egyptiens et
des gothiques ; mais l'homme est
trop cultivé pour oublier les maîtres
])ostérieurs, et l'un de ceux qui l'ont
dès le début séduit le plus forte-
ment est Léonard. Dans quclques-
imes de ses figures sculptées, Emile
Bourdelle a transporté le mysté-
rieux charme des visages du Vinci ;
il a obéi à son souvenir plus encore
en ses peintures et en ses pastels.
"" Car ce sculpteur-né est un merveil-
leux dessinateur ; sa connaissance
des formes lui permet d'établir largement les plans,
de serrer les modelés ; je n'ai pas à y insister ici.
Si Bourdelle est près de tous ces maîtres du
passé, c'est que. comme l'a dit Elie Faure, <' jamais
personnalité plus puissante ne tenta de gravir la
cime où vit l'impersonnalité ». Mais avec un héri-
tage aussi riche de qualités antiques, il est l'un de
nos artistes les plus modernes. C'est que notre
goût, lassé de la perfection d'exécution du détail,
\-eut des synthèses plus larges de la forme, veut voir
dominer le caractère dans l'allure générale aussi
bien ipie dans le morceau, et que ces qualités, nous
les trouvons dans les ceuvres du sculpteur des
Combattants, de la Femme au travail et du buste
iV Ingres. J'ai comervc pour la fin Lon admirable
étude de Maternité. S'il fallait encore insister sur
la richesse de l'héritage artistique d'Emile Bour-
delle allié à la facture la ])lus large et la plus mo-
deiiK-, une telle ceuvre, qui évoque les plus grands
266
L'ART ET LES ARTISTES
noms du passé et surtout les prédécesseurs de
Léonard, suffirait à compléter une démonstration
déjà vérifiée. Comme dans le buste d'Ingres, la
sculpture est d'une seule venue, d'une unité de
rvthme étonnante, et cette maîtrise de la traduction
permet à l'artiste d'exprimer lil)rement et ]irolon-
dément le plus ])renaiit peut-être des sentiments
humains : un sujet d'une signification si générale
est pour lùnile Bomdelle l'occasion d'un nouveau
et définitif triomphe.
Tkist.w Leclkkk.
UrSTE DK FEMME
267
MADEMOISELLE B. H.
UNE ARTISTE AMERICAINE
ADA
CLÏÏFFÛIS©=®AEME¥
SANS être ignorée du public français, puisqu'iuie
exposition de ses principaux pastels et de quel-
ques-unes (malheureusement très rares) de ses pein-
tures en ont réuni les suffrages l'automne dernier à
la galerie Bernheim jeune et Cie, Mme Clifford-
Barney mérite cependant d'être beaucouji plus
connue qu'elle ne l'est, non seulement à cause de
son talent, qui est très réel, mais encore et surtout
à cause des caractères si divers qui composent sa
personnalité artistique et que je m'efforcerai de
dégager dans cette brève étude.
Mme Clifford-Barney appartient à cette élite
américaine dont la suprématie tend là-bas de plus
en ]ilus à s'établir et qui, sans mépriser le génie
26S
L'ART ET LES ARlI^rES
commercial et industriel qui a iiennis la grandeur
de son pays, prétend cependant que ce gcnie-là
n'est pas tout et qu'il faut y adjoindre, jwur le ])lus
grand bien de la nation, les préoccupations d'ordre
moral, intellectuel, artistique dont l'ensemble cons-
titue l'ornement, le loisir, la beauté d'une société.
Dans les chaleureuses et précises études que,
presque chaque mois, Mme A. Seaton-Sclmiidt nous
envoie de Washington, elle nous entretient de cet
effort constant et tenace jiour élever le niveau
esthétique des masses auquel nous devons, entre
autres choses, d'aussi
curieuses institution-
que ces « Settlemeni
liouses )> dont nous
reparlerons tout à
l'heure, effort dont les
résultats heureux se
font sentir actuelk-
ment dans tous K-
Etats : de la Louisiani
à l'Orégon et de l.i
Californie au Jlary-
land, sur toute l.i
superficie de la jeum
république.
M. Jules Huret,
M. Paul Adam nou>
ont successivement
]iarlé de cet effort,
des réalisations par-
fois magnifiques au.\-
quelles il a donné lieu
et comment la cul-
ture générale, mais
l)lus particulièrement
celle de quelques-uns,
en avait profité. On
peut se rendre compte
([u'il y a déjà longtemps que les siije/s. si je puis
dire, entraînés à ces sports intellectuels ont dépassé
la période des tentatives gauches et attendris-
santes et que, avec les dons de jiatience, d'assi-
milation et d'activité propres à leur race, ils sont
arrivés à pouvoir être comparés aisément au.\
meilleurs des bons esprits de l'Europe.
Je le répète, Mme Clifîord-Barney appartient
à cette élite. Elle a de qui tenir. Quelque peu Fran-
çaise, d'ailleurs, elle descend, du côté maternel,
d'une famille normande que la Révolution obligea
à quitter la France et qui vint s'établir en Loui-
siane. Son arricre-grand-père y devint même juge
et notable et fut choisi par ses compatriotes pour
les représenter à la signature de l'acte par lequel
la France vendit la Louisiane au.x États-l'nis.
Le père de Mme Barney, amateur j)assionné de
MISS P.\TRICK C.VMPBELL (pastel)
musique, et qui habitait alors Cincinnati, a]irès de
longues objurgations à ses concitoyens pour les
amener à s'en occuper comme lui, prit la résolution
de faire bâtir lui-même, à ses frais, le grand Opéra
de Cincinnati, dont il fut le premier directeur et
qui remporta le plus grand succès. C'était à l'époque
où le prince de Galles, depuis roi d'Angleterre, fit
son grand voj-age en Amérique.
On peut considérer comme un triomphe, à ce
moment de l'évolution des Etats-Unis, que d'ar-
river à un tel résultat, surtout dans l'Ouest, et s'il
fut moins heureu.x en
essayant la même
chose à New- York, le
tait d'\' avoir pensé
demeure et honore
-j .mdement son esprit
liniiiative et son
iiiour désintéressé de
,irt.
C'est sans doute de
lui que Mme Clifford-
Harney tint cette dis-
position pour la mu-
sique qu'interrompit
fâcheusement une ma-
ladie après laquelle,
ne pouvant plus chan-
ter, elle s'adonna ré-
solument à la pein-
ture. Elle vint pres-
tpie aussitôt à Paris
pour y recevoir l'en-
seignement des maî-
tres. Elle en eut plu-
sieurs.î Retenons les
noms de Henner et
de M. Carolus-Duran
([ui furent les pre-
miers et celui de Whistler ([ui fut le dernier.
Très heureusement douée, il ne lui fallut pas plus
d'une année d'études pour arriver à faire un tableau
qui hit reçu au Salon : une Piiysaïuic russe, peinture
à l'huile.
Mme Clifford-Barney ne se contente pas de
peindre, de devenir ce spécimen humain si fréquent
chez nous ; l'être qui s'est si)écialisé dans un art
donné et qui, après avoir saisi quelques recettes
commodes, les applique éternellement. Elle s'inté-
resse à tout. Et en ceci, elle est bien de sa race. Les
recherches d'art décoratif, notamment, l'attirent.
Ainsi, c'est elle qui fit les plans de sa maison de
Washington et qui arrangea elle-même toutes les
dispositions de son intérieur, que les personnes qui
le connaissent s'accordent à déclarer entièrement
original et personnel.
269
I.'AKT ET LES ARTISTES
l'cintrr, -Mmi- ( litford-Barni-v tU surtout (k-:,
l>(iiliaits, it c'est surtout jmr ses portraits qu'elle
est connue', mais il ne m'a ]ias semblé inutile de
parler des ]iréoccuj)ations qui chez elle sont étran-
gères à l'art pictural proprement dit et qui cepen-
dant ne j)euv-ent que donner à cet art plus de ri-
chesse et plus d'intérêt. Car la perfection banale
à quoi l'on arrive en se s])éciali£ant est trompeuse
et appauvrit très sûrement et très vite les sources
de l'nisjuration. Je trouve dans la façon dont ces
portraits sont présentés, dans leur arabesque, dans
leur intensité plus ou moins accentuée d'expression,
dans toutes leurs nuances en un mot de psychologie
et de technique, des traces très caractérisées des
jiréoccupations décoratives et des spéculations
littéraires et intellectuelles qui, par ailleurs, occu-
ltent la pensée de leur auteur.
Le i)laisir éprouvé à regarder ces tableaux se
suffit certes à soi-même et il n'y a rien de gratuit
ni d'inexplicable dans les nuances dont je parle,
mais enfui il \-aut toujours mieux, en face d'une
(euvre d'art, savoir bien qui l'a faite. Ce qu'elle
pciil d'inattendu et de mystère est compensé par
ce qu'elle regagne à être pleinement comprise,
jusqu'en ses intentions et ses détails.
Nombreuses sont les personnalités de tout ordre
JI. c;.-K. CHESTERTON (pastel)
En Ain(Ti(|nc, il ai"ri\-f siin\'ent (]uc des ]iarticu-
lit-rs (ir.^'aniscnl des cspèi es de \"entes de cliaiité :
ccréMKinics aitisli([ues pour lr--(pielles ils loucnl
la salle d'nn tluatie un ils donnent de \-érital)les
représentai iniis. non pas en vidgaires amateurs,
mais a\ic le ^oin, le ^('lieux et la conscience cle
inoirs>iiinncls. Po\u ces Irtis. ^liiie Clifford-Barney
composa le texte des opérettes et autres pièces
rei)rcsentécs et aiian,i,'ea é,t;alement des décors.
J'ai jiarh'', ([ueliiues para,i,'r.Lphes |)lus haut, des
" Settleuirnt lionses i-. Ce -ont des chilis Jionr les
]iauvres ; et xi.inncnl l'on ]ieut affirmer cpie ce
genre d'in\entioiis ne llenrit (ju'aux Etats-Unis.
."Mors (jue chc/, nous, d.ins les misérables réduits où
l'on héberge les ]Mu\-ies, on se contente de leur
donner à manger, là-lias on s'efforce, en outre, de
leur inculquer le goût des jolies choses; on les inté-
resse à des travaux artistiques ; broderies, fers
forgés, tressage de paniers indiens, que sais-je ?
mille choses capables de leur faire trouver la vie
moins aride et par conséquent de leur redonner le
goût de l'action. Mme Clifford-Barney s'est occupée
de ces i' Settlenient liouscs > avec beaucoup de
sollicitude : elle dnige, choisit les gens capables
d'enseigner dans ces écoles d'im genre si spécial.
En un mot, son activité ne \'eut rien négliger de ce
qui la sollicite.
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M. G. -BERNARD SH.\W (pastel;
270
L'ART HT LES ARTISTES
(Qu'elle a peintes. Citons, biièvenunt, la lille du j)ié-
sident Roosevelt : la princesse Alice; John Calhoun,
le grand homme iiolitique américain (portrait dont
l'Etat ût la commande pour le Ca]>itole) ; la com-
tesse de Suffolk, sreur de l'ex-vice-reine des Indes,
lady Curzon; Mme Delarue-Mardrus; José de
Charmoy; Mme Emma Calvé; Bernard Shaw ; son
rival, M. G.-K. Chesterton ; miss Patrick Campbell,
la créatrice de la Seconde Mme Tanqueray de
Pinero (nous reproduisons ici ces trois derniers
irortraits).
Éprise de psychologie, elle trouve, à bon droit,
que sur ces figures illustres les marques de lu beauté,
de l'intelligence, de la domination et du rêve se
sont plus profondément enfoncées et sont plus
visibles. Elle s'efforce de les rendre.
Intuitive, elle saisit vite le caractère essentiel
d'une physionomie, l'aspect principal et permanent
autour duquel, semble-t-il, évoluent, pour aussitôt
disparaître, les autres aspects, fugaces et momen-
tanés. C'est en cela que consiste son étude; mais,
une fois l'aspect découvert et l'inspiration venue,
alors, elle s'y li\Te simplement et travaille, avec viva-
cité, avec fougue, et finit en quelques heures. Il lui
est impossible de reprendre, de retoucher le travail
matériel. C'est ce qui donne à toutes ses œuvres
cette apparence spontanée, large et légère qu'elles
MISS LAUR.\ CLIFrOKD-B.\KNEV l.i
IMStvI;
ont et qui est parfois si séduisante ; c'est aussi ce
qui explique sa prédilection pour le jirocédé du
pastel, qui ne permet presque jias le repentir et
dont elle use d'ailleurs suivant la plus classique
tradition, effleurant le pajner où de grands blancs
ménagés laissent le maximum de lumières.
Cette fougue, cette ardeur, cette rajndité d'ex-
]ircssion graphique inquiétaient même quelque
peu W'histler, qui lui dit un jour, avec son humour
brusque : « Yoii are too élever. Becarejul! »,
jjhrase presque intraduisible (i) qui, dans la bouche
du raffiné et scrupuleux technicien qu'était Whist-
1er. signifiait moins un reproche que la constata-
tion d'un tempérament pictural très éloigné du
sien. Pour moi, j'avoue estimer j)leinement ce con-
traste produit entre l'intensité de ces physionomies
et la largeur des traits qui les représentent. On y
voit que tout le travail a été celui dv la réflexion :
c'est le seul qui vaille. Après tout, n'est-ce pas le
même W'histler qui, dans un jirocès fameux, aflirnie
le droit de l'artiste à la production rapide d'une
œuvre qu'explique un long travail préparatoire :
VERS LA FIN (pastel)
(i) Clever ne signifie ([u'approximativenient habile ou adroit.
11 s'y joint, dans une proportion difficile à préciser, le sens de
rapidité d'intuition et d'intelligence qui en nuxiifie flatteuse-
ment l'effet fâcheux.
IJl
L'ART ET LES ARTISTES
« J'ai mis quinze ans à pmivt)n- fane co tableau en
huit jours, d
Parler des expositions récentes ou actuelles de
;\Inie Clifford-Barney en Amérique ne serait ])as
apprendre grand'chose au public français. Ce (pii
peut l'intéresser davantage, c'est de savoir que
cette artiste exposera à Paris le printemps prochain,
et cette fois sans doute davantage de tableaux que
l'automne dernier où elle ne présenta guère que
des pastels. Nul doute ([ue ce ne soit mieux que
très attachant.
Je ne vomirais ]ias terminer cette trop courte
étude sans dire que. marchant sur les traces de
leur mère, les deux lille> de Mme Clifford-Barne}-
— et qui lut ont toi t souvent servi de modèles —
s'occupent, elles aussi, de questions d'art et de pensée :
l'une, miss Laura, dont nous reproduisons deux
effigies, a traduit du ])ersan en anglais les Leçons
de Saint- Jean d'Acre, li\'re du jirophète Abbas-
Effendi dont l'influence lut grande sur l'émanci-
pation de la Perse et sur le développement des
idées modernes en Orient ; l'autre, miss Natalie,
jKuticulièrement attirée par les questions de pro-
sodie française, publia naguère un livre de vers
et va bientôt nous en offrir un autre.
Comme on le voit, ainsi précédée, ainsi suivie,
Mme Clifford-Barney, artiste sensible, délicat
et intellectuel, portraitiste pénétrant et véhément,
esprit ouvert à toutes les manifestations esthé-
tiques, ne doit point se sentir isolée dans le culte
actif et sincère qu'elle rend à l'idée du Beau.
Fran'cis de Miomandre.
MISS LAURA CLIFFORD-BARNEY ipastel'
272
'^t-ApoUinairc, Ravenne.
