Skip to main content

Full text of "L'art ferrarais à l'époque des princes d'Este"

See other formats


L'ART  FERRARAIS 


A  L'ÉPOQUE  DES  PRINCES  D'ESTE 


L'auteur  el  les  éditeurs  déclarent  réserver  leurs  droits  de  reproduction  et 
de  traduction  en  France  et  dans  tous  les  pays  étrangers,  y  compris  la  Suède  et 
la  Norvège. 

Ce  volume  a  été  déposé  au  ministère  de  l'intérieur  (section  de  la  librairie)  en 
juin  1897. 


PARIS.    TYP.    DK    E.    PLON,    NOURRIT    ET    C'°,    RUE    GARANClÈRE,    8.   1604. 


GUSTAVE    GRUYER 


L'ART  FERRARAIS 


A  L'ÉPOQUE  DES  PRINCES  D'ESTE 


Ouvrage  couronné  par  l'Académie  des  inscriptions  et  belles- lettres 
PRIX  FOULD 


TOME    PREMIER 


PARIS 

LIBRAIRIE     PLON 

E.  PLON,  NOURRIT  et  G-,  IMPRIMEURS-ÉDITEURS 

RUE   GAIIANCIÈRE,    10 

1897 

Tous  droits  réservés 


OCT 
l 

A/ 

9â4 

^Ui 

^  '  ■.• 

fnC? 

ff9? 

±) 

AVERTISSEMENT 


Parmi  les  villes  italiennes  qui  doivent  en  grande  partie  leur 
célébrité  à  Féclat  des  arts,  Ferrare  n'est  pas,  tant  s'en  faut, 
la  dernière.  Sans  doute  son  nom  ne  résonne  pas  à  l'oreille 
comme  celui  de  Florence,  de  Rome  ou  de  Venise.  Mais, 
quoique  moins  vanté,  il  mérite  aussi  les  hommages  de  la 
postérité.  Il  faut  d'ailleurs  constater  qu'on  ne  connaît  pas 
assez  cette  ville,  si  animée  jadis,  si  morne  aujourd'hui,  et 
que  le  nombre  des  voyageurs  qui  s'y  arrêtent  n'est  pas  con- 
sidérable. Et  pourtant  que  de  souvenirs  elle  évoque,  quels 
beaux  monuments  elle  offre  aux  regards,  quelles  précieuses 
peintures  renferment  ses  églises  et  son  musée  !  Après  l'avoir 
visitée  en  détail,  nous  avons  été  persuadé  qu'en  étudiant  à 
fond  tout  ce  qui  Ta  rendue  fameuse,  nous  comblerions  une 
lacune  dans  l'histoire  de  la  civilisation  et  de  l'art.  Si  elle  a 
tenté  plus  d'un  écrivain,  elle  n'a  jamais  inspiré  un  travail 
d'ensemble,  un  travail  complet.  Ce  travail,  nous  1  avons  en- 
trepris et  mené  à  fin  ;  il  nous  a  doucement  occupé  pendant 
de  longues  années. 

Nous  avons  été  d'autant  plus  captivé  que  le  sujet  était 
souvent  embrouillé  et  qu'il  s'agissait  de  le  renouveler  par 
l'exposé  des  rectifications  dues  à  de  récentes  recherches, 


VI  AVERTISSEMENT. 

non  moins  que  par  une  critique  sans  parti  pris.  Il  n'y  a  pas 
longtemps  encore  que  l'on  n'avait  sur  les  artistes  ferrarais 
que  des  données  confuses,  souvent  erronées.  Vasari  ne  les 
connaissait  pas  tous  et  n'a  guère  parlé  des  primitifs.  Les 
récits  de  Baruffaldi,  auteur  des  P^ite  de  pittori  e  scultori 
ferra resi,  fourmillent  d'inexactitudes.  Mais  peu  à  peu  la 
lumière  s'est  faite,  grâce  aux  renseignements  fournis  par  les 
livres  de  comptes  de  la  maison  d'Esté  et  les  registres  des 
églises.  L.-N.  Cittadella,  Mgr  Antonelli,  le  marquis  Campori 
et  principalement  M.  A.  Venturi  ont  compulsé  ces  docu- 
ments avec  une  rare  sagacité.  La  plupart  des  vraies  dates 
ont  été  rétablies;  les  attributions  fausses  ont  disparu. 
MM.  A.  Eertolotti,  Frizzoni,  E.  Ridolfi,  Umberto  Rossi  et 
plusieurs  autres  érudits  italiens  ont  aussi  fourni  leur  contin- 
gent d'observations.  En  Allemagne,  MM;  Bode,  Lippmann, 
Harck  et  Thode  ont,  de  leur  côté,  contribué  à  élucider  bien 
des  questions.  Recueillir  et  coordonner  tous  ces  renseigne- 
ments, parus  dans  des  recueils  souvent  très  difficiles  à  se 
procurer  en  France,  c'est  ce  que  nous  nous  sommes  efforcé 
de  faire,  assuré  de  rendre  ainsi  aux  lecteurs  le  meilleur  des 
services  et  de  répandre  sur  des  points  douteux  de  précieux 
éclaircissements,  tout  en  regrettant  qu'il  reste  encore  beau- 
coup d'obscurité  sur  plusieurs  des  anciens  peintres  de  Fer- 
rare. 

Si  nous  nous  sommes  d'abord  attardé  avec  les  princes 
d'Esté,  c'est  qu'ils  ont  fait  de  leur  capitale  un  des  princi- 
paux foyers  de  la  Renaissance.  Il  importait  d  indiquer  leur 
caractère,  leurs  goûts  esthétiques,  la  nature  de  leurs  rap- 
ports avec  les  lettrés  et  les  artistes,  sans  négliger  les  princi- 


AVERTISSEMENT.  VII 

paux  événements  qni  ont  favorisé  ou  entravé  la  protection 
qu'ils  accordaient  à  ceux-ci. 

La  peinture  ferraraise,  qui  a  un  caractère  si  particulier  de 
rude  énergie,  surtout  à  la  fin  du  quinzième  siècle,  sous  les 
règnes  de  Borso  et  d'Hercule  r',  a  été,  de  notre  part,  l'objel; 
d'une  minutieuse  enquête.  On  ne  saurait  refuser  son  admi- 
ration à  des  artistes  aussi  originaux  que  Cosimo  Tura, 
Francesco  Cossa,  Ercole  Roberti,  Ercole  Grandi  et  Lorenzo 
Costa.  Quelle  intensité  d'expression  dans  leurs  œuvres,  et 
quel  robuste  coloris  !  C'est  aussi  par  l'harmonieuse  vigueur 
de  la  couleur  que  Dosso,  Garofalo  et  Mazzolino  charment 
principalement  les  yeux.  A  la  biographie  rectifiée  de  chaque 
peintre,  nous  avons  eu  soin  d'ajouter  la  liste  de  tous  ses  ou- 
vrages, en  sorte  qu'on  a  sous  la  main  une  sorte  de  guide, 
facile  à  consulter. 

Quant  à  la  sculpture,  qui,  dans  les  monuments  de  Ferrare, 
offre  des  spécimens  d'un  réel  talent,  on  verra  qu'elle  n'a 
guère  été  pratiquée  par  des  maîtres  ferrarais. 

L'examen  des  églises  et  des  palais  ne  sera  pas  non  plus, 
ce  nous  semble,  sans  intérêt.  Il  montrera  la  valeur  des  ar- 
chitectes employés  par  les  princes  d'Esté. 

Pour  rendre  à  toutes  les  manifestations  de  Fart  la  justice 
qui  leur  est  due,  nous  n'avons  pas  négligé  non  plus  la  mi- 
niature, la  sculpture  en  bois  et  la  marqueterie,  l'orfèvrerie, 
la  glyptique,  la  tapisserie,  les  cuirs  à  la  façon  de  Cordoue, 
la  majolique  et  la  porcelaine,  les  médailles  et  les  livres  à 
gravures  sur  bois.  Les  médailles  feront  passer  devant  nous 
les  personnages  de  marque  qui  composaient  l'entourage  des 
seigneurs  de  Ferrare,  et  nous  mentionnerons  ce  qu'on  sait 


viii  AVERTISSEMENT. 

sur  ces  personnages.  En  parlant  des  livres  illustrés,  nous 
rencontrerons  des  vignettes  exquises  et  de  charmants  enca- 
drements de  pages.  Des  livres  tels  que  le  De  claris  mulieri- 
bus  et  que  les  Lettres  de  saint  Jérôme,  sont  au  nombre  des 
plus  beaux  ([ui  existent. 

Tel  est  Tensemble  des  sujets  que  nous  avons  traités. 
Puissions-nous  avoir  réussi  à  donner  une  idée  exacte  et  aussi 
complète  que  possible  de  ce  que  fut  l'art  à  Ferrare  pendant 
les  deux  siècles  les  plus  glorieux  de  son  passé. 


KART  FERRARAIS 

A  L'ÉPOQUE  DES  PRINCES  D'ESTÉ 


LITRE   PREMIER 


CHAPITRE    PREMIER 

LES    PRINCES    D'ESTE   ET    LEUR    INFLUENCE 

SUR    LE    DÉVELOPPEMENT    DE    LA    CIVILISATION 

A    FERRARE. 

C'est  à  la  famille  d'Esté,  «  la  plus  ancienne  et  la  plus  fameuse 
de  l'Italie  après  celle  des  ducs  de  Savoie  (1)  »  ,  que  la  ville  de 
Ferrare  a  dû  sa  prospérité  et  son  éclat;  c'est  grâce  à  elle  que 
les  arts  s'y  sont  développés  avec  un  caractère  particulier  d'âpre 
énergie,  qui  s'atténua  peu  à  peu  sous  les  impulsions  du  dehors. 
Il  est  donc  nécessaire  de  connaître  le  caractère  des  princes 
dont  les  encouragements  furent  si  efficaces.  Passer  rapide- 
ment en  revue  les  événements  qui  favorisèrent  ou  entravè- 
rent la  marche  de  la  civilisation  n'est  pas  moins  important. 
Quelques  renseignements  sur  les  productions  littéraires  ne 
seront  pas  non  plus  inutiles  pour  donner  une  idée  de  l'état 
général  des  esprits.  Les  lettrés,  d'ailleurs,  n'exercent-ils  pas 
souvent  une  influence  manifeste  autour  d'eux?  Giovanni  Dosso, 
par  exemple,  n'a-t-il  pas  subi  le  charme  des  fantaisies  de 
l'Arioste,  et  ne  leur  a-t-il  pas  demandé  des  inspirations?  N'est- 

(1)  Gregorovius,  Lucrèce  Borjia ,  p.  70  dans  le  t.  II  de  la  traduction 
française. 


L'ART    FERRARAIS. 


ce  pas  à  des  humanistes  en  renom  que  les  princes  se  sont 
maintes  fois  adressés  pour  indiquer  aux  peintres  les  sujets  à 
traiter  dans  leurs  palais? 


VICISSITUDES    DE    FERRARE    DEPUIS     LA     SECONDE    MOITIÉ 
DU    HUITIÈME     SIÈCLE    JUSQU'eN     1185. 


La  ville  de  Ferrare  est  située  «  dans  une  plaine  vaste  et 
richement  cultivée,  mais  uniforme,  dont  la  limite  à  Thorizon 
n'offre  rien  de  heau,  car  les  Alpes  Véronaises  ne  sont  qu'indi- 
quées dans  le  lointain,  tandis  que  l'Apennin  plus  rapproché 
manque  encore  de  grandeur  (1)  ».  Son  nom  n'apparaît  dans 
des  actes  authentiques  qu'après  la  première  moitié  du  huitième 
siècle,  mais  son  existence  remonte  beaucoup  plus  haut.  Elle 
fut  tour  à  tour  soumise  aux  exarques  de  Ravenne  et  aux  princes 
lombards,  puis  comprise  dans  la  donation  faite  au  Saint-Siège 
par  Charlemagne  et  confirmée  par  Otlion  le  Grand,  tout  en 
ayant  à  subir  les  prétentions  intermittentes  des  empereurs 
d'Allemagne  à  la  suzeraineté.  Pendant  cette  dernière  période, 
le  gouvernement  fut  entre  les  mains  de  ducs,  de  comtes,  de 
marquis,  exerçant  l'autorité  militaire  et  l'autorité  judiciaire 
au  nom  des  maîtres  en  titre.  A  la  fin  du  dixième  siècle,  le 
pape  Benoît  VII  accorda,  moyennant  une  redevance  annuelle, 
la  principauté  de  Ferrare  h  Tedaldo  qui  construisit  à  côté  du 
Pô  (2)  une  citadelle,  le  Castel  Tedaldo  (3),  et  qui  eut  pour  suc- 

(1)  Gregorovius,  Lucrèce  Borqia,  t.  II,  p.  79. 

(2)  '•  Ce  Heuve,  dans  son  cours  majestueux,  passe  à  quatre  milles  de  Ferrare,  et 
c'est  seulement  un  bras  détourné,  le  Pô  de  Ferrare,  appelé  aujourd'hui  canal  de 
Cento,  qui  passe  dans  la  ville  où  il  se  partage  en  deux  branches,  le  Yolano  et  le 
Primaro,  débouchant  l'un  et  l'autre  dans  la  mer  Adriatique.  »  (Gregorovius, 
Lucrèce  Borgia,  t.  II,  p.  21-22.) 

(3)  Le  Castel  Tedaldo  servit  de  limite   occidentale   à  la   ville.    Par  une  des 


LIVRE   PREMIER.  3 

cesseur  son  fils  Bonifazio,  père  de  la  comtesse  Mathllde.  Après 
la  mort  de  Bonifazio,  les  Ferrarais  jouirent  en  fait  d  une  indé- 
pendance presque  complète,  depuis  1052  jusqu'à  1101.  La 
comtesse  Mathilde  régna  sur  eux  à  partir  de  1101  sans  sup- 
primer leurs  consuls  et  leur  administration  municipale,  et, 
quand  elle  fut  morte  (1115),  la  Commune  redevint  pleinement 
maîtresse  d'elle-même.  Deux  familles  se  disputèrent  la  supré- 
matie, parfois  même  la  souveraineté  :  la  famille  des  Adelardi 
ou  des  Marcheselli  (1),  attachée  à  la  cause  du  Saint-Siège,  et 
la  famille  des  Salinguerri  ou  des  Torelli,  dévouée  aux  intérêts 
de  l'Empereur.  L'autorité  de  cette  dernière  s'accrut  momen- 
tanément à  la  suite  des  expéditions  de  Frédéric  Barberousse 
en  Italie.  Assujettis  à  ce  prince  de  1158  à  1167,  les  Ferrarais 
s'associèrent  ensuite  aux  efforts  de  la  ligue  lombarde  contre 
cette  domination  et  recouvrèrent  leur  liberté,  qui  fut  complète 
entre  1167  et  1176.  Par  la  paix  que  signèrent  à  Venise  le  pape 
Alexandre  III  et  l'empereur  Frédéric,  les  anciens  droits  des 
Souverains  Pontifes  sur  Ferrare  furent  proclamés ,  ce  qui 
n'empêcha  pas  les  citoyens  de  se  gouverner  eux-mêmes,  de 
nommer  leurs  consuls  et  leur  podestat,  quitte  à  payer  certaines 
redevances.  Peu  après,  le  Conseil  des  Sages,  qui  avait  à  sa  tête 
le  Juge  des  Sages,  remplaça  les  consuls. 

portes  du  diàteau,  donnant  sur  le  fleuve,  on  pouvait  aller,  au  moyen  d'un  pont 
de  bateaux,  à  l'extrémité  duquel  se  trouvait  le  fort  Saint-Clément  qui  existait 
encore  vers  la  fin  du  dixième  siècle,  dans  le  faubourj;  de  S.  Giacomo.  Durant  les 
luttes  entre  Guelfes  et  Gibelins,  le  Gastel  Tedaldo  fut  le  centre  des  partisans  du 
Pape,  tandis  que  les  adhérents  de  l'Empereur  avaient  pour  quartier  général  le 
Castel  de  Cortesi,  à  l'est.  Le  Gastel  Tedaldo  n'a  été  détruit  qu'au  dix-septième 
siècle. 

(1)  Marchesella  fut  le  nom  d'une  feitime  des  Adelardi.  —  Gu{;lielmo  II  Mar- 
cheselli fonda  la  cathédrale  actuelle,  consacrée  en  1135.  —  Guylielmo  III  mon- 
tra un  véritable  héroïsme  lorsque  Ancône,  assiéjjée  à  la  fois  par  les  Vénitiens  et 
par  Cristiano,  archevêque  de  Mayeace  et  plénipotentiaire  de  Frédéric  Barbe- 
rousse, implora  son  assistance  afin  d'échapper  aux  horreurs  de  la  famine  et  à  une 
imminente  destruction  (1174)  :  il  leva  une  petite  armée,  hypothéqua  tous  ses 
biens  pour  la  solder,  se  mena{»ea  au  moyen  d'un  stratagème  la  possibilité  de  tra- 
verser Ravenne  où  dominait  un  partisan  de  l'Empereur,  et  provoqua  la  levée  du 
siège  d' Ancône  en  faisant  croire  à  l'arrivée  de  nombreux  renforts  grâce  aux  torches 
attachées  pendant  la  nuit  au  bout  des  lances  de  ses  soldats.  (Fnizzi,  Mem.  per  U 
storia  di  Fcrrara,  t.  II,  p.  255-258.  —  Voyez,  dans  le  même  ouvrage,  l'arbre 
généalogique  des  Marcheselli,  t.  II,  p.  209,  et  celui  des  Torelli,  p.  219.) 


L'ART    FEURARAIS. 


II 


les   commencements   de  la   domination   des   princes 
d'esté   a   ferrare   (1185-1361). 


Telle  était  la  situation  lorsque  la  famille  des  Marclieselli 
s'éteignit  (1185).  Cette  famille  eut  pour  héritiers  de  ses  biens 
et  de  ses  prétentions  les  Este  (1).  Quelques-uns  d'entre  eux 
s'installèrent  dans  la  ville  de  Ferrare  et  en  devinrent  citoyens. 
Azzolino  d'Esté  y  fut  podestat  en  1196  et  en  1205  et  s'attacha 
les  nobles,  tandis  que  Salinguerra  II,  son  rival,  recherchait  la 
faveur  populaire.  Après  une  longue  lutte  entre  les  deux  ad- 
versaires, les  Ferrarais,  croyant  échapper  aux  discordes  civiles, 
nommèrent  Azzolino  seigneur  à  perpétuité,  avec  le  droit  de 
choisir  son  successeur  (1208);  mais  les  factions  continuèrent 
à  déchirer  la  ville,  où  Guelfes  et  Gibelins  se  persécutèrent 
tour  à  tour.  L'autorité  d' Azzolino  subit  plus  d'une  éclipse. 

Aldohrayidino,  fils  d'Azzolino,  eut  un  pouvoir  moins  stable 
encore.  Il  mourut  sans  laisser  de  fils.  Les  intérêts  de  la  maison 
d'Esté  eurent  alors  comme  représentant  (1215-1264)  l'éner- 
gique Azzo  Novello,  fils  d'Azzolino  et  frère  d'Aldobrandino,  qui 
ne  put  cependant  empêcher  Salinguerra  II  de  dominer  pen- 
dant quelques  années  à  Ferrare  (1222-1231).  Nommé  podestat 
de  cette  ville  pour  un  temps  illimité  (1242),  Azzo  Novello  em- 
ploya l'influence  que  lui  assurait  sa  situation  à  consolider  son 
crédit  (2).  S'il  renonça  à  la  charge  qui  lui  avait  été  confiée,  il 
fit  en  sorte  que  tous  les  magistrats  dépendissent  de  lui,  et  il 

(1)  Un  marquis  d'Esté  avait  épousé  la  fille  de  Guglielmo  Adelardi  (1176). 

(2)  Dès  1242,  il  posa  les  fondements  de  son  palais,  ([ui  ne  fut  achevé  qu'au 
bout  de  vinj;t  ans  environ.  Incendié  par  la  faction  gil)eline,  ce  palais  fut  recon- 
struit au  siècle  suivant.  Après  une  foule  de  transformations,  il  est  devenu  le  siège 
de  l'administration  municipale.  (G.  Campori,  Gli  architetti  e  gl'  ingegneri  degli 
Eslensi,  p.  i.) 


LIVRE   PREMIER.  5 

eut,  en  réalité,  la  puissance  d'un  souverain.  Sa  libéralité  le 
rendit  très  populaire.  Au  milieu  de  ses  préoccupations  poli- 
tiques, il  encouragea  la  poésie  provençale,  cultivée  à  la  cour 
par  maître  Ferrari,  improvisateur,  par  Rambaldo  Yaguerras, 
Raimond  d'Arles  et  Americo  Peguilain ,  qui  célébrèrent  les 
vertus  et  les  grâces  des  filles  du  marquis.  C'est  alors  que  vécut 
Gelasio  di  Niccolù,  le  premier  peintre  ferrarais  dont  l'histoire 
ait  gardé  le  souvenir. 

Azzo  Novello  n'eut  qu'un  fils,  Rinaldo,  mort  avant  lui 
(li251)  ;  mais  il  eut  quatre  filles,  dont  l'une,  Béatrice,  épousa 
André  II,  roi  de  Hongrie.  Il  désigna  comme  son  successeur, 
à  l'exclusion  de  Stefano,  fils  légitime  de  Béatrice,  Ohizzo,  fils 
naturel  de  Rinaldo.  Avec  Obizzo,  la  maison  d'Esté  prit  de  plus 
solides  racines  à  Ferrare.  Obizzo  n'avait  que  dix-sept  ans 
(126  4),  lorsque,  à  l'aide  des  manœuvres  d'Aldigerio  Fontana, 
principal  conseiller  du  prince  défunt,  il  fut  proclamé  par  le 
peuple,  réuni  au  son  de  la  cloche  sur  la  place  garnie  de  ci- 
toyens en  armes,  «  gnhemator  et  rector  et  genernlis  et  perpe- 
tiius  Dominus  civitatis  Ferrariae  »  .  Le  pape  Urbain  IV  ratifia 
ce  choix  et  recommanda  aux  Guelfes  d'obéir  à  Obizzo,  que 
l'on  trouve  désigné  dans  les  lois  comme  «  seigneur  perpétuel 
de  Ferrare  par  la  grâce  de  Dieu  et  du  Saint-Siège  (1)  ».  A 
l'exemple  des  Ferrarais,  les  habitants  de  Modène  (1288)  (2) 
et  de  Reggio  (1290)  se  donnèrent  à  lui  (3).  Les  ennemis  ce- 
pendant ne  lui  manquèrent  pas  :  deux  tentatives  de  sédition 
se  produisirent,  et,  à  sa  table,  un  Bolonais  le  frappa  d'un  coup 
de  couteau  au  visage,  sans  réussira  le  tuer.  L'ensemble  de  son 
règne,  toutefois,  fut  assez  calme,  et  les  fêtes  se  multiplièrent 

(1)  La  meilleure  entente  régna  aussi  entre  Obizzo  et  Rodolphe  de  Habsbourg. 

(2)  Obizzo  lit  commencera  Modène  un  château  fortilié qu'acheva  son  successeur 
Azzo  VIII,  mais  qui  fut  bientôt  détruit,  quand  le  peuple  reprit  son  indépendance. 
Les  Este  ayant  été  rappelés  en  1336,  le  château  fut  reconstruit.  Il  a  été  remplacé 
au  dix-septième  siècle  par  le  palais  royal,  mais  Domenico  Lana  en  a  reproduit  la 
façade  (1633)  dans  le  grand  tableau  qui  orne  la  salle  du  Conseil  communal  de 
Modène,  et  qui  représente  S.  Geminiano  et  la  Vierge.  (G.  Campobi,  Gli  architetti 
e  gV  ingegneri  degll  Estensi,  p.  2.) 

(3)  Ces  deux  villes  appartinrent  dès  lors  aux  souverains  de  Ferrare,  qui  ne  les 
perdirent  que  momentanément.  Elles  relevaient  de  l'Empire. 


6  L'ART    FEIUIARATS. 

dans  la  ville  et  à  la  cour.  En  1279,  il  fut  décidé  que  désor- 
mais, le  jour  de  l'Assomption,  il  se  ferait  des  courses  de  che- 
vaux, et  que  le  vainqueur  recevrait  un  bidet  [i^onzino) ,  un 
épervier  et  deux  braques.  Une  autre  ordonnance,  publiée  peu 
après,  prescrivit  «  ut  in  festo  Beati  Georgii  equi  currant  ad 
palliuin  et  porchettam  et  gallum  »  .  Lors  du  mariage  d'Azzo, 
fils  aine  d'Obizzo,  avec  Jeanne  Orsini,  arrière-petite-nièce  du 
pape  Nicolas  III  (1282),  de  brillants  tournois  se  succédèrent 
depuis  le  jour  de  saint  Michel  jusqu'au  jour  de  saint  François, 
et  quand  le  marquis  ramena  de  Vérone,  où  il  l'avait  épousée, 
la  fille  aînée  d'Alberto  délia  Scala,  seigneur  de  Vérone  (1289), 
il  ordonna  des  fêtes  plus  magnifiques  encore  (1).  Ces  réjouis- 
sances empêchaient  le  peuple  d'écouter  les  suggestions  des 
ambitieux  toujours  prêts  à  souffler  la  rébellion,  et  augmen- 
taient au  dehors  le  renom  de  la  maison  régnante. 

En  même  temps ,  le  goût  des  beaux  livres  manuscrits 
commençait  à  se  manifester.  La  Commune  fit  exécuter  pour 
la  cathédrale ,  en  l'honneur  de  la  sainte  Vierge  et  de  saint 
Georges  ,  une  Bible  en  deux  volumes.  Un  de  ces  volumes 
ayant  été  mis  en  gage  par  les  chanoines,  un  décret  en  ordonna 
la  restitution,  et  des  mesures  furent  prises  pour  que  la  pré- 
cieuse Bible,  conservée  en  lieu  sûr,  ne  sortit  plus  de  la  cathé- 
drale. 

Le  plus  ancien  architecte  que  l'on  connaisse  au  service  de 
la  maison  d'Esté,  Amadio  ou  Armanno  di  Bongiiadagni,  ajouta 
au  palais  d'Obizzo  en  1283  la  tour  de  F  Horloge,  dite  tour  de 
Rigohello,  dont  la  foudre  détruisit  une  partie  en  1536,  et  qui 
disparut  complètement  en  1553  (2). 

Dante  a  relégué  Obizzo  dans  l'enfer  avec  les  princes  vio- 
lents, et  raconte  qu'il  fut  étranglé  par  son  fils  Azzo  (3).  Il  ne 
semble  pourtant  pas  qu'Obizzo  ait  eu  plus  de  méfaits  sur  la 

(i)  Obizzo  se  maria  deux  fois.  Il  épousa  du  vivant  de  son  père  ;  1263}  Giaconia 
de'  Fiesclii  de  Gênes,  qui  mourut  en  1287.  Costanza  délia  Scala  fut  sa  seconde 
femme. 

(2)  G.    Campori,  GH  aicliitetli  e  rji  incjegneri  ilegli  Estensi,  p.  9. 

(3)  Chant  XII,  vers  110.  —  Obizzo  eut  deux  autres  fils,  Aldobrandino  etFran- 
cesco,  dont  il  sera  bientôt  question. 


LIVRE   PREMIER.  7 

conscience  que  nombre  de  ses  contemporains  (1),  et  si,  à 
l'époque  du  poète,  on  attribuait  à  un  parricide  la  mort  du 
marquis  de  Ferrare  (2),  aucun  document,  selon  Frizzi,  ne  con- 
firme cette  tradition.  Obizzo  fut  enseveli  dans  l'église  de  Saint- 
François  (1293). 

Au  milieu  des  luttes  qui  suivirent  le  règne  à'Azzo  fils  et 
successeur  d'Ohizzo  (3),  la  domination  des  Este  cessa  quelque 
temps  à  Ferrare.  Fresco,  fils  naturel  d'Azzo,  se  croyant  dans 
l'impossibilité  de  résister  à  son  oncle  François  d'Esté,  un  des 
frères  d'Azzo  (4),  que  soutenait  Clément  V,  céda  ses  droits 
aux  Vénitiens,  chez  lesquels  il  se  retira.  Une  guerre  atroce, 
pendant  laquelle  François  d'Esté  fut  assassiné,  s'ensuivit  entre 
les  troupes  de  la  République  et  celles  du  Pape.  Clément  V 
victorieux  disposa  de  Ferrare  en  maître  et  nomma  vicaire  du 
Saint-Siège  dans  cette  ville  Robert  roi  de  iSaples,  qui  la  gou- 
verna par  ses  délégués,  dont  le  joug  exécré  dura  depuis  1312 
jusqu'à  1317.  Après  avoir  chassé  les  Gascons,  le  peuple  pro- 
clama seigneurs  de  Ferrare  les  neveux  d'Azzo  d'Esté,  c'est-à- 
dire  Rinaldo,  Obizzo  et  Nicolas  I",  fils  d'Aldobrandino,  Azzo 
et  Bertoldo,  fils  de  François  (5),  qui  encoururent  avec  tous  les 
citoyens  les  censures  de  l'Église.  Une  réconciliation  cependant 
était  désirable  pour  le  Pape  aussi  bien  que  pour  ceux  qui 
l'avaient  bravé  :  elle  eut  lieu  à  la  fin  de  1328  et  fut  célébrée 
par  des  jeux  et  des  tournois.  Peu  après,  le  Souverain  Pontife 
nomma  Rinaldo^  Obizzo  et  Nicolas  I"  (tous  les  trois,  nous 
l'avons  dit,  fils  d'Aldobrandino)  vicaires  du  Saint-Siège  à 
Ferrare  pour  dix  ans,   sous  la  condition  de  payer  dix  mille 


(1)  Il  tenta  de  s'emparer  de  Mantoue  en  feignant  de  vouloir  concilier  les  partis 
qui  divisaient  la  ville  ;  mais  son  dessein  fut  pénétré,  et  il  dut  s'enfuir  précipitam- 
ment. Sa  conduite  privée  ne  fut  pas  non  plus  sans  reproche.  Dante  rapporte  que 
la  belle  Gliisola  fut  sa  maîtresse  (chant  XVIII,  vers  56),  et  Frizzi  mentionne  qu'il 
eut  deux  enfants  naturels. 

(2)  Azzo,  aidé  de  son  frère  Aldobrandino,  aurait  tué  Obizzo  parce  que  celui-ci 
destinait  le  trône  de  Ferrare  à  François,  son  troisième  fds, 

(3)  Azzo  mourut  en  1308. 

(4)  L'autre  fut  Aldobrandino. 

(5)  C'est  probablement  sous  le  règne  de  ces  princes  que  Giotto  exécuta  des 
peintures  dans  l'ancien  palais  des  souverains  de  Ferrare. 


8  L'AI\T   FEURARAIS. 

florins  d'or  par  an,  et  il  leur  conféra  l'investiture  en  1332. 
L'autorité  des  Este  s'exerçait  donc  en  vertu  d'un  titre  légitime 
et  officiellement  reconnu.  On  eut  pu  croire  qu'une  cordiale 
entente  allait  régner  entre  les  légats  pontificaux  et  les  souve- 
rains de  Ferrare.  Il  n'en  fut  rien.  De  part  et  d'autre  on  s'aban- 
donna aux  violences  et  aux  perfidies,  et  des  collisions  achar- 
nées ensanglantèrent  Ferrare,  dont  le  légat  Beltramo  dal 
Poggetto  essaya  de  s'emparer. 

Après  la  mort  de  Rinaldo  (1335),  Obizzo,  quoique  parta- 
geant le  pouvoir  avec  son  autre  frère  Nicolas  I",  eut  la  haute 
main  dans  la  direction  des  affaires.  Il  se  signala  par  sa  magni- 
ficence et  sa  lilîéralité.  Ayant  à  négocier  avec  Venise,  il  s'y 
rendit  sur  un  navire  qui  excita  une  vive  admiration  :  ce  navire, 
dont  la  disposition  avait  été  imaginée  par  Ser  Dino,  son  cham- 
bellan, se  composait  de  plusieurs  étages,  avec  des  chambres 
très  richement  meublées,  où  1  on  avait  réuni  tout  ce  qui  peut 
contribuer  aux  aises  de  la  vie.  A  l'occasion  de  plusieurs  ma- 
riages dans  la  famille  Gonzague,  le  même  prince  offrit  aux 
nouveaux  époux  six  vêtements  d'écarlate,  six  vêtements  re- 
haussés d'argent,  quatre  chevaux  et  des  harnais  dorés.  Nombre 
de  grands  personnages,  princes,  ambassadeurs,  évêques,  con- 
statèrent h  Ferrare  sa  courtoisie  et  la  bonne  grâce  de  son 
accueil  :  tels  furent  le  duc  Guarnieri,  qui  consentit  sur  ses 
instances  à  licencier  la  Grande  Compagnie,  fameuse  pour  ses 
excès  et  ses  cruautés,  et  Jean  Villani,  qui  figura  parmi  les  otages 
remis  au  marquis  de  Ferrare  par  les  Florentins  et  par  Mastino 
délia  Scala,  lorsque  Mastino  eut  vendu  la  ville  de  Lucques  aux 
Florentins.  A  la  cour  d'Obizzo  se  trouvait  un  bouffon,  nommé 
Gonnella,  auquel  Franco  Sacchetti  (1)  a  consacré  sa  vingt- 
septième  Nouvelle,  et  dont  les  facéties  nous  ont  été  transmises 
dans  un  volume  imprimé  à  Venise  en  1548  et  dans  un  poème 
de  Cesare  Becelli,  publié  à  Vérone  en  1739.  Auprès  d  Obizzo 
vécut  aussi  un  poète  ferrarais  de  quelque  renom,  Antonio  dal 
Beccaio  ou  de  Beccari  :  le  bruit  s'étant  répandu  que  Pétrarque 

(1)   Sacclietli  naquit  à  Florence  vers  1335  et  mourut  vers  1402. 


LIVRE    PREMIER.  9 

était  mort  en  se  rendant  à  Naples  pour  s'acquitter  d'un  mes- 
sage du  pape  Clément  VI,  Antonio  composa  une  canzone  à 
laquelle  l'illustre  écrivain  ne  tarda  pas  à  répondre  par  un 
sonnet  (1).  Selon  Franco  Sacchetti,  Antonio  dal  Beccaio  était 
un  homme  de  cour  fort  irréligieux  ;  Pétrarque  le  taxe  seule- 
ment de  versatilité  (2). 

L'investiture  accordée  parle  Pape  expira  en  1342.  Obizzo, 
en  1344,  en  obtint  le  renouvellement  pour  neuf  ans;  puis, 
en  1351,  pressentant  sa  fin  prochaine,  il  fit  accorder  h  lui 
et  à  ses  fils  une  prorogation  de  dix  ans.  L'année  suivante,  il 
n'existait  plus.  On  lui  fit  dans  l'église  de  Saint- François , 
à  la  lueur  de  trois  cents  torches,  des  funérailles  magnifiques 
auxquelles  assistèrent  trois  évéques.  C'est  sous  son  règne  que 
parut  la  première  monnaie  frappée  au  nom  d'un  prince 
d'Esté. 

Il  laissait  onze  enfants  qu'il  avait  légitimés  en  épousant 
leur  mère,  la  belle  Lippa  ou  Filippa  Ariosti,  fille  de  Giacomo 
Ariosti,  noble  bolonais,  quand  celle-ci  fut  sur  le  point  d'expi- 
rer. Sa  femme  légitime,  Giacoma  di  Romeo  de'  Pepoli,  morte 
en  1341 ,  ne  lui  avait  point  donné  de  postérité. 

Obizzo  eut  comme  successeur  son  iîls  aine  Aldobrandino,  qui 
obtint  dès  1360,  non  seulement  en  sa  faveur,  mais  en  faveur 
de  trois  de  ses  frères,  le  renouvellement  du  vicariat  de  Ferrare, 
pour  sept  ans,  et  qui  mourut  en  1361. 

(1)  La  canzone  a  été  insérée  parmi  les  Biine  antiche  de  la  Bella  inano  de 
Giusto  de'  Conti,  et  l'on  peut  lire  le  sonnet,  commençant  par  ces  mots  :  «  Quelle 
pietose  rime  in  cliio  m'accorsi  «  ,  dans  les  œuvres  de  Pétrarque  (édition  Le 
Monnier,  Florence,  1854,  p.  426). 

(2)  Un  neveu  d'Antonio  écrivit  également  des  poésies  et  composa  un  traité 
intitulé  :    "  Regulœ  singnlares.  » 


10  I/ART    FERRABAIS. 


III 

NICOLAS    II    LE    BOITEUX. 
(Né  en  1338,  il  régna  de  1361  à  1388.) 


Aldobrandino  fut  remplacé,  non  pas  par  ses  fils,  mais  par 
son  frère  Nicolas  II  Zoppo  (le  Boiteux),  qui  avait  été  compris 
clans  la  dernière  investiture.  Nicolas  II  rehaussa  singulièrement 
le  renom  de  sa  famille  par  la  sagesse  de  sa  politique,  par  l'éclat 
de  sa  cour,  par  son  goût  pour  les  lettres  et  les  arts. 

De  concert  avec  ses  voisins,  11  s'efforça  de  mettre  un  frein  à 
l'ambition  dévorante  de  Barnabe  Yisconti,  négocia  avec  les 
seigneurs  de  l'Italie  pour  délivrer  le  pays  des  bandes  merce- 
naires et  des  capitaines  d'aventure,  fut  choisi  comme  arbitre 
à  l'occasion  de  certains  différends  entre  Venise  et  Padoue, 
entre  Padoue  et  Trévise  (1). 

Il  hébergea  magnifiquement  dans  son  palais  Malatesta  Un- 
ghero  et  Galeotto,  seigneurs  de  Rimini,  en  l'honneur  desquels 
il  donna  un  tournoi;  le  comte  d'Urbin,  Jacques  d'Aragon,  se- 
cond mari  de  Jeanne,  reine  de  Naples,  h  qui  il  fit  présent  de 
deu\  chevaux;  Amédée  VI,  comte  de  Savoie;  Charles  IV^avecf?''ii"'-7" 
sa  femme  (2),  et  Valentine  Visconti  qui  arriva  avec  six  cent  qua- 
rante-six chevaux  en  se  rendant  à  Venise  (3) . 

Nicolas  II  ne  craignait  pas  de  se  déplacer.  Il  alla  plusieurs 
fois  à  Venise,  soit  pour  visiter  le  roi  de  Chypre,  qu'il  convia  à 
un  somptueux  festin,  soit  pour  y  jouir  du  magnifique  palais  que 
la  République  lui  avait  donné  par  reconnaissance  pour  d'im- 

(1)  Il  avait  épousé  en  1362  Verde  délia  Scala,  qui  mourut  à  Venise  en  1394. 

(2)  Ils  entrèrent  achevai  dans  la  ville;  Malatesta  Unjjliero  tenait  par  la  bride 
le  cheval  de  l'Empereur;  Ugo  et  Alberto,  frères  de  Nicolas  II,  conduisaient  le 
cheval  de  l'Impératrice. 

(3)  Valentine  devait  ensuite  gagner  l'ile  de  Chypre,  dont  elle  allait  devenir  la 
reine. 


LIVRE   PREMIER.  11 

portants  services  (1).  Avec  une  suite  de  deux  cent  vingt-cinq 
personnes,  il  entreprit  un  pèlerinage  à  Rome,  où  il  résida  cinq 
jours.  Il  fit  aussi  le  voyage  d'Avignon,  et  c'est  lui,  dit-on,  qui 
décida  le  pape  Urbain  V,   si  vivement  sollicité  déjà  par  Pé- 

Jl,('^'  trarque,  à  ramener^le  Saint-Siège  à  Rome.  Le  rendez-vous  des 
princes  qui  devaient  accompagner  le  Souverain  Pontile  fut  fixé 
àViterbe,  et,  pendantle trajet  entre  cette  ville  et  Rome,  la  garde 
de  la  personne  d'Urbain  Y  fut  confiée  à  Nicolas  II.  On  se  mit  en 
marche  le  14  octobre  1367  et  l'on  arriva  dans  la  matinée  du  16, 
un  samedi,  devant  la  capitale  de  la  chrétienté.  Le  Pape  res- 
semblait «  à  un  roi  conquérant  à  la  tète  de  son  armée  (2)  »  , 
tant  étaient  nombreux  les  chevaliers  bardés  de  fer  qui  l'entou- 
raient. Il  montait  un  cheval  blanc  dont  le  comte  Amédée  de 
Savoie  et  le  marquis  d'Ancône  tenaient  les  brides.  Ridolfo 
Yarano,  seigneur  de  Camerino,  portait  l'étendard  de  l'Église, 
tandis  que  IMalatesta  Unghero  commandait  les  hommes  d'armes 
pontificaux.  ^  Plus  de  deux  mille  évéques,  abbés,  prieurs,  clercs 
de  tout  grade,  sans  compter  onze  cardinaux,  grossissaient  le 
cortège.  On  eût  dit  que  le  Pape  ramenait  d'une  longue  capti- 
vité le  clergé  de  la  chrétienté.  Celui  de  Rome,  les  magistrats 
et  le  peuple  allèrent  à  la  rencontre  d'Urbain  V,  en  chantant 
des  hymnes  et  des  psaumes,  avec  des  palmes,  des  fleurs  et  des 
bannières.  On  se  dirigea  vers  la  basilique  de  Saint-Pierre,  sur 
le  seuil  de  laquelle  Nicolas  II,  obéissant  à  l'ordre  du  Pape,  créa 
douze  chevaliers,  après  quoi  Urbain  Y  prit  place  sur  la  chaire 
de  saint  Pierre,  où  aucun  pape  ne  s'était  assis  depuis  soixante- 
treize  ans  (3).  " 

13^7  De  retourna  Ferrare,  Nicolas  II  eut  l'honneur  de  recevoir 

Pétrarque  à  sa  cour.  En  se  rendant  de  Padoue  h  Rome,  où  il 
allait  rendre  hommage  à  Urbain  Y,  Pétrarque  passa  par  Fer- 
rare  et  y  fut  reçu  avec  tous  les  égards  qu'il  méritait.  L'illustre 
poète  ayant  été  pris  d'évanouissements  qui,  pendant  quelques 
heures,  firent  croire  à  sa  mort,  le  marquis  et  son  frère  Ugo  lui 

(1)  Voyez,  plus  l<jin,  les  pa{]es  consacrées  au  palais  des  princes  d'Esté  à  Venise. 

(2)  Ghegorovius,  Gcschiclitc  der  Stadt  Roui  itn  Mittclalter,  t.  VI,  p.  Wô. 

(3)  Ibid.,  p.  427. 


IJ  L'ART    FERRARAIS. 

prodiguèrent  les  soins  les  plus  tendres  et  ne  s'épargnèrent  au- 
cune peine  pour  le  guérir.  Tjgo  venait  le  voir  jusqu'à  trois  et 
(luatrc  lois  par  jour.  Après  son  rétablissement,  Pétrarque  n'osa 
pas  continuer  son  voyage  et  regagna  Padoue.  Il  entretint  avec 
les  princes  d'Esté  une  correspondance  qui  témoigne  d'une 
amitié  réciproque.  Dans  une  de  ses  lettres,  il  reproche  à  Ugo 
de  trop  risquer  sa  vie  à  l'occasion  des  jeux  chevaleresques. 
Quand  Ugo  mourut,  il  écrivit  à  Nicolas  II  combien  cette  perte 
l'affligeait  lui-même. 

Quelques  années  plus  tard,  un  architecte  de  grand  mérite, 
qui  était  aussi  ingénieur,  se  fixa  à  Ferrare  et  entra  au  service 
du  marquis.  Il  s'appelait  Bartolino da  Novara  (I).  C'est  lui  qui 
est  l'auteur  du  plus  beau  monument  de  Ferrare,  du  Castello, 
sorte  de  château  fort,  que  Nicolas  II  lui  fit  construire,  après  le 
meurtre  de  son  conseiller  Thomas  de  Tortone,  pour  se  mettre 
à  l'abri  des  soulèvements  et  des  exigences  populaires  (2). 

Sous  le  même  règne  parut  à  Ferrare  la  première  horloge  pu- 
blique :  elle  fut  placée  sur  la  tour  de  l'ancien  palais  des  princes 
d'Esté. 

Une  nouvelle  monnaie,  la  lira  deinarchesini,  fut  inaugurée 
sept  ans  avant  la  mort  du  marquis. 

Nicolas  II  occupait  encore  le  trône,  quand  Giovanni  Tavelli 
da  Tossignano,  qui  devait  plus  tard  devenir  évêque  de  Ferrare, 
fut  appelé  à  être  prieur  des  Jésuates,  récemment  installés  dans 
la  ville. 

En  1372,  le  pape  Grégoire  XI,  successeur  d'Urbain  V,  con- 
firma Nicolas  II  dans  la  possession  du  titre  de  vicaire  du  Saint- 
Siège  à  Ferrare,  dont  le  renouvellement  avait  été  obtenu  en 
1366.  Cette  fois  l'investiture  fut  donnée  à  vie.  Elle  fut  égale- 
ment accordée  sur-le-champ  à  Albert  d'Esté,  qui  succéda  à  son 
frère  Nicolas  II  en  1388. 

(1)  Tamlis  que  la  ville  de  Novare  fournissait  un  architecte  à  la  ville  de  Ferrare, 
un  architecte  fcrrarais  du  nom  de  Jean  construisit  à  Vérone,  avec  Giaconio  da 
Gozo,  pour  Cansijjnorio  délia  Scala,  le  majestueux  et  robuste  Ponte  délie  Navi, 
que  rAdi{;e  ne  parvint  pas  à  endommager  avant  1757. 

(2)  Voyez,  plus  loin,  V Histoire  du  Castello  (livre  II,  ch.  m). 


LIVRE    PREMIER.  13 


IV 


ALBERT    D    ESTE. 
(^é  en  134.-,  il  régna  de  1388  à  1393.) 

Albert  d'Esté  signala  le  coiiimeiiceraent  de  son  règne  par 
d'épouvantables  cruautés.  Ayant  découvert  un  complot  tramé 
contre  sa  vie  par  sou  neveu  Obizzo,  fils  d'Aldobrandino,  il  fit 
couper  la  tête  à  Obizzo  et  à  la  mère  de  celui-ci;  un  complice, 
Jean  de  Brescia,  fut  pendu,  après  avoir  été  traîné  par  des  cbe- 
vaux  à  travers  la  ville,  et  sa  femme,  Costanza  de'  Quintavalli, 
fut  brûlée;  le  frère  de  Costanza,  ainsi  que  Jean  d'Esté,  frère 
bâtard  d'Albert,  et  sa  femme,  sans  compter  plusieurs  autres 
personnages,  furent  torturés  avec  des  tenailles  rougies  au  feu, 
pendus  bors  de  la  ville  et  laissés  sans  sépulture. 

Homme  d'âpre  énergie  et  de  passions  ardentes,  Albert  d'Esté 
brava  le  blâme  de  l'opinion  en  épousant  Giovanna,  fille  de 
Cabrino  de'  Roberti  de  Reggio,  un  de  ses  cliambellans  (1388). 
Des  fêtes  prolongées  suivirent  ce  mariage,  célébré  dans  la  grande 
salle  du  palais  :  pendant  cinq  jours,  il  y  eut  table  ouverte  à  la 
cour,  et  plusieurs  carrousels  fournirent  aux  gentilshommes  et 
aux  citoyens  l'occasion  non  seulement  de  déployer  leur  a'dresse, 
mais  d'exhiber  les  costumes  les  plus  brillants  elles  plus  variés. 

La  ville  de  Ferrare  dut  à  son  nouveau  souverain  un  accrois- 
sement de  prospérité  et  de  notables  embellissements.  Albert 
favorisa  l'introduction  du  foulage  de  la  laine,  fit  paver  la 
grande  place  et  construire  le  palais  qui  fut  ap{)elé  dans  la  suite 
le  palais  du  Paradis  et  où  l'Université  fut  installée  en  1567. 
C'est  également  sur  son  ordre  que  furent  édifiés  le  palais  de 
Schifanoia,  accru  et  décoré  de  remarquables  peintures  sous 
Borso,  et  le  palais  de  Belfiore  (  1  ) , 

(1)   Voyez  plus  loin  les  pages  consacrées  à  ces  trois  palais. 


14  L'AllT   FEIIUARAIS. 

Le  pèlerinage  du  prince  à  Rome,  lors  du  jubilé  de  1391,  fut 
un  des  événements  les  plus  mémorables  de  son  règne  par  les 
heureuses  couséquences  qu'il  eut  pour  les  Ferrarais  comme 
pour  le  chef  de  la  maison  d'Esté.  Albert  partit  le  premier  jour 
du  carême,  avec  une  suite  de  trois  cent  vingt  personnes  à  che- 
val, en  costume  de  pénitents.  On  avait  couvert  de  teintes 
sombres  les  bannières  et  les  lances  des  gardes.  Le  cortège  tra- 
versa la  Roniagne  et  Rimini,  se  grossissant  de  jour  en  jour.  A  un 
mille  de  Rome,  AlbeA  trouva  sur  son  passage  cinq  cardinaux, 
le  grand  maître  des  chevaliers  de  Saint-Jean  de  Jérusalem  et  un 
nombre  considérable  de  nobles  romains,  venus  à  sa  rencontre. 
Boniface  IX  réservait  à  Albert  les  marques  d'une  bienveillance 
toute  particulière,  à  laquelle  les  calculs  de  la  politique  n'étaient 
pas  étrangers.  Le  détacher  de  Jean  Galéas  Yisconti,  qui  visait 
à  opprimer  le  parti  guelfe  dans  l'Italie  supérieure,  était  un  des 
desseins  qui  lui  tenaient  le  plus  au  cœur.  Il  admit  à  sa  table  le 
marquis  de  Ferrare,  légitima  Nicolas  (1),  fds  naturel  d'Albert 
et  d'Isotta  Albaresani,  femme  très  lettrée,  dit-on,  renonça  à 
exiger  le  payement  d'une  redevance  arriérée,  diminua  celles  de 
l'avenir,  renouvela  l'investiture  et  remit  à  son  visiteur  la  rose 
d'or.  A  ces  faveurs,  il  en  ajouta  deux  autres  très  précieuses 
pour  la  ville  de  Ferrare.  Il  accorda  au  prince  d'Esté  le  droit  de 
fonder  une  Université,  semblable  à  celles  de  Bologne  et  de 
Paris,  où  l'on  enseignerait  toutes  les  sciences  sacrées  et  pro- 
fane et  où  le  laurier  de  docteur  serait  donné  par  l'évéque  aux 
candidats  jugés  dignes  de  cet  honneur.  Il  promit,  en  outre,  de 
publier  une  bulle  pour  faciliter  la  transmission  des  immeubles 
séculiers  sur  lesquels  étaient  établis  des  droits  ecclésiastiques, 
ce  qu'il  fit  le  13  février  1392. 

Avant  de  rentrer  à  Ferrare,  Albert  passa  par  la  Toscane.  A 
Florence,  on  lui  donna  quatre  chevaux  couverts  d'écarlate  et 
quelques  objets  en  argent.  De  Florence  il  se  rendit  à  Bologne, 
logea  chez  l'évéque,  dîna  avec  les  Anciens,  reçut  de  la  Com- 
mune deux  chevaux  et  trois  morceaux  de  drap  d'or.  Ses  su- 

(1)   Nicolas  naquit  en  1383. 


LIVRE    PREMIER.  15 

jets  se  portèrent  au-devant  de  lui  pour  l'acclamer.  Pendant 
trois  jours,  les  fêtes  ne  cessèrent  pas  à  Ferrare  ;  il  y  eut  des 
joutes,  des  courses  d'hommes,  de  femmes,  d'ânes,  de  che- 
vaux. Les  menuisiers  traînèrent  sur  un  char  à  travers  la  ville 
un  château  en  bois  qu'ils  venaient  de  construire,  ce  qui  leur 
valut  un  cadeau  du  marquis. 

Peu  après  le  retour  d'Albert,  on  s'occupa  d'établir  l'Univer- 
sité. Les  Sages  constituèrent  des  honoraires  pour  les  profes- 
seurs. Parmi  les  maîtres  que  l'on  appaia  figuraient  les  juris- 
consultes Egidiolo  Cavitelli,  de  Crémone,  et  Bartolomeo 
Saliceto,  de  Bologne.  Ce  dernier  avait  exercé  dans  sa  patrie 
des  charges  publiques  et  des  ambassades.  En  1389,  il  fut 
soupçonné  d'avoir  pris  part  à  une  conjuration  avant  pour  but 
de  livrer  Bologne  à  Jean  Galéas  Yisconti  ;  s'il  obtint  son  par- 
don, il  perdit,  du  moins,  une  partie  de  l'estime  publique  et 
quitta  sa  ville  natale  pour  la  cour  d'Albert  d'Esté,  décision  qui 
provoqua  la  confiscation  de  ses  biens  (1). 

Lorsque  la  bulle  promise  par  Boniface  IX  eut  été  promul- 
guée, les  Sages  votèrent  à  Albert  (1393)  une  statue  de  marbre, 
que  l'on  voit  encore  sur  la  façade  de  la  cathédrale.  Le  prince 
y  est  représenté  avec  le  costume  de  pénitent  qu'il  portait  en 
faisant  le  fructueux  pèlerinage  de  Rome,  et  il  tient  de  la  main 
gauche  la  précieuse  bulle,  écrite  en  caractères  d'or. 

Vers  la  même  époque  eut  lieu  un  magnifique  tournoi.  Les 
jouteurs,  au  nombre  de  cinquante,  formaient  deux  groupes 
avec  des  costumes  distincts,  verts  et  rouges.  Plusieurs  objets 
en  argent  doré  récompensèrent  les  vainqueurs,  qui  furent 
Alberto  Roberti,  fils  de  Gabrino,  du  côté  des  verts,  et  un  Alle- 
mand nommé  Frizolin,  du  côté  des  rouges. 

A  cette  fête  profane  succéda  bientôt  une  fête  religieuse  : 
le  jour  de  la  Pentecôte  1393,  Niccolô  Roberti,  pour  qui  Albert 
avait  obtenu  du  Pape  l'évêché  de  Ferrare,  fut  pompeusement 

(1)  Il  mourut  le  29  liéceiubre  1412.  Son  tombeau,  exécuté  la  iiièuie  année  par 
André  de  Fiesole,  qu'il  ne  faut  pas  confondre  avec  l'André  de  l' iesole  Ferrucci) 
dont  parle  Vasari,  se  trouve  dans  le  Museo  civlco,  à  Hologne.  Il  fut  d'aliord 
placé  dans  l'église  de  Saint-Dominique. 


16  L'ART    FEUUARAIS. 

consacré  dans  la  cathédrale  par  les  évêques  de  Padoue,  de 
Modène  et  de  Gervia,  et  reçut,  le  lendemain,  de  splendides 
cadeaux,  à  l'issue  d'une  messe  solennellement  chantée.  Niccolô 
Roberti  était  beau-frère  du  marquis. 

Dans  les  derniers  jours  de  sa  vie,  Albert  prit  toutes  les 
précautions  nécessaires  pour  assurer  ses  biens  et  ses  États  à 
son  fds  Nicolas,  âgé  de  dix  ans,  dont  il  épousa  peut-être  la 
mère  avant  de  mourir.  Craignant  la  compétition  d'Azzo  di 
Francesco  di  Bertoldo,  qui,  par  sa  mère,  se  rattachait  aux 
Visconti,  il  fit,  de  son  vivant,  reconnaître  Nicolas  comme  sou- 
verain de  Ferrare  par  les  Sages  et  les  principaux  citoyens  con- 
voqués dans  la  grande  salle  du  palais,  et  lui  concilia  la  bien- 
veillance de  la  foule  en  ouvrant  les  prisons  de  la  Commune  et 
du  Castello.  Afin  d'étouffer  toute  velléité  d'opposition,  il 
demanda  des  troupes  à  Venise,  à  Mantoue,  à  Florence,  à 
Padoue,  qui  ne  les  refusèrent  pas.  Toutes  les  mesures  de  sûreté 
étaient  prises  quand  il  mourut.  Une  grande  magnificence 
rehaussa  la  pompe  de  ses  funérailles,  qui  eurent  lieu  à  Saint- 
François.  Après  la  cérémonie,  le  peuple,  réuni  dans  une  des 
cours  du  château,  acclama  le  jeune  prince,  que  lui  présenta 
Albertino  Giocoli,  vieillard  appartenant  à  une  illustre  famille 
ferraraise,  et,  quelques  jours  plus  tard,  Giocoli,  au  nom  de  la 
Commune,  remit  à  Nicolas  III  le  bâton  de  commandement. 


V 


NICOLAS     III    (I). 
(Né  le  9  novembre  1383,  il  régna  île  1393  à  1441.) 

Albert  d'Esté  avait  eu  bien  raison  de  regarder  Azzo  di  Fran- 
cesco  di  Bertoldo  comme  un  dangereux  rival  pour  son  fils. 

(1)    Il  a  été  déj'i  question  de  Nicolas  III,  p.  14  et  J6. 


LIVRE   PREMIER.  17 

Azzo  comptait  à  Ferrare  et  dans  les  villes  voisines  de  nombreux 
partisans. Ceux-ci  complotèrent  de  tuer  les  principaux  conseil- 
lers du  jeune  marquis  et  d'empoisonner  le  marquis  lui-même, 
mais  on  découvrit  leurs  desseins.  Plusieurs  citoyens  furent 
décapités.  Quant  à  ceux  qui  s'échappèrent,  on  confisqua  leurs 
biens,  on  rasa  leurs  maisons  et  Ton  promit  des  récompenses 
à  quiconque  les  livrerait  vivants  (1394).  Azzo  commettant  des 
actes  d'hostilité  sur  le  territoire  de  Ferrare,  Filippo  Roberti 
et  Giovanni  dal  Sale,  deux  des  membres  du  conseil  de  régence, 
entreprirent  de  le  faire  assassiner  par  le  comte  Giovanni  di 
Barbiano  (1),  qui  les  dupa  en  faisant  poignarder  un  homme 
obscur  affublé  des  vêtements  d'Azzo  et  en  exigeant,  avant 
qu'on  eût  découvert  sa  fourberie,  la  récompense  convenue 
(1395)  (2).  Peu  après,  Azzo  excita  un  soulèvement  à  Porto- 
maggiore.  Astorgio  Manfredi,  seigneur  de  Faënza,  mis  à  la 
tète  des  troupes  ferraraises ,  l'y  poursuivit,  s'empara  de  lui 
après  un  combat  acharné,  et  le  conduisit  h  Ferrare,  où  l'on 
procéda  à  la  punition  des  principaux  rebelles  :  les  uns  furent 
décapités  ou  expirèrent  sur  le  gibet,  les  autres  furent  torturés 
avec  des  tenailles  ou  écartelés,  et  leurs  membres  furent  sus- 
pendus sur  la  rive  du  Pô.  Azzo  échappa  au  supplice  qu'il 
attendait.  Astorgio  Manfredi  l'emmena  à  Faënza  et  l'y  garda 
prisonnier,  donnant  son  fils  comme  caution  de  sa  propre  bonne 
foi,  puis  se  déchargea  de  sa  responsabilité  en  remettant  le  pri- 
sonnier à  la  Piépublique  de  Venise,  qui  le  relégua  dans  l'île  de 
Candie  (1400).  Quatre  ans  plus  tard,  la  guerre  ayant  éclaté 
entre  Venise  et  Nicolas  III,  Azzo  fut  rendu  à  la  liberté  afin 
qu'il  servit  d'épouvantail  au  marquis  de  Ferrare.  Sa  mort, 
vers  1411,  délivra  le  fils  d'Albert  d'Esté  d'un  souci  en  quelque 
sorte  permanent. 

Pour  Nicolas  III,  comme  pour  la  plupart  des  princes  de  son 
temps,  tous  les  actes  de  perfidie  ou  de  cruauté  paraissaient 

(1)  Nous  reparlerons  de  cet   épisode,  à  propos    de  l'architecte  Rartolino  da 
Novara,  dans  le  ch.  i  du  liv.  II. 

(2)  En  août  1399,  les  Ferrarais  et  les  Bolonais  attaquèrent  ensemble  Giovanni 
di  Barbiano,  qui  fut  fait  prisonnier  et  eut  la  tête  tranchée  à  Bologne. 

T.  2 


18  L'ART    FERRARAIS. 

permis  quand  il  s'afjissait  de  se  débarrasser  d'un  adversaire, 
de  punir  une  sédition,  de  venger  une  injure.  Ces  sentiments 
lui  avaient  été  inculqués  par  l'éducation  et  par  de  mémorables 
exemples.  N'avait-il  pas  vu  dès  sa  jeunesse  ses  conseillers  cher- 
chant à  faire  assassiner  Azzo  par  le  comte  Giovanni  di  Bar- 
biano  ?  N'était-il  pas  le  contemporain  de  Jean  Galéas  Visconti 
et  de  tant  d'autres  tyrans  sanguinaires?  En  1409,  après  de 
longues  escarmouches  contre  Ottobuono  Terzy,  maître  de 
Parme  et  de  Reggio,  aussi  féroce  et  aussi  expert  en  trahisons 
qu'Ezzelino  de  Vérone^  il  accepta  une  entrevue  avec  son 
ennemi  ;  mais  à  peine  fut-il  en  présence  d'Ottobuono  que  ses 
compagnons  se  jetèrent  sur  celui-ci  et  le  massacrèrent  (1). 
Ottobuono,  à  la  vérité,  avait  formé,  dit-on,  le  même  dessein 
à  l'égard  de  Nicolas  III,  et  s'il  ne  le  réalisa  pas,  c'est  qu'il  fut 
devancé  par  celui  qui  devait  être  sa  victime  (2).  A  Ferrare 
même,  deux  conjurations  furent  suivies  de  rigueurs  sanglantes  : 
en  1404,  un  fattor  générale  {",1)  du  marquis  et  un  autre  citoyen 
payèrent  de  la  vie  leurs  menées  séditieuses;  en  1434,Giacomo 
Giglioli  et  son  fils,  l'un  secrétaire  du  prince,  l'autre  gouverneur 
militaire  de  Reggio,  subirent  la  peine  capitale,  et  leurs  biens, 
évalués  à  deux  cent  mille  ducats,  furent  confisqués.  Jusque 
dans  sa  propre  famille,  Nicolas  III  se  montra  impitoyable  :  il  fit 
trancher  la  tête  à  sa  seconde  femme,  Parisina,  et  à  son  filsUgo, 
dont  on  lui  avait  révélé  la  coupable  liaison  avec  elle  (1425)  (4). 
Cet  homme  violent  avait  les  qualités  d'un  bon  prince  :  il  se 
préoccupait  du  bien-être  général  et  désirait  que  ses  sujets  fus- 

(1)  Paruie  et  Rejjgio  se  donnèrent  alors  à  ÎSicolas  III.  On  a  vu  (p.  5)  (jue, 
sous  Obizzo  (li  Rinaldo,  Reggio  avait  déjà  appartenu  à  la  maison  d'Esté. 

(2)  Le  meurtre  d'Ottobuono  valut  à  Nicolas  III  les  félicitations  d'Antonio 
Lusco,  qui  fut  secrétaire  du  pape  Eugène  IV' .  «  Tu  ne  pouvais  rien  faire,  lui 
écrivit-il,  de  plus  agréable  à  Dieu  et  aux  hommes.  Tu  as  agi  virilement  et  même 
avec  piété  en  délivrant  le  monde  de  ce  monstre  infâme,  de  cette  bête  féroce.  Si, 
l'occasion  se  présentant  de  le  tuer,  tu  no  l'avais  pas  saisie,  tu  aurais  commis 
un  crime,  oui,  un  crime,  crois-moi,  et  c'eût  été  la  plus  grande  des  erreurs.  » 
Telle  était  la  morale  politique  de  l'époque.  {Bcr.  Ital.  Script.,  t.  XVIII,  p.  1065, 
1068.) 

(3)  Surintendant  des  finances. 

(4)  Voyez  plus  loin,  dans  le  ch.  m  du  liv.  II,  à  propos  du  Castello,  les  détails 
de  ce  drame. 


LIVRE   PREMIER.  19 

sent  plus  riches  que  les  populations  des  autres  États  (1).  Son 
conseiller  Alberto  Roberti  fut  condamné  à  la  peine  capitale 
pour  abus  de  pouvoir. 

Par  sa  bravoure,  il  gagna  également  les  esprits.  Lorsqu'il 
s'associa  aux  troupes  pontificales  afin  de  reprendre  Bologne, 
dont  Jean  Galëas  Visconti  s'était  emparé,  il  paya  vaillamment 
de  sa  personne  (1403).  Ayant  prêté  son  assistance  à  son  beau- 
père,  Francesco  Novello  da  Carrara,  seigneur  de  Padoue,dans 
une  entreprise  contre  Vérone ,  il  fut  le  premier  à  escalader 
les  murs  de  la  ville.  Son  intrépidité  ne  fut  pas  moindre  quand 
il  prit  fait  et  cause  pour  Francesco  Novello,  injustement  atta- 
qué, selon  lui,  par  Venise,  dont  il  redoutait,  d'ailleurs,  l'am- 
bition pour  son  propre  compte  (1404);  près  de  Padoue ,  il 
s'élança  dans  le  camp  ennemi  l'épée  à  la  main  et  se  livra  à  un 
grand  carnage;  une  autre  fois,  il  tomba  surTaddeo  dal  A'erme, 
commandant  des  troupes  de  la  République,  et  le  réduisit  h  se 
constituer  prisonnier. 

A  l'héroïsme  en  temps  de  guerre,  il  joignait  une  rare 
adresse  dans  les  exercices  chevaleresques.  Lors  du  mariage 
de  Giacomo  da  Carrara,  fils  de  Francesco  Novello,  il  participa 
à  un  tournoi  où  il  fut  victorieux  (1403),  et,  dans  les  tournois 
qui  eurent  lieu  à  Venise  sur  la  place  de  Saint-Marc  en  1415, 
il  combattit,  à  la  tête  de  quatorze  cavaliers,  choisis  parmi  les 
deux  cents  personnages  de  sa  suite,  contre  quatorze  cavaliers 
conduits  par  le  seigneur  de  Mantoue. 

Vicaire  de  l'Église  à  Ferrare,  il  se  comporta  en  fidèle  vassal 
et  n'eut  que  de  bons  rapports  avec  le  Saint-Siège.  Ayant  pro- 
mis son  concours  au  pape  Boniface  IX  pour  arracher  Bologne 
à  l'ambitieux  duc  de  Milan,  il  rendit  dans  sa  capitale  tous  les 
honneurs  possibles  au  cardinal-légat  Baldassare  Cossa,  qu'ac- 
compagnaient les  troupes  pontificales  et  les  troupes  alliées , 
alla  à  sa  rencontre  et  lui  présenta  les  clefs  des  portes  de  la 
ville  (14)03).  Cessa  fit  son  entrée  sous  un  riche  baldaquin  et 
logea  dans  le  palais  du  Paradis.  Après  avoir  concerté  lo  plan 

(1)   BcRCKHARDX,  Die  Cullui-  der  Renaissance  in  Italien,  p.  37. 


20  L'ART    FERRARAIS. 

de  campa{;nc  avec  le  marcjuis,  il  le  nomma  capitaine  général, 
lui  accorda  une  solde  de  douze  mille  florins  par  an  et  diminua 
la  redevance  annuelle  due  au  Saint-Siège.  Enfin,  la  veille  de 
la  Pentecôte,  il  se  rendit,  escorté  par  le  clergé  et  par  la  cour, 
à  la  cathédrale,  y  célébra  la  messe,  bénit  les  drapeaux  et  remit 
à  ]Sic()las  III  le  bâton  de  commandement.  Quelques  mois  plus 
tard,  il  recouvrait  Bologne. 

Entre  Alexandre  V  et  le  marquis  de  Ferrare,  les  relations 
ne  furent  pas  moins  amicales.  Nicolas  III  alla  rendre  hom- 
mage au  nouveau  pape  à  Pianoro  (1410).  Appelé  par  lui  à 
Bologne  pour  s'entendre  sur  certaines  mesures  à  prendre,  il 
reçut  de  lui  la  rose  d'or  à  l'issue  d'une  messe  célébrée  à  San 
Petronio,  puis  seize  cardinaux  le  conduisirent  à  sa  demeure. 

Que  Nicolas  III  ait  rencontré  aussi  les  dispositions  les  plus 
bienveillantes  chez  le  successeur  d'Alexandre  Y,  cela  n'a  rien 
de  surprenant.  Jean  XXIII  n'était  autre,  en  effet,  que  Baldas- 
sare  Cossa.  Afin  de  combattre  les  révoltés  de  la  Romagne, 
ainsi  que  les  partisans  des  deux  antipapes  déposés'et  Ladislas, 
roi  de  Naples,  il  nomma  capitaine  général  Uguccione  Contra- 
rio, le  ministre  favori  et  l'intime  ami  du  marquis  de  Ferrare.  A 
Bologne,  pendant  la  nuit  de  Noël  de  l'année  1410,  il  célébra  la 
messe  dans  l'église  de  Sainte-Anastasie,  fit  chanter  l'épître  par 
Uguccione,  lui  remit  l'étendard  de  l'Église  et  lui  donna  non 
seulement  un  chapeau  orné  de  perles,  mais  une  riche  épée. 
En  1414,  quand  il  revint  de  Lodi  où  il  avait  eu  des  pourpar- 
lers avec  Sigismond,  roi  des  Romains,  le  même  pape  passa  six 
jours  à  Ferrare  :  il  entra  dans  la  ville  sur  un  cheval  blanc  que 
conduisaient  le  marquis  et  Uguccione,  se  rendit  à  la  cathé- 
drale, puis  au  palais  du  souverain,  préparé  pour  lui  servir  de 
demeure,  ayant  pour  caudataire  Nicolas  III. 

Du  pape  Martin  V,  ce  prince  obtint  en  1429  la  légitimation 
de  Lionel,  un  de  ses  fils  naturels. 

Enfin,  sous  le  règne  du  marquis  Nicolas  III,  en  1437,  Fer- 
rare eut  l'honneur  d'être  choisie  par  Eugène  IV  comme  siège 
d'un  concile  ayant  pour  mission  d'annuler  les  décisions  du 
concile  schismatique    de    Bàle ,    de   réunir   h   l'Église   latine 


LIVRE   PREMIER.  21 


l'Église  grecque,  séparée  d'elle  depuis  858,  à  Tépoque  de 
Photius,  et  de  se  procurer  des  secours  pour  combattre  les 
Turcs  qui  menaçaient  l'empire  d'Orient.  Comme  cet  événement 
a  été  le  sujet  de  peintures  exécutées  par  un  des  premiers 
maîtres  ferrarais,  nous  croyons  nécessaire  d'entrer  dans  quel- 
ques détails  (I). 

De  Florence,  où  il  résidait,  Eugène  IV  se  transporta  d'abord 
à  Bologne,  où  furent  arrêtées  entre  lui  et  Agostino  Villa, 
secrétaire  du  marquis  de  Ferrare,  les  conventions  prélimi- 
naires. Nicolas  III  devait  loger  gratuitement  le  Pape  et  les 
cardinaux  avec  leur  suite,  assurer  des  vivres  à  toutes  les  per- 
sonnes qui  prendraient  part  au  concile,  maintenir  la  tranquil- 
lité publique  et  confier  à  ses  propres  gardes  le  soin  de  veiller  à 
la  sécurité  du  Souverain  Pontife.  Parti  de  Bologne  le  23  jan- 
A'ier  1438,  Eugène  IV  arriva  par  le  Pô,  le  lendemain,  au 
monastère  de  Saint-Antoine,  alors  situé  hors  des  murs  de  la 
ville.  A  son  arrivée,  la  bienvenue  lui  fut  souhaitée  dans  une 
allocution  en  latin  par  Lionel,  fils  de  Nicolas  III,  qu'accompa- 
gnait Uguccione  Contrario .  Il  témoigna  sa  reconnaissance 
envers  le  jeune  prince  en  lui  donnant  un  chapeau  orné  d'or  et 
de  pierres  précieuses.  Trois  jours  après,  il  entra  dans  la  ville 
sous  un  splendide  baldaquin,  préparé  aux  frais  de  la  Com- 
mune :  il  montait  un  cheval  à  la  droite  duquel  se  tenait  un 
envoyé  de  Jean  II,  roi  de  Castille,  tandis  que  Nicolas  III  se 
tenait  à  gauche;  le  clergé  et  les  Pères  du  concile,  tous  à  che- 
val, le  précédaient.  Le  cortège  s'avança  vers  la  cathédrale,  où 
le  Souverain  Pontife  récita  quelques  prières  et  fit  prononcer 
une  exhortation  par  l'évêque  de  Forli.  Eugène  IV  se  rendit 
ensuite  au  palais  seigneurial,  situé  en  face  de  l'église.  Comme 
il  souffrait  de  la  goutte  et  qu'il  aurait  eu  de  la  peine  à  gravir 
un  escalier,  on  avait  construit  un  pont  de  planches  en  pente 
douce  qui  conduisait  de  la  cathédrale  à  la  loggia  antérieure  du 
château. 

Le  8  février,  Jean  VIFPaléologue,  empereur  d'Orient,  ar-   A2.5'-f^^^ 

(1)   Faustixo  Maria  di  S.  Lorknzo,  Sloria  del  Beato  Giovanni  detlo  da   Tossl- 
gnano,  p.  53-57.  —  Fiiizzi,  Mcm.  per  la  sloria  di  Fcrrara,  t.  III,  p.  473-482. 


22  L'ART    FERRA1\AIS. 

riva  à  Venise,  et  logea  dans  le  palais  d'Esté  où  Nicolas  III,  le 
cardinal  Albergati  et  Anibroise  le  Camaldule  vinrent  bientôt  le 
complimenter.  Au  bout  de  vin^t  jours,  il  partit  pour  Ferrare 
avec  son  frère  Démétrius,  despote  de  Morée,  et  avec  une  suite 
nombreuse  dans  laquelle  figuraient,  outre  les  principaux  per- 
sonnages de  sa  cour,  les  ambassadeurs  de  plusieurs  souverains 
de  l'Asie,  des  abbés,  des  évêques,  des  archevêques,  entre 
autres  Bessarion,  qui  devint  cardinal;  il  débarqua  à  Franco- 
lino,  où  l'attendait  le  marquis  de  Ferrare,  y  passa  la  nuit 
et  voulut  continuer  sa  route  par  terre.  Il  avait  à  ses  côtés  le 
marquis  d'Esté  et  les  deux  fils  de  ce  prince,  Lionel  et  Borso, 
lorsque,  au  son  de  la  musique  et  au  brnit  des  acclamations 
populaires,  il  traversa  Ferrare.  Tous  les  prélats,  tous  les  car- 
dinaux s'étaient  portés  h  sa  rencontre.  Par  un  escalier  acces- 
sible aux  chevaux,  il  arriva,  sans  quitter  sa  monture,  jusqu'au 
seuil  de  l'appartement  du  Pape.  Introduit  auprès  d'Eugène  IV, 
il  voulut  plier  les  genoux  devant  lui,  mais  le  Pontife  s'y  opposa, 
lui  tendit  sa  main  à  baiser  et  le  fit  asseoir  à  sa  droite.  Après  un 
court  entretien,  l'Empereur  gagna  le  palais  du  Paradis  qui  lui 
avait  été  destiné  comme  demeure,  tandis  que  le  palais  de 
Schifanoia  était  mis  à  la  disposition  de  Démétrius. 

Quant  à  Joseph,  patriarche  de  Constantinople,  il  ne  quitta 
Venise  que  plus  d'un  mois  après  l'Empereur.  A  Francolino,  il 
monta  sur  un  bucentaure  à  trois  étages  dont  la  forme  harmo- 
nieuse et  l'ornementation  délicate  excitèrent  l'admiration  gé- 
nérale :  on  n'y  avait  épargné  ni  l'or,  ni  les  peintures,  ni  les 
sculptures.  Un  cheval  brun,  couvert  de  pourpre  et  d'or,  et 
tenu  en  bride  par  quelques  gentilshommes  de  Nicolas  III,  le 
conduisit  de  Pontelagoscuro  à  Ferrare,  où  son  entrée  ne  fut 
guère  moins  solennelle  que  celle  de  Jean  Paléologue.  Il  logea 
dans  le  palais  des  Roberti. 

Après  avoir  commencé  par  se  réunir  deux  fois  dans  la  cha- 
pelle du  palais  de  Nicolas  III  (8  et  10  février),  les  Pères  du 
Concile  s'assemblèrent  dans  la  cathédrale  sous  la  présidence 
du  cardinal  Niccolô  Albergati,  évéque  de  Bologne,  et  une 
messe  du  Saint-Esprit  fut  dite  parl'évêque  de  Ferrare,  Giovanni 


LIVRE   PREMIER.  23 

Tavelli  daTossignano.  La  première  séance  solennelle  à  laquelle 
assistèrent  les  Grecs  eut  lieu  le  9  avril.  On  y  proclama  la  légi- 
timité et  l'universalité  du  concile  (1),  puis  on  décida  de  sur- 
seoir jusqu'à  l'arrivée  de  certains  princes  étrangers  que  devait 
inviter  le  Pape.  En  attendant,  les  théologiens  en  renom, 
parmi  lesquels  prirent  place  le  Franciscain  Fra  Agostino  et  le 
Servite  Fra  Paolo,  tous  deux  citoyens  de  Ferrare  et  professeurs 
à  l'Université,  furent  chargés  de  poser  les  questions  à  tran- 
cher, ce  qu'ils  firent  tantôt  dans  l'église  de  Saint-François, 
tantôt  dans  l'antichamhre  du  patriarche,  afin  que  de  son  lit, 
où  la  goutte  le  retenait,  il  pût  assister  aux  discussions,  tantôt 
enfin  dans  la  chapelle  du  palais  habité  par  Eugène  IV.  Les 
travaux  n'étaient  pas  encore  très  avancés  quand  le  Pape  réso- 
lut de  transférer  le  concile  à  Florence.  Trois  motifs  l'y  avaient 
décidé.  D'abord,  il  manquait  d'argent  pour  subvenir  non 
seulement  à  l'entretien  des  Grecs,  mais  aux  frais  de  toutes 
sortes  qu'entraînait  la  tenue  du  concile,  et  les  Florentins  lui 
promettaient,  s'il  venait  chez  eux,  de  supporter  toutes  les 
dépenses.  En  outre,  il  ne  se  sentait  plus  en  sécurité  complète 
à  Ferrare,  la  guerre  avant  éclaté  entre  les  Vénitiens  et  le  duc 
de  Milan,  dont  le  général,  Niccolô  Piccinino,  avait  envahi 
Bologne  et  soustrait  à  l'obédience  de  l'Église  Imola,  Forli  et 
Ravenne.  Enfin  la  peste  commençait  à  sévir  et  avait  déjà 
enlevé  l'évêque  de  Sardique.  Ce  fut  le  10  janvier  1439,  dans 
la  cathédrale,  où  fut  tenue  la  quatrième  session  solennelle  (2), 
qu'Eugène  IV  ordonna  la  translation  du  concile  à  Florence. 
Le  16,  il  se  retira  de  nouveau  au  monastère  de  Saint-Antoine, 
célébra  le  lendemain  la  fête  du  saint  titulaire  et  s'achemina 
par  Finale  et  Modène,  avec  une  escorte  de  troupes  ferraraises, 
vers  la  capitale  de  la  Toscane. 

En  se  montrant  attaché  aux  intérêts  du  Saint-Siège,  Nico- 
las III  agissait-il  simplement  par  politique  ou  obéissait-il  à  un 
sentiment  religieux?   Si  la  première  supposition  est   la    plus 

(1)  Il  s'y  trouva  cent  ciiiijuante  cardinaux  et  évèqnes,  accouipa{;nés  d'un  grand 
nombre  de  prêtres,  de  diacres  et  de  protonotaires. 

(2)  11  y  avait  eu  déjà  quinze  sessions  ordinaires. 


84  L'ART    FERRARAIS. 

vraisemblable,  la  seconde  n'est  pas  tout  à  fait  inadmissible,  ou 
plutôt  on  peut  dire  qu'il  fut  heureux  de  pouvoir  concilier  dans 
sa  conduite  un  fond  de  foi  chrétienne  avec  son  intérêt  person- 
nel qui,  en  cas  de  conflit,  eut  sans  doute  refoulé  toute  autre 
considération.  Il  y  avait  chez  le  fils  d'Albert  d  Este  un  singu- 
lier mélange   de  vices  et  de  qualités.   Quoique  astucieux  et 
cruel,  quoique  fort  peu   scrupuleux  dans  sa   vie   privée,    ce 
prince  n'était  étranger  ni  aux  nobles  aspirations,  ni  aux  pra- 
tiques de  la  piété  chrétienne.  Ses  nombreux  pèlerinages  n'en 
font  pas  moins  foi  que  ses  témoignages  de  vénération  pour 
saint  Bernardin  de  Sienne,  qui  vint  prêcher  à  Ferrare  en  1432, 
et  pour  Giovanni  Tavelli  da  Tossignano,  qui  en  fut  évéque. 
L'an  1400,  il  se  rendit  à  Bologne  pour  s'acquitter  d'un  vœu 
dans  l'église  de  Santa  Maria  del  Monte.  —  Treize  ans  plus  tard, 
à  l'âge  de  trente  ans,  il  entreprit  le  voyage  de  Jérusalem,  lais- 
sant le  soin  de  gouverner  })endant  son  absence  à  Uguccione 
Contrario.  Il  était  accompagné  de  cinquante-deux  personnes, 
vêtues  de  noir,  avec  des  croix  rouges  sur  leurs  costumes.  Son 
secrétaire,  Luchinoda  Campo,  le  médecin  Niccolo,  Alberto  dal 
Sale  et  Feltrino  Boiardi  faisaient  partie  de  sa  suite.  Il  s'em- 
barqua à  Venise.  Une  fois  en  Palestine,  il  changea  son  nom, 
d'après  le  conseil  de  l'amiral  vénitien,  contre  le  nom  de  Niccolo 
Contarino,  afin  d'être  plus  respecté  des  mahométans.  Il  s  était 
d'ailleurs  pourvu  de  sauf-conduits  délivrés  par  les  consuls  de 
Venise  et  de  Gênes.  A  Jérusalem,  devant  le  Saint  Sépulcre,  il 
proclama  chevaliers  Boiardi,    dal   Sale,  ainsi    que   plusieurs 
autres  de  ses  compagnons.  En  revenant  de  la  Terre  Sainte,  il 
s'arrêta  quelques  jours  à  Chypre,  à  Rhodes,  à  Cythère  ou  il 
voulait  voir  le  lieu  témoin  de  l'enlèvement  d'Hélène,  à  Pola, 
ville  très  ancienne  de  l'Istrie,  dans  laquelle  il  admira    «  des 
arcades  en  pierre  (1)  «  ,  prenant  intérêt,  comme  un  voyageur 
de  nos  jours,  à  examiner  les  églises,  les  châteaux  forts,  les 

(1)  11  s'ajjit  prohahlemcut  des  arcades  en  pierre  d'un  amphithéâtre  romain  qui 
sul)siste  encore  en  partie.  PoLt  possède  égalenient  les  restes  d  un  arc  de  triomphe 
(porta  anrea),  d'un  temple  de  Diane  et  d'un  temple  d'Auj^uste,  qui  durent 
attirer  aussi  l'attention  du  souverain  voyaf;eur.  (Indications  de  M.  Daumet.) 


LIVRE   PREMIER.  25 

jardins  et  les  champs  de  bataille  (I).  Parti  de  Ferrare  le 
6  avril,  il  v  rentra  le  6  juillet  :  ses  sujets  célébrèrent  son 
retour  par  des  courses  de  barques,  par  des  courses  de  bétes  et 
par  des  tournois  organisés  en  son  honneur  (2).  —  En  1-414,  nous 
le  trouvons  à  Lorette,  où,  pour  s'acquitter  d'un  vœu  fait  en 
temps  de  peste,  il  suspend  dans  le  célèbre  sanctuaire  le  mo- 
dèle en  argent  d'une  ville.  —  Peu  de  temps  après,  c'est  dans 
'église  de  Saint-Antoine  à  Vienne,  en  Dauphiné,  qu'il  accom- 
plit un  nouveau  pèlerinage.  Il  part  le  19  juin  1414  avec  vingt- 
quatre  personnes  à  cheval,  toutes  vêtues  de  vert  clair.  Cette 
fois  encore,  il  emmène  Feltrino  Boiardi,  Il  passe  par  Ficarolo, 
Mantoue,  Parme.  A  Gènes,  le  bon  accueil  du  doge  le  retient 
pendant  neuf  jours.  Puis  il  s'embarque  pour  Nice  et  arrive  à 
Vienne  (3).  Ses  dévotions  achevées,  il  pousse  jusqu'à  Paris,  va 
trouver  à  Saint-Denis  le  roi  de  France  qui  le  comble  de  ca- 
deaux, et,  en  revenant,  il  traverse  le  Piémont.  Près  du  château 
du  Mont  Saint-Michel,  il  est  arrêté  avec  les  siens  par  Man- 
fredo  del  Carretto,  marquis  de  Ceva,  qui  offre  au  duc  de 
Milan  de  le  lui  livrer  moyennant  une  forte  somme.  Ses  propo- 
sitions ayant  été  repoussées,  Manfredo  espéra  du  moins  tirer 
une  rançon  de  son  prisonnier.  Mais  Amédée,  duc  de  Savoie, 
fut  informé  de  ce  guet-apens  et  donna  des  ordres  pour  punir 
le  traître.  Celui-ci  eut  beau  rendre  la  liberté  à  Nicolas  III,  qui 
lui  promit  d'intercéder  en  sa  faveur,  les  envoyés  du  duc  de 
Savoie  rasèrent  le  château  du  coupable  et  coupèrent  la  tète  au 
châtelain.  Le  12  octobre,  le  marquis  d'Esté  était  de  retour 
dans  sa  capitale.  —  C'est  encore  un  motif  de  piété  qui  l'attira 
hors  de  ses  États  en  1435  :  au  mois  d'avril,  il  visita,  à  Flo- 
rence, l'église  de  l'Annunziata,  à  laquelle  il  laissa  un  ex-voto 
en  cire  qui  le  représentait  à  cheval,  et  qui  devait  avoir  de 
grandes  dimensions,  si  l'on  en  juge  par  le  prix  que  toucha 
l'artiste  {fiorino  cinquanta  de  segillo)  et  par  les  payements  faits 


(1)  Ad.  Venturi,  I  primordi  del  rinasciinento  artistico  a  Ferrara,  p    3. 

(2)  Frizzi,  Mem.  perla  storia  di  Ferrara,  t.  III,  p.  442. 
(3j   Nicolas  III  y  alla  une  seconde  fois  en  1434. 


26  L'ART    FERRAKAIS. 

aux  foiperons,  aux  charpentiers  et  aux  hommes  de  peine  (1). 

Comme  tous  les  princes  italiens,  Nicolas  HT  fut  assez  souvent 
entraîné  à  guerroyer  contre  des  voisins  dangereux,  à  entrer 
dans  des  ligues  ayant  pour  but  de  refouler  des  ambitions 
sans  frein  [2);  mais  sa  prudence  lui  épargna  les  longs  conflits, 
et  sa  sagesse  lui  procura  un  crédit  tel  qu'on  le  prit  maintes 
fois  pour  médiateur  et  pour  arbitre.  C'est  lui  qui,  en  1433, 
fut  chargé  de  mettre  fin  à  une  guerre  entre  le  duc  de  Milan 
d'une  part,  Venise  et  Florence  d'autre  part;  les  ambassadeurs 
des  diverses  parties,  notamment  Palla  Strozzi  et  Côme  de 
Médicis,  s'assemblèrent  à  Ferrare,  où  les  conditions  de  la  paix 
furent  arrêtées.  En  1440  et  en  1441,  le  marquis  Nicolas  III 
servit  aussi  de  trait  d'union  entre  Philippe-Marie  Visconti  et 
les  Vénitiens.  Mais  ce  qui  lui  fait  le  plus  d'honneur,  ce  qui 
donne  la  plus  haute  idée  de  ses  qualités  politiques,  c'est  que 
le  duc  de  Milan,  afin  d'assurer  son  propre  repos  dans  ses  der- 
nières années,  lui  confia  le  gouvernement  de  ses  États,  Nico- 
las III,  laissant  son  fils  Lionel  régner  à  Ferrare,  se  transporta 
à  Milan  avec  Uguccione  Contrario  et  s'y  installa.  Quelques 
réformes  de  nature  h  augmenter  la  prospérité  des  sujets  du 
duc  soulevèrent  bientôt  de  redoutables  haines  contre  celui  qui 
en  avait  eu  l'initiative.  Au  bout  d'un  mois  envn'on,  le  26  dé- 
cembre 1441,  Nicolas  tomba  tout  à  coup  malade  et  mourut, 
peut-être  empoisonné. 

Si,  à  certains  égards,  il  fut  un  véritable  prince  du  moyen 
âge,  digne  de  figurer  dans  V Enfer  de  Dante,  il  se  comporta 
aussi  en  représentant  de  la  Renaissance,  en  ami  àes  lettres, 
des  sciences  et  des  arts. 

Pendant  sa  minorité,  l'état  du  Trésor  avait  forcé  les  membres 
du  conseil  de  régence  à  suspendre  les  cours  de  l'Univer- 
sité (1394).  Il  les  rouvrit  en  140i2  et  attira  des  professeurs 
émérites  :  sur  ses  instances,  Pietro  d'Ancarano  qui  enseigna 

(1)  Ad.  Venturi,  I  promord i  ciel  rinascimcnto  artistico  a  Fcrrara,  p.  30. 

(2)  Il  fut,  notamment,  capitaine  général  au  service  d'une  li{]ne  formée  par 
Florence  et  Venise  contre  le  duc  de  Milan;  le  bâton  de  commandement  lui  fut 
remis  devant  le  maître-autel  de  la  cathédrale  de  Ferrare  (1426). 


LIVRE   PREMIER.  27 

le  droit  civil,  Antonio  da  Budrio  qui  s'occupa  du  droit  canon 
et  Giovanni  d'Imola  qui  commenta  les  lois,  abandonnèrent 
l'Université  de  Bologne.  Une  nouvelle  interruption  dans  les 
cours  eut  lieu  en  1416  et  en  1117  à  cause  de  la  peste;  mais,  à 
partir  de  cette  époque,  l'Université  de  Ferrare  ne  fit  qu'ac- 
croître son  renom,  avec  des  professeurs  tels  que  riiellé- 
niste  Giovanni  Aurispa  (en  1427  ou  1428)  (1),  Guarino  de 
Vérone  (1429)  (2)  et  Michèle  Savonarola,  médecin  célèbre  à 
l'école  de  Padoue  (1  i4.0)  (3).   «  En   147  4,  elle  comptait  qua- 

(1)  Giovanni  Aurispa  naquit  à  Xoto,  en  Sicile,  vers  1369,  et  mourut  en  1459. 
Il  visita  Constantinople  vers  1418  et  en  rapporta  un  très  grand  nombre  de 
manuscrits.  Il  se  trouvait  à  Venise  quand  la  misère  le  força  de  mettre  en  {]a{;e 
deux  cent  trente-deux  de  ces  manuscrits  pour  cinquante  florins  d'or.  Informé  de 
ce  qui  venait  de  se  passer,  Côme  de  Médicis  dégagea  les  manuscrits  et  appela 
Aurispa  à  Florence.  Vers  1427,  Aurispa  se  rendit  à  Ferrare,  devint  professeur  à 
l'Université,  entra  dans  les  ordres,  et  fut  l'objet  d'une  grande  bienveillance  de  la 
part  de  Nicolas  III,  qui  le  choisit  comme  précepteur  de  son  fils  Méliaduse.  On 
lui  donna  une  paroisse,  et  il  fut  commendataire  de  Santa  Maria  in  Vado  et  de 
Sant'  Antonio.  Dans  la  seconde  moitié  de  l'année  1433,  il  quitta  Ferrare  pour 
se  rendre  au  concile  de  Bâle.  Eugène  IV,  pendant  le  concile  de  Ferrare  (1438), 
lui  confia  la  charge  de  secrétaire  apostolique,  que  Nicolas  V  ne  lui  retira  pas. 
C'est  dans  la  capitale  des  princes  d'Esté  qu'Aurispa  passa  le  reste  de  sa  vie.  Il 
mourut  à  l'âge  de  quatre-vingt-dix  ans,  laissant  trois  enfants  naturels  (deux  filles 
et  un  fils},  nés  peut-être  avant  son  entrée  dans  les  ordres.  Il  fut  avec  Guarino  de 
Vérone  le  restaurateur  des  littératures  grecque  et  latine.  (Frizzi,  JMem.  per  la 
storia  di  Ferrara,  t.  III,  p.  458,  et  t.  IV,  p.  41-42.  —  Tiiîaboschi,  Storia  delta 
letteratura  italiana,  t.  VI,  1,  4.j 

(2)  Guarino  de  Vérone,  né  en  1370,  avait  appris  le  grec  à  Constantinople  avec 
Ennnanuel  Chrysoloras.  Avant  de  s'installer  à  Ferrare,  il  avait  été  professeur  à 
Florence,  à  Venise  (1515),  à  Vérone  (vers  1422),  à  Trente  (vers  1426),  et  de 
nouveau  à  Vérone.  Peut-être  retourna-t-il  quelquefois  dans  cette  ville  pendant 
son  séjour  à  Ferrare.  Nous  parlerons  de  lui  plus  au  Ii>ng  dans  le  chapitre  consacre 
aux  médailles. 

(3)  Michèle  Savonarola  se  fixa  à  Ferrare  pour  coinplaire  à  Nicolas  III,  et  y 
occupa  la  chaire  de  médecine  jusqu'en  1450,  tout  en  étant  le  médecin  de  la  cour. 
Aux  honneurs  dont  il  fut  comblé  et  qu'il  méritait  autant  par  la  dignité  de  son 
caractère  que  par  l'étendue  et  la  variété  de  ses  connaissances,  s'ajoutèrent  des 
pensions  et  l'investiture  de  plusieurs  terres.  II  ne  renonça  à  sa  chaire  que  pour 
composer  des  ouvrages  d'un  vrai  mérite,  où  se  manifeste  un  esprit  profondément 
religieux.  Lionel  et  Borso,  fils  et  successeurs  de  Nicolas  III,  le  tinrent  aussi  en 
haute  estime  et  le  gardèrent  connue  médecin.  Il  soignait  les  pauvres  sans  leur 
demander  aucune  rétribution.  Grand-père  de  Jérôme  Savonarole,  il  entoura  de 
tendresse  l'enfance  de  celui-ci  et  inspira  au  futur  Donn'nii;ain  le  goût  de  l'étude 
et  des  livres.  Il  mourut  entre  1466  et  1468.  (P.  Villari,  Vie  de  Jérôme  Savona- 
role, t.  I,  p.  29-30,  32-33,  —  Antonio  Cappelli,  Fra  Girolamo  Savonarola  e 
volizie  intorno  il  suo  tempo.  Modena,  1869,  p.  6-10.  —  A.  Gherardi,  Nuovi 
documenti  e  stttdi  intorno  a  Girolamo  Savonarola.  Firenze,  1887,  p.  4.) 


28  L'ART    FERRARAIS. 

rante-cinq  professeurs  (1),  représentant  les  études  les  plus 
variées  (2).  » 

Durant  le  règne  de  Nicolas  III,  la  ville  de  Ferrare  compta 
parmi  ses  hôtes  non  seulement  des  souverains  comme  Pierre 
de  Portugal  (1428)  et  Tempereur  Sigismond  (3),  mais  des 
savants  comme  Leonardo  Bruni,  qui,  après  avoir  été  secré- 
taire apostolique  sous  quatre  papes,  était  secrétaire  de  la 
République  florentine.  En  1427,  ce  personnage  prononça  dans 
l'éplise  de  Saint-Dominique  l'oraison  funèbre  de  Nanni  Strozzi, 
qui  fut  pendant  trente  ans  au  service  de  Nicolas  III  en  qualité 
de  général  et  qui  mourut  au  milieu  d'une  bataille,  non  loin 
de  Crémone,  en  assistant  les  Vénitiens  alors  aux  prises  avec  le 
duc  de  Milan. 

Comprenant  tout  le  prix  d'une  éducation  sérieuse,  à  la  fois 
militaire  et  littéraire,  Nicolas  III  (4.)  envoya  Lionel,  celui  de 
ses  fils  auquel  il  destinait  le  trône  de  Ferrare,  auprès  de  Brac- 
cio  di  Montone,  seigneur  de  Pérouse,  pour  apprendre  le  métier 
des  armes  (5),  et  il  chargea,  en  1429,  Guarino  de  Vérone, 
peut-être  à  l'instigation  de  Giovanni  Aurispa,  ami  de  ce  der- 
nier, de  former  l'esprit  du  jeune  prince  à  l'amour  des  auteurs 
classiques,  à  la  pratique  de  l'éloquence  et  de  la  poésie. 

Le  goût  des  livres   ne  fut  pas  étranger  à  Nicolas  III.    Ce 

(1)  Si  Francesco  Filelfo  ne  vint  pas  aussi  s'établir  à  Ferrare  comme  professeur, 
ce  ne  fut  pas  la  faute  de  Nicolas  III,  ainsi  que  le  prouvent  diverses  lettres  de  Filelfcj 

Tominaso  da  Sarzana  et  à  Giovanni  Aurispa;  des  enjjafjenients  formels  le  liaient 
envers  les  Florentins,  qui  tinrent  à  le  garder.  (Gianandhea  Barotti,  Memorie  isto- 
riclic  di  lelterati  ferraresi.) 

(2)  E.  MiisTz,  La  renaissance  en  Italie  et  en  France  à  Vépoque  de  Charles  VIII, 
p.  326. 

(3)  L'empereur  Sigismond,  devant  qui  Lionel,  un  des  fils  de  Nicolas  III,  pro- 
nonça un  discours  en  latin,  proclama  chevaliers,  le  13  septembre  1433,  Lionel, 
Borso  et  Folco,  fds  naturels  du  souverain  de  Ferrare,  ainsi  qu'Hercule  (né  le 
24  octobre  1431)  et  Sigismond  (né  le  31  août  1433),  tous  deux  fils  légitimes  du 
même  prince.  Le  dernier  fils  de  Nicolas  III  devait  son  nom  à  l'empereur,  qui 
l'avait  tenu  sur  les  fonts  baptismaux.  (Fbizzi,  Mem.  per  la  storia  di  Ferrara, 
t.  III,  p.  468.) 

(4)  L'esprit  de  Nicolas  III  n'était  pas  sans  culture.  Un  de  ses  précepteurs  fut 
Donato  da  Gasentino.  —  Nicolas  III  accorda  sa  faveur  à  l'astronome  Giovanni 
Biancliini,  dont  il  sera  question  dans  le  ch.  il  du  liv.  IV,  à  propos  de  la  minia- 
ture. 

(5)  Braccio  di  Montone  mourut  en  1424. 


LIVRE    PREMIER.  29 

prince  donna  de  notables  accroissements  à  la  collection  de 
livres  commencée  par  ses  prédécesseurs.  Un  inventaire  de 
1437  nous  apprend  qu'elle  renfermait,  vers  la  fin  de  son 
règne,  278  manuscrits,  1  en  langue  allemande,  2  en  grec, 
23  en  italien,  58  en  français  et  194  en  latin  (1). 

De  même  que  son  père,  Nicolas  III  se  complut  à  ordonner 
de  nouvelles  constructions.  Il  fit  non  seulement  refaire  les 
murs  d'enceinte  de  sa  capitale  et  la  partie  fortifiée  du  Castel 
Tedaldo  (1395),  mais  élever  le  Castel  Nuovo,  dont  Giovaiuii  da 
Siena  fut  l'architecte  (  1 427-1433)  (2) ,  et  les  palais  de  Belriguardo 
et  de  Consandolo  (3).  h'église  de  Be/fiore,  appelée  aussi  Sainte- 
Marie  des  Anges,  prit  naissance  de  1436  à  1440,  et  le  cam- 
panile de  la  cathédrale  fut  commencé.  Sous  le  règne  de 
Nicolas  III,  on  retrouve  Barlolino  da  Novai-a,  employé  surtout 
comme  ingénieur  militaire  avec  Domenico  da  Firenze  qui  périt 
en  dressant  une  bombarde  contre  la  citadelle  de  Reggio,  assié- 
gée par  les  milices  ferraraises  (1409).  Le  marquis  de  Ferrare 
employa,  en  outre,  un  ingénieur  nommé  Giovanni  d'Esté. 
Afin  de  le  récompenser  de  ses  longs  et  dévoués  services,  il  lui 
permit  (20  avril  1422)  de  dériver  pour  son  utilité  personnelle 
l'eau  du  canal  de  Reggio,  à  certains  jours  de  la  semaine.  Dans 
le  décret  de  concession,  il  l'appelle  dilectus  imjegniariiis 
noster  (4).  Citons  enfin  Filippo  Brunellesco  de  Florence  ou 
plutôt  de  Ficaruolo  (5),  qui  se  mit  momentanément,  on  ne 
sait  pour  quel  travail  (6),  à  la  disposition  de  Nicolas  III.  Ce  qui 
est  certain,  c'est  que  les  préposés  aux  constructions  de  Santa 

(1)  G.  Camus,  I  codici  francesi  dcUa  Regia  Biblioteca  Estcnse,  dans  la  Basse- 
gna  Emiliana,  Y"  année,  fasc.  X. 

(2)  Nicolas  fit  aussi  afjrandir  et  presque  reconstruire  le  magnifique  château  fort 
de  Finale  par  Giovanni  da  Siena.  Cet  éminent  architecte  se  mit  au  service  du  seigneur 
de  Ferrare  en  1422,  et  y  resta  jusqu'à  sa  mort,  arrivée  vers  1440.  '^Voir  Cokrado 
Ricci,  Giovanni  da  Siena,  dans  V Archivio  storico  deW  arte,  juillet-août  1892.) 

(3)  Peut-être  même  le  château  de  Fossadalbero  lui  dut-il  son  existence. 

(4)  G.  Campori,  Gli  arcliilelti  e  (jV  injegneri  degli  Estensi  dal  secolo  XIII 
al  XVI. 

(5)  Ficaruolo  est  située  sur  le  Pô. 

(6)  Peut-être  le  marquis  de  Ferrare  désira-t-il  avoir  son  avis  sur  les  digues 
destinées  à  prévenir  les  terrijjles  débordements  du  Pô.  (Ad.  Vemuri,  I  primordi 
del  rinascimento  artistico  a  Ferrara,  p.  5.) 


30  L'ART   rEllHARAIS. 

Maria  del  Fiore  permirent,  en  1  43:2,  à  Tillustre  architecte  de 
s'absenter  pendant  quarante-cinq  jours  pour  servir  le  souverain 
de  Ferrarc  et  le  seigneur  de  Mantoue,  sur  la  demande  de  ces 
personnages  (1). 

Vers  le  même  temps,  la  peinture  prit  son  premier  essor. 
Nous  aurons ,  plus  loin ,  l'occasion  de  mentionner  un  assez 
grand  nombre  de  peintres,  dont  les  œuvres  n'existent  plus. 
Le  plus  célèbre  de  tous  les  artistes  d'alors  fut  Antonio  Alherii 
ou  Antonio  da  Ferrara^  qui  représenta  dans  le  palais  du  Pa- 
radis la  gloire  des  Bienheureux  et  le  concile  tenu  à  Ferrare 
en  1438.  Plusieurs  miniaturistes,  notamment  Giovanni  F alco ni 
et  Jacopino  d'Arezzo,  trouvèrent  aussi  auprès  du  souverain  une 
faveur  justifiée  par  des  qualités  remarquables. 

Ce  fut  vraisemblablement  en  1432  que  parut  à  la  cour,  où 
il  fut  reçu  avec  honneur,  Viitore  Pisano,  qui  semble  y  avoir 
inauguré  son  talent  de  médailleur,  sans  oublier  qu'il  était 
peintre.  Il  y  revint  en  1435.  En  1438,  il  s'y  trouvait  aussi, 
comme  le  prouve  la  médaille  de  Jean  Paléologue,  probable- 
ment faite  pendant  la  tenue  du  concile,  et  sa  présence  en  1441 
ne  fait  pas  non  plus  de  doute. 

Comme  sculpteurs,  on  ne  peut  citer  sous  Nicolas  III  que 
Giacomo  da  Siena  (1408),  Giacomo  délia  Quercia[^),  qui  sculpta 
une  Madone  pour  la  cathédrale  (1408)  ,  et  Cristoforo  da 
Firenze  (1427),  auteur  d'une  Vierge  qui  orne  la  façade  de  la 
même  église. 

Quant  h  la  sculpture  en  bois  et  à  la  marqueterie,  elle  fut 
représentée,  au  commencement  du  règne  de  Nicolas  III,  par 
Giovanni  da  Modena,  surnommé  Baisi  ou  Abaisi,  et  à  la  fin  par 
Andréa  di  Crescimhene ,  père  de  Lorenzo  et  de  Cristoforo 
Ganozzi  da  Lendinara. 

L'orfèvrerie  était  déjà  florissante.  Milan  et  Venise  envoyè- 
rent de  nombreux  artistes  à  Ferrare,  où  les  orfèvres  formaient 
une  corporation.  A  partir  de  1437,  Amadio  da  Milano  y  dé- 
ploya une  activité  sans  relâche  et  un  talent  reconnu  de  tous. 

(1)  G.  C.uiPOni,  Gli  architetti  e  gV  ingegneri  deijli  Estensi,  p.  31. 

(2)  Il  ne  fit  que  passer  à  Ferrare. 


LIVRE   PREMIER.  31 

Ferrare  posséda  également  dès  cette  époque  des  tapissiers, 
des  potiers  et  des  brodeurs.  En  1436,  Nicolas  III  prit  à  son 
service  Jacopo  d'Angelo,  tapissier  flamand.  La  même  année, 
un  potier,  Benedetii  on  BeUino,  était  installé  dans  le  Castello. 
Plusieurs  brodeurs  milanais,  T'ommasino  dalla  Raina,  Francesco 
da  Carcano,  Agostino  Framhaia  de  Pavie,  Giusto  et  Antonio  de 
Milan,  établis  dans  la  ville,  travaillèrent  pour  le  seigneur  de 
Ferrare,  pour  Ugo  et  pour  Parisina  (1). 

La  musique  ne  fut  pas  non  plus  dédaignée.  Il  n'y  avait  pas 
de  fête  en  plein  air  qui  ne  fût  égayée  par  le  son  des  fifres  et 
des  trompettes,  des  cymbales  et  des  tambourins,  tandis  que 
dans  les  réunions  à  l'intérieur  du  palais  on  prenait  plaisir  à 
entendre  jouer  de  la  cithare,  du  luth,  du  rebec,  du  psaltérion. 
Ugo  d'Esté,  Parisina  et  ses  deux  filles  s'exercèrent  sur  la  harpe. 
De  temps  en  temps,  le  marquis  d'Esté  faisait  des  libéralités 
aux  musiciens  qu'il  avait  pris  à  son  service  :  en  1422,  Bœmio, 
joueur  de  fifre,  ayant  mis  en  gage  quelques  instruments, 
Nicolas  III  ordonna  de  les  dégager.  Ce  n'est  pas  seulement 
dans  ses  États  qu'il  recrutait  ses  musiciens  :  en  1437,  il  donna 
vingt  ducats  d  or  à  un  chanteur  de  la  chapelle  pontificale.  La 
même  année,  la  trompette  deFilippo  fut  décorée  de  flammes; 
Jean  d'Avignon  figure  comme  joueur  de  fifre  parmi  les  salariés 
du  prince,  et  un  certain  Giorgio  fut  chargé  d'aller  à  Venise 
pour  y  acheter  des  instruments  (2).  En  1441,  le  marquis  eut  à 
sa  solde  un  Allemand  du  nom  de  Nicolas,  excellent  instrumen- 
tiste et  chanteur  :  Nicolas  reçut  cent  ducats  d'or  afin  d'aller 
embaucher  en  Allemagne,  avec  un  compagnon  et  deux  che- 
vaux, àei  tromhettieri  [tibicines)  pour  le  seigneur  de  Ferrare  (3). 

On  voit  que  toutes  les  manifestations  de  l'art  étaient  en- 
couragées à  la  brillante  cour  de  Nicolas  III,  et  que  ce  prince 

(1)  i\d.  Vexturi,  llelazioni  artisliche  ira  le  corti  di  MUano  e  Ferrara  ncl 
secolo  XV,  p.  252. 

(2)  Voulait-on  des  cordes  à  cithares,  c'est  aussi  à  Venise  que  l'on  songeait; 
Agostino  s'y  transporta  en  1441  dans  cette  intention  sur  l'ordre  du  marquis. 

(3)  L.-F.  Valduigui,  Cappelle,  concerti  e  musichr  di  casa  d'Estedul  secolo  XV 
al  XVIII,  dans  les  Attij;  menwi-ie  délie  deputazioni  di storia  patria  per  le  provin- 
cie  modenesi  e  pannensi,  série  III,  vol.  II. 


32  L'ART    FERRARAIS. 

commençait  à  faire  de  sa  capitale  un  des  centres  de  la  civili- 
sation italienne  (1). 

Le  fils  d'Albert  d'Esté  se  maria  trois  fois.  Il  n'avait  que 
treize  ans  et  deux  mois  (janvier  1397)  lorsqu'il  épousa  Gi- 
gliola  (2),  fille  de  Francesco  Novello  da  Carrara,  seigneur  de 
Padoue  (3).  Niccolô  Roberti,  accompagné  de  quatre  cents  per- 
sonnes à  cheval,  alla  chercher  Gigliola  à  Padoue.  Quand  elle 
fit  son  entrée  à  Ferrare  sous  un  baldaquin  d'or,  plusieurs 
notables  ferrarais  tenaient  les  brides  et  les  étriers  de  son 
cheval  ;  les  rues  étaient  jonchées  de  fleurs  et  d'herbes  odo- 
rantes; les  marchands  de  laine  avaient  tendu  des  étoffes  au- 
dessus  des  rues;  certaines  corporations  exhibèrent  un  car- 
7'occio,  un  château  fort,  un  saint  Georges  tuant  le  dragon  ;  et  les 
cabaretiers  disposèrent  au  milieu  de  la  grande  place  une  fon- 
taine d'où  coulait  du  vin.  La  princesse  s'avança  vers  le  palais 
au  son  des  instruments.  Une  simple  bénédiction  fut  donnée 
aux  jeunes  époux  dans  la  chapelle  du  château ,  l'âge  de 
Nicolas  III  ne  permettant  pas  de  conférer  encore  le  sacrement 
de  mariage.  Gigliola  mourut  le  23  février  1416,  peut-être  de 
la  peste,  sans  avoir  eu  d'enfants.  —  La  seconde  femme  de 
Nicolas  III  fut  Parisina,  fille  de  Malatesta  de'  Malatesti  de 
Rimini,  qu'il  épousa  le  27  février  1418,  et  à  laquelle,  nous 
l'avons  vu,  il  fit  trancher  la  tête  le  21  mai  1425.  Il  n'en  avait 
eu  qu'un  fils,  qui  vécut  seulement  un  mois  et  demi,  et  deux 
filles  jumelles,  Ginevra  et  Lucie,  qui  se  distinguèrent  dans 
l'étude  du  latin  et  du  grec.  Ginevra,  née  en  1519,  se  maria, 
en  1434,  avec  Sigismond  Malatesta  et  fut  empoisonnée  par 
lui  en  1440.  Quant  à  Lucie,  elle  devint,  en  1437,  la  femme 

(1)  M.  Miiatz  a  fait  justement  observer  que,  à  la  cour  de  Nicolas  III,  la  pénu- 
rie des  ressources  alternait  parfois  avec  les  prodigalités  mal  calculées.  «  Tandis 
que  le  marquis  dépensait  d'un  coup  3,000  florins  pour  acheter  des  tentures,  ses 
fds  en  étaient  réduits  à  porter  des  vêtements  râpés.  Les  doléances  faites  par  le 
jeune  Ugo  à  sa  belle-mère  nous  révèlent  la  détresse  de  sa  garde-robe;  son  frère 
Méliaduse  n'était  pas  mieux  partagé.  «  {Histoire  de  l'art  pendant  la  Renaissance, 
1889,  p.  142.) 

(2    Elle  avait  environ  quinze  ans. 

(3)  Francesco  Novello  s'était  marié  avec  Taddea,  tille  de  Niccolô  Zoppo  (Nico- 
las le  Boiteux). 


LIVRE   PREMIER.  33 

de  Carlo  Gonzaga,  fils  du  marquis  de  Mantoue.  —  En  troi- 
sièmes noces,  Nicolas  III  épousa  (1429)  Ricciarda,  fille  de 
Tommaso,  marquis  de  Saluées  (1),  laquelle  mourut  le  16  août 
147  i.  Il  en  eut  deux  fils  :  Hercule,  né  le  2  4  octobre  143!,  et 
Sigismond,  né  le  31  août  1433. 

Quant  à  ses  enfants  naturels,  on  n'en  connaît  pas  exacte- 
ment le  nombre.  Giraldi  lui  en  attribue  vingt  et  un,  Sardi  en 
compte  vingt-deux.  «  En  deçà  et  au  delà  du  Pô,  disait-on,  il 
n'y  a  que  des  enfants  de  î^icolas  (2).  »  Nous  signalerons  parmi 
les  fils  :  Ugo  Aldohraiidnw,  né  de  Stella  dall'  Assassino  le  17  no- 
vembre 1405,  lequel  fut  décapité  avec  Parisina  en  1425;  Më- 
liaduse,  né  le  3  mars  140()  de  Catterina,  fille  du  médecin 
Taddeo,  ou  de  Catterina  degli  Albaresani,  et  mort  le  2  janvier 
1452  (3);  Lionel,  né  le  21  septembre  1407  de  Stella  dall' 
Assassino;  Borso,  né  le  24  août  1  413  de  Stella  dall'  Assassino 
ou  Stella  de'  Tolomei;  Albert,  né  le   10   novembre    1415  de 


(i)  Ricciarda  ne  fut  amenée  à  Ferrare  qu'en  1431.  Vêtue  de  damas  blanc, 
avec  un  vêtement  de  dessous  rou{;e,  elle  entra  dans  la  ville  sur  un  cheval  blanc 
et  fut  conduite  au  Gastel  JNuovo.  La  cérémonie  nuptiale  eut  lieu  le  lendemain  et 
fut  suivie  de  fêtes  pendant  trois  jours. 

(2)  «  Di  qua  e  di  la  dal  Po,  tutti  fi gli  di  Niccolo.  » 

(3)  Destiné  par  son  père  à  la  carrière  ecclésiastique  à  laquelle  il  tenta  vaine- 
ment de  se  soustraire  en  s  enfuyant  auprès  de  Philippe  Visconti,  Méliaduse  fut 
abbé  conimendataire  de  l'imposant  monastère  de  Pomposa,  situé  entre  Comac- 
chio  et  Codij^oro,  et  du  monastère  de  San  Barlolommeo  à  Ferrare.  En  qualité  de 
protonotaire  apostolique,  il  demeura  un  certain  temps  à  Florence,  pendant  le 
premier  séjour  d'Eugène  IV  dans  cette  ville.  En  1436  ou  en  1437,  il  se  lia  avec 
Léon-Baptiste  Alberti,  à  Bolofrne.  Alberti,  dans  la  lettre  par  laquelle  il  dédia  son 
Philodoxios  à  Lionel,  rappelle  cette  liaison,  qui  se  continua  à  Ferrare.  «  xN^jh 
eni)n  fratris  tui  Meliadusii  viri  humcuiissinii,  et  qui  inihi  optiinc  seinper  studue- 
rit,  plane  sini  amicissimus.  »  C'est  sur  la  demande  de  Méliaduse  qu'Alberti  com- 
posa ses  Ludi  matemalici,  où  il  donne  des  règles  pour  mesurer  la  superficie  des 
terrains,  et  où  il  expose  divers  problèmes  de  mathématique  et  de  phvsique.  Mélia- 
duse fit  un  vovage  à  Jérusalem.  Il  finit  par  obtenir  du  pape  Nicolas  V  l'autorisa- 
tion de  renoncer  à  l'état  ecclésiastique,  ce  qui  eut  lieu  après  la  mort  de  Lionel. 
Sa  propre  mort  arriva  peu  après,  le  25  janvier  1452.  Il  laissa  huit  enfants  natu- 
rels, trois  fils  et  cinq  fdles  :  deux  d'entre  elles  furent  religieuses  dans  le  monastère 
de  Saint-Antoine,  une  autre  entra  au  monastère  de  Saint-Guillaume;  Lucrezia  se 
maria  avec  Pietro  Sacrati,  noble  ferrarais;  Polissena  épousa  Giovanni  Romei, 
qui  mourut  en  1483,  puis  Scaramuccio  Visconti,  fils  du  comte  Alcssandro  Vis- 
conti. (Frizzi,  Memorie  per  la  storia  di  Foi-ara,  t.  III.  —  MaNCIM,  Vitu  di  Léon 
Battisla  Alberti,  p.  195.  —  G.  Campoui,  Gli  architclti  e  gV  iiigegncri  degli 
Estensi,  p.  31-33.) 

I  3 


34  L'ART    FERRARAIS. 

Filippa  dalla  Tavola  et  mort  dans  le  palais  du  Paradis  le  8  avril 
1502-  enfin  Rinaldo  Maria,  né  d'Anna  Roberti,  qui  se  maria 
en  1  473  avec  Lucrezia,  fille  de  Guillaume,  marquis  de  Mont- 
ferrat,  et  mourut  en  1503  (1). 

Parmi  les  filles  naturelles  de  Nicolas  III,  nous  mentionne- 
rons :  Isotta,  née  en  1425,  mariée  en  1  444àOddantonio,  comte 
d'Urbin,  puis  à  Stefano  Frangipani,  seigneur  de  Signa  (1446); 
Béatrice,  née  en  1427,  mariée  à  Niccolô  da  Correggio  (1448), 
puis  à  Tristano  Sforza,  fils  de  François  Sforza,  duc  de  Milan 
(14-oA);  Biaiica  Maria,  née  en  1440,  mariée  à  Galeotto,  sei- 
gneur de  la  Mirandole  (1468)  (2)  ;  Margherita,  mariée  à  Galeotto 
Roberto  Malatesta,  seigneur  de  Rimini,  qui  se  fit  religieuse  au 
monastère  de  Saint-Guillaume  à  Ferrare  après  la  mort  de  son 
mari;  une  autre  Margherita,  mariée  à  Galasso  Pio,  seigneur  de 
Carpi;  Cammilla,  mariée  à  Ridolfo  Varano,  seigneur  de  Game- 
rino  (1448);  Orsina,  mariée  à  Aldobrandino  Rangoni,  puis  à 
un  Malatesta  et  enfin  à  Andréa  Gualengo,  conseiller  de  Borso 
fl469). 


VI 


LIONEL    (3). 
(JSé  le  21  septembre  1407,  il  réyna  de  IWl  à  1450.) 

Avant  de  mourir,  Nicolas  III  eut  le  temps  de  faire  son  tes- 
tament, dans  lequel  il  désigna  comme  son  successeur  Lionel, 
un  de  ses  fils  naturels,  au  détriment  d'Hercule  et  de  Sigis- 
mond,  ses  seuls  fils  légitimes.  Il  ne  faisait,  du  reste,  que  tenir 
un  engagement  solennel.  En  obtenant  pour  Lionel  la  main  de 
Marguerite,  fille  du  seigneur  de  Mantoue  Jean-François  Gon- 

(1)  ISous  parlerons  de  lui  à  propos  de  sa  médaille  par  Coradini. 

(2)  ]Sous  donnerons  quelques  détails  sur  son  compte,  à  propos  du  De  claris 
mulieribus  de  Fra  Filippo  Foresti  de  Bergame,  dans  notre  étude  sur  Les  livres 
publiés  a  Ferrare  avec  des  gravures  sur  bois.  (Liv.  V,  cli.  iv.) 

i3;    Il  a  été  déjà  question  de  Lionel,  p.  20,  21,  22,  26,  27  et  28, 


LIVRE   PREMIER.  35 

zague,  il  avait  promis,  dès  1429,  d'assurer  le  trône  de  Ferrare 
au  gendre  de  ce  prince,  et,  lorsque  lui-même  épousa  Ricciarda 
de  Saluées,  il  avait  spécifié  qu'après  lui  la  souveraineté  appar- 
tiendrait, non  aux  enfants  qui  naîtraient  de  son  mariage,  mais 
à  Lionel.  Cette  décision  fut  très  heureuse  pour  les  Ferrarais, 
qui  échappèrent  ainsi  aux  inconvénients  d'une  tutelle,  et  aux- 
quels échut  un  des  souverains  qui  ont  laissé  les  meilleurs  sou- 
venirs dans  la  mémoire  des  peuples. 

Lionel,  nous  l'avons  déjà  dit,  naquit  en  li07,  fut  légitimé 
par  le  pape  Martin  V  en  14:29  et  déclaré  apte  à  devenir  sei- 
gneur de  Ferrare,  ce  qu'Eugène  IV  ratifia.  Après  avoir  appris, 
on  se  le  rappelle,  l'art  militaire  avec  Braccio  di  Montone,  il 
eut  pour  maître  Guarino  de  Vérone  qui  l'initia  aux  langues 
classiques,  et  il  montra  combien  il  avait  profité  des  leçons  du 
savant  humaniste  lorsqu'il  harangua  en  latin  l'empereur  Sigis- 
mond  (1433)  et  le  pape  Eugène  IV  (1438)  (1).  Son  mariage 
avec  Marguerite  Gonzague,  quoique  décidé  en  1-429,  ne  s'ef- 
fectua que  six  ans  plus  tard  (2  février  1  435).  La  fille  du  mar- 
quis de  Mantoue  fit  son  entrée  à  Ferrare  sur  un  cheval  blanc  ; 
son  costume  était  en  drap  d'or  doublé  d'hermine.  Elle  mourut 
le  7  juillet  1439  (2). 

Quand  Lionel  succéda  à  Nicolas  III,  il  n'était  pas  étranger 
au  maniement  des  affaires,  son  père  lui  ayant  laissé  à  plusieurs 
reprises  le  soin  de  gouverner  en  son  absence.  C'est  lui  qui  en 
réalité  régnait  déjà  au  moment  où  Nicolas  III  mourut  à  Milan, 
et  il  fut  sur-le-champ  confirmé  dans  l'autorité  souveraine.  Le 
28  décembre  1441,  Uguccione  Contrario  annonça  tout  à  la 
fois  dans  la  capitale  des  princes  d'Esté  la  fin  et  les  dernières 
volontés  de  celui  dont  il  avait  été  si  longtemps  le  principal 


(1;  Guarino  de  Vérone,  clans  l'éloge  funèbre  (ju'il  prononça  au\  liinérailles  de 
Lionel,  et  Giovanni  Canali,  dans  ses  Annali  Estensi,  mentionnent  avec  éloge  ces 
deux  discours.  Libanori,  dans  sa  Ferrara  d'oro,  et  Borsetti,  dans  son  Historia 
gyiniiasii  Feirariensis,  prétendent  que  Lionel  prononça  aussi  un  discours  en  grec 
devant  les  Pères  du  Concile  de  Ferrare  ;  mais  le  silence  de  Guarini  rend  leur 
assertion  suspecte. 

(^2;  l'ar  son  éducation,  Marguerite  Gonzague  était  digne  du  prince  lettré  (lu  elle 
épousa.  Elle  avait  eu  pour  maiire  Victorin  de  Feltre. 


;U;  L'AUT    FERllARAIS. 

ininislic  cl  le  (iJèlc  ami.  Reconnu  seigneur  de  Fenare  par  le 
Conseil  que  le  Ju.jje  des  Sages  avait  convoqué  dans  le  château, 
Lionel  parcourut  la  ville  à  cheval  avec  une  nombreuse  suite 
également  h  cheval. 

Le  lendemain  soir,  le  corps  de  Nicolas  III  arriva  et  fut  con- 
duit à  travers  les  rues,  qu  illuminaient  d'innombrables  torches, 
dans  Téglise  de  Santa  Maria  di  Belfiore.  Suivant  la  volonté  du 
prince  auquel  on  rendait  les  derniers  honneurs,  les  funérailles 
curent  lieu  sans  pompe,  et  d'abondantes  aumônes  furent  dis- 
tribuées aux  pauvres. 

Il  y  a  peu  d'événements  à  signaler  sous  le  règne,  d'ailleurs 
assez  court,  de  Lionel.  Ce  prince  pacifique  et  sage,  assisté  de 
son  frère  Borso,  sut  non  seulement  rester  en  dehors  des  luttes 
et  des  intrigues  qui  bouleversaient  l'Italie  autour  de  lui,  mais 
inspirer  assez  de  confiance  pour  être  souvent  pris  comme  mé- 
diateur. Philippe-Marie  Yisconti,  deux  fois  battu  parles  Véni- 
tiens, le  chargea  de  traiter  avec  eux.  Une  sorte  de  congrès 
général  s'assembla  en  1449  à  Ferrare.  Enfin,  ce  fut  dans  le 
palais  de  Belfiore  que  la  paix,  grâce  à  Lionel,  fut  conclue 
entre  la  République  de  Venise  et  Alphonse  I",  roi  de  Naples(I). 

Plusieurs  mariages  mirent  en  fête  la  cour  de  Ferrare.  Le 
plus  solennel  fut  celui  de  Lionel  avec  Marie  d'Aragon,  fille 
naturelle  du  roi  de  Naples  Alphonse  I".  Il  fut  négocié,  à  l'in- 
stigation d'Uguccione  Contrario  et  de  Borso,  par  Philippe- 
Marie  Yisconti.  Agostino  Villa,  secrétaire  du  marquis,  se  rendit 
à  Naples  au  mois  d'avril  14  43  afin  de  rédiger  les  stipulations 
matrimoniales  ;  mais  un  an  se  passa  avant  la  célébration  du 
mariage,  à  l'occasion  duquel  Lionel  reçut  de  ses  sujets  un 
cadeau  de  trois  mille  lire  marchesatie.  Au  printemps  de  1444, 
Borso,  escorté  d'une  suite  brillante,  alla  chercher  la  jeune  prin- 
cesse (2),  après  avoir  été  à  Venise  pour  se  procurer  deux  galères 
et  quelques  autres  navires.  Lorsque  la  petite  flotte  revint  de 

(i)  Alphunsc  V  d'Aragon,  victorieux  de  René  d'Anjou,  était  devenu  roi  de 
jNaples  en  1442.  Il  prit  le  nom  d'Alphonse  I"  et  fut  surnommé  le  Magnanime. 

(2;  Dès  cette  époque,  Borso  et  Lionel  encouragèrent  sous  main  le  roi  de  INaplcs 
à  prendre  des  mesures  pour  s'emparer  de  la  Londjardie  après  la  mort,  imminente 


LIVRE   PREMIER.  37 

Naples  et  s'avança  sur  le  Pô,  Mëliaduse,  frère  de  Lionel  et  de 
Borso,  accompagné  de  gentilshommes,  de  dames  ferraraises  et 
de  jeunes  paysannes,  se  porta  au-devant  de  la  princesse  avec 
des  barques  où  l'on  faisait  de  la  musique.  Le  1"  mai,  Marie 
d'Aragon  fut  conduite  au  Castel  Nuovo,  et  le  3  mai  au  château 
de  son  époux.  Pendant  quatre  jours,  les  fêtes  ne  cessèrent  pas  : 
les  chasses  aux  taureaux  et  aux  sangliers  alternèrent  avec  les 
tournois.  L'année  suivante,  Lionel  et  sa  femme  entreprirent 
pour  leur  agrément  un  voyage  à  Venise  (1). 

Ce  fut  aussi  en  14i-i  qu'Isotta,  sœur  de  Lionel,  épousa 
Odd'Antonio,  comte  d'Urbin,  qui,  le  22  juillet,  fut  massacré 
dans  sa  résidence  par  quelques  conjurés.  Cette  princesse  était 
vouée  aux  infortunes.  En  14.46,  elle  se  remaria  avec  Stefano 
Frangipane,  comte  de  Signa,  et  les  noces,  célébrées  dans  la 
demeure  de  son  frère  Méliaduse,  furent  suivies  de  réjouissances 
au  château  même  de  Lionel;  mais,  quatre  ans  après,  les  mau- 
vais traitements  qu'elle  eut  à  endurer  la  forcèrent  de  quitter 
son  mari  et  de  regagner  pour  toujours  sa  ville  natale. 

Une  autre  fille  de  Nicolas  III ,  Cammilla,  fut  plus  heureuse 
en  épousant  Ridolfo  Varano,  seigneur  de  Gamerino,  dont  le 
fils,  Ercole,  devait  transplanter  dans  la  capitale  des  princes 
d'Esté  la  famille  des  Varani. 

Si  les  mariages  de  quelques-uns  des  membres  de  la  maison 
régnante  furent  à  Ferrare  un  prétexte  aux  fêtes  de  toutes  sortes, 
la  mort  de  plusieurs  personnages  de  marque  attrista  profondé- 
ment tantôt  les  citoyens,  tantôt  Lionel  lui-même.  Giovanni  Ta- 
velli  da  Tossignano,  l'admirable  évêque  de  Ferrare,  cessa  de 
vivre  en  1440.  Uguccione Contrario,  qui  avait  été,  depuis  l'âge 
de  vingt  et  un  ans,  associé  à  la  destinée  de  Nicolas  III  et  à  celle 
de  son  successeur,  qui  avait  mis  à  leur  service  la  prudence  d'un 

déjà,  de  l'hilippe-Marie  Visconti,  au  tlctriincnl  de  François  Sforza,  qui  avait 
épousé  la  fdle  de  Visconti,  et  qui,  aidé  par  Gôme  de  Médicis,  triompha  de  tous 
les  obstacles.  (Cesare  Foucard,  Proposta  fatta  dalla  corte  Estense  ad  Alfonso  I, 
re  di  Napoli,  dans  rj4rc/a'i^(0  storico  per  le  provincie  Napoletane,  anno  IV,  fasci- 
colo  IV.) 

(i)   Voyez  les  pages  consacrées  au  palais  des  princes  d'Esle  à  Venise  dans  le 
th.  m  du  liv.  II. 


38  L'AKT   FERRAI\AIS. 

habile  politique,  la  bravoure  d'un  capitaine  intrépide  et  ratta- 
chement d'un  ami,  qui  maintes  fois  avait  jjouverné  Ferrare  à 
leur  place  et  dont  la  sagesse  avait  apporté  quelques  trêves  aux 
luttes  intestines  de  l'Italie,  expira  le  15  mai  1448.  Enfin,  Lionel 
perdit  sa  seconde  femme  le  0  décembre  1  449. 

Une  des  mesures  qui  contribuèrent  le  plus  à  assurer  la  tran- 
quillité publique  sous  ce  prince  fut  l'éloignement  d'Hercule 
et  de  Sigismond,  dont  la  mère,  Ricciarda,  s'était  retirée  à 
Saluées  un  peu  avant  le  mariage  de  Lionel  avec  Marie  d'Aragon, 
dans  la  crainte  de  ne  pouvoir  garder  à  la  cour  de  Ferrare  la 
situation  qu'elle  prétendait  y  occuper.  A  la  suite  d'un  voyage 
à  Naples  entrepris  par  Borso  pour  se  concerter  avec  Alphonse  I", 
les  deux  fils  légitimes  de  Nicolas  III  furent  envovés,  suivant  les 
conseils  d'Uguccione  Contrario,  auprès  de  ce  monarque,  qui 
les  donna  comme  compagnons  d'études  à  son  propre  fils  Fer- 
rante (1445). 

Sur  les  instances  de  la  Commune  de  Ferrare,  Lionel  rendit 
deux  ordonnances,  le  11  et  le  30  mars  1447,  contre  le  luxe 
déployé  parles  femmes  dans  leurs  costumes  (1).  Il  fut  interdit 
aux  femmes  de  la  ville  de  dépenser  pour  leur  toilette  plus  du 
tiers  de  leur  dot,  et  une  amende  de  trente-cinq  ducats  d'or 
menaça  les  notaires,  tailleurs,  orfèvres  et  autres  fournisseurs 
qui  se  feraient  leurs  complices.  Quant  aux  femmes  de  la  cam- 
pagne, on  ne  leur  permit  de  porter  que  de  la  toile  et  de  la  laine  ; 
tout  ornement  d'or,  d'argent  et  de  perles  leur  fut  défendu.  En 
même  temps,  on  déclara  la  guerre  aux  queues  des  robes  :  que 
les  femmes  fussent  riches  ou  pauvres,  jeunes  ou  vieilles,  nobles 
ou  roturières,  elles  furent  astreintes  à  supprimer  cet  appendice. 
On  entendait  par  queue  ce  qui  excédait  une  demi-brasse  ferra- 
raise  quand  la  femme  était  debout  sans  chaussures.  Dépareilles 
interdictions  caractérisent  une  époque  ;  mais  l'efficacité  en  fut 
probablement  médiocre  ou  en  tout  cas  dura  peu  :  l'accrois- 
sement de  la  prospérité  et  le  développement  des  arts  ne  tar- 

(1)  On  peut  lire  le  texte  de  ces  ordonnances  dans  Barotti,  Memorie  di  lette- 
rati  ferraresi.  —  Nicolas  III  avait  déjà  pris  des  arrêtés  contre  les  costumes  des 
femmes  jugés  contraires  à  la  modestie  (1434). 


LIVRE   PREMIER.  39 

dèrent  sans  cloute  pas  à  les  rendre  illusoires.  Le  luxe  des 
costumes  à  la  cour  ne  fit  que  s'accroître,  comme  en  témoi- 
gnèrent les  acquisitions  de  fourrures  et  d'étoffes  en  damas,  en 
soie  et  en  velours,  ainsi  que  les  objets  livrés  par  les  brodeurs, 
les  joailliers  et  les  orfèvres. 

Si  Lionel  s'était  borné  à  promulguer  des  lois  somptuaires, 
on  ne  se  souviendrait  plus  de  lui  aujourd'hui.  Il  mérita  mieux 
de  sa  patrie  et  de  la  civilisation  en  réorganisant  l'Université 
qui  commençait  à  péricliter  (1442).  Il  congédia  les  professeurs 
médiocres,  et,  pour  en  attirer  de  remarquables,  il  écrivit  lettres 
sur  lettres  dans  les  principales  villes  de  l'Italie  et  de  l'étranger, 
où  il  envoya  même  des  messagers,  ne  ménageant  pas  les  pro- 
messes. Aux  émoluments  considérables  il  ajouta  l'accueil  d'un 
prince  ami  des  lettres.  C'est  ce  que  Giovanni  Bianchini  (1) 
rappelle  dans  l'épître  à  Lionel  qui  accompagne  les  Tavole 
astro7iomiche  qu'il  lui  dédia  en  1442  :  «  Quos  tu  primum 
onines  et  lœtisshno  vultu  et  verbis  suavissimis  suscepisti  v  ;  c'est 
aussi  ce  que  constate  Giovanni  Canali  de  Ferrare,  auteur  des 
Annali  Estensi. 

Lionel  lui-même  fut  un  humaniste,  un  lettré,  un  poète.  La 
lecture  des  écrivains  de  l'antiquité  le  charmait,  sans  lui  faire 
négliger  l'Écriture  sainte.  Il  fut  le  premier  à  dénoncer  la  faus- 
seté de  la  correspondance  entre  saint  Pierre  et  Sénèque,  et 
F.  Giovanni  Minorita  rapporte  qu'il  consacrait  la  plus  grande 
partie  de  ses  loisirs  à  la  philosophie  et  à  la  théologie.  Il  laissa 
un  volume  de  poésies  en  latin  et  en  langue  vulgaire,  que 
Niccolô  Baruffaldi  et  Giulio  Ganani  eurent  entre  leurs  mains; 
mais  on  ne  connaît  aujourd'hui  que  deux  sonnets,  imprimés 
avec  les  rame  scelle  de'  poeti ferraresi. 

Le  nombre  est  grand  des  savants  et  des  lettrés  que  Lionel 
rassembla  autour  de  lui.  Frizzi  cite  parmi  ceux  qui  étaient  nés 
à  Ferrare  le  poète  TitoStrozzi,  le  philosophe  Francesco  Ariosti, 
le  jurisconsulte  Giacomo  Zocchi,  qui  futattachéà  lUniversité, 
Lodovico  Carbone,  orateur  et  poète.  Il  mentionne  également 

(1)   Il  sera  question  de  Bianchini  dans  le  chapitre  sur  hi  ininialurc    liv.  IV). 


40  L'ART    FERRA  RAI  S. 

des  étrangers  dont  toute  l'Italie  appréciait  le  mérite  :  Guarino 
de  Vérone,  Teodoro  Gaza  de  Thessalonique  (1),  recteur  de 
l'Université,  Angelo  Gambiglione  d'Arezzo,  jurisconsulte  émé- 
rite,  professeur  à  l'Université,  Alessandro  Tartagni  d'ImoIa(2), 
Bartolommeo  Cipolla  de  Vérone,  jurisconsulte  et  lettré,  Ugone 
de'  Benci  de  Sienne,  qui  avait  été  le  médecin  de  Nicolas  III, 
Giovanni  Aurispa  (3)  et  Michel  Savonarole,  dont  il  a  été  ques- 
tion déjà,  Cyriaque  d'Ancône  et  Basinio  de  Parme  (  i).  Telle  était 
la  société  favorite  de  Lionel  (5).  Il  aimait  à  réunir  ces  hommes 
distingués,  à  discuter  avec  eux  des  questions  de  littérature  et 
de  morale,  tantôt  dans  un  salon,  tantôt  à  table,  tantôt  dans 
les  jardins  du  château,  tout  en  se  promenant.  Les  sujets 
grossiers  et  même  légers  étaient  bannis  de  ces  entretiens,  où 
il  n'apportait  aucune  prétention,  quoiqu'il  possédât  une  solide 
érudition,  qui  le  fit  mettre  par  Francesco  Filelfo,  un  de  ses 
correspondants,  au-dessus  de  tous  les  princes  de  son  temps  (6). 
Avec  les  savants  qu'il  n'avait  pu  attirer  à  sa  cour,  il  entretenait 
un  commerce  épistolaire  auquel  Guarino  a  rendu  hommage 
en  ces  termes  :  «  Dodos  m  primis  homines  honore  et  veneratione 
proseqiiutus  est,  ciim  et  ipse  eruditione  expolitus  eminerei  :  ciijus 
testes  varix  exstant  ad nniltos  dimissve fréquenter  epistolee ,  in  qidhus 
sic  entendale,  sic  electis  verhis  adeo  latine  scrihehat,  iit  ad  anti- 
quorum dictioneni  proxinius  accederet  (7).  »  C'est  à  Francesco 
Barbaro,  à  xVmbroise  le  Camaldale,  à  Angelo  Decembrio,   à 

(1)  De  1441  à  1450,  il  enseigna  le  grec  à  Ferrare.  (A.  Firmin-Didot,  Aide 
Manuce.) 

(2)  Son  tombeau,  dans  l'église  de  Saint-Dominique  à  Rologne,  est  une  œuvre 
remarquable  de  Francesco  di  Simone  Fiorentino. 

(3)  «  Il  aima  mieux  rester  curé  à  Ferrare  que  devenir  possesseur  d'une  abbaye 
qui  lui  fut  offerte  par  Alphonse  roi  de  Naples.  «  (Mancini,  Vita  di  Léon  Battista 
Alberti,  p.  193.) 

(4)  E.  MI'ntz,  La  Renaissance  en  Italie  et  en  Fiance  à  l'époque  de 
Charles  VIII,  p.  327. 

(5)  Un  poète  nonnné  Ulysse,  qui  sendjle  avoir  résidé  d'ordinaire  à  Venise, 
séjourna  quelque  temps  à  Ferrare.  Il  sera  plus  loin  question  de  ce  personnage. 

(6)  «  Colla  luce  délia  sua  doctrina  supero  tutti  i  principi  del  suo  tempo.  » 
{Filelf.  oral,  de  inita  societ.  inter  Bonam  et  Herc.  Est.) 

(7)  Eloge  funèbre  de  Lionel.  —  Lionel,  cependant,  n'avait  pas  pour  l'italien 
le  même  dédain  f[ue  la  plupart  des  humanistes  de  son  temps.  11  loua  Léon-Bap- 
tiste Alberti  d'avoir  abandonné  le  latin  pour  l'italien. 


LIVRE   PREMIER.  41 

Georges  de  Trébizonde,  à  Lorenzo  Valla,  à  Antonio  Becca- 
dello  dit  le  Panormitain,  au  Poggio,  à  Francesco  Filelfo  qu'il 
adressa  la  plupart  de  ses  lettres.  Pietro  Candido  Decembrio, 
quand  il  eut  écrit  la  vie  de  Philippe-Marie  Yisconti,  le  consulta 
et  supprima  un  passage  d'après  le  conseil  du  prince  (1). 

Rechercher  et  acquérir  les  anciens  manuscrits  ou  s'en  pro- 
curer des  copies  fut  une  des  passions  de  Lionel  (2).  Dès  qu  il 
eut  appris  que  les  comédies  de  Plante  avaient  été  découvertes 
en  Allemagne,  il  tâcha  d'en  obtenir  une  transcription,  et  l'on 
sait  par  deux  lettres  de  Poggio  Fiorentino  qu'il  voulut  à  toute 
force  avoir  deux  volumes  des  lettres  de  saint  Jérôme,  pour 
lesquelles  Poggio  demandait  cent  écus  d'or  (3).  Un  Pompeius 
Festus,  manuscrit  in-quarto  que  possède  la  Bibliothèque  d'Esté 
à  Modène,  appartint  à  Lionel.  Non  content  d'enrichir  pour  sa 
satisfaction  personnelle  la  bibliothèque  laissée  par  son  père  (4) , 
ce  prince  en  fonda  une  dans  le  monastère  des  Anges  à  l'usage 
des  étudiants  (5)  et  la  pourvut  à  grands  frais  d'ouvrages  grecs, 
latins  et  même  hébreux  (6). 

Au  goût  des  livres  Lionel  joignait  celui  des  arts.  Avant  de 
succéder  à  Nicolas  III,  il  commença  à  former  les  collections 
auxquelles  ses  successeurs  donnèrent  tant  d'extension,  à  ras- 
sembler des  cornalines,  des  gemmes  gravées,  des  médailles 
antiques,  des  peintures,  comme  l'atteste  Angelo  Decembrio 
dans  ses  Dialogues  (7).  Sa  résidence  de  Belfiore  devint  une  sorte 

(i)   RoSMKM,   Vita  di  Guaruio  veronese.  lîrescia,  1806,  t.  I,  p.  109. 

(2)  «  En  1434,  après  l'expulsion  de  Paolo  Guinigi,  seigneur  de  Lucques,  il 
acquit  l'armoire  que  ce  personnage  avait  fait  exécuter  en  1414  par  Arduino  et 
Alberto  de  Bologne  pour  y  renfernier  ses  manuscrits.  »  (E.  Ml'ntz,  Histoire  de 
V art  pendant  la  Henaissance,  p.  143.) 

(3)  Cennistorici  délia  Biblioteca  Estense  in  Modena.  Modène,  1873.  —  Adriano 
Gappelli,  La  Biblioteca  Estense  nella  prima  meta  del  secolo  XV,  dans  le  Giorn. 
stor.  délia  letter.  ital.,  vol  XIV. 

(4)  La  Lililiotlièque  des  princes  d'Esté,  auparavant,  se  composait  surtout  de 
clironiques,  qui  y  prirent  place  à  mesure  qu'elles  parurent.  L'n  manuscrit  conte- 
nant des  poésies  provençales,  offert  au  marquis  Azzo  VII,  send)le  cependant  y 
être  entré  vers  la  moitié  du  treizième  siècle. 

(5)  En  même  temps,  le  couvent  de  Saint-l'anl,  {;ràcc  aux  soins  du  docte  Fra 
Hattista  Panetti,  s'enricliit  de  jilus  de  sept  cents  manuscrits. 

(6)  Giaiiibatisla  I'oxacossi,  De  laudihus  Hcrculis  Estensis  II. 

(7)  Cavedoxi,  Deli  ori(jino  cd  incvementi  dcll'  odicrno  R.  Mttseo  Estense  délie 


42  L'ART    FEURARAIS. 

de  musée.  Les  boisei'ies  sculptées,  les  marqueteries,  les  déco- 
rations peintes  et  les  tableaux  y  charmaient  les  regards  par 
l'élégance  des  lignes,  le  fini  des  détails,  le  charme  des  couleurs. 

Tous  les  arts  se  mirent  subitement  à  prendre  leur  essor  sous 
l'impulsion  d'un  prince  qui  portait  à  chacun  d'eux  un  si  vif 
intérêt.  Lionel  prodigua  les  encouragements  aux  potiers,  aux 
tapissiers,  aux  médailJeurs,  aux  brodeurs,  comme  aux  sculp- 
teurs et  aux  peintres  (l).  Ses  commandes  attirèrent  de  toutes 
parts  les  artistes.  Deux  élèves  de  Brunellesco,  Aiitonio  di 
Cristoforo  et  Niccolo  Baroncelli,  érigent  la  statue  équestre  de 
Nicolas  IIL  D'habiles  miniaturistes  enluminent  les  manuscrits 
et  les  missels.  Vittore  Pisano  devient  le  familier  de  Lionel.  Il 
peint  le  portrait  de  ce  prince  (musée  de  Bergame)  et  celui  de 
Marguerite  Gonzague,  sa  première  femme  (musée  du  Louvre), 
ainsi  que  l'apparition  de  la  Vierge  et  de  l'enfant  Jésus  à  saint 
Antoine  abbé  et  à  saint  Georges  (National  Galery).  Pour  le 
palais  de  Bellosguardo,  il  entreprend  aussi  un  tableau.  Enfin, 
il  fait  trois  médailles  représentant  le  souverain  de  Ferrare, 
une  entre  autres  à  l'occasion  du  mariage  de  celui-ci  avec 
Marie  d'Aragon.  Jacopo  Bellbii  rivalise  avec  lui  pour  rendre  à 
l'aide  des  couleurs  les  traits  de  leur  commun  protecteur. 
Mantegna,  tout  jeune  encore,  fait  sur  un  même  panneau  d'un 
côté  le  portrait  de  Lionel,  de  l'autre  le  portrait  de  Folco  di 
Villafora,  favori  du  souverain.  Rogier  Van  der  Weyden  orne 
d'un  triptyque  le  cabinet  de  Belfiore,  où  Angelo  da  Siena  exécute 
des  décorations  qu'achèvera,  sous  Borso,  Gosimo  Tura,  Une 
pléiade  de  peintres  se  forme  d'après  les  exemples  de  ces  maîtres 
célèbres.  Avec  Bono  de  Ferrare  et  Galasso,  la  capitale  des 
princes  d'Esté  commence  à  posséder  une  école  particulière, 
jouissant  à  son  tour  d'une  certaine  renommée. 

Un  des  artistes  auxquels  Lionel  accorda  non  seulement  son 
estime,  mais  son  amitié,  fut  Léon-Baptiste  Alberti,  lié  d'abord 

inedatjlie.  Modena,  1846.  —  Ad.  Venturi,  La  data  délia  morte  di  Vittoi-  Pisano, 
nute  10. 

(1)  Pour  les  armures,  Lionel  s'adressa  à  des  Milanais.  Maître  Pierre  de  Milan, 
établi  à  Mantoue,  lui  en  vendit  une  en  1436.  Ludovico  de  Maineri  en  acheta  une 
autre  à  Milan  sur  l'ordre  du  prince  chez  xlnsalia  ou  Missajlia. 


LIVRE    PREMIER.  43 

avec  son  frère  Mëliaduse  (1).  Poggio  Bracciolini,  secrétaire 
apostolique,  servit  d'intermédiaire  entre  Alberti  et  Lionel,  à 
qui  il  fit  accepter  la  dédicace  du  Philodoxios,  comédie  latine 
qu'Aide  Manuce  publia  à  Venise,  en  1528,  comme  l'œuvre 
d'un  ancien  poète  comique  (2).  Le  premier  séjour  du  grand 
architecte  florentin  à  Ferrare  coïncida  avec  le  concile  convoqué 
dans  cette  ville  par  le  pape  Eugène  IV  en  1438  et  dura  depuis 
le  mois  de  janvier  jusqu'au  moment  où  la  peste  força  de 
transférer  le  concile  à  Florence.  C'est  à  cette  époque  qu' Al- 
berti écrivit  le  Teogenio  (3),  œuvre  morale  et  politique,  dont 
la  Bibliothèque  d'Esté  à  Modène  possède  un  exemplaire  qui 
Fut  peut-être  présenté  par  l'auteur  à  Lionel,  et  où  l'on  voit 
enluminées  les  initiales  et  les  armes  de  la  maison  d'Esté.  Le 
concile  siégeait  encore  à  Ferrare  quand  le  Vénitien  Biagio 
Molino,  patriarche  de  Grado,  très  puissant  auprès  d'Eugène  IV, 
demanda  à  Léon-Baptiste  Alberti  d'écrire  avec  l'élégance  qu'il 
lui  connaissait  la  vie  des  martyrs.  Cette  entreprise  ne  corres- 
pondait guère  aux  aptitudes  d'Alberti,  mais  comment  ne  pas 
faire  preuve  de  bonne  volonté  pour  satisfaire  l'auguste  per- 
sonnage qui  s'était  adressé  à  lui?  Les  recherches,  du  moins, 
ne  le  fatiguèrent  pas.  La  Vie  de  Potiio  fut  de  son  invention,  et 
le  nom  même  de  son  héros  n'avait  jamais  été  porté.  Dans  cet 
écrit,  il  vanta  la  constance  d'un  martyr  de  quinze  ans,  et  il 
inti'oduisit  de  sévères  avertissements  à  l'adresse  des  ecclé- 
siastiques qui  consacrent  aux  plaisirs  des  sens  et  aux  pompes 
mondaines  les  revenus  de  leurs  prébendes.  Molino  étant  mort 
en  1439,  Alberti  n'eut  pas  besoin  d'imaginer  d'autres  biogra- 
phies de  saints.  Sa  supercherie,  du  reste,  ne  tarda  pas  à  être 
découverte  et  lui  valut  de  vertes  réprimandes  (4). 

Pendant   ce    premier   séjour  à  Ferrare,  Alberti   rencontra 

(1)  G.  Campori,  Gli  architetti  e  gl'  iiu/cf/neri  derjli  E'^teusi,  n.  3i-.33.  — 
G.  Mancixi,  Vita  di  Léon  Battista  Alberti.  Firenze,  Sansoni,  1882.  —  Voyez  ce 
que  nous  avons  tlit  de  Méliaduse,  p.  33,  note  3. 

(2)  «  Lepidi  comici  veteris  Philodoxios,  fabula  ex  antiquitnte  eruta  ab  Aldo 
Manucio.  »  Alberti  n'avait  que  vingt  ans  lorscju'il  composa  cette  comédie. 

(3)  Il  le  corrigea  probablement  à  Florence. 

(4)  Maxcim,  Vita  di  Léon  Battista  Alberti,  p.  173-175. 


44  L'ART    FERUAUAIS. 

auprès  tle  Lionel  Matteo  de'  Pasti,  qu'il  devait  retrouver  plus 
tard  à  Rimini. 

Peu  après  l'avènement  de  Lionel,  en  Li43  ou  en  1444, 
Alberti  retourna  dans  la  capitale  des  princes  d'Esté.  Au  mois 
de  novembre  1444,  il  fut  invité  par  le  Conseil  des  Sages  à 
donner  son  avis  sur  les  modèles  présentes  pour  la  statue 
équestre  de  Nicolas  III,  fait  qu'il  mentionne  (1)  dans  un 
opuscule  que  lui  avait  inspiré  la  vue  de  ces  modèles  (2)  et 
qu'il  dédia  aussi  à  Lionel.  Cet  opuscule,  très  rare,  qui  se  com- 
pose de  quarante  pages,  est  intitulé  :  De  equo  animante  et  a  été 
publié  à  Bàle  en  155G.  Il  prouve  que  l'auteur  avait  beaucoup 
étudié  les  chevaux  et  qu'il  les  aimait  avec  passion.  Un  autre 
ouvrage  d'AlIierti,  le  plus  important  de  tous,  le  De  re  œdifica- 
ioria,  fut  composé  sur  la  demande  du  marquis  de  Ferrare. 
«  Vous  verrez,  écrivait  Alberti  à  Méliaduse  dans  la  dédicace 
des  Ludi  maiematici,  les  livres  d'architecture  que  j'ai  écrits  sur 
les  instances  de  votre  très  illustre  frère,. . .  messire  Lionel,  mon 
Seigneur,  et  vous  trouverez  des  choses  qui  vous  plairont 
beaucoup.  •>•)  Ni  Méliaduse  ni  Lionel  ne  vécurent  assez  pour 
lire  le  De  re  œdificatoria,  qui  valut  à  Alberti  d'être  surnommé 
le  Vitruve  moderne  :  le  premier  mourut  le  2  janvier  1452,  et 
le  second  avait  déjà  cessé  d'exister  en  1450;  or,  l'ouvrage 
d'Alberti  fut  terminé  seulement  dans  le  courant  de  1452,  et 
c'est  au  pape  Nicolas  Y  qu'il  fut  dédié  (3).  Bernardo,  frère  de 
l'auteur,  le  fit  imprimer  à  Florence  en  1485  (4)  par  Lorenzo 
Alamanni,  avec  une  épître  latine  d'Ange  Politien  à  Laurent  de 
Médicis.  Avant  que  ce  traité  d'architecture  fût  publié,  Her- 


(Ij  »  Avendo  deliberato  i  tuoi  concittailini  il'inalzare  nclla  piazza  con  rilevnn- 
tissinia  spesa  una  statua  équestre  a  tuo  padie,  ed  avendovi  eoncorso  ottiini  artisti, 
scelsero  me,  clie  nel  dipinjoere  e  scolpire  assai  mire  diletto,  ad  arbitrio  o  giudice.  » 

(2)  «  INel  riguardare  i  modelli  condotti  con  niaraviglioso  artificio,  iiii  venne 
in  mente  di  considerare  con  maggior  diligenza  non  solo  la  bcllezza  e  le  forme  de' 
cavalli,  ma  pure  la  loro  natura  ed  istinti.  Vcdendo  poi  che  tu,  Leonello,  grande- 
mentc  ti  ddetti  de'  mici  scritti  ed  osservando  comc  io  fossi  disoccupato,  stabilii 
ne'  giorni  di  mia  diiiioia  presso  di  te  d'affaticarini  a  scrivere  queste  cose  sc{;uendo 
il  rnio  uso.  " 

(3)  Le  titre  est  précédé  de  ces  mots  :    «  Laus  Deo,  hono-!  et  (jlona.  « 

(4)  La  mort  de  Léon-Baptiste  Alberti  arriva  en  1484. 


LIVRE    PREMIER.  45 

cule  I",  duc  de  Ferrare,  chargea  Antonio  Montecatini,  son 
ambassadeur  à  Florence  (1  484),  de  lui  en  procurer  une  copie 
ou  de  demander  à  Laurent  de  Médicis  de  lui  prêter  son  exem- 
plaire. La  Bibliothèque  d'Esté  en  possède  un  sur  parchemin 
qui  appartint  probablement  à  la  Bibliothèque  de  Mathias  Cor- 
vin,  car  on  voit  sur  le  premier  feuillet  les  armes  du  roi  de 
Hongrie  :  dans  ce  manuscrit,  les  initiales  sont  enlumine'es  et 
le  frontispice  est  pourvu  de  gracieux  ornements.  Une  traduc- 
tion italienne  du  livre  d'Alberti  parut  à  Venise  en  15-40  ;  une 
autre  fut  mise  en  vente  à  Florence  en  1550  avec  un  portrait 
et  des  figures  gravées  sur  bois. 

Il  est  regrettable  pour  Ferrare  que  Lionel  ait  encouragé 
Léon-Baptiste  Alberti  plutôt  comme  écrivain  que  comme 
architecte.  Les  seules  constructions  nouvelles  que  nous  ayons 
à  signaler  sous  le  règne  de  ce  prince  dans  sa  capitale  (1)  sont 
le  palais  qu'il  fit  édifier  pour  Folco  di  Yillafora,  son  maître  de 
chambre,  palais  où  le  Séminaire  est  maintenant  installé,  V hôpital 
de  Sainte-Anne  et  la  chapelle  du  palais,  dans  laquelle  il  aimait  à 
entendre  les  musiciens  français  qu'il  avait  à  son  service  (2). 
En  1445,  Luca  (peut-être  Luca  Fancelli,  élève  et  aide  de  Léon- 
Baptiste  Alberti)  fut  chargé  de  visiter  les  nouvelles  fortifica- 
tions que  l'on  construisait  (3). 

Préoccupé  de  l'utilité  publique ,  Lionel  fit  aussi  venir  à 
Ferrare  Antoine  Marin  de  Grenoble,  renommé  pour  son  habi- 
leté dans  les  travaux  hydrauliques  et  la  construction  des 
moulins.  On  menaça  d'une  amende  de  deux  cents  ducats  qui- 
conque usurperait  les  inventions  de  l'ingénieur  français,  qui 
fut  logé  par  la  Commune,  exempté  des  gabelles  et  des  taxes  (i). 

Dans  les  réunions  à  la  cour,  la  musique  était  un  des  plaisirs 


(1)  Il  fit  construire  une  forteresse  à  Lugo  [1V1-5-1449),  une  autre  à  Bagnaca- 
vallo,  les  robustes  uuirs  destinés  à  ilcfendre  Rubiera,  et  un  palais  pour  lui-uièuic 
dans  la  ville  d'Argenta.  Les  habitations  d'agrément  de  lîelHore,  de  Belriguardo, 
de  Copparo  et  de  Miliaro,  et  la  chapelle  de  Sainte-Marie  des  Auges,  lui  durent 
des  agrandissements  et  des  embellissements. 

(2)  Frizzi,  Mem.  per  la  storia  di  Fcrraru,  t.  III,  p.  50G. 

(3)  G.  Gampop.i.  Gli  arcliitetti  e  fji  ingeijncri  deijli  Jùtensi,  p.  34. 

(4)  /(/.,  p.  35. 


46  1/ART    FERRARAIS. 

les  plus  goûtes.  Pietro  et  Taddeo  dalF  Arpa  jouaient  de  la 
harpe;  Pietribuono  dalla  Chitarra  jouait  de  la  cithare. 
Niccolo  excellait  h  la  fois  comme  joueur  de  cithare  et  comme 
chanteur  (1).  Deux  organistes,  Tommaso  dagli  Organi  de 
Vérone,  «  ingeniosus  vir  »  ,  et  Costantino  Tantino  de  Modène, 
furent  également  en  grande  faveur  auprès  de  Lionel  (2) .  Le 
2  octobre  1437,  le  marquis  ordonna  d'acheter  à  Mantoue  de 
nouveaux  instruments  pour  ses  trompettes,  et,  en  Li39,  il  fit 
adapter  une  flamme  à  un  trombone  (3).  Domenico  Marchetto, 
joueur  de  fifre,  demanda  un  prêt  d'argent  afin  d'acquérir 
deux  instruments  avant  que  le  vendeur  quittât  la  ville. 

Après  un  règne  de  neuf  ans,  Lionel,  âgé  de  quarante-trois 
ans,  mourut  le  I"  octobre  1450  d'un  abcès  à  la  tète  dont  il 
souffrit  pendant  trente-trois  jours.  Sa  fin  fut  d'un  chrétien 
sincère.  Du  palais  de  Belriguardo,où  il  expira,  ses  restes  furent 
transportés,  sur  les  épaules  des  professeurs  de  l'Université, 
selon  les  uns,  sur  celles  de  leurs  élèves,  selon  les  autres,  dans 
l'église  de  Sainte-Marie  des  Anges,  et  furent  déposés  auprès  de 
ceux  de  Nicolas  III.  Francesco  Lignamine,  évéque  de  Ferrare, 
et  Guarino  de  Vérone  prononcèrent  son  éloge  funèbre. 

Cet  éloge  était  conforme  à  la  vérité.  Chacun  se  souv^enait 
combien  Lionel  avait  été  juste ,  humain ,  affable ,  libéral , 
préoccupé  du  bien  de  ses  sujets,  avec  quelle  prudence  il  avait 
maintenu  la  paix  dans  ses  États,  avec  quelle  mansuétude  il 
avait  gouverné.  Il  semble  que  sa  douceur  tempéra  la  rudesse 
de  Nicolas  III  dans  les  dernières  années  que  vécut  celui-ci. 
Aux  visées  de  l'ambition,  aux  douteux  et  fugitifs  avantages 
des  entreprises  militaires,  Lionel,  que  l'empereur  Sigismond 
avait  créé  chevalier,  préféra  le  culte  des  lettres  et  des  arts,  et 


(1)  K  Optiino  pulsatore  et  suavissimo  cantore.  »  En  1445,  il  acheta,  moyen- 
nant six  ducats  d'or,  à  un  marchand  de  passage,  une  cithare  pour  le  marquis. 

(2)  Ad.  VENTuni,  I  piiniordi  det  rinascimento  arti.ttico  a  Feirara,  p.  41, 

(3)  Dans  un  manuscrit  du  quinzième  siècle  que  possède  la  Bibliothèque  d'Esté 
à  Modène,  une  miniature  représente  des  chanteurs  et  des  joueurs  d'instruments 
qui  égayent  de  leur  musique  des  hommes  et  des  femmes  se  baignant  ensemble  ; 
autour  du  bassin  de  marbre,  on  voit  une  prairie  parsemée  de  petits  arbres  et  entou- 
rée de  murs  et  d'élégants  édifices. 


LIVRE   PREMIER.  47 

s'adonna  lui-même  aux  choses  de  Tesprit.  Grâce  à  ses  qualités 
personnelles,  la  ville  de  Ferrare,  devenue  le  rendez-vous  des 
hommes  les  plus  distingués,  qui  ti^ouvaient  en  lui  un  généreux 
Mécène  et  souvent  un  ami  capable  de  les  comprendre,  grandit 
dans  l'estime  des  peuples  et  fut  regardée  comme  un  des  prin- 
cipaux foyers  de  la  Renaissance. 

Lionel  laissa  un  fils  légitime,  Niccolo,  qui  naquit  de  alargue- 
rite  Gonzague  le  20  juillet  1438,  et  un  fils  naturel,  Francesco, 
né  en  1  444,  l'année  de  son  second  mariage. 


VII 

BORSO    (1). 
(Né  le  24  août  1413,  il  régna  de  1450  à  1471.) 

En  se  donnant  Lionel  pour  successeur,  Nicolas  III,  dans  son 
testament,  avait  désigné  Borso,  un  de  ses  autres  fils  naturels, 
comme  successeur  de  Lionel.  Le  Juge  des  Sages,  Agostino 
Villa,  dès  que  Lionel  fut  mort,  fit  acclamer  par  le  peuple  le 
nom  de  Borso,  et  alla  en  grande  pompe  offrir  le  trône  de  Fer- 
rare  à  ce  prince,  qui  résidait  alors  au  palais  de  Belriguardo, 
ne  laissant  le  temps  de  s'organiser  sérieusement  ni  aux  parti- 
sans de  Niccolô,  fils  légitime  de  Lionel,  âgé  de  douze  ans,  ni  à 
ceux  d'Hercule,  l'aîné  des  fils  légitimes  de  Nicolas  III,  âgé  de 
dix-neuf  ans.  Les  Ferrarais  échappaient  encore  une  fois  aux 
dangers  d'avoir  pour  seigneur  un  enfant  ou  un  jeune  homme 
sans  expérience.  Borso,  du  reste,  était  déjà  populaire;  on 
connaissait  sa  sagacité  politique  ;  on  savait  qu'après  avoir  été 
le  conseiller  de  Philippe-Marie  Visconti ,  il  n'avait  pas  été 
étranger  à  la  sage  direction  des  affaires  sous  Lionel  ;  enfin,  on 
appréciait  la  générosité  de  son  caractère. 

(1)  Il  a  été  déjà  question  de  lui,  p.  22,  27  note  3,  28  note  3,  36,  37  et  38. 


48  L'ART    FERRAllAIS. 

Borso  inau[;ura  son  glorieux  règne  en  faisant  de  magnifiques 
dons  aux  personnages  qui  lui  étaient  le  plus  chers,  en  distri- 
buant des  aumônes,  en  rappelant  les  bannis,  en  remettant  des 
peines,  en  dispensant  la  Commune  de  payer  certains  droits  de 
gabelle. 

Son  prestige  s'accrut  singulièrement  en  1-452,  grâce  à 
l'accueil  dont  l'empereur  Frédéric  III  fut  l'objet  de  sa  part, 
grâce  aux  faveurs  qu'il  reçut  de  lui,  quand  ce  prince  descendit 
en  Italie  pour  être  couronné  à  Rome  par  le  Pape.  Borso  alla 
au-devant  de  Frédéric  jusqu'à  Rovigo  et  lui  donna  quarante 
magnifiques  chevaux  et  cinquante  faucons  dressés  à  la 
chasse.  L'Empereur  était  accompagné  du  duc  Albert,  son 
frère,  de  Ladislas,  son  neveu,  roi  de  Bohême  et  de  Hongrie, 
de  vingt-deux  évêques,  de  douze  cents  soldats  à  cheval,  sans 
compter  une  suite  de  cinq  cents  personnes.  En  arrivant  à 
Ferrare,  après  s'être  un  peu  reposé  à  Belfiore,  il  trouva  à  l'en- 
trée de  la  ville  l'évéque  et  le  clergé,  les  professeurs  et  les 
élèves  de  l'Université,  venus  h  sa  rencontre  (17  janvier).  Étant 
descendu  de  cheval,  il  s'achemina,  sous  un  baldaquin  de  bro- 
cart, entre  Borso  et  Ladislas,  vers  la  cathédrale,  où  il  fut 
harangué  par  Girolamo  Castelli,  médecin  de  la  cour  et  profes- 
seur à  l'Université.  On  lui  présenta  ensuite  les  clefs  de  la  ville 
et  on  le  conduisit  au  Castello.  Huit  jours  durant,  il  fut  hébergé 
avec  sa  suite  aux  frais  de  Borso,  qui  lui  procura  les  distractions 
les  plus  somptueuses. 

A  son  retour  de  Rome,  Frédéric  III  s'arrêta  encore  à  Fer- 
rare,  du  10  au  19  mai.  Les  ambassadeurs  de  presque  tous  les 
princes  italiens  vinrent  lui  rendre  hommage.  Il  voulut  bien 
assister  aux  noces  de  Bartolommeo  PendagUa,  personnage 
considérable  à  la  cour  de  Borso  (1),  et  Giovanni  Bianchini  lui 
offrit  ses  Tavole  astr^onomiche  (2).  Enfin,  touché  des  mérites  de 
Borso  non  moins  que  de  l'hospitalité  fastueuse  qu'il  avait  trou- 
vée auprès  de  lui,  il  le  créa  duc  de  Modène  et  de  Reggio, 

yi)  jNuus  tionnei-ons  plus  loin  quelques  délails  sur  ce  mariage  en  examinant  la 
médaille  de  Pendaglia  par  Sperandio. 

(2)  Voyez,  dans  le  liv.  IV,  le  eh.  ii,  consacré  à  la  miniature. 


LIVRE   PREMIER.  49 

villes  qui  relevaient  de  Tempire,  et  comte  de  Rovigo.  La 
cérémonie  eut  lieu  le  18  mai,  jour  de  l'Ascension  :  elle  mérite 
de  n'être  point  passée  sous  silence  (I).  Précédé  non  seulement 
par  des  musiciens ,  mais  par  les  ambassadeurs  des  princes 
étrangers  et  des  villes,  et  par  le  roi  Ladislas  qu'entouraient 
des  cavaliers  et  de  nobles  personnages  portant  le  globe,  l'épée 
et  le  sceptre,  l'Empereur  se  mit  en  marche  vers  la  place.  On  y 
avait  élevé  une  estrade  couverte  de  tentures,  sur  lesquelles 
diverses  fables  avaient  été  peintes.  Frédéric  III  était  vêtu  d'un 
manteau  tissé  d'or  et  orné  de  joyaux,  et  sa  tête  était  ceinte  de 
la  couronne  qu'il  avait  reçue  à  Rome.  Quant  à  Borso,  il  parut 
en  costume  de  drap  d'or  parsemé  aussi  de  pierreries  (deux 
d'entre  elles  sur  son  épaule  gauche,  et  deux  autres  au  sommet 
de  son  béret,  brillaient  d'un  éclat  particulier)  ;  à  son  cou  pen- 
dait un  collier  qui  avait  coûté  vingt  mille  florins.  Devant  Borso 
s'avançaient  quatre  cents  nobles  achevai,  tenant  des  étendards 
en  taffetas  blanc.  Un  étendard  vert,  sur  lequel  on  voyait  les 
armes  impériales  unies  à  celles  de  la  maison  d'Esté,  repré- 
sentait le  comté  de  Rovigo  ;  un  autre  étendard  vert,  avec  les 
armes  des  Este,  indiquait  Modène  et  Reggio  ;  et  un  étendard 
rouge  symbolisait  la  justice  ou  le  pouvoir  impérial.  Les  cava- 
liers s'étant  rangés  en  demi-cercle  autour  de  l'estrade,  et  Fré- 
déric III  ayant  pris  place  sur  un  trône  garni  de  drap  d'or, 
Borso  s'agenouilla  aux  pieds  de  l'Empereur,  qui  lui  fit  mettre 
un  vêtement  de  laine  rouge  et  un  long  manteau  rose  doublé 
d'hermine,  lui  présenta  les  trois  étendards,  une  épée  et  un 
sceptre  d  or,  le  proclama  duc  de  Modène  et  de  Reggio  et  comte 
de  Rovigo,  et  l'embrassa.  Cette  cérémonie  accomplie,  l'Empe- 
reur créa  chevaliers  un  grand  nombre  de  gentilshommes , 
entre  autres  Bartolommeo  Pendaglia  et  Peregrino  Pasini,  si 
chers  à  Borso ,  après  quoi  l'évêque  entonna  le  Te  Denm  et 
gagna  processionnellement  la  cathédrale,  dans  laquelle  le  sui- 
virent Frédéric  III,  Borso,  les  princes  et  les  nobles  (2).  Là,  le 

(1)  jSous  en  empruntons  les  détails  à  Frizzi. 

(2)  Plusieurs  vêtements  sacerdotaux  avec  des  broderies  et  des  figures  de  saints 
furen'  préparés  pour  les  cérémonies  dans  lesquelles  figura  le  clergé  ferrarais  lors- 

I.  4 


50  L'ART    FERRA  HAIS. 

nouveau  duc  prêta  serment  de  fidélité  à  FEmpereur,  à  qui  il 
donna  un  bijou  avec  sept  pierres  précieuses,  valant  quarante 
mille  florins.  Lui  et  ses  descendants  avaient  désormais  le  droit 
de  juridiction  suprême  et  pouvaient  accoupler  à  leur  écusson 
l'aigle  impériale.  Ils  devaient,  à  la  vérité, payer  une  redevance 
annuelle  de  quatre  mille  florins  d'or,  mais  cette  redevance  fut 
diminuée  quelques  années  plus  tard  et  ensuite  abolie.  En 
quittant  Ferrare,  Frédéric  III  fit  route  pour  Venise,  et  c'est 
encore  de  Borso  qu'il  fut  l'hôte,  car  il  logea  dans  le  palais 
qu'y  possédaient  les  princes  d'Esté. 

En  1459,  le  Castello  abrita  un  visiteur  non  moins  illustre, 
le  pape  Pie  II,  qui  passa  par  Ferrare  en  allant  au  congrès 
de  Mantoue,  convoqué  pour  inviter  les  princes  chrétiens  à 
s'unir  contre  les  Ottomans.  Le  16  mai,  le  Souverain  Pontife, 
escorté  de  douze  cardinaux  et  de  quinze  cents  gardes  à  cheval, 
arriva  devant  Ferrare.  Il  passa  la  nuit  au  monastère  de  Saint- 
Antoine,  et,  le  lendemain,  il  entra  dans  la  ville  en  compagnie 
de  Borso,  des  princes  de  la  maison  d'Esté,  de  plusieurs  prin- 
ces de  la  Ilomagne,  des  gentilshommes  ferrarais,  du  person- 
nel de  l'Université  et  des  principaux  membres  du  clergé.  Sur 
son  passage,  les  rues  étaient  jonchées  de  verdure  et  de  fleurs; 
des  étoffes  de  laine  étaient  tendues  d'une  maison  à  1  autre,  et 
le  baldaquin  sous  lequel  s'avançait  le  Pontife  offrait  aux 
regards  des  peintures  dues  à  maître  Jacomo.  Après  avoir  prié 
dons  la  cathédrale,  il  bénit  le  peuple,  publia  une  indulgence 
et  se  rendit  par  un  pont  de  bois,  orné  de  statues  et  de  pein- 
tures (1),  à  l'appartement  destiné  à  le  recevoir.  Pendant  son 
séjour  à  Ferrare,  il  retourna  plusieurs  fois  dans  la  cathédrale, 

que  Frédéric  III  conféra  la  dignité  de  duc  à  Borso.  Le  peintre  Antonio  du 
]  enezia,  qui  n  est  autre  peut-être  <\\x  Antonio  Pochelino,  se  chargea  des  figures: 
maître  Antonio  et  maître  Zanin  de  Franza  exécutèrent  les  broderies;  maître 
Simon  da  Lamafjna,  orfèvre,  ajusta  mille  cinquante  perles  parmi  les  ornements. 
Le  brodeur  Antonio  était  prol^ablemcnt  l'artiste  qui,  sous  le  nom  A' Antonio  de 
Zecolimo  ISegvo  da  Venezia,  reçut  de  la  fabrique  de  la  cathédrale,  le  28  août  1456, 
la  commande  d'une  chape  et  d'une  chasuble  en  drap  d'or  pour  le  jour  de  sainte 
Lucie.  (L.-N.  Cittadeli.a,  Notizie  relative  a  Fenara,  t.  I,   p.  74.) 

(1)  Titolivio  exécuta  ces  peintures.  Le  directeur  des  travaux  entrepris  en  l'hon- 
ncnr  de   Pie  II  fut  l'ingénieur   Antonio  di   Gaspare  de   Florence.    Les  livres  de 


LIVRE   PREMIER.  51 

OÙ  les  offices  furent  chantés  par  ses  propres  musiciens,  et  où 
Guarino  ainsi  que  Girolamo  Castelli  prononcèrent  des  discours 
en  son  honneur.  Lodovico  Carbone  le  harangua  également, 
mais  dans  l'église  des  Anges,  et  obtint  de  lui  le  titre  de  Comte 
Palatin.  Le  jour  de  la  féte-Dieu,  le  Souverain  Pontife,  porté 
sur  la  sedia  gestatoiia,  suivit  la  procession.  Enfin,  après  avoir 
donné  encore  une  fois  sa  bénédiction  au  peuple  du  haut  d'une 
loggia  située  au-dessus  de  la  porte  du  palais,  il  partit  le  28  mai 
pour  Mantoue  sur  un  bucentaure  de  la  cour,  et  liorso  l'accom- 
pagna jusqu'à  Ostiglia  (1).  On  peut  se  faire  une  idée  de  la 
munificence  de  ce  prince  en  songeant  qu'il  défraya  de  tout, 
tant  que  Pie  II  demeura  à  Ferrare,  non  seulement  le  Souverain 
Pontife  et  sa  suite,  mais  les  princes  étrangers  et  les  ambassa- 
deurs attirés  par  la  présence  d'un  si  auguste  personnage.  Jean 
Galéas  Sforza,  fils  du  duc  de  Milan  François  Sforza,  fut  logé  à 
Belfiore;  il  s'était  fait  accompagner  de  trois  cent  dix  per- 
sonnes qui  furent  hébergées,  comme  leur  maître,  aux  frais  de 
Borso  (2). 

La  libéralité  de  Borso  égala  sa  magnificence  (3).  Avant 
même  de  monter  sur  le  trône,  il  fit  cadeau  à  Peregrino  Pasini 

tlepenscs  de  la  Commune  mentionnent  comme  sculpteurs  maître  Polo  et  maître 
Domenefjo  de  Florence.  (L.-N.  Gittadella,  Notizie  relative  a  Ferrara,  t.  I, 
p.  212-214.) 

(1)  Parmi  les  fêtes  orjjanisées  en  l'honneur  du  Pape,  les  Commentaires  de 
Pie  II  (édition  de  1584,  p.  172-173)  mentionnent  «  une  sorte  de  spectacle  assez, 
étrange  où  l'on  voyait  des  acteurs  costumés  en  dieux  ou  en  déesses,  en  géants,  en 
Vertus;  puis  des  jeunes  garçons  et  des  jeunes  filles  supposant  à  l'inondation  du 
Pô.  Tout  le  monde  s'assit,  comme  pour  une  représentation  théâtrale.  "  (E.  Mtjntz, 
Histoire  de  l'art  pendant  la  Benaissance,  p.  145.) 

(2)  Frizzi,  Mem.  per  la  storiu  di  Ferrara,  t.  IV,  p.  30-31. 

(3)  Il  avait,  pour  satisfaire  ses  inclinations,  des  revenus  oscillant  entre 
100,000  et  200,000  lire  marchesane.  Ces  revenus  étaient  alimentés  surtout  par 
le  monopole  des  viandes  salées,  des  poissons,  des  fruits  et  des  légumes,  par  la 
vente,  qui  se  renouvelait  chaque  année,  des  offices  publics,  par  les  taxes  sur  le 
sel,  par  les  péages,  par  les  amendes  prononcées  contre  les  hlasphéiuateurs  et 
contre  les  citoyens  qui  se  mettaient  en  contravention  avec  les  règlements  de 
police.  D'après  ces  règlements,  on  s'exposait  à  une  condamnation  en  péchant 
dans  certains  lieux,  en  s'absentant  du  district  de  Ferrare  sans  passeport  (bol- 
letta"),  en  sortant  armé  la  nuit,  eu  mêlant  de  la  laine  mauvaise  avec  de  la  bonne 
laine,  etc.  (BuKCKHAnDT,  Die  Cultur  der  Benaissance,  p.  38,  et  Ad.  Venturi, 
L'arte  a  Ferrara  nel  periodo  di  Borso  d'Esté,  dans  la  Bivista  storica  italiana^ 
anro  II,  fascicolo  IV,  octobre-décembre  1885,  p.  696.) 


52  L'AllT    FERRARAIS. 

crun  palais  construit  exprès  pour  lui  (1449)  (1).  Il  fit  égale- 
ment édifier  et,  Je  plus,  pourvoir  de  meubles  et  de  riches 
décorations  un  palais  pour  Giovanni  Compagno  (:2),  un  autre 
pour  le  médecin  Girolamo  Castelli,  une  résidence  à  Ferrare  et 
deux  à  la  campagne  pour  Teofilo  Galcagnini,  une  habitation  à 
Ostellato  pour  le  comte  Lorenzo  Strozzi,  habitation  dont 
Antonio  Brasavola  fut  l'architecte  (3).  Un  fauconnier  lui  pré- 
sentait-il des  oiseaux  bien  dressés,  il  lui  témoignait  sa  satisfac- 
tion avec  une  générosité  inconnue  jusque-là.  Il  donna  un  jour 
des  bréviaires  à  de  pauvres  frati  zoccolanli.  Un  religieux  de 
Florence  reçut  de  lui  une  subvention  pour  payer  une  peinture 
dans  son  église,  et  le  Grec  Isaac  obtint  un  secours  qui  lui  per- 
mit de  racheter  sa  sœur  tombée  aux  mains  des  Turcs,  Les 
messagers  qui  apportaient  à  Borso,  comme  aux  plus  puissants 
souverains,  des  chevaux,  des  sangliers,  des  léopards,  des  lions, 
s'en  retournaient  comblés  de  bienfaits  et  portaient  en  Asie  et 
en  Afrique  la  renommée  de  ses  largesses  (4).  Grâce  aux  dons 
répandus  autour  de  lui,  Borso  se  créa  des  partisans  fidèles  et 
dévoués  (5).  Il  en  accrut  encore  le  nombre  par  l'hospitalité 
qu'il  accorda  à  certains  exilés,  notamment  aux  Acciaiuoli  de 
Florence ,  à  Nérone  Diotisalvi   et   à   Gian  Francesco  Strozzi 

(1)  Voyez  (liv.  II,  oh.  m)  ce  qui  est  dit  île  ce  palais,  possédé  dans  la  suite 
par  les  Bentivoglio. 

(2)  Ce  palais  fut  démoli  en  1764. 

(3)  Antonio  Brasavola  c-onstruisit  pour  Borso  lui-inèaie  une  demeure  qui  coûta 
13,636  lire  marcliesane.  (Gampori,  Gli  architetti  e  (]V  injegneri  der/li  Estensi, 
p.  30.) 

(4)  Le  ôOudan  de  Babylone  envoya  à  Borso  un  cadeau  de  baume  et  de  civette 
(1462  ou  1465),  et  le  roi  de  Tunis  lui  fit  hommage  de  douze  magnifiques  chevaux. 
(Ad.  Venï€RI,  L'avte  a  Ferrara  nel  periodo  di  Borso  d'Esté,  p.  694.) 

(5)  «  Quelques-uns  de  ceux  que  Borso  combla  de  ses  faveurs,  dit  Ugo  Caleffini, 
sont  devenus  messires  après  avoir  été  serviteurs.  »  L'ambassadeur  Pictro  Girondi, 
Michel  Savonarole,  Orazio  Girondi,  professeur  à  l'Université,  Paolo  Costabile, 
ambassadeur  et  Juge  des  Sages,  le  barbier  Pietro,  le  fauconnier  Trovalusso,  le 
poète  Battista  Guarino,  le  valet  de  chiens  Boldrino,  ainsi  que  ses  frères  Albert  et 
Bainaldo,  le  poète  Tito  Strozzi,  des  intendants,  des  conseillers,  des  chambellans, 
un  joueur  de  fifre,  un  organiste,  un  portier  eurent  également  Borso  pour  bienfai- 
teur. 

Ufjo  Caleffini,  à  qui  nous  empruntons  ces  détails,  était  un  notaire  de  Ferrare. 
Il  fut,  en  outre,  esatlore  délie  condennagioni.  Le  duc  eut  souvent  recours  à  lui 
pour  transcrire  ses  lettres.  Caleffini  possédait  des  terres  li  Villamarzana  dans   le 


LIVRE   PREMIER.  53 

di  messer  Palla,  compromis  dans  la  conjuration  de  Luca  Pitti 
contre  Pierre  de  Médicis,  fils  de  Côme  TAncien  (1456)  (1). 

Un  des  traits  les  plus  saillants  du  caractère  de  Borso  fut  le 
goût  du  luxe  et  du  faste  pour  son  propre  compte  (2) ,  comme 
nous  le  constaterons  en  examinant  les  fresques  du  palais  de 
Schifanoia  (3).  Mais  il  en  est  un  autre  qui  mérite  d'être  noté, 
c'est  sa  bonhomie,  c'est  sa  simplicité  dans  ses  rapports  avec 
ses  sujets.  Il  ne  craint  pas  de  se  mêler  à  eux,  signe  sur  la 
place  publique  les  mandats  pour  ses  trésoriers,  chevauche  à 
travers  les  rues,  où  on  lui  présente  des  tributs  de  fromage  et 
de  vin  (4).  Un  jour,  il  rencontre  une  femme  portant  une 
corbeille  de  champignons  :  il  en  choisit  quelques-uns  et  lui 
promet  sa  faveur  si  elle  a  jamais  besoin  de  lui.  Peu  de  temps 
après,  la  pauvre  femme  demande  au  prince  et  obtient  sur-le- 
champ  la  grâce  de  son  fils  qui  avait  encouru  une  condamna- 
tion. 

Borso  fut  loin  d'être  étranger  aux  devoirs  d'un  souverain  à 
l'égard  de  son  peuple  et  ne  se  montra  ni  indifférent  aux  me- 
sures propres  à  assurer  la  prospérité  générale,  ni  insensible  aux 
misères  et  aux  souffrances  publiques.  Sa  passion  pour  la  justice 

district  de  Rovigo;  en  1481,  il  les  vit  ravagées  par  une  inondation;  en  1482,  les 
vénitiens,  pendant  la  guerre  faite  à  Hercule  l",  prirent  ses  bestiaux  et  ses 
récoltes,  saccagèrent  et  brûlèrent  ses  maisons.  Il  a  écrit  une  Chronicjue  rimee 
qui  va  jusqu'à  la  mort  de  Borso,  une  Chronique  en  prose  I^Cronaca  ferraresc' , 
qui  va  de  1471  à  1483,  et  un  Diario  où  il  relatait  tout  ce  qui  arrivait  de  mémo- 
rable parmi  les  courtisans,  les  nobles  ferrarais  et  les  citoyens.  Il  mourut  en  1503. 
(Aofisi'e  di  Ugo  Calefjîni  notaro  ferrare.ie  del  secolo  XV  con  la  sua  cronaca  in 
rima  di  casa  d'Esté  ed  altri  documenti  per  cura  di  Antonio  Cappelli.  Modena, 
Carlo  Vincenzi  editore,  1864.) 

(1)  Gian  Francesco  Strozzi  se  Hxa  d'abord  à  Ferrare,  puis  à  Venise.  —  Favo- 
rable à  Luca  Filti,  Borso  avait  envoyé  à  la  frontière  pour  le  soutenir  une  armée 
de  douze  mille  hommes  sous  la  conduite  de  son  frère  Hercule.  On  prétenilit 
même,  ce  qui  n'a  pas  été  prouvé,  qu'il  aurait  fait  conseiller  à  Luca  Pitti  de  s'as- 
surer de  Pierre  et  de  le  tuer.  (Fiiizzi,  Mem.  per  la  storia  di  Ferrara,  t.  IV,  p.  61.; 

(2)  Une  sage  administration  lui  permit  de  satisfaire  ce  goût  sans  épuiser  le 
trésor  ducal  qui,  au  moment  de  sa  mort,  ne  renfermait  pas  moins  de  500,000  du- 
cats, environ  25  millions  de  francs.  (E.  MuiXTZ,  Histoire  de  l'art  pendant  la 
Renaissance,  p.  146.) 

(3)  Liv.  II,  ch.  III. 

(4)  Ad.  Vexturi,  Gli  affreschi  del  palazzo  di  Schifanoia,  dans  les  Atli  c 
memorie  délia  deputazione  di  storia  patria  per  le  prnvincie  di  Homarjna.  3"  série, 
fasc.  V  et  VI  (p.  1  et  2  dans  le  tirage  à  part). 


54  L'ART   FERRARAIS. 

est  attestée  par  les  historiens  et  confirmée  par  quelques-uns  des 
sujets  représentés  dans  les  fresques  du  palais  de  Schifanoia. 
Jaloux  de  maintenir  une  administration  exacte  et  intègre,  il 
sévissait  contre  les  coupables,  sans  acception  de  personnes.  Les 
fonctionnaires  et  les  percepteurs  de  l'impôt  avaient-ils  commis 
des  abus  de  pouvoir,  le  duc  les  punissait  avec  sévérité,  quel 
que  fût  leur  rang.  Pendant  une  disette  (1  468),  il  emprunta  de 
l'argent  à  Francesco  Strozzi  pour  fournir  du  blé  à  Modène  et  à 
Reggio.  Sous  son  règne  fut  entreprise  (1  466)  la  construction 
d'un  hôpital  pour  les  pestiférés  (1)  dans  lîle  de  Saint-Sébas- 
tien, appelée  aussi  ile  du  Boschetto,  d'après  les  dessins  et  sous 
la  direction  de  Pietro  Benvenuti,  qui  disposa  à  l'intérieur  de  la 
cour  une  grande  et  magnifique  citerne  (2).  Afin  de  favoriser 
l'industrie,  Borso  interdit  l'usage  des  draps  fabriqués  hors  de 
ses  États,  et,  dans  l'intérêt  de  l'agriculture,  il  appela  de  Flo- 
rence, de  Milan,  de  Venise,  de  Mantoue  (3),  des  ingénieurs  en 
renom  qui  furent  chargés  de  dessécher  les  marais,  de  faciliter 
l'écoulement  des  eaux,  de  prévenir  les  inondations.  Sur  son 
ordre,  Prisciano  Prisciani  (4)  fit  exécuter  des  travaux  de  ce 
genre  dans  la  Polésine  de  Rovigo.  En  outre,  le  Santerno,  tor- 
rent qui  causait  de  fréquents  ravages,  fut  dérivé  vers  1460 
dans  le  Pô  di  Primaro.  La  réforme  des  statuts,  rendue  néces- 
saire par  l'accroissement  de  la  population  et  la  modification 
des  usages,  fut  confiée  aux  jurisconsultes  les  plus  éminents  et 
soumise  à  l'examen  du  célèbre  Angelo  Gambilioni  d'Arezzo, 
professeur  à  l'Université  de  Ferrare  (1456).  Mais  le  plus  grand 
bienfait  dont  les  sujets  de  Borso  eurent  à  se  réjouir,  ce  fut  la 


(1)  La  peste  durait  depuis  1463  et  sévissait  avec  une  telle  intensité  que  l'Uni- 
versité dut  se  transporter  à  Rovi};o,  où  elle  resta  un  an.  (Frizzi,  Mem.  per  la 
storia  di  Fervara,  t.  IV,  p.  53-54.) 

(2'    Cet  hôpital  fut  agrandi  en  1493. 

(3)  En  1456,  Pietro  da  Figino,  ingénieur  du  marquis  de  Mantoue,  reçut  de 
Borso  vingt-cinq  florins  d'or  pour  des  travaux  hydrauliques  exécutés  à  Bagnaca- 
vallo.  Le  marquis  Campori  cite  encore,  parmi  les  ingénieurs  employés  à  des  tâches 
analogues,  Giovanni  Antonio  da  Ortona  et  Cristoforo  da  Manlova  1^1463-1469'. 
qui  eut  le  litre  de  capitaine  du  Castel  Tedaldo. 

(4)  Il  sera  plus  loin  question  de  Prisciano  Prisciani  à  l'occasion  de  sa  médaille 
par  Sperandio. 


LIVRE   PREMIER.  55 

paix  constante  qu  il  leur  assura  pendant  que  le  reste  de  Fltalie 
retentissait  du  bruit  des  armes  (1). 

Malgré  sa  sollicitude  pour  son  peuple,  Borso  fut  l'objet  de 
plusieurs  conspirations,  auxquelles,  il  est  vrai,  la  généralité 
des  citoyens  ne  prit  aucune  part.  La  première  (1452)  fut  diri- 
gée par  quelques  partisans  de  Nicolas,  fils  de  Lionel.  La 
seconde  (1 460)  fut  ourdie  par  Pierre  Paolo  Bondinari,  qui, 
pressé  par  la  chambre  ducale  de  payer  certaines  redevances, 
voulut  se  venger  en  tuant  le  souverain  de  Ferrare.  Paolo  révéla 
son  projet  à  Uguccione  délia  Badia,  chancelier  du  prince. 
Regardant  Paolo  comme  un  fou  et  ne  le  prenant  pas  au  sérieux, 
Upuccione  garda  le  silence  sur  ce  qui  lui  avait  été  dit.  Mais 
Serafino  Bondinari,  père  de  Paolo,  révéla  tout  au  duc,  à  con- 
dition que  son  fils  aurait  la  vie  sauve.  Lguccione  seul  fut  déca- 
pité dans  le  Castelio,  et  ses  biens  considérables  furent  confis- 
qués et  distribués  aux  favoris  de  Borso  (2).  La  dernière  conju- 
ration eut  lieu  en  1469  et  fut  préparée,  à  l'instigation  de 
Pierre  de  Médicis,   par  Lodovico    Pio  de  Carpi   (Jij,   marié  à 

(1)  Il  est  intéressant  de  savoir  les  noms  des  personnages  qui,  comme  ambassa- 
deurs, aidèrent  Borso  à  se  préserver  des  malheurs  de  la  guerre  ou  à  porter  au  loin 
son  renom  de  magnificence.  M.  Venturi,  dans  Varte  a  Ferrara  nel  peiiodo  di 
Borso  d'Esté,  p.  695,  nous  apprend  que  Borso  fut  le  premier  prince  de  Ferrare 
dont  les  ambassadeurs  résidèrent  en  permanence  dans  les  cours  italiennes,  et  qu'il 
eut  pour  représentants,  à  Florence  Andréa  Sarzanella  et  ^iccolô  de  Roberti,  à 
Venise  Tasson  de'  Tassoni  et  Antonio  Valentini,  à  Naples  Andréa  Gualengo,  à 
Rome  Jacopo  ïrotti  et  Antonio  di  Beltrame.  Parmi  les  ambassadeurs  extraordi- 
naires, le  même  écrivain  cite  Annibal  Gonzague  qui  accompagna  Frédéric  III  à 
Rome  en  1452  et  qui  alla  clierclier  en  Allemagne  la  bulle  d'or  ainsi  que  les 
diplômes  des  privilèges  accordés  au  duc,  Niccolô  da  Segna  qui  en  1459  alla  pré- 
senter des  armures  au  roi  de  Bosnie,  Stefano  da  Segna  qui  se  rendit  en  1465 
dans  la  Dalmatie,  Francesco  Gattamelata  et  Gio.  Giacomo  délia  Torre  qui  portè- 
rent des  présents  au  roi  de  Tunis. 

(2)  Lorenzo  Strozzi,  le  chambellan  Tomaso,  l'écuyer  NiccoIo  Galluzzi,  Bonvi- 
cino  dalle  Carte,  Alberto  dall'  Assassino,  cousin  de  Borso,  eurent  chacun  une 
part  dans  cette  distribution.  Quant  à  .Serafino,  il  reçut  deux  mille  ducats.  Borso 
encourageait  le  zèle  par  ses  largesses,  conmie  il  punissait  avec  la  dernière  rigueur 
ceux  de  ses  sujets  dont  il  soupçonnait  la  fidélité. 

(3)  La  seigneurie  de  Carpi  était  occupée  en  1469  par  les  fils  des  trois  frères 
Galasso,  Alberto  et  Gibcrto,  c'est-à-dire  par  Gio.  Marco,  Gio.  Marsi{;lio,  Gio. 
Lodovico,  Gio.  Princivalle,  Gio.  JNiccolô,  Manfredo  et  Bernardo,  tous  les  sept 
fils  de  Galasso  et  de  Marguerite,  sœur  de  Fiorso  —  par  Lconello,  fils  d'Alberto  — 
et  par  Marco,  fils  de  Giberto.  J^es  fils  de  Galasso  en  voulaient  à  leur  oncle  Borso 


56  L'ART    FERRARAIS. 

Orante  Orsini,  sœur  de  Clarice  Oisini,  femme  de  Laurent  de 
Médicis.  Il  s'a^jissait,  non  de  tuer  Borso,  mais  de  le  détrôner. 
Une  sœur  de  Lodovico  Pio,  Marsibilia,  femme  de  Taddeo 
Manfredi,  seigneur  d'Imola,  fut  mise  dans  le  secret.  Elle  dépé- 
cha à  Milan  un  homme  de  confiance,  Andréa  da  Varegnana, 
auquel  le  duc  de  Milan  promit  l'envoi  de  trois  mille  cavaliers. 
Enfin,  Lodovico  Pio  se  rendit  à  Modène,  dont  Hercule,  frère 
de  Borso,  était  alors  gouverneur  (1),  et  offrit  à  Hercule  le  trône 
de  Ferrare,  lui  proposant  en  même  temps,  avec  une  solde  de 
cinquante  mille  ducats  d'or,  le  commandement  d'une  ligue 
formée  par  les  Florentins,  le  duc  de  Milan  et  le  roi  de  Naples 
dans  l'intention  de  secourir  Robert  Malatesta,  fils  de  Sigis- 
mond,  contre  le  Pape  assisté  des  Vénitiens.  Hercule  feignit 
d'accepter,  découvrit  à  son  frère  tous  les  détails  du  complot, 
et,  une  fois  en  possession  des  papiers  établissant  les  desseins 
des  conjurés,  fit  arrêter  Lodovico  Pio  et  Andréa  da  Varegnana, 
qui  furent  transférés  à  Ferrare,  où  ils  entrèrent  le  visage  voilé, 
au  son  des  cloches,  et  où  ils  furent  enfermés  dans  la  Tour  des 
lions.  Peu  après,  les  frères  de  Lodovico  Pio  furent  incarcérés 
à  leur  tour;  Niccolô  seul  fut  préservé  du  même  sort  parce 
qu'il  se  trouvait  alors  à  Florence.  Le  jugement  ne  tarda  pas  à 
être  rendu.  Lodovico  Pio,  Andréa  da  Varegnana  et  Gio.  Marco 
Pio,  qui  n'était,  ce  semble,  coupable  que  d'avoir  été  sur  le  point 
d'entrer  au  service  du  roi  de  Naples  (2),  eurent  la  tète  tianchée, 
tandis  que  leurs  compagnons  furent  condamnés  pour  toute 
leur  vie  à  la  prison;  Princivalle  et  Manfredo  parvinrent  à  s'en- 

qui,  après  avoir  promis  tle  faire  épouser  à  une  de  leurs  sœuis,  Bianca  l'io. 
Galeotlo  Pic  de  la  Mirandole,  avait  décidé  ce  prince  à  prendre  pour  femme  sa 
propre  sœur  Blanche  d  Este.  Leonello  di  Alberto  et  Marco  di  (jiherto,  qui  aspi- 
raient à  expulser  de  Carpi  les  fils  de  Galasso,  avaient  adopté  une  politique 
opposée  et  suivaient  en  toute  occasion  le  parti  de  Borso. 

(i)  Borso  avait  rappelé  de  Naples  en  1463  Hercule  et  Sijjismond.  Au  premier 
il  avait  confié  le  gouvernement  de  Modène,  au  second  celui  de  Rejjjjio. 

(2)  Il  s'écoula  quarante  et  un  jours  (du  12  août  au  22  septembre)  entre  l'exé- 
cution de  Lodovico  et  celle  de  son  frère.  Dans  cet  intervalle,  Marco  Pio,  quatorze 
jours  avant  dêtre  décapité,  adressa  à  son  oncle  Borso,  le  jour  de  la  Nativité  de  la 
Sainte  Yierjje,  une  touchante  supplique  en  vers.  Il  avait  environ  quarante  ans. 
Il  laissa  trois  fils  et  une  fille  qu'il  avait  eus  de  Polissena  d'Appiano,  épousée  par 
lui  en  1458. 


LIVRE    PREMIER-  5T 

fuir  le  3  mars  1  472;  les  autres  ne  recouvrèrent  la  liberté  que 
le  27  juin  1477,  après  huit  ans  de  captivité  (1).  Parmi  les 
biens  confisqués  aux  Pio  se  trouvait  le  palais  du  Paradis  à 
Ferrare. 

Des  peines  infligées  aux  conspirateurs,  on  aurait  tort  de  con- 
clure que  Borso  fut  froidement  cruel.  Ces  peines,  nous  l'avons 
déjà  dit,  étaient  partout  d'usage  en  pareil  cas.  Le  souverain, 
placé  au-dessus  du  commun  des  mortels,  devait  en  quelque 
sorte  être  sacré  pour  tous.  Mal  parier  de  lui  était  même  un 
crime.  Peregrino  degli  Arduini,  un  des  Sages,  s'étant  permis 
pendant  un  séjour  à  Venise  des  propos  offensants  contre  Borso, 
propos  dont  on  eut  connaissance  à  Ferrare,  les  magistrats 
s'accordèrent  à  trouver  qu'il  méritait  l'exil  et  la  confiscation, 
et  peu  s'en  fallut  qu'un  citoyen  exalté  ne  le  tuât  devant  les 
Juges.  Peregrino  n'échappa  au  châtiment  encouru  qu'en  allant, 
la  corde  au  cou,  implorer  son  pardon  aux  pieds  du  duc  dans  le 
Castello.  Francesco  Filelfo,  le  célèbre  humaniste,  qui  résidait 
alors  à  Milan,  fut  informé  du  fait  par  un  récit  de  Bartolommeo 
Pendaglia  lu  devant  lui  et  devant  François  Sforza.  Il  écrivit 
sur-le-champ  au  seigneur  de  Ferrare.  Son  indignation  contre 
Peregrino  et  son  enthousiasme  pour  la  clémence  de  Borso, 
clémence  qui  ne  paraîtrait  aujourd'hui  que  peu  méritoire,  sont 
des  signes  du  temps.  Pensant  bien  que  sa  lettre  serait  mise 
sous  les  yeux  de  Peregrino,  il  s'écrie  :  «  Les  abeilles  se  laissent 
emporter  par  la  colère  et  s'entêtent  tellement  à  combattre, 
qu'elles  laissent  dans  la  blessure  le  dard  dont  les  a  armées  la 
nature.  Mais  la  nature  a  voulu  que  leur  roi  fût  sans  armes, 
doux  et  inoffensif.  Si  le  duc  Borso  s'est  montré  envers  toi 
comme  un  roi  de  cette  sorte,  ne  retire  pas  ton  dard  de  la  bles- 
sure pour  nuire  encore.  "  Filelfo  espère  bien  que  Peregrino, 
reconnaissant  de  la  grâce  obtenue,  ne  se  rendra  plus  coupable 

(1)  Voyez  le  travail  très  intéressant  dont  M.  Antonio  Cappelli  a  accompagné  la 
pul)li(ation  de  La  Congiura  ilei  l'io,  signori  di  Carpi,  coiitro  Borso  d'Esté 
(écrite  en  1469  par  Carlo  da  San  Giorgio  de  Rolojjne),  dans  les  Atti  e  Mein.  di 
storia  patiia  per  le  proviiicie  modeiiesi  e  pannensi,  1865,  vol.  II,  p.  367. 
Voyez  aussi,  dans  le  même  volume  (p.  493),  Supplicazione  di  Gio.  Marco  Pio  di 
Carpi  al  diica  Borso  d'Esté,  e  rettificazione  iiitorno  la  coiujiura  attribuita  ai  Pio. 


58  L'Ar.T    FERT\AT\AIS. 

des  actes  qui  lui  ont  attiré  une  juste  condamnation.  Dans  le 
cas  contraire,  Borso  aurait  le  devoir  de  sévir,  a  Trop  de  dou- 
ceur, ajoute-t-il,  pourrait  passer  pour  de  l'apathie  et  même 
pour  de  la  lâcheté,  car  l'excès  de  la  miséricorde  est  d'ordinaire 
le  comble  de  l'injustice.  Celui  qui  pardonne  toujours  n'est  pas 
regardé  comme  moins  cruel  que  celui  qui  ne  pardonne  jamais. 
En  toutes  choses,  il  faut  conserver  une  certaine  mesure.  L'abus 
de  la  clémence  engendre  de  nouveaux  crimes;  sous  le  couvert 
de  la  clémence,  la  justice  disparaît  tout  entière.  "  Filelfo  ter- 
mine en  exhortant  le  duc  de  Ferrare  à  se  conduire,  ainsi  qu'il 
l'a  toujours  fait,  en  prince  craignant  Dieu  (I). 

L'exemple  de  Peregrino  prouve  qu'il  était  nécessaire  de 
peser  ses  paroles,  même  en  dehors  des  États  ferrarais,  et  que 
personne  ne  devait  se  croire  à  l'abri  de  la  délation.  Le  duc 
entretenait,  en  effet,  un  bon  nombre  d'espions  (2),  et,  afin  de 
mieux  pourvoir  à  sa  propre  sûreté,  il  examinait  chaque  jour 
la  liste  des  étrangers,  que  les  aubergistes  étaient  tenus  de  lui 
présenter.  En  parcourant  cette  liste  ,  Borso  se  proposait 
aussi,  dit-on,  de  ne  laisser  passer  auprès  de  lui  aucun  person- 
nage de  marque  sans  lui  avoir  rendu  honneur  ou  offert  l'hos- 
pitalité (3). 

Comme  Lionel,  Borso  s'entoura  de  lettrés  et  encouragea  les 
études  classiques,  continuant  les  traditions  inaugurées  sous  le 
règne  précédent.  A  peine  était-il  en  possession  du  trône,  qu'il 
prit  à  sa  charge  le  traitement  des  professeurs  de  l'Université. 
Parmi  les  savants  qui  attirèrent  à  Ferrare  la  jeunesse  de  la 

(1)  Fracisci  Philelji  viri  grece  et  latine  eruditissimi  epislolarum  fumiliariiun 
libri  XXXVII  ex  ejus  exemplari  transwnpti  :  Ex  quibui;  ultimi  XXI  tiovissimi 
reperti  fuere  :  et  impressorie  tradili  officine.  —  Venetiis  in  aeclibus  Joannis  et 
Gregorii  de  Grec/oriis  fratres.  Reqnante  serenissimo  principe  D.  Leonardo  Lau- 
redano  inclyto  Venelorum  duce.  Anno  Domini  MDII  octavo  Kal.  octobris. 
(Bibl.  nat.,  Z  697,  reserve,  p.  103.) 

(2)  Les  espions  touchaient  une  partie  des  amendes  auxquelles  étaient  con- 
damnés les  citoyens  qu'ils  avaient  dénoncés.  Ainsi,  on  leur  remettait  le  tiers  de 
ce  que  devaient  payer  les  blaspliémateurs.  Certaines  lois  avaient  été  promulguées 
contre  quiconque  se  rendrait  coupable  de  blasphème.  Un  homme  fut  condamné 
pour  s'être  écrié  :  «  Dieu  ne  pourrait  le  faire  !  «  Jouer  aux  dés  et  aux  cartes 
était  également  interdit. 

(3)  BuRCKiiARDT,  Die  Cullnr  der  Rer    issance,  p.  40. 


LIVRE    PREMIER.  59 

Romagne,  de  l'Emilie  et  de  la  Lombardie,  figurèrent  des  exi- 
le's  tels  que  Gostantino  Lascaris  (1464.).  Guarino  de  Vérone, 
Giovanni  Aurispa,  Tito  Yespasiano  Strozzi,  Lodovico  Carbone, 
Girolamo  Castelli,  pour  ne  citer  que  quelques  noms  (1  ,  ob- 
tinrent toute  la  faveur  du  prince  et  furent  comblés  par  lui  de 
distinctions  et  de  bienfaits.  Borso  n'avait  pourtant  pas  reçu 
une  éducation  littéraire  très  soignée.  Il  ignorait  le  latin.  Aussi 
tempéra-t-il  les  excès  de  l'bumanisme  en  donnant  une  vive 
impulsion  aux  travaux  en  italien.  Carlo  Vannuccio  di  San 
Giorgio,  noble  bolonais,  à  qui  Ton  avait  reproché  d'avoir  écrit 
en  latin  la  conjuration  de  1469,  la  traduisit  en  laup^ue  vul- 
gaire et  la  dédia  à  Borso.  Il  traduisit  également  pour  le 
duc  deux  ouvrages  en  vogue  :  la  Vie  de  .A7cco/ô  Piccinino  et 
YÉloge  de  la  ville  de  Milan,  par  Decembrio.  Monsignor  Lorenzo 
Spirito,  de  Pérouse,  présenta  de  son  côté  à  Borso  un  poème 
intitulé  :  Valtro  Marte,  qui  lui  valut  un  don  de  cinquante 
florins  d'or.  Un  livre  de  Mario  Filelfo,  un  poème  :  //  Salvador, 
de  Candido  de'  Bontempi,  un  autre  poème  d'Alberto  de  Ver- 
ceil,  un  recueil  de  sonnets  :  In  lande  e  trionji  délia  S.  S.,  par 
Alessandro  Toscano,  procurèrent  aussi  h  leurs  auteurs  des 
rémunérations  importantes  de  la  part  du  souverain  (2).  On 
sait,  enfin,  que  plusieurs  ouvrages  anciens,  notamment  les 
Vies  de  Plutarque  (3),  les  Épures  de  Cicéron,  Hésiode  (4),  la 
Géographie  de  Strabon  et  la  Cosmographie  de  Ptolémée,  furent 
traduits  à  l'intention  de  Borso.  Imitant  l'exemple  de  leur 
maître,  les  hauts  personnages  de  la  cour,  entre  autres  Teofilo 
Calcagnini,  Albert  et  Hercule  d'Esté,  voulurent  avoir  la  tra- 
duction de  certains  ouvrages  qu'ils  ne  pouvaient  lire  dans 
le  texte  original.  Gurone  d'Esté,  en  1454,  fit  transcrire 
et    enluminer    les     Vite    di    Plutarcho.     Decembrio    traduisit 

(1)  On  trouvera  plus  loin,  à  propos  du  palais  de  Schifanoia   (liv.  II,  ch.  m), 
lYnumération  des  principaux  savants  qui  vécurent  alors  à  Ferrare. 

(2)  Vesturi,  L'arte  a  Ferrara  nel  periodo  di  Borso  d'Esté,  p.  690. 

(3)  En  1463  prohablement,  Ugolino  de  Riniini  et  son  fils  Girolaino  vendirent 
au  duc  quelques  extraits  des   Vies  de  Plutarque  écrites   «  in  sermone  moderno  »  . 

(4)  La  traduction  d'Hésiode,  dédiée  à  Borso,  l'ut  imprimée  à  Fcrrarc  en  1474 
par  Andréa  Gallo. 


60  L'ART    FERRARAIS. 

Appien,  Leoniceiio  traduisit  Procope.  M.  Veiituri  fait  remar- 
quer (luc  le  dialecte  particulier  à  Ferrare  règne  dans  ces 
traductions,  Tunité  de  la  langue  n'étant  pas  encore  un  fait 
accompli. 

Un  registre  où  sont  notés  les  livres  prêtés  aux  courtisans 
nous  apprend  en  outre  que,  à  la  cour  de  Ferrare,  on  recher- 
chait avidement  les  romans  français.  En  1  460,  étant  à  la  cam- 
pagne, Borso  envoie  prendre  dans  sa  bibliothèque  "  un  Lan- 
celot  en  français  »  pour  corriger  «  un  Lancelot  en  italien  »  , 
Blanche  d'Esté  lit  un  volume  ayant  pour  titre  «  Gothofred  de 
boion  "  ;  le  comte  Lodovico  da  Ganno  a  entre  les  mains  «  Ga- 
leoth  le  Brun  »  ;  c'est  à  n  Lancelot  »  que  Jacopo  Ariostiet  Jean- 
François  de  la  Mirandole  consacrent  leurs  loisirs;  Méliaduse, 
avec  un  Iristano  in  liiigua  gallica  et  avec  un  «  Lancelot  «  ,  Fran- 
cesco  d'Arezzo  avec  le  Saint  Graal  et  avec  Merlin,  Galeotto  di 
Campo  Fregoso,  Sigismond  d'Esté  et  Alberto  délia  Scala,  am- 
bassadeur du  duc  deCalabre,  avec  quelques  romans  du  cycle 
breton ,  se  transportent  au  milieu  des  fictions  chevalesques 
traitées  par  nos  poètes  et  en  repaissent  leur  imagination.  Dans 
les  classes  élevées  comme  dans  les  classes  moyennes,  on  prend 
aux  aventures  romanesques  un  vif  intérêt,  dont  témoignent  la 
tournure  d'esprit  des  écrivains  et  les  habitudes  journalières  de 
la  vie.  Sur  les  manches  et  les  collerettes  des  dames  on  brode 
des  devises  françaises  et  des  phrases  empruntées  aux  chansons 
de  geste.  Les  noms  des  princes  d'Esté  :  Méliaduse,  Isotte,  Gi- 
nevra,  Rinaldo,  rappellent  des  personnages  de  roman.  D'après 
les  historiens  officiels,  les  seigneurs  de  Ferrare  descendent 
des  paladins  de  la  Table  ronde  et  sont  eux-mêmes  de  parfaits 
paladins.  Cette  culture,  d'où  sortit  VOrlando  Innamoraio ,  de 
Boiardo,  préparait  l'éclosion  des  poèmes  immortels  de  l'Arioste 
et  du  Tasse  (1). 

La  bibliothèque  formée  par  Lionel  s'enrichit  sous  Borso  de 
nombreux  et  précieux  volumes.   Le  6  avril   Ii6l,  le  duc  fit 

(1)  Tous  les  détails  que  nous  venons  de  donner  nous  sont  fournis  par  la  puLli- 
calion  de  M.  Venturi  si  souvent  citée  déjà  :  Varie  a  Fcrrara  nel  periodo  di 
Dorso  d'Esté,  p.  689-693. 


LIVRE   PREMIER.  61 

payer  aux  héritiers  de  Giovanni  Aurispa  deux  cents  florins 
d'or  pour  plusieurs  livres  latins,  dont  quelques-uns  étaient 
destinés  à  la  Chartreuse.  Il  entretint  aussi  une  correspondance 
suivie  avec  le  Florentin  Vespasiano  da  Bisticci ,  le  principal 
représentant  du  commerce  des  livres,  homme  actif  et  d'un 
jugement  sûr,  qu'apprécièrent  fort  les  Médicis  et  Nicolas  V  : 
le  25  novembre  1469,  il  ordonna  de  lui  envoyer  quarante 
écus  d'or  pour  un  manuscrit  de  Josèphe  et  un  manuscrit  de 
Quinte-Curce  (I).  Dans  la  Bibhothèque  d'Esté  à  Modène  se 
trouve  un  Flavius  Blondus  (De  miiitaris  ai'tis  et  jiu-isprudentiœ 
différentiel)^  en  tête  duquel  on  lit  une  épitre  dédicatoire  adres- 
sée à  Borso  (1460)  (2);  et  c'est  également  à  Borso  qu'est  dédié 
le  Cornazani  Antonii  de  excellentium  viroriim  principibus  ab  ori- 
gine mundi  per  œtates  opus,  qui  semble  avoir  été  écrit  avec  un 
mélange  d'or  et  d'argent  (3). 

Avant  de  mourir,  Borso  eut  la  satisfaction  de  voir  Fimpri- 
merie  s'installer  à  Ferrare,  grâce  à  un  Français,  André  Beau- 
fort,  et  répandre  le  goût  des  livres  dans  toutes  les  classes  de  la 
société.  Quatre  ou  cinq  ouvrages  avaient  été  déjà  publiés 
quand  il  cessa  de  vivre. 

Protecteur  des  lettres,  il  le  fut  aussi  des  arts,  dont  il  favo- 
risa le  développement,  sinon  avec  toute  la  finesse  de  goût 
qu'avait  manifestée  Lionel,  du  moins  avec  constance  et,  en 
général,  avec  générosité. 

Le  campanile  de  la  cathédrale ,  commencé  depuis  long- 
temps, avait  été  interrompu;  le  premier  étage  et  le  second, 
ainsi  qu'une  partie  dn  troisième,  furent  construits  sous  Borso, 
qui  exempta  de  tout  droit  les  matériaux.  Dès  1452,  le  duc 
posa  les  fondements  d'une  église  et  d'un  monastère  pour  les 
Chartreux,  dans  le  faubourg  de  Saint-Léonard,  édifices  qui 
furent  achevés  en  1461 ,  et  qui,  agrandis  par  Hercule  I",  exci- 


(1)  Ceniii  slorici  delLi  Biblioteca  Estcnse  in  Motlciia,   1873. 

(2)  ^'"98  du  Catalogue. 

'3)  Ce  manuscrit  in-8"'  sur  parcheuiiu  porte  le  n"  872  dans  le  catalogue  de  la 
Bibliothèque  d'Esté  à  Modène.  Quelques  initiales  sont  enluminées,  et  les  couleurs 
vives  s'y  dctaclieiit  sur  un  fond  d'or. 


62  L'ART    FEURARAIS. 

tent  encore  l'admiration  du  Aoyageur.  Au  palais  de  Schifanoia, 
il  ajouta  un  étag^e,  dû  à  l'ingénieur  ducal  Pietro  Benvenuti, 
assisté  de  Biagio  Rossetti.  Des  travaux  d'amélioration  ou 
d'agrandissement  furent  exécutés  dans  le  Castello ,  dans  le 
palais  du  Paradis,  dans  ceux  de  Belriguardo  et  de  Belfiore, 
dans  les  villas  de  Copparo,  de  Benvegnante,  de  Bellombra,  de 
Migliaro,  de  Gonsandolo,  dans  les  résidences  de  Zenzalino,  de 
Bagnacavallo,  de  Modène,  de  San  Martino  in  Rio,  tandis  que 
de  nouveaux  palais  s'élevaient  à  Quartesana,  à  Ostellato,  à 
Monte  Santo,  à  Ficarolo,  à  Fossadalbero  et  à  Sassuolo,  où  la 
pureté  de  1  air  et  le  charme  du  site  attiraient  Borso,  qui  fit 
refaire  les  murs  autour  de  la  forteresse.  Le  duc,  en  effet,  dans 
sa  prudence,  ne  négligea  nulle  part  ce  qui  pouvait  contribuer 
à  la  sûreté  de  ses  Etats.  Reggio,  Lugo,  Rubiera,  Canossa, 
Argenta,  Finale  reçurent  un  surcroit  de  fortifications,  et 
Ferrare,  du  côté  du  midi,  fut  pourvue  des  nmrs  qui  lui  man- 
quaient. 

Deux  œuvres  importantes  de  sculpture  embellirent  la  ville. 
La  statue  équestre  de  Nicolas  III,  commencée  sous  Lionel,  fut 
exposée  aux  veux  du  public  le  jour  de  l'Ascension  de  Tannée 
1451.  Trois  ans  après,  on  put  admirer  devant  le  palais  délia 
Ragione  la  statue  assise  de  Borso,  ouvrage  en  bronze  exécuté 
par  Niccolô  Baroncelli ,  par  son  fils  Giovanni  et  son  gendre 
Domenico  Paris ^  de  Padoue(l).  Parmi  les  sculpteurs  qui  tra- 
vaillèrent alors  à  Ferrare,  nous  nous  bornerons  à  citer,  pour 
le  moment,  Lodovico  Caslellani  et  Antonio  Marescoti.  Ce  der- 
nier fut  aussi  médailleur  et  fit  une  médaille  de  Borso.  Il  eut 
pour  émules  dans  le  même  art  :  Aniadio,  Jacopo  Lixignolo  et 
Pelrecini. 

Passionné  pour  tout  ce  qui  rehaussait  l'éclat  des  costumes 
à  la  cour  ou  la  magnificence  de  ses  palais,  Borso  attira  dans 
sa  capitale  les  orfèvres  et  les  brodeurs  de  Milan  (2j,  les  joail- 

(1)  «  Borso  fut  le  premier  souverain  italien  qui  put  contempler  sa  propre 
effij^ie  dressée  sur  une  place  publique.  »  (E.  MuxTz,  Histoire  de  Vart  pendant  la 
Renaissance,  p.  146.  i 

(2)  Dès  l'époque  de  INicolas  III,  il  y  avait  à  Ferrare,   nous  l'avons  dit  ;p.  31), 


LIVRE   PREMIER.  63 

liers  de  Venise,  les  tapissiers  de  la  Flandre.  La  fabrique  de 
tapisseries  installée  à  Ferrare  atteignit  un  haut  point  de  pro- 
spérité, ce  qui  n'empêcha  pas  le  duc  d'acheter  au  dehors  un 
grand  nombre  de  pièces.  En  outre,  un  armurier  [magister 
armorum),  nommé  Ottolino  di  Corneio  da  Milano,  se  fixa  avec 
sa  famille  à  Ferrare  en  14()5.  Il  reçut  de  la  Commune  deux 
cents  florins  d'or  pour  établir  une  fabrique  d'armes  dans  la 
ville  et  pourvoir  à  ses  besoins  et  h  ceux  de  ses  aides.  Trois 
ans  plus  tard,  Ottolino  répara  quelques  armes  d'Albert  d'Esté 
par  ordre  de  Borso  qui  se  chargea  de  la  dépense  [pel  fratello 
suo  dilellissimo)  (  1  ) . 

Quant  à  la  peinture ,  elle  prend  alors  un  développement 
rapide  et  décisif.  Les  miniaturistes  couvrent  d'ornementations 
délicates  et  enrichissent  de  scènes  habilement  composées  les 
manuscrits  latins  et  grecs,  les  ouvrages  de  chevalerie,  les 
Bibles  et  les  missels.  On  ne  peut  guère  voir  rien  de  plus  sédui- 
sant que  les  livres  de  chœur  donnés  aux  Chartreux  par  Borso. 
Enfin  les  tableaux  et  les  fresques  nous  montrent  l'école  ferra- 
raise  définitivement  fondée,  avec  sa  marque  distinctive,  avec 
son  style  particulier.  Aux  artistes  vénitiens  elle  emprunte  son 
brillant  coloris,  à  l'école  de  Padoue  son  goût  pour  le  relief 
sculptural;  en  même  temps  elle  s'attache  à  rendre  scrupuleu- 
sement la  nature,  sans  se  préoccuper  assez  du  beau,  mais  en 
rachetant  la  vulgarité  des  formes  par  la  profondeur  du  senti- 
ment, parla  majestueuse  simplicité  des  attitudes.  C'est  l'époque 
de  Galasso,  de  Stefano  da  Ferrara^  de  Cosùno  Jura,  de  Fran- 
cesco  Cassa,  de  Baldassa>-e  d'Esté,  pour  ne  citer  que  les  noms 


un  certain  nombre  de  brotleurs  milanais.  Giacomino  dezadapo  ou  délia  dapa 
Ijroda  une  Vierge  avec  l'Enfant  Jésus  sur  une  chape  de  damas  blanc  pour  la  cha- 
pelle de  la  cour.  Il  n'y  avait  pas  de  fête,  pas  de  solennité  polititpie  ou  relijjieuse 
dont  les  brodeurs  milanais  ne  concourussent  à  accroître  les  splendeurs. 
(Ad.  Venturi,  Belazioni artistichc  tra  le  corti  di  Milano  e  Ferrara  nel  secolo  XV, 
p.  252.)  —  En  1465,  on  trouve,  habitant  Ferrare,  un  i)rodeur  né  à  Crémone, 
Boccaccino,  le  père  du  peintre  bien  connu.  De  1468  à  1499  son  nom  fij^ure  sur 
les  registres  de  la  maison  d'Esté.  (Campoui,  I  piltori  dei/li  Estensi  nel  secolo  XV, 
P-5i-) 

(1)    Ad.  Venturi,  Belazioni  artistiche    tra   le   corti  di    Milano  e  Ferrara  nel 
secolo  XV,  dans  V Archivio  lonibardo,  livraison  du  30  juin  1885. 


64  L'ART    FElUlAr.AIS. 

les  plus  saillants.  Uorso  fait  orner  de  peintures  la  grande  salle 
du  palais  de  Schifanoia  et  la  chapelle  du  palais  de  Belriguardo. 
A  Baldassare  d'Esté,  qui  trouve  en  lui  un  généreux  appui,  il 
demande  surtout  des  portraits,  que  Ton  admirait  beaucoup, 
mais  qui  n'existent  plus.  Il  méconnut,  malheureusement,  ce 
que  le  talent  de  Cossa  avait  de  supérieur  :  en  refusant  de  faire 
droit  aux  réclamations  de  cet  artiste,  assimilé  par  ses  agents 
à  des  peintres  subalternes,  en  le  laissant  s'expatrier  à  Bologne, 
il  fut  injuste  et  manqua  de  discernement. 

Le  seul  peintre  étranger  que  Borso  occupa  dans  sa  capitale 
fut  Piero  délia  Francesca.  Cet  éminent  artiste  travaillait  à  Pesaro 
ou  à  Ancône,  quand  il  fut  appelé  à  Ferrare.  Si  l'on  ignore  en 
quelle  année  il  y  arriva,  on  sait  du  moins  qu'il  dut  y  venir, 
non  en  1470  comme  on  l'a  souvent  affirmé,  mais  au  commen- 
cement du  règne  de  Borso,  et  qu'il  y  demeura  longtemps. 
Rien  n'existe  aujourd'hui  des  œuvres  qu  il  y  exécuta,  u  11 
peignit,  dit  Vasari  (1),  un  grand  nombre  de  chambres  que 
le  duc  Hercule  l'Ancien  détruisit  pour  donner  au  palais  un 
aspect  moderne,  en  sorte  qu'il  n'est  resté  de  la  main  de 
Piero  qu  une  chapelle  décorée  de  fresques  à  Saut'  Agostino, 
et  encore  est- elle  dégradée  par  l'humidité.  »  On  avait  cru 
jusqu'ici  que  Vasari  faisait  allusion  à  des  peintures  ornant 
le  rez-de-chaussée  du  palais  de  Schifanoia,  peintures  qui 
auraient  été  anéanties  quand  Hercule  P  modifia  l'aménage- 
ment intérieur  de  l'édifice.  C'est  là  une  erreur  que  le  marquis 
Campori  a  relevée.  Dans  le  passage  de  Vasari  il  n'est  pas 
question  du  palais  de  Schifanoia,  mais  seulement  du  palais, 
c'est-à-dire  du  palais  par  excellence,  de  celui  ou  résidait  d'or- 
dinaire la  famille  régnante,  en  un  mot  du  palais  ducal  appelé 
le  Castello,  Hercule  P"",  cela  est  certain,  fit  démolir  une  partie 
du  Castello,  et  ce  sont  les  pièces  sacrifiées  qui  renfermaient 
évidemment  les  fresques  de  Piero  délia  Francesca.  Quant  aux 
peintures  qui  ornaient  l'église  de  Saint-Augustin,  l'existence 
en  est  confirmée  par  une  description  écrite  en  1589,  environ 

(1)   Tome  II,  p.  491. 


LIVRE   PREMIER.  65 

quarante  ans  après  que  Vasari   les  vit.  Cette  description  se 
trouve  en  manuscrit  dans  la  Bibliothèque  de  Ferrare  (1). 

La  longue  présence  de  Piero  délia  Francesca  à  Ferrare  ne 
demeura  pas  inutile  aux  peintres  de  la  localité.  Plus  d'un, 
sous  la  direction  d'un  maître  si  habile,  s'initia  à  la  science  de 
la  perspective.  On  prétend  que  Galasso  fut  un  de  ceux-là;  mais 
c'est  surtout  Francesco  Gossa  qui  mit  à  profit  les  enseignements 
du  peintre  de  Borgo  San  Sepolcro,  dont  il  s'appropria  jusqu'à 
un  certain  point  la  manière,  comme  le  prouvent  tout  spé- 
cialement plusieurs  de  ses  compositions  dans  le  palais  de 
Schifanoia. 

Quelques  détails  donnés  par  M.  Valdrighi  prouvent  que  la 
musique  ne  fut  pas  moins  goûtée  à  la  cour  de  Borso  qu'à  celle 
de  Lionel.  On  lit  dans  le  Giornale  délia  camet^a,  à  la  date  de 
1458,  que  soixante-dix  lire  furent  payées  à  des  artistes  floren- 
tins qui  avaient  chanté  aux  fêtes  de  Pâques  dans  les  princi- 
pales églises  de  Ferrare.  Pendant  les  repas  d'apparat,  Borso 
voulait  que  les  oreilles  de  ses  convives  fussent  flattées  par  les 
harmonies  de  la  musique.  Le  6  juin  1461,  des  gratifications 
récompensèrent  deux  Allemands,  joueurs  de  viole  et  de  cym- 
bales, que  Zoane  da  Trento  avait  amenés  dans  la  loggia  de  Bel- 
fiore,  où  Son  Excellence  prenait  ses  repas.  En  1469,  l'organiste 
Lionello  Fieschi  remplaça  Gaspare  dalV  Organo,  qui  venait  de 
mourir.  Le  marquis  Louis  III  Gonzague  désirait-il  se  procurer 
un  bon  maître  de  chant  pour  son  donzello,  il  s'adressait  à  un 
musicien  occupé  à  Ferrare,  à  Niccolo  Tedesco,  que  nous  avons 
déjà  mentionné.  Enfin,  Borso  tenait  à  ce  que  les  instruments 
de  ses  musiciens  se  ressentissent  du  luxe  qu'il  affectionnait 
tant.  En  1451,  on  commanda  pour  les  trompettes  de  Toniaso, 
de  Perino,  de  Guasparo  et  à' Agostino  de  nouvelles  flammes  en 
taffetas  blanc,  avec  la  licorne  peinte  dessus,  et  avec  des  cor- 
dons en  soie  rouge,  verte,  blanche  et  or. 

Vers  la  fin  du  règne  de  Borso  (1469),  l'empereur  Frédéric  III 
reparut  deux  fois  à  Ferrare  lors  de  son  second  voyagea  Rome. 

(1)  G.  CAMPoni,  /  pittori  dei/li  Estensi  nel  secolo  XV,  p.  32. 

I.  'i 


66  L'ART    FERRARAIS. 

La  première  fois,  il  entra  dans  la  ville  à  la  lueur  des  torches 
et  ne  fit  que  passer,  mais  il  ne  s'éloigna  pas  sans  avoir  eu  des 
preuves  nouvelles  de  la  munificence  de  Borso,  car  il  reçut  huit 
haquenées  blanches  et  plusieurs  bijoux.  En  revenant  de  Rome, 
il  séjourna  à  Ferrare  du  27  janvier  au  2  février,  et  logea  dans 
l'appartement  même  du  duc.  Les  distractions  somptueuses  ne 
furent  pas  ménagées.  Un  bal  splendide  eut  lieu  dans  le  palais 
de  Lorenzo  Strozzi.  Quant  à  l'Empereur,  il  créa  chevaliers  un 
grand  nombre  de  personnages,  notamment  Francesco  Ariosto 
et  Teofilo  Galcagnini.  Au  poète  ferrarais  Lodovico  Carbone,  il 
donna  la  couronne  poétique,  honneur  auquel  Carbone  répon- 
dit par  un  discours,  prononcé  dans  la  cathédrale.  Pour  com- 
bler le  vide  de  son  trésor,  il  prodigua,  moyennant  finances, 
les  titres  de  comte,  de  docteur,  de  notaire;  mais  plusieurs  des 
nouveaux  privilégiés  se  trouvèrent  déçus ,  car  ils  ne  purent 
obtenir  le  diplôme  dont  ils  avaient  versé  le  prix  au  chancelier 
impérial,  Frédéric  III  ayant  quitté  précipitamment  Ferrare. 
Parmi  ceux  qui  sollicitèrent  le  titre  de  comte  palatin  figura 
Andréa  Mantegna ,  ainsi  que  nous  l'apprend  une  lettre  de  Mar- 
silio  Andreasi,  écrite  de  Ferrare  à  la  marquise  de  Mantoue  le 
jour  du  départ  de  l'Empereur.  Fut-il  au  nombre  des  malheu- 
reux privés  du  diplôme  qu'ils  avaient  payé?  On  ne  saurait  le 
dire.  Vasari  prétend  que  le  titre  désiré  ne  fut  accordé  à  Man- 
tegna que  plus  tard,  grâce  au  marquis  de  Mantoue  Ce  qui  est 
certain,  c'est  que,  quelques  années  après,  l'illustre  peintre 
s'intitula,  dans  les  fresques  de  la  chapelle  d'Innocent  VIII  à 
Rome,  eques  auratœ  militiœ ,  titre  correspondant  à  celui  de 
comte  palatin  (1). 

Duc  de  Modène  et  de  Reggio,  Borso  désirait  vivement  de- 
venir aussi  duc  de  Ferrare.  Ses  vœux  furent  idéalisés  par 
Paul  II,  qui  consentit  à  transformer  sa  seigneurie  en  duché. 
Invité  à  se  rendre  à  Rome,  le  vicaire  du  Saint-Siège,  après 
avoir  fait  célébrer  dans  la  cathédrale  une  messe  du  Saint-Es- 
prit et  remis  le  gouvernement  à  Hercule,  à  Sigismond  et  à 

(1)  G.  Gampohi,  1  pittori  degli  Eslensi  net  sccolo  XV,  p.  32-33. 


LIVRE    PREMIER.  67 

Rinaldo  ses  frères,  à  Niccolô,  son  neveu,  fils  de  Lionel,  et  ù 
Antonio  Sandeo,  Juge  des  Sages,  partit  de  sa  capitale  le  13  mars 
1471  avec  un  train  royal.  Il  était  accompagné,  dit  Frizzi  (1), 
de  son  frère  Albert,  de  son  autre  frère  Guron  Maria,  chanoine 
de  Ferrare,  protonotaire  et  abbé  commendataire  de  Nonan- 
tola,  de  Niccolè,  seigneur  de  Correggio,  de  Galeotto  Pic,  comte 
de  la  Mirandole,  de  Matteo  Boiardo,  comte  de  Scandiano,  de 
Teofilo  Calcagnini  et  de  cinq  cents  gentilshommes,  vêtus  de 
brocart  d'or  et  d'argent,  de  velours  et  de  soie.  Les  cham- 
bellans de  ces  personnages  avaient  des  vêtements  de  drap  d'or, 
et  leurs  écuyers  des  vêtements  de  brocart  d'argent.  On  remar- 
quait également  des  joueurs  de  fifre  et  de  trompette,  quatre- 
vingts  valets  conduisant  chacun  quatre  chiens,  et  une  nom- 
breuse escorte  de  cavaliers.  Cent  cinquante  mulets  couverts, 
soit  de  velours  cramoisi,  avec  les  armes  des  Este  brodées  en 
or,  soit  de  drap  blanc,  rouge  et  vert,  couleurs  de  la  livrée  de 
Borso,  portaient  les  équipages.  Ce  fut  en  jetant  des  monnaies 
d'argent  au  peuple  que  ce  prince  fit  son  entrée  à  Rome  le 
P""  avril.  Paul  II  le  logea  dans  son  propre  palais.  Pendant  la 
grand'messe  du  jour  de  Pâques  (14  avril),  Borso  prêta  le  ser- 
ment de  fidélité  et  fut  créé  chevalier  de  Saint-Pierre  par  le 
Souverain  Pontife,  dont  il  reçut  une  épée  que  lui  ceignit  Tom- 
maso,  despote  de  Morée,  tandis  que  Napoleone  Orsini,  général 
de  l'Église,  et  Costanzo  Sforza,  seigneur  de  Pesaro,  lui  chaus- 
saient les  éperons.  Après  la  communion,  Paul  II  le  proclama 
duc  de  Ferrare  et  lui  accorda  le  droit  de  disposer  du  duché, 
puis  lui  remit  les  insignes  de  sa  nouvelle  dignité,  c'est-à-dire 
un  manteau  de  brocart  d'or,  garni  de  vair  et  d'un  haut  collet, 
un  béret  orné  de  nombreuses  pierreries  parmi  lesquelles  on 
distinguait  un  rubis  d'une  merveilleuse  beauté,  le  l)àton  de 
commandement  et  un  collier  d'or  entremêlé  de  pierres  pré- 
cieuses. Le  lendemain,  Borso  accompagna  en  habit  ducal  le 
Pape  à  Saint-Pierre,  et,  à  l'issue  de  la  messe,  le  Pape  lui  donna 
la  rose  d'or,  qui  se  composait  de  pierreries  valant  cinq  cents 

(i)   Mem.  per  la  stoiiu  di  Fer/ara,  l.  IV,  p.  74-78. 


68  L'ART    FEUUARAIS. 

ducats  d'or.  Précède  de  quinze  cardinaux,  le  souverain  de 
Ferrare  se  rendit  ensuite  à  cheval  au  palais  de  Saint-Marc  (1), 
où  l'attendait  un  repas  somptueux  (2).  Son  séjour  à  Rome  dura 
un  mois  environ.  Une  grande  chasse  eut  lieu  en  son  honneur, 
et  les  Ferrarais  organisèrent  un  hrillant  tournoi  (3).  Fidèle  à 
ses  habitudes  de  générosité,  Borso  ne  distribua  pas  moins  de 
quatre  mille  ducats  à  la  cour  pontificale.  En  regagaant  ses 
États,  il  visita  le  sanctuaire  de  Lorette  et  rentra  le  18  mai  dans 
sa  capitale. 

A  Rome,  il  avait  eu  quelques  atteintes  de  lièvre;  la  fatigue 
d'un  voyage  à  cheval  acheva  d'ébranler  sa  santé.  Ayant  pris 
quelque  repos  dans  sa  villa  de  Belliore,  il  put  encore  assister, 
le  26  mai,  à  une  course  de  chevaux,  mais  le  soir  même  il 
devint  plus  malade  et  se  fit  transporter  au  Castello,  afin 
d'arrêter  les  mesures  nécessaires  pour  assurer  le  trône,  après 
sa  mort,  à  son  frère  Hercule  qu'il  aimait  tendrement,  et  dans 
l'intérêt  duquel  il  avait  renoncé  à  se  marier.  Niccolô,  fils  de 
Lionel,  qui  comptait  d'assez  nombreux  partisans,  dut  s'éloi- 
gner et  se  retira  à  Mantoue,  patrie  de  sa  mère.  Près  de  soixante- 
dix  personnes  furent  également  invitées  à  quitter  Ferrare,  et 
les  murs  de  la  ville  furent  mis  à  l'abri  d'un  coup  de  main. 
Borso  mourut  le  19  août,  très  regretté  de  ses  sujets,  et  fut 
enseveli  dans  cette  Chartreuse  qu'il  avait  eu  la  gloire  de  fon- 
der. Trois  cents  courtisans  et  cinq  cent  cinquante  personnes 
vêtues  de  deuil  aux  frais  du  nouveau  duc  assistèrent  aux  funé- 
railles, que  suivirent  aussi  Niccolô,  fils  de  Lionel,  rappelé  à 
Ferrare  par  Hercule  P%  et  le  peintre  Baldassare  d'Esté.  Tito 
Novelli  de  Ferrare,  évêque  d'Adria,  prononça  l'oraison  funè- 
bre. Au  mois  de  septembre  fut  célébré  un  autre  service,  à  loc- 
casion  duquel  Hercule  distribua  aux  pauvres  six  cents  mesures 

(1)  Cet  édifice  perte  aujourd'hui  le  nom  de  palais  de  Venise. 

(2)  Le  15  et  le  16  avril  1471,  Borso  écrivit  à  son  secrétaire  Giovanni  di  Cora- 
pagno,  resté  à  Ferrare,  pour  lui  rendre  compte  de  ce  qui  s'était  passé.  Mjjr  Anto- 
nelli  a  publié  la  première  lettre  à  l'occasion  des  noces  !Mazza  Botta;;isio;  Ferrara, 
m-S",  1869.  M.  Antonio  Gappelli  a  publié  la  seconde  avec  les  Aotizie  di  Ugo 
Caleffini;  Modena,  1864,  p.  43. 

(3)  Voyez  Ca>>esio,  Vita  di  Paolo  II. 


LIVRE    PREMIER.  69 

de  farine  et  Lodovico  Carbone  fit  l'éloge  de  Borso.  L'Arioste, 
plus  tard,  devait  aussi  payer  à  ce  prince  son  tribut  d'admira- 
tion :  «  Vois,  dit-il,  Lionel  et  le  premier  duc,  l'illustre  Borso, 
l'honneur  de  son  temps.  Il  règne  en  paix  et  remporte  plus  de 
triomphes  que  tous  les  princes  qui  ont  envahi  les  terres  d'au- 
trui.  Il  enfermera  Mars  dans  une  obscure  prison  et  enchaînera 
ses  fureurs.  Ce  magnifique  seigneur  n'aura  pas  d'autre  ambi- 
tion que  celle  de  rendre  son  peuple  heureux  (1).  » 


VIII 

HERCULE    !"■  (2). 
(Né  le  24  octobre  1431,  il  régna  de  1471  à  1503.) 


Fils  légitime  de  Nicolas  III  et  de  Rizzarda  de  Saluées,  Her- 
cule V  était  encore  enfant  lorsque,  après  la  mort  de  son  père,  il 
fut  envoyé  à  la  cour  d'Alphonse  V  le  Magnanime  (Alphonse  V 
d'Aragon),  prince  auquel  Ferdinand  I"  succéda  en  1458.  Il 
s'y  forma  aux  exercices  du  corps,  au  maniement  des  armes,  et 
mérita  le  surnom  de  «  chevalier  sans  peur  "  .  Un  combat  sin- 
gulier avec  le  valeureux  Galeazzo  Pandone,  comte  de  Venafre, 
lui  fournit  l'occasion  de  montrer  qu'à  la  bravoure  il  unissait 
la  générosité.  L'épée  de  son  adversaire  étant  tombée,  accident 
qui  devait  faire  regarder  Pandone  comme  vaincu,  il  la  ramassa 
et  la  lui  remit.  La  lutte,  du  reste,  se  prolongea  peu,  car,  à  la 

(1)  Vedi  Leonello,  e  vedi  il  primo  duce, 
Faïua  délia  sua  età,  l'inclito  Borso 
Che  siede  in  pace,  c  più  trionfo  adduce 
Di  quanti  in  altrui  terre  abbiano  corso. 
Chiuderà  Marte  ove  non  veggia  luce, 

E  stringera  al  Furor  le  mani  al  dorso. 
Di  questo  signor  splcndido  ogni  intcnto 
Sarà,  che'l  popol^  suo  vi\a  contento. 

(Gh.  III,  st.  45.) 

(2)  11  a  été  déjà  question  de  lui,  p.  38,  43,  52  note  5,  56  et  56  note  1. 


70  L'ART    FEP.RARAIS. 

vue  des  blessures  du  comte,  le  Roi  s'opposa  à  ce  qu'elle  conti- 
nuât. En  1494,  Pandone  se  rendit  secrètement  à  Ferrare; 
mais  sa  présence  fut  révélée  au  duc  Hercule,  qui  l'accueillit 
avec  honneur,  le  retint  plusieurs  jours  et  le  combla  de  cadeaux. 

Pendant  la  guerre  que  Ferdinand  P'  soutint  contre  Jean  de 
Galabre,  fils  de  René  d'Anjou,  et  qui  lui  fit  perdre  momen- 
tanément presque  tout  son  royaume,  Hercule,  blessé  par  les 
défiances  dont  il  était  l'objet,  prit  parti  pour  le  prétendant 
français  :  à  la  bataille  de  Sarno  (1460),  il  faillit  s'emparer  du 
Roi,  qui  ne  s'échappa  qu'en  laissant  entre  les  mains  de  son 
ennemi  un  lambeau  de  son  vêtement. 

En  1463,  Hercule  fut  rappelé  par  Borso,  ainsi  que  nous 
l'avons  déjà  dit,  et  devint  gouverneur  de  Modène.  Il  avait 
alors  trente-deux  ans. 

Quatre  ans  plus  tard,  après  la  conjuration  de  Luca  Pitti 
contre  Pierre  de  Médicis,  deux  armées  puissantes  étaient  aux 
prises  dans  la  Romagne,  l'une  commandée  par  Golleone,  l'autre 
par  Frédéric  d'Urbin.  Dans  une  grande  mêlée.  Hercule  eut  la 
gloire  de  sauver  les  troupes  vénitiennes  en  délivrant  Golleone 
que  l'ennemi  avait  enveloppé.  Quoique  blessé  au  pied,  il  com- 
battit jusqu'à  la  nuit  sans  s'accorder  un  instant  de  repos.  Au 
bout  de  quelques  jours ,  sa  blessure  le  força  de  regagner 
Ferrare.  Malgré  les  soins  d'un  Juif,  nommé  Jacob,  il  resta 
boiteux  pour  le  reste  de  ses  jours. 

Tel  était  le  prince  qui  remplaça  Borso  sur  le  trône  de  Fer- 
rare. Comme  Borso,  il  commença  par  prendre  des  mesures 
qui  pussent  lui  concilier  la  bienveillance  générale.  Il  exempta 
la  Gommune  de  certaines  charges,  accorda  à  ses  sujets  la 
liberté  de  vendre  le  sel  et  de  tuer  les  bêtes  nécessaires  à  leur 
nourriture,  gracia  un  grand  nombre  de  prisonniers,  et  promit 
son  pardon  à  tous  les  partisans  de  Niccolo  qui  avaient  quitté  la 
ville,  s'ils  y  revenaient  dans  l'espace  de  deux  mois,  procla- 
mant que  "  rien  ne  convenait  mieux  à  un  seigneur  que  de 
remettre  les  injures  (1)  »  . 

(1)   Ad.   Veînturi,    L'arte  ferrarese   nel  periodo  d'Ercole   I  iFEstc,    dans    les 


LIVRE   PREMIER.  71 

Niccolo,  fils  de  Lionel,  comptait  des  adhérents  prêts  à  risquer 
leur  vie  pour  sa  cause.  Filippo  de  Chypre  essaya  de  provoquer 
un  soulèvement,  tomba  entre  les  mains  des  gens  du  duc 
(22  novembre  1471),  et  fut  écartelé  sur  la  place  publique.  Peu 
après,  un  coup  de  main  fut  tenté  contre  la  Stellata  di  Ficarolo, 
mais  ceux  qui  s'y  étaient  employés  échouèrent,  furent  décapi- 
tés et  pendus  (1).  Niccolo,  cependant,  ne  renonça  pas  à  ses 
prétentions.  Encouragé  et  secrètement  soutenu  par  son.bed«-frvuJiA  J  *IX<> 
fr-ère,  Louis  III,  marquis  de  Mantoue,  et  par  le  duc  de  Milan, 
il  s'approcha  de  Ferrare  avec  sept  cents  soldats  cachés  sous  du 
foin  et  de  la  paille  dans  plusieurs  navires,  pendant  qu'Hercule 
séjournait  à  Belriguardo.  Une  brèche  aux  murailles  que  Ton 
était  en  train  de  réparer,  et  la  connivence  d'un  ami  qui  brisa 
une  des  portes,  lui  facilitèrent  l'accès  de  la  ville,  où  il  essaya 
avec  ses  partisans  de  soulever  le  peuple  au  cri  de  :  "  Yela, 
vêla  (2)  !  "  Mais  le  peuple  ne  répondit  guère  à  cette  provoca- 
tion. Sigismond,  Albert  et  Rinaldo,  frères  d'Hercule  I",  rassem- 
blèrent à  la  hâte  les  citoyens  fidèles  au  duc,  en  criant  :  "  Bia- 
manie,  diamante  [',i)\  »  assaillirent  les  rebelles  et  les  forcèrent 
à  s'enfuir.  Niccolô  était  parvenu  sur  une  barque  jusqu'à  Bon- 
deno,  quand  les  habitants  de  cette  ville  lui  barrèrent  le  pas- 
sage. Il  se  réfugia  dans  un  marais  et  y  fut  arrêté.  On  le  déca- 
pita à  Ferrare,  le  -4  septembre  1476,  dans  le  Castello,  aux 
créneaux  duquel  on  pendit  plusieurs  de  ses  complices,  tandis 
qu'on  en  pendait  d'autres  à  l'angle  du  palais  délia  Ragione  et 
aux  colonnettes  des  fenêtres  de  cet  édifice.  Un  vieux  cuisinier 
de  Niccolô,  auquel  on  voulut  sauver  la  vie  en  lui  conseillant  de 
crier  :  «  Viva  il  diamante  !  »  préféra  la  mort  à  ce  qu'il  regar- 
dait comme  une  lâcheté.  Muant  à  ceux  qui  prétendirent  avoir 
agi  sans  connaître  les  desseins  de  Niccolô,  on  les  condamna  à 

Atti  e  memorie  délia  deputazione  di  storia  patria  per  le  provincie  di  floniaçna, 
3"  série,  t.  VI,  fasc.  I,  II  et  III,  janvier-juin  1888,  p.  91. 

(1)  Francesco,  fils  naturel  de  Lionel  et  frère  de  Niccolo,  quitta  en  1471  la 
Bourgogne,  où  il  s'était  fixé,  pour  prêter  son  appui  à  INiccolô.  Déclaré  rebelle  par 
Hercule  l",  il  regagna  la  Bourgogne  et  n'en  sortit  plus. 

(2)  La  voile  était  l'einhlèine  de  Niccolo. 

(3)  Hercule  avait  adopté  le  diamant  comme  emblème. 


72  L'ART   FERRARAIS. 

avoir  une  main  coupée  ou  à  perdre  un  œil.  En  1493,  un 
pardon  général  fut  accordé  aux  anciens  amis  de  Niccolo  qui 
vivaient  dans  l'exil. 

Toutes  ces  tentatives  d'usurpation  auraient  pu  rendre  Her- 
cule I"  soupçonneux,  mais  il  Tétait  déjà  par  caractère,  comme 
le  montra  sa  conduite  à  l'égard  de  son  frère  Albert.  Si,  après 
son  avènement,  il  sut  gré  à  celui-ci  d'avoir  détourné  les  Fer- 
rarais  du  parti  de  Niccolo  et  le  récompensa  en  lui  donnant  le 
palais  de  Scliifanoia,  avec  des  revenus  considérables,  il  ne 
tarda  pas  h  prendre  ombrage  de  la  popularité  dont  jouissait 
Albert,  lui  confisqua  le  palais  de  Schifanoia  et  l'exila  à  Naples 
(1474),  sous  prétexte  que  ce  prince  n'avait  pas  voulu  aller  à  la 
rencontre  d'un  certain  ambassadeur.  Lorsque ,  à  la  suite  de 
la  conjuration  des  Pazzi,  l'Italie  se  divisa  en  deux  camps  et 
que  Ferdinand  I"  se  trouva  en  hostilité  avec  Hercule  I", 
Albert,  chargé  par  Ferdinand  de  bouleverser  Ferrare  (1476), 
révéla  les  manœuvres  du  roi  de  Naples  au  duc,  qui  le  logea 
dans  son  propre  palais,  sans  l'autoriser  encore  à  se  fixer  de 
nouveau  dans  sa  ville  natale.  Plus  tard,  il  affirma  derechef  sa 
fidélité  en  refusant  de  servir  la  République  de  Venise  contre 
son  frère  et  reçut  pour  prix  de  son  dévouement  le  palais 
Pasini  (1485). 

A  l'exemple  de  Borso,  Hercule  traita  avec  une  grande  géné- 
rosité ceux  de  ses  ministres  ou  de  ses  sujets  qui  lui  avaient 
rendu  de  réels  services.  Giacomo  Trotti,  Francesco  Bevilacqua 
et  Ambrogio  di  Uguccione  Contrario  furent  au  nombre  des 
personnages  comblés  de  ses  bienfaits.  A  son  chambellan 
Tassone  Tassoni,  il  donna  un  palais  magnifiquement  meublé, 
celui  qu'on  appelle  tantôt  palais  Gavassini ,  tantôt  palais 
Pareschi.  Il  nomma  maître  de  chambre  Lodovico  Fiaschi,  un 
de  ses  gentilshommes,  et  lui  fit  présent  de  vastes  domaines  et 
d'un  beau  palais  confisqué  à  un  Milanais,  Matteo  dall'  Erbe, 
qui  avait  été  impliqué  dans  la  conspiration  de  Niccolo. 

Hercule,  dans  sa  jeunesse,  ayant  suivi  le  parti  de  Jean  de 
Calabre,  qui  disputa  le  royaume  de  Naples  h  la  maison  ré- 
gnante, on  eût  pu  croire  que  Ferdinand  lui  tiendrait  toujours 


LIVRE   PREMIER.  73 

rigueur.  Cependant,  à  peine  eut-il  succédé  à  Borso  que  Ferdi- 
nand envoya  à  Ferrare  Fabricio  Garafa  pour  le  féliciter.  Carafa 
séjourna  plus  d'un  an  dans  la  capitale  des  Este  et  négocia 
même  le  mariage  d'Eléouore  d'Aragon ,  fille  aînée  de  son 
maître,  avec  le  duc  (1).  Le  contrat,  qui  assurait  à  Éléonore 
une  dot  de  quatre-vingt  mille  ducats  (2),  fut  rédigé  à  Naples 
le  17  août  1472,  grâce  aux  soins  de  l'ambassadeur  d'Hercule, 
Ugolotto  Faccino  da  Vicenza,  et,  le  P'  novembre.  Hercule 
épousa  la  princesse  par  procureur,  événement  qui  fut  annoncé 
à  son  de  trompe  aux  Ferrarais  sur  le  balcon  de  la  résidence 
ducale.  Quelques  mois  après,  une  nombreuse  et  brillante  com- 
pagnie, dans  laquelle  figuraient  Sigismond  et  Albert,  frères 
d'Hercule,  Galeotto  Pic  de  la  Mirandole,  Niccolo  da  Correggio, 
Tito  Strozzi,  le  poète  Matteo  Maria  Boiardo,  Niccolô  Contrarii 
et  Lodovico  Carbone,  partit  avec  cinq  cent  cinquante  chevaux 
pour  aller  chercher  la  nouvelle  duchesse  et  la  conduire  à  Fer- 
rare.  Plus  de  deux  cents  personnes  de  distinction  accompa- 
gnèrent, en  outre,  la  princesse  quand  elle  quitta  sa  cité  natale. 
Elle  se  rendit  d'abord  à  Rome,  où  le  cardinal  Riario  lui  offrit 
dans  son  palais  la  plus  somptueuse  hospitalité.  l"ne  messe  dite 
à  Saint- Pierre  par  Sixte  IV  le  jour  de  la  Pentecôte,  une  pièce 
religieuse  représentée  par  une  troupe  de  comédiens  florentins 
sur  la  place  de  l'église  des  Saints-Apôtres  (3),  et  un  festin  servi 
avec  une  incroyable  prodigalité,  lui  montrèrent  que  la  cour 
des  Papes  ne  le  cédait  pas  à  la  cour  des  Césars  les  plus  fameux 
pour  leur  magnificence  (4).  Son  cortège  s'augmenta  de  quinze 

(1^/  Eléonore  avait  dû  épouser  le  duc  de  Bari,  Sforza  Maria,  frère  du  duc  de 
Milan  Galéas  Marie,  mais  le  projet  de  mariage  fut  rompu  avec  l'autorisation  du 
Pape. 

(2)  La  dot  fut  en  apparence  de  80,000  ducats,  et  en  réalité  de  60,000  seule- 
ment. Les  oI)jets  mobiliers  furent  portés  pour  une  somme  de  24,300  ducats; 
Ferdinand  n'eut  à  verser  que  35,700  ducats  en  numéraire.  (Luigi  Olivi,  Belle 
nozze  (H  Ercole  I  d'Esté  cou  Eleoiiora  d' Airifjoiie.  Modenn,  coi  tipi  délia  Societa 
tipogralica,  antica  tipograiia  Soliani,  1887.' 

(3)  Voyez  dans  la  Nitova  Aiitolotjia,  vol.  XXVIII,  série  II,  1.^  août  1881,  l'ar- 
ticle de  M.  Isidoro  del  Lungo  intitulé  :  L'Orfeo  del  Poliziaiio  alla  coite  di  Maii- 
tova,  p.  554. 

(4)  Voyez  la  description  du  séjour  d'Eléonore  à  Rome  dans  Giikgouovu's,  Ge- 
schichte  der  Stadt  Rom  im  Mittelalter,  t.  VII,  p.  235-238 


74  L'AllT    FERRATIAIS. 

cents  personnes  quand  elle  partit  de  Rome.  En  se  dirigeant 
vers  Ferrare,  elle  s'arrêta  trois  jours  à  Sienne,  où  elle  fut 
hébergée  aux  frais  de  la  République,  et,  à  la  frontière  des 
États  ferrarais,  elle  trouva  le  duc  venu  à  sa  rencontre  en  com- 
pagnie de  nombreux  gentilshommes  et  l'attendant  avec  un 
navire  qui  la  déposa  près  de  l'église  suburbaine  de  Saint- 
Georp^es.  Vêtue  de  drap  d'or,  couverte  de  pierreries,  les  che- 
veux dénoués,  la  tête  ceinte  d'une  couronne  d'or,  elle  fit  son 
entrée  à  cheval,  sous  un  baldaquin,  selon  la  coutume.  Les  rues 
étaient  jonchées  de  feuillages,  et  des  draps  suspendus  d'une 
maison  à  l'autre  formaient  comme  un  dais  continu.  Sur  le 
passage  de  la  princesse  on  avait  disposé  des  trophées,  des  arcs 
de  triomphe,  des  orchestres,  des  estrades  garnies  de  dan- 
seurs (1).  Le  lendemain,  dans  la  cathédrale,  l'évêque  de 
Ferrare,  Lorenzo  Roverella,  célébra  la  messe,  et  le  cardinal 
Bartolommeo  Roverella,  frère  de  Lorenzo,  bénit  les  nouveaux 
époux,  que  Giovanni  Castelli  harangua.  Des  fêtes  publi([ues 
eurent  lieu  pendant  huit  jours .  Les  diverses  corporations 
offrirent  à  Éléonore  des  cadeaux  dont  l'ensemble  fut  évalué 
à  deux  mille  huit  cent  quarante-quatre  lire  rnarchesane.  Conti- 
nuant les  traditions  inaugurées  par  Borso,  Hercule  entretint  à 
ses  frais  non  seulement  les  ambassadeurs  des  princes  de 
l'Italie,  qui  étaient  arrivés  avec  huit  cents  chevaux  environ, 
mais  les  Napolitains  et  les  Romains  qui  avaient  suivi  à  Ferrare 
la  fdle  de  Ferdinand. 

Éléonore  d'Aragon  était  une  femme  d'un  réel  mérite  et 
dune  rare  énergie.  En  l'absence  de  son  mari  et  pendant  une 
grave  maladie  de  celui-ci,  elle  exerça  le  pouvoir  avec  autant  de 
sagesse  que  de  fermeté,  dans  des  circonstances  fort  difficiles. 

(1)  Antonio  Pochettino  da  Venezia  reçut  cinq  lire  et  douze  soldi  «  per  havere 
depintonellenozeetfestefacteperla  lllma  nofUra  Madona»  .  (L.-JN.  Cittadella, 
Notizie  relative  a  Ferrara,  t.  I,  p.  215.)  A  l'occasion  des  mêmes  noces,  Fran- 
cesco  da  Veiona  restaura  et  peignit  deux  statues  de  géants  pour  une  crédence. 
Guglielmo  da  Pavia  (qui  mourut  en  1476)  alla  ;i  Venise  afin  d'y  acheter  des 
assiettes  d'étain  et  divers  autres  objets.  Bartolomeo  di  Benedetto  de  Trévise, 
Geminiano  di  Boiigiovanni,  Agnolo  Imola,  Xiccolô,  Ludovico  Bonacossi ,  Gio- 
vanni Battista  et  Gherardo  Cossa  travaillèrent  comme  peintres  aux  préparatifs 
des  fêtes  et  aux  arcs  de  triomphe. 


LIVRE    PREMIER.  75 

Elle  encouragea  les  lettrés,  entre  autres  Pandolfo  Collenuc- 
cio  (1).  Par  la  solide  et  brillante  éducation  qu'elle  fit  donner  à 
ses  filles  Isabelle  et  Béatrix,  on  peut  juger  de  l'importance 
qu'elle  attachait  à  la  culture  de  l'esprit.  Elle  aimait  beaucoup 
aussi  la  musique  et  jouait  même  de  la  harpe.  Parmi  les  œuvres 
d'art  qu'elle  rassembla,  il  y  en  avait  qui  étaient  dues  à  Man- 
tegna  et  à  Giovanni  Bellini.  Elle  ne  dédaignait  pas  non  plus 
celles  des  maîtres  flamands  et  allemands  (2),  Dans  l'inven- 
taire de  ses  livres  dressé  après  sa  mort,  on  trouve  surtout 
des  livres  de  piété,  des  bréviaires,  des  offices,  des  missels,. 
des  légendes  de  saints,  des  laudi,  des  sermons,  les  Fioretti. 
Au  nombre  des  livres  profanes  figurent  un  Pline  traduit  en 
italien,  un  éloge  du  roi  Ferrand,  l'ouvrage  de  Fazio  degli 
Uberti,  les  Coirunentaires  de  César,  le  De  laudihns  mulierum, 
par  Bartolommeo  Gogio,  le  De  consolatione,  de  Boëce  (3).  G-'est 
le  11  octobre  1403  qu'elle  mourut.  Son  oraison  funèbre  fut 
prononcée  par  l'historien  Benvenuto  da  San  Giorgio.  Battista 
Guarino  en  composa  une  aussi  (4),  et,  par  ordre  d'Isabelle 
d  Este,  le  Carme  Giambattista  Mantovano  en  écrivit  une  troi- 
sième en  langue  latine.  L'Arioste,  qui  n'avait  alors  que  dix- 
neuf  ans,  fit  de  son  côté  une  élégie  sur  la  mort  de  la  du- 
chesse (5).  Fra  Filippo  Foresti,  de  Bergame,  a  mis  Éléonore 

(1)  Fixé  à  Ferrare  depuis  1486,  Collenuccio  fut  envoyé  avec  Francesco  Ariosto 
par  Hercule  I*-'""  vers  l'empereur  Maxitnilien,  alin  de  le  féliciter  de  son  niariageavec 
Blanche  Sforza,  nièce  de  Ludovic  le  More,  et  il  obtint  alors  pour  son  maître  (1494} 
le  renouvellement  de  l'investiture  que  Frédéric  III  avait  accordée  à  Borso.  Le 
1"  mai  1500,  il  fut  nommé  capitaine  de  justice.  Après  la  mort  d'Alexandre  VI, 
Hercule  I^'',  qui  aimait  mieux  voir  la  Bomagne  occupée  par  César  Bor<;ia  cjue 
soumise  à  l'influence  des  Vénitiens,  chargea  Collenuccio  d'engager  les  populations 
à  demeurer  fidèles  à  leur  duc;  mais  Jean  Sforza,  le  protégé  des  Vénitiens,  parvint 
à  s'emparer  de  Pesaro,  y  attira  Collenuccio  par  des  promesses  fallacieuses,  le  fit 
jeter  en  prison  et  décapiter  (11  juillet  1504). 

(2j  G.  Campori,  Jiaccolta  di  cataloçjhi  ed  inveutaiii  iiiedlti  di  (juadri,  disegni, 
broiizi,  doreriœ,  smalti,  medarjlie,  avori,  etc.,  dal  secolo  XV,  vol.  XIX.  Modena, 
1870.  (Inventaire  de  1493.)  —  G.  CAMPOni ,  Tiziano  e  r/li  Estensi ,  p.  2.  — 
M.  Venturi  a  publié  un  supplément  d'inventaire  dans  son  Arle  feiraiese  iiel 
periodo  d'Ercole  I  d'Esté,  p.  32,  note  4. 

(3)  Ad.  Vëxtcri,  Larte  fennrese  ncl  periodo  d'Ercolc  I  d'Esté,  ii.  99. 

(4)  C'est  probablement  Andréa  Gallo  qui  a  imprimé  ce  discours. 

(5)  Opère  miiwri,  éd.  Le  Monnicr,  t.  I,  p.  425,  élégie  17.  —  BrHCKiiARDT, 
Die  Ciiltur  der  Renaissance,    p.  41. 


76  L'ART    FERRARAIS. 

d'Aragon  nu  nombre  des  femmes  illustres  dont  il  a  écrit  l'his- 
toire (1). 

La  bravoure  et  l'habileté  militaire  qu'Hercule  avait  mon- 
trées dans  sa  jeunesse  ne  furent  pas  oubliées  en  Italie  quand 
il  fut  devenu  duc  de  Ferrare,  et,  de  divers  côtés,  on  rechercha 
son  appui.  Après  la  conjuration  des  Pazzi  (1478),  les  Floren- 
tins, avec  les  Vénitiens,  les  Milanais  et  leurs  autres  alliés,  le 
nommèrent  capitaine  général  de  l'armée  qui  avait  à  combattre 
les  troupes  de  Sixte  IV,  du  roi  de  Naples,  du  duc  d'Urbin  et 
des  Siennois,  et  lui  promirent  une  solde  de  soixante  mille  écus 
par  an.  C'est  dans  le  palais  qui  avait  appartenu  à  Renato 
de'  Pazzi  qu'Hercule  logea  à  Florence,  ce  palais  lui  ayant 
été  donné  par  la  République.  Deux  ans  plus  tard,  Laurent 
le  Magnifique  et  Ferdinand ,  réconciliés ,  le  prirent  comme 
général. 

Pendant  les  dix  premières  années  du  règne  d'Hercule, 
Ferrare  continua  de  goûter  les  bienfaits  de  la  paix.  Mais  vers 
la  fin  de  1481,  des  nuages  menaçants  s'amoncelèrent  à  l'hori- 
zon politique.  Les  Vénitiens  ne  pardonnaient  pas  h  Hercule 
d'avoir  épousé  la  fille  du  roi  de  Naples,  leur  ennemi,  et  le  désir 
d'accroître  leurs  possessions  aux  dépens  du  duc  grandissait  en 
eux  de  jour  en  jour.  Pour  en  venir  à  une  agression,  les  griefs 
ou  tout  au  moins  les  prétextes  ne  manquèrent  pas.  La  présence 
à  Ferrare  d'un  tribunal  vénitien,  qui  avait  le  droit  exclusif  de 
juger  les  sujets  de  la  République  résidant  dans  les  États  de  la 
maison  d'Esté,  amenait  sans  cesse  des  conflits  de  juridiction 
que  le  visdonnno,  président  de  ce  tribunal,  pouvait  facilement 
aggraver  par  des  abus  de  pouvoir.  La  délimitation  encore 
incertaine  des  frontières  était  aussi  une  cause  de  démêlés 
incessants.  Venise,  enfin,  se  plaignait  d'infractions  aux  traités 
qui  lui  assuraient  le  monopole  du  sel  à  Ferrare  et  qui  inter- 
disaient aux  Ferrarais  d'exploiter  leurs  marais  salants.  Une 
série  de  mesures  vexatoires  et  quelques  actes  belliqueux  de  la 
part  des  Vénitiens  prouvèrent  h  Hercule  que  ses  intentions 

(1)  Voyez  plus  loin  (liv.  V,  ch.  iv)  Les  livres  publiés  à  Ferrare  avec  des  (jra- 
vures  sur  bois. 


LIVRE   PREMIER.  77 

conciliantes  n'arrêteraient  pas  la  guerre  méditée  contre  lui  (1). 
Elle  lui  fut,  en  effet,  officiellement  déclarée  le  2  mai  1482,  et 
il  constata  bientôt  que  la  République  de  Venise  avait  pour 
allié  Sixte  IV,  qui  ne  songeait  qu'à  satisfaire  l'insatiable  am- 
bition de  son  neveu  Girolamo  Riario  (2).  Le  roi  Ferdinand,  le 
duc  de  Milan,  les  Florentins,  Frédéric,  marquis  de  Mantoue,  et 
Giovanni  Bentivoglio,  seigneur  de  Bologne,  se  déclarèrent  en 
faveur  du  souverain  de  Ferrare  et  formèrent  une  ligue,  dont 
les  troupes  furent  mises  sous  les  ordres  de  Frédéric  d'Urbin, 
alors  âgé  de  soixante-dix  ans,  privé  de  l'œil  droit  et  estropié 
de  la  jambe  gauche  (3).  Malheureusement,  les  renforts  envoyés 
par  Ferdinand  furent  interceptés,  et  les  soldats  dont  pouvaient 
disposer  le  duc  de  Milan  et  les  Florentins  n'étaient  pas  très 
nombreux.  Les  forces  vénitiennes  et  pontificales  étaient  d'ail- 
leurs   sous    le    commandement    d  un    capitaine    aussi   habile 

(1)  Afin  d'auguienter  le  nombre  de  ses  canons,  il  fit  fondre  une  partie  des  clo- 
ches,  n'en  laissant  qu'une  à  chaque  éfjlise.  La  plomberie  des  boutiques  adossées  à 
la  cathédrale  eut  le  même  sort. 

(2)  Jusqu'alors  Sixte  IV  n'avait  témoigné  à  Hercule  que  de  la  bienveillance.  Il 
lui  avait  confirmé  le  titre  de  duc  de  Ferrare,  titre  transmissible  à  sa  postérité;  il 
lui  avait  même  accordé  le  droit  d'ajouter  à  ses  armes  les  clefs  pontificales,  et,  en 
1475,  il  lui  avait  fait  don  d'une  précieuse  épée  et  d'un  chapeau  de  soie  orné  de 
perles. 

(3)  Parmi  les  ingénieurs  militaires  employés  dans  cette  guerre,  il  faut  citer 
Benvenitti,  Rossetti,  Giovanni  dalla  Massa  Fiscaglia,  maître  Domenico,  bombar- 
dier, et  Santé  Novellino.  Ces  ingénieurs  étaient  Ferrarais.  Plusieurs  ingénieurs 
étrangers  au  service  des  alliés  du  duc  concoururent  aussi  à  la  défense  du  pays. 
Tel  fut  Patrizio  ou  Pedrizia,  ingénieur  du  roi  de  ÏSaples,  qui  gagna  non  seule- 
ment l'estime,  mais  l'affection  d'Hercule  par  sa  promptitude  d'esprit  et  son  expé- 
rience. Il  fortifia  et  défendit,  notamment,  Bondeno  et  Lugo.  Etant  tombé  malade, 
il  s'adressa  à  la  duchesse  Eléonore  pour  obtenir  un  secours,  que  Paolo  Antonio 
Trotti,  trésorier  ducal,  fut  chargé  de  lui  remettre.  «  Tu  verras,  écrivait  Eléonore 
à  Trotti,  quels  sont  les  besoins  de  ce  pauvre  homme.  Tu  sais  avec  quel  dévoue- 
ment il  nous  a  servis,  et  tu  n'ignores  pas  qui  nous  l'a  envoyé,  circonstance  digne 
d'être  prise  en  considération.  Ce  serait  mal  de  nous  comporter  de  telle  sorte  avec 
lui,  quand  il  est  malade,  qu'il  pût  se  plaindre  de  nous.  Tu  dois  savoir  quels  sont  ses 
appointements.  Avise  donc  à  ce  que  l'on  peut  faire  et  aux  moyens  de  le  secou- 
rir. »  A  côté  de  Pedrizia,  on  peut  nommer  Giovanni  du  Capua  et  Cristoforo  da 
Montecchio.  Les  livres  de  dépenses  nous  apprennent  que  le  duc  donna  à  ce  der- 
nier le  velours  et  le  satin  nécessaires  à  la  confection  d'un  pourpoingt  et  d'un 
manteau  [qiuppone  e  giornea).  Cristoforo  da  Montecchio,  célèbre  pour  sa  bra- 
voure non  moins  que  pour  ses  connaissances  techniques,  tomba  au  pouvoir  de 
l'ennemi  en  1483,  fut  conduit  à  Venise  et  mis  à  mort.  (G.  Campouc,  Gli  archi- 
tetti  e  (jV  ingegneii  civili  e  militari  degli  Estensi^  p.  38-42.) 


78  L'ART    FERllARAIS. 

qu'énergique,  de  Roberto  Sanseveiino,  qui  justifia  sa  répu- 
tation par  ses  succès.  Adria  et  Comacchio  ne  tardèrent  pas  à 
tomber  au  pouvoir  des  Vénitiens.  Après  quarante  jours  d'un 
siège  où,  de  part  et  d'autre,  on  fit  des  prodiges  d'audace  et  de 
bravoure,  Roberto  Sanseverino  s'empara  de  Ficarolo,  ville 
regardée  comme  la  clef  de  Ferrare.  Hercule  perdit  ensuite 
toute  la  Polésine  de  Rovigo  (1),  pendant  que  les  inondations 
et  la  peste  sévissaient  à  Ferrare,  et  il  eut  la  douleur  de  voir 
mourir  dans  sa  capitale,  à  la  suite  d'une  courte  maladie,  Fré- 
déric d'Urbin.  Tant  de  désastres  finirent  par  ébranler  la  santé 
du  duc  :  il  tomba  gravement  malade  et  dut  abandonner  le 
gouvernement  à  sa  femme.  Presque  en  même  temps,  Sanse- 
verino parvint  à  passer  le  Pô,  à  Francolino,  et  pénétra  jusque 
dans  le  parc  du  palais  de  Belfiore  (2).  Ne  perdant  ni  le  cou- 
rage ni  le  sang-froid,  la  duchesse  mit  ses  enfants  en  sûreté  à 
JModène,  ranima  la  confiance  et  la  fidélité  du  peuple  en  lui 
adressant  d'héroïques  exhortations  et  en  l'admettant  auprès  du 
duc.  Par  surcroît  de  prudence,  elle  fit  transporter  le  malade  du 
Castello  ou  Castel  Vecchio  dans  le  Castel  Nuovo,  afin  de  lui 
assurer  un  moyen  de  s'échapper  si  la  ville  venait  à  être  prise, 
car  la  fuite  n'était  pas  possible  ailleurs.  Dans  ces  conjonctures, 
les  alliés  d  Hercule  firent  comprendre  au  Pape  que  la  ruine  de 
Ferrare  profiterait  seulement  aux  Vénitiens,  et  que  les  droits 
de  suzeraineté  du  Saint-Siège  sur  cette  province  allaient  être  à 
jamais  perdus.  Le  23  décembre  1482,  un  vice-légat  aposto- 
lique annonça  que  le  Souverain  Pontife,  prenant  en  pitié  la 
situation  des  Ferrarais,  se  rangeait  de  leur  côté,  et  qu'ordre 
serait  donné  aux  Vénitiens  de  cesser  les  hostilités.  De  Ferrare, 
le  vice-légat  se  rendit  à  Venise  et  enjoignit  à  la  République  de 
déposer  les  armes  et  de  restituer  ses  conquêtes.  Les  Vénitiens 
refusèrent  d  obéir  à  cette  injonction  :  ils  s'étaient  imposé  trop 

(1)  Les  îles  formées  par  l'Adige  et  le  Pô  sont  appelées  des  Polésines. 

(2)  Les  soldats  emportèrent  une  licorne  en  bronze,  emblème  de  Borso,  qui 
ornait  une  citerne  dans  la  Chartreuse.  Ils  enlevèrent  aussi  une  statue  en  stuc  du 
marquis  Nicolas  III,  qui  se  trouvait  à  l'intérieur  de  Sainte-Marie  des  Anges  au- 
dessus  de  la  porte,  laissant  le  cheval,  également  en  stuc,  sur  lequel  était  placée 
cette  statue. 


I.IVr.E    PREMIER.  79 

de  sacrifices  pour  s'arrêter  quand  ils  touchaient  au  but.  Mais  les 
Ferrarais  reçurent  du  Pape,  des  Florentins  et  du  roi  de  Naples 
des  secours  qui  leur  permirent  de  prolonger  la  lutte.  Une  ten- 
tative de  l'ennemi  contre  la  ville,  admirablement  fortifiée  et 
pourvue  de  vivres,  fut  repoussée.  Peu  après.  Hercule,  revenu  à 
la  santé,  parvint  à  reprendre  la  forteresse  de  Stellata,  non  sans 
avoir  déployé  une  audace  et  une  intrépidité  extraordinaires, 
qu'imita  Antonio  Costabili,  personnage  dont  nous  aurons  l'oc- 
casion de  parler  à  propos  du  palais  Galcagnini-Beltrame  (1). 
Sixte  IV  excommunia  tous  les  chefs  de  la  République  et  frappa 
d'interdit  le  territoire  vénitien,  tandis  que  le  marquis  de  Man- 
toue  et  le  duc  de  Milan  déclaraient  la  guerre  à  Venise  pour 
leur  propre  compte  et  opéraient  d'utiles  diversions.  Les  craintes 
diminuèrent  donc  à  Ferrare,  mais  les  souffrances  de  la  popula- 
tion devinrent  plus  poignantes  que  jamais,  la  peste  et  la  disette 
ayant  de  nouveau  fait  irruption  avec  une  effroyable  intensité. 
Louis  XI  essaya  une  médiation  que  sa  mort  fit  avorter.  Venise, 
cependant,  commençait  à  se  lasser  d'une  guerre  qui  lui  avait 
déjà  coûté  tant  d'argent  et  tant  d'hommes.  N'était-il  pas  dans 
son  intérêt  de  mettre  des  bornes  h  son  ambition?  Ce  qui  l'in- 
clinait aussi  vers  les  idées  pacifiques,  c'était  l'humanité  avec 
laquelle  Hercule  avait  traité  certains  prisonniers  de  distinction, 
leur  épargnant  l'horreur  des  prisons,  leur  faisant  donner  la 
nourriture  que  l'on  servait  à  sa  propre  table,  et  leur  laissant 
la  faculté  de  recevoir  des  visites.  Gagnés  par  les  intrigues  et 
les  promesses  de  la  République,  Ludovic  le  More  et  le  roi 
Ferdinand  amenèrent  le  duc  de  Ferrare  à  accepter  la  paix  de 
Bagnolo  (7  août  1484),  en  lui  laissant  entrevoir  qu  ils  cesse- 
raient de  le  soutenir  s'il  la  repoussait.  Cette  paix,  qui  avait  été 
conclue  à  l'insu  de  Sixte  IV  avec  une  puissance  excommuniée, 
et  qui  ne  procurait  aucun  avantage  à  Girolamo  Riario,  causa 
au  Pontife  une  telle  surprise,  une  telle  indignation,  qu'il  en 
mourut.  Elle  autorisait  les  Vénitiens  à  garder  la  Polésine  de 
Rovigo.  On  l'annonça  aux  Ferrarais  le  8  septembre,  en  Tab- 

(1)  Liv.  II,  ch.  m. 


80  L'AKT    FERRARAIS. 

sence  du  duc,  qui  ne  voulut  pas  être  témoin  de  Thumiliation 
imposée  à  son  peuple  (1). 

Si  l'on  fait  abstraction  de  la  triste  période  pendant  laquelle 
eut  lieu  la  guerre  avec  Venise,  le  règne  d'Hercule  I"  ne  fut  pas 
moinsbrillant  que  ceux  de  Lionel  et  de  Borso(2).  Que  de  fêtes, 
que  de  spectacles,  quel  déploiement  de  luxe,  quelle  pompe 
dans  les  cérémonies  et  les  réceptions  (3)  !  En  1472,  le  duc 
célébra  le  premier  anniversaire  de  son  avènement  par  une 
messe  solennelle  et  par  une  procession  aussi  imposante  que 
celle  du  Corpus  Domini  :  toutes  les  boutiques  étaient  fermées 
sur  le  passage  de  cette  procession,  au  centre  de  laquelle  mar- 
chaient les  membres  de  la  famille  ducale,  en  riches  habits 
brodés  d'or.  —  Un  des  divertissements  favoris  d'Hercule  fut 
inauguré  l'année  suivante.  Accompagné  d'un  grand  nombre 
de  jeunes  seigneurs  et  de  citoyens  notables  à  pied  et  à  cheval, 
le  duc,  la  veille  et  le  lendemain  de  l'Epiphanie,  parcourait  de 
nuit  la  ville  à  la  lueur  des  torches  et  au  son  des  instruments  ;  le 
cortège  s'arrêtait  devant  les  maisons  des  personnes  bien  dis- 
posées qui  offraient  des  poulets,  des  faisans,  des  perdrix,  des 
cailles,  des  fromages,  des  confitures,  des  tourtes,  des  jambons, 
des  fruits,  du  vin,  et  jusqu'à  des  veaux  et  des  bœufs  vivants  (4). 
Ces  vivres  étaient  chargés  sur  des  mulets  et  des  charrettes  ;  une 
partie  était  consommée  en  festins  par  les  compagnons  du 
prince,  une  autre  partie  était  distribuée  à  leurs  amis,  et  les  pau- 
vres recevaient  le  reste.  —  Les  tournois,  les  joutes,  les  courses 
de  chevaux,  d'ànes,  de  bœufs,  de  femmes  et  d'enfants  ani- 

(1)  Fnizzi,  Mem.  per  la  storia  di  Ferrara,  t.  IV,  p.  115-152.  —  Sismoxdi, 
Histoire  des  re'public/ues  italiennes  du  moyen  âge.  Paris,  1840,  t.  VII,  ch.  vu. 

(2)  De  toutes  parts,  Hercule  reçut  des  témoigna{jes  de  haute  estime.  Le  roi  de 
Naples  Ferdinand  lui  conféra  l'ordre  d'Arminio  récemment  institué.  Edouard  IV, 
roi  d'Angleterre,  lui  envoya  l'ordre  de  la  Jarretière. 

(3)  Les  princes  italiens,  en  se  conviant  à  la  cour  les  uns  des  autres,  n'avaient 
pas  seulement  en   vue  d'agréables  passe-temps.    Ils  profitaient  de   ces   réunions 

«  pour  se  connaître,  s'épier,  concerter  leurs  ambitions,  se  tendre  des  pièges, 
projeter  des  mariages,  préparer  des  ligues,  conclure  des  enrôlements,  demander 
et  offrir  des  services,  stipuler  des  avantages  et  prendre  des  mesures  de  préserva- 
tion » .  (Isidore  DEL  Luxco,  L'Orfeo  del  Poliziano  alla  coj-le  di  Mantora,  dans  la 
J!fuova  Antolofjia,  vol.  XXVIII,  série  II,  15  août  1881,  p.  545.) 

(4)  On  appelait  cela  :    «  andare  alla  ventinâ  »  . 


LIVRE    PREMIER.  81 

mèrent  aussi  fort  souvent  soit  les  rues  de  la  capitale  des  Este, 
soit  le  parc  de  Belfiore  (1).  A  ces  délassements  s'ajoutait  celui 
de  la  chasse.  Le  duc  possédait  une  meute  très  considérable. 
En  1476,  il  chassale  sanglier  à  Raccano.  Au  printemps  de  1  485, 
en  revenant  des  bains  de  Montferrat,  il  amena  le  marquis  de 
Mantoue  à  Ferrare  et  multiplia  pendant  un  mois  les  chasses 
et  les  tournois  en  l'honneur  de  son  hôte.  —  Quand  Béatrice, 
sœur  de  la  duchesse  Éléonore,  se  rendit  en  Hongrie  pour 
épouser  Mathias  Corvin,  elle  arriva  à  Ferrare  (10  octobre  1476) 
avec  un  nombreux  cortège  de  Napolitains  et  de  Hongrois,  et 
ce  fut  au  son  des  fifres  et  des  trompettes  qu'elle  fit  son  entrée. 
Aux  festins  furent  entremêlées  des  danses  hongroises  qui  ob- 
tinrent le  plus  grand  succès  à  la  cour.  Béatrice  repassa  en  1501 
h  Ferrare,  mais  il  n'était  plus  question  de  réjouissances  :  elle 
avait  perdu  son  mari  et  elle  regagnait  Naples,  où  elle  voulait 
finir  ses  jours.  —  Hercule  accueillit  également  de  son  mieux, 
en  1493,  Ludovic  le  More  (2)  et  sa  femme,  bientôt  suivis  du 
marquis  et  de  la  marquise  de  Mantoue,  et  il  leur  prodigua  les 
divertissements  alors  en  usage,  tels  quejoutes,  danses,  banquets 
et  spectacles. 

Comme  ses  prédécesseurs.  Hercule  I"  tint  aussi  à  honneur 
d'offrir  aux  victimes  des  révolutions  accomplies  dans  les  pays 
voisins  un  asile  sûr  auprès  de  lui,  C'est  ce  que  constatèrent  à 
leur  profit  Carlo  Manfredi  de  Faënza,  détrôné  en  147  7  par  son 
fz^ère  Galeotto,  qu'avaient  soutenu  Venise  et  Florence,  et 
Ercole  Varano  de  Camerino.  Ce  dernier,  dont  la  famille  fut  en 
partie  décimée  par  César  Borgia  et  qui  parvint,  en  fuyant,  à 
sauver  sa  vie,  se  fixa  à  Ferrare  en  1502.  Fils  de  Ridolfo  da 
Camerino  et  de  Camilla,  une  des  filles  de  Nicolas  III,  Ercole 
Varano  était  le  neveu  d'Hercule  I",  duc  de  Ferrare. 

Tout  en  s'occupant  de  ses  plaisirs  et  en  se  donnant  un  renom 
de  magnificence  auprès  des  princes  étrangers,  Hercule  I"  ne 

(1)  Des  jeux  de  cette  sorte  tarent  organisés  en  1498,  pendant  qu'à  Florence 
Savonarole,  un  des  plus  nobles  enfants  de  Ferrare,  expirait  en  martyr. 

(2)  Ludovic  le  More,  qui  allait  bientôt  appeler  (Charles  VIII  en  Italie  et  qui 
venait  de  conclure  une  ligue  avec  Venise  et  Alexandre  VI,  voulait  faire  entrer 
liercjle  dans  cette  ligue.  Voilà  pourquoi  il  avait  entrepris  un  voyage  à  Ferrare. 

I-  6 


82  L'ART    FERRARAIS. 

négligea  pas  les  travaux  utiles  à  son  peuple.  Le  dessèchement 
des  marais,  notamment  dans  la  Polésine  de  Ferrare  ou  de 
Saint-Jean-Baptiste,  fut  poursuivi  avec  persévérance,  au  grand 
avantage  de  l'agriculture  et  de  la  salubrité,  et  une  liberté  plus 
étendue  fut  laissée  au  commerce,  ce  qui  contribua  à  l'accrois 
sèment  du  bien-être  général  et  de  la  richesse  publique.  Un 
autre  bienfait  fut  la  construction  d  une  prison  pour  dettes  : 
les  débiteurs  cessèrent  dès  lors  d'être  confondus  avec  les  cri- 
minels. 

Par  le  mariage  de  ses  enfants,  Hercule  s'efforça  de  se  con- 
cilier des  voisins  qui  auraient  pu  être  menaçants  et  de  s'at- 
tacher les  cours  de  Bologne,  de  Mantoue  et  de  Milan. 

Il  accorda  Lucrezia,  sa  fdle  naturelle,  qu'il  avait  eue  de 
Lodovica  Condolmieri,  à  Annibale,  fds  de  Giovanni  Benti- 
vogiio,  et  lui  assura  une  dot  de  dix  mille  ducats.  Décidée 
le  29  mars  1478,  cette  union  ne  fut  réalisée  que  le  25  jan- 
vier 1487  (1)  ;  ce  fut  Francesco  Fiancia  qui  fit  la  vaisselle  d'ar- 
gent dont  on  se  servit  le  jour  des  noces  (2).  Il  livra  aussi  en 
cette  occasion  des  tasses  enrichies  de  pierres  précieuses  et  des 
lampadaires  d'argent  sur  lesquels  on  voyait  des  feuillages  et 
des  fleurs.  Afin  de  rehausser  l'éclat  d'un  tournoi,  il  peignit 
sur  des  targes  des  emblèmes  et  des  figures  (3). 

Isabelle  d'Esté,  fille  légitime  d'Hercule  I"  et  d'Éléonore 
d'Aragon,  était  née  le  18  mai  1474.  Elle  fut  promise  le 
28  mai  1480  à  Jean-François  II,  fils  de  Frédéric  I"  de  Gon- 
zague,  marquis  de  Mantoue.  François,  né  en  14G6,  avait 
succédé  à  son  père  depuis  six  ans,  quand  elle  l'épousa  (fé- 
vrier 1490).  Elle  lui  apporta  une  dot  de  quinze  mille  ducats 
en  argent  et  de  trois  mille  ducats  en  objets  précieux.  A  Toc- 
casion  de  ce  mariage,  des  fêtes  brillantes  eurent  lieu  à  Ferrare, 
et  une  comédie  fut  représentée.   En  outre,   un  repas  somp- 

(1)  Lucrezia  mourut  à  Ferrare,  en  1516  selon  les  uns,  en  1518  selon  les 
autres. 

(2)  Salimbeni,  Epitulaniio  nulle  pompe  nuùali  di  Annibulc  Bentivo(jlw. 
Bologna,  1487. 

1^3)  Ad.  Vexturi,  Lu  pittiira  bolot/iiese  nel  secolo  A'F,  clans  VAichivw  stoiico 
cleir  arte,  juillet-aoïit  1890,  p.  294. 


LIVRE    PREMIER.  83 

tueux  rassembla  les  illustres  convives  autour  d'une  table  sur 
laquelle  le  service  était  entremêlé  de  deux  cent  cinquante 
banderoles  peintes  par  Giovanni  Bianchini,  surnommé  Trullo, 
qui  reçut  soixante-cinq  lire  pour  ce  travail.  Hercule  donna  à 
sa  fille  un  carrosse  doré,  tendu  de  drap  d'or,  et  quatre  che- 
vaux. Un  bucentaure  doré  et  magnifiquement  aménagé,  qu'ac- 
compagnèrent quatre  autres  bucentaures  et  cinquante  et  un 
navires,  la  conduisit  dans  sa  capitale,  où  l'attendaient  de  nou- 
velles fêtes  (1).  Parmi  les  objets  qu'elle  emportait  se  trou- 
vaient un  coffre  de  mariage  qu'avait  peint  Giovanni  Arelusi, 
dit  Munari,  artiste  de  Modène,  un  petit  office  que  Galeazzo 
Trotti  avait  fait  couvrir  d'ornements  en  argent  par  maître 
Lachi,  orfèvre  milanais,  et  un  petit  tableau  en  argent,  œuvre 
dont  Fra  Rocco  de  Milan  était  l'auteur  et  qui  avait  coûté  six 
cents  ducats.  Isabelle  d'Esté  avait  eu  pour  précepteur  Maria 
Equicola  d'Alveto,  qui  écrivit  une  Histoire  de  Mantoiie  publiée 
à  Ferrare  en  1521  et  un  traité  Délia  natura  cCamore  (1525). 
Très  distinguée  d'esprit,  elle  s'entoura  de  lettrés  et  manifesta 
un  goût  délicat  pour  les  arts.  Les  artistes  ferrarais  eurent  en 
elle  une  dévouée  protectrice  (2). 

Deux  autres  mariages,  l'année  suivante,  établirent  des  rap- 
ports intimes  entre  les  cours  de  Ferrare  et  de  Milan  (3),  celui 


(1)  Voyez,  dans  la  Gazette  des  Beaux-Atls  (janvier,  mars,  mai  et  août  1895, 
mars  et  avril  1896),  les  articles  de  M.  Charles  Yriarte  sur  Isabelle  d'Esté  et  les 
artistes  de  son  temps. 

(2)  Nous  parlerons  spécialement  d'elle  à  propos  de  Lorenzo  Costa  (liv.  IV, 
eh.  i). 

(3)  Les  bonnes  relations,  avec  des  intermittences,  avaient  été  inaujjurces  depuis 
lonfjtemps.  On  se  rappelle  que  Philippe-Marie  Visconti  contia  le  youvernenient 
de  ses  Etats  au  marquis  d'Esté  Nicolas  III,  l'année  même  où  mourut  ce  prince. 
Béatrice,  fille  naturelle  de  Nicolas  III,  veuve  de  Niccolô  di  Gherardi  da  Cor- 
re{;^;io  et  mère  d'un  autre  Niccolô  da  Corrcjjgio  dont  Pastorino  a  fait  la  médaille, 
épousa  Tristano  Sforza  en  1454.  Quant  à  Hercule  V",  il  aida  Bone  de  Savoie, 
mère  et  tutrice  de  Jean  Galéas,  à  recouvrer  Gènes  qui  s'était  révoltée  (1477),  ce 
qui  ne  l'empêcha  pas  d  héberjjer  la  même  année  dans  le  palais  de  Schifanoia  les 
trois  oncles  de  Jean  Galéas  que  Bone  avait  exilés  pour  avoir  fonienté  des  troubles. 
Bone,  de  son  côté,  s'efforça   de  se  concilier  Hercule  en  lui  donnant  à  Milan  le 

I  palais  de  Sanseverino  (1478).  Plusieurs  échanges  de  portraits  cimentèrent  les  i 
rapports  entre  les  deux  cours,  comme  on  le  verra  notamment  quand  il  sera 
question  de  Niccolô  Teutonicus,  de  Cosimo  Tura  et  de  Baldassare  d'Esté. 


SV  L'AllT    FERRARAIS. 

de  Beatrix  d'Esté  avec  Ludovic  le  More,  alors  duc  de  Bari,  et 
celui  d'Alphonse  avec  Anna  Sforza,  sœur  du  duc  de  Milan 
Jean  Galéas  (1). 

Beairix,  fille  d'Hercule  I"  et  d'Éléonore  d'Aragon,  naquit  à 
Naples  le  29  juin  1475  et  y  resta  jusqu'à  l'âge  de  cinq  ans. 
C'est  à  Naples,  par  l'intervention  du  Roi  dont  Ludovic  le  More, 
alors  duc  de  Bari,  avait  sollicite  les  bons  offices,  que  fut  conclu 
le  projet  d'union  entre  Beatrix  et  le  futur  duc  de  Milan.  En 
1489  on  jugea  que  le  moment  propice  pour  le  réaliser  appro- 
chait, et  le  10  mai  Giacomo  Trotti  signa  au  nom  d'Hercule  l" 
les  conventions  matrimoniales.  Le  mariage  devait  être  con- 
sommé à  Pavie  en  1491.  Ludovic  le  More,  le  12  avril  1490, 
donna  ses  instructions  à  Francesco  Casati,  chargé  de  conduire 
Beatrix  à  Milan.  Casati  devait  se  concerter  avec  le  duc  de  Fer- 
rare  sur  le  moment  du  départ,  exprimer  à  Hercule  et  à  Éléo- 
nore  d'Aragon  les  sentiments  de  respect  et  d'affection  de  son 
maître  envers  eux,  assurer  à  la  jeune  princesse  combien  le  duc 
de  Bari  l'aimait  et  désirait  d'être  uni  à  elle.  Il  avait  aussi  pour 
mission  de  régler  la  question  de  la  dot,  de  spécifier  l'entourage 
de  Beatrix,  de  s'entendre  sur  les  vêtements  et  les  joyaux 
qu'elle  emporterait  (2).  Dès  que  l'époque  du  voyage  fut 
arrêtée,  on  prit  des  mesures  pour  que  la  duchesse  et  sa  fille, 
avec  leur  suite,  trouvassent  sur  leur  passage,  entre  Ferrare  et 
Milan,  des  vivres  de  toute  sorte  et  des  logements  dignes 
d'elles.  Les  illustres  voyageuses,  qu'accompagnaient  Isabelle, 
marquise  de  Mantoue,  Alphonse  d'Esté  et  Sigismond,  frère 
d'Hercule  I",  arrivèrent  par  eau  à  Pavie,  où  le  mariage  fut 
célébré  en  grande  pompe,  le  17  janvier  1491  (3).  Le  22  jan- 

(1)  Giulio  PORRO,  Nozze  di  Béatrice  d'Esté  e  di  Anna  Sforza,  dans  V Archivio 
storico  lombardo,  année  IX,  fasc.  III,  30  septembre  1882. 

(2)  Au  nombre  de  ces  objets  fijjiira  un  coffre  de  mariajje  décoré  par  le  peintre 
de  Modène  Giovanni  Aretusi,  dit  Munari,  qui  avait  peint  un  coffre  analogue, 
nous  l'avons  vu,  pour  Isabelle  d'Esté. 

(3)  Ce  mariage  devait  avoir  pour  l'Italie  des  conséquences  fatales.  L  altière  et 
jalouse  Beatrix  entra  bientôt  en  hostilité  avec  Isabelle  d'Aragon,  mariée  au  jeune 
duc  Jean  Galéas  en  février  1489.  Ludovic  le  More,  il  est  vrai,  dirigeait  en  fait  le 
gouvernement,  et  il  faisait  graver  sur  les  monnaies  :  «  Ludovico  patriio  guber- 
nanie  »  ;'mais  sa  femme  souffrait  de  voir  la  vraie  duchesse  de  Milan  occuper  en 


LIVRE   PREMIER.  85 

vier,  on  se  transporta  à  Milan,  afin  d'assister  au  mariage 
à' Alphonse  d'Esté  (1)  avec  Anna  Sforza, 

La  cérémonie  eut  lieu  le  :23  janvier,  avec  une  messe  solen- 
nelle, et  se  passa  en  famille,  mais  elle  fut  renouvelée  le  len- 
demain en  public.  Le  26,  le  27  et  le  28,  un  grand  nombre  de 
seigneurs  et  de  vaillants  cbampions,  vêtus  de  satin,  de  ve- 
lours, de  damas,  de  brocart,  mais  protégés  par  des  armures 
et  des  casques,  prirent  part  à  des  tournois  demeurés  célèbres. 
Jean  Galéas  y  avait  invité,  entre  autres  personnages,  Galeotto 
Pic,  seigneur  de  la  Mirandole,  Niccolo  da  Correggio,  les  Gon- 
zague,  Giberto  Borromeo,  Renato  Trivulzio,  Annibale  Benti- 
voglio,  et  plusieurs  évêques.  Lui-même,  dans  une  lettre  du 
28  janvier  1491,  rend  compte  de  ce  qui  se  passa.  Jamais  on 
n'avait  rompu  tant  de  lances,  ni  vu  des  lances  d'une  telle  gros- 
seur. Des  prix  de  brocart  d'or  étaient  réservés  aux  vainqueurs. 
Galéas  remporta  le  premier  prix;  le  second  prix  fut  gagné  par 
Mariolo  Guiscbardo,  chambellan  et  élève  de  Ludovic  le  More, 
et  par  Jacomo,  élève  de  Galéas.  Annibale  Bentivoglio  jouta, 
non  comme  un  jeune  homme,  mais  comme  un  vétéran  con- 
sommé :  cependant  la  fortune  ne  le  favorisa  pas;  après  un 
heureux  début,  il  se  blessa  à  la  main,  ce  qui  fut  pour  lui  une 
cause  d'infériorité.  II  recueillit  néanmoins  autant  de  gloire  que 
s'il  avait  été  victorieux.  — A  ces  tournois  s'ajouta  un  bal  dans 
une  grande  salle  du  Castello,  dont  le  plafond  bleu  était  parsemé 
d'étoiles  d'or;  les  murailles  étaient  couvertes  de  toiles  peintes 

pu!>lic  le  premier  rang,  et  elle  encouragea  le  régent  dans  les  voies  do  la  violence. 
Pendant  qu'Isabelle  invoquait  la  protection  de  son  frère  Alphonse,  Ludovic  le 
More  excita  le  roi  de  France  Charles  VIII  à  descendre  en  Italie  et  à  chasser  du 
royaume  de  Naples  les  Aragonais.  Relégué  au  château  de  Pavie  dès  qu'il  eut 
vingt  et  un  ans,  Jean  Galéas  y  mourut,  peut-être  empoisonné  (1494).  Quant  à 
Beatrix,  elle  mourut  en  couches  le  2  janvier  1497.  (A.  Dika,  Lodovico  Sforza  e 
Giovan  Galeazzo  Sforza  nel  canzoniere  di  Beriutrdo  Bellincione,  dans  VArcliivio 
storico  lombardo,  31  déceinljre  1884.) 

(1)  Alphonse  naquit  le  21  juillet  1476  dans  le  palais  de  Schifanoia.  Filleul  de 
la  République  de  Venise  et  de  la  République  de  Florence,  il  fut  baptisé  dans  la 
cathédrale  de  Ferrare.  Dès  le  20  mai  1477,  son  mariage  avec  Anna  Sforza  fut 
décidé,  et  le  14  juillet  les  ambassadeurs  milanais  vinrent  ratifier  les  conventions 
en  présence  d'Alphonse,  porté  sur  les  bras  de  Manuele  Rellaîa,  gentilhomme 
attaché  à  sa  personne.  Les  clauses  du  contrat  furent  signées  en  1490. 


