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L'ART POÉTIQUE
DE
VAUQUELIN
DE LÀ FRESNÀYE
Imp. de la Soc. de Typ. - Noizette, 8, r. Campagne-Première. Pari».
L'ART POÉTIQUE
VAUQUELIN
DE LÀ FRESNAYE
ou l'on peut remarquer la perfection
ET LE DÉFAUT
DES ANCIENNES ET DES MODERNES POÉSIES
TEXTE CONFORME A L'ÉDITION DE 1605
fcèf\
-AVEC UNE NOTICE, UN COMMENTAIRE
UNE ÉTUDE SUR L'USAGE STNTACTIQUE, LA MÉTRIQUE ET L'ORTHOGRAPHE
ET UN* GLOSSAIRE
GEORGES PELLISSIER
Docteur es lettres, Professeur de rhétorique au lycée de Nancy.
m
PARIS
GARNIER FRÈRES, LIBRAIRES-ÉDITEURS
6, RUE DES SAINTS-PÈRES, 6
1885
768168
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VSSA7
PRÉFACE
L'Art poétique de Vauquelin de la Fresnaye, puplié
pour la première fois en 1605, a été réédité depuis par
M. Achille Genty (Paris, Poulet-Malassis, 1862), et par
M. Julien Travers (Caen, Le Blanc-Hardel, 1869, t. Ier des
OEuvres complètes de Vauquelin).
Nous en dcnnons une édition nouvelle, d'après le texte
de 1605, auquel nous ne nous sommes permis de faire
subir aucun changement : c'est la première fois qu'il est
fidèlement reproduit.
Cette édition est précédée d'une notice étendue ; elle
est accompagnée d'un commentaire, pour lequel nous
avons emprunté à M. Julien Travers quelques renseigne-
ments d'histoire ou de géographie locales ; elle est suivie
d'une étude sur l'usage syntaxique, l'orthographe et la
métrique de l'Art poétique.
Un glossaire renferme enfin, avec leur explication
tous les mots tombés en désuétude ou devenus rares, et
tous ceux dont îe sens s'est modifié.
///
PREMIERE PARTIE
LES ARTS POÉTIQUES ANTERIEURS A YAUQUELIN
Aucune époque ne nous a laissé un plus grand nombre
d'Arts poétiques que le xvie siècle ; c'est que, dans aucune
autre, notre poésie n'a éprouvé plus de vicissitudes. Le
xvie siècle, c'est à la fois la fin du moyen âge et le com-
mencement de l'âge classique : il s'ouvre en pleine déca-
dence, il s'achève en pieine Renaissance. Vauquelin de la
Fresnaye, dont nous réimprimons la poétique, entreprit
son œuvre capitale au moment où l'école de Ronsard avait
atteint l'apogée de sa gloire en renouvelant la langue, la
versification, les genres, la poésie elle-même, non pas
seulement dans sa forme extérieure, mais jusque dans
son essence. Cependant, on s'exposerait à ne pas juste-
ment apprécier la régénération poétique dont ce poème
consacre l'accomplissement, si l'on n'en recherchait les
origines les plus lointaines et comme les premiers symp-
tômes en remontant jusqu'à ces années de barbarie
érudite et de sénilité enfantine que marquent les noms
de Crétin, de Molinet et de Meschinot. L'histoire de notre
poésie au xvie siècle paraît tout d'abord se t diviser en
deux périodes d'égale étendue, dont l'une se rattache au
moyen âge, tandis que l'autre est signalée par une rup-
ture éclatante et imprévue avec toute tradition domes-
tique. Mais, sans contester que, si l'on veut assigner une
— IV —
date précise à la renaissance poétique, celle de la Défense
et illustration, publiée par J. du Bellay en 1550, ne se
présente comme forcément à la pensée, il n'en est pas
moins vrai que nous voyons apparaître de longues an-
nées auparavant les premiers indices du nouvel esprit j
qui transformera bientôt notre poésie- Ronsard hâta le
mouvement, il ne le créa point. Le xvie siècle s'étend
depuis Crétin jusqu'à Malherbe, mais nulle part il n'y a I
comme une solution de continuité; tout se tient et s'en- i
chaîne : de Fabri à Sibilet, de Sibilet à Pelletier, de Pelle- ;
tier à Vauquelin, nous trouvons suite naturelle et progrès j
incessant. C'est ce qui nous impose la tâche de jeter d'à- \
bord un rapide coup d'œil sur les Arts poétiques anté-
rieurs à celui que nous publions. Fabri nous fera con-
naître l'état de la poésie en un temps où la réforme
littéraire porte seulement sur le vocabulaire et sur la
syntaxe, que les mots et les constructions antiques, res-
taurés par les écumeurs de latin, viennent quelquefois
enrichir, et plus souvent hérisser de barbarismes pédan-
tesques ; Sibilet, disciple de Marot, nous montrera com-
ment l'école dont il relève, tout en restant fidèle aux tradi-
tions gauloises, sait déjà puiser une inspiration nouvelle
aux sources antiques ; Pelletier, disciple de Ronsard, nous
représentera enfin cet âge héroïque de la Pléiade, qui,
dès lors victorieuse et sûre de l'avenir, parcourt triom-
phalement la vaste carrière dont elle aperçoit déjà le
terme, mais sans y avoir encore touché.
CHAPITRE PREMIER
LES ARTS POÉTIQUES DE FABRI ET DE GRACIEN DU PONT
Dans la première partie du xvie siècle, la poésie fran-
çaise se rattache encore au moyen âge ; mais le moyen
âge lui-même comprend deux périodes qu'il est néces-
saire de distinguer: la plus ancienne avait été signalée
par la grandeur héroïque des chansons de gestes, la vi-
vacité et l'éclat du lyrisme provençal, la verve maligne
et railleuse des fabliaux ; aussi, bien que les poèmes de
cette époque ne puissent être comparés aux chefs-d'œuvre
de la Grèce et de Rome, on peut croire que, s'ils n'étaient
pas d'assez bonne heure tombés dans l'oubli, les pro-
moteurs de la Renaissance n'auraient jamais professé un
tel mépris pour le génie gaulois, et que leur admiration
si légitime des anciens eût été tempérée par le sentiment
plus ou moins vif d'une poésie vraiment indigène. Mais,
au commencement du xvie siècle, on ne se souvient pas
de nos vieux poètes : les chansons de gestes, que nul ne
cornait plus, ont été remplacées par d'insipides romans
d'aventures ; à ces brillantes productions du génie lyrique
qui avaient jeté tant d'éclat sur nos deux langues, ont
succédé je ne sais quels jeux de prestidigitation, indignes
de la poésie : quant à la veine populaire de l'esprit gau-
lois, elle n'est point tarie sans doute ; mais comment
trouver en elle de quoi soutenir et alimenter l'inspira-
tion du vrai poète? Aussi ne faut-il pas s'étonner que les
réformateurs du xvie siècle, comparant avec la perfection
de l'antiquité grecque et latine cette décadence du génie
national, dont ils ne soupçonnaient même pas l'ancienne
fécondité, répudient avec dédain toute tradition dômes-
— VI —
tique pour chercher en Grèce et. à Rome des guides et
des modèles
Ce qu'était notre poésie dans les premières années du
xvif siècle, nous pouvons nous en faire une idée exacte par
•la Poétique que Fabri publia en 1521 (1). Les classiques de
Fabri sont Meschinot, Crétin et Molinet ; on les considé-
rait alors comme de grands poètes : tout leur mérite con-
siste à éblouir le lecteur par des artifices puérils et raf-
finés ; ils croient avoir fait merveille quand ils ont donné
à leurs pièces la forme d'un triangle ou d'une fourche ;
ils s'évertuent à chercher les combinaisons de rimes les
plus extravagantes et jouent avec les mots comme un
jongleur avec ses billes.
Élevé à leur école, Fabri ne voit dans la poésie qu'un
placage de syllabes, d'autant plus méritoire qu'il est plus
compliqué. Nous laisserons de côté la première partie de
son traité, consacrée tout entière à la rhétorique ; jusque
dans la seconde, l'orateur et le grammairien occupent
d'ailleurs une large place, et l'amphibologie, l'apocope,
le pléonasme, le tautologie y hérissent leurs noms pédan-
tesques. Quant à la poétique elle-même, elle consiste uni-
quement en formules et en recettes. Fabri commence par
définir le vers ; il distingue la rime masculine de la rime
féminine, et expose les règles de la césure, telles qu'onles
observait de son temps, avant que Jean le Maire de Bel-
ges eût donné l'exemple de ne pas terminer le premier
hémistiche par un e muet sans l'élider. Il décrit ensuite
les divers genres que cultivent les versificateurs con-
temporains et auxquels notre poésie est alors réduite (2).
1. Grant et vray art de pleine rhétorique compilé et composé
par très expert, scientifique et vray orateur Pierre Fabri, en son vi-
vant curé de Meray.
2. Lay, virelay, rondeau, chapellet, palinode, épilogue, refrain
branlant, ballade, chant royal, servantois.
— A'II —
Parmi les formes de vers qu'avaient pratiquées nos an-
ciens poètes, quelques-unes sont tombées en désuétude :
l'alexandrin, qui avait fait si grande figure dans nos chan-
sons de gestes, est appelé par Fabri une « antique ma-
nière de rithmer » ; les rimeurs du temps sont aussi in-
capables de manier le vers héroïque que de restaurer
nos vieilles épopées, tombées depuis deux siècles dans
un mortel oubli. Quant aux genres que la génération
suivante empruntera à l'Italie contemporaine et à l'anti-
quité, il n'en est point encore question, et l'auteur de
l'Art poétique, en 1521, les ignore complètement. Ainsi la
poésie française laisse périr les monuments de son an-
cienne gloire, et, oublieuse du passé, elle n'a encore
aucun pressentiment d'une rénovation prochaine : elle
se passionne pour d'épineuses vétilles et s'embarrasse à
plaisir dans les rets d'une versification ardue et puérile
où le sentiment et la pensée n'ont plus rien à voir.
Fabri consacre la plus grande partie de sa Poétique à
ces jeux de mots où se complaît la Muse des Crétin et
des Molinet. « La plus noble et excellente rithme,
affirme-t-il, se faict de termes équivoques »; et il part
de là pour définir la rime entrelacée, la rime annexée, la
rime rétrograde, etc. Ces tours de force où singé nient les
poètes du temps, Fabri en donne la formule avec une
gravité pédantesque, et c'est à peu près toute la matière
de son ouvrage. Il le termine même en indiquant cer-
taines figures de versification qui font du poète un peu
moins encore qu'un arrangeur de syllabes : le parono-
meon, par exemple, consiste à n'employer dans un vers
que des mots dont la lettre initiale est la même.
Le traité de Fabri, dont l'analyse qui précède, si brève
qu'elle soit, suffit à donner une exacte idée, nous fait
connaître l'état de la poésie française avant toute renais-
— VIII —
sance.« Dans les poésies de Crétin, dit Pasquier (I), j'ai
trouvé prou de rime et équivoque, les lisant, mais peu
de raison. » Ces paroles peuvent s'appliquer à tous les
poètes contemporains. Si le sens fait le plus souvent dé-
faut à leurs vers, leur imagination même est frappée de
stérilité. Au sommet du Parnasse, sur le bord des sources
sacrées, s'est établie jene sais quelle officine d'une versifi-
cation laborieuse et vaine, d'où s'est vu bannir tout ce
qu'il peut y avoir de libre et de généreux dans la poésie.
C'est sous le nom de rimeurs que Fabri désigne encore les
poètes; il convient admirablement à ces bateleurs de la
rime dont tout l'art consiste dans une pure marqueterie.
La poésie française se dégagera bientôt de ces arguties.
Pourtant l'Art poétique que Gracien du Pont publia en
1539 ne nous laisse encore pressentir aucun symptôme
de réforme. Gracien était né à Toulouse et avait passé
toute sa vie en province (2) ; c'est ce qui explique com-
ment son ouvrage, malgré la date qu'il porte, se rattache
à l'école de Crétin et de Molinet plutôt qu'à celle de la
génération suivante. Bien plus, l'auteur renchérit encore
sur Fabri ; il le repiend d'attacher tant de prix à la rime
léonime simple et atteste qu' « il y a mainctz aultres termes
et rithmes plus nobles, difficiles et supérieures, comme
coronees, retrogradees, etc. » Pour lui, toute rithme est
d'autant plus belle qu'elle impose plus de gêne. Il recom-
mande un certain nombre de formes que son devancier
lui-même avait omises, les rimes concatenées, fratri-
sées, emperières, réciproques. En un mot, son Art poé-
tique ne fait guère que reproduire celui de Fabri, mais
non pas sans raffiner encore sur tant de raffinements.
On a souvent reproché à Ronsard d'avoir dédaigneu-
1. Rech. de la France, liv. VII, chap. xn.
2. Goujet, Bibl. fr., t. XI, p. 184, sqq.
— IX —
sèment répudié toutes les anciennes traditions : le ta-
bleau de la poésie française que nous offrent les ouvrages
de Fabri et de Gracien du Pont montre assez quelle est
l'excuse des novateurs classiques. On peut blâmer ou
railler l'audace parfois malheureuse de la Pléiade : si
notre poésie était demeurée jusqu'au milieu du xvie siècle
dans un tel état de stérilité, comment Ronsard et ses dis-
ciples n'auraient-ils pas commencé par en faire table
rase ?
Il est vrai, comme nous allons le voir, qu'elle se déve-*
loppera peu à peu, jusqu'à leur avènement. Déjà l'on
peut découvrir quelque indice d'un futur progrès entre
Fabri et Gracien. Ce dernier repousse toute nouveauté et
s'indigne que « des poètes mesprisent les dicts baulx
styles et termes graves comme equivocques, coronez, etc.,
disantz estre chose fort contrainte » ; mais, de telles
plaintes nous le montrent elles-mêmes, ces poètes
commencent à se sentir gênés dans les formules de l'é-
cole qui reconnaît pour chefs les Crétin etlesMeschinot;
et, quoique Gracien les appelle de « grossiers compo-
seurs », il ne peut empêcher un réveil qui, dix ans plus
tard, méritera le nom de Renaissance.
CHAPITRE II
L'A.RT POÉTIQUE DE THOMAS SIBILET ET LE QU1NTIL
CENSEUR DE CHARLES FONTAINE
Quelques années après que Gracien du Pont avait pu-
blié sa Poétique, Th. Sibilet en compose une qui témoigne
d'un progrès sensible : l'imitation des Grecs et des Ro-
mains ouvre déjà à notre poésie comme de nouvelles
sources. Fabri lui-même, il est vrai, et les poètes ses con-
1.
temporains n'étaient pas sans connaître l'antiquité ; mais
à cette époque, on ne tirait profit des anciens que pour
les écumer, c'est-à-dire pour leur emprunter des vocables
pédantesques et bigarrer la langue de barbarismes
savants. Au contraire, du temps de Sibilet, c'est une ré-
novation féconde qui commence : la sève toujours vivace
de l'antiquité grecque et latine va ranimer le tronc des-
séché de notre poésie.
Sans doute, dès les premières années du xvp siècle,
'quelques rares écrivains, par des œuvres plus vivantes,
semblaient annoncer déjà une ère nouvelle. Le plus cé-
lèbre d'entre eux, Jean le Maire de Belges, marque la
transition entre l'école de Fabri et celle de Sibilet ; dis-
ciple de Molinet et de Crétin, il est aussi le maître de
Marot, qui le compare à Homère (1). Mais, quelle qu'ait
été l'influence de ce poète, auquel Ronsard lui-même
dut beaucoup (2), c'est à une génération postérieure que
se rapporte directement l'Art poétique de Sibilet : les re-
présentants les plus connus en sont Héroët, Boucbet,
Scève, Théod. de Bèze, Pontus de Thiard, Pasquier.
La plupart ont vécu depuis les premières années du
xvie siècle jusqu'au triomphe de la Pléiade, et presque
tous, après avoir dans leur jeune âge imité Molinet et
Crétin, ont fini, dans leur vieillesse, par seconder l'œuvre
de Ronsard. Nous rencontrons chez eux toutes les com-
binaisons de rimes et tous les jeux de mots que Fabri
recommande avec tant de complaisance ; mais ces stériles
billevesées ne forment au moins qu'une partie de leur
œuvre ; ils ont déjà une idée plus haute et plus noble de
la poésie, et l'on peut, à bien des égards, les considérer
1. Jean Lemaire, Belgeois
Qui eust l'esprit d'Homère le Grégeois.
2. Cf. du Bellay, Défense. — Pasquier, Rech. de la Fr, VII, 1.
— XI —
comme les précurseurs de RoDsard. Scève,Bèze, Pelletier
reçoivent ce nom même d'Etienne Pasquier (1) ; il dit que
Pelletier avait voulu revêtir notre poésie de nouvelles
couleurs et que sa tentative fut couronnée de succès ;
que Scève fut le premier à ouvrir une carrière nouvelle
et à tenter des voies inconnues. C'est au même Scève
que du Bellay écrira bientôt ces vers :
Gentil esprit, ornement de la France,
Qui d'Apollon sainctement inspiré,
Tes le premier du peuple retiré
Loin du chemin tracé par ignorance.
Pontus de Thiard, qu'on a coutume de compter parmi
les poètes de la Pléiade, avait déjà cherché, dès sa jeu-
nesse, à renouveler la poésie. « J'ay mis peine, disait-il(2),
d'embellir et hausser le stile de mes vers plus que n'estoit
celuy des rimeurs qui m'avoient précédé. >> En un mot,
tous les poètes dont nous avons rappelé les noms pres-
sentaient la renaissance de notre poésie et même la
préparaient ; aussi Ronsard et ses disciples, si dédaigneux
en général de leurs devanciers, les citent-ils souvent
avec honneur comme leur ayant frayé la route.
Ce sont là les maîtres de Sibilet ; mais, parmi tous
ceux qu'il propose comme modèles, nous en trouvons
un qui mérite une place à part, Clément Marot. Malgré ce
qu'il a de commun avec ses contemporains, Marot se
distingue d'eux par le tour de son esprit tout gaulois ;
ses qualités et ses défauts eux-mêmes lui font une phy-
sionomie particulière. Tandis que les autres poètes far-
cissent leurs moindres œuvres d'une érudition lourde et
indigeste, il reste au contraire fidèle à la tradition do-
mestique, et, quoique formé à l'art des vers par J. le Maire
1. Rech. de la Fr., VII, 7.
2. Préface des Erreurs amoureuses.
— XII —
et Scève, il n'a jamais renié Rutebeuf et "Villon. On peut
voir aisément ce qu'il doit à la culture latine ; sans
compter Valère et Orose (1), il connaissait Ovide, Mar-
tial, Pétrone ; il traduisit même, avec deux livres des
étamorphoses, la première églogue de Virgile et le
chant nuptial de Catulle en l'honneur de Thétis et de Pe-
lée. Mais pourtant Marot ne fut jamais un érudit et ne fit
jamais grand cas de l'érudition ; il a en aversion toute
obscurité comme tout pédantisme, et s'attache à défendre
notre langue et notre poésie contre l'étalage des termes
savants et du jargon prétentieux qui menaçaient d'é-
touffer les grâces légères et frêles de l'esprit gaulois.
Te est le poète auquel se rattache directement Th. Sibilet
et au'il considère comme le classique par excellence.
Sibilet était né en 1517. Quoique exerçant la charge d'a-
vocat au parlement, il s'adonna tout entier à la poésie
et aux lettres ; très familier avec l'antiquité grecque et
latine, il voyagea longtemps dans les divers pays de
l'Europe et apprit la plupart des langues qu'on y parle.
Pierre de l'Estoile.. dont il fut l'ami, l'appelle dans ses
mémoires (21 un honnête homme et un savant; tous
deux, à l'époque de la Ligne, furent jetés en prison par
les chefs de ce parti, et Sibilet mourut peu après sa mise
en liberté, l'an 1589. C'est là tout ce que nous savons de
sa vie.
Son Art poétique paraît juste une année avant la Dé-
fense de du Bellay, et nous fait connaître l'état de la
poésie française antérieurement à la Pléiade. Il se divise
en deux livres : le premier expose les règles de la versi-
1. J'ay leu aussi le Romant de la Rose
Maistre en amour, et Valere, et Orose
Contant les faits des antiques Romains.
2. Liv. T, chap. VI.
— XIII —
lication et les diverses combinaisons de rimes ; dans le
second, Sibilet passe en revue les genres que cultivent
les poètes de son temps.
Pour la constitution même du vers, il ne fait guère
que répéter Fabri ; mais il donne les règles de la coupe
féminine , et nous apprend que, méconnues de Marot
dans sa jeunesse, elles sont maintenant observées par
tous les bons poètes.
On sait avec quel empressement Scève, Héroët et leur
école introduisaient chez nous les vocables grecs et
latins : dans son quatrième chapitre, intitulé De Vêlocu-
tion poétique, Sibilet conseille de procéder en ces em-
prunts avec beaucoup de réserve et de discrétion :
lui-même trouvait les vers de Scève si obscurs qu'il
avouait ne pas les comprendre. C'était bien là le senti-
ment de Marot ; et ce que son héritier direct, Mellin de
Saint-Gelais, reprochera le plus vivement aux poètes de
la Pléiade, ce sont les mots à peine francisés qu'eux aussi
tireront parfois des langues antiques.
Dans son cinquième chapitre, Sibilet reconnaît neuf
espèces de vers français « de tout nombre de syllabes,
sauf de onze, de neuf et d'une. » D'après lui, le vers de
huit pieds est pour nous ce que le mètre élégiaque était
pour les Grecs ; celui de dix pieds, le plus usité de tous,
correspond au mètre héroïque des anciens ; quant à l'a-
lexandrin, il est rarement employé à cause de sa lourdeur.
Au sonnet convient le décasyllabe. A la ballade, le déca-
syllabe ou l'octosyllabe ; mais le premier a plus de gravité
et le second s'approprie surtout à des sujets légers et
gais. La chanson amoureuse doit enfin être composée en
mètres très courts, si l'on veut qu'elle se puisse chanter
commodément.
Pour les rimes, Sibilet n'ajoute rien à Fabri. «La plus
— XIV
élégante de toutes» est à ses yeux l'équivoque, « comme
celle qui Met ceste union et resemblance plus égale et
de ce plus poignante l'ouïe. » Bien plus, au dernier cha-
pitre de sa Poétique, il indique tous les genres de vers-
que Fabri et Gracien du Pont avaient définis, les rimes
fratrisées, annexées, concatenées, etc. Ces jeux de ver-
sification dans lesquels consistait, au commencement du
xvie siècle, notre poésie tout entière, et que n'avaient
point encore répudiés les poètes de la génération sui-
vante, Marot lui-même les cultiva dans sa jeunesse. Son
disciple ne pouvait donc pas les passer sous silence :
mais, tandis que Fabri y consacre la plus grande partie
de sa Poétique, Sibilet les relègue tout à la fin comme
quelque chose de purement accessoire ; il déclare d'ail-
leurs que ces « manières de rithmer » sont « de vieille
mode, » et que les poètes contemporains les ont aban-
données.
En effet, la plupart des genres que Fabri avait recom-
mandés sont tombés en désuétude ou ont subi de sensi-
bles modifications ; au contraire, il en est apparu d'autres
que nous avons empruntés aux anciens et qui déjà fleu-
rissent avec éclat.
De la ballade et du chant royal Sibilet ne dit rien
qu'on ne trouve dans Fabri ; mais il nous apprend que
« les poètes les plus frians ont quitté les rondeaux à
l'antiquité » ; de même pour les lays et virelays, tombés
si bas dans l'estime des contemporains qu'il « les eust
aisément laissez à déclarer, s'il n'eust craint faire tort à
l'antiquité, laquelle de ses rudesses et aspretez nous
ayant faict entrer aux polisseures, doibt estre veneree
de nous comme nostre mère et maistresse. » Ce genre
avait été très rarement cultivé par les poètes du temps ;
Marot l'avait abandonné dès sa première jeunesse.
— \Y —
Aux anciennes formes qui tombent dans l'oubli en
succèdent d'autres sur lesquelles Fabri insiste longue-
ment. Il parle d'abord de l'épigramme, où Marot avait
montré tant de délicatesse et de grâce, puis du sonnet,
que Mellin de Saint-Gelais avait tout récemment emprun-
té aux Italiens : d'après lui, ces deux genres traitent les
mêmes sujets « fors que la matière facétieuse est répu-
gnante à la gravité du sonnet ».
L'ode aussi a sa place dans la Poétique de Sibilet. C'est
lui qui le premier (1) en introduisit le nom dans notre
langue ; cependant, dès l'année 1547, Pelletier composait
des poèmes de ce genre, et Sibilet lui-même cite une
chanson de Mellin qu'il ne craint pas de donner comme
un modèle de l'ode. D'ailleurs, la seule ode qu'il con-
naisse, c'est celle qui exprime « les affections tristes ou
joyeuses, craintives ou espérantes de l'amour». Pindare
et le genre pindarique sont encore ignorés.
Sibilet passe ensuite à l'épître et à l'élégie. Il y avait
déjà longtemps que certains poètes avaient cultivé le
genre élégiaque ; il nous suffit de citer entre autres le nom
de Charles Fontaine qui, plusieurs années auparavant,
composait sur la mort de sa sœur Catherine un poème où
sa douleur s'exprime avec une sincérité touchante ; quant
à Marot, ce n'est pas seulement dans l'épître, mais encore
dans l'élégie qu'il était réputé comme le prince des
poètes. Entre les deux genres, Sibilet trouve fort peu de
différence : l'épître, dit-il, a dans son domaine tout ce qui
peut faire le sujet d'une lettre; l'élégie ne comporte pas une
aussi grande variété, elle est « triste et flebile, et traite
singulièrement les passions amoureuses » . Sans doute
l'épître « peut le faire, mais elle garde sa forme de su-
1. Quoique Ronsard s'attribue « l'invention du mot comme de la
chose ».
— XVI —
perscription et de souscription, et le style en est plus po-
pulaire ».'
Dans son chapitre suivant, Sibilet s'occupe des buco-
liques. Il connaît l'églogue « qui se faict de perpétuel fil
d'oraison » ; il la recommande même, à condition « que
lesprosopopeesentremeslees au fil supplissent l'interlocu-
teur » . Mais, à cette époque, les poètes avaient coutume
d'introduire presque toujours des personnages dans la
pastorale ; aussi Sibilet réunit-il sous le nom général de
dialogues les bucoliques et tous les genres dramatiques.
L'églogue était depuis longtemps connue de nos poètes :
Crétin, Marguerite de Navarre, Jean Marot avaient com-
posé des poèmes de ce genre : Salel et Clément Marot
passaient pour y exceller. Aucun d'eux ne" connaissait
d'ailleurs la bucolique autrement que sous forme d'allé-
gorie : dans maître Clément, c'est le berger Colin qui
déplore la mort de la reine -mère ; dans Salel, ce sont
deux mariniers, Merlin et Brodeau, qui se lamentent sur
« le trespas de Mgr François de Valoys ». La définition que
Sibilet donne de ce genre y convient parfaitement : tel
qu'on le concevait alors, le poëme pastoral est un « dia-
logue entre bergers, traitans, sous propos et termes rus-
tiques, morts de princes, calamités du temps, mutations
de republiques, et telles choses sous allégorie claire. »
Voilà les nouveaux genres que nous trouvons dans
Sibilet. L'épopée elle-même ne lui est point inconnue ;
mais il n'en dit que peu de mots, et c'est à pbine s'il
fait quelque différence entre le Roman de la Rose et
l'Iliade.
Dans un de ses derniers chapitres, il traite de la « ver-
sion ou traduction » , qui est considérée à cette époque
comme une sorte de genre particulier. Il y a longtemps
que nos poètes, sans abandonner les traditions domesti-
— XVII —
que s, ont pourtant essayé d'emprunter aux Grecs et aux
Latins cette gravité et cette élévation à laquelle ils sen-
taient bien que n'atteignait pas notre langue: le meilleur
moyen, c'était assurément de traduire les chefs-d'œuvre
antiques. Dès 1511, Jean le Maire, dans ses Illustrations
des Gaules et singularitez de Troie, avait imité sur le latin
de Valla divers morceaux de l'Iliade. Héroët avait traduit
l'Androgyne de Platon et l'Art d'aimer d'Ovide ; Salel, l'Hé-
lène d'Euripide et les douze premiers livres de l'Iliade ;
Pelletier, l'Art poétique d'Horace, les deux premiers livres
de l'Odyssée, le premier chant des Géorgiques ; Octavien
de Saint-Gelais, l'Odyssée et l'Enéide ; Marot enfin avait
imité la première églogue de Virgile et Fépithalame de
Catulle. Si, dans son Art poétique, Sibilet attache un
grand prix à ce qu'il appelle la « Version » , l'antiquité
était déjà en tel honneur auprès de nos poètes qu'il n'y
a pas lieu de s'en étonner. « La version, dit-il, est aujour-
d'huy le poème le plus fréquent et mieux receu des es-
timez poètes et des doctes lecteurs, à cause que chacun
d'eux estime grand œuvre rendre la pure et argentine in-
vention des poètes dorée et enrichie de nostre langue. »
Lui-même, suivant l'exemple général, traduisit l'Iphigénie
d'Euripide.
Malgré le peu d'années qui séparent Sibilet de Fabri,
on voit que le caractère de la poésie s'est sensiblement
modifié. Elle n'est plus un jeu d'esprit ingénieux et pué-
ril. Sibilet va jusqu'à lui assigner une origine commune
avec la Vertu : « L'une et l'autre, dit-il non sans quelque
pedantisme, sont sorties de ce céleste et profond abysme
qui est le séjour mesme de Dieu » (1). Au nom de rimeur
qui convenait parfaitement à l'école des Crétin et des
Molinet, succède dès maintenant celui de poète, que Clé-
1. Liv. I, chap. i.
— XVIII —
ment Marot et quelques-uns de ses contemporains peu-
vent justement porter. Sibilet comprend qu'il faut régé-
nérer l'inspiration poétique, et il s'associe avec zèle au
mouvement qui entraînait le génie français vers l'imita-
tion des anciens. Lui-même savait de l'antiquité tout ce
que son temps lui en pouvait apprendre : dans son traité,
il rappelle (1) que l'églogue est « grecque d'invention,
latine d'usurpation, francoise d'imitation » ; que « la mo-
ralité représente en quelque chose la tragédie grecque et
latine, singulièrement en ce que elle traite faits graves et
principaux », et que, « si la France s'estoit rangée à ce
que la fin en fust tousjours triste, la moralité seroit tra-
gédie ». Quant à la farce gauloise, il n'ignore pas combien
elle est différente de la comédie antique, mais il la rappro-
che non sans raison des mimes romains (2). Après avoir
donné quelques préceptes relatifs à l'épopée, il exhorte
le poète à «se former au miroir d'Homère et Virgile » . Le
culte des anciens se tournait déjà en vrai fanatisme ; non
contents d'avoir renouvelé leurs genres, certains poètes
voulaient leur emprunter encore leur système de versifi-
cation. Sibilet blâme cette tentative (3) ; mais, chaque
fois que l'imitation de l'antiquité peut se concilier avec
les traditions de notre langue et de notre génie national,
nul ne met plus de zèle que lui à la recommander. Dans
son neuvième chapitre, s'adressant au poète : « Je désire
en toy, dit-il, parfaicte connoissance des langues grecque
et latine, car elles sont les deux forges d'où nous tirons
les pièces meilleures de nostre harnois. »
Sans doute, l'Art poétique de Sibilet n'anticipe point
sur l'avènement de la Pléiade. Sa critique se borne encore,
1. Liv. II, chap. vm.
2. V. Egger, Y Hellénisme en France, 14e leçon
3. Liv. II, chap. xv.
— XIX —
la plupart du temps, à de sèches formules, et il ne pénè-
tre pas~dans l'essence même de la poésie. Aussi bien est-il
loin d'avoir une connaissance approfondie de l'antiquité ;
c'est à peine s'il en sait assez des genres dramatiques de
la Grèce et de Rome pour saisir entre eux et les nôtres
une lointaine parenté ; ce qu'il dit du poème épique, dont
Homère et Virgile lui fournissaient pourtant des exemples,
est bien vague et bien insignifiant ; il ignore la Poétique
d'Aristote : il ne fait même pas mention d'Horace, que
cependant il connaissait bien. .Mais son ouvrage est celui
d'un temps où notre poésie, si elle n'a pas encore pris un
grand essor, s'efforce déjà de chercher autour d'elle des
horizons où elle puisse essayer ses ailes. Sibilet se rallia
plus tard à la Pléiade ; il n'y a là rien d'étonnant : les
poètes qu'il tient pourses maîtres avaient déjà commencé
à restaurer les lettres françaises en ouvrant la carrière
que le génie de Ronsard allait parcourir avec tant d'au-
dace.
Un an après que Th. Sibilet avait publié son Art poé-
tique, du Bellay fit paraître la Défense et illustration de
la langue française où il trace le programme que les no-
vateurs vont remplir : la réforme poétique, qui s'annon
çait déjà comme l'aube d'une nouvelle ère, eut, dans cet
ouvrage, et son manifeste et sa première formule. Nous
retrouverons la Défense tout entière dans les Arts poé-
tiques de Pelletier et de Vauquelin ; il nous suffit pour le
moment d'en signaler la date comme une sorte de dé-
marcation entre l'ancienne poésie et la nouvelle, non
sans rappeler encore que bien souvent la Pléiade se con-
tenta d'enregistrer et comme de consacrer les réformes
accomplies par une génération antérieure.
Ronsard et ses disciples eurent bientôt fait d'établir
leur domination. Cependant, il y eut d'abord quelques
— XX —
résistances : le poète Ch. Fontaine, protestant au nom de
ses maîtres, Marot et Saint-Gelais, lança, sous le nom du
censeur Quintil, une espèce de pamphlet contre la Dé-
fense. Sans s'y astreindre à aucun ordre, il suit du Bellay
pas à pas et note au passage toutes ses critiques. Il blâme
des constructions qui lui paraissent insolites ; il censure
certaines métaphores qu'il trouve dures et choquantes (1) ;
il descend jusqu'aux plus petits détails et reprend même
l'orthographe de quelques vocables (2). Laissons de côté
ces minuties pour indiquer des griefs plus sérieux : ce
que Fontaine reproche surtout à du Bellay, c'est d'in-
troduire dans la langue des termes grecs, latins ou ita-
liens (3) : « Est-ce là, dit-il, défense et illustration ou
plus tost offense et denigration ? » Certes, les mots que
du Bellay et ses amis empruntèrent à l'antiquité ne sont
pas assez nombreux pour qu'on puisse accuser la nouvelle
école d' « estranger » la poésie ; Fontaine lui-même veut
qu'on dise goulphe et non gouffre à cause du type xdXizoq,
et le latin le préoccupe tellement qu'il reproche à du
Bellay de faire navire du mascuiin. Avouons-le cependant,
il a quelque raison de se plaindre que les novateurs
semblent répudier la tradition populaire pour former de
toutes pièces une langue savante, propre à la poésie.
Quant aux nouveaux genres, Fontaine accuse du Bellay
de rompre brusquement avec le passé de notre poésie et
de n'avoir qu'injures ou dédain pour les poètes antérieurs.
« Tu accuses à grand tort et très ingratement l'ignorance
de nos majeurs, lesquels n'ont esténe simples n'ignorans
ny des choses ny des paroles. Guill. de Lauris, Jean de
1. De sourcil stoïque, etc.
2. Deffence, etc.
3. HiiUque, buceinateur, aliène, molestie, rasséréner, patrie, obli-
vieux, liquide, sinueux, etc.
— XXI —
Meung, Gmll. Alexis, le bon moine de l'Yre, Messire Ni-
colas Oresme, Alain Chartier, Villon, Meschinot et plu-
sieurs autres n'ont pas moins bien escrit en la langue de
leur temps que nous à présent en la nostre. » Il se plaint
que l'auteur de la Défense méprise l'épître ; au contraire
il ne veut point de l'élégie (1), que du Bellay avait re-
commandée, parce que le seul effet en est d'attrister les
lecteurs ; il prétend n'avoir aucun besoin de l'ode et se
contenter do la cbanson ; enfin il condamne le sonnet
comme trop facile. « Vêla, dit-il, une bonne poésie pour
en mespriser toutes les autres excellentes françoises ! »
En effet, quoiqu'il reprocbe aux réformateurs de répu-
dier les traditions gauloises et de rendre leur poésie et
leur langue inaccessibles au vulgaire, Fontaine n'en ré-
serve pas moins son admiration pour ce qu'il y avait
dans nos anciens poètes de plus laborieux et de plus
ardu. S'il estime Meschinot et ses contemporains, c'est
surtout qu'ils s'exercent dans des genres plus compli-
qués ; les formes poétiques sont à ses yeux « d'autant
plus belles que de difficile facture » : « excellence de vers
et ligatures, nombreuse multiplication de cadences, uni-
sonante et argute rentrée, refrains et reprinses avec la
majesté de la chose traictee, tesmoignent la magnificence
et richesse de nostre langue et la noblesse et félicité des
esprits françois ». C'est pour la même raison qu'il re-
proche à du Bellay de dédaigner les rimes équivoques.
«Tu rejettes, dit-il, la plus exquise sorte de ryme que
nous ayons, et en cecy tu blasmes taisiblement Meschi-
not, Molinet, Crétin et Marot. » Enfin il accuse les nova-
teurs de répudier les anciens genres parce qu'ils se sen-
tent incapables d'y réussir : « La difficulté des équivoques,
dit-il à du Bellay, te les fait rejeter. »
1. C'est pourtant le genre où lui-même aie mieux réussi.
— XXII —
Fontaine doit être considéré comme le dernier repré-
sentant de notre vieille poésie, et c'est à ce titre que le
Quintil censeur méritait de nous occuper. Au reste, sa
critique acerbe ne produisit aucun effet : Ronsard et ses
amis tiennent déjà les promesses de la Défense. En 15501e
chef de la Pléiade fait paraître son premier recueil d'odes:
Mellin de Saint-Gelais, pour se moquer du nouveau
poète, lut devant la cour une de ses pièces en la débi-
tant d'un ton ridicule ; mais Marguerite, la sœur de
Henri II, qui se prononçait pour Ronsard comme sa tante
s'était déclarée en faveur de Marot, lui arracha le volume
des mains et relut les vers avec un tel accent que l'ad-
miration succéda aussitôt à la risée. Dès lors, la jeune
école triomphe: Mellin est réduit, dans l'intérêt de sa
propre renommée, à se réconcilier avec le jeune vain-
queur, et, lui cédant désormais la place, il se réfugie
tristement dans les vers latins. Quant aux autres poètes
de la vieille école, ou bien ils tombent, comme Fontaine
lui-même, dans l'oubli le plus complet, ou bien ils font
cause commune avec les réformateurs, comme Sibilet,
dont nous avons déjà parlé, et Pelletier dont il nous faut
maintenant examiner la Poétique. Rien ne légitime mieux
la victoire de la Pléiade que de voir Fontaine se réclamer
de Crétin, de Molinet et de Meschinot, et recommander
encore à nos poètes les rimes équivoques comme le plus
« excellent» genre de la poésie française.
— XXIII —
CHAPITRE III
LES ARTS POÉTIQUES DE PELLETIER, DE RONSARD
ET DE LAUDUN
Jacques Pelletier, nous l'avons dit, est un de ceux
qui, longtemps avant la Pléiade, avaient déjà tenté de
renouveler notre poésie. Il conseilla à du Bellay de com-
poser des sonnets ; il fit imprimer les premiers essais lyri-
ques de Ronsard ; si l'on en croyait Colletet (1), il aurait
même été le créateur de l'ode française. Jurisconsulte,
médecin, philosophe, mathématicien, il avait reçu entre
tous les poètes contemporains le surnom de docte. Sans
entrer ici dans des détails superflus (2), rappelons seule-
ment que, si la première partie de sa carrière appartient
à l'école poétique qui préparait dès lors la Renaissance ,
plus tard, après l'avènement de la Pléiade, il se rallia de
bonne heure à la jeune et hardie génération dont Ronsard
et du Bellay furent les chefs.
Son Art poétique, publié en 1555, se rattache directe-
ment àl'influence des novateurs. Il se divise en deux par-
ties. Dans la première, PeUetier célèbre l'ancienneté et
l'excellence de la poésie, traite « de la nature et de l'exer-
cice », compare le poète à l'orateur, donne des règles pour
la traduction et l'imitation, recommande aux jeunes écri-
vains de ne point dédaigner la langue nationale. Nous ne
nous arrêtons pas sur ces chapitres du premier livre:
c'est le développement de lieux communs où nous ne
trouvons rien qui appartienne en propre à Pelletier.
1 . I le des poètes françois.
2. V. Goujot, Bibl. fr., XII.— muréau, H h t. lit t. du Maine, IX.
— XXIV —
Il s'occupe ensuite de la langue française et en traite
longuement: depuis que la nouvelle école avait pris à
tâche d'enrichir l'idiome domestique, on ne pouvait com-
poser un Art poétique sans insister sur un point aussi
important- Pelletier se contente de reproduire exactement
les vues et les idées de Ronsard. Le chef de la Pléiade
voulait former une langue poétique distincte de la prose :
or, tous les procédés dont il avait usé, Pelletier les recom-
mande à son tour. C'est d'abord l'emprunt de vocables
aux langues antiques. « Un mot bien déduit du latin,
dit-il, aura bonne grâce en lui donnant la teinture fran-
çoise. » Il semble même ne pas imiter sur ce point la sage
réserve dont Ronsard lui avait donné l'exemple, quand
il ajoute : « Je ne ferai difficulté d'user de repuise, com-
bien que nous puissions dire la repousse plus françoise-
ment ; mais l'un sera oratoire et l'autre poétique. »
Pelletier approuve les épithètes composées que les
novateurs avaient introduites dans notre langue, l'em-
ploi des adjectifs « substantivés » (1) et pris adverbiale-
ment^); il invite les poètes à remettre en usagé les
anciens vocables, et il en cite un qui, restauré par
les contemporains, s'est conservé jusque dans notre
usage actuel (3). De même pour les termes . usités
jadis dans nos divers dialectes et qui étaient tombés de-
puis en désuétude. « Nous prendrons, dit-il, les mots
provençaux et gascons, et leur donnerons notre marque ;
tout estfrançois, puisqu'ils sont du païs du Roy. » Quant
à la construction, Ronsard avait essayé de ramener
notre langue à ses origines latines : Pelletier se plaint,
à son exemple, qu'il n'y ait aucune liberté pour la place
1. Le verd pour la verdure.
2. 11 marche magnifique .
3. Héberger.
— XXV —
des mots : « Qui voudroit, dit-il, essayer à remédier à un tel
défaut, ce seroit un grand point. » En un mot, toutes les
innovations dont la Pléiade avait pris l'initiative trouvent
en lui un zélé défenseur, et il pousse si loin son culte pour
l'antiquité, qu'il n'hésite point à admettre jusqu'aux com-
paratifs et aux superlatifs que certains poètes avaient
empruntés aux Latins.
De la langue, Pelletier passe aux ornements poétiques.
Il commence par donner quelques sages conseils sur l'em-
ploi de la métaphore ; puis il traite « de la dignité des
personnes » et imite d'Horace le tableau des âges. Quant
à l'harmonie imitative, l'idée qu'il s'en fait le conduit à
des procédés barbares et ridicules : s'appuyant sur l'au-
torité de Virgile, sans voir à quel point il en abuse, le
poète se glorifie d'avoir rendu dans ses vers le chant du
rossignol et imité l'éclat du tonnerre. « C'est, ajoute-t-il
complaisamment, ce que les Grecs nomment hypoty-
pose. » Il a beau se réclamer des anciens: de telles bille-
vesées n'auraient fait que nous ramener à la poésie am-
phigourique du bon Crétin (1).
Pelletier consacre la seconde partie de son ouvrage à
la poésie française en particulier. Pour les divers usages
des différents mètres, il est, en général, d'accordavec Sibi-
let; mais, en mémoire du distique grec, il recommande
dans l'élégie le grand vers accouplé au décasyllabe. Em-
ployé seul, Falexandrin est, suivant lui, le mètre propre
au récit épique : sur ce point encore il exprime le senti-
ment de Ronsard, qui malheureusement devait changer
d'avis ; il trouve le décasyllabe « trop couft » pour soute-
1. Cf. dans les Recherches de la France le chapitre x du livre VII,
intitulé: Que notre langue Françoise n'est moins capable que la
Latine de beaux traits Poétiques. On y trouve beaucoup d'exemples
de ces hypotyposes dans lesquelles Pasquier se pique d'avoir
réussi.
— XXVI —
nir la- gravité d'un poème héroïque, et la Franciade ne
lui donnera que trop raison.
Au sujet de la rime, Pelletier s'était déjà plaint de la.
tyrannie qu'elle exerce sur les poètes ; il remarquait du
moins qu'elle les obligeait de « [longtemps penser à
bien faire » . Certains voulaient l'abolir ; il recommande
au contraire une grande exactitude : lui-même prêchait
d'exemple en rimant toujours avec une richesse devenue
rare chez les disciples de Ronsard. Il observe avec raison
que la suppression de la rime rapprocherait trop la poé-
sie de la prose, dont les novateurs voulaient au con-
traire la distinguer plus que jamais. Quant aux vers
scandés à la façon des Latins, Pelletier, sans les rejeter
absolument, indique de sérieuses objections : « Il faudroit
savoir observer la longue et brieve nature de nos syllabes
et bien acouttrer la façon vulgaire d'orthographier, et
oster ces concurrences de consonnes et ces lettres doubles
que l'on met es syllabes brieves(l). » Il ne dit rien de l'al-
ternance des rimes masculines et féminines, mais on
trouve à la fin de sa Poétique quelques pièces de vers où
pour la première fois il observe lui-même cette règle
que Ronsard venait d'introduire dans notre versification.
Tout le reste de son ouvrage est consacré aux divers
« genres d'escrire». Beaucoup étaient déjà plus ou moins
connus de Sibilet ; pour quelques-uns même, l'épître,
l'élégie, l'épigramme, le sonnet, il n'ajoute rien à son de-
vancier : d'autres viennent à peine d'être restaurés,
et nous en trouvons chez lui soit la première mention,
soit une notion* un peu moins incomplète et moins vague.
Sibilet ne connaissait que l'odelette amoureuse ; Pelle-
1. V. sur cette question la Notice (2e Partie, chap. iv) et le
Commentaire.
— XXVII —
tier connaît tous les genres d'odes. D'après lui, le poème
lyrique a pour matière « les dieux, demi-dieux, princes,
amours, banquets, etc ». « L'ode est escriteen divers styles
suivant la matière, sans que jamais, mesme pour les
dieux, elle se hausse au style héroïque. » Les couplets, qui
n'excèdent jamais dix vers, doivent être bien liés les uns
aux autres, mais il faut que la sentence soit accomplie en
chacun. — Sibilet savait à peine ce que c'est que le poème
épique ; Pelletier est un peu plus avancé : il invite
ceux qui veulent composer une épopée, — le seul genre
qui, suivant lui, donne le vrai titre de poète, — à commen-
cer d'un ton modeste, à introduire dans ie tissu de leur
poème des développements philosophique s, enfin à sus-
pendre et à ménager l'intérêt. Il connaît nos anciens ro-
mans et ne les dédaigne point (1) ; mais le grand modèle
de l'épopée est à ses yeux l'Enéide. — Quant aux genres
dramatiques, Sibilet s'en était tenu à ceux du moyen
âge. En 1555, la comédie et la tragédie antiques avaient
été déjà restaurées ; aussi Pelletier essaie-t-il d'en faire
la poétique. La comédie est « le m?roir de la vie » ; il la
divise sagement en trois parties : la proposition, le pro-
grès, la catastrophe ; il remarque enfin que, sil y avait,
avant la réforme de Ronsard, un grand nombre de
moralités, on ne trouvait en France aucune pièce qui eût
la force comique. Jo délie avait déjà fait représenter son
Eugène ; mais Pelletier semble oublier ou dédaigner cette
comédie quand il ajoute : « C'est un genre qui est bien
favorable et qui auroit bonne grâce si on le remettoit à
son estât et dignité ancienne. » Du poème comique, il
1. Diray en passant qu'en quelques-uns d'iceux bien choisiz le
poëte héroïque pourra trouver à faire son profit, comme sont les-
avantures des chevaliers, les amours, voyages, enchanteurs,
combats et semblables choses.
— XXVIJI —
passe à la tragédie, indique avec justesse la différence
des deux genres au point de vue du style, des person-
nages, du dénouement, et termine en empruntant à Ho-
race tout ce qui, dans l'épître aux Pisons, traite du chœur
tragique.
Nous voyons par cette courte analyse quels progrès
notre poésie a faits depuis Thomas Sibilet. Pelletier re-
pousse avec dédain les anciens genres et se plaint vive-
ment que les poètes, durant un si grand nombre de
siècles, n'aient pas trouvé le moyen de s'ouvrir une autre
carrière ; il s'étonne encore « combien longtemps notre
poësie a esté languissante en barbarie jusques environ
nostre aage », combien elle a été « sofistiquee en ballades,
rondeaux, lay s, virelays, triolets » ; pour lui, comme pour
du Bellay, ces genres ne méritent pas d'autre nom que
celui d' « espisseries ». Il est tellement épris de l'antiquité
qu'il lui emprunte toujours ses modèles et presque tou-
jours ses règles. Il ne connaît pas encore Aristote, mais
il possède à fond l'Art poétique d'Horace et ne fait bien
souvent que le traduire. Quoique Pelletier ait commencé
par faire partie d'une école antérieure à la Pléiade, on ne
trouve dans son ouvrage aucun précepte, aucune vue,
qui ne le rattache à celle de Ronsard.
Ronsard lui-même, dix ans après Pelletier, composa
un Abrégé d'art poétique. Nous y trouvons les mêmes
conseils et les même règles sur la langue, l'usage des di-
vers mètres, la rime, les principaux genres. Ce que cet
ouvrage offre de nouveau, ce n'est pas dans les détails
qu'il faut le chercher, mais dans l'idée générale que Ron-
sard se fait de la poésie. Nous avons affaire pour la pre-
mière fois non pas à un é ru dit, rimeur lui-même par
occasion, mais à un vrai poète. La figure de Ronsard
domine toute la seconde moitié du xvie siècle, et, si nous
— XXIX —
ne pouvons lui donner ici la place qu'il mérite comme le
grand initiateur de la Renaissance poétique, il nous faut du
moins rendre hommage au « maître du chœur ». Pour Si-
bilet, la poésie, quelque auguste origine qu'il lui assigne,
est surtout un art, je dirai presque un métier ; Pelletier
n'en a pas une notion beaucoup plus élevée ; Ronsard
est le premier qui en conçoive toute la grandeur, qui en
fasse, non plus un délassement ingénieux ou une élabo-
ration savante, mais la plus haute expression dont la
pensée humaine se puisse revêtir. L'âme même de la
poésie semble, vivre en lui. Son opuscule n'a que quel-
ques pages, et ne lui coûta, paraît-il, que le temps même
de l'écrire ; mais certains passages suffisent pour mon-
trer dans le chef de la Pléiade une hauteur de vues, une
noblesse de sentiment, une dignité morale inconnues
jusqu'à lui. C'est par là que nous frappe son Abrégé. Nous
laissons de côté les menus préceptes et les formules que
nous avons déjà trouvés dans Pelletier et que nous re-
trouverons encore dans Vauquelin, plus détaillés et plus
complets ; mais ce qui manque absolument à Pelletier,
ce dont Vauquelin lui-même ne nous rendra qu'un écho
affaibli, c'est cette majesté de conception, ce profond
amour du beau, cette idée si haute et si généreuse de la
poésie, et, en même temps, cette simplicité d'accent si
noble et si éloquente, qui font d'un aussi court ouvrage
le monument le plus significatif de la régénération litté-
raire dont Ronsard lui-même avait donné le signal.
Quant aux deux préfaces de la Franciade, elles ne trai-
tent guère que de l'épopée; nous y reviendrons tout à
l'heure, en étudiant ce genre dans Vauquelin de la Fres-
naye. Mais, avant d'aborder l'Art poétique de Vauquelin,
nous devons examiner brièvement celui que Pierre de
Laudun publia en 1598.
2.
— XXX —
Il se divise en cinq livres. Les deux premiers se rap-
portent entièrement à l'école de Crétin et de Molinet.
Laudun y traite avec complaisance des anciens genres et
des diverses rimes, telles que les avaient cultivées nos
poètes dans la première partie du xvie siècle. Quoiquïl
ne se dissimule pas que ces formes poétiques sont à jamais
condamnées, on le prendrait, dans cette portion de son
traité, pour un disciple de Sibilet ou même de Fabri plutôt
que pour an contemporain de Ronsard et même de
Malherbe. En 1598, deux ans avant le xvif siècle. Laudun
célèbre la rime équivoque comme « la plus excellente de
toutes » et ne craint pas d'affirmer 'que, si les poètes
l'ont délaissée, c'est uniquement parce qu'ils la trouvaient
trop difficile. Mais, nous devons le dire, ce n'est vraiment
pas l'auteur lui-même qui parle de la sorte; il ne fait
guère, dans ces premiers chapitres, que transcrire la Poé-
tique de Sibilet (1) comme il imitera plus loin celle de
Pelletier et de Ronsard. « J'ay traité "en ces livres, dit-il,
les[sortes et genres depoëmes qui sont contenus es autres
Arts poétiques et ay suivi leur style en ce que m'a sem-
blé bon (2) ».
Les trois derniers livres s'occupent des genres emprun-
tés à l'antiquité et de la langue poétique; mais nous n'y
rencontrons rien que nous ne devions retrouver dans Vau-
quelin: le tout est d'ailleurs éciit avec plus d'aridité encore
que de précision. Laudun se borne à dire quel est le
mètre qui convient aux divers genres, et à indiquer la
formule technique de chacun. Il accorde une importance
excessive à l'acrostiche et à l'anagramme; il méconnaît
le caractère du poème pastoral, qui n'est pour lui, comme
1. Cf. notamment ce qu'il dit de l'églogue et du blason; c'est
une transcription littérale.
2. Au lecteur. Fin du liv. II.
— XXXI —
pour Sibilet, qu'une pure allégorie; quant au poème hé-
roïque, il n'en dit rien qui mérite l'attention. Ce qu'on
peut remarquer dans son Art poétique, c'est que, malgré
le respect trop souvent superstitieux qu'il professe pour
Aristote et Horace, il lui arrive quelquefois de faire preuve
d'indépendance. Citons notamment sa poétique de la tra-
gédie : il ne s'y croit point obligé, comme tous ses con-
temporains, de limiter le nombre des personnages qui
paraissent sur la scène, et réfute même avec une grande
vigueur de sens la règle des vingt-quatre heures.
Quant à la langue poétique, si Laudun est disciple de la
Pléiade, ce n'est pas sans faire des objections et des ré-
serves. Il admet qu'on tire des mots du grec et du latin
ou qu'on en crée pour les besoins de l'expression, mais
il n'accepte que sous bénéfice d'inventaire cet héritage de
provignements et d'adjectifs-adverbes que l'école de
Ronsard transmettait à la génération suivante, et ne
veut accueillir à aucun prix les termes dialectaux que la
Pléiade avait restaurés (3). C'est par là qu'on reconnaît
dans Pierre de Laudun le contemporain de Malherbe.
1. Liv. IV.
SECONDE PARTIE
L ART POETIQUE DE VAUQUELIN DE LA FRESNAYE
L'Art poétique de Vauquelin est, parla date de sa publi-
cation, postérieur à celui de Laudun ; mais il fut entrepris
longtemps auparavant, et, si l'on peut le considérer à]
bien des égards comme une sorte de trait d'union entre
la Pléiade et Malherbe, c'est que le goût sain et la verve
tempérée du poète marquent, pour l'école de Ronsard, à
laquelle il se rattache parles plus étroits liens, l'avène-
ment d'une seconde génération moins hardie et moins
puissante, mais plus rassise et, pour ainsi dire, assagie.
Jean Vauquelin de la Fresnaye naquit à la Fresnaye
au Sauvage, ou plutôt à Falaise, en Normandie. Il nous
donne lui-même la date de sa naissance : c'est cette
année 1536 « que le grand roi François conquesta la
Savoie ». Sa mère, restée veuve quand il avait à peine
neuf ans, l'amena très jeune à Paris, et il y étudia les
lettres antiques ainsi que les langues italienne et espa-
gnole sous la direction de Buquet, de Muret et de Turnèbe.
C'était justement l'époque où Ronsard, du Bellay et Baïf,
formés par les mêmes maîtres, commençaient, en publiant
leurs premières œuvres, à réaliser leur audacieux projet
d'illustre)" notre langue et notre poésie. Vauquelin partagea
l'enthousiasme qu'avaient soulevé les novateurs, et dès
lors sa vocation de poète était décidée. Mais les nécessités
— XXXIII —
de la vie le forçaient à faire choix d'une profession : à
l'âge de dix-huit ans, il alla étudier le droit à Angers, et,
de là, à Poitiers ; dans la première de ces villes, il suivit
les leçons de Jacques Tahureau, et dans la seconde il lia
amitié avec Scévole de Sainte-Marthe ; c'est assez dire que
la poésie dut souvent faire tort à la procédure. Dans son
Art poétique, il rappelle avec complaisance les années de
sa jeunesse qu'il passa à Poitiers, sur les rives duClain :
Au lieu de desmesler de nos Droits les débats,
Muses, pipez de vous, nous suivions vos ébats.
C'est là qu'il fit paraître, en 1555, Les deus premiers li-
vres des Foresteries. {{). Ces poésies, qu'il avait écrites «au
gazouil des fonteines » (2), étaient des sortes de pastora-
les dans le goût de l'époque. Vauquelin y prête aux ber-
gers un style peu naturel ; mais on trouve aussi dans ce
recueil toutes les promesses d'une imagination aimable
et d'une sensibilité pénétrante. Il n'eut cependant que
peu de succès, et c'est sans doute ce qui détermina Vau-
quelin à poursuivre ses études de droit, qu'il termina à
Bourges, en 1559. Il revint alors à la Fresnaye et obtint
la charge d'avocat du roi au bailliage de Caen. Un an
après il épousa Anne de Bourgueville qu'il avait peut-être
célébrée déjà dans ses Foi^esteries sous le nom de Myr-
tine.En 1563, il publie un discours, en vers de dix syllabes,
intitulé : Pour la Monarchie de ce royaume contre la divi-
sion. On sait quel était alors l'état de la France, que les
guerres religieuses avaient commencé à désoler : Vau-
cpielin montre dans ce poème un esprit de concorde et
l'équitable modération dont nous trouvons au xvie siècle
bien peu d'exemples.
1. L'ouvrage ne fut pas continué.
2. Sonnets divers, xxv.
— XXXIV —
Le second recueil du poète, les Idyllies, tient toutes !
les promesses du premier; on peut dire que, sans rompre
complètement avec le caractère factice de la poésie pas-
torale, il y montre pourtant beaucoup plus de natureletde
vérité. Sans doute, ses Philanons et ses Philis ne sont
pas plus des bergères que les Catins et les Marions de
ses devanciers; mais les sentiments qu'il leur prête, et
qui sont les siens, s'expriment avec une sincérité pleine
de charme et parfois avec une véritable émotion. On to
trouve quelque chose de l'églogue antique et comme une
veine grecque : c'est souvent la même candeur et la mêmaj
aménité, ce je ne sais quoi de naturellement aimable em
riant qui est le caractère propre de Vauquelin.
Cependant, le poète payait de sa personne dans les»
guerres du temps. En 1574, nous le trouvons aux siégeai
de Domfront et de Saint-Lô, où il est commissaire degli
vivres. Il revient ensuite à Caen, etily succèdeàson beau-]-
père comme lieutenant général au bailliage ; bientôt i||
reçoit de Joyeuse l'intendance des côtes normandes.