MOSAÏQUE DE LA NEF PRINCIPALE (VI' SIECLE) idctaiij
VARIETES
AU
u
L
TU
ETANT donné un costume, une toilette... ou ce qu'en
peinture on appelle un ajustement, comment
distinguer avec certitude les cléments de beauté
permanente qu'il faut choisir, soit pour les peindre,
soit pour les porter, des éléments de mode périssable
qu'il vaudrait mieux rejeter? — Voici le problème
tel qu'il s'était posé dans mon esprit à la suite d'une
visite chez une charmante femme qui, voyant mes
regards fixés sur son portrait par le célèbre X...,
s'était répandue en lamentations, parce que ledit
portrait, peint seulement il y a cinq ou six ans, la
représentait dans un costume démode, désormais
ridicule, dont souriait tous ses visiteurs.
Eh bien, quoiqu'il ne puisse y avoir à ]5ropre-
ment parler une Loi dans une question où rai)])ré-
ciation personnelle est après tout seule importante,
et que l'instinct de l'artiste, comme celui de la
femme, doivent toujours prédominer, je crois avoir,
en creusant le problème, trouve trois principes qui,
en cas d'hésitation, seraient certainement très
utiles pour vérifier la valeur de l'instinct et com-
Ixitlrc l'intluence inconsciente' (|uc les .iroùts du
jour, les goi"its de l'heure, nous font subir à tous,
artistes comme gens du monde.
Je vais tout d'abord énoncer ces trois principes
sous une forme concise et je tâcherai ensuite d'en
démontrer le bien fondé jiar des exemples.
Premier principe : Tout élément qui, dans un cos-
tume ou un ajustement, est une cause de déformation
de la structure du corps et donne une apparence arti-
ficielle et fausse à la conformation normale doit être
absolument rejeté.
Second principe : Tout élément qui laisse voir,
explique ou affirme la construction de l'être, ou
amplifie ce que nous considérons comme des beautés
humaines, doit être soigneusement choisi et retenu.
Troisième principe (qui s'adresse spécialement
aux artistes et qui conditionne les deux autres) :
Lorsque, dansun costume, un élément(ou des éléments
et parfois le costume tout entier) a un but d'utilité
réelle, qu'il est en quelque sorte nécessaire au rôle
ou à la vie du personnage, il a par cela même une
273
I.AKT F.T LES ARTISTES
MARS BUKGHESE
7<(i!t-!ir th- Cdi-actci-i- tV // dtn/ ctrc conserve.
Analysciiis maintenant chacun de Cl■^ ]irinci])es.
et ^■|ly()ns t(int d'alniKl dans le incniicr ce cju'cst
un élcinciit pniiriiiif donner une (ipf>iirence arlificicUe
et fausse à ht structure du corps.
Mon Dieu, dans la ])ériodc contemporaine nous
n'aurions c}ue l'eniliarras du choix; rappelons-nous
du récent passé les tc.iurnures strapontins de ces
Dames, les ])antalons ])ied-d'éléphants de ces Mes-
sieurs, etc. Actuellement nous avons une nouvelle
anatomie. revue et corrigée à chaque saison par
Messieurs les Couturiers et Mesdames les Corse-
tières, et suivant leur inéluctable décision les
«estomacs» sont refoulés en lias. — parfois, liélasl
sans la force de protester, — les hanches sont rabo-
tées, les ventres mis en hiite, etc., etc.
Mais, avant tout, il serait peut-être nécessaire
Yiouv notre analyse de ]M-endre comme base de com-
paraison deux beaux types de notre humanité,
deux êtres d'une anatomie parfaite, — par exemjile,
cette délicieuse Vénus de Médicis, si féminine, et
ce superbe Mars Borghese, appelé aussi l'Achille,
si mâle — et d'essayer sur eux les costumes des
différentes époques. Nous verrions quelles modifi-
cations ils causent à leurs formes splendides, et
s'il y a, comme je le prétends, une relation exacte
entre le caractère de ces modifications et l'admira-
tion esthétique accordée à ces costumes.
Remarquons jtremièrement que. durant la regret-
table période où ces deux êtres pouvaient exister,
point de costume était déjà un admirable cos-
tuine,... et en les regardant il nous est certes aisé
dr le comprendre ! Mais, hâtons-nous de le dire,
point de costume était une toilette exceptionnelle
qui- l'on mettait pour des jeux, des luttes, certaines
lètes ci\'iqucs ou religieuses, mais, en somme, dans la
\ic ordinaire, ces êtres-là étaient très habDlés.
Eh bien, si vous voulez passer rapidement en revue
tout le costume de l'antiquité classique, — ce cos-
tume qui ])endant des siècles et des siècles a pu
retenir l'intérêt et l'admiration de tous, à tel titre
qu'aujourd'hui encore il est d'usage en peinture, —
\ous ne trouverez pas un seul de ses éléments qui
soit une cause de déformation ])Our la noble struc-
ture de nos héros. L'Achille peut jeter la chlamj'de
sur ses épaules pour une belle chevauch'ée dans les
]ilaines attiques, il peut au retour passer sa tunique
et s'envelopper du pallium pour aller au Pirée ou
au Céramique,... son exquise compagne peut se
\'êtir des plus lu.xueuses draperies, mettre les unes
par-dessus les autres jusqu'à six tuniques de trans-
jiarence et de longueur diverses en les fixant à
l'aide du cinetus ; elle peut suspendre les inaures
à ses oreilles, se ganter des digitales ;... tous deux
ainsi parés n'en laisseront pas moins deviner leurs
corps splendides, leurs proportions admirables.
Si, d'Athènes, ils passent à Rome, ils n'auront
guère qu'à allonger un peu leurs draperies ;
le pallium deviendra toge pour l'Achille, la
tunique deviendra stola pour la Vénus, mais en
somme, plus ou moins long, plus ou moins ample,
jilus ou moins décoré, leur costume restera toujours
composé des deux parties essentielles : l'indutus,
vêtement de dessous fermé, équivalent à peu près
à ce qu'en bon français on appelle une chemise, et
l'amictus, vêtement de dessus ample et flottant,
dont ils s'enveloppaient, en réalité draperies, c'est-
à-dire étoffes souples, auxquelles le corps lui-même
donnait sa propre forme.
Le seul exemple peut-être d'un commencement
d'ajustement artificiel serait la j)ièce supplémen-
taire que les femmes à la mode fixaient sous la
seconde ceinture de leur stola,... et qui tombait à
terre, cachant les talons et traînant sur le sol de
quelques centimètres, — comme vous pouvez le
voir dans plusieurs statues antiques; — c'était l'ins-
tita, première tentative d'apport inutile, perpé-
trée par un cerveau féminin,... et dont l'aboutis-
sement terrible a été la tournure moderne !
Je n'ai jias la prétention de faire un cours de
costume en quelques pages, et, ne cherchant
actuellement que des causes de déformations, je
passerai rajjidement sur les époques antiques et
sur le moyen âge pour en arriver à la Renais-
274
L'ART ET LE^
ARTISTES
sance. Dans les époques intermédiaires, en effet
je ne jwurrais guère trouver de réelles déforma
tions.
Durant la décadence romaine, le costume fut
toujours beau, et de même, aux premiers tcmi>-
du christianisme, les vêtements portés jjar 1( -
chrétiens des catacombes sont de simples et
beaux ajustements. A l'époque suivante, qu.
j'appellerai byzantine, c'est la décoration du vr
tement qui se dévelojijje et jirend une imjjortanc ^
exagérée, mais le vêtement est encore draperit
De même, après l'an looo en Italie, la patrie dw
beau et du noble par excellence, je ne puis trou
ver dans mon superficiel examen d'éléments fran
chement artificiels dans le vêtement. Il s'est faii
il est vrai, un grand changement : les draperie-
se sont transformées en costume, mais costunii
ajusté sur le corps et ne j)ouvant qu'en accuse i
et en expliquer les formes. Ici encore notr<
\'énus, notre Achille paraîtront ce qu'ils sont : K
toise puissant de l'homme fera bomber le justau
corps, son jarret nerveux apparaîtra sous K
maillot collant,... et si dès lors — et surtout
un peu plus tard — les étoffes commencent à
s'alourdir, changeant les souples tuniques en gaines
roides et en jupes pesantes, au moins les belles
proportions d'un corps sont-elles respectées.
Nous pouvons traverser la renaissance italienne,
nous ne noterons la déformation qu'à titre acci-
dentel.
ilais, je l'ai dit, l'Italie est la patrie du Beau, et si
les êtres qui y vivaient en ces temps avaient l'ins-
tinct du goût et de la distinction, il n'en était pas
de même dans les Flandres, ni dans les contrées
germaniques,... et là, aux mêmes époques, nous
trouverons ample matière à nos remarques.
Par suite d'influences de race et de conditions
climatériques produisant une psychologie spéciale,
nous constatons dans ces pays une difficulté évi-
dente à la compréhension des beautés anatoniiqucs.
Le corps humain n'est plus admiré en lui-même, il
est seulement le mannequin devant servir à la
montre de lu.xuriantes étoffes. Ces races aiment le
luxe et le faste non tant pour leurs propres beautés
que parce qu'ils témoignent de leurs richesses et
de leur pouvoir de dépense,... et la conséquence en
est une invraisemblable extravagance en fait de
costume !
Cène seront guère les artistes qui nous documen-
teront à ce sujet ; ils se refusent généralement à
représenter de telles absurdités ! Ce sont les chro-
niqueurs qui nous racontent les robes d'une
longueur de douze aunes portées j)ar les femmes,
les jaquettes de Bohême, aux manches si longues
qu'elles traînaient à terre, portées par les hommes.
\'o\'ez-vous notre héros grec affublé de cet habit
VENUS DE MEDICIS
de mascarade,... ayant à ses jiieds les longues
chaussures à la poulainc dont la pointe se terminait
en griffes de lions, en queues de scorpions, en têtes
d'oiseaux ! Il pouvait, il est vrai, troquer sa jaquette
au.x manches traînantes contre une cotte brodée
d'animaux, ou de devises, ou de notes de musique ;
on pourra ainsi lire une petite histoire ou chanter
une chanson sur son dos....
Notre pauvre \'cnus. afin de dignement l'accom-
pagner, choisira une robe bariolée sur laquelle seront
figurés des licornes, ou des léopards, ou mieux
encore des hommes .sauvages. Comme coiffure, elle
aura un de ces cônes monstrueux ou un de ces extra-
vagants croissants dont l'existence aujourd'hui
nous paraît invraisemblable ! Ainsi harnachée, elle
pourra s'asseoir, sans confort je le crains, sur un
siège représentant une jx^tite cathédrale dorée
et sculptée.... Un autre jour, elle saura varier
son plaisir et manifester plus complètement sa
richesse en s'emprisonnant dans une robe cou-
verte d'hirondelles en orfèvrerie, chacune de ces
hirondelles tenant dans son bec un bassin d'or.
On a compté, dit un chroniquem", 1400 de ces
bassins sur un costume ! Et, dans un autre,
900 grosses perles étaient employées à broder
une chan.son sur l'habit !
Bref, c'est un vrai carnaval !
Quel dégoût éprouveront nos deux héros en sen-
275
I.'AIvT ET LES ARTISTES
FEMME DRAPEE (\I' SIÈCLE .W. J.-C.)
(fouilles de Delphes)
tant leur ci)r]is splciitlidi" tra\-i'sti ut j>aial\sé ridi-
culeiiKiit i)ar ces 1,'rott'sqiR's appareils ! Coinhien
regretterunt-ils alors l'ample et sciu])le draperie,
la caressante tunique dont leur corps se \'oilait ou
se dénudait si à l'aise !
^lais je veux en arri\er \'ite aux dclorniations
des costumes modernes dont l'exemple est i>lus
lra]i]iant jiour nous. Notons seulement en ]xissant
les modes de ce ])ays tlans les époques immédia-
tement précédentes.
Que pensez-vous de notre W-nus soumise aux
paniers Louis XV? Et plus tard suivant la mode
de certaines coiffures Louis XVI : à la Belle-Poule,
aux jardins d'Armide, etc.? Ces coiffures n'avaient
guère que 80 centimètres de hauteur ; dans la pre-
mière les cheveux figuraient une mer orageuse,
gonflée par le souffle colérique de Borée. Quelques
frégates et vaisseaux de haut bord — en miniature
— s'y balançaient avec furie ! Dans la seconde, ce
n'était que bosquets et pourpris, mails et quin-
conces, que traversaient des allées sinueuses ren-
contrant çà et là des imitations de fontaines et de
pièces d'eau ; le tout en cheveux !
En revanche, si notre belle amie n'a pas porté sa
coiffure et sa tête sur l'échafaud, elle pourra,
quelques années plus tard, se promener demi-
nue, un simple ténia autour des cheveux, dans le
jardin du Palais-Royal sous le prétexte de faire
len. litre le costume antique.... Pouira-t-elle donc
.linsi retrou\-er les impressions si lointaines d'une
]ironienade aux jardins d'Académus ?... Hélas!
non. car son ami l'escorte, ridiculement attifé de
ce faux col de mascarade, de ces revers d'habit
carnavalesques, de cette frétillante queue de
< lown,... vrai attirail de saltimbanque, bon pour
une parade de foire....
La vie d'Athènes est bien morte !
Arrivons enfin à l'époque moderne proprement
dite et voyons les déformations dont quelques-uns
jianm nous ont été témoins oculaires.
De lointains souvenirs d'enfance me permettent
de revoir, quelque peu vaguement, cet objet bizarre
dénommé crinoline. Pourrait-on jamais croire,
■-ans l'avoir vu soi-même, que ce baroque attribut
fut un élément de toilette féminine ? Il s'accompa-
gnait, et en parfaite harmonie, je dois le reconnaître,
des manches dites pagode. Toutes nos mères —
])ardon, toutes vos grand'mères — en ont porté....
Et elles étaient charmantes ainsi, s'il faut en croire
nos pères et vos grands-pères. Charmantes ainsi !
(Combien plus charmantes alors eussent-elles été
autrement !
\'oilà certes un bel exemple d'apparence artifi-
cielle et fausse donnée à la structure normale,... et
exemple d'autant plus complet que cette mode
n'était pas seulement l'attribut d'une caste peu
nombreuse, oisiv'e et dépravée, comme certaines
modes historiques aussi étranges ; non, c'était d'un
emploi général : aristocrates ou petites bourgeoises
s'affublèrent de ce comique ballon, dont l'usage,
semblerait-il, devait terriblement compliquer la
vie !
Que ceux qui n'ont point vu, de leurs veux vu,
la crinoline ne se plaignent pas trop ; il leur est
resté la joie des tournures de nos Dames, la gaieté
des pantalons pied-d'éléphants de nos Messieurs.
\'ous pourrez examiner dans un recueil ethnolo-
gique les différentes tenues de l'être humain dans
tous les pays et dans tous les temps,... et vous cons-
taterez alors avec tristesse... que chez les Patagons,
comme chez les Papouins, chez les Groenlandais,
comme chez les habitants des îles Marquises, on ne
trouve rien de plus extrême comme aberration du
goût et dépravation du sens esthétique ! Cette fois,
je n'aurai pas le courage d'infliger cette honte au
corps divin de la Vénus ! Même pour un franc rire,
je refuse de ridiculiser ce que j'aime,... et nous
resterons entre nous pour essayer ces horribles
choses : tournures, chapeaux de haute forme,
pieds-d'éléphants, corsets et appareils orthopé-
diques divers, etc.
Je vous ai montré le côté un peu gros des défor-
mations du costume moderne ; néanmoins, tout
L'ART ET LES ARTISTES
._ ~ ! 1 .IION Dr VEAT IM)K ,i.-t.iil)
Le tékmcnt de la figure centrale e%t le type du beau costume lieiiaissance.
277
L'ART ET LES ARTISTES
superficiel qu'ait été mon examen, j'espère qu'il
vous aura sulfisanunent fait comprendre la vé-
rité du premier principe et la valeur de son
apjilication.