86  L'ART    FERRARAIS. 

sur  lesquelles  étaient  représentés  les  actes  mémorables  et  les 
victoires  de  François  Sforza;  à  Tun  des  bouts  delà  salle,  on 
voyait,  en  outre,  l'image  de  François  Sforza  sous  un  arc  de 
triomphe. 

Le  29  janvier,  une  lettre  officielle  prévint  les  religieux  de 
la  Chartreuse  de  Pavie  qu'Éléonore  d'Aragon,  en  regagnant 
Ferrare,  visiterait  leur  monastère,  ^  une  des  choses  les  plus 
curieuses  du  duché  de  Milan  >'  .  On  les  avertissait  aussi  que  la 
femme  d'Hercule  V  aurait  avec  elle  quatre  cents  chevaux,  et 
on  engageait  les  moines  à  se  procurer  force  lamproies  afin  de 
préparer  un  repas  honorable.  Enfin  on  ajoutait  qu'aucune 
excuse  pour  ne  pas  recevoir  cette  visite  ne  serait  admise.  Le 
prieur,  cependant,  répondit  qu'il  lui  était  impossible,  sans 
l'autorisation  du  Pape,  d'admettre  des  femmes  dans  les 
cloîtres;  mais  le  duc  de  Milan  fit  écrire  que,  vu  les  circon- 
stances qui  ne  lui  laissaient  pas  le  temps  de  se  procurer  une 
dispense,  il  assumait  toute  la  responsabilité,  et  que  si  les  Char- 
treux désiraient  lui  être  agréables,  ils  devaient  montrer  leur 
couvent  à  la  duchesse  Éléonore  (1). 

Anna  Sforza  (2),  avec  son  mari,  quitta  Milan  le  1"  février 
en  compagnie  d'Éléonore  d'Aragon,  sa  belle-mère,  du  mar- 
quis Ermes  Maria  Sforza,  frère  du  duc  de  Milan,  de  Giovanni 
Francesco  Sanseverino,  comte  de  Cajazzo,  son  cousin,  et  d'en- 
viron deux  cents  gentilshommes  et  courtisans.  Elle  passa  par 
Binasco,  Pavie,  Plaisance,  Crémone,  naviguant  sur  le  Pô  dans 
un  riche  bucentaure,  et  arriva  le  1 1  au  lieu  du  débarquement, 
près  de  Ferrare  (3),  où  Hercule  I"  l'attendait  avec  une  suite 
imposante.  Dans  la  matinée  du  12,  elle  fit  à  cheval,  sous  un 
baldaquin,  son  entrée  dans  la  ville,  et  traversa  quatre  arcs  de 


(1)  On  lit  dans  les  Memorie  inédite  sulla  Certosa  di  Pavia  [Archivio  storico 
lombardo  de  1879,  année  VI"!  :  «  Vanno  1490  alli  6  febraro  vene  al  Monasteio 
la  moglic  del  Duca  di  Ferrara,  et  Marchcsa  di  Mantoa,  et  fratello,  et  sOrella  del 
diica  di  Milaiio  con  400  cavalli,  et  altre  peisone,  al  numéro  de  800,  et  si  fece 
spcsa  de  L.  400  in  tutto,  in  confetture,  pesce  et  malvasia.  » 

(2)  Aucun  portrait  ne  nous  a  conservé  ses  traits. 

(3)  Le  Pô  était  i>,elc.  Les  re{;istres  de  dépenses  mentionnent  le  payement  fait 
aux  ouvriers  qui  travaillèrent  pendant  plusieurs  jours  à  rompre  la  jjlace. 


LIVRE   PREMIER,  87 

triomphe  qu'avait  disposés  Farchitecte  Biagio  Rossetii.  On  y 
voyait  représentés  le  char  du  soleil  traîné  par  deux  chevaux 
fougueux  (1),  Cupidon  monté  sur  un  char  (2),  deux  géants 
dorés  entre  lesquels  se  tenait  un  cheval  cuirassé  (3),  Mercure, 
Jupiter,  Vénus  et  Mars,  avec  des  inscriptions  (4).  Outre  les 
membres  de  la  famille  d'Esté  et  de  la  famille  Sforza,  il  y  avait 
là  le  marquis  et  la  marquise  de  Mantoue,  Giovanni  Benti- 
voglio  et  sa  femme,  Blanche  d'Esté,  femme  de  Galeotto  Pic  de 
la  Mirandole,  le  résident  milanais  Antonio  Balbiano,  les  am- 
bassadeurs de  Florence,  de  Lucques,  de  Venise  et  de  Naples, 
venus  tout  exprès  pour  féliciter  les  nouveaux  époux,  et  une 
foule  de  seigneurs  et  de  dames  des  diverses  villes  du  territoire 
ferrarais  et  du  reste  de  l'Italie (5).  Les  ambassadeurs  vénitiens 
Zaccaria  Barbaro  et  Francesco  Gapello  n'avaient  pas  amené 
moins  de  cent  cinquante  chevaux.  Anna  Sforza  fut  reçue  à  la 
porte  du  château  par  la  duchesse  et  conduite  dans  son  appar- 
tement. En  écrivant  au  duc  de  Milan,  leur  frère  et  leur  cousin, 
Ermes  Maria  Sforza  et  Giovanni  Francesco  Sanseverino  ont 
retracé  l'emploi  du  jour  suivant.  Le  matin,  dans  la  chapelle 
privée,  messe  dite  par  l'évèque  avec  accompagnement  d'orgue 
et  de  chant.  Dans  l'après-midi,  bal  suivi  de  la  représentation 
des  Ménechmes  de  Plante  (6).  Pour  cette  représentation,  sur 
laquelle  nous  reviendrons,  A7co/ef/o  del  Cogo,  ainsi  nommé  parce 
qu'il  était  fils  d'un  cuisinier,  peignit  les  décors  et  un  navire 

(1)  Cet  arc  de  triomphe  se  trouvait  près  du  palais  de  Schifanoia. 

(2)  C'est  dans  le  voisinage  de   l'é.jjlise   de  Saint-François  (ju'on   avait  érifjé  cet 
arc  de  triomphe. 

(3)  Cet   arc   de    triomphe  avait  été  construit   entre  la   cathédrale  et    le   palais 
ducal. 

(4)  Francesco  Magagnolo,  que  Cesare  Cesariano,  dans  ^es   Commentaires  sur 
Vitruve,  mettait  au  niveau  de  Piero  délia  Francesca  et  de  Melozzo  da  Forli,  prit 

part,  avec  Bartolomeo  Gavella  et  plusieurs  autres  artistes,  à  la  décoration  de  ces 
arcs  et  à  quelques  autres  travaux  d'ornementation  pour  la  même  circonstance. 
Romano  de'  Bonacossi  fut  chargé  de  décorer  l'arc  de  triomphe  surmonté  d'une 
Vénus.  (G.  Campoui,  I  pittori  clec/li  Estensi  nel  secolo  XV,  p.  55-56.  —  A.  Vex- 
TURi,  L'arte  ferrarese  nel  periodo  d'Ercole  I  d'Esté,  p.  75.^ 

(5)  L'affluencc  fut  si  grande  à  la  cour  que  l'on  consomma  ijuarante-cinq  mille 
cent  onze  livres  de  viande. 

(6)  G...,  Noces  et  comédies  à  la  cour  de  Ferrare  en  février  1491,  dans  V Ar- 
chivio  storico  lombardo ,  année  XI,  1884,  p.  749. 


88  L'ART    FERRARAIS. 

Anna  Sforza  n'arriva  pas  à  Ferrare  sans  un  nombre  consi- 
dérable d'objets  précieux,  renfermés  soit  dans  des  coffres 
décorés  de  reliefs  dorés  ou  de  peintures,  soit  dans  des  coffrets 
d'ivoire  ou  de  cyprès.  Elle  apporta,  entre  autres  choses, 
de  l'arpenterie,  un  petit  tableau  en  argent,  un  missel  romain 
et  un  petit  office  ornés  de  miniatures,  une  toile  sur  laquelle 
était  peinte  une  Vierge  (cette  toile  était  destinée  à  son  ora- 
toire), et  des  tapisseries  représentant  V Ayinoiiciation  et  le 
Portement  de  croix,  h'mventari'o  di  giiadaroba  Estense,  publié 
par  le  marquis  Campori,  mentionne  aussi,  à  l'année  1493, 
un  Saùit  François  placé  dans  l'oratoire  de  la  princesse  Anna. 

Au  point  de  vue  du  commerce  et  des  arts,  les  mariages 
d'Alphonse  et  de  Beatrix  d'Esté  eurent  une  heureuse  in- 
fluence :  ils  amenèrent  de  très  fréquents  rapports  entre  Fer- 
rare  et  Milan  (1).  Mais  les  relations  avaient  commencé  depuis 
longtemps.  En  1480,  Cesare  Valentini ,  ambassadeur  d'Her- 
cule, pressa  l'armurier  Francesco  da  Merate  d'achever  les  tra- 
vaux qui  lui  avaient  été  commandés  et  pour  lesquels  il  avait 
touché  un  acompte  de  cent  ducats.  Vers  la  fin  de  l'année, 
Francesco  apporta  lui-même  des  armes  destinées  à  fortifier  le 
Castello.  Il  fut  si  bien  accueilli,  d'après  les  recommandations 
de  Valentini,  qu'il  s'installa  à  Ferrare.  Dans  les  livres  de 
dépenses,  il  est  qualifié  de  -'  prestante  uomo  »  ,  et  l'on  men- 
tionne qu'il  fut  exempté  des  taxes  habituelles.  Peut-être  resta- 
t-il  toute  l'année  1482  dans  la  capitale  des  Este.  Au  mois 
de  juillet,  il  reçut  de  Lombardie  deux  ballots  d'armes  et  du 
fer  pour  confectionner  d'autres  armes.  —  Pendant  la  guerre 
avec  Venise,  le  duc,  ayant  un  plus  grand  besoin  d'armes, 
s'adressa  de  nouveau  à  Milan,  afin  de  pourvoir  d'ouvriers  sa 
propre  fabrique,  et  un  armurier  milanais  nommé  Biagio  se 
chargea  d'armer  les  troupes  qui  étaient  sous  les  ordres  de 
Niccolô  da  Correggio.  —  Francesco  da  Merate  et  Biagio  ne 
semblent  pas  avoir  fait  œuvre  d'artistes  dans  les  armes  qu'ils 

(J)  Ad.  Ve^ïuri,  Relazioni  artistiche  tra  le  corli  di  Milano  e  Ferrara  nel 
secolo  XV,  dans  VAichivio  storico  lombardo,  année  XII,  fasc.  II,  30  juin  I880. 
A  ce  travail  sont  empruntés  les  détails  que  l'on  va  lire. 


LIVRE    PREMIER.  89 

fabriquèrent.  Il  n'en  est  pas  de  même  de  Missaglia.  Désirant 
donner  une  armure  exceptionnellement  belle  à  son  gendre, 
venu  à  Milan  en  1497,  c'est  chez  Missaglia  que  Ludovic  le 
More  la  commanda,  en  présence  d'Alphonse  d'Esté  lui-même 
et  de  l'ambassadeur  ferrarais  Antonio  Gostabili. 

Quoique  Ferrare  possédât  des  orfèvres  et  des  joailliers  fort 
habiles,  entre  autres  Amadio  et  ses  fils,  dont  le  duc  et  la  du- 
chesse furent  les  clients  assidus,  la  cour  d'Esté  s'approvisionna 
fréquemment  à  Milan,  et  les  princesses  de  la  maison  régnante 
reçurent  à  tire  de  cadeaux  des  objets  fort  précieux,  exécutés 
dans  cette  ville.  Ludovic  le  More,  de  son  côté,  se  montra  dési- 
reux de  posséder  des  pièces  pareilles  à  celles  qu'Hercule  devait 
à  des  ouvriers  ferrarais (1). 

Sous  Nicolas  III,  Lionel  et  Borso,  l'art  de  la  broderie  avait 
été  en  général  cultivé  à  Ferrare  par  des  brodeurs  milanais. 
Vers  la  fin  du  quinzième  siècle,  il  eut  pour  principal  repré- 
sentant un  Espagnol  nommé  Jurba  ou  Jorha.  Ludovic  le  More 
et  sa  femme  Beatrix  d'Esté  l'attirèrent  auprès  d'eux,  et  le 
14-  mai  1493  il  revint  avec  une  lettre  dans  laquelle  Beatrix  se 
déclarait  très  satisfaite  de  lui.  Il  dessina  alors  les  ornements 
d'une  chambre  pour  Beatrix.  Bientôt  Isabelle  et  Beatrix  se 
disputèrent  la  présence  de  l'habile  brodeur,  qu'elles  voulaient 
avoir  à  leur  service.  Isabelle  lui  offrit  deux  cents  ducats  par 
an.  On  ne  sait  pas  en  faveur  de  qui  Jurba  se  prononça. 

Quoique  la  confection  des  jeux  de  cartes  enluminés  fût  très 
florissante  dans  la  capitale  de  la  Lombardie,  les  jeux  de  cartes 
ferrarais  furent  très  appréciés  à  Milan.  En  1495,  Ludovic  le 
More  écrivit  à  son  beau-père  le  duc  de  Ferrare  pour  le  prier 
de  lui  faire  parvenir  par  retour  du  courrier  douze  paires  de 

(1)  On  peut  se. faire  une  idée  de  la  variété  des  objets  qui  s'accumulaient  dans 
le  palais  des  ducs  de  Ferrare  en  parcourant  les  registres  de  la  maison  d'Esté, 
L'inventaire  de  1494  énunière  des  bijoux,  des  vases,  des  candélabres,  des  cristaux, 
des  gobelets,  des  bassins,  des  verres,  des  bronzes,  des  coupes,  des  croix,  des 
Agnus  Dei,  des  figures  de  saints  en  or  et  en  argent,  de  petits  bas-reliefs,  des  sa- 
lières, des  cuillers  d'argent,  des  miroirs,  des  médailles  et  des  intaillcs,  des  coffrets 
en  ivoire,  des  armoires,  des  caisses,  des  échecs,  de*  targes.  Plusieurs  médailles 
d'argent  avaient  été  offertes  au  duc  par  Monseigneur  d'Adria  et  par  l'audolfo  da 
Pesaro. 


90  L'ART    FERRA  HAIS. 

jeux  de  cartes.  L'année  suivante,  il  se  plaignit  au  cardinal 
Hippolyte  qu'Alphonse,  son  gendre,  ne  lui  eût  pas  procuré  les 
cartes  que  celui-ci  lui  avait  promises,  et  le  cardinal  assura  que, 
à  peine  revenu  à  Ferrare,  il  réparerait  les  négligences  dont  se 
plaignait  le  duc  de  Milan.  Dans  le  même  temps,  Camillo,  frère 
de  l'ambassadeur  Antonio  Costabili,  promit  d'envoyer  à  Milan 
le  maître  qui  faisait  ces  cartes. 

Au  milieu  des  divisions  de  l'Italie,  le  duc  Hercule,  si  cruel- 
lement éprouvé  par  la  guerre  qu'il  avait  soutenue  contre  les 
Vénitiens  et  Sixte  IV,  s'efforça  de  garder  la  neutralité  entre  des 
puissances  dont  la  politique  variait  sans  cesse.  Il  savait  que 
l'allié  de  la  veille  devenait,  au  moindre  souffle  des  événe- 
ments, l'ennemi  du  lendemain.  Ne  pas  se  compromettre,  ne 
pas  se  brouiller  avec  des  solliciteurs  importuns  et  dangereux, 
telle  fut  sa  ligne  de  conduite,  souvent  très  difficile  à  suivre. 
Quand  Ludovic  le  More  sollicita  son  appui  pour  Charles  VIII, 
appelé  par  lui  dans  la  Péninsule,  il  évita  de  se  prononcer,  et, 
lorsque  les  ambassadeurs  du  roi  de  France,  en  quête  d'alliés, 
vinrent  le  trouver  à  Ferrare,  il  les  reçut  avec  froideur.  Toute- 
fois, après  l'arrivée  de  Charles  VIII  (1 494),  il  alla  offrir  au 
monarque  un  pavillon  de  soie  et  d'or.  A  la  nouvelle  que  l'en- 
vahisseur s'était  rendu  maître  du  royaume  de  Naples,  il  fit 
partir  pour  le  féliciter  des  ambassadeurs,  auxquels  il  donna 
ordre  de  rebrousser  chemin  dès  qu'il  eut  appris  la  formation 
d'une  ligue  provoquée  parles  succès  inattendus  de  Charles  VIII 
et  ayant  pour  but  son  expulsion  de  l'Italie  (I).  En  outre,  il 
défendit  k  ses  sujets,  dont  toutes  les  sympathies  étaient  acqui- 
ses à  la  France,  de  se  vêtir  à  la  française,  ainsi  que  de  se  pro- 
noncer pour  ou  contre  les  Français,  «  voulant,  disait-il,  être 
bon  Italien  »  .  Afin  de  mieux  prouver  encore  sa  ferme  résolu- 
tion de  ne  pas  favoriser  un  parti  plus  que  l'autre,  il  laissa  aux 
Vénitiens  comme  aux  Français  le  libre  passage  dans  ses  États, 
et  il  permit  à  son  fils  Ferrante  de  combattre  avec  le  roi  de 

(i)  Cette  ligue  se  composait  de  Ludovic  le  More,  qui  avait  été  l'instigateur  de 
l'invasion,  des  Vénitiens  et  d'Alexandre  VI,  auxquels  l'empereur  Maximilien  et 
le  roi  d'Espagne  promettaient  un  concours  qu'ils  ne  donnèrent  pas. 


LIVRE   PREMIER.  91 

France,  tout  en  autorisant  son  autre  fils  Alphonse  à  servir 
dans  l'armëe  de  la  ligue.  Après  que  Charles  VIII,  parti  préci- 
pitamment de  Naples,  se  fut  assuré  par  la  bataille  de  Fornoue  -^  llf^S' 
la  possibilité  de  regagner  la  France,  il  ménagea  un  traité  entre 
Ludovic  le  More  et  le  Roi,  que  les  troupes  italiennes  tenaient 
l^^o      assiégé  à  Yerceil  et  qu'il  accompagna  jusqu'à  Lyon. 

En  nommant  Charles  VIII,  on  songe  tout  naturellement  à 
Savonarole  qui  le  regarda  comme  envoyé  de  Dieu  pour  châtier 
l'Italie  et  provoquer  la  rénovation  de  l'Église,  et  l'on  est 
amené  à  se  demander  quelle  fut  la  nature  des  rapports  entre 
l'illustre  Dominicain  et  le  duc  de  Ferrare.  Hercule  I"  ne  pou- 
vait oublier  que  Savonarole  était  le  petit-fils  d'un  médecin, 
d'un  lettré,  qui  avait  joui  à  la  cour  d'Esté  d'une  haute  et  légi- 
time faveur.  Il  était  fier  de  la  popularité  du  moine  ferrarais 
parmi  les  Florentins  et  subissait  à  distance  l'ascendant  d'un 
grand  esprit  que  recommandait  une  éminente  vertu.  Quant  à 
Savonarole,  il  gardait  pour  sa  patrie  d'origine  un  souvenir 
filial  (1),  tout  en  consacrant  sa  vie  à  sa  patrie  d'adoption,  et, 
tandis  que  les  autres  princes  de  l'Italie  étaient  l'objet  de  ses 
sévères  admonestations,  le  souverain  de  Ferrare  était  traité 
par  lui  avec  ménagement,  avec  déférence.  L'ambassadeur 
d'Hercule  I"àFlorence,  ^lanfredo  de'  Manfredi,  était,  du  reste, 
un  intermédiaire  bienveillant,  qui  entretenait  chez  son  maître 
les  bonnes  dispositions  à  l'égard  du  prieur  de  Saint-Marc. 
«  Notre  Frère  Savonarole,  écrivait-il,  est  révéré  comme  un 
saint,  et,  en  vérité,  ce  sont  ses  bonnes  œuvres  qui  lui  procu- 
rent tant  de  crédit  dans  la  ville...  Il  ne  tend  qu'au  bien  géné- 
ral, ne  cherche  qu'à  établir  l'union  et  la  paix.  »  Un  autre 
ambassadeur  de  la  maison  d'Esté,  Pandolfo  Collenuccio,  ne 
rendait  pas  moins  bon  témoignage  de  Savonarole  dans  une 
lettre  adressée  au  duc  :    «  Je  me  suis  réjoui  et  je  me  réjouis 

(1)  Il  entretint  un  commerce  épistolairc  non  seulement  avec  sa  mère,  son 
frère  Albert,  médecin  à  Ferrare,  et  sa  sœur  Beatrix;  mais  on  a  de  lui  des  lettres 
adressées  à  deux  jeunes  Fcrraraises  qui  voulaient  se  faire  rcli{;icuses,  à  Maria 
Angela  Sforza  d'Esté,  à  Lodovico  Pittorio,  secrétaire  d'Hercule  I",  à  Lodovico 
Carri,  médecin  de  la  cour,  auquel  il  offrit  un  exemplaire  du  Compciidio  délie 
rivelazioni,  et  à  messire  Bertrand  de  Ferrare,  protonotaire  apostolique. 


92  L'ART    FERRARAIS. 

toujours  d'avoir  vu  notre  Fra  Hieronymo  da  Ferrara,  homme 
vraiment  divin,  qui  apparaît  plus  grand  encore  quand  on  se 
trouve  en  sa  présence  que  quand  on  lit  ses  écrits.  Nous  avons 
longtemps  parlé  ensemble.  »  Par  Manfredo,  qui  avait  de  longs 
et  fréquents  entretiens  avec  Savonarole  (1),  Hercule  I"  fut 
exactement  informé  de  tous  les  incidents  qui  marquèrent 
l'existence  agitée  du  religieux  mêlé  aux  graves  événements 
dont  Florence  fut  alors  le  théâtre.  Il  était  persuadé  de  la  puis- 
sance du  Frère  auprès  de  Dieu,  implorait  ses  prières,  deman- 
dait ses  avis  sur  la  situation  de  l'Italie  en  général  et  sur  celle 
de  Ferrare  en  particulier,  ainsi  que  sur  la  conduite  à  tenir  dans 
certaines  conjonctures  critiques,  louait  la  prudence  et  la  cha- 
rité des  conseils  reçus,  et  prodiguait  au  religieux  non  seule- 
ment les  assurances  d'affection,  mais  les  promesses  de  bons 
offices.  Il  alla  même,  se  conformant  aux  recommandations  du 
moine  réformateur,  jusqu'à  prendre  des  mesuies  pour  extirper 
les  vices  à  Ferrare  et  pour  inspirer  à  ses  sujets  le  désir  d'une 
vie  sincèrement  chrétienne  (2).  Savonarole,  de  son  côté,  ne  • 
négligeait  aucune  occasion  d'être  agréable  au  duc.  Il  fit  tirer 
sur  papier  de  choix,  en  l'honneur  d'Hercule  I",  un  exemplaire 
d'un  de  ses  recueils  de  sermons.  Le  :20  août  1495,  il  remit  à 
Manfredi,  afin  que  celui-ci  l'envoyât  au  prince,  le  Compendio 
délie  rivelaziom,  et  reçut  du  destinataire  ces  lignes  flatteuses  : 
«  En  lisant  le  petit  livre  que  vous  nous  avez  envoyé,  nous 
avons  éprouvé  une  telle  satisfaction,  un  tel  plaisir,  que  rien 
n'aurait  pu  nous  en  procurer  davantage,  tant  il  est  composé 
avec  ordre  et  avec  grâce.  Nous  vous  en  remercions  vivement 
et  nous  vous  en  sommes  très  obligé.  Vous  n'avez  pas  besoin  de 
vous  excuser  d'avoir  tardé  à  nous  le  faire  parvenir,  car  il  est 
si  bon,  si  excellent,  qu'il  dédommage  aisément  de  tout  retard. 
Nous  vous  demandons  instamment  de  vouloir  prier  Notre  Sei- 
gneur Dieu  pour  nous  et  pour  la  patrie,  afin  que,  grâce  à  vos 

(1)  Antonio    Cappelli,    Fra    Girolamo   Savonarola    e    notizie    intorno    il   suo 
tempo.  Modène,  1869. 

(2)  Voyez  la  belle  lettre  écrite  par  Savonarole  à  Hercule  I"  le  27  avril  1496, 
dans  la  nouvelle  édition  du  Savonarole  de  M.  Villari  (1887},  t.  II,  p.  clix. 


LIVRE   PREMIER.  93 

saintes  oraisons,  dans  lesquelles  nous  mettons  nos  meilleures 
espérances,  et  grâce  aux  efforts  que  nous  avons  faits  et  que 
nous  ferons  en  vue  d'honorer  Dieu,  nos  intérêts  et  ceux  de  la 
patrie  soient  sauvegardés  et  demeurent  sous  la  protection  de 
la  majesté  divine.  "  Deux  mois  plus  tard,  Hercule  reçut  le 
même  opuscule  en  latin  et  ne  témoigna  pas  un  moindre  con- 
tentement. «  Nous  le  lirons,  écrivit-il,  avec  autant  d'attention 
que  dans  l'édition  italienne,  car  toutes  vos  œuvres  nous  sont 
agréables.  Nous  vous  remercions  donc  sincèrement  de  ce  petit 
livre  et  de  l'affection  que  vous  avez  pour  nous.  Nous  nous 
offrons  à  faire  tout  ce  qu'il  vous  plaira.  "  Le  10  janvier  1  496, 
Savonarole  adressa  au  duc  un  nouvel  ouvrage,  en  l'accompa- 
gnant d'une  lettre  qui  témoigne  à  la  fois  de  la  confiance  que 
lui  inspirait  Hercule  1"  et  du  désir  de  lui  être  utile  au  point  de 
vue  spirituel  :  *  J'envoie  à  Votre  Excellence  le  présent  livre 
sur  la  Simplicité  de  la  vie  chrétienne,  quoiqu'il  ne  soit  pas  entiè- 
rement achevé.  Je  souhaite  si  ardemment  de  vous  voir  vivre 
en  parfait  chrétien,  que  je  ne  m'inquiète  pas  de  rechercher  les 
éloges...  Vous  m'obligerez  beaucoup  en  chargeant  maître 
Lodovico  Carri  de  me  communiquer  les  critiques  dont  mon 
ouvrage  aura  été  l'objet,  afin  que  je  puisse  y  faire  droit.  Nous 
touchons  maintenant  aux  tribulations  qui  doivent  s'appesantir 
sur  l'Italie...  J'exhorte  donc  Votre  Excellence  à  s'appliquer 
aux  choses  divines,  parce  que  Dieu  est  notre  unique  refuge, 
et  principalement  à  bannir  les  méchants  de  votre  ville,  à  con- 
fier les  charges  et  le  pouvoir  aux  gens  de  bien,  et  à  les  enlever 
aux  pervers  et  aux  infâmes  qui  provoquent  hautement  la 
colère  du  Ciel  (1).  " 

Le  traité  sur  la  Simplicité  de  la  vie  chrétienne  ne  fut  pas  le 
dernier  hommage  de  Savonarole  à  Hercule  P".  Le  fameux 
Carême  de  1495,  imprimé  à  Florence,  parut  le  8  février  1-496 
avec  une  dédicace  au  duc  de  Ferrare,  et,  le  20  mai  1497, 
le  prieur  de  Saint-Marc  fit  remettre  à  celui-ci  VEpistola  conso- 
latoria  a  tutti  gli  eletti  di  Dio    e  fedeli  cristiani,  écrite   quand 

(1)  Voyez  la  lettre  entière  dans  les  OEuvres  spirituelles  e/ioisies  de  Savona- 
role, traduites  par  le  P.  Geslas  Uayonne,  t.  III,  p.  225. 


94  L'ART    FERUARAIS. 

Finterdiction  de  prêcher  eut  été  imposée  au  Frère  par  Alexan- 
dre YI. 

De  temps  à  autre  aussi,  Savonarole  écrivait  au  souverain 
de  sa  ville  natale,  soit  pour  mettre  devant  ses  yeux  les  obliga- 
tions morales  des  princes  chrétiens,  soit  pour  lui  recomman- 
der la  prudence  politique  et  la  nécessité  de  se  concilier  la 
bienveillance  de  ses  voisins  et  même  celle  des  Français.  Le 
duc  se  montrait  reconnaissant  et  écrivait  à  son  tour  au  pieux 
Dominicain  sur  le  ton  du  respect  et  de  l'affection  :  a  Nous 
vous  exprimons,  lui  disait-il  le  8  août  1  497,  nos  plus  chaleu- 
reux remerciements  pour  les  bons  conseils  que  vous  nous  don- 
nez avec  tant  de  charité  ;  ils  sont  dignes  de  votre  bonté  et 
répondent  à  l'amour  que  vous  nous  portez.  Nous  ne  vous  en 
avons  pas  peu  d'obligation.  Nous  vous  attestons  que  nous 
n'avons  jamais  douté  de  la  réalisation  des  événement  prédits 
par  vous,  et  nous  en  sommes  toujours  profondément  con- 
vaincu. " 

Quand  Hercule  écrivit  ces  lignes,  le  temps  n'était  pas  loin 
où  les  persécutions  commencées  contre  Savonarole  (1)  par 
Alexandre  YI  allaient  aboutir  à  une  condamnation  inique,  et 
où  le  Frère  allait  payer  de  sa  vie  son  dévouement  à  la  rénova- 
tion d'un  clergé  corrompu,  à  la  liberté  et  au  relèvement  spiri- 
tuel des  Florentins.  Hercule  s'interposa-t-il  auprès  de  ceux-ci 
ou  auprès  du  Souverain  Pontife  pour  sauver  un  homme  auquel 
il  avait  maintes  fois  offert  ses  services  et  dont  il  reconnaissait 
l'innocence  et  la  sainteté?  Rien  ne  le  prouve,  et  son  abstention 
est  fort  probable.  A  la  vérité,  sa  situation  vis-à-vis  des  princes 
italiens  et  sa  qualité  de  vassal  du  Saint-Siège  devaient  le  mettre 
dans  un  grand  embarras.  Ce  qui  est  certain,  c'est  que,  avant 
la  mort  de  Savonarole  (23  mai  14.98),  il  écrivit  le  26  mars  à 
Alexandre  YI,  afin  de  reconnaître  son  autorité  et  de  protester 
contre  une  apologie  de  Savonarole  que  Jean-François  Pic  de 

(1)  Le  duc  de  Ferrare  chargea  son  ambassadeur  à  Florence  d'attirer  l'attention 
de  Savonarole  sur  les  embûches  qu'on  lui  tendait  "  perche  dalla  longa  se  mettono 
le  retc  per  condurre  il  pesce  alla  ripa  »  .  (Villari,  La  storia  di  Girolamo  Savo- 
narola  e  de'  suoi  teinpi,  1887,  p.  490.) 


LIVRE    PREMIER.  95 

la  Mirandole  avait  imprimée  et  dans  laquelle  ce  zélé  partisan 
du  prieur  de  Saint-Marc  prétendait  répondre  à  une  consulta- 
tion du  duc  de  Ferrare. 

La  gravité  des  événements  qui  ne  tardèrent  pas  à  s'accom- 
plir dans  la  Péninsule  effaça  probablement  bientôt  de  la 
mémoire  d'Hercule  I"  le  souvenir  importun  de  Savonarole.  A 
Charles  VIII  avait  succédé  Louis  XII  (7  avril  1  498).  Dès  que 
ce  prince,  dont  l'Italie  excita  aussi  les  convoitises,  eut  rem- 
porté dans  le  Milanais  des  succès  décisifs  (1499),  le  duc  de 
Ferrare  envoya  au-devant  de  lui,  en  compagnie  d'un  ambassa- 
deur, ses  deux  fils  Alphonse  et  Ferrante,  qu'il  rejoignit  avec 
cinq  cents  chevaux,  et  Louis  XII  l'eut  à  ses  côtés  en  faisant 
son  entrée  triomphale  à  Milan.  Pour  être  agréable  au  Roi,  il 
fit  venir  de  Ferrare  ses  propres  léopards,  ses  propres  fauôons, 
et  prit  part  à  plusieurs  chasses.  Quand  il  regagna  sa  capitale 
avec  Alphonse,  il  laissa  Ferrante  au  service  du  monarque. 
Nouvelles  démonstrations  de  dévouement  lors  d'une  seconde 
expédition  de  Louis  XII  en  Italie  (1502).  Enfin,  il  ne  crut  pas 
pouvoir  se  dispenser  de  fournir  au  Roi  quelques  renforts  pour 
l'armée  qui  fut  défaite  à  la  bataille  du  Garigliano  (1503).  Il 
n'en  demeura  pas  moins  en  paix  avec  les  voisins  dont  il  aurait 
eu  lieu  de  redouter  le  mécontentement. 

Parmi  les  événements  qui  le  jetèrent  dans  une  grande 
perplexité,  il  faut  compter  les  instances  d'Alexandre  VI  (1) 
pour  marier  Lucrèce  Rorgla  à  Alphonse  d'Esté  (2),  devenu 
veuf  (3).  Le  Pape  souhaitait  vivement  cette  union,  qui,  en 
rattachant  à  ses  intérêts  les  souverains  de  Mantoue  et  d'Ur- 


(1)  Une  autre  question  avait  failli  brouiller  irrévocablement  le  duc  et  le  Pape. 
Alexandre  VI  avait  prétendu  nommer  son  neveu  Jean  Borjjia  à  l'évêché  de  Fer- 
rare malgré  Hercule  P'',  (jui  en  retint  les  revenus.  Il  mit  Ferrare  en  interdit  le 
li  novemijre  14-96,  mais  le  duc  crut  prudent  de  céder,  et  l'interdit  fut  levé  le 
12  juin  1497. 

(2)  Fnizzi,  Memorie  per  la  storia  cli  Feirara,  t.  IV,  p.  202-208.  —  Gkkgoro- 
vius,  Lucrèce  Borqia,  trad.  française  par  Paul  llcgnaud.  Paris,  Sandoz  et  Fisch- 
baclier,  2  vol.  in-8".  |/,  ,v 

(3)  Anna  Sforza  mourut  à  la  suite  de  couches  le  2  décendtro.lTW.  Le  2  janvier 
de  la  même  année,  Bcatrix  d'Esté,  femme  de  Ludovic  le  More,  était  morte  dans 
les  mêmes  circonstances.  Anna  Sfor/.a  ne  laissa  pas  d'enfants. 


96  L'ART    FEURAllAIS. 

bin  (1),  eut  mis  le  Saint-Siège  et  César  Borgia,  soutenus  en 
outre  par  la  France,  à  l'abri  de  tous  leurs  ennemis.  Aux 
premières  ouvertures,  Hercule  répondit  par  un  refus.  Il  lui 
répugnait  de  voir  son  fds,  auquel  Louis  XII  avait  promis 
la  main  de  Louise,  duchesse  d'Angouléme,  épouser  une 
femme  si  décriée,  qui  était  la  fille  d'un  prêtre,  et  Alphonse 
ne  se  montra  pas  moins  récalcitrant,  car  ^  il  n'envisageait 
pas  sans  quelque  trouble  la  façon  dont  les  Borgia  avaient 
coutume  de  rompre  les  chaînes  conjugales  de  Lucrèce  (2)  »  . 
Mais  Louis  XII,  d'abord  hostile  au  projet  d'Alexandre  YI, 
finit  par  l'appuyer,  ne  voulant  pas  blesser  le  Pape  dont  le 
bon  vouloir  lui  était  nécessaire  pour  l'expédition  qu'il  était 
sur  le  point  d'entreprendre  contre  Naples.  Perdre  la  faveur 
du  roi  de  France,  être  attaqué  et  dépossédé  par  le  Souve- 
rain Pontife  et  César  Borgia,  voilà  ce  qu'avait  à  redouter  le 
duc  de  Ferrare  s'il  persistait  dans  sa  résolution.  Les  calculs  de 
la  politique  l'emportèrent  chez  lui  sur  les  autres  considéra- 
tions, et  il  obtint,  non  sans  peine,  le  consentement  de  son  fils. 
Il  résolut  toutefois  de  ne  vendre  qu'au  plus  haut  prix  possible 
l'honneur  de  sa  maison.  Après  de  longues  négociations  et  de 
véritables  marchandages  (3),  Alexandre  VI,  vivement  pressé 
par  Lucrèce,  adhéra  à  toutes  les  exigences  du  duc  ;  le  contrat 
de  mariage  fut  dressé  au  Vatican  le  26  août  1501  et  envoyé  à 
Ferrare.  Lucrèce  devait  recevoir  de  son  père  cent  mille  ducats 
comptant,  trois  mille  ducats  au  moins  en  argenterie,  des  joyaux, 
du  linge  fin,  des  ornements  précieux  pour  les  mulets  et  les 
chevaux  formant  ensemble  la  valeur  de  cent  autres  mille 
ducats.  La  réduction  à  cent  florins  du  cens  de  quatre  mille 
ducats  payé  chaque  année  au  Saint-Siège,  la  remise  de  Cento 
et  de  Pieve,  villes  qui  dépendaient  de  l'archevêché  de  Bologne, 

(1)  Isabelle  d'Esté,  fille  d'Hercule  l",  avait,  nous  l'avons  vu,  épousé  le  marquis 
de  Mantoue;  et  Elisabeth  Gonzayue,  sœur  du  marquis  de  Mantoue,  était  la  femme 
du  duc  d'Urbin  Guidobaldo,  fils  de  Frédéric. 

(2)  Gebhart,  Les  Borgia,  dans  la  Revue  des  Deux  Mondes  du  l'"'  mars  1888, 
p.  158.  —  Lucrèce  avait  eu  déjà  deux  maris. 

(3)  «  Les  deux  pères  discutèrent  plusieurs  mois  sur  le  chiffre  de  la  dot  avec 
une  àpretc  d'usuriers.  »  GEBtiAnT,  p.  158. 


LIVRE   PREMIER.  07 

et  la  concession  d'une  foule  de  bénéfices  à  la  famille  d'Esté, 
figuraient  aussi  parmi  les  stipulations.  Le  mariage  ad  verha 
fut  conclu  au  château  de  Belfiore  le  1"  septembre  1501  (1)  et 
publié  le  lendemain  dans  la  ville  au  son  des  trompettes  et  des 
cloches. 

Le  duc  de  Ferrare  envoya  chercher  sa  belle-fille  par  une 
cavalcade  composée  d'environ  cinq  cent  soixante-dix  per- 
sonnes. Dans  cette  cavalcade  se  trouvaient  trois  fils  d'Hercule  \" 
(le  cardinal  Hippolyte,  Ferrante  et  Sigismond),  son  neveu 
Ercole  (fils  de  Sigismond),  Niccolô  Maria  d'Esté,  évéque 
d'Adria,  Méliaduse  d'Esté,  évéque  de  Comacchio,  les  seigneurs 
de  Carpi,  de  la  Mirandole  et  de  Correggio,  Annibale  Bentivo- 
glio,  les  Rangoni  de  Modène,  un  des  Pio  de  Carpi,  quelques 
membres  des  familles  Bevilacqua ,  Roverella ,  Sacrato  et 
Strozzi  de  Ferrare.  Tous  ces  personnages  étaient  magnifique- 
ment vêtus  et  portaient  au  cou  des  chaînes  d'or.  On  se  mit  en 
marche  le  9  décembre.  Treize  trompettes  et  huit  hautbois  pré- 
cédaient le  cortège,  qui  entra  à  Rome  le  23  par  la  porte  du 
Peuple.  Sept  jours  après,  la  cérémonie  du  mariage  par  procu- 
ration eut  lieu  en  présence  du  Pape,  assis  sur  son  trône,  et 
d'un  certain  nombre  de  cardinaux.  Ferrante  passa  l'anneau  au 
doigt  de  Lucrèce  en  lui  disant  :  «  Illustre  dame,  l'illustre 
don  Alphonse  vous  envoie  de  son  plein  gré  cet  anneau  de 
mariage,  et  je  vous  l'offre  en  son  nom.  »  Elle  répondit  :  «  Je 
l'accepte  aussi  de  mon  plein  gré.  '^  Hippolyte  donna  ensuite  à 
la  fille  d'Alexandre  VI,  de  la  part  d'Hercule  P',  des  joyaux 
évalués  à  soixante-dix  mille  ducats,  et,  pour  son  propre 
compte,  quatre  croix  d  un  très  beau  travail.  Le  présent  du  duc 
de  Ferrare  se  composait  de  chaînes,  d'anneaux,  de  pendants 
d'oreilles,  de  pierres  précieuses  merveilleusement  naontées,  et 
d'un  superbe  collier  de  perles.  Pendant  plusieurs  jours,  les 
fêtes  les  plus  ingénieuses  et  les  représentations  théâtrales, 
dont  on  peut  lire  le  détail  dans  le  livre  de  M.  Gregorovius  sur 
Lucrèce  Borgia,  se  succédèrent  sans  interruption.  Alexandre  VI 

(1)    Lucrèce  avait  vin^jt-dcux  ans,  et  Alphonse  en  avait  vinjjl-six. 

I.  7 


98  L'ART    FERRARAIS. 

ayant  remis  à  qui  de  droit  le  montant  de  la  dot  promise  et 
ayant  expédié  les  bulles  ardemment  attendues  par  le  duc  de 
Ferrare,  Lucrèce  quitta  Rome  le  G  janvier  1502.  Au  cortège 
ferrarais  se  joignit  un  nouveau  cortège  comprenant  jusqu'à 
six  cents  personnes.  Plusieurs  chariots  et  cent  cinquante 
mulets  avaient  pris  les  devants  pour  transporter  le  trousseau. 
Une  robe  de  soie  rouge  garnie  d'hermine  et  un  chapeau  sur- 
monté d'une  plume  constituaient  le  costume  de  voyage  de 
Lucrèce.  La  cavalcade  passa  par  Civita-Castellana,  Narni, 
Terni,  Spolète,  Foligno,  Nocera,  Gualdo,  Gubbio,  Cagli,  Urbin, 
Pesaro,  Rimini,  Cesena,  Forli,  Faënza,  Imola,  Castel-Rolo- 
gnese  et  Bologne.  En  sortant  de  Bologne,  Lucrèce  gagna  par 
un  canal  Gastel-Bentivoglio,  où  eut  lieu  sa  première  entrevue 
avec  Alphonse,  entrevue  qui  la  satisfit  pleinement,  et  Torre 
délia  Fossa,  où  le  canal  débouchait  dans  un  bras  du  Pô.  Là,  elle 
trouva  le  duc  Hercule  et  Alphonse  qui  la  firent  monter  sur  un 
bucentaure  pompeusement  orné.  On  débarqua  au  borgo  dit 
San  Luca  et  l'on  passa  la  nuit  dans  un  palais  qu'y  possédait 
Albert  d'Esté,  frère  naturel  d'Hercule.  L'entrée  solennelle  à 
Ferrare,  le  2  février,  v^  lut  un  des  plus  brillants  spectacles  de 
l'époque...  A  deux  heures  de  l'après-midi,  le  duc,  suivi  de 
tous  les  ambassadeurs  et  de  sa  cour,  se  rendit  à  la  maison  de 
campagne  d'Albert  afin  de  venir  prendre  sa  belle-fille.  La 
cavalcade  se  mit  en  ordre  pour  traverser  le  pont  du  bras  du 
Pô  et  entrer  par  la  porte  de  Castel-Tedaldo...  La  marche  était 
ouverte  par  soixante-quinze  archers  à  cheval  portant  les  cou- 
leurs de  la  maison  d'Esté,  le  blanc  et  le  rouge;  ces  archers 
étaient  suivis  de  quatre-vingts  trompettes  et  d'un  grand  nom- 
bre de  hautbois.  Puis,  venaient  la  noblesse  de  Ferrare  sans 
distinction  de  rang,  la  maison  de  la  marquise  de  Mantoue 
et  celle  de  la  duchesse  d'Urbin.  On  voyait  ensuite,  à  côté  de 
son  beau-frère  Annibal  Bentivoglio,  don  Alphonse  à  cheval, 
escorté  de  huit  pages.  Il  était  vêtu  de  velours  rouge  à  la  mode 
française  et  avait  la  tète  couverte  d'une  toque  de  velours  noir, 
à  laquelle  était  adapté  un  ornement  en  or  repoussé.  Il  portait 
des  guêtres  françaises  de  velours  noir,  appelées  gamaches,  et 


LIVRE   PREMIER.  99 

des  bottines  de  couleur  incarnat.  Son  cheval  brun  était  cou- 
vert de  caparaçons  en  velours  cramoisi  et  or...  Derrière 
Alphonse  venaient  sa  cavalcade,  composée  de  pages  et  d'offi- 
ciers de  cour,...  et  les  ambassadeurs  rangés  dans  l'ordre  de 
leur  importance.  Les  quatre  députés  de  Rome,  montés  sur  de 
beaux  chevaux  et  revêtus  de  longs  manteaux  de  brocart,  avec 
une  toque  de  velours  noir  sur  la  tête,  venaient  les  derniers. 
Après  eux  suivaient  six  tambours  et  les  deux  bouffons  favoris 
de  Lucrèce.  Ensuite  s'avançait,  montée  sur  un  coursier  blanc 
en  caparaçon  écarlate  et  suivie  d  écuyers,  la  mariée  rayon- 
nante de  beauté  et  de  joie.  Lucrèce  portait  une  camorra  de 
velours  noir  aux  manches  larges,  avec  de  délicates  franges 
d'or  et  une  sbernia  de  brocart  d'or,  garnie  d'hermine.  Sa  tête 
était  couverte  d'un  réseau  en  forme  de  voile,  étincelant  d'or 
et  de  diamants,  que  lui  avait  donné  son  beau-père  ;  autour  de 
son  cou  était  une  chaîne  de  grosses  perles  et  de  rubis  qui  avait 
appartenu  jadis  à  la  duchesse  de  Ferrare,  comme  Isabelle  Gon- 
zague  en  fit  la  remarque  en  soupirant.  Ses  beaux  cheveux  se 
déroulaient  librement  sur  ses  épaules.  Elle  chevauchait  sous 
un  baldaquin  de  pourpre  que  les  docteurs  de  Ferrare...  por- 
taient à  tour  de  rôle.  Pour  faire  honneur  au  roi  de  France, 
protecteur  de  Ferrare  et  des  Borgia,  Lucrèce  avait  placé  à  sa 
gauche  l'ambassadeur  de  Louis  XII,  Philippe  délia  Rocca 
Berti,  qui  chevaucha  à  côté  d'elle  en  dehors  du  baldaquin  (1) .  ■ 
Derrière  Lucrèce  venait  le  duc, . . .  ayant  à  sa  droite  la  duchesse 
d'Urbin.  11  était  suivi  des  nobles,  des  pages  et  des  autres 
princes  de  la  maison  d'Esté.  Quatorze  voitures  de  gala,  deux 
mules  blanches,  deux  chevaux  blancs  couverts  de  velours  et 
de  soie  et  de  précieux  ornements  d'or,  et  quatre-vingt-six 
mulets  portant  la  garde-robe  de  la  mariée,  complétaient  le 
cortège. . .  u  A  la  porte  du  Castel-Tedaldo,  le  cheval  de  Lucrèce, 
effrayé  par  une  salve  d'artillerie,  jeta  à  terre  l'héroine  de  la 
solennité  !  La  nouvelle  mariée  se  releva,  le  duc  la  fit  monter 
sur  un  autre  cheval,  et  le  cortège  se  remit  en  marche  (2).  " 

(1)  Gregorovius,  t.  II,  p.  24-27. 

(2)  Ibid.,  p.  29. 


100  L'ART    FERllARAIS. 

Il  rencontra  sur  son  passage  plusieurs  arcs  de  triomphe  (1), 
des  statues,  des  symboles,  des  orchestres,  des  scènes  mytho- 
logiques :  «  La  plus  remarquable  était  figurée  par  une  troupe 
de  nymphes  qui  entouraient  leur  reine  montée  sur  un  taureau 
roux,  tandis  que  des  satyres  gambadaient  à  côté  d'elles... 
Quand  on  arriva  sur  la  place  de  la  cathédrale,  deux  dan- 
seurs de  corde  descendirent  de  deux  tours  et  vinrent  com- 
plimenter l'épousée.  A  cette  époque,  le  facétieux  se  mêlait 
toujours  ainsi  au  solennel.  Le  soir  tombait  lorsque  la  caval- 
cade atteignit  la  résidence  du  duc,  ou  Lucrèce  fut  reçue  par 
la  marquise  de  Mantoue  accompagnée  de  plusieurs  dames. 
En  ce  moment  tous  les  prisonniers  furent  mis  en  liberté, 
et  les  trompettes  et  les  hautbois  se  mirent  à  jouer  de  leurs 
instruments  (2) .  ^  Conduits  h  la  salle  de  réception ,  les  deux 
jeunes  époux  prirent  place  sur  un  trône  (3),  et  les  présentations 
officielles  commencèrent.  Enfin,  plusieurs  poètes  célébrèrent 
le  mariage  d'Alphonse  d'Esté  avec  Lucrèce  Borgia,  notam- 
ment Celio  Calcagnini  et  l'Arioste ,  alors  âgé  de  vingt-deux 
ans. 

Les  fêtes  données  à  l'occasion  de  la  noce  furent  rehaussées 
par  la  beauté  de  Lucrèce  Borgia,  d'Isabelle  d'Esté  et  d  Elisa- 
beth Gonzague.  Elles  durèrent  six  jours,  du  3  au  8  février. 
Cinq  pièces  de  Plante,  représentées  dans  le  palais  délia  Ra- 
gione,  alternèrent  avec  les  festins  (4)  et  les  bals.  Le  vendredi  4, 


(1)  Corradino  et  les  frères  Giorcjio  et  Maurelio  de  Sudochis^  tous  trois  de 
Modène,  employèrent  leurs  pinceaux  à  la  décoration  de  ces  arcs.  Le  peintre  Gio- 
vanni d'Iinola  travailla  avec  eux. 

(2)  Gregorovius,  t.  II,  p.  30. 

(3)  La  salle  était  ornée  de  cinq  grandes  tapisseries,  tissées  d'or,  d'aryent  et  de 
soie,  et  représentant  divers  sujets.  Quelques  autres  tapisseries  très  précieuses 
étaient  disposées  sous  le  baldaquin  qui  surmontait  le  trône.  (Chronique  de  Zam- 
botti,  citée  par  L.-N.  Cittadella  dans  ses  Notizie  relative  a  Ferrara,  t.  I, 
p.  649.) 

(4)  Il  y  en  eut  un  qui  fut  donné  par  la  marquise  de  Mantoue.  Elle  plaça  le 
représentant  de  la  France,  que  l'on  flattait  de  toutes  les  façons,  entre  elle  et  la 
duchesse  d'Urbin.  «  On  s'amusa  à  des  conversations  galantes  soumises  aux  formes 
les  plus  délicates.  Après  le  repas,  la  dame  marquise  chanta  en  s'accompagnant 
sur  le  luth  de  très  belles  chansons  pour  être  agréable  au  seigneur  aadjassadeur. 
Elle   le   conduisit   ensuite   dans  sa   chambre,  et  s'entretint   intimeuient   avec  lui 


LIVRE    PREMIER.  101 

le  duc  conduisit  ses  hôtes  dans  le  couvent  habité  par  Sœur 
Lucie  de  Narni  pour  leur  montrer  les  stigmates  de  cette  sainte 
religieuse  (1),  et  il  leur  fit  visiter  en  détail  le  Castello,  pourvu 
d'une  imposante  artillerie.  Dans  la  journée  du  5,  on  parcourut 
Ferrare,  puis  l'ambassadeur  de  France,  au  nom  de  Louis  XII, 
donna  au  duc  un  bouclier  d'or  avec  le  portrait  de  saint  Fran- 
çois en  émail,  à  don  Alphonse  un  bouclier  semblable  avec  le 
portrait  de  Marie-Madeleine  et  une  instruction  écrite  sur  la 
fonte  des  canons,  à  don  Ferrante  un  bouclier  également  en  or, 
et  à  Lucrèce  un  chapelet  d'or  avec  des  grains  remplis  de  musc. 
Le  dimanche  6,  une  messe  solennelle  fut  dite  dans  la  cathé- 
drale ;  un  camérier  papal  remit  à  don  Alphonse  un  chapeau 
et  un  glaive  bénits  qu'Alexandre  VI  avait  envoyés  pour  lui. 
Le  7,  un  tournoi  eut  lieu  sur  la  place  du  Dôme  entre  un 
tenant  de  Bologne  et  un  tenant  d'Imola.  Le  8,  les  ambas- 
sadeurs firent  cadeau  à  Lucrèce  de  belles  étoffes  et  d'objets 
en  argent  travaillé.  Le  présent  le  plus  singulier  fut  celui  de 
Niccolô  Dolfini  et  d'Andréa  Foscolo,  représentants  de  Venise, 
présent  qu'accompagnèrent  une  harangue  en  latin  et  une  en 
italien  :  il  consistait  en  manteaux  de  velours  cramoisi  garnis 
de  fourrures  et  de  capuchons  pareils.  Ces  manteaux  avaient 
été  confectionnés  aux  frais  de  l'État  pour  Dolfini  et  Foscolo, 
et  avaient  excité  la  plus  vive  admiration  dans  la  salle  du  grand 
conseil  et  sur  la  place  de  Saint-Marc.  L'un  comprenait  trente- 
deux  aunes  de  velours  et  l'autre  vingt-huit.  On  attachait  alors 
une  grande  importance  à  la  beauté  des  vêtements  ;  <  les  pein- 
tres indiquaient  la  disposition  des  couleurs,  le  jet  des  drape- 
ries et  la  forme  de  la  coupe  (2)  ''  ,  et  les  tailleurs  opéraient  sur 
de  magnifiques  étoffes  de  velours  et  de  soie,  agrémentées  de 


pendant  près  d'une  heure  en  présence  de  deux  dames  d'honneur,  l'uis  elle  ôta  ses 
gants  et  lui  en  fit  honimaye,  en  accompagnant  ce  cadeau  de  gracieuses  paroles,  et 
le  seigneur  ambassadeur  accepta  d'une  manière  aimable  et  respectueuse  un  pré- 
sent dont  l'origine  était  si  charmante.  »  (Gregorovius,  Lucrèce  Borqia,  t.  II. 
p.  54.) 

(1)  Il  sera  question  de   Sœur  Lucie  et  de  cette  visite  \  propos  de  la  cathédrale 
(liv.  II,  ch.  II). 

(2)  GREGORovirs,  t.  II,  p.  57. 


102  L'ART    FERRARAIS. 

broderies.  »  L'habillement  était  la  condition  essentielle  d  une 
belle  prestance  individuelle  (1).  '^  Enfin,  le  9  février,  les  am- 
bassadeurs vénitiens  vinrent  prendre  congé  de  Lucrèce  dans 
la  chambre  de  celle-ci,  où  se  trouvaient  Elisabeth  Gonzague 
et  Isabelle  d'Esté.  Ils  s'entretinrent  avec  la  marquise  de 
Mantoue,  qui  ne  les  charma  pas  moins  par  l'élégante  facilité 
de  son  élocution  et  la  prudence  de  ses  paroles  que  par  sa 
grâce  et  sa  beauté,  comme  l'écrivit  le  soir  même  à  son  mari 
son  secrétaire  Capilupo  (2). 

Lorsque  Lucrèce  Borgia  entra  dans  la  famille  d'Esté,  Ferrare 
avait  déjà  les  développements  que  nous  lui  voyons  aujourd'hui 
et  qui  étaient  dus  à  Hercule  I".  Trouvant  que  l'étendue  de  sa 
capitale  n'était  pas  en  rapport  avec  le  chiffre  d'une  population 
devenue  beaucoup  plus  nombreuse,  ce  prince,  en  1492,  crut 
nécessaire  de  l'agrandir  au  moins  de  moitié  du  côté  du  nord  et 
du  midi  (3).  D'après  les  plans  et  sous  la  direction  de  l'archi- 
tecte Biagio  Rosselti,  se  forma  un  nouveau  quartier  {ï Addiziotie 
Erculea  ou  Terra  Niiova) ,  qui  engloba  le  parc  de  Belfiore, 
Sainte-Marie  des  Anges,  le  petit  Barco,  la  Chartreuse,  Saint- 
Léonard  et  trois  des  faubourgs.  Tous  les  propriétaires  du 
duché  durent  fournir  à  leurs  frais  un  certain  nombre  de 
paysans  pour  les  travaux  ;  des  contributions  en  argent  furent 
imposées  à  tout  le  territoire  ferrarais  ;  les  artisans  eux-mêmes 
eurent  à  payer  un  impôt  particulier,  et  une  retenue  fut  faite 
sur  le  traitement  des  employés  de  la  cour  et  sur  celui  des  pro- 
fesseurs de  l'Université.  Autour  du  quartier  improvisé  par 
ordre  du  duc,  on  construisit  des  murs  avec  seize  tours  et  trois 
portes  munies  de  ravelins  (4),  tandis  qu'à  l'intérieur  on  per- 

(1)  Grecohovius. 

(2)  Voyez  cette  lettre  dans  l'intéressant  travail  de  M.  Alessandro  Luzio, 
intitulé  :  I precettori  d'Isabella  d'Esté.  Ancona,  Morclli,  1887,  p.  36. 

(3)  De  ce  dernier  coté,  la  cathédrale,  la  {grande  place  et  le  palais  ducal  se 
trouvaient  près  des  murs  et  des  fossés  de  la  cité. 

(4)  Biagio  Rossetti  fit  exécuter  ces  travaux  par  Alessandro  Biondo.  Les  tours  et 
les  portes  furent  achevées  dès  1497;  mais  les  murs,  commencés  en  1493,  ne 
furent  terminés  qu'en  1510.  (G.  Campobi,  GU  architetti  e  gV  ingegneri  civili  e 
militari  degli  Eatensi,  p.  47,  —  L.-]N'.  Cittadella,  Notizie  relative  a  Ferrara, 
t.  I,  p.  237.) 


LIVRE   PREMIER.  103 

çait  des  rues  spacieuses  et  droites  (1),  aujourd'hui  désertes,  le 
long  desquelles  plusieurs  grands  personnages,  pour  complaire 
au  souverain,  s'empressèrent  de  construire  des  palais,  qui 
n'ont  pas  tous  disparu. 

Quelque  attaché  qu'il  fût  à  sa  capitale,  Hercule  s'en  absen- 
tait volontiers,  tantôt  pour  réaliser  un  voyage  d'agrément, 
tantôt  pour  s  acquitter  d'un  vœu.  En  1476,  il  se  rendit  à 
Modène  et  à  Reggio,  comptant  y  trouver  des  distractions  inu- 
sitées. Venise  surtout,  Venise,  où  il  possédait  un  superbe  palais, 
l'attira  souvent  par  la  magnificence  des  fêtes  auxquelles  la 
République  le  convia  (2).  Après  la  paix  de  Bagnolo  (148  4),  en 
exécution  d'un  vœu  qu'il  avait  fait  pendant  la  maladie  dont  il 
avait  failli  mourir,  il  partit  de  Comacchio  avec  quatre  gros 
navires  et  une  fuste,  et  visita  Sainte-Marie  de  Lorette,  Saint- 
Nicolas  de  Bari  et  l'île  de  Tremiti.  C'est  aussi  à  l'occasion  d'un 
vœu  qu'il  entreprit,  en  1487,  un  pèlerinage  à  Saint-Jacques 
de  Gompostelle.  Ayant  annoncé  ses  intentions  à  la  France,  à 
l'Espagne ,  à  la  République  de  Venise ,  il  quitta  Ferrare  à 
cheval  le  29  janvier,  accompagné  de  cent  cinquante  personnes. 
Mais  il  n'avait  pas  dépassé  Milan  lorsque,  à  l'instigation  de 
Ludovic  le  More  qui  redoutait  une  entente  avec  le  duc  d'Or- 
léans dont  il  n'ignorait  pas  les  convoitises  sur  le  Milanais,  du 
roi  de  Naples  qui  ne  croyait  pas  impossibles  des  intrigues 
avec  le  roi  d'Aragon  regardé  par  lui  comme  un  rival  redou- 
table, et  des  Vénitiens  qui  craignaient  quelques  manœuvres 
ayant  pour  objet  de  leur  ravir  la  Polésine  de  Rovigo  récem- 
ment conquise.  Innocent  VIII  (3)  lui  ordonna,  sous  peine  d'ex- 
communication,  de  ne  pas  sortir  de  l'Italie,   et  changea   le 

(1)  Entre  autres  la  Via  délia  Giovecca,  qui  prit  la  place  des  fossés  de  la  ville, 
et  la  Via  degli  Aurjeli,  que  bordent  encore  plusieurs  palais  remarquables.  h'Ad- 
dizioiie  Erculea  est  traversée  par  deux  rues  lonj^ues  et  larjjes,  le  Corso  di  Porta 
Pô  avec  son  prolongement,  le  Corso  di  Porta  Mare  et  la  Strada  dei  Piopponi. 

(2)  Voyez  les  payes  consacrées  au  palais  des  princes  d'Esté  à  Venise  (iiv.  II, 
ch.  m). 

(3)  Innocent  VIII  avait  succédé  en  1484  à  Sixte  IV.  Pour  le  féliciter  do  son 
avènement,  Hercule  envoya  vers  lui  Gristoforo  Ranjjone,  un  de  ses  conseillers, 
Francesco  Ariosti  et  le  poète  Tito  Strozzi.  Celui-ci  prononça  un  discours  qui  a 
été  imprimé  deux  fuis. 


lOV  L'ART   FRriUARAlS. 

pèlerinage  de  Saint-Jacques  de  Compostelle  en  un  pèlerinage 
à  Rome.  Le  duc  de  Ferrare  se  résigna  et  partit  pour  Rome,  où, 
défrayé  de  tout  par  le  Souverain  Pontife,  il  passa  treize  jours. 
Il  n'y  perdit  pas  son  temps,  car  il  parvint  à  opérer  une  récon- 
ciliation entre  le  roi  de  Naples,  son  beau-père,  et  Innocent  VIII, 
entre  ceux-ci  et  le  duc  de  Milan,  son  futur  gendre,  service 
que  le  Pape  récompensa  en  ratifiant  la  nomination  d'Hippo- 
lyte  d'Esté  à  Farchevêché  de  Strigonio.  En  1493,  Hercule 
retourna  à  Milan,  afin  de  rendre  à  Ludovic  le  More  la  visite 
qu'il  en  avait  reçue,  et  l'année  suivante  il  y  séjourna  un  mois  ik  ?h 
environ  comme  lieutenant  de  Ludovic  le  More,  qui  avait  cru 
devoir  rejoindre  Charles  VIII  et  le  suivre  dans  sa  marche  à  iM'^^ 
travers  l'Italie.  Le  15  février  1504,  il  assista  dans  la  ville  de 
Mantoue  à  la  représentation  de  plusieurs  comédies.  Au  mois 
de  juillet,  il  se  jfit  transporter  en  litière  à  Florence,  dans  l'in- 
tention de  s'acquitter  d'un  vœu  à  l'Annunziata,  et,  après  avoir 
inspiré  de  graves  inquiétudes  à  son  entourage,  il  revint  fort 
malade  à  Ferrare. 

Ces  absences  réitérées  ne  restèrent  pas  sans  inconvénient 
pour  l'administration  du  duché.  La  sécurité  des  routes  laissa 
souvent  à  désirer.  A  Ferrare  même,  il  arriva  que  des  boutiques 
furent  saccagées  en  plein  midi  (1). 

Ce  que  l'on  peut  reprocher  surtout  à  Hercule  P"",  c'est  la 
vente  à  outrance  des  offices  publics,  expédient  qui  comblait 
le  vide  fait  dans  le  trésor  ducal  par  des  dépenses  excessives, 
mais  qui  amenait  d'insupportables  extorsions,  les  possesseurs 
des  charges  pressurant  le  peuple  à  l'envi  pour  recouvrer  les 
sommes  exigées  d'eux,  ou  se  permettant  les  plus  étranges  abus 
de  pouvoir  (2).   Ces  extorsions  provoquèrent  plus  d'une  fois 

(1)  Frizzi,  Memorie  per  la  stoi-ia  di  Ferrara,  t.  IV,  p.  160. 

(2)  Le  peintre  Baldassare  d'Esté  se  plaijjnit  d'avoir  été  payé  par  les  trésoriers 
du  duc  en  monnaie  qui  n'avait  pas  cours.  —  Voyez  tous  les  abus  de  fiscalité  que 
M.  Venturi  a  sijjnalés  dans  son  curieux  travail  sur  Hercule  I".  Le  duc  n'encou- 
rageait-il pas  lui-ruènie  les  méfaits  de  ses  agents  quand  il  réclamait  des  somuies 
exorbitantes?  Après  la  guerre  contre  les  Vénitiens,  il  les  poussa  à  imposer  des 
amendes,  s'étonnant  que  le  produit  des  contraventions  eût  diminué.  «  On  n'est 
pourtant  pas  plus  saint  qu'autrefois  » ,  s'érriait-il.  [Atti  e  memorie  dclle  deputazioni 
di  storia  patria  per  le  provincie  di  liomagiia,  janvier-juin  1888,  p.  93-96.) 


LIVRE    PREMIER.  105 

d'atroces  vengeances  :  elles  coûtèrent  la  vie  au  podestat  de 
Massafiscaglia(1488)  et  à  celui  d'Argenta  (1489),  que  le  peuple 
massacra.  Un  capitaine  de  justice  ou  directeur  de  la  police, 
Gregorio  Zampante,  fut  aussi  la  victime  de  ressentiments  trop 
justifiés  (1496)  (1).  Tout  le  monde,  y  compris  les  fils  et  les 
frères  du  duc,  tremblait  devant  lui.  Grâce  aux  amendes 
énormes  qu'il  infligeait,  cet  u  ennemi  de  Dieu  et  des  hommes  " 
ne  mettait  pas  de  côté  moins  de  deux  mille  ducats  par  an.  S'il 
était  redouté  des  honnêtes  gens,  il  avait  pour  lui  certains  mal- 
faiteurs qui  satisfaisaient  sa  cupidité  et  auxquels  il  procurait 
non  seulement  l'impunité,  mais  la  faveur  du  souverain.  Jamais 
il  ne  sortait  sans  être  escorté  d'archers  et  de  sbires.  Quoiqu'il 
fût  toujours  sur  ses  gardes,  il  fut  étranglé  pendant  qu'il  faisait 
sa  sieste  par  deux  étudiants  et  un  Juif  baptisé,  qui  parvinrent 
à  s'introduire  chez  lui,  et  qui,  après  ce  meurtre,  réussirent  à 
quitter  le  territoire  avant  que  les  troupes  lancées  à  leur  pour- 
suite eussent  pu  les  atteindre. 

Une  des  principales  passions  d'Hercule  P'  fut  celle  de  bâtir 
et  de  rehausser,  par  des  constructions  nouvelles,  l'éclat  de  sa 
capitale  (2).  Il  agrandit  la  partie  supérieure  du  Castello,  mit 
cet  édifice  en  communication  avec  l'ancienne  résidence  de  sa 
famille  au  moyen  de  cinq  arcades  (1472),  fit  disposer  au  nord 
du  château  ducal,  près  de  la  porte  des  Lions,  un  jardin  avec 
une  fontaine  ornée  de  marbres  et  de  sculptures  (3),   et  con- 


(1)  BuRCKHARDT,  Die  Cultur  (1er  Renaissance,  p.  40-41. 

(2)  Lui-même  s'entendait  en  .trchitecture  et  avait  des  connaissances  pratiques. 
C'est  ce  que  Matteo  Bossi  reconnaissait  lorsque,  écrivant  de  Venise  à  un  certain 
Desiderio  occupé  à  surveiller  la  construction  d'un  monastère  à  Ferrare,  il  lui 
conseillait  de  s'en  tenir  aux  idées  du  duc  :  «  Sil  ille  nuigister,  sit  ille  auclor  et 
architectus  rerum  islavuin  :  qui  ut  in  ceteris  prœclarixsimis  mullis,  sic  plane  in 
iircltitectura  et  fahref activa  prœcedit  onmes.  «  '^Campoiu,  Gli  aicltitctti  e  gl'  in'/c- 
gneri  detjli  Estensi,  p.  8-9.) 

(3)  Cette  fontaine  eut,  dit-on,  pour  auteur  Scaco  de  Porno  da  Nizza,  ingénieur 
au  service  du  duc  avec  un  traitement  de  seize  lire  par  mois.  La  Commune,  de 
son  côté,  fit  établir  sur  la  place  du  Marché,  près  do  la  Loggia  dei  cordonnicri, 
une  fontaine  qui  a  été  détruite  en  1548.  —  Un  autre  injjcnieur  qui  excellait  à 
tailler  le  porphyre  et  à  faire  des  fontaines  fut  maitre  Donienico  da  Verona,  que 
Peilejirino  Prisciano  recommanda  instaninient  au  du(;  dans  une  lettre  écrite  de 
Venise  le  3  décendjre  1491.  —  Un  Juif  milanais  offrit  à  Hercule   I"  en  1480  un 


106  T/ART    FERRARAIS. 

struirc  la  chapelle  de  la  cour  (1),  ainsi  que  l'escalier  par  lequel 
on  monte  à  présent  au  palais  municipal.  Un  petit  parc  et  un 
grand  augmentèrent  les  agréments  du  séjour  de  Belfiore. 
Simone  Bettini  édifia  un  palais  à  Montecchio  en  1498,  proba- 
blement d'après  le  dessin  de  Biagio  Rossetti  (2).  Le  duc  tint 
à  honneur  de  renouveler  les  églises  de  Saint-François  et  de 
Sainte-Marie  des  Anges  (3),  et  d'élever  celles  de  Santa  Maria 
in  A'ado,  de  Saint-Benoît  et  de  Sainte-Marie  de  la  Consolation, 
sans  compter  l'église  actuelle  des  Chartreux  (i).  La  cathédrale 
lui  dut  le  chœur  qu'on  admire  aujourd'hui.  Pour  les  religieuses 
de  Mortara,  il  prépara  un  monastère  et  une  église.  Enfin,  le 
2  juin  1499,  il  fonda  pour  la  B.  Lucia  Broccadelli  de  Narni 
et  pour  quelques  religieuses  dirigées  par  les  Dominicains  de 
Sainte-INIarie  des  Anges  le  monastère  de  Sainte-Catherine  de 
Sienne,  qui  fut  en  état  d'être  habité  le  5  août  1501  (5).  Her- 
cule I"  employa  surtout  comme  architectes  Piero  di  Benve- 
nuto,  qui  mourut  vers  la  fin  de  1483,  Biagio  Rossetti,  qui  cessa 
de  vivre  en  1516,  et  Bartolomeo  Tiistano  (6). 


dessin  de  fontaine  pour  lequel  il  reçut  trois  brasses  et  demie  de  satin  noir.  — 
Enfin  le  duc  fit  faire  aussi  à  Reggio  des  fontaines  si  bien  aménagées  que  le  duc  de 
Mantoue  envoya  son  premier  ingénieur  Luca  Fancelli  pour  les  examiner  et  lui 
en  rendre  compte  (1479).  (Campori,  Gli  architetti  e  rjl'  inijequeri  degli  Estcnsi, 
p.  42-43.) 

(1)  Francesco   Ariosto  a   décrit  cette  chapelle  en   1476.   Sa  description,  con 
servée   en    manuscrit    dans  la    Bibliothèque    d'Esté    à    Modcne,    a    pour    titre  : 
»  Origine  c  silo  del  iiovo  sacello  dedicado...  intro  el  magiio  e  mitgnijtco  ptdltizo 
ducale  de  Ferrara.  » 

(2)  Le  20  juin  1493,  Hercule  avait  accordé  à  Bettini  l'usufruit  de  l'auberge 
del  Baccanello  et  l'avait  exempté  de  certaines  taxes  à  condition  que  Bettini  prit 
à  sa  charge  l'entretien  des  ouvra{;es  en  bois  dans  la  forteresse  de  Brescello  et 
qu'il  assumât  la  surveillance  des  édifices  à  Brescello,  à  Castelnovo,  à  Scurano  et 
à  Bazzano.  (Campori,  Gli  architelti,  etc.,  p.  44.) 

(3)  C'est  à  Sainte-Marie  des  Anges  qu'il  fut  enseveli. 

(4)  A  la  plupart  des  églises  de  Fcrrare,  il  donna  des  objets  sacrés  d'une  valeur 
considérable. 

(5)  Sur  la  demande  de  la  reine  de  ÎNaples,  sa  belle-sœur,  Hercule  I"  intro- 
duisit aussi  à  Ferrare  (1486)  l'Ordre  des  Minimes,  fondé  par  saint  François  de 
Paule  encore  vivant.  —  Ses  libéralités  aux  couvents  de  sa  capitale  témoignèrent 
souvent  de  sa  piété.  H  se  plaisait  à  envoyer  aux  religieux  et  aux  religieuses  des 
légumes,  des  poissons,  des  salaisons,  des  fromages. 

;6)  Sans  être  au  service  d'Hercule  \",  Sebastiano  Serlio  dédia  à  ce  prince  ses 
Begole  getierali  d'architettiua,    mais  il    ne   s'en   trouva  probablement  pas  assez 


LIVTiE    PREMIER.  107 

Sous  le  successeur  de  Borso ,  la  protection  accordée  aux 
lettres  et  aux  sciences,  ainsi  qu'à  ceux  qui  en  étaient  les  dignes 
représentants,  ne  fut  pas  interrompue.  Grâce  à  lui,  l'Université 
devint  de  plus  en  plus  florissante  :  quoique  les  maîtres  ne 
fussent  plus  payés  par  la  chambre  ducale,  elle  compta  jusqu'à 
cinquante  professeurs,  parmi  lesquels  se  firent  remarquer 
Lorenzo  Roverella,  qui  fut  évêque  de  Ferrare ,  Fra  Cesario 
Contughi  (1),  Felino  Sandeo  (2),  Battista  Guarini  (3),  Giuliano 
da  Parma,  Ludovico  Coccapani  de  Carpi  (4).  Sans  être  dénué 
de  toute  culture  littéraire.  Hercule  I"  n'avait  guère  appris  à 
Naples,  où  il  fut  élevé,  que  le  maniement  des  armes,  l'art 
militaire  et  les  exercices  du  corps  en  honneur  dans  toutes  les 
cours  italiennes.  Mais  le  goût  de  l'histoire  s'éveilla  en  lui, 
pendant  une  maladie,  à  la  lecture  d'un  Qulnte-Curce,  traduit 
en  italien  par  Candido  Decembrio,  qui  le  lui  avait  mis  entre 
les  mains.  Dès  lors,  il  encouragea  la  traduction  des  ouvrages 
historiques.  Matteo  Maria  Boïardo,  l'illustre  auteur  de  Y Orlando 

récompensé,  car  il  offrit  ensuite  le  même  ouvrajje  avec  une  nouvelle  dédicace  au 
roi  de  France,  appelé  par  lui  «  mio  uiiico  Signore  »  .  Né  en  1475,  Serlio  mourut 
en  1552. 

(1)  Il  existe  une  médaille  de  ce  personnage  par  Sperandio. 

(2)  Felino  Sandeo  (1444-1513)  appartenait  à  une  famille  de  Lucques  qui, 
après  avoir  émigré  à  Venise,  s'était  fixée  à  Ferrare.  Il  eut  pour  père  Antonio 
Sandeo,  pour  mère  Francesca  Ariosti.  Le  hasard  le  fit  naître  à  Felina,  sur  le 
territoire  de  Reggio;  de  là  son  nom  de  Felino.  Dès  l'àjje  de  vingt  et  un  ans,  il 
enseigna  le  droit  canon  à  l'Université  de  Ferrare.  En  1474,  il  passa  à  l'Université 
de  Plse,  au  service  de  laquelle  il  resta  trois  ans.  Il  reprit  ses  leçons  à  Ferrare  sur 
les  instances  d'Hercule  (voyez  la  lettre  du  duc  dans  L'arte  ferraiese  nel  periodo 
d'Ercole  I  d'Esté,  par  M.  Ad.  Venturi,  p.  113),  mais  il  se  laissa  séduire  de  nou- 
veau par  les  offres  des  l'isans.  En  i486,  il  se  rendit  à  Rome,  subit  un  examen 
tians  lequel  il  déplova  une  rare  érudition,  fut  nommé  auditeur  de  rote,  conquit 
la  faveur  d'Innocent  VIII  et  devint  évêque  de  Penna,  puis  évêque  de  Lucques 
(1501).  Hercule  P'',  en  correspondance  avec  lui,  ne  manqua  aucune  occasion 
de  lui  témoigner  son  estime.  Sandeo  composa  des  ouvrages  de  droit  très  appré- 
ciés. 

(3)  Le  Juge  des  Sages  ayant  voulu,  selon  la  coutume,  faire  une  retenue  sur 
les  appointements  de  Guarini,  celui-ci  réclama  auprès  d'Hercule  P"",  qui  lui  donna 
satisfaction  (14  avril  1472).  (Ad.  Vesturi,  L'arte  ferrarese  nel  periodo  d'Er- 
cole I  d'Esté.) 

(4)  Etant  recteur  de  l'Université,  Coccapani  demanda  au  duc  certaines  faveurs 
pour  les  élèves  étrangers  qui  suivaient  les  cours  de  médecine.  Le  duc  y  consentit 
de  bonne  grâce  et  accorda  les  même  privilèges  aux  élèves  qui  suivaient  les  cours 
de  droit,  (xid.  Venturi,  Varte  ferrarese  nel  periodo  <£Ercole  1  d' Este.) 


108  L'ART   FERUARAIS. 

Innaniorato,  traduisit  pour  lui  Hérodote  et  Xénophon  (1).  Fla- 
vius Josèphc  fut  traduit  par  Battista  Panetti,  Procope  par  Leo- 
niceno,  Ammien  Marcellin  par  Decembrio,  tandis  que  d'autres 
lettrés  se  chargeaient  de  traduire  Dion  et  Diodore.  Pour  se 
procurer,  à  Venise,  un  Justin  en  italien,  le  duc  ne  recula  devant 
aucune  démarche  (1499).  Aide  Manuce,  Tito  Strozzi  et  son  fils 
Ercole,  Lodovico  Carbone,  Carlo  Maria  Strozzi  (i2),  les  poètes 
Francesco  Bello  (surnommé  l'Aveugle  de  Ferrare),  Tribraco, 
Cornazzano ,  Niccolù  Cosmico,  Timoteo  Bendelei,  Antonio 
Tebaldeo,  Niccolo  da  Correggio  (3)  et  TArioste  contribuèrent 
également  à  faire  de  la  capitale  des  princes  d'Esté  un  centre 
littéraire  des  plus  actifs  (-4) .  Battista  Guarini  I"  (1435  ou  1436- 
1505),  que  nous  avons  déjà  nommé,  occupa  aussi  une  place 
importante  dans  cette  société  d'hommes  distingués  (5). 

(1)  Ce  fut  aussi  dans  l'intention  île  complaire  à  son  protecteur  qu'il  traduisit 
VAne  d'or  J'ApulÉe  et  qu'il  composa,  en  s'inspirant  de  Lucien,  sa  comédie  de 
Timon. 

(2)  Il  traduisit  les  discours  d'Isocrate. 

(3)  Il  existe  des  médailles  représentant  Carbone,  Tebaldeo  et  Antonio  da  Cor- 
rcggio. 

(4)  Pour  égayer  les  fêtes  et  les  festins,  Hercule  \"  eut  recours  à  deux  improvi- 
sateurs, Francesco  Cieco,  auteur  du  Mamhriano,  et  Giovanni  Orbo,  qui  chan- 
taient des  canzones  et  des  sonnets  en  s'accompagnant  de  la  lyre.  Le  duc  les 
récompensa  souvent  par  des  dons  d'argent  ou  d'étoffes.  —  A  la  cour  d'Hercule  l" 
parut  aussi  un  poète  satirique,  Antonio  Cammelli,  dit  le  Pistoia.  Pendant  que 
ISiccolô  da  Correggio  ressuscitait  la  comédie,  Cammelli  inaugura  la  tragédie  nou- 
velle. (Ad.  VeiNTURI,  L'arte  ferrarese  nel  periodo  d'Ercole  I  d'Esté,  p.  102, 
118.) 

(5)  Il  était  le  dernier  tils  de  Guarino  de  Vérone  et  de  Taddea  Cendrati.  On  ne 
sait  s'il  naquit  à  Ferrare  ou  à  Vérone;  en  tout  cas,  il  fut  citoyen  de  Ferrare,  et 
c'est  là  surtout  qu'il  vécut.  Dès  1456,  il  se  signala  comme  professeur  à  l'Univer- 
sité de  Bologne,  et  il  n'avait  encore  que  vingt-quatre  ou  vingt-cinq  ans  lorsque, 
après  la  mort  de  son  père  (1460J,  Borso  lui  offrit  la  chaire  oîi  celui-ci  avait  pro- 
fessé avec  tant  de  succès.  A  son  tour,  il  captiva  longtemps  par  sa  parole  de  nom- 
breux auditeurs,  parmi  lesquels  on  peut  citer  Jean  Pic  de  la  Mirandole  et  Aide 
Manuce.  Pontico  Virunio  ne  manqua,  dit-on,  que  trois  de  ses  leçons.  Lilio 
Gregorio  Giraldi,  qui  composa  des  vers  en  son  honneur,  compare  son  école  au 
cheval  de  Troie,  parce  qu'il  en  sortit  un  grand  nombre  de  vaillants  lettrés.  Les 
aptitudes  de  Battista  Guarini  ne  se  bornaient  pas  à  l'enseignement  de  la  littéra- 
ture. Borso  confia  à  l'éloquent  érudit  de  délicates  missions  en  France  et  le 
récompensa  de  l'habileté  avec  laquelle  il  s'en  acquitta  en  lui  donnant  quelques 
propriétés  dans  la  Polésine  de  Rovigo.  Hercule  I"  ne  fit  pas  moins  grand  cas  de 
lui.  Alphonse  I"  le  prit  pour  secrétaire,  et  René  d'Anjou,  roi  de  Naples,  lui 
accorda  les  titres  de  sénateur  et  de  conseiller.  Guarini  prononça  le  4  octobre  1493 


LIVRE   PREMIER.  109 

Dans  son  désir  de  s'instruire,  Hercule  I",  que  stimulaient, 
d'ailleurs,  ses  relations  avec  tant  de  lettrés,  n'oublia  pas  la 
bibliothèque  du  château,  organisée  par  ses  prédécesseurs.  Il 
l'accrut  notablement.  M.  Yenturi  a  publié  la  liste  des  livres 
qui  y  prirent  place  à  cette  époque.  ^lais  il  y  réfjnait,  au  dire 
de  Pellegrino  Prisciano,  ^  un  désordre  qui  eût  inspiré  de  la 
compassion  au  diable  >'  .  Dans  une  lettre  au  duc  (19  novembre 
1485),  Prisciano,  alors  ambassadeur  de  Ferrare  à  Venise, 
constate  que  la  Chronique  de  Villani  avait  passé  entre  les  mains 
des  Strozzi,  que  Jacopo  da  Porto  détenait  une  Chronique  de 
Ferrare,  qu'un  autre  ouvrage  était  chez  Giovanni  del  Brutura, 
qu'on  ne  savait  plus  où  se  trouvait  le  livre  de  Léon-Baptiste 
Alberti  sur  l'architecture  et  la  perspective  (1). 

En  favorisant  la  culture  littéraire  dans  sa  capitale.  Her- 
cule I"  ne  faisait  que  continuer  les  traditions  de  sa  famille.  Ce 
qui  lui  appartient  en  propre,  c'est  l'honneur  d'avoir  restauré 
le  théâtre  à  Ferrare  (2).  Grâce  à  lui,  Ferrare  devint,  ce  qu'elle 
resta  longtemps,  la  ville  par  excellence  des  représentations 
dramatiques  (3).  Dès    1476,  la  légende  de  saint  Jacques  fut 

l'oraison  funèbre  de  la  duchesse  de  Ferrare,  Elconore  d'Arayon,  et  fut  l'auteur 
d'un  poème  qu'il  dédia  à  Hercule  I".  Il  traduisit  en  latin  les  œuvres  de  Lucien, 
ainsi  que  plusieurs  discours  de  Déniostliène  et  de  saint  Gré{;oire  de  jNazianze,  écri- 
vit des  commentaires  sur  Juvénal,  annota  Cicéron  et  Ovide.  Il  fit  éjjalement  des 
bucoliques.  Très  largement  rémunéré  par  les  princes  d'Esté,  il  laissa  dans  l'ai- 
sance ses  fils,  qui  devaient  continuer  à  illustrer  le  nom  de  Guarini. 

(1)  Ad.  Vesturi,  L'artc  ferrarcse  iiel  pcriodo  d'Eicolc  I  d'EsIe,  p.  103-112 
(13-21  dans  le  tirage  à  part). 

(2)  L'exemple  avait  été  déjà  donné  ailleurs,  h' Ai-miranda  de  Gianimichele 
Alberto  da  Carrara  avait  été  incitée  à  Padoue  avant  1458.  \JOrphée  de  Politien, 
le  premier  essai  de  drame  profane  en  langue  vulgaire,  composé  en  deux  jours  à  la 
prière  du  cardinal  François  Gonzague,  avait  été  représenté  à  Mantoue  en  juil- 
let 1471,  parles  soins  du  Florentin  Bartolomuieo  ou  Baccio  Ugolini,  devant  une 
nondjreuse  assistance,  réunie  pour  honorer  la  présence  du  duc  et  de  la  duchesse 
de  Milan  Galéas  Sforza  et  Bone  de  Savoie.  A  Rome,  vers  1480,  Poniponius  Letus 
avait  mis  en  faveur  chez  plusieurs  cardinaux,  notamment  chez  le  cardinal  Raffaello 
Riario,  la  représentation  des  pièces  de  Plante  et  deTérence.  (Isidoro  del  Lungo, 
L'Orfeo  del  Poliziano  alla  corte  di  Mantova,  dans  la  yuova  Antolocjia, 
vol.  XXVIII,  série  II,  15  août  1881,  p.  555-557.) 

(3)  M.  Ch.  Yriarte,  dans  un  de  ses  articles  sur  Isalj(;llc  d'Esté  publiés  par  la 
Gazette  des  Beaux-Arts,  rapporte  ((uc  Manle(jna  séjourna  à  Ferrare  lors  d'une 
des  représentations  théâtrales,  et  qu'il  brossa  uu  décor  représentant  les  Triomphes 
de  Pétrarque. 


110  L'AllT    l'ElUlARAIS. 

jouée  sur  la  priucipale  place  de  la  ville  ;  mais  c'est  la  rcprë- 
sentatiou  des  Ménechmes  de  Plaute  en  italien  (1186)  qui,  à 
proprement  parler,  inaugura  la  résurrection  de  l'art  théâtral. 
Cette  représentation,  qui  coûta  plus  de  mille  ducats,  eut  lieu 
dans  la  nouvelle  cour  du  palais  ducal,  où  l'on  avait  disposé 
une  scène  en  bois  et  en  toile  peinte  (1);  elle  avait  attiré  un 
grand  nombre  d'étrangers ,  et  les  éloges  qu'elle  provoqua 
eurent  un  retentissement  considérable  en  dehors  des  Etats 
ferrarais.  A  l'instigation  d'Hercule  I",  toutes  les  pièces  de 
Plaute  et  de  Térence  furent  bientôt  traduites,  et  ses  contem- 
porains composèrent  à  leur  tour  des  comédies,  des  tragédies, 
des  pastorales.  Pandolfo  Gollenuccio  (:2)  ,  Girolamo  Berardo, 
Boïardo,  Antonio  Pistoia,  Battista  Guarini,  Lodovico  Ariosto, 
créèrent  un  nouveau  répertoire  (3).  En  1487  (21  janvier),  le 
duc  fit  jouer,  toujours  dans  la  cour  du  château,  la  fable  de 
Cefalo,  due  à  INiccolù  da  Correggio  (4),  pour  rehausser  l'éclat 
du  mariage  de  son  favori  Giulio  Tassone  avec  Ippolita  Con- 
tran, et  des  intermèdes  de  musique  instrumentale  ajoutèrent 
à  l'agrément  des  spectateurs  (5).  Le  25  du  même  mois,  le 
mariage  de  Lucrezia,  fille  naturelle  d'Hercule  F',  avec  Anni- 
bale  Bentivoglio,  servit  de  prétexte  à  la  représentation,  sur  le 
même  théâtre,  de  V Amphitryon  de  Plaute,  que  l'on  joua  encore 
le  5  février,  en  y  joignant  les  Travaux  d'Hercule.  Au  milieu  des 

(1)  Lazaro  Grimaldi  de  Re{;;;io  peignit  deux  idoles  pour  cette  représentation. 

(2)  Parmi  les  productions  de  Gollenuccio,  nous  signalons  une  pièce  dont  le 
texte  est  accompagné  d'un  gracieux  encadrement  de  page  et  d'une  intéressante 
gravure  sur  bois,  «pii  représente  Isaac  bénissant  J^cob  en  présence  de  Rebecca. 
Voici  le  titre  de  cette  pièce  :  Comedia  de  Jacob  e  de  Joseph  composta  dal  magni- 
fico  cavalliero  e  dottore  Messere  Pandolpho  Collenutio  da  Pcsaro  ad  instantia 
de  lo  Illustriss.  cl  cxcellentiss'uno  Sig .  Ducha  Hevcholc  de  Ferai-a  iii  terza  rima 
istoriata.  —  Stampata  nella  inclita  città  di  Venezia  per  Niccolà  Zopino  et 
Vicentio  compa(/no  nel  MDXXIII  adi  XIIII  de  acjosto...  reqnante  lo  inclito 
principe  Messcr  Andrca  Gritti.  In-S".  (lîibl.  de  M.  Piot,  1'"'  partie,  1891, 
n"  590.) 

(3)  Les  acteurs  les  plus  applaudis  à  Ferrare  furent  Francesco  Ruino  et  Pignatta, 
qu'attirèrent  les  autres  villes  de  l'Italie  pour  former  chez  elles  de  bons  acteurs. 

(4)  Le  marquis  Niccolô  da  Correggio  était  neveu  de  Lionel  d'Esté  et  gendre  de 
CoUeone.  Il  résida  longtemps  auprès  de  Ludovic  le  More  et  mourut  en  1508  à 
Ferrare. 

:5)  TiRAnoscHi,  Sloria  délia  Icttcraluia  italiana,  t.  VI,  p.  1318  et  sniv. 


l.IVUE   PREMIER.  lil 

fêtes  célébrées  en  Thonneur  d'Isabelle  (1  490),  à  Foccasion  de 
son  mariage  avec  le  marquis  de  Mantoue,  on  joua  une  comédie 
dont  le  titre  est  resté  inconnu,  et  c'est  en  faisant  jouer  les 
Ménechmes  (1)  et  V Amphitryon  (1491)  (2)  que  le  duc  fêta  l'arri- 
vée d'Anna  Sforza,  épousée  à  Milan  par  son  fils  Alphonse.  Les 
Ménechmes  semblent  avoir  été  une  des  pièces  les  plus  goûtées 
à  cette  époque,  car  on  la  représenta  encore  lorsque  Ludovic  le 
More,  en  1493,  vint  avec  sa  femme  Beatrix  d'Esté  à  Ferrare, 
qui  posséda  en  même  temps  le  marquis  de  Mantoue  et  Isabelle 
d'Esté.  Dans  les  récits  des  historiens  du  temps,  il  est  qvies- 
tlon  aussi  de  comédies  à  la  cour  en  1498,  et  c'est  à  Plante 
qu'on  demanda  un  surcroit  de  distractions,  dès  que  Lucrèce 
Borgia,  la  seconde  femme  d'Alphonse  d'Esté,  fut  arrivée  à  Fer- 
rare(1502).  «  La  scène,  qui  s'élevait  au-dessus  du  niveau  de  la 
salle,  et  qu'on  appelait  le  tribunal,  avait  environ  quarante-cinq 
aunes  de  long  et  cinquante  de  large.  On  y  voyait  des  maisons  de 
bois  peint  et  les  décors  indispensables,  comme  des  rochers,  des 
arbres,  etc.  Sur  le  côté  qui  faisait  face  aux  assistants,  elle  était 
fermée  par  un  mur  de  bois  surmonté  de  créneaux  figurant 
ceux  d'un  rempart.  Sur  la  partie  antérieure  de  la  scène,  c'est- 
à-dire  à  l'orchestre,  prenaient  place  les  personnes  princières, 
tandis  que  l'espace  réservé  aux  spectateurs  d'un  rang  moins 
élevé  formait  un  amphithéâtre  qu'occupaient  treize  rangées 
de  sièges  recouverts  de  coussins  et  divisés  de  telle  sorte  que 

(1)  Un  acteur  énonça  d'abord  la  substance  de  la  pièce  et  indiqua  aux  specta- 
teurs le  moyen  de  reconnaître  les  deux  frères.  Pendant  la  représentation,  le  bait- 
tlitore  excita  l'hilarité  générale  lorsque,  ajoutant  au  texte  de  Plante  des  réflexions 
de  son  cru,  il  engagea  ceux  qui  auraient  une  femme  revêche  à  s'en  débarrasser. 
11  y  eut  trois  intermèdes.  Le  premier  se  composa  d'une  danse  que  l'on  exécutait 
une  toupie  à  la  main.  Dans  le  second,  Apollon  chanta  quelques  vers  élégiarjucs 
en  s'accompagnant  de  la  lyre.  Derrière  lui  se  tenaient  neuf  Muses  qui  chantèrent 
au  son  de  la  lyre  plusieurs  canzones  «  con  tanta  concordantia  et  suavita  de  voce 
cfie  nonse  poi-ria  dire  uieglio  "  .  Dans  le  troisième  intermède,  une  troupe  de  vil- 
lageois tenant  des  pioches,  des  bêches,  des  boyaux,  des  vans,  des  râteaux,  dansa 
une  moresque  avec  accompagnement  de  tambourin  ;  en  (juittant  la  scène,  ils 
employèrent  leurs  instruments  à  se  frapper  les  uns  les  autres  sur  les  épaules,  ce 
qui  amusa  beaucoup  le  pu!)lic.  (G.,  Nuzze  e  commedic  alla  cortc  di  Ferrara  ncl 
febbraio  1491,  dans  V Archivio  lombardo,  t.  XI,  année  1884,  p.  749.) 

1^2)  Dans  les  intermèdes,  on  représenta  les  Travaux  d'Hercule,  et  un  ballet  fut 
dansé  par  des  jeunes  gens  dont  le  costume  était  garni  de  lierre. 


112  L'ART    FERRARAIS. 

les  femmes  étaient  au  milieu  de  la  salle  et  les  hommes  de 
chaque  côté.  Tout  l'espace  libre  pouvait  contenir  environ  trois 
mille  personnes  (1).  " 

Pour  la  circonstance,  le  duc  avait  fait  venir  des  acteurs 
étranjjers  ;  Mantoue,  Sienne  et  Rome  lui  en  avaient  fourni  ;  sa 
troupe  se  composait  de  cent  dix  sujets,  auxquels  on  avait  pré- 
paré des  costumes  neufs. 

Le  jeudi  3  février  1502  eut  lieu,  dans  la  grande  salle  du 
palais  délia  Ragione,  la  première  représentation  dramatique. 
"  Le  duc  fit  d'abord  avancer  tout  le  personnel  théâtral  masqué 
et  costumé  afin  de  le  passer  en  revue;  puis  le  directeur  de  la 
troupe  s'avança  sous  le  déguisement  de  Plaute,  adressa  un 
compliment  au  couple  princier  et  récita  brièvement  son  pro- 
gramme,  c'est-à-dire  l'argument  de  toutes  les  pièces  qui 
devaient  être  jouées  en  cinq  soirées.  -^ 

Ce  fut  VEpidicus  qui  fut  d'abord  offert  à  l'admiration  des 
spectateurs.  Un  ballet  appelé  moresque  suivit  chacun  des 
actes.  "  On  vit  d'abord  s'avancer  dix  gladiateurs  ;  ils  dansèrent 
au  son  des  tambourins  en  échangeant  les  armes  qu'ils  por- 
taient. Dans  une  deuxième  danse  gueriière  figuraient  douze 
personnages  portant  un  autre  costume.  Pour  la  troisième 
moresque,  on  vit  vm  char  traîné  par  une  licorne  que  conduisait 
une  jeune  fille.  Au-dessus  se  trouvaient  quelques  personnes 
attachées  à  un  tronc  d'arbre  et  quatre  joueurs  de  luth  assis 
dans  un  bosquet.  La  jeune  fille  délivrait  les  captifs,  qui  des- 
cendaient sur  la  scène  et  se  mettaient  à  danser,  tandis  que  les 
joueurs  de  luth  chantaient  de  belles  canzone...  La  quatrième 
moresque  fut  dansée  par  dix  nègres  qui  avaient  à  la  bouche 
des  chandelles  allumées.  La  cinquième  eut  pour  acteurs  dix 
autres  personnages  avec  des  costumes  de  fantaisie,    plumes 

(1)  Gregorovius,  Lucrèce  Borgia,  t.  II,  p.  42-43.  —  Ces  détails  sont  tirés 
d'une  lettre  qu'Isabelle  d'Esté  écrivit  à  son  mari  le  marquis  François  Gonza{;ue 
en  janvier  15u2,  lettre  qui  a  été  publiée  par  le  comte  Carlo  d'Arco  [Notizic  di 
Isabclla  Estense  Gonzana,  dans  V Aichivio  storico  italiano,  appendice  alla  série  I, 
vol.  II)  et  reproduite  par  M.  Isidoro  del  Lungo  dans  son  Oi-feo  dcl  Poliziano 
■alla  cortc  di  jSlcDitova.  (Niiova  Antoloijia,  vol.  XX^  III,  série  II,  15  août  1881, 
p.  550.) 


LIVRE   PREMIER.  113 

sur  la  tête  et  lances  au  poing  dont  rextrémité  était  enflammée. 
A  la  fin  de  VEpidicus,  l'assistance  fut  régalée  d'exercices  de 
jongleurs  (1).  ^ 

Le  lendemain  (vendredi  4  février) ,  représentation  des  Bac- 
chides.  Dans  les  ballets  des  entr'actes,  on  vit  des  acteurs  qui 
étaient  vêtus  de  maillots  couleur  de  chair  et  qui  tenaient  à  la 
main,  en  dansant,  des  flambeaux  d'où  s'élevaient  des  flammes 
parfumées.  D'autres  figures  fantastiques  représentèrent  un 
combat  contre  un  dragon  (2). 

Dans  la  soirée  du  dimanche  G  février,  on  joua  le  Miles  glo- 
riosus.  Une  danse  rustique,  exécutée  par  dix  bergers  ayant  des 
cornes  de  bélier  sur  la  tète  et  luttant  entre  eux,  remplit  un  des 
intermèdes. 

Le  7  février,  on  donna  V Asinarius  avec  une  moresque  très 
originale.  «  Les  spectateurs  virent  apparaître  sur  la  scène 
quatorze  satyres,  dont  l'un  tenait  une  tête  d'àne  argentée  dans 
laquelle  se  trouvait  placée  une  horloge  à  carillon.  Des  paysans 
dansaient  aux  sons  qui  en  sortaient  et  exécutaient  ensuite  une 
chasse  aux  oiseaux  et  aux  bétes  sauvages  de  toute  espèce. 
Après  cette  scène  de  satyres,  on  vit  au  deuxième  acte  huit 
chanteurs  et  chanteuses  au  milieu  desquels  une  virtuose  de 
Mantoue  joua  de  trois  luths.  On  termina  par  une  moresque  de 
danseurs  qui  figurèrent  les  diverses  opérations  agricoles,  le 
labourage,  les  semailles,  les  moissons,  le  battage  du  blé  elle 
repas  qui  suit  la  récolte.  Cet  agréable  ballet,  le  mieux  réussi 
de  tous  peut-être,  s'acheva  par  une  danse  rustique  exécutée  au 
son  de  la  cornemuse  (3).  ;' 

La  Cassina  fut  la  dernière  pièce  représentée  (4).  «  Avant  de 
jouer  cette  comédie,  on  exécuta  un  morceau  de  musique  de 
Rombonzino  et  l'on  chanta  des  barzelie  à  la  louange  des  deux 

(1)  GnEGOROVirs,  Lucrèce  Borgia .  l.  II,  p.  50-52. 

(2)  Ibid.,  p.  53. 

(3)  Ibid.,  p.  56. 

(4)  Isabelle  d'Esté  fut  indignée  de  cette  comédie,  qu'elle  qualifia  «  de  déshon- 
nète  et  d'ordurière  »  dans  une  lettre  à  son  mari,  et  Capilupo  son  secrétaire  écrivit 
au  marquis  :  «  Pendant  l'obscène  comédie  d'hier,  on  remarqua  chez  votre  femme 
tant   de  beauté  et  de   déplaisir  que   chacun  la  loua,  et  je  puis   rerlitier  à  Votre 


ut  L'ART    FERUARAIS. 

époux.  On  avait  inséré,  du  reste,  plusieurs  morceaux  de  musi- 
que dans  la  comédie  de  Plante.  Au  troisième  acte,  six  violo- 
nistes jouèrent  avec  beaucoup  de  talent  (1).  »  Dans  les  inter- 
mèdes, les  ballets  ne  furent  pas  oubliés.  "  Il  y  eut  une  danse 
de  sauvages  se  disputant  une  belle  jeune  fille  jusqu'à  l'arrivée 
du  dieu  de  l'amour,  qui  venait  la  délivrer  avec  une  escorte  de 
musiciens.  On  vit  ensuite  une  grosse  boule  qui  se  sépara  en 
deux  et  de  laquelle  sortirent  des  accords  harmonieux.  A  la  fin, 
douze  Suisses  portant  des  hallebardes  et  leur  drapeau  national 
apparurent  sur  la  scène  et  se  livrèrent  avec  beaucoup  d'art  à 
une  danse  simulant  une  lutte  armée  (2).  » 

Telles  furent  les  représentations  théâtrales  par  lesquelles 
Hei'cule  l"  fêta  sa  nouvelle  belle-fille  en  présence  d'un  immense 
concours  d'étrangers.  Si  les  pièces  de  Plante  fatiguaient  par- 
fois l'attention,  les  intermèdes,  dus  à  quelque  lettré  tel  que 
Celio  Calcagnini,  Strozzi  ou  Ariosto,  la  délassaient  en  récréant 
les  yeux  par  les  réminiscences  de  l'antiquité  combinées  avec 
des  fantaisies  romantiques,  bien  faites  pour  plaire  aux  lec- 
teurs des  poèmes  de  Boiardo,  et  en  charmant  les  oreilles  par 
les  sons  harmonieux  des  instruments  de  musique  et  de  la  voix 
humaine. 

Que  la  musique  fût  en  grande  faveur  à  Ferrare  sous  Her- 
cule I",  c'est  ce  que  l'on  ne  saurait  contester.  Nous  avons  vu 
qu'elle  occupa  une  large  place  dans  les  distractions  offertes 
aux  hôtes  du  duc.  Chanteurs  et  chanteuses,  joueuses  de  luth 
et  violonistes  excitèrent  l'admiration  des  invités.  La  plupart 
des  musiciens  au  service  du  prince  étaient,  dit-on.  Français  ou 
Flamands.  -  Le  violon  paraît  avoir  été  cultivé  à  Ferrare  d'une 
manière  toute  particulière,  car  César  Borgia,  quand  il  partit 
en  1498  pour  la  cour  de  France,  demanda  au  duc  Hercule 
quelques  joueurs  de  violon,  qu'il  voulait   emmener  avec  lui 

Excellence  qu'elle  n'a  pas  voulu  qu'aucune  de  ses  clames  d'honneur  assistât  à 
cette  pièce.  La  honte  retondje  sur  le  duc.  »  On  n'était  pas  partout  aussi  peu  scru- 
puleux sur  la  nature  et  le  choix  des  plaisirs  qu'à  la  cour  de  Ferrare.  (Voyez 
Alessandio  Lvzio,  I piecettori  d'Jsabellu  d'Estc.  Ancona,   Morelli,   1887,  p.  37.) 

(1;    GuEGûRDVius,  Lucrèce  Borgia,  t.  II,  p.  59. 

(2)  Ibid.,  p.  60. 


LIVRE   PREMIER.  115 

dans  un  pays  où  ces  artistes  étaient  très  recherchés  (1).  »  Les 
princes  et  les  princesses  mêmes  regardaient  la  musique  comme 
un  des  plus  doux  passe-temps,  s'y  exerçaient  et  ne  craignaient 
pas  de  se  produire  en  puhlic.  Nous  avons  constaté  qu'Isahelle 
d'Esté  chanta,  en  s'accompagnant  du  luth,  dans  une  réception 
solennelle,  devant  l'ambassadeur  de  Louis  XII  (2).  Alphonse 
montra  aussi  qu'il  était  un  dilettante  distingué  en  jouant  du 
violon  après  les  violonistes  de  profession  le  soir  où  la  Cassina 
fut  représentée  sur  le  théâtre  établi  dans  le  palais  délia  Ragione. 

C'est  Hercule  I"  qui  fonda  la  chapelle  d'Esté.  Dès  1471,  il 
chercha  en  divers  lieux  des  instrumentistes  et  des  chanteurs 
capables  d'exécuter  de  bonne  musique  pendant  les  offices. 
Ayant  entendu  vanter  le  talent  de  D.  Martino  d'Alemagna, 
prêtre  attaché  à  la  cathédrale  de  Constance,  il  pria  l'évèque  de 
cette  ville  d'autoriser  ce  musicien  à  se  faire  remplacer  et  entra 
en  négociation  avec  D.  Martino,  afin  que  celui-ci  organisât  la 
chapelle  projetée  et  la  dirigeât.  Il  lui  envoya  même  un  passe- 
port et  dépêcha  vers  lui  un  serviteur  avec  deux  chevaux  pour 
faciliter  son  voyage.  Mais  on  ne  sait  pas  si  ce  fut  D.  Martino 
qui  créa  la  chapelle  ducale  à  Ferrare.  Ce  qui  est  certain,  c'est 
qu'elle  fonctionnait  en  1472,  car  les  registres  mentionnent 
alors  un  maître  organiste,  un  maître  des  enfants  allemands,  un 
ténor,  un  soprano  ou  eunuque.  En  1  475,  le  duc  congédia  les 
petits  chanteurs  allemands.  Le  maître  de  chapelle  s'appelait 
Fra  Giovanni  Bebri  ou  Bebris  ;  il  fut  souvent  secouru  par  le 
prince.  Don  Pedrosio  était  un  des  musiciens  les  plus  appréciés. 

Ferrare  devint  alors  un  centre  musical  très  renommé.  Des 
autres  villes  de  l'Italie,  on  venait  y  apprendre  la  musique. 
Pietro  Bono,  joueur  de  cithare,  eut  assez  de  notoriété  pour 
que  Giovanni  Boldu  reproduisît  ses  traits  sur  une  médaille.  On 
a  conservé  aussi  le  nom  de  D.  Guido  Giovanni,  que  le  chapi- 
tre, en  1495,  nomma   organiste  de  la  cathédrale.   Plusieurs 

(1)  Gregorovius,  Lucrèce  Borçia,  t.  II,  p.  59. 

(2)  Balthazar  Castiglione  et  15eiiil)o  célébrèrent  son  talent  de  musicienne.  Don 
Giovanni  Martino,  compositeur  en  renom,  avait  été  son  niaîtrc.  Isabelle  possédait 
de  très  précieux  manuscrits  musicaux. 


116  L'ART   FERRARAIS. 

joueurs  de  trompette  et  quelques  autres  musiciens  firent  par- 
tie du  personnel  que  Jacopo  Trotti  emmena  avec  lui  quand  il 
se  rendit  en  qualité  d'ambassadeur  auprès  du  roi  de  Sicile 
(1472).  Giovanni  Venaysius,  chanteur  du  duc,  envoya  au 
marquis  François  Gonzague  un  chant  du  fameux  Josquin  des 
Prez,  qui  était  au  nombre  des  musiciens  salariés  par  Her- 
cule l"  (1499).  Josquin  avait  été  chantre  de  la  chapelle  ponti- 
ficale sous  les  papes  Sixte  IV,  Innocent  VIII  et  Alexandre  VI, 
avant  de  venir  à  Ferrare.  Sa  musique  fut  très  populaire.  Plus 
heureux  que  ses  devanciers  et  que  ses  émules  dans  l'emploi 
des  dissonances  artificielles,  Josquin  sut  les  enchaîner,  en  leur 
donnant  une  suavité  jusqu'alors  inconnue.  Il  fut  le  premier  qui 
protesta  contre  l'emploi  de  la  chanson  dans  la  musique  d'église, 
usage  scandaleux  qui  déshonorait  le  sanctuaire  depuis  trois 
siècles,  qui  faillit  à  la  fin  faire  bannir  du  service  divin  la  musi- 
que et  qu'anathématisa  le  concile  de  Trente  (1).  La  présence 
de  Josquin  à  la  cour  de  Ferrare  fait  donc  honneur  au  discer- 
nement d'Hercule  I".  Ce  prince,  du  reste,  aimait  tant  la  musi- 
que, que,  dans  ses  dernières  années,  il  trouvait  un  allégement 
aux  maux  de  la  vieillesse  en  écoutant  Vincenzo  da  Modena 
jouer  à\x  clavicimbalo  (2).  Sa  bibliothèque  musicale  renfermait 
en  grand  nombre  les  plus  précieux  ouvrages,  soit  manuscrits, 
soit  imprimés  (3). 

Dans  sa  prédilection  pour  le  théâtre  et  la  musique,  Her- 
cule I"  fut  loin  de  se  montrer  indifférent  aux  arts  du  dessin, 
qui,  de  son  temps,  prirent  un  rapide  essor. 

Pour  la  peinture,  le  dernier  quart  du  quinzième  siècle  et  les 
premières  années  du  seizième  furent  à  Ferrare,  comme  dans 
les  autres  cités  italiennes,  une  période  de  progrès  décisifs  et 

(1)  F. -A.  Gruyer,  Les  portraits  peints  par  Raphaël,  t.  II,  p.  62. 

(2)  L.-F.  Valdrighi,  Cappclle,  concerli  e  musiche  di  casa  d' Este  dal secolo  XV 
al  XVIII,  dans  les  Atli  c  mcmorie  délie  deputazioni  di  storia  patria  per  le  pro- 
vincie  modencsi  e  pannensi,  série  III,  vol.  II. 

(3)  L'inventeur  de  la  typographie  musicale  fut  Ottaviano  dei  Petrucci,  né  le 
18  juin  14-66  à  Fossonihrone  dans  les  Etats  de  l'Eglise.  Il  perfectionna  à  Venise 
l'impression  de  la  musique  à  l'aide  de  caractères  mobiles  (1495),  et  mit  sa  décou- 
verte en  pratique  à  partir  de  l'année  1498.  (Antoine  Vidal,  Les  instruments  à 
archet.) 


LIVRE   PREMIER.  117 

d'épanouissement.  Si  Cosimo  Tara,  Michèle  Ongaro,  Baldassare 
d'Esté,  Ercole  Roberti,  Francesco  Bianchi  Ferrari  et  Domenico 
Panettise  rattachent  encore  au  commencement  de  la  Renais- 
sance par  un  reste  d'âpreté  et  de  sécheresse  ou  par  le  dédain  de 
la  beauté,  Lorenzo  Costa,  Lodovico  Mazzolini,  Ercole  Grandi  (1) 
entrent  dans  des  voies  nouvelles;  on  sent  chez  eux  tantôt  un 
sentiment  plus  élevé  des  situations  pathétiques,  tantôt  des 
aspirations  plus  idéales,  le  besoin  de  choisir  des  modèles  plus 
agréables,  le  goût  des  lignes  pures  et  suaves.  Hercule  I"  et  sa 
femme  profitent  des  productions  de  l'art  ferrarais,  mais  ils 
veulent  posséder  aussi  des  ouvrages  à' Amhrogio  de  Prédis,  de 
Sperandio  da  Campo,  de  Mantegna ,  de  Giovanni  Bellini,  de 
Francia  et  de  Léonard  de  Vinci  (2),  pour  ne  citer  que  quelques 
noms.  En  1498  et  en  1499,  Boccaccino  de  Crémone  figure 
parmi  les  salariés  du  duc.  Dès  1497,  il  habitait  à  Ferrare  une 
maison  que  lui  avait  fournie  Hercule  I",  et  il  y  demeurait  encore 
en  1499  (3). 

Pendant  que  la  grande  peinture  s'avance  vers  la  perfection, 
la  miniature,  accompagnement  des  volumes  manuscrits,  reste 
stationnaire;  on  s'habitue  à  la  négliger.  Aux  livres  écrits  à  la 
main  se  substituent  peu  à  peu  les  livres  imprimés,  pour  l'orne- 
mentation desquels  on  a  recours  à  un  procédé  nouveau,  moins 
dispendieux,  au  procédé  de  la  gravure  en  bois.  G'està  l'époque 
d'Hercule  \"  que  paraissent  la  Légende  de  S.  Maurelio  et  celle 
de  S.  Georges  (1489),  les  Fe/?j//ie5  ?7/«5^re5  de  Fra  Jacopo  Foresti 
de  Bergame  (1497)  et  les  Épîtres  de  saint  Jérôme  en  italien 
(1497),  ouvrages  contenant  des  planches  exquises,  qui  éga- 
lent les  meilleures  planches  faites  à  Florence  et  à  Venise  (4) . 

(1)  Il  entra  si  avant  dans  les  bonnes  grâces  du  duc,  que  celui-ci  le  chargea 
d'accompagner  à  Rome  son  fils  Alphonse,  alors  âgé  de  seize  ans,  (|ui  devait  aller 
complimenter  de  sa  part  Alexandre  VI,  élu  pape  à  la  mort  d'Innocent  VIll 
(1492). 

(2)  11  y  avait  dans  la  chapelle  de  la  cour  une  Judith  de  Léonard  de  Vinci  ijuc 
Bastiano  Filippi  restaura  en  1588. 

(3)  Voyez  le  document  pul)lié  par  M.  Venturi  dans  VArcliivio  storicu  dclF 
arte  (livraison  de  janvier-février  1894,  p.  55). 

(4}  En  1496,  on  rencontre  en  qualité  de  page  à  la  cour  d'IIorcule  Giulio  Cam- 
pagnolu,  qui  devait  s'illustrer  connue  graveur.  Il  n'avait  alors  que  seize  ans  et  ne 


118  L'ATIT   FERRABAIS. 

En  même  temps,  les  méclailleurs  continuent  les  traditions 
inaugurées  par  Yittore  Pisano  et  Matteo  de  Pasti.  Baldassare 
d'Esté,  Coradini,  Sperandio  et  quelques  artistes  anonymes 
reproduisent  les  traits  du  duc  de  lerrare  (1).  Les  hommes  les 
plus  considérables  qui  composaient  l'entourage  d'Hercule  I" 
revivent  aussi  dans  les  médailles  dues  à  Sperandio;  ces 
médailles  forment  une  galerie  du  plus  haut  intérêt,  où  l'on 
peut  étudier  à  loisir  la  physionomie  des  personnages  mar- 
quants de  l'époque,  tels  que  Sigismond  d'Esté,  frère  du  duc, 
Niccolo  da  Correggio,  Prisciano  de'  Prisciani,  conseiller  d'Her- 
cule V\  Jacopo  Trotti,  ambassadeur  à  Milan,  Agostino  Huon- 
francesco  de  Rimini,  Antonio  Sarzanella  de'  Manfredi,  Lodo- 
vico  Carbone,  les  riches  marchands  Bartolommeo  Pendaglia  et 
Simone  Rufîni,  Bartolommeo  délia  Rovere,  évéque  de  Fer- 
rare,  Fra  Cesario  Contughi,  professeur  à  l'Université,  et  le 
médecin  Pietro  Bono  Avogario. 

Hercule  \"  ne  s'intéressa  pas  seulement  aux  médailles 
exécutées  de  son  temps.  Sous  son  règne,  la  collection  de 
médailles  et  de  monnaies  antiques  commencée  par  Lionel 
s'accrut  notablement  (2). 

En  1476,  il  écrivit  de  Belriguardo  à  Galasso  degli  Ariosti 
pour  le  charger  de  payer  six  livres  deux  sous  et  six  deniers  à 
un  habitant  de  Modène  qui  lui  avait  procuré  une  médaille  eu 
or  de  Domitien  (3).  Il  acquit  aussi  à  Modène  (I  480)  un  certain 
nombre  de  monnaies  valant  trente  ducats  d'or.  En  1487,  Anton 
^Maria  Guarnieri  lui  vendit  quatre  monnaies  d'or    et  quinze 

resta  que  peu  d'années  à  Ferrare,  où  rien  ne  prouve  qu'il  se  soit  essayé  dans  son 
art.  issu  d'une  famille  noble  de  Padoue,  il  s'adonna  aux  lettres  jusqu'à  devenir  un 
érudit,  ce  qui  ne  l'empêcha  pas  de  cultiver  la  peinture  et  la  sculpture  aussi  bien 
que  l'art  de  la  gravure.  (G.  Campori,  GV  intagliatori  di  stampe  e  gli  Estensi,  p.  2.) 

(1)  On  trouve  aussi  à  Ferrare  (1472)  Gian  Franccsco  Enzola,  auteur  de 
charmantes  plaquettes  en  bronze,  avec  le  titre  de  graveur  des  monnaies  (inacstro 
délie  stampe). 

(2)  Les  détails  qui  suivent  sont  empruntés  au  travail,  cité  souvent  déjà,  de  M.  Ad. 
Venturi,  intitulé  :  L'artc  ferrarese  net  pcriodo  d'Ercule  I  d'Esté,  p.  llS-lli. 

(3)  Il  aimait  tellement  les  médailles  antiques,  qu'il  fit  exécuter  en  marbre, 
d'après  les  pièces  de  sa  collection,  les  portraits  de  douze  empereurs,  portraits  qui 
furent  donnés  par  lui  à  la  Commune  pour  être  placés  sur  la  «  Ijalustrade  de  la 
place  n  . 


LIVRE   PREMIER.  119 

d'argent.  Le  célèbre  Matteo  Maria  Boiardo,  gouverneur  de 
Reggio,  avant  appris  qu'un  paysan  avait  découvert  dans  un 
champ  des  monnaies  antiques,  annonça  cette  nouvelle  au  duc, 
qui  le  pria  de  faire  main  basse  sur  toutes  celles  qui  n'auraient 
pas  été  dispersées  :  Boiardo  parvint  à  en  obtenir  un  bon 
nombre,  qui  se  trouvaient  chez  les  orfèvres  de  Reggio.  Mais  ce 
fut  surtout  à  un  joaillier  vénitien,  nommé  Domenico  di  Piero, 
marchand  de  camées,  de  gemmes,  d'intailles  et  de  curiosités 
de  toute  espèce,  qu'Hercule  dut  le  plus  d'objets  précieux.  Il 
acheta  de  lui  des  joyaux  (1474),  vingt  médailles  d'or  qui  coû- 
tèrent quarante  ducats  (1478),  et  d'autres  médailles  pour  les- 
quelles il  déboursa  deux  cent  soixante  ducats  (1485). 

L'habile  joaillier,  invité  à  se  rendre  à  Ferrare  avec  une  car- 
gaison de  raretés,  était  en  1486  créancier  d'une  somme 
énorme  (quatre  mille  cent  vingt-cinq  ducats).  Il  demanda  le 
payement  d'une  partie  de  cette  somme  avant  de  quitter  Venise. 
De  plus,  il  exigea  la  promesse  qu'on  ne  le  forcerait  pas  à 
céder  des  objets  qui  lui  appartenaient  et  qui  provenaient  de  la 
collection  du  Vénitien  Pietro  Barbo,  monté  sur  le  trône  pon- 
tifical sous  le  nom  de  Paul  II,  par  exemple  de  petits  tableaux, 
des  coffrets  d'argent,  des  plats,  des  vases  de  porphyre,  des 
porcelaines,  des  albâtres,  des  statuettes  de  bronze  (1). 

Si,  des  médailleurs,  nous  passons  aux  sculpteurs,  le  prin- 
cipal artiste  que  nous  ayons  à  mentionner  est  Ambrogio  da 
Milano,  l'auteur  du  tombeau  de  Lorenzo  Roverella,  évêque  de 
Ferrare,  dans  l'église  suburbaine  de  Saint-Georges.  On  ne  sait 
pas  à  qui  le  duc  s'adressa  pour  faire  élever,  au  milieu  de  la 
place  qui  porte  maintenant  le  nom  de  l'Arioste,  sa  propre 
statue  équestre  (1490).  Le  sculpteur  étant  mort  avant  que  son 
travail  fut  avancé.  Hercule  P'  eut  lidée  d'utiliser  le  cheval 
exécuté  par  Léonai-d  de  Vinci  pour  une  statue  équestre  en 
bronze  de  François  Sforza.  Le  modèle  de  cette  statue  avait  été 
exposé  en  1493  sous  un  arc  de  triomphe  au  milieu  de  la  place 
du  Castello  de  Milan,  h  l'occasion  des  noces  de  Blanche-Marie 

(1)    Ad.  Ventlt,!,   Varie  ferrarese  nel  periodo  d'Ercole  I  d'L'stc,  p.  114-115. 


120  L'AllT    FERRARAIS. 

Sforza  avec  Fempereur  Maximilien,  et  on  Tavait  laisse  là  depuis 
cette  époque.  Après  la  chute  de  Ludovic  le  More,  les  arba- 
létriers gascons  le  criblèrent,  dit-on,  de  leurs  traits;  mais,  s'ils 
l'endommagèrent  gravement,  ils  ne  le  détruisirent  pas.  C'était 
donc  encore  une  œuvre  enviable,  en  dépit  des  détériorations 
subies.  Le  19  septembre  1501,  Hercule  écrivit  à  l'ambassadeur 
de  Ferrare,  Giovanni  Yalla,  et  le  chargea  de  demander  au 
cardinal  de  Rouen,  gouverneur  de  Milan,  la  cession  du  modèle 
qu'il  désirait.  Dans  cette  lettre,  que  M.  Campori  a  publiée  (1), 
le  duc  insiste  sur  le  plaisir  qu'il  aurait  à  posséder  l'œuvre  de 
Léonard  ;  il  espère  bien  l'obtenir,  car,  «  comme  on  n'en  prend 
pas  soin,  elle  se  détériore  de  jour  en  jour  ^  ;  dès  que  la  négo- 
ciation sera  terminée,  il  enverra  chercher  le  modèle  par  une 
personne  qui  en  organisera  le  transport  avec  soin  et  adresse, 
de  manière  à  ne  rien  compromettre.  Malgré  toute  son  habileté 
diplomatique,  Yalla  ne  put  annoncer  à  son  maître  qu'il  avait 
réussi  dans  ses  démarches.  Le  24  septembre,  il  écrivit  que  le 
gouverneur  de  Milan,  très  disposé,  du  reste,  à  être  agréable  au 
duc  de  Ferrare,  ne  voulait  prendre  aucune  décision  sans  avoir 
consulté  Louis  XII,  et  il  engagea  le  duc  à  faire  parler  au  Roi 
par  Bartolommeo  di  Cavalière,  ambassadeur  de  Ferrare  à  la 
cour  de  France.  On  ignore  comment  les  choses  se  passèrent. 
Toujours  est-il  que  le  modèle  resta  à  INIilan,  où  il  fut  détruit. 
La  mort  d'Hercule  F',  le  25  janvier  1505,  coupa  court  à  l'exé- 
cution de  sa  statue  équestre,  qui  eût  été  un  des  principaux 
ornements  de  sa  capitale. 

Hercule  I"  avait  eu  huit  enfants  : 

1"  Liicrezia,  née  de  Lodovica  Condolmieri,  mariée  le  25  jan- 
vier 1487  à  Annibale  Bentivoglio,  morte  à  Ferrare  le 
24  juin  1516. 

2"  Isabelle,  née  d'Éléonore  d'Aragon  le  18  mai  117  4,  mariée 
à  François  II  Gonzague  en  février  1490,  morte  le  13  fé- 
vrier 1539. 

3"  Beatrix,  née  d'Éléonore  d'Aragon  le  29  juin  1475,  mariée 

(1)  jSuovi  Documenli  per  la  vita  di  Leonatdo  Ja  Vinci.  Mudena,  1865.  — 
Gazette  des  Beaux-Arts,  l"^'  période,  t.  XX,  p.  42. 


LIVRE    PREMIER.  121 

à  Ludovic  le  More  le  18  janvier  1491,  morte  le  2  janvier  1497. 

à:°  Alphonse  r\  né  d'Éléonore  d'Aragon  le  21  juillet  1476, 
mort  le  31  octobre  1534.  Il  épousa  en  1491  Anna  Sforza  qui 
mourut  le  2  décembre  1497,  puis  en  1501  Lucrèce  Borgia  qui 
mourutle  24  juin  1519,  et  enfin  peut-être,  en  1534,  Laura  Eus- 
tochia  Dianti  qui  mourut  le  27  juin  1573. 

5°  Ferra7ite  on  Ferdinand,  né  d'Eléonore  d'Aragon  le  19  sep- 
tembre 1477,  mort  le  22  février  1540. 

()"  Giulio ,  né  d'Isabella  di  Niccolô  Arduino,  demoiselle 
d'honneur  d'Éléonore  d'Aragon,  le  13  mars  1478  ou  au  com- 
mencement de  1481,  mort  le  24  mars  1561. 

"i"  Hippolyte  I" ,  né  d'Éléonore  d'Aragon  le  20  mars  1479, 
mort  le  2  septembre  1520. 

S"  Sigisfno7id,  né  d'Éléonore  d'Aragon  le  8  septembre  1480, 
mort  le  9  août  1524. 


IX 


ALPHONSE    f\ 
(Né  le  21  juillet  1476,  il  régna  de  1505  à  1534.) 

Dès  qu'Hercule  I"  fut  mort,  Tito  Strozzi,  le  Juge  des  Sages, 
se  rendit  avec  les  douze  Sages  au  Castello  pour  remettre  à 
Alphonse,  fils  ahié  du  prince  défunt,  le  bâton  et  l'épée,  insignes 
de  la  dignité  ducale,  et  pour  le  reconnaître  au  nom  du  peuple 
comme  souverain  de  Ferrare.  Yétu  d'un  costume  blanc,  monté 
sur  un  cheval  richement  caparaçonné,  le  nouveau  duc  par- 
courut ensuite  la  ville,  malgré  la  neige  qui  tombait  abondam- 
ment. Devant  lui,  s'avançait  Giulio  Tassone,  portant  l'épée 
ducale,  et  il  avait  à  ses  côtés  le  cardinal  Hippolyte,  son  frère, 
et  le  visdomino  des  Vénitiens.  Derrière  lui  chevauchaient,  au 
son  des  fifres,  des  trompettes  et  des  tambours,  les  magistrats, 
les   nobles  et  les  principaux  citoyens.  Le  cortège  se  dirigea 


122  L'ART    F  ET.  RABAIS. 

enfin  vers  la  cathédrale  où  eut  lieu  la  cérémonie  en  usage  au 
début  de  chaque  règne. 

Alphonse  avait  un  caractère  énergique  et  rude,  un  esprit 
positif  et  pratique,  une  nature  sensuelle.  L'étude  des  lettres  ne 
l'attirait  pas  (1).  Il  se  complaisait  au  contraire  dans  les  occu- 
pations manuelles,  et  c'est  avec  succès  qu'il  exerça  l'art  du 
tourneur,  cultiva  la  céramique,  s'appliqua  à  la  fabrication  des 
armes  et  de  la  poudre  (2),  ainsi  qu'à  la  fonte  des  canons  (3). 
Telles  furent  les  distractions  favorites  de  sa  jeunesse.  Devenu 
duc  de  Ferrare,  il  continua  de  s'y  livrer  durant  les  premières 
années  de  son  règne.  Les  habiles  artisans  étaient  traités  par  lui 
avec  honneur,  admis  même  à  sa  table  quand  il  était  seul,  et  il 
plaisantait  volontiers  avec  eux,  sans  grand  souci  de  son  rang, 
voire  de  sa  dignité  (4).  Prenant  au  sérieux,  et  les  travaux  aux- 
quels il  se  livrait  personnellement,  et  ceux  que  l'on  exécutait 
sous  ses  yeux,  il  eut  toujours  soin  d'attirer  auprès  de  lui  les 
maîtres  dont  la  réputation  était  le  mieux  établie.  Un  voyage 
qu'il  fit  dans  les  Pays-Bas,  en  Angleterre  et  en  France,  du 
13  avril  au  8  aoiit  1504(5),  eut  moins  pour  but  son  plaisir 
que  son  instruction,  et  lui  procura  l'occasion  d'étudier  sur  place 
l'état  du  commerce  et  de  l'industrie  à  l'étranger  (6).  Alphonse 
d'Esté  entreprit  ce  voyage  en  compagnie  d'Antonio  Costabili, 
conseiller  privé  du  duc  Hercule  F",  de  Girolamo  da  Gastello, 
d'Alfonso  Trotti,  de  Guido  Blanchi  et  de  Giovanni  Giglioli,  ce 
qui  permet  de  supposer  que  la  politique  ne  fut  pas  non  plus 
étrangère  aux  conversations  que  le  prince  eut  avec  l'archiduc 

(1)  Dès  1  âge  de  cinq  ans,  cependant,  il  eut  entre  les  mains  le  livre  de  la  syn- 
taxe latine  composé  par  Donato  et  les  règles  de  grammaire  de  Guarino.  Quand  il 
eut  atteint  neuf  ans,  on  commença  à  lui  faire  lire  les  œuvres  de  Térence.  II  eut 
pour  maître  d'abord  Sebastiano  da  Lugo,  puis  Jacopo  Galino. 

(2)  On  lui  attribue  l'invention  d'une  machine  hydraulique  pour  fabriquer  de  la 
poudre  à  canon. 

(3)  «  Si  esercitava  coHe  proprie  mani,  r  con  tal  genio  ed  assiduita  che  ne 
divenne  poi  artejice  eccellentissinio .  »  (Fnizzi,  Mernorie  per  la  storia  di  Ferrara^ 
t.  IV,  p.  178.^ 

(4)  Ibid.,  p.  222-223. 

(5)  BuiiCKHARDT,  Die  Cultur  der  Renaissance,  p.  39. 

(6)  D'après  Pistofilo,  l'agriculture  fut  aussi,  de  sa  part,  l'objet  d'une  sérieuse 
attention. 


LIVRE    PREMIER.  123 

Charles,  avec  Henri  VII,  roi  crAngleterre,  et  avec  Louis  XII.  Il 
eût  été  aussi  en  Espagne,  si  la  santé  très  altérée  de  son  père  ne 
Teût  forcé  à  revenir.  Ce  n'était  pas  son  premier  voyage. 
Comme  Hercule  P%  il  aimait  h  parcourir  en  curieux  les  États 
voisins  du  sien.  11  n'avait  que  seize  ans,  lorsqu'en  I  492,  peu 
après  son  mariage  avec  Anna  Sforza,  il  visita  Pavie,  la  Char- 
treuse, Serravalle,  Tortone  et  Gênes,  et  l'on  est  en  droit  de 
penser  que,  dès  cette  époque,  les  œuvres  des  sculpteurs  et  des 
peintres  lombards  frappèrent  son  imagination  et  contribuèrent 
à  former  son  goût  (1). 

Marié  d'abord  à  Anna  Sforza,  qu'il  perdit  au  bout  de  six  ans 
sans  en  avoir  eu  d'enfants (î),  il  avait  épousé  en  quelque  sorte 
malgré  lui  Lucrèce  Borgia  (3),  dont  la  grâce  et  la  douceur 
triomphèrent  de  ses  appréhensions.  Il  lui  témoigna  bientôt  un 
sincère  attachement.  Lors  de  la  fausse  couche  qu'elle  fit  le  5  sep- 
tembre 1502,  accident  auquel  elle  faillit  succomber,  il  ne 
quitta  pour  ainsi  dire  pas  la  chambre  de  la  malade,  et  quand 
Lucrèce  fut  complètement  rétablie  (4),  il  entreprit  un  voyage 
à  Lorette  afin  d'accomplir  un  vœu  qu'il  avait  fait  pour  la  gué- 
ri son  de  sa  femme. 

Au  point  de  vue  intellectuel,  la  présence  de  la  fille  d'A- 
lexandre YI  à  Ferrare  ne  fut  pas  sans  portée.  Les  lettrés  et  les 
savants  trouvèrent  en  Lucrèce  un  appui  et  firent  partie  de  sa 
société  intime  :  ils  se  sentaient  attirés  vers  elle  par  son  esprit 
cultivé  (5)  non  moins  que  par  le  charme  qui  lui  était  particu- 

(i)  Ad.  Vexturi,  Belazioiil  artistiche  tra  le  corti  ili  Milano  e  Ferrara  nel 
aecolo  XV  (p.  256),  ànnsV ÂJ-cliivio  xtoricolombardo,  anno  XII,fasc.II,  30 juin  1885. 

(2)  Voyez  plus  haut,  p.  85  et  suiv. 

(3)  Voyez  plus  haut,  p.  95-102. 

(41  Frizzi,  Mem.  per  la  storia  di  Ferrara,  t.  IV,  p.  211.  —  (iRixoROvirs, 
Lucrèce  Borçjia,  t.  II,  p.  97, 

(5)  Voici,  d'après  un  inventaire  authenlicjue  dressé  en  1503,  les  livres  rpie 
Lucrèce  possédait  en  1502  et  en  1503,  livres  pourvus  en  f>cnéral  de  reliures  en 
velours  roi^e,  en  or  et  en  argent  :  ini  bréviaire;  les  sept  Psaumes  delà  pénitence 
et  d'auties  prières;  un  ouvrajje  sur  parchemin  avec  des  miniatin-es  en  or,  intitulé 
De  coppelle  ala  Spagnola;  un  recueil  imprime  des  lettres  de  sainte  Catherine  de 
Sienne;  les  Epitres  et  les  l>angiles  en  langue  vulgaire;  un  livre  espagnol  traitant 
de  matières  religieuses;  un  recueil  manuscrit  de  chansons  espagnoles  avec  les 
proverbes  de  Domcnico  Lopez  ;  un  ouvrage  imprimé  ayant  pour  titre  :  VAquila 
volante;  un  livre  imprimé  intitulé  :   Supplément  des  chroni(jues,  en  langue  vul- 


124  L'ART    FEURARAIS. 

lier.  Balthazar  Castiglione,  Ottaviano  Fregoso,  Aide  Maniice, 
Beiiibo,  Tito  Strozzi  et  son  fils  Ercole  excitèrent  spécialement 
sa  sympathie  et  furent  ses  principaux  admirateurs.  Bembo, 
venu  à  Ferrare  en  1503,  conçut  même  pour  elle  une  véritable 
passion,  dontil  confia  l'expression  à  ses  vers.  Le  l"aoùt  1504, 
il  lui  dédia  les  Asolani,  dialogue  sur  l'amour,  auquel  il  joignit 
une  lettre  dans  laquelle  il  célébrait  les  vertus  de  Lucrèce  (1). 
En  1506,  il  passa  à  la  cour  de  Guidobaldo  duc  d'Urbin,  mais 
il  entretint  avec  la  duchesse  de  Ferrare  une  correspondance 
suivie.  Si  cette  correspondance  témoigne  d'une  tendresse  per- 
sévérante, tendresse  peut-être  partagée,  elle  ne  permet  pas  de 
supposer  que  Lucrèce  ait  manqué  à  ses  devoirs.  Dans  les  vers 
de  Tito  Strozzi  et  de  son  fils,  les  hommages  rendus  à  la  femme 
d'Alphonse  n'ont  pas  moins  de  vivacité;  leur  amour  cependant 
ne  peut  être  regardé  que  comme  purement  idéal.  Antonio 
Tebaldeo,  Gelio  Calcagnini  et  Giraldi  ont,  du  reste,  attesté 
les  qualités  morales  de  Lucrèce  à  partir  de  son  arrivée  à 
Ferrare,  et  l'Arioste  a  placé  dans  le  temple  d'honneur  des 
femmes  son  image  avec  une  inscription  laudative  (:2). 

{{aire;  le  Miroir  de  la  foi,  imprimé  et  en  langue  vulgaire;  un  Dante  imprimé, 
avec  commentaire;  un  ouvrage  sur  la  philosophie,  en  langue  vulgaire;  un  vieux 
livre  intitulé  :  De  ventura;  un  Donat;  une  Vie  de  Jésus-Christ  en  espagnol;  un 
Pétrarque  manuscrit,  sur  parchemin,  de  format  in-12.  (^Gregouovius,  Lucrèce 
Borijia,  t.  II,  p.  136.)  —  Un  inventaire  de  1516  ne  mentionne  que  des  bréviaires 
et  des  livres  d'office  magnifiquement  reliés. 

ri)  Aide  Manuce,  fixé  à  Venise  après  avoir  vécu  quelque  temps  à  Ferrare 
auprès  d'Hercule  I"  et  à  Carpi  auprès  des  Pio,  imprima  les  Asolani  en  1505  et  les 
adressa  à  Lucrèce  avec  une  dédicace.  C'est  aussi  à  Lucrèce  qu'il  dédia  le  volume 
des  poésies  de  Tito  et  d'Ercole  Strozzi,  imprimé  en  1513  et  accompagné  d'une 
introduction  dans  laquelle  il  exalte  les  qualités  de  la  duchesse,  notamment  sa 
crainte  de  Dieu,  sa  bienfaisance  envers  les  pauvres,  sa  bonté  pour  ceux  qui  l'en- 
touraient et  la  sagacité  de  son  jugement.  (GREGonovius,  Lucrèce  Bore/ ia,  t.  II, 
p.  138,  179.) 

(2)  La  prima  iscrizion  ch'  agli  occhi  occorre, 

Con  lungo  onor  Lucrezia  Borgia  noma, 

La  cui  bellezza  ed  onestà  preporre 

Debbe  ail'  antiqua  la  sua  patria  Roma. 

I  duo  che  voluto  han  sopra  se  torre 

Tanto  ccccllente  ed  onorata  soma, 

Noma  lo  scritto  :  Antonio  Tebaldeo, 

Ercole  Strozza  :  un  Lino,  e  un  Orfeo. 

(Ch.  XLii,  st.  83.) 


LIVRE   PREMIER.  125 

Plusieurs  événemeuts  tragiques  mirent  presque  coup  sur 
coup  en  émoi  la  cour  si  brillante  et  si  raffinée  de  Ferrare.  Le 
3  novembre  1505,  le  cardinal  Hippolyte,  frère  du  duc,  soudoya 
des  assassins  pour  crever  les  yeux  de  son  frère  naturel  Giulio, 
parce  que  Angela  Borgia,  dame  d'honneur  de  Lucrèce,  que 
tous  deux  aimaient,  avait  vanté  en  sa  présence  la  beauté  des 
yeux  de  son  rival.  L'année  suivante,  Giulio,  de  concert  avec 
son  frère  Ferrante,  complota  contre  la  vie  d'Hippolyte  et  contre 
celle  d  Alphonse,  sans  réussir  dans  son  entreprise,  qui  lui 
valut,  ainsi  qu'à  son  complice,  une  captivité  longue  et  cruelle 
au  fond  des  prisons  du  Castello  (1).  Deux  ans  plus  tard,  le 
G  juin  1508,  on  trouva  dans  une  des  rues  de  la  ville,  non  loin 
de  l'église  consacrée  à  saint  François,  Ercole  Strozzi  percé 
de  vingt-deux  coups  de  poignard,  peut-être  par  ordre  d'Al- 
phonse (2).  u  Ce  terrible  événement,  dit  M.  Gregorovius,  dut 
rappeler  au  souvenir  de  Lucrèce  le  jour  où  son  frère  le  duc 
de  Gandie  avait  été  assassiné,  et,  de  même  que  cette  mort 
était  restée  un  mystère  impénétrable,  celle  de  Strozzi  demeura 
également  inexpliquée.  " 

La  conspiration  de  Giulio  et  de  Ferrante  ne  fut  pas  la  seule 
à  laquelle  échappa  Alphonse  1".  Il  y  en  eut  une  autre  en  1523, 
une  troisième  en  1525,  une  quatrième  en  1528,  dont  l'auteur, 
Girolamo  Pio,  fut  décapité  dans  le  jardin  du  Castello  (25  oc- 
tobre 1528).  La  dernière  eut  lieu  en  1532,  et  la  tète  du  cou- 
pable fut  exposée  au  bout  d'une  lance  sur  une  des  tours  du 
même  édifice. 

Parmi  les  calamités  qiii  signalèrent  le  règne  d'Alphonse,  la 
peste  n  occupe  pas  une  des  moindres  places.  Dans  la  seconde 
moitié  de  1505,  il  mourut  jusqu'à  six  mille  personnes,  entre 
autres  deux  lettrés  ferrarais  de  grand  renom,  Battista  Gua- 
rinoI"(3)  et  Tito  Vespasiano  Strozzi.  Quatre  mille  habitants 
désertèrent  la  ville.  De  ce  nombre  fut  Lucrèce,  qui  se  retira  à 

[l]   ÎNous  reviendrons  sur  ces  faits  en  parlant  du  Castello  (liv.  II,  ch.  m}. 

(2)  On  trouvera  plus  loin  le  récit  détaillé  de  ce  drame,  à  propos  du  palais 
Paresclii  (liv.  II,  ch.  m). 

(3)  Voyez  ce  que  nous  avons  dit  de  lui  p.  108. 


126  L'ART    FERRAllAIS. 

Rovip^o,  OÙ  elle  fit  une  seconde  fausse  couche.  On  ferma  l'Uni- 
versité, et  les  tribunaux  cessèrent  de  siéger.  L'épidémie  avait 
été  précédée  d'une  disette,  dont  le  duc  s'efforça  d'atténuer  les 
effets  en  se  procurant  au  dehors  du  blé  qu'il  fit  distribuer  aux 
plus  nécessiteux.  En  1528,  la  peste  éclata  de  nouveau  avec 
plus  d'intensité  encore  et  prit  comme  victime  de  marque  le 
célèbre  jurisconsulte  Giacopino  Riminaldi.  A  cette  époque,  la 
Commune  salaria  un  médecin  espagnol,  Alessandro  Castagno, 
qui  prétendait  avoir  inventé  une  huile  très  efficace  contre  le 
mal  régnant.  Elle  lui  accorda  dix  lire  par  mois  et  lui  concéda  la 
jouissance  des  produits  du  Boschetto  dans  l'île  de  Saint-Sébastien . 

Quelques  années  après  (30  décembre  1532),  un  incendie 
détruisit  en  grande  partie  l'ancien  palais  des  Este,  celui  où 
siège  à  présent  la  municipalité.  Le  feu  avait  pris  dans  une 
boutique  sous  la  loggia  construite  en  1503.  Il  consuma,  au- 
dessus  de  cette  loggia,  la  salle  dans  laquelle  on  avait  établi  une 
scène  pour  la  représentation  des  comédies  de  l'Arioste  (1). 
L'illustre  poète  en  fut  fort  affligé.  Déjà  malade  au  moment  où 
il  vit  son  cher  théâtre  anéanti,  il  mourut  le  G  juin  1533  dans 
la  modeste  et  jolie  maison  qu'il  s'était  fait  construire  et  que 
l'on  visite  toujours  avec  intérêt.  —  Un  autre  incendie,  en 
1512,  avait  gravement  endommagé  l'intérieur  du  palais  délia 
lia  g  iQ  ne. 

Lorsque  Alphonse  I"  succéda  à  son  père,  Ferrare  jouissait 
dune  paix  profonde.  Mais  on  ne  tarda  pas  à  voir  que  cet  heu- 
reux état  ne  durerait  pas  longtemps.  L'ambition  de  Venise, 
non  encore  pleinement  assouvie,  était  toujours  menaçante,  et 
Jules  II  avait  déjà  entrepris  de  rendre  à  l'Église  tout  ce  qu'elle 
avait  jadis  possédé.  Après  avoir  repris  les  places  qui  étaient 
au  pouvoir  de  César  Borgia,  il  enleva  Pérouse  aux  Baglioni  et 
assiégea  Bologne  (2),  où  il  entra  le  2  novembre  1506,  tandis 


(1)  Fmzzi,  Mem.  per  la  storia  di  Ferrara,  t.  IV,  p.  318. 

(2)  Connue  vassal  du  Saint-Siè{;e,  le  duc  de  Ferrare  fut  ohlip,é,  pendant  le  siège 
de  Boloj-ne,  de  conduire  au  camp  du  Pape  quinze  cents  hommes  d'armes  et  de 
contribuer  ainsi  à  la  chute  de  Bentivoj;lio,  dont  un  des  hls,  Annibal,  était  son 
beau-frère. 


LIVRE    PREMIER.  127 

que  Giovanni  Bentivoglio  se  réfugiait  à  Milan  avec  une  partie 
de  sa  famille  (1).  Alphonse  d'Esté  n'avait-il  pas  lieu  de  craindre 
pour  lui-même?  Sa  situation  précaire  lui  imposait  une  extrême 
prudence.  Ne  pas  irriter  le  plus  irritable  des  pontifes  lui  parut 
la  première  des  nécessités.  Aussi  n'osa-t-il  pas  refuser  son  con- 
cours à  Jules  II,  qui  se  préparait  à  conquérir  Ravenne  sur  les 
Vénitiens  et  à  s'emparer  de  plusieurs  villes  dans  la  Romagne. 
Il  accéda  à  la  ligue  de  Cambrai,  formée  contre  la  République 
le  10  décembre  1508  par  le  Pape,  le  roi  de  Naples,  le 
roi  de  France  et  l'Empereur,  espérant,  du  reste,  d'après  les 
promesses  qui  lui  étaient  faites,  que,  pour  prix  de  son  con- 
cours, il  recouvrerait  la  Polésine  de  Rovigo  et  serait  à  tout 
jamais  débarrassé  du  visdonn'no  vénitien.  Afin  d'obtenir  son 
assentiment,  le  Pape,  dés  le  3  mai  1509,  lui  avait  envoyé  la 
rose  d'or  par  l'intermédiaire  de  Beltrame  Costabili ,  évéque 
d'Adria  et  ambassadeur  du  duc  auprès  du  Saint-Siège;  le 
19  avril,  il  le  proclama  gonfalonier  de  l'Église,  et,  le  26,  Cos- 
tabili remit  h  son  maître  l'étendard  pontifical  dans  la  cathé- 
drale de  Ferrare.  Quelles  rudes  épreuves  Alphonse  P'  se  fût 
épargnées  si,  se  retranchant  dans  la  neutralité,  il  n'eût  pas 
affronté  les  luttes  auxquelles  on  le  convia,  sauf  à  l'aban- 
donner plus  tard  !  Ces  épreuves,  du  moins,  ne  furent  pas  sans 
gloire  et  lui  fournirent  l'occasion  de  montrer,  avec  sa  rare 
énergie,  ses  talents  militaires. 

Pendant  les  guerres  dont  il  va  être  question,  le  fils  d'Her- 
cule I"  acquit  une  grande  célébrité  par  son  artillerie,  à  laquelle 
il  dut  souvent  la  victoire.  Le  Grand  Diable  et  le  Tremblement 
de  terre,  deux  canons  d'une  dimension  extraordinaire  qui 
jetèrent  maintes  fois  la  terreur  parmi  ses  ennemis,  avaient  été 
fondus  par  lui.  La  Giidia  n'inspira  pas  moins  d'épouvante  : 
c'était  une  énorme  coulevrine,  faite  avec  les  débris  de  la 
statue  colossale  en  bronze  du  pape  Jules  II,  statue  dont  Michel- 
Ange  était  l'auteur  et  que  le  peuple  avait  brisée  le  M)  décembre 

(1)  Les  iils  de  Bentivoglio  passèrent  par  Forrarc  :  ils  lojjèrent  à  l'aiihcrge  de 
l'Ange,  où  mourut  en  1538  Giovanni  Antonio  Licinio,  dit  le  l'oic/enone,  et  par- 
tirent au  bout  de  trois  jours. 


128  L'ART    FEURAllAIS. 

1511(1).  Giacomo  di  Guido  fut  le  fondeur  de  la  grosse  artil- 
lerie d'Alphonse  I".  Il  fut  chargé  aussi  de  faire  une  cloche 
pour  le  campanile  de  la  cathédrale  ;  mais  le  son  de  cette  cloche 
n'étant  pas  harmonieux,  le  duc  voulut  qu'elle  fût  refaite  et  mit 
la  main  à  l'œuvre  (2). 

Au  début  des  hostilités,  Alphonse  \"  s'empara  de  la  Polésine 
de  Rovigo,  mais  il  ne  put  la  garder,  et  les  Vénitiens,  après  lui 
avoir  enlevé  Comacchio,  s'avancèrent  avec  leurs  vaisseaux  jus- 
qu'à Francolino.  A  la  suite  de  plusieurs  attaques  inutiles,  le 
duc,  à  qui  le  Pape,  Bologne  et  la  France  avaient  envoyé  quel- 
ques renforts,  remporta  un  brillant  succès  :  trois  ou  quatre 
mille  de  ses  ennemis  furent  tués  ou  noyés  ;  il  coula  plusieurs 
navires,  fit  de  nombreux  prisonniers,  prit  soixante  bannières, 
se  rendit  maître  de  treize  galères  et  rentra  en  triomphateur  à 
Ferrare.  «  Les  instruments  de  musique,  les  cloches,  les  salves 
d'artillerie,  les  vivats,  les  applaudissements  du  peuple  rem- 
plirent l'air  de  bruit  et  de  joie  (3).  »  Un  imposant  cortège  se 
rendit  dans  la  cathédrale,  où  l'on  suspendit  aux  murailles  les 
proues  des  navires  capturés  (4),  et  un  service  d'actions  de 
grâces  fut  célébré  en  grande  pompe.  L'allégresse  publique  ne 
dura  guère.  Venise,  en  effet,  tenta  de  détacher  Jules  II  de  la 
ligue  de  Cambrai  en  lui  offrant  tout  ce  qu'il  convoitait,  et  le  Pape, 
qui  ne  voulait  ni  trop  affaiblir  la  seule  puissance  capable  de 
repousser  les  attaques  des  Ottomans,  ni  laisser  le  roi  de  France 
et  l'empereur  d'Allemagne  s'étendre  en  Italie,  conclut  séparé- 
ment la  paix  avec  la  République  à  l'insu  de  ses  confédérés,  le 
24.  février  1510.  S'il  stipula  en  faveur  d'Alphonse  la  liberté  de 
la  navigation  dans  l'Adriatique,  la  suppression  du  tribunal 
du  vùdomino  à  Ferrare  et  l'abolition  des  pactes  qui  avaient 
amené  de  si  fréquents  conflits  entre  les  Vénitiens  et  les  Ferra- 
rais,  il  n'exigea  pas  la  restitution  de  la  Polésine,  restitution 


(1)  Nous   reparlerons    plus    loin    de  la   Giulia,  à  propos  du  Castello   (liv.    11, 
ch.  m). 

(2)  L.-N.  CiTTADELLA,  Notizie  relative  a  Ferrara^  t.  I,  p.  110. 

(3)  Fmzzi,  Mem.  per  la  storia  di  Ferrara,  t.  IV%  p.  242. 

(4)  Elles  restèrent  là  jusqu'à  la  fin  du  dix-huitième  siècle. 


LIVRE   PREMIER.  129 

formellement  promise  au  duc  et  méritée  d'ailleurs  par  les  ser- 
vices rendus  à  la  ligue. 

Alphonse  d'Esté  continua  de  faire  cause  commune  avec  ses 
alliés.  Conquise  en  commun,  la  Polésine  lui  fut  remise.  Sur 
ces  entrefaites,  le  Pape  lui  enjoignit  de  cesser  toute  hostilité 
contre  les  Vénitiens  et  de  se  séparer  des  Français  qu'il  voulait 
chasser  de  l'Italie.  C'est  en  vain  que  les  ambassadeurs  ferra- 
rais  cherchèrent  à  démontrer  au  Pontife  que  l'honneur  forçait 
leur  maître  à  teyir  ses  engagements  envers  ceux  qui  l'avaient 
si  fidèlement  soutenu;  Jules  II  se  montra  inflexible,  excom- 
munia Alphonse,  le  déclara  déchu  de  tous  ses  fiefs  relevant  du 
Saint-Siège  (9  août  1510)  (1),  et,  en  même  temps,  gagna  le 
roi  d'Aragon  par  l'investiture  du  royaume  de  Naples.  Les  Véni- 
tiens reprirent  la  Polésine.  Alphonse  perdit  aussi  Modène  (2) 
et  Reggio,  et  fut  un  instant  menacé  jusque  dans  sa  capitale, 
où  tous  les  citoyens,  rivalisant  de  patriotisme,  travaillèrent 
jour  et  nuit  à  rendre  les  remparts  inexpugnables.  Sur  divers 
points  du  territoire,  plusieurs  brillants  faits  d'armes  rehaus- 
sèrent encore  le  duc  dans  l'estime  des  troupes  (3).  Uni  à  Gaston 
de  Foix  pour  assiéger  Ravenne,  il  dirigea  avec  tant  d'habileté 
sa  puissante  artillerie,  qu'il  força  l'ennemi  à  sortir  de  la  place 
et  à  se  battre  en  rase  campagne.  La  mêlée  fut  terrible  (4); 

(i)  C'est  vers  cette  époque  que  semblent  avoir  été  faites  les  deux  médailles  de 
Jules  II  attribuées  à  Francesco  Francia,  et  au  revers  desquelles  on  lit  :  «  Contra 
stimulum  ne  calcitres  » ,  paroles  menaçantes,  à  l'adresse  du  duc  Alphonse. 
(Armand,  Les  médailleurs  italiens,  t.  III,  p.  31.) 

(2)  Réclamée  par  l'Empereur,  qui  de  longue  date  en  était  regardé  comme  le 
suzerain,  Modène  fut  remise  à  ses  représentants  sous  la  condition  qu'elle  ne 
serait  pas  rendue  à  Alphonse. 

(3)  En  1511,  Alphonse  I"  eut  auprès  de  lui  comme  «  maître  de  l'artillerie  »  le 
Ferrarais  Sebastiano  Barbazza  de'  Buonmartini  da  Mon^e/Zce,  ingénieur  militaire, 
qualifié  de  «  strenuus  vir  »  dans  divers  actes  parvenus  jusqu'à  nous.  Le  duc  s'atta- 
cha tellement  à  Barbazza  qu'il  l'associait  à  ses  opérations  militaires  et  en  fit  son 
familier.  En  1527,  il  le  chargea  d'agrandir  et  de  fortifier  Modène.  L'année  sui- 
vante, il  lui  permit  de  se  mettre  au  service  des  Florentins.  Arrivé  à  Florence  le 
il  octobre  1528,  Barbazza  examina  la  situation  de  la  ville  et  fournit  un  dessin  à 
la  Seigneurie,  qui  se  déclara  très  satisfaite,  et  qui,  pour  témoigner  de  sa  gratitude, 
donna  à  l'ingénieur  du  duc  de  Ferrare  cent  florins  d'or,  sans  compter  les  frais 
d'entretien  de  quatre  hommes  et  de  quatre  chevaux.  Barbazza  s'occupa  souvent 
des  murs  de  Ferrare.  Daniele  Fini  lui  a  dédié  deux  poésies. 

(4)  Alphonse  se  servit  de  deux  grands  chevaux  habitués  à  renverser  les  enne- 

I.  9 


130  L'ART   FEUUAUAIS. 

Gaston  de  Foix  y  périt;  mais  la  victoire  à  laquelle  Alphonse 
d'Esté  contribua,  comme  soldat  autant  que  comme  capitaine, 
fut  tout  à  fait  décisive  (11  avril  1512)  (1),  et  Ravenne  ouvrit 
ses  portes  aux  assiégeants. 

Cet  éclatant  succès  ne  termina  pas  la  guerre.  Pendant  que 
Louis  XII  concentrait  toutes  ses  troupes  dans  le  Milanais, 
Alphonse  accrut  les  fortifications  de  Ferrare  et  fit  creuser  de 
nouveaux  fossés  sous  la  direction  de  l'ingénieur  Gasparo  da 
Corle.  Tout  entier  à  la  défense  de  ses  États,  il  supprima  les 
dépenses  de  luxe  à  la  cour,  vendit  sa  vaisselle  d'argent  à 
laquelle  il  substitua  des  assiettes  et  des  plats  en  faïence  pro- 
venant de  la  fabrique  ducale,  et  engagea  jusqu'aux  médailles 
antiques  de  ses  collections  (2)  et  aux  bijoux  de  Lucrèce  Borgia. 
La  situation  devint  plus  critique  qu'elle  ne  l'avait  jamais  été, 
après  que  les  Français,  dépouillés  de  Milan  et  de  Gênes, 
eurent  quitté  l'Italie  (3).  Pressé  d'un  côté  par  les  armées  pon- 
tificales et  de  l'autre  par  celles  de  Venise,  il  paraissait  voué  à 
une  ruine  inévitable,  quand  Fabrizio  Colonna,  qu'il  avait  fait 
prisonnier  à  la  bataille  de  Ravenne,  et  qu'il  avait  traité  dans 
le  palais  ducal  comme  un  prince  du  sang,  offrit  sa  médiation 
et  lui  procura  un  sauf-conduit  de  Jules  II,  dont  Alphonse 
d'Aragon  se  porta  garant.  Les  pourparlers  entamés  à  Rome  ne 
purent  amener  une  entente,  le  Pape  exigeant  la  dévolution  de 
Ferrare  au  Saint-Siège  et  n'offrant  qu'une  compensation  déri- 
soire. Alphonse  n'aurait  pu  même  sortir  de  Rome,  d'où  le 
Pape  ne  lui  permettait  pas  de  partir,  si  les  Colonna  ne  l'avaient 

mis  à  coups  de  ruades.  Quand  ces  chevaux  luuururent,  le  duc  fit  peindre  leurs 
portraits. 

(i)  Apres  la  bataille  de  Ravenne,  Alphonse  adopta  comme  emblème  une  gre- 
nade lançant  du  feu  dans  trois  directions,  par  allusion  à  son  artillerie  qui  attaqua 
de  trois  côtés  à  la  fois  le  camp  ennemi. 

(2)  Il  mit  en  dépôt  chez  Jacomo  d'Ambrogio,  banquier  de  Vérone,  deux  mille 
huit  cent  quatre-vingt-trois  pièces,  contre  lesquelles  on  lui  versa  quatre  cent  cin- 
quante lire;  mais  il  les  dégagea  dès  que  les  circonstances  le  lui  permirent,  et,  de 
plus,  il  en  acquit  trois  cent  soixante-cinq  nouvelles  par  l'intermédiaire  de 
Vincenzo  Mosti  (1513). 

(3)  C'est  à  cette  époque  que,  Bologne  s'étant  rendue  au  Pape  (10  juin  1512), 
les  Bentivoglio,  chassés  pour  la  seconde  fois  de  leurs  Etats,  s'installèrent  détiniti- 
vement  à  Ferrare. 


LIVRE   PREMIEll.  131 

aidé  à  s'évader  (1) .  Travesti  tantôt  en  chasseur,  tantôt  en 
domestique,  tantôt  en  moine,  il  ne  parvint  qu'à  grand'peine 
à  regagner  sa  capitale  (14  octobre  1512).  Aussitôt,  Jules  II  or- 
donna à  son  neveu  François-Marie  délia  Rovere,  duc  d'Urbin, 
et  au  vice-roi  de  Naples  Cardona  qui  se  trouvait  à  Milan,  de 
fondre  sur  Ferrare  (2)  ;  mais  Prospero  Golonna  retint  Cardona, 
à  qui  Alphonse  d'Aragon,  irrité  de  ce  que  le  Pape  n'eût  pas 
tenu  compte  du  sauf-conduit  accordé  sous  sa  propre  respon- 
sabilité, défendit  d'agir  (3),  et  l'hiver  entrava  les  opérations 
du  duc  d'Urbin.  La  mort  de  Jules  II  (21  février  1513)  laissa 
enfin  respirer  Alphonse  d'Esté. 

Dès  que  l'élection  de  Léon  X  fut  connue,  le  duc  de  Ferrare 
envoya  plusieurs  ambassadeurs  à  Rome  pour  rendre  hommap^e 
au  nouveau  pape,  qui  leva  l'interdit  dont  Ferrare  avait  été 
frappée  et  qui  manifesta  le  désir  de  voir  Alphonse  d'Esté  à 
son  couronnement.  Dans  cette  solennité  (11  avril  1513), 
Alphonse  porta  l'étendard  de  l'Église  comme  gonfalonier. 
Bientôt  même  le  Souverain  Pontife,  non  content  d'avoir  an- 
nulé toutes  les  décisions  de  Jules  II  à  l'égard  du  duché  de 
Ferrare,  déclara  qu'il  prenait  sous  la  protection  apostolique 
le  duc  et  ses  successeurs,  et  promit  de  lui  restituer  au  bout 
de  cinq  mois  Reggio  et  Modène.  Cette  bienveillance  cachait 
plus  d'une  arrière-pensée.  Alphonse  ne  recouvra  pas  Modène 
et  Reggio  à  l'expiration  du  délai  convenu.  Afin  de  se  concilier 
LéonX,  il  hébergea  durant  trois  jours  quatorze  mille  Suisses 
et  Allemands  qui  marchaient  contre  le  duc  d'Urbin  François- 
Marie  délia  Rovere,  que  le  Pape  voulait  dépouiller  au  profit 
de  son  propre  neveu,   Laurent  de  Médicis,  fils  de  Pierre  de 

(1)  Sur  le  séjour  d'Alphonse  d'Esté  à  Rouie  sous  Jules  II,  M.  Julian  Klatzko 
a  donné  de  très  intéressants  détails.  Voyez  Eoine  et  la  Renaissance,  dans  la 
Revue  des  Deux  Mondes  du  1"  avril  1896,  p.  560-562. 

(2)  Alphonse  n'ignorait  rien  des  desseins  formés  contre  lui.  11  en  était  informé 
par  (juciipies  personnes  qu'il  pensionnait  secrètement  et  (jui  étaient  au  service  du 
Pape. 

(3)  Deux  anneaux  ornés  de  pierres  précieuses,  Itm  dunné  au  vice-roi  de 
Naples,  l'autre  au  duc  de  Ti-ajetto,  ne  furent  pas  non  jjlus  .-aus  influence  sur  les 
résolutions  favorables  au  duc  de  Ferrare.  Laissant  derrière  lui  les  Etats  des 
princes  d'Esté,  Cardona  se  dirijjca  vers  Florence  afin  dy  rétablir  les  Médicis. 


132  L'ART    FERRARAIS. 

Médicis  et  d'Alfonsina  Orsini,  et  le  1-4  novembre  1518  il  se 
rendit  à  Paris  pour  intéresser  Louis  XII  à  ses  revendica- 
tions (1). 

Quand  il  revint  à  Ferrare  (20  février  1519),  il  trouva  Lu- 
crèce Borgia  très  souffrante.  Elle  était  grosse  et  approchait 
du  moment  de  sa  délivrance.  Le  14  juin,  elle  accoucha  d'un 
enfant  mort.  L'aggravation  rapide  de  son  état  ne  lui  laissant 
aucune  espérance,  elle  écrivit  le  22  à  Léon  X  une  lettre  d'une 
simplicité  touchante,  qui  se  termine  par  ces  mots  :   «  Notre 
«  très  clément  Créateur  m'a  accordé  par  une  faveur  insigne  de 
u  savoir  que  je  touche  à  ma  fin  et  que  sous  peu  j'aurai  cessé 
«  de  vivre,  non  sans  avoir  reçu  les  saints  sacrements  de  l'Église. 
«  Arrivée  à  ce  point,  je  me  suis  rappelé  en  chrétienne,  quoique 
u  pécheresse,  de  demander  à  Votre  Béatitude  qu'elle  daigne 
u  puiser  dans   sa  bonté  au  trésor  spirituel,  afin  de  pouvoir 
"  offrir  quelque  soulagement  à  mon  âme  par  sa  sainte  béné- 
«  diction.  Je  l'en  supplie  dévotement  et  je  recommande  à  sa 
a  sainte  grâce  mon  époux  et  mes  enfants  qui   sont  tous  les 
u  serviteurs  de  Votre  Sainteté.  "  Lucrèce  mourut  en  présence 
d'Alphonse  pendant  la  nuit  du  24  juin  et  fut  ensevelie,  comme 
Éléonore  d'Aragon,  dans  le  couvent  des  Sœurs  du  Corpus  Do- 
mini,  qu'elle  avait  toujours  affectionné  (2). 

Lucrèce  Borgia  était  devenue,  dit  M.  Gregorovius,  »  une 
bonne  et  fervente  catholique  au  point  de  vue  de  la  religion 

(1)  Dès  1516,  Bonauentuia  Pistojïlo,  secrétaire  d'Alphonse  l",  s'était  rendu  à 
Amboise  auprès  du  roi  de  France  et  avait  tâché  de  le  gagner  à  son  maître  avant 
l'arrivée  de  Giacomo  Latino,  chargé  par  Léon  X  d'une  mission  en  sens  inverse. 

(2)  C'est  aussi  en  1519  que  moururent  Beltrame  Costabili,  ambassadeur  de 
Ferrare  à  Rome  (il  fut  enseveli  dans  cette  dernière  ville  à  Sainte-Marie  du 
Peuple),  Fino  Fini  et  l'empereur  Maximilien.  Fino  Fini,  né  en  1431  à  Ariane 
dans  le  diocèse  d'Adria  qui  faisait  partie  du  territoire  de  Ferrare,  fut  d'abord 
notaire.  Il  eut  ensuite  la  haute  main  dans  la  couqjtabilité  de  la  Chambre  ducale 
pendant  près  de  soixante  ans  (1458-1519),  juscju'au  jour  de  sa  mort,  ce  qui  ne 
l'empêcha  pas  de  cultiver  le  latin,  le  grec,  l'hébreu,  et  de  s'adonner  à  la  théo- 
logie. 11  employa  le  peu  de  loisirs  que  lui  laissaient  ses  fonctions  à  écrire  un 
ouvrage  intitulé  :  "  In  Judœos  flagellum,  ex  sacris  Scripturis  excerptum  « , 
auquel  il  travailla  pendant  quatorze  ans,  même  les  jours  de  fête.  Cet  ouvrage  était 
destiné  à  combattre  l'erreur  des  Juifs  au  profit  de  la  foi  chrétienne.  Daniello,  un 
de  ses  fils,  le  publia  en  1539  et  le  dédia  au  duc  Hercule  II.  Fino  Fini  avait 
quatre-vingt-six  ans  et  onze  mois  quand  la  mort  le  frappa. 


LIVRE   PREMIER.  133 

de  son  époque  (1)  «.  Ses  pratiques  de  dévotion  '<  étaient  en 
rapport  logique  avec  son  passé  et  avec  les  vicissitudes  qu'elle 
avait  subies.  Il  était  impossible  que  le  souvenir  de  tous  les  excès 
et  de  tous  les  crimes  commis  par  ses  proches,  comme  celui  de 
ses  propres  fautes,  cessât  jamais  de  tourmenter  son  âme  (2).  ^ 
La  mort  de  Lucrèce  inspira  des  regrets  universels.  Par  son 
affabilité,  par  sa  charité,  la  seconde  femme  d'Alphonse  F"" 
avait  depuis  longtemps  conquis  l'affection  des  Ferrarais.  Les 
malheureux  avaient  en  tout  temps,  mais  surtout  quand  la 
guerre  eut  amené  l'augmentation  du  prix  des  denrées,  trouvé 
auprès  d'elle  accueil  et  protection  (3).  On  n'avait  pas  non  plus 
oublié  qu'au  milieu  des  calamités  de  la  patrie  elle  n'avait  pas 
reculé  devant  les  sacrifices  personnels  pour  suppléer  à  l'épui- 
sement des  finances,  qu'elle  s'était  privée  de  ses  joyaux  et  les 
avait  mis  en  gage,  renonçant,  comme  Paul  Jove  le  rapporte,  à 
la  pompe  et  aux  vanités  mondaines  qui  l'avaient  entourée 
depuis  son  enfance.  On  se  rappelait  aussi  qu'en  l'absence  du 
duc  elle  avait  exercé  plusieurs  fois  le  pouvoir  avec  prudence 
et  sagesse.  Les  Juifs  ayant  été  maltraités  en  1506,  elle  édicta 
une  loi  en  leur  faveur  et  ordonna  de  punir  sévèrement  les  cou- 
pables. Pendant  la  guerre,  en  1512,  les  encouragements 
qu'elle  donna  aux  chevaliers  français  et  à  leurs  compagnons 
d'armes  dans  sa  capitale  redoublèrent  leur  zèle  pour  le  service 
d  Alphonse  F'.  «  La  bonne  duchesse,  qui  étoit  une  perle  en  ce 
monde,  dit  le  biographe  de  Bayard,  fit  aux  Français  un  mer- 
veilleux accueil  et  tous  les  jours  leur  faisoit  festins  et  bancquets 
à  la  mode  Dytalie  tant  beaulx  que  merveilles.  Bien  ose  dire 
que  de  son  temps,  ne  devant,  ne  s'est  point  trouvé  de  plus 
triomphante  princesse,  car  elle  étoit  belle,  bonne,  douce  et 
courtoise  à  toutes  gens,  et  rien  n'est  plus  sûr  que,  quoique  son 
mari  fût  un  prince  sage  et  vaillant,  ladite  dame  lui  a  rendu  de 
bons  et  grands  services  par  sa  gracieuseté  (4).   » 

(1)  Lucrèce  Borc/ia,  t.  II,  p.  170. 

(2)  Ihid.,  (.  II,  p.  195-196. 

(3)  Ibid.,  t.  II,  p.  195. 

(4)  Le  loyal  serviteur,  histoire  du  bon  chevalier)  le  seigneur  de  Bayard,  cli.  xliv. 


134  L'AFvT    FRRRARAIS. 

Dans  la  famille  même  du  duc,  Lucrèce  avait  triomphé  de 
toutes  les  préventions,  Isabelle  d'Esté,  qui  d'abord  en  avait 
eu  plus  que  personne,  ne  tarda  pas  à  y  renoncer  (1).  Une  let- 
tre de  Giovanni  Gonzague,  écrite  de  Ferrare  au  marquis  Fré- 
déric Gonzague  (2),  son  neveu,  confirme  hautement  tous  les 
autres  témoignages.  «  La  mort  de  Lucrèce,  écrit-il,  a  causé 
beaucoup  de  chagrin  dans  toute  la  ville,  et  Sa  Grandeur  ducale 
a  surtout  manifesté  une  douleur  extrême.  Ici  l'on  dit  mer- 
veille de  sa  vie  :  il  y  avait  dix  ans  peut-être  qu'elle  portait  un 
cilice  ;  depuis  deux  ans  elle  se  confessait  tous  les  jours  et  com- 
muniait chaque  mois  trois  ou  quatre  fois  (3).  » 

Lucrèce  laissa  quatre  enfants  :  Hercule,  né  le  4  avril  1508  ; 
Hippolyie^  né  le  25  août  1509  ;  Éléonore,  née  le  3  juillet  I5I5 
(elle  se  ht  religieuse  au  monastère  du  Corpus  Domini  et  mou- 
rut le  15  juillet  1575);  enfin  François,  né  le  ["novembre  1510 
(il  fut  marquis  de  Massa  Lombarda  et  mourut  le  22  février 
1578). 

«  Les  rapports  de  Lucrèce  avec  son  mari,  dit  M.  Gregoro- 
vius,  s'ils  ne  furent  pas  fondés  sur  l'amour  et  s'ils  ne  prirent 
pas  un  caractère  passionné,  revêtirent  du  moins,  à  ce  qu'il 
semble,  des  formes  de  plus  en  plus  flatteuses  pour  elle... 
Alphonse  se  voyait  avec  satisfaction  père  d'enfants  qui  étaient 
ses  héritiers  légitimes.  Il  allait  à  ses  plaisirs  particuliers,  mais 
il  éprouvait  un  vif  contentement  à  constater  le  respect,  et 
l'admiration  dont  sa  femme  était  l'objet.  Si  les  mêmes  hom- 
mages avaient  été  offerts  jadis  h  sa  jeunesse  et  à  sa  beauté,  ils 
étaient  maintenant  provoqués  par  ses  vertus  (4).  " 

Nous  avons  vu  que  Lucrèce  Borgia  manifesta  pour  les  lettres 

(1)  Gregorovius,  Lucrèce  Borgia^  t.  II,  p.  64.  —  Quelques  lettres  de  Mario 
Equicola  à  Isabelle  d'Esté  attestent  cependant,  comme  l'a  fait  observer  M.  Ales- 
sandro  Luzio,  que  l'antipathie  de  celle-ci  à  l'égard  de  Lucrèce  Borgia  ne  disparut 
jamais  complètement,  qu'il  y  eut  de  part  et  d'autre  une  sorte  de  rivalité,  et  que 
Lucrèce  eut  plus  d'une  fois  à  se  plaindre  de  la  froideur  d'Isabelle.  {I preceUori 
d'Isabella  d'Esté.  Ancona,  Morelli,  188T,  p.  41-42.) 

(2)  Frédéric  fut  élevé  à  la  dignité  de  duc  de  Mantoue  par  Charles-Quint 
en  1530. 

(3)  Gregorovius,  Lucrèce  Borgia,  t.  II,  p.  229. 

(4)  Ibid.,  t.  II,  p.  199. 


LIVRE  PREMIER.  135 

un  goût  prononcé.  Pour  les  œuvres  d'art,  elle  n'éprouva  pas 
un  penchant  aussi  vif.  Elle  avait  cependant  dans  son  salon  un 
Cupidon  en  marbre  que  chanta  Ercole  Strozzi.  Un  inventaire 
de  15 16  (1)  mentionne  également  chez  elle  un  tableau  deJacomo 
Panizato,  pourvu  d'un  cadre  sculpté  par  maître  Bei-nardino,  et 
deux  figures  de  femmes  peintes  d'après  nature  par  Jacomo 
Palma.  Elle  possédait,  en  outre,  des  bijoux,  des  médailles  et 
des  émaux. 

Il  n'y  avait  pas  longtemps  que  Lucrèce  avait  cessé  de  vivre, 
quand  les  plus  graves  préoccupations  envahirent  de  nouveau 
l'esprit  du  duc  de  Ferrare.  Deux  coups  de  main  tentés  contre 
sa  capitale  à  l'instigation  de  Léon  X  l'avertirent  des  dangers 
qui  le  menaçaient.  Informé  d'un  accord  conclu  h  ses  dépens 
entre  le  Pape  et  Charles-Quint,  il  crut  n'avoir  plus  aucun  mé- 
nagement à  garder  et  entreprit  de  conquérir  les  villes  qui 
avaient  appartenu  à  sa  maison.  Il  fut  excommunié  (1521),  et 
Ferrare  fut  frappée  d'interdit.  En  arrachant  Parme  et  Plai- 
sance aux  Français,  le  Souverain  Pontife  rendit  bientôt  tout 
à  fait  critique  la  situation  d'Alphonse.  Cette  fois  encore  le  duc 
dut  son  salut  à  la  mort  de  son  ennemi  (5  janvier  1522).  Il 
éprouva  une  telle  joie,  qu'il  fit  frapper  cinq  monnaies  d'argent 
et  une  monnaie  de  cuivre  en  souvenir  de  l'événement  qui  avait 
mis  fin  à  ses  anxiétés. 

Le  pontificat  d'Adrien  VI  (1522-1523)  amena  pour  lui  un 
peu  de  répit.  Sur  les  instances  du  duc  et  de  ses  ambassa- 
deurs (2),  l'interdit  fut  suspendu,  puis  levé,  et  la  confirmation 
de  l'investiture  fut  accordée,  à  la  condition  que  Ferrare  fourni- 
rait chaque  année  au  Pape  cent  soldats  à  cheval  dont  elle  paye- 
rait l'entretien.  QuanthModène  et  à  Reggio,  on  promit  au  duc 
de  les  lui  rendre,  mais  dans  un  avenir  indéterminé. 

(1)  Raccolta  di  catalughi  cd  invcntarii  di  (juadri,  statue,  disccjui,  bronzi, 
dorerie,  smalti,  medaglie,  uvori,  etc.,  dal  sccolo  XV  al  secolo  XIX,  per  cura  di 
Giuseppe  Campori.  Moclena,  1870. 

(2)  Hercule,  âgé  de  quatorze  ans,  prononça  dans  le  consistoire,  devant  le  Sou- 
verain Pontife,  un  discours  en  latin,  où  il  défendit  la  cause  d'Alphonse  I"^  son  père. 
Il  fut  très  affectueusement  accueilli  par  Adrien  VI.  Son  retour  à  Ferrare  eut 
lieu  le  31  octobre  1522. 


136  L'ART    FERRARAIS. 

Avec  l'avènement  de  Clément  VII,  les  complications  et  les 
périls  reparurent  pour  la  maison  d'Esté.  Entouré  d'ennemis 
dont  la  politique  était  ondoyante  et  féconde  en  surprises, 
Alphonse  I"  se  conduisit  selon  que  le  lui  conseillaient  les  cir- 
constances et  suivit  tour  à  tour  le  parti  de  la  France  et  celui 
de  l'Empire,  échappant  aux  pièges  de  la  destinée  tantôt  par 
sa  valeur  et  son  habileté  militaire,  tantôt  par  la  ruse  et  la  cor- 
ruption, A  François  P',  il  prêta  soixante-quinze  mille  écus 
d'or,  et  lui  envoya  en  Lombardie  douze  canons;  mais,  après 
la  bataille  de  Pavie,  bataille  où  François  P'  fut  fait  prisonnier 
(1525),  il  rétablit  l'équilibre  dans  les  manifestations  de  ses 
sympathies  en  prêtant  pour  un  an  à  l'Empereur  cinquante  mille 
ducats,  qu'il  promit  de  ne  pas  réclamer  s'il  était  réintégré 
dans  ses  fiefs  impériaux.  Quoiqu'il  ne  possédât  qu'un  État 
secondaire,  on  attachait  du  prix  à  son  alliance  et  à  son  con- 
cours. Lorsque  l'extension  inquiétante  des  prétentions  de 
Charles-Quint  eut  suscité  contre  ce  prince  la  ligue  de  Cognac 
dans  laquelle  entrèrent  Clément  YII,  les  Vénitiens,  la  Républi- 
que de  Florence,  le  duc  de  Milan  et  le  roi  de  France  (22  mai 
1526),  de  part  et  d'autre  on  lui  offrit  le  commandement  géné- 
ral des  armées.  A  cette  offre,  l'Empereur  ajouta  l'engagement 
d'unir  sa  fille  naturelle,  Marguerite,  à  Hercule,  fils  aîné  du  duc 
de  Ferrare,  tandis  que  la  ligue  proposait  pour  Hercule  la  main 
de  Catherine  de  Médicis.  Alphonse  se  déclara  en  faveur  de 
Charles-Quint.  Son  artillerie  et  ses  subsides  permirent  à  Geor- 
ges Fronsberg,  qui  amenait  d'Allemagne  des  renforts,  de  pas- 
ser le  Pô  malgré  les  troupes  pontificales  et  de  rejoindre  les 
Impériaux.  Guichardin  raconte  que  ce  fut  Alphonse  qui,  afin 
d'éloigner  de  son  territoire  le  flot  de  la  soldatesque,  excita  le 
connétable  de  Bourbon  à  marcher  contre  Rome.  S'il  n'en 
donna  pas  le  conseil,  il  encouragea  du  moins  indirectement 
l'expédition  qui  aboutit  au  sac  de  Rome  (1527).  La  même 
année  (15  novembre),  il  se  vit  dans  la  nécessité  d'adhérer  à  la 
ligue,  qui  le  menaçait  de  la  guerre  s'il  ne  lui  prêtait  pas  son 
appui;  mais  il  prit  à  témoin  l'ambassadeur  de  Charles-Quint 
qu'il  cédait  à  la  force  des  circonstances,  car,  faute  de  secours. 


LIVRE   PREMIER.  13T 

sa  perte  était  certaine.  Il  promit  de  fournir  à  ses  nouveaux 
alliés  cent  cuirasses  et  six  mille  écus  par  mois  pendant  six 
mois,  et  le  mariage  d'Hercule  avec  Renée,  fille  de  Louis  XII, 
fut  décidé  (I). 

Pendant  l'année  1528,  la  guerre  sévit  dans  toute  l'Italie; 
mais  en  1529  Clément  VII  et  Charles-Quint  se  réconcilièrent 
et  se  donnèrent  rendez-vous  à  Bologne  pour  rendre  la  paix 
à  la  Péninsule.  Alphonse  d'Esté  avait  repris  Reggio  au  début 
du  règne  de  Clément  VII  et  Modène  après  le  sac  de  Rome, 
sans  obtenir  que  ses  droits  sur  ces  villes  fussent  reconnus. 
Durant  plusieurs  jours,  il  y  traita  magnifiquement  l'Empereur, 
qui  lui  promit  ses  bons  offices  auprès  du  Pape.  Aux  deux  sou- 
verains réunis  à  Bologne,  il  envoya  ensuite  des  poissons,  des 
volatiles,  des  quadrupèdes  et  autres  comestibles,  et  fut  enfin 
admis  à  plaider  sa  cause  devant  eux.  Clément  VII  consentit  à 

(1)  Hercule  partit  avec  une  suite  non>hreuse  dont  faisait  partie  Musa  Antonio 
Brasavola,  célèbre  médecin  ferrarais.  11  avait  alors  vinjjt  ans  et  possédait  toutes 
les  firàces  d'un  chevalier  accompli.  Il  y  eut  en  son  honneur  des  bals  à  Saint-Ger- 
main et  des  chasses  à  Fontainebleau,  Le  mariage  eut  lieu  à  Paris  dans  la  Sainte- 
Chapelle  (28  juin  1528),  et  Clément  Marot  composa  pour  la  circonstance  un 
chant  nuptial.  Le  duc  Alphonse  envoya  à  Renée  des  joyaux  valant  cent  mille 
écus  d'or.  Quant  à  François  I",  il  fit  entrer  dans  la  dot  de  la  fille  de  Louis  XII 
et  d'Anne  de  Bretaf[ne  le  duché  de  Chartres,  ainsi  que  les  villes  de  Montargis  et 
de  Gisors.  Les  nouveaux  époux  restèrent  quelque  temps  en  France,  à  cause  de  la 
peste  qui  régnait  à  Ferrare.  Brasavola  visita  l'Université,  dont  les  registres  por- 
taient les  noms  de  Dante  et  de  Boccace,  et  il  y  soutint  une  série  de  controverses 
sur  cent  conclusions,  sorte  de  tournoi  intellectuel  qui  le  couvrit  de  gloire.  En 
défendant  Galien,  il  ne  recueillit  pas  moins  d'applaudissements.  François  I"  se 
fit  soigner  par  lui,  le  combla  de  présents,  l'autorisa  à  intercaler  le  lis  d'or  dans 
ses  armes  et  le  nomma  chevalier  de  Saint-]Mic'hel.  Hercule  et  sa  femme  ne  quit- 
tèrent Paris  que  le  16  septembre  1528.  Ils  passèrent  par  Lyon,  Turin,  Parme, 
Reggio  et  Modène,  et  s'arrêtèrent  dans  le  palais  du  Belvédère  (30  novembre), 
avant  d'entrer  pompeusement  à  Ferrare,  où,  sur  l'ordre  du  duc,  les  citoyens 
avaient  quitté  leurs  habits  de  deuil  et  repris  leurs  occupations.  La  future 
duchesse,  née  en  1509,  avait  dix-neuf  ans.  Si  elle  ne  charmait  pas  les  yeux  par 
sa  beauté,  «  elle  faisait  assez  paraître,  dit  Muratori,  par  les  grâces  de  son  esprit 
et  l'élévation  de  son  caractère,  le  noble  sang  qui  courait  dans  ses  veines  «  .  Pour 
célébrer  son  arrivée,  plusieurs  couiédies  de  l'Arioste  furent  représentées,  sous  la 
direction  du  poète  lui-même,  sur  le  théâtre  construit  dans  le  palais  contigu  au 
Castello,  et  le  prince  François,  un  des  fils  d'Alphonse  I'^'',  récita  le  prologue  de  la 
Lena.  (Frizzi,  Mcm.  per  la  storia  di  Ferrara,  t.  IV,  p.  304-305,  307.  —  Jules 
Bonnet,  Un  mariarje  sous  François  /''",  dans  la  Revue  chrétienne,  année  1875, 
p.  292-306  et  359-375.  —  Erneslo  Masi,  /  Burlamacchi  e  cli  alcuni  doeumenti 
intorno  a  Renata  d'Esté  duchessa  di  Ferrara.  Bologne,  1876,  p.  125-129.) 


138  L'ART    FERRARAIS. 

accepter  Charles-Quint  comme  arbitre  entre  lui  et  le  duc  de 
Ferrare,  à  la  condition  que  ^lodène  serait  remise  en  dépôt 
aux  mains  de  l'Empereur,  clause  qui  fut  exécutée.  En  1531 
(23  avril),  Charles-Quint  rendit  sa  décision.  Alphonse  d'Esté 
devait  demander  pardon  au  Pape,  payer  pour  le  duché  de  Fer- 
rare  une  redevance  annuelle  de  sept  mille  ducats  d'or,  au  lieu 
de  la  faible  redevance  à  laquelle  Alexandre  VI  avait  consenti, 
recevoir  une  nouvelle  investiture  moyennant  cent  mille  ducats, 
jusqu'au  payement  desquels  l'Empereur  garderait  Modène. 
Clément  VU,  toujours  implacable  à  l'égard  d'Alphonse  I", 
refusa  son  adhésion  à  cet  arbitrage.  Il  menaça  de  nouveau 
l'indépendance  de  Ferrare,  mais  recula  devant  les  formidables 
préparatifs  du  duc.  Charles-Quint,  voyant  qu'Alphonse  I" 
s'était  soumis  de  bonne  foi  à  la  sentence  qu'il  avait  formulée, 
ordonna  de  lui  rendre  Modène  (1).   En  février  1533,  au  con- 

(1)  Pour  faire  oublier  sa  longue  fidélité  à  la  France  et  se  concilier  la  bienveil- 
lance de  Charles-Quintj  Alphonse  I"  avait  recommande  h  Jacopo  Alvarotli  et  à 
Matteo  Casella,  ses  ambassadeurs,  de  ne  rien  négliger  pour  gagner  les  bonnes 
grâces  de  François  Covos,  secrétaire  intime  de  l'Empereur,  par  les  mains  de  qui 
passaient  toutes  les  affaires  concernant  l'Italie.  Dans  une  entrevue  qui  eut  lieu  le 
9  janvier  1533,  Govos  amena  la  conversation  sur  les  principaux  tableaux  du  duc 
de  Ferrare,  notamment  sur  les  portraits  du  duc  et  de  Gliarles-Quint  par  Titien, 
portraits  dont  Titien  lui-même  lui  avait  plusieurs  fois  parlé.  Avec  un  sans-gêne 
que  lui  inspirait  sa  haute  situation,  il  exprima  le  désir  qu'on  lui  donnât,  pour  les 
emporter  en  Espagne,  ces  deux  portraits,  auxquels  on  pourrait  joindre  celui  d'Her- 
cule, fils  aîné  d'Alphonse  I".  Ce  désir  ressemblait  singulièrement  à  un  ordre.  A 
peine  le  duc  en  fut-il  Informé  que,  refoulant  son  orgueil  habituel,  il  offrit  à 
Covos  de  faire  un  choix  parmi  ses  peintures,  lui  proposant  de  s'en  rapporter  au 
goîit  de  Titien.  Une  liste  de  tableaux  accompagnait  cette  lettre.  Covos  remarqua 
que  le  portrait  d'Alphonse  n'y  figurait  point  ;  or,  c'était  là,  déclara-t-il,  ce  à  quoi 
il  tenait  par-dessus  tout.  Les  ambassadeurs  de  Ferrare  eurent  beau  lui  représenter 
que  ce  portrait,  exécuté  de  longue  date,  ne  reproduisait  plus  la  physionomie 
actuelle  du  prince,  et  que  mieux  vaudrait  en  exécuter  un  autre,  il  tint  bon,  et  se 
décida,  en  outre,  d'après  les  conseils  de  Titien,  pour  une  Judith,  un  S.  Michel 
et  une  Madone.  Ces  trois  derniers  tableaux  devaient  être  expédiés  à  Gènes  ;  quant 
au  portrait  du  duc,  c'est  à  Bologne  qu'il  fallait  l'envoyer,  afin  que  l'Empereur 
pût  l'admirer  sans  retard.  Sept  jours  s'ctant  passés  sans  que  rien  arrivât,  l'impa- 
tient Covos  s'en  plaignit  à  Alvarotti  et  à  Casella.  Enfin  le  23  janvier  le  portrait 
si  ardemment  attendu  fut  remis  au  secrétaire  impérial  avec  une  lettre  dans  laquelle 
Alphonse  d'Esté  offrait  à  celui-ci  de  le  servir  en  toutes  choses.  En  exprimant  sa 
gratitude  aux  représentants  du  duc,  Covos  daigna  leur  dire  que  si  les  collections 
du  prince  renfermaient  encore  quelques  objets  à  sa  convenance,  il  ne  manquerait 
pas  de  les  demander.  Peu  de  jours  après,  il  rencontra  Casella  et  lui  apprit  que  le 
portrait  du  duc  était  placé  dans  la  chambre  de  l'Empereur.  «  Qu'en  dirait  le  Pape 


LIVRE   PREMIER.  139 

grès  de  Bologne,  le  Pape,  l'Empereur,  le  roi  de  Hongrie,  le 
duc  de  Milan,  les  Génois,  les  Lucquois  et  les  Siennois  formèrent 
une  ligue  pour  garantir  le  repos  de  l'Italie.  Le  duc  de  Ferrare 
ne  consentit  à  en  faire  partie  qu'après  que  le  Pape,  pressé  par 
Charles-Quint,  se  fut  engagé  à  ne  rien  tenter  contre  lui  pen- 
dant dix-huit  mois,  et  il  promit  de  fournir  dix  mille  ducats  en 
cas  de  guerre.  Les  dix-huit  mois  de  tranquillité  sur  lesquels 
Alphonse  pouvait  compter  approchaient  de  leur  fin,  lorsqu'au 
mois  de  juillet  1534  mourut  Clément  VII,  dont  le  successeur, 
Paul  III  (Alexandre  Farnèse),  était  favorable  au  duc  de  Ferrare. 
Alphonse  I"  suivit  de  près  Clément  VII  dans  l'autre  vie  (1)  : 
il  mourut  le  31  octobre  1534,  à  l'âge  de  cinquante-huit 
ans  (2),  laissant  h  son  successeur  les  États  de  la  maison  d'Esté, 
après  de  nombreuses  péripéties,  tels  qu'il  les  avait  reçus  de 
son  père,  et  même  mieux  affermis.  En  butte  à  l'inimitié  de 
trois  papes  que  soutenaient  de  puissants  alliés,  il  avait  triom- 
phé de  tous  les  obstacles  en  suivant  tantôt  le  parti  du  roi  de 
France,  tantôt  le  parti  de  l'Empereur,  en  associant  à  une  notoire 
habileté  militaire  et  à  un  rare  courage  l'astuce  et  la  corruption, 
en  faisant  tour  à  tour  des  actes  de  prudence  ou  d'audace,  en 
se  montrant  fertile  en  expédients  ,  en  sachant  se  soumettre 
aussi  bien  que  résister,  ens'humiliantau  besoin  pour  se  relever 
avec  plus  de  force.  Son  règne  avait  duré  trente-trois  ans  (3). 

s'il  le  savait?  »  ajouta  Covos.  ^  Cela  lui  déplairait  moins,  répondit  le  fin  ambas- 
sadeur, que  de  savoir  l'imajje  de  mon  maître  gravée  dans  le  cœur  de  l'Empereur.  » 
On  croit  à  tort  aujourd'hui  que  le  portrait  d'Alphonse  I"  dont  il  vient  d'être 
question  fait  partie  du  musée  de  Madrid  :  nous  en  reparlerons  à  propos  du 
Cnstello  (liv.  II,  eh.  m). 

(1)  Après  avoir  été  exposé  sous  la  lojjjjia  du  jardin  de  la  cour,  où  Bartoloinmeo 
Ferrino  prononça  son  oraison  funèbre,  son  corps  fut  porté  en  grande  pompe  à 
l'église  du  Corpus  Domini  pour  y  être  enseveli.  Parmi  les  œuvres  de  Cetio  Calca- 
gnini  et  de  Girolamo  Falletti  se  trouvent  aussi  deux  discours  composés  en  l'hon- 
neur d'Alphonse  \". 

(2)  Il  mourut,  dit  Paul  Jovc,  pour  avoir  mangé  ti-op  de  melon.  Deux  de  ses 
frères,  le  cardinal  llippolyte  I^"^  et  don  Sigismond,  l'avaient  précédé  dans  la 
tombe,  le  premier  en  1520,  le  second  en  1524.  C'est  aussi  l'intenqjérancc, 
comme  on  le  verra  plus  loin,  qui  causa  la  mort  du  cardinal. 

(3)  Voyez  Vita  di  Alfonso  1"  d'Esté^  par  Honaventura  Pistoi-ilo,  dans  les  Atti 
e  Mem.  délie  deputazioni  di  stori'a  palria  pcr  le  pioviiicie  modenesi  c  paniiensi, 
anno  1865,  p.  481. 


140  L'AKT    FERRARAIS. 

Entre  la  mort  de  Lucrèce  Borgia  et  celle  de  son  dernier 
mari,  il  s'était  écoulé  quinze  ans.  Alphonse  ne  se  remaria 
pas,  mais  il  vécut  avec  la  fille  d'un  Ferrarais  fabricant  de 
bérets  [berettino],  la  belle  Laura  Dianti,  qu'il  surnomma  Eusto- 
chia,  et  qu'il  installa  dans  un  palais  construit  pour  elle  près 
de  l'église  Santa  Maria  délia  Rosa  (1).  Il  en  eut  deux  fils, 
Alfo7iso  et  Alfonsmo,  qui,  au  dire  de  Muratori,  furent  légitimés 
par  le  cardinal  Cibo.  Quelques  écrivains  prétendent  que,  vers 
la  fin  de  sa  vie,  le  duc  épousa  sa  maîtresse.  Un  acte  (2)  dans 
lequel  il  est  question  d'une  donation  faite  à  Madonna  Laura 
Eustochia  prouve  en  tout  cas  que  cinq  jours  avant  de  mourir 
Alphonse  ne  songeait  pas  encore  à  épouser  cette  femme. 

Les  Ferrarais,  si  cruellement  éprouvés  sous  son  règne  par 
la  guerre,  par  la  famine,  par  la  peste,  eurent  du  moins  la 
consolation  de  voir  inaugurer  chez  eux  à  cette  époque  deux 
établissements  de  bienfaisance.  Pour  dispenser  les  gens  beso- 
gneux de  recourir  à  des  usuriers  insatiables,  le  Bienheureux 
Bernardino  da  Feltre,  Frère  Mineur  de  lObservance,  avait 
recommandé  dès  1483,  en  prêchant  dans  la  cathédrale,  la  fon- 
dation d'un  Mont-de-Piété;  mais  la  guerre  avec  Venise  avait 
tout  entravé.  En  1507,  un  autre  Franciscain,  le  Bienheureux 
Giacomo  da  Padova,  démontra  à  son  tour  l'utilité  d'un  Mont- 
de-Piété,  et  le  duc  en  encouragea  l'installation  (3).  La  seconde 
œuvre  en  faveur  des  nécessiteux ,  conseillée  pendant  une 
année  de  disette  par  le  Dominicain  Fra  Lorenzo  de  Bergame, 
fut  le  Mo?ife  c/e//e/rt?vVîe  (1533),  qui,  placé  sous  la  protection 
de  la  princesse  Renée,  du  Juge  des  Sages,  du  prieur  de  Saint- 
Dominique,  d'Alfonso  Trotti,  familier  du  duc,  et  du  cham- 
bellan Girolamo  Giglioli,  eut  son  siège  d'abord  dans  l'habita- 
tion de  Prisciano,  puis  dans  la  via  délia  Rotta. 

Mais  revenons  à  Alphonse  \"   lui-même  et  à  ce  qui  peut 

(1)  Ce  palais,  conligu  aux  jardins  que  l'on  avait  annexés  au  Castello,  donnait 
sur  la  rue  Caracusco,  nommée  ensuite  rue  des  Ursulines.  Au  temps  de  Frizzi,  il 
appartenait  aux  comtes  Aventi. 

(2j  II  a  été  publié  dans  V Archivio  storico  italiano,  1845,  apperwlice,  t.  II, 
p.  67  et  68. 

(31   Frizzi,  Mcmoiie  per  la  storia  di  Ferrara,  t.  IV,  p.  229-230. 


LIVRE   PREMIER.  141 

caractériser  sa  personne  en  même  temps  que  son  époque.  Très 
robuste  de  tempérament,  habitué  à  la  rude  vie  du  soldat,  il 
trouvait  dans  la  chasse  et  dans  la  péclie  des  distractions  appro- 
priées à  sa  nature  et  à  son  caractère  intrépide.  Bonaveiitiira 
Pistofîlo,  son  historiographe  (1),  nous  a  transmis  de  curieux 
détails  à  ce  sujet.  Pendant  l'automne  de  1520,  Pistofilo,  qui 

(1)  Nous  empruntons  ù  M.  Antonio  Cappelli  les  renseignements  qui  suivent 
sur  ce  personnage.  Bonaventura  ou  Ventura,  fils  de  Giovanni  Antonio  de'  Zam- 
bati,  naquit  à  Pontrenioli,  entre  1465  et  1470.  Il  vint  jeune  encore  se  fixer  à 
Ferrare,  où  il  étudia  l'éloquence  et  la  philosophie  à  l'Université,  et  prit  le  sur- 
nom de  Pistofilo  ^amateur  de  la  fidélité).  Lorsque  mourut  le  célèbre  ISiccolô 
Leoniceno,  helléniste,  médecin,  mathématicien,  philosophe  et  même  philologue, 
dont  il  avait  été  l'élève,  il  lui  fit  élever  dans  l'église  de  Saint-Dominique  un 
monument  avec  une  inscription  composée  par  Celio  Calcagnini  (1524).  II  se  lia 
avec  Ercole  Strozzi,  dont  il  devint  le  beau-frère  en  épousant  Margherita,  fille  de 
Tito  Vespasiano  Strozzi,  et  composa  des  vers  latins  et  italiens  que  loua  Celio 
Calcagnini,  mais  que  Lilio  Gregorio  Giraldi  déclara  médiocres.  S'il  ne  s'éleva  pas 
bien  haut  comme  poète,  il  excella  à  rédiger  en  italien  des  lettres  pour  les  princes 
et  les  grands  personnages.  Après  avoir  été  secrétaire  d'Ercole  Strozzi,  il  fut  à 
partir  de  1510  secrétaire  du  duc  Alphonse  I",  qui  l'emmena  avec  lui  toutes  les 
fois  qu'il  s'éloigna  de  Ferrare  et  qui  l'employa  dans  des  négociations  délicates, 
notanmient  pour  contrecarrer  les  sourdes  menées  de  Jules  II  et  de  Léon  X.  En 
1518,  il  accompagna  le  duc  à  Paris  et  rendit  compte  à  Lucrèce  Borgia,  restée  à 
Ferrare,  des  magnifiques  fêtes  auxquelles  il  assista  et  des  costumes  qu'il  admira. 
Pistofilo  tomba  mortellement  malade  à  Bologne  lors  du  couronnement  de  Charles- 
Quint,  mais  il  put  laisser  à  l'Empereur  l'exposé  des  raisons  qui  militaient  en 
faveur  d'Alphonse  I"  pour  la  possession  de  Modène  et  de  Rcggio.  Il  fut  enseveli  à 
Ferrare  dans  l'église  de  Saint-Paul.  Le  tombeau  que  lui  élevèrent  sa  femme  et  ses 
héritiers  a  été  détruit  avec  une  partie  de  l'église  par  le  tremblement  de  terre  de 
1570.  Pistofilo  avait  formé  une  riche  bibliothèque  qu'il  légua  à  son  disciple  Bar- 
tolounueo  Ferrini.  L'Arioste  l'a  couqité  parmi  les  lettrés  et  les  amis  qui  se 
réjouissaient  de  l'achèvement  de  son  poème  :  «  Ecco  il  ilotto,  il  fedele,  il  dili- 
gente segretaiio  Pistofilo  (dernier  chant,  st.  48).  «  Il  lui  a,  de  plus,  adressé  une 
de  ses  plus  belles  satires  pour  décliner,  avec  force  remerciements,  l'offre  que  Pis- 
tofilo lui  avait  faite  d'une  ambassade  auprès  de  Clément  VII.  On  doit  à  Pistofilo 
une  Vie  d'Alphonse  I"  d'Esté  en  italien.  Quoique  l'auteur  taise  ou  atténue  les 
fautes  de  son  héros,  cette  vie,  qui  va  jusqu'en  février  1533,  est  très  instructive. 
Elle  fut  interrompue  par  la  mort  de  l'écrivain  (15  octobre  1533).  M.  Antonio 
Cappelli  la  publiée  dans  les  Atti  e  meniorie  délie  deputazioni  di  storia  patria  per 
le  provincie  modenesi  e  panne nsi,  et  elle  a  été  imprimée  en  volume  à  Modène, 
par  Carlo  Vincenzi,  1867.  On  peut  voir  le  portrait  de  Pistofilo  (gravé  sur  cuivre) 
dans  l'ouvrage  intitulé  :  Oplomachia  di  Bonaventura  Pistofilo,  nobile  ferrarese, 
nella  quale  con  dottvina  morale,  politica  e  militare,  e  col  mezzo  dette  figure  si 
tratta  per  via  di  teorica...  detl'  uso  délie  anni  :  distinta  in  tre  discorsi  di  Picca, 
d'Alabarda  e  di  Moschetto  (in  Siena  per  Ercole  Gori,  1621,  petit  in-4°),  et  dans 
//  torneo  di  Bonaventura  Pistofilo  (Bologna,  Ferroni,  1626-1627,  in-4'').  Nous 
avons  vu  un  exenqjlaire  de  ces  ouvrages  parmi  les  livres  de  M.  Piot.  (Cat.  de  la 
vjnte  de  juin  1891,  n"»  267  et  268.) 


142  I/AllT    FERKABAIS. 

n'avait  pas  les  mêmes  ^oùts  que  le  duc  et  qui  n'était  pas  habi- 
tué à  braver  les  intempéries  des  saisons,  prit  part,  malgré  lui, 
aux  pêches  et  aux  chasses  qui  se  firent  dans  les  vallées  de 
Gomacchio,  où  il  fut  saisi  de  la  fièvre.  «Voilà,  écrivit-il  le 
11  octobre,  ce  qu'on  gagne  à  Gomacchio  par  la  pluie  ou  le 
vent.  "  Une  autre  lettre,  écrite  le  27  novembre,  contient 
d'autres  renseignements  significatifs  :  «■  Hier,  on  a  fait  une 
belle  chasse  dans  le  bosco  eliseo  et  l'on  a  tué  cinq  sangliers. 
Notre  maître  en  a  tué  un  de  sa  main  et  a  aidé  à  en  tuer  un 
autre.  Le  plaisir  fut  si  grand  que  Son  Excellence  a  résolu  de 
faire  aujourd'hui  une  autre  chasse,  que  l'on  prépare.  Pendant 
celle  d'hier...,  je  montai  sur  un  chêne  vert  pour  voir  les 
prouesses  d' autrui,  et  en  dépit  de  mes  précautions  je  ne  me 
trouvai  pas  trop  en  sûreté,  car  un  loup  et  un  taureau  passèrent 
près  de  moi.  Aujourd'hui,  je  veux  rester  à  terre  avec  un  épieu 
à  la  main,  que  je  tremperai  dans  le  sang  de  quelque  sanglier 
mort  ou  pris  dans  les  filets.  Je  pense  que  demain  nous  irons  à 
Ostellato;  je  dis  :  je  pense,  car  Votre  Grandeur  sait  bien  qu'on 
ne  peut  rien  affirmer.  Notre  seigneur  est  resté  dehors  la  nuit 
jusqu'à  deux  heures  pour  voir  uccellare  aile  foleghe  sans  se 
soucier  de  sa  santé  (e  par  che  hahbia  in  fastidio  la  sanita)  (1).  " 

Tout  en  s'adonnant  aux  exercices  qui  exigent  de  l'adresse 
et  de  la  vigueur,  Alphonse  I"  ne  dédaigna  rien  de  ce  qui  pou- 
vait soutenir  la  réputation  d'éclat  que  possédait  la  cour  d'Esté, 
et  se  montra  l'émule  des  princes  auprès  desquels  les  arts  et  les 
lettres  trouvèrent  au  seizième  siècle  les  encouragements  les 
plus  vifs. 

Aux  palais  de  ses  ancêtres,  il  ajouta  celui  du  Belvédère  dans 
une  île  du  Pô,  près  du  Gastel  Tedaldo.  Il  mit  tous  ses  soins  à 
orner  cette  résidence,  qui  devint  célèbre  entre  toutes  par  ses 
peintures  comme  par  son  parc  (2).  Si  l'on  en  croit  Pistofilo,  il 
s'entendait  fort  bien  en  architecture.  Dans  le  Gastel  Vecchio, 
plusieurs   pièces,  sur  son  ordre,   furent  décorées   avec    une 

(i)  Vita  di  Alfonso  I  d'Esté,  scritta  dal  suo  set/retario  Bonaveniura  Pistofilo  e 
pubblicata  per  cura  di  Antonio  Cappelli. 

(2)  Voyez  plus  loin  les  pages  que  nous  lui  avons  consacrées  (liv.  II,  cli.  m}. 


LIVRE   PREMIER.  143 

grande  magnificence,  et  il  fit  disposer  quatre  petites  chambres 
qu'il  remplit  de  peintures. 

Quoique  lui-même  fût  sans  lettres,  il  se  complut  à  s'entourer 
de  ceux  qui  les  cultivaient.  L'Arioste  (1),  Celio  Galcagnini, 
Bonaventura  Pistofilo,  Leoniceno,  Giovanni  Manardi,  Lodo- 
vico  Bonaccioli,  Lodovico  Cati,  Bartolommeo  Ferrino,  Anto- 
nio Musa  Brasavola,  Alessandro  et  Alfonso  Guarini  (2)  furent 
admis  dans  son  intimité  (3).  Même  pendant  les  années  les  plus 
néfastes,  si  ce  n'est  en  temps  de  peste,  il  tint  à  ce  que  l'Uni- 
versité ne  fut  pas  fermée,  y  attira  des  maîtres  savants  qui  reçu- 
rent avec  régularité  leurs  appointements ,  et  voulut  que  les 
cours  eussent  toujours  lieu,  quelque  petit  que  fut  le  nombre 
des  auditeurs. 

Dans  sa  jeunesse,  Alphonse  d'Esté  s'était  adonné  à  la  musi- 
que. Nous  avons  vu  qu'il  joua  du  violon  en  véritable  virtuose 
dans  les  intermèdes  des  pièces  représentées  sur  le  théâtre  du 
palais  délia  Ragione,  lors  de  son  mariage  avec  Lucrèce  Bor- 
gia.  Après  la  mort  de  son  père,  la  musique  continua  à  être  en 
honneur  auprès  de  lui  et  réalisa  des  progrès.  C'est  en  1506 
que  les  flûtes  commencent  à  être  mentionnées  :  Battista  da 
Verona  en  alla  acheter  à  Venise  pour  le  duc.  Mais  la  musique 
n'est  que  l'embellissement  de  la  prospérité.  Quand  la  guerre 
éclata,  quand  l'indépendance  de  Ferrare  fut  menacée  et  que 
la  prolongation  4es  malheurs  publics  eut  amené  une  véritable 
détresse  financière,  force  fut  de  renoncer  à  un  luxe  inutile. 

(1)  Ou  verra  plus  loin,  à  l'occasion  des  médailles  de  Pastoriiio,  comiiienf 
Alphonse  I"  sut  reconnaître  les  mcritcs  du  yrand  poète. 

(2)  Nous  parlerons  d'Alessandro  Guarini  dans  le  cliapitre  consacré  aux 
médailles. 

(3)  lîarotti  fournit  une  preuve  des  rapports  l'auiiliers  qui  existèrent  entre 
Alphonse  I"  et  Brasavola.  Un  jour  (|ue  le  duc,  à  Venise,  faisait  avec  lui  et  avec 
l'Arioste  une  promenade  en  gondole,  une  tourmente  éclata  et  les  vagues  forcèrent 
les  promeneurs  à  rebrousser  chemin.  Dès  qu'ils  furent  en  sûreté,  la  conversation 
suivante  s'engagea  entre  le  prince  et  Brasavola  :  «  Si  la  barque  a%'ait  chaviré,  dit 
Alphonse,  je  me  serais  sauvé  à  la  nage.  —  Si  je  vous  l'avais  permis,  répliqua 
Brasavola.  —  Comment  aurais-tu  pu  m'en  empêcher? —  En  montant  sur  votie 
dos,  car  j'étais  décidé  à  me  sauver  ou  à  périr  avec  vous.  —  Si  tu  l'avais  fait,  je 
t  aurais  coupé  la  main  avec  mon  poij;nard.  —  Je  vous  l'aurais  enlevé,  ou  je  vous 
aurais  mis  dans  l'impossibilité  de  le  saisir  en  vous  serrant  les  bras  entre  mes 
jairbcs.  »  —  Chacun  se  mit  à  rire,  et  l'on  en  resta  là. 


ly,  L'A  UT    FERr.AI\AIS. 

La  chapelle  ducale  cessa  de  fonctionner,  et  les  chanteurs,  au- 
torisés à  chercher  ailleurs  de  l'occupation,  passèrent  presque 
tous  à  Mantoue.  Tels  furent  Ilario  Turbwone,  Jeronimo  da 
Vei'ona,  Fra  Felice,  messer  Michèle  da  Liicca,  basse  distinguée 
que  Léon  X  rechercha  en  15L4.  Seul,  Fra  Gianfrancesco  da 
Lodi,  qui  possédait  une  belle  voix  de  contrebasse  et  qui  était 
capable  de  diriger  une  chapelle,  ne  voulut  pas  abandonner 
le  service  du  prince.  Quoique  privé  de  ses  chœurs  habi- 
tuels, le  duc  ne  cessa  pas  de  s'intéresser  à  l'art  de  la  mu- 
sique :  en  avril  1518,  il  chargea  Sacrati  de  lui  procurer  les 
nouvelles  compositions  du  célèbre  Gianni  Motone.  En  1523, 
don  Sigismond  d'Esté  donna  trente  lire  au  chanteur  Giovanni 
Michèle  pour  un  livre  contenant  des  messes  composées  à  l'in- 
tention du  souverain  de  Ferrare.  On  savait  faire  plaisir  au  duc 
en  l'entretenant  de  musique  :  Pauluzzo,  appelé  aussi  Paulucci, 
qui  fut  longtemps  son  ambassadeur  à  Rome,  l'informait  des 
nouveautés  musicales;  il  parle  d'un  orchestre  composé  de 
fifres,  de  cornemuses,  de  deux  cornets,  de  violes,  de  luths, 
d'un  petit  orgue,  d'une  flûte  et  d'une  voix,  orchestre  qui  re- 
haussa l'éclat  de  la  représentation  d'une  comédie.  Vers  ce 
temps  se  produisit  une  innovation  dans  la  fabrication  des 
flûtes  :  au  lieu  de  siffler  dans  la  partie  supérieure,  on  souffla 
dans  le  milieu  de  l'instrument.  Le  prince  Hercule  lui-même  en 
jouait,  sous  la  direction  de  son  maître  Francesco  dalla  Viola  (1). 
Alphonse  I"  ne  laissa  pas  décroître  la  réputation  que  Ferrare 
avait  acquise  en  Italie  au  point  de  vue  théâtral  (2).  En  parlant 
de  l'ancien  palais  des  princes  d'Esté  (3),  nous  constaterons  que 

(1)  Lui{;i  Francesco  Yaldrichi,  Cappelle,  concerti  e  musiche  cli  casa  d'Esledal 
secolo  XV  al  XVIII,  dans  les  Atti  e  memorie  délie  deputazioni  di  storia  patria 
per  le  provincie  modenesi  e  parmensi^  série  III,  vol.  II. 

(2)  Un  sculpteur  nommé  Antotiio  Elia,  qui  était  probablement  de  Padoue  et 
que  M.  Venturi  incline  à  identifier  avec  Moderno,  parce  qu'il  se  plaisait  à  repro- 
duire des  œuvres  antiques  en  petites  proportions,  fit  en  1508  des  idoles  en  terre 
pour  la  représentation  de  quelques  comédiens.  11  se  trouvait  encore  à  la  cour  de 
Ferrare  en  1512,  puis  il  partit  pour  Rome.  En  1517,  il  habitait  dans  cette  ville  le 
palais  du  cardinal  tlippolyte  I"  d'Esté.  Le  peintre  Jean  de  C?emo«e  travailla  aussi 
en  1508  pour  le  théâtre  d'Alphonse  I".  (A.  Venturi,  Il  (jruppo  del  Laocoonte  e 
liaffaello,  dans  VArchivio  storico  dell'  arte,  mars-avril  1889,  p.  107.) 

(3)  Liv.  II,  ch.  ni. 


LIVRE   PREMIER.  145 

ce  prince  y  fit  construire  un  théâtre  sur  lequel  furent  repré- 
sentées avec  un  grand  succès  plusieurs  pièces  de  VArioste  [l). 
Alfonso  Guarini,  frère  d'Alessandro  Guarini,  composa  deux 
comédies  tout  en  s'occupant  de  fonctions  politiques  :  le  Pra- 
tico  et  le  Sposalizio.  Sur  le  frontispice  de  celle-ci  se  trouve  une 
gravure  en  bois  :  on  y  voit  une  porte  au-dessus  de  laquelle  on 
lit  :  «  A  Domino  factum  est  istud.  »  Sous  le  titre,  placé  dans  le 
vide  laissé  par  la  porte,  un  cerf  tient  une  vipère  entre  ses 
dents.  Au-dessus  du  cerf  est  écrit  le  mot  «  oliin.  ^ 

Les  arts  du  dessin  furent  loin  aussi  de  trouver  Alphonse  I" 
indifférent.  Il  tint  à  honneur  d'augmenter  les  collections  com- 
mencées par  ses  prédécesseurs  (2),  d'enrichir  de  statues  et  de 
peintures  les  salles  de  son  palais  (3),  et  il  ne  se  borna  pas  aux 
productions  des  maîtres  de  Ferrare.  A  l'exemple  de  Lionel,  il 
apprécia  fort  les  œuvres  de  Rogier  van  der  Weyden  et  fit  ache- 
ter en  Flandre,  moyennant  cinq  mille  ducats  d'or,  trois  ta- 
bleaux de  ce  maître  représentant  la  Passion^  et  où,  dans  tous 
les  épisodes,  la  figure  du  Christ  était  identique.  Ces  détails 
sont  fournis  par  une  lettre  que  le  Napolitain  Marc-Antoine 
Michiel  écrivit  en  152  4  et  que  Cicogna  publia  en  ISOO  dans 
les  Mémoires  de  l'Institut  vénitien  (4). 


(1)  La  Cassaria  de  l'Arioste  fut  rejîi'ésentée  pendant  le  carnaval  de  1508.  Ber- 
nardo  Prospero  en  rendit  compte  à  Isabelle  d'Esté,  marquise  de  Mantouc.  Pour  la 
première  fois,  les  spectateurs  eurent  devant  les  yeux  une  scène  moderne.  Elle 
avait  été  imaginée,  au  dire  de  Prospero,  par  le  peintre  Peregrino  (la  San  Daniele, 
qui  de  1508  à  1518  fut  employé  à  la  cour  comme  décorateur.  M.  Eduard 
Flechsig,  cependant,  croit  que  Peregrino,  à  en  juger  par  ses  oeuvres,  ne  connais- 
sait pas  assez  la  perspective  pour  avoir  été  l'inventeur  de  la  scène,  et  qu'il  ne 
fit  qu'exécuter  les  projets  de  quelque  architecte.  Voyez,  dans  VArchivio  storico 
deir  arte  de  1895,  p.  130,  l'article  de  M.  C.  de  Fahriczv  sur  l'ouvrage  de 
^I.  Flechsig,  intitulé  :  Die  Décoration  der  modcrnen  Biiline  iii  Italien  von  den 
Anfangen  bis  zuni  Schluss  des  XVI  Jahrhundert^  iDresdcn,  ISQ'*,  in-S"  de 
96  pages\ 

(2;  Il  donna  le  docte  Pistojïlo  pour  conservateur  à  la  collection  des  médailles 
et  des  monnaies  antiques,  et  chargea  Celio  Calcagnini  de  les  classer. 

(3)  Peut-être  n'était-il  pas  étran{;er  à  la  peinture.  En  1493,  il  charge  Girolamo 
Fino,  son  ambassadeur  à  Venise,  de  lui  acheter  des  couleurs  d'excellente  qualité, 
et,  après  les  avoir  reçues,  il  exprime  à  son  agent  sa  satisfaction.  (Ad.  Vexturi, 
V arte  ferrarese  nel  période  d'Ercole  I d'Esté,  p.  33.) 

.  (4)   E.    MlixTz,   Les   artistes  flamands  et  allemands  en  Italie,  dans  VArt   du 
15  octobre  1885. 

1.  10 


lV(i  L'ART    FERRARAIS. 

Les  représentants  d'Alphonse  F'  auprès  des  princes  de 
l'Italie  ne  furent  pas  seulement  chargés  de  négociations  poli- 
tiques ;  ils  s'occupèrent  aussi  de  procurer  des  œuvres  d'art  à 
leur  maître.  D'après  les  ordres  du  duc,  Girolamo  Seregno, 
amhassadeur  de  Ferrare  à  Milan,  s'efforça  d'obtenir  un  Bacchus 
que  possédait  Antonio  Maria  Pallavicino  (peut-être  s'agissait-il 
d'un  ouvrage  de  Léonard  de  Vinci).  Mais  le  17  avril  1505 
Seregno  informa  Alphonse  I"  que  cette  acquisition  était  im- 
possible, Pallavicino  ayant  promis  le  Bacchus  au  cardinal  de 
Rouen,  gouverneur  du  Milanais.  Un  autre  ambassadeur  de 
Ferrare  à  Milan,  Alberto  Bendidio ,  sollicita  vainement  de 
Froncesco  Melzi  quelques-uns  des  manuscrits  et  des  dessins  que 
Léonard  de  Vinci  lui  avait  légués.  Il  tâcha,  en  outre,  sans 
pouvoir  y  parvenir  davantage,  d'attirer  Melzi  à  la  cour  d'Al- 
phonse d'Esté,  se  portant  fort  du  bon  accueil  qu'il  y  recevrait. 
Ces  faits  sont  consignés  dans  une  lettre  que  Bendidio  écrivit 
au  duc  le  6  mars  1523  (1). 

Fra  Bartolommeo  fut  un  des  artistes  dont  Alphonse  I"  désira 
quelque  ouvrage.  Le  14  juin  1517,  il  annonça  au  duc  l'envoi 
d'une  Vierge  et  d'une  tête  du  Sauveur  (2).  Ce  dernier  tableau 
était  destiné  à  Lucrèce  Borgia.  Une  peinture  restait  encore  à 
exécuter.  Ferrare  n'était  pas  étrangère  au  maître  toscan.  Sa 
lettre  fait  allusion  à  sa  venue  dans  cette  ville,  mais  sans  en 
indiquer  l'époque.  Y  avait-il  passé  en  1508,  lorsqu'il  se  rendit 
à  Venise?  Son  voyage,  au  contraire,  était-il  récent?  On  ne 
saurait  rien  affirmer  (3). 

A  Fra  Bartolommeo,  Alphonse  l"  ne  pouvait  demander  que 
des  sujets  religieux,  mais  les  sujets  mythologiques  étaient  plus 
conformes  à  ses  goûts,  et  c'est  surtout  à  évoquer  les  souvenirs 
du  paganisme  qu'il  employa  les  pinceaux  des  artistes  ferrarais 
auxquels  il  accorda  spécialement  sa  faveur.  La  plupart  des 
productions  de  Garofalo  et  de  Dosso  en  ce  genre  existent  encore. 

(1)  G.  CAMPoni,  Nuovi  Documenti  par  la  vita  di  Leonardo  (la  Vinci.  Modcne, 
1865. 

,2)   On  ne  sait  ce  qu'elles  sont  devenues. 

(3)  Voyez  l'opuscule  sur  Fra  Bartolommeo  (jne  nous  avons  public  dans  la  col- 
lection des  artistes  célèbres,  à  la  librairie  de  l'Art. 


LIVRE   PREMIER.  147 

En  traitant  les  épisodes  de  la  Fable,  Garofalo,  habitué  à  pein- 
dre la  Vierge  et  les  saints,  se  faisait  violence  et  restait  chré- 
tien quand  même.  Dosso,  au  contraire,  se  sentait  en  quelque 
sorte  dans  son  élément,  et  excellait  à  représenter  les  dieux  et 
les  déesses.  Il  fut  le  peintre  favori  du  duc  de  Ferrare,  la  nature 
de  leur  esprit  s'accordant  sur  tous  les  points.  Parmi  les  artistes 
ferrarais,  Bartolommeo  Ramenghi,  dit  Bagnacavallo,  fut  un  de 
ceux  que  le  prince  distingua.  Son  nom  apparaîtra  plus  loin 
dans  les  négociations  entreprises  pour  faire  avoir  au  souverain 
de  Ferrare  quelques  œuvres  de  Raphaël. 

Fort  au  courant  du  mouvement  des  arts  dans  toute  la  Pénin- 
sule, Alphonse  I"  s'efforça  d'attirer  auprès  de  lui  plusieurs  des 
peintres  le  plus  en  renom.  En  1514,  Giovanni  Bellini  vint 
peindre  une  Bacchanale  que  Vasari  porte  aux  nues  (1)  et  qui 
fut  achevée  par  Titien  (2). 

Un  élève  de  Giovanni  Bellini,  Pellegrino  d'Udine,  dit  Pelle- 
grino  da  San  Daniele,  parce  qu'il  séjourna  longtemps  à  San 
Daniele  (3j,  où  il  se  maria  en  1  496  ou  1-497,  consacra  plus  de 
dix  années  de  sa  vie  au  Mécène  ferrarais  (1502-1513)  (4).  Il 
entra  au  service  d'Alphonse  d'Esté  du  vivant  d'Hercule  I", 
se  réservant  de  retourner  chaque  année  dans  sa  ville  natale  (5) 
afin  de  tenir  les  engagements  qu'il  y  avait  pris  comme 
peintre.  Il  commença  probablement  par  décorer  les  chambres 
où  don  Alphonse  voulait  installer  ses  collections  d'œuvres 
d'art.  Outre  ses  appointements  qui  se  montaient  à  trois 
cent  trente-quatre  li?-e  marchesane ,  c'est-à-dire  à  huit  cent  cin- 
quante-deux francs  environ,  il  reçut,   le  9  janvier  1501,  un 


(1)  T.  VII,  p.  433. 

(2)  Nous  reviendrons  sur  cette  Bacchanale,  en  parlant  du  Castcllo  (liv.  II, 
ch.  m). 

(3)  Son  vrai  nom  était  Maitino.  Il  eut  pour  premier  maître  Battista,  son  père, 
peintre  dalmate. 

(4)  Ké  en  1467  à  Udine,  il  y  mourut  en  1547.  Les  détails  que  nous  donnons 
sur  son  compte  sont  empruntés  à  un  article  de  M.  Giuseppe  Loschi  dans  l'Arte 
c  sloria  du  31  janvier  1890,  et  surtout  au  travail  sur  Peilcjjrino  da  San  Daniele 
que  le  marquis  Gampori  a  publié  dans  le  t.  VIII  des  Atti  e  uieinorie  délie  ilepu- 
tazioni  di  sloria  patria  per  le  provincic  modenesi  c  pannensi . 

(5)  De  1501  à  1503,  il  fut  membre  du  grand  conseil  d'Udine. 


148  L'ART    FERUARAIS. 

cadeau  tle  nappes  [mantigli  e  tovaglie).  Le  1  1  du  même  mois, 
on  lui  paya  un  acompte  de  vingt-cinq  ducats  d'or  à  l'occasion 
d'un  tableau  qui  devait  représenter  la  Vierge,  et  le  5  août  on 
lui  remit  quinze  ducats  d'or  et  demi  afin  qu'il  achetât  à  Venise 
l'azur  et  les  autres  couleurs  dont  il  avait  besoin  pour  exécuter 
un  autre  tableau.  Un  troisième  tableau,  commencé  à  Ferrare, 
fut  achevé  à  Udine.  Ces  peintures  étaient  peut-être  destinées 
aux  chambres  dites  de  la  Via  coperta  qui  furent  achevées  en 
1505.  C'est  là  sans  doute  que  Pellegrino  travailla  pendant  près 
de  trois  ans  avec  trois  peintres  dont  les  noms  ne  nous  sont  pas 
parvenus  :  du  7  novembre  1505  au  19  février  1507,  les  regis- 
tres mentionnent  qu'une  grande  quantité  de  vin  leur  fut 
fournie.  Une  figure  de  saint  Jacques  en  1508  et  deux  tableaux 
en  1511  s'ajoutèrent  aux  œuvres  déjà  exécutées  pour  Al- 
phonse l" . 

Des  travaux  d'une  moindre  portée  occupèrent  aussi  Pelle- 
grino à  Ferrare.  En  1504,  il  décora  des  boîtes  pour  la  phar- 
macie ducale,  et,  quelques  années  plus  tard,  il  disposa  et  pei- 
gnit dans  une  salle  du  palais  les  décors  nécessaires  à  la  repré- 
sentation de  la  Cassaria,  comédie  composée  par  l'Arioste  à  la 
requête  d'Hippolyte  d'Esté,  cardinal  de  Ferrare.  Plusieurs 
peintres  (1),  entre  autres  Tommaso  da  Carpi,  père  de  Giro- 
lamo  da  Carpi,  lui  prêtèrent  leur  concours.  Les  spectateurs 
admirèrent  beaucoup  la  science  de  la  perspective  dont  il  fit 
preuve  en  cette  circonstance.  L'ensemble  de  la  scène,  où  l'on 
apercevait  des  églises,  des  campaniles,  des  maisons,  des  jar- 
dins et  jusqu'à  des  barques,  était,  du  reste,  très  agréable  aux 
yeux.  En  en  rendant  compte  à  la  marquise  de  Mantoue,  Ber- 
nardino  Prospero,  gentilhomme  ferrarais,  manifesta  un  véri- 
table enthousiasme.  "  On  ne  peut,  écrivait-il,  se  lasser  de 
regarder  ces  décors  où  se  trouvent  réunies  tant  de  choses , 
inventées  avec  génie  et  bien  réparties.  » 

Le  peintre  de  San  Daniele  ne  se  mit  pas  seulement  à  la  dis- 
position du  duc  de  Ferrare.  Les  frères  de  celui-ci,  don  Sigis- 

(1)  M.  Campori  donne  tous  leurs  noms  (p.  21,  clans  le  tirage  à  part  de  son  tra- 
vail). 


LIVRE   PREMIER.  149 

mond  et  le  cardinal  Hippolyte  I",  eurent  souvent  recours  à 
lui. 

Pendant  un  de  ses  séjours  dans  sa  ville  natale,  il  écrivit  le 
20  septembre  1507  à  Tommaso  Foschi,  évêque  de  Gomacchio 
et  secrétaire  du  cardinal  de  Ferrare,  que,  s'il  s'attardait  en- 
core, c'était  pour  procurer  des  vins  du  pays  à  don  Sigismond. 
En  1510,  il  exécuta  divers  travaux  à  Ferrare  pour  Sigis- 
mond, travaux  en  vue  desquels  on  lui  remit  de  l'azur  et  quatre 
feuilles  de  papier. 

Ses  rapports  avec  Hippolyte  d'Esté  commencèrent  dès  1504. 
On  voit  en  effet  dans  les  registres  du  cardinal  [libro  d'uscita 
di  guardaroba)  que,  le  18  avril,  huit  brasses  de  drap  récom- 
pensèrent les  services  de  Pellegrino.  Après  son  absence  de 
1507,  il  entreprit  sur  l'ordre  d'Hippolyte,  avec  le  concours  de 
Beryiardino  Fiorini  eiàe  quelques  autres  artistes  en  sous-ordre, 
la  décoration  des  loggie  du  palais  de  l'évêché. 

Pellegrino  n'eut  pas  à  regretter  son  long  séjour  à  Ferrare, 
car  Alphonse  I"  et  Hippolyte  s'attachèrent  sincèrement  à  lui 
et  lui  fournirent  des  preuves  de  leur  amitié.  Ayant  sollicité 
leur  intervention  pour  obtenir  que  le  cardinal  Grimani,  pa- 
triarche d'Aquilée,  conférât  à  son  fils,  qui  était  prêtre,  trois 
canonicats  (à  Udine,  à  Aquile  et  à  Cividale),  dès  que  ces  cano- 
nicats  seraient  vacants,  non  seulement  ses  deux  protecteurs 
plaidèrent  chaudement  sa  cause  auprès  du  cardinal  Grimani 
quand  celui-ci  passa  par  Ferrare  en  se  rendant  à  Rome,  mais 
Beltrando  Gostabili,  ambassadeur  d'Alphonse  I"  dans  la  capi- 
tale des  papes,  et  Lodovico  da  Fabriano,  agent  d'Hippolyte 
dans  la  même  ville,  reçurent  l'ordre  formel  de  réitérer  les 
instances.  Le  15  novembre  1507,  le  cardinal  Grimani  annonça 
lui-même  que  satisfaction  serait  donnée  à  Pellegrino.  Un  peu 
plus  tard,  Pellegrino  s'adressa  encore  au  cardinal  de  Ferrare 
afin  d'obtenir  qu'une  propriété  appartenant  à  une  abbaye  qui 
dépendait  également  du  cardinal  Grimani  dans  le  Frioul  fût 
louée  à  lui-même  et  à  un  peintre  nommé  André  d'Udine.  Cette 
faveur  lui  fut  aussi  accordée. 

Pellegrino  cependant  finit  par  souhaiter  son  retour  définitif 


150  1/AHT    FEP.RARAIS. 

dans  sa  patrie.  En  1512,  il  l'avait  trouvée  ruinée  par  la  guerre, 
désolée  par  la  maladie  et  d'autres  fléaux.  Ses  propres  maisons 
avaient  été  la  proie  de  la  soldatesque  qui  les  avait  dévastées. 
(i  II  faudra  bien  dix  ans,  écrivait-il  à  l'évéque  de  Comacchio, 
pour  que  le  pays  recouvre  la  prospérité.  «  Sa  présence  perma- 
nente à  Udine  lui  sembla  nécessaire.  Le  désir  d'y  poursuivre 
des  travaux  restés  en  suspens  le  poussait  d'ailleurs  à  quitter  le 
service  d' Alphonse  I".  Le  15  juin  1513,  il  dit  adieu  h  Ferrare. 
Toutefois,  il  ne  rompit  pas  ses  relations  avec  le  duc  et  continua 
de  peindre  pour  lui.  Le  Triomphe  de  Bacchus,  dont  il  s'occu- 
pait en  1517,  fut  une  des  peintures  qu'il  entreprit  en  son  hon- 
neur. Aucune  des  productions  de  Pellegrino  que  l'on  voyait 
jadis  à  Ferrare  ne  subsiste  aujourd'hui.  Pour  connaître  cet  ar- 
tiste, c'est  à  Osopo,  à  Udine,  à  San  Daniele,  à  Cividale  et  à 
Venise  qu'il  faut  se  rendre  (1).  Imitateur  de  Gima  da  Cone- 
gliano  dans  ses  premiers  ouvrages,  il  se  distingue  dans  les 
autres  par  une  grande  facilité  de  pinceau,  par  l'expression 
et  le  caractère  des  figures,  par  la  connaissance  approfondie 
de  l'anatomie  et  de  la  perspective;  mais  il  accuse  trop  les 
contrastes  d'ombres  et  de  lumières,  et  le  dessin  manque  de 
précision.  Sa  mort  arriva  le  13  décembre  1547. 

Comme  tous  les  princes  de  son  temps,  Alphonse  d'Esté, 
subissant  le  charme  des  productions  de  Raphaël,  eut  à  cœur  de 
posséder  quelques  tableaux  de  sa  main.  Peut-être  entra-t-il  en 
rapport  avec  lui  en  1512  ou  1513  lorsqu'il  alla  à  Rome, 
d'abord  pour  proposer  à  Jules  II  un  accord  qui  fut  repoussé, 
ensuite  pour  assister  au  couronnement  de  Léon  X.  On  peut 
également  supposer  que  l'Arioste  servit  d'intermédiaire  entre 
le  duc  et  le  peintre,  car  il  était  à  Rome  en  1513  (2).  Tou- 
jours est-il  que  Raphaël  fit  des  promesses  au  souverain  de 

(1)  Croave  et  Gavalcaselle,  Geschichte  dcr  italienischen  Malerei,  t.  VI, 
p.  243  et  suiv. 

(2)  C'est  par  M.  Cainpori  que  l'on  connaît  l'histoire  des  rapports  d'Alphonse  I" 
avec  Raphaël.  Voyez  les  Notizie  inédite  di  Raffaello  du  Vrbino.  Modena,  1863. 
Ce  travail  a  paru  d'abord  dans  les  Atti  e  memorie  délie  deputazioni  di  storia 
patria  per  le  provincie  modenesi  e pannensi.  Il  a  été  traduit  en  français  et  publié 
dans  la  Gazette  des  Beaux-Arts  (avril  et  mai  1863),  t.  XIV,  p.  347-361,442-456. 


LIVRE   PUEMIEll.  151 

Ferrare  et  que  celui-ci  en  réclama  l'exécution,  sans  cesse 
différée,  avec  une  insistance  opiniâtre  qui  dégénéra  en  som- 
mations comminatoires.  Ce  fut  Beltrame  Costabili,  évéque 
d'Adria  et  ambassadeur  d'Alphonse  I"  à  Rome ,  qui  fut 
chargé  de  la  négociation.  Les  lettres  dans  lesquelles  il  rend 
compte  de  ses  démarches  à  son  maître  commencent  au 
21  mars  1517.  Il  s'y  trouve  de  curieux  renseignements,  et  la 
lecture  en  est  très  attachante.  On  y  apprend  que  Rapharl 
s'était  engagé  aussi  à  rechercher  des  médailles,  des  tètes  et 
des  figures  antiques,  tâche  facilitée  par  sa  position  de  surin- 
tendant des  antiquités  et  des  fouilles,  et  qu'il  proposa  l'acqui- 
sition d'un  bas-relief  comprenant  trois  ou  quatre  personnages. 
«  En  revenant  de  la  messe,  écrit  Costabili,  Raphaël  m'a  assuré 
que  l'on  ne  pourrait  se  procurer  un  objet  antique  plus  conve- 
nable pour  Votre  Excellence  que  celui-ci,  et  il  vous  recom- 
mande de  ne  pas  le  laisser  échapper;  il  doit  me  le  faire  voir; 
je  lui  ai  dit  de  diriger  l'affaire  dételle  sorte  que  le  propriétaire 
ne  surfît  pas;  il  n'aura  garde  d'y  manquer.  '^  Une  autre  lettre 
de  l'évéque  d'Adria  mentionne  le  sujet  que  Raphaël  devait 
peindre  pour  Alphonse  I"^  :  c'était  le  Triomphe  de  Baccims 
dans  les  Indes,  dont  le  dessin  avait  été  envoyé  au  duc.  Ayant 
été  informé  que  Pellegrino  d'Udine  traitait  alors  le  même  sujet 
à  l'intention  du  duc  de  Ferrare,  Raphaël  désira  changer  de 
sujet.  On  verra  plus  loin,  par  une  lettre  de  Bagnacavallo,  que 
le  duc  n'y  consentit  pas,  et  que  Raphël  avait  en  outre  à  repré- 
senter la  Chasse  de  Méléagre. 

Accablé  de  commandes  par  le  Pape,  par  les  cardinaux,  par 
tous  les  princes  italiens,  par  les  seigneurs  et  les  banquiers; 
obligé  de  s'occuper  des  fouilles  et  de  continuer,  comme  archi- 
tecte pontifical,  les  travaux  que  Bramante  avait  laissés  en  sus- 
pens, le  Sanzio,  malgré  son  activité  infatigable  et  sa  bonne 
volonté,  ne  parvenait  pas  à  commencer  la  peinture  à  laquelle 
tenait  tant  le  duc  de  Ferrare.  Il  protestait  de  son  dévouement, 
mais  ne  se  mettait  pas  à  l'œuvre,  énonçant  chaque  fois  un 
nouveau  motif  d'atermoiement.  Ce  qui  l'absorba  d'abord,  ce 
furent  le  Saint  Michel  terrassant  le  démon  et  la  Sainte  Famille 


152  L'AllT    FERRARAIS. 

qui  Figurent  au  musée  du  Louvre.  Le  premier  de  ces  tableaux 
était  destiné  à  François  I"  et  le  second  à  la  Reine;   l'un  et 
l'autre  avaient  été  commandés  par  le  pape  Léon  X,  qui  laissa 
à  Laurent  de  Médicis,  duc  d'Urbin,  résidant  alors  à  la  cour  de 
France,  le  mérite  de  les  offrir,  afin  que  son  neveu  put  se  con- 
cilier l'esprit  du  monarque.  Le  Saint  Michel,  auquel  le  peintre 
travaillait  déjà  le  28  mars  1517,  était  terminé  le  27  mai  1518, 
et  c'est  la  même  année  que  fut  achevée  la  Sainte  Famille.  Pen- 
dant qu'il  peignait  ces  œuvres  magistrales,   le  Sanzio,  pour 
faire  prendre  patience  au  duc  de  Ferrare,  lui  donna  le  carton 
qui  avait  servi  à  peindre  V Histoire  de  Léon  III  dans  les  Cham- 
bres du  Vatican  (novembre    1517)   :   la   caisse   contenant  ce 
carton  fut  confiée  à  un  muletier  qui  l'oublia  durant  plusieurs 
mois.  Après  cet  envoi,  le  duc  fit  remettre  à  Raphaël  cinquante 
ducats  à  compte  sur  le  prix  du  tableau  qu'il  attendait.  Vers  le 
milieu  de   1518,  il  semblait  que  Raphaël  n'eût  plus  autant 
d'excuses  à  alléguer  pour  différer  encore  l'exécution  de  ce 
tableau.  Costabili  redoubla  ses  assauts.    «  Je  ne  cesse,  écri- 
vait-il, de  remémorer  à  Raphaël  d'Urbin  l'œuvre  de  Votre 
Excellence,  et  je  le  tiens  toujours  en  haleine.  Je  ne  manquerai 
pas  de  le  tourmenter  adroitement  dans  l'espoir  d'arriver  à  une 
conclusion,  ne  trouvant  pas  convenable  d'en  venir  à  d'autres 
expédients,  à  moins  que  Votre  Excellence  n'en  ordonne  autre- 
ment (13  août  1518).  '^  Au  cours  de  ces  pourparlers,  Raphaël 
essaya  d'atténuer  le  mécontentement  du  duc  en  lui  offrant , 
comme  dédommagement  de  sa  longue  attente,  le  carton  du 
Saint  Michel.  Alphonse  P'  l'accepta  avec  plaisir.    "  Que  Votre 
Seigneurie,  écrivit-il  le  1 1  novembre  1518  à  son  ambassadeur, 
remercie  Raphaël  en  notre  nom  et  lui  dise  que  son  carton  nous 
plaît  beaucoup.  "  En  même  temps,  il  enjoignait  à  son  agent 
de  payer  vingt-cinq  écus   au  peintre,  qui  ne    consentit  à  les 
accepter  qu'à  force  d'instances  de  la  part  de  Costabili,  mon- 
trant ainsi  la  délicatesse  de  ses  sentiments. 

Peu  après,  le  duc  de  Ferrare  alla  solliciter  l'appui  de  Fran- 
çois I"  pour  se  faire  restituer  les  villes  de  Modène  et  de  Reg- 
gio,  que  le  Pape,  infidèle  à  des  engagements  pris  en  1516, 


LIVRE   PREMIER.  153 

s'obstinait  à  détenir.  Il  eut  alors  l'occasion  de  voir  un  nouveau 
tableau  de  Raphaël,  le  Portrait  de  Jeanne  d'Aragon,  récemment 
envoyé  en  France  au  cardinal  Bibbiena  (1),  et  il  écrivit  à 
Obizzo  Ilemo,  son  secrétaire  à  Ferrare,  afin  que  celui-ci  char- 
geât Costabili  de  demander  à  Raphaël  le  cai'ton  de  ce  portrait. 
Raphaël  satisfit  au  désir  du  duc  (février  1519),  tout  en  aver- 
tissant le  prince  que  c'était  là,  non  une  œuvre  de  sa  propre 
main,  mais  une  œuvre  d'un  de  ses  élèves  exécutée  à  Naples 
d'après  nature. 

Malgré  les  trois  présents  de  Raphaël,  Alphonse  P'  entendait 
bien  que  le  peintre  s'acquittât  de  ses  promesses  envers  lui.  Non 
content  de  garder  comme  négociateur  l'évêque  d'Adria,  il  eut 
recours  à  la  médiation  du  cardinal  Cibo  (2)  et  à  celle  de  Bagna- 
cavallo,  qui  lui  écrivit  le  dernier  jour  de  février  1519  :  '  Très 
illustre  et  très  haut  seigneur  et  vénéré  maître.  J'ai  reçu  la 
lettre  de  Votre  Excellence  et  j'ai  fait  aussitôt  ce  que  je  devais 
auprès  de  mon  très  honoré  seigneur  (le  cardinal  Cibo),  quoique 
cela  ne  fût  pas  nécessaire,  car  Sa  Grandeur  ne  désire  rien  tant 
au  monde  que  de  vous  être  agréable  et  de  vous  complaire. 
Votre  Excellence  peut  avec  toute  confiance  se  servir  en  toute 
occasion  du  cardinal.  Si  je  n'ai  pas  répondu  jusqu'à  présent  à 
Votre  Excellence,  quoique  j'eusse  reçu  la  commission  de 
mon  très  honoré  seigneur,  c'est  parce  que  vous  vous  étiez 
absenté  pour  aller  en  France;  je  n'ai  pas  cependant  négligé 
de  presser  la  réalisation  de  votre  affaire.  J'ai  vu  les  esquisses 
de  Raphaël,  grâce  à  un  de  ses  élèves,  et  elles  sont  très  belles; 
Tune  représente  la  Chasse  de  Méléagre^  l'autre  le  Triomphe 
de  Bacchus.  Rien  de  plus  n'a  encore  été  fait,  mais  Raphaël 
m'a  promis  de  sa  bouche,  sur  sa  foi,  que  les  deux  tableaux 
seraient  expédiés  pour  la  prochaine  fête  de  Pâques,  bien 
qu'on  n'en  voie  que  les  esquisses.  En  ce  moment,  Raphaël 
s'occupe  à  préparer  des  décors  pour  les  comédies  de  Ludovico 
Arioste  que  mon  honoré  seigneur  a  l'intention  de  faire  repré- 

(1)  Bibbiena  resta  en  Fiance  jusqu'à  la  Hn  de  1519. 

(2)  Le  cardinal  Innocenzo  Cibo  était  tils  de  Francesclictto  Cibo  et  de  Made- 
leine de  Médicis^  sœur  de  Léon  X. 


154  L'ART    FEURAllAIS. 

senter  (\).  Quand  il  aura  terminé  ces  décors,  il  mettra  la  main 
auxdits  tableaux  de  Votre  Excellence,  aux  bonnes  grâces  de 
laquelle  je  me  recommande  toujours  de  tout  cœur  (ii).  >' 

A  l'époque  où  Bagnacavallo  écrivit  cette  lettre,  la  vieillesse 
et  les  infirmités  commençaient  à  entraver  Costabili  dans  la 
poursuite  des  négociations  entamées  avec  Raphaël.  Alphonse  P"" 
lui  adjoignit,  pour  lui  venir  en  aide,  Paulucci,  un  des  secré- 
taires ducaux,  qui  lui  succéda  comme  ambassadeur  après  sa 
mort  (15  juin  1519)  (3).  Paulucci  n'épargna  pas  les  démarches. 
Soupçonnant  que  rien  n'avait  encore  été  fait,  il  voulut  s'en 
assurer  et  tenta  d'être  admis  dans  l'atelier  du  peintre,  sans  y 
réussir.  Il  apprit  indirectement  que  la  Trans figuration ,  entre- 
prise sur  les  ordres  du  cardinal  Jules  de  Médicis,  était  presque 
achevée,  et  que  c'était  une  fort  belle  chose,  mais  que  "  la  toile 
du  duc  était  tournée  contre  le  mur  avec  plusieurs  autres  par- 
dessus (3  septembre  1519)  "  .Un  jour,  il  crut  qu'il  allait  voir 
de  ses  yeux  l'état  des  choses  ;  vain  espoir  :  Raphaël,  occupé  à 
faire  le  portrait  de  Balthazar  Castiglione  (4) ,  ne  put  le  laisser 
entrer.  Tant  d'ajournements  finirent  par  exaspérer  le  hautain 
et  violent  duc  de  Ferrare,qui  écrivit  à  son  agent  :  ^  Nous  vou- 
lons que  vous  alliez  trouver  Raphaël  et  que  vous  lui  disiez 
avoir  reçu  de  nous  des  lettres  dans  lesquelles  nous  relatons 
que  depuis  trois  ans  il  nous  donne  de  vaines  paroles,  que  de 
pareils  atermoiements  ne  sont  pas  de  mise  avec  nos  pareils,  et 
que,  s'il  ne  tient  pas  ses  promesses,  nous  lui  ferons  voir  qu'il  a 
eu  tort  de  nous  tromper.  Tous  pourrez  ajouter,  comme  venant 
de  vous,  qu'il  doit  prendre  garde  de  s'attirer  notre  haine  au 
lieu  de  conserver  notre  affection  ;  s'il  observe  ses  engagements, 

(1)  La  représentation  des  Suppositi  eut  lieu  devant  Léon  X.  (Voyez  les  docu- 
ments déjà  cités,  qu'a  puliliés  M.  Campori,  p.  18,  et  la  Gazette  des  Beaux-Arts 
du  1"  avril  1863,  t.  XIV,  p.  443.) 

(2)  Cette  lettre,  que  M.  Venturi  a  découverte,  a  été  reproduite  par  le  Kuitst- 
freund  de  Berlin  (1"  novembre   1885,    n"  21),   dans    un   article  intitulé   :   Eiiie 

Zeichnung  Raphnéls.  (Un  dessin  de  Raphaël.) 

(3)  11  a  été  déjà  question  de  Paulucci,  p.  144. 

(4)  Raphaël  avait  déjà  fait  un  portrait  de  Balthazar  Gasliglione  en  1516,  celui 
<|ue  possède  le  musée  du  Louvre.  Le  portrait  de  1519  se  trouve  à  Rome  dans  le 
palais  Torlonia. 


LIVRE    r  HEM  1ER.  155 

il  peut  compter  sur  nos  bons  offices  ;  dans  le  cas  contraire, 
qu'il  s'attende  un  jour  à  des  choses  qu'il  regrettera,  y  Cette 
lettre  acerbe  fait  peu  d'honneur  à  Alphonse  I".  La  mission 
imposée  par  le  prince  parut  à  Paulucci  trop  pénible  à  remplir. 
Il  lui  répugnait  de  tenir  un  tel  langage  à  Raphaël  que  chacun, 
à  Rome,  vénérait  et  aimait,  non  seulement  comme  le  peintre 
par  excellence,  mais  comme  l'homme  le  plus  noble,  le  plus 
courtois,  le  plus  délicat.  Sans  refuser  d'obéir  à  son  maître, 
l'ambassadeur  de  Ferrare  chercha  des  prétextes  pour  éluder 
les  instructions  qui  lui  avaient  été  données.  «  La  commission 
relative  à  Raphaël,  écrivit-il  le  1 7  décembre,  est  encore  à 
faire,  mais  je  la  ferai,  après  avoir  tenté  encore,  s'il  est  possible, 
de  le  vaincre  par  voie  de  mansuétude.  "  A  ces  paroles  le  duc 
répondit  sèchement  :  "  Sollicitez  Raphaël  de  la  façon  que  je 
vous  ai  prescrite.  ^  On  ne  sait  si  Paulucci  s'y  décida.  Ce  qui 
est  certain,  c'est  que  Raphaël,  regrettant  de  ne  pouvoir  satis- 
faire Alphonse  P",  chercha  du  moins  à  témoigner  de  son  dévoue- 
ment. Consulté  par  Paulucci  sur  la  forme  de  quelques  che- 
minées à  construire  dans  le  palais  ducal  et  sur  les  moyens  de 
les  empêcher  de  fumer,  il  promit  d'envoyer  trois  ou  quatre 
dessins  après  avoir  étudié  la  question,  et  il  ajouta  que,  quant 
à  lui,  il  avait  adopté  un  système  consistant  à  pratiquer  un  trou 
près  du  foyer  dans  le  sol,  parce  que  l'air  qui  y  arrivait  par- 
dessous  aidait  la  fumée  à  monter.  Paulucci  rendit  compte  de 
cette  consultation  le  20  mars  1520,  et  le  6  avril  Raphaël  suc- 
comba à  une  fièvre  violente  qui  avait  duré  huit  jours. 

Cette  mort,  dont  «  tout  le  monde  s'affligea  >?  ,  au  dire  de 
Paulucci,  ne  suggéra  pas  au  duc  de  Ferrare  une  seule  expres- 
sion de  regret.  Il  n'eut  dès  lors  qu'une  préoccupation,  celle 
de  recouvrer  dans  la  succession  du  peintre  les  cinquante  écus 
d'acompte  qu'il  avait  payés,  et  il  ne  mit  pas  moins  d'insistance 
à  exiger  cette  restitution  qu'il  n'en  avait  mis  à  réclamer  le 
tableau  qui  lui  avait  été  promis.  Balthazar  Turinl,  un  des 
exécuteurs  testamentaires  du  Sanzio,  offrit  de  faire  peindre  la 
toile  du  duc  par  les  élèves  de  Raphaël,  qui  travaillaient  alors 
à  la  décoration  de  la  salle  de  Constantin  dans  les  Chambres  du 


156  T/AllT    FERRARAIS. 

Vatican,  au  lieu  Je  rendre  les  cinquante  ducats.  Alphonse 
d'Esté  préféra  l'argent  au  tableau  ;  mais  il  dut  attendre  que  la 
maison  de  Raphaël  eût  été  vendue,  et  ce  fut  seulement  au 
mois  de  janvier  1521  qu'il  rentra  dans  ses  fonds.  Il  n'avait 
plus  alors  pour  mandataire  Paulucci,  qui  avait  quitté  Rome 
au  mois  de  septembre  précédent,  mais  Enea  Pio,  qui  lui  an- 
nonça la  conclusion  de  l'affaire  dans  une  lettre  dont  la  teneur 
indique  le  peu  de  respect  que  la  conduite  du  duc  avait  inspiré 
aux  héritiers  de  Raphaël  :  "  C'est  avec  la  plus  grande  peine, 
dit-il  dans  cette  lettre,  que  j'ai  obtenu  les  cinquante  ducats, 
car  les  héritiers  de  Raphaël  disaient  que  celui-ci  avait  donné 
certaines  choses  à  Votre  Excellence,  et  J.-B.  d'Aquila,  un  des 
commissaires,  ne  voulait  absolument  pas  consentir  au  paye- 
ment. "  La  générosité  de  Raphaël,  l'arrogance  et  la  mesqui- 
nerie d'Alphonse  P"",  voilà  ce  que  font  ressortir  ces  paroles,  qui 
servent  d'épilogue  aux  relations  du  peintre  et  du  prince. 

Au  nom  d'Alphonse  I"  se  rattache  aussi  celui  de  Michel- 
Ange  (1).  Lorsque  le  peuple  de  Bologne,  après  le  retour  des 
Bentivoglio,  eut  brisé,  le  30  décembre  1511,  la  statue  colos- 
sale en  bronze  de  Jules  II,  qui  avait  coûté  deux  années  de 
travail  au  Buonarroti  et  qui  avait  été  placée  le  21  février  1508 
au-dessus  de  la  grande  porte  de  San  Petronio,  le  duc  de  Ferrare 
en  acheta  les  débris.  La  livraison  ne  se  faisant  pas  assez  vite, 
Quirino,  son  bombardier,  se  rendit  à  Bologne  et  transporta 
les  restes  de  la  statue  pontificale  à  Ferrare  sur  un  char  que 
traînaient  huit  paires  de  bœufs.  Par  bonheur,  la  tête  de  la 
statue  n'avait  point  été  mutilée  :  Alphonse  I"  la  conserva 
précieusement  dans  son  cabinet  avec  les  œuvres  d'art  qui  le 
garnissaient  déjà,  et,  quoiqu'elle  pesât  six  cents  livres,  il 
disait  qu'il  ne  la  donnerait  pas  pour  le  même  poids  d'or. 
Quant  aux  autres  fragments,  il  les  fit  fondre  et  s'en  servit  pour 

(1)  Frizzi,  Memorie  per  la  storia  di  Ferrara,  t.  IV,  p.  258.  —  Vasari  (édition 
Milanesi),  t.  VU,  p.  171,  172,  194-195,  198-200,  202-203,  369,  370-375. 
—  Ch.  Clémekt,  Michel-Ange,  Léonard  de  Vinci,  Rapliaél,  édit.  in-12,  1867, 
p.  87-88,  111,  114-117.  —  Campori,  Michel  Angelo  Buonarroti  e  Alfonso  I 
d'Esté  (Modena,  1881),  travail  publié  d'abord  dans  les  Atti  e  memorie  délie 
deputazioni  di  storia  patria  dell'  Emilia  ;  nuova  série,  vol.  VI,  parte  I. 


LIVRE    PREMIER.  157 

fabriquer  Ténorme  coulevrine  qu'il  appela  la  Giulia  et  qui 
garda  l'entrée  du  Gastello  (1).  L'acquisition  des  restes  de  la 
fameuse  statue  élevée  par  Michel-Ange  augmenta  le  ressen- 
timent du  Pape  contre  le  duc  de  Ferrare.  Jules  II  y  vit  un 
affront.  Il  prétendit,  d'après  les  rapports  des  ennemis  du 
prince,  que  ces  restes  avaient  été  apportés  à  Ferrare  comme 
une  dépouille  ennemie,  au  milieu  des  huées  de  la  populace, 
et  que  le  cardinal  Hippolyte,  du  haut  de  son  balcon,  avait 
craché  sur  eux  au  passage.  Alphonse  eut  beau  recourir  à  la 
médiation  de  son  beau-frère,  le  marquis  de  Mantoue,  qui  avait 
conservé  la  faveur  du  Souverain  Pontife  et  dont  les  agents 
justifièrent  ses  intentions  en  rétablissant  la  vérité  des  faits,  la 
colère  de  Jules  II  ne  s'apaisa  point.  Elle  ne  fléchit  pas  davantap-e 
devant  les  explications  qu'Alphonse  alla  lui  présenter  à  Rome, 
d'où  il  eut  grand'peine,  nous  l'avons  vu  (2),  à  regagner  ses 
États.  La  fatalité  s'est  attachée  à  ce  qui  avait  survécu  de  la 
statue  de  Jules  II.  La  tète  n'existe  plus.  La  coulevrine  elle- 
même,  hors  d'état  de  servir,  aura  été  employée  à  fondre  de 
nouveaux  canons. 

C'est  à  la  puissance  notoire  des  fortifications  de  sa  capitale 
qu'Alphonse  I"  dut  l'occasion  d'entrer  en  rapport  avec  Michel- 
Ange.  Aux  murailles  et  aux  remparts  qu'Hercule  I"  avait  fait 
construire  dans  les  dernières  années  du  quinzième  siècle,  il  avait 
ajouté  d'autres  moyens  de  défense  dont  il  avait  confié  l'exé- 
cution à  l'architecte  Biagio  Rossetti,  à  l'ingénieur  modénais 
Gaspare  da  Corte,  dit  Ruina,  et  à  Sebastiano  Bonmartini  da 
Monselice,  dit  le  Barbazza.  De  Bologne,  Bramante  avait  envoyé 
au  duc  le  dessin  d'une  forteresse,  et  Pierre  François  de  Viterbe 
avait  séjourné  deux  mois  à  Ferrare,  en  1525,  pour  rendre  cette 
ville  plus  forte  encore.  Dès  1511,  le  maréchal  de  Fleuranges 
proclamait  qu'il  n'y  avait  pas  de  meilleure  place  de  guerre 
dans  toute  la  chrétienté.  La  Seigneurie  de  Florence  n'en 
était  pas  moins  convaincue.  Aussi,  quand  elle  eut  à  tenir  tète, 
en  1529,  aux  armées  du  Pape  et  de  l'Empereur,  résolues  à 

(1)  Il  en  a  été  question  déjà,  p.  127. 

(2)  Pages  130-131 


J58  I/AUT    FEUllARAIS. 

rélablir  les  Médicis,  envoya-t-elle  à  Ferrure  Michel-Ange  (1) 
atin  qu  il  en  étudiât  les  fortifications  et  vît  quels  emprunts  l'on 
pouvait  faire  à  ces  célèbres  remparts  ainsi  qu'à  l'artillerie 
ducale  (2).  Lorsque  Michel-Ange  arriva  le  2  août  1529  à 
Ferrare,  avec  des  lettres  de  créance,  Galeotto  Giugni,  l'am- 
bassadeur florentin,  avait  déjà  reçu  de  son  gouvernement 
l'ordre  d'informer  Alphonse  d'Esté  de  l'estime  due  à  l'éminent 
visiteur  :  «  Tâchez,  était-il  dit  dans  les  instructions  transmises 
à  Giugni,  de  lui  procurer  toute  la  faveur  du  duc,  comme  le 
méritent  ses  rares  talents  et  l'intérêt  de  notre  cité.  "  Fidèle  à 
ses  habitudes  de  sauvagerie,  Michel-Ange  refusa  de  loger  chez 
Giugni.  Après  avoir  examiné  les  murs  de  Ferrare  avec  celui- 
ci  (3),  il  les  étudia  avec  le  duc,  qui  lui  fournit  de  bonne  grâce 
tous  les  renseignements  possibles,  et  qui  manifesta  le  désir 
qu'on  lui  envoyât  un  plan  de  Florence  et  des  environs,  parce 
qu'il  voulait  donner  son  avis  sur  les  moyens  de  les  fortifier. 
Au  bout  d'une  semaine  environ,  le  Buonarroti  quitta  Ferrare, 
se  rendit  à  Venise  et  revint  bientôt  à  Florence. 

Un  nouveau  séjour  à  Ferrare  eut  pour  cause  un  de  ces 
coups  de  tête  dont  Michel-Ange  était  coutumier.  Persuadé  par 
quelques  amis  que  Malatesta  Baglioni,  général  des  Florentins, 
était  sur  le  point  de  les  trahir,  que  tout  espoir  de  salut  avait 
disparu  pour  sa  patrie  et  que  sa  propre  perte  était  certaine  à 

(1)  Michel-Ange,  qui  faisait  partie  des  îNeuf  de  la  Milice  et  qui  avait  été  nommé 
commissaire  général  des  fortifications,  s'occupait  depuis  le  6  avril  à  mettre  Flo- 
rence en  état  de  résister  aux  attaques  de  ses  redoutables  enneuiis. 

(2)  Au  dire  de  Giovan  Batista  Busini,  la  mission  confiée  à  Michel-Ange  n'au- 
rait eu  pour  but  que  de  l'éloigner  de  Florence,  INiccolô  Capponi  et  Baldassare 
Carducci  ne  voulant  pas  qu'il  continuât  de  fortifier  la  colline  de  San  Miniato. 

(3)  D'après  le  marquis  Campori,  la  partie  des  murs  de  Ferrare  qui  s'étend  entre 
la  Porta  a  Mare  et  la  Porta  degli  Angeli,  maintenant  fermée,  est  encore  dans  l'état 
où  elle  se  trouvait  (juand  Michel-Ange  visita  Ferrare.  «  Au  pied  de  la  Porte  des 
Anges,  on  voit  un  très  large  fossé  qu'on  pouvait  facilement  inonder.  A  côté  de 
la  même  porte,  on  remarque  une  grosse  tour  ronde,  la  seule  qui  existe  de  toutes 
celles  dont  la  ville  était  environnée.  En  dehors  des  murs,  plusieurs  petits  bastions 
triangulaires  font  légèrement  saillie,  tandis  qu'à  l'intérieur  des  murs  on  aperçoit 
un  fossé  profond  et  resserré,  derrière  lequel  s'élève  un  terre-plein  très  élevé,  sorte 
de  digue  constituant  une  seconde  ligne  de  défense  et  empêchant  les  escalades.  » 
(Camtohi,  Michel  Ânr/clo  Buonarroti  e  Alfonso  I  d'Esté,  p.  8  dans  le  tirage  à 
part.) 


LIVRE   PREMIER.  159 

cause  des  fonctions  qu'il  remplissait  (1),  il  s'enfuit  de  Florence, 
le  21  septembre  1529,  en  compagnie  d'Antonio  Mini  son 
élève  et  de  Rinaldo  Gorsini,  avec  l'intention  de  gagner  Venise 
et  de  se  rendre  ensuite  en  France.  Chemin  faisant,  il  s'arrêta 
à  Ferrare  pour  se  reposer.  Il  avait  espéré  que  sa  présence  de- 
meurerait ignorée,  mais  il  avait  compté  sans  la  liste  des  étran- 
gers que  l'on  mettait  chaque  jour  sous  les  yeux  du  prince. 
Alphonse  d'Esté  dépêcha  vers  lui  plusieurs  gentilshommes  qui 
l'amenèrent  au  château,  où  il  lui  offrit  l'hospitalité.  Michel- 
Ange,  toujours  jaloux  de  son  indépendance,  voulut  rester  à 
l'auberge.  Toutefois,  le  duc  fit  remettre  à  l'aubergiste  tout  ce 
qui  pouvait  être  utile  ou  agréable  au  voyageur,  et  enjoignit  de 
ne  rien  réclamer  pour  le  logement  lors  du  départ.  Le  souverain 
de  Ferrare  ne  ménagea  pas  les  offres  pour  garder  à  sa  cour  le 
grand  artiste  et  le  prendre  à  son  service  ;  à  tout  le  moins  eùt- 
il  voulu  le  retenir  pendant  la  durée  de  la  guerre,  «  lui  offrant 
tout  ce  qui  était  en  son  pouvoir  (2)  »  .  Michel-Ange  ne  se  laissa 
pas  fléchir  ;  cependant,  afin  de  ne  pas  être  surpassé  en  cour- 
toisie, il  mit  à  la  disposition  du  prince  trois  mille  écus  qu'il 
avait  apportés  de  Florence.  Le  duc  lui  fit  visiter  tout  ce  que 
son  palais  renfermait  de  curieux  ou  de  beau,  et  attira  spéciale- 
ment l'attention  du  peintre  sur  son  propre  portrait  par 
Titien  (3).  On  ne  sait  combien  de  temps  le  Buonarroti  séjourna 
à  Ferrare,  mais  il  ne  dut  pas  y  demeurer  longtemps,  car  il 
avait  été  déclaré  rebelle  par  la  Balia,  et  il  pensait  devoir  être 
plus  en  sûreté  à  Venise.  Dans  cette  dernière  ville,  il  passa 
quatorze  jours,  sans  parvenir  à  échapper  aux  prévenances  et 
aux  sollicitations  flatteuses.  Enfin,  poussé  soit  par  le  regret 
d'avoir  abandonné  Florence,  soit  par  les  instances  de  ses  amis 
et  de  Galeotto  Giugni,  il  sollicita  une  réconciliation,  qu'il 
n  eut  pas  de  peine  à  obtenir.  La  sentence  portée  contre  lui  fut 
annulée  ;  un  sauf-conduit  rédigé  par  la  Balia  lui  fut  expédié, 

(1)  Gino  Capponi,  Storia  dellu  Repuibltcn  di  FIrente,  t.  II,  p.  424. 

(2)  Vasari,  t.  VII,  p.  199. 

(3^  Michel-Ange,  dit-on,  dérlaia  (ju'il  ne  croyait  pas  fjuc  l'art  pût  aller  aussi 
loin,  et  il  ajouta  Cjue  Titien  seul  était  dij;iie  du  nom  de  peintie.  (Vasari,  t.  VII, 
p.  284,  note  1.) 


160  L'ART    FERRARAIS. 

et  il  partit  de  Venise  le  9  novembre.  Lorsqu'il  repassa  à 
Ferrare,  Alphonse  d'Esté  lui  délivra  un  passeport  où  Tordre 
était  donné  de  le  traiter  partout  comme  s'il  appartenait  à  la 
cour  et  de  lui  fournir,  avec  tout  ce  dont  il  aurait  personnelle- 
ment besoin,  tout  ce  qui  pourrait  faciliter  son  voyage.  Entre 
le  20  et  le  23,  le  fugitif  rentra  parmi  ses  concitoyens,  non 
sans  avoir  couru  plus  d'un  péril,  et  reprit  les  fonctions  dans 
lesquelles  il  avait  déployé  tant  d'habileté. 

Durant  son  premier  séjour  à  Ferrare,  Michel-Ange  avait 
promis  une  œuvre  de  sa  main  au  duc  Alphonse.  De  retour  à 
Florence,  il  peignit  pour  lui  a  tempera  un  grand  tableau  qui 
représentait  Lcda  embrassant  Jupiter  transformé  en  cygne,  et, 
auprès  d'elle,  Castor  et  Pollux  sortant  de  l'œuf.  Le  duc,  dès 
qu'il  sut  l'achèvement  de  ce  tableau,  chargea  un  de  ses  fami- 
liers, Jacopo  Lachi,  dit  Pisanello,  de  l'aller  chercher  et  d'en 
surveiller  le  transport.  Pisanello  arriva  muni  d'une  lettre 
d'Alphonse  au  peintre.  «  Ne  vous  scandalisez  pas,  y  était-il  dit 
entre  autres  choses,  si,  en  ce  moment,  je  ne  vous  envoie  au- 
cun payement  par  mon  messager,  car  je  ne  sais  pas  ce  que  vous 
voulez  de  votre  tableau  et  je  ne  puis  en  juger,  ne  l'ayant  pas 
encore  vu.  Mais  vous  n'aurez  pas  perdu,  je  vous  le  certifie,  la 
peine  que  vous  avez  prise  par  amour  pour  moi,  et  vous  me 
ferez  un  très  grand  plaisir  en  m'écrivant  ce  que  vous  désirez 
que  je  vous  remette;  j'aurai,  en  effet,  beaucoup  plus  de  con- 
fiance dans  votre  jugement  que  dans  le  mien  en  fait  d'estima- 
tion. Outre  la  récompense  de  votre  peine,  je  vous  proteste  que 
je  serai  toujours  désireux  de  vous  faire  plaisir,  comme  l'exige, 
selon  moi,  votre  rare  mérite,  et  je  m'offre  à  vous  de  bon  cœur 
pour  réaliser  tout  ce  qui  poun^ait  vous  être  agréable.  Adieu. 
Venise,  22  octobre  1530.  »  Cette  lettre  aurait  du  assurer  à 
celui  qui  en  était  porteur  un  bienveillant  accueil  ;  mais  Pisa- 
nello, qui  ne  se  connaissait  pas  en  œuvres  d'art,  eut  l'impru- 
dence de  déclarer  que  la  Léda  de  Michel-Ange  était  peu  de 
chose  (1),  et  blessa  au  vif  l'irritable  artiste.  Ayant  dit  à  son 

(1)    «  Oh  cjucsta  è  luia  pocn  cosa  "  ,  s'ccria-t-il. 


LIVRE   PREMIER.  161 

interlocuteur  qui  lui  demandait  quelle  était  sa  profession  : 
«Je  suis  marchand.  »  —  «Eh  bien,  répliqua  le  Buonarroti,  vous 
ferez  cette  fois  un  mauvais  marché  pour  votre  maître;  sortez 
d'ici.  »  Et,  dès  que  Pisanello  fut  parti,  il  donna  sa  Léda  à  son 
élève  Antonio  Mini,  qui  avait  deux  sœurs  à  marier. 

En  agissant  de  la  sorte,  Michel-Ange  offensa  sans  motif  le 
duc  de  Ferrare,  qui  cessa  toute  relation  avec  lui.  Si  Alphonse 
d'Esté,  dans  ses  rapports  avec  Raphaël,  s'était  abandonné  à 
une  violence  injustifiable,  il  s'était  toujours  montré  plein  de 
prévenances  et  d'égards  envers  le  Buonarroti.  Tout  à  l'heure, 
c'est  le  duc  qui  excitait  notre  indignation;  à  présent,  nous 
ne  pouvons  nous  empêcher  de  blâmer  la  conduite  de  Michel- 
Ange. 

Antonio  Mini  vendit  la  Léda  à  François  I",  après  en  avoir 
fait  faire  une  copie  par  Bettino  de  Bene,  un  de  ses  aides,  qui 
avait  travaillé  dans  l'atelier  de  Sogliani.  Le  roi  de  France  la 
plaça  dans  le  palais  de  Fontainebleau;  elle  s'y  trouvait  encore 
au  dix-huitième  siècle,  mais  en  fort  mauvais  état;  Mariette, 
qui  la  vit  vers  1742,  rapporte  qu'elle  trahissait  la  main  d'un 
grand  homme,  quoique,  en  maint  endroit,  il  ne  restât  que  la 
toile.  Restaurée  par  un  médiocre  artiste,  elle  passa  en  Angle- 
terre. Le  duc  de  Northumberland,  qui  la  possédait  en  1838, 
en  fit  présent  à  la  Galerie  Nationale,  où  elle  subit  une  nouvelle 
restauration.  A  cause  du  sujet,  et  peut-être  aussi  à  cause  de  sa 
détérioration,  elle  n'est  pas  exposée  dans  les  salles  publiques  (1). 
C'est  aussi  en  Angleterre  qu'émigrale  carton  de  laLéda,  qui  figu- 
rait, il  y  a  deux  siècles,  dans  la  maison  Vecchietti,  à  Florence. 
Peut-être  est-ce  celui  qui  appartient  à  l'Académie  des  Beaux- 
Arts  de  Londres.  Passavant  et  Waagen ,  cependant,  ne  le 
regardent  que  comme  une  copie  ancienne  du  carton  original. 

De  Michel-Ange  et  de  Raphaël,  Alphonse  I"  n'avait  pas 
obtenu  ce  qu'il  souhaitait.  Il  fut  })lus  heureux  avec  l'iiien,  qui 

(1)  P.  Maktz,  Michel-Ange  peintre,  dans  la  Gazette  des  Beaux- Arts, 
2'  période,  t.  XIII,  p.  156-158.  —  F.  Reiset,  Une  visite  aux  musées  de  Londres 
en  1876,  dans  la  Gazette  des  Beaux-Arts,  2"  période,  t.  XV,  p.  246-250.  — 
G.  FmzzOKi,  L'arte  italiana  nella  Galleria  Nationale  di  Londra,  p.  19.  — 
A.  Springeh,  Jiaffaello  und  Michelanyclo,  p.  383. 

I.  11 


1(52  L'ART    FERRAKAIS. 

fut  son  peintre  favori.  Les  relations  entre  eux  se  continuèrent 
longtemps  (1),  malgré  les  accès  de  mauvaise  humeur  et  de 
colère  auxquels  le  duc  ne  manquait  pas  de  se  livrer  quand  l'ar- 
tiste ne  travaillait  pas  assez  vite  et  ne  réalisait  pas  au  temps 
convenu  ses  promesses.  Alphonse  d'Esté  appréciait  trop  les 
peintures  de  Titien  pour  tenir  indéfiniment  rigueur  au  retar- 
dataire, et  Titien,  très  avisé,  très  fin,  disposé  d'ailleurs  à 
rendre  de  bonne  grâce  au  prince  les  services  les  plus  variés, 
ne  se  troublait  pas  des  menaces  et  les  écoutait  sans  se  départir 
de  son  sang-froid  et  de  sa  bonne  humeur. 

Le  duc  de  Ferrare  et  l'illustre  peintre  vénitien  entrèrent  en 
rapport  à  l'occasion  d'une  Bacchanale,  mentionnée  plus  haut 
(p.  1  47),  dont  Giovanni  Bellini  avait  exécuté  toutes  les  figures 
(1514)  et  à  laquelle  il  ne  manquait  plus  qu'un  fond  de  paysage. 
Titien,  vraisemblablement  sur  la  demande  de  Bellini,  son 
maître,  à  qui  la  vieillesse  ne  permettait  plus  de  voyager,  se 
rendit  à  Ferrare  au  mois  de  février  de  l'année  1516  et  acheva 
le  tableau  dans  le  palais  et  sous  les  yeux  d'Alphonse  I"  (2). 
Quand  il  fut  sur  le  point  de  partir,  le  duc  lui  commanda  plu- 
sieurs peintures. 

De  retour  à  Venise ,  Titien  manifesta  son  dévouement  en 
s'acquittant  de  diverses  commissions.  En  1517,  il  envoie  à  son 
nouveau  Mécène  le  dessin  d'une  balustrade  que  celui-ci  avait 
remarquée  dans  un  palais  de  Venise,  et  il  y  joint  le  projet  d'une 
balustrade  de  sa  façon  :  «  Si  ces  deux  modèles  ne  vous  satisfont 
pas,  écrit-il  au  duc  le  19  février,  dites-le-moi,  et  j'en  ferai 
d'autres,  car  je  suis  à  vous  corps  et  âme,  et  je  n'ai  rien  tant  à 
cœur  que  de  recevoir  vos  ordres  et  de  me  trouver  digne  de  vous 
servir.  »  Dans  cette  lettre,  Titien  mentionne  un  tableau  auquel 
il  travaillait  alors  pour  le  duc  et  qui  représentait  un  «  bain  »  , 
c'est-à-dire,  probablement,  des  nymphes  au  bain.  La  même 
année,  il   achète   en    l'honneur  d'Alphonse  «   un   cheval    de 

(1)  G.  Gampoiu,  Tiziano  e  f/li  Estensi,  travail  publié  dans  \3i  Aiiova  Antofogiu. 
Firenze,  novembre  1874.  —  Growe  et  Gavalcaselle,  Tiziano,  2  vol.  Fli)rence, 
1877  et  1878. 

(2)  ISous  reparlerons  de  la  Bacchanale  de  Bellini  en  traitant  du  Castello  (\i\ .  II, 
ch.  iii\ 


LIVRE    PREMIER.  1G3 

bronze  >'  ,  sans  doute  une  statuette  antique,  qui  coûta  qua- 
rante-huit lire . 

L'importance  que  le  duc  attachait  aux  tableaux  commandés 
par  lui  était  telle  qu'il  prenait  la  peine  d'écrire  au  peintre 
pour  indiquer  toutes  les  particularités  du  sujet  et  préciser  les 
moindres  détails  du  programme  (1).  Titien  lui  en  exprima  son 
admiration  avec  un  enthousiasme  qu'on  peut  trouver  excessif, 
mais  qu'expliquent  les  hyperboles  de  langage  alors  usitées  à 
l'égard  des  princes  :  «  L'autre  jour,  j'ai  reçu  avec  le  respect 
qui  lui  était  dû  la  lettre  de  Votre  Seigneurie,  ainsi  que  le 
châssis  et  la  toile.  En  lisant  la  lettre,  j'ai  trouvé  si  belles  et  si 
ingénieuses  les  instructions  qu'elle  contient,  que  je  ne  sais 
comment  on  pourrait  imaginer  quelque  chose  de  mieux.  Et 
vraiment  plus  j'y  pense,  plus  je  me  confirme  dans  l'opinion 
que  la  grandeur  de  l'art  des  peintres  anciens  était  suscitée  en 
grande  partie,  sinon  entièrement,  par  ces  grands  princes  qui 
leur  faisaient  de  si  intelligentes  commandes,  dont  les  artistes 
tiraient  ensuite  tant  de  renommée  et  de  gloire.  Si  donc  Dieu 
m'accorde  de  pouvoir  en  quelque  façon  répondre  à  l'attente  de 
Votre  Seigneurie,  qui  ne  sait  combien  j'en  serai  loué?  Néan- 
moins, en  cela,  j'aurai  seulement  donné  le  corps,  et  Votre 
Excellence  aura  donné  l'âme,  qui  constitue  ce  qu'il  y  a  de 
plus  digne  dans  une  peinture.  "  Quelque  nombreuses  qu'eus- 
sent été  les  indications  fournies  par  Alphonse  T',  Titien  ne  les 
trouva  pas  encore  suffisantes  :  il  demanda  un  surcroit  de  ren- 
seignements sur  la  place  destinée  à  son  tableau  et  sur  les 
conditions  de  l'éclairage.  Dans  lespremiers  jours  de  juin  151, S, 
le  duc  vint  à  Venise  et  les  donna  de  vive  voix. 

Il  dut  voir  alors  V Assomption  de  Titien  qui,  le  20  mars  de  la 
même  année,  le  jour  de  la  Saint'Bei-nardin,  avait  été  décou- 
verte à  la  grand'messe  dans  l'église  de  Santa  Maria  dei  Fwiri. 
L'admiration  retentissante  qu'elle  avait  provoquée  redoubla 
son  désir  d'être  promptement  en  possession  du  tableau  entre- 

(1)  C'est  aussi  de  cette  façon  que  procédait  sa  sicur  Isabelle,  marquise  de 
Mantoue.  —  Selon  MM.  Cavalcasclle  et  Crowe  [Tiziano,  t.  î,  p.  150},  le  pro- 
{jraniiiic  avait  peut-être  été  suggéré  par  l'Arioste. 


164  L'ART    FEllRARAIS. 

pris  d'après  ses  ordres.  Mais  la  multiplicité  croissante  des 
commandes  empêcha  Titien,  qui  d'ailleurs  ne  se  lassait  pas  de 
retoucher  ses  ouvrages  et  ne  les  achevait  qu'avec  lenteur,  de 
satisfaire  le  duc  de  Ferrare.  Irrité  d'attendre,  Alphonse  écrivit 
le  29  septembre  à  son  ambassadeur  Jacomo  Tebaldi,  qui  lui 
servait  d'intermédiaire  auprès  du  peintre,  une  lettre  analogue 
à  celle  qu'il  avait  écrite  le  10  septembre  à  Paulucci  pour  me- 
nacer Raphaël  de  ses  rancunes  :  ^i  ^lessire  Jacomo,  nous  pen- 
sions que  le  peintre  Titien  devait  enfin  une  bonne  fois  se 
mettre  à  terminer  notre  peinture.  Gomme  nous  voyons  qu'il 
en  tient  peu  de  compte  et  ne  s'en  soucie  guère,  nous  voulons 
que  vous  alliez  le  trouver  le  plus  tôt  possible.  Avertissez-le  de 
notre  part  que  nous  sommes  très  surpris  qu'il  ne  veuille  pas 
achever  cette  peinture,  et  dites-lui  qu'il  doit  absolument  y  mettre 
la  dernière  main  ;  autrement,  nous  en  éprouverons  un  vif  res- 
sentiment, et  nous  lui  prouverons  qu'il  aura  desservi  quelqu'un 
qui  ne  manquera  pas  de  le  desservir  à  son  tour  et  de  lui  ap- 
prendre que  nous  ne  sommes  pas  de  ceux  dont  on  se  joue.  Et 
parlez-lui  ferme,  car  nous  avons  résolu  qu  il  finirait  l'ouvrage 
commencé,  suivant  sa  promesse,  et,  s'il  ne  le  fait  pas,  nous 
saurons  bien  aviser;  informez-nous  immédiatement  de  sa  réso- 
lution. »  Tebaldi  ayant  transmis  à  Titien  les  injonctions  de  son 
maître,  Titien  promit  d'aller  bientôt  à  Ferrare  avec  son  ta- 
bleau afin  de  l'y  terminer,  et  il  tint  parole,  car  à  la  date  du 
22  octobre  les  registres  ferrarais  portent  que  quatre  Iv-e  furent 
payées  à  un  batelier  pour  le  conduire  de  Venise  à  Ferrare. 

Pendant  l'année  1520,  Titien  se  met  pour  le  compte  du 
duc  en  relation  avec  les  verriers  de  Murano.  Il  montre  à 
Tebaldi  un  vase  qu'il  avait  fait  exécuter  à  titre  d'essai.  Tous 
deux  vont  à  Murano  le  1 1  février  et  commandent  douze  vases 
qui  devront  être  livrés  au  bout  de  huit  jours,  en  même  temps 
que  des  verres  déjà  commandés.  Peu  après,  Alphonse  prie 
Titien  de  lui  envoyer  quelqu'un  pour  dorer  le  cadre  d'un 
tableau  exécuté  par  ce  maître,  et  le  charge  de  lui  procurer 
quelques  majoliques  destinées  à  sa  pharmacie.  Tebaldi  notifie 
ensuite  au  peintre  un  nouveau  désir  du  duc.  Ayant  entendu 


LIVRE   PREMIER.  165 

dire  que  Giovanni  Cornaro  possédait  un  étrange  animal  appelé 
gazelle,  qui  avait  excité  une  vive  curiosité,  Alphonse  voulait 
avoir  au  plus  tôt  Timage  peinte  de  cet  animal.  Tebaldi  et  Titien 
se  hâtèrent  d'aller  au  palais  Cornaro,  mais  la  gazelle  n'existait 
plus  et  avait  été  jetée  dans  un  canal.  Par  bonheur;,  Giovanni 
Bellini  avait  fait  depuis  longtemps  déjà  un  croquis  d'après  la 
gracieuse  bête  et  offrit  de  le  copier  en  l'agrandissant.  Vers 
le  milieu  de  1520,  sur  les  instances  du  duc,  Titien  retourna  à 
Ferrare  pour  réparer  un  de  ses  tableaux  qu'on  avait  détérioré 
en  le  vernissant;  avant  de  quitter  Venise,  il  se  rappela  qu'un 
peu  de  bleu  manquait  à  certaines  places,  et  pria  Alphonse  I" 
d'en  tenir  à  sa  disposition  au  moment  de  son  arrivée.  Dès  que 
sa  besogne  fut  achevée,  il  regagna  son  atelier  de  San  Samuele. 
Il  avait  reçu  du  duc  quelques  nouvelles  commandes  qu'il 
ne  se  pressa  pas  d'exécuter,  voulant  tenir  d'autres  engage- 
ments déjà  pris  et  non  moins  formels.  Le  duc,  cependant,  en- 
tendait être  servi  le  premier  :  «  Messire  Jacomo,  écrivit-il  à 
son  ambassadeur,  ayez  soin  de  parler  à  Titien  et  rappelez-lui 
en  notre  nom  qu  en  partant  de  Ferrare  il  nous  promit  beau- 
coup de  choses.  Jusqu'ici  nous  ne  voyons  pas  qu'il  se  soit 
occupé  d'aucune  ;  il  ne  travaille  même  pas  à  la  toile  que  nous 
attendons  avec  le  plus  d'impatience.  Comme  nous  ne  croyons 
pas  mériter  qu'il  nous  manque,  exhortez-le  à  faire  en  sorte 
que  nous  n'ayons  pas  à  nous  fâcher  contre  lui  et  qu'il  nous 
livre  au  plus  tôt  ladite  toile.  »  Titien  ne  se  troubla  pas  et 
trouva  des  excuses.  Comme  il  n'avait  reçu  ni  châssis,  ni  toile, 
ni  indication  de  mesures,  il  prétendit  avoir  pensé  que  le  duc 
ne  se  souciait  plus  de  l'ouvrage  commandé.  Qu'on  lui  envoyât 
la  toile,  et  il  tâcherait  d'avoir  terminé  son  tableau  le  jour  de 
l'Ascension.  Tebaldi  ne  fut  pas  dupe  de  ces  allégations,  car 
il  savait  que  Titien  avait  entrepris  de  peindre  pour  Altobello 
Averaldo,  légat  du  Pape,  un  tableau  d'autel  dont  faisait  partie 
un  Sainl  Sébastien  qui  ])rovoquait  l'admiration  de  toute  la 
ville  (1).  Se  tournant  donc  en  riant  vers  le  peintre  :   «  Vos  rai- 

(1)   Ce  tal)leau,  destiné  an  maître-autel  de  l'église  des  Saints  Nazaire  et  Gelse  à 
Brcscia,  est  toujours  à  sa  place.  Il  se  compose  de  plusieurs  compartiments.  Dans 


lOc  L'ART    FERRARAIS. 

sons  lui  tlit-il,  sont  aussi  artificieuses  que  vos  peintures. 
Avouez  qu'après  avoir  goûté  l'argent  des  prêtres,  vous  ne  tenez 
plus  autant  au  service  de  mon  maître  que  par  le  passé.  «  Ti- 
tien répliqua  qu'aucun  effort  ne  lui  coûterait  pour  témoigner 
au  duc  un  dévouement  absolu  et  conserver  sa  faveur,  fallût-il 
fabriquer  de  la  fausse  monnaie.  "  Eb  bien,  riposta  Tebaldi, 
est-il  vrai  que  sur  la  demande  du  légat  vous  ayez  fait  récem- 
ment un  Saint  Sébastien  ?  »  Titien  ne  put  le  nier,  et  il  ajouta  que, 
selon  lui,  cette  figure  était  la  meilleure  de  ses  œuvres;  mais  le 
tableau  entier  ne  devait  lui  rapporter  que  deux  cents  ducats, 
prix  qu'aurait  valu  le  Saint  Sébastien  a  lui  seul.  Comment  donc 
serait-il  disposé  à  négliger  pour  des  prêtres  et  des  moines  le 
service  de  Son  Excellence  ? 

Cet  entretien  piqua  la  curiosité  de  Tebaldi,  qui  vint  quelques 
jours  après  dans  l'atelier  du  peintre,  afin  d'y  voir  le  Saint  Sébas- 
tien. Il  y  avait  là  plusieurs  visiteurs,  et  tous  le  portaient  aux 
nues.  Quand  ils  furent  partis,  l'ambassadeur  de  Ferrare  se  mit 
h  déplorer  qu'une  pareille  peinture  dût  être  livrée  à  des  prê- 
tres et  envovée  à  Brescia,  et  il  conseilla  à  Titien  de  l'offrir  au 
duc.  Titien  se  récria  et  protesta  qu'il  ne  saurait  comment  s'y 
prendre  pour  manquer  ainsi  à  ses  engagements.  Là-dessus, 
Tebaldi  lui  suggéra  d'exécuter  à  l'intention  du  légat  une  copie 
avec  de  légères  variantes,  expédient  que  le  peintre  repoussa 
comme  une  indélicatesse.  Néanmoins,  Tebaldi  fit  part  de  son 
idée  à  son  maître,  qui  l'en  félicita  et  l'engagea  à  poursuivre  ses 
négociations.  Habilement  circonvenu,  Titien  finit  par  céder, 
tout  en  déclarant  que  pour  personne  il  n'aurait  commis  une 
telle  fourberie,  et  il  fut  convenu  que  le  duc  payerait  seulement 
soixante  ducats  comptant.  Les  cboses  en  étaient  là  quand 
Alphonse  se  mit  à  réfléchir  aux  conséquences  que  pouvait  en- 

le  compartiment  central,  on  voit  la  llésnrrection  du  Christ.  Les  compartiments 
latéraux  sont  divisés  en  deux  parties  :  dans  la  partie  supérieure  est  représentée 
l'Annonciation;  dans  la  partie  inférieure  se  trouvent  :  à  j;auche  Saint  Nazaire  et 
Saint  Celse,  patrons  d'Averaldo,  à  qui  ils  montrent  le  Rédempteur  montant  au  ciel  ; 
à  droite  Saint  Roch  assisté  par  un  ange  et  Saint  Sébastien  attaché  à  un  arbre  et 
percé  d'une  flèche.  Ce  tableau  porte  la  signature  de  l'auteur  et  la  date  de  t52i. 
(Voyez  CwALCASELLE  et  Crowe,  Tizicino,  t.  I,  p.  215.) 


LIVRE    PREMIER.  167 

traîner  sa  conduite  à  l'égard  du  légat;  déjà  en  butte  à  l'ini- 
mitié de  la  cour  de  Rome,  n'allait-il  pas  aggraver  sa  situation, 
si  Averaldo  apprenait  un  jour  ou  l'autre  le  méchant  tour  qui 
lui  avait  été  joué?  Le  23  décembre  1520,  il  écrivit  à  Tebaldi 
qu'il  renonçait  au  Saint  Sébastien . 

Titien  fut  mis  en  possession  de  la  toile  nécessaire  à  l'exécu- 
tion du  tableau  d'Alphonse  I",  mais  il  s'en  occupa  peu.  Le  duc 
et  son  ambassadeur  crurent  que  le  meilleur  moyen  de  triom- 
pher de  ses  lenteurs  était  de  l'attirer  à  Ferrare,  où  il  appor- 
terait sa  toile.  Alphonse  commença  par  l'inviter  aux  fêtes  de 
Noël  de  1521  ;  puis  Tebaldi  lui  proposa  d'accompagner  le  duc 
à  Rome,  quand  celui-ci  irait  rendre  hommage  au  successeur 
de  Léon  X,  non  encore  nommé.  Titien,  tout  en  évitant  de 
refuser,  ne  s'engagea  pas,  et,  malgré  son  désir  de  connaître 
Rome,  il  déclina  l'offre  qui  lui  était  faite.  En  1522,  il  eut  à 
subir  des  instances  analogues,  qu'il  éluda  avec  l'adresse  d'un 
diplomate  consommé.  Sans  cesse  harcelé  par  l'ambassadeur 
de  Ferrare,  qui  semblait  n'avoir  d'autre  occupation  que  de  le 
pousser  au  travail  ou  de  l'entraîner  à  Ferrare,  il  excellait  à 
temporiser.  S'il  ne  consentait  pas  à  partir,  c'est  qu'il  voulait 
retoucher  des  figures  qui  ne  lui  plaisaient  pas,  c'est  qu'il  avait 
besoin  de  modèles  introuvables  ailleurs.  Le  31  août,  Tebaldi 
constata  qu'il  n'avait  encore  peint,  outre  un  char  tiré  par  deux 
animaux,  que  deux  figures,  ce  qui  prouve  que  le  tableau  com- 
mencé était  le  Triomphe  de  Bacchus,  conservé  aujourd'hui  dans 
la  Galerie  Nationale  de  Londres.  Le  duc  s'en  étant  montré 
fort  irrité,  Titien  pria  Tebaldi  de  l'apaiser,  prétendant  que 
sans  cela  il  ne  pourrait  travailler  avec  calme  d'esprit.  Pour 
montrer  combien  il  tenait  à  satisfaire  le  prince,  il  répéta  trois 
ou  quatre  fois  à  l'agent  de  celui-ci  qu'il  n'accepterait  plus 
aucune  commande,  vînt-elle  de  Notre-Seigneur  Dieu,  avant 
d'avoir  terminé  la  toile  du  duc.  Malgré  ses  protestations,  l'an- 
née se  passa,  et  la  toile  n'était  pas  achevée.  Comment  s'en 
étonner?  Titien  n'avait-il  pas  à  ménager  le  gouvernement  de 
sa  ville  natale  dont  il  était  le  peintre  officiel?  Le  Conseil  des 
Dix,  en  effet,  dans  sa  séance  du  1 1  août  1522,  l'avait  menacé 


IfiS  L'ART   FERUARAIS. 

de  lui  enlever  ses  fonctions  de  courtier  à  l'Entrepôt  des  Alle- 
mands et  de  lui  imposer  la  restitution  de  tous  ses  honoraires 
depuis  six  ans,  si  la  quatrième  toile  qui  devait  orner  la  salle 
du  Grand  Conseil  n'était  pas  achevée  le  15  juin  de  l'année  sui- 
vante (1).  Quand  Titien  affirmait  sa  bonne  volonté  envers  le 
duc  de  Ferrare,  il  pouvait  donc  être  sincère;  en  différant  l'en- 
tière exécution  de  ses  engagements,  il  obéissait  à  une  inéluc- 
table nécessité.  Enfin,  dans  le  mois  de  janvier  1523,  le  tableau 
de  Bacchus  et  Ariane  fut  en  état  d'être  envoyé  à  Ferrare,  où 
Titien,  probablement  pour  l'achever,  le  suivit  le  7  février  (2), 

Au  milieu  de  janvier  1525,  il  fut  encore,  ce  semble,  l'hôte 
d'Alphonse  I". 

De  1525  à  1528,  on  ne  trouve  plus  trace  de  rapports  entre 
Titien  et  Alphonse  I".  Ce  prince  était  trop  absorbé  par  les 
calamités  qui  pesaient  sur  lui  pour  attirer  Titien  à  sa  cour.  Il 
n'avait  cependant  pas  oublié  son  peintre  de  prédilection,  et, 
dès  que  les  soucis  politiques  lui  laissèrent  quelque  répit,  il 
l'appela  auprès  de  lui.  A  la  fin  de  1527  ou  au  commencement 
de  1528,  Titien  reparut  à  Ferrare.  En  1529,  il  y  fit,  avec  l'as- 
sentiment du  doge  Andréa  Gritti,  un  séjour  assez  long,  inter- 
rompu par  un  voyage  à  Mantoue.  Quand  il  partit  pour  cette 
ville,  le  duc  lui  remit  la  lettre  suivante,  à  l'adresse  du  marquis 
Frédéric  Gonzague,  fils  d'Isabelle  d'Esté  :  «  Maître  Titien,  qui 
est  resté  ici  quelques  jours  afin  de  m'être  agréable,  m'a  de- 
mandé la  permission  d'aller  à  Mantoue  pour  ses  propres  affai- 
res, et,  quoique  j'hésitasse  à  la  lui  donner,  j'ai  cédé,  voulant 
lui  faire  plaisir  et  vu  l'importance  de  ce  qui  l'appelle  auprès 
de  Votre  Excellence.  A  cause  de  l'amour  que  m'inspire  son 
mérite,  j'ai  cru  devoir  lui  remettre  cette  lettre,  par  laquelle  je 
prie  affectueusement  Votre  Seigneurie  Illustrissime  de  le  bien 
accueillir.  C'est  ce  que  vous  porteront  à  faire  non  seulement 
votre  tendresse  à  mon  égard,  mais  les  bonnes  dispositions  que 
je  vous  connais  pour  lui  et  la  faveur  qu'il  saura  bien  gagner 

(1)  Cavalcaselle  et  Crowe,  Tiziano,  t.  I,  p.  225. 

(2)  Les  livres  du  château  font  nienlion  de  vin{;t-quatre  repas  fournis  au  peintre 
et  aux  personnes  de  sa  suite. 


LIVRE   PREMIER.  169 

sans  l'intervention  d'autrui.  Plus  Votre  Excellence  s'empres- 
sera de  me  le  renvoyer,  plus  je  Lui  en  aurai  d'obligation... 
14  mars  1529.  "  Cette  lettre  fait  honneur  à  celui  qui  l'a  écrite. 
Celle  où  Alphonse  I",  le  IG  juin  de  la  même  année,  remercia 
le  doge  d'avoir  autorisé  le  séjour  prolongé  de  Titien  à  Ferrare, 
ne  témoigne  pas  moins  hautement  de  l'estime  et  de  l'attache- 
ment que  Titien  inspirait  au  duc  :  «  Je  reste  très  obligé  à  Votre 
Sérénité  et  je  la  remercie  vivement  de  la  faveur  qu'elle  m'a 
faite  en  laissant  si  longtemps  Titien  auprès  de  moi  (l).  Je  vous 
suis  d'autant  plus  reconnaissant  que  j'ai  eu  plus  à  me  louer  de 
lui,  et  qu'il  m'a  servi  promptement  et  excellemment...  »  Aussi- 
tôt après  son  retour  à  Venise,  Titien  s'acquitta  d'une  commis- 
sion d'Alphonse  I"  en  faisant  faire  une  coupe  d  or,  qu'il  expé- 
dia le  4  septembre  à  Ferrare.  Cette  coupe  reposait  sur  un  pied 
d'argent  décoré  de  bas-reliefs. 

A  partir  de  la  seconde  moitié  de  15:29,  Titien  fut  presque 
entièrement  accaparé  par  Charles-Quint,  qui,  devenu  l'arbitre 
suprême  de  l'Italie,  se  fixa  quelque  temps  à  Bologne  en  1529 
et  en  décembre  1532.  On  trouve  cependant  encore  le  grand 
artiste  dans  le  château  d'Alphonse  I"  le  24  et  le  25  juillet  1532, 
mais  il  ne  fit  qu'y  passer.  Les  seules  peintures  qu'il  entreprit 
encore  en  l'honneur  du  duc  furent  un  portrait  de  ce  prince 
destiné  à  remplacer  celui  qui  avait  été  donné  à  Covos  (2), 
secrétaire  de  l'Empereur,  et  un  tableau  allégorique  représen- 
tant Minerve  et  Neptune  avec  quelques  autres  figures.  Le  por- 
trait n'était  pas  terminé  quand  Alphonse  I"  mourut  le  31  octo- 
bre 1534;  Hercule  II  ordonna  de  l'achever  et  paya  au  peintre, 
h  titre  d'arrhes,  cinquante  ducats  d'or  le  20  juillet  1535.  Te- 
baldi  annonça  au  fils  d'Alphonse  I",  le  15  décembre  153G, 
que  Titien  mettait  la  dernière  main  à  ce  tableau  ;  il  le  proclama 
«  magnifique  et  aussi  semblable  à  l'original  que  l'eau  à  leau  »  . 


(1)  Les  registres  mentionnent  le  vin  qui  fui  fourni  à  Titien  et  à  cinq  personnes 
de  sa  suite  depuis  le  24  janvier  jusqu'au  dernier  jour  de  février,  pendant  dix  jours 
du  mois  d'avril,  pendant  tout  le  mois  de  mai  et  pendant  dix-huit  jours  du  mois 
de  juin. 

(2)  Voyez  ce  qui  a  été  dit  p.  138,  note  1. 


170  L'ART    FERRARAIS. 

C'est  le  8  janvier  1537  que  le  portrait  fut  livré  à  Tebaldi,  et 
Hercule  II,  venu  peu  après  à  Venise,  l'emporta  lui-même  à 
Fcrrare.  Le  don  d'un  vase  d'argent  à  l'auteur  prouva,  au  dire 
de  l'Arétin,  l'entière  satisfaction  du  prince  (1).  Quant  au  ta- 
bleau allégorique,  Vasari  le  vit  inachevé  dans  la  maison  de 
Titien,  alors  que  le  peintre  avait  cessé  de  vivre  (2). 

Quand  on  réfléchit  aux  relations  qui  existèrent  entre  Al- 
phonse I"  et  Titien,  on  trouve  qu'elles  furent  profitables  autant 
à  l'un  qu'à  l'autre.  Si  le  duc  leur  dut  la  possession  d'un  bon 
nombre  de  tableaux  précieux  (3),  Titien,  qui  trouva  dans  le 
prince  un  protecteur  non  moins  attaché  que  despotique,  en 
tira  un  grand  avantage,  celui  de  u  développer  son  génie  bril- 
lant dans  ses  véritables  voies  (4)  ;>  .  Représenter  avec  éclat  tout 
ce  qui  peut  charmer  les  yeux,  donner  au  portrait  une  prodi- 
gieuse intensité  de  vie  et  transKgurer  en  quelque  sorte  la 
nature  humaine  en  l'enveloppant  d'une  lumière  dorée,  telle 
était  la  véritable  vocation  du  maître  vénitien  :  Alphonse  I" 
contribua  à  l'y  pousser  et  à  l'y  maintenir. 