C'est à ce moment qu'il conçoit la première idée de son»
Art poétique. Mais il abandonne ce projet à peine ébau-*
ché, quitte à le reprendre plus tard, pour travailler de»
préférence à son Israëlide, dont il ne nous reste qu'uili
fragment, et à ses Satires.
Yauquelin a le premier traité la satire comme une*
forme poétique distincte. Ses pièces de ce genre sonu,
toutes morales : le poète fait la guerre aux ridicules etjl
aux vices de son temps. Il arrive quelquefois qu'une sin4-
cère indignation fournisse à son âme honnête des accents
vifs et énergiques ; d'habitude, il se contente de donner
d'indulgentes leçons et s'abandonne à des causeries
amicales et familières ; il hait tout pédantisme, il se
complaît dans une simplicité débonnaire, mais non
— XXXV —
ans de malicieux retours. On peut, à cet égard, le
omparer à Horace qu'il imite ou' traduit souvent :
/auquelin en a l'humeur facile et douce, le bon sens et
'aimable enjouement. Son style même, si inférieur qu'il
misse paraître à celui du poète latin, est moins diffus,
noms lâche, moins négligé que dans les autres recueils.
Le poète, chez Vauquelin, ne fait qu'un avec l'homme
t le citoyen. Si devant Saint-Lô il avaitfait son devoir de
,oldat, on sait que dans les états de Blois, en 1588, ce fut
m des rares députés qui eurent le courage de s'élever
m-dessus des partis pour ne songer qu'au bien de la
rance. Cette haine des discordes civiles, ce vif senti-
nent de patriotisme, nous en trouvons souvent l'expres-
ion dans ses Sonnets, où ils lui inspirent des accents
d'une généreuse éloquence.
Quand Henri IV eut rétabli la paix, Vauquelin fut
nommé au siège présidial de Caen: il consacra ses der-
nières années aux devoirs de sa charge et à la révision Je
ses poésies dont il publia en 1605 (1) tout ce qu'il en
voulait conserver (2). Il mourut deux ans après.
C'est vers 1574, avons-nous dit, que Vauquelin com-
mença son Art poétique. A cette époque, l'œuvre de la
Pléiade se trouvait accomplie :' tous les anciens genres
étaient restaurés, depuis l'ode, que Ronsard avait imitée
de Pindare et d'Horace, jusqu'à l'épopée, dont il avait em-
prunté le cadre à Virgile . Le chef de la nouvelle école
était au comble de la gloire ; les juges les plus éclairés
regardaient la poésie française comme parvenue à la per-
fection, et ils ne craignaient pas d'égaler ou même de
1. Caen, Charles Macé.
2. L'Art poétique, les Satyres françoises, les Idillies, des Épi-
grames, des Épitaphes, des Sonnets.
— XXXVI —
préférer les œuvres des poètes contemporains à celles
de l'antiquité: toutes les espérances qu'avaient conçues,
vingt-cinq ans auparavant, quelques jeunes gens enthou-
siastes et audacieux paraissaient enfin réalisées et comme
couronnées. Aucunmoment ne pouvait être plus favorable
pour composer un Art poétique qui consacrât et la gloire
des réformateurs et les principes mêmes de la réforme.!
Dès que Vauquelin eut conçu son projet, il en fit part à
Desportes, avec lequel il était lié. Celui-ci, fort bien à lai
cour, recommanda son ami à Henri III, et c'est surl'invi-ê
tation expresse du roi que l'Art poétique fut entrepris :
Et vous, ô mon grand Roy, soyez le deffendeur
De l'ouvrage, duquel vous estes commandeur (1).
Les fonctions publiques, dont Vauquelin s'acquitta tou-I
jours avec un zèle méritoire, et les agitations incessantes!
des guerres civiles, auxquelles il fut forcé mi-même de]1
prendre part, expliquent comment son poème resta sn
longtemps sur le métier. Il le quitta sans doute et lej
reprit bien des fois. En 1589, l'Art poétique n'était pas
encore achevé. C'est seize ans après seulement qu'il fut
publié.
Dès le début, Vauquelin indique le but qu'il s'est pro-j
posé :
Sire, je conte ici les beaus enseignemens
De l'art de Poésie, et quels commencemens
Les Poëmes ont eu; quels auteurs, quelle trace
Il faut suivre, qui veut grimper dessus Parnasse (2).
Ces vers suffisent pour nous donner déjà une idée dej
l'ouvrage. Vauquelin fait l'histoire des diverses formes
poétiques en ayant toujours soin de remonter jusqu'aux
origines, et il expose les règles de chacune en cherchant
1. T. 17. V. encori! m, 1147.
2. I, 1.
— XXXVII —
dans l'antiquité grecque et latine soit ses propres guides,
soit les modèles qu'il recommande aux poètes contem-
porains.
Nous examinons dans notre travail en quoi et comment
Vauquelin a profité de ses devanciers ; nous étudions sa
Poétique des différents genres ; nous recherchons quelles
notions il a de notre histoire littéraire, si mal connue
non seulement du xvie siècle, mais encore de l'âge sui-
vant ; nous déterminons ensuite sur quels points ce dis-
ciple de Ronsard se sépare de son maître ; enfin nous
comparons son Art poétique avec celui de Boileau, et
nous essayons de montrer que la doctrine classique y* est
déjà tout entière.
CHAPITRE PREMIER
CE QUE VAUQUELIN A EMPRUNTÉ A SES DEVANCIERS
Un trait distinctif de l'école poétique à laquelle
appartient Vauquelin, c'est que, loin de prétendre
à quelque nouveauté, elle se recommande toujours des
anciens et ne fait jamais un pas sans s'appuyer sur eux.
J. du Bellay, qui arbora le premier le drapeau de la
réforme littéraire, invite les poètes à s'enrichir des dé-
pouilles grecques et latines, et à tenter, fils des vieux
Gaulois, l'assaut du Capitole. Comme du Bellay, Vauquelin,
dès le début de son poème, se réclame de l'antiquité,
c'est-à-dire d'Aristote et d'Horace ; s il ajoute à leurs
noms ceux de Minturne et de Vida, n'oublions pas que
Ges deux poètes étaient eux-mêmes les fidèles disciples
des Grecs et des Romains.
Nos sçavans majeurs nous ont desja tracé
Un sentier qui de nous ne doit estre laissé.
- XXXVIII —
Pour ce ensuivant les pas du fils de Nicomache,
Uu harpeur de Calabre, et tout ce que remâche
Vide, et Minturne après, j'ay cet œuvre apresté (1).
Les deux poètes italiens ne font, comme Vauquelin le
dit, que remâcher lespréceptes des anciens : c'est Aristote
et Horace gui sont ses vrais et seuls maîtres. Nous ne
nous arrêterons pas à la Poétique de Minturne, tombée
bientôt dans un oubli profond et mérité; quant à
Vida, dont l'ouvrage eut longtemps la réputation d'un
chef-d'œuvre, il nous faut y insister d'autant plus que
Vauquelin l'a parfois imité de fort près.
L'Art poétique de Vida, publié en 1527, se divise en
trois livres. Dans le premier, l'auteur s'occupe de former
le poète, de façonner son goût et son oreille, de le guider
dans seslectures; il recherche ensuite quel est le principe
et l'essence même de la poésie. Le second a pour sujet
l'invention et la disposition dans le poème épique, le
seul genre dont traite Vida. Le troisième est consacré à I
l'élocution poétique.
Il y a dans le poète italien un assez grand nombre de
morceaux qui prêtent à des rapprochements avec le poète
français ; mais ces ressemblances tiennent, la plupart du
temps, à ce que l'un et l'autre imitent Horace: il suffit de
citer comme exemple le passage où ils conseillent tous-
les deux au poète épique de prendre un ton modeste
pour annoncer son sujet, et d'entraîner tout de suite les
lecteurs au milieu des événements, comme si tout ce qui
précède était connu. Cependant, en beaucoup d'autres
endroits, on ne saurait douter que Vauquelin n'imite
Vida. Au début du premier livre, l'invocation suivante:
Muses, s'il est permis d'enseigner l'Art des vers,
Et montrer d'IIelicon les saints écrins ouvers (2).
1. 1.61.
2. I, 5.
— XXXIX —
rappelle de fort près celle par où débute aussi le poème
de Vida:
Sit fas vestra mihi vulgare arcana per orbem,
Piérides, penitusque sacros recludere fontes (1).
Le tableau du genre épique que nous trouvons dans le
premier livre de Vauquelin a emprunté quelques traits
au poète itaben. Les vers du second cbant :
Et comme nous voyons beaucoup d'herbes plantées
D'un bon terroir en l'autre, et les greffes entées
Dessus un autre pied, derechef revenir,
Et de leur premier tronc perdre le souvenir :
Tout de mesme les traits, les phrases et la grâce,
Prenant d'une autre langue en nostre langue place,
S'y joignent tellement qu'on diroit quelquefois,
Qu'un trait Latin ou Grec est naturel François (2).
reproduisent sans nul doute ce passage de Vida:
Ceu sata, mutatoque solo felicius olim
Ceraimus ad cœlum translatas surgere plantas,
Poma quoque utilius sucos oblita priores
Pi'oveniunl, etc. (3).
Vida avait comparé le veine capricieuse du poète avec
le cours d'un fleuve :
»
Intèrdum et silvis frondes et fontibus humor
Desunt, nec victis semper cava flumina ripis
Plena fluunt, nec semper agros ver pingit apricos:
Sors eadem inccrtis contingit saepe poetis (4,.
Vauquelin imite cette comparaison dans les vers sui-
vants :
Mais comme tu vois bien que tousjours verdoyantes
Les forests ne sont pas, ni les eaux ondoyantes :
1. I. 1.
2. 11,971.
3. III, 231.
4. II, 410. '
— XL —
Et que jusques aux bords Orne et Seine tousjours
N'emplissent regorgeant les rives de leurs cours :
Aussi foible est parfois la veine Poétique (1).
Vida commence son troisième chant en invitant les
jeunes poètes à prendre courage :
Ne te opère incepto deterreat ardua meta:
Audendum, puer, atque invicto pectore agendum.
Jam te Piérides summa en de rupe propinquum
Voce vocant, viridique ostentant fronde coronam.
Vauquelin s'est approprié ces vers pour en faire, lui
aussi, le début de son troisième livre :
Jeunes, prenez courage, et que ce mont terrible
Qui du premier abord vous semble inaccessible,
Ne vous étonne point. Jeunesse, il faut oser,
Qui veut au haut du mur son enseigne poser.
A haute voix desja la Neuvaine cohorte
Vous gaigne, vous appelle et vous ouvre la porte...
Elle répand desja des paniers pleins d'œillets... (2)
Dans le même livre, Vauquelin emprunte encore à
Vida une belle comparaison :
Comme le voyageur qui, d'un beau lac aproche,
En son bord se va mettre au coupeau d'une roche,
Là demeurant longtemps oisif en son repos,
Il n'a rien pour object que les vents et les flots : '
Toutesfois les forests dedans l'onde vitrée
Montrent de cent couleurs leur robe diaprée :
Et l'ombre des maisons, des tours et des Ghasteaux
Cette eau luy représente au cristal de ses eaux ;
Il s'esjouit de voir que l'onde luy raporte
Par un double plaisir ces forests en la sorte :
Tout ainsi le Poëte en ses vers ravira
Par divers passetemps celuy qui les lira,
Emerveillé de voir tant de choses si belles,
En ses vers repeignant les choses naturelles :
1. III, 427.
2. III, 7.
— XLI —
i
Et de voir son esprit de ce monde distrait,
Mirer d'un autre monde un autre beau portrait (1).
Le poète latin avait dit :
Ceu cum forte olim placidi liquidissima ponti
.rEquora vicina spectat de rupe viator,
Tantum illi subjecta oculis est mobilis unda ;
Ille tamen silvas interquevirentia prata
Inspiciens miratur, aquae quae purior humor
Cuncta refert, captosque eludit imagine visus :
Non aliter vates nunc hue traducere mentes
Nunc illuc, animisque legentum apponere gaudet
Diversas rerum species, dum taedia vitat (2).
Si, dans tous ces passages, les emprunts sont bien visi-
bles, Vauquelin n'en a guère fait d'autres à Vida : ses
imitations se bornent, en somme, à quelques figures poé-
tiques. C'est d'Horace et d'Aristote que notre poète a pris
directement tout ce qui touebe au fond même de la poé-
sie et aux règles des divers genres.
Il est inutile d'insister sur ce que Vauquelin doit à
Horace. A l'exception de quelques passages (3) qui ne
pouvaient s'appliquer à notre poésie, l'épître aux Pisons,
sans compter plusieurs morceaux des deux autres épîtres
du second livre, a passé en entier dans son Art poétique.
Le premier ebant contient tout le début d'Horace jus-
qu'au vers cent trente ; le second va du cent-trentième
vers au deux-cent-quatre-vingtième ; le troisième com-
prend tout le reste. Aussi peut-on dire que le poème de
Vauquelin est au fond une paraphrase de l'épître aux
Pisons ; mais le poète y a ajouté,à mesure et cbemin fai-
sant, tous les conseils, tous les exemples que l'état de la
poésie contemporaine ou son histoire antérieure pou-
1. 111,659.
2. III, 64.
3. Il n'y a pas, en tout, plus d'une dizaine de vers. V. le Com-
mentaire.
— XLII —
vaient lui suggérer, et, de plus, il s'est servi d'Aristote
dont la Poétique était connue en France depuis quelques
années, pour donner comme fondement à son ouvrage
une doctrine qui imposât le respect.
Aristote, dont l'autorité en matière de philosophie
venait d'être fortement ébranlée, s'arrogeait peu à peu
dans le domaine des lettres et de la poésie cette domina-
tion absolue qu'il garda pendant deux siècles. C'est
Scaliger qui s'était le premier réclamé de lui dans sa Poé-
tique; dès 1562, on trouve la trace de ses théories dans
la préface que Jacques Grévin écrivit pour sa tragédie de
César: elles s'imposent peu à peu et finissent par absor-
ber en elles tout ce qu'il y avait de spontané dans la
rénovation dont Ronsard avait donné le signal.
Jusque vers la dernière partie du xvie siècle, Horace
avait été le seul guide de nos poètes. Mais l'épître aux
Pisons n'est point un Art poétique en forme ; l'auteur y
procède sans ordre et s'abandonne librement aux dé-
tours d'une conversation familière. L'horreur de tout
pédantisme et ce ton aimable, cette allure vive et capri-
cieuse de la causerie, contribuent sans doute au charme
de son poème; mais le xvie siècle sentait le besoin d'une
discipline étroite et comme d'un guide infaillible auquel
il pût se livrer en toute sécurité : c'est là justement ce
qu'il devait trouver dans Aristote. Bien plus, les défauts
mêmes du philosophe grec s'accommodaient parfaitement
avec l'inexpérience de nos poètes. Aristote soumet à des
règles rigoureuses tout ce qui dans la poésie relève de
l'imagination et du sentiment; son austère raison ne
connaît aucun tempérament et ne veut laisser nulle part
rien de vague et d'indécis. Quand il donne les règles de
la tragédie, il la divise en six parties, ni plus ni moins ;
il soumet le poème épique à une définition rigoureuse,
— XLIII —
en détermine la forme suivant d'expresses conditions,
en circonscrit l'étendue par des limites précises. Ces
règles inexorables convenaient merveilleusement à l'inex-
périence d'un temps où nos poètes, après avoir répudié
les traditions des siècles antérieurs, s'essayaient à créer
de toutes pièces une poésie nouvelle en prenant pour
modèles des ouvrages qui remontaient à deux mille ans.
Éblouis parles cbefs-d'œuvre de l'antiquité, troublés par
une telle variété de genres et de formes poétiques, ils
n'auraient su où se prendre s'ils n'avaient trouvé un
maître qui assurât leur courage, affermît leur jugement,
et, non content d'offrir à leur esprit une méthode infail-
lible, mît encore sous leurs yeux comme une carte de la
poésie aux compartiments bien distincts et rigoureuse-
ment limités. Voilà pourquoi ils s'assujettirent si aisé-
ment à Aristote ; celui-ci devint pour eux l'oracle même
de l'antiquité, et ils s'habituèrent de plus en plus à voir
en lui l'arbitre souverain et le suprême juge de toute
œuvre poétique.
VauqueUn lui-même, quoiqu'il fasse quelquefois preuve
d'indépendance, emprunte à Aristote non seulement ses
définitions et ses règles pour les genres dont le philosophe
grec avait traité, mais encore tout ce que l'on peut appe-
ler sa philosophie littéraire.
Le traité d'Aristote ne s'occupe guère que de la tragédie
et de l'épopée ; cependant Vauquelin s'approprie au moins
la définition qu'il y trouvait du genre comique :
La Comédie est donc une Contrefaisance
D'un fait qu'on tient meschant par la commune usance:
Mais non pas si meschant, qu'à sa meschanceté
Un remède ne puisse estre bien aporté :
Comme quand un garçon une fille a ravie,
On peut en l'espousant luy racheter la vie (1).
ï. III, 143.
— XLIV —
Celle de la tragédie n'est qu'une traduction presque
littérale :
Mais le sujet Tragic est ira fait imité
De chose juste et grave, en ses vers limité :
Auquel on y doit voir de l'affreux, du terrible. . .
Du pitoyable aussi (1).
Le philosophe grec dit que le sujet de la tragédie a
ordinairement pour limite une révolution de soleil :
Vauquelin s'empare de cette formule, et l'applique avec
rigueur non seulement à la tragédie, mais encore à la
comédie (2).
Il reproduit le jugement d'Aristote sur le Margitès
d'Homère :
Au Poëme Tragic se raporte et réfère
Une Iliade en soy. Le Margite d'Homère
Respondoit au Comic ou des hommes moyens
(Comme des plus grand Rois) des humbles citoyens
Se voyoit la nature et la façon bourgeoise
Comme Héroïque escrite en sa langue Grégeoise (3).
C'est encore d'après le philosophe grec qu'il trace le
caractère du héros épique :
Cela fait qu'un Homère ou Virgile ne fait
Qu'un homme soit tousjours ou vainqueur ou parfait, etc. (4).
Tout ce qui se rapporte enfin aux origines de la comé-
die et de la tragédie grecques, Vauquelin le tient soit d'A-
ristote, soit de ses commentateurs (5) : ils lui ont certai-
nement appris comment, à l'époque des vendanges, un
chœur célébrait Bacchus en dansant autour de l'autel, et
1.111,153.
2. II, 257.
3. III, 175.
4. 11.289.
5. V. Egger, V Hellénisme en France, leçon xiv.
— XLV —
par quelles évolutions successives ce dithyrambe primitif
est devenu le drame d'Eschyle et de Sophocle.
Ces emprunts de détail ne suffisent pas à Vauquelin :
il s'approprie encore le principe même auquel le philo-
sophe grec ramenait la poésie tout entière. Ce principe
n'est autre chose que l'instinct d'imitation : d'après Aris-
tote, nous sommes naturellement enclins à imiter, soit
les objets du monde extérieur, soit les images qui se
produisent dans notre esprit ; de là dérivent, suivant
lui, les formes diverses de l'art. Vauquelin traduit toute
cette partie de la Poétique grecque où le philosophe,
partant de cette vue, explique l'origine même de la poé-
sie et la genèse de3 différents genres :
On void aussi que l'homme ayant dés la naissance
Le Nombre, l'Armonie et la Contrefaisance,
Trois points que le Poëte observe en tous ses vers,
Que de la sont venus tous les genres divers
Qu'on a de Poésie, etc. (1).
Un peu plus bas, il se réfère encore au même principe .
C'est un Art d'imiter, un Art de contrefaire
Que toute Poésie, ainsi que de pourtraire,
Et limitation est naturelle en nous (2).
et il continue en se contentant de traduire :
Et nous plaist en peinture une chose hideuse,
Qui seroit à la voir en essence fâcheuse.
Nous devons encore rapporter à la théorie générale
d'Aristote ce morceau, déjà cité (3), dans lequel Vauquelin
compare la poésie à un lac où se réfléchissent les forêts,
les nuages et les édifices voisins de la rive. Cette philo-
sophie poétique, on peut se demander s'il en avait bien
pénétré le sens et la portée ; nous ne voyons pas com-
1. 1, 119.
2. 1, 187.
3. V. p. XL.
3.
— XLVI —
ment il met le reste de son poème en accord avec ces
principes ; chez lui, ils sont plutôt la matière de déve-
loppements imposants que la base d'une esthétique rai-
sonnée; du moins son Art poétique en emprunte par
endroits un caractère d'élévation et de dignité qui peut
faire illusion : ils forment comme un superbe portique
derrière lequel se cache le désordre et l'incohérence de
l'édifice.
On voit par ce qui précède combien Vauquelin doit
aux anciens : il nous reste à rechercher de quelle ma-
nière il accommode tous ces emprunts à l'histoire et au
génie particulier de notre poésie nationale.
Nous remarquons d'abord qu'il s'efforce toujours de
donnera ses imitations un caractère et comme une cou-
leur modernes : aux exemples d'Aristoteet d'Horace, il en
mêle d'autres qu'il tire de la vie contemporaine ou des
monuments domestiques. Quand il a donné d'après le
philosophe grec la définition du genre tragique, aux
héros de la tragédie ancienne qu'avait cités son de-
vancier, il ajoute le personnage tout moderne de Rodo-
mont (1) ; comme exemples de poème en prose, il rappelle
nos anciens romans (2) ; quand il reproduit les vues
d'Aristote surla péripétie dramatique, il trouve le moyen
de citer quelques passages du Roland furieux (3) ;
lorsqu'il traduit les vers où Horace nous montre l'impor-
tance de la composition, au lieu de cet artiste qui habi-
tait près du cirque Emilien, c'est Renaudin, imager di-
ligent, qu'il prend pour exemple (4) ; le poète latin
réclame pour Virgile et Varius la faculté, donnée jadis à
1. III, 159.
2. II, 267.
3. III, 201.
4. I, 285.
— XLVII —
■Cécilius et à Plaute, d'introduire dans la langue des ter-
mes nouveaux : Vauquelin revendique pour Ronsard et
Baïf une liberté dont avaient joui Scève et Pontus de
Tliiard (1). Il serait facile de multiplier ces rapproche-
ments ; nous en avons assez dit pour montrer le soin
que prend notre poète de s'approprier, au moins par un
détail ou par un exemple, les fréquents emprunts qu'il a
faits à ses devanciers.
Mais il n'y a guère là qu'une question de forme ; pour
ce qui touche au fond même de son Art poétique, Vau-
quelin se laisse trop souvent séduire par ses guides
jusqu'à méconnaître nos traditions domestiques et vio-
lenter notre génie national.
C'est ainsi qu'il ne sait pas toujours se défendre contre
ses velléités inconscientes d'accommoder notre histoire
littéraire à celle des Grecs ou des Romains. Sans doute,
nous devons avouer que l'assimilation est parfois exacte ;
quand il raconte l'histoire de notre ancienne comédie,
s'il ne fait guère que traduire ce passage de l'épître aux
Pisons :
Successit vêtus his comœdia, etc.
on peut dire que les vers d'Horace sont parfaitement
appropriés à l'origine et au progrès de notre poésie co-
mique (2). En des cas analogues, nous n'avons qu'à
louer Vauquelin; mais les libres évolutions du génie
littéraire dans l'Europe du moyen âge n'ont la plupart du.
temps rien à voir avec cette logique instinctive qui
avait présidé au développement des lettres chez le peuple
grec : c'est ce que ne sait pas notre poète, et, pour
s'adresser à tous les contemporains, le reproche n'en
est pas moins grave.
1. 1, 333.
2. Y. Egger, op. cit.
— XLYIII —
Quant aux règles, aux préceptes, aux vues générales
sur la poésie et les divers genres poétiques, nous avons
déjà vu que Vauquelin imite souvent Horace avec intel-
ligence. Par exemple, tout le passage où, d'après le
poète latin, il réclame le droit de créer des vocables
nouveaux (1), s'applique fort bien à l'état de notre
langue et à ses besoins. D'ailleurs il y a beaucoup de
maximes et de conseils littéraires qui sont de tous les
temps et de tous les pays, aussi justes, aussi topiques
dans l'Art poétique de Vauquelin que dans l'épître aux
Pisons. Mais, bien des fois aussi, notre poète semble cé-
der au plaisir de traduire, sans s'inquiéter assez de sa-
voir si ce qu'il emprunte est susceptible d'application do- |
mestique. Qu'il accuse les rimeurs de négliger leur
barbe (2) ; qu'il se plaigne de l'éducation par trop posi-
tive que l'on donne à la jeunesse (3), — si rien nepouvait
l'engager à s'approprier ces boutades d'Horace, elles sont
du moins sans importance et nous n'avons pas à nous
y arrêter ; mais nous trouvons chez Vauquelin bien des
passages où l'imitation du poète latin se traduit par de
singulières inconséquences : c'est ainsi qu'il traite du
mètre iambique dans une Poétique française (4) ; c'est
ainsi que, traduisant les vers de l'épître aux Pisons sur
le drame satyrique, il se rappelle tout d'un coup les sa-
tires d'Horace lui-même, et confond deux genres absolu-
ment distincts, l'un tout grec et destiné à la scène,
l'autre exclusivement romain et étranger au théâtre (5).
11 faut avouer qu'on ne voit guère pourquoi le poète latin
a introduit dans son Art poétique les Satyres de la scène
1. 1, 315.
2. III, 378.
3.111,561.
4. I, 623.
5. II, 679, sqq. Y. Egger, op. cit., xvie leçon.
— XLIX —
grecque; mais rien justement ne montre mieux que
cette inadvertance de Vauquelin combien la connais-
sance de l'antiquité au xvie siècle était incertaine et
confuse, et combien l'imitation des anciens offrait de pé-
rils à nos poètes.
Quant à Aristote, Vauquelin s'est quelquefois attaché
à lui avec la même imprudence. C'était là un guide bien
dangereux ; il ne semble pas se douter qu'il puisse ja-
mais, chez un autre peuple ou -dans un autre temps,
naître une forme nouvelle de poésie, incompatible avec
le caractère logique et historique du génie grec. Le phi-
losophe avait observé avec soin les origines et les pro-
grès successifs des genres divers qui s'étaient dévelop-
pés sur le sol hellénique, et son esprit systématique
avait tiré de cet examen tout un code inflexible de for-
mules. L'historien et le législateur de la poésie se con-
fondent en lui, et voilà pourquoi, si certains principes
de sa Poétique sont universels, la plupart des règles qu'il
trace ne répondent qu'à des tendances ou à des néces-
sités purement nationales . Vauquelin devait donc prendre
garde à ne pas se laisser entraîner par un tel guide jus-
qu'à méconnaître la nature et les traditions du génie fran-
çais : c'est pourtant ce qui lui arrive en bien des cas, et
nous aurons occasion de le montrer en étudiant dans un
prochain chapitre les règles, trop souvent étroites, qu'il
impose à certains genres poétiques, sans autre raison
qu'un respect superstitieux pour l'autorité d'Aristote.
Il ne faut point s'en étonner dans un siècle où l'ad-
miration de l'antiquité est devenue comme une sorte de
religion : aussi, quoique Vauquelin montre rarement
assez d'indépendance, il vaut mieux le louer de s'être
quelquefois gardé contre les formules rigoureuses du
philosophe grec et du poète latin, que le blâmer d'avoir
L —
trop souvent assujetti le génie français à une disciplin
qui devait longtemps encore gêner son libre dévelop
pement.
CHAPITRE II
LES GENRES POÉTIQUES RENOUVELÉS DES ANCIENS
Presque tous les genres poétiques qu'a cultivés
Pléiade sont renouvelés de l'antiquité ; tous ceux au co
traire qui avaient été en honneur jusqu'au milieu c\
xvie siècle ont été répudiés par Ronsard et ses disciples
nous n'en excepterons que le sonnet, dont l'introductic
dans notre poésie ne remonte pas d'ailleurs au delà (
Marot. Ces anciennes formes du moyen âge, Vauquel
n'a garde de les oublier; mais nous les retrouvero:]
plus tard quand nous étudierons chez lui l'histoire I
notre poésie : occupons-nous pour le moment de celLJ
que la Pléiade avait empruntées directement aux Gre j
et aux Latins. Nous ne suivrons pas le plan même j I
poème ; on peut dire qu'il n'en a point : Vauquelin
■divise bien en trois livres, mais cette division ne ce
respond à nul ordre réel (1), et c'est pour procéder av.
quelque méthode que nous n'en tenons aucun compte.
Le genre lyrique est le premier que la nouvelle éc«
restaura d'après les anciens : dès l'année 1550, Rons?
publie des odes. Ce genre, on le sait, a toujours, cl
tous les peuples, inauguré la poésie : l'impression (
les spectacles de la nature font sur notre âme, un
sentiment de joie, de douleur, d'enthousiasme, se trad
sent au dehors par des accents lyriques qui, dès les é
ques les plus primitives, contiennent en germe l'<
1. V. chap. v, p. CIL
— LI —
tout entière. Mais celle de Ronsard, surtout au début,
n'a rien de commun avec ces effusions soudaines et
comme involontaires ; il la forme à limitation des an-
ciens; c'est l'ouvrage d'un art compliqué, d'une industrie
laborieuse, où l'inspiration, qui y a sa part, est elle-même
savante et réfiécbie.
Dès les premiers siècles du moyen âge, un grand
nombre de genres lyriques avaient fleuri sur notre sol ;
mais, à l'époque de Ronsard, c'est à peine si l'on en con-
naissait les noms : pour restaurer l'ode, les nouveaux
poètes se tournèrent vers l'antiquité, c'est-à-dire vers
Horace et Pindare. Ils goûtèrent dans Horace le charme
délicat et la grâce élégante, l'art patient et exquis, mais
il n'y trouvèrent point une inspiration capable de les
porter tout d'abord, comme c'était leur ambition in-
time, sur les cimes les plus élevées de la poésie. Quant
à Pindare, jusqu'à l'édition des Aides, publiée en 1513, il
était resté inconnu à la France ; jusqu'à la seconde
moitié du siècle, on ne voit pas que ses odes aient laissé
la moindre trace chez nos poètes. Ce qui est certain, c'est
qu'il est complètement ignoré de Marot. Marot est le
dernier héritier du moyen âge : son génie aimable et
gracieux, mais incapable d'élévation et de grandeur, ne
pouvait soutenir le ton lyrique ; c'est ce que prouvent
suffisamment sa traduction des Psaumes, si souvent
faible et languissante, et ce chant en l'honneur du duc
d'Enghien, vainqueur à Cérisoles, que Ronsard devait
refaire en ode pindarique. Poète ingénieux et délicat, il
n'avait pas en lui de quoi satisfaire aux aspirations géné-
reuses et aux espérances peut-être téméraires de la nou-
velle école.
Initié par Daurat aux odes de Pindare, Ronsard se
crut de force à monter après lui sur le trépied lyrique :
— LU —
quand, après les mièvreries de Marot, après les Psaumeà
eux-mêmes, d'une inspiration si courte et comme essouf
fiée, le chef de la Pléiade publia son premier recueil, l'ad
miration universelle eut bientôt fait de lui un nouveai
Pindare ; on y trouvait. une élévation, une ampleur, un<
majesté encore inconnues et qu'on avait crues jusqu'aloi
incompatibles avec notre langue. La dignité du style, 1
splendeur des images, la largeur du rythme, justifiaiei
déjà cet enthousiasme pour les odes pindariques ; le
défauts mêmes qui nous en rendent aujourd'hui la lec
ture pénible, c'est-à-dire l'abus des souvenirs antiques
l'obscurité et l'empbase, passaient pour autant de quali
tés : Pindare était si peu accessible, qu'on en aurait vouli
à Ronsard de l'être trop.
C'est dans le premier livre de son Art poétique que
Vauquelin traite de l'ode ; il commence par la définir,
puis il donne les règles du genre :
L'Ode d'un grave pied, plus nombreuse et pressée
Aux dames et seigneurs par toy soit addressee :
De mots beaus et choisis tu la façonneras,
De mile belles fleurs tu la couronneras... etc. (1).
Vauquelin a pour les odes pindariques de Ronsard une!
vive admiration :
Depuis que Ron&ard eut amené les modes
Du Tour et du Retour et du Repos des Odes,
Imitant la pavane ou du Roy le grand bal,
Le François n'eut depuis en Europe d'égal (2).
Sans doute, ces louanges passent la mesure, mais}
le poète est bien excusable. Ronsard avait assez dej
génie pour concevoir dans son âme ce qu'il y a de plus]
grand et de plus sublime dans la poésie lyrique; s'iU
avait vécu en un autre temps, s'il avait trouvé une lan-j
1.1, 651.
2. I, 687.
— LUI —
gue toute faite, assez populaire pour être comprise de
tous, assez forte pour soutenir une inspiration élevée,
nul doute que, dès le début, il n'eût porté notre poésie
assez haut pour n'avoir plus à craindre les Malherbe et
les Boileau de l'avenir. Cette langue même qu'il s'est
créée, il ne s'y sent pas à l'aise ; l'instrument est sou-
vent rebelle entre ses mains, et nous l'entendons bien
des fois se plaindre de ce qu'il ne peut rendre à son gré
la beauté idéale dont l'image, présente à son esprit, fait
à la fois son ivresse et son désespoir. Or, ces frémisse-
ments d'une indignation généreuse trahissent l'âme d'un
vrai poète. Bien plus, quoique Ronsard arrive rarement à
remplir tout son cadre, il y a dans la structure même
des odes, dans la succession régulière de ce que Vauque-
lin appelle le tour et le retour, dans la sonorité et l'éclat
des mots, je ne sais quelle grandeur imposante, qui, sans
regarder au delà de la forme extérieure, devait néces-
sairement provoquer l'admiration d'un public habitué
aux « espisseries » de l'ancienne école et à la langue
sèche et grêle de Marot.
Mais l'ode de Pindare, cette ode tout animée dont la
strophe et l'antistrophe formaient pour ainsi dire les
membres vivants, et qu'inspirait de son souffle le chœur
antique, avait jadis emprunté à la célébration des héros
et des dieux, à la pompe de cérémonies solennelles, à
l'affluence même des spectateurs, un éclat et un mou-
vement que notre imagination peut à peine nous figurer.
C'est pourquoi Horace, qui vivait dans une époque tout
autre, Horace, dont les odes devaient être lues et non
plus chantées, comme au temps de Pindare, et, pour ainsi
dire, jouées, ne se hasarda jamais jusqu'à prendre en
main la lyre du poète grec :
Pindarum quisquis studet semulari; etc .
— LIV —
Ronsard n'eut pas la même prudence : il restaura l'ode
pindarique dans sa forme extérieure, condamné par la
force même des choses à un pastiche froid et sans vie.
Et pourtant cette tentative malheureuse était encore
regardée comme son plus grand titre de gloire lorsque
Henri Estienne, en 1554, publia pour la première fois le
prétendu recueil d'Anacréon. Rien n'était plus propre à
tempérer l'emphase pindarique que les odes de ce poète
dont la grâce aimable et l'élégante familiarité faisaient
un si frappant contraste avec le ton sibyllique du poète
thébain. Anacréon clarifia le génie fumeux de Ron-
sard. « Au milieu de la jeune bande en plein départ, dit
Sainte-Beuve (l), H. Estienne jeta brusquement comme
une poignée d'abeilles, d'abeilles blondes et dorées dans
le rayon, et plus d'un en fut heureusement piqué. » Par
cette piqûre, s'il est permis de continuer la métaphore,
s'écoula ce qu'il y avait de trop acre dans la veine de
Ronsard : le chef de la Pléiade se détourne de Pindare
et s'abandonne librement à une inspiration moins con-
trainte qui lui vient, non plus de la tête, mais du cœur.
"Voici comment il s'exprime dans une pièce A son laquais :
Verse donc et reverse encor
Dedans cette grand coupe d'or;
Je vais boire à Henri Estienne
Qui des enfers nous a rendu
Du vieil Anacréon perdu
La douce lyre téienne, etc.
Et dans celle qu'il met en tête de l'Anacréon traduit
par Belleau :
Mais loue qui voudra les replis recourbés
Les torrents de Pindare à nos yeux dérobés,
Obs;urs, rudes, fâcheux, et ces chansons connues
1. Anacréon an xvie siècle.
— LY —
Que je ne sais comment,par songes et par nues,
Que le peuple n'entend : le doux Anacreon
Me plaist, etc.
Plus jeune que Ronsard de quelques années, Vauque-
lin ne connut pas cette première effervescence toute
pindaresque par laquelle avait d'abord passé le chef de la
Pléiade : il préfère tout bellement Anacreon à Pindare.
S'il admirait les premières odes de Ronsard, je ne sais
quel secret instinct l'entraînait de préférence vers un
genre plus accessible au commun des hommes, plus
gracieux et plus riant :
Mais rien n'est si plaisant que la courte Odelette
Pleine de jeu d'amour, douce et mignardelette (1).
Ce n'est pas seulement dans son Art poétique qu'il fait
un tel aveu :1a plupart de ses recueils attestent cette sym-
pathie intime ; il n'est aucun poète, parmi tous ceux du
xvie siècle, qui ait eu plus souvent, en dehors de toute
imitation, quelque chose de la veine anacréontique. — Aux
vers qui précèdent, il en ajoute d'autres dans lesquels il
semble redouter et conjurer un retour de l'influence que
le genre pindaresque avait exercée tout d'abord sur no-
tre poésie :
Si tu veux du sçavoir philosophe y mesler,
Par la Muse il le faut à ton aide appeler...
Et non l'assujettir aux mots sentencieux
Sans qu'elle sente un peu son air capricieux (2).
Il a pour le poète grec un profond respect, mais ce res-
pect même l'en éloigne : major e longinguo revcrentia;
il préfère
S'esjouir et rire
Et sur la Téienne et la Saphique lyre (3).
1. I, 667.
2. I, 669.
3. I, 695.
— LVI —
Il ne veut pas d'un art laborieux et contraint qui fait
d'abord le supplice des poètes, et puis celui des lec-
teurs :
C'est le but, c'est la fin des vers que resjouir :
Les Muses autrement ne les veulent ouir (1).
Il sent peut-être par une secrète intuition que, quand
bien même le génie de nos poètes imiterait plus ou
moins heureusement la forme des odes pindariques, il
n'est pas en leur pouvoir de restaurer ce milieu tout
grec, tout mythologique, ce cadre formé de traditions et
de symboles, de légendes héroïques et religieuses qui ne
pouvaient chez nous avoir jamais rien de populaire et
dans lesquelles les érudits eux-mêmes lie se débrouil-
laient qu'à grand'peine.
Si Vauquelin n'a que peu de goût pour la poésie pinda-
rique, il ne paraît même pas savoir au juste en quoi
consiste l'hymne et comment elle se distingue de l'ode
proprement dite; il se contente de rappeler pêle-mêle les
principaux maîtres du genre, Orphée, Homère, Callima-
que, Manille, Claudien, David; il loue assez étrangement
la facilité de Pelletier, et déclare sans scrupule que Ron-
sard l'emporte sur les anciens eux-mêmes.
Quant à la poésie élégiaque, il ne fait que répéter
ce qu'en avait dit Horace, et exhorter les poètes à se ré-
gler
Sur le Patron poli de l'amant de Cinthie (2).'
Il indique pourtant quel est le mètre qui convient à
l'élégie :
Ces plaintes inventées
Par nos Alexandrins sont bien représentées,
1. I, 709.
2. I, 528.
— LVII —
Et par les vers communs, soit que diversement
En Stancss ils soient mis, ou bien joints autrement (i).
Rien d'ailleurs sur le caractère intime de ce genre.
dvd
Vauquelin, comme il est naturel, insiste longuement
sur le poème épique. Nous avons déjà vu, en étudiant
les Arts poétiques de Fabri et de Sibilet, que les ancien-
nes épopées du moyen-âge étaient tombées dans l'oubli.
Ces poèmes d'un accent simple et mâle, qu'anime un
souffle d'héroïsme, et que l'amour vient ensuite atten-
drir sans leur faire perdre encore ce caractère de naïve
grandeur, avaient peu à peu dégénéré en pâles allégo-
ries que ne pouvaient point faire vivre les raffinements
d'une galanterie froide et subtile : à Roland et Arthur
succédèrent bientôt ces amoureux fades et languissants
dont nous trouvons dans le Roman de la Rose le type cent
fois reproduit. L'épopée en était là, lorsque l'Iliade, l'O-
dyssée, l'Enéide furent remises au jour : n'éprouvant
plus que du dédain pour les insipides rapsodies où
s'épuisait depuis deux siècles le génie de nos poètes, les
promoteurs de la Renaissance répudient la tradition do-
mestique avec d'autant moins de scrupule que le Roman
de la Rose avait depuis longtemps relégué dans l'oubli nos
antiques chansons de gestes. Mais, religieux admirateurs
de l'antiquité, leur piété était moins éclairée que fer-
vente. Ils ne comprirent pas le véritable caractère de la
poésie épique : ce fut pour l'école immédiatement anté-
rieure à la Pléiade un poème dont le caractère distinctif
était son étendue considérable (2); ils l'appelèrent le
long œuvre ou le grand œuvre, et cette épithète les dis-
i. I, 519.
2. Cf. Boileau, Art. poét. :
Dans le vaste récit d'une longue action (III, 161).
— LVIII —
VTUyvV
pensait de toute définition. Pelletier compare l'épopée à
une mer sans bornes : comment donc pourrait-il définir
un genre dont le trait caractéristique est de ne connaî-
tre point de limites? Il ne donne aucune règle et se con-
tente d'inviter les poètes à imiter Virgile; bien plus, se
souvenant peut-être de l'épître dans laquelle Horace pré-
tend faire d'Homère un philosophe (1), il semble ramener
le poème héroïque au développement d'une maxime
morale. En 1561, Scaliger écrit quelques pages sur l'épo-
pée; il y suit la doctrine d'Aristote, mais on ne trouve
chez lui rien que de vague et d'insignifiant : il ne sait
même pas reconnaître quel est le vrai sujet de l'Iliade,
et juge d'ailleurs ce poème aussi inférieur à l'Enéide
qu'une femme du peuple l'est à une illustre matrone (2).
Bientôt cependant, avec les règles que nos poètes
avaient trouvées dans les Poétiques des anciens ou qu'ils
tiraient eux-mêmes des épopées antiques, ils se for-
mèrent du poème héroïque un idéal tout artificiel que
remplissaient également Quintus de Smyrne et Homère,
Apollonius de Rhodes et Virgile. En 1565, Ronsard publie
son Abrégé d'art poétique sans y rien dire de l'épopée :
mais, sept ans après, non content d'avoir donné à la
France un second Pindare, il dote notre poésie d'une
nouvelle Enéide : dans la première préface de la Fran-
ciade, il recommande le vers de dix syllabes comme le plus
propre au poème héroïque; il analyse quelques passages
de son œuvre ; il fait ressortir la différence de l'épopée
et de l'histoire : mais nous n'y trouvons rien qui marque
une théorie raisonnée du poème épique. Chercherons-
nous dans la Franciade même quelles étaient ses vues ?
Les quatre livres de ce poème sont froids et sans vie ;
1. Liv. II, ép. I.
2. Cf. Egger, op. cit. xvne leçon.
— LIX — _
Cryvtt
l'action languit et se traîne; la fable est formée d'épisodes-
qui se juxtaposent les uns aux autres sans former un
tout. Ronsard a sur l'épopée les mêmes idées que ses-
contemporains ; elle n'est pour lui qu'une compositioa
toute factice, la mise en œuvre de procédés plus ou
moins compliqués, mais qu'il suffît de pratiquer avec
un art ingénieux et patient ; il y a, pour composer un
poème épique, des recettes infaillibles : récits de ba-
tailles, descriptions de tempêtes, courses de- chars,
songes, prédictions, descente aux enfers ou évocation
des ombres, on n'a besoin que de combiner dans la juste
proportion ces divers ingrédients pour obtenir une se-
conde Enéide. — En 1584, Ronsard écrit pour la Fran-
ciade une seconde préface : il y donne des préceptes
minutieux sur la périphrase, les comparaisons, l'usage
des consonnes et des voyelles, l'orthographe elle-même ~t
mais on n'y trouve rien qui dénote une véritable intel-
ligence de l'épopée. Non seulement il borne par d'étroi-
tes limites la durée de l'action, mais, pour parler d'une
façon générale, il accorde beaucoup plus aux procédés
de l'art qu'au libre génie du poète. Plus que tout autre
entre les poètes du temps, il semble avoir eu pour
l'épopée homérique une admiration vive et sentie (1) :
mais Virgile est à ses yeux bien au-dessus d'Homère,
parce que l'Enéide est en effet plus conforme que
l'Iliade à l'idée qu'il se fait du genre. Au fond le
génie naïf, heureux et tout spontané du poète grec
est méconnu de Ronsard comme de ses contem-
porains. Déjà, pour Aristote, Homère était un esprit
savant et réfléchi qui avait procédé suivant des vues
1. Cf. la pièce qui commence ainsi:
. Je veux lire en trois jours l'Iliade d'Homère.
{Pièces retranchées des Amours, 1560.)
►' . — LX —
méthodiques ; aux yeux de Ronsard, l'auteur de l'Iliade,
désireux de se concilier la faveur des Ëacides, a choisi
parmi les légendes des temps héroïques celle qui lui
semblait le mieux appropriée au but qu'il se proposait,
et il en a combiné ou même inventé les divers épisodes
d'après les règles précises auxquelles était assujetti le
genre épique. On ne saurait donc être surpris qu'il ne
s'attache qu'aux règles purement mécaniques de l'épopée:
par delà les formules et les recettes, Ronsard n'a pas
saisi la nature intime du poème héroïque : il n'a vu dans
l'Iliade comme dans l'Enéide quune œuvre d'art et de
pure fiction.
Vauquelin de la Fresnaye reproduit les préceptes sou-
vent trop étroits d'Aristote et d'Horace, mais il y a malgré
tout quelque chose de libéral et de vraiment généreux
dans sa conception de l'épopée :
Tel ouvrage est semblable à ces fecons herbages,
Qui sont fournis de prez et de gras pasturages,
D'une baute fustaye et d'un bocage épais,
Ou courent les ruisseaux, ou sont les ombres frais... etc.(l).
Dans cette image du poème épique, rien d'artificielle-
ment symétrique et de compassé, aucune formule super-
stitieuse qui puisse gêner le libre essor du poète ; Vauque-
lin s'est-il fait une idée bien précise du genre héroïque,
c'est ce dont il est permis de douter ; mais nous préfé-
rons le large tableau qu'il trace aune sèche définition, et
il vaut encore mieux avoir à lui reprocher quelque vague
dans les idées qu'une précision catégorique et étroite.
Il s'attache ensuite aux événements et aux personnages
que comporte l'épopée :
On y void peint au vray le gendarme vaillant,
Le sage capitaine une ville assaillant,
1. I, 443, sqq.
— LXI —
Les conseils d'un vieil homme, ecarmouches, batailles, trpvv*-
Les ruses qu'on pratique au siège des murailles, etc. (1).
La lecture du morceau tout entier montre quel
immense domaine Vauquelin donne au genre épique :
dans les deux derniers vers il nous indique le fond de sa
pensée:
Car toute Poésie il contient en soy même
Soit tragique ou Comique, ou soit autre Poëme.
Il avait déjà dit dans le même livre:
Mais il faut de cet Art tous les préceptes prendre,
Quand tu voudra parfait un tel ouvrage rendre :
Par ci par la meslé rien ici tu ne lis
Qui ne rende les vers d'un tel œuvre embellis (2).
L'immensité de ce cadre est parfaitement appropriée à
l'ampleur de l'épopée : c'est la vie humaine sans limites
d'espace ni de temps. Bien plus, tous les genres de poé-
sie viennent aboutir au poème épique comme tous le«
fleuves vont se perdre dans la mer. Vauquelin, sans en
avoir conscience, retrouve l'épopée primitive, dans
laquelle, ignorant de toute règle, le génie des poètes
n'avait d'autres bornes que celles de la nature et variait
sans cesse son inépuisable fécondité.
Il y a loin d'une pareille licence à la division systéma-
tique des genres, telle que le xvne siècle allait bientôt
la recevoir, comme un héritage du xvie, pour la ren-
dre encore plus stricte et plus rigoureuse. Vauquelin
lui-même, dans le second chant de son Art poétique,
oublie la liberté pleine et entière qu'il a laissée au poète,
pour limiter au cours d'une année l'étendue de l'épopée.
1. 1, 473.
2. I, 439.
— LXII —
^*\u fond, s'il paraît ici s'affranchir des règles, c'est incer-
titude de son esprit plutôt que véritable intelligence du
poème épique. Cependant, on ne saurait douter qu'il y a
chez lui, malgré son respect superstitieux pour les anciens, !
un instinct naturel de franchise, une veine de facilité
large et courante qui prêtent souvent beaucoup de
Charme à sa poésie, et dont sa Poétique elle-même doit,
[ nécessairement porter la trace.
Vauquelin est loin d'être aussi libéral dans la théorie J
qu'il donne de la tragédie. Aux genres dramatiques e n j
usage pendant le moyen âge, les poètes de la nouvelle I
école avaient substitué ceux de l'antiquité. Deux ans j
après la Défense, Jodelle fait représenter sa Cléopâtre, ]
notre première tragédie. Quoique cette pièce n'ait par
elle-même que peu de valeur, elle marque cependant
une ère nouvelle pour notre scène : c'est la première fois]
que l'action se resserre en vingt-quatre heures et qu'il y ]
a unité dans le sujet. Jodelle calque sa pièce sur le ]
théâtre grec : la fable est très simple, les personnages
peu nombreux, les actes courts et coupés par des chœurs, j
Après lui, Garnier donna plus d'ampleur au drame tragi-
que, mais sans en changer la forme générale qui se trans-
mit jusqu'à Corneille. Celui-ci a mérité, par son génie, j
d'être appelé le père de notre théâtre; pourtant, dès Jo-
delle, la tragédie classique avait son cadre, ses procédés j
et comme sa formule définitive.
On trouve chez Vauquelin toutes les règles auxquelles
l'auteur de Cléopâtre et celui de Porcie avaient assujetti
la scène tragique. Après avoir, dans son premier chant, |
indiqué avec raison l'alexandrin comme le mètre le plus
propre à la tragédie, il reproduit, dans le second, et
— LXIII —
-commente les préceptes d'Horace. Il insiste sur l'unité
de temps. D'abord ces deux vers :
Le Tragic, le Comic, dedans une journée
Comprend ce que fait l'autre au cours de son année (1).
Puis, comme si la règle n'était pas assez formelle et
Assez précise, il ajoute :
Le Théâtre jamais ne doit estre rempli
D'un argument plus long que d'un jour accompli (2).
Il veut que la tragédie soit divisée en cinq actes, ni
plus ni moins :
La brave Tragédie au Théâtre attendue,...
Ne doit point avoir plus de cinq actes parfaits (3).
Il n'admet que trois personnages sur le théâtre :
Et ne parle un quatriesme en l'Etage avec trois :
Trois parlant seulement suffisent à la fois (4).
Il prescrit aux poètes de ne pas mettre en scène ce
■que l'action a de trop violent ; il leur recommande le
souci de la vraisemblance ; il indique le rôle du chœur.
Ce n'est là, comme on le voit, que répéter Horace :
Vauquelin traduit encore l'épître aux Pisons lorsqu'il
félicite les tragiques contemporains d'avoir osé célébrer
des sujets domestiques :
Ils n'ont pas mérité peu de gloire et d'honneur,
faisant chanter la gloire
De leurs gestes privez aux filles de Mémoire (5).
1. II, 255.
2. II, 257.
3. IL 459.
4. II, 465.
5. III, 349.
— LXIV —
On peut en ces vers reconnaître aisément ceux d'Ho-
race:
Nec minimum meruere decus, etc. (1).
Mais, dans le second chant, il revient tout spontanément
sur cette idée d'un théâtre vraiment national :
Chercher loin ne te faut
Un monde d'argumens : car tous ces derniers âges
Tragiques ont produit mile cruelles rages (2).
Il ne veut pas sans doute qu'on représente des sujets
tout contemporains :
. . .Prendre il ne faut pas les nouveaux argumens :
Les vieux servent tousjours de seurs enseignemens,
Puis la Muse ne veut soubs le vray se contraindre :
Elle peut du vieil temps, tout ce qu'elle veut, feindre (3).
Mais les événements du temps présent seront mis sur
la scène par les poètes tragiques de l'avenir:
Pauvre France,
Tes massacres cruels aux beaux ans qui suivront
Aux Poètes Tragics de sujets serviront (4).
Les Italiens avaient depuis longtemps célébré leur
propre histoire sur le théâtre : dès le xiv* siècle, Alber-
tino Mussato composait sa tragédie d'Eccerinis. En
France, dans le temps que Vauquelin commençait son
Art poétique, Chantelouve prenait la mort de Coligny
pour sujet d'une tragédie; en 1589, Pierre Mathieu,
l'auteur des Quatrains, publiait la Guisiade ; il faut noter
encore de Simon Belyard le Guy sien, de Louis Léger,
Chilpéric II, de Cl. Billard, Mérovée et Gaston de Foix, du
1. Art. poét. 286.
2. II, HiO.
3. II, 1113.
4. II, 1117. .
— LXY —
Père Fronton Le Duc, la Pucelle d' 'Orléans, enfin, d'An-
toine de Monchrestien, Y Écossaise ou Marie Stuart, repré-
sentée l'année même où Yauquelin faisait imprimer son
poème.
Disons-le sans crainte, les modifications que subit
notre ancien théâtre au xvie siècle, touchent plutôt à
la forme qu'au fond. Si Vauquelin, épris comme ses con-
temporains de symétrie et de régularité, admet tout ces
changements extérieurs, il faut lui savoir gré de n'avoir
pas circonscrit le domaine tragique aux légendes de la
mythologie et à l'histoire grecque ou romaine. Cette li-
berté de traiter des sujets domestiques ne restera pas
longtemps à nos poètes: grec et latin parla forme, notre
théâtre le deviendra bientôt par les sujets eux-mêmes,
et sera mis dans l'alternative ou de se transformer
en école d'archéologie ou plutôt dé donner aux personna-
ges de l'antiquité notre costume, nos mœurs et nos pas-
sions.
Aux règle* qui régissent également la tragédie et la
comédie, Vauquelin n'en ajoute guère de particulièrement
applicable à cette dernière. Dans son premier livre, il
lui assigne le vers de huit syllabes. Dans le troisième, il
la divise en trois parties sans compter le prologue : la
première indique le sujet de façon à éveiller l'intérêt
et à tenir en suspens l'attention des spectateurs ; la
seconde n'est autre chose qu'un « brouil de l'entier ar-
gument » ; la troisième enfin tire tout au clair et dénoue
le fil de l'action (1). Cette division est sans doute fort ju-
dicieuse ; mais nous l'avons déjà vue dans Pelletier,
auquel Vauquelin n'ajoute rien : aussi s'étonnerait-on
justement que notre poète se contentât d'une définition
1,111, 111.
— LXVI —
aussi sèche, si le manque même de guides et d'exemples
n'expliquait cette sécheresse.
On trouve dans Aristote fort peu de chose sur la comé-
die ; d'autre part, il ne restait à nos poètes aucune pièce
de Diphile, de Philémon ou de Ménandre lui-même pour
leur servir de modèle : quant aux comédies d'Aristophane,
elles ne pouvaient s'adapter à la scène française. Sans
doute, les comiques latins, imitateurs eux-mêmes de
Ménandre ou de Philémon, offraient des emprunts plus
faciles, et Vauquelin remarque que les poètes français
eurent bientôt fait d'abandonner Aristophane (1) pour
suivre les traces de Térencc et de Plaute. Mais si les
pièces de ces deux comiques heurtaient moins nos
mœurs nationales, il faut bien dire que, d'une façon gé-
nérale, la comédie est le genre dramatique le moins
propre à se transplanter d'une scène domestique sur un
théâtre étranger. Le poète tragique peint des sentiments
et des passions qui sont communs à tous les hommes et
que ne diversifient guère les circonstances particulières
de temps et de milieu ; la comédie, tout en raillant des
vices inhérents à la nature humaine, dont le fond est
toujours le même, donne à ces vices une physionomie
et comme une couleur propres qui sont la marque dis-
tinctive de ces circonstances. D'un autre côté, les poètes
du moyen âge n'avaient laissé aucune œuvre qui pût
fournir un modèle à la tragédie ; le genre comique, au
contraire, remontait chez nous à des traditions lointaines ;
notre ancien théâtre avait déjà ébauché tous les per-
sonnages que Molière devait reprendre pour en achever
le type depuis longtemps populaire. Aussi peut-on affir-
mer que notre comédie du xvie siècle, quoiqu'elle imite
parfois Aristophane, plus souvent Plaute et Térence,
1. III, 99.
— LXVII —
n'est pourtant ni grecque ni même latine; elle dérive en
droite ligne des genres du moyen âge, et, si Jodelle et
Grévin s'accordent pour les tourner en ridicule, c'est de
[là pourtant qu'ils tirent eux-mêmes leurs sujets et leurs
personnages. Voilà pourquoi la comédie jouit toujours
phez nous d'une liberté que les auteurs de Poétiques ne
laissèrent point à la tragédie. Vauquelin n'essaya pas de
l'asservir à des règles étroites, et nous devons lui en
bavoir gré.
Un troisième genre dramatique s'était récemment in-
troduit sur notre scène. C'est en 1580 que Garnier avait
représenté sa Bradamante, notre première tragi-comédie.
K'auquelin définitassez justement, mais non sans quelque
païveté, cette forme encore toute nouvelle.
On fait la Comédie aussi double, de sorte
Qu'avecques le Tragic le Comic se raporte.
Quand il y a du meurtre et qu'on voit toutefois.
Qu'à la fin sont contens les plus grands et les Rois, etc. (1).
D'ailleurs, il s'autorise des anciens pour donner droit
le cité à un genre encore suspect :
On peut bien encor par un succez heureux,
Finir la Tragédie en ébats amoureux :
Telle estoit d'Euripide et l'Ion et l'Oreste, etc. (2).
Le xvne siècle respectera trop la division des genres
jour admettre cette confusion de la comédie et de la
ragédie. Malgré le Cid et le Nicomède de Corneille,
oileau maintiendra rigoureusement la limite des deux
ormes dramatiques, et Racine ne composera point de
ragi-comédie.
Pour Vauquelin, comme pour Sibilet, la pastorale est
1. III, 163.
2. III, 169.
— LXVIII —
une scène à plusieurs personnages. Nous avons vu que
ce genre avait été cultivé longtemps avant Ronsard
Marot en emprunta la forme, non pas à Théocrite, qu'il
ne connaissait point, mais à Virgile qui l'avait transfor-
mé en une sorte d'allégorie politique. La nouvelle école
resta malheureusement fidèle à cette fausse conceptioi
du poème champêtre. Belleau, le peintre de la nature, fait
paraître dans ses Bucoliques, des princes et des grands
auxquels il donne le costume des bergers : Ronsard,
malgré son amour pour les champs, malgré la sincérité
pleine de charme avec laquelle il sait parfois en rendre
la poésie, ne change point la forme tout artificielle et
symbolique de la pastorale : dans ses églogues, des per-
sonnages à peine déguisés sous des noms rustiques cé-
lèbrent les louanges de Charles IX ou chantent leurs
amours en vers élégants et fades; on y voit même la
bergère Margot faire l'éloge de Turnèbe et de Vatable.
Nous ne trouvons chez Vauquelin aucune règle rela-
tive à la pastorale. Dans le troisième livre de son Art poé-
tique, il rappelle les origines de ce genre et se félicite
d'avoir introduit l'églogue en France. Dans le premier
livre, passanten revue les divers genres poétiques, il dit
L'un fait une Satyre, et l'autre une Idillie
Qui jusqu'aux petits chants des Pasteurs s'humillie (1).
Ce dernier terme se retrouve dans Boileau sous une
autre forme :
Telle, aimable en son air, mais humble dans son style
Doit éclater sans pompe une élégante idylle (2).