\'o\-ons maintenant celui (jui \-iont ai>rès :
Tout clément qui laisse voir, t.x'l'lit/iu- on ajfiniic lu
amslnuiioii iiorniuh- de relie, oit eiieore uiiipli/ie ee
(/lie nous coiisitiéniiis coiiiiiie lies heiiulés liiiniaines,
doil être soi'^neiiseiiienl choisi et consereé.
La première recommandation est d'une vérité
lmi]nde : tout cicinent
qui laisse voir la coiis-
Iniclioii de l'elrc doit
être conservé, ("est bien
évident, jniisque, les
formes du corps humain
étant imnuiables et au-
ilessus de la luode,
nous sommes cirt.iins
(l'avoir en leur repré-
sentation im élément
d'intérêt durable c\ per-
manent. I,a forme d'un
cou, le contoui d'un
bras, le modelé d'une
Ljori^e ou d'tm do^ ne
s.iuraient \-ieilln ! Certes.
aucune lenmie portrai-
tmée ne se phiindra que
sa mique ne ^oit plu>
à la mode ou qti'.' ses
épaules soient siu'an-
nées ! Le nu est pour
nous une vérité dont
nous ne devons jamais
jierdre l'occasion... et
teinte forme de en^tume
on d'ajustement qui
1.1 fusera \'c)ir un beau
morceau île corps doit être siii^neusement conser-
\éi', il n'est pas besoin d'y in>istc'r. ]v dis, après,
qui- l'on ili-\-ra choisir tout élément exf^li quant ou
ajlinnant la construction du corps. Que juiis-je
l'Htendre par là? Jlais, mon Dieu, il suffira d'exa-
miner les beaux costumes des diftérentes époques
poiu" comjirendre ma pensée.... Pourquoi, par
exemple, le costume de guerrier antique est-il admi-
rable ? Mais simplement parce que cette cuirasse mo-
delée sur la poitrine, ces cnémides ajustées sur les
janrbes ne font qu'expliquer, qu'affirmer l'anato-
mie de l'être. Rappelez-vous ces torses d'empereurs
romains avec leurs belles divisions ornementées.
Toute la partie décorative n'est qu'une affirmation
des dessous osseux ou musculaires.
Eh bien, dans tous les beaux costumes des belles
époques, au xni>' siècle italien cornm,^ à la Renais-
M.M{C-,\URELE
sance, vous trouverez toujours ce principe appliqué.
Vo\'ez les armures si ingénieuses de Botticelli, de
Mantegna, de Cellini, voyez les admirables cos-
tumes des tableaux vénitiens, ils sont toujours une
explication, une affirmation du corps, un revête-
ment correspondant à ses proportions générales.
Dans la toilette des femmes, quoi de plus beau
que ces ornementations du corsage et des hanches
révélatrices des formes abritées. Parfois encore
actuellement dans les modes modernes on peut
retrouver une explica-
tion du corps ou tout
au moins le respect de
Ses jiroportions. Cer-
taines formes de blou-
ses, de corselets, d'épau-
lettes, peuvent être bien
]iroportionnées, logique-
ment divisées par les
garnitures, et donner
ainsi une très réelle im-
j^ression de beauté. LTn
sim]ile veston d'homme
peut avoir une beauté !
Sa coupe, ses divisions
])euvent correspondre
avec les proportions du
corps....
Par exemple, suppo-
MZ un veston ordinaire
avec des poches de poi-
trine à droite et à gau-
che ; si les petites bandes
de fermeture sont à la
hauteur des pectoraux,
leur bouton correspon-
dant au mamelon, l'as-
pect du vêtement ne
sera pas désagréable, il
aura une harmonie. Placez les poches lo centi-
mètres jilus bas. ce sera fausser les proportions.
Bien entendu, tout élément qui dans un costume
pourra être ou devenir draperie sera retenu :
dentelles, écharpes, pèlerines souples, etc., toute
étoffe, tout tissu auquel le corps lui-même peut
donner sa propre forme.
Maintenant, qu'ai-je pu vouloir dire en ajoutant
dans ce deuxième principe que tout élément qui
amplifie ou exagère ce que nous considérons comme
des beautés humaines peut être également conservé}
L'amplification d'une forme n'est-elle donc pas une
déformation ?
Il faut d'abord s'entendre sur ce que j'appelle
.' beautés humaines », car nous pourrions ne pas
nous comprendre ; une main jietite, un pied minus-
cule, une taille de guêpe, etc.. ne sont-ils pas en
278
L'ART ET LES ARTISTES
effet considérés comme des beautés,... et dans ce
cas la manche pagode, le pantalon à la mexicaine,
la crinoline, etc., exagérant l'impression de leur
petitesse, ne de\Taient-ils donc pas être conservés ?
Eh bien, non, la main petite, la taille de
guêpe, etc.. sont des modes et non des beautés.
A presque toutes les époques, de même qu'il v a
des modes pour le costume, il y a des modes pour
la forme corporelle, modes souvent données par
l'influence d'une courtisane ou d'une maîtresse
femme quelconque à laquelle les autres s'efforcent
de ressembler,... et les peintres et sculpteurs, —
bons courtisans, eu.x aussi, — reproduisant plus
spécialement le caractère physique aimé, aident
encore à en répandre le goût. On peut voir qu'au
xviii<^ siècle les femmes petites et gracieuses étaient
à la mode. Il fallait le cou long, les épaules tom-
bantes, la gorge haute et pleine, la main petite et
potelée pour être jolie femme. Les Pompadour.
les Manon avaient ce type de grâce et de vivacité
piquante....
Au siècle précédent, la jolie femme, au contraire,
devait être de corps imposant, de chairs un peu
fortes,... alors qu'au xvi» siècle la femme à la mode
était maigre, très longue, sans gorge, de formes
garçonnières.
Chaque époque a son goilt sjiécial.
Il faut donc se tenir en garde contre la beauté à
la mode et ne pas retenir les éléments de costume
qui peuvent amplifier ou exagérer les caractères
spéciaux de cette mode.
Ce que j'apjielle « Beauté » n'est j)oint une con-
vention momentanée, un goût du jour ; c'est la
manifestation plastique des forces physiologiques,
des supériorités vitales qui dans le principe ont
déterminé ce que curieusement nous considérons
maintenant comme un idéal.
A ce point de vue, à la fois jihilosophique et
expérimental, les proportions des statues grecques
resteront la ])Ius complète expression de Beauté
que peut acquérir notre race humaine, car, en
effet, c'est par ces i)roportions qu'est atteint l'équi-
libre parfait de la force, de la soui)lesse... et de la
santé. Avant d'être im homme admirable, l'athlète
grec est un animal admirable,... et c'est son parfait
équilibre ph3-siologique qui se révêle par ces formes
que nous qualifions de nobles, de pures, d'idéales!
Sa largeur d'épaules est une beauté parce que
dans une large poitrine se trouvent de puissants pou-
mons aspirant pleinement la vie ; ses membres,
forts à leur sortie du tronc et se terminant par des
attaches déliées, sont une beauté parce que le pre-
mier caractère indique la vigueur et la force, et le
second la souplesse, la rapidité et la précision
exacte dans les mouvements. C'est un caractère
physique purement animal et commun à tous les
Cl. Durar.j.l
CL.AUDE .M().\1-:T — l'oKiK.Mi uu .m ' m. iii\5i))
cor]is vivants qui unissent la force et la ^■oupIesse :
les grands félins comme les fauves de nos forêts,
comme les chevaux de j)ur sang ou les lévriers,...
et lorsque dans un costume vous trouvez une
iorme qui amplifie un de ces caractères de beauté
l)hysiologique, — beauté éternelle, — vous pouvez
la conser\-er.
Enfin il peut se présenter un cas spécial, celui qui
a nécessité mon paragraphe trois : dans xme (euvre
d'art, vous pouvez désirer faire intervenir, ou vous
pouvez être obligé de subir en bloc, la représenta-
tion de certains costumes contenant des éléments
de déformation qui, d'ajirès mon ])remier princijie,
devraient être rejetés. Par exemjile, dans une com-
position décorative, vous désirez i)lacerun« homme
de mer » synthétisant la race des [lêcheurs et des
marins.... Allez-vous donc lui enlever son étrange
coiffure — le stiroûa. — lui diminuer, lui afhner ses
énormes bottes, sa casaque huilée sous prétexte
que ce sont des causes de déformation? Si en j)his,
dans cette même (euvre. vous j)Iacez une paysaime
du pays, intervenant là ])otir rejirésenter sa race et
son type social, et ayant dans son costuiue réel de
terribles artifices, comme ce gonflement des hanches
279
L'ART ET LES ARTISTES
et du ventre causé par un
placé sous la ju]ie.
fraude, bizarrement
de quelque idole liarh.u
rouleau d'étofte
rtaines autres pièces de
■,,(|ni lui donnent l'aspect
allez-\'ous donc réduire
et arranger le tout, atlîner, épuier... en raison du
premier princii)e ? A coup sûr non, car ]iar cela
même que ces attril>uts sont nécessaires au rôle ou
à la vie du personnage, ils possèdent une valeur de
caractère et vous devez les conserver intacts.
Du reste — et ceci s'adresse spécialement aux
artistes découragés ]iar les apparentes laideurs de
notre époque — il y a dans tout costume, quel qu'il
soit, une manitestation de l'individualité qui le
porte et de là peut provenir une source de pittoresque
extrêmement jirécieux pour notre art pictural.
Connaissez-vous, par exemple, un costume plus laid
et plus gauche que celui du petit soldat français en
tenue de revue nu de sortie? Regardez-en une
douzaine en train d'errer dans les salles d'un musée
ou dans les allées d'un jardin public : les liras lial-
lants, les pieds lourds, ils se balancent gauchement,
empêtrés de leur longue cajjotc, gênés de leurs
gants qui les clialdnillciit, l'air aliuri ; on i rouah
plutôt voir un ])au\rc bétail é.t^'aré qu'une escouade
de valeureux guerriers prêts à mourir ]>our la
patrie !
Ehbieii.ces inémi-s petits soldats ahuris, envoyez-
les en exj)édilioii on loiit
simplement en maïKcii-
vres et examine/.-les di\
jours a])rès le dc'-paii.
\-ous ne les reconnaitre/
])lus ! Ce sont mainte-
nant des hommes aux
prises avec lesdillicultes
et les angoisses i;t cons-
cients qu'ils ne doivinf
comjiter que sur eux-
mêmes ]>our leur soula-
gement et leur sécurité'.
D'un coup la souffrance
les a marqués et leur ,i
fait acquérir cette allim
farouche qui ne jieriuet
plus le rire, et fait menu
comprencke la possibi^
lité de l'héroïsme.
A]:)rès huit jours de marches, d'insomnie, de
maigre chère, chacun a dû trouver un moyen per-
sonnel de résistance à la terrible usure, et chaque
homme fait exjjrimer à son costume son mode
inifniduel de souffrir et de réagir. Plus d'uni-
lormes ; c'est maintenant un pittoresque ajuste-
ment. Les uns ont simplement rentré leur pantalon
ilans leurs guêtres et relevé les pans de leur capote;
d'autres, moins réservés, dégrafent leur plastron,
desserrent leur cravate; quelques-uns, plus sensibles,
plus énervés par la lutte, vont jusqu'à se dénuder
conqilètement la gorge ; enfin les rageurs, les vio-
lents indépendants se soulagent de partout : les
manches sont retroussées, les poitrines débraillées,
les képis à la main ou suspendus,... et peu à peu
ainsi dans ce costume primitivement laid et sans
intérêt esthétique, la Vie crée une valeur nouvelle
jiour notre art pictural....
Partis de la gracieuse chlamyde, de la noble
stola, nous avons eu la honte d'aboutir à la jupe et
au corset,. ..et nos deux nobles amis — la Vénus et
r.\chille — élevés dans une atmosphère de pure
beauté préféreront sans doute renoncer à la lumière
que se soumettre aux exigences de notre existence
moderne.... IMais en les reconduisant au piédestal
d'où nous les avions fait
descendre, dans ces sal-
les de la sculpture an-
tique qui sont les gran-
dioses cimetières de la
Forme,... nous ne nous
désespérerons pas, car si
le pouvoir de reproduire
une idéale perfection
corporelle est là, gisant
à tout jamais peut-être,
il nous reste cet élément
d'intérêt, essentielle-
ment et éternellement
lié aux phénomènes de
la \'ie — le Pittoresque
— qui pourra fournir
matière à des beautés
infinies aux artistes de
tous les temps.
Pierre-Émile
cornillier.
A. DE L.\ (^lANDAKA
PORTR.-\IT DE M"" d'.\NNUNZIO (1907)
2S0
PONT FORTIFIE DE VALENTKE (gothiquci
L'ART DECORATIF
Li
IT:
CECI pour faire suite à l'article que nous
avons public ici iiicmc. Pour la déjensc de
nos sites. Il en est des ponts comme des fabriques
que les peintres du xvii<^ et du xviii"^ siècle
introduisaient dans leurs paysages. Il faut qu'ils
soient placés au bon endroit, et que leur ma-
tière s'harmonise avec le paysage, et prennent
ainsi de la consistance, et semblent avoir été créés
en même temps que lui, et devoir durer autant que
lui. Depuis de troj) longues années, on abîme les
sites les plus merveilleux avec des passerelles qui
barrent l'horizon et traversent l'espace, sans
noblesse, sans allure, comme des échafaudages.
Les ponts de fer n'ont pas le caractère d'éternité
des ponts de pierre. Même dans des proportions
gigantesques, ils offrent un aspect mesquin. Ils
ont eu leur utilité à une époque et dans des pays
où l'on était pressé de consti"uire. Je voudrais qu'on
les considérât comme des monuments provisoires.
D'autre jmrt, leur solidité est contestée depuis
quelques années ; en Suisse et en .Mlemagne, on
va quelquefois au ciment armé, au fer ; on revient
volontiers à la pierre, qui a fait ses preuves d'utilité,
de durée et de beauté. Je voudrais insister sur ce
dernier caractère de beauté, et proposer à mes lec-
teurs quelques modèles de ponts, quelques t\-pes
281
L'ART ET LES ARTISTES
caractéristiques des différents styles romain,
roman, gothicjue et renaissance.
Chacun connaît le fameux passage des Confessions
sur le Pont du Gard : « C'était le premier oux'rage
des Romains que j'eusse vu. Je m'attendais à voir
un monument digne des mains qui l'avaient cons-
truit. Pour le coup, l'objet passa mon attente, et
ce fut la seule fois en ma vie. 11 n'ap])artenait
qu'aux Romains de produire cet effet. L'aspect de
ce simple et noble ouvrage me frapjia d'autant plus
jaunies jiar le temps, dorées par le soleil, ont
été extraites d'une carrière voisine, à 500 mètres,
sur la rive gauche du Gardon.
L'é])oque romane continua les belles traditions
de l'époque gallo-romaine. <i L'érection des ponts,
écrit excellemment M. Enlart, était considérée
comme une œuvre trop utile aux hommes pour
n'être pas méritoire aux yeux de Dieu ; c'est ce
que dit en jiropres termes une charte du comte
Eudes, ordonnant la construction du pont de Tours,
Cl. MouttmcHls hhtoriq\
PdNT DU G.\RD igallo-romaini unsemble côt
qu'il est au milieu d'un désert où le silence et la
solitude rendent l'objet plus frappant et l'admira-
tion j)lus vive, car ce prétendu pont n'était qu'un
aqueduc. On se demande quelle force a transporté
ces pierres énormes si loin de toute carrière, et a
réuni les bras de tant de milliers d'hommes dans
un lieu où il n'en habite aucun. Je jiarcourus les
trois étages de ce superbe éditice, que le respect
m'empêchait presque d'oser fouler sous mes pieds.