Avant  de  passer  au  règne  d'Hercule  H,  il  est  nécessaire  de 
dire  quelques  mots  à' Hippolyte  I"  d'Esté,  un  des  frères  d'Al- 
phonse I",  car  il  fut  mêlé  aux  événements  politiques  de  cette 
époque,  et  il  ne  resta  indifférent  ni  aux  lettres  ni  aux  arts  (5). 
C'est  d'ailleurs  une  figure  très  originale,  en  laquelle  se  person- 
nifient tous  les  abus  de  son  temps  et  qu'il  est  par  conséquent 
très  curieux  d'étudier,  non  pour  s'y  complaire,  mais  pour  avoir 
une  idée  de  la  vie  toute  mondaine  et  souvent  scandaleuse  que 
menaient  alors  les  personnages,  issus  des  maisons  régnantes, 
qui  devenaient  princes  de  l'Église. 

(1)  Titien  reçut  pour  ce  portrait  deux  cents  ducats  et  déclara  qu'il  ne  se  rappe- 
lait pas  avoir  jamais  été  rémunéré  aussi  royalement.  (Gavalcaselle  et  Growe, 
Tiziano,  t.  I,  p.  386-387.) 

(2)  On  ne  sait  ce  (ju'est  devenu  ce  tableau. 

(3)  INous  énumérerons  les  principaux  en  parlant  du   Castello  (liv.  II,  ch.  m). 

(4)  Lafenestre,  Titien  et  les  princes  de  son  temps,  dans  la  Bévue  des  Deux- 
Mondes  du  i"  décembre  1886,  p.  638. 

(5)  Frizzi,  Mem.  per  la  storia  di  Ferrera,  t.  IV,  p.  110,  154,  156,  159,  169, 
181,  186,  201,  205,  218,  222,  227,  269,  272,  279,  280,  282,  284.  —  Barotti, 
Mem.  di  letterati  ferrarcsi. 


LIVRE    PREMIER.  171 

Hippolyte  I"  était  le  troisième  fils  d'Hercule  I"  et  d'Éléo- 
nore  d'Aragon.  Il  naquit  le  20  février  1479.  Dès  l'âge  de  six 
ans,  il  reçut  la  tonsure  dans  la  cathédrale  de  Ferrare  et  com- 
mença à  porter  l'habit  de  clerc.  En  1486,  Mathias  Corvin,  roi 
de  Hongrie,  qui  avait  épousé  Béatrice  d'Aragon,  sœur  de  la 
duchesse  de  Ferrare,  le  nomma  archevêque  de  Gran  ou  Stri- 
gonio,  titre  auquel  étaient  attachés  ceux  de  primat  de  Hongrie 
et  de  légat  a  latere  du  Saint-Siège,  et  qui  rapportait  trente 
mille  ducats;  mais  cette  nomination  ne  lut  ratifiée  qu'au  bout 
d'un  an  par  le  pape  Innocent  VIll.  Hippolyte,  accompagné  de 
cent  cinquante  personnes  à  cheval,  alla  sur-le-champ  prendre 
possession  de  son  bénéfice  (1) ,  et  fit  un  assez  long  séjour  auprès 
de  son  oncle.  Il  résidait  encore  en  Hongrie  lorsqu'en  1493 
Alexandre  VI  le  promut  à  la  dignité  de  cardinal  :  il  n'avait  que 
quatorze  ans.  Quelques  années  plus  tard,  l'archevêché  de 
Milan  étant  devenu  vacant,  Ludovic  le  More,  son  beau-frère, 
le  lui  octroya  (31  octobre  1497),  l'année  même  où  mourut  sa 
sœur  Beatrix,  femme  du  duc  de  Milan  (:2).  Hippolyte  cepen- 
dant ne  se  trouvait  pas  satisfait  :  comme  archevêque  de  Stri- 
gonio,  il  était  obligé  à  la  résidence,  puisqu'il  était  en  même 
temps  primat  du  royaume  et  légat  apostolique;  en  outre,  la 
moitié  des  revenus  de  cet  archevêché  lui  échappait,  parce 
qu'elle  était  consacrée  à  l'entretien  des  troupes  royales.  Le 
27  novembre  1497,  il  se  rendit  à  Rome  avec  trois  cents  che- 
vaux et  obtint  l'évêché  d'Agria  en  échange  de  l'archevêché  de 
Strigonio.  Il  resta  trois  mois  dans  la  capitale  de  la  chrétienté. 

(1)  Il  emporta  avec  lui,  entre  autr(>s  livres,  l'Eiicide  de  Virgile  et  les  coméilics 
(le  IMaiite,  qu'il  comprenait  déjà  malgré  son  jeune  à{;c. 

(2)  Hippolyte  I'^'"  ne  garda  pas  toute  sa  vie  l'arclievèclié  de  Milan  ;  le  3  avril  1511), 
il  le  céda  à  son  neveu  Hippolyte  II,  âgé  de  dix  ans.  D'après  l'Arioste,  il  témoigna 
envers  Ludovic  le  More  une  reconnaissance  (pii  ne  cessa  pas  avec  les  malheurs 
de  ce  prince  : 

...  ora  in  pace  a  consiglio  con  lui  siede, 
Or  armato  con  lui  spiega  i  colubri; 
E  sempre  par  d'una  medesima  fede, 
0  ne'  felici  tcmpi  o  nei  lugubri  : 
Nella  fuga  lo  segue,  lo  conforta 
Neir  afflizion,  gli  è  nel  periglio  scort;i. 

ÇO?lfinflo  furioso,  canto  XLVI,  st.  xciv.) 


172  L'ART    FERRARAIS. 

En  1501,  il  accompagna,  de  Fenare  à  Naples,  la  veuve  de 
Mathias  Corvin  qui,  forcée  d'abandonner  la  Hongrie,  avait 
passé  huit  jours  auprès  d'Hercule  I",  témoignant  ainsi  h  sa 
tante  la  gratitude  à  laquelle  elle  avait  droit  pour  les  soins  qu'il 
en  avait  reçus  dans  son  enfance.  La  même  année,  il  fit  partie 
de  la  nombreuse  cavalcade  qui  se  rendit  à  Rome  afin  d'aller 
chercher  Lucrèce  Borgia  dont  le  mariage  avec  Alphonse 
d'Esté  avait  été  décidé.  C'est  lui  qui  remità  Lucrèce  les  joyaux 
destinés  par  le  duc  de  Ferrare  à  sa  future  belle-fille,  et  nous 
avons  déjà  dit  qu  il  offrit  pour  son  propre  compte,  entre  autres 
présents,  quatre  croix  d'un  très  beau  travail.  Peut-être  est-ce 
alors  qu'Alexandre  VI  lui  donna  un  palais  à  Rome,  faveur  que 
suivit  bientôt  la  collation  de  l'archevêché  de  Capoue  (1502). 
Lorsque  Louis  XU  eut  enlevé  h  Ferdinand  le  royaume  de 
Naples,  Hippolyte  abandonna  les  revenus  de  cet  archevêché  à 
sa  tante  Béatrice,  réfugiée  à  Ischia.  Après  la  mort  d'Alexan- 
dre VI  (18  août  1503),  le  cardinal  d'Esté  partit  aussitôt  de 
Ferrare  pour  prendre  part  au  conclave;  en  route,  une  chute 
de  cheval  le  força  de  s'arrêter  quelques  jours  à  Florence,  où  son 
frère  Alphonse  vint  s'assurer  de  son  état.  A  peine  élu  pape, 
Pie  III  lui  conféra  l'évéché  de  Ferrare,  devenu  vacant  par  la 
mort  du  dernier  titulaire,  Jean  Borgia,  qui  n'avait  jamais  mis 
les  pieds  dans  la  capitale  des  princes  d'Esté. 

Sous  le  règne  d'Alphonse  I",  le  cardinal  d'Esté  ne  demeura 
pas  étranger  aux  affaires  publiques.  Il  gouverna  Ferrare  en 
1506,  alors  que  le  duc  conduisait  des  renforts  à  Jules  II  qui 
assiégeait  Bologne  (1),  en  1507  pendant  que  son  frère  était 
allé  à  Gênes  pour  gagner  les  bonnes  grâces  de  Louis  XII,  en 
1512  quand  Alphonse  I"  se  rendit  à  Rome  dans  l'espoir  d'une 
réconciliation  avec  le  Pape  qui  lui  avait  déclaré  la  guerre  et 
qui  visait  à  s'emparer  de  Ferrare. 

Au. besoin,  l'habile  cardinal  se  transformait  en  guerrier. 
Durant  la  lutte  contre  Venise,  il  risqua  plus  d'une  fois  sa  vie, 

(1)  11  permit  aux  tils  de  Giovanni  Bentivoglio,  venus  avec  ijuatre  cents  chevaux 
après  la  prise  de  Bologne  par  le  Pape,  de  loger  à  l'auberge  de  l'Ange  (aujourd'hui 
la  Postaccia) . 


T.IVRE   PREMIER.  173 

s'exposant  aux  balles  qui  tuaient  à  ses  côtés  ses  compagnons 
d'armes.  On  l'eût  même  pris  pour  un  capitaine  consommé 
lorsque,  profitant  d'une  crue  subite  du  Pô  qui  exhaussait  les 
navires  ennemis  et  en  mettaient  les  flancs  à  découvert,  il  fit  à 
la  faveur  de  la  nuit  dresser  des  batteries  dont  les  feux,  au 
point  du  jour,  anéantirent  presque  la  flotte  vénitienne. 
Alphonse  survint  avec  ses  propres  vaisseaux  et  acheva  la 
déroute  (1). 

A-près  l'avènement  de  Léon  X,  Hippolyte  alla  rendre 
hommage  au  nouveau  pape  (6  mai  1513).  Rome  le  garda  plu- 
sieurs années.  Il  y  vécut  en  prince  fastueux,  au  milieu  d'une 
cour  amie  des  plaisirs  de  toute  sorte,  et,  sans  négliger  les 
affaires  de  son  frère,  il  prit  à  cœur  de  réunir  des  lettrés  autour 
de  lui. 

En  Hongrie,  il  avait  conservé  des  relations  qui  l'y  attiraient 
de  temps  en  temps.  Il  y  retourna  le  20  octobre  1517  et  s'y  fit 
précéder  de  deux  cent  cinquante  chiens,  de  filets  et  de  tentes 
pour  la  chasse,  de  quatre  étalons,  de  vingt  vautours  et  fau- 
cons, et  de  deux  léopards.  Dans  sa  suite  figuraient  Alessandro 
Ariosti,  le  dernier  frère  de  Lodovico  Ariosti,  et  le  poète  Gelio 
Galcagnini,  qui  se  lia  avec  Ziegler,  philosophe,  mathématicien 
et  théologien  allemand,  auquel  il  procura  la  protection  du 
cardinal  d'Esté.  La  situation  critique  d'Alphonse  I"  décida 
Hippolyte  à  regagner  Ferrare  au  commencement  d'avril  1  520  : 
il  arriva  indisposé,  et  logea,  d'après  les  conseils  de  son  frère, 
non  dans  sa  résidence  habituelle  attenant  à  la  Chartreuse, 
mais  dans  le  Castel  Nuovo,  où  l'air  était  plus  frais  et  plus  salu- 
bre .  Les  prescriptions  du  médecin  Lodovico  Bonaccioli  l'avaient 
à  peu  près  rétabli,  quand,  pour  avoir  trop  mangé  d'écrevisses 
et  bu  avec  excès  d'un  vin  blanc  appelé  vernaccia,  il  fut  pris 
d'une  fièvre  dont  il  mourut  le  3  septembre,  malgré  les  soins 
que  lui  donna  Giovanni  Manardi,  médecin  non  moins  renommé 
que  Bonaccioli.  On  lui  fit  de  magnifiques  funérailles  dans  la 
cathédrale,  et  Gelio  Galcagnini  y  prononça  son  oraison  funèbre. 

(1)  Voyez  les  intéressants  détails  que  donne  Fnizzi  (^Mcin,  per  lu  slorid  di  Fer- 
rara,  t.  IV,  p.  241-2V3). 


174  L'ART    FERRARAIS. 

Quelques  jours  après,  une  autre  oraison  funèbre  fut  pronon- 
cée par  Alcssandro  Guarini,  et  Girolamo  Falletti  en  composa 
une  troisième. 

A  l'esprit  politique  et  militaire  le  cardinal  d'Esté  joignait 
le  goût  de  l'étude  et  de  la  lecture.  En  voyage,  si  l'on  en  croit 
Celio  Calcagnini  qui  l'accompagna  souvent,  il  emportait  des 
livres  en  grand  nombre.  Parmi  ses  familiers  se  trouvaient  non 
seulement  des  théologiens,  mais  des  jurisconsultes,  des  philo- 
sophes, des  mathématiciens,  des  médecins,  des  orateurs  et  des 
poètes.  A  partir  de  1503,  il  prit  à  son  service  l'Arioste,  qui 
encourut  en  1517  la  disgrâce  de  ce  maître  exigeant  et  impé- 
rieux pour  n'avoir  pas  voulu  l'accompagner  en  Hongrie.  Avant 
son  dernier  séjour  dans  ce  pays,  il  suggéra  aux  magistrats  de 
sa  ville  natale  la  résolution  de  faire  écrire  par  Celio  Calcagnini 
l'histoire  de  la  maison  d  Este  et  celle  de  Ferrare,  histoire  dont 
Peregrino  Prisciani  avait  à  grand'peine  rasssemblé  déjà  les 
matériaux  (1).  On  ne  sait  pas  si  Calcagnini  réalisa  l'entreprise 
qui  lui  fut  confiée.  De  bonne  heure,  Hippolyte  d'Esté  aima  les 
beaux  livres  :  c'est  à  lui  qu'est  dédié  le  De  ingénias  adolescen- 
tium  nioribus  liber,  composé  par  Petrus  Tranensis  et  publié  le 
7  octobre  1496  par  Lorenzo  de'  Rossi  (2).  Lorsque  Pontico 
Virunio,  imprimeur  et  lettré  d'une  grande  valeur,  eut  été 
incarcéré  à  Forli,  il  dut  sa  mise  en  liberté  à  l'intervention  du 
puissant  cardinal. 

Sans  être  aussi  passionné  qu'Alphonse  l"  pour  les  beaux- 
arts,  Hippolyte  tint  aussi  à  honneur  de  s'entourer  d'œuvres 
distinguées  et  fut  en  rapport  avec  plusieurs  artistes  en  renom. 
Ercole  Roberti  peignit  à  son  intention  un  tableau  en  1487. 
Léonard  de  Vinci,  qu'Hippolyte,  en  qualité  d'archevêque  de 
Milan,  avait  dû  voir  dans  la  capitale  des  Sforza,  obtint  de  lui 
eu  1507  une  lettre  de  recommandation  pour  Raffaello  Giro- 
lami,  un  des  principaux   membres  de   la  Seigneurie  de  Flo- 

(Ij  l*ar  ordre  du  cardinal,  Calcagnini  avait  précédemment  éciit  le  récit  de  la 
défaite  inflijijéc  à  l'armée  vénitienne  le  2^  décendjre  1509.  Calcagnini  fut  également 
1  auteur  d'une  Vie  d' Hippolyte  P''  qui  ne  nous  est  pas  parvenue. 

l^-)  Nous  reviendrons  sur  cet  ouvrage  en  parlant  des  livres  ferrarais  ornés  de 
gravures  en  bois  (liv.  V,  ch.  iv). 


LIVRE   PREMIER.  175 

rence,  afin  de  faire  valider  ses  prétentions  à  la  succession  de 
son  père,  droits  contestés  par  son  frère  aîné  à  cause  de  sa 
naissance  illégitime  (1). 

Les  musiciens  trouvèrent  également  faveur  auprès  du  car- 
dinal. 11  eut  à  sa  solde  un  habile  organiste  nommé  Giangia- 
como  Fogliani  et  attira  auprès  de  lui  les  virtuoses  les  plus  dis- 
tingués. Musicien  lui-même,  il  acheta  en  1517  des  téorbes  à 
un  fabricant  installé  à  Ferrare,  où  l'on  faisait  aussi  des  flûtes 
et  des  violes. 

Aux  qualités  d'un  prince  de  la  Renaissance  s'unissaient  chez 
Hippolyte  les  défauts  et  les  vices  des  tyrans  de  son  siècle.  Il 
était  violent,  altier,  vindicatif.  Du  vivant  de  son  père,  il  fit 
bâtonner  un  messager  du  Pape,  et  se  réfugia,  afin  d'échapper 
au  courroux  d'Hercule  I",  chez  son  beau-frère  François  Gon- 
zague,  qui  vint  implorer  pardon  pour  lui.  Nous  avons  déjà 
rapporté  que,  épris,  en  même  temps  que  son  frère  naturel 
Giulio,  d'Angela  Borgia,  il  ordonna  à  ses  sbires  de  crever  les 
yeux  de  son  rival,  dont  Angela  avait  vanté  devant  lui  la 
beauté  (2).  Quoiqu'il  fût  prince  de  l'Église,  rien  dans  sa  vie 
n'indiquait  le  souci  des  choses  religieuses.  Les  évêchés  (3)  et 
les  abbayes  (i)  qu'il  posséda  n'étaient  pour  lui  qu'une  source 
de  richesses  :  il  en  lirait  un  revenu  de  trente-neuf  mille  six 
cents  écus  environ,  suivant  les  uns,  de  quarante-sept  mille 
cinq  cents,  selon  les  autres.  Il  laissa  une  fille  naturelle,  Lisa- 
betta,  qui  reçut  du  duc  une  dot  de  dix  mille  écus  en  épousant 
Giberlo  Pio. 


(1)  Campori   Nuovi  Docuinenli  pcr  lu    uilu  di  Lcoiuu-do   (Ici    J'inci.    3Iodcna , 
1865. 

1^2)   Voyez  p.  125. 

(3)  A  ceux  que  nous  avons  mentionnés  il  faut  ajouter  celui  de  Modène. 

(4)  L'abbaye    de    Pouiposa    était   au    uouibtc   de   celles  (|ui   lui   furent   confé- 
rées. 


17fi  L'ART    FERRARAIS. 

X 

HERCULE  II  (1534-1559)  (1). 


A  l'exemple  de  ses  prédécesseurs,  Hercule  II,  fils  aîné 
d'Alphonse  I",  inaugura  son  règne  par  des  libéralités.  Il  dis- 
pensa la  Commune  de  rembourser  une  partie  des  sommes 
qu'Alphonse  I"  avait  prêtées  à  celle-ci  et  lui  accorda  des  délais 
pour  le  remboursement  du  reste;  il  abolit  quelques  taxes;  il 
dépensa  en  cadeaux  cinquante  mille  ducats  d'or,  donnant  aux 
uns  des  immeubles,  aux  autres  du  numéraire  ou  des  joyaux. 
Parmi  les  personnages  honorés  de  ses  faveurs  figura  Cristoforo 
Messishugo^  auteur  d'un  ouvrage  sur  l'office  de  maître  d'hôtel 
et  sur  l'art  culinaire  (2). 

La  première  affaire  qui  s'imposa  à  l'attention  d'Hercule  II 
fut  le  règlement  définitif  de  sa  situation  à  l'égard  du  Saint- 
Siège.  Il  s'agissait  de  décider  Paul  III  à  ratifier  la  décision 
qu'avait  rendue  Charles-Quint,  pris  comme  arbitre  par 
Alphonse  I"  et  Clément  VII,  mais  que  Clément  YII  n'avait  pas 
acceptée  et  à  laquelle  le  Sacré  Collège  n'avait  pas  donné  son 
adhésion.  Les  pourparlers  furent  longs  et  difficiles.  Afin  de 
hâter  le  succès  des  négociations,  le  duc  se  rendit  lui-même  à 
Home  en  1535  (3).  Il  ne  réussit  pas  mieux  que  ses  ambassa- 
deurs Ce  fut  seulement  en  1539  qu'un  accord  fut  conclu,  le 
Souverain  Pontife  désirant  qu'une  paix  générale  permit  à  tous 
les  souverains  de  s'unir  contre  Soliman  II.  En  vertu  de  cet 


(i)   11  a  été  déjà  question  d'Hercule  11,  p.  135,  note  1,  et  p.  137,  note  1. 

(^2)  Voyez  les  pages  consacrées  à  Messisbugo  et  à  son  ouvrage  dans  le  ch.  v  du 
liv.  IV,  chapitre  relatif  aux  livres  publiés  à  Ferrare  avec  des  gravures  sur  bois. 

(3)  Le  fameux  médecin  Antonio  Musa  Brasavola  fit  partie  de  la  suite  d'Her- 
cule 11.  —  Hercule  11  retourna  à  Rome  en  1550,  à  l'avènement  de  Jules  111,  et 
en  1555,  à  l'avènement  de  Marcel  II;  mais  Marcel  II  étant  mort  avant  qu'il  eût 
pu  lui  rendre  hommage,  il  attendit  la  nomination  de  son  successeur,  qui  fut 
Paul  IV,  de  la  maison  Caraffa  (1555). 


LIVRE   PREMIER.  177 

accord,  les  princes  d'Esté,  reconnus  maîtres  du  duché  de  Fer- 
rare  et  de  ses  dépendances  sous  la  suzeraineté  du  Saint-Siège, 
devaient  payer  une  redevance  annuelle  de  sept  mille  ducats 
d'or  et  recevoir  chaque  année  de  la  Chambre  apostolique,  à 
un  prix  déterminé,  vingt  mille  sacs  de  sel.  En  outre,  Her- 
cule II  s'engageait  à  verser  une  somme  de  cent  quatre-vingt 
mille  ducats  pour  les  dommages  causés  et  les  condamnations 
encourues. 

Les  difficultés  avec  la  cour  de  Rome  ne  furent  pas  les  prin- 
cipaux soucis  du  fils  d'Alphonse  I".  Ses  relations  avec  les  sou- 
verains étrangers  présentaient  plus  de  périls  encore.  Instruit 
par  les  malheurs  de  son  père  et  de  son  grand-père,  il  mit  tous 
ses  soins  à  garder  la  neutralité  entre  Charles-Quint  et  Fran- 
çois I",  quand  ces  deux  rivaux  se  disputèrent  de  nouveau  le 
Milanais.  Feudataire  du  premier,  beau-frère  du  second  par  sa 
femme  Renée,  il  avait  intérêt  à  ménager  l'un  et  l'autre.  Ses 
frères  Hippolyte  II,  archevêque  de  Milan,  et  François  l'aidèrent 
à  équilibrer  ses  témoignages  de  bienveillance.  Tandis  qu'Hip- 
polyte  se  rendait  en  France,  où  le  Roi  lui  accorda  l'archevêché 
de  Lyon,  François  alla  commander  un  corps  de  cavalerie  dans 
l'armée  impériale  (1536),  et,  un  peu  plus  tard,  suivit  à  Nice 
et  en  Espagne  Charles-Quint  lui-même,  à  l'intervention  de  qui 
il  dut  d'épouser  la  fille  de  Cardona,  marquis  délia  Paluda. 
En  1541,  quand  l'Empereur  se  dirigea  vers  Alger  pour  châtier 
les  corsaires  qui  infestaient  la  Méditerranée,  le  duc  de  Ferrare 
lui  rendit  hommage  à  Peschiera  et  l'accompagna  dans  son 
entrée  solennelle  à  Lucques,  où,  à  la  table  de  Sa  Majesté,  il 
fut  admis  à  l'honneur,  réservé  aux  plus  grands  princes,  de  lui 
présenter  sa  serviette.  Après  l'avènement  de  Henri  II,  il  eut  la 
sagesse  de  se  refuser  à  s'unir  contre  Charles-Quint  au  roi  de 
France  son  neveu  et  au  pape  Paul  III  son  suzerain,  mais  il 
accorda  la  main  de  sa  fille  Anna  à  François  de  Lorraine,  duc 
de  Guise  (1548)  (1).  Malgré  ses  aspirations  pacifiques,  un  temps 

(1)  Anna  était  née  le  16  novembre  1531.  Après  l'assassinat  du  duc  de  Guise, 
un  second  mariage  unit  la  fille  aînée  d'Hercule  II  et  de  Renée  de  France  à  Jacques 
de  Savoie,  duc  de  témoins. 

I-  12 


178  L'APvT    FERRARAIS. 

vint  pourtant  où  il  ne  put  persévérer  dans  la  neutralité  qu'il 
avait  observée  avec  tant  de  constance.  Pressé  par  les  sollicita- 
tions du  duc  de  Guise,  intimidé  par  les  menaces  de  Paul  lY, 
et  se  rappelant  combien  le  ressentiment  de  Jules  II,  de  Léon  X 
et  de  Clément  VII  avait  été  funeste  à  sa  famille,  il  entra  dans 
une  ligue  contre  Philippe  II,  que  soutenaient  le  duc  Côme  de 
Médicis  et  Ottavio  Farnese  de  Parme,  et  il  fut  nommé  non 
seulement  capitaine  général  de  la  ligue,  mais  lieutenant  général 
du  Roi  en  Italie  (1557).  Toutefois,  il  se  fit  autorisera  n'opérer 
qu'en  Lombardie,  afin  d'être  à  même  de  protéger  au  besoin 
ses  propres  Etats.  La  guerre  qui  s'engagea  ne  fut  pas  de  longue 
durée.  Peu  s'en  fallut  cependant  qu'elle  ne  coûtât  cher  au  duc, 
car  il  se  trouva  bientôt  seul  en  butte  aux  coups  des  troupes 
espagnoles,  florentines  et  parmesanes,  les  Français  ayant  été 
forcés  de  quitter  l'Italie  par  une  diversion  des  Espagnols  et  des 
Anglais  dans  les  Pays-Bas,  et  le  Pape,  qui  désespérait  d'arracher 
à  Philippe  II  le  royaume  de  Naples,  ayant  conclu  la  paix  sans 
faire  mention  du  duc  de  Ferrare.  Mais  les  Vénitiens  et  même 
Côme  de  Médicis  ne  tardèrent  pas  à  intervenir  comme  média- 
teurs, et  Philippe  II,  désireux  de  concentrer  toutes  ses  forces 
dans  les  Flandres,  accepta  un  accord  dont  chacun  sentait  le 
besoin  (1558).  Le  mariage  d'Alphonse,  fils  aîné  d'Hercule  II, 
avec  Anna,  fille  du  grand-duc  de  Toscane,  cimenta  la  reprise 
des  bonnes  relations  entre  les  Ferrarais  et  les  Florentins. 

Malgré  la  guerre  dont  il  vient  d'être  question,  on  peut  dire 
que  le  règne  d'Hercule  II  fut  en  somme  une  période  de  paix  : 
il  procura  un  long  repos  à  la  population  de  Ferrare  et  ne  le 
céda  pas  en  éclat  aux  règnes  précédents.  Fidèle  aux  traditions 
de  sa  famille,  le  duc  se  plut  à  donner  une  hospitalité  fastueuse 
aux  personnages  qui  honorèrent  sa  capitale  de  leur  présence. 
Sur  son  invitation,  le  pape  Paul  III  y  demeura  quelques  jours 
avant  de  se  rendre  à  Busseto,  où  il  devait  avoir  une  entrevue 
avec  Charles-Quint  (1).   Un  bucentaure  magnifique,  accom- 

(1)  En  s'arrètant  à  Ferrare,  Faul  111  se  pioposait  de  demander  au  duc  un  prêt 
de  50,000  ccus  d'or  et  la  main  de  la  jeune  Anna  d'Esté  pour  son  neveu  Orazio 
Farnèse.  Sans  opposer  un  refus  formel  à  cette  dernière  demande,  Hercule  invoqua, 


LIVRE   PREMIER.  1T9 

pagné  de  nombreuses  barques,  le  conduisit  de  Brescello  à 
Bondeno,  où  l'attendaient  un  carrosse  et  soixante  voitures.  Le 
Pontife  arriva  le  21  avril  1543  dans  l'île  du  Belvédère;  il  y 
passa  la  nuit,  et  le  lendemain,  au  bruit  des  détonations  de  l'ar- 
tillerie, il  fit  son  entrée  à  Ferrare  avec  une  suite  de  trois  mille 
personnes,  parmi  lesquelles  se  trouvaient  une  vingtaine  de  car- 
dinaux, quarante  évéques  et  un  nombre  imposant  d'ambas- 
sadeurs. Devant  la  porte  de  Saint-Georges,  Alphonse,  fils  du 
duc,  lui  présenta  les  clefs  de  la  ville  dans  un  bassin  d'or,  lui 
baisa  les  pieds  et  le  harangua,  après  quoi  le  Pape  bénit  le 
prince  et  le  baisa  au  front.  Porté  sur  un  siège  resplendissant, 
à  l'abri  d'un  baldaquin,  précédé  par  Hercule  II  à  cheval  et 
suivi  d'une  foule  de  gentilshommes,  Paul  III  parcourut  les 
principales  rues  de  la  ville  (1),  s'avança  sous  cinq  arcs  de 
triomphe  et  fut  conduit  dans  la  cathédrale,  que  décoraient  les 
fameuses  tapisseries  ducales  dont  Giovanni  Rost  était  en  partie 
l'auteur  (2).  Un  discours  de  Girolamo  Falletti  montra  que 
1  éloquence  florissait  toujours  à  la  cour  de  Ferrare.  Le  Pape 
fut  logé  dans  le  Castello,  tandis  que  sa  suite  était  hébergée  aux 
frais  du  duc  chez  les  simples  particuliers.  Une  promenade  à 
travers  la  ville  servit  de  distraction  le  second  jour  :  le  cortège 
se  composait  de  la  duchesse  et  de  soixante -douze  dames 
montées  sur  des  haquenées,  d'autres  dames  de  distinction  qui 
avaient  pris  place  dans  vingt-deux  carrosses,  d'Hercule  II  et 
de  ses  courtisans  à  cheval.  Le  24  avril,  jour  de  saint  Georges, 
Paul  III,  à  l'issue  de  la  messe,  célébrée  pontificalementpar  lui 
dans  la  cathédrale,  remit  au  duc  la  rose  d'or,  une  riche  épée 
et  un  chapeau.  Un  tournoi  occupa  le  milieu  de  la  journée,  et, 
après  le  dîner,  les  enfants  du  souverain  récitèrent  en  latin  les 


pour  différer  sa  décision,  l'âge  de  sa  fille,  <|ui  avait  à  peine  douze  ans.  Anna,  nous 
l'avons  déjà  dit,  épousa  en  premières  noces  François,  duc  de  Lorraine  ;  en  secondes 
noces  Jacques  de  Savoie,  duc  de  Nemours. 

(1)  Titien  assista  à  l'entrée  de  Paul  III.  «  Sur  la  place,  écrit  Agostino  Mosti, 
nous  trouvâmes  une  foule  immense...;  je  reconnus  un  grand  nombre  de  Véni- 
tiens, non  seulement  niessire  Titien,  mais  beaucouj)  d'autres.  "  (L.-JN.  Cittadella, 
Notizie  relative  a  Ferrara,  t.  I,  p.  599.) 

(2)  Quatre  d'entre  elles  avaient  coûté  soixante  mille  écus  d'or. 


180  L'ART    FERRARAIS. 

Adclphes  de  Térence  :  Lucrezia,qui  n'avait  que  huit  ans,  débita 
le  prologue,  Leonora  se  chargea  d'un  rôle  déjeune  fille,  Anna 
et  Alphonse  représentèrent  des  amoureux,  et  Louis  joua  le 
rôle  d'un  esclave.  Le  quatrième  jour,  Paul  III  conféra  le  titre 
de  protonotaire  à  Andréa  Alciato,  nommé  depuis  peu  profes- 
seur à  l'Université  de  Ferrare,  donna  à  la  duchesse  un  diamant 
et  une  fleur  en  diamant,  et  repartit  pour  Bologne  (1). 

En  1548,  ce  lut  le  roi  de  Tunis  Muleasse  qui  fut,  de  la  part 
des  princes  d'Esté,  l'objet  de  délicates  attentions.  Détrôné  par 
le  roi  d'Alger,  rétabli  par  Charles-Quint,  et  détrôné  de  nouveau 
par  son  propre  fils  qui  l'avait  privé  de  la  vue,  il  allait  implorer 
encore  une  fois  l'Empereur.  Il  était  accompagné  de  trente 
personnes  à  cheval  et  de  quatre  interprètes.  Hercule  II  se 
trouvait  à  Modène  quand  il  arriva  à  Ferrare,  mais  Alphonse, 


(1)  On  peut  trouver  dans  les  lettres  cl' rl^o^fùjo  JMosli,  élève  de  l'Aiioste,  des 
détails  sur  les  fêtes  organisées  à  Ferrare  lors  de  la  venue  de  Paul  III.  Filippo 
Rodi  en  a  donné  une  description  que  M.  Patrizio  Antoloni,  d'Argenta,  a  eu  la 
bonne  idée  de  faire  réimprimer,  en  1892,  avec  des  notes  intéressantes,  à  l'occasion 
des  noces  de  Mlle  Leonilde  Serrao  avec  M.  Giov.  Battista  Rizzani. 

Plusieurs  Ferrarais  furent  en  grande  faveur  auprès  de  Paul  III.  lient,  en  effet, 
pour  premier  médecin  Giacomo  Bonacossi,  qui  mourut  à  Rome  et  fut  enseveli  ;i 
San  Pietro  in  Montorio,  où  Giambatisla  Bonaccossi,  un  des  chanceliers  du  duc 
Hercule,  fit  placer  une  inscription  sépulcrale  en  son  honneur.  Le  même  pape  prit 
à  son  service  Jacobo  Meleqhini,  qu  il  admit  dans  son  intimité.  Il  le  nomma  gar- 
dien des  antiquités  rassemblées  dans  le  palais  du  Vatican,  et  architecte  des  édi- 
fices pontificaux  et  des  fortifications  du  Borgo.  Meleghini  composait  des  vers  à  ses 
moments  perdus  :  le  Pape  lui  fit  relire  trois  fois  une  de  ses  élégies.  Antonio  (in 
Sangallo,  à  (pii  Meleghini  fut  associé  dans  la  direction  des  travaux  du  Vatican, 
le  traitait  d'ignorant  et  prétendait  qu'il  n'avait  pas  de  jugement.  Vasari  (t.  V, 
p.  471,  et  t.  VII,  p.  106)  n'est  pas  moins  sévère.  Meleghini  cependant  ne  devait 
pas  être  sans  mérite  :  il  semble  avoir  eu  de  bons  rapports  avec  Michel-Ange,  à  qui 
il  procura  de  l'outremer,  apporté  de  Ferrare,  pour  les  peintures  de  la  chapelle 
Pauline  (1545  et  1546);  il  fut,  avec  Serlio,  l'héritier  des  dessins  de  Balthazar 
Peruzzi  ;  Vignole  l'estima  beaucoup;  Promis  le  regarde  comme  un  bon  archi- 
tecte et  un  excellent  ingénieur  militaire.  Etant  tombé  malade  en  1545,  il  reçut 
du  Souverain  Pontife  un  secours  de  cinquante-cinq  écns.  Un  peu  plus  tard,  Paul  III 
le  fit  châtelain  de  la  Rocchctta  di  Parma,  qu'il  céda  en  1547  à  Pierre-Louis  Far- 
nese,  duc  de  Parme  et  de  Plaisance.  Il  avait  épousé  Anjjela  Leonarda,  fille  du 
lettré  Fino  Fini  d'Ariano,  et  fit  son  testament  le  16  novembre  1.549,  «  corpore 
languens  »  ,  sis  jours  après  la  mort  de  Paul  III.  Peut-être  le  suivit-il  bientôt  dans 
la  tombe.  En  1553,  il  n'existait  plus.  Il  avait  exprimé  le  désir  d'être  enseveli  à 
Saint-Onofrio.  (L.-IN.  Cittadella,  Notizie  relative  a  Ferrara,  t.  I,  p.  197,  541,  et 
t.  II,  p.  270-276.  —  A.  Bkrtolotïi,  Artisli  holognesi,  fcrraresi  ed  alcuni  altri 
n cl  (fia  stnto  ponlificio  in  Jiotna.  1885,  p.  25.) 


LIVRE   PREMIER.  181 

fils  du  duc,  l'accueillit  avec  tous  les  égards  dus  au  malheur. 
En  revenant  d'Allemagne,  le  roi  de  Tunis  repassa  par  Ferrare. 
Hercule  II  était  de  retour.  Il  logea  Muleasse  dans  le  palais  du 
comte  Paolo  Costabili,  essaya  de  lui  faire  rendre  la  vue  par 
un  médecin  de  grande  réputation,  et  lui  fournit  un  navire  pour 
regagner  la  Sicile,  après  lui  avoir  donné  six  cents  écus. 

Parmi  les  hôtes  de  distinction  qui  parurent  à  la  cour  d'Her- 
cule II,  il  ne  faut  pas  oublier  Vittoria  Colonna,  marquise  de 
Pescaire  (1).  En  se  rendante  Venise,  oùelledevait  s'embarquer 
pour  entreprendre  un  pèlerinage  aux  Lieux  saints,  la  veuve  de 
Ferdinand-François  d'Avalos  s'arrêta  à  Ferrare  (8  avril  1537). 
L'accueil  qu'elle  y  reçut  et  la  vie  qu'elle  y  mena  la  décidèrent  à 
abandonner  ses  projets,  et  elle  resta  environ  un  an  auprès  d'Her- 
cule II  et  de  la  duchesse  Renée.  C'est  dans  le  palais  Mosti 
qu'elle  habita.  Venue  dans  le  plus  modeste  équipage,  elle  fut 
servie  par  les  officiers  de  la  maison  du  souverain.  Son  temps 
se  partagea  entre  les  pratiques  de  la  dévotion  et  les  fêtes  qui 
eurent  lieu  dans  le  Castello.  Afin  de  lui  faire  honneur,  on 
invita  les  personnages  les  plus  distingués  du  Milanais  et  de  la 
Vénétie  :  les  poètes  Luigi  Allemanni  et  Trissino  furent  de  ceux 
qui  vinrent  lui  présenter  leurs  hommages.  Pendant  qu'elle 
était  encore  à  Ferrare,  Renée,  déjà  mère  d'Anne,  d'Alphonse 
et  de  Lucrèce,  mit  au  monde,  le  19  juin  1537,  Éléonore,  la 
future  protectrice  du  Tasse,  et  Vittoria  Colonna  en  fut  la  mar- 
raine. Une  lettre  qu'elle  écrivit  au  cardinal  de  Mantoue  montre 
combien  son  séjour  dans  la  capitale  des  princes  d'Esté  lui  fut 
agréable.  "  Grâce  à  Dieu,  je  me  trouve  à  Ferrare  en  grande 
paix  et  consolation,  Son  Excellence  le  duc  et  tous  les  siens  me 
laissant  toute  liberté  pour  les  œuvres  de  charité,  qui  satisfont 
bien  autrement  le  cœur  que  les  plaisirs  si  mêlés  de  la  conver- 
sation. Plaise  à  la  bonté  divine  que  toutes  mes  pensées  se  rap- 
portent non  h  moi,  mais  au  Christ.  >'  Ses  préoccupations  reli- 
gieuses ne  l'empêchaient  pas  de  faire  bonne  figure  à  la  cour. 

(1)  Jules  HoNNKT,  Vittoria  Colonna  à  la  cour  de  Ferrare  (i537-1538\  clans  le 
Bulletin  historique  et  littéraire  de  la  Société  de  riiisloirc  du  protestantisme  fran- 
çais, année  1881,  p.  207-219. 


182  L'ART   FERRARAIS. 

Peu  avant  son  départ,  elle  assista  à  une  fête  des  plus  brillantes, 
donnée  en  son  honneur,  et  elle  voulut  bien  réciter  cinq  de  ses 
sonnets.  Elle  ne  partit  qu'à  la  fin  de  février  1538,  et,  quelque 
temps  après,  elle  écrivit  à  Hercule  II  :  "  Que  Dieu  m'accorde 
de  retourner  dans  votre  douce  cité  de  Ferrare,  auprès  de  Votre 
Excellence  et  de  tant  de  chères  amies...,  auprès  de  Madame 
la  duchesse  et  de  ses  divins  enfants.  Puisse,  en  ces  fêtes  de 
Norl,  Votre  Altesse  renaître  avec  le  Christ,  dont  j'invoque  la 
protection  pour  toute  Sa  famille.  " 

Le  goût  de  la  magnificence,  inné  chez  les  princes  de  la  mai- 
son d'Esté,  n'avait  fait  que  s'accroître  à  la  cour  de  Ferrare 
depuis  le  règne  de  Borso,  à  mesure  que  les  progrès  de  la  civi- 
lisation augmentaient  les  moyens  de  le  satisfaire.  Hercule  II  à 
son  tour  se  glorifia  de  déployer  un  luxe  qui  attestait  sa  puis- 
sance. Ce  n'était  pas  seulement  dans  ses  États  qu'il  aimait  à  en 
faire  parade.  En  1537,  il  alla  passer  une  partie  du  carnaval  à 
Venise  dans  le  beau  palais  qu'il  possédait  sur  le  Grand  Canal, 
et  il  emmena  avec  lui  une  suite  dehuit  cents  personnes.  Douze 
ans  plus  tard  (1549),  quand  il  se  rendit  à  Mantoue  pour  pré- 
senter ses  hommages  à  Philippe  d'Autriche,  fils  de  l'Empereur, 
il  emporta  ses  magnifiques  tapisseries,  afin  d'en  orner  les 
chambres  où  il  devait  loger;  quatre-vingts  gentilshommes 
l'accompagnèrent;  l'orchestre  de  la  cour  l'avait  suivi,  et  il  tint 
à  honneur  de  donner  à  Philippe  quatre  chevaux  de  choix,  la 
gloire  de  ses  écuries. 

Les  intérêts  du  peuple  et  les  détails  d'une  sage  administra- 
tion tinrent  également  place  dans  les  préoccupations  du  duc. 
La  via  délia  Giovecca,  une  des  principales  rues  de  Ferrare,  fut 
cailloutée  pour  la  première  fois  (1546),  ce  qui  permit  d'y 
maintenir  la  propreté  et  de  la  border  d'élégantes  constructions. 
Un  canal  creusé  entre  la  ville  de  Cento  et  le  Pô  près  de  Bon- 
deno  ouvrit  une  nouvelle  voie  au  commerce.  La  suppression  de 
l'impunité  accordée  jusqu'alors  aux  combats  singuliers  et  aux 
vengeances  privées,  la  défense  faite  aux  enfants  de  se  former 
en  troupes  afin  de  s'attaquer  avec  des  bâtons  et  des  couteaux, 
la  fermeture  du  Praisolo,  lieu  concédé  par  Alphonse  P%  non 


LIVRE   PREMIER.  183 

loin  de  l'église  du  Corpus  Domini,  à  tous  ceux  qui  voulaient  se 
battre,  mirent  fin  à  des  coutumes  barbares.  Une  autre  mesure 
non  moins  sage  fut  celle  qui  eut  pour  but  de  rétablir  le  respect  dû 
aux  églises,  où  l'on  avait  pris  l'habitude  de  se  réunir,  comme  dans 
des  cercles,  pour  stipuler  des  contrats  et  pour  conclure  des  mar- 
chés, en  sorte  que  les  fidèles  ne  pouvaient  ni  entendre  les  chants 
religieux,  ni  assister  avec  recueillement  aux  cérémonies  sacrées . 

Plusieurs  asiles  fondés  à  cette  époque  procurèrent  un  allége- 
ment à  divers  genres  d'infortune.  Les  femmes  de  mauvaise  vie 
qui  voulurent  bien  se  convertir  trouvèrent  un  refuge  dans  une 
maison,  organisée  en  1537,  où  la  règle  de  Saint-François  leur 
imposa  les  pratiques  d'une  piété  réparatrice.  Un  orphelinat 
s'ouvrit  pour  les  jeunes  filles  pauvres  en  1544  avec  le  concours 
pécuniaire  du  duc.  En  155  4,  Hercule  II  créa  un  autre  établis- 
sement, sous  le  patronage  de  sainte  Agnès,  pour  les  orphelins 
ayant  de  trois  à  sept  ans,  et  en  1558  il  assura  le  sort  des  gar- 
çons plus  âgés  qui  avaient  perdu  leur  père  et  leur  mère,  en 
instituant  l'hospice  des  orphelins  de  la  Miséricorde. 

Sous  le  même  règne  deux  Ordres  nouveaux  furent  introduits 
à  Ferrare.  Recommandé  au  duc  par  Vittoria  Colonna,  le 
célèbre  Ochino,  encore  orthodoxe,  installa  les  Capucins  dans 
le  faubourg  de  la  Miséricorde.  Le  second  Ordre  implanté  à 
Ferrare  fut  celui  des  Jésuites. 

Catholique  sincère,  Hercule  resta  attaché  toute  sa  vie  aux 
pratiques  de  sa  religion  (1).  Malheureusement  sa  foi  ne  servit 
pas  toujours  de  règle  à  ses  mœurs,  et,  s'il  n'afficha  pas  le 
désordre,  il  ne  s'imposa  pas  une  constante  fidélité  à  sa  femme. 
Par  égard  pour  le  Pape  son  suzerain,  comme  par  conviction 
personnelle,  il  se  montra  très  zélé  pour  le  maintien  de  l'or- 
thodoxie parmi  ses  sujets.  Mais  il  rencontra  chez  la  duchesse 
Renée  une  opposition  qui  contribua  beaucoup  à  la  froideur  de 
ses  rapports  avec  elle  (2). 

(1)  MuRATORi,  Antich'itu  Estensi,  parte  seconda,  p.  387. 

(2)  M.  Jules  Bonnet  a  publié  une  série  d'intéressants  articles  sur  Renée  de 
France.  Voyez  la  Revue  chrélienne,  année  1875  (C7/i  mariage  sous  François  P'', 
p.  292-306  et  359-375),  année  1885  (Hercule  II  duc  de  Ferrare,  les  débuts  d'un 


184  L'ART    FERRARAIS. 

Élevée  j)ar  Michelle  de  Saubonne,  clame  de  Soubise,  qui 
était  imbue  des  principes  de  la  Réforme,  Renée,  dont  Margue- 
rite de  Navarre,  sœur  de  François  I",  dirigea  aussi  l'éducation, 
avait  étudié  avec  ardeur  non  seulement  Ibistoire,  les  lettres, 
les  mathématiques,  la  philosophie  et  Tastrologie  (1),  mais  la 
théologie  et  les  écrits  des  novateurs.  L'animosité  de  Jules  II,  de 
Léon  X  et  de  Clément  VII  contre  son  beau-père  ne  contribua 
pas  peu  non  plus  à  la  pousser  vers  les  doctrines  qui  tendaient 
à  méconnaître  complètement  1  autorité  du  Saint-Siège.  Pen- 
dant toute  la  durée  du  règne  d'Alphonse  I",  elle  put  en  liberté 
suivre  ses  aspirations.  Son  beau-père  avait  pour  elle  une 
grande  estime  et  une  réelle  affection.  Celio  Calcagnini,  Lilio 
Gregorio  Giraldi,  Rartolommeo  Riccio ,  Marcello  Palmgenio 
Stellato,  Marcantonio  Flaminio  firent  partie  de  son  entourage, 
et  elle  eut  pour  secrétaire ,  de  1528  à  1531,  Bernardo  Tasso. 
Après  la  mort  d'Alphonse  P'  (1564),  elle  ne  tarda  pas  à  deve- 
nir suspecte  à  son  mari.  En  1535,  elle  donna  asile  à  Clément 
Marot,  qui  s'était  enfui  de  France  afin  d'échapper  aux  persé- 
cutions religieuses,  et  elle  se  l'attacha  comme  secrétaire  en 
lui  accordant  deux  cents  lire  de  gages.  Peu  après,  Calvin,  sous 
le  pseudonvme  d'Heppeville,  la  vint  trouver  à  son  tour  (2), 

règne^  1534-1535),  année  1886  {La  cour  de  Fcrrare  en  15.38).  —  Voyez  aussi  le 
Bulletin  de  la  Société  de  Vliistoire  du  protestantisme  français,  année  1866  [Jeu- 
nesse de  Renée  de  France,  p.  65-77,  175-185,  et  Quatre  lettres  inédites  de  Mar- 
guerite de  NavarrCy  sœur  de  François  I^',  à  Renée  de  France  duchesse  de  Fer- 
rare,  1529,  1535,  1536,  p.  125),  année  1872  [Clément  Marot  à  la  cour  de  Fer- 
rare,  1535-1536),  année  1877  [Une  mission  d'Antoine  de  Pons  à  la  cour  de 
France,  1539),  année  1878  [Renée  de  France  à  Venise,  mai  1534,  et  Retour  de  la 
duchesse  de  Ferrare  en  France,  septembre-octobre  1560),  année  1880  [Disgrâce 
de  M.  et  Mme  de  Pons,  1544-J545),  année  1881  [Vittoria  Colonna  a  la  cour  de 
Ferrare,  1537-1538'!,  année  1883  [Mme  de  la  Roche,  dame  d'honneur  de  la 
duchesse  de  Ferrare,  1545-1546),  année  1885  [Clément  Marot  à  Venise  et  Calvin 
à  Ferrare,  avril  1536),  année  1888  [Marguerite  d'Angoulême,  reine  de  Navarre, 
et  Renée  de  France,  1535-1536),  année  1892  [Calvin  à  Ferrare,  1535-1536).  — 
V^oyez  aussi  Fontaxa  (Rart.),  Renata  di  Francia  duchessa  di  Ferrara  (1537- 
1560);  Roma,  tip.  Forzani,  1893,  in-S",  avec  portrait,  —  et  RoDOCANACni.  Renée 
Ferrare;  Paris,  1895. 

(1)  L'astrologie  lui  avait  été  enseignée  par  le  iS'apolitain  Luca  Gaurico,  profes- 
seur à  l'Université  de  Ferrare.  C'est  ce  personnage  qui,  ayant  prédit  à  Jean  II 
Rentivoglio  la  perte  de  Rologne,  eut  à  subir  publiquement  trois  traits  de  corde, 
qu'il  n'avait  pas  prévus.   (Frizzi,  Mem.  per  la  storia   di  Ferrara,  t.  IV,  p.  329.) 

(2)  On  croit  qu'il  logea  dans  le  palais  contigu  au  Castello.  M.  Sandonnini  sup- 


LIVRE   PREMIER.  185 

pendant  que  le  duc  conférait  à  Rome  avec  le  Pape,  puis  à 
Naples  avec  Gharles-Quint  (1).  Ni  Marot,  ni  Calvin,  ne  restèrent 
longtemps  à  Ferrare.  On  a  raconté  que  Calvin  fut  découvert 
après  le  retour  d'Hercule  II,  arrêté  et  dirigé  sur  Bologne  pour 
être  livré  au  légat;  mais  qu'une  troupe  de  gens  armés,  proba- 
blement envoyée  par  la  duchesse,  le  délivra  en  route,  et  qu'il 
put  se  retirer  à  Aoste,  d'où  il  gagna  Genève,  ville  dans  laquelle 
il  se  trouvait  certainement  pendant  l'été  de  1536.  Suivant  une 
supposition  de  M.  Jules  Bonnet,  cette  aventure  serait  arrivée 
non  à  Calvin,  mais  à  Marot.  M.  Ernesto  Masi  (2)  et  M.  Jules 
Bonnet  pensent,  avec  raison  selon  nous,  que  Calvin  s'éloigna 
de  lui-même,  d'après  les  conseils  de  Renée,  soit  à  la  nouvelle 
du  retour  d'Hercule  II,  soit  par  crainte  de  l'Inquisition.  C'est 
aussi  l'avis  de  M.  Sandonnini.  Selon  M.  Sandonnini,  Calvin 
dut  partir  en  1535,  avant  que  les  rigueurs  de  la  saison  pus- 
sent rendre  son  voyage  difficile,  et  sans  qu'il  eût  été  l'objet 
d'aucune  mesure  violente.  Quant  à  Clément  IMarot ,  il  se 
réfugia  à  Venise  (mai  ou  juin  1536),  et  il  échappa  ainsi 
tt  au  procès  d'hérésie  dans  lequel  étaient  impliqués  deux 
autres  serviteurs  de  la  duchesse,  le  chanteur  Jehannet  et  le 
trésorier  La  Planche  Cornillan,  qui  endurèrent  une  captivité 
de  plusieurs  mois  avant  d'être  expulsés  de  Ferrare  (3)  »  . 
En  1536,  les  causes  de  mésintelligence  entre  Renée  et  Her- 
cule II  se  multiplièrent.  Le  duc  ne  supportait  qu'avec  peine 
l'entourage  français  de  sa  femme.  Il  détestait  en  particu- 
lier Mme  de  Soubise,  venue  à  Ferrare  avec    Renée,    et   lui 

pose  que  si  Calvin  passa  en  Italie  et  se  rendit  à  Ferrare,  ce  fut  seulement  pour 
dérouter  par  son  absence  l'opinion  publique  sur  le  nom  de  l'auteur  de  la  Chris- 
tiaiiœ  religionis  institutio,  ouvrage  qu'il  venait  de  publier  sous  le  voile  de  l'ano- 
nyme (l'édition  qui  porte  son  nom  parut  eu  1536\  et  pour  saluer  la  duchesse  de 
Ferrare,  la  protéjjée  et  l'amie  de  Marjjuerite  de  Navarre.  Il  arriva  probablement 
en  Italie  par  Goire  et  Chiavenna,  puisqu'il  était  parti  de  Bàle.  i^Tommaso  Sas- 
DONXiNi,  Delhi  venuta  di  Calviuo  in  Italia  e  cli  alcuni  documenti  relativi  a  Benata 
di  Francia,  dans  la  Rivista  slorica  italiana,  année  IV,  fasc.  III,  1887,  juillet- 
septembre,  p.  531-561  ;  Ancora  del  soc/giorno  di  Calvino  a  Ferrara,  dans  la 
Rassegna  Emiliana  d'octobre  1888,  année  I,  fasc.  VI.) 

(1)  Parti  en  noveudjre  1535,  le  duc  revint  le  25  janvier  1536. 

(2)  I  Burlamacchi  e  Renata  d'Esté;  1876,  p.  168. 

(3)  Jules  Bonnet. 


186  L'ART   FERRARAIS. 

attribuait,  non  sans  motifs,  une  fâcheuse  influence  sur  l'esprit 
de  celle-ci  (1).  Le  20  mars  1536,  il  la  renvoya  en  France  (2). 
Après  s'être  opposé  à  ce  que  la  duchesse  se  rendit  à  Lyon  où 
se  trouvait  la  cour  de  France  à  la  fin  de  1535,  il  refusa  en 
1536  de  la  laisser  assister  au  mariage  de  Madeleine,  la  troisième 
des  filles  de  François  I",  avec  Jacques  Stuart,  roi  d'Ecosse.  Il 
craignait  que  la  présence  de  sa  femme  en  France  ne  froissât 
Charles-Quint,  dont  le  mécontentement  était  à  redouter.  Les 
divergences  politiques  aggravèrent  une  situation  déjà  tendue. 
Hercule  était  d'ailleurs  impérieux,  jaloux  de  son  autorité,  sus- 
ceptible et  défiant.  Il  n'ignorait  pas  que  Renée,  dans  le  palais 
qu'elle  habitait  auprès  de  l'église  de  Saint-François,  s'entou- 
rait de  gens  suspects  au  point  de  vue  religieux  (3).  Il  en  exila 
et  en  incarcéra  quelques-uns.  Enfin,  il  alla  jusqu'à  reléguer 
leur  protectrice  dans  le  palais  d'Esté  à  Consandolo.  Comme 
elle  ne  changeait  rien  à  ses  agissements,  il  la  fit  enlever 
dans  la  nuit  du  6  au  7  septembre  1554  et  lui  assigna  pour 
demeure,  dans  l'ancien  palais  d'Esté  à  Ferrare,  les  chambres 
dites  del  Cavallo,  situées  non  loin  de  la  statue  équestre  de 
Nicolas  III ,  ne  laissant  à  son  service  que  deux  femmes  et 
un  homme,  et  la  séparant  de  ses  deux  filles  Lucrezia  et  Leo- 

(1)  Mme  (le  Soubisc,  dit  M.  Sandonnini,  souffla  la  discorde  entre  le  duc  et  la 
duchesse. 

(2)  Renée  garda  du  moins  auprès  d'elle  Charlotte,  Renée  et  Anne,  les  trois 
filles  de  Mme  de  Soubise.  Anne  avait  épousé  Antoine  de  Pons,  qui  fut  chevalier 
d'honneur  de  la  duchesse  de  Ferrare,  tout  en  restant  gentilhonime  de  la  chambre 
du  roi  de  France.  La  disgrâce  de  M.  et  Mme  de  i'ons  arriva  à  son  tour  en  1545. 
On  les  avait  accusés  d'avoir  dit  (|ue  le  duc  était  plus  gai  que  d'oidinaire  quand  sa 
femme  était  malade,  et  ils  avaient  été  cités  devant  le  Conseil  de  Justice  pour  qu'ils 
eussent  à  se  disculper;  mais  ils  ne  se  présentèrent  pas  et  furent  Jjannis  de  Fer- 
rare. M.  Jules  Ronnet  a  raconte  tous  les  détails  de  cette  affaire. 

(3)  D'après  le  conseil  de  Cclio  Calcagnini,  elle  donna  connue  compagne 
d'étude  à  sa  fille  Anna,  Olympia  Morata,  qui  embrassa  avec  ardeur  les  doctrines 
de  la  réformation.  Très  versée  dans  les  lettres,  dans  la  philosophie,  dans  la 
musique,  Olympia  (née  en  1526  ou  1527,  morte  en  1555)  prononça  des  haran- 
gues et  récita  tles  poésies  en  latin  et  en  grec.  Elle  fut  célébrée  par  Celio  Calca- 
gnini, Lilio  Gregorio  Giraldi  et  Gaspare  Sardi.  Chassée  de  la  cour  en  1548,  elle 
épousa  en  1550  ou  1551  un  jeune  protestant  allemand,  André  Grundler,  (pii 
étudiait  la  médecine  à  l'Université  de  Ferrare  et  qui  l'emmena  en  Franconie,  à 
Schweinfurt,  sa  patrie.  Après  avoir  subi  de  cruelles  épreuves,  elle  mourut  à  Ilei- 
delberg.  (Jules  Bonnet,  Vie  (FOlympia  Morata,  Z"  édit.  in~8".  Paris,  1856.) 


LIVRE    PREMIER.  187 

nora  (1),  qui  furent  confiées  aux  religieuses  du  monastère  du 
Corpus  Domini  (2).  Prête  à  tout  pour  recouvrer  sa  liberté  et 
pouvoir  satisfaire  son  amour  maternel ,  Renée  feignit  de  se 
convertir  et  fut  réintégrée  dans  son  palais  de  Saint-François, 
où,  quoique  en  correspondance  avec  Calvin,  elle  ne  fut  plus 
inquiétée. 

Si  Hercule  II  ne  parvint  pas  à  supprimer  les  dissidences 
religieuses  qui  existaient  entre  lui  et  sa  femme,  il  réussit,  du 
moins,  à  empêcher  les  principes  du  protestantisme  de  prendre 
racine  dans  l'âme  de  ses  sujets. 

Ce  qui  n'était  pas  en  sa  puissance,  c'était  de  prévenir  les 
attentats  contre  sa  personne  et  contre  la  sûreté  de  l'État.  Un 
noble  vénitien,  Paolo  Manfrone,  ayant  vu  sa  sœur  Angela, 
veuve  du  comte  Rinaldo  Gostabili,  épouser  en  secondes  noces, 
grâce  à  l'intervention  et  aux  instances  du  duc,  un  gentilhomme 
nommé  Rinaldo  Comini,  soupçonna  chez  le  prince  une  arrière- 
pensée  d'intérêt  personnel  et  l'intention  de  satisfaire  une  cou- 
pable convoitise.  Il  résolut  de  tuer  le  prétendu  coupable  soit 
par  le  poison,  soit  par  le  fer;  mais  son  dessein  fut  découvert,  et 
il  fut  arrêté  (15  46).  Lui-même  avoua  son  crime,  et  ses  juges, 
comme  du  reste  ses  propres  parents,  estimèrent  qu  il  avait 
mérité  la  peine  de  mort.  Hercule  II  crut  faire  acte  de  clémence 
en  se  contentant  d'imposer  à  Manfrone  la  prison  à  perpétuité. 
Enfermé  dans  une  tour  du  Castello,  dans  la  tour  de  Saint-Michel, 


(l")  Lucrezia  était  née  le  16  tiécemhre  1535,  et  Leonora  ou  Eleonora  le 
lOjuin  1537.  On  se  rappelle  qu'Anna,  née  en  1531,  avait  épousé  en  1548  Fran- 
çois de  Lorraine,  duc  de  Guise. 

(2)  Assurément,  Hercule  II  se  montra  rigoin-cux;  mais  il  ne  faut  pas  oublier 
les  torts  très  réels  de  sa  femme.  Restée  Française  au  fond  du  cœur,  elle  ne  com- 
prit pas  qu'en  devenant  duchesse  de  Ferrare  clic  devait  devenir  Ferraraise.  Sa 
venue  en  Italie  ne  fut  à  ses  yeux  que  le  commencement  d'un  douloureux  exil.  Elle 
ne  s'entoura  que  de  Français  turbulents,  (jui  fomentèrent  et  ai{;rirent  les  malen- 
tendus entre  elle  et  son  mari.  Hercule  II  pouvait-il  supporter  sans  irritation  qu'elle 
cherchât  à  étouffer  la  foi  catholique  dans  l'àme  de  ses  enfants,  qu'elle  suscitât  des 
discordes  religieuses  parmi  ses  sujets,  qu'elle  offrit  un  asile  à  tous  les  ennemis  île 
l'orthodoxie  et  compromît  les  intérêts  d'un  Etat  vassal  du  Saint-Siège? Ne  savait-il 
pas  d'ailleurs  que  Marguerite  de  Navarre,  l'intime  amie  de  Renée,  ne  cessait  pas 
«  de  le  desservir  auprès  du  roi  François  P'"  "?  (Sanuossini,  Délia  venuta  di 
Calvino  in  Italia  e  di  iilcuni  documenti  relativi  a  Renata  di  Francia.j 


188  L'ART    FERRARAIS. 

le  malheureux  y  devint  fou  et  y  mourut  en  1552.  —  La  se- 
conde tentative  contre  le  duc  se  produisit  pendant  la  guerre 
de  1557  et  eut  pour  auteur  un  certain  Marcantonio  d'Osimoqui 
était  d'intelligence  avec  les  agents  du  roi  Philippe  II  en  Lom- 
bardie.  Après  avoir  gagné  un  nombre  suffisant  d'adhérents,  il 
introduisit  à  Ferrare  des  armes  dans  des  tonneaux;  le  feu 
devait  être  mis  aux  quatre  coins  de  la  ville  pendant  la  nuit; 
une  brèche  pratiquée  dans  les  murs  auprès  du  Castel  Nuovo 
aurait  permis  à  un  détachement  de  soldats  d'envahir  les  rues, 
et  au  milieu  de  la  confusion  générale  on  aurait  massacré  le 
duc  avec  toute  sa  famille.  La  curiosité  d'un  citoyen,  qui  défonça 
un  des  tonneaux  et  vit  ce  qu'ils  renfermaient,  fit  échouer  le 
complot.  Le  Juge  des  Sages  fut  averti  et  prit  aussitôt  les  mesures 
réclamées  par  les  circonstances.  Quant  au  principal  coupable, 
il  trouva  moyen  de  s'enfuir  et  se  réfugia  à  Pesaro;  mais  le  duc 
d'Urbin  le  livra  au  duc  de  Ferrare,  à  condition  qu'on  lui  lais- 
serait la  vie. 

Les  fléaux  dont  la  ville  avait  eu  si  souvent  à  souffrir  depuis 
qu'elle  existait  ne  l'épargnèrent  pas  non  plus  à  l'époque  d'Her- 
cule II.  En  1539,  la  disette  y  sévit.  En  1549,  la  peste  y  fit  son 
apparition.  Enfin,  un  incendie  éclata  en  155  4  dans  le  Castello, 
détruisit  presque  tous  les  toits  et  consuma  plusieurs  chambres. 
Non  seulement  le  duc  fit  réparer  ces  chambres,  mais  il  en 
ajouta  de  nouvelles,  et  c'est  sur  son  ordre  que  fut  disposé  au- 
dessus  de  la  cuisine,  à  l'endroit  occupé  jadis  par  la  porte  des 
Lions,  un  jardin  suspendu  sur  lequel  donnait  une  loggia,  main- 
tenant fermée. 

De  même  qu'Hercule  I"  son  aïeul,  il  prenait,  en  effet,  un 
vif  plaisir  à  voir  surgir  de  nouvelles  constructions.  La  villa  de 
Copparo,  avec  un  vaste  palais,  avec  des  dépendances  impor- 
tantes pour  la  chasse,  fut  une  de  ses  créations.  Quelque  haut 
personnage  arrivait-il  à  Ferrare,  il  le  conviait  à  tirer  du  gibier 
dans  le  parc  de  Copparo.  —  C'est  également  lui  qui  convertit 
la   partie    du  Barchetto  (  1  )  située  derrière  la  Chartreuse   en 

(1)   Le  Barchetto  attenait  à  la  villa  de  Belfiore. 


LIVRE    PREMIER.  189 

jardins  et  en  bosquets,  qu'il  entoura  de  fossés  et  qu'il  peupla 
de  quadrupèdes  et  de  volatiles  d'espèces  rares.  —  En  1546, 
grâce  à  lui,  Modène  s'agrandit  notablement,  et  le  nouveau 
quartier  fut  appelé,  comme  celui  qui,  à  Ferrare,  devait  son 
existence  h  Hercule  V\  Addizione  ErcuJea  ou  Terra  Ntiova. 

Hercule  II  n'était  pas,  comme  son  père  Alphonse  P%  sans 
culture  littéraire.  Il  avait  reçu  une  sérieuse  instruction,  et, 
s'il  se  montra  passionné  pour  les  armes  et  les  chevaux,  il  ne 
le  fut  pas  moins  pour  la  musique,  la  poésie  et  l'éloquence.  A 
l'âge  de  quatorze  ans  (nous  l'avons  dit,  p.  135),  il  récita, 
en  1522,  devant  Adrien  VI  et  les  cardinaux,  un  discours  latin 
pour  réclamer  la  restitution  de  Modène  et  de  Reggio  (1). 
Grand  admirateur  de  l'Arioste,  il  écrivit  lui-même  des  poésies 
latines  et  italiennes.  L'université  de  Ferrare,  où  il  attira  les 
plus  célèbres  professeurs,  lui  dut  le  retour  de  son  ancienne 
prospérité.  Il  avait  donc  des  motifs  tout  personnels  pour  aimer 
la  société  des  lettrés,  povu'  grouper  autour  de  lui  les  esprits 
d'élite.  A  son  nom  se  trouvent  associés  ceux  de  Celio  Galca- 
gnini,  de  Lodovico  Cato,  d'Alberto  Lollio,  de  Bartolommeo 
Ferrino,  de  Girolamo  Falletti,  de  Bartolommeo  Ricci,  de  Gas- 
pare  Sardi,  d'Alessandro  Guarini,  de  Lilio  Gregorio  Giraldi, 
de  Cintio  Giraldi,  de  Giambattista  Canani,  de  Silvio  Antoniano, 
d'Antonio  Musa  Brasavola,  de  Gian  Maria  Verrati,  d'Agostino 
Beccari.  Quelques  indications  sur  chacun  de  ces  personnages 
ne  seront  pas,  ce  nous  semble,  superflues. 

Un  des  plus  célèbres  d'entre  eux  fut  Celio  Calcagnini  (1479- 
1541).  Nous  parlerons  de  lui,  ainsi  que  de  Lodovico  Cato,  d'Al- 
berto Lollio  et  d'Alessandro  Guarini ,  à  l'occasion  de  leurs 
médailles ,  et  c'est  dans  le  chapitre  réservé  h  Girolamo  da 
Carpi  qu'il  sera  question  de  Cintio  Giraldi,  de  Lilio  Gregorio 
Giraldi  et  de  Canani. 

Bartolommeo  Ferrino,  né  en  1508,  mort  en  1545,  était  un 

(1)  Adrien  VI  ne  se  montra  pas  disposé  à  rendre  Modène  et  Reggio,  mais  il 
accueillit  avec  bonne  grâce  le  jeune  prince,  que  tous  les  cardinaux  embrassèrent 
et  condjlèrent  de  caresses.  On  voit  (ju'Mercule  fut  initié  de  bonne  heure  par  son 
père  aux  affaires  de  l'Etat,  ce  qui  lui  donna  luie  matuiité  précoce.  J.-lî.  Girali.li 
l'accompagna  dans  son  voyage  à  Rome  de  1522. 


H)0  L'ART   FETIRARAIS. 

des  élèves  de  Celio  Calcagninl.  11  fut  admis  aux  fonctions  de 
secrétaire  d'État.  Alphonse  I"  et  Hercule  II  lui  confièrent  plu- 
sieurs ambassades,  au  succès  desquelles  contribuèrent  son 
éloquence  et  sa  mine  avenante.  Il  composa  des  poésies  en 
latin  et  en  italien,  et  entreprit  d'écrire  une  Vie  des  Apôtres, 
qu'il  laissa  inachevée.  On  cite  aussi  de  lui  un  discours  où  il  fit 
l'éloge  de  la  vertu.  Il  possédait  une  riche  bibliothèque. 

Girolamo  Falletti  fut  surtout  renommé  pour  ses  discours. 
Après  la  mort  d'Alphonse  I",  il  en  composa  un,  nous  l'avons 
déjà  dit,  en  l'honneur  de  ce  prince.  Ce  fut  lui  qui  harangua  le 
pape  Paul  III  lors  de  son  entrée  à  Ferrare  (1543).  Il  fut  chargé 
aussi  d'aller  à  Rome  féliciter  Jules  III  de  son  avènement  (1 550), 
avant  l'arrivée  d'Hercule  II  dans  cette  ville,  et  quand  Fran- 
cesco  Venier  fut  élevé  à  la  dignité  de  doge  (1554),  les  com- 
pliments d'Hercule  II  lui  furent  transmis  par  Falletti,  qui 
remplit  pendant  un  certain  temps  auprès  de  la  Sérénissime 
République  les  fonctions  d'ambassadeur.  Sous  Hercule  II  et  sous 
Alphonse  II,  Falletti  s'acquitta  de  plusieurs  missions  diploma- 
tiques. Il  était  originaire  de  Trino  et  avait  été  élevé  à  Savone; 
vers  1520  il  se  fixa  à  Ferrare,  où  il  épousa  une  noble  Ferraraise, 
Paola  Calcagnini,  et  mourut  le  3  octobre  1564.  Hercule  II 
l'avait  nommé  comte  de  Trignano. 

Comme  Falletti ,  Rartolommeo  Ricci  passa  auprès  de  ses 
contemporains  pour  un  orateur  remarquable.  Un  de  ses  dis- 
cours, prononcé  en  latin,  fit  acquitter  un  Juif,  Isaac  Abarba- 
nello,  accusé  d'avoir  conspiré  contre  la  vie  du  duc.  Issu  d'une 
famille  honorable  que  les  guerres  civiles  avaient  réduite  h  la 
pauvreté,  il  naquit  à  Lugo  en  1490,  étudia  l'éloquence  à 
Bologne,  fit  à  Venise  l'éducation  des  deux  fils  du  sénateur 
Giovanni  Gornaro,  et  fut  professeur  à  Lugo,  puis  à  Ravenne. 
En  1539,  il  vint  à  Ferrare  afin  d'enseigner  les  belles-lettres  à 
Alphonse  et  à  Louis,  fils  d'Hercule  II  (1),  et  c  est  à  Ferrare 
qu'il  mourut,  le  27  janvier  1569(2).  La  violence  de  ses  polé- 

(1)  La  duchesse  Renée  le  consulta  sur  les  livres  à  mettre  entre  les  mains  de 
ses  filles. 

(2)  Il  fut  enseveli  à  Santa  Maria  délia  Rosa. 


LIVRE   PREMIER.  191 

miques  lui  suscita  beaucoup  d'ennemis.  Il  composa  une  viru- 
lente diatribe  contre  un  historiographe  de  la  maison  d'Esté, 
Gaspare  Sardi,  qu'il  voulait  supplanter  ou  tout  au  moins  discré- 
diter, le  traita  d'ignorant  et  de  sot,  lui  adressa  ensuite  une  épître 
dans  laquelle  il  lui  pardonnait  de  l'avoir  forcé  à  le  maltraiter, 
et  n'en  continua  pas  moins  ses  attaques.  Il  se  brouilla  avec 
Gregorio  Giraldi,  auquel  le  liait  une  amitié  qui  durait  depuis 
onze  ans.  Un  autre  savant  tenta  de  l'empoisonner,  mais  il  fut 
sauvé  par  Musa  Brasavola.  On  a  de  lui  divers  écrits,  notam- 
nent  :  Apparatus  latinœ  locutionis  (Venise,  1533),  De  imitatione 
(Venise,  1545),  Lettere  ad  Herculeni  Atestium  Ferrariœ  jirincipem 
et  ad  reliauos  Atestios  principes  (Venise,  155  4),  Epistolœ  fami- 
/m;-e.ç  (Bologne,  1560,  et  Ferrare,  1562),  et  la  Balia,  comédie 
en  prose. 

Gaspare  Sardi,  né  peut-être  en  1480,  mourut  après  1559. 
Il  eut  pour  maîtres  Battista  Guarini,  Lodovico  Carbone  et 
Luca  Ripa,  fut  jurisconsulte,  philosophe,  orateur,  poète, 
théologien,  cosmographe  et  historien.  Sur  l'ordre  d'Hercule  II, 
il  entreprit  d'écrire  l'histoire  de  la  maison  d'Esté,  travail  à 
l'occasion  duquel  Alessandro  Guarini,  secrétaire  du  duc,  obtint 
qu'il  serait  exempté  de  toute  taxe  et  de  toute  gabelle.  Cette 
histoire  (1)  va  jusqu'en  1505  dans  l'édition  due  à  Francesco 
Rossi  (1556).  Elle  a  été  réimprimée  à  Ferrare,  avec  deux  nou- 
veaux livres,  dus  aussi  à  Sardi,  qui  la  conduisit  jusqu'en  1515, 
et  a^ec  quatre  autres  livres,  écrits  par  Agostino  Faustini,  qui 
la  prolongent  jusqu'en  1598,  Elle  n'est  ni  très  exacte  ni 
complète  ;  le  style  en  est  sec  et  sans  élégance.  Sardi  laissa 
également  des  lettres  latines,  qui  furent  imprimées  à  Flo- 
rence en  1549,  et  un  petit  traité  intitulé  :  De  triplici  philo- 
sopliia,  et  dédié  à  Olympia  Morata.  Son  savoir  lui  gagna 
l'amitié  de  Celio  Calcagnini,  d' Alessandro  Guarini,  de  Paolo 
Giovio,  de  Girolamo  Falletti ,  de  Gregorio  Giraldi  et  d'Al- 
berto Lollio. 

Silvio  Antoniano  était  un  poète  improvisateur  qui  excellait 

(1)    Libro  délie  sturie  ferrurcsi. 


192  L'ART    FERRARAIS. 

à  jouer  de  la  lyre.  Il  n'avait  que  quinze  ans  (15S5)  lorsque 
Hercule  II  le  connut  à  Rome  et  Tamena  à  Ferrare,  où  il  fut 
logé  dans  le  palais  des  Diamants.  Il  devint  docteur  en  droit, 
étudia  la  philosophie  et  fut  nommé  professeur  d'éloquence  à 
l'Université.  En  1559,  il  regagna  Rome  sous  le  pontificat  de 
Pie  IV. 

Antonio  Musa  Brasavola  (1 500-1 555),  fils  de  Francesco 
Brasavola,  qui  était  médecin  et  philosophe,  et  de  Margherita 
Maggi,  reçut  de  ses  parents  le  nom  de  Musa  en  souvenir  du 
médecin  d'Auguste,  ainsi  nommé.  Esprit  ouvert  à  toutes  les 
connaissances  humaines,  il  étudia  avec  ardeur  la  musique,  le 
droit  civil,  le  droit  canon,  les  littératures  latine  et  grecque,  et  la 
médecine.  Celio  Galcagnini,  Leoniceno  et  Manardo  furent  ses 
principaux  maîtres.  Pendant  huit  ans,  il  enseigna  lui-même  la 
dialectique  et  la  philosophie  naturelle,  mais  c'est  à  la  méde- 
cine qu'il  se  voua  particulièrement,  et  il  fit  sur  les  aphorismes 
d'Hippocrate  et  de  Galien  des  leçons  qui  furent  imprimées  h 
Bâle  en  15-41.  Sa  renommée  attira  beaucoup  de  jeunes  étran- 
gers à  Ferrare.  Les  médecins  les  plus  accrédités  le  consultaient 
ou  le  prenaient  pour  juge  entre  eux.  Charles-Quint,  les  Far- 
nese ,  les  Gonzague  eurent  recours  à  ses  lumières  et  à  son 
dévouement.  Il  vécut  dans  la  familiarité  d'Alphonse  I".  En 
1528,  il  accompagna  en  France  Hercule,  fils  d'Alphonse  F"", 
quand  Hercule  alla  épouser  Renée,  fille  de  Louis  XII,  et  il 
conquit,  nous  l'avons  vu  (]),  la  faveur  de  François  I'',  qui  lui 
permit  d'ajouter  trois  lis  d'or  aux  armes  de  sa  famille  et  qui  le 
créa  chevalier.  De  retour  dans  sa  ville  natale,  il  épousa  la  fille 
d'un  gentilhomme  ferrarais  :  il  eut  six  fils  et  huit  filles,  dont 
l'une  épousa  Giambatista  Pigna.  Après  la  mort  d'Alphonse  I", 
Hercule  II  le  confirma  dans  la  charge  de  premier  médecin  de 
la  cour  et  le  nomma  président  de  l'Université.  Celio  Calca- 
gnini,  avant  de  mourir,  le  chargea  de  publier  les  œuvres  qu'il 
laissait  et  de  les  offrir  au  duc,  désir  qui  fut  réalisé.  Lorsqu'à 
son  tour  Brasavola  cessa  de  vivre,  à  l'âge  de  cinquante-cinq 

(1)    Pnjjc  137. 


LIVRE   PREMIER.  193 

ans,  Hercule  II  assista  à  ses  funérailles,  qu'il  fit  célébrer  en 
grande  pompe  dans  l'église  de  Saint- André.  La  botanique, 
trop  négligée  jusqu'alors,  fut  une  des  occupations  favorites  de 
Brasavola.  Il  avait  rassemblé,  dans  son  modeste  jardin,  une 
foule  de  simples  dont  il  prenait  grand  soin,  et  un  de  ses  plus 
vifs  plaisirs  était  de  parcourir  les  montagnes,  de  se  promener 
dans  les  champs  ou  au  bord  de  la  mer,  pour  chercher  des 
plantes  inconnues.  Les  souverains  de  Ferrare  connaissaient  et 
flattaient  son  innocente  passion.  «  Si  je  guéris,  lui  dit  le  duc 
Alphonse  I",  qu'il  soigna  dans  sa  dernière  maladie,  je  te  pro- 
mets d'établir  pour  toi  un  jardin  botanique  et  d'y  réunir  toutes 
les  plantes  nécessaires  à  tes  études.  «  Sur  les  instances  de  Bra- 
savola, Hercule  II  en  fit  venir  un  grand  nombre  de  l'Orient 
par  l'intermédiaire  de  Henri  II,  roi  de  France.  Quand  Hercule 
se  rendit  à  Rome  en  1535,  il  emmena  le  savant  docteur,  qui 
s'entendit  avec  un  imprimeur  romain  pour  publier  son  ou- 
vrage intitulé  :  Examen  simplicium  medi'cameiitorian  quorum  in 
of/icùiis  usus  est. 

Avec  Gianynaria  Ferrafz  (149 0-15 63) ,  c'est  en  présence  d'un 
Carme  très  versé  dans  la  philosophie,  la  théologie  et  l'érudi- 
tion sacrée  que  l'on  se  trouve.  Il  n'avait  que  quatorze  ans 
lorsqu'il  se  fit  religieux.  Le  grec,  l'hébreu,  le  chaldéen  lui 
étaient  familiers.  Dans  les  églises  de  Ferrare  et  de  Bologne,  il 
mit  à  expliquer  l'Écriture  une  érudition  pleine  de  clarté  et  en 
démontra  le  vrai  sens,  dont  les  interprétations  de  Luther 
s'étaient  écartées.  Il  composa  et  fit  imprimer  des  Commentaires 
sur  les  Évangiles  et  des  écrits  en  latin  sur  la  grâce,  le  libre 
arbitre,  la  justification,  l'autorité  de  l'Église,  les  conciles 
généraux  et  le  purgatoire,  sujets  choisis  pour  défendre  des 
points  de  doctrine  attaqués  par  la  Réforme.  Pendant  quarante- 
six  ans,  il  ne  se  lassa  pas  de  prêcher  dans  les  différentes  villes 
de  l'Italie.  Il  employa  l'argent  que  lui  procura  ce  labeur  à 
enrichir  la  bibliothèque  de  son  couvent  de  Saint-Paul,  à  Fer- 
rare, et  il  la  fit  décorer  de  peintures.  Un  die  ses  ouvrages 
[Super  omnibus  prœceptis  et  documentis  divi  Catonis)  fut  dédié 
au  cardinal  Louis  d'Esté,  fils  d'Hercule  IL 

I-  13 


194  L'ART    FERRAllAIS. 

Plusieurs  des  lettrés  appartenant  à  l'entourajje  d'Hercule  II 
composèrent  des  pièces  de  théâtre  qui  obtinrent  un  grand  suc- 
cès. h'Eglé  de  Giovarthattista  Cintio  Gù^aldi,  ébauche  de  poésie 
pastorale,  fut  représentée  en  février  et  en  mars  15  45,  devant 
le  duc  et  le  cardinal  Hippolyte  II,  sur  une  scène  construite  et 
peinte  par  Girolarno  da  Carpi.  Antonio  da  Cornetto  avait  inter- 
calé de  la  musique  dans  cette  pièce,  où  Facteur  Sebastiano 
Clarignano  de  Montefalco  se  fit  beaucoup  applaudir.  Quelques 
années  plus  tard,  le  Ferrarais  Agosthio  Beccari  (né  en  1510, 
mort  en  1590)  composa  le  Saa^ifice,  qui  fut  joué  en  1554. 
La  musique  jointe  à  cette  comédie  pastorale,  la  première  qui 
ait  paru  en  Italie,  était  due  à  Alfonso  dalla  Viola. 

On  voit  que  la  musique  était  toujours  en  honneur  à  la  cour 
de  Ferrare.  Outre  Antonio  da  Cornetto  et  Alfonso  dalla  Viola, 
Hercule  II  eut  à  son  service  Bernia,  joueur  de  cithare,  et 
Bernardo  da  Milano ,  joueur  de  luth,  qui  se  firent  entendre 
notamment  en  15-43  et  en  1551  dans  le  Castello.  Cipriano  de 
Bore  fut  peut-être  maître  de  chapelle  du  duc  qui,  en  1556, 
conféra  un  bénéfice  à  cet  "  homo  molio  virtuoso  et  da  hene,  et 
da  molt'  anni  siio  servitore  '^  .  Aux  chanteurs  italiens,  Hercule 
préférait  les  chanteurs  flamands,  à  cause  de  la  solidité  de  leur 
voix,  à  cause  aussi  de  leurs  connaissances  musicales  plus  éten- 
dues. Il  demanda,  cependant,  au  duc  de  Savoie  de  lui  envoyer 
un  contralto  castrat,  ainsi  qu  une  bonne  voix  de  contrebasse 
fort  appréciée  à  Verceil.  A  côté  des  Flamands,  il  se  trouva 
souvent  des  Espagnols  parmi  les  musiciens  attirés  à  Ferrare. 

Les  tapisseries,  ainsi  que  les  cuirs  gaufrés  et  peints,  rehaus- 
sèrent singulièrement  Téclat  des  fêtes.  Hercule  II  donna,  en 
effet,  une  nouvelle  et  puissante  impulsion  à  la  fabrication  de 
la  tapisserie,  délaissée  sous  le  règne  précédent,  et  c'est  à  lui 
également  que  revient  l'honneur  d'avoir  installé  d'une  façon 
définitive  à  Ferrare  les  artisans  qui  s'entendaient  si  bien  à 
faire  de  brillantes  tentures  en  cuir. 

L'art  du  médailleur  fut  également  encouragé,  comme  en 
font  foi  les  médailles  d'Hercule  II  par  Pastorino,  par  Benve- 
nnto  Cellini ,   par   Buspagiari  et   par    d'autres   artistes    restés 


LIVRE   PREMIER.  195 

inconnus.  Le  duc  ne  s'intéressait  pas  moins  à  la  collection  de 
médailles  et  de  monnaies  antiques  qu'il  tenait  de  ses  ancêtres. 
Vers  15i.0,Celio  Calcagnini  dressa,  sur  son  ordre,  le  catalogue 
des  monnaies  d'or  :  il  en  mentionna  environ  neuf  cents,  ce 
qui  permet  de  supposer  que  les  pièces  en  argent  et  en  bronze 
étaient  bien  plus  nombreuses  encore. 

Les  peintres  ferrarais  auxquels  Hercule  II  fit  le  plus  de 
commandes  furent  les  Dossi  et  leurs  élèves,  Garofalo,  Giro- 
latno  (la  Carpi  et  Camillo  Filippi.  Mais  il  s'adressait  volontiers 
aussi  aux  peintres  étrangers.  S'il  se  contenta  de  demander  à 
Titien  \  achèveinent  d'un  portrait  d'Alphonse  I"  (l),  il  recou- 
rut à  Jules  Romain^  venu  à  Ferrare  en  1535,  pour  la  réparation 
des  dégâts  causes  dans  le  Gastello  par  l'incendie  de  1532,  et 
pour  des  décorations  à  exécuter  dans  la  villa  du  Belvédère. 
Jules  Romain  ne  fit  alors,  à  proprement  parler,  ni  acte  d'ar- 
chitecte, ni  acte  de  peintre  :  il  se  borna  h  donner  des  indi- 
cations, à  fournir  des  dessins,  à  surveiller  les  travaux,  le  duc 
de  Mantoue  n'ayant  sans  doute  pas  voulu  se  priver  longtemps 
de  lui.  C'est  ce  qui  ressort  d'une  lettre  écrite  par  Hercule  II 
à  Frédéric  II  Gonzague  le  16  avril  1537  :  «  .,..1  ai  besoin  de 
Jules  Romain  pour  ceitaines  chambres  que  je  désire  voir 
promptement  achevées  afin  que  j'en  puisse  jouir  cet  été...  Il 
sera  occupé  à  cela  tout  le  mois  et  sera  ensuite  entièrement  aux 
ordres  de  Votre  Excellence  (:2).  »  A  plusieurs  reprises,  le  duc 
de  Ferrare  commanda  aussi  à  Jules  Romain  des  cartons  qui 
servirent  à  tisser  de  magnifiques  tapisseries,  comme  on  le 
verra  plus  loin.  Giovanni  Antonio  Licinio  da  Pordenone  lut  éga- 
lement chargé  par  Hercule  II  de  faire  des  cartons  de  tapisse- 
ries :  il  les  commença  à  Venise,  et  fut  instamment  sollicité  de 
se  transportera  Ferrare.  Par  une  lettre  du  10  septembre  1538, 
le  duc  confia  à  son  ambassadeur,  Jacomo  Tebaldi,  le  soin  de 

(1)  Voyez  p.  169-170.  —  Durant  le  rèjjnc  trilercule  II,  Titien  vint  doux  fois  à 
Ferrare,  mais  sans  y  être  invité  par  le  duc  :  la  première  fois  en  15-i.î,  au  nio- 
uient  des  fêtes  qui  accouipajjnèrent  l'entrée  de  Paul  III,  foinnie  nous  i'^ivons 
dit;  la  seconde  fois  en  1545,  lorsqu'il  se  rendit  à  Rome. 

(2)  Ad.  Ve.muui,  Zivei  Briefc  von  Giulio  Boinano  dans  la  Zeilsc/irift  fur  bil- 
dendc  Kunst,  livraison  du  19  janvier  1888. 


i96  L'AllT    r  EUR  A  HAIS. 

décider  le  peintre  à  se  rendre  sur-le-champ  auprès  de  lui, 
parce  qu'il  devait  bientôt  s'absenter.  Tebaldi  s'imagina  avoir 
pleinement  réussi  dans  sa  mission,  et,  le  19  septembre,  il 
annonça  à  son  maître  le  départ  immédiat  de  Pordenone.  «  J'ai 
été  le  trouver,  dit-il,  et  je  ne  l'ai  quitté  qu'après  qu'il  m'eut 
promis  d'accéder  aux  désirs  de  Votre  Excellence.  Pour  plus  de 
rapidité,  il  s'embarquera  ce  soir  à  Padoue,  et  demain  il  mon- 
tera à  cheval  afin  de  gagner  votre  capitale  favente  Deo.  Que 
Votre  Excellence  consente  à  ne  pas  le  retenir  longtemps,  car  il 
a  beaucoup  à  faire  ici,  surtout  pendant  ce  mois  ;  ensuite  il  se 
mettra  avec  empressement  à  vos  ordres.  C'est  un  homme  de 
bien,  il  travaille  sans  relâche  et  ne  perd  pas  une  minute.  Je  le 
recommande  à  Votre  Excellence.  )?  Tebaldi  avait  ajouté  foi 
trop  naïvement  aux  promesses  de  Pordenone,  qui,  dès  le 
20  septembre,  lui  annonça  que  certains  travaux,  dont  il  avait 
espéré  pouvoir  différer  l'exécution,  le  retiendraient  plusieurs 
jours  encore.  Les  jours  se  convertirent  en  semaines,  malgré 
de  nouvelles  instances.  C'est  la  date  du  12  décembre  que 
porte  le  dernier  billet  par  lequel  Hercule  II  réclama  la  pré- 
sence du  peintre.  Pordenone  arriva  sans  doute  peu  après  à 
Ferrare,  où,  accueilli  avec  honneur  par  le  duc,  il  fut  installé  et 
défrayé  de  tout  à  l'auberge  de  l'Ange.  La  mort  ne  lui  laissa 
pas  le  temps  de  satisfaire  son  nouveau  protecteur.  Pris  tout  à 
coup  d'une  violente  douleur  de  poitrine,  il  succomba  promp- 
tement,  le  12  ou  le  13  janvier  1539,  à  l'âge  de  cinquante-six 
ans.  Vasari,  qui  visita  Ferrare  un  an  plus  tard,  et  Marc  Antonio 
Amalteo,  poète  né  dans  le  Frioul,  qui  écrivit  vers  la  même 
époque  une  élégie  latine  sur  la  fin  de  son  compatriote,  crurent 
qu'il  avait  été  empoisonné.  Fut-il,  comme  le  prétend  Amalteo, 
la  victime  d'un  artiste  jaloux  de  la  faveur  dont  il  jouissait  à  la 
cour?  Cela  est  invraisemblable.  Il  demeurait  depuis  trop  peu 
de  temps  â  Ferrare  pour  avoir  excité  la  jalousie  de  personne. 
Les  peintres  ferrarais  n'étaient-ils  pas,  d'ailleurs,  habitués  à 
voir  les  princes  d'Esté  se  servir  d  artistes  étrangers  ?  Tout  au 
plus  pourrait-on  supposer  une  vengeance  à  la  suite  d'une  de 
ces  querelles  dans  lesquelles  Pordenone  s'engageait  si  facile- 


LITRE   PREMIER.  197 

ment.  Ce  qui  est  certain,  c'est  qu'au  seizième  siècle  on  attri- 
buait volontiers  au  poison  les  morts  subites  ou  presque 
subites,  dans  l'impuissance  où  l'on  était  d'en  expliquer  les 
causes  véritables.  Hercule  II,  vivement  affecté  de  la  perte  de 
Pordenone ,  honora  de  pompeuses  funérailles  les  restes  de 
l'éminent  artiste.  Les  registres  de  la  Chambre  nous  appren- 
nent qu'il  lui  avait  donné  sept  brasses  de  drap  pour  se  faire 
faire  un  pourpoint  et  un  manteau.  D'après  ces  instructions, 
Tebaldi  remit  cinquante  écus  d'or  à  la  veuve  du  peintre,  qui 
avait  quatre  enfants,  trois  filles  et  un  garçon,  et  qui  était 
enceinte  (1). 

Avec  Benvemito  Cellini  et  avec  Jacopo  Sansovmo,  Hercule  II 
eut  aussi  des  rapports  qui  méritent  d'être  mentionnés.  C'est 
en  traitant  des  médailles  et  de  la  tapisserie  que  nous  nous 
occuperons  de  Cellini.  Quanta  Sansovino,  nous  allons  résumer 
ce  que  le  marquis  Gampori  a  puisé  dans  la  correspondance 
échangée  entre  le  duc,  Girolamo  Feruffino,  son  résident  à 
Venise,  et  Jacopo  Sansovino  (2). 

Après  avoir  agrandi  Modène,  après  l'avoir  pourvue  de  for- 
tifications qui  en  assurassent  désormais  la  sécurité,  Hercule  II 
résolut  de  placer  une  statue  colossale  du  héros  dont  il  portait 
le  nom  au-dessus  de  la  nouvelle  porte,  appelée  porta  Eixulea, 
qui  avait  été  ornée  de  marbres  par  Amhrogio  Foscardi  de 
Modène,  dit  Tagliapi'etra,  etpar  Gzb.  Pietro  Pellizzoni.  En  1549, 
il  chargea  Begarelli,  artiste  fort  habile  à  façonner  l'argile,  mais 
non  habitué  au  maniement  du  ciseau,  de  faire  un  modèle  en 
terre  cuite  pour  cette  statue.  Begarelli  en  prépara  un  grand  et 
cinq  petits.  Aucun  des  modèles  ne  satisfit-il  le  duc  ?  On  ne  sait. 
Peut-être  Hercule  II  craignit-il  de  ne  pas  trouver  un  sculpteur 
de  mérite  qui  voulût  travailler  d'après  un  modèle  dû  à  une 
main  étrangère.  Toujours  est-il  que  dans  la  première  moitié 
de  l'année   1550  l'entreprise  fut  confiée  au  Florentin  Jacopo 

(1)  G.  Gampori,  //  Pordenone  in  Fervara,  ilans  les  Atti  e  memorie  délie  depu- 
tazioni  di  storia  palj-ia  per  le  provincie  modenesi  e  partnensi,  vol.  III,  iSOO. 

(2)  Una  statua  di  Jacopo  Sansovino.,  iiotizie  raccolte  da  Giuseppc  Campori, 
dans  les  Atti  e  memorie  délie  deputazioni  di  storia  patria  per  le  provincie 
modenesi  e  panneiisi,  t.  VI.  Nous  renverrons  au  tirage  à  part.  Modcna,  1873. 


198  I/AIÏT    l'Elî  II  AHAIS. 

Tatti,  siirnoniiiio  le  Sansovino  parce  que  son  premier  maître 
fut  Andréa  Gontucci  di  Monte  San  Savino.  Jacopo  Sansovino 
demeurait  alors  à  Venise.  Il  était  personnellement  connu  du 
duc,  car  en  revenant  de  Florence  il  s'était  arrêté  à  Ferrare,  et 
le  duc  avait  cherché  à  le  retenir  par  des  propositions  avan- 
tageuses. Ce  lut  Feruffino,  ambassadeur  du  prince  auprès  de 
la  Sérénissime  République,  qui  conduisit  les  négociations  rela- 
tives à  la  statue.  Au  lieu  d'agir  au  nom  d'Hercule  II,  il  se 
présenta  d'abord  comme  le  mandataire  d'Ercole  Contrarii, 
gentilhomme  ferrarais,  pensant  que  le  sculpteur  se  montre- 
rait moins  exigeant  pour  le  prix  ;  puis,  lorsque  ce  prix  eut  été 
fixé  à  cent  vingt  ducats  et  que  lartiste  en  eut  reçu  cinquante 
à  titre  d'arrhes,  il  déclara  que  le  souverain  de  Ferrare  ayant 
eu  connaissance  de  la  commande  faite  à  Sansovino  et  ayant 
jugé  qu'une  statue  d'Hercule  était  l'ornement  qui  convien- 
drait le  mieux  à  la  nouvelle  porte  de  Modène,  Contrarii,  dans 
le  désir  de  lui  complaire,  lui  avait  cédé  ses  droits.  Sansovino 
feignit  de  croire  à  ce  récit,  mais  annonça  que  le  délai  de  huit 
mois  stipulé  pour  l'achèvement  de  la  statue  ne  lui  suffisait 
pas.  Tant  qu'il  avait  cru  n'avoir  affaire  qu'à  un  simple  particu- 
lier, il  avait  compté,  disait-il,  faire  exécuter  l'Hercule  sous  sa 
direction  par  un  de  ses  élèves  ;  mais  puisque  cet  ouvrage  était 
destiné  à  un  prince,  force  était  qu'il  y  travaillât  lui-même  et 
qu'il  y  mît  tous  ses  soins.  Or,  il  était  surchargé  d'occupations 
et  comme  sculpteur  et  comme  architecte.  Aussi  les  mois  suc- 
cédèrent-ils aux  mois  sans  que  rien  fût  commencé.  Feruffino 
n'osait  pas  trop  le  tourmenter,  car  il  le  savait  susceptible  et 
fantasque,  et  il  craignait  que  Sansovino,  qui  était  dans  l'ai- 
sance, ne  lui  rendit  les  arrhes  et  ne  rompît  le  marché.  Pour 
justifier  ses  retards,  Sansovino  allégua  qu'il  n'avait  pu  se  pro- 
curer le  marbre  nécessaire  :  le  bloc  expédié  de  Capo  d'Istria 
avait  été  englouti  par  les  flots  avec  la  barque  qui  le  portait  ; 
dans  un  autre  bloc,  fourni  par  les  procurateurs,  une  veine 
fâcheuse  et  une  fente  avaient  été  découvertes  ;  un  troisième 
bloc  avait  été  commandé,  mais  il  fallait  attendre  que  les 
grandes  et  fortes  barques  de  la  Scuola  délia  Misericordia  pussent 


LIVRE    PREMIER.  199 

l'aller  chercher  et  le  rapporter  en  même  temps  que  les  marbres 
destines  à  la  construction  de  la  Scuola.  Informé  par  Feruffino 
que  le  duc  commençait  à  s'irriter,  le  sculpteur  écrivit  à  l'agent 
ferrarais  le  12  septembre  afin  de  se  disculper,  et  sollicita  son 
intervention  auprès  de  Yittore  Grimani  pour  la  livraison  du 
marbre  dont  il  avait  besoin.  Ce  marbre  ayant  été  mis  à  la  dis- 
position de  l'artiste,  différer  n'était  plus  possible.  Il  se  mit 
donc  à  l'œuvre,  et  le  2  novembre  il  invita  l'ambassadeur  à 
venir  voir  le  modèle  presque  terminé.  Feruffino  le  trouva 
«  très  bien  fait  »  ,  et,  d'après  les  paroles  qui  lui  avaient  été 
dites,  il  assura  à  son  maître  que  la  statue  en  marbre  serait  ter- 
minée dans  lespace  de  cinq  mois.  Toutefois  Tannée  1551  se 
passa  tout  entière,  et  l'Hercule  n'était  pas  achevé;  Sansovino 
y  travaillait  cependant  avec  trois  aides,  pour  lesquels  Feruf- 
fino sollicita  du  duc  et  obtint  vingt-cinq  ducats  au  mois  d'août. 
Une  indisposition  justifia  en  partie  ce  retard.  Hercule  II  n'en 
était  pas  moins  très  courroucé.  Ayant  entendu  vanter  le  talent 
d'Alessandro  Yittoria  qui,  après  avoir  été  l'élève  favori  de 
Sansovino,  avait  brutalement  rompu  avec  son  maître  et  s'était 
retiré  à  Vicence  où  le  comte  Marc  Antonio  di  Tiene  lui  donnait 
l'hospitalité,  il  conçut  la  pensée  de  s'adresser  au  jeune  sculp- 
teur et  lui  commanda  le  modèle  d'une  statue  semblable  à  celle 
qu'il  se  lassait  d  attendre.  Avec  une  présomption  égale  à  son 
ingratitude,  Yittoria  se  chargea  de  l'entreprise  et  ne  craignit 
pas  d'affirmer  sa  supériorité  sur  Sansovino  et  de  décrier 
l'homme  dont  les  enseignements  lui  avaient  été  si  profitables. 
Il  se  rendit  même  à  Ferrare,  fut  présenté  par  Lodovico  di 
Tiene  au  duc,  dont  il  promit  de  faire  le  portrait  en  marbre  ou 
en  bronze  (1),  et  osa  accepter  la  triste  mission  d'examiner  la 
statue  commencée  par  son  vieux  maître  pour  rendre  compte 
au  prince  de  l'état  où  elle  se  trouvait  et  donner  son  avis  sur  elle. 
De  retour  à  Venise,  il  parvint  à  voir  cette  statue  et  rapporta  à 
Feruffino  que  les  jambes  étaient  trop  courtes  et  trop  grêles. 
Feruffino  prétendit  avoir  déjà  remarqué  ces  défauts.  Toutefois 

(1)   On  ne  sait  si  ce  portrait  fut  exécuté. 


200  L'AIIT    FER  HA  11  AI  S. 

il  voulut  se  livrer  à  uu  nouvel  examen  en  se  transportant  chez 
Sansovino  avec  Vittoria  et  un  peintre  de  Vicence  ;  mais  Sanso- 
vino,  justement  indigné,  leur  refusa  l'accès  de  son  atelier. 
Les  choses  en  étaient  là  quand,  au  bout  de  quelques  mois,  les 
deux  sculpteurs  se  réconcilièrent.  Aussitôt  Vittoria  cessa 
d'apercevoir  les  erreurs  de  proportions  qu'il  avait  signalées 
dans  la  statue  d'Hercule.  Feruffino,  revenu  à  son  premier 
jugement,  la  trouva  satisfaisante  et  en  pressa  l'exécution  par 
tous  les  arguments  possibles  (1).  Elle  fut  achevée  dans  les  der- 
niers jours  de  juin  1553;  mais  pour  obtenir  de  la  Seigneurie 
que  le  transport  fût  exempté  des  droits  de  gabelle,  il  fallut 
attendre  jusqu'aux  premiers  jours  d'août. 

Ce  n'est  pas  à  Modène,  au-dessus  de  la  Porta  Erculea,  que 
fut  érigé  V Hercule  de  Sansovino.  Entre  1550  et  1553,  le  duc 
avait  changé  d'idée.  Il  voulut  que  la  statue  ornât  la  nouvelle 
place  publique  de  Brescello  (2),  bourgade  récemment  trans- 
formée en  grande  ville,  avec  le  concours  de  l'ingénieur  Terzo 
Terzi,  qui  l'avait  pourvue  de  puissants  remparts  et  y  avait 
construit  une  forteresse.  En  170  4,  quand  les  Français  déman- 
telèrent Brescello,  la  statue  fut  renversée  de  son  piédestal. 
Elle  y  fut  rétablie  en  1726,  avec  une  inscription  composée  par 
Muratori.  Quoique  un  peu  détériorée,  surtout  au  visage,  elle 
fait  toujours  honneur  à  la  main  qui  l'a  sculptée  (3).  Hercule, 
entièrement  nu,  appuie  son  bras  droit  sur  sa  massue  tournée 
vers  le  sol.  Sa  tête  porte  une  couronne,  et  la  dépouille  du 
Lion  de  Némée  couvre  son  épaule  gauche  ainsi  que  la  moitié 
de  sa  poitrine.  Ce  n'est  pas  une  des  meilleures  œuvres  de 
Sansovino,  mais  il  ne  faut  pas  oublier  qu'elle  avait  été  faite 
pour  être  placée  beaucoup  plus  haut  et  vue  de  beaucoup  plus 

(1)  Tout  en  y  travaillant,  Sansovino  se  montra  disposé  à  rechercher  et  à  ache- 
ter des  statues  ou  des  bustes  antiques  pour  le  duc  de  Ferrare,  comme  on  le  voit 
par  la  correspondance  de  Feruffino.  Presque  en  nièine  temps,  un  sculpteur  ferra- 
rais,  Lodovico  Raitzt,  qui  demeurait  alors  à  Venise,  écrivit  le  25  juillet  1553  à 
Hercule  II  une  lettre  dans  laquelle  il  lui  proposa  d'acquérir  pour  lui  certains 
bustes  antiques. 

(2     Brescello  est  située  sur  le  territoire  de  Reggio,  à  la  droite  du  Pô. 

(3)  «  Fece  una  bellissima  statua  d'un  Ercole  al  duca  di  Ferrara...  Ilducu  elle 
un  Ercole  informa  di  gigante.  »   (Vasari,  t.  VII,  p.  506,  508. ^ 


LIVRE   PREMIER.  201 

loin  :  à  distance,  les  rudesses  de  rexécution  eussent  passé 
inaperçues.  Peu  à  peu  le  souvenir  de  son  origine  s'effaça  : 
l'abbé  Talenti  l'attribua  à  un  sculpteur  grec  ;  Muratori  vit  en 
elle  un  monument  de  l'ancienne  ville  de  Brescello,  et  Tira- 
bosclii,  dans  son  Dizionario  topograjlco  degli  Staii  Estensi^  la 
proclama  antique.  C'est  le  marquis  Campori  qui  l'a  restituée 
à  son  véritable  auteur. 

Hercule  II  mourut  le  3  octobre  1559.  Il  fut  enseveli  dans 
l'église  du  Corpus  Domini.  Giambatista  Pigna  prononça  son 
oraison  funèbre  dans  la  catliédrale,  et  une  autre  oraison 
funèbre  fut  composée  par  Silvio  Antoniano.  Hercule  laissa 
cinq  enfants  légitimes  :  Alphonse,  qui  lui  succéda;  Louis, 
qui  devint  à  quinze  ans  évêque  de  Ferrare  (1553),  fut  promu 
au  cardinalat  en  1561  et  mourut  en  1586;  Anna,  Lucrezia  et 
Eleonora(l).  Il  eut  aussi  une  fille  naturelle,  également  nom- 
mée Lucrezia,  qui  se  fit  religieuse. 

De  même  qu'on  ne  peut  guère  nommer  Alphonse  I"  sans 
nommer  son  frère  le  cardinal  Hippolyte  P',  de  même  on  ne 
saurait,  en  parlant  d'Hercule  II,  oublier  son  frère  Hippolyte II , 
qui  fut  un  avisé  politique,  qui  aima  aussi  et  protégea  les  lettres 
et  les  arts.  Fils  d'Alphonse  P'  et  de  Lucrèce  Borgia,  il  naquit  le 
25  août  1509.  Il  n'avait  que  dix  ans  (1519)  lorsque  son  oncle 
Hippolyte  I"  se  désista  en  sa  faveur  de  l'archevêché  de  Milan, 
dont  toutefois  les  revenus  ne  devaient  appartenir  au  nouveau 
titulaire  qu'à  la  mort  de  l'ancien.  C'est  alors  qu'il  reçut  les 
ordres  mineurs.  La  France  le  posséda  souvent  et  longtemps  (2). 
En  1536,  il  s'y  rendit  avec  une  suite  de  cent  trente  personnes, 
et  François  I"  lui  donna  l'archevêché  de  Lyon.  Étant  encore 
en  France,  il  fut,  à  la  sollicitation  du  Roi,  nommé  cardi- 
nal (1539).  Cet  événement  causa  une  grande  joie  à  Ferrare,  et 

(1)  «  Pendant  que  l'on  concluait  en  France  le  mariage  du  duc  d'Auinale  Fran- 
çois de  Lorraine,  duc  de  Guise,  avec  Anna  d'Esté,  Girolamo  ila  Caipi  envoya  au 
Priinatice  les  portraits  de  tous  les  enfants  du  duc  Hercule  II  d'Esté,  et  le  Prima- 
tice  les  donna  à  la  reine  Catherine  de  Médicis.  «  (V^entubi,  dans  V Atcliivio  stoi-ico 
(leir  arte,  août-septeudire  1889,  p.  377.) 

(2^1  Ad.  Venturi,  Ippolito  II  in  Francis;  dans  la  Rivi'-tn  Europca,  vol.  XXIV, 
fasc.  I,  1881. 


202  L'AT.T    FEU  HA  lî  AI  S. 

Celio  Calcagnini  alla,  de  la  part  trilerculc  II,  remercier  le 
Pape,  en  présence  duquel  il  prononça  un  discours  qui  a  été 
imprimé  avec  ses  autres  ouvrages.  Hippolyte  partit  le  (3  août 
pour  Ferrare  et  se  dirigea  vers  Rome  le  18  octobre.  A  l'occa- 
sion des  fêtes  qui  eurent  lieu  à  la  cour  de  France  pour  célébrer 
à  la  fois  la  trêve  de  Nice,  la  venue  de  l'Empereur  en  France 
et  les  noces  du  duc  de  Clèves,  Hippolyte  II  fut  invité  à  venir 
de  nouveau  en  France,  et,  le  soir  du  17  mars  15-41,  il  donna 
au  Roi  un  bassin  et  un  bocal  exécutés  par  Benvenuto  Cel- 
lini  (I).  En  15  46,  on  le  retrouve  encore  à  la  cour  de  France, 
où  François  I"  lui  accorda  la  liberté  de  son  frère  Francesco, 
fait  prisonnier  en  combattant  contre  les  Français  dans  les 
rangs  des  Impériaux.  Six  ans  plus  tard,  quand  la  ville  de 
Sienne  se  fut  mise  sous  la  protection  de  la  France,  Henri  II  le 
prit  pour  lieutenant.  Hippolyte  entra  à  Sienne  en  grande 
pompe.  Il  ne  garda  ses  fonctions  de  gouverneur  que  jusqu'en 
155  4  :  pressé  par  les  troupes  de  l'Empereur  et  par  celles  de 
Gôme  de  Médicis,  il  remit  alors  ses  pouvoirs  au  général  fran- 
çais. La  faveur  de  Henri  II  ne  l'abandonna  pas,  et  il  reçut  le 
titre  de  Protecteur  de  la  couronne  de  France  à  Rome.  A  la 
mort  de  Jules  III  et  à  celle  de  Marcel  H,  il  espéra,  grâce  à 
l'appui  du  Roi,  obtenir  la  dignité  de  Souverain  Pontife;  mais 
l'influence  de  l'Empereur  assura  l'élection  de  Marcel  II  et  de 
Paul  IV.  Sous  ce  dernier  pape,  il  fut  légat  du  Saint-Siège  en 
France  pendant  la  minorité  de  Charles  IX,  et  il  assista  au  col- 
loque de  Poissy,  en  1561.  Il  avait  lui-même  la  cour  d'un  prince 
séculier.  C'est  à  Rome  qu'il  mourut  (le  2  décembre  1572).  Il 
fut  enseveli  à  Tivoli,  dans  le  voisinage  de  la  villa  qu'il  y  avait 
fait  construire  en  1549  d'après  les  dessins  àePietro  Ligorio,  et 
que  l'on  admire  toujours  pour  ses  énormes  cyprès  comme  pour 
la  vue  magnifique  qu'on  y  a  sur  la  campagne  romaine.  Le  Fer- 
rarais  Ercole  Cato  prononça  l'oraison  funèbre  du  cardinal,  et 
Moreio,  un  des  familiers  de  celui-ci,  en  composa  une  seconde. 
Hippolyte  H  aimait  beaucoup  la  musique  :  on  cite  parmi  les 

(1)   Ad.  Ventuki,  Benvenuto  Cellini  in  Francia,  clans  ïArchivio  storico  deli 
arte,  août-septeinbre  1889,  p.  376. 


LIVRE   PREMIER.  203 

artistes  qui  se  firent  entendre  dans  sa  villa  de  Tivoli  Lorenzino 
dalliuto.  Il  avait  eu  une  fille  naturelle,  qui  épousa,  en  1553, 
Louis  Pic  de  la  Mirandole  et  qui  mourut  en  1555.  A  Ferrare, 
il  eut  à  son  service,  en  15(32,  Bernardo  Tasso{l),  le  père  de 
Torquato. 


XI 

ALPHONSE    II    (I559-I597)    (2). 


Dès  sa  jeunesse,  Alphonse  annonça  un  caractère  énergique. 
Il  n'avait  que  dix-neuf  ans  lorsque,  désireux  de  se  former  à 
l'art  militaire  et  d'acquérir  l'expérience  nécessaire  à  un  prince, 
il  abandonna  tout  à  coup  Ferrare.  N'ayant  pas  réussi  à  obtenir 
de  son  père  l'autorisation  de  se  rendre  en  France,  où  l'atti- 
raient ses  aspirations,  il  feignit  de  partir  pour  la  chasse  avec 
un  certain  nombre  de  gentilshommes  et  de  familiers;  mais, 
au  lieu  de  gagner  la  Polésine  de  Rovigo,  il  se  dirigea  vers  la 
patrie  de  sa  mère  et  ne  laissa  pas  aux  émissaires  d'Hercule  II, 
envoyés  à  sa  poursuite,  le  temps  de  le  rejoindre.  Henri  II  le 
mit  à  la  tête  de  cent  soldats,  lui  conféra  le  titre  de  capitaine, 
lui  accorda  une  forte  pension,  et  ajouta  à  ces  faveurs  l'ordre 
de  Saint-Michel.  Ce  premier  séjour  d'Alphonse  en  France  dura 
du  28  mai  1552  au  26  septembre  1554.  Le  jeune  prince  en 
avait  conservé  un  si  agréable  souvenir  qu'il  retourna  plusieurs 
fois  à  Paris  avant  son  avènement,  avec  la  permission  de  son 
père.  On  y  constate  de  nouveau  sa  présence  depuis  le 
17  mars  1556  jusqu'au  mois  de  février  1557.  Ayant  voulu 
monter  dans  un  tournoi  un  cheval  que  personne  n'était  par- 
venu à  maîtriser,  il  fut  renversé  à  terre,  foulé  aux  pieds  par  le 

(1)  Bernardo  Tasso  avait  été  précédcimnciit  au  service  de  la  durhessc  Renée. 
Quand  il  se  sépara  du  cardinal  Hippolyte  II,  il  devint  secrétaire  du  duc  de  Man- 
toue. 

(2)  Il  a  été  déjà  question  d'Alphonse  II,  p.  l/'J  et  180. 


204  L'AKT    FEllllARAIS. 

fougueux  animal,  et  ne  donna  signe  de  vie  qu'au  bout  de  plu- 
sieurs heures.  Son  troisième  voyage  en  France  eut  lieu  en 
1558  (1).  Il  s'agissait  non  seulement  de  perfectionner  son  édu- 
cation militaire,  mais  de  presser  le  remboursement  de  sommes 
importantes,  prêtées  au  Roi  par  le  duc  de  Ferrare,  et  de  justi- 
fier la  conduite  politique  de  celui-ci  à  l'égard  de  la  ligue  que 
le  Pape  et  le  Roi  avaient  formée  contre  les  Espagnols.  Ce  fut 
Alphonse  qui,  dans  un  grand  tournoi,  soutint  Henri  II  mortel- 
lement blessé  par  l'éclat  d'une  lance.  Il  était  encore  en  France 
au  moment  de  la  mort  d'Hercule  II.  Le  Roi  lui  assura  une 
pension  annuelle  de  vingt  mille  écus. 

Alphonse  II  avait  vingt-six  ans  lorsqu'il  prit  en  main  le 
gouvernement  (1559).  Deux  mesures  de  clémence  signalèrent 
le  commencement  de  son  règne.  Il  rendit  la  liberté  à  Giulio, 
frère  naturel  d'Alphonse  I",  qui,  enfermé  en  1505  dans  les 
cachots  du  Castello,  n'avait  pas  encore  trouvé  grâce  devant  les 
souverains  de  Ferrare.  En  outre,  il  rouvrit  les  portes  de  sa 
capitale  à  son  oncle  François  (2),  exilé  pour  avoir  maltraité 
le  podestat,  qui  avait  condamné  à  la  peine  de  la  corde  le 
neveu  de  son  chapelain,  coupable  d'un  délit  sans  impor- 
tance. 

Aucun  des  princes  de  la  maison  d'Esté  ne  poussa  plus  loin 
qu'Alphonse  II  le  goût  de  la  pompe  et  du  luxe  (3).  Un  voyage 
à  Venise  en  1552  lui  fournit  l'occasion  de  déployer  un  faste 
sans  exemple  (4).  En  1566,  quand  il  alla  au  secours  de  la 
Hongrie  menacée  par  les  Turcs,  il  n'emmena  pas  moins  de 
trois  cents  gentilshommes  à  cheval,  trois  cents  pages,  six  cent 
vingt-cinq  arquebusiers,  sans  compter  les  troupes  à  cheval  et 
à  pied,  ce  qui  composait  une  suite  de  quatre  mille  personnes. 
La  finesse  de  ses  armes  et  le  harnachement  puerrier  de  son 


(1)  Pigna  acconipajjna  Alphonse  dans  ce  voyage. 

(2)  Il  avait  mis  son  cpée  au  service  de  Charles-Quint.  A  la  mort  d'Hercule  II, 
il  se  trouvait  en  Espagne. 

(3  II  avait  soin  de  n'avoir,  autant  que  possible,  à  son  service,  et  de  n'em- 
ployer dans  les  ambassades  que  des  personnes  remarquables  par  leur  beauté. 

(4)  Voyez  les  pages  consacrées  au  palais  des  princes  d'Esté  à  Venise  ^livre  II, 
chapitre  m). 


LIVKE   PllEMIEK.  205 

cheval  excitèrent  l'admiration  générale.  Ses  courtisans  riva- 
lisèrent avec  lui  de  magnificence  dans  leurs  costumes  de  soie, 
de  velours,  de  brocart,  que  rehaussaient  des  broderies  d'or  et 
d'argent.  Singulier  équipage  pour  des  gens  qui  songeaient  à 
affronter  des  batailles  !  Il  est  vrai  que  la  mort  de  Soliman  per- 
mit à  ces  preux  de  parade  de  regagner  promptement  leurs 
foyers  sans  avoir  vu  le  feu.  Mais  Alphonse  II,  en  éclipsant 
tous  les  princes  réunis  autour  de  l'Empereur,  avait  satisfait  sa 
vanité  et  fait  montre  de  sa  puissance  (I). 

Les  trois  mariages  qu'il  contracta  furent  signalés  par  des 
fêtes  dont  les  historiens  du  temps  nous  ont  gardé  le  souvenir. 

Il  épousa  en  premières  noces,  à  Florence,  Lucrèce  de  Mé- 
dicis,  la  troisième  fille  de  Côme,  âgée  de  quinze  ans  (18  juin 
1558);  mais  après  être  resté  quelques  jours  avec  elle,  il  la 
laissa  auprès  de  Côme  et  se  rendit  seul  à  Ferrare,  puis  à  Paris, 
et  ce  fut  seulement  en  1560  qu'elle  fit  son  entrée  dans  la  capi- 
tale de  son  mari.  François,  oncle  d'Alphonse  II,  fut  chargé  de 
l'aller  chercher.  Elle  arriva  avec  son  frère  François  de  Médicis 
et  don  Louis  de  Tolède,  son  oncle  maternel;  une  suite  de  cinq 
cent  cinquante-deux  personnes  l'accompagnait,  et  quatre  cent 
trente  et  un  chevaux  étaient  compris  dans  son  cortège.  Quatre 
arcs  de  triomphe  avaient  été  disposés  dans  les  rues  qu'elle 
devait  traverser  (19  février).  Sur  ces  arcs,  décorés  de  figures 
en  stuc  imitant  le  bronze,  des  batailles  avaient  été  peintes. 
Parmi  les  artistes  qui  y  travaillèrent  se  trouvait  Gahrielletto 
Bonaccioli  (2).  Lucrèce  de  Médicis,  qui  ne  fut  guère  aimée 
d'Alphonse  II,  soit  parce  qu'elle  était  peu  avenante,  au  dire 
des  historiens  (3),  soit  parce  que  les  bons  rapports  ne  durèrent 
pas  longtemps  entre  le  duc  de  Ferrare  et  les  princes  qui  ré- 
gnaient à  Florence,  mourut  le  21  avril  1561. 

La  seconde  femme  d'Alphonse  II  fut  Barbe  d'Autriche,  fille 


(1)  3Iême  ostentation  lors  d'un  voyage  à  Rome  en  1591,  où  il  voulait  négocier 
avec  Grégoire  XIV  pour  assurer  sa  succession  à  César  d'Esté  :  il  partit  de  Ferrare 
avec  une  suite  de  cinrj  ou  six  cents  personnes. 

(2)  Voyez  L.-]}^.  CiTTADELLA,  Notizie  relative  a  Ferrara,  t.  I,  p.  220. 

(3)  Elle  avait  cependant,  d'aprcs  sa  médaille,  un  visage  agréable. 


206  T/ATiT   FEllIlAlîAIS. 

de  Ferdinand  I".  Ferdinand  mourut  pendant  le  cours  des  né- 
fjociatlons  relatives  à   ce  mariage,  et  le  duc  de  Ferrare,  en 
allant  à  Vienne  avec  trois  cent  trente-cinq  chevaux  pour  assis- 
ter aux  funérailles  de  l'Empereur,  vit  à  Innsbruck  sa  fiancée, 
dont  la  modestie  et  la  beauté  le  charmèrent.  Il  fut  convenu 
que  le  cardinal  Louis  d'Esté,  frère  d'Alphonse  II,  épouserait 
par  procuration  la  jeune  princesse  dans  la  ville  de  Trente,  où 
François  de  Médicis,  fils  aîné  de  Gôme,  devait  en  même  temps 
s'unira  Jeanne,  la  plus  jeune  des  quatre  filles  de  Ferdinand  P'. 
Mais  des  difficultés  imprévues  entravèrent  la  réalisation  immé- 
diate des  deux  mariages,  François  de  Médicis  prétendant  être 
marié  le  premier,  et  le  cardinal  Louis  réclamant  de  son  côté 
le  même  privilège.  L'empereur  Maximilien  II  coupa  court  aux 
contestations  acerbes  en  décidant  que  ses  deux  sœurs  seraient 
mariées  dans  les  États  de  leurs  maris.  Barbe  arriva  au  château 
du  Belvédère  le  2  décembre  1565  et  y  demeura  cinq  jours; 
puis  elle  fit  pompeusement  son  entrée  à  Ferrare,  et  la  béné- 
diction nuptiale  fut  donnée  aux  nouveaux  époux  par  l'arche- 
vêque Bossetti.   Les  mascarades,  les  festins  (I),  les  tournois 
mirent  alors  la  ville  en  fête.  Sur  la  place  qui  se  trouve  auprès 
de  la  Chiesa  Nuova  et  de  l'ancien  palais  des  princes  d'Esté  eut 
lieu,  dans   un  vaste  amphithéâtre,    une  représentation  allé- 
gorique   intitulée    le    Temple   d'Amour.    Cent    gentilshommes 
V  prirent  part.  Les  décors  peints  et  les  motifs  d'architecture 
improvisés,  les  changements  à  vue,  les  lumières,  les  feux  de 
joie  n'intéressèrent  pas  moins  les  nombreux  et  illustres  spec- 
tateurs venus   de  toute   l'Italie,   que  les    prouesses  des  che- 
valiers,  la  musique  vocale  et   la  pantpmime.   Pigna,  qui    fut 
probablement  l'organisateur  de  ce  spectacle,  en  a  publié  le 
compte  rendu.  La  nouvelle  de  la  mort  de  Pie  IV  empêcha  de 
prolonger  les  réjouissances  à  Ferrare.  Barbe  mourut  le  18  sep- 
tembre 1572  (2). 

Eu  troisièmes  noces,  Alphonse  II  épousa  Marguerite  Gon- 

(1)   Les  coiiiiuuncs  du  territoire  ferrarais  avaient,  suivant  l'usage,  donné  au  duc 
force  bœufs,  moutons  et  volailles. 

(2]    Il  sera,  plus  loin,  question  d'elle  à  propos  de  son  tondjeau  ^liv.  III,  eli.  i). 


LIVFvE   P1\EMIE1\.  207 

zagiie,  fille  de  Guillaume,  duc  de  Mantoue,  et  de  sa  propre 
belle-sœur  Éléonore  d'Autriche  (27  février  1579)  (1).  Margue- 
rite u'avait  que  quinze  ans.  Lors  de  son  arrivée  à  Ferrare,  les 
divertissements  somptueux  ne  manquèrent  pas  non  plus  (2). 

Les  mariages  d'Alphonse  II  ne  lurent  pas  pour  ce  prince  les 
seules  occasions  de  faire  à  sa  cour  étalage  de  magnificence  et 
de  prodiguer  les  fêtes  extraordinaires.  Quand  son  frère  Louis, 
évéque  de  Ferrare  depuis  le  12  novembre  1553(3),  fut  nommé 
cardinal  (26  février  1561),  il  y  eut  table  ouverte  au  château 
pendant  cinq  jours  (4).  Une  soi'te  de  tournoi,  auquel  fut  donné 
le  nom  de  Castel  di  Gorgoferusa,  eut  lieu  le  2  mars  en  présence 
de  Guillaume,  duc  de  Mantoue.  Une  autre  représentation 
analogue,  Il  MoJite  di  Feronia,  dont  Tiraboschi  fait  honneur  à 
Pigna,  fut  donnée  le  27  du  même  mois.  —  La  venue  à  Ferrare 
de  Charles,  archiduc  d'Autriche,  frère  de  la  duchesse  Barbe, 
servit  aussi  de  prétexte,  en  1569,  à  des  mascarades,  à  une 
grande  chasse  dans  le  Parco  et  à  des  courses  de  chars,  que 
suivit  le  tournoi  intitulé  V Isola  beata.  Dans  un  large  fossé  rem- 
pli d'eau,  le  long  des  murs  de  la  ville,  on  avait  élevé  sur  un 
radeau -un  château  fort.  Ce  château,  défendu  par  une  magi- 
cienne ayant  à  son  service  des  esprits  et  des  monstres,  devait 
être  assiégé  durant  la  nuit,  à  la  lueur  des  torches,  par  une 
troupe  de  chevaliers  bardés  de  fer.  Un  sinistre  accident  attrista 
la  représentation.  Plusieurs  gentilshommes,  en  tombant  d'une 
échelle  qui  se  rompit  sous  leurs  pieds,  s'enfoncèrent  et  périrent 
dans  la  bourl)e,  où  les  retint  le  poids  de  leurs  armures.  L'ar- 
chiduc eut  beau  demander  que  l'on  ne  poussât  pas  plus  loin 
l'exécution  du  programme  fixé,  le  duc,  affectant  l'indifférence 

(1)  Eléonore  avait  pour  père  rcinpcicur  Fertlinaml  I". 

(2)  Dans  cette  circonstance,  la  fabrique  ducale  de  majoliinies  Ht  des  plats  aux 
armes  de  la  nouvelle  épouse. 

i^)   Il  était  né  le  25  décembre  1538. 

(4}  Obéissant  aux  décisions  du  Cijncilc  de  Trente  qui  imposait  la  rcsideiu-c 
aux  évèques,  Louis  résijjna  en  1563  ses  fonctions  d'évêque  de  Ferrare  entre  les 
mains  d'Alfonso  Rossetti,  afin  de  pouvoir  se  fixer  à  Rome.  Rossetti,  qui  fut  un 
des  conseillers  piivés  d'Hercule  II  et  d'Alpbonse  II,  et  que  ces  princes  employè- 
rent plusieurs  fois  comme  audmssudcur,  mourut  en  lo77,  a  quatrc-vinjjts  ans.  Le 
iurisionsulte  Glaudi(j  Bertazzoli  prononça  sou  oraison  funèbre. 


208  L'A  HT    FE  un  AU  Aïs. 

nécessaire  dans  les  vraies  batailles,  voulut  que  le  spectacle 
continuât.  —  Une  autre  représentation,  celle  du  Mago  rilucente 
(9  février  1570),  coïncida  avec  la  présence  à  Ferrare  de  Fran- 
çois-Marie délia  Rovere,  qui  venait  d'épouser  Lucrèce,  sœur 
d'Alphonse  II.  —  Quatre  ans  plus  tard,  le  duc,  avec  une  suite 
de  cinq  cents  personnes,  alla  chercher  jusque  dans  le  Frioul  et 
amena  dans  sa  capitale,  en  passant  par  Venise,  Henri  III  qui, 
abandonnant  la  couronne  de  Pologne  que  lui  avaient  offerte 
les  Polonais (1),  se  rendait  en  France  pour  succéder  à  Charles  IX, 
mort  le  31  mai  1574.  A  Ferrare  se  trouvaient  en  même  temps 
quelques  autres  princes.  Dans  la  villa  de  Montagnone,  Al- 
phonse II  donna  un  repas  à  ses  hôtes  sous  une  loggia  ornée  de 
statues.  Au  milieu  d'un  étang,  on  disposa  un  château  fort, 
comme  celui  de  VIsola  beata,  qui  devait  être  assiégé,  puis 
brûlé  ;  mais  le  feu  y  prit  avant  que  les  chevaliers  eussent  com- 
mencé leur  entreprise  et  fit  plusieurs  victimes.  —  En  1580, 
Alphonse  II  accueillit  avec  magnificence  un  hôte  d'un  tout 
autre  caractère  que  celui  des  personnages  qu'il  avait  coutume 
d'héberger.  En  allant  de  Rome  à  Venise,  saint  Charles  Corro- 
mée  passa  trois  jours  à  Ferrare.  En  son  honneur,  le  duc  fit 
suspendre  les  fêtes  du  carnaval.  Après  avoir  visité  les  églises 
de  la  ville  et  vénéré  les  reliques  que  l'on  y  conserve,  le  cardi- 
nal Borromée  prêcha  devant  le  peuple  et  convia  les  Ferrarais  à 
une  communion  générale.  La  duchesse  fut  la  première  à  rece- 
voir de  ses  mains  l'hostie  consacrée.  Quand  il  quitta  Feri'are, 
Alphonse  II  mit  à  sa  disposition  un  bucentaure  et  un  certain 
nombre  des  barques  de  la  cour.  —  La  même  année  se  présenta 
devant  le  duc  un  voyageur  français,  Michel  de  Montaigne,  qui 
fut  également  fort  bien  accueilli.  Alphonse  II  resta  la  tête  dé- 
couverte en  présence  de  l'illustre  écrivain,  et  protest::  "  qu'il 
voioit  très  volantier  les  jantilshomes  français,  étant  serviteur 
du  roi  très  crestien  et  très  obligé  »  .  Montaigne  visita  plusieurs 
belles  églises,  jardins  et  maisons  privées,  ainsi  que  l'arsenal. 

(1)  Alphonse  II  prétendit  alors  l'obtenir  et  envoya  en  Pologne  plusieurs 
ambassadeurs,  entre  autres  Baltista  Guariiii,  pour  solliciter  les  suffrages  des 
magnats;  mais  les  vuix  se  portèrent  sur  Uatori,  prince  de  Transylvanie. 


LIVRE   PREMIER.  209 

"  Nous  vismes  en  outre  le  bucentaure  que  le  duc  avait  faict 
faire  pour  sa  nouvelle  famé  (Marçuerite  de  Gonzague),  qui  est 
belle  et  trop  jeune  pour  lui,  à  l'envi  de  celui  de  Venise,  pour  la 
conduire  sur  la  rivière  du  Pô.  » 

Afin  de  faire  face  aux  énormes  dépenses  qu'entraînaient  les 
voyages  et  les  fêtes  dont  nous  avons  parlé,  le  duc  fut  obligé 
de  recourir  à  des  mesures  fiscales  qui  le  rendirent  odieux  à 
son  peuple.  Les  droits  de  douane  furent  plus  que  doublés  et 
les  fonctions  publiques  accordées  aux  plus  offrants,  qui,  pour 
se  dédommager  de  leurs  déboursés,  se  livrèrent  à  des  extor- 
sions révoltantes.  Cristoforo  Fabretti  de  Fiume  obtint  en 
1565  le  monopole  du  sel,  en  1569  le  privilège  de  percevoir  le 
dixième  de  la  valeur  des  marchandises  qui  entraient  sur  le 
territoire  de  Ferrare  et  qui  en  sortaient,  puis  le  monopole  de 
la  fabrication  du  pain,  du  savon  et  des  cuirs.  Tout  pouvoir  fut 
enfin  donné  à  ce  rapace  et  cruel  personnage,  qui  pressura  les 
citoyens  au  profit  du  prince  et  surtout  à  son  propre  profit.  On 
ne  pouvait  sans  son  autorisation,  c'est-à-dire  sans  lui  payer  une 
redevance,  pécher,  prêter  du  pain  et  du  sel  à  un  \'oisin  ou  à 
un  ami,  apporter  dans  la  ville  des  œufs,  du  fromage,  du 
beurre,  de  la  viande  et  de  la  A'olaille.  Nombre  de  familles 
furent  ruinées.  Gamillo  Orobuoni ,  noble  ferrarais ,  ayant 
osé  avertir  Alphonse  II  des  agissements  de  l'oppresseur  public, 
fut  obligé  de  s'enfuir.  Un  malheureux  au  désespoir  tira  un 
coup  d'arquebuse  contre  Fabretti,  mais  échoua  dans  sa  tenta- 
tive. La  mort  seule  (22  août  1575)  délivra  les  Ferrarais  de 
l'homme  qui  les  avait  si  longtemps  opprimés.  Lorsque  le  corps 
de  Fabretti  fut  porté  à  l'église  de  Saint-Dominique,  on  pavoisa 
toutes  les  fenêtres  en  signe  de  joie. 

Gomme  les  simples  citoyens ,  les  gentilshommes  eurent 
beaucoup  à  souffrir  de  la  passion  du  souverain  pour  le  faste. 
Forcés  de  paraître  à  la  cour  ou  de  suivre  le  prince  dans  ses 
voyages  avec  de  brillants  costumes  et  de  riches  équipe- 
ments, d'avoir  un  train  de  maison  que  ne  comportaient  pas 
leurs  revenus  ,  et  de  représenter  comme  ambassadeurs  leur 
maître  à  l'étranger  de  façon  à  lui  faire  honneur,  plusieurs 
I.  14 


210  L'AUT    FEllUAUAIS. 

d'entre  eux  durent  contracter  des  dettes  et  vendre  leurs  biens. 

Ce  qui  contribua  aussi  à  Timpopularité  du  duc,  ce  furent  ses 
ëdits  sur  la  chasse,  divertissement  dont  il  était  aussi  épris  que 
l'avait  été  son  ancêtre  Borso.  Il  défendit  à  ses  sujets  de  couper 
des  arbres  dans  les  forêts,  d'émonder  les  buissons  et  les  haies 
dans  les  campagnes,  et  même  d'arracher  le  chaume  et  de  dé- 
blayer les  fossés  sans  sa  permission  (1).  Personne,  excepté  lui, 
n'avait  le  droit  de  chasser,  et  si  quelque  gentilhomme  y  était 
autorisé  par  lui,  il  ne  pouvait  se  livrer  à  ce  plaisir  que  pen- 
dant un  seul  jour,  dans  un  lieu  déterminé,  en  se  servant  de 
faucons  ou  de  trois  chiens  au  plus,  à  l'exclusion  des  filets  et 
du  fusil.  En  1577,  on  vit  pendus  sur  la  place  de  Ferrare  six 
hommes  aux  pieds  desquels  étaient  attachés  des  faisans  morts: 
ces  hommes  n'étaient  coupables  que  d'avoir  tué  quelques 
pièces  de  gibier  appartenant  au  duc. 

Alphonse  II,  en  général,  se  montra  très  généreux  pour  son 
entourage.  L'argent  comptant,  les  propriétés,  les  présents  de 
toutes  sortes  récompensèrent  souvent  le  zèle  déployé  pour  sou 
service.  A  ses  libéralités  eurent  part  non  seulement  des  per- 
sonnages tels  qu'Alfonso  Estense  Tassoni ,  gouverneur  de 
Reggio,  Girolamo  Falletti,  son  ambassadeur  à  Venise,  Gio. 
Battista  Pigna  et  Batista  Saracco,  ses  secrétaires,  mais  un  de 
ses  maîtres  d'écurie  et  son  chanteur  favori,  nommé  Giovanni. 
Lors  de  son  mariage  avec  Barbe  d'Autriche,  il  partagea  entre 
ses  chambellans  la  garde-robe  qu'il  avait  apportée  de  France 
et  qui  valait  quinze  mille  écus.  Dans  sa  munificence,  il  ne 
laissait  pas  partir  sans  les  avoir  comblés  de  cadeaux  les  princes 
étrangers  dont  la  présence  avait  rehaussé  l'éclat  de  sa  cour. 

Un  des  traits  du  caractère  d'Alphonse  II  fut  une  ombra- 
geuse susceptibilité,  qui  lui  rendait  tout  à  coup  suspects  les 
gens  qu'il  favorisait  le  plus.  En  1586  vivait  à  Ferrare  le  Fran- 
ciscain Panigarola,  noble  milanais,  qui  assistait  en  qualité  de 

'1)  Les  mesures  prises  pour  la  conservation  du  gibier  favorisèrent  aussi  la  mul- 
tiplication des  loups.  Ils  devinreïit  si  nombreux  qu'à  tout  moment  ils  dévoraient 
les  animaux  nécessaires  à  l'agriculture,  et  que  l'on  dut,  pour  en  délivrer  le  pays, 
recourir  à  des  JNapolitains,  auxquels  cette  sorte  de  chasse  était  familière. 


LIVRE    PREMIER.  211 

coadjuteur  Leoni,  évêque  de  Ferrare,  et  qui  était  renommé  à 
la  fois  pour  ses  écrits  et  pour  les  éloquents  sermons  par  les- 
quels il  avait  converti  une  foule  d'hérétiques.  Après  l'avoir 
admis  parmi  ses  conseillers  privés,  le  duc  songeait  à  lui  pro- 
curer le  chapeau  de  cardinal,  quand  il  l'exila  de  ses  États,  ne 
lui  laissant  que  quelques  heures  pour  quitter  Ferrare.  Quel 
méfait  justifiait  cette  rigueur?  Panigarola  avait  négocié  en 
secret  avec  le  cardinal  de  Médicis  afin  de  succéder  à  Leoni 
dans  l'évêché  de  Ferrare;  or  Alphonse  II  eût  voulu  que  le 
coadjuteur  ne  dût  le  titre  d' évêque  qu'à  sa  propre  interven- 
tion. —  Autre  exemple  non  moins  significatif.  Le  duc,  qui 
n'avait  point  de  postérité,  désigna  comme  son  successeur,  par 
un  testament  fait  en  1595,  César,  fils  de  son  oncle  Alphonse  (1). 
Mais  trouvant  bientôt  que  l'on  courtisait  trop  celui  qui  devait 
un  jour  occuper  sa  place,  il  lui  conseilla  de  se  conduire  avec 
plus  de  modestie  et  lui  enjoignit  de  ne  pas  paraître  en  public 
avec  plus  de  trois  gentilshommes,  dont  il  eut  soin  de  spécifier 
les  noms. 

Il  ne  se  montra  pas  moins  pointilleux  en  matière  d'ortho- 
doxie religieuse,  s'imaginant  que  sa  qualité  de  feudataire  du 
Saint-Siège  lui  faisait  un  devoir  de  ne  pas  tolérer  les  dissi- 
dents. Les  croyances  de  Renée,  sa  mère,  ne  trouvèrent  pas 
grâce  devant  lui  :  la  fille  de  Louis  XII,  mise  en  demeure  de  se 
comporter  comme  une  bonne  catholique  ou  de  quitter  Ferrare, 
prit  le  parti  de  retourner  en  France.  Le  27  septembre  1560, 
elle  s'éloigna  avec  une  suite  nombreuse,  et  le  prince  Louis, 
son  fils,  l'accompagna  jusqu'à  Turin  (2).  Les  Ferrarais,  qui 
admiraient  les  qualités  de  son  esprit  et  que  touchait  sur- 
tout son  inépuisable  charité,  la  regrettèrent  vivement.  La 
mesure  prise  à  son  égard  porta,  dans  les  États  du  duc,  un 
coup  décisif  aux  partisans  de  la  Réforme,  dont  elle  était  le 
soutien. 

(1)  Cet  Alphonse,  on  se  le  rappelle,  était  His  d'AlpIioiisc  F'  et  de  Laura 
Diaiiti. 

(2)  Elle  se  retira  au  château  de  Montargis,  que  restaura  pour  elle  Jacques 
Androuet  Ducerceau^  et  oix  elle  passa  les  quinze  dernioics  années  de  sa  vie 
(1561-1575  . 


212  L'ART    FERRAllAIS. 

Alphonse  II  était  sincèrement  religieux.  Il  assistait  tous  les 
jours  à  la  messe.  II  secourut  clans  leurs  besoins  les  moines 
établis  à  Ferrare,  favorisa  la  fondation  de  plusieurs  orphe- 
linats, distribua  souvent  des  dots  aux  jeunes  filles  pauvres,  fit 
élever  et  employer  à  la  cour  des  orphelins.  En  1585,  il  porta 
des  peines  contre  les  tuteurs  qui  trafiqueraient  du  mariage  de 
leurs  pupilles.  Au  mois  de  septembre  1589,  pour  accomplir 
un  vœu,  il  se  rendit  à  Lorette  avec  trente  voitures. 

On  peut  dire  aussi  à  sa  louange  que  le  bien  public  ne  resta 
pas  étranger  à  ses  préoccupations.  De  nouveaux  statuts  furent 
approuvés  par  le  duc  et  imprimés  (15G7).  Le  calendrier  auquel 
Grégoire  XIII  a  attaché  son  nom  fut  adopté  à  Ferrare  en  1582. 
Quatre  canaux  (1564-1580)  furent  creusés  pour  assainir  et 
dessécher  la  Polésine  de  Saint-Jean-Baptiste,  dont  ils  déver- 
sèrent les  eaux  dans  la  mer  par  des  portes  qui  s'ouvraient  et 
se  refermaient  d'elles-mêmes,  selon  que  le  niveau  de  la  mer 
s'élevait  ou  s'abaissait.  L'industrie  de  la  soie  réalisa  de  grands 
progrès.  Le  duc  fit  venir  de  Bourgogne  des  ceps  de  vigne  en 
abondance,  ce  qui  fut  un  bienfait  durable  pour  le  pays.  La 
fabrication  du  drap  et  du  velours  prit  beaucoup  d  extension, 
mais  on  n'en  autorisait  l'exportation  que  dans  des  cas  excep- 
tionnels. Enfin,  la  majolique  et  la  porcelaine,  ainsi  que  les 
cuirs  gaufrés,  peints  et  dorés,  reçurent  aussi  d'efficaces  encou- 
ragements. 

Comme  sous  Hercule  II,  les  désastres  ne  manquèrent  pas  à 
Ferrare  sous  Alphonse  II.  Une  inondation  en  1562^  la  disette 
en  1562,  en  1590  et  en  1592,  des  épidémies  en  1562  et  en 
1580,  jetèrent  la  consternation  dans  la  ville.  Pendant  une  des 
disettes,  le  duc  employa  en  achats  de  blé  jusqu'à  deux  cent 
mille  écus  pris  sur  sa  cassette  (1).  Un  tremblement  de  terre  en 
1561  renversa  un  grand  nombre  de  maisons  et  coûta  la  vie  à 
une  foule  de  citoyens.  Le  même  fléau  sévit  encore  en  1570 
avec  une  violence  qu  on  ne  lui  avait  jamais  vue  (2).  Le  duc 
gagna  en  barque  les  murs  de  la  ville  et  passa  la  première  nuit 

(1)  Frizzi,  Mem.  per  la  storia  di  Ferrara,  t.  IV,  p.  435. 

(2)  Ibid.,  t.  IV,  p.  398-400. 


LIVllE   PREMIEll.  213 

dans  une  voiture.  Éléonore  et  Lucrèce,  ses  sœurs,  ne  voulurent 
pas  d'abord  quitter  leurs  appartements,  mais  une  secousse 
épouvantable  les  força  à  s'enfuir,  et  elles  trouvèrent  un  refu.^je 
chez  leur  frère  le  cardinal  Louis,  dans  le  jardin  du  palais  des 
Diamants  :  à  peine  étaient-elles  sorties  de  leur  demeure  ordi- 
naire que  la  toiture  s'écroula  et  tua  plusieurs  personnes.  Pen- 
dant neuf  mois,  il  ne  se  passa  pas  un  seul  jour  sans  une  ou 
plusieurs  secousses.  Grâce  aux  vastes  et  nombreux  jardins, 
grâce  aux  grandes  places  et  au  peu  d'élévation  de  maintes 
maisons,  on  ne  compta  que  quelques  centaines  de  morts.  Mais 
il  n'y  eut  guère  d'église,  de  palais  public  ou  privé,  qui  ne  subit 
de  graves  dégâts;  tours  et  campaniles  s'écroulèrent  presque 
partout  :  les  rues  étaient  encombrées  de  débris.  Malgré  des 
périls  sans  cesse  renaissants,  Alphonse  II  ne  consentit  pas  à 
s'éloigner  de  ses  sujets  et  regagna  ainsi,  du  moins  en  partie, 
leur  affection  qu'il  s'était  aliénée  en  les  surchargeant  d'im- 
pôts. Les  tremblements  de  terre  finirent  par  être  moins  fré- 
quents et  moins  violents,  mais  se  firent  sentir  jusqu'en  157  4. 
On  constata  encore  une  fois  la  présence  du  fléau  en  1576. 

Au  point  de  vue  des  lettres,  le  règne  d'Alphonse  II  ne  le 
céda  en  rien  aux  règnes  précédents.  Si  le  duc  était  loin  d'être 
un  lettré,  si  les  leçons  de  Bartolommeo  Ricci  n'avaient  pas 
poussé  très  loin  sa  culture  intellectuelle  (I),  il  se  faisait  du 
moins  honneur  de  grouper  autour  de  lui  tous  ceux  qui  s'adon- 
naient aux  choses  de  l'esprit,  tous  ceux  dont  la  notoriété  pouvait 
projeter  sur  sa  maison  un  nouveau  lustre.  A  peine  monté  sur 
le  trône,  il  restaura  l'Université  qui  était  en  pleine  décadence, 
et  il  résolut  d'ajouter  à  la  bibliothèque  formée  par  Lionel, 
Borso  et  Hercule  I"  tous  les  livres  imprimés  jusqu'alors.  A 
partir  de  1567,  les  cours  publics,  qui  se  faisaient  en  divers 
endroits,  notamment  dans  le  couvent  de  Saint-Dominique  et 
dans  celui  de  Saint-François,  se  firent  tous  dans  le  palais  du 
Paradis,  loué  par  le  cardinal  Hippolyte  à  la  municipalité,  qui 
l'acheta  en  1586  du  cardinal  Louis,  héritier  d'Hippolyte.  Ce 

(i)  Il  parlait  cependant  bien  le  français  et  l'alleniaïul,  et  comprenait  passable- 
ment l'espagnol  et  le  latin. 


214  L'ART   FERRAllAIS. 

fut  aussi  en  1567  que  le  duc  approuva  la  fondation  d'une 
chaire  de  doctrine  chrétienne,  fort  utile  à  une  époque  où 
l'hérésie  tentait  de  grands  efforts  pour  supplanter  la  foi  tra- 
ditionnelle. 

On  retrouve  auprès  d'Alphonse  II  plusieurs  des  lettrés  en 
faveur  sous  Hercule  II,  notamment  Girolamo  Falletti,  Alberto 
Lollio,  qui  fit  représenter  en  1563  VAretusa,  Bartolommeo 
Riccio,  Cintio  Giraldi  et  Gianbattista  Canani,  dont  Alphonse  II 
se  plaisait  à  écouter  les  démonstrations  anatomiques,  faites 
sur  des  cadavres  humains,  des  quadrupèdes,  des  oiseaux  et  des 
poissons.  Mais  on  constate  aussi  de  nouveaux  noms.  Le  juris- 
consulte Prospéra  Pasetto  fut  professeur  à  Tllniversité,  consul- 
teur  du  Juge  des  Sages  et  vicaire  de  l'évéque.  Il  mourut  le 
27  janvier  1568.  —  Le  Ferrarais  Francesco  Visdomini,  Frère 
mineur  conventuel,  un  des  théologiens  du  concile  de  Trente, 
prêcha  avec  tant  de  succès  qu'on  le  proclama  le  restaurateur 
de  l'éloquence  sacrée.  Ses  principaux  sermons  ont  été  impri- 
més. Il  cessa  de  vivre  le  29  octobre  1573.  —  Alfonso  Bonac- 
cioli  traduisit  en  italien  Strabon  et  Pausanias.  Il  se  distingua 
aussi  dans  des  négociations  politiques.  —  Ant.  Ftavio  Giraldi 
enseigna  les  belles-lettres  à  l'Université.  ~  Ippolito  Riminaldi 
(1520-1589)  étudia  le  droit  civil  à  Bologne  avec  Ugo  Buoncom- 
pagni,  qui  devint  pape  sous  le  nom  de  Grégoire  XIII  et  h  qui  il 
dédia  le  second  volume  de  ses  Conseils.  En  1560,  il  accepta 
et  occupa  glorieusement  une  chaire  à  Ferrare,  où  les  profes- 
seurs manquaient,  parce  qu'on  n'avait  pas  d'argent  pour  les 
payer.  De  plus,  il  servit  Alphonse  II  comme  ambassadeur  à 
Milan  et  s'acquitta  d'importantes  négociations  (1561).  Etant 
allé  à  Rome  en  1575,  il  fut  nommé  comte  palatin  par  le 
Souverain  Pontife.  Il  écrivit  des  ouvrages  sur  le  Digeste  et 
les  Institutes  de  Justinien,  ce  qui  ne  lempécha  pas  de  com- 
poser des  poésies  en  latin.  Les  lettres,  aussi  bien  que  le  droit, 
trouvèrent  en  lui  un  adepte  émérite.  C'est  à  Ferrare  qu'il 
mourut,  à  l'âge  de  soixante-neuf  ans.  —  Paolo  Sacrati[\h\A'- 
1590),  prêtre  et  chanoine  d'une  vie  exemplaire,  composa  des 
commentaires  sur  les  Psaumes  et  sur  le  commencement  de  la 


LIVRE   PREMIER.  215 

Genèse,  et  on  lui  doit  un  Officium  S.  Georgiipatroni  Ferrariensis 
Ecclesiœ.  —  Antonio  Bevilacqua,  qui  fut  pendant  deux  ans  gou- 
verneur de  Modène,  a  laisse  des  poésies  latines.  —  Dans  le 
genre  pastoral,  Agostino  Argenti  fraya  la  voie  à  V Aminta  du 
Tasse  par  une  pièce  en  italien,  intitulée  lo  Sfortunato.  Cette 
pièce  fut  représentée,  en  1568,  aux  frais  des  écoliers  en  droit 
devant  le  duc  Alphonse  II  et  le  cardinal  Louis,  son  frère,  avec 
des  intermèdes  de  musique  dus  au  célèbre  compositeur  .^Z/onio 
dalla  Viola.  Le  rôle  principal  fut  joué  par  un  comédien  re- 
nommé, Batista  Verato. 

Le  nom  d'Alphonse  II  se  trouve  intimement  lié,  personne 
ne  1  ignore,  à  celui  de  Torquaio  Tasso  (I).  Torquato  fut  intro- 
duit à  la  cour  de  Ferrare  en  15(35  par  son  père  Bernardo,  qui 
avait  été,  nous  l'avons  vu,  secrétaire  de  la  duchesse  Renée 
depuis  1529  jusqu'à  la  fin  de  1531,  et  qui,  après  s'être  mis  au 
service  du  cardinal  Louis  d'Esté  (1562),  était  sur  le  point  de 
devenir  secrétaire  du  duc  de  Mantoue  (2).  A  l'âge  de  dix-huit 
ans,  le  jeune  poète,  pendant  qu'il  étudiait  à  l'Université  de 
Padoue  (3),  avait  déjà  dédié  au  cardinal  Louis  son  Rinaldo, 
poème  chevaleresque  en  douze  chants,  inspiré  par  l'Arioste. 
Admis,  comme  Bernardo,  parmi  les  familiers  du  frère  d'Al- 
phonse II,  il  fut  défrayé  de  tout,  et  on  ne  lui  imposa  aucune 
obligation,  afin  qu'il  put  se  livrer  sans  arrière-pensée  à  la  com- 
position de  ses  ouvrages  et  continuer  sa  Jérusalem  délivrée, 
commencée  dès  1563.  A  peine  arrivé  dans  la  capitale  des 
princes  d'Esté,  il  assista  à  l'entrée  solennelle  de  Barbe  qui 
venait  épouser  le  duc,  et  admira  les  représentations  chevale- 
resques qui  furent  données  à  cette  occasion.  En  157  1 ,  il  accom- 
pagna en  France,  avec  un  certain  nombre  de  gentilshommes, 
le  cardinal  qui  voulait  y  visiter  ses  bénéfices  ecclésiastiques, 
fut  reçu  avec  distinction  par  Charles  IX,  se  lia  avec  Ronsard  et 
séjourna  quelque  temps  à  l'abbaye  de  Châlis,  où  il  poursuivit 

(1)  Torfjuato  Tasso  nacjuit  en  1544  et  moui  ut  en  1595. 

(2)  ISous  revicndions  sur  Rernnrdo  Tasso  à  projios  de  sa  médaille,  attril)uéc  à 
Leone  Leoni. 

(3)  Voyez  Tasso  a  Ftidova,  par  Autoiiio  Malmignati. 


216  L'AllT    FEllUAllAIS. 

ses  travaux  poétiques  ;  mais  son  zèle  ardent  pour  le  parti  catho- 
lique en  France  lui  aliéna  les  bonnes  grâces  de  son  maître, 
homme  prudent  et  politique,  qui  lui  retira  son  traitement  et 
lui  refusa  les  moyens  de  renouveler  ses  vêtements.  "  Il  partit 
de  Paris,  dit  Balzac,  avec  le  même  habit  qu  il  portait  en  y 
arrivant  (1).  "  Après  un  an  d'absence,  il  regagna  Ferrare, 
et  la  mort  de  la  duchesse  Barbe  lui  fournit  l'occasion  de 
composer  l'éloge  de  cette  princesse. 

Ce  fut  cette  année-là  (1572)  qu'il  passa  du  service  de  Louis 
d'Esté  au  service  d'Alphonse  II.  «  Ce  prince,  écrivit-il,  me 
releva  avec  la  main  de  mon  obscure  fortune...  ;  il  me  fit  pas- 
ser de  l  indigence  à  la  richesse,  il  donna  lui-même  une  consi- 
dération et  un  prix  de  plus  à  mes  productions  poétiques  en 
assistant  fréquemment  et  attentivement  à  la  lecture  de  mes 
vers,  et  en  traitant  leur  auteur  avec  toutes  sortes  d'égards...; 
il  m'admit  honorablement  et  familièrement  à  sa  table  et  à  ses 
entretiens;  il  ne  me  refusa  aucune  des  faveurs  que  je  lui 
demandai.  » 

L'année  suivante  (1573),  fut  représentée  dans  les  jardins  de 
Bellosguardo  ÏAminta,  ^  drame  amoureux  et  tragique  dont 
l'amour  est  le  sujet,  dont  des  bergers  et  des  bergères  sont  les 
personnages,  dont  les  vallées,  les  montagnes  et  les  forêts  sont 
la  scène  »  .  «  h'Aim'tita,  ajoute  Lamartine  (2),  est  à  la  Jérusa- 
lem délivrée  ce  que  les  Églogues  de  Virgile  sont  à  YÉnéide  : 
une  diversion  légère  et  gracieuse  d'un  poète  souverain,  qui 
change  d'instrument  sans  changer  de  souffle,  qui  dépose  un 
moment  la  trompette  épique  pour  le  chalumeau  des  bergers. 
Dans  ÏAtmtita,  le  poète...  semble  se  complaire  à  racheter  la 
simplicité  du  sujet  par  l'inimitable  perfection  des  images,  des 
sons  et  des  vers.  »  Les  applaudissements  qui  accueillirent  cette 
pastorale  furent  unanimes.  Rien  ne  parut  alors  manquer  au 
bonheur  du  poète.  A  l'enthousiasme  qu'il  excitait  ne  se  mê- 
laient pas  encore  les  attaques  de  ses  envieux,  et  l'équilibre  de 
ses  facultés  n'avait  reçu  aucune  atteinte. 

(1)  Lamartine,  Enhetiens,  t.  XVI,  p.  62. 

(2)  Page  69. 


LIVRE   PREMIER.  2ir 

Au  nombre  de  ses  plus  ardentes  admiratrices,  il  compta  les 
sœurs  du  duc,  Lucrèce  et  Éléonore  (1),  dont  les  suffrages  le 
touchèrent  particulièrement,  car  elles  étaient  aussi  instruites 
que  belles  (2).  Lucrèce,  née  le  16  décembre  1535,  épousa  le 
19  janvier  1570  François-Marie  délia  Rovere,  fils  du  duc  d'Ur- 
bin  Guidobaldo,  qui  la  laissa  pendant  un  an  à  Ferrare.  Après 
être  restée  ensuite  à  Urbin  sept  ou  huit  mois,  elle  revint  dans 
sa  ville  natale,  d'abord  pendant  une  absence  de  son  mari  qui 
dura  jusqu'au  2  novembre  1571,  puis  définitivement  vers  1574, 
à  la  suite  d'une  rupture  avec  François-Marie  qui,  plus  jeune 
qu'elle  de  quinze  ans,  avait  un  caractère  et  des  goûts  entière- 
ment opposés  aux  siens  (3).  Elle  mourut  le  12  février  1598. 
—  Éléonore,  qui  naquit  le  19  juin  1537  et  qui  mourut  le  19  fé- 
vrier 1581,  ne  se  maria  pas.  Elle  était  plus  séduisante  encore 
que  sa  sœur  et  s'adonnait,  avec  un  certain  succès,  à  la  poésie. 
Sans  mépriser  les  divertissements  de  la  cour,  elle  aimait  la  vie 
retirée,  propice  à  l'étude,  aux  méditations  élevées,  et  peu  s'en 
fallait,  dit  F'rizzi,  qu'on  ne  la  tînt  pour  une  sainte.  C  est  à  elle 
que  le  Tasse  songeait,  dit-on,  en  créant  le  personnage  de  So- 
phronie  dans  sa  Jérusalem  délivrée  (i).  En  1574,  Alphonse  II 
ayant  quitté  momentanément  Ferrare,  elle  exerça  le  gouver- 
nement avec  prudence  et  fermeté.  Pleine  de  sollicitude  pour 
son  frère  le  cardinal  Louis,  elle  mit  sa  prévoyance  et  sa  sagesse 
à  administrer  la  fortune  compromise  de  ce  prince  déréglé,  et 
elle  employa  ses  deux  dernières  années  à  rétablir  entre  lui  et 
Alphonse  II  l'harmonie  troublée  par  des  affaires  d'intérêt. 
Elle  mena  une  vie  presque  monastique  et  prescrivit  qu'après 
sa  mort  on  ne  1  honorât  point  par  de  vaines  pompes.  Grave, 
aimable  et  douce,  elle  fut  aussi  aimée  qu'estimée  par  les  Fer- 


(i)   Le  incclailleur  Pastorino   a  représenté   Lucrèce  à  l'âge  de  dix-sept  ans  et 
Eléonore  à  l'àgc  de  quinze  ans.  (Voyez  le  chapitre  consacré  aux  médailles.^ 

(2)  Voyez  G.  Campori  et  Angelo  Solekti,  Luigi,   Lucrezia  e  Leonora  d'Esté, 
Turin,  Ermanno  Lœscher,  1888. 

(3)  Voyez  II.  Dklaborde,  Les  arts  et  les  lettres  à  la  cour  d' Urbin,  dans  le  pre- 
mier volume  des  Études  sur  les  beaux-arts  eu  France  et  en  Italie,  p.  202-207. 

^4)   Le  manjuis  Campori  le  nie  et  se  refuse  à  reconnaître  le  Tasse  dans  le  per- 
sonnage d'Oliudo. 


218  I/AllT    FEnUAllAIS. 

rarais,  qui  la  regrettèrent  vivement.  Les  vers  dans  lesquels 
on  la  célébra  formèrent  un  recueil  Intitulé  le  Lagrime  {les 
Larmes).  —  Lucrèce  et  Éléonore  ne  dissimulèrent  pas  leur 
tendre  bienveillance  pour  le  Tasse,  qu'elles  protégèrent  en 
mainte  occasion. 

Torquato  ne  s'occupa  pas  seulement  des  poèmes  qui  l'ont 
immortalisé.  Pendant  plusieurs  années,  à  partir  de  1574,  il 
fit  des  leçons  à  l'Université  sur  la  sphère  et  sur  Euclide  (1). 

Que  par  l'éclat  de  son  génie  et  par  sa  situation  exception- 
nelle auprès  du  duc  et  de  sa  famille  il  ait  excité  la  jalousie 
des  autres  poètes  et  des  courtisans,  rien  de  plus  naturel  (2).  11 
se  créa  aussi  de  redoutables  ennemis  en  affichant  la  passion 
qu'il  conçut  pour  Lucrezia  Bendidio  (3),  aimée  aussi  de  Pigna, 
le  tout- puissant  secrétaire  d'Alphonse  II,  et  pour  Eleonora 
Sanvitali  Tiene,  comtesse  de  Scandiano.  Toujours  est-il  qu'en 
butte  à  maintes  attaques  tantôt  ouvertes,  tantôt  dissimulées, 
il  devint  très  ombrageux;  que,  son  imagination  lui  faisant  soup- 
çonner partout  des  inimitiés  et  des  embûches,  une  insurmon- 
table mélancolie  s'empara  de  lui,  jusqu'à  troubler  par  instants 
sa  raison  (4).  Les  critiques  contradictoires  dont  fut  l'objet  sa 
Jérusalem  délivrée,  achevée  en  1575  et  soumise  par  lui  à  un 
certain  nombre  de  lettrés,  de  philosophes  et  de  théologiens, 
accrurent  encore  le  trouble  de  son  esprit  et  le  jetèrent  dans 
d'étranges  perplexités.  Devait-il,  comme  quelques-uns  le  lui 
conseillaient,  modifier  de  telle  façon  son  poème  que  les  moines 
et  les  religieuses  le  pussent  lire  sans  inconvénient?  Qu'allaient 
devenir  Armide,  Clorinde,  Herminie,  s'il  entreprenait  pareil 
remaniement?  Il  en  vint  à  concevoir  des  scrupules  même  sur 
la  convenance  et  l'orthodoxie  de  plusieurs  passages.  En  vain 
l'inquisiteur  consulté  le  rassura-t-il  pleinement,  ses  anxiétés 
persistèrent.  Vers  le  même  temps,  il  songea  h  quitter  Ferrare 

(1)  BoRSETTi,  Hiftt.  alini  Fvrr.  (jymnasii,  pars  II,  lil)er  II. 

(2)  A.   SoLEUTi,    Ferrara   e  la    Corte  Eatense   nella    seconda   meta  del  secolo 
deciino  sesto,  1891. 

(3)  Anjjelo  Soleuti,  de  Turin,   Torquato  Tasso  c  la  Lucrezia  Bendidio. 

(4)  Voyez,   dans  la  Hevue  des  Deux  Mondes   du    15   mai    1895,    l'article    de 
M.  CnERBULiEz,  intitulé  :  Le  Tasse,  son  centenaire  et  sa  légende. 


LIVRE   PREMIER.  219 

pour  Florence  et  fut  sur  le  point  d'accepter  les  offres  du  grand- 
duc  François  de  Médicis,  ce  dont  s'offensa  Alphonse  II  qui  en 
fut  informé  et  qui  témoigna  au  poète  une  froideur  motivée.  De 
jour  en  jour  l'hypocondrie  du  pauvre  Torquato  augmenta.  Il 
croyait  à  des  persécutions  imaginaires  et  se  figurait  qu'on  en 
voulait  à  sa  vie.  Le  17  juin  1577,  il  eut  un  véritahle  accès  de 
folie.  Dans  la  chamhre  de  Lucrèce  d'Esté,  il  se  jeta,  un  poi- 
gnard à  la  main,  sur  un  des  serviteurs  de  cette  princesse. 
Après  avoir  inutilement  cherché  dans  un  séjour  h  la  villa  de 
Belriguardo  et  dans  le  couvent  de  Saint-François  un  calme 
impossible  à  trouver,  il  s'enfuit  de  Ferrare  (20  juillet  1577), 
afin  de  se  soustraire  à  ses  prétendus  ennemis.  Un  séjour  à  Sor- 
rente,  auprès  de  sa  sœur,  rétablit  jusqu'à  un  certain  point 
l'équilibre  de  ses  facultés.  Son  irritation  une  fois  apaisée,  il  ne 
tarda  pas  à  regretter  la  cour  de  Ferrare  et  à  solliciter  d'Al- 
phonse II  la  permission  d'y  reprendre  sa  place.  Le  duc  se 
laissa  fléchir,  mais  lui  signifia,  par  l'intermédiaire  du  cardinal 
Gio.  Francesco  Albano,  les  conditions  de  son  acquiescement. 
«  S'il  désire  revenir,  écrivit  Alphonse  II,  qu'il  prenne  la  réso- 
lution bien  arrêtée  de  se  tenir  en  repos  et  consente  à  suivre  le 
traitement  conseillé  par  les  médecins.  Dans  le  cas  où  il  refu- 
serait de  se  soigner,  nous  donnerions  des  ordres  pour  qu  il 
fût  expulsé  définitivement  de  nos  États,  avec  défense  d'y  jamais 
rentrer.  » 

Au  printemps  de  l'année  1578,  le  Tasse  reparut  au  milieu 
de  cette  société  ferraraise  dont  il  avait  été  l'ornement  et  qui 
l'accueillit  "  comme  un  convalescent  revenu  à  la  santé  »  .  Sa 
satisfaction,  d'abord  très  vive,  s'altéra  avec  rapidité.  De  nou- 
veaux griefs,  qui  n'étaient  pas  plus  fondés  que  les  anciens,  agi- 
tèrent son  esprit  et  déterminèrent  une  seconde  évasion  avant  la 
fin  de  1578.  Mantoue,  Padoue,  Venise,  Urbin,  Pesaro  et  Turin 
le  possédèrent  tour  à  tour,  sans  modifier  son  humeur  mobile 
et  inconstante.  A  Turin,  il  trouva  l'hospitalité  chez  le  marquis 
Philippe  d'Esté,  oncle  d'Alphonse  II,  qui  avait  épousé  une 
princesse  de  la  maison  de  Savoie,  et  une  situation  honorable 
lui  fut  octroyée  par  le  duc  de  Savoie.  Mais  Ferrare  l'attirait 


220  L'ART    FERllAUAIS. 

invinciblement,  et  les  bons  offices  du  cardinal  Albano  le  firent 
rentrer  encore  une  fois  en  grâce  auprès  d'Alphonse  II,  qui  lui 
accorda  une  somme  d'argent  pour  le  voyage. 

Son  arrivée  (21  février  1579)  eut  lieu  au  moment  où  le  duc, 
sur  le  point  d'épouser  Marguerite  Gonzague,  se  disposait  à 
partir  pour  l'amener  lui-même  dans  sa  capitale,  où  elle  fit  son 
entrée  solennelle  le  27,  après  avoir  passé  deux  jours  dans  le 
palais  du  Belvédère.  Au  milieu  des  préoccupations  causées 
par  cet  événement,  la  présence  du  poète  resta  presque  ina- 
perçue, et  son  amour-propre  s'en  irrita.  Pendant  que  le  bruit 
de  sa  démence  éloignait  de  lui  les  indifférents,  les  personnages 
qui  lui  avaient  jadis  marqué  le  plus  d'intérêt  demeuraient  en 
méfiance.  '  Il  oublia  qu'il  avait  à  se  faire  pardonner  des  torts 
plus  qu'à  exiger  des  faveurs.  Sa  colère,  à  la  pensée  de  l'oubli 
dans  lequel  on  le  laissait,  s'emporta  publiquement  jusqu'aux 
plus  violentes  invectives  contre  la  maison  d'Esté  (I).  »  Informé 
de  ces  outrages,  Alphonse  le  fit  enfermer  dans  l'hôpital  de 
Sainte-Anne,  et  cette  réclusion  dura  sept  ans  (du  milieu  de 
mars  1579  au  13  juillet  1586). 

Les  causes  qui  déterminèrent  la  résolution  du  duc  de  Ferrare 
furent  multiples.  Parmi  ces  causes,  il  faut  compter,  outre  les 
propos  injurieux  tenus  par  Torquato,  qui  se  reconnut  lui-même 
coupable  de  '  paroles  fausses,  folles  et  téméraires  55 ,  la  nécessité 
de  faire  soigner  un  homme  de  génie  dont  la  raison  subissait 
des  éclipses  partielles  et  momentanées.  Peut-être  aussi,  selon 
M.  A.  Corradi(2),  Alphonse  II  désirait-il  couper  court  aux  accu- 
sations d  hérésie  que  le  Tasse,  tout  en  se  taxant  lui-même  d'in- 
fidélité aux  croyances  orthodoxes,  dirigeait  contre  une  foule 
de  grands  personnages,  ce  qui  aurait  pu  nuire  au  feudataire  du 
Saint-Siège  en  donnant  à  penser  qu'il  ne  mettait  pas  assez  de 
vigilance  à  surveiller  dans  ses  États  la  pureté  de  la  foi.  Mais  ce 
qu'il  faut  exclure,  c'est  l'idée  d'une  punition  infligée  à  Tor- 

(1)  Lamartine,  Entretiens,  t.  XVI,  p.  139. 

(2)  Torquato  Tasso  nello  spéciale  di  Sont'  Anna,  seconda  nuovi  dociimenti  — 
Le  ultime  iiifermilà  e  gli  ultimi  anni  di  Torquato  Tasso,  —  dans  les  Rendiconti 
del  R.  Istituto  Lombardo,  série  II,  vol.  XVII,  fasc.  XV,  et  vol.  XVIII,  fasc.  XVI. 


LIVRE    IMIEMIER.  221 

quato  pour  avoir  aimé  Éléonore  cFEste  et  proclamé  à  diverses 
reprises  sa  passion  de  manière  à  offenser  ou  à  compromettre 
cette  princesse  (1).  Les  vers  écrits  en  l'honneur  de  1  irrépro- 
chable sœur  d'Alphonse  II  dépassent-ils  donc  les  licences  accor- 
dées alors  aux  poètes  qui  célébraient  la  beauté  des  dames  du 
plus  haut  rang?  Si  le  duc  avait  trouvé  le  Tasse  trop  audacieux, 
comment  lui  aurait-il  plusieurs  fois  permis  de  revenir  à  Fer- 
rare?  On  ne  doit  pas  oublier,  d'ailleurs,  qu'Éléonore  avait  déjà 
trente-deux  ans  lorsque  Torquato  passa  du  service  du  cardinal 
Louis  au  service  d'Alphonse  II,  et  qu'en  1579  elle  on  comptait 
quarante-deux.  Si  la  conduite  du  Tasse  envers  Eléonore  n'eut 
rien  de  répréhensible,  force  est  du  moins  d'admettre  que 
l'amour  fut  pour  quelque  chose  dans  les  rigueurs  dont  Tor- 
quato fut  l'objet.  «  Puissant  seigneur,  s'écrie  le  poète  enfermé 
à  l'hôpital  de  Sainte-Anne,  tu  aurais  pu  m'arracher  la  vie  : 
c'est  le  droit  des  monarques;  mais  m'arracher  cette  raison  que 
je  tiens  de  la  bonté  infinie,  parce  que  j'ai  écrit  d'amour 
(d'amour  auquel  la  nature  et  le  ciel  nous  invitent),  c'est  un 
crime  pire  que  tout  autre  crime.  J'ai  demandé  ton  pardon,  tu 
me  l'as  refusé.  Adieu;  je  me  repens  à  jamais  de  m'étre  re- 
penti (2).  1'  On  ne  sait  h  quelle  dame  de  la  cour  le  Tasse  fait 
ici  allusion. 

La  privation  de  la  liberté,  jointe  à  un  traitement  rigoureux, 
ne  fit,  au  début,  qu'aggraver  l'état  mental  du  Tasse.  Dans  une 
lettre  h  Scipion  Gonzague,  il  se  plaint  amèrement  de  la  soli- 
tude qui  l'obsède,  et  il  s'écrie  :  ^  La  squalidité  de  ma  barbe, 
mes  cheveux  hérissés ,  mon  costume  délabré ,  la  saleté  de 
mon  linge,  les  immondices  de  mon  cachot,  me  pénètrent  de 
répugnance.  »    Par  bonheur  pour  lui,   la  dureté  d'x\gostino 

(i)  Voyez  dans  la  Rasse(jna  Einiliaiia  (année  I,  fasc.  II,  III,  IX  et  X)  les 
articles  de  MM.  Foutaua,  Fenari  et  Solerti.  M.  Solerti  nie  l'amour  du  Tasse 
pour  Éléonore  et  l'amour  d'Eléonoro  pour  le  Tasse.  M.  Fontana  et  M.  Ferrari 
inclinent  à  penser  que  le  Tasse  aima  Eléonore,  du  moins  momentanément,  sans 
être  payé  de  retour,  et  que  la  croyance  à  leur  amour  a  pu  se  former  de  leur 
vivant  et  être  propagée  par  les  enneuiis  du  poète;  mais  M.  Solcrti'a  comhattu 
ces  assertions  avec  des  ar{;uments  qui  paraissent  décisifs. 

(2)  Cité  par  M.  le  vicomte  H.  DELAitonoE,  dans  son  article  sur  Les  arts  et  les 
lettres  à  la  cour  (VUrbiii,  p.  206. 


222  1/AUT    FEllRARAIS. 

Mosti  (1),  prieur  de  Thôpital,  était  compensée  par  les  soins  Je 
Giulio  Mosti,  neveu  du  prieur,  qui  se  chargeait  de  transmettre 
les  lettres  du  prisonnier  et  de  lui  faire  tenir  les  réponses.  Agos- 
tino  lui-même  se  montra  bientôt  plus  humain  et  lui  accorda 
pour  demeure  une  chambre  plus  spacieuse  et  plus  claire.  La 
folie  de  Torquato  n'était  qu'intermittente  et  laissait  souvent 
place  aux  manifestations  de  son  génie.  On  ne  peut  lire  sans 
une  admiration  attendrie  sa  supplique  aux  deux  sœurs 
d'Alphonse  et  les  pages  dans  lesquelles  il  conjure  le  cardinal 
Albert  d'Autriche  de  solliciter  l'intervention  de  l'Empereur 
auprès  du  duc.  Ce  qui  allégea  surtout  son  ennui,  ce  fut  l'édition 
de  la  Jérusalem  délivrée  qu'il  fit  préparer  sous  ses  yeux  afin  de 
remplacer  les  éditions  incorrectes  qui  avaient  été  publiées  h 
son  insu.  Les  visites  affectueuses  de  plusieurs  grands  person- 
nages et  de  ses  amis  apportèrent  également  quelque  trêve  à  ses 
accès  de  mélancolie  (2).  Une  amélioration  notable  s'étant  pro- 
duite dans  sa  santé  en  158  4,  le  duc  voulut  qu'on  lui  procurât 
des  distractions.  «  On  le  mena  visiter  les  églises  et  les  monas- 
tères, on  le  conduisit  aux  mascarades  du  carnaval  ;  on  le  laissa 
passer  des  jours  et  des  semaines  dans  les  maisons  de  ses  amis.  » 
Mais  vers  le  milieu  d'octobre,  de  nouvelles  crises  forcèrent  à 
le  renfermer  encore  dans  l'hôpital  de  Sainte-Anne,  et  le  retour 
presque  complet  de  sa  raison  se  manifesta  seulement  en  1586. 
Sixte-Quint  et  l'empereur  Rodolphe  s'interposèrent  pour  que 
l'on  mît  fin  à  sa  réclusion,  et  Vincent  de  Gonzague,  le  prince 
héréditaire  de  Mantoue,  s'étant  porté  caution  de  sa  conduite, 
obtint  facilement  de  l'emmener  à  sa  cour.  Entre  le  4  et  le 
10  juillet,  le  Tasse  quitta  Ferrare,  où  il  ne  devait  plus  revenir, 
sans  avoir  revu  Alphonse  II.   S'il  retrouva  la  liberté,    il   ne 

(i)  Nous  donnerons  quelques  détails  sur  Ajjostino  Mosti  en  parlant  de  l'hù- 
pital  de  Sainte-Anne. 

(2)  Montaigne,  dans  son  voyage  en  Italie,  ne  se  contenta  pas,  lors  de  son  pas- 
sage à  Ferrare,  de  se  présenter  devant  Alphonse  II  ;  il  tint  à  témoigner  sa  sym- 
pathie à  l'infortuné  poète  renfermé  dans  l'hôpital  de  Sainte-Anne.  «  J'eus  plus 
de  despit  encores  que  de  compassion,  de  le  voir  à  Ferrare  en  si  piteux  estât,  sur- 
vivant à  soy-mesme,  mescognoissant  et  soy  et  ses  ouvrages,  lesquels,  sans  son 
sceu,  et  toutesfois  à  sa  veue,  on  a  mis  en  lumière  incorrigez  et  informes.  »  Essais, 
liv.  II,  ch.  XII,  p.  114,  dans  l'édition  Lefèvre,  Paris,  1823. 


LIVllE    PREMIEll.  223 

recouvra  pas  le  bonheur.  Tourmenté  par  les  inquiétudes  de 
son  imagination  malade,  il  ne  resta  pas  longtemps  à  Mantoue 
et  erra  de  ville  en  ville  pendant  neuf  ans.  Sur  la  demande  du 
cardinal  Cintio  Aldobrandini,  à  qui  il  dédia  sa  Jérusalem  con- 
quise, «  épurée  des  épisodes  trop  profanes,  mais  aussi  des  grâ- 
ces de  la  Jérusalem  délivrée  »  .  il  allait  être  couronné  au  Capi- 
tule par  Clément  VIII,  oncle  du  cardinal  Cintio,  quand  il 
s'éteignit  dans  le  couvent  de  Saut'  Onofrio  (25  avril  1595). 

La  vie  de  Batiista  Guarini  II,  qui  se  passa  en  grande  partie 
à  Ferrare,  fut  plus  heureuse  que  celle  du  Tasse  (l),  mais 
presque  aussi  agitée.  L'auteur  du  Pastor  fido  contribua  sin- 
gulièrement, lui  aussi,  à  la  renommée  littéraire  de  la  cour 
d'Alphonse  II  (2). 

Ce  prince  ne  manifesta  pas  moins  de  goût  pour  les  arts 
que  pour  les  lettres.  Comme  architectes,  il  employa  Pii^ro 
Ligorio,  Batista  Aleotti,  Alberto  Schiatti,  Alessandro  Balbi.  Très 
versé  lui-même  dans  l'architecture  militaire ,  il  modifia  et 
accrut  les  fortifications  de  Ferrare  avec  le  concours  de  Galassn 
Alghisi  da  Carpi  [3),  et  sa  capitale,  regardée  dès  lors  comme 
une  des  places  les  plus  fortes  de  l'Italie,  eut  été,  dit-on,  capa- 
ble de  résister  aux  sièges  les  plus  redoutables  en  se  contentant 
d'une  garnison  de  dix-huit  mille  hommes.  D'importants  tra- 
vaux dans  l'ancien  palais  des  princes  d'Esté  furent  exécutés 
sur  son  ordre,  et  c'est  lui  qui  fit  construire  le  palais  de  la  Mesola, 
dans  le  voisinage  de  la  mer. 

Il  n'y  a  que  peu  de  chose  à  dire  sur  la  peinture  à  l'époque 
d'Alphonse  II.  La  décadence  était  complète  et  ii'rémédiable. 
Sehastiano  Filippi  dit  Bastianino  [^\),  Giuseppe  Mazzuoli  dit  Bas- 

(1)  Dans  les  Atti  délia  deputazione  ferrarese  di stor'ia patria  (vol.  VII,  fasc.  II, 
1895),  se  trouve  un  intéressant  article  de  M.  Giuseppe  Ajjnelli  sur  le  séjour  du 
Tasse  à  Ferrare. 

(2)  Nous  donnerons  des  di'lails  sur  (iuarini  en  parlant  de  sa  médaille  par 
Pastorino. 

(3)  Le  palais  Farnese  .à  Rome  et  la  Santa  Casa  de  Lorette  curent  aussi  poui- 
arrliiterte  Algliisi.  Il  est  l'auteur  d'un  ouvrajjc  très  estinuî  et  très  rare  sur  les 
fortilications. 

(4j  II  fit  un  portiait  d  Alpliousc  II  ([ui  se  trouve  à  'a  l'ina(Othè(jue  de  Fer- 
rare (n"  7). 


224  L'ART    FEl\nAT\AIS. 

tarolo,  francesco  Snrchi  dit  Diclai,  Carlo  Bononi,  Ippnlito  Scar- 
sellino  sont  alors  les  peintres  en  vogue,  mais  leurs  œuvres  sont 
en  général  dépourvues  d'émotion  et  ne  trahissent  que  l'habi- 
leté de  la  main.  Le  reste  de  l'Italie  n'était  pas,  il  est  vrai, 
mieux  partagé  que  Ferrare. 

Au  commencement  de  son  règne,  Alphonse  II  sembla 
éprouver,  comme  son  grand-père,  une  vive  admiration  pour 
Titien  :  en  1559,  il  lui  fit  demander  un  tableau,  et  le  peintre 
lui  envova  un  portrait  de  femme,  avec  une  lettre  où  il  déclara 
que,  dans  son  désir  d'être  agréable  au  duc,  il  se  dessaisissait 
de  ce  qu'il  avait  de  plus  précieux.  Si  la  lettre  de  Titien  est  per- 
due, le  tableau  existe  encore;  c'est  la  galerie  de  Dresde  qui  le 
possède  (1).  Il  représente,  en  demi-figure,  une  jeune  femme 
aux  cheveux  blonds,  qui  est  vêtue  de  blanc,  et  qui  tient  un 
éventail  dans  sa  main  droite  (n°  255).  On  a  prétendu  que  cette 
femme  était  la  maîtresse  de  Titien,  sans  réfléchir  qu'en  1559 
Titien  était  âgé  de  quatre-vingt-deux  ans,  ce  qui  parait  devoir 
exclure  une  pareille  hypothèse  (2). 

Plus  encore  que  tous  ses  prédécesseurs,  Alphonse  II  se 
montra  passionné  pour  les  médailles  et  les  monnaies  antiques. 
La  collection  commencée  par  Lionel  reçut ,  grâce  à  lui , 
de  notables  accroissements.  Il  donna  comme  conservateur  à 
cette  collection  JEneas  Vico  (3),  qui  fut  chargé  d'en  classer 
les  pièces,  et  dont  les  conseils  le  guidèrent  dans  toutes  ses 
acquisitions  (4).  Pendant  un  de  ses  voyages  à  Venise  (1563), 
Giovanni  Grimani,  patriarche  d'Aquilée,  lui  fit  présent  de 
quelques  grandes  médailles,  et  l'orfèvre  Domenico  di  Fran- 
cesco  lui  vendit  des  monnaies  de  toutes  sortes.  En  passant 
par  Padoue,  le  duc  acheta  la  collection  de  Tiberio  Deciano, 


(1)  Campori,   Tiziatio  e  gli  Estcnsi,  p.  24  et  34. 

(2)  Lermolieff  (Morelli),  Die  We7-ke  italienischer  Meister,  p.  203-204. 

(3)  Vasari,  Vite,  t.  V,  p.  414,  note  3,  et  p.  427-429.  —  Gittadella,  Notizie 
relative  a  Ferrara,  t.  II,  p.  160.  —  G.  Campori,  1"  Enea  Vico  e  ianlico  museo 
Etttewe  délie  medaqlie  (Modena,  1873);  2°  Gli  intagliatori  di  stampe  e  gli 
Estensi  (1882).  —  G.  Duplessis,  Histoire  de  la  gravure,  p.  109-110. 

(4)  Alphonse  II  prit  à  son  service  iEneas  Vico  en  1563.  Une  lettre  de  Falletti 
au  duc  de  Ferrare  annonce  que  Vico  quitta  Venise  le  19  mai. 


LIVRE   PREMIER.  225 

professeur  à  l'Université.  Les  deux  années  suivantes  furent 
aussi  très  fructueuses.  x'Eneas  Yico  obtint  pour  son  maître  la 
cession  de  trois  cabinets  importants  :  celui  de  Pasqualetti  fut 
payé  cinq  cents  écus,  celui  d'Averoldi  de  Brescia  en  coûta  dix- 
huit  cent  cinquante,  et  Pier  Luigi  Manilio,  lorsqu'il  lui  livra 
le  sien,  en  toucha  quinze  cents,  somme  à  laquelle  le  duc  ajouta 
cinq  cents  ëcus  représentant  la  valeur  de  quelques  objets  anti- 
ques fort  précieux.  Dans  les  différentes  cours  de  l'Italie,  les 
agents  du  duc  s'employaient  à  satisfaire  son  goût  dominant  : 
c'est  ainsi  que  de  Rome  Giulio  Grandi  expédiait,  chaque 
semaine,  un  certain  nombre  de  pièces. 

Nul  n'était  plus  apte  qu'/Eneas  Vico  à  remplir  les  fonctions 
qu'Alphonse  II  lui  confia.  C'était  à  la  fois  un  antiquaire  et  un 
graveur.  Né  à  Parme  en  1523,  il  perdit  sa  mère  en  naissant, 
et  il  n'avait  que  deux  ans  lorsque  son  père  mourut  de  la  peste. 
Il  étudia  d'abord  les  lettres,  mais  il  les  abandonna  bientôt  pour 
s'adonner  au  dessin,  à  la  sculpture,  à  la  peinture  et  à  l'art  du 
graveur.  C'est  à  Rome  (1541)  qu'il  se  perfectionna  dans  le 
maniement  du  burin,  en  s'attacliant  à  suivre  les  traditions 
de  Marc-Antoine.  Il  travailla  beaucoup  alors  pour  l'éditeur 
Tommaso  Barlacchi.  En  même  temps,  il  étudia  avec  passion 
les  monuments  de  l'antiquité  en  général,  et  les  médailles  en 
particulier.  De  Rome  il  se  transporta  à  Venise.  Il  s'y  fit  con- 
naître en  1548  comme  antiquaire  par  un  livre  consacré  aux 
médailles  antiques  :  Imagini  con  tutti  i  riversi  trovati  e  le  vite 
degli  imperatori.  A  l'indépendance  dont  il  jouissait,  il  ne  tarda 
pas  à  préférer,  malgré  les  conseils  de  l'Arétin,  le  service  des 
princes,  et  il  se  rendit  auprès  de  Côme  II  de  Médicis,  qui  ne 
le  garda  pas  longtemps.  Revenu  à  Venise,  il  s'associa  avec 
l'érudit  Antonio  Zantani  et  publia  en  1555  les  Discorsi  sopra 
le  niedaglie  degli  antichi,  en  1557  les  Imagini  délie  donne 
auguste,  dédiées  au  cardinal  Hippolyte  II  d'Esté,  et  en  15G0 
les  Conimentarii  aile  anliche  medaglie  degV  imperatori  romani, 
ouvrage  que  recommandaient  la  nouveauté  du  sujet  et  un 
grand  nombre  de  gravures.  Vers  cette  époque,  iEneas  Vico 
se  signala  également  par  un  portrait  de  Charles-Quint,  magis- 
I.  15 


226  L'ART    1- EUH  AU  AI  S. 

tralement  exécuté,  qu'il  porta  lui-même  à  l'Empereur  en  Alle- 
magne. 

Durant  son  séjour  à  Venise,  il  se  lia  avec  Girolamo  Falletii, 
ambassadeur  d'Alphonse  II.  Falletti,  pour  donner  plus  d'in- 
térêt à  V  Histoire  de  la  famille  d'Esté  quû  était  en  train  d'écrire, 
le  chargea  de  graver  l'arbre  généalogique  de  cette  famille.  Com- 
mencé à  Venise,  ce  travail  fut  achevé  h  Ferrare,  le  duc  ayant 
réussi  à  fixer  auprès  de  lui  ^Eneas  Vico  (qu'il  appréciait  à 
la  fois  comme  numismate  et  comme  graveur)  (1),  en  lui  pro- 
mettant une  pension  mensuelle  de  vingt-cinq  florins  d'or. 

Tout  en  s'occupant  de  médailles  à  la  cour  du  duc,  il  ne 
délaissa  pas  le  burin.  Il  fit  un  grand  portrait  en  buste 
d'Alphonse  II  et  consacra  cinquante  planches  à  la  reproduc- 
tion des  costumes  portés  par  les  habitants  des  villes  et  ceux  de 
la  campagne  en  Italie,  en  France,  en  Espagne,  en  Portugal, 
en  Angleterre,  en  Flandre  et  dans  les  autres  parties  du  monde, 
«  ilche  fu  cosa  d'iiigegno  e  hella  e  capricciosa  (2)  ii  . 

Il  n'avait  que  quarante-quatre  ans  lorsque,  le  17  août  1567, 
dans  le  Castello,  il  fut  frappé  d'apoplexie  et  tomba  mort  en 
présence  d'Alphonse  II,  pendant  qu  il  présentait  à  ce  prince, 
au  nom  du  Franciscain  Agostiiio  Righini  (3),  un  grand  vase  à 
deux  anses,  avec  des  figures,  que  sa  chute  brisa  en  partie. 
Cette  mort,  précédée  de  peu  par  celle  de  Camillo  d'Urhin, 
peintre  de  majoliques,  qu'avait  tué  l'explosion  d'une  coule- 
vrine,  affligea  beaucoup  le  duc,  comme  le  constata  Bernardo 
Canigiani,  résident  florentin  à  la  cour  de  Ferrare,  dans  une 

(1)  ^Eneas  Vico  jjrava  îles  peintures  de  Parmi{|ianin(),  de  l'erino  del  Va{>a,  de 
Vasari,  de  Rosso,  de  Michel-Ange  (notamment  la  Léda),  V Annonciation  de 
Titien,  la  Conversion  de  saint  Paul  par  Franccsco  Salviati.  Il  fit  pour  Giulio 
Glovio  un  Saint  Georyes  tuant  le  dragon,  et  pour  Doni  les  portraits  de  Henri  II, 
roi  de  France,  de  Beiuljo,  de  l'Arioste,  de  Gello,  de  Gipriano  Morosino  et  de 
Doni  lui-même.  On  remarque  aussi  parmi  ses  gravures  des  ornements  dans  la 
manière  des  anciens.  Ses  planches  sont  très  inégales  :  il  y  en  a  de  négligées  et 
d'incorrectes,  mais  on  en  pourrait  citer  qui  témoignent  d'un  réel  mérite.  Le  grand 
Portrait  de  C/tarles-Quint,  daté  de  1550,  et  la  Le'da  d'après  Michel-Ange  sont 
au  nombre  des  meilleures  qu'il  ait  faites. 

(2)  Vasari,  t.  V,  p.  429. 

(3)  highini,  auteur  de  plusieurs  ouvrages  théologiques,  jouissait  d'une  grande 
autorité  auprès  du  duc. 


LIVllE   P  REMI  EU.  227 

lettre  datée  du  28  août.  ^Eneas  Yico  laissa  ses  biens  à  sa  femme, 
Gatherina  Maffei,  de  Venise,  et  à  son  neveu  Camillo. 

Quoique  privé  des  conseils  d'iEneas  Vico,  Alphonse  ne  cessa 
pas  d'accroître  sa  collection  de  médailles  antiques.  Il  acheta 
en  1573  le  cabinet  d'ErcoIe  Basso,  gentilhomme  bolonais,  et, 
plus  tard,  les  monnaies  que  possédaient  Giovanni  Francesco  da 
Parma,  Cesare  Targioni,  Tomaso  da  Bologna  et  un  Allemand 
dont  le  nom  est  resté  inconnu.  Enfin,  pendant  un  voyagea 
Rome,  l'évêque  de  Narni  lui  fit  cadeau  de  sa  propre  collection, 
qui  était  très  précieuse. 

Outre  /Eneas  Vico,  on  peut  citer  quatre  graveurs,  dont  les 
noms  sont,  il  est  vrai,  peu  connus,  qui  travaillèrent  pour 
Alphonse  II.  Mariino  Rota  di  Sehenico  grava  un  l)uste  ovale  du 
duc(l);  cette  planche  manque  de  style.  Giovanni  Battista  d'An- 
geli  de  Vérone,  surnommé  del  Moro  parce  qu'il  était  élève  de 
Francesco  Torbido  qui  avait  lui-même  ce  surnom,  dédia  à 
Alphonse  II  une  estampe  représentant  la  Calomnie  d'Aptlle.  A 
l'instigation  d'Andréa  Bragadin,  gentilhomme  vénitien,  Giulio 
Sanuio  de  Venise,  en  gravant  Apollon  et  Marsjas  d'après  une 
composition  attribuée  au  Corrège,  inscrivit  sur  une  bannière 
tenue  par  Minerve  une  dédicace  à  Alphonse  II  (18  juillet  1 502). 
Dans  une  très  grande  estampe  qui  offre,  selon  nous,  peu  d'in- 
térêt, Domenico  Tehaldi  de  Bologne  représenta  le  palais  ducal 
de  Ferrare,  d'après  un  dessin  de  l'architecte  Alghisi.  On  lit,  en 
effet,  sur  un  cartel  :  ^  Galassi  Alghisi  Carpens.  apud  Alphon- 
suin  II  Ferrariae  duceni  architecti  opus ,  Doniinicus  Thehal- 
dus  Bononiensis  graphice  in  aère  lahoravit  anno  156(>.  »  A  la 
seconde  moitié  du  seizième  siècle  appartiennent  également 
Gaspare  Ruina,  né  à  Modène,  qui  grava  surtout  des  sujets 
mythologiques  et  allégoriques,  et  le  Parisien  Etienne  Dupérac, 
qui ,  protégé  par  le  cardinal  Hippolyte  II  et  par  le  cardinal  Louis 
d'Esté,  séjourna  dans  leur  villa  de  Tivoli.  Il  prit  le  palais  et 
les  jardins  de  cette  villa  pour  sujet  de  plusieurs  planches  cju'il 
dédia   à    Catherine  de  Médicis  (8  avril   1573).    De    retour  à 

(l)    Hartscii,  Peintre  graveur,  xvi,  267. 


228  L'AllT    FEiniAUAIS. 

Paris,  où  il  exerça  les  fonctions  d'architecte  du  Roi,  il  dëdia  à 
Marie  de  Médicis  quel([ues  autres  gravures  intitulées  :  Vues  et 
perspectives  des  jardins  de  Tivoli. 

De  tous  les  arts  en  honneur  à  la  Cour  d'Alphonse  II,  celui 
que  l'on  poussa  le  plus  loin  fut  la  musique  (1).  Les  maîtres 
éminents  affluèrent  autour  d'un  prince  dont  la  faveur  leur 
était  assurée  (2),  et  la  passion  de  la  musique  se  répandit  dans 
la  société  entière.  Ce  n'était  pas  seulement  pour  égayer  les 
noces  des  membres  de  la  famille  d'Esté  ou  pour  fêter  la  venue 
des  princes  étrangers,  des  cardinaux  et  des  ambassadeurs  que 
des  concerts  étaient  organisés.  La  musique  était  le  délassement 
presque  quotidien  du  duc  de  Ferrare  à  la  ville  et  à  la  cam- 
pagne ;  elle  intervenait  et  dans  les  offices  religieux  et  dans  la 
représentation  des  comédies  ;  elle  accompagnait  ou  suivait  les 
repas  un  peu  solennels.  Pendant  une  maladie  du  duc,  un 
artiste  romain,  Giulio,  chanta  plusieurs  fois  dans  sa  cham- 
bre (1592).  Quelques  pièces  du  Castello,  appelées  camere  délia 
musica,  servaient  de  lieux  de  réunion  aux  artistes  ;  on  y  avait 
installé  les  archives  musicales,  comprenant  les  ouvrages  ma- 
nuscrits et  imprimés  des  auteurs  antérieurs  et  contemporains, 
italiens  et  étrangers,  et  l'on  y  avait  réuni  une  précieuse  collec- 
tion d'instruments  à  cordes,  à  archets,  à  vent  et  à  trous  (3). 
Ippolito  Fiorino,  maître  de  chapelle  d'Alphonse  II,  et  Luzzasco 
Luzzaschi  (4),  organiste  ducal,  furent  les  organisateurs  des 
concerts  publics  et  privés.  Frizzi  (t.  IV,  p.  442)  cite  une 
vingtaine  de  musiciens  qui  obtinrent  une  grande  vogue.  Nous 
nous  bornerons  à  en  nommer  quelques-uns.  Alfonso  dalla  Viola 
composa   de    la    musique  pour  V Orhecche  de  Cintio  Giraldi, 

(1)  Lui{;i  Francesco  Valdrighi,  Cnppelle,  concerti  e  tnusiche  di  Casa  d'Esté, 
dans  les  Atti  e  inemovie  délie  deputazioni  di  storia  patria  per  le  provincie  uiode- 
nesi  e  parmensi,  sciie  111,  vol.  II. 

(2)  Anna,  Lucrèce  et  Éléonore,  sœurs  du  duc,  le  cardinal  Louis,  son  frère, 
et  le  cardinal  Hippolyte  II,  son  oncle,  partageaient  son  goût  pour  la  musique. 

(3)  Les  principaux  instruments  en  usage  à  cette  époque  étaient  le  luth,  la 
viole,  le  violon,  le  trombone,  le  rebec,  le  cornet  tlroit  et  le  cornet  tortu,  la  flûte, 
la  lyre,  la  harpe,  le  clavecin  et  l'orgue. 

(4)  Luzzasco,  en  1580,  fut  récompensé  de  ses  services  par  le  don  d'une  maison 
à  Voghenza. 


LIVRE   PREMIER.  229 

pour  lo  Sfortunalo  d'Agostino  Argenti,  ^omyV Aretusa  d'Alberto 
Lollio  (1).  La  musique  intercalée  dans  la  représentation 
(VÉglé,  pièce  également  due  à  Cintio  Giraldi,  fut  Tœuvre 
d'Antonio  dal  Cornelto.  G.  Alexandre  de  Milleville,  fils  du  Fran- 
çais Jean,  surnommé  Jean  de  Ferrare,  avait  été  donné  comme 
maître  par  la  duchesse  Renée  aux  petites  princesses  Anna, 
Lucrèce  et  Éléonore.  Il  composa  plusieurs  livres  de  chant. 
Son  fils,  nommé  François,  fut  aussi  un  musicien  distingué. 
Alexandre  de  Milleville  était  déjà  connu  en  1544;  on  le  re- 
trouve jusqu'en  1573.  Le  Flamand  Giaches  de  Wert^  tout  en 
étant  au  service  du  duc  de  Mantoue,  vint  fréquemment  à  Fer- 
rare,  où  son  talent  excita  l'admiration.  Il  était  à  la  fois  virtuose 
et  compositeur  ;  il  a  laissé  de  la  musique  de  chambre  et  un 
grand  nombre  de  madrigaux,  dont  le  premier  livre  fut  im- 
primé à  Venise  en  1558.  Il  vivait  encore  le  10  septembre  1591. 
Dans  les  concerts  de  la  cour,  les  dilettanti  ferrarais  et  les 
plus  nobles  dames  ne  craignaient  pas  de  prêter  leur  concours 
aux  artistes  de  profession.  Les  répétitions  avaient  lieu  en  pré- 
sence du  duc,  dont  on  écoutait  les  avis  avec  déférence.  De 
1583  à  1589,  Tarquinia  Molza  donna  l'impulsion  à  toutes  les 
bonnes  volontés  et  dirigea  les  chœurs  auxquels  prenaient 
part  les  femmes  des  gentilshommes.  Elle  était  de  Modène. 
La  théologie  et  la  philosophie  ne  lui  étaient  pas  moins  fami- 
lières que  la  science  et  la  pratique  de  la  musique  ;  elle  tra- 
duisit des  ouvrages  grecs  et  latins,  écrivit  en  langue  vul- 
gaire sur  des  sujets  très  variés  et  cultiva  la  poésie.  L'Em- 
pereur essaya  de  l'attirer  auprès  de  lui,  mais  elle  préféra  en- 
trer au  service  de  la  duchesse  de  Ferrare  comme  dame 
d'honneur,  avec  une  pension  mensuelle  de  cinquante-deux 
/?Ve.  Quand  elle  chantait  en  s'accompagnant  de  la  viole,  du 
luth  ou  de  la  harpe,  elle  exerçait  une  véritable  séduction  :  on 
la  surnomma  VUni'ca.  Elle  n'était  cependant  pas  seule  à  char- 
mer les  amateurs  délicats;  Anna  Guan'na  n'avait  guère  moins 

(1)  jNous  aurons  occasion  de  parler  encore  d'Altonso  dalla  Viola  à  propos  des 
Banchelli  de  Messisl»U{;o,  dans  le  chapitre  consacré  aux  l>',rcs  ornés  de  {;ravurcs 
sur  hois. 


230  I/AT.T    FEURAHAIS. 

de  rcputation.  Ces  deux  femmes  chantaient  h  première  vue  les 
morceaux  les  plus  difficiles.  La  passion  pour  la  musique  établit 
entre  Tarquinia  Molza  et  Giaches  de  Wert  une  amitié  qui 
devint  bientôt  de  Tamour,  quoique  Tarquinia  fût  dans  la  matu- 
rité deTàge.  En  dépit  des  précautions  prises,  ses  sentiments 
ne  restèrent  pas  longtemps  ignorés  de  son  entourage,  et  une 
correspondance  compromettante  fut  mise  sous  les  yeux  du 
duc,  qui  exigea  que  Tarquinia  prît  un  prétexte  pour  quitter 
Ferrare.  Elle  se  retira  à  Modène  chez  sa  mère,  rompit  toute 
relation  avec  Giaches  de  Wert  et  se  consola  par  ses  études 
favorites.  La  cittadùuuiza  romana  lui  fut  accordée  en  1600, 
et  elle  mourut,  le  8  août  1617,  à  soixante-quinze  ans  (l). 

Pour  les  grands  concerts,  Alphonse  II  fit  aussi  appel  aux 
religieux  qui  excellaient  à  chanter.  Afin  que  ceux-ci  n'attris- 
tassent point  par  leurs  grossiers  vêtements  de  laine  les  bril- 
lantes réunions  auxquelles  il  les  conviait,  il  leur  faisait  mettre 
par-dessus  leur  tunique  des  manteaux  de  drap  noir,  dont  le 
cardinal  Gambara  obtint  en  1582  la  suppression. 

Le  goût  de  la  musique  se  répandit  jusque  dans  les  monas- 
tères des  religieuses  de  Sant'  Antonio,  de  San  Silvestro  et  de 
San  Vito.  Non  seulement  les  religieuses  s'exerçaient  à  chanter, 
mais  les  instruments  à  cordes,  à  archets  et  à  vent  ne  leur 
étaient  pas  étrangers.  La  musique  qu'elles  faisaient  leur  atti- 
rait des  auditeurs  nombreux  et  distingués,  et  leur  renommée 
avait  dépassé  les  murs  de  Ferrare  (2).  Après  son  mariage  avec 
Philippe  III,  roi  d'Espagne,  mariage  célébré  à  Ferrare  par  le 
pape  Clément  YIII,  Marguerite  d'Autriche  visita  avec  sa  mère 
et  son  oncle  l'église  de  Santa  Maria  in  Yado,  puis  se  rendit 
chez  les  religieuses  de  San  Vito,  qui  firent  de  la  musique  en  sa 
présence  et  reçurent  d'elle  deux  cents  ducats  comme  témoi- 
gnage du  plaisir  qu'elle  avait  eu  à  les  entendre  (1508)  (3). 


(1)  Amilcare  Ramazzini,   Les   musiciens  jlainands  a  la  coiw  de  Ferrare,  clans 
VArchivio  storico  lombardo  du  31  mars  1879. 

(2)  Voyez  Larousse,   Dictionnaire   universel,   du  A''   au    XIV  siècle,  p.   733. 
(Instruments  de  musique.) 

(3)  Fnizzi,  Mcm.  per  la  storia  di  Ferrara,  t.  V,  p.  34. 


LIVRE    PREMIER.  231 

Alphonse  II  fut  le  dernier  des  princes  d'Esté  qui  aient 
régné  h  Ferrare.  N'ayant  point  d'enfants,  il  essaya  d'assurer  le 
trône,  nous  l'avons  déjà  dit,  à  son  cousin  César,  qui  était  fds 
d'un  bâtard  d'Alphonse  I"  et  qui  avait  épousé  en  1586  Virginie 
de  Médicis,  sœur  de  François,  grand-duc  de  Toscane.  Dès 
1590,  il  entra  en  négociations  avec  le  Saint-Siège  afin  de  le 
faire  reconnaître  comme  son  successeur.  Grégoire  XIV  se 
montra  favorable  à  ses  desseins,  mais  la  mort  de  ce  pape  en 
empêcha  la  réalisation.  Innocent  IX  et  Clément  VIII  ne  lui 
laissèrent  aucune  espéi'ance.  Il  fit  cependant  un  testament  en 
faveur  de  César  (1595)n,  et,  étant  tombé  gravement  malade  en 
1507,  il  convoqua  auprès  de  lui  les  principaux  citoyens,  leur 
donna  lecture  de  ce  testament  et  leur  recommanda  l'héritier 
qu'il  s'était  choisi.  Il  mourut  le  27  octobre.  César  d'Esté  fut 
proclamé  duc  de  Ferrare  ;  mais,  menacé  d'une  guerre  dans 
laquelle  il  vit  qu'il  ne  serait  soutenu  par  aucun  prince,  il  se 
résigna  à  abandonner  les  États  qui  relevaient  du  Saint-Siège, 
en  obtenant  de  garder  Modène  et  Reggio,  dont  l'empereur 
Rodolphe  II  lui  conféra  l'investiture.  La  négociatrice  de  ces 
conventions  fut  Lucrèce,  duchesse  d'Urbin,  l'ancienne  pro- 
tectrice du  Tasse.  A  la  fin  de  janvier  1598,  le  cardinal  légat 
Pietro  Aldobrandini  prit  possession  de  Ferrare  au  nom  du  Sou- 
verain Pontife,  et  le  8  mai  Clément  VIII  (Ippolito  Aldobran- 
dini) y  fit  son  entrée.  Il  y  resta  six  mois  et  demi  (1),  qu'il  con- 


(1)  Les  Ferrarais  eurent  plus  d'une  fois  l'occasion  d'assister  alors  à  de  curieuses 
cérémonies.  Le  jour  de  la  Fête-Dieu,  malgré  une  pluie  torrentielle,  le  Pape, 
accompagné  de  toute  la  cour  romaine,  porta  pieds  nus  le  Saint  Sacrement  dans 
les  rues  de  la  ville.  Un  autre  jour,  après  une  messe  célébrée  en  l'honneur  de  la 
paix  rétal)lie  entre  la  France  et  l'Espagne  grâce  à  l'intervention  du  Saint-Siège, 
Clément  VIII,  assis  sur  la  sedia  /jestatoria,  prit  part  à  une  procession  non  moins 
solennelle.  Les  fêtes  profanes  ne  manquèrent  pas  non  plus  lors  des  mariages  de 
Philippe  III,  roi  d'Espagne,  avec  Marguerite  d'Autriche,  et  de  l'archiduc  Albert 
d'Autriche  avec  Isabelle,  fille  du  roi  d'Espagne  Philippe  II,  mariages  célébrés  par 
le  Pape  lui-même  :  des  mascarades  parcoururent  les  rues;  un  bal  fut  donné  dans 
le  CaslcUo;  des  courses  de  barques,  dont  les  femmes  de  Comacchio  étaient  les 
héroïnes,  eurent  lieu  sur  un  canal,  et  les  élèves  des  Jésuites  représentèrent  en 
langue  latine  l'histoire  de  Judith  et  d'IIolopherne.  Fnizzi,  ISÏem.  per  la  sloria  di 
Ferrara,  t.  V,  p.  34-35.  —  A.  lÎEUToi.OTTi,  Ârlisti  bolof/iiesi,  ferraresi  ed  alciini 
altri  nel  gia  stcito  pontijicio  in  Borna  ;  1885,  p.  67. 


232  L'ART    FERIIARAIS. 

sacra  à  Torganisation  du  nouveau  gouvernement,  et  en  1599, 
afin  de  s'assurer  à  tout  jamais  l'obéissance  des  Ferrarais, 
il  fit  élever  à  l'angle  de  la  ville,  entre  le  midi  et  l'ouest,  une 
forteresse  pour  la  construction  de  laquelle  l'architecte  Pom- 
peo  Targone  sacrifia  deux  faubourgs,  le  Castel  Tedaldo,  plu- 
sieurs églises,  quelques  palais,  un  hôpital  et  la  villa  du  Bel- 
védère. Cette  forteresse  ne  fut  détruite  qu'en  1805. 


CHAPITRE  II 

DÉTAILS  SUR  LES  SAINTS  LE  PLUS  SOUVENT  REPRÉSEiSTÉS 
PAR  LES  ARTISTES  FERRARAIS 


Entre  les  croyances  des  peuples  et  les  productions  de  l'art 
il  y  a  toujours  eu  une  étroite  connexion.  Les  artistes  sont  les 
interprètes  des  sentiments  de  la  foule  ;  ils  s'inspirent  des  mêmes 
convictions  et  des  mêmes  enthousiasmes;  satisfaire  la  piété 
générale  était  jadis  le  but  principal  de  leurs  efforts.  Avant 
d'étudier  les  œuvres  des  sculpteurs,  des  peintres,  des  graveurs, 
il  est  donc  nécessaire  de  jeter  un  coup  d'œil  sur  l'état  des 
esprits  à  Ferrare  au  point  de  vue  religieux,  et  de  retracer 
brièvement  les  actes  des  saints  dont  les  princes  et  leurs  sujets 
se  plurent  à  voir  représenter  l'image  dans  les  statues,  les  bas- 
reliefs,  les  tableaux,  les  tapisseries  et  les  livres. 


SAINT     GEORGES. 


Dès  le  commencement  du  quatrième  siècle,  la  province  de 
l'Emilie  adopta  le  christianisme,  qui  avait  été  introduit  à 
Ravenne  en  46  par  saint  Apollinaire,  disciple  de  saint  Pierre. 
Le  premier  saint  en  faveur  auprès  des  habitants  de  l'ancienne 
Ferrare  fut  saint  Georges.  Rien  n'est  plus  naturel,  si  l'on  réflé- 
chit à  l'influence  des  Grecs  de  Constantinople  dans  cette  con- 


234  I/AUT    FEU  II  AU  AÏS. 

trée,  quand  Narsè?  eut  substitué  h  la  domination  des  Ostrogoths 
la  domination  de  Justinien  (553),  celui  de  tous  les  empereurs 
qui  mit  le  plus  de  passion  à  propaf^^er  le  culte  du  héros  chré- 
tien de  la  Cappadoce.  Sans  s'attarder  aux  suppositions  d'après 
lesquelles  il  y  aurait  eu,  vers  la  fin  du  sixième  siècle ,  une 
église  dédiée  à  saint  Georges  (1),  on  peut  affirmer  qu'en  928  la 
cathédrale  primitive  de  Ferrare  portait  le  nom  de  Saint- 
Georges  (2),  et  que,  par  conséquent,  saint  Georges  était  depuis 
un  certain  temps  déjà  le  patron  de  la  ville.  Cette  église,  dont 
le  titre  n'a  pas  changé,  mais  qui  a  maintenant  une  physiono- 
mie toute  moderne,  est  située  entre  les  deux  branches  que  le 
Pô  forme  auprès  de  Ferrare,  entre  le  Pô  di  Yolano  et  le  Pô 
di  Primaro.  Elle  cessa  d'être  la  cathédrale  lorsque  la  cité  eut 
pris  une  grande  extension  sur  la  rive  gauche  du  fleuve,  et  que 
Guglielmo  II  Adelardi  et  Guglielmo  III  eurent  fait  construire, 
à  la  fin  du  douzième  siècle,  la  cathédrale  actuelle,  également 
dédiée  à  saint  Georges. 

Pendant  tout  le  cours  de  l'histoire  de  Ferrare,  la  vénération 
pour  ce  glorieux  martyr  éclate  hautement  (3).  Dans  les  actes 
par  lesquels  les  Ferrarais  se  soumirent  h  la  souveraineté  d'Az- 
zolino  d'Esté  (1208)  et  du  marquis  Obizzo  (1264),  saint  Georges 
est  pris  à  témoin,  après  la  Trinité  et  la  sainte  Vierge.  Le  statut- 
de  1268  imposa  à  chaque  corporation  et  à  chaque  citoyen  qui 
possédait  des  biens  valant  au  moins  cent  lire  impériales  l'obli- 
gation d'offrir  un  cierge  à  l'autel  de  Saint-Georges  la  veille  de 
la  fête  du  saint.  Le  souvenir  de  saint  Georges  s'associa  même 
aux  réjouissances  publiques  :  dès  1279,  le  jour  de  sa  fête, 
c'est-à-dire  le  23  avril  (4),  toute  la  population  assistait  à  ces 
courses  de  chevaux  qui  devinrent  le  spectacle  favori  des  grands 


(1)  Luigi  Ughi,  //  culto  di  San  Giorgio  pressa  i  Ferraresi.  Fcrrara,  1811. 

(2)  Suivant  Jacopo  A{;nelli,  elle  aurait  été  ronsacrée  en  658,  alors  que  le 
trône  de  saint  Pierre  était  occupé  par  Vitaliano.  [Notizie  istoriche  del  f/ran  mar- 
tire  San  Giorgio,  p.  69.  Ferrara,  1751.) 

(3)  Frizzi,  Memorie  per  la  storia  di  Ferrara,  t.  I,  p.  226. 

(4)  C'est  le  23  avril  que  tombe  la  fête  de  saint  Georges,  mais  les  Ferrarais 
obtinrent,  on  ne  sait  pour  quel  motif,  l'autoiisation  de  la  célébrer  le  lendemain. 
Cet  usajje  était  déjà  en  vigueur  en  1462. 


I,IVRE   PREMIER.  235 

et  des  petits  (1).  L'image  de  saint  Georges  est  celle  qui  appa- 
raît le  plus  souvent  :  on  la  trouve  sur  les  sceaux  publics  (2), 
sur  les  autels  de  la  cathédrale,  dans  les  miniatures,  apparte- 
nant à  la  seconde  moitié  du  quinzième  siècle,  qui  ornent  les 
missels  de  cette  église,  sur  certaines  monnaies  exécutées  vers 
la  même  époque  et  dans  le  frontispice  des  statuts  de  1567. 
Elle  figure  aussi  parmi  les  ornements  du  tombeau  de  Lorenzo 
Roverella.  Nombre  de  peintres  l'introduisirent  dans  leurs 
tableaux,  notamment  Viltoî'e  Pisano,  Gelasio  délia  Masnada  (3), 
Garofalo  et  Dosso.  La  collection  formée  par  les  ducs  de  Fer- 
rare  comprenait  également  un  Saùit  Georges  dû  à  Sodouia, 
comme  le  prouve  une  lettre  de  ce  peintre  à  Alphonse  I"  (3  mai 
1518).  Enfin,  le  poète  Lilio  Gregorio  Giraldi  (1479-1552)  com- 
posa un  hymne  en  l'honneur  du  glorieux  protecteur  de  sa  ville 
natale. 

Souvent  désolée  par  la  peste,  la  disette  et  les  tremblements 
de  terre,  la  ville  de  Ferrare  implorait  dans  ces  temps  de  cala- 
mité l'intercession  de  saint  Georges,  et  les  reliques  du  saint 
étaient  portées  solennellement  en  procession  à  travers  les  rues. 
Ces  reliques  se  composent  d'un  os  du  bras,  d'une  partie  du 
crâne  et  d  un  fragment  d'étendard  militaire.  On  a  prétendu 
que  l'os  du  bras  de  saint  Georges,  qui  est  renfermé  dans  un 
bras  d'argent,  ciselé,  émaillé  et  doré  en  1388  sous  l'épiscopat 
de  Tomraaso  Marcapesci  (4),  fut  apporté  de  Palestine  par  le 
comte  Robert  de  Flandre,  et  que  celui-ci  le  donna  à  la  com- 
tesse Mathilde,  laquelle  l'offrit  à  la  cathédrale  de  Ferrare  en 
1  110;  mais  cette  assertion  ne  peut  se  soutenir.  Guillaume  de 
Tyr  ne  rapporte  pas  que  Robert  de  Flandre  soit  allé  au  delà  de 


(1)  C'est  pendant  la  fètc  de  saint  (Teoijjos  que,  en  1475,  Jérôme  Savonarolc 
quitta  Ferrare  à  l'insu  de  ses  parents  pour  aller  prendre  à  Holojjnc  l'habit  de 
Saint-Donnnirpie. 

(2)  Le  sceau  pulilie  que  Bcltraniino  l'allavicino,  évècjue  de  Pologne,  remit  à 
Ohizzo  en  1344  de  la  part  du  Pape,  quand  Clément  VI  accorda  à  ce  prince  un 
renouvellement  d'investiture,  poitait  l'image  de  saint  Georges  à  cheval. 

(3)  Barl'ffaldi,  Vite,  etc.,  t.  I,  p.  6.  —  Fiuzzi,  Memorie  per  la  storia  di  Fer- 
rara,  t.  III,  p.  165. 

(4)  Voyez  les  pages  consacrées  à  l'orfèvreiie  (liv.  III,  cli.  iii\ 


236  T/ART    FEREARAIS. 

TEuplirate;  Robert  revint  en  1 105  et  n'aborda  pas  en  Italie  (1). 
Les  deux  autres  objets,  conservés  primitivement  à  Rome  dans 
l'église  de  San  Giorgio  in  Velabro ,  furent  obtenus  de  Clé- 
ment VIII  en  inOO  par  Fontana,  évêque  de  Ferrare.  C'est  un 
buste  d'argent  qui  contient  le  crâne  de  saint  Georges.  Les 
reliques  que  nous  venons  de  mentionner  sont  exposées  chaque 
année  pendant  neuf  jours,  à  partir  du  24  avril,  dans  des  vi- 
trines disposées  autour  du  chœur. 

Quelques  détails  sur  la  vie  et  la  légende  de  saint  Georges 
nous  semblent  bons  à  rappeler  (2).  Il  naquit  en  Cappadoce  de 
parents  nobles  et  riches  attachés  à  la  religion  chrétienne. 
Tout  jeune,  il  perdit  son  père,  qui  périt  sous  les  armes;  puis  il 
accompagna  sa  mère  en  Palestine  où  elle  était  née  et  où  elle 
possédait  des  biens  considérables.  Il  embrassa  de  bonne  heure 
la  même  carrière  que  son  père,  et  il  était  déjà  tribun  militaire 
quand  sa  mère  mourut.  Il  se  rendit  alors  à  Nicomédie ,  en 
Bithynie.  Dioclétien,  qui  se  trouvait  à  Nicomédie,  eut  l'occa- 
sion d'apprécier  à  la  fois  sa  valeur  et  sa  sagesse ,  fonda  sur  lui 
les  plus  grandes  espérances  et  le  nomma  maître  de  camp. 
Georges  n'avait  guère  que  vingt  ans  ;  il  était  remarquablement 
beau.  Le  plus  brillant  avenir  paraissait  lui  être  réservé.  Sur 
ces  entrefaites,  l'Empereur,  à  l'instigation  du  féroce  Galère, 
préluda  aux  persécutions  acharnées  contre  les  chrétiens  par 
des  mesures  odieuses  qui  trahissaient  ses  intentions.  Voyant 
aussitôt  qu'il  fallait  choisir  entre  sa  fortune  mondaine  et  sa 
fidélité  à  Dieu,  Georges  n'hésita  pas  un  instant  et  se  regarda 
comme  une  des  futures  victimes  de  Dioclétien.  Afin  de  se  pré- 
parer à  tous  les  détachements,  il  vendit  ses  biens,  en  distribua 
le  prix  aux  pauvres  et  donna  la  liberté  à  ses  esclaves.  L'occa- 
sion d'affirmer  ses  croyances  ne  tarda  pas  à  lui  être  offerte. 
Avant  de  lancer  son  édit  de  persécution,  l'Empereur  voulut 
prendre  l'avis  des  principaux  fonctionnaires  de  la  province  et 

(1)  RoLLANDiSTES,  Acta  saiictorum,  édition  Palmé,  t.  XV,  p.  153-160. 

(2)  Voyez,  outre  les  biojjraphies  d'U{;hi  et  d'Agnelli  que  nous  avons  men- 
tionnées, celles  qu'ont  publiées  à  Ferrare  Anseluiini  (1692)  et  Agostino  Pcruzzi 
(1841),  ainsi  que  la  Vie  des  saints,  par  Ribadeneira,  t.  IV,  p.  337 


LIVRE    P  REMI  EU.  237 

des  hauts  dignitaires  de  1  armée,  au  nombre  desquels  était  le 
jeune  maître  de  camp.  A  peine  Georges  eut-il  entendu  les 
accusations  formulées  contre  les  chrétiens  qu'il  se  leva  pour 
en  relever  l'injustice,  et  que,  proclamant  sa  foi,  il  démontra 
la  fausseté  du  paganisme.  Cette  liberté  de  langage  amena 
l'incarcération  de  celui  qui  se  l'était  permise,  et  Dioclétien, 
dans  l'espoir  d'une  rétractation,  ordonna  qu'on  eût  recours 
aux  tourments  les  plus  raffinés.  Sur  le  corps  du  jeune  confes- 
seur étendu  à  terre,  on  roula  une  énorme  pierre  qui  devait 
pour  ainsi  dire  le  broyer,  et  sous  le  poids  de  laquelle  il  passa 
toute  une  nuit.  Quelle  ne  fut  pas  la  surprise  des  bourreaux 
lorsque,  au  point  du  jour,  ils  le  trouvèrent  vivant,  dispos  et 
louant  Dieu  qui  l'avait  miraculeusement  secouru  !  Dioclétien 
essaya  alors  d'arriver  à  ses  fins,  d'abord  en  témoignant  à  saint 
Georges  une  fausse  tendresse  et  en  lui  promettant  tout  ce  qui 
eût  pu  tenter  une  àme  moins  haute,  puis  en  le  menaçant  des 
plus  terribles  épreuves.  Tout  fut  inutile.  A  l'exaspération  du 
souverain  correspondit  un  nouveau  supplice.  Une  roue  armée 
de  crocs  et  de  pointes  tranchantes  comme  des  lames  de  rasoir 
déchira  le  corps  du  patient,  mais  une  voix  céleste  fit  entendre 
ces  mots  :  «  Georges,  ne  crains  rien,  je  suis  avec  toi.  ^  Presque 
en  même  temps,  un  jeune  homme  vêtu  de  blanc  et  dont  le 
visage  rayonnait  s'approcha,  détacha  de  la  roue  l'héroïque 
martyr,  qui  était  presque  évanoui,  et  l'embrassa;  sur-le-champ 
les  blessures  se  cicatrisèrent.  L'intrépidité  de  saint  (^eorges  et 
la  protection  divine  dont  il  avait  été  l'objet  provoquèrent 
l'éclatante  conversion  des  préteurs  Anatolius  et  Protolus,  qui 
furent  bientôt  décapités,  et  la  conversion  secrète  d'Alessandra, 
seconde  femme  de  Dioclétien.  La  rage  de  l'Empereur  n'était 
cependant  pas  encore  assouvie.  Saint  Georges  fut  plongé  dans 
de  la  chaux  vive.  Quand  on  l'en  tira  au  bout  de  trois  jours,  on 
constata  que  son  corps  n'en  avait  pas  reçu  la  moindre  atteinte. 
On  le  fit  ensuite  courir  avec  des  brodequins  garnis  intérieure- 
ment de  pointes  rougies  au  feu,  et  on  le  flagella  cruellement. 
Ne  comprenant  pas  que  tant  de  souffrances  n'eussent  pas  mis 
fin  à  sa  vie,  Dioclétien  crut  à  quelque  sortilège  et  s'imagina 


238  L'ART    F  E  II  II  A  15  Al  S. 

d'opposer  les  artifices  aux  artifices.  A  son  instigation,  le  magi- 
cien Atanagio  fit  boire  à  Georges  deux  breuvages  qui  devaient 
troubler  sa  raison  et  torturer  ses  entrailles;  mais  un  signe  de 
croix  les  avait  rendus  inoffensifs.  «  Pourquoi  vous  étonner? 
s'écria  saint  Georges.  Jésus-Christ  n'a-t-il  pas  promis  à  ceux 
qui  croiraient  en  lui  le  don  des  miracles,  et  jusqu'à  la  puis- 
sance de  ressusciter  les  morts?  »  On  voulut  le  prendre  au  mot 
et  on  lui  demanda  de  confirmer  les  paroles  de  son  Dieu  en 
rendant  la  vie  à  un  mort  enseveli  depuis  quelques  jours,  ce 
qu'il  fit  à  la  stupéfaction  de  tous.  L'homme  ressuscité  et  Ata- 
nagio se  jetèrent  aux  pieds  de  saint  Georges  et  se  convertirent 
à  leur  tour  au  christianisme,  conduite  qui  porta  au  comble  la 
fureur  de  l'Empereur,  sur  l'ordre  duquel  on  leur  trancha  la 
tête.  La  cruauté  de  Dioclétien  n'empêcha  pas  la  foule  de  ma- 
nifester sa  vénération  pour  le  héros  chrétien  qui  trouvait  la 
joie  dans  les  tourments.  C'était  à  qui  le  visiterait  dans  sa  pri- 
son. Tantôt  on  venait  l'implorer  pour  la  guérison  de  quelque 
maladie;  tantôt  on  sollicitait  de  lui  le  baptême,  quitte  à  payer 
de  la  vie  ce  bienfait.  On  eût  dit  que  chaque  goutte  de  sang 
versée  par  saint  Georges  eût  engendré  de  nouveaux  fidèles. 
Dioclétien  résolut  d'en  finir  avec  l'homme  qui  le  bravait.  11  fit 
ériger  un  tribunal  sur  la  grande  place  de  Nicomédie  auprès  du 
temple  d'Apollon,  et  quand  saint  Georges  fut  en  sa  présence, 
il  le  somma  pour  la  dernière  fois  de  sacrifier  aux  dieux,  lui 
promettant  à  ce  prix  son  pardon.  Saint  Georges  consentit  à  se 
rendre  dans  le  temple,  et  l'Empereur,  qui  se  flattait  d'avoir 
dompté  ce  mâle  courage,' convoqua  tout  le  peuple  à  ce  nouveau 
spectacle.  Mais  ses  illusions  durèrent  peu.  Devant  la  statue 
d'xVpollon,  saint  Georges  prononça  ces  paroles  en  faisant  le 
signe  de  la  croix  :  «  Dois-je  t'offrir  un  sacrifice  comme  à  Dieu? 
—  Je  ne  suis  pas  Dieu,  répondit  une  voix  à  l'intérieur  de  la 
statue  ;  il  n'y  a  qu'un  seul  Dieu,  celui  que  tu  prêches.  —  Com- 
ment, répliqua  le  saint,  oses-tu  demeurer  ici  en  ma  présence, 
puisque  je  connais  et  adore  le  vrai  Dieu?  »  A  ces  mots,  on 
entendit  des  gémissements  sortir  de  toutes  les  idoles  ,  qui 
s'écroulèrent  à  la  fois.  Les  prêtres  des  faux  dieux  crièrent  ven- 


LIVllE    PIIEMIEU.  239 

geance,  et  Dioclétien  écouta  d'autant  plus  volontiers  leurs  sug- 
gestions, que,  sous  ses  yeux,  l'Impératrice  vint  se  jeter  aux 
pieds  du  saint  enchaîné  et  se  proclama  chrétienne.  Il  ordonna 
de  conduire  hors  de  la  ville  saint  Georges  et  Alessandra,  et  de 
leur  trancher  la  tête;  mais,  pendant  que  les  deux  condamnés 
marchaient  joyeux  au  supplice,  1  Impératrice  sentit  tout  à 
coup  ses  forces  l'abandonner  ;  elle  obtint  de  s'asseoir  un  instant, 
fit  une  dernière  prière  et  s'éteignit  sans  souffrance.  Quanta 
saint  Georges,  qu'accompagnaient  en  foule  les  fidèles  avides 
de  sacrifier  aussi  leur  vie  à  leur  foi,  il  fut  décapité  après  avoir 
rendu  grâces  à  Dieu  et  prié  pour  ses  bourreaux,  le  vendredi 
saint,  c'est-à-dire  le  23  avril  de  l'année  303. 

Pasicrate,  son  dévoué  serviteur,  qui  l'avait  sans  cesse  A'isité 
en  prison  et  qui  avait  reçu,  avec  les  confidences  de  ses  joies 
intimes,  ses  suprêmes  instructions,  lui  donna  la  sépulture. 
Mieux  informé  que  personne,  il  écrivit  en  grec  la  biographie 
de  son  maître. 

A  la  gloire  réservée  dans  le  ciel  au  soldat  martyr  devait 
promptement  succéder  pour  lui  la  gloire  terrestre.  Son  culte, 
établi  d'abord  en  Orient,  allait  se  propager  en  Occident. 
L'Eglise  l'invoqua  contre  les  ennemis  de  la  foi,  tandis  que  les 
princes  mettaient  sous  son  patronage  des  ordres  militaires.  Il 
fut  regardé  comme  le  chevalier  chrétien  par  excellence,  et 
c'est  en  effet  sous  les  dehors  d'un  chevalier  secourant  une 
jeune  fille  sur  le  point  d'être  dévorée  par  un  dragon  que  les 
artistes  Font  représenté  le  plus  souvent.  Cet  usage  remonte 
très  haut  (1).  Ceux  qui  l'ont  établi  n'entendaient  nullement 
retracer  un  fait  véritable,  ni  même  une  légende,  mais  traiter 
un  sujet  allégorique  et  personnifier,  suivant  la  coutume  des 
Grecs,  une  province  par  une  femme.  Ici,  saint  Georges  sauve 
la  Cappadoce  en  portant  un  coup  mortel  à  l'idolâtrie  (2). 

Ce  sont  probablement  les  monuments  figurés  qui  donnèrent 
lieu  à  la  formation  de  la  légende  d'après  laquelle  saint  Georges 

(1)  Constantin  avait  fait  suspendre  dans  le  vestibule  de  son  palais  un  tableau 
où  l'on  voyait  le  Peiséc  cliréticii  iléfenduiit  une  prineevsse  contre  un  monstre. 
(2/   Voyez  Les  cca-acleristif/ucs  des  saints,  par  le  I*.  Gaiiieii. 


240  L'AUT    FERUAllAIS. 

aurait  arraché  à  la  mort  la  fille  d'un  roi  menacée  par  un  dra- 
gon. Voici  comment  l'expose  Jacques  de  Voragine  (1)  : 

Cl  Georges  vint  dans  la  ville  qu'on  appelle  Silène  (et  que 
d'autres  nomment  Bérite  ou  Lasia),  près  de  laquelle  était  un 
étang  où  habitait  un  monstre  qui  maintes  fois  avait  fait  reculer 
le  peuple  armé  venu  pour  le  détruire  ;  il  s'approchait  même 
jusqu'aux  murs  de  la  cité,  et  de  son  souffle  tuait  tout  ce  qu'il 
trouvait.  Pour  éviter  de  semblables  visites,  on  lui  donnait  tous 
les  jours  deux  brebis  afin  d'apaiser  sa  voracité.  Si  l'on  y  man- 
quait, il  assaillait  tellement  les  murs  de  la  ville ,  que  son 
souffle  empoisonné  infectait  l'air,  et  que  beaucoup  d'habitants 
en  mouraient.  On  lui  fournit  tant  de  brebis  qu'elles  devinrent 
très  rares,  et  qu'on  ne  pouvait  plus  s'en  procurer  autant  qu'il 
en  fallait  ;  alors  les  citoyens  tinrent  conseil,  et  il  fut  décidé 
qu'on  livrerait  chaque  jour  un  homme  et  une  bête  ;  si  bien 
qu'à  la  fin  on  donna  les  enfants,  filles  ou  garçons,  et  personne 
ne  fut  épargné.  Un  jour,  le  sort  désigna  la  fille  du  roi  comme 
victime.  Le  monarque  épouvanté  offrit  en  échange  son  or, 
son  argent  et  la  moitié  de  son  royaume,  pour  qu'on  épargnât  à 
sa  fille  ce  genre  de  mort  si  cruel.  Mais  le  peuple  s'échauffa  et 
s'écria  que,  puisque  ledit  promulgué  par  le  roi  avait  détruit 
tous  les  enfants,  la  propre  fille  du  monarque  ne  devait  point 
faire  exception.  On  menaça  le  prince,  en  cas  de  refus,  de  le  brû- 
ler, lui  et  son  palais.  Dans  son  désespoir,  le  roi,  s'adressant  au 
peuple,  sollicita  et  obtint  un  délai  de  huit  jours.  Au  bout  de  ce 
temps,  le  peuple  revint  au  palais  et  dit  :  «  Pourquoi  perds-tu 
«  ton  peuple  pour  ta  fille?  Nous  mourons  tous  par  le  souffle  de 
«  ce  monstre.  »  Le  roi  vit  bien  qu'il  devait  se  résoudre  au  sacri- 
fice. Il  fit  couvrir  sa  fille  de  vêtements  royaux,  l'embrassa,... 
lui  donna  sa  bénédiction  en  gémissant  et  la  serra  tendrement 
dans  ses  bras  ;  puis  elle  s'en  alla  vers  le  lac.  Georges,  qui  pas- 
sait parla,  vit  qu'elle  pleurait  et  lui  demanda  ce  qu'elle  avait; 
elle  lui  répondit  :  «  Bon  jeune  homme,  monte  bien  vite  à  che- 
«  val,  et  hâte-toi  de  fuir,  afin  que   tu  ne  périsses  pas   avec 

(1)   Jacques  de  Vorafjine,  auteur  de  la  Légende  dorée,   ht  partie  de  l'Ordre  de 
Saint-Dominique  et  devint  évèque  de  Gênes.  Né  vers  1230,  il  mourut  en  1298. 


LIVRE   PREMIER.  241 

(c  moi.  "  Et  Georges   lui  dit  :   «  Ne  crains  rien,  et  fais-moi 
«  savoir  ce  que  tu  attends  ici,  et  pourquoi  tout  ce  peuple  nous 
«  regarde.  »  Et  elle  répliqua  :  «  Je  vois  que  tu  as  un  cœur 
«  noble  et  grand  :  mais  hâte-toi  de  partir.  «   Georges  reprit  : 
«  Je  ne  m'éloignerai  qu'après  avoir  appris  ce  que  tu  as.  » 
Lorsqu'elle  l'eut  instruit  de  tout,  Georges  ajouta  :   «  Ne  crains 
«  pas,  je   t'aiderai   au  nom  de  Jésus-Christ.  —   Brave  che- 
«  valier,  reprit-elle,  ne  cherche  point  à  mourir  avec  moi  ;  il 
«  suffit  que  seule  je  périsse,  car  tu  ne  pourras  ni  m'aider  ni 
«  me  délivrer,  et  tu  succomberas  avec  moi.  »  Dans  ce  moment, 
le  monstre  sortit  de  l'eau.  Alors  la  vierge  dit  en  tremblant  : 
«  Euis  au  plus  vite,  chevalier.  "   Pour  toute  réponse,  Georges 
monta  sur  son  cheval,  fit  le  signe  de  la  croix,  s'avança  au- 
devant  du  monstre  en  se  recommandant  à  Jésus-Christ,  et  le 
chargea  intrépidement.  Il  brandit  sa  lance  avec  une  telle  force 
qu'il  le  traversa  et  le  jeta  par  terre.  Alors,  s'adressant  à  la  fille 
du  roi,  il  lui   dit   de   passer   sa    ceinture  autour  du  cou  du 
monstre,  et  de  ne  le  redouter  en  rien.  Quand  ce  fut  fait,  le 
monstre  la  suivit  comme   le  chien  le   plus  doux.   Lorsqu'ils 
l'eurent  conduit  dans  la  ville,  le  peuple  s'enfuit  sur  les  mon- 
tagnes et  sur  les  coUines,  en  s'écriant  que  tout  le  monde  allait 
périr.  Mais  Georges  le  retint  en  l'exhortant  à  ne  rien  craindre, 
car  il  avait  été  envoyé  par  le  Seigneur  pour  rendre  au  pays  la 
sécurité.  Et  il  ajouta  :   u  Croyez  seulement  en  Dieu  ;  que  cha- 
"  cun  de  vous  soit  baptisé,  et  je  tuerai  le  dragon.  »  Alors  le 
roi  et  ses  sujets  furent  baptisés  ;  ensuite  Georges  tira  son  glaive 
et  abattit  la  tête  du  monstre  ;  selon  ses  ordres,  quatre  paires 
de  bœufs  le  transportèrent  hors  de  la  ville  (1).  » 

(1)   La  Légende  dorée,  t.  II,  p.  75,  traduction  par  M.  G.  B.  Paris,  1854,  chez 
Delahays.  —  Voyez  é^jaleinent  le  récit  de  Teodoro  Ansclmini,  p.  il-:}7. 


16 


L'A  HT    FEUr.AUAIS. 


II 

SAINT    MAURELIUS(l), 


Saint  Maurelius  n'est  pas  moins  vénéré  que  saint  Georges 
par  les  Ferrarais,  qui  le  regardent  aussi  comme  un  de  leurs 
plus  puissants  protecteurs.  Ce  n'est  pas  l'histoire  qu'il  faut 
interroger  sur  sa  vie,  car  les  sources  d'informations  certaines 
font  défaut.  La  légende  seule  fournit  des  renseignements  sur 
son  compte.  Mais  comme  c'est  elle  qui  a  inspiré  les  artistes, 
il  n'est  pas  sans  intérêt  de  connaître  les  épisodes  qu'elle  con- 
tient. 

Maurelius,  fils  du  i^oi  de  Mésopotamie  Théobald,  naquit  à 
Edesse  (aujourd'hui  Orfa).  Quoique  son  père  fût  païen,  il 
adopta  de  très  bonne  heure,  sous  l'influence  de  la  lecture  des 
Évangiles,  la  doctrine  de  Jésus-Christ,  qu'il  inculqua,  sans 
rencontrer  d'opposition,  à  ses  deux  frères  Hippolyte  etRivallo, 
beaucoup  plus  jeunes  que  lui.  Très  appliqué  à  la  culture  des 
lettres,  h  l'étude  des  lois  et  à  la  science  du  gouvernement,  il 
fut,  vers  sa  dix-huitième  année,  en  état  d'être  associé  à  l'exer- 
cice du  pouvoir  :  on  le  chérissait  pour  sa  justice  autant  que 
pour  la  facilité  de  son  abord.  Cependant,  le  désir  de  se  consa- 
crer uniquement  au  service  de  Dieu  l'emporta  bientôt  sur 
toutes  ses  autres  préoccupations;  mieux  valait,  pensait-il, 
'>  être  un  petit  citoyen  dans  le  ciel  qu'un  grand  roi  dans  ce 
monde  »  .  Il  finit  par  déclarer  à  son  père  sa  résolution.  Toute- 
fois, le  violent  chagrin  de  Théobald  et  les  pressantes  sollicita- 

(I)  Lerjfjcndario  e  vila  et  iniracoli  de  sancto  Maurelio  episc.  e  pati-ono  de  Fer- 
rara,  stamp.  in  Ferr.  pcr  Lorenzo  de'  Rossi  da  Valenza,  1489,  in-i".  —  Spccchio 
d  humilta  clie  contiene  la  vita  di  S.  Maurelio  vescovo  et  lumtire,  protettorc  et 
difensore  délia  citta  di  Ferrara,  srvhlo  in  dialujjo  dal  F.  Don  Mithelangclo 
(Boiiavcri;  :  stanip.  in  Ferrara  1597  per  Vittorio  Haldini  e  ncl  16S5  per  Alphonse 
Marcsli,  in-4\  —  Fnizzi,  Memorie  per  la  r.toiln  di  Ferrara,  t.  I,  p.  230-233. 


LIVRE   PREMIER.  2V3 

tions  des.grands  le  décidèrent  à  ne  l'exécuter  qu'après  la  mort 
du  roi,  mort  qui  eut  lieu,  du  reste,  peu  de  jours  après.  Devenu 
maître  de  lui-même,  Maurelius  eût  pu  réaliser  sur-le-champ  le 
projet  qui  lui  tenait  tant  au  cœur  ;  mais  l'état  des  affaires  lui 
fit  un  devoir  de  continuer  à  les  conduire  durant  trois  ans. 
Pendant  qu'il  régnait  encore,  il  construisit  en  l'honneur  de  la 
sainte  Yiei-ge  une  église,  où  furent  déposés  plus  tard  le  corps 
de  saint  Thomas,  rapporté  des  Indes,  et  ses  propres  dépouilles. 
Enfin,  il  prit  pour  successeur  Hippolyte,  celui  de  ses  frères  qui 
lui  semblait  le  plus  digne  de  gouverner,  et  il  abandonna  son 
royaume. 

Il  se  rendit  à  Smyrne,  auprès  de  l'évéque  Théophile,  dont  il 
gagna  le  cœur  par  son  humilité,  sa  bonté  intelligente  et  sa  . 
ferveur,  et  qui,  au  bout  d'un  certain  temps,  lui  conféra  la 
dignité  de  prêtre.  Sur  ces  entrefaites,  un  hérésiarque  du  nom 
de  Severino,  invoquant  ce  passage  d'un  psaume  :  «  Minuisti  eum 
paulo  minus  ab  angelis  "  ,  nia  que  le  Christ  fût  fils  de  Dieu  et 
gagna  de  nombreux  prosélytes.  Invité  par  l'évéque  à  une  dis- 
cussion en  présence  du  peuple,  il  s'y  refusa.  Théophile  eut 
alors  la  pensée  d'envoyer  à  Rome  Maurelius  pour  demander 
au  Pape  des  conseils  sur  la  conduite  à  tenir.  L'ancien  roi  de 
Mésopotamie  était  à  peine  parti  que  Severino  s'introduisit  dans 
la  cathédrale,  où  il  avait  convoqué  ses  sectateurs,  et  monta  en 
chaire  afin  de  conquérir  de  nouveaux  adeptes.  Le  châtiment 
de  sa  témérité  ne  se  fit  pas  attendre  :  une  flèche  de  feu  tomba 
sur  lui  et  le  réduisit  en  cendres. 

Cette  punition  céleste  fut  annoncée  par  un  ange  à  Maurelius 
pendant  son  voyage.  Il  ordonna  aussitôt  au  pilote  de  le  rame- 
ner à  Smyrne,  mais  une  tempête  poussa  le  navire  dans  le  port 
d'Ostie.  Il  se  trouvait  trop  près  de  Rome  pour  ne  pas  avoir  le 
désir  de  vénérer  les  reliques  de  saint  Pierre  et  de  demander 
au  Pape  sa  bénédiction,  et  il  se  décida  à  s'acheminer  vers  la 
capitale  du  monde  chrétien  avec  plusieurs  de  ses  compagnons. 
Au  même  moment,  une  députation  des  Ferrarais  sollicitait  du 
Souverain  Pontife,  Jean  lY,  la  nomination  d'un  évêque  à  la 
place  de  celui   que    la  mort   leur   avait   enlevé   récemment. 


244  L'ART    FEHRAllAIS. 

Jean  IV  leur  promit  sa  réponse  pour  le  lendemain.  Dans  la 
nuit  qui  précéda  cette  seconde  audience,  saint  Georges,  pro- 
tecteur de  Ferrare,  apparut  au  Pape,  lui  annonça  l'arrivée  de 
Maurelius  et  lui  notifia  que  Dieu  le  voulait  donner  pour 
évêque  aux  Ferrarais.  Dès  l'aurore,  Jean  IV  envoya  quelques 
personnes  de  son  entourage  à  la  rencontre  de  Maurelius,  l'ac- 
cueillit avec  joie,  l'embrassa,  lui  raconta  les  desseins  de  Dieu 
sur  lui,  et  le  désigna  aux  envoyés  de  Ferrare  comme  leur  pas- 
teur. Le  20  avril  638,  il  lui  conféra  la  consécration  ëpiscopale 
et  ne  le  laissa  pas  partir  sans  l'avoir  comblé  de  présents.  En 
même  temps,  les  compagnons  de  voyage  de  Maurelius  repri- 
rent la  route  de  Smyrne  et  se  chargèrent  de  rapporter  à  Théo- 
phile ce  qui  venait  de  se  passer. 

L'arrivée  de  Maurelius  à  Ferrare  fut  célébrée  par  des  trans- 
ports de  joie,  et  cette  joie  se  changea  en  actions  de  grâces 
quand,  à  la  fin  de  la  première  messe  célébrée  par  le  nouvel 
évêque,  on  vit  une  main  tenant  au-dessus  de  sa  tète  une  cou- 
ronne de  rayons ,  tandis  qu'une  voix  céleste  prononçait  ces 
mots  :  "  Pour  avoir  quitté  le  royaume  de  ton  père  et  méprisé 
les  richesses  terrestres,  je  te  comblerai  de  gloire  parmi  les 
anges,  je  serai  le  protecteur  du  lieu  où  tu  reposeras  et  j'exau- 
cerai les  fidèles  qui  viendront  prier  sur  ton  tombeau.  » 

Au  bout  de  huit  années.  Dieu  révéla  à  Maurelius  pendant 
son  sommeil  que  de  cruelles  épreuves  lui  étaient  réservées,  et 
le  saint  évêque  y  acquiesça.  Peu  après,  arrivèrent  quelques- 
uns  de  ses  compatriotes,  envoyés  par  les  grands  de  son  ancien 
royaume.  Ils  lui  apprirent  que  Rivallo  avait  fait  assassiner 
Hippolyte  pour  s'emparer  du  trône  et  prétendait  anéantir 
autour  de  lui  le  christianisme.  La  présence  de  Maurelius  en 
Mésopotamie  semblait  être  seule  capable  de  remédier  à  ce 
triste  état  de  choses,  et  l'on  implorait  son  retour  avec  instance. 
Il  céda,  non  sans  avoir  demandé  à  la  prière  une  inspiration 
surnaturelle,  puis  exposa  la  situation  au  peuple  de  Ferrare, 
promettant  de  revenir  le  plus  tôt  possible. 

C'était  le  martyre  qui  l'attendait  dans  sa  patrie.  Rivallo,  en 
effet,  s'exaspéra  des  remontrances  de  son  frère,  le  fit  jeter  en 


LIVRE   PREMIER.  245 

prison,  tâclia  en  vain  de  lui  arracher  une  abjuration  par  de 
cruels  tourments,  et  ordonna  ensuite  de  le  décapiter  en  secret, 
dans  la  crainte  d'exciter  une  révolte  parmi  ses  sujets  (7  mai 
694).  En  même  temps,  il  annonça  en  public  que  Maurelius 
était  reparti  pour  l'Italie.  Dès  qu'il  eut  proféré  ce  mensonge, 
il  devint  possédé  du  démon ,  confessa  son  crime  au  milieu 
de  son  délire  et  succomba  en  deux  heures  à  d'atroces  souf- 
frances. 

Le  corps  du  martyr,  retrouvé  bientôt,  fut  placé  dans  la 
principale  église  d'Édesse.  Il  y  resta  jusqu'en  1106.  A  cette 
époque,  Maurelius  se  montra  en  songe  à  l'empereur  Henri  IV, 
qui  revenait  d'Arménie,  lui  révéla  que  les  infidèles  allaient 
s'emparer  de  la  Mésopotamie  et  lui  demanda  de  transporter 
ses  restes  dans  son  église  épiscopale,  dédiée  à  saint  Georges. 
Henri  s'acquitta  de  cette  mission, et  c'est  ainsi  que  Maurelius, 
fidèle  à  sa  promesse,  reparut  chez  les  Ferrarais,  très  affligés  de 
sa  mort,  mais  fiers  du  moins  de  posséder  ses  bienfaisantes 
reliques. 

La  vertu  de  ces  reliques  se  manifesta  dès  leur  entrée  à  Fer- 
rare.  Pendant  que  la  foule  se  pressait  sur  le  pont,  un  enfant 
tomba  dans  le  fleuve  sans  qu'on  pût  retrouver  son  corps.  Mau- 
relius ayant  été  invoqué,  on  vit,  au  bout  de  trois  jours,  flotter 
à  la  surface  de  l'eau  le  corps  de  l'enfant,  on  le  plaça  sur  l'autel 
qui  recouvrait  le  sépulcre  du  saint,  et  peu  à  peu  le  jeune  noyé 
revint  à  la  vie. 

Dans  la  légende  que  nous  venons  de  résumer,  il  n'est  pas 
difficile  de  relever  des  erreurs  historiques.  Nous  nous  borne- 
rons à  en  signaler  trois  :  —  1°  En  638,  Ferrare  ne  possédait 
pas  d'évêché.  Il  y  en  avait  un  à  Vicoabentino  (Yicohaventia  ou 
Voghenza),  qui  relevait  de  l'archevêché  de  Ravenne.  Mauro, 
archevêque  de  Ravenne,  ayant  adopté  l'hérésie  des  Monothé- 
lites  et  s'étant  révolté  contre  le  pape  Vitalianus,  Jean,  évêque 
de  Vicoabentino,  fidèle  au  Saint-Siège,  obtint  d'Adéodat, 
successeur  de  Vitalianus ,  l'autorisation  de  transporter  son 
évêché  à  Ferrare,  ville  qui  ne  dépendait  pas  de  l'exarque  de 
Ravenne  (640  ou  650),  et  il  eut  pour  église  épiscopale  l'église 


246  L'A  UT    FEU  11  A 11  AI  S. 

de  Saint-Georges  (1).  —  2°  Le  nom  de  Théol)aId  n'est  pas  un 
nom  oriental,  c'est  un  nom  lombard.  —  3"  L'empereur 
Henri  IV  n'alla  jamais  en  Asie.  Il  se  fût  d'ailleurs  peu  soucié 
des  reliques  de  saint  Maurelius,  lui  qui  se  montra  si  hostile  à 
la  religion  catholique. 

Puisqu'on  ne  pouvait  avoir  sur  saint  Maurelius  des  rensei- 
gnements positifs,  les  actes  du  temps  ayant  disparu  soit  au 
milieu  des  bouleversements  politiques,  soit  pendant  quelque 
incendie,  encore  fallait-il  ne  se  livrer  qu'à  des  suppositions 
vraisemblables.  Les  nouveaux  éditeurs  des  Acta  sayictorum  pro- 
posent deux  récits,  où  les  conjectures  ne  sont  pas  du  moins  en 
opposition  avec  des  faits  avérés. 

Voici  le  premier  récit.  Maurelius,  prêtre  appartenant  au 
clergé  romain  sous  le  pape  Jean  IV,  aura  été  envoyé  à  Smyrne 
pour  s'enquérir,  auprès  de  l'évêque  Théophile,  de  l'hérésie 
propagée  par  Severianus.  Revenu  à  Rome  au  moment  où 
Vicohaventia  sollicitait  la  nomination  d'un  évéque,  c'est  lui 
que  le  Pape  désigna  (642).  Très  attaché  à  l'autorité  du  Souve- 
rain Pontife,  il  sollicita  et  obtint  la  permission  de  transférer 
son  évêché  à  Ferrare.  Mais,  au  moment  d'opérer  cette  trans- 
lation, il  fut  assassiné  par  les  émissaires  de  Mauro,  archevêque 
de  Ravenne  depuis  6i8,  qui  s'était  mis  en  révolte  ouverte 
contre  le  Saint-Siège.  On  l'ensevelit  dans  une  église  située 
non  loin  du  fleuve  Idissa,  que  les  écrivains  postérieurs  confon- 
dirent avec  Édesse  en  Mésopotamie.  Enfin,  l'empereur  saint 
Henri,  en  traversant  cette  région  après  son  couronnement  à 
Rome  (1014),  fit  transporter  le  corps  de  Maurelius  dans  l'église 
ferraraise  de  Saint-Georges. 

D'après  le  second  récit,  saint  Maurelius  naquit  vers  630 
dans  une  des  villes  de  la  haute  Italie,  dont  son  père,Théobald, 
était  gouverneur,  à  l'époque  de  la  domination  lombarde. 
Quoique  païen,  Théobald  permit  le  culte  du  christianisme  à 
ses  administrés  et  même  à  ses  fils.  L'aîné,  Maurelius,  depuis 
dix-huit  ans  jusqu'à  vingt-quatre,  partagea  avec  lui  les  soins 

(1)    BoLLANDiSTES,    Acla  suiictorum,   édit.    Palmé,    1866,    t.    XV,  p.    15:i-160, 


LIVRE   PREMIER.  247 

du  gouvernement.  Puis,  voyant  qu'il  pouvait  être  remplacé 
par  ses  frères  Hippolyte  et  Rivallo,  il  dit  adieu  au  monde  et 
partit  pour  la  Terre  sainte.  En  revenant,  il  aborda  à  Smyrne, 
s'attacha  à  l'évêque  de  cette  ville,  appelé  peut-être  Théophile, 
étudia  sous  sa  direction,  fut  ordonné  prêtre  par  lui  et  l'aida  à 
combattre  l'hérésie  de  Severianus.  Au  bout  de  quelques  an- 
nées, il  voulut  regagner  sa  patrie;  mais,  pendant  qu'il  se  diri- 
geait vers  quelque  port  lombard  de  la  rive  étrusque,  une  tem- 
pête le  poussa  vers  Ostie.  Il  ne  résista  pas  au  désir  de  visiter 
Rome  (686).  Jean  V  occupait  alors  le  trône  de  saint  Pierre,  et 
les  Ferrarais  venaient  de  lui  demander  un  évêque.  Le  choix 
du  Pape  s'arrêta  sur  Maurelius,  qui  occupa  huit  ans  l'évêché 
de  Ferrare.  Peu  après  son  intronisation,  Théobald  mourut. 
Hippolyte  lui  succéda,  mais  fut  bientôt  assassiné  par  Rivallo, 
qui,  retournant  aux  superstitions  païennes  de  ses  pères,  se 
montra  fort  hostile  au  christianisme.  A  la  prière  de  ses  com- 
patriotes, Maurelius  vint  trouver  son  frère  à  Interamna  (d'où 
l'on  a  fait  Mésopotamie,  mot  qui  signifie  :  entre  les  fleuves)  et 
se  permit  des  remontrances  peu  goûtées  du  chef  barbare. 
Rivallo  le  fit  tuer  en  secret  (694),  et  l'empereur  saint  Henri 
ayant  découvert  les  restes  du  saint  évéque  à  la  suite  d'une 
révélation  de  celui-ci,  les  transporta  à  Ferrare  en  1014. 

Quoi  qu'on  puisse  penser  de  ces  divers  récits,  ce  qui  est 
certain,  c'est  qu'une  tradition  constante  a  représenté  saint 
Maurelius  comme  évéque  et  comme  protecteur  de  Ferrare.  De 
ce  que  le  nom  de  saint  Maurelius  ne  figure  pas  sur  la  liste  des 
évéques  de  Ferrare  dressée  par  les  érudits,  il  ne  s'ensuit  pas 
que  saint  Maurelius  n'ait  pas  droit  d'y  être  admis,  car  cette 
liste  est  critiquable  et  offre  d'ailleurs  des  lacunes.  Quant  au 
culte  de  saint  Maurelius  à  Ferrare,  il  remonte  à  une  époque 
très  reculée,  et  il  se  continua  sans  interruption.  Le  29  mars 
1518,  un  sonneur  brisa  une  cloche  dont  l'inscription  portait 
qu'elle  avait  été  faite  par  ordre  d'Adelardi  Marchesellaen  1 137, 
et  qu'elle  s'appelait  Lucha  Maria  Maurelia.  Les  constitutions 
de  l'archiconfrérie  de  la  Mort,  rédigées  en  1366,  nous  appren- 
nent que  cette  confrérie  célébrait  la  fête  de  saint  Maurelius 


248  L'ART    FERUAllAIS. 

dans  la  principale  église  dédiée  à  saint  Georges  et  à  saint  Mau- 
relius,  ce  qui  fait  supposer  que  le  culte  de  ces  deux  martyrs 
était  loin  d'être  nouveau.  A  l'imitation  de  la  plupart  des  villes 
italiennes  qui  avaient  l'habitude  de  représenter  sur  leurs  mon- 
naies l'effigie  de  leurs  évêques  canonisés,  qu'elles  adoptaient 
pour  patrons,  les  princes  ferrarais  introduisirent  l'image  de 
Maurelius  sur  les  pièces  qu'ils  firent  frapper,  bien  avant  d'y 
introduire  l'image  de  saint  Georges.  Les  niarchesini,  denarini 
et  bagattùii  exécutés  sous^  Nicolas  III  nous  montrent  d'un  côté 
les  armes  de  la  ville  et  l'aigle  des  Este,  de  l'autre  saint  Maure- 
lius bénissant.  Sur  un  grosseto  de  Lionel,  saint  Maurelius  figure 
à  côté  de  saint  Georges  avec  cette  inscription  :  «.S.  M.  E.  Ferr. 
[sanctus  Maurelius  episcopus  Ferrariœ).  »  Il  apparaît  également 
sur  un  quattrino  d'Alphonse  I",  et  il  est  désigné  par  ces  mots  : 
u  kS.  Maurelius  protect.  »  En  I-4I9,  on  déplaça  solennellement, 
en  présence  de  Nicolas  III,  de  l'évéque  et  d  une  foule  consi- 
dérable, le  tombeau  de  Maurelius,  qui  se  trouvait  sous  le 
maître  autel,  dans  une  crypte  où  il  était  compromis  par  l'hu- 
midité (1),  et  on  le  plaça  sous  l'autel  de  la  nef  latérale  de 
gauche.  G  est  là  qu'on  le  vénère  encore  aujourd'hui.  A  l'en- 
droit qu'il  occupait  auparavant  jaillit,  dit-on,  une  source  qui 
avait  la  vertu  de  guérir  les  malades,  comme  l'éprouvèrent 
notamment  une  servante  d'Uguccione  Contrarii  qui,  depuis 
dix  ans,  avait  perdu  l'usage  d'un  bras,  et  un  certain  Jacopo, 
peintre  bolonais,  qui  avait  un  mal  très  grave  dans  la  bouche 
et  ne  pouvait,  pour  ainsi  dire,  rien  manger.  Une  loi  du 
13  janvier  i463,  insérée  dans  les  statuts  de  Ferrare,  men- 
tionne le  jour  de  saint  Maurelius,  comme  celui  de  saint  Georges, 
parmi  les  jours  durant  lesquels  il  était  interdit  de  vendre  aux 
enchères.  On  constatera  plus  loin  que  les  artistes,  à  toutes  les 
époques,  prirent  à  tâche  de  glorifier  aussi  par  leurs  œuvres  le 
vieil  évêque  de  Ferrare. 

(1)  La  même  crypte  abritait  les  reliques  du  Bienheureux  Alberto  Pahdoni  : 
on  les  mit  alors  sous  l'autel  de  la  nef  latérale  de  droite.  Alberto  Pandoni,  de 
Brescia,  fut  évêque  de  Ferrare  pendant  quinze  ans.  Il  mourut  le  14  août  1274, 
après  avoir  fait  son  testament  dans  l'église  de  Saint-Georges,  oh  il  voulut  être 
enterré. 


LIVRE   PREMIER.  249 

III 

SAINT     BERNARDIX    DE     SIENNE(I). 

Saint  Bernardin  de  Sienne,  né  à  Massa  Carrara  le  8  sep- 
tembre 1380,  mort  à  Aquila  dans  FAbruzze  le  20  mai  1444, 
vint  plusieurs  fois  à  Ferrare  et  s'y  rendit  très  populaire  par  ses 
prédications.  On  l'y  trouve  en  1423,  s'élevant  contre  le 
luxe  excessif  et  la  disposition  parfois  inconvenante  des  cos- 
tumes, stigmatisant  l'usure,  les  profits  illicites  et  les  jeux 
de  hasard,  cause  incessante  de  ruines,  de  colères  et  de  blas- 
phèmes. Dans  un  autre  voyage  à  Ferrare,  vers  1428,  il  fut 
chaleureusement  accueilli  par  le  marquis  jSicolas  III  et  par  le 
peuple,  qui  lui  témoignèrent  à  l'envi  leur  vénération.  D'après 
ses  conseils,  un  marchand  qu'il  avait  converti  s'interdit  à  tout 
jamais  la  fraude  et  résolut  de  donner  aux  pauvres  la  dîme  de 
ses  gains  :  Dieu  se  plut  à  bénir  les  affaires  de  ce  marchand, 
que  le  saint  retrouva  quelques  années  plus  tard  dans  la  situa- 
tion la  plus  florissante.  L'attachement  des  Ferrarais  pour  saint 
Bernardin  s'accrut  à  tel  point  qu'en  1431,  année  pendant 
laquelle  il  prêcha  encore  parmi  eux,  ils  voulurent  l'avoir 
comme  évèque.  Saint  Bernardin  refusa  cette  dignité,  que  les 
villes  d'Urbin  et  de  Sienne  lui  offrirent  vainement  aussi  :  il 
pensait  faire  plus  de  bien  en  continuant  ses  prédications  dans 
les  diverses  cités  italiennes  qu'il  ne  cessa  de  parcourir  pen- 
dant quarante-deux  ans,  et  il  disait  :  «  Si  vous  me  voyez 
jamais  sur  le  dos  un  autre  habit  que  celui  de  saint  François, 
dites  que  je  ne  suis  pas  Frère  Bernardin;  c'est  une  détermina- 

(1)  Fmzzi,  Mein.  per  la  storia  di  Fenara,  t.  III,  p.  463-464.  —  L.-N.  Citta- 
DELLA,  1"  Meinorie  del  tempio  cli  S.  Francesco  in  Fenara  (Ferrara,  1867),  p.  53  ; 
2"  IS'olizic  relative  a  Ferrara,  t.  I,  p.  379.  —  Le  P.  Gauier,  Les  cnracléristiqucs 
des  saints,  t.  I,  p.  96-97.  —  P.  Ainadio  Maria  da  Vem-zia,  Vita  di  San  Ber- 
nardino  da  Siena  ^Siciia,  1854),  p.  152,  210,  221-223.—  Paul  Tulkeal-Dasgin, 
Saint  Bernardin  de  Sienne  (Paris,  1896).  ^ 


250  L'Allï    FEIlUAllAIS. 

lion  à  laquelle,  s'il  plaît  à  Dieu,  j'espère  être  toujours  fidèle.  » 
Le  dernier  séjour  de  saint  Bernardin  à  Ferrare  semble  avoir 
eu  lieu  en  1  435.  Ce  que  cet  humble  et  ardent  religieux  recom- 
manda le  plus  vivement  pendant  ses  diverses  stations  dans  la 
capitale  des  princes  d'Esté,  comme  il  le  fit,  du  reste,  partout 
où  il  passa,  ce  fut  la  dévotion  au  nom  de  Jésus  (1),  ce  lut 
l'apaisement  des  haines  entre  les  citoyens,  haines  acharnées  et 
souvent  sanglantes,  qu'il  comparait  à  des  chardons  :  "  Avez- 
vous  jamais  vu,  disait-il,  des  chardons  au  printemps?  Quand 
vous  regardez  un  pré  en  hiver,  toutes  les  herbes  sont  sèches  et 
sans  feuilles;  allez-y  au  printemps,  et  vous  les  verrez  toutes 
verdoyantes,  vous  les  verrez  se  couvrir  de  fleurs  attrayantes 
et  parfumées  qui  croissent  peu  à  peu.  Comment  le  chardon 
a-t-il  poussé  avec  les  autres  herbes?  Il  est  né  avec  des  piquants 
presque  imperceptibles;  ses  piquants  se  sont  développés  peu  à 
peu  et  sont  devenus  durs.  (Juand  il  était  tout  petit,  si  vous 
aviez  posé  les  pieds  sur  lui,  vous  ne  vous  seriez  pas  piqué; 
mais  marchez  sur  lui  lorsqu'il  est  grand  et  dur,  et  vous  verrez 
comme  vous  le  sentirez  !  Il  en  est  de  même  d'un  peuple  qui 
s'abandonne  à  la  haine  et  chez  lequel  régnent  les  divisions. 
Peu  à  peu  croissent  l'amour  pour  un  parti  et  la  haine  contre 
l'autre,  sentiments  qui  s'endurcissent  par  la  durée.  Quand  ils 
ont  acquis  la  dureté  des  chardons  en  août,  vous  commencez  à 
désirer  la  mort  et  la  ruine  de  vos  adversaires,  et  vous  les 
haïssez  tellement  que  non  seulement  vous  n'avez  pas  de  cha- 
rité pour  eux  et  vous  ne  les  aimez  pas  comme  vous-mêmes, 
mais  que  vous  les  haïssez  à  mort,  jusqu'à  être  homicides  (2).  " 
Une  éloquence  si  persuasive  et  si  bienfaisante  ne  pouvait  s'ou- 
blier .  Le  souvenir  de  saint  Bernardin  se  transmit  de  père  en 
fils  et  suscita,  pour  sa  glorification,  des  œuvres  d'art  que  l'on 
peut  encore  admirer. 

(1)  Il  cxliortait  les  filiales  à  inscrire  sur  les  portes  de  leurs  habitations  et  sur 
les  éditices  publics  le  nionograinuie  du  Christ  (c'est-à-dire  les  lettres  I  II  S)  entouré 
d'un  cercle  de  rayons. 

(2)  Predichc  volgari  di  S.  Bernardino  da  Stena  dette  nella  piazzn  del  Canipu 
ianno  MCCCCXXVII,  ora  primameiite  édite  da  Luciano  Banchi.  Siena,  1880, 
1884  et  1888. 


LIVRE    PREMIEll.  251 


IV 

GIOVANNI     TAVELLI    DA    TOSSIGNANOfr 


A  défaut  de  saint  Bernardin,  les  Ferrarais  eurent  pour 
évêque  un  religieux  qu'ils  vénéraient  et  qu'ils  ne  tardèrent 
pas  à  chérir,  le  Bienheureux  Giovanni  Tavelli. 

Il  naquit  en  1386  à  Tossignano,  dans  le  comté  d'iniola.  Dès 
son  enfance,  il  manifesta  un  vif  amour  de  Dieu,  et,  en  gran- 
dissant, il  garda  quelque  chose  d'angélique.  Vers  1  402,  ses 
parents  l'envoyèrent  achever  ses  études  à  l'Université  de  Bo- 
logne :  il  les  poursuivit  avec  ardeur  et  intelligence,  mais  sans 
renoncer  à  ses  pratiques  de  piété  ;  chaque  fois  qu'il  sortait  de 
chez  lui,  il  commençait  par  s'agenouiller  devant  une  image  de 
la  Vierge  dans  le  voisinage  de  sa  maison;  il  s'imposait,  au 
profit  des  indigents,  de  fréquentes  abstinences;  enfin,  il  em- 
ployait ses  heures  de  loisir  à  converser  avec  les  Jésuates  de 
Saint-Jérôme  ou  Pauvres  du  Christ,  établis  depuis  peu  hors  de 
la  ville,  non  loin  de  la  porte  San  Mammolo.  L'ordre  des 
Jésuates,  fondé  à  Sienne  par  le  Bienheureux  Giovanni  Colom- 
bini  (mort  en  1367),  était  alors  dans  toute  sa  ferveur,  et  la 
communauté  de  Bologne  avait  à  sa  tête  Spinello  Buoninsegni, 
disciple  de  Colombini.  Renonçant  à  prendre  le  grade  de  doc- 
teur, que  sa  science  déjà  mûre  lui  eût  facilement  assuré,  Gio- 
vanni Tavelli  entra  le  28  juillet  1  408,  à  l'âge  de  vingt-deux 
ans,  dans  le  monastère  où  il  avait  déjà  pressenti  les  douceurs 
d'une  vie  consacrée  tout  entière  à  Dieu. 

Son  noviciat  eut  lieu,  non  à  Bologne,  mais  à  Venise,  dans 


(1)  F.  Fauslin  Maria  (la  S.  Lorenzo,  Carmelitano  Scalzo,  Storia  dcl  Bento 
Giovanni  Tavelli  detto  (la  Tossigitanu.  Mantouc,  1753,  pet.  in-fol.  —  Fmzzi, 
Memorie  per  la  storia  di  Ferrara,  t.  III,  p.  351-352,  461-400,  407-408,  474, 
483-485,  495-497,  500-501. 


252  L'AllT    FEURAUAIS. 

le  couvent  de  Sainte-Justine,  où  il  fit  profession.  Pur  son 
humilité,  sa  mansuétude,  sa  douce  gaieté,  sa  ferveur  et  sa 
charité,  il  s'attacha  non  seulement  les  religieux  qui  l'entou- 
raient, mais  tous  les  citoyens  qui  eurent  des  rapports  avec  lui. 
Parcourait-il  la  ville  pour  recueillir  des  aumônes,  il  était 
le  bienvenu  partout  et  ne  rencontrait  que  cordialité,  tant  on 
aimait  à  le  voir  et  à  l'entendre.  Aux  exercices  de  la  vie  reli- 
gieuse il  associa  les  labeurs  de  l'écrivain,  et  composa  plusieurs 
ouvrages  très  appréciés.  Sa  réputation  parvint  jusqu'au  pape 
Grégoire  XII,  qui,  désirant  mettre  à  profit  sa  prudence  et  son 
savoir,  le  fit  venir  auprès  de  lui.  Grégoire  XII,  en  lutte  avec 
plusieurs  antipapes,  avait  dû  quitter  Rome  et  s'était  réfugié  à 
Rimini.  Peut-être  fût-ce  d'après  les  conseils  du  saint  Jésuate 
qu'il  envoya  au  concile  de  Constance  sa  renonciation  au  pon- 
tificat (1415),  afin  que  ses  compétiteurs  consentissent  à  une 
abdication  semblable,  et  qu'une  nouvelle  élection  rendit  la 
paix  à  l'Église.  Giovanni  Tavelli  regagna  alors  Venise  en  pas- 
sant par  Bologne,  et  vécut  dans  un  nouveau  couvent,  dans  le 
couvent  de  Santa  Maria  ad  Elisabeth,  à  la  construction  duquel 
il  concourut  en  aidant  à  porter  les  pierres,  la  chaux  et  les 
charpentes,  ce  qui  ne  l'empêcha  pas  de  reprendre  la  plume 
avec  succès. 

C'est,  dit-on,  pendant  son  séjour  à  Venise  qu'il  traduisit 
en  italien  la  Bible,  la  plus  grande  partie  des  Lihri  morali  du 
pape  saint  Grégoire  sur  Job,  les  sermons  de  saint  Bernard  pour 
toutes  les  fêtes  de  l'année  (1420)  (1),  et  un  traité  du  Bienheu- 
reux Lorenzo  Giustiniani  sur  la  perfection  monastique.  Pen- 
dant la  même  période  de  sa  vie,  il  composa  une  apologie  de 
son  institut,  ainsi  qu'un  ouvrage  intitulé  :  Délia  perfezione 
délia  vita  spirituale,  ouvrage  destiné  aux  religieuses  du  mo- 
nastère de  Saint-Abondio  à  Sienne  (2)  ;  puis  il  entreprit,  sur 
l'ordre  de  Fantino  Dandolo ,  légat  à  Bologne,  protonotaire 
apostolique  et  canoniste  renommé,  la  traduction  de  quelques 
livres  spirituels  pour  une  sœur  du  pape  Eugène  IV,  Polissena 

(1)   Cette  traduction  fut  iinpriniée  à  Venise  en  1528. 
(2;    Il  fut  imprimé  à  Venise  en  1580. 


LIVRE   PIlEMIEll.  253 

Condolmieri ,  qui  épousa  Nicolas  Barbo  et  fut  la  mère  de 
Paul  II. 

vSur  ces  entrefaites,  il  fut  élu  en  1426  par  le  chapitre  de  son 
Ordre,  tenu  à  Bologne,  prieur  des  Jésuates  installés  h  Ferrare 
depuis  1478  dans  un  local  que  leur  avait  donné,  en  1473,  un 
certain  Niccolù  Zipponari  dall'Oro,  et  qui  était  devenu  le  cou- 
vent de  Saint-Jérôme.  Son  autorité  y  fut  aussi  douce  que 
bienfaisante.  Ce  qu'il  recommandait,  il  le  pratiquait  lui-même 
avec  une  constance  et  une  simplicité  admirables,  et  Le  supé- 
rieur, disait-il,  doit  agir  plutôt  que  parler,  car  les  œuvres  ont 
en  quelque  sorte  une  voix  puissante  pour  se  faire  promptement 
imiter.  »  Comme  il  n'y  avait  pas  de  convers  dans  son  couvent, 
il  s'acquittait  volontiers  des  besognes  les  plus  humbles,  pré- 
parant les  repas,  lavant  la  vaisselle,  quêtant  pour  ses  religieux. 
La  considération  qu'on  avait  pour  lui  n'en  était  pas  diminuée  : 
c'était  à  qui,  dans  la  ville,  rechercherait  ses  conseils  ou  ses 
consolations. 

A  son  couvent  était  annexée  une  petite  chapelle  qui  ne  pou- 
vait servir  qu'aux  Jésuates.  Il  résolut  de  construire,  après  avoir 
obtenu  l'assentiment  de  l'évéque  de  Ferrare  Pietro  Boiardi, 
une  modeste  église,  ouverte  aussi  aux  fidèles  (1429).  Les  res- 
sources lui  manquant,  il  se  mit  en  route  avec  un  compagnon 
afin  de  les  solliciter  au  dehors  et  parcourut  toute  la  Romagne. 
Les  deux  voyageurs,  pour  passer  la  nuit,  demandaient  l'hospi- 
talité, non  dans  les  maisons  opulentes,  mais  dans  les  masures, 
les  écuries,  les  hôpitaux,  et  parfois  même  ils  couchaient  en 
plein  air,  sans  abandonner  jamais  leurs  exercices  de  dévotion. 
Plus  d'une  fois,  ils  eurent  à  souffrir  de  la  faim  et  de  la  soif. 
Ils  ne  se  laissèrent  arrêter  ni  par  la  pluie,  ni  par  l'excès  de  la 
chaleur.  Enfin  les  humiliations  mêmes  ne  leur  furent  pas  épar- 
gnées. A  Forli,  où  ils  arrivèrent  le  soir,  on  les  confondit,  à 
cause  de  leur  besace,  avec  des  voleurs  qu'on  n'avait  pu  décou- 
vrir encore,  ou  du  moins  avec  les  complices  de  ces  malfaiteurs; 
chargés  de  chaînes  et  accablés  d'injures,  ils  furent  traînés 
devant  le  gouverneur,  qui  n'eut  pas  de  peine  à  reconnaître 
leur   innocence   et   leur   rendit   sur-le-champ   la    liberté.    De 


254  T,'ART    FERRAllAIS. 

retour  à  Ferrare,  Giovanni  Tavelli,  en  possession  de  la  somme 
dont  il  avait  besoin,  fit  aussitôt  entreprendre  l'oratoire  pro- 
jeté, et,  comme  pour  l'église  de  Santa  Maria  ad  Elisabeth  à 
Venise,  il  travailla  de  ses  propres  mains  avec  ardeur.  Cet  ora- 
toire fat  dédié  à  saint  Jérôme. 

Le  prieur  des  Jésuates  n'aspirait  qu'à  vivre  dans  sa  chère 
retraite,  quand  il  en  fut  inopinément  tiré.  Au  commencement 
de  l'année  1431,  l'évêque  de  Ferrare,  Pietro  Boiardi,  donna 
sa  démission  entre  les  mains  du  pape  Martin  V,  qui  mourut 
le  19  févi'ier,  et  ce  fut  à  Eugène  IV  qu'incomba  le  soin  de  lui 
donner  un  successeur.  Le  marquis  Nicolas  III  recommanda 
d'abord  au  Souverain  Pontife  le  Camaldule  Antonio  dal  Ferro 
de  Parme.  Peu  après,  ses  préférences,  comme  celles  du  peuple, 
se  portèrent  sur  saint  Bernardin  de  Sienne,  dont  les  prédi- 
cations avaient  excité  un  enthousiasme  général.  Saint  Ber- 
nardin ayant  repoussé  catégoriquement  l'offre  de  l'épiscopat, 
le  seigneur  de  Ferrare  songea  alors  à  Giacomo,  archiprêtre 
de  l'église  de  Modène,  tandis  que  le  légat  de  Bologne,  Fantino 
Dandolo,  suggérait  la  nomination  de  l'humble  Giovanni 
Tavelli,  à  l'insu  de  celui-ci.  Eugène  IV  hésita  beaucoup.  Pen- 
dant la  nuit  qui  précéda  la  tenue  du  consistoire  où  il  devait  se 
prononcer,  il  fut  pris  d'atroces  douleurs  qui  ne  cessaient  que 
dans  les  moments  où  il  pensait  au  candidat  de  Fantino  Dan- 
dolo. Voyant  là  un  signe  de  la  volonté  divine,  et  se  souvenant 
d'ailleurs  des  services  rendus  à  son  oncle  Grégoire  XII  par 
Tavelli,  ainsi  que  des  obligations  qu'avait  à  ce  religieux  sa 
propre  sœur  Polissena  Condolmieri,  son  choix  s'arrêta  sur  le 
prieur  des  Jésuates  de  Ferrare.  La  lettre  de  notification  fut 
adressée  au  marquis  Nicolas  III,  qui  envoya  chercher  Giovanni 
Tavelli  et  lui  annonça  la  décision  du  Pape.  Tavelli  stupéfait  se 
proclama  incapable  d'exercer  une  pareille  charge.  Pour  la  lui 
faire  accepter,  il  ne  fallut  rien  moins  qu'un  ordre  formel  du 
Souverain  Pontife,  ordre  devant  lequel  le  religieux  s'inclina, 
mais  en  disant  :  «  Si  je  dois  être  évéque,  je  prie  Dieu  que 
le  jour  où  je  recevrai  la  mitre  soit  le  dernier  de  ma  vie.  » 
Nul,  cependant,  n'était  plus  apte  que  lui  à  remplir  les  fonc- 


LIVRE    PREMIER.  255 

lions  qui  lui  étaient  confiées,  comme  ses  actes  le  prouvèrent. 
Il  n'était  pas  encore  prêtre.  Pour  recevoir  les  ordres,  il  se 
rendit  à  Mantoue.  L'évèque  de  cette  ville,  le  Dominicain  Matteo 
Bonimperti,  l'accueillit  dans  son  palais  et  lui  conféra,  en  pré- 
sence de  deux  autres  évêques,  la  dignité  épiscopale  (27  dé- 
cembre 1431).  Le  retour  de  Tavelli  à  Ferrare  fut  salué  par  des 
acclamations  unanimes.  Le  clergé,  le  peuple,  Nicolas  III  avec 
toute  sa  cour,  allèrent  à  sa  rencontre  et  l'escortèrent  jusqu'à 
hi  cathédrale,  où  Rit  célébré  un  office  solennel.  D'après  le 
désir  des  magistrats,  une  seconde  cérémonie  non  moins  im- 
posante eut  lieu  peu  de  jours  après  dans  la  même  église,  et  le 
célèbre  Guarino  de  Vérone  prononça  un  discours  en  l'honneur 
du  nouvel  évêque,  discours  qu'il  termina  en  invitant  ses  audi- 
teurs à  répéter  les  paroles  qui  avaient  accompagné  l'entrée  de 
■lés us  à  Jérusalem  :  «  Benedictus  qui  venu  in  nomine  Doniini. 
Hosanna  in  excehis.  » 

Dans  le  palais  épiscopal  comme  dans  le  monastère  de  Saint- 
Jérôme,  Tavelli  mena  la  vie  d'un  austère  religieux.  Il  con- 
serva son  costume  en  drap  grossier.  Son  lit  se  composait  d'une 
paillasse,  dissimulée  par  une  couverture.  Pendant  la  nuit, .il 
se  relevait  pour  réciter  l'office.  Il  ne  s'épargnait  ni  les  jeûnes, 
ni  les  macérations.  Les  affligés  et  les  pauvres  affluaient  autour 
de  lui  et  ne  s'éloignaient  jamais  sans  être  consolés  et  secourus. 

Dès  qu'il  fut  installé,  il  entreprit  de  visiter  son  diocèse.  Il 
allait  tantôt  à  pied,  tantôt  à  cheval,  sans  s'inquiéter  de  la 
chaleur  et  da  froid,  de  la  pluie  et  de  la  boue,  ne  permettant 
pas  qu'on  le  reçût  avec  pompe.  S'il  n'avait  que  des  paroles  de 
bonté  pour  les  prêtres  fidèles  à  leurs  devoirs,  il  n'hésitait  pas 
à  réprimander  sévèrement,  parfois  même  à  priver  de  leurs 
cures,  ceux  qui  déshonoraient  leur  ministère.  La  plus  grande 
partie  de  ses  journées  se  passait  à  administrer  les  sacrements, 
à  visiter  les  malades,  à  recommander  la  concorde.  Afin  de 
rétablir  l'union  dans  une  famille  divisée  par  des  questions 
d'intérêt,  il  paya  la  moitié  de  ce  que  devait  une  des  branches 
de  cette  famille  et  se  porta  caution  pour  le  surplus. 

Invité  à  prendre  part  aux  délibérations  du  concile  de  Bâle, 


256  L'AUT    FEUUAHAIS. 

qu'avait  convoqué  Martin  Y,  successeur  de  Grégoire  XII,  il  s'y 
rendit  en  1431  et  y  siégea  pendant  huit  mois  environ;  mais 
voyant  l'esprit  de  révolte  contre  le  Souverain  Pontife  régner 
dans  cette  assemblée,  il  obtint  l'autorisation  de  regagner  son 
diocèse  et  ne  revint  pas. 

Durant  son  épiscopat,  un  noble  ferrarais  de  la  famille 
Bagati,  au  retour  d'un  pèlerinage  en  Terre  sainte,  offrit  à  la 
cathédrale  cinq  épines  de  la  couronne  du  Christ.  Comme  aucun 
document  n'en  attestait  l'authenticité,  Tavelli  les  soumit  à  une 
épreuve  en  les  jetant  dans  un  encensoir  enflammé.  Deux 
d'entre  elles,  respectées  par  le  feu,  furent  jugées  véritables  et 
placées  dans  une  grande  croix  de  cristal  garnie  d'argent,  qui 
figura,  lors  du  concile  de  Ferrare,  entre  les  têtes  de  saint 
Pierre  et  de  saint  Paul  qu'Eugène  IV  avait  apportées  de 
Rome. 

Dans  la  famille  ducale  on  eut  plus  d'une  fois  recours  au 
ministère  de  Giovanni  Tavelli.  Ce  fut  ce  saint  évéque  qui  bap- 
tisa Hercule,  fds  de  Nicolas  III,  le  2  février  1432.  Ce  fut  égale- 
ment lui  qui  bénit  en  1  437  le  mariage  de  Lucie  d'Esté,  fille 
du  même  prince,  avec  Carlo  Gonzaga,  fils  du  marquis  de 
Mantoue. 

Un  an  après,  la  ville  de  Ferrare  eut  la  gloire  d'être  choisie 
par  le  pape  Eugène  IV  comme  le  siège  du  concile  destiné  prin- 
cipalement à  la  réconcilation  de  l'Église  grecaue  avec  l'Église 
latine.  Tavelli,  suivi  de  son  clergé,  accompagna  Nicolas  III  pour 
recevoir  solennellement  le  Pape  à  son  arrivée.  Il  fut  chargé  de 
dire  la  messe  du  Saint-Esprit  et  de  rédiger  les  décrets  prélimi- 
naires. Sur  les  points  de  controverse  les  plus  épineux,  le  Sou- 
verain Pontife  voulut  avoir  son  avis,  tant  il  avait  de  confiance 
dans  son  savoir  et  dans  sa  sincérité.  Seize  sessions,  présidées 
parle  Bienheureux  Nicolas  Albergati,  évéque  de  Bologne  et  ami 
intime  de  Févêque  de  Ferrare  (1),  avaient  été  déjà  tenues, 
tantôt  dans  la  cathédrale,  tantôt  dans  l'appartement   d'Eu- 

(ij  Le  tombeau  de  Nicolas  Albergati  se  trouve  à  la  Chartreuse  in  Val  d'Enia, 
dans  le  voisinafie  de  Florence  :  il  se  compose  d'une  simple  dalle  blanche  que  bor- 
dent des  feuillages  sculptés  avec  soin. 


LIVRE   PREMIER.  257 

gène  IV,  quand  la  peste,  vers  la  fin  de  1439,  força  de  transférer 
le  concile  à  Florence. 

Tavelli  obtint  de  rester  dans  sa  ville  épiscopale  pour  soigner 
les  malades.  Il  leur  ouvrit  son  palais,  il  les  visita  chez  eux, 
leur  prodiguant  les  soins  et  les  exhortations,  s'exposant  sans 
cesse  à  la  mort  et  ne  redoutant  jour  et  nuit  aucune  fatigue, 
quêtant  pour  ceux  qui  étaient  sans  resssource,  distribuant 
tout  ce  qu'il  avait  et  ne  se  réservant  pas  même  le  nécessaire. 
Un  jour,  comme  il  ne  lui  restait  rien  à  donner,  il  partagea  en 
deux  la  couverture  de  son  lit  et  en  tendit  la  moitié  à  un  mal- 
heureux qui  avait  pénétré  dans  la  partie  supérieure  de  son 
appartement  pour  l'implorer.  Une  autre  fois,  il  se  dépouilla, 
en  faveur  d'un  pauvre  pèlerin,  d'un  manteau  fait  avec  le  drap 
que  les  Jésuates  de  Venise,  informés  de  son  dénuement, 
venaient  de  lui  envoyer. 

Une  telle  charité  aurait  dû  mettre  à  tout  jamais  l'évêque  de 
Ferrare  à  l'abri  de  la  méchanceté  humaine  et  de  tout  injurieux 
soupçon.  Mais  il  eût  manqué  quelque  chose  à  sa  vertu  si  la 
calomnie  ne  s'était  attaquée  à  elle.  Renvoyé  pour  des  motifs 
très  graves,  son  chapelain  l'accusa  d'avarice,  d'hypocrisie,  de 
débauches,  de  manœuvres  hostiles  à  Nicolas  III  et  à  la  famille 
de  ce  prince.  La  crédulité  du  peuple  accueillit  ces  imputations, 
qui  furent  colportées  à  la  cour  et  qui  finirent  par  y  trouver 
crédit.  Tavelli  dédaigna  d'abord  de  se  justifier,  puis  composa, 
à  ladresse  du  marquis,  une  lettre  qui  eût  victorieusement 
réfuté  les  allégations  de  son  ennemi;  mais,  par  humilité,  il 
ne  se  décida  pas  à  l'envoyer  et  la  cacha  dans  le  sac  de  paille 
sur  lequel  il  dormait  et  où  on  la  trouva  après  sa  mort  (1). 
Abandonnant  à  Dieu  le  soin  de  sa  réputation,  il  s'achemina 

(1)  Elle  a  été  publiée  par  Faustino  di  S.  Lorkszo  daus  sa  Storia  del  heato 
Giovanni  Tavelli  detto  da  Tossignano,  p.  98.  L'original  n'était  pas  daté.  Faus- 
tino croit  qu'elle  fut  écrite  en  avril  1439.  Barotti  (Série  de'  Vescovi  di  Ferrara, 
%  53}  l'a  publiée  à  son  tour,  mais  en  lui  attribuant  la  date  du  12  décembre  1440. 
Si  cette  date  était  vraie,  le  récit  de  ce  qu'on  va  lire  serait  inexact.  Nicolas  III  ne 
serait  allé  à  Florence  que  pour  conférer  avec  le  Pape  sur  la  lijjuc  qu'il  s'agissait 
de  former  pour  secourir  les  Vénitiens  contre  le  duc  de  Milan,  et  la  réconciliation 
entre  le  marquis  de  Ferrare  et  Tavelli  n'aurait  eu  lieu  que  plus  tard.  (Frizzi, 
Mein.  per  la  stor.  di  Perr.,  t.  III,  p.  483-484.) 

I.  17 


258  I/AI'.T    FEllRARAIS. 

vers  Florence  afin  de  s'associer  aux  travaux  du  concile,  et 
fut  tendrement  accueilli  par  le  Pape  comme  par  tous  les 
prélats  qui  avaient  appris  à  le  connaître.  A  peine  avait-il 
quitté  Ferrare  qu'on  se  prit  à  le  regretter  ;  les  malheureux 
n'étaient  pas  seuls  à  gémir  de  son  absence;  il  n'y  avait  pour 
ainsi  dire  personne  qui  ne  s'aperçût  du  vide  qu'elle  causait; 
des  plaintes  s'élevaient  de  toutes  parts  vers  Nicolas  III.  Recon- 
naissant qu'il  avait  été  trompé  par  un  dénonciateur  méprisable, 
ce  prince  chargea  son  ambassadeur  à  Florence  d'autoriser 
Tavelli  à  regagner  Ferrare.  Mais  Eugène  IV,  informé  seulement 
par  l'ambassadeur  des  calomnies  portées  contre  le  saint  évéque, 
admira  le  silence  de  celui-ci,  refusa  de  se  priver  d'un  pareil 
auxiliaire,  et  adressa  au  marquis  une  lettre  pleine  de  reproches. 
Nicolas  III  se  rendit  à  Florence,  parvint  à  obtenir  du  Souverain 
Pontife  le  retour  de  Tavelli  à  Ferrare,  et  rentra  dans  sa 
capitale,  à  la  grande  joie  de  ses  sujets,  avec  le  vénéré  prélat. 

Le  14  juillet  1440,  Tavelli  consacra  l'église  des  Anges,  que 
venait  de  faire  construire  Nicolas  III,  et  où  Lionel,  en  l'absence 
de  son  père,  installa  les  Dominicains  l'année  suivante.  Dans  la 
même  église  (décembre  1-441),  il  officia  aux  funérailles  de 
Nicolas  III.  C'est  lui  aussi  qui  bénit  le  mariage  de  Lionel 
avec  Marie  d'Aragon,  fille  du  roi  de  Naples  Alphonse  I"  (1444), 
et  le  mariage  d'Isotte,  sœur  de  Lionel,  avec  Odd'Antonio,  sei- 
gneur d'Urbin. 

Tout  en  se  mettant  au  service  des  princes  de  la  maison 
d'Esté,  Tavelli  n'oubliait  pas  les  pauvres,  qui  trouvaient  en  lui 
un  appui  constant,  parfois  miraculeux.  Un  malheureux  cou- 
vert de  plaies  et  presque  nu  se  présente  chez  lui;  aussitôt  le 
bon  évéque  le  panse  et  lui  donne  un  de  ses  propres  vêtements. 
Il  envoie  des  secours  à  une  femme  dénuée  de  tout  qui  accou- 
chait dans  une  masure.  Il  guérit  une  possédée.  A  la  tête  d'une 
procession,  il  commande  aux  eaux  débordées  du  Pô  de  rentrer 
dans  leur  lit,  et  elles  lui  obéissent.  S'agit-il  de  constituer  une 
confrérie  destinée  à  secourir  les  pauvres  malades  de  la  ville, 
ou  d'organiser  la  confrérie  de  la  Mort,  ses  encouragements  et 
ses  avis  aplanissent  toutes  les  difficultés. 


LIV11E   PREMIEPw  259 

Ce  qui  honore  le  plus  sa  mémoire,  c'est  la  fondation  de  l'hô- 
pital de  Sainte-Anne.  Les  moines  Basiliens  ayant  été  expulsés 
de  Ferrare  pour  avoir  forfait  à  leurs  devoirs  (I"  juillet  144;i), 
Tavelli  eut  la  pensée  de  convertir  leur  monastère  en  hôpital, 
pensée  d'autant  plus  salutaire  que  les  hôpitaux  d'alors  étaient 
insuffisants,  et  il  s'en  ouvrit  à  Lionel,  qui  se  montra  prêt  à  lui 
venir  en  aide.  Il  fit  ahattre  l'édifice  existant  et  en  fit  construire 
un  nouveau,  approprié  à  sa  destination  :  lui-même  en  posa  la 
première  pierre,  sur  laquelle  il  voulut  qu'on  inscrivît  le  nom 
de  Jésus  (1-44.4).  Un  héritage  important,  laissé  aux  pauvres  par 
un  certain  Gigliolo  de'  Carri,  fut  appliqué,  avec  l'autorisation 
du  pape  Eugène  IV,  à  la  construction  de  l'hôpital,  établis- 
sement si  profitable  aux  pauvres  du  présent  et  de  l'avenir. 
Quand  l'hôpital  fut  achevé,  Tavelli,  au  lieu  de  s'en  réserver 
la  direction,  comme  il  eut  pu  le  faire  sans  encourir  le  reproche 
de  vanité,  abandonna,  le  27  mai  1445,  à  Agostina  Villa,  Juge 
des  Sages,  et  aux  autres  Sages,  c'est-à-dire  aux  douze  magis- 
trats municipaux,  le  soin  de  nommer  le  directeur  et  les  em- 
plovés  et  d'administrer  les  revenus.  Dès  que  l'évéque  fut 
mort,  un  buste  de  lui,  exécuté  d'après  son  masque,  fut  placé 
par  reconnaissance  au-dessus  de  la  porte  de  l'atrium,  afin  de 
perpétuer  sa  mémoire  et  de  rappeler  ses  bienfaits  aux  généra- 
tions futures  (1). 

Ce  fut  le  24  juin  144()  que,  à  la  suite  d'une  douloureuse  ma- 
ladie de  vessie,  héroïquement  supportée,  Tavelli,  après  avoir 
demandé  le  saint  viatique  et  l'extrême-onction,  s'éteignit  à 
l'âge  de  soixante  ans,  en  bénissant  les  Jésuates  dans  la  per- 
sonne de  Paolino  da  Pistoja,  son  plus  fidèle  compagnon,  et  en 
prononçant  le  nom  de  Jésus.  Sa  dépouille  mortelle  opéra  sur- 
le-champ  plusieurs  miracles.  Une  religieuse  du  tiers  Ordre  de 
Saint-François,  qui  endurait  depuis  plus  de  trente  ans  d'épou- 
vantables douleurs  de  tète,  s'en  trouva  délivrée  en  approchant 

(1)  Voyez  pins  loin,  dans  le  tli;i|)ilrc  rclalif  à  la  s(Lil|)lin  c,  la  tlcscription  de 
ce  buste.  —  Un  des  bienfaiteurs  de  rhi)])ilal  fut  Lodox  iiM)  Casolla,  qin  bii  laissa  la 
plus  {jrande  partie  de  ses  biens  (1469\  iSous  [larlcions  de  Casclla  en  traitant  des 
fresques  exécutées  dans  le  ])alais  de  Srliifanoia. 


260  L'ART    FEUllAHAIS. 

sa  tête  des  mains  du  défunt.  Au  moment  où  le  cortèpe  des 
funérailles  s'avançait  vers  la  cathédrale,  dans  laquelle  on  célé- 
bra un  office  solennel,  un  homme  fut  guéri  de  la  teigne  en 
mettant  sur  sa  tète  son  béret  sanctifié  par  le  contact  de  la 
bière  sur  laquelle  il  l'avait  posé. 

Selon  son  désir,  l'évêque  de  Ferrare  fut  enseveli  dans  la 
petite  église  des  Jésuates,  dans  l'oratoire  de  Saint-Jérôme  qu'il 
avait  fait  construire.  Bienfaisant  pour  tous  ceux  qui  avaient 
eu  recours  à  lui  de  son  vivant,  il  continua  à  l'être  pour  tous 
ceux  qui  l'invoquèrent  après  sa  mort. 

Un  Dominicain  de  Ferrare,  le  Père  André  de  Mantoue,  gar- 
dait le  lit  depuis  vingt-quatre  ans  sans  pouvoir  faire  aucun 
mouvement,  sans  avoir  de  trêve  à  ses  souffrances,  quand  le 
matin  même  où  mourut  Tavelli,  le  sommeil  s'empara  de  lui. 
Il  vit  en  songe,  au  milieu  d'un  pré,  un  temple  majestueux  et 
y  entra.  Escorté  d  un  grand  nombre  de  femmes  et  d'enfants, 
le  Christ  s'assit  sur  un  trône  devant  lequel  saint  Pierre  célébra 
la  messe,  puis  une  multitude  d'anges  se  porta,  en  chantant,  à 
la  rencontre  de  Tavelli  elle  conduisit  vers  Jésus,  qui  l'accueillit 
paternellement,  après  quoi  l'évêque  de  Ferrare  se  mêla  aux 
saints  pontifes.  En  se  réveillant,  le  Dominicain  supplia  Dieu 
de  le  guérir  s'il  y  avait  un  fond  de  vérité  dans  sa  vision,  et  il 
prit  en  même  temps  Tavelli  pour  intercesseur.  Aussitôt  ses 
membres  recouvrèrent  leur  élasticité,  ses  douleurs  disparurent, 
et  il  remercia  Dieu  et  son  serviteur  qui  lui  avaient  rendu  la 
santé. 

La  protection  de  Tavelli  s'étendit  aussi  sur  quelques  grands 
personnages.  Elle  procura  hRinaldo  d'Esté,  fils  de  Nicolas  III, 
la  cessation  complète  des  souffrances  que  lui  causait  la  maladie 
de  la  pierre.  Agostino  Villa  (1),  atteint  du  mal  auquel  succomba 

(i)  Agostino  Villa  fut  conseiller  et  secrétaire  d'Etat  de  jSicolas  III.  Son  souve- 
rain le  charjjea  d'arrêter  à  Bologne  les  conventions  qui  précédèrent  l'arrivée  du 
pape  Eugène  IV  à  Ferrare  lors  du  Concile  de  1438.  Ce  fut  x\gostino  Villa  qui, 
sous  le  règne  de  Lionel,  en  1443,  proposa  d'élever  une  statue  équestre  en  l'hon- 
neur de  jNicolas  III.  La  même  année,  il  alla  régler  à  îSaples  les  stipulations  rela- 
tives au  mariage  de  Lionel  avec  la  fille  du  roi  de  Naples  Alphonse  d'Aragon. 
2Sous   avons  vu  que  Tavelli  remit  enire  ses  mains  la  direction    de    l'hôpital   de 


LIVRE   PREMIER.  261 

le  saint,  eut  à  peine  imploré  le  secours  de  son  ancien  évêque 
qu'il  se  sentit  débarrassé  de  ses  douleurs  :  dans  sa  reconnais- 
sance, il  fit  donner  aux  Jésuates  par  la  commune  un  terrain 
auprès  de  Toratoire  de  Saint-Jérôme. 