Si l'on pouvait juger par un seul mot ce que pensait
Vauquelin du poème pastoral, il serait permis de croire
1. 1, 787
2. II, 5.
— LXIX —
qu'il désirait en ce genre plus de sincérité et de naturel.
S'abaisser jusqu'aux petits chants des pasteurs, n'est-ce
pas répudier toute fausse élégance et ramener la pasto-
rale à la simplicité naïve des mœurs rustiques ? Mais les
églogues mêmes qu'il nous a laissées ont à peu près le
même caractère que celles des autres poètes contem-
porains. Dans les Foresteries, d'élégants bergers soupi-
rent des vers ingénieux et délicats dont le cadre seul est
champêtre. Laissons de côté ces premiers essais de Vau-
quelin, qu'il a lui-même retranchés de ses œuvres com-
plètes ; les Idyllies sont de beaucoup supérieures : «Le
nom d'idyllie, dit-il, m'a semblé se rapporter mieux à
mes desseins, d'autant qu'il ne signifie et ne représente
que diverses petites images et graveures en lasemblance
de celles qu'on grave aux lapis, aux gemmes et calcé-
doines pour servir quelquesfois de cachet. » Cette défi-
nition s'applique bien à l'idylle antique, et les pièces
mêmes de Vauquelin ont comme le parfum des églogues
grecques. Mais pourtant, ce n'est pas là le poème pasto-
ral dans sa simplicité rustique ; le langage y est encore
trop fleuri, les sentiments trop raffinés : les bergers des
Idyllies annoncent plutôt ceux de XAstrée qu'ils ne rap-
pellent ceux deThéocrite. Le poème pastoral est toujours
en danger de pécher par une élégance déplacée ou par
une grossièreté rebutante : mais nous préférons encore
le Tailleboudin des Propos rustiques aux Philis et aux
Philanons des Idyllies.
Les trois grands genres, lyrique, épique et dramatique,
avaient déjà été renouvelés par les poètes de la Pléiade,
lorsque Vauquelin entreprit son Art poétique : c'est lui-
même qui attacha son nom à la rénovation du genre di-
— LXX —
dactique en composant ses satires et le poème que nous
étudions ici.
vauquelin considère ce genre comme intermédiaire
entre les bucoliques et l'épopée : il le recommande au
poète qui, sans avoir le souffle épique, ne veut pas cepen-
dant enfermer son génie dans le cadre d'une pastorale :
Si d'une longue alaine un bel œuvre tu veux
Parfaire pour passer jusqu'aux derniers neveux,
Cnante d'un air moyen, non tel que l'Héroïque,
Ni si bas descendant que le vers Bucolique,
Mais qui de l'un et l'autre un vers enlasscra,
Qui tantost s'élevant, tantost s'abaissera (1).
Nous examinerons plus bas (2) l'Art poétique de Vau-
quelin pour étudier, non plus les règles qu'il y donne, mais
la conception qu'il s'est formée du genre didactique pro-
prement dit.
L'épître et la satire sont traitées en même temps, comme
un genre unique. Sibilet, nous l'avons vu, confondait
presque l'élégie avec l'épître. Pelletier veut bien admet-
tre celle ci, mais il rejette la satire. De ces deux formes
de la poésie didactique, c'est Marot qui avait inauguré
la première en la portant tout d'abord à la perfection dans
le cadre qu'il lui donna ; quant à la seconde, le nom
même en était resté inconnu jusqu'à la Pléiade ; depuis
1550, nous trouvons cbez nos poètes un certain nombre
de pièces qui peuvent passer pour des satires : le
Poète courtisan de du Bellay, la Dryade violée de Ron-
sard et le Discours sur les misères du temps présent, beau-
coup d'autres encore de Rapin et de Passerat ; mais per-
sonne avant Vauquelin n'avait fait de satires en forme :
aussi peut- on s'étonner qu'il ne s'occupe pas plus lon-
1.1,913.
2. Chap. v.
— LXX1 —
guement d'un genre dont il doit être considéré comme le
fondateur. C'est à peine s'il en dit quelques mots : il se
contente de recommander l'exemple d'Horace et d'expli-
quer en quoi les satires du poète latin diffèrent de ses
épîtres.
\ . Aux Satyres il tache
Arracher de nos cœurs les vices qu'il attache,
Et (que) tout au contraire aux Epistres il veut
Mettre et planter en nous toutes vertus s'il peut (1).
Cette distinction est fine et juste; mais quand Vauquelin
veut assigner à chacun des deux genres son caractère par-
ticulier, il s'attache à une différence toute superficielle :
Une Epistre s'escrit aux personnes absentes.
La Satyre se dit aux personnes présentes [2].
D'ailleurs, à l'exemple d'Horace, il désigne l'épître et
la satire sous le nom commun de sermons :
Et pourraient proprement
Sous le nom de Sermons se ranger aisément (3).
Le fond étant le même, il n'y avait lieu qu'à une dis-
tinction purement extérieure.
Parmi les petits genres dont Vauquelin traite dans son
Art poétique , l'épigramme seule peut passer pour av oir été
renouvelée des anciens. Sibilet et Pelletier avaient lon-
guement insisté sur cette forme ; Vauquelin ne fait
guère que les répéter, et presque dans les mêmes
termes :
Surtout brève, r'entrante et subtile elle soit :
Elle sent l'Heroïc, et tient du Satyrique,
Toute grave et moqueuse elle enseigne et se pique.
1. III, 279
2. III, 283.
3. III, ?85.
— LXXII —
L'Epigramme n'estant qu'un propos raccourci,
Comme une inscription courte on l'escrit aussi (1).
Ces remarques sont judicieuses, mais n'ont rien de nou-
veau. Ce dont on peut s'étonner, c'est que l'épigramme
sente Vhéroic ; mais on sait que ce geDre avait chez les
anciens beaucoup plus de portée que chez nous : ils
donnaient ce nom à toute espèce d'inscription, et nul
doute que notre poète ne l'entende à leur manière.
CHAPITRE III
l'histoire de la poésie française dans vauquelin
Vauquelin connaît l'antiquité aussi bien qu'on pouvait
la connaître de son temps; il a vécu dans la familiarité
d'Horace ; il a pratiqué Aristote lui-même ; non seule-
ment il cite à chaque instant, dans son Art poétique, des
exemples empruntés aux Grecs et aux Romains, mais
encore il remonte le plus souvent possible aux origines
premières de chaque genre. Toutefois, sans parler des
erreurs de goût et de critique qui lui sont communes
avec le xvie siècle, sa connaissance des anciens n'a rien
qui puisse nous étonner dans une époque où l'étude de
l'anliquité avait comme absorbé en elle toute la vie lit-
téraire Ce dont il faut féliciter Vauquelin, c'est le soin
avec lequel il s'enquiert de notre histoire poétique, et,
sans se livrer peut-être lui-même à des recherches ori-
ginales, recueille du moins avec empressement tout ce
que les érudits peuvent lui apprendre sur les monuments
les plus anciens de la poésie domestique.
Les écrivains dont nous avons étudié les Arts poétiques
1. III. 289.
— LXXIII —
avant celui de Vauquelin étaient fort ignorants et fort
peu soucieux de notre antiquité nationale. Fabri ne con-
naît que les genres cultivés par nos poètes dans les der-
niers temps du moyen âge. Sibilet ne remonte jamais
au delà du xive siècle. Pelletier recommande les poèmes
héroïques de nos vieux trouvères, mais il ne semble les
connaître que bien vaguement. Quant à la Pléiade, elle
professe le même mépris pour toutes les œuvres qui
l'ont précédée ; dans sa Défense, du Bellay exhorte, il est
vrai, les poètes à « choisir quelqu'un de ces beaux vieux
romans françois comme un Lancelot, un Tristan ou
autres » et à « en faire renaistre une admirable Iliade
ou une laborieuse Eneïde (1) » ; mais Tristan et Lance-
lot ne sont plus ces figures épiques de nos ancien-
nes chansons. D'ailleurs, on ne voit pas qu'aucun poète
lu temps ait songé à suivre ce conseil : Francus était
bien le premier ancêtre des rois francs, mais il avai*
surtout le mérite d'avoir pour père un héros de
l'Iliade.
Quand Vauquelin conçut l'idée de son Art poétique,
îotre histoire littéraire était environnée d'une obscurité
u' aucun disciple de la Pléiade ne se souciait de dissi-
er ; c'est une raison de plus pour le louer de s'être in-
Sressé pieusement aux origines et aux développements
uccessifs de notre poésie domestique : il ne rappelle pas
eulement nos antiques épopées, mais encore il fait
■histoire de tous les genres anciens depuis les premiers
emps du moyen âge jusqu'au xvie siècle.
Ce n'est pas qu'il les apprécie beaucoup : il n'aime ni
anagramme ni l'acrostiche (2), que du Bellay lui-même
vait recommandés comme d'ingénieux thèmes de versi-
1. Liv. Il, chap. v.
2. I. 379.
— LXXIV —
fication (1) ; il veut qu'on abandonne pour jamais les an-
ciennes formes poétiques :
Des vieux chants Royaux décharge le fardeau,
Oste moy la Ballade, oste moy le Rondeau (2).
Il s'étonne que nos anciens poètes aient pu charmer
leurs contemporains: •
L'innocent âge
De nos bons vieux Gaulois estimoit le ramage
De nos premiers Romants
Un peu légèrement
Depuis longtemps encor Guillaume de Loris,
Jean de Meun-clopinell, on prisoit à Paris
Avec peu de raison (3).
Mais, si Vauquelin, disciple de Ronsard, n'estime guère I
les productions du moyen âge, il tient à honneur de
faire entrer dans son Art poétique tout ce qu'il sait des
anciens genres, et ce n'est pas là le côté le moins inté-l
ressant du poème.
Dans le temps même où il l'ébauchait, la connaissance]
de notre antiquité nationale faisait des progrès rapides.!
On avait d'abord commencé par rattacher nos origines!
aux plus anciens peuples de l'Orient, soit aux Scythes, I
soit aux Babyloniens ; ceux mêmes qui se faisaient!
scrupule d'accepter de pareilles fables ne répugnaient!
point à croire que les Français descendaient des Grecsl
ou des Troyens. Or, ces erreurs avaient nécessairement I
leurs conséquences dans le domaine de la langue et de!
la poésie : en 1546, J. Périon, dans ses Dialogues, soutient!
encore que le français est dérivé du gaulois, et le gaulois!
du grec. Des idées plus saines allaient bientôt sel
faire jour: dès 1572, François Hotman publie sa Fmwco-i
1. Défense, etc. Liv. II, chap. viil.
2. I, 545.
3. II, 935.
— LXXV —
Gallia, où il rattache la nation franque, non plus aux
Troyens et aux Scythes, mais aux Germains. Jean du
Tillet, dans son Recueil des Roys de France, et Papyrius
Masson, dans ses Annales latines (1), tirent de documents
jusqu'alors négligés une histoire assez fidèle de nos origi-
nes. On aborde en même temps l'étude de notre ancienne
poésie. Le septième et le huitième livre des Recherches
de la France ne parurent pas assez tôt pour que Vau-
quelin pût en profiter ; mais le Commentaire de Claude
Fauchet sur l'origine de la langue et de la poésie fran-
çaise lui fut d'un très grand secours. Le premier, Fau-
chet enseigna que notre idiome n'était ni gaulois, ni
grec, ni germanique même, mais que « la pluspart des
paroles sont tirées du latin (2) ». Il mit en lumière les
anciens chants bardiques (3), les poésies lyriques de nos
troubadours (4), les chansons de nos trouvères, que lui-
même compare aux épopées homériques (5) : il eut enfin
l'honneur d'inaugurer avec une admirable sagacité la
critique de nos origines littéraires et de lui donner le
premier une base vraiment solide.
Vauquelin est à cet égard le disciple de Claude Fau-
chet. On trouve dans les trois livres de son Art poétique
une foule de traits épars avec lesquels il est facile de re-
constituer le tableau de notre histoire littéraire depuis
les temps les plus reculés ; ce tableau est bien incom-
plet sans doute, et les fautes les plus graves n'y man-
quent pas ; mais, prenant Fauchet pour guide, Vau-
quelin, s'il n'a pas évité les erreurs du savant écrivain,
lui doit au moins d'avoir eu sur notre antiquité nationale
1. 1577.
2. Liv. I, chap. m.
3. Liv. I, chap. vi.
4. Liv. I, chap. iv.
5. Liv. I, chap. vin.
— LXXVI —
des vues plus justes que la plupart de ses contemporains.
Vers la fin de son troisième livre, après avoir imité les
vers dans lesquels Horace nous peint la vie des premiers
hommes, il compare à Orphée et à Amphion les anciens
bardes celtiques :
Premier ainsi jadis nos Poètes Druides,
Nos Samothes Gaulois, nos Bards, nos Sarromides,
Policerent la Gaule (1).
Il n'a pas d'idées bien nettes sur la formation des lan-
gues néo-latines, et croit que l'espagnol et le latin sont
dérivés du français :
De nostre Gathelane ou langue Provençalle
La langue d'Italie et d'Espagne est vassalle... (2).
Tancred de [Hauteville
Conduisant douze fils de sa terre fertille,
Mist en Pouille et Galabre un vulgaire François (3).
Mais on sait que cette question est demeurée longtemps
fort obscure ; et même, c'est seulement de nos jours
qu'elle a été éclaircie d'une façon définitive. Il ne se
trompe pas moins gravement sur lee origines du vers
français : personne, à son époque, ne soupçonnait ce que
notre système de versification, fondé sur le nombre
de syllabes et l'accent tonique, pouvait avoir de commun
avec la métrique latine qu'on ne connaissait que dans sa
forme classique. Vauquelin croit que la rime a été trou-
vée par les troubadours.
Alors des Trobadours
Fut la Rime trouvée en chantant leurs amours (4).
Du Bellay, sur la foi de Jean Le Maire, en attribuait
bien l'invention à Bardus, cinquième roi des Gaules !
1. III, 831.
2. I, 595.
3. 1, 611.
4. I, 549.
— LXXVII —
Le poète explique ensuite à sa façon l'origine des di-
vers genres :
Et quand leurs vers Rimez ils mirent en estime,
Ils sonnoient, ils chantoient, ils balloient sous leur Rime;
Du Son se fist Sonnet, du Chant se flst Chanson,
Et du Bal la Ballade en diverse façon (i).
Il donne quelques détails sur la vie de nos anciens
poètes :
Ces Trouverres alloient par toutes les Provinces
Sonner, chanter, danser leurs Rimes chez les Princes (2).
Il distingue avec justesse les trouvères des jongleurs ;
les Normands, dit-il,
. . Faisoient de leurs faits inventer aux Trouverres
Les vers que leurs Jouglours, leurs Contours et Chanterres
Rechantoient par après (3).
Comme Fauchet, il compare cette phase de notre poésie
avec l'âge homérique :
Ainsi les Grecs avoient
Des Rapsodes, qui lors tous les carmes sçavoient
D'Homère... (4).
Il n'ignore même pas les héros de nos vieux poèmes :
. . Nos vieux Paladins, connus par tout le monde,
Et les preux Chevaliers de nostre Table-ronde,
Du Prophète Merlin les forts enchantements... (5).
Nostre Amadis de Gaule en vieil Picard rimé, etc. (6).
Mais, pendant que l'épopée fleurissait dans le Nord de
la France, nos poètes du Midi cultivaient surtout la poé-
1. 1, 551.
2. 1, 555.
3. I, 603.
4. 1, 605.
5. II, 983.
6. II, 1005.
— LXXVIII —
sie lyrique. Vauquelin connaît tous les genres où ils se
sont exercés. Il se contente de citer les uns (1), mais il
en est d'autres qui attirent plus longuement son atten-
tion. Il insiste de préférence sur le sonnet, celui qui de
son temps était le plus en honneur, et rappelle le nom
des principaux troubadours qui le cultivèrent.
Quoiqu'il se vante d'avoir le premier composé des sa-
tires, il n'ignore pas que ce genre avait anciennement
fleuri sous un autre nom :
Et comme nos François les premiers en Provence
Du Sonnet amoureux chantèrent l'excelence,
ils ont aussi chantez
Les Satyres qu'alors ils nommoient Syrventez...(2).
Au xvie siècle même, avant la rénovation poétique, les
coq-à-1'âne étaient de véritables satires :
Depuis les Coq-à-1'asne à ces vers «uccederent. . . .
Dont Marot eut l'honneur (3).
Vauquelin n'oublie même pas la chanson. Après avoir
rappelé que la musique chez nos ancêtres s'alliait tou-
jours à la danse, il rend hommage à la franche gaieté du
bon vieux temps :
Chantant en nos festins, ainsi les vau-de-vire
Qui sentent le bon temps, nous font encore rire (4).
Il indique ensuite comment l'ode s'est substituée à la j
chanson :
Le temps qui tout polit depuis rendit polies
La grâce et la douceur de ses chansons jolies, etc. (5).
Quant aux genres dramatiques du moyen âge, Vau-
quelin ne se contente pas de rappeler les moralités, mais
1. II, 941, sqq.
2. II, 715.
3. II, 723.
4. II, 555.
5. II, 563.
— LXXIX —
il montre en quoi elles différent de la tragédie, et ose
même en faire l'éloge :
Ainsi nos vieux François u soient de leur Rebec,
De la Flûte de bouis et du bedon avec,
Quand ils representoient leurs Moralitez belles (1) .
Nous avons déjà vu qu'il n'oublie pas les soties, lui
qui raconte dans son second livre comment il a fallu en
réfréner la licence. Enfin, quand il engage les poètes
à mettre sur la scène des sujets chrétiens, on ne peut
douter qu'il ne songe aux anciens mystères.
Aussi versé dans l'histoire de notre poésie nationale
qu'on pouvait l'être à son époque, Vauquelin, en toute
occasion, a soin de restituer au génie français son
patrimoine, c'est-à-dire de revendiquer comme un héri-
tage domestique tout ce que les poètes étrangers avaient
emprunté aux nôtres ; ici encore il prend pour guide
Claude Fauchet.
C'est surtout avec l'Italie qu'il a affaire. L'Italie et la
France étaient depuis longtemps en rivalité au sujet
de leur langue et de leur littérature. On ne peut
certes contester que la poésie italienne n'eût été d'un
grand secours à la nôtre dans les deux derniers siècles.
Sans remonter au delà de François Ier, son influence sous
• le règne de ce prince avait déjà provoqué une première
renaissance ; elle ne fit que grandir avec Catherine de
Médicis : notre langue elle-même se remplit de mots et
de tours inconnus jusqu'alors et qu'y introduisit l'usage
d'une cour tout italienne. On était loin du temps où Bru-
netto Latini écrivait en français son Trésor de la sagesse.
Cependant, une fois que les poètes de la nouvelle école
1. II, 497.
— LXXX —
eurent accompli une partie de leur œuvre en composant
des poèmes non moins admirés au delà qu'en deçà des
Alpes, ils crurent que les Italiens n'avaient plus rien à
leur enseigner et firent un peu comme « ces enfants drus
et forts d'un bon lait qu'ils ont sucé, qui battent leur nour-
rice. (1) » Déjà, J. du Bellay avait défendu la langue fran- j
çaise et déclaré qu'elle ne le céderait bientôt plus à aucune
autre. Henri Estienne répudie les mots italiens qui se sont
glissés dans notre usage, et affirme hautement ce qu'il
appelle la précellence du langage français. Enfin, tous
les contemporains s'empressent d'égaler ou même de pré-
férer notre poésie à celle de l'Italie.
C'était une bonne fortune pour Vauquelin de pouvoir
montrer, grâce aux travaux de Fauchet, que, si les poêles
d'une génération précédente avaient imité les Italiens,
ceux-ci s'étaient anciennement formés à notre école et
avaient reçu de nous leurs formes poétiques, leurs genres
et jusqu'aux personnages de leurs poèmes. Pelletier fai-
sait déjà observer que l'Arioste s'était inspiré de nos an-
ciens romans ; mais ce n'était là qu'une remarque isolée :
Vauquelin recherche avec suite et enregistre soigneuse-
ment tout ce que la poésie italienne doit à la nôtre.
Les sonnets de Pétrarque, les épopées de l'Arioste et
du Tasse en faisaient surtout la gloire ; or, Vauquelin re-
vendique l'un et l'autre genre comme appartenant à la
France. Dans son premier livre, il prétend que le sonnet
a été inventé par nos poètes:
Des Grecs et des Romains cet Art renouvelé,
Aux François les premiers ainsi fut révélé :
A leur exemple prist le bien disant Pétrarque
De leurs graves Sonnets l'ancienne remarque. ..
Mais il marcha si bien par cette vieille trace,
Qu'il orna le Sonnet de sa première grâce :
l. La Bruyère. Caract., i.
— LXXXI —
Tant que l'Italien est estimé l'autheur
De ce dont le François est premier inventeur (1).
Et un peu plus bas :
... Ce qui frst priser Pétrarque le mignon,
Fust la grâce des vers qu'il prist en Avignon:
Et Bembe reconnoist qu'ils ont pris en Sicille
La première façon de la Rime gentille (2).
Quant à l'épopée, il montre que l'Arioste nous a em-
prunté toute la matière de son poème:
Et l'Arioste après
Plus hardiment a pris les gestes hasardeux
De nos vieux Paladins (3).
D'Amadis, l'Espagnol a sa langue embellie,
Et sa langue embellit de nos Pairs l'Italie (4).
Enfin il conclut que reprendre aux Italiens toutes ces
dépouilles, c'est rentrer tout simplement dans notre pa-
trimoine :
Et, quand nous reprendrons ces beaux larcins connus,
De rien nous ne pouvons leur en estre tenus (5).
Il accuse même l'Italie d'ingratitude et de fourberie :
Or, l'Vuailon estant tout le premier vulgaire,
Et l'Itale, et l'Espagne, ont formé l'exemplaire
Du leur sur son Roman, ayant pris pour leçons
De nos chants et Sonnets les antiques façons :
Et puis, comme celuy qui de ruse maline,
Dérobe le cheval en restable voisine,
Luy fait le crin, la queue et l'oreille couper,
Et quelque temps après le revend pour tromper
1. I. 557.
2. 1, 597,
3.11,981.
4. II, 1007.
5. II, 1009.
— LXXXII —
A son mcsme voisin : ainsi nostre langage
Ils ont prins et planté dans leur terroir sauvage,
Et l'ayant déguisé, nous le revendent or,
Comme fins maquinons, plus cher qu'au prix de l'or (1).
D'ailleurs, Vauquelin ne craint pas d'exalter notre poésie
audétrimentdelapoésieitalienne. Toutes les fois que dans
son ouvrage, ilrappelle les origines et les progrèsde cha-
que genre, c'est pour célébrer sans mesure les poètes fran-
çais contemporains qui s'y sont exercés. Si nous ne par-
lons que de Ronsard, il l'appelle Y Apollon de la Gaule et
lui voue un véritable culte : par ses sonnets, le cbef de
la Pléiade l'a emporté sur « le poète toscan (2) » ; par ses
odes, il s'est mis au-dessus de tout rival (3); par ses
hymnes, il a surpassé les anciens (4); sa Franciade elle-
même, s'il l'avait écrite en alexandrins, serait un chef-
d'œuvre accompli (5). Ces louanges, et celles que Vau-
quelin prodigue aux disciples de Ronsard, sont sans doute
bien exagérées : l'Art poétique n'avait pas encore paru
qu'un nouveau poète, ami de Vauquelin lui-même, biffait
d'un trait de plume toutes les œuvres du chef de la
Pléiade. Mais les dédains injustes de Malherbe n'ont pas
été plus ratifiés par la postérité que l'admiration exces-
sive de Vauquelin : si les éloges que ce dernier accorde
aux poètes contemporains ne peuvent, malgré tout ce
que nous en rabattons, déshonorer son jugement, il faut
louer comme elle le mérite, sauf des erreurs inévitables,
cette connaissance de notre poésie nationale qu'il doit
sans doute à Fauchet, mais qui ne laisse pas de lui faire
honneur. Dans la question de nos origines, si obscure
1.11.959.
2. 1, 576.
3. I. 690.
4. III. 312.
5.11, 105.
— LXXXIII —
alors et si controversée, il a eu le mérite de s'attacher
au guide le plus sûr et le plus exact : c'est tout ce qu'on
pouvait demander à un poète, et c'est assez pour donner
à son ouvrage un prix que n'aura point celui de Boileau.
CHAPITRE IV
Vauquelin, Ronsard, Malherbe
Malgré son admiration sans réserve pour Ronsard,
Vauquelin a ses idées et ses vues personnelles : nous
devons examiner dans ce chapitre jusqu'à quel degré il
a subi l'influence de la Pléiade et sur quels points il se
sépare des réformateurs.
Vauquelin eut son Art poétique sur le métier pendant
de longues années ; il commence sa préface de 1605 par
les paroles suivantes : « Lecteur, ce sont ici des vieilles
et des nouvelles Poésies : Vieilles, car la plus part sont
composées il y a longtemps : Nouvelles, car on n'escrit
point à cette heure comme on escrivoit quand elles fu-
rent escrites. Si elles ne sont telles qu'elles devroient
estre, c'est mon défaut : car de mon temps on escrivoit
assez bien. » Nous ne saurions en douter, l'Art poétique
appartient à la portion de ses œuvres qu'il a composée
longtemps avant la date de cette préface ; il était cer-
tainement terminé avant que Malherbe eût cessé de
ronsardiser pour se poser en réformateur de la langue et
de la versification. Pourtant, dans le cours de ces vingt
ou trente ans pendant lesquels Vauquelin travaille à son
ouvrage,* notre poésie subit bien des vicissitudes.
Ronsard n'avait sans doute rien perdu de sa gloire ; mais
il s'était formé une nouvelle génération poétique qui,
tout en se rattachant étroitement à la Pléiade, ne lais-
— LXXXIV —
sait pas d'avoir sa physionomie distincte. Les uns,
comme Du Bartas, ont renchéri sur les premiers nova-
teurs en voulant donner à la poésie une ampleur de
forme, une majesté de ton, qui trop souvent n'aboutis-
saient qu'à l'enflure ; les autres, comme Desportes, ont
au contraire cherché à s'approprier, dans l'héritage du
maître, ce qui s'accordait le mieux avec le caractère de
leur génie moins hardi et moins vigoureux.
Certains critiques ont voulu voir dans l'Art poétique
comme le testament même de Ronsard ; d'autres pré-
tendent faire de Vauquelin un devancier de Malherbe, et
attribuent les louanges dont sa plume enthousiaste
comble le chef de la Pléiade, non pas à une admiration
vraiment sentie, mais à je ne sais quel respect de com-
mande; selon eux, l'Art poétique serait un «arrêt de
mort» pour l'école que Malherbe allait bientôt exécuter(l).
De ces deux jugements opposés, le premier nous semble-
rait juste, à condition qu'on pût l'atténuer par quelques
réserves ; mais, malgré ces réserves mêmes, le second
nous paraît incapable de soutenir l'examen. Bien loin
d'être un arrêt de mort pour la Pléiade, le poème de
Vauquelin consacre les résultats delà réforme, dès lors
accomplie : c'est comme un trophée que notre poète
élève à l'école de Ronsard, définitivement maîtresse de
la poésie française.
Nous avons déjà vu dans les chapitres précédents, et
surtout dans celui qui traite des genres poétiques, avec
quelle fidélité Vauquelin reproduit les doctrines littéraires
de la Pléiade ; il nous paraît donc inutile d'insister ici sur
ce point. Si, d'autre part, nous examinons la versifica-
tion et la langue du poète, nous n'y trouvons aucune
1. Cf. Ach. Genty. Art poétiq. de Vauquelin. Préface. Paris,
1862.
— LXXXV —
| trace de l'influence que Malherbe aurait exercée sur lui.
Malherbe, proscrit l'hiatus, n'admet que desrimes éga-
lement bonnes pour l*œil et pour l'oreille, exclut en-
fin de la poésie ces inversions, souvent téméraires, que
Ronsard avait calquées sur les langues anciennes. Or,
aucune de ces règles n'a jamais été observée par Vauque-
lin. Sans abuser des hiatus, il est loin de se les interdire
absolument ; ses rimes sont ordinairement exactes, mais
il n'est point si rare d'en rencontrer qui eussent fait
pousser à Malherbe des cris d'indignation (1) ; quant
aux inversions, elles vont dans l'Art poétique jusqu'à la
bizarrerie et à l'obscurité (2). A tous ces égards, la
versification de notre poète est bien celle de la Pléiade.
Elle l'est encore par la fréquence des rejets et la variété
des coupes ; on trouve chez lui, à chaque pas, soit des en-
jambements d'un vers à l'autre (3), soit, dans le même vers,
ces enjambements intérieurs qui ne laissent aucune trace
de césure médiane (4). Ses alexandrins, comme ceux de
Ronsard et de ses disciples, jouissent d'une grande
liberté ; il les laisse se cadencer à l'aventure, avec une
aisance trop souvent lâche et. flottante, mais avec une
variété de rythme que -Malherbe devait sacrifier à la
symétrie classique.
Quant à la langue, nous devons reconnaître qu'elle n'est
pas la même dans l'Art poétique et dans les premières
œuvres de Vauquelin. Pourtant, nous trouvons dans ce
poème lui-même et quelques épithètes composées, et des
diminutifs, et lesprovignements chers à la Pléiade (5). Au
1. V. la Grammaire, H.
2. V. la Grammaire, 1.
3. Cf. I, 18, 25, 61, 122, 139, 149, 286, 309, 901, 940, 986, 992,
4. Cf. I, 8, 67 ; II, 96, 226, 285, 304, 437, 692, etc.
5. V. le Glossaire.
— LXXXVI —
reste, le poète exprime tout au long ses vues sur cepoint
dans un passage du premier chant qu'il nous faut citer :|
Tu peux feindre des mots dont on n'a point usé :
Et puis les mots nouveaux que les nostres inventent,
Qui de l'Italien la langue représentent,
Ou qui sont du Latin quelque peu détournez,
Ou qui sont du milieu de la Grèce amenez,
Seront receus, pourveu qu'avec propre matière
La France rarement en soit faite héritière :
Et tous les mots qui sont proprement françoisez,
Et tous ceux qui ne sont du françois déguisez,
Et les vieux composez desquels toujours en France
On usoit à l'égal de la Grecque éloquence (1).
On le voit, Vauquelin admet tous les procédés par
lesquels la Pléiade avait essayé d'illustrer la langue :
toujours à l'exemple de Ronsard et de J. du Bellay, il
termine en recommandant de chercher dans les anciens
dialectes des termes expressifs et pittoresques:
L'idiome Norman, l'Angevin, le Manceau,
Le François, le Picard, le poli Tourangeau,
Aprens, comme les mots de tous arts mécaniques
Pour en orner après tes phrases Poétiques (2).
Nous aurons tout à l'heure à le dire, Vauquelin ne se fait
pas scrupule d'attaquer certains disciples des novateurs,
Du Monin par exemple, dont les exagérations ridicules
ne pouvaient que discréditer la réforme ; peut-être
trouve-t-ilmême que Ronsard s'est parfois laissé entraîner
à de regrettables excès : néanmoins, cette langue poé-
tique que Malherbe voudra refaire, il déclare hautement
qu'elle lui semble arrivée à la perfection :
La France aussi... son langage haussa,...
Prenant de son Roman la langue délaissée,
L 1,322.
2. I, 561.
— LXXXVII —
Et dénouant le neud qui la tenoit pressée,
S'eslargit tellement qu'elle peut, à son chois,
Exprimer toute chose en son naïf François (1).
Ainsi, quoique l'Art poétique ait été publié en 1605, on
b'y trouve aucune trace de la réaction que Malherbe
avait inaugurée contre Ronsard et son école. Soit par la
doctrine littéraire dont Vauquelin s'est fait l'interprète,
soit par sa langue et sa versification, il est bien le fidèle
[disciple de la Pléiade.
Nous avons cependant fait quelques restrictions : il
faut y insister. En étudiant l'Art poétique, nous voyons
que, malgré son respect et son admiration pour Ronsard,
[Vauquelin ne se croit pas obligé d'applaudir à toutes ses
audaces et de souscrire à toutes ses innovations : parmi
les héritiers du poète, il préfère ceux qui ont essayé
d'adoucir la réforme littéraire dahs ce qu'elle pouvait
avoir d'un peu trop âpre, et d'en tempérer la fougue par-
fois téméraire et les dédains souvent excessifs.
Ce que nous remarquons avant tout, c'est que notre
poète, quoiqu'il fasse peu de cas des anciens genres, ne
les a pourtant pas complètement répudiés : nous l'avons
vu louer les moralités et les chansons du moyen âge.
D'ailleurs, le soin même avec lequel il remonte jusqu'à
nos origines et recueille, chemin faisant, tout ce qu'il
peut apprendre de notre histoire littéraire, suffirait à
nous montrer son indépendance. Ronsard et ses premiers
disciples, préoccupés avant tout de rompre avec le
moyen âge pour se rattacher directement à l'antiquité,
avaient fait, par ignorance, mais aussi de parti pris, la
nuit et le silence sur notre passé. Il semblait aux initia-
teurs de la réforme, que la France n'avait eu jusqu'alors
1. 11,581.
/
— LXXXVIII —
ni langue ni poésie : qu'on suppose un d'entre eux com-
posant un Art poétique, il n'aurait eu aucun souci de
notre antiquité nationale. Ce n'est point là d'ailleurs une
pure hypothèse ; sans parler de Ronsard, qui ne nous a
laissé qu'un court Abrégé, la Défense de du Bellay ne
remonte jamais au delà du xve ou du xive siècle, et ne
mentionne les anciens genres que pour les tourner en
dérision. Vauquelin, au contraire, prend à tâche de mon-
trer dans le cours de notre histoire poétique des traditions
continues, que la Renaissance a modifiées, il est vrai,
mais sans les rompre ; il a soin de rattacher la satire aux
sirventes et aux coq-à-1'âne, la tragédie aux moralités,
l'ode aux chansons, l'épopée aux anciens poèmes du xne
et du xme siècle. Sans doute, il reconnaît pour maîtres
les poètes de la Grèce et de Rome, mais il ne pense pas
qu'on doive faire table rase du moyen âge. En lisant son
Art poétique, nous ne voyons point qu'il y ait eu tout
d'un coup comme une solution de continuité dans notre
histoire littéraire : la réforme du xvie siècle est plutôt une
transition préparée depuis longtemps et qui a eu ses
phases successives avant le coup d'éclat de 1550. Il ne
veut pas faire tout commencer à la Pléiade ; il a assez de
sens et de modération pour ne point dater notre poésie
de Ronsard, comme Boileau la datera moins justement de
Malherbe.
Au point de vue de la langue, Vauquelin gourmande
les disciples de la Pléiade qui, renchérissant sur les in-
novations des premiers réformateurs, poussaient à bout
des procédés appliqués jusqu'alors avec une certaine
i j mesure. Au secondlivre de son Art poétique, après avoir
i recommandé « la pureté et la grande douceur »
Que nostre langue veut sans nulle obscurité,
— LXXXIX —
il s'élève contre les poètes qui gâtaient leur style par l'em-
ploi de mots bizarres et choquants :
Et ne faut recevoir la jeunesse hardie
A faire ainsi des mots nouveaux à l'estourdie,
Amenant de Gascongne ou de Languedouy,
D'Albigeois, de Provence, un langage inouy :
Et, comme un Du Monin, faire une parlerie
Qui nouvelle ne sert que d'une moquerie (1).
Et il ajoute :
Ceux qui cherchent des mots empoulez et bouffis
Et des discours obscurs, qui ne sont point confis
Dans le sucre François, font une faute telle,
Que ceux qui vont quittant une fontaine belle,
Pour puiser de l'eau verte en un palu fangeux,
Ou dans le creux profond d'un lieu marescageux (2).
Dans son troisième livre, il revient sur le même sujet
et raille les novateurs qui
Veulent prendre
Le latin à la barbe et vulgaire le rendre (3).
De telles critiques s'adressent sans doute, comme
nous l'avons dit, à ces disciples de Ronsard qui bigar-
raient sans vergogne notre vocabulaire, mais elles at-
teignent aussi Ronsard lui-même : malgré sa discrétion
relative, celui-ci n'avait pas toujours eu pour la langue
domestique le respect que, suivant d'Aubigné, il prê-
chait à son entourage.
Quoique Vauquelin admette presque toutes les vues de
son maître, non seulement sa doctrine rationaliste sur la
formation et le développement des langues, mais encore
les divers procédés par lesquels il avait enrichi et re-
haussé la nôtre, il y a pourtant dans le style de Ronsard,
1.11,907.
2. II, 913.
3. III, 693.
— xc —
surtout à ses débuts, quelque chose de contraint et
comme de rocailleux qui répugne au génie libre, doux et
facile de notre poète. Ce dernier remarque lui-même
que, depuis la Défense de du Bellay, notre idiome a
déjà subi bien des vicissitudes :
Que depuis quarante ans desja quatre ou cinq fois
La façon a changé de parler en françois (1).
Or, parmi les héritiers de la Pléiade qui ont marqué
la langue chacun de son empreinte personnelle, celui
que Vauquelin préfère comme écrivain, c'est Desportes.
Après avoir, dans son premier chant, passé en revue les
poètes qui ont cultivé le sonnet, il ajoute :
Desportes d'Apolon ayant l'ame remplie,
Alors que nostre langue estoit plus accomplie,
Reprenant les Sonnets, d'art et de jugement
Plus que devant encor écrivit doucement (2).
C'est cette douceur de style qui charme surtout l'auteur
de l'Art poétique, et il en voit le modèle dans Desportes
plutôt que dans Ronsard (3).
Quant à la versification, si, comme nous l'avons vu,
Vauquelin est, là encore, le fidèle disciple de la Pléiade,
il repousse du moins les tentatives hasardeuses où
beaucoup de poètes contemporains avaient osé s'engager.
Ceux-ci, non contents d'emprunter aux anciens leurs
genres poétiques, voulaient appliquer à la versification
française le système essentiellement prosodique des Grecs
et des Romains Avant même le xvie siècle, on avait fait des
vers « métrifiés » ; d'Aubigné affirme qu'il a vu une traduc-
tion de l'Iliade et de l'Odyssée composée en hexamètres par
un certain Mousset vers la fin du xve siècle. Ce qu'il y a de
certain, c'est que Michel de Boteauville écrivait en 1497
1. Satyres fr. Liv. II, Sat. VIII, à Robert Garnier.
2. I, 591.
3. III, 1173.
— XGI —
son Art de metrifier françois, et achevait en 1500 son
poème envers mesurés. (1) Sibilet, dans son Art poétique,
n'accueille pas cette innovation sans défiance, mais du Bel-
lay, dans sa Défense et illustration, la signale avec faveur.
En 1553, Jodelle publie des distiques ; trois ans après, Pas-
quier, sur le conseil de Ramus, compose dans ce mètre
toute une élégie. Un peu plus tard, Jacques delà Taille im-
prime un traité sur l&manière défaire des vers en françois
comme en grec et en latin :il a été pris, dit-il, d'un tel dé-
goût pour la rime, qu'il s'est « proposé une nouvelle voye
pour aller en Parnasse, non encore frayée que des Grecs
et des Latins, et qui pour son industrie et trop plus
grande difficulté sera inaccessible à nos rymasseurs
d'aujourd'huy (2) ». Baïf adopte bientôt ce nouveau genre
de versification qui s'accordait parfaitement avec ses
idées particulières sur les rapports de la musique avec la
poésie. Rapin, Sainte-Marthe, Passerat, et beaucoup
d'autres érudits suivent l'exemple de Baïf, ou du moins
y applaudissent ; Ronsard lui-même n'a aucun éloigne-
ment pour les vers mesurés, puisqu'il compose deux
odes dans lesquelles, tout en conservant la rime, il calque
de son mieux la strophe saphique.
Quant à Vauquelin, on ne peut s'attendre sans doute
à ce qu'il répudie complètement une tentative qui avait
pour elle des autorités aussi nombreuses et aussi consi-
dérables. Il n'ose pas exprimer toute sa pensée et se
contente d'en appeler à la postérité ; mais cet appel
même nous montre que la versification mesurée lui ins-
pirait fort peu de confiance, et la postérité lui a donné
raison. Ce n'est pas ici le heu d'expliquer pour quels
1. Cf. Annalps de la Faculté des lettres de Bordeaux, 5e année,
n° 3 bis. Michel de BoteauvUle et les premiers vers français me-
sure's, par Ant. Thomas.
2. Au lecteur.
— XCII —
motifs la métrique latine ne peut s'appliquer à notre
langue ; J. de la Taille lui-même écrit, dans son traité :
« Nostre parler vulgaire n'est pas propre ny capable à rece-
voir des nombres et des piedz. » Vauquelin n'apporte
aucune raison de sa défiance; il faut pourtant le féliciter
d'avoir défendu notre'versification, ainsi que notre langue,
contre les imitateurs forcenés des Grecs et des Latins.
Ce qui donne à l'auteur de l'Art poétique une place
à part entre les disciples de la Pléiade, c'est surtout qu'il
veut exclure du Parnasse français toutes les divinités de
l'Olympe, et rappeler aux sujets chrétiens les poètes épi-
ques et tragiques. Dans leur idolâtrie pour l'antiquité, les
promoteurs de la Renaissance ne lui avaient pas seule-
ment emprunté la forme extérieure et comme le cadre de
sa poésie ; ils [avaient mis en honneur je ne sais quel
paganisme littéraire. L'usage des Actions mythologiques
remontait à l'école érudite qui florissait au début du
XVIe siècle, et dont le principal représentant, le Maire
de Belges, fut le premier à introduire le merveilleux
païen dans notre poésie. Jean Marot fait intervenir les
anciens dieux dans son poème sur l'expédition de
Louis XII à Gênes et à Venise ; son fils Clément laisse de
toutes parts les souvenirs de la mythologie antique péné-
trer dans ses épigrammes et dans ses élégies; ils devien-
nent peu à peu l'attirail nécessaire delà langue poétique.
Ce que ces poètes avaient fait sans idée préconçue, Ron-
sard le lit de parti pris : il voyait dans l'emploi des figures
mythologiques une source intarissable d'ornements. Non
contents d'y puiser à pleines mains, les poètes de la nou-
velle école revêtirent par instinct comme par système
les idées et les sentiments de l'antiquité, restaurèrent,
pour ainsi dire, la religion de l'Olympe, et demandèrent
toutes leurs inspirations aux Muses du paganisme. Le
— XCIII —
merveilleux chrétien, dont le moyen âge s'était nourri,
semble dès lors n'avoir plus laissé de trace : la poésie de
la Pléiade est d'abord toute mythologique, non pas seu-
lement d'images et de forme, mais aussi par les sujets
qu'elle traite et par l'esprit qui Vanime.
Dans son Uranie et dans la préface de ses autres
poèmes, Du Bartas s'était déjà élevé contre les poètes con-
temporains qui préféraient le merveilleux païen aux sou-
venirs et aux traditions de l'antiquité chrétienne : il
puise lui-même le sujet de toutes ses œuvres aux sources
de la religion. D'ailleurs, s'il proteste, ce n'est qu'au nom
du christianisme menacé par les divinités de l'Olympe.
Quant à Vauquelin, il ne regarde pas seulement aux
intérêts de la foi, mais encore à ceux de la poésie. Sans
doute, il ne veut pas proscrire jusqu'au nom des dieux ;
lui-même ne se fait aucun scrupule d'en user par méta-
phore ; mais il invite les poètes à laisser de côté les su-
jets païens et à chercher dans le christianisme un fonds
inépuisable d'inspirations. Cette tendance se trahit déjà
dans ses satires ; elle est bien plus marquée dans son Art
poétique, où il ne craint pas d'opposer aux fictions
païennes, devenues avec son maître Ronsard la matière
même de notre poésie, ces légendes du moyen âge, ces
héros de l'histoire sacrée, ces monuments de l'antiquité
chrétienne qui lui semblent capables de fournir à la tra-
gédie et à l'épopée des thèmes plus populaires et aussi
plus poétiques : lui-même avait commencé et mené
assez loin un poème épique sur David (1). Dès le premier
livre de son Art poétique, il proteste contre l'abus des
divinités grecques :
Aussi bien en ce temps, ouir parler des dieux
En une Poésie est souvent odieux.
1. Il, 1S3.
— XC1V —
Des siècles le retour et les saisons changées
Souvent soubs d'autres loixont les Muses rangées (1).
Dans le troisième livre, il invite les poètes à ne plus
traiter que des sujets chrétiens :
Pleust au Ciel que tout bon, tout Ghrestien et tout Saint
Le François ne prist plus de sujet qui fust faint!
Les Anges à miliers, les aines éternelles,
Descendroient pour ouir ses chansons immortelles (2) !
Plus bas, il invoque l'exemple des Grecs eux-mêmes
qui avaient chanté leurs propres héros et célébré leur
histoire nationale ou leurs légendes domestiques:
Si les Grecs, comme vous, Chrestiens eussent escrit,
Ils eussent Ifes hauts faits chanté de Jesus-Christ :
Doncques à les chanter ores je vous invite... (3).
Enfin, parmi tous les poètes contemporains, il s'a-
dresse de préférence à son ami Desportes :
Desportes, que ta Muse à Dieu toute tournée
Ne soit des vers d'amour désormais prophanee (4).
Peu de temps après que Du Bartas eut composé sa
Semaine, dans laquelle il célèbre avec tant de magnifi-
cence les œuvres de Dieu, Ronsard mit la première main
àunpoème intitulé la Loy divine, dont il nous est parvenu
les trente premiers vers. Si Vauquelin avait connu cet
essai, il aurait pu invoquer l'exemple du maître. Mais le
vrai but de Ronsard était d'éclipser la gloire du poète
huguenot qu'on lui donnait déjà pour rival, en triom-
phant de lui sur son propre terrain ; d'ailleurs, il aban-
donna tout de suite sa tentative pour revenir à la mytho-
logie antique dont lui-même avait été le grand hiéro-
1. 1, 901
2. III, 33
3. III, 845
4.111,875
— xcv —
pliante. En somme, la poésie épique du xvi« siècle est toute
païenne ; et, en mettant à part les hymnes ou traduc-
tions de psaumes que certains poètes composaient sur la
fin de leurs jours, à titre de pénitence, on peut en dire
autant de la poésie lyrique.
Il n'en est pas de même de la tragédie : au théâtre,
nos poètes ne cessèrent jamais complètement d'emprun-
ter leurs sujets à l'antiquité sacrée. Depuis Buchanan et
Théodore de Bèze jusqu'à Garnier et Monchrestien, on
peut citer un grand nombre de pièces toutes bibliques
ou chrétiennes (1). D'ailleurs, les restaurateurs de la
tragédie ancienne n'avaient point aboli d'un seul coup
les genres antérieurs : sans parler d'une pièce de Thomas
Lecoq (2), qui, malgré son titre de tragédie, est un véri-
table mystère, la province de Normandie, où Vauquelin
naquit et passa sa vie tout entière, resta jusqu'à la fin du
xvie siècle fort attachée aux spectacles chrétiens du
moyen âge, et l'on ne peut douter que le poète lui-
même n'ait assisté à des représentations de ce genre.
Vauquelin aime trop l'antiquité pour ne pas conseiller
à nos tragiques de se régler sur elle ; aussi ne leur
demande-t-il point de conserver la forme du mystère; ce
qu'il veut, c'est que le théâtre transporte dans le cadre
de la tragédie classique les sujets et les personnages
de l'histoire sacrée.
Hé ! quel plaisir seroit-ce à cette heure de voir
Nos Poètes Chrestiens, les façons recevoir
1. La trilogie de David, par Desmasures (1566) ; la Jephté de
Buchanan (1567) ; le Pharaon de Chantetouve (1582) ; YEsther de
Mathieu (1585), sa Vasthi et son Aman (1589) ; le Saûl de Billard ;
le Joseph de Montreux; le Saùl et les Gabaonites, de Jean de la
Taille (1572-1573); la Sédécie de Garnier (1580); le David de Mon-
chrestien (1600) et son Aman (1601), etc.
2. Cain.
— XCYI —
Du Tragique ancien ! Et voir à nos misteres,
Les payens asservis sous les loix salutaires
De nos Saints et Martyrs, et du vieux testament
Voir une Tragédie extraite proprement (1) !
Il indique lui-même plusieurs héros tragiques que les
poètes futurs pourront emprunter à la Bible ou aux lé-
gendes chrétiennes :
Au lieu d'une Andromède au rocher attachée
Et d'un Perse qui l'a de ses fers relâchée,
Un saint George venir bien armé, bien monté...
Ou voir un Abraham, sa foy, l'ange et son fils !
Voir Joseph retrouvé ! etc. (2).
Ces souhaits de Vauquelin ne furent point exaucés, et
nos poètes s'éloignèrent toujours davantage des sujets
chrétiens que le xvie siècle tolérait encore, mais dont
l'âge suivant ne voulut plus. Le Polyeucte de Corneille ne
trouva aucun accueil parmi les beaux esprits du temps,
auxquels « le christianisme » de cette pièce « avait extrê-
mement déplu » ; YEsther de Racine ne fut pas représentée
en public ; Athalie elle-même, ce chef-d'œuvre de l'es-
prit humain, n'eut aucun succès. Quant à l'épopée chré-
tienne, de nombreux poètes, vers le milieu du xvne siècle,
tentèrent de la remettre en honneur ; mais, soit qu'ils
manquassent de génie, soit que le genre lui-même fût
déjà condamné, aucun de leurs poèmes ne trouva grâce
devant la critique. L'Italie et l'Angleterre avaient beau
citer avec orgueil les noms du Tasse et de Milton : Milton
et le Tasse eux-mêmes furent méconnus par Boileau, qui
exclut le merveilleux chrétien et l'antiquité sacrée de
notre poésie héroïque, en réduisant son domaine à la
« fable » et à la « fiction », c'est-à-dire aux légendes grec-
ques et à la mythologie de l'Olympe.
1.111,881
2.111,891
— XGYII —
Nous venons d'indiquer les principaux points sur les-
quels Vauquelin a ses préférences personnelles ; mais
ces restrictions, quelle que puisse en être l'importance,
ne nous empêchent pas de le rattacher étroitement à la
Pléiade, dont il exprime presque toujours les idées et les
vues, et non point à Malherbe dont il ne peut être con-
sidéré à aucun titre comme le précurseur. Il se distingue
avant tout de la Pléiade par le soin avec lequel il cher-
che à renouer les traditions de notre histoire littéraire et
par sa prédilection pour les sujets nationaux et chrétiens
dans la tragédie et dans l'épopée ; or, s'il s'éloigne par
là de Ronsard, ce n'est certes pas pour se rapprocher de
Malherbe : celui-ci, professant le même dédain pour le
moyen âge et le xvie siècle, avait tout fait dater de son
propre avènement : et d'ailleurs, en conservant aux divi-
nités et aux héros de la Fable la place qu'ils avaient prise
dans notre poésie, il continuait là encore l'œuvre de
Ronsard.
Ce qu'il faut dire, c'est que Ronsard a ouvert la voie à
Malherbe : le chef de la Pléiade doit être considéré comme
le fondateur de notre poésie classique. Les mépris et les
injures dont Malherbe charge ses devanciers ne sauraient
l'empêcher d'en être l'héritier et le disciple ; son œuvre
consista à choisir avec une grande rectitude de sens,
parmi les matériaux de tout genre qu'avait accumulés
l'école de Ronsard, ceux qui devaient le mieux s'appro-
prier à la construction de cet édifice régulier et impo-
sant, mais froid et monotone, qu'il voulut donner pour
temple à notre poésie. Ceux qui font les révolutions sont
dédaignés par ceux qui en profitent : Malherbe dédaigna
Ronsard, mais il en profita encore plus.
Peu importe que Vauquelin ait été l'ami de Malherbe
et lui ait même adressé une de ses satires ; le génie fa-
6
— XCVIII —
cile, souple et riant de l'un n'a par lui-même aucun rap-
port avec la raideur austère et empesée de l'autre. On
dira peut-être que le caractère même de Vauquelin, son
esprit de retenue et son goût de la mesure le rendaient
propre à servir d'intermédiaire ; mais, rappelons-le,
Malherbe ne traitait pas mieux Desportes que Ronsard,
et s'il appréciait son potage, il ne goûtait point ses vers.
Au fond, il n'y a guère de commun entre Malherbe et
Vauquelin que ce que Malherbe lui-même a de commun
avec Ronsard.
CHAPITRE V
Vauquelin et Boileau
De Ronsard à Malherbe, de Malherbe à Boileau, tout
se suit et se tient dans l'histoire de notre poésie : nous
aurons à montrer tout à l'heure que l'Art poétique de
Boileau est entièrement contenu dans celui de Vauquelin.
Certains critiques sont allés jusqu'à prétendre que le
poète du xvne siècle avait beaucoup emprunté à celui du
xvie, et ils l'ont accusé de ne pas même avoir mentionné
le nom de son devancier. Si Boileau n'a point nommé
Vauquelin, c'est qu'il ne lui devait rien. On a relevé, en
comparant leurs poèmes, quelques ressemblances de
détail, comme si la parenté plus ou moins prochaine de
deux ou trois vers ne pouvait pas être purement for-
tuite. Vauquelin avait dit de Virgile:
Nul ne peut en sa langue attaindre à sa hauteur (1) .
Boileau commence ainsi son Art poétique :
C'est en vain qu'au Parnasse un téméraire auteur
Pense de l'art des vers atteindre la hauteur.
1. I, 422.
— XCIX —
Vauquelin définit l'unité de temps en ces termes :
Le Théâtre jamais ne doit estre rempli
D'un argument plus long que d'un jour accompli (1).
Boileau emploie la même rime :
Qu'en un lieu, qu'en un jour, un seul fait accompli
Tienne jusqu'à la fin le théâtre rempli (2).
Nous avons déjà cité les deux vers de Vauquelin:
L'Epigramme n'estant qu'un propos raccourci,
Comme une inscription courte on l'escrit aussi (3).
Boileau dit du même genre qu'il
N'est souvent qu'un bon mot de deux rimes orné (4).
Vauquelin s'élève contre le poète
Qui veut hausser au ciel son vers ambitieux (5).
Boileau applique à l'ode la même expression avec un
tout autre sens, lorsqu'il nous la présente
Élevant jusqu'au ciel son vol ambitieux (6).
Ces exemples, les seuls que l'on puisse produire, ne
nous permettent point de conclure que Boileau ait imité
ou même connu Vauquelin. On ne saurait guère atta-
cher quelque importance qu'aux deux premiers ; or, ils se
réduisent à une rime tout indiquée pour le second, et,
pour l'autre, à une expression que la gêne du vers a bien
pu lui faire admettre, mais qu'il aurait critiquée chez
tout autre poète, loin de la lui emprunter.
1. H, 257.
2. III, 45.
3. III, 789.
4. II, 103.
5. III, 1105.
6. II, 59.
Quant aux passages dans lesquels Vauquelin et Boileau
expriment des idées analogues, nous avouons qu'ils sont
très nombreux ; mais ce qu'il faut en conclure, ce n'est
pas que Boileau a imité Vauquelin, c'est que Boileau et
Vauquelin ont imité Horace. On peut cependant citer
d'autres endroits où les deux poètes se rencontrent sans
avoir eu un modèle commun. C'est ainsi, pour en donner
au moins un exemple, que Boileau, dans le début de son
premier chant, assigne à chaque talent le genre qui lui
convient :
La Nature, fertile en esprits excellents, etc. (1).
Vauquelin avait dit :
Des Poëtes ainsi, l'un fait un Epigramme, etc. (2).
Mais, ces exemples seraient-ils encore plus nombreux,
il n'y aurait pas lieu de s'étonner que deux auteurs d'Art
poétique traitent les mêmes développements. Comme le
dit Vauquelin,
Qui va même chemin et fait même voyage,
Quelquefois se rencontre en un même passage (3).
Bien ne peut donc prouver que Boileau ait imité Vau-
quelin; ce qui prouve qu'il ne le connaissait même
pas, c'est son ignorance complète du moyen âge et les
erreurs qu'il commet en retraçant l'histoire de notre
poésie au xvie siècle. Sans doute, il aurait pu lire tout ce
que dit Vauquelin de nos anciens genres, sans se croire
obligé de remonter plus loin que Villon ; il aurait pu se
faire par Vauquelin une idée plus exacte de Bonsard et
de la Pléiade sans rien atténuer de sa sévérité pour eux.
1.1,13.
2. 1, 783.
3. I, 771.
— CI —
Mais ce ne sont pas seulement des appréciations plus ou
moins injustes que nous relevons chez Boileau ; nous y
trouvons encore des inexactitudes matérielles, des
erreurs de fait, dans lesquelles la lecture de Vauquelin/
l'aurait empêché de tomber.
Si Boileau n'a pas connu l'Art poétique de son devan-
cier, il n'en est pas moins, comme nous l'avons déjà dit,
l'héritier de l'école dont Ronsard,le maître de Vauquelin,
fut le premier fondateur. Quelque différence qu'il y ait
entre eux, leur doctrine littéraire est au fond la même.
C'est ce que nous verrons en comparant les deux Poéti-
ques. Mais il nous faut d'abord étudier parallèlement chez
l'un et l'autre poète l'ordre et le plan de leur ouvrage,
le caractère que chacun d'eux a donné au poème didac-
tique, leur versification et leur style.
IVous avons déjà dit quelle confusion régnait dans l'Art
poétique de Vauquelin. Au contraire, Boileau procède]
avec ordre et méthode, suivant un plan qu'il s'est tracé
d'avance. On ne peut nier, d'ailleurs, que sa division n'a
rien de logique et ne se rattache à aucune idée d'ensem-
ble, ni sur une classification raisonnée des genres, ni sur
leur succession naturelle et historique. On ne voit pas
pourquoi il traite séparément les genres supérieurs et
les genres secondaires, pourquoi il range la poésie lyrique
parmi ces derniers ; on se demande quelle raison peut
l'engager à commencer par les uns plutôt que par les
autres, à traiter enfin dans le même livre la tragédie
avant l'épopée et l'épopée avant la comédie. La division
de son Art poétique n'a d'autre mérite que celui d'assurer
à chaque livre son objet déterminé. C'en est un, d'ail-
leurs, et que nous ne saurions reconnaître à Vauquelin.
Dans son premier chant, Boileau donne des conseils lit-
téraires, des préceptes de style, des leçons de goût ; dans
6.
— Cil —
le second, il s'occupe des petits genres, et, dans le troi-
sième, des genres supérieurs; dans le quatrième, enfin,
il traite des mœurs et propose aux poètes quelques règles
de conduite. Voilà une division parfaitement claire. Quant
à Vauquelin, il n'a même pas pris la peine de s'en faire
une : son poème marche au hasard sans se soumettre à
aucun plan de composition déterminé d'avance. Il définit
l'épopée dans le premier livre et en donne les règles
dans le second; il fait au début d'un chant la'théorie de
la tragédie, en expose tout à la fin l'histoire et en trace
dans un autre la définition. Un ordre quelconque, si fac-
tice qu'il pût être, vaudrait toujours mieux que cette
inextricable confusion.
L'esprit méthodique et rigoureux deBoileause retrouve
encore dans la forme générale et le caractère qu'il a
donné à son Art poétique. Législateur du Parnasse, il
conçoit son poème comme un code destiné à régir la
poésie. Il est bien loin de l'aimable familiarité avec
laquelle cause Horace ; il l'est encore plus de cet abandon
et de cette prolixité qui, chez Vauquelin, ont aussi leur
charme. C'est un arbitre souverain qui dicte des arrêts.