Le retentissement de mes pas sous ces immenses
voûtes me faisait croire entendre la forte voix
de ceux qui les avaient bâties. Je me perdais comme
un insecte dans cette immensité. Je sentais, tout
en me faisant petit, je ne sais quoi qui m'élevait
l'âme ; et je me disais en soupirant : « Que ne
« suis-je né Romain? >
Voilà qui est fort bien dit. INIais les belles pierres,
entre 1061 et 1137 ' qui avait 27 arches. Des
associations s'organisèrent pour ériger et entre-
tenir les ]ionts et les routes ; l'une d'elles éleva, au
milieu du xii<^ siècle, le pont de Maupas sur la
Durance, ce qui fit changer le nom de Maupas en
Bonpas ; saint Bénezet quêta les fonds nécessaires
au pont d'Avignon, le plus célèbre des ponts romans
(1177 à 11S5). Ainsi de l'évêque Hervé, à Lyon,
en 1150 ; de l'archevêque Hugues de Toucy, à
Pont-sur- Yonne, en iiSi ; des frères de Saint-
Jacques du Haut-Pas. à San lliniato, au xi*^ siècle ;
de Saint-Jean l'Ermite, en Espagne, à la tin du
xn« siècle.
Ce qui nous en reste suftit à les juger très
remarquables : ils sont d'une largeur modeste,
5 mètres. « Les culées ont des éperons triangulaires
pour mieux fendi'e le courant et ne pas accrocher
282
L'ART ET LES ARTISTES
LE PONT DE QUÉZAC tr..man)
PONTE-VECCHIO, FLORENCE igotlii-
283
LAKT ET LES ARTISTES
PONT SANTA TRINITA, FLORENCE iRenaissann-
1rs (iliJL-ts qu'il t'iitrainc, surtmit les glaçnns ;
(luaiit au nioilc de construction, il est inspiré de
praticiues romaines ; le pont romain d'Airvault
(Deux-Sèvres) a pour arches plusieurs arcs paral-
lèles entre lesquels est posé un dallage formant
tablier ; le jiont d'Avignon imite le pont romain
liàti ])ar Julien ; ses arches sont tracées en ellipse,
et au-dessus des piles sont ménagées des baies
(lui allègent la maçonnerie, étrésillonnent les
arches et li\"rent passage au courant en temps
d'inondation, diminuant ainsi de beaucoup la
fatigue de la construction. Sur l'une des culées du
pont se voit une chapelle ; c'était l'usage, et le
plus souvent elle était dédiée à saint Nicolas, jvatron
des vo\'ageui's. »
Aux xiii^" et xiv-' siècles, les données sont sen-
sil)lement les mêmes, sauf que les arches, au lieu
d'être en plein cintre, sont en tiers-point. Citons :
le pont Saint-Esprit, construit par les soins des
frères Pontifes ; les ponts Saint-Martial et Saint-
Etienne à Limoges ; le jiont de la Frégeoire à Najac
(1238) ; le pont de Valentré (xiii'' siècle) à Cahors ;
le pont de Champagnac et la Roque (Gard), du
xiii<= siècle ; les ponts d'Orthez, Mende, Albi,
Entraygues, Bourdeilles et Xyons. Les nécessités
de la défense militaire faisaient parfois édifier à
chaque extrémité et au milieu du pont, comme à
Cahors, une tour fortifiée qui contribue à lui donner
un aspect plus majestueu.x encore.
En Italie, c'est, à la même époque, le pont de
Vérone, et un peu ]5artout l'imitation des aqueducs
romains à arcades. Au xiii^ siècle, l'aqueduc de
rabba\-e de Casamari comporte des arcades de
pierre en plein cintre, portées sur de larges et
lourds piliers. L'aqueduc de Salone est plus élé-
gant, avec ses arcs en tiers-point et ses piles carrées
couronnées d'impostes (1256). Il faut mettre tout
à fait à part le Ponte \'ecchio, à Florence, à trois
arches, dont l'existence remonte, dit-on, à l'époque
romaine, qui a été maintes fois détruit et rebâti
en IJ45, probablement par Taddeo Gaddi, —
l'attribution est controversée. Mais ce qui fait le
charme et l'intérêt de ce pont, ce sont les quarante-
quatre boutiques d'orfèvres rangées de part et
d'autre de la voie qui le traverse, où les Ghiberti,
les \'errocchio, les Brunellescho, les Maso Finiguerra
ont fait leur apprentissage. Vieux pont dont les
épaules, comme dit \'asari, furent assez robustes
pour résister à la terrible crue de l'Arno, qui, au
xv!*" siècle, renversa ou emporta tous les autres
ponts de Florence.
L'ART ET LES ARTISTES
C'est un pou j)lus tard, à rc]ioque du gothique
flamboyant, qu'ont été construits les deux ponts de
bois de Lucerne, bâtis sur piles de pierre et couverts
de toits de charpente. « L'un est jiourvu d'une cha-
pelle et orné d'une suite de tableaux de la Danse
des Morts, exécutés du xvi'-' au xviii'= siècle ;
l'autre est défendu vers son centre par une tour
de pierre octogone à bossages, dite Tour d'Eau
(Wasserthurm) )> .
A partir du xvi"-' siècle, on vise plus à l'élégance
qu'à la force. Le fameux pont Santa Trinita,
souvent imité dans la suite, notamment à Pisc,
déroule ses arches en cinti"e surbaissé suivant un
rythme d'une noblesse sans pareille.
Nous avons reproduit ici, en manière de con-
clusion, une photographie saisissante, qui a été
prise dans la vallée de la Truyère. On voit au jire-
mier plan le vieux pont de pierre, au second plan
le viaduc de Garabit, construit par Eiffel jiour le
chemin de fer de Béziers à Clermont-Ferrand.
On mesure la différence qui séj^are ce vieux pont
à doux arches, harmonisé aux grandes lignes du
décor, et le viaduc, qui, malgré ses dimensions,
couvre le fond mouvant du ciel et des nuages d'un
filigrane sans majesté. Et l'on souhaite que désor-
mais la science des ingénieurs ne soit utilisée que
pour réaliser les inspirations d'un artiste.
LÉ.-\NDRE V.\II,L.\T.
VI.\Dl"C DE G.\K.\HIT (.11 (c-r|
2S5
Le Mouvement Artistique
à l'Étranger
AUTRICHE
LES salles autrichiennes de l'exposition internationale
(le Munich sont parmi les plus intéressantes; elles ont
pu, sans faire rire d'elles, se déclarer hors concours. Elles
valent, avant tout, il va sans dire, par Klimt et sa Kunst-
schati, par les Tchèques et les Polonais. Il est vrai qu'on
a eu bien soin de déporter quelques-unes des œuvres les
plus importantes de ces derniers dans les combles, de
façon à éviter à la section autrichienne un aspect trop
sauvagement slave ! Que les visiteurs du Glaspalast
n'oublient pas de monter ,-i l'étage, pour les architectes
russi'S et pour trois intenses représentations de scènes
populaires ruthènes de MM. Sichulski, Jarocki et Fry-
deryk Pautsch. Je n'ai du reste pas à m'occuper de la
Pologne ici et rien de nouveau à vous apprendre sur le
prodigieux Klimt (très mal placé, lui aussi), ni sur les
Tchèques. Je demande donc la permission de ni'arréter
à quelques .\utrichicns, encore Slaves pour la plupart,
mais ne faisant pas partie des groupements nationalistes
ordinaires.
C'est tout d'abord un sculpteur de mérite, M. .\nton
Ilanak, dont un torse maigre, mouvementé et étiré,
en marbre rose fauve de Untersberg, semble le tronc d'un
saint Sébastien mutilé. C'est de l'effort, de la tension
nerveuse, de la souffrance ; le mouvement, le frisson de
la souffrance surtout, en beau marbre rude, veineux et
poli. Je ne trouve pas, dans les du reste très pauvres halles,
réservées à la sculpture, im second morceau de cette valeur.
Ce n'est qu'un morceau, mais je ne l'échangerais pas
même pour le magnifique cheval de la statue équestre
de saint ^'aclav. par M. J. V. Jlyslbeck, qui, après avoir
dominé le grand vestibule central du Palais, va s'en
aller enfin, après des années et des années de perpétration,
piaffer sur la plus vaste place de Prague.
M. Adolf Zdrazila est un Silésien qui, en une œuvre
doucement unifiée et chaude, a su enfermer toute la déli-
cate émotion des soirées d'été à la lumière déclinante
et sans fortes ombres, sur un toit slave, quelques arbres
fruitiers et une mare, couverte de ses jaunâtres écumes
organiques. Tout senrble de la même couleur, tant le ciel
imprègne de sa spéciale lueur, à la fois plénière et sourde,
les objets clairs et sans relief. Le paysage vert de foin fané
est ainsi réduit en délicieuse tapisserie. Et il peut passer
pour un des types de la campagne slave au nord de \'\\i-
triche. M. Hugo Baar nous dit l'hiver dans les Beskides,
autre région slave, et c'est pour cause de slavisrae encore
que son meilleur tableau. Sur le chemin du cimetière, a été
rejoindre les scènes rousniaques au triste dépotoir d'en
haut, dont quatre-vingt-dix visiteurs sur cent ne sav'ent
pas l'existence. La lente démarche dans la neige des deux
vieilles aux bisquins de peau de mouton blancs, tandis
que là-haut le cortège et le cercueil sur le traîneau atteignent
déjà le petit carré de murs enseveli sous les frimas, le champ
presque entier du tableau réserv'é à la neige ; tout comme
dans son autre tableau, centralisé, si le vide et l'espace
peuvent se centraliser, autour d'une de ces planches votives
qui rappellent quelque accident et que l'Allemand appelle
si joliment Marterl (de martyre) . font de M. Baar l'un des
meilleurs de tous ces peintres de l'hiver, dont j'ai dit
l'autre jour à quel point ils abondent.
L'un de ces tableaux d'hiver, encore parmi les plus
beaux, celui qui réalise le mieux le tj^e des sapins, enca-
puchonnés ou carapaces, de la cime à la base, de neige et
de glace, au point d'en perdre toute forme végétale et de
se présenter comme d'éblouissants mannequins recou-
verts de cascades gelées, aspect dont on a peu ou pas idée
en France, et que nous retrouvons fréquemment repré-
senté aux sections Scandinaves et russes, appartient à
un .\llemand de Bohême, il. W. Franz Jaeger. Il en est
allé chercher le motif dans ces montagnes de l'Iser, immor-
talisées par le célèbre roman tchèque Babicka. J'y pourrais
trouver la page qui servirait le mieux à le décrire. Plutôt
que de taquiner de cette façon un pangermaniste avéré, je
préfère reconrraitre à un véritable artiste des qualités
exquises de grâce stylisée, de fraîcheur distinguée et de
consciencieuse observation. Son œuvre est unique en son
genre. Elle vaut même les neiges du Suédois Gustave
Fjaestad et ne leur ressemble en rien.
L'École de natation de il. Ludwig Ferdinand Graf est
encore un sujet étrange. Un bassin, entouré de cabines,
dans les arbres, au soleil du soir, semble n'être plus que de
l'émeraude en transparence contre de la lumière ; les
reflets d'un vert de mousse montent partout dans les
poitrines et le long des membres des baigneurs. C'est fort
étrange, fort bien observé et cela réalise un accord chair
et vert chaud, un vert imprévu et, je crois, jamais encore
peint, tout à fait anormal dont on est pas mal estomaqué
au premier abord, puis autiuel on revient bientôt, indi-
ciblement fasciné.
M. Albin Egger-Lienz, c'est la rudesse tvTolienne en
personne, et c'est l'art de voir et de mettre en scène d'une
façon brutalement décorative les épisodes violents de la
n Danse des morts de l'an 9 » . Des paysans peints par un
pavsan qui voit grand. Xous voici bien loin de Defregger,
artiste consommé, mais anecdotique. C'est ici l'épopée,
peinte comme elle aurait pu l'être par quelqu'un qui
l'aurait vécue. Si il. Egger-Lienz n'émettait pas la préten-
tion de recevoir des sommes fabuleuses, pour qu'il lui soit
fait l'honneur de reproduire ses tableaux dans nos revues,
il V a beau temps que l'un des plus magnifiques peintres
d'Autriche serait célèbre hors de son pays. On ne se doute
pas dans le public du stupide rôle que joue cette question
hors de France. Parlez d'un grand peintre étranger à
286
L'ART ET LES ARTISTES
Paris. Que de fois ne lit-on pas l'incréclulité dans les yeux
de l'interlocuteur : « Comment se fait-il que nous n'ayons
jamais rien vu de lui dans les revues? »
JM. Max V. Poosch, de Klosterneuburg, éveille, un beau
matin d'hiver pas trop rude, le Wicnerwald, par l'arrivée
des Rois mages sur des haridelles étiques, avec leur suite
en costume moyenâgeux. S'agit-il de parachronisme ou
d'un jeu traditionnel ! Peu importe ! Comme cela sied
bien avec le décor i Oh ! le beau paysage, l'un des plus
beaux que les charmants environs de Vienne aient inspiré.
Un site d'Autriche qui trouvera des peintres pour s'y
installer, tant qu'on restera sensible au charme des rochers
terribles et des vieilles ruines au bord d'un grand fleuve,
c'est Durnstein sur le Danube, le point le plus pittoresque
de la descente fluviale. MM. Anton Nowak et Max Suppan-
tschitsch y sont revenus avec bonheur cette année. Mais
c'est du Waldviertel, cette forestière Sibérie autrichienne,
située entre la Bohême et le Danube, que nous vient le
plus beau paysage, dû à un artiste viennois : des jaunes
touffes d'herbes aquatiques sèches au bord d'un ruisseau.
De tristes glèbes montantes, un triste ciel calme. I,e silence,
la solitude et l'appréhension de l'hiver, une nature immobile
dont le premier mouvement sera le frisson. C'est redou-
table et navrant et cela empoigne comme certains accents
de détresse chez Mahler, né pas loin do là.... .\uteur :
M. Edouard Ameseder. \Villi,\.\i Kitter.
BELGIQUE
^^N commence à s'occuper 1)eaucoup de l'exposition
Albert et Isabelle qui doit s'ouvrir l'an prochain,
au mois d'avril, et fournir une dos attractions de l'H.xposi-
tion universelle de Bruxelles.
L'idée de l'exposition, l'appellation <|u'on lui donne
surtout, ont provoqué des discussions d'ordre politique.
Les partis d'opposition trouvent superflu de glorifier le
souvenir des archiducs Albert et Isabelle qui gouvernèrent
la Belgique au nom de Phili])pe II. Mais on est d'accord
pour trouver (pi'au point de vue artistique on peut réaliser
quelque chose de fort beau, un ensemble qu' fermera
dignement le cycle commencé jiar l'exposition des F'rimi-
tifs flamands et poursuivi par celle de la Toison d'Or.
L'époque d'.Mbert et d'Isabelle est la plus brillante
pour notre art dans le passé. Malheureusement, la plupart
des grandes œuvres qu'elle a vu éclore sont à l'étranger, en
Espagne, en France, en Angleterre, en .Mlemagne. lit pour
en réunir un nombre suffisant, il faut user de diplomatie.
Lors des fêtes jubilaires de 1905, les organisateurs de
l'exposition des tapisseries anciennes ont essuyé en
Espagne un refus poli : le roi ne voulut point prêter les
merveilleuses tapisseries flamandes <le l'Escurial.
Cette fois, il paraît qu'on a rencontré à Madrid im pou
plus de bonne volonté. M. le baron Kervyn de Lettenhove,
l'organisateur des expositions de Bruges, vient de revenir
de Madrid avec des promesses de large participation.
M. Kervyn avait, il est vrai, rédigé un rapport sur l'expo-
sition projetée, destiné spécialement aux personnalités
espagnoles dont il devait solliciter le concours. Le succès
de sa mission semble assuier celui de l'exposition .\lbert
et Isabelle. En France, en Angleterre, en Allemagne, les
sollicitations du comité organisateur et du gouvernouient
belge avaient reçu déjà le meilleur accueil. Et il parait
dès à présent certain que l'on ])Ourra former pour l'an pro-
chain une sélection d'oeuvres de Kubens, de \'an Dyck, de
Jordaens, des De Vos.