Le  culte  des  Ferrarais  pour  Giovanni  Tavelli,  dont  on  célè- 
bre la  fête  le  24  juillet,  suivit  immédiatement  la  mort  de  cet 
éminent  évêque.  Sur  la  médaille  que  fit  Marescoiti  dès  1446, 
la  tête  du  personnage  est  entourée  de  rayons  (1).  Dans  une 
biographie  de  Tavelli,  écrite  en  latin  et  dédiée  à  Hercule  I", 
Tavelli  est  qualifié  de  Bienheureux,  et  l'auteur,  un  Jésuate, 
sollicite  l'intervention  du  duc  pour  la  canonisation  de  son 
héros  :  or,  cet  ouvrage  fut  composé  avant  1501,  car  il  y  est 
question  de  Lucrèce  Borgia  qui  épousa  Alphonse  d'Esté  cette 
année-là.  Un  autre  Jésuate,  Giovanni  Peregrino,  fit,  du  vivant 
de  Lionel,  en  l'honneur  du  Bienheureux  Tavelli,  une  canzone 
qui  a  été  imprimée  dans  les  Rime  scelle  de'  poeti  ferraresi  anii- 
chi  e  moderni  (p.  xvii).  Enfin  Leandro  Alberti  (mort  en  1550  à 
soixante  et  onze  ans)  traite  le  même  évêque  de  Bienheureux 
dans  sa  Descrizione  delV  Italia. 

Le  corps  de  Giovanni  Tavelli  ne  se  trouve  plus  à  sa  place 
primitive.  Après  la  suppression  de  l'Ordre  des  Jésuates  par 
Clément  IX  en  1668,  leur  couvent  fut  donné  par  le  pape  Clé- 
ment X  (27  mai  1670)  à  Mgr  Luigi  Bevilacqua,  qui  y  installa, 
l'année  suivante,  les  Cannelitani  Scalzi.  Ceux-ci,  ayant  reçu 
un  héritage  pour  édifier  une  nouvelle  église,  firent  construire 
l'église  actuelle  de  Saint-Jérôme,  ouverte  en  1712,  où  ils 
transportèrent  le  corps  du  saint  évêque  de  Ferrare,  qui  s  y 
trouve  encore.  Une  armoire  dans  la  sacristie  contient  la  plu- 
part des  objets  qui  ont  appartenu  à  Giovanni  Tavelli,  par 
exemple  son  anneau  épiscopal,  sa  mitre,  sa  chape,  ses  épe- 
rons de  fer,  sa  lettre  à  Nicolas  III  et  un  office  de  la  Vierge. 

Sainte-Anne.  Agostino  Villa  prit  part  aux  délibcratioiis  qui  préludèrent  aux  lois 
somptuaires  promulguées  en  1447.  Il  était  encore  Juge  des  Sages  quand  mourut 
Lionel,  et  ce  fut  lui  qui  fit  acclamer  Borso  comme  successeur  de  ce  prince.  Son 
nom  figura  dans  l'inscription  placée  sur  le  piédestal  de  la  statue  équestre  élevée  à 
Nicolas  III. 

(ly   Voyez,  dans  le  ch.  iv  du  liv.  III,  \vs  pages  consacrées  aux  médailles. 


262  L'A  UT    FEU  II  A  HAIS. 


SAINTE     CATHERINE    DE       VEGRI.     SAINT     CHARLES     RORROMÉE, 


Parmi  les  saintes  et  les  saints  qui  vécurent  à  Ferrare  ou  y 
laissèrent  un  souvenir,  il  convient  de  mentionner  ici  sainte 
Catherine  de'  Vegri,  ordinairement  appelée  sainte  Catherine 
de  Bologne,  et  saint  Charles  Borromée. 

Catherine  de'  Vegri  (1)  appartenait  aune  ancienne  famille 
ferraraise,  qui  compta  parmi  ses  membres  un  capitaine,  un 
jurisconsulte  et  plusieurs  Sages.  Elle  naquit  en  1413  à  Bologne, 
patrie  de  sa  mère,  pendant  que  son  père  se  trouvait  à  Padoue 
pour  le  service  du  marquis  de  Ferrare  Nicolas  III.  Placée  dès 
Fàge  de  neuf  ans  auprès  de  Marguerite,  fdie  de  ce  prince,  elle 
prit,  à  l'âge  de  onze  ans,  la  résolution  de  se  consacrer  à  Dieu. 
Quand  elle  eut  perdu  son  père  et  que  sa  mère  se  fut  remariée, 
elle  mena  une  vie  de  retraite  et  de  piété  avec  plusieurs  jeunes 
filles,  puis  entra  en  1-432  dans  le  monastère  del  Corpo  di 
Cristo.  Sa  réputation  de  sainteté  la  fit  choisir  pour  fonder  un 
autre  monastère,  sous  la  même  dénomination,  à  Bologne,  où 
elle  mourut  en  1 103.  Si  elle  passa  ses  sept  dernières  années  à 
Bologne,  c'est  à  Ferrare  qu'elle  vécut  pendant  les  quarante- 
trois  autres.  Elle  fut  célèbre  pour  ses  extases  et  ses  visions.  Au 
moment  où  mourut  Giovanni  Tavelli,  elle  était  en  prières  dans 
son  monastère,  et  elle  crut  apercevoir  l'âme  du  saint  montant 
au  ciel  au  milieu  d'une  radieuse  lumière.  Aux  vertus  d'une 
sainte,  Catherine  de'  Vegri  sut  unir  le  talent  de  l'écrivain  et 
du  peintre,  comme  le  prouvent  le  livre  intitulé  :  Les  sept 
armes  spiintuelles  contre  les  ennemis  de  l'âme,  et  deux  tableaux 

(1)  Fmzzi,  Mem.  per  la  storiii  di  Ferrant,  t.  IV,  p.  47-53.  —  Barotti,  Meiii . 
istorische  dei  letterati  ferraresi.  —  RiiiADEKEiRA,  Les  aies  des  saints,  t.  III, 
p.  178. 


LIVRE    PllEMlEll.  263 

que  conservent  les  pinacothèques  de  Bologne  et  de  Venise  (1). 
Clément  XI  la  canonisa  le  22  mai  1713,  et  1  Église  célèbre  sa 
fête  le  9  mars,  jour  anniversaire  de  sa  mort. 

Saint  Charles  Borromée  vint  deux  fois  à  Ferrare.  En  1665, 
il  y  accompagna  Barbe  d'Autriche  qui  venait  épouser  Al- 
phonse II.  Quinze  années  plus  tard  (février  1580),  il  s'y  arrêta 
trois  jours  encore  en  allant  de  Rome  à  Venise.  Le  duc,  nous 
l'avons  déjà  dit  (p.  208),  l'accueillit  avec  une  grande  magni- 
ficence, et,  par  égard  pour  lui,  suspendit  les  divertissements 
du  carnaval.  Il  n'y  avait  rien  de  commun  entre  le  cardinal 
Borromée  et  les  cardinaux  mondains  de  la  maison  d'Esté  : 
au  lieu  de  rechercher  les  plaisirs  et  les  jouissances  du  luxe, 
il  visita  les  églises  et  les  reliques,  adressa  au  peuple  de  tou- 
chantes exhortations,  et  distribua  la  communion  à  une  foule 
immense,  précédée  de  la  duchesse  elle-même.  Un  bucentaure, 
fourni  par  Alphonse  II,  conduisit  ensuite  à  Venise  l'illustre 
voyageur.  La  piété  de  saint  Charles  avait  vivement  frappé  les 
Ferrarais,  et  le  peintre  Scarsellino  en  immortalisa  le  souvenir 
dans  deux  tableaux  que  l'on  peut  encore  admirer. 

(1)  Ces  peintures  trahissent  l'ctuile  des  œuvres  de  Gosinio  Tura  ou  de  Cossa. 
Le  tableau  qui  se  trouve  à  Bologne  (n"  202)  représente  sainte  Ursule  avec  ses 
compagnes  et  est  signé  :  "  Caterina  Vicjri  f.  1452.  "  C'est  aussi  à  sainte  Ursule 
et  à  ses  compagnes  qu'est  consacré  le  tableau  conservé  à  Venise  (salle  X,  n"  360), 
tableau  sur  lequel  on  lit  :    «  Caterina  Vigvi  f.  Bolognn  1456.  " 


LIVRE   DEUXIÈME 


CHAPITRE   PREMIER 

LES    PRIINCIPAUX   ARCHITECTES    OCCUPÉS    A    FERRARE 
SOUS    LES    PRINCES    D'ESTE. 


Entre  tous  les  architectes  qui  mirent  leur  talent  au  service 
de  Ferrare,  les  plus  éminents  furent  Bartolomeo  di  maestro 
Giovanni  da  Novara,  appelé  d'ordinaire  Bartolino  da  Novara, 
Giovanni  da  Siena,  Pietro  Benvenuti,  surnommé  Pietro  dagli 
Ordini,  et  son  frère  Giovanni  Battista,  Antonio  Brasavola , 
Biagio  Rossetti,  Bartolomeo  Tristano,  Gristoforo  da  Milano, 
Ercole  Grandi,  Gasparo  da  Corte,  Girolamo  da  Carpi  (I), 
Jacopo  Meleghini,  Terzo  de'  Terzi,  Galasso  Alghisi  de  Carpi, 
Pirro  Ligorio,  Giovan  Battista  Aleotti  d'Argenta  et  Alberto 
Schiatti.  Quelques  détails  sur  plusieurs  d'entre  eux  ont  été 
révélés  par  des  publications  en  général  assez  récentes  et  méri- 
tent d'être  rappelés  pour  ceux  qu'intéressent  les  édifices  de 
Ferrare. 


I 


Grâce  à  L.-N.  Cittadella  (2),  grâce  principalement  au  mar- 
quis G.   Campori  (3),   on  n'est  pas  sans  renseignements  sur 

(1)  Dans  le  Castello,  plusieurs  adjonctions  furent  l'œuvre  de  Girolamo  da  Carpi. 
Il  futaussi  chargé  de  réparer  les  dégâts  causés  dans  ce  palais  par  un  incendie  en  1554. 

2)   Notifie  relative  a  Ferrara. 

3'  Gli  architetti  e  fjl'  ingegnei-i  civili  e  militari  degli  Estensi  clal  secolo  XIII 
al  XVI,  1882. 


^(i(i  L'ART    FEHRARAIS. 

Ilariolonieo  da  Novara.  Guariiii  et  les  historiens  ferrarais  ajou- 
tent au  nom  de  Bartolomeo,  transformé  en  celui  de  Bartolino, 
le  nom  de  Ploti,  en  se  fondant  sur  une  inscription  funéraire 
placée  dans  l'église  de  Saint-François  en  1595  par  un  certain 
Alfonsus  Plotus  Novarius,  qu'ils  ont  pris  pour  un  descendant 
du  célèbre  architecte;  mais,  dans  les  documents  contempo- 
rains, Bartolino  n'apparaît  jamais  avec  le  nom  de  Ploti,  que 
ne  portèrent  pas  non  plus  ses  descendants.  11  était  en  réalité 
fils  de  maître  Giovanni  da  Novara. 

Attiré  à  Ferrare  par  le  marquis  Nicolas  II,  il  fut,  à  ce  que 
l'on  croit,  le  premier  architecte  qui  ait  été  d'une  façon  per- 
manente au  service  des  princes  d'Esté.  En  1368,  Nicolas  II 
l'envoya  comme  ingénieur  auprès  de  son  allié  le  marquis  de 
Mantoue,  qui  était  en  guerre  avec  les  Visconti  et  avec  Can 
Signorio  de  Vérone.  «  Vos  rogamiis,  écrivait  le  souverain  de 
Ferrare,  qualiter  placent  vohis  nostro  amore  dicto  magistro  Bar- 
t/ioh'no  operam  efficacem  dare.  »  Le  29  août  1373,  Bartolino 
obtint  de  la  Commune  l'autorisation  de  se  servir  de  l'eau  du 
canal  de  Prerotto,  à  la  condition  de  réparer  une  scierie  et 
un  moulin  à  grains  établis  sur  ce  canal.  Il  reçut  du  marquis 
lui-même  en  1376  une  maison  dans  le  quartier  de  l'église 
Sainte-Agnès  et  une  autre  maison  avec  un  jardin,  une  cour 
et  un  puits  dans  le  quartier  de  Saint-Grégoire,  habitation 
où  il  ne  cessa  de  résider.  L'acte  de  donation  le  qualifie  d'in- 
génieur et  de  familier  du  prince.  Albert  d'Esté,  successeur  de 
Nicolas  II,  ne  lui  témoigna  pas  moins  de  bienveillance.  Il  lui 
accorda  le  droit  d'acquérir  des  biens  meubles  et  immeubles  à 
Feriare  et  sur  le  territoire  ferrarais,  y  joignant  la  faculté  d'en 
transférer  la  propriété  à  qui  bon  lui  semblerait;  de  plus,  il 
l'exempta  pendant  toute  sa  vie  des  taxes  et  des  impôts  exigés 
d'ordinaire  par  la  Commune;  enfin  il  lui  concéda  tous  les 
privilèges  réservés  aux  citoyens. 

En  1385,  Bartolino  construisit  le  Castello,  ce  magnifique 
édifice  qui  est  encore  la  gloire  de  Ferrare.  Il  répara  en  1392 
la  tribune  de  l'église  de  Saint-François.  L'année  suivante,  il 
édifia  pour  lui-même,   dans  cette  église,  une  chapelle  à  ses 


LIVRE   DEUXIÈME.  267 

frais,  et  il  en  fit  une  autre  plus  somptueuse  pour  le  marquis 
Albert  (1).  A  la  prière  de  Fraùçois  Gonzague,  capitaine,  puis 
premier  marquis  de  Mantoue,  il  exécuta  les  dessins  et  les  plans 
d'après  lesquels  fut  érigé  (1395-1506)  le  grandiose  château  de 
Mantoue,  monument  carré,  avec  quatre  hautes  tours  massives. 
La  même  année  (1395),  il  livra  le  modèle  d'une  nouvelle 
porte,  garnie  de  tours  et  entourée  de  fossés,  pour  le  Castel 
Tedaldo  à  Ferrare. 

Malheureusement,  on  ne  l'employa  pas  que  comme  archi- 
tecte et  ingénieur.  Pendant  la  minorité  de  Nicolas  III,  qui 
avait  succédé  à  son  père  Albert  en  1393,  Azzo  di  Francesco 
d'Esté,  banni  de  Ferrare,  ayant  comploté  le  renversement  du 
jeune  prince,  le  Conseil  promit  au  comte  Giovanni  da  Bar- 
hiano  les  villes  de  Lugo  et  de  Consilice,  ainsi  que  trente  mille 
ducats,  s'il  massacrait  le  conspirateur,  réfugié  auprès  de  lui. 
Le  comte  voulut  à  la  fois  respecter  la  vie  d'xVzzo  et  recevoir  la 
récompense  offerte.  Il  fit  tuer  un  homme  du  peuple  qui  res- 
semblait beaucoup  à  Azzo  et  qu'il  avait  affublé,  comme  par 
plaisanterie,  des  vêtements  de  celui-ci;  puis  il  réclama  le  prix 
du  meurtre.  Les  conseillers  de  Nicolas  III  chargèrent  aussitôt 
Hartolino  da  Novara  et  le  chancelier  Bonaccioli  de  constater 
la  mort  d'Azzo  et  d'acquitter  les  engagements  pris.  Trompés 
par  les  apparences,  les  deux  envoyés  avaient  à  peine  livré  la 
somme  stipulée  et  les  villes  promises,  que  le  comte  de  Bar- 
biano  emprisonna  Bartolino  dans  la  forteresse  de  Lugo,  annon- 
çant qu'il  ne  le  relâcherait  que  contre  une  forte  rançon  (2). 
Cela  se  passait  vers  le  milieu  du  mois  de  mars  de  l'année  1395. 
Dans  les  derniers  jours  de  cette  année-là  ou  au  commence- 
ment de  139G,  Bartolino  parvint  à  s'échapper.  A  la  date  du 
3  février  139(>,  on  le  trouve,  en  effet,  s'occupant  à  Ferrare  de 
substituer  à  la  porte  de  San  Biagio  une  porte  fortifiée,  et  con- 


(1)  Fitr/.zi,  Meinoiie  jjer  la  sloria  di  Fevrara,  t.  III,  p.  3S8. 

(2)  Voyez,  poui-  plus  de  tiélails,  Fiuzzi,  Meinorie  per  la  storia  di  Ferrara, 
t.  III,  p.  400-402.  —  Giovanni  da  Barl)iauo  tievint  un  des  ennemis  les  plus 
redoutables  de  JNicolas  III;  vaincu  et  fait  prisonnier  par  les  troupes  de  Ferrare  et 
de  Boloyne  réunies,  il  eut  la  tète  trancliée  au  mois  d'août  de  l'année  1499. 


268  L'ART    FERRARAIS. 

strulsant,  au  dire  de  Frizzi  (1),  un  nouveau  pont  près  du  Castel 
Tedaldo  et  la  citadelle  dite  de  Saint-Marc. 

Deux  fois  encore,  en  1397  et  en  1401,  Nicolas  III  lui  permit 
de  se  rendre  à  Mantoue  pour  se  mettre  à  la  disposition  de 
François  Gonzague  :  en  1397,  les  troupes  de  Jean  Galëas  Vis- 
conti  allaient  envahir  Mantoue  à  la  faveur  d'un  pont  de  ba- 
teaux, quand  Bartolino  lança  sur  le  Pô  des  moulins  et  autres 
choses  flottantes  qui  détruisirent  le  pont  et  empêchèrent  l'en- 
nemi de  passer.  Telle  était  la  réputation  de  Bartolino,  que,  un 
peu  plus  tard,  Jean  Galëas  Visconti  l'appela  aussi  à  Milan  afin 
qu'il  donnât  son  avis,  avec  Bernardo  da  Yenezia,  sur  la  con- 
struction de  la  cathédrale  qui  était  commencée  depuis  quatorze 
ans  et  qui  suscitait  de  graves  contestations  parmi  les  archi- 
tectes (avril-juin  1  400). 

Si  le  marquis  de  Ferrare  consentit  à  laisser  son  architecte 
favori  travailler  pour  les  princes  de  Mantoue  et  de  Milan,  il 
n'entendit  pas  se  priver  de  lui  longtemps.  Dès  le  17  octobre 
1402,  Bartolino  posa  la  première  pierre  de  la  forteresse  de 
Finale,  près  de  Modène,  sur  le  Panaro,  et  en  1404  il  éleva 
des  bastions  et  des  palissades  au  bord  du  Pô,  vers  les  confins  des 
territoires  ferrarais  et  vénitien,  lors  de  la  guerre  entreprise  par 
Francesco  da  Carrara,  beau-père  de  Nicolas  III,  contre  la  Bé- 
publique  de  Venise  (2).  A  Florence  même,  à  l'occasion  d'une 
guerre  contre  Pise  (1405),  on  désira  la  présence  de  Bartolino, 
et  la  Seigneurie  écrivit  deux  lettres  au  marquis  de  Ferrare 
pour  qu'il  l'autorisât  à  venir  exécuter  des  travaux  d'architec- 
ture militaire  ;  après  avoir  rendu  hommage  au  mérite  du  savant 
et  de  l'artiste,  elle  s'engageait  à  le  traiter  de  façon  à  le  satis- 
faire :  «  Cui  taliter  providebimus ,  quod  nierito  poterit  conten- 
tm'i  (3).  »  Suivant  Frizzi,  Bartolino  aurait  été  l'architecte  de 
la  villa   de   Belfiore ,    édifiée  près   de   Ferrare  vers    1392.   Il 

(1)  Memorie  per  la  storia  di  Ferrara,  t.  III,  p.  407. 

(2)  Il  eut  pour  coopérateur  Domenico  da  Firenze,  qui  fut  tué  en  dirijjeant  une 
bombarde  contre  la  citadelle  de  Regjjio  assié{]ée  par  les  troupes  de  ^Nicolas  III. 
(G.  Campori,  Gli  architetti  e  gV  inc/ec/neri  civili  e  militari  degli  Estensi  dal 
secolo  XIII  al  XVI,  p.  30.) 

^3     L.-]N.  CiTTADELLA,  Xotizie  relative  a  Ferrara,  l.  I,  p.  536. 


LIVP.E   DEUXIEME.  269 

mourut  entre  1406  et  1410,  et  fut  enseveli  dans  la  chapelle 
qu'il  s'était  construite  à  Saint-François.  Sa  femme  Cecilia  lui 
donna  dix  enfants,  dont  l'un,  Giorgio,  créé  chevalier  par 
Nicolas  III  en  1437,  fut  capitaine  du  peuple  à  Florence. 
Comblé  de  biens  par  les  princes  d'Esté,  qui  se  montrèrent 
aussi  attachés  à  sa  personne  que  pleins  d  admiration  pour  son 
mérite,  Bartolino  avait  fini  par  posséder  une  fortune  assez 
considérable,  car  il  donna  en  dot  à  sa  fille  Béatrice  la  somme 
importante  de  six  cents  lire  marchesane  (1). 


II 


Giovanni  da  Siena  (2)  naquit  vers  1360  et  mourut  vers  1440. 
Sa  famille  était  originaire  de  Radicofani.  Jeune  encore,  il  se 
rendit  à  Bologne,  peut-être  pour  y  apprendre  l'architecture  et 
la  science  hydraulique  avec  des  maîtres  renommés.  C'est  là 
qu'il  travailla  pendant  la  plus  grande  partie  de  sa  vie,  se  met- 
tant au  service,  tantôt  de  la  Commune,  tantôt  des  légats  du 
Pape,  ce  qui  ne  l'empêcha  pas  d'utiliser  aussi  ses  talents  au 
profit  d'Antonio  di  Montefeltro,  d  Obizzo  da  Polenta  et  de 
plusieurs  autres  princes. 

En  1422  ou  1423,  il  se  mit  complètement  à  la  disposition 
du  marquis  de  Ferrare,  Nicolas  III.  Sur  l'ordre  de  celui-ci,  il 
s'occupa,  à  partir  de  1424,  d'agrandir  et  de  transformer,  afin 
de  le  rendre  plus  habitable,  le  châleau  fort  de  Finale,  que  Bar- 
tolino da  Novara  avait  édifié  en  1392  et  quEttore  Bonacossi 
décora  de  peintures  vers  1434.  Il  conserva  une  partie  des  bâti- 

(1)  A  l'époque  de  Bartoloineo  da  Xovara,  vécut  un  architecte  noininé  Giovanni 
da  Ferrara.  Pendant  qu'il  travaillait  à  V^érone  ^1392),  il  fut  invité  à  donner  son 
avis  sur  les  propositions  opposées  des  injjénieurs  ou  architectes  préposés  à  la 
construction  de  la  cathédrale  de  Milan.  Après  avoir  loué  sa  loyauté  et  sa  science, 
on  lui  donna  vingt  florins  d'or  et  on  le  reconduisit  à  Vérone. 

^^2)  G.  Campori,  Gli  architetti  e  gV  ingegneri  civili  e  militari  de(jli  Estensi 
dal  secolo  XIII  al  XVI  ^1882),  p.  2i-26.  —  Corrado  Ricci,  Fieravante  Fiera- 
vanli,  dans  V Archivio  slorico  deW  arte,  mars-avril  1891,  p.  98.  —  Corrado 
IliciM,   Giovanni  da  Sicna,  dans  V Archivio  storico  deW  arte,  juillet-août  1892. 


27  0  L'Airr    FEIUIARAIS. 

jiicnts  primitil'S,  notamment  la  {grande  tour  du  milieu,  (ju'il 
éleva  davantage.  Le  11  août  143G,  Nicolas  III  donna  des 
instructions  pour  le  prompt  achèvement  de  la  forteresse.  De 
ce  remarquable  édifice,  il  existe  encore  des  restes  intéressants 
qui  ont  été  reproduits  dans  VArchivio  slorico  delVarlc  de  juillet- 
août  1892.  On  croit  que  Giovanni  est  l'auteur  de  la  gracieuse 
loggia  que  Ton  voit  à  l'intérieur  (1). 

Tout  en  se  consacrant  à  la  Rocca  de  Finale,  Giovanni  da 
Siena  dirigea  d'autres  travaux  qui  exigeaient  de  fréquents 
voyages  sur  le  territoire  ferrarais.  C'est  ainsi  qu'en  1435  il 
exécuta  des  ouvrages  hydrauliques  dans  le  port  de  Magnavacca 
et  qu'il  consolida  les  digues  du  Pô  (2). 

A  Ferrare,  son  œuvre  capitale  fut  le  Castel-JSiiovo,  près  de 
la  porte  de  Sainte-Agnès.  Commencé  en  1427,  il  fut  terminé 
en  1433  (3).  Une  lettre  de  Jacopo  délia  Quercia  nous  apprend 
que,  pendant  cette  période,  Giovanni  da  Siena  recevait  du 
marquis  trois  cents  ducats  par  an,  plus  l'entretien  de  huit 
personnes.  En  1435,  on  fit  au  Castel-Nuovo  des  travaux  de 
consolidation  et  d'agrandissements.  Il  fut  en  partie  démantelé 
en  1562.  Un  tremblement  de  terre,  en  1571,  le  détruisit 
presque  entièrement.  Alphonse  II,  en  1580,  ordonna  à  l'archi- 
tecte Aleotti  de  le  démolir,  et  en  1584  il  n'en  restait  plus 
rien. 

Rio  (t.  III,  p.  402)  a  attribué  sans  preuves  le  dessin  du 
palais  de  Belriguardo  à  Giovanni  da  Siena. 

Ouelques  détails  curieux  sur  ce  personnage  sont  parvenus 
jusqu'à  nous.  En  1434,  il  adressa  au  marquis  de  Ferrare  une 
supplique  afin  d'obtenir  le  payement  de  ce  qui  lui  était  dû  :  il 

(1)  Voyez  VArte  e  xtorin  du  20  février  1891. 

(2)  A  la  fin  de  1435,  îNicolas  III  consentit  encore  à  se  priver  durant  quelque 
teuqjs  de  son  arcliilecte  atin  de  complaire  au  pape  Eu{;ène  IV  qui  désirait  se  ser- 
vir de  lui  pour  relever,  à  Bologne,  la  forteresse  de  la  Porta  Galliera. 

(3)  Vers  la  même  époque  apparaît  à  Ferrare  le  nom  de  Filippo  Bruuellesco. 
L'illustre  architecte  avait  été  autorisé  en  1432  à  interrompre  pendant  quarante- 
cintj  jours  ses  travaux  à  la  cathédrale  de  Florence  pour  se  mettre  à  la  dispositif)M 
de  Nicolas  III.  (G.  Guasti,  La  cupola  di  S.  Maria  del  Fiore,  p.  51.)  —  Quant  à 
la  présence  de  Léon-Baptiste  Alberli  à  Ferrare  en  1438,  puis  en  1443  on  1444, 
elle  ne  procura,  elle  aussi,  aucun  monument  à  cette  ville. 


LIVT\E   DEUXIEME.  271 

se  comparait  au  loup  que  la  faim  chasse  des  bois  ;  il  avait  été 
obligé  de  vendre  une  mule  pour  payer  son  loyer,  et  il  n'avait 
plus'  de  quoi  vivre.  Sa  supplique  lut  bien  accueillie,  et  Nico- 
las III  enjoignit  à  ses  intendants  de  lui  donner  satisliiction.  — 
L'année  suivante,  quand  Lionel,  fils  du  marquis,  épousa  Mar- 
guerite Gonzague,  l'architecte  siennois  dut  se  conformer  à 
l'usage  suivi  par  tous  les  fonctionnaires  et  trouva  le  moyen 
d'offrir  au  prince  un  cadeau  de  cent  lire[l).  —  Le  23  juil- 
let 1438,  il  reçut,  par  ordre  de  Lionel,  quatre  ducats  d'or  pour 
accomplir  au  sanctuaire  d'Assise  un  vœu  qu'avait  fait  la 
femme  de  ce  prince. 

Le  dernier  document  ferrarais  où  il  soit  question  de  Gio- 
vanni da  Siena,  quand  il  vivait  encore,  est  du  23  juillet  1438. 
Un  autre  document  prouve  qu'en  1-44.1  il  n'existait  plus. 


III 


Pietro  di  Benveniito  on  Pietro  Benvenuti  fut  surnommé  Pielro 
dagli  Ordini  parce  qu'il  édifia  les  premiers  étages  iordini)  du 
campanile  de  la  cathédrale  (2).  En  liGCJ,  il  fournit  les  dessins 
de  l'hôpital  pour  les  pestiférés  qui  fut  érigé  dans  une  île  du 
Pô,  l'ile  de  Saint-Sébastien,  appelée  le  Boschetto  (3j.  C'est  à  lui 
que  Borso  s'adressa  pour  agrandir  son  palais  de  Belriguardo, 
pour  élever  à  Bellombra,  à  Benvegnante  et  à  Ferrare  les  trois 
palais  qu'il  donna  à  son  favori  Teofdo  Calcagnini,  et  pour 
exhausser  d'un  étage  le  palais  de  Schifanoia  (14G(i-l  4()9).  Ces 
travaux  valurent  à  leur  auteur  (1469)  le  titre  d'ingénieur  du- 
cal, qu'il  garda  sous  Hercule  I".  L'enceinte  du  nouveau  parc 
[barco  nuovo)  près  de  la  ville  (1472),  un  passage  reposant  sur 
cinq    arcades   [via  coperta)  et  mettant   en  communication    la 

^l     II  avait  touché  peu  auparavant  348  lire  di  inaichesini. 

\2)  Pietro  Benvenuti  y  ti'avallhi  avec  son  père  et  avec  son  frcic  noiiiiué  Cioraii 
Battixta.  Dans  ses  Notizie  relative  a  Fcmira,  l.  II,  p.  51,  L.->i.  (litl.uloUa  doinic 
l'arhre  généalogique  de  la  famille  Benvenuti. 

•-)     Au  milieu  de  la  cour  de  cet  hôpital,  il  disposa  une  magiiilique  citerne. 


272  L'ART    FERRARAIS. 

première  résidence  des  princes  d  Este  et  le  Caslello  ou  Caste! 
Vecchio  (1472),  la  chapelle  particulière  du  souverain  (1),  la 
nouvelle  cour  du  château,  l'escalier  de  marbre  conduisant'à  la 
grande  salle  du  palais,  le  jardin  où  fut  établie  la  fontaine, 
enfin  des  adjonctions  à  la  citadelle  de  Reggio  (1476)  et  quel- 
ques réparations  au  palais  des  ducs  de  Ferrare  à  Venise,  occu- 
pèrent Pietro  di  Benvenuto  jusqu'en  1481.  Lorsqu'eut  éclaté 
la  guerre  avec  les  Vénitiens,  il  fut  chargé  de  pourvoir  à  la 
défense  de  la  ville  et  du  territoire  en  complétant  les  fortifica- 
tions et  en  élevant  des  bastions  pour  empêcher  l'ennemi  de 
franchir  le  Pô.  La  Commune  l'eut  aussi  à  son  servive  comme 
ingénieur.  Il  mourut,  ce  semble,  vers  la  fin  de  1483,  laissant 
deux  filles  qu'il  avait  eues  de  Gaterina  Coracina  (2). 


IV 


Biagio  Rossetii,  fils  d'Andréa  Rossetti,  qui  était  citoyen  de 
Ferrare  et  qui  servait  le  duc  en  qualité  d'ingénieur,  est  peut- 
être  l'architecte  qui  eut  à  réaliser  le  plus  d'entreprises  dans  la 
capitale  des  princes  d'Esté.  Il  débuta  en  construisant,  sous 
la  direction  de  Pietro  Benvenuti,  le  second  étage  du  palais  de 
Schifanoia  (1467-1469)  et  un  des  palais  dont  Borso  fit  pré- 
sent à  Teofilo  Galcagnini.  Il  succéda  à  Benvenuti  dans  le 
titre  d'ingénieur  ducal,  ce  qui  lui  valut  vingt-six  lire  d'appoin- 
tements par  mois.  Aux  commandes  du  souverain  s'ajoutèrent 
en  grand  nombre  celles  de  la  Commune,  des  couvents  et  des 
grands  personnages  ferrerais. 

L'architecture  religieuse,  l'architecture  civile  et  larchitec- 
lure  militaire  occupèrent  tour  à  tour  son  activité. 

(1)  Francesco  Ariosto  la  décrivit  en  1476. 

(2)  G.  Gampori,  Gli  archiletti  e  gV  ingegneri  civili  e  militaii  degli  Estensi 
(lai  secolo  XIII  al  AT/,  p.  36-38,  45.  —  A.  Venturi,  L'Arte  a  Fenara  nel 
penodo  di  Borso  d'Esté,  dans  la  Rivista  storica  italiana,  livraison  d'octohre- 
dcceinbre  1885,  p.  702;  Gli  affreschi  del  palazzo  di  Schifanoia,  p.  6.  —  L.-N. 
CiTTADELLA,  Notizie  relative  a  Ferrara,  t.  I,  p.  97,  98,  237,  395,  396,  539,  578, 
et  t.  II,  p.  48,  51. 


LIVRE  DEUXIEME.  273 

Ferrare  lui  doit  l'église  de  Saint-François,  dont  la  première 
pierre  fut  posée  en  1494.  Il  édifia,  d'après  les  plans  du  peintre 
Ercole  Grandi,  l'église  de  Santa  Maria  in  Vado,  à  laquelle  il 
travailla  à  partir  de  I  495,  et  le  chœur  de  la  cathédrale  est  son 
œuvre  (1498-1499).  Il  fut  en  outre  l'auteur  des  églises  de 
Saint-Vito  et  de  Saint-Gabriel,  supprimées  en  1798,  ainsi  que 
de  l'église  Saint-Sylvestre,  sacrifiée  en  1512  aux  mesures  stra- 
tégiques nécessaires  à  la  défense  de  la  ville,  et  il  présida  à  des 
travaux  de  renouvellement  dans  les  églises  de  San  Spirito  et 
de  Sainte-Marie  des  Anges.  Le  beau  campanile  de  l'église  con- 
sacrée à  saint  Georges  en  dehors  de  la  ville  fut,  dit-on,  une  de 
ses  œuvres  (1485). 

Pour  le  souverain  de  Ferrare,  il  exécuta  des  modifications 
aux  palais  de  San  Francesco,  de  la  Ghiara,  de  Belfiore  et  de 
Belriguardo,  construisit  sous  la  grande  salle  du  palais  ducal 
une  loggia  qu'un  incendie  a  détruite  en  1532,  et  s'employa  à 
l'arrangement  de  certaines  chambres  et  à  des  travaux  de  con- 
solidation dans  le  palais  d'Esté  à  Venise  (1482,  1484,  1488). 
Les  arcs  de  triomphe  sous  lesquels  Anna  Sforza,  première 
femme  d'Alphonse  I",  passa  lors  de  son  entrée  à  Ferrare, 
furent  imaginés  par  lui  (1491)  (1).  A  lui  aussi  fut  confié  le 
soin  de  dresser  les  plans  d'après  lesquels  la  ville  fut  agrandie 
de  plus  de  moitié  à  l'époque  d'Hercule  F'.  Le  palais  des  Dia- 
mants, construit  pour  Sigismond,  frère  d'Hercule  I"  (1492- 
1493),  et  le  palais  Calcagnini-Beltrame,  entrepris  de  concert 
avec  Gabriele  Frisoni  son  associé  pour  Antonio  Costabili  (1502), 
mirent  le  comble  à  sa  réputation.  Sur  la  place  principale  de 
Ferrare,  il  érigea  une  fontaine  en  1488.  Les  fortifications  dans 
tout  le  duché  ayant  été  mises  sous  sa  surveillance,  il  séjourna 
à  Modène  en  1482  et  en  1484,  à  Rubiera  en  1491,  à  Brescello 
en  1494,  à  Finale  en  1497,  afin  de  s'acquitter  de  ses  fonc- 
tions. Quand  Hercule  I"  eut  agrandi  la  ville  de  Ferrare,  il  fut 

(1)  Sur  ces  chars,  Fino  Marsi<jH,  maître  Sigismondo,  Gabriele  Boiiaccioli  et 
maître  Bonaccossi  peignirent  Vénus  au  sommet  d'une  montagne,  le  cliar  du  soleil 
traîné  par  deux  chevaux  f()U{;ueux,  le  char  de  Cupidon  et  lieux  {jéants  dorés.  La 
tâche  avait  été  divisée,  afin  de  répartir  le  gain  et  la  gloire. 

I.  18 


27'f  L'ART    FERRARAIS. 

chargé  d'élever  avec  Alessandro  Biondo  des  murailles  nou- 
velles (1  403)  (l).  On  lit  dans  les  registres  publics  qu'il  fut  de 
plus  «juge  des  digues»  ,  ce  qui  impliquait  une  grande  respon- 
sabilité. En  1503,  il  estima,  avec  Bartolomeo  Tristano,  Cris- 
loloro  da  Milano,  Borso  di  Gampi  et  Andréa  di  Tani,  le  travail 
lait  par  Antonio  di  Gregorio  pour  le  piédestal  sur  lequel  de- 
vait être  mise  la  statue  équestre  d'Hercule  P""  au  milieu  de  la 
place  qui  porte  aujourd'hui  le  nom  de  l'Arioste.  Pendant  une 
guerre  contre  Pise,  les  Florentins,  informés  des  ressources  de 
son  esprit,  sollicitèrent  sa  présence;  le  duc  de  Ferrare  lui  per- 
mit d'accéder  à  leur  désir,  et  Biagio  Rossetti,  à  qui  le  prince 
avait  adjoint  maître  Alessandro  Doria  da  Ferrara,  reçut  la  mis- 
sion de  détourner  le  cours  de  l'Arno. 

Plus  d'une  fois  Biagio  Rossetti  attendit  assez  longtemps  le 
payement  de  ce  qui  lui  était  dû  et  se  vit  forcé  d'adresser  au 
duc  des  réclamations,  qui  furent,  du  reste,  bien  accueillies. 
Malgré  ces  retards,  la  situation  de  1  illustre  architecte  ne  lais- 
sait pas  d'être  florissante.  Si,  en  1502,  il  habitait  le  palais  de 
Schifanoia,  il  possédait  comme  résidence  habituelle  une  mai- 
son sur  la  paroisse  de  Santa  Maria  in  Yado,  maison  qu'il  fit 
décorer  de  peintures  en  1504  par  les  frères  Fino  et  Bernar- 
dino  Marsili  ['±).  En  1505,  il  acquit  les  trois  quarts  d'un  bois 
à  Garpegiano  moyennant  la  somme  considérable  de  six  mille 
lire  marchesane.  Il  fit  son  testament  le  10  septembre  1516, 
mourut  cette  année-là,  ainsi  que  le  prouve  le  registre  de  la 
confrérie  de  la  Mort,  et  fut  enseveli  dans  l'église  de  Saint- 
André.  Sa  femme  Elisabeth  lui  donna  trois  filles  et  deux  fils 
(Niccolo,  mort  en  1500,  et  Girolamo). 

Dans  les  actes  de  l'époque,   les  épithètes  les  plus   louan- 

(1)  Elles  ne  furent  achevées  qu'en  1510,  mais  les  seize  j'rosses  tours  elles  trois 
portes,  pourvues  île  ravelins,  étaient  terminées  en  1497.  Ces  travaux  Hrent  grand 
honneur  à  Biagio  Rossetti;  on  loua  beaucoup  la  régularité  de  ses  plans. 

(2)  Le  sculpteur  Galiriele  Frisoni  (taqliapetra)  travailla  aussi  à  la  maison  de 
Biagio  Rossetti.  Il  y  eut  pendant  quelque  temps  une  association  entre  les  deux 
artistes.  On  possède  encore  les  conqîtcs  relatifs  aux  travaux  qu'ils  firent  pour  les 
églises  de  Saint-François,  de  Saiiite-^Iarie  des  Anges,  de  San  Spirito,  de  San  Sil- 
vestro,  etc.;  ces  comptes  portent  la  date  du  21  avril  1500.  (L.->\  Cittadella, 
Xoli-Jc  relative  a  Ferrura,  t.  II,  p.  263.) 


LIVRE   DEUXIEME.  275 

yeuses  sont  prodiguées  à  Biagio  Rossetti,  que  Guarini  appelle 
"  languentis  architecturœ  instaurator  «  . 

On  a  attribué  à  Rossetti,  mort,  nous  l'avons  dit,  en  1516, 
les  escaliers  et  les  portes  intérieures  de  Ir  Loggia  delConsiglio, 
à  Padoue,  quoique  ces  escaliers  et  ces  portes  datent  seulement 
de  1523  (1).  En  avait-il  donné  les  dessins  de  son  vivant?  C'est 
ce  que  l'on  ne  saurait  affirmer  (2).  Il  y  a  probablement  eu 
méprise  dans  l'assertion  que  nous  venons  de  mentionner. 


ERCOLE    GRANDI. 

Fils  de  Giulio  Cesare,  Ercole  Gt-andi,  né  vers  1  462,  mort  en 
1535,  est  célèbre  comme  peintre,  mais  peu  connu  comme 
architecte.  Il  pratiqua  cependant  à  diverses  reprises  l'architec- 
ture avec  succès.  Pour  l'église  d'un  monastère  dont  le  nom  ne 
nous  a  pas  été  transmis,  il  exécuta  le  dessin  de  la  nef  centrale 
et  de  quelques  pilastres  (3),  et  c'est  d'après  ses  plans  que  Bia- 
gio Rossetti  et  Bartolomeo  Tristano  construisirent  l'église  de 
Santa  Maria  in  Vado  (i).  A  lui  aussi  probablement,  comme  le 
pense  M.  Venturi,  revient  Ihonneur  d'avoir  exécuté  le  dessin 
de  la  magnifique  porte  du  palais  Castelli  ou  palais  des  Lions, 
et  le  dessin  des  belles  ornementations  que  présentent  les 
pilastres  d'angle  du  palais  des  Diamants  (5). 


(V'    Guida    tli   l'adoua,    rédigé    à    l'occasiiin    d'un    congrès    de    savants,    1842, 
p.  276. 

2,    L.-^i.  GiTTADKLLA,  Notizir  relative  a  Ferraia,  t.  I,  p.  5V0. 
(3)  Ibid.,  t.  I,  p.  589. 

4^   En  renouvelant  la  façade,  on  a  enlevé  à  cette  partie   de  l'édifice  sa  physio- 
nomie primitive. 

5^    A.  Venturi,  Ercole  Grandi,  dans  V Archivio  storico  dell'  arte,  juin  1888. 


276  L'ART    FERRARAIS. 


VI 


Gasparo  Ruina,  appelé  aussi  Gasparo  da  Corte,  naquit  à  Gorte, 
en  Corse,  et  construisit  à  Ferrare,  où  l'on  constate  sa  présence 
de  1511  à  1533,  la  Postaccia,  palais  contigu  à  l'ancienne  au- 
berge de  l'Ange.  Il  était  en  outre  ingénieur  et  s'occupa  des 
remparts  de  la  ville.  La  République  de  Venise  l'eut  également 
à  son  service. 


VII 


Quoiqu'on  ne  connaisse  aucun  monument  construit  à  Fer- 
rare,  sa  patrie,  par  Jacopo  Meleghini^  on  ne  doit  pas  le  passer 
sous  silence  (1).  Il  appartenait  à  une  ancienne  famille  qui  compta 
parmi  ses  membres  en  1376  un  orfèvre  (Giovanni  Meleghini). 
Marié  à  Angela  Leonarda,  fille  du  lettré  Fino  Fini  d'Ariano  et 
sœur  du  poète  Daniello  Fini,  il  fit  son  testament  en  1549.  Dès 
1553,  il  n'existait  plus.  Sa  femme,  qui  ne  lui  donna  point 
d'enfants,  mourut  en  1567.  C'est  à  Rome  qu'il  passa  presque 
toute  sa  vie.  Paul  III  l'apprécia  sans  doute  plus  que  de  raison  et 
l'admit  dans  son  intimité.  Après  l'avoir  adjoint  à  Antonio 
Sangallo  comme  directeur  des  travaux  à  exécuter  dans  la  basi- 
lique de  Saint-Pierre,  il  le  nomma  gardien  des  antiquités  ras- 
semblées au  Vatican  et  architecte  de  tous  les  édifices  pon- 
tificaux. Traité  d'ignorant  par  Sangallo,  Vasari  et  Milizia, 
Meleghini  trouva  de  la  bienveillance  auprès  de  Vignole  et 
d'Alunno,  un  des  familiers  du  pape  Clément  VII.  Balthazar 
Peruzzi,  en  lui  léguant  une  partie  de  ses  écrits  et  de  ses  des- 
sins, tandis  qu'il  léguait  à  Serlio  l'autre  partie,  montra  aussi 
qu'il  faisait  cas  de  lui.  La  ville  de  Parme  consulta  Meleghini  en 
diverses  circonstances  et  lui  conféra  les  droits  de  citoyen  (2). 

(i)   II  a  été  déjà  questioa  de  lui,  p.   180,  note  i. 

(2)  Vasari,  Vite,  etc.,  t.  IV,  p.  607;  t.  V,  p.  470-471  ;  t.  VII,  p.  106.  —  L.-N. 
CiTïADELLA,  Notizie  relative  a  Fcnitia,  t.  I,  p.  197  et  541;  t.  II,  p.  270-276; 
et  Documenti  ed  illustrazioni  risguardanti   la    storia   artistica  ferrarese,  p.  270. 


LIVRE   DEUXIEME.  277 


VIII 


Terzo  de'  Terzi,  fils  d'Alessandro,  fut  architecte  et  ingénieur 
de  la  Commune  et  du  duc  Hercule  II.  Au  dire  de  Cellini,  il 
exerça  d'abord  le  métier  de  mercier;  dans  sa  vanité,  ajoute 
Cellini,  il  prit  le  nom  de  Terzo  pour  donner  à  entendre  qu'il 
était  le  troisième  des  architectes  de  son  époque,  et  qu'après 
Bramante  et  Sangallo  il  occupait  le  rang  principal.  A  la  vérité, 
on  trouve  qualifié  de  mercier  en  1531  un  Terzo  de'  Terzi, 
membre  de  la  corporation  des  drapiers  et  fils  du  brodeur 
Alessandro  ;  mais  il  est  peu  probable  qu'un  mercier  ait  pu 
devenir  un  architecte  distingué,  et  l'on  est  en  droit  de  supposer 
qu'il  y  eut  deux  hommes  du  même  nom  ayant  l'un  et  l'autre 
un  père  appelé  Alessandro,  vu  qu'un  grand  nombre  de  familles 
portant  le  nom  de  Terzi  vivaient  alors  à  Ferrare.  Quant  à  la 
seconde  allégation  de  Cellini,  elle  est  purement  imaginaire, 
attendu  que  la  famille  des  Terzi  existait  à  Ferrare  depuis  un 
siècle.  Terzo  de'  Terzi  construisit  une  des  tours  du  Castello 
[la  tour  de  Rigobelld),  qui,  à  peine  construite,  s'écroula  (1553), 
et  le  palais  de  Copparo.  C'est  en  1557  qu'on  le  trouve  pour  la 
dernière  fois  mentionné  dans  les  registres  de  dépenses. 


IX 


Galasso  Alghiside  Carpi,  qui  mourut  en  1573,  fut  au  service 
d'Alphonse  II  comme  architecte  civil  et  militaire.  La  loggia  dei 
Camerini,  dans  l'ancien  palais  des  princes  d'Esté,  est  son 
œuvre.  C'est  sous  sa  direction  et  d'après  ses  dessins  que  fut 
terminé  le  campanile  de  la  Chartreuse.  Il  prit  part  aussi  à  la 
construction  du  palais  Farnèse,  à  Rome,  et  de  la  Santa  Casa, 
à  Lorettc.  On  lui  doit  un  livre  intitulé  :  Délie  fortijîcazioni;  ce 
livre  rare  et  estimé  fut  imprimé  avec  luxe  en  1570  et  dédié  à 
l'empereur  Maximilien  II. 


278  L'ART    FEllUARAIS. 

X 

PIRRO     LIGORIO. 

Le  Napolitain  Pirro  Ligorio  entra  au  service  d'Alphonse  II 
en  I5G8  et  mourut  à  Ferrare  en  158;i.  Pirro  Ligorio  ne  devait 
pas  être  très  âgé  quand  il  cessa  de  vivre,  car,  en  1579,  il  fit 
baptiser  un  de  ses  fils  à  Santa  Maria  in  Vado.  Il  fut  à  la  lois 
architecte,  archéologue,  peintre  et  écrivain.  Pour  fêter  l'entrée 
de  Henri  III  à  Ferrare,  il  construisit  trois  arcs  de  triomphe. 
Dans  plusieurs  documents,  il  est  qualifié  d'  «  ajitiquario  di  Sua 
Eccellenza  »  .  Il  fit  en  l'honneur  du  cardinal  Hippolyte  II 
d'Esté  seize  dessins  pour  des  tapisseries  qui  devaient  repré- 
senter la  vie  d'Hippolyte,  fils  de  Thésée.  Enfin  il  décrivit  la 
villa  d'Esté  à  Tivoli  dans  un  ouvrage  intitulé  :  ^  Descrizione 
délia  superha  et  magnijîcentissinia  villa  Tibiirtina ,  dedicata 
aW  Illm.  et  Rev.  Hippolito  card.  di  Ferrara  »  ,  et  il  enrichit  de 
dessins  et  d'annotations,  avec  Terzi  et  Aleotti,  un  ouvrage  de 
Yignole. 

XI 

Dans  la  seconde  moitié  du  seizième  siècle,  Giovan  Battisia 
Aleotti  d'Argentn  fut  un  des  architectes  le  plus  en  vogue.  Le 
quatrième  étage  du  campanile  de  la  cathédrale  fut  construit 
sous  sa  direction.  Le  duc  Alphonse  II  lui  dut  des  projets  de 
fontaine  (1).  Ce  fut  Aleotti  qui  restaura,  en  1G03,  la  tour 
delV Àrringho ,  tour  annexée  au  palais  délia  Ragione  et  con- 
struite en  1383.  On  lui  attribue  généralement,  mais  à  tort  selon 
L.-N.  Cittadella,  la  façade  du  palais  de  l'Université.  C'est 
d'après  ses  dessins  qu'Alessandro  Nani  de  Mantoue  a  exécuté 
le  tombeau  de  l'Arioste,  qui  a  été  transporté  de  l'église  Saint- 
Benoît  dans  la  bibliothèque  communale  (2). 

(1)  L.-N.  Cittadella,  Notizie  relative  a  Ferrara,  t.  I,  p.  231-232. 

(2)  L.-N.  Cittadella,  Vita  delV  Aleotti  detto  VArgcnta.  Ferrara,  Taddei,  1847. 


LIVRE   DEUXIEME.  279 


XII 


Sous  le  règne  du  duc  Alphonse  II,  Alberto  Schiatti  ne  fut  pas 
moins  apprécié  qu'Aleotti  d'Argenta.  On  lui  doit  l'église  de  la 
Madonnina,  construite  grâce  aux  offrandes  des  Ferrarais, 
léglise  de  Saint-Paul,  commencée  en  1573,  et  l'église  de 
Sainte-Françoise  Romaine  (1622).  C'est  sous  sa  direction  que 
furent  exécutées  en  stuc  sur  fond  d'or  les  figures  des  quatre 
évangélistes,  de  saint  Georges  et  de  saint  Maurelio  qui  ornent 
le  chœur  de  la  cathédrale  (1583).  Il  fut  aussi  l'auteur  du  palais 
Avogli-Trotti,  dans  la  via  di  Porteserrate.  La  façade  du  palais 
Cicognara,  possédé  jadis  par  Roberti  da  Tripoli,  est  également 
<on  œuvre. 


CHAPITRE    II 


LES    EGLISES    ET    L'HOPITAL    DE    S AI^NTE-ANINE. 


LA     CATHÉDRALE     DE    FERRARE    (1). 

C'est  à  un  membre  de  la  puissante  famille  des  Adelardi,  à 
Guglielmo  II,  consul  et  valeureux  guerrier,  que  la  cathédrale 
de  Ferrare,  un  des  plus  beaux  édifices  du  moyen  âge  en  Italie, 
doit  son  origine.  Commencée  aux  frais  de  ce  personnage,  qui 
mourut  en  1 1  46,  elle  fut  continuée  par  Guglielmo  III,  qui  cessa 
de  vivre  en  1196  (2),  et  par  Adelardo,  frère  de  celui-ci,  qui 
mourut  en  1185.  On  la  dédia  à  saint  Georges  (3).  Il  va  de  soi 
que  plusieurs  époques  y  ont  laissé  leur  empreinte.  Par  bon- 
heur, les  modifications  que  le  dix-huitième  siècle  a  infligées  à 
l'édifice  n  ont  eu  lieu  qu  à  l'intérieur  et  ont  respecté  la  majes- 
tueuse façade,  si  originale  d'aspect,  si  riche  en  curieux 
détails. 

Revêtue  de  marbres  blancs,  rouges  et  azurés  auxquels  le 
temps  a  donné  une  teinte  presque  uniforme,  la  façade,  où 

(1)  Les  pages  suivantes  ont  paru,  avec  deux  planches  représentant  l'extérieur 
de  la  cathédrale,  dans  la  Revue  de  l'art  chrétien,  1891,  5*  livraison.  —  Voyez 
Ferdinando  Casoxici,  La  Cattedrale  di  Ferrara.  Venezia,  1845,  in-fol.  —  L.-N. 
CiTTADELLA,  Notizte  relative  a  Ferrara,  t.  I,  p.  42  etsuiv. — Frizzi,  Memorie per 
la  storia  di  Ferrara,  t.  II,  p.  183;  t.  III,  p.  440,  et  t.  IV,  p.  10. 

(2)  On  peut  lire  encore  dans  la  cathédrale  son  épitaphe  où  sont  vantées  sa 
pieté,  sa  munificence,  sa  générosité  envers  les  pauvres,  qui  s'éloignaient  toujours 
de  lui  les  mains  pleines.  Frizzi  a  cru  faussement  qu'il  s'agissait  de  Guglielmo  II. 
(Voyez  le  travail  que  M.  Ferruccio  Pasini  a  publié  dans  les  Atti  délia  dcputazione 

ferrarese  di  storia  patria,  vol.  V,  1893.^ 

(3)  La  cathédrale  primitive  fut  l'église  suburbaine  de  Saint-Georges. 


LIVRE  DEUXIEME.  281 

l'architecture  gothico-lombarde  a  juxtaposé  le  plein  cintre  et 
l'ogive,  ressemble  à  un  vaste  triptyque  dont  les  volets,  égaux 
au  panneau  central,  sont  séparés  de  celui-ci  par  de  petites 
tours  surmontées  de  pinacles.  Trois  galeries  horizontales  don- 
nent de  la  légèreté  à  la  physionomie  robuste  de  l'ensemble. 
Les  arcades  de  la  galerie  inférieure,  au  nombre  de  neuf  sur 
chaque  panneau,  sont  cintrées  et  encadrées  trois  par  trois  dans 
une  ogive,  à  l'intérieur  de  laquelle  il  y  a  un  oculus  bordé  de 
fines  découpures.  Les  arcades  de  la  galerie  suivante  (toujours 
au  nombre  de  neuf  par  panneau)  sont  ogivales  ;  elles  s'ap- 
puient tantôt  sur  deux  colonnettes,  tantôt  sur  trois.  Quant  aux 
arcades  de  la  troisième  galerie,  elles  sont  également  ogivales  ; 
mais  comme  leur  dimension  est  supérieure  à  celle  des  autres, 
il  n'v  en  a  que  quatre  par  panneau  :  elles  sont  soutenues  par 
des  colonnettes  engagées.  Un  fronton  à  angle  obtus  termine 
chaque  panneau,  et  une  quatrième  galerie,  composée  de  dix- 
sept  arcades  ogivales,  suit  la  ligne  inclinée  du  tympan,  de 
sorte  que  les  colonnes  géminées  qui  soutiennent  les  arcades 
reposent  en  quelque  sorte  sur  les  degrés  d'un  double  escalier. 
Au-dessous  de  1  arcade  du  milieu  s'ouvre  un  grand  oculus.  La 
croix,  le  lion  et  l'aigle  occupent  la  pointe  des  frontons. 

La  moitié  inférieure  des  panneaux  latéraux  est  divisée  en 
trois  parties  par  de  longues  colonnettes. 

Dans  la  partie  centrale  du  panneau  latéral  de  gauche,  au- 
dessus  d'une  plaque  de  marbre  qui  contient  une  longue  inscrip- 
tion et  qui  a  remplacé  en  1813  une  plaque  de  bronze  où 
étaient  relatés  les  mêmes  faits,  on  remarque  un  beau  buste  de 
Clément  VIII,  fondu  en  1605  par  Giorgio  Alhenga.  L'inscrip- 
tion, encadrée  par  un  petit  monument,  nous  rappelle  que 
Clément  YIII,  après  la  mort  d'Alphonse  II,  réunit  au  domaine 
de  l'Église  les  États  gouvernés  pendant  deux  siècles  par  la 
maison  d'Esté.  Au-dessous  de  linscription,  est  accroupi  un 
lion  de  style  archaïque.  Devant  la  partie  de  gauche  du  même 
panneau  est  assis  un  autre  lion^  plus  grand,  qui  regarde,  non 
sans  fierté,  les  passants.  C'est  dans  la  partie  droite  de  ce  pan- 
neau qu'est  percée  une  des  deux  petites  portes  de  la  cathé- 


282  L'AIÎT   FERIIAUAIS. 

drale  :  les  ornements  du  tympan  arrondi  n'offrent  rien   de 
remarquable. 

Mêmes  dispositions  dans  le  panneau  latéral  de  droite,  où 
Ton  voit,  à  gauche,  la  seconde  petite  porte.  Le  tympan  de 
cette  porte,  entouré  d'une  délicate  ornementation  à  laquelle 
se  mêlent  des  animaux  fantastiques,  renferme  une  croix  sur- 
montée d'une  main  bénissant  (1).  Au-dessus  du  tympan  sort 
du  creux  d'un  rond  un  buste  colossal  de  femme  :  on  ne  sait 
rien  sur  son  origine,  et  l'on  ignore  qui  il  représente.  Peut-être 
cette  femme  personnifie-t-elle  Ferrare,  car  elle  est  ordinaire- 
ment désignée  sous  le  nom  de  Madonna  Ferrara.  Le  peuple,  en 
effet,  croyait  que  Ferrare  avait  été  fondée  par  une  femme  2).  — 
Dans  la  partie  centrale  du  même  panneau,  une  niche  h  coquille 
et  à  fronton  pointu,  d'une  architecture  médiocre,  sert  d'abri  à 
la  statue  d'Albert,  marquis  d'Esté.  Cette  statue  fut  placée  là 
en  1393  afin  de  perpétuer  le  souvenir  du  voyage  qu'Albert, 
en  1391,  avait  fait  à  Rome,  où  il  avait  obtenu  de  Boniface  IX 
deux  bulles  de  grande  importance,  l'une  relative  à  la  fondation 
de  l'Université,  l'autre  concernant  les  biens  emphytéotiques. 
Au  pied  de  cette  statue  est  accroupi  un  lion  menaçant,  qui  fait 
pendant  à  celui  que  nous  avons  signalé  au-dessous  de  la  plaque 
dominée  par  le  buste  de  Clément  VIII.  —  A  l'extrémité  de  la 
façade,  notons  enfin  un  quatrième  lion,  correspondant  à  celui 
qui  se  tient  au  bout  de  l'autre  extrémité  :  il  est  fort  endom- 
magé. 

Il  nous  reste  à  examiner  la  partie  centrale  de  la  façade  du 
Dôme,  c'est-à-dire  le  panneau  central  du  triptyque.  Il  se  com- 
pose d'un  avant-corps  en  saillie,  aux  côtés  duquel  on  remarque  : 
à  droite  deux  arcades  cintrées  en  retraite,  surmontées  d'une 
ogive  avec  un  bas-relief  dans  lequel  on  voit  des  diables  empor- 
tant des  damnés  vers  une  barque  dirigée  par  un  person- 
nage qui   rappelle  le   Caron  de  la  Fable  :  —  à  gauche  deux 

(1)  Dans  l'arclulrave  de  la  porte  se  trouvent  les  vestiges  de  l'inscription 
suivante,  qui  fait  allusion  aux  inondations  du  l'ô  :  >'  Ab  aquis  multis  libéra  nos. 
Domine   « 

(2)  La  niènic  tradition  existait  à  Vérone  et  à  Manloue. 


LIVRE   DEUXIEME.  283 

arcades  de  même  forme,  également  en  retraite  et  dominées 
aussi  par  une  ogive,  où  plusieurs  saints  entourent  Abraham 
assis,  tenant  de  ses  deux  mains  sur  ses  genoux  une  grande 
draperie  qui  renferme  un  certain  nombre  de  tètes,  symboles 
des  anciens  justes  dans  les  limbes  (1).  Mais  c  est  lavant-corps 
qui  mérite  surtout  d'être  examiné.  Voici  d'abord  le  porche 
de  style  roman.  Sur  le  devant,  de  chaque  côté,  deux  colonnes 
reposent  sur  deux  hommes  que  supportent  deux  beaux  lions 
accroupis  (2).  Des  colonnettes  en  forme  de  cordons  et  de  tor- 
sades, mêlées  à  des  bandes  ou  apparaissent  de  petites  figures, 
se  succèdent  jusqu'au  fond  du  porche.  Une  frise  de  bas-reliefs 
sert  de  bandeau  à  la  porte  principale  du  Dôme  :  ils  représen- 
tent plusieurs  épisodes  de  l'enfance  du  Christ.  Au-dessus, 
dans  le  fronton  arrondi,  un  bas-relief  plus  important  nous 
montre  Saint  Georges  à  cheval  tuant  le  dragon  légendaire , 
c'est-à-dire  le  saint  auquel  est  dédiée  la  cathédrale.  Deux  sta- 
tues de  saints  sont  debout  au-dessus  des  colonnes  du  porche, 
dont  ils  complètent  la  décoration.  Tout  cela  est  du  douzième 
siècle.  Le  porche  soutient  trois  belles  arcades  à  trèfles  ;  dans 
celle  du  milieu  est  une  Vierge  d'un  style  élevé,  mais  un  peu 
massive,  tenant  dans  ses  bras  l'Enfant  Jésus,  statue  placée  là 
en  1427  et  sculptée  par  un  certain  Cristoforo  de  Florence.  Un 
peu  plus  haut,  entre  les  diverses  ogives,  on  voit  quatre 
hommes  sortant  de  leurs  tombeaux  brisés.  C'est  un  épisode  du 
Jugement  dernier,  qui  forme  une  belle  frise  au-dessus  d'eux. 
Cette  frise  a  pour  complément,  dans  un  espace  triangulaire,  le 
Christ  assis  entre  deux  figures  debout  et  deux  figures  à  genoux 


(1)  Abraham,  la  tcte  nue  cl  entourée  d'un  uiuilje,  a  une  luujjuc  J)ailje  qui 
ondule;  celle  tiyurc  vénérable  et  puissante  a  beaucoup  de  caractère.  A  gauche  est 
assis,  joignant  les  mains,  un  très  beau  saint,  derrière  lequel  apparaissent  phisieurs 
tètes.  A  droite,  un  évèque  agenouillé  joint  aussi  les  mains,  avec  une  touciiante 
onction,  et  l'on  voit  également  derrière  lui  quelques  tètes.  (Voyez  le  P.  Gaiiikii, 
Caractéristiques  des  saints,  t.  II,  p.  493.) 

[^)  Ces  colonnes,  ces  télarnons  et  ces  lions  ont  été  faits  en  1829,  d'après  le 
modèle  des  colonnes,  des  télarnons  et  des  lions  primitifs,  de  plus  petite  dimen- 
sion, qui,  par  suite  des  tassements,  étaient  devenus  incapables  de  soutenir  leur 
])esant  fardean,  et  qui  se  trouvent  à  présent  dans  la  cour  située  derrière  le 
chœur. 


28V  L  ART    FERRARAIS. 

qui  l'adorent,  tout  en  intercédant  en  faveur  des  humains  dont 
le  sort  va  se  décider  pour  l'éternité.  Dix  bustes  de  prophètes  et 
de  patriarches,  et  deux  bustes  d'anges,  ornent  les  deux  côtés 
extérieurs  du  triangle.  Toutes  ces  sculptures  semblent  appar- 
tenir au  commencement  du  quatorzième  siècle. 

Telle  est  la  façade  de  la  cathédrale.  Malgré  certaines  analo- 
gies de  détail  avec  l'église  de  San  Zeno  à  Vérone  (i),  on  peut 
dire  qu'elle  ne  ressemble  à  aucune  autre.  Plusieurs  généra- 
tions, depuis  le  douzième  siècle  jusqu'au  quinzième,  y  ont 
laissé  des  témoignages  de  leur  goût  particulier.  A  l'architec- 
ture primitive,  d'un  aspect  imposant  et  sévère,  sont  venues 
s'ajouter  peu  à  peu  des  décorations  plus  ou  moins  régulières, 
toujours  intéressantes.  Après  avoir  fait  des  arcades  en  plein 
cintre,  on  a  eu  recours  aux  arcades  ogivales,  et  cette  diversité 
est  d'un  heureux  effet.  Dans  les  motifs  sculptés,  il  règne  aussi 
une  manifeste  variété  de  style,  que  domine  un  sentiment  pro- 
fondément religieux.  Ce  qui  frappe  par-dessus  tout,  c'est  le 
Saint  Georges  qui,  en  tuant  le  dragon,  semble  inviter  les 
fidèles  à  terrasser  les  mauvaises  passions  ;  c'est  l'humble  Vierge 
qui,  en  tenant  l'Enfant  Jésus  entre  ses  bras,  le  montre  comme 
le  doux  maître  auquel  nous  devons  nous  donner;  c'est  le  Juge- 
ment dernier,  si  pathétique  et  si  attendrissant;  c'est  le  Paradis, 
où  les  âmes  saintes  trouvent  le  bonheur  dans  la  vue  de  Dieu. 
Mais  l'histoire  de  Ferrare  est  aussi  racontée  par  les  murs  du 
monument,  et  les  souvenirs  profanes  s'y  sont  pour  ainsi  dire 
incrustés.  Le  marquis  Albert  d'Esté  y  a  pris  place,  comme  les 
deux  Pline  l'ont  fait  sur  la  façade  de  la  cathédrale  de  Côme  ; 
on  s'arrête  devant  un  buste  de  femme  énigmatique,d'un  carac- 
tère tout  mondain,  et  le  buste  de  Clément  VIII  rappelle  l'in- 

(1)  L'église  de  San  Zeno  fut  renouvelée  en  1138.  Selon  Frizzi  \^t.  II,  p.  198- 
202),  les  sculptures  des  deux  églises  auraient  eu  pour  auteur  un  artiste  nommé 
Nicolo,  mais  celles  de  la  cathédrale  de  Ferrare  sont  plus  soignées.  Dans  l'un  et 
l'autre  édifice,  on  remarque  des  colonnes  portées  par  des  lions,  une  porte  avec 
les  douze  mois  de  l'année,  la  croix  surmontée  d'une  main  qui  bénit,  un  saint  à 
l'intérieur  d'une  lunette,  au-dessus  de  l'entrée  principale,  et  une  inscription 
presque  identique.  Laderchi  fait  observer  que  la  cathédrale  de  Ferrare  fut  la  pre- 
mière église  italienne  où  l'on  associa  l'ogive  au  plein  cintre,  le  style  gothique  au 
style  lombard. 


LIVRE   DEUXIEME.  285 

stabilité  des  souverainetés  terrestres,  car  la  domination  ponti- 
ficale, qui  se  substitua  en  1598  à  celle  des  princes  d'Esté,  a 
disparu  elle-même  à  son  tour. 

Les  deux  côtés  extérieurs  de  la  cathédrale,  presque  entière- 
ment en  briques,  ne  sont  pas  semblables  l'un  à  Tautre.  Celui 
du  nord  n'a  rien  perdu  de  son  originalité  :  il  a  pour  unique 
ornement  sa  longue  galerie,  dont  les  colonnettes  et  les  chapi- 
teaux attestent  une  origine  fort  ancienne.  Le  côté  méridional, 
donnant  sur  la  grande  place  où  se  tient  le  marché,  est  beau- 
coup plus  beau,  et  cependant  il  n'a  pas  conservé  partout  son 
aspect  primitif.  On  ne  voit  plus  dans  la  partie  supérieure  les 
gables  formés  d'assises  alternativement  blanches  et  rouges, 
ornés  de  grandes  rosaces  à  jour  et  séparés  les  uns  des  autres 
par  des  pinacles  octogones  dans  le  bas  et  sexagones  dans  le 
haut,  décoration  exécutée  au  quatorzième  siècle  (1).  Deux 
galeries  superposées  montrent  des  arcades  cintrées  que  sou- 
tiennent des  colonnes  accouplées.  Dans  la  galerie  du  bas,  les 
arcades  sont  encadrées  de  trois  en  trois  par  un  arc  majestueux. 
Au-dessous  de  cette  galerie ,  une  loggia  et  des  boutiques  de 
chétive  apparence  (2)  s'adossent  à  la  muraille,  au  bout  de 
laquelle  s'élève  le  campanile. 

La  loggia,  dont  un  des  côtés  semble  faire  suite  à  la  façade 
de  la  cathédrale,  fut  construite  en  L473  par  la  corporation  des 
marchands  de  draps  et  de  soieries,  qui  employa  comme  archi- 
tectes les  frères  Jacomo  et  Albertino,  ainsi  que  maestro  de  Lecho 
et  Ambrogio  da  Milano,  «  compagnons  tailleurs  de  pierre  »  . 
Ambrogio  da  Milano  est  l'artiste  éminent  qui  sculpta  le  magni- 
fique tombeau  de  Lorenzo  Roverella,  placé  dans  l'église  de 
Saint-Georges  hors  de  la  ville.  En  18  40,  on  a  un  peu  modifié 
l'architecture  primitive,  afin  de  rendre  la  loggia  plus  spacieuse 
et  plus  haute.  C'est  là  que  jadis  les  princes,  les  dignitaires,  les 
personnages  riches  se  réunissaient  pour  assister  aux  tournois 
et  aux  fêtes  publiques  qui  avaient  lieu  sur  la  place.  Une  plate- 

(1)    Sur  les  deux  piuailcs  qui  faisaient  face   au   palais   dvlLi  lliojiojic,  on  avait 
mis  l'aijjle  des  princes  d'Esté  et  les  amies  de  la  Coiniuunc. 
2)   11  y  eut  là  des  boutiques  dès  1327. 


286  T/Allï    FERllARAIS. 

forme,  entourée  d'une  balustrade  de  marbre,  se  trouvait  au- 
dessus  du  monument.  Aujourd'hui ,  du  côté  de  la  façade  du 
Dôme,  on  remarque  six  bas-reliefs  sculptés  au  douzième  siècle 
et  représentant  par  des  figures  symboliques  plusieurs  des  mois 
de  l'année  (1).  Ces  bas-reliefs  ornaient  autrefois  une  des  deux 
portes  latérales  donnant  sur  la  place  du  Marché,  celle  qui  fai- 
sait face  à  la  rue  de  San  Romano,  et  ils  lui  avaient  valu  le  nom 
de  po7-te  des  Mois.  Cette  porte  a  été  bouchée  en  1718  et  privée 
de  son  ornementation  en  1738  {"2).  L'autre  porte,  plus  rappro- 
chée delà  façade  de  la  cathédrale,  s'appelait  \a porta  dello  Staro 
ou  porte  du  Boisseau,  parce  qu'on  y  avait  sculpté  un  boisseau 
et  d'autres  mesures  de  capacité  à  l'usage  des  commerçants  : 
elle  fut  condamnée  avant  1594. 

Le  campanile  quadrangulaire ,  orné  d'un  revêtement  de 
marbres  blancs,  rouges  et  noirs  de  Vérone  et  de  l'Istrie,  se 
compose  de  quatre  étages,  ayant  les  uns  et  les  autres  sur  chaque 
face  deux  longues  fenêtres  dont  la  partie  cintrée,  trop  courte 
selon  nous,  repose  directement  sur  les  chapiteaux  de  deux 
colonnes.  Dans  les  angles  se  trouvent  des  pilastres  en  saillie. 
Ce  campanile  a  un  aspect  grandiose  et  compte  parmi  les  plus 
importants  que  la  Renaissance  ait  produits  en  Italie,  mais  il 
nous  semble  un  peu  lourd.  Combien  il  est  loin  d'avoir  l'élé- 
gance non  seulement  du  campanile  de  Giotto,  à  Florence,  mais 
du  campanile  de  la  cathédrale  de  Prato  et  de  tant  d'autres 
que  l'on  admire  à  Rome!  Il  fut  commencé  en  1412,  sur 
l'ordre  de  Nicolas  III  d'Esté,  et,  si  l'on  en  croyait  la  tradi- 
tion et  la  Chronique  souvent  peu  exacte  de  Marano,  il  aurait 
eu  pour  premier  architecte  un  ministre  du  prince,  Nicole  da 
Campa,  «  ufjiciale  alla  hanca  dei  soldati  »  ,  ce  qui  ne  paraît 
guère  vraisemblable  (3).  Quand  la  base  ,  sur  laquelle  sont 
sculptés  les  symboles  des  Évangélistes,  fut  achevée,  il  y  eut, 
faute    de  ressources  probablement,   une  longue  interruption 

1^1)  Ils  ont  été  photographiés  par  Alinnri.  Les  autres  sont  encastrés  dans  un 
niur  à  l'entrée  du  jardin  botanique  attenant  au  palais  de  l'Université. 

1^2)  L.-^.  CiTTADEi.LA  décrit  tout  au  long  l'ornementation  de  cette  porte. 
(Notizie  relative  a  Ferrara,  t.  I,  p.  93-94.) 

(3)  L.-N.  CiTTADELLA,  Notizie  relative  a  Ferrara,  t.  I,  p.  96. 


LIVRE   DEUXIEME.  287 

dans  Tentreprise.  On  ne  se  remit  à  la  continuer  qu'en  1151, 
sous  le  règne  de  Borso  (1),  et  l'on  obtint  que  la  Seigneurie  de 
Venise  ne  soumettrait  les  matériaux  à  aucune  taxe.  La  direc- 
tion générale  fut  confiée  à  Pietro  Benvenuto  (2),  que  Cristoforo 
del  Co.v,ça  seconda  comme  architecte,  et  l'on  chargea  du  travail 
des  marbres  Bartolommeo  dit  Meo  da  Firenze,  qui  eut  sous  ses 
ordres  Loienzo  de  Giiido  da  Chonio^  Lucha  de  Jacomo  da  Firenze, 
Lunardo  de  Nicholo  de  Maffei  da  Verona,  Albertino  Rasconi  da 
Maiitoua,  Jachomo  Lazaro  da  Venezia ,  Loreiizo  de  Frixi  da 
C/ioiuo  [^),  Aluixe  da  Venezia^  Fiorino  et  Matlia.  En  1458,  le  pre- 
mier étage  était  terminé;  mais  ce  fut  seulement  en  14G6  qu'on 
V  plaça  la  statue  de  saint  Maurelio,  exécutée  par  Mathias  di 
Castelli  de  Milan  (4),  peinte  et  dorée  par  Zohane  TruUo,  qui 
peignit  et  dora  aussi  cinq  écussons  avec  les  armoiries  et  les 
devises  de  Borso  et  de  la  Commune.  La  construction  du  second 
étage  et  du  troisième  suivit  de  près  la  construction  du  pre- 
mier, car  dès  1  464  il  est  question  de  leur  revêtement  de  mar- 
bre. Pietro  BenveiiuiQ  est  toujours  l'architecte  en  chef,  mais 
Meo  de  Florence  est  remplacé  par  Albertino  et  Jacoho  Rasconi  ou 
Ilusconi  de  Mantoue^  qu'assistent  Jacomo  dit  Barassa,  Bei-nar- 
(liuo  da  Verona^  Stievano  et  Donienego  da  Verona,  Jachomo  da 
Varena,  Zorzo  da  Como,  Comando  de  Voltolina,  Jacomo  Mazol- 
lela  da  Verona,  Andréa  et  Jachomo  de  San  Polo.  En  1466,  le 
second  étage  est  achevé;  le  troisième  l'est  à  son  tour  en  1493. 
L'année  suivante,  le  duc  Hercule  I"  commande  à  JDomenico  di 
Paride,  fils  de  Niccolô  Baroncelli,  un  dessin  pour  ie  quatrième 
étage,    c'est-à-dire   pour   rachèvement    du  campanile;    mais 

{V)  ISursu  ht  concourir  à  la  dépense  tons  les  hauts  fonctionnaires  et  les  princi- 
pales villes  (le  ses  Etats. 

(2)  Il  fut  nommé  dagli  Ordini  pour  avoir  travaillé  aux  doux  ordres  ou  étages 
suivants  avec  son  père  Beiivenuti  et  son  frère  Giovanni,  qui  reçurent  le  même 
surnoui.  Giovanni  dagli  Ordini  survécut  à  son  frère  Pietro;  il  eut  une  fille  et 
trois  fils  :  Tecjhlo,  Francesco  et  Alberto.  Dans  ses  Notizic  relative  a  Fenava 
(t.  II,  p.  51),  L.-N.  Cittadella  donne  l'arhrc  jjénéalogique  de  la  fauiille  lîen- 
venuti. 

(3)  Lorenzo  dut  prohahlenient  son  suiiioiu  aux  ornements  qu'il  avait  liiahi- 
lude  do  sculpter. 

;4)  dette  statue  n'existe  [)lus.  Il  eu  est  de  méruc  de  la  siatue  de  Saint  Georges 
terrassant  le  dragon. 


288  L'ART    FEURARAIS. 

rarchitecte  s'en  tient,  sauf  quelques  légères  modifications,  au 
plan  suivi  jusqu'alors,  et  l'exécution  incombe  à  Rinaldi  et  à 
Jachomo  Rasconi  de  Mantoue.  Pour  une  cause  que  nous  igno- 
rons, tout  resta  en  suspens  jusqu'à  l'époque  d'Alphonse  II. 
Dans  les  dernières  années  du  seizième  siècle,  Giovanni  Bat- 
tista  Aleotti  d'Argenta  et  Alessandro  Balbi  érigèrent  le  qua- 
trième étage  du  campanile,  si  longtemps  attendu,  sans  y  ajouter 
le  couronnement,  qui  manque  encore  de  nos  jours. 

A  l'origine,  la  cathédrale  était  entièrement  isolée,  et,  le 
long  des  murs,  il  y  avait  des  bancs  de  marbre  à  l'usage  des 
fidèles  et  des  pèlerins. 

Un  vaste  atrium  précède  l'église.  On  y  distingue  une  pein- 
ture circulaire  due  à  l'un  des  plus  anciens  artistes  de  Ferrare 
et  représentant,  en  demi-figure,  le  Christ  qui  bénit  de  la  main 
droite  et  tient  de  la  main  gauche  le  livre  des  Evangiles  ou- 
vert (1). 

L'intérieur  de  la  cathédrale  offre  peu  d'intérêt  au  point  de 
vue  de  l'architecture,  quoiqu'il  ne  manque  pas  de  noblesse. 
Il  a  été  refait  au  dix-huitième  siècle  par  hrancesco  Mazzarelli. 
Avant  le  renouvellement  de  l'édifice,  on  y  descendait  par  trois 
marches;  aussi  se  produisait-il  parfois,  en  temps  de  pluie,  des 
inondations  véritables;  ce  qui  arriva  notamment  le  28  juin 
1550  :  les  bancs  flottaient  à  la  surface  de  l'eau.  Autrefois, 
neuf  marches  de  marbre  rouge  précédaient  le  chœur,  et  il  fal- 
lait en  monter  encore  trois  pour  atteindre  le  maitre-autel. 
Partagée  en  trois  nefs,  l'église  a  la  forme  de  la  croix  grecque. 
Sa  longueur,  sans  compter  l'atrium  et  le  chœur,  dépasse  cent 
mètres,  et  sa  largeur  est  d'environ  quarante  mètres. 

Dès  le  treizième  siècle,  on  pava  la  cathédrale  avec  des  mar- 
bres rouges,  blancs  et  légèrement  azurés,  de  façon  à  former 
des  dessins,  des  cercles  notamment.  Le  plus  grand  cercle  se 
trouvait  devant  le  preshyterhnn.  Peu  à  peu  on  s'imagina  que, 
en  priant  à  genoux  à  l'intérieur  de  cette  figure  géométrique, 
on  pouvait  gagner  des  indulgences,  superstition  qui  engendra 

(1)   Bariffaldi,   Vite,  etc.,  t.  I,  p.  .5,  note  1. 


LIVllE   DEUXIEME.  289 

des  disputes  entre  les  nombreux  compétiteurs  et  décida,  en 
1608,  l'évéqvie  de  Fenare  à  faire  détruire  le  cercle. 

Le  chœur  actuel,  pourvu  de  pilastres  richement  sculptés, 
fut  construit  aux  frais  du  Chapitre  et  de  la  Commune  par 
Biagio  Rossetti.  Commencé  le  19  mai  1498,  il  fut  terminé  le 
4  mai  1499  (1).  Pour  décorer  la  nouvelle  abside  (2),  Rossetti 
choisit,  dès  1499,  un  artiste  de  Modène  ainsi  qu'un  certain 
Nicolas  de  Pise,  et  le  célèbre  peintre  Lorenzo  Costa,  qui  devaient 
représenter  sur  fond  d'or,  en  mosaïque  simulée,  neuf  figures 
('.  aussi  bien  peintes  que  les  deux  figures  dues  à  Bochazino  et  à 
Lazzai'o  (3),  ce  dont  Andréa  Mantegna  serait  juge  (4)  »  .  Il  est 
probable  que  le  projet  de  décoration  fut  réalisé,  mais  on  n'en 
est  pas  certain.  Aujourd'hui,  c'est  un  Jugement  dernier  par 
Bastianino  (1577-1580)  que  nous  montre  l'abside  de  la  cathé- 
drale. L'artiste  de  Modène  mentionné  dans  le  contrat  dressé 
en  J499  était  peut-être,  soit  Francesco  Bianchi,  dit  Frari,  soit 
Setti  di  Ceccliino  :  tous  deux,  en  effet,  eurent  des  rapports  avec 
Ferrare.  Sur  2sicolas  de  Pise,  L.-N.  Cittadella  fournit  quelques 
renseignements.  En  1512,  Nicolas  peignit,  pour  la  confrérie  de 
la  Mort,  la  Vierge  et  l'Enfant  Jésus,  avec  saint  Jacques,  sainte 
Hélène,  deux  anges  et  plusieurs  autres  figures.  Dans  un  acte 
de  152G,  on  le  trouve  désigné  de  la  façon  suivante  :  «  Prœ- 
stans  vir  niagister  Nicolaus  Pisanus  pictor  et  civis  Ferrariœ  de 
cont.  S.  Stephani,  Jilius  quondarn  Bartholoniei  de  Bruzis  de  Pisis, 
hahitator  Bononiœ.  »  En  1528,  il  travaillait  à  Budrio. 

(1)  Les  stucs  et  les  dorures  sur  le  mur  semi-circulaire  furent  exécutés  en  1583 
par  Agostino  Bossi,  Paolo  Monferrato  et  Giulio  Bongiovanni,  sous  la  direction 
(le  l'architecte  Alberto  Schiatti.  (L.-N.  Cittadella,  Notizie  relative  a  Ferrara, 
t.  II,  p.  69.) 

^)  L'abside  précédente  était  ornée  de  mosaïques,  et  sur  les  vitraux  «les  fenê- 
tres, vitraux  exécutés  en  1488  par  maître  Zoane  Grasso,  on  voyait  les  fijjures  de 
saint  Georges  et  de  saint  Maurclio.  L'arc  dominant  l'entrée  du  chœur  était  cou- 
vert aussi  de  mosaïques  à  fond  d'or  :  des  anges  et  des  demi-figures  de  prophètes  y 
étaient  représentés.  (L.-N.  Gittadklla,  Notizie  relative  n  Ferrara,  t.  II,  p.  70.) 
3)  Dans  le  Triompha  di  Fortuna  du  Ferrarais  Siçismoiido  Fond,  ouvrage 
imprimé  en  1526,  le  nom  du  peintre  Lazzaro  figure  à  coté  des  noms  de  Mante- 
jjua,  de  Cosimo  Tura  et  de  Dosso.  Un  artiste  a|jpelé  Lazzaro  travailla  en  1503  aux 
décors  nécessaires  à  la  représentation  de  quehpies  comédies  dans  le  Castello.  Il 
n'existe  aucune  peinture  que  l'on  |)uisse  attribuer  à  Lazzaro. 

(4)   L.-N.  Cittadella,  JSotizie  relative  a  Ferrara,  t.  II,  p.  70. 

I.  19 


290  L'A  HT    l'EI',  UAIIAIS. 

Au-dessus  du  maitre-aulel,  on  voit  à  la  voûte  de  l'église  un 
agneau  (symbole  du  chapitre  métropolitain),  qui  fut  peint  en 
1508  par  Gabriele  Bonaccioli.  L'estimation  de  ce  travail  et  de 
quelques  autres  ornementations  qui  n'existent  plus  fut  confiée 
à  Domenico  Panetti,  à  Lodovico  Mazzolino  et  à  Bartholomeo 
da  Yenezia  (1). 

L  abside,  avons-nous  dit,  a  pour  décoration  un  JugemeiU 
dernier.  Cette  fresque  est  l'œuvre  capitale  de  Sehastiano  Filippi, 
dit  le  Bastiam'no  (2).  Elle  a  été  inspirée  par  le  Jugement  dernier 
de  Michel- Ange.  La  Vierge  a  la  même  attitude  que  celle  du 
Buonarotti,  et  le  Christ  semble  aussi  maudire  les  réprouvés.  Il 
y  a  dans  la  composition  beaucoup  de  vie  et  d'animation.  La 
couleur  n'est  pas  trop  sombre.  C'est  une  peinture  bien  dé- 
corative, assez  haut  placée  pour  qu'on  ne  fasse  attention  qu'à 
l'ensemble  et  qu'on  ne  songe  pas  à  critiquer  les  détails.  «  Elle 
est  si  voisine  de  Michel- Ange  ,  dit  Lanzi,  que  toute  l'école 
florentine  ne  saurait  lui  en  opposer  une  pareille.  Il  semble 
incroyable  que,  dans  un  tel  sujet,  Filippi  ait  pu  paraître  si 
nouveau  et  si  grand.  »  Lanzi  va  beaucoup  trop  loin  dans  son 
admiration,  mais  ses  éloges  renferment  une  part  de  vérité. 
Imitateur  d'un  maître  inimitable,  Bastianino  s'est  comporté  ici 
en  homme  ingénieux  et  en  peintre  habile.  Il  commença  en  157  7 
sa  vaste  tâche,  qu'il  acheva,  selon  ses  engagements,  en  trois  an- 
nées (3),  moyennant  trois  cents  écus  d'or  (4-).  Deux  figures  de 
femmes  dans  son  Jugement  dernier  se  rattachent  à  son  histoire 
personnelle.  L'une,  saisie  par  les  démons,  est,  dit-on,  la  veuve 
de  Stefano  Correggiari,  la  belle  et  riche  Livia  Grazioli,  qui, 

(1)  L.-IN.  ClTTADELL^,  Kotizie  relative  a  Fcrrara,  t.  II,  p.  69. 

(2)  Bauuffaldi,  t.  1,  p.  450-455.  — Ce  fut  Alplionse  II  qui  décida  la  falaiquc 
de  la  cathédrale  à  confier  la  décoration  de  l'abside  à  lîastlanino. 

(3^  Il  n'y  euiploya  pas  sept  années,  ainsi  tpic  le  dit  Baruffaldi.  Si  les  échafau- 
dages furent  enlevés  seulement  en  1584,  c'est  que  le  sculpteur  Bu(jnoli  en  avait 
besoin  aussi  pour  exécuter  les  stucs  qui  ornent  le  chœur. 

(4)  Le  dernier  payement  lui  fut  fait  en  1581.  (L.-jN.  Ci'itadella,  Notizie  rela- 
tive a  Ferrara,  t.  I,  p.  60-61.)  Une  restauration  de  la  fresque  a  eu  lieu  en  1850. 
M.  Grcyorio  Doari,  auteur  de  cette  restauration,  a  publié  une  description  du 
{■rand  travail  de  Bastianino  sous  ce  titre  :  JJescrizione  ciel  maestoso  affreseo  ili 
SebaUiatio  Filippi  detlo  Bastianino  eseçjuilo  nel  catino  dcl  coro  délia  nu'tropu- 
litana  di  Fcrrara.  Ferrara,  Bresciani,  1853,  petit  in-8". 


LIVllE    DEUXIEME.  291 

api'ès  avoir  promis  de  l'épouser,  lui  préféra  un  autre  mari  (1). 
A  côté  d'elle,  ou  lit  sur  un  cartel  :  «  Nul[Ium]  mal[um] 
imp[unitum].  »  En  revanche,  la  femme  qui  consentit  à  s'unir 
au  Bastianino  est  placée  au  milieu  des  élus  (2),  et  elle  regarde 
avec  mépris  Livia  Grazioli  (3). 

Si  le  Jugement  dernier  de  Bastianino  fait  connaitie  ce  qu'était 
devenue  l'école  ferraraise  à  la  fin  du  seizième  siècle,  c'est-à- 
dire  à  l'heure  de  la  décadence,  plusieurs  autres  peintures, 
dans  la  cathédrale,  nous  reportent  vers  les  débuts  de  cette 
école  ou  nous  permettent  d'assister  en  quelque  sorte  à  son 
éclosion,  puis  à  son  plein  épanouissement. 

Gelasio  di  Niccolô  ou  Gelasio  délia  Masnada  di  San  Giorgio 
travaillait  vers  le  milieu  du  treizième  siècle.  On  lui  attribue  la 
Madone  qui  se  trouve  au-dessus  du  sixième  autel  h  droite.  La 
Vierge  est  maintenant  afiublée  d'un  riche  manteau  à  ramage 
qui  cache  la  peinture,  et  l'on  a  mis  sur  sa  tète,  ainsi  que 
sur  celle  de  l'Enfant  Jésus,  une  couronne  d'argent.  Dans 
de  pareilles  conditions,  comment  apprécier  l'œuvre  du  pein- 
tre? A  peine  distingue-t-on  les  traits  des  personnages,  dont  les 
carnations  sont  très  foncées.  Le  visage  de  Marie  semble  avoir 
un  caractère  auguste  et  même  assez  beau ,  qui  ne  semble 
guère  compatible  avec  l'art  du  treizième  siècle.  C'est  peu 
après  1340  que  la  piété  populaire  voua  une  vénération  spé- 
ciale à  cette  image ,  qui  fut  solennellement  couronnée  le 
7  juin  1626  (4). 

Une  peinture  d'Ettoie  Bonaco  s  si  orne   le  premier  autel   à 


i^ij  A  la  vérité,  Schastiano  avait  encouru  le  reproche  d'iiulilTéroiice  eu  recu- 
lant son  uiariajje  jusqu'à  l'achèveuient  de  sa  frescjue. 

(2)  Filippi  s'est  placé  avec  elle  à  la  droite  de  son  propre  j)alrou  <|ui  tient  à  la 
main  plusieurs  flèches,  et  c'est  sa  mère  que  l'on  voit  à  la  gauche  de  saint  Sébas- 
tien, si  l'on  en  croit  M.  Grejjorio  I5oari. 

(3)  On  peut  lire  le  récit  détaillé  de  ce  que  nous  venons  d  indiquer,  non  seule- 
ment dans  les  Vite  de  Bariffaldi,  mais  dans  les  Ihiccoiiti  cdtlHicl  italiani  du 
marquis  Campoui.  (Firenze,  1858,  in-12,  p.  60.)  —  Outre  le  .lu{;einent  dernier,  la 
cathédrale  possède  deux  ouvrajjes  de  Bastianino  :  l'un  (au  troisième  autel  à 
droite)  représente  dans  le  ciel  la  Vierj;e,  et  sur  la  terre  sainte  Catherine  et  sainte 
Barbe;  l'autre  (à  l'autel  du  bras  jjauche  de  la  croix)  nous  montre  la  Circoncision. 

(4)  L.-iN.  CiïTADELLA,  Notizic  iclutivc  a  Fcrrara,  t.  1,  p.  85. 


292  L'AllT    FEIUIARAIS. 

(Iroilc  :  elle  porte  le  nom  de  Tauteur  et  la  date  de  1448  (l). 
Cette  peinture,  qui  fut  exécutée  sur  un  des  murs  de  l'atrium 
et  que  Ton  a  transportée  sur  toile  en  1734,  représente  la 
Vierge  avec  Jésus  mort.  Malheureusement,  elle  a  été  entière- 
ment repeinte,  en  sorte  qu'on  ne  peut  se  faire  une  idée  de  la 
manière  d'Ettore  Bonacossi  (2). 

Avec  Cosimo  Tara,  nous  nous  trouvons  en  présence  du  plus 
illustre  peintre  de  l'ancienne  école  ferraraise.  Deux  grands  et 
remarquables  tableaux  de  lui  se  font  face  dans  le  chœur  (3), 
après  avoir  servi  de  volets  à  des  orgues  qui  n'existent  plus  (4). 
Celui  de  pauche  représente  Saint  Georges  aux  prises  avec  le 
dragon,  celui  de  àvoiieV  Annonciatio7i.  Un  acte  du  II  juin  1469 
nous  apprend  que  maître  «  Cosmè  del  Turra  »  reçut  cent  onze 
lire  pour  l'exécution  de  ces  deux  ouvrages. 

Saint  Georges,  bizarrement  vêtu,  monté  sur  un  cheval  blanc, 
les  pieds  enfoncés  dans  ses  étriers,  plonge  sa  lance  dans  le 
crâne  du  monstre,  qui  se  tord,  contracte  ses  ailes  aux  ner- 
vures épineuses,  darde  sa  langue  de  serpent  et  montre  large- 
ment sa  gueule  garnie  de  dents  aiguës.  Tourné  vers  la  gauche, 
le  cheval  regimbe  et  se  cabre;  sa  crinière  qui  se  dresse,  ses 
narines  qui  se  dilatent,  les  veines  de  son  cou  qui  se  gonflent, 
tout  en  lui  témoigne  de  son  épouvante.  Quant  au  cavalier, 
c'est  une  figure  très  accentuée,  plus  grandiose  que  gracieuse, 
d'un  relief  rappelant  celui  des  productions  du  Squarcione  et 
de  ses  imitatems.  A  droite,  la  princesse,  que  saint  Georges 
vient  de  sauver,  est  encore  terrifiée;  elle  regarde  en  s'enfuyant 
son  libérateur  avec  une  gratitude  mêlée  d'anxiété;  les  plis 
agités  de  son  vêtement  indiquent  sa  précipitation  ;  elle  ouvre 

(1)  BiRL'FFALDI,   t.    II,  p.   388. 

(2)  L.-N.  GiTTADELLA,  1"  Notizic  relative  a  Ferrara,  t.  I,  p.  85,  et  t.  II,  p.  12  , 
2"  Guida  pel  forestière  in  Ferrara^  1873,  p.  43. 

(3)  Nous  ne  sommes  pas  du  même  avis  que  Baruffaldi,  qui  dit  en  parlant  de 
ces  tableaux  :   «  ISoti  mostrano  tutto  il  buon  fare  di  Cosimo  »   ^t.  I,  p.  64\ 

(4)  Ces  oijjues  furent  faites  de  1465  à  1468.  —  En  général,  les  organistes 
étaient  des  prêtres  de  la  cathédrale.  (Voyez  L.-N.  Cittadella,  Notizie  relative  a 
Ferrara,  t.  I,  p.  66-68.)  —  C'est  en  1735  qu'on  détacha  les  deux  tableaux  de 
Tura  des  orgues  qu'ils  accompagnaient.  Ils  furent  alors  retouchés  par  le  peintre 
Giovanni  Battisla  Cozza. 


LIVRE  DEUXIEME.  293 

les  bras,  et  il  semble  que  l'on  entend  ses  cris.  "  A  ses  pieds, 
un  fleuve  coule  parmi  des  rochers  que  domine  une  montagne 
composée  de  trois  tronçons  de  cône  superposés  et  entourés  de 
murailles  à  créneaux.  Sur  la  rive  opposée,  le  dragon  est  repré- 
senté une  seconde  fois,  mais  en  petite  dimension  (1).  »  Il  est 
à  regretter  que  cet  intéressant  tableau  soit  placé  trop  haut  et 
ne  soit  guère  éclairé. 

Recevant  un  peu  plus  de  lumière,  V Annonciation  se  prête 
mieux  à  Texamen.  Sans  être  à  l'abri  de  toute  critique,  elle  est 
très  supérieure  au  Saint  Georges.  La  scène  se  passe  dans  un 
portique  à  coupole  dont  les  arcades  permettent  d'apercevoir 
un  paysage  animé  de  petits  personnages  (2).  De  chaque  côté, 
quatre  anges  en  grisaille,  d'un  style  élevé,  sont  peints  sur  des 
panneaux  d'or.  Deux  puissantes  guirlandes  de  fruits  complètent 
la  décoration  du  majestueux  édifice,  où  l'on  remarque  sur  une 
barre  de  fer,  assujettie  à  deux  corniches  se  faisant  face,  un 
chat  et  un  oiseau.  Au  centre,  une  colonne  sépare  l'archange 
Gabriel  de  la  Vierge.  Celle-ci,  vue  de  face,  est  agenouillée  à 
droite,  les  yeux  baissés.  Cosmè  lui  a  malheureusement  donné 
un  de  ces  visages  ingrats,  aux  contours  anguleux  et  aux  pom- 
mettes saillantes,  qui  ne  lui  sont  que  trop  familiers;  mais  les 
mains  jointes  sont  remarquablement  exécutées.  L'archange 
a  un  genou  en  terre.  Vêtu  d'une  tunique  bleue  et  d'un  man- 
teau violet  (3),  il  se  présente  presque  de  profil,  tenant  d'une 
main  un  lis  et  bénissant  de  l'autre.  C'est,  croyons-nous,  la 
plus  belle  figure  que  Cosimo  Tura  ait  jamais  faite.  On  imagi- 
nerait difficilement  des  traits  plus  purs,  une  majesté  plus 
sereine,  une  expression  plus  hautement  religieuse.  On  sent 
que  cette  noble  créature,  h  la  fois  forte  et  légère,  appartient  à 
un  monde  sans  souillure,  où  Dieu  divinise  en  quelque  sorte 
ceux   qui  l'entourent.  Au  lieu  de  copier  la  nature,  selon  son 

(1)  A.  Ventl'p.i,  Varie  n  Fenara  nel  periodo  di  Ilorso  d'Esté,  p.  71(5. 

(2)  «  On  remarque  dans  ce  paysajje  tics  roclies  amoncelées,  avec  des  routes 
tortueuses  et  des  arlires  sans  feuillafje,  motif  assez  fréquent  chez  les  peintres 
ferrarais.  «    (A.  Venturi,  L'arte  a  Fer/ara  nel  periodo  di  Borso  d'Esté.) 

(3)  Dans  le  costume  de  l'anfje,  comme  dans  celui  de  la  Vierge,  les  plis  mul- 
tiples forment  des  cassures  malencontreuses. 


294  L'A  UT    FEIll'.AllAIS. 

habiliulc,  l'artiste  a  cherché  dans  son  imagination  le  secret 
de  la  beauté  idéale  et  l'a  trouvé.  Aussi  n'y  a-t-il  guère  à  Fer- 
rare  de  tableau  devant  lequel  on  revienne  plus  volontiers  que 
devant  V Anuonciation  de  Tura.  La  pâleur  même  des  carnations, 
dans  le  demi-jour  du  chœur,  n'est  pas  dénuée  de  charme.  Soit 
que  le  silence  règne  dans  le  religieux  édifice,  soit  que  les  chants 
d'église  se  fassent  entendre,  on  prend  un  plaisir  de  plus  en 
plus  intime  à  contempler  la  céleste  apparition,  accueillie  avec 
tant  de  dévotion  par  la  plus  chaste  et  la  plus  humble  des  filles 
d'Adam.  Aussi  n'avons-nous  jamais  regretté  que  l'œuvre  de 
Tura  n'ait  pas  été  transportée  à  la  Pinacothèque  pour  y  être 
mieux  vue.  Les  tableaux  religieux  veulent  être  examinés  dans 
un  milieu  religieux  et  perdent  plus  qu'ils  ne  gagnent  à  cette 
pleine  lumière  qui  a  pour  condition  de  fâcheux  voisinages  et 
souvent  de  déplorables  promiscuités. 

Lorsque,  quittant  le  chœur  de  la  cathédrale,  on  se  trans- 
porte dans  la  sacristie  des  chanoines,  on  rencontre  un  tableau 
dû  à  Domenico  Panetti,  qui  fut  un  des  élèves  de  Cosimo  Tura(l). 
Ce  tableau,  une  des  premières  œuvres  du  maître,  dit-on,  repré- 
sente la  Vierge  assise  sur  un  trône  avec  l'Enfant  Jésus  devant  un 
rideau  rouge  entre  deux  ecclésiastiques  à  genoux.  Si  nous  trouvons 
peu  agréables  les  plis  que  l'on  remarque  au  coin  des  yeux  du 
Bamhino  et  les  ombres  trop  noires  mises  sur  son  front  et  sur  son 
corps,  nous  n  éprouvons  à  la  vue  de  sa  mère  qu'un  sentiment 
de  respectueuse  admiration.  Son  visage  un  peu  allongé,  souve- 
rainement pur  et  calme,  est  loin,  dans  sa  douce  austérité, 
d'être  sans  grâce.  La  coiffure  se  compose  de  simples  bandeaux, 
et  un  manteau  bleu  couvre  la  tête.  Quant  aux  figures  à  genoux, 
représentées  de  profil,  elles  sont  beaucoup  plus  petites  que 
celle  de  la  Vierge.  Elles  n'en  excitent  pas  moins  l'intérêt  par 
l'accentuation  des  traits  et  les  particularités  delà  physionomie. 
Le  personnage  de  droite,  malheureusement  peu  visible,  tient 
à  la  main  un  béret  rouge,  peut-être  à  titre  de  cardinal,  et 
récite  la  Salutation  angélinue  dont  le  commencement  est  écrit 

(1)   Ké  vers  1460,  l'anelti  mourut  en  1511  ou  en  1512. 


LIVRE  DEUXIÈME.  295 

en  grec  sous  ses  yeux.  Le  personnage  de  gauche,  vêtu  de 
noir,  un  lîéret  noir  à  la  main,  est  plus  distinct,  et  son  regard 
dénote  une  vive  intelligence.  Aucun  document  n'a  révélé  jus- 
qu'ici le  nom  de  ces  dignitaires  du  clergé  ferrarais.  Dans  le 
tableau  de  Panetti,  les  accessoires,  traités  avec  beaucoup  de 
soin,  ajoutent  au  charme  de  l'impression  générale.  Le  trône 
est  orné  de  pilastres  dorés  sur  lesquels  se  détachent  des  ara- 
besques grises.  A  droite  et  à  gauche  se  développe  un  charmant 
paysage  où  les  édifices  se  combinent  heureusement  avec  les 
détails  d'une  campagne  accidentée,  dans  laquelle  on  aperçoit 
un  fleuve  avec  des  barques,  un  berger  avec  son  troupeau  et 
quelques  autres  petites  figures.  Sous  le  rapport  du  coloris,  ce 
tableau  se  rattache  jusqu'à  un  certain  point  à  l'école  vénitienne. 
Comme  sentiment,  il  rappelle  un  peu,  selon  nous,  une  tou- 
chante Vierge  de  Boccaccio  Boccaccino  qui  se  trouve  au  musée 
de  Padoue  (1),  et  peut-être  aussi  la  Vierge  de  Luini  dont  s'ho- 
nore l'église  de  Santa  Maria  degli  Angeli  à  Lugano.  Même 
accent  de  sincérité  religieuse,  même  simplicité  virginale, 
même  expression  pensive,  même  attraction  de  bonté. 

Tout  autre  est  le  style  de  Garofalo^  quoique  ce  peintre  ait  eu 
pour  premier  maître  Panetti  (2).  Cinq  tableaux  de  Garofalo, 
dans  la  cathédrale,  permettent  d'apprécier  la  manière  qui  lui 
fut  propre. 

(1)  La  Vierge,  dont  les  traits  ont  une  .çjrâce  exquise,  est  assise  de  face  sur  un 
banc  avec  l'Enfant  Jésus,  la  tête  couverte  d'un  voile  sur  lequel  est  ramené  le 
manteau.  On  ne  voit  point  le  bas  des  jambes.  L'Enfant  Jésus,  tenant  de  la  main 
droite  un  chardonneret,  lève  les  yeux  vers  sa  mère  ;  une  petite  ccbarpe,  jetée 
sur  les  jambes,  passe  sur  le  bras  droit  et  la  poitrine.  Ce  tableau,  d'un  coloris 
moins  clair  que  celui  qui  est  familier  à  Boccaccino,  est  entouré  d'un  admirable 
cadre.  11  se  trouvait  autrefois  dans  le  couvent  des  Eremile. 

MM.  Crowe  et  Gavalcaselle  (t.  VI,  p.  511),  constatant  une  certaine  analojjie 
entre  le  style  de  Panetti  et  celui  des  fresques  qui  ornent  la  cathédrale  de  Cré- 
mone, ne  seraient  pas  éloi{;nés  de  croire  que  Panetti  aida  lioccaccino  dans  cette 
circonstance,  ou  que  du  moins  il  fut  l'élève  du  maître  crcmonais.  S'il  travailla 
aux  fresques  de  la  cathédrale,  ce  ne  peut  être  qu'à  celles  de  la  tribune,  exécutées 
de  1505  à  1506,  car  les  autres  furent  faites  entre  1514  et  1518,  et  Panetti 
mourut  en  1511  ou  en  1512.  Quant  à  la  supposili(jn  d'après  lacjuelle  Panetti 
aurait  été  l'élève  de  Boccaccino,  elle  nous  sendjle  diftii'ilc  à  admettre,  vu  que 
tous  deux  na(iuircnt  vers  1460. 

(2)  Benvenuto  Tisi  da  Garofalo  naquit  en  1481  et  mourut  en  1559. 


296  T/Ar.ï    FEU  U  AU  AI  S. 

Aux  côté?  de  la  porte  principale,  à  l'intérieur  de  l'église, 
on  aperçoit  tout  d'abord,  pleines  de  noblesse  et  de  simplicité, 
les  Heures  de  Saint  Pierre  et  de  Saint  Paul,  constituées  en 
quelque  sorte  les  gardiennes  du  lieu  saint,  dans  lequel  elles 
semblent  souhaiter  aux  fidèles  la  bienvenue.  Ce  sont  des  pein- 
tures à  fresque.  A  l'origine,  elles  ornaient  le  chœur  de  San 
Pietro.  En  donnant  au  recteur  de  cette  église  cent  écus  destinés 
à  d'urgentes  réparations,  Mgr  Grispi,  archevêque  de  Ferrare, 
obtint  qu'elles  lui  fussent  cédées;  c'est  lui  qui  les  fit  scier  et 
transporter,  en  17  45,  à  l'endroit  qu'elles  occupent  aujour- 
d'hui (l). 

Garofalo  est  aussi  l'auteur  du  Saint  Pierre  et  du  Saint  Paul 
placés  aux  côtés  de  l'autel  qui  se  trouve  au  fond  du  bras  droit 
de  la  croix.  Les  deux  apôtres  sont  peints  sur  toile.  Saint  Pierre, 
vu  de  trois  quarts  h  droite,  est  vêtu  d'une  robe  bleu  clair  et 
d'un  manteau  jaune;  il  a  des  cheveux  gris  et  courts  qui  frisent, 
ainsi  qu'une  barbe  blanche,  courte  aussi.  La  tête,  un  peu 
abîmée,  est  expressive  et  a  du  caractère.  Ce  Saint  Pierre,  en 
somme,  nous  semble  préférable  à  celui  que  nous  avons 
signalé  à  l'entrée  de  la  cathédrale.  Quant  au  Saint  Paul,  il  ne 
manque  ni  d'énergie  ni  de  noblesse,  mais  son  teint,  d'un  rouge 
cuivré,  est  désagréable.  Il  a  la  tête  chauve  etporte  une  longue 
barbe  châtaine.  C'est  évidemment  un  contemporain  du  peintre. 
Garofalo  a  été  souvent  mieux  inspiré. 

C'est  la  même  main  qui  a  exécuté,  en  deux  tableaux, 
V Annonciation  que  l'on  voit  dans  le  petit  chœur.  Les  types  de 
l'ange  et  de  la  Vierge  sont  beaux  et  purs. 

La  Vierge  libératrice,  ainsi  nommée  parce  qu'elle  fut  peinte 
à  l'occasion  d'une  peste  (1532),  nous  paraît  au  contraire  une 
œuvre  assez  médiocre.  C'est  une  figure  épaisse  et  sans  charme. 
Elle  est  représentée  dans  les  airs,  implorant  la  miséricorde 
divine  pour  le  peuple  de  Ferrare.  Peut-être  faut-il  imputer  en 
partie  aux  ravages  du  temps  et  à  une  restauration  fâcheuse 
la  mauvaise  impression  que  produit  cet  ouvrage.  Il  se  trouve 


(1)  BARiiFAi.ni,  Vite,  etc.,    .       p.  341,  note  1. 


LI\'RE  DEUXIEME.  29T 

dans  la  chapelle  du  Saint-Sacrement,    à   gauche  du  chœur. 

Le  plus  beau  tableau  de  Garofalo  que  possède  la  cathédrale 
orne  la  troisième  chapelle  à  gauche.  Il  représente  une  Vierge 
glorieuse  {\).  On  le  vovait  jadis  dans  Fëglise  de  Saint-Sylvestre. 
Il  fut  peint  en  1524.  Sur  la  dernière  marche  du  trône  delà 
Vierge  sont  à  genoux  un  saint  vieillard  (probablement  saint 
Jérôme)  et  saint  Jean-Baptiste  (2),  tandis  qu'au  premier  plan 
se  tiennent  deux  évéques  :  saint  Maurelio  et  saint  Louis  de 
Toulouse  (3).  Derrière  ceux-ci  se  montrent  deux  tètes  dans  le 
clair-obscur,  une  tète  de  jeune  homme  et  une  tète  de  jeune 
femme.  Au  fond,  de  chaque  côté  du  pilier  auquel  est  adossé  le 
trône,  un  paysage  accidenté  s'étend  dans  une  atmosphère 
bleue.  Ce  tableau,  d'une  admirable  couleur,  est  parfaitement 
conservé  et  tout  h  fait  intact.  On  ne  se  lasse  pas  d'admirer  le 
charmant  visage  et  la  nwrhidezza  des  carnations  du  divin  En- 
fant, qui,  debout  devant  sa  mère  et  maintenu  par  elle,  semble 
vouloir  se  porter  vers  saint  Jérôme,  mouvement  que  l'on 
s'explique  sans  peine  quand  on  considère  l'intensité  de  la  fer- 
veur du  vieillard  qui  lève  vers  lui  sa  belle  tète.  Quant  à  la 
Vierge,  elle  offre  un  remarquable  spécimen  du  type  familier 
à  Garofalo  et  de  la  coiffure  qu'il  donne  le  plus  souvent  à  ses 
Madones  :  les  cheveux  sont  partagés  en  bandeaux  et  forment 
des  touffes  à  côté  des  tempes. 

Passer  de  Garofalo  h  Girolamo  Sellari  da  Carpi,  c'est  passer 
du  maître  à  l'élève  (4).  Dans  la  sacristie  des  chanoines  et  des 
bénéficiers  de  la  cathédrale,  on  voit  un  portrait  d' homme  en  pied 
dont  Girolamo  da  Carpi  est  l'auteur  et  qui  fait  penser  un  peu 
aux  portraits   du  temps  de  Henri  II  (5).  Le  personnage,  aux 

(1)  Voyez  Vasari,  l.  VI,  p.  463,  note  2;  Baruffai.di,  t.  I,  p.  329;  L.-^.  Cit- 
TADELLA,  Beiiveiiuto  Tisi,  p.  40;  Rio,  L'art  chrétien,  t.  III,  p.  4G3. —  Phot. 
tl'Alinari,  n"  10714,  piccola. 

1^2;  On  a  soutenu  que,  dans  cette  Hgure,  coinine  clans  le  Saint  Jean-Papliste  de 
la  Madonna  del  pilastro  ,^tableau  qui  appartient  à  la  Pinacothèque  de  Fcrrare), 
l'auteur  s'était  représenté  lui-même. 

(3)  On  voit  à  ses  pieds  une  couronne.  Ce  personna{;c  ne  doit  donc  pas  être 
saint  Sylvestre,  comme  on  l'affirme  d'ordinaire. 

(4)  Girolamo  da  Carpi  naquit  en  1501  et  mourut  en  1556. 

(5)  La  couleur  a  passé  au  jaune. 


298  L'AF.T    FEIIRAUAIS. 

cheveux  noirs  et  courts,  porte  des  moustaches  et  une  barbiche. 
Il  a  des  souliers  blancs,  un  justaucorps  rouge,  une  collerette 
blanche  h  gros  plis  maintenant  le  cou  raide.  Son  bras  gauche 
s  appuie  sur  le  pommeau  de  son  épée,  attachée  à  son  côté.  Sa 
main  droite,  qui  pend,  tient  un  sac  blanc  et  or.  Le  visage 
exprime  Ténergie  et  la  finesse,  à  l'exclusion  de  la  bonté.  Si 
Ton  en  croyait  l'inscription  apposée  sur  le  tableau,  cet  homme 
ne  serait  autre  que  Guglielmo  Adelardi,  à  qui  est  attribuée 
la  fondation  de  la  cathédrale,  et  la  peinture  aurait  été  exécutée 
d'après  une  statue  du  XIT  siècle  trouvée  en  1515.  Mais  l'in- 
scription est  certainement  apocryphe  et  est  démentie  par  le  cos- 
tume comme  par  les  traits  de  la  figure  peinte  par  Girolamo 
da  Carpi  (1). 

Domenico  Mona  fut  un  des  derniers  peintres  de  l'école  ferra- 
raise  au  XVP  siècle.  Il  est  l'auteur  d'une  Mise  au  tombeau  placée 
dans  la  sacristie  capitulaire.  Ce  tableau,  où  figurent  de  nom- 
breux personnages,  est,  d'après  Laderchi,  la  meilleure  œuvre 
de  Mona,  mais  c'est  une  œuvre  de  pleine  décadence. 

Il  n'y  a  pas  dans  la  cathédrale  que  des  tableaux  dus  à  des 
peintres  ferrarais.  L'école  de  Bologne  y  est  représentée  par 
deux  peintures  qu'exécutèrent  Francesco  Raibolini  (Francia) 
et  Barbiei'i  da  Gento  (le  Guerchin) . 

Le  tableau  de  Francia,  admirable  de  coloris,  décore  la  cha- 
pelle qui  précède  le  bras  gauche  de  la  croix.  Dans  le  ciel,  au 
milieu  d  une  ogive  de  lumière,  bordée  de  bleu,  Jésus  cou- 
ronne la  Sainte  Vierge;  au-dessous,  apparaît  à  mi-corps  un 
petit  ange  tenant  de  la  main  droite  une  banderole  sur  laquelle 
on  lit  ces  mots  :  Gloria  hec  est  omnibus  sanctis.  Dans  le  bas  du 
tableau  se  trouvent  deux  groupes  comprenant  chacun  quatre 
saints  debout.  Entre  ces  groupes,  deux  saintes  sont  à  genoux 
devant  un  charmant  enfant  nu,  couché  à  terre,  qu'on  recon- 
naît, à  la  blessure  de  sa  tète,  pour  un  des  saints  Innocents.  Cet 
enfant,  dont  la  tête  est  tournée  vers  le  fond  du  tableau,  est 
vu  en  raccourci;  son  gracieux  corps  a  la  souplesse  même  de  la 

(1)   Voyez  L  ->\  Cittadella,  Notizie  relative  a  Fenara,  t.  I,  p.  65. 


LIVRE  DEUXIÈME.  299 

vie.  Dans  le  groupe  de  gauche,  les  figures  de  saint  André  et  de 
saint  Jean-Baptiste  sont  particulièrement  belles.  Au  fond  se 
développe  un  paysage  mouvementé,  que  domine  une  ville 
riche  en  édifices.  Sur  le  devant,  à  terre,  un  papier  contient 
l'indication  suivante  :  Franciscus  Francia  aurifex  faciehat. 
Yoici  ce  que  Vasari  dit  de  cette  peinture  :  «  Voulant  n'avoir 
rien  à  envier  aux  cités  voisines ,  les  Ferrarais  résolurent 
d'orner  leur  cathédrale  d'une  œuvre  de  Francia  et  lui  com- 
mandèrent un  ta])leau,  où  il  fit  un  grand  nombre  de  figures  et 
qui  fut  appelé  le  Tableau  de  tous  les  saints  (1).  » 

Le  sujet  traité  par  le  Guerchin  (au  bout  du  bras  droit  de  la 
croix)  est  le  Martyre  de  saint  Laurent,  aux  côtés  duquel  on  voit 
le  Saint  Pierre  et  le  Saint  Paul  de  Garofalo  dont  il  a  été  déjà 
question.  Le  jeune  saint,  très  pâle,  a  une  expression  fort  tou- 
chante. Il  semble  demander  au  ciel  le  courage  nécessaire  pour 
supporter  la  douleur  qui  le  torture.  Il  n'y  a  rien  de  banal  ni 
de  conventionnel  dans  cette  figure,  très  supérieure  à  toutes 
celles  qui  l'entourent  (2).  Le  tableau  dont  nous  parlons  fut 
commandé  à  Guerchin  en  1G29  par  le  cardinal  Lorenzo  Ma- 
galotti,  évêque  de  Ferrare. 

Au-dessous  de  ce  tableau  se  trouvent  les  restes  de  la  Bien- 
heureuse Lucie  Broccadelli  de  Narni,  née  le  3  décembre  I470, 

(i)  Vasahi,  t.  III,  p.  542.  —  Crowk  et  Cavalcaselle,  t.  V,  p.  604-605.  — 
Alinari  a  photographié  ce  tableau  ^n"  10713,  piccoln). 

(2)  Un  autre  tableau  du  Guerchin,  non  moins  intéressani,  se  trouve  clans 
l'église  de  Santa  Maria  délia  Pieta  de  Teatini,  où  il  orne  l'autel  du  bras  «jauche 
de  la  croix.  Ce  tableau  (photographié  par  Alinari,  n°  10717,  piccola,  et  habile- 
ment restauré  par  M.  F'ilippo  Fiscali)  représente  la  Purification  de  la  Vierge. 
Vue  de  profil  à  droite,  la  Vierge,  très  jeune,  la  tète  enveloppée  d'un  voile,  tient 
entre  ses  bras  l'Enfant  Jésus  et  a  un  genou  sur  la  marche  d'un  autel.  Derrière 
elle  se  trouvent  saint  Joseph  debout  et  une  jeune  femme.  La  tète  de  celle-ci  se 
détache  sur  le  ciel,  que  laisse  voir  une  majestueuse  arcade.  A  droite  est  assis  Si- 
méon,  vieillard  à  longue  barbe,  (jui  ouvre  les  bras  pour  accueillir  Jésus.  Au  second 
plan,  on  remaïque  deux  beaux  jeunes  gens,  dont  l'un  tient  un  flambeau  dans 
lequel  est  un  cierge  allumé.  Au-dessus,  un  grand  rideau  rouj;e  est  soutenu  par 
deux  petits  anges  nus,  très  beaux  aussi  (l'un  est  vu  de  côté,  l'autre  de  face),  qui 
volent  avec  aisance.  C'est  un  très  bon  tableau,  d'un  coloris  discret,  où  le  Guer- 
chin sort  de  sa  banalité  ordinaire.  Ce  peintre,  né  à  Cento  en  1590,  mourut  en 
1666.  —  Dans  l'Église  des  Stigmates  de  saint  François,  on  voit  également  (au- 
dessus  du  maitre-autel)  une  (luvre  distinguée  du  même  artiste  :  elle  représente 
un  saint  François. 


300  l'art    FERRAllAIS. 

morte  le  15  novembre  1544.  Après  avoir  perdu  son  mari, 
Lucie  prit  l'habit  du  tiers  Ordre  de  Saint-Dominique.  Elle  vécut 
quelque  temps  à  Rome,  puis  se  transporta  à  Viterbe,  où  les 
stigmates  du  Christ  s'imprimèrent  sur  son  corps,  comme  ils 
s'étaient  imprimés  sur  celui  de  saint  François  d'Assise.  Sa 
réputation  de  sainteté  parvint  jusqu'à  Ferrare,  et  Hercule  P' 
voulut  qu'elle  y  fondât  un  monastère.  Les  habitants  de  Yiterbe 
ne  consentant  pas  à  la  laisser  partir,  les  émissaires  du  duc 
eurent  recours  à  un  stratagème  et  la  firent  sortir  en  la  cachant 
dans  un  panier.  Elle  avait  alors  vingt-trois  ans.  Hercule  I"alla 
solennellement  à  sa  rencontre  le  6  mai  1499  et  ordonna  de 
construire  pour  elle  et  ses  futures  compagnes  le  monastère  de 
Sainte-Catherine  de  Sienne ,  qui  fut  consacré  par  Méliaduse 
d'Esté,  évêque  de  Comacchio.  Les  visions  de  Lucie  eurent  un 
grand  retentissement,  et  ses  contemporains  lui  reconnurent  le 
don  de  prophétie.  Pendant  le  séjour  à  Ferrare  des  personnages 
convoqués  aux  fêtes  qui  eurent  lieu  à  l'occasion  du  mariage 
d'Alphonse  d'Esté  avec  Lucrèce  Borgia,  le  duc  Hercule  mena 
ses  hôtes  au  couvent  de  Sainte-Catherine  de  Sienne  pour  leur 
montrer  les  stigmates  de  Sœur  Lucie  (vendredi  4  février  1502), 
et  l'ambassadeur  de  France,  MgrRocca  Berti,  emporta  comme 
souvenir  quelques  linges  imprégnés  du  sang  de  la  sainte  reli- 
gieuse (1).  C'est  en  l'honneur  de  Lucie  de  Narni  quEttore  di 
Antonio  Bonacossi  décora  une  loggietla  dans  le  couvent  qu'elle 
habitait.  Le  peintre  nommé  Nicolas  de  Pise,  dont  nous  avons 
déjà  parlé,  exécuta  pour  elle  un  tableau  où  il  introduisit  Her- 
cule P%  qui  lui  avaitcommandé  cette  peinture.  En  1502  sortit  de 
l'atelier  àe  Fraiicesco  Maineri  da  Parma  une  tête  de  saint  Jean- 
Baptiste,  qui  fut  donnée  à  la  pieuse  Sœur.  On  voit  que  Lucie 
de  Narni  unissait  à  la  ferveur  religieuse  le  goût  des  arts. 

A  l'intérieur  de  la  cathédrale,  plusieurs  sculptures  méritent 
d'attirer  l'attention. 

Dans  la  première  chapelle  à  gauche,  un  Bapiisti-re  de  forme 

(1)  Fnizzi,  Memorie  per  la  stotia  di  Ferrara.  t.  IV,  p.  193-195.  —  Ponsi 
DoMESiCANO,  Vita  délia  B.  Lucia  da  Narni.  Roma,  1711,  in-4'\  —  Bousetti, 
Hist.  Cfymn.  /en-.,  t.  I,  p.  197    —  Gregorovius,  Lucrèce  Borgia,  t.  II,  p.  52. 


LIVRE   DEUXIEME.  301 

octogone  est  un  des  spécimens  de  la  sculpture  à  Ferrare  vers 
Tan  1000  ;i). 

Du  onzième  siècle,  les  cinq  statues  de  bronze  qui  ornent 
lautel  placé  dans  le  bras  droit  de  la  croix  en  face  de  la  nef  de 
droite  nous  font  passer  au  quinzième  (2).  Elles  représentent 
le  Christ  en  croix,  la  sainte  Vierge,  saint  Jean  l'Évangéliste, 
saint  Georges  et  saint  Maurelio.  Le  Christ,  la  Vierge  et  saint 
Jean  eurent  pour  auteurs  Nicolo  Baroncelli  et  son  fils  Gio- 
vanni (1450-1453).  Giovanni  et  son  beau-frère,  Domenico 
Paris,  de  Padoue,  exécutèrent,  de  1453  à  146G,  les  figures  de 
saint  Georges  et  de  saint  Maurelio  (3). 

Sans  quitter  les  bras  de  la  croix,  on  voit  dans  des  niches  les 
bustes  en  terre  cuite  des  Apôtres,  raodele's  vers  1524  par  Alfonso 
Ciitadella,  dit  Alfonso  Lombardi  (4).  Le  nom  seul  de  Lombardi 
excite  lintérèt,  car  cet  artiste  renommé  était  doué  d'un  réel 
talent  ;  mais  on  ne  peut  oublier  que  Fart  était  entré  déjà  dans 
une  voie  qui  menait  à  la  décadence. 

Parmi  les  œuvres  d'art  que  possède  la  cathédrale  de  Ferrare, 
les  stalles  sculptées  et  enrichies  de  marqueteries  qui  garnissent 
le  chœur  ne  sont  pas  les  moins  attachantes.  Commencées  en 
1502,  elles  furent  terminées  en  1525.  Divers  artistes  y  travail- 
lèrent. Il  n'est  donc  pas  étonnant  que  tout  n'y  soit  pas  égale- 
ment remarquable.  Mais  les  détails  exquis  y  sont  assez  nom- 
breux pour  captiver  longtemps  l'attention.  Quoique  exécuté 
de  1531  à  1534,  le  trône  épiscopal  lui-même  est  charmant  et 
d'une  exécution  qui  fait  grand  honneur  à  Lodovico  de  Brescia 
et  à  Luclîino  (5). 

Dans  la  tribune,  derrière  le  maitre-autel,  se  trouvait  autre- 
fois le  tombeau  du  pape  Urbain  III  (Umberto  Grivelli  de  Milan). 
Le  sarcophage  datait  seulement  de  1305  ;  et  c  est  en  1458  qu'il 

(1)  L.-ÎN.  CiTTADELLA,  Nothie  relative  a  Ferrara,  t.  I,  p.  50.  —  Dans  le 
ch.  H  du  liv.  III,  nous  donnerons  quelques  détails  sur  le  haptistère. 

2)  Voyez  la  lettre  de  l'abbé  Giuseppe  Anlonelli,  bililiolliécaire  de  Ferrare,  à 
Miclielanfielo  Gualaiidi,  lettre  insérée  dans  les  Memorie  oriç/inali  ital.  di  bclle- 
arti.  Hologna,  1843,  n"  121. 

(3)  jNous  reviendrons  sur  ces  statues  dans  le  rli.  i  du  liv.  III. 

(4)  Voyez  danslecli.  i  du  liv.  III  la  description  et  l'appréciation  de  ces  bustes. 

(5)  Voyez  le  ch.  ii  du  liv.  III. 


302  I/AlkT    FEU  1'.  AU  Aïs. 

liit  place''  sur  quatre  colonues  de  marbre  rouge,  exécutées  par 
le  Florentin  Paolo  di  Lucca  et  son  cousin  Meo  di  Checco,  à 
répocnie  de  Borso.  Élu  à  Vérone,  où  était  mort  son  prédéces- 
seur, Urbain  III,  qui  ne  put  entrer  à  Rome,  régna  du  I"  dé- 
cembre 1185  au  ±0  octobre  1187.  Il  mourut  à  Ferrare  du 
coup  que  lui  porta  la  prise  de  Jérusalem  par  Saladin,  se  sou- 
venant que  sous  un  pape  du  même  nom  que  lui  (Urbain  II),  la 
ville  sainte  avait  été  arrachée  aux  musulmans.  Dans  Finscrip- 
tion  en  lettres  d'or  qui  fut  gravée  sur  son  tombeau  (1),  on  avait 
confondu  Fépoque  de  son  avènement  avec  celle  de  sa  mort  : 
cette  erreur  s'explique  par  le  long  espace  de  temps  qui  s'écoula 
entre  le  décès  du  Souverain  Pontife  et  la  mise  de  l'inscription 
sur  le  monument  en  1460.  Le  tombeau  d'Urbain  III  fut  détruit 
quand  on  renouvela  l'église  au  dix-huitième  siècle,  et  les 
colonnes  qui  supportaient  le  sarcophage  servirent  à  orner 
l'autel  dédié  à  saint  Vincent  et  à  sainte  Marguerite.  Quant  à 
la  plaque  de  marbre  contenant  l'inscription,  elle  a  été  encas- 
trée dans  le  mur  de  la  tribune  (2). 

On  ne  doit  pas  sortir  du  chœur  sans  avoir  parcouru  quel- 
ques-uns des  missels  et  des  psautiers,  ornés  de  fort  belles 
miniatures  (3) .  Ces  libri  corali,  qui  contiennent  les  offices  de 
toute  l'année,  sont  au  nombre  de  vingt-deux. 

Quand  on  se  trouve  à  Ferrare  pendant  les  neuf  jours  qui 
suivent  la  fête  de  saint  Georges,  fête  célébrée  le  2\  avril,  on 
a  loccasion  d  admirer,  dans  des  armoires  vitrées,  le  long  des 
parois  intérieures  du  chœur,  des  objets  d'orfèvrerie  ordinaire- 
ment invisibles  au  public.  Voici  ceux  qui  nous  ont  paru  le 
plus  intéressants  :  Bras  de  saint  Georges,  soutenu  par  un 
motif  d'architecture  (1388).  Il  a  été  refait  partiellement  en 
1499  par  maître  Zeniignan  de  Bozon  et  maître  Francesco.  — 
Bras  de  saint  Maurelio  en  argent  doré  et  émaillé ,  œuvre  de 

\\)  Cette  inscription  a  été  reproduite  par  Fnizzi  dans  ses  Meinorie per  la  storin 
(UFcnara,  t.  II,  p.  28.3. 

2^  Fiiizzi,  Minnorie  per  la  stoiiu  di  Fenaia,  t.  II,  p.  281-283.  —  L.-N.  Cn- 
TADELLA,  Sotizie  relative  a  Ferrara,  t.  I,  p.  55-56. 

(3)  Voyez  l  intéressante  étude  que  leur  a  consacrée  Mj;r  Giuseppe  AntoncUi. 
Nous  les  examinerons  en  parlant  de  la  Miiiialurc  a  Ferrare  ^liv.  IV,  cli.  il). 


LIVllE   DEUXIEME.  303 

maître  Simone  di  Giaconio  di  Alemagna.  Il  coûta  trois  cent 
cinquante-six  Lue  et  quatre  soldi.  Commencé  en  1455,  il  fut 
achevé  le  7  février  14-56.  C'est  Vincenzo  de'  Lardi,  massier  de 
la  fabrique,  qui  le  commanda.  —  Coffre  en  argent  doré,  ser- 
vant à  garder  l'hostie  consacrée.  Le  pied,  ciselé  et  garni  de 
pierres  précieuses,  est  orné  de  quelques  petites  têtes  émail- 
lées.  Les  statuettes  du  Christ,  de  la  Vierge  et  de  saint  Jean 
complètent  la  décoration  de  ce  coffret.  —  Croix  en  cristal  sur 
un  pied  doré.  Elle  fut  exécutée  entre  1432  et  1437  par  maître 
Cabrino  de  Crémone,  qui  travaillait  à  Ferrare.  —  Bustes 
d'apôtres.  —  San  Giovanni,  archevêque  de  Ravennc,  belle  et 
ascétique  figure.  —  Reliquaire  en  ivoire  ayant  la  forme  d'un 
coffret  et  orné  de  figures.  —  Reliquaires  en  argent  et  en  cristal 
avec  des  pierres  précieuses,  des  nielles,  des  émaux.  —  Bustes 
de  saint  Georges  et  de  saint  IMaurelio.  —  Paix  exécutée  au 
seizième  siècle. 

Au  nombre  des  richesses  de  la  cathédrale  figurent  également 
huit  rjrandes  tapisseries  dont,  chaque  année,  on  décore  les  côtés 
de  la  grande  nef  depuis  le  24  avril  jusqu'au  7  mai,  entre  les 
deux  fêtes  de  saint  Georges  et  de  saint  Maurelio.  Le  Chapitre 
les  commanda  le  15  octobre  1550  au  Flamand  Giovanni  Kar- 
cher ,  établi  à  Ferrare  (1).  Elles  furent  terminées  en  1553. 
Nous  en  reparlerons  avec  détail  en  nous  occupant  de  Garofalo 
et  en  traitant  de  la  tapisserie  (2). 

A  la  cathédrale  se  rattachent  des  souvenirs  multiples.  Com- 
bien d'imposantes  cérémonies  y  ont  eu  lieu  pour  célébrer  les 
mariages  et  les  funérailles  des  princes  et  des  grands  person- 
nages de  Ferrare,  pour  fêter  l'avènement  de  chaque  souve- 
rain, pour  faire  honneur  aux  rois,  aux  empereurs,  aux  papes 
venus   dans   la  ville!   En   1177,  Alexandre  111,  avant   de  se 

1^1)  Avant  l'époque  trilei('ulc  II,  la  talliûdrale  s'ôtail  à  plusieurs  reprises 
procuré  des  tapisseries.  En  1466,  un  évètjue  de  Ferrare  s'était  adressé  à  Juhaniu-s 
de  Francia  pour  avoir  des  dosscrets.  Un  autre  évccpic,  en  1494,  avait  acheté  à 
Venise  quatre  pièces  représentant  des  verdures. 

(2)  Gliaque  pièce,  avec  la  hordure,  mesure  44  Ijrasses  54.  D'après  les  calculs 
de  L.-N.  Gittadella,  l'ensein'jle  coûta  962  ccus  42,  somme  équivalant  à 
5,12;)  fr.  074.  [Sotizie  relcttlue  a  Ferrani,  t.  II,  p.  165,  note  2.) 


304  L'Al'.T    FEUllAUAIS. 

rendre  à  Venise  où  il  allait  traiter  avec  Frédéric  Barberousse 
vaincu  par  la  ligue  lombarde,  consacra  le  maître-autel  de  la 
cathédrale.  Grégoire  YIII  y  fut  donné  comme  successeur  à 
Urbain  III  en  1187  par  vingt-six  cardinaux  et  y  fut  consa- 
cré (1).  Innocent  IV  y  prêcha  en  revenant  du  concile  de 
Lyon  (1251).  On  y  ouvrit  le  concile  œcuménique  convoqué 
par  Eugène  IV  (1438)  et  transporté  bientôt  à  Florence  (2). 
Enfin,  Pie  II,  Paul  III,  Clément  VIII,  Pie  VI  et  Pie  IX  y  ont 
célébré  la  messe.  Pendant  le  séjour  que  Clément  VIII  fit  à 
Ferrare,  on  y  admira  des  tapisseries  que  le  Pape  avait  appor- 
tées de  Rome  :  elles  avaient  été  exécutées  d'après  les  cartons 
de  Raphaël  et  représentaient  des  traits  de  la  vie  de  saint  Pierre 
et  de  saint  Paul. 

De  curieux  spectacles  y  furent  organisés  jadis,  notamment 
en  1503.  On  représenta  la  Crèche  avec  les  Mages  (6  janvier), 
et  l'Annonciation  (25  mars).  Le  dimanche  des  Rameaux,  le 
spectacle  fut  plus  solennel  encore  :  au-dessus  des  maisons 
disposées  devant  le  maître-autel,  le  ciel  s'ouvrit  tout  à  coup, 
et  les  musiciens  d'Hercule  F",  déguisés  en  anges,  figurèrent 
les  concerts  du  paradis,  en  présence  du  duc  et  de  nombreux 
gentilshommes.  Cette  représentation  coûta  quinze  cents  ducats. 
Enfin,  le  vendredi  saint,  toute  la  cour  assista  à  la  Passion  :  un 
ange,  descendant  du  ciel,  s'abaissa  vers  Jésus  pour  lui  présen- 
ter le  calice  dans  le  jardin  des  Oliviers,  et  l'on  vit  sortir  des 
limbes,  en  célébrant  les  louanges  de  Dieu,  les  habitants  de  ce 
séjour,  qui  n'étaient  autres  que  les  chanteurs  du  prince  (3). 

Ce  goût  pour  tout  ce  qui  frappe   les  yeux  se  manifestait 


(1)  Grégoire  VIII  (All3erto  ili  Mora,  de  Béncvent)  mourut  à  Pise  le  17  décem- 
bre 1187,  au  moment  où  il  cherchait  à  réconcilier  cette  ville  avec  Gènes,  atin  de 
tourner  les  forces  de  ces  deux  républiques  contre  les  musulmans,  devenus  réceui- 
iiient  maîtres  de  Jérusalem.  Il  fut  enseveli  dans  la  cathédrale  de  Pise.  (Gregorci- 
vics,  Geschichte  der  Stadt  Rom,  t.  IV,  p.  573,  et  Les  tombeaux  des  Papes^  p.  110. 

(2)  Les  séances  furent  inaugurées  par  un  discours  du  célèbre  Bessarion. 

(3)  Les  simples  particuliers  organisaient  chez  eux  des  représentations  du  même 
genre.  Ainsi,  en  1510,  on  prépara  pendant  la  semaine  sainte,  dans  le  palais 
donné  par  Hercule  I"  à  Giulio  Tassoni  (aujourd'hui  palais  Pareschi\  «  un  appa- 
reil en  forme  de  sépulcre  où  fut  mise  la  croix  du  Christ  »  .  —  L.->i.  Gittadei.la, 
j\otizic  teliitive  a  Fcririni,  t.  I,  p.  378. 


LIVRE   DEUXIEME.  305 

jusque  dans  certaines  processions,  où  les  hommes  et  les  femmes 
s'accoutraient  de  façon  à  figurer  non  seulement  les  anges  et 
les  saints,  mais  la  Vierge  et  Dieu  même,  sans  compter  les 
démons.  A  l'année  1  440,  les  livres  de  la  sacristie  mentionnent 
les  dépenses  faites  pour  préparer  des  ailes.  Il  est  probable 
qu'à  Ferrare,  dans  la  ville  habitée  par  le  duc,  on  ne  sera  pas 
resté  au-dessous  de  Modène,  ville  appartenant  aussi  au  duc  de 
Ferrare.  Or,  le  chroniqueur  Lancellotti  raconte  qu'en  1500  on 
fit  à  Modène,  pendant  neuf  jours,  des  processions  pour  préve- 
nir la  descente  des  Turcs  en  Italie,  et  que  ces  processions 
comprenaient  des  prophètes,  des  anges.  Dieu  le  Père,  trois  ânes 
chargés  de  vivres,  un  géant,  un  ours,  les  Mages,  la  Vierge  et 
l'Enfant  Jésus,  deux  diables,  les  Vertus,  l'Envie  traînée  par  un 
démon,  des  démons  enchaînés  et  traînés  par  saint  Bernard  et 
par  saint  Paul,  un  Christ  mort,  les  apôtres,  des  moines,  des  reli- 
gieuses, saint  Dominique,  saint  François,  saint  Sébastien,  saint 
Michel,  Jésus-Christ,  la  Vierge  morte  au  milieu  des  apôtres  (I). 
Dans  les  temps  anciens,  avant  que  la  cathédrale  possédât  les 
huit  grandes  tapisseries  dont  elle  est  fière,  on  se  servait,  pour 
décorer  la  nef  dans  les  occasions  solennelles,  de  fleurs  et  de 
feuillages  disposés  en  guirlandes  {"2).  Le  jour  de  la  fête  de 
saint  Georges  et  à  Pâques,  on  avait  recours  à  ce  genre  d'orne- 
mentation combiné  avec  des  toiles  sur  lesquelles  étaient  peints 
des  sujets  empruntés  à  l'Écriture  sainte.  Michèle  Ongaro  fut  un 
des  artistes  qui  consacrèrent  leurs  pinceaux  à  des  peintures 
de  ce  genre  (1453,  1459).  Lorsque  Ludovic  le  More,  marié  à 
Béatrix  d'Esté,  vint  à  Ferrare  en  1193  et  qu'il  entra  dans  la 
cathédrale,  deux  petits  enfants,  transformés  en  anges  et  placés 
sur  une  architrave,  répandirent  aux  pieds  du  duc  de  Milan  et 
des  personnages  qui  l'accompagnaient  une  pluie  de  roses,  de 
thym  et  d'autres  plantes  odoriférantes.  Parmi  les  objets 
rehaussant  d'ordinaire  l'éclat  des  grandes  cérémonies,  se  trou- 
vait un  grand  tapis  en  poils  de  chameau  fait  à   Erzeroum. 

(1}   L.-i\.  CiTTADELLA,  Notizie  relative  a  Ferrara,  t.  T,  p.  377. 
(2)  C'est  au   bord   de   la   mer,  peut-être  à  Mesola,  qu'on    allait    couper  des 
l)ranches  de  chêne  vert. 

I-  20 


306  L'AllT    FEUUAIIAIS. 

Ouaut  aux  vèteinents  sacrés,  ils  étaient  couverts  de  broderies 
et  de  pierres  précieuses  ;  parfois  même  on  y  voyait  des  figures 
de  saints.  Le  peintre  Antonio  da  Venezia  et  le  sculpteur  Gio- 
vanni Baroncelli  livrèrent  des  dessins  pour  la  chape  portée  par 
l'évéque  quand  l'empereur  Frédéric  III  conféra  la  dignité 
ducale  à  Borso  :  sur  cette  chape  brillaient  mille  cinquante 
perles  (1). 


ÉGLISE  DE   SAINT-ANTOINE,  aljbé  in  Polesine. 

Cette  église  fut  fondée  par  la  Bienheureuse  Béatrice  II 
d'Esté  (2). 

Fille  aînée  d'Azzo  Novello  et  de  Giovanna,  première  femme 
de  celui-ci,  Béatrice  naquit  probablement  entre  1222  et  1231, 
non  à  Ferrare  où  dominait  alors  Salinguerra  II,  rival  d'Azzo 
Novello,  mais  dans  les  États  héréditaires  de  la  maison  d'Esté. 
C'est  cependant  à  Ferrare  qu'elle  passa  presque  toute  sa  vie 
et  qu'elle  mourut.  On  ne  sait  pas  ce  qui  la  détermina  à  em- 
brasser la  vie  religieuse.  Peut-être  y  fut-elle  poussée  par 
l'exemple  de  sa  tante  Béatrice  de  Gemola.  Peut-être  sa  réso- 
lution eut-elle  pour  cause  le  chagrin  qu'elle  éprouva,  dit-on, 
en  apprenant  que  Galasso  Manfredi,  au  moment  où  elle  allait 
l'épouser,  avait  été  tué  dans  une  escarmouche.  Ce  fut  le 
2G  juin  1251  que,  en  présence  de  l'évéque  de  Ferrare  et  des 
personnages  les  plus  marquants  de  la  société  civile  et  ecclé- 
siastique, elle  entra  en  religion.  Elle  reçut  alors  de  l'évéque  et 

(1)  On  peul  lire,  dans  les  Notizie  relative  a  Ferra/a  de  L.-ÏN.  Gittadella  ^t.  I, 
p.  73-77,  et  t.  II,  |).  i56-158\  les  noms  de  plusieurs  lirodeurs  du  quinzième  et 
du  seizième  siècle.  Parmi  ces  Ijroden.rs,  il  y  en  a  de  Crémone,  de  Milan,  de  Man- 
touc.  —  Voyez  aussi  A.  Vkntit.i,  /  prliiuirdi  ciel  rinasciniento  ariistico  a  Fcr- 
rnrn,  p.  36-37;  Vente  n  Feirara  nel  periodo  di  Borso  d'E.ite,  p.  744-745;  Rcla- 
zioni  artistiche  tra  le  corti  di  Milano  e  Ferraia  nel  secolo  XV,  p.  252. 

(2)  Il  y  eut  dans  la  famille  d'Esté  deux  Béatrice  qui  furent  proclamées  Bien- 
heureuses. La  première,  tille  d' Vzzolino  et  de  Sofia,  naquit  vers  1191  et  mourut  le 
10  mai  1226,  après  avoir  fondé  sur  le  territoiie  de  Padone  le  monastère  de  Saini- 
.Tean-I5aptiste  di  Monte  di  Gemola,  qui  fut  plus  tard  transféré  à  Badoue.  (Frizzi, 
Mon.  per  In  storia  di  Fcrniru,  t.    III,  p.  71.) 


LIVRE   DEUXIEME.  307 

des  chanoines  l'église  de  San  Stefano  délia  Rotta,  située  à  Fuo- 
comorto  dans  le  voisinage  de  Ferrare,  avec  les  terres  qui  en 
dépendaient,  sous  la  condition  de  donner  chaque  année  à  la 
cathédrale  une  livre  de  la  meilleure  cire  le  jour  de  saint 
Georges.  A  Medelana  de  Padoue,  la  seule  compagne  qu'elle 
eut  d'abord,  s'adjoignirent  bientôt  d'autres  Sœurs.  Dès  1256, 
les  religieuses  étaient  assez  nombreuses  pour  se  trouver  à 
l'étroit  dans  l'habitation  qu'elles  occupaient  auprès  de  San 
Stefano  délia  Rotta  :  elles  achetèrent  aux  ermites  de  Saint- 
Augustin,  auxquels  on  accorda  l'église  de  Saint- André  comme 
compensation,  l'église  de  Saint-Antoine,  située  dans  l'île  ou 
Polésine  de  Saint-Antoine  (1).  Béatrice  fit  commencer  aussitôt 
par  l'architecte  maest7-o  Tigrùio  la  construction  d'un  couvent, 
qui  n'était  pas  encore  terminé  en  1268,  car  un  bref  de  Clé- 
ment IV,  sur  lequel  on  lit  cette  date,  autorise  à  démolir  les 
bâtiments  attenant  à  San  Stefano  délia  Rotta  et  à  en  utiliser 
les  débris  dans  le  nouvel  édifice.  La  fille  d'Azzo  Novello  ne  le 
vit  pas  achevé.  Elle  mourut  vers  1262  dans  une  installation 
provisoire.  A  la  suite  d'un  échange  de  lettres  avec  Alexan- 
dre IV,  elle  avait  adopté  la  règle  de  Saint-Benoît  (1257).  Si 
elle  employa  plus  d'une  fois  son  crédit  au  profit  du  monastère 
dont  elle  fut  la  fondatrice,  elle  ne  voulut  jamais  accepter  le 
titre  d'abbesse,  tant  son  humilité  était  profonde.  Regardée 
comme  une  sainte,  elle  fut  peu  après  sa  mort  honorée  d'un 
culte  qu'approuva  en  1774  un  décret  de  la  congrégation  des 
rites,  et  on  lui  attribua  d'éclatants  miracles.  Sa  fête  se  célèbre 
le  19  janvier  (2). 


(1)  La  branche  du  Pô  où  se  trouvait  cette  île  fut  coiiipiisc  plus  tard  dans  la 
ville.  De  Itonne  heure,  rette  hrani-hc  fut  envahie  par  le  limon  du  fleuve;  on  dut 
en  creuser  le  lit  en  1324,  mais  sous  îNicolas  III  elle  était  de  nouveau  ohstruée  et 
l'on  y  marchait  à  pied  sec;  elle  prit  alois  le  nom  de  rue  délia  Ghiaia,  et  en  i'*Oi 
on  commença  à  élever  des  constructions  sur  ses  bords.  En  1451,  l'ile  fut  annexée 
à  la  ville  et  ceinte  de  nmrailles  du  côté  méridional,  travail  confié  à  Pietrobacno 
Brasavola,  puis  à  Benvcnuto  dagli  Orclini  et  à  Cristnforo  ilclla  Caritulorci . 
(Fnizzi,  Mem.  per  la  storia  di  Ferrara,  t.  IV,  p.  10.  ) 

(2)  Frizzi,  Mem.  per  la  storia  di  Ferrara,  t.  III,  p.  108-185.  —  L'aiihé 
Girolamo  Baruffaldi  (arrière-neveu  de  l'archiprètre  Girolamo  iJaruffaldi),  Vitit 
ddia  B.  Béatrice  II  d'Esté.  Ferrara,  1777. 


308  L'AllT    FERRARAIS. 

Au  monastère  annexé  à  l'église  de  Saint-Antoine  se  rattache 
le  souvenir  de  plusieurs  papes.  Jean  XXIII  y  séjourna  en 
1414.  Quand  Eugène  IV,  en  1438,  se  rendit  à  Ferrare  pour 
assister  au  concile  qu'il  y  avait  convoqué,  il  s'arrêta  trois 
jours  dans  le  même  couvent,  situé  à  cette  époque  en  dehors  de 
la  ville,  avant  de  faire  son  entrée  solennelle  à  travers  les  rues  de 
la  capitale.  Pie  II,  en  1459,  fut  également  l'hôte  des  religieuses. 

Le  fond  de  l'église  est  divisé  en  trois  chapelles  séparées 
par  des  pilastres  sur  lesquels  sont  peints  à  fresque  saint  Pla- 
cide et  saint  Benoît. 

Dans  une  chapelle  à  droite  du  chœur  se  trouve  une  fresque 
due  à  Antonio  Alherti.  Elle  représente  en  demi-figure  la  Vierge 
allaitant  l'Enfant  Jésus  et  ayant  à  ses  côtés  saint  Benoît  et 
saint  Sébastien,  un  troisième  saint  et  un  ange  avec  des  ba- 
lances. La  date  est  attestée  par  l'inscription  suivante  :  "  Hoc 
opiis  fecit  fieri  soror  Agnetis  de  Foutana,  MCCCCXXXiii.  » 

Dans  le  chœur,  dont  le  plafond  est  orné  d'arabesques  rap- 
pelant celles  des  Loges  Vaticanes,  on  voit  à  gauche  des  pein- 
tures du  quinzième  siècle,  dont  il  est  difficile  de  préciser 
l'auteur;  sur  la  muraille,  on  lit  cette  inscription  :  «  Hoc  opus 
fecit  Jieri  soror  snnctis  Fontana,  .  ..CCCCXXXii.  » 

Les  fresques  très  intéressantes  qui  décorent  la  chapelle  à  la 
gauche  du  chœur  représentent  divers  actes  de  saint  Benoit  et 
plusieurs  faits  concernant  le  monastère.  Elles  sont  assez  bien 
conservées;  quelques  parties,  cependant,  ont  été  fort  endom- 
magées par  l'établissement,  le  long  d'une  des  murailles,  d'un 
escalier  qui  conduit  au  couvent.  En  considérant  les  particula- 
rités de  stvle,  la  finesse  du  travail  et  le  fondu  des  couleurs,  on 
serait  tenté  d'attribuer  ces  peintures  à  Domenico  Panetti;  mais 
les  contours  très  arrêtés  des  têtes  et  les  auréoles  d'or  en  relief 
avec  des  cannelures  paraissent  indiquer  une  origine  plus  an- 
cienne. Telle  est  l'appréciation  de  L.-N.  Cittadella.  Nous  nous 
bornons  à  l'énoncer  sans  émettre  une  opinion  personnelle,  car 
nous  n'avons  pu  pénétrer  dans  l'église  de  Saint-Antoine,  rigou- 
reusement fermée  aux  visiteurs  qui  ne  se  présentent  point 
avec  une  autorisation  de  l'archevêque. 


LIVRE   DEUXIEME.  309 

Le  chœur  ne  possède  pas  que  des  peintures  ;  on  y  remarque 
aussi  soixante-huit  stalles  du  quinzième  siècle  que  l'on  pour- 
rait attribuer  sans  invraisemblance  à  Pietro  dalle  Lanze.  Sur 
quelques-uns  des  dossiers  on  distingue  des  traces  de  marquete- 
ries analogues  à  celles  que  présente  le  chœur  de  la  cathé- 
drale (1). 

Un  Mortorio,  ou  Mise  au  tombeau,  qui  se  trouvait  jadis  dans 
la  cathédrale,  fait  aussi  partie  des  œuvres  d'art  qui  sont  à  signa- 
ler dans  l'église  de  Saint-Antoine.  Les  figures  en  terre  cuite 
dont  se  compose  ce  Mortorio  furent  exécutées  ,par  le  Ferrarai? 
Lodovico  Castellajii,  sculpteur  appartenant  à  la  seconde  moitié 
du  quinzième  siècle  (2). 

Il  faut  noter  également  un  crucifix  en  bois,  très  bien  conservé, 
quoique  noirci  par  le  temps,  qui  fait  penser  à  la  manière  de 
Nicole  Baroncelli.  Ce  crucifix,  placé  sur  une  architrave  en  bois 
qu'un  artiste  appartenant  à  l'école  de  Dosso  a  décorée  d'ara- 
besques, indique  chez  l'auteur  l'étude  sérieuse  de  l'anatomie 
et  d'heureux  efforts  pour  traduire  le  sentiment  religieux  (3). 

A  l'église  de  Saint-Antoine  appartenaient  jadis  de  magni- 
fiques orgues  avec  des  boiseries  sculptées  rappelant  le  cadre 
du  grand  tableau  de  Dosso  dans  la  Pinacothèque,  cadre  exé- 
cuté d'après  le  dessin  de  Dosso  lui-même.  Ces  orgues,  faites 
par  le  Ferrarais  Giovanni  de  Cipro  en  1531,  furent  vendues  à 
la  confrérie  del  Suffragio,  et  c'est  dans  l'église  del  Suffragio 
qu'on  les  voit  encore  aujourd'hui  (4). 

A  l'intérieur  du  couvent,  on  remarque  une  grande  salle 
ornée  de  peintures  par  l'artiste  inconnu,  imitateur  assez  faible 
de  CosimoTura,  auquel  sont  dus  en  grande  partie  les  compar- 
timents de  juin  et  de  juillet  au  palais  de  Schifanoia.  Dans  la 
frise,  on  voit  des  médaillons  de  saints  et  de  saintes  entourés  de 
festons,  tandis  que  le  plafond  nous  montre,  ici  sainte  Scholas- 
tique  abritant  sous  son  manteau  les  religieuses  de  son  Ordre, 

(1)  Voyez  le  ch.  ii  du  livre  III. 

(2)  Voyez  le  cli.  i  du  livre  III. 

(3)  G.  ScuTELLARi,  Il  covo  délia  chiesa  di  S.  Antonif  in  l'olcsine,  dans  V Arte 
e  storia  du  10  mars  1889. 

(4)  Arte  e  storia  du  30  avril  1889,  p.  93. 


310  T/AUT    FERUARAIS. 

là  Dieu  le  Père  et  la  Vierge  sur  un  trône  avec  l'Enfant  Jésus  (1). 

Dans  la  chambre  dite  caméra  délie  Ova,  le  même  peintre  a 
représenté  encore  au  plafond  Dieu  le  Père  avec  de  grands 
yeux  écarquillés  (2), 

Enfin,  dans  le  dortoir  du  couvent,  on  voit  des  demi-figures  de 
saints  qui  se  mêlent  aux  ornements  d'une  frise.  Ces  peintures 
semblent  avoir  pour  auteur  Tommaso  da  Carpi,  père  de  Giro- 
lamo  :  elles  ne  sont  pas  sans  analogie  avec  les  demi-figures 
qui  décorent  les  petites  nefs  dans  l'église  de  Saint-François. 


ÉGLISE     DE    SAN    ROMANO    (3). 

Cette  église,  située  en  face  du  côté  droit  de  la  cathédrale 
et  maintenant  fermée,  existait  avant  997,  mais  elle  a  été 
bien  des  fois  modifiée  (4).  Sa  physionomie  actuelle,  malgré 
quelques  altérations,  rappelle  par  sa  simplicité  les  premiers 
temps  de  la  Renaissance.  A  l'église  est  annexé  un  cloître  dont 
les  arcades  en  plein  cintre  sont  soutenues  par  des  colonnes 
basses  et  irrégulières;  dans  les  chapiteaux,  on  reconnaît  le 
style  lombard  ;  quelques-uns  d'entre  eux  sont  bizarrement 
sculptés.  Les  pierres  des  arcades  sont  taillées  avec  tant  de  jus- 
tesse qu'elles  se  joignent  sans  ciment. 

ÉGLISE    DE    SAINT-ANDRÉ. 


La  façade  de  cette  église  est  gothique  et  date  de  1438.  A 
l'intérieur,  c'est  le  style  de  la  Renaissance  qui  a  été  adopté.  Un 

(1)  Ad.  Venti-ri,  Varie  ferraiese  nel  pciiodo  d'Eicole  I  d'Esté,  p.  70. 

(2)  Ibid. 

(3)  Baruffaldi,  Vite,  etc.,  t.  I,  p.  2.  —  Bl'rckuardt,  Der  Cicérone,  t.  I, 
p.  207  k. 

(4)  Elle  a  été  transformée  en  magasin  de  ferraille.  Le  propriétaire,  M.  Vincenzo 
Brandi,  entreprend  de  rendre  à  l'existence  des  fresques  dont  on  a  découvert  les 
traces.  (Aite  e  storia  du  30  avril  1894,  n"  8.) 


LIVIIE   DEUXIEME.  311 

toit  plat  a])rite  la  nef  principale,  dont  les  arcades  grandioses 
sont  soutenues  par  des  piliers.  Dans  les  nefs  latérales,  on 
remarque  des  voûtes  d'arête. 

L'église  de  Saint-André  n'est  plus  à  présent  qu'un  magasin 
rempli  de  fourgons  et  de  canons;  on  n'y  peut  pénétrer  qu'avec 
une  permission  des  autorités  militaires.  Quant  au  monastère, 
il  a  été  démoli. 

Si  l'église  de  Saint-André  a  été  dépouillée  de  ses  importants 
tableaux  au  profit  de  la  Pinacothèque,  elle  conserve  encore 
quelques  restes  de  son  ornementation  d'autrefois.  On  y  voit 
toujours,  en  fort  mauvais  état,  il  est  vrai,  des  stalles  ornées  de 
marqueteries,  des  fresques  délabrées  dont  un  imitateur  de 
Giotto  décora  les  deux  chapelles  à  gauche  du  chœur,  et  d'au- 
tres fresques,  réellement  intéressantes,  quoique  très  dété- 
riorées, qu'un  artiste  appartenant  à  la  fin  du  quatorzième 
siècle  ou  à  la  première  moitié  du  quinzième  a  exécutées  sur 
la  muraille  d'entrée  qui  fait  face  à  la  petite  nef  et  à  la  nef 
principale.  On  distingue  dans  ces  dernières  peintures  non 
seulement  des  saints  et  des  prophètes,  mais  des  philosophes  et 
des  figures  allégoriques  dont  la  signification  n'est  pas  facile  à 
démêler.  Ici,  une  belle  jeune  femme  joue  du  luth  :  elle  est 
assise,  se  penche  et  regarde  en  l'air,  dans  une  attitude  très 
originale.  Là,  un  ange  aux  ailes  déployées,  vêtu  d  une  robe 
rouge,  avec  un  manteau  jaune  sur  ses  genoux,  nous  montre 
un  papier;  ses  traits  sont  nobles  et  purs,  et  sa  phvsionomie  a 
de  la  vivacité.  Ailleurs  apparaît  un  moine  assis,  portant  par- 
dessus son  costume  noir  une  chape  vert  et  jaune,  ornée  de 
dessins;  une  espèce  de  bonnet  d'évêque  est  posé  sur  sa  tête. 
Saint  Christophe  et  saint  Sébastien  attirent  aussi  l'attention. 
Ils  sont  d'une  époque  plus  avancée;  le  coloris  y  a  moins  de 
charme  et  plus  de  puissance.  L.-N.  Cittadella  incline  à  croire 
que  Cosimo  Tura  ou  quelqu'un  de  ses  élèves  en  est  peut-être 
l'auteur  (1). 

D'après  une  tradition  dont  rien  ne  permet  de  vérifier  l'exac- 

(1)    Guida  di  Feriara,  p.  80. 


312  L'ART    FERRARAIS. 

titiule,  Giotto  et  Piero  délia  Francesca  auraient  travaillé  dans 
ré{]lise  de  Saint-André. 


ÉGLISE    DE    SANTA    MARIA    IN    VADO   (1), 


Cette  vaste  église,  dont  la  façade  renouvelée  a  perdu  sa 
physionomie  primitive  (2),  est,  à  l'intérieur,  une  des  plus 
belles  de  Ferrare  (3).  Le  célèbre  peintre  Ercole  Grandi,  fils  de 
Giulio  Cesare,  en  livra  les  plans,  que  mirent  à  exécution,  à 
partir  du  mois  d'octobre  1495,  Biagio  Rossetti  comme  «  ingé- 
nieur-directeur » ,  et  Bartolomvieo  Tt^istano  comme  archi- 
tecte (4),  tandis  que  le  travail  des  marbres  [lavori  di  marmo 
all'antica)  était  confié  k  Antonio  Campi,  fils  de  Gregorio  Campi. 
Elle  doit  son  nom  à  un  gué  du  Pô  (vado),  près  duquel  s'élevait 
une  petite  église  (5)  qu'elle  a  remplacée.  Sa  forme  est  celle 
d'une  croix  latine.  Des  colonnes  de  marbre  reposant  sur  des 
piédestaux  soutiennent  des  arcades  élégantes  et  hardies. 

B on o ni  [né  en  1569,  mort  en  1632)  a  prodigué  ses  banales 


(1)  L.-'S.  CiTTADELLA,  Notizic  relative  a  Ferrara,  t.  I,  p.  30;  t.  II,  p.  340,  et 
Guida  pel  forestière  in  Ferrara,  1873,  p.  88.  —  Burckhardt,  Der  Cicérone,  t.I, 
p.  208  e.  —  Frizzi,  Memorie  per  la  storia  di  Ferrara,  t.  II,  p.  250,  et  t.  IV, 
p.  i77. 

(2)  La  porte  principale,  avec  les  marbres  ornementés  qui  l'encadrent,  fut  faite 
en  1556  aux  frais  des  héritiers  du  comte  Alfonsino  Trotti.  (L.-N.  Cittadella, 
Notizic  relative  a  Ferrara,  t.  I,  p.  30.) 

(3)  C'est  à  l'Annonciation  qu'elle  fut  consacrée. 

(4)  Dans  le  contrat  passé  en  1494  entre  les  chanoines  réguliers  de  Saint- 
Augustin  et  Biagio  Rossetti,  «  olim  Muradore  et  al  présente  Inzigniero  de  lo  III. 
N.  S.  "  ,  il  fut  stipulé  que  Rossetti  se  chargerait  de  solder  toutes  les  dépenses  et 
r|u'il  serait  assisté  pour  la  construction  par  Bartolomeo  Tristano.  (G.  Campori, 
Gli  arcliitctti  e  gl'  ingegneri  civili  c  militari  degli  Estensi  dal  secolo  XIII  al 
XVI,  p.  46.)  Bartolomeo  Tristano  acheva  Santa  Maria  in  Vado  après  la  mort  de 
Biagio  Rossetti,  arrivée  en  1516. 

(5)  Cette  petite  église  servit  à  l'origine  de  succursale  à  Saint-Georges  au  delà  du 
Pô,  quand  Saint-Georges  était  la  cathédrale  de  Ferrare.  Elle  jouissait,  avec  la 
cathédrale,  du  privilège  exclusif  d'avoir  un  baptistère,  et  tous  ceux  qui  y  rece- 
vaient le  baptême  passaient  pour  être  à  tout  jamais  préservés  de  l'épilepsie. 
(Frizzi,  Mem.  per  la  storia  di  Ferrara,  t.  II,  p.  249.) 


LIVRE   DEUXIÈME.  313 

peintures  dans  l'église   de  Santa  Maria  in  Vado.   Nous  nous 
bornerons  à  les  indiquer  sans  les  décrire  en  détail. 

Au  milieu  de  la  voûte,  les  élus  forment  un  cercle  autour  de 
la  Trinité,  figurée  par  trois  globes  de  lumière  distincts,  qui  ne 
forment  cependant  qu'un  seul  corps  lumineux  (1).  Un  peu 
plus  loin,  toujours  au  plafond,  la  Visitation  indique  chez  l'au- 
teur l'entente  de  la  perspective.  Parmi  les  quatorze  demi- 
figures  de  saints  peintes  entre  les  arcades  de  la  grande  nef  (2), 
il  faut  remarquer,  à  droite,  celles  du  pape  Gélase  et  du  car- 
dinal San  Guarino  :  le  premier  n'est  autre  que  l'abbé  du  monas- 
tère, Gregorio  Fanti,  qui  commanda  à  Bononi  toutes  les 
peintures  de  Santa  Maria  in  Yado,  et  le  second  nous  apparaît 
sous  les  traits  de  Battista  Guarino,  auteur  du  Pastor  Jido.  Au 
plafond  de  la  nef  transversale,  trois  tableaux  représentent  le 
prêtre  incrédule  entre  les  mains  duquel  le  sang  jaillit  d  une 
hostie  en  1171,  l'archevêque  de  Ravenne  accordant  à  ce 
prêtre  l'absolution,  le  Père  Éternel  et  Jésus-Christ  couronnant 
la  sainte  Vierge.  Dans  la  fresque  de  l'abside,  les  prophètes  et 
les  patriarches  adorent  le  nom  de  Dieu  écrit  en  lettres  hé- 
braïques (3) .  Le  Repos  en  Egypte  et  Jésus  discutant  avec  les  doc- 
teurs garnissent  l'espace  compris  entre  les  fenêtres  du  chœur  (4). 
Aux  murailles  du  chœur  sont  suspendus  deux  tableaux  où  Ion 
voit  les  Noces  de  Cana  et  un  Mariage  de  la  Vierge  qui  fut  ter- 
miné par  Alfonso  Rivarola,  ditle  Chenda,  élève  de  Bononi(5), 
Enfin,  dans  la  sacristie,  saint  Augustin  contemple  l'enfant  qui 
essaye  de  vider  la  mer  en  versant  dans  un  creux  l'eau  qu'il 
puise  à  l'aide  d'un  coquillage.  On  rapporte  que  le  Guerchin  ne 
manquait  pas,  toutes  les  fois  qu'il  venait  à  Ferrare,  de  visiter 
l'église  de  Santa  Maria  in  Yado,  afin  d'y  contempler  pendant 
des  heures  entières  les  peintures  de  Bononi,  qui  provoquaient 
en  lui  un  entliousiasme  toujours  nouveau. 

(1)  Karuffaldi,  t.  II,  p.  141. 

(2)  Elles  ont  été  restaurées  ou  nièiue  repeintes. 

(3)  Baruffai.di,  t.  II,  p.  139.  —  Selon  L.-N.  Cittadella,  c'est  la  nieilleure 
œuvre  de  Bononi.  [Guida  pel  forestière  in  Ferrnra,  p.  91.) 

(4)  Baruffaldi,  t.  II,  p.  140. 

(5)  Frizzi,  t.  V,  p.  440-441. 


314  I,'Ar.T    FEIUIAUAIS. 

Dans  une  chapelle  conti^^uë  au  chœur,  un  tableau  de  Sebas- 
tiano  Filï/jpi,  dit  le  Baslianino ,  représente  saint  Jean  conférant 
le  baptême. 

Au  bout  du  bras  droit  de  la  croix,  la  chapelle  du  Sang  tnira- 
ciileux  mérite  une  mention  spéciale.  Sa  voûte  en  forme 
d'abside  est  celle  que  possédait,  dans  l'ancienne  église,  la 
principale  chapelle,  située,  dit-on,  à  l'endroit  où  se  trouve  à 
présent  le  quatrième  autel  de  la  nef  de  droite.  En  1171,  elle 
s'imprégna  du  sang  qui  jaillit  d'une  hostie  entre  les  mains  du 
prieur  Pietro,  pris  de  doute  sur  le  mystère  eucharistique  (1). 
Amato,  évéque  de  Ferrare,  et  Gherardo,  archevêque  de  Ra- 
venne,  constatèrent  le  miracle,  et  dès  lors  les  fidèles  ne  cessè- 
rent de  vénérer  les  parois  qui  en  gardaient  la  trace.  En  1  40  4, 
le  cardinal  Giovanni  Migliorato,  neveu  d'Innocent  VII  et  ar- 
chevêque de  Ravenne,  encouragea  ces  pratiques  en  accordant 
des  indulgences  à  quiconque  visiterait  pendant  certaines  so- 
lennités l'église  de  Santa  Maria  in  Vado.  Sous  le  règne  d'Her- 
cule I",  en  1504,  l'ingénieur  ducal  Pi'e^ro  7?e/ifeuî<z/ transporta 
l'abside  à  la  place  qu'elle  occupe  aujourd'hui  dans  la  chapelle 
que  l'on  construisait  aux  frais  d'Armanno  de'  Nobili.  Enfin, 
en  159-4,  par  ordre  d'Alphonse  I",  l'architecte  ferrarais 
Alessandro  Balbi  [1]  fit  un  élégant /;?-o?mo5  en  marbre,  surmonté 
d'une  loggia,  à  laquelle  conduisent  deux  escaliers  latéraux  et 
d'où  chacun  peut  voir  de  plus  près  la  voûte  qui  fut  parsemée  de 
sang  (3).  Les  œuvres  d'art  n'ont  pas  manqué  à  cette  chapelle. 
On  y  admire  encore  un  reliquaire  en  bois  du  seizième  siècle, 
que  décorent  quatre  figures  de  saints,  et  Garofalo  a  exécuté  là 
des  fresques,  malheureusement  très  délabrées,  dans  lesquelles 
figurent  des  personnages  de  distinction  appartenant  peut-être 
à  la  famille  ducale  (A). 


(1)  Fmzzi,  Mem.  pcr  la  storin  >li  Ferrara,  t.  II,  p.  250-253. 

(2)  Alessandro  RalLi  construisit  aussi  l'éjjlise  île  la  .Madoiina  ilcUa  Oiara,  à 
Reggio. 

i,3)  Sardi,  auteur  d'une  Histoire  de  Ferrare,  mort  en  1564,  vit  encore  les  traces 
de  sang. 

{^)  On  remarque  à  gauche  quatre  tètes  d'hommes  assez  belles.  Aucune  des 
figures  de  femmes  qui  étaient  peintes  à  droite  ne  subsiste  à  présent. 


LIVRE   DEUXIEME.  315 

Dans  la  sacristie,  les  regards  s'arrêtent  avec  plaisir  sur  une 
fresque  attribuée  par  les  uns  à  Domenico  Panetii,  quoiqu'elle 
ne  rappelle  pas,  selon  nous,  la  manière  de  cet  artiste  (1),  par 
Laderchi  à  Lorenzo  Costa ,  que  nous  n'y  reconnaissons  pas 
davantage,  parL.-N.  Cittadellaà  Gahynele  Bonaccioli surnommé 
Gahrielletto  (2),  ce  qui  est  peut-être  plus  vraisemblable.  Elle 
représente  la  Vierge  et  l'Enfant  Jésus  traversant  le  ^il  pen- 
dant la  fuite  en  Egypte,  ou  plutôt  une  allégorie  de  l'Église 
naissante.  Au  milieu  de  cette  fresque,  dans  une  barque  qui 
occupe  toute  la  largeur  de  l'abside  et  dont  la  voile  est  tendue 
par  le  vent,  Marie  est  assise  avec  son  fils,  qui  bénit  saint  Pierre 
en  lui  confiant  les  clefs  symboliques.  Saint  Pierre,  à  droite, 
tend  une  main  pour  les  recevoir  et  rame  de  l'autre.  A  gauche 
sont  debout  deux  anges  :  l'un  d'eux  rame  aussi,  tandis  que 
son  compagnon  regarde  le  ciel.  Si  la  Vierge  et  Jésus  n'ont  ni 
toute  la  beauté  ni  toute  l'élévation  désirables,  si  les  anges  ont 
le  visage  trop  rond,  la  figure  de  saint  Pierre,  du  moins,  est 
admirable.  Ses  cheveux  gris,  déjà  rares,  frisent  naturellement; 
il  en  est  de  même  de  sa  courte  barbe.  Il  a  le  teint  animé  par 
son  rude  labeur,  qui  ne  l'empêche  pas  de  songer  aux  vérités 
éternelles  et  à  sa  haute  mission  :  son  regard  méditatif,  rêveur, 
très  religieux,  trahit  en  effet  des  pensées  d'un  ordre  surnatu- 
rel. Quelques  nuages  flottent  dans  le  ciel  bleu. 

A  l'église  de  Santa  Maria  in  Vado  est  annexé  un  joli  cloitre, 
qui  encadre  un  jardinet  plein  de  fleurs.  De  là  on  aperçoit  deux 
belles  fenêtres  appartenant  à  la  petite  église,  aujourd'hui  fer- 
mée, de  San  Girolamo  :  chacune  de  ces  fenêtres  se  compose 
d'une  colonne  et  de  deux  pilastres  ornés  d'arabesques.  Dans 
le  cloître,  dont  les  arcades  ont  été  murées,  on  remarque  une 
porte  avec  deux  pilastres  cannelés. 

(1)  Voyez  plus  loin  (liv.  IV,  eh.  i^^  les  payes  où  il  est  question  de  l'.inetli. 

(2)  En  1516,  Bonaccioli  abandonna  aux  chanoines  de  Sanla  Maria  in  Vado, 
afin  de  payer  une  partie  de  te  qu'il  devait  pour  la  maison  que  ceux-ci  lui  avaient 
louée,  la  somme  {jajjnée  par  lui  en  dorant  le  nouvel  orgue  et  en  peignant  la  cha- 
pelle de  la  saciistie.  Cittadella  incline  à  conclure  de  là  qu'il  s'agissait  de  la 
fresque  dont  nous  parlons. 


316  I/Ar>T    FERT.ARAIS. 


EGLISE    DE    SAINT-JULIEN. 

Une  église  dédiée  à  saint  Julien  exista  jusqu'en  1:278  à 
l'endroit  occupé  maintenant  par  le  fossé  qui  entoure  le  Cas- 
tello.  On  la  détruisit  pour  creuser  ce  fossé.  Mais,  en  1405, 
Galeotto  Avogario,  protocameî-lengo  de  Nicolas  III,  en  fit  con- 
struire ailleurs  à  ses  frais  une  nouvelle,  qui  subsiste  encore. 

Dans  les  Atti  délia  deputazione  ferrarese  di  storia  patria 
(vol.  VII,  fasc.  II),  M,  Augusto  Droghetti  a  consacré  quelques 
pages  à  cet  édifice  gothique,  dont  l'extérieur  a  été  habilement 
restauré  en  1895.  La  porte,  avec  les  feuillages  qui  lui  servent 
d'ornements,  avec  les  figures  d'un  ange  et  d'une  Vierge  qui  la 
surmontent,  attire  tout  d'abord  l'attention.  Les  détails  des 
encadrements  qui  accompagnent  les  fenêtres  et  ceux  de  la  frise 
qui  circule  tout  autour  de  l'église  ne  doivent  pas  non  plus 
passer  inaperçus.  Mais  ce  qui  frappe  surtout,  c'est  un  bas- 
relief  placé  sur  la  façade  entre  la  porte  et  la  fenêtre  ronde.  Il 
représente  un  épisode  de  la  vie  de  saint  Julien.  En  revenant 
chez  lui  après  une  absence  de  quelques  jours,  saint  Julien 
entre  dans  sa  chambre  et  trouve  endormis  dans  son  lit  son 
père  et  sa  mère,  qui  habitaient  ordinairement  un  autre  pays 
et  à  qui  sa  femme  avait  voulu  donner  la  meilleure  pièce 
de  la  maison.  Une  demi-obscurité  l'empêche  de  les  recon- 
naître, et,  s'imaginant  surprendre  sa  femme  en  flagrant  délit 
d'adultère,  il  les  perce  de  son  épée  (1).  Dans  le  bas-relief,  le 
meurtre  n'est  pas  encore  commis,  mais  le  glaive  est  déjà  tiré. 
Suivant  une  interprétation  populaire  à  Ferrare,  il  faudrait 
voir  ici,  sous  les  dehors  de  saint  Julien,  l'ange  s'apprètant  à 
chasser  Adam  et  Eve  du  paradis  terrestre,  symbolisé  par  leur 
lit.  Ce  bas-relief  semble,  d'après  son  style,  être  antérieur  à  la 
construction  de  l'église  et  appartenir  à  la  fin  du  quatorzième 

(1)   RiBADENEiRA,  Les  vies  des  saints,  t.   II,    p.  318.   Paris,  Vives,  1864.  —  La 
fête  (le  saint  Julien  le  Pauvre  ou  l'Hospitalier  se  célèbre  le  12  février. 


LIVTIE   DEUXIEME.  317 

siècle.  Il  y  en  a  une  gravure  au   trait  à  la  fin  de  l'article  de 
M.  Droghetti. 


ÉGLISE    DE    SAINT-FRANÇOIS   (1). 

Saint  François  d'Assise  mourut  en  1226  et  fut  canonisé 
par  Grégoire  IX  en  1228.  Ses  religieux  s'établirent  de  son 
vivant  à  Ferrare,  où  il  dut  venir  les  voir  quand  il  visita  les 
couvents  de  son  Ordre,  et  où,  dès  1232,  une  église  portait  son 
nom. 

A  cette  église  on  en  substitua  une  plus  importante  dont  les 
princes  d'Esté  jetèrent  les  fondements  en  1341  et  qui,  en 
1344,  était  achevée  ou  près  de  l'être,  car  le  marquis  Nicolas  I" 
fut  enseveli  dans  la  chapelle  qu'il  y  avait  fait  construire.  En 
1381,  la  tribune  avait  déjà  besoin  de  réparations  :  Bartolino 
da  Novara,  l'auteur  du  Gastello,  se  chargea  de  les  exécuter  et 
donna  même  deux  cents  lire  afin  de  contribuer  à  couvrir  les 
dépenses,  générosité  que  l'on  récompensa  en  mettant  sous  son 
patronage  la  chapelle  de  Saint-Antoine.  En  1393,  il  édifia  une 
autre  chapelle  h  ses  frais,  et  il  servit  également  d'architecte 
pour  celle  que  le  marquis  Albert  d'Esté  fonda  en  l'honneur  de 
saint  Jacques  (2). 

Une  troisième  transformation  de  l'église  dédiée  à  saint 
François  eut  lieu  par  ordre  du  duc  Hercule  P",  qui  souhaitait 
l'édifice  plus  grand  et  plus  beau.  Il  posa  lui-même  la  première 
pierre  en  1494  et  consacra  aux  nouvelles  constructions  la 
dîme  des  condamnations  et  des  confiscations  prononcées  dans 
tous  ses  États.  L'architecte  qu'il  choisit  ne  fut  ni  Pietro  Ben- 
venuti  (mort  en  1483),  ni  Giovanni  Battista  Benvenuti,  frère 
de   Pietro,    comme    on   l'a   prétendu,    mais    Biagio   Rossetti , 


(i)  L.-N.  CiTTADELLA  :  1°  MoHorie  (tel  tempio  fli  S.  Franccsco,  1867; 
2"  Notizie  relative  a  Fcrrara,  t.  I,  p.  27.  —  BuncKiîAnoT,  Dcr  Cicérone,  t.  I, 
p.  207  1,  280  e. 

(2)  Albert  jeta  deux  ducats  d'or  dans  les  fondations. 


318  L'A  HT    FEHl'.AllAIS. 

^^  prœ.slaiis  t'?V,  architettiis  singularis  (\)  »  .  Le  sol  s'étant  affaissé 
en  1515,  il  fallut  recommencer  les  travaux,  et  l'église  fut  ter- 
minée seulement  en  1530  (2).  Biagio  Rossetti  était  mort  dès 
1 5 1  (î . 

Le  tremblement  de  terre  de  1570,  dont  les  secousses  durè- 
rent neuf  mois  et  mirent  en  fuite  une  grande  partie  de  la 
population,  détruisit  à  son  tour  les  voûtes,  quelques  murs  et 
presque  la  moitié  de  la  façade.  Aussitôt  le  P.  Agostino  Righini, 
qui  était  alors  à  la  tête  du  monastère,  employa  au  relèvement 
de  son  église  les  sommes  importantes  qu'il  avait  gagnées  en 
prêchant  dans  les  principales  chaires  de  l'Italie  (3),  et  un  autre 
prédicateur  en  renom,  né  à  Ferrare,  le  P.  Franceschino  Yis- 
domini,  fut  appelé  de  Bologne  pour  inviter  le  peuple  aux 
sacrifices  nécessaires  à  la  réparation  complète  du  désastre. 
L'exécution  des  travaux  coûta  beaucoup  de  temps  :  ce  ne  fut 
qu'en  1591  que  l'église  fut  en  état  d'être  consacrée.  Au  milieu 
de  ces  transformations,  l'aspect  primitif  de  la  façade  avait  été 
malheureusement  un  peu  modifié.  De  plus,  on  remplaça  les 
voûtes  de  pierre  par  des  voûtes  en  roseaux  recouverts  de  plâtre 
[volte  di canniccio),  et  les  fenêtres  ogivales  par  des  fenêtres  ron- 
des. Malgré  ces  altérations  partielles,  on  peut  dire  que  l'œu- 
vre de  Biagio  Rossetti  (4)  subsiste  encore  (5). 

Jusqu'alors  léglise  de  Saint-François  était  restée  sans  cam- 
panile :  en  1606,  le  cardinal  Bonifacio  Bevilacqua  en  fit  élever 
un  à  ses  frais  et  prit  comme  architecte  Giovanni  Battista  Aleotti 
d'Arqenia.  Une  partie  des  matériaux  fut  empruntée  à  la  villa 
du  Belvédère  qui  avait  été  détruite.  Au  bout  de  peu  de  temps, 
il  fallut  enlever  au  campanile  un  tiers  de  sa  hauteur,  parce 

(1)  Le  7  mai  1498,  Rossetti  s'entendit  avec  Bartolomeo  Fnghini  da  1  orto 
Maqgiore  et  avec  Andréa  Fioiriti  pour  la  construction  de  Saint-François.  (L.-IN. 
CiTTADELLA,  Notizie  relative  a  Ferrara.) 

(2)  Dès  1508,  on  avait  pu  consacrer  huit  chapelles. 

(^3)  Le  P.  Rijjhini  ne  fut  pas  seulement   un   prédicateur  renommé,   il   composa 
des  ouvrages  de  théologie  fort    estiu)és,   et   le   duc  iVlphonse  II  le  prit  comme  un 
de  ses  conseillers.  Il  mourut  à  l'âge  de  rpiatre-vingt-quinze  ans. 
(4)   Des  travaux  de  consolidation  ont  encore  été  faits  en  1853, 
(5;   G.   Gampori,    GH   arcliitctli  e  qV   inrjcijnrri  cirili  c  militari  dc(jli  Estensi 
dal  secolo  XIII  al  XVI,  p.  46. 


LIVRE   DEUXIEME.  319 

qu'il  penchait  vers  l'église.  Il  est  pourvu  d'un  toit  en  tuiles  à 
quatre  faces,  légèrement  incliné. 

La  façade  de  l'église  est  ornée  de  pilastres  dont  la  place 
répond  à  celle  qu'occupent  les  trois  nefs  dans  l'intérieur  de 
l'édifice.  Une  belle  corniche  en  terre  cuite  avec  des  oves  et  des 
denticules  sépare  en  deux  parties  la  façade  et  est  accompap^née 
d'une  jolie  frise  où  l'on  voit,  entre  des  ornements  délicats,  des 
médaillons  contenant  des  tètes  de  Franciscains  et  soutenus  par 
de  petits  anges  nus  qui  volent.  Un  grand  œil-de-bœuf  domine 
la  porte  principale,  pourvue  simplement  de  deux  pilastres  et 
d'un  tympan.  Au-dessus  d'une  des  petites  portes  se  trouve  le 
tombeau  de  Gherardo  Saraceni  et  de  son  fils  Francesco,  doctes 
jurisconsultes;  Gherardo  était  en  outre  un  des  conseillers  du 
duc  Hercule  I";  c'est  lui  qui  fut  envoyé  à  Rome  (7  septem- 
l)re  1501)  pour  assurer  l'exécution  des  conventions  relatives 
au  mariage  d'Alphonse  d'Esté  avec  Lucrèce  Borgia  (1);  il 
mourut  le  4  octobre  1515  (2).  Gherardo  et  Obizzo,  les  deux 
fils  de  Francesco,  firent  élever  cet  austère  monument,  sur 
lequel  il  n'y  a  aucune  figure.  Quant  h  la  porte  qu'il  surmonte, 
elle  est  flanquée  de  deux  colonnes  à  chapiteaux  corinthiens 
qui  soutiennent  une  corniche,  sur  laquelle  reposent  les  deux 
consoles  supportant  le  sarcophage;  aux  côtés  des  consoles,  on 
remarque  deux  vases  sur  des  acrotères. 

L'intérieur  de  l'église,  en  forme  de  croix  latine,  a  un  aspect 
majestueux.  Partout,  les  voûtes  présentent  des  coupoles.  Dans 
chacune  des  deux  nefs  latérales  sont  disposées  huit  chapelles 
avec  des  arcades,  des  chapiteaux  et  des  corniches  en  briques 
ouvragées.  C'est  par  les  fenêtres  de  ces  chapelles  que  vient 
surtout  la  lumière.  La  nef  principale  a,  de  chaque  côté,  sou- 
tenues par  des  colonnes  ioniennes,  quatre  arcades  dont  la  lar- 
geur égale  celle  de  deux  chapelles.  Aux  extrémités  de  la  nef 
transversale,   on  aperçoit  à  gauche  l'orgue  et  la  tribune  du 

,1)  Lucrèce  s'interposa  avec  tant  de  zèle  que  «  Saraceni  écrivit  à  son  niailio 
qu  elle  lui  faisait  déjà  l'effet  d'une  excellente  Ferraraise  »  .  (GnEGOnovius,  Lucrèce 
Borgia,  édit.  française,  t.  I,  p.  345.) 

(2)   Fnizzi,  Metnorie  per  la  storia  di  Fcrrara,  t.   IV,  p.  SOV. 


320  L'AUT    FEIUIAIIAIS. 

cliaiit,  à  droite  la  porte  latérale,  au-dessus  de  la(|uelle  est 
encastré  dans  le  mur  un  tombeau  orné  de  bas-reliefs  estima- 
bles, tombeau  élevé  en  1500  à  Violantilla  Riccarda  par  son 
mari  Augusto  Yilla. 

Dans  la  grande  nef  et  dans  la  nef  transversale,  les  espaces 
triangulaires  compris  entre  les  arcades  nous  montrent  des 
demi-figures  de  saints,  peintes  à  fresque.  Au-dessus  des  ar- 
cades, il  y  a  une  gracieuse  frise  en  grisaille  sur  fond  d'or,  où 
sont  représentés  des  enfants  nus,  des  chimères,  des  vases,  des 
rinceaux.  On  attribue  cette  frise  à  Girolamo  da  Carpi,  qui  a 
certainement  exécuté  la  plupart  des  demi-figures  de  saints  (1), 
dont  le  caractère  est,  du  reste,  assez  effacé.  —  Dans  les  nefs 
latérales,  c'est  h  Tommaso  da  Cai-pi,  père  de  Girolamo,  qu'in- 
combe la  responsabilité  des  détestables  figures  de  saints  fran- 
ciscains qui  décorent,  au-dessous  des  petites  coupoles,  les 
angles  des  retombées. 

Jadis ,  l'église  de  Saint-François  était  "riche  en  tableaux 
remarquables.  On  y  chercherait  en  vain  aujourd'hui  les  volets 
de  l'orgue  peints  par  Giovanni  Battista  Benvenuti,  dit  l'Orto- 
lano.  Elle  a  également  perdu,  au  profit  de  la  Pinacothèque,  la 
Madonna  del  pilastro  (n°  61),  le  Massacre  des  Innocents  (n"  66), 
la  Madonna  del  riposo,  peinte  pour  la  chapelle  que  Leonello 
del  Pero  avait  fait  construire  en  1515  (n"  69),  la  Fuite  en 
Egypte  (n"  67),  la  Sainte  Famille  revenant  de  l'Egypte  (n"  6  4),  la 
Résurrection  de  Lazare  (n°  70),  œuvres  célèbres  de  Benvenuto 
Tisi  da  Garofalo,  la  Crèche  de  1513  attribuée  à  l'Ortolano,  quoi- 
qu'elle soit  due  probablement  aussi  à  Garofalo  (n"  93),  V Ascen- 
sion par  Niccolo  Roselli  (n"  109),  un  tableau  de  Gabriele  Cap- 
pelHni,  dit  le  Calzolaretto,  qui  représente  six  saints  (n"  3i), 
et  celui  de  Bononi  où  l'on  voit  saint  Antoine  de  Padoue  mon- 
trant le  cœur  de  l'avare  enfoui  au  milieu  de  ses  trésors  (n"  18). 

L'église  de  Saint -François  a-t-elle  donc  été  entièrement 
dépouillée  de  ce  qui  pouvait  y  attirer  les  amateurs  de  l'art"? 
Si  on  lui  a  laissé  l'extravagant  tombeau  du  général  ferrarais 

(1)   Celles  du  hras  droit  de  la  nef  transversale  ne  sont  pas  de  lui. 


LIVRE   DEUXIEME.  321 

Ghiron  Francesco  Villa,  ainsi  que  la  Déposition  de  croix ,  la 
Résurrection  et  Y  Ascension  peintes  par  Domeni'co  Mona  (1),  on 
y  a  également  respecté  plusieurs  ouvrages  intéressants  ou 
dénotant  même  un  réel  mérite.  Tel  est,  sur  le  mur  entre  la 
sixième  et  la  septième  chapelle  à  droite,  le  Christ  attaché  à  la 
colonne,  sculpture  du  quinzième  siècle,  aux  côtés  de  laquelle 
un  élève  de  Garofalo  a  représenté  deux  bourreaux.  Tel  est 
encore  le  Saint  Antoine  de  Padoue  que  1  on  voit  au-dessus  de 
l'autel  dans  la  dernière  chapelle  à  droite.  La  tradition  attri- 
bue cette  fresque  à  un  Franciscain  de  Ferrare,  au  Bienheureux 
Donato  Brasavola,  qui  mourut  à  quatre-vingt-quatre  ans,  en 
1353.  Saint  Antoine,  dont  la  tète  est  entourée  d'une  auréole 
d'or,  tient  d'une  main  une  tige  de  lis  et  de  l'autre  un  livre 
ouvert  quil  nous  montre.  Il  a  une  expression  pleine  de  dou- 
ceur. La  figure  se  détache  sur  un  rideau  bleu.  A  droite,  il  y 
avait  un  fidèle  en  prière,  dont  on  ne  distingue  plus  que  la 
main.  Avant  d'orner  l'église  actuelle,  cette  touchante  pein- 
ture, d'un  ton  gris,  mais  très  limpide,  décorait  l'ancienne 
église,  construite  en  1341  ;  elle  avait  été  exécutée  sur  la 
muraille  même. 

Ce  qui  doit  surtout  arrêter  l'attention ,  dans  l'église  de 
Saint-François,  c'est  la  première  chapelle  à  gauche.  Outre  un 
haut  relief  dans  lequel  Cristoforo  di  Amhrogio  (2)  et  Batiista 
Rizzi  ont  représenté  Jésus  en  prière  au  jardin  des  Oliviers  (3), 
elle  possède  une  fresque  célèbre  de  Garofalo,  Y  Arrestation  de 
Jésus  (1522-152  4).  C'est  une  remarquable  composition  (4),  où 
figurent  de  nombreux  personnages,  très  animés  par  des  pas- 

(1)  Ces  trois  tableaux  plus  que  uiédiotres  passent  pour  être  les  meilleures  pro- 
ductions de  Mona.  Ils  forment  au  fond  du  chœur  un  triptyque  encadré  de 
colonnes  cannelées,  que  supporte  un  stylobate  soutenu  par  des  consoles. 

(2)  Il  était  fils  du  sculpteur  auquel  est  dû  le  tombeau  de  Lorenzo  Roverella 
dont  nous  parlerons  plus  loin.  En  1513,  le  même  artiste,  qualifié  de  «  scarpel- 
lino  »  ou  «  tajapreda  de  mcirmi  "  dans  les  actes  de  l'époque,  fournit,  ce  semble, 
les  marbres  pour  l'église  qu'on  était  en  train  de  construire. 

(3)  Voyez  le  ch.  i  du  liv.  III. 

(4)  Baruffaldi  s'exprime  ainsi  en  parlant  de  cette  fresque  :  «  Garofalo  si  mise 
in  animo  di  metter  in  opéra  tutto  il  proprio  sapcrc  pcr  fa  cosa,  non  solo  dure- 
voie,  ma  di  fine  gusto...  Tutta  quesi'  opéra  è  di  fuiissimo  intcndinicnto  pcr 
esservi  il  jîore  d'ogni  grazia.  »    (T.  I,  p.  328.) 


322  L'ART    FERRARAIS. 

sions  opposées,  et  oii  l'on  remarque  de  fort  belles  têtes.  Nous 
signalons  particulièrement  celle  du  Christ,  celle  d'un  homme 
à  calotte  rouge,  celle  d'un  soldat  à  coiffure  verte  et  celle  de  la 
femme  placée  près  de  lui.  Judas,  qui  s'avance  pour  embrasser 
son  maître,  a  bien  la  mine  d'un  traître.  Il  a  le  nez  pointu  et 
recourbé.  Peut-être  le  commandant  de  la  troupe  qui  doit 
s'emparer  du  Christ  a-t-il  un  peu  trop  d'importance  ;  peut- 
être  pourrait-on  trouver  quelque  exagération  dans  le  geste 
par  lequel  il  désigne  à  ses  gens  leur  victime  ;  mais  il  donne 
parfaitement  l'idée  d'un  homme  audacieux,  prêt  à  tous  les 
coups  de  main.  Son  air  d'insolence  et  son  accoutrement  (il  est 
revêtu  d'une  armure  et  coiffé  d'un  chapeau  rouge)  font  songer 
à  ces  condottieri  qui  prirent  tant  d'ascendant  en  Italie  au 
quinzième  siècle  et  au  seizième.  —  En  représentant,  aux  côtés 
de  l'Arrestation  du  Christ,  deux  prophètes  en  grisaille,  Garofalo 
a  été  moins  bien  inspiré  ;  mais  il  s'est  surpassé  lui-même  dans 
les  deux  personnages  (un  homme  et  une  femme)  agenouillés 
en  face  l'un  de  l'autre  et  vus  de  profil  :  ce  sont  probablement 
les  donateurs,  membres  de  la  famille  Massa  d'Argenta  (1). 
Avec  ses  chairs  un  peu  molles,  avec  ses  cheveux  gris,  coupés 
ras,  l'homme  n'est  pas  sans  rappeler  la  figure  de  Francesco 
Sassetti  par  Ghirlandajo  à  Santa  Trinità,  dans  la  chapelle  de 
Saint-François,  à  Florence  (2). 

Quelques  précieux  souvenirs  historiques  se  rattachent  à 
l'église  et  au  monastère  des  Franciscains  de  Ferrare.  C'est  là 
que  se  firent,  durant  un  certain  temps,  les  cours  de  l'Univer- 
sité, et  qu'eurent  lieu  quelques-unes  des  sessions  préparatoires 
du  concile  œcuménique  de  1438.  On  y  tint,  en  1383,  en  1424 
et  en  1472,  des  chapitres  généraux  ;  à  l'occasion  du  premier,  le 
marquis  d'Esté,  voulant  fournir  les  vivres  à  tous  ceux  qui  y 
prirent  part,  leur  donna,  entre  autres  choses,  quatre  bœufs  et 

(1)  Cette  fresque  ne  fut  pas  peinte  pour  les  Guidotti  ou  les  Argenti,  comme 
on  l'a  prétendu.  (L.-N.  Cittadella,  Benvenuto  Tisi,  p.  40,  brochure  postérieure 
aux  Notizie  relative  a  Ferrara  et  rectifiant  le  passage  qu'on  y  lit  dans  le  tome  II, 
p.  208-210.) 

(2;  Il  porte  un  manteau  noir,  ses  manches  sont  violettes,  et  ses  mains  tiennent 
un  bonnet  noir. 


LIVRE   DEUXIEME.  323 

dix  veaux.  Felice  Peretti,  qui  devint  pape  sous  le  nom  de 
Sixte-Quint,  étudia  la  théologie  dans  les  écoles  du  couvent  et 
ne  le  quitta  qu'en  1543.  Enfin  Clément  VIII,  après  la  dévolu- 
tion de  Ferrare  au  Saint-Siège,  fit  ici  un  séjour  assez  long  et  y 
célébra  plus  d'une  fois  la  messe  en  grande  solennité.  Un  jour 
qu'il  visitait  l'église, il  s'arrêta  devant  le  tombeau  de  Pigna  (I), 
et,  y  ayant  lu  ces  mots  : 

Di  Nicolà  Bellaja  dctlo  il  Pigna 

Qui  giace  il  corpo  e  cliiede  in  cortesia 

Un  Pâte}-  noster  e  un  Ave  Maria  (2\ 

il  se  mit  à  prier  pour  l'âme  du  célèbre  écrivain,  déclarant 
qu'il  ne  pouvait  pas  repousser  une  demande  formulée  avec 
tant  de  grâce. 

A  cette  époque,  l'église  de  Saint-François  n  avait  sans  doute 
pas  encore  perdu  les  broderies  exécutées  pour  elle,  en  1535,  par 
Francesco  Bianchi,  les  tapisseries  flamandes  qui  représentaient 
l'histoire  du  saint  titulaire  et  celles  qui  furent  tissées  à  Flo- 
rence en  1573. 

Un  grand  nombre  de  personnages  illustres  soit  dans  la 
politique,  soit  dans  le  métier  des  armes,  soit  dans  les  lettres, 
les  sciences  et  les  arts,  ont  été  ensevelis  à  l'intérieur  ou  à  côté 
de  l'église,  dont  le  cloître,  avec  son  cimetière,  fut  une  sorte  de 
nécropole.  Citer  les  principaux  noms,  c'est  passer  en  revue 
une  partie  de  l'histoire  de  Ferrare.  Voici  d'abord  Azzo  Novello 
d  Este  et  sa  femme  Mambilia  di  Guido  Pallavicini,  qui  fut  la 
bienfaitrice  du  couvent  et  légua  son  bréviaire  aux  malades  de 
l'infirmerie.  Voici  ensuite  la  femme  de  Rinaldo  d'Esté,  Orso- 
lina  Forlana  de'  Maccarufi,  qui  fit  construire  le  cloître  (3)  et 

(1)  On  trouvera  quelques  détails  sur  Pij;na  clans  le  ch.  iv  du  liv.  III,  chapitre 
relatif  aux  médailleurs  et  aux  personnages  représentés  par  eux. 

(2)  «  Gi-gît  le  corps  de  Psicolô  Bellaja,  dit  le  Pigna,  qui  implore  tourtuiscuient 
un  Pater  noster  et  un  Ave  Maria.  «  —  Giambattista  Nicolucci,  dit  le  Pigna, 
après  avoir  professé  l'éloquence,  obtint  la  faveur  des  princes  d'Esté,  leur  servit 
de  secrétaire,  et  rédigea  leur  histoire  jusqu'à  l'année  1476.  Il  mourut  à  quarante- 
six  ans  en  1575,  laissant  un  assez  grand  nombre  d'œuvres  en  prose  et  en  vers. 

(3)  Ce  cloître,  où  l'on  plaça  en  1490  un  magnifique  puits  en  marbre,  fut 
détruit  par  un  incendie.  Quant  au  couvent  lui-mcmc,  il  a  été  vendu  en  1801  et 
presque  entièrement  démoli. 


324  L'ART    FEllUAllAIS. 

mourut  en  1362.  Notons  en  outre  les  marquis  de  Ferrare  Aldo- 
brandino  II,  Aldobrandino  IV,  Azzo  VI,  Azzo  VII,  Rinaido  IV, 
NiccolùZoppo  et  Albert  III  (l).  N'oublions  pas  non  plus  ni  Stella 
deir  Assassino,  une  des  maîtresses  de  Nicolas  III,  mère  d'Ugo, 
de  Lionel  et  de  Borso,  ni  Ugo  et  Parisina,  dont  la  mort  tra- 
gique fait  partie  des  souvenirs  évoques  par  les  prisons  du 
Castello.  On  eût  dit  que  la  Mort  avait  rassemblé  à  l'ombre  de  la 
même  église,  pour  confondre  les  grandeurs  humaines  de  toutes 
sortes,  la  plupart  des  personnages  de  marque  qui  vécurent  à 
Ferrare.  Nous  nous  bornerons  à  nommer  encore  :  Gilio  Fanti, 
l'instigateur  du  soulèvement  qui  chassa  de  Ferrare,  en  1317, 
les  Gascons  du  roi  Robert,  et  inaugura  la  domination  de  la 
maison  d'Esté;  —  l'illustre  architecte  Bartolino  da  Novara; 
—  Guglielmo  Gonzaga,  qui  s'éteignit  subitement  en  1446 
pendant  qu'il  dansait  avec  Béatrix  d'Esté  ;  —  Diotisalvi  Nerone, 
qui,  banni  de  Florence,  trouva  un  refuge  auprès  de  Borso,  le 
servit  comme  ambassadeur  à  Rome,  vit  ses  biens  confisqués 
et  finit  par  rentrer  en  grâce  ;  —  Niccolo  Ariosti,  qui,  à  la  fin 
du  quatorzième  siècle,  quitta  Bologne  pour  Ferrare,  où  naquit 
l'immortel  poète;  —  Bartolommeo  Pendaglia,  dont  les  noces 
avec  Margherita  Costabili  furent  accompagnées  de  fêtes  splen- 
dides  auxquelles  prirent  part  le  duc  Borso,  l'empereur  Fré- 
déric III  et  Ladislas,  roi  de  Bohême  et  de  Hongrie  (2)  ;  — 
Girolamo  Castelli,  qui  fut  un  des  médecins  d'Hercule  I"  et  qui 
prononça  un  discours  à  l'occasion  du  mariage  de  ce  prince 
avec  Éléonore  d'Aragon;  —  Francesco  Castelli,  fils  de  Giro- 
lamo, qui  fit  construire  le  Palais  des  Lions;  —  Giammaria  et 
Jacopino  Riminaldi,  qui  se  signalèrent  comme  jurisconsultes, 
ambassadeurs  et  professeurs  à  l'Université,  et  qui  moururent, 
l'un  en  1497,  l'autre  en  1520;  —  Pietro  Bono  Avogari,  mé- 
decin et  philosophe,  professeur  d'astrologie  de  1467  à  1506, 

(1)  Ses  funérailles  furent  faites  avec  une  grande  magnificence.  L'église  de 
Saint-François,  nous  l'avons  dit,  devait  à  Albert  une  chapelle  dédiée  à  saint 
Jacques,  chapelle  construite  d'après  les  dessins  de  Bartolino  da  Novara,  et  dont 
il  ne  reste  plus  rien. 

(2)  Voyez  les  détails  que  nous  donnerons  en  parlant  de  la  médaille  de  Penda- 
glia par  Sperandio. 


LIVRE   DEUXIEME.  325 

recommandé  par  la  médaille  de  Sperandio  qui  reproduit 
ses  traits  (1)  ;  —  Ercole  Cantelmo,  à  qui  les  Vénitiens  firent 
payer  son  excès  de  bravoure  dans  une  guerre  contre  eux  en  lui 
tranchant  la  tête  à  la  vue  de  son  père  (1509),  fait  relaté  par 
l'Arioste  [Orlando  fiirioso,  canto  XXXVI,  st.  vu)  ;  —  Antima- 
cho Marcantonio,  qui  enseigna  pendant  vingt  ans  la  littérature 
grecque  à  Ferrare  et  mourut  en  1552  ;  —  Sigismondo  Fanti, 
mathématicien,  astrologue  et  poète,  auteur  du  Del  modo  di 
scrivere  et  du  Triompho  di  Fortuna  (2)  ;  —  Ferrante  Borsetti, 
qui  écrivit  l'histoire  de  TUniversité  de  Ferrare  (1735);  — 
Gioan  Jacopo  Rondinelli ,  qui  surpassa  dans  la  marqueterie 
tous  les  artistes  de  son  temps  et  mourut,  en  1576,  à  Tàge  de 
quarante-six  ans;  — Alessandro  Balbi,  qui  construisit  le  pro- 
naos de  la  chapelle  du  Saint-Sang  à  Santa  Maria  in  A^ado  ;  — 
Francesco  et  Alfonso  dalla  Viola,  l'un  maître  de  chapelle  des 
ducs  de  Ferrare,  l'autre  maître  de  chapelle  de  la  cathédrale, 
tous  deux  virtuoses  renommés  et  jouant  avec  une  rare  habileté 
de  tous  les  instruments  ;  —  enfin,  le  graveur  parmesan  iEneas 
Vico,  mort  à  quarante-quatre  ans  (octobre  1567). 

On  ne  peut  pas  non  plus  prononcer  le  nom  de  l'église  de 
Saint-François  sans  songer  au  Tasse.  Après  avoir  essayé  en 
vain  de  calmer  son  esprit  troublé  en  résidant  dans  le  palais  de 
Belriguardo ,  l'infortuné  poète  demanda  au  duc  Alphonse  II 
l'autorisation  de  se  retirer  chez  les  Franciscains,  qui  l'accueil- 
lirent avec  tous  les  égards  dus  à  un  génie  malade.  Il  commença 
par  goûter,  à  l'abri  du  cloître,  la  paix  qui  semblait  le  fuir,  mais 
il  retomba  bientôt  dans  son  incurable  mélancolie  et  regagna 
son  appartement  du  palais  ducal. 


(1)  Armand,  Les  inédaxlleius  italiens,  t.  I,  p.  6V. 

(2)  Voyez,  dans  le  livre  V,  le  chapitre  iv  consacré  aux  livres  ornés  de  fjra- 
vures  sur  bois. 


326  L'ART   FERRARAIS. 


ÉGLISE    DE    SAINTE-MARIE     DE    LA     CONSOLATION    (1). 

Cette  église  fut  fondée  pour  les  Servîtes  en  1501,  grâce  à  la 
libéralité  du  duc  Hercule  I",  qui  fournit  le  terrain,  et  de  Sigis- 
mond  d'Esté,  qui  ajouta  aux  sommes  recueillies  par  le  Servite 
vénitien  Marino  Baldi  à  la  suite  de  ses  sermons  dans  la  cathé- 
drale l'argent  nécessaire  à  la  construction.  Ce  fut  le  duc  qui 
posa  lui-même  la  première  pierre.  En  1516,  l'édifice  était 
achevé.  La  nouvelle  église  dut  son  nom  à  une  image  de  la 
Vierge  que  l'on  v  transporta  et  qui  se  trouvait  auparavant 
dans  l'église  primitive  des  Servîtes,  non  loin  du  Castel 
Tedaldo.  En  1522,  Sigismond  la  pourvut  d'un  orgue  dont 
Angelo  da  Piacenza  sculpta  les  boiseries,  qui  furent  en  partie 
dorées  par  maître  Filippo,  en  partie  peintes  par  Tommaso  da 
Car  pi. 

Pour  pénétrer  dans  l'église  de  Sainte-Marie  de  la  Consola- 
tion, maintenant  fermée,  il  ne  faut  pas  craindre  la  multipli- 
cité des  démarches.  Après  avoir  obtenu  la  remise  des  clefs  que 
détient  VUffizio  degli  Esposti,  il  est  nécessaire  de  demander 
une  permission  de  l'autorité  militaire,  parce  que  les  voitures 
du  train  d'artillerie  remplissent  le  sanctuaire.  Nous  reconnais- 
sons, du  reste,  avoir  rencontré  partout  la  plus  grande  obli- 
geance. 

Devant  l'église  se  trouve  un  petit  pré  très  touffu.  Le  porche 
est  soutenu  par  deux  colonnes  auxquelles  correspondent,  sur  le 
mur  de  l'édifice,  deux  pilastres  dont  les  chapiteaux  nous  mon- 
trent un  oiseau  becquetant  un  épi.  Au-dessus  de  la  porte,  on 
voit  une  Viei-ge  de  Sehastiano  Filippi,  dit  le  Bastianino  :  cette 
fresque  est  très  dégradée. 

A  l'intérieur  de  l'église,  au-dessus  de  la  porte,  on  remarque 

(1)  Frizzi,  Mcm.  per  la  storia  di  Ferra/a,  t.  IV,  p.  199-200.  —  L.-N.  CiïTA- 
DELLA,  Guida  pel  forestière  in  Ferrara,  p.  123,  et  Notizie  relative  a  Ferrara, 
t.  I,  p.  338. 


LIVRE   DEUXIEME.  327 

un  magnifique  encadrement  qui  n'encadre  plus  rien.  Il  se 
compose  de  pilastres  très  délicatement  ornés  de  candélabres 
d'or  sur  fond  bleu  clair,  et  d'une  frise  où  des  griffons  d'or  à 
langues  rouges  alternent  avec  des  têtes  de  séraphins.  C'est 
une  œuvre  qui  appartient  au  quinzième  siècle  et  qui  témoigne 
du  goût  le  plus  pur. 

Mais  ce  qui  doit  attirer  ici  tout  spécialement  le  visiteur, 
c'est  la  fresque  de  l'abside,  dans  laquelle  le  Père  Éternel  cou- 
ronne la  Vierge  au  milieu  d'une  multitude  d^ anges  q^d  font  de  la 
musique,  fresque  attribuée  par  les  uns  à  Domenico  Panetti  (1), 
par  les  autres  à  Lodovico  Mazzolino  (2).  Que  Panetti  en  soit  l'au- 
teur, c'est  ce  que  l'on  ne  saurait  admettre,  car  on  ne  retrouve 
pas  ici  la  manière  de  Panetti.  Gomment  d'ailleurs  cet  artiste, 
mort  en  1511  ou  en  1512,  aurait-il  pu  peindre  l'abside  d'une 
église  qui  ne  fut  achevée  qu'en  1516  ?  L'attribution  à  Mazzo- 
lino, comme  nous  le  verrons,  est  plus  vraisemblable.  L.-N.  Cit- 
tadella  (3),  cependant,  ne  reconnaît  guère  plus  la  main  de 
Mazzolino  que  celle  de  Panetti  dans  la  peinture  dont  il  est 
question  :  «  Les  œuvres  de  Mazzolino,  dit-il,  sont  bien  supé- 
rieures, »  Quoi  qu'il  en  soit,  la  fresque  de  Sainte-Marie  de  la 
Consolation  mérite  d'être  sérieusement  examinée. 

Bien  que  très  détériorée  et  peut-être  menacée  d'une  ruine 
totale  si  l'on  ne  vient  à  son  secours,  elle  laisse  encore  distin- 
guer les  parties  principales.  Le  Père  Éternel,  tenant  une 
couronne,  sort  à  mi-corps  du  milieu  des  nuages,  parmi  les- 
quels apparaissent  aussi  sept  petits  anges,  tandis  qu'un  peu 
plus  haut  volent  deux  anges  nus  qui  jouent  du  tambour  de 
basque.  Vers  le  sommet  de  la  fresque  se  montrent  des  têtes  de 
chérubins  bleues,  et  au-dessus  d'elles  se  trouvent  des  têtes  de 
chérubins  rouges.  De  chaque  côté  du  groupe  central,  trois 
archanges  sonnent  de  la  trompette.  Le  bas  de  la  composition 

(1)  Guida  pel  forestière  per  la  citlà  eli  Ferrant,  1787,  p.  85.  —  15auuki".vldi, 
Vite,  etc.,  t.  I,  p.  166. 

(2)  ScxLABRiM,  Chiese  di  Ferrara,  p.  235.  —  Avventi,  Guida,  p.  2V*.  —  On 
a  aussi  prononce  le  nom  de  Giovan  Battista  Benvenuti,  dit  VOrtolano,  supposi- 
tion qui  ne  s'appuie  sur  rien. 

(3)  Guida  pel  forestière  in  Ferrara,  1873,  [).   12'f . 


328  L'ART    FERRARAIS. 

est  occupé  par  la  Vierge,  dont  on  distingue  vaguement  le 
buste,  et  par  deux  chœurs  composés  chacun  de  cinq  grands 
anges,  qui  sont  à  genoux  sur  des  nuages  et  qui  mettent  toute 
leur  âme  à  jouer  de  la  harpe,  de  la  viole,  du  violon  et  de  la 
basse  (1). 

On  ne  saurait  nier  le  caractère  grandiose  de  l'ordonnance, 
ni  méconnaître  l'originalité  des  types.  Avec  sa  grosse  tête 
chauve,  ses  épais  sourcils  blancs,  sa  longue  barbe  blanche,  ses 
carnations  d'un  ton  briqueté,  le  Père  Éternel,  qu'enveloppent 
une  tunique  vert  clair  et  un  manteau  rouge,  a  une  physionomie 
un  peu  étrange  ;  il  y  a  en  lui  un  mélange  très  particulier  de 
puissance  et  de  bonté. 

Ce  qui  fait  songer  à  Mazzolino  dans  l'église  de  la  Consolation, 
ce  sont  les  anges  dont  les  types  rappellent  assez  certaines 
créations  familières  à  ce  maître,  mais  c'est  surtout  la  figure 
du  Père  Éternel.  Cette  figure,  en  effet,  n'est  pas  sans  analogie 
avec  un  Père  Éternel,  tenant  le  globe  du  monde  et  bénis-sant, 
dont  on  fait  honneur  à  Mazzolino  dans  la  collection  de  M.  Lom- 
bardi,  à  Ferrare,  et  qui,  par  le  style,  par  la  couleur,  se  rap- 
proche de  la  grande  Crèche  conservée  dans  la  Pinaco- 
thèque (n"  88) .  Le  Père  Éternel  de  la  collection  Lombardi  se 
présente  comme  celui  du  Couronnement  de  la  Vierge.  Vêtu 
d'une  tunique  blanche  et  d'un  manteau  rouge,  il  est  chauve 
aussi  et  a  une  longue  barbe.  Il  baisse  également  la  tête  de  telle 
sorte  que  les  arcades  de  ses  sourcils  cachent  presque  ses  veux. 

Pour  contester  à  Mazzolino  la  fresque  de  l'église  de  la  Con- 
solation, on  peut  dire  que  la  dimension  des  personnages 
s'accorde  peu  avec  les  habitudes  de  ce  peintre,  et  qu'aucune  de 
ses  œuvres  authentiques  n'a  un  caractère  si  archaïque.  Son 
pinceau  était  plus  savant,  mais  moins  naïf;  son  style  avait  plus 
de  souplesse  et  moins  d'élévation. 

En  regardant  le  Couronnement  de  la  Vierge  dont  nous 
venons  de  parler,  notre  pensée  s'est  involontairement  reportée 
vers  celui  (^uAmbrogio  Borgognone   da  Fossano  a  représenté 

(1;  En  avant  (le  l'abside,  on  remarque  quatre  tlemi-tifjures  de  saints,  séparées 
par  des  arabesques  {jrises  sur  fond  rouge.  Le  moine  de  droite  est  très  beau. 


LIVRE  DEUXIEME.  329 

dans  l'abside  de  l'église  de  San  Simpliciano  à  Milan  (1).  Ici,  la 
Vierge  est  assise  à  côté  du  Christ  devant  Dieu  le  Père  qui  se 
tient  debout  en  ouvrant  les  bras.  Le  Père  Éternel  a  de  longs 
cheveux  blancs  et  une  abondante  barbe  blanche  qui  lui 
donnent  l'aspect  d'un  fleuve  antique.  Loin  de  posséder  la 
rude  énergie  de  la  figure  évoquée  par  l'auteur  de  la  fresque 
ferraraise,  il  a  un  air  débonnaire  qui  n'est  pas  sans  charme.  De 
nombreux  anges,  pour  la  plupart  rangés  en  cercle  et  en  général 
groupés  trois  par  trois,  apparaissent  de  toutes  parts  et  font  de 
la  musique.  S'ils  n'ont  pas  autant  d'animation  que  les  anodes 
attribués  avec  plus  ou  moins  de  raison  à  Mazzolino,  ils  les  sur- 
passent en  grâce  et  ne  manquent  d'ailleurs  pas  d'enthousiasme  ; 
leur  physionomie  est  plus  idéale  et  plus  céleste.  A  Ferrare,  une 
vie  plus  intense  circule  dans  les  figures;  à  Milan,  c'est  un  doux 
mysticisme  qui  se  reflète  sur  les  visages. 

A  quelques  pas  de  l'église  de  Sainte-Marie  de  la  Consolation, 
dans  la  rue  Mortara,  le  quartier  d'artillerie  occupe  deux  cloîtres 
fort  intéressants.  Le  premier,  avec  ses  deux  portiques  super- 
posés, est  à  la  fois  original  et  charmant,  au  point  de  vue  de  la 
couleur  comme  au  point  de  vue  des  lignes.  Les  colonnes  d'un 
rouge  assez  vif  ont  des  bases  et  des  chapiteaux  blancs.  Quant 
aux  murs,  ils  sont  construits  en  briques  d'un  rose  clair.  Au 
milieu  de  la  cour,  il  y  a  un  abreuvoir  orné  de  six  têtes  d'enfants 
et  exécuté  à  une  bonne  époque;  malheureusement,  il  commence 
à  se  détériorer.  Dans  le  second  cloître,  plus  petit  que  l'autre, 
les  arcades  sont  supportées,  non  par  des  colonnes,  mais  par 
des  pilastres. 

(i)  Des  groupes  de  prophètes  et  de  cénobites  assistent  au  couronnement  de 
Marie.  —  Cette  fresque  est  {;ravée  dans  llosini,  pi.  CI.  Elle  a  été  très  bien 
photographiée  par  MM.  Marcozzi  et  Ferrario  de  Milan.  (Voyez  M'ixckiu,  L'artc  in 
Milano,  p.  75;  Crowe  et  Cavalcasklle,  Geschichte  der  italicni<:chcn  Mulcrei, 
t.  VI,  p.  52.  Nous  avons  consacré  à  cette  fresque  un  article  dans  la  Gazette  des 
Beaux-Arts  du  1'^'^  juin  1893;  il  est  accompagné  de  trois  [ilanchcs  représentant 
le  Père  Éternel,  le  Christ  et  la  Vierge,  ainsi  que  deux  groupes  de  trois  anges 
chacun.) 


330  L'ART    FERRARAIS. 


EGLISE    DE     SAINT-BENOIT. 


Les  Bénédictins  de  l'abbaye  de  Pomposa  firent  commencer 
cette  vaste  église  en  1496.  Grâce  àL.-N.  Cittadella(l),  on  sait 
que  l'architecte  [muratore  capo  mastro)  fut  Gù-olamo  da  Brescia, 
assisté  de  Leonardo  da  Brescia,  qui  était  peut-être  son  frère. 
Quant  au  travail  des  marbres,  il  fut  confié  en  1499  à  Baldas- 
sar  da  Modena,  à  son  frère  Petro  Antonio  et  à  Nicole  Masuriza, 
puis  en  1502  à  Antonio  et  à  Andréa.  Le  manque  d'argent  et 
les  calamités  publiques  forcèrent  bientôt  d'interrompre  la 
construction,  qui  ne  fut  reprise  qu'en  1535.  Elle  fut  alors 
dirigée  par  l'architecte  Agostino  Duodo,  aidé  des  frères  Alberto 
et  Giovamhattisla  Tristani,  tandis  que  Maffeo  Giraldoni,  qui  à 
partir  de  1545  s'adjoignit  son  neveu  Giovanni  Antonio  Trin- 
chieri,  se  chargea  du  travail  des  marbres.  Au  dire  de  Frizzi, 
l'église  fut  terminée  en  1553,  mais  on  peut  admettre  qu'elle 
l'était  déjà  en  1547,  puisqu'on  songea  dès  cette  année-là  à  la 
décorer  de  peintures.  C'est  seulement  en  1563,  ajoute  Frizzi, 
que  la  consécration  eut  lieu. 

La  façade  est  en  briques  ;  elle  a  pour  ornement  des  pilastres 
de  marbre,  et  l'on  voit  au  sommet,  sur  les  côtés,  des  volutes 
rappelant  celles  que  présente  la  façade  de  Santa  Maria  Novella, 
à  Florence  (2).  La  place  des  chapelles  et  celle  des  petites  ab- 
sides de  la  nef  transversale  sont  indiquées  à  l'extérieur  par  des 
saillies  rondes. 

Un  grand  campanile,  commencé  en  1621  et  achevé  en  1646, 
s'élève  à  côté  de  l'église. 

L'édifice,  en  forme  de  croix  latine,  est,  à  l'intérieur,  pourvu 
de  voûtes  en  berceau  ;  celle  de  la  grande  nef  est  interrompue 
par  une  coupole  surbaissée.  A  l'intersection  de  la  nef  principale 

(1)  Notizie  relative  a  Ferrara,  t.  II,  p.  79. 

(2)  BcRCKOARDT,  Der  Cicérone,  t.  I,  p.  208  a 


LIVRE  DEUXIEME.  331 

et  du  transept  se  trouve  une  grande  coupole,  mais  il  y  en  a 
d'autres  plus  petites  dans  les  nefs  latérales. 

Les  décorations  en  grisaille  rehaussées  d'or  que  l'on  remarque 
dans  la  grande  nef  et  celles  qui  accompagnent  les  caissons  des 
voûtes  en  berceau  furent  commandées  en  I  5  47  h  Giovanni 
Antonio  da  Chiavenna,  qui  a  traité  avec  un  soin  tout  particulier 
la  frise  avec  des  génies.  Trouvant  les  grisailles  insuffisantes  pour 
la  coupole  surbaissée,  le  même  artiste  y  a  introduit  les  couleurs 
les  plus  variées. 

C'est  également  en  1547  que  Lodovico  di  M.  Geminiano  da 
Settevecchie  da  Modena,  et  non  Vincenzo  Veronesi,  comme  on 
l'a  prétendu,  commença  à  peindre  les  figures  qui  ornent  l'ab- 
side derrière  le  chœur  et  les  deux  petites  absides  aux  extré- 
mités de  la  nef  transversale.  A  cette  époque,  Lodovico  da 
Modena,  qui  travailla  aussi  pour  la  famille  d'Esté  et  qui  vécut 
au  moins  jusqu'en  1590,  était  encore  fort  jeune  (1). 

Dans  le  chœur,  deux  rangées  de  stalles,  séparées  les  unes 
des  autres  par  des  colonnettes  cannelées  d'ordre  ionique  (2), 
sont  l'œuvre  d'un  artiste  parisien,  Nicolaiis  Sciovinns,  qui  les 
exécuta  en  1555  (3). 

Parmi  les  tableaux  qui  se  trouvent  dans  l'église  de  Saint- 
Benoit,  tableaux  qui  appartiennent  presque  tous  à  une  période 
de  décadence,  il  en  est  un  qui  dénote  un  vrai  talent  et  qui  semble 
avoir  été  peint  avec  une  sincère  émotion,  c'est  celui  où  Ippoliio 
Scarsella,  dit  Scarsellino,  a  représenté  Saint  Charles  Borroniée  en 
prièr^e  (4).  Le  visage  pâle,  un  peu  gris,  du  vénérable  archevêque 
de  Milan  est  empreint  d'une  ferveur  intense  et  a  beaucoup  de 
relief.  C'est  un  remarquable  portrait;  il  fut  exécuté,  dit-on, 
d'après  nature,  le  séjour  de  Scarsellino  dans  le  couvent  de 
Saint-Benoît  ayant  coïncidé  avec  la  visite  de  saint  Charles  à 

(1)  Son  père  pratiquait  aussi  la  peinture,  et  son  frère  Annil)al  était  orfèvre  à 
Ferrare.  —  Il  y  eut  un  autre  Lodovico  da  Modena  qui  peignit  une  Danse  des 
moits  en  1499  dans  la  sacristie  de  l'Oratoire  de  la  Mort. 

(2)  Il  y  a  vingt-cinq  stalles  dans  le  ran{;  supérieur,  dix-liuil  dans  le  rang 
inférieur. 

(3)  Voyez,  sur  la  sculpture  en  !)ois  et  la  luarquclcric,  le  ili.  ii  du  li\ .  III. 

(4)  Ce  tableau  orne  la  seconde  chapelle  à  droite. 


332  L'ART    FERRARAIS. 

Ferrare  en  1580,  visite  pendant  laquelle  le  prélat  logea  aussi 
chez  les  Bénédictins  (1). 

On  peut  également  juger  de  la  manière  cVIppoh'to  Scarsella 
en  regardant  une  Assomption  que  cet  artiste  peignit  pour 
l'autel  à  gauche  dans  le  transept  de  Téglise  de  Saint-Benoît, 
quoiqu'elle  ne  vaille  pas  Saint  Charles  Borromée  en  prière  (2). 

Il  n'est  pas  non  plus  sans  quelque  intérêt  de  donner  un  coup 
d'œil  au  Saint  Jean-Baptiste  en  présence  d^Hérode  et  d'Hérodiade 
(au  premier  autel  à  droite)  par  Carlo  Bononi,  qui  est  aussi 
l'auteur  des  neuf  Saints  Bénédictins  groupés  sur  des  nuages  autour 
du  Christ  qu'ils  adorent,  —  et  de  considérer  une  Circoncision 
par  Luca  Longhi  (à  l'autel  du  bras  droit  de  la  croix). 

Dans  la  salle  qui  servait  autrefois  de  vestibule  au  réfectoire, 
Lodovico  da  Modena,  que  nous  avons  nommé  tout  à  l'heure, 
peignit  au  plafond,  en  1578,  la  Gloire  du  paradis,  composition 
dans  laquelle  l'artiste  a  introduit  l'Arioste.  Quoique  cette 
peinture,  destinée  à  être  vue  de  plus  près  que  celles  de  l'église 
et  exécutée  d'ailleurs  beaucoup  plus  tard,  soit  plus  finie  et 
indique  un  talent  plus  mûr,  elle  n'est  pas  de  nature  à  donner 
une  haute  idée  de  l'auteur.  Sans  doute,  le  coloris  est  clair  et 
assez  agréable,  mais  la  vulgarité  des  figures  va  presque  jusqu'à 
la  laideur.  Selon  Cittadella,  les  arabesques  qui  décorent  cette 
salle  et  les  sujets  représentés  dans  les  lunettes  ne  sont  pas  de 
la  même  main  (3). 

Le  magnifique  couvent  des  Bénédictins  a  été  malheureu- 
sement transformé  en  caserne.  On  peut  cependant  encore 
admirer  l'élégance  et  la  légèreté  des  trois  grands  cloîtres  qui 
se  font  suite.  Ils  produisent  un  très  bel  effet,  parce  qu'on  les 
aperçoit  tous  d'un  seul  coup  d'œil.  Deux  d'entre  eux  sont 
séparés  par  un  portique  à  trois  rangs  de  colonnes.  Dans  un  des 

(1)  Dans  l'éfilise  de  Saint-Dominique  (cinquième  chapelle  à  gauche),  il  y  a 
aussi  un  Saint  Charles  Borromée  en  prière,  par  Ippolitu  Scarsella.  C'est  un 
tableau  qui  fait  honneur  au  peintre. 

(2)  Antonio  Frizzi  ,  clans  son  Guida  del  forestière  pcr  la  città  <li  Ferraru 
(1787),  attribue,  en  outre,  à  Scarsellino  le  Martyre  de  saint  Placide  et  de  ses 
compagnons,  —  Saint  Benoît,  —  le  Christ  moit,  soutenu  par  des  anges,  —  et 
le  Martyre  de  sainte  Catherine. 

(3)  Guida  pel  forestière  in  Ferrara,  1873,  p.   159. 


LIVRE   DEUXIEME.  333 

cloîtres,  les  arcades  ont  pour  soutien,  non  des  colonnes,  mais 
des  piliers.  Un  joli  puits  orné  de  deux  pilastres,  et  un  autre 
puits  avec  quatre  colonnes  supportant  un  dôme,  témoignent 
aussi  du  goût  qui  a  présidé  à  l'aménagement  de  ces  cloîtres, 
dont  Frizzi  attribue  la  construction  aux  frères  Giovanni 
Antonio  et  Guido  P ig hetti  [lôo'^). 


ÉGLISE    DES     CHARTREUX,    DÉDIÉE    A    SAINT    CHRISTOPHE    (l). 

Borso  avait  à  peine  succédé  à  son  frère  Lionel  sur  le  trône 
de  Ferrare  qu'il  résolut  de  faire  construire  une  église  destinée 
aux  Chartreux,  dont  il  avait,  dans  sa  jeunesse,  entendu  célébrer 
la  règle  austère  par  le  Bienheureux  Niccolô  Albergati,  évêque 
de  Bologne  et  cardinal,  appartenant  lui-même  à  l'Ordre  de 
Saint-Bruno.  Le  21  avril  1452,  il  posa  la  première  pierre  de 
l'édifice,  et  neuf  ans  plus  tard,  le  24.  juin  14(il,  il  y  installa 
solennellement  quelques  religieux  en  présence  de  Rinaldo 
Maria  d'Esté,  de  Sigismond  son  propre  frère,  de  Niccolô  son 
neveu,  de  plusieurs  évêques  et  de  nombreux  gentilshommes  (2). 
A  côté  de  l'église  dédiée  à  Dieu,  à  Marie  et  à  saint  Christophe, 
on  étaitalors  en  train  d'élever  un  beau  palais  pour  les  moines  (3), 
auxquels  le  duc  de  Ferrare  offrit  en  outre  de  vastes  jardins 
situés  en  partie  sur  la  paroisse  de  Saint-Guillaume,  en  partie 
sur  la  paroisse  de  Saint-Léonard,  dans  le  voisinage  du  parc  de 
Belfiore.  Enfin  des  donations  importantes  assurèrent  l'exis- 
tence des  nouveaux  venus  (4). 

(1)  Frizzi,  Memoric  par  la  storùi  di  Ferrara,  t.  IV,  p.  43  et  191. 

(2)  Le  principal  architecte  de  la  Chartreuse  fut  Pielrobono  Brusavola,  ;^Cam- 
PORI,  Gli  architetti  e  rjl'  ingegncri  civili  et  inilitaii  dcjli  Estensi  dal  secolo  XIII 
al  XVI,  p.  30.)  Deux  ingénieurs  ducaux,  Santé  da  Nuvolino  et  Rigone,  furent 
aussi  employés  à  la  construction  de  la  Chartreuse  en  1460.  (L.-N.  Cittadeli.a, 
Notizic  relative  a  Ferrara^  t.  I,  p.  532.) 

(3)  Il  reste  à  peine  quelques  vestiges  de  ce  palais. 

(4)  Parmi  les  libéralités  de  Borso  envers  les  Chartreux,  il  faut  mentionner  les 
livres  de  chœur,  ornés  d'admirables  miniatures,  qui  so  trouvent  à  présent  dans  la 
bibliothèque  communale.  (Voyez  dans  le  liv.  IV  le  ch.  ii  consacre  à  la  miniature.) 
—  Michel  vSavonarolc,  écrivain  distingué  et  médecin  de  la  cour,  grand-père  de  Savo- 


331-  I/AllT    FEURAllAlS. 

La  munificence  d'Hercule  I"  dépassa  encore  celle  de  Borso  : 
c'est  à  lui,  en  effet,  qu'est  due  l'église  actuelle  (1),  auprès  de 
laquelle  il  fit  bâtir  de  magnifiques  cloîtres.  Commencée 
en  1498,  elle  ne  fut  terminée  qu'en  1553.  Le  tremblement  de 
terre  de  1570  y  causa  de  graves  dégâts,  qui  au  bout  de  deux 
ans  étaient  réparés,  grâce  aux  largesses  du  duc  Alphonse  II. 
Les  corporations  religieuses  ayant  été  supprimées  en  179(3, 
les  Chartreux  durent  abandonner  leur  installation.  En  1813, 
leur  monastère  fut  transformé  en  cimetière  communal.  C'est 
là  que  les  Ferrarais  ont  placé  les  tombeaux  de  leurs  grands 
hommes. 

L'emplacement  de  la  Chartreuse  a  été  admirablement 
choisi  :  elle  se  trouve,  en  effet,  dans  un  quartier  solitaire,  où 
les  bruits  du  monde  n'arrivent  pour  ainsi  dire  pas,  où  les 
oiseaux  seuls  se  font  entendre,  où  l'herbe  envahit  les  rues 
désertes  sans  qu'on  y  mette  obstacle.  L'église  elle-même  est 
précédée  de  vastes  espaces  tapissés  de  gazon.  Sa  façade  en 
briques  sans  revêtement  est  d'une  sévérité  en  rapport  avec  la 
vie  des  Chartreux  et  n'a  pour  ornement  qu'une  porte  en 
marbre,  pourvue  de  pilastres  très  simples  et  d'un  fronton 
cintré,  tandis  que  les  côtés  ont  plus  d'élégance.  C'est  surtout 
en  circulant  dans  les  cloîtres  que  l'on  peut  bien  apprécier  la 
disposition  des  lignes  générales  que  présentent  la  nef,  les  bras 
de  la  croix,  le  majestueux  campanile  (:2)  et  l'abside. 

A  l'intérieur  de  l'église ,  même  aspect  grandiose  ;  mais  ce 
qui  attire  surtout  les  regards,  ce  sont  les  charmantes  arabes- 
ques qui,  sur  la  base  des  piliers,  s'unissent  au  diamant,  em- 


narole,  composa  pour  les  Cliartreux  de  Fcrrare  un  traité  sur  la  confession.  [Con- 
fcssionnale.)  «  Les  conseils  qu'il  y  donne  témoignent  du  zèle  le  plus  pur  pour  le 
perfectionnement  des  âmes.  »  (Villari,  Vie  de  Jéi-àme  Savonarolc,  t.  I,  p.  30.) 
Michel  Savonarole  mourut  vers  1462.  (Pour  plus  de  détails  sur  ce  pcrsonnajje, 
voyez  ce  qui  a  été  dit  p.  27.) 

(1)  On  ignore  le  nom  de  l'architecte.  Celui  de  Jacopo  Sansovino  a  été  pro- 
noncé ;  mais  en  1498,  au  moment  oîi  la  construction  fut  commencée,  Sansovino 
n'avait  que  douze  ans. 

(2)  Le  campanile  fut  achevé  en  1566  sous  la  direction  de  Galasso  Alghisi  da 
Carpi^   architecte   ducal.    (L.-A.    Cittadella,   JSotizie   relative   a   Fcirara,   t.    II, 

p.  96.) 


LIVRE   DEUXIEME.  335 

blême  adopté  par  Hercule  I",  et  à  la  grenade,  emblème  choisi 
par  Alphonse  I"  après  la  bataille  de  Ravenne  (1512)  (1).  Un 
grand  ciboriutn  dans  la  première  chapelle  à  gauche,  et  les 
stalles  du  chœur,  ornées  de  marqueteries  dues  h  Pietro  Rizzardo 
dalle  Lanze,  ne  sont  pas  non  plus  indignes  de  lexamen  du 
visiteur.  Quant  aux  douze  tableaux  de  Niccolo  Roselli  placés 
au-dessus  des  autels  latéraux,  quant  au  Saint  Christophe  de 
Sehastiano  Filippi,  au  fond  du  chœur,  et  à  VExaltation  de  la 
sainte  croix  (qui  semble  être  du  même  peintre) ,  dans  le  bras 
droit  de  la  croix,  ce  sont  des  œuvres  de  décadence  qui  ne  sont 
intéressantes  qu'au  point  de  vue  de  l'histoire  de  l'art. 

Lorsqu'on  passe  de  l'église  dans  les  cloîtres,  on  est  frappé 
par  la  disposition  variée ,  imprévue ,  de  ces  élégants  porti- 
ques, par  leur  légèreté,  leur  grâce,  leur  couleur.  Les  colon- 
nettes  d'un  ton  pâle  forment  un  charmant  contraste  avec  le 
vermillon  des  arcades  qui  se  détache  sur  le  rose  des  murs  en 
briques.  Si  le  calme  des  galeries  dispose  l'esprit  au  recueille- 
ment, il  y  a  donc  aussi  de  quoi  satisfaire  les  yeux.  Seulement, 
il  est  très  regrettable  que  les  cours  aient  été  transformées  en 
cimetières.  Ces  pierres  arrondies  et  uniformes  qui  sortent  de 
l'herbe  à  intervalles  réguliers  produisent  l'effet  le  plus  désa- 
gréable. Sous  les  cloîtres,  grands  et  petits,  et  dans  les  an- 
ciennes cellules  du  monastère,  on  est  du  moins  dédommagé 
par  la  vue  de  quelques  sculptures  qui  ne  sont  pas  sans  mérite. 
Nous  nous  bornerons  à  signaler  le  tombeau  de  Borso,  un  haut 
relief  représentant  l'Enfant  Jésus  entre  saint  Georges  et  un 
guerrier  à  genoux,  l'ornement  du  quinzième  siècle  qui  entoure 
la  porte  donnant  accès  au  tombeau  Baratelli,  un  enfant  en 
bas-relief  exécuté  en  1-498  par  Montagnana  surnommé  Lam- 
berti,  le  tombeau  des  frères  Becchi  par  Bariolini  (2)  et  le  buste 
de  Leopoldo  Gicognara  par  Canova. 


(1)  Voyez  clans  le  liv.  III  le  eh.  i  relatif  à  la  sculjilure. 

(2)  Ibid. 


336  L'ART   FEURARAIS. 


ÉGLISE    ET    MONASTERE     DU     CORPUS     DOMINI. 

Ce  monastère  appartient  aux  Clarisses,  religieuses  cloîtrées. 
Sainte  Catherine  de'  Vegri,  ordinairement  appelée  sainte  Ca- 
therine de  Bologne,  y  demeura  longtemps.  Plusieurs  princesses 
de  la  maison  d'Esté  s'y  firent  religieuses.  Le  8  octobre  1502, 
Lucrèce  Borgia,  à  peine  remise  des  couches  qui  faillirent  lui 
coûter  la  vie,  se  retira  au  couvent  du  Corpus  Domini  pour  mieux 
se  rétablir,  et  elle  y  resta  jusqu'au  22  octobre.  C'est  là  que 
reposaient  les  restes  de  sa  belle-mère  Éléonore  d'Aragon  (1); 
elle-même  y  fut  ensevelie  (juin  1519).  Elle  y  avait  placé  sa 
nièce  Camilla,  qui  non  seulement  y  fut  élevée,  mais  s'y  fit 
religieuse,  et  qui  mourut  en  1573,  regardée  comme  une  sainte. 
Pendant  la  réclusion  imposée  par  Hercule  II  dans  une  partie 
de  l'ancien  palais  des  princes  d'Esté  à  sa  femme  Renée,  pro- 
tectrice des  hérétiques  et  gagnée  à  leurs  doctrines,  Lucrezia 
et  Eleonora,  filles  de  Renée  et  du  duc,  demeurèrent  aussi  au 
couvent  du  Corpus  Domini  (1553),  et  Lucrezia  y  fut  ensevelie 
le  12  février  1598.  Les  restes  d'Alphonse  II  ne  tardèrent  pas 
à  l'y  suivre. 

Dans  une  des  chambres  du  monastère,  on  voit  encore  les 
restes  de  quelques  grandioses  figures ,  abritées  par  des  ber- 
ceaux de  verdure  et  accompagnées  de  banderoles  sur  les- 
quelles se  trouvent  des  inscriptions  en  caractères  gothiques. 
Ces  figures,  exécutées  a  grafjîto,  semblent  appartenir  à  la  fin 
du  quatorzième  siècle  ou  au  commencement  du  quinzième. 

Le  palais  Romei ,  dont  il  sera  question  plus  loin ,  a  été 
annexé  au  monastère  du  Corpus  Domini  en  1  483. 

(^1)  Eléonore  d'Aragon  fut  la  bienfaitrice  du  monastère,  qui  lui  dut  un  tableau 
flamand.  «  Una  tela  grande  dove  ha  fatto  depinzere  in  Burges  la  quale  è  xpo 
quando  fu  batezato  etquando  monta  in  cielo  cum  li  maghi  et  certi  altri  misteri 
ta  quale  ordinà  la  Illu"''  Madama  per  le  Suore  del  corpo  de  xpo  costà  ducati  cin- 
que  et  grossi  quindesc.  »  (Venturi,  Varie  ferrarese  ncl  periodo  d'Ercole  I 
d'Esté^  p.  33,  note  1.) 


LIVRE   DEUXIEME.  33T 

Dans  l'église,  au-dessus  du  maître-autel,  se  trouve  une 
Cène  due  à  un  artiste  de  Vérone,  Giacomo  Cignaroli.  Jésus  est 
en  train  de  distribuer  la  communion  à  ses  disciples.  Ceux-ci 
sont  bien  peints;  ils  ont  beaucoup  de  relief.  Une  profonde 
humilité  ennoblit  les  traits  de  celui  qui  reçoit  la  communion 
et  de  celui  qui  se  trouve  un  peu  plus  à  gauche  et  qui  s'incline. 
Ce  sont  des  hommes  du  peuple,  sains,  vigoureux,  habitués 
au  grand  air  et  au  travail.  La  tête  chauve  de  l'un  d'eux,  vue 
par  derrière,  est  d'une  vérité  saisissante.  Mais  le  Christ  manque 
d'ampleur,  et  son  visage  est  mesquin. 

A  l'église  du  Corpus  Domini  attient  un  joli  cloître  avec  des 
arcades  au  rez-de-chaussée  et  au  premier  étage  (1). 


EGLISE    DE     SAINTE-MONIQUE. 

Cette  église  est  fermée.  Elle  est  précédée  d'une  cour  aban- 
donnée où  l'herbe  pousse  abondamment  et  dans  laquelle  on 
ne  peut  pas  même  pénétrer.  On  parvient  cep»  ndant  à  distin- 
guer, à  travers  le  grillage  qui  la  protège,  une  fresque  de  Garo- 
falo  dans  l'arc  au-dessus  de  la  porte.  Elle  représente  simple- 
ment la  Vierge  avec  l'Enfant  Jésus.  La  Vierge,  vue  de  face,  est 
une  vraie  Madone,  très  belle  et  très  pieuse,  coiffée  de  son 
manteau;  elle  ne  rappelle  pas  les  types  ordinaires  de  Garofalo. 
L'enfant,  tourné  à  droite,  est  debout  sur  une  balustrade.  Le 
coloris  est  vigoureux.  Cette  peinture  semble,  malgré  son  iso- 
lement, inviter  encore  le  passant  à  prier.  Elle  a  beaucoup 
souffert  et  a  été  retouchée  par  Aurelio  Orteschi  de  Venise.  La 
fondation  du  monastère,  favorisée  par  Alphonse  I",  remonte 
à  l'année  1515. 

(1)  Ce  cloître  a  été  pliotoj^rapliié  par  Pietro  l'oppi  de  Bologne,  n"'  6336  et 
6337. 


22 


338  L'ART    FEURARAIS. 


EGLISE    DE    SAINT-JEAN-BAPTISTE. 

En  1557,  cette  église  n'était  pas  encore  terminée.  On  suivit 
pour  l'intérieur,  où  l'on  remarque  une  belle  coupole,  les  des- 
sins de  Girolamo  Sellari  da  Carpi,  peintre  et  architecte,  qui 
était  déjà  mort  en  1556,  et  pour  l'extérieur  les  dessins  de 
Giulio  da  Carpi,  fils  de  Girolamo. 

Une  médiocre  terre  cuite  représentant  la  Vierge  avec  son 
fils  mort  et  faussement  attribuée  à  Alfojiso  Lomhardi,  un  Saint 
Lazare  par  Niccolo  Roselli,  une  Décollation  de  saint  Jean-Baptiste 
et  une  Pietà  par  Scarsellino ,  sont  les  seules  œuvres  d'art  qui 
soient  à  mentionner  ici.  Le  Saint  Lazare  est  peut-être  la  meil- 
leure production  de  Roselli.  En  considérant  la  Décollation  de 
saint  Jean-Baptiste,  tableau  «  très  bien  étudié  et  d'un  excellent 
coloris  (1)  »  ,  on  est  partagé  entre  l'horreur  et  la  pitié;  Héro- 
diade  semble  avide  de  voir  rouler  à  terre  la  tête  de  sa  victime, 
tandis  que  sa  fille  manifeste  à  la  fois  de  l'audace  et  de  la 
crainte;  un  peu  plus  loin,  Hérode  à  table  reçoit  de  ces  deux 
femmes  la  tête  du  Précurseur.  Dans  la  Pietà,  la  Vierge,  en- 
tourée de  plusieurs  saintes  femmes,  soutient  sur  ses  genoux  le 
corps  inanimé  de  son  fils  ;  la  pâleur  livide  des  visages  rend 
d'une  façon  saisissante  les  émotions  diversement  douloureuses 
auxquelles  sont  en  proie  Marie  et  ses  compagnes. 


ÉGLISE    DE     LA    MADONNA     DELLA     PORTA    DISOTTO 
OU     ÉGLISE    DE    LA     MADONNINA. 

Non  loin  de  la  porta  Roiuana. 

Cette  petite  église,  construite  vers  la  fin  du  seizième  siècle 
par  l'architecte  ferrarais  Alberto  Schiatti,  possède  une  façade 

(1)  B:\RUFFALDi,  Vite,  etc.,  t.  II,  p.  89. 


LIVRE  DEUXIEME.  339 

très  simple,  mais  très  élégante.  C'est  une  construction  en  bri- 
ques ornée  de  pilastres  et  pourvue  de  deux  fenêtres  longues 
et  effilées.  La  porte  en  marbre  a  un  fronton  brisé,  aux  côtés 
duquel  s'élèvent  deux  petits  obélisques.  Un  fronton  aigu,  ac- 
compagné de  trois  autres  petits  obélisques,  termine  la  partie 
supérieure  de  la  façade. 

A  l'intérieur,  l'église,  qui  a  la  forme  d'une  croix  grecque, 
ne  renferme  rien  de  curieux.  On  voit  au  fond  du  chœur  l'an- 
cienne Vierge  à  laquelle  elle  doit  son  nom.  Cette  Vierge  dé- 
corait jadis  une  tour  près  d'une  des  portes  de  la  ville,  porte 
appelée /jorïa  di  Sotto;  elle  fut  ensuite  transportée  dans  un  ora- 
toire que  remplaça  l'église  actuelle  (1). 


EGLISE    DE    SAINT-PAUL. 

Cette  église  fut  commencée  en  1573  pour  remplacer  celle 
que  les  religieux  du  Mont-Carmel  possédaient  ici  même  avant 
le  tremblement  de  terre  de  1570,  qui  la  renversa;  elle  eut 
pour  architecte  Alberto  Schiatti. 

Les  peintures  de  la  grande  nef  furent  exécutées  après  1608 
par  Giovamii  Battista  Magagnino  (qui  mourut  en  1613  et  que 
remplaça  Girolamo  Grassaleoni),  par  Girolamo  Faccini  et  par 
Ippolito  Casoli,  C'est  leur  faire  beaucoup  d'honneur  que  de  les 
mentionner. 

h' Epiphanie ,  derrière  le  maître-autel,  la  Conversion»  ei  la 
Décollation  de  saint  Paul,  qui  se  font  face  dans  le  chœur,  sont 
dues  à  Domenico  Mona,  peintre  né  vers  1550  et  mort  en  1602. 
Cet  artiste  a,  de  plus,  représenté  à  la  voûte  du  chœur  Saint 
Paul  porté  au  ciel  par  les  anges.  A  ces  productions  hâtives,  il 
manque  le  goût  et  la  simplicité  qui  donnent  seuls  du  prix  aux 
œuvres  d  art. 

Sigismondo  Scarsella  est  l'auteur  d'un  Saint  Albert,  et  Scar- 

(1)   Fnizzi,  Mem.  per  la  storia  di  Ferrara,  t.  IV,  p.  259-260. 


340  L'ART   FERRARAIS. 

sellino,  son  fils,  a  peint  la  coupole  et  la  voûte  du  transept.  La 
Nativité  de  saint  Jean-Baptiste,  au  troisième  autel  à  droite,  la 
Vierge  et  l'Enfant  Jésus  entre  six  demi- figures  de  saints  Carmes^ 
sur  l'arc  qui  commande  Tentrée  de  la  tribune,  enfin,  dans 
l'abside,  Élie  enlevé  au  ciel,  prodige  que  contemplent  deux 
groupes  d'assistants  (1595-1596),  sont  également  dus  à  Scar- 
sellino.  Dans  cette  dernière  composition,  les  visages  des  reli- 
gieux représentés  h  la  droite  du  spectateur  expriment  bien 
l'étonnement.  En  considérant  les  personnages  placés  à  gauche, 
ce  que  l'on  remarque  surtout,  c'est  l'heureuse  combinaison 
de  couleurs  que  présentent  les  costumes.  Cette  peinture,  très 
décorative,  mais  qu'il  ne  faut  pas  regarder  de  trop  près,  fut 
commandée  par  le  comte  Giulio  Tassoni.  Pendant  que  Scar- 
sellino  v  travaillait,  les  religieux  le  pressaient  à  tout  moment, 
sans  lui  offrir  une  augmentation  de  prix,  d'agrandir  le  champ 
de  la  composition  convenue  :  désirant  les  satisfaire  et  cepen- 
dant ne  pas  accroître  sa  peine,  il  fit  comme  les  tailleurs  qui 
veulent  avec  peu  de  drap  habiller  un  homme  de  haute  sta- 
ture; il  se  contenta  d'espacer  les  personnages  en  laissant  entre 
eux  de  grands  vides  (1). 

Le  Saint  Jérôme  dans  le  désert  qui  orne  l'autel  au-dessous 
de  la  tribune  du  chant  est  l'œuvre  de  Girolamo  da  Car  pi.  Cet 
artiste  a  souvent  été  mieux  inspiré  ;  il  se  montre  ici  faible 
dessinateur  et  coloriste  sans  charme. 

A  Bastianino  appartiennent  V Annonciation  (2),  au  cinquième 
autel  à  droite,  ainsi  que  les  tableaux  des  deux  autels  les  plus 
rapprochés  du  transept  dans  la  nef  de  gauche,  c'est-à-dire  la 
Purification  et  la  Résurrection. 

L'église  de  Saint-Paul  possédait  autrefois  le  beau  Saint  Sé- 
bastien d'Ercole  Grandi  di  Giulio  Cesare  qui  figure  si  digne- 
ment à  la  Pinacothèque. 

Dans  le  couvent,  qui  est  devenu  une  prison,  Girolamo  da 
Carpi  avait  peint,  dit-on,  sur  les  parois  du  premier  cloître,  le 
Castel  Tedaldo,  les  palais  de  Belfiore  et  du  Belvédère,  ainsi 

(1)  Baruffai.di,  Vite,  etc.,  t.  II,  p    72-74. 

(2)  Le  donateur  Orlando  Crispi  inspire  seul  quelque  intérêt. 


LIVRE   DEUXIEME.  341 

que  plusieurs  paysages  :  ces  fresques  ont  disparu  sous  la  chaux 
en  1699  (1). 

La  tour  qui  abrite  les  cloches  fut  donnée  aux  religieux  en 
1442  par  Lionel  d'Esté;  mais  c'est  la  famille  Leuti  ou  de'  Lei 
qui,  à  l'origine,  en  était  propriétaire  (2). 


ÉGLISE    DE    SAN    SPIRITO    (3). 


Cette  église,  dont  Alphonse  I"  posa  la  première  pierre 
en  1519,  fut  construite  pour  les  Franciscains  de  l'Observance, 
dépossédés  de  celle  qu'ils  occupaient  dans  le  faubourg  de  la 
Pioppa  et  qui  avait  été  sacrifiée  en  1512  aux  besoins  straté- 
giques de  la  ville.  Achevée  seulement  en  1634,  elle  fut  con- 
sacrée en  1656.  Quant  au  vaste  couvent,  on  le  termina  en  1642. 

Au  fond  de  la  nef  de  gauche  se  trouve  un  tableau  dans 
lequel  Domenico  Mona  a  représenté  Saint  Diego  guérissant  un 
aveugle.  La  figure  du  saint  penché  avec  compassion  vers  le 
pauvre  homme  privé  de  la  vue  ferait  presque  honneur  à  un 
maître  du  quinzième  siècle;  une  austère  bonté  anime  le  visage 
pâle  et  ascétique  du  moine.  Le  reste  de  la  composition  est  un 
peu  confus.  A  gauche,  on  remarque  un  homme  dont  les  carna- 
tions d'un  ton  rougeâtre  sont  désagréables. 

L'église  de  San  Spirito  possédait  autrefois  un  tableau  de 
Giovanni  Dosso  et  un  tableau  de  Garofalo  qui  ont  passé  dans 
la  Pinacothèque  :  le  premier  représente  l'Annonciation  (n°  44); 
le  second  nous  montre  la  Vierge  et  l'Enfant  Jésus  sur  les  nuages, 
saint  Jérôme,  saint  François  d'Assise  et  deux  membres  de  la 
famille  Suxena  sur  la  terre  (n°  65). 

Dans  le  réfectoire  du  couvent,  Garofalo  avait  peint  en  1544 

(1)  BAncFFALDi,  Vile,  etc.,  t.  I,  p.  394. 

(2)  L.-X.  CiTTADKLLA,  Guida  pcl foiesticic  in  Fcrrara,  et  Notizie  iiitorno  a 
Fenara,  t.  I,  p.  33. 

(3)  Frizzi,  Memorie  per  la  storia  cli Fenara,  t.  IV,  p.  266-268.  —  Hurckhardt, 
Der  Ciccrone,  t.  I,  p.  208  e. 


342  L'ART   FERRARAIS. 

une  Cène  très  admirée,  que  l'on  a  détruite  en  voulant  la  dé- 
tacher du  mur  (1). 

Lorsque  le  pape  Clément  VIII,  devenu  maître  de  Ferrare, 
fit  construire  en  1603  la  forteresse  qui  devait  lui  assurer 
l'obéissance  de  ses  nouveaux  sujets  et  sacrifia  la  villa  du  Bel- 
védère à  ses  projets  stratégiques,  c'est  au  couvent  de  San 
Spirito  que  l'on  transporta  le  fameux  escalier  de  marbre  par 
lequel  on  accédait  à  cette  villa,  ainsi  qu'un  certain  nombre  de 
colonnes  et  un  escalier  en  colimaçon  provenant  de  l'une  des 
deux  tours  situées  aux  côtés  du  palais.  On  peut  voir  encore 
aujourd'hui  l'escalier  tournant  et  quelques-unes  des  colonnes. 


EGLISE    DE    SAN    MAURELIO,    DITE    LA    NOUVELLE    EGLISE. 

A  côté  du  pittoresque  escalier  de  marbre,  abrité  d'une  toi- 
ture en  plomb,  qui  conduit  au  palais  municipal,  se  trouve  une 
petite  église  dont  la  façade  donne  sur  la  cour  ducale,  et  que 
l'on  appelle  tantôt  église  de  San  Maurelio,  tantôt  Chiesa  Nuova. 
A  partir  du  quinzième  siècle,  elle  servit  de  chapelle  aux  sou- 
verains de  Ferrare.  Transformée  dans  la  suite  en  théâtre,  puis 
en  grenier  à  foin,  elle  ne  fut  rendue  au  culte  en  1692  que  pour 
être  fermée  de  1798  à  1802,  et  l'on  n'y  pénètre  pas  maintenant 
sans  difficulté.  Elle  ne  renferme,  du  reste,  plus  rien  d'intéres- 
sant. Mais  on  ne  regarde  pas  sans  plaisir  sa  porte  monumen- 
tale. Deux  belles  colonnes  cannelées  supportent  un  entable- 
ment ou  figure  une  frise  composée  de  rinceaux  délicats, 
ensemble  qui  rappelle  beaucoup  la  porte  du  Palais  des  Lions 
et  qui  paraît  appartenir  comme  elle  au  commencement  du  sei- 
zième siècle.  Au-dessus  des  colonnes  et  de  l'entablement  sont 
placées  les  statues  de  saint  Georges  et  de  saint  Maurelio,  exécu- 

(1)  Voyez  ce  qu'en  a  dit  L.-^.  Cittadella  dans  un  opuscule  intitulé  :  Sopia 
un  dipinto  del  Garofalo  nel  refettorio  dei  M.  M.  00.  di  S.  Spirito  in  Ferrara 
(Bolo{;na,  1846),  et  dans  ses  Memorie  su  Benvenuto  Tisi  da  Garofalo.  Ferrare, 
1872,  p.  46. 


LIVRE   DEUXIEME.  343 

tées  au  dix-septième  siècle  par  le  sculpteur  ferrarais  Francesco 
Vidoni  :  les  deux  patrons  de  Ferrare  sont  debout.  Entre  eux, 
on  remarque  deux  étroites  bandes  de  marbre  avec  des  rinceaux. 
Un  peu  plus  haut  que  les  saints  se  montrent,  aux  côtés  d'une 
grande  plaque  de  marbre  contenant  une  inscription  et  sur- 
montée de  riches  armoiries,  deux  figures  d'hommes  dont  la 
partie  inférieure  se  termine  en  feuillages.  Vidoni  en  est  éga- 
lement l'auteur. 


ÉGLISE    DE    SAINT-DOMINIQUE. 

Suivant  la  tradition,  saint  Dominique,  en  passant  à  Ferrare, 
reçut  l'hospitalité  dans  le  palais  Guramonti,  mais  pendant  la 
nuit  il  se  retirait  dans  la  pauvre  maison  d'un  jardinier,  où  de 
nombreux  miracles  se  produisirent.  La  Commune  acheta  cette 
maison  et  la  remplaça  par  une  église  et  un  couvent.  Dès  1235, 
les  Dominicains  étaient  établis  à  Ferrare,  mais  on  ne  sait  pas 
s'ils  occupaient  déjà  l'endroit  sur  lequel  a  eu  lieu  leur  installa- 
tion définitive.  Au  dix-huitième  siècle,  l'église  de  Saint-Domi- 
nique a  été  reconstruite  d'après  le  dessin  de  Vincenzo  Santini,  ar- 
chitecte né  dans  les  États  vénitiens;  commencée  en  1G93,  elle 
fut  achevée  en  1717  (1).  Les  quatre  statues  de  grandeur  natu- 
relle qui  ornent  la  façade  représentent  saint  Thomas  d'Aquin, 
saint  Vincent  Ferrier,  saint  Antonino  et  saint  Pie  V;  elles  ont 
été  sculptées  par  Andréa  Fen^eri. 

A  l'intérieur  de  l'église,  derrière  le  maître-autel,  se  trouve 
une  sculpture  anonyme  qui  semble  appartenir  à  la  fin  du  quin- 
zième siècle.  Elle  représente  la  Vierge  avec  l'Enfant  Jésus 
donnant  sa  bénédiction.  Ce  bas-relief  en  marbre,  sans  être  de 
premier  ordre,  est  très  agréable  à  regarder;  on  se  sent  particu- 
lièrement gagné  par  le  charme  du  divin  Enfant  (2). 

Les  stalles  du  chœur  ne  méritent  pas  moins  l'attention.  Elles 
sont  disposées  sur  deux  rangs,  et  chaque  rang  en  comprend 

(1)  Frizzi,  Memoric  pcr  la  storia  di  Fcrvaia,  t.  IIÎ,  p.  119. 

(2)  Voyez  dans  le  liv.  III  le  ch.  i",  consacre  à  la  sculpture. 


344  L'AllT    FERRARAIS. 

dix-neuf.  Si  les  stalles  inférieures  ne  remontent  pas  plus  haut 
que  le  seizième  siècle,  les  stalles  supérieures  appartiennent  au 
quatorzième  et  se  recommanclentpar  l'élégance  de  leurs  formes, 
par  la  variété  des  détails,  par  la  perfection  de  l'exécution. 
Elles  sont  l'œuvre  de  Giovanni  da  Modena,  surnommé  Saisi  ou 
Abaisi,  et  furent  commandées  en  1384  (l). 

Quand  on  pénètre  dans  la  grande  sacristie,  on  rencontre 
encore  des  boiseries  sculptées.  Ces  boiseries  garnissent  toutes 
les  parois.  Elles  furent  exécutées  aune  époque  moins  sobre  et 
moins  pure.  Les  pilastres,  les  chapiteaux,  les  corniches  té- 
moignent cependant  d'une  réelle  habileté.  On  remarque  aussi 
des  marqueteries  représentant  des  saints  et  des  saintes  de 
l'Ordre  de  Saint-Dominique,  mais  le  style  de  ces  figures  trahit 
un  art  auquel  la  simplicité  était  devenue  étrangère. 

C'est  dans  cette  sacristie  que  le  célèbre  anatomiste  Giam- 
battista  Canani  et  que  le  cardinal  Giulio  Canani  ont  leurs  tom- 
beaux, surmontés  des  bustes  de  ces  deux  personnages. 

En  fait  de  peintures,  l'église  de  Saint-Dominique,  dont  les 
principales  richesses  ont  été  transportées  à  la  Pinacothèque, 
ne  possède  plus  que  quatre  tableaux  dignes  d'être  mentionnés. 

Nous  signalerons  en  première  ligne  une  Vierge  du  quator- 
zième siècle  trop  peu  remarquée,  dont  l'auteur  est  inconnu. 
Vêtue  d'une  robe  rouge,  vue  à  mi-corps,  de  trois  quarts  à 
gauche,  la  tête  un  peu  inclinée  vers  l'épaule  droite,  elle 
regarde  dans  l'invisible,  en  allaitant  l'Enfant  Jésus  assis  sur 
elle.  L'enfant  tient  de  sa  main  droite  le  sein  de  sa  mère  et  se 
détourne  vers  nous;  il  est  beaucoup  moins  beau  que  Marie. 
Celle-ci,  dont  les  cheveux  sont  complètement  cachés  par  un 
voile  et  dont  la  tête  est  entourée  d'une  large  auréole  d'or, 
égale  les  plus  attachantes  figures  du  Paradis  d'Orcagna  dans 
l'église  de  Santa  Maria  Novella,  à  Florence.  Elle  possède  au 
suprême  degré  l'élégance  et  la  simplicité,  la  noblesse  et  la 
pureté.  Son  expression  suave  sans  mollesse,  distinguée  sans 
recherche,  trahit  une  certaine  tristesse  qui  n'altère  pas  la  force 

(1)  Voyez  dans  le  liv.  III  le  ch.  n  consacré  à  la  sculpture  en  bois  et  à  la  mar- 
queterie. 


LIVRE   DEUXIEME.  345 

de  l'âme.  Il  y  a  ici  comme  un  épanouissement  de  beauté  virgi- 
nale et  de  tendresse  maternelle.  Les  mains  effilées  méritent 
aussi  de  ne  point  passer  inaperçues.  A  la  fraîcheur  du  senti- 
ment correspond  celui  du  coloris  :  cet  admirable  tableau  est, 
en  effet,  dune  exquise  délicatesse  de  tons.  M.  Burckhardt 
fait  observer  qu'il  ne  reflète  pas  la  tradition  de  Giotto. 

Les  trois  autres  tableaux  que  nous  avons  à  mentionner  sont 
dus  à  Ippolito  Scarsella,  dit  le  Scarsellino.  Ils  représentent 
Sainte  Lucie  entre  saint  Paul  et  saint  François,  Sainte  Madeleine 
assistée  à  l  heure  de  la  mort  par  les  anges  et  consolée  par  l'appa- 
rition de  la  Vierge  avec  VEnfaixt  Jésus,  et  enfin  Saint  Charles  Bor- 
romée  en  prière  [l) .  Ce  dernier  tableau,  très  supérieur  aux  autres, 
est  vraiment  remarquable  {"2).  La  foi  transfigure  en  quelque 
sorte  le  visage  de  saint  Charles,  vu  de  profil  à  gauche,  et  la 
tempe  reçoit  un  beau  jet  de  lumière.  Les  mains  s'appuient  sur 
un  autel,  la  tête  s'incline  vers  l'épaule  gauche,  et  les  yeux  levés 
regardent  un  objet  qui  se  trouve  en  dehors  du  cadre,  proba- 
blement un  crucifix.  Le  camail  rouge  est  d'un  ton  très  riche. 
Quant  au  modelé,  il  est  rendu  avec  une  rare  puissance. 

Dans  le  couvent  des  Dominicains  se  trouvait  jadis  une  pré- 
cieuse bibliothèque,  en  grande  partie  composée  des  livres  que 
lui  avait  légués  l'illustre  lettré  ferrarais  Celio  Calcagnini.  Ces 
livres,  au  nombre  de  douze  cent  quarante-neuf,  selon  les  uns, 
de  trois  mille  cinq  cent  quatre-vingt-quatre,  selon  les  autres, 
devaient  être  mis  à  la  disposition  du  public.  Un  legs  supplé- 
mentaire de  cinquante  écus  d'or  en  or  fut  destiné  à  payer  les 
rayons  et  les  chaînes  par  lesquelles  on  assujettissait  alors  les 
volumes  aux  tables  pour  prévenir  les  soustractions.  Le  tom- 
beau de  Calcagnini  fut  placé  au-dessus  de  la  porte  de  la  biblio- 
thèque du  couvent.  En  1790,  quand  l'Ordre  de  Saint-Domi- 
nique fut  supprimé,  les  livres  de  la  bibliothèque  se  dispersèrent. 

Le  cloître  a  été  transformé  en  caserne. 


(1)  Le  même  sujet,  nous  l'avons  dit,  est  traité,  avec  quelques  légères  diffé- 
rences, dans  un  tableau  de  Scarsellino  appartenant  à  l'église  de  Saint-Henoît. 
(Voyez  p.  321.) 

(2)  Il  orne  la  cinquième  chapelle  à  gauclie. 


346  L'ART   FERRARAIS. 

De  bonne  heure,  le  crédit  des  Dominicains  fut  grand  à  Fer- 
rare.  En  1287,  leur  prieur  fut  chargé  de  désigner,  de  concert 
avec  le  gardien  des  Franciscains  et  un  autre  religieux,  trois 
personnes  aptes  à  s'occuper  de  la  question  des  vivres  (1).  A  la 
suite  des  contestations  qui  s'élevèrent  entre  les  trois  fils 
d'Obizzo  après  la  mort  de  ce  prince,  un  arrangement  fut  signé 
dans  la  sacristie  des  Dominicains,  en  1293.  Avant  l'établis- 
sement de  l'Université,  on  fit  des  cours  publics  dans  l'église 
de  Saint-Dominique,  comme  on  en  fit  dans  les  églises  de  Saint- 
François  et  de  San  Crispino.  En  1427,  fut  enseveli  dans 
l'église  des  Dominicains  Nanni  Strozzi,  général  des  troupes 
ferraraises,  qui  avait  servi  la  maison  d'Esté  durant  près  de 
trente  années  et  qui  avait  été  tué  en  combattant  le  duc  de 
Milan  lors  des  opérations  dirigées  contre  ce  souverain  par  la 
ligue  formée  entre  Florence,  Venise  et  le  marquis  de  Ferrare 
Nicolas  III.  Pendant  la  funèbre  solennité,  Leonardo  Bruni, 
dit  Leonardo  Aretino ,  qui  fut  secrétaire  apostolique  sous 
quatre  papes  et  chancelier  de  la  République  florentine,  pro- 
nonça l'éloge  du  défunt.  On  voit  encore  dans  le  cloître  une 
longue  inscription  en  l'honneur  de  Nanni  Strozzi. 


EGLISE    DE    SAINT-GEORGES    HORS    DE    LA    PORTA    ROJIANA. 

La  première  cathédrale  de  Ferrare  fut  l'église  de  Saint- 
Georges,  qui  s'élève  au  fond  d'une  vaste  place  sur  laquelle  se 
lient  le  marché  aux  bestiaux  Elle  a  été  plusieurs  fois  renou- 
velée, et  c'est  au  commencement  du  dix-huitième  siècle 
qu'elle  a  reçu  sa  forme  actuelle.  Il  n'y  a  plus  guère  d'ancien 
que  \e  campanile  :  construit  en  1485  par  Biagio  Rossetti,  il  a 
perdu  un  peu  de  son  équilibre  et  s'incline  légèrement;  le  cône 
qui  le  surmontait  n'existe  plus.  Quant  au  vaste  couvent  annexé 
à  l'église,  il  a  été  démoli. 

Le  corps  de  saint  Maurelio,  patron  de  Ferrare,  repose  sous 

(1)   Frizzi,  Memorie  pcr  la  storia  di  Fcrrara,  t.  III,  p.  211. 


LIVRE   DEUXIEME.  34T 

l'autel  situé  au  fond  de  la  nef  de  gauche,  tandis  que  l'autel 
situé  au  fond  de  la  nef  de  droite  abrite  les  reliques  du  Bien- 
heureux Alberto  Pandoni,  évéque  de  Plaisance,  puis  de  Ferrare, 
mort  en  1274. 

Si  l'église  de  Saint-Georges  a  cédé  à  la  Pinacothèque  V Arres- 
tation et  la  Décapitation  de  saint  Maurelio,  peintes,  non  par 
Francesco  Cossa,  comme  on  le  dit  généralement,  mais  par 
Gosimo  Tura  (n"'  26  et  27),  ainsi  que  V Adoratioii  des  Mages 
exécutée  en  1537  par  Garofalo  (n°  C2)  et  la  Décollation  de  saint 
Maurelio  du  Guerchin  (n"  75),  elle  a  gardé  dans  la  tribune 
(à  gauche)  l'admirable  Tombeau  du  cardinal  Lorenzo  Roverella, 
sculpté  en  1  475  par  Jm^?'o^z'o  Borgognone  daMilano  (1).  Quand 
on  a  considéré  ce  monument,  on  apprécie  peu,  sur  la  muraille 
de  la  nef  de  gauche,  le  Tombeau  d'Orazio  Ariosii  (en  marbre 
rouge  de  Vérone)  :  l'ornementation  trahit  la  décadence,  et  le 
buste  d'Orazio  paraît  assez  ordinaire. 


EGLISE    DEL    GESU. 

L'introduction  des  Jésuites  à  Ferrare  fut  préparée  par  l'es- 
time qu'inspirèrent  leur  fondateur  et  plusieurs  de  ses  compa- 
gnons. En  revenant  de  Venise  pour  se  rendre  à  Gènes,  Ignace 
de  Loyola  s'arrêta  quelques  jours  dans  la  capitale  des  princes 
d  Este  (1524).  Pendant  qu'il  priait  dans  la  cathédrale,  un 
pauvre  obtint  de  lui  une  aumône,  ce  qui  encouragea  une 
troupe  de  mendiants  à  implorer  sa  charité;  il  n'en  repoussa 
aucun,  mais  il  épuisa  la  petite  somme  que  ses  amis  de  Venise 
lui  avaient  donnée  pour  son  voyage,  et  il  resta  sans  argent  (2). 

En  1437,  deux  de  ses  disciples,  le  Portugais  Simone  Rodri- 

(1)  Nous  en  reparlerons  en  traitant  ilc  la  sculpture  (liv.  III,  cli.  i).  On  voyait 
aussi  jadis  dans  l'église  de  Saint-Georj;es  ini  retal)lc  peint  pour  la  famille  Rove- 
rella par  Cosimo  Tura  :  plusieurs  fragments  de  ce  retable  se  trouvent  à  présent 
dans  la  Kational  Gallery,  dans  la  galerie  Colonna,  à  Rome,  et  dans  le  musée  du 
Louvre.  Nous  reviendrons  plus  loin  sur  ces  peintures. 

(2)  Ce  ne  fut  pas  la  seule  fois  que  les  Ferrarais  eurent  l'occasion  d'apprécier 
ses  vertus. 


348  L'ART    FERRARAIS. 

{juez  d'Azevcdo  et  le  Genevois  Claudio  Jaio,  vinrent  à  leur 
tour  à  Ferrare  :  ils  prêchèrent  dans  les  rues  et  sur  les  places 
publiques  avec  grand  succès  et  soignèrent  les  malades  dans  les 
hôpitaux,  vivant  du  produit  des  aumônes  qu'ils  recevaient  :  la 
marquise  de  Pescara,  qui  se  trouvait  alors  aussi  à  Ferrare,  les 
prit  sous  sa  protection  et  leur  accorda  des  secours.  Jaio  avait 
tellement  plu  à  Hercule  II,  que  ce  prince,  en  1547,  le  prit 
comme  confesseur.  Il  eût  voulu  le  loger  à  la  cour,  mais 
l'humble  Jésuite  obtint  de  demeurer  dans  l'hôpital  de  Sainte- 
Anne  et  fit,  dans  l'église  qui  y  était  annexée,  les  jours  de  fête, 
des  leçons  sur  lÉcriture  sainte.  Son  séjour  dura  deux  ans.  Sur 
l'invitation  du  duc,  un  autre  Jésuite,  saint  François  Borgia, 
son  parent,  passa  quatre  jours  à  Ferrare  en  se  rendant  d'Es- 
pagne à  Rome.  C'est  avec  lui  qu'Hercule  II  traita  de  l'établis- 
sement des  Jésuites  dans  sa  capitale,  établissement  auquel 
concourut  la  générosité  de  la  veuve  de  Lanfranco  Gessi.  En 
1551,  les  Jésuites  ouvrirent  trois  écoles  où  ils  professèrent  le 
grec  et  le  latin.  Si  leur  enseignement  provoqua  la  jalousie 
des  maîtres  déjà  installés  à  Ferrare  et  réveilla  l'animosité  de 
Cintio  Giraldi,  à  qui  l'introduction  des  Jésuites  à  Turin  avait 
fait  perdre  sa  chaire  de  belles-lettres  à  l'Université  de  cette 
ville,  il  fut  hautement  approuvé  par  le  célèbre  Antonio  Musa 
Brasavola  et  par  trente-deux  professeurs  de  l'Université  ferra- 
raise.  En  1570,  les  Jésuites  songèrent  à  se  faire  construire 
une  église  :  I  architecte  Alberto  Schiatti  en  exécuta  le  dessin;  le 
cardinal  d'Esté  et  le  duc  Alphonse  H,  son  frère,  en  posèrent 
la  première  pierre  le  3  novembre.  Barbe  d'Autriche,  la 
seconde  des  trois  femmes  d'Alphonse  II,  concourut  par  sa 
libéralité  à  la  réparation  des  dégâts  causés  à  l'édifice  par  un 
tremblement  de  terre. 

L'église  del  Gesu  ne  se  recommande  qu'au  visiteur  curieux 
d'étudier  les  productions  de  l'art  ferrarais  à  la  fin  du  seizième 
siècle.  Barbe  d'Autriche  y  a  son  tombeau,  qui  n'est  pas  sans 
intérêt  (1).  Au  premier  autel  à  gauche,  un  Christ  en  croix  par 

(1)   Voyez,  dans  le  liv.  III,  le  ch.  i,  consacré  à  la  sculpture. 


LIVRE  DEUXIEME.  349 

Giuseppe  Mazzuoli,  dit  le  Bastaruolo,  est  d'un  style  maniéré. 
Le  même  artiste  a  été  mieux  inspiré  en  peignant  pour  le  comte 
Grispi  V Ayinonciation  qui  orne  le  premier  autel  à  droite.  Assise  à 
la  droite  du  spectateur,  vue  de  profil  à  gauche,  un  livre  sur  ses 
genoux,  la  Vierge  est  élégamment  coiffée  d'une  draperie  jaune. 
Du  côté  opposé,  l'archange  Gabriel,  debout,  lui  présente  un 
lis  et  lui  montre  le  ciel;  par-dessus  une  tunique  blanche,  il 
porte  une  tunique  jaune  dont  une  draperie  violette  rehausse  la 
partie  inférieure.  Si  les  deux  personnages  n'ont  pas  l'élévation 
et  la  ferveur  que  leur  eût  données  un  maître  du  quinzième 
siècle,  les  draperies  ont  du  moins  de  la  noblesse.  Dans  le  ciel, 
le  Saint-Esprit  apparaît  au  milieu  d'une  éclatante  lumière 
entre  douze  petits  anges  qui  se  meuvent  parmi  les  nuages  : 
c'est  la  meilleure  partie  du  tableau.  La  richesse  du  coloris  est 
diffne  d'un  élève  de  Dosso. 


EGLISE    DE    SAINTE-BARBE. 
Via  délia  Giovecca. 

C'est  Barbe  d'Autriche,  seconde  femme  d'Alphonse  II,  qui  fit 
construire  en  1572  cette  église,  à  laquelle  fut  annexé  un  asile 
pour  les  jeunes  filles  pauvres.  On  y  voit  deux  tableaux  de 
Giuseppe  Mazzuoli,  dit  le  Bastaruolo ^  peintre  formé  à  l'école  des 
Dossi.  Celui  qui  orne  le  premier  autel  à  gauche  représente  la 
Décollation  de  saint  Jean- Baptiste.  L'exécution  vient  d'avoir 
lieu.  Saint  Jean,  les  mains  liées,  est  étendu  à  terre,  et  sa  tête 
tranchée  a  roulé  près  de  ses  mains.  A  droite,  le  vigoureux 
bourreau,  à  demi  nu,  remet  son  épée  dans  le  fourreau.  A 
gauche,  se  tiennent  deux  femmes  et  un  homme,  témoins  du 
meurtre.  Au  fond,  l'on  apporte  à  Hérode  la  tête  du  saint,  et 
plusieurs  personnages  sont  groupés  sur  un  escalier  (1).  Ce 
tableau  est  d'une  belle  couleur.  —  Dans  le  tableau  du  maître- 

(1)  Baruffaldi,  Vile,  etc.,  t.  I,  p.  430. 


350  L'ART   FERRARAIS. 

autel,  Bastaruolo  nous  montre  la  Vierge  avec  l'Enfant  Jésus  sur 
les  nuages,  entre  sainte  Barbe  et  sainte  Ursule,  placées  un  peu 
plus  bas,  tandis  qu'un  grand  nombre  de  jeunes  filles  [Zitelle  di 
santa  Barbara),  dont  on  n'aperçoit  que  les  bustes  et  qui  sont 
coiffées  d'un  voile  blanc,  occupent  le  bas  de  la  composition  (  1  ) . 
Il  y  a  là  des  tètes  intéressantes,  bien  rendues,  très  variées  et 
très  vivantes.  L'Enfant  Jésus,  debout  entre  les  jambes  de  sa 
mère  et  regardant  vers  la  terre,  est  assez  beau,  mais  les  figures 
voisines  nous  paraissent  fades  et  insignifiantes. 


ÉGLISE    DE    SAINTE-CLAIRE    OU    DES    CAPUCINES     (1642). 
Via  ilella  Giovecca. 

Cette  église  possède  des  autels  en  nover  d'un  beau  style; 
mais  ce  qu  elle  renferme  de  plus  intéressant  est  le  tableau  du 
maître-autel,  œuvre  à'Ippolito  Scarsella,  dit  le  Scarsellino.  Le 
peintre  a  représenté  dans  le  ciel  la  Vierge  avec  l'Enfant  Jésus 
entre  sainte  Claire  et  saint  François  d'Assise,  et  sur  la  terre 
quelques  Capucines  adorant  le  Saint  Sacrement. 

Laderchi  signale  dans  la  même  église  deux  autres  peintures 
du  Scarsellino.  Dans  l'une,  on  voit  la  Vierge  assise  sur  un 
trône  et  sainte  Elisabeth  tenant  le  petit  saint  Jean-Baptiste,  que 
l'Enfant  Jésus  accueille  avec  joie.  Dans  l'autre  nous  apparais- 
sent saint  Antoine  et  sainte  Lucie. 


EGLISE    DE    SAINT-CHARLES. 


Cette  église  a  été  construite  après  la  destruction  de  l'église 
de  Sainte-Anne  et  l'a  remplacée  pour  les  besoins  des  malades 

(1)  Baruffaldi,  Vite,  etc.,  t.  I,  p.  429. 


LIVRE   DEUXIEME.  351 

soignés  à  riiôpital  de  Sainte-Anne.  Sa  massive  façade  date  de 
1623  et  est  l'œuvre  de  Giambatlista  Aleolti  d' Argenta. 

On  voit  dans  l'église  de  Saint-Charles  un  Saint  Sébastien  en 
terre  cuite.  Cette  statue,  qui  a  été  longtemps  attribuée  à 
Alfonso  Lombardi,  lut  exécutée  par  Orazio  Grilleyizoni  da 
Carpi  (  1  ) . 


EGLISE    DE    SANTA    MARIA    DELLA    ROSA. 


Cette  église,  construite  en  1624  d'après  le  dessin  du  Ferra- 
rais  Francesco  Guitti,  a  remplacé  l'église  du  Guazzaduro,  ainsi 
nommée  à  cause  du  voisinage  d'un  canal  ou  scoi^suro  où  l'on 
menait  les  chevaux  s'abreuver  et  se  baigner  {giiazzat-e). 

Dans  la  première  chapelle  à  gauche  se  trouve  un  Mortorio 
ou  groupe  de  statues  représentant  le  Christ  mort,  entouré  de 
sept  figures  éplorées ,  dont  le  réalisme  a  quelque  chose  de 
repoussant  (2).  Guido  Mazzoni  en  est  l'auteur  (1485). 

Un  tableau  de  Gabriele  Cappellino,  surnommé  //  Calzolaretto 
ou  //  Callegarino,  surmonte  l'autel  en  face  de  l'orgue.  La 
Vierge,  au  milieu  des  nues,  occupe  la  partie  supérieure  de  ce 
tableau;  sur  la  terre,  au  centre  de  la  composition,  on  voit 
debout  saint  Jean-Baptiste  et  saint  Jean  rÉvangéliste,  tandis 
que  le  donateur  Lodovico  Arrivieri,  à  droite,  et  sa  femme,  à 
gauche,  sont  à  genoux  et  prient.  Une  inscription  devenue  illi- 
sible contenait,  suivant  Baruffaldi,  la  date  de  1520,  suivant 
Frizzi  celle  de  1550,  ce  qui  est  plus  vraisemblable.  Ce  tableau 
nous  semble  médiocre;  la  vulgarité  de  l'Enfant  Jésus  et  des 
saints  n'est  pas  même  compensée  par  le  mérite  des  portraits. 
Gabriele  Cappellino  était  élève  des  Dossi. 

(1)  Voyez,  clans  le  liv.  III,  le  ch.  1*^%  consacré  à  la  sculpture. 

(2)  Voyez,  dans  le  liv.  III,  le  ch.  1",  où  sont  indiquées  les  œuvres  qui  ont  été 
faussement  attribuées  à  Alfonso  Lombardi. 


352  L'ART    FERllARAIS. 


ÉGLISE    DE    SAINT-JÉRÔME    (17  12). 

Cette  église  s'élève  en  face  de  la  maison  paternelle  de  Savo- 
narole,  au  bout  d'une  place  où  l'herbe  croît  en  liberté. 

Dans  la  première  chapelle  à  droite,  on  peut  se  représenter, 
par  une  ^/moncm//on  en  deux  petits  tableaux  de  forme  oblongue, 
ce  que  devint  la  peinture  entre  les  mains  de  certains  élèves 
desDossi.  Giovanni  Francesco  Surchi,  dît  Di'elai,  en  est  l'auteur. 
A  gauche,  on  voit  assis  l'archange  Gabriel;  à  droite,  la  Vierge 
debout  devant  un  prie-Dieu  se  retourne  vers  le  messager  cé- 
leste. Ces  peintures,  d'une  couleur  insignifiante,  sont  plates  et 
sans  relief;  l'élévation  morale  y  fait  absolument  défaut. 

Entre  les  deux  tableaux  de  Dielai,  on  remarque  la  figure  du 
Bienheureux  Giovanni  Tavelli  da  Tossignano,  exécutée  de 
grandeur  naturelle  par  un  élève  de  Garofalo.  L'évéque  de  Fer- 
rare,  la  crosse  à  la  main,  la  mitre  sur  la  tête,  donne  sa  béné- 
diction. Il  est  vu  de  face;  à  ses  pieds,  à  droite,  s'épanouit  un 
œillet.  Sans  doute,  cette  peinture  est  loin  d'être  une  œuvre 
remarquable;  mais  le  voisinage  du  tableau  de  Dielai  lui  est 
très  avantageux,  et,  par  contraste,  on  lui  trouve  plus  de  valeur 
qu'elle  n'en  a  peut-être  réellement. 


EGLISE   DE    SAINT-APOLLINAIRE    OU    EGLISE    DE    LA    CONFRERIE 

DE    LA    MORT. 


Une  Résurrection  peinte  à  fresque  entre  1-440  et  1-450  doit 
principalement  attirer  l'attention.  C'est  une  œuvre  remar- 
quable, touchante  par  la  simplicité  et  le  sentiment.  Nous  en 
reparlerons  en  étudiant  Galasso,  a  qui  elle  a  été  attribuée. 

On  l'apprécie  surtout  quand  on  a  considéré  dans  la  même 
église  le  premier  tableau  que  l'on  rencontre  à  gauche,  tableau 


LIVRE   DEUXIEME.  353 

représentant  le  Portement  de  croix ,  et  où  l'on  remarque  une  sin- 
gulière ostentation  d'efforts  musculaires  chez  les  personnages 
groupés  autour  de  l'instrument  du  supplice  de  Jésus.  Ce  Porte- 
ment de  croix ^  très  endommagé,  a  été  attribué  à  Dosso;  il  rap- 
pelle plutôt  le  style  des  frères  Gaspare  et  Francesco  Filippi, 
qui  travaillèrent  en  1567  pour  la  confrérie  de  la  Mort. 


l'hôpital    de    SAINÏE-ANNE  (1)    ET    LA    PRÉTENDUE 
PRISON    DU    TASSE. 


L'hôpital  de  Sainte-Anne  fut  fondé  en  1  444.,  ainsi  que  nous 
l'avons  déjà  dit  (2),  par  Giovanni  Tavelli  da  Tossignano, 
évéque  de  Ferrare,  dans  un  couvent  qu'occupaient  auparavant 
les  Frères  arméniens  de  Saint-Basile.  A  cet  hôpital,  qui  doit  sa 
physionomie  actuelle  à  des  restaurations  accomplies  en  1 754(3), 
était  annexée  l'église  de  Sainte-Anne,  que  l'on  a  démolie  en 
182  4.  C'est  maintenant  l'église  de  Saint-Charles,  contiguë 
elle-même  à  l'hôpital,  qui  est  affectée  aux  besoins  religieux 
des  malades. 

On  entre  dans  l'hôpital  par  un  beau  vestibule  orné  de  co- 
lonnes et  dans  lequel  on  voit  un  buste  en  terre  cuite  de  Gio- 
vanni da  Tossignano,  exécuté  par  Antonio  Marescoiti  (4).  A 
gauche  se  trouve  un  joli  petit  portique  avec  six  arcades  d'une 
grande  légèreté.  A  droite,  la  principale  cour,  au  milieu  de 
laquelle  s'élèvent  quatre  épicéas,  est  entourée  d'arcades  que 
soutiennent  descolonnettes  octangulaires.  On  y  remarque  une 
fresque  de  Dielai,  élève  des  Dossi,  fresque  qui  décorait  jadis, 
dans  l'église  de  Sainte-Anne,  la  première  chapelle  à  droite,  et 
qui  est  très  délabrée,  malgré  une  restauration  datant  de  1841. 
Elle  représente  Sainte  Anne,  la   Vierge  et  l'Enfant  Jésus.  On  ne 

(1)  Frizzi,  Meni.  pcr  lu  storia  di  Fcrrara,  p.  495-497. 

(2)  Page  259. 

(3)  Carlo  Olivi,  Annali  dcUu  città  di  Fcrrara. 

(4)  Voyez  dans  le  liv.  III  le  ili.  i",  consacré  à  la  sculpture. 

T.  '?:î 


354  L'ART    FERRARAIS. 

distinf^ue  presque  plus  rien  tle  la  Vierge;  FEnfant  Jésus  est 
peu  visible;  la  sainte  Anne,  dont  la  tête  est  enveloppée  d'un 
voile  jaune,  est  assez  belle. 

Les  gardiens  de  l'hôpital  ne  manquent  pas  de  montrer  aux 
étrangers  qui  le  visitent  une  petite  pièce  du  rez-de-chaussée, 
basse,  étroite  et  humide,  une  sorte  de  tanière  sans  lumière  et 
sans  air,  où  le  Tasse  aurait  été  enfermé  pendant  sept  années 
par  ordre  d'Alphonse  II  (de  mars  1579  au  13  juillet  1586)  (I). 
Justice  a  été  faite  de  cette  fable  (2),  dont  l'origine  ne  remonte 
pas  plus  haut  que  les  premières  années  de  notre  siècle.  Ne  sait- 
on  pas  que  le  poète  (quelques-unes  de  ses  lettres  en  font  foi) 
occupait  plusieurs  pièces,  qu'il  y  écrivait,  qu'il  y  était  visité 
par  ses  amis  et  ses  protecteurs,  par  des  prêtres  et  des  religieux, 
des  seigneurs  et  des  princes?  Comment  admettre  d'ailleurs  que 
le  duc  de  Ferrare,  prince  doux  et  humain,  ait  pu  avoir  la 
pensée  de  confiner  un  homme  de  génie,  qu'il  admirait  et  qu'il 
aimait,  dans  un  trou  inhabitable  où  il  n'eût  même  pas  osé  jeter 
les  plus  vulgaires  criminels?  Le  Tasse,  en  tout  cas,  n'eût  pas 
supporté  sept  ans  une  pareille  captivité;  la  mort  l'en  eût  déli- 
vré promptement.  La  légende  est  donc  inacceptable.  En  réa- 
lité, on  ignore  dans  quelle  partie  de  l'hôpital  habita  le  pauvre 
Torquato.  Deux  inscriptions,  l'une  sur  la  façade  de  l'édifice, 
l'autre  sur  le  mur  de  la  prétendue  prison,  voilà  tout  ce  qui  le 
rappelle  ici  maintenant  à  ceux  qui  passent. 

(i)  Agostino  Mosti,  lié  avec  Lilio  Gregorio  Giralcli  et  avec  Celio  Galcagnini, 
était  prieur  de  l'hôpital  tle  Sainte-Anne  (dont  il  fut  un  des  principaux  bienfai- 
teurs), quand  le  Tasse  y  fut  séquestré,  non  sans  rigueur  au  début.  (Voyez  ce  que 
nous  avons  dit,  p.  220-222.)  Après  avoir  été  l'élève  de  l'Arioste,  Mosti  devint 
secrétaire  du  duc  Alphonse  II.  Il  écrivit  des  poésies  et  le  Memoriale  délie  cose 
(li  Fcn-ara.  On  a  également  de  lui  une  lettre  sur  les  fêtes  célébrées  à  Ferrare 
en  1543  lors  de  la  venue  du  pape  Paul  III.  Il  mourut  en  1584  et  fut  remplacé 
comme  prieur  de  l'hôpital  par  Giov.  Batt.  Vinccnzi,  qui  devint  à  son  tour  le 
gardien  du  Tasse,  lorsque  le  malheureux  poète,  auquel  une  liberté  relative  avait 
été  accordée  pendant  une  période  d'amélioration  dans  sa  santé,  fut  enfermé  de 
nouveau  assez  étroitement. 

(2)  L.-N.  CiTTADELLA,  Guiclci  pel  forcstiere  in  Ferrara,  1873,  p.  118. —  Aldo 
Gexnari,  La  prigione  del  Tasso,  dans  le  journal  La  letteratura,  année  III,  n"  16, 
15  août  1888. 


CHAPITRE   III 

LES    PALAIS. 

I 

PALAIS    A    FERRARE  (1). 


PALAIS     «    UELLA    RAGIONE    »     OU     PALAIS     DE    JUSTICE    (2). 

Construit  en  face  d'un  des  côtés  de  la  cathédrale  sur  la  place 
de  San  Crispino  (1315-1328),  le  calais  délia  Ra^ione,  destiné  aux 
juges  et  aux  notaires,  n'a  pas  entièrement  conservé  sa  forme 
primitive  et  a  perdu  les  peintures  de  sa  façade,  exécutées 
en  1473,  l'imprudence  des  hommes  et  les  violences  de  la 
nature  s'étant  en  quelque  sorte  conjurées  contre  lui  (3).  En 
1512,  il  fut  pendant  trois  jours  la  proie  d'un  incendie  qui 

(i)  Les  pages  suivantes  sur  les  palais  de  Ferrare,  à  l'exception  ilu  palais  de 
Schifanoia,  ont  été  déjà  publiées,  avec  des  planches,  dans  les  Notes  d'art  et  d'ar- 
ckéolof/ie.  Quant  à  notre  travail  sur  le  palais  de  Schifanoia,  il  a  paru  dans  la 
Bévue  des  Deux  Mondes  du  1"  août  1883. 

(2)  Frizzi,  Memorie  per  la  storia  di  Ferrara^  t.  III,  p.  274.  —  L.-N.  Gïtta- 
DELLA,  Notizie  relative  a  Ferrara  et  Guida  pel  forestière  in  Ferrara. 

(3)  Devant  le  palais  délia  Ragione  se  passa  en  1432  un  fait  qui  caractérise  les 
mœurs  du  temps  et  qui  est  à  l'honneur  de  Nicolas  III,  prince  en  qui  s'unirent 
tant  de  qualités  et  de  vices.  Décidés  à  tranclier  un  débat  par  un  combat  singulier, 
deux  Aragonais,  après  avoir  vainement  sollicité  de  plusieurs  princes  italiens  l'au- 
torisation de  réaliser  chez  eux  cette  épreuve,  obtinrent  l'assentiment  du  marquis 
de  Ferrare.  Le  lieu  du  comliat  était  la  place  située  entre  le  palais  della  Ragione 
et  la  cathédrale.  Les  trompettes  avaient  donné  le  signal  de  la  lutte,  et  les  deux 
adversaires,  inclinant  leurs  lances,  s'avançaient  déjà  l'un  contre  l'autre,  quand 
Nicolas  III  les  arrêta,  les  appela  auprès  de  lui,  s'érigea  en  juge  de  leur  querelle 
et  parvint  à  les  réconcilier.  Dans  un  discours  qui  nous  a  été  conservé,  Guarino 
de  Vérone  exalte  la  sagesse  dont  le  marquis  de  Ferrare,  son  protecteur,  fit  preuve 
en  cette  circonstance.  (Fnizzi,  Memorie  per  la  storia  di  Ferrara,  t.  III,  p.  466.) 


356  L'AKT    FERHAUAIS. 

s'était  déclaré,  sous  les  arcades  gothiques  du  rez-de-chaussée, 
daus  Tatelier  d'un  fabricant  d'armes,  et  qui  coûta  la  vie  à  la 
femme  et  aux  cinq  enfants  du  gardien  de  la  tour  où  l'on 
sonnait  les  cloches.  En  1570,  un  tremblement  de  terre  com- 
promit tellement  le  mur  principal,  qu'on  fut  obligé  de  le 
refaire.  Enfin,  les  marchands  installés  à  la  base  de  1  édifice 
ébranlèrent  peu  à  peu,  par  des  aménagements  téméraires,  non 
seulement  les  piliers,  mais  le  reste,  de  sorte  qu'une  recon- 
struction presque  totale  fut  jugée  nécessaire  :  elle  eut  lieu 
entre  1831  et  18  40,  et  l'architecte  Giovanni  Tosi  se  montra 
très  sobre  d'innovations. 

Si  l'on  veut  se  faire  une  idée  de  ce  qu'était  encore  au  com- 
mencement du  seizième  siècle  le  palais  délia  Ragione,  il  faut 
consulter  à  la  bibliothèque  de  Ferrare  le  Lihro  dei  giustiziati 
ou  registre  des  condamnés  à  mort  :  on  y  voit  une  miniature 
qui  le  représente  derrière  une  estrade  au  milieu  de  laquelle  a 
lieu  une  exécution  capitale. 

Aux  fenêtres  de  ce  palais,  comme  à  celles  du  palais  Vieux,  à 
Florence,  on  avait  l'habitude  de  pendre  les  rebelles  et  les 
conspirateurs.  Parmi  ceux  qui  expièrent  ainsi  leurs  tentatives 
de  sédition,  nous  citerons  un  homme  qui,  en  1399,  avait 
essayé  d  ameuter  le  peuple  en  faveur  d'Azzo,  compétiteur  de 
Nicolas  III.  Le  cadavre  resta  là  pendant  deux  jours.  Sous 
Hercule  II,  un  hérétique  eut  le  même  sort  en  1551.  L'année 
suivante,  lorsque  Alphonse,  fils  d'Hercule  II,  quitta  Ferrare 
sous  un  prétexte  mensonger  et  se  rendit  en  France  auprès  de 
Henri  II  sans  l'assentiment  de  son  père,  le  duc,  craignant  de 
passer  aux  yeux  de  Charles-Quint  pour  être  trop  favorable  à  la 
France,  fit  pendre  par  un  pied  à  une  fenêtre  du  palais  délia 
Ragione,  avec  une  note  d'infamie,  l'effigie  de  Tomraaso  La- 
vezzuolo,  personnage  qui  avait  été  le  principal  instigateur  du 
coup  de  tête  d'Alphonse.  —  C'est  aussi  à  une  des  fenêtres  du 
palais  délia  Ragione  qu'on  lisait,  devant  le  conseil  des  Sages 
et  devant  le  peuple,  les  lois  nouvelles  qui  devaient  faire  partie 
des  statuts.  —  Dans  l'intérieur  du  palais,  à  l'époque  d'Her- 
cule P',  lut  disposé  un  théâtre  sur  lequel  on  joua  cinq  pièces 


LIVRE  DEUXIEME.  357 

de  Plaute,  lors  du  mariage  d'Alphonse  d'Esté  avec  Lucrèce 
Borgia. 

La  façade  actuelle,  dominée  par  des  créneaux,  est,  comme 
celle  d'autrefois,  en  briques  et  de  style  gothique  ;  elle  repose 
sur  neuf  arcades  et  présente  deux  avant-corps  en  saillie.  La 
gracieuse  tour  (l),dueà  Giambattista  Aleotti  d'Argenta(1603), 
occupe  la  place  d'une  plus  ancienne  tour  appelée  torre  délia 
Massaria.  On  nommait  jadis  massaria  l'endroit  où  les  taxes  et 
les  amendes  étaient  versées  entre  les  mains  des  massari. 

A  l'intérieur  du  palais  délia  Ragione,  Battista  Grifjî  et  Ber- 
nardino  Fiorini  peignirent  en  clair-obscur  vers  1520,  d'après 
les  dessins  de  Garofalo,  une  frise  représentant  la  danse  des 
morts,  c'est-à-dire  des  squelettes  en  présence  de  grands  per- 
sonnages. 


LE    PALAIS    MUNICIPAL 
ANCIEN    PALAIS    DES    PRINCES    d'eSTE   f21 


Avant  la  construction  du  Castello,  les  princes  d'Esté  rési- 
dèrent dans  un  édifice  situé  vis-à-vis  de  la  cathédrale.  Une 
série  de  transformations  a  complètement  enlevé  sa  physiono- 
mie primitive  au  vieil  édifice,  dans  lequel  est  installée  l'admi- 
nistration municipale  ;  mais  il  évoque  toujours  d  intéressants 
souvenirs  historiques.   Pétrarque  y  logea   en   se    rendant   de 


(1)  Cette  tour  est  située  à  l'angle  de  la  rue  di  San  Paolo,  dite  di  Porta  Eeno. 
Elle  fut  appelée  aussi  torrc  delV  Arringo  ou  tour  des  Harangues,  parce  que,  sur  le 
balcon,  les  magistrats  haranguaient  le  peuple  et  promulguaient  les  lois. 