On ne peut sans doute lui reprocher la sévérité toute
dogmatique avec laquelle il a composé son ouvrage ; et
cependant on regrette, en admirant cette précision rigou-
reuse et impérative, qu'elle n'ait pu se concilier avec |
un peu plus d'agrément. Dans les quatre chants de Boi-
leau, nous ne trouvons d'autre digression (1) que celle
par où débute le dernier. Vauquelin, au contraire, évite
toute raideur pédantesque; les comparaisons étendues,
, les diversions, les ornements de toute espèce, abondent
dans son poème. 11 sait quelquefois être bref, quand il
dicte des règles précises et catégoriques ; on peut même
1. Excepté quand Horace lui donne l'exemple.
— cm —
citer certains vers de lui qui, comme tant d'autres de
Boileau, eussent mérité de passer en proverbe (1). Mais
cette contrainte n'est pas son fait, et, d'ordinaire, il
s'abandonne tout entier à la facilité aimable et courante
de sa verve. Il y a dans son Art poétique quelque cbose
d'aisé, de souriant et d'beureux. Que pourrait-on trouver,
par exemple, de plus agréable que sa comparaison entre
le génie du poète et le « miroir » d'un lac (2) ? Dans son
premier cbant, il montre par une figure non moins gra-
cieuse que l'art est nécessaire à la poésie :
. . .Quand un homme va pour un plaisant soûlas
Dans quelque beau jardin, etc. (3).
Boileau écrit avec précision, mais non pas sans séche-
resse, en parlant de la rime :
Au joug de la raison sans peine elle fléchit,
Et, loin de la gêner, lui sert et l'enrichit (4).
Vauquelin use d'une '• comparaison aussi heureuse que
juste :
Gomme on void que les voix fortement entonnées
Dans le cuyvre étrecy des trompettes sonnées,
Jettent un son plus clair, etc. (5).
Dans le second livre, il montre avec non moins de
bonheur qu'il ne suffit pas à la poésie de plaire et de
charmer l'oreille :
Comme en la vigne on void dessoubs la feuille verte,
La grappe cramoisie, etc. (6).
1. Par exemple :
Ce sont tableaux parlants que les vers bien escrits (7).
2. III, 659.
3. I, 21.
4. 1, 33.
5. 1, 83.
6. II, 67.
7. 1, 226.
— CIV —
Il ne craint pas non plus de quitter un moment son
sujet pour amener quelque aimable digression; c'est
ainsi qu'à la fin du premier livre, il nous raconte com-
plaisamment l'anecdote d'Antigone et de ses trois pein-
tres (1) ; au second, il fait un retour sur sa jeunesse
alors que
Sans haine et sans envie
Nous passions dans Poitiers l'Avril de notre vie (2).
On pourrait aisément multiplier de tels exemples :
ceux-là suffisent pour montrer comment notre poète sait
tempérer la sévérité du genre didactique. Cette riante
abondance se tourne souvent en défaut : Vauquelin ne
sait ni se contraindre, ni se borner; mais pourtant on
doit louer chez lui la grâce aisée et familière quand elle
ne dégénère pas en lâche prolixité, et la variété des cou-
leurs quand elle ne va pas jusqu'à la bigarrure.
Malgré le désordre qui y règne et la négligence avec
laquelle il est composé, l'Art poétique de Vauquelin ne
serait pas tombé dans l'oubli si la versification et le ,
style en étaient plus corrects et plus châtiés. C'est par là
surtout qu'il pèche. Nous l'avons déjà dit, Vauquelin ne
sait pas rythmer ses vers. Quoique les poètes du xvie
siècle, Ronsard avant tous, aient été pour la plupart
d'habiles versificateurs, on peut dire qu'aucun d'eux,
pas même Ronsard, n'a porté dans le maniement de
l'alexandrin le même art que dans la facture des strophes
lyriques. Nous ne reprocherons point à Vauquelin d'avoir
ignoré les règles de la césure, telles que Malherbe de-
vait bientôt les établir ; mais ces coupes de la période
rythmique où nos poètes modernes ont porté une
science consommée, sont chez lui, comme chez tous ses-
1. 1, 1045.
2 u. io<vr.
— cv —
contemporains, livrées entièrement au hasard ; aussi la
faculté d'enjamber l'hémistiche ou le mètre entier ne
fait- elle que donner à son alexandrin une allure incer-
taine et parfois boiteuse ; Vauquelin en use avec peu de
discernement, comme si elle permettait au poète d'aligner
à la hâte ses vers les uns après les autres sans souci d'en
accommoder le rythme à l'expression de la pensée et du
sentiment. Il ne voit pas que l'alexandrin à la césure va-
riable, au libre rejet, est bien plus difficile à manier,
l'absence même de règles fixes laissant à l'oreille et au
goût du poète une liberté périlleuse : cette liberté, il
n'en profite que pour faire de sa facilité naturelle le plus
regrettable abus. Ses vers sont pour ainsi dire inarticu-
lés, et leur fluidité même les empêche de prendre aucune
forme précise. Combien l'alexandrin de Boileau est diffé-
rent, c'est ce que nous n'avons pas besoin de dire :
chez le poète du xvne siècle, il a définitivement revêtu
le rythme classique, ; il s'est soumis à des lois inflexibles
qui, après avoir isolé chaque unité métrique, la décom-
posent en deux fragments toujours égaux, et font inva-
riablement concorder les divisions du rythme avec celles
du sens : le vers de douze syllabes peut être dès lors con-
sidéré comme un tout indépendant de ce qui précède et
de ce qui suit;; bien plus, chaque hémistiche est lui-même
une sorte d'entité rythmique complète en soi, un vers
de six syllabes dans celui de douze. Cette symétrie con-
vient peut-être à la sévérité du genre didactique, tel que
Boileau l'avait conçu ; les préceptes, les règles qu'il for-
mule, se gravent d'autant mieux dans l'esprit et ont une
autorité d'autant plus grande qu'ils s'expriment sous une
forme rythmique plus fixe et plus arrêtée. Toutefois, on
peut reprocher au poète d'avoir péché pas trop de ri-
gueur : tous ses alexandrins sont coulés dans le même
— CVI —
moule ; an balancier en marquerait parfaitement la me-
sure. Ce vers uniforme et monotone n'est point celui de
Racine et de Molière ; et, si la liberté du xvie siècle offre
des dangers que Vauquelin n'a même pas l'air de soup4j
çonner, la symétrie impitoyable du vers rigoureusement
classique a, chez Boileau comme chez Malherbe, une !
raideur mécanique qui rend le rythme incapable de toute
inflexion.
Nous trouvons la même opposition dans le style desV
deux poètes. Vauquelin avait toujours vécu loin de la,',
cour ; aussi ne rencontre-t-on pas chez lui cette pureté,
cette élégance polie qu'il loue chez du Perron et Des-*
portes. Il connaissait lui-même les défauts de sa versi-
fication, et il les confesse ingénument :
Faites que vostre grâce, ô riantes Charités,
Couvre ici le défaut de ces Règles escrites
En vers mal agencez (1).
Ceux de son style ne lui échappent pas davantage :
Marri que n'est sa Muse et plus nette et polie (2).
Daniel Huet dit, non pas d'ailleurs sans beaucoup
d'exagération : « Si Vauquelin avait joint à ses talents la
politesse du grand monde, il irait de pair avec les plus
célèbres poètes de son siècle (3). » Mais [c'est justement
ce commerce du grand monde qui manqua à Vauquelin,
et lui-même se plaint souvent d'être trop absorbé par les
devoirs de sa charge pour accorder assez de soin à ses
poèmes. Il ne faut donc pas s'étonner que son style soit
en général diffus, qu'il manque si souvent d'aisance élé-
gante et de vive précision. Vauquelin n'est pas de ceux
1. II, 15.
2. 1, 1159.
3. Origines, p. 554.
— CVII —
qui ont poli sans cesse et repoli leurs ouvrages ; au con-
traire, il laisse courir sa plume à l'aventure et ne ren-
contre que bien rarement l'expression juste. Certes, l'Art
poétique de Boileau, malgré la réputation qu'il en a,
n'est point un modèle de style : les termes y manquent
trop souvent de propriété ; la forme a parfois bien de
l'âpreté et bien de la contrainte ; l'écrivain est à cbaque
instant la dupe du versificateur. Mais, malgré ces défauts,
il y a dans son style une assurance, une méthode, une
discipline que le poète du xvie siècle n'a jamais connues.
C'est par d'autres qualités que Vauquelin se recommande
à nous ; son style d'improvisateur, diffus, impropre, sou-
vent même incorrect, a du moins une liberté, une sou-
plesse qui manquent à Boileau, dont l'art laborieux se
trahit toujours : si le premier fait des vers faciles avec trop
de facilité, on peut dire que le second fait difficilement des
vers souvent bien difficiles. Le style de Boileau a d'ailleurs
quelque chose de terne et de sourd ; je ne sais quelle
teinte grise et morne semble faire le fond de la toile, à
peine égayée çà et là par des nuances plus vives. Quant à
Vauquelin, ce qu'on pourrait lui reprocher, c'est au con-
traire l'abus de la couleur ; dans son poème, les tons les
plus riches et les plus variés se combinent en offrant
toujours à l'œil un tableau clair et riant, mais taché par
de nombreuses dissonnances. Le poète laisse toute li-
berté à son imagination ; il en sème les trésors à plei-
nes mains et profite de ce que Malherbe, le maître d»
Boileau, n'a pas encore « réduit la muse aux règles du
devoir (1) ». Son style florissant manque de sobriété ; le
style de Boileau, ferme, sensé, d'une probité un peu
raide, reste toujours marqué et comme frappé d'une trie-
tesse native.
1. Boileau, Art.poët., I, 131.
— CVIII —
Par ses défauts et par quelques-unes de ses qualités
mêmes, le poème de Vauquelin n'était pas fait pour ré-
gir la poésie française avec autorité. Il le publia à une
époque où Malherbe, devenu déjà le « tyran du Par-
nasse », avait rayé d'un trait de plume toutes les œuvres
de ses devanciers. Lui-même, d'ailleurs, n'avait rien qui
le désignât comme arbitre et comme législateur; ce
n'est après tout qu'un disciple de Ronsard parmi tant
d'autres. Enfin, le siècle où il vivait avait déjà vu tant de
changements dans notre langue et dans notre poésie que,
s'il eût même publié son Art poétique avant l'avènement
de Malherbe, personne n'en aurait pu croire l'autorité
bien durable. Au contraire, celui de Boileau paraît à un
moment où la poésie française, après une longue période
de trouble et de confusion, semble s'être définitivement
soumise à la discipline classique. Dans les lettres comme
dans l'État politique et social, tout se règle et s'organise.
Boileau lui-même est compté parmi les plus grands
poètes de son siècle ; on l'accepte comme le juge su-
prême du goût, et les arrêts qu'il prononce sont tenus
pour des oracles : son Art poétique est la table d'airain
sur laquelle il grave pour toujours les lois de la poésie.
Si son esprit si judicieux et si droit, son respect de la
règle, son amour de la symétrie, son style sobre et sain,
font de lui le représentant le plus fidèle du xvne siècle,
Vauquelin appartient au xvie dont il reproduit bien l'hu-
meur libre, la verve souvent débordante, la raison encore
peu assurée, l'imagination brillante et féconde, mais sans
règle ni frein.
Toutefois il ne faut pas oublier que, dans cette pé-
riode confuse et tumultueuse qui s'étend depuis Ron-
sard jusqu'à Malherbe, se sont déjà formés et ont com-
— CIX —
mencé à mûrir ces fruits heureux de notre poésie qu'ua
siècle plus fortuné cueillera.
Quand on connaît le dédain que le xvif siècle mani-
feste pour l'école de Ronsard, on se demande tout
d'abord s'il n'y a pas eu comme une rupture dans l'his-
toire et les traditions de la poésie française. Mais ce dé-
dain hest-il pas celui que les poètes de la Pléiade pro-
fessaient eux-mêmes pour leurs devanciers ? et l'on sait
cependant que la Renaissance, loin d'éclater brusque-
ment, avait été longuement préparée par les Jean Le
Maire, les Marot, les Scève, les Héroët. Roileau, tout en
gardant un souvenir à Marot et à Villon, ne fait dater la
poésie que de Malherbe, son maître : il lui était d'autant
plus facile de dédaigner le xvie siècle qu'il ne le connais-
sait guère. Mais, quoi que lui-même en pense, il est bien
le disciple et l'héritier de ce Ronsard qu'il a si durement
traité.
Au point de vue de la versification, nous ne voyons
de Ronsard à Roileau, que des changements, importants
sans doute, mais qui ne portent pas, après tout, sur la
forme coDstitutive du vers. La langue subit des épura-
tions successives en passant de la Pléiade à Malherbe, de
Malherbe à Vaugelas et à Corneille, de Corneille à Ra-
cine ; cependant, c'est toujours celle que Ronsard a crééer
et le xvne siècle, s'il y opère beaucoup de retranche-
ments, n'y ajoute presque rien. Il nous parait inutile
d'insister sur ces deux points qui ne sont pas contesta-
bles. Quant à la doctrine littéraire du xvne siècle, oa
ne peut niei que, dans son ensemble, elle a Ronsard pour
premier maître et pour initiateur : Roileau ne fera que
donner aux vues et aux théories de Vauquelin une forme
plus précise et plus rigoureuse.
C'est le xvie siècle qui a, pour ainsi dire, retrouvé l'an~
7
— ex —
tiquité : cette sorte de résurrection, connue sous le nom
de Renaissance, ouvre une nouvelle ère, et le goût fran-
çais prend dès lors une direction à laquelle l'âge suivant
restera fidèle. Sans doute, on ne peut comparer la poé-^
sie de la Pléiade avec celle du xvne siècle : l'une manque
de maturité et d'équilibre ; l'autre, au contraire, atteint à
cette perfection d'art, à cette harmonie du fond et de la
forme, à cet heureux tempérament de la raison et de
l'imagination, qui lui ont mérité le nom de poésie clas
sique. Mais, si Ronsard et ses disciples n'ont peut-êtr
rien laissé que Ton puisse égaler aux chefs-d'œuvre du
siècle suivant, ils ont au moins amorcé la voie pour des
génies plus favorisés. Malherbe crut renverser de fon
en comble l'édifice élevé par la Pléiade : il n'en abatti
que l'échafaudage hérissé et fastueux, derrière lequel on
put dès lors apercevoir les lignes sobres et régulières d
l'édifice lui-même.
Le xvie siècle a restauré, sans exception, toutes le
formes poétiques que le xvnr2 cultivera. Il n'en est pa
une que l'on ne trouve dans le poème de Vauquelin. No
seulement elles sont connues, mais la classification e
est faite, et l'âge suivant n'y changera rien ; tout, dan
notre poésie, a été mis en ordre, casé, étiqueté. Discipl
d'Aristote, Vauquelin adopte les divisions et les formule
de cet esprit systématique ; disciple d'Horace, il emprunt
au poète latin ses préceptes et ses maximes de goût,
travail est fait une fois pour toutes, et le siècle de Loui
XIV n'y reviendra plus, fioileau se garde bien de déran
ger une symétrie si conforme au génie classique ; il ■
fait que la mettre encore plus au jour, en donnant à s
Poétique un ordre plus rigoureux que Vauquelin.
Si les genres sont les mêmes, chacun d'eux a dès 1
xvie siècle ses règles définitives. Passons en revue le
— CXI —
principaux. L'ode a été créée par Ronsard sous toutes
ses formes ; nous savons que Vauquelin préfère à l'imi-
tation de Pindare celle d'Anacréon ; mais c'est là un pen-
chant particulier de son esprit et de sa nature, et qui ne
l'empêche pas de donner son tribut d'éloge aux odes
pindaresques du maître. Au fond, si l'on prend ce genre
dans son acception la plus élevée, le xvie siècle n'en a
point eu l'intelligence. Ronsard s'est démené et surmené
pour calquer les transpoits de Pindare, il n'a fait que
des pastiches sans vie. Mais, quand Boileau s'est mis en
tête de composer une ode, n'est-ce point aussi au poète
grec qu'il est allé demander la grande inspiration lyrique,
et l'ode sur la prise de Namur est-elle moins ridicule que
celles de Ronsard ? Il a beau émanciper son imagination
jusqu'à comparer avec un astre la plume blanche que le
roi portait à son chapeau : qui ne sent, dans ce dithy-
rambe avorté, le feinte ivresse d'un sage ? C'était bien la
peine de reprocher à Ronsard le faste pédantesque de ses
grands mots ! Voilà pourtant l'ode dont Boileau nous fait
la théorie dans son Art poétique : comme celui de Ron-
sard, son beau désordre est un effet de l'art, et il a du
lyrisme une idée tout aussi fausse que le xvie siècle.
En est-il autrement pour la poésie épique? Ainsi que
nous l'avons dit, Vauquelin en donne une définition
large et libérale ; mais ce n'est plus, à proprement parler,
une définition véritable, c'est plutôt une sorte de tableau
où figure la nature entière. Le poète reste dans le vague
par ignorance, par timidité; au fond, nul doute que son
idéal de l'épopée ne fût conforme à celui de la Franciade,
où il ne trouve à regretter que l'emploi du décasyllabe.
Mais cette Franciade, si vite tombée dans l'oubli et que le
xvne siècle connaissait à peine de nom, n'est-elle pas
aussi, dans son cadre général et dans sa conception d'en-
— CXII —
semble, l'épopée dont Boileau lui-même nous donne la
formule ? Boileau se posa en défenseur d'Homère, mais
il ne le comprend ni mieux ni autrement que le xvie sièl
cle. Pour lui comme pour l'école de Ronsard, l'épopée
estime œuvre tout artificielle, pure matière à «orne-
ments égayés » .
Si nous passons à la tragédie et à la comédie, Boileau'
n'ajoute rien à Vauquelin. Le xvne siècle a ses Corneille,
ses Racine, ses Molière ; mais la théorie même du genre
dramatique n'a guère changé depuis la Pléiade. Vauque-1
lin et Boileau donnent les mêmes règles ; tous deux sei
contentent de traduire Horace. Cette loi des unités qui
domine toute notre scène classique, nous l'avons déjà
trouvée dans le poète duxvr5 siècle : les tragiques contem-
porains l'observent peut-être moins en vue de Part que
par un effet de l'imitation, mais Corneille lui-même s'y-;
soumettra moinspar conviction que par crainte. Si l'école
de Ronsard saisit plutôt la lettre que l'esprit du théâtre
ancien, si elle ne parvient qu'à « parodier puérilement
les solennités olympiques dans des classes et des réfec-1
toires de collège », on ne saurait, du moins, nier qu'elle a
dressé l'écho faut sur lequel Corneille fera jouer le Cid et \
Racine Andromaque. La tragédie, dans sa forme exté-l
rieure, n'éprouvera plus de modifications essentielles :
le tableau pourra changer, mais le cadre restera le
même. Il n'en est pas autrement de la comédie ; la mar-
che en est plus libre au xvie siècle, et les règles moins
étroites que pour la tragédie; cette liberté relative, elle
en jouira encore au siècle de Louis XIV. Si Vauquelin
n'y apporte pas trop d'entraves, rappelons-nous aussi
que, pour le plus grand comique de l'âge suivant, la rè-
gle capitale, la seule règle, c'est de plaire.
Il est inutile de poursuivre plus loin un parallèle dont
— CXIII —
'l'étude des autres genres poétiques ne ferait que confir-
i mer la conclusion. Le seul point important sur lequel Vau-
quelin soit en opposition avec le xvne siècle, c'est l'usage
du merveilleux païen ; mais, sur ce point, Vauquelin,
comme on le sait, est lui-même en contradiction directe
avec l'école de Ronsard.
La doctrine classique est donc établie déjà par la
Pléiade, dont notre poète est, sauf quelques réserves, le
fidèle représentant. Certes, la discipline du xvne siècle
est bien plus forte, bien mieux assise, bien plus réfléchie;
mais les principes en sont les mêmes dans Vauquelin et
dans Boileau. Quels que soient ses écarts de goût et les
défauts de son esprit, Vauquelin n'est pas sans avoir re-
connu lui-même cet empire de la raison que Boileau
établira si fortement. Pour lui comme pour le poète du
xvne siècle, la source de la poésie est « toute céleste »,
et l'inspiration des poètes vient directement des dieux :
De fureur sainte épris,
Ils sentent tellement élever leurs espris
Et de Phœbus si fort échauffer leurs poitrines... etc. (1).
Mais il sait aussi quelle est la nécessité du goût et de
l'art.
...Tout par art se fait, tout par art se construit...
Et sur tous le Poëte en son dous exercice
Mesle avec la nature un plaisant artifice (2).
Il assujettit le génie et l'inspiration même au joug de
la raison :
Rends au bon jugement sujette ta fureur (3).
Bien plus, dans une comparaison que nous avons déjà
citée, c'est avec un jardin « aux sentes egallees », et non
1. 1, 97.
I 2. I, 77.
3. 1, 942.
— CXIV —
avec un paysage agreste qu'il compare la poésie (1) : on
ne pourrait pas demander davantage à un contemporain
de la Quintinie.
Nous l'avouerons toutefois, ni Vauquelin, ni les poètes ;
de son temps n'ont toujours suivi ces conseils si sagesj
qu'il leur donna. Notre poésie, même après l'Art poétique <
que nous venons d'étudier, a besoin de trouver, d'abord ;
avec Malherbe, ensuite avec Boileau, une autorité plus
ferme et mieux réglée^ Mais, si le xvi* siècle manque \
encore de sagesse et de sobriété, il ne lui faut déjà plusi
que quelques amendements pour devenir le siècle clas- 1
sique. Malherbe et Boileau feront rentrer les eaux du.]
fleuve dans leur lit : ce lit restera toujours le même.i
En somme, Ronsard, comme le dit Balzac (2), est une.
grande source; sans doute, nous la trouvons un peu
bourbeuse par endroits et souvent rocailleuse ; mais, en]
se purifiant, en s'élargissant, elle deviendra bientôt ce]
grand fleuve de poésie royale qui a trop souvent méprisé
et ignoré son origine. Boileau est l'héritier de Vauquelin;
comme Racine l'est de Ronsard. Dans l'histoire de la]
poésie française, il y a jusqu'à notre siècle deux grandes!
époques : le moyen âge, qui s'étend jusqu'à Ronsard, lai
période classique, qui va de Ronsard jusqu'à Victor]
Hugo.
1. 1,21.
2. Entretien xxxn. ■' '
AV LECTEUR
Lectevr, ce sont ici des vieilles et des nouuelles
Poésies : Vieilles, caria plupart sont composées il y
a longtemps : Nouuelles, car on n'escrit point à
cette heure, comme on escriuoit quand elles furent
escrites. Si elles ne sont telles qu'elles deuroient estre,
c'est mon défaut : car de mon temps on escriuoit
assez bien. Si elles ne sont assez reueûes et pollies
c'est ma paresse. Aussi que jamais ie ne m'oubliay
tant, que ie laissasse mes affaires pour entendre à
mes vers : Et me donnant garde que les Syrenes des
Muses ne m'abusassent, ie me tenoy lié à ma profes-
sion toute contraire à leurs Chansons, lesquelles ie
n'escoutoy qu'à mon grand loisir et aux heures où
d'autres s'ebatent à des exercices moins honnestes.
Le Public où i'estois attaché, tous les troubles de
ce Royaume auenus de mon âge et le soin de mon
ménage m'empescherent de les reuoir et de les faire
imprimer alors que leur langage et leur stile eust
— CXYI —
«s té, peut-estre, receu comme celuy de beaucoup
qui firent voir leurs ouurages au mesme temps.
Mais grand nombre des Poésies de mon siècle et de
«eux à qui i'auoy donné de mes vers sont trépassez,
et le Roy mort, par le commandement duquel i'auoy
paracheué mon Art Poétique : et quant et quant ces
doux passetemps tombez en tel mespris, que depuis
en n'en a tenu guère de conte. Ce qui fera que ceux-ci
venants hors de saison et comme mets d'entrée de
table à la lin du disner (ou comme ceux qui après
la dixiesme année vinrent au secours de Troye), ne
seront si bien receus qu'ils auroient esté du viuant
de mes contemporains. C'est pourquoy vn ancien
disoit bien à propos, qu'il estoit malaisé de rendre
conte de sa vie deuant des hommes d'vn autre siècle
que de celuy auquel on auoit vescu . Toutefois ne les
pouuant changer ni r'accoutrer suiuant la façon des
habits de maintenant, ie les laisse à leur naturel.
Et me souuenant qu'en yEtiopie encor que les plus
grands et les plus beaux fussent choisis pour estre
-Rois, que pourtant ceux-là n'estoient chassez du
Royaume, ni de la Chose publique qui en la stature
et en la proportion des membres auoient eu la
Nature moin? fauorable : j'espère ainsi, que mes
— CXYII —
vers en leur premier accoutrement pourront auoir
juelque place entre les moindres, s'ils ne peuuent
ittainclre à la hauteur des grands. Sinon me voyant
aranti par la defence de mes ans (et que la
osterité sera iuge des ouurages d'autruy et non
ceux qui viuent), ie les laisser ay au rang des vani-
tez du monde, dont ieme moqueray auec ceux qui
s'en moqueront, ie te prie Lecteur, d'en faire de
mesme : car ie ne trouue plus rien ici bas d'admi-
rable que les œuures de Dieu : aux volontez duquel,
i'essaye à me ranger et à me conformer de sorte,
que quand il me faudra partir pour aller à luy, ie
m'y en aille volontairement et sans regret.
7.
EXTRAICT DV PRIVILEGE
DV ROY
Par Lettres patentes du Roy, données à Paris le]
vingt troisiesme iour de Décembre mil six cents qua-
tre, signées par le Roy en son Conseil Angenoust, etj
scellées du grand sceau en cire iaune. Il est permis
au Sieur de la Fresnaie Vauquelin, défaire imprimer,
vendre et distribuer ses Poésies Françoises durant le
temps de dix ans, sans qu'autres que ceux qu'il y
commettra les puissent imprimer, ou faire imprimer,
vendre et distribuer, sur peine de confiscation et
d'amende arbitraire, comme il est plus amplement
contenu esdites Lettres.
Ledit Sieur de la Fresnaie au Saunage, Sassi,
Boessey,les Yueteaux,les Aulnez,et iïArri, Conseil-
ler du Roy, et Président au Bailliage et Siège Presi-
dial de Caen, a transporté ledit Priuilege à Charles
Macé,pour en iouirsuiuant V intention de sa Maiesté,
deuant les Tabellions Royaux à Caen, le vingt troi-
siesme de Iuillet mil six cents cinq.
A
L'ART •
POETIQVE
FRANÇOIS
ou l'on pevt remarqver la perfection et le defavt
DES ANCIENNES ET DES MODERNES POESIES
AV ROY
Par le sieur de la Fresnaie Vavqvelin
LIVRE PREMIER
Sire, ie conte ici les beaus enseignemens
De l'art de Poésie, et quels commencemens
Les Poëmes ont eu ; quels auteurs, quelle trace
Il faut suiure qui veut grimper dessus Parnasse.
Muses, s'il est permis d'enseigner l'Art des vers, 5
Et montrer d'Helicon les saints écrins ouuers,
Que chacune de vous me montre sa cachette :
Permettez que les huis de Cirrhe ie crochette.
Que ie monte en Parnasse ouurant vos cabinets,
Que ie cueille les fleurs des féconds iardinets io
De Pimple et de Permesse : et que l'eau de Pirene
Ruisselle dans mes vers sur la françoise arène.
I. Sire. Henri III.
5. sqq. Cf. Vida. Ars poetic. 1, 1 sqq.
8. Cirrhe. "Ville de Phocide, non loin de Delphes,
II. Pimple. Montagne de la Piérie, au pied de laquelle jaillissait
une source consacrée aux Muses. — Permesse. Source de Béotie
sortant de l'Hélicon. — Pirene. Fontaine de Corinthe consacrée aux
Muses.
Apollon pren pour moy ton Luth harmonieux,
Etoufe d'vn son doux le bruit calomnieux
De ceux qui blâmeront cette mode enseignante 15
Pour ne sentir assez sa façon élégante.
Et vous, ô mon grand Roy soyez, le deffendeur
De l'ouurage duquel vous estes commandeur.
Gomme Dieu grand ouurier,flst de rien toute chose,
Son œuure aussi de peu le Poëte compose : 20
Mais quand vn homme va pour vn plaisant soûlas,
Dans quelque beau iardin, dressé par entrelas
D'aires, de pourmenoirs et de longues allées,
Partis diuersement en sentes egallees;
S'il marche dédaigneux par dessus les plançons 25
Des aires, compartis en diuerses façons,
Et qu'il rompe en passant les bordures tondues,
Et d'vn gentil dedal les hayettes fendues,
Au lieu d'aller ioyeux par les petits sentiers,
Diuisant le parterre en ses diuers quartiers, 30
Le iardinier fasché de voir les pieds superbes
De ce hautain gaster son iardin et ses herbes,,
De mots iniurieux à luy s'adressera,
Et hors de son iardin, dépit le chassera.
Ainsi quand le grand Dieu iardinier de la terre 35
Nous void marcher hautains au inonde son parterre,
17-18. Cf. III, 1145 sqq. De même Préface, p. cxvi, ligne 1.
21. Mais. Le poète compose son œuvre de peu ; mais, pour ce
peu même, il faut de l'art. Cf. les vers 55, 56, qu'annoncent les. com-
paraisons précédentes.
21 sqq. Vauquelin compare la poésie à un. jardin symétrique-
ment dressé : on ne saurait être plus classique.
— 3 —
Hors de ses chemins droits, les espaliers brisant..
Les berceaus et les fleurs de son iardin plaisant,
Il nous chasse dehors : il luy déplaist que l'homme
Retenté de nouueau regouste de la pomme : 40
Sa loy, ses mandemens, sentiers de la cité,
Sont chemins ou l'on peut marcher en seureté.
SIRE pareillement si quelcun plein d'audace,
Malin, outrecuidé, vos Edicts outrepasse,
De vos grands Parlemens le seuere pouuoir 45
Le fait bien tost ranger à son humble deuoir.
Yostre image parlant en vos licts de iustice,
Fait de vostre Royaume obseruer la police,
Et votre bras vangeur poursuit de toutes pars
Ceux qui vous irritant veulent irriter Mars. 50
Les Edicts de nos Roys, vos iustes ordonnances,
Doiuent à vos suiets seruir de souuenances
Du trac, dont on ne doit iamais se détraquer,
Qui ne veut le couroux du prince prouoquer.
De mesme en tous les arts formez sur la Nature, 55
Sans art il ne faut point marcher à l'auenture :
Autrement Apollon ne guidant point nos pas,
Monter au double mont ne nous souffriroit pas ;
Les chemins sont tracez, qui veut par autre voye
Regaigner les deuants, bien souuent se fouruoye : 60
:Car nos sçauans maieurs nous ont desia tracé
Yn sentier qui de nous ne doit estre laissé.
61. Nos maieurs. Les ancêtres des réformateurs poétiques sout
les anciens.
Pour ce ensuiuant les pas du fils de Nicomache,
Du harpeur de Calabre,et tout ce que remâche
Vide, et Minturne après, i'ay cet œuure apresté, 65
Sire, l'accommodant au langage vsité
De vostre france, afin que la françoise Muse
Sans Art à l'auenir ne demeure confuse.
Mais qui selon cet Art du tout se formera
Hardiment peut oser tout ce qui luy plaira 70
Escriuant en françois ; ainsi vostre langage
Par ces vers ne reçoit vn léger auantage
Yeu qu'il se trouue plus de comments mille fois
Au latin, que de vers en l'art du Galabrois :
Et puis ce n'est pas peu de ioindre à vos domaines, 75
Sans dépence ou hasard, les dépouilles Romaines.
Mais tout par art se fait, tout par art se construit,
Par art guide les Naux le Nautonnier instruit,
Et sur tous le Poëte en son dous exercice
Mesle avec la nature vn plaisant artifice ; 80
Tesmoin en est cet Art, qui par les vers conté,
A tous les autres arts aisément surmonté.
Gomme on void que les voix fortement entonnées
63. Du fils de Nicomache. Aristote.
64. Du harpeur de Calabre. Horace.
65. Vide et Minturne. Voir la Notice. IIe partie, chap. Ier.
67. france (sic).
67-68. Cf. m, 1151 sqq.
77. Mais est ici une simple formule de transition. — Cf. Ovide :
Arte cita? veloque rates remoque moventur,
Arte levés currus. {Art d'aimer, I, 34.)
83 sqq. Cf. Sénèque :« Nam,ut dicebat Cleanthes, quemadmodum
spiritus noster clariorem sonum reddit cum illum tuba, per longi
canalis angustias tractum, potentiorem novissimo exitu effudit, sic
— 5 —
Dans le cuyure étrecy des trompettes sonnées,
Iettent vn son plus clair, plus haut, plus souuerain, 85
Pour estre l'air contraint dans les canaux d'erain :
Ainsi les beaus desseins plus clairs on fait- entendre,
De les soumettre aux loix qu'en prose les étendre.
Premier cette raison, fist asseruir les voix,
Soubs l'air de la syllabe à conter par ses doigs. 90
L'inuention des vers estre des cieux venue,
Est vne opinion des plus sçauans tenue,
Et le fils de Latone ils y font présider
Et les vierges qu'on fait en Pinde résider,
Pour monstrer que la source en est toute céleste ; 95-
sensus nostros clariores carmiais arta nécessitas efficit. » (Let-
tre 108).
Lafaye:
Boileau :
De la contrainte rigoureuse
Où l'esprit semble resserré,
Il reçoit cette force heureuse
Qui l'élève au plus haut degré.
Telle, dans les canaux pressée,
Avec plus de force élancée,
L'onde s'élève dans les airs;
Et la règle qui semble austère
N'est qu'un art plus certain de plaire
Inséparable des beaux vers.
(Epitre sur les avantages de la rime.)
Au joug de la raison sans peine elle fléchit,
Et, loin de la gêner, la sert et l'enrichit.
(Art poétique. I, 33,34.)
88. Qu'en prose les étendre. D'après Vauquelin, les nécessités
de la versification tendent à resserrer la pensée. Ce n'est pas tou-
jours vrai, et son Art poétique, dont le style est si souvent lâche
et prolixe, nous en fournit la meilleure preuve.
90. Pour comprendre ce vers, il faut se reporter à la compa-
raison qui précède. Cf. notamment le vers 86.
— 6 —
Ce qu'vn rauissemenl à plusieurs manifeste ;
Car estants idiots de fureur sainte épris,
Ils sentent tellement éleuer leurs espris,
Et de Phœbus si fort échauffer leurs poitrines
Que» comme s'ils auoient apris toutes doctrines, 100
Ils chantent mille vers qu'on pourroit égaller
A ceux qui font la Muse en Homère parler :
Puis quand cet éguillon plus ne les epoinçonne,
Ils remâchent leurs vers, leur Muse plus ne sonne :
Et demeurants muets ils sontémerueillez 105
Quel Ange auoit ainsi tous leurs sens reueillez,
Quel Bacchus leur auoit l'ame tant éleuee,
Et du Nectar des dieux tellement abreuuee,
Que sans corps ils estoient en tel rauissement
Tirez iusques au Ciel, ou le saint souflement 110
De la bouche de Dieu leur halenoit en l'ame
Vne fureur diuine, vn rayon, vne flame,
96 sqq. Cf. Du Bartas:
Les vrais poètes sont tels que la cornemuse
Qui pleine de vent sonne et vuide perd le son :
Car leur fureur durant dure aussi leur chanson
Et si la fureur cesse aussi cesse leur muse.
(Uranie.)
Ronsard exprime les mêmes idées dans son Abrégé d'art poétique
et dans son Épitre à Grévin^ C'est la doctrine platonicienne (Ion et
Phèdre). Boileau parle aussi d'une influence céleste, mais il n'y
a plus chez lui qu'une figure banale.
102. Cf. Boileau:
Jadis avec Homère, aux rives du Permesse,
Dans ce bois de lauriers où seul il me suivait,
Je les fis toutes deux : plein d'une douce ivresse,
Je chantais ; Homère écrivait.
(Epigr. sur Homère.)
106. Quel ange. Cet ange est d'un singulier effet dans un cou-
plet tout mythologique où interviennent Bacchus et Apollon. -
Qui sans art, sans sçauoir. les faisoit tant oser,
Qu'en tous arts ils vouloient et sçauoient composer ;
Gela fist que l'on vid maints doctes recognoistre, 115
Les Orateurs se faire, et les Poètes naistre.
Et truchemens des dieux beaucoup les appeloient,
Groy ans que parleur bouche aux humains ils parloient.
On void aussi que l'homme ayant dés la naissance
Le Nombre, l'Armonie et la Contrefaisance, 120
Trois points que le Poëte obserue en tous ses vers
Que de la sont venus tous les genres diuers
Qu'on a de Poésie : à raison que naissante
Premier cette Nature en tous contrefaisante,
Fist que celuy qui fut enclin pour imiter, 125
S'enhardit peu à peu de nous représenter
Tous les gestes d'autruy, chanter à l'auenture
Rapportant à la voix l'accort et la mesure :
Depuis il s'ensuiuit qu'en beaucoup de façons
Elle fut diuisee en l'esprit des garçons, 130
Selon que de leurs meurs la couslume diuerse
A faire les poussoit des vers à la trauerse.
Delà vint qu'on voyoit les sages généreux
116. Cf. Quintilicn : « Naseuntur poetae, fiunt oratores. » — « Le
poëte naist, l'orateur se faict. » (Adages françois de Jean le Bon, 1570.)
119. Cf. Aristote. Poétique, IV, 1, 2.
122. Que de là. Cette répétition du que ÇV. notre étude sur la
syntaxe de Vauquelin, où l'on en trouvera d autres exemples), est
fréquente chez les écrivains du xvie siècle; elle se justifie ici
par la parenthèse qui précèdent équivaut à on voit, dis-je, que.
130. Elle. C'est-à-dire cette Nature ainsi contrefaisante, cet ins-
tinct naturel d'imitation.
133. Delà (sic).
Les gestes imiter des hommes valeureux :
Les prudens contrefaire vne vieille prudence, 135.
Et mettre d'vn Nestor l'esprit en euidence,
En imitant leurs meurs, leurs belles actions,
Comme elles ressembloient à leurs intentions :
Les autres plus légers les actions légères
Imitoient des mauuais : et comme harengeres 140
Touchoient l'honneur de tous vsant de motspicquants,
Au contraire de ceux qui les dieux inuoquants,
Faisoient à leur honneur des Hymmes vénérables,
Ou celebroient des bons les bontez fauorables :
De Nature ils estoient poussez à cet effet: 145
Nul ne perisoit à l'Art qui depuis s'en est fait:
Mais l'vsage flst l'Art; FArt par apprentissage
Renouuelle, embellit, règle et maintient l'vsage :
Et ce bel Art nous sert d'escalier pour monter
A Dieu, quand du nectar nous desirons gouster. 150
Le Nombre et la Musique en leur douce Harmonie,
Sont quasi comme l'ame en la sainte manie
De tout genre de vers, de qui faut emprunter
137. Leurs se rapporte à la fois à hommes valeureux et à
Nestor. Mœurs est mis pour celui-ci, belles actions pour les
autres.
147. Cf. Maniiius :
Per variosusus artem experientia fecit. 1,59.
149-150. Comparaison bizarre, mais comme on en trouve un
grand nombre chez les poètes du xvie siècle. Dans Du Bartas,
l'univers est
Une vis à repos qui par certains degrez
Fait monter nos esprits sur les planchers sacrez
Du ciel porte brandons. (I™ Sem., I.)
153. De qui se rapporte à Nombre et Musique. Le Nombre et
la Musique sont comme l'âme des vers, et c'est d'eux qu'il faut,etc.
Le sucre et la douceur pour les faire gouster.
Bien que la vigne soit aussi belle aussi viue 155-
Qu'aucun autre arbrisseau qu'un laboureur cultiue,
Il la faut toutesfbis appuyer d'échalas,
Ou quelque arbre à plaisir luy bailler pour soûlas :
Ainsi des autres Arts il faudra qu'on appuyé
La Poésie, afin qu'elle en bas ne s'ennuye : 160
Le Lierre en la sorte en forme de serpent,
Sans son grand artifice en bas iroit rampant :
Aux arbres il s'attache, industrieux il grimpe
Par son trauail, plus haut que le coupeau d'Olimpe:
Il grauit contremont sur les antiques murs 165
Il s'éleue collé dessus les chesnes durs,
Et sa force si bien haussant il etançonne,
Que plus ferme est son pied qu'vne ferme coulonne,
De mesme la Nature aux Arts a son recours,
Pour auoir vn soustien, pour auoir vn secours, no
Qui ferme rend sa peine en plaisir égayée
De se voir par les fleurs de science étayee :
C'est pourquoy quand on fait par vn prix droicturier,
La couronne aux sçauans de verdoyant laurier,,
(Signe que la verdeur d'immortelle durée 175
Aura contre le temps vne force asseuree)
On y met du lierre ensemble entrelassé,
Pour montrer que sans l'Art l'esprit est tost lassé :
Ainsi representoit l'Egiptienne écolle
Le Poëte parfait, par ce gentil symbolle. 180
179-180. 11 s'agit des hiéroglyphes.
— 10 —
Comme vn autre disoit, que de laict doucereux,
Pour montrer la Nature, et de miel sauoureux,
Pour marquer l'artifice, on debueroit repaistre,
Celuy qui veut aux vers se faire appeler maistre.
Personne ne pouuant sans leur conionction 135
Iamais toucher au but de la perfection.
C'est vn Art d'imiter, Vn Art de contrefaire
Que toute Poésie, ainsi que de pourtraire,
Et l'imitation est naturelle en nous :
Vn autre contrefaire il est facile à tous ; 190
Et nous plaist en peinture vne chose hideuse,
Qui seroit à la voir en essence fâcheuse.
Comme il fait plus beau voir vn singe bien pourtrait:
Vn dragon écaillé proprement contrefait,
Vn visage hideux de quelque laid Thersite, 195
Que le vray naturel qu'vn sçauant peintre imite :
Il est aussi plus beau voir d'vn pinceau parlant
Dépeinte dans les vers la fureur de Roland,
Et l'amour forcené de la pauure Glimene,
Que de voir tout au vray la rage qui les mené. 200
Tant s'en faut que le beau, contrefait, ne soit beau,
187. Un s'écrit avec une majuscule clans la texte de 1605.
193 sqq. Cf. Boileau. Art. poét. III, 1-8.
198. La fureur de Roland- Le titre du poëme eslRoland furieux.
199. Climène, fille de Dicée, chez lequel Francus avait reçu l'hos-
pitalité, s'éprend pour le jeune héros d'un amour forcené, auquel
il ne répond pas : la nouvelle Didon se précipite dans la mer.
Cf. Franciade, ch. m.
201 sq. Cf. Pascal : « Quelle vanité que la peinture qui attire
l'admiration par la ressemblance des choses dont on n'admire
pas les originaux. »(Ed. Havet, vu, 31.)
— 11 —
Que du laid n'est point laid,vn imité tableau :
Car tant de grâce auient par cette vray-semblance,
Que surtout agréable est la contrefaisance.
Donc s'vn peintre auoit peint vn beau visage hu-
[main, 205
Y ioignant puis après d vn trait de mesme main,
Vn haut col de cheual dont l'estrange ligure
D'vn plumage diuers bigarrast la nature,
Et qu'ores d'vne beste, et qu'ores d'un oyseau
Il aôUoutast vn membre à ce monstre nouueau, 21a
Ses membres assemblant d'vne telle ordonnance,
Que le bas d'vn poisson eust du tout la semblance,
Et le haut d'vne femme, ainsi qu'on dit qu'estoient
Celles qui de leurs voix les nochers arrestoient :
Sire, venant à voir ce monstre de Sirène, 215
De rire que ie croy vous vous tiendriez à peine.
Croyez ô mon grand Roy qu'en ce tableau diuers,
Semblable vous verrez vn beau liure en ces vers,
Auquel feintes seront diuerses Poésies,
Comme au chef d'vn fleureux sont mille fantasies : 220
De sorte que le bas ni le sommet aussi
Ne se rapporte point à mesme sorte icy :
205 sqq. Cf. Horace, Ep. aux Pisons. 1-9. Vauquelin, qui em-
prunte ce passage au poëte latin, le prend dans un tout autre sens.
Cf. notamment le vers 218 qui est d'ailleurs en contradiction avec
les vers 215 et 216 .
220. Cf. Ronsard : « ... Je n'entends toutefois ces inventions fan-
tastiques et mélancoliques qui ne se rapportent non plus l'une à
l'autre que les songes^ntrecouppez d'un frénétique ou de quelque pa-
tient extesmement tourmenté delà fièvre.» (Abrégé d'Art poétique.)
— 12 —
Toutesfois tout le corps des figures dépeintes
Donnent vn grand plaisir ainsi quelles sont feintes :
Ce sont des vers muets que les tableaux de prix, 225
Ce sont tableaux parlants que les vers bien écris.
Le Peintre et lePoëte ont gaignéla puissance
D'oser ce qu'il leur plaist, sans faire à l'Art nuisance:
Au moins nous receuons cette excuse en payment,
Et la mesme donnons aux autres mesmement. 230
Mais non pas toutesfois que les choses terribles,
Se ioignent sans propos auecques les paisibles :
Comme de voir couplez les serpens aux oyseaux,
Aux tigres furieux les dous bellants agneaux.
Tout ce doit rapporter par quelque apartenance ; 235
Tant qu'vn fait ioint à l'autre ait de la conuenance.
Comme en Crotesque on voit par entremeslemens
De bestes et d'oyseaux diuers accouplemens.
Bien souuent bastissant d'vn hautain artifice
Quelque ouurage superbe, on met au frontispice 240
Et de pourpre et d'azur maint braue parement,
Pour enrichir le front d'vn tel commencement.
Tout de mesme on descrit la forest honorée,
224. Quelles (sic).
226. Cf. Plutarque : «Nousluy figurerons et dcscrirons que c'est
de la poésie en luy faisant entendre que c'est un art d'imiter et
une science repondante à la peinture, et lui alléguant ce commun
dire que la poësie est peinture parlante. » (Œuvr. mor., trad.
d'Amyot). — L'Art poétique de Vauquelin peut souvent nous suggé-
rer cette observation, qu'au xvie siècle, comme au xixe, la poésie
fraternise avec tous les autres arts.
227 sqq. Cf. Horace. Ep. aux Pisons. 9-24.
235. Ce (sic).
243. Forest honorée. C'est la traduction de lucus, bois sacré.
— 13 —
Et l'autel ou iadis fut Diane adorée,
Ou le bel arc en ciel bigarré de couleurs 245
Ou le pré s'émaillant de différentes fleurs :
Ou le Rhin Germanique, ou la Françoise Seine,
Qui par tant debeaus champs en serpent se pourmeine,
Puis embrasse en passant de ses bras tortueux
Paris le beau seiour des libres vertueux. 250
Mais de ne mettre point chose qui ne conuienne
Au sujet entrepris tousiours il te souuienne :
Et ne fay pas ainsi que ce peintre ignorant,
Qui peindre ne sçauoit qu'vn Giprez odorant :
Et désirant de luy tirer quelque peinture, 255
Tousiours de ce Giprez il bailloit la ligure.
A quel propos cela ? quand pour argent donné
Veut estre peint celuy, qui sur mer fortuné
Le nauffrage a souffert ? te chargeant de pourtraire
Vn Satire cornu, ne fay rien au contraire. 260
Parquoy doncques au lieu d'un Satire paillard,
Nous viens tu figurer Silène le vieillard.
Si tu fais vn Sonnet ou si tu fais vne Ode,
Il faut qu'vn mesme fil au suiet s'accommode :
Etplain de iugement vn tel ordre tenir, 265
Que hautain commençant haut tu puisses finir.
Pour dire en bref il faut qu'à toy mesme semblable,
Ton vers soit tousiours mesme en soymesme agréable,
258. Fortuné, parce que, s'il a souffert le naufrage, il a eu la
chance d'en réchapper.
263. Sonnet, Ode, sont mis ici pour n'importe quel genre poé-
tique.
— 14 —
Si bien que ton Poëme égal et pareil soit.
Soubs l'espèce du bien souuent on se déçoit : 270
Qui fait que la pluspart des Poëtes s'abuse.
Car l'vn pour estre bref importunant la Muse,
Trop obscur il deuient : à l'autre le cœur faut
Suiuant vn suietbas : trop s'enflant s'il est haut :
Qui trop veut estre seur, et qui trop craint l'orage. 275
Il demeure rampant à terre sans courage.
Qui veut d'vn autre part, prodigue de ses vers
Vn mesme fait changer par vn parler diuers,
Il conduit aux l'orests les Dauphins hors des ondes,
Les Sangliers hors des bois dedans les eaux pro-
fondes, 280
Et les Cerfs il veut faire en hardes abbander,
Pour aller hors la terre en la mer viander :
Au vice nous conduit la faute qu'on éuite,
Si par Art elle n'est du jugement conduite.
A Paris, Renaudin Imager diligent 285
Sçait bien représenter en bronze et en argent
Les ongles et la main : et de douce entailleure
Imiter, gentiment le crêpe cheueleure:
Mais le chetif ne peut dvne dernière main
270. Cf. Hor. Ep. aux P., 24-37. Boiloau. Art. poét. I, 64-68.
274. Construction irrégulière, les deux participes n'étant pas
coordonnés.
277. D'un autre part. Faute d'impression, part n'ayant jamais
été du masculin. Cf. 310.
284. Elle ne peut représenter que la faute, ce qui ne donne
point une signification satisfaisante. Cf. le vers d'Horace :
In vitium ducit culpae fuga, si caret arte.
— 15 —
Parfaire son ouurage : Ainsi ie fais en vain 290
Mille vers, quand ie veux composer vn Poëme,
Qu'imparfait, ie ne puis paracheuer de mesme
Que ie l'ay commencé : comme si mal en point
I'auois la chausse neufue et quelque vieux pourpoint.
0 vous qui composez,que prudens on s'efforce 295
De prendre vn argument qui soit de vostre force :
Pensez long temps au fais que vous pourrez porter :
Car s'il est trop pesant il s'en faut déporter.
Qui sçait bien vn suiet selon sa force élire,
Point ne luy manquera l'ordre ni le bien dire. 300
La grâce et la beauté de cet ordre sera,
Si ie ne me deçoy, quand bien on dressera
Ce qui dire se doit, et non se dire à l'heure,
Reseruant plusieurs points en leur saison meilleure
Et quand bien à propos on sçaura prendre vn
[point, 305
Et quand hors de propos on ne le prendra point.
Sur tout bien inuenter, bien disposer, bien dire,
Fait Fouurage des vers comme vn Soleil reluire,
290 sqq. Horace ajoute :
Hune ego me, si quid componere curem,
Non magis esse velim quam naso vivere pravo,
Spectandum nigris oculis nigroque capillo.
Vauquelin n'ose pas ici traduire son modèle : il avoue de fort
bonne grâce sa ressemblance avec Yimager Renaudin.
295 sqq. Cf. Hor. Ep. aux Pis., 38-45. Boileau. Art.poét. I,
11, 12.
303. A l'heure exprimé dans le second terme est sous-entendu
dans le premier. — Cf. à Vinstant.
307. On reconnaît dans ce vers la division des anciennes Rhéto-
riques en trois parties : Invention, disposition, élocution.
8
— 16 —
Comme sur tous louable est l'édifice, ou l'art
fait priser la matière, auquel d'vne autre part 310
La matière fait l'art estimer dauantage :
Tout ainsi le Poëme a l'honneur en partage,
Quand vn digne suiet fait les vers estimer,
Et quand les vers bien faits font le suiet aimer.
Si quplques mots nouueaux tu veux mettre en
[vsage, 315
Montre toy chiche et caut à leur donner passage :
Ce que bien tu feras les ioignant finement
Auec ceux dont la france vse communément.
Si mesme le premier il te faut d'aventure,
Découurir en françois des secrets de nature 320
Nonencor exprimez, lors prudent et rusé,
Tu peux feindre des mots dont on n'a point vsé :
Et puis les mots nouueaux quelesnostres inuentent,
Qui de l'Italien la langue représentent,
Ou qui sont du Latin quelque peu détournez, 325
Ou qui sont du milieu delà Grèce amenez,
Seront receus, pcurueu qu'auec propre matière
310. Le vers commence par une minuscule.
315 sqq. Cf. Hor. Ep. aux P., 46-53.
318. france (sic).,
321. Prudent et rusé. C'est-à-dire: pourvu que tu le fasses avec
prudence et adresse.
324. Voici quelques-uns de ces mots : Alerte, balcon, bouffon,
cadence, courtisan, fantassin, faquin, fresque, spadassin, etc. Ce
sont en général des termes de guerre, de cour, de plaisir ou d'art.
325. Citons, dans l'Art poétique de Vauquelin : Contemner,
carme, cautele, event, élection (choix), etc. V. le Glossaire.
326. "Vauquelin, dans son Art poétique, emploie par exemple les
mots: Chore, epicede, Charités, etc.
— 17 —
La France rarement en soit faite héritière :
Et tous les mots qui sont proprement françoisez,
Et tous ceux qui ne sont du françois déguisez, 33(>
Et les vieux composez desquels tousiours en france
OnYSoit à légal de la Grecque éloquence.
Mais seroit ce raison qu'à Thiard fust permis,
Gomme à Sceue d'auoir tant de mots nouueaux mis
328. On voit que Vauquelin recomuiande'la réserve et la discré-
tion ; il ne faudra pas l'accuser de se contredire quand il s'élèvera,
dans un autre chant, contre les poètes qui veulent prendre le latin
à la barbe. (III, 640.)
331. En france (sic).
331-332. Le français, en effet, a toujours formé des mots com-
posés ; l'innovation de Ronsard consista à employer ces composés ,
non plus comme substantifs, mais en qualité d'épithètes. — Pour
tout le développement qui précède, Cf. notre Notice, notamment
au chap. iv. de la IIe Partie. — Légal (sic) pour l'égal.
333, sqq. Cf. Ilor. Ep. aux P., 53-58. — Pontus de Thiard (1521-
1603) fit paraître en 1549, avant la Défense de du Bellay, un recueil
de poésies intitulé Erreurs amoureuses, dans lequel il se plaint
des rigueurs que lui fait endurer sa maîtresse platonique, Pasithée.
Ce recueil renferme 138 sonnets et 24 autres petites pièces. L'ins-
piration en est élevée ; mais, si l'on y rencontre des vers remar-
quables par la noblesse et la vivacité de l'accent, la plupart sont
guindés, froids et précieux. Pontus fut un des poètes qui prépa-
rèrent les voies à Ronsard ; il se rallia bientôt aux novateurs, et
on le compte généralement entre les sept de la Pléiade. Vauquelin
lui a adressé une satire (liv.V).
334. Maurice Scève, Lyonnais, se rattache par sa jeunesse à
Jean le Maire de Belges, et par ses dernières années à l'école do
Ronsard. La renaissance de la poésie avait été inaugurée à Lyon
longtemps avant le manifeste de du Bellay grâce aux rapports in-
cessants de cette ville avec l'Italie et à la présence de nombreux
réfugiés florentins qui étaient venus y chercher un asile : Scève fut
à la tête de ce mouvement poétique. Ses premières pièces dignes
d'être citées sontdeux églogues, Arion et la Saulsaye. La première
a pour sujet la mort du Dauphin, fils de François Ier ; ellerenferme
quelques vers heureux, mais le cadre seul en est pastoral. La se-
conde est un éloge de la vie rustique mis dans la bouche du berger
Philerme que son ami Antire essaye vainement d'arracher à la so-
— 16 —
Comme sur tous louable est l'édifice, ou l'art
fait priser la matière, auquel d'vne autre part 310
La matière fait l'art estimer dauantage :
Tout ainsi le Poëme a l'honneur en partage,
Quand vn digne suiet fait les vers estimer,
Et quand les vers bien faits font le suiet aimer.
Si quplques mots nouueaux tu veux mettre en
[vsage, 315
Montre toy chiche et caut à leur donner passage :
€e que bien tu feras les ioignant finement
Auec ceux dont la france vse communément.
Si mesme le premier il te faut d'aventure,
Découurir en françois des secrets de nature 320
Nonencor exprimez, lors prudent et rusé,
Tu peux feindre des mots dont on n'a point vsé :
Et puis les mots nouueaux que les nostres inuentent,
Qui de l'Italien la langue représentent,
Ou qui sont du Latin quelque peu détournez, 325
Ou qui sont du milieu de la Grèce amenez,
Seront receus, pcurueu qu'auec propre matière
310. Le vers commence par une minuscule.
315 sqq. Cf. Hor. Ep. aux P., 46-53.
318. france (sic).,
321. Prudent et rusé. C'est-à-dire: pourvu que tu le fasses avec
prudence et adresse.
324. Voici quelques-uns de ces mots : Alerte, balcon, bouffon,
cadence, courtisan, fantassin, faquin, fresque, spadassin, etc. Ce
sont en général des termes de guerre, de cour, de plaisir ou d'art.
325. Citons, dans l'Art poétique de Vauquelin : Contemner,
carme, cautele, event, élection (choix), etc. V. le Glossaire.
326. "Vauquelin, dans son Art poétique, emploie par exemple les
mots: Chore, epicede, Charités, etc.
— 17 —
La France rarement en soit faite héritière :
Et tous les mots qui sont proprement françoisez,
Et tous ceux qui ne sont du françois déguisez, 33(>
Et les vieux composez desquels tousiours en france
On Ysoit à légal de la Grecque éloquence.
Mais seroit ce raison qu'à Thiard fust permis,
Gomme à Sceue d'auoir tant de mots nouueaux mis
328. On voit que Vauquelin recommandera réserve et la discré-
tion; il ne faudra pas l'accuser de se contredire quand il s'élèvera,
dans un autre chant, contre les poètes qui veulent prendre le latin
à la barbe. (III, 640.)
331. En france (sic).
331-332. Le français, en effet, a toujours formé des mots com-
posés ; l'innovation de Ronsard consista à employer ces composés,
non plus comme substantifs, mais en qualité d'épithètes. — Pour
tout le développement qui précède, Cf. notre Notice, notamment
au chap. iv. de la IIe Partie. — Légal (sic) pour l'égal.
333, sqq. Cf. Hor. Ep. aux P., 53-58. — Pontus de Thiard (1521-
1603) fit paraître en 1549, avant la Défense de du Bellay, un recueil
de poésies intitulé Erreurs amoureuses, dans lequel il se plaint
des rigueurs que lui fait endurer sa maîtresse platonique, Pasithée.
Ce recueil renferme 138 sonnets et 24 autres petites pièces. L'ins-
piration en est élevée ; mais, si l'on y rencontre des vers remar-
quables par la noblesse et la vivacité de l'accent, la plupart sont
guindés, froids et précieux. Pontus fut un des poètes qui prépa-
rèrent les voies à Ronsard ; il se rallia bientôt aux novateurs, et
on le compte généralement entre les sept de la Pléiade. Vauquelin
lui a adressé une satire (liv.V).
334. Maurice Scève, Lyonnais, se rattache par sa jeunesse à
Jean le Maire de Belges, et par ses dernières années à l'école do
Ronsard. La renaissance de la poésie avait été inaugurée à Lyon
longtemps avant le manifeste de du Bellay grâce aux rapports in-
cessants de cette ville avec l'Italie et à la présence de nombreux
réfugiés florentins qui étaient venus y chercher un asile : Scève fut
à la tête de ce mouvement poétique. Ses premières pièces dignes
d'être citées sont deux églogues, Arion et la Saulsaye. La première
a pour sujet la mort du Dauphin, fils de François Ier ; elle renferme
quelques vers heureux, mais le cadre seul en est pastoral. La se-
conde est un éloge de la vie rustique mis dans la bouche du berger
Philerme que son ami Antire essaye vainement d'arracher à la so-
— 20 —
Et voirras le Grison (bien qu'à le manier
Il ne soit à la lin qu'vn françois escuier)
Et d'autre part Nicot, qui de plume diuine
Voyageant t'assembla des termes de marine. 360
L'idiome Norman, l'Angeuin, le Manceau,
Le François, le Picard, le poli Tourangeau,
Aprens, comme les mots de tous arts mécaniques
Pour en orner après tes phrases Poétiques.