On ne peut évidemment songer à offrir un ensemble
plus ou moins complet de la production formidable de la
peinture flamande à cette époque. Le but est seulement
de montrer quelques spécimens marquants, caractéris-
tiques et présentant, autant que possible, un intérêt au
point de vue de l'histoire. Car ce que l'on veut faire, c'est
surtout une exposition d'histoire. Mais la vie publique,
en cette période, est si intimement liée à celle de l'art
qu'il y aura de l'art partout. C'est le temps où l'on chargeait
Rubens de missions diploniatiipies. Le grand peintre
flamand est un des personnages officiels du règne des archi-
ducs. Et même il semble, en dépit de l'étiquette adoptée,
ipie cette exposition doive être, en réalité, l'exposition
Rubens, tant le génie de l'artiste domine et personnifte
cette [ihase de l'histoire des provinces belges.
On peut voir, depuis quelques jours, au Musée ancien,
à Bruxelles, le \'an Dyck de la collection du roi, acquis
par l'État afin d'empêcher que le tableau quitte le pays.
C'est, on le sait, un portrait — dedimensions restreintes —
du sculpteur Duquesnoy. Le modèle est peint à mi-corps,
vêtu d'un large manteau noir ; les mains pétrissent un
masque de terre glaise. Ce n'est point \nic des œuvres
maîtresses de \'an Dyck, et le portrait d'.Mexandre Délia
Faille, au même Musée, lui est certes très suiiérieur. Il n'v
a ]K>int. dans le tableau de la collection du roi. cette
souveraine aisance de la facture et cette allure d'élégance
affinée qui fut le charme du grand élève de Kubens. C'est
pourtant un beau morceau : le visage est d'un modelé
puissant ; les noirs chauds du vêtement sont siqjerbes ; les
mains sont nerveuses et sou|)les. .Mais le Musée de Bruxelles
n'a point encore le chef-d'œuvre de \'an Dyck qu'il devrait
avoir, quelque chose de comparable aux portraits du
Louvre ou à ceux des collections anglaises.
Le cercle des Indipcndnnis a fait une exposition i
Bruxelles, dans les salles du Musée moderne. Cercle de
jeunes, impressionnistes fougueux jiour la plupart. On
avait invité le sculpteur impressionniste Rosso que l'on
ne connaissait pas ici. Et si certaines œuvres, très artistes,
mais de forme un peu trop confuse, de M. Rosso ont
dérouté, ont paru méconnaître un peu la beauté essentielle
<le la sculpture, d'autres, comme /.. Rieuse, Mire et Eii/aiil,
ont été fort admirées pour leur intense et délicate expres-
sion.
Parmi les peintres, il faut citer M. Craha\-. ilont les
marines et les figures sont d'une égale vigueur et d'un
style ample ; JI. Jefïcrys, impressionniste subtil ; M. -Mi-
chaux, M. lleintz, M. l'rison, M. Lantoine, M. Willem,
M. Oleffc, M. Leroux, M. Martinez, .M. Patterson, M. Pae-
rels, M. Otmann, M. Petyt, M. Thévenet, M. Spillaert;
M. Thonet, paysagiste vigoureux ; M. Lemmon, M. Guilbert,
M. Fain; .M. Alfred Bastien, avec d'éclatantes étuiles
peintes en .Vlgérie : les dessinateurs Blandin, Constant
et Edmond Van Offel, M. Paulus.
Parmi les sculpteurs, JI. Marnix d'Mavelooze dont les
287
L'ART ET LES ARTISTES
portraits l't 11110 Siiln)iii sont d'iint- savoureuse et Apre
vision ; M. Wouters. M. \\'ansart, M. Schirren. Mlle \'ar
Hall, et JI. A. Lambert ilont les panneaux en cuivrt
repoussé sont artistement décoratifs.
Vùlifiera-t-on le niouuineii
Meunier? L'État avait acqui
T)i'vatl de Constantin
bas-reliefs et les figures
ijui le composent pour les exposer dans une salle du Musée.
Mais, à l'exposition Meunier ouverte à Louvain, on a dressé
le monument en plein air. tel que l'artiste l'avait conçu,
la figure du Semeur le dominant.
Lt l'on parle d'édifier l'œuvre ainsi, définitivement,
soit à Bruxelles, au faîte du futur Jlont des Arts, soit à
Louvain. où il semble que les autorités communales soient
favorables au projet.
G. Vanzype.
ETATS=UNIS
icains de l'Oue
de mer, surtout
cote ])ar les gens riches
rester (Mass.) choisisse l'été
exposition très intéressante
T 'ÉVÉNEMENT artistique de ce mois fut le grand .spcc-
tacle en plein air à Harvard Collège, Cambridge, où
la Jeanne d'Arc de Schiller fut représentée par presque
deux mille acteurs, avec Mautl .\dams dans le rôle de
Jeanne.
Jamais spectacle, chez nous, n'attira une si grande foule.
Il y avait plus de quinze mille spectateurs I
Ce succès éclatant est une preuve de notre progrès dans
le domaine du Beau.
C'est grâce à votre poète Mistral, créateur d'une
véritable renaissance de ces spectacles de plein air aux
arènes anciennes, qu'ils ont pris place parmi nos divertis-
sements les plus à la mode.
En cela, comme en toute chose d'art, nous avons subi
l'influence de la France.
Pendant l'été, beaucoup d'AnK
viennent dans l'iîst pour les bains
New England.
Cet envahissement de l.i
e.xplique que la ville de Wi
pour son exposition d'.irt,
qui vient de s'ouvrir.
Nos meilleurs artistes y envoient leurs tableaux, leurs
sculptures, surtout cette année, parce que tout le monde
espère y vendre un chef-d'iruvre 1 Un milliardaire a récem-
ment légué six uiillions de dollars (trente millions de
francs !) au Musée de Worcester! Pareille munificence est à
souhaiter pour beaucoup d'autres musées chez nous où le
gouvernement ne s'en occupe pas. Mais si tous ne peuvent
pas espérer six millions de dollars, beaucoup ont dtqà reçu
des legs considérables.
Heureusement, nos riches ,-\niéricains commencent à
s'intéresser à l'embellissement de leurs villes natales.
Même les employés, les ouvriers, les enfants des écoles
veulent donner quelques sous pour augmenter le Fuiid.
fondé par les riches pour ériger des statues artistiques
dans les rues ou pour rendre plus beaux leurs parcs publics.
Depuis dix ans nous avons fait un progrès immense au
point de vue de l'esthélupie municipale. Prenez, par
exemple, la ville de Ilarrisburg, la capitale de Pennsylvania.
Si vous l'avez visitée peuilant l'année 1900, elle vous
aura choqué par sa laideur, par son manque de propreté,
dont la conséc|uence est une considérable mortalité.
-\ujourd'hui vous la trouverez une des plus belles, une
des plus propres parmi nos villes de l'Ouest.
Le 20 décembre 1900, Mlle Mira Dock a fait une confé-
rence publique sur The City Beaniijul.
-■\vec un grand nombre de projections, elle a montré aux
citoyens de Harrisburg la différence entre leur ville laide
et sale et les plus belles villes du monde.
Harrisburg, comme Paris, est divisée par un fleuve ;
mais, au lieu d'embellir la ville, cette rivière était devenue
dégoûtante à cause des déchets, des chiffons jetés sur ses
rives ; par suite, il y avait beaucoup de fièvre typhoïde
parmi toutes les classes de citoyens.
La conférence de Mlle Dock fit beaucoup d'impression ;
tous les journaux en parlèrent et les hommes d'affaires,
aussi bien que les philantliropes, s'organisèrent en une
Lccigue for Mtinieipal Improvement.
-Xprès quelques séances, le maire de Harrisburg et tous
les officiers de la ville étaient invités à s'unir aux membres
de la Lccigue pour bien étudier et discuter The City Beau-
tiful.
Trente mille francs furent offerts par quelques citoyens
patriotes pour les frais de la ligue. Trois ingénieurs très
célèbres furent invités à venir à Harrisburg pour faire un
plan intelligent et pratique en vue de l'embellissement
de la ville.
Quand tout cela fut bien préparé, la ligue déclara qu'il
fallait cinq millions de francs pour transformer Harris-
burg en une belle ville. Les habitants furent consternés!
I^our une ville de moins de cent mille âmes, emprunter
cinq millions de francs était chose très grave : il fallait
recueillir le vote de tout le monde.
-Mors, commença une campagne politique unique dans
l'histoire de nos villes.
A cause de l'augmentation des impôts, le plan adopté
par la ligue rencontra beaucoup d'opposition.
Les membres de cette société donnèrent partout des
conférences avec projections ; leurs brochures furent dis-
tribuées par les jeunes gens des écoles publiques ; tous les
ministres des Églises furent sollicités de faire leurs prônes
sur le sujet de Good Government. L'évêque catholique
publia une lettre pastorale en priant ses paroissiens de
\-oter pour les hommes voués aux réformes, au progrès.
Les grandes dames appartenant à la ligue visitèrent
chaque école d'Harrisburg pour parler aux enfants, pour
leur bien expliquer le plan. Grâce à leur éloquence, elles
éveillèrent un vif enthousiasme parmi les élèves, eux qui
ont tant d'influence sur leurs parents, surtout parmi les
classes pauvres.
La Compagnie électrique prêta à la ligue un tram élec-
trique pour parcourir la ville jour et nuit, tout couvert
d'annonces et de photographies, les plus laides possible,
du Harrisburg actuel, et, en contraste, de la belle ville du
" pla)! >•.
Le samedi avant les élections, la ligue publia un journal
intitulé The Harrisburg Plan, résumé de toutes les dis-
cussions en faveur du progrès.
Ce soir-là, il y en eut un exemplaire distribué en
chaque maison de Harrisburg par les High School boys !
Enfin, un grand meeting se tint à l'hôtel de ville, où le
gouverneur de Pennsylvania, un sénateur, deux ministres
et le représentant de la ligue supplièrent les citoyens
288
L'ART ET LES ARTISTES
d'ouvrir leurs yeux au danger de l'eau impure qui sème
les maladies, à la laideur des écoles publiques sans jardins,
à la tristesse des rues sans arbres, des quartiers pauvres
sans parcs, à la hideur des annonces partout répandues.
Quand le résultat des élections fut proclamé, tout le
monde, même les membres de la ligue, fut étonné du
triomphe !
Sans exception, les personnalités cjui avaient donné leur
adhésion au plan étaient nommées, qu'elles fussent Democrat
ou Republican. Qu'importaient au ])ub!ic leurs sentiments
politiques! Tout ce qu'il demandait, c'était leur assenti-
ment aux réformes !
En deux ans cette ville hideuse et sale est devenue
belle et propre: les maladies, la mortalité, même les crimes,
ont beaucoup diminué.
« C'est de la magie 1 » s'écria tout le monde. Mais non,
c'était seulement la bonne volonté d'un peuple uni dans un
but supérieur : la conquête du Beau et la réforme munici-
pale.
Depuis ce temps -là, presque toutes nos villes, encoura-
gées par ce bon exemple, ont organisé une Municipal
Leagtie, et partout ces ligues, composées de nos meilleurs
citoyens, jouent leur rôle de fées, et nos villes deviennent
trannée en année plus belles, plus dignes de notre grande
république.
A. Seaton-Schmidt.
ITALIE
';V
CHATE.\t: DI-: CASTEr-DEI-MONir. lAlTIIE), I-IEVIC l'.\R FREDERIC II Hii
1" A richesse souterraine de l'Italie, violée fiévreusement
par les hommes nouveaux, offre généreusement ses
merveilles aux investigateurs. Les fouilles se multiplient
partout, et les résultats en sont étonnants. Les insistances
des amateurs d'art auprès du gouvernement arrivent peu à
peu à le fléchir, quoique l'aide officielle, qui devrait
être très réelle, n'est souvent qu'illusoire et toujours
insuffisante, .\insi que pour les fouilles, les quelques con-
naisseurs acharnés à rectifier ou à préciser ou même à
renouveler l'histoire de l'.Vrt par la découverte des docu-
ments richissimes que les siècles ont cachés, souffrent de
l'indifférence officielle pour toutes les restaurations que
réclament les innombrables monuments historiques ré-
pandus dans la péninsule. La région apulienne, qui garde
L'ART ET LES ARTISTES
particulièrement les plus parfaits documents des origines
de l'architecture italienne au moyen âge. et les docu-
■ ments les plus précieux de la domination et de l'art nor-
mands dans l'Italie méridionale, commence à peine à
acquérir la connaissance des trésors qu'elle renferme, et ces
trésors, à peu près inconnus ou méconnus jusqu'ici,' sont
sans doute parmi les plus imposants de l'Italie.
Le gouvernement italien n'a pas pu cependant rester
trop longtemps indifférent aux recherches, méthoditiue-
ment répétées, des Allemands. Vn bureau de « Surin-
tendance pour les monuments de l'Apulie et du Molise »
vient d'être organisé à Bari. Les travaux confiés à. ce
bureau sont de la plus haute importance, pour la joie des
savants historiens comme pour la joie pure et simple des
amateurs d'art.
Le château de Bari va être liientôt entièrement restauré.
Ce château, comme presque tous les châteaux apuliens,
se compose d'une masse de quatre tours réunies par
quatre courtines. Sa construction est de la plus pure
architecture guerrière sarrasine, enrichie très sobrement
et très sagement de réminiscences classiques, dues, celles-ci,
à l'apport de la main-d'œuvre indigène, d'un peuple
d'origines helléniques. Une des tours du château date
des temps les plus reculés d'Apulie, étant une tour mes-
sapienne. Et l'immense bâtiment sarrasin s'élève encore
admirablement campé en face de l'Adriatique, ramassé
et puissant. Sur quelques chapiteaux, on lit les noms de
quelques-uns des constructeurs, arabes et apuliens. Un
chapiteau déclare : Ismatl me fecif ; un autre porte le nom
apulien de Melis de Stigliano, un autre de Minerbus de
Canusio.
La cathédrale de Bari, dont j'ai parlé dans ces chro-
niques il y a quelques années, chef-d'œuvre d'architecture
médiévale entièrement « habillée « par le plâtre baroque
du xvii" siècle profanateur, sera bientôt ■ déshabillée ». Son
architecture primitive sera dépouillée des ornementations
de plâtre sui>erposées, et révélera entièrement son ancienne
et aimable structure. Le bureau de Bari va s'intéresser
aussi avec une activité renouvelée à cette pure merveille
architecturale qu'est le Castel-del-Monte, l'original et
incomparable château de chasse, que Frédéric II de Souabe,
le roi poète, éleva à la gloire de son plaisir. La porte du
château montre le passage de la forme arabo-romane
apulienne au classicisme. Elle est due à Jean de Gio-
vinazzo ; on la retrouve au château de Prato, en Toscane,
œuvre également de l'époque des Souabe, pour laquelle
travaillèrent probablement les mêmes artistes arabo-
apuliens de Castel-del-Monte, c'est-à-dire Pisano, Jean
de Giovinazzo, Barthélémy de Foggia, etc.
JI. Pantaleo, qui fait partie du bureau de Bari, a de son
coté presque achevé la restauration du château de
Gioja, que son propriétaire, le marquis de Luca-Resta,
fait restaurer à ses frais. Ce château, fondé par Robert
Sinisçpleo, passé ensuite aux mains des Bénédictins de
Bari, résume dans l'histoire de sa construction et dans
celle de sa gloire militaire l'histoire de presque tous les
châteaux apuliens. L'admirable salle du trône, entière-
ment restaurée, l'escaher, les fenêtres, sont une grande
promesse de toute l'antique beauté, oubliée et profanée à
travers les siècles, à laquelle les modernes restaurateurs
doivent faire une gloire nouvelle. La restauration du
tombeau de Bohémond, à Canosa, et de l'abbaj'e de la
Trinité, à Venosa, le Panthéon des rois normands, sera
spécialement étudiée.