Une  seconde  tour,  construite  en  1284,  avait  été  annexée  au  palais  délia 
Ragione.  Elle  se  trouvait  en  face  de  San  Romano,  à  l'angle  de  la  via  del  Trava- 
fjlio.  Le  nom  de  tour  des  Rebelles  lui  fut  donné  parce  qu'elle  fut  construite 
avec  les  pierres  des  maisons  ayant  appartenu  à  des  citoyens  déclarés  rebelles, 
et  parce  que,  entre  les  créneaux  de  cotte  tour,  on  exposait  les  tètes  des  rebelles. 
Elle  n'existe  plus. 

(2)  L.-N.  GiTTADELLA,  Notizie  relative  a  Ferrara,  t.  I,  p.  321-327;  //  castello 
di  Ferra  m.  p.  7-11;  Guida  per  Ferrara,  1844,  p.  23.  —  tî.  Campori,  Gli  arc/ii- 
tetti  c  (jl'  in(je(jncri  civili  c  militari  dcrjH  Estensi  dal  scccolo  XIII  al  AT/,  1882. 


358  L'ART   FEURAUAIS. 

Padoue  à  Rome  (1370)  (1).  Parmi  les  hôtes  célèbres  qu'abrita 
le  palais  dont  nous  nous  occupons  figura  encore  le  pape 
Eugène  lY,  venu  à  Ferrare  en  1438  pour  y  tenir  le  concile 
œcuménique  qui  fut  bientôt  transféré  à  Florence.  C'est  du 
balcon  de  ce  palais  qu'il  bénit  le  peuple,  et  c'est  à  l'intérieur 
de  ces, murs  qu'eurent  lieu  les  premières  sessions  du  concile. 
Un  grand  pont  construit  par  Antonio  di  Gasparo  de  Florence, 
jonché  de  fleurs  pour  la  circonstance,  garni  d'étoffes  en  ve- 
lours et  de  tapisseries,  permit  au  Pontife  de  gagner  la  cathé- 
drale sans  descendre  au  milieu  de  la  foule  qui  encombrait  la 
rue.  Dans  le  même  palais  habita  le  pape  Pie  II,  lorsqu'il 
traversa  Ferrare  en  se  rendant  au  congrès  de  Mantoue  (1459), 
et,  par  un  singulier  contraste,  Calvin,  le  protégé  de  Renée, 
fille  de  Louis  XII  et  femme  du  duc  de  Ferrare  Hercule  II , 
y  trouva  un  asile  momentané  (1535),  si  Ion  en  croit  la  tra- 
dition. 

L'ancienne  demeure  des  princes  d'Esté  datait  du  treizième 
siècle.  Le  marquis  Azzo,  surnommé  Azzolino,  la  fit  élever  peu 
après  124i  et  v  rédigea,  dit-on,  son  testament.  Rrûlé  parla 
faction  gibeline  à  la  fin  du  treizième  siècle,  l'édifice  fut  refait 
presque  entièrement,  mais  en  1328,  en  1509,  en  1532,  de 
nouveaux  incendies  y  causèrent  des  dégâts  irréparables  (2).  En 
vain  chercherait-on  les  peintures  que  Giotto  y  exécuta  vers 
1318  et  celles  que  Borso  avait  commandées  à  Piero  délia 
Francesca  et  à  Cosimo  Tura.  On  ne  voit  pas  non  plus  la  statue 
équestre  de  Nicolas  III  et  la  statue  assise  de  Borso,  placées 
en  1472  aux  cotés  de  l'entrée,  qu'on  appela  dès  lors  Volto  del 
cavallo.  Il  n'y  a  plus  trace  du  double  portique  qui,  au  rez-de- 
chaussée,  servait  en  quelque  sorte  de  bourse  et  où  les  seigneurs 
de  Ferrare  recevaient  souvent  les  suppliques  de  leurs  sujets. 
La  majestueuse  tour  de  Rigobello    ou  tour  de  l'Horloge,  à 

(1)  Voyez  ce  que  nous  avons  dit  p.  11-12.  —  Voyez  aussi  les  lettres  de  Pé- 
trarque :  Epist.  senil.,  liv.  XI,  13. 

(2)  L'incendie  de  1532  détruisit  une  loggia  construite  sous  la  grande  salle,  à 
lépoque  d'Hercule  I'',  T^ar  Biagio  Rossetti.  Après  cet  incendie.  Jutes  Romain  fut 
appelé  à  Ferrare  afin  de  réédifier  ce  que  le  feu  avait  anéanti,  mais,  pour  une 
cause  inconnue  à  présent,  il  ne  se  chargea  pas  de  l'entreprise. 


LIVRE  DEUXIEME.  359 

l'angle  méridional  de  1  édifice,  tour  qui  fut  construite  en  1283 
par  Amadio  ou  Armanno  di  Bonguadagni  sous  Obizzo  II,  et 
dans  laquelle  Borso  avait  installé  sa  bibliothèque  (1),  s'écroula 
en  1553,  après  avoir  beaucoup  souffert  d'un  tremblement  de 
terre  en  1496  et  avoir  été  en  partie  détruite  par  la  foudre 
en  1536  ;  elle  ne  fut  pas  relevée.  La  longue  loggia,  avec 
des  colonnes  de  marbre,  construite  par  Anton  Francesco  Sardi 
en  face  du  palais  épiscopal  (1503),  a  disparu  aussi.  Il  en 
est  de  même  de  la  grande  salle,  au-dessus  de  cette  loggia, 
où  l'on  avait  disposé  des  décors  fixes  (2)  et  où  furent  jouées 
diverses  comédies,  notamment  celles  de  l'Arioste  (3).  On  ne 
retrouve  pas  davantage  le  passage  suspendu,  établi  en  1515 
sur  l'ordre  d'Alphonse  I",  qui,  unissant  la  demeure  des  sou- 
verains à  l'évêché,  leur  ménageait  le  moyen  de  se  transpor- 
ter à  couvert  et  à  l'abri  des  regards  du  public  dans  la  cathé 
drale. 

Ne  reste-t-il  donc  aucun  vestige  des  temps  passés?  On  peut 
admirer  encore  sur  le  côté  septentrional  de  l'édifice,  au  rez- 
de-chaussée,  en  face  du  Caslello,  la  loggia  dei  Camerini,  por- 
tique d'ordre  dorique,  construit  sous  Alphonse  II  par  Galasso 
Alghisi  da  Carpi  en  1559  (4).  Mais  ce  qu'il  y  a  de  plus  curieux, 
c'est  l'escalier  de  marbre  qui  donne  sur  la  cour  du  château  et 

(t)  Le  catalogue  de  cette  bililiothèque  fut  écrit  en  1467.  L.-^'.  Gittadella  l'a 
reproduit  dans  son  opuscule  sur  le  Castello,  p.  63. 

(2)  Ces  décors  représentaient  la  place  de  Ferrare  avec  les  rues  qui  y  aboutis- 
sent, avec  les  banchi,  fondachi  e  spezerie  qui  y  étaient  installés. 

(3)  Alphonse  P'"  d'Esté  fit  construire  à  grands  frais  et  avec  beaucoup  de  luxe, 
d'après  les  indications  de  l'Arioste,  qui  y  récita  quelquefois  des  prologues  et  y 
joua  même  quelques  rôles,  cette  salle  de  spectacle  pour  qu'on  y  représentât  la 
Cassaria  (voyez  p.  145,  note  i),  les  Suppositi,  la  Lena  et  le  Ne(jroinante,  comé- 
dies dues  au  futur  auteur  de  V Orlando  furioso.  Les  quatre  comédies,  selon  la 
coutume  d'alors,  furent  jouées  plusieurs  fois  devant  divers  princes  par  les  gen- 
tilshommes de  la  cour.  Lors  de  la  première  représentation  de  la  Lena  (1528), 
don  Francesco,  un  des  fils  du  duc,  en  récita  le  prologue.  L'incendie  qui  consuma 
en  1532  le  théâtre  des  princes  de  Ferrare,  théâtre  déjà  célcbi'e  dans  toute 
l'Italie,  dura  trois  jours.  Le  feu  avait  pris  dans  une  boutique  sous  la  grande  loggia; 
il  gagna  promptement  les  boutiques  voisines  et  consuma  entièrement  la  loggia, 
ainsi  que  toutes  les  chaudjres  situées  au-dessus  des  boiUii(ues.  (Voyez  Barotti, 
I  Letterati  fcriaresi,  t.  I,  p.  219,  S*"  édition.  Ferrara,  1792.) 

(4)  Frizzi,  Metn.  per  la  storia  di  Fcirara,  t.  IV,  p.  415.  —  La  façade  a  été 
modernisée  en  1739. 


360  L'ART    FEIUIAIIAIS. 

par  lequel  on  monte  dans  le  palais  municipal  (1).  Il  fut  con- 
struit sous  Hercule  1"  par  Pietro  di  Benvenuto,  et  Alphonse  I"  le 
fît  abriter  par  une  toiture  de  plomb.  Six  colonnes  cannelées 
apparaissent  à  des  hauteurs  inégales  le  long  des  marches  et 
supportent  des  arcades  de  forme  irrégulière.  Un  escalier  du 
même  genre  a  été  introduit  par  Jacopo  Bellini  dans  un  des 
dessins  du  recueil  que  possède  le  musée  du  Louvre,  dans  celui 
qui  représente  la  reine  de  Saba  devant  Salomon.  Non  loin  de 
Fescalier  du  palais  municipal  de  Ferrare,  on  voit  au  premier 
étage  deux  fenêtres  de  style  Renaissance,  dont  la  partie  cin- 
trée repose  sur  des  pilastres  décorés  de  jolies  arabesques  (2). 
Ces  ornementations  forment  un  contraste  pittoresque  avec  la 
sombre  voûte  d'entrée,  sous  laquelle  il  y  a  de  sordides  échop- 
pes et  des  étalages  de  bric-à-brac. 

Les  magistrats  de  la  Commune,  les  Sages  et  le  juge  des 
Sages,  ne  commencèrent  à  siéger  dans  l'ancien  palais  des  princes 
d'Esté  qu'en  1623.  Ils  tenaient  leurs  séances  dans  le  palais  de 
l'évêché  au  treizième  siècle,  dans  la  paroisse  de  Saint-INIi- 
cliel  au  quatorzième  et  dans  celle  de  San  Romano  au  quin- 
zième. 

A  1  intérieur  de  l'édifice,  deux  cheminées,  qui  se  trouvaient 
jadis  dans  le  palais  des  Diamants,  et  qui  appartiennent  au 
commencement  du  seizième  siècle,  méritent  de  fixer  l'atten- 
tion. L'une,  en  marbre  jaune,  est  flanquée  de  deux  pilastres 
cannelés,  supportant  une  frise  dans  laquelle  les  rinceaux  se 
mêlent  à  des  têtes  fantastiques  et  à  des  animaux  imaginaires. 
L'autre,  dont  le  marbre  blanc  et  poli  est  d'un  ton  chaud  et 
lumineux,  a  des  arabesques  très  délicates  sur  ses  pilastres,  et 
l'on  voit  dans  sa  frise  d'admirables  génies  nus,  montés  sur  des 
hippocampes  et  des  lions  marins. 

Une  petite  pièce  se  recommande  aussi  au  visiteur  par  les 
peintures  qui  en  ornent  les  boiseries.  Une  main  légère  y  a 

(1)  La  cour  fut  terminée  en  1481.  La  chapelle  ducale,  qu'Hercule  I"  fit  con- 
struire, et  Viirscnal  en  lyriques,  orné  de  pilastres,  donnent  sur  cette  cour. 

(2)  C'est  auprès  de  cette  partie  de  l'édifice  que  se  trouve  la  petite  église  de 
San  Maurelio. 


LIVRE   DEUXIEME.  361 

représenté  sur  un  fond  d'or  non  seulement  des  feuillages,  des 
fleurs,  des  oiseaux  supportés  par  des  guirlandes  de  perles  et  de 
corail,  mais  des  prêtres  et  des  prétresses,  des  enfants  nus,  des 
satyres  et  des  hippocampes.  De  distance  en  distance  se  montre 
un  pilastre  formé  d'une  glace  avec  des  ornements  or  et  noir, 
et  surmonté  d'un  chapiteau  doré.  Au  fond  de  la  chambre,  on 
remarque  une  femme  parmi  les  fleurs  entre  deux  enfants  nus. 
En  face,  dans  des  niches,  plusieurs  figures  de  femmes  se  déta- 
chent sur  un  fond  or  et  rouge.  Ailleurs,  quelques  hommes  nus 
se  penchent  pour  prendre  de  l'eau  dans  des  vases  que  leur 
tendent  d'autres  hommes  vus  de  dos.  Ça  et  là  apparaît  une 
figurine  en  stuc  colorié.  Une  frise  très  étroite  circule  au-des- 
sous de  la  corniche,  et  au-dessus  de  la  corniche  se  trouve  une 
frise  plus  large,  composée  d'arabesques  et  de  figures  sur  fond 
d'or  et  sur  fond  groseille.  On  ne  saurait  guère  mettre  plus  de 
goût  au  service  de  la  fantaisie,  ni  étaler  sous  les  yeux  une 
réunion  de  couleurs  plus  agréables.  Mais  tout  ce  que  nous 
venons  de  signaler  est  encore  surpassé  par  l'Apollon  qui  est 
peint  au-dessus  de  la  fenêtre.  Assis  sur  des  rinceaux,  la  tête 
couronnée  de  laurier,  le  corps  à  demi  couvert  par  des  drape- 
ries rouge,  or,  blanc  et  bleu,  il  joue  de  la  lyre.  La  beauté  de 
ses  traits,  la  distinction  de  ses  formes,  l'élégance  de  ses 
jambes  sont  dignes  du  dieu  de  l'harmonie  (1).  Tout  le  monde 
s'accorde  à  reconnaître  dans  cette  figure  le  pinceau  de  Gio- 
vanni Dosso.  Le  reste  de  la  décoration  est  peut-être  dû,  sinon 
pour  la  conqjosition,  du  moins  pour  l'exécution,  aux  frères 
Sebastiano  et  Cesare  Filippi,qui  succédèrent  aux  Dossi  comme 
peintres  de  cour,  et  dont  le  père,  Camillo,  appartenait  à  l'école 
de  ces  illustres  artistes  (!2). 

On  ne  sait  pas  qui  commanda  ces  peintures  et  à  quelle 
époque  elles  furent  faites.  On  ignore  même  quand  les  boiseries 
qu'elles  recouvrent  prirent  place  dans  la  pièce  où  on  les  voit 
aujourd'hui.  L.-N.  Gittadella  incline  à  croire  qu'elles  provien- 
nent du  Castello,  parce  que,  dans  les  documents  relatifs  à  cet 

(1)  Le  plafond  et  les  bordures  de  la  fenêtre  n'existent   inailieiireuscnient  plus. 

(2)  Voyez  Frizzi  et  L.-N.  Gittadella. 


362  L'A  HT    FEllUAUAIS. 

édifice,  il  est  question  d'une  chambre  dorée,  indication  qui 
semble  se  rapporter  aux  lambris  dont  nous  venons  de  parler. 


PALAIS    CALCAGXINI-BELTRAME,     CONSTRUIT    POUR 
ANTONIO    COSTABILI    (1). 

Quoique  inachevé,  quoique  tombé  dans  un  état  de  délabre- 
ment qui  attriste  les  regards,  ce  palais  mérite  d'être  admiré 
pour  son  aspect  grandiose,  que  rehausse  la  chaude  couleur  de 
ses  briques,  pour  sa  cour  carrée,  dont  la  moitié  est  entourée 
d'un  vaste  portique  à  deux  étages,  et  pour  les  peintures  qui 
ornent  plusieurs  salles. 

A  en  croire  la  tradition,  Ludovic  le  More  aurait  chargé 
l'ambassadeur  d'Hercule  î"  Antonio  Costabili,  qui  passa  dix 
années  auprès  de  lui,  de  lui  faire  construire  à  Ferrare  un  palais 
où  il  pût  trouver  un  refuge  s'il  se  voyait  jamais,  au  milieu  de 
ses  guerres  avec  la  France,  dans  la  nécessité  d'abandonner  le 
duché  de  Milan  (2).  Les  revers  pressentis  se  produisirent. 
Vaincu  par  les  troupes  de  Louis  XII,  il  fut  emmené  en  France 
et  enfermé  au  château  de  Loches,  où  il  mourut  au  bout  de 
huit  ans  (1 508).  Pendant  sa  captivité,  il  aurait  reçu,  prétend-on, 
la  visite  de  Costabili,  et,  comme  il  désespérait  de  recouvrer  sa 
liberté,  il  lui  aurait  donné  son  palais  de  Ferrare.  Cette  tradi- 
tion n'est  pas  admissible,  car  le  palais,  en  effet,  construit  par 
ordre  d'Antonio  Costabili,  ne  fut  commencé  qu'en  1502.  Or, 
il  y  avait  déjà  deux  ans  que  Ludovic  le  More  avait  perdu  son 
trône  (3). 

Costabili  prit  pour  architecte  le  Ferrarais  Biagio  Rossetti,  et 
l'exécution  des  colonnes,  des  chapiteaux,  des  pilastres  et  de 

(1)  Il  a  élc  appelé  aussi  palais  Scrofa.  C'est  tlans  le  corso  Gliiaia  qu'il  est 
situé,  non  loin  de  l'église  Sainte-ApoUonie.  —  Voyez  L.-N.  Cittadella,  Guida 
in  Ferrara,  1873,  p.  75-77;  Benvenuto  Tisi  da  Garofalo,  p.  18  et  35,  et  ISotizie 
relative  a  Ferrara^  t.  I,  p.  341,  et  t.  II,  p.  256. 

(2)  Ludovic  le  More  avait  épousé,  en  1491,  Béatrix  d'Esté,  une  des  fdles 
d'Hercule  P''. 

(3)  L.-JS.  Cittadella,   Benvenuto    Tisi  da  Garofalo.  Ferrara,  1872,  p.  18-19. 


LIVRE  DEUXIEME.  363 

leurs  ornements,  des  architraves  et  des  corniches  fut  confiée  à 
Gahriele  Frisoni  de  Mantoiie  (1).  Mais,  en  150-4,  Rossetti  fut 
appelé  à  Florence  comme  «  mgegnero  e  maestro  di  acqua  u  , 
afin  de  détourner  Je  cours  de  TArno  pendant  une  guerre  contre 
Pise  (2),  et  il  se  fit  remplacer  par  Girolamo  Pasino,  citoven  de 
Ferrare,  tandis  que  Frisoni,  forcé  de  se  rendre  à  Vérone, 
cédait  l'achèvement  de  sa  tâche  à  Cristoforo,  qui  était  proba- 
blement fils  de  feu  Ambrogio  da  Milano  (3). 

En  1595,  le  petit-fils  d'Antonio  Costabili  étant  mort  sans 
enfants,  son  palais  devint  la  propriété  des  Bevilacqua.  Au 
siècle  suivant,  il  passa  aux  Calcagnini.  Puis  une  fille  des  Gal- 
cagnini  en  apporta  la  moitié  comme  dot  à  un  membre  de  la 
famille  Scrofa,  et  cette  moitié  fut  transmise  aux  Beltrami. 
L'ancien  palais  d'Antonio  Costabili  appartient  donc  à  deux 
familles  (4). 

Deux  étages  d'arcades  bien  proportionnées  entourent  la 
cour  de  deux  côtés.  Entre  les  arcades  du  rez-de-chaussée  et  les 
arcades  de  l'étage  supérieur,  qui  sont  de  moitié  plus  petites, 
se  trouvent  des  pilastres  décorés  d'arabesques  très  délicates. 
Le  nombre  de  ces  pilastres  égale  celui  des  colonnes  de  l'étage 
supérieur,  entre  lesquelles  on  a  malheureusement  construit 
des  murs  en  briques.  Enfin  le  dernier  étage,  beaucoup  moins 
élevé  que  le  précédent  et  percé  çà  et  là  de  fenêtres  peu  élé- 
gantes,   est  dominé  par   une    riche   et  imposante  corniche. 

Dans  la  partie  du  palais  qui  appartient  à  M.  Beltrame,  on 

(^}  ^'oyez  les  contrats  dans  les  Sutizie  relative  a  Feriura  de  Cittadella,  t.  II, 
P-  257-262.  —  Il  y  eut  à  Ferrare  un  sculpteur  nommé  Domenico  Fiisoni,  de 
Corne,  cité  dans  des  actes  en  1479  et  en  1482.  Il  était  fils  d'Antonio  Frisoni  et 
citoyen  ferrarais.  —  Quant  h  Gabriele  Frisoni,  de  Mantoue,  il  exécuta  des  tra- 
vaux pour  le  campanile  de  la  cathédrale,  pour  l'éjjiise  et  le  couvent  de  Santa 
Maria  in  Vado,  pour  le  palais  des  Diamants.  Hercule  I",  en  1494,  le  mentionne 
dans  une  lettre  où  il  parle  de  colonnes,  de  chapiteaux,  de  corniches  destinés  ù 
la  loggia  qu'il  voulait  faire  construire  au  rez-de-chaussée  de  son  palais.  Gabriele 
devait  avoir  de  l'aisance,  car  il  acheta  en  1498  treize  tapis  moyennant  deux 
cents  lire,  somme  alors  assez  importante. 

(2)  L.-^\  Cittadella,  JSotizie  relative  a  Ferrara,  t.  II,  p.  256,  note  1. 

(3)  C'ast  Ambrogio  da  Milano  qui  fit,  en  1475,  dans  l'église  suburbaine  de 
Saint-Georges,  le  beau  tondjeau  de  Lorenzo  Iloverella. 

(4)  Frizzi,  Memorie  per  la  sloria  di  Ferrara,  t.  IV,  p.  200-201. 


364  L'AllT    FERUARAIS. 

remarque  deux  plafonds  peints  par  quelque  élève  de  Garofalo. 
Mais  c'est  la  partie  réservée  au  marquis  Galcagnini  qui  possède 
les  fresques  les  plus  intéressantes.  Ces  fresques  décorent  le 
])lafond  d'une  salle  du  rez-de-chaussée  (1).  On  les  regardait 
autrefois  comme  l'œuvre  de  Garofalo  assisté  de  ses  élèves. 
M.  Morelli  et  M.  Venturi  ont  démontré  qu'elles  sont  dues  à 
Ercole  Grandi  di  Giulio  Ccsare.  La  forme  un  peu  quadrangu- 
laire  des  têtes,  la  disposition  des  draperies,  la  douceur  des 
visages,  la  finesse  des  détails,  dit  M.  Venturi,  font  en  effet 
songer  à  cet  artiste.  On  ne  constate  chez  Garofalo  ni  la  même 
originalité,  ni  la  même  variété  de  formes,  ni  la  même  profon- 
deur d'expression,  ni  la  même  vigueur  de  coloris  (2). 

Dans  la  fresque  du  palais  Galcagnini,  Ercole  Grandi  s'est 
inspiré  de  la  décoration  analogue  qu'on  voit  dans  une  salle  du 
palais  de  Mantoue  [caméra  degli  Sposi)  peinte  par  Mantegna  et 
imitée  aussi  par  Garofalo  dans  une  salle  du  Séminaire,  à 
Ferrare.  Au  centre  du  plafond  s'épanouit  une  rosace  sculptée 
et  dorée.  Autour  de  cette  rosace,  des  chasses  et  des  batailles 
sont  représentées  en  clair-obscur  dans  des  médaillons.  Plus 
bas,  on  aperçoit  une  balustrade,  à  laquelle  se  rattachent  des 
guirlandes  de  fleurs  et  de  fruits,  et  que  couvrent  de  riches 
tapis  et  des  tentures  brodées,  garnies  de  franges.  Plusieurs 
enfants  nus  (dont  quelques-uns  tiennent  des  grappes  de  raisin), 
un  chat  et  deux  singes  sont  assis  sur  la  balustrade,  qui  sert 
d'appui  à  une  trentaine  de  personnages  vêtus  de  magnifiques 
costumes,  conversant,  chantant,  jouant  de  divers  instruments. 
Ces  personnages,  parmi  lesquels  on  remarque  un  bouffon,  un 
homme  coiffé  d'un  turban,  une  femme  couronnée  de  fleurs, 
se  penchant  pour  regarder  dans  la  salle,  et  une  femme  qui 
porte  dans  ses  bras  un  petit  enfant,  auprès  de  deux  femmes 
âgées,  ont  dû,  pour  la  plupart,  être  peints  d'après  nature.  Ce 
sont  probablement  ceux  qui  se  rencontraient  à  l'époque  d'Al- 
phonse I"  dans  les  réunions  aristocratiques  où  l'on  se  livrait 

(1)  Un  fragment  de  ces  peintures  est  reproduit   dans  l'ariiile  de  M.  Venturi 
sur  Ercole  Grandi  que  contient  V Archivio  storko  deW  artc,  ]mn  1888,  p.  197. 
\^)   Venturi,  L'arteferrarese  nel  pcriodo  d' Ercole  l  d'Esté,  ^.  130-137. 


LIVRE   DEUXIEME.  365 

au  plaisir  de  la  musique,  de  la  poésie,  des  dissertations  sur 
l'amour  (l).  On  retrouve  donc  ici  la  société  ferraraise,  telle 
que  Boiardo  et  TArioste  l'ont  chantée.  La  chevelure  des 
femmes,  en  général  blonde,  est  tantôt  renfermée  dans  un  filet, 
tantôt  dénouée,  tantôt  savamment  arrangée.  Le  blond  était 
alors  à  la  mode;  on  l'obtenait  au  moyen  de  différents  procé- 
dés, notamment  au  moyen  de  la  poudre  de  Chypre  (:2).  Dix- 
huit  lunettes  soutenant  la  voûte  et  supportées  elles-mêmes 
par  une  corniche  dorée,  contiennent  des  sujets  mythologiques 
en  clair-ol)Scur  (3).  Elles  sont  séparées  par  dix-huit  médaillons 
où  sont  peintes  des  têtes  isolées.  L'exécution  des  fresques  de 
ce  plafond,  suivant  M.  Yenturi,  a  dû  avoir  lieu  quand  Raphaël 
avait  déjà  peint  sa  sainte  Cécile  [A) ,  car  une  des  têtes  de 
femmes  ressemble  beaucoup  à  la  Madeleine  qui  figure  dans  le 
célèbre  tableau  du  musée  de  Bologne. 

(1)  L.-2^.  CiTTADELLA,  Beiiveiiulo   Tisi  da  Garofalo.  Ferrara,  1872. 

(2)  Un  livre  inipririié  à  Ferrare  au  seizième  siècle  par  Zopino  contient  un  cha- 
pitre sur  les  recettes  pour  colorer  les  cheveux.  Luigi  Tansillo  a  traité  le  même 
sujet  et  loué  les  procédés  le  plus  souvent  employés.  (L.-^.  Gittadella,  Notizie 
relative  a  Ferrara,  t.  I,  p.  136-137.) 

(3)  Voici,  d'après  Gittadella,  quels  sont  les  sujets  représentés. 

Gôté  oriental  :  i"  La  forge  de  Vulcain.  2"  Deux  enfants  soignés  par  deux 
femmes,  dont  une  est  à  genoux.  3"  Quelques  satvres.  Un  d'eux  danse  avec  une 
femme  nue.  4"  Les  trois  Grâces,  ayant  devant  elles  un  enfant.  5°  LTne  accouchée, 
assistée  par  deux  femmes  et  ayant  son  enfant  auprès  d'elle. 

Gôté  occidental  :  1°  Deux  personnages  qui  semblent  s'embrasser.  2°  Une 
accouchée.  Une  autre  femme  tient  le  nouveau-né  sur  le  bord  d'un  bassin  pour  le 
laver.  3"  Femme  avec  un  enfant  sur  ses  genoux.  Auprès  d'elle  est  assis  un  lion 
qui  lèche  un  de  ses  pieds.  4°  Une  femme  et  un  enfant  au  bord  d'une  source. 
.5"  Minerve,  Vénus  et  Junon  avec  leurs  attriijuls. 

Gôté  méridional  :  1°  Femme  jouant  de  la  viole.  Petits  Amours  jouant  avec  des 
Hèches.  2°  Deux  Amours  montés  sur  des  cvgnes.  3°  Femme  assise.  Quelques 
petits  Amours  avec  des  torches.  4"  Homme  barbu  avec  un  sceptre.  Près  de  lui, 
une  femme  nue  avec  un  caducée. 

Côté  septentrional  :  1"  Vénus  et  l'Amour  aujirès  d'un  lit.  Vieillard  couronné, 
suivi  par  d'autres  vieillards;  au-dessus  deux,  le  soleil.  2°  Deux  guerriers  près 
d'une  source.  A  leurs  pieds,  deux  cygnes  et  (juatre  coloudies.  3°  Femme  à 
genoux  devant  une  statue  placée  dans  une  niche,  au-dessous  de  laquelle  on  lit  sur 
une  tablette  :  u&f  rursum  pariendus  Amor.  >'  4"  Trois  femmes,  dont  une  répand 
de  l'encens  sur  du  feu.  On  lit  sur  le  piédestal  :  ^i  Deœ  (jna  natus  ratioiie  adoles- 
cere  possit.  « 

(4)  La  sainte  Cécile  est  de  15J6  ou  de  1517. 


366  L'ART    FERKARAIS. 


PALAIS    MAGNANINI   OU    CASINO    DEI    NEGOZIANTI,    APPELÉ    AUSSI 
PALAIS    ROVERELLA    ET    PALAIS    AVENTI  (1). 

C'est  dans  la  via  délia  Giovecca,  en  face  de  léglise  de  Santa 
Maria  délia  Pietà  dei  Teatini  et  à  côté  de  l'hôpital  de  Sainte- 
Anne,  que  s  élève  le  palais  Magnanini.  Girolamo  Magnanini, 
secrétaire  du  duc  de  Ferrare  Alphonse  I",  le  fit  construire 
en  1508.  Ce  palais,  qui  appartint  ensuite  aux  comtes  Rove- 
rella,  puis  à  une  branche  de  la  famille  des  comtes  Aventi  (2), 
et  qui  maintenant  sert  de  lieu  de  réunion  aux  négociants,  n'est 
intéressant  que  par  sa  façade.  La  porte  de  marbre,  flanquée 
de  pilastres  sans  ornements,  a  des  proportions  harmonieuses 
et  forme  un  heureux  contraste  avec  les  tons  amortis  des  bri- 
ques dont  se  compose  l'édifice.  Mais  ce  qui  attire  surtout  1  at- 
tention, ce  sont  les  arabesques  des  pilastres  placés  entre  les 
fenêtres  du  rez-de-chaussée  et  du  premier  étage,  et  aux  extré- 
mités du  palais;  ce  sont  les  frises  qui  s'étendent  au-dessous  et 
au-dessus  de  cet  étage ,  le  tout  en  terre  cuite  couleur  ver- 
millon. Au-dessus  de  chaque  pilastre,  on  voit  dans  la  frise  un 
buste  d  homme  ou  de  femme.  Les  fenêtres  du  rez-de-chaussée 
sont  rectangulaires,  tandis  que  celles  de  l'étage  supérieur  sont 
cintrées  et  surmontées  d'un  fronton  aigu;  les  unes  et  les  autres 
sont  dominées  par  un  bandeau  où  l'on  aperçoit  une  tête  de 
lion  entre  deux  têtes  de  femmes.  Très  rapprochées  des  pilas- 
tres et  séparées  par  des  espaces  inégaux,  ces  fenêtres  présen- 
tent une  disposition  bizarre,  que  l'on  ne  songe  pas,  il  est  vrai, 
à  remarquer  tout  d'abord,  tant  l'ensemble  de  la  décoration 
produit  une   "  impression  de  sérénité  »  .  Les  frises,  dans  les- 

(1)  L.-]N.  CiïTXDELLA,  Guida  pel  forestière  in  Ferrara,  p.  120,  et  Notizie  rela- 
tive a  Ferrara,  t.  I,  p.  315. 

(2)  Ce  palais  possède  une  belle  Présentation  au  temple,  par  le  Guerchin,  à 
l'ordre  du  duc  de  Ferrare  Alphonse  I",  qui  le  donna  pour  demeure  à  la  belle 
Laura  Dianti  Eustochia. 


LIVRE  DEUXIEME.  367 

quelles  les  figures  fantastiques  se  mêlent  aux  rinceaux,  sont 
exécutées  avec  beaucoup  moins  de  finesse  que  les  arabesques 
des  pilastres  (1)  :  celles-ci  témoignent  à  la  fois  d'un  goût  plus 
pur  et  d'un  talent  plus  distingué  ;  elles  sont  vraiment  char- 
mantes. 


LE    PALAIS    DU    PARADIS    OU    PALAIS    DE    L  UNIVERSITE. 


Par  une  singulière  coïncidence,  l'Université  {Studio  ou  Sa- 
pienza),  qu'Albert  d'Esté  fonda  le  18  octobre  1391  (2),  occupe 
depuis  1567  un  palais  que  ce  prince  fit  construire  en  1391. 
Ce  palais  fut  tout  d'abord  donné  à  Cabrino  Roberti,  père  de  la 
première  femme  d'Albert  (3).  Il  servit  de  résidence  en  1403 
au  cardinal  légat  Baldassare  Gossa,  venu  avec  les  troupes  de 
Boniface  IX,  afin  de  les  unir  à  celles  du  marquis  Nicolas  III  et 
de  concerter  un  plan  de  campagne  ayant  pour  but  de  reprendre 
Bologne  aux  Visconti  qui  s'en  étaient  emparés  en  1  402.  Pen- 
dant le  concile  convoqué  à  Ferrare  par  le  pape  Eugène  lY  en 
14.38,  l'empereur  d'Orient  Jean  Paléologue  et  le  patriarche 
de  Constantinople  reçurent  ici  l'hospitalité.  Accordé  en  fief  à 
Galasso  Pio,  seigneur  de  Carpi  (1450),  ce  palais  fut  enlevé 
aux  fils  de  ce  personnage  à  la  suite  d'une  conjuration  (1469)  ; 
un  peu  plus  tard  les  Pio  y  furent  réintégrés,  mais  pour  le 
perdre  encore  (4).  En  1567,  il  appartenait  au  cardinal  Hip- 
polyte  II  d'Esté,  qui  le  loua  moyennant  luiit  cents  écus  d'or 

(1)  BuiiCKHAnDT,  Dcr  Cicérone  \^ô'  édil.,  188V,  t.  I,  p.  127  c. 

(2)  Dès  1264,  il  y  avait  eu  des  cours  publics  à  Ferrare;  il*  se  faisaient  isole- 
ment, tantôt  dans  un  endroit,  tantôt  dans  un  autre,  notamment,  nous  l'avons  déjà 
dit,  dans  les  églises  de  Saint-François,  de  Saint-Dominique  et  de  San  Crispino. 
—  Les  Atti  delta  deputazione  ferrarese  di  storia  patria  (vol.  V,  1893^  contien- 
nent une  très  intéressante  et  très  complète  étude  de  M.  Girolamo  Secco  Suardo 
sur  V Université  de  Ferrare  au  XV^  siècle. 

(3)  Selon  le  chroniqueur  Ugo  CalcfHni,  il  aurait  cté  construit  pour  Giovanna 
de'  Roberti,  femme  d'Albert  d'Esté. 

(4)  Rinaldo,  un  des  frères  d'Hercule  I",  y  mourut  en  1503.  Fiiizzi,  Memorie 
per  la  storia  di  Fcrrara,  t.  IV,  p.  211.) 


368  L'ART    FEIUIAUAIS. 

à  la  Commune  (1),  et  celle-ci  Tacheta  du  cardinal  Louis  d'Esté 

en  1586. 

Presque  aussitôt,  on  y  entreprit  d'importantes  restaurations, 
pour  lesquelles  les  professeurs  consentirent  à  abandonner  une 
partie  de  leur  traitement,  et  l'on  commença  la  façade  actuelle 
qui  ne  fut  terminée  qu'en  1010.  Au  centre,  une  porte  monu- 
mentale s'ouvre  entre  des  colonnes  rustiques.  De  chaque  côté 
se  trouvent  trois  fenêtres  :  celle  du  milieu  a  un  fronton  aigu, 
tandis  que  le  fronton  des  autres  est  cintré.  Au-dessus  de  la 
porte  est  un  balcon  sur  lequel  donne  une  porte  encadrée  par 
des  pilastres  rustiques,  et  surmontée  d'un  fronton  aigu  que 
domine  un  campanile  avec  une  horloge.  De  chaque  côté  du 
balcon,  on  voit,  comme  au  rez-de-chaussée,  trois  fenêtres; 
seulement,  la  disposition  des  frontons  est  intervertie,  de  sorte 
que  c'est  la  fenêtre  du  milieu  qui  possède  seule  un  fronton 
arrondi.  D'après  l'opinion  générale,  l'auteur  de  cette  façade 
fut  Aleolli;  mais,  comme  l'architecte  Alessandro  Balbi  ratifia 
l'estimation  des  travaux,  L.-N.  Cittadella  incline  à  substituer 
le  nom  de  Balbi  à  celui  d'Aleotti  (2). 

A  quelle  époque  et  pour  quel  motif  le  palais  construit  sous 
Albert  d'Esté  reçut-il  le  nom  de  palais  du  Paradis?  On  l'ignore. 
Peut-être,  ainsi  que  le  prétend  Caleffini,  est-ce  Albert  d'Esté 
lui-même  qui  le  lui  donna,  comme  il  donna  ceux  de  Schifa- 
noia  et  de  Belfiore  à  deux  autres  résidences.  Cependant  on 
s'accorde  à  croire  que  l'édifice  dut  son  titre  à  une  célèbre 
peinture  qu'Antonio  Alberti  y  exécuta  pendant  le  règne  de 
Nicolas  III  et  qui  représentait  le  Christ  au  milieu  des  anges  et 
des  saints  (3). 

Autrefois  les  portiques  qui  environnent  la  cour  étaient  sou- 
tenus par  des  colonnes  de  marbre.  Ces  colonnes  ayant  fini  par 
perdre  leur  aplomb,  on  eut  la  malencontreuse  idée  de  mettre 
à  leur  place  des  piliers  en  brique  (1766).  Parmi  les  objets  ex- 
posés sous  les  arcades  du  portique  figurent  une  statue  équestre 

1^1)   L.-:N.  Cittadella,  Memorie  ciel  teiupio  di  San  Francesco,  p.  24,  note  3. 

(2)   Notizie  relative  a  Ferrara,  t.  I,  p.  344,  546. 

\Z)    Antonio  Alberti  y  peignit  aussi  le  concile  œcuménique  de  1438. 


LIVRE   DEUXIÈME.  369 

du  douzième  siècle,  la  plus  ancienne  peut-être  qui  existe,  un 
buste  du  poète  Cinthio  Giraldi,  par  Alfonso  Lombardi,  et  un 
buste  de  Béatrice,  fdle  de  Prisciano  Prisciani,  conseiller  de 
Borso  et  d'Hercule  l".  On  remarque  aussi  un  sarcophage  du 
cinquième  ou  du  sixième  siècle,  en  marbre  de  Paros,  qui  servit 
de  tombeau  en  10:26  à  Alberto  Bonacossi  dans  Téglise  de 
Saint-François.  On  voit  sur  ce  sarcophage  Jésus  encore  très 
jeune,  expliquant  un  livre,  qu'il  tient  ouvert  sur  ses  ^enoux, 
à  six  apôtres  placés  à  ses  côtés;  les  six  autres  apôtres  sont  i"e- 
présentès  trois  par  trois  sur  les  faces  latérales  du  sarcophage. 
Ce  monument  en  rappelle  plusieurs  qui  existent  à  Sant'  Apol- 
linare  in  Classe  hors  de  Ravenne;  il  fut  probablement,  comme 
eux,  exécuté  par  ordre  de  Théodoric  (I). 

Si  le  palais  du  Paradis  a  perdu  les  peintures  d  Antonio 
Alberti ,  il  possède  encore  quelques  restes  intéressants  de 
fresques  exécutées  vers  la  première  moitié  du  quinzième  siècle. 
Ces  restes  se  trouvent  au  rez-de-chaussée  dans  la  première 
salle  à  droite.  Une  partie  des  fresques  représente  un  combat  : 
on  aperçoit,  au  sommet  d'une  tour  crénelée,  une  femme  au- 
près de  laquelle  deux  autres  femmes  se  livrent  à  une  lutte 
acharnée,  tandis  qu'un  homme  tire  de  l'arc.  Sur  une  autre 
paroi,  on  distingue  une  femme  qui  joue  de  l'orgue  (2).  Ail- 
leurs, un  personnage  vu  de  profil  à  gauche  va  percer  d'une 
flèche  un  homme,  en  tunique  vert  clair  et  en  manteau  gris, 
vers  lequel  se  penche  une  femme,  vêtue  de  rouge  et  coiffée 
d'un  voile  blanc,  dont  la  tête  est  fort  belle.  L'intelligence  des 
physionomies  et  l'harmonie  des  couleurs  prouvent  que  ces 
fresques,  malgré  certains  défauts  justifiés  par  l'époque  de 
l'exécution,  méritaient  d'être  débarrassées  du  badigeon  qui 
les  a  longtemps  cachées. 

Dans  le  palais  du  Paradis  se  trouve  aussi  une  précieuse 
collection  de  monnaies  anciennes  et  de  médailles.  Elle  fut 
commencée  par  le  marquis  Lionel.  Alphonse  I"  l'accrut  nota- 

['\)   L.-N.    CiTTADELLA,    MeiHOrie  sul  teinpio  cli   San    Francesco    in  Ferrara 
p.  76-78. 

^2^    CrOWË  et  CvVALCASELLE,   t.  II,  p.  388. 

I.  24 


370  L'ART    FEUUAllAIS. 

blement  grâce  aux  agents  qu'il  envoyait  partout.  Durant  la 
puerre  avec  Venise  et  avec  Jules  II ,  la  pénurie  du  trésor 
public  le  força,  on  se  le  rappelle,  de  mettre  en  gage  chez 
lacomo  Ambrogio  de  Vérone  les  pièces  les  plus  rares,  qu'il 
racheta  en  1513.  Hercule  II  fit  dresser  par  Calcagnini  en 
1540  le  catalogue  de  la  collection  ducale,  qui  ne  comprenait 
pas  moins  de  neuf  cents  monnaies  d'or. 

A  côté  de  l'Université,  dans  le  même  palais,  on  a  installé 
la  bibliothèque  de  la  ville  (l).  Instituée  en  1746,  elle  fut  ou- 
verte au  public  en  1753.  Elle  avait  alors  pour  directeur  Gian- 
andrea  Barotti,  auteur  des  Memoyie  istoriche  di  lelterati  fer- 
raresi,  qui  ne  furent  publiés  qu'après  sa  mort,  en  1792.  Parmi 
les  curiosités  qu'elle  renferme,  on  remarque,  outre  de  nom- 
breux manuscrits  ornés  de  précieuses  miniatures  et  une  série 
de  livres  accompagnés  de  gravures  sur  bois,  le  manuscrit  com- 
plet du  Pastnr  fido  de  Guarini.  le  testament  de  Torquato 
Tasso,  ainsi  que  la  Jérusalem  délivrée  transcrite  par  INIajanini, 
un  des  amis  du  poète,  et  annotée  par  le  poète  lui-même,  le 
manuscrit  des  Satires  de  l'Arioste,  le  siège  de  cet  illustre  écri- 
vain et  son  encrier  de  bronze,  orné  de  trois  chimères  et  d'une 
figure  d'enfant  au  sommet. 


PALAIS     ROilEI. 

Contigu  au  couvent  du  Corpus  Domini ,  le  palais  Romei, 
situé  à  l'angle  des  rues  Savonarola  et  Praisolo  (2),  fut  légué  en 
1483  par  Giovanni  Romei  à  ce  monastère,  qu'il  servit  à  agran- 
dir. Deux  pièces,  composant  ce  qu'on  appelle  l'appartement 
du  cardinal  d'Esté,  sont  ornées  de  peintures,  qui  ont  une  cer- 

(1)  Aldo  Gexxari,  Monograjia  délia  Cirica  Biblioteca  dalle  oriçini  ad  ofjgi, 
colV  aggiunta  di  un  indice  illustrato  dei  manosciitti  ferraresi  dal  i^&'iin  poi, 
nonchè  d'un  elenco  dei  principali  autocjrafi. 

(2)  C'est  dans  la  rue  Praisolo  que,  le  6  juin  1508,  Ercole  Strozzi,  Hls  de  Tito 
StrozzI  et  poète  comme  son  père,  fut  assassiné.  ISous  donnerons  quelques  détails 
sur  Ercole  en  parlant  du  palais  Pareschi. 


LIVRE   DEUXIEME.  371 

taine  analogie  avec  les  fresques  de  la  chambre  de  l'Aurore 
dans  le  Castello  et  qui  rappellent  l'école  des  Dossi.  Dans  la  plus 
grande  des  deux  pièces,  on  voit  au  centre  du  plafond  David  et 
Goliath ,  tandis  que  l'ange  et  Tobie  sont  représentés  dans 
l'autre.  On  remarque,  en  outre,  de  gracieuses  arabesques, 
d'une  grande  légèreté. 


PALAIS     PARESCHI     OU     GAVASSINI. 

En  face  du  palais  Romei,  dans  la  rue  Savonarola^  autrefois 
rue  Voltapaletto  (1). 


Dès  qu'on  a  franchi  la  porte  principale,  on  se  trouve  dans 
une  vaste  cour,  qu'entourent  des  portiques  soutenus  par  des 
colonnes  de  marbre.  Une  autre  cour,  très  majestueuse,  confine 
à  un  jardin,  dont  la  grille  donne  sur  la  rue  de  la  Giovecca. 

A  l'intérêt  que  présentent  ces  belles  cours  au  point  de  vue 
de  l'architecture,  le  palais  Pareschi  unit  celui  des  souvenirs 
historiques.  Hercule  I"  le  fit  construire  entre  1475  et  1487 
dans  une  partie  du  jardin  appartenant  aux  Fransciscains,  qui 
reçurent  à  titre  de  compensation  des  biens  plus  importants 
sur  le  territoire  de  Migliaro.  L'ayant  richement  meublé,  il 
le  donna  à  son  familier  Giulio  Tassoni  (2) ,  capitaine  distin- 
gué, le  jour  où  celui-ci  épousa  Ippolita  Contrarii,  fille  de  Nic- 
colô  Contrarii  et  de  Béatrice  Rangoni  de  Modène  (21  janvier 
1  487)  (3);  mais  il  le  recouvra  plus  tard,  car,  par  son  testament 
de  1504,  il  le  laissa  à  son  fils  Ferdinand,  appelé  aussi  Fer- 
rante. Ferrante  en  fut  bientôt  dépossédé  (1505),  pour  avoir  pris 

(i)  Frizzi,  Memorie  per  la  atoria  cli  Ferrara,  t.  IV,  p.  156-157.  —  L.-N.  Gn- 
TADELLA,  J^otizie  relative  a  Ferrara,  t.  I,  p.  330. 

(2)  Dès  sa  jeunesse,  Giulio  Tassoni  avait  été  chambellan  d'Hercule  I". 

(3)  De  plus,  le  duc  fit  représenter  en  l'honneur  des  nouveaux  époux,  dans  la 
nouvelle  cour  du  Castello,  une  pièce  de  Niccolô  da  Corrcjjgio  intitulée  Cefalo.  Le 
5  avril  de  la  même  année,  il  permit  à  Giulio  Tassonc  de  porter  le  surnom  à'Es- 
tense  et  d'adopter  les  armes  de  sa  propre  famille.  A  ces  faveurs  il  ajouta  la  dona- 
tion de  plusieurs  domaines. 


372  L  ART   FERRAUAIS. 

part  à  une  conjuration  contre  son  frère  Alphonse  V%  dont  la 
ripueur  lui  imposa  une  prison  perpétuelle.  En  1533,  Al- 
phonse I"  le  légua  à  son  second  fils,  le  cardinal  Hippolyte  II, 
et,  après  la  mort  d' Hippolyte  II,  le  cardinal  Louis  d'Esté  et 
le  duc  Alphonse  II  en  furent  conjointement  propriétaires  jus- 
qu'en 1575,  époque  à  laquelle  le  duc  céda  ses  droits  au  car- 
dinal (1),  qui,  en  1583,  vendit  le  tout  au  comte  Camillo  Gua- 
lengo.  Un  des  propriétaires  suivants,  Sigismond  Gavassini, 
réédifia  en  partie  le  palais  (1738)  et  fit  faire  par  l'architecte 
véronais  Girolamo  dal  Pozzo  un  escalier  princier  ainsi  qu'une 
nouvelle  façade  (2),  tout  en  respectant  les  portiques  et  les 
cours. 

Parmi  les  personnages  illustres  qu'abrita  cette  demeure, 
nous  en  citerons  deux  :  Isabelle,  femme  de  Frédéric  III  d'Ara- 
gon, et  la  duchesse  Renée,  femme  du  duc  de  Ferrare  Her- 
cule II  (3). 

(Juaud  Frédéric  III  d'xVragon  eut  perdu  le  royaume  de 
Naples  (1501),  il  trouva  avec  sa  famille  un  asile  à  Tours,  où  il 
mourut  au  bout  de  trois  ans;  mais,  pour  des  motifs  politiques, 
la  France  ne  put  continuer  à  garder  chez  elle  sa  veuve  et  ses 
quatre  enfants.  Alphonse  I",  duc  de  Ferrare,  leur  offrit  dans 
le  palais  de  la  rue  à  laquelle  on  a  donné  le  nom  de  Savonarole 
une  hospitalité  qui  dura  depuis  le  29  mai  1508  jusqu'au 
18  mai  1533,  date  de  la  mort  d'Isabelle.  Il  pourvut  en  outre  à 
leur  entretien,  prenant  en  pitié  une  misère  absolue,  sans  pré- 
cédents, que  finit  cependant  par  adoucir  le  recouvrement  de 
certains  biens.  Quand  Jules  II,  favorable  aux  Vénitiens  contre 
lesquels  Alphonse  I"  guerroyait,  frappa  Ferrare  d'interdit 
(9  août  1510),  Isabelle  obtint  l'autorisation  de  faire  célébrer 
dans  sa  demeure  les  offices  divins,  parce  que  sa  pauvreté  ne 
lui  permettait  pas  de  quitter  la  ville.  En  1520,  elle  eut  la  dou- 
leur de  perdre  un  de  ses  deux  fils,  et  en  1533  celle  de  voir  sa 
fille  Giulia  devenir  veuve  quelques  mois  après  avoir  été  mariée 

(i)   A  cette  époque,  le  jardin  fut  consacré  aux  études  Ijotaniques. 

(2)  La  précédente  façade  avait  des  fenêtres  ogivales. 

(3)  L.-]X.  CiTTADELLA,  Vil  palazzo  Esteiise  in  Feira/a,  1872,  in-S". 


LIVRE   DEUXIEME.  373 

par  le  duc  de  Ferrare  à  Giovan  Giorçio,  marquis  de  ^lont- 
ferrat,  qui  fut  peut-être  empoisonné. 

Quant  à  Renée,  fille  de  Louis  XII  et  d'Anne  de  Bretagne, 
qui  épousa  Hercule  II  en  1528,  on  ne  sait  à  quelle  époque  elle 
se  retira  dans  le  palais  qu'avait  si  longtemps  habité  Isabelle 
d'Aragon.  Il  est  certain  qu'elle  s'y  trouvait  en  1554.  Le  duc 
la  relégua  et  l'isola  cette  année-là  dans  une  pièce  du  Castello, 
parce  que,  attachée  aux  doctrines  de  Calvin,  elle  détournait 
ses  filles  des  pratiques  du  culte  catholique;  mais,  au  mois  de 
septembre  de  la  même  année,  elle  fut  autorisée  à  retourner 
dans  le  palais  qu'on  lui  avait  fait  quitter. 

Auprès  du  palais  Pareschi  se  trouve  la  maison  habitée  jadis 
par  les  Strozzi,  maison  non  loin  de  laquelle  demeura  Jérôme 
Savonarole  avant  son  entrée  chez  les  Dominicains.  C'est  ce 
voisinage  qui  suscita  chez  l'ardent  jeune  homme  le  désir 
d'épouser  l'héritière  des  Strozzi,  et  peut-être  le  refus  qu'il 
essuya  ne  fut-il  pas  étranger  à  la  direction  définitive  que  pri- 
rent ses  pensées  (1).  On  ne  connaît  plus  la  place  qu'occupait 
la  maison  de  son  père. 

A  l'angle  du  palais  Pareschi  eut  lieu  le  meurtre  d'Ercole 
Strozzi,  le  6  juin  1508,  treize  jours  après  le  mariage  de  l'il- 
lustre poète  avec  Barbara  Torelli,  la  jeune  veuve  d'Ercole 
Bentivoglio  (2).  Quand  on  découvrit  le  corps  de  Strozzi  sur  la 
voie  publique,  il  était  enveloppé  d'un  manteau,  et  l'on  constata 
vingt-deux  blessures.  Toute  la  ville  s'en  émut,  car  elle  perdait 
un  de  ses  citoyens  les  plus  marquants,  qui  avait  été  Juge  des 
Sages  et  qui  n'avait  trouvé  que  des  amis  parmi  les  poètes  dont 
la  cour  s'honorait.  Quel  personnage  avait  dirigé  le  poignard 
des  assassins?  On  a  eu  beau  interroger  les  correspondances 

(i)  ViLLARi,  Jérôme  Savonarole  et  son  temps,  t.  I,  p.  43-4V,  dans  la  traduc- 
tion française  que  nous  avons  publiée  chez  Firmin-Didot,  1874. 

(2)  Ercole  Strozzi  n'avait  que  trente-sept  ans.  Il  fut,  connue  poète,  supérieur  à 
Tito,  son  père.  Son  style  a  plus  de  yràce,  sa  pensée  plus  de  vivacité.  Outre  la 
poésie  latine,  il  cultiva  la  poésie  italienne,  à  l'exemple  de  Heinho.  En  1513,  Aide 
Manuce  publia  ensemble  les  poésies  de  Tito  et  d'Ercole  Strozzi.  La  tradition 
attribue  à  Ercole  un  éloge  de  Ludovic  le  More  et  une  description  de  la  {juerre 
des  géants.  Quelques-uns  de  ses  sonnets  figurent  dans  la  Baccolta  dclle  rime  de' 
poeti  ferra  resi. 


374  L'ART    FERRARAIS. 

confidentielles,  elles  n'ont  rien  révélé  de  certain  ;  mais  on  a 
soupçonné,  non  sans  motifs,  Alphonse,  le  duc  de  Ferrare, 
soit  que,  épris  de  Barbara,  il  eût  voulu  se  débarrasser  de  celui 
qui  venait  d'épouser  cette  femme  et  qui  mettait  obstacle  à  sa 
passion,  soit  qu'il  vît  avec  jalousie  la  trop  grande  bienveillance 
témoignée  à  Ercole  Strozzi  par  Lucrèce  Borgia,  qui  avait  été 
jusqu'à  demander  pour  lui  la  pourpre  à  Alexandre  VI.  Tou- 
jours est-il  qu'Alphonse,  si  impitoyable  envers  ses  frères  Fer- 
rante et  Giulio  lors  du  complot  contre  sa  propre  vie,  et  si 
rigoureux  d'ordinaire  dans  l'application  des  lois,  n'ordonna 
aucune  enquête,  quoiqu'il  eût  pour  secrétaire  intime  et  pour 
conseiller  Bonaventura  Pistofilo,  beau-frère  d'Ercole  Strozzi, 
et  quoique  celui-ci  appartînt  à  une  famille  puissante.  En  tout 
cas,  les  regrets  ne  manquèrent  pas  à  la  victime.  Non  seulement 
son  oraison  funèbre  fut  prononcée  dans  l'église  de  Santa  Maria 
in  Yado,  où  eurent  lieu  les  obsèques,  mais  Lodovico  Pittorio, 
Antonio  Tebaldeo,  Lilio  Gregorio  Giraldi,  Bembo  et  l'Arioste 
célébrèrent  à  l'envi  l'illustre  Ferrarais  dans  leurs  yers  (I). 
Presque  aussitôt  après  le  meurtre,  Bembo  et  Tebaldeo  crurent 
prudent  de  quitter  le  pays.  Quant  à  Barbara  Torelli,  elle  s'en- 
fuit de  Ferrare  et  se  retira  à  Parme,  puis  à  Bologne,  où  elle 
mourut  (2). 


PALAIS    DES    DIAMANTS    (3 


A  peine  le  duc  Hercule  I"  avait-il  ajouté  un  nouveau  quar- 
tier à  la  ville  de  Ferrare  (1492),  que  l'on  y  éleva  plusieurs 
palais.  Un  des  plus  importants  fut  le  palais  des  Diamants, 
ainsi  nommé  à  cause  de  la  façon  dont  sont  taillés  les  marbres 
qui  revêtent  les  deux  faces  du  haut  en  bas.  Il  est  situé  dans  la 

(1)  Aide  Manuce,  de  son  côté,  composa  une  pièce  en  trente-trois  vers  pour 
servir  d'épitaphc  à  Ercole  Strozzi,  qui  avait  été  son  élève  à  Ferrare. 

(2)  Babotti,  /  letterali  feiraresi.  —  Grecorovius,  Lucrèce  Borcjia,  t.  II, 
p.  175-177.  —  LiTTA,  Famiglie  celebri  d'Italia,  tavola  V. 

(3)  Appelé  également  Ateneo  civico. 


LIVRE   DEUXIEME.  375 

rue  appelée  successivement  :  via  degli  Angeli,  via  dei  Piop- 
poni  et  corso  Vittorio  Emmanuele,  à  l'angle  du  corso  Porta 
Pô.  C'est  Sigismond  d'Esté,  frère  d'Hercule  I"  et  marquis  de 
San  Martino,  qui  le  fit  construire  (1492-1403).  Ce  prince 
choisit  pour  architecte  Biagio  Rossetti  et  chargea  Gahriele  Fri- 
soni  de  Mantoue  d'exécuter  les  sculptures  d  ornementation. 
Mais  ces  deux  artistes  ne  menèrent  pas  à  bout  leur  entreprise. 
Obligés  de  partir,  l'un  pour  Florence,  l'autre  pour  Vérone,  ils 
cédèrent  la  place,  en  1503,  à  Girolaino  Pasino  et  à  Cristoforo 
Borgognoni,  fils  d'Ambrogio  da  Milano  (1).  Dès  1496,  le  palais 
possédait  déjà  son  bizarre  revêtement,  car  Paolo  et  Jacopino 
Lancelloti  de  Modène  en  constatèrent  l'existence  dans  une 
excursion  h  Ferrare  que  relatent  leurs  Chroniques,  parvenues 
jusqu'à  nous.  Hercule  II,  par  un  testament  fait  en  1558,  légua 
cet  édifice,  dont  il  était  devenu  propriétaire,  à  son  second  fils 
Louis  (qui  fut  évêque  de  Ferrare,  puis  cardinal),  avec  six  mille 
écus  d'or  pour  le  terminer  et  quatorze  mille  écus  pour  le  gar- 
nir de  meubles,  de  tapisseries,  etc.  (2).  César  d'Esté,  fils  d'Al- 
phonse, le  frère  naturel  d'Hercule  H,  l'eut  comme  résidence 
du  vivant  même  du  cardinal  Louis,  dont  il  fut  l'héritier.  A 
l'occasion  de  son  mariage  avec  Virginia  de'  Medici,  mariage 
décidé  en  1583  et  réalisé  en  1586,  il  commanda  à  Enea  Fon- 
tana,  de  Bologne,  cinq  garnitures  en  cuir  rouge  décoré  de 
candélabres  et  de  frises  dorés.  Après  l'arrivée  de  Virginia  à 
Ferrare,  il  y  eut  table  ouverte  pendant  huit  jours  au  palais  des 
Diamants,  et  dans  la  grande  salle  eut  lieu  un  tournoi  sans 
chevaux.  En  1641,  le  duc  de  Modène  François  I"  vendit,  pour 
dix-huit  mille  écus,  lédifice  au  marquis  Guido  Villa.  Enfin, 
après  l'extinction  de  la  famille  Villa,  la  municipalité,  en  1842, 
l'acheta,  movennant  six  mille  huit  cents  écus.  aux  héritiers  de 
cette  famille.  C  est  là  qu'on  a  installé  la  Pinacothèque. 

Le  palais  des  Diamants  a  un  aspect  plus  étrange  qu'agréable 
avec  ses  douze  mille  six  cents  plaques  de  marbre  à  facettes, 

(1)  L.-]N.  CiTTADELLA,  J^otizie  relative  a  Fer/ara,  t.  II,  p.  256,  261-262. 

(2)  L'état  actuel  du  palais  est  dû  aux  travaux  cxci'iités  sur  l'ordre  du  cardinal 
Louis  d'Esté. 


376  I/AllT    FERHAIIAIS. 

disposition  adoptée  en  souvenir  du  diamant  qui  était  l'emblème 
favori  d'Hercule  I".  A  chaque  extrémité,  depuis  le  rez-de- 
chaussée  jusqu'au  premier  étage  et  depuis  le  premier  étage 
jusqu'à  l'entablement,  on  voit  des  pilastres  ornés  d'arabesques 
remarquables,  où  la  figure  humaine  n'est  pas  moins  habile- 
ment traitée  que  ne  le  sont  les  animaux  fabuleux  et  les  feuil- 
lages. Mais  ces  délicates  sculptures,  dont  M.  Yenturi  croit 
pouvoir  attribuer  le  dessin  à  Ercoh  Grandi  (1),  ne  perdent- 
elles  pas  à  figurer  auprès  des  saillies  aiguës  qui  frappent  par- 
tout les  regards?  Elles  eussent  mieux  accompagné  des  surfaces 
unies   et  tranquilles.   Le  contraste  n'est-il   pas  trop  violent? 

Il  existait,  du  reste,  des  précédents  pour  une  pareille  archi- 
tecture. A  Bologne,  le  palais  Bevilacqua,  commencé  en  1481, 
présente  aussi  sur  sa  façade  une  multitude  de  prismes.  Seule- 
ment, il  n'y  en  a  point  dans  le  bas,  et  ils  sont  d'ailleurs  plus 
adoucis,  de  sorte  que  les  ornements  de  la  porte,  des  fenêtres 
et  des  entablements  se  marient  mieux  avec  ces  aspérités  (2). 

Dans  le  palais  de  Ferrare,  les  fenêtres  du  rez-de-chaussée 
sont  surmontées  d'un  bandeau  plat,  tandis  que  celles  du  pre- 
mier étage  ont  pour  couronnement  un  fronton  aigu.  Un  balcon 
occupe,  au  premier  étage,  l'angle  de  l'édifice.  Au-dessus  de 
l'entablement  en  briques,  percé  d'œils-de-bœuf,  s'étend  une 
imposante  corniche. 

La  porte  actuelle  du  palais  ne  date  pas  de  la  même  époque 
que  le  reste.  Dès  que  Guido  Villa  eut  acquis  ce  palais,  Ghiron 
Francesco,  son  fils,  la  fit  exécuter  par  Filippo  Giorgi  et  Agostino 
Rizzi  [l"  octobre  1642)  :  le  comte  Vincenzo  Tassoni  en  donna 
le  plan^  et  ce  fut  un  brodeur,  Ercole  Barca,  qui  fournit  le  des- 
sin des  deux  pilastres,  très  inférieurs  à  ceux  dont  nous  avons 
parlé.  Le  tout  devait  être  achevé  au  bout  de  dix  mois  (3). 

Des  fêtes  splendides  et  des  festins  somptueux  eurent  lieu 
dans  ce  palais  quand  les  princes  d'Esté  en  étaient  proprié- 

(1)  Voyez  V Archiviu  storico  delV  ente  de  juin  1888  et  L'arte  ferraiese  nel 
periodo  (V Ercole  I  d'Esté,  p.  134. 

(2)  Les  pilastres  cannelés,  aux  extrémités  du  palais,  sunt  trop  niai{;res  et  n'onl 
pas  d'heureuses  proportions. 

(3j    L.-?i.  CiTTADELLA,  Notizic  lelcitivea  Ferrara,  t.  II,  p.  347-348. 


LIVRE   DEUXIEME.  377 

taires  (l).  Il  fut  encore  embelli  par  la  famille  Villa,  qui  y 
dépensa  mille  pistoles  d'or.  On  y  voyait  partout  des  tentures 
de  velours  et  de  soie,  des  cuirs  peints,  des  miroirs  de  Venise. 
Les  deux  cheminées  qu'on  admire  maintenant  dans  le  palais 
municipal  lui  appartenaient.  On  remarque  encore  un  beau 
plafond  de  bois  avec  des  caissons  dans  la  plus  grande  des 
salles.  Quatre  autres  pièces  possèdent  également  des  plafonds 
à  caissons  de  formes  diverses,  avec  de  riches  décorations.  Au 
plafond  d'une  chambre,  Scarsellino  avait  représenté  Apollon, 
Minerve,  la  Renommée,  Hercule,  une  jeune  fille  ailée  et  deux 
empereurs  romains,  peintures  qui  se  trouvent  maintenant  dans 
la  galerie  de  Modène.  Quelques  frises  encore  existantes  ont  été 
attribuées  par  les  uns  à  l'école  de  Dosso,  par  les  autres  à 
Gimifvdncesco  Surchi,  dit  Dielai. 


PALAIS    CASTELLI    OU    PALAIS    DES   LIOXS, 

APPELÉ     EXSUITE    PALAIS     GIRALDI,     PALAIS     SACPATI 

ET    aujourd'hui    PALAIS    PROSPERI. 


A  côté  du  palais  des  Diamants,  dont  il  est  séparé  par  une 
rue,  s'élève  un  palais  non  moins  remarquable,  que  l'rancesco 

(1)  Le  cardinal  Louis  d'Esté,  fils  d'Hercule  II,  y  avait  fait  exécuter,  pour  un 
festin  en  l'honneur  de  Barbe  d'Autriche  qui  venait  d'épouser  le  duc  de  Ferrare 
Alphonse  II,  des  préparatifs  merveilleux,  imaginés  par  son  maître  d'hôtel  Gia- 
como  Grana  ;  mais  la  mort  de  Pie  IV  coupa  court  à  ses  projets  en  le  forçant  de 
partir  tout  à  coup  pour  Rome.  Giacomo  Grana  écrivit  du  moins  une  description 
des  fêtes  qui  devaient  lui  faire  tant  d'honneur.  Cette  description,  restée  manu- 
scrite, a  été  imprimée  à  Ferrare  en  18G9  par  Domenico  Taddei  sous  le  titre  sui- 
vant :  Descrizione  del  banchetto  nuziale  per  Alfonso  II  duva  di  Ferrura  e  Bur- 
hai-a  principessa  d' Austria  preparato.  Une  foule  de  princes,  de  cardinaux,  d'am- 
bassadeurs avaient  été  invités.  Pour  se  procurer  des  poissons  rares,  Grana  avait 
envoyé  jusqu  aux  lacs  de  Garda  et  d'Iseo,  ainsi  qu'en  Sclavonie.  Gènes  avait  fourni 
des  légumes  et  des  fruits,  Venise  des  figures  en  sucre.  Aux  volailles  et  aux  ani- 
maux domestiques,  on  avait  ajouté  des  oiseaux  sauvages,  des  lapins,  des  lièvres, 
lies  cerfs,  des  sangliers.  Sur  les  muis  de  la  salle  s'étalaient  de  magnifiques  tapis- 
series que  faisaient  valoir  des  guirlandes,  dans  lesquelles  figuraient  dos  branches 
de  laurier  et  de  citronnier  avec  leurs  fruits,  des  roses  et  des  oeillets.  Un  grand 
nombre  de  figures  en  stuc  tenaient  des  torches  à  la  main.  On  n'avait  rien  épargné 


378  L'ART    FER  PARAIS. 

Castelli  fit  construire  à  la  fin  du  quinzième  siècle  (1).  Castelli 
était  médecin  en  chef  de  la  cour  (2),  ainsi  que  l'avait  été  son 
père,  Girolamo  (3),  qui  fut,  de  plus,  professeur  à  l'Université 
de  Bologne,  puis  à  celle  de  Ferrare  (4).  Est-ce  Bartolommeo 
Tristani,  est-ce  Giovanni  Stancari  qu'il  prit  comme  architecte 
et  qui  livra  le  dessin  de  l'édifice?  S  adressa-t-il  pour  les  sculp- 
tures à  Cristoforo  da  Milano,  à  Andréa  di  Tani,  à  Borso  de' 
Campi,  à  Antonio  Bosi,  à  Giacomo  da  Ferrara?  Tous  ces  ar- 
tistes avaient  déjà  fourni  des  preuves  de  leur  talent;  mais  on 
ignore  s'ils  ont  travaillé  au  palais  de  Francesco  Castelli. 

Ce  qui  attire  d'abord  les  regards,  c'est  la  riche  et  gran- 
diose porte  en  marbre  rougeâtre  ;  elle  tranche  avec  la  simpli- 
cité de  la  façade,  dont  les  briques  ont  un  aspect  de  vétusté 
pittoresque.  Deux  lions  assis,  en  marbre  rouge,  sont  placés, 
comme  de  vigilants  et  redoutables  gardiens,  aux  côtés  des  six 
marches  qui  conduisent  au  seuil  du  palais  (5).  Des  ornementa- 
tions délicates,  imitant  les  nielles,  garnissent  la  face  des  mar- 
ches ;  sur  la  marche  supérieure,  on  lit  le  mot  Credo,  tandis 
qu'on  voit  sur  la  marche  précédente  un  château  [castello],  em- 

non  plus  pour  rendre  somptueuse  I.i  garniture  des  tables.  Au  repas  devait  succé- 
der un  concert,  suivi  lui-même  d'une  collation  servie  par  des  pages  en  brillants 
costumes,  par  des  nymphes  et  des  bergers. 

(i)  Dès  1492,  Francesco  Castelli  choisit  comme  constructeurs  ou  entrepre- 
neurs [muratorï]  maître  Martino  da  Milano,  fils  de  Gregorio,  et  maître  Giacomo 
de  Miore,  qui,  le  travail  achevé,  devaient  recevoir,  outre  leur  salaire,  un  bon 
manteau  de  drap  noir.  Le  17  mars  1493,  d'après  une  nouvelle  convention,  Gia- 
como de  Crémone  remplaça,  en  qualité  de  capo  m.astro,  Martino  qui  était  mort  : 
on  lui  promit,  au  lieu  d'un  manteau  de  drap  noir,  du  drap  de  Londres  pour  faire 
une  cape. 

^2;  Il  fut  créé  chevalier  par  Hercule  I-%  au  moment  où  ce  prince  se  disposa  à 
quitter  Ferrare  pour  entreprendre  le  pèlerinage  de  Saint-Jacques  de  Compostclle. 
Docteur  en  philosophie  et  en  médecine,  il  réforma  l'Université  vers  1505.  Il  fut 
très  cher  au  duc  de  Ferrare  Alphonse  I".  INiccolô  Leoniceno  lui  a  dédié  sa  tra- 
duction latine  d'un  ouvrage  grec  :  De  tribus  doctrinis  ordinatis  secundum  Gale- 
num.  Francesco  Castelli  mourut  en  1528,  après  avoir  épousé  sa  maîtresse,  et 
laissa  des  enfants  mineurs.  De  1500  à  1528,  il  fut  le  médecin  attitré  de  l'hôpital 
des  pestiférés,  situé  dans-une  île  du  Pô  que  l'on  appelait  île  de  Saint-Sébastien 
ou  du  Boschetto.  (L.-N.  Cittadella,  Notifie  relative  a  Ferrara,  t.  I,  p.  393.) 

(3)  Girolamo  Castelli  fit  son  testament  le  5  mars  1471. 

(4)  Il  harangua  l'empereur  Frédéric  III  dans  la  cathédrale. 

(5)  C'est  à  cause  de  ces  lions  qu'on  donne  souvent  le  nom  de  palais  des  Lions 
au  palais  Castelli. 


LIVTIE   DEUXIÈME.  379 

blême  de  la  famille  Castelli  (1).  La  partie  cintrée  de  la  porte 
présente  des  moulures  exquises  et  repose  sur  deux  piliers  au 
milieu  desquels  se  trouvaient  encore,  il  y  a  quelques  années, 
des  médaillons  en  bronze  représentant  des  têtes  d'empereurs 
romains,  saint  Georges  tuant  le  dragon,  les  trois  Grâces  et 
Mercure;  les  chapiteaux  eux-mêmes  nous  montrent  des  têtes 
fantastiques,  des  vases  et  des  guirlandes.  Entre  le  cintre  de  la 
porte  et  le  grand  pilastre  cannelé  qui,  de  chaque  côté,  s'adosse 
à  la  muraille,  deux  têtes  de  guerriers  apparaissent  en  saillie 
dans  une  couronne,  et  un  peu  plus  haut  s'étend  une  frise  d'un 
très  beau  ton,  composée  d'un  vase  flanqué  de  deux  griffons  et 
de  rinceaux,  dont  l'exécution  n'est  pas  moins  digne  d'admira- 
tion que  l'agencement.  Aux  deux  pilastres  que  nous  avons 
indiqués  et  qui  ont  pour  appui  la  sixième  marche  de  l'escalier, 
correspondent  deux  colonnes  de  style  corinthien  que  supporte 
la  cinquième  marche.  Ici  encore  les  chapiteaux  sont  traités 
avec  un  rare  talent.  Au-dessus  de  chaque  colonne,  sur  l'enta- 
blement, on  voit  assis,  les  jambes  écartées  et  pendantes,  deux 
enfants  nus  et  ailés  qui  s'accotent  à  la  partie  inférieure  d'un 
balcon.  Sous  le  balcon  lui-même,  trois  autres  enfants  servent 
de  cariatides  :  celui  du  milieu  tient  une  corne  d'abondance  et 
est  placé  dans  la  courbure  d'une  console.  Sans  être  beaux,  ces 
enfants  ne  manquent  pas  d'un  certain  charme.  Au  sommet  du 
balcon,  formé  de  fuseaux  alternant  avec  cinq  petits  pilastres 
ornés  d'arabesques,  on  aperçoit  deux  petits  enfants  nus  qui 
s'embrassent,  un  buste  d'homme  coiffé  d'un  casque,  un  singe, 
un  buste  de  femme  et  deux  enfants  nus  qui  luttent  entre  eux. 
Signalons  enfin  d'élégantes  rosaces  au-dessous  du  balcon  et 
sous  l'arc  de  la  porte. 

A  l'origine,  le  palais  des  Lions  avait  une  autre  porte,  proba- 
blement très  simple.  Celle  qui  existe  aujourd'hui  fut  cependant 
faite  du  vivant  de  Francesco  Castelli.  Lanzi,  sans  révéler  ses 
sources,  en  attribue  le  dessin  à  Balthazar  Peîuzzi.  Cette  attri- 
bution, à  première  vue,  ne  parait  pas  absolument  invraisem- 

(1)   Voyez  Frizzi,  Memoric  storiche  délia  nohile  fmni(jUa  Bevilacaun,   p.   73. 


380  L'AUT    FEUUAllAIS. 

blablc,  car  Peruzzi,  né  à  Sienne  en  1481,  avait  quarante-sept 
ans  en  1528  quand  mourut  Castelli.  L'ensemble  du  monument 
n'est  pas  d'ailleurs  sans  rappeler  jusqu'à  un  certain  point  le 
style  de  Peruzzi.  N'y  a-t-il  pas  quelque  analogie  entre  cette 
porte  et  celle  de  l'église  dell' Anima,  à  Rome  (1514),  entre 
la  frise  qui  surmonte  la  porte  du  palais  des  Lions  à  Ferrare 
et  la  frise  qui  orne  depuis  1521  la  porte  de  l'église  San  Micbele 
in  Bosco,  tout  près  de  Bologne  (1)?  Il  est  vrai  qu'aucun  docu- 
ment n'indique  la  présence  de  l'artiste  siennois  soit  à  Bologne, 
soit  à  Ferrare,  dans  les  années  précédentes.  Aussi  nous  ran- 
geons-nous à  l'opinion  de  M.  Venturi,  qui,  écartant  le  nom  de 
Peruzzi,  regarde  Ercole  Grandi  comme  l'auteur  du  dessin  de  la 
porte  des  Lions.  Le  caractère  des  têtes  en  saillie,  celui  des 
têtes  reposant  sur  la  balustrade,  les  enfants  assis  les  jambes 
pendantes  et  même  le  singe  se  retrouvent  en  effet  dans  les 
décorations  qu'Ercole  Grandi  exécuta  au  plafond  d'une  des 
pièces  du  palais  Calcagnini-Beltrame.  Tout  trahit  l'imagina- 
tion d'un  artiste  ferrarais,  et  le  mélange  des  marbres  et  du 
bronze  montre  que  l'architecte  (2)  était  doublé  d'un  peintre. 
Peruzzi  aurait  été  plus  classique  et  se  serait  moins  abandonné 
à  la  fantaisie  (3). 

Le  palais  Castelli  ne  doit  pas  seulement  à  la  magnificence 
de  sa  porte  la  réputation  dont  il  jouit  :  les  pilastres  qui  le  dé- 
corent à  ses  extrémités  et  à  l'angle  des  deux  rues  sur  lesquelles 
il  donne  n'y  ont  pas  moins  contribué.  Ils  ne  sont  pas  dus  à  la 
même  main  que  la  porte  et  ont  dû  être  exécutés  par  un  artiste 
appartenant  au  quinzième  plutôt  qu'au  seizième  siècle.  Sur 
ces  pilastres,  en  marbre  jaune  à  veines  rouges,  se  détachent 
de  légères  arabesques  que  M.  Burckhardt  déclare  supérieures 
à  toutes  celles  que  l'on  admire  à  Ferrare.  Chaque  pilastre 
mériterait  un  examen  spécial.  Contentons- nous  de  regarder 

1;  Les  ornementations  de  la  porte  de  San  Michèle  in  Bosco  furent  exécutées, 
d  après  les  dessins  de  Peruzzi^  par  Giacomo  (la  Ferrara  et  Bernardino  da  Milano 
ou  da  Lugano. 

(2)  Ercole  (Grandi  Ht  le  dessin  de  l'église  Santa  Maria  in  Vado  (1495). 

(3)  Ad.  Ventcri,  Ercole  Grandi,  dans  V Aichivio  storico  dell'  Ai-te,  livraison 
de  juin  1888,  p.    194,  et  L'arte  fenarese  nel  peiiodo  d' Ercole  I  d'Esté,  p.  133. 


LIVRE   DEUXIÈME.  381 

celui  qui  se  trouve  à  l'extrémité  du  côté  droit,  rue  du  Corso 
Vittorio  Emmanuele.  Quelle  pureté  de  goût,  quelle  exquise 
délicatesse  dans  ces  guirlandes  de  fruits,  ces  dauphins, 
ces  cornes  d'abondance,  ainsi  que  dans  ces  médaillons  de 
bronze  où  l'on  remarque,  ici  trois  femmes  nues  devant  un 
guerrier  assis,  là  un  guerrier  à  cheval  qui  perce  de  sa  lance 
un  soldat  et  dont  le  cheval  en  foule  un  autre  sous  ses  pieds, 
tandis  qu'un  troisième  soldat,  au  torse  nu,  prend  la  fuite! 

A  l'intérieur  du  palais,  il  n'y  a  plus  rien  à  observer,  sauf  le 
portique  à  sept  arcades  donnant  sur  un  jardin  (1).  Les  appar- 
tements sont  dans  un  état  de  délabrement  qui  touche  à  la 
ruine. 

Accompagné  de  soixante  personnes  [sessanta  bocche),  Anni- 
bale  Bentivoglio,  qui  avait  épousé  Lucrezia,  une  des  filles  du 
duc  Hercule  I"^  y  reçut  l'hospitalité  et  y  fut  somptueusement 
traité,  au  dire  d'un  témoin  oculaire,  du  chroniqueur  Zam- 
botti. 

Francesco  Gastelli  partagea  sa  résidence  avec  un  peintre 
nommé  Gerardo  Gossa  et  avec  Domenico  et  Pasia,  enfants  de 
Gerardo.  Pasia  devint  sa  maîtresse;  il  légitima,  en  l'épou- 
sant (1509),  les  trois  enfants  qu'elle  lui  avait  donnés  (Lucrèce, 
Isabelle  et  Alphonse),  et  il  lui  constitua  une  dot  de  mille  lire 
marchesane,  libéralité  inutile,  car  elle  mourut  avant  lui  (1511). 
Dans  l'inventaire  qui  fut  dressé,  le  notaire  mentionne  des  tapis- 
series qui  représentaient  une  vierge,  deux  figures  d'hommes 
et  une  figure  de  femme,  une  figure  de  jeune  homme  avec 
l'image  de  la  Mort,  Orphée  jouant  de  la  lyre  et  une  très  belle 
nymphe  nue,  saint  Christophe  et  l'Enfant  Jésus,  une  crèche, 
une  Pietà,  un  Crucifiement.  Alphonse,  fils  de  Castelli,  épousa 
Violante  Bevilacqua  :  il  en  eut  une  fille,  Gostanza,  qui  devint 
la  femme  d'Ercole  Canali,  et  deux  fils,  Francesco  et  Annibale. 
En  1563,  il  mourut  dans  la  demeure  paternelle. 


(1)  A  l'origine,  ce  jardin  était  entouré  d'un  mur  sur  lequel  avaient  été  peints  des 
faunes  {un  bel  mwo  dipinto  a  fauni).  Une  lettre  écrite  au  duc  de  Ferrare  par 
îilicola  Bendelei  nous  apprend  qu'un  vent  furieux  abattit  ce  nmr  en  1495.  (Ves- 
Tuitt,  L'atte  feirarese  nel  periodo  d'Ercole  I d'Esté,  p.  34.) 


382  L'ART    FEllUAllAIS. 

De  la  famille  Castelli,  le  palais  des  Lions  passa  à  la  famille 
Giraldi  (l),  puis  h  celle  des  Sacrati  et  enfin  aux  comtes  Pro- 
speri. 


PALAIS    ONOFRIO     BEVILACQUA,     PALAIS    DI     BAGNO, 
PALAIS    MOSTI. 


Le  palais  des  Diamants  et  le  palais  des  Lions  s'élèvent  aux 
deux  côtés  d  un  carrefour  dont  les  deux  autres  côtés  sont  occupés 
par  le  quartier  militaire  (ancien  palais  du  comte  Onofrio  Bevi- 
lacqua)  et  par  le  palais  de  la  famille  di  Bagno.  Le  quartier 
militaire  n'a  rien  de  bien  remarquable.  Quant  à  la  résidence 
du  marquis  di  Bagno,  rornementation  en  marbre  de  sa  porte 
n'est  pas  à  dédaigner,  quoiqu'elle  date  de  1555.  Commencé 
en  1493  par  Aldobrandino  Turchi  et  achevé  seulement  en  1555, 
ce  palais  passa  tour  à  tour  aux  Gostaguti,  aux  Bevilacqua  et 
aux  Trotti  (2),  avant  d'appartenir  à  son  propriétaire  actuel. 

Dans  la  même  rue,  le  palais  Mosti,  donnant  sur  un  autre 
carrefour,  attire  aussi  l'attention  par  les  deux  pilastres  qui  en 
ornent  la  porte  :  au  milieu  de  chaque  pilastre  se  trouve  une 
plaque  de  marbre  rouge  entourée  d'une  couronne;  les  cha- 
piteaux sont  de  très  bon  goût.  Entre  l'arc  de  la  porte  et  la  cor- 
niche apparaissent  deux  médaillons  d'empereurs.  L  angle  du 
palais  est  également  pourvu  de  pilastres  avec  de  beaux  cha- 
piteaux. 

(1)  On  a  prétendu  que  Lilm  Gregorio  Giraldi  et  Cinthio  Giraldi  étaient  nés 
dans  ce  palais.  C'est  une  erreur.  Le  palais  Castelli  ne  devint  la  propriété  de  leur 
famille  qu'après  leur  naissance.  Alfonso  Castelli,  fils  de  Francesco,  le  possédait 
encore  en  1563,  puisqu'il  y  lit  alors  son  testament  :  or,  Lilio  Greyorio  naquit  en 
1479  et  Cinthio  en  1504. 

(2)  Les  Trotti  eurent  aussi  pour  demeure  le  palais  où  est  installé  maintenant 
le  séminaire. 


LIVRE  DEUXIÈME.  38B 


PALAIS    l'.ENTIVOGLIO. 
Dans  la  rue  délia  Rotta,  près  de  l'église  de  Saint-Jean-Baptiste. 

Ce  palais  rappelle  à  la  fois  la  munificence  avec  laquelle  les 
princes  de  Ferrare  récompensaient  les  services  reçus  ou  se 
créaient  des  partisans,  et  la  fragilité  des  faveurs  qu'ils  accor- 
daient. Borso  d'Esté  le  fit  construire  en  1449,  avant  son  avè- 
nement, et  le  donna  à  Peregrino  Pasino,  dit  Pigoccino,  «  suo 
cavalière  e  compagno  "  ;  mais  plus  tard  Pasino  se  le  vit  con- 
fisquer, et  le  duc  Hercule  T"  le  concéda  en  1485  à  Albert 
d'Esté,  pour  récompenser  celui-ci  de  sa  fidélité  pendant  la 
guerre  contre  les  Vénitiens  qui  avaient  essayé  de  le  gagner  à 
leur  cause,  et  aussi  pour  le  dédommager  de  la  perte  du  palais 
de  Scliifanoia,  palais  qu'il  lui  avait  enlevé,  en  1-476,  sous  de 
futiles  prétextes.  Après  être  devenu  la  propriété  des  Roverella, 
l'ancien  palais  de  Pasino  passa  à  Cornelio  Bentivoglio  (1),  et 
c'est  par  ordre  de  ce  personnage  que  fut  faite  la  grandiose 
façade  avec  ses  ornements  et  ses  trophées  en  marbre  (1585). 


PALAIS     STROZZI. 


Ce  palais,  construit  probablement  au  quinzième  siècle  et 
situé  à  gauche  de  l'église  consacrée  à  saint  Dominique,  fut 
possédé  jadis  par  Prisciano  Prisciani,  secrétaire  du  duc  de 
Ferrare.  Bartolomeo  Prosperi,  qui  fut  aussi  secrétaire  d  Her- 
cule P%  et  Ferrante  Tassoni  l'acquirent  ensuite  en  épousant 
l'un   après   l'autre   la   fille    naturelle  légitimée  de   Prisciano, 

(1)   Une  branche  de  la  famille  bolonaise  des  Bentivoglio  s'était  fixée  à  Ferrare. 

Cornelio  Bentivoglio  fut  général  du  roi  de  France  en  Italie  et  lieutenant  géné- 
ral des  armées  du  duc  de  Ferrare.  Il  mourut  le  26  mai  1585.  La  façade  de  son 
palais  était  déjà  terminée. 


384  L'ART    FERRAUAIS. 

Béatrice,  dont  le  buste,  dans  la  coui'  de  l'Université,  atteste  la 
beauté.  Enfin,  les  Sacrati,  et  après  eux  les  Strozzi,  en  devin- 
rent propriétaires. 

Sa  belle  et  simple  porte  en  pierre  blanche  forme,  sous  le 
rapport  de  la  couleur,  un  agréable  contraste  avec  le  rouge  de 
la  façade.  L'arcade  de  cette  porte  repose  sur  deux  pilastres  et 
possède  comme  eux  des  ornements  d'un  goût  parfait. 

A  l'intérieur  du  palais  se  trouve  une  collection  d'œuvres 
d'art  qui,  malheureusement,  s'est  beaucoup  amoindrie. 
En  1882,  nous  avons  encore  admiré  un  bas-relief  colorié  du 
quinzième  siècle,  représentant  la  Vierge  avec  l'Enfant  Jésus, 
un  très  beau  buste  en  terre  cuite  du  Dominicain  saint  Hya- 
cinthe (1),  exécuté,  selon L.-N.  Cittadella,  par^//b/25o  Lombardi, 
les  portraits  d'Uberto  Sacrati,  de  sa  femme  et  de  leur  fils,  tableau 
attribué  maintenant  à  Cosimo  Tura,  une  Vierge  de  Cima  da 
Conegliano,  un  portrait  de  femme  dont  on  fait  honneur  à 
Titien,  deux  portraits  de  petites  filles  vêtues  de  rouge,  quatre 
toiles  de  Canaletto,  six  magnifiques  plats  de  Faënza  et  un  plat 
exécuté  d'après  un  dessin  de  Garofalo.  Les  deux  peintures 
dans  lesquelles  deux  femmes  personnifient  le  printemps  et  l'été 
sont  peut-être  de  Michèle  Ongaro. 


PALAIS     BEVILACQUA-ARIOSTI 
ET    PALAIS     ENTOURANT    LA     PLACE    DE     l'aRIOSTE  (2). 

Autour  de  la  place  au  milieu  de  laquelle  une  grande  colonne 
supporte  la  statue  de  l'Arioste  (3),  dans  le  quartier  ajouté  par 
Hercule  I"  à  l'ancienne  Ferrare,  on  remarque  trois  palais  (4). 

(1)  Jusqu'à  l'c'poque  île  la  suppi'cssion  îles  corporations  religieuses,  ce  l)uste  a 
appartenu  à  l'église  de  Saiut-Douiinique,  où  il  a  été  remplacé  par  une  excellente 
copie. 

(2)  L.-N.  Cittadella,  Guida  pel  forestiero  in  Ferrara,  p.  127,  et  Notizie  rela- 
tive a  Ferrara,  t.  I,  p.  316.  —  Burckhardt,  Der  Cicérone,  t.  I,  p.  210  b. 

(3)  Voyez  dans  le  liv.  III  le  ch.  i,  relatif  à  la  sculpture. 

(4^i  Quand  on  se  trouve  sur  la  place  de  l'Arioste,  on  aperçoit  aussi  une  partie 
de  l'église  des  Sacrés  Stigmates. 


LIVRE   DEUXIEME.  385 

—  Celui  des  Bevilacqua  Cantelli  (1),  à  Fangle  de  la  rue  qui 
conduit  à  la  Chartreuse,  est  plus  vaste  que  beau;  depuis  1826 
jusqu  il  18o4,  les  chevaliers  de  Malte  y  habitèrent;  il  doit  sur- 
tout sa  réputation  à  ses  vastes  jardins  où  l'on  admirait  autre- 
fois des  statues,  des  fontaines,  des  avenues  ombra^jées  et  plu- 
sieurs petits  temples,  que  l'abbé  Luigi  Campi  a  décrits  en 
prose  et  que  Girolamo  Vaccari  a  célébrés  en  vers  (1790)  (2). 

—  Le  palais  Zatti,  qui  appartint  primitivement  aux  Ronchegalli, 
dont  on  distingue  encore  les  armes  à  lun  des  angles  de  l'édi- 
fice, s'annonce  par  un  portique  à  colonnes  de  marbre.  — C'est 
également  sur  un  portique  que  s'appuie  la  façade  du  palais 
qu'avaient  fait  construire  en  1499  les  Strozzi,  auxquels  ont 
succédé  les  Bevilacqua-Âriosti  de  Bologne  (3).  Ce  palais  possède 
une  des  plus  curieuses  cours  qu'on  puisse  voir  à  Ferrare. 
Quand  on  y  pénètre,  on  a  en  face  de  soi  d'élégantes  fenêtres 
dont  la  partie  cintrée  repose  sur  des  pilastres  ornés  de  char- 
mantes arabesques.  Une  loggia  règne  au  rez-de-chaussée.  Il  y 
en  a  aussi  une  au  premier  étage.  Malheureusement,  tout  est 
délabré  et  même  défiguré.  On  a  muré  les  arcades  inférieures. 
Ici,  un  crépi  jaune  cache  les  briques;  là,  les  briques  sont  à  dé- 
couvert. Cet  état  de  vétusté,  d'abandon,  presque  de  ruine, 
n'est  pas,  du  reste,  sans  charme;  le  côté  pittoresque  y  a  peut- 
être  gagné,  et  l'on  ne  saurait  rester  indifférent  à  certaines 
juxtapositions  de  couleurs.  La  cour  ne  mérite  pas  seule  l'atten- 
tion :  en  montant  l'escalier  à  droite,  on  rencontre,  au  tournant 

(1)  Il  appartient  maintenant  au  comte  Massari,  après  avoir  appartenu  au  haron 
Baratelli. 

^^2)  Le  poème,  en  quatre  chants,  de  Vaccahi  est  intitulé  :  "  //  giardino  del 
N.  U.  il  sic/,  inarch.  D.  Camillo  Bevilacqua  Cantelli,  ciainbellano  di  S.  M.  I.  ; 
Bologna,  a  S.  Tom.  d'Aquino,  1790.  » 

(3)   La  famille  Mazucchi  est  propriétaire  de  la  moitié  du  palais. 

Plusieurs  autres  palais  à  Ferrare  ont  porté  le  nom  de  Bevilacqua.  Tel  est  le 
palais  édifié  en  14-93  par  le  comte  Onofrio-Bevilacqua  dans  la  via  degli  Angeli  ou 
dei  Piopponi  (aujourd'hui  Corso  Vittorio  Emmanuelc),  acheté  par  le  duc 
Alphonse  1"  pour  ses  fils,  entièrement  reconstruit  en  1763  par  le  maréchal  Luca 
Pallavicino,  et  devenu  le  quartier  militaire.  Tel  est  encore,  dans  la  via  di  Volta 
paletto,  le  palais  des  Bevilacqua-Aldobrandini,  qui,  construit  en  1430,  a  passé  aux 
Costahili-Containi.  Les  ornements  en  marbre,  les  balcons,  les  bustes,  les  trophées 
sont  dus  au  cardinal  Bonifazio,  mort  en  1627.  C'est  ce  palais  qui  renfermait  la 
célèbre  collection  Costabili,  maintenant  dispersée. 

I.  25 


38()  L'ART    FEllRAUAIS. 

de  cet  escalier,  un  pilier  dont  les  faces  sont  décorées  d'ara- 
besques très  délicates  représentant  des  feuillages,  des  dauphins, 
des  épis  et  des  oiseaux. 


LA    MAISON     DE    L   ARIOSTE. 

Une  branche  de  la  famille  Ariosti  de  Bologne  vint  s  établir 
à  Ferrare  dès  le  quatorzième  siècle.  Lippa  Ariosti,  surnommée 
la  Belle,  fut  la  maîtresse  d'Obizzo  d'Esté,  qui  finit  par  l'épouser. 
Bonifazio,  frère  de  Lippa,  fut  un  des  ancêtres  de  Lodovico, 
l'immortel  poète.  Fils  de  Nicole  Ariosti  et  de  Daria  INIalaguzzi 
de  Reggio,  Lodovico  naquit  en  1474  dans  cette  dernière  ville, 
dont  la  citadelle  avait  alors  son  père  pour  commandant  ;  mais  il 
fut  élevé  à  Ferrare  dans  la  maison  que  Nicolo  acheta  en  1478 
(via  Santa  Maria  délie  Bocche,  n"  3355).  C'est  là  qu'il  récitait 
à  ses  frères  ses  spirituelles  comédies.  Après  la  mort  de  son 
père  (février  1500),  il  devint  propriétaire  de  cette  maison.  Elle 
ne  lui  plaisait  sans  doute  qu'à  demi,  car  en  1528  il  s'en  fit 
construire  une  autre  selon  ses  goûts  dans  la  via  di  Mirasole, 
où  il  passa  ses  dernières  années  et  où  il  mourut  le  6  juin  1533. 

Lamartine  en  a  tracé  une  fidèle  description,  u  La  demeure 
de  l'Arioste,  dit-il,  est  encore  vide  aujourd'hui,  comme  par 
respect  pour  sa  mémoire...  Elle  est  petite,  étroite  et  basse, 
cette  maison;  sa  façade  en  briques,  percée  d'une  porte  et  de 
deux  fenêtres,  ouvre  sur  une  longue  rue  solitaire  et  silencieuse, 
pareille  aux  rues  désertes,  quoique  élégamment  bâties,  des 
quartiers  ecclésiastiques  de  Rome.  On  dirait  d'un  long  cloître 
de  chanoines  dans  les  environs  d  une  cathédrale.  Un  corridor 
fait  face  à  la  porte  de  la  rue;  une  chambre  à  droite,  une  autre 
à  gauche,  forment  tout  le  rez-de-chaussée;  un  petit  escalier 
de  pierre  conduit  par  peu  de  marches  au  premier  et  seul  étage 
de  la  maison.  Là  étaient  la  chambre  et  le  cabinet  de  travail  du 
poète  ;  les  fenêtres  prennent  jour  sur  un  petitjardin  carré  entouré 
d'un  mur  de  briques  et  entrecoupé  de  plates-bandes  d'œillets. 


LIVllE   DEUXIEME.  387 

Ce  jardin,  quoique  un  peu  plus  grand,  est  tout  à  fait  semblable 
aux  petits  parterres  encaissés  de  hauts  murs,  qui  sont  attenants 
à  chaque  cellule  des  Chartreux  dans  les  vastes  Chartreuses 
d'Italie  ou  de  France...  Arioste  était  très  fier  d'avoir  pu  con- 
struire pour  ses  vieux  jours,  avec  le  produit  de  ses  vers,  cette 
maison,  qui  a  une  certaine  élégance  architecturale.  C'est  ce 
que  prouve  l'inscription  en  lettres  romaines  qui  surmonte  la 
porte  : 

Par  VA,  SED  apta  mihi, 

Sed  xulli  obnoxia, 
Sed  non  sordida,  parta 

MeO    sed    TAMEN    .ERE 
DOMUS 

inscription  qu'on  peut  traduire  ainsi  en  vulgaire  français  : 
>(  Maison  petite,  mais  construite  à  ma  convenance,  mais  n'en- 
«  levant  le  soleil  à  personne,  mais  d'une  propreté  élégante,  et 
«  cependant  bâtie  tout  entière  de  mes  deniers  personnels  !  >' 
Nous  y  restâmes  plusieurs  heures,  accoudé  tantôt  à  la  fenêtre 
de  la  rue,  tantôt  à  la  fenêtre  du  jardin,  nous  faisant  à  nous- 
même  la  charmante  illusion  qu'Arioste  allait  rentrer,  et  que 
nous  allions  jouir  d'une  soirée  d'entretien  avec  ce  bon  sens 
exquis,  avec  cette  philosophie  souriante  et  avec  cette  poésie 
fantasque  qui  s'appelèrent  autrefois  T Arioste.  h'Ângelus  qui 
sonnait  en  carillon  dans  les  nombreux  clochers  de  Ferrare  et 
dans  la  tour  carrée  du  palais  des  princes  de  la  maison  d'Esté, 
nous  arracha  à  cette  illusion  et  nous  rappela  à  l'hôtellerie  (1).  )i 

La  maison  de  l'Arioste  porte  deux  inscriptions.  Lamartine 
n'en  a  cité  qu'une.  Voici  la  seconde  : 

"  Sic  domiis  hœc  xiriosta  propitios  habeat  deos  olim  xtl  Pùida- 
rica.  V 

Le  vœu  du  poète  a  été  exaucé.  On  a  toujours  veillé  avec 
un  soin  pieux  sur  sa  maison  ;  les  propriétaires  successifs  en  ont 
respecté  l'état  primitif,  et  la  municipalité,  sur  la  proposition 
du  comte  Girolamo  Cicognara,  la  acquise  en  1811,  afin  de  la 

(1)    Cours  familier  de  littérature,  LV"^  entretien,  p.  9-il. 


38S  L'AllT    FEUUAUAIS. 

garder  à  titre  tle  souvenir  historique.  Seulement,  il  n'y  faut 
rien  chercher  qui  ait  appartenu  à  l'Arioste.  Ce  qu'on  y  montre 
au  visiteur  n'a  aucun  caractère  authentique.  La  bibliothèque 
publique  de  Ferrare  possède  seule  plusieurs  objets  laissés  par 
l'auteur  de  \  Orlando  furioso . 


PALAIS     CRISPI. 
Via  Borgo  de'  Leoni,  28,  près  de  l'éfilise  del  Gesu. 

Le  palais  Grispi  fut,  dit-on,  construit  d'après  un  dessin  de 
Girolamo  Sellari  da  Carpi,  aux  frais  du  chanoine  Giuliano 
Naselli,  mort  en  1538.  Ln  héritier  de  NaseUi,  Paolo,  en  fit 
l'objet  d'un  échange  avec  le  duc  de  Ferrare,  qui  le  donna  à 
Lanfrano  Gessi,  fattore  générale.  La  veuve  de  celui-ci  le  vendit 
à  Giovanni  Maria  Crispi,  un  familier  des  princes  d'Esté  (1) 

Ce  palais  n'est  pas  très  grand,  mais  les  proportions  en  sont 
harmonieuses.  Sévère  et  régulier  d'aspect,  l'extérieur  pré- 
sente un  mélange  de  pierres  et  de  briques  agréable  à  l'œil.  La 
porte  à  bossages  est  assez  grandiose.  De  chaque  côté  se  trouvent 
cinq  fenêtres  grillées.  Cinq  fenêtres  que  l'on  voit  plus  haut  se 
trouvent  dominées  par  des  frontons  alternativement  aigus  et 
arrondis.  Au  sommet  de  l'édifice  règne  une  corniche  à  la  fois 
élégante  et  robuste,  au-dessous  de  laquelle  on  lit  :  >i  In  perpe- 
tuum  Crisporiim  familiœ  niancipatiun  >•  . 

A  peine  a-t-on  franchi  la  porte,  qu'on  aperçoit  au-dessus 
d'elle,  en  se  retournant,  une  fresque  généralement  attribuée 
à  Girolamo  da  Carpi  (2).  Cette  fresque  représente  la  Vierge 
avec  l'Enfant  Jésus  debout.  Les  figures  ne  manquent  pas  de 
charme  et  ont  même  dû  être  belles,  mais  elles  ont  été  repeintes 
et  elles  tombent  d'ailleurs  en  ruine.  Elles  étaient  encore  bien 

(i)   L.-N.  GiTTADELLA,  Sotizie  relative  a  Fenai-a,  t.  I,  p.  320. 

(2)  M.  Morelli  croit  qu'on  doit  la  donner  à  VOrtolano.  [Kuntskritische  Studien 
ûber  italienische  Malerei  :  Die  Galérien  Borqhese  icnd  Doria-Panfili  in  Rom. 
Leipzi{;,  1890,  p.  275,  note  i.) 


LIVRE   DEUXIEME.  389 

conservées  au  temps  de  Bariiffaldi.  <  Si  Vasari,  dlt-il  (t.  I, 
p.  392),  avait  pénétré  dans  le  palais  de  la  famille  Naselli,  il 
n'aurait  pas  manqué  de  louer  la  majestueuse  Vierge  qu'on  y 
voit  toujours  dans  sa  fraîcheur.  Le  possesseur  actuel  du  palais 
n'ignore  pas  combien  cette  peinture  en  accroît  la  valeur.  » 

La  cour  du  palais  a  la  forme  d'un  parallélogramme.  Aurez- 
de-chaussée,  des  pilastres  blancs  s'élèvent  entre  des  fenêtres 
surmontées  d'un  cintre  Au  premier  étage,  les  pilastres  sont  en 
briques  ;  mais  les  chapiteaux  ioniques,  les  piédestaux,  les  cham- 
branles des  croisées,  ainsi  que  les  frontons  aigus  qui  accompa- 
gnent ces  croisées,  circonscrites  par  des  arcades,  sont  en  pierre. 
Le  reste  des  murs  est  en  briques  d'un  rouge  un  peu  vif.  Cette 
cour  a  de  l'originalité;  seulement,  elle  est  trop  resserrée,  et  sa 
physionomie  a  je  ne  sais  quoi  de  triste;  la  lumière  n'y  pénètre 
pas  assez;  peut-être  pourrait-on»  reprocher  aussi  à  l'édifice 
quelque  lourdeur.  Tout  ici  provoque  aux  pensées  graves, 
témoin  ces  inscriptions  qu'on  lit  sous  la  corniche  :  ^'  JEdiJîca 
tatiquain  semper  vicliirus.  —  Vive  fjuasi protinus  moritiirus.  " 


PALAIS     DU     SÉMINAIRE    (1). 
Dans  la  via  Borgo  jSuovo. 

En  1  444,  le  marquis  d'Esté  Lionel  fit  construire  par  Anto- 
nio de  Bizocchi,  entre  le  palais  épiscopal  et  Thabitation  de 
Giovanni  Bianchini,  une  résidence  princière  qu'il  donna  à 
Folco  di  Yillafora  (2),  son  maître  de  chambre  et  son  favori,  et 
qu'il  avait  fait  orner  magnifiquement  par  les  sculpteurs  et  les 


(1)  L.-]N.  CiTTADELLA,  Gutda  ppl  forestière  !« /•e;7Y(;T/,  p.  111,  cl  iSotizie  rela- 
tive a  Ferrara,  t.  I,  p.  342. 

(2)  Folco,  auparavant,  occupait  une  chanil>re  somptueuse  dans  l'appartement 
ilu  marcjuis  de  Fcrrare.  Le  faste  de  ce  personnage  est  demeuré  célèhrc.  Ses  vête- 
ments étaient  couverts  de  broderies.  Les  orfèvres  de  la  cour  travaillaient  pour 
lui,  et  il  portait  au  doigt  un  anneau  d'or  sur  lequel  était  inscrit  le  nom  Ai;  Lionel. 
L'amitié  qu  il  inspirait  au  prince  fut  aussi  attestée  par  un  taMcau  où  Mantenna, 
en  1449,  lit  le  portrait  de  tous  deux. 


390  L'ART    FEr.RAHAIS. 

peintres  à  son  service  (1).  Vendu  par  Folco  à  Francesco 
Strozzi ,  marchand  florentin  qui  habitait  Venise  et  qui  vint 
s'étabhr  à  Ferrare,  ce  palais  devint  pins  tard  la  propriété  des 
Trotti.  Sous  le  règne  d'Hercule  II,  Alfonso  Trotti  transforma 
l'aspect  de  la  façade  en  ajoutant  le?  marbres  qui  entourent  les 
fenêtres,  la  porte  flanquée  de  deux  colonnes  ioniennes,  le 
balcon  et  le  portrait  du  duc  de  Ferrare  (1553).  Depuis  1721, 
le  Séminaire  occupe  l'ancienne  demeure  de  Folco  diVillafora, 
et  il  a  même  englobé  les  palais  Libanori  et  Bianchini. 

Deux  pièces  au  rez-de-chaussée  ont  leur  plafond  décoré  de 
peintures  que  Garofalo  exécuta  en  1519. 

Les  fresques  du  plafond  de  la  première  salle  ont  presque 
disparu.  On  distingue  cependant  des  ornementations  délicates 
dans  des  compartiments  à  fond  bleu  et  à  fond  rouge  qu'enca- 
drent des  bordures  grises.  Quelques  figures  mythologiques  en 
grisaille ,  à  demi  effacées ,  remplissent  les  retombées  de  la 
voûte. 

Dans  la  salle  suivante,  tous  les  détails  sont  assez  bien  con- 
servés pour  que  l'on  juge  à  quel  point  Garofalo  comprenait 
les  conditions  de  la  peinture  décorative,  et  pour  que  l'on 
subisse  h  la  fois  le  charme  de  son  coloris  et  celui  de  son  des- 
sin (2).  Au  centre  du  plafond,  à  peu  près  comme  au  plafond 
de  la  caméra  degli  Sposi  peint  par  Mantegna  dans  le  Castello 
de  Mantoue(l  474),  et  comme  au  plafond  d'une  salle  du  rez-de- 
chaussée  peint  par  Ercole  Grandi  dans  le  palais.  Calcagnini- 
Beltrame  à  Ferrare ,  le  ciel  apparaît  avec  quelques  nuages 
brillamment  éclairés,  et,  au-dessus  de  la  balustrade  d'un 
balcon  sexangulaire,  on  voit  à  mi-corps,  de  bas  en  haut,  plu- 
sieurs groupes  de  personnages.  Ici,  deux  hommes  causent 
ensemble,  et  une  tête  de  femme,  coiffée  d'un  coussinet  rond, 
se  montre  derrière  l'épaule  du  plus  âgé,  dans  lequel  on  a 
prétendu  que  Garofalo  s'était  représenté  lui-même,  hypothèse 
insoutenable,  car,  en  1519,  il  n'avait  que  trente-huit  ans.  Là, 

(1)  iSotauiment  Nicolo  Panizato.  (A.  Ve>tl-RI,  1  primordi  del  linascimento 
aitistico  a  Ferrata,  dans  la  Rivista  storica  italiana,  vol.  I,  fasc.   IV,  anno  1884.) 

(2)  BiRCKUARDT,  Der  Cicérone,  t.  I,  p.  280. 


LIVRE   DEUXIEME.  391 

un  homme  sans  barbe,  qui  a  la  tête  nue  et  qui  porte  un  man- 
teau rouge,  se  penche  en  souriant  vers  un  homme  vêtu  de 
noir  et  coiffé  d'un  chapeau  rouge,  dont  le  large  visage  barbu, 
vu  de  face  et  levé  vers  le  ciel,  a  un  beau  caractère.  Ces  figures 
présentent  des  raccourcis  habilement  rendus .  Des  enfants 
nus,  un  singe  et  un  nègre,  des  fruits,  des  livres,  un  rouleau 
de  papier;  une  coupe,  une  cage  avec  des  oiseaux  garnissent 
les  autres  parties  du  balcon.  Dans  une  des  retombées  au-des- 
sous de  ce  balcon,  David  nu  pose  le  pied  sur  la  tête  de  Goliath  ; 
l'espace  qu'il  occupe  est  bordé  en  haut  par  une  danse  de  satyres 
entre  un  ])uste  d'homme  et  un  buste  de  femme,  à  droite  et  à 
gauche  par  de  jolis  enfants  nus,  superposés,  en  bas  par  un 
enfant  nu,  debout,  et  par  deux  têtes  d'hommes.  Une  femme, 
dont  on  ne  voit  plus  guère  que  la  tête  et  la  main  droite  indi- 
quant un  cartel  sur  lequel  on  lit  :  «  P.  Patî^ia  »  ,  fait  pendant 
à  David;  elle  est  entourée  de  charmants  enfants  nus,  s'ébat- 
tant  dans  les  attitudes  les  plus  variées.  A  l'intérieur  de  deux 
grands  médaillons,  on  remarque  le  jugement  de  Salomon  et 
un  homme  sur  un  trône  devant  lequel  une  femme  tient  un 
enfant  qui  plonge  ses  mains  dons  un  plat  porté  par  un  homme 
à  genoux.  Ailleurs,  dans  des  espaces  triangulaires,  ornés 
d'araliesques  et  pourvus  chacun  de  trois  médaillons  renfermant 
des  têtes  d'hommes  et  de  femmes,  Garofalo  nous  montre  un 
cavalier  foulant  sous  les  pieds  de  sa  monture  un  homme  nu, 
- —  Neptune  indiquant  du  doigt  sur  le  rivage  un  homme  nu, 
renversé,  contre  lequel  s'acharne  un  oiseau  de  proie,  —  un 
homme  nu,  debout,  avec  une  grosse  boule,  —  une  femme 
assise  auprès  d'un  enfant,  —  un  homme  assis,  soufflant  dans 
des  pipeaux,  —  un  homme  et  une  femme  tenant  un  cartel  sur 
lequel  est  inscrite  la  date  de  1519.  Toutes  les  figures,  excepté 
celles  qui  s'appuient  sur  le  balcon,  sont  peintes  en  grisaille, 
tandis  que  les  ornementations  gracieuses  qui  les  encadrent 
sont  rouges  et  bleues.  En  somme,  ce  charmant  plafond,  où  se 
trouvent  juxtaposés  les  sujets  mythologiques  et  les  sujets 
empruntés  à  l'Ancien  Testament,  prouve  que  chez  Garofalo, 
comme   chez  les   peintres  des  autres   écoles    italiennes   à  la 


392  L'ART    FER1\A1\AIS. 

même  époque,  la  passion  pour  Fart  antique  se  combinait  har- 
monieusement avec  les  traditions  de  l'art  religieux,  a  On  trou- 
verait difficilement  dans  toute  Tltalie  des  espaces  décorés  avec 
plus  d'intelligence  et  de  goût  (1).  »  Garofalo  apparaît  ici 
comme  un  des  meilleurs  représentants  de  cette  séduisante 
renaissance  qui  transformait  h  sa  propre  image  les  données 
fournies  par  les  monuments  classiques,  et  qui  leur  commu- 
niquait le  charme  de  la  nouveauté,  grâce  à  un  tour  particulier 
d'imagination,  variant  d'une  ville  à  l'autre  suivant  les  écoles. 


PALAIS     CREMA     (AUTREFOIS     MUZZARELLi). 

Presque  en  face  du  Séminaire,  le  palais  portant  le  n"  13  pos- 
sède une  très  jolie  cour  qui  appartient  au  commencement  du 
seizième  siècle.  Elle  est  entourée  d'arcades  avec  des  bordures 
enterre  cuite  rouge.  Ces  arcades,  dont  le  dessous  est  jaune, 
sont  soutenues  par  des  colonnes  grises.  Un  jardin  fait  suite  à 
la  cour.  Il  y  a  là  un  charmant  assemblage  de  couleurs,  comme 
dans  un  bouquet  bien  composé. 


LA    PALAZZINA. 

Ce  palais  élégant  et  simple  que  l'on  voit  dans  la  rue  délia 
Giovecca,  à  droite,  quand  on  se  dirige  vers  les  remparts,  se 
compose  d'un  seul  étage.  La  façade  en  briques  relève  du  style 
classique  ;  elle  est  ornée  de  quatre  pilastres  et  d'une  corniche 
également  en  briques,  tandis  que  deux  colonnes  cannelées  en 
marbre  blanc  encadrent  les  nobles  lignes  de  la  porte.  On 
reconnaît  ici,  dit  M.  Burckhardt,  «  l'influence  exercée  par  le 
palais  du  Té  à  Mantoue  (2)  »  . 

(1)  Ivan  Leumolieff  (Morelli),  Kunstkrithclie  Studien  iiber  ilaliciusche  Male- 
rei.  Die  Galérien  Borghese  und  Doria  Panfili  in  Rom  (1890\  p.  273,  note  1. 

(2)  Der  Cicérone,  t.  I,  p.  209  g. 


LIVRE  DEUXIÈME.  393 

Ce  fut  François  cVEste,  fils  du  duc  de  Ferrare  Alphonse  I* 
et  marquis  de  Massa  Carrara,  qui  fit  construire  en  1559  la 
Palazzina.  Marfisa,  fille  de  François  d'Esté,  ayant  épousé  en 
secondes  noces  Alderano  Gybo,  cette  résidence  devint  la  pro- 
priété de  la  famille  Cybo,  qui  la  garda  pendant  un  siècle  et  demi 
environ.  Après  être  restée  assez  longtemps  inhabitée,  elle  fut 
transformée  en  une  fonderie  de  fer,  et  enfin  la  ville  de  Ferrare 
l'acheta  pour  y  installer  l'École  spéciale  des  ingénieurs. 

Au  milieu  de  ses  vicissitudes,  la  Palazzina  perdit  presque 
entièrement  ce  qui  lui  avait  surtout  valu  sa  réputation.  La 
partie  postérieure  de  l'édifice  était  ornée  d'une  loggia  donnant 
sur  un  magnifique  jardin  :  on  a  muré  la  loggia.  Les  murs  des 
portiques,  les  plafonds  de  certaines  chambres,  les  parois  d'une 
salle  de  bain  offraient  aux  regards  des  peintures  exécutées 
avec  talent,  non  par  les  Dossi,  comme  on  l'a  prétendu,  puisque 
Giovanni  et  Battista,  morts  en  1542  et  15  48,  n'existaient  plus 
quand  le  palais  fut  construit,  mais  par  les  élèves  de  ces  artistes. 
A  côté  des  arabesques  et  des  frises  rappelant  la  décoration  des 
Loges  de  Raphaël,  on  remarquait,  outre  quelques  compositions 
assez  importantes,  les  portraits  de  plusieurs  princes  de  la 
famille  d'Esté.  Tout  cela  n'est  pour  ainsi  dire  plus  qu'un 
souvenir.  L'abandon  et  la  fumée  d'une  usine  ont  réduit  les 
fresques  à  l'état  d'irréparable  ruine.  On  a  même  enlevé  ce  qui 
était  susceptible  d'être  transporté,  et  le  voyageur  ne  visite 
plus  guère  la  Palazzina,  dont  les  portes,  du  reste,  ne  s'ouvrent 
que  très  difficilement  devant  lui  (1). 


PALAIS     COSÏABILI     COMAINI. 

Quoique  l'origine  du  palais  Costabili  remonte  au  quinzième 
siècle,  la  façade  ne  reçut  qu'au  dix -septième  ses  orne- 
ments de  marbre,  ses  balcons,  ses  bustes,  ses  trophées,  grâce 

(1)    Voyez  Ccsare  CiTTADEM.A,  Catal.   ht.  dr   pitt.  fcir.,   t.    I,  p.    l'<4,  et    t.   II. 
p.  47. 


394  L'AllT    FERRAllAIS. 

au  cardinal  Bonifazio  lievilacqua,  qui  mourut  en  1027.  Ce 
palais  avait  passé  dans  la  famille  Bevilacqua  Aldobrandini  en 
l  i30,  quand  Gristin  Francesco  épousa  Lucia  Ariosti  et  vint  se 
fixer  à  Ferrare.  Sa  célébrité  est  due  surtout  à  la  galerie  de 
tableaux  et  h  la  bibliothèque  qu'y  installa  Giovanni  Costabili. 
Malheureusement  ces  richesses  se  sont  dispersées. 


PALAIS     ARCHIEPISCOPAL. 

Construit  en  1718  aux  frais  du  cardinal  archevêque  Tom- 
maso  Rufo  par  l'architecte  romain  Tomaso  Mattei,  ce  palais  a 
une  façade  assez  élégante,  un  atrium  spacieux,  un  escalier 
grandiose.  Vers  la  moitié  de  cet  escalier,  on  voit,  encastrée 
dans  le  mur,  une  Vierge  peinte  à  fresque  par  Ippolito  Scar- 
sella.  Il  est  regrettable  qae  la  résidence  des  archevêques  de 
Ferrare  n'ait  plus  son  ancienne  façade  avec  un  bas-relief  en 
terre  cuite  représentant  saint  Georges  à  cheval,  et  qu'elle  ait 
perdu,  en  outre,  sa  porte  entourée  de  briques  ouvragées  et  sa 
cour  environnée  de  portiques  à  colonnes  de  marbre. 

Plusieurs  palais  mériteraient  encore  à  divers  titres  d'être 
mentionnés.  Nous  nous  bornerons  à  signaler,  d'après  les  indi- 
cations de  L.-N.  Cittadella  (1),  ceux  qui  nous  semblent  offrir 
le  plus  d'intérêt. 


PALAIS     TOLOMEI    DALL   ASSASSINO. 
Dans  la  via  délia  Troinlia. 

A  en  juger  par  sa  physionomie,  ce  palais,  dont  la  façade  a 
conservé  son  ancienne  forme,  fut  construit  au  commencement 
du  quinzième  siècle  et  peut-être  même  à  la  fin  du  quatorzième. 

(1)  JSotizie  relative  a  Feriara,  t.  I,  p.  313-353. 


LIVRE  DEUXIEME.  395 

On  prétend  qu'il  servit  d'habitation  à  la  belle  Stella  dall'As- 
sassino,  maîtresse  de  Nicolas  III,  mère  de  Lionel  et  de  Borso. 
Il  a  été  converti  en  magasin. 


PALAIS     CONTRARII. 
Dans  la  via  Contrarii. 

Uguccione  Contrario,  le  conseiller  intime  de  Nicolas  III, 
habita  en  1413  dans  ce  palais,  que  sa  seconde  femme,  Gamilla, 
fille  de  Marco  Pio,  fit  reconstruire  en  1454  par  Pietrohono 
Brasavola  et  par  Nigrisolo,  compagiii  muradori.  Un  incendie 
endommagea  l'édifice  en  1519,  et  le  tremblement  de  terre  de 
1570  détruisit  les  créneaux  ;  mais  les  dégâts  furent  prompte- 
ment  réparés.  Dans  plusieurs  pièces,  transformées  en  maga- 
sin, on  peut  encore  admirer  des  frises  dont  les  arabesques  et 
les  figures  rappellent  l'ornementation  des  Loges  du  Vatican. 
On  remarque,  en  outre,  quelques  beaux  plafonds  en  bois, 
ornés  de  dorures  et  de  peintures  délicates. 


PALAIS     NEROM     DIOTISALVI. 
Dans  la  via  di  Cisterna  tlel  Folio. 

A  la  suite  de  sa  conjuration  avec  Luca  Pitti  contre  Pierre  de 
Médicis  en  1466,  Neroni  Diotisalvi,  dont  on  peut  voir,  dans  la 
collection  de  M.  G.  Dreyfus,  le  buste  admirablement  sculpté 
par  Mino  de  Fiesole,  vint  se  fixer  à  Ferrare.  Le  palais  crénelé 
qu'il  y  habita  fut  construit  vers  1469  ;  on  le  lui  confisqua  pen- 
dant quelque  temps.  Parmi  les  propriétaires  ultérieurs  de  ce 
palais  figurent  Sigismondo  Cantelmo,  familier  du  duc  Borso 
d'Esté,  Gurone  d'Esté  à  qui  il  fut  confisqué  au  profit  de  Paolo 
Antonio  Trotti,  secrétaire  du  duc,  la  comtesse  Thiene  di  Scan- 
diano  et  Francesco  d'Esté.  Il  appartient  maintenant  à  la 
famille  Bonacossi. 


396  L'AlîT    FER  11  A  H  Al  S. 


PALAIS     FIASCHI. 
Via  Garibaltli. 

Cet  élégant  palais  appartenait  à  un  Milanais,  Matteo 
Dall'Erbe,  impliqué  dans  la  conspiration  de  Nicolas,  fils  de 
Lionel,  quand  Hercule  I"  le  confisqua  et  en  fit  présent  le 
10  septembre  1476  à  son  maître  de  chambre  Ludovico  Fias- 
chi,  qu  il  créa  bientôt  chevalier.  Peu  après,  Ludovico  se  maria 
avec  Margherita  Perondoli  (24  mai  1477)  :  le  duc  honora  de 
sa  présence  la  cérémonie  religieuse,  qui  eut  lieu  à  la  cour; 
puis,  accompagné  d'un  grand  nombre  de  gentilshommes,  il 
escorta  les  nouveaux  époux,  au  son  des  instruments,  jusqu'à 
leur  habitation,  où  un  repas  fut  servi  à  ses  frais  (1).  Ce  sont 
les  Fiaschi  qui  ont  donné  au  palais  sa  physionomie  actuelle. 


PALAIS     UNGARELLI. 
Dans  la  via  dei  Gapuzzoli  i^2). 

Le  Milanais  Giovanni  del  Puozo  ou  dal  Poggio,  conseiller 
ducal  de  justice  sous  Hercule  P%  construisit  ce  palais  en  1496, 
vis-à-vis  de  la  porte  de  l'église  des  Jésuates,  église  dédiée  à 
saint  Jérôme.  L'élégante  façade  du  palais  est  attribuée  à 
YAleotti:  c'est  la  famille  Fabbiani  qui  la  fit  faire.  Cette  demeure 
passa  ensuite  aux  Freguglia,  aux  Ungarelli  et  à  la  famille 
Genta.  Elle  appartient  maintenant  à  M.  Alfonso  Pareschi.  Un 
dessin  d'Abel  Blouet  (3),  à  l'École  des  Beaux-Arts,  à  Paris, 
reproduit  l'aspect  extérieur  du  palais  Ungarelli. 

(1)  Frizzi,  Memorie  per  la  storia  di  Ferrai-a,  t.  IV,  p.  106. 

(2)  Frizzi,  Memorie  per  la  storia  di  Ferrara,  t.  IV,  p.  184.  —  L.-^^  Gitta- 
DELLA,  Notizie  relative  a  Ferrara,  t.  I,  p.  344. 

(3)  Retour  de  home  à  Paris,  1826,  p.  34. 


LIVRE   DEUXIEME.  397 

PALAIS     GUARIM. 
Dans  la  via  tle{;li  Anjjeli,  aujouririiui  corsn  Vittorio  Eminanuele. 

Giovanni  Battista  Guarini  l'Ancien  fit  élever  ce  palais  par 
Alessandro  Biondo  dans  le  quartier  qu'Hercule  I"  avait  ajouté 
à  l'ancienne  Ferrare.  En  1545,  sous  Hercule  II,  Alessandro 
Guarini,  fils  de  Giovanni  Battista,  augmenta  l'importance  de 
son  habitation  en  entreprenant  quelques  nouvelles  construc- 
tions, pour  lesquelles  il  obtint  du  duc  des  exemptions  de  taxe. 
Sur  le  pilastre  qui  se  trouve  à  l'angle  de  la  via  degli  Angeli  et 
de  la  via  Guirina  sont  sculptés  ces  mots  :  Hercidis  et  Musarum 
commercio  —  favete  linguis  et  anùnis.  Une  partie  du  palais 
donnant  sur  la  via  Guirina  a  été  abattue. 

PALAIS     PEXDAGLIA. 
Dans  la  via  Sogari. 

Ce  palais,  dont  l'entrée  principale  donnait  autrefois  sur  la 
via  de  Sogari,  était  regardé,  au  temps  de  Borso,  comme  le  plus 
somptueux  et  le  plus  beau  de  Ferrare.  Au  mois  de  mai  1452, 
le  mariage  de  Bartolommeo  Pendaglia,  un  des  fattori  generali 
du  duc,  y  fut  célébré  par  une  fête  dont  l'histoire  a  gardé  le 
souvenir,  et  que  l'empereur  Frédéric  III,  le  roi  de  Hongrie  et 
Borso  honorèrent  de  leur  présence.  A  présent,  le  palais  Pen- 
daglia sert  à  une  école  de  petites  filles. 

PALAIS     PIC     DI     SAVOJA. 
Dans  la  via  Vittorio  Eminanuele. 

Ce  palais  appartenait  à  Giulio  d'Esté.  Le  duc  Alphonse  I" 
le  lui  confisqua  en  I  500  et  en  fit  présent  à  Niccolô  da  Gorreg- 


308  L'ART    FElll\AKAIS. 

<>io.  Plus  tard,  la  famille  dVEste  le  recouvra,  car  le  cardinal 
Hippolyte  I"  le  donna  comme  dot  à  Elisabeth,  sa  fille  natu- 
relle, quand  elle  épousa  Giberto  Pio. 


PALAIS     POSTACCIA. 
Dans  la  via  Grande. 


Hercule  P'  fit  construire  ce  palais  par  Gasparo  da  Corte, 
appelé  aussi  Gasparo  Ruina,  qui  était  à  la  fois  ingénieur  et 
architecte.  A  l'intérieur,  on  voit  plusieurs  portiques  super- 
posés. Giovanni  Bentivoglio,  souverain  de  Bologne,  y  fut  logé 
avec  une  suite  nombreuse.  La  Postaccia  était  contiguë  à  l'an- 
cienne auberge  de  l'Ange,  qui  existait  dès  les  premières  années 
du  seizième  siècle,  et  où  mourut  le  13  janvier  1539  le  Por- 
denone,  appelé  de  Venise  à  Ferrare  par  Hercule  II  pour  faire 
des  modèles  de  tapisseries. 


PALAIS    ZAVAGLIA. 
Dans  la  via  ilella  Giovec-ca. 


Ce  palais  fut  un  de  ceux  que  posséda  la  femille  d'Esté. 


PALAIS     ROBERTI     DA    TRIPOLI. 

Ce  palais  (]),  dont  la  façade  a  été  renouvelée  à  la  fin  du 
seizième  siècle  par  Alberto  Schiatti,  appartient  à  la  famille  Gico- 
gnara,  et  c  est  là  qu'est  né  Leopoldo  Cicognara,  auteur  d'ou- 
vrages renommés  sur  l'histoire  de  la  sculpture  et  sur  les  nionu- 

(1)  Il  y  en  a  une  reproduction  dans  les  dessins  d'Abel  Blouet  à  l'Ecole  des 
Hcaux-Arts,  Retour  de  Rome  à  Paris,  1826,  p.  33. 


LIVRE   DEUXIEME.  399 

lïients  de  Venise.  Les  Marcheselli  et  même  les  princes  d'Esté, 
si  l'on  en  croit  Scalabrini,  ont  jadis  également  habité  ici. 


PALAIS    AVOLI     TROTTI. 
Dans  la  via  di  Porteserrate. 

Fondé  par  Gristoforo  Fauretti  da  Fiume,  dit  Cristoforo  da 
Fiume,  répartiteur  des  impôts,  il  aurait  eu  pour  architecte 
Alberto  Schiatti,  qui  florissait  à  la  fin  du  seizième  siècle. 


PALAIS    AGNELLI. 
A  côté  de  l'église  de  Saint-Jérôuie. 

Il  doit  son  origine  à  un  membre  de  la  famille  Gontughi,  et 
en  1868  il  avait  pour  propriétaires  les  Ortolani.  On  y  entre 
par  une  porte  de  marbre  grandiose,  mais  massive,  surmontée 
d'un  balcon.  Les  chambranles  et  les  ornements  architectoni- 
ques  des  fenêtres  sont  également  en  marbre.  Sur  quelques 
tablettes  de  marbre,  on  remarque  des  inscriptions  en  hébreu, 
en  grec  et  en  latin. 


LE     PALAIS    DES     PRINCES     U    ESTE    A    FERUARE. 

En  approchant  de  Ferrare  (1),  le  voyageur  aperçoit  avec 
admiration  quatre  énormes  tours  s'élevant  aux  angles  d'un 
grandiose  édifice  qui  a  l'aspect  d'une  forteresse.  Ce  sont  les 
tours  du  Castello  ou  Castel  Vecchio,'  c'est-à-dire  du  palais  des 

(1)  «  Da  ciascuno  cli'iii  quella  arriva  è  tenuta  non  meii  bclla  e  pomposa, 
cil' ella  sia  patente  et  forte  ",  dit  Fianccsco  Alunno,  à  la  p.  116  de  su  Fabrica 
del  mondo. 


400  l'art    FEURAllAIS. 

princes  d'Esle.  Quand  on  pénètre  dans  la  ville  et  qu'on  se 
trouve  en  lace  de  ces  constructions  à  la  fois  harmonieuses  et 
hardies,  l'intérêt  ne  fait  qu'augmenter.  A  la  vue  des  mâchi- 
coulis et  des  fossés  remplis  d'eau  qui  entourent  le  monument 
et  au-dessus  desquels  s'arrondissent  plusieurs  voûtes  sombres, 
on  se  croirait  en  plein  moyen  âge,  si  la  Renaissance  n'avait  mis 
partout  sa  marque,  en  tempérant  la  sévérité  de  l'ensemble  par 
la  noblesse  des  lignes  et  la  pureté  des  proportions  (1).  Quel- 
ques parties  en  saillie  et  quelques  parties  en  retraite  rompent 
la  monotonie  qu'aurait  pu  produire  une  régularité  absolue. 
Plusieurs  adjonctions  sont  dues  à  Girolamo  da  Carpi^  peintre  et 
architecte,  qui  fut  chargé  de  réparer  les  dégâts  causés  par  un 
incendie  en  1554.  Autrefois,  on  n'entrait  dans  le  Gastello  que 
par  des  ponts-levis  aboutissant  à  des  portes  de  fer  (2),  et  la 
cime  des  tours  et  des  courtines  était  crénelée.  Après  le  trem- 
blement de  terre  de  1570,  l'architecte  Alberto  Schiatti  modifia 
un  peu  la  physionomie  du  monument.  G  est  lui  qui  a  garni  les 
tours  de  balustrades;  c'est  lui  qui  leur  a  donné  pour  couron- 
nement des  édicules  carrés,  ornés  de  pilastres  et  surmontés 
d'une  toiture  en  pente  que  domine  un  petit  dôme,  carré  aussi, 
pourvu  également  de  pilastres  et  présentant  des  ouvertures 
cintrées.  Malgré  ces  innovations,  qui  diminuèrent  l'austérité 
de  l'édifice,  mais  qui  le  rendirent  peut-être  plus  grandiose,  le 
Castello  est  encore  un  des  spécimens  les  plus  remarquables  de 
l'architecture  militaire  en  Italie.  Il  fait  le  plus  grand  honneur 
à  Giovanni  dei  Naseili  qui  l'a  construit,  et  principalement  à 
Bartolomeo  di  maestro  Giovanni  da  Novara,  appelé  d'ordinaire 
Bartolino  da  Novai^a,  qui  l'a  conçu  et  qui  en  a  fourni  tous  les 
plans.  On  ne  saurait  imaginer  ni  une  masse  plus  imposante, 
ni  des  détails  plus  pittoresques.  C'est  un  de  ces  monuments 
qu'on  n'oublie  pas. 

(1)  L.  RuNGE,  dans  ses  Beitràç/e  zui  keiilniss  der  Backstein-Aicliitectur  Ita- 
liens (Berlin,  2  vol.  in  fol.,  avec  texte  allemand  et  français),  a  reproduit  (pi.  XII) 
une  des  fenêtres  du  Caitello  au  milieu  d'une  giantle  muraille  massive.  (Bibl.  nat., 
Inventaire  V  2191  et  2192.) 

(2)  La  porte  septentrionale,  qui  sert  maintenant  de  principale  entrée,  n'est  pas 
contemporaine  de  la  construction  primitive. 


LIVRE   DEUXIÈME.  401 

Jadis,  le  Castello  était  muni  de  canons.  Alphonse  I"  en  fit 
garder  Tentrée  par  l'énorme  coulevrine  qu'il  fabriqua  avec 
les  débris  de  la  statue  colossale  du  pape  Jules  II  (1),  statue 
dont  Michel-Ange  était  l'auteur  et  qui  resta  placée  au-dessus 
de  la  porte  de  l'église  San  Petronio,  à  Bologne,  depuis  le 
:21  février  1508  jusqu'au  30  décembre  1511. 

Tout  un  curieux  passé  se  dresse  devant  l'esprit  en  présence 
du  Castello.  Le  3  mai  1385,  h  l'instigation  du  notaire  Fran- 
ceschino  Montelino,  le  peuple  ferrarais,  exaspéré  par  une 
aggravation  d'impôts  dont  la  responsabilité  incombait  à  Thomas 
de  Tortone,  Juge  des  Sages  (c'est-à-dire  syndic  de  la  Commune) 
et  principal  conseiller  du  marquis  Nicolas  II  le  Boiteux,  se 
souleva  au  ci'i  de  :  "  Vive  le  marquis  !  Mort  au  traître  Thomas  !  » 
Après  avoir  brûlé  les  registres  des  impôts  et  pillé  la  maison 
du  personnage  qu'ils  regardaient  comme  leur  implacable  en- 
nemi, les  séditieux  se  précipitèrent  vers  le  palais  du  prince  (:2), 
où  Thomas  s'était  réfugié ,  et  enfoncèrent  même  plusieurs 
portes,  dans  l'espoir  de  s'emparer  de  lui.  En  vain  Nicolas  II 
leur  adressa-t-il  quelques  paroles  de  conciliation  ;  en  vain  son 
frère  Albert  descendit-il  sur  la  place  pour  les  apaiser.  La  foule 
vociférait  de  plus  en  plus,  quand  parut  un  des  fils  du  sou- 
verain, qui,  sorti  depuis  le  matin,  regagnait  sa  demeure.  Elle 
le  prit  comme  otage,  décidée  à  le  tuer  si  Thomas  de  Tortone 
ne  lui  était  pas  livré.  Nicolas  II  hésita  longtemps,  mais  l'amour 
paternel  finit  par  étouffer  en  lui  tout  autre  sentiment,  et  le 
Juge  des  Sages  fut  abandonné  aux  rancunes  d'une  populace 
féroce,  qui  le  massacra  et  le  mit  en  pièces. 

Ne  se  trouvant  point  en  sûreté  dans  le  palais  de  ses  ancê- 
tres, quoiqu'il  eût  consenti  à  diminuer  les  impôts,  le  marquis 
d'Esté  s'entoura  d'abord  d'une  garde  nombreuse,  dont  la  pré- 
sence lui  permit  bientôt  de  punir  les  principaux  rebelles,  dé- 
noncés à  sa  vengeance  par  Montelino  lui-même;  puis  il  résolut 
de  se  faire  élever  à  côté  de  sa  résidence  un  château  fort  en 

(1)  Voyez  ce  qui  a  ôtn  dit  p.   156-157  >^liv.  I,  rli.  i). 

(2)  Ce  palais,  situé  en  face  tlo  la  cathédrale,  oel  maintenant  occupé  par  la 
municipalité. 

I.  26 


402  L'AUT    FEURARAIS. 

communication  avec  elle,  et  d'où  il  pût  braver  les  séditions  de 
sa  capitale,  tout  en  se  garantissant  contre  les  attaques  de  ses 
ennemis  du  dehors.  Dès  1385  la  première  pierre  du  Castello 
fut  posée  par  Albert  d'Esté,  son  frère,  le  jour  de  Saint-Michel 
(29  septembre);  au  bout  de  seize  mois,  l'édifice  était  achevé, 
au  moins  à  1  extérieur.  Vinq-cinq  mille  ducats  empruntés  à 
François  I"  Gonzague  servirent  à  couvrir  les  frais  de  construc- 
tion; pour  les  rembourser,  il  fallut  rétablir  les  anciens  impôts, 
et  la  population,  cette  fois,  jugea  prudent  de  ne  pas  réclamer. 
Le  nom  de  Saint-Michel  fut  donné  à  la  nouvelle  demeure  des 
princes  d'Esté.  A  ce  nom  succéda  celui  de  Castel  Vecchio  quand 
on  eut  construit  dans  le  voisinage  de  la  porte  Sainte-Agnès, 
sur  la  rive  du  Pô,  le  Castel  Nuovo  ou  Castel  di  Sant'  Agnese 
(1427-1433)  (1). 

Avant  que  le  duc  Hercule  I"  eût  agrandi  l'enceinte  de  Fer- 
rare  (1492),  le  Castello  se  trouvait  sur  la  ligne  des  fortifica- 
tions, à  l'extrémité  septentrionale  de  la  ville,  dont  il  occupe 
maintenant  le  centre,  de  sorte  qu'il  eût  été  facile  soit  de  ga- 
gner la  campagne  en  cas  de  pressant  danger,  soit  de  recevoir 
des  secours.  A  l'édifice  attenaient,  du  côté  occidental,  de 
magnifiques  jardins  s'étendant  jusqu'au  Pô,  qui  fournissait 
leau  des  fossés.  L'entrée  principale,  au  lieu  d'être  au  nord 
comme  à  présent,  était  comprise  dans  le  côté  méridional,  et 
c'est  par  la  petite  place  appelée  aujourd'hui  piazza  dei  Pol- 
laiuoli  qu'on  y  accédait.  Une  des  quatre  tours,  celle  qui  fait 
face  à  la  longue  et  large  rue  de  la  Giovecca,  dont  l'emplace- 
ment était  alors  occupé  par  un  canal,  n'est  autre  que  l'an- 
cienne tour  des  Lions  modifiée.  La  tour  des  Lions  dominait  et 
protégeait  la  porte  des  Lions ,  abattue  à  la  fin  du  quinzième 
siècle.  L'une  et  l'autre  devaient  leur  dénomination  aux  lions 
que  l'on  avait  installés  dans  leur  voisinage  et  qui  avaient  été 
donnés  cà  Azzo  Novello  d'Esté,  en  1248,  après  la  bataillp  où 

(1)  Ce  nouveau  château,  plus  petit  que  l'ancien,  eut  pour  architecte  Giovanni 
(la  Siena,  et  fut  disposé  pour  servir  au  moins  autant  d'habitation  que  de  for- 
teresse, K  piii  per  diletto  che  per  fortezza  »,  au  dire  de  Giovanni  Battista  Aleotti 
d'Ar{;enta,  architecte  ducal.  ^Nicolas  III  y  installa  sa  maîtresse  Filippa  dalla 
Tavola.  (Voyez  ce  qui  a  été  dit  du  Castel  Nuovo  à  la  page  270.) 


LIVRE   DEUXIEME.  408 

son  héroïque  concours  sauva  Parme  assiégée  par  Frédéric  II  et 
réduite  aux  dernières  extrémités  (  1  ) . 

Plusieurs  drames  terribles  se  sont  passés  dans  le  Castello. 
Voici  ceux  qui  eurent  le  plus  de  retentissement. 

Albert  d'Esté,  frère  et  successeur  de  Nicolas  II,  ayant  été 
forcé  de  se  rendre  à  Milan  pour  se  concerter  avec  Jean  Galéas, 
avait  confié  le  gouvernement  de  ses  États  à  son  neveu  Obizzo 
di  Aldobrandino.  Excité  par  François  de  Carrare  et  par  les 
Florentins,  ennemis  d'Albert,  Obizzo  forma  le  projet  de  se 
faire  proclamer  seigneur  de  Ferrare  et  trama  la  mort  de  son 
oncle;  mais  sa  tentative  échoua,  et  il  fut  enfermé  avec  sa  mère 
dans  les  prisons  du  Casiellu,  où  tous  deux  furent  décapités  (2). 

Sous  le  règne  de  Nicolas  III,  fils  d'Albert,  le  Castello  fut 
témoin  de  scènes  presque  analogues  à  celles  que  Dante  a 
immortalisées  dans  l'épisode  de  Françoise  de  Rimini.  Le  mar- 
quis, dit-on,  voyait  avec  peine  son  fils  Ugo  traité  avec  peu  de 
bienveillance  par  Parisina  Malatesta,  sa  seconde  femme.  Pari- 
sina  ayant  témoigné  le  désir  d'aller  à  Cesena  et  à  Lorette,  le 
marquis  lui  imposa  Ugo  comme  compagnon  de  voyage,  dans 
l'espoir  que  des  rapports  quotidiens  rendraient  la  situation 
moins  tendue  entre  la  belle-mère  et  le  beau-fils.  L'événement 
dépassa  ses  prévisions.  A  la  froideur  succédèrent  bientôt  de  part 
et  d  autre  de  tendres  sentiments,  auxquels  Ugo  et  Parisina  con- 
tinuèrent de  s'abandonner  après  leur  retour  h  Ferrare.  Mais  ces 
relations  ne  restèrent  pas  longtemps  cachées  :  une  des  femmes 
de  la  marquise  en  révéla  l'existence  à  un  familier  de  Nicolas  III, 
et  Nicolas  III  en  fut  averti.  Un  trou  pratiqué  dans  un  plafond 
permit  à  celui-ci  de  contrôler  l'exactitude  du  rapport,  et  les 
coupables  furent  jetés  au  fond  des  horribles  prisons  du  Cas- 
tello, sous  la  tour  des  Lions.  A  la  suite  d'un  procès  sommaire, 
on  décapita  les  coupables  dans  leur  cachot,  malgré  les  suppli- 
cations d'Uguccione  Contrario  et  d'Alberto  del  Sale,  les  prin- 


(1)  En  1293,  Azzo,  iils  d'Obizzo,  pour  téinoijj^ner  sa  bienveillance  aux  Bolo- 
nais, chez  qui  dominait  le  parti  guelfe  après  l'expulsion  des  Lauibertazzi,  leur  Ht 
présent  d'un  lion. 

(2)  Voyez  ce  que  nous  avons  dit  à  la  page  13. 


404  L'A  HT    FERRARAIS. 

cipaux  ministres  du  terrible  souverain  (21  mai  1  425).  La  dis- 
parition d'Ugo  et  de  Parisina  ne  pouvant  demeurer  secrète, 
Nicolas  III  crut  devoir,  pour  se  justifier,  envoyer  à  toutes  les 
cours  de  l'Italie  la  relation  des  faits.  En  outre,  il  ordonna 
d'infliger  désormais  h  toutes  les  femmes  infidèles  à  leurs  maris 
la  peine  subie  par  Parisina ,  sévérité  étrange  chez  un  prince 
dont  la  conduite  privée,  durant  toute  sa  vie,  fut  notoirement 
scandaleuse,  et  qui  laissa  vingt  et  un  ou  vingt-deux  enfants 
naturels. 

Ugo  et  Parisina  furent  ensevelis  dans  le  cimetière  attenant 
à  l'église  de  Saint-François.  Célèbre  par  sa  fin  tragique,  Pari- 
sina se  recommande  à  la  sympathie  de  la  postérité  par  son 
goût  pour  les  arts  et  par  sa  générosité.  Un  orfèvre  lombard 
établi  à  Ferrare,  Danyelc  da  Giusanno,  fit  pour  elle  en  1422 
un  fermoir  destiné  à  l'étui  en  cuir  d'une  harpe.  Un  autre  or- 
fèvre, Gabriele  da  Cantorio  ou  da  Cantù,  exécuta  également 
quelques  travaux  en  son  honneur,  notamment  des  colliers 
pour  ses  faucons  et  ses  chiens  de  chasse.  Elle  utilisa  le  talent 
de  quatre  brodeurs  milanais,  Tommasino  dalla  Rama,  Francesco 
da  Carcano,  Giusto  eï  Antonio,  ainsi  que  celui  à' Agostino  Fram- 
haia.  Au  peintre  Giovanni  dalla  Gnbella,  qui  devait  son  surnom 
au  palais  des  gabelles  où  il  résidait,  elle  paya  quarante  ducats 
d'or  pour  une  paire  de  jeux  de  cartes.  Elle  lui  commanda  un 
petit  tableau  en  1  422,  lui  fit  exécuter  sur  parchemin  le  dessin 
des  broderies  et  des  tentures  de  velours  et  de  satin  qui  de- 
vaient entourer  et  dominer  son  lit.  En  1423,  le  même  artiste 
décora  sur  son  ordre  une  chapelle  dans  l'église  de  Saint-Fran- 
çois. Deux  autres  peintres ,  Giacomo  di  Bologna  et  Andréa 
Costa  da  Vicenza,  furent  employés  aussi  par  Parisina.  Andréa 
Costa,  à  l'occasion  d'un  travail  fait  pour  elle,  toucha  neuf 
ducats  d'or  le  12  juin  1  42  4.  Passionnée  pour  la  musique,  elle 
apprit  à  ses  filles  à  jouer  du  luth  et  de  la  harpe.  Les  fils  natu- 
rels de  Nicolas  trouvèrent  en  elle  une  bonté  sans  défaillance. 
Lorsque  Lionel,  en  1424,  se  rendit  à  Pérouse  pour  se  former 
au  métier  des  armes  avec  Braccio  da  Montone,  il  reçut  d'elle 
un  objet  précieux  qu'il  emporta  comme  souvenir.  Elle  combla 


LIVRE   DEUXIEME.  405 

de  bienfaits  Jacopo  dit  Zoesio,  un  des  familiers  de  Nicolas  III, 
attacha  à  sa  personne  Pellegrina,  fille  de  Zoesio,  la  maria  et 
lui  donna  en  cette  circonstance,  outre  un  costume  de  damas 
vert,  des  coffres  peints  et  dorés  par  Giovanni  dalla  Gabella. 
Or  ce  fut  Pellegrina  qui  révéla  à  Zoesio  les  rapports  de  Pari- 
sina  avec  Ugo,  et  c'est  par  Zoesio  que  Nicolas  III  en  fut  in- 
formé (I). 

Quoique  Borso  et  Hercule  I",  fils  de  Nicolas  III,  n'aient  pas 
été  des  princes  cruels  par  caractère,  il  y  eut  aussi  sous  leur 
règne,  dans  le  Castello,  en  1460,  en  1469,  en  1476,  des 
exécutions  capitales,  que  des  conspirations  ourdies  contre  eux 
justifiaient  presque  aux  yeux  des  contemporains ,  habitués 
partout  en  pareils  cas  à  ces  pénalités  sanglantes. 

En  1506,  un  an  après  l'avènement  d'Alphonse  I",  fils 
d'Hercule  I",  les  préparatifs  d'une  nouvelle  exécution  furent 
faits  dans  la  cour  du  château  (2).  Les  juges  et  les  représentants 
des  principales  familles  de  Ferrare  entouraient  l'estrade  fatale, 
et  les  bourreaux  s'apprêtaient  à  trancher  la  tête  de  deux  con- 
damnés ,  quand  Alphonse  P*"  commua  la  peine  de  mort  en 
détention  perpétuelle  dans  le  Castello.  Ces  condamnés,  dont 
les  complices  venaient  pour  la  plupart  d'être  décapités  sur  la 
place  publique  devant  le  palais  délia  Ragione,  étaient,  comme 
le  duc  Alphonse  I"  et  comme  le  cardinal  Hippolyte  I"  d'Esté, 
contre  la  vie  desquels  ils  avaient  conspiré,  fils  d'Hercule  P^ 
Ils  s  appelaient  don  Ferrante  (3)  et  Giulio.  Le  motif  de  leur 
conduite  n'avait  pas  été  le  même.  Voyant  le  duc  négliger  les 
affaires  de  lÉtat  pour  les  occupations  manuelles ,  Ferrante 
avait  cru  facile  de  s'emparer  du  pouvoir.  Quant  à  Giulio,  il 

(1)  G.  Campori,  I  pittoii  degli  Estensi  nel secolo  XV.  —  Ad.  VE>Tuni,  I pri- 
inordi  del  rinascimento  aitistico  a  Ferrara,  p.  9. 

(2)  Voyez  ce  qui  a  été  déjà  dit,  p.  125. 

(3)  Ferrante  était  né  d'Éléonore  d'Aragon  (19  septembre  1477).  Hercule  P' 
avait  eu  Giulio  d'Isabelle  Arduino,  demoiselle  d'honneur  delà  duchesse Eléonore 
(13  mars  1478).  C'est  don  Ferrante  qui  avait  représenté  Alphonse  à  Rome  lors 
du  mariage  de  celui-ci  par  procuration  avec  Lucrèce  Boqjia,  et  c'est  lui  qui,  au 
nom  d'Hercule,  alla  complimenter  Jules  II  de  son  avènement.  Avant  de  devenir 
j)ape  sous  le  nom  de  Jules  II,  Julien  délia  Rovere  avait  tenu  Ferrante  sur  les 
fonts  baptismaux,  à  INapIes. 


40(1  L'AllT    FERllARAIS. 

avait  voulu  se  vcn^jer  à  la  fois  d'Hippolyte  qui  lui  avait  fait  à 
peu  près  crever  les  yeux  à  coups  de  cure- dent  (3  novembre 
1505)  parce  qu'une  dame  de  la  cour,  Angela  Borgia  (1), 
amenée  de  Rome  par  Lucrèce  Borgia,  les  avait  trop  vantés  en 
sa  présence,  et  d'Alphonse  qui  s'était  contenté  d'imposer  à 
Hippolyte,  pour  cet  acte  de  cruauté,  un  court  bannissement  (2^. 
Dès  que  le  complot  fut  découvert,  Giulio  se  rél\igia  à  Mantoue 
auprès  de  sa  sœur;  mais  le  mari  d'Isabelle  d'Esté  finit  par 
céder  aux  instances  des  ambassadeurs  ferrarais  et  parle  livrer. 
Ferrante,  au  lieu  de  chercher  son  salut  dans  la  fuite,  se  flatta 
d'obtenir  son  pardon  en  avouant  à  genoux  ses  projets.  C'était 
mal  connaître  le  duc,  qui,  après  l'avoir  frappé  au  visage  avec 
une  baguette,  de  façon  à  lui  faire  sortir  un  œil  de  la  tête,  le 
traduisit  devant  un  tribunal  impitoyable.  —  La  tour  du  Cas- 
tello  garda  longtemps  ses  deux  prisonniers,  la  clémence  d'Al- 
phonse I",  qui  les  laissa  vivre,  n'ayant  pas  été  jusqu'à  abréger 
leur  captivité.  La  mort  seule,  trente-quatre  ans  plus  tard  (3), 
délivra  don  Ferrante  (22  février  1540),  tandis  que  Giulio  re- 
couvra la  liberté  au  début  du  règne  d'Alphonse  II,  en  1559, 
à  l'âge  de  quatre-vingt-trois  ans.  Quand  il  reparut  en  public, 
il  portait  encore  les  vêtements  qu'il  avait  au  moment  de  son 
entrée  en  prison,  ce  qui  causa  une  grande  surprise,  car  depuis 
l'époque  de  Charles-Quint  on  avait  adopté  en  Italie  les  modes 
espagnoles.  Il  vécut  jusqu  au  2  4  mars  1561  (4'). 

Parmi  les  personnages  qui  avaient  pris  part  au  complot  de 
don  Ferrante  et  de  Giulio,  figura  un  certain  Gianni  de  Gas- 
cogne. Le  duc  l'avait  connu  tout  jeune   et  fort  pauvre    en 


(1)  L'Arioste  la  mentionne  dans  V Orlando  furioso  (ch.  xlvi,  st.  vi). 

(2)  «  Le  plan  de  Giulio  avait  été  de  se  débarrasser  d'abord  du  cardinal  par  le 
poison,  et,  comme  cet  acte  ne  pouvait  rester  impuni  si  le  duc  conservait  la  vie, 
Alphonse  lui-même  devait  être  mis  à  mort  et  don  Ferrante  investi  du  pouvoir  à 
sa  place.  Il  avait  été  convenu  qu'Alphonse  serait  assassiné  dans  un  bal  masqué. 
Mais  le  cardinal,  bien  servi  par  les  espions  qu'il  avait  laissés  à  Ferrare,  eut  vent 
de  ce  projet  et  put  en  informer  sur-le-champ  son  frère  Alphonse,  n  (GrecorO- 
vius,  Lucrèce  Borgia,  t.  II,  p.  155,  dans  la  traduction  française.) 

(3)  Il  avait  soixante-trois  ans. 

(4)  Frizzi,  Memorie  per  la  storia  di  Ferrara,  t.  IV,  p.  221-225.  .337,  377- 
378.  —  Gregorovius,  Lucrèce  Borgia,  t.  II,  p.  146  et  156. 


LIVRE   DEUXIEME.  VOT 

France.  Séduit  par  ses  dispositions  extraordinaires  pour  le 
chant,  il  l'avait  amené  à  Ferrare,  l'avait  fait  instruire  et 
l'avait  admis  dans  son  intimité.  Dès  que  la  conjuration  fut 
ébruitée,  Gianni  s'enfuit  à  Rome.  Entré  au  service  d'un  cardi- 
nal, il  se  croyait  en  sûreté,  quand  son  extradition  fut  accordée 
au  duc.  Une  cage  de  fer  encastrée  dans  la  tour  des  Lions  devait 
lui  servir  de  prison;  pendant  qu'on  Fy  enfermait,  une  voiture, 
où  se  trouvait,  avec  plusieurs  dames,  Catherine,  fille  du  comte 
Uberto  Sacrati  et  femme  du  comte  Cesare  Turco,  passa  devant 
le  Castello,  et  le  cocher,  absorbé  par  le  spectacle  dont  ses 
yeux  étaient  frappés,  la  versa  dans  le  fossé,  accident  qui  coûta 
la  vie  à  une  des  amies  de  Catherine.  La  construction  d'un  pa- 
rapet autour  des  fossés  du  château  fut  aussitôt  décidée.  Quant 
à  Gianni,  il  parvint  à  s'étrangler  au  bout  de  sept  jours  à  l'aide 
d'un  drap. 

Le  Castello,  heureusement,  n'évoque  pas  que  des  souvenirs 
de  cruauté.  En  1478,  le  duc  Hercule  I"  convoqua  chez  lui,  le 
jeudi  saint,  cent  pauvres  pour  lesquels  un  repas  avait  été  pré- 
paré. Autour  d'une  des  tables,  douze  convives  représentaient 
les  apôtres.  Le  duc  lui-même  leur  lava  les  pieds,  et,  assisté  de 
Sigismondo  et  de  Rinaldo  ses  frères,  servit  tous  ses  invités.  Au 
repas  succéda  une  distribution  d'argent,  de  toile,  de  souliers, 
de  chausses  bleues,  de  bérets  noirs.  En  1503,  le  nombre  des 
malheureux  admis  à  la  cérémonie  du  jeudi  saint  fut  porté  à 
cent  soixante,  et  les  musiciens  de  la  cour  chantèrent  >■  el  man- 
da to  de  Christo  »  . 

Il  va  de  soi  que  de  louL  temps  les  hôtes  de  distinction 
affluèrent  au  Castello.  Ces  personnages  fournissaient  à  la  fa- 
mille d'Esté  l'occasion  de  déployer  dans  sa  vaste  résidence  un 
faste  qui  était  un  signe  de  puissance  et  aussi  un  moyen  de 
gagner  la  bienveillance  des  visiteurs  dont  elle  désirait  l'appui. 
Les  réceptions  faites  à  l'empereur  Frédéric  III  en  1  452  et  en 
1469,  au  pape  Pie  II  en  1459,  à  Paul  III  en  i5i:î.  à  Clé- 
ment VIII  en  1598,  furent  célèbres  entre  toutes.  Mais  on 
n'avait  pas  besoin  de  circonstances  aussi  solennelles  pour 
s'abandonner  au  luxe  et  à  la  prodigalité.   Un  mariage  dans 


408  L'ART    FERRARAIS. 

rentoiira^e  du  souverain  ou  Faunonce  d'une  victoire  suffisait 
pour  servir  de  prétexte  aux  fêtes  (l),  aux  bals,  aux  concerts  (2), 
aux  festins  (3).  Dans  ces  réunions,  hommes  et  femmes  por- 
taient les  costumes  les  plus  riches  et  les  plus  recherchés,  fai- 
sant étalage  de  pierreries,  de  bijoux,  de  camées,  d'intailles, 
dus  à  des  artistes  en  renom,  tels  quAmadio  da  Milano,  les 
Aniclmii ,  Giovanni  délie  Corniole  et  Benvenuto  Cellini.  La 
décoration  des  salles  du  Castello  répondait  à  Télégance  du 
maître  et  de  ses  courtisans.  On  v  admirait  des  draps  d'or  et 
d'argent,  des  étoffes  brodées,  des  tapisseries  représentant  des 
paysages  ou  des  figures,  et  des  cuirs  ouvragés,  à  la  façon  de 
Cordoue,  objets  fabriqués  pour  la  plupart  à  Ferrare.  Dès  le 
quatorzième  siècle,  en  effet,  Ferrare  eut  chez  elle  des  bro- 
deurs émérites,  et  le  marquis  Lionel  fit  venir  de  Venise  un 
habile  artisan,  Girolamo  Alberti,  pour  former  des  fileurs  d'or 
et  d'argent.  En  136  4,  l'art  de  la  tapisserie  fut  implanté  dans 
la  capitale  des  princes  d'Esté  par  deux  Français.  Enfin,  la  ma- 
nufacture ferraraise  d'où  sortaient  les  cuirs  dorés  acquit  une 
célébrité  qui  s'étendait  au  loin. 

Dans  la  plus  grande  des  cours  du  Castello  (4),  on  distingue 
vaguement  sur  les  murs  qui  l'entourent  quelques  restes  de 
peintures  en  camaïeu,  d'un  ton  jaunâtre.  Trois  groupes  de  per- 
sonnages, portant  la  trace  d'une  restauration  complète,  sont 
tout  ce  qui  subsiste  de  la  série  des  princes  d'Esté  qu'Alphonse  II 
avait  fait  représenter  vers  la  fin  du  seizième  siècle  par  un  élève 


(1)  Voyez,  par  exemple,  dans  Fnizzi  (t.  IV,  p.  91-92},  la  description  des  fêtes 
par  lesquelles  fut  célébrée  en  1472  l'arrivée  d'Éléonore  d'Aragon,  femme  d'Her- 
cule \",  et  dans  Gregorovius  (t.  II,  p.  39)  le  récit  des  réjouissances  qui  accueil- 
lirent en  1502  la  venue  de  Lucrèce  Borgia,  la  seconde  femme  d'Alphonse  P''. 

(2)  De  toutes  |jarts,  les  princes  d'Esté  attiraient  à  leur  cour  des  musiciens  et 
des  chanteurs  en  renom.  L.-N.  Cittadella  cite  comme  les  plus  appréciés  Josquin 
de  Près  de  Prato,  le  Belge  Jean  Okenghem,  Gianni  Ansort  de  Glermont,  le  Fla- 
mand Adrien  Villaert  et  Ciprien  de  Rore. 

(-3)  Voyez  la  description  d'un  de  ces  festins  dans  le  ch.  iv  du  liv.  V,  chapitre 
consacré  aux  Livres  a  gravures  sur  bois  publiés  a  Ferrare. 

(4)  Sur  cette  cour  donnent  des  fenêtres  qui  furent  l'œuvre  d'Antonio  di  Gre- 
goj-io,  à  la  hn  du  quinzième  siècle.  —  On  remarque  dans  les  cours  du  Castello 
deux  puits  assez  curieux.  Ils  ont  été  photographiés  par  Pietro  Poppi  de  Bologne, 
n"'  G308  et  6,309. 


LIVRE   DEUXIEME.  409 

de  Girolamo  da  Carpi,  Barlolommeo  Faccini,  assisté  de  son 
frère  Gù-olamo,  d'Ippolùo  Caselli  et  de  Gh'olamo  Grassaleoni . 
Ces  fresques  coûtèrent  la  vie  à  celui  qui  en  fut  le  principal 
auteur.  Ayant  voulu  retoucher  quelques  figures  après  que  les 
échafaudages  avaient  été  enlevés,  il  en  fit  disposer  un  nouveau 
qui  s  écroula  sous  lui,  et  il  mourut  de  sa  chute  (1577). 

Sous  1  atrium,  situé  entre  la  cour  et  la  sortie  du  côté  du 
midi,  se  trouve  une  fresque  appartenant  à  la  fin  du  quatorzième 
siècle  ou  au  commencement  du  quinzième.  Elle  offre  à  nos 
regards  la  Vierge  et  l'Enfant  Jésus,  de  grandeur  naturelle.  Le 
style  des  figures  n'est  pas  sans  ampleur  et  rappelle  Vécole  de 
Giotto.  Sur  le  manteau  de  Marie  resplendissent  de  nombreuses 
étoiles. 

On  ne  regarderait  peut-être  pas  non  plus  sans  quelque  inté- 
rêt, au-dessus  de  la  porte  Saint-Michel  qui  fait  face  à  la  place 
de'  Pollaiuoli^  une  sainte  famille  avant  à  ses  côtés  saint  Georges 
et  saint  Michel,  si  elle  n'avait  été  repeinte  de  façon  à  rendre 
méconnaissable  la  manière  de  l'auteur.  On  a  voulu  y  voir  une 
œuvre  de  Girolamo  da  Carpi,  maisL.-N.  Cittadella  croit  qu'elle 
est  de  Domenico  Mona  (peintre  né  vers  1550,  mort  en  1602). 

Un  escalier  en  colimaçon,  construit  sous  Hercule  II,  condui- 
sait autrefois  de  la  cour  aux  appartements,  et  la  pente  en  était 
assez  douce  pour  qu'on  pût  le  monter  à  cheval,  comme  fit, 
dit-on,  Clément  VIII  en  1  498.  Cet  escalier  a  été  remplacé  en 
1844  par  un  escalier  ordinaire,  avec  des  marches  en  marbre. 

Grand  fut  le  nombre  des  peintres  qui  ornèrent  de  leurs  pro- 
ductions les  salles  et  les  chambres  du  Castello.  La  plupart  des 
maîtres  ferrarais,  depuis  Cosimo  Tura  jusqu'aux  artistes  de  la 
seconde  moitié  du  seizième  siècle,  y  furent  représentés  par  des 
fresques  ou  des  tableaux  (1),  et  l'on  y  admirait  en  outre  des 

(1)  En  1555,  Jacopo  Vighi  d'Argenta  avait  pcinl  dans  la  salle  de  la  Patience, 
«jui  faisait  partie  de  la  tour  de  Sainte-Catherine,  les  princes  et  les  princesses  de  la 
maison  d'Esté  dont  il  était  le  contemporain.  Ces  peintures  ont  disparu.  Pcut-cti'c 
ont-elles  été  détruites  par  le  formidahie  incendie  qui  éclata  en  1718.  —  Catnillo 
Filippi  et  Girolamo  Bonaccioli,  tils  du  peintre  Gabriele  Bona(H:ioIi,  concoururent 
aussi  à  la  décoration  de  la  salle  de  la  Patience  (1555-1556).  —  Dans  deux  des 
chambres  du    Castello,   il   y  avait   des   ouvrages   de    Cosimo  Tura.  —  Hercule  I*^ 


410  L'ART    FERHARAIS. 

œuvres  dues  à  tics  étrangers,  tels  que  Giovanni  BcUini,  Pelle- 
arino  da  San  Daniele,  Titien,  Raphaël  et  Michel-Ange.  Mais  si 
Ton  y  voit  encore  des  peintures  murales,  qui  sont  loin  d'être 
sans  valeur,  on  y  chercherait  en  vain  les  tableaux  mentionnés 
dans  les  papiers  de  la  maison  d  Este.  Quand  le  duché  de  Fer- 
rare  fit  retour  au  Saint-Siège,  le  cardinal-légat,  Aldobrandini, 
mit  la  main  sur  quelques-unes  des  plus  belles  toiles,  qui  furent 
secrètement  emportées  et  qu'il  refusa  de  restituer.  Bientôt 
après,  le  cardinal  Borghese,  avant  de  devenir  pape  sous  le  nom 
de  Paul  V,  en  obtint  aussi  plusieurs,  et  le  reste  suivit  César 
d'Esté  à  Modène. 

Divers  musées  d'Europe  possèdent  aujourd'hui  les  épaves 
des  collections  rassemblées  jadis  dans  le  Castello  au  temps  de 
sa  splendeur.  En  énumérant  les  principales,  nous  les  remet- 
trons en  esprit  à  leur  place  primitive,  et  elles  nous  donneront 
en  partie  l'idée  des  trésors  que  les  princes  d'Esté  étaient  par- 
venus à  réunir  et  dont  ils  étaient  si  fiers. 

Voici  d'abord,  dans  la  galerie  Brera,  à  Milan,  la  Vierge  et 
l'Enfant  Jésus  entourés  de  séraphins,  par  Andréa  Mantcgna,  ta- 
bleau peint  en  1  485  pour  la  duchesse  Éléonore,  femme  d'Her- 
cule P^(l). 

Dans  la  galerie  d'Esté,  à  Modène,  furent  transportés  six 
fragments  de  peintures  ornementales  exécutées  par  les  Dossi 
et  représentant  à  mi-corps  des  personnages  qui  semblent  glo- 
rifier, les  uns  le  vin  ou  l'amour,  les  autres  la  tempérance  ou 
le  plaisir  de  la  musique. 

La  galerie  Borghese,  à  Rome,  conserve  V Apollon  jouant  du 
violon  et  la  Magicienne  Circé,  dont  l'auteur  est  Giovanni  Dosso, 
selon  les  uns,  Battista  Dosso,  selon  les  autres. 


avait  aussi  fait  orner  de  peintures  deux  pièces  appelées  salle  des  Paladins  et  salle 
des  Paraduri  (le  paraduro  était  un  des  emljlènies  de  Borso  et  d'Hercule  I").  — 
On  ne  sait  ce  qu'est  devenue  la  Calomnie,  tableau  peint  par  Gaiofalo  d'après  un 
dessin  de  Raphaël  ;  mais  il  en  existe  une  copie  à  Weimar  chez  le  comte  Henckel- 
Donnersmarck . 

(1)  l^' Ai-t  du  i'^'' janvier  1886  a  reproduit  dans  deux  excellentes  héliogravures  le 
tableau  de  Mantegna,  avant  et  api'ès  la  restauration  à  laquelle  il  a  été  soumis.  Ce 
tableau  a  été  gravé  dans  la  Gazette  des  Beaux-Arts  du  i*'  mai  1886. 


LIVliE    DEUXIEME.  411 

Pour  voir  le  Triomphe  de  Bacchus,  Mars,  Venus  et  l'Amour, 
Pallas  et  Neptune,  par  Garofalo,  il  faut  visiter  la  galerie  de 
Dresde,  qui  a  égalemeut  acquis  plusieurs  ouvrages  de  Dosso  et 
de  Girolaiiio  da  Carpi. 

Chez  le  duc  de  Northumberland,  dans  le  château  d'Alnwick 
en  Ecosse,  se  trouve  une  Bacchanale  que  Vasari  (I)  vante 
comme  une  des  plus  belles  œuvres  de  Giovanni  Bellini,  et  à 
laquelle  Titien  mit  la  dernière  main,  Bellini,  son  maître,  ne 
pouvant  plus  quitter  Venise  à  cause  de  son  grand  âge  (2).  La 
collaboration  de  Titien  se  borna  à  l'exécution  d'un  paysage 
qui  représente  les  montagnes  de  Cador,  sa  patrie.  Il  y  travailla 
du  13  février  1516  à  la  fin  de  mars,  et,  pendant  ce  temps, 
il  fut  logé  dans  le  Castello  avec  deux  aides.  Les  livres  de 
dépenses  du  prince  mentionnent  que  les  trois  artistes  reçurent 
chaque  semaine  de  la  salade,  de  la  viande  salée,  de  l'huile, 
des  châtaignes,  du  fromage,  des  oranges,  cinq  mesures  de 
vin  et  des  chandelles  de  cire.  Titien  avait  alors  trente-neuf 
ans. 

C'est  aussi  pour  Alphonse  I"  qu'il  peignit,  probablement 
avant  1518,  le  Sacrifice  à  Vénus  ou  Offrande  à  la  Fécondité  (3), 
et  V Arrivée  de  Bacchus  dans  Vile  de  Naxos  (4),  qui  sont  au 
nombre  des  plus  beaux  tableaux  du  musée  de  Madrid.  Ces 
toiles,  dont  les  sujets  sont  tirés  de  Philostrate,  furent  données 
au  roi  d'Espagne  Philippe  IV  par  un  membre  de  la  famille 
Ludovisi.  En  apprenant  qu'elles  allaient  quitter  l'Italie,  ra- 
conte Boschini,  Dominiquin,  le  peintre  bien  connu,  ne  put 
retenir  ses  larmes.  Dans  le  Sacrifice  à  Vénus,  qui  peut  être 
regardé  comme  "  le  poème  par  excellence  de  la  beauté  enfan- 

(i)  T.  VU,  p.  433,  dans  l'édition  de  M.  Milanesi.  —  Voyez  aussi  L.-ÎN.  Cit- 
TADELLA,  //  Castello  (U  Ferrara,  p.  58;  Gkowe  et  Gavalcaselle,  Tiziano,  t.  I, 
p.  144-145,  et  Gustavo  FrizzOiXI,  Arle  italiana  del  rinascimento  (1891),  p.  330, 
331.   —  Nous   avons   déjà  dit  quckpies  mots   de   cette  peinture  (p.  147  et  162). 

(2)  Bellini  mourut  le  26  noveniI)rc  1516,  à  quatre-vingt-huit  ans  environ.  Il 
avait  commencé  sa  Bacclianale  en  1514. 

(3)  Voyez  la  description  qu'en  donnent  MM.  Gavalcaselle  ctGnowE  {Tiziano, 
t.  I,  p.  160-165),  et  l'eau-fortc  de  M.  (yaujean  qui  se  trouve  dans  le  volume  con- 
sacré à  Titien  par  M.  G.  Lafenestre,  p.  77. 

(4)  Gavalcaselle  et  Growe,  Tiziano,  t.  I,  p.  194-199. 


412  L'ART    lEllP.  AIIAI8. 

tine  »  ,  scion  Texpression  de  M.  Lafenestre  (1),  il  ne  se  lassait 
pas  d'admirer  les  nombreux  enfants  qui  s'ébattent  au  milieu 
d'un  splendide  paysage.  Poussin,  Rubens,  Yan  Dyck,  Duques- 
noy  les  étudièrent  également  avec  enthousiasme. 

A  coté  des  ouvrages  précédents  figura  Bacchus  s'élançant  de 
son  char  vers  Ariane  ahandoiinée,  une  des  perles  de  la  Galerie 
Nationale  de  Londres.  Au  mois  de  janvier  15:23,  Titien  an- 
nonça au  duc  de  Ferrare  que  ce  tableau,  entrepris  d'après  les 
indications  de  celui-ci,  était  achevé.  Le  transport  s'opéra  de 
Venise  à  Francolino  par  bateau,  et  à  dos  d  homme  de  Franco- 
lino  à  Ferrare.  C'est  la  description  d'une  tapisserie  par  Catulle, 
dans  les  noces  de  Thétis  et  de  Pelée,  qui  a  fourni  le  sujet  du 
tableau  de  la  National  Gallery  (2) . 

Les  quatre  toiles  dont  il  vient  d'être  question  occupaient  à 
l'origine  les  chambres  d'albâtre  (3).  Ces  chambres  étaient  ainsi 
nommées,  non  parce  qu'elles  étaient  revêtues  d'albâtre,  mais 
à  cause  de  la  blancheur  des  marbres  qui  en  garnissaient  les 
parois  (4).  Elles  avaient  été  construites  par  ordre  d'Alphonse  I" 
sur  la  via  Copey^a  (5)  et  étaient  contiguës  aux  pièces  où  le  même 
prince  se  livrait  aux  travaux  mécaniques  pour  se  reposer  des 
soucis  du  gouvernement.  Dosso  avait  peint  les  plafonds  et 
doré  les  chambres  d'albâtre.  Dans  l'une  d'elles,  il  avait  repré- 
senté Énée,  Mars,  Vénus  et  Vulcain.  Un  incendie,  en  1634,  a 
détruit  ces  célèbres  chambres,  non  loin  desquelles  se  trouvait 

(1)  Titien  el  les  princes  de  son  temps,  dans  la  Revue  des  Deux  Mondes  du 
1"  décembre  J  886,  p.  637-638. 

(2)  Dans  la  Bévue  des  Deux  Mondes  du  1"  décembre  1886,  M.  Lafenestre  a 
raconté  les  curieuses  péripéties  qui  ont  précédé  l'exécution  de  cette  belle  œuvre. 
—  Voyez  aussi  Cavalcaselle  et  Crowe,  Tiziano,  t.  I,  p.  227-232,  et  G.  Frizzonm, 
Arte  italiana  del  rinascimento,  p.  330-331.  —  Yasari  ne  dit  mot  du  tableau  de 
Bacchus  et  Ariane.  La  pbotojjrapbie  que  Braun  en  a  faite  (n"  35)  correspond  au 
numéro  que  porte  la  peinture  de  Titien  dans  la  Galerie  Nationale. 

^3)  Pellefjrino  da  San  Daniele  avait  peint  aussi  pour  une  de  ces  chandjres  un 
tableau,  maintenant  perdu,  qui  représentait  un  épisode  de  la  vie  de  Bacchus. 

(4)  Ces  mari)res  attestaient  le  talent  iV Antonio  Lombardo  comme  sculpteur 
d'ornementations.  Antonio  Londiardo  travailla  également  comme  peintre  dans  les 
mêmes  pièces.  (Cavalcaseli.e  et  Crowe,   Tizinno,  t.  L  p.  143,  note  1."^ 

(5)  La  via  Coperta,  établie  en  1472  par  l'architecte  Pietro  di  Boivenuto,  était 
un  passafje  reposant  sur  cinq  arcades  et  mettant  en  communication  la  première 
résidence  des  princes  d'Esté  et  le  Castel  Vecchio. 


LIVRE   DEUXIEME.  413 

le  cabinet  dont  le  duc  avait  fait  un  petit  musée.  Ce  sont  égale- 
ment les  Dossi c[ui  avaient  décoré,  dans  le  Castelio,  la  salle  où 
Alphonse  I"  avait  installé  une  pharmacie  et  rassemblé  de 
précieuses  majoliques.  On  ignore  ou  était  cette  salle.  On  ne 
sait  pas  davantage  quelle  partie  du  château  renfermait  la  col- 
lection d'armes.  Un  certain  nombre  d'entre  elles  devaient 
avoir  été  faites  d'après  les  dessins  d'artistes  éminents.  Pisa- 
nello,  Matteo  de'  Pasti,  Verrocchio,  Léonard  de  Vinci  avaient 
peut-être  fourni  des  modèles.  On  ne  s'expliquerait  pas  que  les 
ducs  de  Ferrare  n'eussent  pas  exploité  pour  leur  propre 
compte  tous  les  talents  de  bonne  volonté  ou  ne  se  fussent  pas 
efforcés  d'acquérir  des  pièces  remarquables  (1).  Le  musée  de 
Turin  possède  trois  épées  avec  des  compositions  gravées  par 
Ercole  de'  Fideli  de  Ferrare.  Ces  épées  furent  faites  pour  le 
duc  Alphonse  I",  dont  elles  portent  les  armoiries  (2). 

Outre  le  Sacrifice  à  Vénus,  V Arrivée  de  Bacchus  dans  Vile  de 
Naxos  et  Bacchus  s'élançant  de  son  char  vers  Ariane,  Titien 
avait  peint  en  l'honneur  d'Alphonse  I"  l'admirable  Christ  ii  la 
Monnaie  du  musée  de  Dresde,  par  lequel  il  voulut  rivaliser  de 
finesse  avec  Albert  Durer,  sans  tomber  dans  la  sécheresse  (3). 
Le  sujet  de  ce  tableau  semblait  convenir  particulièrement  à 
un  prince  qui  avait  fait  graver  sur  ses  monnaies  d'or  :  «  Quod 
est  Cœsaris  Cœsari;  quod  est  Dei,  Deo.  " 

Signalons  encore,  toujours  par  Titien,  un  Portrait  d'Al- 
phonse I"  (4),  dans  lequel  la  main  droite  du  duc  s  appuyait  sur 
un  canon,  détail  qui  rappelait  les  qualités  guerrières  du  per- 
sonnage et  les  soins  qu'il  mit  à  perfectionner  son  artillerie. 


(1)  V^oyez  l'article  de  M.  Gh.  Yriarte,  intitulé  :  Le  livre  de  souvenirs  d'un 
sculpteur  florentin  au  XV^  siècle,  Maso  di  Bartolommeo,  dit  le  Masaccio,  dans 
la  Gazette  des  Beaux- Arts,  2"^  période,  t.  XXIV,  i"  août  1881,  p.  143,  144,  152. 
—  A  Venturi,  Relazioni  artistiche  tra  le  corti  di  Milano  e  Ferrara  nel  secolo 
XV,  dans  V Archivio  storico  lombardo,  anno  XII,  p.  230. 

(2)  Autour  des  Borgia,  par  M.  GVi.  Y'riarte. 

(3)  Vasari,  t.  VII,  p.  434  et  p.  435,  note  1.  —  Cavalcaselle  et  Crovve, 
Tiziano,  t.  I,  p.  94.  —  M.  Justi  croit  que  Titien  dut  exécuter  son  Christ  à  la 
Monnaie  en  1516,  pendant  son  premier  séjour  à  Ferrare.  (Jahrbucli  de  Berlin, 
1894,  2"  livraison.) 

[i'j   Yasari  mentionne. ce  porti'ail    t.  VII,  p.  435). 


414  L'AKT    FEIUIAUAIS. 

C'est  le  portrait  qui  lut  donné  à  Charles-Quint  en  1533  et 
transporté  en  Espagne  (1).  On  ignore  ce  qu'il  est  devenu. 
Pour  dédommager  le  duc,  Titien  avait  promis  de  faire  un  nou- 
veau portrait  de  lui  dans  la  même  pose  ;  mais  il  ne  l'acheva 
qu'en  1537,  trois  ans  après  la  mort  de  son  modèle.  Selon 
M.  C.  Justi  (2),  ce  tableau  a  aussi  disparu,  et  celui  qui  repré- 
sente le  même  prince  dans  le  palais  Pitti  (3),  à  Florence,  où  il 
est  attribué  à  Titien,  n'en  serait  que  la  copie,  exécutée  par  un 
artiste  ferrarais.  Quand  on  compare  cette  peinture  à  la  pein- 
ture de  Titien  qui,  au  musée  de  Madrid,  passe  pour  reproduire 
aussi  les  traits  d'Alphonse  I"  (n"  452),  on  reconnaît  qu'on  se 
trouve  en  présence  de  deux  figures  tout  à  fait  différentes.  Le 
tableau  de  Florence  représente  seul  le  successeur  d  Hercule  I". 
Dans  celui  de  Madrid,  le  personnage,  qui  appuie  sa  main  gauche 
sur  le  pommeau  de  son  épée  et  pose  sa  main  droite  sur  le  dos 
d'un  petit  chien,  ne  ressemble  en  rien  aux  effigies  d'Alphonse  I" 
que  nous  montrent  les  belles  monnaies  exécutées  à  diverses 
époques  par  Gianantonio  da  Foligno  :  le  nez  est  court  et  droit, 
au  lieu  d'être  busqué,  long  et  recourbé  vers  le  bout;  de  plus, 
les  yeux  sont  ronds,  au  lieu  d'être  allongés;  enfin,  la  chevelure 
est  crépue.  Ce  personnage  n'est  autre  cya  Hercule  II,  fils  d'Al- 
phonse P".  On  peut  aisément  s'en  convaincre  en  considérant  le 
tableau  du  musée  de  Madrid  à  coté  des  médailles  qui  repré- 
sentent Hercule  H  (4).  Chez  Mme  Edouard  André  se  trouve  une 
répétition  du  portrait  d'Hercule  II,  peinte  également  par 
Titien.  Le  prince  semble  avoir  une  trentaine  d'années.  Comme 
il  naquit  en  1508,  c'est  vers  1540,  ainsi  que  l'a  fait  observer 
M.  Miintz,  qu'il  aura  posé  devant  l'illustre  maître  vénitien. 
Pour  compléter  l'énumération  approximative  des  peintures 


(1)  Voyez  ce  qui  a  été  dit,  p.  138,  note  1,  et  p.  159. 

(2)  Tizian  und  Alfonso  von  Este,  dans  le  Jahrbuch  de  Berlin  (1894,  deuxième 
livraison). 

(3)  N"  311.  Il  a  été  bien  photographié  par  Braun. 

(4)  Voyez,  dans  la  Revue  des  Deux  Mondes  du  15  mars  1894,  un  article  de 
M.  Muntz  sur  Titien,  et,  dans  la  Chronique  des  arts  du  16  juin  1894,  n"  23, 
p.  181-182,  un  autre  article  de  M.  M'iintz  sur  les  portraits  d'Alphonse  I"  et 
d'Hercule  II  par  Titien. 


1 


LIVRE   DEUXIEME.  415 

de  Titien  que  posséda  Alphonse  I",  il  faudrait  citer  un  portrait 
de  Laura  Eustochia  Dianti,  maîtresse  du  souverain  de  Ferrare. 
On  a  prétendu  qu'un  des  tableaux  de  Titien  au  Louvre,  où  une 
femme  se  regarde  dans  deux  miroirs  que  tient  un  homme 
relégué  dans  Tombre  (n"  452),  représentait  Laura  et  Alphonse  I": 
c'est  une  supposition  tardive  que  rien  ne  permet  de  contrôler 
à  l'égard  de  la  femme  et  que  contredisent,  h  l'égard  de 
l'homme,  les  images  authentiques  du  duc. 

Les  appartements  du  Castello  comprenaient,  de  plus,  un 
Portrait  d'Alphonse  I"  par  Dosso  (imitation  libre  de  la  peinture 
due  à  Titien  que  Charles-Quint  emporta  en  Espagne)  et  un 
Portrait  d'Hercule  I",  père  d'Alphonse,  dont  Dosso  était  égale- 
ment l'auteur.  Ces  deux  tableaux  furent  transportés  à  ]Modène, 
où  ils  existent  encore,  mais  en  mauvais  état. 

Parmi  les  œuvres  d'art  qui  ont  disparu  du  Castello,  sans 
toutefois  passer  dans  d'autres  collections,  il  faut  mentionner 
trois  cartons  que  Raphaël  donna  au  duc  Alphonse  I"  (1)  :  celui 
qui  servit  à  peindre  dans  les  chambres  du  Vatican  l'histoire  de 
Léon  III,  celui  du  grand  saint  Michel  et  celui  du  portrait  de 
Jeanne  d'Aragon,  exécuté  à  Naples  d'après  nature  et  dû  à  un 
élève  du  Sanzio.  On  ne  saurait  non  plus  trop  déplorer  que  le 
nom  de  Michel-Ange  n'ait  pas  préservé  du  même  sort  la  tête 
(le  la  statue  de  Jules  II,  achetée  par  Alphonse  I"  après  la  des- 
truction de  cette  statue  à  Bologne  en  1511,  et  placée  alors 
dans  le  château  de  Ferrare. 

Malgré  les  vicissitudes  qu'il  a  subies,  cet  édifice  conser\e 
cependant  encore  dans  plusieurs  salles  d'intéressantes  pein- 
tures (2j. 

La  première  salle  que  rencontre  le  visiteur  est  celle  du  con- 
seil. On  voit  au  plafond  des  courses  de  chars,  des  hommes 
nus  faisant  des  tours  avec  des  assiettes,  montés  sur  le  dos  les 
uns  des  autres,  luttant  entre  eux,  jouant  avec   des  cerceaux 

(1)  Par  ces  présents,  Raphaël  làclia  d'apaiser  l'irritation  du  prince,  aiujucl  il 
avait  promis  un  tableau  dont  il  différait  sans  cesse  l'exécution. 

(2)  Vovez  la  description  détaillée  de  ces  peintures  dans  le  Servitore  di  Piazza 
du  comte  Francesco  Aventi.  Fcrrara,  18-38,  in-S".  On  peut  aussi  consulter  plu- 
sieurs articles  de  Gaye  dans  le  Kunsblatt,  année  1841,  n"*  74-77. 


416  L'AllT    FERllAUAIS. 

garnis  d'anneaux  ou  avec  des  ballons,  el  jonglant  avec  dco 
balles.  Aux  deux  extrémités  de  cette  salle,  la  partie  la  plus 
cintrée  du  plaFond  nous  montre  d'autres  hommes  nus  au 
bain  et  des  guerriers  combattant.  Enfin,  sur  un  fond  d'or  se 
détachent,  en  formant  une  gracieuse  frise,  des  Amours,  des 
sirènes,  des  dragons,  combinés  avec  des  algues,  des  épis,  des 
feuillages,  des  fruits  et  des  fleurs.  Toutes  ces  peintures,  d'ail- 
leurs très  décoratives,  trahissent  la  décadence.  Les  figures 
nues  sont  épaisses,  charnues,  sans  distinction,  très  sensuelles. 
Il  est  probable  qu'un  lettré  du  temps,  tel  que  Calcagnini  ou 
Giraldi,  a  indiqué  l'ensemble  des  sujets  à  traiter.  Quant  à 
l'exécution,  elle  est  sans  doute  imputable,  sinon  aux  Dossi  à  la 
fin  de  leur  carrière,  du  moins  à  leur  école.  L'art  était  déjà  sur 
une  pente  fatale.  La  matière  dominait  l'esprit,  et  le  pur  senti- 
ment dii  beau  s'affaiblissait  de  jour  en  jour. 

Ce  sont  les  mêmes  tendances  qu'accuse  le  plafond  de  la  salle 
voisine,  peint  aussi  par  les  élèves  des  Dossi.  Une  bacchanale 
composée  d  hommes  nus  et  une  lutte  entre  des  hommes  égale- 
ment nus  en  occupent  la  plus  grande  partie.  Mais  on  y  remar- 
que, en  outre,  des  jeux  d'enfants  nus,  se  détachant  sur  un  fond 
rouge,  des  femmes  dansant  dans  les  airs  et  se  détachant  sur  un 
fond  bleu,  ainsi  qu'une  frise  d'Amours  sur  fond  gris  et  sur  fond 
rouge.  Si  les  principaux  sujets  sont  imprégnés  d'un  matéria- 
lisme à  outrance,  il  v  a  en  revanche  une  grâce  aussi  saine 
qu'attrayante  dans  les  enfants,  et  la  richesse  des  couleurs  har- 
monieusement combinées  inspire  une  satisfaction  sans  réti- 
cence. 

Dans  la  salle  de  l'Aurore,  salle  qui  fait  partie  de  la  tour  des 
Lions  (au  fond  de  laquelle  on  visite  encore  les  sinistres  cachots 
dont  nous  avons  parlé) ,  Giovanni  Dosso  a  représenté  en  figures 
allégoriques  l'aurore,  le  milieu  du  jour,  le  soir  et  la  nuit  (1). 
La  première  composition  nous  montre  l'Aurore  au  moment  de 
quitter  le  lit  sur  lequel  est  assis  Titon.  et  levant  la  tète  vers 
une  jeune  fille  ailée,  couronnée  de  roses,  qui  amène  en  volant 

(1)    Una  dipintura  nel  castello  di  Feirara,  illustrazioue  per  nozze  Bottonclli  e 
Grillenzoni,  par  Ercole  Ghaziadei.  Bologna,  1835,  petit  in-S". 


LIVRE  DEUXIEME.  417 

quatre  chevaux  lancés  au  galop,  tandis  que  deux  autres  jeunes 
filles  ailées  se  tiennent  à  droite  derrière  Titon  ;  ces  jeunes 
filles  personnifient  les  heures  les  plus  matinales.  —  Dans  la 
seconde  composition,  on  voit  un  cocher  blond,  enveloppé  de 
lumière,  sur  un  char  traîné  par  quatre  chevaux  blancs  qu'ac- 
compagne une  des  Heures  tenant  un  double  flambeau.  —  La 
troisième  composition  glorifie  le  Soleil  qui  fait  descendre  ses 
chevaux  vers  l'horizon  ;  derrière  le  Soleil  est  Cybèle  ou  Cérès, 
près  de  qui  vole  un  Amour,  et  le  jeune  Atys,  inventeur  des 
fêtes  pastorales,  s'appuie  contre  un  arbre  en  jouant  du  crotale. 
—  Dans  la  quatrième  composition,  Diane  vient  de  descendre 
de  son  char  et  s'avance  à  la  rencontre  d'Endymion.  Au  som- 
met de  la  voûte,  le  Temps  tient  l'urne  d'où  les  Parques  tirent 
le  sort  des  humains.  A  ces  divers  sujets,  revêtus  d'une  très 
belle  couleur,  mais  où  les  figures,  tantôt  grêles  et  tantôt  trop 
épaisses,  ont  quelque  chose  de  mesquin  et  ne  sont  pas  exemptes 
de  banalité,  nous  préférons  de  beaucoup  la  frise  à  fond  d'or 
qui  met  sous  nos  yeux  vingt-huit  petits  Amours  dans  des  chars 
traînés  par  des  animaux  de  différentes  sortes  :  les  attitudes, 
très  variées,  ont  toutes  de  la  grâce,  de  F  animation  ;  les  corps 
sont  habilement  modelés,  et  les  visages  reflètent  bien  la  passion 
de  mouvement  à  laquelle  obéissent  ces  charmantes  créatures. 
C'est  dans  une  petite  chambre  donnant  sur  une  terrasse  que 
se  trouvent  les  trois  fresques  les  plus  célèbres  du  Castello  (1). 
Elles  sont  à  côté  les  unes  des  autres,  en  face  des  fenêtres.  La 
fresque  de  gauche,  la  moins  remarquable  des  trois,  représente 
Ariane  assise  dans  un  char  que  traînent  deux  tigres,  et  entourée 
de  nymphes,  de  bacchantes,  de  faunes  et  de  satyres.  Deux 
nymphes  précèdent  Ariane  en  dansant,  tandis  que  deux 
enfants,  montés  sur  des  léopards  et  couronnés  de  pampres, 
jouent  de  la  cithare.  Deux  autres  enfants  tendent  aux  léopards 
des  grappes  de  raisin.  Au  fond  s'élèvent  des  montagnes. — La 

(1)  Ces  fresques  ont  subi  des  restaurations  auxquelles  Bastianino  ne  fut  peut- 
être  pas  étranger.  —  Voyez  Baruffaldi,  Vite  de  pittori  c  scultori  ferraresi,  t.  I, 
p.  261,  et  L.-N.  CiTTADELLA,  /  due  Dossi,  p.  29,  et  //  Castello  di  l'crrara, 
p.  46-47. 

I.  27 


418  L'ART    FEllRARAIS. 

Vendange,  qui  a  souffert  de  riuimidité  et  a  beaucoup  noirci, 
occupe  le  milieu  de  la  muraille.  Dans  un  paysage  où  les  pam- 
pres elles  raisins  pendent  des  arbres,  une  femme  assise  lève 
une  coupe  pleine  de  vin  que  veut  saisir  un  enfant.  Des  satyres 
et  de  petits  satyres,  des  femmes  et  des  enfants  cueillent  le 
raisin,  le  portent  dans  des  corbeilles,  serrent  le  pressoir  et 
préparent  les  cuves.  —  En  regardant  la  fresque  de  droite, 
dont  le  coloris  a  conservé  presque  tout  son  charme,  nous 
assistons  au  Triomphe  de  Bacchus  et  d'Ariane.  Accompagnés  d'un 
joueur  de  flûte  et  d'une  femme  agitant  un  ciste,  Bacchus  et 
Ariane,  au-dessus  de  qui  un  génie  ailé  tient  des  couronnes  de 
fleurs,  sont  assis  dans  un  char  doré  que  traînent  deux  tigres 
stimulés  par  un  enfant.  Une  troupe  de  nymphes,  de  faunes, 
de  satyres  et  d'enfants  précède  et  entoure  le  char.  Ici,  on 
remarque  une  bacchante  avec  une  corbeille  de  fleurs  et  de 
fruits.  Là,  on  aperçoit  Silène  maintenu  sur  un  lion  par  ses 
amis.  Un  paysage  montagneux,  que  dominent  de  majestueux 
édifices,  s'étend  jusqu'à  l'horizon.  Enfin,  Jupiter  et  Junon 
apparaissent  parmi  les  nuages. 

Assurément,  les  trois  peintures  dont  il  vient  d'être  question 
sont  des  œuvres  distinguées,  mais  elles  ne  valent  pas  leur 
réputation.  On  a  été  jusqu'à  vouloir  attribuer  à  Titien  la  Ven- 
dange. Rien  pourtant,  selon  nous,  n'y  rappelle  le  style  du 
maître  vénitien  et  n'y  est  digne  de  lui.  On  n'y  retrouve  ni 
l'ampleur  de  son  dessin,  ni  l'éclat  et  la  vigueur  de  son  coloris. 
M.  Harck  lui  donnerait  volontiers  pour  auteur,  ce  qui  nous 
semble  vraisemblable,  Girolamo  da  Carpi.  D'après  L.-N.  Citta- 
della,  c'est  Giovanni  Dosso  qu'il  faudrait  nommer.  Avons-nous 
ici  sous  les  yeux  la  bacchanale  dont  parle  Vasari,  «  baccha- 
nale si  remarquable  qu'elle  eût  valu  à  Giovanni  Dosso  le  renom 
de  peintre  excellent,  quand  même  il  n'eût  rien  fait  d'autre  »  ? 
Nous  avons  peine  à  nous  le  figurer.  Quant  aux  deux  fresques 
voisines,  c'est  aussi  dans  l'œuvre  de  Dosso  qu'on  les  range 
d'ordinaire.  Frizzi,  à  la  vérité,  rapporte  que  la  chambre  dont 
nous  examinons  l'ornementation  fut  construite  après  un  incen- 
die qui  éclata  dans  le  Castello  en  155  4.  Or,  si  le  fait  était  in- 


LIVRE   DEUXIEME.  419 

contestable,  Dosso,  qui  mourut  en  1542,  n'aurait  pu  y  tra- 
vailler. Mais,  suivant  la  chronique  d'Equicola,  Torigine  de  la 
nouvelle  chambre  remonte  à  1530.  Il  n'eût  donc  pas  été 
impossible  que  Dosso  en  décorât  les  parois.  Du  reste,  en 
admettant  même  l'assertion  de  Frizzi,  on  serait  en  droit  de  se 
prononcer  pour  Dosso,  en  soutenant  que  les  trois  fresques  ont 
été  apportées  après  coup  dans  la  pièce  qu'elles  occupent  : 
l'espace  trop  étroit  qui  les  sépare  justifierait,  en  effet,  cette 
hypothèse.  Et  cependant  nous  inclinons  à  penser  que  l'on  doit 
attribuer,  non  à  Dosso,  mais  à  son  école,  les  deux  peintures 
consacrées  à  Ariane. 


LE     PALAIS     DE     SCHIFANOIA    (1). 

G  est  dans  une  des  rues  les  plus  désertes  d'une  ville  où  les 
rues  solitaires  abondent  aujourd'hui,  non  loin  de  l'église 
de  Santa  Maria  in  Vado  et  tout  près  du  monastère  des  reli- 
gieuses de  San  Yito,  qu'est  situé  le  palais  de  Schifanoia,  jadis 
si  animé,  maintenant  silencieux  et  délabré  (2).  Le  marquis 
Albert  d'Esté,  frère  de  Nicolas  II  et  père  de  Nicolas  III,  le  fit 
construire  en  1391.  Comptant  y  trouver  un  délassement  à  ses 

(1)  Baruffaldi,  Vite  de'  pittori,  etc.,  t.  I,  p.  70-74.  —  Laderchi,  Sopra  i 
dipinti  del  palazzo  di  Schifattoia  in  Ferrara,  lettera  al  inarchese  Pietio  Estense 
Sclvatico  i^Bolojjna,  1840).  —  Giuseppe  Saroli,  Sopra  i  dipinti  del  palazzo  di 
Schifanoia  ed  nltri  esistenti  in  Ferrara,  lettera  al  conte  Caniillo  Laderchi.  — 
F.  AvvENTi,  Descrizione  dei  dipinti  di  Cosinio  Tura,  detto  Cosinè,  ultiniamente 
scoperti  nel  palazzo  Schifanoia  (BoIo{i;na,  1840  .  —  Album  Estense,  publié  à 
Ferrarc  en  1850  par  Servadio  comme  supplément  à  l'Histoire  de  Ferrure  par 
Frizzi.  Laderchi  y  a  inséré  une  description  des  fresques  de  Schifanoia.  — Crowk 
et  Cavalcaselle,  Geschichte  der  italienischen  Malerei,  t.  V,  p.  342,  370-371, 
572-574.  —  F,  Harck,  Die  Fresken  im  Palazzo  Schifanoia  in  Ferrara,  1884. — 
A.  Vesturi,  Gli  affreschi  del  palazzo  di  Schifanoia  in  Ferrara  sccondo  recenti 
pubblicazioni  e  nuove  riceixhe,  1886. 

(2)  On  peut  voir  dans  Rujige  [Beitrage  zur  Kentniss der  Backstein-Arcliitectur 
Italiens,  ouvrafje  que  nous  avons  déjà  cité  en  parlant  du  Castello,  p.  400)  divers 
motifs  du  palais  de  Schifanoia.  T.  I,  pi.  XI  :  Porte  en  plein  cintre  et  deux  fenê- 
tres; ornementation  au-dessus  d'une  fenêtre.  PI.  XXXI 1,  n™  7  et  8  :  Archivoltes 
de  deux  fenêtres.  T.  II,  pi.  X,  n"'  6  et  7  :  Détails  de  chainhranles. 


420  l'art   FERRARAIS. 

soucis,  il  lui  donna  le  nom  significatif  de  Schifanoia  (Esquive- 
ennui)  (1).  Ce  palais  ne  se  composait  alors  que  d'un  rez-de- 
chaussée.  Le  premier  étage  fut  ajouté  par  Borso  (2),  fils  et 
successeur  de  Nicolas  III,  un  des  princes  de  la  maison  d'Esté 
qui  se  sont  le  plus  heureusement  employés  à  mettre  Ferrare 
en  état  de  rivaliser,  sans  trop  de  désavantage,  dans  le  domaine 
des  lettres  et  des  arts,  avec  les  brillantes  cités  dont  se  glorifiait 
l'Italie  (3). 

C'est  aussi  Borso  qui  fît  exécuter  la  porte  en  marbre  d'Istrie 
par  laquelle  on  entre  dans  le  palais.  Cette  porte,  dont  la 
structure  est  un  peu  lourde  etmanque  de  simplicité,  mais  que  le 
temps  a  revêtue  d'une  chaude  couleur  de  feuille  morte,  a  pour 
ornement  des  piliers  couverts  d'arabesques,  des  pilastres  can- 
nelés surmontés  d'élégants  chapiteaux,  et  une  corniche  décorée 
de  palmettes.  Peut-être  les  sculptures  des  piliers  ont-elles  été 
faites  d'après  quelque  dessin  de  Cosimo  Tura  ou  de  Francesco 
Cossa.  A  coup  sûr,  elles  ont  pour  auteur  un  artiste  émérite, 
car  le  style  en  est  plein  de  saveur  et  de  grâce.  Les  dauphins, 
les  lévriers,  les  aigles,  les  cors  de  chasse,  les  vases,  les  feuil- 
lages, les  fruits,  les  guirlandes  de  perles,  sont  traités  avec  un 
goût  exquis.  De  beaux  enfants  nus,  groupés  ou  isolés,  appa- 
raissent çà  et  là  :  un  d'entre  eux,  vu  de  dos,  joue  du  luth. 

(1)  Le  nom  de  Scandiano  fut  substitué  à  celui  de  Scliifanoia  quand  JVIarfisa 
d'Esté,  tille  de  François  d'Esté,  marquis  de  Massa  Lombarda,  l'eut  loué  à  Giulio 
Tiene,  comte  de  Scandiano  (1582-1590).  C'est  à  la  ville  de  Ferrare  qu'appartient 
actuelleuient  le  palais  dont  il  est  question.  Vers  la  Hn  du  dix-huitième  siècle,  une 
fabrique  de  tabac  y  fonctionna  pendant  quelque  teuips. 

(2)  Cette  partie  de  l'édifice  est  due  à  l'architecte  Pietro  Benvcnuti,  qui  com- 
mença les  travaux  en  1466,  travaux  auxquels  prit  part  Biagio  Bossetti,  destiné  à 
devenir  célèbre  aussi  comme  architecte.  En  1481,  Biajjio  n'avait  pas  encore  reçu 
ce  qui  lui  était  dû  pour  sa  coopération;  on  lui  avait  seulement  donné  une  petite 
quantité  de  drap.  Il  réclama  auprès  d'Hercule  P'',  qui  ordonna  de  faire  droit  à  sa 
requête.  Il  habita  une  petite  chambre  dans  le  palais  en  1502,  quand  l'écurie  fut 
réorjjanisée  sous  sa  direction.  (G.  Campûri,  Gli  architelti  e  (/V  intjetjneii  civili  e 
militari  degli  Esiensi,  p.  63.) 

(3)  Borso  se  plaisait  à  résider  au  palais  de  Schifanoia  durant  les  mois  d'été.  Il 
y  si{;nait  souvent  ses  ordres  et  ses  décrets.  Dans  une  des  salles  se  trouvait  un 
tableau  où  Baldassai-e  d'Esté  avait  représenté  d'après  nature  le  duc  de  Milan  Jean 
Galéas,  tableau  exécuté  probablement  à  Pavie  et  ayant  coûté  cent  ducats.  (Ad. 
Vesturi,  Gli  affreschi  del  palazzo  di  Schifanoia,  p.  34.  —  G.  Campori,  /  pittoii 
degli  Estensi  nel  secolo  XV,  p.  43.) 


LIVRE   DEUXIEME.  421 

Notons  enfin  deux  magnifiques  chimères,  d'un  relief  extrême- 
ment mince,  qui  ont  une  certaine  affinité  avec  les  créations 
familières  à  l'école  de  Mantegna. 

Que  la  porte  du  palais  de  Schifanoia  soit  contemporaine  de 
Borso,  c'est  ce  qu'atteste  la  licorne  qui  la  surmonte,  car  la 
licorne  était  l'emblème  particulier  de  ce  prince  (1).  L'écusson 
ducal  que  l'on  y  aperçoit  confirme  d'ailleurs  la  signification 
qu'implique  la  présence  de  l'animal  héraldique.  On  remarque, 
en  effet,  dans  cet  écusson,  outre  l'aigle  blanche  de  la  maison 
d'Esté  et  les  trois  fleurs  de  lis  concédées  par  Charles  YIII,  roi 
de  France,  au  marquis  Nicolas  III,  l'aigle  noire  à  deux  têtes 
que  l'empereur  Frédéric  III  avait  permis  à  Borso  d'y  intro- 
duire, en  1452,  quand  il  lui  eut  conféré  le  titre  de  duc  de 
Modène  et  deBeggio.INIais  on  n'y  constate  pas  encore  les  clefs 
pontificales,  surmontées  de  la  tiare,  qui  y  figurèrent  après 
que  Sixte  IV,  en  1  472,  eut  confirmé  Hercule  I",  frère  et  suc- 
cesseur de  Borso,  dans  le  titre  de  duc  de  Ferrare,  accordé  au 
précédent  souverain  de  cette  province  (2). 

Sous  le  règne  de  Nicolas  III,  fils  du  marquis  Albert,  à  l'épo- 
que où  le  pape  Eugène  IV,  dans  l'espoir  de  mettre  fin  au 
schisme  de  l'Église  grecque,  rassembla  à  Ferrare  (1438)  un 
concile  qui  fut  ensuite  transféré  à  Florence,  le  palais  de  Schi- 
fanoia commença  à  recevoir  la  consécration  des  souvenirs 
historiques  en  servant  de  demeure  à  Démétrius,  despote  de 
Morée  (3),  tandis  que  le  frère  de  ce  prince,  Jean  Paléologue, 
empereur  de  Constantinople,  était  logé  dans  le  palais  du  Para- 
dis, autre  création  d'Albert.  Il  nous  rappelle  aussi  tout  à  la 
fois,  outre  un  séjour  d'Alexandre  Sforza  à  Ferrare,  la  généro- 

(1)  Elle  se  trouve  aussi  sur  les  premières  monnaies  des  princes  de  la  maison 
d'Esté. 

(2)  Voyez  Les  me'dail leurs  travaillant  a  Ferrare  au  A'F"  siècle,  par  M.  Aloiss 
Heiss,  p.  S'*'. 

(3)  M.  Venturi  fait  observer  qu'à  cette  époque  l'organisation  intérieure  du 
palais  de  Schifanoia  laissait  encore  beaucoup  à  désirer,  car  le  peintre  Giacomo 
Sagramoro,  ayant  dû  y  décorer  avec  quelques  autres  artistes  des  étendards  pour 
les  funérailles  de  Nicolas  II  (iV42),  fut  obiifjc  d'y  apporter  des  tables,  des  tré- 
pieds, et  jusqu'à  du  bois  pour  faire  du  feu.  [Gli  affreschi  del  palazzo  di  Schifa- 
noia, p.  33,  dans  le  tirage  à  part.) 


422  L'ART   FERUARAIS. 

site  et  les  rigueurs  du  duc  Hercule  I".  A  peine  Hercule  avait-il 
succédé  à  son  frère  Borso,  qu'il  donna  le  palais  de  Scliifanoia 
à  Albert  (1),  un  autre  de  ses  frères,  qui  avait  contribué  à 
écarter  du  trône  de  Ferrare  un  prétendant  redoutable,  Nico- 
las, fils  de  Lionel  (1471).  Mais,  dès  1474,  il  prenait  ombrage 
de  la  popularité  d'Albert,  et,  sous  un  futile  prétexte,  il  con- 
fisquait ses  biens  et  l'exilait  à  Naples  (1476).  Rentré  en  pos- 
session de  la  belle  résidence  de  Scliifanoia,  il  s'attacha  à  l'em- 
bellir, et  il  y  habitait  quand  son  fils  Alphonse,  qui  devait  être 
le  troisième  duc  de  Ferrare,  y  naquit.  Il  y  hébergea  plus  d'une 
fois  des  personnages  de  distinction ,  notamment  les  trois 
oncles  (2)  du  petit  duc  Jean  Galéas  Sforza,  exilés  par  Bone,  sa 
mère  et  sa  tutrice,  pour  avoir  excité  des  troubles  à  Milan 
(1477)  ;  puis  l'ambassadeur  chargé  de  demander  en  favenr  de 
Jean-François  Gonzague  la  main  d'Isabelle  d'Esté  (3);  et,  un 
peu  plus  tard,  le  marquis  de  Mantoue  lui-même,  ainsi  que  le 
fils  de  ce  dernier,  qui  allait  chercher  sa  propre  femme,  fille  de 
Sigismond  Malatesta.  Don  Sigismond  d'Esté,  le  dernier  des 
fils  d'Hercule  P'  et  d'Éléonore  d'Aragon,  passa  également  une 
partie  de  sa  vie  à  Schifanoia  :  il  y  était  en  1505  (4),  et,  sur 
son  ordre,  quelques  artistes  dirigés  par  Pellegrino  da  Udine 
y  exécutèrent  de  nouveaux  embellissements.  Sous  les  règnes 
de  Borso  et  de  ses  successeurs,  nombre  de  fêtes  splendides 
eurent  lieu  dans  ce  palais,  où  la  décoration  des  chambres  et 
des  salons  offrait  tout  ce  qui  peut  charmer  les  yeux ,  où  la 


(1)  Albert  y  avait  déjà  demeuré  avant  1470.  C'est  là  que  Borso  lui  envoya  à 
titre  de  cadeau  un  livre  de  cosniofjraphie.  et  qu'il  lui  fit  remettre  de  l'argent  à 
plusieurs  reprises. 

(2)  Le  duc  de  Bari,  Ascanio  et  Ludovic  le  More.  Le  chroniqueur  Zamhotti 
assista  à  ua  repas  qui  leur  fut  servi  dans  la  loggia  du  palais  et  pendant  lequel 
deux  poètes  aveugles,  Giovanni  et  Francesco,  chantèrent  tour  à  tour  les  louanges 
de  ces  princes.  Selon  Frizzi,  Francesco  n'était  autre  que  le  Ferrarais  auquel  on 
doit  le  Mambriano ,  poème  chevaleresque  très  estimé,  qui  fut  compose  en  1495 
et  publié  en  1509  après  la  mort  de  l'auteur.  (Mem.  per  la  storia  di  Fenara, 
t.  IV,  p.  105-106.) 

(3)  Elle  n'avait  alors  que  sept  ans.  Le  mariage  fut  célébré  en  1490,  et  les 
ambassadeurs  envoyés  de  Venise  pour  y  assister  logèrent  aussi  dans  le  palais  de 
Schifanoia. 

(4)  Sigismond  mourut  le  9  août  1524. 


LIVRE   DEUXIEME.  423 

recherche  de  l'exquis  était  poussée  jusqu'à  ses  dernières 
limites.  Ici  s'étalaient  les  riches  étoffes,  les  cuirs  dorés,  les 
tapisseries  de  haute  lisse  ;  là  brillaient  d'un  doux  éclat,  dans 
les  fresques  des  maîtres  illustres,  les  compositions  historiques 
qui  rappelaient  un  passé  récent,  ou  les  allégories  dont  on 
admirait  la  subtilité.  De  toute  cette  magnificence  il  n'y  a  plus 
que  des  débris,  des  reliques;  mais  ces  débris  ne  sont  pas  sans 
éloquence,  et  ces  reliques  ne  laissent  pas  d'être  instructives. 

Deux  des  salles  du  premier  étage  possèdent  encore  des 
ornementations  d'un  goût  à  la  fois  somptueux  et  délicat  (1). 
Dans  l'une  d'elles,  le  plafond  de  bois  présente  des  caissons 
carrés.  On  y  voit  des  rosaces  or,  blanc  et  rouge,  avec  des 
encadrements  en  saillie,  couverts  d'arabesques  dorées.  Le 
plafond  delà  pièce  voisine  a  aussi  des  caissons,  mais  de  formes 
diverses.  Sur  le  vert  foncé  de  ces  caissons  se  détachent  des 
dessins  or  et  rouge,  joints  aux  emblèmes  de  la  maison  d'Esté. 
Le  long  des  murs,  les  statues  en  stuc  des  Vertus  théologales 
et  cardinales  sont  assises  dans  des  niches.  Enfin,  sur  une  large 
frise ,  de  nombreux  enfants ,  également  modelés  en  stuc , 
jouent  de  divers  instruments  ou  supportent  des  armoiries. 
Sous  la  direction  de  l'architecte  Pietro  Benveiiuti,  surnommé 
Pietro  dagli  Ordini  pour  avoir  construit  une  partie  du  campa- 
nile de  la  cathédrale,  Domeii:o  Paris  de  Padoue,  gendre  de 
Baroncelli,  surnommé  Baroncelli  dal  Cavallo,  exécuta  en 
1467,  avec  maître  Giacomo,  sculpteur  en  bois  {intagliatore), 
les  stucs  et  les  boiseries  de  cette  salle,  tandis  que  Bongiovanni 
di  Geminiano  Benzoni  se  chargeait  des  peintures  (:2). 

Mais,  si  gracieuses  que  soient  ces  décorations,  ce  n'est  pour- 
tant pas  là  ce  qui  a  valu  au  palais  de  Schifanoia  sa  célébrité.  Il 

(1)  On  voyait  aussi  jadis  dans  le  palais  de  Schifanoia  des  carrelages  en  majo- 
liques  de  diverses  couleurs,  avec  des  viornes  entrelacées.  Ludovico  Corradini  les 
avait  exécutés  en  1471. 

(2)  Ces  peintures,  qui  ont  été  restaurées  et  à  l'exécution  desquelles  prirent 
part  Titolivio  da  Padova  et  Domenico  ftosso,  furent  payées  trente-quatre  soldi 
par  pied  carré,  comme  on  le  voit  par  la  convention,  signée  le  3  avril  1467,  qu'a 
publiée  L.-N.  Cittadella  (Notizie  relative  a  Ferrara,  t.  I,  p.  578.  —  A.  Vex~ 
TURI,  Gli  afjreschi  del  pcdazzo  di  Schifanoia,  p.  6).  —  Suivant  M.  Campo.hi 
(7  piltori  degli  Eslensi  nel  secolo  XV,  p.   54),  Giovanni  Bianchini,  surnommé 


424  L'ART    FERRAUAIS. 

la  doit  aux  fresques  du  vaste  salon  qui  précède  la  salle  des 
stucs.  Ces  fresques,  qui  ne  sont  mentionnées  ni  parYasari,  ni  par 
AgostinoSuperbi,  le  premier  biographe  des  artistes  ferrarais(l), 
occupent  une  place  importante  dans  l'histoire  de  Fart  et  ont 
exercé  la  sagacité  des  érudits,  sans  cesser  d'être,  sous  plus  dun 
rapport,  une  énigme  presque  insoluble.  Par  la  variété  des  sujets 
traités,  elles  sont  d'ailleurs  de  nature  à  intéresser  tout  à  la  fois 
celui  qui  s'attache  à  scruter  les  documents  des  temps  anciens, 
celui  qui  étudie  dans  les  différentes  étapes  de  la  civilisation 
l'état  des  idées,  les  croyances,  les  aspirations  de  l'esprit,  celui 
qui  se  plaît  à  considérer  la  marche  de  l'art,  à  constater  les  ten- 
dances diverses  des  diverses  écoles,  celui  enfin  que  préoccupent 
spécialement  les  manifestations  du  beau  ou  les  efforts  pour  le 
réaliser.  L'annaliste,  le  moraliste  et  le  philosophe,  l'historien 
de  l'art  et  le  simple  observateur,  que  ne  laissent  indifférents 
ni  les  aspects  multiples  de  la  figure  humaine  ni  les  harmonieuses 
combinaisons  des  couleurs,  peuvent  donc  y  trouver  également 
leur  compte. 


Pendant  près  de  deux  siècles,  ces  peintures  sont  restées 
comme  ensevelies  sous  le  badigeon  que  leur  infligea  la  bar- 
barie d'une  époque  dont  le  goût  perverti  et  exclusif  ne  tolérait 
pas  la  vue  des  œuvres  portant  un  caractère  encore  un  peu  pri- 
mitif. En  1706,  Girolamo  Baruffaldi,  alors  qu'il  écrivait  la  vie 
des  artistes  ferrarais,  put  encore  les  examiner  et  en  juger, 
quoiqu'elles  fussent  très  détériorées  (2).  En  1773,  au  temps 

Trullo,  Titolivio  da  Padova  et  Domenico  Bosso  peignirent  aussi  en  1471  quel- 
ques parties  accessoires  du  palais  de  Schifanoia. 

Dans  le  palais  de  Borso,  il  y  avait  une  chapelle  pour  laquelle  Gerardo  Costa, 
fils  d'Andréa  Costa  de  Vicence,  décora  en  1470  une  coltrina  :  il  peignit  tout  au- 
tour une  guirlande  et  au  milieu  une  fleur.  (G.  Campori,  I  pittori  degli  Estensi 
net  secolo  XV,  p.  34.) 

(1)  Apparato  degli  uomini  illuslri  délia  citlà  di  Ferrara.  (Ferrara,   1620.) 

(2)  L'ouvrage  de  Baruffaldi  ne  fut  publié  qu'en  1844,  avec  des  notes  dues  à 
Giuseppe  Boschini. 


LIVRE   DEUXIEME.  425 

de  Scalabrini  (1),  elles  n'existaient  déjà  plus.  Entre  1830 
et  1836,  on  en  découvrit  quelques  fragments,  auxquels  on  em- 
prunta, en  1838,  des  modèles  de  costumes  pour  la  représen- 
tation d'une  chasse  à  la  cour  de  Borso  (2).  Mais  c'est  seule- 
ment en  18  40  qu'a  été  rendu  à  la  lumière,  grâce  au  Bolonais 
Alessandro  Compagnoni,  tout  ce  que  l'on  voit  aujourd'hui. 
A  vrai  dire,  la  décoration  du  grand  salon  de  Schifanoia  n'existe 
plus  dans  son  entier.  Lorsqu'on  essaya  de  dégager  les  pein- 
tures des  murailles  occidentale  et  méridionale  de  l'enduit  sous 
lequel  elles  avaient  disparu  en  même  temps  que  les  fresques 
des  murailles  orientale  et  septentrionale,  la  couleur  tomba  en 
grande  partie  avec  le  badigeon,  et  l'on  dut  renoncer  à  pour- 
suivre la  tentative.  Du  reste,  le  Triomphe  d'une  déesse,  seul 
sujet  subsistant  sur  la  muraille  occidentale,  et  les  cavaliers 
que  l'on  distingue  vaguement  à  l'angle  de  la  muraille  méridio- 
nale auprès  de  la  muraille  orientale,  ne  sont  pas  de  nature  à 
faire  beaucoup  regretter  l'insuccès  du  grattage  (3). 


La  principale  salle  du  palais  de  Schifanoia  est  longue  de 
24    mètres,   large    de    11   mètres,    haute    de    7 '",50.    On    y 

(1)  Auteur  des  Memoiie  ùtoric/ie  délie  chiese  di  Ferrara  e  de'  suoi  borghi, 
in-8°.  Ferrara. 

(2)  G.  Ladercui,  Sopra  i  dipinti  del  palazzo  di  Schifanoia.  Bolo{|na,  1840. 

(3)  D'un  document  de  1493,  dans  lequel  il  est  dit  que  les  murs  tie  Schifanoia 
tombèrent  en  ruine  et  encombrèrent  la  rue,  L.-N.  Cittadei.la  a  conclu  [Notizie 
7-elative  a  Ferrara,  t.  I,  p.  337-f338,  et  Guida  pel  forestière  in  Ferrara,  1873, 
p.  84)  qu'il  s'agissait  des  murailles  occidentale  et  méridionale  de  la  jjrande  salle. 
Le  même  écrivain  suppose  qu'après  la  reconstruction  de  ces  murs,  on  eut  recours 
pour  les  décorer  à  des  peintres  appartenant  à  une  nouvelle  {jénération.  M.  Ven- 
TURi  (G/i  affreschi  del  palazzo  di  Schifanoia,  p.  21)  ne  partage  pas  l'opinion  de 
Cittadella.  Selon  lui,  les  murs  qui  s'écroulèrent  en  1493  pourraient  bien  être 
simplement  les  murs  d'enceinte  de  la  propriété,  et  il  croit  que  les  peintures  dis- 
parues eurent  pour  auteurs  des  contemporains  de  Tura  ou  de  Cossa,  élèves  des 
deux  illustres  maîtres.  Les  débris  de  ces  peintures  semblent  être,  en  effet,  anté- 
rieurs à  la  fin  du  quinzième  siècle  et  ne  se  ressentent  pas  des  progrès  accomplis 
sous  l'influence  d'Ercolc  Robcrti  et  de  Lorenzo  Costa.  Si  la  tentative  faite  pour 
découvrir  la  décoration  des  murailles  occidentale  et  méridionale  a  échoué,  c'est 
que  cette  décoration  avait  été  exécutée  avec  moins  de  soin  (juc  celle  des  autres 
murailles  et  entreprise  avec  des  procédés  différents 


426  L'ART    FERRAllAIS. 

entre  par  une  étroite  porte  pratiquée,  au  débouché  de  l'esca- 
lier, dans  un  des  petits  côtés,  dans  la  muraille  occidentale  (]). 

L'ensemble  des  fresques  était  réparti  jadis  en  douze  grands 
compartiments.  Il  y  en  avait  trois  sur  le  mur  oriental,  quatre 
sur  le  mur  septentrional,  trois  sur  le  mur  occidental  et  deux  sur 
le  mur  méridional,  au  milieu  duquel  se  trouvait  une  énorme 
cheminée  dont  on  voit  encore  l'emplacement.  Il  n'existe  pour 
ainsi  dire  plus  aujourd'hui  que  les  peintures  de  la  muraille 
orientale  et  de  la  muraille  septentrionale  (2).  Entre  les  compar- 
timents, on  remarque  des  pilastres  peints  en  grisaille.  Ceux  de 
la  muraille  orientale  sont  cannelés  ;  ceux  delà  muraille  septen- 
trionale sont  ornés  d'arabesques  rappelant  les  détails  sculptés 
sur  la  porte  extérieure  du  palais. 

Représenter  les  douze  mois  de  l'année  en  évoquant  sur  des 
chars  de  triomphe  les  divinités  qui,  dans  le  paganisme,  prési- 
daient aux  divers  mois,  ainsi  qu'en  figurant  les  signes  du 
zodiaque  (3),  et  retracer  les  actes  les  plus  saillants  de  Borso, 
sans  omettre,  sur  les  plans  secondaires,  les  divertissements  les 
plus  goûtés  à  Ferrare  et  les  travaux  qui  se  font  successivement 
à  la  campagne,  telle  fut  la  tâche  assignée  aux  peintres.  Les  com- 
partiments se  composent  de  trois  zones  superposées.  Dans  la 
zone  supérieure,  le  dieu  ou  la  déesse  qu'il  s'agissait  de  glorifier 

(i)  Les  uuiraillcs  méridionale  et  septentrionale  sont  percées  de  fenêtres.  Les 
fenêtres  de  la  première  donnent  sur  la  rue,  celles  de  la  seconde  donnent  sur 
la  cour. 

(2)  Ces  peintures  ont  été  photojjraphiées  par  Alinari. 

(3)  Un  écrivain  anonyme,  auteur  du  manuscrit  intitulé  Z)ej/3Ae;-rt,  sondjlc  avoir 
à  peu  près  suivi  les  mêmes  données.  Ce  manuscrit,  sur  le  frontispice  duquel  se 
trouvent  les  armes  des  Sforza,  à  qui  il  ajipartint  probablement,  fait  partie  de  la 
bibliothèque  d'Esté  à  Modène.  Il  est  orné  de  miniatures  représentant  les  ligures 
de  Saturne,  de  Jupiter,  de  Mars,  du  Soleil,  de  Vénus,  de  Mercure  et  de  la  Lune, 
accompagnées  des  signes  du  zodiaque  et  de  compositions  se  rattachant  à  l'in- 
fluence des  astres.  Les  vers  suivants  servent  de  commentaires  : 

Saturno  huomiui  tardi  e  rei  produce 

Rubbaduri  et  buxiardi  et  assassin! 

Villani  et  vili  et  seuza  alchiiua  luce 

Pasturi  et  zoppi  et  simili  nieschiui  : 
Il  Ijellicoso  Marte  senipre  iuKama 

Li  aiiimi  alteri  al  guenegfjiare  et  sforza 

Hor  (juesto  hor  quelle  ue  satia  sua  brama 

lu  lactjuistar  :  ma  piu  sempre  riuforza  : 


LIVRE   DEUXIEME.  427 

trône  à  côté  de  scènes  épisodiques,  plus  intéressantes  pour 
nous  que  le  sujet  principal.  La  zone  centrale  est  consacrée  à 
un  des  signes  du  zodiaque,  entouré  de  personnages  allégoriques, 
le  tout  sur  un  fond  bleu.  A  la  zone  inférieure  est  réservée  l'his- 
toire du  premier  duc  de  Ferrare,  autour  duquel  sont  groupés 
les  hommes  les  plus  distingués  de  sa  cour.  La  dimension  des 
figures  est  à  peu  près  de  demi-nature  (1). 

Nous  n'entreprendrons  pas  ici  de  décrire  en  détail  chacune 
des  fresques  (2).  Il  suffira  d'insister  sur  les  plus  belles  ou  les 
plus  curieuses. 

La  gratiosa  veiier  del  siio  ardore 

Accende  i  cuor  {jeiitili  oude  in  cautare 

Et  daiize  et  vaglie  feste  per  ainore 

Liuduce  sol  suave  vagheggiare  : 
Beniguo  e  iove  e  de  virtii  piaiieta 

Produce  niathematici  e  doclori 

Tlieologi  et  gransavii  :  ue  divieta 

Alchuua  geutil  cosa  o  grandi  houori  : 
Il  sole  ad  honor  lu  liumo  et  gloria  sprona 

Et  dogni  leggiadria  si  dilecta 

Di  sapienza  porta  la  corona 

Et  di  religion  produce  secta  : 
Mercurio  di  ragion  lacida  Stella 

Produce  delotjuenza  grau  foutana 

Sublili  iiigiegui  et  ciaschuu  arte  bella 

Et  e  nimico  dogni  cosa  vana  : 
La  luna  al  navigar  niolto  conforta 

Et  in  peschare  et  urellare  et  caccia 

A  tuti  i  suoij  Hgliuolj  âpre  la  porta 

Et  anche  al  solazzare  clie  ad  altri  piaccia. 

(Harck,  Die  Fieskeit  iin  Palazzo  Schifanoia,  p.  6.  —  Ventvri,  Gli  affreschi 
del  palazzo  di  Schifanoia,  p.  13.) 

(1)  A  l'époque  lie  Baruffaldi,  on  distinguait  encore,  mais  très  vaguement,  les 
traces  d'une  longue  inscription  destinée  à  faciliter  rintelligcnce  des  fresques. 

(2)  On  en  trouvera  dans  l'Appendice  une  description  détaillée,  mais  nous  ne 
croyons  pouvoir,  dès  à  présent,  nous  dispenser  d'une  indication  souunairc  tpii 
servira  de  base  aux  considérations  qu'amènera  la  suite  de  ce  travail  : 

Mars.  —  Zone  supérieure.  Au  centre.  Minerve  assise  sur  un  char  traîné  par 
deux  licornes,  A  gauche,  groupe  de  lettrés,  de  magistrats,  de  jurisconsultes.  A 
droite,  femmes  brodant  et  tissant.  —  Zone  intermédiaire.  Au  centre,  le  Bélier, 
surmonié  d'une  figure  de  femme  assise,  qui  représente  le  Printemps  ou  la  Sagesse. 
A  gauche,  la  Paresse.  A  droite,  l'Activité.  (La  Paresse  et  l'Activité  sont  person- 
nifiées par  deux  honuncs.)  —  Zone  inférieure.  Borso  rendant  la  justice.  Borso 
revenant  de  la  chasse.  Taille  de  la  vi{;ne. 

Avril.  —  Zone  supérieure.  Vénus  assise  sur  un  char  que  traînent  des  cygnes 
et  ayant  devant  elle  Mercure  à  genoux  et  enchaîné.  A  {gauche,  groupes  d'amou- 
reux. A  droite,  autres  groupes  d'amoureux;  au-dessus  de  ceux-ci,  les  trois  Grâces. 
—  Zone   intermédiaire.  Le  Taureau,    monté  par  un  homme  qui  tient  la  clef  tlu 


428  L'AI\T    FERRARAIS. 

Parmi  les  figures  allégoriques  représentées  auprès  des  signes 
du  zodiaque,  il  y  en  a  deux  qui  sont  très  supérieures  aux 
autres  et  sur  lesquelles  nous  tenons  à  attirer  Tattention. 

La  première,  correspondant  au  mois  d'avril,  est  celle  d'un 
homme  presque  entièrement  nu,  que  porte  le  Taureau.  Une 
draperie  blanche  s'enroule  autour  de  sa  tête,  flotte  sur  son 
cou,  se  gonfle  sous  le  souffle  du  vent  et  retombe  sur  le  dos  de 
l'animal,  où  la  retient  la  main  gauche  du  cavalier.  De  la  main 
droite,  cet  étrange  personnage  porte  une  grande  clef,  la  clef 

printemps.  A  gauche,  une  femme  avec  un  enfant  symbolise  la  Félicité  maternelle. 
A  droite,  la  Débauche.  —  Zone  inférieure.  Borso  tendant  une  pièce  de  monnaie 
au  bouffon  Scoccola.  Borso  revenant  de  lâchasse.  Courses  de  femme?,  il'honunes, 
d'ânes  et  de  chevaux. 

Mai.  —  Zone  supérieure.  Apollon  debout  sur  un  char  dont  l'Aurore  conduit 
les  chevaux.  A  gauche,  groupe  de  poètes.  A  droite,  enfants  nus,  groupés  deux 
par  deux;  au-dessus  de  ceux-ci,  les  neuf  Muses.  —  Zone  intermédiaire.  Les 
Gémeaux;  au-dessus  d'eux,  un  houune  à  genoux  écoute  un  homme  jouant  de  la 
flûte.  A  gauche,  un  homme  mûr  enseigne  à  un  jeune  homme  agenouillé  les  règles 
de  la  poésie  ou  de  la  musique.  A  droite,  un  homme  avec  un  arc  et  trois  flèches 
montre  des  fleurs  et  des  fruits  dans  un  pli  de  son  manteau.  —  Zone  inférieure. 
Les  travaux  des  champs  au  mois  de  mai.  (En  perçant  une  porte,  on  a  détruit  le 
sujet  principal.) 

Juin.  —  Zone  supérieure.  Mercure  debout  sur  un  char  traîné  par  des  aigles, 
A  gauche,  groupe  de  commerçants  s'entretenant  de  leurs  affaires;  au-dessus, 
trois  bergers  faisant  de  la  musicpie.  A  droite,  boutiques  de  cordonnerie  et  de  mer- 
cerie; au-dessus,  Argus  décapité.  —  Z jne  intermédiaire.  Le  signe  du  Cancer, 
surmonté  de  la  Justice  jugeant  une  àme  humaine.  A  gauche,  le  Malheur  dans  le 
commerce.  A  droite,  le  Vol.  (C'est  par  des  hommes  que  sont  personnifiées  ces 
deux  dernières  allégories.)  —  Zone  inférieure.  lîorso  revenant  de  la  chasse. 
Borso  recevant  un  cadeau.  Travaux  des  champs  au  mois  de  juin  dans  le  voisinage 
de  Ferrare  et  du  Pu;  soldats  à  pied  et  à  cheval. 

Juillet.  —  Zone  supérieure.  Jupiter  et  Cybèle  assis  dos  à  dos  sur  un  char 
traîné  par  deux  lions.  A  gauche,  un  mariage,  peut-être  celui  de  Bianca,  sœur  de 
Borso,  avec  Galeotto  Pic  de  la  Mirandole;  au-dessus,  un  couvent  et  plusieurs 
moines.  A  droite,  moines  faisant  une  nuisique  guerrière  et  précédant  des  cavaliers 
armés  qui  se  préparent  à  aller  coudiattre  les  Turcs  en  Orient;  au-dessus  d'eux, 
Atys  étendu  à  terre.  —  Zone  intermédiaire.  Le  Lion,  surmonté  d'un  homme 
assis,  qui  tient  un  arc  et  des  flèches,  et  qui  symbolise  le  Pouvoir.  A  gauche, 
femme  assise  dans  les  branches  d'un  arbre  :  on  prétend  voir  en  elle  la  Modéra- 
tion dans  le  commandement.  A  droite,  un  homme  qui  est  sur  le  point  d'avaler 
un  morceau  de  chair  représente  l'Avidité  des  ambitieux  insatiables.  — Zone  infé- 
rieure. Au  centre,  Borso  reçoit  un  papier  que  lui  tend  un  paysan.  A  gauche, 
Borso  regarde  des  paysans  qui  travaillent  dans  les  champs.  A  droite,  Borso  à 
cheval  sous  une  arcade  avec  quatre  autres  cavaliers. 

Août.  —  Zone  supérieure.  Cérès  debout  sur  un  l'har  traîné  par  deux  dragons. 
A  gauche,  des  paysans  labourent  et  sèment.  A  <lroite,  rentrée  des  grains;  au- 
dessus,  Enlèvement  de  Proserpine.  —  Zone  intermédiaire.  La  Vierge;  au-dessus 


LIVRE   DEUXIEME.  429 

du  mois  cF avril  (l),  c'est-à-dire  celle  du  printemps.  Son  corps 
ne  manque  pas  d'élégance  et  a  une  grâce  un  peu  âpre  que 
rehausse  la  puissance  du  modelé.  Le  relief  a  même  quelque 
chose  de  sculptural  qui  rappelle  la  célèbre  école  de  Padoue. 

C'est  par  des  qualités  à  peu  près  analogues,  combinées  avec 
d'autres  particularités  de  style,  que  se  recommande  la  seconde 
figure  dont  nous  voulons  parler.  Elle  se  trouve  à  côté  du  signe 
de  la  Vierge,  dans  le  compartiment  consacré  au  mois  d'août, 
et  nous  apparaît  sous  les  dehors  d'une  vieille  femme  à  genoux 
qui  met  toute  la  fei'veur  de  son  âme  à  remercier  le  ciel  de 
l'abondance  des  récoltes.  Un  rosaire  est  suspendu  à  son  poignet 
gauche.  Elle  est  vêtue  d'une  robe  rouge  et  d'un  manteau  vert 
foncé;  un  voile  blanc  lui  sert  de  coiffure.  Ses  mains  jointes 
sont  remarquablement  traitées.  L'exécution  de  toute  la  figure, 
au  surplus,  témoigne  d'une  réelle  habileté  chez  le  peintre;  mais 
ce  qui  l'emporte  sur  les  mérites  techniques,  c'est  l'intensité  de 
l'expression.  En  regardant  prier  cette  femme,  on  oublie  ses 
traits  anguleux  et  secs  pour  ne  songer  qu'aux  sentiments  qui 
les  transfigurent. 

L'intérêt  croît  encore  quand  on  examine  les  sujets  dans  les- 
quels figure  Borso.  Ils  sont  malheureusement  en  très  mau- 
vais état.  Les  deux  premiers  cependant,  un  peu  moins  dété- 
riorés que  les  autres,  permettent  d'apprécier  le  genre  d'attrait 

d'elle,  un  lioiiiiiie  avet  une  tablette  et  une  plume  symbolisent  le  Calcul.  A 
gauche,  une  femme  avec  des  épis  et  une  yrenade  personniHe,  dit-on,  la  Provi- 
dence. A  droite,  une  femme  à  genoux  remercie  le  ciel  de  l'abondance  des  récoltes. 
—  Zone  inférieure.  Un  envoyé  de  Pologne  remet  un  messa{;e  à  Borso.  Borso 
s'avance  à  cheval  vers  un  palais,  peut-être  vers  celui  de  Belriguardo.  Paysans 
faisant  fouler  des  gerbes  par  des  chevaux. 

Septembre.  —  Zone  supérieure.  La  Sensualité  assise  sur  un  char  traîné  par 
quatre  singes.  A  gauche,  la  forge  de  Vulcain.  A  droite.  Mars  et  Vénus  couches 
dans  un  lit  et  s  endjrassant  ;  Amours  sur  un  rocher  et  parmi  les  nuages.  —  Zone 
intermédiaire.  La  Balance,  surmontée  dune  vieille  femme  à  genoux.  A  gauche, 
on  croit  reconnaître  l'image  soit  de  la  Loyauté,  soit  de  la  Pureté,  dans  un  honune 
qui  sonne  de  la  trompette.  A  droite,  le  Libertinage  serait  figuré  par  un  homme 
presque  nu  sur  lequel  tire  un  archer.  —  Zo)ie  inférieure.  Borso  accueille  un 
patricien  de  Venise,  peut-être  Paolo  Morosini,  envoyé  pour  s'entendre  avec  lui 
sur  la  question  des  confins  de  la  Polésine  de  Rovigo.  Départ  île  Borso  pour  la 
chasse.  Les  vendanges. 

(1)    Aprile  (avril)  vient  d'aperire  (ouvrir) 


430  L'AUT    FEllllARAIS. 

qu'ils  exerçaient  sur  les  contemporains  du  prince  et  qu'ils 
exercent  sur  le  spectateur  d'aujourd'hui.  L'exécution,  d'ail- 
leurs, en  est  presque  partout  plus  magistrale  et  révèle  de  plus 
heureux  efforts. 

Dans  le  premier,  Borso,  vêtu  d'un  riche  costume  broché 
d'or,  se  tient  devant  un  édifice  sur  lequel  on  lit  le  mot  Justitia. 
Entouré  de  ses  courtisans  et  de  ses  ministres,  il  reçoit  une 
supplique  d'un  malheureux  qui  plie  le  genou.  Une  femme, 
précédée  d'un  enfant,  a  aussi  entre  les  mains  un  papier  qu'elle 
va  bientôt  remettre  au  souverain  de  Ferrare.  Vers  l'extrémité 
de  la  fresque,  à  droite,  on  distingue  deux  personnages  à 
calottes  rouges  dont  les  têtes,  très  bien  conservées,  sont  fort 
belles.  —  Tout  près  de  là,  Borso  à  cheval  part  pour  la  chasse. 
Il  est  suivi  d'un  grand  nombre  de  cavaliers.  Un  chien  regarde 
des  canards  dans  une  mare  où  il  met  ses  pattes  de  devant.  Enfin, 
un  homme  accroupi  sur  des  briques  fait  descendre  un  cheval 
dans  la  même  mare,  tandis  que,  derrière  lui,  un  cavalier  entre- 
prend de   mener  vers  l'eau  son  propre  cheval   qui  regimbe. 

Dans  la  fresque  du  second  compartiment,  Borso,  toujours 
entouré  des  personnages  dont  il  faisait  sa  société  habituelle, 
tend  une  pièce  de  monnaie  à  un  homme,  qui  n'est  autre  pro- 
bablement que  le  bouffon  Scoccola,  auquel  les  magistrats, 
le  26  mai  1466,  accordèrent  le  titre  de  citoyen  de  Ferrare, 
pour  complaire  au  prince  (I).  —  En  regardant  vers  la  gauche, 
on  voit  Borso  revenant  de  la  chasse  sur  un  cheval  blanc.  Il 
porte  un  vêtement  jaune  à  ramages  noirs.  Sur  le  devant  de  la 
composition,  un  homme  assis,  dont  les  jambes  se  trouvent  en 
dehors  de  la  fresque,  caresse  un  faucon  posé  sur  une  de  ses 
mains  recouverte  d'un  gant. 

Ce  qui  frappe  le  plus  dans  ces  peintures,  c'est  la  beauté  des 
portraits,  c'est  l'intelligence  avec  laquelle  sont  rendus  tant  de 

(1)  Ugo  Caleffim,  dans  sa  Chronif/ue,  cite  deux  autres  bouffons,  Vendeghini 
et  Gesare  Orl)olati,  qui  eurent  part  aux  libéralités  de  Borso.  Michel  Savonarole, 
grand-père  de  Jérôme  Savonarole  et  médecin  de  la  cour,  blâma  ces  libéralités 
dans  son  dialojjue  intitulé  :  De  nuptiis  Battibecco  et  Serrnbocca  :  «  En  don- 
nant des  vêtements,  des  chevaux,  des  propriétés  et  de  l'argent  à  des  bouffons  et 
à  des  hommes  indignes,  on  diminue  l'amour  des  peuples.  « 


LIVRE   DEUXIEME.  431 

types  différents.  La  ressemblance  morale  semble  aussi  incon- 
testable que  la  ressemblance  physique.  Aussi  comme  on  est 
tenté  d'interroger  tous  ces  personnages  pour  savoir  ce  qu'ils 
ont  été  (1)!  L'un,  avec  sa  courte  barbe  blanche  et  ses  traits 
amaigris,  a  un  air  d'austérité  qui  eût  convenu  à  quelque  grave 
magistrat.  Un  autre,  moins  âgé  et  plus  vigoureux,  a  la  physio- 
nomie énergique  d'un  ministre  capable  de  faire  vaillamment 
face  aux  coups  imprévus  de  la  politique,  et  un  troisième,  aux 
traits  calmes  et  purs,  paraît  être  habitué  à  considérer  les  choses 
humaines  en  véritable  sage.  Filippo  Lippi,  Masaccio,  Domenico 
Ghirlandajo  n'eussent  pas  désavoué  de  tels  portraits,  etBenozzo 
Gozzoli  aurait  presque  reconnu  sa  propre  manière  dans  l'élé- 


(1)  Parmi  eux  se  trouvent  certaineuient  quelques-uns  de  ceux  que  M.  Venturi 
a  cités  en  énumérant  les  hommes  tient  se  composait  l'entourage  de  Borso  en 
1469.  Voici  la  nomenclature  donnée  par  M.  Ventcri  (p.  8-10\ 

Membres  de  la  famille  d'Esté  :  Gurone  Maria,  appelé  dans  les  rescrits  du  duc 
Il  nostro  dilectissimo  fratello  »  ;  Alberto  Maria,  «■  fratello  sincero  dilectissimo  »  ; 
Nicolo,  Hls  légitime  de  Lionel  et  par  conséquent  neveu  de  lîorso. 

Nobles  feirarais  :  Teolilo  Calcaynini  ;  Paolo  et  Rinaldo  Costabili  ;  Prisciano 
de'  Prisciani,  conseiller  secret  de  Borscj  ;  Mauro  et  Bonvicino  dalle  Carte  (le  pre- 
mier était  u  fatloi-e  générale  »  ,  le  second  pourvoyeur  général  de  la  cour)  ;  le  comte 
Lorenzo  Strozzi,  ami  et  conseiller  secret  du  duc;  Francesco  Ariosti,  philosophe, 
médecin,  jurisconsulte  et  sénéchal  du  prince;  Nicolô  Ariosto,  familier  de  Borso. 

Princes  étrangers  dont  les  séjours  a  Ferrare  furent  fréquents  ou  qui  accompa- 
gnèrent Borso  dans  ses  voyages  :  Nicolo,  seigneur  de  Correggio;  Marco  Pio  di 
Carpi;  Galeotto  Pico  délia  Mirandola;  Matteo  Maria  Boiardo,  comte  de  Scandiano. 

Hauts  fonctionnaires  et  citoyens  notables  :  Scipione  delli  Ruberti  da  Boqjo 
San  Sepolcro,  podestat  de  Ferrare;  Antonio  Guidoni,  a  fattore  générale  «, 
un  des  juges  appelés  à  décider  du  sort  des  citoyens  qui  conspirèrent  contre  la  vie 
de  Borso;  Francesco  Nasello,  chancelier  ducal;  Agostino  de'  Bonfranceschi  de 
Rimini,  un  des  conseillers  secrets  de  Borso;  Francesco  Maria  Girondi,  surinten- 
dant des  travaux  de  la  ville;  Giacomo  Prisciano  et  Gabrielc  del  Magro,  chargés 
de  présider  aux  travaux  à  exécuter  sur  le  territoire  du  duché;  Antonio  Francesco 
Sardi  et  Ugo  Caleftîni,  officiers  de  la  Chambre;  Giovanni  Valla,  «  eximio  dotlore 
de  legge  « ,  ju{\e  des  appels;  Battista  de'  .Sarachi  de  Pavie,  qui,  tout  en  exerçant 
d'inqjortantes  fonctions,  s'adonnait  à  la  poésie;  le  "  magnitique  et  généreux» 
messire  Francesco  Verlato,  conseiller  ducal  de  justice;  Manfrcdo  de'  Maldcnti, 
également  conseiller  ducal  de  justice;  Lionello  Bagaroto,  cnpitaine  de  la  place 
de  Ferrare;  Antonio  Sandeo,  un  des  douze  Sages  de  la  Comiiuuic;  Francesco  del 
Saracino,  un  des  plus  riches  lianquiers  de  la  ville. 

Professeurs  a  l'Université  :  Teodosio  Spezia  ;  Filippo  Franchi;  Fclino  Sandeo; 
Gio.  Maria  Riminaldi,  «  une  des  principales  lumières  de  l'Italie  »  ;  Lodovico 
Carbone;  Battista  Guarino,  mort  en  1460;  Giovanni  Aurispa,  mort  aussi  en 
1460;  Francesco  et  Soncino  Benzo  de  Sienne;  Bernardo  da  Siena;  Alliertino  da 
Cremona;  Girolamo  Castelli,  médecin  de  la  cour. 


432  L'ART    FEllUAllAIS. 

fjaiit  fauconnier  aux  chausses  blanches,  aux  cheveux  frisés, 
qui  regarde  tomber  un  oiseau  blessé  à  mort.  Certains  profils 
font  aussi  penser  à  ceux  que  présentent  les  médailles  du  temps. 
Comment,  par  exemple,  ne  pas  se  rappeler  le  portrait  de 
Lorenzo  Vecchietti  par  le  médailleur  à  l'Espérance,  quand  on 
considère  attentivement  le  premier  personnage  du  groupe  de 
gauche  dans  la  fresque  consacrée  à  Borso  et  à  son  bouffon? 
Ce  personnage,  plus  jeune  et  plus  gracieux  que  Vecchietti,  a 
aussi  une  très  abondante  chevelure  qui  frise  naturellement.  Il 
est  coiffé  d'un  béret  rouge.  Son  vètementblanc,  aux  plis  régu- 
liers, est  serré  à  la  taille  par  une  ceinture  noir  et  or  et  laisse 
voir  autour  du  cou,  ainsi  que  sur  les  bras,  un  vêtement  de  des- 
sous vert;  la  chausse  de  sajambe  gauche  est  blanche  également, 
tandis  que  celle  de  la  jambe  droite  estrouge.  Ce  riche  costume 
fait  admirablement  valoir  la  fière  prestance  de  celui  qui  le 
porte,  et  dont,  malheureusement,  on  ignore  le  nom. 

Même  incertitude  regrettable  à  l'égard  du  personnage 
chauve,  à  la  physionomie  sympathique,  vers  lequel  Borso  se 
tourne  tout  en  recevant  une  supplique.  Quelques  érudits  ont 
pensé  à  Paolo  Costabili,  qui  fit  partie  du  conseil  secret  et  qui 
mourut  dans  un  âge  avancé,  le  2  septembre  1469.  D'autres 
ont  porté  leurs  conjectures  sur  Lodovico  Casella,  secrétaire 
d'État  et  conseiller  du  prince  (1).  Casella,  adonné  aux  lettres 
et  renommé  pour  son  éloquence,  s'était  rendu  cher  au  peuple, 
dans  l'exercice  de  diverses  fonctions  publiques,  par  sa  droi- 
ture, son  désintéressement,  sa  libéralité,  sa  douceur.  Ce  fut 
un  deuil  général  quand  la  mort  le  frappa  (16  avril  1  469).  Le 
jour  de  ses  funérailles,  les  tribunaux  ne  siégèrent  point  et  les 
boutiques  restèrent  fermées.  Les  recteurs  de  l'Université  et 
Borso  lui-même  (2),  avec  les  princes  de  la  maison  d'Esté  et 


(1)  Ce  personnage,  qui,  suivant  l'expression  dun  de  ses  contemporains,  eût  fait 
lionneur  à  la  répuljlique  romaine  pour  sa  sagesse  et  sa  prudence,  était  regardé  par 
le  duc  comme  «  son  œil  droit  »  .  (Veisturi,  L'aite  a  Fenara  nel  perioclo  di  Borso 
d'Esté,  p.  695.) 

(2)  M.  BuiiCKUARDT  (^Die  Cultitr  der  Renaissance,  p.  41,  dans  l'édition  de 
1869)  fait  observer  que  Borso  est  le  premier  souverain  qui  ait  assisté  aux  funé- 
railles d'un  de  ses  sujets. 


LIVllE   DEUXIEME.  433 

avec  toute  la  cour,  accompagnèrent  ses  restes  à  l'église  de 
Saint-Dominique,  où  son  éloge  funèbre  fut  prononcé  par  le 
poète  Lodovico  Carbone,  que  recommandent  surtout  auprès 
de  nous  les  admirables  médailles  exécutées  en  son  honneur 
par  Sperandio.  Ne  laissant  pas  d'enfants,  Casella  légua  la  plus 
grande  partie  de  ses  biens  à  Thôpital  de  Sainte-Anne,  que 
devait  rendre  célèbre  le  séjour  du  Tasse.  Est-ce  bien  Casella 
qui  revit  dans  la  fresque  du  palais  de  Schifanoia?  Rien  ne  le 
prouve,  mais  cette  hypothèse  a  quelque  chose  de  séduisant  et 
n'a  rien  d'invraisemblable,  car  les  traits  du  voisin  de  Borso 
sont  en  parfait  accord  avec  le  noble  caractère  de  ce  person- 
nage. 

On  sait,  au  contraire,  à  quoi  s'en  tenir  sur  celui  qui,  dans  le 
premier  compartiment,  est  placé  au  premier  plan  à  la  droite 
de  Borso  (1),  et  que  l'on  retrouve  à  côté  du  prince  dans  toutes 
les  fresques  suivantes.  D'après  la  tradition,  cet  homme  est 
Teofilo  Calcagnini  (2),  le  favori  du  souverain  de  Ferrare.  Teo- 
filo  était  un  des  quarante-quatre  enfants  de  Francesco  Calca- 
gnini, qui  fut  élève  de  Vittorino  da  Feltro,  devint  secrétaire 
du  marquis  de  Mantoue  Jean-François,  et  finit  par  se  fixer  à 
Ferrare,  où  Lionel  et  Borso  lui  confièrent  des  charges  honori- 
fiques et  lucratives.  La  faveur  du  fils  dépassa  de  beaucoup 
celle  du  père.  En  L465,  pendant  la  nuit  de  Noël,  dans  la 
cathédrale,  Borso  le  fit  chevalier  de  l'Éperon  d'or  et  maître 
de  chambre.  Aux  titres  s'ajoutèrent  des  donations  considéra- 
bles jusque  sur  les  territoires  d'Adria,  de  Ravenne,  de  Modène, 
de  Reggio  et  dans  la  Romagne.  Calcagnini  reçut  du  duc  trois 
palais  construits  par  Pietro  di  Benvenuto  (un  à  Ferrare  qui  fut 
décoré  par  Titolivio  da  Padova,  Domenico  Rosso  et  Bongio- 
vamii  di  Geminiano,  un  à  Benvegnante  et  un  appelé  Bellombra, 
non  loin  d'Adria).  Les  livres  de   comptes  mentionnent  aussi 

(1)  II  est  vu  de  profil  et  tourne  le  tlos  au  spectateur.  Son  costume  se  distingue 
par  une  élégance  et  une  recherche  que  surpasse  seul  le  costume  du  duc. 

(2)  On  peut  se  rendre  compte  du  costume  de  Calcagnini  dans  la  frescpie  du 
palais  de  Schifanoia  en  consultant  la  gravure  au  trait,  donnée  par  Lilla,  qui 
reproduit  la  zone  inférieure  du  compartiment  de  Mars  :  la  figure  de  Calcagnini 
y  est  reproduite  en  couleur. 

I.  28 


434  L'ART    FERllAUAIS. 

des  cadeaux  qui,  tout  en  n'ayant  pas  autant  d'importance, 
étaient  fort  précieux  au  point  de  vue  de  l'art,  par  exemple,  un 
calice  en  argent  doré,  enrichi  d'émaux,  ainsi  que  divers  objets 
en  argent  pour  la  chapelle  du  palais  de  Benvegnante,  œuvres 
d\i))iadio  da  J/z/^no  (1464),  trois  paires  de  bardes  en  cuir  dont 
l'ornementation,  due  à  Cosimo  Tura,  fut  exécutée  «  avec  de 
l'or,  de  l'argent  et  d'autres  couleurs  fines  »  ,  plusieurs  tapis- 
series que  fournit  Rinaldo  Boteram  et  qui  étaient  destinées  aux 
maisons  de  ville  et  de  campagne  de  Calcagnini  (1  465),  enfin 
un  bassin  et  un  hronzino  envoyés  de  Venise  par  l'orfèvre  Zorzo 
Allegretto  (1467)  (1).  L'empereur  Frédéric  III,  de  son  coté,  le 
1"  février  1469,  décerna  à  Teofilo  Calcagnini  le  titre  de  comte 
du  sacré  palais  et  lui  accorda  le  droit  de  nommer  des  notaires 
et  de  légitimer  les  bâtards,  droit  transmissible  à  ses  descen- 
dants mâles.  Borso  ne  pouvait  se  passer  de  Calcagnini,  dont  le 
dévouement  lui  avait  inspiré  une  amitié  sans  bornes.  Celui-ci 
l'accompagna  notamment  en  1467  à  Venise  et  en  1471  à 
Rome,  où,  à  l'issue  des  cérémonies  du  jour  de  Pâques  solen- 
nellement célébrées  par  Paul  II,  le  marquis  de  Ferrare  fut 
proclamé  duc  de  Ferrare.  Il  eut  aussi  l'honneur  d'être  en 
correspondance  avec  Bembo  (2).  On  est  d'autant  plus  heureux 
de  rencontrer  son  portrait  sur  les  murs  du  palais  de  Schifanoia 
qu'il  n'en  existe  ailleurs  aucun  autre. 

Il  n'en  est  pas  de  même  pour  Borso.  Les  portraits  de  ce 
prince  furent  nombreux,  et  l'on  peut  vérifier  sans  peine  l'exac- 
titude de  ceux  qui  se  trouvent  dans  les  fresques  dont  nous 
nous  occupons.   Quatre  médailles   signées  et  deux  médailles 


(1)  VENTur.i,  L'aile  a  Fcnara  nel  periodo  di  Borso  d'Esté,  p.  713,  728,  738, 
739,  741.  —  Campori,  L' arazzeria  Estense,  p.  19.  —  A  l'exemple  de  Borso,  Albert 
d'Esté  fit  des  présents  de  valeur  à  Galcajjnini  :  sur  son  ordre,  Albeito  de'  Contrarii 
disposa  quatre  cent  dix-huit  rubis  parmi  les  broderies  d'un  vêtement  de  Calca- 
jjnini  (1457).  Calcagnini  fit  lui-même  couvrir  de  miniatures  par  T"ddeo  Crivelli 
des  livres  manuscrits  et  commanda  à  Gabriele  da  Milano  (1465)  des  ornements 
en  argent  pour  une  ceinture.  —  Au  goût  des  arts  il  alliait  celui  des  lett-es. 
Comme  Borso,  il  ne  savait  pas  le  latin,  mais  il  aimait  à  lire  les  auteurs  anciens 
dans  des  traductions,  et  quelques-unes  furent  entreprises  pour  lui. 

(2)  Voyez  Frizzi,  Memorie  per  la  storia  di  Fenaia,  t.  IV,  p.  58,  et  Litta, 
Famiglie  celebri  d'Italia. 


LIVRE   DECrXIEME.  435 

anonymes  reproduisent  les  traits  du  successeur  de  Lionel  (1). 
Celle  d'Atnadio  da  Milano  n'est  point  datée;  mais  comme  elle 
représente  un  homme  d'environ  trente  ans  (2),  on  peut  sup- 
poser qu'elle  fut  exécutée  entre  1 443  et  1445.  Celles  de  Jacopo 
Lixignolo,  à^ Antonio  Marescotli  et  de  Petrecini,  portant  la  date 
de  1460  (3),  nous  montrent  Borso  à  l'âge  de  quarante-sept 
ans.  Quant  aux  deux  médailles  anonymes  (4),  qui  ne  portent 
aucune  date,  mais  dont  lune  (la  plus  grande)  est  probable- 
ment aussi  de  1460,  puisqu'il  en  existe  une  répétition  du 
temps  avec  cette  date,  elles  n'ajoutent  rien  de  significatif  aux 
indications  fournies  par  les  médailles  signées  (5).  Il  en  faut  dire 
autant  des  deux  beaux  dessins  contenus  dans  le  recueil  Yal- 
lardi,  au  musée  du  Louvre (6),  dessins  qui  représentent  Borso 
encore  jeune  et  qui  furent  faits,  ce  semble,  en  vue  de  la 
médaille  dont  Amadio  da  Milano  est  l'auteur  (7).  Entre  le 
profil  de  bronze  et  les  figures  peintes  sur  les  murs  du  palais  de 
Schifanoia,  la  ressemblance  est  frappante.  Seulement,  dans 
les  fresques,  Borso  est  plus  âgé;  il  peut  avoir  de  cinquante- 
quatre  à  cinquante-lîuit  ans.  Son  visage  s'est  épaissi,  et  son 
double  menton  s'est  encore  accentué.  Le  bonnet  descend  assez 
bas  sur  le  front  et  est  orné  à  gauche  d'un  bijou.  De  longs  che- 
veux retombent  jusque  sur  la  nuque.  Les  yeux  sont  intelli- 


(1)  Voyez  La  médailleu/s  travaillant  à  Ferrare  au  XV'  siècle,  par  M.  Heiss. 

(2)  Borso  naquit  le  24-  août  1413. 

(3)  Le  17  janvier  1460,  Pie  II,  en  revenant  de  Mantoue,  ville  dans  laquelle 
il  avait  convoqué  les  princes  chrétiens  pour  les  exhorter  à  une  croisade  contre 
les  Turcs,  passa  par  Ferrare  où  Borso  l'avait  déjà  reçu  l'année  précédente. 
M.  Heiss  pense  que,  sur  la  médaille  de  Lixi(;nolo,  Borso  porte  le  riche  costume 
et  les  joyaux  qu'on  lui  vit  en  cette  occasion. 

(4)  Voyez  les  reproductions  données  par  M.  IIeiss  dans  ses  Médailleurs  tra- 
vaillant à  Ferrare  au  XV"  siècle. 

(5)  On  peut  voir  aussi  l'efligie  de  Borso,  toujours  coiffe  d'un  bonnet,  sur  le 
ducat  d'or  qu'il  fit  frapper  après  être  devenu  duc  de  Modène  et  de  Rc{;{;io.  C'est 
la  première  monnaie  ferraraisc  où  l'on  ait  représenté  un  seiyncur  de  la  maison 
d'Esté.  Au  revers  apparaît  le  Christ  sortant  de  son  sépul(;re  et  donnant  sa  béné- 
diction. (M.  Chauouillet,  Notice  sur  un  ducat  d'or  inédit  de  Borso,  marquis 
d'Esté.  Paris,  1874.  —  Kei.lixi,  Mon.  di  Fcrr.,  p.  123,  12t.  De  tnonet.  ital. 
nied.  œvi,  I,  39.  —  Frizzi,  Mem.  per  la  storia  di  Ferrara,  t.  IV,  p.  24.) 

(6)  IN»  78,  fol.  63,  et  n»  87,  fol.  66. 
(7J  Heiss,  p.  19. 


436  L'ART    FERRAT.  AI  S. 

gents  et  dénotent  une  bonhomie  mêlée  de  finesse.  Quant  aux 
lèvres,  elles  sont  singulièrement  minces.  Ce  qu'il  y  a  de  moins 
bien,  c'est  la  bouche,  qui  est  trop  large.  De  plus,  entre  le  nez 
et  la  lèvre,  la  distance  est  trop  grande.  Si  le  type  de  Borso  est 
loin  d'être  irréprochable,  l'expression,  du  moins,  n'a  rien  que 
de  sympathique  (1). 

Quelque  intéressantes  que  soient  les  fresques  dont  le  pre- 
mier duc  de  Ferrare  est  le  héros,  il  en  est  quelques-unes  de 
plus  attrayantes  encore  dans  la  zone  supérieure  de  plusieurs 
compartiments ,  surtout  dans  celle  des  mois  de  mars  et 
d'avril. 

Que  de  grâce  et  d'orginalité,  en  effet,  a  la  composition  qui 
représente  des  femmes  brodant  à  la  main  ou  tissant  au  métier  ! 
Toutes  s'occupent  consciencieusement.  Malgré  le  calme  de 
leurs  visages,  on  sent  en  elles  l'ardeur  au  travail.  Elles  appor- 
tent à  leur  tâche  d'autant  plus  d'attention,  qu'autour  d'elles  se 
tiennent,  en  assez  grand  nombre,  des  spectatrices  venues  pour 
les  voir  à  l'ouvrage  ou  pour  admirer  les  broderies  et  les  étoffes 
sortant  de  leurs  mains.  Grande  est  la  différence  entre  l'aspect 
des  ouvrières  et  celui  des  visiteuses.  Chez  les  premières,  qu'elles 
soient  jeunes  ou  qu'elles  aient  déjà  atteint  la  maturité,  l'hu- 
milité de  la  condition  se  trahit  par  la  vulgarité  des  traits. 
Chez  les  secondes,  au  contraire,  l'aisance  des  attitudes,  la 
recherche  dans  l'arrangement  des  cheveux,  le  luxe  des  vête- 
ments, la  distinction  des  types  dénotent  une  noble  extraction. 
Considérez,  par  exemple,  les  trois  figures  à  gauche.  Combien 
a  d'élégance  la  courbe  du  cou  de  celle  qui  se  présente  de  pro- 
fil perdu!  Quel  beau  profil  a  sa  voisine!  Quel  charme  dans  la 
jeune  femme  qui,  se  tournant  vers  celle-ci,  est  vue  de  trois 
quarts  à  gauche  (2)  ! 

Un  fait  cependant  doit  être  noté.  La  hauteur  donnée  aux 

(1)  Litta  donne  un  portrait  de  Borso  d'après  un  tableau  de  Dosso  qui  existait 
dans  la  fjalerie  Goccapani  di  Fiorano.  On  est  en  droit  de  s'étonner  qu'il  ait  repro- 
duit un  portrait  exécuté  par  un  peintre  qui  appartient  tout  entier  au  seizième 
siècle. 

1^2)  Ce  groupe,  avec  une  des  brodeuses,  est  yravé  au  trait  dans  V Opuscule  de 
M.  Harck,  p.  19. 


LIVRE   DEUXIEME.  437 

fronts  est  un  peu  exagérée.  C'est  que  la  mode  d'alors  exigeait 
qu'on  les  découvrît  le  plus  possible.  On  se  relevait  les  cheveux 
jusqu'à  la  racine;  parfois  même  on  n'hésitait  pas  à  en  raser 
une  partie.  La  trace  de  ces  habitudes  se  retrouve  notamment 
dans  le  consciencieux  portrait  de  Battista  Sforza,  femme  de 
Frédéric  duc  d'Urbin ,  portrait  exécuté  par  Piero  délia  Fraii- 
cesca  et  conservé  au  musée  des  Offices,  dans  les  médailles  de 
Nicolas  III  d'Esté,  de  Lionel,  de  Léon-Baptiste  Alberti. 

Les  sujets  représentés  aux  côtés  de  Vénus  dans  le  compar- 
timent voisin  ont  également  conservé  le  charme  de  leur  cou- 
leur originelle  et  sont  peut-être  plus  attachants  encore.  Ils 
représentent  des  groupes  d'amoureux  s'embrassant  ou  causant 
sous  le  regard  de  leurs  amis,  parmi  les  arbustes  aux  feuillages 
légers  qui  marient  leurs  nuances  printanières  à  celles  que 
présentent  les  étoffes  des  vêtements.  Plusieurs  jeunes  filles 
tiennent  des  instruments  de  musique.  Le  groupe  à  droite,  où 
un  jeune  homme  pose  ses  deux  mains  sur  les  épaules  de  deux 
musiciennes,  est  séduisant  entre  tous  par  la  candeur,  par  la 
placidité,  par  la  satisfaction  intime  que  reflètent  les  visages. 

Non  loin  de  ces  compositions  qui  semblent  avoir  été  peintes 
pour  le  plaisir  des  yeux,  il  en  est  une  dont  les  détails  sont  de 
nature  à  piquer  la  curiosité.  Elle  nous  fait  assister  à  des  fêtes 
qui  étaient  fort  en  honneur  à  Ferrare,  sous  la  famille  d'Esté, 
et  qui  passionnaient  le  peuple  aussi  bien  que  la  cour.  On  y 
voit  une  course  de  femmes,  une  course  d'hommes,  une  course 
d'ânes  et  de  chevaux  montés  par  de  jeunes  garçons  (1).  Un  de 
ceux-ci,  penché  en  avant,  indique  bien  par  son  attitude  la  ra- 
pidité de  sa  monture  et  sa  propre  ardeur.  Peut-être  conduit-il 
un  cheval  mantouan,  car  les  chevaux  élevés  sur  le  territoire 
de  Mantoue  étaient  renommés  dans  toute  l'Europe  pour  leur 
vitesse  (2).  A  ces  courses  assistent  le  duc  de  Ferrare,  les  per- 
sonnages de  son  intimité  et  les  juges  des  concurrents,  placés 

(1)  Dès  1279,  à  l'époque  d'Obizzo  d'Esté,  il  y  eut  des  courses  de  (-lievaux  à 
Ferrare.  (Voyez  ce  que  nous  avons  dit  p.  6  et  234.) 

(2)  On  y  élevait  aussi  des  chevaux  destinés  à  toute  espèce  de  service.  Voulait- 
on  faire  un  cadeau  princier,  on  donnait  un  cheval  mantouan.  (Burckhaudt,  Die 
Cultur  der  Renaissance,  p.  231,  dans  l'édition  de  1869.) 


438  I/AllT    FEURARAIS. 

plus  haut  devant  une  lijjne  de  monuments  et  de  palais  qui 
sont  pourvus  de  portiques  et  auxquels  fait  suite,  à  droite,  la 
façade  d'une  petite  église  consacrée  à  saint  Sébastien.  C'est  à 
gauche,  sous  la  principale  arcade  de  ces  portiques,  dont  l'ou- 
verture laisse  voir  au  loin  une  porte  crénelée  et  un  édifice  à 
mâchicoulis,  que  Borso  se  tient  à  cheval.  Quelques-uns  des 
spectateurs  sont,  à  son  exemple,  restés  sur  leurs  chevaux. 
D'autres  sont  assis  ou  debout,  tandis  que  des  pages  et  des 
palefreniers,  à  droite,  gardent  et  surveillent  leurs  montures. 
Plusieurs  de  ces  cheveux  se  présentent  de  face,  à  peu  près 
comme  ceux  de  Saint-Marc  à  Venise,  auxquels  ils  font  penser. 
Ce  ne  sont  pas  seulement  les  hommes  qui  jouissent  de  cette 
fête  animée  :  un  certain  nombre  de  nobles  dames  en  prennent 
commodément  leur  part  derrière  des  balcons  tendus  de  riches 
tapis  ou  d'étoffes  précieuses. 

Les  courses  dont  on  a  voulu  donner  ici  une  idée  et  perpétuer 
le  souvenir  avaient  régulièrement  lieu  le  2  i  avril,  jour  de  la  fête 
patronale  de  saint  Georges,  dans  la  grand'rue  et  dans  la  rue 
des  Sablons,  en  présence  du  souverain  et  de  toute  la  noblesse  (1). 
Mais  on  en  faisait  également  à  l'occasion  des  événements 
mémorables,  en  signe  d'allégresse  publique.  Ainsi,  quand 
Albert,  marquis  de  Ferrare,  revint  de  Rome,  où  il  s'était  rendu 
en  pèlerin  (2)  avec  une  suite  nombreuse  pendant  le  jubilé  de 
l'année  1391,  et  où  il  avait  obtenu  de  Boniface  IX,  entre 
autres  faveurs,  une  importante  bulle  relative  à  la  transmission 
des  immeubles  séculiers  soumis  à  des  droits  ecclésiastiques  et 
l'autorisation  de  fonder  une  université  jouissant  des  mêmes 
privilèges  que  celles  de  Bologne  et  de  Paris,  il  y  eut,  parmi 
les  réjouissances  multiples  que  l'on  organisa,  deux  courses 
d'hommes,  une  course  de  femmes,  une  course  d'ânes  et  trois 
courses  de  chevaux  (3).  Le  26  mai  1471,  Borso  aussi,  après  le 

(i)  Il  y  avait  aussi  du  temps  de  Borso  des  spectacles  qui  semblaient  être  des 
réminiscences  de  la  Rome  païenne.  Le  duc  de  Fenare  faisait  combattre  entre  eux 
des  lions,  des  taureaux,  des  ours  et  des  sangliers. 

(2)  Dans  une  niche  adossée  à  la  façade  de  la  cathédrale,  une  statue  exécutée 
en  1393  le  représente  dans  ce  costume. 

(3)  Les  courses  de  Ferrare  étaient  renommées  dans  toute  l'Italie  :    en  IVoo, 


LIVRE  DEUXIEME.  439 

voyage  à  Rome  qui  lui  valut  le  titre  de  duc  de  Ferrare,  assista 
à  une  course  de  chevaux,  et  ce  fut  sa  dernière  distraction,  car 
le  soir  même  il  fut  pris  de  la  maladie  dont  il  mourut.  Tous  ces 
souvenirs  reviennent  à  la  pensée,  quand  on  regarde  la  fresque 
du  palais  de  Scliifanoia;  avec  elle,  on  revit  dans  le  brillant 
passé  de  Ferrare  (l). 


A  quelle  époque  les  fresques  de  la  grande  salle  du  palais  de 
Schifanoia  ont-elles  été  exécutées  (2)  ?  Est-ce  du  vivant  de 
Borso  ou  est-ce  seulement  sous  le  règne  d'Hercule  I"  qu'elles 
furent  commencées  ? 

Pour  en  faire  honneur  à  Hercule  I"  exclusivement,  on  a 
allégué  plusieurs  raisons  qui  n'étaient  pas  dénuées  de  vrai- 
semblance (3).  Il  est  impossible,  disait-on,  que  le  peintre  ait 

Ferdinand  1",  roi  de  Naples,  voulut  que  plusieurs  de  ses  chevaux  y  montrassent 
leur  agilité;  Marino  Caraccioli  fut  chargé  de  les  conduire  dans  la  capitale  des 
princes  d'Esté. 

(1)  Les  statuts  de  Ferrare  imprimés  en  1476  sous  le  règne  d'Hercule  V  four- 
nissent des  renseignements  sur  les  courses  alors  en  usage.  Le  vainqueur  à  la 
course  des  chevaux  devait  recevoir  un  drap  d'or,  une  petite  truie  et  un  coq;  la 
course  avait  lieu  le  matin  entre  la  partie  de  la  ville  occupée  par  le  faubourg  de 
Quacchio  et  le  Castel  Tedaldo,  à  la  place  duquel  s'élève  maintenant  la  forteresse. 
Il  est  aussi  question  d'une  course  d'àncs  qui  avait  lieu  à  la  fin  de  la  journée  :  les 
concurrents  partaient  de  la  Porta  di  Sotto,  c'est-à-dire  de  l'endroit  où  se  trouve 
l'église  de  la  Madonnina,  pour  s'arrêter  au  bout  de  la  rue  della  Gusmaria;  le 
prix  consistait  en  un  drap  blanc.  Plus  tard,  on  institua,  le  jour  de  Saint-Pierre, 
des  courses  d  hommes  et  des  courses  d'enfants  ayant  de  quatorze  à  seize  ans  : 
pour  les  hommes,  la  récompense  se  composait  de  sept  brasses  de  drap  rouge  ; 
cinq  brasses  de  drap  vert  étaient  réservées  aux  enfants.  Un  édit  de  1476  proposa 
une  course  aux  jeunes  filles  âgées  de  plus  de  douze  ans;  la  course  eut  lieu  le 
24  avril;  cinquante-sept  concurrentes  y  prirent  part  :  à  celle  qui  arriva  la  pre- 
mière, on  donna  une  brasse  de  drap  vert;  aux  quinze  suivantes  échurent  douze 
brasses  de  toile  de  coton.  (Frizzi,  Mein.  per  la  storia  di  Ferrara,  t.  III,  p.  206- 
207.)  Les  courses  de  femmes  entraînèrent  des  désordres  faciles  à  comprendre. 
Ugo  Trotti,  professeur  de  droit  canon  à  l'Université  de  Ferrare,  les  a  mentionnés 
dans  son  traité  intitulé  :  De  ludo  et  joco.  (Voyez  Tiradoschi,  Storia  della  lelteia- 
tura  italiana,  t.  VI,  p.  2,  lib.  II,  cap.  v,  n"  28,  nota  ultima.^ 

(2)  De  1471  à  1484,  selon  Laderchi;  de  1471  ii  1493,  scion  MM.  Ciowc  et 
Cavalcaselle,  et  selon  M.  Milanesi  dans  la  dernière  édition  de  Vasari  (t.  II, 
p.  491,  note  2). 

(3)  Voyez  Laderchi,  Sopra  i  dipinli  dcl  pahizzo  di  Scliifanoia^  et  Vasari 
(édit.  Milanesi),  t.  II,  p.  491,  note  2 


440  L'AIIT    FEl'.RAllAIS. 

pu  se  mettre  à  l'œuvre  avant  la  fin  de  1471,  époque  où  Borso 
n'existait  déjà  plus  (1),  car  létat  du  palais  ne  le  permettait 
pas.  On  lit,  en  effet,  dans  la  chronique  de  Fra  Paolo  da 
Legnano  (2),  à  l'année  1471  :  «  Un  repas  eut  lieu  au  rez-de- 
chaussée,  parce  que  l'étage  supérieur  n'était  pas  encore  ter- 
miné. "  — Ce  n'est  même  probablement  pas  Borso,  ajoutait-on, 
qui  a  commandé  les  peintures  consacrées  en  partie  à  sa  propre 
glorification  :  son  caractère  n'autorise  guère  une  pareille 
hypothèse.  Il  est  tout  naturel,  au  contraire,  de  supposer 
qu  Hercule  ait  voulu  faire  représenter  les  actes  mémorables 
de  Borso  pour  manifester  sa  reconnaissance  envers  son  frère, 
qui,  tenant  à  lui  assurer  la  possession  du  trône,  n'avait  pas 
consenti  à  se  marier  et  avait,  peu  avant  sa  mort,  éloigné  de 
Ferrare  un  prétendant  redoutable,  Nicolas,  fils  de  Lionel. 

Ces  raisons,  si  puissantes  qu'elles  paraissent  à  première 
vue,  n'ont  rien  de  décisif.  Quand  Fra  Paolo  da  Legnano  dit 
qu'en  1471  le  second  étage  n'était  pas  encore  terminé,  il  ne 
parle  évidemment  pas  de  la  partie  du  palais  qui  attire  aujour- 
d'hui les  visiteurs,  ou  bien  il  fait  simplement  allusion  aux  tra- 
vaux qui  avaient  pour  but  d  orner  les  pièces  déjà  achevées. 
Grâce  aux  recherches  deL.-N.  Cittadella,  on  sait,  comme  nous 
l'avons  déjà  constaté,  que  la  décoration  de  la  salle  des  stucs, 
y  compris  le  plafond,  fut  exécutée  en  14G7  (3).  Si  l'état  du 
palais  n  a  pas  mis  obstacle  à  ces  travaux,  pourquoi  aurait-il 
entravé  l'exécution  des  peintures  dans  le  salon  voisin  ?  — 
Quant  à  la  nature  des  sujets  où  figure  Borso,  elle  n'avait 
rien  de  compromettant  pour  la  modestie  du  prince.  Accueillir 
des  suppliques,  recevoir  des  ambassadeurs,  se  livrer  au  plaisir 
de  la  chasse,  assister  à  des  courses,  ce  sont  là  des  actes  où  il 
n'entre  pas  beaucoup  d'ostentation.  Comment  d'ailleurs  un 
souverain,  et  un  souverain  italien,  se  serait-il  refusé,  contrai- 

(1)  Borso  mourut  le  20  juillet,  selon  Maresti,  le  19  août  selon  l'i{;na  et  Frizzi. 

(2)  L.-IN.  Cittadella,  Aotizie  relative  a  Fen-ara,  t.  I,  p.  337. 

(3)  Bicordi  e  docwnenti  intorno  alla  vita  di  Cosimo  Tuia.  Ferrara,  1866, 
p.  23.  Dans  cet  opuscule,  l'auteur  rectifie  l'assertion  émise  d'abord  par  lui  dans 
ses  Notizie  relative  a  Ferrara.  —  Un  document  que  cite  Muratori  prouve  qu'en 
1469  le  palais  était  terminé  et  commença  à  être  habité. 


LIVRE   DEUXIEME.  441 

remeiit  aux  usages  de  son  temps,  à  la  louange,  flatteuse  entre 
toutes,  des  artistes  en  renom  ?  Borso,  du  reste,  n'éprouvait 
pas  les  scrupules  de  modestie  qu'on  lui  attribue.  N'avait-il 
pas  souffert  en  145  4  qu  on  lui  élevât  une  statue  devant  le 
palais  délia  Ragione  (1)?  —  Une  autre  remarque,  faite  par 
F.  Aventi  (2),  tend  à  contredire  ceux  qui  nient  l'intervention 
de  Borso  dans  la  commande  des  fresques  dont  il  s'agit.  Nulle 
part  le  duc  Hercule  ne  figure  à  côté  de  son  frère.  Si  les  com- 
positions n'avaient  pas  été  arrêtées  du  vivant  de  Borso,  nul 
doute  que  le  peintre  n'y  eut  introduit  l'effigie  du  prince  ré- 
gnant, de  celui  par  ordre  duquel  il  travaillait. — Ajoutons  que 
la  simplicité  même  des  scènes  dans  lesquelles  figure  Borso 
contribue  à  démontrer  qu'elles  furent  peintes  quand  ce  per- 
sonnage existait  encore.  Si  Hercule  avait  été  pour  quelque 
chose  dans  le  choix  des  sujets,  si  son  but  eût  été  de  glorifier  la 
mémoire  de  son  frère,  n'aurait-il  pas  préféré  des  épisodes  plus 
marquants  ?  Comment  n'aurait-il  pas  songé  aux  pompeuses 
cérémonies,  aux  fêtes  splendides  qui  eurent  lieu  d'abord  dans 
sa  capitale,  quand  Frédéric  III  créa  Borso  duc  de  Modène  et  de 
Reggio,  ensuite  à  Rome  lorsque  Paul  II  ajouta  à  ce  titre  celui  de 
duc  de  Ferrare  (3)  ?  Tout  concourt  donc  à  prouver  que  Borso 
ordonna  lui-même  l'exécution  des  peintures  que  réclamaient 
sur-le-champ  les  murs  de  sa  résidence  favorite. 

La  discussion,  au  surplus,  est  devenue  inutile.  Elle  a  été 
close  par  la  publication  d'une  lettre  que  Francesco  Cossa 
écrivit  à  Borso  le  25  mars  1  470  (4),  et  dans  laquelle  on  lit  qu'à 
cette  date  toutes  les  peintures  de  la  grande  salle  du  palais  de 

(1)  Voyez  dans  le  livre  III  le  chapitre  i",  consacré  à  la  sculpture  (p.  513).  —  On 
sait  aussi  que  dès  1451  une  statue  équestre  de  Borso  avait  été  commandée  pour 
la  ville  de  Modène  à  Donatello  (|ui  ne  l'exécuta  pas,  quoiqu'à  plusieurs  reprises 
on  l'eût  pressé  de  remplir  ses  enj^ayenients.  (W.  Bode,  Donatello  à  Pudoue,  Irvt- 
duction  par  Ch.  Yriarte,  p.  6.) 

(2j  Descrizione  dei  dipinti  di  Cosimo  Tara,  ultiniamentc  scopcrti  nel  palazzo 
di  Schifanoia  in  Ferrara  ncW  anno  1840.  Bolo{;na,  Marsi{;li,  1840. 

(3)  M.  Harck  (p.  16)  fait,  en  outre,  uljscrver  que  les  noudjreux  portraits  de 
Borso  introduits  dans  les  fresques  du  palais  de  Schifanoia,  avec  des  expressions 
et  des  poses  si  variées,  ne  peuvent  avoir  été  faits  que  d'après  nature. 

\kt)  Cette  publication,  due  à  M.  Ad.  Venturi,  a  eu  lieu  dans  le  Kunslfrcutid  de 
Berlin  (1"  mai  1885,  n»  9). 


442  L'ART    FEURARAIS. 

Schifanoia,  commencées  probablement  en  1  467,  étaient  ache- 
vées depuis  peu  (1).  Nous  reviendrons  bientôt  sur  l'importante 
lettre  de  Cossa. 


Si  l'on  sait  maintenant  à  quoi  s'en  tenir  sur  l'origine  des 
fresques  peintes  dans  le  palais  de  Schifanoia,  on  n'a  pu  encore 
apprendre  à  qui  est  dû  le  choix  des  sujets. 

Que  le  programme  h  réaliser  par  le  peintre  ait  été  imaginé 
et  formulé  par  quelque  lettré  de  l'époque,  c'est  ce  qui  n'est 
pas  douteux.  Évidemment  le  souverain  de  Ferrare  eut  recours 
à  un  de  ces  érudits  raffinés,  tels  que  Lodovico  Carbone,  Tito 
Strozzi,  Battista  Guarino,  Giovanni  Maria  Riminaldi,  qui  se 
passionnaient  pour  les  réminiscences  mythologiques,  pour  les 
spéculations  quintessenciées  de  l'astronomie,  pour  les  allégo- 
ries ressemblant  h  des  rébus.  Mais  à  qui  s'adressa-t-il?  Per- 
sonne ne  s'est  soucié  de  nous  l'apprendre.  En  l'absence  de 
tout  document,  on  serait  tenté  de  songer  à  Lilio  Gregorio 
Giraldi,  auteur  d'un  traité  avant  pour  titre  :  Deannis  et  mensi- 
hus  (2),  si  la  date  de  sa  naissance  ne  s'y  opposait  absolu- 
ment (3).  Force  est  donc  de  rester  dans  l'ignorance  sur  ce 
point. 


Sait-on  du  moins  qui  a  exécuté  les  sujets  fournis  parle  lettré 

(1)  Elles  portent  d'ailleurs  l'empreinte  de  la  même  époque.  Le  nombre  des 
peintres  qui  y  travaillèrent  explique  le  peu  de  temps  qu'on  mit  à  les  faire. 
(Harck,  p.  16-17.)  —  M.  Venturi  a  fait  remarquer  que,  sur  la  muraille  occiden- 
tale, le  char  de  la  déesse  dont  la  bouche  lance  des  flammes  porte  un  des  emblèmes 
de  Borso,  le  paraduro,  ce  qui  prouve  aussi  que  les  peintures  de  cette  muraille 
furent  exécutées  du  vivant  de  Borso. 

(2)  Dans  son  traité,  Giraldi  indique  les  divinités  qui  présidaient  aux  mois  et 
les  fêtes  que  les  païens  célél)raient  pendant  chacun  d'eux.  (Vexturi,  Gli  affres- 
chi  (lel  palazzo  di  Schifanoia,  p.  S."" 

(3)  Peut-être,  dit  M.  Venturi,  Pietro  Bono  Avofjario,  «  excellcntissimus,  con- 
summatissimus  astronomus  »  ,  contriijua-t-il  à  la  fixation  des  sujets  à  traiter  par 
les  peintres.  (Voyez  ce  qui  est  dit  d'Avoyario  dans  ce  volume  (liv.  IH,  ch.  iv\  à 
propos  de  sa  médaille,  due  à  Sperandio. 


LIVRE   DEUXIEME.  443 

anonyme?  Sur  cette  question,  la  lumière  est  loin  d'être  com- 
plètement faite.  Toutefois,  depuis  les  dernières  publications 
de  M.  Harck  et  de  M.  Venturi,  il  y  a  plusieurs  points  d'élu- 
cidés, et  quelques-unes  des  fresques  ont  maintenant  leur  pater- 
nité bien  établie. 

Une  chose  d'abord  est  certaine,  c'est  que,  s'il  y  a  unité  de 
plan,  il  y  a  diversité  de  style.  Gomment  croire,  par  exemple, 
que  l'homme  tenant  la  clef  du  printemps  et  que  les  figures 
placées  auprès  de  la  Balance  soient  l'œuvre  d  une  même  main? 
Non  loin  de  certaines  tètes  peintes  avec  talent  et  réellement 
belles,  il  y  en  a  de  faibles  et  même  d'assez  laides.  C'est  que 
des  maîtres  de  mérite  très  inégal  et  de  tendances  assez  diffé- 
rentes ont  travaillé  dans  le  voisinage  les  uns  des  autres,  et  que, 
d'ailleurs,  il  leur  est  arrivé  de  céder  le  pinceau  à  des  aides,  à 
des  élèves  plus  ou  moins  habiles. 

Pendant  longtemps,  sur  la  foi  de  Baruffaldi,  on  a  mis 
au  compte  de  Cosimo  Tura  toutes  les  fresques  du  palais  de 
Schifanoia.  Justice  a  été  faite  de  cette  assertion.  Elle  con- 
tenait cependant  une  part  de  vérité.  Cosimo  Tura,  en  effet, 
n'est  certainement  pas  étranger  à  ces  fresques  auxquelles 
ont  sans  doute  travaillé  des  peintres  formés  à  son  école  ou 
suivant  à  côté  de  lui,  avec  une  notoriété  déjà  établie,  une 
direction  particulière.  Il  jouissait  auprès  de  Borso  d'une  faveur 
exceptionnelle.  Tito  Strozzi(l),  dont  il  fit  le  portrait,  et 
Lodovico  Bigo  Pittorio  (2),  un  autre  de  ses  contemporains,  le 
louèrent  dans  leurs  vers.  Y  avait-il  lieu  de  nommer  un  arbitre 
pour  estimer  une  peinture,  c'est  à  lui  que  l'on  s'adressait.  Sa 
renommée  ne  se  confinait  pas  dans  sa  ville  natale,  qu'il  quitta 
rarement,  et  Jean  Galéas,  sur  la  recommandation  de  Borso, 
lui  envoyait  des  élèves  à  former.  C'est  qu'il  occupait  une  place 
à  part  dans  l'école  ferraraise,  et  que,  après  lui  avoir  fait  quitter 
l'ornière  de  la  banalité,  il  lui  avait  imprimé  un  essor  puissant 
et  original,  et  l'avait  définitivement  engagée  dans  une  voie  où 
son  caractère  propre  et  ses  aptitudes  spéciales  allaient  désor- 

(1)  ÉUçjie,  liv.  IV. 

(2)  Tumultnar,  liv.  IV. 


444  L'AllT    FEIIRARAIS. 

mais  se  développer  brillamment  (1).  Tura  est  dans  cette  école, 
comme  Ta  remarqué  M.  Morelli  (2),  ce  qu'est,  toute  propor- 
tion gardée  entre  les  mérites  respectifs,  Mantegna  dans  l'école 
de  Padoue ,  Bartolommeo  Vivarini  dans  l'école  vénitienne, 
Foppa  dans  l'école  lombarde,  Piero  délia  Francesca  dans 
l'école  ombrienne,  Andréa  del  Castagno  et  Antonio  Pollaiuolo 
dans  l'école  florentine. 

Ses  œuvres  indiquent  qu'il  se  pénétra  des  traditions  du 
Squarcione  (3),  vivifiées  par  le  génie  de  Mantegna  (4).  Le  voi- 
sinage de  Venise  ne  fut  pas  non  plus  sans  profit  pour  lui,  et 
c'est  peut-être  en  souvenir  d'un  séjour  de  quelque  durée  dans 
cette  cité  qu'il  inséra  parmi  les  clauses  de  son  premier  testa- 
ment, le  li  janvier  1471,  une  disposition  en  faveur  des  pau- 
vres de  la  ville  des  lagunes.  On  peut  lui  reprocher  souvent  de 
la  sécheresse,  de  la  raideur,  la  recherche  de  l'expression  aux 
dépens  de  la  lieauté  et  un  naturalisme  poussé  parfois  à  l'excès. 
Mais  quelle  dignité  et  quelle  profondeur  de  sentiment  il  a  su 
donner  à  quelques-unes  de  ses  figures  !  Comment  rester  indif- 
férent en  face  du  Saint  Jérôme  conservé  à  la  pinacothèque 
de  Ferrare  (n°  121)?  Quelle  religieuse  admiration  inspire 
l'ange  de  l'Annonciation  dans  le  chœur  de  la  cathédrale  !  Ici, 
par  exception,  les  lignes  ont  une  véritable  pureté  ;  la  physio- 
nomie n'est  pas  moins  sereine  qu'austère.  Que  de  grâce  aussi 
dans  les  menus  détails,  dans  les  accessoires  !  Que  de  majesté 
dans  les  monuments  qui  abritent  les  personnages  !  Malheureu- 
sement, les  créations  de  Tura  sont  très  inégales.  Ainsi,  à  côté 
de  l'ange  si  parfait  que  nous  venons  de  mentionner,  la  Vierge 
a  un  visage  anguleux  et  tout  à  fait  ingrat.  Les  mêmes  obser- 
vations s'appliqueraient  à  la  Vierge  avec  deux  saints  et  deux 
saintes  du  musée  de  Berlin  et  à  la  Vierge  avec  six  anges  de  la 
Galerie  Nationale  de  Londres. 

(1)  Francesco  Cossa  ne  fut  pas  ctranjjer  non  plus  à  cette  transformation  et  à 
ces  projjrès. 

(2)  Die  Werke  ilalicnischer  Meister  in  den  Galérien  von  Mûnchen,  Dresden 
und  Berlin,  p.  123. 

(3)  Né  en  1394,  mort  en  1474. 

(4)  Né  en  1431,  mort  en  1506. 


LIVllE   DEUXIEME.  445 

Quand  la  grande  salle  du  palais  de  Schifanoia  fut  prête  à 
recevoir  des  peintures,  il  y  avait  longtemps  que  CosimoTura  (1) 
était  au  service  de  Borso,  car  il  apparaît  pour  la  première  fois 
sur  les  registres  de  dépenses  des  souverains  de  Ferrare  en  1451. 
Dès  1458,  il  était  devenu  le  peintre  attitré  de  la  cour.  Il  avait 
peint  pour  Yincenzo  de'  Lardi  (1  458)  une  crèche  destinée  à  la 
cathédrale  et  maintenant  perdue.  Il  avait  travaillé  dans  le 
château  de  Belfiore,  puis  décoré  la  bibliothèque  de  Pic  de  la 
Mirandole.  De  si  brillants  états  de  service  désignaient  naturel- 
lement Tura  au  choix  du  prince  lorsqu'il  fut  question  d'ache- 
ver la  décoration  de  son  palais. 

(Juel  fut  son  rôle  dans  l'exécution  des  fresques  précédem- 
ment décrites  ?  Quelques  personnes ,  ne  trouvant  pas  assez 
manifestes  ses  qualités  et  ses  défauts  notoires,  le  croient  par- 
tout étranger,  sinon  à  la  conception,  du  moins  à  1  exécution 
de  ces  peintures.  Les  sujets  compris  dans  les  mois  d'août  et  de 
septembre  et  la  zone  intermédiaire  du  mois  de  juillet  trahis- 
sent cependant  sa  manière.  Tel  est  l'avis  de  MM.  Crowe  et 
Cavalcaselle,  de  M.  Harck  et  de  M.  Venturi.  Mais  si  l'esprit  et 
le  style  de  Cosimo  Tura  se  montrent  là  partout,  l'inégalité  de 
Texécution  révèle  la  coopération  de  ses  élèves.  Surchargé  de 
commandes,  le  maître  ne  put  pas  travailler  longtemps,  si  tant 
est  qu'il  y  travailla,  aux  fresques  du  palais  de  Schifanoia. 
Après  avoir  terminé  en  1468  les  peintures  commandées  par 
les  Sacrati  dans  l'église  de  Saint-Dominique  (2),  il  peignit  les 
volets  des  orgues  de  la  cathédrale,  qui  furent  achevées  en 
1469(3).  Dès  le  20  juillet  1469,  il  était  à  Venise,  où  le 
peintre  Guglielmo  da  Pavia  lui  envoya  de  l'argent  pour  ache- 
ter les  couleurs  nécessaires  à  la  décoration  de  la  chapelle  du 
palais  de  Belriguardo,  et  le  1"  août  il  commença  les  peintures 
de  cette  chapelle.  Il  dut  donc,  dans  le  palais  de  Schifanoia, 

1^1)   Cosimo  Tura,   appelé  aussi   Cosinè,   naquit  en    1429    ou    1430,   et  mourut 
en  1495. 

(2)  Ces   peintures  ont   été   détruites  au  siècle  dernier,  rjuand  on  reconstruisit 
l'église  de  Saint-Dominique. 

(3)  Tura   peignit  sur   ces  volets  le  Saint  Georges   et  V Annoticiation,  tai)leaux 
qui  sont  à  présent  suspendus  aux  parois  latérales  du  chœur. 


446  L'ART    FEURARAIS. 

se  contenter  en  général  de  confier  sa  tâche  à  des  mains  moins 
habiles,  mises  en  possession  de  ses  dessins,  quitte  à  imprimer 
de  temps  en  temps  sa  marque  personnelle  sur  certaines  figures. 
Ce  qui  semble  particulièrement  lui  appartenir  en  propre,  c'est 
le  groupe  des  gentilshommes  à  cheval  qui  accompagnent  Borso 
partant  pour  la  chasse,  au  centre  de  la  zone  inférieure  du 
mois  de  septembre;  c'est,  dans  la  zone  intermédiaire  du  com- 
partiment consacré  au  mois  d'août,  la  femme  âgée  qui  adresse 
au  ciel  de  si  ferventes  prières  afin  de  le  remercier  de  l'abon- 
dance des  récoltes. 

M.  Harck  (p.  12)  a  fort  bien  indiqué  les  défauts  et  les 
qualités  propres  aux  peintures  que  l'on  peut  attribuer  à  Co- 
simo  Tura  et  à  ses  élèves.  La  composition  manque  de  cohé- 
sion, et  le  dessin  n'est  pas  exempt  d'incorrections.  En  général, 
les  figures  ont  une  ossature  trop  prononcée,  des  muscles  très 
saillants,  des  hanches  anguleuses,  des  mains  osseuses,  des 
doigts  longs,  des  têtes  grosses  et  rondes,  quelquefois  désa- 
gréables, toujours  énergiques,  des  lèvres  très  rouges,  souvent 
entrouvertes,  des  sourcils  touffus,  des  oreilles  petites,  rondes, 
cartilagineuses.  Mais  elles  rachètent  presque  toutes  ce  qu'elles 
ont  d'âpre  et  de  défectueux  par  la  passion  qui  les  anime,  par 
la  puissance  ou  la  noblesse  de  l'expression,  par  l'énergie  des 
mouvements,  comme  dans  le  groupe  des  cyclopes  réunis  autour 
de  la  forge  de  Yulcain.  Quant  aux  draperies,  elles  présentent 
des  cassures  multiples  et  des  bords  flottants.  Au  relief  sculp- 
tural des  personnages,  on  reconnaît  Tinfluence  de  l'école  du 
Squarcione,  influence  qui  se  manifeste  aussi  dans  l'ornemen- 
tation des  édifices,  sur  lesquels  le  peintre  a  prodigué  les 
statues,  les  bas-reliefs  et  les  festons,  et  dans  les  paysages 
arides  où  les  routes  tortueuses  sont  dominées  par  des  rochers 
bizarres,  aux  couches  horizontales.  On  pourrait,  en  outre, 
signaler  quelques  violations  des  lois  de  la  perspective  et  cri- 
tiquer la  grosseur  des  tètes  chez  les  enfants.  En  revanche, 
Cosimo  Tura  a  réalisé  avec  succès  des  raccourcis  difficiles. 
Il  donne  aux  carnations  des  tons  chauds  et  dorés,  tirant 
au  rouge  brun.    Dans   la   représentation    de   ses  contempo- 


LIVRE   DEUXIEME.  447 

rains,  il  se  montre,    enfin,   portraitiste    d'un    mérite   incon- 
testable. 

Les  fresques  de  la  muraille  orientale  révèlent  un  maître  non 
moins  éminent  que  Tura,  mais  très  différent  à  beaucoup 
d'égards.  Ce  maître  n'est  autre  que  Francesco  Cossa  (1), 
comme  lui-même  nous  l'apprend  dans  la  lettre  que  nous  avons 
déjà  mentionnée  (p.  441).  Elle  a  trop  d'importance  pour  que 
nous  ne  la  citions  pas  tout  entière.  En  voici  la  traduction  : 

vt  Très  illustre  et  très  haut  seigneur,  etc. 

«  Il  y  a  quelques  jours,  en  même  temps  que  les  autres  peintres, 
j'implorai  de  Votre  Seigneurie  le  payement  des  peintures  de 
la  salle  de  Schifanoia,  et  Votre  Seigneurie  répondit  que  les 
experts  préparaient  un  rapport.  Très  illustre  prince,  je  ne 
voudrais  importuner  ni  Pelegrino  de  Prisciano,  ni  personne; 
aussi  je  me  suis  décidé  à  recourir  seul  à  Votre  Seigneurie, 
parce  que,  h  ce  qu'il  semble,  on  a  rapporté  à  Votre  Seigneurie 
que,  parmi  les  peintres  de  Schifanoia,  il  y  en  a  qui  peuvent 
être  contents  et  sont  trop  payés  en  recevant  dix  holognini  [1). 
Je  crois  devoir  vous  rappeler,  à  l'appui  de  ma  demande,  que 
c  est  moi  seul ,  Francesco  del  Cossa,  (jui  ai  peint  les  trois  compar- 
timents du  côté  de  r antichambre.  Quand  même  Votre  Seigneurie 
ne  voudrait  me  donner  que  dix  bolognini  ^tSLr  pied,  ce  qui  me 
ferait  perdre  quarante  ou  cinquante  ducats,  je  m'en  conten- 
terais et  je  ne  songerais  pas  à  réclamer,  quoique  je  vive  du 
travail  de  mes  mains;  mais,  dans  le  cas  présent,  je  m'en  plain- 
drais et  je  m'en  attristerais  à  part  moi,  surtout  à  la  pensée  que, 
tout  en  ayant  commencé  à  acquérir  un  peu  de  renommée,  je 

(1)  Des  œuvres  exécutées  à  Ferrare  par  Cossa,  il  ne  reste  plus  rien,  en  dehors 
de  ses  fresques  dans  le  palais  de  Schifanoia.  Les  deux  tableaux  qui  portent  son 
nom  dans  la  pinacothèque  et  où  l'on  voit  San  Maurelio  comparaissant  devant  le 
juge,  puis  décapité,  sendjlcnt  appartenir  à  Cosimo  Tura.  G  est  à  Bologne  que,  à 
partir  de  1470,  Cossa  passa  les  années  les  plus  fécondes  de  sa  vie,  connue  l'attes- 
tent les  peintures  que  cette  ville  a  gardées. 

(2^  Selon  M.  Gampori  [I  piUoii  defjli  Estcnsi  nel  secolo  XV,  p.  31},  les  pein- 
tres que  le  prix  de  dix  buloijnini  suffisait  à  contenter  étaient  prohahlcment  ceux 
qui  travaillèrent  aux  murailles  occidentale  et  méridionale;  mais  ce  pouvaient 
être  aussi  les  peintres  qui  collal)orèrcnt  en  sous-ordre  à  la  décoration  des  autres 
murailles. 