Si tu veux vn dessein ou d'armes ou d'amour, 365
Ou de lettres montrer qui soit digne du iour,
Que tu saches la règle au vray des Entreprises,
Gris-de-bataille, Mots, Ordres, Chiffres, Deuises
Brisures et Couleurs, les Armes des maisons,
357. Le Grison. Frédéric Grisoni, de Venise, publia en 1552 un
traité d'équitation intitulé : Ordini di cavalcare, etc. ; la traduc-
tion française (Paris, Ch. Perier, 1559) eut beaucoup de succès.
357-358. Le sens est : Tu liras le Grison, quoique tu puisses,
après tout, te contenter des traités français, le Grison lui-même ne
disant rien qu'on n'y trouve déjà.
359. Jean Nicot, l'auteur du Trésor de la langue françoise, avait
composé un Traité de la marine.
361 sqq. On sait que Ronsard avait essayé de restaurer certains
termes dialectaux. Cf. Abrège' d'Art poétique : «Tu sçauras dextre-
ment choisir et appropriera ton œuvre les mots les plus significatifs
des dialectes de nostre France..., et ne se faut soucier si les voca-
bles sont Gascons, Poitevins, Normans,Manceaux, Lionnois, etc. »
363. Les mots de tous arts mécaniques. Cf. du Bellay : « En-
cores te veux-je advertir de hanter quelquesfois non seulement
les Scavans, mais aussi toutes sortes d'ouvriers et gens Mécani-
ques, etc. » (Défense, liv. II, chap. xi.J — Ronsard : « Tu prati-
queras bien souvent les artisans de tous Métiers, comme de Marine,
Vénerie, Fauconnerie, aïe. » (Abrégé d'Art, poét.)
367 sqq. Cf. Vauquelin, Satire à M. de Chiverny :
.... Tu veux sous ta conduite
Qu'à rechercher ma plume soit instruite
Des Chevaliers les antiques façons,
Blasons, Tournois, Ordres, Cris, Ecussons,
— 21 —
Anagrammes, Rébus, Emblesmes et Blasons, 370
Et des Egiptiens des choses les images
Soubs lesquels ils couuroient leurs doctrines plus sages
Aux festins solennels, aux ioustes, aux tournois
Tu rempliras ainsi les Oualles des Rois
D'ames et de beaus corps : ce sont Mots et Figures, 375.
Qui de guerre et d'amour cachent les auantures :
Alors il te sera permis de mots vser
Que la nécessité ne pourroit refuser :
(le ne veux toutesfois qu'vn bon esprit se fiche
Ce qui seroit au Roy très agréable :
Mais diferant ce labeur honorable, etc.
(Satyres françoises. Liv I, Sat. 2.)
Ces vers nous indiquent que Vauquelin avait été tenté de com-
poser un traité de blason. Ceux qui suivent montrent même qu'il
avait mis la main à l'œuvre :
Tu me responds : N'escri plus et te mets
A vivre à toy pour les tiens désormais...
Quitte les vers et repren curieux
Des vieux heraults le fais laborieux,
Et tu feras œuvre digne et Royale
De poursuivir l'histoire Armoriale. (îbid.)
369. Brisures. Toute pièce d'armoirie que les cadets ajoutaient à
l'écu des armes pleines de la maison d'où ils sortaient.
371. Les images des choses doit être considéré comme une sorte
de composé qui a des Egipt iens pour complément.
374-375. Sur les Ovalles des Rois (V. le glossaire), on peignait
des figures {corps) sous lesquelles étaient gravées des légendes (âme).
376. On sait que les poètes de cour, au xvie siècle, composaient
pour les princes des cartels^ des mascarades, et notamment ces
devises dont parle ici Vauquelin. Cf. du Bellay:
Or si les grands seigneurs tu veux gratifier,
Argumens à propos il te faut espier...
Je veux qu'aux grands seigneurs tu donnes des devises, etc.
(Le Poète courtisan.)
L'auteur de \a.]DéfenseMt allusion à Mellin de Saint-Gelais : mais
Ronsard lui-même, devenu, dans la seconde partie de sa carrière
poétique, le favori de Charles IX, composa tout un recueil de
pièces qui appartiennent à ce genre.
— 22 —
A faire vn Anagramme, à faire vne Accrostiche
D'vn trauail obstiné : ce sont fruicts abortifs
Dont la semence vient des poures apprentifs),
Lors en renouuelant une vieille empirance
Changer tu peux des mots par quelque tolérance.
On a tousiours permis, est, et permis sera 385
Faire naistre vn beau mot, qui représentera
Yne chose à propos, pourueu que sans contrainte
Au coin du temps présent la marque y soit emprainte.
Gomme on void tous les ans les fueilles s'en aller,
Au bois naistre et mourir, et puis renouueler : 390
Ainsi le vieux langage et les vieuls mots périssent,
Et comme ieunes gens les nouueaux refleurissent.
Tout ce que nous ferons est suietà la mort:
Ce qui fut terre ferme à cette heure est vn port,
Oeuure haute et royalle : et maintenant la Seine 395
Pour enceindre la ville abandonne la pleine :
Et ce qui d'vn costé n'estoit rien que marests,
Et qui d'vn autre endroit n'estoit rien que forests
Est, fendu soubs le soc, deuenu champ fertille
Des blonds cheueux que tond la dent de la faucille. 400
Gomme ore en mainte part Loire a changé son cours,
380. Du Bellay {Défense, liv. II chap. vin) parle avec faveur de
ces deux formes poétiques. On trouve quelques acrostiches dans
le livre II des Idyllies.
383. C'est-à-dire en modifiant l'ancienne signification d'un mot-
Pour empirance Cf. le Glossaire.
385 sqq. Cf. Hor. Ep. aux P. 58— 72.
393 sqq. Dans tout le morceau qui suit, Vauquelin perd de vue
le sujet lui-même pour le plaisir d'amplifier et de délayer sans
mesure une simple comparaison d'Horace.
— 23 —
Et sans plus nuire aux bleds, des prez est le secours :
La mer en maint endroit de nos costes Normandes
A pris sans partager, des campagnes trop grandes :
Ailleurs se reculant de ses bords sablonneux, 405
Elle a fait îles pastils de marests limonneux.
A la fin périront toutes choses mortelles ;
Aussi fera l'honneur des paroles plus belles :
Car si l'vsage veut plusieurs mots reuiendront
Après vn long exil, et les autres perdront 410
Leur honneur et leur prix, sortant hors de l'vsage
Soubs le plaisir duquel se règle tout langage. *■
Dequel air, en quels vers on doit des Empereurs,
Des Princes et des Rois descrire les erreurs,
Les voyages, les faits, les guerres entreprises, 415
D'vn siège de dix ans les grandes villes prises,
L'enseigne Homère Grec, et Virgile Romain:
409. Car se lie avec la seconde partie de la phrase. C'est comme s'il
y avait : car, à part quelques mots qui pourront revenir, les autres,
etc. — Plusieurs mots reviendront. Vauquelin fait ici allusion à la
restauration, tentée par Ronsard, de certains termesdialectaux. (Cf.
les vers 361 sqq, et la note.) De nos jours, plusieurs provignements
de la Pléiade, après avoir été proscrits par Malherbe, sont remis
en honneur, et la langue se renouvelle non seulement par l'inven-
tion de mots nouveaux, mais par la restauration d'anciens vocables
tombés en désuétude.
413. Deq uel (sic). — 413, sqq. Cf. Hor. Ep.auxP.,73-74— Cf.Ronsard:
Homère, de science et de nom illustré,
Et le Romain Virgile assez nous ont monstre
Comment et par quel art et par quelle pratique
Il falloit composer un ouvrage héroïque,
De quelle forte haleine, et de quel ton de vers, etc
(Préface en vers de la Franciade.
417. La Pléiade emprunte à la langue grecque et latine les
épithètes redondantes des noms de personnes ou de lieux: c'est
ainsi que nous avons vu plus haut (v. 247) le Rhin Germain et la
Françoise Seine. Cf. Ronsard :
— 24 —
^^Autre exemple choisir ne te trauaille en vain.
Gomme Apelle en peinture estoit inimitable
En ses traits, en ses vers Virgile est tout semblable : 420
En l'Epique tu peux suiure ce brauê autheur :
Nul ne peut en sa langue attaindre à sa hauteur.
Pour t'aider tu pourras bien remarquer tes fautes
Dedans la Thébaide et dans les Argonautes,
Suiure vn coulant Ouide et cet Italien, 425-
Qui ne les suit de loin, bien que d'vn seul lien,
Dans vn mesme suiet de trois digne, il assemble
Vn long siège, vn voyage et maint amour ensemble.
Et d'autant qu'il ne siet au Poëte fameux,
De prendre rien des siens quand il écrit comme eux, 430
(Estant né de bon siècle auec la véhémence
Qu'en la France a produit la première semence)
Sans rien luy dérober honore ce bel Art
En Francus voyageant soubs nostre grand Ronsard.
Si né soubs bon aspect tu auois le génie 435-
420. sqq. Virgile était considéré au xvie siècle comme
le poète épique par excellence. (V. la notice. Partie II, chap. il.)
423-424. C'est un éloge de ces deux poèmes, que Vauquelin
recommande comme modèles : on peut y remarquer ses fautes en
comparant son œuvre à ces deux épopées qui sont parfaites et qu'il
faut suivre de point en point sous peine d'insuccès. On sait que la
critique du xvie siècle ne faisait guère de distinction entre les
poèmes d'Homère et ceux de Stace ou d'Apollonius.
425 sqq. Celltalien.il s'agit du Tasse et de la Jérusalem délivrée .
430. Comme eux, c'est-à-dire dans la même langue et en s'exer-
çant dans le même genre.
433. Luy est mis pour Ronsard, dont le nom se trouve dans le
vers suivant.
435. Tu avois. Ancune règle, jusqu'à Malherbe, n'avait encore
proscrit l'hiatus ; les poètes du xvie siècle évitaient ceux qui leur
— 25 —
Qui d'Apollon attire à soy la compagnie,
Pour d'vn ton assez fort l'Héroïque entonner,
Les siècles auenir tu pourrois étonner :
Mais il faut de cet Art tous les préceptes prendre,
Quand tu voudras parfait vn tel ouurage rendre : 440
Par ci par là meslé rien ici tu ne lis,
Qui ne rende les vers d'un tel œuure embellis.
Tel ouurage est semblable à ces fecons herbages,
Qui sont fournis de prez et de gras pasturages,
D'vne haute fustaye,et d'vn bocage épais, 445
Ou courent les ruisseaux, ou sont les ombres frais,
Ou l'on void des estangs, des vallons, des montagnes,
Des vignes, desfruictiers, desforests, des campagnes:
Vn Prince en fait son parc, y fait des bastimens,
Et le fait diuiser en beaus appartenons : 450
Les cerfs, soit en la taille, ou soit dans les gaignages,
Y font leurs viandis, leurs buissons, leurs ombrages :
paraissaient durs. Malherbe, sur ce point comme sur quelques
autres, ne laissa aucune liberté à l'oreille et au goût du versi-
ficateur. Dans Vauquelin, les hiatus, sauf exception, portent sur
des proclitiques. On sait que ce qui rend désagréables à l'oreille
la rencontre de deux voyelles, c'est l'influence contradictoire à la-
quelle est soumise la première lorsqu'elle est accentuée. L'accent
tonique a pour effet, non seulement l'élévation de la voix, mais
encore un prolongement du son; au contraire, quand deux
voyelles se suivent, la seconde tend toujours à abréger la première
en l'attirant pour ainsi dire vers elle-même. L'hiatus n'a jamais été
interdit dans l'intérieur des mots ; il ne devrait pas l'être non plus
quand la première voyelle est atone ou quand elle es t suivie d'un repos.
441. Le sens est : Tu ne lis ici rien de meslé par ci par là
443 sqq. Quelques traits de ce morceau ont été empruntés àVéda
Horace Galabrois et Pindare Thebain. (Odes.)
— 26 —
Les abeilles y vont par esquadrons bruyants
Chercher parmi les fleurs leurs viures rousoyants :
Le bœuf laborieux, le mouton y pasture, 455
Et tout autre animal y prend sa nourriture.
En l'ouurage Héroïque ainsi chacun se plaist,
Mesme y trouue dequoy son esprit il repaist :
L'vn y tondra la fleur seulement de l'Histoire,
Et l'autre à la beauté du langage prend gloire : 460
Vn autre aux riches mots des propoz figurez,
Aux enrichissemens qui sont elabourez :
Vn autre aux fictions aux contes délectables
Qui semblent plus au vray qu'ils ne sont véritables :
Bref tous y vont cherchant, comme sont leurs hu- j
[meurs, 465 j
Des raisons, des discours, pour y former leurs mœurs : j
Vn autre plus sublim à trauers le nuage
Des sentiers obscurcis, auise le passage
Qui conduit les humains à leur bien-heureté
Tenant autant qu'on peut l'esprit en seureté. 470
C'est vn tableau du monde, vn miroir qui raporte
Les gestes des mortels en différente sorte.
On y void peint au vray le gendarme vaillant,
Le sage capitaine vne ville assaillant,
465 sqq. Malgré la largeur du tableau qu'il trace, Vauquelin >
semble ici tomber dans cette fausse conception de l'épopée qui
en fait le développement d'une maxime morale. Cf. Horace, Ep. I, n. !
(Voir la Notice, partie II, chap, n.)
467. Sublim (sic). Vauquelin supprime quelquefois Ye muet à
la fin de certains mots. (V. II, 533.) Cf :
...L'util
De ce jardinet fertil. (Foresteries, i, 10.)
— 27 — Ê]yCc
Les conseils d'vn vieil homme, ecarmouches, ba-
tailles, 475
Les ruses qu'on pratique au siège des murailles,
les ioustes, les tournois, les festins et les ieux,
Qu'vne grand' Royne fait au Prince courageux,
Que la mer a ietté par un piteux naufrage,
Apres mille dangers à bord à son riuage. 480
On y void les combats les harengues des chefs,
L'heur après le malheur, et les tristes méchefs
Qui tallonnent les Roys : les erreurs, les tempestes
Qui des Troyens errants, pendent dessus les testes,
Les sectes, les discords, les points religieux, 485
Qui brouillent les humains entre eux litigieux : \
Les astres on y void et la terre descrite,
L'océan merueilleux quand aquilon l'irrite:
Les amours; les duels, les superbes dédains,
Ou l'ambition mist les deux frères Thebains: 490
Les enfers ténébreux, les secrettes magies,
Les augures par qui les citez sont régies :
Les fleuues serpentants, bruyants en leurs canaux ;
Les cercles de la Lune, ou sont les gros iournaux
Des choses d'ici bas, prières, sacrifices 495
Et des Empires grands les loix et les polices.
On y void discourir le plus souvent les Dieux,
VnTerpandre chanter vn chant mélodieux
A l'exemple d'Orphée : et plus d'vne Medee
Accorder la toyson par Iason demandée : 500
498. Terpandre, poète lyrique grec de l'école éolienne.
— 28 —
On y void le dépit ou poussa Gupidon
La fille de Dicsee et la poure Didon :
Car toute Poésie il contient en soyméme
Soittragique ou Comique, ou soit autre Poëme.
Heureux celuy que Dieu d'esprit voudra remplir, 505
Pour vn si grand ouurage en françois accomplir!
En vers de dix ou douze après il le faut mettre :
Ces vers la nous prenons pour le graue Hexamètre.
Suiuant la rime plate, il faut que mariez
Par la Musique ils soient ensemble appariez, 510
Et tellement coulans que leur veine pollie
Coule aussi doucement que l'eau de Castallie.
502. La fille de Dictée. Climène. (V. la note du vers 199). —On
a reconnu dans tout ce morceau les allusions de Vauquelin aux
épopées d'Homère, Virgile, Apollonius, Stace, Ronsard.
505-506. Cf. du Bellay: » Donques à toy.qui doué d'une excellente
félicité de nature, instruit de tous bons Ars, ou Sciences,... ô toy
(dy-je) orné de tant de grâces, et perfections, si tu as quelques fois
pitié de ton pauvre Langaige... ce sera toy véritablement qui luy
feras hausser la Teste, et d'un brave Sourcil s'égaler aux superbes
Langues Grecque, et Latine... (Défense, liv. II, chap. v. Du Long
Poëme Francoys.)
506. Accomplir. Ronsard ne fit que les quatre premiers chants
de sa Franciade.
507. Le vers de dix syllabes avait été considéré pendant long-
temps comme le mètre héroïque. Ronsard fut le premier qui
connut le véritable emploi de l'alexandrin. Il fit pourtant sa Fran-
ciade en décasyllabes, et, dans la préface de ce poème, il pré-
tend même que le vers de douze syllabes sent trop la poésie
facile, qu'il est énervé et trop flasque. Il est probable que, si Vau-
quelin laisse le choix entre ces deux mètres, c'est uniquement
par respect pour Ronsard ; lui-même écrivait en alexandrins
l'épopée dont il nous donne le début dans son second chant. Au
reste, nous le verrons plus loin (II, 105) condamner hautement
l'emploi du décasyllabe comme vers épique, et refaire même en
longs vers le commencement de la Franciade (II, 107, sqq.).
512. Castallie, fontaine de Béotie, consacrée au Muses.
— 29 —
Mais du vers Heroic ailleurs nous parlerons
Et tandis d'autres vers ici nous mesleronsy
Les vers que les Latins d'inégale iointure 5i5
Nommoient vne Elégie, aigrete en sa pointure,
Seruoient tant seulement aux bons siècles passez,
Pour dire après la mort les faits des trépassez ;
Depuis à tous suiets : ces plaintes inuentees
Par nos Alexandrins sont bien représentées, 520
Et par les vers communs, soit que diuersement
En Stances ils soient mis, ou bien ioints autrement.
Cette Elégie vn Lay nos François appelèrent,
Et l'Epitete encorde triste luy baillèrent:
Beaucoup en ont escrit tu les imiteras, 525
Et le prix non gaigné peut estre emporteras.
Breue tu la feras, te réglant en partie
Sur le Patron poli de l'amant de Ginthie,
Les préceptes tousiours généraux obseruant,
Tels que nous les auons cottez par ci deuant. 530
513. Ailleurs.Y. chant 11,83 sqq. — Vauquelinsuit Horace pas à
pas en intercalant tout ce qu'il tire de son propre fonds. Le plan
de l'Epître aux Pisons est déjà bien difficile à saisir; quant à
notre poète, il n'a même pas essayé de s'en faire un.
515 sqq. Cf. Hor. Ep. aux P . 75-78. — D'inégale jointure est
le complément de les vers : il s'agit du distique élégiaque formé
par un hexamètre et un pentamètre.
521. Le vers commun, au xvie siècle, c'est le décasyllabe.
523. Lay. Le lai était d'abord un récit chanté, générale-
ment empreint de mélancolie. (Cf. les Lais de Marie de France.)
Plus tard, il devint une sorte de romance.
526. Non gaigné. Les élégies deMarot avaient eu pourtant un
ferand succès. Parmi les poètes de la nouvelle école qui cultivèrent
ce genre, citons Ronsard et Desportes.
528. L amant de Cinthie. Properce.
— 30 —
Nos Poètes François, qui beaus Cignes se fient
A leur voler hautain, or l'a diuersifient
En cent genres de vers, si trop long est leur cours,
Ils couurentsa longueur d'un beau nom de discours.
Qui la triste Elégie a premier amenée, 535
Cette cause au Palais encor est demeneè :
Car les Grammairiens entre eux en vont plaidant,
Et soubs le luge encor est le procez pendant.
Tibulle est le premier dont la Muse bien nette
A Romaine imité, Gallimaque et Philœtte : 540
Puis Ouide et Properce, et Gallus le vieillart,
Dont tu peux emprunter les règles de cet Art.
Mais ta Muse ne soit iamais enbesongnee
532. Or Va est évidemment une faute d'impression pour or la.m
534. Les Discours de Ronsard renfermentdu moins l'élégie sur lof
tumulte d'Amboise. Quelques-uns se rapprochent beaucoup plus dui
genre satirique que du genre élégiaque. Cf. Discours des misères def
ce temps, Continuation des misères, Remonstrance au peuple der
France, Response aux calomnies des predicans, etc.
535. Elégie. Elegos, dans le passage d'Horace que Vauquelin tra-i
duit, signifie non pas élégie, mais mètre élégiaque.
540. Callimaque de Cyrène, poète lyrique de l'école Alexandrine.
— Philétas, poète élégiaque de la même école, dont il ne nousfc
reste que quelques fragments. — Cf. Properce :
Gallimachi mânes et Coi sacra Philetae,
In vestrum, quseso, me sinite ire nemus. (III, 1-2.V
541. Gallus le vieillart. Nous retrouvons la même épithète aveop
le nom de Gallus dans la 3e satire du livre V. Il ne s'agit pas ica
du véritable Gallus, qui mourut vers l'âge de quarante ans, mais du
pseudo-Gallus Maximien, contemporain de l'empereur Anastasej
que ses élégies mêmes nous montrent comme un vieillard dont les
jeunes filles ne veulent plus. Maximien est d'ailleurs un fortméchanl
poète, et c'est par un respect superstitieux de l'antiquité que Vau4
quelin, voyant en lui le Gallus du siècle d'Auguste, ne craint pas
de le mettre sur la même ligne que Properce et Ovide.
543 sqq. Cf. du ;Bellay : « Puis me laisse toutes ces vieille»
— 31 —
Qu'aux vers dont la façon ici t'est enseignée,
Et des vieux chants Royaux décharge le fardeau, 545
Oste moy la Ballade, oste moy le Rondeau.
Les Sonnets amoureux des Tançons Prouençalles
Poésies Francoyscs aux Jeux Floraux de Thoulouze, et au puy de
Rouan : comme Rondeaux, Ballades, Vyrelaiz, Chants Royaux,
Chansons, et autres telles episseries. (Défense, liv. II, chap. iv.)
545. Le chant royal est une ballade (V. la note du vers suivant.)
qui a cinq strophes et un envoi de cinq vers. Ce genre avait
fleuri surtouUau xve siècle et dans la première partie du xvie.
546. La ballade est un poëmeen décasyllabes ou en octosyllabes.
La ballade en décasyllabes se compose de trois dizains construits
sur les mêmes rimes, et d'unquintain dont la forme est la même que
celle des cinq derniers vers dans les dizain s. La ballade en octosyllabes
se compose de trois huitains construits sur les mêmes rimes, et d'un
quatrain dont la forme est la même que celle des quatre derniers
vers dans les huitains. Le quintain et le quatrain s'appellent envoi.
La ballade fut un des genres poétiques les plus usités au xve et au
xvie siècle jusqu'à la Pléiade. (Cf. les ballades de Villon et de
Marot.) Abandonnée par l'école de Ronsard, elle retrouva quelque
honneur au xvne siècle avec Voiture et La Fontaine. De nos jours,
certains poètes ont repris cette forme, en particulier Théodore de
Banville.
Le rondeau est composé de treize vers divisés en trois strophes,
dont la première et la troisième ont chacune cinq vers, la se-
conde trois : un refrain, formé par le premier ou les premiers mots
' du vers initial, s'ajoute à la fin de la seconde et de la troisième
strophe. Les mètres sont l'octosyllabe ou le décasyllabe ; tout le
poème est construit sur deux rimes si l'on ne compte pas le refrain.
Le rondeau, fort en honneur avant Ronsard, et traité, par Marot
surtout, avec beaucoup de grâce, fut repris au xvne siècle dt*
temps de Voiture, qui est alors le maître du genre. On peut citer
quelques charmants rondeaux d'Alfred de Musset.
547. Sonnet, dans notro ancienne langue provençale, voulait dire
petite pièce de vers .
Tançons. La tenson était une pièce en dialogue où deux inter-
locuteurs défendaient tour à tour, par couplets de même mesure
et semblablement rimes, leur opinion contradictoire sur diverses
questions de chevalerie, de morale, etc. C'était quelquefois une sa-
tire dialoguée dont les deux personnages s'invectivaient mu-
tuellement. On trouve aussi des tensons amoureuses; elles con-
tiennent les plaintes que deux amants s'adressent à tour de rôle ou
mie l'un d'eux adresse à l'autre .
— 32 —
Succédèrent depuis aux marches inegalles
Dont marche l'Elégie ; alors des Trobadours
Fut la Rime trouuee en chantant leurs amours : 550
Et quand leur vers Rimez ils mirent en estime
Ils sonnoient, ils chantoient, ils balloient sous leur
[Rime.
Du Son se fist Sonnet, du Chant se fist Chanson,
Et du Bal la Ballade, en diuerse façon : ,
CesTrouuerres alloient par toutes les Prouinces 555
Sonner, chanter, danser leurs Rimes chez les Princes.
548. Succédèrent, etc. Vauquelin passe directement de l'élégie
latine «à la tenson provençale.
550. On sait que le vers français est né de la versification latine
populaire. La notion de la quantité syllabique s'était de bonne heure
perdue chez les Latins; de bonne heure aussi ils eurent recours a
la rime pour fortifier le rythme ainsi affaibli. On peut citer des
•exemples de vers latins rimes dans les Florides d'Apulée (11e siècle)
et dans la dernière Instruction de Gommodien (me siècle). Dans
les hymnes du ive siècle, la rime n'est plus un accident comme
chez les poètes qui précèdent; elle semble avoir un caractère pres-
que obligatoire pour les poésies religieuses et populaires. Après la
renaissance classique du vme et du ixe siècle, elle devient un élé-
ment nécessaire de la versification dans tous les genres de poésie.
553. Le mot son ou sonnet s'applique généralement dans la langue
provençale à toute espèce de chant, mais désigne surtout les airs
•des poésies chantées, et, par suite, les pièces lyriques qui étaient
ordinairement accompagnées du son des instruments.
554. La ballade, comme la ronde, était chez les troubadours une
chanson consacrée à animer et à embellir les danses. Ce genre de
pièces ne s'astreignait pas toujours à des règles déterminées. Le
plus communément, la ballade avait un refrain, et ce refrain, formé
par le vers qui commençait la pièce ou par les premiers mots de ce
vers, était répété plusieurs fois dans chaque couplet. Les couplets
avaient généralement le même nombre de vers ; souvent aussi, le
premier en avait plus que les autres, et'alors les vers surabondants
rimaient avec celui qui dans chaque couplet n'aurait pas eu de rimes
•correspondantes. (Cf. la définition de la ballade moderne, note du i
vers 546.)
— 33 —
Des Grecs et des Romains cet Art renouuelé,
Aux François les premiers ainsi fut reuelé :
A leur exemple prist le bien disant Pétrarque
De leurs graues Sonnets l'ancienne remarque : 560
En récompence il fait mémoire de Rembaud,
De Fouques, de Remon, de Hugues et d'Aarnaud.
Mais il marcha si bien par cette vieille trace,
Qu'il orna le Sonnet de sa première grâce :
Tant que l'Italien est estimé l'autheur 565
De ce dont le François est premier inuenteur.
lus qu'à tant que Thiard épris de Pasithee
L'eut chanté d'vne mode alors inusitée,
Quand Sceve par dixains en ses vers Deliens
Voulut auoir l'honneur sur les Italiens, 570
Quand desia Saingilais, et doux et populaire
Refaisant des premiers le Sonnet tout vulgaire
560. L'épithète de grave convient mieux aux sonnets de Pétrarque
qu'à ceux des troubadours. Remarquons d'ailleurs que la forme de
ces derniers n'avait rien de commun avec la forme moderne.
561 sqq. Fouques, etc. Troubadours bien connus. Cf. Pasquier :
« Pétrarque, après avoir faict, au 4 chapitre du Triomphe d'Amour,
un sommaire dénombrement des poètes Grecs, Latins et Italiens
qui par leurs escrits avoient honoré l'Amour, repasse après non
sur tous nos poètes provençaux, ains sur quinze ou seize les plus
signalez et y met pour le premier Arnault Daniel. » (Rech. de la Fr.,
liv. VII, chap. iv.;
566. V. lanote du vers 560. — Cf. Fauchet : « Qui voudra feuille-
ter nos vieils poètes, il trouvera les mots dont les Italiens séparent
le plus, voire les noms et différences de leurs rymes, sonnets, bal-
lades, lais et autres. » (Liv. I, chap. v.)
567. V. la note du vers 333.
569. V. la note du vers 334.
571. Mellin de Saint-Gelais (1491-1558) put passer sous François Ier
pour le type des poètes de cour ; c'est surtout lui que du Bellay a
en vue dans son Poète courtisan. Rien de plus futile, en généra1, que
— 34 —
En Court en eut l'honneur : quand bien tost du Bellay
Son Olliue chantant l'eut du tout r'appelé :
Et que Ronsard bruslant de l'amour de Cassandre 575
Par dessus le Toscan se sceut bien faire entendre :
Et Baïf dudepuis (Meline en ses ébats
N'ayant gaigné le prix des amoureux combats)
le sujet de ses poésies. Il composait des cartels pour les fêtes
royales et des devises pour les nobles amants ; il fit une multitude
de petites pièces, huitains, dizains, douzains, sur une paire de gants,
un miroir, un luth, une belette apprivoisée, etc. On peut citer de
lui quelques épigrammes ingénieuses et bien troussées ; mais, en
général, ses poésies sont gAtées par la subtilité et l'afféterie. Les
productions de ce poète, dit Pasquier, sont petites fleurs et non
fruits d'aucune durée. Dans ce qu'il a de plus heureux, il fait son-
ger tout au plus à Sarrasin ou Benserade. — Saint-Gelais emprunta
le premier avec Marot la forme du sonnet moderne aux Italiens.
574. L'Olive est le premier recueil de du Bellay : il renferma
d'abord cinquante sonnets ; le poète en porta plus tard le nombre
à cent quinze. Du Bellay, comme le dit ici Vauquelin, acclimata
ce genre en France. Les sonnets de l'Olive sont alambiqués,
subtils, et en même temps durs et comme rocailleux : quelques-
uns marquent pourtant une réelle élévation de sentiment et de style.
Du Bellay se vantera plus tard d'avoir oublié l'art de pétrarquiser :
dans ses deux autres recueils de sonnets (Antiquitez de Rome,
Reçjrets)\l montre une sensibilité à la fois discrète et pénétrante, un
naturel et une sincérité que l'Olive ne pouvait guère laisser prévoir.
575. Les Amours de Cassandre sont de 1552. Ronsard y imite
Pétrarque. «Lisez la Cassandre de Ronsard, disait Pasquier, vous
y trouverez cent sonnets qui prennent leur vol jusqu'au ciel. »Le
poète, qui en était encore à sa première manière, y tend, comme
dans ses odes, vers les sommets les plus élevés de la poésie. Les
Amours de Cassandre, que commenta Muret, sont souvent gâ-
tés par une érudition pédantesque à laquelle se mêlent bien des
traits de subtilité et d'afféterie ; toutefois on peut y noter un grand
nombre de sonnets d'un sentiment profond, d'un accent élevé, d'un
style riche, imagé, sonore, que la poésie française n'avait jamais
connu avant Ronsard.
576. Le Toscan. Pétrarque.
577. Les Amours de Meline, tel est le titre du premier recueil que
fit paraître Baïf. (1552). Ce sont des sonnets, des chansons, des
stances, dans le même genre que l'Olive
— 35 —
Ces Sonnets repillant, d'vn plus hardi courage,
Et changeant son amour, et changeant son langage 580
Chanta de sa Francine au parangon de tous,
Faisant nostre vulgaire et plus bas et plus dous.
Puis Ronsard reprenant du Sonnet la mesure
Fist nostre langue aussi n'estre plus tant obscure .
' Et deslors à l'enui fut des François repris 585
L'interest du vieux sort, que l'Itale auoit pris.
Et du Bellay quitant cette amoureuse flame,'
Premier fist le Sonnet sentir son Epigrame :
Capable le rendant, comme on void, de pouuoir
Tout plaisant argument en ses vers receuoir. 590
Desportes d'Apolon ayant l'ame remplie,
Alors que nostre langue estoit plus accomplie,
Reprenant les Sonnets, d'art et de iugement
581. Les Amours de Francine sont de 1558. Ces sonnets ont été
dictés à Baïf par une passion réelle. On y trouve plus de vérité
et de poésie que dans les Amours de Dieline. Cf. Vauquelin :
Qu'importe encor que ta belle Francine
Ait emporté la couronne Myrtine
Par dessus Laure? (Sat. fr., liv. III, à Baïf.)
583-584. Il s'agit ici des Amours de Marie (1557). Ce n'est plus,
dans ce recueil, la magnificence si souvent guindée dés sonnets
, à Cassandre ; le génie de Ronsard s'est tempéré et assoupli; comme
le remarque Vauquelin, sa langue n'est plus tant obscure. Claude
Binet dit de ce recueil qne « le peu d'artifice et la pure simpli-
cité à la catulienne le recommande beaucoup ».
587-588. Vauquelin a finement observé que du Bellay aiguisa le
sonnet. L'auteur des Regrets fait de la Rome papale une peinture
toute satirique. Cf. les sonnets : 11 fait bon voir, Pascal, etc. Mar-
cher d'un grave pas, etc. Quand je vois ces Messieurs, etc.
591 sqq .Desportes a composé les Amours de Diane, d'Hippolyte,
de Cléonice. Il était l'ami de Vauquelin, qui lui a adressé la troi-
sième satire du livre 1er.
592. Cf. la Notice, partie II, chap. iv.
9.
— 36 —
Plus que deuant encor écriuit doucement.
De noslre Cathelane ou langue Prouençalle 595
La langue d'Italie et d'Espagne est vassalle :
Et ce qui fist priser Pétrarque le mignon,
Fust la grâce des vers quïl prist en Auignon :
Et Bembe reconnoist qu'ils ont pris en Sicille
La première façon de la Rime gentille, 600*
Que l'on y fut planter auecques nos Romants,
Quand conquise elle fut par nos Gaulois Normands,
Qui faisoient de leurs faits inuenter aux Trouuerres
Les vers que leurs Iouglours, leurs Contours et Chan-
[terres
594. On s'accorde en effet à louer la pureté, l'élégance et la dou-
•ceur de Desportes; ce sont les qualités que prise surtout Vauquelin.
595 sqq. Il semble inutile de relever ces erreurs. On sait que l'italien
et l'espagnol sont, non pas les vassaux, mais les pairs du français.
598. Pétrarque habita longtemps Avignon, qui était alors la rési-
dence des papes; c'est même là qu'il connut Laure de Noves. —
Cf. Fauchet : « Pétrarque et ses semblables se sont aidés des plus
beaux traits des chansons de Thicbault, le chastelain de Goucv, et
autres anciens poëte-s françois. » (Liv. I Chap. v.)
; 599 sqq. Bembo (1470-1547) est ce cardinal cicéronien qui ne
lisait pas son bréviaire dans la crainte de se gâterie style.
Ils ne se rapporte grammaticalement à aucun substantif : ce sont
les Italiens que Vauquelin veut évidemment dire.
602. Les Normands étaient devenus Français, mais non Gaulois.
Vauquelin se met ici au point de vue de la langue, qui, d'après lui,
était foncièrement gauloise. (V. vers 615.) — Cf. Fauchet : « Il y a
grande apparence que nos François ont monstre aux autres nations
d'Europe l'usage delaryme. Joan de la Ensina confesse que la ryme
est passée d'Italie en Espagne; les Italiens sont d'accord de la tenir
des Provençaux ou Siciliens, deux peuples sujets des François. »
(Liv. i, chap. vu.)
603. Inventer. C'est le sens du mot trobare d'où viennent trou-
badour et trouvère.
604. Iouglours, Contours, Chànterres. La décadence de la civi-
lisation romaine avait produit une tourbe d'amuseurs publics, les
scenici, scurrse, thymelici, planipedes, mimi, histrioms, jocula-
— 37 —
Rechantoient par après. (Ainsi les Grecs auoient 605
Des Rapsodes, qui lors tous les earrnes sçauoient
D'Homère et d'Hésiode, estant les secrétaires,
Interprètes, conteurs des fabuleux misteres
De ces poètes vieux) lors Tristau de Gisteaux
En Pouille auec Guiscart, plantoit ses panonceaux. 610
Puis en suite plus grand Tancred de Hauteuille
Conduisant douze fils de sa terre fertille,
Mist en Pouille et Galabre vn vulgaire François
Du Cathelan, Roman, Vualon et Thiois,
tores, bouffons, mimes, faiseurs de tours, chanteurs, improvisa-
teurs, qui colportaient la basse poésie lyrique et dramatique de
leur temps en l'associant aux mille prestiges de leur charlatanisme.
L'invasion ne les détruisit pas : ils se modifièrent et devinrent
ce que l'on appelle les jongleurs. Les trouvères se distinguaient
d'eux; toutefois il y avait des trouvères qui déclamaient eux-mêmes
leurs vers, et il y avait aussi des jongleurs qui savaient faire les
vers qu'ils chantaient. Vauquelin réserve ici aux simples rapsodes
le nom de Jouglours, Contours et Chanterres. (V.Aubertin, Hist.
de la litt. fr. au ?noy. âge., tome I.)
609. Vors (sic). — Tristau de Cisleaux.W faut lire Tristan. Cf. His-
torié Normannor um scriptores antiqui, par Duchesne, 1619. V.
p.28L Willelmi Calculi Gemmeticensis monachi Historia Normatt-
norum, liv. VII, cap. xxx. Tristan de Gisteaux y est appelé Turstinus
cognomento Scilellus . Gabriel du Moulin, dans son Histoire géné-
rale de Xorynandie (Rouen, 1631), traduit en français tout le
passage de Duchesne relatif à Tristan, qu'il appelle Turstin Ci-
teau. (Liv. VI, Sommaire m, p. 117.) Pour plus de détails sur le
personnage, nous renvoyons à l'ouvrage même de du Moulin.
613. Erreur déjà signalée. (V. vers 595.)
614. La langue catalane est appelée plus haut langue provençale
(V. vers 595), et en effet elle avait avec cette dernière une grande
analogie ; Vauquelin la distingue ici de la langue romane par la-
quelle il entend sans doute le provençal proprement dit. Elle se
parlait dans la Catalogne, la Navarre et une partie de l'Aragon,
sans compter quelques districts du sud de la France. — Le thiois
(theutsch) est l'ancien allenmnd. — Le wallon est un dialecie
du roman septentrional, qui se rapproche plus du latin que le
français, soit pour le vocabulaire soit pour la syntaxe; il se parlait
— 38 —
Langages tous formez sur la langue Gauloise, 615
Que corrompit ainsi la Latine et Thioise ;
Qui par les Cours des grands Romande se form?.,
Et chacun à la fin ceste dernière aima.-
Les Normands derechef, suiuant hors de leur terre
Guillaume leur grand duc, mirent en Angleterre 620
Leur coustume et leur langue, et de la d'autres lois,
Qu'en François bien longtems n'ont point eu les
D'Archilocque premier la furieuse rage [Anglois.
De son ïambe propre arma le fier courage :
dans les provinces belges de Hainaut, Namur et Liège. — Cf. Claude
Fauchet : « Quant au Wallon ou Gallon, j'estime que c'est unmoyen
ou nouveau langage, nay depuis Charles le Grand : ainsi appelé
pour ce qu'il sentoit plus le Gaulois que le Thiois : lequel toutesfois
on ne laissa d'appeler Romain, pour ce qu'il approchoit plus du
Romain que du Thiois ou François Germain. (Recueil de Vorig.
de la lang. et pots, françoise, chap. iv.)
615-616. "Vauquelin fait de la langue gauloise la mère des lan-
gues catalane, romane, wallonne, thioise. Cette langue gauloise ne
peut être que le celtique, corrompu d'après lui par le latin et le
tudesque. On sait que, si notre idiome renferme quelques mots
celtiques et un assez grand nombre de vocables thiois, le fond en
est essentiellement latin. Tout ce passage de Vauquelin manque de
clarté. Il aperçoit bien la parenté du français et du latin d'une part,
et, de l'autre, celle des diverses langues romanes : il sait aussi que
le celtique et le tudesque ne sont pas étrangers à nnre langue;
mais ces vérités, toutes nouvelles à l'époque, se trouvent encore
bien enveloppées d'obscurités et même d'erreurs — Cf. Fauchet :
« Quand les Francs entrèrent dans la Gaule, le peuple parloit un
langage corrompu du Romain et de l'ancien Gaulois. » (Recueil de
Vorig. de la lang. et poës. fr., chap. ni.) — Ceste langue Romande
n'estoitpas la pure Latine, ains Gauloise corrompue par la longue
possession et seigneurie des Romains. (Ibid., chap. iv.)
619 sqq. Cf. Fauchet : «Or, la langue françoise avoit esté portée
en Angleterre par Guillaume le»Bastard. Lequel... y voulut planter
sa langue, qu'il estimoit plus polie que la Saxonne ou Angloisc :
ordonnant que les loix nouvelles... fussent escrites en françois.
(Op. cit , chap. v.)
623 sqq. Cf. Hor., Ep. aux P., 79, 82.
— 39 —
Ce pied du gros soulier des Gomicques fut pris, 625
I Et du beau brodequin des tragiques espris :
I Outil propre à traiter des communes affaires,
1 Des propos mutuels et des bruits populaires,
I Se pouuant comme on veut en François r' apporter;
I Car il peut en tous vers l'oreille contenter : 630
I Mais nostre vers d'huict, sied bien aux comédies,
I Comme celuy de douze aux graues Tragédies.
Nos longs vers on appelle Alexandrins, d'autant
H Que le Roman qui va les prouesses contant
I D'Alexandre le grand, l'vn des neuf preux de l'aage, 635
627. Des communes affaires. Ce n'est pas le sens du latin natum
I rébus agendis.
628. Des bruits populaires. Ce n'est pas le sens du latin popu-
I lares vincentem strepitus.
629-630. On ne s'expliquait guère que Vauquelin crût devoir
I traiter d'un pied tout grec et latin comme l'ïambe. Ce n'était qu'un
I développement historique, et l'auteur se rappelle ici que, s'il imite
I Horace, il s'adresse à des poètes français.
631. L'octosyllabe fut généralement le mètre des mystères, mo-
I ralités, farces et soties pendant le moyen âge. Au xvie siècle, la
I comédie le conserva: YEugenede Jodelle, la.Reconnue de Belleau,
I la Tresoriere de Grévin, les Escoliers de Fr. Perrin, sont écrits en
I octosyllabes.
632. La Cleopatre de Jodelle, notre première tragédie, est écrite
en vers alexandrins aux actes premier et quatrième. La Didon est
déjà tout entière de ce mètre.
633 sqq. Le roman d'Alexandre fut composé par Lambert liTors
et Alexandre de Bernay ; il donna en effet leur nom aux vers de
douze syllabes qui pourtant avaient déjà été employés dans le
Voyage de Charlemagne à Jérusalem.
635. L'un des neuf preux de Vaage, comme nous pourrions
dire un d-js sept s iges de notre siècle. Cf. Vauquelin :
J'admire
Les faits d'armes hautains de ces braves neuf Preux
Et de ces Chevaliers errants parmi le monde, etc-
(Epiy. sur le portrait de Jean Brise.)
— 40 —
En ces vers fut escrit d'vn Romanzé langage :
Héroïques ainsi les Carmes furent dits,
D'autant que des Héros les hauts gestes iadis
En ces vers on chanta : Héros qui de la Grèce
Guidèrent en Golchos la fleur de la ieunesse 640
Dans la parlante Nef, quand le preux fils d'^Eson,
Mais desloyal amant, emporta la toyson.
On peut le Sonnet dire vne chanson petite ;
Fors qu'en quatorze vers tousiours on le limite :
Et l'Ode et la Chanson peuuent tout librement 645
Courir par le chemin d'vn bel entendement.
La chanson amoureuse affable et naturelle
Sans sentir rien de l'Art, comme vue villan elle,
Marche parmy le peuple aux danses aux festins,
637. V. la note du vers 507.
038. Hauts gestes. Cf. Hauts faits dans l'usage actuel.
641. La parlante Nef. C'est le navire Argo. — Le fils d'JEson.
Jason. — Vauquclin prend ici les Argonautiques d'Apollonius
comme type du poème héroïque.
643 sqq. Cf. du Bellay : «Sonne moy ces beaux Sonnets, non moins
docte que plaisante Invention Italienne, conformes de nom h l'Ode,
et différents d'elle, seulement pour ce, que le Sonnet a certains
vers réglez et limitez : et l'Ode peut courir par toutes manières de
Vers librement. » {Défense, liv. II, chap. iv.)
645. Tout librement, c'est-à-dire sans limite fixe.
648. La villanelle est une petite poésie pastorale d'origine ita-
lienne, divisée en couplets : c'est Grévinqui la mit à la mode chez
nous.Le rythme des villanelles, le nombre de couplets et de vers, ont
varié d'abord selon le caprice des poètes. Ce genre ne tarda pourtant
pas à être fixé par des règles. Dans sa dernière forme, la villanelle,
commençant toujours par un vers féminin, se divise en tercets dout
le nombre n'est point limité. Le premier et le troisième vers du pre-
mier tercet reviennent successivement, en guise de refrain, pour
terminer chacun à leur tour les tercets suivants : tous deux figurent
— 41 —
Et raconte aux carfours les gestes des mutins : 650
L'Ode d'vn graue pied, plus nombreuse et pressée
Aux dames et seigneurs par toy soit addressee :
De mots beaus et choisis tu la façonneras,
De mile belles fleurs tu la couronneras :
D'ornemens, de couleurs, de peintures brunies, 655
En leurs dejectemens également vnies.
En cent sortes de vers tu la peux varier :
Mais tousiours aux accôdrs du Luth la marier :
Et que chacun couplet r' entre de telle sorte,
Que quelque mot poignant en sa fin il rapporte 653
Sentant son Epigramme, et tellement soit ioint
Qu'au lecteur il semble estre acomply de tout point.
Si d'vne fiction d'vn long discours tu causes,
Tu pourras diuiser cette longueur en pauses.
Ou par les plis tournez des Odes du Sonneur, 665
Qui Grec sur les neuf Grecs lyriques eut l'honneur.
à la dernière strophe, qui est un quatrain. Le mètre usité est celui
de sept syllabes. On connaît la villanelle de Passerat :
J'ai perdu ma tourterelle, etc.
650. Il ne s'agit évidemment pas, dans ce dernier vers, de la
chanson que Vauquelin a caractérisée plus haut (vers 647), mais
d'une chanson toute populaire et satirique.
657. On sait que Ronsard a orée ou restauré une infinité "de ryth-
mes lyriques, parmi lesquels Malherbe se contenta de faire un
choix.
658. Accodrs (sic). — Il faut sous-entendre dans ce vers non pas
tu pmx du vers précédent, mais un autre verbe comme tu dois.
660-661. Vauquelin ne veutpas que l'ode ait un tour épigram-
matique ; ce qu'elle aura de commun avec l'épigramme, c'est que
chaque strophe se terminera par un trait pénétrant.
665. Les plis tournez. Les strophes, anlistrophes et épodcs de
l'ode puida:*esque.
— 42 —
Mais rien n'est si plaisant que la courte Odelette
Pleine de ieu d'amour, douce et mignardelette :
Si tu veux du sçauoir philosophe y mesler,
Par la Muse il le faut à ton aide appeler, 670
A toy mesme asseruant la douce Polimnie,
Autrement sa faueur, dépite elle dénie,
Et non l'assuiettir aux mots sentencieux
Sans qu'elle sente vn peu son air capricieux,
Sur quelque fantaisie éleué (par la grâce 675
De contes fabuleux) dessus la prose basse.
La Muse sur le Luth pour suiet flst ioiier
Et les Dieux et les Rois, et leurs mignons Ioiier,
Les ioustes les combats, la ieunesse s'aymante
A picquer les cheuaux sous la bride écumante ; 680
JL.es ballets et le vin, les danses, les banquets
Et des ieunes amants les amoureux caquets.
Mais auec son fredon, or la Lyre cornue
En la France est autant qu'en la Grèce connue :
Et nul vulgaire encor n'a iamais entrepris 685
De vouloir par sus elle en emporter le pris.
Car depuis que Ronsard eut amené les modes
667-668. Ces deuxvers forment une sorte de parenthèse ;Vau-
quelin revient ensuite à l'ode au grave pied et aux plis tournez.
671. Polimnie. Muse qui préside à la poésie lyrique.
675-676. Par la grâce de contes fabuleux. On sait combien
Ronsard, dans ses odes pindaresques, a abusé des souvenirs my-
thologiques et des légendes grecques.
677 sqq. Cf. Hor., Ep. aux P., 83-85. — Du Bellay : « Chante
moy ces odes... Et quand à ce, te fourniront de matières les lou-
anges des Dieux et des hommes vertueux..., la solicitude des
jeunes hommes, comme l'amour, les vins libres et toute bonne
chère. {Défense, liv.ll, chap. iv.)
— 43 —
Du Tour et du Retour et du Repos des Odes,
Imitant la pauane ou du Roy le grand bal,
Le François n'eut depuis en l'Europe d'égal : 690
D'Elbene le premier cette lyre ancienne,
A l'enui des François fait ore Italienne.
En ce genre sur tous proposer tu te dois
L'inimitable main de Pindare Gregois,
Et du Harpeur Latin, et tesiouir et rire 695
Et sur la Téïenne et la Saphique lyre.
Le but de Galien c'est garder de mourir
Le malade qu'il veut par drogues secourir:
Le but de Ciceron c'est de bien faire croire
Par ses viues raisons, son fait comme vne histoire. 700
Mais quand et l'vn et l'autre à ce but n'atteindroit,
Le nom de médecin Galien ne perdroit,
Ni Ciceron son tiltre : à raison que procède
Le mal souuent d'vn point qui n'a point de remède
Et qu'aussi d'vn procez l'entremeslé défaut 705
Empesche qu'on ne soit entendu comme il faut:
588. Du Tour et du Retour, etc. C'est ce que Vauquelin appelle
plus haut les plis tournez des odes (v. 665).
689. La pavane. Danse grave, venue d'Espagne, où les danseurs
font la roue l'un devant l'autre.
691. D'Elbene. Il s'agit ici de Bartholomeo Del-Bene, poète flo-
rentin; il adressa à Ronsard deux odes en italien, qu'on trouve dans
l'édition Blanchemain (t. II, 380 ; IV, 356). Ne pas le confondre avec
Alphonse Dclbene, abbé de Haute-Combe, auquel Ronsard adresse
son Abrégé d'Art poétique.
694. L'inimitable main. La main, avec laquelle le poète touche
la lyre, symbolise ici son art.
695. Tesiouir (sic).
696. Anacréon était de Téos.
697 sqq. Cf. Hor.,Ep. aux P., 369, sqq.
— 44 —
Mais sans donner plaisir son nom perd vn Homère,
Il deuient de Poëte vne laide Chimère.
C'est le but, c'est la fin des vers que resiouir:
Les Muses autrement ne les veulent ouir. 710
Les Peintres sont ainsi peingnants la Madelene,
Pleurante, ils la feront ressembler vne Hélène,
Nonchalante, agréable, ouurant de tous costez,
En son rauissement vn thresor de beautez.
Ce qui flst sembler beaus à la Grèce ancienne 715
Et les vers et les chants de Saphcn Lesbienne,
C'est qu'ils parloient tousiours de mile faits plaisans.
Des ombrages, des prez, des oyseaux degoisans,
Des épesses forests, des sources gasouillardes,
Roullant sur le grauois leurs ondes babillardes, 720
Des Hesperides Sœurs, de leurs iardins encor,
Ou le dragon vueillant gardoit les pommes d'or :
Des Nimphes, de leur bal, des danses mesurées
Qu'elles branloient en rond sur les tardes serees,
De mile autres plaisirs qui tous délicieux 725
Sont, sans les regarder, agréables aux yeux:
Semblables au Printemps, dont les fleurs aurilleres,
Bigarrant vn iardin, promtes et iournalieres,
Vous plaisent sans penser aux bons fruicts de l'Esté,
Tant vous est à propos ce plaisir présenté : 730
Sans fruict ainsi vous plaist vne rose nouuelle,
Et le baiser sans fruict qu'on prend d'vne pucelle.
721. Les Hesperides, filles d'IIespérus, habitaient un jardin où
les arbres étaient chargés de pommes d'or.
— 45 —
Puis des vers le Génie estant du ciel venu,
Pour céleste plustost que terrestre est tenu.
Car encor que la perle Indienne et gemmeuse 735
Naisse dedans le nacre en la mer escumeuse,
Toutesibis elle tient plus du Ciel que de l'eau,
Aprochant en couleur de son visage beau:
Aussi l'esprit conduit par la Muse diuine,
Dépend plustost du Ciel, dont il prend origine, 740
Que non pas de la terre ou son corps est viuant
Ainsi que le Soucy son beau Soleil suiuant.
C'est pourquoy des beaus vers la ioyeuse alegresse
Nous conduit aux vertus d'vne plaisante addresse,
Et pourquoy Dieu se prie aux Temples en chantant 745
Et d'vn cœur réioui plustost qu'en lamentant.
le scay bien toutefois que profiter et plaire,
Comme ailleurs ie diray, est le seul exemplaire
De la perfection ; mais toujours si faut il,
Qu'on trouue quelque chose au profit de gentil : 750
Chasteau- vieux bouffonnant pour gosser et pour rire
Ne laisse à profiter et plaire en son médire.
Des gemmes que l'on trouue aux riuages Indois,
Iestime tousiours celle estrede plus grand chois,
738. Son visage, c'est-à-dire l'aspect du ciel.
744. D'une plaisante addresse. Par un chemin agréable.
745. Cf. Vauquelin :
Car pour montrer que Dieu veut qu'on se réjouisse,
Il veut qu'avecques chants on confesse son vice.
(Satyr. fr., 1, 5.)
747 sqq. Cf. Hor., Ep. aux P., 333 sqq.
751. Chasteau- Vieux est un prédécesseur des Garguille et des
Tabarin. Vauquelin l'appelle plus bas brave farceur (111, 109).
— 46 —
Qui non seulement belle en couleur variante 755
Sçait réiouir les yeux agréable et riante,
Mais qui sçait à des maux remèdes aporter,
Et par vertu secrète vn esprit conforter :
Ainsi des Muses est la chanson souueraine,
Qui n'a pas seulement la voix belle et sereine, 760
La parole plaisante et l'air délicieux :
Mais qui sçait d'auantage enchâsser précieux
Le diamant en l'or, tirant auec délices,
Par ses enseignemens vn homme de ces vices.
Si quelqu'vn deuant vous, si quelqu'vn puis
[après 765
Imite en mesme endroit les Latins et les Grecs,
Vous rencontrant ensemble, il ne faut par enuie,
Ni par dépit laisser l'œuure non poursuiuie :
Les Autheurs sont communs, tels les imiteront,
Qui mieux que les premiers les représenteront : 770
Qui va même chemin et fait même voyage,
Quelquefois se rencontre en vn même passage.
Gomme tout peintre n'est parfait en chaque part
De tout ce que requiert la règle de son art :
Mais l'vn en simples traits tant seulement char-
[bonne, 775
L'autre sait porfller l'ombre d'vne personne :
L'vn des membres fait bien vn raccourcissement,
L'autre sçait de couleurs faire vn rehaussement :
764. Ces, faute d'impression, pour ses.
773 sqq. Cf. Boileau, Art poét., I, 13 sqq.
— 47 —
L'vn peindra seulement des grands dieux les images,
Et l'autre au naturel contrefait les visages : 780
L'vn sçait bien les couleurs subtil entremesler,
Et l'autre en Symmetrie aussi tout egaller.
Des Poètes ainsi, l'vn fait vn Epigrame,
L'autre vne Ode, vn Sonnet, en l'honneur d'vne dame,
L'vn vne Comédie, et l'autre d'vn ton haut, 785
Tragique fait armer le royal echafaut.
L'vn fait vne Satyre, et l'autre vne Idillie,
Qui iusque aux petits chants des Pasteurs s'humillie,
Et peu, qui sont bien peu, la trompette entonnant,
Font bruire d'vn rebat l'air au tour re sonnant. 790
Mais comme auec Apelle on loue vn Timagore,
Protogene, Zeusis, Timante, Apollodore,
Parrasse et Pollignot, peignants diuersement :
Homère seul ainsi, ni Maron seulement
N'ont gaigné le Laurier : De cette branche on pare 795
Gomme eux, Gatule, Horace, Hésiode, et Pindare :
Aussi pour le suiet des premiers ne traitter,
782. En Symmetrie . ..tout egaller, c'est-à-dire bien proportionner
ses figures.
789. La trompette épique. Cf. II, 106. — Boilean.Art poét., II, 14.
791 sqq. Apelle, fameux peintre grec qui florissait dans la
seconde moitié du ive siècle. Timagore, peintre grec du ve siècle.
792-793. Protogene, peintre rhodien du ive siècle. — Zeusis, peintre
grec du ve siècle — Timante, peintre grec du ive siècle. — Apol-
lodore, peintre athénien, qui florissait au commencement du
Ve siècle. — Parrasse, peintre grec du ive siècle. — Polignot,
peintre grec du ve siècle.
794 sqq. Cf. du Bellay : « Car c'est chose honneste à celuy qui
aspire au premier Ranc, demeurer au second, voire au troiziesme .
Non Homère seul entre les Grecz, non Virgile entre les Latins,ont
acquis los et réputation, etc. {Défense, liv. II, chap. v.)
— 48 —
On ne doit de leur rang les seconds reietter :
Chacun en son espèce a part à la Couronne
De l'arbre Delphien, qui leurs chefs enuironne. seo
Mais celuy qui ne peut garder l'ordre diuers,
Et les couleurs de lœuvre en escriuant des vers,
Et donner son vray iour à l'argument qu'il traite,
Ne méritera point qu'on l'appelle Poëte.
Pourquoy veut il honteux, ignorant demeurer, 805
Plustost qu'en aprenant, plushardy s'asseurer?
Par vn Tragicque vers ne peut estre traitée
Vne chose Comique, ains bassement contée:
Et ne faut reciter en vers priuez et bas
De Thiëste sanglant le plorable trespas ; sio
Chacune chose doit en sa naïfue grâce
Retenir proprement sa naturelle place :
Si l'Art on n'accommode à la Nature, en vain
Se trauaille de plaire en ses vers l'escriuain :
Néanmoins quelquefois de voix vn peu hardie : 815
801 sqq. Cf. Hor., Ep. auxP.,86-88.
802. Lœuvre (sic).
807 sqq. Cf. Hor., Ep. aux P., 89-98.
808. Ellipse analogue à celle du vers 658. Après ains il faut sup-
pléer le verbe doit.
810. Il y a dans Horace cœna Thyestœ. On serait tenté de croire
à une faute d'impression, et de lire repas pour trespas. Mais nous
trouvons de môme dans la satire à Pontus de Thiard :
La dure achoison
Dont se plaignoit Medee encontre de Jason,
Le trespas d'un Thicste, un souffrant Promethee, etc.
(Satyres françoises, liv. V, sat. vin.)
Atrée et Thycste étaient les deux fds de Pélops. Le dernier sé-
duisit la femme de son frère. Celui-ci tua les deux fds de Thyeste
les et lui servit dans un repas. Il fut lui-même tué par Egisthe.
— 49 —
S'éleue en son couroux la basse Comédie :
Et d vne bouche enflée on void souuentefbis
Chrêmes se dépiter en éleuant sa voix;
Le Tragicque souuent de bouche humble et petite.
Bassement sa complainte aux échaffauts recite. 820
Quand Telephe et Pelé banis et caimandans
S'efforcent d'émouuoir le cœur des regardans,
Et Ragot belittrant, vn Euesque importune,
Il a des mots piteux propres à sa fortune,
Tous laissent les gros mots empoulez et venteux, 825
Comme mal conuenant aux banis souffretteux.
Non ce n'est pas assez de faire vn bel ouurage,
Il faut qu'en tous endroits doux en soit le langage,
Et que de l'écouteur il sache le désir
Le cœur et le vouloir tirer à son plaisir. 830
Montre face riante en voulant que l'on rie,
Pour nous rendre marris montre la nous marrie,
818. Au ve acte de YHeautontimoroumenos, Chrêmes gour-
mande son fils Clitophon.