Car cet art, aux aspects très particuliers à la fois de
transition et d'affirmation, jailli de la fusion de génies
et de volontés divers, grecs, italiques, normands, allemands,
se révèle de plus en plus, depuis quelques années, comme
la grande expression de conjonction entre l'art millénaire
de l'Orient et l'art nouveau-né de l'Occident.
RiccioTio Canudo.
ORIENT
La Peinture Grecque Moderne.
A THÈNEÇ. — C'est d'Athènes, où je me trouve depui^
^^ plus d'un mois, que je vous adresse ces notes recueillies
hâtivement sur la peinture grecque moderne.
L'effort d'art réalisé en Grèce, en ces dernières années,
est digne d'admiration, d'une admiration d'autant plus
grande que le gouvernement hellénique — jusqu'à ce
jour du moins — s'est montré désintéressé de cet essor
vers le Beau et n'a pas encore, par quelques acquisitions,
encouragé le mérite des peintres qui suivent le chemin
glorieux tracé, il n'y a pas longtemps, par Ghisi et par
Litra.
II n'est pas d'artiste qui ne connaisse l'œuvre de ces
deu.x peintres dont la réputation est universelle. .\ la mort
de Ghisi, le Studio nous offrait en quelques pages concises
une étude très substantielle sur le talent et les principales
toiles de l'artiste qui sut importer en Allemagne une
palette ensoleillée par le beau ciel de l'Attique. ;\Ioi-raéme
j'ai eu l'occasion d'admirer à la Pinacothèque nationale
d'Athènes plusieurs toiles de ce maitre sur l'œuvre duquel
je reviendrai prochainement. Il y a là, entre autres tableaux,
deux études de têtes d'un sentiment exquis et deux com-
positions de facture et de coloris impeccables : l'Amour
et Psyché et le l'aiu ; une joliesse charmante se dégage
de la première, un puissant souffle dramatique anime la
seconde.
Dans la même salle de la Pinacothèque, les yeux sont
attirés par la dernière œuvre de Litra. La mort surprit
l'artiste avant qu'il ait complètement achevé la toile.
Aptî'S le dtcis est un des meilleurs tableaux du maître qui
a immortalisé son nom en peignant l'héroïsme de Canaris
devant Chio, qu'on admire dans la galerie de !M. Serpieri.
Suivant les traces de ces deux maîtres, M. Théodore
Ralli, qui habite Paris et qui fait, annuellement, d'impor-
tants envois à notre Salon de peinture, et M. Jacovidés,
éphore de la Pinacothèque nationale et professeur à l'École
des Beaux-.\rts, qui habite Athènes, continuent résolu-
ment l'œuvre de la renaissance artistique grecque. Qui n'a
admiré aux Champs-Elysées ces belles toiles intitulées
le Butin. In soir nu monastère, les Mauvaises Nouvelles,
Devant les Icônes, la Marehande de roses au Parthénon,
qui font le plus grand honneur à yi. Th. Ralli ? Qui n'a xti,
à la Pinacothèque nationale et dans l'atelier de M. Jaco-
vidés, les tableaux qui ont noms le Concert improvisé, le
Bain froid. Paul Mêlas. Coucou et /,■ Méchant Petit-Fils, et
n'v a reconnu une palette riche autant que puissante ?
Si M. Th. Ralli excelle dans les sujets de composition.
290
L'ART ET LES ARTISTES
presque to\is relatifs à la Grèce, et M. Jacovidès clans les
groupes où l'enfance, aux prises avec la vieillesse, joue,
de façon charmante, toujours le premier rôle, MM. Bocche-
ciampi et Giallina, tous les deux Corliotes, habitant Corfou,
excellent, à leur tour, le premier dans les types grecs, le
second dans les paysages prestigieux de l'île enchanteresse.
Beauté grecque, Jeune plie de Corfoii. l'Épousée de Mc-
gara, trois aquarelles admirables que j'ai vues chez M. .^s-
pioti, à Athènes, où elles étaient exposées, dénotent chez
leur auteur, M. Boccheciampi, une entente savante de la
psychologie féminine. Finesse et charme s'allient à un
dessin très pur et à un lumineux coloris.
Le chaud soleil de la Grèce se joue dans les paysages
de M. Giallina. 1 elles de ses toiles sont des poèmes de
rayons. J'aurai toujours devant les yeux son merveilleux
Retour du troupeau envoyé au Zappion d'.Mhènes pour
l'exposition de peinture ouverte dernièrement.
Aux côtés de ces maîtres, d'autres jeunes maîtresse sont
affirmés : .M. .Mathiopoulo, puissant coloriste et por-
traitiste de haute valeur : son Portrait du roi Georges.
que j'espère prochainement faire connaître aux Parisiens,
est une auvre d'art, de grand art; M. Roïlos, un peintre
de sujets militaires dont les toiles Bataille de Pliarsala et
le Combat de Déléria sont parmi les meilleures du genre;
M. Alectoridès, un ancien élève des Beaux-.\rts de Cons-
tantinople et de mon ami F. Zonaro, qui s'est mis en tête
de moderniser la fresque byzantine : sa série d'icônes, sur
fond or, témoigne d'un talent épris du passé et d'un cher-
cheur osé et original.
Il est encore quelques autres peintres grecs dont j'aurais
pris plaisir à vous entretenir, comme M. Chabas qui habite
Paris, Androuzzo d'.Athènes, etc. ; malheureusement, la
place restreinte dont je dispose m'oblige à clore cette
petite chronique qui n'est, pour ainsi dire, que le résumé
de la longue étude que je prépare sur les Peintres grecs
modernes. .•Vdolfhe ThaLasso.
Échos des Arts
Fouilles et Découvertes.
Le plateau du Mont-Auxois (Côte-d'Or), où s'élevait
l'ancienne Alesia de César et de Vercingétorix, est depuis
quatre ans un chantier important de fouilles. La Société
des sciences historiques et naturelles de Semur y a obtenu
des résultats importants et des restes variés de l'ancienne
ville gallo-romaine ont été mis au jour, non sans livrer
des objets d'art et dés instruments de travail d'une grande
valeur artistique et documentaire. Il n'y a rien là, cepen-
dant, qui constitue une révélation, et d'autres champs de
fouilles ont livré des monuments ensevelis et des objets
d'art analogues, égaux à ce que l'on rencontre ici. Plus
rares sont les produits des fouilles personnelles pratiquées
au lieu dit la Croix-Saint-Charles, par M. le commandant
Espérandieu, correspondant de l'Institut, et M. le docteur
Spery, ancien maire d'Alise-Sainte-Reine. Ces fouilles, con-
duites avec la plus rigoureuse méthode scientifique, ont fait
découvrir un temple octogone, un autre temple rectangu-
laire, plus petit, relié au premier par une aire dallée ; enfin,
un édicule aussi rectangulaire qui semble avoir été une
dépendance des premiers édifices. Une belle tête d'ajiplique
en pierre, un petit buste en bronze de basse époque, une
tête d'Hygie, de nombreux ex-voto en pierre et bronze
estampé, quelquefois doré, tout démontre que les explo-
rateurs sont arrivés au sanctuaire principal d 'Alesia ; ces
découvertes, qui rappellent celles qui ont été faites il y a
soixante ans au temple élevé aux sources de la Seine (Côte-
d'Or) et aujourd'hui conservées au Musée archéologique
de Dijon, sont d'un intérêt de premier ordre et ont fait
l'objet d'une communication à l'Institut.
Aménagements et Restaurations.
Le lo juillet, a été inaugurée, par M. le sous-secrétaire
d'État aux Beaux-Arts, la réunion des meubles et des
objets d'art qui commencent à garnir le château d'Azay-
le-Rideau, acquis par l'État, il y a quelques années, grâce
au legs de l'ingénieur Dru. Quelques généreux amateurs,
comprenant le réel intérêt qu'il y aurait à donner à cette
admirable résidence du xvi<' siècle une physionomie plus
vivante, ont offert des meubles et des tapisseries, des pein-
tures et des sculptures, non pas pour faire d'Azay-le-Rideau
un nouveau musée, mais pour donner aux visiteurs l'im-
pression d'une demeure habitée.
Parmi les objets les plus intéressants, citons une crédence
aux armes de France et Bretagne, don de Mme Louis Stem ;
une tapisserie datant des débuts du .wi'^ siècle, offerte par
M. le baron Edmond de Rothschild ; un beau buste de
femme en pierre — autrefois sur la façade d'une maison
d'Orléans — donné par M. le baron ICdouard de Rothschild ;
une table et un coffre, don de M. Fernand Halphen ; un
banc à deux places, don de M. Doistau ; une porte en bois
sculpté, de l'époque de la Renaissance, don de M. le baron
Henri de Rothschild ; un dressoir français en marqueterie
à dessin de fleurs, don de M. Larcade ; un grand cabi-
net, travail portugais du xvi' siècle, don de -M. le comte
ïrotti, etc.
Le Musée du Louvre a envoyé quelques meubles, et le
Jlusée de Cluny un fort beau tapis persan du .\vi<= siècle et
deux lits, avec la tenture complète des doux chambres en
damas, provenant du château du maréchal d'EITiat. Enfin,
le Garde-meuble national a fait tendre, dans une des grandes
salles du château, cinq pièces de la très belle série de l'His-
toire de Constantin, exécutées à la manufacture des Gobe-
lins d'après les cartons de Rubens.
Les travau.x de reconstruction des bureaux de la préfec-
ture de Dijon vont faire disparaître l'étage souterrain, le
seul conservé, d'un cellier cistercien dépendant de l'ancien
hôtel des abbés de Clairvaux. C'était une belle crypte rec-
tangulaire et à deux nefs, construite dans le style grave et
sans ornements, qui est la marque caractéristique de l'art
de Citeaux. Mais si Dijon perd ainsi un monument, dont
la disparition ne sera peut-être pas compensée par le futur
édifice bureaucratique, il va gagner la mise eu état et la
restauration d'une construction des plus intéressante
comprise dans les bâtiments très modernisés de l'ancien
séminaire désaffecté. Il s'agit d'une vaste salle voûtée,
de 52 mètres de longueur sur 15 mètres de large, divisée en
trois nefs, début du xiv<= siècle, dépendant de l'ancienne
abbaye de Saint-Bénigne, dont l'église sert, depuis plus
d'un siècle, de cathédrale au diocèse. Ce beau vaisseau, qui
menaçait ruine, est en pleine restauration, et, comme les
travaux dureront plusieurs années, il serait téméraire
291
L'ART ET LES ARTISTES
d'assigner, dès à présent, une destination quelconque à
l'édifice renouvelé et sauvé.
La \'ille de Paris ayant repris la libre disposition de
l'ancien couvent des Bernardins, situé rue de Poissy, entre
le boulevard Saint-Germain et la rue des Écoles, va faire
de ce couvent, très intéressant par son architecture en
ogives du ni0)-en âge, qui était une caserne de pompiers,
un nouveau musée, succursale du Musée Carnavalet, qui
sera spécialement consacré à la section lapidaire. Là seront
transportées les vieilles pierres qui encombrent les galeries
et le jardin du Musée Carnavalet. On y installera, dit -on,
tout d'abord, le fronton xvii'^ siècle du « grenier à sel » que
l'on démolit en ce moment rue Saint-Germain l'Auxerrois.
On sait à ce propos que la commission du Vieux-Paris
sous la conduite de M. Lambeau, en visitant les travaux
exécutés autour de Saint-Germain-l'Auxerrois, a acheté
le fronton de l'ancien grenier à sel. Ce fronton, qui remonte
au xvil' siècle, est triangulaire. Il porte deux cornes d'abon-
dance à droite et à gauche, et au centre, entre les pilastres,
un grand soleil dardant ses ravons.
M. Vicaires, un des érudits sous-bibliothécaires du palais
Mazarin, vient d'être nommé par l'Institut conservateur
des collections de manuscrits d'écrivains modernes et
autres documents légués par M. Spoelberch de Lovenjoul.
Ces collections vont être prochainement installées à Chan-
tilly, dans le couvent entièrement transformé des sœurs
de Saint-Joseph de Cluny. La salle centrale de lecture
réservée aux travailleurs est déjà presque achevée; elle
occupe une galerie d'une vingtaine de mètres, éclairée par
le haut. La bibliothèque sera ainsi une annexe du Musée
de Condé.
JX
Par arrêté du ministre de l'Instruction publique et des
Beaux-Arts, en date du S juillet, a été instituée auprès de
l'administration des Beaux-Arts une commission, composée
de sénateurs, de députés, de conseillers municipaux, de
plusieurs personnalités de l'administration départementale
et communale, d'avocats, d'architectes et de peintres, qui
aura « pour mission de centraliser l'action des divers ser-
vices chargés de veiller au maintien des perspectives monu-
mentales de la \i]\e de Paris «.
Fêtes et inaugurations.
L'ouverture du Salon d'Automne de ly^y aura lieu au
Grand Palais des Champs-Elysées, le i" octobre prochain.
La journée du 30 septembre sera consacrée au vernissage
et la fermeture du Salon est fixée au 8 novembre. On trouve
le règlement et les notices d'inscription, pour les différentes
sections de cette exposition, au Grand Palais des Champs-
Elysées, porte G.
JS
On a inauguré, au Palais de Justice, le Music du Barycnn,
installé au-dessus de la Bibliothèque des avocats. Les col-
lections de ce musée se composent surtout de gravures,
d'aquarelles, de dessins relatifs au Palais de Justice et à
la vie judiciaire. On y voit entre autres choses les états
successifs du monument à travers les âges ; la Cour du Mai
au xviie siècle, telle qu'elle était encore avec ses pavillons
construits du temps de Louis XI et qui encadraient l'an-
cienne Sainte-Chapelle. Puis on assiste aux incendies du
Palais qui eurent lieu sous Louis XVI et plus tard sous la
Commune, et aux reconstitutions qui s'ensuivirent. De
nombreuses gravures rappellent les événements qui se
passaient d'ordinaire en ce lieu : audiences solennelles, lits
de justice ; puis ce sont des portraits de magistrats et d'avo-
cats célèbres, des livres à gravures, manuscrits, etc., et des
vues des quelques monuments qui avoisinent le Palais. Ce
musée, que des dons prochains enrichiront encore, est dû
à l'initiative et aux soins de MM. Ernest Cartier, Brizard,
Deroy, Georges Durant, Rodrigues qui en ont été les orga-
nisateurs.
JS
Nécrologie.
Il n'est guère d'artistes qui aient, moins que Chaplain,
sacrifié à la renommée et recherché le succès facile ; et
pourtant on peut dire que l'éminent artiste, qui vient de
mourir à soixante-dix ans, après une vie laborieuse et dis-
crète, était populaire en quelque façon : pour tout le monde,
en effet, les noms de Chaplain et de Roty ont une signifi-
cation précise, qui est la renaissance de la médaille, et
pour avoir été mêlés, de par leur talent, à la commémora-
tion de tous les grands événements historiques de notre
pays depuis quelques années, ces deux artistes ont conquis
une renommée que ne connurent jamais les Oudiné ni les
Gatteaux.
Xé à Mortagne (Orne) en 1839, J.-C. Chaplain fut élève
de Jouffroy et d'Oudiné ; il obtint son prix de Rome en
1863. sa première récompense au Salon de 1870 et sa place
à l'Académie des Beaux-Arts en 1 881 ; il était commandeur
de la Légion d'honneur.