44S  L'ART    FEUUAF.AIS. 

suis  traité  et  jugé  comme  les  plus  médiocres  compagnons 
de  Ferrare,  au  niveau  desquels  on  me  met.  Si,  après  les 
études  que  j'ai  poursuivies  sans  relâche,  je  ne  devais  pas 
recevoir  cette  fois  de  Votre  Seigneurie  un  prix  plus  élevé 
que  le  prix  concédé  à  ceux  qui  ne  se  sont  pas  imposé  de  pa- 
reilles études,  je  ne  pourrais  certainement  pas,  très  illustre 
prince,  m'empécher  de  m'affliger  et  de  me  plaindre  intérieu- 
rement. En  outre,  il  me  paraîtrait  étrange  qu'ayant  travaillé 
sans  avance  d'argent,  comme  je  l'ai  fait,  et  avant  employé  de 
l'or  et  de  bonnes  couleurs,  je  ne  fusse  pas  payé  plus  que  les 
autres,  qui  n'ont  pas  eu  autant  de  peine  et  qui  n'ont  pas  sup- 
porté les  mêmes  dépenses.  Je  dis  cela.  Seigneur,  parce  que  j'ai 
peint  presque  tout  à  fresque  (1),  procédé  avantageux  et  excel- 
lent, au  su  de  tous  les  maîtres  de  l'art.  Je  me  mets  donc,  très 
illustre  seigneur,  aux  pieds  de  Votre  Seigneurie.  Peut-être 
direz-vous  :  u  Je  ne  veux  pas  faire  cela  pour  toi,  parce  que  je 
serais  forcé  de  le  faire  pour  les  autres.  »  Mais  Votre  Seigneurie 
pourrait  toujours  se  retrancher  derrière  l'estimation.  Et  si 
Votre  Seigneurie  voulait  ne  pas  tenir  compte  du  jugement  des 
experts,  je  la  prie  de  vouloir  m'accorder,  par  grâce  et  par 
bienveillance,  sinon  toute  la  somme  à  laquelle  j'aurais  peut- 
être  droit,  du  moins  ce  quelle  jugera  convenable  :  je  l'accep- 
terais comme  un  présent  gracieux,  ainsi  que  je  le  proclamerai 
bien  haut.  Je  me  recommande  à  Votre  très  illustre  Seigneurie. 
—  Ferrare,  25  mars  1  470. 

«  De  Votre  très  illustre  Seigneurie  le  très  humble  serviteur, 

<'  Franciscus  del  Cossa.   " 

On  lit  au-dessous  de  cette  signature  :  «  Quod  velit  esse  con- 
tentus  taxa  fada,  nam  facta  est  per  electos  prospectis  singulis.  -i 

Les  assertions  contenues  dans  la  lettre  qui  précède  sont 
précieuses  à  enregistrer  pour  l'histoire  des  fresques  de  Schifa- 
noia,   comme   pour  la  biographie    de   Francesco    Cossa   (2). 

(1)  Le  reste  fut  peint  a  tempera.  —  De  la  phrase  de  Cossa,  il  est  permis  d'in- 
férer que  les  autres  peintres  ne  se  servirent  pas  tous  des  mêmes  procédés. 

(2)  Voyez  dans  les  pages  consacrées  à  Cossa  l'influence  du  refus  de  Borso  sur 
les  destinées  de  cet  artiste.  (Liv.  IV,  ch.  i.) 


LIVRE  DEUXIEME.  449 

L'excellence  des  couleurs  qu'il  employa  frappe  encore  l'ob- 
servateur, et  l'on  voit  qu'il  a  moins  ménagé  l'or  sur  les  vête- 
ments, les  ornements  et  tous  les  accessoires  que  les  auteurs 
des  autres  compartiments.  En  parlant  des  peintres  occupés  en 
même  temps  que  lui  dans  la  grande  salle  du  palais,  il  donne 
raison  aux  écrivains  qui  ont  soutenu  que  les  peintures  de  cette 
salle  étaient  dues  à  plusieurs  mains. 

De  ce  que  Cossa  revendique  pour  lui  seul  la  paternité  des 
trois  compartiments  delà  muraille  adossée  à  la  salle  des  stucs, 
on  aurait  tort  de  conclure  qu'il  peignit  seul  les  sujets  qui  les 
remplissent.  Ainsi  que  Tura,  il  se  fit  aider  par  ses  élèves,  incon- 
nus de  nous,  dans  l'exécution  de  ses  dessins  (1).  C'est  à  eux 
que  l'on  doit,  ce  semble,  imputer,  entre  autres  choses,  le  groupe 
des  savants  dans  la  zone  supérieure  de  mars,  les  figures  qui 
ornent  la  zone  intermédiaire  du  même  mois,  une  partie  de  la 
zone  intermédiaire  d'avril,  et  tous  les  tableaux  du  mois  de  mai. 

Cossa  ne  mit  pas  seulement  à  profit  les  enseignements  de 
l'école  ouverte  à  Padoue  par  le  Squarcione  vers  1  430  et  les 
exemples  de  Mantegna,  comme  le  prouve  la  figure  de  l'homme 
à  demi  nu  qui  tient  la  clef  du  printemps,  dans  la  zone  inter- 
médiaire d'avril  ;  il  se  pénétra,  plus  qu'aucun  autre  artiste  fer- 
rarais,  des  principes  et  même  du  style  de  Piero  délia  Fran- 
cesca(2),  ainsi  qu'en  témoignent  particulièrement  les  sujets 
traités  dans  la  zone  supérieure  de  mars  et  d'avril.  Il  est  manifeste 
que  certaines  physionomies,  certaines  coiffures,  certains  ajus- 
tements font  songer  aux  fresques  exécutées  à  Arezzo  dans 
l'église  de  Saint-François  par  le  peintre  de  Borgo  SanSepolcro. 
Quelques-unes  des  figures  peintes  dans  le  palais  de  Schifanoia 
ne  rappellent-elles  pas  les  deux  femmes  derrière  la  reine  de 
Saba  en  prière  (3),  celles  qui  l'accompagnent  dans  son  entrevue 

(1)  M.  IIarck  (p.  20)  attriljue  à  l'élève  qui  a  aidé  Cossa  dans  la  zone  intermé- 
diaire d'avril  et  dans  la  zone  supérieure  de  mai  une  Vierge  sur  un  trône  avec 
l'Enfant  Jésus,  chez  M.  Graliani,  à  Londres,  et  une  Adoration  de  l'Enfant  Jésus 
au  musée  de  Dresde  (n°  23).  Ces  tableaux  font  penser  à  Cossa,  mais  l'exécution 
en  est  trop  {jrossicre  pour  appartenir  au  maître  lui-même. 

(2)  M.  IIarck,  p.  17. 

(3)  Alinari,  n°  15083,  grand  format. 

I.  29 


450  L'ART    FEU  1".  AU  AÏS. 

avec  Salomon  (1),  l'impératrice  Hélène  et  ses  suivantes  devant 
la  croix  de  Jésus  retrouvée  (2)?  Les  analogies  que  nous  consta- 
tons n'ont  rien  de  surprenant.  Ne  sait-on  pas,  par  le  témoi- 
gnage de  Vasari,  que  Piero  délia  Francesca,  appelé  à  Ferrare 
sous  le  règne  de  Borso,  y  séjourna  longtemps,  qu'il  exerça 
sur  plusieurs  artistes  de  cette  ville  une  influence  considérable, 
et  qu'il  exécuta  lui-même  dans  le  palais  du  prince  des  peintures 
qui  furent  détruites  au  milieu  des  transformations  de  ce  palais 
à  l'époque  d'Hercule  I"? 

Dans  les  fresques  de  Francesco  Cossa  à  Schifanoia ,  on 
remarque  des  qualités  étrangères  à  celles  de  Cosimo  Tura.  Les 
figures  sont  mieux  groupées  et  mieux  dessinées,  les  attitudes 
plus  naturelles  et  plus  gracieuses,  les  mouvements  plus  calmes, 
les  lois  de  la  perspective  plus  rigoureusement  observées.  En 
outre,  l'exécution  est  plus  libre,  le  modelé  plus  délicat,  plus 
transparent  et  plus  limpide,  le  coloris  plus  frais  (3).  Le  caractère 
différent  des  deux  peintres  se  manifeste  aussi  dans  l'expression 
des  personnages  :  tout  à  l'heure  nous  admirions  l'animation 
des  mouvements  et  l'énergie  passionnée  des  regards;  ici,  c'est 
la  sérénité  des  visages,  la  simplicité  des  gestes,  le  calme  des 
scènes  qui  captivent  notre  attention.  Si  les  draperies  sont 
encore  anguleuses,  elles  ont  du  moins  plus  d'aisance  et  de 
souplesse.  La  plupart  des  femmes  sont  grandes  et  minces, 
avec  de  longs  cous  supportant  une  tête  ronde  ;  malheureu- 
sement les  pommettes  ont  une  trop  forte  saillie.  M.  Harck 
fait  remarquer,  de  plus,  que  les  mentons  sont  pointus,  que  les 
yeux  sont  fendus  en  amande  et  très  écartés,  que  les  oreilles 
se  terminent  en  pointe  vers  le  haut.  Quant  aux  enfants, 
ils  sont  réellement  laids  et  se  rapprochent  un  peu  du  type 
nègre.  C'est  presque  ce  même  type  dont  Cossa  a  gratifié  l'En- 
fant Jésus  du  tableau  que  possède  la   Pinacothèque  de  Bo- 

(1)  Alikari,  n"'  11810,  11811,  11813,  petit  format. 

(2)  Alinari,  n"  15086,  grand  format. 

(^3)  «  II  n'y  a  pas  d'oppositions  heurtées.  Le  roujje,  le  brun  et  le  vert  dominent 
dans  les  vêtements;  les  carnations  claires  sont  d'un  brun  jaunâtre,  passant  quel- 
quefois ffu  brun  foncé,  avec  de  légères  ondjres  brunes...  Les  tètes  se  présentent 
presque  toutes  en  pleine  lumière.  »   (Harck,  p.  10  et  11.) 


LIVRE   DEUXIEME.  451 

logne  (1  474)  (1).  Dans  ce  tableau,  le  visage  rond  et  gonflé  de 
la  Vierge  et  ses  longues  mains  pendantes  ne  sont  pas  sans 
analogie  avec  quelques-unes  des  jeunes  filles  appartenant  à 
la  zone  supérieure  d'avril  (2).  Il  ne  serait  pas  non  plus  diffi- 
cile de  constater  des  ressemblances  entre  plusieurs  figures  de 
Schifanoia  et  les  deux  anges  qui  se  tiennent  auprès  de  la 
Madonna  del  Baraccano,  à  Bologne  (1  472). 

Pour  admettre  que  toutes  les  fresques  du  mur  oriental  dans 
la  grande  salle  de  Schifanoia  sont  l'œuvre  de  Francesco 
Cossa,  son  témoignage  était  nécessaire,  car  tous  les  tableaux 
ne  portent  pas,  selon  nous,  le  même  caractère.  Ceux  de 
la  zone  inférieure,  notamment,  semblent,  au  premier  abord, 
être  d'une  autre  main.  Cela  tient  probablement  à  ce  que 
la  plupart  des  têtes  de  Borso  et  des  hommes  groupés  autour 
de  lui  ont  perdu  leurs  dehors  primitifs  sous  les  retouches 
d'un  pinceau  étranger.  Baldassare  d'Esté  nous  apprend,  en 
effet,  qu  il  fut  chargé  d'aconzaî-e  trente- six  tètes  dans  les 
fresques  du  palais  de  Schifanoia,  entre  autres  celles  du  duc, 
et  une  partie  des  bustes.  La  mention  de  ce  travail,  pour  lequel 
il  s'inscrivit  créancier  de  trente-six  ducats,  est  consignée  dans 
une  liste  où  il  relate  tous  ceux  qu'il  avait  exécutés  depuis  l  469 
jusqu'en  I  473  (3).  Renommé  pour  la  ressemblance  des  portraits 
dontil  s'était  chargé  jusqu'alors,  il  dutprêter  une  collaboration 
précieuse  aux  artistes  qui  peignirent  les  compartiments  de  la 
zone  inférieure.  Peut-être  pourrait-on,  d'après  M.  Venturi, 
lui  attribuer  sur  la  muraille  méridionale,  du  côté  de  la  muraille 

(1)  Il  suffit  pour  s'en  convaincre,  dit  M.  Ventdri  (p.  7),  de  comparer  cet 
enfant  avec  ceux  qui  sont  assis  aux  angles  du  char  de  Minerve,  dans  la  zone 
supérieure  de  mars.  Tous  portent  des  colliers  de  corail.  Dans  le  tableau,  couuiie 
dans  la  fresque,  on  remarque  des  rochers  hérissés  «  ressemblant  à  d'arides  écueils 
rongés  par  les  flots  ".  (Ad.  Venturi,  Francesco  del  Cossa,  dans  VArt  du 
15  février  1888.) 

(2)  Harck,  p.  17-18.  —  M.  Hakck  indique  aussi  la  similitude  que  présentent 
les  fresques  de  Cossa  à  Schifanoia  avec  deux  tableaux  regardes  à  présent  comme 
des  œuvres  de  ce  maître  :  l'un,  au  musée  de  Dresde,  représente  V Annonciation 
(n°21)  ;  l'autre,  dans  la  galerie  du  Vatican,  uù  il  est  attribué  à  Iîen(j/./,o  (io/./oli, 
représente  plusieurs  Miracles  de  saint  Hyacinthe, 

(3)  M.  Ventl'ri  a  publié  cette  liste  dans  son  article  sur  les  peintures  de  Schi- 
fanoia,  p.  29. 


452 


L'ART    FER1\AI\AIS. 


orientale,  quelques  têtes  plus  rondes  que  les  autres,  avec 
des  carnations  verdàtres.  Une  tête  de  jeune  homme  dont  les 
carnations  sont  pareilles,  dans  la  zone  inférieure  du  com- 
partiment d'août,  et  la  tête  que  l'on  voit  entre  Borso  et 
Scoccola,  dans  la  zone  inférieure  d'avril,  trahissent  la  même 
main(l). 

Avant  que  M.  Yenturi  eût  découvert  et  fait  connaître  la 
lettre  de  Cossa  h  Borso,  les  fresques  de  la  muraille  orientale 
passaient  pour  être  l'œuvre  de  plusieurs  peintres.  MM.  Crowe 
et  Cavalcaselle,  dont  nous  avions  adopté  presque  toutes  les  at- 
tributions dans  un  article  sur  le  palais  de  Schifanoia  que  la 
Revue  des  Deux  Mondes  publia  le  1"  août  1883,  avaient  cru 
reconnaître,  à  côté  deFrancesco  Cossa,  tantôt  Lorenzo  Costa (2), 
tantôt  Galasso  di  Matteo  Piva,  auxquels  ils  donnèrent  aussi 
quelques  parties  du  mur  septentrional  (3).  S'ils  avaient  su  que 


(1)  V arle  ferrarese  nel  periodo  d'Ercole  I  d'Esté,  p.  60-61. 

(2)  C'est  Laderchi  qui  a  le  premier  prononcé  le  nom  de  Loronzcj  Costa. 

(3)  Voici  les  attributions  adoptées  alors  par  MM.  Crowe  et  Cavalcaselle 


MURAILLE    SEPTESTRIOXALE. 


MURAILLE    ORIENTALE. 


Septembre. 

Aoid. 

Juillet. 

Juin. 

Mai. 

Avril. 

Mars. 

V.  Cossa 

F.   Cossa 

ïuia. 

Tiira. 

Galasso. 

Galasso. 

et 
Galasso. 

et 
Galasso. 

F.  Cossa. 

Tuia 

Tuia 

Galasso 

Tuia 

Tura 

ou 

ou 

ou 

Galasso 

F.  Cossa. 

ou 

ou 

L.  Costa. 

L.  Costa. 

Tuia. 

L.  Costa  (?;. 

L.  Costa. 

Manille 

Jlanieie 

(^osta 

Tuia 

Tuia 

Tura 

de 

,1e 

d'après 

ou 

ou 

; 

ou 

1 

Tura 

Tura 

les 

L.  Costa. 

L.  Costa. 

L.  Costa. 

et 

et 

dessins  de 

(le  L.  Costa. 

de  L.  Costa. 

Tura. 

M.M.  Crowe  et  Cavalcaselle  croyaient  également  possible  la  collal)oration  de 
Marco  Zoppo  (t.  V,  p.  571),  mais  ils  n'indiquaient  pas  à  quels  compartiments  cet 
artiste  aurait  travaillé. 


LIVRE   DEUXIEME.  453 

la  décoration  de  la  salle  était  terminée  le  25  mars  1  470,  ils 
n'eussent  pas  songé  à  Lorenzo  Costa,  qui,  étant  né  en  l-ifiO, 
n'avait  alors  que  dix  ans.  Peut-on  du  moins  soutenir  que 
Galasso  ait,  comme  aide,  comme  collaborateur  de  Francesco 
Cossa  et  de  Cosimo  Tura,  exécuté  les  parties  les  plus  faibles 
des  peintures  de  la  muraille  orientale,  ou  tout  au  moins  plu- 
sieurs des  sujets  représentés  sur  la  muraille  septentrionale? 
Cette  supposition  n'est  pas  inadmissible,  mais  elle  est  fort  dou- 
teuse. Né  vers  1430,  Galasso  mourut  vers  1480,  après  avoir 
longtemps  vécu  à  Bologne.  Son  nom  ne  figure  sur  les  registres 
de  la  maison  d'Esté  qu'en  1449,  1450,  1451  et  1453(1).  Les 
tableaux  dont  on  le  prétend  l'auteur  diffèrent  d'ailleurs  sensi- 
blement entre  eux  et  n'ont  pas  une  authenticité  absolue.  Sur 
quoi  donc  s'appuyer  pour  distinguer  sa  manière  dans  les 
fresques  de  Schifanoia?  S'il  y  a  travaillé,  c'est  seulement, 
selon  M.  Harck  (p.  22-23),  sous  la  direction  de  Cosimo  Tura, 
c'est-à-dire  dans  les  sujets  que  l'on  attribue  à  ce  maître  et  à 
ses  élèves. 

De  l'aveu  de  tout  le  monde,  les  peintures,  en  déplorable 
état,  des  compartiments  réservés  au  mois  de  juin  et  de  juil- 
let (2),  sont  beaucoup  plus  faibles  que  les  autres  (3).  On  y  sent 
une  direction  différente,  une  autre  pensée,  une  autre  main. 
A  quel  artiste  sont-elles  dues?  A  Galasso  selon  MM.  Crowe  et 
Cavalcaselle,  à  Gregorio  Schiavone  selon  M.  Harck.  Après 
ce  que  nous  avons  dit  de  Galasso,  nous  n'avons  rien  à  ajouter. 
M.   Harck  incline  à  se  prononcer  pour  Schiavone  parce  qu'il 

(1)  Venturi,  p.  24. 

(2)  Les  personnages,  mal  groupés,  très  iiiétliocreuient  dessinés,  sont  l'urt  laids 
avec  leurs  yeux  écarquillés  et  à  fleur  de  tète,  leurs  oreilles  anguleuses,  leurs  mains 
larges  et  courtes,  incapables  de  se  plier,  leurs  doigts  sans  jointures,  leurs  carna- 
tions lourdes,  d'un  rouge  foncé.  L'exécution  dénote  d'ailleurs  une  singulière 
négligence;  le  modelé  est  très  défectueux.  Enfin,  dans  les  paysages,  l'auteur 
montre  qu'il  n'avait  pas  des  notions  suffisantes  sur  la  perspective  linéaire.  Ce 
qu'il  a  fait  de  mieux,  c'est  la  zone  inférieure  de  juillet,  dans  laquelle  il  a  repré- 
senté  Borso  regardant   des  paysans   occupés  aux   travaux  des   champs.    (Harck, 

(3)  La  partie  de  droite  dans  la  zone  inférieure  de  juillet  fait  cependant  excep- 
tion. M.  Harck  l'attrihue  à  Cossa.  Il  regarde  en  outre  la  zone  intermédiaire  du 
même  mois  comme  l'œuvre  de  Tura  assisté  d'un  de  ses  élèves. 


454 


L'A  HT    FETIHAIIAIS. 


trouve  que  plusieurs  tableaux  authentiques  de  ce  peintre, 
dans  la  Galerie  Nationale  de  Londres  (n"'  630  et  904)  et  dans 
le  musée  de  Berlin  (n"  1 162  i,  ne  sont  pas  sans  analogie  avec 
les  fresques  des  mois  de  juin  et  juillet  à  Schifanoia(l).  Élève 
de  Squarcione,  Gregorio  Scbiavone,  né  en  Dalmatie,  aurait  pu 
être  attiré  à  Ferrare  par  la  perspective  des  faveurs  que  Borso 
accordait  aux  artistes  (2).  Le  style  des  peintres  sortis  de  Técole 
de  Padoue  et  celui  des  anciens  peintres  ferrarais  présentant 
des  ressemblances  notables,  l'hypothèse  de  M.  Harck  ne  paraît 
pas  inadmissible.  M.  Venturi  ne  l'adopte  pas  (3),  et  nous  par- 
tageons son  avis.  Selon  lui,  les  affinités  entre  le  peintre  de 
Schifanoia  et  celui  qui  a  fait  les  tableaux  de  Londres  et  de 
Berlin  ne  sont  pas  frappantes,  et  les  peintures  de  Gregorio 
Schiavone  sont  supérieures  aux  fresques  avec  lesquelles 
M.  Harck  les  compare.  Aucun  document,  au  surplus,  n'atteste 
la  présence  à  Ferrare  de  l'artiste  dalmate.  On  retrouve  la  main 
du  peintre  de  Schifanoia,  imitateur  sans  inspii'ation  de  Cosimo 
Tura  :  1"  dans  un  petit  tableau  appartenant  au  chevalier  San- 


(1)    Attriliutions  indiquées  par  >I.  Marik  : 

MURAILLE    SEPTENTRIONALE. 


MURAILLE    ORIENTALE. 


Septembre. 

Août. 

Juillet. 

J„i>i. 

Mai. 

.{••ril. 

Mars. 

C 

Élève 
de  Tura. 

C 

Élève 
de  Tura. 

li 

G.  Scliiavonc.' 

r. 

G.  Scliiavonc. 

A 

Cossa 

et 

SCS  élèves. 

A 

Cossa. 

A 

Cossa 
et  un  de  ses 

élèves. 

C 

Élève 
de   Tura. 

C 

Élève 
de  Tuia. 

C 

Tuia 

et  un  do  ses 

èlrvcs. 

li 

G.  .Scliiavone.' 

A 

Cossa 

et  un  de  ses 

èlcv.-s. 

A 

Cossa 

et  un  de  ses 

élèves. 

A 

Cossa. 

C 

Elève 
de  Tuia. 

C 

Élève 
de  Tura. 

15 

Schia- 
Tone  ï 

A 

Cossa. 

I! 

G.  Scliiavonc 

A 

Cossa 
et  un  de  ses 

élèves. 

A 

Cossa. 

A 

Cossa. 

(2)  Harck,  p.  22. 

(3)  Venturi,  p.  24-25. 


LIVRE   DEUXIEME.  455 

tini,  à  Ferrare,  et  représentant  la  Vierge  sur  un  trône  avec 
l'Enfant  Jésus  qui  tient  par  une  corde  un  chardonneret  ;  2°  dans 
le  tableau  à  trois  compartiments  de  la  Pinacothèque  de  Bologne, 
attribué  à  Cristoforo  da  Ferrara,  où  l'on  voit  la  Vierge  et  l'En- 
fant Jésus  entre  saint  Antoine  abbé  et  saint  Jean  (1);  3"  dans 
les  peintures  qui  ornent  une  grande  salle  au  couvent  des  reli- 
gieuses de  Sant'Antonio  Abbate  in  Polesine  (2);  4°  dans  un 
plafond  de  la  chambre  dite  délie  Ova,  au  même  couvent  (3); 
5"  dans  un  triptyque  que  possédait  jadis  le  couvent  de  Sant'- 
Antonio Abbate  et  qui  fait  maintenant  partie  de  la  collection 
Barbi-Cinti,   à  Ferrare  (4).  L'auteur   de   ces  tableaux  et  des 
fresques  relatives  aux  mois  de  juin  et  de  juillet  doit  être  un 
des  Ferrarais,   subissant  l'influence  de  Cosimo  Tura,  qui  tra- 
vaillèrent pour  la  cour  en  1  470  et  dont  on  lit  les  noms  dans  le 
Memoriale.  De  ce  nombre  furent  Gherardo  da  Vicenza,  Tito- 
livio,  Domenico  Rosso,  Francesco  di  Bongiovanni,  Francesco 
délia  Biava,  Bongiovanni  di  Geminiano,  Ghristofalo,  Antonio 
Orsini  da  Venezia,  le  Vénitien  Bartolomeo  da  Palazzo,  Barto- 
lomeo  da  Treviso  et  Andréa  da  Como  (5).  Il  va  de  soi  qu'on  ne 
peut  songer  ni  à  Baldassare  d'Esté,  ni  à  Ercole  Roberti.  Bal- 
dassare,  à  en  juger  par  le  portrait  de  Tito  Strozzi  qui  fit  partie 
jadis  de  la  galerie  Costabili  et  par  le  nombre  de  ceux  que  lui 
commandèrent  les  plus  illustres  personnages,  avait  un  trop 
sérieux  mérite  pour  qu'on  puisse  lui  attribuer  les  plus  médiocres 
peintures  de  Schifanoia.  Il  en  est  de  même  d'Ercole  Roberti, 
dont  on   ne  retrouve  d'ailleurs  nulle  part  dans  le  palais  de 
Borso  la  manière  si  caractérisée.  Ce  n'est  pas,  du  reste,  à  Tura 
ou  à  Cossa  qu'Ercole  se  rattache,  c'est  à  Mantagna  et  à  Gio- 

(1)  VE>Tuni,  p.  25. 

(2)  Cette  salle  est  décorée  d'une  frise  où  apparaissent  des  médaillons  de  saints. 
Quelques-uns  des  saints  rappellent  Ijcaucoup  les  piètres  se  disposant  ii  partir  pour 
la  croisade  que  nous  montre  la  zone  supérieure  du  mois  de  juillet,  i  Ventlri,  Un- 
bekannte  oder  vergessene  Kiinstler  (1er  Emilia,  dans  le  Jahrbuch  (1er  preussi- 
schen  Kunslsammluugen,  V  livraison  de  1890    11''  volume),  p.  187.) 

(3)  Au  milieu  du  plafond,  le  peintre  a  représenté  le   Père  Eternel. 

(4)  Au  centre  de  ce  tripty(pie  se  trouve  la  JNaissance  de  .saint  Jean-l?aptistc  ;  à 
fjauche,  la  Visitation;  à  droite,  le  Martyre  de  saint  Pierre  et  de  saint  Paul. 

(5)  Venturi,  p.  26-28. 


456 


L'ART    FEllRARAIS. 


vanni  Bellini.  jNé  vers   1-450,  il  était  encore  très  jeune  quand 
Borso  fît  décorer  sa  résidence  de  Schifanoia  (1). 


Si  les  fresques  du  palais  de  Schifanoia,  malgré  Tobscurité 
qui  enveloppe  la  plupart  des  artistes  qui  y  ont  travaillé,  jettent 
une  vive  lumière  sur  l'état  de  Tart  ferrarais  vers  la  fin  du 
quinzième  siècle,  elles  sont  également,  à  divers  autres  points 
de  vue,  intéressantes  à  consulter. 

Veut-on,  par  exemple,  se  faire  une  idée  exacte  de  Borso,  le 
prince  le  plus  sympathique  de  la  maison  d'Esté  après  Lionel, 
les  sujets  contenus  dans  la  zone  inférieure  de  chaque  compar- 
timent fourniront  quelques  renseignements  précieux,  car  les 
principaux  traits  de  son  caractère  s'y  accusent  avec  netteté. 

Ce  qui  le  distingue  avant  tout,  c'est  le  sentiment  des  devoirs 
du  prince  envers  ses  sujets,  même  les  plus  humbles,  c'est  le 
zèle  pour  la  justice.  En  nous  le  montrant  occupé  à  faire  droit 
aux  demandes  ou  aux  réclamations  de  son  peuple,  la  fresque 

(1)   Voici  les  attributions  que  nous  croyons  devoir  adopter  : 

MURAILLE    SEPTENTRIONALE.  MURAILLE    ORIENTALE. 


Septembre. 

.401 

(. 

Jiii 

let. 

.Juin. 

Mai. 

Avri 

/. 

.Ma 

r.r. 

Tuia 

Tuia 

Un 

Un 

Cossa 

Un 

avec  un  de 
ses  élèves. 

avec  un  de 
ses  élèves. 

des  élèves  de 
Tuia. 

des  élevés  de 
Tura. 

et  un  de  ses 
élèves. 

Cossa. 

de 
Cossa. 

Cossa. 

Tuia 

Tuia 
avec 

Tuia 

Un 

Cossa 

Cn 
élève 

de 
Cossa 

h 
élève 

de 
Cossa 

Cossa 

avec  un  de 

un 

lura, 

avec  un  de 

des  élèves  de 

et  un  de  ses 

Cossa 

et  un  de  ses 

ses  élevés. 

de  ses 
élèves. 

SCS  élèves. 

Tura. 

élèves. 

élèves. 

Un 

des 

Vn 

Cossa 

Tuia. 

Tuia. 

élèves 

de 
Tuia. 

Cossa. 

des  élèves  de 
Tura. 

et  un  de  ses 
élèves. 

Cossa 

Cossa. 

LIVRE   DEUXIEME.  457 

du  premier  compartiment  rappelle  ce  que  les  habitants  de 
Ferrare  avaient  vu  maintes  fois,  ce  que  l'histoire  n'a  pas  omis 
d'enregistrer.  Quoiqu'il  n'ait  pas  été  beaucoup  plus  qu'un 
autre  à  l'abri  des  conspirations  (1),  Borso  ne  mettait  aucune 
barrière  entre  lui  et  ses  sujets,  se  croyant  assez  protégé  par  les 
services  rendus  à  la  chose  publique  et  par  la  sagesse  de  son 
gouvernement  (2).  Après  s'être  levé  au  point  du  jour  et  avoir 
récité  avec  un  prêtre  l'office  divin,  ainsi  que  l'Office  de  la 
Vierge  (3),  il  descendait  de  son  palais,  situé  en  face  de  la 
cathédrale,  et  se  promenait  dans  la  ville  jusqu'à  l'église  de 
San  Crispino,  accompagné  de  ses  conseillers  et  de  ses  secré- 
taires, écoutant  tous  les  citoyens  qui  voulaient  lui  parler, 
accueillant  toutes  les  demandes  légitimes,  rendant  sommaire- 
ment la  justice,  lorsque  les  cas  étaient  simples,  ou  renvoyant 
les  plaignants  devant  les  tribunaux,  auxquels  il  recommandait 
la  célérité.  Selon  lui,  les  lois  obligeaient  les  grands  aussi 
bien  que  les  petits.  Il  l'apprend  un  jour  à  un  de  ses  ministres 
qui  avait  négligé  de  payer  certains  objets  livrés  à  sa  propre 
maison.  Le  créancier  ayant  réclamé  au  prince  même  son  paye- 
ment, Borso  se  fait  citer  devant  les  juges  et  condamner,  puis 
reproche  au  ministre  coupable  le  déshonneur  auquel  il  a  ex- 
posé son  prince  et  lui  enjoint  plus  d'exactitude  à  l'avenir. 
Dans  une  autre  occasion,  il  montra  avec  éclat  que  les  intérêts 
du  peuple  ne  le  laissaient  pas  indifférent.  Giovanni  Romei,  à 
qui  il  avait  affermé  la  perception  des  douanes,  s'étant  permis 
de  criantes  extorsions,  il  ne  se  contenta  pas  de  lui  enlever  cette 
perception,  il  lui  infligea  un  affront  public,  aux  applaudisse- 
ments de  tous  les  citoyens  (1458)  (4). 

(1)  II  y  en  eut  une  en  1452,  une  en  1460,  une  autre  en  1461.  une  enfin  en 
1469,  et  les  coupaljlcs  expirèrent  dans  les  supplices  infligés  alors  presque  partmit 
à  ceux  qui  commettaient  ce  {jenre  de  crime.  i^Fnizzr,  Mcin.  pcr  lu  xtoria  di  Fci- 
rara,  t.  IV,  p.  7,  39-40,  67-69.) 

(2)  Il  fit  exécuter  d'importants  travaux  pour  récoulcmcnt  des  eaux  par  des 
ingénieurs  de  Florence,  de  Milan,  de  Venise,  de  Mantoue.  En  outre,  il  sut  pro- 
curer à  ses  États  les  douceurs  de  la  paix,  tandis  que  le  reste  de  l'Italie  était  en 
proie  à  tous  les  maux  de  la  guerre. 

(3)  Frizzi,  t.  IV,  p.  80. 

(4)  Les  peintres  n'ont  pas  été  seuls  à  célébrer  l'amour  de   Borso  pour  l'ohser- 


458  L'AlîT    FEllRAllAIS. 

Ce  qui  frappe  également,  lorsqu'on  examine  Borso  clans  les 
fresques  du  palais  de  Schifanoia,  c'est  son  goût  pour  le  luxe. 
Malgré  ses  édits  somptuaires  (1)  ,  il  aimait  les  étoffes  aux 
riches  tissus,  aux  brillantes  couleurs,  non  seulement  pour  lui- 
même,  mais  pour  les  gens  de  son  entourage,  qui  tous  ici  appa- 
raissent avec  des  costumes  recherchés.  Il  portait  ordinaire- 
ment, même  à  la  campagne,  des  vêtements  en  brocart  d'or. 
Autour  de  son  cou  brillait  presque  toujours  un  collier  qui  avait 
coûté  soixante-dix  mille  ducats  (2).  On  ne  peut  guère,  sans 
avoir  lu  les  chroniques  du  temps ,  se  faire  une  idée  de  la 
magnificence  qu'il  déploya,  lorsqu'il  fut  solennellement  pro- 
clamé duc  de  Modène  et  de  Reggio  et  comte  de  Rovigo  par 
l'empereur  Frédéric  III,  venu  à  Ferrare  (1  452)  (3).  En  se  ren- 
dant à  Rome,  où  il  allait  recevoir  de  Paul  II  le  titre  de  duc  de 
Ferrare  (1471),  il  s'entoura  d'un  appareil  encore  plus  écla- 
tant (4).  Si  le  luxe  de  Borso  satisfaisait  une  inclination  per- 
sonnelle, il  répondait  aussi  à  un  calcul  politique.  Il  imposait 
au  peuple,  qui  partout  se  laisse  éblouir  ou  séduire  par  le  faste, 
et  donnait  une  haute  idée  de  la  puissance  du  prince  à  tous  les 
États  italiens,  entre  les  chefs  desquels  il  y  avait  assaut  d'os- 
tentation. 

Cette  ostentation  se  manifestait  aussi  par  le  nombre  et  la 
beauté  des  chevaux.  Dans  les  écuries  de  Philippe-Marie  Yis- 
conti,  on  ne  comptait  pas  moins  de  cinq  cents  chevaux,  dont 
quelques-uns  avaient  coûté  jusqu'à  mille  ducats  d'or.  François 

vation  des  l(jis  et  pour  l'équité.  Sur  le  revers  d'une  médaille  anonyme  de  Borso, 
on  voit  la  Justice  assise,  tenant  de  la  main  {jauche  des  balances  et  de  la  main 
droite  un  glaive  menaçant.  Devant  elle  se  trouvent  des  oiseaux  de  proie,  dont 
l'un  déchire  un  agneau;  ils  symbolisent  les  criines  qu'elle  se  charge  de  punir. 
(Voyez  la  reproduction  de  cette  médaille  dans  les  Médailleurs  travaillant  a  la 
cour  de  Ferrare  au  XV^  siècle,  par  M.  Heiss.) 

(1)  Les  Sages  promulguèrent  des  ordonnances  de  ce  genre  en  1453,  en  1456  et 
en  1460.  (Fiiizzi,  Mem.  per  la  storia  cli  Ferrava,  t.  IV,  p.  25,  28-29  et  41.) 

(2)  «  C'était,  ou  peu  s'en  faut,  le  prix  de  la  tiare  des  papes  Paul  II,  Sixte  IV 
et  Jules  II.  Il   (E.  MiJSTZ,  Hist.  de  Vart  pendant  la  Renaissance,  p.  146.^ 

(3)  «  //  marchese  era  veslito  di  broccato  d'oro  con  adornamenti  di  gioie  di 
ffran  prezzo  :  tra  le  c/uali  perd  tre  erano  preziosissinie,  due  nella  beretla,  et  una 
alla  spalla  sinislra.  )>    (Pigxa,  Historia  de'  principi  di  Este,  p.  683.) 

(4)  Voyez  le  ch.  i  du  liv.  I,  p.  67. 


LIVRE   DEUXIEME.  459 

Gonzague  possédait  des  juments  d'Espagne  et  d'Irlande. 
L'Afrique,  la  Thrace  et  la  Cilicie  lui  en  avaient  également 
fourni.  Pour  s'en  procurer,  il  cultivait  avec  soin  l'amitié  des 
grands  sultans  (1).  A  voir  les  nombreux  chevaux  qui  marchent 
ou  galopent  dans  les  paysages  que  présentent  les  fresques  du 
palais  de  Schifanoia,  on  est  en  droit  de  supposer  que  le  duc 
de  Ferrare  et  les  seigneurs  de  sa  cour  n'hésitaient  pas  non  plus 
h  s'imposer  de  lourds  sacrifices  pour  peupler  leurs  propres 
écuries.  Cette  supposition  est  confirmée  par  des  faits.  Les 
historiens  du  temps  rapportent  que  Borso  eut  jusqu'à  sept 
cents  chevaux  à  la  fois.  Quand  Frédéric  III  vint  à  Ferrare,  en 
1452,  le  duc  lui  donna  cinquante  coursiers  de  choix.  Le  duc, 
de  son  côté,  reçut  en  présent  douze  chevaux  du  roi  de  Tunis. 
Or  celui-ci  savait  évidemment  que,  par  ce  genre  de  cadeau,  il 
flatterait  un  des  goûts  du  souverain  de  Ferrare,  auquel  il  tenait 
à  témoigner  son  estime  et  sa  sympathie. 

Au  goût  des  chevaux  s'associait  chez  Borso  la  passion  de  la 
chasse.  Yoilà  probablement  pourquoi  les  peintres  du  palais  de 
Schifanoia  n'ont  pas  craint  de  montrer  plusieurs  fois  dans  la 
même  salle  le  duc  à  la  poursuite  des  quadrupèdes  et  des  vola- 
tiles (2).  Du  reste,  la  chasse  n'était  pas  simplement  son  passe- 
temps  favori;  c'était  aussi  pour  lui  un  moyen  de  fêter  ses 
hôtes  de  distinction  et  de  les  gagner  à  sa  politique  (3).  Il 
mettait  à  leur  disposition  ses  chevaux,  ses  équipages,  ses 
chiens,  ses  éperviers,  ses  faucons  (4),  et,  à  la  tète  des  gentils- 
hommes de  son  entourage,  il  parcourait  avec  eux  les  giboyeuses 
campagnes  de  ses  États.  C'est  ainsi  qu'eu  14(52  il  associa  Lo- 

(1^   J.  BuRCKHARDT,  Die  Cultur  cler  Renaissance  in  Italien,  p.  231. 

(2)  On  lui  connut  cent  fauconniers  à  la  fois. 

(3)  «  Andando  tuttavia  a  sparviero  facera  più  guerra  a  chi  volera  e  più  intes- 
tina  che  non  farebbe  un  allro  ton  5000  cavalli.  "  Ce  sont  les  paroles  mêmes  du 
Pape,  rapportées  par  l'auihassadeur  de  Ferrare,  Jaoopo  Trotti. 

(4  En  1452,  il  donna  même  à  l'cnipereur  Frédéric  III  cinquante  de  ses 
oiseaux  les  mieux  dressés.  (L.-N.  Cittadella,  Notizie  relative  a  Ferrara,  t.  I, 
p.  18.) 

Un  inventaire  rédigé  du  temps  de  Ror.^o  si{i[nale  dans  la  hihiiotlièquc  de  ce 
prince  les  ouvrafjes  suivants  :  i"  Vegetius  l'uMio),  Super  medicatnine  aviutn  et 
animaliuni;  2°  Daxtes,  De  natura  falconum  et  de  remediis  avium.  La  Hihlio- 
thèque  de  Ferrare  possède   un    manuscrit   du  quinzième  siècle  qui  contient  deux 


460  L'ART    FERRARAIS. 

dovico,  marquis  de  Mantoue,  à  une  série  d'expéditions  contre 
les  lièvres  et  les  perdreaux,  tout  en  se  faisant  accompagner 
d'une  centaine  de  cavaliers  revêtus  d'élégants  costumes. 
L'amour  de  la  chasse  était  assez  vif  chez  Borso  pour  que  ce 
prince  eût  fait  figurer,  dans  le  pompeux  cortège  qu'il  emmena 
à  Rome  en  1471,  quatre-vingts  valets  conduisant  chacun  quatre 
chiens,  et  sa  passion  était  si  notoire  que  Paul  II  ne  négligea 
pas  de  la  satisfaire.  Tous  les  historiens  célèbrent  la  chasse  à 
laquelle  le  Pape  convia  son  illustre  AMsiteur,  tant  elle  eut 
d'éclat.  Pigna  et  Bellini  prétendent  même  que  le  Souverain 
Pontife  en  fit  perpétuer  le  souvenir  par  l'exécution  d'une 
médaille  (1);  mais  la  pièce  dont  ils  parlent,  à  en  juger  par  son 
style,  date  seulement  de  la  fin  du  seizième  siècle.  Elle  porte 
d'ailleurs  les  lettres  G.  P.  F.,  qui  signifient  :  Giovanni  Paladino 
fecit.  Sur  l'un  des  côtés  se  trouve  l'effigie  du  Pape,  entourée 
de  ces  mots  :  Paulus  H  Venetus.  Pont.  Max.,  tandis  qu'on  voit 
sur  l'autre  le  Souverain  Pontife  à  cheval  et  un  rabatteur  à  la 
lisière  d'une  forêt,  près  de  laquelle  courent  des  sangliers,  des 
lièvres  et  des  cerfs,  avec  cette  inscription  :  Solum  in  feras  pius 
hellatur  pastor.  Ces  quelques  détails  ne  suffisent-ils  pas  pour 
justifier  les  peintres  du  palais  de  Schifanoia  d'avoir  plusieurs 
fois  montré  Borso  se  livrant  à  son  délassement  de  prédilec- 
tion? 


Les  fresques  du  palais  de  Schifanoia  nous  renseignent  aussi 
sur  l'état  des  esprits  dans  le  monde  des  savants  et  dans  la 
société  de  ce  qu'on  eût  appelé  au  dix-septième  siècle  les 
«  honnêtes  gens  »  . 

Chez  les  érudits,  les  poètes,  les  humanistes,  règne  un  en- 

cent  dix  articles  sur  la  façon  tle  gouverner  les  faucons  et  les  vautours,  sur  leurs 
maladies  et  les  remèdes  qu'il  convient  d'essayer.  (L.-N.  Cittadella,  Notizie  rela- 
tive a  Ferrara,  t.  I,  p.   17,  note  i.) 

(1)   Bellini,  Monete  di  Ferrara,  p.  128  et  pi,  n'i. 


LIVRE   DEUXIEME.  461 

thousiasme  sans  bornes  pour  l'antiquité.  Ils  en  combinent  les 
souvenirs  avec  les  croyances  chrétiennes  et  avec  les  aspira- 
tions modernes,  sans  y  apporter  toujours  une  parfaite  justesse 
de  discernement  et  de  goût,  sans  s'effaroucher  non  plus  des 
fables  un  peu  lestes  (l).  En  évoquant  dans  la  grande  salle  du 
palais  de  Borso,  à  côté  des  scènes  qui  ont  trait  aux  professions 
manuelles  ou  libérales  le  plus  en  faveur  à  Ferrare  et  non  loin 
d'une  cérémonie  nuptiale  ou  d'une  procession  de  moines,  les 
trois  Grâces,  les  Muses,  Pégase,  Argus,  Atys,  l'enlèvement  de 
Proserpine,  la  forge  de  Vulcain  et  les  infortunes  conjugales  de 
ce  dieu,  le  lettré  qui  indiqua  les  compositions  à  peindre  n'a 
fait  que  suivre  des  tendances  très  générales  et  obéir  à  un  en- 
gouement universel.  Le  voisinage  de  Minerve,  de  Vénus,  de 
Mars,  d'Apollon,  de  Mercure,  de  Jupiter,  de  Gérés,  de  Gybèle, 
justifie  jusqu'à  un  certain  point  les  épisodes  que  nous  venons 
de  mentionner,  sans  empêcher  qu  on  trouve  un  peu  forcée  la 
juxtaposition  de  sujets  si  étrangers  les  uns  aux  autres  et  si  dis- 
parates. Mais  le  moindre  prétexte  à  la  représentation  des  divi- 
nités de  l'Olympe  et  à  celle  des  figures  nues  était  alors  avide- 
ment saisi,  tant  les  récits  mythologiques  et  les  monuments  de 
l'art  antique  exerçaient  de  séduction  sur  les  esprits.  Les  divi- 
nités, il  est  vrai,  ont  dans  les  fresques  du  palais  de  Schifanoia 
l'apparence  de  personnages  du  quinzième  siècle,  non  seule- 
ment par  leur  expression,  mais  parleur  costume,  et  les  figures 
nues  laissent  encore  beaucoup  à  désirer.  Il  y  avait  là,  du 
moins,  un  effort  méritoire  dans  une  voie  nouvelle,  et  la  gau- 
cherie même  ou  l'invraisemblance  n'est  qu'un  signe  du  temps 
précieux  à  constater. 

(i)  Gomme  dans  la  zone  supérieure  des  mois  de  juillet  et  de  septembre.  Que 
penser  du  choix  des  sujets  qui  y  sont  représentés?  Dcnote-t-il  chez  l'inspirateur  de 
ces  fresques  et  chez  ses  contemporains  une  certaine  candeur  de  sentiment  qui 
leur  voilait  le  danger  des  composilions  trop  libres  et  les  empêchait  de  se  scanda- 
liser aisément?  Trahit-il,  au  contraire,  le  yoût  des  détails  scabreux  et  une  in)a{;ina- 
tion  corrompue?  Il  y  a  cliez  les  hommes  du 'quinzième  siècle  un  singulier  mélange 
d'idées  qui  autorise  à  la  fois  les  deux  suppositions,  une  naïve  inconscience  du 
mal  et  une  réelle  corruption.  Dans  leur  enthousiasme  pour  l'antiquité  retrouvée, 
ils  acceptaient  sans  distinction  tout  ce  quelle  leur  offrait,  ses  fables  plus  que 
légères  aussi  bien  que  ses  mythes  spiritualistes. 


462  L'AUT    FEllUARAIS. 

Après  les  réminiscences  mythologiques,  ce  qui  charmait  le 
plus  un  lettré  du  quinzième  siècle,  ce  qui  sollicitait  partout  le 
pinceau  du  peintre,  c'était  Tallégorle.  Ce  goût  remonte  à 
Dante  et  à  Giotto.  Simone  di  Martino,  Ambrogio  Lorenzetti, 
Sandro  Botticelli,  d'autres  encore,  n'avaient  pas  peu  contri- 
bué à  le  répandre.  Malheureusement,  la  subtilité  des  huma- 
nistes et  des  artistes  dégénérait  souvent  en  obscurité,  et  leurs 
allégories  déconcertent  en  général  les  conjectures  des  érudits 
les  plus  perspicaces.  Dans  les  figures  qui  entourent  ici  les 
signes  du  zodiaque,  on  a  cru  reconnaître  le  Printemps,  l'Ac- 
tivité, la  Paresse,  la  Félicité  maternelle,  la  Débauche,  TEn- 
seignement  de  la  musique  ou  de  la  poésie,  la  Prudence,  le 
Commerce  malheureux,  le  Vol,  le  Pouvoir,  la  Modération  dans 
le  commandement,  l'Avidité  des  ambitieux,  le  Calcul,  la 
Pureté,  le  Libertinage;  mais,  pour  plus  d'une  de  ces  figures, 
le  champ  reste  ouvert  aux  hypothèses.  Il  faut  avouer  que  de 
pareilles  personnifications  n'étaient  pas  faciles  à  caractériser 
nettement.  L'indécision  de  la  main  a  suivi  l'indécision  de  la 
pensée,  et  l'on  peut  dire  que,  dans  les  fresques  du  palais  de 
Schifanoia,  la  partie  allégorique,  à  quelques  exceptions  près, 
est  la  moins  réussie,  la  moins  conforme  aux  exigences  esthé- 
tiques. 

Parmi  les  sciences  à  la  mode  au  quinzième  siècle,  il  faut 
ranger  l'astronomie,  telle  que  l'avait  conçue  Ptolémée.  Elle 
occupait  une  grande  place  dans  la  pensée^  dans  les  spécula- 
tions des  hommes  d'étude,  et  les  gens  même  qui  ne  l'appro- 
fondissaient pas  aimaient  h  en  entendre  parler  ou  à  voir  fixée 
sur  les  murs  par  le  dessin  et  la  couleur  l'image  des  constella- 
tions auxquelles  bon  nombre  d'entre  eux  attribuaient  une  in- 
fluence sur  la  vie  humaine.  Il  n'y  a  donc  pas  lieu  de  s'étonner 
si  l'on  a  songé,  pour  la  décoration  du  palais  de  Borso,  aux 
signes  du  zodiaque  et  aux  planètes.  Leur  intervention,  au 
surplus,  était  toute  naturelle,  puisqu'il  s'agissait  de  représenter 
les  mois,  et  les  exemples  ne  manquaient  pas  ailleurs.  Un 
siècle  auparavant,  Guariento,  imitateur  de  Giotto,  avait  peint 
dans  le  choeur  de  l'église  des  Eremitani,  à  Padoue,  Saturne, 


LIVllE   DEUXIEME.  463 

Jupiter,  Mars,  Vénus  et  Mercure.  A  Sienne,  en  1414,  Taddeo 
Bartoli  avait  introduit  dans  le  palais  public  l'image  de  Mars  et 
de  Jupiter,  et  vers  1420  un  nouveau  cycle  astrologique  avait 
été  figuré  sur  les  murs  du  Palazzo  délia  Ragione^  à  Padoue  (1). 
Les  artistes  qui  travaillèrent  dans  l'habitation  princière  de 
Schifanoia  devaient  avoir  eux-mêmes  des  imitateurs  plus  illus- 
tres et  mieux  inspirés.  A  Pérouse,  en  effet,  dans  le  Gambio, 
Pérugin  figura  aussi  les  planètes,  et  Raphaël,  à  Rome,  dans  la 
chapelle  Chigi,  à  Sainte-Marie  du  Peuple,  montra,  en  com- 
mentant une  partie  du  système  astronomique  de  Dante  (2), 
comment  on  pouvait  tirer  parti  des  souvenirs  de  l'antiquité  au 
profit  du  christianisme  et  satisfaire  à  toutes  les  exigences  de 
la  raison  et  du  goût. 

De  l'examen  des  cieux  à  celui  des  questions  qui  se  ratta- 
chent à  Dieu  et  à  l'âme  humaine  le  passage  était  inévitable. 
Or,  c'est  la  religion  qui  donne  une  réponse  à  ces  questions. 
Malgré  le  progrès  des  idées  païennes  et  le  relâchement  des 
mœurs,  le  catholicisme  occupait  dans  l'esprit  et  le  cœur  des 
individus,  comme  dans  les  rouages  de  la  société,  une  place 
considérable,  et  les  divers  Ordres  religieux,  en  dépit  de  quel- 
ques abus,  n'avaient  perdu  leur  prestige  ni  auprès  du  peuple, 
ni  auprès  des  princes  eux-mêmes.  C'est  h  Borso  que  sont  dues 
l'introduction  des  Chartreux  à  Ferrare  et  la  fondation  de  leur 
monastère,  un  des  monuments  qui  excitent  le  plus  l'admira- 
tion du  voyageur.  Il  en  posa  la  première  pierre  le  1\  avril 
1452,  et,  lorsque  l'église  et  le  couvent  furent  achevés  (I4()l), 
il  les  fit  offrir  au  prieur  de  la  Grande-Chartreuse  de  Grenoble. 
Dans  les  fresques  du  palais  de  Schifanoia,  les  moines  n'ont  pas 
été  oubliés,  mais  ce  n'est  pas  un  monastère  de  Chartreux  qu'on 
a  représenté,  car  les  moines  qui  se  dirigent  vers  leur  couvent 
avec  leurs  besaces  appartiennent  à  un  Ordre  mendiant.  Non 

(1)  Il  était  destiné,  selon  Scardunio,  »  ad  indicandum  nascentiuin  natuias  per 
(jrados  et  numéros  »  .  Telle  ne  fut  pas  l'intention  du  savant  qui  indiqua  les  sujets 
des  fresques  de  Schifanoia.  (Venturi,  p.  7.) 

(2)  Les  personnajjcs  du  ciel  païen  représentant  les  constellations  sont  dirij;(''s 
par  les  anjjes,  qui  oiiéisscnt  eux-inènies  ;'i  la  volonlT'  de  Dieu,  le  soiixcrain  niolour 
de  toutes  choses. 


464  L'ART   FEllRAUAIS. 

loin  de  là,  comme  nous  l'avons  indiqué,  d'autres  moines  s'as- 
socient aux  intentions  de  Borso  en  faveur  de  la  croisade  pré- 
chée  par  Pie  II;  ils  marchent  à  la  tête  de  ceux  qui  doivent 
combattre  contre  les  infidèles  et  s'efforcent  d'enflammer  leur 
courage  au  moyen  d'une  musique  à  la  fois  martiale  et  reli- 
gieuse. 


M.  Jacob  Burckhardt  fait  remarquer  avec  justesse  que,  à 
l'époque  de  la  Renaissance  en  Italie,  on  commence  à  étudier 
et  à  décrire  la  vie  réelle,  la  vie  ordinaire;  mais  il  ajoute  que, 
si  les  tableaux  de  genre  apparaissent  dans  la  littérature,  ils 
sont  encore  absents  de  la  peinture.  Cette  dernière  observation 
n'est  pas  d'une  exactitude  absolue;  elle  est  contredite  par  les 
fresques  du  palais  de  Schifanoia,  qui,  à  la  vérité,  constituent 
une  exception  dans  l'ensemble  des  productions  de  l'art  au 
quinzième  siècle  (I).  Elles  présentent,  en  effet,  des  scènes 
familières,  empruntées,  les  unes  à  la  vie  de  chaque  jour,  à 
celle  qui  est  commune  à  toutes  les  classes  de  la  société,  les 
autres  à  l'exercice  de  professions  plus  ou  moins  relevées.  Ici, 
des  jeunes  gens  et  des  jeunes  femmes  s'abandonnent  naïve- 
ment aux  effusions  de  leur  tendresse  mutuelle;  là,  des  mains 
féminines  exécutent  des  broderies  à  l'aiguille  ou  font  manœu- 
vrer des  métiers  à  tisser.  Plus  loin,  les  regards  rencontrent  des 
boutiques  où  l'on  vend  des  chaussures  et  d'autres  objets  usuels. 
Ailleurs,  des  commerçants,  des  jurisconsultes,  des  poètes  s'en- 

(1)  Entre  1448  et  1450,  Ambrogio  Lorenzetti  avait  déjà  donné  l'exemple,  dans 
le  palais  public  de  Sienne.  Sur  une  des  murailles  de  la  salle  des  Neuf  ou  de  la 
Paix,  on  voit  des  lioutiques  bien  achalandées,  un  cortège  nuptial,  des  paysans  qui 
labourent,  sèment  et  moissonnent,  un  jeune  homme  chassant  au  faucon,  des  voi- 
tvu-es  chargées  de  Idé.  —  Dans  cette  voie,  les  peintres  avaient  été  devancés  par  les 
sculpteurs  :  les  bas-reliefs  qui  entourent  la  première  vasque  de  la  fontaine  placée 
devant  la  cathédrale  de  Pérouse  et  qui  représentent  les  travaux  en  usage  pendant 
chacun  des  mois  de  l'année,  à  la  ville  et  à  la  campagne,  furent  l'œuvre  de  Jean 
de  Pise  et  appartiennent  à  la  seconde  moitié  du  treizième  siècle.  Parmi  les  bas- 
reliefs  du  campanile  construit  à  côté  delà  cathédrale  de  Florence,  on  en  remarque 
un  certain  nond)requi  mettent  sous  nos  yeux  des  hommes  occupés  àco  nfectionner 
des  poteries,  à  tisser,  à  labourer. 


LIVRE   DEUXIEME.  465 

tretiennent  de  leurs  occupations  ordinaires.  Les  soldats  à  pied 
et  à  cheval  semblent,  de  leur  côte,  en  parcourant  les  rues  de 
la  ville,  veillera  la  sécurité  publique,  tandis  que  les  courses  de 
femmes,  d'hommes,  d'ànes  et  de  chevaux  rappellent  les  diver- 
tissements les  plus  goûtés.  Voilà  des  sujets  que  la  peinture 
n'avait,  pour  ainsi  dire,  pas  encore  abordés,  des  sujets  qui  ne 
sont  inspirés  ni  par  le  sentiment  religieux,  ni  par  l'intérêt  qui 
s'attache  à  l'histoire  du  passé,  ni  par  le  désir  de  transmettre  à 
la  postérité  le  souvenir  des  événements  récemment  accomplis. 
Ce  sont,  en  un  mot,  de  vrais  tableaux  de  genre.  Mais  on  sent 
qu'ils  sont  dus  à  des  artistes  auxquels  le  grand  style  était  fami- 
lier, car  les  personnages,  tout  en  restant  très  naturels  et  très 
vrais,  ont  dans  leur  physionomie  et  dans  leurs  attitudes  une 
certaine  élévation  native  qu'aurait  difficilement  rendue  une 
main  habituée  à  se  mesurer  seulement  avec  la  réalité.  Éviter 
ce  qui  est  trop  vulgaire  ou  trop  puéril,  sans  chercher  cepen- 
dant à  s'élever  au  delà  de  ce  que  comporte  le  sujet,  tel  est  le 
but  que  se  sont  proposé  et  qu'ont  atteint  d'emblée  les  auteurs 
de  ces  intéressantes  compositions,  frayant  ainsi  la  route  à 
suivre  aux  artistes  futurs. 

Les  détails  champêtres  dans  les  fresques  du  palais  de  Schi- 
fanoia,  détails  devenus  malheureusement  peu  distincts,  ré- 
vèlent en  outre  un  sentiment  qui  ne  s'était  pas  encore  aussi 
ouvertement  manifesté.  Jusqu'alors  les  peintres,  tout  en  mon- 
trant pour  la  nature  une  sympathie  réelle,  ne  lui  avaient 
accordé  qu  une  place  sans  grande  importance  et  n'avaient  vu 
en  elle  qu'un  élément  pittoresque,  propre  à  charmer  de  loin 
les  yeux.  Ici,  on  l'a  regardée  de  plus  près,  comme  intimement 
associée  à  la  vie  de  l'homme  dont  elle  récompense  les  labeurs, 
et  l'on  n'a  pas  craint  de  demander  au  spectateur  une  notable 
partie  de  son  attention  en  faveur  des  travaux  rustiques  et  de 
ceux  qui  les  accomplissent.  Evidemment  l'artiste  était  certain 
d'être  agréable  à  son  haut  protecteur  lorsqu'il  représentait  la 
taille  de  la  vigne,  la  vendange,  le  labourage,  les  semailles.  Il 
n'a  pas  douté  non  plus  que  chacun  s'intéresserait  à  ces  villa- 
geois qui  fauchent  les  foins  ou  qui  lient  les  gerbes,  placées 
I.  30 


466  L'ART    FERRARAIS. 

ensuite  sur  une  charrette,  à  ces  femmes  qui  lavent  du  linge 
dans  un  ruisseau,  à  ces  hommes  qui  conduisent  des  bœufs  le 
long  d'un  champ  ou  qui  déchargent  une  voiture  pleine  de  blé, 
à  ces  bergers  qui  jouent  de  la  flûte  en  gardant  leurs  trou- 
peaux, et  même  à  ces  chevaux  qui  foulent  le  grain.  C'est  que 
les  Ferrarais  étaient  un  peuple  pratique,  quoiqu'ils  ne  fussent 
point  inaccessibles  à  l'idéal.  Sans  doute  ils  savaient  apprécier 
la  parure  printanière  du  sol  et  le  riant  aspect  des  moissons; 
mais  la  vue  des  champs  ne  flattait  pas  moins  leurs  regards  par 
la  promesse  d'un  accroissement  de  bien-être  et  de  richesse. 
Les  souverains  de  ce  peuple  n'étaient  pas  non  plus  sans  cal- 
culer ce  qui  leur  en  reviendrait,  soit  par  les  impôts,  soit  par 
les  dons  volontaires  en  usage  à  certaines  époques  déterminées, 
soit  par  les  monopoles  qu'ils  s'étaient  attribués,  notamment 
sur  les  fruits  et  les  légumes.  Ces  tendances  d'esprit  n'avaient 
rien  de  surprenant.  Aux  environs  de  Ferrare,  la  campagne  ne 
fait  guère  songer  qu'à  l'utile.  Ce  ne  sont  de  toutes  parts  que 
plaines  uniformes,  coupées  de  fossés  remplis  d'eau,  sans  acci- 
dents de  terrains.  Pour  trouver  des  paysages  attrayants,  il  faut 
gagner  les  collines  Euganéennes  (1),  qui  forment  entre  Ferrare 
et  Padoue  comme  un  vaste  îlot  de  hauteurs  pittoresques,  au 
milieu  desquelles  s'élève  la  ville  qui  fut  le  berceau  de  la  mai- 
son d'Esté. 

Après  tout  ce  qui  vient  d'être  dit,  il  serait  difficile  de  ne 
pas  reconnaître  l'importance  des  fresques  qui  ornent  la  grande 
salle  du  palais  de  Schifanoia.  INIalgré  le  triste  état  où  les  a  ré- 
duites la  barbarie  des  hommes  bien  plus  que  l'action  destruc- 
tive du  temps,  elles  ont  une  éloquence  à  part  et  occupent  une 
place  spéciale  parmi  les  monuments  de  l'art  à  la  fin  du  quin- 
zième siècle.  A  côté  des  anciennes  habitudes  d'esprit,  on  y 
sent  l'éveil  de  l'esprit  moderne.  Les  traditions  propres  à  l'an- 
cienne école  ferraraise  s'y  combinent  avec  les  principes  des 
écoles  voisines;   le   Squarcione  et  Mantegna,   ainsi  que  Piero 

(1)  Les  artistes  ferrarais  les  ont  souvent  exploitées. 


LIVRE   DEUXIEME.  467 

délia  Francesca,  ont  jusqu'à  un  certain  point  inspiré  Gosimo 
Tura,  Francesco  Gossa  et  leurs  élèves. 

Ge  qu'il  y  a  de  moins  attrayant  dans  ces  peintures,  ce  sont 
les  allégories  morales  et  astronomiques  et  les  sujets  mytholo- 
giques. L'art  ferrarais  d'alors  était  trop  réaliste,  trop  peu  épris 
de  la  beauté  idéale,  pour  donner  aux  figures  allégoriques  le 
charme  et  la  grâce  qui  doivent  les  mettre  au-dessus  des  sim- 
ples créatures,  et  il  n'avait  pu  consulter  assez  de  statues  et  de 
bas-reliefs  antiques  pour  faire  revivre  à  son  tour  les  divinités 
de  l'Olympe  dans  leur  sereine  et  majestueuse  beauté.  Ses  ten- 
tatives n'en  sont  pas  moins  curieuses  à  observer,  car  elles 
révèlent  combien  les  aspirations  de  l'école  ferraraise  diffèrent 
de  celles  qui  distinguent  les  autres  écoles  italiennes  et  en  par- 
ticulier l'école  florentine. 

Les  causes  qui  expliquent  son  infériorité  sous  ce  rapport 
assurèrent,  au  contraire,  son  succès  quand  elle  traita  des 
sujets  conformes  h  ses  aptitudes  particulières.  Tandis  que  l'on 
ne  peut  éprouver  en  général  qu'une  très  médiocre  sympathie 
pour  ses  allégories,  ses  dieux  et  ses  déesses,  on  regarde  sans 
se  lasser  les  épisodes  delà  vie  du  prince,  qui  contiennent  tant 
de  beaux  portraits,  et  les  scènes  dont  la  vie  ordinaire  à  la  ville 
et  à  la  campagne  a  fourni  les  données.  L'art  s'y  montre  plein 
d'une  sève  généreuse.  Rien  n'y  trahit  la  contrainte  et  l'effort. 
On  s'aperçoit  que  le  peintre  n'a  eu  qu'à  suivre  la  pente  de  ses 
inclinations  et  de  ses  habitudes.  L'intérêt  qu'il  prenait  à  ses 
personnages  s'est  même  étendu  à  leurs  costumes.  Les  fresques 
du  palais  de  Schifanoia  nous  montrent  ceux  que  portaient 
toutes  les  classes  de  la  société  ferraraise,  depuis  le  duc  et  ses 
courtisans  jusqu'aux  fauconniers  et  aux  gens  de  la  campagne, 
depuis  les  dames  d'un  rang  élevé  jusqu'aux  humbles  ouvrières, 
depuis  les  magistrats  et  les  poètes  jusqu'aux  marchands  et  aux 
artisans.  Tous  ces  ajustements,  soit  par  leur  forme,  soit  par 
leurs  couleurs  et  leurs  ornements,  exercent  une  sorte  de  sé- 
duction, quoiqu'ils  n'aient  pas  l'éclat  incomparable  des  étoffes 
vénitiennes.  Quant  aux  coiffures  des  femmes,  elles  ont  été 
traitées  aussi  avec  un  soin  qui  témoigne  de  l'importance  qu'y 


468  L'ART    FERRARAIS. 

attachait  celui  qui  les  a  composées,  en  exécutant,  sous  les  yeux 
de  Borso,  quelques-uns  des  premiers  tableaux  de  genre  que 
l'on  connaisse. 

Si,  après  avoir  considéré  ces  fresques  comme  œuvres  d'art, 
on  les  observe  enfin  comme  documents  historiques,  on  y 
trouve,  ainsi  que  nous  croyons  l'avoir  prouvé,  matière  à  des 
constatations  qui  ne  sont  pas  sans  portée  sur  la  cour  des  ducs 
de  Ferrare,  sur  l'état  des  esprits  et  sur  l'ensemble  de  la  civili- 
sation du  quinzième  siècle.  N'en  est-ce  point  assez  pour  justi- 
fier les  paroles  par  lesquelles  nous  avons  recommandé,  au 
début  de  ce  travail,  les  fresques  du  palais  de  Schifanoia  aux 
voyageurs,  aux  artistes,  aux  historiens  et  même  aux  mora- 
listes? 


II 


LES  PALAIS  DE  PLAISANCE  DES  PRINCES  DE  FERRARE. 

Presque  tous  les  membres  de  la  famille  d'Esté  qui  régnèrent 
à  Ferrare  se  firent  construire  dans  les  environs  de  la  capitale 
une  habitation  en  rapport  avec  leur  goût  particulier  et  celui  de 
leur  époque,  recourant  à  d'éminents  artistes  pour  décorer 
l'édifice,  qu'entouraient  d'élégants  jardins  et  des  parcs  plus  ou 
moins  vastes.  De  toutes  ces  résidences,  appelées  de  Hz  ie,  aucune 
ne  subsiste  aujourdhui;  mais  comme  le  nom  en  revient  sou- 
vent dans  l'histoire  de  l'art,  nous  croyons  qu'il  n'est  pas  sans 
intérêt  de  donner  sur  les  plus  célèbres  d'entre  elles  quelques 
renseignements. 

PALAIS    DE    BELFIORE   (1). 

Ce  fut  Albert  d'Esté,  marquis  de  Ferrare,  qui  fit  construire 

(1)  Frizzi,  Memorie  per  la  stoi-ia  di  Ferrara,  2*  édit.  Ferrare,  1847,  t.  III, 
p.  387-388,  472,  505,  et  t.  IV,  p.  87-89,   115,  138,  156,  190-191,  349,  396.  — 


LIVRE  DEUXIÈME.  469 

en  1392  par  Bertolino  di  maestro  Giovanni  da  ISovat^a  le  palais 
de  Belfiore,  dans  la  partie  du  faubourg  de  Saint-Léonard  occu- 
pée depuis  par  la  rue  qu'on  a  tour  à  tour  appelée  via  dei  Piop- 
poni,  via  degli  Angeli  et  corso  Vittore  Emmanuele.  A  cette 
époque  d'attaques  imprévues  et  de  coups  de  main,  les  sei- 
gneurs de  Ferrare  n'osaient  pas  encore  s'écarter  de  leur  capi- 
tale. Ils  voulaient  être  à  même  de  se  mettre  promptement  en 
sûreté  derrière  les  remparts  de  la  cité.  Quand  Albert  mou- 
rut (1393),  le  palais  de  Belfiore  n'était  pas  terminé.  Nicolas  III, 
son  successeur,  ordonna  de  continuer  les  travaux,  qui  furent 
suspendus  à  sa  mort  (1441);  mais  Lionel  chargea  bientôt  Anto- 
nio del  Cossa  et  Antonio  Brasavola  de  les  mener  à  fin. 

Voulant  habiter  ce  palais  même  en  hiver,  Lionel  y  ajouta 
des  appartements  exposés  au  midi.  Rien  ne  fut  négligé  pour 
l'embellir.  Jacopo  da  Soncini,  surnommé  Sagramoro,  peignit  les 
armes  de  la  maison  d'Esté  et  les  emblèmes  de  Lionel.  En  1450, 
Bono  de  Ferrare,  élève  de  Pisanello,  exécuta  aussi  quelques 
peintures.  Ce  fut  surtout  dans  son  cabinet  que  le  prince  s'atta- 
cha à  rassembler  tout  ce  qui  pouvait  charmer  les  regards. 
Arduino  da  Baisio  en  sculpta  les  boiseries  avec  ses  aides,  tandis 
que  les  frères  Lorenzo  et  Cristoforo  Canossi  da  Lendinara  [l], 
avec  Biagio  da  Bologna,  Agostino,  Leonardo  et  Simone  di  Ale- 
magna,  Bartoloyneo  di  Niccolo  Giovanni,  Giovani  de  Alemagna, 
Giorgio  et  Giustino  Tedeschi,  y  exécutaient  (1449-1453)  des 
marqueteries  d'une  exquise  élégance  et  d'un  goût  irrépro- 
chable. 

Bartolommeo  Facio  et  Cyriaque  d'Ancône  portent  aux  nues 
un  triptyque  qui  y  prit  place  en  1449  et  où  Rogier  van  der 
Weydeti,  venu  en  Italie  cette  année-là  pour  assister  au  jubilé 
de  1450,  avait  représenté  Adam  et  Eve  chassés  du  paradis,  la 
descente  de  croix,  et  un  roi  agenouillé  (2).  L'expression  poi- 

L.-N.  CiTTADELLA,  Notizic  relative  a  Ferrara,  t.  I,  p.  150,  350. —  Ad.  VENTvni, 
I priniordi  del  rinascimento  aitislico  a  Ferrara,  dans  la  Rii'istu  storiva  italiana, 
vol.  I,  fasc.  IV,  anno  1884. 

(1)  Ils  passèrent  leur  enfance  à  Ferrare.  Leur  père,  An.lrca  di  Nasciuil)cne, 
était  citoyen  de  cette  ville. 

(2)  Facio  était  né  à  la  Spezia  et  mourut  en  1457.  Son  livre  intitulé  :  De  viris 


470  L'ART    FERU  AU  AI  S. 

gnante  des  personnages,  le  fini  de  l'exécution,  l'éclat  des  cou- 
leurs à  l'huile,  produisirent  sur  les  deux  savants  une  profonde 
impression.  Ils  n'admirèrent  pas  moins  la  vérité  avec  laquelle 
le  peintre  avait  su  rendre  les  prés,  les  fleurs,  les  collines  om- 
bragées, les  ornements  des  édifices.  Au  dire  de  MM.  Crowe  et 
Cavalcaselle,  il  est  possible  que  la  Pietà  de  la  galerie  des  Offices 
à  Florence  (n°  795)  soit  un  fragment  du  triptyque  acquis  par 
Lionel,  parce  qu'elle  répond  bien  à  la  description  de  Cyriaque 
d'Ancône.  —  De  retour  en  Flandre,  Rogier  van  der  Weyden 
exécuta  aussi  deux  figures  nues  que  Lionel  lui  avait  comman- 
dées, mais  elles  ne  furent  terminées  qu'après  la  mort  de  ce 
prince.  Borso  les  plaça  dans  le  cabinet  de  Belfiore  et  en  envoya 
le  prix  au  peintre,  qui  se  trouvait  à  Bruges  (1). 

Angelo  da  Siena,  surnommé  le  Maccagnino,  prit  également 
part  à  la  décoration  du  cabinet  de  Lionel  en  consacrant  neuf 
tableaux  aux  Muses. 

Par  tout  ce  que  nous  venons  d'énumérer,  on  voit  que  le 
cabinet  de  Lionel  à  Belfiore  devint  une  sorte  de  musée. 

Il  comprenait,  en  outre,  une  collection  de  livres  précieux. 
Le  marquis  de  Ferrare  aimait  à  y  convier  les  savants  attirés  à 
sa  cour  et  les  professeurs  de  l'Université  pour  s'entretenir  avec 
eux  d'érudition  et  de  poésie.  On  peut  supposer  que  la  vue  de 
toutes  les  manifestations  du  génie  humain  ouvrait  aux  interlo- 
cuteurs de  nouveaux  horizons. 

Sous  le  règne  de  Borso,  successeur  de  Lionel,  le  palais  de 
Belfiore  reçut  encore  des  embellissements  (2).  Lodovico  Car- 


illushibus,  dans  lequel  il  est  question  du  triptyque  de  Rogier  van  der  Weyden, 
fut  écrit  entre  1454  et  1456. '(Voyez  Les  anciens  peintres  flamands,  par  MM.  Crowe 
et  Cavalcaselle,  édit.  allemande  publiée  à  Leipzig  par  Hirzel  en  1875,  p.  251,  et 
l'édit.  française,  publiée  chez  Rcnouard  en  1862.  L'édition  française  contient  le 
texte  de  Cyriaque  d'Ancône,  texte  inséré  dans  sa  biographie  écrite  par  le  juris- 
consulte Francesco  Scalamonti,  son  ami.)  INé  en  1391,  Cyriaque  mourut,  comme 
B.  Facio,  en  1457. 

(1)  Campori,  I pittori  deqli  Estensi  nel  secolo  XV,  p.  16. 

(2)  Nous  avons  dit  que  les  frères  Cristoforo  et  Lorenzo  Canossi  da  Lendinara, 
si  célèbres  pour  leurs  sculptures  eu  bois  et  leurs  marqueteries,  travaillèrent  dans 
le  fameux  cabinet  de  Belfiore  jusqu'en  1453.  Quand  ils  furent  sur  le  point  de 
retourner  à  Lendinara,  Borso  écrivit  à  ses  fattori  generali  de  payer  sans  retard 
ce  qui  restait  dû  à  ces  jeunes  artistes.   «  Nous  désirons,  disait  le  duc,  qu'ils  soient 


LIVRE   DEUXIP:ME.  471 

bone  (1)  rapporte  (2)  que  toutes  les  faces  de  l'édifice  étaient 
ornées  de  portiques,  que  sous  celui  de  la  façade  Angelo  da 
Siena  (3)  avait  peint  le  portrait  et  les  exploits  du  marquis 
Albert,  et  que  Cosimo  Tiira  orna  plusieurs  pièces  de  ses 
œuvres  magistrales  (4).  Un  certain  Alfonso  di  Spagna  et  Ghe- 
jardb  di  Andréa  da  Vicenza  enrichirent  également  de  leurs 
œuvres  le  fameux  cabinet,  déjà  si  bien  pourvu  (5),  où  Borso 
se  plaisait,  comme  Tavait  fait  son  frère,  à  jouir  de  la  société 
des  poètes,  et  où  il  avait  Thabitude  de  recevoir  les  ambassa- 
deurs étrangers. 

A  l'époque  d'Hercule  I",  Ercole  Roberti  fut  chargé  de  diri- 
ger les  travaux  des  artistes  occupés  à  Belfiore.  Un  peintre 
nommé  Lazaro  Grimaldi  représenta  en  I  i96  dans  le  grand 
salon  la  fable  de  Psyché.  Fino  Marsigli  de  Vérone,  qui  était 
établi  à  lerrare  dès  1472  et  qui  mourut  en  1505,  repré- 
senta, de  son  côté,  des  sangliers,  des  écrevisses  et  des  tigres, 
dans  des  salles  qui  prirent  le  nom  de  ces  animaux,  fit  huit 
figures  sur  des  fonds  de  verdure  dans  une  loggia  et  pei- 
gnit encore,  outre  une  frise,  un  château  fort  au  milieu  d'un 
paysage  (6). 

Quelques  souvenirs  intéressants,  au  point  de  vue  histo- 
rique, s'attachent  au  palais  de  Belfiore.  Grâce  à  la  médiation 
de  Lionel,  la  paix  y  fut  conclue   en    1450    entre  Venise  et 

satisfaits.  Si  vous  avez  de  l'aqjent  en  main,  remettez-leur  sur-le-champ  fin(|uanlo 
lire;  si  vous  n'en  avez  point,  ilonnez-ieur  le  premier  arjjent  qui  vous  renliera.  » 
(Ad.  Venturi,  I prÎDiordi,  etc.,  p.  33.) 
(i)   Né  vers  1436,  il  mourut  en  1482. 

(2)  De  arnœnitate^  utilitate,  magnifie  ont  ta  Ilcrculci  Boschi.  Mss. 

(3)  Les  registres  de  la  cour  mentionnent  en  1452  l'installation  d'une  cheminée 
et  d  un  poêle  dans  une  chand)re  de  Heltiorc  occupée  par  maitre  Angeio  "  depin- 
tore  del  Signore  per  stare  in  fjuella  a  lavorare  le  tavole  clic  lui  fa  per  lu  studio 
di  Belfiore  de  la  ///""•  N.  S.  »  .  (Campori,  /  piltori  degli  Estensi  nel  secolo  XV, 
p.  12.)  Anfjelo  travailla  à  Belfiore  jusqu  à  sa  mort    1456). 

(4)  Le  3  octobre  1458,  Tura,  chargé  de  continuer  les  travaux  entrepris  par 
Angeio  da  Siena,  reçut  un  payement  pour  avoir  acheté  de  l'azur.  En  1459,  à  l'oc- 
casion d'un  cadeau  de  drap  que  lui  lit  Horso  pour  sa  sœur  qui  allait  se  marier,  il 
est  désigné  comme  "  depintorc  del  studio  »  .  (Campori,  I  piltori  degli  Estensi  nel 
secolo  XV,  p.  24.) 

(5)  Nicole  Panizzato  avait  peint  les  vitres  d'une  fenêtre. 

(6)  Campori,  I pittori  degli  Estensi  nel  secolo  XV,  p.  48,  56,  59.  —  Ad.  Ven- 
TURi,  Varte  ferrarese  nel  periodo  d'Ercole  I  d'Esté,  p.  124. 


4T2  L'ARÏ    FERllARAIS. 

Alphonse,  roi  de  Naples.  Borso  y  logea  Jean  Galéas  Sforza, 
venu  à  Ferrare  avec  une  suite  de  trois  cent  dix  personnes  pour 
assister  à  l'entrée  solennelle  de  Pie  II,  au  mois  de  mai  1459. 
Rizzarda  de  Saluées,  mère  d'Hercule  I",  y  habita  à  partir  de 
1472  (1)  et  y  mourut  en  1474  (2).  Sous  le  règne  d'Hercule  I", 
c'est  à  Belfiore  que,  le  1"  septembre  1501 ,  fut  conclu  verbale- 
ment le  mariage  de  son  fils  Alphonse  avec  Lucrèce  Borgia,  et, 
le  28  juillet  1502,  César  Borgia,  accompagné  de  cinq  cava- 
liers, y  vint,  sous  un  déguisement,  surprendre  Lucrèce  par 
une  visite.  "  Il  resta  deux  heures  à  peine  auprès  d'elle  et 
partit  en  hâte,  escorté  jusqu'à  Modène  par  son  beau-frère 
Alphonse,  pour  se  rendre  auprès  du  roi  de  France  en  Lom- 
bardie  (3).  » 

Hercule  I"  fit  agrandir  la  résidence  de  Belfiore  par  Biagio 
Rossetti  et  y  ajouta  deux  parcs  appelés  le  Barchetto  et  le  Barco. 
Le  premier,  contigu  au  château,  était  le  plus  petit.  Des  murs 
et  des  fossés  l'entouraient,  et  l'on  y  accédait  par  quatre  portes 
munies  de  pont-levis.  Au  milieu  se  trouvait  un  vivier  circu- 
laire, dont  le  centre  était  occupé  par  une  loggia.  Le  reste  du 
terrain  était  consacré  aux  fleurs  et  aux  arbres  fruitiers.  En 
1476  parut  un  édit  menaçant  d'une  amende  de  dix  lire  et  de 
trois  traits  d'estrapade  quiconque  s'introduirait  dans  le  Bar- 
chetto pour  y  prendre  des  fruits  ou  autre  chose.  —  Quant  au 
Barco  (4),  qui  s'étendit  jusqu'à  Francolino  et  dont  la  création 
força  d'abattre  dans  la  campagne  un  grand  nombre  de  mai- 
sons, cinq  églises,  un  prieuré  et  un  hôpital,  travail  auquel 
furent  employés  près  de  deux  mille  paysans,  il  fut  peuplé  de 
lapins,   de   lièvres,   de  cerfs,  de  daims,   de    sangliers  et  de 

(1)  Quand  le  mariage  de  Lionel  avec  Marie  d'Aragon  eut  été  décidé  (1443), 
Rizzarda,  déjà  très  irritée  de  voir  ses  enfants  Hercule  et  Sigisniond,  tils  légitimes 
de  INicolas  III,  exclus  du  trône  par  un  bâtard,  se  retira  dans  sa  famille  à  Saluées. 
Après  l'avènement  d'Hercule,  elle  désira  revenir  à  Ferrare.  Le  duc  l'envoya 
chercher  par  Rinaldo,  son  frère  naturel,  accompagné  de  cent  cinquatite  per- 
sonnes. 

(2)  Elle  fut  ensevelie  auprès  de  son  mari,  Nicolas  III,  dans  l'église  de  Sainte- 
Marie  des  Anges. 

(3)  Gregobovius,  Lucrèce  Borqia,  t.  II,  p.  95. 

(4)  Il  a  été  célébré  par  le  poète  Tito  Strozzi. 


LIVRE    DEUXIEME.  473 

paons  (1).  Durant  la  guerre  contre  les  Vénitiens,  l'ennemi 
pénétra  jusque  dans  le  Barco,  qu'avaient  déjà  dévasté  les 
troupes  envoyées  par  Bentivoglio  au  secours  de  Ferrare  {2), 
renversa  en  partie  les  murs  du  Barchetto  et  s'empara  de  tous 
les  animaux  qu'il  put  attraper  (1482j.  Une  fois  la  paix  rétablie, 
le  prince  organisa  dans  le  Barco  des  courses  de  chevaux, 
d'ànes,  de  bœufs  et  même  de  femmes  (1486  et  1408)  :  il 
semblait  qu'on  fût  revenu  à  1  époque  de  la  Rome  impériale 
où  les  jeux  du  cirque  étaient  le  plus  en  honneur,  et,  par  un 
singulier  contraste,  c'est  alors  qu  Hercule  I"  faisait  construire 
1  église  actuelle  des  Chartreux  de  Ferrare,  et  comblait  de  ses 
faveurs  un  des  Ordres  religieux  soumis  à  la  règle  la  plus  sévère. 
Le  Barco  nous  rappelle  aussi  Benvenuto  Cellini.  Cet  artiste 
visita  trois  fois  Ferrare.  Il  v  vint  d'abord  en  se  rendant  de 
Florence  à  Venise  (1535).  Étant  descendu  à  l'auberge  située 
sur  la  place,  il  alla  en  compagnie  de  Tribolo  au-devant  d'Her- 
cule H  qui  revenait  de  Belfiore;  comme  il  avait  l'humeur  ba- 
tailleuse, une  rixe  eut  lieu  entre  lui  et  Niccolô  Benintendi. 
Deux  ans  plus  tard  (1537),  après  un  voyage  en  France,  il  passa 
par  Ferrare,  présenta  ses  hommages  au  duc  et  regagna  l'au- 
berge où  celui-ci  avait  envoyé  un  repas  ;  le  lendemain  il  partit 
pour  Lorette  et  Rome.  Enfin,  en  1540,  il  demeura  plusieurs 
mois  à  Belfiore,  se  querellant  avec  Alberto  Bendelei,  gentil- 
homme du  cardinal  d'Esté,  tuant  de  temps  à  autre,  à  Tinsu  de 
son  hôte,  un  paon  «  avec  de  la  poudre  muette  ii  ,  mais  exécu- 
tant du  moins  quelques  travaux  fort  appréciés,  par  exemple 

(1)  C'est  probablement  au  Harco  que  pensait  Xiccolo  da  Conejiyio,  quand  il 
écrivit  ces  vers  : 

E  un  barcho  grande  si  sleiulcva  poi 
Ove  passar  vedeasi  a  schiere  a  schiere 
Cer\'i,  capriol,  daiiii,  alffazelle, 
Struzzi  e  giraphe  cou  niacchiata  pelle. 

(Fabulajocundissima  di  Psyclie  et  Cupidwe.   Venise,  1510.) 

Speiandio  di  Bartolommeo  Savelli  sculpta  en  1475  et  en  1476  quatre  t«Hes 
d'après  le  duc  Hercule  1"  pour  orner  la  porte  principale  du  Barco. 

(2)  Ces  troupes  amies  coupèrent  aussi  les  moissons  en  herbe  dans  la  campagne 
et  pillèrent  les  paysans.  Hercule,  ayant  ordonné  de  pend.e  deux  soldats  chargés 
de  blé  vert,  fut  assailli  par  leurs  conq)agnons  qui  faillirent  le  tuer  :  il  empêcha 
les  Ferrarais  de  le  venger. 


474  L'ART    FERRAUAIS. 

un  bacino  et  un  hoccaletio.  Il  fit  en  outre  le  portrait  d'Her- 
cule II  dans  un  rond  de  pierre  noire  et  représenta  au  revers  la 
Paix  brûlant  à  Faide  d  une  torche  un  trophée  d'armes.  Cet 
ouvrage  lui  rapporta  une  bague  ornée  d'un  diamant  qui  valait 
plus  de  trois  cents  écus.  A  Belfiore  séjournaient  aussi  Ascanio 
et  Paolo  Romano  ses  élèves,  qui  furent  pensionnés  par  le  car- 
dinal de  Ferrare  et  qui  suivirent  ensuite  Cellini  en  France,  où 
François  I"  les  traita  beaucoup  plus  généreusement.  ^lalgré 
l'hospitalité  qu'il  avait  reçue,  Cellini  ne  conserva  pas  un  sou- 
venir agréable  de  Ferrare,  car  il  a  écrit  :  «  J'eus  grand  plaisir 
à  quitter  Ferrare;  je  n'y  ai  trouvé  de  bon  que  les  paons  que 
j'y  ai  mangés  pour  cause  de  santé  (1).  » 

Dans  une  partie  du  Barchetto,  Hercule  II,  à  son  tour,  in- 
stalla des  quadrupèdes  et  des  volatiles  d'espèce  rare.  Quatre 
girafes  envoyées  par  Christian  III,  roi  de  Danemark,  y  trou- 
vèrent place  aussi  en  15  49. 

Quant  au  duc  Alphonse  II,  successeur  d'Hercule  H  et  der- 
nier duc  de  Ferrare,  Frizzi  (:2)  rapporte  qu'il  se  livra  dans  le 
Barco  à  la  chasse  aux  canards  et  même  à  la  chasse  au  loup. 

En  163:2,  le  palais  de  Belfiore,  dont  il  ne  reste  plus  aucun 
vestige,  existait  encore.  On  ne  sait  pas  quand  il  fut  détruit. 
Toute  trace  du  parc  a  également  disparu. 

Près  du  palais  de  Belfiore,  Nicolas  III  fit  construire  une 
église  qui,  commencée  en  1436,  fut  consacrée  le  14  juillet 
1-440  par  l'évèque  de  Ferrare  Giovanni  Tavelli  da  Tossignano. 
Il  comptait  la  dédier  à  saint  Gotardo  d'Esté,  pai*ce  qu  il  souf- 
frait de  la  goutte,  mal  contre  lequel  on  avait  l'habitude  d'in- 
voquer ce  saint;  mais,  le  pape  Eugène  IV  ayant  accordé  à  tous 
les  fidèles  qui  la  visiteraient  le  15  août  une  indulgence  iden- 
tique à  celle  que  chacun  pouvait  gagner  en  allant  prier  ce  jour- 
là  dans  l'église  de  Sainte-Marie  des  Anges  à  Assise,  elle  fut 
appelée  aussi  Sainte-Marie  des  Anges.  On  la  trouve  cependant 
quelquefois  désignée  sous  le  nom  de  Santa  Maina  di  Bel- 
fiore. 

(i)  L.-N.  CiTTADELLA,  Notizie  relative  a  Ferrara,  t.  I,  p.  668. 
(2)  Memorie  per  la  storia  di  Fenara,  t.  IV,  p.  441. 


LIVRE    DEUXIEME.  475 

Les  boiseries  du  chœur  furent  presque  entièrement  l'œuvre 
d'Agostino  dalle  Nevole  de  Modène,  «  incisor  Ugnaminis  ■»  ,  fixé  à 
partir  de  1423  à  Ferrare,  où  il  mourut  en  14iO,  une  année 
avant  l'avènement  de  Lionel.  Un  document  du  5  mars  1440 
mentionne  un  bas-relief,  probablement  en  terre  cuite,  exécuté 
par  .1//c/?e/e  di  Nicolai'o  ou  Michèle  dello  Scalcagna,  sculpteur  flo- 
rentin, qui  fut  l'auxiliaire  de  Ghiberti  dans  l'exécution  des 
fameuses  portes  du  baptistère  (1).  En  1441  Arduino  da  Baisio, 
assisté  de  quatre  aides,  fit  les  armoires  à  jour  de  la  sacristie 
(1441),  ainsi  qu'un  pupitre  et  une  table  avec  des  ferrures  déli- 
cates (2),  tandis  qu'un  certain  Michèle  da  Firenzc,  peut-être 
Michèle  di  Nicolaio  ou  Michèle  dello  Scalcagna,  modelait  un 
tableau  en  terre  cuite  (1441).  En  1443,  un  ex-voto  en  cire 
coloriée,  dû  à  Nicole  Baroncelli  el  représentant  un  fauconnier 
de  grandeur  naturelle  avec  deux  gerfauts,  fut  placé  dans 
l'église  par  ordre  de  Lionel  :  peut-être  ce  fauconnier  était-il 
Costa  da  Gandia,  qui,  en  naviguant  vers  Chypre,  faillit  être 
victime  d'une  tempête  et  fit  vœu,  s'il  échappait  au  danger,  de 
donner  à  une  église  de  la  Vierge  un  témoignage  de  sa  recon- 
naissance (3).  C'est  également  à  la  munificence  de  Lionel  que 
l'église  de  Sainte-Marie  des  Anges  dut  un  orgue  exécuté  par 
Costantino  Tantino  de  Modène  :  cet  orgue  émerveilla  Cyriaque 
d'Ancône,  qui  appelle  l'auteur  un  nouvel  Apollon;  sur  la  base 
étaient  inscrits  des  vers  invitant  les  Piérides  à  voir  l'admirable 
instrument  (4). 

L'illustre  orfèvre  Amadio  da  Milano  fit  aussi  divers  objets 
pour  l'église  de  Belfiore,  notamment  des  encensoirs  à  figures, 
dorés  et  émaillés.  Un  tableau  de  Jacopo  Tiirola  prit  place  dans 
le  même  sanctuaire,  au  milieu  duquel  cet  artiste  peignit,  en 
outre,   quelques  figures  autour  d'un  crucifix  (1445).  L'année 

(i)   Archivio  storico  deli  arte  de  i89V,  p.  53. 

(2)  Ne  serait-ce  pas  telle  que  l'annaliste  Palineiio  vit  en  1V5S),  lors  de  l'entrée 
de  Pie  II  à  Ferrare?  Arduino,  au  dire  de  Falmerio,  y  avait  représente  avec  une 
incroyable  vérité  des  animaux  de  toute  espèce,  des  arbres,  etc.  (Muiutoui, 
Rerumltal.  Florent.,  t.  I,  p.  243.  —  VenïIRI,  I primordi  dal  rinasriinenlo  artis- 
tico  a  Ferrara,  p.  31.) 

(3)  Venturi,  I  primordi  dcl  rinascimeiUo  artistico  a  Ferrara.  p.  27. 
(4i   Ibid.,  p.  41. 


476  L'ART    FERRARAIS. 

de  sa  mort  (1451),  Turola  était  encore  occupé  dans  le  monas- 
tère. Lario  ou  Ilario  Garhanelli  de  Crémone,  aidé  de  Malatesla 
Roynano,  peignit  des  ornementations  ainsi  que  plusieurs  figures 
dans  quatre  chapelles  et  dans  la  loggia  qui  précédait  l'église 
(1450).  La  salle  capitulaire  s'enrichit  en  1447  d'un  crucifix 
dont  le  peintre  Nicole  Panizzato  était  l'auteur.  On  eut  égale- 
ment recours  àJacopo  da  Soncino,  surnommé  «Sa^ra?«oro.  Alvise, 
qui  était  au  service  de  Borso,  sculpta  en  1451  le  tombeau  de 
Marie  d'Aragon,  femme  de  Lionel,  et  c'est  sans  doute  sur 
l'ordre  de  Uorso  que  Cosimo  Tura  peignit  à  fresque,  au-dessus 
de  la  porte  principale,  la  Vierge  assise  sur  un  trône  avec  l'En- 
fant Jésus  et  entourée  d'un  chœur  d'anges. 

Sous  le  règne  d'Hercule  I",  l'architecte  Biagio  Rossetti  re- 
nouvela et  agrandit  l'église  de  Sainte-Marie  des  Anges,  qui  lut 
alors  pourvue  d'un  beau  campanile  (1). 

Lodovico  Mazzolino,  à  partir  de  1504,  la  décora  de  nom- 
breuses peintures,  dont  il  est  encore  question  à  l'année  1508 
dans  les  registres  de  la  cour  {2).  Un  autre  artiste,  Michèle 
Costa,  peignit  en  1504  la  chapelle  principale  et  dota  l'église 
d'un  tableau;  il  travaillait  encore  en  1507  (3).  Bartolomeo 
Brasone  fut  aussi  un  des  peintres  employés  vers  la  même 
époque  à  Sainte-Marie  des  Anges. 

Un  monastère  et  un  cloître  attenaient  à  cette  église.  Maître 
Qiovaîi7ii  couvrit  d'un  revêtement  en  terre  émaillée  la  tribune 
ou  chaire  du  réfectoire  {pergolo)  et  une  des  colonnes  du  cloître 
(1443).  Jacopo  Turola  décora  de  peintures  plusieurs  chambres 
(1445);  Nicole  Panizzato  peignit  un  crucifix  dans  le  dortoir 
(1447),  et  Sagramoro  laissa  aussi  dans  le  monastère  des  témoi- 
gnages de  son  talent.  Grâce  à  Lionel,  la  bibliothèque  du  cou- 
vent s'accrut  de  livres  précieux;  quelques-uns  contenaient  des 
miniatures  dues  à  Giovanni  Falconi  da  Firenzc  et  à  Giacomo 
Bussoli  d'Arezzo ,  qui  enluminèrent  également  des  volumes 
transcrits  à  Florence  et  envoyés  à  Ferrare  par  Méliaduse,  frère 

(1)  Campori,  Gli  architetti  e  gl'  incfegneri  degli  Estensi,  p.  7. 

(2)  Archivio  storico  dell'  arte,  année  II,  fasc.  II,  février   1889,  p.  86. 

(3)  Ad.  Ventl-ri,  L'arteferrarese  nel  periodo  dErcole  I  d'Esté,  p.  143,  144. 


LIVRE    DEUXIEME.  477 

de  Lionel  (1).  Parmi  les  ouvrages  que  cette  bibliothèque 
posséda  plus  tard  se  trouvait  une  Bible  annotée  par  Savo- 
narole.  Le  monastère  de  Belfiore  avait  été  concédé  le  21  no- 
vembre 1440  aux  Dominicains  de  la  Congrégation  Lombarde. 

A  l'époque  de  Lionel,  on  dressait  devant  l'église,  le  jour  de 
l'Ascension,  des  estrades  sur  lesquelles  étaient  joués  des  mys- 
tères (2). 

On  ne  peut  nommer  Sainte-Marie  de  Belfiore  sans  songer 
aussi  à  deux  éminents  personnages  ferrarais.  Lodovico  Car- 
bone y  harangua  Pie  II,  quand  ce  pape  passa  par  Ferrare  au 
mois  de  mai  1  459  en  se  rendant  à  Mantoue,  où  il  avait  convo- 
qué les  princes  chrétiens  pour  les  engagera  réunir  leurs  efforts 
contre  les  Turcs.  — Alors  que  Savonarole  résidait  encore  dans 
le  couvent  des  Dominicains  de  Bologne,  ses  supérieurs  l'en- 
voyèrent prêcher  à  Ferrare,  et  c'est  dans  l'église  située  auprès 
du  palais  de  Belfiore  qu'il  prononça  ses  sermons.  Il  était  encore 
inconnu. 

La  plupart  des  membres  de  la  famille  d'Esté  furent  ensevelis 
dans  cette  église,  notamment  Nicolas  III,  Lionel,  Alphonse  P 
et  l'infortuné  Ferrante,  mort  le  22  février  1540  après  une  longue 
captivité  dans  les  prisons  du  Gastello.  C'est  aussi  en  15i0 
qu'on  y  déposa  le  corps  d'Annibale  Bentivoglio. 

A  peu  près  détruite  par  un  tremblement  de  terre  en  1570, 
Sainte-Marie  des  Anges  fut  remplacée  par  un  magasin  à  foin, 
qui  a  lui-même  été  démoli  (3). 


PALAIS     DK     BELRIGUAIIDO     (4). 

La  résidence  de  Belriguardo,  située  près  de  Voghera,  à  sept 
kilomètres  de  Ferrare,  dut  son  origine  à  Nicolas  III,  qui  en  fit 

(1)  Ad.  Venturi,  I primordi  del  rinascimento  artistico  «  Fcrraia,  p.  39. 

(2)  Ibid.,  p.  41. 

(3)  Frizzi,  Memorie  per  la  storia  di  Frrrara,  t.  III,  p    'r72-473. 

(4)  Frizzi,  Memorie  per  la  storia  di  Ferrara,  t.  III,   p.  470.  —  L.-N.  Citta- 
DELLA,  Ricordi  e  dociimenti  intorno  alla  vita  di  Cosimo   Tura.   —  Ad.  Venturi, 


478  L'AllT    FERllARAIS. 

commencer  la  construction  en  1435  par  un  architecte  nommé, 
dit-on,  Giovanni  da  Siena  (1),  mais  qui  ne  la  vit  pas  ter- 
minée (2).  Pendant  la  dernière  année  de  sa  vie  (1441),  Jacopo 
Immola  exécuta  des  peintures  dans  les  tours  et  décora  un  co- 
lombier [colomhaia],  tandis  que  plusieurs  autres  artistes  s'oc- 
cupaient de  l'ornementation  des  chambres  :  une  d'elles  s'ap- 
pelait la  «  chambre  des  diamants  »  .  Comme  presque  tous  les 
édifices  de  cette  époque,  la  villa  de  Nicolas  III,  pourvue  de 
créneaux,  avait  l'aspect  d'un  château  fort. 

Tout  en  préférant  le  palais  de  Belfiore,  Lionel,  fils  et  suc- 
cesseur de  Nicolas  III,  prit  soin  d'achever  et  d'embellir  celui 
deBelriguardo.  C'est  lui  qui  créa  les  ^  Chambres  vertes  "  et  la 
«  salle  des  Sibvlles  r  .  Sur  son  ordre,  un  certain  Brasavola  fit 
des  voûtes  et  des  colonnes  (1445).  Arduino  da  Baisio,  «  incisor 
lignaminis  w  ,  sculpta  les  boiseries  qui  garnissaient  le  cabinet 
du  prince  (1447).  Peu  aY)rès,  Nicolô  Panizzato  peignit  plusieurs 
figures  dans  une  pièce,  où  travailla  également  Jacopo  da  So}i- 
ci?io,  surnommé  Sagramoro,  qui  représenta,  en  outre,  dans  la 
tour  du  palais,  l'aigle  blanche  sur  fond  d'azur  (armoiries  de  la 
famille  d'Esté)  et  l'emblème  particulier  de  Lionel  (un  anneau 
avec  un  diamant  et  une  marguerite).  Les  peintures  de  Sagra- 
moro ne  devaient  pas  être  sans  importance,  car  Andréa  da 
Vicenza  et  Jacopo  Busoli,  désignés  comme  experts,  les  esti- 
mèrent 1662  lire.  Auparavant,  un  peintre  célèbre,  Vittore  Pi- 
sano,  avait  entrepris  pour  Belriguardo  un  tableau  à  l'occasion 
duquel  il  toucha  un  acompte  de  cinquante  ducats  d'or  (15  août 
1445).  Les  vingt-cinq  ducats  qu'il  reçut  plus  tard  (8  janvier 


Cosniè  Tura  e  la  cappella  di  Belriguardo,  dans  le  journal  //  Buonarroti, 
série  III,  vol.  II,  quaderno  ii,  1885.  —  G.  Campori,  I  pittoii  degli  Estensi  nel 
sccolo  .Y  F,  1886. 

(1)  Rio,  De  l'art  chrétien,  t.  III,  p.  402.  —  L'attribution  des  plans  de  Belri- 
guardo à  Giovanni  da  Siena  n'est  prouvée  par  aucun  document. 

(2)  ISicolas  III  annexa  à  son  palais  un  vaste  domaine  dont  il  paya  comptant  la 
valeur  aux  particuliers  qui  en  possédaient  les  diverses  parties.  —  !iSon  loin  de 
Belriguardo,  il  se  fit  cle%-er,  vers  1435,  un  autre  palais  à  Consandolo  sous  la 
direction  de  son  intendant  général,  Bartolommeo  Pendaglia,  à  qui  il  avait  donné 
de  nombreux  terrains  dans  ces  parages.  Au  dire  de  Flavio  Biondo,  la  delizia  de 
Consandolo  était  très  somptueuse,  «  magnijici  operis  œdibus  ornatissima  >< . 


LIVRE   DEUXIEME.  479 

1447)  furent  peut-être  le  complément  du  prix.  C'est  dans  le 
palais  de  Belriguardo  que  mourut  Lionel  (1). 

Pas  plus  que  ses  prédécesseurs,  Borso  ne  négligea  le  palais 
de  Belriguardo,  où  il  demeurait  quand  Agostino  Villa,  Juge 
des  Sages,  vint  lui  offrir  le  trône  de  lerrare.  Il  voulut  agrandir 
ce  palais  (2),  lui  donner  une  physionomie  moins  rébarbative, 
en  rapport  avec  le  goût  de  la  Renaissance  pour  les  formes 
classiques,  et  y  ajouter  tout  ce  qui  pouvait  charmer  les  yeux 
ou  contribuer  aux  aises  de  la  vie.  En  même  temps,  il  ordonna 
de  consolider  une  partie  de  l'édifice  menacée  de  ruine.  Pier 
di  Ronchogallo^  sous  la  direction  de  maitre  Rigone,  architecte 
ducal,  et  Pietro  di  Benvenuto  (1465)  travaillèrent  là  successive- 
ment (3).  Alvise  sculpta  des  colonnes,  des  chapiteaux  et  des 
bases  (1457).  Deux  cours  nouvelles  furent  disposées  par -Srt/- 
dassare  de  Galvani;  Meo  di  Checco  fit  des  couvercles  en  marbre 
pour  les  puits  (1461),  et  Cristofano  da  Mantova  amena  l'eau 
du  Pô  dans  le  vivier  du  parc  (1463).  Un  potier  nommé  Nicolô 
reçut  diverses  commandes  en  1452  (4).  A  l'intérieur  du  palais, 
de  nouvelles  décorations  furent  entreprises  :  Galasso  di  Matteo 
Piva  toucha  en  1450  un  acompte  de  dix  lire  pour  des  pein- 
tures qu'il  devait  faire  dans  une  des  chambres,  et  en  1451  on 
lui  paya,  d'après  l'estimation  d'Antonio  Orsini,  cent  dix-huit 
lire  et  cinq  soldi,  comme  prix  de  ses  œuvres  dans  la  salle  en 
partie  décorée  par  Panizzatto  dès  1447  (5). 

Sous  le  règne  d'Hercule  P%  le  palais  de  Belriguardo  reçut 
de  nouveaux  embellissements.  En  1494,  Ercole  Boberii  pré- 
parait des  cartons  pour  les  peintures  qui  devaient  orner  deux 
grandes  salles,  et  don  Alphonse  d'Esté,  qui  les  avait  comman- 
dées, ne  se  lassait  pas  de  regarder  l'artiste  travailler,  aban- 

(i)    Voyez  p.  46. 

(2)  En  1470,  il  y  employa  tant  de  paysans  et  de  bêtes  de  somme  que  l'agri- 
culture en  souffrit  beaucoup  et  que  des  plaintes  s'élevèrent  de  toutes  parts. 
(Frizzi,  Mein.  perla  storia  di  Fcrrara,  t.  IV,  p.  70.) 

(3)  C'est  Pietro  di  Benvenuto  qui  a-ji-andit  le  palais  de  S(liifani)ia  c-t  qui  cuii- 
struisit  un  des  palais  donnés  par  Horso  à  son  favori  TeoHIo  Caliajjnini. 

(4)  A  l'époque  de  Lionel,  maître  Giovanni  avait  déjà  fait  quatre  urnes  eu  terre 
cuite. 

(5)  Campori,  I piltori  degli  Estensi  net  sccolo  XV,  p.  21. 


480  L'ART    FERRARAIS. 

donnant  pour  cela  ses  distractions  favorites  et  ne  permet- 
tant pas  à  Ercole  Roberti  de  s'occuper  d'un  portrait  du 
duc  que  désirait  sa  sœur  Isabelle  d'Esté,  marquise  de  Man- 
toue  (1). 

A  côté  du  château  s'élevait  une  chapelle,  où  Nicolo  Panizzato 
avait  peint  sur  l'ordre  de  Lionel  des  figures  et  des  feuillages. 
Borso  prit  à  cœur  de  la  rendre  digne  de  l'admiration  générale, 
et  en  confia  la  décoration,  d'abord  à  Angelo  di  Pietro  de  Sienne, 
puis  à  Cosimo  Tiira.  Angelo  di  Pietro,  qui  fit  son  testament  à 
Ferrare  le  16  novembre  1458,  est  peut-être  le  même  artiste 
que  l'auteur  des  Muses  dans  le  palais  de  Belfiore.  Quant  au 
travail  entrepris  par  Cosimo  Tura,  ce  fut  une  des  principales 
œuvres  de  ce  maître  (2). 

C'est  le  30  mai  1469  que  furent  rédigées  les  conventions 
entre  ce  peintre  éminent  et  le  duc  de  Ferrare.  Borso  se  réser- 
vait de  désigner  les  sujets.  Il  prenait  à  sa  charge  les  fourni- 
tures de  couleurs  et  d'or,  ainsi  que  l'entretien  de  Cosimo  et  de 
deux  aides  (3),  et  devait  faire  remettre  à  Cosimo  quinze  lire 
marchesine  chaque  mois.  De  son  côté,  Tura  s'engageait  à  exé- 
cuter sa  tâche  en  cinq  ans  et  à  employer  le  procédé  de  la 
peinture  à  l'huile.  Après  l'achèvement  des  travaux,  le  com- 
plément de  son  salaire  serait  fixé  par  deux  artistes  «  intendenti, 
siifflcienti  e  famosi  »  . 

Cet  acte  une  fois  signé,  il  se  rendit  à  Venise  afin  d'acheter 
des  couleurs  et  de  l'or,  et  ses  appointements  commencèrent  à 
courir  le  1"  août;  mais  avant  de  se  mettre  sérieusement  à 
l'œuvre,  il  alla  vers  la  fin  de  novembre,  peut-être  d'après  la 
volonté  de  Borso,  voir  à  Brescia,  pour  les  étudier  et  s'en  in- 
spirer,   les   peintures    dont   Gentile    da  Fabriano,    considéré 


(1)  Voyez  y Archivio  storico  dclV  ttrle,  année  II,  fasc.  II,  février  1889,  p.  85 
et  354. 

(2)  Venturi,  L'arte  a  Feriara  iiel  periodo  di  Borso  d'Esté,  p.  716-718.  — 
Campori,  I  pittori  degli  Estensi  nel  secolo  XV,  p.  25-27. 

(3)  Par  suite  de  cette  clause ,  quatorze  cent  quatre-vinfjt-huit  repas  furent 
fournis  à  Cosimo  Tura  et  à  ses  deux  aides,  installés  à  Belriguardo.  Les  noms  des 
deux  aides  ne  nous  sont  pas  parvenus.  (Campori,  I  pittori  degli  Estensi  nel  secolo 
A'^p.  29.) 


LIVRE   DEUXIEME.  481 

comme  le  «  maître  des  maîtres  •; ,  avait  orné,  sur  l'ordre  de 
Pandolfo  Malatesta,  la  chapelle  du  Broletto  (1). 

A  partir  de  1470  (2),  il  s'occupa  sans  relâche  de  la  chapelle 
de  Belriguardo,  et  à  la  fin  de  1471  il  en  avait  terminé  la  déco- 
ration, travail  accompli  en  moins  de  trois  ans.  L'expertise  qui 
eut  lieu  conformément  aux  conventions  porte  en  effet  la  date 
du  21  mars  1472  :  elle  fut  faite  par  Baldassare  d'Esté  (3), 
mandataire  de  Borso,  et  par  Antonio  Orsini  da  Yenezia,  man- 
dataire de  Tura.  Les  deux  experts  évaluèrent  à  six  cent 
soixante-deux  lire  et  quinze  soldi  la  somme  qui  restait  due  à 
celui-ci.  C'est  grâce  à  leur  rapport  détaillé,  transcrit  sur  les 
registres  de  la  cour  (4),  que  nous  connaissons  l'ensemble  des 
décorations  qu'il  exécuta,  car  depuis  longtemps  elles  n'existent 
plus,  et  aucun  écrivain  n'en  a  parlé  (5).  La  chapelle  de  Belri- 
guardo  était  octogone  dans  sa  partie  inférieure,  et  chaque  pan 
de  l'octogone  était  couronné  d'une  lunette  demi-circulaire. 
Ces  lunettes,  où  étaient  peints  les  quatre  évangélistes  et  les 
quatre  docteurs  de  l'Église,  pénétraient  dans  une  coupole  cir- 
culaire sur  les  parois  de  laquelle  on  voyait  cent  vingt  et  un 
séraphins  en  stuc  répartis  en  plusieurs  zones.  Les  séraphins 
étaient  pourvus  d'ailes  dorées,  et  leurs  figures  avaient  la  cou- 
leur des  figures  naturelles.  La  coupole  était  dominée  par  une 
lanterne.  Au  sommet  de  cette  lanterne,  dans  un  champ  en- 
touré de  vingt-quatre  séraphins  en  stuc  doré  et  bruni,  était 
peint  Dieu  le  Père.  La  partie  inférieure  de  la  lanterne  formait 


(1)  Cette  chapelle  a  été  transfonnce  en  magasin,  et  la  façade  seule  conserve 
quelques  vestifjes  architecloniques  du  quinzième  siècle.  L'ancien  palais  public  de 
Brescia  s'appelait  le  Broletto. 

(2)  Au  mois  de  juillet  de  l'année  1470,  un  agent  ducal,  Apollonio  Minolto, 
acheta  pour  lui  à  Venise  du  bleu  d'outremer  et  quinze  cents  feuilles  d'or,  ce  qui 
ne  fut  pas  suffisant,  car  en  1471  Guglielmo  da  l'avia  lui  en  envoya  deux  mille 
six  cents. 

(3)  Par  une  curieuse  coïncidence,  Cosimo  Tura,  la  même  année,  fut  chargé  par 
le  marchand  d'origine  milanaise  Simone  lluhni,  citoyen  de  Fcrrarc,  d'estimer 
un  travail  de  Baldassare  d'Esté  dans  une  chapelle. 

(4)  Ad.  Venturi,  Cosmè  Tura  e  la  cappella  di  Belriguardo,  dans  le  journal 
//  Buonarotti,  série  III,  vol.  II,  quaderno  il,  1885. 

(5)  Lodovico  Carbone  se  borne  à  les  mentionner  dans  un  de  ses  dialogues, 
sans  rien  préciser. 

I.  31 


482  L'ART   FERRARAIS. 

un  entablement  dont  la  frise  était  ornée  d'une  inscription  en 
lettres  d'or  sur  fond  bleu.  Au-dessus  de  l'entablement  se  trou- 
vait une  paroi  percée  de  six  fenêtres  circulaires,  et  les  enca- 
drements de  ces  fenêtres  étaient  décorés  de  palmettes  et  de 
dattes.  Les  douze  intervalles  compris  entre  ces  encadrements 
étaient  garnis  de  feuillages.  Au-dessus  des  fenêtres,  une  nou- 
velle corniche  servait  de  base  à  la  petite  coupole  finale.  — 
Dans  la  décoration  polychrome,  les  fonds  et  les  frises  étaient 
principalement  colorés  soit  en  indigo,  soit  en  bleu  d'outremer, 
soit  en  azur  d'Allemagne,  tandis  que  les  encadrements  des 
lunettes  et  des  œils-de-bœuf  étaient  colorés  en  laque  rose.  Les 
corniches  étaient  presque  entièrement  dorées.  Certaines  par- 
ties de  la  décoration  étaient  argentées;  les  autres  étaient 
peintes  en  blanc.  Au-dessous  des  lunettes  se  trouvait  une  archi- 
trave, et  le  sommet  de  la  grande  voûte  était  bordé  d'une  frise 
entourant  l'ouverture  de  la  lanterne.  —  Il  ne  fut  pas  donné  à 
Borso  d'admirer  cette  belle  décoration  :  la  mort  le  frappa  le 
19  août  1471  (1). 

Le  palais  de  Belriguardo,  auquel  le  duc  Hercule  I"  fit  ajou- 
ter de  nouvelles  constructions  par  l'architecte  Biagio  Rossetti 
vers  la  fin  du  quinzième  siècle,  avait  fini  par  avoir  autant  de 
pièces  qu'il  y  a  de  jours  dans  l'année,  si  l'on  en  croit  Annibale 
Romei  (2),  et  était  renommé  pour  sa  magnificence  de  bon 
goût;  mais,  sous  le  règne  d'Alphonse  II,  il  fut  complètement 
transformé  et  subit  les  flétrissures  du  style  de  la  décadence. 
Ses  alentours  conservèrent  du  moins  leur  beauté.  On  apporta 
une  grande  recherche  dans  la  culture  des  jardins,  où  l'on  éta- 
blit des  jeux  de  ballon  et  de  raquettes.  En  1592,  le  duc  passa 
Tété  dans  cette  résidence  avec  sa  famille  et  ses  ministres.  Un 


(1)  Borso  se  fit  construire  dans  ses  États  plusieurs  palais,  notamment  à  Sas- 
suolo,  où  l'attiraient  la  pureté  de  l'air  et  le  charme  du  site  ;  à  Quartcsana,  à 
Ostellato,  à  Monte  Santo,  à  Ficarolo,  à  Fossadalbero,  Des  travaux  de  quelque 
importance  furent  aussi  exécutés  sur  son  ordre  dans  les  maisons  de  campagne  de 
Medelana,  Consandolo,  Zenzalino,  Migliaro.  Les  palais  de  Bagnacavallo  et  de 
Modcne  lui  durent  également  des  améliorations.  (Campori,  Gli  arcliitetti  e  gV  in- 
gegneri  civili  e  militaii  clegli  Estensl  dal  secolo  XIII al  XVI,  p.  5.) 

(2)  Discorsi,  Giornata  I. 


LI\'RE  DEUXIEME.  483 

grand  nombre  de  dames  et  de  gentilshommes  entretenaient 
autour  de  lui  l'animation  et  la  gaieté.  Quiconque  venait  à  Bel- 
riguardo  pour  rendre  hommage  au  prince  ou  pour  parler  d'af- 
faires était  hébergé  dans  le  palais.  Les  jeux,  la  musique,  les 
cavalcades,  la  chasse  aux  faisans  et  aux  perdrix  occupaient  le 
temps  de  cette  cour  brillante  et  avide  de  plaisir  (1). 

Le  palais  de  Belriguardo  rappelle  aussi  le  Tasse.  A  peine 
entré  au  service  d'Alphonse  II,  l'illustre  poète  y  travailla  au 
poème  «  qui  devait  élever  son  nom  au-dessus  du  nom  de  ses 
protecteurs  (2)  »  .  C'est  là  aussi  que,  au  printemps  de  1573,  il 
vit  représenter  son  Aminta.  Quelques  années  plus  tard,  le  duc 
l'y  envoya  pour  apaiser,  dans  une  solitude  attrayante,  son  ima- 
gination inquiète  et  sa  raison  sérieusement  ébranlée. 

Aujourd'hui,  il  n'y  a  pour  ainsi  dire  aucun  vestige  de  l'édi- 
fice somptueux  où  tant  de  princes  avaient  cherché  tantôt  un 
repos  complet,  tantôt  de  simples  distractions.  A  la  fin  du  sei- 
zième siècle,  l'abandon  commença,  et,  au  dix-septième,  on 
constatait  déjà  un  anéantissement  presque  complet. 


RÉSIDENCE    DU    BELVÉDÈRE    (3). 

Le  palais  du  Belvédère  fut  construit  entre  1514  et  151(3 
pour  Alphonse  V^  par  Girolamo  da  Carpi  non  loin  de  Ferrare, 
un  peu  au  delà  du  Castel  Tedaldo,  à  l'extrémité  orientale  d'une 
île  du  Pô.  Cette  île  était  à  peu  près  de  forme  ovale  et  n'avait 
guère  moins  d'un  mille  de  longueur.  Suivant  quelques  écri- 
vains, un  mur  crénelé  la  protégeait  de  toutes  parts.  On  abor- 
dait par  un  magnifique  escalier  de  marbre  aboutissant  à  une 

(1)  Frizzi,  Memorie  pcr  la  sloria  di  Ferrara,  t.  IV,  p.  4'i-l, 

(2)  Lamartine,  Entretiens,  t.  XVI,  p.  67. 

(3)  Frizzi,  Memorie  per  la  storia  di  Ferrara,  t.  IV,  p.  273-274.  —  L.-N. 
CiTTADELLA,  Notizie  relative  a  Ferrara,  t.  I,  p.  350,  note  2.  —  Eincsto  Masi, 
/  Burlamacchi  c  alcuni  documcnti  intorno  a  Renata  d'Esté.  Hulofjiia,  1876, 
p.  127-128.  —  Anton.  Francesco  Trotti,  Le  delizie  del  Belvédère  illustrate, 
dans  le  tome  II  des  Atti  dclla  deputazione  ferrarese  di  storia  patria.  Ferrara, 
Bresciani,  1889. 


484  L'ART    FEURAllAIS. 

cour  oniée  de  gazons  et  pourvue  d'une  fontaine.  Au  fond  de 
]a  cour  s'élevait  le  palais,  avec  un  double  portique  soutenu 
par  des  colonnes  corinthiennes.  Un  atrium,  couvert  de  pein- 
tures, donnait  accès  dans  les  salles  destinées  aux  festins  et  aux 
réceptions,  où  ne  manquaient  non  plus  ni  les  peintures  ni  les 
sculptures.  De  grandioses  escaliers  conduisaient  à  des  apparte- 
ments somptueux  qu'avaient  décorés  les  deux  Bossi,  assistés  de 
Girolamo  da  Carpi.  Plusieurs  pièces  étaient  tendues  de  tapis- 
series tissées  d'après  les  dessins  ou  les  cartons  de  Jules  Romain 
et  à' Antonio  Licinio,  dit  le  Pordenone.  Aux  côtés  du  palais,  sur 
la  même  ligne,  on  voyait  deux  tours  accompagnées  de  por- 
tiques. L'une  d'elles  (celle  du  côté  de  la  ville)  était  la  retraite 
préférée  du  duc,  et  était  contiguë  à  la  chapelle,  dont  la  déco- 
ration était  entièrement  due  à  Giovanni  et  à  Battista  Dosso. 
Cette  chapelle  était  suivie  d'un  autre  bâtiment  faisant  face  à 
un  bâtiment  semblable.  Entre  eux  s'étendait  un  jardin  à  com- 
partiments entourés  de  buis,  avec  des  plantes  rares  et  des  jets 
d'eau.  Un  peu  plus  loin,  plusieurs  constructions  basses  ser- 
vaient de  ménagerie.  On  y  avait  rassemblé  des  poules  de 
l'Inde,  des  paons,  des  autruches,  des  colombes,  des  cygnes, 
des  ânes  prodigieusement  petits  et  jusqu'à  des  éléphants.  Deux 
portiques  entouraient  l'ensemble  des  constructions.  Venait 
ensuite  un  vaste  parc,  où  Ion  avait  réservé  une  partie  du  ter- 
rain à  la  culture  de  la  vigne  et  des  arbres  fruitiers.  Le  reste 
était  occupé  par  des  prés  et  par  un  bois  dans  lequel  on  admi- 
rait des  arbres  de  toute  espèce  et  qui  en  été  procurait  aux  pro- 
meneurs une  ombre  épaisse.  Des  bains  avaient  été  disposés 
au  milieu  de  ce  bois. 

Il  était  naturel  qu'une  pareille  résidence  fût  célébrée  par  les 
écrivains  en  renom.  Giulo  Cesare  Bordoni  (I),  dans  son  Ely- 
sium  dédié  à  Isabelle  d'Esté,  Scipione  Balbo ,  dans  un  autre 
poème  latin  dédié  à  Bonaventura  Pistofolo,  Celio  Calcagnini, 
dans  une  épigramme,  etl'Arioste,  dans  son  Roland  furieux  (:2), 
l'ont  décrite  avec  enthousiasme.  Pour  avoir  parlé  d'elle  en 

(i)    Appelé  aussi  Scalif^ero. 

(2)  Chant  43,  stances  57  et  suiv. 


XIVRE  DEUXIEME.  485 

prose,  Fra  Leandro  Alberti  de  Bologne,  Agostino  Steuco  de 
Gubbio,  Schrader  d'Halberstadt,  Guarini,  Giovanni  Battista 
Giraldo  Cintio,  Faustini,  Penna,  Scalabrini,  Frizzi  et  Boschini 
ne  lui  ont  pas  prodigué  moins  d'éloges.  Les  renseignements 
sont  donc  nombreux,  et  l'on  n'est  pas  réduit  à  de  vagues  sup- 
positions pour  se  la  représenter. 

Parmi  tous  les  palais  de  plaisance  situés  dans  les  environs 
de  Ferrare,  aucun  n'agréait  autant  à  Alphonse  I"  que  la  villa 
du  Belvédère.  C'est  là  qu'il  se  retirait  le  plus  volontiers  quand 
il  voulait,  soit  se  reposer  des  soucis  du  gouvernement,  soit 
méditer  sur  la  conduite  des  affaires  publiques.  C'est  là  surtout 
qu'il  aimait  à  amener  les  étrangers  de  marque  pour  jouir  de 
leur  étonnement  et  de  leur  admiration.  Avant  de  faire  son 
entrée  solennelle  à  Ferrare,  Renée  de  France,  qu'Hercule,  fils 
aîné  d'Alphonse  1",  avait  épousée  à  Paris  le  28  juin  1528, 
s'arrêta  dans  cette  séduisante  demeure.  En  revenant  de  France, 
à  la  mort  de  son  père,  Alphonse  II  commença  aussi  par  sé- 
journer dans  le  palais  du  Belvédère,  où  les  Sages,  ayant  à 
leur  tête  Galeazzo  Estense  Tassoni,  vinrent  lui  remettre  le 
sceptre  (26  novembre  1559).  Barbe  d'Autriche,  la  seconde 
femme  d'Alphonse  II,  y  resta  quatre  jours  (du  2  au  5  décem- 
bre  1565)  avant  d'entrer  en  grande  pompe  dans  sa  capitale. 

Vers  la  fin  du  seizième  siècle,  la  résidence  du  Belvédère 
appartenait  à  Lucrezia  d'Esté,  duchesse  d'Urbin,  qui  l'aban- 
donna au  cardinal  Pietro  Aldobrandino,  et  celui-ci  s'empressa 
de  la  vendre  à  son  oncle  Clément  VIII,  devenu  maître  de  Fer- 
rare. Afin  de  tenir  en  respect  ses  nouveaux  sujets,  le  Souve- 
rain Pontife  fit  construire  une  vaste  forteresse  dont  une  partie 
engloba  l'île  du  Belvédère.  Tout  ce  que  l'on  admirait  dans 
cette  île  fut  sacrifié  en  1603  à  des  calculs  stratégiques  (1).  Du 
reste,  ce  ne  fut  pas  seulement  le  palais  du  Belvédère  qui  dis- 
parut alors    :    on   abattit   aussi    pour   le  même  motif  (nous 

(1)  Quatre  colonnes  dans  le  vcstil)ule  de  la  calhcdralc  et  un  escalier  en  coli- 
maçon qui,  après  avoir  appartenu  à  l'une  des  tours  érijjées  aux  côtés  du  palais, 
fut  concédé  au  couvent  de  San  Spirito,  voilà  tout  ce  qui  reste  aujo.urd'iiui  de  la 
résidence  si  chère  à  Alph(jns-e  I^"^  et  si  fort  appréciée  de  ses  contemporains. 


486  L'AllT   FERRARAIS. 

l'avons  déjà  dit,  p.  232)  plusieurs  autres  palais  dans  le  faubourg 
de  Saint-Jacques,  quelques  tours,  un  couvent,  six  églises,  un 
hôpital  et  le  Gastel  Tedaldo,  construit  à  la  fin  du  dixième 
siècle.  Après  deux  cents  ans  d'existence,  la  forteresse  fut 
détruite  à  son  tour  (1). 

En  visitant  le  premier  cloître  du  couvent  de  Saint-Paul,  qui 
a  été  transformé  en  prison,  il  était  possible  autrefois  de  se 
faire  une  idée  approximative  de  la  villa  d'Alphonse  I".  Giro- 
lamo  da  Carpi  avait  représenté  dans  les  lunettes,  outre  un  cer- 
tain nombre  de  paysages,  le  palais  du  Belvédère,  celui  de 
Belfiore  et  le  Gastel  Tedaldo.  Malheureusement,  une  couche 
de  chaux  fut,  dit-on,  appliquée  en  1699  sur  ces  peintures,  dont 
on  n'a  cependant  pas  retrouvé  les  traces  lorsqu'on  se  livra,  il 
y  a  quelques  années,  à  une  sérieuse  investigation. 


PALAIS    DE    COPPARO    (2). 

Le  palais  de  Gopparo,  création  d'Hercule  II,  date  de  1547 
et  fut  construit  par  Terzo  de'  Terzi  (3).  Il  remplaça  une  mo- 
deste villa  (4)  que  le  duc  possédait  depuis  1540  et  où  il  se  reti- 
rait volontiers  à  l'époque  de  la  chasse.  Au  milieu  de  l'édifice, 
l'architecte  avait  ménagé  une  grande  loggia,  à  l'intérieur  de 
laquelle  Garofalo  peignit  à  l'huile,  en  collaboration  avec  son 
élève  Girolamo  da  Carpi  [z>),  seize  figures  assises  représentant 
les  seize  princes  de  la  maison  d'Esté  qui  avaient  régné  sur 
Ferrare,  c'est-à-dire  Azzo  IV,  Aldobrandino  I",  Azzo  V, 
Obizzo  II,  Azzo  VI,  Einaldo  II,  Obizzo  III,  Aldobrandino  II, 
Nicolas  II  le  Boiteux  (Zoppo),  Albert  II,  Nicolas  III,  Lionel, 


(i)   Fnizzi,  Memorie  per  la  storia  di  Feriara,  t.  Y,  p.  37-39. 

(2)  Frizzi,  Memorie  per  la  storia  di  Fcrrara,  t.   IV,   p.  337.  —  Baruffaldf, 
Vite  de'  pittori  e  scultori  ferraresi,  t.  I,  p.  387-389. 

(3)  L.-N.  GiTTADELLA,  Notizie  relative  a  Ferraia,  t.  I,  p.  544-545. 

(4)  Une  partie  de  cette  villa  avait  été  construite  par  Borso.  (Gampori,  Gli  arclii- 
tetti  e  gl'  ingegneri  degli  Estenxi  dal  secolo  XIII  al  XVI ^  p.  5.) 

(5)  L.-N.  GiTTADELLA,  Bcnveuuto  Tisi,  p.  52.  —  Vasarf,  t.  VI,  p.  466,  475. 


LIVRE  DEUXIEME.  487 

Borso,  Hercule  I",  Alphonse  I"  et  Hercule  H.  Dans  un  livre 
qui  existe  encore  (1),  le  poète  Gintio  Giraldi  loue  spéciale- 
ment le  portrait  d'Hercule  II  qui  se  distinguait  entre  tous  les 
autres  par  la  majesté  de  l'attitude,  la  perfection  de  la  ressem- 
blance et  la  vivacité  du  coloris.  Pour  compléter  la  décoration 
de  cette  loggia,  Girolamo  da  Carpi  exécuta  en  grisaille  des 
sujets  très  variés  :  ici,  l'on  voyait  des  paysages,  des  termes, 
des  treilles,  des  arabesques;  là,  on  reconnaissait  des  villes  et 
des  châteaux  dépendant  du  duché  de  Ferrare.  Hercule  H 
avait,  en  outre,  fait  peindre  dans  une  salle  du  palais  la  bataille 
de  Marignan,  que  l'on  a  faussement  attribuée  aux  Dossi.  Elle 
eut  probablement  pour  auteurs  Girolamo  da  Carpi  et  Camillo 
Filippi,  peintres  attitrés  de  la  cour  d'Esté.  Assez  bien  conser- 
vées du  temps  de  Baruffaldi,  les  importantes  peintures  que 
nous  venons  d'indiquer  périrent  en  1808  dans  un  incendie. 
Les  flammes  avaient  détruit  la  moitié  du  palais.  En  1822,  le 
reste,  sauf  trois  tours,  fut  démoli. 


PALAIS    DELLA    MESOLA    (2). 

Près  de  la  mer,  à  quelque  distance  du  port  de  Goro,  Her- 
cule \"  avait  acheté,  en  1 490,  un  vaste  domaine  avec  des  bois 
où  abondaient  les  sangliers,  les  cerfs,  les  chevreuils,  les  vola- 
tiles. Sa  prédilection  pour  une  propriété  si  favorable  à  la 
chasse  fut  partagée  par  ses  successeurs,  surtout  par  Alphonse  H, 
qui  y  fit  construire  un  magnifique  palais  avec  quatre  tours. 
Commencé  en  1578  et  terminé  en  1583,  ce  palais  coûta 
environ  deux  cent  mille  écus.  Les  communes  de  la  province 
fournirent  non  seulement  des  matériaux,  mais  des  hommes  de 
corvée.  On  peut  se  représenter  l'importance  du  domaine  de 
Mesola  quand  on  songe  à  l'étendue  du  mur  d'enceinte  :   ce 

(1)  De  Ferraria    et  Atestiitis  principibus.   Cet  ouvrajje  a  été  trailuit  en  italiea 
par  DoMENiCHi  sous  ce  titre  :  Comnientarii  délie  cose  d!  Fcrraïa. 

(2)  Fnizzi,    Memorie  per  la  storia  di  Ferrara,  t.   IV^,  p.  416,  441.  —  L.-N 
CiTTADELLA,  Nottzie  relative  a  Ferrara,  t.  I,  p.  352. 


488  L'A  UT    FERRARAIS. 

mur,   percé  de  quatre   portes  (au  nord,  à  Test,  au  sud  et  à 
Fouest),  n'avait  pas  moins  de  douze  milles. 

Alphonse  II  aimait  à  résider  en  automne  à  Mesola,  où  il 
menait  grand  train,  avec  une  noble  et  nombreuse  compagnie. 
Chacun  se  livrait  aux  plaisirs  de  son  goût,  à  la  pèche  dans 
l'Adriatique,  ou  à  la  chasse  dans  les  bois  du  voisinage  (I).  Par 
crainte  de  l'àpre  vent  qui  souffle  sur  la  plage  pendant  l'ar- 
rière-saison,  les  dames,  en  général,  prenaient  part  de  préfé- 
rence à  la  poursuite  des  bêtes  sauvages.  Traqués  dans  leurs 
retraites  par  les  chasseurs  et  par  les  chiens,  cerfs,  sangliers 
et  autres  animaux  affluaient  dans  les  clairières,  où  ils  expi- 
raient sous  les  coups  des  épieux  et  des  javelots.  Ce  n'étaient 
pas  là  les  seuls  divertissements  qui  rendaient  agréable  à  la 
haute  société  ferraraise  le  séjour  de  Mesola.  La  musique, 
la  danse,  les  comédies,  les  discussions  littéraires  et  amou- 
reuses, les  jeux  de  toutes  sortes,  les  exercices  chevaleresques 
et  les  farces  même  servaient  aussi  de  passe-temps.  On  tirait 
au  sort  dans  l'assistance  le  nom  d'une  des  dames,  à  laquelle 
on  donnait  pour  un  jour  le  titre  de  reine.  Un  des  gentilshom- 
mes lui  succédait  le  lendemain  en  qualité  de  roi,  et  était  rem- 
placé à  son  tour  par  une  nouvelle  reine,  et  ainsi  de  suite. 
Reines  et  rois  réglaient  l'emploi  des  heures  et  ne  se  faisaient 
pas  scrupule  d'ordonner  des  extravagances,  auxquelles  on  se 
soumettait  en  riant.  Bernardo  Canigiani,  résident  de  Florence 
à  Ferrare,  rapporte  qu'en  1577  il  y  eut  à  Mesola  un  tournoi 
donné  par  les  dames  de  la  cour,  et  qu'une  comédie  de  Torquato 
Tasso  fut  jouée  par  l'auteur  et  par  les  personnages  dont  se 
composait  l'entourage  du  duc,  personnages  qu'il  a  soin  d'énu- 
mérer  (2). 

C'est  un  hôpital  de  Rome,  l'hôpital  du  Saint-Esprit,  qui  pos- 
sède à  présent  le  palais  délia  Mesola  et  ses  dépendances. 


(1)  Les  princes  d'Esté  allaient  aussi  chasser  dans  un  lieu  appelé  Casette,  près 
de  Mesola. 

(2)  Angelo  Solerti,  Le  f este  in  Ferrara  per  la  venuta  d'i  Barbara  Sanseverini 
contessa  di  Sala,  dans  la  Rassegna  emiliana  d'octobre  1888,  année  I,  fasc.  VI. 


LIVRE   DEUXIEME.  489 

III 

LE   PALAIS    DES    PRIXCES    D'ESTE   A  VENISE   (l). 

Quiconque  a  visité  Venise  avant  1870  n'a  pas  manqué  d'ad- 
mirer, en  parcourant  le  Grand  Canal,  le  Fondaco  dei  Tiirchi, 
grandiose  palais  qui  tombait  en  ruine.  Ce  monument,  qui  ex- 
cite toujours  la  curiosité  du  voyageur,  a  cessé  de  lui  inspirer 
la  pitié  par  son  délabrement,  car  une  habile  restauration  l'a 
rajeuni,  et  de  précieuses  œuvres  d'art  y  ont  été  installées.  Tout 
concourt  donc  à  le  recommander  plus  que  jamais  à  l'attention 
de  chacun.  Mais  on  le  considérerait  avec  plus  d'intérêt  encore 
si  l'on  connaissait  son  passé.  C'est  ce  passé  que  nous  allons 
interroger,  tout  en  examinant  la  structure  et  les  particularités 
de  l'édifice. 

Entre  les  Ferrarais  et  les  Vénitiens,  il  y  eut  de  bonne  heure 
des  relations  fréquentes  et  actives.  Les  Vénitiens  se  trouvaient 
en  assez  grand  nombre  à  Ferrare  pour  qu'une  juridiction  spé- 
ciale, exercée  par  un  magistrat  appelé  Visdomino,  leur  eût  été 
accordée.  Les  Ferrarais  allaient  chercher  à  Venise,  outre  les 
produits  de  l'Orient,  des  verreries,  des  parfums,  de  l'or  et  de 
l'outremer  pour  les  peintres.  Quant  aux  souverains  de  Ferrare, 
ils  y  étaient  attirés  tantôt  par  des  négociations  commerciales 
ou  politiques,  tantôt  par  le  désir  d'y  conférer  avec  quelque 
grand  personnage,  tantôt  enfin  par  l'originale  beauté  de  la 
ville  et  par  les  fêtes  qui  s'y  donnaient. 

En  13(3  4,  Nicolas  le  Boiteux  [Zoppo]  s'y  transporta  pour 
rendre  visite  à  Pierre,  roi  de  Chypre.  Il  convia  ce  prince  à  un 

(1)  Vov.  //  Fondaco  dei  Turrhi  in  Venezin,  studi  storici  ed  arlisllci  di  A<jns- 
tino  Sagredn  e  Federico  Berchet,  cou  dncumenti  inediti  e  lavole  illiatrritive. 
Milano,  stabiliinento  di  Giuscppe  Civclli,  18(50.  —  Dans  ce  travail  8i)nt  rectifiées 
plusieurs  assertions  inexactes  de  Selvaliro  cpic  tous  les  guides  ont  répétées. —  Les 
pajies  suivantes  ont  déjà  paru,  avec  une  planche,  dans  la  Gaze/te  des  Beaux-Arts 
du  1"  novembre  1887. 


490  L'ART    FEIUIAIIAIS. 

festin  clans  lequel  il  étonna  par  son  luxe  ses  nombreux  con- 
vives. Avec  Pierre,  il  assista  ensuite  à  des  joutes  à  cheval  et  à 
des  carrousels  (l).  Ces  spectacles  n'étaient  que  la  répétition  de 
ceux  par  lesquels  on  avait  fêté,  quelques  mois  auparavant,  la 
récente  conquête  de  la  Crète,  et  qui  avaient  eu  pour  organisa- 
teur le  Ferrarais  Tommaso  Bambasio,  comme  nous  l'apprend 
Pétrarque,  admis  à  les  voir.  L'illustre  poète  les  avait  contem- 
plés à  côté  du  doge  Lorenzo  Celsi,  au-dessus  de  la  façade  de 
la  basilique  de  Saint-Marc,  auprès  des  quatre  fameux  chevaux 
en  bronze  doré.  Il  les  a  décrits  avec  enthousiasme  dans  une 
lettre  adressée  à  Pierre  de  Bologne,  le  4  des  ides  d'août 
1364  (2).  Il  exalte  d'abord  Venise,  te  séjour  unique  de  liberté, 
de  paix  et  de  justice  >» ,  célèbre  la  place  de  Saint-Marc  qui  «  n'a 
pas  sa  pareille  dans  l'univers  »  ,  et  la  basilique  «  dont  aucune 
autre  n'égale  la  beauté  »  .  Puis ,  abordant  les  détails  de  la 
fête,  il  loue  l'élégance  et  la  grâce  des  jeunes  cavaliers  vêtus  de 
pourpre  et  d'or.  «  On  croyait  voir,  dit-il,  non  des  hommes 
qui  couraient,  mais  des  anges  qui  volaient.  »  Pétrarque  était 
très  lié  avec  Bambasio .  Une  clause  de  son  testament  du 
4-  avril  1370  en  fait  foi  :  «  Magistro  Thomœ  Bambasio  de  Fei'- 
raria  lego  leutum  ineum  honian,  nt  eum  sonet  no7i  pro  vanitate 
seciili  fugacis,  sed  ad  laiidem  Dei  œterni.  »  L'année  même  où  ce 
testament  fut  rédigé,  Nicolas  II  retourna  à  Venise.  Cette  fois-là, 
il  ne  s'agissait  que  d'un  voyage  d'agrément,  et  son  frère  Ugo 
l'accompagnait;  un  des  patriciens  les  plus  en  renom,  Federico 
Cornaro,  les  hébergea  chez  lui  avec  leur  suite. 

Le  temps  allait  venir  où  les  princes  de  la  maison  d'Esté 
n'auraient  plus  besoin  de  recevoir  d'autrui  l'hospitalité  et  où 
ils  posséderaient  à  Venise  une  installation  personnelle,  comme 
ils  en  eurent  h  Milan,  à  Florence  et  à  Rome.  Elle  leur  était 
d'autant  plus  nécessaire  que  la  République  avait  déjà  accordé 
le  droit  de  citoyen  à  Nicolas  I"  (I33I),  à  Nicolas  II  (1388),  à 
Albert  d'Esté  (1393). 

(1)  Fnizzi,  Meni.  per  la  storia  di  Fer/ara,  t.  III,  p.  338-339. 

(2)  Epùt,  de  rébus  senilibits,  lib.  IV,  2.  (Opéra  omnia.  Bàle,  1554,  in-fol., 
p.  782.  Bibl.  nationale,  Z.  1933.) 


LIVllE   DEUXIEME.  491 

Dès  1364,  Nicolas  II  avait  sollicité  rautorisation  d'acheter 
une  maison,  et  le  Sénat  avait  décrété  qu'une  habitation  lui 
serait  offerte  ;  mais  la  réalisation  de  cette  promesse  n'eut  lieu 
qu'en  1382.  En  permettant  aux  Vénitiens  de  faire  des  enrôle- 
ments sur  le  territoire  de  Ferrare  et  en  leur  vendantà  plusieurs 
reprises  des  provisions  de  blé  considérables,  Nicolas  II  venait 
de  contribuer  au  salut  de  la  République  gravement  menacé 
par  les  Génois  et  les  Padouans  qui  s'étaient  emparés  de  Chiog- 
gia.  Le  Sénat,  dans  sa  reconnaissance,  acheta  moyennant  dix 
mille  ducats  d'or  (environ  quatre-vingt  mille  francs)  et  donna 
au  souverain  de  Ferrare  un  palais  qui  appartenait  à  la  famille 
Pesaro  et  qui  était  situé  sur  le  Grand  Canal,  non  loin  de  l'église 
de  San  Giacomo  in  Luprio,  appelée  d'ordinaire  San  Giacomo 
di  Lorio  ou  dell'Orio  (1).  C'est  Giacomo  Palmieri  de  Pesaro 
qui  avait  fait  construire  ce  palais.  Forcé  par  le  triomphe  des 
Gibelins  d'abandonner  sa  ville  natale,  où  il  était  consul,  il 
s'était  réfugié  à  Venise,  s'y  était  établi  entre  1221  et  1237,  et 
y  avait  acquis  le  droit  de  citoyen.  Peu  à  peu  le  nom  de  Pesaro 
remplaça  celui  de  Palmieri  chez  ses  descendants,  dont  l'un, 
Giovanni,  eut  l'honneur  d'être  doge.  Les  Pesaro  possédèrent 
à  Venise  quatre  ou  cinq  palais. 

Celui  que  la  République  avait  donné  au  seigneur  de  Ferrare, 
et  vis-à-vis  duquel  fut  construit  au  quinzième  siècle  le  magni- 
fique palais  Vendramin,  est  pourvu  d'une  très  belle  façade, 
avec  un  portique  au  rez-de-chaussée  (2)  et  une  loggia  au  pre- 
mier étage.  Le  portique  se  compose  de  dix  arcades  soutenues 
par  neuf  colonnes  à  chapiteaux  uniformes,  tandis  que  les  ar- 
cades surélevées  de  la  loggia  sont  au  nombre  de  dix-huit  et  ont 
pour  soutien  dix-sept  colonnes  à  chapiteaux  variés,  de  style 
byzantin.  Ces  colonnes  proviennent  d'édifices  plus  anciens. 
De  chaque  côté  se  trouve  une  tour  reposant  sur  une  base 
carrée  :  chaque  tour  présente  trois  arcades  au  rez-de-chaussée, 

(1)  En  1428,  la  République  donna  aussi  au  marquis  île  Manluuc  le  palais  qui 
appartint  plus  laril  aux  Foscari. 

(2)  Canaletto  a  représenté  (le  pruHl  ce  portique,  avec  la  vue  Jout  on  y  j"uit, 
tlans  un  très  beau  tableau  que  possède  la  {jalerie  de  Dresde  et  qui  a  été  pliotogra- 
phié  par  Braun  (n"  449) . 


492  L'A  HT    FEF.  UAUAIS. 

quatre  au  premier  étage  et  cinq  au  second  ;  au  lieu  de  colonnes, 
on  y  voit  des  pilastres  accompagnés  de  minces  colonnettes. 
Pour  couronnement,  Tédifice  a  des  créneaux  triangulaires 
séparés  les  uns  des  autres  par  de  petites  arcades  cintrées.  Sur 
la  face  des  créneaux  et  sur  celle  des  tours,  entre  le  premier 
étage  et  le  second,  ainsi  qu'entre  le  second  et  les  créneaux  du 
sommet,  sont  encastrées  des  bandes  de  marbre  dont  l'orne- 
mentation sculptée  représente  des  animaux  symboliques,  par 
exemple  deux  paons  qui  boivent  dans  le  chapiteau  d'une  co- 
lonnette  et  au-dessus  desquels  volent  deux  colombes,  un  lion 
terrassant  un  crocodile  et  supportant  une  colonne  dans  le 
chapiteau  de  laquelle  boivent  deux  paons,  un  dragon  aux 
prises  avec  un  monstre  et  ayant  au-dessous  de  lui  deux  lions, 
deux  paons  s'appuyant  contre  une  palme  et  dominés  par  deux 
griffons  qui  se  regardent,  deux  dragons  mordant  une  branche 
sur  laquelle  se  tiennent  des  colombes  et  d'autres  oiseaux.  On 
reconnaît  sans  peine  dans  l'architecture  de  ce  palais  un  mé- 
lange de  style  byzantin,  de  style  arabe,  de  style  lombard  et 
même  de  style  gothique  (1).  Ce  mélange  témoigne  de  l'in- 
fluence exercée  sur  les  Vénitiens  par  leurs  relations  avec  l'em- 
pire d'Orient  et  avec  les  Arabes,  comme  par  leurs  rapports  avec 
leurs  voisins  du  nord  de  l'Italie. 

Maîtres  d'une  magnifique  résidence  à  Venise,  les  seigneurs 
de  Ferrare  multiplièrent  dès  lors  leurs  séjours  dans  une  ville 
qui  exerçait  sur  eux  le  même  attrait  que  celui  auquel  cèdent 
si  volontiers  encore  tous  les  voyageurs,  et,  à  leur  tour,  ils 
furent  en  état  de  recevoir  chez  eux  de  hauts  personnages. 
C'est  ainsi  qu'en  1400  Nicolas  III  d'Esté  logea  dans  son  palais 
Emmanuel  Paléologue  II,  venu  en  Europe  pour  implorer  des 
secours  contre  les  Turcs  (2),  et  qu'il  y  installa  lui-même,  en 
14.38,  Jean  IV  Paléologue,  avant  l'arrivée  de  ce  prince  au 
concile  de  Ferrare.  Peu  d'années  après,  Nicolas  ayant  assisté 
son  beau-père  Francesco  Novello  Garrara,  seigneur  de  Padoue, 

(1)  La  fenêtre  qui  donne  sur  la  salizzada  del  fontego  est  Ofjivale. 

(2)  Quand  il  arrivait  à  Venise  des  princes  étranjjers,  le  gouvernement  lui-même 
demandait  au  marquis  d'Esté  de  vouloir  bien  leur  donner  l'hospitalité. 


1 


LIVRE   DEUXIEME.  493 

dans  une  guerre  contre  les  Vénitiens,  la  Re'publique  séquestra 
son  palais.  Une  des  conditions  de  la  paix  fut  la  restitution  de 
cette  propriété.  Le  9  avril  1  405,  Nicolas  se  transporta  à  Venise 
avec  six  cents  personnes,  et  le  doge,  accompagné  d'un  grand 
nombre  de  patriciens,  se  porta  au-devant  de  lui.  Une  seconde 
visite  en  1  40G  consolida  si  bien  ces  rapports  d'amitié,  que  la 
Seigneurie  inscrivit  bientôt  parmi  les  membres  du  Grand 
Conseil  Uguccione  Contrario,  le  conseiller  intime  et  le  favori 
de  Nicolas  III  (I4II).  Un  peu  plus  tard  (1413),  le  marquis  de 
Ferrare  se  montra  à  Venise  avec  une  suite  de  cinquante-deux 
personnes  vêtues  de  noir  et  portant  sur  leur  vêtement  une 
croix  rouge  :  il  entreprenait  un  pèlerinage  à  Jérusalem,  pen- 
dant lequel  il  porta  un  nom  vénitien,  celui  de  Niccolo  Con- 
tarino,  afin  d'être  plus  respecté  des  mahométans.  C'est  au 
contraire  dans  un  costume  somptueux  qu'il  parut  à  Venise  en 
1415,  accompagné  d'Uguccione  Contrario  et  escorté  de  deux 
cents  chevaliers  :  après  avoir  assisté  à  la  fête  de  l'Ascension, 
il  prit  part  lui-même  à  un  brillant  tournoi,  ce  qui  ne  l'empê- 
cha pas  de  songer  aux  intérêts  du  commerce  de  Ferrare,  car  il 
obtint  que  les  gens  de  Chioggia  ne  viendraient  plus  pécher 
dans  les  eaux  du  Pô  feiTarais.  En  1  43i,  il  fit  exécuter  dans 
son  palais  par  Jacopo  Tia-ola  des  peintures,  dont  Jacopo  Busoli 
fut  chargé  d'estimer  la  valeur  et  pour  lesquelles  Fauteur  tou- 
cha 352  lire  marchesane  (1).  En  1  435,  Andréa  di  Nascimbene, 
père  de  Lorenzo  et  Cristoforo  Canozzi  da  Lendinara,  citoyen 
de  Ferrare,  y  travailla  aussi,  frayant  la  voie  à  ses  successeurs 
dans  l'art  de  sculpter  le  bois  et  de  faire  des  marqueteries  (2). 

Lionel,  Borso  et  Hercule  I",  fils  et  successeurs  de  Nicolas  III, 
ne  négligèrent  pas  non  plus  la  curieuse  ville  des  lagunes. 

Lionel  v  conduisit  en  1  445  sa  seconde  femme  Marie  d'Ara- 
gon, fille  d'Alphonse  V  (3).  On  se  pressa  tellement  pour  la 

(1)  Le  marquis  Gampoki,  /  PilCuri  tiet/li  Estensi  nel  secolo  XV,  p.  4. 

(2)  Ad.  Vesturi,  I  primai (li  (lel  rinascimento  artistico  a  Fvrrura. 

(3)  Lionel  avait  fait  aclieter  on  Flaiulre  par  le  Lucquois  Paolo  de  Fuozo, 
moyennant  3,000  ducats  d'or,  des  tentures  en  tapisserie  qui  servirent  à  fêter  non 
seulement  l'arrivée  de  Marie  d'Arajjon  à  Ferrare,  mais  la  présence  de  cette  prin- 
cesse dans  le  palais  des  Este  à  Venise.  (Ad.  Vexturi,  ibid.,  p.  40.) 


494  L'Al'.T    FEU  II  AU  AI  S. 

voir  que  le  pont  Rialto,  alors  en  bois  (1),  s'écroula  sous  la 
multitude  des  spectateurs,  et  qu'il  s'en  noya  un  grand  nombre. 
En  1  ilO,  Lionel  se  rendit  encore  à  Venise,  pour  assister  aux 
fêtes  du  carnaval;  son  Bucentaure  et  les  navires  de  sa  suite 
étaient  ornés  de  tapisseries  et  de  bannières  qui  avaient  été 
exécutées  en  Flandre  d'après  les  dessins  de  Jacopo  Sagramoro. 

Borso,  qui  fit  restaurer  la  façade  de  son  palais  par  Giacomo 
di  Lazaro  et  qui  y  fit  peindre  ses  armes  par  Gheravdo  di  Andréa 
da  Vicenza,  visita  à  son  tour,  en  1  467,  la  cité  de  Venise,  où  le 
doge,  le  sénat  et  le  peuple  célébrèrent  sa  venue  par  des  bon- 
neurs  inaccoutumés  et  des  acclamations,  dont  lui-même  rendit 
compte  dans  une  lettre  écrite  le  10  avril  à  Lodovico  Casella, 
un  de  ses  conseillers  à  Ferrare,  et  imprimée  à  Venise  en 
1867  (2).  Dès  1463,  pendant  que  la  peste  sévissait  à  Ferrare, 
il  s'était  transporté  à  Venise  et  y  avait  assisté  à  un  tournoi 
dans  lequel  Bertoldo  d'Esté  fut  vainqueur.  Précédemment , 
l'empereur  Frédéric  III,  en  regagnant  ses  États  (1  452),  avait 
logé  dans  le  palais  que  les  princes  d'Esté  possédaient  sur  le 
Grand  Canal. 

Les  Vénitiens  accueillirent  avec  un  véritable  enthousiasme  en 
1  468  Hercule  d'Esté  (3),  qui  avait,  l'année  précédente,  sauvé 
une  des'  armées  de  la  République  en  délivrant  Colleone,  enve- 
loppé par  les  troupes  à  la  tête  desquelles  se  trouvait  Frédéric 
d'Urbin  ;  le  marquis  de  Ferrare  avait  eu  trois  chevaux  tués 
sous  lui  et  avait  reçu  au  pied  une  blessure  qui  le  rendit  boiteux 
le  reste  de  sa  vie.  Devenu  duc  de  Ferrare,  il  retourna  pour  son 
plaisir  à  Venise  en  1472,  et  sa  femme,  Éléonore  d'Aragon,  y 
vint  également  en  1476,  avec  sa  belle-sœur  Blanche-Marie 
d'Esté,  femme  de  Galeotto  I"  Pic,  et  avec  cinq  cents  gentils- 
hommes, afin  d'assister  à  d'intéressants  spectacles.  Une  guerre 
terrible  entre  Venise  et  Ferrare  (1482-1484),  guerre  qui  mit 
Ferrare  à  deux  doigts  de  sa  perte  et  qui  lui  fit  perdre  la  Polé- 

(1)  Il  ne  fut  construit  en  pierre  qu'en  1588. 

(2)  Ad.  Venturi,  L'arte  a  Ferrara  nel  periodo  di  Borso  d'Esté,  dans  la 
Rivista  storica  italiana,  année  II,  fascicule  IV,  octobre-décembre  1885. 

(3)  A  cette  époque,  Borso  occupait  encore  le  trône  de  Ferrare. 


LIVllE   DEUXIEME.  495 

sine  de  Rovigo  avec  xVdria  et  six  autres  villes,  amena  pour  la 
seconde  fois  le  séquestre  du  palais  des  princes  d'Esté.  La  Ré- 
publique y  logea  quelque  temps  Roberto  Sanseverino,  le  com- 
mandant de  son  armée  de  terre.  Après  la  conclusion  de  la  paix 
de  Bagnolo,  le  gouvernement  vénitien,  voulant  cimenter  la 
réconciliation,  invita  Hercule  I"  à  des  fêtes  splendides.  Le 
duc  de  Ferrare  arriva  escorté  de  sept  cents  courtisans,  dont 
les  principaux  portaient  des  vêtements  de  brocart  d'or  et  d'ar- 
gent et  étaient  parés  de  colliers  d'or.  Le  doge  alla  le  prendre 
à  San  Spirito  et  l'accompagna  jusqu'au  palais  du  Grand  Canal. 
Pendant  dix-huit  jours  la  Seigneurie  multiplia  les  marques  de 
déférence.  Dès  lors  les  bons  rapports  ne  furent  plus  interrom- 
pus. Quand  Hercule  l"  eut  résolu  de  faire  un  pèlerinage  à 
Saint-Jacques  de  Gompostelle,  pèlerinage  qu'empêcha  l'oppo- 
sition du  Pape,  son  fils  Alphonse,  âgé  de  onze  ans,  vint  à 
Venise  avec  deux  cents  personnes  (1487)  et  récita  devant  le 
Sénat  un  discours  ayant  pour  objet  de  recommander  à  la  pro- 
tection de  la  République  la  principauté  de  Ferrare.  En  1  493, 
la  duchesse  Eléonore  retourna  à  Venise,  emmenant  avec  elle 
non  seulement  Alphonse,  mais  Isabelle  et  Béatrix  ses  filles, 
ainsi  que  sa  bru  Anna  Sforza.  Le  Sénat,  accompagné  de  cent 
trente  matrones,  alla  à  leur  rencontre  sur  le  grand  Bucentaure. 
Bal  dans  la  salle  du  Grand  Conseil,  tournois,  jeux,  courses  de 
barques  conduites  par  des  femmes,  rien  ne  fut  épargné  pour 
divertir  les  illustres  visiteuses  (1). 

Le  palais  construit  par  Giovanni  Palmieri  fut  séquestré  une 
troisième  fois  lorsque  Alphonse  P%  après  avoir  accédé  à  la  ligue 
de  Cambrai  (1508),  eut  enlevé  à  Venise,  pour  peu  de  temps  il 
est  vrai,  la  Polésine  de  Rovigo,  Este,  Monselice  et  Monla- 
gnana,  anciennes  possessions  de  sa  famille.  On  ne  le  lui  res- 
titua qu'au  mois  de  novembre  de  l'année  1531. 

Ce  palais  rappelle  aussi  Renée  de  France,  femme  d'IIer- 


(1)  A  l'époque  d'Hercule,  le  palais  il'Este  eut  besoin  de  icparalions.  L'aiclii- 
tecte  Pietro  Benvenuti  darjli  (Jrdinl  fut  cliarjjé  en  1481  tic  refaire  un  des  luurs. 
En  1482,  en  1*84,  en  1488  et  en  1489,  Biagio  Bossetti  acheva  plusieurs  cham- 
bres et  consolida  les  deux  façades  de  rOtliHcc  ijui  menaçaient  luine.   (G.  Campoiu, 


496  L'ART    FERllAUAIS. 

cule  H,  qui  vint  voir  en  1534  la  ville  de  Venise  (1),  où  Her- 
cule II  lui-même  passa  une  partie  du  carnaval  de  1537  avec 
une  suite  de  huit  cents  personnes  (2). 

Mais  c'est  le  séjour  qu'Alphonse  II  y  fit  en  1562  qui  a  laissé 
les  souvenirs  les  plus  durables  et  sur  lequel  nous  voulons 
insister,  parce  qu'il  indique  jusqu'où  les  princes  italiens  pous- 
saient le  goût  du  faste. 

Le  duc  partit  de  Ferrare  le  samedi  10  avril  et  s'embarqua 
sur  le  Pô  à  Francolino,  ville  située  à  cinq  milles  de  Ferrare, 
avec  une  suite  de  trois  mille  trois  cent  trente  personnes  que 
transportaient  une  fuste,  de  longues  barques  et  des  felouques, 
sans  compter  soixante-dix  autres  bateaux.  Son  magnifique 
navire  était  tendu  de  draps  d  or  à  l'intérieur  et  à  l'extérieur. 
Alphonse  II  n'arriva  que  le  dimanche  vers  le  soir  à  Chioggia, 
où  il  fut  reçu  par  le  podestat  de  cette  localité,  qu'accompa- 
gnaient soixante  gentilshommes  en  costume  de  soie  cramoisie 
et  cent  hommes  tenant  des  torches.  C'est  là  qu'il  passa  la  nuit. 
Le  lundi,  il  fit  son  entrée  à  Venise.  Le  Sénat  alla  au-devant  de 
lui  jusqu'à  San  Spirito,  et  le  doge  l'attendit  auprès  de  l'église 
de  Sant'  Antonio.  Tous  deux  y  entrèrent  pour  y  prier  quelques 
instants,  puis  s'embarquèrent  sur  le  fameux  Bucentaure,  qui 
les  transporta  au  palais  des  princes  de  Ferrare.  Le  Grand  Canal, 
dans  lequel  se  mirent  tant  de  beaux  édifices,  présentait  un 
aspect  magique,  dont  on  peut  se  faire  une  idée  approximative 
en  considérant  certains  dessins  de  Ganaletto  appartenant  à  la 
collection  de  Windsor,  tant  l'artiste  a  bien  su  rendre  le  clapo- 
tement et  le  chatoiement  de  l'eau,  la  physionomie  variée  des 
monuments,  le  va-et-vient  des  barques  et  l'empressement  des 

Gli  architelti  e  gli  ingegneri  civill  e  militari  degli  Estensi  dal  secolo  XIII  al 
XVI,  p.  38,  48.)  Enfin,  en  1490,  Domenico  Gaibino  peignit  la  chambre  qu'habi- 
tait alors  AldobrandinoGuidoni,  l'ambassadeur  de  Ferrare.  (Ad.  Venturi,  L'arte 
ferrarese  nel  periodo  d'Eicole  I  d'Esté,  p.  114.  t 

(1)  Le  voyajje  de  Renée  se  trouve  raconté  dans  un  très  intéressant  article  de 
M.  Jules  Bonnet  (^Bulletin  de  la  Société  de  l'kisloire  du  protestantisme  français, 
année  1878^ , 

(2)  Une  {jravure  représentant  Hercule  II  à  cheval  et  exécutée  à  Venise  témoijjne 
des  rapports  de  ce  prince  avec  les  artistes  vénitiens.  L'effiyie  est  entourée  d'une 
riche  bordure.  Cette  pièce  porte  en  guise  de  signature  la  marque  suivante  :  X. 


LIVRE   DEUXIEME.  497 

promeneurs.  Aux  fenêtres,  garnies  de  tapis,  affluaient  des 
spectateurs  de  toutes  les  conditions.  Un  nombre  infini  de  p^on- 
doles,  pleines  de  gentilshommes,  de  femmes  et  d'enfants,  cir- 
culaient avec  animation;  Tair  retentissait  du  son  des  instru- 
ments et  des  cris  d'allégresse,  et  la  foule  encombrait  les  rives 
des  trarjheiti.  Six  palais  avaient  été  superbement  ornés  aux 
frais  de  la  République  pour  loger  don  François  et  don  Al- 
phonse, oncles  du  duc,  Galéas  Gonzague,  le  comte  de  la 
Mirandole,  le  comte  de  Novellara  et  Cornelio  Bentivoplio. 
Quant  au  palais  d'Alphonse  II,  il  était  garni  de  festons  aux- 
quels on  avait  suspendu  les  armes  de  Saint-Marc  et  celles  de  la 
maison  d'Esté.  Sous  le  portique  du  rez-de-chaussée  s'étalaient 
des  tapisseries  représentant  Ferrare,  Modène,  Reggio,  Carpi 
et  Brescello,  villes  comprises  dans  les  États  du  duc.  La  loggia 
du  premier  étage  avait  pour  parure  des  étoffes  d'or  faites  à 
l'aiguille,  qui  avaient  coûté,  dit-on,  cinquante  années  de  tra- 
vail. Dans  la  salle  principale,  où  quatre  magnifiques  fontaines 
lançaient  de  l'eau,  des  vases  d'argent  et  d'or  étaient  disposés 
sur  un  dressoir  long  de  vingt-deux  pieds  et  haut  de  quarante. 
Presque  toutes  les  chambres  et  les  couloirs  eux-mêmes  avaient 
leurs  parois  revêtues  de  précieuses  tapisseries,  tissées  d'ar- 
gent, d'or  et,  de  soie  :  sur  ces  tapisseries,  on  voyait,  ici  des 
chevaux  alternant  avec  les  aigles  blanches  de  la  maison  d'Esté, 
là  des  animaux  de  toutes  sortes  et  les  douze  mois  de  l'année, 
ailleurs  des  arabesques,  les  travaux  d'Hercule  et  la  lutte  des 
géants  contre  les  dieux.  La  chambre  du  duc  était  garnie  de 
brocart  d'or  et  d'argent,  étoffe  qu'on  remarquait  aussi  dans  la 
chapelle.  Après  avoir  admiré  toutes  ces  richesses,  le  doge  et 
la  Seigneurie  se  retirèrent.  Dès  que  la  nuit  parut,  Venise  s'illu- 
mina, et  des  barques  portant  des  joueurs  de  trompette,  de 
tambour  et  de  fifre  ne  cessèrent  de  sillonner  le  Grand  Canal. 
Le  mardi,  Alphonse  II  resta  chez  lui  pour  recevoir  le  nonce 
et  d'autres  grands  personnages.  Mais  le  jour  suivant  il  éblouit 
les  Vénitiens  par  l'imposant  cortège  qui  l'accompagna  dans  sa 
visite  au  doge  :  douze  trompettes,  douze  estafiers,  vingt-cinq 
pages  vêtus  de  velours  bleu  brodé  d  or,  soixante  hallebardiers, 
I-  32 


498  L'ART    FERKAUAIS. 

moitié  Suisses,  moitié  Allemands,  portant  des  chausses  et  des 
pourpoints  en  velours  bleu  et  jaune,  les  lieutenants  et  le  capi- 
taine, l'amiral  dont  le  long  vêtement  se  composait  de  velours 
bleu  et  de  brocart  d'or,  les  huissiers,  les  écuyers,  les  maîtres 
d'hôtel  et  autres  officiers  de  bouche,  vingt-quatre  camériers, 
le  maître  de  chambre,  cent  gentilshommes,  le  majordome 
Nicole  Estense  Tassoni,  vêtu  d'une  robe  à  la  française  garnie 
de  perles,  précédaient  le  duc  de  Ferrare.  Sur  les  chausses  et  le 
pourpoint  cramoisi  du  prince,  ainsi  que  sur  sa  veste  de  satin 
noir  et  sur  son  béret,  brillaient  des  broderies  et  des  pierres 
précieuses.  Après  Alphonse  II  venaient  ses  deux  oncles,  les 
ambassadeurs  de  Florence  et  de  la  Savoie,  plusieurs  évêques, 
des  conseillers  d'État,  des  magistrats,  des  prélats  et  d'autres 
personnages  en  robe  longue,  ayant  chacun  à  ses  côtés  un  séna- 
teur. Au  bas  du  grand  escalier  du  palais  des  doges,  le  doge  et 
les  membres  de  la  Seigneurie  vinrent  prendre  le  duc  et  le 
conduisirent,  avec  don  François  et  don  Alphonse,  dans  la  salle 
du  Grand  Conseil;  l'entretien  qu'ils  eurent  ensemble  ne  dura 
pas  moins  d'une  heure. 

Le  jeudi  fut  consacré  à  la  visite  de  l'arsenal,  où  des  salves 
d'artillerie  accueillirent  le  prince,  et  où  une  somptueuse  colla- 
tion lui  fut  servie.  — Alphonse  II,  le  vendredi,  alla  voir  \a  pala 
et  le  trésor  de  Saint-Marc,  ainsi  que  la  salle  des  Dix.  —  Dans  la 
journée  du  samedi,  le  doge,  la  Seigneurie  et  le  Sénat  lui  ren- 
dirent visite  à  leur  tour  ;  on  se  tint  sous  les  arcades  de  la  loggia 
supérieure,  pendant  qu'un  orchestre  faisait  de  la  musique 
«  cou  un'  hnrnionia  per  certo  rarissima  11 .  —  Enfin,  le  diman- 
che, le  duc  alla  en  grande  pompe  prendre  congé,  fut  ramené 
chez  lui  par  les  sénateurs,  et,  après  le  dîner,  on  lui  donna  le 
spectacle  d'un  combat  simulé  autour  d'un  pont  à  renverser. 
—  Le  lundi  18,  il  repartit  pour  sa  capitale,  laissant  aux  Véni- 
tiens le  souvenir  d'une  magnificence  inouïe.  On  l'avait  vu  avec 
sept  costumes  différents,  ornés  non  seulement  de  broderies 
d'argent  et  d'or,  mais  de  rubis,  de  saphirs,  d'émeraudes,  de 
perles,  de  diamants ,  et  l'on  avait  spécialement  remarqué, 
outre  une  émeraude   «  di  non  più  veduta  grandezza  » ,  trente 


LIVRE  DEUXIEME.  499 

perles  en  forme  de  poire  presque  aussi  grosses  que  des  œufs 
de  colombe  (1). 

Alphonse  II,  mort  sans  enfants,  eut  pour  héritier  son  cousin 
César  d'Esté,  qui,  cédant  aux  prétentions  de  Clément  VIII  sur 
le  duché  de  Ferrare,  abandonna  ses  droits  à  ce  duché  et  se 
contenta  de  conserver  Modène  et  Reggio,  fiefs  de  l'empire. 
Devenu  propriétaire  du  palais  de  Venise,  il  le  vendit  vingt- 
quatre  mille  ducats  (soixante-quatorze  mille  quatre  cents 
francs)  au  cardinal  Aldobrandini,  neveu  du  Pape.  A  son  tour, 
le  cardinal  l'aliéna  au  profit  d'Antonio  Priuli  (:2),  qui,  devenu 
doge  en  1618,  le  loua  en  1621  aux  Turcs  installés  à  Venise 
pour  qu'il  leur  servît  d'entrepôt  et  d'habitation.  Marie,  petite- 
fille  d'Antonio  Priuli,  ayant  épousé  en  1648  Leonardo  Pesaro, 
procurateur  de  Saint-Marc,  l'édifice,  sans  cesser  de  porter  le 
nom  de  Fondaco  deiTurchi,  fit  retour  aux  Pesaro,  dont  il  resta 
la  propriété  jusqu'à  l'extinction  de  cette  famille  en  1830. 

A  partir  de  1621,  on  modifia  l'aménagement  intérieur  du 
palais.  Il  fallait,  en  effet,  organiser  à  la  fois  de  vastes  maga- 
sins et  un  grand  nombre  de  petites  chambres,  car  les  Turcs 
n'avaient  pas  le  droit  de  résider  ailleurs  et  de  se  mêler  aux 
chrétiens  (3).  Chaque  chambre  était  numérotée.  Tous  les  jours 
les  autorités  se  faisaient  présenter  la  liste  de  ceux  qui  y  cou- 
chaient. Un  décret  de  1627  fixa  même  le  tarif  des  logements. 
Les  habitants  du  Fondaco  (entrepôt)  ne  devaient  y  introduire 
ni  armes  ni  munitions  de  guerre.  Une  salle  donnant  sur  la 
cour  avait  été  transformée  en  mosquée,  et  c'est  au  rez-de- 
chaussée  que  les  musulmans  faisaient  leurs  ablutions  dans  des 
vasques  de  bois.  Afin  d'isoler  autant  que  possible  le  Fondaco, 


(1)  En  1569,  Alphonse  II]  accompagna  à  Venise  l'archiduc  Charles,  qui  était 
venu  voir  à  Ferrare  sa  sœur,  la  duchesse  Barbe.  Les  deux  princes  assistèrent  à  la 
fête  de  l'Ascension.  Ils  ne  quittèrent  Venise  qu'au  bout  de  huit  jours.  —  A 
l'époque  d'Alphonse  II,  Henri  III,  roi  de  France  (1574),  fut  un  des  hôtes  du 
palais  d'Esté  à  Venise. 

(2)  Antonio  Priuli,  en  1607,  y  donna  l'hospitalité  au  cardiiial  de  Joyeuse, 
envoyé  de  Henri  IV,  roi  de  France,  quand  ce  personnage  revint  de  Rome  où  il 
avait  disposé  Paul  V  à  une  réconciliation  avec  Venise,  misepar  le  Pape  en  interdit. 

(3)  Quelques  nouvelles  fenêtres,  imprudemment  percées  et  troublant  la  symé- 
trie de  la  façade,  contribuèrent  à  rendre  l'cdifice  moins  solide. 


500  L'ART    FERRARAIS. 

on  construisit  devant  une  partie  de  la  façade  un  mur  percé 
d'une  porte  servant  au  transport  des  marchandises ,  et  l'on 
éleva  devant  une  des  tours  une  maisonnette  qui  en  cachait  la 
moitié.  Enfin,  de  peur  que  les  tours  ne  parussent  aux  Turcs 
un  signe  de  noblesse  et  de  puissance,  on  les  rasa  au  dix-sep- 
tième siècle.  Pareilles  précautions  ne  furent  pas  jugées  néces- 
saires contre  les  Allemands,  dont  le  Fondaco  particulier  con- 
servait encore  il  y  a  peu  de  temps  ses  deux  tours. 

Pierre  Pesaro,  le  dernier  des  Pesaro,  mort  en  1830,  légua 
le  Fondaco  dei  Turchi  au  comte  Manin,  fils  de  sa  sœur.  Manin 
le  vendit  en  1838  à  Antonio  Busetto  Petich,  qui  changea  la 
destination  de  l'édifice.  La  partie  donnant  sur  le  rivodel  miglio 
fut  louée  à  l'État  et  convertie  en  dépôt  de  tabac  et  de  cigares, 
pendant  que  le  reste  demeurait  inoccupé. 

La  ruine  qui  envahissait  depuis  longtemps  le  Fondaco  finit 
parfaire  de  nouveaux  et  menaçants  progrès.  En  cet  état,  l'édi- 
fice avait  une  physionomie  pittoresque  que  nous  serions  presque 
tenté  de  regretter.  Des  pans  de  bois  et  des  murs  en  briques 
masquaient  en  partie  le  portique  du  rez-de-chaussée  \  les  arcades 
de  l'espace  occupé  autrefois  par  les  tours  étaient  murées.  Seule, 
la  loggia  du  premier  étage  apparaissait  dans  toute  sa  beauté, 
quoiqu'on  eût  substitué  presque  partout  à  sa  balustrade  un 
parapet  de  briques.  Quelques  planches  vermoulues  occupaient 
l'ouverture  de   plusieurs  fenêtres  bizarrement  percées  après 
coup;  une  autre  fenêtre,  fort  mesquine,  donnant  sur  un  balcon 
en  fer,    coupait  deux  archivoltes.    Enfin,    un   simple  toit  de 
tuiles  avait  remplacé  les  créneaux  arabes.  De  tous  les  côtés, 
dans  les  interstices,  l'herbe  et  le  lierre  associaient  leurs  nuances 
gaies  au  rouge  de  la  brique  et  au  gris  des  colonnes.  xVu  milieu 
de  cette  végétation  capricieuse  formant  des  touffes  de  verdure 
au-dessus  de  plusieurs  chapiteaux,  faisant  saillie  à  l'intérieur 
des  arcades  et   frissonnant   autour   des  cintres  allongés,   un 
cerisier  avait  trouvé  moyen  de  pousser  et  de  vivre.  En  somme, 
le  célèbre  palais,  tout  en  se  présentant  défiguré  par  les  hommes 
et  par  le  temps,  avait  assez  conservé  de  sa  structure  primitive 
pour  qu'on  pût  se  l'imaginer  tel  qu'il  était  à  l'origine,  et  la 


LIVRE  DEUXIEME.  501 

variété  des  tons  qui  frappaient  le  regard  était  faite  pour  le 
charmer. 

Il  était  cependant  impossible  de  ne  pas  songer  à  une  res- 
tauration, sous  peine  d'assister  à  un  prochain  écroulement. 
Elle  eut  lieu  en  1870,  sous  la  direction  de  M.  Frédéric  Ber- 
chet,  et  dans  le  palais  qui,  après  avoir  été  fondé  par  Giacomo 
Palmieri  de  Pesaro  ,  avait  successivement  servi  d'habitation 
aux  princes  d'Esté  et  aux  Turcs  ,  la  municipalité  de  Venise 
installa,  le  4  juillet  1880,  le  Museo  Civico,  ainsi  que  la  Collec- 
tion Carrer. 


LITRE   TROISIÈME 


CHAPITRE    PREMIER 

LA    SCULPTURE   A    FERI\ARE  (l). 


Si  Ferrare  posséda  une  école  de  peinture  originale  et  puis- 
sante, elle  ne  produisit  presque  pas  de  sculpteurs  qui  aient 
marqué  dans  l'histoire  de  l'art.  La  sculpture  y  fut  cultivée 
pour  ainsi  dire  exclusivement  par  des  étrangers,  par  des  Flo- 
rentins d'abord,  par  des  Mantouans,  des  Véronais,  des  Mila- 
nais ensuite.  Mais  ni  les  uns  ni  les  autres  ne  formèrent  des 
élèves  capables  de  s'élever  bien  haut  et  de  donner  à  leurs 
œuvres  un  caractère  particulier.  Il  n'y  eut  pas  à  Ferrare 
d'école  ferraraise.  Les  sculptures  intéressantes  furent  cepen- 
dant en  assez  grand  nombre  dans  la  capitale  des  princes  d'Esté, 
et  il  en  reste  encore  d'assez  remarquables  à  des  points  de  vue 
divers  pour  qu'il  importe  d'en  parler. 

Dès  la  fin  du  dixième  siècle,  les  productions  de  la  statuaire 
furent  en  honneur  h  Ferrare.  Quoique  les  objets  eux-mêmes 

(1)  Ce  travail  a  paru,  accompajiné  de  neuf  planches,  dans  la  Gazette  des 
Beaux-Arts  (septembre  et  novembre  1891).  Les  planclies  représentent  le  tombeau 
de  Borso,  un  fragment  de  la  façade  de  la  cathédrale,  les  supports  des  statues  de 
Nicolas  III  et  de  Borso,  le  Christ  en  croix,  la  Vierge  et  Saint  Jean,  par  Niccolo 
Baroncelli  et  son  fils  Giovanni,  Saint  Georges  et  San  Maurelio,  par  Giovanni 
Baroncelli  et  Domenico  Paris  de  Padouc,  le  tond)cau  de  Lorenzo  Rovcrclla,  par 
Ambrogio  Borgognoni  de  Milan,  Saint  Dominicpie  assis  dans  le  ciel  entre  le  Christ 
et  la  Vierge,  par  Alfonso  Lombard!,  et  le  portrait  du  pape  Clément  VIII,  par 
Giorgio  Albenga. 


504  L'ART    FERRARAIS. 

n'existent  plus,  le  souvenir  s'en  est  conservé.  On  cite  la  Vierpe 
dite  de  Gonstantinople,  due  probablement  à  quelqu'un  des  ar- 
tistes attire's  à  Venise  en  977  par  la  construction  de  Saint-Marc, 
et  la  statue  équestre  de  San  Romano  qui  ornait  la  façade  de 
l'église  consacrée  à  ce  saint. 

Parmi  les  plus  anciens  monuments  de  la  sculpture  à  Ferrare, 
nous  devons  mentionner  le  baptistère  octogone  de  la  cathédrale 
dans  la  première  chapelle  à  gauche.  Il  est  d'un  seul  morceau 
de  marbre,  et  présente  de  curieuses  ornementations  symbo- 
liques. C'est  vers  l'an  1000  qu'il  fut  exécuté.  Large  de  2",  40 
et  haut  de  O^jSO,  il  servit  longtemps  aux  baptêmes  par  immer- 
sion. Sa  contenance  peut  être  évaluée  à  onze  hectolitres  au 
moins.  Aussi,  dans  les  comptes  de  la  fabrique,  est-il  souvent 
question  des  sommes  remises  aux  âniers  qui  y  apportaient  de 
l'eau.  Jusqu'en  1735,  il  eut  pour  complément  sur  son  cou- 
vercle un  Christ  bénissant  et  tenant  un  livre  ouvert.  Cette 
figure  a  été  remplacée  par  une  coupole  en  bois  de  noyer  avec 
des  incrustations  de  marqueterie. 

Au  douzième  siècle,  la  première  œuvre  à  signaler  est  une 
statue  équestre,  fort  abîmée  et  presque  informe,  exposée  au 
fond  de  la  cour  du  palais  de  l'Université. 

Remarquons  aussi  les  quatre  lions  qui  gardent,  d'un  air 
rébarbatif,  l'entrée  de  la  cathédrale,  et  jetons  un  coup  d'œil 
sur  les  deux  hommes  qui,  assis  sur  deux  autres  lions,  suppor- 
taient jadis  les  colonnes  du  porche,  en  ayant  l'air  de  plier  sous 
leur  terrible  fardeau.  Ces  hommes  avec  leurs  lions  ont  été 
transportés  dans  la  cour,  derrière  l'édifice,  et  on  leur  a  sub- 
stitué en  1829  des  supports  analogues,  mais  plus  grands  et 
plus  forts. 

Au  même  siècle  appartiennent  les  sculptures,  déjà  intéres- 
santes, du  porche.  Au-dessus  de  la  porte  se  trouvent  huit  bas- 
reliefs  séparés  par  des  colonnettes  et  dominés  par  des  arcades. 
Ils  représentent,  non  sans  un  certain  mérite,  la  Visitation,  la 
Nativité^  V Adoration  des  bergers,  V Adoration  des  mages,  la  Pré- 
sentation  au  Temple,  la  Fuite  en  Egypte  et  le  Baptême  de  Jésus 
par  saint  Jean.  —  Au-dessus  de  ces  bas-reliefs,  dans  un  espace 


LIVRE   TROISIEME.  505 

semi-circulaire,  on  voit  h  clieval  Saint  Georges^  le  titulaire  de 
l'église,  qui  terrasse  le  dragon.  Saint  Georges,  dont  le  visage 
pointu  a  quelque  chose  de  barbare,  est  vêtu  comme  un  guer- 
rier du  temps  :  il  porte  une  cuirasse  et  une  cotte  de  mailles. 
La  tête  du  saint  et  Tallure  du  cheval  témoignent  d'une  étude 
consciencieuse  et  d'un  talent  assez  distingué  pour  1  époque. 
—  Toutes  ces  naïves  sculptures,  de  style  roman,  ont  eu  pour 
auteur  un  artiste  nommé  i\7cco/ô,  celui  peut-être  qui  a  décoré 
la  façade  de  Saint-Zénon  à  Vérone  et  qui,  d'après  Maffei, 
serait  né  à  Zara  (1). 

C'est  un  peu  plus  tard  que  furent  exécutées,  au-dessus  d'une 
porte  latérale  de  la  cathédrale,  quelques  figures  en  bas-relief 
svmbolisant  six  des  Mois  de  l'année  (2).  Elles  décorent  mainte- 
nant la  partie  supérieure  de  la  loggia,  adossée  au  côté  de  la 
cathédrale,  qui  donne  sur  la  place  du  Marché.  Leurs  mou- 
vements ont  plus  de  liberté  que  l'on  n'en  remarque  chez  les 
personnages  du  portail,  mais  elles  ont  de  la  lourdeur;  les  pro- 
portions trahissent  un  art  primitif,  et  le  sentiment  du  beau  n'ap- 
parait  point  encore. 

On  constate  un  très  sensible  progrès  quand  on  examine  le 
Jugement  dernier  représenté  au-dessus  des  trois  arcades  ogi- 
vales qui  s'appuient  sur  le  porche  de  la  cathédrale  (3) .  Il  date 
probablement  des  premières  années  du  quatorzième  siècle. 
«  C'est,  dit  M.  Burckhardt  dans  son  Cicérone^  une  œuvre  vrai- 
ment importante  de  style  gothique...  Si  les  maladresses  ne 
manquent  pas,  les  tètes  et  les  draperies  se  distinguent  par  une 
beauté  ferme  qui  leur  est  propre,  et  l'ensemble  parait  être 
venu  d'un  seul  jet.  »  Dans  le  bas,  quatre  morts,  sortant  à  demi 
de  leurs  sépulcres  entr'ouverts,  ressuscitent  pour  rendre  le 
compte  suprême  de  leurs  actes.  Un  peu  plus  haut,  quinze  per- 
sonnages forment  une  frise  :  au  centre,  deux  anges  sonnent 
de  la  trompette  et  un  troisième  ange  tient  des  balances  ;  à  la 
droite  du  spectateur,  les  réprouvés,  complètement  nus,  s'ache- 

(1)  L.-X.  CiTTADELi.A,  Notizie  relative  a  Ferrara,  t.  I,  p.  89. 

(2)  Nous  les  avons  mentionnés  p.  28(). 

(3)  V^oyez  ce  que  nous  avons  dit  p.  283. 


506  L'ART    FERRARAIS. 

minent  vers  Tenfer;  à  gauche,  les  élus,  chastement  drapés, 
vont,  sous  la  conduite  d'un  ange,  recevoir  la  récompense  de 
leurs  vertus.  On  ne  peut  considérer  sans  une  certaine  admira- 
tion le  calme  et  la  félicité  des  bienheureux,  dont  les  types 
présentent  un  mélange  de  grâce  et  d'austérité.  En  revanche, 
les  damnés  et  les  diables  grimaçants  marquent  Tembarras  du 
sculpteur  à  traiter  le  nu  et  à  rendre  la  douleur.  Deux  ogives 
en  retraite,  placées  un  peu  plus  bas  que  la  frise,  contiennent 
des  scènes  qui  en  complètent  la  signification.  Dans  l'une,  on 
voit  les  démons  aux  prises  avec  des  damnés  qu'ils  entassent 
dans  une  barque;  dans  l'autre,  Abraham  est  assis  entre  des 
saints,  parmi  lesquels  on  remarque  un  évêque  dont  le  visage 
est  aussi  beau  que  religieux.  Enfin,  au-dessus  de  la  frise,  dans  un 
fronton  triangulaire,  le  Christ,  juge  du  monde,  est  assis,  ayant 
un  livre  ouvert  sur  ses  genoux  ;  à  ses  côtés  sont  debout  deux 
anges  qui  tiennent  une  lance  et  une  croix,  tandis  que  la  Vierge 
et  un  saint,  tous  deux  à  genoux,  implorent  sa  miséricorde.  Le 
mouvement  de  la  Vierge  est  très  naturel  et  très  heureusement 
trouvé;  on  sent  que  son  intervention  doit  être  efficace,  tant 
elle  lève  avec  ferveur  et  confiance  ses  yeux  vers  son  Fils. 
L'ajustement  de  ses  draperies  révèle  aussi  un  artiste  de  goût. 
Quelques  bustes  d'anges,  de  saints,  de  prophètes,  composent 
la  bordure  du  tympan. 

C'est  encore  au  quatorzième  siècle  qu'appartient  le  tombeau 
du  Ferrarais  Bonalberto  de  Bonfado,  chanoine  et  docteur, 
mort  en  1345.  Il  se  trouve  au  cimetière  communal,  dans  un 
des  gracieux  cloîtres  de  la  Chartreuse.  Le  sarcophage  en  mar- 
bre blanc  est  supporté  par  quatre  colonnes.  Il  est  orné  d'un 
bas-relief  qui  nous  montre  Bonalberto  assis  dans  sa  chaire  de 
professeur  et  entouré  d'élèves.  C'est  là  un  sujet  souvent  et 
heureusement  traité  sur  les  tombeaux  au  quatorzième  siècle 
et  au  quinzième.  Qui  ne  se  rappelle,  pour  ne  citer  que  quel- 
ques exemples,  avoir  vu  à  Pistoja  le  monument  de  Gino  Sini- 
baldi,  parCeUino  di  Nese  de  Sienne (1336),  dans  la  cathédrale, 
et  celui  de  Filippo  Lazzeri,  par  Bernard©  Rossellino  (146  4), 
dans  l'église  de  Saint-Dominique;  à  Pavie,  dans  les  bâtiments 


LIVRE   TROISIEME.  507 

de  l'Université,  celui  d'un  jurisconsulte  (1-495)  (1);  à  Bologne, 
celui  de  Pepoli,  par  Jacopo  Lanfrani,  dans  l'église  de  Saint- 
Dominique,  celui  d'Antonio  Galeazzo,  père  d'Annibale  I"  Ben- 
tivoglio  (1435),  et  celui  de  Niccolô  Fava  dans  l'église  de  San 
Giacomo  Maggiore,  celui  de  Pier  Canonici  dans  le  cloître  de 
San  Martino  Maggiore,  enfin  celui  de  Bartolommeo  Saliceti  dans 
le  Museo  Civico?  Les  personnages  évoqués  par  les  bas-reliefs  de 
tous  ces  monuments  semblent  s'adonnera  l'étude  avec  tant  de 
calme  et  tant  de  zèle  tout  à  la  fois,  qu'ils  en  inspirent  le  goût 
à  ceux  qui  les  regardent. 

A  la  fin  du  quatorzième  siècle,  nous  rencontrons  un  sculp- 
teur connu  seulement  pour  avoir  fait,  en  1387,  un  crucifix  en 
bois  que  possède  encore  la  cathédrale.  Il  s'appelait  Antonio  da 
Feri^ara.  On  ne  sait  rien  de  plus  sur  son  compte. 

Deux  autres  sculpteurs,  dont  aucune  œuvre  n'a  été  enregis- 
trée par  l'histoire,  Giovanni  et  Camino  ou  Comino,  eurent 
l'imprudence  de  prendre  part  à  la  conjuration  ourdie  en  1385 
contre  Tommaso  da  Tortona,  le  conseiller  qui  avait  décidé 
Nicolas  II,  dit  le  Zoppo,  à  établir  des  impôts  écrasants.  Le 
peuple  ameuté  brûla  les  registres  du  cadastre  et,  ayant  pris 
comme  otage  un  fils  du  prince,  menaça  de  le  massacrer  si  on 
ne  lui  livrait  pas  Tommaso.  Nicolas  II  sacrifia  cet  infortuné, 
qui  fut  mis  en  pièces.  Mais  il  entreprit  aussitôt  la  construction 
du  fameux  CasteUo,  et  quand  il  s'y  trouva  en  sûreté,  il  fit 
payer  cher  aux  rebelles  leur  audacieuse  conduite.  Parmi  les 
victimes  de  sa  vengeance  figurèrent  les  sculpteurs  Giovanni  et 
Camino. 

Un  de  leurs  contemporains,  dont  le  nom  ne  nous  est  pas 
parvenu,  est  l'auteur  de  la  curieuse  Statue  d'Albert  d'Esté  (frère 
et  successeur  de  Nicolas  II),  qui  fut  placée  en  1303  sur  la 
façade  de  la  cathédrale,  à  droite,  en  souvenir  du  fructueux 
pèlerinage  accompli  par  le  marquis,  en  1301,  à  l'occasion  du 
jubilé  publié  par  le  pape  Boniface  IX  (2).  Quand  on  songe  aux 

(1)  Il  est  reproduit  dans  ta  Renaissance  en  Italie  et  en  France  à  l'épnqne  de 
Charles  VIII,  par  M.  E.  Muntz,  p.  111. 

(2)  Voyez  ce  qui  a  été  dit  p.  14  et  282. 


508  L'ART    FEURARAIS. 

avantages  que  les  Feirarais  tirèrent  du  voyage  de  leur  souve- 
rain, on  ne  s'étonne  pas  qu'ils  aient  songé  à  en  perpétuer  le 
souvenir  et  à  honorer  d'une  statue  l'illustre  pèlerin.  Le  mar- 
quis est  représenté  debout,  vêtu  d'une  longue  robe  serrée  à  la 
taille  par  une  ceinture,  et  la  tête  enveloppée  d'une  coiffure 
qui  passe  sous  le  menton.  Au  point  de  vue  de  l'art,  cette  figure 
raide  et  gauche  n'a  qu'une  médiocre  importance  :  c'est  surtout 
un  document  historique. 

A  l  errare  comme  dans  le  reste  de  l'Italie,  mais  avec  beau- 
coup moins  d'éclat,  le  quinzième  siècle  fut  pour  la  sculpture, 
sinon  au  début,  du  moins  à  partir  de  sa  seconde  moitié,  une 
époque  d'éclosion  rapide  et  d'épanouissement. 

En  1408,  Giacomo  da  Siena  [Jacopo  délia  Quercià)  sculpta 
une  Yierge  qui  orne  aujourd'hui  la  sacristie  de  la  cathédrale. 
La  Vierge  porte  sur  ses  cheveux  ondulés  une  couronne  et  un 
voile  qui  retombe  sur  ses  épaules.  Swi  visage  un  peu  trop 
massif  n'est  pas  sans  noblesse,  et  les  plis  de  sa  robe  ont  de  la 
simplicité.  Elle  tient  dans  sa  main  droite  une  grenade  entr'ou- 
verte,  et  elle  soutient  de  sa  main  gauche,  sur  un  de  ses  genoux, 
l'Enfant  Jésus  debout.  Celui-ci,  vêtu  d'une  longue  robe,  est 
vulgaire  et  ressemble  à  un  massif  poupard. 

Jacopo  délia  Quercia  fit  en  outre  le  tombeau  d'un  médecin 
appartenant  à  la  famille  Varj  ;  ce  tombeau,  que  possédait 
l'église  Saint-Nicolas,  disparut  lorsqu'elle  fut  détruite  au  siècle 
dernier  (1). 

En  1  427,  Crisioforoda  Firenze  sculpta  pour  la  cathédrale  une 
Vierge  en  marbre,  tenant  dans  ses  bras  l'Enfant  Jésus.  Cette  sta- 
tue occupe  une  des  trois  arcades,  ornées  de  trèfles,  qui  reposent 
sur  le  porche  et  au-dessus  desquelles  se  trouve  le  Jugement  der- 
nier. Les  proportions  manquent  de  justesse  ;  la  tête  de  la  ma- 
done est  trop  grosse  pour  le  corps;  l'ensemble  est  lourd  et 
sans  élégance;  les  draperies  sont  trop  compliquées.  Quelle 
différence  entre  cette  figure  et  la  gracieuse  Vierge  agenouillée 
plus  haut  à  côté  du    Christ  jugeant  le  monde!   Néanmoins, 

(1)  Vasahi,  t.  II,  p.  113,  note  2. 


LIVRE   TROISIEME.  509 

l'œuvre  de  Cristoforo  produit  de  loin  un  assez  bel  effet  et  dé- 
core bien  le  centre  de  la  façade.  —  Cristoforo  fut  aussi  Tau- 
teur  d'une  Vierge  en  terre  cuite,  modelée  en  1451  et  placée, 
au  dire  de  L.-N.  Gittadella,  à  l'intérieur  delà  cathédrale,  dans 
le  passage  situé  entre  la  sacristie  et  l'église. 

Sous  le  règne  de  Lionel  (14-41-1450),  les  sculpteurs  qui 
travaillèrent  à  Ferrare  furent  presque  tous  des  Florentins. 
Cela  s'explique  aisément.  Plusieurs  familles  de  Florence,  entre 
autres  les  Strozzi,  s'étaient  réfugiées  auprès  des  princes  d'Esté. 
Le  renom  des  sculpteurs  florentins  s'était  d'ailleurs  répandu 
dans  toute  l'Italie.  En  outre,  les  marquis  de  Ferrare  avaient 
pu  juger  par  leurs  propres  yeux  de  cet  art  si  élégant  et  si  plein 
de  goût,  car  ils  possédaient  un  palais  à  Florence.  Méliaduse, 
frère  de  Lionel,  séjourna  quelque  temps  dans  cette  ville  en 
qualité  de  protonotaire  apostolique. 

Une  autre  remarque  à  faire  avec  M.  Venturi,  c'est  que  les 
matières  employées  de  préférence  par  les  sculpteurs  à  Ferrare 
furent  la  cire,  la  terre  cuite,  le  bois  et  le  bronze.  Les  monu- 
ments en  marbre  furent  assez  rares,  parce  que  le  territoire  de 
Ferrare  ne  fournissait  pas  de  marbre  et  qu'il  fallait  l'aller  cher- 
cher dans  les  montagnes  de  Vérone  ou  dans  les  carrières  de 
l'Istrie. 

Parmi  les  Florentins  attirés  à  Ferrare,  du  temps  de  Lionel, 
on  rencontre,  en  1441,  un  certain  Michèle,  «  ottiino  fabbricante 
di  figure  »  .  Il  orna  d'un  bas-relief  en  terre  cuite  l'église  de 
Sainte-Marie  des  Anges,  construite  sous  Nicolas  III  auprès 
du  palais  de  Belfiore  qu'Albert,  son  père,  avait  fait  édifier 
dans  le  faubourg  de  Saint-Léonard.  Suiv^ant  M.  Venturi,  si 
sagace  et  si  heureux  dans  ses  investigations ,  ce  Michèle 
n'est  autre  peut-être  que  Michèle  di  JSicolaio  ou  Michèle  dello 
Scalcagna,  qui  aida  Ghiberti  dans  l'exécution  des  portes  du 
Baptistère  de  Florence.  Le  bas-relief  de  Michèle  a  eu  le 
même  sort  que  l'église  de  BelHore,  dont  il  ne  reste  plus  aucun 
vestige. 

En  1443,  les  Sages  (tel  était  le  nom  des  magistrats  de  Fer- 
rare) résolurent  d'ériger  une    statue    équestre   de  bronze  en 


510  L'ART    FERRAUAIS. 

riioniieur  de  Nicolas  III,  père  de  Lionel.  Cette  décision  fut 
probablement  prise  à  l'instigation  de  Lionel,  qui  avait  des 
motifs  tout  particuliers  pour  glorifier  la  mémoire  de  son  père. 
Si,  malgré  sa  naissance  illégitime,  il  occupait  le  trône  de  Fer- 
rare,  il  le  devait  à  la  prédilection  que  Nicolas  III  lui  avait 
témoignée  en  le  désignant  comme  son  successeur. 

Les  statues  équestres  n'étaient  pas  encore  nombreuses  en 
Italie,  mais  il  en  existait  déjà.  Nous  en  avons  mentionné  une 
qui  fut  exécutée  à  Ferrare  au  douzième  siècle.  En  1233,  les 
Milanais  firent  représenter  en  bas-relief  sur  un  lourd  cheval 
leur  podestat  Oldrado  de  Tresseno  :  on  voit  encore  ce  bas- 
relief  au  palais  des  archives.  Une  quarantaine  d'années  plus 
tard,  les  Lucquois  honorèrent  Tommaso  et  Bonifazio  degli 
Obizzi  de  deux  statues  équestres.  Celle  de  Barnabe  Vis- 
conti,  au  Musée  archéologique  de  Milan,  date  probablement 
de  1370. 

C'est  à  Antonio  cli  Cristoforo,  fils  du  sculpteur  à  qui  l'on 
devait  la  Vierge  de  1427  dont  nous  avons  parlé,  et  à  Niccolo 
di  Giovanni  Baroncelli ,  tous  deux  Florentins  et  élèves  de  Bru- 
nellesco,  que  les  Sages  commandèrent  la  statue  équestre  de 
Nicolas  III.  Ils  demandèrent  d'abord  à  chacun  d'eux  un  mo- 
dèle. Le  27  novembre  1444,  les  modèles  étaient  terminés; 
mais  l'égalité  de  leur  mérite  rendit  le  choix  embarrassant. 
Léon-Baptiste  Alberti,  qui  se  trouvait  alors  à  la  cour  de  Lionel, 
fut  consulté.  Il  conseilla  de  réunir  les  douze  Sages  et  de  tran- 
cher la  question  par  un  vote  (1).  A  une  voix  de  majorité  le 
projet  d'Antonio  di  Cristoforo  fut  adopté,  sans  qu'on  repoussât 
la  collaboration  de  Niccolo  Baroncelli,  protégé  peut-être  par 
Lionel.  Il  semble  que  Baroncelli  fut  spécialement  chargé  de 
l'exécution  du  cheval,  car  on  lui  donna  dès  lors  le  surnom  de 
Niccolo  dal  Cavallo,  surnom  que  reçut  aussi  son  gendre  Dome- 
nico  di  Paris,  de  Padoue,  qui  lui  ^rêta  son  concours.  Quant 
à  la  base  et  aux  colonnes  de  marbre  destinées  à  supporter  le 
groupe  de  bronze,  elles  furent  l'œuvre  des  Florentins  Barto- 

(1)  G.  Ma>cisi,  Vita  di  Léon  Baltista  Alberti.  Firenze,  Sansoni,  1882. 


LIVRE   TROISIEME.  511 

lomnieo,  dit  Meo  di  Cecho  ou  Checco  (1),  et  Baccio  de'  JSetti, 
assistés  du  Padouan  Lazzaro.  Enfin  Michèle  Ongaro  dora  le 
cheval  et  le  cavalier.  C'est  le  2  juin  1451,  le  jour  de  l'Ascen- 
sion, que  la  statue  équestre  de  Nicolas  III,  érigée  sur  la  place 
entre  le  Casiello  et  la  cathédrale,  fut  inaugurée  en  présence 
de  Borso,  qui  avait  succédé,  en  1450,  à  son  frère  Lionel.  Elle 
précéda  donc  celle  de  Gattamelata,  faite  à  Padoue  par  Dona- 
tello  (1  453),  et  celle  de  Golleone,  modelée  par  Yerrocchio  et 
fondue  par  Alessandro  Leopardi  à  Venise  (1479).  Le  souve- 
rain, tenant  le  bâton  de  commandement,  était  représenté  avec 
un  costume  plein  de  caractère;  coiffé  du  bonnet  de  marquis, 
il  portait  un  manteau  dont  le  capuchon  pendait  sur  ses  épaules. 
Dans  son  important  travail  sur  les  commencements  de  la 
renaissance  des  arts  à  Ferrare,  M.  Ad.  Yenturi  donne  sur 
Niccolô  Baroncelli  d'intéressants  détails  que  nous  lui  emprun- 
tons. Niccolo  Baroncelli  s'était  fixé  à  Ferrare  avec  sa  famille, 
et  on  lui  avait  accordé  le  titre  de  citoyen,  titre  auquel  étaient 
attachés  des  avantages  matériels.  Sur  l'ordre  de  Lionel,  il  exé- 
cuta en  1  4  43  un  ex-voto  en  cire  coloriée  (2)  qui  fut  placé  dans 
l'église  de  Sainte-Marie  des  Anges  près  de  Belfiore.  Cet  ex-voto 
représentait  de  grandeur  naturelle  un  fauconnier  du  marquis 
ayant  à  ses  pieds  deux  gerfauts  (3).  Il  est  probable  qu'on 
n'avait  pas  encore  vu  à  Ferrare  un  ex-voto  d'aussi  grande 
dimension.  C'est  aussi  en  14-43  que  Niccolo  Baroncelli  fut 
chargé  d'exécuter  pour  la  chapelle  de  la  cour  six  anges  en 
cuivre  de  différentes  grandeurs.  Après  avoir  fait  des  modèles 
en  cire  (1445),  il  fondit  et  retoucha  les  figures  (1446),  que 
dora  Michèle  Ongaro.  Ces  ouvrages  lui  rapportèrent  deux  cent 
trente-sept  lire  marchesine  et  dix  soldi,  et  on  l'autorisa  à  garder 


(1)  Il  travailla  dès  1434  à  Ferrare,  où  nous  le  retrouvons  encore  en  1462.  Son 
cousin  Paolo  di  Luca,  Florentin  connue  lui,  exerça  cjjalcuicnt  à  Ferrare  la  pro- 
fession de  sculpteur,   «  tagliapietra  »  . 

(2)  L'art  de  modeler  en  cire  avait  pris  naissance  à  Florence,  pairie  de  Baron- 
celli. Quand  ^"icûlas  III,  marquis  de  Ferrare,  visita  Florence  en  1433,  il  lit  don 
à  l'église  de  l'Annunziata,  pour  s'acquitter  d'un  vœu,  d'un  haut  relief  en  cire  où 
il  était  représenté  à  cheval. 

(3)  Voyez  ce  que  nous  en  avons  dit  p.  475. 


512  L'ART    FEUKAllAIS. 

le  surplus  du  cuivre  acheté  par  lui  à  Venise.  Malgré  la  géné- 
rosité de  Lionel,  il  ne  se  trouva  pas  assez  rétribué,  et  il  écrivit 
au  secrétaire  du  prince  pour  obtenir  au  moins  de  quoi  subve- 
nir à  son  entretien  et  à  celui  de  sa  famille.  Quoique  celte  sup- 
plique ne  lui  eût  valu  qu'un  boisseau  de  blé,  il  continua  à 
travailler  pour  le  seigneur  de  Ferrare.  En  1447,  il  modela 
deux  nouveaux  anges  pour  la  chapelle  de  la  cour.  Dans  la 
sacristie  de  la  cathédrale,  il  refit  Fange  de  l'Annonciation,  qui 
avait  été  frappé  par  la  foudre,  et  exécuta  une  statuette  de  saint 
Jean-Baptiste  (1). 

Si  les  registres  de  la  maison  d'Esté  fournissent  de  nombreux 
détails  sur  Niccolù  Baroncelli,  ils  ne  contiennent  rien  d'inté- 
ressant sur  Antonio  di  Cristoforo.  On  y  lit  seulement  que  cet 
artiste  reçut  de  Lionel,  en  1  448,  six  brasses  de  drap  (2). 

Lionel  mourut  le  1"  octobre  1450,  mais  le  mouvement  qu'il 
avait  imprimé  aux  arts  ne  s'arrêta  pas,  et  la  sculpture  con- 
tinua pendant  quelque  temps  à  être  presque  exclusivement  le 
monopole  des  Florentins. 

Le  monument  de  Nicolas  III  avait  tellement  plu  aux  Ferra- 
rais,  qu'ils  songèrent  presque  aussitôt  à  ériger  une  statue  à 
Borso  de  son  vivant.  Dès  le  I"  septembre  1451,  un  acte  con- 
state la  commande  faite  à  Niccolo  Baroncelli.  Dans  cet  acte, 
il  n'est  pas  question  d'Antonio  di  Cristoforo.  Niccolo  Baron- 
celli mit  sur-le-champ  la  main  à  l'œuvre,  mais  il  ne  vit  pas 
l'achèvement  de  son  entreprise.  Il  mourut,  en  effet,  au  milieu 
de  ses  premiers  travaux,  entre  le  24  et  le  29  octobre  1453,  et 
son  élève  Meo  di  Checco  prit  soin  de  ses  funérailles.  Le  mo- 
nument fut  continué  par  son  fils  Giovanni  et  par  son  gendre 
Domenico  di  Paris  de  Padoue,  qui  eurent  pour  collaborateurs 

(1)  Hqrg  de  la  boutique  île  Baroncelli,  on  ne  rencontre  à  Ferrare,  sous  le 
règne  de  Lionel,  que  des  sculpteurs  d'un  mérite  très  ordinaire.  Un  certain  Barto- 
lonieo  dalla  Croce,  dit  Zitadore  de  ficjure,  fait  des  fleurs  et  des  clous  pour  une 
selle  et  pour  les  harnais  du  cheval  d'Isotte,  sœur  du  duc.  Fiorio  da  Verona, 
Domenico  Traiamonle,  Pantaleone  et  Alvise  de  Venise  sculptent  pour  les  palais 
et  les  villas  du  souverain  des  chapiteaux,  des  bases  de  colonnes  avec  des  armoiries 
et  des  feuillages.  Ils  exécutent  aussi  des  anneaux  pour  les  puits  et  les  citernes 
comme  on  en  voit  à  Venise.  (Ad.  Venturi,  I primordi,  etc.,  p.  29.) 

(2)   Ad.  Vesiuri,  I  primordi,  etc.,  p.  27. 


LIVRE   TROISIÈME.  513 

Bartolommeo  dit  Meo  di  Checco  de  Florence  (1),  Bartolommeo  di 
Francesco,  Giovanni  di  Francia,  le  Florentin  Paolo  di  Luca  (2), 
cousin  de  Meo  di  Checco,  Niccolà  de  Florence,  Ft^ancesco  di 
Amorotto  de  la  Mirandole  et  Fiorino  de  Vérone.  Au  mois  de 
décembre  1454,  la  statue  de  Borso,  en  bronze,  témoignage  de 
la  gratitude  ou  de  l'adulation  des  Ferrarais  envers  leur  sou- 
verain, fut  placée  sur  une  colonne  de  marbre  devant  le  palais 
délia  Ragione,  en  face  d'un  des  côtés  de  la  cathédrale.  Mais 
ce  fut  seulement  en  1456  que  furent  terminés  les  quatre  en- 
fants nus  ou  génies,  également  en  bronze,  qui  devaient  accom- 
pagner la  figure  principale.  Ces  génies,  debout  aux  quatre 
angles  de  l'abaque  du  chapiteau ,  tenaient  les  écussons  du 
prince  et  ceux  de  la  Commune.  Quant  à  Borso,  il  était  repré- 
senté assis  sur  une  espèce  de  tabouret,  en  souverain  pacifique, 
le  bâton  de  commandement  à  la  main.  Dans  son  riche  cos- 
tume il  y  avait  des  parties  dorées  et  des  parties  bleues,  dont 
avait  été  chargé  le  peintre  Titolivio.  Comme  inscription,  on 
avait  adopté  les  vers  suivants  du  poète  ferrarais  Tito  Strozzi  : 

Hanc  tibi  viventi  Ferrara  (>rata  columnam 
Ob  mérita  iii  patriaiu  princeps  justissime  Borsi 
Dedicat  Estensi  qui  dux  a  sanguine  priiuus 
Excipis  iniperiiim  et  placida  régis  omnia  pace. 

Il  est  probable  que  l'image  de  Borso  était  fort  remarquable, 
car  la  figure  du  prince  devait  être  au  moins  aussi  soignée  que 
celles  des  génies,  dont  un  fragment,  possédé  par  Giuseppe 
Boschini,  l'annotateur  de  liaruffaldi,  a  permis  d'apprécier  la 
beauté. 


(1)  Il  était  probablement  aussi  élève  de  Brunellesco.  En  1433  il  travaillait 
sous  la  direction  de  ce  dernier  à  la  coupole  du  Dùine  de  Florence,  et  en  1438  il 
fut  au  nombre  des  maîtres  chargés  d'aller  choisir  à  Caizipiylione  des  marbres  pour 
la  cathédrale.  Meo  di  Checco  fit  en  1461  des  couvercles  de  marbre  pour  les 
puits  du  palais  de  Belriguardo,  près  de  Ferrare.  Il  fut  aidé  par  un  certain  Anto- 
nio, qui  est  peut-être  Antonio  di  Domenico  da  Como.  (Ad.  Vemuri,  L'artc  a 
Ferrara  nel  periodo  di  Borso  d'Eate,  p.  705.) 

(2)  Paolo  di  Luca  travailla  aussi  au  tombeau  d'Urbain  III  dans  la  cathédrale 
de  Ferrare.  Il  sculpta,  également  pour  la  cathédrale,  une  statue  de  , saint 
Maurelio. 

I.  33 


514  L'ART    FERRARAIS. 

Giovanni  Baroncelli,  avons-nous  dit,  fut  un  des  auteurs  du 
monument  de  Borso.  L.-N.  Cittadella  croit  que  c'est  lui  qui, 
sous  le  nom  de  Giovanni  dal  Cavallo,  fut  gracié  en  1  493,  après 
avoir  été  banni  en  1-476  pour  avoir  trempé  dans  une  conjura- 
tion contre  le  duc.  Son  père,  on  se  le  rappelle,  avait  été  sur- 
nommé Niccolo  dal  Cavallo.  Celui-ci  eut  deux  autres  fils, 
Parisio  ou  Paynde  et  Taliano,  c'est-à-dire  Vitaliano,  dont  il 
est  question  dans  un  acte  passé  en  1  465  à  l'occasion  de  l'achat 
d'une  paire  de  bœufs  de  sept  ans  moyennant  vingt-cinq  lire. 
On  voit  qu'à  cette  époque  tous  les  membres  de  la  famille 
Baroncelli  étaient  établis  à  Ferrare.  Ils  y  avaient  le  titre  de 
citoyen, 

A  Modène,  comme  à  Ferrare,  on  voulut  élever  une  statue  à 
Borso,  par  reconnaissance  pour  l'allégement  des  charges  pu- 
bliques au  commencement  du  règne  de  ce  prince.  C'est  à 
Donatello  que  l'on  s'adressa  (1451).  Quoique  Donatello  eût 
reçu  un  acompte  et  qu'on  l'eût  invité  plusieurs  fois  à  tenir 
ses  engagements,  la  statue,  on  ne  sait  pour  quels  motifs,  ne 
fut  pas  exécutée.  «  Peut-être,  dit  M.  Venturi,  les  habitants  de 
Modène  cessèrent-ils  de  la  désirer  quand  ils  virent  Borso  éta- 
blir de  nouveaux  impôts  afin  de  payer  les  redevances  dues  à 
l'Empereur  et  h  la  Chambre  pontificale;  peut-être  Donatello, 
qui  avait  à  faire  un  monument  décrété  par  la  Sérénissime 
République  en  l'honneur  de  Gattamelata,  ne  se  soucia-t-il  plus 
de  réaliser  ses  engagements  envers  Modène.  Toujours  est-il 
que  le  divin  Borso,  venu  en  grande  pompe  pour  visiter  cette 
ville,  reçut  comme  cadeaux  du  fromage  et  du  vin,  mais  n'eut 
pas  le  plaisir  de  contempler  sa  statue.  » 

A  Ferrare,  les  statues  de  Nicolas  III  et  de  Borso  furent  trans- 
portées en  1472  aux  côtés  de  l'arcade  qui,  vis-à-vis  de  la 
façade  du  Dôme,  servait  d'entrée  principale  au  palais  des 
princes  d'Esté,  et  qui  fut  dès  lors  appelée  Vollo  del  Cavallo. 
Dans  son  De  laudihus  Herculis  Ferrariœ  ducis,  Pietro  Gandido 
Decembrio  décrit  le  transport  de  ces  statues.  L'Arioste  en 
mentionne  la  présence  h  cette  place  dans  sa  sixième  satire, 
adressée  à  Pistofilo.  Endommagées  par  l'incendie  qui  dévora 


LIVRE   TROISIEME.  515 

en  1532  une  partie  du  palais,  elles  furent,  en  1796,  mises  en 
pièces  par  la  populace.  Un  tronçon  de  colonne  avec  son  cha- 
piteau et  un  support  s'appuyant  contre  un  mur  et  sur  une 
colonne  cannelée,  dont  le  chapiteau  est  d'un  style  excellent, 
voilà  tout  ce  qui  reste  aujourd'hui  de  deux  monuments  qui 
méritaient  à  tant  de  titres  de  survivre  aux  vicissitudes  des 
gouvernements. 

La  cathédrale,  du  moins,  conserve  toujours  les  cinq  statues 
de  bronze  que  fit  faire  Francesco  de  Legnamine  (1),  évéque  de 
Ferrare  (1  450-1466).  Pour  cet  important  travail,  l'archevêque 
songea  d'abord  à  Donatello,  qui  vint  exprès  de  Padoue,  reçut 
une  indemnité  de  déplacement  le  7  octobre  1450,  et  partit 
sans  avoir  consenti  aux  conditions  qui  lui  étaient  proposées. 
On  ne  s'entendit  pas  davantage  avec  Antonio  di  Cristoforo, 
appelé  de  Venise  où  il  s'était  fixé,  et  ce  fut  Niccolo  Baroncelli 
qui  reçut  la  commande.  Elle  comprenait  les  statues  du  Christ 
en  croix,  de  la  sainte  Vierge,  de  saint  Jean  l'Évangéliste  et 
des  deux  patrons  de  Ferrare,  saint  Maurelio  et  saint  Georges  (2) . 
Aidé  par  son  fils  Giovanni,  Niccolo  Baroncelli  put  mener  à  fin 
les  trois  premières.  La  mort  (145;)j  l'empêcha  d'exécuter  les 
autres  (3),  dont  se  chargèrent  son  fils  Giovanni  et  son  gendre 
Domenico  Paris  de  Padoue,  qui  les  terminèrent  en  1466  (4). 
Les  cinq  statues  furent  d'abord  placées  devant  le  maître-autel 
sur  une  architrave  que  soutenaient  des  arcades  reposant  elles- 
mêmes  sur  des  colonnes  de  marbre  (5) .  Après  la  suppression 
des  arcades  et  de  l'architrave,  elles  servirent  à  décorer  l'autel 

(1)  Il  muurut  cvèque  de  Feltre  le  11  janvici-  1462. 

(2)  On  a  longtemps  attribue  ces  statues  à  Antonio  Marescotti  ol  h  Ippolito  Bin- 
delli.  Quelques  personnes  en  ont  inèiue  lait  honneur  à  Alessandro  Angeli,  sculp- 
teur et  fondeur  qui  travaillait  à  Ferrare  vers  1458. 

(3)  Les  documents  trouvés  par  Cittadclla  constatent  que  Niccolo  Haroncclli 
sculpta  aussi  une  Vierge  et  un  Saint  .lean-Baptisle,  tlont  le  prix  lui  fut  payé 
en  1448. 

(4)  La  même  année,  Domenico  di  Paris  Ht  pour  la  villa  ducale  fie  Gasaj'Jia 
«  un  tableau  en  terre  cuite  avec  des  figures  en  relief  » . 

(5)  Voyez  la  lettre  de  l'abbé  Giuseppe  Anlonelli,  bibliothécaire  de  Ferrare,  à 
Michelangelo  Gualandi  sur  les  statues  de  bronze  que  possède  la  l'alhédrale  de  Fer- 
rare. Cette  lettre  se  trouve  dans  les  Memorie  oricjinali  ital.  di  Belle  Arti.  Bolo- 
gna,  1843,  n»  121. 


51(5  L'ART   FERRARAIS. 

situé  dans  le  bras  droit  de  la  croix  en  face  de  la  nef  de  droite. 
C  est  là  qu'on  les  voit  encore.  Si  le  Christ  a  quelque  chose  de 
vukaire,  la  Vierge  et  surtout  saint  Jean,  au  pied  de  la  croix, 
expriment  leur  douleur  avec  naturel.  Leurs  gestes  ont  une 
réelle  éloquence,  et  leurs  draperies  sont  traitées  avec  distinc- 
tion. Peut-être  saint  Georges,  qui  enfonce  sa  lance  dans  la 
gueule  du  dragon,  n'est-il  pas  exempt  de  sécheresse;  sa  phy- 
sionomie d'ailleurs  est  peu  attrayante.  En  revanche,  la  tète  de 
saint  Maurelio  est  sympathique  autant  que  noble  ;  elle  respire 
une  bonté  toute  paternelle,  et  Ton  ne  s'étonne  pas  que  le  vieil 
évêque  de  1  errare  lève  sa  main  pour  bénir.  Ajoutons  que 
Giovanni  Baroncelli  et  Domenico  Paris,  en  vrais  artistes  du 
quinzième  siècle,  ont  apporté  un  soin  particulier  aux  arabes- 
ques dont  ils  ont  décoré  la  chape  de  saint  Maurelio  et  la  cui- 
rasse de  saint  Georges  :  ces  gracieux  dessins  auraient  besoin 
d'être  vus  à  la  loupe,  tant  ils  ont  de  délicatesse.  Ils  suffisent  à 
réfuter  les  écrivains  qui  ont  prétendu  que  les  cinq  statues  dont 
il  s'agit  avaient  été  faites  pour  orner  la  partie  supérieure  du 
campanile  delà  cathédrale,  c  est-à-dire  pour  être  vues  de  loin. 
M.  Courajod  a  constaté  une  grande  analogie  d'exécution 
entre  le  saint  Georges  et  un  Buste  en  bronze  de  Louis  III  Gon- 
zague  dont  il  existe  deux  exemplaires  (au  musée  de  Berlin  et 
chez  Mme  Edouard  André).  Les  yeux  à  fleur  de  tête  et  peu  in- 
telligents, 1  arcade  sourcilière  et  le  modelé  sommaire  des  joues 
trahissent  de  part  et  d'autre  la  même  main. 

Durant  Tannée  qui  suivit  l'exécution  des  statues  en  bronze 
de  la  cathédrale,  Domenico  Paris  s'occupa  d'un  travail  de 
décoration  dans  le  Palais  de  Schifanoia  (L46T).  Sous  la  direc- 
tion de  l'architecte  Pietro  Benvenuti,  il  orna  de  stucs  une  des 
salles  du  premier  étage.  Ces  stucs  existent  encore  et  témoi- 
gnent d'un  talent  énergique  au  service  d'une  imagination  vive 
et  d'une  intelligence  très  cultivée. 

Suivant  M.  Bode  (1),  Domenico  Paris  est  aussi  l'auteur  d'un 
relief  en  terre  cuite,  autrefois  colorié,  qui  se  trouve  au  musée 

(1)  Italienische  Bildhaiier  der  Renaissance.  Berlin,  1887,  p.  67.  —  Gazette 
des  Beaux-Arts  du  1"  novemhie  1888,  p.  384. 


LIVRE  TROISIEME.  517 

de  Berlin  et  qui  représente  la  Vierge  avec  l'Enfant  Jésus.  Il 
s'appuie,  pour  établir  cette  attribution,  sur  la  ressemblance 
qui  existe  entre  l'œuvre  du  musée  de  Berlin  et  les  décorations 
en  stuc  exécutées  par  Domenico  Paris  dans  le  palais  de  Schi- 
fanoia.  M.  Bode  a  remarqué  en  outre  [l)  une  grande  analogie 
entre  la  Madone  de  Berlin  dont  il  vient  d'être  question  et  la 
Madone  de  Tura  dans  le  grand  tableau  que  possède  ce  musée  ; 
il  semble  d'ailleurs  que  Domenico  Paris  et  Tura  se  sont  in- 
spirés tous  deux  de  la  Vierge  qui  figure  dans  le  tableau  de  la 
galerie  Bréra,  où  l'on  voit  h  genoux  Frédéric  d'Urbin,  tableau 
qui  est  donné  par  le  catalogue  à  Bartolommeo  Corradini 
(n"  187),  mais  qui  est  dû,  d'après  M.  Bode,  à  Piero  délia 
Francesca. 

Notons  enfin  que  Domenico  Paris  fit  en  1490  les  poignées 
de  deux  coffres  destinés  à  Isabelle  d'Esté,  peu  avant  les  noces 
de  cette  princesse  avec  le  marquis  de  Mantoue,  François  II 
Gonzague  (!2). 

Dans  le  groupe  des  artistes  qui  appartiennent  à  la  fois  à 
l'époque  de  Lionel  et  à  celle  de  Borso,  Antonio  Ma?-escotti  nest 
pas  un  des  moins  renommés.  On  le  connaît  surtout  par  ses 
médailles,  exécutées  entre  1446  et  1462.  Scalabrini,  Barotti 
et  Frizzi  lui  attribuent  sans  invraisemblance  dans  le  vestibule 
de  l'hôpital  de  Sainte-Anne  un  Buste  en  terre  cuite  de  Giovanni 
Tavelli  da  Tossignano,  qui  fonda  cet  hôpital  en  1444.  Ce  n'est 
pas  une  œuvre  supérieure.  La  tête  anguleuse  du  vénérable 
personnage  ne  manque  cependant  pas  de  caractère.  On  croit 
que  l'auteur  s'aida  d'un  masque  pris  sur  le  cadavre.  Giovanni 
Tavelli,  né  en  1386,  mort  en  1446,  devint  évêque  de  Ferrare 
en  1432.  Il  existe  une  médaille  de  lui  faite  en  1446  par  An- 
tonio Marescotti. 

Presque  à  la  même  époque  vivait  et  travaillait  Lodovico 
Castellani.  En  1456  on  plaça  dans  la  cathédrale,  sous  le  maître- 
autel,  un  Moi-torio  en  terre  cuite  modelé  par  lui  (3).  On  appelle 

(1)  Jahrbuch  de  Berlin,  t.  VIII,  1887,  livraisons  II  et  III. 

(2)  Venturi,  L'arte  ferrarese  nel  periodo  (V Ercole  II  d' Este,  p.  93. 

(3)  L.-N.  GiTTADELLA,  Notizie,  etc.,  t.  I,  p.  52. 


518  L'ART    FERRARAIS. 

Mortorio  la  réunion  de  plusieurs  statues  groupées  autour  d'une 
figure  morte.  Ici,  le  Christ  est  l'objet  des  soins  et  de  la  com- 
passion de  Joseph  d'Arimathie,  de  saint  Jean  et  des  deux 
Marie.  Les  figures  sont  coloriées  et  de  grandeur  naturelle. 
Ce  mortorio  a  été  transporté  dans  le  chœur,  inaccessible  au 
public,  de  l'église  dédiée  à  Saîit'  Antonio  Ahhate  in  Polesine. 
Au  dire  de  L.-N.  Cittadella,  qui  fut  admis  à  le  voir,  il  est  très 
inférieur  à  celui  que  possède  l'église  de  Santa-Maria  délia 
Rosa ,  exécuté,  il  est  vrai,  au  commencement  du  seizième 
siècle,  et  dont  il  sera  question  plus  loin.  On  ne  sait  que  fort 
peu  de  chose  sur  le  compte  de  Castellani.  Dans  un  acte  de 
1465,  il  est  qualifié  de  «  prœstans  vi?'  »  .  En  1467  il  travailla 
pour  la  Chartreuse,  et  en  1473  il  prit  part,  avec  plusieurs 
artistes  parmi  lesquels  se  trouvait  un  des  Sperandio  de  Man- 
toue,  à  la  décoration  du  carrosse  qui  servit  à  Éléonore  d'Ara- 
gon quand  elle  fit  son  entrée  à  Ferrare,  où  elle  venait  épouser 
le  duc  Hercule  I".  Il  semble  être  mort  en  1505,  car  cette 
année-là  sa  fille  accepta  son  héritage  sous  bénéfice  d'inven- 
taire. 

Il  n'y  a  pas  que  Castellani  et  Marescotti  qui  aient  fait  à 
Ferrare  des  ouvrages  en  terre  cuite.  Nous  avons  mentionné 
Domenico  di  Paris.  Plusieurs  autres  artistes  ,  dont  les  noms 
sont  restés  inconnus,  pratiquèrent  le  même  art.  En  145  4  on 
voyait  dans  la  cathédrale,  près  du  maître-autel,  un  bas-relief 
en  terre  cuite  représentant  le  Père  éternel  avec  des  anges  et 
des  prophètes.  Les  religieux  de  Santa  Maria  délie  Grazie  à 
Reggio  commandèrent  en  1470  à  des  maîtres  établis  à  Fer- 
rare plusieurs  bas-reliefs  et  hauts  reliefs  également  en  terre 
cuite. 

Borso  eut  à  son  service,  sans  compter  les  artistes  florentins 
mentionnés  plus  haut,  quelques  sculpteurs  dont  l'existence 
nous  est  révélée  par  les  livres  de  comptes.  —  Alvise  travailla 
au  tombeau  de  Marie  d'Aragon,  femme  de  Lionel,  tombeau 
qui  fut  érigé  dans  TégUse  de  Belfiore  (1451).  —  Après  avoir 
restauré  la  façade  du  palais  des  souverains  de  Ferrare  à 
Venise  (1456)  et  sculpté  des  colonnes  avec  leurs  bases  et  leurs 


LIVRE  TROISIÈME.  519 

chapiteaux  à  Beiriguardo  (1457),  Giacomo  di  Lazzaro  fit  pour 
Borso  trois  cheminées  sur  lesquelles  il  représenta  les  emblèmes 
des  Este  (1458).  —  Antonio  di  Gregorio  exécuta  un  tabernacle 
de  marbre  destiné  à  l'église  de  Gasaglia  et  diverses  autres 
choses  pour  la  villa  de  Gonsandolo. 

Si  les  principaux  sculpteurs  à  Ferrare  furent  des  Floren- 
tins, il  ne  tarda  pas  à  y  avoir  aussi  dans  cette  ville  un  groupe 
d'artistes  appartenant  aux  écoles  du  nord  de  l'Italie.  AWertino 
de  Rasconi  ou  Rusconi  de  Mantoue,  fils  de  Giovanni  Rusconi 
qui  avait  acquis  à  Ferrare  le  droit  de  citoyen,  était  à  la  tête 
de  ce  groupe.  Malgré  son  origine,  il  entra  bientôt  dans  le 
courant  de  l'art  florentin.  Il  s'associa  Giacomo,  son  frère, 
renommé  aussi,  comme  lui,  pour  son  habileté  à  sculpter  les 
ornements,  Amhrogio  da  Milano  et  quelques  artistes  de  \'érone. 
Ces  divers  sculpteurs  reçurent  de  nombreuses  commandes.  Ils 
travaillèrent  notamment  au  campanile  de  la  cathédrale,  à  la 
loggia  des  marchands  de  drap  et  de  soie,  au  monument  de 
Borso  et  auCastel-Nuovo,  où  Giacomo  de'  Rasconi  fit  en  1468 
des  chapiteaux,  des  bases  et  des  consoles  «  intaiade  a  lajioren- 
tina  (1)  »  .  Le  nom  d'Albertino  se  recommande  aujourd'hui  par 
quelques-unes  des  figures  et  des  ornementations,  exécutées  en 
1459,  qu'on  voit  à  Bologne  sur  la  façade  de  San  Petronio, 
autour  des  fenêtres.  Après  1500,  on  ne  trouve  plus  aucune 
mention  d'Albertino  et  de  Giacomo  Rasconi,  qui,  en  1470, 
s'étaient  préparé  un  tombeau  à  Sainte-Agnès.  Albertino  s'était 
marié  deux  fois  à  Ferrare,  en  1462  et  en  1464.  Il  y  eut  aussi 
à  Ferrare,  vers  la  même  époque,  un  sculpteur  appelé  Cristo- 
joro  de  Rusconi,  dit  Scarpo?ie,  peut-être  originaire  de  Man- 
toue. Domenico  da  Como  et  Fiorino  di  Domenico  da  Verona  fi- 
gurent également  parmi  les  sculpteurs  occupés  de  1456  à  1473 
dans  la  capitale  des  princes  d'Esté. 

Un  autre  artiste,  Cristoforo  Stoporone,  qui  travailla  de  1509 
à  1522  à  Ferrare,  mérite  une  mention  spéciale,  parce  qu'il 
existe  encore  une  œuvre  importante  de  lui,  le  tombeau  du 

(1)    A,  Venïuri,  L'artc  a  Ferrara  nel  periodo  di  Borso  d'Esté,  p.  705. 


520  1/AUT    FERRAKAIS. 

jurisconsulte  Giovanni  Sadoleto ,  père  du  cardinal  Jacopo 
Sadoleto,  secrétaire  de  Léon  X  (l).  Ce  tombeau,  adossé  jadis  à 
la  cathédrale  de  Modène,  du  coté  de  la  place,  et  regardé 
comme  une  œuvre  de  Guido  Mazzoni,  se  trouve  maintenant 
dans  le  Miiseo  lapidario  de  la  même  ville.  La  partie  inférieure 
se  compose  de  deux  colonnes  autour  desquelles  s'enroulent 
des  feuillages  et  des  fleurs.  Dans  la  partie  supérieui'e  on  voit, 
entre  des  pilastres  dont  l'ornementation  comprend  des  am- 
phores, des  tablettes,  des  couronnes,  des  livres,  des  bucranes, 
des  aigles,  des  trophées  et  des  trépieds,  le  vieux  jurisconsulte 
couché,  les  mains  jointes  sur  la  poitrine,  dormant  d'un  paisi- 
ble sommeil  et  ayant  auprès  de  son  oreiller  le  livre  où  il  con- 
signa le  résultat  de  ses  longues  études.  La  figure  de  la  Vierge 
et  celle  de  l'Enfant  Jésus  debout,  adoré  par  deux  anges  pleins 
de  ferveur,  complètent  le  monument,  sur  lequel  on  lit  la  date 
de  1517.  Ces  figures  rappellent,  dit  M.  Yenturi,  la  manière  de 
Cristoforo  Solari  et  prouvent  que  Milan  était  la  patrie  de  Cris- 
toforo  Stoporone.  En  constatant  dans  le  tombeau  de  Giovanni 
Sadoleto  des  inégalités  d'exécution,  on  s'est  demandé  si  plu- 
sieurs artistes  n'y  avaient  pas  coopéré.  Il  est  difficile  de  se 
prononcer.  Peut-être  Cristoforo  Stoporone  n'a-t-il  un  peu 
négligé  la  statue  du  défunt  que  parce  qu'elle  devait  être  placée 
de  façon  à  ne  pouvoir  pas  être  bien  vue  du  spectateur.  Comme 
Cittadella  cite  un  document  où  il  est  question  des  figures  de 
marbre  [immagmi  marmoreé)  sculptées  par  Stoporone  pour  le 
monument  élevé  à  Sadoleto,  et  non  d'une  ou  de  plusieurs  fi- 
gures, il  est  permis  de  penser  qu'elles  appartiennent  toutes  à 
la  même  main  (2). 

Un  sculpteur  très  supérieur  à  ceux  qui  viennent  d'être 
mentionnés  fut  Àmbrogio  da  Milano,  déjà  nommé  par  nous, 
l'auteur  du  magnifique  Tombeau  de  Lorenzo  Roverella  dans 
l'église  suburbaine  de  Saint-Georges. 

Avant  d'examiner  ce  tombeau,  il  nous  semble  utile  de  faire 

(1)  Les  détails  que  nous  allons  donner  sont  tirés  d'un  article  de  M.  Venturi 
dans  V Archivio  storico  tlelt  arte,  août  1888. 

(2)  Cristoforo  Stoporone  eut  un  fils  nommé  Bernard ino  C[m  fut  aussi  sculpteur. 


LIVRE   TROISIÈME.  521 

connaître  en  quelques  mots  le  personnage  dont  il  renferme 
les  restes.  Sa  famille  était  originaire  de  Rovigo.  Après,  avoir 
été  trésorier  du  marquis  Lionel  dans  la  Polésine,  Giovanni, 
son  père,  créé  comte  par  1  empereur  Frédéric  III  en  1  444-, 
vint  se  fixer  à  Ferrare,  où  il  jouissait  des  droits  de  citoyen  dès 
1-449.  Giovanni  eut  beaucoup  d'enfants,  parmi  lesquels  se  dis- 
tinguèrent surtout,  outre  Lorenzo,  Bartolommeo,  qui  devint 
cardinal  et  dont  les  restes  reposent  à  Rome  dans  un  des  plus 
intéressants  tombeaux  de  l'église  Saint-Clément  (I);  Niccolo, 
général  des  Olivétains  ;  Pietro,  comte  palatin,  et  Florio,  chevalier 
de  Saint-Jean  de  Jérusalem.  Quant  à  Lorenzo,  il  fut  en  1440 
et  en  1443  lauréat  à  l'Université  de  Padoue,  en  attendant 
qu'il  y  parut  comme  professeur.  Il  fit  aussi  à  l'Université  de 
Ferrare  des  cours  très  suivis,  et  il  écrivit  des  commentaires 
sur  Platon  et  sur  Aristote.  En  1445,  Eugène  IV  lui  confia  une 
mission  à  Paris,  où  il  avait  étudié  la  théologie.  De  1455  à  1457 
il  fut  nonce  de  Calixte  III  auprès  de  Ladislas  VI,  roi  de  Polo- 
gne, ainsi  qu'auprès  de  l'Empereur  et  de  Mathias,  roi  de  Hon- 
grie, employant  son  éloquence  à  préparer  une  ligue  contre  les 
Turcs,  à  pacifier  l'Allemagne  et  à  combattre  les  hussites.  Il 
s'acquitta  ensuite  avec  honneur  d'une  légation  eu  Espagne. 
Tout  en  étant  chanoine  de  Ferrare,  il  fut  dataire  de  Pie  II, 
qui,  dit-on,  utilisait  ses  connaissances  en  médecine,  et  qui, 
le  9  avril  1400,  le  nomma  évéque  de  Ferrare.  Occupé  à  la 
cour  pontificale  par  de  graves  affaires,  il  ne  revint  qu'en  1462 
à  Ferrare,  où  il  entra  solennellement,  accompagné  du  clergé 
et  des  professeurs  de  l'Université,  mais  où  il  séjourna  peu.  En 
1473,  lorsque  Éléonore  d'Aragon  passa  par  Rome  en  se  ren- 
dant à  Ferrare  pour  y  épouser  le  duc  Hercule  I",  il  se  joi- 
gnit au  cortège  avec  son  frère  le  cardinal ,  et  ce  fut  lui  qui 
célébra  la  messe  nuptiale.  Sixte  IV  lui  destinait  le  gouverne- 
ment de  Pérouse,  quand  la  mort  le  surprit  à  Monte-Oliveto 
(1474).  Ses  frères  firent  transporter  son  corps  à  Ferrare  dans 

(1)    Bartoloimiieo  naquit  en  1406  et  mourut  le  2  mai   1V76.   Sun   poi  trait  nous 
a  été  conservé  par  deux  métlaillcs  anonymes.   (Abmand,   Les  médailleurs  italiens, 

t.  II,  p.  22.) 


522  L'ART    FERRARAIS. 

l'église  de  Saint-Georges,  dont  son  tombeau  est  le  plus  bel  orne- 
ment. 

Lorenzo  Roverella,  coiffé  de  la  mitre,  est  étendu  de  gauche 
à  droite  sur  son  sarcophage,  les  mains  croisées  et  les  yeux 
fermés.  Son  visage  maigre,  sillonné  de  quelques  rides,  est 
régulier,  austère,  calme,  intelligent  et  beau.  Pour  indiquer 
que  les  travaux  de  la  pensée  ont  dignement  rempli  sa  vie, 
l'artiste  l'a  entouré  de  livres  :  on  en  voit  un  à  ses  pieds,  un 
autre  sous  le  coussin  qui  soutient  sa  tête,  un  troisième  derrière 
le  coussin,  un  quatrième  et  un  cinquième  le  long  de  la  mu- 
raille (I).  Une  inscription  en  vers,  composée  par  Tito  Strozzi, 
garnit  la  face  du  sarcophage.  De  chaque  côté  apparaissent  les 
armoiries  du  défunt  {"2).  Au-dessus  de  ces  armoiries  sont  de- 
bout, dans  des  niches  surmontées  de  coquilles,  à  gauche  saint 
Augustin  baissant  les  yeux  comme  pour  écouter  avec  plus  de 
recueillement  les  inspirations  de  l'Esprit-Saint,  qui  lui  parle  à 
l'oreille  sous  la  forme  d'une  colombe;  à  droite  saint  Jérôme 
qui,  la  tête  et  le  torse  nus,  tient  de  la  main  droite  la  pierre 
dont  il  va  frapper  sa  poitrine,  et  lève  les  yeux  vers  le  ciel. 
Saint  Jean-Baptiste  et  deux  évêques,  placés  aux  côtés  de  saint 
Jean ,  sont  également  debout  dans  des  niches  au  fond  de 
l'alcôve  où  se  trouve  le  sarcophage.  Les  niches  sont  encadrées 
par  des  pilastres  sur  lesquels  se  détachent  de  magnifiques 
candélabres  d'un  relief  léger  (3).   Dans  le  tympan,  au  milieu 

(1)  On  croit  (jue  le  De  civitate  Dsi  de  s.iint  Auj^justin,  dans  la  Itibliothèque 
communale  de  Fenare,  a  appartenu  à  Lorenzo  Roverella.  Ce  manuscrit  sur  par- 
(■hemin  est  orné  d'initiales  en  couleur  et  de  très  belles  miniatures.  Il  faut  surtout 
remarquer  celles  des  pages  1  et  25  et  l'initiale  renfermant  la  figure  de  saint 
Augustin. 

(2)  Le  musée  du  Louvre  possède  le  sceau  de  Lorenzo  Roverella,  n"  G,  518. 
(L.  GouRAJOD,  L'imitation  et  la  contrefaçon  des  objets  d'art  antiques,  édit. 
E.  Leroux,  1889,  p.  54.) 

(3)  La  sculpture  d'ornementation  fut  cultivée  avec  succès,  à  Ferrare,  au 
quinzième  siècle.  En  dehors  du  tombeau  de  Roverella,  il  en  existe  d'intéressants 
spécimens.  Notons,  dans  le  cimetière  communal,  c'est-à-dire  dans  les  dépen- 
dances de  la  Chartreuse,  les  charmantes  arabesques  qui  bordent  la  porte  donnant 
accès  au  tombeau  Baratelli  et  les  beaux  candélabres  qui  ornent  les  pilastres  à 
l'intérieur  de  celte  chambre  mortuaire.  Il  faudrait  également  citer  la  porte  du 
Palais  de  Schifanoia,  la  frise  d'enfants  nus  qui  volent  en  tenant  deux  à  deux  des 
médaillons  à  l'extérieur  deV  Eglise  de  Saint-François,  la  cour  du  Palais  Beltranie, 


LIVRE  TROISIEME.  523 

d'une  couronne  de  fruits  et  de  fleurs,  se  présente  à  mi-corps 
la  Vierge  avec  l'Enfant  Jésus  qui  est  assis  sur  elle,  vêtu  d'une 
petite  robe,  et  qui  bénit  l'évéque.  Deux  anges,  à  mi-corps,  ado- 
rent le  Fils  de  Marie.  En  outre,  sept  têtes  de  séraphins  dé- 
corent l'archivolte.  Deux  petits  anges  nus  sont  debout,  une 
grappe  de  raisin  à  la  main,  aux  extrémités  de  la  corniche  qui 
supporte  l'archivolte,  et  saint  Georges,  au  sommet  du  mo- 
nument, plonge  sa  lance  dans  la  gueule  du  dragon  légen- 
daire. 

L'auteur  du  tombeau  de  Lorenzo  Roverella,  avons-nous  dit, 
est  Ambrogio  Borgognoni  de  Milan.  Il  a  signé  son  œuvre.  On  lit, 
en  effet,  au-dessous  du  sarcophage  :  "  Amhrosii  Mediolanen- 
sis  opiis  1475.  »  Ambrogio  était-il  allé  à  Florence  ou  avait-il 
simplement  étudié  les  œuvres  des  sculpteurs  florentins  tra- 
vaillant à  Ferrare?  On  ne  sait.  Toujours  est-il  que  la  Vierge  (I), 
l'Enfant  Jésus  et  les  deux  anges  en  adoration  rappellent  par 
leur  attitude  et  par  leur  expression  Antonio  Rossellino.  Dans 
le  monument  que  nous  décrivons,  Ambrogio  da  Milano,  ce 
nous  semble,  n'a  pas  dû  exécuter  tout  lui-même.  Il  aura 
laissé  à  l'un  de  ses  compagnons  le  soin  de  sculpter  les  cinq 
saints,  dont  les  proportions  nous  paraissent  un  peu  courtes  (2), 
et  où  Ion  ne  constate  pas  le  style  magistral  dont  témoigne  la 


la  façade  du  Palais  dci  Diamanti,  ainsi  que  celles  du  Palais  Eoverella  et  du 
Palais  Frosperi.  —  Dans  la  première  moitié  du  seizième  siècle,  on  rencontre 
encore  des  preuves  d'une  rare  habileté  et  d'un  {joût  très  pur.  Ainsi,  dans  VE(jlise 
des  Chartreux,  église  consacrée  à  saint  Christophe,  que  de  {;râce  ont  les  motifs 
représentés  sur  la  base  des  piliers,  motifs  attribués  par  quelques  personnes  à  San- 
sovino  !  Combien  sont  ravissantes  les  deux  cheminées  qui  ornent  le  Palais  muni- 
cipal apvQS  avoir  appartenu  au  Palais  dei  Diamanti!  Mentionnons  enfin,  dans  la 
sacristie  de  la  cathédrale,  les  encadrements  des  fenêtres  et  les  moulures  de  la 
cheminée,  qu'exécuta,  vers  1530,  Antonio  da  Venezia.  ^^Voyez  un  article  de 
M.  Jaksen,  dans  V Allgemeines  Kiinsterlexicon.) 

(i)  Comparez  avec  cette  Vierge  celle  qui  fait  partie  du  tond)eau  élevé  au  car- 
dinal de  Portugal  dans  l'église  de  San  Miniato,  auprès  de  Florence. 

(2)  Ces  saints  ne  sont  pas  sans  une  certaine  analogie  avec  les  trois  figures  qui 
servent  de  décoration  à  un  autel  dans  l'église  île  San  Giobbe,  à  Venise.  Au-dessus 
de  la  corniche  qui  surmonte  les  niches  dans  le  monument  de  San  Giobbe,  on 
remarque  deux  anges  qui,  un  genou  en  terre,  tiennent  de  grands  candélabi'cs.  Ces 
anges  seraient  presque  les  frères  de  ceux  que  nous  montre  le  tombeau  de  saint 
Dominique  à  Bologne,  et  dont  l'un  fut  fait,  dit-on,  par  Michel- Ange  en  1495. 


52'*  L'ART    FERRARAIS 

magnifique  figure  de  Roverclla.  Enfin  ,  il  est  difficile  d'ad- 
mettre qu'Ambrogio  soit  pour  quelque  chose  dans  la  médiocre 
statue  de  saint  Georges. 

Si,  dans  plusieurs  de  ses  parties,  le  tombeau  de  Roverella 
prèle  à  quelques  critiques,  l'ensemble,  malgré  des  défauts  de 
proportions,  en  est  plein  de  noblesse  et  de  charme.  Le  mar- 
bre, très  poli,  a  pris  une  teinte  chaude,  très  séduisante.  On 
ne  saurait  refuser  son  admiration  à  la  beauté  sévère  du  per- 
sonnage principal,  à  la  grâce  de  la  Vierge,  à  la  naïveté  de 
l'Enfant  Jésus,  à  l'expression  religieuse  des  saints,  au  dessin 
et  à  l'exécution  des  candélabres,  tous  différents  les  uns  des 
autres,  qui  garnissent  les  pilastres. 

Ambrogio  da  Milano  travailla  aussi,  comme  architecte,  à 
la  loggia  des  marchands  de  drap  et  de  soie  qui  est  adossée  à 
l'un  des  côtés  de  la  cathédrale  et  qui  fut  commencée  en  1473. 
On  lui  attribue  de  charmantes  ornementations  dans  le  palais 
ducal  d'Urbin  (1).  Le  27  juillet  1494,  il  figura  comme  témoin 
au  testament  de  Giovanni  Santi,  père  de  Raphaël,  h  Urbin. 
M.  Michèle  Gaffi  cite  de  lui  des  ouvrages  à  Todi  et  à  Spolète  (2). 
En  1504,  Ambrogio  da  Milano  n'existait  plus.  Il  eut  un  fils, 
nommé  Cristoforo,  qui  suivit  la  même  carrière  que  lui  et  dont 
il  sera  bientôt  question. 

Parmi  les  sculptures  conservées  à  Ferrare,  il  en  est  quel- 
ques-unes dont  les  auteurs  nous  sont  inconnus.  De  ce  nombre 
est  le  tombeau  de  Borso  dans  un  des  cloîtres  de  la  Chartreuse. 
Tel  est  le  cas  encore  pour  un  joli  bas-relief  placé  dans  l'église 
de  Saint-Dominique,  derrière  le  maître-autel.  Ce  bas-relief, 
exécuté  vers  la  fin  du  quinzième  siècle,  représente  la  Vierge 
avec  l'Enfant  Jésus  debout  sur  elle  et  bénissant.  Les  deux  fi- 
gures sont  excellentes.  Celle  de  Jésus,  en  particulier,  est 
d'une  grâce  exquise. 

G  est  également  à  un  artiste  anonyme  qu'est  du  un  bas-relief 
colorié  du  palais  Strozzi-Sacrati,  bas-relief  représentant  aussi 
la  Vierge  et  l'Enfant  Jésus.  La  Vierge  est  très  originale  d'ex- 

(1)  Perkins,  t.  II,  p.  159-161. 

(2)  Arte  e  storia,  25  octobre  1888,  n"  30,  p.  235. 


LIVRE   TROISIEME.  525 

pression  et  vraiment  belle;  l'enfant  est  d'une  naïveté  adorable, 
et  ses  traits  ont  une  grande  pureté. 

N'oublions  pas  non  plus  le  haut  relief  que  l'on  voit  à  San 
Francesco,  entre  la  sixième  chapelle  et  la  septième,  dans  la 
nef  de  droite.  Il  représente,  avec  beaucoup  d'expression,  Jésus 
attaché  à  la  colonne.  Cette  figure  a  été  attribuée  à  Alfonso 
Lombardi,  mais  elle  est  évidemment  d'une  époque  plus  an- 
cienne et  appartenait  peut-être  à  l'église  qui  a  précédé  l'église 
actuelle  qu'Hercule  I"  fit  commencer  en  1494.  Aux  côtés  du 
Christ  sont  peints  à  fresque  deux  bourreaux,  qui  sont  l'œuvre, 
non  de  Garofalo,  comme  on  l'a  prétendu,  mais  d'un  de  ses 
élèves.  Le  bourreau  de  droite,  prêt  à  frapper,  ramène  son  bras 
à  la  hauteur  de  son  front;  la  bassesse  de  son  àme  se  reflète 
sur  son  visage  maigre  et  rude;  il  a  la  tète  nue;  son  gilet  est 
rouge  et  son  caleçon  gris.  Le  bourreau  de  gauche,  au  visage 
un  peu  gras,  est  assez  beau  et  a  l'air  moins  féroce;  il  porte 
des  chausses  rouges  et  une  tunique  jaune;  un  mouchoir  de 
couleur  foncée  est  enroulé  autour  de  sa  tête. 

En  1499,  on  résolut  d'honorer  Hercule  I"  par  une  statue 
équestre  qui  décorerait  la  grande  place  ménagée,  non  loin  de 
la  Chartreuse,  dans  le  quartier  ajouté  par  le  duc  à  l'ancienne 
Ferrare.  Le  nom  de  l'artiste  auquel  fut  confiée  l'exécution  de 
la  statue  est  resté  inconnu  (1).  Cet  artiste  mourut  sans  avoir 
mené  loin  son  travail,  comme  Hercule  P""  nous  l'apprend  lui- 
même  par  la  lettre  qu'il  écrivit  le  19  septembre  1501  à  Gio- 
vanni Valla,  son  résident  à  Milan.  Le  duc  charge  celui-ci  de 
demander  pour  quelque  temps  au  cardinal  d'Amboise  le  mo- 
dèle de  la  statue  équestre  de  François  Sforza  par  Léonard 
de  Vinci.  Sur  le  cheval  coulé  en  bronze  d'après  l'œuvre  de 
Léonard,  il  aurait  voulu  faire  placer  sa  propre  statue.  Il  espé- 
rait bien  que  la  négociation  réussirait ,  car  le  modèle  qu'il 
convoitait  était  fort  négligé  :  "  Il  se  délabre  tous  les  jours, 
parce  qu  on  n'en  prend  pas  soin.  »   Afin  d'aplanir  toutes  les 

(1)  Baruffaldi  prétend  que  le  iiioilèle  de  la  statue  fut  fait  par  A  Ifonso  Lom- 
bardi. C'est  une  erreur.  On  a  reconnu,  nous  le  verrons,  qu'Alfonso  Loiid)ar(li 
naquit  seulement  vers  1497. 


526  L'ART    FERUARAIS. 

difficultés,  le  duc  ajoutait  :  «  Nous  enverrons  une  personne 
qui  le  transportera  ici  avec  les  précautions  convenables  pour 
qu'il  ne  soit  pas  abîmé.  «  Malgré  les  instances  de  Valla , 
Georges  d'Amboise  n'osa  pas  laisser  enlever  l'ouvrage  de 
Léonard  sans  s'être  assuré  de  l'assentiment  du  roi  qui  avait 
vu  cette  admirable  sculpture,  et  les  choses  en  restèrent 
là(l). 

Au  projet  de  la  statue  équestre  d'Hercule  I"  se  rattache  le 
nom  d'Antonio  Campi,  citoyen  de  Ferrare  et  fils  de  Gregorio 
Gampi  de  Milan  (2).  Antonio  fut  choisi  pour  sculpter  les  cha- 
piteaux des  colonnes  sur  lesquelles  la  statue  devait  être  placée, 
pour  décorer  le  piédestal,  pour  exécuter  une  frise  et  une  archi- 
trave, le  tout  d'après  les  dessins  d'Ercole  Grandi.  En  1499, 
une  des  deux  colonnes  tomba  dans  le  Pô  et  n'en  put  être  re- 
tirée, de  sorte  que  l'on  dut  se  bornera  n'en  ériger  qu'une.  Du 
reste,  la  mort  d'Antonio  di  Gregorio  et  celle  du  duc  (1505) 
interrompirent  bientôt  les  travaux.  En  1503,  les  architectes 
Biagio  Ilossetti  et  Bartolomeo  Tristano,  ainsi  que  les  sculpteurs 
Cristoforo  da  Milano,  Borso  di  Campi  et  Azidrea  diTani,  furent 
chargés  d'estimer  ce  qu'avait  fait  et  fait  faire  Antonio,  récem- 
ment décédé.  En  1525,  Francesco,  fils  d'Antonio,  réclama  la 
somme  fixée,  dont  le  payement  n'avait  pas  encore  eu  lieu. 
Quant  à  la  statue,  il  n'en  fut  plus  question,  et  la  colonne  qui 
s'élevait  sur  la  place  servit  successivement  de  support  à  celle 
d'Alexandre  VII  (1675),  à  celle  de  la  Liberté  (1796),  à  celle  de 
Napoléon  (1810)  et  à  celle  de  l'Arioste  (1833).  Tels  sont  les 
souvenirs  que  rappelle  la  place  qui  porte  aujourd  hui  le  nom 
du  poète. 

Nous  venons  de  voir  figurer  un  Cristoforo  da  Milano  parmi 
les  artistes  qui  évaluèrent  le  travail  d'Antonio  di  Gregorio.  Il 
y  eut  à  Ferrare,  nous  t^avons  vu,  plusieurs  artistes  portant  le 
nom  de  Cristoforo.  L'un  d'eux,  Cristoforo  di  Amhrogio,  était 
sans  aucun  doute  le  fils  de  l'auteur  du  tombeau  de  Lorenzo 

(1)  Voyez  p.  119-120. 

(2)  Un  membre  de  la  même  famille,  Borso  de  Campi,  travailla  aux  premiers 
palais  que  l'on  éleva  dans  le  quartier  créé  par  Hercule  I". 


LIVRE   TROISIEME.  527 

Roverella  (1),  mais  il  fut  loin  de  l'égaler.  C'est  ce  que  prouve 
le  Christ  en  prière  au  jardin  de  Gethsémani  qu  il  exécuta  en 
1521  avec  Battista  Rizzi ,  de  Milan  (2),  pour  Francesco  et 
Agostino  Massa,  fds  de  Guidone  ou  Guido  d'Argenta,  dans  la 
première  chapelle  à  gauche  de  l'église  Saint-François  (3).  Au- 
dessous  du  rocher  sur  lequel  est  à  genoux  le  Christ,  à  qui  un 
ange  présente  un  calice,  saint  Pierre,  saint  Jacques  et  saint 
Jean  dorment  d'un  profond  sommeil.  Les  trois  apùtres  (en 
demi-relief)  sont  bien  groupés  et  ingénieusement  conçus. 
Pourquoi  faut-il  que  la  figure  du  Christ  (en  haut  relief)  leur 
soit  si  inférieure  et  que  celle  de  l'ange  soit  si  médiocre?  C'est 
l'élévation  de  la  pensée  qui  manque  ici  plus  encore  que  l'ha- 
bileté technique.  Les  défauts  du  travail  des  deux  artistes  mi- 
lanais frappent  d'autant  plus  que  des  fresques  fort  belles  de 
Garofalo  ornent  la  même  chapelle.  Suivant  les  termes  du  con- 
trat, Cristoforo  et  Rizzi  durent  recevoir  trente-cinq  ducats 
d'or,  sans  compter  un  supplément  facultatif  après  l'achève- 
ment de  l'œuvre.  Ces  sculptures,  placées  au-dessus  de  l'autel, 
ont  malheureusement  été  peintes  en  blanc.  Aux  côtés  de  la 
base  du  fronton  terminant  le  monument  qui  les  encadre  (ce 
monument  fut  fait  aussi  par  Cristoforo  da  Milano  et  par  Battista 
Rizzi),  on  voit  les  deux  personnages  de  l'Annonciation,  l'ar- 
change Gabriel  et  la  sainte  Vierge  :  ces  figures,  plus  petites 
que  les  autres,  sont  dues  aux  mêmes  mains  (4). 

Dans  le  premier  quart  du  seizième  siècle  vécut  à  Ferrare  un 
artiste  renommé,  venu  de  Venise,  Antonio  Louibardo,  fils  de 

(1)  L.-N.  Cittadella  cite  des  actes  de  1504  et  de  1517  dans  lesquels  il  est  ques- 
tion de  Cristoforo  fils  de  feu  Andjrojjio  BorjjOjjnoni  de  Milan. 

(2)  Cristoforo  di  Anihrotjio  da  Milano  (^ainsi  que  Battista  Rizzi,  fils  de  Heinai- 
dino  Rizzi^  ha])itait  hors  de  la  |)orte  Saint-Paul  sur  les  rives  du  Pô,  couirne  Cris- 
toforo di  Ainbrogio  dit  Stoporone.  Les  deux  noms  dési{;ncnt-ils  une  seule  per- 
sonne? On  ne  saurait  encore  trancher  cette  question. 

(3)  L'église  actuelle  de  Saint-François  fut  commencée  le  3  août  140  V  et  ache- 
vée en  1530,  mais  on  pouvait  y  officier  dès  1517.  C'est  le  15  octobre  1520  que 
les  frères  Francesco  et  Agostino  Massa  obtinrent  du  général  des  Franciscains  la 
concession  de  leur  chapelle.  Francesco  était  renommé  comme  jurisconsulte  et 
connue  avocat  {causarum  patromis' . 

(4)  Cristoforo  da  Milano  travailla  aussi  aux  ornementations  du  Palais  Calca- 
gnini-Beltrame  et  du  Palais  des  Diamants. 


528  L'ART    FERRARAIS. 

IMetro  Lombarclo  (1).  Antonio  venait  d'achever  dans  la  cha- 
pelle del  Santo,  à  Saint-Antoine  de  Padoiie,  le  bas-relief  qui 
représente  l'illustre  Franciscain  faisant  parler  un  nouveau-né 
pour  attester  l'innocence  attaquée  de  sa  mère,  quand  il  se 
transporta  avec  sa  famille  dans  la  capitale  des  princes  d'Esté 
(1505).  Il  v  fut  probablement  appelé  afin  de  travailler  au 
Studio  di  niarmo  d'Alphonse  I".  Antonio  se  maria  deux  fois  : 
d'abord  avec  une  Vénitienne,  Marietta  Candi,  qui  mourut  en 
1506,  ensuite  avec  une  Allemande  habitant  Venise,  Adriana 
Vaira,  qui  existait  encore  en  1528.  Il  mourut  à  Ferrare  entre 
1515  et  1516.  On  croit  qu'il  fut  enseveli  à  Santa  Maria  délia 
Rosa.  Il  laissa  quatre  enfants  :  Laura,  Aurelio,  Lodovico  et 
Girolatno.  Ses  trois  fils  furent  également  sculpteurs.  Ils  se 
rendirent  les  uns  après  les  autres  à  Lorette  et  fixèrent  leur 
demeure  à  Recanati.  Girclamo  et  Lodovico  y  obtinrent,  en 
1566,  le  droit  de  citoven.  Lodovico  y  mourut  en  1573.  Nous 
reparlerons  plus  loin  de  Girolamo  (2). 

On  attribue  sans  invraisemblance  à  Antonio  Lombardo,  à 
cause  de  leur  analogie  avec  sa  sculpture  de  saint  Antoine  de 
Padoue,  un  certain  nombre  de  bas-reliefs  qui  ont  fait  partie 
de  la  collection  Spitzer  à  Paris  (3).  Ces  bas-reliefs  furent  exé- 
cutés en  1508  pour  Alphonse  I".  A  partir  du  dix-septième 
siècle,  ils  ont  figuré  dans  la  villa  de  Sassuolo,  près  de  Modène. 
Deux  d'entre  eux,  encadrés  par  des  pilastres  que  décorent  de 

(1)  Pietro  Solaro  Lombardo,  Hls  de  Martino  Solaro,  naquit  à  Carona  clans  la 
province  de  Côme,  non  loin  de  Lugano.  C'est  à  Venise  qu'il  travailla  presque 
toujours,  mais  il  lit  en  1482  le  tombeau  de  Dante  à  Ravenne,  et  il  construisit  en 
1502  la  cathédrale  de  Cividale.  Il  eut  trois  fds  :  Tullio,  Antonio  et  Giulio,  qui 
pratiquèrent  aussi  la  sculpture. 

(2)  Michèle  Caffi,  Arte  e  storia,  année  IV,  n"^  11  et  12;  /  Lombardi  nella 
Yenetia,  dans  VAite  e  storia,  année  VI,  n"  24,  27  août  1887;  La  famiglia  dei 
Solari,  dans  le  même  recueil,  année  VII,  n"  25,  5  septembre  1888,  et  n°  28, 
5  octolîrc  1888.  —  Alfredo  Melani,  //  capostipite  délia  famiglia  Solari,  dans 
VArte  e  storia,  année  VII,  n"  26,  15  septemlire  1888.  —  Pietro  Paoletïi,  Osso- 
vazioni  intorno  a  due  bassorilievi  nella  cliiesa  di  S.  Maria  dei  Miracoli  in 
Venezia,  dans  VArte  e  storia  du  20  février  1889. 

(3)  Voyez  dans  le  Crtfa/o^ï(e  l'/Zt/sfre  de  cette  collection,  t.  IV,  les  excellentes 
héliogravures  qui  en  ont  été  faites,  et  le  texte  explicatif  dû  à  M.  Kode,  p.  89 
et  suiv.  —  Ces  l)as-reliefs  se  trouvent  maintenant  à  Moscou,  chez  le  comte 
Polotzoff. 


LIVRE   TROISIEME.  529 

charmantes  arabesques,  attirent  spécialement  Tattention.  Ils 
sont  consacrés  à  la  glorification  de  la  paix.  Dans  l'un,  on  voit 
Minerve  et  Neptune  debout  en  présence  d'un  jeune  dieu  assis. 
Celui-ci  proclame  que  Minerve,  en  faisant  naître  l'olivier, 
symbole  de  la  paix,  a  rendu  un  plus  grand  service  à  l'humanité 
que  Neptune  en  faisant  sortir  de  terre  le  cheval,  et  qu'elle 
mérite  de  donner  son  nom  (A9ï^vy])  à  la  ville  fondée  par  Cé- 
crops.  Minerve,  à  gauche,  tient  à  la  main  un  rameau  d'olivier, 
et  derrière  elle  se  dresse  un  olivier  sur  lequel  est  posée  une 
chouette,  son  oiseau  favori,  Neptune,  au  centre,  a  près  de  lui 
un  cheval.  Les  deux  figures  d'hommes  sont  nues.  —  Cinq 
personnages  également  nus  occupent  l'autre  bas-relief,  où  la 
forge  de  Vulcain  est  installée  dans  un  élégant  édifice  de  la 
Renaissance.  Au  milieu,  Yulcain  préside  aux  travaux  commen- 
cés par  son  ordre.  A  droite,  un  vigoureux  ouvrier,  au  type  de 
satyre,  plonge  dans  un  vase  rempli  d'eau,  au  moyen  d'une 
tenaille,  un  morceau  de  fer  pour  le  refroidir.  Auprès  de  lui 
vient  d'accourir  un  jeune  homme,  derrière  lequel  flotte  une 
draperie  et  à  côté  duquel  on  remarque  un  aigle,  posé  sur  une 
armure.  A  gauche,  un  ouvrier,  dont  l'attitude  rappelle  un  peu 
celle  du  Laocoon,  est  assis  sur  une  enclume  et  appuie  sa  main 
gauche  sur  un  long  marteau,  tandis  qu'un  jeune  homme,  vu 
de  dos  et  en  partie  caché  par  son  compagnon,  attise  le  feu  de 
la  forge  à  l'aide  d'un  soufflet.  Contrairement  à  ce  qui  se  passe 
d'ordinaire  dans  la  forge  de  Vulcain,  ce  ne  sont  pas  des  arnm- 
res  qu'on  y  fabrique,  mais  des  socs  de  charrue,  des  instru- 
ments pacifiques.  —  Deux  bas-reliefs  de  moindres  dimensions 
contiennent  des  sujets  de  fantaisie.  Ici,  Hercule  vogue  sur  les 
flots,  dans  un  char  traîné  par  quatre  chevaux  marins  qu'ac- 
compagnent deux  tritons,  dont  l'un  porte,  assis  sur  son  dos, 
un  enfant  nu.  Là,  une  nymphe  est  assise  entre  deux  dieux 
marins,  centaures  à  queues  de  poisson,  qui  tiennent  un  car- 
touche. —  Quant  aux  plus  petits  bas-reliefs,  ils  présentent 
simplement  des  rinceaux  délicats ,  d'un  caractère  tout  véni- 
tien, se  combinant  tantôt  avec  un  vase,  un  aigle,  un  pélican, 
tantôt  avec  un  satyre,  une  tête,  un  buste,  des  chevaux  marins, 
1-  34 


530  L'ART    FERKARAIS. 

des  dauphins,  des  sphinx,  des  griffons.  Ils  ont  très  peu  de 
sailHe.  Dans  les  quatre  sujets  principaux,  au  contraire,  le 
relief  est  très  accentué.  Les  figures,  où  règne  un  sentiment  de 
la  beauté  très  particulier,  à  demi  antique,  à  demi  moderne, 
témoignent  de  l'influence  exercée  sur  l'artiste  par  les  bas- 
reliefs  antiques;  mais  elles  sont  traitées  avec  quelque  mollesse 
et  ne  sont  pas  exemptes  de  banalité.  Il  y  a  cependant  un 
charme  manifeste  dans  la  souplesse  des  carnations.  Les  che- 
velures et  les  barbes  sont  toutes  bouclées  et  se  ressemblent 
trop.  Même  dans  les  scènes  qui  comporteraient  le  plus  d'ani- 
mation, il  y  a  un  calme  absolu  et  les  visages  ont  une  grande 
placidité,  empreinte,  chez  plusieurs  personnages,  d'une  cer- 
taine mélancolie. 

Deux  inscriptions  indiquent  la  date  de  ces  intéressantes 
sculptures  et  nomment  le  prince  qui  les  commanda.  Elles  font 
allusion  au  calme  du  lieu  que  devaient  orner  ces  bas-reliefs  et 
à  la  paix  dont  le  duc  de  Ferrare  se  flattait  de  jouir  désormais. 
En  1508,  Alphonse  P""  pouvait,  en  effet,  s'imaginer  que  le 
concours  prêté  par  lui  à  Jules  II  contre  les  Bentivoglio,  sei- 
gneurs de  Bologne,  lui  concilierait  la  bienveillance  du  Sou- 
verain Pontife  et  lui  procurerait  la  sécurité.  Vain  espoir!  On 
était  à  la  veille  de  la  ligue  de  Cambrai,  et  l'indépendance  de 
Ferrare  allait  être  de  nouveau  menacée. 

La  première  inscription  est  ainsi  conçue  : 

A    PARTU    VIRG.  "* 

MDVIII.    ALF.    D.    III 
HOC    SIBI    OGII    ET    QUIETIS 
ERGO    CONdIiDItI. 


Voici  la  seconde 


HIC    NL'NQUa[m] 

MINUS    SOLUS 

QUAM    GUM 

SOLUS.    ALF.    D.    III. 


On  a  tour  à  tour  prétendu  que  les  bas-reliefs  dont  nous 
parlons  étaient  dus  à  Alfonso   Lombardi  et  à  Andréa  San- 


LIVRE  TROISIEME,  531 

sorino  (1).  Mais,  outre  que  le  style  de  ces  ouvrages  ne  corres- 
pond pas  à  la  manière  des  maîtres  auxquels  on  voulait  en  faire 
honneur,  il  suffit  de  dire,  pour  écarter  l'un  et  l'autre,  qu'Al- 
fonso  Lombardi  avait  à  peine  onze  ans  en  1508,  et  que  vers 
cette  époque  Sansovino  était  en  train  de  sculpter  à  Rome  le 
tombeau  du  cardinal  Ascanio  Sforza,  commandé  en  1505,  et 
celui  du  cardinal  Girolamo  Basso,  commandé  en  1507,  tous 
deux  destinés  au  chœur  de  Sainte-Marie  du  Peuple. 

Jusqu'à  présent,  nous  n'avons  guère  rencontré  à  Ferrare 
que  des  sculpteurs  étrangers.  Au  seizième  siècle,  Ferrare  peut 
en  revendiquer  un  qui  compte  parmi  les  plus  renommés  de 
son  époque  (2). 

Pour  savoir  à  quoi  s'en  tenir  sur  cet  artiste,  il  n'y  a  qu'à 
prendre  pour  guide  M.  E.  Ridolfi,  qui  a  élucidé  toutes  les 
questions  dans  un  très  remarquable  travail  que  contient  VAr- 
chivio  storico  italiano  (sixième  fascicule  de  187-4,  premier  et 
deuxième  fascicule  de  1875). 

Par  son  père  et  par  sa  mère,  Alfonso  Cittadella,  dit  Alfonso 
Lombardi,  appartenait  à  de  nobles  familles.  Son  arrière- 
grand-père  paternel,  Francesco,  avait  été  pendant  vingt-six 
ans  commandant  de  la  forteresse  élevée  par  Paolo  Guinigi 
pour  maintenir  sous  sa  domination  la  ville  de  Lucques.  Après 
la  chute  de  Guinigi  (14  août  1  430),  on  l'appela  Francesco  délia 
Cittadella,  puis  simplement  Cittadella,  nom  qui  resta  à  ses 
descendants.  Nicolao,  un  de  ses  cinq  enfants,  embrassa  aussi 
la  carrière  des  armes,  combattit  en  divers  endroits,  surtout 
dans  le  royaume  de  Naples ,  et  reçut  le  titre  de  chevalier. 
Étant  revenu  à  Lucques  en  1461,  il  trouva  son  patrimoine  en 
fort  mauvais  état  et  se  vit  dans  la  nécessité  de  demander  un 
secours  au  gouvernement,  qui  lui  accorda  soixante-dix  florins 

(1)  PiOT,  article  sur  l'exposition  rétrospective  du  Trocatléro  dans  la  Gazette 
des  Beaux-Arts  d'octobre  1878,  p.  594-598. 

(2)  Citons  encore,  au  nombre  des  artistes  étrangers,  le  célèbre  Milanais  Ciis- 
toforo  Solari,  dit  le  Gobbo,  qui  exécuta  en  1517,  pour  Alphonse  1"  d'Esté,  un 
groupe  en  luarlire  représentant  Hercule  et  Gacus.  (Voyez  Venti'ri,  Un  ignoto 
(jruppo  marmoreo  di  Cristoforo  Solari.  Modena,  1883.  Voyez  aussi  V Archiviu 
storico  deli  arte  d'août  1888,  et  de  1894,  p.  55.) 


532  L'ART    FERRARAIS. 

d'or.  Il  se  maria  deux  fois,  d'abord  avec  Agata  Martini  dont  il 
eut  quatre  enfants,  ensuite  avec  Maddalena  Vannuccori  qui 
lui  en  donna  cinq.  En  1  470,  la  République  lui  confia  les  im- 
portantes fonctions  de  gonfalonier.  Sa  fortune  était  redevenue 
très  florissante ,  à  en  juger  par  les  biens  qu'il  possédait  à 
Siciana,  à  San  Pancrazio  et  à  Pise.  La  mort  l'atteignit  en  1  488 
ou  1489.  L'aîné  de  tous  ses  enfants,  né  en  14G2  et  appelé 
comme  lui  Nicolao,  ne  s'occupa,  ce  semble,  que  d'augmenter 
son  patrimoine.  A  la  fin  de  1495  ou  en  L496,  il  s'expatria  et 
vint  se  fixer  à  Ferrare.  Cette  résolution  eut  peut-être  pour 
cause  quelque  grave  mésintelligence  soit  entre  lui  et  sa  belle- 
mère,  soit  entre  lui  et  les  enfants  de  celle-ci.  Peu  après  son 
arrivée,  il  fut  admis  à  jouir  des  droits  de  citoyen  et  nommé 
«  armigero  ducale  «  .  Alors  vivait  à  Ferrare  Giovanni  Lom- 
bardi,  «  aulico  e familiare  ducale  (1)  "  ,  dont  la  famille  pouvait 
être  une  branche  de  celle  qui,  orginaire  aussi  de  Lucques, 
habitait  depuis  deux  siècles  à  Bologne  où  elle  occupait  les  pre- 
mières charges.  Il  avait  épousé  une  riche  Ferraraise,  Violante 
di  Lodovico  del  Yaro,  et  en  avait  eu  deux  enfants,  Eleonora  et 
Sigismondo  (2).  Nicolao  Cittadella  demanda  et  obtint  la  main 
d'Eleonora  (3).  D'après  tout  ce  qui  précède,  on  ne  saurait 
admettre  que  le  mariage  ait  eu  lieu  avant  1496.  De  cette 
union  naquit,  vers  1497,  Alfonso,  l'unique  enfant  de  Nicolao 
et  d'Eleonora.  Vasari ,  suivi  par  Baruffaldi  et  Malvasia,  se 
trompe  donc  quand  il  place  la  naissance  du  célèbre  sculpteur 
dix  ans  plus  tôt. 

,  Il  est  probable  qu'Alfonso  est  né  à  Ferrare,  car  sa  naissance 
n'est  pas  mentionnée  sur  les  registres  de  baptême  conservés  à 
Lucques,  et  d'ailleurs  le  nom  d'Alfonso  n'était  pas  usité  à 
Lucques.  Nicolao  l'aura  peut-être  donné  à  son  fils  pour  flatter 
le  duc  Hercule  dont  le  fils  (né  en  1476)  portait  ce  nom.  A  la 
vérité,  le  fils  de  Nicolao  est  appelé  dans  plusieurs  actes  Alfonso 


(1)  C'est  ce  que  constate  un  acte  du  25  mars  1498. 

(2)  Giovanni  Lombardi  mourut  le  li  novembre  1500. 

(3)  Rien  ne  prouve  que  Nicolao  eût  précédemment  contracté  un  autre  mariafje 
et  fût  veuf. 


LIVRE   TROISIEME.  533 

da  Lucca  ou  Alfonso  di  Nicolao  Cittadella  da  Lucca  ;  mais  ne 
trouve-t-on  pas  souvent  à  cette  époque  le  nom  de  la  ville 
natale  du  père  accolé  au  nom  de  baptême  du  fils?  Ainsi,  saint 
Bernardin,  quoique  né  à  Massa  Marittima,  fut  appelé  saint 
Bernardin  de  Sienne,  parce  que  son  père  était  Siennois.  On 
pourrait  multiplier  les  exemples. 

On  ignore  quelle  fut  la  durée  du  séjour  de  Nicolao  Citta- 
della à  Ferrare.  Ce  qui  est  certain,  c'est  qu'il  alla  s'installer  à 
Bologne  avec  Alfonso  jeune  encore.  Quels  motifs  avait-il  pour 
changer  encore  une  fois  de  résidence?  Avait-il  perdu  la  faveur 
du  duc?  Voulait-il  transporter  son  fils  dans,  un  milieu  plus 
favorable  à  l'apprentissage  ou  à  l'exercice  de  la  sculpture?  Il 
est  impossible  de  rien  affirmer.  En  tout  cas,  il  est  permis  de 
supposer  qu'Eleonora  Lombardi  n'existait  plus. 

On  a  prétendu  qu'Alfonso  Cittadella  eut  pour  maîtres 
d'abord  son  père,  puis  un  sculpteur  ferrarais  nommé  Pietro 
Lombardi,  frère  de  sa  mère,  et  enfin,  à  Bologne,  Niccolô  da 
Puglia,  appelé  aussi  II  Dalmata  et  Dell'Arca. 

Ce  sont  là  des  assertions  que  M.  E.  Bidolfi  a  victorieuse- 
ment réfutées.  Aucun  document  n'autorise  à  croire  que  Nicolao 
Cittadella  ait  été  sculpteur.  On  lui  a  attribué  le  bel  aigle  en 
terre  cuite  placé  dans  l'architrave  de  la  porte  de  San  Giovanni 
in  Monte  à  Bologne,  parce  que  l'auteur  a  signé  :  «  Nicolaus  F.  »  , 
ce  qui  signifierait,  dit-on,  Xicolaus  Ferrariensis.  Mais  l'F  ne 
peut-il  signifier  simplement  Fec/V.'^De  plus,  comme,  d'après  les 
livres  de  dépenses  de  la  même  église,  les  bustes  en  terre  cuite 
des  douze  apôtres  qu'on  voit  au-dessus  des  stalles  du  chœur 
furent  modelés  par  un  Niccolo  da  Ferrara(l),  c  est  encore 
à  Nicolao  Cittadella  qu'on  a  pensé,  tout  en  supposant  que, 
s'il  reçut  la  commande,  il  la  fit  peut-être  exécuter  par  son  fils. 
Cette  hypothèse  n  est  nullement  justifiée.  Qu'il  ait  existé  un 
sculpteur  ferrarais  nommé  Nicolaus,  cela  est  possible;  mais  il 
n'y  a  aucune  raison  pour  l'identifier  avec  Nicolao  Cittadella. 

(1)  Ces  Ijustcs,  que  Laiiio  donne  à  Z:u-cari;i  da  Volterra,  sont,  en  {jéncral, 
selon  nous,  iiianicrés  et  vuljjaiies.  M.  Burckliardt  trouve  que  plusieuis  têtes  sont 
belles,  pleines  de  vie,  qu'elles  ont  un  caractère  profond. 


534  L'ART    FERRARAIS. 

—  Les  affirmations  relatives  à  Pietro  Lombardi  sont  aussi  peu 
soutenables.  Eleonora,  mère  d'Alfonso,  n'eut  qu'un  frère, 
Sigismondo.  Aucun  sculpteur  ferrarais  ne  s'appela  Pietro 
Lombardi.  On  ne  peut  songer  non  plus  au  célèbre  Pietro 
Lombardo,  qui,  fort  occupé  à  Venise,  ne  vint  probablement 
jamais  à  Ferrare,  et  qui  d'ailleurs  mourut  en  1511,  quand 
Alfonso  n'avait  que  quatorze  ans  (1).  —  Quant  à  Niccolo  dell' 
Arca,  il  cessa  de  vivre  en  1  494,  avant  la  naissance  d' Alfonso 
Cittadella.  —  Il  faut  donc  se  résigner  à  ne  pas  savoir  avec  qui 
Cittadella  s'est  formé.  Il  fut  vraisemblablement  lui-même  son 
principal  maître. 

Avant  d'étudier  sa  vie  et  ses  œuvres,  nous  devons  faire 
observer  qu'au  lieu  de  garder  le  nom  de  son  père,  il  porta 
celui  de  sa  mère.  La  seule  sculpture  qu'il  ait  signée  [VAdoj-a- 
tion  des  Mages  dans  le  soubassement  du  tombeau  de  saint 
Dominique,  à  Bologne)  contient  le  nom  de  Lombardi,  et  c'est 
ce  nom  que  ses  contemporains  employèrent  pour  le  désigner. 
Quel  fut  le  motif  de  la  détermination  d' Alfonso,  prise  proba- 
blement à  l'instigation  de  ses  parents,  puisqu'on  le  trouve 
appelé  dès  son  enfance  «  quel  dei  Lombardi  «?  Nous  l'igno- 
rons. Peut-être  le  nom  de  Cittadella,  beaucoup  plus  nouveau 
à  Ferrare  que  celui  de  Lombardi,  fut-il  jugé  trop  inconnu. 

En  continuant  à  suivre  les  indications  de  M.  E.  Ridolfi, 
nous  allons  maintenant  passer  en  revue,  par  ordre  chronolo- 
gique, autant  que  possible,  les  œuvres  authentiques  d' Alfonso 
Lombardi,  presque  toutes  conservées  à  Bologne  où  se  passa  la 
plus  grande  partie  de  sa  vie. 

Le  12  décembre  1519,  il  s'engagea  envers  les  délégués  de 
l'hôpital  de  Santa  Maria  délia  Vita  e  délia  Morte  à  exécuter  en 
stuc  le  Mortorio  de  la  Vierge,  qui  fut  une  de  ses  premières 
œuvres,  et  non  la  moins  admirée.  Comme  il  était  encore  mi- 
neur, son  père  dut  intervenir  au  contrat  pour  valider  ses  pro- 
messes. Au  bout  de  deux  ans  et  demi,  le  30  juin  1522, 
le  travail  était  achevé,  et  Alfonso,    toujours  assisté  de  Nico- 

(1)  Si  Alfonso  Cittadella  étudia  sous  un  des  Lombardo,  dit  Perkins,  ce  dut 
être  sous  Antonio. 


LIVRE  TROISIEME.  535 

lao  (1),  recevait  cinq  cent  trentre  /?>e,  onze  soldi  et  deux  de- 
nart,  somme  qui,  sans  doute,  n'était  que  le  complément  du 
prix  convenu,  car  d'ordinaire  les  artistes  touchaient  des 
acomptes  au  début  et  pendant  la  durée  de  l'entreprise.  Le 
Mortorio  dont  nous  parlons  se  trouve  dans  l'oratoire  contigu  à 
l'église  de  Santa  Maria  délia  Vita;  il  comprend  quatorze  sta- 
tues plus  grandes  que  nature.  Autour  de  la  Vierge,  étendue 
de  gauche  à  droite  sur  son  lit  funèbre,  sont  groupés  les 
Apôtres.  Pour  avoir  osé  toucher  à  la  couche  de  Marie,  un 
Juif,  à  demi  nu,  étendu  à  terre  au  premier  plan,  n'en  peut 
détacher  ses  mains  (2).  Ce  détail  est  emprunté  à  une  légende 
contenue  dans  le  De  transitu  Virginis,  livre  qui  a  été  attribué 
à  Melitone,  un  évêque  du  cinquième  siècle.  A^asari,  Cicognara 
et  Baruffaldi  ont  beaucoup  loué  le  caractère  grandiose  et  la 
noblesse  des  figures  modelées  ici  par  Lombardi  (3).  Perkins, 
cependant,  trouve  avec  raison  les  poses  recherchées  et  les 
draperies  académiques  (4).  Voici  ce  qu'on  lit  dans  le  Cicérone 
de  Burckhardt  :  «  Au  premier  plan,  à  terre,  est  une  figure  nue 
représentant  un  personnage  hostile,  sur  lequel  un  apôtre  zélé 
veut  jeter  un  livre  pesant  ;  mais  l'apôtre  est  retenu  par  le  Christ 
qui  apparaît  au  milieu.  On  retrouve  cet  épisode  à  Lorette  dans 
une  Mort  de  la  Vierge  en  bas-relief  due  à  Sansovino...  Dans  le 
Mortorio  de  Bologne  les  formes  sont  beaucoup  plus  idéales  et 
ont  un  caractère  plus  général  que  dans  les  sujets  analogues 
traités  par  Begarelli.  •>■) 

Tout  en  s'occupant  du  Mortorio  de  Santa  Maria  délia  Vita, 


(i)   On  ne  sait  quanti  mourut  Nicolao.  En  1526  il  n'existait  plus. 
(^2)     «  Nella  (juale  opéra   è  fra   ialtre  cosc  inaraviglioso  il  Giudeo  clie  lascia 
appiccate  le  niant  al  cataletto  délia  Madonna.  n    (VASAni,  t.  V,  p.  86.^ 

(3)  Vasari,  t.  V,  p.  85  et  86  :  ■<  Ai  Bolo(jiiesi  piacque  sommamente.  »  — 
Cicognara,  dans  sa  Storia  délia  scultura,  dit  de  son  côté  :  «  E  il  più  mnneroso 
fra  i  gruppi  di  statue  al  naturale  i.tolale  che  la  moderna  scultura  ahbia  eseguito, 
ed  una  délie  piii  espressive,  nobili  e  belle  composizioni  che  Carte  abbia  prodotto 
nei  momenti  délia  sua  maggior  perfezione.  »  Il  y  a  dans  l'ouvrajje  de  Cicojjnara 
une  reproduction  du  Mortorio  de  la  Vierjje,  pi.  LV.  Voyez  aussi  la  pliotojjiapliie 
de  Pietro  Poppi,  n"  72.  —  Selon  Baruffaldi,  c'est  la  plus  l»elle  des  œuvres  de 
Lombardi. 

(4)  Les  sculpteurs  italiens,  t.  II,  p.  277. 


53(5  L'ART    FERRARAIS. 

Alfonso  fit  pour  le  palais  public  [Palazzo  del  Comwié)  la  grande 
statue  en  stuc  à' Hercule  terrassant  l'hydre  de  Lerne^  qu'on  voit 
clans  une  vaste  pièce  appelée  la  salle  d'Hercule.  Selon  Baruf- 
faldi,  en  effet,  cette  statue  appartient  à  Tannée  1520.  L'har- 
monie des  lignes  du  corps  d'Hercule  montre  à  quel  point 
Alfonso  s'entendait  déjà  à  rendre  le  nu. 

Si  l'on  en  croyait  Masini,  Malvasia  et  Baruffaldi,  Alfonso 
serait  aussi  l'auteur  de  la  Vierge  qui  orne  le  portique  dont  est 
précédée  l'église  de  laMadonna  del  Baraccano.  Ce  portique,  il 
est  vrai,  date  de  1550,  mais  on  a  pu  le  décorer  d'une  statue 
faite  auparavant. 

Le  moindre  doute,  au  contraire,  ne  peut  s'élever  sur  l'au- 
thenticité des  statues  en  terre  cuite,  plus  grandes  que  nature, 
qui  représentent  saint  Petronio,  saint  Procolo,  saint  François  et 
saint  Dominique,  les  quatre  patrons  de  Bologne.  Ces  statues 
occupent  depuis  1825  les  angles  d'un  espace  carré  servant  de 
passage  sous  la  tour  du  palais  du  podestat,  tour  appelée  Torre 
delVAi'ringo.  Ces  figures,  «  hellissime  e  di  gran.maniera  i^  ,  dit 
Vasari  (t.  V,  p.  86),  sont  malheureusement  devenues  fort 
noires.  On  peut  cependant  constater  la  supériorité  de  saint 
Petronio  sur  les  autres  saints. 

Ce  qui  accrut  beaucoup  la  réputation  d'Alfonso  Cittadella, 
à  ce  que  rapporte  Vasari  (t.  V,  p.  85),  ce  fut  le  tombeau  qu'il 
fit  pour  Armaciotto  de'  Ramazzotti  dans  l'église  de  San  Michèle 
in  Bosco,  près  de  Bologne  (1).  Il  n'avait  pas  encore  exécuté 
une  œuvre  aussi  importante  en  marbre,  écrit  Vasari.  Or, 
comme  ses  travaux  pour  les  portes  de  San  Petronio  lui  furent 
commandés  en  1526,  on  doit  supposer  que  le  tombeau  dont 
nous  parlons  les  précéda.  Bamazzotto,  en  costume  de  guer- 
rier, est  représenté  à  demi  couché,  la  tête  appuyée  sur  son 
coude,  «  attitude  aussi  impossible  dans  le  sommeil  qu'après 
la  mort  )>  ,  dit  Perkins  (t.  H,  p.  278),  mais  adoptée  par  plus 
d'un  autre  artiste,  notamment  par  Sansovino  dans  le  tombeau 

(1)  On  voit  ce  tombeau  à  droite  en  entrant.  Il  est  {Jiavé  dans  les  Memorie  sto- 
riche  intorno  alla  vita  di  Armaciotto  de  Ramazotti,  raccolte  da  Giovanni  Gozza- 
dini.  Firenze,  1835,  in-fol.  Pietro  Poppi  l'a  photographié. 


LIVRE   TROISIEME.  537 

d'Ascanio  Sforza  qui  orne  un  des  côtés  du  chœur  de  Sainte- 
Marie  du  Peuple  à  Rome.  Au-dessus  de  Ramazzatto,  sous  un 
baldaquin  d'une  forme  peu  gracieuse,  la  Vierge  est  assise, 
maintenant  sur  ses  genoux  l'Entant  Jésus  debout,  qui  passe  son 
bras  droit  autour  du  cou  de  sa  mère.  Sans  avoir  le  charme 
mystique  des  œuvres  datant  du  quinzième  siècle,  ces  figures 
appartiennent  encore  à  l'art  sérieux  et  indiquent  jusqu'à  un 
certain  point  la  préoccupation  des  belles  formes.  Quant  aux 
pilastres  qui  encadrent  l'alcôve  funèbre,  ils  sont  ornés  de  tro- 
phées dont  l'agencement  est  très  ingénieux.  Aucun  bas-relief, 
malheureusement,  ne  rappelle  les  hauts  faits  du  défunt.  Arma- 
ciotto  (né  en  l^C^)  avait  pourtant  mené  comme  capitaine  une 
vie  audacieuse  qui  aurait  pu  fournir  au  sculpteur  des  motifs 
intéressants.  Plusieurs  papes  lui  prodiguèrent  les  titres  et  les 
fiefs.  A  Bologne  même,  il  acquit  une  telle  puissance,  «  qu'il 
en  était  presque  le  seigneur  »  .  Il  avait  atteint  le  comble  de  la 
prospérité  quand  il  commanda  à  Cittadella  son  tombeau,  des- 
tiné à  être  placé  dans  une  chapelle  dont  Bagnacavallo  devait 
décorer  les  parois.  Mais  l'adversité  ne  tarda  pas  à  l'accabler 
de  ses  plus  rudes  coups.  Il  fut  exilé  de  Bologne  et  privé  de  ses 
biens,  mourut  à  Pietramala,  le  I  i  août  1539,  et  fut  enseveli 
sans  pompe  dans  une  humble  église.  Paul  III,  cause  de  sa 
ruine,  eût  voulu  faire  détruire  le  monument  préparé  à  San 
Michèle  in  Bosco,  mais  quelques  gentilshommes  bolonais  par- 
vinrent h  fléchir  le  Pontife.  Plus  tard,  la  famille  Gozzadini, 
alliée  à  celle  des  Ramazzotti,  obtint  que  les  restes  du  guerrier 
reposassent  dans  le  tombeau  exécuté  par  Alfonso  Lombardi. 
Le  5  février  1526,  la  fabrique  de  San  Petronio  commanda 
à  celui-ci  une  RésuiTection  en  bas-relief  qui  devait  être  achevée 
au  bout  d'un  an  et  être  payée  cinquante  écus.  On  la  voit  en- 
core au-dessus  de  la  porte  de  gauche  (1).  La  figure  du  Christ  est 
assez  belle,  mais  celles  des  trois  gardes  sont  médiocres.  Cette 
Resio'recti'oii ,  vantée  par  Vasari  (t.  V,  p.  85),  n'était  pas  encore 
terminée  lorsque  la  fabrique  confia  d'autres  travaux  à  Lom- 

(1)   Il    y   en    a  une  gravure  ilans  la  Sloria  de  Gicocnaha,  i.  II,  pi.  XL.  Pictro 
Poppi  a  photographié  ce  bas-relief. 


538  L'ART    FERRARAIS. 

bardi.  Pour  les  exécuter  à  son  aise,  il  obtint  d'elle,  le  18  sep- 
tembre 1526,  la  location  d'une  maison  et  d'une  boutique,  qui 
avaient  déjà  servi  h  des  sculpteurs,  moyennant  trente  lire  et 
cinq  soldi  par  an,  sans  compter  une  paire  de  chapons  et  un 
chevreau.  Il  promettait,  en  outre,  de  consacrer  en  dix  ans 
trois  cents  lire  à  l'entretien  du  local.  Voici  les  œuvres  dont  il 
est  l'auteur  à  l'intérieur  de  San  Petronio  :  au-dessus  de  la 
porte  en  face  de  la  nef  de  gauche,  Adam  et  Eve  tentés  par  le 
serpent.  Au-dessus  de  la  porte  en  face  de  la  nef  de  droite, 
V Annonciation  (1529),  comprenant  les  figures  de  l'archange 
Gabriel,  de  la  Vierge  et  de  Dieu  le  Père.  Francesco  da  Milano 
prit  part  à  l'exécution  de  ces  deux  bas-reliefs.  On  attribue 
également  à  Gittadella  deux  élégants  médaillons ,  contenant  des 
sujets  empruntés  à  l'Ancien  Testament,  dans  les  cimaises  des 
deux  portes  dont  il  vient  d'être  question,  ainsi  que  la  Naissance 
d'Ésaii  et  de  Jacob,  auprès  d'un  des  montants  de  la  petite 
porte  de  gauche. 

De  1526  à  1530,  Lombardi  dut  entreprendre  d'autres  tra- 
vaux que  ceux  de  San  Petronio.  C'est  dans  cette  période  qu'on 
pourrait  placer  quelques-unes  des  œuvres  qu'on  lui  attribue  à 
Bologne. 

Le  couronnement  de  Charles-Quint  par  Clément  VII  à  Bolo- 
gne (22  février  1530)  donna  lieu  aux  préparatifs  les  plus  somp- 
tueux. On  s'assura  en  cette  circonstance  le  concours  d'Alfonso 
Lombardi,  qui  fut  chargé  d'élever  un  arc  de  triomphe  devant 
le  portail  de  San  Petronio,  à  l'endroit  où  devait  se  faire  la 
cérémonie  (1).  Il  n'épargna  pas  sa  peine  et  s'efforça  de  frapper 
les  yeux  et  l'imagination  non  seulement  de  l'Empereur,  mais 
des  princes  et  des  seigneurs  accourus  de  toutes  parts  «  comme 
pour  un  plaid  à  la  façon  des  Carolingiens  »  ,  selon  l'expression 
de  Balbo.  On  remarqua  particulièrement  les  médaillons  qu'il 
avait  introduits  çà  et  là,  ce  qui  lui  valut  de  très  nombreuses 
commandes  de  portraits.  Il  s'était  déjà,  du  reste,  acquis  une 
juste  renommée  en  imaginant  le  premier  de  faire  avec  de  la 

(1)   Pour  un  autre  art-  de  triomphe,  Vasari  fit  des  figures  en  relief. 


LIVRE   TROISIÈME.  539 

cire  ou  avec  du  stuc  dés  portraits  d'après  nature  en  forme  de 
médailles,  portraits  traités  avec  beaucoup  d'esprit  et  de  goût, 
qui  lui  rapportaient  autant  de  profit  que  d'honneur.  Vasari 
rapporte  qu'Alfonso  fit  ainsi  ceux  du  prince  Doria,  d'Alphonse, 
duc  de  Ferrare,  d'Hippolyte  de  Médicis,  de  Bembo  et  de 
l'Arioste  (1). 

Pendant  le  séjour  de  Charles-Quint  à  Bologne,  l'Arétin,  à  la 
sollicitation  du  cardinal  Hippolyte  de  Médicis,  décida  Titien  à 
se  rendre  dans  cette  ville  pour  faire  le  portrait  du  puissant 
empereur.  Vasari  raconte  qu'Alfonso  Lombardi  gagna  l'amitié 
du  peintre  vénitien,  et  que,  lui  ayant  offert  de  porter  ses  cou- 
leurs, il  l'accompagna  dans  la  chambre  de  Sa  Majesté.  Pen- 
dant que  Titien  était  absorbé  par  son  travail,  il  se  plaça 
derrière  lui,  tira  de  sa  poche  et  cacha  dans  sa  main  une  petite 
boîte  ronde  contenant  du  stuc,  et  reproduisit  de  son  côté  les 
traits  du  souverain.  Celui-ci,  malgré  les  précautions  de  Lom- 
bardi, s'en  était  aperçu.  Quand  il  crut  le  médaillon  achevé,  il 
voulut  le  voir,  en  fut  très  satisfait  et  décida  que  la  moitié  des 
mille  écus  destinés  à  Titien  serait  remise  au  sculpteur.  En 
outre,  il  demanda  sur-le-champ  à  Lombardi  de  faire  son  por- 
trait en  marbre  et  de  le  lui  apporter  à  Gênes.  Ce  portrait  fut 
exécuté  avec  tant  de  soin  qu'il  fut,  au  dire  de  Vasari  (t.  V, 
p.  88,  89),  regardé  comme  une  œuvre  très  précieuse,  «  cosa 
rarissima  »  ,  et  qu'il  rapporta  à  son  auteur  trois  cents  autres 
écus. 

Parmi  les  hauts  personnages  qui  firent  des  commandes  à 
Lombardi,  on  ne  peut  omettre  Frédéric  II,  duc  de  Mantoue. 
Le  21  février  1532,  Frédéric  le  priait  en  termes  affectueux 
d'apporter  lui-même  à  Mantoue,  afin  qu'elles  ne  courussent 
aucun  danger,  plusieurs  tètes  qui  devaient  être  terminées,  et 
dans  une  autre  lettre,  où  il  le  traitait  de  "  noble  et  très  cher 
ami  » ,  il  mentionnait  une  entreprise  importante,  le  tombeau 
du  marquis  François  IV  Gonzague,  monument  qui  ne  fut  pas 
terminé,  malgré  de  pressantes  instances. 

(1)  Voyez  aussi  Barukfaldi,  l.  I,  p.  203-204. 


540  L'AUT   FERRAUAIS. 

A  Bologne  même,  on  se  gardait  d'oublier  Lombardi.  Le 
20  novembre  1533,  le  Sénat  le  chargea  de  sculpter  le  soubas- 
sement du  Tombeau  de  saint  Dominique,  et  dans  l'été  de  l'année 
suivante,  cinq  bas-reliefs  nouveaux  attiraient  l'attention  du 
public.  Ces  bas-reliefs  représentent  la  naissance  de  saint  Domi- 
nique, saint  Dominique  enfant  délaissant  son  lit  pour  dormir 
sur  le  sol  nu,  saint  Dominique  vendant  une  partie  de  ses  livres 
les  plus  chers,  afin  d'en  distribuer  le  prix  aux  pauvres  pendant 
une  disette  (l),  l'adoration  des  Mages,  avec  de  nombreuses 
figures,  saint  Dominique  assis  dans  le  ciel  entre  le  Christ  et  la 
Vierge  au  milieu  de  plusieurs  petits  anges,  visions  que  con- 
templent sur  la  terre  des  religieux  et  quelques  laïques.  Dans 
l'Adoration  des  Mages,  on  lit  sur  le  piédestal  de  la  Vierge  : 
«  Alphonsus  de  Lomhardis  c.  Ferrariensis.  ^  Le  c  signifie  civis. 
On  ne  saurait  mettre  en  doute  l'habileté  dont  a  fait  preuve 
l'auteur  de  ces  cinq  bas-reliefs  (2)  ;  les  personnages  sont  pitto- 
resquement  groupés  ;  il  y  a  de  l'animation  et  de  la  grâce  dans 
les  attitudes,  et  les  détails  sont  rendus  avec  une  singulière 
délicatesse  ;  mais  la  hauteur  d'inspiration  fait  défaut.  Où  sont 
la  simplicité  magistrale,  la  foi  ardente,  l'expression  profonde 
et  la  noblesse  sans  recherche  qui  caractérisent  les  figures  évo- 
quées un  peu  plus  haut  par  Nicolas  de  Pise  et  Fra  Guglielmo 
Agnelli?  Alfonso,  pourtant,  était  sans  doute  très  satisfait  de 
son  œuvre,  car  c'est  la  seule,  nous  l'avons  déjà  dit,  qu'il  ait 
jugé  bon  de  signer.  Il  a  eu  le  tort,  comme  l'a  fait  observer 
M.  Burckhardt,  de  concevoir  son  sujet  en  peintre  plutôt  qu'en 
sculpteur  (3). 