819-820. Cf. Boileau, Artpoét., III, 141.
820. Complainte traduit le dolet d'Horace.
821. Telephe, roi de Mysie, détrôné par Achille. Eschyle, Sophocle,
Euripide, Agathon, en Grèce; Ennius et Accius, à Rome, l'avaient pris
pour héros tragique. — Pelé, fds d'Eaque et père d'Achille, fut chassé
de Salamine par son père comme meurtrier de son frère. Réfugié
à Phthie, il tua son beau-père et fut une seconde fois réduit à l'exil.
823. Ragot, célèbre bélître, dont parlent Brantôme, Rabelais,
Marot. H. Estienne. Tahureau dit, dans ses Dialogues du Démo-
critique et du Cosmophile : « L'elegant et insigne orateur belistral
unique Ragot jadis tant renommé entre les gueux de Paris, comme
le paragon, roi et souverain maîstre d'iceux, lequel, etc. »
825. Les gros mots. Nous dirions ici les grands mots.
825, 826. Cf. Boileau, Art poét., III, 143-144.
827 sqq. Cf. Hor., Ep. aux P., 99-118.
-50-
Si tu 'veux que ie pleure il faut premièrement
Que tu pleures et puis ie plaindray ton tourment.
Ragot si tu venois en prière caimande, . 835
Me faire, trop hautain, vne sotte demande,
le me rirois, ou bien tu n'aurois rien de moy,
Vn doux parler est propre aux hommes tels que toy :
Aux hommes furieux paroles furieuses,
Lasciues aux lascifs, et aux ioyeux ioyeuses: sio
Et le sage propos et le graue discours
A quiconque a passé de ieunesse le cours :
Car Nature premier dedans nous a formée
L'impression de tout pour la rendre exprimée
Par le parler après ; et selon l'accident 845
Elle nous aide, ou met en vn mal euident,
Ou d'angoisse le cœur si durement nous serre,
Q'uelle nous fait souuent pâmez tombera terre,
Et découurir après d'vn parler indiscret,
Aueuglez de fureur, de nos cœurs le secret. 850 ;
Il faut que la personne à propos discourante,
Suiue sa passion pour estre bien disante.
Si le graue langage à celuy qui le tient,
Selon sa qualité, peu séant n'appartient,
La noblesse Françoise et le bas populace 855
Se pasmeront de rire en voyant son audace.
Grand' différence y a faire vn maistre parler,
833,834. Cf. Boilcau., Art poét., III, 142.
835. V. la note du vers 823.
848. Q'uelle (sic).
858. Davus. Valet de la comédie latine.
— 51 —
Ou Dauus qui ne doit au maistre s'égaller,
Ou le Don Pantalon, ou Zany dont Ganasse
Nous a représenté la façon et la grâce : 860
Ou le sage vieillard, ou le garçon bouillant
Au mestier de l'amour et des armes veillant :
Ou bien faire parler une dame sçauante,
Ou la simple nourrice, ou la jeune seruante,
Ou celuy qui la pleine en sillons va trenchant, 865
Ou bien de port en port vagabond le marchant,
L'Alleman, le Souisse, ou bien quelque habile homme
Qui n'est point amendé de voyager à Rome,
Ou celuy qui nourri dans l'Espagne sera,
Ou celuy qui d'Italie en France passera. 870
Toy, qui sçauant escris d'vne plume estimée,
Au plus près suy cela que tient la renommée :
Ou bien des choses fein conuenantes si bien,
Que de non vray-semblable en elles n'y ait rien.
Si tu descris d'Achille, honoré par Homère 875
Les faits et la valeur, l'ardeur et la colère,
859. Pantalon. Personnage de la comédie italienne représentant
le vieillard avare, crédule, libertin, méticuleux. — Zany. Les
Sannionnes ou bouffons de la comédie antique se retrouvent avec
l'emploi de valet dans la Commedia deW arte où ils portent le nom
de Zanni. — Ganasse, Jean Ganasse était à la tête d'une troupe de
comédiens italiens : il donna des représentations en Espagne et
ensuite en France. On voit ici qu'il jouait le rôle des Zanni.
86i-868. Cf. le proverbe:
Jamais cheval ni méchant homme
N'amende pour aller à Rome. (Littré, Dictionnaire.)
C.-à-d. : On ne se corrige pas de ses vices en voyageant.
871 sqq. Cf. Hor.,Ep. aux P., 119-130.
875. Honore' par Homère. Ce n'est pas le sens d'honoratum dans
Horace.
10
Fay le brusque et hautain, actif et conuoiteux,
Ardant, impitoyable, inuaincu depiteux,
Ne confessant iamais que les loix engrauees
Pour luy soient en du cuyure es tables eleues : sso
Mais voulant par le fer, poussé de son dédain,
Soumettre toute chose à son pouvoir hautain.
Descris vne Medee, indomtable et cruelle,
Inon toute epleuree, Ixion infldelle,
Oreste furieux, Ion vagabondant 885
De son dieu rauisseur le. secours attendant.
Si tu veux sur le ieu de nouueau mettre en veùe,
Vne personne encor en la Scène inconneùe,
Telle jusqu'à la fin tu la dois maintenir,
Que tu l'as au premisr fait parler et venir. &
Mais il est malaisé de bien proprement dire
Ce qu'on n'a point encor veu par vn autre escrire:
Pour ce plus seurement tu pourras imiter
L'aueugle clair voyant, qu'vn suiet inuenter,
875 sqq. Cf. Boileau., Art. poét., III. 105 sqq.
878. Invaincu. Ce mot est très usité au xvie siècle. On le trouve
dans le Loyal Serviteur, Ronsard, d'Aubigné,DuBartas. Le diction-
naire de Nicot et celui de Cotgravele donnent tous deux.
883. Médée, pour se venger de Jason, fit périr les deux enfanta
qu'elle avait eus de lui.
884. Ino, fille de Cadmus, se jeta dans la mer pour se soustrar
à la fureur de son mari Athamas. — Ixion tua son beau-père Déioné
en le faisant tomber par trahison dans une fournaise ardente.
885. Oreste, après le meurtre de sa mère, fut poursuivi par les Fu-
ries.— Io, fille d'Inachus, parcourut toute la terre pour échappera]
vengeance de Junon.(Cf.Ovid., Métam., 1,583; Eschyle, Prométhée.)
887. sqq. Cf.Boileau. Art poét., Ill, 124-126.
894. L'aveugle clairvoyant. Homère. Cf. Victor Hugo :
Quand l'œil du corps s'éteint, l'œil de l'esprit s'allume.
(Contemplations, tome I, xx, A un poète aveugle.)
(Qui n'ait point esté dit) de choses inouyes, 895
Rendant sans aucun fruict des fleurs epanouyes.
Ou bien si d'vne Histoire vn grand Prince fameux
Tu veux faire floter sur les flots ecutneux,
Faire tu le pourras et Chrestien son nauire
Hors des bancs périlleux et des ecueils conduire : 900
Aussi bien en ce temps, ouir parler des dieux
En une Poésie est souuent odieux.
Des siècles le retour et les saisons changées
Souvent soubz d'autres loix ont les Muses rangées.
Tasso, qui de nouueau dans Solyme a conduit 905
Le deuot Godefroy, qu'vne grand' troupe suit,
Certaine preuue en fait ; mais vn suiet semblable
Il te faut imiter sur vne vieille fable,
Et pour n'estre dédit, il faut bien aduertir
De prendre vn argument ou l'on puisse mentir: 910
Le vers du vray-semblable aime vne conterie,
Qui plustost que le vray suit vne menterie.
Si d'vne longue alaine vn bel œuure tu veux
Parfaire pour passer jusqu'aux derniers neueux,
Chante d'vn air moyen, non tel que l'Héroïque, 915
Ni si bas descendant que le vers Bucolique,
Mais qui de l'vn et l'autre vn vers enlassera,
Qui tantost s'éleuant, tantosts'abbaissera:
Tel que du grand Maron le doux plaisant ouurage,
901 sqq. Cf. 111,33 sqq. 845 sqq.— V. sur la question du merveil-
leux chrétien le chap. iv de la Notice, partie II.
907 sqq. Sur la distinction du poète épique et de l'historien, Cf.
Ronsard, préface de \a.Franciade.
Qu'imitant Hésiode il flst du labourage : 920
Et que celuy d'Ouide ayant par les retours
De l'an, chanté l'honneur de leurs chommables iours
Et tel qu'après Pontan en nostre langue encores
Auoit bien commencé Baïf aux Météores :
Tel que de Saintemarthe est cet ceuure diuin 925
Qu'il a fait sur le Clain au bel air Poiteuin :
Quand Latin et François imitant la Nature,
Il chante des enfants la chère nourriture,
Et tel qu'après Arat Manile chante ainsi
Les Estoiles du Ciel, leurs figures aussi : 930
Tel qu'après Empedocle, ô Lucrèce, tu oses
Chanter d'vn aii pareil la Nature des choses.
920. Cf. Virgile :
Ascraumque cano Romanaper oppida carmen.
(Géorg., Il, 116.)
Virgile ne fait d'ailleurs à Hésiode que de rares emprunts : ce
vers veut dire simplement qu'il s'exerce dans le même genre.
921. Celuy d'Ovide. Les Fastes.
923. Pierre Brugge ou de *Ponte, ou Pontanus (1480-1529) avait
publié en 1520 un Ars versificatoria.
924. Le Livre des Météores, poème resté inachevé (1567\ est comme
un traité de physique et d'astronomie dans lequel Baïf, s'inspirant
souvent de Virgile, décrit avec une précision pittoresque les phéno-
mènes du ciel et de l'atmosphère.
925 sqq. Scévole de Sainte-Marthe (1536-1623). Vauquelin l'avait
connu à Poitiers dans sa jeunesse. (Cf. Satire Ve duliv. Ier.) Allu-
sion à sa Pœdotrophia, poème sur l'art de nourrir les enfanJs à la
mamelle, dont la latinité passait pour accomplie.
926. Le Clain est une rivière qui baigne Poitiers.
929. Aratus, le poète grec, auteur des Phénomènes et Pronostics ;
ce poème avait été traduit par Belleau. — Manilius, le poète latin,
auteur des Astronomiques.
931. Empedocle, le philosophe grec, auteur d'un poème sur la
nature. Lucrèce, qui en fait un magnifique éloge, l'a probablement
imité.
— 55 —
Premier souuienne toy par vn humble recours
De la toute puissance inuoquer le secours
Soubs quelque nom diuin, puis de trop d'abon-
[dance, 935
Garde toy de la Muse enfraindre l'ordonnance,
Enfillant tes propos si Poétiquement
Qu'ils ne sentent grossiers la Prose aucunement:
Et ne mets nul suiet, nul conte, nulle histoire,
Qui dans le cabinet des filles de mémoire, 940
Ne puisse bien entrer : depeur de cette erreur,
Rends au bon iugement suiette ta fureur:
A quoy te seruiront mile chose chantées
Par les Grecs, dudepuis des Romains imitées.
Les argumens connus aux Poëmes ouuers 945
Gomme tiens se liront estre tes propres vers,
Si tout tu ne veux point t'embrouiller à la suite
De l'ample et du vil tour de la matière escrite.
Pour ce tu ne doibs point, mot pour mot t'arrester,
A vouloir vn suiet fldelle interpréter: ' 950
Car on ne doit iamais, lors que libre on imite,
De son gré s'engager en place trop petite :
941. Depeur (sic).
945 sqq. Cf. Hor., Ep. aux P., 131-135-
946. Construction incorrecte, qui n'empêche pas d'ailleurs le sens
d'être clair.
947-948. Vers obscurs ; il faut les expliquer à l'aide de ceux que
Vauqueliu traduit :
Publica materies privati juris erit, si
Non circa vilempatulumque moraberis orbem.
(Hor.,Ep. aux P., 131-132.)
951-954. Même observation.
10.
— 56 —
La honte d'en sortir nous viendrait empescher,
Et la loy de l'ouurage ensemble d'y toucher.
Qui veut trop curieux vne langue traduire 955
Veut la langue estrangere et la sienne destruire :
Ce qui proprement est au langage ancien
Il le faut proprement dire au langage sien.
Pourtant ie je ne veux pas à nos François deffendre
De ne traduire plus, et fldellement rendre 960
Le Grec et le Latin : quiconque aura cet heur
De rapporter au vray le sens d'vn vieil autheur
Profite à la ieunesse en la langue suiuante
Qui sans Grec et Latin sera tousiours sçauante :
Salel premier ainsi, du grand François conduit, 965
Beaucoup de l'Illiade a doucement traduit,
Et Iamin bien disant, l'a tellement refaite
954. Trop curieux, c'est-à-dire avec une fidélité trop minutieuse.
963, 964. Profite à la jeunesse qui suit les auteurs grecs ou la-
tins dans sa propre langue; de cette façon, elle peut s'instruire
sans connaître les langues antiques.
965 Hugues Salel (1404-1553)appartient à l'école de Marot. Il fit
sa traduction de l'Iliade sur la demande de François Ier ; elle fut
imprimée en 1545 sous ce titre : Les Iliades d'Homère, prince des
poêles, traduites du grec en vers français. Salel, enlevé par une
mort prématurée, n'eut que le temps de traduire les onze premiers
chants ; Amadis Jamin continua et acheva l'œuvre. Ces onze
chants ont été faits non sur le texte grec, mais sur une version
française, faite elle-même sur la version latine de Laurent Valla ;
c'est l'œuvre de Salel que ses contemporains admiraient le plus :
elle ne nous paraît qu'une paraphrase décolorée, et J'emploi du
décasyllabe contribue encore à lui donner un caractère de fai-
blesse et de platitude.
967. Amadis Jamyn, un des disciples préférés de Ronsard, connu
surtout par ses deux poèmes de la Chasse et de la Libéralité', il
publia en 1574 sa traduction en alexandrins des treize derniers
chants de l'Iliade. Elle a du naturel et une élégante facilité.
— oi —
Qu'à lautheur ne fait tort vn si bon interprète :
. Long temps auparauant le bon Octauien
De Saintgilais flst voir le preux Dardanien 970
En habit de François : et depuis des Mazures
Le fist marcher encor soubs plus douces mesures.
Mais nos deux Chevaliers doctes frères ont ioint
Leurs esprits, et l'ont mis encores mieux en point:
Et pour estre François Apolon mesme auoue 975
Qu'en eux se reconnoist le Cigne de Mantoue:
Qu'ainsi puissions nous voir tous autres vers chantez
Aue^ques la trompette en France interprétez.
le voudrois bien aussi quelquefois variable
968. Lautheur (sic).
969. Octavien de Saint-Gelais (1466-1502), père de Mellin, avait
donné en 1500 une traduction de l'Enéide en vers français.
971. Des Mazures (1510-1580), poète huguenot, l'auteur d'une
trilogie tragique (David combattant, triomphant, fugitif), avait
fait paraître, en 1547, la traduction en vers des deux premiers
livres de Y Enéide, en 1554 celle des deux suivants.) On a, de 1580,
un Virgile complet dans lequel Des Mazures a traduit les douze
livres de ce poème.
973 Nos deux Chevaliers. Robert et Antoine Lechevalier,
sieurs d'Aigneaux, nés à Vire vers le milieu du xvi : siècle, tra-
duisirent Virgile en alexandrins (1582). On a aussi d'eux une tra-
duction d'Horace (1588). Vauquelin nous apprend ailleurs qu'ils
firent des chansons :
Apres du van-de-Vire et des monts de Belon,
Vindrent les Chevaliers, vrais enfants d'Apollon,
Oui nous font de rechef ore ouïr des nouvelles
D'Olivier Basselin, en mille chansons belles.
(Pastorale sur le tombeau de Rouxel.)
Cf. encore les deux sonnets du IIe livre des Idyllies qui portent le
numéro 68, et l'épitaphe que Vauquelin a faite en l'ùonneur des
deux poètes.
975. Pour estre françois, c.-à-d. quoiqu'ils soient français.
979 sqq. Outre le début de .Y Enéide, que Vauquelin a para-
phrasé dans le chant II, et sans compter l'oraison funèbre du
— 58 —
Rendre nostre François au Latin mariable, 980
Et suyure en traduisant nostre langue sur tout:
Mais ô mechef ! souuent nous n'allons iusque au bout
De la course arrestee, et reculions arrière
Deuant qu'auoir attaint le but de la carrière.
Car les vns retirez par leurs empeschements 935
Les autres détournez par fouis débauchements
Abandonnent les vers : Mais bien peu par addresse
Fendent Fempeschement, comme on fend vne presse
De gens en vn passage ; et l'ayant renuersé,
Le chemin d'ignorance est bien tost trauersé. 990
Comme pour s'esiouir de voir briller la flame
Des rais d'vn beau Soleil par les yeux d'vne dame
Qui soit auecques nous : nous ne pouuons pas voir
Que l'Amour ait sur nous encor aucun pouuoir
Car à tous est commun de sentir quelque ioye 995
Quand vn œil amoureux ses regards nous enuoye,
Puis elongnez de luy la flame s'amortit
Aussi tost qu'autre part son œil on diuertit.
Mais ne le voyant plus, et porter dedans l'ame
Le trait de la beauté qui nostre cœur entame, 1000
De ce triste départ tousiour s'entretenir,
sieur de Brethevillc Rouxel,tiréedu latin de Jacques de Cahaignes,
on sait qu'il a fait passer dans son Art poétique l'Epitre aux Pisons
tout entière et qu'il lui arrive bien souvent, dans ses Satyres fran-
çaises, de traduire Horace plus ou moins librement. Quelques-unes
de ses Idyllies ont été faites sur le latin de du Bellay; les Idyllics
1,76 et 11,54 sont imitées de Théocrite; l'Idyllie I, 80, de la
1" Eglogue de Virgile; l'Idyllie II, 6, d'une ode d'Horace ; enfin,
l'Idyllie II, 41, est « tirée du grec ».
999. Il faudrait ne le voir plus.
— 59 —
Ne paissant nos esprits que de son souuenir,
C'est d'Amour qui commence vne enseigne certaine,
Qui porte en son drapeau pourtraite nostre peine,
Qui nous pousse à reuoir ce bel œil messager ioo5
D'Amour, qui s'est venu dans nostre ame loger :
Aussi pour voir plusieurs s'esiouir et se plaire
Auprès du saint troupeau des neuf Muses, et faire
Mille sortes de vers, ce n'est pour asseurer,
Qu'ils pourront amoureux des neuf Sœurs demeu-
rer : 1010
Aux affaires tirez aux vers plus ils ne pensent,
Et de suivre la Muse oublieux se dispensent:
Mais celuy qui vrayment sent l'éguillon picqueur
Des Muses iusqu'au vif luy chatouiller le cœur,
11 fait doux et modeste, amoureux ses caresses, 1015
Courtisant par ses vers ses sçauantes maistresses :
Puis s'il en est distrait aux affaires tiré,
On le verra fascheux bruslant et martiré
De toute autre entreprise : Impatient encore
De se voir absenté, de l'amour qui deuore 1020
Son esprit elongné des Sœurs et d'Apolon,
Oubliant ses amis : dépiteux et félon,
Iusques qu'à tant qu'il soit de retour auec elles.
Tant le point le désir de ses doctes pucelles,
1013-1014. Cf. Lucrèce :
Percussit thyrso laudis spes magna meum cor
Et simul Lncussit suavem mi in pectus amorcm
Musarum. (De natura rerum, 1, 922.)
1020. Le sens exige la suppression de la virgule.
— 60 —
Tant il se tient heureux en son loisir dequoy 1025
Il peut viure seulet comme elles à recoy,
Sçachant pour en iouir prendre l'heure opportune,
Aidé de la science et non de la fortune.
Car bien qu'vn bon Pilote, aborde par hasard
Aussi tost à bon port, comme il fait par son art, 1030
Et qu'vn grand Capitaine aussi tost mette en fuite
L'ennemy par hasard comme il fait par conduite :
Toutefois la fortune aux arts ne sert de rien :
Sinon qu'elle seruit à ce Peintre ancien,
Lequel ayant tiré de main presque animante, 1035
Vn cheual furieux à la bouche ecumante,
Il n'en peut onc l'écume au vif représenter :
Ce qui le flst cent fois à la fin dépiter :
Et iettant dédaigneux son éponge souillée,
Et de toutes couleurs du pinceau barbouillée) 1040
Au mords de son coursier, le dédain par hasart
Fist ce que le pinceau ne peut faire par art.
Mais le beau iugement à l'art conioint, assemble
Vne perfection qui les vnit ensemble.
De ce beau iugement vn exemple se voit, 1045
Quand Polignot, Scopas, et Diocle (qu'on croit
Trois peintres excellens auoir des leur bas aage
1034. On sait que ce peintre ancien est Protogène. L'anecdote se
trouve dans Pline l'Ancien, Hist. nat., liv. XXXV, chap. 32.
1037. Peut (put) est au passé défini, comme dans le vers 1042.
1046. Polignot. V. la note du vers 792. — Scopas. Architecte
et statuaire grec né à Paros vers 424. — Diocle. Il n'est men-
tionné dans les Dictionnaires spéciaux que comme joaillier. —
Ces trois artistes n'ont d'ailleurs pas vécu a la même époque.
— 61 —
Payé soubs Apelles le droit de recollage)
Entreprindrent chacun de tirer curieux
Le Roy borgne Antigone, à qui feroit le mieux. 1050
Polignot lors estant à son art tout fldelle,
Bien qu'il sceust que le Roy portast haine mortelle
A ceux qui se moquoient de son œil arraché,
Toutefois sans respect de l'en rendre fasché,
Marchant par le chemin aux peintres ordinaire, 1055
Le Roy borgne et hideux au vray va contrefaire :
De sorte qu'il sembloit auec son œil osté,
Estre en l'image mort mieux qu'au vif rapporté.
Mais Scopas plus craintif n'ayant pas osé peindre
Le Roy tel qu'il estoit : ni ne voulant enfraindre 106O
Les règles de son Art, il le peignit moins vieux,
Tel qu'il estoit alors qu'il auoit ses deux yeux :
Son pinceau deslié rapportoit chose vraye,
Antigone n'ayant encor receu la playe
Qui luy fist perdre l'œil, ce pourtrait bien tiré 1065
Semblable à ceux du temps fut de tous admiré.
Scopas par ce moyen se pensa digne d'estre
De ses deux compagnons le premier et le maistre
1048. Apelles. V. la note du vers 791.
1050. Antigone, un des généraux d'Alexandre. Nous ne savons
où Vauquelin a pris cette aneedote plus que suspecte. Dans Quin-
tilien, c'est Apelle qui peint Antigone de profil pour cacher le
vice de son œil. — « Apelles... imaginem Antigoni latere tan-
tum altero ostendit, ut amissi oculi deformitas lateret. » (II, 13.)
Quant aux trois autres peintres, il n'en est nullement question.
Pline l'Ancien (xxxv, 36) attribue aussi le portrait à Apelle.
. 1065. ce (sic).
1068. Construction incorrecte. Il faudrait le premier, avant ses
deux compagnons.
— 62 —
Polluant se conseruer en la grâce du Roy,
Auecques le renom que l'Art tire après soy. 1070
Mais Diocle d'ailleurs desseignant mesme chose
Que Polignot faisoit, en l'ame se propose
Les respects qui rendoient Scopas aussi douteux,
Ne voulant se iouer à ce prince airêteux,
Ni suivre de son art le plus commun vsage, 1075
Ni trop flater le Roy par un lasche courage :
Ains suiuant du moyen le sentier asseuré,
Auecques vn espoir du laurier espéré
Il peignit en profil d'Antigone la face :
Dont le tableau couuroit, d'ombre de bonne grâce îoso
Yne part du visage : et son œil emporté
En droite ligne estoit couuert de ce costé,
Tant qu'auècques bien peu de soigneux artifice,
En l'ombre se cachoit de son œil tout le vice :
Et l'outreplus si bien le Roy représentait, îoss
Que le Roy si semblable a luy mesme n'estoit.
Quand au iour arresté les trois se rencontrèrent,
Et leurs tableaux au Roy chacun à part montrèrent :
Le Roy voyant celuy de Polignot, soudain
Conceut en son esprit vh superbe dédain, 1090
Pensant lors receuoir vn affront, vn outrage
De se voir peint ainsi d'vn si hideux visage,
Des l'heure le faisant hors de sa Court chasser,
Et hcrs de son Royaume en autre endroit passer :
1077. Moyen est employé ici avec le sens de moyenne, juste
'uilieu> (V. le Glossaire.)
— 63 —
Par ce que la prudence il auoit par enuie, 1095
A son art glorieux trop malin asseruie :
Art dont il haussoit plus la basse qualité
Que de l'honneur Royal la haute dignité.
Le tableau de Scopas à tous fut agréable
Pour raporter au vray cet aage fauorable lioo
Auquel fut Antigone au beau May de ses ans,
Ayant en cor ses yeux amoureux et plaisans :
Toutefois au visage vne rougeur luy monte,
Qui naturelle fait qu'il semble qu'il ait honte
D'auoir esté trompé par le pinceau menteur, 1105
Qui trop ieune l'a fait dans son tableau flateur :
La façon de flater est douce et délicate
Quand point elle n'importe à celuy que l'on flate:
Mais celle la despleut à sa simple bonté,
Et le voulut chasser comme vn homme ehonté. 1110
A l'heure Diodes son tableau luy présente
Qui des le premier front tout le monde contente :
Et sur tous Antigone en fut fort satisfait :
Luymesme re marquant le iugement parfait
De ce peintre modeste, ayant plustost laissée 1115
1108. Nous ne savons quel est ici le sens d'importer. Il faut
drait l'idée de être à charge, importuner. Mais nous n'avons
trouvé nulle part, même dans Vauquelin, un autre exemple du
verbe importer avec ce sens ou un sens analogue.
1115-1120. Pour comprendre les vers 1115-1118, il faut se re-
porter à 1095-1096, et 1077. Quant aux vers 1119-1120 nous ne
voyons d'autre moyen pour les expliquer que de coordonner pour
(1119) avec de (1117), en lui donnant le même sens. Diodes aime
mieux abaisser la grandeur de son art que de ne sembler pas
aimer la courtoisie,
11
— 64 —
La grandeur de son art par sa gloire abaissée
Que de manquer prudent à l'auis tempéré,
Qui de l'extrémité rend l'erreur modéré,
Et pour ne sembler pas aimer la courtoisie
Qui par vn noble choix des nobles est choisie. 1120
De sorte que voyant le défaut du pourtrait
Du visage en prolil en épargne retrait,
Il sembloit qu'à dessein cette petite espace
Plustost qu'vne plus grande adioutast de la grâce
A ce que cachoit l'ombre : et le Roy de costé 1125
Mieux que parlant estoit muet représenté.
Antigone depuis luy flst de l'auantage,
Autant que meritoit le prix de cet ouurage
Et luy flst reconnoistre en prenant le tableau
Qu'il payoit son esprit plustost que son pinceau. 113a
Beaus esprits pensez y, vostre Muse auertie
Ne soit doncques si fort à l'Art assuiettie,
Que le bon iugement ne face élection
De tout ce qui dépend de la discrétion :
Donnez puissance egalle aux mœurs, au tems, aux
[Muses, 1135
Sans pourtant tromper l'Art de quelques fausses ruses.
Quand vous voudrez les Roy s à vos chants amuser';
De paroles de soye il faut toujours vser :
Et sans les flater trop d'vne ame trop mauuaise,
Leur ombrager le vray par chose qui leur plaise, H4û
Sans pourtant offusquer du tout la vérité :
Mais leur faire à propos paroistre sa clarté.
— C5 —
Vous en aurez ainsi de l'honneur sans dommage,
Et vostre iugement fera que davantage
Vous tirerez profit de cet Art, ou souuent 1145
Lessçauants indiscrets n'emportent que du vent.
le ne fay point du Ciel vn Apolon descendre,
Pour faire ce bel Art mieux par sa bouche entendre,
Et donner à mes vers plus grande auctorité
Suiuant des vieux autheurs la docte antiquité : 1150
Depeur d'estre semblable à ces bouffons tragiques
Qui vestus de drap d'or pompeux et magnifiques,
Ouuroient la bouche grande vn Priam imitant,
Ou le Roy des Gregois enflez représentant,
Puis disoient quelque chose indigne d'estre à peine
1155
Ou dite par Hecube ou dite par Hélène :
Mais sans déguisement, sans le masque d'autruy,
Ces Préceptes ie mets comme on parle auiourd'huy,
Marri que n'est ma Muse et plus nette et polie,
1151. Depeur (sic).
1159. Cf. Discours sur la Satyre : « J'eusse bien désiré contenter
les hommes de cet âge avec un langage plus net et plus poli que
le mien. » — Cf. aussi :
On dit encor que les vers que je fais
N'ont point de nerfs et sont lâchement fais
Et qu'on pourroit d'un air de tout semblable
En faire mile au sortir de la table.
(Satyres fr. I, 2.)
La langue se polht
Entre les bien disants ainsi qu'elle vieillit
Et si je mets au jour, comme tu me conseilles,
Mes vers pleins de paresse et non de doctes veilles,
Je me feray moquer.
{Satyres fr. II, 8.)
— C6 —
Sans geindre soubs le fais de la mélancolie : 1160
Plus nette elle seroit si les criarts tabus
Du Palais ne m'auoient séparé de Phœbus.
Car pour néant aux vers mes esprits s'euertuent :
le suis tousiours troublé les affaires me tuent :
le suis comme vn grand lac ou beaucoup vont à
[l'eau, ii65
Qui tarissent ma source et troublent mon ruisseau.
Il faut laisser r'asseoir cette eau tant épaissie :
C'est assez iusqu'à tant qu'elle soit eclairsie.
1160. Sans geindre. C.-à-d. et qu'elle n'est sans geindre = et
qu'elle geigne. Cf. Vauquelin :
Mais ni les eaux, ni la terre sacrée
Ou de Libetre, ou Permesse, ou d'Ascree,
Ne peuvent pas me faire escrire mieux
Que je n'escri, sans un cœur plus joyeux.
(Sat. fi\, ni, 2.)
1161-1162. Vauquelin était conseiller du roi et Président au
Bailliage et siège présidial de Caen.
LIVRE SECOND
MYSES, filles de dieu, qui tous les Arts sçauez,
Le reste de cet Art Nimphettes acheuez :
Montrez moy le chemin par lequel il me loise
Conduire seurement la ieunesse Gauloise :
Quitez Vierges quitez le mont de Citheron, 5
Habitez des François le plaisant enuiron,
Et faites que les eaux d'Hipocrene chantantes,
Aprennent leurs chansons à nos eaux écoutantes :
Donnez moy de l'esprit la reluisante ardeur,
jQue la grâce Aglaïe accorde à la verdeur 10
De Thalie, agréable en sa ieunesse blonde,
Faites que la gayeté d'Enphrosine responde
Auecques la douceur de sa ioyeuse vois
Et qu"vn plaisir parfait ie reçoiue des trois.
Faites que vostre grâce, ô riantes Charités, 15
Couure ici le défaut de ces Règles escrites
5. Citheron. Montagne de Béotie, consacrée aux Muses.
5-6. Cf. Ronsard :
Ronsard repose ici qui hardy des enfance
Détourna d'Helicon les muses en la France. (Épitaphe.)
• 10. Accorde est mis ici comme s'accorde. Cf. Le Glossaire et la
Syntaxe.
10,11,12. Enphrosine (sic). — Aglaïe, Thahe, Euphrosine, sont
les trois Grâces.
— 68 —
En vers mal agencez : et vous Phœbus ostez
Les caillonx des chemins, qui sont mal rabotez :
Marchez deuant afin que ces masses rocheuses
Rendent suiuant vos pas les sentes moins fâcheuses. 20
SIRE qui sçauez faire vn saint accouplement
Des neuf filles du Ciel (diuin assemblement!),
Et des Grâces ensemble : aportez vostre grâce,
Qui ces filles du Ciel et les Charités passe :
Il est fort mal aisé les Muses bien gouster, 25
Qui ne sçait attentif leurs beaus chants écouter :
De bien loin on ne peut la hauteur reconnoistre
Des haut monts que l'on voit seulement aparoistre:
Mais en les aprochant on tient pour merueilleux
De grimper sans danger sur leur dos orgueilleux : 30
Et puis on s'esbahit quand quelque sente estroitte
Nous conduit au plus haut de la montaigne droitte :
On ne regarde aussi combien sont les espris
Des Poètes hautains en leurs faits entrepris,
Comme ils sont esleuez sur toute chose humaine, 35
Si soymesme on ne veut entrer en leur doumaine,
Et contempler de près leurs diuines façons,
En l'antre Thespien imitant leurs chansons:
Et puis on s'esbahit que pas à pas on gaigne
Au haut sommet cornu de la double montaigne. 40
17. En vers mal agencez. Aveu qu'il est bon de retenir. (Cf. I, 1159.)
18. Caillonx (sic).
33-34. 11 faut construire : combien les esprits des poètes sont
hautains.
38. Thespies était située au pied de l'Hélicon, considéré comme
un des séjours favoris des Muses.
— 69 —
Gomme l'Emant le fer,, et l'Ambre le festu
Attire sans effort, par secrète vertu :
La Muse attire ainsi, sans force violente,
par vn secret instinc, à soy l'ame excellente,
Quasi des le berceau tout bel entendement 45
Met à suiure ses pas tout son contentement.
L'Auette, pour aimer la douceur sauoureuse
De toute plante douce est tousiours amoureuse :
L'homme aussi de luymesme estant ingénieux
Aime, embrasse et chérit tout œuure industrieux. 50
C'est pourquoy l'enfançon de sa nature, en haste
Prendra plustost qu'vn pain vn oiselet de paste.
Et quand on luy présente vn pourtrait, vn belet
En argent imprimé l'argent luy semble laid
Qui n'est qu'en simple masse : il aime vne meslange 55
Qui la chose suiette à l'artifice range.
Ce qu'on voit de gentil et d'artificieux,
De nature est à l'homme aimable et précieux:
Les paroles ainsi des Muses animées
Sont naturellement de tous hommes aimées : 60
Ils aiment beaucoup plus vn parler mesuré,
Que celuy qui sans pieds marche mal asseuré :
De fait les Muses sont l'Océan, dont les ondes
Arrousent nos esprits de sciences profondes :
Et ne faut pour y voir des discours mensongers 65
41. L'Emant. Dans son Ion, Platon se sert de la même compa-
raison.
44. par (sic).
62. Marche (sic).
— 70 —
Croire qu'y voyageant s'y trouue des dangers.
Comme en la vigne on void dessoubs la feuille verte,
La grappe cramoisie estre souuent couuerte
Sars qu'on la puisse voir : ainsi soubs les discours
D'vn conte Poétique et dessoubs les amours 70
Des Héros et des Dieux, entremeslez de fables,
Sont des enseignements richement profitables.
Souuent nous nous plaisons à l'odeur, aux couleurs,
Sans chercher les vertus des odorantes fleurs:
L'abeille toutefois en tirera sacrée 75
La cire et la liqueur dont son œuure est sucrée :
De mesme on voit plusieurs s'abuser aux beautez
Des parolles qui sont pleines de nouueautez :
Mais d'autres n'arrestant aux paroles fleuries,
Recueillent le beau sens couuert d'allégories. 80
De feuillage d'Acante et de plaisans festons,
Les Muses cachent l'or des vers que nous chantons.
Mais T'entrons au chemin de la forest sacrée,
Ou parmi les lauriers la Muse se recrée
A rendre des Héros 'les beaus faits immortels, 85
Et disons comme on doit chanter en œuure tels.
Pour vn commencement tu n'enfleras ta veine,
00. S'y trouve, c.-à-d. il s'y trouve.
73sqq. Cf. 1,731, 732.
80. Couvert d'allégories, c.-à-d. caché par des allégories. Cf.
la Syntaxe.
80. On peut expliquer à la rigueur avec ce texte ; mais il faut
sans, doute écrire œuvres et faire rapporter tels avec ce substantif
que Vauquelin, comme les autres écrivains du xvie siècle, em-
ploie généralement au masculin. Cf. II, 50.
87 sqq. Cf. Hop., Ep. aux P., 136-142. Vida II, 30, sqq. Boi-
leau, III, 268 sqq.
Comme fist vn Ciclic, d'vne trop forte aleine :
De Priam les destins hautain ie veux chanter,
Ses valeureux exploits, et ses guerres conter : 90
Ou comme a fait celuyqui, tout plein de brauade,"
Voulut du premier mot router vne Illiade :
le chante les combats de ce grand Pharamont,
Qui les Gaules iadis bouluersa contremont.
Que pourroit aporter ce prometteur qui dresse 95
L'aisle si haut, qui fust digne de sa promesse?
Les montaignes s'enflant, grosses accoucheront,
Vne mouche en naistra dont les gens se riront!
0 combien mieux a dit d'Vlisse la trompette,
Qui rien messeamment en ses œuures ne traitte ! 100
Muse, di moy celuy qui tant a voyagé
Apres Ilion pris et son mur saccagé :
Pratiqué tant de mœurs et tant d'ames diuerses,
Et tant souffert de maux dessus les ondes perses ?
Ou bien nostre Ronsard, si d'vn air entonné 105
Hautement sa trompette en long vers eust sonné.
Abusé du plaisir qui trompe la ieunesse,
91. Celuy qui, etc. Nous n'avons pu trouver cette épopée du
xvie siècle dont Pharamont serait le héros. Peut-être Vauquelin
a-t-il inventé le poète et le poème pour le besoin de sa cause. Les
deux vers 93, 94. seraient alors de sa façon.
106. Le long vers est l'alexandrin. (V. la note du vers 507. cht.
Ier.) Cf. Ronsard : « Si je n'ay commencé ma Franciade en vers
Alexandrins,.... il s'en faut prendre à ceux qui ont puissance de me
commander et non à ma volonté ; car cela est fait contre mon gré,
espérant un jour la faire marcher à la cadence alexandrine; mais
pour cette fois il faut obéir. » (Abrège' d'Art poét.) Cet alinéa, ajouté
en 1573 à l'Abrégé, a été retranché dans les éditions posthumes.
107. sqq. Il fallait de la hardiesse à Vauquelin pour refaire le dé-
but de la Franciade. Il .'mite d'ailleurs Virgile.
11.
— 12 —
Seruiteur des beaus yeux d'vne ieune maistresse,
En vain i'ai souspiré les amours bassement :
Puis r'enibrçant ma voix vn peu plus hautement, 110
Le premier des François j'ai façonné les modes
De marier la lyre au nouveau son des Odes :
Maintenant plus hautain, Charles Roy treschrestien,
le chante les valeurs et les faits du Troyen,
Qui poussé du destin, des dieux et de Gassandre, 115
Fuitif de son pays quand Troye fut en cendre,
Ayant beaucoup souffert et par terre et par mer
Vint de son nom Francus la France surnommer :
De qui, de père en fils nos Roys ont pris naissance,
Et qui nous raportant vne autre Troye en France 120
Fonda pour Ilion la cité de Paris,
Et l'enrichit du nom de son oncle Paris,
Apres mile combats. Tant il y eut de peine
Avant que de l'enclorre entre les bras de Seine :
Ou l'empire d'Europe ébranlé tant de fois, 125
Deuoit à tout iamais y demeurer François.
Filles de Iupiter, Muses, venez moy dire,
Si ce fut par fortune, ou si ce fut par l'ire
D'vn dieu trop couroucé que Francus a esté,
Si loin du bord Gaulois tant de fois reieté? 130
Et s'il m'estoit permis d'aleguer de ma rime,
Peut estre iè pourroy me mettre en quelque estime
109. Allusion aux Amours de Cassandre. Le ton en a une
grande élévation: bassement est dit du genre par rapport à l'épopée.
110. Puis. Les odes sont antérieures de deux ans aux Amours
de Cassandre.
— 73 —
En l'ouurage que i'ay des long temps auancé,
Autant qu'autre qui soit en France commencé.
Inspiré de l'esprit qui, diuin, tout inspire, 135
Muse, fay moy chanter sur la céleste lire,
Les faits et la valeur du magnanime Hebrieu,
Qui berger fut choisi par le conseil de Dieu,
Flouet, ieune et cadet d'vne maison petite,
Pour estre l'oinct sacré du peuple Israélite? 140
Et qui suiuant de Dieu les éternels destins,
Du Royaume promis chassa les Palestins,
Chassa l'Ammonien et soustint la colère
De Saiil enuieux sur son règne prospère :
Par bois etparforests,pardesertspleinsd'horreurs 145
Il souffrit mile maux, fuyant à ses fureurs.
Car Saiil tout ardant de voir sa main puissante
S'affaiblir par la force en Dauid accroissante,
Brusloit ouir d'ailleurs le destin prédisant
Que du tronc delessé le Sion florissant iso
Ombrageroit le monde. Ainsi par mainte guerre
Il endura beaucoup pour asseurer la terre
Ou il deuoit fonder l'admirable Cité
Qui aux Pères croyants promise auoit esté.
Cité qui deuoit estre en son contour assise, 155
Pour figurer du Christ l'vniuerselle Eglise,
133. En l'ouvrage. C'est VIsraëlide, dont nous ne connaissons
que les cinquante vers cités par Vauquelin. Les troubles civils
l'empêchèrent de le terminer. Cf. III, 1176 sqq.
149. Brusloit. De colère. Cf. tout ardant, 147.
152. Il représente David, et non Saûl que la construction semble
indiquer.
— 74 —
Dont Chrestiens nous venons : et ce nom ancien
Par dessus tous retient nostre Roy treschrestien
Henry, soubs lequel puisse Europe, Asie, Afrique,
Couronner de ce nom du monde la fabrique. 160
0 parler souverain, dont la Triple-vnité
Est vne auecques Dieu de toute éternité,
Ayant en toy parfait vne parfaite essence
En la perfection de la grand prouindence :
Qui Père, Fils, Esprit, es le Dieu tout-puissant, 165
Commençant toute chose, aussi la finissant,
Par ta parole fais, que cette œuure conceue
De moy, soit enfantée à bien heureuse issue.
Seigneur raconte moy comme des Gieux amis
Ce Prince fut esleu pour estre leur commis? . no
Pourquoy tant il souffrit pour vn courroux inique,
Et pour vn feu sorti d'vne flamme impudique ?
Mais pour sonner, Seigneuries honneurs bien àplain,
Cette harpe il faudroit dequoy sur le Iourdain,
Prophète il fredonnoit tes célestes louanges, 175
Qui vont encor bruyant depuis Eufrate et Ganges
Iusques sur nostre Seine ! 0 bien heureux sonneur,
Celuy qui du grand ihoue auroit eu cet honneur
De retoucher les nerfs de ta harpe seraine.
Diuin rabaisseroit la gloire plus hautaine 180
157 sqq. Et ce nom ancien, etc. C'est-à-dire : Notre roi Henri con-
serve ce nom; puissent, sous son règne, l'Europe, l'Asie et l'Afri-
que en couronner l'édifice du monde entier.
161. Porter souverain. Le Verbe.
172. On connaît l'amour de David pour Bethsabée.
178. Ihoue. Jéhovah.
— tz> —
De ces fameux Harpeurs, dont les fables contoient
Qu'au mouuoirde leurs doigts les fleuves s'arrestoient,
Et qu'ils estoient suiuis des arbres et des plantes
Marchant aux doux accords de leurs voix souspiran tes !
Mais ce n'est nous qu'il faut aux François aleguer, 185
Il faut en la mer Grecque et Latine voguer,
Amener ses vaisseaux tous chargez de la proye,
Que tant d'esprits trouuoient auxbeaus restes de Troye,
Suiuant Virgile ainsi (quand du suiet plus bas
Passant par le moyen il chanta les combats) : 190
Ce fut moy qui flutay, ma chanson bocagere
Au pipeau pertuisé d'vne auene légère :
Puis sortant des forests, apris aux champs voisins
A doubler au fermier les bleds et les raisins :
Au laboureur champestre œuure bien agréable : 195
Maintenant de la guerre et de Mars effroyable
le chante les combats, et ce Prince guerrier,
Qui fugitif de Troye aborda le premier
Aux champs Italiens : auec peine infinie
Arriuant par destin au port de Lauinie. 200
Il passa maints hasards : on ne peut estimer
Combien dessus la terre et combien sur la mer
Il endura de maux : de Iunon couroucee
Et des dieux ennemis sa flote estant poussée :
181, sqq. Ces fameux Haï-peurs. Amphion et Orphée. Cf. Hor.
Ep. aux P., 391-396. Vauquelin, Artpoét., III, 799 sqq.
189-190. Le sujet plus bas, ce sont les Bucoliques; le moyen,
ce sont les Géorgiques.
191. La virgule après flutay doit être évidemment supprimée.
Iunon qui dans son cœur la vengeance couuoit 20.S
Des affronts du passé que soufferts elle auoit.
Aussi de grands périls il courut en Latie,
Auant que la cité superbe y fust bastie,
Et qu'il eust mis ses Dieux, par vn fatal destin
Et par ses grands exploits, dans le terroir Latin, 21a
D'où vint la gent Latine, et d'où tant on renomme
Et les Pères Albains et les hauts murs de Rome.
Muse, raconte moy la cause de ces maux?
Et quel Dieu luy brassa tant de fâcheux trauaux?
Pourquoy fut à ce Preux si iuste et débonnaire 215
La Princesse des cieuxsi cruelle et contraire?
Que de le voir ainsi sur les mers agité ?
Peut vn céleste cœur estre tant irrité ?
Voyez comme le Grec rend la Muse estimée
Tirant vne clarté d'vne obscure fumée : 220
Ne voulant pas aussi la lueur enfumer,
Mais d'vn épais brouillas vne flamme allumer :
Afin qu'il chante après des choses merueilleuses,
Vn Antiphat, Garibde et Scille périlleuses :
Vn Gyclops qui cruel Vlysse eust englouti,- 225
S'il ne s'en fust plus caut que les siens garanti.
213. (Le point d'interrogation à la fin du vers est dans le texte de
1605.
218. Ces vingt huit vers sont la traduction ou plutôt la paraphrase
des quinze premiers de Y Enéide.
219 sqq. Cf. Hor. Ep. aux P. 143-145.
224-225. Antiphate, roi des Lestrygons, mangea un des compa-
gnons d'Ulysse et détruisit ses vaisseaux (Cf. Odyss. X, 100 sqq).
- Caribde et Scille (Cf. Odyss. XII, 85 sqq.) — Un Cyclops. Po-
lyphème. (Cf. Odyss. IX, 187 sqq).
— 77 —
Ainsi le doux Virgile a sa voix abaissée,
Afin qu'elle parust dauantage haussée,
Pour dire de Iunon le couroux tempesteux
Et d'Eole animé les tourbillons venteux, 230
Vne Troye embrasée, vne Didon pleureuse,
La descente d'yEnee en la cauerne ombreuse
De Pluton ou chetif il fust lors demeuré
Sans sa guide fldelle et le rameau doré.
Le Grec n'a commencé des l'œuf iumeau, la guerre 235
Des Troyens et des Grecs : le retour en sa terre
De Diomede aussi, des le fatal trespas
Du f*é Maleagre il ne raconta pas.
Et de sorte Maron n'a son œuure ordonnée,
Qu'elle commence aussi des l'enfance d'/Enee : 240
Mais le milieu prenants ils font subtilement
Sçauoir la fin ensemble et le commencement :
Et tendant vers la fin, chacun d'eux rend connues
Les choses qui ne sont et qui sont auenues :
Car ils font au liseur le milieu si bien voir 245
Que tout le précèdent il en peut conceuoir :
229-230. Cf. Enéide, I, 38-128.
231. Cf. Enéide, liv II, liv. IV.
232 sqq. Cf. Enéide, liv. VI.
235sqq. Cf. Hor.,Ep. aux P.. 146-152. — L'œuf jumeau. Les, deux
œufs de Léda : de l'un sortirent Castor et Pollux, de l'autre
Clytemnestre et Hélène, qui causa la ruine de Troie.
236 sqq. Il y avait des poèmes sur la guerre de Troie et d'autres sur
le retour des principaux chefs qui y avaient figuré. C'est à ces poèmes
qu'Horace fait ici allusion dans les vers traduits par Vauquelin.
238. La mère de Méléagre avait reçu des Parques, le jour même
où il naquit, un tison auquel la vie de l'enfant était attachée : c'est
ce qui explique l'épithète fixé.
— 78 — .
S'ils trouuent quelquefois la matière choisie
Ne pouuoir aisément couler en Poésie,
Ils la quittent bien tost, et si vont tellement 250
Meslant le faux au vray mentant si doucement,
Qu'au premier le milieu se rencontre en la sorte,
Qu'au milieu le dernier proprement se raporte.
Or comme eux l'Heroic suiuant le droit sentier,
Doit son œuure comprendre au cours d'vn an entier:-.
Le Tragic, le Comic, dedans vne iournee 255
Comprend ce que fait l'autre au cours de son année :
Le Théâtre iamais ne doit estre rempli
D'vn argument plus long que d'vn iour accompli:
Et doit vne Iliade en sa haute entreprise
Estre au cercle d'vn an, ougueres plus, comprise. 260
En Prose tu pourras poétiser aussi :
L3 grand Stragiritain te le permet ainsi.
250. L'a (sic).
251-252. Cf. Ronsard : « Les bons ouvrages commencent par le
mi'.icu et sçavent si bien joindre le commencement au milieu, et
le milieu à la fin, que de telles pièces rapportées, ils font un corps
entier et parfait. » {Abrégé d'Artpoèt.) «Il faut... que le poète, s'ache-
minant vers la fin, et redcvidant le fuzcau au rebours de l'histoire,
porté de fureur et d'art... et surtout favorisé d'une prévoyance et
naturel jugement, face que la fin de son ouvrage, par une bonne
liaison, se rapporte au commencement. » {Préf. de la Franciade, 1572.)
253. Cf. Aristote, Poét, V, 3. — Ronsard : «Le poëme heroique.
comprend seulement les actions d'une année entière. » (2e préf. de
la Franciade.)
255-25G. Cf. Ronsard : « Les plus excellents maistres de ce mes-
tier (tragédie et comédie) commencent d'une minuict à l'autre, et
non du point du jour au soleil couchant, pour avoir plus d'estendue
et de longueur de temps. » (2e préf. delà Franciade.)
257 -258. Cf. Boileau, III, 45,46.
262. Stragiritain pour Stagiritain. — Cf. Arist., Poét. V,3.
Si tu veux voir en Prose vn œuure Poétique,
D'Heliodore voy l'histoire Ethiopique :
Cette Diane encor, qu'vn pasteur Espagnol ; 265
Bergère, mené aux champs auecques le Flageol.
Nos Romans seroient tels, si leur longue matière
Ils n'alloient déduisant, comme vne histoire entière.
Comme on void les couleurs beaucoup plus emou-
[uoir
■Qu'vn trait simple ne fait ou qu'vn Crëon à voir, 270
Pour vn ie ne sçay quoy qui l'homme représente,
Trompant le iugement et toutefois contente :
Ainsi dedans les vers le faux entrelassé,
•Auec le vray- semblant d'vn conte du passé,
Nous émeut, nous chatouille et nous poind dauan-
[tage, 275
Que l'estude qu'on met à polir son ouurage,
Sans faire vne meslange, vne variété,
Qui ne suit, mensongère, en rien la vérité:
2G4. Héliodore, romancier grec du ive siècle, évoque de Tricca
en Thessalie, auteur des Ethiopiqucs ou Amours de The'agène et de
Chariclée, roman d'imagination, peu vraisemblable, mais d'un style
aisé et élégant. On sait que ce fut, à Port-Royal, une des lectures
favorites de Racine.
265. La Diane amoureuse (1542), par George de Montemayor,
poète espagnol (1515-1530). C'est un roman pastoral dans le genre
de YArcadie, comprenant en sept livres une suite d'histoires amou-
reuses entre bergers et bergères, assez faiblement reliées par celle
des deux principaux perjonnages, Sereno et Diane. L'ouvrage est
mêlé de prose et de vers. — Après Espagnol, le point et virgule
esta remplacer par une virgule.
257. Il s'agit ici de« ces beaux vieulx Romans Francoys comme
un Lancelot, un Tristan ou autres » d'où J. du Rellay recommande
aux poètes de faire « renaistre au monde une admirable Iliade et
laborieuse Enéide. » (Cf. Défense, liv. II, chap. v.)
— 80 —
Le changement diuers tousiours affectionne,
Selon l'euenement qui le cœur passionne. 280
Les vers aiment tousiours cette diuersité :
Car le changement tient vn esprit excité
A se passionner, selon que veut le conte,
Soit ioyeux ou fâcheux que la Muse raconte :
Le plaisir estant plus agréable et plaisant 285
Que la fin est contraire à l'aduis du lisant :
Mais d'ailleurs ce qu'on void estre simple et sem-
blable
Ne passionne point, pour estre vnet sans fable :
Gela fait qu'yn Homère ou Virgile ne fait,
Qu'vn homme soit tousiours ou vainqueur ou par-
fait. 29a
Et quand ils font les dieux se mesler des affaires,
Heureux et malheureux, doux les font et colères :
Afin qu'en nulle part ne manque Faction,
Qui tient l'homme tendu tousiours en passion,
Ce qui n'aduiendroit pas si les choses heureuses 295
Ne trouuoient du malheur parmi les dangereuses.
0 maistre du grand fils du Macédonien,
Si tes yeux eussent vu du Cigne Ausonien
Les admirables chants, ta voix docte et hardie
Les eust lors préférez à toute Tragédie, 300
A tous vers Heroïcs : car n'en desplaise aux Grecs,
Soit au commencement, à la fin, au progrés,
289 sqq. Cf. Aristote, Poét., XII, 2.
297 sqq. Cf. Aristote, Poét., XXVI. Dans ce chapitre, le philo-
sophe grec met la tragédie au-dessus du poème épique.
— 81 —
Il les a surpassez : et s'Homere il seconde
En âge, en rang il est le premier par le monde.
Il sçait bien à propos l'esprit raui saisir 305
Tantost d'ennuy fâcheux et tantost de plaisir,
Quand il chante les faits du débonnaire /Enee,
Pour rendre d'autant plus l'âme passionnée :
Tantost d'vn grand bonheur en malheur l'abaissant,
Et tantost d'vn péril en honneur le haussant : 310
Aux vices naturels le faisant vn peu tendre :
Mais ferme à la vertu tousioursle fait entendre,
Et sans du vray- semblant du tout se départir,
Il sçait bien les vertus aux vices assortir :
Luy baillant vne grâce, vne ame, vne faconde, 315
Qui luy fait contrefaire à propos tout le monde :
Comme quand il luy fait à Didon raconter
Le piteux sac de Troye, il luy fait emprunter
Les gestes, les discours, la posture et les âges
(Lorsqu'il les fait parler) de plusieurs personnages. 320
Oy donc ce que le peuple et moy te desirons,
303-304. C'est l'opinion du XVI<= siècle tout entier. (Cf. la No-
tice. Partie II, chap. n.) — Cf. Vida, Art poét. :
Unus hic (Virgile) ingenio praestanti gentis Achivae
Divinos vates longe superavit, et arte,
Aureus, immortale sonans. Stupet ipsa pavetque,
Quamvis ingen*em miretur Graecia Homerum. (ch. I.)
321. Cf. Hor., Ep. aux P., 153-178. — Vauquelin suit Horace pas
à pas. Mais, après un aussi long développement sur l'épopée, on
ne s'attend pas à le voir conclure sur la tragédie : Oy donc, etc.
Dans les vers précédents il a du moins le soin d'indiquer que l'é-
popée, comme les genres dramatiques, est souvent une représen-
tation, et que le poète héroïque emprunte les gestes, les discours,
la posture et les âges des personnages divers qu'il met en scène.
— 82 —
Si tu veux que chacun publie aux enuirons
Du Théâtre ta gloire, alors que le murmure
De l'applaudissement et du chant dernier dure:
Soit qu'Homère imitant tu fasses outremer 325
Derechef Saint Loys en son voyage armer,
Soit que graue des Roys, soit que la Muse basse
Te chante en l'échafaut les tours du populace,
Tu dois de chacun âge aux mœurs bien regarder,
La bienséance en tout soigneusement garder, 330
Et tout ce qui siet bien aux natures changeantes :
L'enfançon qui petit assied fermes ses plantes
Desia dessus la terre, et qui sçait bien parler,
Auecques ses pareils aux ébats veut aller :
Soudain il pleure, il rit, il s'appaise il chagrine, 335
D'heure en heure changeant de façon et de mine.
Le ieune gentilhomme à qui le poil ne poind,
Et qui sort hors de page, et de maistre n'a point,
Aime chiens et cheuaux, et loin de son pédante,
A voir après le Cerf la meute clabaudante : 340
Aime les champs herbeux et se plaist dans les bois,
D'entendre retentir des bergères les vois :
326. Derechef, etc. Seconde croisade de saint Louis. On sait
que Vauquelin engage les poètes épiques et tragiques à traiter de
préférence des sujets chrétiens.
327-328. Inversion et ellipse bien pénible s. Il faut entendre : Soiti
que la Muse te chante, grave, les jours des Roys, ou, basse, les
tours du populaire. Encore le mot tours ne convient-il qu'au second
terme.
332. Cf.Arist., Rhetor., liv. II, chap.xn, xm, Boileau,III,373sqq.
Ce tableau des âges se trouve aussi dans Y Art poétique de Pelletier.
341. Les champs herbeux. Horace ne parle que des gazons du
Champ de Mars sur lequel les jeunes gens s'exerçaient.
— 83 —
j Au vice, comme cire, il est ployable et tendre,
Aspre et rude à ceux-là qui le veulent reprendre,
Paresseux à pouruoir à son vtilité, 345
Despencier, désireux, rempli de vanité :
Qui bien tost est fâché de ses folles délices,
I Aimant diuers plaisirs et diuers exercices.
Quand il a l'âge d'homme il se veut augmenter,
Acquérir des amis, aux grands estats monter, 350
Garder le point d'honneur, ne faisant téméraire
Ce qu'il faudroit après rechanger ou deffaire.
L'âge aporte au vieillard mainte incommodité,
Soit qu'aux acquêts il soit ardemment incité,
Soit que son bien acquis il ne veuille despendre 355
Qu'il aime mieux garder qu'à son dommage vendre,
Soit qu'en toute entreprise il soit timide et froid,
Dilayeur, attendant, riotteux, mal adroit,
Conuoiteux du futur, chagrin plaignant sans cesse,
Louant le temps passé qu'il estoit en ieunesse : 330
Seuere repreneur des mœurs des ieunes gens,
Se fâchant négligent de les voir negligens :
Plusieurs commoditez l'âge venant ameine,
Et plusieurs quant et luy s'en allant il entraine.
Le ieune est tout conduit de courage et d'espoir, 365
Espérant riche et grand quelqueiour de se voir :
351. Garder le point d'honneur. Ce n'est pas le sens du latin
miser vit honori.
362. .\V7%'.?«f. c'est-à-dire lui qui,dans sa jeunesse,a été' négligent.
36 i. Quant et lug. Cette locution s'explique aisément. Tues arri-
vé quant et lui/ signifie quand lui aussi est arrivé. De là quant tt
employé dans le sens de avec, comme il l'est ci-dessus.
— 84 —
Au contraire le vieil vit plus de souuenance
Du temps qu'il a passé qu'il ne fait d'espérance.
Pour ce il ne faut iamais qu'vn ieune homme gaillard
Représente en parlant la façon d'vn vieillard, 370
Niqu'vnieune homme aussi son vieillard sente encore, I
Ayant tousiours égard à ce qui plus honore
La personne parlante : et ce qui conuient mieux
A l'âge de chacun, ou soit ieune ou soit vieux.