Ainsi se résume l'essentiel de sa vie, dont toutes les autres
dates sont représentées par autant d'œuvres marquantes,
riches de pittoresque dans l'arrangement autant que vigou-
reuses et serrées dans l'expression des physionomies ; car
ce qui fait le charme des médailles de Chaplain, c'est non
seulement la solide qualité des portraits, mais aussi la sim-
plicité harmonieuse des « revers » allégoriques, double
réussite à laquelle concourt un renouvellement de la tech-
nique (choix de la lettre, suppression du listel, etc.). dans
le détail duquel il est impossible d'entrer ici.
C'est un curieux, un sincère, un bel artiste qui disparaît.
M
Revue des Revues.
Starve Godv (années révolues). — Revue mensuelle
d'att ancien, paraissant le I5;::S de chaque mois. — 1909.
troisième année.
Le texte de Staryé Gody étant rédigé en russe, tous les
titres sont munis de traductions en français.
Prix d'abonnement pour l'étranger : 30 francs par an.
On s'abonne chez tous les libraires de Saint-Pétersbourg
et au bureau de la rédaction (7, Solianoï per) ; à Paris, chez
Henri Leclerc, libraire, 219, rue Saint-Honoré.
P. P. de Weiner, directeur fondateur.
M
La Scandinavie. — Revue mensuelle illustrée des
ro\aumes de Suède, Xorvège, Danemark et grand-duché
de l'inlande. — Artistique, littérahe, scientifique. —
Rédaction et administration : 67. boulevard Malesherbes,
et 4. avenue de l'Opéra.
Directeur : Maurice Chalhoub.
Abonnements : 6 francs pour la France et S francs pour
l'étranger.
JS
Association de l'Alliance artistique, enregistrée en vertu
de la loi sur les Sociétés industrielles et de prévoj'ance.
Siège social : 67-69, Chancery Lane, London, W. C.
Fondée en 190S dans le but de permettre aux artistes de
soumettre librement et sans restriction leurs œuvres au
jugement du public.
292
L'ART ET LES ARTISTES
A l'exposition annuelle de l'Association, chaque membre
est autorisé à envoyer trois œuvres, dont toutes seront
exposées, en groupe ou dispersées, suivant le désir de
l'exposant.
On devient membre de l'Association en devenant acqué-
reur d'une (ou plusieurs) actions d'une valeur nominale de
lo shillings (soit 24 fr. 7;), et en payant une cotisation
annuelle d'une guinée (soit 26 fr. 50). En dehors de cette
cotisation, les membres ne peuvent encourir aucune res-
ponsabilUé pécuniaire.
L'administration de l'Association est confiée au comité
de direction élu par les actionnaires.
Toutes les demandes de renseignements, adhésions et
versements doivent être adressés au secrétaire (Frank
Rutter), .\llied Artists' Association Ltd., 67-69. Chancery
Lane, London, \V. C.
JS
Divers.
La classe des Beaux-Arts de l'Académie royale de Bel-
gique a élu, dans sa dernière séance, deux nouveaux mem-
bres associés étrangers : M. A. Roll, artiste peintre à Paris,
président de la Société nationale des Beaux-Arts, qui suc-
cède à Hébert, et M. Philippe Rûfer, compositeur à Berlin,
en remplacement d'Ernest Reyer.
Dans sa séance du 17 juillet, la Chambre des
députés, sur la proposition de iOI. Aynard, Senibat, Jules
Roche, Delcassé, Jaurès et Denys Cochin, a voté la loi
suivante, — dont l'importance est considérable à l'heure
actuelle, — 0 en vue d'empêcher l'exportation d'objets
mobiliers d'un grand intérêt artistique ou historique n :
« Article premier. — Les objets mobiliers autres que
ceux qui ajjpartiennent aux départements, aux communes
ou à des établissements publics et dont la conservation
présente, au point de vue de l'art ou de l'histoire, un
intérêt national, peuvent être classés avec le consentement
du propriétaire.
II Art. 2. — Les objets mobiliers classés ne pourront être
restaurés, réparés ou modifiés qu'avec l'autorisation du
ministre des Beaux-.\rts et sous la surv^eillance de son
administration.
« .\rt. 3. — L'exportation hors de France de tout monu-
ment ou de tout objet classé est interdite.
0 .'Vrt. 4. — Les effets du classement suivent, en quelques
mains qu'ils passent, tout objet mobilier ou tout immeuble
par destination redevenu meuble.
« Art. 5. — Toute infraction aux dispositions qui pré-
cèdent sera punie d'une amende de 100 à 10 000 francs,
sans préjudice de l'action en dommages-intérêts qui pourra
être intentée au nom de l'État. Un règlement d'adminis-
tration publique déterminera les mesures propres à assurer
l'application de la présente loi ».
Nous insérons très volontiers la lettre suivante qui
nous paraît de nature à intéresser nos lecteurs :
« 5 août 1909.
» Monsieur le Directeur,
•1 Je ne saurais mieux confier, il nie semble, une cause
artistique et féminine qu'en la présentant aux lecteurs et
lectrices de l'Art et les Artistes, et en vous demandant
votre appui pour la mener à bien.
0 II y a trois ans, j'avais déjà, dans le Supplément de Modes
du New York Herald, lancé l'idée de l'utilité de la création
d'un Muscc de la Mode à Paris. Le Gaulois et le Fiearo
soidignérent alors par des articles, dans le même sens,
l'intérêt de ce projet. Dernièrement plusieurs journaux,
notamment la Liberté sous la signature d'Etienne Charles,
parlèrent du Musée de la Mode, à la suite d'un article paru
le 30 mai dernier dans le Supplément de Modes du Herald
et rappelant en ces termes l'idée première : « Combien
'. serait intéressante et utile la création d'une exposition
11 permanente de l'histoùe du costume où l'on enregistrerait,
« chaque année, ce qui sj-mbolise la mode parisienne ! — que
" de documents précieux pour les siècles futurs ! — et, sans
« attendre si loin, combien nous serait souvent utile la con-
« sultation des modes d'une vingtaine d'années, ne serait-ce
1 que pour éviter certaines erreurs ou raieu.x nous appliquer
à tirer parti d'une trouvaille peu exploitée ou d'une gami-
. ture restée alors sans succès. Dans une ville comme Paris,
i où l'art du costume est un des ressorts imjrartants du
« commerce, cette exposition aurait sa place toute marquée.
' Et si l'on objecte la versatilité de la mode et la place qu'il
0 faudrait pour enregistrer ses caprices, on peut dire qu'avec
.. deux toilettes par an on synthétiserait fort bien la mode
1 et que, même si l'on ne pouvait enregistrer que des rcduc-
' tions de toilettes, cela aurait encore son intérêt ».
.1 11 en résulte donc que mon idée est plus que jamais
« dans l'air » et que sa réalisation s' impose de plus en plus.
Mais à combien de <lifficultés va-t-on se heurter pour une
chose qui parait si simple et si logique. Ne pourriez-vous
m'aider à les aplanir? L'n comité de femmes du monde
réputées pour leur goût, quelques peintres très compétents
dans le domaine des grâces féminines, quelques artistes
pour lesquelles l'art de la toilette complète l'art IjTiquc,
se réuniraient pour juger et choisir les toilettes appelées
à symboliser le mieux la mode du moment. Les couturiers
ne demanderaient certes pas mieux que d'offrir au Musée les
modèles choisis qui consacreraient ainsi leur talent dans
le présent et dans l'avenir. Des gravures, des dessins, des
photographies, un album réunissant les meilleui"s articles
de modes compléteraient les documents à garder.
. Mais voilà où commence la difficulté. Quel local abritera
ces intéressants souvenirs? Le Musée des Arts décoratifs
pourra-t-il les loger? De quel ministère dépend la réali-
sation d'un tel projet ?
« Devrons-nous nous adres.ser au ministère du Commerce ?
à celui des Beaux-.\rts? à la Ville de Paris? ou faudra-t-il
attendre la générosité problématique d'un bienfaiteur
bien inspiré qui offrira un local pour abriter dignement
une collection aussi attrayante à bien des points de vue et
q)ic nous devons créer pour l'histoire de Paris ?
1 .\idez-moi, Monsieur le Directeur, de vos lumières et
<ic votre influence pour faire aboutir ce projet que mon
amour-propre de femme et de Parisienne verrait réaliser
avec joie et fierté.
. I-orsque nous voulons, en ce moment, trouver un docu-
ment de modes des siècles passés, nous n'avons que quelques
rares collections particulières, difficiles à aborder, des
journaux de modes, souvent incomplets et ne permettant
pas l'opinion d'une façon tangible comme le ferait le vu
de la toilette. Il faut créer l'historique du costume français
pour les générations futures : c'est une des plus belles
choses que laissera notre siècle où le règne du chiffon
guidé par l'art vaut bien d'autres règnes. Et s'il semble
l'emblème de la frivolité, il se double d'une utilité très
grande : celle d'attirer à nous tous les étrangers qui appor-
tent à Paris le tribut de leur fortune avec celui de leur
admiration.
•i Veuillez agréer. Monsieur le Directeur, l'expression de
mes sentiments très distingués.
i^ J. Ferr.vnt.
« Paris, 28, rue d'Artois. >
293
L'ART ET LES ARTISTES
BULLETIN DES EXPOSITIONS
OUVERTES
t'AKIS
Louvre (pavillon de Marsan). — Union centrale des
Arts décoratifs. Exposition de la Société de l'Histoire
du costume, jusqu'au lo octobre.
Musée Galliera, 10, rue Pierre-Charron. — Exposition des
papiers et toiles imprimés et pochés, tous les jours,
de lo heures à 4 heures, le lundi excepté.
Hôtel Le Peletier Saint-Fargeaii, 2y, rue de Sévigné. —
Exposition de » Paris sous la Képiiljlique de 1848 -,
jusqu'au i" octobre.
Coopérative des Artistes. 3, me Lafjilte. — Exposition
permanente d'n-uvres de maîtres modernes.
Galerie Charl,^ linniiiei. 11. me Royale. — Exposition
rétrospective de portraits de maîtres français, anglais
et hollandais, au profit de la Société l'Aetioii maritime.
PROVINCE ET ÉTRANGER
AvALLON, — Exposition de la Société des Amis des Arts
de r.\valonnais, du !<"'■ août au 30 septembre.
Copenhague. — .\u Palais Royal de Charlottenbourg.
Exposition française d'art décoratif, jusqu'au 13 sep-
temlire.
Dresde. — Exiiositiou internationale d'aquarelles, pastels
et arts décoratifs, jusqu'au i'' octobre.
Gand. — Quarantième exposition de la Société rovale,
du I'"' août au 27 septembre. Pour tous renseignements,
s'adresser au secrétaire, M. Scrilie, rue de la Chênaie,
à Gand.
Langres. — Société artistique de la Haute-Marne. Expo-
sition des Beaux-Arts et d'.Art décoratif, du 31 juillet
au I" septembre.
Munich. — Dixième exposition internationale des Beaux
Arts au Palais de Cristal, jusqu'à fin octobre.
Nancy. — Exposition internationale de l'est de la France,
avec section des Beaux-Arts organisée par la Société
lorraine, jusqu'à la clôture de l'Exposition interna-
tionale (octobre).
Ri'EiL (Seine-et-Oise). — Château de La Malmaison.
Exposition d'étofïes pour ameublement de l'époque
napoléonienne.
Venise. — Huitième exposition internationale des Beaux-
Arts de la ville, jusqu'au 30 octobre, organisée par la
municipalité.
ANNONCÉES
Paris. — Salon d'Automne. — Exposition annuelle, du
30 septembre au 8 novembre. S'adresser, pour rensei-
gnements, au Grand Palais, porte G.
Paris. — Rétrospective. — Camille Corot: tableaux à figures.
Bordeaux. — E.xposition d'Art humoristique, réservée
aux artistes de la région, en octobre et novembre.
Charenton (Seine). — La quarante et unième exposition
de la Société artistique est reportée à l'année pro-
chaine, la municipalité ne pouvant mettre cette
année le local à la disposition de la Société.
Liverpool. — Exposition internationale. Galerie Walker,
du 20 septembre au S janvier prochain. Pour tous
renseignements, s'adresser chez M. Pottier, 14, rue
Gaillon, à Paris.
Tananarive. — Prochainement, exposition d'Art mal-
gache, comportant : sculptures, peintures, tissus, arts
de la femme, jouets et jeux, histoire de l'art, art
rétrospectif, etc. Pour tous renseignements, s'adresser
au ministère des Colonies.
\'ai.enciennes. — Exposition organisée par la Société
valenciennoise, du 12 septembre au 10 octobre. Der-
nier délai d'arrivée en gare de Valenciennes, le 4 sep-
tembre. Pour Paris, dépôt chez Robinot, emballeur-
expéditeur, 50, rue Vaneau, avant le 25 août.
CONCOURS DE DECORATION D'UN FUSIL DE CHASSE
La Société des Art-- ilu l'tnx-z. avec l'appui de la
Chambre syndicale des lal)rn:ants d'armes qui donne
300 francs de prix, om re 1111 concours entre tous les
artistes français, pour la d,ioi,ition d'un fusil de ehasse
Hammerless ou fusil s.ins chien avec ou sans contre-
platine.
Pour que le concours ait un résultat pratique et que les
projets primés puissent être employés par la Chambre
syndicale des fabricants d'armes, il est bien spécifié que
les projets présentés ne devront pas, sous peine d'exclusion
des trois catégories ci-dessous, dépasser comme prix
d'exécution les sommes fi.xées dans chacune d'elles.
1'^ catégorie. — Projets dont le prix d'exécution ne
dépasserait pas 25 francs.
i'^ prix : 40 francs : 2" prix : 20 francs.
26 catégorie. — Projets dont le prix d'exécution serait
compris entre 25 et 40 francs.
I" prix : 60 francs ; 2" pri.x : 30 francs.
3^ catégorie. — Projets dont le prix d'exécution serait
compris entre 40 et 60 francs.
I" prix : 100 francs ; 2» pri.x : 50 francs.
4« catégorie. — Pour encourager les artistes à qui le
manque de connaissances sur les prix d'exécution pourrait
empêcher de prendre part au concours, la Société des
.^rts du Forez offre un prix de 1 50 francs au meilleur projet
présenté, quel qu'en soit le prix d'e.xécution.
Les projets pourront être complets ou ne porter que sur
la partie métallique.
Les formes du fusil Hammerless étant nouvelles, le
décor qu'elles comportent doit être en harmonie avec elles,
par conséquent essentiellement nouveau. Les motifs seront
empruntés à la faune ou à la flore.
Le choix est laissé aux concurrents entre les différents
genres de gravure (burin, échoppe, eau-forte, fond
creux, etc.), d'incrustations (rasée ou reliée, gravée ou
ciselée), de damasquine, de ciselure, etc. On admet aussi
un composé de ces différents genres d'ornement itiou.
Il pourra être présenté des dessins, des modelages au
double ou au triple d'exécution ; ils seront en ce cas accom-
pagnés de réductions photographiques à la grandeur réelle.
Conditions essentielles. — Les projets présentés au con-
cours devront avoir un caractère décoratif franchement
nouveau ; les compositions conçues dans un style connu ou
révélant une imitation quelconque par trop évidente seront
écartées.
Dépôt des œuvres. — Plusieurs projets peuvent être
adressés par le même auteur ; en ce cas le meilleur projet
concourra seul pour une récompense.
Les projets envoyés sur châssis pour en faciliter l'expo-
sition ne porteront pas d'autre indication qu'une devise
ou un signe reproduit sur enveloppe cachetée et répété à
l'intérieur sur une carte, à côté du nom de l'auteur ; le
294
L'ART ET LES ARTISTES
candidat désireux de conserver l'anonymat vis-à-vis de
ses concurrents et du public devra en faire la mention sur
cette carte.