A  la  fin  de  1532,  Charles-Quint  eut  une  entrevue  avec  Clé- 
ment VII,  à  Bologne,  où  il  resta  jusqu'au  25  février  1533. 
Son  entourage  dut  encore  utiliser  le  talent  de  portraitiste  que 
l'on  appréciait  tant  chez  Lombardi.  Mais  ce  qui  flatta  le  plus 
l'artiste,  ce  fut  la  bienveillance  croissante  du  cardinal  Hippo- 


(1)  Ce  bas-relief  a  été  {;ravé  clans  la  Storia  de  Cicogkara,  t.  I,  pi.  IX. 

(2)  Ils  ont  été  photojiraphiés  par  Poppi. 

(3)  M.    Burckharclt  attribue  à   L()nil)ardi   les   médaillons  qui  ornent  le  palais 
Bolojjnini,  à  Bologne.  Ces  médaillons  sont  de  mérite  très  inégal. 


.LIVRE   TROISIEME.  541 

lyte  de  Médicis,  neveu  du  Pape.  Hippolyte  de  Médicis  était  un 
prince  de  l'Eglise  plus  mondain  que  religieux.  Né  en  1511,  il 
fut  nommé  cardinal  par  Clément  VII  en  1529  :  il  n'avait  que 
dix-huit  ans,  et  ses  goûts  n'étaient  guère  en  rapport  avec  les 
exigences  austères  de  sa  haute  dignité.  Beau,  élégant,  spiri- 
tuel, téméraire,  prodigue,  il  aimait  avec  passion  la  musique 
la  chasse  et  les  chevaux,  s'entourait  de  lettrés,  d'artistes, 
d'hommes  de  guerre,  ne  se  montrait  d'ordinaire  qu'en  cos- 
tume de  prince  séculier  et  ne  revêtait  la  pourpre  que  dans 
le  consistoire.  Son  cousin  Alexandre  de  Médicis  lui  ayant  été 
préféré  pour  le  gouvernement  de  Florence,  il  attira  auprès 
de  lui  tous  les  mécontents,  et  il  ne  désespérait  pas  de  le  sup- 
planter, quand  son  rival  le  fit  empoisonner.  Tel  était  le  person- 
nage dont  Lombardi  se  concilia  les  bonnes  grâces  en  1533. 
Grâce  à  ce  puissant  protecteur,  il  fut  admis  à  faire  partie  de 
la  suite  du  Souverain  Pontife  dans  le  voyage  en  France  qui 
avait  pour  but  la  conclusion  du  mariage  de  Catherine  de 
Médicis,  nièce  de  Clément  VII,  avec  Henri,  fils  du  roi  Fran- 
çois I".  La  cour  pontificale  s'embarqua  à  Livourne  le  4  oc- 
tobre 1533,  et  Lombardi,  après  une  excursion  à  Carrare,  la 
rejoignit  à  Marseille,  où  le  Pape  resta  plus  d'un  mois.  Pré- 
senté au  roi  de  France  par  Hippolyte  de  Médicis,  le  sculpteur 
reçut  l'accueil  le  plus  flatteur.  Une  satisfaction  plus  grande 
encore  lui  était  réservée  :  son  protecteur  lui  proposa  de  le 
suivre  à  Rome,  ce  qu'il  accepta  avec  reconnaissance.  Il  allait 
donc  pouvoir  admirer  les  merveilles  de  la  capitale  du  monde 
chrétien,  et  il  espérait  que  la  faveur  du  cardinal  lui  procure- 
rait d'importants  travaux.  En  passant  par  Savone,  le  23  oc- 
tobre, il  écrivit  au  duc  de  Mantoue  pour  l'informer  de  tout  ce 
qui  lui  advenait;  sa  lettre  ne  resta  pas  sans  réponse  :  Frédéric 
Gonzague  lui  adressa  ses  félicitations,  tout  en  sollicitant  de 
nouveau  l'exécution  du  tombeau  de  François  IV. 

Vasari  rapporte  que,  à  Rome,  Hippolyte  de  Médicis  fit  faire 
à  son  protégé,  outre  plusieurs  sculptures  dont  la  trace  s'est 
perdue,  une  tête  en  marbre  de  Vitellius  qui  fut  très  appréciée, 
le  portrait  d'après  nature  de  Clément  Vil  et  celui  de  Giuliano 


542  L'ART   FEIUIARAIS. 

de  Medicl  (père  du  cardinal  Ilippolyte),  qui  resta  inachevé. 
Ces  trois  ouvrages  furent  achetés  plus  tard  par  Vasari  pour 
Ottaviano  de'  Medici.  On  voit  encore  dans  le  palais  Riccardi, 
au-dessus  d'une  porte,  le  Buste  de  Clément  VII. 

Sur  ces  entrefaites  arriva  la  mort  du  Pape  (25  septembre 
1534).  Une  commission  de  cardinaux  s'occupa  de  lui  élever 
un  tombeau.  Hippolyte  de  Médicis,  exécuteur  testamentaire 
de  Clément  VII,  en  faisait  partie.  Il  obtint  que  l'exécution  du 
monument  fût  confiée  à  Lombardi,  qui  présenta  un  modèle  avec 
des  figures  en  cire,  d'après  quelques  esquisses  de  Michel-Ange. 
On  trouva  très  beau  ce  modèle,  et  un  second  tombeau,  celui  de 
Léon  X,  fut  commandé  au  même  artiste  (I).  Malheureusement 
le  cardinal  Hippolyte  mourut  à  son  tour,  le  10  août  1535, 
avant  qu'un  contrat  eût  constaté  les  engagements  réciproques. 
Baccio  Bandinelli  accourut  à  Rome,  dénigra  le  talent  de 
Lombardi  et  mit  tant  d'assurance  à  exalter  son  mérite  per- 
sonnel auprès  de  la  commission  et  de  Lucrezia  Salviati,  sœur 
de  Léon  X,  qu'il  se  fit  adjuger  les  travaux. 

Lombardi  ne  ressentit  pas  moins  de  chagrin  que  d'indigna- 
tion et  résolut  de  quitter  Rome.  Il  y  était  pourtant  encore  le 
6  mai  1536.  En  regagnant  Bologne,  il  passa  par  Florence.  Le 
duc  Alexandre,  ayant  reçu  de  lui  un  portrait  en  marbre  de 
Charles-Quint,  son  beau-père  (2),  le  combla  de  présents  et  lui 
commanda  son  propre  portrait,  que  Lombardi  obtint  d'exé- 
cuter à  Bologne,  conformément  à  un  modèle  qu'il  fit  d'après 
nature. 

Dans  lesderniers  moisde  1536,  Lombardi  était  de  retour  chez 
lui.  La  fabrique  de  San  Petronio  lui  demanda  une  statue  de  saint 
Procolo,  et  Pietro  Aretino  le  portrait  de  Giovanni  délie  Bande 
Nere,  portrait  pour  lequel  on  lui  donna  un  moulage  du  masque 
de  ce  capitaine.  Mais  une  lente  et  cruelle  maladie,  la  gale  (?), 
paralysa   son  activité   et  finit  par  l'emporter  le   1"  décem- 

(1)  Alfonso  Luini)ardi  se  rendit  à  Carrare  en  1534  pour  se  procurer  les  mar- 
bres nécessaires  au  tombeau  de  Clément  VII. 

(2)  On  lit  dans  Baruffaldi  (t.  I,  p.  224}  que  ce  portrait,  exécuté  à  Rome  pour 
le  cardinal  Gonza;;ue,  fut  trouvé  et  acheté  à  vil  prix  par  Lombardi  à  Viterbe, 
dans  un  couvent  de  Dominicains  où  il  logea  en  se  rendant  à  Florence. 


LIVRE   TROISIEME.  54a 

bre  1537,  avant  qu'il  eût  atteint  sa  quarantième  année  (l).  Il 
fut  assisté  dans  ses  derniers  moments  par  Andréa  de  Carrare, 
fils  de  Masseo  Pelliccia,  son  aide  [garzone).  Andréa,  en  1530, 
s'était  engagé  à  rester  avec  lui  pendant  quatre  ans,  à  condition 
d'être  nourri,  vêtu  et  instruit  par  lui;  mais  il  s'était  attaché  à 
son  maître,  et  il  ne  le  quitta  pas.  On  ne  sait  où  Alfonso  Lom- 
bardi  fut  enseveli. 

Très  renommé  comme  sculpteur,  Lombardi  est  peu  connu 
comme  médailleur.  Il  fit  cependant  des  médailles  qui  furent 
très  appréciées.  Une  seule  nous  est  parvenue.  Elle  représente 
Andréa  Tectori,  architecte  milanais.  Au  revers,  on  voit  un 
pont  fortifié,  pourvu  de  deux  tours.  Dans  une  lettre  écrite  de 
Rome  le  6  mai  1536  au  duc  de  Mantoue  Frédéric  II  Gonzague, 
Alfonso  mentionne  qu'il  fit  une  médaille  de  Paul  III,  succes- 
seur de  Clément  VII,  et  que  Paul  111  s'en  montra  fort  satisfait. 
Une  autre  lettre  adressée  par  Lombardi  au  même  prince  per- 
met de  conjecturer  qu'il  avait  fait,  en  outre,  les  médailles  de 
Tebaldeo,  de  Molza  et  du  cardinal  Hippolyte  de  Médicis,  sur 
l'ordre  duquel  il  exécuta  la  médaille  de  Giulia  Gonzaga,  veuve 
de  Yespasiano  Colonna. 

Se  trompant  sur  le  sens  du  mot  miseria,  appliqué  par  Yasari 
à  Alfonso  Lombardi,  Baruffaldi  prétend  que  Lombardi  mourut 
dans  la  pauvreté.  Vasari  ne  faisait  allusion  qu'à  l'état  malheu- 
reux d'un  homme  accablé  à  la  fois  par  la  perte  de  son  princi- 
pal protecteur,  Hippolyte  de  Médicis,  et  par  une  incurable 
maladie.  Le  célèbre  sculpteur  laissait  en  effet  un  héritage  qui 
valait  la  peine  d'être  réclamé,  et  que  réclama  sur-le-champ 
Sigismondo,  le  frère  de  sa  mère  (2).  Cet  héritage  ne  fut  délivré 
que  sous   caution,  de  peur  qu'il   ne    se   présentât  plus  tard 


(1)  Vasari  le  fait  mourir  à  quarante-neuf  ans  en  1636.  Selon  Ccsaie  Cittadella, 
il  avait  soixante-treize  ans  à  cette  époque.  Barotti  a  cru  aussi  qu  il  mourut  à 
soixante-treize  ans,  mais  en  1560.  C'est  é{;aleincnt  en  1560  que  Baruffaldi  place 
sa  mort,  après  avoir  dit,  connue  Vasari,  qu'il  naquit  en  1487. 

1^2)  La  fabrique  de  San  Pctronio  était  encore  débitrice  d' Alfonso.  —  On  peut 
lire  dans  l'inventaire  qui  fut  alors  dressé  l'énumération  des  objets  précieux  et  des 
œuvres  commencées  qui  se  trouvaient  chez  lui  au  moment  de  sa  mort.  [Archivia 
storico  italiano,  série  III,  t.  XXI,  2'  livraison  de  1875,  p.  254.) 


544  L'ART   FERRARAIS. 

d'autres  intéressés,  ce  qui  arriva.  Antonio  et  Jacopo  Cittadella, 
frères  du  père  d'Alfonso,  écrivirent  pour  exposer  leurs  droits 
et  firent  même  intervenir  en  leur  faveur  la  Seigneurie  de 
Lucques.  De  son  côté,  le  duc  de  Mantoue  envoya  Jules  Romain 
à  Ferrare  afin  d'obtenir  de  Sigismondo  les  ouvrages,  terminés 
ou  ébauchés,  qu'il  avait  commandés  à  Alfonso;  mais  les  mor- 
ceaux exécutés  à  son  intention  étaient  en  petit  nombre.  On  ne 
sait  ce  qu'ils  sont  devenus. 

Vasari  a  pleinement  rendu  justice  au  talent  de  Lombardi  (1)  ; 
en  revanche,  il  s'est  montré  peu  bienveillant  pour  le  caractère 
de  cet  artiste.  A  l'en  croire ,  Lombardi  était  par-dessus  tout 
un  homme  de  cour  {"2);  il  n'aimait  pas  à  se  donner  du  mal  et 
pratiqua  son  art  par  vanité  plutôt  que  par  désir  de  la  gloire. 
Très  beau  de  sa  personne,  très  épris  de  lui-même,  il  se  plaisait 
à  charger  d'ornements  d'or  ses  bras  et  son  cou,  à  en  garnir  ses 
vêtements,  et  la  légèreté  de  ses  propos  égalait  celle  de  ses 
mœurs.  Ayant  parlé  d'amour  dans  un  bal  à  une  noble  dame, 
celle-ci  lui  riposta  par  une  réponse  qui  le  couvrit  de  ridi- 
cule (3). 

On  a  écrit  que  Michel- Ange  admirait  beaucoup  Lombardi, 
«  sous  la  main  de  qui,  aurait  dit  le  Buonarroti,  la  terre  obéis- 
sait en  tremblant  (4)  »  ,  et  qu'il  se  l'adjoignit  pour  aide  quand 
il  exécuta  la  statue  de  Jules  II  (1506-1508)  (5).  Ces  assertions 
tombent  d'elles-mêmes ,    maintenant   qu'on   connaît  la  date 

(1)  Vasari,  pendant  qu  il  travaillait  aux  préparatifs  du  couronnement  de 
Charles-Quint,  tit  la  connaissance  de  Lombardi,  qu'il  revit  plus  tard  à  Florence. 

1^2)  11  ne  faut  pas  oublier  que  par  sa  naissance  Lombardi  était  noble,  et  que  sa 
famille  lui  avait  laissé  de  la  fortune. 

(3)  Vasari,  t.  V,  p.  87.  »  Trovandosi  una  sera  a  certe  nozze  in  casa  d  un  conte 
in  Rologna,  et  avendo  buona  pezza  fatto  ail'  aniore  con  una  onoratissima  gentil- 
donna,  fu  per  avventura  invitato  da  lei  al  ballo  dalla  torcia  ;  perche  ajj^jirandosi 
con  essa,  vinto  da  smania  d'amore,  disse  con  un  profondissimo  sospiro  et  con 
voce  tremante,  guardando  la  sua  donna  con  occhi  pieni  di  dolcezza  : 

«   S'amor  non  è,  che   dunque  è  quel  ch'io  sento?  « 

«  Il  che  udendo  la  gentildonna,  che  accortissiuia  era,  per  niostrargli  l'error 
suo,  rispose  :   «  E'  sarà  qualche  pidocchio.  " 

Voyez  aussi  Ridolfi,  Archivio  storico  italiano,  t.  XX,  6"  livraison  de  1874, 
p.  413. 

(4)  Ghirardacci,  Storia  di  Bolo(jna,  1605.  —  Raruffaldi,  t.  1,  p.  204. 

(5)  Masim,  Bologna  perluslrala. 


LIVRE   TROISIEME.  545 

approximative  de  la  naissance  de  Lombardi.  En  150G  il  n'avait 
que  neuf  ans  environ.  Les  œuvres  de  Michel-Ange  ne  peuvent 
pas  non  plus  avoir  influé  sur  la  formation  de  son  talent,  car  il 
ne  vit  à  Bologne  que  l'Ange  et  le  Saint  Petronio  du  tombeau 
de  saint  Dominique,  figures  datant  de  1495,  et  c'est  seule- 
ment en  1533  qu'il  se  rendit  à  Rome,  quand  il  avait  déjà 
exécuté  les  sculptures  qui  l'ont  rendu  célèbre. 

La  production  des  documents  qui  établissent  que  Lombardi 
naquit  vers  1  49T  a  enlevé  aussi  tout  crédit  à  la  légende  d'après 
laquelle  le  fils  de  Nicolao  Cittadella  aurait  fait  en  149  4  le 
modèle  de  la  statue  équestre  en  bronze  que  la  ville  de  Ferrare 
voulait  élever  au  duc  Hercule  I".  —  Enfin,  il  va  de  soi  qu  on 
ne  peut  plus,  comme  autrefois  (1),  attribuer  au  sculpteur  dont 
nous  nous  occupons  le  Mortorio  en  terre  cuite  exécuté  en  1504 
pour  la  cathédrale  de  Bologne  (église  de  Saint-Pierre).  Sept 
statues  peintes  et  dorées,  plus  grandes  que  la  nature,  sont 
groupées  autour  du  Christ  étendu  sur  son  tombeau.  La  dou- 
leur y  est  vivement  rendue,  mais  le  sentiment  du  beau  et  du 
divin  en  est  absent.  Ce  Mortorio  est  dans  la  crypte. 

En  suivant  Lombardi  dans  sa  carrière  d'artiste,  nous  ne 
l'avons  pas  rencontré  à  Ferrare.  Il  était  sans  doute  assez  jeune 
quand  il  quitta  sa  ville  natale,  et  il  n'y  revint  probablement 
pas,  du  moins  pour  y  travailler.  Mais  la  cathédrale  possède 
depuis  1771  les  bustes  en  teri-e  cuite  des  apôtres  qu'il  avait  mo- 
delés, dit  Vasari,  pour  l'église  de  Saint-Joseph  à  Bologne  vers 
1524.  Elle  les  doit  à  la  libéralité  d'un  de  ses  évéques,  Gio. 
Maria  Riminaldi,  Celui-ci  les  avait  achetés  moyennant  dix 
zecchini,  non  de  l'église  Saint-Joseph,  mais  de  l'église  Sainte- 
Madeleine  (1769).  D'après  ses  ordres,  Giuseppe  Ferreri  les  res- 
taura et  refit  en  grande  partie  le  saint  Matthieu.  Malheureuse- 
ment le  chapitre  leur  fit  infliger  une  couche  de  peinture,  qui 
en  détruisit  la  physionomie  primitive.  Ils  sont  placés  dans  des 
niches  et  ornent  les  bras  de  la  croix.  Lombardi  s'y  montre  très 
naturaliste;   mais  plusieurs  tètes,  entre  autres  celles  de  saint 

(1)   Masij>i,  Bolo(jna  perlustrala. 

I.  35 


546  L'ART    FERRARAIS. 

Jean,  se  distinguent  par  une  beauté  pleine  de  vie,  et  le  geste  de 
saint  Thomas  indique  à  merveille  le  caractère  du  person- 
nage. 

On  a  prétendu  qu'Alfonso  Lombardi  était  l'auteur  du  Mor- 
torio  conservé  dans  l'église  Santa  Maria  délia  Rosa,  et  l'on  a 
rangé  ce  travail  parmi  ses  premières  productions.  Cette  attri- 
bution ne  repose  même  pas  sur  une  tradition  constante.  Nous 
nous  trouvons  là  en  présence  d'une  œuvre  exécutée  en  1  485 
par  Guido  Mazzoni,  de  Modène,  l'auteur  des  Mortorii  de  Bus- 
seto  et  de  Modène  (1).  Autour  du  Christ  mort  et  étendu  sur 
son  tombeau  sont  groupes  trois  hommes  et  quatre  femmes. 
Un  des  hommes  est  coiffé  d'un  turban;  un  autre  a  l'aspect 
d'un  paysan.  La  Vierge  est  seule  à  genoux;  sa  douleur  la  rend 
fort  laide.  Une  de  ses  compagnes,  à  gauche,  grimace  horri- 
blement aussi  en  ouvrant  la  bouche  pour  crier.  Mais  de  toutes 
les  figures  rassemblées  ici,  la  plus  réaliste,  la  plus  repoussante, 
est  sans  contredit  celle  du  Sauveur.  Par  contre,  on  remarque 
une  certaine  beauté  et  quelque  noblesse  dans  le  saint  Jean  et 
dans  une  femme  à  droite  qui  entrouvre  les  bras.  Toutes  ces 
statues,  plus  grandes  que  nature,  ont  été  malencontreuse- 
ment enduites  en  1713  d'une  couleur  imitant  le  bronze.  Malgré 
ses  défauts,  le  Mortorio  de  Santa  Maria  délia  Rosa  l'emporte 
sur  celui  de  Lodovico  Castellani  que  nous  avons  mentionné 
plus  haut.  Mais  combien  il  est  inférieur  au  Moy^torio  d'Alfonso 
Lombardi  dans  l'oratoire  de  Santa  Maria  délia  Vita  à  Bologne! 
Et  pourtant  il  en  est  d'autres  qui  laissent  bien  loin  derrière 
eux  ce  dernier  ouvrage.  Tels  sont,  pour  n'en  citer  que  deux, 
celui  de  l'église  de  Saint-Jean  à  Modène  et  celui  de  l'église  de 
San  Satiro  à  Milan.  Dans  le  premier  (2),  dû  à  Guido  Mazzoni 
dit  Pagafiini  ou  Modatiiiio,  qui  mourut  en  1518  après  un  long 
séjour  en  France  où  il  exécuta  le  tombeau  de  Charles  VIII, 
quelle  intensité  d'expression  chez  l'homme  dont  les  yeux  se 
gonflent  de  larmes  à  la  vue   du  Christ  inanimé!  Comme  on 

(1)  Voyez  dans  VArchivio  storico  delV  arte  de  1894,  p.  54,  le  document  publié 
par  M.  Venturi. 

(2)  Perkins,  t.  II,  p.  283. 


LIVRE   TROISIEME.  547 

oublie  vite  la  laideur  de  la  Vierge,  quand  on  observe  l'expres- 
sion de  ses  regards!  Certaines  jeunes  femmes,  tout  en  étant 
prises  sur  nature,  ont  même  des  dehors  attrayants.  Dans  le 
Mortorio  de  San  Satiro  (1),  Caradosso  [Amhrogio  Foppa)  a  su 
tout  à  la  fois  serrer  de  près  la  réalité  et  respecter  le  senti- 
ment du  beau.  Ainsi,  malgré  sa  rigidité  cadavérique,  le  Christ, 
dont  la  tète  repose  sur  les  genoux  de  sa  Mère  évanouie  entre 
les  bras  des  saintes  femmes,  conserve  je  ne  sais  quoi  de  divin. 
Saint  Jean,  qui  soutient  à  genoux  le  corps  du  Sauveur  en  levant 
les  yeux  au  ciel,  s'abandonne  à  la  violence  de  sa  douleur  sans 
rien  perdre  de  sa  grâce  virile.  Enfin,  toutes  les  figures,  très 
différentes  d'expression,  sont  très  heureusement  disposées. 
Les  couleurs  elles-mêmes  s'harmonisent  bien,  et  l'emploi  de 
l'or  dans  les  vêtements  a  été  judicieusement  compris.  Ce  genre 
de  composition  se  rattache  par  son  origine  à  la  représentation 
des  mystères,  au  moyen  âge;  il  a  l'inconvénient  de  rappeler 
trop  les  tableaux  vivants,  et  il  est  forcément  réaliste.  Au  pre- 
mier abord,  il  surprend  et  choque  presque  notre  délicatesse 
d'aujourd'hui.  Mais,  quand  on  s'y  est  habitué,  on  finit  par  y 
découvrir  une  source  d'émotion  esthétique  et  par  comprendre 
l'action  qu'il  exerça  non  seulement  sur  les  yeux  du  peuple, 
mais  sur  l'esprit  des  gens  cultivés  et  des  artistes. 

Baruffaldi  signale,  comme  une  œuvre  d'Alfonso  Lombardi, 
la  Vierge  avec  son  Fils  ynort  dans  l'église  de  Saint-Jean-Bap- 
tiste à  Ferrare.  On  ne  voit  plus  maintenant  que  la  partie  su- 
périeure du  corps  de  la  Mater  dolorosa.  Cette  médiocre  pro- 
duction ne  nous  semble  pas  être  imputable  à  Lombardi.  Tel 
est,  du  reste,  l'avis  de  L.-N.  Gittadella. 

Rien  ne  prouve  non  plus  que  Lombardi  soit,  comme  le  pré- 
tend Petrucci,  l'auteur  d'un  haut  relief  en  marbre  qui  orne  un 
des  cloîtres  de  la  Chartreuse  (2)  et  qui  représente  la  Vierge 
assise  sur  un  trône  et  tenant  debout  sur  elle  FEnfant  Jésus,  entre 
saint  Georges  à  gauche  et  un  guerrier  ii  droite.  Saint  Georges  a 
sous  ses  pieds  le  dragon  terrassé,  tandis  que  le  guerrier  est  à 

(1)  Perkins,  t.  II,  p.  163. 

(2)  La  loggietta  dei  fanciuUiy  dans  le  cimetière  communal. 


548  I/ART    FEllUARAIS. 

{'cnoux  et  prie.  Petrucci  et  Gluseppe  Boschini  voient,  en  ce 
dernier  personnage,  le  duc  de  lerrare,  Hercule  I",  qui  avait 
peut-être  fait  exécuter  cette  sculpture  pour  accomplir  un  vœu. 
Nous  trouvons  les  figures  un  peu  lourdes  et  maniérées.  L'ar- 
tiste a  travaillé  sans  véritable  inspiration  . 

La  même  critique  ne  pourrait  être  adressée  au  buste  en 
terre  cuite  de  Saint  Hyacinthe,  qui  se  trouve  dans  la  collection 
du  palais  Strozzi-Sacrati,  et  que  l'on  a  aussi  attribué  à  Lom- 
bardi  (1).  Il  y  a  une  étonnante  intensité  de  vie  dans  cette 
figure,  qui  vous  captive  par  le  naturel  et  la  sincérité  de  sa  fer- 
veur. Saint  Hyacinthe  appartenait  à  l'Ordre  de  Saint-Domi- 
nique. Il  est  représenté  avec  des  cheveux  courts,  une  courte 
barbe  noire  et  des  moustaches  (2). 

Parmi  les  œuvres  qui  ont  passé  pour  être  d'Alfonso  Lom- 
bardi,  nous  mentionnerons  encore  le  Saiiit  Sébastien  en  terre 
cuite  peinte,  que  l'on  voit  dans  l'église  de  Saint-Charles,  église 
contiguë  à  l'hôpital  de  Sainte-Anne.  L.-N.  Cittadella  a  décou- 
vert quOrazio  Grillemoni  de  Carpi,  sculpteur  et  peintre,  était 
l'auteur  de  cette  statue.  Elle  ne  lui  fait  pas  grand  honneur.  On 
y  constate  un  réalisme  peu  séduisant,  et  la  couleur  des  chairs 
y  a  quelque  chose  de  choquant.  Saint  Sébastien  lève  la  tète, 
tandis  que  son  bras  droit  est  attaché  en  l'air  à  un  arbre  et  que 
son  bras  gauche  pend  le  long  de  son  corps. 

A  peu  près  en  même  temps  qu'Alfonso  Lombardi,  naquit  un 
sculpteur  que  nous  avons  déjà  mentionné  (p.  529),  et  qui  est 
appelé  par  Vasari  tantôt  Girolamo  Ferrarese  (3),  tantôt  Girolamo 
Lombardo{A).  Girolamo  avait  pour  père  Antonio,  un  des  fils  de 

(1)  Jusqu'à  l'époque  de  la  suppression  des  corporations  religieuses,  ce  buste  a 
appartenu  à  l'église  de  Saint-Douiinicjuc,  où  il  a  été  remplacé  par  une  très  bonne 
copie  due  à  un  certain  Filicori. 

(2)  Nous  signalons  aussi,  à  Faënza,  dans  la  Pinacothèque,  un  groupe  de  statues 
exécutées  en  terre  culte  par  AUonso  Lombardi  :  il  représente  la  Vierge  tenant 
dam  ses  bras  l'Enfant  Jésus  qui  bénit  saint  Jean  V  Évangéliste,  en  présence  de  saint 
Jean-Baptiste.  Ce  travail  fut  fait  en  1524  pour  l'oratoire  de  Saint-Jean-Baptiste, 
à  Faënza. 

(3)  T.  VI,  p.  63  (dans  la  Vie  de  Tribolo),  p.  302  (dans  la  Vie  de  Simone 
Mosca),  p.  479  (après  la  Vie  de  Garofalo  et  celle  de  Girolamo  du  Carpi). 

(4)  T.  IV,  p.  514,  519,  520,  523  (dans  la  Vie  d' Andréa  Sansovino);  t.  VII, 
p.  513  (dans  la  Vie  de  Jacopo  Sansovino). 


LIVRE   TROISIEME.  549 

Pietro  Lombardo(l).  C'est  parce  que  sa  famille  habitait  Ferrare, 
où  il  passa  lui-même  sa  jeunesse,  que  Girolamo  reçut  le  surnom 
de  Ferrarese.  A  Tàge  de  trente  ans,  dit  Vasari  (t.  VII,  p.  514), 
il  voulut  perfectionner  son  talent  en  se  faisant  l'élève  d'Andréa 
Contucci  dal  Monte  Sansovino  (qui  cessa  de  vivre  en  1529).  Si 
le  renseignement  de  Vasari,  dont  M.  Filippo  Raffaelli  conteste 
lexactitude  (2)  et  qu'admet  M.  Pietro  Paoletti  (3),  était  con- 
forme à  la  vérité,  Girolamo,  entré  dans  l'atelier  d'Andréa 
quelques  années  avant  1529,  serait  né  vers  1497  ou  1498.  Ce 
qui  est  certain,  c'est  que,  attiré  par  les  travaux  à  exécuter  en 
l'honneur  de  la  Santa  Casa,  il  se  rendit  (en  1534  selon  les  uns, 
au  mois  de  janvier  1543  selon  les  autres)  à  Lorette,  où  son 
frère  Aurelio  l'avait  précédé  (4)  et  où  son  autre  frère  Lodovico 
le  rejoignit  avant  1550.  Girolamo  termina,  dit-on,  une  Adora- 
tion des  Mages  qu'Andréa  Sansovino  avait  laissée  en  suspens.  Il 
sculpta,  pour  les  niches  du  parapet  de  marbre  autour  de  la  Santa 
Casa,  six  statues  de  prophètes  que  Perkins  juge  avec  raison 
«  maniérées  et  mal  proportionnées  "  .  On  lui  attribue  é^ùïe- 
meni  la  Statue  de  la  Vierge,  en  bronze,  qui  orne  la  façade,  au- 
dessus  de  la  porte  principale,  les  candélabres  de  la  chapelle 
du  Saint-Sacrement,   i>.  pieni  di  foglianii  e  figure  tonde  di  getto 

(1)   Voici  l'arbre  généalofjique  des  Solarl  Lombardi  : 
Martino   di    Giovanni 

Pielro 
né  à  Carona,  non  loin  de  Lugano,  mort  en  juin  1515, 


Antonio  f   1516  Tullio  f   1532  Giiilio 


Aurelio  Lodovico  Girolamo  Laura         Saute        Alrnaro      Tullio  JI 

né  à  Venise,  1501,     mort    à  se  fixe  à  architecte  et 

mort  à  V^arano   ou    Recanati  Recanati  sculjjlcur,    né 

à  Recanati,  1563. 11    en  1573.  en  1534.  en  1504,  mort 

s'était  fait,  en  1528,  |  le  16  mai  1560. 

frate   zoccolante.  | 


Antonio  Pietro  Paolo   Aurelio   Giacomo 

(2)  Voyez  l'article  de  M.  Raffaelli  dans  VArte  e  storia,  année  IV,  n"  2.  Les 
dates  fournies  par  cet  article  ont  beaucoup  d'importance. 

(3)  YoyezVÀrte  e  storia  du  28  février  1889. 

(4)  Né  à  Venise  en  1501,  Aurelio  mourut  en  1563  à  Varano,  selon  M.  Michèle 
Caffi  {Arte  e  storia, année  IV,  n"  11);  à  Recanati,  selon  M.  Bertolotti  {Artisti 
bolognesi  e  ferraresi  in  Borna,  p.  76\ 


550  L'AUT    FERRARAIS. 

tanlo  ben  falle,  che  sono  cosa  iuaravigliosa  iî  ,  dit  Yasari,  les 
quatre  portes  de  bronze  de  la  Sainte-Chapelle  et  la  lampe 
derrière  cette  chapelle.  Pour  avoir  plus  de  place  et  travailler 
plus  à  l'aise,  il  s'était  établi,  avec  ses  deux  frères  aînés,  Aure- 
lio  et  Lodovico(l),  à  Recanati,  non  loin  de  Lorette,  et  y  avait 
installé  une  fonderie,  dont  Lodovico  s'occupait  spécialement. 

La  collaboration  fréquente  des  trois  fils  d'Antonio  Lom- 
bard© n'excluait  pas,  du  reste,  les  travaux  tout  personnels. 
Ainsi,  deux  des  prophètes  de  Lorette  passent  pour  avoir  été 
faits  par  Aurelio  seul. 

D'après  Vasari,  Girolamo  Lombardo,  avant  d'aller  à  Lorette, 
aurait  exécuté  à  Venise  quelques  bas-reliefs  pour  la  Lihreria 
[Palazzo  reale)  construite  en  1536  par  Jacopo  Sansovino,  élève 
d'Andréa  Sansovino,  et  pour  la  loggia  qui  se  trouve  au  pied 
de  la  tour  de  Saint-Marc ,  et  que  le  même  Jacopo  avait  ter- 
minée en  1540.  Selvatico,  dans  son  ouvrage  sur  l'architecture 
et  la  sculpture  à  Venise  (p.  309-310),  n  hésite  pas  à  soutenir 
que  c'est  à  Girolamo  Lombardo  qu'il  faut  rapporter,  dans  la 
loggia  :  Venise  assise  avec  les  emblèmes  de  la  Justice  et  ayant 
à  ses  pieds  la  Brenta  et  l'Adige  \  —  Jupiter,  qui  symbolise  la 
Crète;  —  Vénus  attendant  l'Amour,  que  l'on  voit  dans  les 
airs,  allusion  au  royaume  de  Chypre;  —  Hellé  tombant  du 
bélier  à  la  toison  d'or  au  milieu  des  flots;  —  Thétis  secourant 
Léandre,  —  et  deux  autres  sujets  relatifs  à  Vénus,  bas-reliefs 
en  bronze  d'un  élégant  dessin  et  d'une  magnifique  patine. 
Dans  la  Lihreria,  ce  sont  les  enfants  en  demi-relief  de  la  frise 
qui  seraient  dus  à  Girolamo.  —  M.  Pietro  Paoletti  attribue 
aussi  à  Girolamo  Lombardo,  dans  l'église  de  Santa  Maria  dei 
Miracoli,  à  Venise,  deux  bas-reliefs  représentant  la  Vierge  et 
VEcce  hoino,  parce  qu'ils  ont  beaucoup  d'analogie  avec  ceux 
dont  Lombardo  est  l'auteur  dans  la  loggia  de  la  place  Saint- 
Marc  (2). 


(1)  Girolamo  et  Lodovico  obtinrent  en  1566  le  droit  de  citoyen  [cittadinanza) 
à  Recanati.  C'est  dans  cette  ville  que  Lodovico  mourut  en  1573.  [Voyez,  dans 
VArte  e  storia  du  28  février  1889,  un  article  de  M.  Pietro  I'aolktti.) 

(2)  Voyez  VAite  e  storia  du  28  février  1889. 


LIVRE  TROISIEME.  551 

Vasari  parle  en  outre  d'un  grand  tabernacle  de  bronze  fait 
pour  Paul  III  et  destiné  à  la  chapelle  Pauline,  au  Vatican.  Au 
lieu  de  Paul  III,  c'est  Pie  IV  qu'il  faut  lire  (I).  Ce  tabernacle, 
qui  n'est  pas  très  grand  et  qui  porte  les  noms  des  trois  frères 
Aurelio,  Girolamo  et  Lodovico  (2),  existe  encore,  mais  dans  la 
cathédrale  de  Milan,  dont  il  orne  le  maitre-autel,  et  à  laquelle 
il  fut  donné  par  le  pape  milanais  Pie  IV  lui-même  (Gabriello 
Medici),  quand  saint  Charles  Borromée  était  archevêque.  Il  a 
pour  principal  ornement  les  statuettes  des  douze  apôtres,  dans 
le  haut,  et  le  Christ  bénissant,  au  centre.  Plusieurs  événe- 
ments de  la  vie  du  Christ  sont  retracés  autour  de  la  base.  Ce 
remarquable  monument  (3)  a  été  placé  dans  un  petit  temple 
circulaire  à  l'exécution  duquel  les  Lombardi  sont  étrangers. 
Pellegrinien  fit  le  dessin,  Brambilla  le  modèle,  et  c'est  Andréa 
Pelizone  qui  le  fondit. 

Dans  ses  Artistibolognesi,  ferraresi  ed  alcuni  ahri  in  Roma, 
M.  A.  Bertolotti  a  fourni  quelques  renseignements  nouveaux 
sur  Lodovico  et  Aurelio  Lombardo.  Lodovico  Lombardo  reçut  à 
Rome,  le  7  décembre  1546,  un  peu  plus  de  vingt-quatre  écus 
pour  avoir  fait  un  faldistorio  en  cuivre,  destiné  à  la  chapelle 
de  Paul  III.  Le  20  juillet  1559,  on  lui  donna  dix-huit  écus 
comme  prix  d'un  piédestal  fait  pour  un  César  jeune.  En  1570 
et  en  1572,  il  toucha  des  sommes  importantes  en  qualité 
de  fondeur  de  la  chambre  apostolique  et  il  fit  de  nombreux 
canons  ornés  de  reliefs.  Sa  femme,  Francesca  Citri ,  de 
Venise,  fut  héritière  de  ses  biens;  elle  réclama  en  1577  le 
reste  de  ce  qui  était  dû  à  Lodovico.  —  Un  acte  du  21  mai 
1558  constate  que  Frate  Aurelio  de  Lombardis,  sculpteur  fer- 
rarais,  se  vit  restituer  un  objet  mis  en  gage  :  c'était  un  grand 
encrier  de  métal ,  orné  de  figurines  qui  représentaient  des 
monstres  marins. 

Si  nous  nous  transportons  dans  l'église  métropolitaine  de 


(1)  Arte  e  storia,  année  IV,  n°  2,  p.  10. 

(2)  «  Àurelius  Hyeronimus  et  Lud.fies  Solaii  Lomhardi.  F.  » 

(3)  «  E  cjuesta  veramente  un  eletta  opéra  d'arte.  "  (Monceui,  Varie  in  Milano, 
p.  159.) 


552  L'ART    FERRARAIS. 

Fermo,  nous  y  trouverons,  ornant  l'autel  du  Saint-Sacrement, 
un  tabernacle  de  bronze  exécuté  h  la  fois  par  Girolamo  et  par 
Lodovico  Lombarde.  Le  chapitre  le  leur  commanda  entre  1570 
et  1571,  quand  Lorenzo  Lenzi  de  Florence  était  évéque  de 
Fermo.  Ce  tabernacle  est  de  forme  octogone.  La  Crèche, 
Y  Epiphanie,  la  Dispute  dans  le  temple,  la  Cène,  la  Prière  au 
jardin  des  Oliviers ,  la  Flagellation ,  la  Montée  au  Calvaire  et 
le  Crucifiement  y  sont  sculptés  en  demi -relief.  Douze  co- 
lonnes supportent ,  comme  à  Milan ,  les  statuettes  des  apô- 
tres. La  croix,  l'étoile  et  l'agneau  que  l'on  remarque  dans 
la  frise  sont  les  symboles  du  chapitre.  L'ensemble  du  tra- 
vail  fait  beaucoup  d'honneur  aux  deux  frères  Lombardi  (1). 

Sur  la  foi  d'une  note  trouvée  dans  un  livre  imprimé  en 
1640,  note  où  il  est  question  d'un  baptistère  conservé  à  Prague 
et  signé  :  «  Opus  Hieronymi  Uxanza  de  Ferraria  MDL  »  ,  Baruf- 
faldi  a  soutenu  que  le  sculpteur  appelé  d'ordinaire  Girolamo 
da  Ferrara  et  Girolamo  Lombardo  avait  pour  nom  véritable 
Girolamo  Usanza.  Mais  du  prétendu  baptistère  on  n'a  décou- 
vert aucune  trace,  malgré  les  plus  consciencieuses  recherches, 
ni  à  Prague,  ni  ailleurs  en  Autriche,  de  sorte  qu'on  ne  peut 
guère  plus  admettre  l'existence  d'un  sculpteur  nommé  Usanza 
que  celle  de  l'œuvre  d'art  indiquée.  Dans  aucun  acte  du  temps 
on  ne  trouve  que  Ferrare  ait  possédé  un  sculpteur  du  nom 
d'Usanza,  quoique  le  nom  d'Usanza  apparaisse  plusieurs  fois. 
Cependant,  eût-il  réellement  vécu,  on  ne  serait  pas  en  droit 
de  lui  attribuer  les  œuvres  dont  Girolamo  Lombardo  est  très 
certainement  l'auteur,  et  de  faire  des  deux  sculpteurs  un  seul 
personnage,  en  éliminant  le  nom  de  Lombardo  (2). 

On  ne  sait  quand  mourut  Girolamo  Lombardo.  Il  eut  sept 
enfants.  Trois  d'entre  eux,  Antonio,  Pietro  et  Paolo,  s'adonnè- 
rent aussi  à  la  sculpture.  Pietro  étudia,  en  outre,  la  peinture 
avec  le  Pomarancio.  Le  principal  élève  de  Girolamo  fut  Antonio 
Calcagni,  de  Recanati,  à  la  fois  sculpteur  et  fondeur. 

(1)  Voyez  la  description  complète  qu'a  donnée  M.  Filippo  Raffaelli,  dans 
l'Arte  e  storia,  année  IV,  n"  2,  p.  10  et  11. 

(2)  CiTTADELLA,  Notizie,  t.  II,  p.  197-201. 


LIVRE   TROISIEME.  553 

Un  autre  sculpteur  ferrarais  qui  mérite  de  n'être  point  passé 
sous  silence  estAlfotiso  Alhei^ghetti.  C'est  lui  qui  fit  le  plus  beau 
des  deux  puits  en  bronze  que  l'on  voit  dans  la  cour  du  palais 
ducal  à  Venise,  celui  qui  se  trouve  le  plus  près  de  la  porte 
délia  Carta  (1519).  Il  fut  aussi  l'auteur  de  deux  Arases  de 
bronze,  ornés  de  figures  et  d'arabesques,  que  possédait  autre- 
fois la  collection  Costabili;  l'un  de  ces  vases  portait  l'inscrip- 
tion suivante  :  «  Alfonsi  Alhergeto  Ferrarensi  me  fecit  anno 
Do  mini  1572.  '^ 

L'art  de  la  fin  du  seizième  siècle  est  représenté  à  Ferrare 
par  le  Tombeau  de  Barbe  d' Autriche ,  fille  de  l'empereur  Ferdi- 
nand I",  la  seconde  des  trois  femmes  d'Alphonse  II  (1).  Ce 
monument,  dont  l'auteur  est  inconnu,  se  trouve  dans  l'église 
del  Gesù,  à  laquelle  Barbe  était  venue  généreusement  en  aide 
pour  réparer  les  dégâts  causés  par  le  tremblement  de  terre  de 
1570.  Il  est  en  marbre  rouge  avec  des  plaques  de  marbre 
noir.  L'aspect  en  est  un  peu  tapageur,  mais  assez  grandiose. 
Dans  le  bas,  aux  côtés  de  l'épitaphe,  on  voit  deux  enfants 
presque  nus.  Deux  autres  enfants  se  montrent  sur  les  faces 
latérales.  Au-dessus  de  l'épitaphe  apparaît  une  tête,  surmontée 
d'un  aigle,  entre  deux  guirlandes.  Tel  est  le  piédestal  qui  sup- 
porte le  sarcophage.  Sur  le  sarcophage,  orné  d'une  tête  de 
séraphin  également  placée  entre  deux  guirlandes,  deux  figures 
allégoriques  sont  assises  aux  côtés  du  buste  de  Barbe.  L'aigle 
et  les  enfants  dénotent  un  talent  digne  encore  d'estime. 

En  regardant  le  buste  de  Barbe,  on  ne  se  rappelle  pas  sans 
intérêt  ce  qui  recommandait  cette  princesse  au  souvenir  des 
Ferrarais.  Son  mariage  fut  l'occasion  de  tournois  et  de  spec- 
tacles qui  firent  sensation.  Du  28  novembre  1571  au  27  jan- 
vier 1572,  elle  gouverna  Ferrare,  avec  le  concours  de  Pigna, 
secrétaire  d'Alphonse  II,  quand  le  duc  se  rendit  en  Allemagne 
afin  de  féliciter  l'Empereur  dont  le  fils  aîné  Rodolphe  avait 
été  nommé  roi  des  Romains.  Après  le  tremblement  de  terre 
de  1570,  elle  recueillit  les  jeunes  filles  sans  asile  et  fonda  pour 

(1)   La  première  tut  Lucrezia  de'  Mcdici  ;  la  troisième  fut  Marglierita  Gonzaga. 


554  L'ART    FERRARAIS. 

elles  un  établissement.  Elle  succomba  en  1572  à  une  maladie 
de  quatre  mois.  Son  éloge  figure  parmi  les  écrits  de  Torquato 
Tasso. 

Pour  terminer  la  nomenclature  des  œuvres  plastiques  con- 
servées à  Ferrare,  il  ne  nous  reste  plus  qu'à  mentionner  le 
Buste  de  Clément  VIII  (1),  du  pape  qui  mit  fin  à  la  domina- 
tion de  la  famille  d'Esté  et  y  substitua  l'autorité  directe  du 
Saint-Siège  en  1598  (2).  C'est  à  l'Université  de  Ferrare  que 
Clément  VIII  avait  fait  ses  études.  Son  portrait,  placé  sur  la 
façade  de  la  cathédrale  à  gauche,  au-dessus  d'une  plaque  de 
marbre  contenant  une  longue  inscription,  fut  fondu  en  1605 
par  Giorgio  Alhenga.  Il  est  loin  d'être  sans  mérite,  malgré 
l'époque  avancée  où  il  a  été  fait.  La  tête  est  chauve  et  s'incline 
vers  la  terre,  comme  sous  le  poids  de  préoccupations  obsor- 
bantes.  Albenga,  après  avoir  passé  la  plus  grande  partie  de  sa 
vie  à  Mantoue,  en  qualité  de  bombardier,  se  rendit  à  Ferrare 
en  1598  et  ne  retourna  pas  à  Mantoue  (3). 

(1)  Il  en  a  été  déjà  question,  p.  28i. 

(2)  L.-JN.  Cittadella,  JSotizie^  t.  I,  p.  317. 

(3)  A.  Rertoletti,  Le  arti  minori  alla  corte  di  Mantova,  dans  V Archivio  sto- 
rico  lombardo  du  30  septembre  1888,  année  XV,  fasc.  III,  p.  544. 


CHAPITRE   II 

LA    SCULPTURE  EN    ROIS    ET    LA    MARQUETERIE. 


Les  boiseries  sculptées  et  les  marqueteries  de  Ferrare,  sans 
égaler,  tant  s'en  faut,  celles  que  possèdent,  par  exemple,  Santa 
Maria  in  Organo  à  Vérone,  San  Petronio  à  Bologne,  Saint- 
Marc  à  Venise,  Sainte-Marie  Majeure  à  Bergame,  Saint-Jean 
à  Parme,  Saint-Pierre  à  Pérouse  et  le  monastère  de  Monte 
Oliveto  près  de  Sienne,  ne  doivent  cependant  pas  être  passées 
sous  silence.  —  Elles  sont  dues  pour  la  plupart  à  des  maîtres 
modénais. 

Dans  Vëglise  de  Saint-Dominique ,  le  chœur  est  bordé  de  deux 
rangs  de  stalles.  Le  rang  supérieur  appartient  au  quatorzième 
siècle  et  est  l'œuvre  de  Giovanni  da  Modena^  surnommé  Baisi 
ou  Abaisi,  dont  les  descendants  furent  aussi  de  remarquables 
sculpteurs  en  bois.  Les  lignes  sont  simples  et  bien  pondérées, 
les  ornements  mis  avec  discrétion.  Une  élégante  corniche  do- 
mine les  gracieux  détails.  Ajoutons  que  le  bois  est  très  poli,  et 
que  sa  patine  d'un  brun  foncé  fait  singulièrement  valoir  les 
formes.  Ce  travail  fut  exécuté  en  138  4  aux  frais  de  Tomma- 
sina  de'  Gruamonti,  comme  l'indiquent  quelques  vers  en 
caractères  gothiques,  non  loin  desquels  est  écrit  le  nom  de 
l'artiste.  L'élégante  sobriété  du  maître  vous  frappe  surtout 
quand  on  a  vu  les  armoires  en  noyer  qui  garnissent  les  murs 
de  la  grande  sacristie,  où  les  pilastres,  les  chapiteaux,  les  cor- 
niches sont  loin  d'avoir  la  même  pureté,  et  où  l'on  ne  regarde 
qu'avec  une  curiosité  distraite  les  marqueteries  représentant 
les  saints  et  les  saintes  de  l'Ordre  de  Saint-Dominique,  pro- 
duits d'une  époque  de  décadence. 


556  L'ART    FERRARAIS. 

Dans  les  premières  années  du  quinzième  siècle,  Tommaso 
da  Bnisio,  fils  de  Giovanni,  exécuta  les  boiseries  qui  ornaient 
autrefois  le  chœur  de  l'église  dei  Servi  et  celui  de  l'église  de 
Saint-François  :  il  fut  aidé  par  ses  propres  fils  Arduino  et 
Alberto. 

Sans  faire  des  œuvres  aussi  importantes,  Cristoforo  da  Fer- 
rara  acquit  un  renom  qui  dépassa  les  limites  de  sa  ville  natale. 
Il  semble  avoir  excellé  surtout  dans  les  encadrements  de 
tableaux,  encadrements  composés  avec  art  et  traités  avec  une 
rare  délicatesse,  dont  il  existe  encore  quelques  spécimens, 
pourvus  de  sa  signature  (1). 

Il  y  a  environ  trente-six  ans,  dans  la  cathédrale  de  Ceneda, 
le  couronnement  de  la  Vierge  où  Giacomello  del  Fiore  intro- 
duisit cent  quarante-cinq  figures,  était  entouré  de  colonnettes 
et  d'ornementations  aussi  fines  que  riches  dans  le  goût  de  la 
Renaissance.  Ces  gracieuses  boiseries  étaient  dorées,  et  l'on  y 
lisait  :  «  1438  a  di  \0  frever  Christofalo  da  Ferrara  intajo.  " 
Le  tableau  de  Giacomello  ayant  été  transporté  du  maitre- 
autel  dans  une  des  chapelles,  en  1830,  on  fut  obligé  d'enlever 
le  cadre,  qui  fut  relégué  dans  un  coin  et  bientôt  détruit. 

A  Padoue,  l'église  de  Saint-François  possédait  jadis,  dans 
une  petite  salle  près  du  chœur,  un  tableau  à  quatre  comparti- 
ments peint  par  Antonio  da  Murano  et  Zoane  Alemanus,  et 
représentant  la  Crèche,  saint  Joseph  au  milieu  d'un  beau  pay- 
sage et  deux  autres  saints.  Les  compartiments  de  ce  tableau 
étaient  séparés  par  de  beaux  ornements  sculptés  dont  l'auteur 
avait  écrit  dans  le  bas  du  cadre  :  «  MCCCCXLVII,  Christo- 
falo da  Ferrara  intajo.  ••■> 

On  ne  sait  pas  non  plus  ce  qu'est  devenu  le  cadre,  sculpté 
par  Cristoforo  da  Ferrara  en  I4i6  et  mentionné  par  Fran- 
cesco  Sansovino,  qui  faisait  valoir  un  tableau  de  Vivarini  à 
San  Cosimo  délia  Giudecca,  près  de  Venise. 

Mais  on  peut  toujours  admirer  le  cadre  simple  et  élégant  du 
tableau  de  Zuan  et  Antonio  Vivarini  que  possède  l'église  de 

(1)  Michèle  Caffi,  Giacomello  del  Fiore,  pilture  veneziano  del  serolo  XV , 
dans  YArchivio  storico    italiano,  quatrième  série,  luine  VI,  année  1880,   p.  402. 


LIVRE  TROISIEME.  557 

San  Pantaleone  à  Venise.  Ce  cadre,  exécuté  en  1  444,  porte  les 
mots  suivants  :    «  Crisioforo  da  Ferrara  intajo.  » 

Enfin,  c'est  au  même  artiste  qu'est  dû  le  grandiose  et  ma- 
gnifique cadre,  ou  plutôt  le  monument  doré  qui  accompagne 
le  tableau  d'Antonio  et  Bartolomeo  Vivarini,  de  1  450,  dans  la 
Pinacothèque  de  Bologne  (n"  205,  p.  20  du  catalogue).  Certaines 
parties  sont  à  jour  et  se  détachent  sur  un  fond  bleu. 

Parmi  les  sculpteurs  en  bois  travaillant  à  Ferrare  dans  la 
première  moitié  du  quinzième  siècle ,  Agostino  dalle  Nevole 
occupe  une  place  plus  importante.  Gomme  Giovanni  et  Tom- 
maso  da  Baisio,  il  était  de  Modène.  En  1423,  il  fixa  son  domi- 
'"ile  à  Ferrare,  où  il  transporta  ses  meubles  et  ses  outils  sans 
avoir  à  payer  aucune  taxe.  C'est  lui  qui  construisit  entière- 
ment le  chœur  de  l'église  de  Belfiore.  Il  mourut  en  1440. 

A  la  même  époque  appartiennent  trois  sculpteurs  en  bois 
qui  n'étaient  pas,  dit-on,  sans  mérite.  Guido  Castellano  (1441- 
1449)  acheva  le  chœur  de  l'église  de  Belfiore,  fit  des  taber- 
nacles, des  candélabres  et  des  cadres.  Pantaleone  da  Ci^etna 
(1441-1443)  sculpta  des  étuis  de  cithare  et  des  consoles  desti- 
nées à  porter  des  cierges.  Marco  da  Trigolo  est  vanté,  en  1447, 
comme  un  artiste  distingué. 

Mais  Arduino  da  Baisio,  fils  de  Tommaso,  dépassa  de  beau- 
coup tous  ceux  que  nous  avons  nommés  et  fut  même  un  des 
maîtres  les  plus  célèbres  de  la  haute  Italie.  C'est  à  lui  qu'en 
1420  Palla  Strozzi  commanda  les  onze  stalles  en  noyer  sculpté 
et  les  marqueteries  dont  il  voulait  doter  le  chœur  de  la  sacris- 
tie dans  l'église  de  Santa  Trinità  à  Florence,  et  l'on  convint 
que  le  prix  serait  fixé  par  Lorenzo  Ghiberti  et  par  Cola  di 
Nicolo  Spinelîi,  tous  deux  orfèvres.  Entre  143  4  et  1435, 
Arduino  s'occupe  à  construire  un  cabinet  pour  Lionel,  puis  il 
se  rend  à  iNIodène,  où  il  est  inscrit  dans  la  compagnia  dei  Bat- 
tutti^  et  passe  ensuite  à  Mantoue.  En  1440,  il  entre  au  service 
de  Lionel,  moyennant  vingt  lire  niarchesine  par  mois,  entre- 
prend, en  1441,  des  armoires  à  jour  dans  la  sacristie  de 
l'église  de  Belfiore,  fait  un  pupitre  et  divers  autres  objets 
pour  la  même  église.  Les  cabinets  de  Lionel  à  Belriguardo  et 


558  L'ART    FERUARAIS. 

à  Belfiore  l'occupent  également.  Très  estimé  à  la  cour,  il  est, 
dans  les  livres  de  comptes,  qualifié  de  «  maestro  di legname  suh- 
tilissivuts  ac  nohilissimus  »  ,  àe  ^  faher  lignaminis  prestantissimiis 
et  eximius  "  .  Outre  son  frère  Albert,  il  eut  comme  aide  à  partir 
de  1442  son  élève  Biagio  da  Bologna.  Enfin,  dans  l'exécution 
des  boiseries  sculptées  et  des  marqueteries  du  cabinet  de 
Lionel  au  château  de  Belfiore,  il  eut  pour  collaborateurs  les 
frères  Lorenzo  et  Cristoforo  Canozzi  da  Lendinara,  qui  y  furent 
occupés  de  1449  à  1453,  préludant  ainsi  à  leurs  œuvres  les 
plus  vantées.  Dans  plusieurs  documents  relatifs  au  cabinet  de 
Belfiore,  Lorenzo  et  Cristoforo  Canozzi  sont  nommés  à  part. 
Ils  étaient  fils  d'Andréa  diNascimbene,  menuisier  [marangone] 
et  citoyen  de  Ferrare.  Andréa  avait  travaillé,  en  1435,  dans 
le  palais  des  Este  à  Venise.  En  1436,  il  implora  du  marquis 
Nicolas  III  la  permission  de  se  transporter  avec  ses  outils  à 
Lendinara  et  d'y  emmener  sa  famille;  mais  il  ne  fléchit  son 
souverain  qu'en  s'engageant  à  ne  pas  quitter  Ferrare  pour 
toujours  (1). 

Sous  le  règne  de  Borso,  on  retrouve,  achevant  d'orner  le 
fameux  cabinet  de  Belfiore,  les  artistes  que  Lionel  y  avait 
employés,  et,  vers  1450,  ils  sont  assistés  de  Bartolomeo  di 
Niccolo  Giovanni,  de  Giovanni  de  Alemagyia,  de  Giorgio  et  de 
Giustino,  Allemands  aussi.  Mais  une  fois  ces  travaux  achevés, 
presque  tous  les  maîtres  qui  y  avaient  pris  part  se  dispersent 
peu  à  peu,  le  nouveau  souverain  ne  leur  confiant  aucune 
entreprise  digne  de  leur  mérite.  Après  avoir  exécuté,  en  1457, 
avec  l'Allemand  Léonard,  une  caisse  en  marqueterie  dont 
Borso  voulait  faire  cadeau  à  Galéas  Sforza,  Cristoforo  et  Lo- 
renzo  Canozzi   regagnent  Lendinara,  où  ils  étaient  nés  (2). 

(1)  Tous  les  détails  qui  précèdent  sont  empruntés  à  M.  Ad.  Ventlri,  I pri- 
mordi,  etc.  —  Voyez  aussi  Michèle  Gaffi,  Dei  Canozzi  o  Genesini  lendinaiesi 
maestri  di  legname  del  secolo  XV celebratissimi.  Lendinara,  Buffetti,  1878. 

(2)  Quand  ils  furent  sur  le  point  de  quitter  Ferrare,  le  duc  écrivit  à  ses  fatlori 
geneiali  pour  faire  payer  les  deux  artistes,  et,  couiine  on  tardait  à  leur  remettre 
tout  ce  qui  leur  était  dû,  il  intervint  une  seconde  fois  avec  insistance  :  «  Desidc- 
riisi  elle  siano  satisfati,  ve  dicemo  che  se  vol  havete  dinarj  in  mane  faciale  subito 
de  darc  dicte  L.  50  de  m.  a.  a  dicti  de  Lendenara.  Se  non  havite  dinarj  fate  de 
contentarlj  delj  piinij  che  se  scliuda.  » 


LIVRE   TROISIEME.  559 

A  peine  Léonard  a-t-il,  de  son  côté,  fait  quelques  beaux  (fe^cA/, 
ainsi  qu'une  caisse  en  marqueterie  destinée  par  le  duc  au  roi 
d'Aragon,  qu'il  disparaît  de  la  cour.  Biagio  da  Bologna  et  son 
compatriote  Simone  s'éloignent  également.  Il  n'est  plus  ques- 
tion de  Cristoforo  da  Ferrara  ni  d  Alberto  Baisio.  Quant  à 
Arduino,  il  mourut  probablement  vers  1  455. 

Les  artistes  ne  manquent  pourtant  pas  autour  de  Borso, 
mais  ils  ne  sauraient  soutenir  la  comparaison  avec  leurs  prédé- 
cesseurs, et  leurs  œuvres  n'ont,  du  reste,  qu'une  importance 
secondaire.  Giustino,  qualifié  tantôt  d'Allemand,  tantôt  de 
Flamand^  orne  de  ses  marqueteries  plusieurs  caisses,  travaille 
dans  la  chapelle  de  la  cour,  et  fait  un  autel  portatif  à  l'occa- 
sion du  voyage  de  Borso  à  Rome,  tandis  que,  pour  le  même 
voyage,  Pellegrino  degli  Erri  fournit  des  caisses  pourvues  de 
marqueteries.  Giustino  a  pour  aide  maître  Stefano,  qui,  en 
1469,  couvre  de  marqueteries,  pour  Albert  d  Este,  une  grande 
caisse  en  noyer.  Les  marqueteries  d'une  crédence  pour  Teo- 
filo  Galcagnini  sont  dues  à  un  certain  Cornélius  de  Flandre 
(1464),  et  c'est  à  Giorgio  Greco  que  Galcagnini  commande  un 
coffre  avec  des  incrustations  d'ivoire.  Michèle  Greco,  Giovanni 
de  Venise  et  Antonio  Tortelletto  font  des  travaux  du  même 
genre.  Souvent  les  caisses  en  bois  passaient  des  mains  du 
sculpteur  dans  celles  du  peintre,  qui  les  dorait,  y  peignait  des 
figures,  y  adaptait  des  reliefs  en  pâte  odoriférante  (1). 

Antonio  di  Niccolo  de  Florence  était  probablement  supérieur 
aux  artistes  que  nous  venons  de  citer.  Pour  avoir  sculpté  les 
figures  en  bois  de  Dieu  le  Père  et  de  deux  anges,  il  toucha,  en 
vertu  d'un  traité  passé  le  20  mars  1451,  trois  ducats  d'or  et 
quarante-huit  sous.  Cicognara  (2)  a  confondu  Antonio  di  Nic- 
colo avec  Niccolo  del  Cavallo. 

Si  nous  nous  transportons  dans  la  cathédrale,  nous  nous 
trouvons  en  présence  d  une  œuvre  appartenant  à  la  plus  belle 

(i)  C'est  encoi-e  ;i  M.  Venturi  que  nous  eiiipruutuns  tous  ces  rcnseignciiicats. 
[L'aite  a  Ferrara  nel  periodo  di  Borso  d'Esle,  dans  In.  Jiivista  storicn  italiana, 
anno  II,  ottobre-cliceniljie  1885,  fasticolo  IV,  p.  735-736.) 

(2)  Storia  délia  scullura,  t.  II,  p.  196. 


ÔGO  L'ART    FERRAUAIS. 

époque  de  Tart  (1).  Après  avoir  fait  ajouter  à  Tédifice  une 
vaste  abside  par  Biagio  Rossetti  en  1  498,  le  duc  Hercule  I" 
voulut  orner  le  chœur  de  stalles  sculptées  et  enrichies  de  mar- 
queteries. D'après  une  lettre  qu'il  écrivit  à  son  intendant 
général,  Teodosio  Brusa,  on  voit  qu  elles  furent  probablement 
commencées  en  1502;  mais  les  travaux  n'avancèrent  pas  vite, 
Brusa  négligeant,  malgré  les  ordres  réitérés  de  son  maître,  de 
faire  aux  artistes  les  payements  convenus.  La  mort  d'Her- 
cule I",  en  1505,  fut  une  nouvelle  cause  de  retard  et  de 
ralentissement.  Tout  finit  même  par  rester  en  suspens,  car  le 
chapitre  de  la  cathédrale  dut  renouveler  le  contrat  (10  no- 
vembre 15  19)  avec  Bernard iîio  Canozzio  da  Lendmara,  Pietro 
Rizzardo  et  Angelo  Discaccia  de  Crémone,  qui  furent  assistés 
par  Daniele  Canozzio ,  fils  de  Bernardino,  et  par  Basiiano 
Rigone.  Le  plus  célèbre  de  ces  artistes  est  Bernardino,  qui  est 
appelé  tantôt  Bernardino  da  Lendinara,  tantôt  Bernardino  da 
Venezia,  peut-être  parce  qu'il  parlait  le  dialecte  vénitien,  en 
usage  à  Lendinara.  Il  eut  pour  père  Cristoforo  Canozzio  ou 
Genesino(2)  et  pour  oncle Lorenzo,  qui  avait  exécuté,  vers  1465, 
les  élégantes  marqueteries  qu'on  admire  dans  le  chœur  de  la  ca- 
thédrale de  Modène(3).  Lui-même  avait  déjà  laissé  à  Parme  des 
témoignages  de  son  talent  (1-494).  Cette  ville,  comme  Modène, 
lui  avait  accordé  le  droit  de  citoyen.  En  1487,  il  épousa,  à 
Modène,  Caterina  dell'Abate,  fille  d'un  artiste  distingué,  et  il 
mourut,  non  en  1507,  comme  le  dit  L.-N.  Cittadella,  mais, en 
1520,  dans  un  âge  avancé.  Quant  à  Pietro  Rizzardo  ou  Ric- 
cardo,  appelé  aussi  Pietro  dalle  Lanze,  il  était  né  à  Massa, 
mais  il  devint  citoyen  de  Ferrare;  le  nom  dalle  Lanze  était 
probablement  le  nom  de  sa  famille. 

Il  y  a  dans  le  chœur  de  la  cathédrale  trois  rangs  de  stalles  : 

(1)  L.-N.  Cittadella,  Notizie  relative  a  Ferrara,  t.  I,  p.  58,  et  t.  II,  p.  76. 
—  BoBGUi,  SuUa  scuola  modenese  di  tarsia,  dans  les  Atti  e  Memorie  délie  depu- 
tazioni  di  storia  patria  per  le  provincie  Modi-nesi  et  Parmensi.  (Modena,  Vin- 
cenzi,  1870.)  —  Mirhele  Caffi,  Le  tarsie  e  gli  intagli  in  legno  nel  coro  délia 
cattediale  di  Ferra/a,  dans  VAtchivio  storiio  loinba?do,  anno  IV,  fasc.  III, 
30  scpteinlire  1877. 

(2)  La  mère  de  Bernardino,  née  à  Bergaïuc,  s'appelait  Giovannina  Schirsaria. 

(3)  Michèle  Caffi,  Dei  Canozzi,  etc. 


LIVRE   TROISIEME.  561 

le  rang  supérieur  en  possède  cinquante-six,  celui  du  milieu 
quarante-deux  et  le  rang  inférieur  trente-quatre,  ce  qui  porte 
à  cent  trente-deux  le  nombre  total  des  sièges.  Dans  le  rang 
supérieur,  chaque  stalle  est  séparée  de  sa  voisine  par  une 
colonnette  cannelée  à  chapiteau  corinthien.  Au-dessus  des 
colonnettes  règne  une  frise  qui  présente  des  dessins  blancs  sur 
fond  brun  et  qui  est  dominée  par  des  coquilles.  Le  dossier  des 
stalles  se  compose  de  panneaux  avec  des  marqueteries  d'une 
exécution  fort  remarquable  et  d'un  goût  très  pur.  En  général, 
les  marqueteries  du  rang  supérieur  représentent  des  édifices  en 
perspective,  tandis  que  celles  des  autres  rangs  nous  montrent 
des  figures  géométriques  et  des  objets  isolés.  En  divers  en- 
droits apparaît  le  diamant  qu'Hercule  I"  avait  choisi  comme 
emblème;  la  grenade  d'Alphonse  I"  décore  la  troisième  stalle 
à  droite  dans  le  rang  inférieur.  Malheureusement,  ces  mar- 
queteries, qui,  au  temps  de  Scalabrini,  c'est-à-dire  il  y  a  près 
d'un  siècle,  commençaient  à  tomber  en  ruine,  sont  dans  un 
état  déplorable  :  non  seulement  il  manque  de  nombreux  frag- 
ments, mais  plusieurs  panneaux  ont  tout  à  fait  perdu  leur 
revêtement.  On  peut  cependant  admirer  encore —  ici  des  por- 
tiques, des  loggias,  un  palais  avec  des  escaliers  grandioses,  de 
très  beaux  monuments  avec  des  arcades,  une  façade  d'église, 
des  constructions  crénelées,  —  là  une  croix,  une  mitre,  un 
vase  aux  gracieux  contours,  une  cithare,  une  cassolette  à  en- 
cens, un  reliquaire  en  forme  de  bras,  une  viole,  une  boîte 
contenant  des  pinceaux,  un  oiseau  dans  une  cage  (allusion  aux 
passions  humaines  que  dompte  l'abnégation  religieuse).  Mais 
ce  qui  offre  un  intérêt  particulier,  c'est  le  château  ducal,  ainsi 
que  l'ancienne  cour  du  château  avec  l'escalier  abrité  par  une 
couverture  en  plomb  qu'Hercule  I"  fit  construire  en  I  48 1 ,  et 
qui  existe  toujours.  Les  sculptures  du  rang  supérieur  étaient 
autrefois  rehaussées  par  des  dorures  que  Baldassare  dalla  Viola 
et  Albertino  dalla  Mirandola  avaient  été  chargés  de  poser.  Il  est 
à  observer  que,  dans  les  boiseries  dont  nous  nous  occupons, 
le  mérite  de  la  partie  architectonique  n'égale  pas  celui  des 
ornementations  :  c'est  que  Bernardino  Canozzio,  en  abordant 
I-  36 


562  L'ART    FERRARAIS. 

les  détails  d'architecture,  entrait  dans  un  domaine  qui  lui  était 
moins  familier.  On  doit,  en  outre,  remarquer  que  Texécution 
des  sculptures  n'est  pas  partout  aussi  soignée  et  trahit  des 
mains  différentes.  De  plus,  à  l'imperfection  de  certaines 
stalles  dans  le  rang  inférieur,  il  est  aisé  d'apercevoir  que  Pie- 
tro  Riccardo  ne  mena  pas  à  fin  l'entreprise.  Le  travail  fut 
achevé  en  1525.  Il  avait  coûté  2,7  71  //?e  8  soldi  et  2  denain. 
Au  fond  du  chœur  s'élève  le  trône  épiscopal,  commencé  le 
12  août  1531  par  ordre  de  la  fabrique  et  mis  en  place  le 
15  août  1534.  Les  sculptures  abondantes  qu'on  y  remarque 
sont  d'une  rare  finesse.  Cet  édicule  est  orné  de  deux  colonnes 
sur  lesquelles  circulent  d'élégants  rinceaux  et  qui  sont  pour- 
vues cle  chapiteaux  corinthiens  ;  elles  ont  pour  support  une 
base  élevée  où  l'on  voit  des  sphinx,  des  cygnes  et  des  enfants 
sculptés  avec  une  exquise  délicatesse.  Au-dessus  des  colonnes 
se  trouve  une  voûte  abritant  un  bas-relief  qui  représente 
saint  Georges  à  cheval  en  présence  du  dragon  qu  il  terrasse. 
Dans  l'architrave,  parmi  les  ornementations  entremêlées  d'en- 
fants, on  distingue  les  traces  de  l'écusson  ducal.  Derrière  les 
colonnes,  deux  pilastres  sont  adossés  au  mur  :  de  beaux  enfants 
s'y  ébattent  au  milieu  d'arabesques  dont  le  style  rappelle  celui 
de  Raphaël.  Ces  pilastres  encadrent  une  marqueterie  qui  met 
devant  nos  yeux  l'intérieur  d'un  édifice.  Une  frise  très  riche 
s'étend  au-dessus  des  pilastres.  Plusieurs  inscriptions  méritent 
d'être  notées.  Sur  la  base  de  la  colonne  de  gauche  est  tracée 
incorrectement  cette  sentence  tristement  vraie  :  Omia  per 
peclïunia  fada  sotuit ,  tandis  que  la  base  de  la  colonne  de 
droite  porte  ces  mots  :  Omnium  est  enim  artifex,  omnem  hahens 
viriutem.  Sur  le  pilastre  de  gauche,  les  lettres  v.  s.  o.  d.  signi- 
fient peut-être  :  t'oto  soluto  opiis  dedicatum ,  et  les  lettres 
5.  p.  q.  r.  V.,  placées  au-dessous,  peuvent  être  traduites  ainsi  : 
senatus  populique  romani  votum,  ce  qui  donne  à  penser  que  les 
sculpteurs  se  seront  servis  de  dessins  exécutés  en  vue  d'un 
autre  travail  par  quelque  artiste  romain  (1).  Sur  le  pilastre  de 

(1)  Ces  interprétations  sont  celles  de  M.  Mithele  Cafti. 


LIVRE   TROISIEME.  563 

droite  se  trouve  cette  recommandation,  souvent  utile  en  pareil 
lieu  :  Silentimn  hahete  omnes.  Le  siège  épiscopal  de  la  cathé- 
drale a  eu  pour  auteurs  Lodovico  da  Brescia  et  Luchino,  dont 
on  ne  connaît  aucun  autre  ouvrage.  Lodovico,  fils  d'un  certain 
Bartolommeo,  appartenait  à  la  famille  des  Nozzi,  originaire 
peut-être  de  Nossa,  petit  pays  dans  la  province  de  Bergame, 
près  d'un  torrent  appelé  aussi  Nossa .  Quant  à  Luchino , 
L.-N.  Gittadella  croit  qu'il  faut  reconnaître  en  lui  Angelo 
Luchino  de'  Bonati  da  Parma,  dit  le  Bianchino,  élève  des 
Ganozii(l)  ;  mais  M.  Michèle  Caffi  le  caractérise  par  ces  mots  : 
francese,  cavalleggiero  ducale. 

Dans  V église  de  Saint-Christophe  ou  église  des  Chartreux,  les 
stalles  du  chœur  sont  aussi  pourvues  de  belles  marqueteries 
presque  en  ruine.  On  y  distingue  également  des  édifices  en 
perspective,  des  monuments  crénelés,  des  églises  avec  flèches 
et  clochers,  des  cages,  des  vases  de  fruits.  Elles  se  trouvaient 
autrefois  à  Sant'  Andréa  (2).  Pietro  Rizzay^di  dalle  Lajize  en  est 
l'auteur  (3). 

Il  y  a,  en  outre,  dans  la  sacristie,  d'intéressantes  boiseries, 
avec  de  petits  pilastres  cannelés,  et  la  première  chapelle  à 
gauche  dans  l'église  possède  un  grand  ciborium,  orné  de  mar- 
queteries, primitivement  placé  sur  le  maître-autel  ;  mais  ce 
monument  est  lourd  et  d'une  forme  peu  agréable.  Annibal 
Carrache  l'avait  décoré  d'une  Cène,  et  Augustin  Carrache  y 
avait  représenté  les  Hébreux  recueillant  la  manne  dans  le 
désert,  peintures  sur  cuivre  qui  ont  été  transportées  à  la 
Pinacothèque  (n"'  36  et  37). 

A  ce  ciborium,  nous  prêterons  le  reliquaire  en  bois  qu'on 

(1)  Guida  pel  forestière  in  Ferrara,  p.  48. 

(2)  C'est  peul-ètre  aussi,  dit-on,  à  Pietro  dalle  Lanzc,  né  à  Massa,  que  sont 
dues  les  soixante-huit  stalles  qui  ornent  le  chœur  dans  Yéglise  de  Saint- Antoine 
abbé  in  Polesine,  invisilile  au  puhlic.  Ces  stalles  sont  accompagnées  de  colon- 
nettes  en  spirale,  que  surmontent  des  feuillages  trahissant  le  style  lond)ard.  Elles 
sont  beaucoup  moins  belles  que  celles  qui  appartiennent  à  l'église  de  Saint-Domi- 
nique et  à  l'église  des  Chartreux.  (G.  Scutellaki,  //  coro  délia  cliiesa  di  S.  Anto- 
nio in  Polesine,  dans  V Arte  e  storia  du  10  mars  1889.) 

(3)  Dans  le  chœur  de  Sant'  Andréa,  il  existe  encore  des  stalles,  maiselUs  sont 
en  fort  mauvais  état. 


564  L'ART   FERRARAIS. 

voit  dans  la  chapelle  du  Saint-Sang  à  Santa   Maria  in   Vado  : 
il  est  distingué  de  forme  et  bien  exécuté. 

Les  dernières  œuvres  que  nous  ayons  à  mentionner  se  trou- 
vent dans  l'église  de  Saint-Benoît  :  ce  sont  les  stalles  du  chœur. 
Elles  sont  disposées  sur  deux  rangs  (1)  et  furent  exécutées 
en  1555  par  Nicolaus  Sciovinus,  de  Paris,  qui  reçut  dix  écus 
d'or  en  or  pour  chacune  des  stalles  du  rang  supérieur  et  la 
stalle  correspondante  du  rang  inférieur.  Les  stalles  sont  sépa- 
rées les  unes  des  autres  par  des  colonnettes  cannelées  d'ordre 
ionique. 

(1)   Il  y  en  a  vin^jt-cinq  clans  le  rang  supérieur,  dix-huit  dans  le  rang  inférieur. 


CHAPITRE   III 

L'ORFÈVRERIE  (i). 


Quoique  fort  en  faveur  à  Ferrare,  l'art  de  l'orfèvrerie  ne 
fut  guère  pratiqué  par  des  Ferrarais  :  ceux  que  l'on  cite  sont 
en  petit  nombre  et  ne  parvinrent  pas  à  une  grande  renommée. 
C'est  de  Milan  surtout  que  vinrent  les  orfèvres,  «  ces  miniatu- 
ristes de  la  sculpture  »  .  Quant  aux  joailliers,  ils  furent  pour  la 
plupart  originaires  de  Venise. 

Les  premiers  artistes  que  mentionne  L.-N.  Cittadella  sont 
Alessandro  da  Par  ma  et  son  fils,  qui  travaillaient  en  1410. 
Mais  la  cathédrale  de  Ferrare  possède  un  objet  remontant  à 
un  temps  plus  ancien  :  le  bras  de  saint  Georges,  soutenu  par 
un  motif  d'architecture,  porte  la  date  de  1388  (2), 

A  l'époque  de  Parisina,  femme  de  Nicolas  III,  on  trouve 
installés  à  Ferrare  deux  orfèvres  lombards,  Daniele  da  Gin- 
sanno  et  Gahriele  da  Cantorio  ou  da  Cantu.  En  1422,  Daniele 
fit  une  serrure  avec  une  chaînette  en  cuivre  doré  pour  l'étui 
en  cuir  d'une  harpe  appartenant  à  Parisina,  et  il  exécuta  sur 
l'ordre  de  Nicolas  III,  en  I  423,  des  colliers  pour  les  chiens  de 
chasse  et  des  magliette  d'argento  pour  les  faucons  de  ce  prince. 
Quant  à  Gabriele,  il  fit  en  l'honneur  de  la  marquise  et  de  ses 
filles  des  coquetiers  et  des  salières  d'argent,  des  bijoux,  des 
harnais,  des  boites  émaillées.  De  142  4  à  1434,  il  ne  cessa  pas 

(1)  C'est  aux  publications  suivantes  de  M.  Venturi  que  nous  empruntons  la 
plupart  des  rensei{;neuients  contenus  dans  ce  chapitre  :  l  prlmordi  del  rinasci- 
mento  artistico  a  Ferrara.  —  L'aite  a  Ferrara  nel  periodo  di  Borso  d'Esté.  — 
Relazioni  artistiche  tra  le  corti  di  Milano  e  Ferrara  nel  secolo  XV. 

(2)  Il  a  été  refait  partiellement  en  1499  par  Zemignan  de  Buzon  et  par  maitre 
Francesco, 


566  L'ART    FERRARAIS. 

d'être  au  service  de  la  cour,  fournissant  de  l'argent  aux  bro- 
deurs de  ses  patrons  et  se  chargeant  d'acheter  à  Milan  les 
objets  souhaités  par  le  souverain  de  Ferrare.  A  partir  de  1437, 
on  ne  rencontre  plus  le  nom  de  Gabriele  dans  les  livres  de 
comptes.  Antonio,  son  neveu,  tenait  boutique  à  Milan  et  tra- 
vailla aussi  pour  la  maison  d'Esté.  Vers  le  même  temps, 
Andréa,  joaillier  vénitien,  vendit  au  marquis  \\n  fermaglio  qui 
lui  fut  payé  douze  cents  ducats. 

Nicolas  III  confia  à  Galeotto  delV  Assassino,  parent  de  Stella, 
mère  de  Lionel,  le  soin  de  régler  les  travaux  à  la  cour,  de  les 
estimer  et  de  veiller  sur  les  objets  acquis.  Galeotto  était  lui- 
même  orfèvre,  mais  il  abandonna  son  art  et  fut  élevé  à  la 
dignité  de  camerlingo.  Francesco  deW  Assassino,  qui  était  peut- 
être  son  fils,  exécuta  en  I  434  des  sceaux  d'argent. 

Plusieurs  orfèvres  furent  alors  occupés  par  quelques  églises 
de  Ferrare.  M"  Jacopo  fit  des  encensoirs  en  1424  ;  JSicholaus  de 
Faventia  fit  des  objets  émaillés  en  1429. 

Pendant  les  dernières  années  du  règne  de  Nicolas  III  et 
durant  le  règne  de  Lionel,  le  goût  du  luxe  se  développa  rapi- 
dement. Ce  n'étaient  pas  seulement  les  souverains  de  Ferrare 
qui  recherchaient  les  délicats  et  riches  ouvrages  des  orfèvres 
et  des  joailliers,  c'étaient  encore  les  gentilshommes  et  les  dames 
de  distinction.  Pour  satisfaire  à  la  multiplicité  des  com- 
mandes, les  artistes  affluèrent  à  Ferrare. 

Parmi  eux  on  trouve  Bartolonimeo  Sperandio  dei  Savelli,  de 
Rome,  le  père  de  l'illustre  médailleur  Sperandio.  En  1437, 
au  plus  tard,  il  quitta  Mantoue,  où  il  s'était  installé,  pour 
venir  à  Ferrare.  Nicolas  III  d'Esté  lui  dut  trois  grands  sceaux 
et  deux  petits.  Cité  devant  les  consuls  des  marchands  à  Man- 
toue, il  ne  comparut  point,  ce  qui  ne  l'empêcha  pas  d'obtenir 
gain  de  cause  auprès  de  ses  juges.  En  1451,  il  était  encore 
à  Ferrare  et  fit  pour  le  podestat  une  licorne  en  argent,  em- 
blème de  Borso.  Il  n'est  jamais  qualifié  que  d'orfèvre  par  ses 
contemporains  (1). 

(1)  Ad.  Venturi,  Sperandio  da  Mantova,  dans  VArchivio  storico  deW  arte, 
octobre  1888,  p.  385-386. 


LIVTvE   TROISIÈME.  567 

Au  nombre  des  orfèvres  figurent  aussi  Corrado  Cagnoli,  de 
Cortone  (1433),  Jacopo  Maffeo,  peut-être  originaire  de  Plai- 
sance (1438-1449),  Balduino  di  Carlo,  de  Paris,  qui  fit  des 
tasses  (1438-1441),  Pietro  dalle  Guaine  di  San  Romano  (1441), 
Bartolommeo  da  Bologna  (1443),  Antonio  Mazone  (1444),  Ludo- 
vico  da  Folirjno,  qui  fit  des  flacons  émaillés  (1445  et  suiv.),  Bar- 
tolomeo  da  Imola  (1446),  Cabrino  et  Giovanni  da  Cremona. 

Les  principaux  joailliers  dont  les  noms  nous  ont  été  transmis 
sont  Giovanni,  qui  vendit  des  perles  (1434-143G),  Prospero, 
qui  adapta  un  rubis  à  un  bijou,  Domenico  Fabiano  (1446), 
Nicolo  Nani,  qui  livra  un  cadenas  d'or  enrichi  de  diamants,  de 
rubis  et  de  perles,  puis  une  agrafe  en  forme  de  choux  avec 
diamants  et  rubis,  ainsi  que  des  sceaux  d'argent  (1443-1447), 
et  Jacomello  (1448),  dont  la  renommée  surpassa  celle  de  ses 
confrères.  Tous  ces  joailliers  étaient  de  Venise.  Une  des  œuvres 
les  plus  remarquables  entre  celles  qui  furent  exécutées  à 
l'époque  de  Lionel  fut  une  croix  avec  un  Christ  en  or  ;  sur 
cette  croix,  ornée  de  camées  représentant  Dieu  le  Père  et  deux 
anges  avec  des  rubis  sur  le  front,  on  voyait  vingt-quatre  rubis, 
onze  saphirs ,  soixante-dix-neuf  grosses  perles,  sans  compter 
les  ornements  d'or  et  d'argent  ;  le  tout  avait  coûté  onze  cent 
soixante  ducats  (1). 

Les  orfèvres  formèrent  de  bonne  heure  une  corporation  à 
Ferrare(2).  Dès  1371,  ils  avaient  leurs  statuts,  et,  en  1391,  ils 
se  portèrent  avec  les  autres  corporations  au-devant  d'Albert 
d'Esté,  qui  revenait  de  Rome  en  costume  de  pèlerin.  En  1444, 
la  corporation  des  orfèvres  offrit  un  casque  en  argent  doré  au 
vainqueur  dans  un  tournoi.  Ses  statuts  furent  modifiés  en 
1476,  approuvés  par  Hercule  I"  et  confirmés  par  Alphonse  II 
en  1567  (3). 

(1)  Ad.  Venturi,  /  primordi  ciel  rinascimento  artistico  a  Ferraia,  p.  36.  — 
L.-N.  Cittatlella  cite  entre  les  dates  de  1347  et  de  1583  un  j;rand  nombre  d'or- 
fèvres dont  nous  nous  abstenons  de  transcrire  les  noms.  {^Sotizie  relative  a  Fer- 
rara,  t.  I,  p.  683-694.) 

(2)  Les  orfèvres  et  les  taillandiers  ne  formaient  qu'une  seule  corporation.  On 
ne  sait  à  quelle  époque  les  premiers   purent  se  séparer  des  seconds. 

(3)  Voyez  l'article  de  M.  Auguste  Drofjhclti  sur  l'éjjlise  de  San  Giulano  dans 
VArte  e  storia,  n"  24  de  1895,  p.  187. 


568  L'ART    F  EUR  AR  AI  S. 

Jusqu'à  présent  nous  n'avons  pas  nommé  l'orfèvre  qui  tra- 
vailla le  plus  pour  la  cour  de  Ferrare  et  qui  fut  le  plus  en 
renom.  Cet  orfèvre  était  Amadio  da  Milano  di  Antonio,  célèbre 
aussi  comme  médailleur.  On  Ta  confondu  à  tort  avec  Gio.  An- 
tonio Amadeo  ou  Omodeo,  sculpteur  et  architecte  milanais,  né 
seulement  en  1447.  Aucun  orfèvre  ne  fournit  une  aussi  longue 
carrière  et  n'exécuta  autant  de  travaux  à  Ferrare  qu' Amadio. 
Il  fut  citoyen  de  Ferrare.  Depuis  1437  jusqu'en  148:2,  on  ren- 
contre plusieurs  fois  son  nom  chaque  année  dans  les  registres 
de  la  maison  d'Esté,  et  l'on  sait  qu'à  l'exemple  des  princes  et 
des  princesses,  il  n'y  avait  point  de  personnage  occupant  une 
situation  élevée  qui  ne  cherchât  à  posséder  quelque  ouvrage 
de  lui.  Folco  di  Villafora,  favori  de  Lionel,  et  Teofilo  Calca- 
gnini,  favori  de  Borso,  utilisèrent  ses  talents. 

Sous  le  règne  de  Lionel,  les  livres  de  dépenses  mention- 
nent, entre  autres  objets  dus  à  Amadio,  des  tasses  d'or  et  d'ar- 
gent, des  coquetiers,  un  bassin  au  milieu  duquel  un  émail 
représentait  les  armes  du  marquis,  des  bagues  ornées  de  dia- 
mants, de  perles  et  de  rubis,  des  anneaux,  des  chaînes,  des 
boucles,  des  flacons,  des  roses  en  argent  émaillé  de  bleu,  des- 
tinées à  être  mises  sur  un  habit,  des  bijoux  pour  la  coiffure  de 
Béatrice,  sœur  de  Lionel,  un  encrier,  des  laisses  d'épervier, 
des  ornements  en  cuir  doré  pour  une  selle,  des  ornements 
devant  accompagner  la  reliure  de  bibles,  de  missels,  de  bré- 
viaires ou  de  livres  profanes,  par  exemple  d'un  ouvrage  com- 
posé par  Fazio  degli  Uberti,  un  cachet  pour  Orsina  Rangoni, 
des  sceaux  sur  lesquels  étaient  gravés  les  emblèmes  de  Lionel, 
tels  que  l'échiquier  et  l'aigle,  un  cadre  émaillé,  un  calice  et 
une  patène  pour  la  chapelle  de  la  cour,  un  petit  navire  avec 
les  figures  de  la  Vierge  et  d'un  ange  pour  la  chapelle  de  Bel- 
fiore  (1442),  des  targes  émaillées,  avec  un  loup-cervier  sur  un 
coussin  rouge,  deux  boucliers  avec  l'emblème  de  l'échiquier, 
donnés  aux  hérauts  du  duc  de  Bourgogne  qui  étaient  venus 
inviter  les  Ferrarais  à  une  lutte  entre  preux  chevaliers,  une 
sorte  de  casque  offert  par  Lionel  à  Giacomo  de'  Tolomei, 
podestat  de  Ferrare,  coiffure  sur  le  devant  de  laquelle  un  dia- 


LIVRE   TROISIEME.  569 

niant  brillait  au-dessus  d'une  marguerite,  emblème  du  mar- 
quis (1448).  Amadio  fut  également  chargé  de  dorer  un  chapi- 
teau pour  la  fontaine  de  la  cour.  En  1450,  le  charpentier  Piero 
di  Roncogallo  construisit  pour  lui  une  boutique  par  ordre  du 
seigneur  de  Ferrare  (1). 

Pendant  le  règne  de  Borso ,  Amadio  ne  fut  pas  moins 
occupé.  Pour  le  jurisconsulte  Gambilione  d'Arezzo,  il  fît  six 
tasses  et  un  plat  d'argent.  Par  ordre  du  duc,  qui,  en  1452,  lui 
donna  un  habit  de  drap  ejiis  coloris  quani  elegerit,  il  exécuta 
des  ornements  destinés  au  fameux  cabinet  de  Belfiore  (1455), 
ainsi  que  des  harnais  et  des  services  de  table.  Rinaldo  d'Esté, 
abbé  commendataire  de  Pomposa,  reçut  des  mains  de  l'habile 
orfèvre  un  sceau  sur  lequel  celui-ci  avait  gravé  Jésus  accueil- 
lant la  Vierge  dans  le  ciel  au  milieu  des  anges,  tandis  qu'un 
évéque  implorait  à  genoux  le  Rédempteur.  Un  autre  sceau, 
où  l'on  voyait  un  évéque  aux  pieds  de  saint  Pierre,  fut  livré  à 
Gurone,  abbé  de  Nonantola.  En  1453  fut  achevé  un  grand 
émail  aux  armes  de  Borso  ;  cet  émail  devait  orner  la  plaque 
portée  par  les  fifres  du  duc  sur  leur  poitrine.  Un  autre  émail 
représentant  l'aigle  des  Este  surmonté  d'une  couronne  ou 
brillait  un  rubis  fut  donné  au  comte  Stefano  da  Segna  pour 
décorer  un  casque.  Borso,  de  son  côté,  se  glorifia  de  porter  un 
collier  d  or  dont  Amadio  était  l'auteur  ;  ce  collier  pesait  neuf 
onces,  et  les  emblèmes  du  duc  y  étaient  émaillés  d'azur  et  de 
vert.  Trois  vases  provenant  de  la  même  boutique  avaient  pour 
décoration  des  feuillages  et  les  emblèmes  du  prince  régnant; 
les  anses  se  composaient  de  dragons  ailés  ;  la  licorne  et  le 
paraduro  dominaient  les  couvercles.  En  1464,  diverses  pièces 
d'argenterie  prirent  place  dans  des  églises,  et  Borso  fit  cadeau 
à  Teofilo  Calcagnini,  pour  la  chapelle  de  celui-ci  à  Benve- 
gnante,  d'un  calice  en  argent  doré  et  émaillé.  On  pourrait 
encore  citer  des  coins  pour  les  reliures,  des  flèches  pour  les 
horloges,  sans  compter  une  foule  d'autres  objets,  qu'il  serait 
trop  long  d'énumérer.  Amadio  fut,  en  outre,  le  fournisseur 

(1)   Un  oifcvie    noininô    jSicalà    Adiii  travailla   aussi    puur  les   piinccs  il'Esle 
en  1447. 


570  L'ART    FERRARAIS. 

attitré  de  l'argent  et  de  Tor  filés  qu'employaient  les  brodeurs. 
En  1452,  il  avait  comme  aide  Alberto  de  li  Beltrandi  da  Pavia. 

Durant  la  période  de  Borso,  Amadio  ne  fut  pas  le  seul  orfè- 
vre milanais  qui  trouva  de  l'occupation  dans  la  ville  de  Fer- 
rare.  Pieiro  Martignon  ou  Artigno7ie,  qui  livra  des  nielles  en 
1  46  4  à  la  femme  de  Scipion  d'Esté  et  qui  fut  inscrit  en  1  47  4 
dans  la  corporation  des  orfèvres  de  Ferrare,  était  originaire 
aussi  de  Milan  (1).  Il  en  est  de  même  de  Zoane  dal  Chorno. 
Enfin,  Gabricle  da  Milano  fut  l'auteur  des  ornements  en  argent 
d  une  ceinture  pour  Teofilo  Calcagnini. 

Venise  ne  fut  pas  sans  fournir  aux  amateurs  de  l'orfèvrerie 
un  contingent  d'artistes.  Les  uns,  comme  Filippo,  Michèle, 
Giov.  Andréa,  Lorenzo  et  Antonello  di  Giacomo,  se  fixèrent  à 
Ferrare.  Les  autres,  comme  Zorzo  Allegretto,  envoyèrent  de 
leur  ville  natale  les  produits  de  leur  art.  Zorzo,  en  effet,  vendit 
au  duc  un  bassin  d'argent,  qui  fut  donné  à  Teofilo  Calcagnini. 
Par  ordre  de  Borso,  Gherardo  di  Andréa  da  Vicenza  envoya  à 
Venise  un  dessin  pour  servir  de  modèle  à  un  orfèvre  qui 
devait  faire  deux  grands  hoccali  d'argent. 

En  même  temps,  les  Vénitiens  continuèrent  à  posséder  le 
monopole  de  la  joaillerie.  Le  duc  acheta  de  Matteo  Fiore  un 
rubis  et  un  diamant  (1467).  Lorenzo  et  les  frères  de  Zorzo  di 
Niccolô  vendirent  à  Borso  des  bijoux  pour  une  somme  de  trois 
mille  deux  cents  ducats  d'or,  et  Francesco  di  messer  Aloise  pro- 
cura au  même  client,  moyennant  douze  mille  ducats,  un  dia- 
mant hors  ligne  (1455),  celui  peut-être  que  le  souverain  de 
Ferrare  avait  coutume  d'attacher  sur  son  épaule  ou  sur  son 
béret. 

Outre  Milan  et  Venise,  plusieurs  des  villes  de  l'Italie  four- 
nirent à  Borso  des  orfèvres  et  des  joailliers.  M.  Venturi  cite 
Jacopo  da  Cavalletto  da  Verona,  qui  fit  une  boîte  ornée  d'un 
médaillon  de  saint  Louis   (1450);  Alessandro  de'  Baldoini  da 


(1)  Il  ne  doit  pas  être  confondu  avec  Pietro,  fils  d'Aïuadio.  —  C'est  peut-être 
Pietro  Artignone  qui,  sous  le  nom  de  Pietro  da  Milano,  vendit  en  1477,  moyen- 
nant trois  cents  ducats  d'or,  un  miroir  au  duc  Hercule  I"  d'Esté.  (x\d.  Ventcrt, 
article  dans  la  Rivisln  storica  italiana,  année  IV  (1887),  fasc.  III,  p.  593.) 


LIVRE   TROISIEME.  571 

Parma,  citoyen  de  Ferrare  (1452)  ;  Giovaiini  da  Creniona,  qui 
grava  un  sceau  pour  l'office  des  Douze  Sages  (1458)  ;  Lorenzo 
\ersaglia  da  Modena,  auteur  d'ornements  pour  deux  armures 
que  le  duc  envoya  comme  cadeaux  au  roi  de  Bosnie  (1459); 
Lodovico  da  Foligno,  qui  donna  à  Borso  une  médaille  du  mar- 
quis Lionel  (1464),  et  qui,  six  années  auparavant,  avait  encouru 
une  condamnation  parce  qu'il  avait  doré  des  objets  en  cuivre 
avec  une  intention  frauduleuse  et  monté  dans  de  l'or  pur  des 
diamants  faux  (1)  ;  Damiano  delPolesine  di  Sant' Antonio  (1462); 
Jacopo  da  Fondi,  qui  s'employa  à  décorer  des  harnais  pour  le 
cheval  du  duc  (1464)  ;  Cristoforo  da  Mantova  (1466);  Francesco 
d' Arqua  (1467);  Antonio  d'Albarea,  qui,  avec  Frayicesco  Fiixaro , 
travailla  en  1466  pour  Blanche  d'Esté  (2)  ;  Fi^anc/nno  da  Cre- 
mona  (1468);  Zohane  Jacopo  da  Piacenza,  qui  broda  un  vête- 
ment pour  Albert  d'Esté  ;  JSiccolo  délia  Mirandola ,  qui  fournit 
des  clous  en  cuivre  pour  des  rênes  de  cheval  (1471);  Barto- 
lomnieo  Sperandio  da  Mantova,  dont  nous  avons  déjà  signalé  la 
présence  à  Ferrare  sous  le  règne  de  Lionel  (p.  566),  et  qui, 
en  1451 ,  exécuta  une  licorne  d'argent  pour  le  podestat  ;  enfin, 
un  autre  Sperandio,  également  originaire  de  Mantoue,  qui 
loua  une  maison  à  Ferrare  en  1467  et  qui,  à  partir  du  12  mars 
1468,  devint  un  des  salariés  de  la  cour.  D'après  M.  Venturi, 
cet  orfèvre  est  probablement  le  même  personnage  que  le  mé- 
dailleur  du  même  nom. 

A  côté  des  Italiens,  un  Écossais,  Andréa  del  fu  Frondosio, 
et  deux  Allemands  figurent  sur  les  livres  de  dépenses  de 
Borso.  Les  deux  Allemands  s'appelaient  Simone  di  Giacomo  et 
Giovanni  (3).  Le  premier  exécuta  plusieurs  pièces  pour  la 
cathédrale,  notamment  le  reliquaire  en  argent  doré  et  émaillé 
qui  renferme  le  bras  de  saint  Maurelio  (4)  et  que  l'on  peut  voir 
encore;  le  second  émailla  trois  bijoux  d'or  (1464).  —  Maître 

(1)  Nous  reparlerons  de  lui  dans  le  chapllre  consacre  aux  médailles. 

(2)  Il  Fece  maicte,  ancinelli,  tremolanti  ciargento.  » 

(3)  L.-N.  CiTTADELLA,  Notizic  relative  a  Ferrara,  t.  I,  p.  79,  81. 

(4)  Ce  reliquaire,  comnicncé  en  1455  et  livré  le  7  février  1456,  coûta  trois 
cent  cinquante-six  lire  et  quatre  soldi.  Après  1470,  le  nom  de  Simone  dispa- 
rait. 


572  L'ART    FERRARxVIS. 

Michèle  t'tait  Espagnol.  Le  28  juin  1493,  Isabelle  d'Esté,  mar- 
quise de  Mantoue,  envoya  à  un  certain  Barono,  demeurant  à 
Ferrare,  un  diamant  qui  devait  être  enchâssé  par  Michèle  dans 
une  bague  qu'elle  voulait  offrir  à  sa  mère.  Elle  commanda  au 
même  orfèvre,  en  l  494,  une  aiguillette  d'or  émaillëe,  comme 
celles  qu'il  lui  avait  déjà  faites,  et,  en  1495,  une  paire  de 
ferrets  d'or  émaillés.  Le  15  mai  1496,  elle  écrivit  à  messire 
Francesco  de  Gastello  qu'elle  avait  reçu  un  bijou  avec  trois 
rubis  et  des  diamants,  une  rosette  de  diamants  et  un  diamant 
en  pointe  très  bien  monté  :  «  Nous  louons,  disait-elle,  maître 
Michèle  de  ses  ouvrages.  ■>■>  Peu  après,  elle  chargea  Michèle 
démailler  un  bracelet  d'or  ;  elle  le  paya  le  15  février  1497  et 
lui  commanda  d'autres  émaux.  Par  l'intermédiaire  de  Giro- 
lamo  Giglioli,  elle  le  chargea  plus  tard  d'autres  travaux,  et  le 
18  avril  150:2  Michèle  réclama  à  la  marquise  le  prix  des  bot- 
tessele  (Toro  et  des  maiete  d'oro  smaltate  exécutées  sur  son 
ordre  (1). 

Quelques  Ferrarais  essayèrent  de  rivaliser  avec  les  artistes 
venus  du  dehors.  Alberto  de'  Contrari  travailla  spécialement 
pour  Albert  d  Este,  et  disposa,  par  ordre  de  celui-ci,  quatre 
cent  dix-huit  rubis  sur  les  broderies  d'un  vêtement  de  Galca- 
gnini.  Il  fit  une  pendeloque  destinée  à  un  collier  de  Borso  et 
une  autre  pendeloque  qui  fut  donnée  par  le  duc  au  chevalier 
Giacomo  degli  Ingrati.  Le  3  juillet  1480,  le  marquis  de  Man- 
toue envoya  à  Ferrare  son  orfèvre,  Lodovico  da  Bologna,  et 
pria  Alberto  Contrario  de  montrer  à  celui-ci  et  de  lui  laisser 
dessiner  des  colliers  et  des  chaînes  d  or  qu'il  était  en  train  de 
faire  pour  le  duc  Hercule  P'  (2).  —  Novello  de'  Novelli ,  après 
avoir  pratiqué  l'orfèvrerie,  succéda,  en  1466,  à  Tommaso  di 
Piva  da  Genova  comme  directeur  de  la  Monnaie.  —  Il  est 
probable  que  Bastiano  de'  Sardi,  créancier  de  Nicolas  d  Este 
en    1470,  était  aussi  Ferrarais.  —  Notons,  en  outre,  Sigis- 

(1)  A.  Beutolotti,  Le  arti  minori  alla  cotte  di  Mantova,  dans  V Archivio  sto- 
rico  lombai-do,  année  XV,  fasc.  II,  30  juin  1888,  p.  288,  et  année  XV%  fasc.  III, 
p.  491. 

(2)  Un  autre  artiste  nomme  Alberto  da  Ferrava  fut  à  la  fois  orfèvre  et  peintre. 
Il  sera  question  de  lui  plus  loin,  à  propos  de  la  peinture  sous  Hercule  \". 


LIVRE   TROISIEME.  573 

mondo  Trotto,  à  qui  Alphonse  d'Esté  fit  faire,  en  1498,  deux 
objets  destinés  à  la  marquise  de  Mantoue.  Nous  ne  savons  le 
nom,  ni  de  l'argentier  du  duc  de  Ferrare  auquel  Isabelle 
d'Esté,  par  l'intermédiaire  de  Gigliolo,  commanda  des  flam- 
beaux en  1518,  ni  de  l'orfèvre  qui  lui  procura  deux  ampoules 
d'argent,  un  calice  et  une  patène. 

Sur  Ercole  de  Ferrare  [Ercole  de'  Fi'deli),  M.  A.  Berto- 
lotti  (1)  et  surtout  M.  Charles  Yriarte  (2)  ont  fourni  des  ren- 
seignements assez  étendus.  Ercole,  qu'on  ne  doit  pas  con- 
fondre, comme  l'avait  fait  d'abord  M.  Yriarte,  avec  Hercule  de 
Pesaro,  orfèvre  qui  travailla  au  Vatican  sous  Jules  II,  était 
originaire  de  Sesso ,  fraction  de  la  commune  de  Reggio ,  et 
appartenait  à  une  famille  israélite,  àla  famille  de'  Fideli.  Venu 
de  bonne  heure  à  Ferrare  sous  le  nom  de  Salomone  da  Sesso, 
il  gagna  par  ses  ouvrages  d'orfèvrerie  la  faveur  du  duc  Her- 
cule I",  se  convertit  au  catholicisme,  peut-être  à  l'instigation 
de  son  puissant  protecteur,  et  prit  le  nom  d'Ercole.  La  femme 
qu'il  épousa  s'appelait  Eleonora.  Il  en  eut  trois  fds  :  Alfonso, 
Ercole  et  Ferrante,  et  trois  filles,  dont  l'une  s'appelait  aussi 
Eleonora  :  tous  ces  noms,  portés  dans  la  famille  ducale,  indi- 
quent le  prix  que  l'orfèvre  attachait  au  patronage  des  Este  et 
la  considération  dont  il  jouissait  auprès  d'eux.  Un  autre  fait  le 
prouve  également  :  deux  des  enfants  d'Ercole  de'  Fideli,  Eleo- 
nora et  Alfonso,  figurèrent  dans  le  cortège  donné  à  Lucrèce 
Borgia  quand  elle  se  rendit  de  Rome  à  Ferrare  pour  épouser 
Alphonse,  fils  d'Hercule  l"  (1502).  Ercole  de  Ferrare  associa 
aux  travaux  exécutés  dans  son  atelier  Alfonso,  puis  Ferrante. 
Le  25  novembre  1491,  il  était  déjà  au  service  du  duc,  et  on  le 
désignait  par  ces  mots  :  «  Mastro  Erchule  da  Seso  orevesce.  » 
Jean   François   Gonzague  lui    écrivit  le   8   février   1495,  lui 

(1)  A.  Rertolotti,  Le  arli  tninoii  alLi  coite  di  Mantova,  ilans  VArcliivio  sto- 
rico  lombardo ,  année  XV,  fasc.  II,  30  juin  1888,  p.  288.  —  Artisti  in  rela- 
zione  coi  Gonzaija.  Moilena,  1885,  in-8",  p.  87,  88,  90-91.  —  Le  arli  minori 
alla  corle  di  Mantova ,  dans  V Aicliivio  storico  lombardo,  année  XV,  fasc.  III, 
p.  492. 

(2)  Gazette  archéologique  1888,  p.  67-78,  130-142.  —  César  Borgia,  2  vol. 
in-8",  1889.  —  Autour  des  Borgia,  in-4",  1891,  p.  141  et  suiv. 


574  L'ART    FERRARAIS. 

imputant  de  fausses  accusations  contre  les  Juifs  de  Mantoue, 
et  révoqua  un  sauf-conduit  accordé  à  lui  et  à  ses  collègues, 
Q.  B.  Ippolito  et  Leone.  Avec  Isabelle  d'Esté,  femme  de  Jean- 
François  Gonzague,  les  rapports  d'Ercole  furent  fréquents.  Le 
17  août  1501 ,  il  expédia  à  la  princesse  des  bracelets  qu'il  avait 
commencés  depuis  le  mois  de  janvier  ;  il  s'excusa  de  son  retard 
en  alléguant  la  délicatesse  du  travail.  Très  contente  de  ces 
objets,  la  marquise  de  Mantoue  témoigna  sa  satisfaction  non 
seulement  à  Ercole,  mais  à  Alfofiso,  fils  d'Ercole,  qui  avait  pris 
part  au  travail,  et  leur  commanda  une  douzaine  de  boutons 
d'or. 

En  1501,  il  s'agit  d'autres  bijoux.  Dans  une  lettre  écrite  le 
A  octobre  et  signée  «  Seruus  Hercules  aurifex  iiu'^'^  Z)'  ducis  Fer- 
rarie  »  ,  l'artiste  s'excuse  de  n'avoir  pas  tenu  ses  engagements, 
«  parce  qu'il  a  dû  satisfaire  d'abord  celui  qui  avait  le  droit  de 
lui  commander  (1)  «.  C'est  seulement  le  1 1  août  1505  qu'il 
livre  les  objets  promis,  et,  le  21  août,  Isabelle  écrit  à  Hieronino 
Zilliolo  ou  Gigliolo,  un  de  ses  agents  à  Ferrare  :  «  Nous  avons 
reçu  votre  lettre  en  même  temps  que  les  bracelets  ;  ils  sont 
tellement  beaux  et  d'un  travail  si  supérieur,  que  nous  oublions 
les  retards  de  l'orfèvre  ;  nous  louons  beaucoup  maître  Ercole 
et  ses  fils  de  l'œuvre  si  élégante  sortie  de  leurs  mains,  et  nous 
vous  louons  vous-même  de  toute  la  diligence  dont  vous  avez 
fait  preuve.  Quant  à  notre  illustrissime  frère,  vous  lui  rendrez 
des  grâces  infinies;  nous  reconnaissons  que  c  est  à  lui  que  nous 
devons  ces  bijoux;  sans  lui,  en  effet,  sans  son  autorité  et  le 
parti  qu'il  avait  pris  de  mettre  l'artiste  en  prison  dans  le  Cas- 
tello,  je  crois  que  de  sa  vie  Ercole  n'aurait  livré  son  œuvre  (2) . 
Quant  au  prix  du  travail  qu'il  demande,  véritablement  il  ne 
mérite  pas  un  bolognino  de  moins  que  les  vingt-cinq  ducats. 
Mais  comme,  il  y  a  des  années  déjà,  nous  lui  avons  donné 
d'avance  vingt-cinq  ducats  pour  nous  faire  des  boutons  d'or 

(1)  Du  service  d'Hercule  1"  il  avait  passé  à  celui  tl'AIphonse  I".  Alphonse  I" 
succéda  à  son  père  le  26  janvier  1505. 

(2)  «  Dans  une  autre  lettre  à  l'artiste,  dit  M.  Yriarte,  Isabelle  le  menace  de  le 
faire  enfermer  dans  le  Batti-Ponte  du  Castello  de  Mantoue.  s'il  persiste  à  ne  pas 
livrer  un  travail  commandé.  » 


LIVRE   TROISIEME.  575 

qu'il  n  a  jamais  exécutés,  vous  pourrez  lui  dire  que  l'un  com- 
pensera l'autre.  Cependant,  afin  qu  il  reconnaisse  à  quel  prix 
nous  estimons  son  travail  et  son  talent,  vous  lui  donnerez  en 
sus  six  ducats,  plus  deux  autres  pour  le  prix  de  l'or  qu'il  pré- 
tend lui  être  dû,  ce  qui  fera  douze  ducats  (I).  '> 

On  voit,  par  cette  lettre,  comment  les  princes  d'alors  obte- 
naient satisfaction  des  artistes  trop  négligents.  Leur  argument 
décisif  était  la  prison.  Isabelle  d'Esté,  malgré  sa  bienveillance 
habituelle,  ne  le  réprouvait  pas  et  l'invoquait  elle-même  à 
l'occasion.  Personne  plus  qu'elle,  cependant,  ne  prisait  l'habi- 
leté d'Ercole  de  Ferrare,  à  en  juger  parles  commandes  qu'elle 
ne  cessait  de  lui  faire.  Le  20  mai  1512,  elle  lui  demanda  un 
couvercle  d'or  pour  une  boîte  à  parfums  ;  ne  l'ayant  pas 
encore  reçu  en  I51G,  elle  en  avertit  Gigliolo,  qui,  à  la  suite  de 
quelques  pourparlers  sans  résultat,  prononça,  de  son  côté,  le 
mot  de  prison,  puis  se  radoucit  en  constatant  que  l'ouvrage, 
assez  avancé  déjà,  serait  d'une  rare  élégance.  Le  couvercle  fut 
livré  le  16  août  et  satisfit  pleinement  la  marquise,  qui  oublia 
tousses  griefs.  En  1518,  Ercole  eut  à  faire  pour  Isabelle  un 
libretto  etde  nouveaux  bracelets  qu'il  ne  se  pressa  pas  d'exécuter. 

Il  n'était  pas  seulement  très  bon  orfèvre.  Il  grava  aussi  des 
épées  et  des  fourreaux  en  cuir  repoussé,  et  il  excellait  telle- 
ment dans  ce  genre  de  travail  qu'on  lui  en  commandait  par- 
tout en  Italie  et  même  en  Allemagne.  C'est  à  lui  qu'est  due  la 
fameuse  épée  de  César  Borgia  qui  se  trouve  à  Rome  dans  la 
f^imille  des  Gaëtani,  chez  le  duc  Onorato  de  Sermoneta,  et  dont 
le  fourreau  appartient  au  Kensington  Muséum.  Dans  VArmeria 
de  Turin,  on  peut  voir  trois  lames  courtes  avec  des  nielles  aux 
armes  d'Alphonse  I",  duc  de  Ferrare.  Au  Louvre  se  trouve 
l'épée  d'apparat  faite  pour  Jean-François  Gonzague ,  mari 
d'Isabelle  d'Esté  (2).  Il  existe  aussi  une  cinquedea  (3)  avec  son 

(1)  Autour  des  Borgia,  p.  200-201. 

(2)  La  Vierge  de  la  Victoire,  par  Mantcgiia,  et  une  petite  statue  éaueslre, 
dont  Sperandio  est  peut-être  l'auteur,  forment,  au  Louvre,  avec  l'épée  faite  par 
Ercole  de'  Fideli,  un  précieux  ensendjle  d'ouvrajjes  rappelant  le  prétendu  vain- 
queur des  Français  à  la  bataille  de  Fornoue. 

(3)  La  cincjuedea  ou  cinijuedita  est  une  épéc  cpurte  à  lame  larjje. 


576  L'ART    FERRARAIS. 

fourreau  et  un  autre  fourreau  au  musée  d'artillerie  des  Inva- 
lides, une  épée  au  musée  de  Cluny,  et  une  cinqaedea  dans  la 
collection  Spitzer  (1).  Le  Museo  civico  de  Bologne,  le  Musée  de 
Tzarskoë-Selo  en  Russie,  la  Tour  de  Londres,  Tarsenal  et  le 
Musée  d'Ambras  à  Vienne,  le  Musée  national  d'armes  à  Berlin, 
sans  compter  plusieurs  collections  particulières ,  possèdent 
également  des  spécimens  du  talent  d'Ercole  de  Ferrare  comme 
graveur  d'épées.  Au  Musée  de  Berlin,  cet  artiste  est  même 
représenté  par  un  certain  nombre  de  dessins  (2). 

Les  caractères  distinctifs  des  œuvres  d'Ercole  de'  Fideli  ont 
été  très  finement  analysés  par  M.  Yriarte  (3).  Ercole,  qui  a  dû 
se  trouver  à  Rome  en  même  temps  que  Pinturicchio  (4),  s'est 
souvent  inspiré  des  décorations  peintes  par  celui-ci  dans  les 
appartements  Borgia.  Il  se  montre  en  même  temps  passionné 
pour  les  bas-reliefs  antiques,  auxquels  il  emprunte  une  foule 
de  détails.  La  pyramide  de  Sestius  et  la  tour  penchée  de  Pise 
sont  des  motifs  qu'il  se  complaît  à  reproduire,  sans  négliger 
les  fonds  d'architecture  et  les  villes  s'élevant  à  l'horizon.  On 
sent,  en  outre,  qu'il  a  suivi  maintes  fois  les  conseils  des  huma- 
nistes dans  ses  compositions.  Il  représente  toujours  des  per- 
sonnages nus  ou  vêtus  de  draperies  légères.  Il  exagère  la  lon- 

(i)   Collection  Spitzer,  t.  VI,  n"  108. 

(2)  Quelques-uns  de  ces  dessins,  ainsi  que  les  cpées  et  les  fourreaux  les  plus 
remarquables  exécutés  par  Ercole,  sont  reproduits  dans  l'ouvrage  de  M.  Yriarte 
intitulé  :  Autour  des  Borgia. 

(3)  Autour  des  Borgia,  p.  184-187. 

(4)  Plusieurs  autres  orfèvres  ferrarais  travaillèrent  à  Rome.  Giovanni  Maria, 
qui  était  en  outre  sculpteur.  Ht  plusieurs  tètes  d'après  le  Pape  pour  les  monnaies 
pontificales  (22  février  1493).  —  Maître  Girolamo  da  Ferrara  reçut,  le  9  juin  1550, 
quatorze  ducats  d'or  à  l'occasion  d'une  commande  exécutée  sur  l'ordre  de  Sa 
Sainteté  pour  le  cardinal  da  Monte.  —  Maître  Bartolomeo  Perino  est  mentionné 
dans  un  {jrand  nombre  d'actes.  Le  25  juin  1560,  il  reçut  soixante-cinq  écus  il'or 
en  or  pour  une  couronne  d'agate  envoyée  à  la  cour  de  l'Empereur.  Il  fut  long- 
temps consul  et  trésorier  de  la  corporation  des  orfèvres,  corporation  qui  se  réu- 
nissait dans  l'église  de  Saint-Eloi.  Malgré  la  considération  dont  il  jouissait,  il  fut 
un  jour  souffleté  par  un  peintre  de  Ferrare  :  l'affaire  fut  arrangée,  {;ràce  à  plu- 
sieurs de  ses  compatriotes,  familiers  du  cardinal  d'Esté.  C'est  le  19  septem- 
bre 1563  que  Perino  mourut.  —  Enfin,  en  1571,  Lorenzo  da  Ferrara  eut  à 
répondre  devant  la  justice  de  quelques  légères  blessures  faites  à  un  marchand  de 
poisson.  (A.  Bertolotti,  Ârtisli  bolojnesi,  ferraresi  edalcuni  altri  nel  gia  stato 
pontijicio  in  Roina.  1885.) 


LIVRE   TROISIEME.  577 

gueur  des  membres  et  donne  volontiers  aux  gestes  de  ses 
figures  quelque  chose  d'excessif.  Dans  ses  divers  ouvrages,  il 
ne  craint  pas  de  se  répéter.  II  varie  ses  efforts  suivant  la  rétri- 
bution stipulée  ou  le  rang  de  ceux  pour  lesquels  il  travaille. 

Né  vers  1465,  il  mourut  entre  1518  et  1521.  Nous  avons 
relaté  une  commande  qui  lui  avait  été  faite  en  1518  par 
Isabelle  d'Esté.  En  1521,  sa  veuve  Éléonore  se  joint  à  ses 
trois  filles,  non  encore  mariées,  et  à  sa  belle-fille  Sapuncia, 
femme  d'Alfonso,  son  fils  aîné,  pour  intercéder  auprès  d'Isa- 
belle d'Esté  en  faveur  d'Alfonso,  qui,  ayant  engagé  des  objets 
d'orfèvrerie  commandés  par  cette  princesse,  avait  été  mis  en 
prison  (1). 

Les  orfèvres  dont  les  livres  de  dépenses  n'indiquent  pas 
Torigine  ne  furent  pas  moins  nombreux  que  les  autres.  A  cette 
catégorie  appartiennent  Piero  dalle  Guaine  (1453)  ;  Prospéra 
Corona  [\à'^o)\  Giacomo  Magnano  (2),  qui  occupait  une  bou- 
tique dans  le  quartier  de  Saint-Paul  et  mourut  en  1464,  lais- 
sant comme  successeurs  deux  fils  nommés  Gio.  Maria  et  Liido- 
vico  (3)  ;  Verde  di  Bêlai,  qui  fit  deux  sceaux  pour  l'office  des 
faUori[\Ao~i)  et  grava  sur  un  autre  sceau  un  grand  aigle  (1470)  ; 
Francesco  Fusaro,  que  nous  avons  déjà  mentionné  (1457- 
1466)  ;  le  joaillier  Zflîncî/o/^o  (1464)  ;  Baldissera  Lanzollo  {\  iQO- 
1465)  ;  Girolamo  di  Bellrame,  qui  vendit  plusieurs  choses  à 
Blanche  Marie  d'Esté  (1463);  Alessandro  (1461-1464);  Pier 
Giacomo  delli  Apopolini  (1465)  ;  Lachi  de  Malacise  (1466)  ; 
Alberto  Trombone,  Francesco  Nevola  (1468)  et  Paolo  de^  Renal- 
dinis.  Le  1""  avril  1501,  ce  dernier,  qui  était  non  seulement 
orfèvre,  mais  ingénieur  militaire,  écrit  à  Jean-François  Gon- 
zague  afin  de  lui  exprimer  ses  regrets  de  n'avoir  pu,  pendant 
un  voyage  à  Mantoue,  parvenir  à  lui  parler  et  à  lui  montrer 

(1)  Alfonso  avait  été  le  principal  collahoratcur  de  son  père  et  possédait  sans 
doute  un  talent  distingué,  car,  en  1519,  la  duchesse  de  Manloue  l'avait  char{;é  de 
faire  pour  elle  des  boutons  d'or. 

(2)  En  1454,  il  exécuta  pour  Gurone  et  Rinaldo,  frères  du  duc,  un  calice  d'ar- 
{jent  orné  d'émaux,  et  une  patène. 

(3)  Ludovico  fournit  en  1465  à  INiccolô  di  Mcliadusc  d'Esté  des  nielles  pour 
garnir  une  ceinture  en  argent. 

I.  37 


578  L'AUT    FERUAUAIS. 

certains  lavori  di  cavalli.  En  même  temps,  Paolo  de'  Renaldinis 
promet  au  marquis  de  lui  communiquer  un  secret  pour  forti- 
fier le  bastion  de  la  Portella  Predella,  à  Mantoue,  quand  le 
marquis  viendra  à  Ferrare. 

La  faveur  d'Hercule  P"^  ne  fit  pas  plus  défaut  à  Amadio  que 
celle  de  ses  deux  prédécesseurs.  C'est  Amadio  qui  ^rava  les 
nouveaux  sceaux  de  la  chancellerie.  D'Éléonore  d'Aragon  (1), 
duchesse  de  Ferrare,  il  reçut  aussi  plus  d'une  commande.  Le 
17  avril  1482,  il  vivait  encore  ;  mais  à  partir  de  cette  date  il 
n'est  plus  mentionné  que  comme  n'étant  plus  au  nombre  des 
vivants.  Quand  il  mourut,  il  était  débiteur  envers  Madonna 
Lucia,  femme  d'un  de  ses  fils  nommé  Battista,  de  deux  cents 
lire  qu'il  avait  empruntées  à  la  dot  de  sa  belle-fille.  Afin  d'ac- 
quitter une  partie  de  cette  dette,  ses  fils  implorèrent  d'Her- 
cule I"  le  payement  de  cent  dix  lire  dues  à  la  succession  d' Amadio 
pour  les  grands  chandeliers  d'argent  de  la  chapelle  ducale,  sur 
le  prix  desquels  Amadio  n'avait  touché  qu'un  acompte.  Le  duc 
donna  l'ordre  de  régler  cette  affaire  au  plus  vite,  mais  ses 
agents  ne  se  pressèrent  pas,  car  les  héritiers  de  l'illustre  orfèvre 
renouvelèrent  leurs  réclamations  le  10  décembre  1496. 

Amadio  laissa  cinq  fils  :  Pieiro,  dont  le  nom  apparaît  pour 
la  première  fois  en  1476,  Battista  ou  Giamhaltista,  Tommaso, 
Francesco  et  Gian  Francesco.  Pietro  et  Battista  suivirent  la 
carrière  paternelle.  Le  premier,  qu'on  a  eu  le  tort  de  vouloir 
identifier  avec  le  médailleur  Pietro  da  Milano  (Petrus  de  Me- 
diolano)  (2),  semble  avoir  été  le  plus  habile  :  on  le  trouve,  en 

(1)  Les  témoignages  du  goût  de  cette  princesse  pour  les  beaux  bijoux  sont 
nombreux.  Écrivant  à  Bartolomeo  de'  Cavalieri,  amlîassadeur  de  Ferrare  à 
jSapIes  (1484),  elle  lui  recommande  de  mettre,  au  besoin,  toute  la  ville  sens  des- 
sus dessous  pour  trouver  un  orfèvre  babile  à  faire  des  chaînes,  des  colliers,  des 
garnitures  de  ceintures,  et  elle  le  prie  de  s'entendre  avec  le  comte  Maddaloni  et 
avec  le  vieux  maître  Franze,  «  orejice  digno  »  .  C'était  peut-être  l'orfèvre  dont  Rai- 
bolini  fut  l'élève  et  auquel  celui-ci  dut  son  surnom  de  Francia;  il  se  sera  retiré  à  la 
cour  d'x\ragon  dans  un  âge  avancé.  — En  1488,  Francia  vendit  à  Eléonore  d'Ara- 
gon quelques  toiles  et  quelques  ouvrages  en  or.  (Ad.  Vestitri,  Archivio  storico 
delV  arte,  juillet-août  1890,  p.  286  et  p.  287,  note  3.) 

(2)  Pietro,  fds  d'Amadio,  dans  tous  les  documents  où  il  est  question  de  lui,  est 
appelé,  non  Pietro  da  Milano,  mais  l'iero  de  m°  Amadio  orevese  ou  simplement 
Piero   de   Amadio.    Pietro    da   Milano  travailla  pour    René  I"   d'Anjou;   selon 


LIVRE   TROISIEME.  579 

effet,  mentionné  seul  à  Foccasion  de  travaux  exécutés  en 
commun;  il  mourut  probablement  en  1484,  car  ses  frères  de- 
mandèrent alors  au  duc  le  solde  de  ce  qui  lui  était  dû  pour 
avoir  fourni,  à  l'époque  de  la  guerre  avec  les  Vénitiens,  les 
ornements  destinés  à  une  cuirasse  d'Alphonse  d'Esté  et  ceux 
d'un  vêtement  de  dame,  des  émaux  appliqués  sur  les  armes  de 
deux  hérauts  du  duc,  des  chaînes  d'or,  un  émail  placé  sur  le 
devant  d'un  casque,  deux  vases,  trois  sceaux,  les  ornements 
d'une  reliure  pour  le  livre  des  Cent  Nouvelles,  une  petite  boîte 
avec  une  aiguille  aimantée,  enfin  une  ceinture  d'argent  pour 
Madonna  Lucrezia.  Après  la  mort  de  Pietro,  Battista  continua 
à  être  honoré  des  commandes  de  la  cour.  Alfonse  d'Esté  lui 
fit  faire  vingt-huit  paires  d'armoiries  en  argent  pour  ses  fau- 
cons et  divers  autres  objets  en  argent,  mais  ce  sont  surtout 
des  sceaux  qu'on  le  chargea  d'exécuter.  lien  livra  un  en  1490, 
lors  du  mariage  d'Isabelle  d'Esté;  il  en  remit  deux  à  Anna 
Sforza,  quand  cette  princesse  eut  épousé  Alphonse,  fils  d'Her- 
cule I"  (1491),  et  deux  à  don  Ferrando  d'Esté  en  1493.  Bat- 
tista épousa  Lucia,  fille  du  peintre  Michèle  Ongaro,  et  fit  son 
testament  en  1483  «  à  cause  de  la  peste,  de  la  famine  et  [a 
guerre  »  .  Il  eut  une  fille  naturelle,  nommée  Paola. 

Parmi  les  orfèvres  occupés  à  Ferrare  pendant  la  période 
d'Hercule  I"  figurent,  entre  autres,  d'après  L.-N.  Gittadella, 
Gianagoslino,  Giovanni  da  Padova  (1472),  Baldassare  da  Prato 
(fin  du  quinzième  siècle).  Le  1 1  février  1475,  deux  orfèvres 
nommés  Filippo  et  Francesco  da  Venezia  furent  pendus  pour 
avoir  commis  des  vols  à  la  Monnaie  de  Ferrare.  Gio.  Battista 
Tedeschi,  fils  de  Simone  et  citoyen  de  Ferrare,  fit  des  encen- 
soirs pour  le  couvent  de  Saint-François  vers  1486.  Au  service 
du  cardinal  Hippolyte  I"  d'Esté  se  trouvait,  en  1497,  Médina, 
noble  espagnol,  orfèvre  et  joaillier. 

M.  Mïintz,  il  était  occupé  à  Rome  en  1485,  un  an  après  la  mort  du  Hls  d'Ama- 
dio.  (Ad.  Venturi,  article  sur  Les  médailleurs  de  la  Renaissance,  par  M.  IIeiss, 
dans  la  l'nvista  slorica  ilaliana,  année  III,  1886,  fasc.  I,  p.  150  ;  article  sur  Les 
placjuelles  de  la  Renaissance,  par  M.  Molimer,  dans  la  Bivista  stoiica  ilaliana, 
année  IV,  1887,  fasc.  III,  p.  591;  et  un  article  dansV Âichivio  stviico  lombardo, 
XII,  2,  1885.) 


580  L  AUT    l'ERRARAlS. 

Lucrèce  Borgia  dut  à  un  artiste  émérite,  à  Giannantonio  da 
Foligno,  dont  il  sera  question  dans  le  chapitre  consacré  aux 
médailles,  une  chaîne  d'or  battu,  que  mentionne  l'inventaire 
de  ses  bijoux.  Giannantonio  resta  longtemps  au  service  des 
Este  en  qualité  de  v-  faher  argentarîus  ^^  .  Ses  travaux  en  argent 
lui  acquirent  une  grande  renommée.  Pour  «  Sa  Seigneurie  "  , 
il  fit  en  1503  des  vases  avec  Francesco  Pavoni. 

Francesco  Pavoni  exécuta  d'importants  travaux  en  l'hon- 
neur de  la  famille  régnante.  Peut-être,  selon  M.  Venturi,  est- 
ce  lui  que  Ion  désigne  sous  le  nom  de  Médailleur  à  l'Amour 
captif,  et  qui  est  l'auteur  de  la  médaille  représentant  Lucrèce 
Borgia. 

Au  nombre  des  orfèvres  employés  par  cette  princesse,  on 
trouve  Zuan  Jacomo  de  Mantoue,  qui  était  aussi  sculpteur.  Elle 
lui  avait  commandé  un  objet  en  or  et  confié  un  rubis  et  un 
diamant,  quand  il  quitta  tout  à  coup  Ferrare.  Elle  écrivit  sur- 
le-champ  au  marquis  de  Mantoue  (13  juillet  1503),  pour  qu'on 
retrouvât  l'artiste  fugitif,  et,  le  19  juillet,  le  marquis  répondit 
qu'il  avait  ordonné  des  recherches,  restées  jusque-là  infruc- 
tueuses, mais  qu'il  ne  désespérait  pas  de  mettre  la  main  sur 
Zuan  Jacomo. 

La  renommée  des  objets  d'orfèvrerie  que  possédait  le  duc 
de  Ferrare  avait  pénétré  jusqu'à  Ludovic  le  More.  A  la  sollici- 
tation du  duc  de  Milan,  Jacopo  Trotti,  ambassadeur  d'Her- 
cule P",  écrivit  à  son  maître  en  1483  :  «  L'Illustrissime  Sei- 
gneur Ludovic  prie  Votre  Seigneurie  de  vouloir  bien,  par  égard 
pour  lui,  faire  exécuter  des  dessins  d'après  vos  grands  vases 
de  crédence.  Il  a  entendu  dire  que  tout  le  monde  s'extasiait 
en  les  a  oyant  si  beaux  et  si  bien  travaillés.  C'est  avec  instance 
qu'il  recommande  à  Votre  Excellence  de  lui  envoyer  le  plus 
promptement  possible  le  dessin  de  ces  vases.  J'en  prie  moi- 
même  Votre  Seigneurie.  »  Trois  ans  plus  tard  (5  février  1486), 
Ludovic  le  More  souhaita  d'avoir  le  dessin  d'autres  objets 
appartenant  à  Hercule,  et  il  adressa  la  lettre  suivante  à  Jacopo 
Trotti  :  «  Nous  voudrions  que  vous  écrivissiez  à  Votre  Illus- 
trissime Seigneur  pour  lui  rappeler  de  m'envoyer  le  dessin  de 


LIVRE   TROISIEME.  581 

son  argenterie  :  plus  il  y  mettra  de  promptitude,  plus  nous  lui 
en  serons  obligé.  » 

Si  la  ville  de  Ferrare  avait  attiré  un  assez  grand  nombre 
d'artistes  milanais,  la  ville  de  Milan  avait  garde  des  orfèvres 
d'un  réel  mérite  :  c'est  ce  que  prouvent  les  commandes  qui 
leur  furent  faites  par  les  princes  d'Esté  et  les  cadeaux  offerts 
à  ceux-ci.  Hercule  I"  acheta  en  147  i  à  Pagano  de  Reverii  des 
joyaux  pour  une  somme  de  cent  quatre-vingts  ducats  de  Venise, 
et  il  accepta  comme  payement  d'une  créance  en  1480  dix 
chandeliers  d'argent  doré  et  émaillé  aux  armes  des  Sforza. 
Ludovic  le  More  donna  au  même  duc  de  Ferrare  un  bâton  de 
capitaine  sur  lequel  était  représenté  Hercule  tuant  l'hydre  de 
Lerne.  A  l'occasion  des  noces  d'Isabelle  d'Esté,  Galeazzo  Trotti 
confia  un  petit  Office  à  maître  Lachi  pour  qu'il  y  apposât  des 
ornements  d'argent,  et  Jacopo  Trotti  fit  exécuter  à  Fra  Rocho, 
par  ordre  du  père  de  la  princesse,  un  petit  tableau  portatif  en 
argent  qui  coûta  six  cents  ducats  environ  et  fut  livré  au  com- 
mencement de  1490  (1).  Anna  Sforza,  après  son  mariage  avec 
Alphonse  d'Esté  h  Milan,  apporta  à  Ferrare  des  coffres  pleins 
d'argenterie.  Maître  Donato  fut  l'auteur  d'une  armure  que  Lu- 
dovic le  More  donna  à  don  Ferrando  d'Esté,  qui,  de  son  côté, 
acheta  en  1493  une  croix,  un  calice  et  quelques  chandeliers 
qu'il  emporta  en  France.  Un  petit  tableau,  dans  le  genre  de 
celui  qu'avait  reçu  Isabelle  d'Esté,  fut  ciselé  à  Milan  pour 
Béatrix  d'Esté  (1491)  (2),  et  un  coffret  d'argent,  valant  deux 
mille  quatre-vingt-deux  lire  et  huit  soldi,  fut  envoyé  en  1492  à 
la  duchesse  Éléonore  par  le  marquis  Stanga.  Enfin,  à  la  prière 
de  Gerolamo  Giglioli,  camarlengo  (3)  du  duc  de  Ferrare.  l'or- 
fèvre Giacomo  di  Guiglia  fit  exécuter  par  Amhrogio  da  Chirra 
ou  Chirate  deux  flacons  d'argent  {Jtaschi),  avec  chaînettes  et 
bouchons  de  même  métal,  que  Bartolomeo  Bresciani  et  Bel- 
trame  Costabili,  deux  personnages  ferrarais  qui  servirent  d'in- 


(1)  Fra  Rocho,  en  outre,  vendit  à  Hercule  I"  en  1492,  moyennant  liuit  ducats 
d'or,  une  moscheta  d'argent. 

(2)  11  coûta  deux  mille  deux  cent  trois  lue  et  dix  soldi. 

(3)  Le  camarlengo  était  l'administrateur  particulier  des  I)iens  du  prince. 


582  L'ART    FEURARAIS. 

termédiaires  entre  Ambrogio  et  le  prince,  vantèrent  h  l'envi 
dans  deux  lettres  à  leur  maître  :  «  Ces  flacons,  écrivit  l'un, 
vous  plairont  beaucoup  par  leur  forme  et  leur  façon,  v  «  Ils 
sont  beaux,  ajouta  l'autre,  et  le  maître  vous  a  bien  servi.  » 

Dans  le  cours  du  seizième  siècle,  l'orfèvrerie  fut  loin  aussi 
d'être  délaissée  à  Ferrare.  L.-N.  Cittadella  (l)  mentionne  un 
grand  nombre  d'orfèvres  qu'il  serait  fastidieux  d'énumërer. 
L'un  d'eux,  Marcus  Bartholinus,  se  pendit  en  1514  dans  la 
boutique  dont  l'évêque  lui  avait  donné  l'investiture  en  1502. 
Maitre  Francesco  Novelli  destina  par  son  testament  (1528)  deux 
cents  lire  à  la  construction  de  deux  petites  maisons  pour  les 
malheureux  et  laissa  cent  quatre-vingts  lire  au  Mont-de-piété. 
Bartolomeo  JSigrisole  travailla  aux  coins  des  monnaies  (1530). 
Severino  grava  sur  des  sceaux  les  armes  de  la  Commune. 
Maitre  François  fit  en  1536  une  boucle  pour  un  des  souliers 
en  velours  rouge  de  l'évêque,  un  coin  d'argent  pour  le  missel 
du  chapitre,  et  un  Christ  en  croix.  On  le  trouve  encore  occupé 
en  1541  par  le  chapitre  de  la  cathédrale. 

Pendant  le  séjour  qu'il  fit  à  Ferrare  en  1510  dans  le  palais 
de  Belfiore,  Benvetnito  Cellini  exécuta  pour  le  duc  Hercule  II 
un  bassin  et  un  petit  bocal  [hoccaletto).  Benvenuto  était  ac- 
compagné de  ses  élèves  Ascanio  et  Paolo  Romano,  qui  se  mirent 
au  service  du  cardinal  de  Ferrare  (2). 

Lilio  Vignon  travailla  pour  la  duchesse  Renée  jusqu'à  ce 
qu'elle  partît  pour  la  France.  Giovanni  Pomaiello  fit,  par  ordre 
d'Alphonse  II,  un  collier  dont  le  duc  voulait  faire  cadeau  au 
comte  Palla  Strozzi  (3).  En  1572,  le  Flamand  Iseppo,  «  excel- 
lente nella  sua  arte  »  ,  fut  pendu  comme  faussaire.  Antonio  Ra- 
vizza  fit  en  157-4  des  bracelets  d'or  enrichis  de  pierres  pré- 
cieuses pour  la  famille  Pio  de  Savoie. 

(1)  Notizie  relative  a  Ferrara,  t.  I,  p.  691. 

(2)  Jbid.,  t.  I,  p.  669. 

(3)  Ad.  Venturi,  Una  collana  di  Gio.  Pomatello,  dans  VArchivio  storico 
deW  arte,  octobre  1888,  p.  426. 


CHAPITRE  IV 

LES  MÉDAILLES  EXÉCUTÉES  A  FERRARE 

PAR  DES  ARTISTES  FERRARAIS  OU  REPRÉSENTANT 

DES  PERSONNAGES  DE  FERRARE. 


I 

VITTORE     PISANO,     DIT     LE    PISAXELLO. 
Né  vers  1380,  mort  probablement  en  1451. 

Pratiqué  par  les  Grecs  e£  par  les  Romains,  l'art  de  modeler 
et  de  fondre  ou  couler  les  médailles,  procédé  qui  permet  de 
donner  aux  pièces  une  plus  grande  dimension  et  un  plus  fort 
relief  qu'en  gravant  des  coins,  demeura  complètement  oublié 
pendant  plusieurs  siècles.  Il  fut  repris  à  la  fin  du  quatorzième 
par  des  artistes  dont  les  noms  sont  inconnus  aujourd'hui.  C'est 
ce  que  prouvent  les  médailles  de  P'rançois  I"  Carrare  et  de  son 
fils  exécutées  vers  1390,  ainsi  que  les  médailles  de  Constan- 
tin à  cheval  et  d'Héraclius  sur  un  char  à  trois  chevaux.  Ces 
médailles  sont  mentionnées  dans  les  inventaires  des  collec- 
tions du  duc  de  Berry,  inventaires  dressés  en  1401  et  en  1  402. 
Elles  ont  un  aspect  archaïque.  En  abordant  à  son  tour  l'art  des 
médailles,  rarement  pratiqué  jusque-là,  Pisano,  sous  l'impres- 
sion des  médailles  antiques  qu'il  avait  pu  voir  à  Rome  et  à 
Ferrare,  le  porta  presque  d'emblée  à  sa  perfection,  le  mit  en 
vogue  et  suscita  une  suite  ininterrompue  d'imitateurs  (I). 

(1)  Voyez  le  travail  sur  Pisano  que  nous  avons  public  dans  la  Gazette  des 
Beaux-Arts  (1"  novembre  1893,  1"  mars,  1"  mai,  1"  octobre  et  1"  décem- 
bre 1894). 


584  L'ART    FERRARAIS. 

Après  avoir  terminé  en  1432,  dans  l'église  de  Saint-Jean  de 
Latran,  à  Rome,  des  peintures  commencées  par  Gentile  da 
Fabriano,  il  passa  par  Ferrare,  où  l'attirait  sans  doute  la  pré- 
sence de  son  compatriote  Guarino,  célèbre  humaniste  devenu 
depuis  peu  le  maître  de  Lionel,  fils  du  marquis  Nicolas  III. 
Admis  auprès  du  jeune  prince,  qui  aimait  avec  passion  les  arts 
autant  que  les  lettres,  et  qui  possédait  une  importante  collec- 
tion de  médailles  antiques,  il  ne  tarda  pas  à  prendre  rang 
parmi  ses  familiers.  A  la  cour,  on  l'appréciait  vivement  comme 
peintre  (I).  On  ne  tarda  pas  à  le  louer  comme  médail- 
leur  (2). 

Les  plus  anciennes  pièces  qu  on  lui  attribue  représentent 
Nicolas  III.  Sur  lune ,  qui  a  cinquante-cinq  millimètres  de 
diamètre,  le  seigneur  de  Ferrare,  tourné  à  droite,  les  cheveux 
rasés  aux  tempes,  a  la  tête  nue;  une  inscription  en  creux  se 
compose  des  mots  suivants  :  «  JMcolai.  Marchio.  Estensis. 
Fer.  «  Au  revers,  les  lettres  N  M  accompagnent  l'aigle  des 
Este  et  les  trois  lis  que  Charles  VII,  roi  de  France,  leur  per- 
mit, en  1431,  de  joindre  à  leur  écusson  (3).  Sur  la  seconde 
médaille,  qui  a  beaucoup  plus  de  finesse  et  qui  est  un  peu  plus 
grande  (elle  a  cinquante-neuf  millimètres),  le  prince,  égale- 
ment tourné  à  droite,  est  coiffé  d'un  bonnet  et  est  désigné  par 

(1)  Voyez  dans  le  liv.  IV  le  ch.  i  consacré  à  la  peinture. 

(2)  Jusqu'alors  Ferrare  n'avait  eu  que  des  monnaies.  Le  23  mai  1164,  l'empe- 
reur Frédéric  I",  tout-puissant  à  Ferrare,  où  il  avait  pris  des  otages,  où  il  s'était 
arrogé  le  droit  de  nommer  les  consuls  et  les  podestats,  mais  où  il  accorda  ensuite 
aux  habitants  la  faculté  d'élire  leurs  magistrats  municipaux,  autorisa  les  Ferra- 
rais  à  battre  monnaie.  Deux  petites  monnaies  portent  le  nom  de  Frédéric  et  celui 
de  Ferrare  [dcnaro  et  bagaltino).  Le  droit  concédé  aux  Ferrarais  par  Frédéric  I" 
fut  confirmé  en  1191  par  Henri  IV,  fils  de  Barberousse. 

La  première  monnaie  frappée  au  nom  des  Este  est  de  iSVG  ou  1347.  Elle  le 
fut  sous  Obizzo,  fils  d'Aldobrandino.  C'est  un  mélange  de  cuivre  et  d'argent.  On 
voit  d'un  côté  l'aigle  des  Este  avec  les  lettres  o.  p.  z,  et  m  c  h  i  o,  de  l'autre 
le  mot  Fervara  et  les  armes  de  la  ville.  Ces  ferrarini  furent  supprimés  en  1358 
parce  qu'on  en  avait  fait  de  faux,  et  l'on  brûla  le  faux  monnayeur,  homme  de 
Gorbola. 

En  1382,  sous  Nicolas  le  Boiteux,  parurent  les  lire  de'  marchesini ,  monnaie 
d'argent  qui  fut  abolie  en  1659.  Cette  monnaie  équivaut  à  2  fr.  35.  (Caffi, 
Archivio  slorico  lombardo  du  30  septembre  1877.) 

(3)  La  même  médaille  de  Nicolas  III  se  présente  quelquefois  avec  un  revers 
où  il  y  a  seulement  les  lettres  n  m  e. 


LIVRE   TROISIEME.  585 

cette  inscription  :  «  Nicolai.  Marchio.  Estensis.  »  Le  revers, 
avec  l'aigle  et  les  lis,  est  entouré  d'une  couronne  de  laurier  (1). 
Les  avis  sur  l'authenticité  des  deux  médailles  de  Nicolas  III 
sont  partagés.  Tandis  que  M.  Heiss  est  porté  à  y  voir  la  main  de 
Guaccialotti,  MM.  Friedlaender  et  Umberto  Rossi  (2)  inclinent, 
comme  nous,  à  se  prononcer  pour  Pisano.  C'est,  dit-on,  à 
Ferrare  (nous  l'avons  déjà  relaté)  que  le  peintre  de  Vérone  eut 
l'idée  de  s'essayer  dans  l'art  des  médailles.  Or,  quoi  d'éton- 
nant qu'il  ait  d'abord  consacré  ses  efforts  à  reproduire  l'effigie 
de  son  hôte?  Comment,  aussi,  ses  premières  médailles  n'au- 
raient-elles pas  été  inférieures  aux  suivantes,  à  celles  qu'il  a 
jugées  dignes  d'être  signées?  Les  médailles  de  Nicolas  III,  du 
reste,  ne  sont  pas  dépourvues  de  caractère.  Pourquoi  n'eus- 
sent-elles pas  inauguré  la  série  des  pièces  authentiques? 

Le  concile  convoqué  par  le  pape  Eugène  lY  dans  la  capitale 
des  princes  d'Esté  en  1438  et  transporté  à  Florence  en  1439 
fournit  à  Yittore  Pisano  l'occasion  de  faire  une  curieuse  mé- 
daille qui  révèle  chez  lui  de  notables  progrès.  Elle  représente 
à  l'âge  de  quarante-huit  ans  Jean  VII  Paléologiie,  qui  était 
devenu  empereur  de  Constantinople  depuis  L425  et  qui  prit 
part  au  concile.  Le  personnage  est  vu  de  profil  à  droite;  il 
porte  toute  sa  barbe,  taillée  en  pointe;  ses  cheveux  bouclés 
tombent  jusque  sur  ses  épaules,  et  il  est  coiffé  d'un  étrange 
chapeau  en  forme  de  dôme,  avec  de  hautes  visières  relevées 
(  «  bizarro  coppel/o  alla  grecanica  »  ).  Au  revers,  on  voit  l'Empe- 
reur à  cheval,  priant,  les  mains  jointes,  devant  une  longue 
croix;  sa  monture  va  l'amble,  selon  l'habitude  imposée  sou- 
vent alors  aux  chevaux  en  Italie  et  adoptée  encore  en  Turquie. 
Derrière  lui  se  trouve  un  écuyer  dont  le  cheval  nous  montre 
sa  croupe.  Au  fond  se  dressent  des  rochers.  Cette  belle  mé- 
daille, non  datée,  mais  signée  :  «  Opiis  Pisani  picioris  (3)  »  ,  a 
cent  quatre  millimètres  de  diamètre.  La  galerie  des  Offices  à 

(1)  Voyez  la  reproduction  de  ces  deux  médailles  dans  le  fascicule  de  M.  IIeiSS 
sur  Pisanello,  p.  41. 

(2)  Arcliivio  storico  dclT  arte,  année  I,  fasc.  XI-XII,  p.  455. 

(3)  Sur  ses  médailles,  Pisano  s'intitule  ordinairement  peintre,  comme  Francia 
s'intitulait  orfèvre. 


586  L'AllT    FERRARAIS. 

l'iorence  en  possède  un  exemplaire  en  or.  On  sait  que  les 
princes  commandaient  parfois  quelques  exemplaires  soit  en 
argent,  soit  en  or,  pour  faire  des  cadeaux  à  de  grands  person- 
nages. Il  en  subsiste  peu  aujourd'hui.  Leur  valeur  matérielle 
a  causé  leur  destruction  :  on  les  fondait  pour  les  convertir  en 
monnaies.  C'est  ainsi  que  Ludovic  le  More,  dans  un  moment 
d'extrême  pénurie,  employa  une  partie  de  sa  collection  à 
frapper  quinze  mille  ducats.  La  médaille  de  Jean  Paléologue 
est  vraisemblablement  la  première  que  Pisano  ait  signée.  Fut- 
elle  faite  à  Ferrare  ou  à  Florence?  Il  y  a  de  sérieuses  présomp- 
tions en  faveur  de  Ferrare,  quoique  aucun  document  n'atteste 
la  présence  de  Pisano  dans  cette  ville  en  1  438.  Il  était  naturel 
que  le  célèbre  artiste,  venu  encore  en  1435  à  Ferrare  où  il 
avait  été  chaudement  accueilli,  se  sentît  attiré  vers  cette  ville 
au  moment  du  concile.  Ne  devait-il  pas  avoir  hâte  d'y  revoir, 
outre  les  amis  qu'il  y  avait,  Eugène  IV,  son  ancien  protecteur? 
Pour  un  homme  que  passionnèrent  ,  toujours  les  costumes 
pittoresques  ou  étrangers,  n'était-il  pas  intéressant  au  plus  haut 
point  d'avoir  sous  les  yeux  non  seulement  l'Empereur  et  sa 
cour,  mais  le  patriarche  de  Constantinople  avec  les  hauts  di- 
gnitaires de  son  clergé,  et  les  ambassadeurs  de  plusieurs  sou- 
verains de  l'Asie  avec  leur  suite?  Pourquoi  aurait-il  attendu 
toute  une  année  avant  de  s'accorder  ce  curieux  spectacle? 
Aucun  lien  ne  le  rattachait  aux  Florentins.  Que  de  bons  sou- 
venirs, au  contraire,  l'engageaient  à  reprendre  le  chemin  de 
Ferrare  !  On  sait  d'ailleurs  que,  sur  l'appel  de  Paola  Malatesta, 
femme  de  Jean-François  Gonzague,  il  se  rendit  à  Mantoue  en 
1439  (I),  ce  qui  semble  exclure  sa  présence  à  Florence  cette 
année-là.  Enfin,  Guarino  de  Vérone,  dans  le  poème  qu'il  com- 
posa en  son  honneur  (1438  ou  1439),  fait  allusion  au  por- 
trait de  l'empereur  d'Orient  par  Pisano  (2).  —  Un  dessin  pour 
la  face  de  la  médaille  représentant  Jean  Paléologue,   dessin 

(1)  D'Arco,  Délie  arti  mantovane,  t.  I,  p.  38. 

(2)  A.  Vesturi,  //  Pisanello  a  Ferrara,  dans  VArchivio  Veneto  (série  II}, 
t.  XXX,  parte  II,  1885.  —  G.  Campori,  I pittori  derjH  Estensi  nel  secolo  XV, 
dans  les  Atli  e  Memorie  délie  Deputazioni  di  storia  patria  per  le  provincie  inode- 
nesi  e  parmcnsi  (série  III,  vol.  III,  parte  II.  Modena,  tip.  Vincenzi,  1886). 


I 


LIVRE   TROISIEME.  587 

exécuté  à  la  pierre  noire,  d'après  nature,  et  provenant  du 
recueil  Yallardi,  est  exposé  dans  une  des  salles  du  Louvre 
(n°  1988  du  catalogue  de  M.  de  Tauzia).  Au  lieu  d'être  tourné 
à  droite  comme  sur  la  médaille,  le  profil  de  l'Empereur  est 
tourné  à  gauche. 

A  la  date  du  16  août  1441,  les  registres  des  princes  d'Esté 
mentionnent  le  payement  fait  à  un  batelier  pour  avoir  conduit 
Pisano  de  Ferrare  à  Mantoue.  L'illustre  médailleur  était  donc 
de  nouveau  à  Ferrare  en  1441,  et  c'est  à  cette  époque,  selon 
nous,  qu'il  aura  fait  les  trois  médailles  de  Lionel,  où  ce  prince 
a  seulement  le  titre  de  marquis  [Leonellus  marchio  Estensis),  son 
père  ayant  régné  jusqu'au  26  décembre  1441.  Deux  de  ces 
médailles  (diam.  69)  ont  la  même  face  :  Lionel,  tourné  à  droite, 
s'y  montre  la  tête  nue,  couvert  d'une  armure  à  écailles;  mais 
les  revers,  sur  lesquels  l'auteur  a  écrit  :  «  Opus  Pisanipictoris  »  , 
sont  différents  :  l'un  représente  une  tête  d'enfant  à  trois 
visages  (un  de  face  et  deux  de  profil)  entre  des  pièces  d'ar- 
mures suspendues  à  des  branches  d'olivier  (1);  l'autre,  un 
vieillard  et  un  jeune  homme  nus,  assis,  séparés  par  un  mât 
auquel  est  attaché  une  voile  violemment  gonflée  par  le  vent  (2), 
symbole  d'une  fermeté  que  rien  ne  peut  abattre  (3).  Sur  la 
troisième  médaille  (diam.  69),  le  buste  de  Lionel  est  tourné  à 
gauche.  Au  revers,  deux  hommes  nus,  debout,  se  faisant  face, 
portent  sur  leurs  épaules  des  corbeilles  remplies  de  rameaux 

(1)  Ainsi  que  l'a  fait  remarquer  M.  Ileiss,  on  trouve  une  tête  analo^jue  dans 
un  dessin  du  recueil  Vallardi,  dessin  exécuté  en  vue  d'une  médaille  d'Al- 
phonse V  d'Aragon,  roi  de  Naples  ^n"  71,  folio  61),  et  cette  tête  sert  d'orne- 
ment à  la  partie  de  l'armure  qui  couvre  l'épaule.  On  voit  également  un  masque 
d'enfant  à  triple  visage  dessiné  à  la  plume  sur  vélin  au  verso  du  dessin  n"  83 
de  la  collection  His  de  la  Salle  au  nmsée  du  Louvre.  La  signiticalion  de  cette 
tête  est  une  énigme  restée  jusqu'ici  sans  solution.  Une  petite  monnaie  des  Arsa- 
cides  et  les  armes  des  Trivulzi  contiennent  aussi  un  masque  d'enfant  h  triple 
visage. 

(2)  Une  épreuve  en  plomb  de  cette  médaille  existe  au  inusée  de  Berlin.  Les 
épreuves  en  plomb,  ciselées  avec  soin,  remplaçaient  quelquefois  les  modèles  en 
cire  ou  en  argile  et  servaient  à  faire  de  nouvelles  médailles. 

(3)  Selon  M.  Chabouillet,  le  mât  avec  une  voile  gonflée  «  avait  un  sens  reli- 
gieux et  exprimait  l'espérance  chrétienne  du  salut  par  la  croix  »  .  Le  màt,  en 
effet,  se  combine  avec  l'antenne  de  façon  à  former  une  croix.  (Voyez  la  Notice 
sur  un  ducat  d'or  inédit  de  Borso.) 


588  L'A  HT    FERRARAIS. 

d'olivier,  tandis  (juc,  derrière  eux,  deux  vases  fermés  reçoi- 
vent la  rosée  qui  tombe  en  gouttelettes  de  quelques  nuages. 

Les  trois  médailles,  avons-nous  dit,  durent  précéder  Tavè- 
nement  de  Lionel.  M.  Heiss  n'est  pas  de  cet  avis.  Suivant  lui, 
l'absence  du  titre  de  «  seigneur  de  Ferrare,  de  Reggio  et  de 
Modène  »  n'est  pas  la  preuve  positive  d'une  date  antérieure  à 
1441,  car  Lionel  est  simplement  appelé  «  marquis  de  Fer- 
rare  »  :  1"  sur  cinq  monnaies  indiquées  par  Vincenzo  Bellini 
[Trattato  délie  monete  di  Ferrara.  Ferrara,  1761,  p.  120)  (1), 
monnaies  qui  ne  peuvent  avoir  été  frappées  sous  Nicolas  III, 
puisqu'elles  le  furent  en  vertu  d'ordonnances  promulguées  en 
144.7;  2°  sur  une  médaille  faite  par  Niccolô,  qui  a  reproduit 
au  revers  de  cette  pièce  le  lynx  introduit  par  Pisano  au  revers 
d'une  médaille  certainement  postérieure  à  1441.  Le  raison- 
nement de  M.  Heiss  ne  nous  paraît  pas  concluant.  D'abord, 
il  n'est  pas  démontré  que  Niccolo  ait  copié  le  lynx  de  Pisano 
ou  s'en  soit  même  inspiré.  Si  le  fait  était  vrai,  Niccolo  aurait 
adopté  les  formes  élégantes  données  par  Pisano  à  l'animal 
symbolique,  au  lieu  de  lui  prêter  des  proportions  mesquines 
et  de  le  représenter  dans  une  pose  maladroite.  Quand  on 
prend  modèle  sur  quelqu'un,  on  ne  s'en  écarte  pas  d'une  façon 
aussi  malencontreuse.  Niccolo  se  sera  donc  borné  à  modeler 
l'emblème  ordinaire  de  Lionel  avec  les  seules  ressources  d  un 
talent  moyen.  Quant  aux  monnaies,  si  l'on  n'y  voit  pas  la 
mention  impliquant  qu'elles  parurent  après  l'avènement  de 
Lionel,  c'est  qu'elles  n'offraient  pas  l'espace  nécessaire  pour 
y  placer  une  longue  inscription. 

Né  le  21  septembre  1407,  Lionel  avait  épousé,  le  26  fé- 
vrier 1435,  Marguerite  Gonzague,  fille  de  Jean-François  Gon- 

(1)  Aux  monnaies  reproduites  par  Bellini,  on  pourrait  ajouter  le  ducat  d'or 
frappé  sous  Lionel,  le  plus  ancien  ducat  d'or  ferrarais  que  l'on  connaisse.  Lionel 
y  est  seulement  désigné  par  le  titre  de  marquis  d'Esté  ;  derrière  lui  s'élève  un 
mât  avec  une  voile  enflée.  Au  revers,  on  voit  Jésus-Christ  sortant  du  tombeau, 
tenant  une  croix  pourvue  d'une  bannière,  et  donnant  la  bénédiction,  sujet  inau- 
guré sur  les  monnaies  de  Lionel  ;  en  bas,  un  petit  écusson  contient  les  deux 
aigles  de  la  maison  d'Esté  et  les  trois  lis  de  France;  on  lit  autour  :  ■<  Siuexit  XP 
spes  mea.  »  (Chabouillet,  Notice  sur  un  ducat  d'or  inédit  de  Borso,  dans  le 
t.  XXXIV  des  Mémoires  de  la  Société  nationale  des  antiquaires  de  France,  \.^1^.) 


LIVRE   TROISIEME.  589 

zague,  seijOfneur  de  Mantoue,  et  l'avait  perdue  le  7  juillet  1439. 
En  14  44,  il  se  maria  avec  Marie  d'Aragon,  fille  naturelle  du  roi 
de  Naples  Alphonse  V.  Vittore  Pisano  fit  alors  en  son  honneur 
une  nouvelle  médaille  plus  gfrande  que  les  précédentes  (1), 
avec  l'intention  de  perpétuer  au  moyen  d'allusions  trans- 
parentes le  souvenir  de  l'événement  qui  venait  de  se  passer. 
Cette  fois  Lionel  porte  non  seulement  le  titre  de  marquis 
d'Esté  {marchio  Estensis),  mais  celui  de  seigneur  de  Ferrare,  de 
Reggio  et  de  Modène  (d  .  ferrariae  .  regii  .  et  .  mutine)  ,  et  les 
lettres  ge.r.ar.  nous  avertissent  qu'il  était  devenu  gendre  du 
roi  d'Aragon  (gêner  régis  Aragoniim).  Il  est  couvert  d'un  vête- 
ment aux  riches  broderies  et  garde  la  tète  nue  ;  son  buste  est 
tourné  à  gauche.  Au  revers,  on  voit  un  petit  Amour  nu,  debout 
sur  un  rocher,  développant  sous  les  yeux  d'un  lion,  qui  ouvre 
la  gueule  comme  pour  chanter,  un  parchemin  où  l'on  dis- 
tingue des  notes  de  musique  :  le  lion  rappelle  le  nom  du  sei- 
gneur de  Ferrare,  tandis  que  le  morceau  de  musique  évoque 
la  pensée  d'un  chant  nuptial.  Au  fond,  sur  un  pilier,  est  figuré 
un  mât  avec  une  voile  enflée  par  le  vent,  et  au-dessous  de  ce 
mât  se  trouve  la  date  de  Mccccxurn.  A  droite,  on  lit  :  «  Opus 
Pisani  pictoris  »  ;  à  gauche,  on  remarque  un  aigle  perché  sur  un 
branchage  sans  feuilles  parmi  les  rochers.  Cette  médaille  est 
une  des  plus  soignées  qu'ait  faites  Pisanello.  Le  personnage  y 
revit  avec  sa  physionomie  accentuée,  avec  son  front  fuyant,  sa 
tête  bizarrement  conformée,  ses  cheveux  crépus,  et  aussi  avec 
son  intelligence  ouverte  à  toutes  les  impressions  du  beau. 
Quant  au  lion,  pour  lequel  l'artiste  n'eut  qu'à  copier  ceux  que 
renfermait  la  ménagerie  des  princes  de  Ferrare,  il  est  d'une 
noblesse  achevée.  A  la  façon  dont  il  est  traité,  on  reconnaît 
la  prédilection  de  Pisano  pour  les  animaux  :  il  est  digne  d'oc- 
cuper une  place  d'honneur  à  côté  du  griffon,  des  aigles,  de  la 
biche,  du  sanglier,  des  chiens  et  des  vigoureux  chevaux  de 
bataille  qui  figurent  sur  les  médailles  de  Piccinino,  d'Al- 
phonse V  d'Aragon,   de  Jean  Paléologuc,  de  Philippe-Marie 

(1)  Elle  a  101  mill.  de  diam. 


590  L'ART    FERRARAIS. 

Yisconti,  de  Sigismond  Pandolfe  Malatesta,  de  Malatesta  No- 
vello,  de  Jean-François  I"  Gonzague  et  de  Louis  III  Gonzague. 

Trois  antres  médailles  de  Lionel  furent  faites  par  Pisano 
depuis  l'avènement  de  ce  prince  au  trône  de  Ferrare,  car  il  y 
est  désigné  comme  seigneur  de  Ferrare,  de  Reggio  et  de  Mo- 
dène;  mais,  si  elles  sont  signées,  -Aies  ne  portent  pas  de 
date  (1).  Deux  d'entre  elles  ont  la  même  dimension  que  celle 
des  pièces  exécutées  avant  1441,  c'est-à-dire  soixante-neuf 
millimètres  de  diamètre.  Le  buste  de  Lionel,  tourné  à  gauche, 
est  identique  sur  chacune,  mais  les  revers  sont  différents.  Sur 
un  des  revers,  on  voit  un  homme  nu,  à  demi  assis,  à  demi 
couché  à  terre  au  pied  d'un  rocher  et  regardant  vers  la  droite; 
le  rocher  supporte  un  vase  rempli  de  rameaux  et  pourvu  de 
deux  anses  auxquelles  sont  suspendues  des  ancres,  dont  l'une 
est  brisée.  Sur  l'autre  revers,  un  lynx  (2),  tourné  à  gauche, 
est  assis,  les  yeux  bandés  (3);  un  coussin  lui  sert  de  support. 
La  dernière  médaille  de  Lionel  que  nous  ayons  à  mentionner 
est  la  plus  petite  de  toutes.  Elle  n'a  que  quarante-deux  milli- 
mètres de  diamètre.  Sur  la  face,  le  marquis  d'Esté  regarde  à 
gauche.  Au  revers  se  trouve  un  vase  élancé,  contenant  des 
branches  d'olivier  et  dont  les  anses  se  combinent  avec  une 
ancre  intacte  et  une  ancre  brisée. 

Très  recherchées  par  les  princes,  les  médailles  de  Vittore 
Pisano  ne  le  fnrent  pas  moins  par  les  lettrés.  La  renommée 
que  ceux-ci  promettaient  en  composant  leurs  vers,  ils  la  de- 
mandaient eux-mêmes  aux  œuvres  des  artistes.  Entre  les  uns 
et  les  autres,  il  y  avait  assaut  de  bons  procédés  au  profit 
de  leur  gloire  respective.  Porcellio,  dans  un  de  ses  poèmes, 

(i)  II  est  certain  que  Pisano  séjourna  à  Ferrare  en  1445,  puisqu'il  reçut  cette 
année-là  un  acompte  de  500  ducals  clor  pour  un  tableau  destiné  au  palais  de 
Belrijjuardo,  et  qu'il  travailla  encore  en  1547  pour  Lionel,  qui  lui  lit  reiuettrc  alors 
25  florins  d'or. 

(2)  Le  lynx  est  réputé  pour  la  pénétration  de  son  regard.  En  lui  bandant  les 
yeux,  on  a  voulu  probablement  indiquer  que  le  prince  dont  il  était  l'emblème 
joignait  à  une  rare  pénétration  la  prudence  de  ne  pas  laisser  voir  qu'il  la  possé- 
dait ou  de  ne  pas  tenir  toujours  compte  de  ce  qui  avait  frappé  ses  regards. 

(3)  Le  recueil  Vallardi,  au  musée  du  Louvre,  contient  deux  études  pour  ce 
lynx  (n"»  2418  et  2419). 


LIVRE   TROISIEME.  591 

mentionne  sa  propre  médaille  comme  un  ouvrage  de  Pi- 
sano  (1).  Basinio,  de  son  côté,  fait  allusion  à  la  sienne  et 
à  celle  de  Guarino.  Aucune  de  ces  médailles  ne  nous  est  par- 
venue (2).  En  parlant  d'une  médaille  à  l'effigie  de  Guarino, 
peut-être  Basinio  a-t-il  confondu  Pisano  avec  Matteo  de'  Pasti, 
qui  exécuta,  d'après  Guarino,  une  médaille  encore  existante. 
Quant  à  Tito  Strozzi,  quelques  auteurs  ont  cru  que  les  deux 
plaquettes  où  l'on  voit  son  image  étaient  dues  aussi  à  Pisa- 
nello,  parce  qu'on  lit  dans  l'élégie  composée  en  l'honneur  de 
l'artiste  véronais  les  deux  vers  suivants  : 

Ast  opère  insigni  nostros  effingere  vultus 

Quod  cupis,  haud  parva  est  gratia  habenda  tibi  (3). 

Cette  attribution  est  absolument  fausse.  Tito  Strozzi  avait 
vingt-neuf  ans  en  1451,  lorsque  mourut  Pisano.  Or,  les  pla- 
quettes nous  montrent  un  homme  de  cinquante  à  soixante 
ans.  Il  est  probable  que  Pisano  ne  réalisa  pas  son  projet.  G  est, 
du  reste,  ce  que  le  poète  lui-même  semble  avoir  donné  à  en- 
tendre en  omettant,  quand  il  remania  son  élégie,  les  deux 
vers  dans  lesquels  il  était  question  d'une  médaille  à  faire. 

En  pratiquant  vers  la  fin  de  sa  carrière  l'art  du  médailleur, 
Vittore  Pisano  y  déploya  des  qualités  que  personne  ne  devait 
surpasser.  Ses  têtes  sont  pleines  de  vie  et  d'individualité.  Sans 
embellir  ses  modèles,  il  traduit  avec  une  rare  sagacité  ce  qu'il 
y  a  en  eux  d'original,  de  distingué,  d'énergique,  d'élégant,  de 
noble  et  de  gracieux.  A  la  profondeur  de  l'observation  il  unit 
la  précision  du  dessin.  Sur  les  revers  de  ses  pièces,  où  il  se 

(1)  «  Quas  inter  vivet  Porcclli  effiijics.  « 

(2)  Il  en  est  de  même  d'une  autre  médaille  dont  parle  é{;alement  Basinio  et 
qui  représentait  un  personnarje  nommé  Girolamo.  Selon  M.  G,  Uzielli,  ce  per- 
sonnage était  probablement  Girolamo  Tifernate  ou  de  Castello,  qui  lut  professeur 
à  Ferrare  en  1454. 

(3)  Une  des  plaquettes  est  rectangulaire,  tandis  que  l'autre  est  ovale.  Celle-ci  a 
été  reproduite  dans  l'ouvrage  de  Litta.  La  disposition  du  vêtement,  principale- 
ment près  du  cou,  la  forme  du  bonnet  et  la  place  de  la  légende  ne  sont  pas  sem- 
blables sur  les  deux  pièces;  mais  l'une  et  l'autre  repréàcntent  le  poète  au  même 
âge  et  avec  les  mêmes  traits.  (V^oyez  les  deux  gravures  données  par  M.  Heiss 
dans  son  travail  sur  Viltore  Pisano,  p.  42.) 


592  L'ART    FERRARAIS. 

plaît  à  représenter  des  animaux  merveilleux  de  vérité,  il  éli- 
mine, quoique  peintre,  les  détails  qui  ne  conviennent  qu'à  la 
peinture.  Le  goût  avec  lequel  sont  disposées  et  réparties  les 
légendes  ne  mérite  pas  moins  d'être  remarqué. 


II 


NICCOLO. 


Il  n'existe  de  cet  artiste,  qui  ne  resta  pas  étranger  h  l'in- 
fluence de  Pisano,  qu'une  seule  médaille,  celle  de  Lionel 
(diam.  86).  Elle  est  loin  de  valoir  les  médailles  de  Vittore 
Pisano.  Le  buste,  tourné  à  gauche,  est  accompagné  des  mots  : 
tt  Leonelîus  marchio  Estensis.  «  Au  revers,  un  lynx  dont  les 
yeux  sont  bandés  est  assis  sur  un  coussin  carré,  au-dessous 
duquel  se  trouve  la  signature  de  l'auteur  [Nicholaus).  On  lit 
autour  de  ce  revers  :  «  Qnœ  vides  ne  vide»  ,  devise  qui  rappelle 
peut-être  combien  la  prudence  poussée  même  jusqu'à  l'oubli 
des  griefs  est  nécessaire  aux  princes  dans  la  conduite  des 
affaires  (I). 

A  quelle  époque  cette  médaille  a-t-elle  été  faite?  Selon 
Friedlaender,  la  jeunesse  des  traits  de  Lionel,  la  rudesse  du 
style,  la  forme  archaïque  des  lettres  dans  les  inscriptions  et  le 
simple  titre  de  marquis  d'Esté  prouvent  qu'elle  est  une  des 
pièces  les  plus  anciennes  et  qu'on  doit  la  placer  avant  l'année 
1441,  année  où  Lionel  succéda  à  son  père  Nicolas  III.  Suivant 
M.  Heiss,  elle  doit  au  contraire  être  postérieure  à  1441,  parce 
que  le  revers  reproduit  le  lynx  figuré  par  Vittore  Pisano  sur 
une  médaille  représentant  Lionel  après  son  avènement  comme 
seigneur  de  Ferrare,  de  Pieggio  et  de  Modène.  M.  Heiss  ajoute 
que  l'absence  de  cette  mention  n'infirme  pas  son  hypothèse, 
à  l'appui  de  laquelle  il  invoque  les  cinq  monnaies  frappées  en 

fi)  Heiss,  p.  12. 


LIVRE   TROISIEME.  593 

vertu  d'ordonnances  datées  de  1447  dont  il  a  été  déjà  ques- 
tion. Entre  les  assertions  contradictoires  de  M.  Friedlaender  et 
de  M.  Heiss,  nous  nous  rangeons  du  côté  de  l'écrivain  alle- 
mand, ayant  nous-méme  réfuté  (p.  589)  les  arguments  de 
M.  Heiss  à  propos  des  trois  médailles  de  Pisano  sur  lesquelles 
Lionel  est  simplement  désigné  comme  marquis  de  Ferrare. 

On  a  eu  tort  de  vouloir  identifier  le  Niccolù  qui  a  exécuté 
une  des  médailles  reproduisant  les  traits  de  Lionel  avec  Nic- 
colô  Nani,  joaillier  établi  à  Venise;  mais  on  pourrait  peut-être 
voir  en  lui  le  même  homme  que  Niccolù  Ba^'cncelli,  sculpteur 
et  fondeur  florentin  qui  se  fixa  à  Ferrare,  prit  part  à  l'exécu- 
tion de  la  statue  équestre  de  Nicolas  III,  commandée  en  14-43, 
et  fut  chargé,  en  1451,  d'ériger  une  statue  à  Borso,  travail  au 
milieu  duquel  la  mort  le  surprit  (1453)  (1).  On  pourrait  aussi, 
avec  autant  de  vraisemblance,  attribuer  la  médaille  de  Lionel 
à  un  certain  Nicolaiis  Teuionicus  qui  peignit,  en  1454,  le  por- 
trait de  Béatrice,  fille  naturelle  du  marquis  de  Ferrare  Nico- 
las III,  peu  avant  son  mariage  avec  Tristano  Sforza,  fils  de 
François  Sforza,  et  qui  était  connu  comme  médailleur.  L'a- 
gent milanais  à  Ferrare,  en  annonçant  la  venue  prochaine  de 
Niccolo  Teutonicus  à  JMilan  avec  le  portrait,  écrivit,  en 
effet  :  «  Contenlandossene  la  S.  V.,  il  ve  retrarà  natiirale  et 
metterà  la  figura  o  vero  effigie  vostra  in  medaglia.  » 


III 


AMADIO    DA    MILANO 


Comme  Niccolo,  Amadio  da  Milano  pratiqua  l'art  du  mé- 
dailleur sous  l'influence  de  Yittore  Pisano,  qu'il  n'égala  pas 
non  plus.  Ses  médailles  ont  un  plus  haut  relief  que  celles  de 
l'artiste  véronais  et  trahissent  l'effort,  mais  elles  ont  une  cer- 

(1)   Ad.  Venturi,  I primordi  del  linascimento  mtistico  a  Fcrrarct,  p.  38. 
I.  38 


594  L'ART    FERRARAIS. 

taine  naïveté,  ne  manquent  ni  de  caractère  ni  d'élégance,  et 
l'exécution  en  est  soignée.  Né  à  Milan,  Amadio  ou  Omodeo 
s'établit  à  Ferrare  en  1437  et  y  mourut  en  1483  (1).  C'est  sur- 
tout comme  orfèvre  qu'il  se  distingua  (2).  Sur  ses  médailles  il 
se  fait  honneur  de  rappeler  sa  profession  spéciale,  et  il  s'y  inti- 
tule lui-même  arijex  et  arfex,  mots  abréviatifs  à'aurifex  et  non 
à'artifex.  On  ne  doit  pas  le  confondre  avec  Giovan  Antonio 
Amadeo,  célèbre  sculpteur  et  architecte,  né  seulement  en  1447, 

De  l'orfèvre  Amadio  on  possède  une  médaille  de  Lionel 
(diam.  49)  et  une  médaille  de  Borso  (diam.  51). 

Lionel,  sur  sa  médaille,  a  la  tête  nue,  et  son  buste  est  tourné 
à  droite  (3).  Ici  encore  il  ne  porte  que  le  titre  de  marquis 
d'Esté.  Au  revers,  on  voit  de  nouveau  le  lynx  assis,  les  yeux 
bandés,  sur  un  coussin  carré,  et  cet  animal  n'égale  même  pas 
le  lynx  représenté  par  Niccolo.  Les  mots  «  amad  .  mediolan  . 
ar'fex  .  FECiT.  '^  sont  gravés  en  creux.  Les  raisons  qui  nous 
portent  à  croire  que  la  médaille  due  à  Niccolo  est  antérieure 
à  l'avènement  de  Lionel,  nous  font  supposer  que  la  médaille 
dont  Amadio  est  l'auteur  n'appartient  pas  à  l'époque  du  règne 
de  ce  prince.  Quand  on  compare  les  trois  lynx  représentés  par 
Pisano,  par  Niccolo  et  par  Amadio,  on  ne  peut  s'imaginer  que 
les  deux  derniers  médailleurs  aient  imité  le  premier;  la  fai- 
blesse de  leur  œuvre  vient  de  ce  qu'ils  n'ont  pas  connu  l'œuvre 
de  Pisano,  faite  après  la  leur,  quand  Lionel  avait  succédé  à 
Nicolas  IIL 

Un  revers,  datant  sans  doute  du  seizième  siècle,  revers  qui 
nous  montre  Léda  avec  le  cygne  et  deux  Amours,  accompagne 
quelquefois  l'effigie  de  Lionel  que  modela  Amadio. 

La  médaille   de  Borso,  sur  laquelle  on  lit  :   «  dominus  .  bor- 

(1)  A.  VcNTURi,  Relazioni  artistiche  tra  le  coiti  di  Milano  e  Fcrrara  nel 
secolo  XV,  clans  VAixhivio  slorico  lombardo,  livraison  du  30  juin  1885.  —  L.-N. 
CiTTADELLA,  Notizie  relative  a  Feri-ara,  t.  I,  p.  687-688. 

(2)  Voyez  p.  568-570  et  p.  578.  —  Amadio  grava  des  coins  de  monnaies 
pour  la  maison  d  Este.  (L.-N.  Gittadella,  Notizie  j-elative  a  Ferrara,  t.  II, 
p.  161.) 

(3)  M.  Heiss  fait  remarquer  que,  sur  les  médailles  de  Pisanello,  Lionel  a  les 
cheveux  entièrement  crépus,  tandis  qu'ils  sont  lissés  et  séparés  au  sommet  de  la 
tête  sur  les  médailles  de  Niccolô  et  d'Amadio. 


LIVRE   TROISIEME.  595 

siDs  .  MARCHio  .  ESTENSis  «  ,  a  beaucoup  d'analogie,  sous  le  rap- 
port de  l'exécution,  avec  la  médaille  de  Lionel.  On  y  voit, 
tourné  à  gauche,  un  jeune  homme  aux  longs  cheveux  qui  a  de 
vingt-cinq  à  vingt-huit  ans.  Borso,  fils  naturel  de  Nicolas  III  et 
de  Stella  dell' Assassine,  comme  Lionel,  à  qui  il  succéda, 
naquit  en  1413  :  sa  médaille  doit  donc  avoir  été  faite  entre 
1438  et  1441  (1).  Au  revers,  les  mots  «  amad  .  mediolan  . 
ARFEX  .  FECT  .  »  sout  gravés  en  creux.  Ce  revers  a  pour  ornement 
une  fleur  de  fantaisie  avec  deux  longues  feuilles;  du  milieu  de 
la  fleur  se  dresse  un  dragon  sans  ailes  et  sans  pieds  qui  entoure 
de  ses  replis  la  partie  inférieure  d'un  montant  au  bout  duquel 
se  trouve  une  rosette  en  forme  d'anneau  (2).  D'après  M.  Ven- 
turi,  qui  signale  le  même  emblème  dans  plusieurs  miniatures 
exécutées  pour  les  princes  d'Esté,  il  ne  faut  voir  ici  qu'un 
battant  de  porte  où  le  serpent  et  les  fleurs  figurent  comme  de 
simples  ornements.  C'est  là  probablement  l'emblème  appelé 
la  chiavadura  todesca  (3). 


IV 

MATTEO    de'    PASTI    (4^ 


Fils  de  maître  Andréa  de  Vérone,  Matteo  de'  Pasti,  proba- 
blement un  peu  plus  jeune  que  son  compatriote  Vittore  Pisano 
dont  il  s'appropria  le  style,  est  un  des  artistes  qui  nous  ont 
laissé  les  médailles  les  plus  remarquables.  Il  était  doué  des 

(1)  Un  profil  de  Borso,  qui  rappelle  la  manière  de  Vittore  Pisano  et  qui  est 
peut-être  l'œuvre  d'un  de  ses  élèves  ou  d'Aniadio  lui-mèiiie,  se  trouve  parmi  les 
dessins  du  recueil  Vallardi  au  musée  du  Louvre,  et  semble  avoir  été  le  prototype 
de  la  médaille  exécutée  par  Araadio.  Ce  dessin  est  reproduit  dans  le  troisième 
fascicule  de  M.  Heiss,  p.   19. 

(2)  M.  Heiss  croit  que  le  dragon  a  pour  mission  de  garder  la  fleur  ou  qu'il 
symbolise  les  dangers  que  l'on  rencontre  parmi  les  fleurs. 

(3)  Uarte  a  Ferrara  nel  periodo  di  Borso  d'Esté,  p.  734. 

(4)  Il  signe  sur  ses  médailles,  tantôt  «  Matheus  Pastus  »  ,  tantôt  «  Matthcus 
de  Pastis  « ,  tantôt  encore  «  Matthaeus  Pastus  »  ,  ou   «  Pastius  Veronensis  » . 


596  L'AUT    FERRAUAIS. 

aptitudes  les  plus  variées,  car  il  pratiqua  aussi  avec  distinction 
la  peinture,  la  sculpture  et  l'architecture.  Matteo  Bosso  de 
Vérone,  qui  mourut  en  1502,  vante  en  outre  l'étendue  de  ses 
connaissances  et  sa  facilité  d  élocition  [pietio  di  notizie  et  bel 
parlatore)  (I).  En  1441,  Matteo  de'  Pasti  se  trouvait  à  Venise, 
d'où  il  écrivit  à  Pierre  de  Médicis,  fils  de  Côme  l'Ancien  et 
père  de  Laurent  le  Magnifique,  une  lettre  (2)  où  il  lui  parle 
des  Triomphes  de  Pétrarque  qu'il  est  en  train  de  peindre  pour 
lui  :  il  mentionne  un  nouveau  moyen  d'employer  l'or  et 
demande  quelques  instructions  sur  ce  qui  reste  à  faire.  Selon 
M.  G.  Milanesi,  les  quatre  petits  panneaux  convexes  qui  repré- 
sentent les  Triomphes  de  Pétrarque  à  la  galerie  des  Offices 
seraient  les  peintures  dont  il  est  question  dans  la  lettre  de 
Matteo  de'  Pasti.  C'est  au  service  de  Sigismond  Malatesta, 
seigneur  de  Rimini,  que  Matteo,  à  partir  de  1446,  passa  la 
plus  grande  partie  de  sa  vie.  Il  ne  consacra  pas  moins  de 
douze  médailles  à  Sigismond  (3)  et  de  neuf  à  Isotte  (4)  qui, 
après  avoir  été  la  maîtresse  de  ce  prince,  fut  enfin,  dit-on, 
épousée  par  lui  (5).  Léon-Baptiste  Alberti,  de  son  côté,  fit  un 
tel  cas  de  l'artiste  véronais  qu'il  lui  confia  la  direction  des 
travaux  relatifs  à  la  construction  du  temple  de  Saint-François 
dont  il  avait  tracé  les  plans  sur  l'ordre  du  souverain  (6).  A 
l'extérieur  du  temple,  la  frise  avec  des  couronnes  sur  le  sou- 
bassement, et,  dans  l'intérieur  de  l'édifice,  le  portrait  de 
Sigismond  Malatesta,  ainsi  que  certains  détails  d'ornementa- 
tion, rappellent  trop   la  manière   de  Matteo  de'  Pasti  pour 

(1)  Ces  détails  sont  empruntés  au  De  gerendo  magistratu  de  Bosso  et  se  trou- 
vent consijjnés  dans  la   Verona  illuslrata  de  Maffei. 

(2)  La  Scrittura  di  artisti  italiaui  (sec.  XIV-XVII),  riprodotta  con  la  foto- 
grafia  da  Carlo  Pini  e  corredata  di  notizie  da  Gaetano Mila7iesi.  Florence,  1876. 
La  lettre  de  Matteo  de'  Pasti  à  Pierre  de  Médicis  a  été  reproduite  par  M.  Heiss, 
p.  17. 

(3)  11  y  en  a  neuf  qui  portent  la  date  de  1446;  une  est  datée  de  1447,  une 
autre  de  1450. 

(4)  Six  de  ces  médailles  portent  la  date  de  1446. 

(5)  11  n'y  a  que  six  autres  médailles  faites  par  Matteo  de'  Pasti  dont  l'authen- 
ticité soit  certaine.  Elles  ne  portent  point  de  date. 

(6)  La  suscription  d'une  lettre  d'Alberti  à  Matteo  est  ainsi  conçue  :  «  Prestan- 
tissimo  viro  Mathaeo  di  Bastia  amico  dulcissimo.  » 


LIVRE   TROISIEME.  597 

n'avoir  pas  été  sculptés,  sinon  par  lui,  du  moins  d'après  des 
dessins  ou  des  modèles  livrés  par  lui(l).  Sa  renommée  parvint 
jusqu'à  Mahomet  II,  qui,  vers  1460,  chargea  l'ambassadeur 
vénitien  Girolamo  Michieli  de  demander  au  seigneur  de 
Rimini  d'autoriser  l'illustre  médailleur  à  venir  exécuter  son 
portrait.  La  réponse  de  Sigismond  Malatesta,  écrite  par  Val- 
turio,  son  secrétaire  intime,  existe  encore  (2).  On  y  voit  que 
Sigismond  regardait  Matteo  comme  un  ami  «  contuhernalem  et 
comilem  v> ,  qu'il  appréciait  au  plus  haut  point  non  seulement 
son  talent,  mais  sa  modestie  et  son  érudition,  qu'il  avait  refusé 
à  plusieurs  princes  français  et  italiens  la  faveur  que  sollicitait 
le  Sultan.  Le  voyage  de  Matteo  de'  Pasti  à  Gonstantinople  se 
réalisa- t-il?  Aucun  document  écrit  ne  le  prouve,  aucune  mé- 
daille signée  ne  l'atteste.  Ce  qui  est  certain,  c'est  la  présence 
de  Matteo  à  Rimini  en  1464,  car  le  15  mai  de  cette  année-là 
il  prêta  le  récit  des  voyages  de  Cyriaque  d'Ancône  à  l'ambas- 
sadeur de  la  république  de  Venise,  Pietro  Delfino,  qui  n'avait 
pu  encore  se  le  procurer  et  qui  en  fit  des  extraits.  Parmi  les 
œuvres  qu'il  exécuta  durant  son  séjour  dans  la  capitale  des 
Malatesta,  Bosso  et  Maffei  placent  les  illustrations  (3)  qui 
ornent  l'édition  princeps  du  De  re  militari  de  Roberto  Yaltu- 
rio  (4),  édition  qui  parut  à  Vérone  en  1472  (5).  Cette  attribu- 
tion est  très  vraisemblable  :  en  effet,  Valturio  lui-même,  très 
lié  avec  Matteo  de'  Pasti,  affirme  que  celui-ci  était  «  singolar 
nella  pittura,  nella  scoltura  »  .  On  attribue  également  à  Matteo 
les  bois  qui  accompagnent  les  fables  d  Ésope  remaniées  par 


(1)  Friedlaender,  p.  44. 

(2)  Baluze,  Miscellanca,  partie  IV,  p.  524.  —  Heiss,  p.  18-19. 

(3)  Elles  représentent  des  armes,  des  machines,  des  éditices,  des  {guerriers,  des 
animaux.  M.  Heiss  en  donne  plusieurs  spécimens,  p.  18-20.  —  L'attelage  du 
char  de  bataille  représenté  dans  le  ch.  il  du  liv.  X  n'est  pas  sans  analogie  avec 
les  massifs  chevaux  que  Pisanello  avait  l'habitude  de  modeler  et  de  peindre.  {Das 
Pferd  in  der  Kunst  des  Quattrocento,  par  H.  Weizsaecker,  dans  le  Jaliibiicli  de 
Berlin,  t.  VII,  1"  livraison  de  l'année  1886,  p.  55.) 

(4)  Valturio  naquit  à  Macerata. 

(5)  Cet  in-folio  fut  le  premier  livre  imprimé  à  Vérone.  Il  y  avait  huit  ans  que 
Sigismond  Malatesta  était  mort  quand  on  publia  le  De  re  militari,  qui  lui  était 
dédié. 


598  L'AllT    FEURARAIS. 

Accio  Zucco  (1  i79)  (1).  Matteo  se  maria  avec  Livia,  fille  de 
Giovanni  Valdigara  de  Rimini.  Il  eut  une  fille,  nommée  Pera, 
qu'épousa  un  gentilhomme  de  cette  ville,  Raffaello  di  Giovanni 
de'  Arduini.  On  ignore  quand  il  quitta  Rimini  et  quand  il 
mourut,  car  aucun  document  ne  confirme  les  dates  de  1483  et 
de  1490  indiquées  par  Bosso. 

Il  demeura  quelque  temps  à  Ferrare.  En  1444  et  en  1445, 
il  s'y  trouva  en  même  temps  que  Pisanello  (2),  et  il  y  travailla 
comme  miniaturiste  et  comme  médailleur.  On  sait,  en  effet, 
qu'il  collabora  avec  Georges  d'Allemagne  à  l'ornementation 
d'un  bréviaire  destiné  à  Lionel.  C'est  également  à  cette  époque 
qu'il  dut  faire  la  médaille  de  l'illustre  philologue  Guarino  de 
léi'one  (diam.  93).  Né  en  1370,  Guarino,  qui  mourut  à  Ferrare 
en  1460,  à  l'âge  de  quatre-vingt-dix  ans  (3),  avait  alors  de 
soixante-quatre  à  soixante-cinq  ans.  L'aspect  du  personnage 
sur  la  médaille  correspond  Jiien  à  cet  âge.  La  tête,  tournée  à 
gauche,  est  garnie  de  cheveux  courts  et  frisés,  mais  les  tempes 
sont  dégarnies.  Le  front  élevé  et  fuyant,  le  nez  long  et  un  peu 
fort,  l'œil  petit  et  trop  rapproché  du  nez,  les  chairs  molles  du 
double  menton  ne  produisent  pas  une  agréable  impression. 
En  revanche,  l'intelligence  de  la  physionomie  confirme  ce  que 
l'on  connaît  de  l'érudit  véronais;  on  sent  que  l'artiste  a  mer- 
veilleusement rendu  le  caractère  accentué  du  modèle.  Une 
légère  draperie  à  l'antique  est  assujettie  h  l'épaule.  Au  revers, 
une  couronne  de  laurier  encadre  une  élégante  fontaine,  sur- 
montée d'une  boule  qui  supporte  un  jeune  homme  nu  tenant 
une  massue  et  un  bouclier.  Suivant  Maffei,  auteur  de  la  Veroîia 
illusti-aia,  la  fontaine  ferait  allusion  à  ces  paroles  d'Alberto  da 
Sarzano  sur  Guarino  :   «  Grœcce  et  eruditionis  latinœ  fontem  [A).  » 

(i)   Fr.  LIPPMA^'N,  Der  italieiiische  Holzschnitt  im  XV  Jahrhundert,  p.  37. 

(2)  A.  Ve^turi,  Notizie  sut  sof/gioi-no  di  Vittor  Fisaiio  appo  la  Corte  Estense, 
p.  219. 

(3)  Il  fut  enseveli  le  4  septembre  clans  l'église  de  Saint-Paul,  oîi  la  Commune 
Ht  disposer  pour  ses  restes  un  tombeau  de  marbre.  i^GuAUixi,  Chicse  di  Ferrara, 
S.  Polo.)  Ses  plus  illustres  descendants  furent  Batlista  Guarino  \",  qui  lui  succéda 
dans  sa  chaire  à  Ferrare,  et  Battista  Guarino  II,  l'auteur  du  Pastor  Fido.  Sa 
famille  ne  s'éteignit  qu'en  1745. 

(4)  Heiss,  p.  24 


LIVRE   TROISIEME.  599 

Guarino,  appelé  par  Nicolas  III  d'Esté  pour  être  le  précep- 
teur de  son  fils  Lionel  (1429),  contribua  beaucoup  à  mettre  en 
honneur  les  lettres  anciennes  et  à  inspirer  le  goût  de  l'anti- 
quité aux  Ferrarais.  Traité  avec  courtoisie  et  générosité  par 
trois  des  souverains  de  Ferrare  (I),  il  ne  quitta,  pour  ainsi  dire, 
pas  cette  ville,  où  ses  leçons  publiques  sur  la  poésie,  sur  l'élo- 
quence, sur  les  langues  anciennes  (2),  lui  attirèrent  pendant 
près  de  trente  ans  les  hommages  d'auditeurs  nombreux,  ac- 
courus de  toutes  parts  (3).  Quel  humaniste  eût  mieux  enseigné 
le  grec  que  l'infatigable  savant  qui  avait  suivi  à  Constanti- 
nople  les  leçons  d'Emmanuel  Chrysoloras  (1390-1395)  et  qui 
avait  déjà  professé  à  Florence,  à  Venise,  à  Vérone?  Pendant  le 
concile  de  Ferrare,  en  1438,  il  servit  d'interprète  entre  les 
théologiens  de  l'Orient  et  ceux  de  l'Église  latine.  Ses  nom- 
breuses traductions,  entre  autres  celles  de  Plutarque  (4)  et  de 
Strabon  (5),  donnèrent  une  vive  impulsion  à  l'étude  de  Fanti- 

(1)  C'est  sans  doute  en  souvenir  des  bienfaits  reçus  de  Nicolas  III  et  de  Lionel 
qu'il  donna  le  nom  de  ces  deux  princes  à  deux  de  ses  fils,  nés  avant  Battista  Gua- 
rino P"",  le  plus  célèbre  de  tous.  Pontico  Virunio  prétend  que  sa  femme  Taddea 
Cendrata,  qui  appartenait  à  une  ancienne  famille  de  Vérone,  lui  donna  vingt-trois 
enfants.  En  1438,  il  en  avait  déjà  douze,  comme  il  le  dit  lui-même  dans  une 
lettre  qu'il  écrivit  au  comte  Lodovico  Sanbonifacio.  —  Guarino  sollicita  humble- 
ment le  titre  de  citoyen  ferrarais,  et,  quand  ses  compatriotes  le  rappelèrent  parmi 
eux,  il  refusa  de  quitter  sa  patrie  d'adoption  où  le  retenait  sa  reconnaissance  en- 
vers Nicolas  m  :  «  Est  hic  magnanimus  princeps,  clarissimus  heyos,  —  Marchio 
Munificus  justitiœque  nitor.  »  (A.  Venturi,  I  primordi  del  linascimento  artis- 
tico  a  Ferrara,  p.  2.  —  Tiraboscui,  Storia  delta  lett.  ital.,  t.  VI,  parte  I". 
Modena,  1790.) 

(2)  Il  commença  par  recevoir  un  traitement  de  cent  lire  pour  ses  leçons  sur  la 
poésie.  Le  3  avril  1436,  les  magistrats  lui  allouèrent  quatre  cents  lire,  à  condi- 
tion qu'il  ferait,  pendant  cinq  ans,  deux  leçons  par  jour,  sauf  les  jours  de  fête  où 
il  ne  ferait  qu'un  seul  cours.  (Frizzi,  Mem.  per  la  storia  di  Ferrara,  t.  III, 
p.  459.)  Il  fut  le  premier  Italien  qui  donna  des  leçons  publiques  de  grec. 

(3)  Il  entretenait  dans  sa  propre  maison  les  élèves  étrangers  chez  lesquels  il 
constatait  d'heureuses  dispositions,  mais  qui  étaient  pauvres,  leur  donnant  des 
répétitions  à  la  fin  de  la  journée  et  même  pendant  une  partie  de  la  nuit,  leur 
inculquant  en  outre  l'amour  de  la  religion  et  de  la  morale.  (Jacob  Burckhardt, 
Die  Cultur  der  Renaissance  in  Italien,  p.  166.  Leipzig,  1869.) 

(4)  Il  traduisit  pour  Lionel  d'Esté  les  Vies  de  Pélopidas  et  de  Marcellus.  On 
lui  dut  aussi  la  traduction  en  latin  d'un  Traité  de  Plutarque  sur  l'éducation.  Sa 
traduction  latine  de  la  Mouche  de  Lucien  fut  accompagnée  d'une  épître  dédica- 
toire  à  Léon-Baptiste  Albcrti,  qu'il  connut  à  Ferrare. 

(5)  La  traduction  de  Strabon  fut  entreprise  à  l'instigation  de  Nicolas  V  et  ne 
fut  achevée  que  le  18  avril  1458,  trois  ans  après  la  mort  de  ce  pape. 


600  L'ART    FERU  AU  AI  S. 

quité  grecque,  et  son  Compcndiuin  grammalicœ  grœcœ  ah  Eniiii. 
Chrisolora  digestœ  fut  alors  d'une  grande  utilité.  La  littérature 
latine  ne  lui  était  pas  moins  familière  (1).  C'est  en  latin  qu'il 
prononça  loraison  funèbre  de  Lionel  (2).  Son  enthousiasme 
n'était  pas  moindre  pour  les  arts  que  pour  les  ouvrages  des 
écrivains  antiques.  Il  prit  à  tâche  d'en  démontrer  la  noblesse, 
rappelant  que  Platon  dans  sa  jeunesse  et  que  Socrate  lui- 
même  ne  dédaignèrent  pas  de  manier  les  pinceaux,  que  les 
patriciens  Lucilius  et  Fabius,  à  Rome,  s'adonnèrent  aussi  à  la 
peinture  (3).  Nous  avons  déjà  mentionné  les  vers  dans  lesquels 
il  exalta  Pisanello.  Peut-être  payait-il  ainsi  une  dette  de  recon- 
naissance envers  cet  artiste  qui  lui  donna  un  tableau  représen- 
tant saint  Jérôme  et  à  la  vue  duquel  son  émotion  égala  son 
enthousiasme.  Matteo  de'  Pasti,  en  consacrant  une  médaille  à 
Guarino,  rendait,  de  son  côté,  hommage  à  un  compatriote 
éminent  dont  la  protection  ne  lui  avait  probablement  pas  été 
inutile. 

Il  est  curieux  de  voir  réunis  en  même  temps  autour  de 
Lionel  des  hommes  tels  que  ceux  qui  viennent  d'être  nommés 
et  qui  tous  étaient  nés  à  Vérone.  M.  Yenturi  a  fait  remarquer 
combien  les  rapports  furent  fréquents  entre  cette  ville  et  Fer- 
rare.  Depuis  que  la  Polésine  de  Rovigo  appartenait  aux  princes 
d'Esté,  les  deux  territoires  étaient  contigus.  Attirées  par  la 
prospérité  de  Ferrare,  nombre  de  familles  quittèrent  Vérone. 
On  s'embarquait  sur  l'Adige,  puis  sur  le  Pô,  et  l'on  arrivait 
par  Francolino  à  Ferrare.  Deux  des  médecins  de  la  famille 
d'Esté.  Francesco  de' Francazani  et  Gherardo,  avaient  Vérone 
pour  patrie  (4) . 

(1)  La  Bibliothèque  d'Esté  à  Modène  possède  un  manuscrit  des  OEiivj-es  de 
César  corrigé  et  annoté  par  Guarino  pour  Nicolas  III  d'Esté  [Miscellanea,  n°  420 
du  Catalogue),  ainsi  que  la  traduction  de  Strabon  [Strabonis  geoqraphia)  due  au 
savant  véronais  (n"  472  du  Catalogue),  traduction  qui  figure  parmi  les  manuscrits 
provenant  de  la  collection  de  Mathias  Gorvin.  Les  deux  manuscrits  sont  ornés  de 
miniatures. 

(2)  Quand  Giovanni  Tavelli,  nommé  évêque  de  Ferrare  par  le  pape  Eugène  IV, 
fit  son  entrée  solennelle  dans  la  cathédrale,  Guarino  débita  aussi  un  éloquent 
discours.  (Frizzi,  t.  III,  p.  466.) 

(3)  Venturi,  I primordi  del  rinascimento  artistico  a  Ferrara,  p.  4, 

(4)  Ibid.,  p.  13-14. 


LIVRE   TROISIEME.  601 

La  présence  de  Matteo  de'  Pasti  à  Ferrare,  nous  l'avons  déjà 
dit,  coïncida  avec  celle  de  Léon-Baptiste  Alherti.  On  peut  sup- 
poser que  Matteo  et  Alberti,  qui  devaient  être  plus  tard  en 
relations  intimes  à  Rimini,  commencèrent  alors  à  s'apprécier 
l'un  l'autre,  et  il  ne  serait  pas  inadmissible  que  la  belle  mé- 
daille d'^/Z)e?'fz  par  Matteo  (diam.  93)  eût  été  faite  à  Ferrare  (1). 
Le  personnage  est  tourné  à  gauche  ;  il  a  la  tête  nue,  et  ses 
cheveux  sont  bouclés.  Au  revers,  on  remarque  une  devise 
énigmatique.  Une  couronne  de  laurier,  le  long  de  laquelle  on 
lit  :  «  opus  .  MATTHAEi .  PASTii .  VERGNEXSis  »  ,  entoure  un  œil  vu  de 
face  et  surmonté  de  deux  ailes.  Les  mots  «  quid  tum  »  se  trou- 
vent au-dessous  de  l'œil.  On  sait  que  le  laurier  est  l'emblème 
des  savants  et  surtout  des  poètes  ;  mais  que  signifie  le  reste? 
Peut-être  l'œil  est-il  là  pour  rappeler  que  la  vigilance  et  la 
sûreté  du  coup  d'œil  sont  indispensables  à  l'architecte.  Cepen- 
dant, comme  l'œil  est  accompagné  des  mots  «  quid  tum  »  ,  les 
auteurs  du  Trésor  de  numismatique  croient  que  Matteo  de'  Pasti 
a  prétendu  dire  :  «  Qu'arrivera-t-il  quand  le  regard  d'Alberti 
aura  passé  de  la  contemplation  des  choses  terrestres  à  celle 
des  choses  divines?  »  Cette  explication  est-elle  satisfaisante? 
Nous  n'osons  l'affirmer. 


ANTONIO     MARESCOTTI    DE    FERRARE, 
Sculpteur  et  médailleur. 

Antonio  Marescotti  est  le  premier  médailleur  ferrarais  que 
nous  rencontrions.  La  signature  que  portent  plusieurs  de  ses 
médailles  ne  laisse  aucun  doute  sur  la  ville  où  il  naquit  et  où 

(1)  Lorsqu'il  fut  appelé,  en  1444,  à  donner  son  avis  sur  les  projets  d'Antonio 
Cristoforo  et  de  Nicolô  Baroncelli  pour  une  statue  équestre  que  l'on  voulait  éle- 
ver en  l'honneur  de  Nicolas  III,  Alberti  avait  quarante  ans.  Il  ne  paraît  pas  être 
plus  âgé  sur  sa  médaille.  Si  elle  fut  faite  à  Rimini,  elle  ne  put  l'être  après  1450, 
car  à  partir  de  1450  Alberti  ne  revint  plus  à  Rimini. 


602  L'AT\T    FEllRAIlAIS. 

il  exécuta  presque  tous  ses  travaux.  On  ne  sait  malheureuse- 
ment rien  de  sa  vie,  et  Ton  ignore  jusqu'à  l'époque  de  sa  nais- 
sance et  de  sa  mort.  Huit  pièces  constituent  l'ensemble  de 
son  œuvre  (1).  Il  représenta  le  Bienheureux  Giovanni  Tavelli 
da  Tossignano  en  1446,  Antonio  Marescotti  en  1448,  Galéas 
Marie  Sforza  en  1457,  Borso  d'Esté  en  1460  et  Fra  Paolo 
Yeneziano  en  1462.  Seules,  les  deux  médailles  de  saint  Ber- 
nardin et  de  Galéas  Marescotti  ne  sont  point  datées  :  nous 
verrons  qu'elles  durent  être  exécutées  vers  1450. 

xVntonio  Marescotti  a  un  style  sévère,  un  peu  âpre  ;  la  grâce 
le  préoccupe  médiocrement  ;  ce  qu'il  recherche  avant  tout, 
c'est  la  vérité  ;  mais  il  s'entend  aussi  à  rendre  l'ascétisme  chez 
les  religieux  et  la  dignité  de  la  physionomie  chez  les  grands 
du  monde. 

Quoique  peu  nombreuses,  les  médailles  de  Marescotti  nous 
font  pénétrer  dans  l'intimité  d'un  siècle  plein  de  contrastes, 
dans  une  société  où  l'on  rencontre  à  la  fois,  avec  des  carac- 
tères fortement  trempés  pour  le  bien  comme  pour  le  mal,  des 
saints,  des  lettrés,  des  citoyens  engagés  dans  les  luttes  achar- 
nées des  partis,  des  princes  sages  et  avisés,  des  souverains 
fameux  par  leurs  vices  et  par  leurs  cruautés. 

La  première  médaille  (diam.  90)  nous  montre  Giovanni  Ta- 
velli. Ce  personnage  naquit  à  Tossignano,  devint  évêque  de 
Ferrare  en  1432  et  mourut  en  1446.  Sa  tête  nue,  d'où  sortent 
des  rayons,  est  rasée,  mais  elle  garde  une  couronne  de  che- 
veux. Devant  Tavelli  est  figurée  une  petite  mitre.  Assurément, 
il  n'est  point  beau  ;  son  nez  long  et  pointu,  ses  joues  amai- 
gries par  les  austérités,  les  muscles  saillants  de  son  cou,  ne 
flattent  pas  les  regards  ;  et  cependant  on  ne  peut  le  considérer 
sans  svmpathie,  tant  son  visage  vénérable  est  empreint  de 
bonté.  Plein  de  tendresse  pour  les  pauvres,  il  fonda  à  Ferrare, 
comme  nous  l'avons  déjà  rapporté  (2),  l'hôpital  de  Sainte-Anne, 
auquel  se  rattache  le  souvenir  du  Tasse.  Aussi,  sur  sa  mé- 
daille, est-il  qualifié  de  «  devotissimus  pauperwn  »  .  Au  revers, 

(1)  Sur  CCS  huit  médailles,  le  buste  est  tourné  à  gauche. 

(2)  Pages  257,  259. 


LIVRE   TROISIÈME.  603 

on  le  voit  à  genoux,  joignant  les  mains  avec  ferveur  et  levant 
les  yeux  vers  le  ciel,  d'où  la  grâce  céleste  descend  sur  lui  sous 
forme  de  langues  de  feu.  Ses  sandales  et  son  manteau  sont  à 
terre  devant  et  derrière  lai.  Enfin,  au-dessus  de  lui,  s'élève 
un  olivier.  La  légende,  empruntée  à  divers  passages  de  FÉcri- 
ture  (1),  se  compose  des  mots  suivants  :  v-Ego  sicut  oliva  fruc- 
tificavi  suavitateni  odoris  m  domo  Dei.  »  —  Quand  Marescotti 
fit  cette  médaille,  qui  porte,  nous  l'avons  dit,  la  date  de  1446, 
le  pieux  évéque  venait  de  mourir,  car  il  lui  a  mis  des  rayons 
sur  le  sommet  de  la  tète,  devançant  ainsi,  conformément  à 
l'opinion  publique,  la  décision  pontificale  qui  le  rangea  plus 
tard  parmi  les  Bienheureux. 

On  croit  que  Marescotti  est  également  Fauteur  du  buste 
en  terre  cuite  qui  représente  Giovanni  Tavelli  dans  le  vesti- 
bule de  Fhôpital  de  Sainte-Anne  (2).  Ce  buste  est  antérieur  à 
la  médaille,  car  il  fut  exécuté  d'après  le  masque  pris  sur  le 
cadavre. 

Une  autre  médaille  exécutée  par  Antonio  Marescotti  (diam .  44) 
reproduit  les  traits  d'un  jeune  homme  qui  portait  le  même  nom 
et  le  même  prénom  que  lui ,  et  qui  était  probablement  un  membre 
de  sa  famille.  Le  personnage  mis  sous  nos  yeux  a  tout  au  plus 
vingt  ans;  il  est  coiffé  d'un  bonnet;  son  visage  ne  manque 
pas  d'un  certain  charme.  Les  détails  du  revers  prouvent  que 
cette  effigie  n'est  pas  celle  d'un  vivant  :  le  mot  »  lesus  »  ,  au- 
dessous  duquel  se  trouve  la  date  de  1448,  est  surmonté  d'une 
croix,  et  l'inscription  est  ainsi  conçue  :  «  memoria  .  de  .  Antonio  . 
MARESCGTO  .  DA  .  FERARA.  »  Cette  inscription,  comme  celle  qui 
accompagne  le  portrait  du  jeune  homme,  est  gravée  en  creux. 

Dans  sa  carrière  de  médailleur,  INIarescotti  consacra  deux 
pièces  à  saint  Bernardin  de  Sie^ine,  très  populaire  parmi  les 
habitants  de  Ferrare.  Au  milieu  de  ses  pérégrinations  à  travers 
l'Italie,  Bernardin  n'avait  pas  oublié  la  capitale  des  princes 


(l)  Ps.  LU,  V.  10  :  «  E(jO  aulcm,  sicut  oliva  fructif ■.va  in  domo,  speravi  in 
niisericordia  Dei  in  œtcriium.  »  —  Oske,  xiv,  7  :  «  Ibunt  rami  cjus,  et  erit 
quasi  oliva  cjloria  ej'us,  et  odor  ejus  ut  Libani.  » 

r2)   Voyez  p.  517. 


604  L'ART    FERRARAIS. 

d'Esté  et  y  avait  prononcé  plusieurs  sermons.  Son  éloquence 
familière  avait  profondément  touché  ses  auditeurs,  qui  subis- 
saient, d'ailleurs,  le  prestige  de  sa  sainteté.  On  voulut,  — 
nous  l'avons  dit  (1),  —  l'avoir  pour  évéque;  mais  il  s'y  refusa, 
ce  qui  ne  fit  qu'accroître  la  vénération  qu'il  inspirait  déjà. 
Après  qu'il  eut  quitté  Ferrare,  son  souvenir  y  resta  vivant. 
Deux  médailles  de  Marescotti  en  rendent  témoignage.  S'il 
reproduisit  les  traits  de  l'humble  religieux,  ce  fut  uniquement 
afin  de  s'associer  à  la  dévotion  générale,  car  les  traits  de  saint 
Bernardin  n'avaient  rien  de  beau.  Sans  les  modifier,  il  a  su 
leur  imprimer  une  austérité  et  une  douceur  qui  sont  à  elles 
seules  une  séduction.  Le  saint,  dont  le  capuchon  enveloppe,  la 
tête  et  retombe  jusque  sur  le  bas  du  front,  a  le  nez  fin  et 
pointu,  le  menton  pointu  aussi  et  proéminent,  les  lèvres 
minces  et  serrées  ;  il  baisse  les  yeux  en  tenant  un  livre  entre 
son  bras  gauche  et  sa  poitrine,  et  semble  plongé  dans  une 
sereine  méditation.  On  lit  autour  de  ce  buste  :  «  /n  nomine 
ïHE  {Jésus)  omne  genuflectatur  cœlestium  terrestriumque  »  ,  paroles 
empruntées  à  l'épitre  de  saint  Paul  aux  Philippiens  (I,  v,  10). 
Cette  médaille,  qui  a  96  millimètres  de  diamètre,  se  trouve 
tantôt  sans  revers,  tantôt  avec  un  revers  où  le  monogramme 
du  Christ,  dans  un  cercle  entouré  de  rayons,  est  accompagné 
de  ces  mots  :  «  in  .  noiune  .  ihu  .  omne  .  genu  .  flectatur  .  celes- 
Tiu  .  TERRESTRiu  .  INFERNO.  »  L'autre  médaille,  dont  le  diamètre 
a  79  millimètres,  nous  montre  un  buste  identique,  qu'ac- 
compagnent ces  mots,  appliqués  à  Jésus  dans  les  Actes  des 
Apôtres  (I,  V,  1)  :  u  Cœpit  facere  et  postea  docere.  »  Elle  est 
pourvue  d'un  revers  que  bordent  les  paroles  suivantes,  em- 
pruntées h  l'Évangile  selon  saint  Jean  (XVII,  V,  6)  :  (iManifes- 
tavi  nomen  tuum  hominihus  »  ,  et  où  l'on  voit  le  monogramme 
du  Christ  (2)  au  milieu  d'un  cercle  environné  de  rayons  flam- 
boyants (3).  Ce  monogramme  ainsi  agencé  fut  inventé,  comme 

(1)  Voyez  p.  249. 

(2)  «  Le  trait  vertical  de  la  seconde  lettre  dans  le  monogramme  forme  une 
croix  à  laquelle  est  attackée  une  banderole  avec  l'inscription  i,  n.  r.  i.  » 
(Heiss,  p.  29.) 

(3)  Ce  revers  a  été  accolé  à  l'effigie  du  doge  Niccolô  Marcello  par  le  médail 


LIVRE   TROISIEME.  605 

on  Ta  vu  (1),  par  Bernardin,  qui  en  recommanda  l'adoption 
aux  fidèles  de  son  temps.  Les  ennemis  du- saint  prétendirent 
qji'il  avait  voulu  par  là  établir  un  culte  idolàtrique,  mais  leur 
accusation  ne  trouva  point  créance.  —  Un  très  beau  dessin 
faisant  partie  du  recueil  Yallardi  au  musée  du  Louvre  paraît 
avoir  servi  de  modèle  pour  le  portrait  que  nous  venons  d'ad- 
mirer sur  les  deux  médailles  de  saint  Bernardin  dues  à 
Marescotti.  —  Quant  à  la  date  approximative  de  ces  deux 
médailles,  il  n'est  pas  difficile  de  l'établir.  Gomme  Bernardin 
y  est  représenté  sans  auréole,  on  peut  conclure  qu'elles  ont 
été  exécutées  entre  l'époque  de  la  mort  du  saint  (1444)  (2)  et 
l'époque  de  sa  canonisation  par  Nicolas  V  (1450). 

Avec  la  médaille  de  Galeazzo  Marescotti  (diam.  98),  nous  nous 
trouvons  en  présence  de  la  plus  belle  pièce,  selon  nous,  qu'ait 
faite  Antonio  Marescotti.  Le  personnage  représenté  se  recom- 
mande, d'ailleurs,  par  la  forme  harmonieuse  de  son  visage,  la 
noblesse  de  son  attitude,  l'énergie  de  son  expression.  Il  est 
coiffé  d'un  bonnet  plat  et  porte  un  riche  vêtement.  On  ne  peut 
guère  lui  donner  qu'une  quarantaine  d'années.  Comme  il 
était  né  en  1407,  on  doit  supposer  que  la  médaille  fut  exé- 
cutée vers  1450.  Rien  ne  prouve  qu'un  lien  de  parenté  existât 
entre  lui  et  Antonio  Marescotti  de  Ferrare.  Il  appartenait  à  une 
des  familles  les  plus  puissantes  de  Bologne  et  les  plus  dévouées 
aux  Bentivoglio.  Avec  quatre  compagnons  il  délivra,  en  bra- 
vant des  périls  de  toute  sorte  et  en  faisant  des  prodiges  de 
courage ,  Annibale  Bentivoglio ,  retenu  en  prison  dans  un 
château  fort  par  ordre  de  Francesco  Piccinino  (3).  Son  exis- 
tence agitée  au  milieu  des  factions  implacables,  ses  fonctions 
de  sénateur  et  de  gonfalonier  de  justice,  les  coups  enfin  dont 
il  fut  frappé  dans  ses  plus  chères  affections,  ne  l'empêchèrent 
pas  de  cultiver  la  poésie.  Il  fut  créé  chevalier  par  Nicolas  V. 
En  1503,  il  s'éteignit  à  l'âge  de  quatre-vingt-seize  ans.  Une 

leur  qui   a  signé  G.    T.   F.,   lettres  qui,  selon   M.    Gaetano  Milanesi,  sijjnificnt 
peut-être  :  Girolamo  Todeschini fecit. 

(1)  Page  250. 

(2)  Il  était  né  en  1380. 

(3)  Voyez  dans  Litta  les  émouvantes  péripéties  de  cette  entreprise. 


606  L'ART    FEUIlAnAIS. 

pièce  de  Spermidio  nous  le  montre  vers  la  fin  de  sa  vie.  Sur 
les  neuf  enfants  que  lui  donna  sa  femme,  Catarina  Formi- 
gliari,  un  seul,  Ercole,  dont  il  existe  une  médaille  anonyme, 
lui  survécut.  Au  revers  de  la  médaille  de  Galeazzo  Mares- 
cotti  dont  Antonio  Marescotti  est  l'auteur,  on  voit,  à  l'inté- 
rieur d'une  coui'onne  formée  par  une  tresse  de  cheveux,  une 
colonne  qui  se  brise  sous  l'effort  d'une  tempête.  Les  mots 
«  mai  pià  »  indiquent  que  cet  emblème  est  une  allusion  à 
une  perte  irréparable,  à  la  mort  d'une  personne  chère  entre 
toutes. 

La  médaille  de  Galéas  Marie  Sforza  est  beaucoup  plus 
petite  :  elle  a  seulement  54  millimètres  de  diamètre.  Né 
en  1444  de  François  Sforza  et  de  Blanche  Marie  Visconti, 
Galéas  Marie  n'a  ici  que  treize  ans  (1)  et  porte  le  titre  de  duc 
de  Pavie  créé  par  son  père  pour  les  fils  aînés  des  ducs  de  Milan. 
Sa  tête  nue  est  pourvue  de  lon^js  cheveux.  Quoique  sa  physio- 
nomie n'ait  pas  le  charme  et  la  fraîcheur  ordinaires  chez  les 
enfants,  on  ne  pressent  pas  encore  le  prince  qui,  de  1466 
à  1476,  signala  son  règne  par  ses  prodigalités,  ses  débauches 
et  ses  raffinements  de  cruauté,  et  qui  alla  peut-être  jusqu'à 
empoisonner  sa  première  femme,  Dorothée,  fille  de  Louis  III 
Gonzague,  ainsi  que  sa  mère  reléguée  à  Crémone  (2),  vengées 
toutes  deux  avec  bien  d'autres  victimes  grâce  aux  poignards 
de  Lampugnani ,  de  Visconti  et  d'Olgiati.  Au  revers  de  la 
médaille,  une  figure  ronde,  vue  de  face  et  entourée  de  rayons, 
représente  le  soleil. 

Marescotti  avait  une  trop  grande  notoriété  pour  que  le  sei- 
gneur de  Ferrare  ne  lui  commandât  pas  son  propre  portrait. 
Sur  la  médaille  qu'il  fit  d'après  Borso,  ce  prince,  né  en  1413, 
a  déjà  quarante-sept  ans.  Il  porte  de  longs  cheveux  et  est 
coiffé  d'une  toque.  Son  double  menton  apparaît  déjà.  On 
reconnaît  en  lui  un  homme  ferme  et  modéré.  Son  élégant  cos- 

(1)  Il  est  intéressant  de  comparer  cette  médaille  avec  les  autres  médailles 
qu'exécutèrent,  d'après  Galéas  Marie  Sforza,  Gianfrancesco  Enzola,  dit  Gianfran- 
ccsco  Parmense  (1456  et  1459),  et  quelques  médailleurs  anonymes  mentionnés 
par  M.  AnMA.ND  (t.  II,  p.  27). 

(2)  11  sera  question  d'elle  dans  le  chapitre  consacré  à  la  gravure  sur  bois. 


1 


LIVRE  TROISIEME.  607 

tume  trahit  son  goût  pour  le  luxe  (1).  L'inscription  le  désigne 
non  seulement  comme  souverain  de  Ferrare  et  comte  de 
Rovigo,  mais  comme  premier  duc  de  Modène  et  de  Reggio, 
titre  qui  lui  fut  conféré  le  25  janvier  1452  par  l'empereur  Fré- 
de'ric  III  ;  toutefois,  il  n'a  pas  encore  celui  de  duc  de  Ferrare, 
que  Paul  II  lui  octroya  en  1471.  Sur  le  revers,  au  fond  duquel 
s'élève  un  palmier,  la  licorne,  emblème  favori  de  Borso,  sym- 
bole de  la  prudence  et  de  la  pureté,  est  assise,  tournée  à 
gauche,  et  plonge  sa  corne  dans  une  source.  D'après  les 
croyances  populaires,  le  contact  de  cet  animal  rendait  inof- 
fensives les  eaux  malfaisantes.  Cette  médaille  correspond  par 
sa  date  (1460)  à  Tannée  au  début  de  laquelle  le  pape  Pie  II 
passa  pour  la  seconde  fois  à  Ferrare,  où,  huit  mois  aupa- 
ravant, il  avait  demeuré  douze  jours,  alors  qu'il  se  rendait 
à  Mantoue,  lieu  de  réunion  assigné  à  tous  les  princes  chré- 
tiens qu'il  s'agissait  de  décider  à  une  croisade  contre  les 
Turcs. 

La  dernière  médaille  de  Marescotti  portant  une  date,  avons- 
nous  dit,  est  celle  de  Fy^a  Paolo  Albei^ti,  appelé  Fra  Paolo  Vene- 
zi'ano,  et  elle  appartient  à  l'année  1-462.  Elle  est  plus  p^rande 
que  toutes  les  autres,  car  son  diamètre  est  de  102  millimètres. 
Le  personnage,  âgé  de  trente-deux  ans,  a  la  tête  couverte 
d'un  capuchon.  Son  visage  a  de  la  distinction,  et  sa  physiono- 
mie est  à  la  fois  grave  et  avenante.  Au  revers  de  la  médaille, 
Fra  Paolo  est  assis  sur  un  escabeau,  la  tête  inclinée,  le  men- 
ton appuyé  sur  la  main  droite,  et  médite  devant  un  crâne  qui 
se  trouve  à  terre.  Né  à  Venise,  en  1  430,  ce  religieux,  une  des 
gloires  de  l'Ordre  des  Servites,  fut  professeur  en  1456  à  l'Uni- 
versité de  Bologne,  où  il  donna  une  vive  impulsion  aux  études 
classiques;  il  se  distingua  aussi  comme  prédicateur  et  mourut 
à  quarante-cinq  ans,  en  1475,  laissant  plusieurs  ouvrages 
écrits  en  latin,  parmi  lesquels  figurent  un  traité  sur  la  connais- 
sance de  Dieu,  un  livre  sur  l'origine  et  les  progrès  de  l'Ordre 
des  Servites  et  une  explication  de  plusieurs  passages  de  Dante. 

(1)  Voyez  ce  que  nous  avons  dit  du  caractère  de  Borso  à  propos  des  fresques 
du  palais  de  Schifanoia,  p.  456-460. 


608  L'ARÏ    FERRARAIS. 

On  attribue  à  Antonio  Marescotli  une  médaille  (diam.  89)  re- 
présentant d'un  côté  Vittorà  Pavoni,  chancelier  ducal  à  Ferrare 
en  1  463,  et  de  l'autre  sa  femme  Taddea,  dont  la  tète  est  cou- 
verte d'un  voile  qui  tombe  sur  les  épaules.  L'exécution  de 
cette  médaille  est  médiocre,  et  les  traits  des  personnages  n'ont 
rien  d'agréable  (1). 

VI 

JACOPO    LIXIGNOLO,    DE    FERRARE. 

Ce  médailleur  n'est  connu  que  par  une  pièce  signée  repré- 
sentant Borso.  Comme  celle  que  Marescotti  consacra  au  même 
personnage,  elle  fut  exécutée  en  1460  et  nous  montre  le  suc- 
cesseur de  Lionel  avec  un  mortier  d'où  s'échappent  de  longs 
cheveux;  seulement,  elle  a  82  millimètres  de  diamètre  au  lieu 
d'en  avoir  62,  le  buste  est  tourné  à  droite  au  lieu  de  l'être  à 
gauche,  et  le  costume  est  plus  riche  encore.  Sur  le  vêtement 
de  Borso,  sur  son  béret  et  autour  de  son  cou,  on  voit,  en  effet, 
les  joyaux  dont  ce  prince  tirait  vanité.  Au  revers  de  la  mé- 
daille, se  trouve  également  la  licorne  assise,  regardant  à 
gauche  et  plongeant  sa  corne  dans  un  ruisseau  ;  mais  cet  ani- 
mal y  a  moins  d'importance  que  sur  la  médaille  de  Marescotti, 
et  il  est  environné  de  rochers  qui  paraissent  infranchissables 
et  au-dessus  desquels  le  soleil  darde  ses  rayons.  Selon  M.  Heiss, 
on  a  voulu  symboliser  ici  les  obstacles  dont  la  vie  humaine  est 
comme  hérissée  et  qui  ne  peuvent  être  surmontés  que  par  la 
prudence  assistée  des  lumières  d'en  haut.  La  licorne  figure  la 
prudence  ;  les  rayons  du  soleil  sont  l'image  de  l'assistance  divine . 

Lixignolo  était  probablement  Ferrarais,  car  parmi  les  agents 
des  Este  on  trouve  souvent  des  personnages  de  ce  nom,  par 
exemple  Feltrino  Lisignolo  (2). 

(1)  Armand,  t.  I,  p.  30. 

(2)  Venturi,  L'arte  a  Ferrara  nel  periodo  di  Borso  d'Esté,  dans  la  Jîivista 
stor.  ital.,  livr.  d'octobre-novembre  1885,  p.  743. 


LIVKE   TROISIEME.  609 

VII 

PETRECIXI,    DE    FLORENCE. 


La  plus  belle  médaille  de  Borso,  à  notre  avis,  est  celle  qu'a 
faite  Petrecini  (diam.  95).  Elle  porte  aussi  la  date  de  1460. 
Quoique  le  buste  du  personnage  y  soit  tourné  à  gauche,  comme 
sur  la  médaille  due  à  Marescotti,  elle  se  rapproche  surtout  de 
la  médaille  exécutée  par  Lixignolo  et  tournée  à  droite  ;  mais 
elle  est  plus  grande  que  celle-ci,  et  elle  est  traitée  avec  plus  de 
liberté,  d'ampleur  et  de  souplesse  (1).  La  physionomie  est,  du 
reste,  la  même  partout,  ce  qui  prouve  que  partout  les  traits 
de  Borso  avaient  été  parfaitement  reproduits.  Au  revers,  on 
remarque  de  nouveau  une  vallée  resserrée  entre  des  rochers 
presque  à  pic  et  le  soleil  envoyant  sur  la  terre  une  pluie  de 
rayons.  Au  lieu  d'une  licorne,  Petrecini  a  représenté  au  milieu 
de  ce  morne  paysage  un  coffret  ou  un  vase  hexagonal  rempli 
d'eau,  dont  le  couvercle  entrouvert  laisse  apercevoir  à  la  sur- 
face du  liquide  im  anneau  qui  surnage.  Selon  M.  Heiss,  c'est 
là  une  boussole  analogue  à  celle  qui  est  gravée  dans  les  Imprese 
de  Paolo  Giovio  (p.  90);  la  boussole  symbolisant  la  prudence 
humaine,  l'ensemble  du  revers  aurait  une  signification  iden- 
tique à  celle  du  revers  que  présente  la  médaille  de  Borso  par 
Lixignolo  (2).   D'après  M.  Venturi,  il  ne  faut  voir  ici  qu'un 

(1)  La  même  effigie  se  retrouve  sur  une  plaquette  octogone  sans  revers.  C'est 
un  surmoulage,  avec  des  inscriptions  gravées  en  creux.  Il  date  de  iWl,  car  Borso 
y  est  qualifié  de  duc  de  Ferrarc,  titre  qui  lui  fut  octroyé,  nous  l'avons  dit,  le 
14  avril  de  cette  année-là. 

(2)  Aux  médailles- de  Borso  que  nous  avons  signalées  et  dont  on  connaît  les 
auteurs,  il  faut  ajouter  quatre  médailles  anonymes.  (Armand,  t.  II,  p.  21,  22.) 
Sur  l'une  d'elles  (diam.  110),  Borso,  cjuoique  déjà  duc  de  Rcjjjjio  et  de  ^lodène, 
paraît  plus  jeune  que  sur  les  médailles  exécutées  par  Petrecini  et  Lixignolo.  Borso 
est  coiffé  d'un  haut  mortier  qui  lui  cache  complètement  le  front;  au  revers,  la 
Justice  assise  tient  une  épée  et  une  balance;  devant  elle  se  trouve  un  arbre  sans 
feuilles  sur  les  branches  duquel  se  tiennent  deux  oiseaux.  Cette  médaille  est 
reproduite  dans  l'ouvrage  de  M.  Ileiss. —  Une  autre  médaille  (diam.  2-3)  est  ponr- 

I.  39 


610  L'ART    FERRARAIS. 

des  emblèmes  favoris  de  Borso,  l'emblème  du  baptême  repré- 
senté par  la  cuve  baptismale  (1). 

Une  autre  médaille  faite  à  Ferrare  par  Petrecini  est  la  mé- 
daille peu  connue  (2)  de  Lorenzo  Strozzi  (3).  Au  droit,  se 
trouve  le  buste  du  personnage  avec  ces  mots  :  "  laurentius  . 
STROZZA  .  COMES  .»  Au  rcvcrs,  on  voit  les  armes  des  Strozzi  et  on 
lit  cette  inscription  :  «  opus  .  petrecini  .  de  .  florentia  .  mcccclx.  » 
Lorenzo  Strozzi  était  un  des  frères  du  poète  Tito  Strozzi.  Il  se 
distingua  comme  jurisconsulte  et  fut  très  apprécié  du  duc 
Borso,  qui  le  mit  au  nombre  de  ses  conseillers  intimes.  Le 
9  septembre  1453,  ce  prince  lui  accorda,  moyennant  une  re- 
devance annuelle  de  vingt-cinq  ducats  d'or,  cinq  fiefs  sur  le 
territoire  de  Reggio,  avec  le  titre  de  comte  et  le  droit  de  ren- 
dre la  justice.  Plus  tard,  il  lui  fit  présent,  dans  le  village  d'Os- 
tellato,  où  il  se  fit  aussi  construire  une  somptueuse  babitation, 
d'un  palais  dont  Antonio  Brasavola  fut  l'architecte.  Lors  du 
passage  de  Frédéric  III  à  Ferrare,  en  1469,  Lorenzo  Strozzi 
donna  dans  sa  propre  résidence,  en  l'honneur  de  l'Empe- 
reur, un  bal  qui  dura  toute  une  journée.  Il  mourut  sans  pos- 
térité. 

Après  s'être  absenté  de  Ferrare  durant  plusieurs  années, 
Petrecini  fut  exempté  pendant  dix  ans,  par  un  acte  du 
27  août  I  447,  de  payer  les  impôts,  à  la  condition  d'ouvrir  une 
école  pour  l'enseignement  de  son  art.  Il  vivait  encore  en 
1480  (4). 

Petrecini,  qui  fit  aussi  en  1460  la  médaille  de  Jean-Fran- 
çois Pic  de  la  Mirandole,  père  du  fameux  Jean  Pic,  est  peut- 


vue  tl'ua  revers  qui  nous  montre  le  Christ  sortant  du  tombeau,  un  étendard  à  la 
main. 

En  1452,  Borso,  devenu  duc  de  Modène  et  de  Reggio,  fit  frapper  un  ducat  d'or. 
(Frizzzi,  Memorie  per  la  storia  di  Fenara,  t.  IV,  p.  24.  —  Chabouillet,  iVo- 
tice  SU7'  un  ducat  d'or  inédit  de  Borso,  1874.) 

(1)  A.  Ventcri,  A..Ueiss,  Les  médailleurs  de  la  Renaissance,  dans  la  Rioista 
storica  italiana,  anno  III,  gennaio-marzo  1886,  fascicolo  1",  p.  153. 

(2)  Argelati,  Tractatus  de  monelis  Italiae,  t.  III. 

(3)  Le  peintre  Baldassare  d' Este  fit  aussi  le  portrait  de  Lorenzo  Strozzi,  mais 
on  ne  sait  ce  qu'est  devenu  ce  tableau. 

(4)  Indication  de  M.  Gaetano  Milanesi,  citée  par  M.  Armasd,  t.  I,  p.  33. 


LIVRE   TROISIEME.  611 

être,  d'après  une  supposition  de  M.  Milanesi  (supposition  que 
M.  Yenturi  juge  très  douteuse),  le  même  homme  que  le  Flo- 
rentin Pietro  di  Neri  Razzanti,  «  excellent  graveur  en  pierres 
fines  »  ,  né  en  1425  (1). 

Suivant  une  autre  hypothèse,  émise  non  sans  quelque  hési- 
tation par  M.  Friedlaender,  on  pourrait  reconnaître  Petrecini 
dans  l'artiste  qui  a  introduit  une  médaille  avec  son  revers  au 
bas  de  la  porte  en  bronze  de  la  basilique  de  Saint-Pierre.  Cette 
hypothèse  est  inadmissible.  On  lit,  en  effet,  autour  de  la 
médaille  :  «  axtnius  .  pétri  .  de  .  florextia  .  fecit  .  mcgggxlv  » ,  mots 
qui  àéÛQweni  Antonio  Filarete,  auteur  de  la  porte  (2). 


VIII 


GIOVANNI    BOLDU 


Giovanni  Boldu,  dont  les  médailles  ont  été  exécutées  entre 
1457  et  1466,  était  un  peintre  appartenant  aune  noble  famille 
vénitienne,  et,  dans  ses  signatures,  il  a  soin  de  mentionner,  à 
l'exemple  de  Vittore  Pisano,  sa  qualité  de  peintre.  Il  s'est 
représenté  deux  fois  lui-même  et  nous  a  transmis  les  traits 
d'un  médecin  de  Pise,  d'un  poète  vénitien  et  d'un  musicien 
allemand  (3).  On  lui  doit  aussi  la  médaille  d'un  cithariste 
flamand  en  grande  faveur  auprès  de  Borso  d'Esté  et  d'Her- 
cule I".  Ce  joueur  de  cithare  s'appelait  Pietro  Bono^  nom 
auquel  on  ajouta  le  surnom  de  Bruzelli  ou  Burzelii,  parce  qu'il 
était  de  Bruxelles  (4).  Sur  la  médaille  exécutée  par  Boldu 
(diam.  56),  le  musicien  flamand,  désigné  parles  mots  :  «petrus. 

(1)  Un  Florentin,  nommé  aussi  Petrecini,  fut  pa{]e  à  la  cour  de  Borso,  peignit 
des  cartes  à  jouer  et  emlirassa  la  vie  relijjicuse  en  1460. 

(2)  Varie  a  Ferraia  nel  periodo  di  Borso  d'Esté,  p.   731. 

(3)  Il  fut  connu  en  Autriche  et  en  llon{;rie. 

(4)  Les  Gonzague  l'eurent  aussi  à  leur  service.  Peut-être  s'était-il  réfugié  auprès 
d'eux  en  1471  avec  îsicolas  fils  de  Lionel.  (L.-F.  Valdricui,  Cappelle,  concer 
e  rtiusiche  di  casa  d'Esté.) 


612  I/ATIT    FERRARAIS. 

BONXUS .  ORPHEUM .  SUPANS  {svpera?is)  »,  est  tourné  à  gauche  et 
coiffé  d'un  haut  bonnet;  il  a  une  longue  et  abondante  chev.e- 
lure;  son  nez  est  gros,  et  il  a  les  yeux  renfoncés.  Son  visage 
est  donc  loin  d'être  beau.  Ce  qui  mérite  d'être  admiré,  c'est  le 
revers.  On  y  voit,  assis  sur  un  socle,  dont  la  face  porte  l'in- 
scription :  «  OMNIUM ,  PRiNCEPS  »  ,  un  génie  nu  d'une  exquise 
élégance,  vu  de  face,  posé  avec  aisance  et  jouant  de  la  ci- 
thare (1).  Évidemment,  le  voisinage  de  Padoue,  ville  où  l'art 
de  l'antiquité  et  l'érudition  classique  étaient  en  grand  hon- 
neur, avait  exercé  son  influence  sur  Boldu.  Cet  artiste  aime, 
en  effet,  à  évoquer  au  revers  de  ses  médailles  des  hgures  nues, 
et  il  a  signé  son  nom  en  latin,  en  grec  moderne  et  en  hébreu, 
ce  qui  prouve  que  son  esprit  était  très  cultivé.  Ici,  il  s'est  con- 
tenté de  mettre  :  "  mcccclvii  .  opus  .  ioaxis  .  boldu  .  pictoris.  » 
L.-N.  Gittadella  a  découvert  de  précieux  renseignements  sur 
Pietro  Bono  (2).  Ce  personnage  fut  le  barbier  de  Borso  et 
acheva  de  conquérir,  comme  joueur  de  cithare,  les  bonnes 
grâces  du  souverain,  ainsi  que  nous  l'apprend  la  chronique  de 
Caleffini.  Fils  du  Flamand  maître  Battiste  et  d'une  Allemande 
nommée  Marguerite,  ce  précurseur  de  Figaro  épousa  Antonia, 
fille  du  Vénitien  Marco.  C'est  à  Ferrare  qu'il  mourut  en  1497, 
et  il  fut  enseveli  dans  léglise  de  Saint-Dominique.  Le  premier 
document  où  il  soit  mentionné  porte  la  date  de  1452.  On  re- 
trouve son  nom  dans  des  actes  de  1456,  1459,  1461,  1464, 
1465,  1468,  1475.  Avec  les  années,  sa  réputation  ne  fit  que 
grandir.  On  le  voit  qualifié  tantôt  de  «  nohilis  et  supremus  chi- 
tarista  »  ,  tantôt  de  «  prceclarissimus  et  insignis  familiaris  tiostri 
ducis  (3)  ))  ,  tantôt  encore  de  «  nohilis  vir  »  ou  de  «  prœstantissi- 
mus  artis  musicœ  et  singulajns  magister  a  chitarino,  cujusfatnaper 
totum  diffusa  est  orbem  »  .  A  la  renommée  s'ajoutèrent  les  gros 
profits.  Devenu  citoyen  de  Ferrare,  il  posséda  plusieurs  maisons 

(i)   Il  en  existe  une  reproduction  dans  Mazzucchelli,  I,  xxiii,  2. 

(2)  Notizie  relative  a  Ferrara,  t.  II,  p.  293-295. 

(3)  Paolo  Grillo,  «  musico  famoso  cd  eccellente  » ,  fut,  comme  Pietro  Bono,  un 
des  familiers  de  Borso.  Francesco  délia  Gatta,  cithariste  ferrarais,  jouissait  aussi 
d'une  grande  vogue  sous  le  même  règne.  (L.-IN.  GiTTiDELLi,  JSot.  rel.  a  Ferr., 
t.  II,  p.  292,  293.) 


LIVRE  TROISIEME.  613 

dans  la  ville  et  des  terrains  à  la  campagne.  Borso  alla  jusqu'à 
lui  accorder  les  taxes  payées  par  les  portefaix,  ce  qui  lui  pro- 
cura plus  de  mille  florins.  Les  hommages  des  poètes  ne  lui 
manquèrent  pas  non  plus.  Battista  Guarini  adressa  «  adPetrum 
boniim  citharistam  rarissimum  »  huit  distiques  dans  lesquels  il 
le  compare  à  Orphée.  Ce  n'est  pourtant  pas  aux  vers  du  poète 
que  Pietro  Bono  doit  de  vivre  encore  dans  la  mémoire  des 
hommes;  on  ne  se  souviendrait  plus  de  lui  sans  la  médaille 
fondue  en  1457  par  le  Vénitien  Boldu,  compatriote  de  sa 
femme.  —  Il  faut  se  garder  de  confondre  (1)  Pietro  Bono  le 
cithariste  avec  Pietro  Bono  Avogaro,  médecin  et  astrologue, 
dont  une  médaille  de  Sperandio,  exécutée  vers  1490,  nous  a 
conservé  l'effigie. 


IX 

LODOVICO    DA    FOLIGNO    f2' 


Le  nom  de  cet  artiste  apparaît  pour  la  première  fois  en 
1445.  On  le  retrouve,  le  5  août  1451,  dans  le  testament 
d'Angelo  di  Pietro,  peintre  siennois  établi  à  Ferrare  :  ce  testa- 
ment porte  que  Lodovico  était  orfèvre  et  citoyen  de  Ferrare. 
On  sait,  en  outre,  par  les  livres  de  dépenses,  qu'il  fut  au  ser- 
vice des  princes  d'Esté.  Il  mourut  à  la  fin  du  quinzième  siècle 
ou  au  commencement  du  seizième,  laissant  un  fils  nommé 
Giannantonio.  En  1510,  il  n'existait  plus,  car  un  acte  de  cette 
année-là  mentionne  «  maestro  Gianncnitoniodelfu  Lodovico  Ful- 
gineo  (maître  Giannantonio,  fils  de  feu  Lodovico  da  Folignoj»  . 

Lodovico  da  Foligno  pratiqua  avec  succès  l'art  du  niéda il- 
leur. Malheureusement  aucune  de  ses  médailles  n'est  parvenue 
jusqu'à  nous.  Une  d'entre  elles,  qu'il  donna  à  Borso  en  I4G4, 

(1)  C'est  M.  Armand  qui  a  été  le  premier  à  faire  cette  remarque. 

(2)  Umberto  Rossi,  Lodovico  et  Giannantonio  da  Foligno  uvefici  e  mcdagluti 
ferraresi,  clans  la  Gazetta  numisniatica,  année  V'I,  n"'  9-il. 


614  L'ART    FERRARAIS. 

représentait  Lionel  d'Esté  (voyez  p.  571).  Au  mois  de  juin  1471, 
il  écrivit  à  Laurent  le  Magnifique  pour  lui  annoncer  l'envoi 
d'une  médaille  de  Bone  de  Savoie  dont  il  lui  faisait  cadeau,  et 
dont  il  avait  porté  un  exemplaire  à  Milan  quelques  jours  aupa- 
ravant; Bone  y  était  représentée  telle  qu'elle  était  lors  de  son 
mariage  (  «  corne  era  quando  venne  a  marito  da  Fi^anza  »  ),  le 
6  juillet  1468.  Trois  ans  après  que  Galéas Marie  S forza  entéponsé 
Bone  de  Savoie  (1471),  Lodovico  modela  l'effigie  de  ces  deux 
personnages  :  peut-être  l'image  du  duc  de  Milan  occupait-elle 
le  droit  de  la  médaille,  tandis  que  l'image  de  la  duchesse  en 
occupait  le  revers.  Enfin,  en  1475,  il  envoya  aux  Anciens  de 
Reggiola  médaille  de  Sigismond  d'Esté  (1),  accompagnée  d'une 
lettre  dans  laquelle  il  sollicitait,  en  retour,  "  un  bon  cour- 
sier »  :  les  Anciens  de  Reggio,  trouvant  sans  doute  ses  préten- 
tions exagérées,  se  contentèrent  de  lui  payer  un  florin  d'or. 
La  médaille  de  Sigismond  d'Esté  fut  exécutée  quand  ce  prince 
avait  quarante-deux  ans.  Spei-andio,  en  1473,  à  l'époque  du 
mariage  d'Hercule  I"  avec  Éléonore  d'Aragon,  avait  déjà  fait 
une  médaille  de  Sigismond  :  c  est  la  seule  qui  nous  fasse  con- 
naître les  traits  de  ce  personnage. 

Dans  sa  lettre  à  Laurent  le  Magnifique  et  dans  sa  lettre  aux 
Anciens  de  Reggio,  Lodovico  da  Foligno  s'intitule  «  orifice  iii 
Ferrara  »  . 


X 


BALDASSARE     D    ESTE. 


Il  y  a  des  artistes  dont  le  temps  semble  s'acharner  à  détruire 
les  œuvres  ou  à  en  dérober  la  connaissance.  Tel  est  Baldassare 
d  Este,  très  célèbre  de  son  temps  comme  peintre  et  comme 
médailleur.  Peut-on  regarder  avec  confiance  les  rares  tableaux 
qu'on  lui  attribue?  En  est-il  réellement  l'auteur?  Le  doute  est 

(1)   Sijjismond,   his  de  Nicolas  III  et  de  Ricciarda  de  Saluées,   nac|uit   en  1433 
et  mourut  en  1507. 


LIVRE  TROISIEME.  615 

assurément  permis.  Quant  à  ses  médailles,  on  ne  saurait  en 
mentionner  plus  de  trois  (1),  et  toutes  trois,  d'un  mérite  ordi- 
naire, représentent  (tourné  à  gauche)  Hercule  I",  duc  de  Fer- 
rare,  de  Modène  et  de  Reggio  et  comte  de  Rovigo. 

Sur  une  d'elles  (diam.  27),  Hercule  apparaît  avec  de  longs 
cheveux  et  un  mortier.  On  remarque  au  revers  un  livre 
ouvert,  au-dessus  duquel  sont  représentés  trois  yeux,  que 
domine  soit  le  fléau  d'une  balance,  soit  une  enseigne  militaire, 
destinée  à  rappeler  les  vertus  guerrières  du  duc  de  Ferrare  et 
à  peu  près  semblable  aux  enseignes  que  nous  montrent  la 
colonne  Trajane  et  certaines  médailles  romaines.  On  a  pré- 
tendu que  les  trois  yeux  symbolisaient  le  droit  canon,  le  droit 
civil  et  la  philosophie  :  ne  font-ils  pas  plutôt  allusion  à  la  vigi- 
lance qui  doit  s'appliquer  au  passé,  au  présent  et  à  l'avenir? 
Enfin,  le  livre  est  peut-être  simplement  le  volume  contenant 
les  lois,  à  l'exécution  desquelles  le  prince  a  mission  de  veiller. 
Autour  de  ce  revers,  on  lit  :  «  baldesaris  .  estensis  .  opus  . 
MCcccLxxii.»  Hercule  I",  né  en  1431,  a  donc  ici  quarante  et 
un  ans. 

Sur  une  seconde  médaille  (diam.  83),  il  est  représenté  couvert 
d'une  armure  et  la  tête  nue;  la  date  de  1472  est  inscrite  au- 
dessous  du  buste  en  chiffres  ordinaires.  Au  revers,  on  voit  le 
duc,  armé  de  pied  en  cap  et  tenant  le  bâton  de  commande- 
ment, sur  un  cheval  qui  s'avance  vers  la  gauche.  Cette  mé- 
daille est  signée  :   «  baldasaris.  estensis.  opus  (2).  » 

La  troisième  médaille  d'Hercule  1"  (diam.  911  ne  porte  point 
de  date.  Le  duc,  couvert  encore  d'une  cuirasse,  est  coiffé 
d'un  bonnet  beaucoup  plus  étroit  dans  le  haut  que  dans  le 
bas.  Cette  médaille  a  le  même  revers  que  la  médaille  précé- 
dente (3). 

Entre  les  trois  médailles  que  nous  venons  de  citer,  c'est  la 


(i)   L'ouvrajje  de  M.  Ileiss  en  coiitient  la  reproduction. 

(2)  M.  Dreyfus  possède  une  plaquette  ot'tojjone  qui  n'est  (jii'un   surmoulajje  de 
cette  médaille;  l'inscription  et  la  date  y  sont  {;ravccs  en  creux. 

(3)  On  s'est  servi  de  cette  médaille  pour  faire  une  plaquette  ovale  qui  ne  porte 
aucune  inscription. 


616  L'ART    FERRARAIS. 

première  qui,  malgré  ses  petites  dimensio.ns,  représente  Her- 
cule I"  sous  Taspect  le  moins  défavorable. 


XI 

CORADIM  (1). 

Gomme  Baldassare  d'Esté,  Coradini  a  fait,  en  1472,  une 
médaille  à' Hercule  1"  d'Esté  {(ïiixm..  56)  (2).  Ce  prince,  égale- 
ment tourné  à  gauche,  est  coiffé  du  bonnet  ducal  ou  mortier. 
Au  revers,  on  voit  Hercule  nu,  debout,  s'appuyant  de  la  main 
droite  sur  une  lance  et  tenant  de  la  main  gauche  un  bouclier 
qui  a  pour  ornement  l'emblème  favori  du  souverain,  c'est-à- 
dire  une  fleur  dans  un  anneau  pourvu  d'un  diamant  :  le  héros 
mythologique  n'est  ici  qu'un  adolescent  dont  les  formes  n'ont 
pas  toute  la  noblesse  et  toute  la  correction  que  l'on  pourrait 
souhaiter;  à  gauche,  trois  colonnes  corinthiennes  s'élèvent  au- 
dessus  de  la  mer;  on  lit  dans  le  haut  :  «  gades  herculis  »  et 
dans  le  bas  :  «  opus  coradini.  m.  »  La  lettre  m  est-elle  l'initiale 
du  nom  de  famille  de  Coradini?  Désigne-t-elle  sa  ville  natale, 
Modène  ou  Mantoue?  Il  est  impossible  de  rien  affirmer.  Nous 
préférons  au  revers  de  cette  médaille  le  revers  de  la  médaille 
exécutée  par  Baldassare  d'Esté  où  le  duc  est  représenté  à  che- 
val; mais  la  face  de  la  médaille  due  à  Coradini  nous  semble 
supérieure  à  la  face  des  trois  médailles  de  Baldassare  :  le  suc- 
cesseur de  Borso  apparaît  plus  intelligent,  et  son  visage  est 
mieux  modelé. 

La  même  effigie  existe  avec  un  revers  où  l'on  voit  seule- 
ment la  bague  et  le  diamant  taillé  en  pointe. 

(1)  Coradini  était-il  de  Modène  ou  de  Mantoue  ?  11  est  difficile  de  se  pronon- 
cer sur  cette  question.  Le  marquis  Gainpori,  dans  son  étude  sur  la  céramique, 
cite  un  Ludovico  Gorradini  de  Modène  qui  était  réputé  pour  ses  ornements  en 
terre  cuite,  qui  s'intitulait  u  scultoje  de  teire  « ,  et  qui  travaillait  en  1471  à  Fer- 
rare  pour  Hercule  \"  d'Esté.  Peut-on  l'identifier  avec  le  médailleur?  La  question 
ne  saurait  encore  être  tranchée.  (Voyez  la  Rivista  storica  italiana,  1886,  p.  153.) 

(2)  Elle  est  reproduite  dans  l'ouvrage  de  M.  Heiss. 


LIVRE   TROISIEME.  617 

On  attribue  également  à  Coradini  une  médaille  représen- 
tant Rinaldo  d'Esté  [àïiwa.  62)  (l).  Ce  personnage,  tourné  à 
gauche,  est  coiffé  d'une  toque;  ses  cheveux  lui  couvrent  pres- 
que entièrement  le  front  et  retombent  en  frisant  sur  son  cou. 
Les  traits  sont  d'une  exquise  pureté  et  ont  un  charme  péné- 
trant. Cette  physionomie  jeune,  douce  et  calme  vous  attire  et 
vous  captive.  Le  revers  de  la  médaille,  autour  duquel  on  lit  : 
«ANC  MCCCCLXViiii .  DIE .  p .  lUNis  »,  cst  identique  à  celui  de  la 
médaille  précédente,  signée  par  Coradini.  Cette  similitude  a 
fait  penser  que  la  pièce  consacrée  à  Rinaldo  peut  appartenir 
au  même  artiste,  et  la  confrontation  des  deux  effigies  ne  s'op- 
pose pas  à  une  pareille  supposition  (2). 

Fils  naturel  du  marquis  de  Ferrare  Nicolas  III  et  d'Anna 
Roberti,  Rinaldo  naquit  en  1435.  Il  était  abbé  commendataire 
de  Pomposa  en  1462.  Borso  lui  confia,  en  1464,  le  comman- 
dement, partagé  avec  Pandolfo  Contarino,  de  l'un  des  deux 
navires  que  les  Vénitiens  lui  avaient  prêtés  pour  les  joindre  à 
la  flotte  préparée  à  Ancône  par  Pie  II  en  vue  d'une  expédition 
contre  les  Turcs.  Après  avoir  renoncé  à  ses  bénéfices,  Rinaldo 
fut  fait  chevalier  en  1469  par  le  duc  de  Milan.  G  est  lui  qui,  en 
1472,  alla,  avec  une  suite  de  cent  cinquante  personnes,  cher- 
cher à  Casai,  dans  le  Montferrat,  Rizzarda  de  Saluées,  mère 
d'Hercule  I",  quand  cette  princesse  se  fut  décidée  à  revenir 
habiter  Ferrare.  L'année  suivante,  il  épousa  Lucrezia,  fille  du 
marquis  de  Montferrat  :  le  duc  de  Ferrare,  accompagné  de 
nombreux  gentilshommes  et  des  dames  de  la  cour,  se  porta  à 
la  rencontre  de  Lucrezia,  qui  fit  son  entrée  au  son  des  clo- 
ches, des  fifres,  des  trompettes  et  des  décharges  d'arquebuse,  et 
qui  fut  conduite  au  palais  du  Paradis,  donné  par  Iiorso  à  Rinaldo 
d'Esté ,  après  que  les  Pii  en  eurent  été  dépossédés.  Rinaldo 
rivalisa  de  présence  d'esprit  et  de  courage  avec  son  frère  Si- 
gismond  pour  faire  échouer  le  coup  de  main  tenté  contre 
Ferrare  par  Niccolo,  fils  de  Lionel  (1476).  Il  assista  Hercule  I" 
dans  plusieurs  expéditions,  et  mourut  en  1503  dans  le  palais 

(1)  Elle  est  reproduite  clans  l'ouvraj'C  tic  M.  Ileiss. 

(2)  Abmand,  t.  I,  p.  54. 


618  L'ART    FERRATIAIS. 

du  Paradis  à  Tàge  de  soixante-huit  ans,  laissant  un  fils  légi- 
time, nommé  Sigismona,  et  deux  fils  naturels,  Folco  et  Nico- 
las (1). 

XII 

SPERANDIO  DI  BARTOLOMMEO  De'  SAVELLI, 
DIT  SPERANDIO  DE  MANTOUE, 

]Né  vers  1425,  mort  entre  1495  et  1500. 

Par  la  signature  de  ses  médailles,  Sperandio,  dont  on  ignore 
le  nom  de  baptême  (2),  et  que  l'on  a  parfois  confondu  avec 
Melioli  (3)  en  juxtaposant  les  deux  noms  et  en  faisant  des  deux 
artistes  un  seul  personnage  (Sperandio-Melioli),  atteste  qu'il 
était  né  à  Mantoue,  ou  du  moins  que  Mantoue  fut  sa  première 
résidence  (4),  sa  patrie  d'adoption  (5).  Pour  soutenir  que  Man- 
toue fut  sa  ville  natale,  on  peut  invoquer  l'inscription  de  son 
père  en  1  433  dans  la  corporation  des  orfèvres  mantouans  et 
une  lettre,  datée  de  1495,  par  laquelle  Louis  Gonzague,  évé- 
que  de  Mantoue,  recommandée  son  neveu  Jean-François  Gon- 
zague maître  Sperandio,  artiste  éminent  qui  avait  été  déjà,  du 
reste,  en  relation  avec  le  cardinal  François  Gonzague  (6),  et 
qui  désirait  mourir  à  Mantoue,  sa  patrie,  auprès  du  marquis  (7). 

(1)  Fnizzi,  Mem.  per  la  storia  di  Fcrrara,  t.  III,  p.  22,  et  t.  IV,  p.  55,  63 
et  211. 

(2)  Celui  Je  François,  que  lui  attribue  Baruffaldi  (t.  I,  p.  99),  est  tout  à  fait 
arbitraire. 

(3)  Meiioli  naquit  en  1448  et  mourut  en  1514. 

(4)  Quoiqu'il  ait  habité  assez  longtemps  à  Ferrare  et  qu'il  ait  fait  à  Bologne  un 
séjour  prolongé,  il  ne  s'intitula  jamais  que  Sperandcus  Mantuanus,  par  exemple 
sur  la  médaille  représentant  le  jurisconsulte  Prisciano,  médaille  exécutée  en  1473. 

(5)  Omettant  leur  nom  de  famille,  les  artistes  ajoutaient  souvent  à  leur  nom 
de  baptême  le  nom  du  pays  où  ils  s'étaient  établis,  au  lieu  d'y  joindre  le  nom  de 
la  ville  où  ils  étaient  nés  :  Mino  de  Fiesole  naquit  à  Poppi  ;  Gristoforo  di  Geremia 
de  Crémone  naquit  à  Mantoue. 

(6)  Une  des  meilleures  médailles  de  Sperandio  reproduit  les  traits  du  cardinal. 
François  Gonzague,  Hls  du  troisième  marquis  de  Mantoue  Frédéric  I",  fut  légat 
à  Bologne  et  mourut  en  1483.  11  était  frère  de  Louis  Gonzague,  évèque  de  Man- 
toue. 

^^7)   Nous  traduisons  ici  la  lettre   de  Louis  Gonzague,  parce  qu'elle  est  encore 


LIVRE  TROISIEME.  619 

Un  contrat  passé  le  5  juin  147  7  entre  Sperandio  et  Carlo  II 
Manfredi,  seigneur  de  Faënza(I),  nous  apprend  en  outre  que 
l'illustre  médailleur  avait  pour  père  Bartolommeo  Savelli  de 
Rome  (2). 

La  question  de  savoir  quand  naquit  et  quand  mourut  Spe- 
randio a  suscité  de  vives  controverses  et  provoqué  des  asser- 
tions contradictoires.  Elle  est  maintenant  tranchée  d'une  façon 
approximative,  et  Ton  est  parvenu  peu  à  peu  h  serrer  d'assez 
près  la  vérité.  Comme  Sperandio  fit  probablement  au  plus 
tard  en  14G5  la  première  médaille  que  l'on  connaisse  de  lui, 
c'est-à-dire  la  médaille  de  François  Sforza  mort  en  I  iG6,  et 
comme  il  ne  pouvait  guère,  avant  l'âge  de  vingt-cinq  ans, 
avoir  assez  de  réputation  pour  être  chargé  de  modeler  l'effigie 
de  ce  prince,  on  a  été  amené  d'abord  à  supposer  qu'il  ne  naquit 
pas  après  1440.  Mais  il  faut  même  reculer  sa  naissance  jusque 
vers  1425,  car  en  1445,  date  à  laquelle  on  trouve  pour  la  pre- 

peu  connue  et  qu'elle  révèle  l'aptitude  de  Sperandio  à  fondre  des  canons  et  à  faire 
acte  d'architecte  .  On  en  peut  lire  le  texte  dans  un  article  de  M.  Undjcrto  Rossi 
qu'a  publié  la  Gazetta  7iia}2isinatica  en  1887,  année  VI,  n°  12,  p.  89. 

«  Je  crois  que  sans  mon  ténioijjnajje  Votre  très  illustre  Seigneurie  connaît  de 
réputation  et  de  vue  maître  Sperandio,  porteur  de  cette  lettre,  homme  doué  de 
si  nombreuses  aptitudes  qu'il  serait  trop  long  de  les  énumérer  toutes.  Il  a  tou- 
jours été  bien  vu  de  feu  notre  cher  cardinal,  et  c'est  à  cause  de  cela  que  je  lui  ai 
voué  mon  estime  et  mon  amitié.  Conune  il  désire  continuer  à  vivre  dans  les  mêmes 
sentiments  de  fidélité  et  de  dévouement,  et  aussi  mourir  dans  sa  patrie  auprès  de 
Votre  Excellence,  il  m'a  vivement  prié  d'attester  combien  il  est  digne  de  votre 
iiienveillance,  et  de  vous  le  recommander  chaudement.  Quoique  je  reconnaisse 
en  lui  toutes  les  qualités  d'esprit  qu'un  artiste  peut  posséder,  quoique  je  sois 
convaincu  qu'il  se  recommande  assez  par  lui-même  pour  n'avoir  pas  besoin  des 
recommandations  d'autrui,  je  n'ai  pu,  tenant  à  le  satisfaire,  lui  refuser  d'écrire 
cette  lettre  à  Votre  Seigneurie,  afin  qu'à  ma  prière  vous  lui  accordiez  votre 
faveur  et  lui  procuriez  les  movens  d'exercer  ses  talents  et  de  vous  faire  honneur. 
Que  vous  utilisiez  ses  connaissances  au  point  de  vue  de  l'artillerie  ou  que  vous 
l'emplovicz  comme  constructeur  et  architecte,  vous  constaterez  en  lui  de  rares 
mérites,  vous  vous  trouverez  bien  servi,  et  je  resterai  très  obligé  à  Votre  Sei- 
gneurie, aux  bonnes  grâces  de  laquelle  je  me  recommande.  —  Quingentole, 
11  février  1495.  »  Quingentole  est  le  nom  d'une  commune  dans  la  province  de 
Mantoue  ^^district  de  Revere\ 

Il  est  probable  que  nous  devons  la  belle  médaille  de  Jcan-rrançois  Gonzagtie 
à  la  recommandation  contenue  dans  la  lettre  de  Louis  de  Gonzague. 

(1)  Article  de  M.  G.  Malagola  dans  les  Atti  e  memorie  délia  deputazlotie  di 
storia  patria  per  le  prnvincie  di  Romagna,  3^  série,  t.  I,  fasc.  V. 

(2)  ISous  avons  parlé  de  Bartolommeo  Sperandio  dei  Savelli  à  propos  de  l'or- 
fèvrerie, p.  566. 


620  L'ART    FERRARAIS. 

mière  fois  son  nom  dans  les  registres  de  la  cour,  il  devait  bien 
avoir  une  vingtaine  d'années,  et  en  1  471  il  écrivit  à  Hercule  I" 
une  lettre  ou  il  dit  qu'il  a  trois  fdles  à  marier  (1),  ce  qui  impli- 
que l'âge  d'environ  quarante-six  ans.  Sa  dernière,  médaille 
étant  celle  du  marquis  de  Mantoue  Jean-François  II  de  Gon- 
zague,  médaille  exécutée  à  l'occasion  de  la  bataille  de  Fornoue 
qui  eut  lieu  en  1495  (2),  on  est  en  droit  de  croire  qu'il  cessa 
bientôt  de  vivre.  On  ne  trouve  plus  dès  lors  aucune  trace  de 
lui,  et  les  registres  mortuaires  que  l'on  possède  à  partir  de 
l'année  1500  sont  muets  sur  son  compte  (3).  Cependant,  il  n'y  a 
pas  fort  longtemps  que  la  plupart  des  écrivains  prolongeaient 
sa  vie  de  trente-trois  ans  et  plaçaient  sa  mort  en  1528,  parce 
qu'à  la  date  du  6  novembre  1528  le  nécrologe  de  Ferrare 
mentionne  son  nom.  Mais  n'était-il  pas  étrange  que  depuis 
1500  jusqu'à  1528  on  ne  rencontrât  pas  une  seule  œuvre  de 
Sperandio,  et  qu'aucun  document  ne  fournît  le  moindre  rensei- 
gnement sur  un  artiste  d'une  telle  réputation?  Était-il  cer- 
tain d'ailleurs  que  la  mention  contenue  dans  le  registre  mor- 
tuaire de  Ferrare  s'appliquât  à  lui?  Le  nom  de  Sperandio  fut 
porté  par  plusieurs  personnages  à  Ferrare ,  de  même  qu  à 
Mantoue,  vers  la  fin  du  quinzième  siècle.  Un  d'eux  exécuta 
quelques  peintures  lors  du  mariage  d'Hercule  I"  avec  Eléonore 
d'Aragon  (1473).  Un  autre  peintre,  appelé  aussi  Sperandio, 
reçut  en  147G  vingt  florins  d'or  pour  deux  portraits  d'Her- 
cule I"  destinés  à  orner  la  résidence  du  Barco,  et  il  resta  long- 
temps à  la  solde  du  duc  (4).  Dans  les  registres  de  la  maison 
d'Esté,    on    rencontre   également   le    nom   de    Sperandio    da 

(1)  Nous  reviendrons  plus  loin  sur  cette  lettre. 

(2)  François  Gonzague  commandait  l'armée  italienne  à  travers  laquelle 
Charles  VIII  se  fraya  un  passage  le  6  juillet.  On  lit  au  droit  de  sa  médaille  : 
ii  Frauciscus  Gonzaija  Mantuœ  marchio  ac  veneti  exerc.  imp.  »,  et  au  revers  : 
«  Ob  restitutam  Italiœ  libertatem.  «  —  C'est  pour  glorifier  François  Gonzague 
après  la  même  bataille  que  Mantegim  peignit  la  Vierge  de  la  Victoire,  conservée 
au  Louvre,  tahleau  où  l'on  voit  le  prince  à  genoux  au  pied  du  trône  de  Marie. 

(3)  D'après  les  médailles  connues,  la  période  d'activité  de  Sperandio,  comprise 
entre  1465  et  1V95,  dura  trente  ans;  mais  il  est  probable  que  Sperandio  est 
l'auteur  de  médailles  perdues  ou  regardées  conime  anonymes. 

(4)  Voyez  un  article  de  M.  Ventcri  dans  le  Kunst/reiind  publié  à  Berlin, 
n°  18,  livraison  du  15  septembre  1885,  p.  278. 


LIVRE   TROISIEME.  621 

Campo,  peintre  qui  recevait  par  mois  trente  lire  marchesine  (1). 
Enfin  Gittadella  nous  fait  connaître,  à  la  date  de  1500,  un 
Sperandio,  peintre  et  citoyen  de  Ferrare,  qui  était  fils  de  feu 
Sperandio  da  Campo. 

Ce  fut  probablement  à  Ferrare  que  Sperandio  di  Barto- 
lommeo  Savelli  passa  sa  jeunesse  et  apprit  avec  son  père 
l'art  de  l'orfèvrerie.  Nous  avons  déjà  dit  tout  à  Theure  qu'on 
le  voit  mentionné  pour  la  première  fois  comme  orfèvre 
en  1445  :  Lionel  enjoignit  à  ses  intendants  de  lui  donner  un 
boisseau  de  blé  et  six  barils  de  vin.  Entre  1447  et  1463,  Spe- 
randio vécut  hors  de  Ferrare,  on  ne  sait  où,  et  séjourna  peut- 
être  pendant  quelque  temps  à  Milan  (2);  mais  il  demeura  cer- 
tainementà  Ferrare  depuis  1463  jusqu  en  1477. 

Malgré  tout  son  talent,  malgré  la  faveur  dont  jouissaient 
ses  ouvrages,  il  dut  un  jour  implorer  l'assistance  du  duc, 
comme  le  prouve  la  lettre  qu'il  lui  écrivit  (en  1471  probable- 
ment), lettre  à  laquelle  nous  avons  déjà  fait  allusion  et  que 
nous  analyserons  à  propos  des  médailles  d'Hercule  I". 

En  1475,  il  sculpta  pour  la  porte  principale  du  Barco  deux 
têtes  en  marbre  représentant  le  duc  Hercule.  L'année  sui- 
vante, il  en  fit  deux  autres  en  terre  cuite  peinte,  également 
pour  la  porte  du  Barco.  Un  registre  de  la  maison  d'Esté  le 
mentionne  aussi  comme  peintre  en  1476. 

(1)  Sperandio  da  Campo  de  Mantoue  travailla  à  Ferrare  dès  1484.  Depuis  le 
1"  août  1490  jusqu'à  1493  inclusivement,  il  fut  à  la  solde  des  Este,  pour  lesquels 
il  exécuta  des  peintures  à  fresque  et  a  tempera.  En  1497,  il  entreprit,  de  concert 
avec  plusieurs  autres  peintres,  de  nouveaux  travaux  dans  les  palais  du  prince. 
Les  registres  de  la  chambre  contiennent  encore  son  nom  en  1502.  Il  est  probable 
que  sa  mort  arriva  seulement  en  1520,  et  c'est  vraisend)lablement  à  lui  que  s'ap- 
plique la  mention  qui  se  trouve  dans  le  nécrolojje  de  Ferrare.  (Ad.  Venturi, 
Sperandio  da  Mantova,  dans  VArchivio  storico  dell'  arte,  octobre  1888,  p.  388- 
389.  —  L'arte  ferrarese  ncl  periodo  d'Ercole  I  d'Esle,  p.  122.) 

(2)  N'est-ce  pas  dans  cette  période  qu'il  faut  placer  la  médaille  de  François 
Sforza?  —  En  1451,  Sperandio  était  certainement  à  Mantoue.  Borso  ayant  désiré 
sa  présence  à  Ferrare,  la  marquise  de  ^lantoue  Barbara,  pendant  que  le  marquis 
Louis  Gonzajjue  se  trouvait  à  Milan,  écrivit  au  duc  de  Ferrare  le  8  mars  1451 
qu'elle  avait  fait  inutilement  chercher  Sperandio  à  Mantoue  et  sur  son  territoire, 
qu'on  ne  savait  où  cet  artiste  était  allé  depuis  quelques  jours,  qu'elle  l'enverrait 
à  Borso  dès  qu'il  reviendrait.  (Ad.  Venturi,  Sperandio  da  Mantova,  dans  r*4/- 
chivio  storico  deW  aite,  mai-juin  1889,  p.  229.) 


622  L'ART    FERRARAIS. 

8a  réputation  s'étendait  au  delà  de  Ferrare.  Le  25  mai  1476, 
Carlo  II  Manfredi,  seigneur  de  Faënza  (1),  écrivit  à  Hercule  I" 
pour  solliciter  la  faveur  d'avoir  auprès  de  lui  Sperandio  pen- 
dant huit  ou  dix  jours.  Il  fut  sans  doute  très  satisfait  de  l'ar- 
tiste, car  le  21  mai  147  7  il  adressa  une  nouvelle  lettre  au  duc 
afin  d'obtenir  que  Sperandio  entrât  à  son  service  :  il  souhaitait, 
disait-il,  que  celui-ci  exécutât  une  partie  des  ornements  et 
des  statues  qui  devaient  décorer  la  cathédrale  ,   qu'il  faisait 
alors  construire  dans  l'intention  d'honorer  Dieu  et  d'embellir 
la  cité  de  Faënza.  «Je  le  traiterai,  ajoutait-il,  selon  son  mérite 
et  de  façon  à  le  contenter.  »  Hercule  obtempéra  aux  désirs  de 
Carlo  Manfredi,  et,  le  5  juin  1  477,  un  traité  liant  Sperandio  au 
seigneur  de  Faënza  fut  signé  par  Sperandio  et  par  Federico 
Manfredi,  mandataire  de  Carlo  son  frère  (2).  Mariotto,  aide 
de  Giuliano  da  Maïano  qui  travaillait  alors  à  la  construction 
de  la  cathédrale,  intervint  comme  témoin  à  la  conclusion  de 
l'acte.  D'après  les  clauses  de  cet  acte,  clauses  exécutoires  pen- 
dant cinq  ans  à  partir  du  1"  juillet  1477,  Sperandio,    «  fils  de 
feu  Bartolommeo  Savelli  de  Rome,  habitant  autrefois  Mantoue 
et  fixé  maintenant  à  Faënza  (3)  »  ,  s'engageait  à  faire  des  ouvra- 
ges en  bronze,  en  marbre,  en  terre  et  en  plomb,  des  dessins, 
des  peintures,  des  objets  d'orfèvrerie  et  tout  ce  que  compor- 
tait sa  profession.  Il  promettait,  en  outre,  de  se  conduire  en 
sujet  obéissant  et  fidèle,  de  ne  pas  sortir  des  États  de  Carlo 
Manfredi  et  de  ne  travailler  pour  personne  sans  l'autorisation 
de  celui-ci.  Le  seigneur  de  Faënza,  de  son  côté,  devait  donner 
à  Sperandio  huit  libre  de  bolognini  par  mois  (4),  payer  pour  lui 
et  pour  deux  autres  bouches  le  pain,  le  vin  et  la  viande,   et 
solder  son  loyer  dans  une  maison  convenable. 

Carlo  Manfredi  profita  peu  des  conventions  par  lesquelles  il 
s'était  attaché  Sperandio,  car  il  fut  détrôné  et  expulsé  avec 
Federico  par  son  frère  Galeotto  au  bout  de  quatre  mois,    le 

(1)  ÏNé  en  1439.  il  régna  à  partir  de  1468. 

(2)  Federico  Manfredi  était  évèque  de  Faënza. 

(3)  Un  peu  plus  loin,  il  est  appelé  «  Sperandio  de  Mantoue  »  . 

(4)  La  trésorerie  se  réservait  de  {jarder  les  émoluments  d'un  mois  chaque 
année. 


LIVRE   TROISIÈME.  623 

17  novembre  1477.  Il  eut  cependant  le  temps  de  faire  exé- 
cuter sa  médaille,  qui  resta  sans  revers  et  dont  l'inscription 
fut  gravée  après  sa  chute.  Sperandio  exécuta  aussi,  probable- 
ment après  la  chute  de  Carlo,  la  médaille  de  Galeotto,  «  invic- 
Tus  MARTis  ALUMNUS  »  ,  qui  régna  jusqu'cn  1488. 

Au  bout  d'un  an,  il  quitta  Faënza,  où  on  lui  avait  volé  des 
objets  représentant  une  somme  de  cent  ducats  d'or,  et  arriva 
à  Bologne  le  20  juillet  1  478  avec  sa  femme,  ses  fdles  (Camille, 
Lucrèce  et  Laure)  et  son  unique  fils  (Beltrando)  (1).  Il  gagna  les 
bonnes  grâces  de  Giovanni  II  Bentivoglio,  qui  pria,  à  deux 
reprises,  Laurent  le  Magnifique  d'intercéder  auprès  de  Galeotto 
Manfredi,  pour  que  celui-ci  ordonnât  de  rechercher  les  objets 
dérobés  et  les  fît  rendre  à  qui  de  droit.  Le  séjour  de  Sperandio 
à  Bologne  se  prolongea,  à  ce  qu'il  semble,  jusqu'en  1-490. 

Sperandio  revint-il  jamais  à  Ferrare?  On  pourrait  le  croire 
d'après  deux  lettres  d'Hercule  I"  à  son  gendre  François  Gon- 
zague  (2).  Dans  l'une  (11  avril  1491),  il  prie  le  marquis  de 
Mantoue  de  hâter  la  conclusion  d'un  procès  relatif  à  une  mai- 
son appartenant  h  Sperandio  de  Mantoue.  Dans  l'autre  (18  oc- 
tobre 1492),  il  demande,  sur  les  instances  du  même  artiste, 
qu'on  fasse  grâce  de  la  vie  à  un  ami  de  celui-ci.  <«  Nous  aimons 
et  chérissons,  disait  le  duc  de  Ferrare,  notre  maître  Sperandio 
de  Mantoue.  »  S'agit-il  du  médailleur  ou  du  peintre  Sperandio 
da  Gampo  de  Mantoue?  Il  semble  qu'un  intérêt  si  vif,  si  affec- 
tueux, devait  être  inspiré  par  l'illustre  médailleur  plutôt  que 
par  le  peintre,  très  peu  connu  de  la  postérité.  Tel  est  l'avis  de 
M.  Umberto  Rossi,  qui  admet  la  présence  de  Sperandio  di 
Bartolommeo  Savelli  à  Ferrare  de  1490  à  1492  (3).  Mais  plus 
d'une  objection  se  présente.  Gomment  admettre  que  Sperandio 
le  médailleur  ait  possédé  une  maison  à  Mantoue  ?  Il  partit  fort 

(1)  Ce  n'était  sans  doute  pas  la  première  fois  que  Sperandio  venait  à  Rolojjne. 
car  une  des  trois  médailles  de  Giovanni  II  Rcnlivojjlio  représente  ce  personnajje 
jeune  encore  ;  cette  médaille  est  celle  au  revers  de  laquelle  on  voit  deux  {jénies 
nus  soutenant  l'écusson  des  Bentivojjlio. 

(2)  Stefano  Davari,  Sperandio  da  Mantova  c  Dartolcuieo  Meliolo  Mantovano^ 
scullori-orefici  del  secolo  XV.  Mantoue,  1886. 

(3)  Gazetta  numisinatica,  année  VI,  n"  12. 


624  L'ART    FERRARAIS. 

jeune  de  cette  ville,  ne  revint  sans  doute  s'y  fixer  qu'à  la  fin 
de  sa  vie  et  n'y  acheta  vraisemblablement  aucun  immeuble  ; 
quant  à  son  père,  qui,  venu  de  Rome  à  Mantoue,  s'éloigna  de 
cette  dernière  ville  quatre  ans  après  s'être  fait  inscrire  dans  la 
corporation  des  orfèvres,  on  a  peine  à  se  figurer  qu'il  y  ait 
été  propriétaire.  Il  est  encore  plus  difficile  de  s'imaginer  que 
le  célèbre  médailleur  ait  eu  des  amis  intimes  dans  une  ville  à 
laquelle  il  était  devenu  presque  étranger  depuis  son  enfance 
D'ailleurs,  si  Sperandio  Savelli  avait  cultivé  de  nouveau  son 
art  à  Ferrare,  ne  rencontrerait-on  pas  son  nom  sur  les  regis- 
tres de  la  cour  comme  auparavant?  Or,  ces  registres  sont 
muets  sur  son  compte  en  1  490  et  en  1491.  Enfin  n'est-ce  pas 
à  Bologne,  en  1490,  qu'il  dut  exécuter  la  médaille  de  Catalano 
Casali,  puisque  Casali  y  est  qualifié  de  protonotaire,  titre  qui 
ne  lui  fut  donné  qu'en  1490?  Ces  arguments,  qu'a  dévelop- 
pés M.  Yenturi,  nous  semblent  décisifs.  Il  est  donc  naturel 
de  penser  que  le  Sperandio  nommé  par  Hercule  I"  est  le 
peintre  qui,  on  le  sait,  fut  à  son  service  de  1489   à  1494. 

On  ne  peut  plus  apprécier  aujourd'hui  Sperandio  comme 
peintre,  comme  architecte  (1),  comme  orfèvre.  Il  est,  du 
moins,  possible  de  le  juger  comme  sculpteur. 

Le  livre  des  revenus  et  des  dépenses  du  couvent  de  Saint- 
François,  à  Bologne,  relate,  en  effet,  qu'il  fut  l'auteur  du  mo- 
nument en  terre  cuite  élevé  dans  l'église  des  Franciscains  (2) 
en  l'honneur  du  pape  Alexandre  V,  et  que,  le  3  octobre  1482, 
on    paya   à  l'artiste    le    solde    de    ce    qui    lui    était  dû  (3). 

(1)  En  représentant  des  temples  au  revers  des  médailles  de  François  Sforza  et 
de  Lanfredini,  Sperandio  a  cependant  laissé  quelques  témoignages  de  son  talent 
dans  le  domaine  de  l'architecture. 

(2)  Lorsque,  en  1807,  à  l'époque  de  Napoléon,  l'administration  des  douanes 
fut  installée  dans  le  couvent  de  Saint-François,  on  transporta  par  morceaux  le 
monument  d'Alexandre  V  à  la  Chartreuse,  près  de  Bologne,  où  il  ne  fut  mis  en 
place  qu'en  1837.  Le  sarcophage  sur  lequel  devait  reposer  la  statue  du  Pape  ne  se 
retrouva  pas.  Il  v  a  cjuelques  années,  on  a  rapporté  dans  l'église  de  Saint-Fran- 
çois l'œuvre  de  Sperandio.  Elle  se  composait  d'environ  cent  morceaux;  la  statue 
du  Souverain  Pontife  en  comprenait  quarante  à  elle  seule.  Le  sarcophage  qu'on 
voit  à  présent  a  été  reconstitué  en  grande  partie  d'après  une  reproduction  donnée 
par  Ciaconio  en  1677  dans  sa  Vie  des  papes  et  des  cardinaux . 

(3)  Ad.   Venturi,    Sperandio  da  Mantova,  dans   V Archivio  storico  deW  arle 


LIVRE   TROISIEME.  625 

L'aspect  du  monument  confirme,  d'ailleurs,  la  mention  du 
registre.  En  considérant  les  deux  anges  placés  dans  les  niches 
du  soubassement,  on  se  rappelle  certaines  figures  représen- 
tées par  Sperandio  sur  les  revers  de  ses  médailles  :  c'est  le 
même  système  de  draperie,  ce  sont  presque  les  mêmes  têtes 
lourdes  et  massives,  assez  grossièrement  traitées.  Plus  haut,  le 
Pape,  sans  physionomie  caractérisée,  est  étendu  sur  son  tom- 
beau, que  dominent  la  Vierge  et  lEnfant  Jésus  entre  deux 
saints  (1).  Vasari  attribue  toutes  ces  sculptures  à  Niccolô 
di  Piero  Lamberti  d'Arezzo  (2).  Pendant  longtemps  on  a 
d'autant  plus  facilement  accepté  son  assertion  que  la  mort 
d'Alexandre  V  eut  lieu  en  1410,  du  vivant  de  Niccolô  di 
Piero  d'Arezzo,  bien  avant  la  naissance  de  Sperandio.  La 
vérité  est  que  le  monument  dû  à  Sperandio  a  remplacé  un 
monument  élevé  peu  après  la  mort  d'Alexandre  Y,  monument 
dont  il  ne  reste  plus  trace,  mais  dont  il  est  question  dans  des 
comptes  remontant  à  1421.  Quant  à  l'auteur  de  ce  premier 
tombeau,  ce  fut  probablement  Niccolô  di  Piero  de  Florence, 
que  Vasari  aura  confondu  avec  Niccolô  di  Piero  d'Arezzo,  et 
qui,  en  1429,  fut  chargé  de  réparer  les  dégâts  causés  par 
un  incendie  au  palais  des  Anciens,  à  Bologne. 

M.  Venturi  regarde  aussi  Sperandio  comme  l'auteur  des 
ornements  qui  accompagnent  la  porte  de  l'église  Sainte-Cathe- 
rine h  Bologne  :  la  ressemblance  des  arabesques  qui  garnissent 
les  pilastres  avec  les  arabesques  qui  décorent  les  pilastres  du 
monument  d'Alexandre  V,  sans  parler  d'autres  détails  carac- 
téristiques, justifie  cette  affirmation. 

On  a  voulu  également  faire  honneur  à  Sperandio  du  beau 
buste  en  bronze  d'Andréa  Mantegna  qui  orne  le  tombeau  de  ce 


(mai-juin  1889),  p.  232.  —  Rdbuiasi  (Alfoaso),  La  tomba  di  Alessnndio  V  in 
Bologna,  opéra  di  Sperandio  da  Manloua,  dans  les  Atli  e  memorie  délia  depu- 
tazione  di  storia  patria  délie  Roniagne,  série  III,  vol.  XI,  fasc.  I-III,  1893.  — 
C.  DE  Fabriczy,  article  dans  le  Bepcrloriiun  fiir  Kunslwissenscltaft,  année  1895, 
p.  390. 

(1)  L'article  de  M.  Venturi  dans  VArcltiuio  storico  dcW  arte,  de  mai-juin  1889. 
p.  230,  contient  une  reproduction  de  ce  monument. 

(2)  Vasaiu-Milanesi,  t.  II,  p.  139. 

I.  40 


62G  L'ART    FERRARAIS. 

peintre  dans  l'église  de  Saint-André  à  Mantoue.  Cette  attribu- 
tion n'est  pas  soutenable.  Le  buste  de  Mantegna  n'offre,  en 
effet,  aucun  des  caractères  que  présentent  les  médailles 
de  Sperandio  ;  il  témoigne  d'une  manière  plus  forte,  plus 
large  et  plus  simple  (1);  d'ailleurs,  en  1506,  quand  Mantegna 
mourut,  Sperandio,  nous  croyons  l'avoir  établi,  n'existait  déjà 
plus.  On  pourrait,  au  contraire,  avec  M.  C.  de  Fabriczy  (2), 
attribuer  sans  invraisemblance  le  buste  de  Mantegna  à  Barto- 
lonieo  di  Virgilio  Melioli,  né  en  1448,  mort  en  1514,  comme 
nous  l'avons  dit.  Préposé  par  le  marquis  de  Mantoue  à  la 
direction  de  la  Monnaie  depuis  149:2  jusqu'à  la  fin  de  son 
existence,  Melioli  se  pénétra  du  style  de  Mantegna  en  exécu- 
tant ses  médailles.  Or,  on  retrouve  manifestement  ce  style 
dans  le  buste  dont  nous  parlons.  En  outre,  un  signe  caracté- 
ristique des  médailles  de  Melioli,  c'est  la  cuirasse  de  ses  per- 
sonnages qui  descend  jusqu'au  bord  de  la  pièce  et  qui  inter- 
rompt l'inscription  gravée  autour  de  l'effigie.  Une  disposition 
analogue  existe  dans  le  buste  de  Mantegna  :  le  bas  du  buste 
dépasse  le  cadre  circulaire  et  couvre  en  partie  les  ornements 
de  ce  cadre.  N'était-il  pas  naturel,  d'ailleurs,  que  le  marquis 
de  Mantoue,  aux  frais  duquel  fut  probablement  érigé  le  monu- 
ment de  Mantegna,  s'adressât  à  Melioli  qui  était  à  son  service 
et  avait  fourni  déjà  maintes  preuves  de  son  habileté  ?  —  Peut- 
être,  cependant,  serait-on  autorisé  à  se  prononcer  avec  plus  de 
vraisemblance  encore  pour  Gian  Marco  Cavalli,  né  à  Viadana, 
sur  le  territoire  de  Mantoue,  en  1450.  Cavalli  se  signala  par  ses 

(1)  On  a  prétendu  que  Sperandio  fut  élève  de  Mantegna.  Le  style  ordinaire  de 
Sperandio  contredit  cette  supposition.  L'influence  de  Mantegna  ne  se  manifeste 
un  peu  que  sur  le  revers  de  la  médaille  représentant  François  II  Gonzague, 
médaille  exécutée  en  même  temps  que  la  Madone  de  la  Victoire,  dont  Mantegna 
est  l'auteur.  Partout  ailleurs  on  ne  découvre  rien  des  tendances  et  des  formes  qui 
caractérisent  les  œuvres  du  maître  padouan,  ce  qui  n'a  rien  de  surprenant, 
puisque  Sperandio  passa  presque  toute  sa  vie  hors  de  Mantoue,  loin  de  ce 
maître.  Gomme  médailleur,  il  travailla  sous  l'influence  de  Pisanello,  de  ^Matteo 
de'  Pasti  et  de  Marescotti,  ainsi  que  le  prouvent  tout  particulièrement  certains 
revers  de  ses  médailles.  (Voyez  les  exemples  cités  par  M.  Venturi  dans  VAi-chi- 
vio  storico  delV  arte,  octobre  1888,  p.  396.) 

i2)  //  busto  in  rilievo  di  Mante/jna  altribuito  allô  Spei-andio,  dans  V Arcliivio 
sturico  deir  arte,  octobre  1888,  p.  428. 


LIVRE   TROISIEME.  627 

travaux  crorfèvrerie,  fort  appréciés  du  marquis  François  Gon- 
zague,  d'Isabelle  d'Esté  et  de  l'évêque  Louis  Gonzague,  frère 
du  marquis.  Il  grava  des  coins  pour  la  Monnaie  de  Mantoue,  à 
la  grande  satisfaction  de  son  maître,  et  fondit  en  bronze  une 
répétition  du  Tireur  d'épines,  destinée  à  Marc  Antonio  Moro- 
sini.  En  1504,  il  signa  comme  témoin  le  testament  de  Mante- 
gna  (1"  mars)  et  l'acte  par  lequel  les  chanoines  de  Saint- 
André  accordèrent  à  l'illustre  peintre  une  chapelle  où  devait 
être  disposé  son  tombeau  (11  août),  ce  qui  indique  une  véri- 
table intimité  entre  les  deux  artistes.  Tout  conseillait  donc  de 
confier  à  Cavalli  l'exécution  du  monument  de  Mantegna.  Il  y 
a,  au  surplus,  une  grande  ressemblance  de  style  entre  le  buste 
de  Mantegna  et  le  buste  du  Carme  Battista  Spagnoli,  qui  était 
alors  le  poète  favori  des  Gonzague.  Or,  ce  dernier  buste, 
conservé  au  musée  de  Berlin,  est  sans  doute  l'œuvre  de  Ca- 
valli, car  Spagnoli  et  Cavalli  étaient  étroitement  liés,  et  Ca- 
valli est  le  seul  artiste,  avec  Mantegna,  que  le  poète  ait 
mentionné  dans  ses  vers  (1). 

S'il  faut  se  contenter  à  présent  de  juger  Sperandio  d'après 
ses  médailles,  le  champ  de  l'observation  est  du  moins  aussi 
vaste  qu'intéressant.  Sperandio  est  le  plus  fécond  des  médail- 
leurs  italiens.  Son  œuvre  comprend  quarante-six  pièces  (2). 
Sur  celles  qui  sont  pourvues  de  date,  les  années  1  iT2,  1473, 
1474,  1479  et  1482  sont  seules  indiquées.  Peut-être  a-t-on 
exagéré  le  mérite  de  Sperandio.  En  réalité,  il  est  très  inférieur 
à  Pisanello  et  à  INIatteo  de'  Pasti.  La  plupart  de  ses  médailles 
trahissent  la  négligence  et  la  précipitation  ;  le  relief  y  est  trop 
fort  et  trop  heurté .  En  général ,  les  revers  manquent  de 
noblesse  et  de  grâce  (3)  :  les  conqjositions  sont  louides,  et  le 


(1)  Umberto  Rossi,  Giaii  Marco  Cavalli,  clans  la  liivisla  italiana  di  niimis- 
matica,  annu  I,  fasc.  IV,  1888.  —  Boue,  Die  Bronzebiistc  de.i  Battista  Spagnoli 
im  kœni(jlicheii  Mustuin  zu  Berlin,  ein  Werk  muthmasslich  des  Gian  Marco 
Cavalli,  dans  le  Jahrbuch  du  i"  octobre  1889,  10°  année,  n°  4. 

(2)  Elles  sont  toutes,  excepté  celle  de  Carlo  II  Manfrcdi,  reproduites  eu  liélio- 
{jravure  dans  le  fascicule  consacré  par  M.  llciss  à  Sperandio. 

(3)  On  y  voit  souvent  des  fijjurcs  allégoriques  debout  ou  assises  sur  des  ani- 
maux symboliques. 


628  L'ART    FERRARAIS. 

dessin  des  figures  laisse  à  désirer  (1).  Quelques  médailles, 
cependant,  sont  charmantes,  pleines  de  vie,  ciselées  avec 
beaucoup  de  soin.  Sperandio  reprenait  souvent  après  coup 
certaines  pièces  et  leur  donnait  une  perfection  que  n'ont  pas 
tous  les  exemplaires.  Pour  juger  de  ce  dont  il  était  capable,  il 
faut  consulter  les  exemplaires  qu'il  a  retouchés,  ou  tout  au 
moins  les  bonnes  épreuves,  qui  permettent  seules  d'apprécier 
ce  qu'il  vaut. 

Parmi  les  personnages  représentés  sur  les  médailles  de  Spe- 
randio, les  Bolonais  sont  les  plus  nombreux;  mais  les  Ferra- 
rais  ou  les  hommes  qui  occupèrent  à  Ferrare  une  grande 
situation  forment  un  groupe  presque  aussi  considérable ,  ce 
qui  s'explique  par  le  long  séjour  de  Sperandio  dans  la 
capitale  des  princes  d'Esté.  Après  avoir  triomphé  des  difficul- 
tés qui  accompagnent  si  souvent  les  débuts  des  artistes ,  il 
excita  un  engouement  général  ;  à  l'exemple  du  souverain,  les 
courtisans  et  les  principaux  citoyens  lui  demandèrent  à  l'envi 
de  reproduire  leurs  traits.  Une  des  deux  médailles  consacrées 
h  Bartolonuueo  Pendaglia,  la  médaille  de  Prisciano  de'  Prisciani 
et  celle  de  Bartolomnieo  délia  Rovere  portent  seules  des  dates  : 
la  première  est  de  1472,  la  seconde  de  1473,  la  troisième 
de  1474.  Présenter  un  essai  de  classement  chronologique  des 
autres  médailles,  en  se  reportant  aux  événements  qu'elles 
rappellent  ou  en  consultant  l'âge  apparent  des  personnages, 
nous  paraît  une  entreprise  périlleuse,  où  les  chances  d'erreur 
sont  nombreuses.  Nous  suivrons  donc  une  autre  méthode. 
Après  avoir  examiné  les  portraits  d'Hercule  II,  nous  passerons 
en  revue  les  portraits  des  princes  et  des  seigneurs  de  son  en- 
tourage, et  nous  finirons  par  les  savants  et  les  poètes,  de  façon 
à  embrasser  pour  ainsi  dire  d'un  coup  d'œil  l'ensemble  de  la 
société  ferraraise  à  cette  époque. 

Hercule  I",  fils  légitime  de  Nicolas  III  et  de  Ricciarda  de 
Saluées,  né  en  1431,  duc  de  Ferrare  à  partir  de  1471,  mort 
en  1505  (diam.  97).  —  Le  prince,  tourné  à  gauche,  est  coiffé 

(i)  Ff.iedlaen'deb,  p.  61,  62. 


LIVRE  TROISIEME.  629 

d'un  mortier.  Il  a  des  cheveux  longs  et  bouclés,  et  porte  une 
chaîne  d'où  pend  un  médaillon.  Sa  physionomie,  plus  afjréable 
que  sur  les  médailles  de  Baldassare  d'Esté,  est  moins  accentuée 
que  sur  la  médaille  de  Coradini.  Il  semble  n'avoir  pas  plus  de 
quarante  ans.  Sa  médaille  aurait  donc  été  faite  en  1  i71 ,  puis- 
qu'il naquit  en  1431.  Au  revers,  on  voit  sur  un  monticule  un 
palmier  chargé  de  fruits  entre  deux  troncs  d'arbres  desséchés. 
Cette  médaille  est  probablement  celle  que  Sperandio  men- 
tionne dans  une  lettre  à  laquelle  nous  avons  fait  allusion  et 
dont  voici  la  substance.  Sperandio  rappelle  que,  depuis  long- 
temps, il  désire  servir  le  duc,  et  qu'il  ne  l'a  jamais  importuné. 
Mais  il  a  trois  filles  à  marier  et  ne  peut  subvenir  aux  besoins 
de  sa  famille.  «  J'ai  résolu,  ajoute-t-il,  de  ne  vivre  en  ce 
monde  que  de  mon  faible  génie.  Cependant,  comme  mon 
talent,  qui  est  tout  mon  bien,  ne  me  rapporte  guère,  je  me 
vois  forcé  d'implorer  une  petite  pension  ou  un  don  pour  me 
tirer  d'embarras.  »  Si  sa  demande  est  repoussée,  Sperandio 
sera  forcé  de  quitter  Ferrare,  où  il  avait  pourtant  résolu  de 
vivre  à  l'ombre  du  duc.  Il  termine  en  disant  qu'il  a  fait  le  por- 
trait du  duc,  «  la  imaaine  de  Vostra  Excellentùi  »  (c'est-à-dire 
la  médaille  dont  nous  nous  occupons),  et  qu  il  le  lui  envoie. 
Cette  lettre  n'est  pas  datée  (1),  mais  M.  Venturi  la  place  avec 

(1)  C'est  M.  Venturi  qui  l'a  découverte.  Elle  a  été  publiée  par  lui  dans  le 
Kunstfreund  de  Berlin,  n°  18,  livraison  du  15  septembre  1885,  p.  77,  et  dans 
V Aicliivio  storico  delf  arte,  octobre  1888.  En  voici  le  texte  : 

Il  lllu""*  Princcps  et  Ex""^  domine.  Dux  mi  plusque  singularis.  perche  f[lia  niolti 
anni  sun  stato  cupidu  et  dcsideroso  servir  vostra  Inclita  et  ducal  Si{;noiia.  E  mai 
non  mi  è  apparso  il  tempo  di  atcdiar  quella  :  Al  présente  {jravato  de  inutile 
famifjlia  et  de  Tre  fiyliole  da  marido,  et  non  potcnto  cum  mia  Virtu  sove{;nirme 
in  ogni  mio  bixogno  :  per  non  essere  la  Virtu  piu  in  precio  di  quello  che  se  sia  : 
on  per  nécessita  de  li  homini  on  per  altre  occurrente  occupatione.  Ma  io  delibe- 
rato  non  voler  viver  in  questo  mondo  se  non  mediante  il  mio  débile  in{;cj;no  : 
hora  a  piedi  de  Vostra  Ex''"  me  ricomando.  Intimando  a  quella  che  le  mie  posses- 
sione  più  non  fructano  f|ranfacto  zoe  le  virtu  mie  :  et  Ritrovandomi  in  mali  Ter- 
mini  se  vostra  ducal  Si{;°  non  mesuccore  de  qualche  provisioncclla  :  on  dc([ualche 
dono,  che  a  vostra  Si{;noria  sera  fama  {»audio  et  contento  cum  pochissiuio  damno  : 
et  a  mi  vostro  fidelissimo  Servidore  un  {;ran  soccorso  e  bene.  Aliter  non  ci  posso 
stare  :  e  dolme  fino  al  corc  dovcr  cercharc  altri  pacsi  non  me  ajutando  vostra 
Si{;noria  perche  glia  havca  dcliberato  e  stabclito  Vivere  e  morire  sotto  lombra  de 
Vostra  Ex'^'".  Et  per  Ricordo  di  mei  biso{;ni  et  affanni,  mando  a  Vostra  Si^°  la 
Imagine  de  Vostra   Ex"".  La    quai   fara   parangone   di  quella  pocha  virtj  ciic  sco 


630  L'ART    FERRARAIS. 

vraisemblance  en  1471.  Dans  un  inventaire  des  objets  possé- 
dés par  Hercule  I"  en  1471,  il  est,  en  effet,  question  d'une 
médaille  du  duc  ;  or,  cette  médaille  ne  peut  être  ni  celle  que 
fit  Coradini  (1472),  ni  celle  dont  Baldassare  d'Esté  fut  l'au- 
teur (1472),  ni  aucune  des  pièces  anonymes,  car  ces  dernières 
représentent  toutes  Hercule  I"  dans  un  âge  avancé  (l).  Il  ne 
s'agit  donc  que  de  la  médaille  précédemment  décrite. 

Sur  une  seconde  médaille  beaucoup  plus  grande  et  sans 
revers  (diam.  116),  que  borde  une  couronne  de  laurier,  Spe- 
randio  a  représenté ,  se  faisant  face ,  à  droite  Hercule  I" ,  à 
gauche  Éléonore  (ï Aragon,  sa  femme.  Hercule  porte  une  toque 
d'une  forme  moins  heureuse  que  sur  la  médaille  précédente  ; 
son  nez  est  plus  recourbé  vers  le  bout  et  son  regard  plus  hau- 
tain. Il  semble,  du  reste,  avoir  à  peu  près  le  même  âge.  Quant 
à  Éléonore,  elle  a  la  tête  couverte  d'une  coiffe  qui  descend  sur 
la  nuque.  Son  front  haut  est  très  bombé.  Il  y  a  un  peu  de  vul- 
garité dans  ses  traits,  et  le  charme  de  la  jeunesse  lui  fait  défaut. 
Une  tête  de  chérubin,  vue  de  face,  plane  au-dessus  des  deux 
personnages  :  elle  est  vulgaire  et  sans  grâce.  On  s'accorde, 
avec  raison,  à  croire  que  cette  médaille  fut  faite  aussitôt  après 
le  mariage  d'Hercule  I"  avec  la  fdle  de  Ferdinand  d'Aragon, 
roi  de  Naples,  mariage  qui  eut  lieu  le  3  juillet  1473  (2). 

essendo  questa  de  le  minime  che  sapia;  Ricordandovi  che  sel  non  fusse  il  bisojrno 
che  io  ho  de  continuar  la  Rubrica  (de  pane  aquirendo)  haria  facto  uiolto  meglio  : 
Et  anche  credo  Vostra  Signoria  il  scapia,  per  alcune  mie  operete  che  vi  ho  fatto  a 
presentare  da  parte  mia  :  Si  che  supplice  a  Vostra  Ex'^'°  quella  se  degni  havermi 
per  ricomandato  nelle  mie  neccesita  et  per  recscripto  gracioso  darmi  aviso  di 
quello  ho  a  fare.  ^on  altro  a  quella  millies  me  Ricomando.  Ferrariae,  etc.  » 

Ex'^i''  V.  Fe™"*  Servitor  Speraudeus  de  mantua, 

aurifex  hnbitaus  ferraria;. 
A  l'extérieur  :  111™»  Priucipi  et  E\"">  doniiuo 

Herculi  Duci  Ferrariae  Mutine  et 

Regij  Marchioui  csteusis  Rodigiicpie  co- 

niiti  Domino  suc  plus  que  Singuluri. 