Quand la Ibrest n'est plus en Hyuer cheuelue 375
Si plaisante elle n'est que quand elle est feuillue :
Qui diroit son ombrage estre lors verdoyant,
Chacun dementiroit son parler en Toyant : ■ 1
Quand vue Dame n'est tout au vray contrefaite
Du sot Peintre on se rit qui l'a si mal pourtraite. 380 \
Guidé de iugement rien ne faut ignorer,
Ains clair et net de l'Art les règles honorer :
Geluy qui puisera d'vne source troublée,
De la bourbe mettra dans son œuure assemblée,
f*Or pour loy le Tragic et le Gomic tiendront 385
Quand aux ieux vne chose en ieu mettre ils voudront
Qu'aux yeux elle sera de tous représentée,
Ou bien faite desia, des ioueurs récitée :
Et bien que ce qu'on oit emeuue beaucoup moins,
Que cela dont les yeux sont fldelles tesmoins, 390
372. Honore est sans doute la traduction du mot décor (convenance)
employé par Horace au vers 157.
385. Cf. Hor., Ep. aux P., 179-188.
387-388. Il faut, pour comprendre ce» vers, en rapprocher celui
d'Horace :
Aut agitur res in scèenis aut acta refertur.
— 85 —
Toutesfois il ne faut lors montrer la personne,
Quand la honte ou l'horreur du fait les gens étonne :
Ains il l'a faut cacher, et par discours prudens
Faut conter aux oyants ce qui s'est fait dedans :
Et ne montrer le mort, aporté sur l'Etage 395
Qui caché des rideaux aura receu l'outrage :
Car cela se doit dire : et plusieurs faits ostez
Hors de deuant les yeux sont mieux après contez.
Et ne faut que Medee inhumaine marathre,
Massacre deuant tous ses enfans au Théâtre : . 400
Ou qu'Astree en public impudemment meschant
De son frère ennemi les fils aille trenchant :
Ou que Progne en oiseau deuant tous soit muée :
Ou Cadme en vn serpent : ou Gassandre tuée:
Ou qu'vn monstre en Toreau dans les flots mugis-
sant 415
Engloutisse Hypolite en son char bondissant:
Ou qu'on montre Ajitigone en la caue pendue,
j Et son amant Hemon lequel auprès se tue :
393. Il Va faut (sic).
399. Medee. V. la note du vers I, 883.
401. Astree. V. la note du vers I, 810.
403. Progne, fille de Pandion, roi d'Athènes, et sœur de Philo-
mèle. Térée, roi de Thrace, son mari, ayant fait violence à Philo-
mèle.Progné tua son propre fils, Itys, et le lui fit manger. Elle fut
changée en hirondelle.
404. Cadme. Cadmus, le fondateur de Thèbes, vieux et accablé
d'infirmités, pria les dieux de le débarrasser de la vie. Ils le chan-
gèrent en serpent. — Cassandre, fille de Priam, fut tuée par Cly-
temnestre après avoir été rendue mère par Agamemnon.
405-406. On connaît le récit d'Euripide et celui de Racine.
407-408. Cf. le récit du messager dans ÏAntigone de Sophocle.
— 86 —
Tout ce qu'en l'Echafaut tu nous faits voir ainsi,
Fâché ie le dédaigne et ne le crois aussi : 410
Mais le fait raconté d'vne chose aparente
Fait croire le discours de tout ce qu'on inuente.
Le Gomic tout ainsi sur l'Etage fera
Conter ce qu'au couuert l'amoureux fait aura :
Ne descouurant à tous la honteuse besongne 415
Qu'à Paris on fait voir en l'Hostel de Bourgongne :
Ains sortant vn Gheré ieune, affetté, mignon,
Il dit sa iouissance au loyal compagnon
Que premier il rencontre : et qu'ayant la vesture
Et d'vn Eunuque pris la grâce et la posture, 420
Il a d'vne pucelle, au naturel déduit,
Cueilli la belle fleur, de lupiter conduit,
Qui, peint en goûtes d'or, tomboit comme vne pluye,
Dedans le beau giron d'vne fille eblouye
De ce plaisant métal ! l'aspec de ce tableau 425
Rendit plus courageux l'amoureux iuuenceau !
409. Faits (sic).
409-410. Cf. Boileau, Art. poét., 111,50. — L'exemple d'Antigone
et d'Hémon, que Vauquelin n'a point trouvé dans Horace, n'estpas
bien choisi, parce qu'il n'offre rien d'invraisemblable.
AlQ.LIIostel de Bourgogne. .Théâtre bâti par les Confrères de la Pas-
sion sur une partie du terrain de l'ancien hôtel des ducs de Bourgogne.
417. Cheré. Chereas dans YEunuque de Térence. Pour ce qui
suit, V. la pièce (111, 6). Elle avait été traduite en vers par Baïf.
421. Au naturel déduit. La préposition à renfermé dans cm équi-
vaut ici h par.
423-424. On connait la légende de Jupiter et deDanaé.
425. L'aspec de ce tableau. Cf. Térence :
Suspectans tabulam quandam pictam ubi inerat pictura haec, Jovem
Quo pacto, etc. {Eunuque, loc. cit.)
— 87 —
Quand au commencement, au temps de leurs ven-
[denges,
Que les Grecs celebroient de Bacchus les louenges,
Ils dressoient des autels de gazons verdelets,
Et chantoientàl'entour quelques chants nouuelets: 430
Puis ioyeux, enuinez, simples et sans malice,
D'vu grand Bouc amené faisant le sacrifice,
Ils le mettoient en ieu trépignant des ergos :
Et ce bouc s'apeloit en leur langue Tragos,
D'où vint premièrement le nom de Tragédie : 435
Et celuy qui chantoit de plus grand mélodie
De ce loyer estoit content infiniment :
Ces vers n'estoyent sinon qu'vn gay remerciment
De la bonne vendange, vn los de la sagesse
De Dieu qui leur donnoit de biens telle largesse. 44a
Mais pour ce que les grands, les Rois et les Tirants
427 sqq. Cf. Virg. Géorg., II, 380. — Boileau, Artpoét., III, 61
sqq. — Vauquelin : «Ils (les Grecs) avoient accoutumé... de sacri-
fier àleurs Dieux... Ce qu'ils fesoient en toutes saisons : mais beau-
coup plus communément au temps de la moisson et des vendanges:
d'autant que s 'assemblant chacun en leurs champs,... ils dressoient
des autels de ramee, de branchages et de gazon, auxquels Us met-
taient le feu en sacrifiant à Bacchus un bouc (qui s'appelle Tragos
en Grec) et chantoient à qui mieux mieux une manière de vers tous
rustiques et mal polis : et de leur chant et de ce mot Tragos... eut
son origine la Tragédie. Pour ce la Tragédie n'estoit autre chose
qu'un remerciment à Dieu de la bonne vendange et une louange de
sa bonté, de sa sagesse et de sa grandeur. »{Discours sur la Satyre.)
Ce discours a été composéaprès Y Art poétique, auquel il renvoie.
432. Cf. Boileau, Art.poéL, 111,66. Le poète du xvne siècle se
trompe en croyant que le noue était le prix du plus habile chantre.
Vaufie i. après avoir dit justement que ce bouc était sacrifié à
Bacchus, tombe quelques vers plus bas dans la même erreur.
' 437. V. la note du vers 432.
441 sqq. Cf. Discours sur la Satyre :«Mais pour ce que les
12
Commencèrent depuis, les siècles s'empirants,
D'vsurper la louange aux dieux apartenante,
Il y eut des esprits, qui de Muse sçauante,
Commencèrent aussi par leurs vers à montrer, 445
Que l'homme à tous propos peut la mort rencontrer.
Combien de maux diuers sont ioints à nostre vie,
Et d'heur et de malheur egallement suiuie,
Au respect du plaisir, de la félicité,
Qui tousiours est au Ciel, des Dieux seuls habité : 450
Et pour le faire voir par des preuues certaines
Lors ils ramenteuoient des plus grands capitaines,
Des Princes et des Rois les desastres soudains,
Comme ils estoient tombez de leurs estais hautains
En misère et souffrête : et cela nous fait croire, 455
Que c'est du vers Tragic la plus vieille mémoire :
Ainsi la Tragédie eut son commencement :
Ainsi les Rois chetifs en furent l'argument :
La braue Tragédie au Théâtre attendue
Pour estre mieux du peuple en la Scène entendue 460
Ne doit point auoir plus de cinq actes parfaits :
hommes Grands Tyrans et puissants commencèrent depuis à usur-
per les louanges qui appartenoient aux Dieux, il setrouva des per-
sonnes de gentil entendement qui commencèrent aussi à montrer
par leurs vers combien la vie des hommes estoit fresle, débile et
infortunée, au respect de la bienheureuse félicité des Dieux. Ce que
voulant faire voir par exemples, ils ramentevoient les calamitez
des Roys et des Princes, lesquels estoient tombez de leur grand et
magnifique estât, en misère et povreté. Qui fait croire que de là,
la Tragédie, telle qu'elle est maintenant eut son commencement. »
449. Au respect, c'est-à-dire en comparaison.
458. Les deux points après argument, sont dans le texte de 1605:
459. Cf. Hor., Ep. aux P., 189-201.
- 89- '
Ange ni Dieu n'y soit : s'il n'est besoin de faits
Qui soient vn peu douteux : ou d'vne mort celée
Qui d'vne Ombre ou d'vn Dieu lors sera reuelee:
Et ne parle vn quatriesme en l'Etage auec trois : 465
Trois parlant seulement suffisent à la fois. '
Le Chœur de la vertu doit estre la defence
Du parti de l'autheur repreneur de l'offence :
Doit parler sagement, graue et sentencieux,
Se montrant de conseil aux grands officieux : 470
Chose n'entremeslant aux actes, que bien dite,
Bien ne vienne à propos, et qui bien ne profite :
Aux bons et vertueux il fauorisera,
Et les non feints amis, ami vray prisera.
Qu'il apaise tousiours vne ame couroucee, 475
Et plein de iugement descouure sa pensée :
Qu'il honore celuy qui du vice est vainqueur,
Louant ouuertement les hommes de grand cœur,
La table sobre et nette, et l'vtile Iustice,
Les Edits et les Loix qui vont bridant le vice, 480
Et qu'il lotie en passant la douce oisiueté
Qu'on reçoit en la paix viuant en seureté :
Et qu'il tienne secrets les secrets qu'on luy baille :
Et que les puissants Dieux tousiours priant il aille,
462. Ange. Vauquelin esttoujours préoccupé du merveilleux chré-
tien.
467. Rappelons que les tragédies de Jodelle et de Garnier ont
des chœurs.
472. Ellipse de gui dans le premier membre.
479. La table sobre et nette. Cf. II, 615.
— 90 —
Qu'aux humbles afligez il oste la douleur, 485
Et qu'aux fiers orgueilleux il donne le malheur.
La Flûte, aux premiers temps, aux Scènes
[ordonnée
N'estoit, comme depuis, de Guyure enuironnee,
Et l'esclatant Hautbois n'enuioit point encor
La Trompette guerrière aux longues houpes d'or: 490
Mais tenue, gresle et simple, et bien peu pertuisee,
Es ieux de ce temps la n'estoit point mesprisee
Quand elle ne pouuoit si haut son entonner,
Qu'aux sièges elle peust grands troupes amener :
Car le peuple nombrable estoit petit à l'heure, 495
Honteux, chaste, modeste et plein d'vne foy seure.
Ainsi nos vieux François vsoient de leur Rebec,
De la Flûte de bouis et du Bedon auec,
Quand ils representoient leurs Moralitez belles,
4S5-485. Vauquelin a dû écrire ilsostent, ils donnent ; ils, c-à-d.
les dieux. Le singulier ne donne pas un sens satisfaisant. Cf. Ho-
i»ace.
487 sqq. Cf. Hor.,Ep. aux P., 202-207.
493-494. Ce n'est pas le sens du vers correspondant d'Ho-
race.
497. Rebec. Instrument de musique à trois cordes, delà famille
du violon.
499. Les Moralités furent d'abord de simples allégories morales
mises en action. Le germe en est déjà contenu dans les jeux que
donnent les Pays au nord de la Loire durant le xme siècle. Dé-
finitivement constituées dès la première moitié du xive siècle, elles
se développèrent sans doute sous l'influence du système d'allégo-
ries qu'on voit s'épanouir dans le Roman de la Rose. Plus tard, il
y eut des Moralités empruntées à l'histoire sacrée ou profane, qui
ressemblaient aux Miracles et dramatisaient les récits de la mo-
rale en action. Il y eut enfin des Moralités politiques, comme celle
de l'Homme obstiné, donnée par Gringore en 1511.
— 91 —
Qui simples corpsvoloient sans plumes et sans ailles : 500
De Chœur ils n'auoient point : et par Actes leurs ieux
N'estoient point séparez : mais or plus courageux
Ils feroient eleuer le Théâtre de France,
S'ils auoient longue paix, sur l'antique arrogance.
Or quand le Romain eut riche et victorieux, 505
Estendu son doumaine, et d'vn mur glorieux,
Plus ample enuironné l'enclos de sa grand'ville,
Et que libre viuant soubs vue loy ciuille,
Impuniment sortoit par les beaus iours festez
Pour plonger ses esprits dedans les voluptez : 510
Aussi tost on vit naistre auecques la licence
Et des vers et des ieux la grand 'magnificence:
Car qu'eust peu lors sçauoir le paisan appelé
Auecques le bourgeois confusément meslé ?
Et qu'estoit ce de voir vn mal propre mesnage 515
Des champs estre en la ville et la ville au village ?
500. Par cette bizarre figure, Vauquelin veut tout bonnement
dire que la mise en scène des Moralités était alors dans l'enfance.
Simples corps indique cette pauvreté des anciens temps ; les plumes
et les ailles figurent justement tout l'appareil de la mise en scène :
les Moralités avaient beau en être dépourvues, elles n'en voloient
pas moins, elles n'en prenaient pas moins leur essor.
503. Ils, irrégulièrement construit, ne représente plus nos vieux
François comme au vers 501, mais les contemporains de Vau-
quelin.
505 sqq. Cf. Hor., Ep. aux P., 208-213.
512. Dans le passage correspondant.Ilorace blâme cette grand
magnificence {licentia major), et l'explique en disant que
la foule dont le théâtre était rempli n'avait pas assez de
goût pour se contenter d'une musique toute simple.
516. La ville au village. C'est le village qui est à la ville,
comme Vauquelin l'a dit précédemment. Le poète a redoublé l'an-
tithèse en ajoutant une réciproque qui n'est point vraie.
12.
Et l'habile homme ioint auec le mal apris,
Et voir les ignorants parmi les beaus espris?
Mais après que le tems rendit ciuilisee,
Par l'abondant plaisir, l'allégresse prisée, 520
Il aduint dudepuis qu'auec le mouuement,
Le Violon ioua beaucoup plus plaisamment :
Et par l'attrait mignard des voix musiciennes,
Fist cette gayeté passer les anciennes,
Sur le théâtre ouuert ioyeux se proumenant, 525
Et pompeux à longs plis sa grand'robe tramant:
Sur les cordes aussi mieux que deuant sonnantes
Greurent les doux accents des voix bien accordantes:
Et du parler encor l'ornement estimé
Yn langage eleua lors non accoustumé. 530
Auecques l'ornement de la langue pollie
Volontiers la science et s'vnit et s'allie,
Qui fist qu'vn beau sçauoir à l'vtilauisant,
Et sage par raison, le Futur prédisant,
Obtint es faits priuez comme es choses publicques 535
Honneur pareil à ceux des Oracles Delphiques :
Par loix et par vsage, vn Règne policé,
Quasi comme diuin est conduit et dressé.
519 sqq. Cf.Hor., Ep. aux P., 214-219.
521 sqq. Vauquelin loue ces progrès de la mise en scène, contrai-
rement à Horace qui les signale comme faisant tort à l'art du poète.
525-526. Ce qu'Horace dit du tibicen, Vauquelin l'applique bi-
zarrement au violon.
533. Util. V. la note du vers I, 467.
537-538. On ne voit pas bien à quoi se rattache cette conclu-
sion. — Dans tout ce passage, Vauquelin ne semble pas avoir
— 93 —
La France tout ainsi comme estant en enfance,
Gaillarde mesura ses pas à la cadance 540
Diuerse en ces lieux, quand des Pasteurs apris
De Bourgongne et Poitou, furent les branles pris.
Les Ballets tremousants, les branles et la dance,
Auec la Poésie ont grande conuenance :
Car on peut par la mine et le geste branlant 545
Démontrer ce que font les Muses en parlant :
Et comme en la Pirriche en nos bouffonneries,
On peut représenter mille plaisanteries,
Qui font aux passions les âmes emouuoir,
Et nous font sans parler vn fait Tragicque voir : 550
Vn fait Comic aussi, qui par la contenance
Nous montre des humains les mœurs et la semblance,
Vn plaisant Matassin, qui sçait bien bouffonner,
Et contrefaisant tout sçait tout plaisir donner.
Chantant en nos festins, ainsi les vau-de-vire, 555
Qui sentent le bon temps nous font encore rire.
compris qu'Horace parlait du chœur tragique, où la hardiesse du
lyrisme, souvent comparable à celle des oracles, suivit les progrès
de la musique.
547. La Pirriche. Danse grecque, que l'on dansait les armes à
la main.
553. Matassin. Nom qu'on donnait à certains danseurs qui por-
taient des corselets, des morions dorés, des sonnettes aux
jambes, et l'épée à la main avec un bouclier.
555. Vau-de-Vire . Les chansons des vaux (vallées) de Vire, et,
par abréviation, les Vaux-de-Vire, célèbrent le cidre et le vin.
Elles remontent à Olivier Basselin, foulon virois. Au xvie siècle,
Jean le Houx, avocat de Vire, reprit ce genre, abandonné sans
doute depuis la mort de son fondateur. (Cf. A. Gasté, Préf. des
Vaudevires de J. le Houx.)
— 94 —
Vau-de-vire plaisant ie te tiens bien heureux
D'auoir pour gouuerneur Bordeaux le généreux,
Qui Csesar imitant, dans la fureur des lances,
Mesle les doctes Arts auecques ses vaillances, 500
Muses de vostre main tortissez le Laurier
Dont i'ombrage le front de ce ieune guerrier.
Le temps qui tout polit depuis rendit polies
La grâce et la douceur de ses chansons iolies,
Auec vn plus doux air les branles accordant, 505
Et la douce Musique aux nerfs accommodant:
Et nous représentant ses farces naturelles,
Choisit vn chant qui fut alors bien digne d'elles.
Mais à dire le vray la France n'eut iamais
Yn repos assez long pour iouir de la paix : 570
La misère tousiours sa tristesse a meslee
Auec la gaillardise ou elle est appelée :
Toutefois imitant tant qu'elle peut les vieux,
Elle tient aux malheurs son courage ioyeux :
Et nous a ramené de la Lyre cornue 575
(Qui fut au paravant aux nostres inconnue)
Les chants et les accords, qui vous ont contenté,
Sire, en oyant si bien vn Dauid re chanté
557. Vau-de-Vire est employé avec son sens propre. Cf. Vauque-
lin:
Il (Apollon) vint se promener jusqu'aux monts de Belon
Et jusqu'au Vau-de-Vire et jusqu'aux Vaux de Bures.
(Div. sonnets, 10.)
558. Louis de Bordeaux s'était courageusement conduit à la
bataille de Moncontour. Ce jeune guerrier cultivait aussi les
lettres et les protégeait.
560. La virgule après vaillances, est dans le texte de 1605.
— 95 —
De Baïf et Couruille : 0, que peut vne Lyre,
Mariant à la voix le son et le bien dire. 580
La France aussi depuis son langage haussa,
Et d'Europe bien tost les vulgaires passa,
Prenant de son Roman la langue délaissée,
Et dénouant le neud, qui l'a tenoit pressée,
S'eslargit tellement qu'elle peut à son chois, 585
Exprimer toute chose en son naïf François.
Suiuamment c'est aussi la science eleuee,
Au cœur des bons esprits des l'enfance grauee,
Qui, soit en faits communs, soit en diuinité,
A gaigné sur les vieux le prix d'éternité. 590
Et d'autant que meilleurs sont en Gaule les hommes,
D'autant plus excellens que les autres nous sommes
En toute Poésie, et brossons àtrauers
Tant soient ils buissonneux, des haliers plus couuers.
Toutefois l'Artisan n'entreprent point d'ouurage, 595
579. Baïf et Courville. Allusion à la traduction des Psaumes
de Baïf. Celui-ci s'était adjoint le compositeur Joachim Thibault
de Courville pour mettre ses vers en musique. Cf. Épitre
de Baïf A son livre :
Dy que cherchant d'orner la France
Je prins de Courville accointance
Maistre de l'art de bien chanter,
Qui me fit pour l'Art de musique
Reformer à la mode antique,
Les vers mesurés inventer.
583. Delaisse.e V. la pièce de du Bellay adressée à Mme Margue-
rite : Sur la nécessité d'écrire en sa langue propre. — Cf. I, 70-71.
584. L'a (sic).
589. Divinité, se prenait dans le sens de thélogie, science des
choses divines.
595 sqq. Cf. Hor., Ep. aux P., 379. Épitres. liv. II, ép. I,
114-117.
— 96 —
S'il n'a fait son Chef d'œuure et son apprentissage :
Mais nous, du premier pas les Muses nous suiuons,
Sçauans et non sçauans des vers nous escriuons.
Neaumoins ie diray cette douce folie,
Cette gentille erreur, estre toute remplie 60O
De beaucoup de vertus. Iamais premièrement
Le Poëte n'est point auare aucunement :
Il aime ses labeurs, son seul but et sa ioye,
Il aime des forests la solitude coye :
Il aime ses égaux, qui de franche bonté, 605
N'estrangent de leurs mœurs l'honneste volupté.
Il se mocque, il se rit des grands citez rasées,
Des pertes, des ennuis, des maisons embrasées,
Contre Dieu ni Testât il n'a point comploté :
En l'Océan d'erreur son esprit n'a floté: 6io
Comme vn peu Philosophe il laisse aller le monde,
Les Destins plus courants volontaire il seconde
Contre ses compagnons il ne machine rien :
Une tache d'auoir des orphelins le bien :
Sa table est sobre et nette, et comme il se présente, 615-
Du peu comme du prou, souuent il se contente.
S'il n'est propre à la guerre aux armes nonchalant,
596. On sait que, dans les anciennes corporations, il fallait]avoir
fait son chef-d'œuvre pour obtenir le titre de maître.
599. Neaumoins (sic).
599 sqq. Cf. Hor. Ëpit. II, 118-131.
611 . Comme un peu philosophe . Comme étant un peu philosophe.
Latinisme.
615. Il, c.-à-d. cela.
617. Il faut sous-entendre s'il est dans le second membre au
lieu de s'il n'est.
— 97 —
Il est bon à la ville, aux meilleurs s'egallant :
Et si tu reconnois que les choses petites
Aux grandes aident bien, tu connois ses mérites. 620
Car aux ieunes il sçait aprendre la vertu,
Leur former le parler que ce monstre testu
Que ce peuple ignorant, par mauvaise prononce
Des vulgaires plus bas, diuersement annonce:
Leur fait haïr le vice, et gracieux et doux 625
Leur corrige l'enuie et l'aigreur du couroux :
Les beaux gestes passez il remet en mémoire,
Il raconte tousiours quelque agréable histoire,
Il donne enseignements, par le ressouuenir
Des exemples connus, pour le siècle aduenir : 630
Plaisante est son humeur, vtile sa hantise :
Estant tout- courtisan : hormis par la feintise :
Et quand, Sire, aux honneurs vous l'auez eleué
Estant de la liqueur d'Hipocrene abreué,
Beau laurier entre tous il paroist en la sorte 635
Que fait la fueille verde au près la fueille morte.
Mais en mettant moymesme en nos moissons la faux ,
l'ay veu dire d'ailleurs qu'on trouue des défauts
Aux Poètes aussi. Vostre maiesté mes me
Qui les Muses connoist, les chérit et les aime, 640
622. Ce monstre testu. Cf. Horace :
Bellua multorum es capitum.
(Epit., I, I, 76.)
637. Cf. Hor., Ep. II, I, 219-228. Cf. Vauquelin :
Et si j'estens ma faux en la moisson d'autruy.
(Sut. fr., IV, 6.)
— 98 —
Sire, s'en aperçoit lorsque mal a propos
Vous présentant des vers on rompt vostre repos :
C'est vne faute encor quand dépit on mesprise
De l'ami de nos chants vne iuste reprise ;
Quand on le fait vn vers plusieurs fois écouter 645
Qui des le premier coup il a bien sceu gouster :
Et quand nous nous plaignons que nos chants et nos veille
Que nostre Luth qui donne aux forests des oreilles,
N'est point ouy de vous, qu'il n'est point recherché,
Pour estre comme il deust de vous, Sire, aproché : 650 ■
Et que nous espérons que, quand vous aurez, Sire,
Connu comme si bien nous iouons de la Lire,
Qu'enclin à nous aimer, vous nous apelerez,
Et chanter vostre nom vous nous commanderez :
De sorte que iamais la piteuse soufrête 555
N'aportera chez nous de fain ni de disete.
Phœbus est de soymesme vn peu présomptueux,
Tousiours ieune et vanteur, toutefois vertueux.
Beaucoup de nous aussi leurs ouurages m'amendent:
Beaucoup à les reuoir trop curieux se rendent. 660
On nota Protogene en son art souuerain,
Pour ce qu'il ne pouuoit iamais oster la main
De ses tableaux polis, sans tousiours l'y remettre:
De mesmes on en voit cette faute commettre
646. Qui pour que, faute d'impression.
648. Cf. Hor. :
Et auritas fidibus canoris
Dueere (juercus (Od. I, XII, tl et 12.)
659. Cf. Hor., Ep.. 11, I. loi.
661. Protogene. V. la note du vers I, 792.
— 99 —
Par trop grand'diligence à polir leurs escris, 665
Et ne trouuent iamais vn œuvre assez repris.
Mais, Sire, vous auez fait vn choix honorable
En beaucoup qui rendront Apolon fauorable
A votre maiesté, qui d'vn si grand donneur
Couronne les bienfaits d'vn immortel honneur. 670
Qui diroit qu'Alexandre auroit fait dauantage,
Voulant que seulement fust faite son image
D'Apelle et de Lysippe, il se mesconteroit :
Et l'œuure de la main aux vers raporteroit :
Car vn visage n'est rapporté par le cuiure, 675
Si bien comme les mœurs le sont par vn beau liure,
I'entens par les beaus vers des Poètes sçauants.
Qui vont vostre louange à qui mieux escriuants,
Mais reueuons au lieu de nos vieilles brisées.
Voici la grand forest, ou les chansons prisées 680
Des vieux Satyres sont : ie m'estoy forlongné
Du labeur ou i'estoy n'aguere embesongné :
Et n'estant ces rainas qu'un plaisant tripotage
D'enseignements diuers, i'en faits vn fagotage
De bois entremeslé : Car l'arbre Delphien 685
667 sqq. Cf. Hor., Ep. II, I, 245-250.
671 sqq. Cf. Hor., Ep. II, I, 237-241.
673. Apelle. V. la note du vers I, 791. — Lysippe, célèbre sta-
tuaire grec.
681. Faits (sic). Cf. II, 409. Fagotage. Cf. Satyres françoises:
On dit encor que les vers que je fais
N'ont point de nerfs et sont lâchement faits...
A dire vrai, je fais un fagotage
De mes discours sans farder mon langage. (Liv. II, Sat. °.)
685. L arbre Delphien. Le laurier d'Apollon, dieu de Délos.
13
— 100 —
S'y peut voir des premiers : l'arbrisseau Paphien
Ioint au rampant Lierre ; et d'Oliuier paisible
S'y faire vne couronne à tous il est loisible :
De ces bois sont sortis les Satyres rageux
Qui du commencement, de propos outrageux 690
Attaquoient tout le monde, estant dessus l'Etage.
Mais depuis ils se sont polis à l'auantage :
Car sortant des forests lasciuement bouquins,
En la bouche ils n'auoient que des vers de faquins
Tantost longs' tantost cours, comme les Dithyram-
[ bes 695
Des mignons de Bacchus, qui n'ontni pieds ni iambes.
Les bons esprits d'alors, afin que depiteux,
Ils peussent mieux taxer les vices plus honteux,
Ils mettoient en auant ces Satyres rustiques :
Qui sont Dieux ehontez, impudens fantastiques, 700
Qui les fautes nommoient et le nom des absents,
686.L'arbrisseauPapkien.Le myrte de Vénus, adorée à Paphos,
692. A l'avantage, c.-à-d. avec avantage, à leur avantage.
• 696. Qui n'ont ni pieds ni iambes. On sait que la métrique des
dithyrambes est fort compliquée.
697 sqq. Cf. Disc, sur la Satyre : « Mais afin que les Poëtes de
ce siècle la peussent taxer plus librement les vices et les défaut»
voluptueux et lascifs de chacun, ils introduisirent devant tous quel-
ques Satyres, qui sont espèces de Dieux habitants les forests,
ayant des cornes au front et des pieds de Bouc, qui sont foletons
ehontez et impudents. »
700 sqq. Cf. Disc, sur la Satyre : « Les escriveurs de l'antique
Comédie notoient et decouvroient avec une grande liberté, non
seulement les vices des absents, mais bien souvent aussi ceux
des personnes présentes. » — Dans tout ce passage, il est inutile
de le faire remarquer, Vauquelin se trompe en confondant la sa-
tire avec le drame satiriquef L'erreur n'est pas d'ailleurs sans
avoir quelque apparence de vérité.
— 101 —
Et les forfaits secrets quelque fois des présents:
Tel estoit des Gregéois la Satyre première :
Lucile à Rome mist la nouuelle en lumière.
Et celuy qui premier debatit au passé, 7C5
Par vn Tragicque vers, pour le bouc barbasse,
Ce fut mesme celuy qui le cornu Satyre,
Sauuage pied-de-bouc, nous descouurit pour rire :
Qui seuere, gardant la meure grauité,
Entremesloit le ris et la simplicité : 710
Afin de retarder, par nouueauté plaisante,
Et par riants attraits, la troupe regardante,
Quand le peuple sortoit ioyeux et desbauché
Apres le sacrifice et le ieu despeché.
Et comme nos François les premiers enProuence 715
Du Sonnet amoureux,chanterent l'excelence
D'auant l'Italien , ils ont aussi chantez
Les Satyres qu'alors ils nommoient Syruentez,
704. Cf. Disc, sur la Satyre : « Finablement Lucilius à Rome
fut le premier inventeur de la nouvelle Satyre. »
705 sqq. Cf. Hor., Ep. aux P., 220-224.
715 sqq. Cf. Disc, sur la Satyre : « Les Cocqs à l'asne prin-
drent pied et succédèrent aux Sylvantez de nos poètes Wallons et
Provençauls qui avoient imité proprement en notre langage les
Satyres latines, etc. »
716. La virgule après amoureux est dans le texte de 1605.
718. Syrventez. Le Sirvente chante la guerre, la vengeance, la
haine, toutes les passions cupides et violentes que l'intérêt privé
et la politique déchaînent. Le sirvente se plie à toutes les formes ;
il se divise en strophes ; le chant et la musique prêtent leurs vi-
brantes harmonies, leur puissance d'émotion communicative à ses
invectives sanglantes,à ses effusions de colère. Le sirvente est aussi
ancien que la cansô, consacrée à l'amour ; on le trouve dans le
premier troubadour connu, Guill. de Poitiers. (Cf. Aubertin, Eist.
de la litt. fr.)
— 102 —
Ou Syluentois, vn nom qui des sylues Romaines
A pris son origine en nos forests lointaines : 720
Et de Rome fuyant les chemins périlleux,
Premier en Gaule vint le Satyre railleux.
Depuis les Gocàl'asne, à ces vers succédèrent,
Qui les Rimeurs François trop long temps possédè-
rent,
Dont Marot eut l'honneur. Auiourd'huy toutefois, 725
Le Satyre Latin s'en vient estre François ;
Si parmi les trauaux de Testude sacrée,
Se plaire en la Satyre à Desportes agrée :
Et si le grand Ronsard de France l'Apolon,
Veut peindre nos forfaits de son vif eguillon. 730
Si Doublet, animé de Iumel qui préside,
Sçauant au Parlement de nostre gent Druide,
Met ses beaus vers au iour, nous enseignants moraux,
Soit en dueil, soit en ioye, à se porter égaux :
719. Sirvente vient du latin servire et signifie poème servant
c.-à-d. composé au service d'un seigneur par un poète de cour.
723. La virgule après Coc à l'asne est dans le texte de 1605.
728. On n'a de Desportes, dans le genre satirique, que les Stances}
dumariugeow Vitupère du mariage, pièce danslaquelle il exhale ses*
sentiments de rancune, de dépit et de haine contre les femmes,,!
qu'il avait tant courtisées.
729. Ronsard ne fit pas de satire proprement dite. Mais plu-
sieurs de ses poésies tiennent de près au genre satirique ou même
y appartiennent sans en avoir le nom : la Dryade violée, les Dis-
cours sur les misères, l'Appel au peuple françois, etc.
731. Jean Doublet, né à Dieppe (1518), publia en 1559 un recueil
d'élégies suivi d'épigrammes imitées en général du grec. S'il a com-
posé des satires, elles ne nous sont pas parvenues. — Jumel
(Pierre le), homme d'un esprit très cultivé, président au parlement
de Rouen. Cf. Vauquelin :
Mon le Jumel, le digne Président.
{Sat., fr. I, 3.)
— 103 —
Et si mes vers gaillards, suiuantla vieille trace, 735
Du piquant Aquinois et du mordant Horace,
Ne me deçoiuent point, par l'humeur remontreux
Qu'vn Satyreau» follet soufla d'vn Ghesne creux.
Mais rendre il faut si bien les Satyres affables,
Mocqueurs, poignants et doux, en contes variables, 740
Et mesler tellement le mot facétieux,
Auec le raillement d'vn point sentencieux,
Qu'egalle en soit par tout la façon rioteuse :
Qu'agréable on rendra d'vne langue conteuse,
Sautant de fable en fable, auec vn tel deuis 745
Qu'on fait quand priuément chacun dit son aduis
D'vn fait qui se présente : en langue Ausonienne
On apelle Sermon, cette mode ancienne.
Horace a soubs ce nom ses Satyres compris,
Nos Sermonneurs preschants aussi l'ont mis en prix. 750
736. Le piquant Aquinois, c'est Juvénal. — Du mordant Horace.
Les satires de Vauqiielin sont pleines de paraphrases d'Horace.
739. Cf. Hor., Ep. aux P., 225-226.
747 sqq. Toujours la même confusion de la satire et du drame
satirique.
748 sqq. Cf. Discours sur la Satyre : « Horace a compris les
Satyres sous le nom de Sermons, pris du mot Latin Sermo, qui
n'est autre chose que le devis familier et commun d'entre un ou
deux devisants ensemble. Et pour cette raison et que pareillement
Horace reprend les vices en ses Sermons, il est vraysemblable
que l'usage a fait appeler de ce nom les prédications de nos pres-
cheurs. »
750. Dans la période apostolique du catholicisme, à côté du
discours qui s'adressait aux païens pour les convertir, était l'homé-
lie, sorte de conférence coupée de fréquents dialogues entre le
commentateur de la Bible et l'auditoire. Ce mot grec d'ô;xeXia fut
traduit en latin par sermo, d'où nous avons tiré sermon. (V. Auber-
tin, Hist. de la litt. fr., II, 297.)
— 104 —
Et si tu fais parler quelques Nimphes diuines,
Des Dieux ou des Héros auec leurs Héroïnes,
Accoustrez brauement de pompes convoiteux,
Qu'après on ne les voye, et bouffons et boiteux,
Suiure par leurs discours la vulgaire manière 755
De ceux qui vont hantant l'escole tauerniere :
De sorte que pensant bas la terre euiter,
On te voye haut au ciel mal à propos monter,
Et peu digne Tragicque estendre à la voilée
Yne parole basse et puis vne empoullee. 760
Suiuant vn dous moyen subtil faut ioindre l'Art
Auecques la sornette et le graue brocart:
Et mesme faire encor que l'ami ne se fâche,
Quand d'vn vice commun à chacun on l'atache.
Gomme la Dame honneste aux Dimenches chommez765
Se trouue quelquefois aux banquets d'elle aimez,
Ou contrainte à danser, ne laisse bien modeste,
De courtoise montrer vn graue et ioyeux geste:
Ainsi doit la Satyre, en sornettes riant,
La douce grauité n'aller point oubliant : 770
Estant et de plaisir et d'honnesteté pleine,
Gomme la belle Grecque et la chaste Romaine.
Ainsi void on souuent la ioyeuse beauté,
Goniointe chastement auec la loyauté.
751. Cf. Hop., Ep. aux P., 227-230. —751 sqq. Cf. I, 1151 sqq.
557. Bas la terre éviter répond à haut au ciel monter', cette
construction ne paraît pas susceptible de s'expliquer grammatica-
lement ni logiquement.
761. Moyen. V. la note du vers I, 1077.
765. Cf.Hor., Ep. aux P., 231-243.
— 105 —
Des mots dous et Mants il ne faut point élire, 775
Ni ceux qui sont trop lours en faisant la Satyre,
Les communs sont les bons, dehors du rond compas
Du Tragicque, du tout ie ne sortiraypas:
Mais ie mettray tousiours vne grand'difference
Alors que Zani parle auec quelque aparence : 780
Ou Pite ayant Simon de son argent mouché :
Ou bien quand de Bacchus vn Sylene embouché,
le feray discourir. D'vne chose vulgaire
Et commune à chacun, mon vers ie pourray faire,
D'vne facilité si douce l'a traitant 785
Que chacun pensera pouuoir en faire autant :
De sorte qu'il dira que mes vers et la prose,
En discours familiers sont vne mesme chose,
Que chacun parle ainsi, qu'on ne craint le malheur
De voir friper ces vers pour leur peu de valeur : 790
Mais s'il vient pour en faire à l'enui de semblables,
Il verra qu'aisément ils ne sont imitables :
Tant bien l'ordre, le sens, et les vers se ioindront,
Et le langage bas et commun ils tiendront.
Et tant d'honneur aduient et de bonne fortune 795
775 sqq. Cf. Disc, sur la Satyre : « Mais la Satyre ne demande
que la vérité simple et nue, et des paroles du cru du pays de
ccluy qui escrit sans s'élever ni rabaisser trop en son propos. »
780. Zani. V. la note du vers I, 859.
781. Pite. Il s'agit de l'esclave Pythias, qui, dans une comédie
deLucilius ou de Gœcilius volait son maître. — Simon était le nom
de sa dupe.
785. Le texte porte l'a.
785 sqq. Cf. la note du 1159, chant I.
790. Friper, dans son sens propre, c'est-à-dire gâter par l'usure;
ici feuilleter.
— 106 —
Au suiet que l'on prend d'vne chose commune.
Selon mon iugement, ces Faunes fron-cornus,
Qui des noires forests aux villes sont venus,
Ainsi que s'ils estoient aux citez dans les rues,
Aux Palais aux marchez des villes plus courues, soo
Comme ieunes muguets n'vseront affettez
Du parler de la ville ou d'ordes saletez,
Et ne vomiront point d'vne manière sote
Yn propos indiscret, vue iniure ou riote,
Les riches et les grands s'en tiendroient offensez : 805
Et bien que des bouffons il se rencontre assez,
Et tels marchants louans cette façon bouffonne,
Si n'acquerront ils point des sages la couronne.
En Satyre tu n'as en Grec autheur certain :
Suy doncques la façon du Lyrique Romain ; 810
De Iuvenal, de Perse, et l'artifice brusque
Que suit le Ferrarois en la Satyre Etrusque :
Remarque du Bellay ; mais ne l'imite pas :
Suy, comme il a suyui, la marque des vieux pas,
Meslant sous vn dous pleur entremeslé de rire, 815
797. Cf. Hor., Ep. aux P., 244-250
807. Marchants est employé ici comme terme de mépris, ainsi
que dans Horace le fricti ciceris et nuçis emptor.
808. Des sages, complément d'acquerront.
812. Le Ferrarois. Arioste, dont le père était juge au tribunal de
Ferrare, où le poëte habita de bonne heure. 11 composa sept satires
qui lui ont valu le surnom d'Horace italien. Dans son Discours sur
la Satyre, Vauquelin déclare que le poëte ferrarois lui a parfois
servi de guide.
813. Vauquelin ne veut pas que les poètes français s'imitent
entre eux. Cf. I, 429-430.
815 sqq. Il s'agit ici des Regrets; dans ce recueil, souvent élé-
-=^-T M*Ov<i I
— 107 —
Les ioyeux eguillons de l'aigrette Satyre :
Et raporte vn butin de Latin et Grégeois,
Ainsi comme il a fait au langage François,
Et ieune ne suy pas ces Damerets Poètes
Qui larrons ne sont rien que Singes et Choëttes. 820
Quand la syllabe longue après la breue alloit,
Ce pied "vite en Latin ïambe on apeloit :
Et si nom de Trimetre à l'ïambe l'on donne
Pour ce que sous les doigs par six lois il resonne.
A soy premièrement semblable il fut sans plus : 825
Mais depuis les Spondés pesans et résolus,
En fin auecques luy plus fermes prindrent place,
L'ïambe patient les receut de sa grâce :
Mais en les receuant il ne leur quitta pas
Ni le siège second ni le quatriesme pas. 830
Plus dous par ce moyen ils furent à l'oreille,
Et les vieux les faisoient de cadence pareille.
Apres que maints esprits rangeants la quantité
De la langue Françoise à la Latinité,
giaque, plusieurs sonnets ont le tour satirique. Cf. I, 588, et la
note.
819. Ces Damerets poètes : la queue de Ronsard et de la Pléiade,
tous ces méchants rimeurs, subtils et affétés, qui sont comme la me-
nue monnaie de Desportes. Cf. Vauquelin :
Je ne crois pas qu'on trouve de beautez
Dedans Paris sans jargon Poétique,
Et chaque Dame a, selon son humeur,
Ou son bouffon ou son petit Rymeur
Qui du François le dous commun usage
Ont corrompu de barragouinage.
(Sat.fr., HI,6.)
821. Cf. Hor., Ep. aux P., 251-258.
833. Sur les vers mesurés, Cf. la Notice, partie II, chap. rv.
13.
— 108 —
Eurent rendus aux pieds de leurs mots ordinaires, 835
La démarche et les pas de leurs légers Senaires :
De ces vers l'artifice en la France a esté
Par maints autres esprits diuersement tenté.
De sorte que Toutain a fait que l'Alexandre
En la Rime pouuoit en Phaleuces se rendre. 840
Baif qui n'a voulu corrompre ni gaster
L'accent de nostre langue, a bien osé tenter.
De renger sous les pieds de la Lyre Gregoise,
Mais en son propre accent, nostre Lyre Françoise :
Et tant a profité ce courageux oser, 845
839-840. Charles Toutain ou Toustain, né à Falaise, ami d'en-
fance de Vauquelin. Il est surtout connu par sa tragédie d'Agamen-
non (1557). Cf. Il, 1047-1048. — Le phaleuce, mètre grec et
latin, dont le premier pied est un spondée, quelquefois un trochée
ou un ïambe, le second un dactyle, les trois derniers des trochées ;
la césure est après deux pieds (ou deux pieds et demi). Ce vers de
onze syllabes, dont la dernière est atone, n'est pas sans analogie
avec notre décasyllabe, surtout celui que la césure coupe en deux
hémistiches égaux. — Au vers 839, Y Alexandre est sans doute mis
pour le vers alexandrin. Vaujuelin prend d'assez grandes liber-
tés avec d'autres mots du même genre, surtout à la rime, pour qu'une
pareille licence n'ait rien de bien surprenant.Ce que nous ne voyons
point, c'est de quelle façon notre vers de douze syllabes pouvait se
rendre en phaleuces. Mais il ne faut pas prendre cettt> expression
à la lettre. Le poète veut tout simplement dire que le phaleuce
rimé était employé par Toutain au lieu et place de l'alexandrin.
841-842. Baïf n'est point, comme cela s'est dit souvent, l'in-
venteur des vers mesurés, mais il fut le premier qui poursuivit
cette innovation avec suite et logique. Si Vauquelin le félicite de
n'avoir pas gâté l'accent de nostre langue, c'est probablement un
hommage rendu au soin avec lequel il s'évertua à noter les sons
élémentaires par rapport à la quantité. — Onpourrait croire
au premier abord que, dans ce passage, le poëte fait allusion au
mètre baïfin (mètre tout français, mais composé de quinze syllabes,
sept pour le premier hémistiche et huit pour le second). Les vers
843 et 844 montrent qu'il s'agit de mètres lyriques, et le vers 847,
que ces mètres lyriques ont pour base la quantité des syllabes.
«— - -»-— - ~-»~~- r— *— f~-r — ~— -.- T-- »~~ r~r -
— 109 —
Que, comme luy, plusieurs ont daigné composer,
Allians à leurs vers mesurez à l'antique,
L'artifice parlant de la vieille Musique :
le ne sçay si ces vers auront authorité,
C'est à toy d'en parler sage Postérité, 850
Qui sans affection peux iuger toutes choses,
Et qui sans peur les prendre ou reieter les oses.
Bref, ces ïambes sont biserres et diuers,
Par nous représentez à maints genres de vers :
Comme sont d'autrepart les doux vers de Catule, 855
De Pontan, de Second, de Flamin, de Marule,
848. L'innovation des vers mesurés se rattachait, dans la pensée
de Baïf, à des vues particulières sur l'union intime de la poésie et
de la musique. Il ne suffit pas, en effet, pour qu'une phrase musi-
cale convienne également à plusieurs stances, que, dans ces
stances successives, le nombre des vers et la combinaison des divers
mètres soient les mêmes ; il faut que les accents aient toujours la
même place, de façon qu'ils puissent toujours coïncider avec les
temps forts delà musique. Baïf comprit bien qu'il n'y avait pas con-
cordance harmonique entre les vers et la phrase musicale, comme
on les mariait avant lui ; mais il ne vit pas que cette concordance se
fait par celle des temps forts dans la musique et dans la versi-
fication. Aussi prit-il pour base, non pas les accents tonico-
rythmiques, mais la quantité des brèves et des longues.
853. Vauquelin revient maintenant aux ïambes, après sa digres-
sion sur les vers mesurés.
854. Représentez, etc. C'est-à-dire que la versification française
peut remplacer lesiambes par maints mètres divers.
855 sqq. Pontan. V. note du vers I, 923. — Second (Jean), poète
hollandais (1511-1536), a écrit des Elégies latines et des Baisers
(Basia). — Flamin. Plaminio, poète latin moderne, né à Serravalle
(1498-1550'). On a de lui : De rébus divinis carmina, Paraphrasis
triginta Psalmorum, etc. — Marulle, poète latin moderne, mort en
1500, avait composé quatre livres d'épigrammes et trois livres
d'hymnes aux dieux païens. Vauquelin lui a fait son épitaphe.
Cf. Du Bellay : «Adopte moy aussi en la famille françoyse ces
coulans et mignons hendpcasyllabes à l'exemple d'un Catule, d'un
Pontan, et d'un Secund. » (De'fense, liv. II, chap. iv.)
— 110 —
Qui d'vnze pieds marchoient : mais les François gail-
[lars,
Qui les font plus petits, ne les font moins mignars :
Tesmoinstantdebaisers, Chansons, Airs, Amourettes,
Mignardises, Gaytez, et telles œuurelettes, 860
Dont leurs escrits sont pleins, peignans d'vn dous
[pinceau
Tout ce que la Nature a de rare et de beau.
Les vers pesants et lourds enuoyez sur la Scène,
Langoureux ou hâtez, ou composez à peine,
Ne sont pas estimez par vn sçauant en l'Art : 865
Il blasmera celuy qui tente le hasard
De se faire mocquer, quand trop mal il s'asseure,
En balançant au poids des nombres la mesure,
Et de n'enfanter pas en termes bien receus,
Les vers qu'en luy premier Phœbus aura conceus, 870
Et de n estre soigneux d'vne rime coulante,
Qui se rende à l'oreille agréable et plaisante.
Chacun n'auise pas les vers qui, mal limez,
Sont montrez au public, d'entre les estimez.
A la Muse Romaine ayant esté permise 875
Vne grande Licence (indigne d'être admise),
Alors qu'on commençoit : et mesme nos François
S'estants plus largement estendus mile fois,
857. D'unze pieds. Pieds est mis ici pour syllabes.
858. V. (note du vers 855) le titre du second recueil de Jean
Second : ses Baisers avaient été souvent imités par nos poètes
français.
863. Cf. Hor., Ep. aux P., 259-269.
— 111 —
Me dois-ie hasarder de mètre sur la presse
Mes Poëmes qui sont pleins de toute rudesse ? 880
Ou si plustost ie doy, par iugement preuoir,
Que chacun pourra bien ma faute aperceuoir?
Si bien que me taisant, par vne sage ruse,
le ne sois point tenu de faire aucune excuse?
La faute en ce faisant je peux bien euiter, 885
Mais de louange aussi ie ne puis mériter.
Esprits, qui recherchez et matins et serees
Des Grecs et des Latins les traces asseurees,
Feuilletez leurs labeurs et là vous trouuerrez
Gomme vn renom fameux acquérir vous pourrez : 890
Le sçauoir, l'artifice auec l'experte vsance,
Donneni en quelque temps au renom accroissance :
Comme on void l'vne fois nostre ombre aller deuant,
Et 1: autrefois derrière: ainsi va s'esleuant
Le renom des humains : quelquefois des la vie, 895
Et quelque fois après la mort en est suiuie.
Et les Muses tousiours laisseront renommez
Tous ceux qu'elles auront chéris et bien aimez.
Mais nostre Poésie en sa simplesse vtile,
Estant comme vne Prose en nombres infertile, 900
Sans auoir tant de pieds, comme les Grecs auoient
8S7sqq. Cf. Du Bellay:
Je ne veux que resveur sur le livre il vieillisse
Feuilletant studieux tous les soirs et matins
Les exemplaires Grecs et les auteurs Latins.
Cf. Boileau, Art poét., II, 27, 28. (Le Poète courtisan.)
895. Quelquefois des la vie doit être rattaché au verbe précédent :
quelquefois il s'élève dès la vie et quelquefois, etc.
— 112 —
Ou comme les Romains qui leurs pas ensuiuoyent,
Ains seulement la Rime : il faut comme en la Prose,
Poëte n'oublier aux vers aucune chose
De la grande douceur, et de la pureté 9°5
Que nostre langue veut sans nulle obscurité:
Et ne recevoir plus la ieunesse hardie,
A faire ainsi des mots nouueaux à l'estourdie,
Amenant de Gascongne ou de Languedouy,
D'Albigeois de Prouence,vn langage inouy: 910
Et comme vn du Monin, faire vne parlerie
Qui, nouuelle, ne sert que d'vne moquerie.
Ceux qui cherchent des mots empoulez et bouffis,
Et des discours obscurs, qui ne sont point confis
Dans le sucre François, font vne faute telle 915
Que ceux qui vont quitant vne fontaine belle,
Pour puiser de l'eau verte en vn palu fangeux
Ou dans le creux profond d'vn lieu marescageux:
Vos paroles soient donc et vos pointes eleues,
En ligures qui sont des Muses bien voulues : 920
903. On sait que, dans notre versification, la rime n'a d'autre ob-
jet que de marquer la fin de l'unité métrique, c'est-à-dire de battre
la mesure. Le rythme se marque ainsi à la fin du vers; dans l'inté-
rieur, il est indiqué par les accents, accents toniques, qui, sauf
ceux de l'hémistiche et de la fin, sont laissés au gré du poète,
libre de les placer où il veut, et accents rythmiques dont la distri-
bution est complètement affranchie de toute règle, au moins dans
notre poésie contemporaine.
907 sqq. Cf. 1.361 sqq. V. la Notice, partie II, chap. iv.
911. Jean Edouard du Monin, né vers 1557, mort en 1586. On a
de lui le Phœnix, poème, la tragédie d'Orbec-Oronte, et enfin une
grande composition héroïque, intitulée Bérésithias, du mot hébreu
Bereschith, qui ouvre le récit de la Genèse. Le Bérésithias est une
imitation grotesque de du Bartas.
— 113 -
Manières de parler qu'vn Rethoricien
En Grec apelle Scheme enseignant l'Artien.
Chasser on ne doit pas par les forests espaisses,
Qui ne sçait les détours, les routes, les adresses :
Qui ne sçait redresser les chiens à leur défaut, 925
De faire vn Horuari requêter comme il faut :
Ainsi dans l'espaisseur du buisson de Permesse,
Ne faut s'auenturer qui ne sçait la r'adresse,
Qui conduit au sommet du double mont cornu:
Car Poëte on n'est point qu'on D'y soit paruenu 930
le confesser ay bien que les Romains antiques
Auoient fort estimé les nombres Poétiques,
Les vers et plaisants mots de Plaute qu'ils portoient
Par trop patiemment, et qu'ils s'en contentoient
Par grossière simplesse, et que l'innocent âge 935
De nos bons vieux Gaulois estimoit le ramage
De nos premiers Romants (qui le Romain parler
Fait Gaulois, au Gaulois sçauoient entremesler)
Vn peu légèrement : et si ne veux pas dire
Qu'à l'heure qu'ils oyoient quelque bon mot pour
[rire 940
En leurs chants , Chanterels, Sons , Seruantois, Tançons,
Pastorelles, Déports, Soûlas, Sonnets, Chansons,
931. Cf. Hor.,Ep. aux P., 270-272.
932. Avoient estimé. Habebant œstimùtum ; c'est l'imparfait et
non le plus-que-parfait.
937-938. Cf. la note des vers I, 615, 616.
941. Chanterels. Petits chants. — Sons. Cf. I, 553. — Servantois.
Cf. II, 718. — Tançons. Cf.I,547.
942. Pastorelles. La pastorelle était une espèce d'églogue dialoguée
entre le poète et une bergère ou un berger. — Déports, Soûlas.
— 114 —
Triolais, Virelais, Ieux-partis, Lais, Sornettes,
(Sans les bonnes iuger d'entre les imparfaites)
Goffes tout leur plaisoit en tel contentement, 945
Qu'ils n'ont iugé depuis des Rondeaux autrement,
Balades, Chants royaux, Epistres et Complaintes,
Que bons ils adoroient d'affections non feintes :
Descriuant leurs amours, ainsi comme en ta-
[bleaux,
Dedans leurs beaus Romants, et dedans leurs Fa-
[bleaux. 950
Petites pièces de vers joyeuses. On sait que la poésie lyrique des
troubadours comprenait une infinité de genres divers ; à coté des
déports et des soûlas, on trouve les tristesses, les de'plaùirs, les
jalousies, etc. — Sonnets. Cf. 1,547.
943 Triolais. — Le triolet est un poème de huit vers, générale-
ment octosyllabes : le premier vers est le même que le quatrième
et le septième ; le second est le même que le dernier. Les rimes sont
disposées suivant la figure : ABABBABA. Cette forme s'applique
fort bien à l'expression d'idées gracieuses; maison l'a aussi employée
pour la satire, à laquelle elle donne un tour piquant. Le triolet a
repris faveur dans notre poésie toute moderne. — Virelais. Le lai
se composait d'une série de vers féminins pentésyllabes, écrits sur
une même rime et séparés de deux en deux par des vers masculins
de deux syllabes rimant entre eux. Dans le virelai, les rimes
• opéraient un virement. Celle du petit vers était , dans un second
couplet, attribuée au grand ; au troisième couplet, le grand vers
s'appropriait celle du petit dans le second, et ainsi de suite. —
Jeux-partis. Les querelles d'amants, outre le nom générique de
tenson (V. I, 547), s'appelaient jeux-partis, parce que la question
separtageait entre poètes rivaux. — Lais. Y. ci-dessus.— Sornettes.
On appelait ainsi des poésies d'un caractère tout frivole, de pures
bagatelles.
945. Nous ne connaissons pas de genre appelé goffe, comme
explique un commentateur. Goffes est un adjectif (V. le Glossaire)
et se rapporte au complément leur du verbe plaisoit.
946. Rondeaux. V. la note du vers I, 546.
947. Balades. V. la note du vers I, 546. — Chants royaux. V. la
note du vers I, 545.
— 115 —
En France lors n'estoit de race grande et belle
Qui n'eust quelque Roman particulier pour elle.
Depuis long temps encor Guillaume de Loris,
Iean de Meun-clopinel, on prisoit à Paris
Auecpeude raison : au moins si, pour cette heure, 955
Des Rimes nous sçauons discerner la meilleure :
Et si nous sçauons bien à l'oreille et aux dois
Iuger le vers qui marche au nombre de ses lois.
Or l'Vualon estant tout le premier vulgaire,
Et l'Itale, et l'Espagne, ont formé l'exemplaire %o
Du leur sur son Roman, ayant pris pour leçons
De nos chants et Sonnets les antiques façons :
Et puis comme celuy qui de ruse maline,
Dérobe le cheual en l'estable voisine,
951-952. Au moyen âge, les grandes maisons se faisaient une
gloire de rapporter leur origine à quelque héros célébré par les
chansons de gestes.
953-954. Guill. de Loris et Jean de Meun, surnommé Clopinel,
sont les deux auteurs du Roman de la Rose. Ils représentent,
comme Charles d'Orléans et Villon au xve siècle, les deux inspi-
rations auxquelles on peut rattacher notre poésie du moyen âge,
Guilaume de Loris, l'inspiration chevaleresque, d'ailleurs bien
affadie, Jean de Meun l'inspiration populaire dans toute la crudité
de sa verve railleuse. — Le Roman de la Rose avait été, depuis le
xire siècle, la source où puisaient tous nos poètes; jusqu'à la se-
conde moitié du xvie siècle, il domine notre littérature et exerce
sur les divers genres une influence souveraine. C'est le seul monu-
ment du moyen âge qu'apprécie la Pléiade. Cf. du Bellay : «De tous
les anciens Poètes François, quasi un seul Guillaume du Lauris et
Jean de Meun, sont dignes d'estre leuz. » (Défense, liv. II, chap. n.)
955 sqq Cf. Hor., Ep. aux P., 272-274.
959. sqq. Erreur déjà signalée. (Cf. 1, 595 sqq.) — Cf. Ronsard :
«Outre jet'adverti de ne faire conscience de remettre en usage les
antiques vocables, et principalement ceux du langage wallon et
picard, lequel nous reste par tant de siècles, l'exemple naïf de la
langue française, jenten de celle qui eut cours après que la latine
n'eut plus d'usage en nostre Gaule. » (2e préf. de la Franciade.)
— 116 —
Luy fait le crin, la queue et l'oreille couper, 965
Et quelque temps après le reuend pour tromper
A son mesme voisin : ainsi nostre langage
Ils ont prins et planté dans leur terreur sauuage,
Et l'ayant déguisé nous le reuendent or,
Gomme fins maquinons plus cher qu'au prix de l'or. 970
Et comme nous voyons beaucoup d'herbes plantées
D'vn bon terroir en l'autre, et les greffes entées
Dessus vn autre pied, derechef reuenir,
Et de leur premier tronc perdre le souuenir :
Tout de mesme les traits, les phrases et la grâce, 975
Prenant d'vne autre langue, en nostre langue place,
S'y ioignent tellement qu'on diroit quelquefois
Qu'vn trait Latin ou Grec est naturel François.
Yirgile ainsi pilla d'Homère la richesse,
Et naturalisa des Grégeois la, sagesse : 980
Et l'Arioste après en les pillant tous deux,
Plus hardiment a pris les gestes hasardeux
De nos vieux Paladins, connus par tout le monde,
Et des preux Gheualiers de nostre Table-Ronde,
Du Prophète Merlin les forts enchantemens, 985
968. Terreur est évidemment mis pour terroir.
970. Voir, pour ce qui précède, la Notice, partie II, chap. m.
971 sqq. Cf. Vida, Art poét. III, 231, sqq.