Les projets, exécutions et envelopi>es cachetées doivent
être déposés à l'École des Arts industriels ou expédiés
franco au président de la Société des Arts du Forez, au
siège social. École des Arts industriels, le i'' octobre lyof)
au plus lard.
Le jury, à la suite du classement dont il est chargé,
fournira le procès-verbal de son opération, donnera le
nombre des concurrents, les noms des lauréats, leurs récom-
penses et la critique artistique et technique des projets ;
cette critique désignera les projets par les devises ou les
signes adoptés et non par les noms des candidats. L'en-
semble de ces documents sera adressé sous forme de cir-
culaire à chacun dés membres de la Société et aux personnes
ayant pris part an concours.
Les projets primés dans les trois premières catégories
appartiendront à la Chambre syndicale des fabricants
d'armes qui en disposera à son gré, et celui primé dans la
quatrième catégorie sera la pleine propriété de la Société
des .\mis du Forez.
I,e droit de reproduction industrielle ou de la simple
reproduction en phot<igraphie ou en <lessin des concours
non primés ne sera accordé que sur Vassottimcnt de
l'auteur.
Bibliographie
LIVRES D'ART
Petites monographies des srands édifices de la l'iaïut . —
\iennent de paraître : La cathédrale de Chartres,
par René Merlet. ancien archiviste d'Eure-el-Loir.
Un vol. in-S avec 38 gravures et -> plans. ^- Le
Château de Coucy, par 1". Li;i ùvre-Pontalis,
directeur de la Société française d'archéologie, professeur
à l'École des Chartes, t'n vol. in-S avec 56 gravures et
2 plans. (Chaque volume, broché : 2 francs ; relié : 2 fr. 50.
H. Laurens, éditeur, 6, rue de Tournon. l'aris, W.)
Que de fois n'avons-nous pas entendu les toiiristés et
les archéologues qui visitent les grands monuments de la
France réclamer des l'eliles wonographies d'un format
pratique, au courant de la science moderne et illustrées
par les e.xcellents j)rocédés photographi<iues actuels.
Grâce à l'initiative de M. Fugéne Lefèvre-Pontalis,
directeur de la Société française d'archéologie, professeur
à l'École (les Chartes, une collection de ce genre est en
cours de publication.
La première monographie, œuvre de M. René Merlet,
ancien archiviste d'Eure-et-Loir, est consacrée à la Cathé-
drale de Chartres : elle renferme 38 gravures et 2 plans ;
la seconde étudie le Château de Coucy : c'est une descrip-
tion méthodique de la ville et du château dont M. Lcfcvre-
Pontalis est l'auteur. Précédée d'une courte histoire des
sires de Coucy par M. Ph. Laucr, elle renferme 36 gravures
et 2 plans.
Cette collection des Petites monographies {/es graiuls
édifices de la I-'rance est une oeuvre éminemment utile, qui
comprendra la description sommaire des cathédrales, des
grandes églises, des monuments civils, châteaux, etc., de
la France, en volumes distincts : l' Hôtel des Invalides,
les Cathédrales de Reims, du Mans. d'Amiens, de Bourges,
de Coutances, d'Au.xerre, les Chdteau.x de Hambouillet, de
Vitré, de Vincennes sont en préparation.
Petites monographies des grands édifices de la I-'rance. —
Vient de paraître ; L'Abbaye de V'«5ze/ai/, par Ch.xrles
PoRÉE, archiviste de l'Yonne. (Un vol. in-S" avec 39 gra-
vures et I plan. Prix : broché : 2 francs ; relié toile
souple : 2 fr. 50. H. Laurens, éditeur, 6, rue de Tournon,
Paris, Vie.)
L'abbaye de Vézelay, q\ii est l'un des plus beaux si)é-
cimens de l'architecture romane et présente des morceau.x
très intéressants de la statuaire du xii*^ siècle, devait
figurer au premier rang dans cette collection des Petites
ni'uh'graphies des grands édifices de la France. Dans le
volume qu'il lui a consacré, M. Porée, après avoir résumé
l'histoire de l'abbaye, fi.xe les époques de la construction
de l'église, étudie chacune de ses parties, date et décrit
en détail les curieu.x chapiteaux de la nef et les magni-
fiques sculptures des portails. I^'ouvrage se termine par
la description de l'église de Saint-Père-sous-\'ézelay.
\'ient de paraître : La Miniature sur ivoire, par
Mme G. Debillemont-Chardcin. (l'n vol. in-.S" [25 X 16].
illustré de 16 planches phototypiques hors texte. Pri.V :
broché : 6 francs. 11. Laurens, éditeur, 6, rue <le Tournon,.
Paris, VI'\)
Mme Debillemont-Chardon. (pii a donné par ses oeuvres
tant de preuves de talent et, par les élèves qu'elle a formées,
tant de témoignages de l'excellence de sa méthode, con-
sent, en quelque sorte, en publiant son traité de la Minia-
ture sur ivoire, à dévoiler tous ses procédés et ses secrets.
L'éminente artiste a pensé qu'elle se devait à elle-
même de ne rien cacher de ce qu'elle sait sur cet art déli-
cieu.x et délicat pour la renaissance duquel elle est arrivée
aux résultats (jue tout le monde connaît.
M. Léonce Bénédite, le distingué conservateur du Musée
du Luxembourg, appréciant à sa juste valeur l'artiste
qu'est Mme Debillemont-Chardon, a écrit pour ce volume
une e.xcellente préface.
Vient de paraître: L'Art et les Mœurs en France,
par Raymond Bouver, Léon Desiiairs, Emile Hinze-
LiN, Henry JIarcel, Pierre Marcel, .\ndré Michel,
François Monod, Charles Normand, Edmond Pilon,
LÉON ROSENTHAL, ÉdOUARD SaRRADIN, CHARLES SAU-
NIER, Gaston Schéfer, ALwrice Tourneix. (Un vol. in-8
raisin illustré de 24 planches hors texte en phototypic.
Broché: 12 francs ; toile: 15 francs; reliure artistique:
17 francs.)
Dans quelle mesure les artistes s'inspirent-ils de leur
temps? Quelle interprétation en donnent-ils? Comment
les moeurs, les coutumes, les événements contemporains
influent-ils sur le développement de leur talent? Voilà les
questions auxquelles les auteurs de l'.lrt et les Mœurs en
I-'rance ont tenté de répondre pour l'art français.
On verra comment, dès le moyen âge, sculpteurs et
peintres déjà trouvaient dans la réalité contemporaine le
meilleur de leur inspiration. .\u xvi'' siècle, au contraire,
il semble que l'idéalisme ait dominé l'école française ; nos
295
L'ART ET LES ARTISTES
artistes ont coiisultr l'antiquité et les maîtres italiens avant
de regarder autour d'eux dans la nature et dans la vie.
Avec Callot, Abraham Bosse, les Le Nain, l'interprétation
des mœurs et des travers rentre en grâce. Le Brun semble
interrompre cette venue d'art réaliste. En réalité, même
dans ses œuvres les plus pompeuses, il peint exactement
son temps. Puis c'est Watteau dont le rêve exquis habille
la réalité de brillants habits de fête, et tous les maîtres du
XVIII'' siècle qu'on appelle à tort des petits-maîtres: Frago-
nard, Chardin, Jaurat, Lépicié. Greuze, Moreau le
Jeune, etc., etc.. qui tous regardent autour d'eux et inter-
prètent la vie selon leur tempérament et leur vision per-
sonnelle. Les heures tragiques de la Révolution revivent
aussi avec une émouvante intensité sons le pinceau, le
crayon ou la plume des artistes contemporains. Puis c'est
le xix^' siècle si fécond et si varié, siècle de la satire poli-
tique et de la critique acerbe des mœurs bourgeoises, avec
des hommes tels que Granville. Traviès, Henri Monnier
et surtout Daumier et Gavarni, siècle aussi de la peinture
la plus vraie, la plus sincère, la plus proche de la vie, avec
des hommes tels que Manet et Fantin-Latour.
L'art français est le seul peut-être où on puisse étudier
une peinture de mœurs florissante pendant tant de siècles.
L'Italie, à ce point de vue, n'est pas comparable à la France.
Quant à la Flandre, où plusieurs de ses artistes serrent la
réalité d'aussi près, de plus près même que les maîtres fran-
çais, ils sont tous groupés dans un demi-siècle à peine.
Les Mditrcs île l'Ait, collection publiée sous le haut
patronage du ministère de l'Instruction publique et des
Beaux-Arts. — Charles Le Brun, par Pierre M.^rcel.
(Un volume in-S". Pri.x : 3 fr. 50. Librairie Plon-\ourrit
et Cie, 8, rue Garancière. Paris, \'I".)
La belle collection des Mailiei île l'Ail vient de s'enri-
chir d'une nouvelle monographie due à la plume autorisée
de M. Pierre Jlarcel et consacrée au peintre ordinaire de
Louis XIV, à Charles Le Brun. De cette étude serrée et
lumineuse, la physionomie de l'auteur des Batailles
d'Alexandre se dégage avec une netteté surprenante,
exprimant, sans doute, une sensibilité médiocre, mais
rachetée par des qualités supérieures d'homme d'action.
Le Brun, à la faveur de ces subtiles déductions, de cet
exposé substantiel et abondamment documenté, apparaît
décidément comme un décorateur avant tout, dont les
conceptions s'adaptèrent de façon merveilleuse « à la
grandeur et à la beauté des synthèses du siècle du Roi-
Soleil ». Il fut aussi un administrateur de premier ordre
et, rien que pour ses créations des Gobelins, il mériterait
de voir durer son nom. L'art français lui dut, avec le
triomphe provisoii'e de l'académisme, une impulsion qui
permit, un peu contre son vœu, l'évolution des tempé-
raments. Rien de plus mélancolique que les efîet-s de la
malheureuse rivalité du maître avec Mignard et le déclin
de sa gloire après la mort de son protecteur Colbert.
M. Pierre Marcel a rappelé cette triste fin de carrière en
termes sobres, avec la scrupuleuse exactitude qui met son
travail à un rang si honorable.
Monticelll. par Ch.\rles Faure. (Édition de la
Glande Revue. 37, rue de Constantinople.)
L'illustre peintre marseillais a inspiré à M. Charles Faure
une fort belle étude que liront avec infiniment de plaisir et
de profit les nombreux admirateurs du singulier et puissant
artiste.
DIVERS
Francine, actrice de drame {roman de la vie
théâtrale), par Paul Gixisty. (Eugène Fasquelle, édi-
teur, 1 1, rue de Grenelle, Paris.)
Voici la femme, par .\urel. (E. Sansot et Cie, édi-
teurs, 7, rue de l'Éperon.)
Polochon (paysages animés, paysages chimériques).
par G. DE Pawlowski. (Eugène Fasquelle, éditeur.)
Pour la paix {notes et documents), par Frédéric
Passy, membre de l'Institut. (Eugène Fasquelle, éditeur.)
Les Epigrammes {vers), par Paul Mariétox. (Édi-
tion du Mfutiie de Fiante, 26, rue de Coudé. >
Les Confidences de Souricette, dame d'hon-
nenr de l'impératrice Eugénie, par Adolphe
L).\KVANi. (Eugène Fasquelle, éditeur.)
Mémoires d'un Jeune observateur, par Ernest
Depré. (Édition du Monde illustré, 13, quai ^'oltaire,
Paris.)
Aimons les arbres, par Louis Piérard. (Duframe-
Friart, éditeur, Frameries, Belgique.)
Les Révélées {roman), par Michel Cordav. (E. Fas-
quelle, éditeur.)
Fachoda, le partage de l'Ajriquc, par Gabriel Hano-
taux. de l'Académie française. (Ernest Flammarion, édi-
teur.)
Fine Mouche, par Serge B.\sset. (Édition du
Monde Illustre.)
Les Illusions, par ^Iichel Provins. (Eugène Fas-
quelle. éditeur.)
296
Table des Matières
Table des Matières du Tome IX
(Avril-Svptvnihrc 1909)
Table des Articles
Adier (Jules), Gcorsics Denoinville
Alt dOcoratif (1'), I.éandkic \'aii.i..\t :
— Une docouvcrto d'i'-totk-s Emiiirc au Mnhilier
natioual
- Husson
- Les Salons d'architecture en iQoo
- Les papiei's et toiles imprimés et )iotiii'
Musée Galliéra
— Les Ponts
Bellini (Gentile), Henry Rorjox
P,iMioL;ra])hie 1 50, igo, 2.17
Bourdelle dîmilel, Tristan Leci.kre
Clifford=Barney (Une artiste américaine : Mme),
1- RANCIS DE JIiOMANDRE
Dardé (Un jeune sculpteur français: Paul), Max
Théron
Échos des Arts 45, 103. 14S. 197, 244,
Exposition internationale de Venise (la, S^'). Gabriel
IMOUREY
Gaudenzio Ferrari à Saint-Christophe de \'erceil
(lus fresques de), L. GlELLY
Guys (Notes sur Constantin), .\rmani) Dayot
Horton (William). Jacques I.opeau
Jicha iX'aclav), William Ritter
Liotard (J.-E.), Armand Dayot
1S4
--9
-91
14,1.
240
144.
-MI
193.
2S6
194.
28-
242,
2SS
195.
289
195.
290
I4f'.
-43
Ménard loné), Louis de l'orRCArn i ^
.M<)i> artistique (le), I''. , M 33,99, 137, 1S7, 23S
Mouvement artistique à l'Ivlran-^er (le).
— .'Mlcmagne du Sud. William KiTTKR . loi
— Angleterre. I'kank Kijtter 3.S
— .\utriche, William Ritter 3g
— lîel.^iciue, Gustane Vanzyte 40
— litats-Uuis, .\. Seaton SciiMiDT . 41. 145
— Italie, RicciOTo Canudo 42, 102
— Orient, Adolphe 'l'iiALAsso,. 43, 103, 145
— Pologne. .\dam de Cviu.'lski
— Suéile, Cari. G. Lai'Rin 44, 197
— Suisse, Gaspard \'allette 4;, 147
Pcinlies Je la Femme an VXIU'- siècle (les) •
— Kcole Française, .Arsiand Day'ot 49
— lùole .\nglaisc.-, (^AisKiEi. MouREY' 77
Raffaëlli (J. !•" ), .\hsi'ne Alexandre 121
Retaille d'Uaekendover (le) Paul I. am hotte. .. . 203
Rigaud (Pierre Gaston). André; Girodie 23
Tanagra, Pierre Gusmax 3
Variétés : Causerie sur le Costume, Pierre-Emile
Cormillier 273
Watteau ((|uelques dessins de François), Edmond
Cllray' 208
WilRe (fncaricaluristi' alleniand: Rudolf), Rudolf
Meyer-Riefstaiii 224
Table des Grands et Petits Chefs-d'Œuvre
Portrait d'une incoiin
Brera, Milan)
Portrait d'un Inconnu, d'AxTOXELLO d
le Van Dyik (Musi
iMi
Jeune \'éuitienne à sa toilette, de J ACOP0 Palma , . , . 153
l'i.mire de Vietoite (Musée de l'Acropole, Athènes). . . 202
J.a lu-lie Chocolatière, de Liotard (Musée de Dresde). 250
Table des Épreuves d'Art
Intérieur d'Église (peinture), par l'ierre-G.iston I.e boulevard des Italiens (peinture), par J. F.
Rigaud N" -19 Ralfaclli N" ; i
Marie Leczinska, rc-ine de l--rance. p,ir L. Wm I.oo \''"- '"<^' Denise (aip.arelle), par R. P. Honinglon . . . N» 52
(bois de Dété) N" 5'i Guii;nol sur la plage (peinture), par William S. Hor-
ton X" .^3
Lavinia, comtesse Altliorp, ])ar Josua Reynolds
(bois de Dété)
X" 50 Jeune Bretonne (peinture) par E. Dezaunay X" 54
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