(Ij  Ad.  Vesturi,  Sperandio  da  Mantova^  dans  V Archivio  storico  deW  arle, 
octobre  1888,  p.  390. 

(2)  La  plus  belle  des  médailles  consacrées  à  Hercule  I"  et  à  Éléonore  d'Ara- 
gon, celle  où  ces  deux  personnages  apparaissent  le  plus  à  leur  avantage,  est  une 
médaille  anonyme  d'un  très  faible  relief  (diam.  74).  Elle  fut  faite  aussi  très  proba- 
blement à  l'occasion  du  mariage  d'Hercule  avec  la  princesse  napolitaine.  On  voit 
d'un  côté   le   duc   tourné    à   droite,  vêtu  d'une  robe    et  coiffé  d'une  calotte  ;  de 


LIVRE   TROISIEME.  631 

Sigismond  (VEste,  premier  marquis  de  San  Martine  (1).  —  Fils 
de  Nicolas  III  d'Esté  et  de  Ricciarda  de  Saluées,  il  naquit  en 
1433  et  vécut  depuis  1441  jusqu'en  1  4G1  à  la  cour  de  Napies, 
où  il  avait  été  relégué.  Pendant  les  absences  des  ducs  Borso  et 
Hercule  I",  c'est  à  lui  que  fut  confié  le  gouvernement  de  Ferrare. 
La  donation  du  marquisat  de  San  Martino  en  1501  récompensa 
ses  services.  S'étant  retiré  dans  le  monastère  de  Saint-Georges 
à  Ferrare  afin  d'y  passer  la  semaine  sainte  de  l'année  1507, 
il  fit  une  chute  en  quittant  sa  place  pour  aller  recevoir 
la  communion,  le  jeudi  saint,  et  mourut  de  cette  chute.  Sur 
sa  médaille  (diam.  85),  il  est  tourné  à  gauche,  la  tête  nue,  et 
paraît  avoir  tout  au  plus  quarante  ans  ;  autour  de  son  cou 

l'autre  la  duchesse  reganlant  à  gauche,  la  tète  à  moitié  couverte  d'une  draperie 
toinliant  sur  le  cou.  (Armand,  t.  II,  p.  43.^  — Cette  médaille  est  reproduite  dans 
l'ouvrage  de  M.  Heiss. 

Parmi  les  autres  médailles  dont  les  auteurs  sont  restés  inconnus  et  qui  repré- 
sentent Hercule  I"  seul,  nous  nous  bornerons  à  mentionner  celle  où  le  prince, 
tourné  à  gauche  et  coiffé  d'un  bonnet,  semble  avoir  environ  cin(juante-cinq  ans, 
et  sur  le  revers  de  laquelle  se  trouve  une  Minerve  debout  (diam.  50). 

Plusieurs  monnaies  d'argent  méritent  à  plus  juste  titre  encore  d'être  signalées. 
Hercule  y  est  représenté  à  l'âge  d'environ  soixante  ans,  et  ses  traits,  quoique 
reproduits  fidèlement,  sont  rendus  avec  un  art  qui  leur  a  donné  une  véritaljle 
noblesse  et  en  a  atténué  les  exagérations  trop  fâcheuses.  On  a  attribué  à  Frauda, 
mais  à  tort  selon  M.  Gaetano  Milanesi,  plusieurs  de  ces  monnaies.  Une  d'entre 
elles  (très  bien  reproduite  dans  l'ouvrage  de  M.  Friedlaender,  pi.  XXXIV)  nous 
montre  Hercule  tourné  à  droite  et  levant  légèrement  les  yeux.  Cette  effigie  est 
accompagnée  tantôt  d'un  revers  oîi  se  trouve  l'hydre  de  Lerne  sur  un  bûcher 
ardent,  par  allusion  au  second  des  travaux  d'Hercule,  tantôt  d'un  revers  où  l'on 
voit  Samson  terrassant  un  lion.  —  La  face  d'une  seconde  monnaie  représente 
Hercule  I"  tourné  à  gauche,  tandis  qu'un  saint  Georges,  dont  la  monture  se 
cabre  auprès  d'un  dragon  qu'il  transperce,  orne  le  revers  pourvu  de  cette  inscrip- 
tion :    «  Deus  fortitudu  mea.  «    (bibl.  nat.,  n"  1375.) 

Un  des  ducats  d'or  portant  l'effigie  d'Hercule  I"  ne  se  recommande  pas  moins 
à  l'attention  par  l'élévation  du  style  et  par  le  goût  que  révèlent  les  moindres 
détails.  Le  buste  du  duc  est  tourné  à  gauche;  de  longs  cheveux  retombent  sur  le 
front  et  sur  le  cou;  le  personnage  a  le  nez  long  et  les  lèvres  pincées.  Au  revers, 
le  Christ  assis  sur  son  tombeau  bénit  de  la  main  droite  et  tient  de  la  main 
gauche  un  étendard;  il  a  la  beauté  d'un  Jupiter.  (Bibl.  nat.,  K.  1975.) 

Kous  crovons  inutile  d'énumérer  ici  toutes  les  monnaies  et  médailles  faites 
d'après  Hercule  I".  On  en  peut  lire  la  description  dans  l'ouvrage  de  M.  Armand, 
t.  II,  p.  43-45,  300,  et  t.  III,  p.  168,  ainsi  que  dans  l'ouvrage  de  M.  Hëiss, 
p.  49. 

Une  plaquette  (83  X  53),  avec  les  mots  :  «  Her.  ferr.  dux.  »  et  la  date  de 
1472,  reproduit  également  les  traits  d'Hercule  I°^ 

(1)  ÎNous  avons  déjà  mentionné  une  médaille  de  ce  personnage  par  Lodovico 
da  Foligno,  p.  614. 


632  L'ART    FERRARAIS. 

et  de  sa  poitrine  s'enroule  une  chaîne  ;  sa  chevelure  abon- 
dante et  bouclée  lui  cache  la  nuque  ;  son  nez  gros  et  long  res- 
semble en  mieux  à  celui  d'Hercule  P',  mais  c'est  surtout  par  la 
forme  de  ses  yeux  qu'il  rappelle  l'Hercule  de  la  médaille  dont 
le  revers  est  orné  d'un  palmier.  Au  revers  de  la  médaille  de 
Sigismond,  un  génie  nu,  debout,  vu  de  face,  tient  de  la  main 
droite  une  branche  de  palmier  qui  a  encore  ses  fruits,  et  il 
appuie  sa  main  gauclie  sur  un  glaive  auquel  est  assujettie  une 
balance.  Cet  enfant,  coiffé  sans  goût,  est  mal  proportionné  et 
n'a  point  de  grâce.  Il  symbolise  la  prospérité  et  la  justice  que 
Sigismond  faisait  régner  à  Ferrare  quand  ses  frères  lui  con- 
fiaient le  gouvernement. 

Niccolo  da  Correggio.  —  Avec  ce  personnage,  c'est  encore 
dans  la  famille  d'Hercule  I"  que  nous  nous  trouvons.  Niccolo 
da  Correggio  était  le  neveu  du  duc.  Fils  posthume  de  Niccolo 
di  Gherardo  et  de  Béatrice,  fille  de  Nicolas  HI  d'Esté,  il  naquit 
à  Ferrare  en  1450  et  y  mourut  en  1508.  Mais  sa  vie  ne  s'y 
passa  pas  tout  entière.  Véritable  condottiere,  il  mit  son  épée 
au  service  tantôt  d'un  État,  tantôt  d'un  autre.  Après  avoir 
combattu  pour  les  Vénitiens  (1475),  il  soutint  Galéas  Marie 
Sforza,  prit  parti,  avec  Ludovic  le  More,  pour  Laurent  le 
Magnifique  en  guerre  avec  Sixte  IV  à  la  suite  de  la  conjuration 
des  Pazzi,  se  tourna  contre  les  Vénitiens  alliés  du  Pape,  tomba 
entre  leurs  mains  (1482)  et  fut  conduit  en  triomphe  à  Venise. 
L'année  suivante  il  recouvra  sa  liberté,  et,  dès  que  la  paix  fut 
conclue,  il  accepta  le  commandement  des  troupes  vénitiennes. 
En  1486,  on  constate  de  nouveau  sa  présence  auprès  de  Lu- 
dovic le  More,  qui  le  nomme  conseiller  ducal,  l'autorise  à 
porter  le  nom  de  Visconti  et  l'envoie  à  Rome,  en  1492,  pour 
féliciter  Alexandre  VI  de  son  avènement,  puis  à  Lyon,  en 
1494,  pour  sonder  les  dispositions  de  Charles  VIII.  Au  milieu 
de  cette  existence  agitée,  il  n'oublia  pas  sa  ville  natale  :  il  y 
reparut  en  1478,  et  le  16  juin  il  fut  vainqueur  dans  un  tournoi 
ayant  pour  objet  la  Difesa  del  Dio  d'Amore,  ce  qui  lui  valut  un 
anneau  d'or  avec  un  diamant  à  facettes.  N'ayant  encore  que 
vingt  et  un  ans  (1471),    il  avait  accompagné  Borso   à  Rome 


LIVRE   TROISIEME.  633 

quand  ce  prince  y  alla  recevoir  du  Pape  le  titre  de  duc  de 
Ferrare.  Deux  ans  plus  tard,  il  avait  suivi  à  Naples  Sigismond 
d'Esté  et  Albert  d'Esté,  alors  que  ces  deux  princes,  escortés 
de  Galeotto  Pic  de  la  Mirandole,  de  Marco  Pio  da  Garpi,  de 
Niccolô  Contrari,  de  Matteo  Maria  Boïardo,  de  Lodovico  Car- 
bone et  d'une  suite  imposante,  allèrent  chercber  la  fiancée  du 
duc  Hercule  1",  Eléonore  d'Aragon.  En  1501,  il  remplit  une 
mission  analogue  et  ramena  de  Rome,  en  compagnie  d'une 
suite  non  moins  nombreuse,  Lucrèce  Borgia,  promise  à  Al- 
phonse d'Esté.  Si  Niccolo  da  Correggio,  créé  chevalier  à  l'âge 
de  deux  ans  par  l'empereur  Frédéric  III,  fut  avant  tout  un 
prince  guerroyeur,  il  sut  cependant  se  ménager  des  loisirs  pour 
cultiver  les  lettres  et  mériter  une  place  honorable  parmi  les 
poètes  de  son  temps.  On  lui  doit  un  drame  pastoral  en  cinq 
actes,  Avrora  e  Cefalo,  qui  fut  représenté  à  la  cour  de  Ferrare 
en  1487  avec  des  intermèdes  de  musique  instrumentale,  à 
l'occasion  des  noces  de  Giulio  Tassoni  avec  Ippolita  Con- 
trari (1),  un  roman  en  vers  sur  Psyché  et  quelques  pièces 
lyriques(2).  Marié  à  Cassandra,  fille  de  Bartolommeo  Colleone, 
il  eut  un  fils  et  trois  filles  :  1  une  d'elles,  Isotta,  se  rendit  cé- 
lèbre comme  improvisatrice  et  finit  ses  jours  dans  un  couvent; 
une  autre  fut  chantée  par  l'Arioste,  sous  le  nom  de  Mamma, 
dans  le  quarante-sixième  chant  de  V Orlando  furioso . 

Sur  la  médaille  due  à  Sperandio  (diam.  80),  Niccolo  da  Cor- 
reggio, tourné  à  gauche,  est  vêtu  d'une  armure  et  coiffé  d'un 
bonnet;  il  a  de  longs  cheveux  bouclés.  Son  regard  est  dur  et 
dédaigneux,  le  bas  de  son  visage  épais  et  mal  conformé.  L'in- 
scription ne  fait  aucune  allusion  aux  talents  littéraires  du  per- 
sonnage, désigné  seulement  comme  comte  de  Corrège  et  de 
Brescello  et  comme  conducteur  d'armées  («?'/»o?wm  dttcior).  Au 
revers,  Sperandio  nous  le  montre  en  costume  de  guerre  sur  un 
cheval  richement  caparaçonné,  dont  il  modère  l'ardeur  pour 
s'entretenir  avec  un  moine  barbu,  auquel  il  tend  la  main 
droite.  De  chaque  côté  se  trouve  un  tronc  d'arbre  desséché, 

(1)  Voyez  Frizzi,  t.  IV,  p.  156. 

(2)  GiJiCUENÉ,  Hist.  littéraire  d'Italie,  t.  VI,  p.  18,  325,  326. 


634  L'ART    FERRARAIS. 

semblable  à  ceux  qui  figurent  auprès  du  palmier  sur  le  revers 
de  la  médaille  d'Hercule  P'.  On  lit  autour  de  ce  curieux 
revers,  outre  la  signature  du  médailleur  :   «  justitia  ambulabit 

ANTE  TE  UT  l'ONAT  IX  VIA  GRESSUS  TUOS.  « 

Prisciano  de  Prisciani.  —  La  médaille  de  ce  personnage 
(diam.  99)  est  une  des  trois  médailles  de  Sperandio  qui  portent 
une  date  :  on  y  lit  celle  de  1  473.  En  outre,  Fauteur,  au  lieu  de 
signer,  selon  son  habitude,  «  opus  sperandei  »  ,  a  signé  et  spe- 
RANDEUS  MANTDANUS  »  .  Cette  médaille  est  plus  soignée  que  les 
précédentes.  Il  y  a  d'ailleurs  plaisir  à  regarder  Prisciano.  Sa 
mine  est  très  intelligente,  et,  quoiqu'il  ait  déjà  une  cinquan- 
taine d'années,  quoiqu'il  ait  trop  d'embonpoint,  les  lignes  de 
son  visage  ne  manquent  point  de  distinction.  Il  est  coiffé  d'une 
calotte  presque  plate  et  regarde  vers  la  gauche.  Au  revers  se 
trouve  un  homme  debout  sur  un  aigle  ou  sur  un  vautour 
abattu;  il  tient  de  la  main  gauche  une  flamme  et  s'appuie  de 
la  main  droite  sur  une  longue  flèche;  la  partie  inférieure  de 
son  vêtement,  serré  à  la  taille  par  une  ceinture,  s'entr'ouvre 
en  flottant  et  laisse  voir  ses  genoux  nus;  il  est  coiffé  d'un 
bonnet  qui  retombe  le  long  des  oreilles  jusque  sur  le  cou.  A 
ses  côtés  s'élèvent  des  troncs  d'arbres  desséchés,  pareils  à  ceux 
dont  nous  avons  signalé  la  présence  sur  deux  autres  médailles. 
Que  signifie  ce  revers?  Avons-nous  là  sous  les  yeux,  ainsi  qu'on 
l'a  prétendu,  un  nouveau  Prométhée  qui,  tout  en  ayant  dé- 
robé le  feu  du  ciel,  a  su  triompher  du  vautour  envoyé  par 
Jupiter,  ou  bien  Prisciano  lui-même?  Nous  avouons  ne  pas 
comprendre  la  signification  de  la  figure  emblématique  évo- 
quée ici. 

Les  légendes  de  la  médaille  que  nous  venons  de  décrire 
nous  apprennent  que  Prisciano,  né  à  Ferrare,  avait  le  titre  de 
chevalier,  qu'il  était  «  agréable  aux  grands  et  aux  petits,  très 
cher  à  ses  ducs  et  à  Mercure  »  .  On  sait  qu'il  exerça  les  impor- 
tantes fonctions  de  fattore  générale,  c'est-à-dire  d'administra- 
teur des  finances,  sous  les  règnes  de  Borso  et  d'Hercule  I"  (I); 

(1)   Frizzi,  Mem.  per  la  storia  di  Ferrara,  t.  IV,  p.  34. 


LIVRE   TROISIEME.  635 

qu'il  fut  un  des  conseillers  de  ces  deux  princes,  qu'il  fit  exécu- 
ter des  travaux  pour  l'écoulement  des  eaux  qui  inondaient  la 
Polésine  de  Rovigo.  Il  était  très  versé  dans  l'étude  de  l'anti- 
quité. Orateur  trop  prolixe,  il  abusait  des  citations.  Les  dates 
de  sa  naissance  et  de  sa  mort  sont  restées  inconnues.  Un  mo- 
nument, qui  existe  encore,  lui  fut  élevé  dans  l'église  de  Saint- 
Dominique  par  ses  fils.  L  un  d  eux  est  Pellegrino  Prisciani, 
auteur  d'une  histoire  de  Ferrare  et  professeur  d'astronomie  à 
l'Université. 

Jacopo  Trotti.  —  La  médaille  de  ce  personnage  (diam.  88)  ne 
vaut  pas,  selon  nous,  celle  de  Prisciano.  Jacopo  Trotti,  coiffé 
d'une  calotte  et  tourné  à  droite,  n'a  pas,  du  reste,  la  physio- 
nomie ouverte  et  avenante  de  Prisciano.  La  contraction  de  ses 
sourcils  semble  indiquer  qu'il  est  préoccupé  d'affaires  délicates 
et  difficiles.  Après  avoir  servi  de  secrétaire  et  d'ambassadeur 
à  Borso  fl\  il  fut  un  des  conseillers  et  des  ministres  d'Her- 
cule I"  qui  lui  confia  des  ambassades  à  Milan,  à  Rome  et  à 
Venise.  C'est  à  lui  qu'incomba  la  pénible  mission  de  signer,  le 
7  août  1484,  à  la  suite  d'une  désastreuse  guerre  de  deux  ans, 
la  paix  avec  les  Vénitiens,  paix  qui  enlevait  à  son  maître  la 
Polésine  de  Rovigo  et  contre  laquelle  il  crut  devoir  protester. 
En  1494,  il  représentait  encore  à  Milan  le  duc  de  Ferrare  (2). 

(1)  Il  se  trouvait  à  Rome  en  qualité  il'ainhassadeur  lors  de  la  conjuration  par 
laquelle  Lodovico  Pio  de  Garpi  tenta  de  renverser  Borso  au  prolit  d'Hercule, 
frère  de  celui-ci.  L'habitude  qu'avait  Borso  de  distribuer  à  ses  favoris  les  biens 
confisqués  détruisait  tout  esprit  de  justice  et  de  pitié  chez  ceux  qui  espéraient  en 
obtenir  une  partie.  Sans  cet  espoir,  Giacouio  Trotti  aurait-il  admis  la  culpabilité 
non  seulement  de  Lodovico,  mais  de  tous  les  frères  de  ce  prince,  qui  étaient 
innocents?  En  s'entretenant  avec  le  Souverain  Pontife,  il  ne  craijjnit  pas  de  dire 
qu'il  re{5rcttait  vivement  de  n'être  pas  à  Ferrare,  où  il  eût  sollicité  avec  plus  de 
chance  de  succès  la  faveur  d'une  distribution  dans  les  dépouilles  des  coiidaumés, 
K  corne  la  ragione  voleva  »  .  Son  aljsencc  ne  lui  nuisit  pourtant  pas.  Soit  sur  la 
reconmiaodation  du  pape  Paul  II,  soit  sur  ses  instances  personnelles,  dix  pro- 
priétés sur  le  territoire  de  San  Felice  lui  furent  attribuées. 

^2)  Il  existe  un  certain  noudjre  de  pièces  diplomatiques  rédi[;écs  par  Gia- 
como  Trotti  qu^nd  ce  personnajje  résidait  à  Milan  comme  ambassadeur  d'Her- 
cule I"  en  1493  et  en  1494.  «  Ludovic  le  More  et  sa  femme  Beatrix  d'Esté 
avaient  une  telle  confiance  en  lui,  qu'ils  ne  lui  cachaient  aucune  affaire  d'Etat. 
Giacomo  Trotti  lisait  toute  la  correspondance  diplomatique  adressée  à  la  cour  de 
Milan,  et  prenait  copie  des  lettres  et  des  dépêches  les  plus  importantes  pour  en 
donner   communication  au  duc    de    Ferrare...    Lorsque,  en  mai  1493,   Ludovic 


636  L'ART    FERRARAIS. 

La  dignité  de  chevalier  lui  avait  été  conférée,  en  1472,  par 
Hercule  I"  lui-même,  qui  lui  donna  en  cette  occasion  un  vête- 
ment en  brocart  d'or  garni  de  fourrure.  Sur  sa  médaille,  il  est 
appelé  «  EQUES,  divi  herculis  consiliarius,  rei  publice  mode- 
RATOR  »  .  Au  revers,  un  homme  nu  et  barbu,  vu  de  face,  est 
debout,  tenant  une  épée  de  la  main  droite,  et  posant  sa  jambe 
gauche  sur  un  dragon  terrassé  dont  la  queue  s'enroule  autour 
d'elle.  Dans  le  fond  apparaît  une  ville  hérissée  de  tours  et 
protégée  par  un  fort.  M.  Heiss  croit  que  Sperandio  a  voulu 
figurer  par  ce  revers  la  Vigilance  armée. 

Âgostino  Buonfrancesco  ou  Bonfranceschi  de  Pdmini  (1).  — 
C'est  aussi  à  l'entourage  intime  d'Hercule  I"qu'Agostino  Buon- 
francesco appartenait.  Il  fut  le  conseiller  privé  du  duc  (2),  après 
avoir  rempli  à  Rome  les  fonctions  d'avocat  consistorial.  Ces 
titres  sont  mentionnés  sur  la  médaille  exécutée  par  Sperandio. 
On  y  lit  en  effet  :  «  augustinus  bonfrangiscus  advocatus  concisto- 
RiANUs  ET  DUCALis  coxsiLiARiiTS  SECRETUS.  »  Mais  Sperandio  a  omis 
de  rappeler  qu'Agostino  se  distingua  comme  jurisconsulte,  à 
l'exemple  de  son  père  Ugolino  Buonfrancesco.  Si  l'on  en  croit 
Lodovico  Carbone,  Agostino,  qui  fut  son  maître,  était  un 
homme  d'un  grand  savoir  et  un  dialecticien  très  habile.  L'Uni- 
versité de  Ferrare  le  compta  parmi  ses  professeurs  (14.72).  Il  fut 
enseveli  auprès  de  son  père  dans  l'église  de  Saint-François  (3). 
La  médaille  qu'il  fit  faire  à  Sperandio  (diam.  83),  médaille 
traitée  avec  soin,  nous  le  montre  tourné  à  gauche,  coiffé  d'une 
calotte  sous  laquelle  passent  des  cheveux  longs  et  bouclés,  qui 
retombent  jusque  sur  le  cou  et  qui  cachent  même  le  front.  Le 

s'éloi{]na  de  Milan  pour  accompagner  sa  femme  à  Venise,  il  appela  Trotti,  durant 
son  absence,  à  faire  partie  du  Conseil  d'Etat.  »  (Cesare  Fovcard,  Pubblicaùone 
del  caiteygio  diplomalico  conservato  negli  archivi  pubhlici  d'Italia  dal  1493  al 
1496,  dans  V Archivio  storico  per  le  proviiicie  Napolitane.)  Trotti,  dans  le  docu- 
ment IV,  décrit  d'une  façon  très  intéressante  l'entrée  du  roi  de  France 
Charles  VIII  et  de  sa  suite  à  Vigevano,  dont  le  château  avait  été  orné  avec  tant 
de  luxe  et  de  goût  «  qu'on  n'eût  pu  mieux  faire  en  paradis  »  . 

(1)  A.  Venttjri,  L'arte  a  Ferrara  nel  periodo  di  Borso  d'Esté^  p.  741,  et  Gli 
affreschi  del  palazzo  di  Schifanoia  in  Ferrara,  p.  9,  dans  le  tirage  à  part. 
M.  Friedlaender  donne  à  tort  Venise  pour  patrie  à  Buonfrancesclii. 

(2)  11  avait  été  aussi  conseiller  de  Borso,  prédécesseur  d'Hercule  I". 

(3)  Heiss,  p.  31. 


LIVRE   TROISIEME.  637 

visage  est  maigre,  et  le  regard  a  une  singulière  pénétration. 
Au  revers,  on  voit,  comme  sur  la  médaille  de  Jacopo  Trotti, 
mais  avec  une  pose  différente,  un  homme  nu  et  barbu,  repré- 
senté de  face,  tenant  une  épée  de  la  main  droite  et  foulant 
aux  pieds  un  dragon.  Il  n'y  a  aucune  ville  dans  le  fond.  Suivant 
M.  Heiss  (p.  31),  ce  revers  représente  «  la  Vigilance  prête  à 
défendre  l'intégrité  des  lois  15  . 

Lanfredini  {Giovanni).  —  Il  fut  ambassadeur  de  Florence  à 
Ferrare,  et  Hercule  I"  lui  marqua  son  estime  en  lui  permettant 
d'ajouter  à  son  nom  l'épithète  à'Estense.  Plusieurs  de  ses  let- 
tres (1480-1483)  sont,  en  effet,  signées  «  johannes  lanfredinus 
ESTENSis  "  .  Sur  sa  médaille  (diam.  86),  il  est  tourné  à  gauche, 
vêtu  d'une  robe,  et  il  porte  sur  ses  cheveux  courts  un  bonnet 
en  forme  de  calotte.   On  lit  autour  de  son  effigie  :   «  c.v. 

JOHANNES  .  ORSIMI.de.  LANFREDIMS  .  DE  .  FLORENTIA.   »    Au  rCVCrS,    SC 

trouve  un  temple  élevé  sur  un  soubassement  et  couronné  d'un 
fronton  et  d'un  dôme.  Ce  temple  se  compose  de  trois  travées, 
dont  les  deux  latérales  forment,  à  l'intérieur,  des  galeries  en 
perspective;  aux  angles  se  trouvent  deux  enfants  jouant  du 
luth.  Dans  la  travée  du  milieu,  à  laquelle  on  parvient  par  un 
escalier,  on  remarque  une  femme  agenouillée,  contre  laquelle 
un  homme  resté  en  bas  décoche  une  flèche.  Ce  revers  a  pour 
inscription  :  «  sic  .  pereunt  .  insapientium  .  sagipte  .  et  .  illustran- 
TUR  .  JusTi.  5)  Les  mots  «  opus  sperandei  »  sont  en  creux. 

Antonio  Sm^zanella  de  Manf redi  {à\Sin\.  73).  —  Il  est  tourné 
à  droite  et  coiffé  d'un  mortier;  son  vêtement  est  garni  de  four- 
rure autour  du  cou.  Ce  personnage,  au  visage  maigre,  peut 
avoir  une  soixantaine  d'années.  Son  regard  calme,  grave  et 
profond  indique  des  habitudes  de  réflexion  et  une  grande  saga- 
cité. La  légende  le  qualifie  de  «  Sapientiœ  pater  »  .  Au  revers, 
on  voit,  assise  sur  un  siège  flanqué  de  deux  chiens,  une 
femme  dont  le  corps  se  présente  de  face,  tandis  que  son  visage 
regarde  vers  la  gauche  du  spectateur.  Elle  tient  de  la  main 
droite  un  compas,  de  la  main  gauche  un  écusson  (l),  et  elle  a 

(i)  D'après  M.  Ileiss,  ce  sont  les  armes  de  Bologne,  oc  qui  prouverait  (]ue 
Sarzanella  fut  professeur  à  l'Université  Je  cette  ville. 


638  L  ART    FERllARAIS. 

un  double  visage  :  le  visage  postérieur  est  celui  d'un  vieillard 
barbu.  Au  fond,  de  chaque  côté,  on  distingue  quelques  arbris- 
seaux sans  feuilles.  La  légende  de  ce  revers  porte  les  mots 
suivants  :  "  in  .  te  .  cana  .  fides  .  prudentia  .  sodia  .  refulget  .  » 
Suivant  les  auteurs  du  Trésor  de  numismatique,  Antonio  Sarza- 
nella  appartenait  probablement  h  la  branche  des  Manfredi  éta- 
blie à  Ferrare.  Cette  supposition  est  vraisemblable,  car  il  résida 
en  Toscane  comme  ambassadeur  de  Borso  depuis  le  23  juin 
1451  jusqu'au  20  avril  1453,  y  retourna  plusieurs  fois,  et  y 
séjourna  en  1456  et  en  1463  (1). 

Bariolommeo  Pendaglia.  — Fils  d'unconseiller  de  Nicolas  III, 
Bartolommeo  Pendaglia,  riche  marchand  et  citoyen  de  Fer- 
rare,  fut  un  des  fattori  generali  de  Borso  et  se  rendit  cher  à  ce 
prince  par  le  zèle  et  l'intelligence  qu'il  mit  à  remplir  ses 
fonctions.  L'estime  dont  il  jouissait  à  la  cour  se  manifesta 
surtout  à  l'occasion  de  son  mariage  avec  Margherita  Costabili, 
en  1452.  L'empereur  Frédéric  III,  qui  se  trouvait  alors  à  Fer- 
rare,  voulut  y  assister,  et  il  tint  le  doigt  de  Marguerite  pendant 
que  Pendaglia  y  passait  l'anneau  nuptial.  Quand  la  nouvelle 
mariée  s'achemina,  sur  un  cheval  caparaçonné  d'or,  vers  le 
palais  de  son  mari,  elle  avait  à  ses  côtés  l'Empereur  et  Ladis- 
las,  roi  de  Hongrie,  tandis  que  le  duc  Borso,  Albert  d'Esté  et 
une  foule  de  gentilshommes  s'avançaient  à  sa  suite.  Dans  le 
palais  Pendaglia,  renommé  pour  sa  beauté,  tous  les  princes 
prirent  part  à  un  somptueux  banquet,  après  lequel  eurent  lieu 
un  bal  où  brillaient  les  plus  riches  costumes,  et  un  souper  dont 
un  millier  de  convives  apprécièrent  l'opportunité.  Frédéric  III 
fit  don  a  Marguerite  d'un  précieux  bijou  i^2),  et,  quelques  jours 
plus  tard,  créa  Pentaglia  chevalier,  après  avoir  conféré  à  Borso 
le  titre  de  duc  de  Modène  et  de  Reggio  (3). 

La  médaille  de  Pendaglia  (diam.  85),  exécutée  en  1472, 
comme  l'indique  cette  date  inscrite  sur  l'un  des  deux  revers, 
ne  fut  probablement  pas  faite  d'après  nature.  A  cette  époque, 

(1)  Ad.  Vexturi,  L'arte  a  Ferrara  nel  pcriodo  cli  Borso  d'Esté,  [>.  7V1. 

(2)  Frizzi,  t.  IV,  p.  16. 

(3)  Frizzi,  t.  IV,  p.  22. 


LIVRE   TROISIEME.  639 

dit  M.  Venturi,  Baitolommeo  Pendaglia  n'existait  plus,  si  c'est 
à  lui,  comme  tout  porte  à  le  croire,  que  se  rapporte  une  lettre, 
datée  du  1"  mars  1462,  par  laquelle  Daniele  et  Niccolo  Pen- 
daglia annoncent  au  marquis  Gonzague  la  mort  de  leur  père 
Bartolommeo  (1).  Le  personnage,  tourné  à  gauche  et  coiffé 
d'un  bonnet  plat,  n'a  guère  moins  de  soixante  ans;  les  joues 
sont  creuses  et  ridées,  les  lèvres  minces;  le  bout  du  nez  est  un 
peu  recourbé  et  le  menton  proéminent.  Pendaglia  a  la  mine 
sérieuse  d'un  homme  d'affaires  consommé,  mais  il  manque 
de  noblesse. 

L'inscription  de  la  médaille  nous  apprend  qu'il  se  dis- 
tingua par  sa  libéralité  autant  que  par  sa  munificence;  elle 
le  proclame  «  insigne  liberalitatis  et  mumfjcentle  exemplum  » . 
L'effigie  de  Pendaglia  n'est  pas  toujours  accompagnée  du 
même  revers.  Sur  l'un,  Sperandio  a  représenté  un  homme  nu 
auquel  il  donne  le  nom  de  Mercure.  Cet  homme,  tourné  à 
gauche,  est  assis  sur  une  cuirasse;  il  tient  de  la  main  gauche 
un  long  bâton  et  de  la  main  droite  une  boule;  son  pied  gauche 
foule  un  sac  d'où  s'échappent  des  pièces  de  monnaie;  derrière 
lui  se  trouvent  deux  boucliers.  La  légende  porte  les  mots  : 
tt  CiESARiANA  LiBERALiTAS.  "  Ce  rcvcrs  cst  accolé  aussi  à  la  mé- 
daille de  Carlo  Quirini.  L'autre  revers,  que  l'on  voit  joint  plus 
souvent  à  la  médaille  de  Pietro  Albani,  nous  montre  de  face 
Mercure  assis  sur  des  ballots,  la  tête  appuyée  sur  sa  main 
droite.  On  lit  dans  le  haut  la  date  de  1472. 

Bartolommeo  délia  Rovere.  —  Entre  tous  les  grands  digni- 
taires ferrarais  sous  Hercule  I",  Bartolommeo  délia  Ilovere, 
né  à  Savone  de  Raffaello  délia  Rovere  et  de  Teodora  Mane- 
rola,  est  un  de  ceux  dont  le  nom  est  le  plus  illustre,  car  il  était 
neveu  de  Sixte  IV  et  frère  de  Jules  II.  De  bonne  heure  il  entra 
dans  l'Ordre  des  Franciscains.  Il  était  depuis  un  anévêque  de 
Massa,  quand  Sixte  IV  le  donna  comme  successeur  à  Lorenzo 
Roverella,  évêque  de  lerrare  (1474),  et  il  occupa  le  siège 
épiscopal  de  Ferrare  jusqu'à  sa  mort  (1495),  c'est-à-dire  pen- 

(1)  Sperandio  da  Mantova,  clans  V Aichivio  storico  delV  arte,  oclohrc  1888, 
p.  387. 


640  L'ART   FERllARAIS. 

dant  vingt  et  un  ans  (1).  La  cathédrale  lui  doit  quelques-uns 
de  ses  livres  de  chœur  ornés  de  miniatures  :  sur  ces  livres,  on 
voit  çà  et  là  les  armes  des  délia  Rovere  (2).  —  Sa  médaille 
(diam.  8i),  une  des  meilleures  et  des  plus  agréables  qu'ait 
faites  Sperandio,  fut  exécutée  peu  après  son  intronisation, 
puisqu'elle  porte  la  date  de  1474  (3).  Bartolommeo  est  tourné 
à  gauche  et  coiffé  d'une  calotte  ;  il  a  les  épaules  couvertes  d'un 
camail.  La  jeunesse  et  la  vivacité  de  ses  traits  n'enlèvent  rien 
à  la  gravité  de  sa  tenue.  Au  revers,  on  voit  l'écusson  des  délia 
Rovere,  surmonté  de  la  mitre. 

Fra  Cesario  Contughi.  —  La  famille  patricienne  des  Gon- 
tughi  de  Ferrare  ne  compte  pas  de  plus  digne  représentant 
que  Fra  Cesariano,  appelé  aussi  Gesarione ,  qui  entra  dans 
l'Ordre  des  Servites.  Après  s'être  acquis  une  grande  renommée 
comme  prédicateur  dans  les  principales  villes  de  l'Italie,  il 
enseigna  la  littérature  sacrée,  la  littérature  profane,  la  philo- 
sophie et  la  théologie  à  l'Université  de  Ferrare,  dont  il  devint 
le  doyen  en  L467  (4.).  Sur  ses  instances,  les  magistrats  firent 
construire  en  1488  une  prison  spéciale  pour  les  débiteurs, 
confondus  jusqu'alors  avec  les  voleurs  et  les  assassins  (5).  Il 
mourut  en  1508.  — Sa  médaille  (diam.  84),  ciselée  avec  soin, 
nous  le  montre  tourné  à  gauche,  la  tête  couverte  d'un  capu- 
chon. Ses  traits  ont  beaucoup  de  caractère  ;  son  regard  est 
ferme,  intelligent,  plein  d'autorité;  son  double  menton  ne  lui 
messied  pas.  —  L'inscription  qui  entoure  l'effigie  proclame 
Fra  Gesario  «  divixus  et  excellens  doctor,  ag  divini  verbi  famo- 
sissiMUS  PR.EDiCATOR  «  .  Au  rcvcrs ,  Fra  Gesario,  assis  et  vu  de 
face,  la  tête  enveloppée  de  son  capuchon,  médite  en  présence 
d'une  tête  de  mort  gisant  à  terre.  L'exergue  commente  en  ces 
termes  la  signification  de  la  figure  du  moine,  figure  un  peu 

(1)  C'est  à  Bologne  qu'eut  lieu  sa  mort,  et  son  corps  fut  transporté  dans 
l'église  de  Saint-Georges,  située  hors  des  murs  de  Ferrare. 

(2)  Frizzi,  Memorie  per  la  storia  di  Ferrara,  t.  IV,  p.  175. 

(3)  Cette  date  est  gravée  eiï  creux. 

(4)  Heiss,  p.  36. 

(5)  Frizzi,  Mem.  per  la  storia  di  Ferrara,  t.  IV,  p.  160.  —  L.-N.  Citta- 
DEI.LA,  JSolizie  relative  a  Ferrara,  t.  I,  p.  256. 


LIVRE   TROISIEME.  641 

trop  sommairement  traitée  :  «  ixspice  mortale  genus,morsomnia 

DELET.  » 

Pieiro  Bono  Avogario.  —  Ce  personnajje,  né  à  Ferrare  vers 
1425,  mort  en  1506,  à  l'âge  d'environ  quatre-vingt-un  ans  (1), 
eut  une  grande  réputation  comme  médecin  et  comme  astro- 
logue. Sur  sa  médaille,  Sperandio  le  qualifie,  en  effet,  de 
«  MEDicus  iN'SiGNis,  ASTROLOGUS  iNsiGNiOR  i)  .  L'apparition  d'une 
comète  en  1472  lui  donna  l'idée  d'écrire  un  traité  relatif  aux 
comètes,  traité  que  Scipione  Maffei  mentionne  pour  en  avoir 
vu  le  manuscrit  (2).  Il  est  impossible  aujourd'hui  de  porter  un 
jugement  sur  les  connaissances  astronomiques  de  Pietro  Bono. 
Quant  à  sa  science  médicale,  il  est  difficile  d'en  avoir  une  très 
haute  opinion  lorsqu'on  lit  la  lettre  écrite  par  lui  le  1 1  fé- 
vrier 1488  à  Laurent  le  Magnifique.  Outre  des  pronostics  pour 
l'année  1488,  cette  lettre  contient  d'étranges  recettes  contre 
les  rhumatismes  et  contre  la  goutte  :  Laurent  devra  prendre, 
le  matin,  au  lever  du  soleil,  une  demi-once  d'un  certain  médi- 
cament, et  mettre  à  l'annulaire  de  sa  main  gauche,  afin  de 
prévenir  le  retour  des  douleurs,  un  anneau  d'or  auquel  sera 
assujettie  une  petite  pierre  qui  doit  toucher  la  chair  et  qui  em- 
pêche les  humeurs  d'envahir  les  jointures.  «  Le  remède  est 
divin  et  miraculeux.  «  Avogario  l'a  expérimenté  sur  lui- 
même  (3). 

La  médaille  que  Sperandio  a  faite  d'après  Pietro  Bono 
(diam.  90)  est  très  agréable  à  regarder.  Le  personnap^e,  tourné 
à  gauche  et  coiffé  d'un  bonnet,  se  recommande  par  une  bon- 
homie mêlée  de  finesse.  Il  a  de  longs  cheveux  qui  frisent.  Au 
revers,  Esculape  etUranie,  vus  de  face,  sont  debout.  Esculape, 
avec  sa  longue  barbe,  sa  haute  coiffure  et  ses  cheveux  pen- 
dants, a  l'air  d'un  vieux  nécromancien  ;  il  foule  aux  pieds  un 
dragon,  en  tenant  de  la  main  droite  une  fiole  et  de  la  main 
gauche  un  rameau.  Uranie,  avec  un  livre  ouvert  et  un  astro- 
labe, a  les  pieds  posés  sur  le  globe  céleste  ;  sa  coiffure   est 

(1)  Il  fut  enseveli  à  Ferrare  dans  le  couvent  de  Saint-François. 

(2)  Heiss,  p.  IG. 

(3)  RoscoE,   Vie  de  Laurent  le  Magnifique,  t.  II,  p.  466. 

I.  41 


642  L'ART    FERRARAIS. 

étrange  aussi,  et  ses  traits  fanés,  loin  d'avoir  rien  d'une  créa- 
ture supérieure,  seraient  plutôt  ceux  d'une  sorcière.  Speran- 
dio  n'a  pas,  du  reste,  apporté  à  l'exécution  des  deux  figures  de 
son  revers  le  soin  que  dénote  le  buste  d'Avogario. 

Tito  Vespasiano  Strozzi.  —  La  médaille  qui  le  représente 
(diam.  82)  (1)  a  longtemps  passé  pour  être  le  portrait  d'un 
personnage  inconnu  (2).  M.  C.  de  Fabriczy  (3)  a  démontré 
qu  aucun  doute  n'était  possible  sur  le  nom  de  l'homme  qu'elle 
nous  montre.  La  couronne  qui  entoure  le  buste  tourné  à 
gauche,  couronne  formée  de  deux  branches,  l'une  de  laurier, 
l'autre  de  lierre,  indique  bien  qu'il  s'agit  d'un  poète.  Pour  se 
convaincre  que  ce  poète  est  Tito  Strozzi,  il  suffit  de  comparer 
la  médaille,  soit  avec  la  gravure  (insérée  dans  la  Storia  délia 
pitlura  italiana  de  Rosini,  t.  III,  p.  199)  qui  a  été  faite  d'après 
un  tableau  de  Baldassare  d'Esté,  représentant  Tito  Strozzi  (-4), 
soit  avec  deux  plaquettes  anonymes  au  bas  desquelles  on  lit  : 
«  TITO  STROZZI  (5).  »  La  ressemblance  avec  les  trois  effigies  est 
manifeste  ;  seulement,  le  personnage  n'a  pas  partout  le  même 
âge.  Sur  la  médaille,  il  semble  avoir  une  cinquantaine  d'an- 
nées. Gomme  il  naquit  en  1422,  la  médaille  a  dû  être  exécutée 
en  1472  ou  1  473,  c'est-à-dire  un  peu  avant  ou  un  peu  après  le 
voyage  entrepris  en  noble  et  nombreuse  compagnie  pour  aller 
chercher  à  Naples  Éléonore  d'Aragon,  la  future  femme  d'Her- 
cule I".  Tito  Strozzi  a  des  cheveux  longs  et  bouclés,  et  il  est 
coiffé  d'une  calotte  plate.  Au  revers,  on  voit,  assis  sous  un 
arbre,  feuillu  d'un  côté  et  sans  feuilles  de  l'autre,  un  jeune 
homme  nu,  portant  un  petit  manteau   sur  les  épaules,    et 


(1)  On  n'en  connaît  qu'une  épreuve,  conservée  au  musée  de  Berlin. 

(2)  Armand,  Les  médailleurs  italiens,  t.  I,  p.  76,  n"  48. 

(3)  Una  medaglia  di  Sperandio^  dans  VArchivio  slorico  delV  aite,  octobre 
1888,  p.  429. 

(4)  Ce  tableau  faisait  partie  de  la  galerie  Costabili.  On  ne  sait  ce  qu'il  est 
devenu.  —  Crovve  et  Gavalcaselle,  Die  Geschichte  der  italienischen  Malerei, 
t.  V,  p.  562. 

(5)  Ces  plaquettes,  conservées  dans  la  Bibliothèque  communale  de  Ferrare  et 
dans  le  Cabinet  numismatique  de  Brera,  sont  reproduites  dans  le  premier  fasci- 
cule des  Médailleurs  de  la  Renaissance,  de  M.  HeiSS,  p.  42.  Nous  les  avons 
déjà  mentionnées  p.  591. 


LIVRE  TROISIEME.  643 

appuyant  sa  tête  sur  sa  main  gauche.  Au  bas  de  ce  revers,  on 
lit  :  «  opus  SPERANDEI.  »  M.  de  Fabriczy  suspecte  l'authenticité 
de  cette  pièce,  parce  que  l'effigfie  n'est  pas  entourée  d'une 
légende,  et  parce  que,  selon  lui,  le  caractère  de  l'écriture  dans 
l'inscription  gravée  au  revers  diffère  de  celui  que  présentent 
les  autres  médailles  de  Sperandio.  Nous  ne  partageons  pas  ses 
scrupules.  La  médaille  de  Tito  Strozzi,  loin  de  détonner  au 
milieu  des  autres  pièces  dues  à  Sperandio,  y  fait  fort  bonne 
figure.  S'il  n'y  a  pas  de  légende  autour  du  portrait,  c'est  que 
la  couronne  ne  laissait  pas  une  place  suffisante  et  qu'elle  dési- 
gnait clairement  le  poète  à  ses  contemporains.  Sur  une  mé- 
daille de  contrefaçon,  on  n'eût  pas  manqué  de  copier  la  légende 
de  la  pièce  authentique.  Quant  à  l'inscription  du  revers,  on  la 
retrouve  absolument  semblable  sur  plusieurs  médailles,  notam- 
ment sur  les  médailles  de  Casali,  de  Gian  Francesco  Gonzaga 
et  de  Giuliano  délia  Rovere  (1). 

Tito  Vespasiano  Strozzi  était  le  petit-fils  de  Garlo  Strozzi, 
qui,  exilé  de  Florence  après  le  tumulte  des  Ciompi  (1378), 
s'installa  avec  sa  famille  à  Ferrare,  et  le  fils  de  Giovanni 
Strozzi,  dit  Nanni  ou  Nanne,  qui  mourut  en  combattant  pour 
les  princes  d'Esté.  Ayant  perdu  ses  parents  de  très  bonne 
heure,  il  fut  élevé  par  Paolo  Costabili,  frère  de  sa  mère  Cos- 
tanza  Costabili ,  et  eut  pour  maître  le  célèbre  Guarino  de 
Vérone.  A  l'âge  de  treize  ans,  il  possédait  déjà  les  principaux 
auteurs  latins  et  grecs.  La  poésie  devint  son  occupation  favo- 
rite, et  ses  vers  en  langue  latine  jouirent  d'une  vogue  qui  ne 
se  démentit  pas.  Lionel,  Borso  et  Hercule  I"  l'honorèrent  de 
leur  amitié,  et  Lucrèce  Borgia,  dont  il  célébra  les  charmes, 
ne  lui  ménagea  pas  les  témoignages  de  bienveillance.  Après 
l'avoir  comblé  de  bienfaits,  Borso  lui  fit  épouser  Domitilla  di 
Guido  Rangoni.  Hercule  I",  nous  l'avons  déjà  dit,  l'adjoignit 
à  Sigismond  d'Esté  pour  aller  chercher  à  Naplcs  et  amener  à 
Ferrare  Éléonore  d'Aragon,  sa  future  femme  (1473);  puis  il 
l'arma  lui-même  chevalier  et  le  nomma  gouverneur  de  Rovigo 

(i)   Ces  observations  nous  ont  été  su{^{]érce8  par  M.  P.  Vallon. 


644  L'ART   FERRARAIS. 

et  de  la  Polésine.  Pendant  la  guerre  avec  Venise,  l'ennemi 
brûla  deux  villas  appartenant  à  Tito  Strozzi  et  ravagea  ses 
propriétés.  La  conquête  de  la  Polésine  par  la  Sérénissime 
République,  conquête  que  sanctionna  la  paix  de  Bagnolo 
en  1484,  força  Tito  d'abandonner  le  pays.  Chargé  alors  de 
p^ouverner  Lugo  et  la  Romagne  ferraraise  déchirée  par  les  fac- 
tions, il  sut,  en  peu  de  temps,  apaiser  les  esprits  et  affermir 
l'autorité  de  son  maître.  L'année  où  il  s'installa  à  Lugo,  il  fut 
envoyé  à  Rome  afin  de  féliciter,  au  nom  du  duc,  Innocent  VIII 
qui  venait  d'être  élu  pape  :  son  discours  dans  le  consistoire 
excita  l'admiration  générale,  et  le  Souverain  Pontife  essaya,  en 
prodiguant  les  offres  séduisantes  au  brillant  orateur,  de  le 
garder  auprès  de  lui,  sans  y  parvenir.  Tito  regagna  Lugo. 
En  1487,  il  y  perdit  sa  femme.  Il  revint  à  Ferrare  en  1489  et 
s'y  fixa  définitivement.  Pour  son  malheur,  on  le  nomma  Juge 
des  Sages  (1497).  Les  ravages  causés  par  le  Pô,  qui  brisa  trois 
fois  ses  digues,  les  tremblements  de  terre,  la  disette  et  la 
peste  nécessitèrent  de  nouveaux  impôts,  qui  furent,  d'ailleurs, 
exigés  avec  une  excessive  rigueur.  Le  peuple  en  rendit  respon- 
sable le  Juge  des  Sages,  dont  l'intégrité  ne  fut  pas  suspectée, 
mais  qui  fut,  selon  l'expression  d'un  chroniqueur,  «  plus  haï 
QUE  LE  DL\BLE  ».  Désirant  alléger  son  fardeau,  il  obtint  d'asso- 
cier à  ses  fonctions  son  fils  Ercole,  et  passa  dès  lors  la  plus 
grande  partie  de  son  temps  h  la  campagne.  Ce  fut  lui  qui, 
en  1505,  après  la  mort  d'Hercule  I",  remit  à  Alphonse  I"  les 
insignes  de  la  dignité  ducale.  Il  mourut  peu  après  de  la  peste 
à  Racano,  non  loin  de  Ferrare  (30  août  1505),  à  1  âge  de 
quatre-vingt-trois  ans,  laissant  trois  fils  légitimes  (Lorenzo, 
Ercole  et  Guido),  un  fils  naturel  (Antonio),  né  avant  son  ma- 
riage avec  Domitilla  Rangoni,  et  quatre  filles,  dont  une,  Mar- 
gherita,  épousa  le  lettré  Bonaventura  Pistofilo.  Il  fut  enseveli 
dans  l'église  de  Santa  Maria  in  Vado,oû  se  trouvait  le  tombeau 
de  sa  famille.  — Tito  Strozzi  fut  un  des  meilleurs  poètes  latins 
de  son  siècle.  Ses  œuvres  furent  publiées  en  partie  par  Aide 
Manuce,  son  ami  (1513).  Elles  se  composent  de  poésies  cham- 
pêtres,  graves,   amoureuses,  satiriques,  dans  lesquelles   on 


LIVRE  TROISIEME.  645 

s'accorde  à  louer  la  pureté  et  rëlégance  du  style,  mais  qui  ne 
témoignent  pas  d'une  imagination  originale.  La  Borseide 
(poème  en  l'honneur  de  Borso)  et  le  Ponerolycos  (critique  des 
actes  de  Bonvicino  dalla  Corte  qui  encourut,  comme  fatior 
générale,  une  disgrâce  méritée  en  se  rendant  coupable  de 
péculat)  restèrent  inachevés.  Lodovico  Carbone,  dans  son 
Oi'aison  funèbre  de  Guarino  de  Vérone,  Lilio  Gregorio  Giraldi, 
dans  un  de  ses  Dialogues,  et  Flavio  Biondo,  dans  une  lettre 
écrite  en  1443  au  cardinal  Colonna,  ont  rendu  hommage  au 
talent  poétique  de  Tito  Strozzi  (1). 

Lodovico  Carbone.  —  Né  à  Ferrare  vers  14'36,  Lodovico 
Carbone,  élève  de  Teodoro  Gaza  pour  le  grec  et  d'Agostino 
Buonfresco  Arlotti  da  Reggio  pour  la  philosophie,  mourut  en 
1482,  à  l'âge  de  quarante-six  ans,  et  fut  enseveli  dans  l'église 
de  Saint-François.  Ses  contemporains  admirèrent  beaucoup 
ses  vers  (2)  et  ses  discours.  En  1459,  il  harangua  dans  l'église 
des  Anges  le  pape  Pie  II ,  qui  s'était  arrêté  à  Ferrare  en  se 
rendant  au  congrès  de  Mantoue,  et  Pie  II  lui  accorda  le  titre 
de  comte.  Dix  ans  plus  tard,  au  milieu  des  fêtes  par  lesquelles 
on  célébra  le  séjour  de  Frédéric  III  à  la  cour  de  Borso,  il  reçut 
de  l'Empereur  lui-même,  à  la  suite  d'un  discours  qu'il  pro- 
nonça dans  la  cathédrale,  la  couronne  poétique.  Son  éloquence 
reconnue  le  fit  choisir  pour  accompagner  les  princes  qui  allè- 
rent chercher  à  Naples  la  fiancée  d'Hercule  I",  Éléonore 
d'Aragon  ;  Bologne,  Florence,  Sienne,  Rome  et  Naples  eurent 
alors  l'occasion  de  l'entendre  et  de  l'admirer.  Lorsque  le 
vice-légat  apostolique,  pendant  la  fameuse  guerre  entre  Her- 
cule I"  et  Venise,  annonça  dans  la  cathédrale  que  Sixte  IV, 
ayant  enfin  pitié  de  Ferrare,  dont  l'ennemi  était  sur  le  point 
de  s'emparer,  abandonnait  les  Vénitiens  et  leur  ordonnait  de 

(1)  En  publiant  dans  la  Rassegna  Einiliana  (année  II,  fasc.  V,  nov.  1889) 
quelques  poésies  inédites  de  Tito  Strozzi,  M.  V.  Finzi  a  indiqué  les  auteurs  qui 
ont  parlé  de  cet  illustre  Ferrarais  et  mentionné  les  recueils  qui  contiennent  ses 
œuvres. 

(2)  Dans  ses  Éléi/ies,  il  célèbre  les  cbannes  de  Franccsca  Fontana  et  d'une 
certaine  Lucie  qu'il  avait  dû  épouser,  mais  il  insiste  surtout  sur  ses  propres 
mérites  et  sur  la  réputation  dont  il  jouit  si  justement.  (Heiss,  p.  33.) 


646  L'ART    FERRARAIS. 

cesser  les  hostilités,  ce  fut  Carbone  qui,  placé  près  du  maître- 
autel,  exprima,  au  nom  de  la  Commune,  la  reconnaissance 
publique.  S'agissait-il  d'honorer  une  mémoire  illustre  par  une 
oraison  funèbre,  on  s'adressait  à  lui  de  préférence.  Parmi  les 
discours  de  ce  genre,  on  peut  citer  l'éloge  de  Lodovico  Casella, 
homme  d'État  cher  à  Borso  pour  ses  sages  conseils,  au  peuple 
pour  sa  droiture  et  son  affabilité,  aux  pauvres  pour  ses  lar- 
gesses (16  avril  1469)  (1),  et  l'éloge  de  Borso  lui-même,  son 
premier,  son  principal  bienfaiteur  (19  septembre  1471).  Ce 
fut,  en  effet,  Borso  qui,  dès  1456,  lui  confia  la  chaire  d'élo- 
quence et  de  poésie  à  l'Université,  avec  cent  lire  d'appointe- 
ments, qui,  en  1468,  le  nomma  en  outre  professeur  de  gram- 
maire à  la  place  de  Francesco  de  Castro,  en  ajoutant  cinquante 
lire  à  ses  émoluments  (2),  et  qui  l'exempta  de  certains  impôts 
à  la  suite  d'un  séjour  que  le  savant  avait  fait  à  Bologne  de  1465 
à  1466  (3).  Néanmoins,  Lodovico  Carbone  mourut  pauvre  (4). 

Sperandio  a  exécuté  deux  médailles  d'après  lui. 

Sur  l'une  (diam.  88),  Lodovico  regarde  à  droite;  sa  tête  nue 
porte  une  couronne  de  laurier.  Au  revers,  une  sirène,  vue  de 
face,  s'élève  au-dessus  des  eaux  et  tient  dans  ses  mains  les 
extrémités  de  sa  double  queue.  Elle  personnifie  l'attrait  exercé 
par  les  accents  du  poète  et  de  l'orateur.  On  lit  sur  la  face  de 
la  médaille  une  inscription  que  complète  la  légende  du  revers; 
l'inscription  entière  est  ainsi  conçue  :  "  or.  settu  (sei  tu),  quel. 

CARBONE  .  QUELLA  .  FONTE  .    OHE  .  SPANDI  .  DI  .  PARLAR  .  SI  .  LARGO  . 

FIUME  .  MUSIS  .  GRATIISQUE  .  VOLENTIBUS  .  " 

L'autre  médaille  de  Lodovico  Carbone,  d'un  faible  relief 


(1)  L.  Carbone  rappela  clans  ce  discours,  en  présence  de  Borso,  qu'au  jugement 
dernier  Dieu  ne  ferait  aucune  distinction  entre  celui  qui  est  vêtu  de  pourpre  et 
celui  qui  ne  porte  qu'un  sayon.  [Orazio ne  funèbre  de  Lodovico  Carbone  per  lo 
magnifico  referendario  Lodovico  Casella  vul(jarizzata  per  lui  mcdesimo  allô  illus- 
Iro  signore  et  magnanimo  Capitano  Misser  Hercule  da  Este.  R.  Bibl.  Estense, 
M'.  VII,  B.  9.) 

(2)  Frizzi,  t.  IV,  p.  31,  64,  65,  74,  85,  93,  139. 

(3)  On  peut  trouver  des  renseignetnents  sur  Lodovico  Carbone  dans  le  Gior- 
nale  Arcadico,  n''39,  p.  224,  et  dans  le  Serapeum,  année  1847,  p.  147. 

(4)  Gianandrea  Barotti,  Memorie  di  letterati  ferraresi.  —  Barotti  prétend 
qu'il  fut  enlevé  par  la  peste. 


LIVRE  TROISIEME.  647 

(diam.  72),  est,  selon  nous,  le  chef-d'œuvre  de  Sperandio.  il  en 
existe  des  exemplaires  qui  ont  été  ciselés  avec  le  plus  grand 
soin  et  qui  sont  une  véritable  fête  pour  les  yeux.  Le  personnage, 
tourné  à  gauche,  est  coiffé  d'un  bonnet  et  se  présente  sous  les 
dehors  les  plus  séduisants  ;  les  lèvres  sont  minces  ;  les  traits 
réguliers  et  délicats  ont  une  distinction  et  une  simplicité  dont 
le  charme  est  irrésistible;  il  semble  que  les  sereines  inspira- 
tions ont  répandu  sur  ce  visage  leur  doux  reflet.  Au  revers,  on 
voit  Carbone  debout,  recevant  de  Calliope,  assise  en  face  de 
lui  et  à  demi  nue,  la  couronne  de  poète,  tandis  que,  dans  le 
fond,  une  élégante  fontaine,  représentant  la  fontaine  Hippo- 
crène,  fait  entendre  son  murmure  harmonieux.  Il  est  encore 
coiffé  d'un  bonnet  et  porte  une  longue  robe,  aux  plis  réguliers 
et  aux  manches  tombantes,  qui  est  garnie  de  fourrure.  L'in- 
scription qui  se  trouve  sur  la  face  de  la  médaille  se  continue 
sur  le  revers;  elle  se  compose  de  ce  distique  : 

Candidior  pura  carbo  poeta  nive, 
Hanc  tibi  Calliope  servat  Lodovice  coronam. 

Les  deux  médailles  de  Lodovico  Carbone  ont  dû  être  exé- 
cutées, d'aprèsi'âge  qu'elles  lui  prêtent,  vers  1477,  à  peu  près 
cinq  ans  avant  sa  mort. 

Parupiis.  (Diam.  54.) — Buste  à  gauche  d'un  jeune  homme 
aux  cheveux  bouclés,  coiffé  d'un  bonnet  autour  duquel  est 
agencée  une  couronne  de  laurier.  L'inscription  qui  accom- 
pagne ce  portrait  est  ainsi  conçue  :  "  ingenium.  mores  .formais. 
TIBI .  PULCHER .  APOLLO .  »  —  Au  rcvcrs,  OU  voit  une  licorne  ailée, 
tournée  à  gauche  et  assise,   et  on  lit  ces  mots  :   «  argutam- 

QUE.  CHELUM  .  DOCTE  .  PARUPE  .  DEDIT  .  FATUM  .    —  OPUS  .  SPERAN- 

DAEI.  » 

M.  Venturi  croit  que  cette  médaille  fut  exécutée  pendant  le 
séjour  de  Sperandio  à  Ferrare,  parce  qu'elle  rappelle  un  peu  la 
médaille  de  Lodovico  Carbone.  Parnpus  était  un  lettré,  peut- 
être  un  poète;  mais  on  ne  sait  rien  sur  son  compte. 

Tartagni  [Alessandro).  —  C'est  aussi  à  Ferrare  que  dut  être 
exécutée  la  médaille  de  Tartagni  (diam.  90),  car  ce  jurisconsulte 


648  L'ART   FERRARAIS. 

bolonais,  qui  occupa  une  chaire  clans  la  capitale  des  princes 
cVEste,  mourut  en  1  47  7,  alors  que  Sperandio  y  résidait  encore 
gt  avant  qu'il  se  fût  installé  à  Bolo^jne.  Sur  sa  médaille,  Tar- 
tagni  est  tourné  à  gauche,  la  tête  couverte  d'une  draperie  qui 
tombe  sur  ses  épaules  (1).  On  reconnaît  les  traits  du  person- 
nage dont  Francesco  di  Simone  Fiorentino  a  si  habilement 
sculpté  le  tombeau  dans  l'église  de  Saint-Dominique  à  Bolo- 
gne. Autour  de  l'effigie  modelée  par  Sperandio  se  trouvent 
ces  mots  :  «  alexander  ,  tartagnds  .  jureconsultissimus  .  ac  .  veri- 
TATis .  INTERPREX .  «  Au  revcrs,  on  voit,  au  sommet  du  Parnasse, 
Mercure  nu,  tenant  le  caducée,  assis  sur  un  dragon,  et  on  lit 
l'inscription  suivante   :    «  vigilantia  .  florui  .  —  parnasus.    — 

OPUS . SPERADEI .  » 

Marino  Caracciolo.  —  A  la  liste  des  médailles  exécutées  à 
Ferrare,  peut-être  doit-on  ajouter  celle  du  Napolitain  Marino 
Caraccioli,  premier  comte  de  Saint-Angelo,  maréchal  des  ar- 
mées du  roi  Ferdinand.  Pigna  (p,  729)  raconte  que,  vers  la 
fin  de  14G6,  Ferdinand  I",  sachant  qu'à  l'occasion  de  certaines 
fêtes  données  par  Borso  il  devait  y  avoir  des  courses  d'ani- 
maux et  de  piétons,  chargea  Marino  Caracciolo  de  conduire  à 
Ferrare  quelques  chevaux  d'une  agilité  extraordinaire.  Carac- 
ciolo aura  profité  de  son  passage  à  Ferrare  pour  commander 
sa  médaille  à  Sperandio,  et  il  ne  manqua  sans  doute  pas  de 
s'en  féliciter,  car  elle  est  remarquablement  traitée.  Caracciolo 
est  représenté  de  profil  à  gauche  (diam.  100),  couvert  d'une 
armure ,  la  tête  coiffée  d'une  calotte.  Les  chairs  ont  beau- 
coup de  souplesse,  et  le  modelé  est  excellent.  De  longs  che- 
veux retombent  sur  le  front  et  sur  le  cou.  L'embonpoint  du 
personnage  se  traduit  par  un  double  menton.  Au  revers,  on 
voit  de  face,  assis  sur  nn  lion  qui  marche  vers  la  droite,  un 
jeune  homme  revêtu  du  costume  de  guerre  des  Romains, 
tenant  de  la  main  gauche  le  bâton  de  commandement  et  se 
laissant  caresser  la  main  droite  par  un  chien  qui  se  dresse  sur 
ses  pattes.  Ce  jeune  homme,  dont  le  visage  s'incline  à  gauche, 

(1)  Sur  un  exemplaire  que  possède  la  collection  de  la  Marciana,  à  Venise, 
Tartagni  est  coiffé,  non  d'une  draperie,  mais  d'un  bonnet. 


LIVRE  TROISIÈME.  649 

ne  manque  ni  d'élégance  dans  ses  formes,  ni  de  charme  dans 
son  expression  un  peu  mélancolique.  De  chaque  côté,  Spe- 
randio  a  reproduit  les  troncs  d'arbres  desséchés  que  présen- 
tent plusieurs  de  ses  médailles.  On  ignore  quand  naquit  Carac- 
ciolo,  mais  on  sait  qu'il  mourut  en  1467. 

Simone  Rufini.  —  Quoique  originaire  de  Milan,  le  marchand 
Simone  Rufini  était  citoyen  de  Ferrare.  Sa  fortune  lui  permit 
de  satisfaire  son  goût  pour  les  arts.  Sur  son  ordre,  Baldassare 
d'Esté  peignit  en  1  472,  dans  l'église  de  Saint-Dominique,  une 
chapelle  où  il  représenta  la  vie  de  saint  Ambroise,  avec  les 
portraits  du  donateur,  de  la  donatrice  et  de  trois  autres  per- 
sonnages, et  Cosimo  Tiira  fut  chargé  de  fixer  comme  expert  le 
prix  de  ce  travail,  prix  qui  ne  devait  pas  dépasser  cent  qua- 
rante ducats  d'or.  Simone  Rufini  mourut  probablement  en 
1475,  car  les  livres  de  comptes  des  princes  d'Esté  nous  ap- 
prennent que  ses  nz)?o// fournirent  à  la  cour  en  1  476  des  étoffes 
de  soie,  et,  dans  le  registre  de  la  chambre,  il  est  question  en 
1478  des  «  héritiers  de  Simone  Rufini  (1)  «  . 

On  lit  sur  la  médaille  de  Simone  Rufini  (diam.  85)  que  ce 
personnage  jouissait  de  l'affection  du  peuple  et  des  princes  (2). 
Rufini,  doué  d'une  physionomie  originale  et  intelligente,  est 
tourné  à  gauche,  vêtu  d'une  robe  et  coiffé  d'un  bonnet  plat; 
il  a  les  cheveux  très  courts;  la  grosseur  de  son  nez  et  la  lon- 
gueur de  son  oreille  prouvent  que  Sperandio  a  copié  scrupu- 
leusement son  modèle,  sans  songer  à  l'embellir.  L'exécution 
de  cette  médaille,  dans  les  bonnes  épreuves  comme  celle  de 
M.  Valton,  indique  chez  l'auteur  un  sérieux  mérite,  une  rare 
habileté  à  rendre  avec  élévation  le  caractère  intime  des  per- 
sonnages dont  il  entreprenait  de  perpétuer  le  souvenir.  Au 
revers,  on  voit  debout,  sur  un  paon  étendu  à  terre,  un  homme 
qui  tient  une  plume  de  la  main  droite  et  qui  montre  de  la 

(1)  Ad.  Vesturi  :  1"  Co.tmè  Tura  c  la  cappella  di  Bclriguardo,  p.  7.  — 
2°  Article  sur  Les  médailleurs  de  la  lieuaissauce,  par  M.  IIeiss,  dans  la  Jiivista 
•itorica  italiana,  i'^  livraison  de  188G,  p.  158.  —  3°  Sperandio  da  Mantova, 
dans  VArcIiivio  storico  deW  arte,  octobre  1888,  p.  387-388. 

(2^  <c  SIMON.  RLFISUS.  MEDIOLA>I.  FEniiARIE.  Q.  ET  POPULO.  ET  PllI.NCIPlBUS. 
GRATUS.   » 


850  L'ART    FERRARAIS. 

main  gauche  un  parchemin  déroulé.  Cet  homme  barbu,  vu  de 
face,  vêtu  d'une  robe,  a  la  tête  nue. 

C'est  peut-être  aussi  pendant  le  long  espace  de  temps  qu'il 
passa  à  Ferrare  que  Sperandio  fit  les  deux  médailles  des  Véni- 
tiens Pietro  Albani  et  Carlo  Quirini,  datées  l'une  et  l'autre  de 
1472.  Un  séjour  à  Ferrare  aura  permis  à  ces  personnages  de 
faire  exécuter  leur  médaille  par  Sperandio  (1). 

Albani  [Pietro).  (Diam.  86.) — Albani  est  tourné  à  gauche, 
coiffé  d'une  toque;  il  a  des  cheveux  longs  et  bouclés.  On  lit 
autour  de  l'effigie  :  «  petrus.  albanus.  de.venetus.  »  Au  revers, 
sur  lequel  se  trouvent  les  mots  :  «  sic .  itur  .  ad  .  astra.  —  opus  . 
SPERANDEI .  n  ,  uuc  femme  vue  de  face  est  assise  entre  une  tête 
de  licorne  et  une  tête  de  chien.  Elle  tient  de  la  main  droite 
une  flèche;  son  bras  gauche  est  entouré  d'un  serpent  à  tête  de 
dragon. 

Pietro  Albani  était  à  la  fois  banquier  et  marchand.  Il  eut  de 
fréquents  rapports  avec  les  Este  et  les  Gonzague,  auxquels  il 
procura  des  joyaux,  des  étoffes,  du  sucre,  de  la  cire  et  surtout 
de  l'argent.  Isabelle  d'Esté  et  l'évéque  Louis  Gonzague  l'ap- 
préciaient beaucoup.  Il  mourut  en  1503  (2). 

Quirini  [Carlo).  (Diam.  84.)  —  Quirini,  tourné  à  droite,  est 
coiffé  d'un  bonnet;  il  a  des  cheveux  longs  et  bouclés.  L'in- 
scription porte  ces  mots  :  «  carolus  .  quirini  .  veneti  .  »  — Au 
revers,  on  voit  un  homme  nu,  tourné  à  gauche,  assis  sur  une 
cuirasse.  Il  tient  d'une  main  une  boule,  et  de  l'autre  un  long 
bâton.  Son  pied  gauche  est  posé  sur  un  sac  renversé  d'où 
s'échappent  des  pièces  de  monnaie.  Derrière  lui  se  trouvent 
deux  boucliers.  Sperandio  a  employé  le  même  revers  pour  la 
médaille  de  Pendaglia.  L'inscription  est  ainsi  conçue  :  «  cae- 

SARIANA  .  LIBERALITAS  .    OPUS  .  SPERANDEI .    »     Ou    ne    pOSSèdc 

aucun  renseignement  sur  Carlo  Quirini. 

(1)  Ad.  Venturi,  Sperandio  da  Mantova,  dans  VArchivio  storico  delV  arte, 
octobre  1888,  p.  388. 

(2)  Ibid. 


LIVRE   TROISIEME.  651 

XIII 

COSTANZO. 

Au  nombre  des  artistes  qui  ont  travaillé  à  Ferrare,  on  doit 
compter  Costanzo,  qui  était  probablement  Napolitain.  On  peut 
supposer  qu'il  fut  attiré  dans  la  capitale  des  princes  d'Esté  par 
la  présence  d  Éléonore  d'Aragon,  femme  du  duc  Hercule  I". 
En  tout  cas,  il  y  séjourna  longtemps,  épousa  une  Ferraraise  et 
se  fit  appeler  Costanzo  da  Ferrara.  On  ne  possède  de  lui  que 
la  médaille  de  Mahomet  II  (1481).  Costanzo  pratiquait  aussi 
la  peinture.  Ce  fut  comme  peintre  que,  sur  la  demande  du 
sultan,  le  roi  de  Naples  l'envoya  à  Constantinople,  où  il  se 
trouva  en  même  temps  que  Gentile  Bellini  et  où  il  vécut  plu- 
sieurs années.  Après  la  mort  de  Mahomet  II  (2  juillet  1481), 
Costanzo  regagna  l'Italie.  En  1485,  il  peignit  le  portrait  de 
Ferrante  d'Esté,  fils  d'Hercule  I"  et  d'Éléonore  d'Aragon,  qui 
n'avait  pas  encore  atteint  l'âge  de  huit  ans,  et  qui  vivait  alors 
à  la  cour  de  Naples.  La  même  année,  il  se  rendit  à  Ferrare 
pour  affaires  concernant  la  dot  de  sa  femme,  mais  avec  l'in- 
tention d'y  rester  le  moins  longtemps  possible.  Tous  ces  dé- 
tails sont  dus  à  M.  Venturi,  qui  les  a  consignés  dans  VArchivio 
stoynco  delV  arte  de  septembre-octobre  1891,  p.  374,  d'après 
une  lettre  du  24  août  1485  trouvée  par  le  comte  Ippolito  Mala- 
guzzi,  lettre  dans  laquelle  l'ambassadeur  ferrarais  près  la  cour 
napolitaine  recommandait  chaleureusement  l'artiste  à  la  du- 
chesse de  Ferrare. 

XIV 

GIAN     CRISTOFORO     ROMAND   (1). 

Isabelle  d'Esté,  fille  d'Hercule  I"  et  d'Éléonore  d'Aragon, 

(1)  P.  Valton,  Gian  Cristoforo  Bnmano,  dans  la  licvue  nui)iisinattr/iu\  juil- 
let 1S85.  —  Ad.   Venturi,   Der  Medailleur   Gian    Cristoforo.  Romano,  dans  le 


652  L'ART    FERRARAIS. 

marquise  de  Mantoue.  (Diam.  28.)  —  Elle  est  tournée  à  droite 
et  a  la  tête  nue;  deux  nattes  disposées  sur  les  côtés  rejoignent 
derrière  la  tête  un  nœud  de  cheveux  flottant,  coiffure  alors 
fort  usitée,  que  présente  aussi  la  médaille  de  Lucrèce  Borgia 
dont  il  sera  question  plus  loin.  Un  collier  de  perles  descend 
jusque  sur  la  poitrine.  On  lit  autour  de  la  médaille  :  «isabella. 
ESTEN  .  MARCH  .  MA  .  (Isabelle  d'Esté,  marquise  de  Mantoue).  «  — 
Au  revers,  une  Victoire  ailée,  debout,  la  tête  tournée  à  gauche, 
tient  de  la  main  droite  une  baguette  pour  charmer  un  serpent 
qui  se  dresse  auprès  d'elle.  Au-dessus  de  sa  tête  apparaît  le 
signe  du  Sagittaire  surmonté  d'une  étoile.  Le  Sagittaire  désigne 
le  mois  de  juillet  et  est,  d'après  les  astrologues,  le  symbole  de 
la  puissance.  La  légende,  qui  se  compose  de  ces  mots  :  «  bene 
MERENTiUM  ERGO  (A  causc  de  SCS  bienfaits)  5? ,  fait  allusion ,  soit  à 
la  reconnaissance  du  sculpteur  pour  la  marquise,  soit  à  la  pro- 
tection accordée  par  celle-ci  aux  lettres  et  aux  arts. 

Giacomo  d'Atri,  ambassadeur  du  marquis  de  Mantoue  à 
Naples,  mentionne  cette  médaille  dans  une  lettre  adressée  de 
cette  ville  à  la  marquise,  le  24  décembre  1507  :  «  Joan  Cristo- 
foro  Romano,  votre  dévoué  serviteur,  est  ici  et  m'a  fait  cadeau 
d'une  médaille  de  Votre  Excellence,  médaille  mille  fois  belle, 
aussi  belle  que  vous  l'êtes  vous-même.  Il  me  dit  l'avoir  mon- 
trée comme  une  chose  divine  à  toutes  les  reines,  qui  la  regar- 
dent avec  admiration.  »  La  médaille  d'Isabelle  d'Esté  fut  pro- 
bablement exécutée  en  1498,  car  Giacomo  Fihppo  Faella, 
en  écrivant  à  cette  princesse  le  10  septembre  1498,  rapporte 
qu'il  vit  la  médaille,  «  la  medaglia  de  la  Eccellenza  Vostra  v  , 
entre  les  mains  de  Tebaldeo,  ce  qui  lui  suggéra  l'idée  de  la 
célébrer  dans  un  sonnet  (1). 

Isabelle  d'Esté,  née  le  18  mai  1474,  épousa,  en  1490,  Jean 


Kunstfreund,  livraison  du  15  juillet  1885,  n°  14,  et  Gian  Cristoforo  Romano, 
dans  rj?c/iiyio  stoiicodeW  arte,  année  I,  fascicule  III,  mars,  fascicule  IV,  avril, 
et  fascicule  V,  mai  1888.  —  G.  de  Fabriczy,  Nouveaux  i-enseignements  sur  Gio- 
van  Cristoforo  Romano,  dans  le  Courrier  de  l'Art  du  13  avril  1888,  n°15,  et 
dans  VArte  e  storia  du  15  mai  1888,  année  VII,  n"  14. 

(1)   Ad.  Venturi,  Gian  Cristoforo  Romano,  dans  VArchivio  stoi-ico  deW  arte, 
avril  1888,  p.  108 


LIVRE  TROISIÈME.  653 

François  II  Gonzague,  et  mourut  le  13  février  1539,  à  l'âge  de 
soixante-cinq  ans.  Elle  en  a  ici  trente-deux  environ.  Ses  traits, 
accentués  déjà  sans  avoir  perdu  tout  le  charme  de  la  jeunesse, 
ont  beaucoup  de  distinction,  et  l'on  est  heureux  de  trouver  un 
tel  agrément  à  une  princesse  qui  protégea  les  arts  avec  tant  de 
discernement  et  de  goût. 

Quant  à  Gian  Gristoforo  Romano ,  élève  de  Paolo  Romano, 
suivant  Vasari  (1),  et  ami  intime  de  Caradosso,  il  naquit  d'Isaïe 
di  Pippo  de  Pise,  vers  1470,  et  cessa  de  vivre  le  31  mai  1512, 
à  l'âge  d'environ  quarante-deux  ans.  Célèbre  comme  orfèvre, 
comme  sculpteur  (2),  comme  graveur  sur  cristal  et  comme 
architecte,  il  pratiquait  avec  une  grande  habileté  l'art  du 
médailleur.  Il  n'excellait  pas  moins  dans  la  musique  et  culti- 
vait à  l'occasion  la  poésie,  ainsi  que  le  prouve  un  sonnet  com- 
posé en  l'honneur  de  l'improvisateur  Serafino  d'Aquila.  Sabba 
da  Castiglione  (3)  et  Lomazzo  ont  glorifié  ses  talents,  et  dans 
le  Cortegiano  de  Balthazar  Castiglione,  où  il  figure  parmi  les 
beaux  esprits  en  faveur  auprès  des  princes,  il  prend  part  à  une 
discussion  sur  la  question  de  savoir  si  la  peinture  est  supé- 
rieure à  la  sculpture.  Vers  la  fin  du  quinzième  siècle  il  entra 
en  rapport  avec  la  cour  de  Mantoue,  fit  quelques  portraits  en 
marbre  sur  la  demande  de  ses  nouveaux  protecteurs  et  devint 
un  de  leurs  conseillers  et  agents  pour  l'acquisition  des  œuvres 
dignes  de  figurer  dans  leurs  palais  (4).  Il  travailla  également 
à  Milan,  à  Venise,  à  Crémone,  à  Rome,  à  Naples,  et  il  diri- 
geait des  travaux  d'architecture  à  Lorette  quand  il  mourut. 
C'est  à  l'hôpital  de  Recanati  qu'il  légua  tous  ses  biens,  y 
compris   sa  collection   de  médailles,   de   camées,   d'intailles 

(1)  T.  II,  p.  650. 

(2)  Le  tombeau  de  Jean  Galéas  Visconti,  à  la  Chartreuse  de  Pavie,  fut  exécute 
sous  sa  direction  et  avec  sa  coopération.  Il  fut  seul  l'auteur  du  monument  de 
Pier  Francesco  Trecchi,  monument  qui  fut  fait  entre  1502  et  1505,  et  qui,  de 
l'église  de  Saint-Vincent,  a  passé  dans  celle  de  Sainte-Ayatlie,  à  Crémone  (1502). 

(3)  C'est  probablement  chez  Gianfrancesco  dclla  Torre  que  Cristoforo  Romano 
rencontra  dès  1505  Caradosso  et  Sal)ba  da  Castiglione,  gcnlilhomme  milanais. 

(4)  Il  fut  très  apprécii'  d'Isabelle  d'Esté.  Sur  la  recommandation  de  cette  prin- 
cesse, le  cardinal  llippolyte  I"  d'Esté  se  montra  disposé  à  lui  procurer  un  béné- 
fice d'archiprètre  à  Rome  (1510). 


654  l'art   FERRARAIS. 

antiques  et  d'autres  œuvres  d'art,  collection  qui  devait  être 
vendue  afin  de  payer  chaque  semaine  trois  messes  pour  le 
salut  de  son  àme  (1). 


XV 

FOPPA    (GRISTOFANO),    DIT    LE    CARADOSSO. 

Béairix  d'Esté,  fille  d'Hercule  P""  et  d'Éléonore  d'Aragon, 
née  en  1475,  morte  en  1497.  — Aucune  médaille  ne  repro- 
duit ses  traits,  mais  on  voit  son  effigie  au  revers  d'une  ravis- 
sante et  très  rare  monnaie  d'argent  (diam.  26)  dont  la  face, 
portant  la  date  de  1497,  nous  montre  Ludovic  le  More,  tourné 
à  droite,  couvert  d'une  cuirasse,  la  tête  nue,  garnie  d'une 
longue  et  épaisse  chevelure  (2).  La  jeune  duchesse  de  Milan 
regarde  à  gauche  et  a  aussi  la  tète  nue.  Ses  cheveux,  réunis 
en  queue,  tombent  sur  son  dos.  M.  Armand  attribue  cette 
monnaie  à  Caradosso,  qui  fut  à  la  fois  orfèvre,  graveur  en 
monnaies  et  médailleur.  Laitière  Béatrix,  née  en  1  475,  épousa 
Ludovic  le  More  en  1491,  devint  duchesse  de  Milan  en  1494 
et  mourut  le  2  janvier  1497,  à  l'âge  de  vingt-deux  ans.  Son 
histoire  est  trop  connue  pour  qu'il  soit  nécessaire  de  la  rap- 
peler. 

On  peut  comparer  la  monnaie  attribuée  à  Caradosso  avec 
plusieurs  portraits  authentiques  de  Béatrix  d'Esté,  avec  le  buste 
en  marbre  du  Louvre,  exécuté  quand  Béatrix  avait  treize  ou 
quatorze  ans  (1488  ou  1489),  —  avec  le  tableau  du  palais 
Pitti  (n°  371),  où  elle  apparaît  un  peu  plus  âgée,  tableau  peint 
par  Piero  délia  Francesca,  suivant  le  catalogue,  par  Lorenzo 
Costa,  selon  M.  Bode,  par  un  peintre  qui  a  copié  ici  un  por- 

(1)  Il  voulut  être  enterré  dans  une  des  chapelles  de  l'église  de  Lorette,  dans  la 
chapelle  du  Crucifix. 

(2)  La  disposition  des  deux  portraits  n'étant  pas  la  même,  on  peut  croire  qu'ils 
n  ont  pas  été  faits  en  même  temps  et  pour  être  accolés  sur  le  champ  l'un  à 
l'autre. 


LIVRE   TROISIEME.  655 

trait  dû  à  un  artiste  milanais,  selon  M.  Frizzoni,  —  avec  le 
grand  tableau  de  la  galerie  Brera,  à  Milan  (n°  87),  où  elle 
figure  auprès  de  Ludovic  le  More  et  de  ses  deux  petits  enfants 
devant  la  Vierge  et  l'Enfant  Jésus,  en  compagnie  de  plusieurs 
saints  (1),  —  avec  une  des  miniatures  attribuées  à  Antonio  da 
Monza  qui  accompagnent  l'acte  du  28  janvier  149  4  dans  lequel 
sont  énumérées  les  donations  faites  par  Béatrix  à  son  mari, 
acte  conservé  au  British  Muséum,  —  enfin  avec  le  portrait  qui 
fait  face  à  celui  de  Blanche-Marie,  femme  de  François  Sforza, 
sur  la  porte  de  la  chambre  du  lavabo  à  la  Chartreuse  de  Pavie, 
porte  exécutée  par  G.  A.  Omodeo.  Quant  au  portrait  peint 
par  Léonard  de  Vinci,  suivant  les  uns,  par  Ambrogio  Preda, 
selon  les  autres,  à  la  Bibliothèque  Ambrosienne,  et  dans  lequel 
M.  Giuseppe  Goceva  a  cru  reconnaître  Béatrix  d'Esté,  il  ne 
représente  pas,  suivant  nous,  la  femme  de  Ludovic  le  More. 
Nous  n'y  retrouvons  ni  la  forme  du  front,  ni  le  regard,  ni  le 
nez  un  peu  pointu,  ni  l'empâtement  du  bas  du  visage  que 
présentent  les  vrais  portraits  de  Béatrix.  Cosimo  Tura  peignit, 
en  1485,  un  portrait  de  Béatrix  d'Esté,  maintenant  perdu, 
portrait  destiné  à  Ludovic  le  More,  à  qui  la  jeune  princesse 
était  fiancée  (2). 


XVI 

NICCOLÔ    FIORENTINO    (1430-1514). 


Fils   de   l'orfèvre  Forzore  Spinelli,  qui  mourut  en   1477, 
Niccolô  Fiorentino  naquit  en  1430  à  Florence  et  y  mourut  en 

(1)  Ce  tableau,  qui  a  été  longtemps  attribué  à  Bernardo  Zenale,  est  regardé 
aujourd'hui  comme  une  œuvre  de  Bcrnardino  de'  Conti,  élève  de  Léonard  de 
Vinci  ;  il  a  été  peint  vers  1494. 

(2)  G.  Goceva,  Vlconor/rafia  di  Béatrix  d'Esté,  dans  VÂrcliivio  storico  delC 
arte,  mai-juin  1889,  p.  204.  Les  portraits  que  nous  avons  mentionnés  y  sont 
reproduits.  —  G.  Frizzoni,  Alcune  osservazioni  critiche  a  proposito  delta  icono- 
(jrafia  di  Béatrice  d'Esté  e  del  pittorc  Ambrogio  de  Prédis,  dans  VArchivio  storico 
dcir  arte,  octobre  1889,  p.  431. 


656  L'ART   FERRARAIS. 

1514.  Sur  deux  des  cinq  médailles  signées  de  son  nom  (1)  se 
trouvent  les  dates  de  1485  et  de  1  492.  On  ne  doit  pas  le  con- 
fondre avec  un  artiste  du  même  nom  qui  travaillait  en  1493  à 
Lyon  (2)  et  qui  finit  ses  jours  dans  cette  ville  en  1499.  Peut- 
être,  au  contraire,  ne  s'écarte-t-on  pas  de  la  vérité  en  recon- 
naissant en  lui  l'orfèvre  Nicolas  de  Spinel,  mentionné  dans  les 
comptes  des  ducs  de  Bourgogne  en  1468  pour  avoir  gravé  un 
sceau  destiné  à  Charles  le  Téméraire  (3). 

Parmi  les  ouvrages  dus  à  Niccolô  di  Forzore  Spinelli,  il  y  a 
nne  m.éàai\\\e  à' Alphonse  d'Esté  [àiQiva..  71),  dont  le  revers,  signé, 
porte  la  date  de  1492.  Alphonse,  qui  succéda  à  son  père  Her- 
cule I"  le  25  janvier  1505  et  qui  cessa  de  vivre  en  1534,  n'a 
ici  que  seize  ans  (4).  Il  est  coiffé  d'une  petite  toque  et  tourné 

(1)  C'est  à  tort  qu'on  lui  attribue  la  médaille  de  Jean  Pic  de  la  Mirandole.  On 
ne  sait  pas  quel  est  l'auteur  de  cette  médaille. 

(2)  Lors  du  passage  de  Charles  VIII  et  de  sa  femme  Anne  de  Bretafjne,  la 
municipalité  lyonnaise  offrit  entre  autres  choses  à  ses  augustes  hôtes  un  lion  d'or 
assis,  tenant  une  coupe  d'or,  avec  cent  médailles  d'or  à  l'effigie  des  deux  souve- 
rains :  ces  divers  objets  avaient  été  exécutés  par  Nicolas  de  Florence  et  l'orfèvre 
Loys  le  Père,  dont  il  avait  épousé  la  tille. 

(3)  Bévue  numismatifjue  belge,  1860,  p.  186. 

(4)  Une  médaille  anonyme,  reproduite  dans  l'ouvrage  de  M.  Heiss,  nous  le 
montre  tout  enfant.  Le  buste  est  tourné  à  gauche,  et  la  tête  est  nue.  Au  revers, 
un  bel  enfant  nu,  à  demi  étendu  dans  son  berceau  et  tourné  aussi  à  gauche, 
appuie  un  de  ses  bras  sur  un  coussin  et  étouffe  de  la  main  droite  deux  serpents, 
comme  le  faisait  à  peu  près  au  même  âge  le  patron  mythologique  du  duc  Her- 
cule \".  On  lit  sur  le  berceau  la  date  de  1477;  mais  la  légende  qui  borde  le 
revers  est  indéchiffrable  avec  ses  lettres  grecques  et  ses  constellations  énigmati- 
ques.  Alphonse  d'Esté  était  né  le  27  juillet  1476.  Peut-être  cette  médaille  a-t-elle 
été  faite  d'après  un  des  trois  portraits  d'Alphonse  que  Cosinio  Tura  peignit 
en  1477. 

Sur  une  autre  médaille  anonyme  (voyez  la  reproduction  dans  l'ouvrage  de 
^L  Ileisb\  l'effigie  de  ce  prince  est  accolée  à  celle  de  Lucrèce  Borgia,  sa  seconde 
femme  (diam.  56).  Alphonse,  tourné  à  gauche,  est  représenté  sans  barbe  et  avec  de 
longs  cheveux;  il  est  coiffé  d'un  bonnet  et  couvert  d'une  cuirasse.  Ce  portrait 
doit  être  antérieur  à  celui  de  Lucrèce  Borgia  qui  forme  le  revers  de  la  médaille, 
et  il  n'est  certainement  pas  du  même  artiste.  On  aura  probablement  juxtaposé, 
peu  après  le  mariage  des  deux  personnages,  un  buste  relativement  ancien  du 
mari  et  le  buste  nouvellement  fait  de  la  femme,  celui  qu'avait  exécuté  le  Médail- 
leur  a  V Amour  captif  ,  et  dont  il  sera  question  plus  loin.  Alphonse  avait  vingt-six 
ans,  en  1408,  lorsqu'il  épousa  Lucrèce,  âgée  de  vingt-deux  ans. 

Remarquons,  en  outre,  la  petite  médaille  sans  revers  (diam.  32)  autour  de 
laquelle  on  lit  :  «  alpiioxsius  atestinus.  »  Alphonse,  sans  barbe,  est  tourné  à 
droite  et  coiffé  d'un  bonnet  qui  laisse  passer  de  longues  boucles  de  cheveux  en 
tire-bouchon;  son  nez,  très  recourbé  du  bout,  f;iit  penser  à  son  père  âgé  plutôt 


LIVRE   TROISIÈME.  657 

à  droite.  Son  charmant  visage  est  encadré  par  de  longs  che- 
veux qui  tombent  sur  ses  épaules.  Au  revers  de  la  médaille,  le 
jeune  prince,  tenant  une  épée  et  un  fragment  de  lance,  est 
assis  au  sommet  d'un  char  triomphal  qui  se  compose  de  plu- 
sieurs gradins  et  que  traînent  quatre  chevaux  galopant  vers  la 
droite  (1).  Ces  chevaux,  comme  le  fait  remarquer  M.  Heiss  (2), 
ne  sont  que  la  répétition  de  ceux  qu'on  voit  sur  un  camée  du 
musée  de  Naples  (3),  qui  est  signé  Athenion  et  qui  représente, 
dans  un  quadrige,  Jupiter  en  train  de  foudroyer  deux  géants  (4) , 
menacés  aussi  par  les  pieds  de  ses  coursiers. 

La  médaille  de  don  Alphonse  d'Esté  valut  à  l'auteur  dix- 
huit  lire  (5). 

qu'à  lui.  — Le  musée  impérial  de  Vienne  possède  un  exemplaire  de  cette  médaille 
avec  un  revers  :  au  milieu,  un  homme  nu,  armé  d'un  tliyrse,  marche  à  gauche  et 
s'approche  d'un  jeune  homme  nu,  assis  et  endormi;  à  droite  est  une  statue  sur 
un  piédestal.  —  Plusieurs  médailles  anonymes  nous  ont  transmis  les  traits  d'Al- 
phonse \"  dans  la  maturité  de  l'âge.  Elles  sont  au  nombre  de  cinq  et  ne  dénotent 
qu'un  talent  ordinaire.  La  plupart  ont  des  revers  d'emprunt.  Parmi  ces  médailles 
sur  lesquelles  Alphonse  I"  a  le  titre  de  duc  et  apparaît  tète  nue,  revêtu  d'une 
armure,  avec  des  cheveux  courts  et  frisés,  une  courte  barbe  qui  frise  aussi,  un 
long  nez  pointu,  une  physionomie  martiale  et  pensive,  nous  signalons  la  petite 
pièce  dont  le  revers  a  pour  ornement  un  cavalier  qui  apporte  une  couronne  à  une 
femme  assise,  sujet  qu'accompagnent  ces  mots  :  «  ex  hoc  beatam  me  dicent.  » 
C'est  vers  1522  qu'Alphonse  \"  commença  à  porter  des  cheveux  courts  et  à  lais- 
ser croître  sa  barbe. 

Lorsque  la  mort  de  Léon  X  (1"  novembre  1521)  eut  délivré  Alphonse  d'un 
redoutable  ennemi,  plusieurs  ntonnaies  d'argent  furent  frappées  en  signe  de 
réjouissance  à  l'effigie  du  duc  avec  des  revers  symboliques.  JN^ous  examinerons 
plus  loin  ces  monnaies  en  parlant  de  Giannantonio  daFoligno.  A  la  même  époque 
fut  fondue  une  médaille  où  l'on  voit  d'un  coté  l'image  d'Alphonse  I",  de  l'autre 
un  cheval  qui  lutte  contre  un  taureau,  non  loin  de  quelques  brebis,  sujet  com- 
menté par  ces  mots  :  «  in  virtute  tua  Servah  su.^ius.  »  (Frizzi,  Meinorie  per  la 
Storia  di  Fervara,  t.   IV,  p.  289.) 

On  peut  comparer  les  médailles  et  les  monnaies  d'Alphonse  \"f  non  seulement 
aux  portraits  de  ce  prince  par  Titien  (Galerie  Pitti,  n"  311)  et  par  Dosso  (Musée 
de  Modène),  mais  à  ceux  que  contiennent  un  bréviaire  et  un  office  de  la  Vierge 
dans  la  Bibliothèque  d'Esté  à  Modène,  et  à  une  gravure  anonyme  d'origine  véni- 
tienne, exécutée  sur  bois  en  clair-obscur  et  entourée  d'un  riche  ornement.  ^Pas- 
savant, Peintre  graveur,  VI,  2V4.) 

(1)  L'ouvrage  de  M.  Frieolaender  (pi.  XXV)  contient  une  excellente  repro- 
duction de  cette  pièce. 

(2)  Les  médailleurs  de  la  Renaissance,  5"  fascicule,  p.  12. 

(3)  Il  est  reproduit  dans  l'ouvrage  de  M.  Heiss. 

(4)  On  retrouve  le  quadrige  de  Jupiter  sur  la  cuirasse  de  la  statue  d'Auguste 
découverte  près  de  Rome  en  1864.  ^Heiss,  p.  12.) 

(5)  «  Dicioito  lire  a   M"  JSicolo   Forzone  (sic)   di  S/nnclli  du   Fiorema  per 

I.  42 


658  L'ART   FERRARAIS 

XVII 

LE     MÉDAILLEUR    A    l'eSPÉRANCE. 


Roverella  [Filiasio).  (Diam,  29.) —  Buste  à  gauche,  tête  nue, 
vêtu  de  la  chape.  L'inscription  se  compose  de  ces  mots  : 
tt  FYLiAS  .  ROVERELLA  .  ARCHi .  RAVENNAS.  »  Au  revers,  Une  femme 
drapée  est  debout,  la  tète  levée  vers  le  soleil,  tenant  dans  la 
main  gauche  un  calice  et  posant  la  droite  sur  la  tête  d'un 
enfant.  Les  mots  «  fides  .  gharitas  .  spes.  »  accompagnent  ce 
revers,  à  cause  duquel  on  classe  maintenant  parmi  les  œuvres 
du  Médailleur  à  l'Espérance  la  médaille  représentant  Filiasio 
Roverella.  Ce  personnage  devint  archevêque  de  Ravenne 
en  1476  et  mourut  en  1521.  Selon  M.  Milanesi,  le  Médailleur 
à  l'Espérance  n'est  autre  que  le  peintre  florentin  Sperandio 
di  Giovanni,  mentionné  de  1472  à  1522. 


XVIII 

le  médailleur  A   l'amour   captif. 


Cet  artiste  est  l'auteur  d'une  charmante  médaille  (diam.  60) 
qui  représente,  tournée  à  gauche,  Lucrèce  Borgia,  avec  un 
relief  assez  fort,  surtout  dans  la  partie  inférieure.  La  seconde 
femme  d'Alphonse  I"  a  la  tête  nue.  Ses  cheveux  abondants 
tombent  sur  ses  épaules;  ils  sont  maintenus  par  derrière  au 
moyen  de  deux  tresses  qui  partent  des  tempes.  Au  revers,  un 
petit  Amour  nu,  dont  les  yeux  sont  bandés,  dont  les  ailes  sont 

havere  composta  una  niedaglia  de  arzento  alo  Illustrissime  don  Alphonso.  » 
Vesturi,  article  sur  Les  médailleurs  de  la  Renaissance,  par  M.  Hëiss,  dans  la 
Rivista  stor.  ital.,  livraison  tle  janvier-mars  1886,  p.  156. 


LIVRE  TROISIEME.  659 

en  désordre,  est  attaché  à  un  laurier  (1),  les  mains  derrière  le 
dos.  Au-dessus  de  sa  tète,  son  carquois  brisé  est  suspendu  à 
une  branche.  Un  cartel,  un  violon,  un  archet,  des  pipeaux  et 
un  arc  sans  corde  sont  suspendus  à  une  autre  branche,  à  droite. 
On  voit  à  terre,  aux  pieds  de  l'Amour,  la  corde  de  son  arc  (2). 
Le  cartel  porte  l'inscription  suivante,  qui  n'a  pas  encore  reçu 
d'explication  satisfaisante  : 


o 


fpf^ff      %     (3). 


La  légende  est  ainsi  conçue  :  «  virtuti  ag  formae  pudigitia 

PRAECIOSISSIMUII  (4)  .  » 


(i)   Le  laurier  fait  probaI)leinent  allusion  à  la  {jlorieuse  maison  d'Esté. 

(2)  «  Par  les  divers  symboles  représentés  ici,  l'artiste  a  peut-être  voulu  indi- 
quer, dit  M.  Gregorovius,  que  le  temps  des  libres  amours  était  passé.  Si  ces  sym- 
boles ont  pu  jamais  convenir  ;\  une  nouvelle  mariée,  ils  s'appliquaient  d'une 
manière  toute  spéciale,  à  coup  sûr,  à  Lucrèce  Borgia.  » 

Il  semble  que  tous  les  détails  du  revers  de  la  médaille,  y  compris  l'inscription, 
furent  indiqués  au  médailleur  par  Bembo  :  c'est  ce  qui  ressort  d'une  lettre  que 
Lucrèce  Borgia  écrivit  à  Ben)bo  le  8  juin  1503,  lettre  conservée  à  Milan  dans  la 
Bibliothèque  Ambrosienne  et  reproduite  dans  l'ouvrage  de  M.   Friedlaender. 

(3)  Selon  M.  Venturi,  ces  lettres  pourraient  signifier  :  «  FltA^CISCUS  phavoxes. 
FERRARiENSis.  FECIT.  »  L'orfèvre  Francesco  Pavoni  fut  souvent  occupé  par  la 
famille  d'Esté  (voyez  p.  581).  Dans  le  livre  de  dépenses  de  don  Alphonse,  à 
l'année  1503,  on  lit  que  Pavoni  fît,  avec  Zoannc  Antonio  da  Fuligno,  des 
vases  pour  »  Sa  Seigneurie  »  .  (Venturi,  article  sur  Les  médailleurs  de  la 
Renaissance,  par  M.  IIeiss,  dans  la  Rivista  stor.  ital.,  l'""  livraison  de  1886 
F-  15T.) 

(Jt)  Il  existe  aussi  une  médaille  de  Lucrèce  Borgia,  sans  revers  (diam.  60),  par 
un  médailleur  inconnu.  Le  buste  est  tourné  à  gauche,  et  les  cheveux,  envelop- 
pés d'une  résille,  se  terminent  par  une  longue  torsade  qui  tombe  sur  le  dos.  Le 
front  est  orné  d'un  ruban  auquel  sont  assujetties  des  pierres  précieuses.  Cette 
médaille,  beaucoup  moins  belle  que  celle  exécutée  par  le  Médailleur  à  l'Amour 
captif,  a  peu  de  saillie.  Elle  fait  penser  à  la  tenue  de  Lucrèce  Borgia  lors  de  son 
entrée  à  Ferrare.  La  tille  d'Alexandre  VI  «portait  sur  la  tète  une  résille  en  forme 
de  voile,  scintillante  de  diamants  et  d'or,  sans  diadème  :  présent  de  son  beau- 
père.  Elle  avait  au  cou  un  collier  simple  de  grosses  perles  et  de  rubis,  qui  avait 
autrefois  appartenu  à  la  duchesse  de  Ferrare  (couime  Isabelle  le  faisait  remar- 
quer avec  un  soupir).  Sa  belle  chevelure  flottait  éparse  sur  ses  épaules.  »  (Goiiq)lc 
rendu  de  don  Ferrante.)  C'est  ainsi  que  sur  la  médaille,  la  résille  «  se  combine 
ingénieusement  avec  le  désordre  rafhné  et  voulu  des  cheveux  épars»  .  (Gh.  Yriahte, 
Les  portraits  de  Lucrèce  Bovfjia,  dans  la  Gazette  des  Beaux-Arts  du  l"  octo- 
bre 1884,  p.  340.) 


660  L'ART    FERRARAIS. 

XIX 

TEPERELLI     (fRANCESCO     MARIO' 


Cet  artiste  n'est  connu  que  par  une  médaille  (diam.  45)  (1) 
représentant  Pontico  Viru7u'o{2).  L'a-t-il  faite  à  Ferrare?  Nous 
n'oserions  l'affirmer,  mais  nous  croyons  devoir  la  mentionner 
parce  qu'elle  nous  fait  connaître  les  traits  d'un  illustre  philo- 
logue qui  eut  de  fréquents  rapports  avec  les  princes  d'Esté  et 
les  savants  de  leur  entourage.  Pontico  Yirunio,  tourné  à  gauche, 
est  représenté  avec  sa  barbe  et  coiffé  d'une  toque  large  et 
arrondie,  assez  étrange.  Il  parait  avoir  environ  cinquante  ans. 
Son  regard  un  peu  cave  a  quelque  chose  d'inquiet  et  n'indique 
pas  la  bonté.  Le  profil  est,  du  reste,  assez  beau.  En  examinant 
cette  médaille,  on  s'aperçoit  que  Teperelli  n'appartient  pas  à 
l'âge  d'or  des  médailleurs.  L'exécution  de  l'effigie  manque  de 
largeur;  elle  est  minutieuse  et  sèche.  Une  inscription  grecque 
entoure  ce  portrait  et  peut,  d'après  L.-N.  Cittadella,  être  tra- 
duite par  ces  mots  :  «  Comme  l'abeille  et  son  dard  »  ,  inscrip- 
tion bien  appropriée  au  caractère  de  Virunio  (3).  Ce  personnage, 
dont  le  nom  de  baptême  était  Francesco,  selon  les  uns,  Lodo- 
vico,  selon  les  autres,  naquit  vers  1467,  soit  à  Trévise,  soit  à 
Bellune,  mais  il  était  originaire  de  Mendrisio  dans  la  province  de 
Côme.  C'est  h  Ferrare  qu'il  étudia  la  philosophie,  la  littérature, 
l'astronomie,  les  mathématiques,  avec  Giorgio  Valla,  Battista 
Guarini  I",  Nicolô  Leoniceno,  Pietro  Bono  Avogario  et  Lodovico 
Giusberti,  professeurs  à  1  Université.  De  Ferrare  il  se  rendit  à 
Milan  et  servit  de  précepteur  aux  enfants  de  Ludovic  le  More 


(1)  Elle  est  reproduite  dans  le  travail  de  M.  Friedlaender. 

(2)  Teperelli  s'y  intitule  puerulus,  probablement  à  cause  de  son  âge. 

1^3)  Les  détails  qui  suivent  sont  empruntés  à  l'opuscule  de  L.-^.  Cittadella 
intitulé  :  J'ontico  Virunio  stampatore  in  lieggio  e  in  Ferrara  nel  secolo  XVI. 
Reggio,  1875. 


LIVRE   TROISIEME.  661 

jusqu'à  l'époque  de  rinvasion  française.  Il  occupa  ensuite  une 
chaire  publique  à  Reggio,  où  il  épousa  Gerantina,  sœur  de 
l'imprimeur  Andréa  Ubaldo.  En  1506  il  se  trouvait  à  Forli,  y 
fut  incarcéré  pour  un  méfait  que  nous  ignorons  et  ne  dut  sa 
mise  en  liberté  qu'à  l'intervention  du  cardinal  Hippolyte 
d'Esté.  A  la  suite  d'un  séjour  à  Bagnacavallo,  il  revint  enfin  à 
Reggio  pour  y  exercer  le  métier  d'imprimeur.  Ferrare  cepen- 
dant l'attira  encore  en  1508  et  en  1509.  hes  Ero7nùi  de  Guarini 
et  la  Vùa  di  Grisolora,  dédiée  au  Milanais  Antonio,  ambassa- 
deur de  Ludovic  Sforza,  y  furent  imprimés  par  ses  soins.  On 
croit  que  son  humeur  vagabonde  et  irritable  le  conduisit  éga- 
lement dans  plusieurs  autres  villes,  et  qu'il  mourut  à  Bologne 
en  1520.  Il  avait  un  caractère  soupçonneux,  violent  et  vindi- 
catif, et  se  créa  de  nombreux  ennemis,  qu'il  accablait  d'invec- 
tives. Un  de  ses  pamphlets  les  plus  acerbes,  composé  à  Lugo, 
fut  dirigé  contre  Lodovico  Bonaccioli  ,  médecin  favori 
d'Alphonse  I",  poète  gracieux  et  spirituel.  Andréa  Ubaldo, 
qui  a  écrit  la  biographie  de  Virunio,  imprimée  à  Bologne  en 
1655,  prétend,  il  est  vrai,  que  Bonaccioli,  après  l'avoir  traî- 
treusement décidé  à  transporter  ses  presses  et  ses  caractères  à 
Ferrare,  les  lui  fit  voler.  Mais  Barotti  (1)  et  L.-N.  Cittadella 
pensent  que  la  perfidie  de  Bonaccioli,  encouragée  par  le  duc 
Alphonse  V\  était  excusable,  parce  qu'il  s'agissait  probable- 
ment de  rendre  impossible  une  de  ces  publications  acerbes  et 
méchantes  dont  Virunio  était  coutumier. 


XX 

GIANNANTONIO    OU    GIOVAN    AXTOXIO    DA    FOLIGXO    (2). 

Giannantonio  da  Foligno,  fils  de  Lodovico  da  Foligno  dont 
nous  avons  parlé  (pages  571  et  614),  naquit  sans  doute  entre 

(1)  Memorie  storiche  di  lelterati  ferraresi, 

(2)  Umberto  Rossi,  Lodovico  e  Giannantonio  da  Foligno  orejxci  e  mcdaglisti 


662  L'A  UT    FEUKAHAIS. 

I  472  et  1476.  Il  fut,  comme  orfèvre,  au  service  des  princes 
d'Esté  (1).  En  1502,  il  était  «  maestro  délie  stampe  ■>■>  à  la  Mon- 
naie de  Ferrare.  Son  crédita  la  cour  se  maintint  pendant  les 
règnes  d'Hercule  I",  d'Alphonse  \"  et  d'Hercule  H.  En  1536, 
de  concert  avec  son  gendre  Daniel  de  Bàle,  il  s'employa  encore 
pour  la  Monnaie  de  Ferrare.  L.-N.  Cittadella  a  même  trouvé 
l'indication  de  payements  qui  lui  furent  faits  en  15  45  à  l'occa- 
sion de  nouveaux  coins.  Les  monnaies  qu'on  lui  doit  rentrent 
dans  la  classe  des  médailles,  tant  elles  sont  traitées  avec  ta- 
lent; elles  sont  parmi  les  plus  belles  qui  aient  paru  à  l'époque 
la  plus  florissante  de  l'art.  M.  Friedlaender  avait  cru  pouvoir  les 
attribuer  à  Francia;  mais  M.  Umberto  Rossi  a  prouvé  que 
l'honneur  en  revient  à  Giannantonio  da  Foligno.  Elles  sont 
au  nombre  de  vingt-six.  Il  y  en  a  treize  dont  l'authenticité  est 
attestée  par  des  documents. 

En  1502,  la  Commune  de  Reggio,  ayant  eu  des  difficultés 
avec  les  percepteurs  des  impôts,  envoya  trois  délégués  à  Fer- 
rare pour  obtenir  du  duc  Hercule  P'  l'indication  des  monnaies 
ayant  cours  et  la  faculté  de  frapper  de  nouvelles  monnaies  à 
l'usage  du  peuple.  Par  une  lettre  du  7  mars  1502,  le  duc  au- 
torisa la  ville  de  Reggio  à  émettre  des  monnaies  d'un  sou,  des 
monnaies  de  deux  sous  et  des  testoni  valant  sept  sous  et  trois 
deniers.  Le  sou  devait  porter  les  armes  de  Reggio  et  la  licorne, 
emblème  des  Este;  la  pièce  de  deux  sous,  une  demi-figure  de 
saint  Prosper,  patron  de  Reggio,  et  un  aigle,  partie  des  armes 
ducales;  le  tesione,  l'image  d'Hercule  I"  avec  le  bonnet  sur  la 
tête  et  les  armes  de  Reggio.  En  outre,  le  duc  exigea  que  les 
poinçons  et  les  coins  de  ces  monnaies  fussent  exécutés  à  Fer- 
rare. Ce  fut  Giannantonio  da  Foligno  qui  en  fut  chargé.  A  la 
fin  de  juin,  ils  étaient  terminés,  et  ils  furent  expédiés  le  4  juil- 
let à  Reggio,  où  Alberto  Caselini  en  prit  livraison.  Ils  valurent 
à  Giannantonio  quinze  ducati  d'oro  larghi,  c'est-à-dire  six  lire 
et  quinze  soldi. 

fenaresi,  dans  la  Gazetta  numismatica,  année  VI,  n°'  9-11,   diretta  dal  dottore 
Solone  Anibrosoli  in  Como  coi  tipi  di  Carlo  Franchi  in  Como,  1886. 
(1)   Voyez  p.  580. 


LIVRE  TROISIEME.  (563 

Voici  la  description  des  monnaies  frappées  à  Reggio  à  cette 
occasion  : 

r  Sou  cV argent  de  1502.  —  Au  droit  :  «  Divo  .  herculi  .  d  .  » 
Licorne  accroupie,  tournée  à  gauche.  —  Au  revers  :  «  regium  . 
LOMBAR .  »  Écusson  en  forme  de  tète  de  cheval  avec  une  croix, 
c'est-à-dire  les  armes  de  Reggio.  —  (Reproduit  par  Bellini, 
De  monetis  Italiœ,  altéra  dissertati'o,  p.  127,  III.) 

2°  Pièce  de  deux  sous  en  argent  de  1502.  — Au  droit  :  «  her- 
cules .  Dux  .  »  Aigle  aux  ailes  déployées,  avec  la  tête  tournée  à 
gauche.  —  Au  revers  :  «  s  .  prosper  .  eps  .  regii  .  »  Buste  du  saint 
évèque  vu  de  face.  Dans  le  bas,  les  armes  de  Reggio.  — 
(Reproduite  par  Bellini,  De  monetis  Italiœ,  postrema  dissertatio, 
tav.  XVI,  I.) 

3°  Testone  en  argent  de  1502.  —  Diam.  24.  Au  droit  :  «  her- 
cules .  dux  .  ii .  »  Buste  tourné  à  gauche,  sans  barbe,  cuirassé, 
avec  de  longs  cheveux  et  un  large  bonnet.  —  Au  revers  :  «  re- 
gium .  LEPIDI .  »  Écusson  en  forme  de  tète  de  cheval  avec  une 
croix.  —  Ce  testone  est  reproduit  dans  Tarticle  de  M.  Umberto 
Rossi  sur  Giannantonio  da  Foligno  (fig.  1). 

Le  bonnet  placé  sur  la  tête  d'Hercule  I"  est  semblable  à 
celui  qu'on  voit  dans  un  portrait  de  ce  prince  appartenant  à  la 
galerie  d'Esté,  ù  Modène,  et  attribué  à  Dosso.  De  part  et 
d'autre  on  remarque  sur  le  bonnet  une  médaille  représentant 
saint  Roch,  médaille  que  mentionne  un  inventaire  de  la  mai- 
son d'Esté  et  qu'Hercule  avait  l'habitude  de  porter. 

La  ressemblance  de  style  est  frappante  entre  le  testone  de 
1502  et  une  médaille  qui  représente  d'un  côté  Hercule  1" 
coiffé  du  même  bonnet  et  tourné  à  gauche,   avec  ces  mots  : 

M  hercules  .  DUX  .  FERRARIE  .  MUTINE  .  ET  .  REGII  .  RODIGII  .  Q  .  COMES  . 

1505  (1)  »  ,  et  de  l'autre  quatre  enfants  nus  (deux  sont  debout 
et  les  deux  autres  à  terre),  recueillant  les  emblèmes  du  duc  qui 
tombent  du  ciel  (des  bagues  ornées  d'un  diamant  taillé  en 
pointe  et  au  centre  desquelles  se  trouve  une  fleur),  revers  au- 
tour duquel  on  lit  :    «  juppiter  .  ex  .  alto  .  noris  .  adamanta  .  remi- 

(1)   En  1505,  Hercule   \"  avait  soixante-quatorze  ans;  la  courbure  de  son  nez 
s'était  accentuée,  et  il  ressemblait  quelque  peu  à  un  polichinelle. 


664  L'AllT    FERRARAIS. 

sit(1).  »  Sur  la  médaille  de  bronze  comme  sur  la  monnaie  d'ar- 
gent, on  retrouve  le  même  personnage  avec  son  même  costume 
et  sa  même  physionomie,  et  Ton  reconnaît  que  le  même  esprit 
a  dirigé  la  main  de  l'artiste.  Nous  croyons  donc  que  Giannan- 
tonio  da  Foligno  doit  être  tenu  pour  l'auteur  de  la  médaille, 
classée  jusqu'ici  parmi  les  médailles  anonymes. 

C'est  aussi  dans  l'œuvre  de  Giannantonio  da  Foligno  que, 
avec  M.  Umberto  Rossi,  nous  rangerons  les  deux  monnaies 
suivantes  d'Hercule  P%  car  elles  rappellent  trop  les  monnaies 
d'Alphonse  I"  que  nous  mentionnerons  tout  à  l'heure,  notam- 
ment par  la  manière  dont  les  cheveux  sont  traités,  pour  ne 
pas  avoir  la  même  origine. 

Quarto  d  Hercule  1" .  —  Diam.  29.  Au  droit  :  «  hercules. dux  . 
FERRARiAE .  »  Bustc  tourné  vers  la  gauche,  la  tête  nue,  avec  de 
longs  cheveux.  —  Revers  sans  légende  :  homme  nu  à  cheval, 
tourné  à  droite  et  levant  le  bras  gauche.  Cette  figure  équestre 
a  été  manifestement  inspirée  par  la  statue  équestre  de  Marc- 
Aurèle,  au  Capitole.  De  toutes  les  monnaies  d'Hercule  I",  au- 
cune n'a  atteint  la  perfection  de  celle-ci.  Elle  est  reproduite 
dans  l'article  de  M.  Umberto  Rossi  (fig.  12). 

Autre  quarto  d' Hercule  r\ — Diam.  29.  Au  droit:  «hercules. 
DUX.FERRARiAE.il.  »  Tête  touméc  vers  la  gauche  avec  les  che- 
veux longs.  —  Revers  sans  légende  :  homme  nu  à  cheval, 
étendant  le  bras  droit,  plus  horizontalement  que  sur  la  mon- 
naie précédente.  —  'SI.  Umberto  Rossi  a  également  reproduit 
ce  second  quarto  dans  son  article  (fig.  13). 

A  peine  Alphonse  I"  avait-il  succédé  à  son  père  que  Gian- 
nantonio exécuta  en  l'honneur  du  nouveau  duc  plusieurs 
pièces  de  monnaie  qui  témoignent  hautement  de  la  délica- 
tesse de  son  goût. 

Pièce  d'or  de  deux  ducats  (doppione)  exécutée  en  1505.  — 
Diam.  26.  Au  droit  :  «  alfonsus  .  dux  .  ferrarle  .  m .  »  Buste 
d'Alphonse  I"  tourné  à  gauche,  sans  barbe,  tête  nue,  avec  les 
cheveux  longs,  cuirassé.  —  Au  revers  :   «  que  .  sum  .  dei  .  deo  .  » 

(1)   Armasd,  Les  médailleurs  italiens,  t.  III,  p.  43,  n°  2. 


LIVRE  TROISIEME.  665 

A  droite  est  debout  le  Christ  nimbé,  vu  de  face.  A  gauche,  le 
pharisien,  également  debout,  mais  vu  de  profil,  présente  à 
Jésus  une  monnaie.  —  Ce  doppione  est  reproduit  dans  Tar- 
ticle  de  M.  Umberto  Rossi  (fig.  2). 

Quarto  d'argent  exécuté  en  1505.  — Diam.  29.  Au  droit  : 
Ci  ALFONSUS  .  Dux .  FERRARiAE .  m .  »  Bustc  d'Alphousc  I"  toumé  à 
gauche,  sans  barbe,  tête  nue,  avec  les  cheveux  longs,  cui- 
rassé. —  Au  revers  :  «  de  .  forti  .  dulcedo  .  »  Samson,  casqué 
et  cuirassé,  tourné  vers  la  gauche,  est  assis,  tenant  dans  sa 
main  la  tète  du  lion  de  Timna  d'où  sortent  des  abeilles  (Livre 
des  Juges,  ch.  xiv),  allusion  à  la  force  et  à  la  douceur  dont  se 
targuait  tout  à  la  fois  le  duc  de  Ferrare.  Devant  Samson,  un 
serpent  s'enroule  autour  d'un  tronc  d'arbre.  —  Ce  quarto  est 
reproduit  dans  l'article  de  M.  Umberto  Rossi  (fig.  4). 

Autre  quarto  d'argent  exécuté  en  1505.  —  Diam.  30.  Cette 
pièce  est  une  variante  de  la  précédente.  On  lit  au  revers  :  «  ex  . 
GRE  .  FORTis  .  DULCEDO  .  »  Il  V  en  a  une  reproduction  dans  le  fasci- 
cule V  de  M.  Heiss,  pi.  Y,  n"  5. 

En  1506,  Giannantonio  travailla  derechef  pour  la  Monnaie 
de  Reggio  et  fit  quatre  nouveaux  coins.  Les  Anciens  de  Reggio 
désiraient  voir  figurer  sur  les  revers  l'image  de  leur  patron 
saint  Prosper,  tandis  que  le  duc  prétendait  y  introduire  les 
armes  de  la  maison  d'Esté.  L'intervention  du  comte  Niccolô 
da  Correggio  mit  fin  au  débat.  Afin  de  se  concilier  la  Commune 
de  Reggio,  dont  il  voulait  obtenir  certaines  concessions,  Nic- 
colo  da  Correggio  s'efforça  de  vaincre  la  résistance  d'xVl- 
plîonse  I",  et  il  y  réussit.  Le  duc  examina  les  dessins  des  coins 
et  les  approuva  tous,  sauf  celui  du  soldo,  où  il  substitua  le  dia- 
mant, emblème  des  Este,  à  la  boule  de  feu,  autre  emblème  de 
sa  famille.  Vingt-cinq  ducats  d'or  devaient  constituer  la  rému- 
nération de  l'artiste.  Quoique  ayant  reçu  d'avance  la  plus 
grande  partie  de  cette  somme,  Giannantonio  ne  se  pressa  pas 
de  tenir  ses  engagements.  Les  Anciens  de  Reggio  envoyèrent 
à  Ferrare,  pour  le  presser,  l'orfèvre  Giambattista  Cacci,  direc- 
teur de  la  Monnaie  de  Reggio,  puis  lui  adressèrent  une  lettre, 
à  la  fin  de   1505,  tout  en  lui  remettant  le  reste  des   vingt- 


666  L'ART    FERRARAIS. 

cinq  ducats.  En  1507,  les  coins  furent  terminés  et  livrés.  Les 
monnaies  qu'ils  servirent  h  faire  sont  devenues  très  rares. 

r  Ducat  d'or  de  1506.  —  Diam.  ^lï.  Au  droit  :  «  alfonsus  . 
DUX.iii.  "  Buste  d'Alphonse  tourné  à  gauche,  sans  harbe,  la 
tète  nue,  avec  les  cheveux  longs,  cuirassé.  —  Au  revers  : 
«  s  .  l'ROSPER  .  EPS  .  REGii .  «  L'évéquc,  vu  de  face,  est  assis;  il 
bénit  d'une  main  et  tient  de  l'autre  sa  crosse.  Au-dessous  de 
cette  figure,  on  voit  l'écusson  de  Reggio.  —  Ce  ducat  d'or  est 
reproduit  dans  l'article  de  M,  Umberto  Rossi  (fig.  6). 

T  Testone  d'argentde  1506.  — Diam.  25.  Au  droit  :  «alfon- 
sus .  dux  .  ')  Buste  d'Alphonse  I"  tourné  à  gauche,  sans  barbe, 
la  tête  nue,  avec  les  cheveux  longs,  cuirassé.  —  Au  revers  : 
«  s  .  PROSPER  .  EPS  .  REGii .  »  L'évéquc  est  debout,  vu  de  face,  te- 
nant sa  crosse  et  bénissant.  Dans  l'exergue  se  trouvent  les 
armes  de  Reggio.  —  Ce  testone  est  reproduit  dans  le  cinquième 
fascicule  de  M.  Heiss,  pi.  V,  n°  7,  et  dans  l'article  de  M.  Um- 
berto Rossi  (fig.  7). 

3°  Pièce  de  deux  sous  en  argent  de  1506.  —  Au  droit  :  «  al- 
fonsus .  dux  ,  »  Aigle  aux  ailes  déployées,  la  tête  tournée  à 
gauche.  —  Au  revers  :  «  s  .  prosper  .  eps  .  regii  .  «  Buste  de 
l'évéque,  vu  de  face.  Au-dessous,  l'écusson  de  Reggio.  —  Re- 
produit par  Bellini,  Prima  dissertaiio,  p.  95,  VI. 

4"  Sou  d'argent  de  1506.  —  Au  droit  :  «  alfonsus  .  dux  .  « 
Le  diamant  de  la  famille  d'Esté.  —  Au  revers  :  «  comunitas  . 
REGII .  »  Écusson  en  forme  de  tête  de  cheval  avec  une  croix.  — 
Reproduit  par  Bellini,  Altéra  dissertaiio,  p.  127,  V. 

De  1506  à  1522,  on  ne  trouve  aucune  mention  de  Giannan- 
tonio  da  Foligno.  Au  mois  d'avril  1522,  quand  la  mort  de 
Léon  X  sembla  mettre  fin  aux  épreuves  d'Alphonse  I"  (1),  il 
fit  les  coins  d'une  pièce  de  cinq  sous  et  d'une  pièce  de  dix  sous, 
dont  voici  la  description  : 

Pièce  de  cinq  sous  en  argent  de  1522.  —  Diam.  25.  Au  droit  : 
«  alfonsus  .  DUX  .  FERRARIAE  .  III .  «  Bustc  d'Alphousc  I"  tourné  à 
gauche,  cuirassé,  avec  barbe  et  cheveux  courts.  — Au  revers  : 

(1)  Voyez  plus  haut,  p.  135. 


LIVRE  TROISIEME.  667 

«  INVOCASTI .  ME  .  LiBERAVi .  TE  .  EZECHiAS  .  »  Le  Foi  Ézéchias,  toumé 
à  droite,  est  à  genoux  devant  un  autel.  —  Voyez  la  reproduc- 
tion de  cette  pièce  dans  le  cinquième  fascicule  de  M.  Heiss, 
pi.  V,  13. 

Pièce  de  cinq  sous  en  argent  de  1522.  —  Diam.  23.  C'est  une 
variante  de  la  précédente.  On  lit  au  revers  :  «  invocasti  .  me  . 
LiB .  TE .  EZECHIAS .  «  —  Elle  cst  reproduite  dans  l'article  de 
M.  Umberto  Rossi  (fig.  8). 

Pièce  de  dix  sous  en  argent  de  1522.  —  Diam.  28.  Au  droit  : 

«  ALFONSUS  .  Dux  .  FERRARiAE  .  III .  »  Bustc  d'Alphousc  I"  tourné  à 
gauche,  tète  nue,  avec  barbe  et  cheveux  courts,  cuirassé.  — 
Au  revers  :  «  de  .  manu  .  leonis  .  «  David,  tourné  à  gauche, 
porte  dans  ses  bras  un  agneau  qu'il  vient  de  soustraire  à  la 
voracité  d'un  lion.  —  C'est  la  plus  jolie  de  toutes  les  mon- 
naies représentant  Alphonse  I";  il  y  en  a  une  reproduction 
dans  l'article  de  M.  Umberto    Rossi  (fig.  9). 

On  peut,  en  outre,  attribuer  à  Giannantonio  da  Foligno 
huit  autres  monnaies  d'Alphonse  F""  où  la  manière  de  cet  émi- 
nent  artiste  est  manifeste. 

1"  Diam.  28.  Au  droit  :  «alfonsus  .  dux  .  ferrariae  .  m  .  » 
Buste  tourné  à  gauche,  cuirassé,  sans  barbe,  avec  les  cheveux 
longs.  —  Le  revers,  semblable  à  celui  du  quarto  d'Hercule  I" 
(fig.  13  dans  l'article  de  M.  Umberto  Rossi),  représente  un 
homme  nu  à  cheval,  étendant  le  bras  droit. 

2°  Diam.  28.  — Buste  tournéà  gauche,  cuirassé,  sans  barbe, 
avec  les  cheveux  longs.  —  Revers  sans  légende.  La  Fuite  en 
Egypte.  —  Cette  pièce  est  reproduite  dans  le  cinquième  fasci- 
cule de  M.  Heiss,  pi.  V,  3,  et  dans  l'ouvrage  de  M.  Friedlacnder. 
3"  Diam.  29.  Au  droit  :  «alfonsus  .  dux  .  fer  .  m  .  s  .  r  .  e  . 
gonf  ,  (l).  »  Buste  à  gauche,  cuirassé,  avec  barbe  et  cheveux 

ongs.  —  Le  revers  est  semblable  à  celui  du  quarto  d'argent 
exécuté  en  1505  et  représente  Samson  assis  tenant  une  tête  de 
lion  d'où  sortent  des  abeilles.  —  Cette  monnaie  est  reproduite 
dans  l'article  de  M.  Umberto  Rossi  (fig.  5). 

(1)  C'est-à-dire  :  Alphonse  troisième  duc  de  Ferrare,  {jonfalonier  de  la  Sainte 
Église  Romaine.  Cette  monnaie  fut  probablement  faite  en  150U. 


668  L'ART    FERRARAIS. 

4°  Diam.  27.  Au  droit  :  «  alfonsus  .  dux  .  ferrariae  .  m  .  « 
Buste  tourné  à  gauche,  cuirassé,  avec  barbe  et  cheveux  longs. 
—  Au  revers  :  "  que  .  sunt  .  dei  .  deo  .  »  I^e  Christ  et  le  pharisien, 
comme  sur  le  doppione  de  1505.  —  H  y  ^  une  reproduction  de 
cette  pièce  dans  le  cinquième  fascicule  de  M.  Heiss,  pi.  V, 
n°  9,  et  dans  l'article  de  M.  Umberto  Rossi  (fig.  3). 

5°  Diam.  28.  Au  droit  :  «  alfonsus  .  dux  .  ferrariae  .  m  .  » 
Buste  tourné  à  gauche,  cuirassé,  avec  barbe  et  cheveux  courts. 
(L'effigie  d'Alphonse  I"  est  analogue  à  celle  que  présente  la 
pièce  de  dix  sous  en  argent  de  1522  .  )  — Au  revers  :  dei  .  deo  . 
QUAE  .  SUNT  .  5)  Le  Christ  et  le  pharisien,  comme  sur  le  doppione 
de  1505.  —  Cette  pièce  a  été  reproduite  par  Bellini,  dans 
ses,  Monete  di  Ferrara,  ^.  192,  III. 

6°  Pièce  de  dix  sous  faite  avec  deux  coins  existant  déjà.  — 
Diam.  28.  (c  alfonsus  .  dux  .  ferrarle  .  m  .  •>■>  Buste  tourné  h 
gauche,  cuirassé,  avec  barbe  et  cheveux  courts.  —  Revers  sans 
légende,  avec  la  Fuite  en  Egypte.  —  Cette  monnaie  est  repro- 
duite dans  l'article  de  M.  Umberto  Rossi  (fig.  10). 

7°  Pièce  de  dix  sous  en  argent.  —  Diam.  28.  Le  droit,  sem- 
blable à  celui  de  la  monnaie  précédente,  représente  Alphonse  T'' 
avec  la  barbe  et  les  cheveux  courts.  —  Au  revers  :  "  fides  . 
tua  .  TE  .  SALVAM  .  FECiT  .  »  A  droite,  Madeleine  agenouillée  lave 
les  pieds  du  Sauveur.  —  Cette  monnaie  est  reproduite  dans  le 
cinquième  fascicule  de  M.  Heiss,  pi,  V,  n"  15,  et  dans  l'article 
de  M.  Umberto  Rossi  (fig.  11). 

8"  Pièce  de  cinq  sous.  —  Diam.  26.  Au  droit  :  alfonsus  .  dux  . 
ferrariae .  m .  »  Buste  tourné  à  gauche,  avec  la  barbe  et  les 
cheveux  courts,  comme  sur  la  pièce  de  cinq  sous  faite  en  1522, 
et  au  revers  de  laquelle  est  représenté  le  roi  Ézéchias.  —  Au 
revers  :  «  d  .  in  .  nomine  .  tuo  .  salvum  .  me  .  fag  .  »  Le  monogramme 
du  Christ.  —  Cette  pièce  est  reproduite  dans  la  cinquième 
livraison  de  M.  Heiss,  pi.  V,  n°  12. 

Nous  venons  d'énumérer  seize  monnaies  à  l'effigie  d'Al- 
phonse I".  Ce  prince  est  représenté  sept  fois  sans  barbe  avec 
les  cheveux  longs,  deux  fois  avec  sa  barbe  et  avec  les  cheveux 
longs,  sept  fois  avec  barbe  et  cheveux  courts. 


LIVRE   TROISIEME.  669 

Les  dernières  médailles  du  fils  d'Hercule  I"  ne  semblent  pas 
avoir  été  faites  par  Giannantonio  da  Foligno.  Cet  artiste  con- 
tinua cependant  à  travailler  pour  la  maison  d'Esté,  comme 
nous  l'avons  déjà  dit.  M.  Umberto  Rossi  est  tenté  de  lui  attri- 
le  quarto  d'Hercule  II  (153  4)  au  revers  duquel  on  voit  un 
groupe  de  sept  saints  debout.  La  beauté  de  l'effigie  du  duc  et 
la  façon  dont  sont  traitées  les  petites  figures  des  saints  rendent 
cette  pièce  digne  d'être  rangée  parmi  les  œuvres  authentiques 
de  Giannantonio  da  Foligno  (I). 

C'est  aussi  à  lui  que  doivent  appartenir  les  deux  monnaies 
suivantes,  faites  pour  Pier  Luca  Fieschi,  comte  de  Lavagna, 
seigneur  de  Crevacuore  et  de  Messerano  jusqu'en  15:28.  Elles 
furent  probablement  frappées  à  Messerano,  mais  les  coins  au- 
ront été  exécutés  à  Ferrare. 

1°  Testone.  Diam.  30. — Au  droit  :  «p.  LUCAS.  F  .  lava,  co  .  et. 
DO .  G.  (2).  »  Buste  de  Pier  Luca  Fieschi  tourné  à  droite,  avec 
barbe  et  cheveux  crépus.  Le  personnage  porte  un  riche  justau- 
corps. —  Revers  sans  légende.  Homme  nu  à  cheval,  tourné  à 
droite  et  levant  le  bras  gauche.  —  Cette  pièce  a  été  repro- 
duite par  Promis,  Monete  délie  zecche di Messerano  e  Crevacuo7'e, 
tav.  IV,  1. 

2°  Testone.  Diam.  29.  — Au  droit  :  «  petrus  ,  lucas  .  fliscus . 
LA.  M.  G.»  Buste  de  Fieschi  tourné  à  gauche,  avec  barbe  et 
cheveux  crépus.  Le  justaucorps  est  orné  de  broderies.  — 
Revers  sans  légende.  Cheval  marchant  vers  la  gauche.  Il  rap- 
pelle par  ses  mouvements  celui  qu'on  voit  sur  les  ^««07/ d'Her- 
cule I".  —  Il  y  a  une  reproduction  de  cette  monnaie  dans 
l'article  de  M.  Umberto  Rossi,  fig.  14. 


(1)  On  lit  au  droit  :  «  hercules  dus  FERRAni^E  nu  »  et  au  revers  :  «  si  tôt  pro 
KOBis  Quis  CONTRA  NOS.  »   La  clatc  est  inscrite  au-dessous  du  (;roupc  des  saints. 

(2)  G'est-à-dire  :  Pierre-Lucas  Fieschi,  comte  de  Lavagna  et  seigneur  de  Cre- 
vacuore. 


670  L'ART    FERRARAIS. 


XXI 


ALFONSO     CITTADELLA     DE     FERRARE, 
DIT    ALFONSO     LOMBARDI. 

Né  vers  1497,  mort  en  1537. 


Cet  artiste,  très  connu  pour  ses  sculptures,  a  fait  aussi  des 
médailles.  Nous  avons  dit,  p.  543,  le  peu  qu'on  en  sait. 


XXII 

CAVALLERINO     (nICCOLÔ). 

M.  Armand  attribue  à  ce  médailleur  modénais,  qui  était 
aussi  orfèvre  et  sculpteur,  et  qui  travaillait  vers  1535,  la  mé- 
daille de  Girolamo  Beltramoti  (diam.  65) .  Le  personnage,  tourné 
à  droite,  coiffé  d'un  bonnet,  a  de  longs  cheveux  et  porte  toute 
sa  barbe.  Il  a  le  front  haut  et  le  nez  busqué;  son  visage  étri- 
qué n'a  pas  une  physionomie  bien  marquée.  Au  vêtement 
s'adapte  un  large  collet  rabattu.  La  légende  contient  ces  mots  : 

«    HIERONYMUS  .  BELTRAMOTUS  .  FERRAfilEN  .  PROTONOTARIUS  .    «     Le 

revers,  assez  curieux,  exécuté  sans  beaucoup  de  finesse,  nous 
montre  deux  hommes  attachant  à  une  colonne  une  femme  qui 
tient  en  laisse  deux  lions,  pendant  que,  à  gauche,  deux  per- 
sonnages s'enfuient.  Ce  sujet,  accompagné  des  mots  :  «  hono- 
RANDA  PATIENTIA  »  ,  semble,  d'après  l'auteur  du  Trésor  de  numis- 
matique, se  rapporter  à  une  scène  de  martyre. 


LIVRE   TROISIEME.  671 


XXIII 

BENVENUTO     CELLINI. 
(1500-1571.) 

Benvenuto  rapporte  dans  ses  Mémoires  que,  en  se  rendant 
en  France  pour  la  seconde  fois,  il  s'arrêta  à  Ferrare  (1540)  (1), 
et  qu'il  y  fit  une  médaille  du  duc  Hercule  II  dont  le  revers  re- 
présentait la  Paix  foulant  aux  pieds  une  Furie  déchaînée,  et 
mettant  le  feu  avec  une  torche  à  un  faisceau  d'armes,  compo- 
sition entourée  de  ces  mots  :  «  pretiosa  in  conspegtu  domin'I.  » 
On  ne  connaît  aucun  exemplaire  de  cette  médaille. 

Cellini  modela  également  à  Ferrare  en  1540  un  buste  du 
cardinal  d'Esté  Hippolyte  II,  frère  d'Hercule  II  (2).  Incarcéré 
à  Rome  au  fort  Saint-Ange  sous  Paul  III,  deux  ans  auparavant 
(1538),  il  avait  dû  sa  mise  en  liberté  à  l'intervention  d'Hip- 
polyte,  qui  le  prit  alors  à  son  service.  C'est  donc  sans  invrai- 
semblance qu'on  lui  attribue  une  médaille  du  cardinal  d'Esté 
(diam.  49).  Cette  médaille,  qui  n'est  pas  datée,  nous  montre 
Hippolyte  tourné  à  droite.  Il  a  la  tête  nue  et  porte  toute  sa 
barbe,  taillée  en  pointe.  Ses  cheveux  sont  frisés.  Il  a  la  mine, 
non  d'un  dignitaire  ecclésiastique,  mais  d'un  seigneur  très 
mondain.  Au  revers,  une  femme  debout  entre  deux  enfants 
nus  tient  de  la  main  gauche  une  corne  d'abondance  et  verse 
de  la  main  droite  un  liquide  sur  un  autel.  —  La  même  effigie 
du  cardinal  existe  avec  un  second  revers  où,  près  de  la  circon- 
férence, se  trouvent  un  globe  crucifère  et  trois  rosaces,  tandis 
qu'une  petite  boule  occupe  le  centre  (3).  M.  Armand  croit  que 

(1)  II  y  demeura  depuis  le  mois  d'avril  jusqu'au  mois  d'ocloUre.  (Plon, 
p.  50-51.)  Voyez,  p.  473-474,  ce  qui  a  été  dit  des  différents  séjouis  do  (Fellini 
à  Ferrare.  Il  a  été  aussi  question  de  lui,  p.  582. 

(2)  Né  en  1509,  Hippolyte  II  fut  nommé  cardinal  en  1518  et  mourut  eu  1572. 

(3)  La  médaille  du  cardinal  d'Esté,  avec  ses  deux  revers,  est  reproduite  dans 
LiTTA  et  dans  l'ouvrage  de  M.  Plon  sur  Benvenuto  Cellini. 


672  L'AllT    FERRARAIS. 

ce  revers  appartient  plutôt  à  la  médaille  d'Hippolyte  II  par 
Gianfederico  Bonzagna,  dont  il  sera  question  plus  loin. 


XXIV 

LUIGI    NICHINI    OU    ANICHINI,    OU    LE    MÉDAILLEUR    L:    N.    F. 

Cet  artiste  ferrarais,  célèbre  graveur  en  pierres  dures,  qui 
florissaità  Venise  en  1550  (1),  est  peut-être  l'auteur  d'une  mé- 
daille, signée  L  :  ]N.  F.  ,  qui  représente  Gianbattista  Pisano 
(diam.  3-4) .  Ce  personnage  a  la  tête  nue  et  porte  toute  sa  barbe. 
Au  revers,  Milon  de  Crotone,  les  mains  prises  dans  un  arbre, 
est  assailli  par  un  lion. 

Une  autre  médaille  de  Gianbattista  Pisano  pourrait  être 
l'œuvre  du  même  artiste.  Au  revers,  on  voit  un  arbre  chargé 
de  fruits,  au-dessous  duquel  est  un  écusson,  et  on  lit  les  mots 
suivants  :   «  inopem  me  copia  fecit.  » 


XXV 

PASTORINO     DI     GIOVAN    MICHELE    De'     PASTORINI. 

Ce  médailleur,    qui   était  aussi  graveur  de  monnaies  (2), 

(1)  Il  sera  encore  question  d'Anichini  à  propos  de  la  glyptique,  à  la  suite  du 
travail  sur  les  médailles. 

(2)  Il  fut  occupé,  comme  graveur  de  monnaies,  à  Parme  en  1552,  à  Ferrare 
depuis  1554  jusqu'en  1557  et  en  1563,  à  Novellara  en  1574,  à  Florence  de  1576 
à  1589.  11  était  au  service  d'Hercule  II,  quand  il  fut  envoyé  à  Reggio  pour  tra- 
vailler à  la  Monnaie  de  cette  ville.  La  Monnaie  venait  d'être  affermée  à  l'orfèvre 
Giovanni  Antonio  Signoretti.  C'est  en  août  1553  que  Pastorino  s'établit  à  Reggio, 
dont  Alfonso  Estense  Tassoni  était  gouverneur.  Dès  le  mois  d'octobre,  il  s'enfuit 
de  Reggio,  parce  qu'on  l'accusait  d'avoir  fabriqué  de  la  fausse  monnaie,  et  il  se 
réfugia  à  Parme  auprès  d'Octave  Farnèse.  On  reconnut  sans  doute  que  l'accusation 
portée  contre  lui  était  sans  fondement,  car  un  mois  ne  s'était  pas  écoulé  qu'il 
reprenait  ses  fonctions  à  Reggio,  d'où  il  écrivait  à  Octave,  le  remerciant  de  ses 
bontés  pour  lui.  Après  être  resté  environ  un  an  à  Reggio,  il  retourna  à  Ferrare 
au  milieu  de  1554,  afin  de  s'occuper  des  monnaies  ducales.  A  Reggio,  il  avait 


LIVRE   TROISIEME.  673 

peintre  et  verrier  (l),  naquit  à  Sienne  vers  1508  et  mourut  en 
1592.  Son  œuvre,  d'après  M.  Armand,  comprend  cent  cin- 
quante-quatre médailles.  La  première  date  que  l'on  y  ren- 
contre est  celle  de  1547,  et  la  dernière  celle  de  1578.  C'est  de 
1553  à  1578  qu'il  en  fit  le  plus.  A  cette  époque,  l'art  avait 
perdu  l'énergie  de  sa  sève  primitive,  et  ses  productions  n'étaient 
plus  empreintes  de  la  même  originalité.  Les  types  mêmes 
avaient  changé  ;  on  remarque  dans  les  visages  quelque  chose 
de  plus  mondain,  de  plus  superficiel;  enfin  la  forme  des  vête- 
ments trahit  une  élégance  toute  moderne.  Sans  égaler  ses  de- 
vanciers, Pastorino  rend  souvent  avec  habileté  les  physiono- 
mies et  les  modes  de  son  temps;  il  a  encore  un  vrai  mérite,  et 
l'on  regarde  avec  intérêt  la  plupart  de  ses  médailles.  Les  tètes 
y  sont  plus  petites  que  chez  les  médailleurs  qui  l'avaient  pré- 
cédé. 

Il  travailla  beaucoup  pour  la  famille  d'Esté ,  comme  le 
prouvent  les  médailles  suivantes  (2). 

Hercule  II,  fils  d  Alphonse  P'"  et  de  Lucrèce  Borgia.  —  Il 
est  représenté  avec  sa  cuirasse  et  porte  toute  sa  barbe;  sa  tête, 
tournée  à  droite,  est  nue.  Cette  jolie  pièce  (diam.  78;,  sur 
laquelle  on  lit  la  date  de  1554,  n'a  pas  de  revers.  Elle  donne 

enseigné  l'art  du  méclailleur  à  Niccolô  Signoretti  et  à  Alfonso  Ruspagiari,  et  il  avait 
reproduit  les  traits  d'un  certain  nombre  d'habitants  de  Reggio.  (Umberto  Rossi, 
Pastorino  a  Reçjcjio  d'Emilia,  dans  l'Arcliivio  storico  deW  arte,  année  I,  fasc.  VI, 
juin  1888.  —  Voyez  aussi  Malaguzzi  (Francesco),  /  Pai-olari  da  Regijio  e  iina 
medaqlia  di  Pastorino  da  Siena,  dans  V Archivio  storico  dcll'  arte,  janvier- 
février  1892.) 

(1)  Il  était  élève  de  Guglielmo  de  Marcillac.  C'est  lui  qui  est  l'auteur  des 
vitraux  de  la  Sala  Re(jia  au  Vatican,  peinte  par  Perino  dcl  Vaga. 

(2)  Nous  renvoyons  simplement  à  l'ouvrage  de  M.  Armand  pour  les  médailles 
à' Annibal  d'Esté  (t.  I,  p.  195,  n°  42),  d'Jsabella  Rammi,  qui  épousa  un  prince 
de  la  maison  d'Esté  nommé  François  (t.  I,  p.  195,  n°  43),  de  Xicolas  Jils  de 
François  (t.  I,  p.  193,  n"  31),  et  de  Renée  d'Esté,  fille  naturelle  du  cardinal 
Hippolyte  II,  mariée  à  Louis  Pic  de  la  Mirandole  ea  1553  et  morte  en  1555 
(LiTTA,  tav.  XIII  ;  Armand,  t.  I,  p.  204,  n°  99),  parce  que  ces  personnages  n'ont 
pas  joué  un  rôle  important  dans  l'Histoire  de  Ferrure. 

Peut-être  l'Annibal  d'Esté  que  nous  venons  de  mentionner  est-i!  celui  qui  était 
arrière-petit-Hls  de  Rinaldo,  tils  de  JSicolas  III,  pctit-Hls  de  ÎNiccolô,  et  tils  de 
Francesco  et  d'Eleonora  Calcagnini.  (Litta,  tavola  XI.)  Ce  personnage  se  noya 
lors  de  la  naumaclii  e  qui  eut  lieu  autour  de  VIsola  Beala,  le  25  mai  1569,  à  l'oo- 
casion  de  la  venue  à  Ferrarc  de  l'archiduc  d'Autriche. 

I.  43 


(i74  L'ART    FERRARAIS. 

une  idée  très  favorable  des  dehors  du  quatrième  duc  de  Fer- 
rare  (1).  Né  en  1508,  il  avait  alors  quarante-six  ans. 

Une  seconde  médaille  de  Pastorino  (diam.  38)  met  aussi  sous 
nos  yeux  le  même  personnage.  Hercule  II  est  tourné  à  droite, 
couvert  d'une  cuirasse,  et  une  écharpe  est  jetée  sur  son  épaule 
gauche.  Il  a  la  tête  nue,  des  cheveux  courts,  et  porte  toute  sa 
barbe.  Son  crâne  est  singulièrement  plat.  Ses  traits  sont  beaux, 
et  sa  physionomie  n'a  rien  de  banal.  C'est  bien  là  le  prince 
que  nous  décrit  Muratori  :  «■  Hercule  II,  dit-il,  était  de  bel 
aspect,  d'une  taille  au-dessus  de  la  moyenne,  grave  et  enjoué 
dans  ses  discours,  libéral  et  magnifique  dans  ses  goûts,  d'un 
naturel  enclin  à  la  clémence  (2).  »  Au  revers  de  la  médaille, 
une  femme  debout,  drapée,  vue  de  face,  croisant  les  bras, 
penchant  la  tète  vers  l'épaule  gauche,  est  attachée  par  le  pied 
gauche  à  un  rocher  sur  lequel  on  voit  une  aiguière  qui  est 
surmontée  d'une  sphère  et  d'où  sort  un  filet  d'eau.  Cette  figure 
est  trop  longue,  mais  elle  a  de  l'élégance;  elle  est  accompa- 
gnée des  mots  :  «  superanda  omms  fortuna.  »  Après  avoir  attri- 
bué cette  médaille  à  Pompeo  Leoni  (t.  I,  p.  250,  n"  6),  M.  Ar- 
mand l'a  classée  dans  l'œuvre  de  Pastorino. 

Pastorino  a  aussi  reproduit  les  traits  d'Hercule  II  sur  une 
pièce  plus  petite  (diam.  29)  qui  est  datée  de  1559.  Le  duc  y 
apparaît  la  tête  nue,  barbu,  cuirassé.  Le  revers  est  une  réduc- 
tion de  la  médaille  précédente  (3). 

Le  cardinal  Hippolyte  II ,  fils  d'Alphonse  I"  et  de  Lucrèce 
Borgia,  comme  Hercule  II.  —  Il  est  représenté  par  Pastorino 
à  peu  près  au  même  âge  que  sur  la  médaille  due  à  Benvenuto 
Cellini;  ses  traits  sont  presque  identiques,  et  la  coupe  de  la 
barbe  ne  diffère  pas.  Il  est  également  tourné  à  droite,  mais  il 

(1)  ]S°  35  dans  l'ouvrage  de  M.  Armand,  t.  I,  p.  194. 

(2)  Antichità  Estensi,  seconda  parte,  p.  387. 

(3)  Parmi  les  médailles  consacrées  à  Hercule  II  par  des  auteurs  anonymes, 
une  seule  (diam.  36)  nous  paraît  digne  d'être  citée.  Le  duc,  tète  nue,  avec  des 
cheveux  courts  et  frisés,  est  tourné  à  gauche;  il  porte  toute  sa  harbe  et  est  cou- 
vert d'une  cuirasse.  Au  revers,  Hercule  s'apprête  à  frapper  de  sa  massue  Gacus 
terrassé;  on  lit  autour  de  ce  charmant  revers  :  «  ne.  QUID.  in.  occolto.  ^et.  27.  i> 
(Pour  les  autres  médailles  d'Hercule  II,  voyez  l'ouvrage  de  M.  Armand,  t.  II, 
p.  147-148;  t.  III,  p.  218.) 


LIVRE   TROISIÈME.  675 

est  coiffé  de  la  barrette  et  vêtu  du  camail.  Pastorino  a  traité 
avec  délicatesse  cette  médaille  sans  revers  (diam.  42),  qui  est 
signée  et  porte  la  date  de  1554.  Hippolyte,  né  en  1509,  avait 
alors  quarante-cinq  ans. 

La  même  effigie  d'Hippolyte  II  se  trouve  avec  un  revers 
sans  légende  qui  représente  un  homme  et  trois  femmes  sacri- 
fiant devant  le  temple  de  Janus. 

Une  autre  pièce  représentant  Hippolyte  II  dans  les  mêmes 
conditions  n'a  que  trente-neuf  millimètres  de  diamètre ,  ne 
porte  pas  de  date  et  ne  possède  pas  de  revers. 

Le  cardinal  Louis  d'Esté,  fils  d'Hercule  II.  —  Né  en  1538, 
Louis  d'Esté  devint  évêque  de  Ferrare  en  1553  et  cardinal  en 
1561;  il  mourut  en  158G  (1).  Sur  la  médaille  faite  par  Pas- 
torino (diam.  60),  il  n'a  pas  encore  été  revêtu  de  la  pour- 
pre, car  elle  porte  la  date  de  1560.  Agé  seulement  de  vingt- 
deux  ans,  il  a  le  visage  allongé,  des  traits  délicats,  une  plivsio- 
nomie  douce;  sa  tête  est  coiffée  d'un  bonnet.  A  considérer 
sa  physionomie,  on  ne  le  prendrait  pas  pour  un  ecclésias- 
tique. Cette  médaille  n'a  point  de  revers  (2).  Nous  avons  eu 
l'occasion  de  parler  du  cardinal  Louis  en  traitant  du  palais 
des  Diamants. 

Alphonse  II,  fils  d'Hercule  II.  —  Sur  sa  médaille  sans  revers 
(diam.  60),  qui  porte  la  date  de  1556,  son  buste  est  tourné  à 
droite.  Alphonse  II,  cinquième  et  dernier  duc  de  Ferrare, 
naquit  en  1533,  succéda  à  son  père  en  1559  et  mourut  en  1597. 

M.  Armand  a  reconnu  aussi  la  main  de  Pastorino  dans  une 
médaille  d'Alphonse  II  (diam.  38)  qu'il  avait  laissée  d'abord 
parmi  les  médailles  anonymes  (t.  II,  p.  193,  n°  1).  Au  droit  : 
buste  à  gauche,  tète  nue,  cheveux  courts,  cuirassé.  Au  revers  : 

(1)  Louis  d'Esté,  qui  fut  propriétaire  du  palais  des  Diamants,  aimait  plus  le 
plaisir  que  les  arts.  Le  peu  de  tableaux  qu'il  possédait  lui  vint  du  cardinal  Hip- 
polyte. Sa  prodijjalité  le  jeta  entre  les  mains  des  usuriers.  Il  fut  obliyé  de  mettre 
en  gage  ce  qu'il  avait  de  plus  précieux,  sans  quoi  on  ne  lui  eût  pas  prêté  cent 
écu8.  (Giuseppe  Campoik,  Raccolta  di  cataloghi  ecl  inventarii  incditi  di  quadri, 
statue,  disegni  etc.,  dal  secolo  XV  al  secolo  XIX.  Modev.a,  1870.  Voyez  l'inven- 
taire de  1583  dans  ce  volume.) 

(2)  On  la  trouve  quelquefois  avec  des  revers  qui  n'ont  pas  été  faits  pour  elle. 
(Armand,  t.  I,  p.  194,  n»  36.) 


676  L'AIIT    FERRARAIS. 

femme  nue,  tournée  à  gauche,  assise  sur  un  piédestal.  Ce 
revers  contient  le  mot  «  pudicitia  »  et  porte  la  date  de  1547.  Il 
a  dû  appartenir  d'abord  à  une  autre  médaille,  car  en  15  47 
Alphonse  d'Esté  n  avait  que  quatorze  ans;  or,  sur  cette  mé- 
daille, il  paraît  plus  âgé  (1). 

Lucrèce  de  Médicis,  première  femme  d'Alphonse  II.  —  Née 
en  1545,  elle  mourut  en  1561.  Sa  médaille  (diam.  66),  faite 
l'année  même  de  son  mariage  (1558),  nous  montre  un  visage 
ouvert  et  avenant;  le  front  est  élevé,  bien  découvert;  il  y  a 
une  recherche  d'élégance  dans  la  coiffure  et  dans  le  costume. 
Point  de  revers. 

Barbe  d'AutricIie ,  seconde  femme  d'Alphonse  II.  — Elle  se 
maria  en  1565,  date  inscrite  sur  sa  médaille,  et  mourut  en 
1572.  Son  buste  est  tourné  à  droite  (diam.  62).  On  s'aperçoit 
sans  peine,  en  regardant  son  effigie,  qu'elle  appartient  à  une 
tout  autre  race  que  la  première  femme  d'Alphonse  II;  la  mâ- 
choire inférieure  est  proéminente;  le  visage,  délicat  et  un  peu 
pointu,  a  une  expression  rêveuse,  pour  ne  pas  dire  triste.  Sur 
la  tête  est  posée  une  toque  plate,  assez  bizarre  (2). 

Lucrezia  d'Esté,  fille  d'Hercule  II  et  femme  de  Francesco 
Maria  délia  Rovere,  duc  d'Urbin.  (Diam.  40.)  —  Lucrezia  a  la 
tète  nue,  tournée  vers  la  droite  ;  son  chignon  est  formé  d'une 
natte  roulée,  et  elle  porte  une  chemisette  à  col  rabattu.  Cette 

(1)  Umberto  Rossi,  Pastorino  a  Reggio  d'Emilia,  dans  V Archivio  storico  dell' 
arte,  juin  1888. 

(2)  Les  traits  de  Marguerite  Gonzague,  troisième  femme  d'Alphonse  II,  nous 
ont  été  conservés  par  une  médaille  anonyme  qui  la  représente  en  face  de  son 
mari  (diam.  40).  Alphonse,  dont  le  visage  est  barbu  et  dont  la  tète  nue  est  dégar- 
nie de  cheveux,  est  revêtu  d'une  cuirasse.  Marguerite,  agréable  de  physionomie, 
a  également  la  tète  nue;  ses  cheveux  bizarrement  arrangés  se  dressent  comme 
des  flammes  au-dessus  du  front,  et  un  bijou  en  forme  de  fleur  est  adapté  à  cette 
coiffure,  à  la  hauteur  de  la  tempe.  Une  fraise  ou  collerette  tuyautée  enserre  le 
cou  et  monte  jusque  sous  le  menton.  Le  visage  de  Marguerite  Gonzague  est  joli; 
les  lignes  en  sont  délicates  et  fines.  —  x\u  revers,  on  voit  un  foyer  qui  répand 
des  flammes,  et  autour  duquel  une  banderole  flottante  contient  cette  inscription  : 
«  ARDET  ^ETERKUM  "  ,  qui  fait  allusion  à  l'amour  mutuel  des  deux  époux.  —  Cette 
médaille  fut  exécutée  en  1579,  à  l'occasion  du  mariage  d'Alphonse  II  avec  Mar- 
guerite. (Fnizzi,  Mem.  per  la  storia  di  Ferrara,  t.  IV,  p.  418.)  — En  1836, 
Giuscppe  Mayr  possédait  un  exemplaire  en  or  de  cette  médaille.  Un  certain 
nombre  d'exemplaires  en  bronze  furent  sans  doute  distribués  aux  courtisans.  — 
(Voyez,  dans  Litta,  La  famille  d'Esté,  n°  34.) 


1 


LIVRE  TROISIÈME.  677 

médaille  sans  date  fut  exécutée  en  1552,  car  l'inscription 
donne  à  Lucrezia,  née  en  1635,  l'âge  de  dix-sept  ans.  La  sœur 
d'Alphonse  II  est  jolie  et  a  une  physionomie  ouverte  ;  ses 
grands  yeux  dénotent  de  la  vivacité  d'esprit  et  de  l'énergie. 

Eleonora  d'Esté.  —  Le  buste  d'Eleonora,  tourné  à  gauche 
(diam.  40),  se  trouve  au  revers  de  la  médaille  précédente. 
Comme  sa  sœur  Lucrezia,  Eleonora  porte  une  chemisette  à 
col  rabattu,  et  sa  coiffure  est  disposée  de  la  même  façon.  Née 
en  1537,  elle  a  ici  quinze  ans,  comme  nous  l'apprend  Pasto- 
rino  lui-même.  Son  visage  a  de  la  grâce  et  rappelle  un  peu 
celui  de  Lucrezia;  mais  le  nez,  moins  bien  fait,  est  légèrement 
retroussé.  On  devine,  en  la  regardant,  un  esprit  plus  recueilH, 
plus  sérieux,  plus  modeste,  mieux  fait  pour  exciter  l'enthou- 
siasme du  Tasse,  qui  la  connut  seulement  quand  elle  avait 
dépassé  trente  ans  (1). 

François  d'Esté,  troisième  fils  du  duc  Alphonse  P'et  marquis 
de  Massa.  (Diam.  40.)  —  François,  barbu  et  cuirassé,  a  la  tête 
nue.  Il  a  ici  trente-huit  ans,  car  il  était  né  en  1516,  et  sa 
médaille  porte  la  date  de  1554.  Cette  médaille,  sans  revers,  se 
trouve  accolée  tantôt  au  buste  d'Alphonse  II,  tantôt  au  buste 
d'Aloys  d'Esté,  tous  deux  appartenant  à  l'œuvre  de  Pasto- 
rino . 

François  d'Esté  fut  renommé  pour  ses  talents  militaires.  Il 
commanda  en  1536  un  corps  de  cavalerie  dans  l'armée  de 
Charles-Quint  et  servit  aussi  le  roi  de  France  Henri  II.  Envoyé 
en  exil  par  son  frère  Hercule  II,  il  soutint  de  nouveau  les 
armes  à  la  main  la  cause  de  l'Empereur,  et  ne  fut  rappelé  à 
Ferrare  que  par  Alphonse  II,  son  neveu.  C'est  lui  qui  lut 
chargé  d  aller  chercher  à  Florence  la  première  femme  de  ce 
prince.  La  Palazzina  fut  construite  par  son  ordre  (1559).  Massa 
Lombarda  fut  érigée  pour  lui  en  marquisat  par  remj)ereur 
Ferdinand  V\  Il  épousa,  en  1530,  une  Napolitaine,  Maria 
Cardona,  fille  du  marquis  délia  Padula,  et  la  perdit  en  1563. 
Lui-même  mourut  le  22  février  1578,   laissant  deux  filles  : 

(1)  Voyez,  p.  217,  221,  ce  que  nous  avons  dit  de  Lucrezia  et  d'Eleonora. 


678  L'ART    FERllARAIS. 

l'une,  Bradamante,  se  maria  avec  le  comte  Ercole  Bevilacqua  ; 
l'autre,  héritière  des  États  de  son  père,  épousa,  en  1578,  son 
cousin  germain  Alfonsino,  fils  d'Alphonse  d'Esté  et  petit-fds 
d'Alphonse  I";  devenue  veuve  au  hout  de  cinq  mois,  elle  se 
remaria,  le  10  avril  1580,  avec  Alderano  Gibo,  marquis  de 
Massa  Carrara,  qu'elle  perdit  en  1606  et  auquel  elle  survécut 
deux  ans  (1). 

Alphonse  d'Esté,  fils  naturel  du  duc  Alphonse  P""  et  de  Laura 
Eustochia  Dianti,  marquis  de  Montecchio.  (Diam.  48.)  —  Buste 
à  droite,  barbu,  tête  nue,  cheveux  courts,  col  rabattu.  Cette 
médaille  sans  revers  porte  la  date  de  1575. 

Alphonse  naquit  en  1527  et  mourut  en  1587.  Son  père  lui 
légua,  sur  le  territoire  de  Reggio,  Montecchio,  qui  fut  érigé  en 
marquisat.  Comme  son  frère  François,  Alphonse  combattit 
sous  le  drapeau  impérial.  Il  épousa  en  premières  noces  (15  48) 
Giulia  délia  Rovere,  qui  mourut  le  4  avril  1563,  et  en  secondes 
noces  (1584)  Violante  Signa,  qui  mourut  en  1609. 

Giulia  délia  Rovere,  femme  d'Alphonse  d'Esté,  marquis  de 
Montecchio.  (Diam.  57.)  —  Buste  à  gauche,  tête  nue,  chemisette 
montante.  La  légende  se  compose  des  mots  suivants  :  «  iulia  . 

FELTRIA   .   DE  .   RUERE  .  ESTEN   .P.   » 

(1)    Deux  médailles  anonymes  nous  montrent  aussi  les  traits  de  François  d'Esté  : 

1"  (Diam.  29.)  Le  prince,  barbu  et  cuirassé,  comme  sur  la  médaille  de  Pasto- 
rino,  a  encore  la  tête  nue.  Au  revers,  on  voit  deux  temples  ronds  à  coupoles,  et 
on  lit  ces  mots  :   «  pari  asimo.  » 

2°  (Diam.  67.)  Le  prince,  cuirassé,  a  toujours  la  tête  nue.  Ses  cheveux  et  sa 
barbe  sont  courts.  Il  n'est  pas  qualifié  de  marquis  de  Massa.  Le  revers  présente 
également  deux  temples  ronds  à  coupoles,  et  la  légende  est  la  même  que  sur  la 
médaille  précédente. 

M.  Armvnd  (t.  m,  p.  217)  signale  en  outre,  à  l'effigie  de  François  d'Esté,  une 
monnaie  d'or,  une  monnaie  d'argent  et  deux  monnaies  de  bronze.  Sur  toutes, 
François  apparaît  en  guerrier.  Le  revers  de  la  monnaie  d'or  contient  ces  mots 
autour  d'un  écusson  :  «  dux  in  hostes  pahiter  et  clypeos.  »  Au  revers  de  la 
monnaie  d'argent  se  trouve,  accompagnant  un  lion  tourné  à  gauche,  la  légende 
suivante  :  «  Si  non  vires  ammus  x.  »  Une  aigle  de  face  se  voit  aux  revers  des  deux 
monnaies  de  bronze. 

On  connaît  les  traits  de  Maria  Cardona^  femme  de  François  d'Esté,  par  une 
médaille  anonyme  (diam.  62).  Buste  à  droite,  tète  nue,  avec  une  tresse  roulée  der- 
rière la  tête.  Le  médailleur  donne  ici  à  Maria  Cardona  le  titre  de  marquise  de 
Padula.  On  voit  au  revers  une  femme  debout  tournée  à  gauche,  tenant  d'une 
main  un  calice,  et  de  l'autre  cueillant  les  fruits  d'un  palmier,  La  légende  se  com- 
pose de  ces  mots  :  •>  firma.  fides.  et.  nescia.  vinci.  » 


t-^ 


LIVRE   TROISIEME.  679 

Alfonso  d'Esté,  appelé  aussi  Alfonsino,  fils  d'Alphonse  d'Esté 
et  de  Giulia  délia  Rovere,  et  petit-fils  du  duc  Alphonse  I",  né 
en  1560,  mort  en  1578.  (Diam.  48.)  —  Cette  médaille  sans 
revers,  exécutée  en  1573,  représente  Alphonse  sans  harbe, 
avec  des  cheveux  courts  ;  le  personnage  porte  un  manteau 
garni  de  fourrure.  Le  petit-fils  d'Alphonse  P""  épousa  le  5  mai 
1578  sa  cousine  germaine  Marfisa,  fille  de  François.  Il  ne  sur- 
vécut que  cinq  mois  à  son  mariage. 

Césa?'  d'Esté.  (Diam.  i-9.)  —  Buste  à  gauche.  César,  encore 
dans  l'adolescence,  a  la  tête  nue,  est  vêtu  d'un  pourpoint  avec 
une  petite  fraise  et  porte  un  manteau  garni  de  fourrure.  Au 
revers,  où  se  trouve  la  légende  suivante  :  «  oscula  .  justitiae  . 
PAX  .  AUREA  .  FiGiT  .  IN  .  ORBE  »  ,  OU  voit  dcux  femmes  drapées, 
debout  :  l'une  (la  Justice)  tient  un  glaive;  l'autre  (la  Paix) 
tient  une  branche  de  laurier.  En  bas  est  couché  un  guerrier 
armé  à  l'antique  (Mars).  Cette  médaille  fut  exécutée  en  1575  (1). 

César  d'Esté,  fils  d'Alphonse  et  de  Giulia  délia  Rovere,  et 
petit-fils  du  duc  Alphonse  I",  naquit  à  Ferrare  en  15G!2,  épousa 
Virginie  de  Médicis  en  1586,  ne  put  succéder  à  Alphonse  II, 
qui  l'avait  désigné  pour  son  héritier,  et  mourut  à  Modène 
en  1628. 

Pastorino  ne  s'est  pas  exclusivement  consacré  à  la  famille 
d'Esté.  Il  a  aussi  exécuté  un  certain  nombre  de  médailles 
d'après  des  Ferrarais  dont  les  noms  furent  célèbres  à  divers 
titres.  Nous  allons  passer  en  revue  ces  médailles,  en  rappelant 
les  traits  saillants  de  l'existence  des  personnages. 

Tassoni  {^Galeazzo  d'Esté).  —  1°  (Diam.  64.)  Il  est  représenté 
tête  nue,  avec  toute  sa  barbe.  Au  revers,  on  voit  le  Tibre 
couché,  la  louve  allaitant  les  jumeaux,  le  figuier  ruminai; 
dans  le  fond  apparaît  la  ville  de  Rome.  Ce  revers  porte  l'in- 
scription suivante  :   «  félicita ti  .  temporum  .  s,  p.  o.  r.  » 

2°  (Diam.  6  4.)  Buste  à  droite,  comme  sur  la  médaille  précé- 

(1)  Une  médaille  anonyme  (diaia.  41)  représente  aussi  César  il'Este.  Il  est 
revêtu  de  1^  cuirasse,  a  la  tète  nue,  porte  moustaches  et  barbiche.  Il  est  désigne 
par  ces  mots  :  «  CjEsar.  duc.  mut.  REG.  i.  »  Au  rêvera,  on  voit  la  figure  de  l'Espé- 
rance, drapée,  debout,  tournée  à  {jauche,  entre  une  corne  d'abnndauce  et  une 
ancre.  La  légende  suivante  accompa{;ne  ic  icvers  :  «  FinMissiM«.  spei.  1599.  » 


680  L'ART    FERRARAIS. 

dente.  Au  revers,  une  main,  sortant  d'un  nuage,  tient  une  épée 
enflammée. 

La  famille  Tassoni  était  originaire  de  Modène  et  reçut  des 
princes  de  Ferrare  le  droit  d'ajouter  à  son  nom  celui  d'Estense. 
Borso  et  Hercule  I"  accordèrent  toute  leur  faveur  à  plusieurs 
membres  de  cette  famille  (I).  Galeazzo  était  ambassadeur 
à  la  cour  de  France  lors  du  mariage  d'Hercule  avec  Renée  ;  on 
a  par  lui  des  détails  sur  tout  ce  qui  se  passa  dans  cette  cir- 
constance {2). 

Tassoni  [Alfonso  d'Esté).  (Diam.  54.)  —  Au  droit,  buste  de 
Tassoni  avec  cette  inscription  :  «  alfonso  .  esten  .  tasson  . 
1554  .  P.  >'  Au  revers,  trois  personnages,  dont  une  femme, 
s'adressent  à  la  Mort,  qui  s'avance  vers  eux  sous  la  forme  d'un 
squelette.  On  lit  sur  ce  revers  :   «  ixtempestiva  .  venis.  ^ 

Alfonso  Tassoni,  nous  l'avons  vu  (3),  était  gouverneur  de 
Reggio  quand  Pastorino,  accusé  d'avoir  fabriqué  des  monnaies 
fausses,  s'enfuit  à  Parme  auprès  d  Octave  Farnèse.  Il  écrivit  à 
ce  personnage  pour  que  Pastorino  fût  arrêté,  le  duc  voulant 
éclaircir  1  affaire  et  tenant  à  ce  que  la  justice  suivît  son 
cours  (4).  C'est  après  sa  réhabilitation  que  Pastorino  fit  la 
médaille  d' Alfonso  Tassoni. 

Lodovico  Ariosto.  (Diam.  38.) — L'illustre  poète,  tourné  à 
gauche,  représenté  la  tête  nue,  avec  toute  sa  barbe,  et  cou- 
ronné de  laurier,  n'a  que  médiocrement  inspiré  Pastorino. 
Son  buste  n'a  rien  de  frappant  ;  rien  n'y  indique  l'écrivain  de 
génie,  tant  l'exécution  est  sèche  et  mesquine.  A  la  vérité,  si 
Pastorino  exécuta  cette  médaille  d'après  nature,  il  devait  être 
très  jeune  au  moment  où  il  l'entreprit,  puisqu'il  n'avait  que 
vingt-cinq  ans  lorsque  l'Arioste  mourut  (5).  Au  revers  de  cette 


(1)  Voyez  p.  .55,  72,  110. 

(2)  Jules  Bonnet,    Un  mariage  sous  François  I",  dans  la  Revue  chrétienne , 
t.  XXII,  année  1875. 

(3)  Voyez  p.  674. 

(4)  M.  Umberto,  dans  V Archivio  storico  delV  arte  (juin  1888),  donne  la  lettre 
d' Alfonso  Tassoni. 

(5)  Il  est  intéressant  de  comparer  la  médaille  due  à  Pastorino  avec  le  beau 
portrait  gravé  sur  bois  d'après  un  dessin  de  Titien  qui  orne  l'édition  de  VOrlando 


LIVRE  TROISIEME.  681 

médaille,  on  voit  des  abeilles  voltigeant  au-dessus  d'une  ruche 
dont  la  base  est  entourée  de  flammes,  et  on  lit  ces  mots  : 

»  PRO  BOND  MALUM.  » 

L'Arioste  (1474-1533)  occupe  une  place  trop  importante 
dans  l'histoire  littéraire  de  Ferrare  pour  qu'il  ne  soit  pas  néces- 
saire de  rapporter  les  principaux  points  de  sa  vie.  Fils  d'un 
gentilhomme  ferrarais,  Niccolo  Ariosto,  qui  était  capitaine  de 
la  citadelle  de  Reggio  en  1474,  et  de  Maria  Malaguzzi  de 
Reggio,  c'est  à  Reggio  qu'il  naquit,  mais  il  fut  élevé  à  Fer- 
rare.  Il  eut  quatre  frères  et  cinq  sœurs,  tous  plus  jeunes  que 
lui.  Après  avoir  étudié  le  droit  sans  aucun  profit,  il  obtint  de 
son  père  l'autorisation  de  suivre  l'inclination  qui  le  portait 
vers  les  lettres.  Gregorio  de  Spolète  l'aida  à  comprendre  les 
passages  les  plus  difficiles  et  à  saisir  toutes  les  finesses  des 
poètes  latins  jusqu'à  ce  qu'il  fût  appelé  à  Milan  par  la 
duchesse  Isabelle,  qui  voulait  le  donner  pour  maître  à  son 
fils.  Avant  l'année  1500,  Lodovico  avait  déjà  composé  la 
Cassaria  et  les  Suppositi  (1).  Pendant  qu'il  travaillait  à  la  pre- 
mière de  ces  comédies,  il  reçut  un  jour  de  son  père  une  verte 
admonestation  qu'il  eut  soin  de  ne  pas  interrompre,  afin  de 
pouvoir  introduire  une  scène  semblable  dans  sa  pièce.  Il  avait 
vingt-six  ans  quand  la  mort  de  Niccolo  Ariosto  le  mit  face  à 
face  avec  le  tracas  des  affaires  domestiques,  ce  qui  ne  l'em- 
pêcha pas  de  composer  des  poésies  lyriques  en  italien  et  en 
latin,  dont  le  mérite  frappa  Hippolyte  I"  d'Esté,  fils  du  duc 
Hercule  I".  En  1503,  Hippolyte  le  prit  à  son  service,  mais 
sans  l'accaparer  entièrement,  car  le  duc  Alphonse  1",  succes- 


furioso,  publiée  en  1532.  (Voyez  dans  le  liv.  V  le  ch.   iv  consarrc  à   la  (jiavure 
sur  bois.) 

(1)  La  Cassaria  fut  représentée  pour  la  première  fois  en  1508;  les  Suppositi 
furent  joués  en  1509.  (G.  CAMPOni,  Notizie  per  la  vita  diLod.  Ariosto,  2'"  édition. 
Modène,  1871,  p.  67.)  —  Le  cardinal  Innocenzo  Cibo  fit  jouer  aussi  à  Rome  en 
1519  les  Suppositi,  en  présence  de  Léon  X;  Raphaiîl  avait  été  l'arcliitectc  du 
théâtre  et  avait  peint  les  décors,  que  l'on  admira  beaucoup.  Le  Pape  fut  si  satis- 
fait qu'il  demanda  une  autre  comédie  à  l'Arioste,  qui  lui  envoya  le  Negromante, 
pièce  composée  depuis  dix  ans,  mais  remaniée  et  augmentée  pour  la  circonstance 
d'un  prologue  où  il  y  a  des  allusions  contre  l'abus  des  indulgences.  (G.  G\MPOni, 
Notizie  inédite  di  Raffaello  da  Urbino.  Modena,  1863,  p.  22-23.) 


682  L'AT\T    FERRARAIS. 

scur  (l'Hercule  I",  l'envoya  deux  fois  à  Rome  auprès  du  pape 
Jules  II,  d'abord  afin  d'obtenir  un  secours  en  argent  et  en 
hommes  qui  lui  permît  de  résister  aux  Vénitiens,  ensuite  afin 
d'apaiser  le  Pontife  irrité  de  son  attachement  aux  Français.  A 
l'habileté  du  négociateur,  l'Arioste  savait  au  besoin  unir  la 
valeur  d'un  homme  de  guerre  :  dans  un  conflit  avec  les  troupes 
de  la  République,  il  s'empara  d'un  navire  plein  de  munitions. 
Mais,  avant  tout,  il  était  poète,  et  c'est  comme  poète  qu'il 
charma  la  cour  de  Ferrare  et  tous  ses  contemporains.  Son 
Orlando  fiirioso ,  continuation  de  VOrlando  innamorato  de 
Boiardo,  fut  composé  en  l'honneur  de  la  maison  d'Esté  et  ne 
lui  coûta  pas  moins  de  dix  ou  onze  ans  de  travail  ;  six  chants 
furent  ajoutés  en  1532  à  la  première  édition  publiée  en  1516. 
Ayant  refusé  (1517)  de  suivre  en  Hongrie  le  cardinal,  son 
patron,  qui  s'y  fixa  pour  deux  ans,  il  encourut  la  disgrâce  de 
ce  personnage,  dont  la  protection  n'avait  souvent  été  qu'un 
joug  très  pesant.  La  rupture  ne  devint  cependant  définitive 
qu'en  1519,  après  le  retour  d'Hippolyte,  qui  mourut  le  3  sep- 
tembre 1520.  Alphonse  I",  frère  du  cardinal,  dédommagea  le 
poète  en  l'admettant  parmi  ses  gentilshommes.  Malgré  la 
faveur  dont  il  jouissait  auprès  du  duc,  l'Arioste  était  dans  une 
situation  pécuniaire  voisine  de  la  gêne,  son  patrimoine  étant 
très  modeste  et  sa  nombreuse  famille  lui  imposant  des  sacri- 
fices répétés.  Il  se  vit  donc  réduit  à  implorer  la  générosité  de 
son  souverain,  qui  le  nomma  gouverneur  de  la  Guarfagnana, 
district  bouleversé  par  les  factions  :  il  y  resta  trois  ans  (1522- 
1525). Au  milieu  d'une  de  ses  tournées,  un  chef  de  bande,  en 
apprenant  qu'il  se  trouvait  devant  l'auteur  de  V Orlando  furioso, 
déposa  les  armes  et  lui  donna  toutes  les  marques  possibles  de 
respect  et  d'admiration.  De  retour  à  Ferrare,  l'Arioste  perfec- 
tionna la  Cassaina  et  les  Supposai,  ainsi  que  la  Lena  et  le  Negro- 
mante,  qui  furent  représentés  avec  beaucoup  de  succès  à  la  cour 
sur  un  théâtre  construit  tout  exprès  (1).  Alphonse  I"  lui  dut 
aussi  la  traduction,  maintenant  perdue,  de  quelques  romans 

(1)   Voyez  ce  que  nous  avons   dit  en  parlant   du  Palais   municipal   ou   ancien 
palais  des  princes  d'Esté,  p.  359. 


LIVRE   TROISIEME.  683 

espagnols  et  français,  de  plusieurs  pièces  de  Plante  et  de  Té- 
rence.  L'Arioste  fut  très  apprécié,  non  seulement  de  Léon  X, 
qu'il  eut  l'occasion  de  voir  à  Florence  comme  cardinal  et  à 
Rome  au  moment  de  son  élévation  au  trône  pontifical,  mais 
de  Charles-Quint,  qui  l'honora  public[uement  d'une  couronne 
de  laurier  (1532).  Atteint  d'une  maladie  qui  dura  longtemps, 
en  dépit  des  soins  de  Lodovico  Bonaccioli,  de  Giovanni  Ma- 
nardo  et  d'Antonio  Maria  Canani,  médecins  en  grand  renom, 
il  mourut  le  6  juin  1533,  à  VkQe  de  cinquante -neuf  ans, 
dans  la  maison  qu'il  s'était  fait  construire  (1). 

Alberto  Lollio,  né  entre  1508  et  1510,  mort  en  1568. 
(Diam.  63.)  —  Il  est  représenté  tête  nue,  entre  cinquante- 
deux  et  cinquante-quatre  ans.  Son  buste  est  tourné  à  gauche. 
Les  yeux  se  sont  creusés,  et  le  front  s'est  un  peu  dégarni  ;  les 
cheveux  et  la  barbe  frisent.  Lollio  a  l'arcade  du  sourcil  assez 
saillante,  le  nez  aquilin  et  pointu.  Ce  visage  ne  manque  pas  de 
caractère  et  dénote  une  noble  intelligence.  L'exécution  fait, 
du  reste,  honneur  h  l'artiste,  et  la  médaille  de  Lollio,  datée 
de  1562,  est  une  des  meilleures  de  Pastorino.  Elle  a  deux 
revers.  Sur  l'un,  on  voit  un  trophée  qui  se  compose  d'une 
trompette,  d'un  caducée  et  d'une  branche  de  laurier,  tandis 
qu'on  remarque  sur  l'autre  la  Fortune  nue,  avec  des  ailes  aux 
pieds,  montée  sur  une  boule  et  s'éloignant  d'une  femme 
assise,  plongée  dans  la  douleur. 

Alberto  Lollio,  fils  de  Francesco  Lollio  et  de  Caterina  Fer- 
rari, appartenait  à  une  ancienne  et  noble  famille  de  Fcrrare, 
mais  naquit  par  hasard  à  Florence  entre  1508  et  1510.  11 
suivit  les  leçons  de  Marc  Antonio  Antimacho,  qui,  après  avoir 
ouvert  à  Ferrare  une  école  privée,  obtint  une  chaire  publique 
qu'il  occupa  pendant  vingt  ans,  c'est-à-dire  jusqu'à  sa  mort.  A 
l'étude  du  grec  il  ajouta  celle  de  l'éloquence  et  de  la  philoso- 
phie. C'est  lui  qui  fonda  l'Académie  des  Elevati  {\\S\W),  dont 
les  séances  avaient  lieu  chez  lui,  et  celle  des  Filtircii.  Il  était 
fort  riche  et  possédait  plusieurs  maisons  de  campagne  ou  il 

(i)  Voyez  la  description  de  cette  maison,  p.  386. 


684  L'ART    FERllARAIS. 

offrait  volontiers  l'hospitalité  aux  savants  moins  heureux  que 
lui.  Sa  villa  de  San  Felice,  près  de  Modène,  avait  toutes  ses 
préférences  :  le  calme  de  ce  séjour  lui  semblait  favorable  aux 
travaux  de  l'esprit  ;  il  aimait,  d'ailleurs,  la  chasse  et  la  pêche, 
et  il  ne  dédaignait  pas  de  surveiller  la  culture  de  ses  terres.  Il 
se  maria  deux  fois  :  d'abord  avec  la  fille  de  Sigismondo  Nigri- 
soli,  qui  lui  donna  deux  fils  et  deux  filles,  ensuite  avec  Ippo- 
lita  Bruturi  (1548),  et  il  mourut  en  1568,  à  l'âge  d'environ 
soixante  ans.  Voici  l'épitaphe  qu  il  s'était  préparée  :  «  albertus 

LOLLIUS  FRAXCISCI  FILIUS  HIC  QUOD  MORTALE  HABUERAT  DEPOSUIT.  »  On 

a  de  lui  des  lettres  familières  et  un  volume  contenant  douze 
discours  (1).  Parmi  ses  œuvres  inédites  se  trouvent  une  Vie 
de  la  Bienheureuse  Béatrice  d'Esté,  une  comédie  (/  nocchieri)  et 
une  pastorale  [Areiusa]  (2).  Il  traduisit  aussi  les  Adelphe  s ,  de 
Térence. 

Pompeo  Peiidaglia.  (Diam.  71.)  —  Ce  personnage  est  repré- 
senté tête  nue,  avec  une  longue  barbe  en  pointe;  il  regarde  à 
droite;  son  beau  et  sympathique  visage  reflète  une  âme  droite 
et  franche,  un  esprit  grave  et  élevé,  une  intelligence  vive  et 
sensée.  Ce  remarquable  portrait  fut  fait  en  1560,  quand  Pom- 
peo Pendaglia  avait  soixante-treize  ans.  Jamais  Pastorino  n'a 
été  mieux  inspiré;  aucune  de  ses  médailles  ne  porte  l'em- 
preinte d'un  style  plus  large,  d'une  exécution  plus  aisée;  c'est, 
selon  nous,  son  chef-d  œuvre.  Au  revers,  on  voit  deux  bran- 
ches de  palmier  enlacées  d'une  bandelette  sur  laquelle  on  lit  : 
«  DOMINE,  IN  TE  SPERAVI.  «  Lcs  branches  plient  sous  le  poids 
de  la  grêle  qui  tombe  des  nues  et  sous  l'effort  du  vent  qui  sort 
de  la  bouche  de  deux  têtes  d'enfants.  Ce  revers  a  pour  légende  : 

"  JUSTUS  UT  PALMA  FLOKEBIT.  » 

Bartolommeo  Pendaglia,  fils  d'Alessandro.  —  Parmi  les  mé- 

(i)  Aucun  de  ses  contemporains,  dit-on,  ne  s'approcha  plus  que  lui  des  Latins 
comme  orateur.  (Frizzi,  t.  IV,  p.  395.  —  Tihadoschi,  Storia  délia  letteratura 
italiana,  t.  VII,  p.  4.) 

(2)  h'Aj-etusa  fut  jouée  en  1563  dans  le  palais  de  Schifanoia,  devant  le  duc 
Alphonse  II  et  son  frère  le  cardinal  Louis,  aux  frais  des  écoliers  en  droit.  Alfonso 
dalla  Viola  y  intercala  de  la  musique  composée  par  lui.  Le  principal  acteur  fut 
Lodovico  Berti.  Rinaldo  Costabili  avait  exécuté  les  décors. 


LIVRE  TROISIEME,  685 

dailles  de  Sperandio,  nous  avons  vu  un  yjersonnage  du  même 
nom  qui  vivait  à  l'époque  de  Borso.  Celui  que  nous  montre 
Pastorino  était  contemporain  d'Alphonse  II.  Il  est  tourné  à 
gauche  et  représenté  léte  nue  (diam.  6  4).  Ses  cheveux  sont 
courts  et  frisés  ;  il  en  est  de  même  de  la  barbe  ;  au  vêtement  est 
adapté  un  collet  de  fourrure.  La  date  de  1564  accompagne  ce 
portrait.  Il  s'en  faut  de  beaucoup  que  la  tête  de  Bartolommeo 
Pendaglia  soit  aussi  séduisante  que  celle  de  Pompeo  Pendaglia. 
Il  y  a  un  peu  de  dureté  et  de  sécheresse  dans  l'expression  du 
personnage,  ainsi  que  dans  l'exécution  de  la  médaille.  Au 
revers,  une  femme,  dont  le  pied  gauche  est  retenu  par  une 
chaîne,  est  debout  sur  un  chien  couché  et  croise  ses  mains  sur 
sa  poitrine.  Cette  figure  est  pesante  et  trop  courte. 

Alessandro  Guainni.  (Diam.  56.)  —  Ce  personnage,  dont  la 
tète  nue  est  tournée  à  droite,  a  des  cheveux  courts,  tandis  que 
la  barbe  est  longue  et  ondulée  ;  un  collet  de  fourrure  borde 
le  vêtement;  le  visage,  très  beau  de  lignes,  charme  par  sa 
noblesse  et  sa  franchise.  On  lit  la  date  de  1556  à  côté  des 
mots  :  «  ALEXAN .  BAPTiSTAE  GUARiNUS.  «  Sur  le  rcvcrs,  on  voit  à 
gauche  Pluton  et  Proserpine  trônant  dans  les  enfers;  devant 
eux,  Eurydice  nue  croise  ses  bras  sur  sa  poitrine  en  sup- 
pliante, tandis  que,  derrière  elle,  Orphée  joue  de  la  lyre;  au 
premier  plan  se  trouve  Cerbère;  vers  le  fond,  à  droite,  appa- 
raît la  tête  de  Tantale.  Dans  cette  charmante  composition, 
toutes  les  figures  sont  élégantes  et  font  grand  honneur  h  Pas- 
torino. 

Né  en  1486,  Alessandro  Guarini,  fils  de  Battista  Guarini  I", 
mourut  en  1556.  Il  n'avait  que  dix-neuf  ans  lorsque  Alphonse  I" 
lui  confia  une  chaire  publique  où  il  professa  pendant  de  lon- 
gues années.  Il  dédia  au  duc  de  Ferrare  des  commentaires 
sur  Catulle,  qui  furent  imprimés  à  Venise  par  Giorgio  Rus- 
coni.  Les  lettrés  de  son  temps  le  tinrent  en  grande  estime; 
Tito  Strozzi  composa  des  vers  en  son  honneur;  .\ntonio  Musa 
Brasavola  et  Lilio  Giraldi  lui  dédièrent  des  ouvrages,  et  l'Arioste 
le  nomma  avec  éloges  dans  V Orlando  furioso.  Après  avoir  rem- 
pli les  fonctions  d'ambassadeur  auprès  de  Paul  III  et  des  Flo- 


686  L'ART    FERRARAIS. 

rentins,  il  devint  un  des  secrétaires  d'Alphonse  I"  et  d'Her- 
cule II.  En  revenant  de  Florence,  il  tomba  aux  mains  du 
prince  d'Orange ,  général  des  troupes  impériales,  et  faillit 
être  condamné  à  mort.  Il  ne  se  maria  point.  Ce  fut  son  frère 
Alphonse  qui  perpétua  le  nom  de  Guarini. 

Baitista  Guarini  II  [né  à  Ferrare  le  10  décembre  1537,  mort 
à  Venise  le  4  octobre  1612).  —  Il  eut  pour  père  Francesco 
Guarini,  pour  mère  Orsina  Machiavelli.  Après  avoir  complété 
à  Pise  et  à  Padoue  son  éducation,  il  se  rendit,  très  jeune 
encore,  à  Rome.  Dès  1556  ou  1557,  on  lui  donna,  à  Ferrare, 
la  chaire  de  belles-lettres  qu'avait  occupée  son  grand-oncle 
Alessandro,  et  où  il  professait  encore  en  1563.  Pour  obtenir 
l'héritage  de  son  grand-père  et  de  son  grand-oncle,  il  intenta 
à  son  père  un  procès  que  le  duc  Hercule  II  trancha  en  parta- 
geant les  biens  en  litige  entre  les  deux  intéressés.  Peu  après, 
il  épousa  Taddea  Bendelei,  d'une  bonne  famille  de  Ferrare.  A 
l'âge  de  trente  ans,  il  entra  au  service  d'Alphonse  H,  qui  le  fit 
chevalier  et  lui  confia  diverses  missions.  En  1567,  il  va  com- 
plimenter au  nom  de  son  maître  le  nouveau  doge  Pietro  Lore- 
dano,  puis  il  réside  pendant  quelques  années  comme  ambassa- 
deur auprès  d'Emmanuel  Philibert,  duc  de  Savoie.  Quand 
Grégoire  XIII  succède  à  Pie  V  (1571),  il  prononce  en  plein 
consistoire  un  discours  pour  affirmer  la  fidélité  du  duc  de 
Ferrare  au  Saint-Siège.  Deux  ans  plus  tard,  on  le  trouve  en 
Allemagne  auprès  de  l'empereur  Maximilien,  ensuite  en  Polo- 
gne, où  il  félicite  Henri  de  Valois  de  son  avènement  au  trône. 
De  retour  à  Ferrare,  il  est  nommé  conseiller  et  secrétaire 
d'État,  et  presque  aussitôt  il  regagne  la  Pologne,  dont  il  solli- 
cite en  vain  pour  Alphonse  II  la  couronne,  abandonnée  par 
Henri  de  Valois.  Las  enfin  de  remplir  des  fonctions  qui  sans 
doute  lui  faisaient  honneur,  mais  qui  l'entraînaient  à  dépenser 
une  partie  de  sa  fortune,  il  reprend  sa  liberté  (1582)  et  se 
retire  avec  sa  femme,  ses  trois  fils  et  ses  cinq  filles  à  la  Gua- 
rina,  maison  de  campagne  qu'il  possédait  dans  la  Polésine  de 
Rovigo  et  que  le  duc  Borso  avait  donnée  à  son  bisaïeul  Battista 
Guarini  I".  C'est  là  qu'il  se  remet  à  la  poésie  cultivée  dans  sa 


LIVRE   TROISIEME.  687 

jeunesse  et  que,  se  flattant  de  surpasser  VAininta  du  Tasse,  il 
compose  le  Pastor  fido. 

Il  avait  été  lié  avec  le  Tasse,  mais  une  rivalité  d'amour  avait 
rompu  cette  liaison;  touché  cependant  des  malheurs  de  Tor- 
quato,  il  lui  rendit  son  amitié  et  lui  prodigua  les  preuves 
de  dévouement.  Afin  de  consoler  son  ami  des  incorrections 
monstrueuses  que  présentaient  les  premières  éditions  de  la 
Jérusalem  délivrée,  publiées  à  l'insu  de  l'auteur,  il  prépara 
l'édition  qui  parut  à  Ferrare  en  1581.  C'est  aussi  grâce  à  ses 
soins  qu'une  bonne  édition  des  poésies  lyriques  du  Tasse 
[Rime,  1582,  in-4°)  remplaça  deux  éditions  détestables  de  ces 
poésies. 

Le  succès  obtenu  par  le  Pastor  fido,  lu  d'abord  à  Guastalla 
devant  le  duc  Ferrante  II  de  Gonzague,  puis  à  Turin  devant 
une  nombreuse  assemblée,  à  l'occasion  des  noces  du  jeune  duc 
de  Savoie  Charles-Emmanuel  avec  l'infante  Catherine ,  fdle 
de  Philippe  11(1585),  attira  de  nouveau  sur  Guarlni  l'attention 
d'Alphonse  IL  Craignant  qu'un  tel  poète  ne  devint  un  jour  ou 
l'autre  l'ornement  d'une  cour  étrangère,  ce  prince  multiplia 
les  instances  pour  se  l'attacher  encore  comme  secrétaire  d'État 
et  y  réussit.  Mais  Guarini  ne  tarda  pas  à  reprendre  sa  liberté, 
se  mit  au  service  du  duc  de  Savoie  et  se  retira  au  bout  de 
quelques  mois  dans  sa  maison  de  campagne,  où  il  retoucha  le 
Pastor  Jîdo,  son  œuvre  capitale,  qu'il  fit  paraître  en  1590  (l), 
année  de  la  mort  de  sa  femme.  Quoique  la  sujétion  des  cours 
lui  eût  paru  souvent  pénible,  il  ne  craignit  pas  de  l'affronter 
plusieurs  fois  de  nouveau.  Le  duc  de  Mantoue,  le  duc  de  Fer- 
rare,  le  grand-duc  de  Toscane  l'eurent  tour  à  tour  auprès  d'eux 
sans  le  garder  longtemps.  Il  était  redevenu  simple  citoyen  de 
Ferrare,  quand  cette  ville  le  chargea  en  1605  d'aller  compli- 
menter Paul  V  de  son  avènement.  En  1608,  il  assista  à  une 
brillante  représentation   dune   de  ses  comédies,    VIdropica, 

(1)  A  Venise,  in-4'',  et  la  même  année  à  Ferrare,  in-i2.  —  Voyez  rapiMccia- 
tion  de  cette  pièce  par  Cesare  Cantu,  dans  la  Storia  délia  letteratura  italiana, 
p.  467  (Firenze,  Le  Monnier,  1865,  in-12),  et  par  Gincl'ENÉ,  dans  l'Histoire 
littéraire  d'Italie,  t.  VI,  part.  II,  ch.  xxv. 


688  L'ART    FERTIARAIS. 

dans  la  ville  de  Mantoue,  mise  en  fête  par  le  mariage  de  Fran- 
çois de  Gonzague  avec  Marguerite  de  Savoie.  Une  série  de 
procès,  tantôt  contre  ses  enfants,  tantôt  contre  des  étrangers, 
occupèrent  une  partie  de  son  temps.  Il  termina  à  Fâge  de 
soixante-quatorze  ans  son  existence  agitée. 

La  médaille  qu'a  faite  de  lui  Pastorino  (diam.  47)  ne  laisse 
encore  rien  entrevoir  de  son  caractère  inconstant  et  suscep- 
tible. Elle  porte  la  date  de  1555.  Guarino  n'v  a  donc  que 
dix-huit  ans,  et  il  semble  h  peine  en  avoir  quinze.  Il  est 
tourné  à  gauche,  la  tète  nue;  ses  cheveux  sont  courts  et  frisés. 
Une  précoce  énergie  anime  ses  traits  réguliers  et  intelligents. 
Cette  médaille,  où  le  nom  du  personnage  est  en  grec,  n'a  pas 
de  revers. 

Francesco  Visdomini.  (Diam.  67.)  —  Buste  tourné  à  droite. 
Le  personnage,  dont  la  tète  nue  a  une  large  tonsure,  porte  une 
longue  barbe,  et  un  camail  couvre  ses  épaules.  On  lit  ces 
mots  :  «  FRAXC .  visDOMiNUS .  FERRARiEN .  —  1564.  »  Au  revcrs,  on 
voit  une  main  sortant  d'un  nuage  et  tenant  une  épée  en- 
flammée, apparition  qui  est  expliquée  par  cette  inscription  : 

«  VOX  .  DOMINI .  IN  .  VIRTUTE.  » 

Ercole  l'rolii.  (Diam.  64.) —  Buste  tourné  à  gauche.  Le  per- 
sonnage, barbu,  cuirassé,  a  la  tête  nue.  La  légende  contient  ces 
mots  :  «  HERCULES. TROTT.  EQu.HYER.  —  P.  1555.  »  Le  revcrs, 
sur  lequel  on  lit  :  «  dabit  .  deus  .  ms  .  QUOQ  .  finem  »  ,  représente 
Hercule  combattant  l'hydre  de  Lerne.  Ce  revers  appartient  à 
Leone  Leoni,  qui  le  fit  pour  la  médaille  de  Gonsalve-Fer- 
dinand  II  de  Cordoue. 

Giovanni  Ronchegalli.  (Dia.  67.) — Buste  à  droite.  Ronche- 
galli  a  la  tête  nue  ;  sa  longue  barbe  ondoyante  se  termine  en 
pointe;  il  est  vêtu  d'une  robe.  Légende  :  «  ioan .  ronchegallus . 
i.c.FERRAR.  »  Au  rcvcrs,  une  main  tient  un  compas  surmonté 
d'un  coq.  Un  serpent  enroule  de  ses  replis  une  des  branches 
du  compas  (1).  Légende  :  «  .etatis  lubrigdm.  »  Ronchegalli, 
jurisconsulte  ferrarais,  vécut  au  delà  de  1567. 

(1)  Mazzucchelli,  I,  LIX,1. 


LIVRE   TROISIEME.  689 

Pastorlno  n'a  pas  représenté  que  des  hommes.  Cinq  femmes 
appartenant  aux  plus  nobles  familles  de  Ferrare  fi^jurent  dans 
son  œuvre. 

Calcagnini  [Leonora).  —  Née  en  152  4,  elle  épousa  Bernar- 
dino  Gontughi  et  mourut  en  1595.  Peut-être  était-elle  fille 
d'Ercole  Calcagnmi.  Elle  apparaît  ici  à  Tàge  de  trente-deux 
ans,  la  tète  nue,  avec  les  cheveux  tressés,  un  collier  autour  du 
cou  et  un  Aétement  à  l'antique.  Cette  médaille  sans  revers  a 
cinquante  millimètres  de  diamètre. 

Sacrata  [Girolama).  —  Il  existe  d'elle  quatre  médailles  : 

1"  Diam.  45.  Buste  à  droite;  tête  nue;  cheveux  entremêlés 
de  perles;  corsage  décolleté  en  carré;  un  grand  collier  passe 
sur  la  chemisette.  Cette  médaille  nous  paraît  assez  ordi- 
naire. 

2"  Diam.  66.  Buste  h  droite.  Même  coiffure  et  même  ajuste- 
ment. Yisage  plein,  d'une  expression  peu  agréable.  Cette  mé- 
daille est  cependant  meilleure  que  la  précédente. 

3°  Diam.  60.  Buste  de  trois  quarts  à  droite,  tête  niie.  Giro- 
lama  Sacrata  est  plus  jeune  et  plus  jolie  que  sur  les  médailles 
précédentes.  On  remarque  toujours  de  l'élégance  et  de  la 
recherche  dans  l'arrangement  des  cheveux  et  dans  la  disposi- 
tion du  costume;  mais  le  nez  trop  saillant  ne  produit  pas  ini 
heureux  effet.  Cette  médaille  porte  la  date  de  1560. 

4°  Diam.  42.  Même  buste  que  sur  les  deux  premières  mé- 
dailles. On  ht  autour  :    «  iuuavi .  et .  non .  PENrr .  —  1560.  p.  » 

Sacrata  [Barbara).  (Diam.  40.)  —  Buste  à  droite.  Barbara 
n'est  encore  qu'une  enfant. 

Trotti[Ginevra),  née  en  1533.  (Diam.  59.)  —  Buste  à  droite. 
Tête  nue,  cheveux  entremêlés  de  perles,  collier  de  perles, 
corsage  décolleté  en  carré.  Ginevra  n'a  que  vingt-trois  ans. 
Son  visage  aux  lignes  agréables  a  peu  d'expression.  On  lit 
sur  la  médaille  la  date  de  1556. 

Trotti{Isabella)  Nigrisoli.  (Diam.  56.) — Cette  belle  personne, 
au  regard  ferme  et  intelligent,  est  représentée  à  l'âge  de  trente- 
trois  ans,  et  sa  médaille  a  été  faite  aussi  en  I55().  Un  double 
menton  se  montre  déjà.  La  coiffure  est  fort  compliquée;  au 
I.  44 


690  L'ART    FERRARAIS. 

costume   très   riche   s'adapte  une  collerette  qui  monte  assez 
haut.  Pastorino  a  beaucoup  soigné  tous  les  détails. 


XXVI 

LEONE    LEONI (V 


Parmi  les  pièces  attribuées  à  Leone  Leoni  figure  la  médaille 
de  Bernardo  Tasso  (diam.  51),  père  de  Torquato.  Bernardo, 
tourné  à  droite,  porte  toute  sa  barbe;  sa  tête  chauve  est  nue. 
Au  revers,  on  voit  une  licorne  qui  plonge  sa  corne  dans  un 
ruisseau,  et  on  lit  les  mots  suivants  :  «  tute  sitim  pelle.  «  C'est 
une  lettre  écrite  par  l'Arétin  en  1537  qui  permet  d'attribuer 
cette  médaille  à  Leone  Leoni. 

Bernardo  Tasso  naquit  en  1493  à  Bergame,  d'une  ancienne 
et  noble  famille.  Il  mourut  en  1569  à  Ostiglia,  place  sur  le 
Pô,  dont  le  duc  de  Mantoue  l'avait  nommé  gouverneur.  Guido 
Rangone,  général  de  l'Église,  la  duchesse  de  Ferrare  Renée, 
le  cardinal  Louis  d'Esté,  Ferrante  di  Sanseverino,  prince  de 
Salerne,  le  duc  d'Urbin  Guidobaldo  et  le  duc  de  Mantoue 
Guglielmo  l'eurent  tour  à  tour  à  leur  service.  Il  mena  une 
existence  féconde  en  péripéties,  prit  part  au  siège  de  Tunis 
par  Charles-Quint,  s  acquitta  de  plusieurs  missions  politiques, 
dut  à  sa  fidélité  au  prince  de  Salerne  la  confiscation  de  ses 
biens  et  séjourna  auprès  du  roi  de  France  Henri  II.  Après 
avoir  célébré  dans  ses  vers  Ginevra  Malatesta  et  Tullia  d'Ara- 
gon, pour  lesquelles  il  s'était  passionné,  il  épousa  Porzia  de' 
Rossi,  qu'il  perdit  le  1"  février  1556.  Ses  églogues,  ses  odes, 
ses  élégies  et  son  poème  de  Floridant  obtinrent  une  grande 
vogue;  mais  son  principal  titre  à  l'admiration  de  ses  contem- 

(1)  Ses  ancêtres  étaient  d'Arezzo,  mais  il  naquit  en  1509  à  Menaggio  sur  le  lac 
de  Côme,  et  il  mourut  le  21  juillet  1590  à  Milan.  (Carlo  dell'  Acqua,  Del  luogo 
di  nascità  di  Leone  Leoni,  dans  VAichivio  storico  dell'  arte,  année  II,  fasc.  II, 
février  1889.) 


LIVRE  TROISIEME.  691 

porains  fut  son  Amadis  de  Gaule,  poème  chevaleresque  en  cent 
chants,  qui  fut  publié  en  1559  (1). 

Quant  à  Leone  Leoni,  on  sait  depuis  peu,  (jrâce  à  M.  Yen- 
turi  (2),  que,  après  avoir  été  graveur  des  monnaies  à  Rome 
sous  Paul  III  et  avant  de  passer  à  Milan,  où  il  exerça  les  mêmes 
fonctions  au  profit  de  TEmpereur,  il  se  mit  au  service  d'Her- 
cule II.  Il  encourut  comme  faussaire  la  colère  du  duc  et  fut 
forcé  de  quitter  Ferrare.  Son  ami  Bernardo  Spina,  provvedùore 
du  fisc  impérial,  sollicita  son  pardon  dans  une  lettre  pressante 
et  l'obtint,  ainsi  que  le  prouve  une  seconde  lettre  par  laquelle 
il  remercie  Hercule  II  (3).  On  ignore  si  Leone  Leoni  retourna 
à  Ferrare. 


XXVII 

PALLANTE    (sIMONE). 


On  doit  à  ce  médailleur  une  médaille  d'Alphonse  II  d'Esté 
(diam.  58).  Le  duc,  vu  de  profil  à  droite  et  couvert  d'une  cui- 
rasse, a  la  tête  nue  et  les  cheveux  courts;  son  crâne  est  plat, 
son  front  saillant,  son  nez  long  et  pointu.  Il  porte  toute  sa 
barbe.  Le  revers,  accompagné  des  mots  :  «  exgels.e  Fiioirru- 
DiM  » ,  nous  montre  une  lourde  cariatide,  debout  sur  une  boule 
et  portant  un  chapiteau  sur  la  tête.  A  ses  pieds  se  trouvent 
plusieurs  têtes  qui  soufflent  sur  la  boule  (4). 

(1)  C.  Cantu,  Storia  délia  letteratuia  in  Italia,  p.  226.  —  Gingle>é,  Histoire 
littéraire  d'Italie,  t.  V,  p.  42. 

(2)  Leone  Leoni  incisore  délia  zecca  dcl  duca  di  Fcrrara,  dans  V Arcinvio  sto- 
rico  deir  arte,  août  1888. 

(3)  M.  Venturi  donne  les  deux  lettres  de  ISernardo  Spina. 

(4)  Cette  médaille  est  gravée  dans  Litta. 


692  L'ART   FEURARAIS. 

XXVIll 

ANDREA     CAMiil,     DIT     LE     BOMBARDA, 


Ce  mëclailleui",  qui  travaillait  vers  15G0,  a  fait  une  médaille 
de  Lucrezia  de'  Medici,  première  femme  d'Alphonse  II  d'Esté 
(Diam.  68).  Nous  connaissons  déjà  cette  princesse  par  une  mé- 
daille de  Pastorino.  Ici,  elle  est  tournée  à  gauche  et  vue  jus- 
qu'à la  ceinture;  sa  coiffure,  derrière  laquelle  tomhe  un  voile, 
rappelle  celle  de  Diane  de  Poitiers. 

Pigna  {Gianhatlista)  (1529-1575).  (Diam.  64.)  — Au  droit, 
buste  tourné  à  gauche,  tète  nue,  avec  des  cheveux  courts  et 
frisés.  La  barbe,  longue  et  frisée  aussi,  est  taillée  en  pointe.  Il 
y  a  beaucoiq)  d'élégance  dans  le  costume  aux  manches  bouf- 
fantes. En  somme,  cette  pièce  est  très  jolie.  La  tète  est  bien 
conformée,  et  1  expression  en  est  attachante.  Deux  revers  diffé- 
rents accompagnent  la  médaille  de  Pigna.  Sur  l'un,  qui  sert 
aussi  à  la  médaille  du  Milanais  Miseroni,  graveur  en  cristal  de 
roche,  le  Bombarda  a  représenté  Pan  et  Syrinx.  Sur  l'autre,  on 
voit  un  berger  debout,  s'entretenant  avec  une  femme  drapée 
qui  tient  un  rameau  ;  à  gauche  se  trouve  un  troupeau  de  mou- 
tons, et  dans  le  haut  on  lit  le  mot  :  «  servabo.  )' 

Pigna  était  fils  de  Nicolucci ,  riche  droguiste  [speziale]  qui 
avait  pour  enseigne  une  pomme  de  pin  {pigna).  ha  philosophie, 
la  médecine,  le  droit,  l'art  oratoire  et  la  poésie  furent  l'objet 
de  ses  études.  Tout  jeune  encore,  il  écrivit  deux  traités  inti- 
tulés :  De  consolatione  et  De  otio,  ainsi  que  des  vers  en  latin  et 
en  italien.  Grâce  aux  recommandations  de  Brasavola,  prési- 
dent de  l'Université,  et  de  Giacopo  Trotti,  Hercule  II  lui 
confia,  dès  1450,  la  chaire  de  grec  et  de  latin,  où  ses  succès 
lui  attirèrent  un  jour  comme  auditeur  le  cardinal  Hippolyte 
d'Esté.  Admis  dans  l'intimité  d'Alphonse,  fils  d'Hercule  H, 
Pigna  fit  partie  de  la  suite  du  jeune  prince  lorsque  celui-ci  se 


LIVRE  TROISIEME.  693 

rendit  à  Florence  pour  épouser  Lucrèce  de  Médicis,  et  il  l'ac- 
compagna également  en  France  après  son  mariage  (1558). 
Alphonse,  quand  il  fut  devenu  duc  de  Ferrare,  le  prit  comme 
secrétaire  et  le  chargea,  en  1560,  de  réformer  l'Université. 

On  attribue  à  Pigna  l'invention  du  Temple  d'Amour,  sorte  de 
tournoi  représenté  en  l'honneur  de  Barbe  d'Autriche,  et  l'in- 
vention du  Monte  di  Feronia,  représenté  lors  de  la  promotion 
de  Louis  d'Esté  au  cardinalat.  Il  assista  la  duchesse  Barbe  dans 
le  soin  de  gouverner  pendant  une  absence  du  duc  (1571).  C'est 
sur  l'ordre  d'Alphonse  II  qu'il  écrivit  sa  Storia  de'  principi 
d'Esie  (1).  On  l'accusa  de  plagiat,  parce  qu'il  utilisa  les  papiers 
de  Girolamo  Falletti;  mais  il  avait  le  droit  de  s'en  servir,  car 
ces  papiers  avaient  été  légués  par  Falletti  au  duc  de  Ferrare, 
qui  les  livra  à  Pigna  afin  que  celui-ci  en  tirât  tout  le  profit 
possible.  Pigna  composa  aussi,  en  même  temps  que  Gianbat- 
tista  Giraldi,  un  ouvrage  sur  les  romans  :  les  deux  auteurs 
s'accusèrent  de  s'être  volé  leurs  documents.  Parmi  les  œuvres 
de  Pigna,  nous  citerons  encore  une  poésie  en  italien  à  l'occa- 
sion d'une  chute  que  fit  Alphonse  II  dans  un  tournoi  en  155(i, 
un  discours  sur  la  mort  de  François  II  roi  de  France,  et  des 
vers  en  l'honneur  d'une  jeune  fille  noble  de  Ferrare,  Lucrezia 
Bendelei.  Pigna  épousa  Violante  Brasavola,  dont  il  eut  trois 
fils  et  une  fille.  Il  mourut  âgé  de  quarante-six  ans  (1575)  et 
fut  enseveli  dans  l'église  de  Saint-François. 

Violante  Pigna.  (Diam.  7-4.)  —  Buste  à  droite,  tête  nue, 
coiffure  à  la  Diane  de  Poitiers,  collier  à  double  rang  de  perles, 
draperie  légère  se  terminant  par  un  rinceau.  La  tète  est  jolie, 
les  traits  sont  fins  et  élégants  ;  mais  le  buste  est  coupé  d'une 
façon  maladroite.  Le  vêtement  découvre  presque  complète- 
ment l'un  des  seins. 


(1)  Cette  histoire  va  seulement  jusqu'en  1476.  Elle  parut  à  Ferrare  en  1570 
dans  le  format  in-folio,  et  fut  réimprimée  à  Venise  en  1572  ilans  le  format  in- 
quarto.  On  l'a  traduite  en  français. 


694  L'ART   FERRARAIS. 


XXIX 


RUSPAGIARI       ALFONSO 


Comme  le  Bombarda,  Ruspagiari  travaillait  vers  1560.  II 
était  né  à  Reggio. 

On  attribue  à  ce  médailleur  une  belle  médaille  à'Herciile  II 
(diam.  GG).  Le  duc  de  Fcrrare,  représenté  sous  les  dehors 
du  héros  mythologique  dont  il  portait  le  nom,  a  pour  vête- 
ment une  peau  de  lion  qui  laisse  à  nu  le  cou  et  l'épaule 
droite.  Tandis  que  le  corps  se  présente  de  face,  la  tête 
est  tournée  à  droite.  Les  cheveux  et  la  barbe  sont  courts  et 
frisés.  La  tête  du  lion  sert  d'ornement  à  l'épaule  droite  (1). 
Cette  médaille,  qui  a  beaucoup  de  caractère,  a  été  attribuée  à 
Pompeo  Leoni  et  à  Primavera  ;  M.  Armand  croit  qu'elle  est 
1  œuvre  de  Ruspagiari.  Elle  donne  bien  l'idée  d'Hercule  II,  qui 
était  un  des  plus  beaux  princes  de  son  temps,  un  preux,  un 
chevalier  très  cultivé.  «  Ce  prince,  dit  Battista  Giraldi  dans  son 
Commentariolo  (p.  155),  n'eut  pas  son  égal  dans  les  exercices 
corporels.  Personne  ne  sut  mieux  que  lui  guider  un  cheval, 
manier  une  épée,  courir  une  lance.  Inaccessible  à  la  crainte, 
il  eût  affronté  la  mort  plutôt  que  de  reculer  devant  un  péril  et 
de  souscrire  à  une  faiblesse.  Il  joignait  les  plus  nobles  in- 
clinations qui  conviennent  aux  princes  à  la  plus  martiale 
vigueur.  « 


(1)  Les  trois  revers  différents  qui  se  trouvent  accolés  à  la  médaille  d'Her- 
cule II  accompagnent  souvent  des  pièces  exécutées  par  d'autres  maîtres  et  ne 
semblent  pas  être  l'œuvre  de  Ruspagiari.  Ils  représentent  :  1°  Une  femme  debout 
tenant  une  palme  et  portant  une  horloge  suspendue  à  son  bras  droit;  2"  La 
figure  couchée  d'un  fleuve  et  un  agneau  se  désaltérant;  3"  Un  rhinocéros. 
(Armand,  t.  I,  p  219.) 


LIVRE  TROISIEME.  695 

XXX 

BONZAGNA     (GIA NFEDERICO ) ,    DIT    FEDERICO     PARMENSE. 

Cet  artiste,  dont  les  pièces  sont  comprises  entre  1547  et 
1575,  et  qui  vivait  encore  en  1586,  fut  non  seulement  médail- 
leur,  mais  graveur  en  monnaies,  orfèvre  et  sculpteur.  On  lui 
doit  une  médaille  à'HippolytelI  d'Esté  {àxaLni.  AI).  Le  cardinal, 
tète  nue,  le  front  chauve,  est  tourné  à  gauche.  Il  porte  toute 
sa  barbe;  un  camail  couvre  ses  épaules.  Son  nez  long  et  pointu 
est  plus  accentué  que  sur  ses  autres  médailles.  L'exécution  de 
cette  effigie  est  sèche  et  sans  charme.  Au  revers,  les  trois 
anges  prosternés  devant  Abraham  sont  massifs  et  laids.  Il 
existe  aussi  un  autre  revers  qui  ne  parait  pas  avoir  appartenu 
tout  d'abord  à  cette  médaille  :  on  y  voit  quatre  boules  ;  celle 
du  bas  est  surmontée  d'une  croix,  et  les  trois  autres  sont 
ornées  de  rosaces. 

XXXI 

POGGINI     (dOMEXICO). 

Né  en  1520,  le  Florentin  Poggini,  orfèvre,  sculpteur,  gra- 
veur en  monnaies  et  médailleur,  s'occupait  encore  des  mon- 
naies pontificales  en  158G.  Les  dates  de  ses  médailles  sont 
comprises  entre  1552  et  1590  (1).  Nous  lui  devons  les  effigies 
de  l'Arioste,  d'IIippolvte  II  d'Esté,  et  peut-être  aussi  celles 
d'Alphonse  II  et  de  sa  première  femme,  Lucrèce  de  Médicis. 

L'Arioste.  (Diam.  52.) — L'illustre  poète  paraît  ici  plus  jeune 
que  sur  la  médaille  exécutée  par  Pastorino.   Il  est  tourné  à 

(1)   Armand,  t.  I,  p.  254. 


696  L'ART    FERRARAIS. 

droite  ;  sa  tête  est  nue  ;  de  longs  cheveux  bouclés  se  répandent 
sur  ses  épaules,  et  il  porte  toute  sa  barbe  ;  son  front  est  large, 
son  cou  bien  dégagé,  son  nez  très  arqué;  il  y  a  de  la  recherche 
dans  sa  mise,  de  l'aisance  dans  sa  tenue,  de  Tépanouissement 
dans  sa  physionomie.  C'est  là  un  portrait  agréable  ;  mais  il  n'a 
pu  être  fait  d'après  nature,  car  l'Arioste  mourut  un  1533, 
époque  à  laquelle  Poggini,  né  en  1520,  n'avait  que  treize 
ans  (1).  Cette  médaille  a  deux  revers.  Sur  l'un  on  voit  une 
main  coupant  avec  des  ciseaux  la  langue  d'un  serpent,  et  la 
légende  porte  ces  mots  :  «  pro  bond  malum.  »  Sur  l'autre,  Diane 
est  représentée  debout,  appuyée  contre  un  arbre,  auprès  d'un 
lévrier. 

Hippolyte II  d'Esie{lb09-lbl2).  (Diam.  48.)  —  Le  cardinal, 
tourné  à  droite,  est  représenté  tête  nue,  le  front  chauve,  avec 
sa  barbe  et  des  cheveux  bouclés  ;  un  camail  couvre  ses  épaules. 
Sans  être  très  remarquable,  ce  portrait  vaut  mieux  que  le  por- 
trait dû  à  Bonzagna.  Le  revers,  inventé  par  Paul  Jove,  est 
joli  :  on  y  voit  un  jeune  homme  assis,  vêtu  à  l'antique,  munis- 
sant d'un  collier  hérissé  de  pointes  une  louve  qui  a  mis  ses 
pattes  de  devant  sur  les  genoux  de  son  protecteur  et  qui  le 
regarde  avec  reconnaissance.  C'est  là  une  allusion  à  la  défense 
de  Sienne  par  le  cardinal  de  Ferrare,  qui  exerçait  le  comman- 
dement dans  cette  ville  au  nom  du  roi  de  France  en  1552  (2). 
Autour  de  la  composition  symbolique  on  lit  ces  mots  :  "  munita 

GUTTUR  CANES   CONTEMNIT  (3).  » 

Alphonse  II  d'Esle  et  Lucrèce  de  Médicis,  sa  première  femme. 
—  1°  (Diam.  47.)  D'un  côté  le  duc  de  Ferrare  tourné  à  droite, 
de  l'autre  Lucrèce  de  Médicis  tournée  dans  le  même  sens. 


(1)  On  trouve  reproduites  dans  Litta  deux  médailles  de  l'Arioste,  sans  nom 
d'auteur,  qui  paraissent  médiocres.  (Armand,  t.  II,  p.  93.)  L'une  de  ces  médailles 
n'a  point  de  revers;  l'autre  en  a  deux  dont  voici  les  sujets  :  1"  La  chute  de 
Pnaéton,  les  trois  Iléliades  changées  en  peupliers,  la  figure  nue  et  couchée  de 
1  Jiridan;  2"  Diane  drapée  tenant  son  arc,  Vénus  nue  avec  l'xlmour,  une  Victoire 
planant  au-dessus  des  deux  déesses  et  donnant  une  flèche  à  Diane,  tandis  qu'elle 
pose  une  couronne  sur  la  tète  de  Vénus. 

(2)  Armand,  t.  I,  p.  255. 

(3)  M.  Armand  indique  une  médaille  sans  revers  d'Hippolyte  II,  dont  l'au- 
teur est  inconnu  (t.  I,  p.  148). 


LIVRE   TROISIEME,  697 

Alphonse  II,  représenté  tète  nue  et  couvert  cFune  cuirasse, 
a  les  cheveux  courts  et  frisés;  sa  harbe  est  courte  aussi.  Il 
y  a  de  l'analogie  entre  ses  traits  et  ceux  de  son  père,  Her- 
cule II;  mais  sa  tête  est  moins  expressive.  Lucrèce,  très  élé- 
gamment coiffée,  avec  des  perles  dans  ses  nattes,  est  parée 
de  boucles  d'oreilles  ;  son  gracieux  visage  a  une  certaine  plé- 
nitude. Elle  porte  une  chemisette  plissée,  légèrement  entr'ou- 
verte.  —  2°  (Diam.  48.)  Buste  de  Lucrèce  de  Médicis.  Ce  portrait 
est  identique  à  celui  qui  sert  de  revers  à  la  médaille  précé- 
dente ;  seulement,  on  lit  autour  ces  mots  qui  manquaient  tout 
à  l'heure  :  "  forma  et  muxditiis  mtens.  »  Au  revers,  on  voit  un 
navire  qui  vogue  sur  la  mer,  et  au-dessus  duquel  s'étend  un 
arc-en-ciel  dont  la  présence  est  expliquée  par  les  mots  sui- 
vants :  «  TE  DUCE  PERVExiAM.  i)  —  3°  Diam.  49.)  Buste  de  Lucrèce 
pareil  à  ceux  que  nous  avons  déjà  mentionnés.  Au  revers,  on 
voit  Apollon  sur  un  char  attelé  de  quatre  chevaux  galopant  ; 
dans  le  bas,  l'Éridan  et  une  nvmphe  couchée  s'embrassent.  La 
légende  est  ainsi  conçue  :  -  xova  ERmAxo  fulxit  lux  (1).  »  — 
i"  (Diam.  34.)  Buste  à  gauche  d'Alphonse  IL  Au  revers,  une 
femme  drapée,  tournée  à  gauche,  tient  une  corne  d'abondance 
et  une  balance  (2).  On  lit  sur  ce  revers  :  "Providencia  .  optdii  . 

PRINC  .  » 


(1)  Une  médaille  d'auleur  inconnu  reproduit  aussi  les  traits  de  Lucrèce  de 
Médicis.  (Dia.  45.)  Lucrèce,  tournée  à  droite,  est  représentée  tète  nue,  avec  un 
chignon  formé  d'une  natte  roulée.  La  légende  se  compose  de  ces  mots  :  «  uoc. 
MiRUM.  EST.  IX.  NATURA.  "  Au  revcrs,  un  jeune  homme  et  une  jeune  femme,  tous 
deux  vêtus  à  l'antique,  se  donnent  la  main.  Les  mots  :  «optima.  fides.  »  accom- 
pagnent ce  revers. 

(2)  Une  curieuse  médaille  d'auteur  inconnu  (diam.  40)  nous  montre  les  hustes 
affrontés  d'Alphonse  II*  et  de  sa  troisième  femme  Marguerite  Gonzague.  II  sera 
question  plus  loin  de  cette  médaille. 

Sur  une  autre  médaille  sans  nom  d'auteur  (diam.  39),  Maleguzzi,  jurisconsulte 
de  Reggio,  tourné  à  droite,  portant  un  pourpoint  et  un  manteau,  fléchit  le  genou 
devant  Alphonse  II  vêtu  à  l'antique,  assis,  étendant  la  main  droite  vers  une  petite 
forteresse   que   l'on   remarque   en  haut,    à  gauche.  La  légende  est  ainsi  conçue  : 

«  ALPUONSI.  11.   r-ERRARI.E.   DUCIS.    I.IDKRALITATI.   »     Au    rCVCrS,    OU    Voit  dcUX  tètCS  (le 

Zéphires  soufflant  en  sens  opptjsé  contre  un  arhre  qui  s'élève  sur  un  tertre.  Ce 
revers  porte  l'inscription  suivante  :  «  uoratius.  malegiitiis.  uumii.is.  SEnvrs. 
—  1576.  >i  (Armand,  t.  III,  p.  295.  Voyez  dans  l'ouvrage  de  .M.  Armand  l'indi- 
cation de  plusieurs  autres  médailles  anonymes  d'Alphonse  II,  t.  II,  p.  19^^, 
194,  195.) 


698  L'ART   FERRARAIS. 

XXXII 

MKDAILLES  EXÉCUTÉES  PAR  DES  AUTEURS  INCONNUS. 

A  l'occasion  de  personnages  dont  l'effigie  fut  modelée  par 
des  médallleurs  connus,  nous  avons  déjà  examiné  quelques 
médailles  dues  à  des  artistes  inconnus  aujourd'hui.  Un  certain 
nombre  d'autres  pièces  anonymes  s'imposent  encore  à  notre 
attention,  parce  qu'elles  nous  font  connaître  des  Ferrarais 
d'une  grande  notoriété.  Nous  allons  les  passer  en  revue  d'après 
l'ordre  chronologique. 

Acarùio  d'Esté,  tige  supposée  de  la  maison  d'Esté.  —  Pla- 
quette sans  revers  (82  x  (36),  avec  l'inscription  suivante  :  "  dns  . 
ACHARius  .  ATEST .  FERRARiOLAE  .  p  .  I .  "  (1).  Le  buste  d'AcaHuo  est 
tourné  à  droite  ;  une  toque  couvre  la  tête  et  cache  en  grande 
partie  le  front  ;  de  longs  cheveux  bouclés  tombent  jusque  sur 
le  cou.  Le  visage  est  rude,  plus  énergique  que  beau,  mais  plein 
d'individualité.  Il  va  de  soi  que  ce  portrait  est  une  œuvre 
d'imagination  (car  Acarino  est  un  personnage  en  quelque 
sorte  légendaire),  ou  qu'il  a  été  fait  d'après  un  contemporain 
de  l'artiste.  Suivant  Pigna,  Acarino  était  fils  de  Foresto  ou 
Oresto,  prince  d'Esté,  qui  périt  en  454  en  combattant  contre 
les  Huns.  Après  avoir  fondé  Ferrare,  il  fut  tué  vers  478  dans 
un  combat  livré  à  Odoacre,  roi  des  Hérules. 

Le  prétendu  portrait  d'Acarino  d'Esté  a  dû  être  exécuté  à 
la  fin  du  quinzième  siècle  par  un  artiste  qui  est  probablement 
aussi  l'auteur  d'une  plaquette  représentant  Foresto  d'Esté  et 
d'une  médaille  de  Tedaldo  d'Esté. 

La  plaquette  (87  x  70)  nous  montre  le  buste  d'un  jeune 
homme  tourné  à  droite,  sans  barbe,  avec  des  cheveux  longs, 
coiffé  d'une  calotte  et  vêtu  d'une  robe.  Les  mots  suivants 
accompagnent  l'effigie  :    «  forestus  .  atest  .  ferr  .  dx.  ccccii  .  " 

(1)   11  y  a  une  reproduction  de  cette  plaquette  dans  l'ouvrage  de  M.  Heiss. 


LIVRE  TROISIÈME.  699 

Sur  la  médaille  (diam.  95),  Tedaldo  apparaît  sans  barbe,  avec 
de  longfs  cheveux  et  coiffé  d'un  bonnet.  Une  forteresse,  accom- 
pagnée du  mot  :  «  thedald  >'  ,  orne  le  revers  de  cette  médaille. 

Nicolas  II d'Esté.  (Diam.  82.)  —  Buste  à  gauche,  cuirassé.  Le 
personnage  est  sans  barbe,  a  les  cheveux  courts,  et  sa  tête  est 
couverte  d'un  bonnet.  Nicolas  II  devint  seigneur  de  Ferrare 
en  1361  et  mourut  en  1388. 

Ugo  d'Esté  et  Parisinn  Mala testa.  —  Les  bustes  de  ces  per- 
sonnages se  font  face  sur  une  petite  plaquette  (01  x  48)  (I). 
Ugo  est  coiffé  d'un  bonnet,  et  Parisina  a  la  tête  couverte  d'un 
voile.  Ces  têtes,  jeunes  et  gracieuses,  répondent  ])ien  à  l'idée 
qu'on  peut  se  faire  des  deux  victimes  de  Nicolas  III,  quoi- 
qu'elles n'aient  rien  d'authentique  (2).  L'inscription  en  creux 
a  du  être  gravée  sous  l'influence  de  lord  Byron,  et  la  plaquette 
elle-même,  œuvre  de  fantaisie,  appartient  à  la  seconde  moitié 
du  quinzième  siècle. 

Ugo,  fils  naturel  de  Nicolas  III  et  de  Stella  Tolomei  degli 
Assassini,  naquit  en  1405.  Parisina,  fille  de  Malatesta,  seigneur 
de  Gesena,  fut  la  seconde  femme  légitime  de  Nicolas  III,  qui 
l'épousa  en  1418.  Ugo  et  Parisina  payèrent  de  leur  tête,  le 
21  mai  1425,  une  liaison  coupable  (3. 

Roverella  [Bartolommeo) .  —  Il  existe  deux  médailles  repré- 
sentant Bartolommeo  Roverella.  Elles  sont  gravées  dans  Litta, 
mais  nous  n'en  avons  pu  voir  aucun  exemplaire. 

1°  Buste  à  gauche,  coiffé  d'un  bonnet,  les  épaules  couvertes 
du  camail  (diam.  67).  Au  bonnet  est  assujetti  un  morceau 
d'étoffe  qui  cache  et  garantit  l'oreille.  Le  personnage  est  laid, 
du  moins  d'après  la  gravure  de  Litta.  On  lit  autour  de  l'effi- 
gie :  «  BAP.T  .  liOVKRIXL  .  CAIID  .  RAVi:XN  .  PIO  II  .  PONT  .  MAX  .  ECfXESI.i:  . 

Q  .  RO  .  BENEFic  .  »  Le  revcrs  a  pour  orncniciit  les  armes  des 
Roverella,  surmontées  du  chapeau  de  cardinal ,  et  porte  cette 
inscription  :  "  quond  .  aquila  .  et  .  robur  .  magm  .  jovis  .  arma  . 

FUERE  .  XC  .  REFERUT  .  TITULOS  .  BART  .  TLOS  .    » 


(1)  On  trouve  aussi  ces  deux  tèlcs  séparées  et  sans  nom. 

(2)  Voyez  la  reproduction  que  renferme  l'ouvrage  de  M.  Meiss. 

(3)  Nous  avons  raconté  leur  tragique  histoire  en  parlant  du  Gaslello  (p.  403). 


700  L'ART    FERRARAIS. 

2°  Buste  à  gauche,  la  tête  nue  et  presque  chauve  (diam.  44). 
Bartoloinmeo  est  ici  plus  âgé  et  encore  beaucoup  plus  laid.  Ses 
traits  ont  une  vulgarité  que  rien  ne  rachète  ;  son  long  nez  est 
gros  et  relevé  du  bout.  On  lit  autour  de  l'effigie  :  <  bartholo- 
MEus  .  ROVERELLA  .  CARDiNALis  .  RAVEN.  »  Au  rcvers  se  trouvc  l'iu- 
scription  suivante,  écrite  en  deux  colonnes  :  "  ob  .  cle  .  ipsius  . 

3I0RQ  .  SANCTDIO  .  ET  .  IN  .  SE  .  AP  .  IXGEN  .  MERITA.     "     Au-  deSSUS    de 

l'inscription  se  trouve  le  chapeau  de  cardinal. 

La  famille  des  Roverella  fut  implantée  à  Ferrare  dans  la 
première  moitié  du  quinzième  siècle  par  Giovanni  Rove- 
rella (1).  Bartolommeo  fut  un  des  fils  de  Giovanni.  Comme  il 
naquit  en  140G,  on  ne  saurait  affirmer  qu'il  naquit  à  Ferrare. 
Après  avoir  fait  partie  du  clergé  de  Modène,  il  devint  chape- 
lain du  patriarche  d'Aquilée,  puis  secrétaire  d'Eugène  IV.  Il 
fut  nommé  évéque  d'Adria  en  1444,  archevêque  de  Ravenne 
en  1445.  Il  couronna  le  roi  de  Naples  Ferdinand,  en  1458. 
Élevé  au  cardinalat  par  Pie  II  en  1461,  il  fut  employé  dans 
les  plus  graves  affaires  de  l'Église.  Il  reçut  de  l'Empereur, 
en  1468,  un  comté  en  Allemagne.  C'est  à  Rome  qu'il  mourut 
le  2  mai  1476  (2).  Son  tomlieau  orne  encore  l'église  de  Saint- 
Clément  (3)  :  le  cardinal  est  couché  sur  un  élégant  sarcophage, 
aux  extrémités  duquel  sont  debout  deux  archanges.  Un  peu 
plus  haut,  on  voit  à  gauche  Roverella  agenouillé,  que  saint 
Pierre,  debout  derrière  lui,  recommande  à  la  Vierge  et  à  l'En- 
fant Jésus  entourés  de  deux  archanges,  pendant  que  saint 
Paul  se  tient  debout  à  droite.  Dans  la  partie  supérieure  du 
monument,  le  Père  Éternel,  entouré  de  séraphins,  donne  sa 
bénédiction  (4). 

Prisciano  [Peregrino  ou  Pellegrino).  —  Médaille  sans  revers 
(diam.  68).    Buste    à  gauche,  coiffé   d'une   calotte,    cheveux 

(i)  Voyez  ce  qui  a  été  dit  page  521. 

(2)  Fnizzi,  t.  IV,  p.  37-39,  63. 

(3)  Il  a  été  gravé  dans  Les  chef s-cV œuvre  de  la  sculpture  religieuse  a  Rome,  à 
l  époque  de  la  Renaissance,  dessinés  par  le  chevalier  Tosi  et  décrits  par  Mjr  X. 
Barbier  de  Montault,  1"  édit.  française.  Rome,  1870,  gr.  in-fol.,  pi.  XLVIII 
etXLIX. 

(4)  Les  figures  de   ce   tombeau   ont  un  mérite   inégal  et  ne  sont  pas,   comme 


LIVRE   TROISIÈME.  701 

courts.  Le  visage,  un  peu  plein,  paraît  légèrement  renfrogné, 
mais  il  a  beaucoup  de  caractère.  On  lit  autour  Je  la  médaille  : 

il  PEREGR  .  PRISCIA  .  FERRA  .  RO  .  EQUI  .  COM  .  Q  .     « 

Pellegrino  était  fils  de  Prisciano  Prisciani,  dont  nous  avons 
vu  une  médaille  exécutée  par  Sperandio.  Gomme  son  père,  il 
eut  le  titre  de  chevalier,  auquel  il  joignit  celui  de  comte.  Très 
versé  dans  les  mathématiques,  les  lettres  et  l'histoire,  il  occupa 
la  chaire  d'astronomie  à  l'Université  de  Ferrare.  Ce  fut  grâce 
à  lui  que  la  Théogonie  d'Hésiode  fut  publiée  en  vers  latins  par 
l'imprimeur  Andréa  Gallo,  en  1474  (1).  On  a  de  lui  un  dis- 
cours en  latin  où  il  fait  l'éloge  du  mariage  en  général,  et  où  il 
exalte  en  particulier  l'union  d'Alphonse  d'Esté  avec  Lucrèce 
Borgia.  Son  principal  ouvrage,  commencé  en  1  490,  ïuiV  Histoire 
de  Ferrare  et  de  la  maison  d'Esté,  que  précède  une  préface  adres- 
sée au  duc  Hercule.  Sa  vie  ne  fut  pas  exclusivement  vouée  à 
1  étude.  Hercule  I"  l'envoya  à  Venise  pour  s'entendre  avec  la 
République  sur  la  délimitation  des  frontières  de  la  Polésine  de 
Rovigo  (2).  D'après  Guarini,  il  aurait  été  podestat  à  Massa 
Lombarda  et  à  la  Badia.  Enfin,  Muratori  rapporte  qu'il  fut  in- 
tendant fiscal  de  la  Chambre  ducale  et  de  la  Commune.  Étant 
tombé  malade,  il  fit  son  testament  le  14  janvier  1518,  cinq 
jours  avant  de  mourir.  Il  fut  enseveli  dans  l'église  de  Saint- 
Dominique,  et  Bigo  Pittorio  composa  pour  lui  une  épitaphe. 
Peut-être  Pellegrino  se  maria-t-il  deux  fois  ;  il  laissa  trois  fils  et 
quatre  filles. 

Hippolyte I d' Este.  (Diam.  45.)  —  Buste  à  gauche  d'Hippolyte 
jeune,  sans  barbe,  avec  des  cheveux  longs,  coiffé  d'un  bonnet, 
vêtu  d'une  robe. 

dimension,  en  rapport  les  unes  avec  les  autres.  Si  les  archanges  aux  côtés  du 
sarcophage  sont  trop  petits,  le  Père  Eternel  est  trop  grand.  La  Vierge  nianque 
de  grâce.  En  revanche,  on  peut  admirer  presque  sans  restriction  la  tij;ure  couchée 
du  défunt,  ainsi  que  celles  du  cardinal  à  genoux,  de  saint  l'icrrc  et  de  saint  Paul. 
Les  guirlandes  et  les  emblèmes  qui  décorent  le  sarcophage,  les  vases  et  les  ara- 
besques des  pilastres  latéraux  et  les  dauphins  de  la  corniche  ont  beaucoup  de  déli- 
catesse. Les  deux  petits  génies  nus,  assis  au-dessous  des  pilastres  de  chaque  côte 
de  l'épitaphe,  et  tenant  les  armoiries  de  Rartolommeo   Roverella,  sont  charmants. 

(1)  Il  était  très  versé  dans  l'étude  de  l'antiquité. 

(2)  Comme  orateur,  il  passa  pour  être  prolixe  et  emphaticpic. 


702  L'ART    FERRARAIS. 

Ce  troisième  fils  d'Hercule  F'  naquit  en  1479,  devint  cardi- 
nal en  1  il) 3  et  mourut  en  1520  (1). 

Paseto  [Cosimo) ,  jurisconsulte  ferrarais.  (Diam.  113.)  — 
Buste  à  gauche,  sans  barbe,  avec  les  cheveux  courts,  coiffé  d'un 
bonnet,  vêtu  d'une  robe.  On  lit  sur  cette  médaille  :   «  cosmds  . 

PASETUS  .  Plus  .  FERR  .  JURIS  .  DOCT  .  EX  .  AC  .  THE  .  DIVIX  .  INTERP  .    î) 

Le  revers,  sur  lequel  se  trouvent  les  mots  :  «  ast  .  pru  .  »  ,  est 
pourvu  d'un  écusson  où  l'on  voit  un  oiseau  fantastique  tourné 
à  gauche.  Le  tout  est  entouré  d'une  couronne  de  feuil- 
lage. 

Savonnrole  [Jérôme)  (1-452-1498).  —  Quoique  l'illustre  Do- 
minicain ait  surtout  vécu  à  Florence,  où,  après  avoir  entrepris 
avec  succès  la  réforme  des  mœurs  et  fait  adopter  des  institu- 
tions libérales,  il  fut  pendu,  puis  brûlé,  Ferrare  a  droit  de  le 
revendiquer  comme  un  de  ses  enfants.  C'est  à  Ferrare  qu'il 
naquit,  et  il  y  passa  sa  jeunesse  (2).  Nous  ne  pouvons  donc 
passer  ici  sous  silence  les  médailles  qui  le  représentent,  celles 
du  moins  qui  furent  faites  de  son  vivant  et  qui  nous  montrent 
son  effigie  avec  une  scrupuleuse  exactitude  et  avec  toutes  les 
apparences  mêmes  de  la  vie. 

1°  Diam.  62.  Buste  à  gauche.  Le  capuchon  laisse  voir  un 
peu  les  cheveux  sur  le  haut  du  front.  L'inscription  suivante  ac- 
compagne ce  portrait  :  «  hieroxymus  .  savo  .  fer  .  vir  .  doctiss^. 
ORDiMS ,  l'REDiCHARUJi .  »  —  Au  rcvers,  une  main  sortant  d'un 
nuage  et  menaçant  d'un  glaive  la  ville  de  Florence  fait  allu- 
sion à  une  des  visions  de  Savonarole.  On  lit  autour  de  ce 
revers  :  "  gladius  .  domini  .  sup  .  teram  .  cito  .  et  .  velociter»  ,  mots 
qui  servent  de  commentaire  au  sujet  représenté  (3). 

Cette  médaille,  la  plus  belle  de  toutes  celles  qui  aient  été 
exécutées  en  l'honneur  de  Savonarole  et  faite,  ce  semble, 
d'après   nature,  est  peut-être   l'œuvre  d'un   des    deux  mem- 

(1)  Voyez  ce  que  nous  avons  dit  de  lui,  p.  170-175. 

(2)  Voyez  Jérôme  Savonarole  et  son  temps,  par  Pasquale  Villari,  traduction 
par  Gustave  Ghuyer,  2  vol.  in-12.  Paris,  Firmin-Didot,  1874. 

(o)  11  Le  même  buste  de  Savonarole  se  rencontre  sans  revers,  accouipajjné  de 
la  légende  :  «  fr.  uieronims.  savonarola.  ferriensis.  ord.  pr^dic.  »  La  double 
lettre  x  dénote  une  restitution  du  seizième  siècle.  »  (Armand,  t.  III,  p.  33.) 


LIVRE   TROISIEME.  703 

bres  de  la  famille  délia  Robbia  (1)  qui,  après  avoir  reçu  des 
mains  de  Savonarole  l'iiabit  dominicain,  continuèrent  à  prati- 
quer, dans  le  cloître  de  Saint-Marc,  leur  art  de  sculpteur,  et 
qui,  au  dire  de  Vasari,  «  lo  ritrassero  in  quella  vuniiera  che  an- 
cora  oggi  si  vide  nelle  medaglie  »  . 

2°  Buste  à  gauche  (diam.  90).  Le  capuchon,  ramené  sur  la 
tête,  cache  entièrement  les  cheveux.  On  litautour  de  l'effigie  : 

Il  F  .  HIEROJNYMUS  .  SAVONAROLA  .  ORDINIS  .  PR.EDIGAT.  «  Cette  médaille, 

d'un  très  fort  relief,  a  du  être  faite  aussi  d'après  nature.  Gomme 
elle  rappelle  le  portrait  de  Savonarole  gravé  sur  cornaline  que 
possède  la  galerie  de  Florence  et  qui  est  dû  à  Giovanni  di  Lo- 
renzo  di  Pietro  délie  Opère,  dit  Giovanni  délie  Gorniole  (2), 
on  en  a  fait  honneur  à  cet  artiste  (3).  M.  Gaetano  Milanesi  la 
juge  trop  inférieure  à  la  cornaline  pour  avoir  été  faite  par 
Giovanni  délie  Gorniole  ;  on  pourrait  l'attribuer,  comme  la 
médaille  précédente,  à  l'un  des  délia  Robbia.  —  Le  revers, 
sans  légende,  nous  montre,  à  droite,  une  main  tenant  un  poi- 
gnard; à  gauche,  un  phénix  sortant  des  flammes,  et,  dans  le 
bas,  la  terre. 

3°  Demi-figure  de  Savonarole  tourné  à  gauche  et  tenant 
entre  ses  mains  un  crucifix;  sa  tête  est  couverte  par  un  capu- 
chon qui  laisse  voir  les  cheveux  sur  le  front  et  sur  la  tempe 
(diam.  90).  La  légende  contient  ces  mots  :  «  hieronyjius  .  sa.  fer. 
ORD  .  PRE  .  viR  .  DOCTissDius  .  »  —  Une  ligne  verticale  divise  le 
revers  en  deux  parties.  Dans  l'une,  on  voit  sur  un  nuage  le 
Saint-Esprit  sous  la  forme  d'une  colombe,  du  bec  de  laquelle 
sortent  quelques  rayons,  et  qui  vole  au-dessus  d'une  ville  en- 

(1)  D'après  Vasari,  deux  HIs  d'Andréa  dclla  RoLbia  reçurent  des  mains  de 
Savonarole  l'habil  relijjicux  dans  le  couvent  de  Saint-Marc  :  l'un  d'eux  fut  Marco 
(né  le  6  avril  1468),  qui  fit  profession  sous  le  nom  de  Fra  Luca  ;  l'autre  prit 
comme  Dominicain  le  nom  de  Fra  Matlia.  Un  troisième  membre  de  la  famille 
délia  Robbia,  Paolo,  né  le  2  novembre  1470,  prit  le  nom  de  Fra  Ambroyio,  au 
couvent  de  Saint-Marc,  mais  n'était  probablement  pas  fils  d'Andréa.  I^Vasari- 
MiLANESl,  t.  II,  p.  181,  186.  —  1).  Gnoli,  Fra  Maltia  dclla  llobbia,  dans  V Ar- 
chivio  storico  deli"  arte,  février  1889,  p.  82.) 

(2)  Il  naquit  à  Pise  vers  1470,  se  fixa  vers  1488  à  Florence,  où  Pietro  di  Neri 
Razzanti  lui  enseigna  l'art  de  graver  les  pierres  dures,  et  il  uiourut  probablement 
en  1516. 

(3)  Armand,  Les  tncdailletus  italiens,  t.  I,  p.   105-106. 


704  L'ART    FEURARAIS. 

toiirée  de  remparts;  on  lit  cette  inscription  sur  le  bord  de  la 
médaille  :  «  spiritus  .  dni  .  sup  .  terra  .  copios  ,  et  .  habudat  .  »  Dans 
l'autre  partie,  on  aperçoit  une  main  menaçant  de  l'épée  deux 
tours  qui  représentent  une  ville,  et  Ton  remarque  les  mots  sui- 
vants :    «  GLADIUS  .  DOMINI  .  SUP  .  TER  A  .  CITO  .  ET  .  VELO  CITER  .  » 

Toutes  les  autres  médailles  de  Savonarole  (1)  ont  été  faites 
d'après  les  deux  premières  médailles  que  nous  avons  citées  et 
les  reproduisent  avec  de  légères  modifications,  sans  conserver 
la  même  énergie  ni  le  même  caractère  de  spontanéité.  Parfois, 
les  légendes  dil'fèrent  un  peu.  Ainsi,  l'une  d'elles  (diam.  62) 
qualifie  Savonarole  non  seulement  de  «  vir  dogtissimus  « , 
mais  de  «  propiieta  .  sangtissijius  »  ,  et  une  autre  (diam.  51)  se 
compose  de  ces  mots  tirés  du  psaume  cxu  :  «  portio  .mea.ix  . 

terra  .  VIVENTIUM  (2).  » 

Tehaldeo  {Antonio).  —  1°  Buste  à  gauche,  coiffé  de  la  bar- 
rette, cuirassé.  L'exécution  est  un  peu  grossière.  — Au  revers, 
on  voit  Vénus  ou  Galatée  debout  sur  une  conque,  escortée  par 
des  tritons  et  couronnée  par  plusieurs  Amours.  Cette  figure 
aux  cheveux  hérissés  ne  saurait  guère  se  faire  reconnaître 
comme  la  déesse  de  la  beauté.  —  2°  Buste  à  gauche,  coiffé 
d'une  calotte.  — Au  revers  se  trouve  une  femme  nue,  debout, 
tenant  une  corne  d'abondance. 

Antonio  Tehaldeo  (3)  appartenait  à  une  famille  qui  occupait 
à  Ferrare  une  haute  situation.  Un  de  ses  frères  fut  secrétaire 
d'Hercule  I",  et  son  cousin  Jacopo  Tehaldeo  fut  ambassadeur 
à  Venise  sous  Alphonse  I".  De  ce  qu'il  mourut  vieux,  le  4  no- 
vembre 1538,  on  a  conclu  qu  il  naquit  probablement  entre 
1457  et  1403.  Après  avoir  embrassé  la  carrière  des  armes,  il 
se  voua  tout  entier  aux  lettres,  et  ses  contemporains,  dans  leur 
enthousiasme  pour  ses  poésies,  qu'il   chantait  en   s'accompa- 

(1)  Voyez  les  planches  qui  accompagnent  l'ouvrage  de  M.  Heiss.  On  peut  y 
voir  toutes  les  médailles  représentant  Savonarole. 

(2)  Voyez,  dans  notre  ouvrage  intitulé  :  Illustrations  des  écrits  de  Jérôme 
Savonarole  et  paroles  de  Savonarole  sur  l'art  (Paris,  Firmin-Didot,  1879),  le 
chapitre  où  il  est  question  des  portraits  de  Savonarole,  p.  109.  —  Armakd,  Les 
médaillcurs  italiens,  t.  II,  p.  46,  et  t.  III,  p.  169. 

(3)  Voyez  BAnOTTi,  i>/emo/-ie  di  Ictterati  ferraresi. 


LIVllE   TI'.OISIEME.  705 

gnant  de  la  lyre  ou  du  lutli,  le  mirent  ])iesque  au  même  rang 
que  Pétrarque.  A  la  cour  de  Ferrare,  il  fut,  avec  Ercole  Stro/zi, 
le  poète  favori  de  Lucrèce  Borgia,  qu'entouraient  aussi  de 
leurs  adulations  plusieurs  représentants  distingués  de  Tlmma- 
nisme,  entre  autres  Tito  Strozzi,  père  d'Ercole,  Celio  Galca- 
gnini,  très  jeune  encore,  TArioste,  Lilio  Gregorio  Giraldi  et 
Pietro  Bembo.  Il  entra  ensuite  au  service  du  marquis  de  Man- 
toue  François  Gonzague,  mari  d'Isabelle  d'Esté,  puis  séjourna 
quelque  temps  à  Urbin.  Attiré  par  Bembo,  il  se  fixa,  en  I  5  14, 
à  Rome,  où  il  avait  fait  déjà  quelques  apparitions  à  lépoque 
de  Jules  II,  et  trouva  aussitôt  de  nouveaux  amis  parmi  les  let- 
trés et  les  artistes  que  Léon  X  honorait  de  sa  faveur.  Dès 
1510,  Raphaël  lui  avait  accordé,  ainsi  que  Vasari  l'atteste, 
une  place  dans  son  Parnasse,  fresque  consacrée  à  la  glorifica- 
tion d'Apollon,  des  Muses  et  des  plus  grands  poètes  de  l'anti- 
quité et  de  la  Renaissance.  C'est  Tebaldeo,  dit-on,  qui  est 
représenté  à  droite,  auprès  de  la  Muse  vue  de  dos.  On  ne  sait 
si  ce  portrait  fut  exécuté  de  souvenir,  le  Sanzio  ayant  pu  voir 
Tebaldeo  à  Urbin  en  1506,  ou  d'après  nature  pendant  une 
des  excursions  de  Tebaldeo  à  Rome.  En  tout  cas,  il  ne  res- 
semble pas  du  tout  à  Teffigie  que  nous  montre  sa  médaille. 
Raphaël  ne  s'en  tint  pas  là.  Dans  les  premiers  mois  de  1516, 
il  fit  un  nouveau  portrait  du  poète  ferrarais,  portrait  dont  la 
ressemblance  et  la  perfection  incomparable  sont  certifiées  par 
une  lettre  de  Bembo  au  cardinal  Bibbiena,  mais  qui,  malheu- 
reusement, n'existe  plus  (1).  Rien  ne  manqua  au  bonheur  de 
Tebaldeo  jusqu'au  jour  où  les  troupes  du  connétable  de  Bour- 
bon saccagèrent  Rome  (1527).  A  sa  brillante  situation  succéda 
tout  à  coup  la  misère.  Dépouillé  de  tout  par  la  soldatcs(|uc,  il 
se  vit  réduit,  pour  ne  pas  mourir  de  faim,  à  emprunter  trente 
ducats  à  Bembo.  Dans  son  découragement,  il  cul  im  iii>laiit 
l'idée  de  se  retirer  en  Provence,  mais  il  ne  se  <lt(iila  |);i>  a 
délaisser  «  ce  misérable  corps  mort  de  la  belle  Bouk-  -  ,  cl  >a 
vieillesse   mélancoli(iue,   irritable,   se  prolongea  encore   onze 

(1)    F. -A.   GuUYKIi,  llajilincl  i>ciiilic  de  iiorliails.   1.  il,  |>.    HO.    11.'». 
1.  '*•'> 


706  Î,'ART    FEU  n  AU  Aïs. 

ans.  C'est  l'église  de  Santa  Maria  in  Via  Lata  qui  reçut  sa  dé- 
pouille mortelle.  On  a  de  lui  des  poésies  italiennes  que  son 
cousin  Jacopo  fit  imprimer  à  son  insu,  en  1199,  dans  la 
crainte  qu'elles  ne  se  perdissent  ou  qu'elles  ne  passassent  de 
main  en  main  avec  de  fâcheuses  incorrections.  Un  autre  vo- 
lume contenant  ses  Stanze  nuove  fut  imprimé  à  Venise  en  1519, 
par  Guglielmo  di  INIonferrato  (1)  :  dans  le  frontispice,  au-des- 
sous du  titre,  on  voit  un  homme  assis,  tenant  sur  sa  chaire  un 
livre  ouvert  qu'il  lit  à  ses  élèves  assis  sur  des  hancs  en  face  de 
lui.  Il  est  fort  douteux  qu'on  ait  là  le  portrait  de  Tehaldeo. 
Une  seconde  édition  du  même  ouvrage,  édition  que  publièrent 
à  Venise,  en  1520,  Niccolù,  dit  Zopino,  et  Vincenzio  (2),  est 
également  ornée  d'une  gravure  sur  bois.  Cette  gravure  met 
sous  nos  yeux,  entouré  des  sept  Muses  assises,  Tehaldeo  sous 
les  dehors  d'Apollon  debout  et  jouant  du  violon.  La  tète  de 
Tehaldeo,  pourvue  de  longs  cheveux  bouclés,  s'incline  vers 
l'épaule  droite  avec  une  certaine  mélancolie  qui  n'est  pas  sans 
charme;  toute  la  figure,  du  reste,  a  de  la  noblesse  et  de  l'am- 
pleur; la  tunique  laisse  à  nu  une  partie  des  jambes.  L'auteur 
a  moins  soigné  1  exécution  des  Muses,  qui,  en  costume  du 
quinzième  siècle,  jouent  de  divers  instruments,  tels  que  flûte, 
trompette,  trompe  et  cymbales;  il  ne  leur  a  pas  donné  toute  la 
grâce  à  laquelle  elles  avaient  droit.  Au  premier  plan,  on  voit  un 
bassin  plein  d'eau.  Au  fond  s'élèvent  deux  grands  arbres  et 
quelques  arbrisseaux  devant  des  collines,  l^a  figure  d'Apollon 
est  de  pure  fantaisie;  on  ne  peut  y  chercher  un  portrait  de 
Tebaldeo. 

Trotii  [Alfonso).  —  Sa  médaille  (diam.  66)  appartient  au  se- 
cond quart  du  seizième  siècle.  Il  est  tourné  à  gauche  et  coiffé 
d'un  bonnet  qui  lui  cache  en  grande  partie  le  front;  son  nez 
paraît  d'autant  plus  grand  que  son  visage  est  court  et  ramassé  ; 


(1)  La  riihliollicMjue  de  Saint-Marc  à  Venise  possède  un  eveniplaire  de  cette 
édition. 

(2)  K  Stantie  nove  de  Miser  Antonio  Thibaldeo  —  Iniprcsso  in  Venetia  per 
Kicolo  dicte  Zopino  et  Vincentio  couipagno.  Nel  anno  délia  Incarnatione 
MGCGCGXX  adi  1  de  Aprile.  "   (Bibl.  nat  ,  Y  4149,  in-12,  Réserve.) 


LIVRE   Tl'.OlSIKME.  707 

il  a  de  longs  cheveux  et  est  couvert  d'un  manteau  à  lar.';e 
collet.  On  lit  autour  de  l'effijjie  :  «  alfonsus  .  br  .  de  .  thott  . 
DUC  .  Fisci .  FE  .  GUB  .  »  —  Cette  médaille  a  deux  revers.  Sur  l'un 
se  trouvent  des  armoiries  avec  la  date  de  15)^5.  Sur  l'autre  on 
voit  le  buste  d'une  jeune  femme  très  jolie  et  très  élégante;  elle 
est  tournée  à  gauche,  la  tête  nue,  avec  un  chignon  lormé 
d'une  natte  roulée;  elle  porte  mi  col  droit,  des  manches  bouf- 
fantes, et  est  parée  d'un  collier  de  perles.  —  C'est  Alfonso 
Trotti  qui  présenta  les  clefs  de  Ferrare  sur  un  plat  d'argent  à 
Renée  de  France,  lorsque  cette  princesse,  après  son  mariage 
avec  Hercule,  fit  son  entrée  solennelle  dans  cette  ville. 

Alfonsino  d'Esté,  fils  naturel  du  duc  Alphonse  I".  (Diam.  47.) 
—  Buste  à  gauche,  tête  nue,  cheveux  courts,  point  de  barbe,  col 
rabattu,  écharpe  sur  la  cuirasse.  —  Au  revers,  une  femme  de- 
bout, tournée  à  gauche,  tenant  de  la  main  droite  un  calice  et 
montrant  de  la  main  gauche  un  prisonnier  étendu  à  terre;  der- 
rière elle  se  trouve  un  canon.  Ce  revers  a  pour  légende  :  «  vic- 
TRix  .  iiNDUSTRiA  .  RELLi .  »  La  médaille  d'Alfonsino  porte  la  date 
de  1547. 

Alfonsino  eut  pour  mère  Laura  Eustochia  Dianti.  Il  naquit 
en  1530  et  mourut  en  1547.  Son  père  lui  avait  légué  la  sei- 
gneurie de  Castelnuovo,  ville  située  entre  Reggio  et  Brescello. 
Filippo  d'Esté,  marquis  de  San  Martino,  né  vers  1540,  mort 
en  1592.  (Diam.  55.)  —  Buste  à  droite  d'un  homme  encore 
jeune,  revêtu  d'une  cuirasse  sur  laquelle  passe  une  écharpe.  Il 
a  la  tète  nue,  des  cheveux  courts,  et  porte  des  moustaches. 

Filippo  descendait  de  Sigismond,  un  des  fils  de  Nicolas  III. 
(Litta,  pi.  XIV.)  Il  épousa,  en  1570,  Marie,  fille  naturelle 
légitimée  d'Emmanuel-Philibert,  duc  de  Savoie.  Après  avoir 
longtemps  vécu  à  la  cour  de  Savoie,  il  se  retira,  en  1588,  à 
Ferrare,  où  il  ne  fut  pas  toujours  d'accord  avec  Alphonse  II. 
Il  se  montra  l'ami  du  Tasse,  qui  écrivit  auprès  de  lui,  à  Tiii  in, 
le  Dialofjo  délia  Nohiltà. 

La  médaille  de  Filippo  d'ICste  est  icpioduilc  dans  Litta. 
Calcagnini   {Cclio) ,    né    le    17    septend)re    ti70,    mori    le 
17   avril    15  iL  —  l!uste  à  gauche.  (Diam.  G(>.)  Calcagnini  est 


708  L'ART    FER1\A1\AIS. 

coiffé  triuic  calotte  et  vêtu  d'une  robe  (I).  On  lit  autour  de 
cette  médaille,  qui  n'apoint  de  revers  :  «  caelii  .  calcagmm  .  ai:t  . 
SUAE  .  AN  .  xxxx  .  »   Nous  n'en  avons  pu  voir  aucun  exemplaire. 

Celio  Calca^jnini  dut  son  prénom  à  une  fantaisie  de  son  père 
qui  était  en  train  de  lire  l'épître  de  Gicéron  à  Marcus  Gelius 
quand  on  vint  lui  annoncer  la  naissance  d'un  fils.  Tl  apprit  le 
latin,  le  grec,  l'art  oratoire  avec  Battista  Guarini,  et  la  philo- 
sophie avec  Antonio  Cittadini  de  Faenza,  sans  négliger  le  droit 
civil  et  le  droit  canon.  Lilio  Gregorio  Giraldi  fut  son  condis- 
ciple. Tous  deux  prirent  l'habitude  de  soutenir  l'un  contre 
l'autre  le  pour  et  le  contre  dans  les  matières  les  plus  diverses, 
afin  de  se  rompre  à  la  discussion  de  toutes  les  thèses  :  un 
jour,  Gelio  attaqua  avec  tant  de  vivacité  les  lois,  défendues  par 
son  ami,  que  les  jurisconsultes  lui  en  gardèrent  quelque  temps 
rancune. 

Il  occupa  d'abord  un  emploi  dans  la  secrétairerie  ducale, 
puis  fut  questeur  à  l'armée  et  professeur  d'éloquence  à  l'Uni- 
versité pendant  trente-deux  ans  (1509-1  541)  (2).  Son  élocution 
brillante  et  son  habileté  le  firent  choisir  par  Alphonse  I""  et 
par  Hercule  II  comme  ambassadeur  auprès  des  Vénitiens,  des 
Allemands,  des  Espagnols  et  du  pape  Paul  III.  Le  cardinal 
Hippolyte  d'Esté,  de  son  côté,  tint  à  l'emmener  en  Hongrie, 
où  il  resta  deux  ans. 

Rien  ne  passionnait  autant  Gelio  Galcagnini  que  l'étude.  Il 
avait  d'ordinaire  un  lecteur  auprès  de  lui  pendant  ses  repas. 
Recevait-il  des  amis  à  sa  table,  il  se  plaisait  à  causer  avec  eux 
de  science  et  d'érudition.  Il  apportait,  du  reste,  beaucoup 
d'urbanité  dans  la  polémique,  comme  ses  lettres  en  font  foi.  Il 
fut  en  correspondance  avec  Érasme. 

Un  des  traits  saillants  de  son  caractère  est  la  générosité.  On 
cite  un  certain  nombre  de  lettrés  malheureux  auxquels  il  pro- 
digua ses  secours  et  qu'il  appuya  de  son  crédit  auprès  des 
grands  personnages  dont  la  confiance  lui  était  acquise.  Il 
hébergea  pendant  quinze  jours  Piero  Valeriano   et  parvint  à 

(1)  MaZZUCCUELLI,    I,   LVIII,    2. 

(2)  11  mourut  le  17  avril  1541. 


LIVRE   TROISIEME.  709 

lui  adoucir  Tinipression  d'épouvante  que  lui  avait  laissée  le 
sac  de  Rome,  il  n'épargnait  pas  non  plus  sa  peine  pour  rendre 
service.  C'est  ainsi  qu'il  eut  le  courage  d'examiner  et  de  cor- 
riger avec  tant  de  soin  les  commentaires  du  médecin  Antonio 
Musa  Brasavola  sur  les  Aphorisines  d'Hippocrate,  qu'au  dire 
de  Brasavola  lui-même  Celio  avait  singulièrement  rehaussé  le 
mérite  de  l'ouvrage. 

Vers  le  milieu  de  sa  vie,  Calcagnini  embrassa  l'état  ecclé- 
siastique, devint  protonotaire  apostolique  et  chanoine  de  la 
cathédrale  de  Ferrare.  A  son  instigation,  le  Dominicain  Vin- 
cenzo  Giaccari  de  Lugo  composa  un  traité  sur  le  libre  arbitre 
pour  combattre  les  doctrines  de  Luther. 

Dans  ses  écrits,  en  partie  imprimés,  en  partie  inédits,  Celio 
Calcagnini  traite  de  l'éloquence,  de  la  poésie,  des  lois,  de  la 
philosophie,  de  la  morale,  de  l'érudition  classique.  Parmi  les 
sérieuses  productions  de  son  âge  mûr,  on  a  eu  l'imprudence 
d'intercaler  des  œuvres  faibles  ou  légères  qui  appartenaient  à 
sa  jeunesse  et  n'auraient  pas  dû  voir  le  jour.  On  a  de  lui  des 
poésies  que  goûtaient  ses  contemporains  et  des  épîtres  où 
règne  une  aménité  rare  à  cette  époque.  Quoiqu'il  eût  traduit 
en  italien  une  pièce  de  Plante  pour  complaire  à  Hercule  II,  il 
affectait  de  n'estimer  que  le  latin.  Il  eut  l'honneur  d'être  un 
des  premiers  à  adopter  le  système  de  Copernic. 

Il  laissa  par  testament  ses  nombreux  livres  à  la  bibliothèque 
des  Dominicains  et  demanda  que  son  tombeau  fût  j)Iacê  au- 
dessus  de  la  porte  de  cette  bibliothèque. 

Cato  ou  Cati  {Lodovico),  né  en  1490,  mort  en  1553.  — 
Buste  à  gauche.  (Diam.  i)0.)  Lodovico  porte  toute  sa  barbe;  il 
est  coiffé  d'un  bonnet  et  vêtu  d'une  robe.  Cette  médaille  sans 
revers,  que  nous  connaissons  seulement  par  la  rcprodiiclion 
sans  caractère  de  Mazzucchelli  (I,  lviii,  2),  est  pourvue  de  1  in- 
scription suivante  :  "  IXDO  .  CATUS  .  EO  .  CO  .  lURISC  .  AKTAT  .  AN. 
LVII.   » 

Après  avoir  fait  ses  études  littéraires  et  juridiques  à  Ferrare 
et  à  Bologne,  Lodovico  Cati  fut  nommé  par  Alphonse  I  "  pro- 
curateur du  fisc  (1518),  puis  professeur  public  de  droit  civil. 


710  I/AKT    FEU  1*.  Ail  Aïs. 

Alphonse  1"  lui  confia  en  outre  d'importantes  négociations 
auprès  du  j)ape  Adrien  VI,  qui  se  trouvait  alors  en  Espagne, 
auprès  du  roi  de  France,  auprès  de  TEmpereur,  qui  lui  accorda 
les  titres  de  chevalier  et  de  comte  palatin.  Une  maison  à  Fer- 
rare,  valant  trois  mille  ducats,  fut  la  récompense  de  ses  ser- 
vices. Venise,  où  Hercule  II  1  envoya  aussi  plusieurs  fois  en 
mission,  lui  offrit  jusqu'à  mille  ducats  d'appointements  s'il  vou- 
lait professer  à  Padoue  ;  mais  le  duc  de  Ferrare  ne  consentit 
pas  à  le  laisser  partir.  Au  mois  de  février  1553,  l'éminent 
érudit  fut  pris  de  la  goutte  et  de  la  fièvre.  Malgré  les  soins  du 
médecin  Sigismondo  Nigrisoli,  dont  il  avait  épousé  la  fille 
Ippolita,  et  qui  se  fit  assister  de  l'illustre  Brasavola  et  de  quel- 
ques autres  docteurs,  il  expira  le  19  mars  et  fut  enseveli  en 
grande  pompe  dans  le  chœur  des  religieuses  de  Saint-Antoine 
ahbé.  Le  discours  latin  qu'il  prononça  en  présence  d'Adrien  VI 
et  celui  qu'il  adressa  au  doge  Pietro  Lando,  lors  de  l'élection 
de  celui-ci,  existent  encore. 

Boiardo  [Matteo  Maria) .  —  Buste  tourné  à  droite.  (Diam.  5  4.) 
Tête  nue  et  barbue.  La  légende  est  ainsi  conçue  :  «  matt  .  mar  . 
BOiARDUs  .  c(oMEs)  s(cANDiANi)  Mccccxc.  »  —  Au  rcvcrs,  on  voit 
Vulcain  forgeant  des  flèches  auprès  de  Vénus,  et  on  lit  :  i<  amoh 

VINCIT  OMMA.    " 

Cette  médaille,  reproduite  par  Litta,  n'est  pas  contempo- 
raine de  Boiardo.  A  l'époque  du  poète,  on  ne  trouve  aucun 
personnage  représenté  avec  de  la  barbe.  Le  costume  d'ailleurs 
fait  songer  aux  modes  en  vigueur  vers  le  milieu  du  seizième 
siècle. 

Le  comte  Matteo  Maria  Boiardo  naquit  vers  1434,  soit  à 
Scandiano  près  de  Reggio,  soit  à  Ferrare,  et  mourut  à  Reggio 
le  121  décembre  149  4.  Il  eut  pour  père  un  familier  de  Lionel, 
Giovanni  Boiardo,  dont  la  sœur  Julia  donna  le  jour  à  Jean  Pic 
de  la  Mirandole,  pour  mère  Lucia  Strozzi,  sœur  du  poète  Tito 
Strozzi,  pour  grand-père  Feltrino  Boiardo,  qui  était  devenu 
citoyen  de  Ferrare  en  1408.  Après  avoir  appris  le  latin  et  le 
grec,  probablement  avec  Guarino  de  Vérone,  professeur  à 
l'Université  de  Ferrare,  il  étudia  le  droit  et  la  philosophie. 


MVUE   TROISIÈME.  711 

Borso  et  Hercule  I'"'  le  ])rirent  à  leur  service  pour  sa  ])ravoure 
dans  les  entreprises  militaires,  non  moins  (|ue  pour  ses  talents 
comme  homme  de  lettres,  et  lui  confièrent  divers  emplois 
d'importance.  Il  était  gouverneur  de  Reggio  et  capitaine  de  la 
citadelle  quand  il  mourut.  Voulant  flatter  les  goûts  d'Hercule  I", 
il  composa,  nous  l'avons  déjà  dit,  une  comédie,  Timon,  d'après 
Lucien,  traduisit  en  italien  Hérodote,  Xénophon,  la  Vie  de 
Pmd-Éniile  par  Plutarque,  Plante  et  VAne  (Tor  d'Apulée.  Ses 
canzones  et  ses  sonnets  furent  très  appréciés  de  ses  contem- 
porains. Mais  son  principal  titre  de  gloire  est  VOrlando  inna- 
morato,  poème  chevaleresque  emprunté  à  la  chronique  fahu- 
leuse  de  Turpin,  et  dont  VOrlmulo  furioso  de  l'Arioste  n'est 
que  la  continuation.  h'Orlando  innamoralo  fut  imprimé  en 
1495  par  Gamillo,  fils  de  l'auteur.  11  a  été  refondu  par  Berni, 
qui  en  accrut  la  popularité  en  en  rendant  la  lecture  plus  facile 
et  plus  agréable.  Boiardo  épousa  Taddea  Gonzaga,  qui  lui 
donna  deux  fils  et  quatre  filles.  Il  possédait  à  titre  de  fief  une 
maison  dans  le  quartier  Boccacanale,  avec  obligation  de  four- 
nir chaque  année  à  la  chambre  ducale  un  chien  de  cliasse 
valant  cinq  ducats  d'or.  Hercule  1"  l'exempta  de  cette  obliga- 
tion. «  Tant  qu'il  fut  à  la  cour  de  Ferrare,  Boiardo  reçut  une 
pension  de  soixante-dix  lire  par  mois,  pension  la  plus  consi- 
dérable après  celle  du  comte  Ambrogio  de'  Contrarii  (1).  » 

Ariùsta  [Lipa).  1°  (Diam.  78).  —  Buste  adroite.  LipaAriosta 
se  montre  à  nous  avec  une  coiffure  très  élégante,  des  boucles 
d'oreilles,  un  corsage  décolleté  en  carré  et  très  orné,  une  che- 
misette aboutissant  à  un  col  dont  la  pointe  est  rabattue.  Le 
front  élevé  est  d'une  forme  harmonieuse,  et  renseiuj)lc  du 
visage  n'a  pas  moins  de  grâce  que  de  beauté.  Cette  charmante 
médaille,  d'un  relief  assez  mince,  d'une  exécution  large  et 
aisée,  appartient  certainement  au  milieu  du  seizième  siècle. 
Elle  a  le  même  revers  que  la  médaille  anonyme  de  Lodovico 
Ariosto,  où  sont  représentés  Diane,  Véims,  un  petit  Amour  et 
une  Victoire.  (Voyez  p.  (i!)7,  note  l.)  Ces  figures  très  longues 

(1)   Ad.  Ventliii,  Varie  fenarese  itcl  puriuilo  ili   llrcole  I  d'I'sle,  p.  100. 


712  L'A  15  T    FEBKAUAIS. 

rappellent  bien  l'art  en  faveur  vers  l'année  1550.  La  légende 
se  compose  des  mots  :  »  digmori  dicanua.  >'  —  2°  (Diam.  90.) 
Même  buste  que  le  précédent;  seulement,  la  légende  est  pla- 
cée sous  ce  buste,  au  lieu  de  se  trouver  sur  les  côtés.  Cette 
médaille  n'a  pas  de  revers.  Elle  est  moins  soignée  et  moins 
agréable  que  la  précédente. 

Lipa  ou  Filippa  Ariosta  était  la  fille  de  Giammaria  Ariosto, 
commissaire  ducal  à  Cento,  mort  en  1555.  Elle  épousa  en 
155  4  Giulio  Ariosto,  neveu  du  grand  poète.  Giulio,  surinten- 
dant du  duc  de  Ferrare  à  Gomacchio,  mourut  en  1575  et  lut 
enseveli  dans  l'église  de  Saint-François  à  Ferrare  (1). 

Cksar  d'Esté.  (Diam.  41.)  —  Buste  à  droite.  César,  revêtu  de 
la  cuirasse,  est  représenté  la  tête  nue,  avec  moustaches  et  bar- 
biche. Il  est  qualifié  de  ^  dux  .  mut.  Rr:G.  i  »  .  Au  re\  ers,  on  voit 
la  figure  de  l'Espérance,  drapée,  debout,  tournée  à  gauche, 
entre  une  corne  d'abondance  et  une  ancre.  On  lit  sur  ce 
revers  :  i  fiiimissimae  spei.  —  1599  (2).  » 


LA    GLYPTIQUE. 


GIOVANM    BERN'ARDI     DA     CASTEL     BOLOGNESE    (3). 

Giovanni  Bernardi,  né  en  1  496,  mort  en  1553,  était  fils 
d'un  orfèvre  nommé  Bernardo,  qui  habitait  Ferrare  en  1530. 
Il  a  été  vanté  par  Cellini  pour  son  habileté  à  faire  des  médailles 
et  des  camées,  et  à  tailler  les  cristaux.  Appelé  à  Rome  par 
Giovio,    il   devint    massier    pontifical.    Dans    sa    jeunesse,   il 

(1)  Voyez  LiTTA,  feuilles  III  et  IV. 

(2)  Voyez  p.  231  ce  qui  a  été  dit  sur  ce  personnage. 

(3)  Vasaui,  t.  V,  p.  371.  —  L.-IN.  Cittauklla,  Notizie  relative  a  Feriara,  t.  I, 
p.  673  et  692. 


LlVllE   TROISIEME.  713 

séjourna  quelques  années  à  Ferrare  auprès  d'Alplionse  I".  Au 
dire  de  Vasari,  il  exécuta  une  médaille  de  ce  prince,  médaille 
dont  le  revers  représentait  l'arrestation  de  Jésus  au  jardin  des 
Oliviers.  Cette  médaille  est  perdue.  En  outre,  Giovanni  lier- 
nardi  grava  dans  un  morceau  de  cristal,  pour  le  même  duc 
de  Ferrare,  le  fait  d'armes  par  lequel  Alphonse  reprit  la  Bastia 
le  jour  même  où  Pierre  de  Navarre,  général  des  Espagnols, 
s'en  était  emparé  {'M  décembre  151  1), 


II 

LES     AXICHIM     OU    AXNICllIM    (I). 

On  a  longtemps  cru  qu'il  n'exista  qu'un  Anic/tiiio,  appelé 
tantôt  FrancescOj  tantôt  Luigi,  par  les  écrivains  du  seizième 
siècle.  En  réalité,  ces  prénoms  désignent  deux  artistes  dis- 
tincts, très  appréciés  l'un  et  l'autre  comme  joailliers  et  sur 
tout  comme  graveurs  en  pierres  fines.  Luigi  était  fils  de  Fran- 
cesco  et  avait  deux  frères,  CalUsto  et  Andréa,  qui  exercèrent  la 
même  profession  avec  moins  d'éclat. 

Dès  1502,  Francesco  Anichùw  était  en  pleine  possession  de  sa 
renommée;  en  1526,  il  était  déjà  mort.  Né  à  Ferrare,  il  y  passa 
la  plus  grande  partie  de  sa  vie;  mais  Venise  le  posséda  aussi 
quelque  temps.  Si  sacélél)rité  dure  encore,  il  le  doit,  non  à  ses 
gemmes,  maintenant  perdues  ou  inconnues,  mais  aux  louanges 
de  ses  contemporains,  de  Camillo  Leonardo,  de  Niccolo  Eihur- 
nio  et  du  médecin  Antonio  Musa  lîrasavola.  Dans  le  Spéculum 
lapidum  (1502),  Camillo  Leonardo  s'exprime  ainsi  :  «  Il  grave 
les  figures  avec  tant  de  précision  qu'on  ne  saurait  ni  rien 
ajouter,  ni  rien  ôter.  "  Niccolô  Liburnio,  auteur  des  Silvette 
(1513),  s'écrie  de  son  côté  :   >*   Heureux  celui   (jiii  cliercbe  à 

(1)  Vasari,  t.  \',  [).  385.  —  l'iAnuKrALDi,  Vite  iL'  pittori  c  iciiltori  fenarexi, 
t.  1,  p.  149.  —  CicocNAiiA,  Storiti  (If/la  scultura,  p.  418.  —  1..-N.  Ci  itadki.i.a, 
ISutizie  relative  a  Ferrara,  t.  II,  p.  237,  339-340. 


714  L'AllT    FERU  AH  Aïs. 

i mi  1er  les  {jemmes  et  les  vertus  d'Anichino,  contre  lesquelles 
le  temps  et  la  mort  ne  pourront  rien  »  ,  —  prédiction  qui  mal- 
heureusement ne  s'est  pas  vérifiée,  —  et  il  décrit  une  cornaline 
de  la  dimension  d'un  pétale  d'églantine,  où  l'on  voyait  Apollon 
en  berger  assis  à  l'ombre  d'un  laurier  et  jouant  de  la  lyre; 
l'épaule  gauche  du  dieu  portait  un  carquois  plein  de  flèches, 
et  son  arc  reposait  à  ses  pieds  ;  au  sommet  de  sa  lyre  se  trou- 
vait un  corbeau  rendu  avec  tant  de  naturel,  qu'au  premier 
abord  on  craignait  qu'il  ne  se  jetât  sur  vous  pour  vous  piquer. 
Enfin,  x\ntonio  Musa  Brasavola  a  consigné,  dans  son  Examen 
omnium  simplicium  medicamentornni ,  publié  en  1536,  son  en- 
thousiasme pour  la  perfection  d'une  luciole  dont  le  ventre 
lumineux  était  formé  par  une  veine  d'or  au  milieu  d'un  mor- 
ceau de  lapis-lazuli. 

Grâce  aux  découvertes  de  M.  A.  Bertolotti  dans  les  archives 
de  Mantoue  (1),  on  a  depuis  peu  quelques  détails  de  plus  sur 
Francesco  Anichino,  dont  le  nom  se  trouve  uni  à  celui  d'Isa- 
belle d'Esté,  marquise  de  Mantoue,  aussi  passionnée  pour  les 
arts  que  pour  les  lettres.  Messire  Georges  Brognolo,  ambassa- 
deur de  Mantoue  à  Venise ,  servit  d'intermédiaire  entre  la 
princesse  et  l'artiste.  Au  commencement  de  1492,  Brognolo 
fut  chargé  par  Isabelle  de  lui  procurer  deux  gemmes  d'Ani- 
chino,  et  il  écrivit  le  7  février  à  la  marquise  :  u  J'ai  enfin  les 
deux  intailles  ;  Nichino  vient  de  me  les  apporter.  Il  s'est  excusé 
de  son  retard,  causé,  dit-il,  par  une  indisposition  dont  témoigne 
encore  son  visage.  »  Si  les  objets  s'étaient  fait  attendre,  ils 
étaient  du  moins  très  réussis  et  satisfirent  pleinement  celle  qui 
les  reçut.  Elle  désira  alors  une  figure  en  relief  taillée  dans  une 
turquoise.  «  Je  ne  manquerai  pas,  lui  écrivit  Brognolo,  de 
presser  Anichino  pour  que  Votre  Excellence  soit  vite  servie.  Il 
est  vrai  que  c'est  un  homme  très  fantasque  et  capricieux  (2), 
et  il  est  nécessaire  de  le  tenir  de  la  main  droite,  ce  qne  je  ferai 
certainement.  "  L'ambassadeur  acheta  la  turquoise,  qu'il  paya 

(1)  Le   arti   minori  alla   corle   di  Mantova,  dans  V Arcliivio  slorico  loDilniido, 
année  XV,  fasc.  II,  30  juin  1888,  p.  281-281. 

(2)  Il  Homo  inolto  faiitastico  et  de  suo  cervello.  " 


LIVRE   TROISIEME.  715 

vin,<Tt-cinq  ducats,  et  la  remit  à  l'artiste,  qui  proposa  d'y  tailler 
uue  tète  d'enfant  et  promit  d'exécuter  le  travail  en  vingt  jours. 
Le  3  mai  1496,  le  précieux  objet  fut  expédié  à  Mantoue.  Ani- 
cliino,  qui  demandait  sept  ducats,  n'en  obtint  que  cinq;  mais 
en  même  temps  on  lui  commanda  de  tailler  des  rubis  et  d'autres 
pierres.  Deux  d'entre  elles  furent  acbevées  au  mois  de  juillet. 
En  1493  et  en  149i,  on  ne  trouve  aucune  trace  de  rapports 
entre  Anichino  et  Isabelle  d'Esté.  Au  mois  de  février  1  495,  il 
est  de  nouveau  question  d'une  turquoise  à  tailler,  et  Anichino 
s'enpage  à  laisser  tout  de  côté  pour  s'en  occuper.   Le  8  fé- 
vrier 1  i96,  la  marquise  s'informe  d'une  Victoire  que  l'artiste 
devait  sculpter  dans  une  turquoise,  et  le  17   avril  elle  lui  fait 
remettre  dix  ducats,  en  lui  demandant  une  autre  pierre  où  il 
représenterait,  à  son  choix,  quelque  sujet  antique,  et  en  le  pro- 
clamant a  le  meilleur  maître  de  l'Italie  "  .  Enfin,  au  mois  de 
juin  1497,  elle  écrit  à  Brognolo  :  ^  Nous  vous  envoyons  ci-inclus 
un  modèle  pour  notre  devise,  et  nous  tenons  à  ce  que  vous  or- 
donniez vous-même  à  Francesco   de  Nichino   d'en   faire  une 
semblable.  " 

Luigi A7iichùio  étdiit  'jeune  encore  en  1537,  mais  on  ignore  la 
date  de  sa  naissance  et  celle  de  sa  mort.  Selon  Vasari,  il  laissa 
loin  derrière  lui  Domenico  Valerio,  Marmita,  Giovanni  da  Cas- 
tel  Bolopnese,  dont  les  intailles  étaient  fort  recherchées,  et  ne 
fut  surpassé  que  par  Alessandro  Gesati.  Ses  longs  séjours  à 
Venise,  où  il  se  lia  avec  Titien  et  Sansovino,  s'expliquent  par 
les  relations  qu'y  avait  nouées  son  père,  conmie  par  les  rap- 
ports journaliers  qui  avaient  lieu  entre  Ferrare  et  la  ville  des 
lagunes. 

A  Ferrare,  on  n'ignorait  pas  le  prix  de  ses  ouvrages.  Une 
lettre  écrite  par  lui  le  13  septembre  1559  au  duc  Hercule  II  (1) 
nous  apprend  que  ce  prince  sollicita  la  venue  du  célèbre  ar- 
tiste dans  sa  capitale,  afin  de  lui  faire  exécuter  certains  objets 
sous  ses  yeux.  Grand  était  l'embarras  de  Lnigi  Anicbino,  qui 
désirait  complaire  au  souverain  et  qui  craignait  de  iiK'coulon- 

(1)  M.  VEtSTUni  a  pul)Iic  celte  leltrc  i1;uiï  VAnliii'lo  slorico  dell'  artc  (iii;irs- 
aviil  1889),  p.  160. 


716  L'AllT    FEURAllAIS. 

ter  la  Sérénlssiine  République,  pour  laquelle  il  devait  tailler 
(les  pierres  précieuses  destinées  à  rornementatioii  des  cou- 
ronnes de  Chypre  et  de  Candie.  Il  implora  un  délai,  et  la  mort 
d'Hercule  II,  le  ;î  octobre  1559,  mit  fin  à  ses  perplexités. 

Parmi  ses  admirateurs,  l'Arétin  ne  fut  pas  le  moins  enthou- 
siaste (1).  En  lui  écrivant,  celui-ci  le  traite  d'  "  anmtissimo 
fratello  "  .  Dans  une  lettre  du  30  décembre  15  40,  il  mentionne 
un  Ganymède  en  lapis-lazuli.  Une  autre  fois  (avril  15  48),  il 
exalte  la  délicatesse  des  pierres  gravées  de  son  ami ,  u  déli- 
catesse qui  défie  la  vue  la  plus  perçante  "  ,  et  il  parle  d'instru- 
ments aux  pointes  invisibles,  qu'avait  inventés  l'artiste  ferra- 
rais  pour  travailler  les  gemmes,  l'or  et  les  cristaux.  Aucune 
œuvre  de  Luigi  Anichino  n'est  inscrite  sur  les  catalogues  des 
collections  publiques  et  privées.  On  ne  sait  ce  qu'est  devenu 
le  Ganymède  vanté  par  l'Arétin,  et  l'on  a  aussi  perdu  la  trace 
d'un  Apollon  nu,  tendant  son  arc,  pièce  qui,  d'après  l'Ano- 
nyme de  Morelli,  se  trouvait  en  1543  entre  les  mains  des 
Contarini. 

Luigi  Anichino  fut-il  non  seulement  graveur  en  pierres  dures, 
mais  médailleur,  ainsi  que  l'ont  prétendu  quelques  écrivains? 
Selon  M.  Gaetano  Milanesi ,  il  serait  peut-être  l'auteur  des 
pièces  signées  L  N  F,  lettres  qui  signifieraient  :  "  Ludovicus 
Nichinus  fecit.  »  En  lui  attribuant  les  médailles  du  pape 
Paul  III  et  du  roi  de  France  Henri  II,  on  l'a  confondu  avec 
Alessandro  Cesati,  dit  II  Greco  ou  II  Grcclietto,  qui  exécuta  en 
effet  plusieurs  médailles  de  Paul  III  et  grava  dans  une  corna- 
line le  portrait  de  Henri  II. 

(1)  Luigi  Anichino  fit  pour  l'Arclin  un  sceau  avec  une  tèlc  de  Méduse, 
emblème  dif^ne  de  l'écrivain  dont  les  écrits  portaient  en  eux  le  venin  des  ser- 
pents. (Venturi,  article  dans  VArchivio  storico  delV  urte,  mars-avril  1889.) 


FIN    DU     TOME     PREMIER. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


LIVRE    PREMIER 

CHAPITRE    PREMIER 
LES  pni>'CES  d'esté  et  leur  influence  sur  le  développement 

DE    LA    CIVILISATIOX    A    FERRARE. 

I.   —  Vicissitudes  de  Ferrare  depuis  la   seconde    moitié    du    huilième 

siècle  jusqu'en  1185 2 

II.   —  Les  coiiinienceiiients  de  la  domination  des  princes  d'Esté  à  Fer- 
rare   (1185-1361) 4 

III.  —  Nicolas  II  le  Boiteux.  (Né  en  1338,  il  régna  do   1301  à  1388.).  .  10 

IV.  _   Albert  d'Esté.  (Né  en  13'».7,  il  réj^na  de   1388  à  1393.) 13 

Y.   _  Nicolas  III.  (Né  le  9  novembre  1383,  il  rq;na  de  1393  à  1441.) .  16 

VI.  —  Lionel.  (Né  le  21  septembre  1407,  il  régna  de  1441  à  1450.).  .  .  34 

VII.  _  Borso.  (Né  le  24  août  1413,  il  régna  de  1450  à  1471. ^ 47 

VIII.  —  Hercule  I".  (Né  le  24  octobre  1431,  il  régna  de  1471  à  1505.).  .  69 

IX.  —   Alphonse  I".  (Né  le  21  juillet  1476,  il  régna  de  1505  à  1534.).  .  121 

X.  —   Hercule  II.   (Né  le  4  avril  1508,  il  régna  de  1534  à  1559.) 176 

XI.  —   Alphonse  II.  (Né  le  22  novembre  1533,  il  régna  de  1559  à  1597.)  203 

CHAPITRE   DEUXIÈME 

DÉTAILS    SUR    LES    SAISTS    LE    PLUS    SOUVENT    REPRESENTES 
PAR    LES    ARTISTES    FERRARAIS. 

I.   —   Saint  Georges 233 

II.    —   Saint  Maurclius -*-' 

III.  —   Saint  Bernardin  de  Sienne -^-^ 

IV.  —  Giovanni  Tavelli  da  Tossignano -«^1 

V.   —   Sainte  Catherine  de'  Vegri.  Saint  Charles  Borroinéc 262 


LIVRE    DEUXIÈME 

G  H  A  P  I  T  l\  E  1'  R  !•:  .M  I  E  il 

LES    PUINCIPAI'X    ARCIIITKCTKS    nCCUPÉS    A    FERliARK    SOUS    LES    IMIINCKS    d'eSTE. 

I.    —  Bartolomeo  ou  Bai  t(jlino  da  .Novara 2oO 

II  /T  le-  269 

II.    —   Giovanni  «la  Sieiia 


718  TARI.E   DES    MATIERES. 

III.  —    l'ictro  Hcnvcnuli,  surnuiiiiiié  Pietro  dagli  Ordini 271 

IV.  —    liia{;lo  ]{ossolli 272 

V.   —  Ercale   Grandi 275 

VI.   —  Gasparo  Ruina  ou  Gasparo  da  Gorte 276 

VII.   —  Jacopo    Mdcghini 276 

VIII.   —  Terzo  de'  Terzi 277 

IX.   —  Galasso  Alghisl 277 

X.   —   PiiTO  Lijjorio 278 

XI.   —   Alcotti  d'Arjjenta 278 

XII.   —  Alberto  Schiatti 279 


CHAPITRE   DEUXIEME 

LES    ÉGLISES    ET    l'eIOPITAL    DE     SAINTE-ANNE. 

La  cathédrale 280 

Saint-ilntoine,  abbé  in  Polesine 306 

San  Roniano 310 

Saint-André 310 

Santa  Maria  in  Vado 312 

Saint-Julien ; 316 

Saint-François 317 

Sainte-Marie  de  la  Consolation 326 

Saint-Benoit 330 

Efjlise  des  Chartreux,  dédiée  à  saint  Christophe 333 

Efjlise  et  monastère  du  Coipux  Doinini 336 

Sainte-Monique 337 

Saint -Jean-Baptiste 338 

Madonna  délia  Porta  di  Sotto   ou  la  Madonnina 338 

Saint-Paul 339 

San  Spirito 341 

San  Maurelio  ou  Nouvelle  Ejjlise 342 

Saint-Dominique 343 

Saint-Georges  hors  de  la  Porta  Roinana 346 

Eglise  del   Gesu 347 

Sainte-Barbe 349 

Sainte-Claire 350 

Saint-Charles 350 

Santa  Maria  délia  Rosa 351 

Saint-Jérôme 352 

Saint- Apollinaire  ou  église  de  la  Confrérie  de  la  Mort 352 

L'hôpital  de  Sainte-Anne  et  la  prétendue  prison  du  Tasse 353 

CHAPITRE    TROISIÈME 
les    palais. 

1.  —  Palais  a  Fer  rare 

Palais  délia  Bagionc  ou  Palais  de  justice 355 

Le  palais  nuinicipal,  aiiiicn  palais  dos  jîrinces  d'Esté 357 

l'alais  Caloagnini-Beltranie,  construit  pour  xVntonio  Costabili 302 

Palais  Magnanini  ou  Casino  dci  negoiiianti,  appelé  aussi  palais  Roverella  et 

palais    Aventi 366 


TABLE   DES    MATIEHES.  719 

Palais  du  Paradis  ou  palais  de  l'Université 367 

Palais    Roinei 370 

l'alais  Pareschi  ou  Gavassini 371 

Palais  des  Diamants 374 

Palais  Castelli  ou  palais  des  Lions,  appelé  ensuite    palais   Giraldi,    palais 

Sacrati  et  aujourd'hui  palais  Prosperi 377 

Palais  Onofrio-Bevilaçqua,  palais  di  lîa{;ii<>,  palais  .Mosti 382 

Palais    Bentivoglio 383 

Palais   Strozzi 383 

Palais  Bcvllac(jua-Ariosti  et  palais  entourant  la  place  de  l'Arioste 384 

Maison  de  l'Arioste 386 

Palais  Crispi 388 

Palais  du  Séminaire 389 

Palais  Grema  (autrefois   Muzzarelli) 31)2 

La  Palazzina 392 

Palais  Gostabili-Containi 393 

Palais  archiépiscopal 394 

Palais  Toloniei  dall'   Assassino 39* 

Palais  (^ontrarii t>'f'>i 

Palais  ISeroni  Diotisalvi 395 

Palais  Fiaschi 396 

Palais  Ungarelli 396 

Palais   Guarini 397 

Palais  Pendaglia 397 

Palais  Pio  di  Savoia 397 

Palais  Postaccia 398 

Palais  Zavaglia 3J8 

Palais  Roiierto  da  Tripoli 398 

Palais  Avoli  Trotti 399 

Palais  Agnelli 399 

Le  palais  des  princes  d'Esté  [Castcllo  ou  Castel-Vecchio) 399 

Palais  de  Schifanoia 419 

II.  —  Les  palais  de  plaisance  des  princes  de  Feruare. 

Palais  de  Belfiore ■^68 

Palais  de  Belriguardo ^i-' 7 

Palais  du  Belvédère ■^■'^•^ 

Palais  du  Gopparo •*86 

Palais  délia  Mesola '«^^7 

III.  —  Le  palais  des  princes  d'Esté  a  Vemse 489 


LIVRE    TROISIEME 

CIIA  PITRE   PREMIER 


LA   scclptire  a   ferrare 


503 

Gll  A  l'ITP.E    DEUXIÈME 


LA    SCULPTIIRE    EN    ROIS    ET    LA    MAltOUEl 


555 


720  TABLE    DES    MATIERES. 

CHAPITRE   TROISIÈME 

t'onFÈVREHIE 565 

CHAPITRE    QUATRIÈME 

LES  MÉDAILLES  EXÉgUTÉES  A  FERRARE  PAR  DES  ARTISTES  FERRARAIS 
OU  REPRÉSENTANT  DES  PERSONNAGES  DE  FERRARE. 

I.   —  Vittore  Pisano,  dit  le  Pisanello 583 

II.  —  Niccolô 592 

III.  —  Amadio  da  Milano 593 

IV.  —  Matleo  de'   Pasti 595 

V.   —   Antonio  Marescotti 601 

VI.   —  Lixignolo  (Jacopo) 608 

VII.  —   Petrccini,  de  Florence 609 

VIII.   —  Boldu  (Giovanni; 611 

IX.   —  Lodovico  da  Foligno 613 

X.   —  Baldassare  d'Esté 614 

XI.   —  Coradini 616 

XII.   —  Sperandio    di    Bartolonuneo    de'    Savclli,    dit    Sperandio    de 

Mantoue 618 

XIII.  —  Costanzo 651 

XIV.  —  Gian  Cristoforo  Roinano 651 

XV.   —   Foppa  (Cristofano),  dit  le  Caradosso 054- 

XVI.   —  Niccolô   Fiorcntino 655 

XVII.   —  Le  Médailleur  à  l'Espérance 658 

XVIII.   —  Le  Médailleur  à  l' Amour  captif 658 

XIX.   —  Teperelli  (Francesco  Mario) 660 

XX,  —  Giannantonio  ou  Giovan  Antonio  da  Foligno 661 

XXI.   —   Alfonso  Cittadella  de  Fcrrare,  dit  Alfonso  Loud)ardi 670 

XXII.   —   Cavallerino   (Niccolô) 670 

XXIII.  —  Benvenuto  Cellini 671 

XXIV.  —  Luigi  Nichino  ou  Anicliino,  ou  le  Médailleur  L.  N.  F 672 

XXV.   —   Pastorino  di  Giovan  Michèle  de'  Pastorini 672 

XXVI.  —  Leone  Leoni 690 

XXVII.   —   Pallante  (Simone) 691 

XXVIII.   —  Cambi  (Andréa),  dit  le  Bombarda 692 

XXIX.  —  Ruspa{;iari  (Alfonso) 694 

XXX.  —   Bnnzagna  (Gianfederico),  dit  Federico  Parmenso 695 

XXXI.  —   Poggini  (Domenico) 695 

XXXII.   —  Médailles  exécutées  par  des  auteurs  inconnus 698 


LA    GLYPTIQUE. 

I.   —  Giovanni  Bernardi  da   Castcl  Bolognese 71â 

II.   —  Les  Anidiini 713 


PARIS.     TYPOGRAPHIE    DE    E.    PLON  ,    NOURRIT    ET     C'«,     8,     RUE     GARANCIÈRE.    1604. 


ERRATA  DU  TOME  PREMIER 


Page  18,  ligne  8.  Au  lieu  de  Terzy^  lisez  Teizi. 

P.  33,  1.  10.  Au  lieu  à' Aldbrandino,  lisez  Aldobrandino. 

P.  55,  1.  7.  Au  lieu  de  Pierre,  lisez  Pietro. 

P.  85,  1.  27.  Au  lieu  de  son  frère  Alphonse,  lisez  ^ojj  /îè/e  Alphonse  II. 

P.  117.  Le  renvoi  1  devrait  être  placé,  non  à  la  ligne  5  après  Errole  Grandi, 
mais  à  la  ligne  2  après  Ercole  Boberti. 

P.  130,  1.  21  et  22,  et  p.  131,  1.  7.  Au  lieu  d'Alphonse  d'Aragon,  lisez  Ferdi- 
nand III  '^Ferdinand  V  le  Catholique). 

P.  225,  1.  28.  Au  lieu  de  Côme  ///lisez  Côme  I". 

P.  227,  1.  25.  Au  lieu  d'Alghisi,  lisez  Alghisii. 

P.  345,  note  1,  1.  3.  Au  lieu  de  321,  lisez  331. 

P.  366.  La  note  2  doit  être  lue  ainsi  :  Il  existe  dans  la  via  di  Spazzarusco  un 
autre  palais  Aventi,  élevé  sur  l'ordre,  etc. 

P.  455,  1.  28.  Au  lieu  de  Mantagna,  lisez  Mantegna. 

P.  469,  1.  23.  Au  lieu  de  Giovani  de  Alemagna,  lisez  Giovanni  di  Alemagna. 

P.  484,  1.  30.  Au  lieu  de  Giulo,  lisez  Giulio. 

P.  492,  1.  31.  Au  lieu  de  Jean  IV  Paleologue,  lisez  Jean  VII  Pale'ologue. 

P.  515,  1.  10.  Au  lieu  à'archevèque,  lisez  évèque.  L'évêché  de  Ferrare  ne  fut 
transformé  en  archevêché  que  le  27  juillet  1735.  [^Voir  Frizzi,  t.  V,  p.  190.) 

P.  531,  1.  1.  Au  lieu  de  sorino^  lisez  sovino. 

P.  622,  1.  19.  Au  lieu  de  Barolonvneo,  Visez  Bailolom m eo 

P.  628,  1.  27.  Au  lieu  d'Hercule  II,  lisez  Hercule  I". 

P.  657,  1.  29.  Au  lieu  de  Foliguo,  lisez  Foligno. 

P    680,  note  4.  Au  lieu  d'Umberto,  lisez  Umberto  Possi. 


4« 


^^ 


PARIS 
TYPOGRAPHIE    DE    E.    PLON,     NOURRIT    ET    c' 

Rue  Garancière,  H 


J  ^'y. 


\ 


I 


b»^K 


PLEASE  DO  NOT  REMOVE 
CARDS  OR  SLIPS  FROM  THIS  POCKET 


UNIVERSITY  OF  TORONTO  LIBRARY 


I, 
I  \ 

1