981. sqq. Cf. Fauchet : « Les Italiens, Espagnols, Alemands
et autres ont esté contraints forger leurs romans et contes fabu-
leux sur les telles quelles inventions de nos trouverres, chanterres
conteors et jongleors tant caressez par toutes les cours d'Europe
pour leurs chansons de la Table-Ronde, Roland, Renaud et Pala-
dins. » (Liv. I, chap. v.)
985. Merlin l'enchanteur, un des héros du Cycle armoricain, est
ainsi appelé parce qu'il a laissé un livre de Prophéties; elles furent
— 117 —
De Turpin l'Archeuesque, en ses racontemens,
Suiuant l'histoire vraye, alors que Charle-magne
Pauoit, à Ronceuaux, de morts toute l'Espagne :
Et qu'Agramant venu cet outrage vanger,
Youloit dessous ses lois la grand'Cité ranger. 990
A l'heure Lancelot, en Prose Héroïque,
Montroit de nos maieursla fureur Poétique,
Et rauissoit l'esprit de cent diuersitez :
Meslant auec l'Amour les grands solennitez
Des ioustes, des Bouhourds, lors que des Gonnois-
[sances, 995
Ils honoraient le bout de leurs guerrières lances :
Et dessoubs le secret des figurez blasons.
Se cachoient de l'Amour les plaisantes raisons.
Aux combats mesmement on void mile manières
De porter armoyez les Escus aux Banieres, 1000
LeTymbre menaçant l'Armet enpanaché,
Et le Mot-de-bataille au dessoubs attaché,
Cotte-d'armes, Harnois, les armes etofees
Par la courtoise main des gracieuses Fées.
recueillies par Geoffroy de Mommouth qui les traduisit en latin et
les inséra dans son Histoire des Bretons.
986. Turpin, archevêque de Reims. On lui a attribué une chro-
nique dite du Moine de Saint-Denis, qui s'intitule De Vita Caroli
Magni et Rolandi. Ce n'est qu'un roman d'aventures et d'exploits
chevaleresques.
989. Agramant, neveu de Braban, roi d'Espagne. C'est un des
héros du Roland furieux.
990. La grand'Cité. Paris.
991. Il s'agit ici du roman en prose de Lancelot du Lac (Cycle ar-
moricain). — Dans Héroïque Yh est aspirée.
— 118 —
Nostre Amadis de Gaule en vieil Picard rimé, 1005
N'estoit moins que nos Pairs entre nous estimé.
D'Amadis l'Espagnol a sa langue embellie,
Et sa langue embellit de nos Pairs l'Italie :
Et quand nous reprendrons cesbeaus larcins connus,
De rien nous ne pouuons leur en estre tenus. 1010
De Thespis le premier la manière est venue,
De la Farce Tragicque en cor lors inconnue,
Quand dans les Chariots et Tombereaus couuers
Conduit, il fist iouer publiquement ses vers
Par des gentils bouffons, qui d'vne lie epesse 1015
Leur face barbouilloient par les villes de Grèce :
Ainsi vont à Rouen les Gonards badinants,
Pour tout déguisement leur face enfarinants.
Mais par /Eschyle fut cette façon ostee
Depuis que braue il eut la manière inuentee 1020
De se seruir de masque, et proprement changer
1005. On a cru longtemps qW Amadis était un roman d'origine
française. Herberay des Essarts qui, à la requête de François Ier,
traduisit le texte d'Ordonez, s'exprime ainsi dans sa préface : « Il
est tout certain qu'il fut premier dans nostre langue françoise, es-
tant Amadis gaulois et non Espagnol. Et qu'ainsi soit, j'en ay
trouvé encore quelques restes d'un vieil livre escrit à la main en
langue picarde sur lequel j'estime que les Espagnols ont fait les
traductions. » Cette opinion n'a pas été adoptée par la critique mo-
derne, l'original picard n'ayant laissé nulle part la moindre trace;
on admet seulement que les Amadis sont une imitation indirecte
de nos romans français de la Table-Ronde.
1011. Cf. Hor., Ep. aux P., 275-280. Boileau, Art.poét., III, 67,
sqq.
1015. Vauquelin confond ici, comme devait le faire Boileau, l'o-
rigine de la tragédie avec celle de la comédie.
1017. Les Couards ou Cornards étaient une ancienne confrérie
de Rouen et d'Evreux.
— 119 —
D'habillemens diuers, commençant à ranger
Les limandes, les ais, pour dresser le Théâtre:
Il enseigna deslors à parler, à s'ébattre
Yn peu plus hautement, et lors fut amené 1025
L'vsage encor non veu du soulier cothurne.
De fausse barbe ainsi nos vieux François vserent,
Quand leurs moralitez au peuple ils exposèrent :
Ils ont montré depuis d'vn vers auantageux,
louant deuant les Rois leurs magnifiques ieux, 1030
Qui feroient aisément que la Muse Françoise
Peut estre passeroit la Romaine et Gregoise,
S'elle auoit eu l'apuy d*vn grand Roy poursoustien:
Plustost le bien estrange on prise que le sien.
Iodelle moy présent, fist voir sa Cleopatre, 1035
En France des premiers au Tragique théâtre,
Encor que de Baïf, vn si braue argument
Entre nous eust esté choisi premièrement.
Peruse ayant depuis celte Muse guidée
1030. Malgré l'absence de virgule, il faut rattacher jeux ^.montré
et non h jouant.
1035. C'est en 1552 que Jodelle fit représenter sa Cleopatre, la
première tragédie française. Cf. Pasquier : « Cette comédie {la Ren-
contre ou Eugène) et la Cleopatre furent représentées devant le
roy Henry à Paris, en l'hostel de Reims, avec un grand applaudis-
sement de toute la compagnie. Et depuis encore au Collège de Bon-
cour, où toutes les fenestres estoient tapissées d'une infinité de
personnages d'honneur, et la cour si pleine d'escoliers que les portes
du Collège en regorgeoient. »(Rech. de la Fr., liv. VIII, chap. vu.)
1039 sqq. Jean de la Péruse, né vers 1530 à Angoulème, mourut
prématurément en 1555, laissant manuscrite et inachevée sa tragédie
deMédée, publiée en 1556 par les soins de Sainte Marthe qui l'a-
vait terminée ; celui-ci appelle son ami le véritable Euripide des
Français. — Jean de la Péruse avait été un des acteurs de Cleo-
— 120 —
Sur les riues du Glain, flst incenser Medee: 1040
Mais la mort enuieuse auançant sontrespas,
Fist que ces vers tronquez parfaire il ne sceut pas :
Quand Saintemarthe emeu de pitié naturelle
De ces doux orphelins entreprist la tutelle,
Sçauant les r'agença, leur patrimoine accreut, 1045
Et grand'peine et grand soin pour ses pupiles eut.
Puis Toutain nous flst voir de la couche royale
Du Prince Agamemnon la traison desloyale,
Cependant que Morin en tout sçauoir profond,
Et d'vn autre costé le bien disant Nemond, 1050
pâtre. (Cf. Rech. de la Fr., liv. VII., chap vu). Pasquier nous
apprend que la Médée n'eut pas grand succès : « La Peruse, dit-
il, fit une tragédie sous le nom de Medee, qui n'estoit pas trop
décousue, et toutes fois par malheur, elle n'a pas esté accompagnée
de la faveur qu'elle meritoit. » (Ibid., ibid.) — On trouve dans les
Foresteries une épitaphe pour le tombeau de la Péruse.
1040. La Péruse avait composé sa tragédie à Poitiers, que le Glain
arrose.
1043. Scévole de Sainte-Marthe (1536-1623) a laissé des poésies
françaises qui ne manquent ni de naturel ni de grâce. Ses poésies
latines lui valurent au xvie siècle une grande réputation. Vauquelin
a déjà loué sa Pœdotrophia. (V. I. 925, sqq.)
1047, Toutain ou Toustain, né à Falaise, publia en 1556 une
plate imitation de Y Agamemnon de Sénèque.V.noteduversII,839.
1049. Robert Morin, conseiller du roi au bailliage de Caen. Il cul-
tivait la poésie en latin et en français. Si Ton en croit Huet, il avait
entrepris la traduction de Staceen vers. Cf. Vauquelin :
Puis Morin le berger qui aime quelquefois,
Plus le plaisir des vers que le profit des loix.
(Pastor. sur le tomb. de Rouxel.)
1050. François de Nemond, jurisconsulte, auquel Vauquelin a
dédié une de ses Foresteries, la dixième du livre premier. Mo-
rin et lui enseignaient sans doute le droit à Poitiers du temps que
Vauquelin l'y étudiait avec la Péruse, Toutain et Scévole de Sainte-
Marthe.
— 121 —
S'efforçoient d'enseigner en nostre langue ornée
La loy qui fut iadis aux vieux Romains donnée.
Et maintenant Garnier, sçauant et copieux,
Tragique a surmonté les nouueaux et les vieux:
Monstrant par son parler assez doucement graue, 1055
Que nostre langue passe aujourd'huy la plus braue.
Maisonnier d'autrepart qui se plaisoit souuent
D'ouyr son Pin sifler aux aubades du vent,
La Satyre escriuoit : en sa prime iouvance,
Chantecler arriuant paya la redeuance îœo
A Phœbus comme nous, et d'autres que le temps
Eniura du plaisir de ces vains passetemps :
1053. Robert Garnier (1544-1601), le meilleur poète tragique du
xvie siècle. Avec lui, la tragédie resta, pour la composition, ce que
Jodelle l'avait déjà faite, c'est-à-dire un calque de Sénèque. Mais il
l'emporta de beaucoup sur son devancier, comme Vauquelin l'a bien
vu, par les qualités de son style. Ses principales tragédies sont:
Porcie (1563Ï ; Marc. Antoine (1576), et surtout Sédérie ou les Juives
(1580). De la même année est Bradamante, notre première tragico-
médie. Vauquelin a adressé à Garnier la dernière satire du livre III.
Il a aussi composé son épitaphe .
1057. Roger Maisonnier avait été à Poitiers l'ami de Vauquelin,
qui lui a adressé la huitième Foresterie du livre Ier ; on trouve
aussi dans ce recueil un sonnet de Maisonnier à Vauquelin : quant
aux satires de ce poète, elles ne nous sont pas parvenues. — A par-
tir du vers 1057, Vauquelin quitte la tragédie pour rassembler dans
un commun souvenir ses amis de jeunesse, dans quelque genre
qu'ils se soient exercés.
1058. Cf. VauqueUn :
Les pins sifflants au vent de leurs pointus feuillages.
(Pastor. sur le tombeau de Rouxel.)
1060. Charles de Chantecler, mort en 1620, avait cultivé la poésie
dans sa jeunesse ; il devint plus tard conseiller d'État. Nous avons
de lui des ouvrages écrits en latin qui portent la marque d'une
grande érudition. — Cf. Vauquelin, Sonnets divers, 21, 29 :
Que fait mon Chantecler ? Il fait aux environs
Rechanter ses beaux vers sur sa Lyre divine.
— 122 —
Quand en mesme saison, plein d'vne ardeur diuine,
Le Feure bouillonnant dans sa vierge poitrine,
Des Hébreux et des Grecs, Poëte tout Chrestien, 1065
De bien chanter de Dieu rechercha le moyen.
En ce temps, ô quel heur ! sans haine et sans enuie,
Nous passions dans Poitiers l'Auril de nostre vie,
Au lieu de demesler de nos Droits les débats,
Muses, pipez de vous, nous suiuions vos ébats: lOTGj
Mais comme vn pèlerin, qui retourne au voyage,
D'où s'estant plusieurs fois, par maint diuers bocage,
Egaré, ne s'égare encore vne autre fois :
Ainsi, Muses, .depuis le chant de vostre vois
Ne nous a tant deceus, que n'ayons fait seruice 1075
Au Roy, tenant le poix de l'égale Iustice;
Que nous n'ayons aussi par vos douces liqueurs,
De la guerre ciuile adouci les rigueurs,
1064. Il s'agit ici, non pas de ce Jean Lefèvre que d'Aubigné met J
dans la« suite» de Ronsard (édit. Réaurne, t. I, p. 457), mais d<jl
Guy le Fèvre delà Bodei'ie,ami de Vauquelin et son voisin decam-j
pagne. Nous avons de Vauquelin une Pastorale sur le Trépas de Guy
le Fevre, escuyer, sieur de laBoderie. {Satyres Fr.,liv. V.)Le Fèvrel
avait publié les poèmes suivants : la Galliade, l'Encyclie des\
secrets de l'Eternité, Hymnes ecclésiastiques, Cantiques spirituels, i
VHarmoniedu monde. On voit pour quelle raison Vauquelin l'appelle
Poëte tout Chrestien. Cf. :
Du docte Fevre on fait trop peu de conte :
Et l'Espagnol jusqu'en nos lieux ombreux,
(Pour eclaircir les beaux secrets Hébreux)
Le vint quérir quand, plein d'un saint courage,
En Flandre il fiât des grands Bibles l'ouvrage.
(Sat. fr„ liv. III, à Baïf.)
1069. Cf. :
Au lieu de demesler les épineuses lois,
Les Nymphes, les Sylvains nous suivions par les bois.
(Sat.fr. I, 6. A son livre.)
— 123 —
Et que chacun de nous en sa douce contrée,
0 Muses, n'ait de vous la science montrée : 1080
Tesmoins sont de ma part la belle eau de Gressy,
Ante petit, la Roche, et mon grand Orne aussy,
Ou ieune le premier i'enflay vostre Musete :
Mais nul n'est, ô malheur ! en sa terre prophète.
Les soupçons enuieux, les médits, la rancœur, îoss
Des nostres me faisoit tout refroidir le cœur.
La Muse est enuiable et l'ignorant s'irrite,
Quand il oit de Phœbus vne chanson bien dite.
Gomme on conte qu'vn Tigre au son du Tabourin,
Et s'irrite et bondit, comme vn monstre marin, 1090
Et tant plus le Tabour il oit sonner et bruire,
Dépit en se mordant plus fort il se déchire :
Ainsi fait l'enuieux, les louanges oyant
:Du vertueux qu'il va misérable enuiant.
Tousioursilse tourmente, et tousiours vne enuie 1095
;Luy ronge les poulmons le reste de sa vie :
Ghetiue enuie, encor, tu fais bien seulement,
1081-1082. Cressy. C'est une source voisine de Falaise. — Ante.
Ruisseau qui coule au bas de Falaise. — La Roche. Masse de ro-
chers en face de ce donjon. — Orne. L'Orne, comme on sait,
passe à Falaise. Cf. :
Car de Cressy la douce onde bruyante
Qui par canaux d'artifice coulante,
Passe en tes prez : et puis les monts rocheux
Qui cachent Ante en ses vallons fâcheux :
Et d'autrepart la haute Roche aux Fées
Que chaque jour visitent les Orphees, etc.
(Sat. fr. III, 2.)
1085. La virgule après rancœur est dans le texte de 1605.
14
— 124 —
En donnant à tous ceux qui t'aiment du tourment.
Vne belle lumière amené vn bel ombrage,
Qui les yeux enuieux éblouit d'vn nuage : 1100
Né de bonne maison par la faueur des Gieux.
Mon bon heur offusqua l'œil de mes enuieux.
Mais quel vent ma nacelle en haute mer enuole, •
Car i'ay passé le temps que marque ma Boussole?
Reuenons au courant ou les grands Empereurs 1105
Mourants sont faits egauls aux poures laboureurs.
Au Tragique argument pour te seruir de guide,
Il faut prendre Sophocle et le chaste Euripide,
Et Seneque Romain : et si nostre Echafaut
Tu veux remplir des tiens, chercher loin ne te faut 1110
Vn monde d'argumens: Car tous ces derniers âges
Tragiques ont produit mile cruelles rages.
Mais prendre il ne faut pas les nouueaux argumens: ,(
Les vieux seruent tousiours de seurs enseignemens,
Puis la Muse ne veut soubs le vray se contraindre :
[ 1115
1100. Cf. Hor :
Urit enim fulgore suo qui praegravat artes
Infra se positas. (Epitres, liv. II, ép. I, v. 13.)
1105. C'est-à-dire la tragédie, qui représente les malheurs et la
mort des princes. (Cf. 11,451 sqq.)
1108. Cette épithète de chaste est sans doute un souvenir du sur-
nom qu'Euripide avait reçu : on sait qu'il était appelé le Misogyne.
1109. Sénèque eut sur la tragédie du xvie siècle une influence
prédominante; on en retrouve la trace bien sensible jusque dans
Corneille.
1113. Cf. Ronsard: « Le poëte ne doit jamais prendre l'argument
de son œuvre que trois ou quatre cents ans ne soient passez pour
le moins. » (i}e préf. delà Franciade.\ — Racine, dans la préface de
Bajazet, s'excuse d'avoir pris un sujet tout contemporain, et fait
valoir cette raison que « l'éloignement du pays répare en quelque
sorte la trop grande proximité des temps ».
— 125 —
Elle peut du vieil temps, tout ce qu'elle veut, feindre.
Pauvre France qui dors, quand tu t'eueilleras,
De tes enfants mutins tu t'emerueilleras.
Celuy qui pourroit voir vne forest arbreuse,
Grande, belle, peuplée, antique, noire, ombreuse, 1120
Et la reuoir après sans ombre ni rameaux,
Vn Taillis remarqué de quelques balliueaux,
Ayant senti le fer de la hache, émoulue
Pour faire trébucher sa richesse fueillue :
France, il te voit ainsi, sans Sceptre maiesteux, 1125
Sans couronne Royale en port calamiteux,
Ta robe par lambeaux, comme à l'accoustumee
N'estant plus de lis d'or sur l'azur parsemée.
Tes massacres cruels aux beaux ans qui suiuront,
Aux Poètes Tragics de suiet sentiront : 1130
Mais ore appaise toy ; permets que tes contrées
Ne soient à l'auenir de tes fureurs outrées.
Nous, en ce peu de paix, Nous, qui sentons en nous
Vn Dieu qui nous échauffe et nous chatouille tous,
Nous nous reiouirons tachant par un bel aise, 1135
A faire quelque chose enquoy Phœbus se plaise :
1130. Cf. la Notice, partie II, chap. n. — Gf : « De là sont venus
les désastres innombrables et tragiques, desquels les poésies
Grecques sont remplies... Et qui voudroit feuilleter les histoires,
il trouveroit celle des Empereurs Romains pleines de telles mal-
heureuses infortunes ; et je croy comme en la maison de France,
d'Orléans et de Bourgongne, il s'en trouveroit quelques-unes, etc.
(Oraison de la calomnie.)
1134. Cf. Ovide :
Est deus in nobis, agitante calescimus illo.
— 126 —
Aussi bien pouuons nous, Muses, vous dire adieu,
Car, Muses, de long temps ici vous n'aurez lieu :
Des bons ioueurs de Luth la main est engourdie,
L'ardeur de la ieunesse est partout refroidie, iho
Et desia de vos sons, et desia de vos chants,
Moins de conte il se fait que des contes des champs.
Et si par cette paix, vnpeud'eiouissance,
Ne nous donne pouuoir sur l'aueugle ignorance,
Tous vos arts se perdront: Muses, donc aprouuez 1145
Que parmi tant de maux ioyeux vous nous trouuez.
Comme vn forçat Chrestien, qui depuis mainte année,
Yiuoit dessoubs le Turc en triste destinée,
De Tripoly sortant à Malte va ioyeux,
Echapé hors des mains d'vn bascha furieux : 1150
Ainsi gais nous viurons si sortis de l'oppresse
De la guerre il se peut tirer quelque alegresse.
Vous, Sire, cependant aimez le saint troupeau,
Qui du guide Apolon a suiui le drapeau :
Replantez les Lauriers, refournissez les places 1155
Des monts et des vallons, des Muses et des Grâces,
Faites que leurs recois de Mars endommagez,
Ainsi qu'au parauant ne soient desombragez :
Vous laisserez le Sceptre et le beau Diadesme,
Les ornemens Royaux, et la Couronne mesme: 1160
Mais cela que la Muse acquis vous gaignera,
Sire, tousiours par tout vous accompagnera :
Et dans le Ciel les vents en la bouche des Anges,
Les Anges iusqu'à Dieu porteront vos louanges. 1165
LIVRE TROISIESME
SIRE, ie voy le port : montrez vostre faueur :
Dans ce trouble Océan, soyez l'Astre sauueur,
Qui me face espérer que vous ma petite Ourse,
Conduirez mon esquif seurement en sa course.
Muses, ayant passé les flots plus oragez 5
Ne permettez qu'au port nous soyons submergez.
Ieunes, prenez courage et que ce mont terrible
Qui du premier abord vous semble inaccessible,
Ne vous estonne point. Ieunesse il faut oser,
Qui veut au haut du mur son enseigne poser. 10
A haute voix desia la Neuuaine cohorie,
Vous gaigne, vous appelle et vous ouure la porte,
Yous montre vne guirlande, vn verdoyant lien,
Dont ceint les doctes fronts le chantre Delien:
Et par vn cri de ioye anime vos courages 15
A vous ancrer au port en dépit des orages :
Elle répand desia des paniers pleins d'oeillets,
Des roses des boutons, rouges, blancs, vermeillets,
Remplissant l'air de musc, de fleurettes menues,
Et d'vn parfum suaue enfanté dans les nues : 20
7 sqq. Cf. Vida, Art poét., III, 6-14.
13. Cf. Boileau. Art poét., IV, 230.
14.
— 128 —
Ces belles fleurs du Ciel vos beaus chefs toucheront,
Et sous vos pieds encor la terre enioncheront.
Dans le Ciel obscurci de ces fleurs epandues
Sont les diuines voix des Muses entendues :
Voyez comme d'odeurs vn nuage épaissi 25
De Manne, d'Ambrosie, et de Nectar aussi,
Fait pleuuoir dessus vous vne odeur embamee,
Qui d'vn feu tout diuin rend vostre ame enflamee.
Les vers sont le parler des Anges et de Dieu,
La prose des humains : Le Poète au milieu 30
S'eleuant iusqu'au Ciel, tout repeu d'Ambrosie,
&n ce langage escrit sa belle Poésie.
Pleust au Ciel que tout bon, tout Chrestien et tout
[Saint,
Le François ne prist plus de suiet qui fust faint!
Les Anges à miliers, les âmes éternelles, 35
Descendraient pour ouir ses chansons immortelles I
C'est desia trop long temps cette Muse inuoqué,
Qui rend d'vn court plaisir vn bel esprit moqué,
Sur l'Helicon menteur couronnant les Perruques
De Lauriers abuseurs, flestrissants et caduques : 40
Apres elle tousiours il ne faut s'incenser:
Il faut monter aux Gieux sur l'aisle du penser,
La cette Muse voir, qui d'Astres couronnée,
Ayant de beaux rais d'or la teste enuironnee,
30. Au milieu. C'est-à-dire que le poète tient le milieu entra
Dieu et les hommes.
34. Fàint. Emprunté aux légendes mythologiques.
— 129 —
Couronne les beaus chefs de Lauriers qui sont tels, 45
Que non mourants ils font les mourables mortels,
Dessus vn vray Parnasse ou la sainte verdure
Des Myrthes amoureux éternellement dure :
Ne laissant toutesfois d'embellir, d'emperler
De fleurs d'humanité ses vers et son parler : 50
Du sage Médecin imitant la coustume,
Qui pour faire aualer la fâcheuse amertume
D'vn breuuage salubre, au bord du gobelet
Met du iulet sucré, plaisant et doucelet.
Mais les Prouinces sont en France si troublées, 55
Que pour Mars seulement s'y font les assemblées :
Les Muses n'y sont plus, Phœbus en est parti:
Les doctes autrepart veulent prendre parti:
Vn orage par tout les beaus lauriers fracasse,
Saccage nos forests, destruit nostre Parnasse. 60
Viendra iamais le temps que le harnois sera
Tout couuertdes filets que laraigne fera?
Que le rouil mangera les haches émoulues,
Que les hant^ seront des lances vermoulues?
Que le son des clairons ne rompra nuict ne iour 65
Du pasteur en repos le paisible seiour?
Viendra iamais le temps que les amours iolies
51 sqq. Cf. Lucrèce, IV, 11-17.
55sqq.Cf. II, 1137 sqq.
61-62. Cf. DuBartas:
Puissé-je voir le doigt de l'araigne empesché
A fder dans le creux d'un casque empennaché.
(2e Semaine. Les Furies.)
62. Laraigne. (Sic.)
— 130 —
Et les Muses ie voye en France racueillies,
Sans que de la discorde on parle désormais ?
Viendra iamais le iour que retourne la paix? 70
La main pleine despics auec l'Oliuier palle,
La corne d'Amaltee et qu'ici liberalle
Abondante elle semé vne moisson de bien
Qui remette la France en son heur ancien ?
Que derechef encor les Bouffons on reuoye, 75
Masquez et déguisez, se brauer par la voye,
Et laissant leurs vieux ieux, à la façon du temps
Des Grecs et des Romains, iouer leur passetemps?
Or aux Grecs vint ainsi la vieille Comédie,
Non sans grande louange outrageuse et hardie : 80
Quand en vice tomba cette grand'liberté,
Qui de tout blasonner prenoit authorité:
Et par Edict exprès elle fut reformée,
Ce qui fut bien receu la vieille estant blamee :
Et le Chore deslors s'en teut honteusement, 85
Et de piquer ne fut permis aucunement.
Ainsi dedans Paris i'ay veu par les collèges,
Les sacrilèges estre appelez sacrilèges
Es Ieux qui se faisoient, en nommant franchement
Ceux qui de la grandeur vsoient indignement, 90
71. Despics. (Sic.)
72. Amalthée, chèvre qui avait nourri Jupiter. Une de ses cornes,
remplie de fruits par les nymphes, fut prise pour symbole de l'abon-
dance.
79 sqq. Cf. Hor., Ep. aux P., 281-284. Boileau, Artpoét., III, 335
sqq.
87 sqq. Il s'agit ici des pièces satiriques que jouaient les Enfanls
sans Souci et les clercs de la Basoche.
— 131 —
Et par son nom encor appeler toute chose : "
Médire et brocarder de plus en plus on ose.
Alors vous eussiez veu les paroles d'vn saut,
Gomme balles bondir, voilant de bas en haut.
Mais cette liberté depuis estant retrainte, 95
Mile gentils esprits sentant leur ame attainte
De la diuinité d'Apolon, ont remis
Le soulier du Gomicque aux limites permis :
Fuyant d'Aristophane en médisant la faute,
Et prenant la façon de Terence et de Plaute, îoo
•'ils ont en leurs Moraux d'vn air assez heureux,
De Menandre meslé mile mots amoureux :
Mais les Italiens exercez d'auantage,
En ce genre eussent eu le Laurier en partage,
Sans que nos vers plaisants nous représentent
[mieux 105
Que leur prose ne fait cet argument ioyeux :
Greuin nous le tesmoigne : et cette Reconnue
Qui des mains de Belleau n'agueres est venue :
Et mile autres beaus vers, dont le braue farceur
95. Retrainte. Par les arrêts du Parlement.
101. Moraux. C'est ici la comédie morale. Ailleurs, c'est la
satire. Cf. :
En liberté j'escri des Moraux en ce livre.
(Sat. fr. I. 1).
107. Jaccpie Grévin, outre sa tragédie la Mort de Ce'sar, avait
laissé deux comédies, la Trésorière ou Maubertine (1558), imitation
déguisée d'Eugène, et les Esbahis composés d'après le Sacrifice de
Ch. Etienne— La Reconnue est une œuvre posthume de Rémi Belleau ;
celte comédie est écrite d'un style lâche et faible, mais non sans
naturel et sans grâce; elle renferme d'ailleurs d'agréables peintures
de mœurs.
— 132 —
Chasteau-vieux, a monstre quelque fois la douceur. no
Premier la Comédie aura son beau Proëme,
Et puis trois autres parts qui suiuront tout de mesme.
La première sera comme vn court argument :
Qui raconte à demi le suiet breuement,
Retient le reste à dire, afin que suspendue us
Soit l'aine de chacun par la chose attendue.
La seconde sera comme vn Enu'lopement,
Vn trouble-feste, un brouil de l'entier argument :
De sorte qu'on ne sçait qu'elle en sera l'issue,
Qui tout'autre sera qu'on ne l'auoit conceue. 120
La dernière se fait comme vn Renuersement,
Qui le tout débrouillant fera voir clairement
Que chacun est content par vne fin heureuse,
Plaisante d'autant plus qu'elle estoit dangereuse :
Des ieunes on y void les faits licencieux, 125
Les ruses des putains, l'auarice des vieux.
Elle eut commencement entre le populaire,
Duquel l'Athénien bailla le formulaire :
Car n'ayant point encor basti sa grand'Gité,
110 Chasteau- Vieux. V. la note du v. I, 751.
111 sqq. Cf. Aristote. Poét. chap. xvi et xvn.
119. Qu'elle. {Sic.)
124. Mauvaise construction. Le sens est d'ailleurs clair : d'autant
plus agréable que le danger des personnages avait été' plus grand.
Nous avons déjà vu cette idée dans Vauqueli.i.
129 sqq. Cf. Discours sur la Satyre : « Devant que les Athéniens
eussent basti leur cité, ils faisoient leur demeure en des tentes et
pavillons, ils habitoient aux champs en des bordes et cabanes, et
devant que sacrifier à leur Apolon Nomien, Dieu des pasteurs et
bergers, ils s'assembloient en grandes compagnies et grandes as-
semblées, et buvant et rnengeant tous ensemble, ils faisoient grand'
— 133 —
En des bordes ce peuple estoit exercité : 130
Marcher comme champestre, et parles belles plaines,
Auprès des grands forests, des prez et des fontaines,
Tantost il s'arrestoit, tantost en autre lieu :
Il faisoit cependant sacrifice à son Dieu
Apolon Nomien : en grandes assemblées, 135
Faisant tous à l'enui des chères redoublées,
Buuants, mengeants ensemble, ensemble aussi
[chantant,
Ils apeloient cela Gomos, qui vaut autant
Que commune assemblée, et de leurs mariages,
De leurs libres chansons et de leurs festiages, no
Qu'ils faisoient en commun, ce fist en fin le nom
De Comédie, ayant iusqu'ici son renom.
La Comédie est donc vne Contrefais ance
D'vn fait qu'on tient meschant par la commune vsance
Mait> non pas si meschant, qu'à sa meschanceté 145
Vn remède ne puisse estre bien aporté :
chère, ils faisoient mille jeux, passoient le temps à divers plaisirs
et chantoient une infinité de vers, toutefois goffes et mal faits :
lesquels ils appeloient Comédie, de Comos, ou Comoï qui signifie
en Grec, Assemblée ou Mengerie publique : comme qui diroit,
Chanson d'Assemblée et de grand'chere.»
130. Le sens exige la suppression des deuxpoints.
143 sqq. Cf. Aristote., Poét., chap v. — Discours sur la Satyre :
« La comédie est fondée sur faits tout vitieux, mais non de telle
sorte que le vice ne s'en puisse bien amender et reparer : Et tout
ainsi qu'en l'une (la tragédie) ne sont introduits que Roys et Princes
bien nourris et bien apris, aussi en l'autre ne se voient que des per-
sonnages vulgaires et de moyenne condition, qui, pour avoir débau-
ché et suborné une fille ne font cas de l'épouser pour couvrir leur
faute et éviter la punition du péché : et tousjours firent en noces
ou autre contentement cette Comédie. »
_ — 134 —
Comme quand vn garçon, vne fille a raiiie,
On peut en l'espousant luy racheter la vie.
Telle dire on pourrait la mocquable laideur
D'vn visage qui fait rire son regardeur : 150
Car estre contrefait, auoir la bouche torte,
C'est vn défaut sans mal pour celuy qui le porte.
Mais le suiet Tragic est vn faiï imité
De chose iuste et graue, en ses vers limité :
Auquel on y doit voir de l'affreux, du terrible, 155
Vn fait non attendu, qui tienne de l'horrible,
Du pitoyable aussi, le cœur attendrissant
D'vn Tigre furieux, d'vn Lion rugissant:
Comme quand Rodomont abusé par cautelle,
Meurtrit se repentant la pudique Isabelle. 160
Ou comme quand Crëon, aux siens trop inhumain,
Yit sa femme et son fils s'occire de leur main.
On fait la Comédie aussi double, de sorte
Qu'auecques le Tragic le Comic se raporte.
^147. C'est la donnée commune de plusieurs comédies latines.
153 sqq. Cf. Aristote, Poét., chap. vi.
159. Rodomont, roi d'Alger, personnage créé par le Boiardo et
repris par l'Arioste.
160. Isabelle, fille du roi de Galice, après avoir vu périr son amant
Zerbin, est aimée par Rodomont, qui veut lui ravir l'honneur. Elle
lui fait prendre patience en préparant, avec des plantes aromati-
ques,un baindonteiîe lui fait croire quelavertule rendra invulnéra-
ble. La jeune fille se plonge dans l'eau, puis invite Rodomont à en
éprouver l'effet sur elle-même. Le prince saisit son épée, et d'un
seul coup, lui fait volerlatôte.(Arioste, Roland furieux, chant xxix.)
161, -162. Cf. Antigone de Sophocle. La pièce avait été traduite
par 3aïf avec une grande convenance de style.
iùi sqq. Cf. Disc, sur la Satyre : « Les Tragédies sont toutes fon- f
dees sur laits tous vertueux et pitoyables, et bien qu'elles soient à
— 135 —
1 Quand il y a du meurtre et qu'on voit toutefois, 165
j Qu'à la fin sont contens les plus grands et les Rois,
Quand du graue et du bas le parler on mendie,
On abuse du nom de Tragecomedie ;
Car on peut bien encor par vn succez heureux,
| Finir la Tragédie en ébats amoureux : 170
Telle estoit d'Euripide et l'Ion et l'Oreste,
L'Iphiginie, Hélène et la fldelle Alceste.
Tasso par son Aminte aux bois fait voir d'ailleurs
Que ces contes Tragics ainsi sont des meilleurs.
Au Poëme Tragic se raporte et réfère 175
; Yne Iliade en soy. Le Margite d'Homère
Respondoit au Gomic, ou des hommes moyens,
(Gomme des plus grands Rois) des humbles citoyens,
Se voyoit la nature et la façon bourgeoise,
Gomme Héroïque escrite, en sa langue Grégeoise. 180
[ Le Tragic ne montroit que des faits vertueux,
Magnifiques et grands, Royaux et somptueux:
Le Gomic que des faits, qui tous dignes de blâme,
Ne rendroient pas pourtant le bon Margite infâme.
leurs entrées quelquefois pleines d'allégresse, toutefois à la fin
elles sont toutes douloureuses : sinon celles d'Euripide, qui finis-
sent en joye et contentement comme l' Alceste, l'Ifigenie, l'Ion. »
172. Vauquelin aurait pu citer, comme exemple de tragi-comédie
française, la Bradamante de Garnier (1580). •
173. UAminte est un drame pastoral.
175 sqq. Cf. Aristote, Poét., iv, 2.
176. Le Margitès est un ancien poème satirique grec attribué
"par Aristote à Homère. Le héros en était un sot orgueilleux.
• 180. Comme Héroïque escrite. C'est-à-dire écrite avec le mètre
et les formes majestueuses du poème héroïque.
Ï5
— 136 —
Las 1 le temps deuorant Margite a deuoré, 185
Et le nom seulement nous en est demeuré.
Depuis nul autheur Grec, ni Romain, ni vulgaire,
De Poëme pareil n'ont entrepris de faire.
Mais rien n'est si plaisant si patic ne si dous,
Que la Reconnoissance, au sentiment de tous ! 190
Vlysse fut connu par vne cicatrice
Qu'en luy lauant les pieds remarqua sa nourrice.
Par ioyaux, par vn merc, qui sur nous aparoist,
Et par cent tels moyens, les siens on reconnoist.
Puis qu'est il est rien plus beau qu'vne aigreur
[adoucie 195
Par le contraire euent de la Péripétie?
Polinisse croyoit la mort d'Ariodant,
Espérant voir ietter dans vn brasier ardant
191. Cf. Odyssée, XIX, 386 sqq.
194. Dans les comédies grecques et latines, les enlèvements, et, ]
par suite, les reconnaissances, tiennent une grande place. On les
retrouve chez nous, malgré leur peu de convenance avec notre
état social, jusque dans Molière, qui en use volontiers pour ses
dénouements. Cf. les Fourberies de Scapin,Y Avare, etc. — Le cha-
pitre xvi de la Poétique d'Aristote est consacré aux quatre espèces
de reconnaissances.
195. Qiïest-il rien plus beau? Mélange de deux constructions:!
Est-il rien de plus beau ? et : Qu' est-il de plus beau ?
195 sqq. Cf. Aristotc,. Poét. ch. x. Boileau, Art. poét., 111,553
sqq. j
197 sqq. Personnages du Roland furieux. Polinesse, duc d'Al-s
banie. Ariodant, chevalier italien, amoureux de Genèvre. Genèvre, j
fille du roi d'Ecosse, est aimée de Polinesse, mais aime Ariodant.]
Polinesse fait prendre les habits de Genèvre à Dalinde, qui, dui
haut d'un balcon, jette au traître une échelle de soie. Alors il va 1
trouver Ariodant, et prétend devant lui que Genèvre est sa maî-
tresse. Renaud découvre enfin la perfidie du duc dAlbanie, et le
tue en duel. (Roland furieux, chant v.)
— 137 -
L'innocente Geneure, alors que misérable
Au contraire il se voici mourir comme coupable. 200
Léon de Bradamante ayant esté vainqueur
Par Roger inconnu, son amour et son cœur,
Par la loy du combat de Charles ordonnée
Elle deuoit au Grec épouse estre donnée :
Mais elle ne pouuant en son ame loger 205
Vn autre amour égal à celuy de Roger,
Plustost que de le prendre elle se veut défère ;
Son Roger d'autre part de mourir délibère.
Par vn euent diuers il avient autrement :
Roger est reconnu pour auoir feintement 210
Combattu soubs le nom du Prince de la Grèce,
Soubs ce masque vaincu soymesme et sa maistresse :
Desia toute la Court de l'Empereur Latin,
La donne bien conquise au fils de Constantin:
Quand Léon le voyant estre Roger de Rise 215
De sa vaine poursuite abandonne la prise,
Luy quitte Bradamante, et courtois généreux,
Aide à conioindre encor ce beau couple amoureux:
Ainsi sont ioints ensemble et la reconnoissance,
Et le contraire euent qui luy donne accroissance. 220
L'Heroic, le Tragic, vse indiferemment
Auecques le Comic, de ce dous changement.
Tu ne dois pas laisser, ô Poëte, en arrière
Croupir seule es forests la Muse Forestière :
201 sqq. Dans ces vers, Vauqiielin résume les derniers chants
de l'Arioste. C'est le sujet de la Bradamante de Garnier.
— 138 —
Mais tu la dois du croc dépendre, et racoutrer 225
Son enche et son bourdon, et pastre luy montrer
Comme Pan le premier soufla la Chalemie,
Goniointe des roseaus de Syringue s'amie,
Qu'Apolon ensuiuit, quand sur le bord des eaux, 230
D'Admete en Thessalie il gardoit les troupeaux :
227 sqq. Le dieu Pan poursuivait Syrinx, nymphe d'Arcadie;
elle s'enfuit vers le fleuve Ladon, son père, dans les eaux duquel
elle se jeta. Pan la métamorphosa en roseau, et c'est avec ce ro-
seau qu'il fit la Syrinx.Y. Virg. Bucoliq., Il, 32. Ovide, Métamorph,
— Cf. Vauquelin, Idyllie 66 du livre II. (Cette pièce fut composée
par le poète en un moment où il pensait faire réimprimer ses
Foresteries.) :
Imitons aux forests de Pan les Chalemies,
Reveillons après luy les Forests endormies :
Pan le premier joignit, sous l'ombre des ormeaux,
De cire ensèmblement les premiers chalumeaux.
Pan, des roseaux sortis de Syringue la belle, etc.
Depuis en Syracuse, un pasteur tant osa
Qu'à l'exemple de luy, la flûte composa...
Mais mourant sa Musette à Corydon laissa.
Corydon Mantouan qui depuis la haussa...
Longtemps après qu'il eut quitté l'humble Musette,
Pour faire retentir la superbe trompette,
Cette Musette vint aux mains d'un jouvenceau...
(Qui) du fond d'Arcadie aux rivages connus
De Sebete tira les Satyres cornus.
Or, depuis lors d'aucun cette Musette enflée,
Au moins que j'eusse vu, n'avoit été souflee, •
Quand, jeune bergerot, une audace je pris
De racoutrer son enche en mes ans moins apris, etc.
Cf. encore :
Je luy disais la seigneurie
Qu'a Pan sur toute bergerie,
Et comme joignant des tuyaux
D'aveine, il fit des chalumeaux :
Comme des roseaux de s'amie
Il fist premier la Chalemie.
{Idyllie, II, 41.)
— 139 —
Apres vn Berger Grec es champs de Syracuse,
A l'égal de ces Dieux enfla la Cornemuse.
Sur le Tybre Romain Tytire dudepuis
Les imitant, sonna la flûte à sept pertuis :
Long temps après encor reprist cette Musette, 235
Vn Berger sur les bords du peu coEnu Sebethe :
Et ce flageol estoit resté Napolitain,
Quand, pasteur, des premiers sur les riues du Glain
Hardi ie l'embouchay, frayant parmi la France,
Ce chemin inconnu pour la rude ignorance : 240
le ne m'en repen point, plustost ie suis ioyeux
Que maint autre depuis ait bien sçeu faire mieux.
Mais plusieurs toutefois, nos forests epandues,
Ont sans m'en faire hommage effrontément tondues
Et mesprisant mon nom ils ont rendu plus beaux 245
Leurs ombres decouuers de mes fueillus rameaux.
232. Un Berger Grec. Théocrite.
233. Tytire, Nom sous lequel Virgile s'est lui-même représenté.
(Bucoliq. Ire.)
236. Un Berger. Sannaz ar(l 458-1530) , auteur de YArcadia, recueil de
douze scènes pastorales, dont chacune commence par un petit récit en
prose et se termine par ime églogue envers. — Le Sebethe, petite ri-
vière qui prend sa source au nord du Vésuve et se jette dans la
baie de Naples. Cf. : « Pour orner les rives de mon Orne... j'ay
cueilli les plus mignardes fleurettes desquelles la Nimphe Are-
thuse ait point illustré la Sicille : et de celles dont le Mince enflé
borde ordinairement les bords : et dont le petit Sebethe a lemieux
empeinturé les prairies Napolitaines. »
(Pre'f. des Foresteries.)
238. DuClain. Cf. la note du vers I, 926.
239. Allusion aux Foresteries.
242. Le premier recueil de Vauquelin remonte à 1555.
245. Les Foresteries n'avaient pas eu de succès.
— 140 —
Baïf et Tahureau, tous en mesmes années,
Auions par les forests ces Muses pourmenees :
Belleau, qui vint après, nostre langage estant
Plus abondant et dous, la nature imitant, 250
Egalla tous Bergers, toutefois dire i'ose
Que des premiers aux vers i'auoy meslé la prose :
Or' Pibrac et Binet pasteurs iudicieux,
Font la champestre vie estre agréable aux Dieux.
Tu peux encore faire vne sorte d'ouurage 255
Qu'on peut nommer forest ou naturel bocage;
Quand on fait sur le cham, en plaisir, en fureur
Vn vers qui de la Muse est vn Auancoureur,
Et que pour vn suiet on court par la carrière,
Sans bride gallopant sur la mesme matière, 260
Poussé de la chaleur, qu'on suit à l'abandon,
247. Baïf a laissé dix-neuf égloguos. — Tahureau, né au Mans
en 1527, mort à 28 ans. Il a été surnommé le Parny du xvie siècle.
On a de lui '.Recueil de ses premières poe'sies, dédié au cardinal de
Guise, où il célèbre les exploits des capitaines du temps ; Sonnets,
odes et mignardises de l'Admirée, en l'honneur d'une jeune fille de
Tours, qu'il épousa deux ans avant sa mort. Vauquelin lui a dé- j
dié la troisième Foresterie du livre Ier. Il a fait aussi une épitaphe
pour son tombeau.
249. Rémi Belleau publia la première journée de sa Bergerie en; I
1565, et la seconde en 1572; on trouve dans ces deux recueils un
sentiment sincère de la nature qu'il sait peindre avec beaucoup de
délicatesse et de grâce. — Vauquelin a composé une épitaphe en 3
l'honneur de Belleau.
252. La prose. A l'imitation de Sannazar. V. la note du vers 236.
Cf. la Foresterie IX du IIe livre.
253. Guy du Faur de Pibrac, l'auteur des quatrains moraux,!
avait aussi écrit un poème élégamment versifié sur la Vie rus-ë
tique. — Claude Binet avait composé une églogue sur la mort de
Ronsard, dont il donna la biographie, un Chant Forestier et un
poème intitulé les Plaisirs de la vie rustique et solitaire.
255 sqq. Il s'agit ici devers improvisés, de poèmes de circonstance.
— 141 —
D'vne grand' violence et d'vn aspre randon.
Stace fut le premier en la langue Romaine,
Qui courut librement par cette large plaine.
Comme dans les forests les arbres soustenus 265
Sur leurs pieds naturels, sans art ainsi venus,
Leur perruque iamais n'ayant esté coupée,
Sont quelquefois plus beaus qu'vne taille serpee:
Aussi cette façon en beauté passera
Souuent vn autre vers qui plus limé sera. 270
Les François n'ont encor cette façon tentée
Si Ronsard ne l'a point au Bocage chantée :
En mon âge premier chanter ie la pensoy,
Quand ma Foresterie enfant ie commençoy.
Si puis après on veut la toile ourdir et tistre, 275
Du vers sentencieux de l'enseignante Epistre,
Le vray fil de la trame Horace baillera,
Libre, graue, ioyeux à qui trauaillera,
Et tu verras chez luy qu'aux Satyres il tache
Arracher de nos cœurs les vices qu'il attache : 280
263-264. Dans ses Silves.
265. Comparaison tirée du nom même des Silves (forêts).
272. Le Bocage royal renferme des pièces de circonstance : de-
venu poète de cour, Ronsard y célèbre Charles IX, Henri III,
Catherine de Médicis, sous les noms de Carlin, Henriot, Catin.
273. Vauquelin publia ses Foresteries à dix-huit ans.
279 sqq. Cf. Discours sur la Satyre : «C'est une chose aussi que
j'ay notée, qu'il n'y a pas grande différence entre les Epistres et
les Satyres d'Horace fors que volontiers il escrit ses Epistres à
gents absents et à personnes elongnees; et qu'il semble qu'en ses
Satyres son intention ait este d'arracher le vice du cœur des hommes,
d'en desfricher et déraciner les mauvaises herbes : pour en ses
Epistres y planter au lieu les vertus et y enter et greffer des fruits
d'un bon ordre.»
— 142 —
Et que tout au contraire aux Epistres il veut
Mettre et planter en nous toutes vertus s'il peut.
Vne Epistre s'escrit aux personnes absentes,
La Satyre se dit aux personnes présentes
Sans grande différence : et pourroient proprement 285
Sous le nom de Sermons se ranger aisément.
Imite dans les Grecs l'Epigramme petite,
Marque de Martial, trop lascif, le mérite :
Sur tout breue, r' entrante et subtile elle soit:
De Poëme le nom trop longue elle reçoit : 290
Elle sent l'Heroic, et tient du Satyrique;
Toute graue et moqueuse elle enseigne et si pique.
L'Epigramme n'estant qu'vn propos racourci,
Gomme vne inscription, courte on l'escrit aussi.
Les Huictains, les Dixains, de Marotles Estreines,295
T'y pourront bien seruir comme adresses certaines,
286. Cf. II, 748 sqq.
289. Cf. Vauquelin :
Mon grand Duc, une belle ame
Toujours court fait l'Epigrame :
Car qui trop long le fer oit
Un Poëme ce seroit. (Recueil des Epigrame s.)
293-294. Cf. Boileau, Art poét., II, 103, 104. — Cf. Vauquelin :
L'Epigramme n'estant qu'un propos racourci,
Comme un court Ecriteau, court on l'escrit aussi :
Elle sent l'Héroïque et tient du Satyrique :
Toute grave et moqueuse, elle enseigne et s'y pique.
(Recueil des Epigr.)
295. Huictains. — Le huitain est un poème de huit vers octosyl-
labes ou décasyllabes, dans lesquels les rimes sont disposées de la
façon suivante : ABABBCBC.
Dixains. — Le dizain est un poème de dix vers octosyllabes ou
plus souvent décasyllabes ; les rimes y affectent Tordre suivant :
ABABBCCDGD. — Estreines. Ce sont de petites poésies, généra-
— 143 —
Et les vers raportez, qui sous bien peu de mots,
Enferment brusquement le suc d'vn grand propos.
L'Epicede se chante auant que l'on enterre
Le corps du trespassé. Quand la voûte l'enserre, 300
L'Epitaphe se met sur le Tombeau graué,
Ou bien dans vn Tableau dignement eleué.
Quand en vers l'Epitaphe on fait en Epigramme,
Mis contre vne coulonne en Guyure en quelque lame,
Celuy pour le meilleur on doit tousiours tenir, 305
lement élogieuses, renfermant dans leur cadre étroit quelque pen-
sée gracieuse ou quelque saillie piquante.
297. Vers raportez. Ce sont des vers composés de parties sem-
blables, dans chacune desquelles entrent des mots qui se rapportent
non pas aux mots voisins, mais à ceux qui sont placés semblable-
ment dans les autres parties de la phrase. Voici un sonnet en vers
rapportés que cite Pasquier dans ses Recherches de la France,
(nv. VII, chap. xv); il est pris dans Y Olive de du Bellay :
Face le ciel quand il voudra revivre
Lisippe, Apelle, Homère, qui le pris
Ont emporté sur tous humains esprits,
En la statue, au tableau et au livre :
Pour engravcr, tirer, escrire, en cuivre,
Peinture, et vers, ce qu'en vous est compris ;
Si ne sçauroit leur ouvrage entrepris,
Cizeau, pinceau, ou la plume bien suivre.
Voila pourquoy ne faut que je souhaite,
De l'engraveur, du peintre, et du Poëte,
Marteau, couleur, ou ancre, ma maistresse.
L'art peut errer, la main faut, l'œil s'escarte,
De vos beautez mon cœur soit donc sans cesse,
Le marbre seul, et la table, et la charte.
303-sqq. Cf. Vauquelin :
Le meilleur Epitaphe on doit tousjours tenir
Qu'on peut mesme en courant et lire et retenir.
{Recueil des Epitaphes.)
305, 306. Cf. Properce :
Hic carmen média dignum me scribe columna,
Sed brève, quodcurrensvectoraburbe légat.
{Elég, vu, 83,84.)
15.
— 144 —
Qu'on peut mesme en courant et lire et retenir.
Or si d'vn plus beau feu ton ame est échauffée
Pour des Hymnes chanter : suy les restes d'Orphée
Homère et Gallimach : et suy ce Bisantin
Marule, et Glaudian les chantans en Latin : 310
Note pareillement la généreuse audace
De Ronsard, qui les vieux en ce beau genre passe :
Et le iugement grave et la facilité
Du sçauant Pelletier en son antiquité :
Et si tu ne veux point vser de noms estranges, 315
Donne leur, comme luy, le beau nom de louanges.
Ou si tu veux, plus sage, imite de Sion
Le Prophète Royal sur le Psalterion.
A dire il reste encor que Poëmes se prennent,
Pourun suiet petit que peu de vers comprennent : 320
Gomme qui descriroit le superbe pauois
308. Orphée, poète mythique de la Grèce; on a sous son nom
des hymnes composés sans doute par des poètes de l'école d'A-
lexandrie.
309. Callimach.' Callimaque, poète de la période Alexandrine,
dont il nous reste six hymnes.
309-310. Marulle (V. la note du vers 11,855) était né à Constan-
tinople.
312. Les hymnes de Ronsard pèchent souvent par la du-
reté et l'emphase ; mais beaucoup, sans mériter cet éloge de
Vauquelin, sont pleines de grandeur et animées d'un souffle puis-
sant.
314. Pelletier fut un des précurseurs de la Pléiade ; nous avons
étudié son Art Poétique plus haut. (V. notre Notice.) Il avait
reçu dans la société de Marguerite de Navarre le surnom de Docte.
Son recueil de Louanges parut en 1581.
316. Louanges. V. la note précédente.
318. C'est ce que firent, au xvie siècle, Marot, Baïf, Desportes,
Bertaut, etc.
— 145 —
Ou du Troyen Mnee ou d'Achile Grégeois,
Et dessus tout au long de leur race future,
Et du temps auenir la diuerse auenture :
Ou l'amour d'Angélique et du soldat Medor: 325
La fureur de Roland, de Rodomont encor,
Qui d'vne Poésie estant vn petit membre,
Qu'en peu de vers à part de son corps on démembre.
Les Cartels de deffy, qu'on présente aux tournois,
Des Poëmes ce sont pour le plaisir des Rois, 330
Et qui seruent aussi de nui et aux Mommeries
Soubs le masque muet : mesme aux bouffonneries
Que sans despence on fait. Mais les Italiens
322. Cf. Iliade,xvm ;Enéide, vin ; le Bouclier cl 'Hercule, d'Hésiode.
325. Angélique et Medor. Angélique, reine de Cathay dans les
Indes, après les aventures les plus romanesques, finit par épouser
un jeune Sarrasin, nommé Médor, qu'elle avait trouvé sur sa route
presque expirant et dont elle s'était éprise .
326. Roland. Le héros du poème de l'Arioste. — Rodomont. V.
la note du vers III, 159.
327-328. Construction incorrecte.
329 sqq. V. les Cartels de Ronsard et ses Mascarades. Cf. le
sonnet suivant du même :
Mascarade et Cartel ont prins leur nourriture,
L'un des Italiens, l'autre des vieux François,
Qui erroient tous armez par déserts et par bois,
Accompagnez d'un nain, cerchant leur aventure.
L'honneur, des nobles cœurs généreuse poincture,
Les faisoit par cartels desfier aux tournois
(Ou nuds en un duel, ou armez du pavois)
Ceux qui forçoient les loix, le peuple et la droicture.
L'accord italien, quand il ne veut bastir,
Un théâtre pompeux, un cousteux repentir,
La longue tragédie en Mascarade change.
Il en est l'inventeur : nous suyvons sesleçons,
Comme ses vestemens, ses mœurs et ses façons,
Tant l'ardeur des François aime la chose estrange.
{Recueil des Mascarades.)
— 146 —
Faisant représenter à leurs Comédiens,
(Soit Tragic, ou Gomic) vn fait soubs la parade 335
De la non coutageuse et braue Mascarade,
Nous ont laissé ce nom, prenant l'effect de nous.
C'est pourquoy nous suiuons leurs mascarades tous,
Ou soit que d'un ballet la feste on solennise,
Ou soil qu'en vn Tournoy se face vne Entreprise 340
Couuerte d'vn beau corps et d'un mot généreux,
Qui montre d'vn amant le dessein amoureux :
Comme a fait du Bellay, quand il fait d'Hibernie
Venir de Cheualiers vne grand' compagnie,
Qui portent à la Iouste vne Entreprise, afin 345
Qu'on conneust ie dessein du gentil Roy-Dauphin.
Nos Poètes vrayment, pleins de haute pensée,
N'ont point, sans la tenter, chose aucune laissée:
Et n'ont pas mérité peu de gloire et d'honneur,
D'auoir laissé du Grec et du Romain sonneur 350
Le vieux chemin batu, faisant chanter la gloire
De leurs gestes priuez aux filles de Mémoire.
Et ne seroient point plus les François trauaillans,
En Iustice, en proësse, en fait d'armes vaillans,
Qu'à bien dire ils seroient, si plus soigneux la lime 355
Le Poëte employoit à bien polir sa Rime :
336. Coutageuse (sic).
340. Face (sic).
343 sqq. V. l'Entreprise du Roy Dauphin pour le tournoy soubz
le nomde Chevaliers avantureux. Paris, 1558.
347. Cf. Hor., Ep. aux P., 285-294.
352 Cf. la Notice, partie II, chap n.
354. Fait (sic).
— 147 —
Et si tant à l'enui ne fais oient voir au iour
Leurs Sonnets enfantez, plustostque leur amour,
Sans prendre le loisir de penser qu'vn bon Astre,
Regarde le Poëte et non le Poëtastre : 360
Vn secret est aux vers que ie ne diray point :
On le gouste, on lèsent, son eguillon nous poind,
Quand nous oyons sa voix qui nous frappe l'oreille :
Et mesme l'ignorant admire sa merueille.
Tous, ô vray sang Gaulois, reprenez et blâmez 365
Les vers qui ne sont pas assez veus et limez,
Assez bien repolis, dont la Rime tracée
N'a plusieurs fois esté refaite et r'effacee :
Et par plus de dix fois corrigez vous si bien
Qu'à la perfection il ne manque plus rien. 370
D'autant que Democrite aimoit plus vne veine,
Coulante naturelle en son grauois sans peine,
Que l'art trop misérable ou l'on mordoit cent fois,
Deuant que faire vn vers, ses ongles et ses doigts :
Qu'il banissoit encor d'Helicon et Parnasse, 375
Celuy qui tous les vers par le seul Art compassé,
La Nature estimant plus heureuse que l'Art,
Pour ce maints on voyoit, qui faisoient bien à tard
Rongnerleur poil hideux, leurs ongles pleins d'ordure,
Pensant par ce moyen figurer la Nature : 380
Comme encor on en voit qui vestus simplement,
Solitaires ne vont ou sont communément
365 sqq. Cf. Boileau, Art poét., I, 171-174.
371 sqq. Cf. Hor., Ep. aux P., 295-301.
— 148 —
Les gens en compagnie, estimant fantastique,
Yn homme estre agité de fureur Poétique,
Et remporter ie nom de Poëte parfait, 385
Si iamais au Barbier son poil raire ne fait :
Pour garir ce catarre vn monde d'Elebore
D'Anticire aporté ne sufiiroit encore.
Mais moy n'estant Poëte, vne Queux ie seray,
Qui le fer des esprits plus durs aiguiseray : 390
Car bien que la Queux soit à couper inutile,
Elle rend bien coupant tout l'acier qu'elle affile.
Ainsi n'escriuant point, ie diray le deuoir
Du Poëte et comment il peut des biens auoir,
Et ce qui peut encor le tenir à son aise, 395
Le dresser et conduire en chose qui luy plaise ;
Ce qui conuient le mieux ; et ce qui point ne duit,
Ou la vertu nous meine, ou l'erreur nous conduit.
Et ie seray celuy qui porte vne lumière
La nuict pour éclairer à ceux qui vont derrière. " 400
Son flambeau seulement flambera pour autruy :
Fort peu, quoy que ce soit, il flambera pour luy.
Le sage et saint sçauoir est la fontaine claire,
Et le commencement d'escrire et de bien faire :
Chose que te pourront montrer les hauts escris 405
383-384. Construction embarrassée ; le sens est d'ailleurs clair.
388. Anticire. Ville de Phocide sur le golfe de Corinthe.
389 sqq. Cf.Hor., Ep. aux P., 304-308. Boileau, Artpoét. IV, 236.
402. Quoy que ce soit. Latinisme.
403. Cf. Hor., Ep. aux P., 309-311.
405. Chose. Le rem du vers d'Horace veut dire le fond, par
opposition à la forme.
— 149 —
De Socrate et Platon ou tous biens sont compris,
Et mieux nos liures saints, dont la sainte science
Allume vn ray diuin en nostre conscience :
Qui nous fait voir le vray, qui du faux est caché ;
Et le bien qui du mal est souuent empesché : 410
Puis les choses suiuronl doctement préparées
Les paroles après non à force tirées :
Quand seront amassez ensemble tels aprets:
Aisément tout dessein tu conduiras après.
Le parler le sçauoir de telle Poésie 415
(Qui n'entrera iamais qu'en belle fantaisie)
N'est point comme vn graueur qui fait sans sentiment
Vn Satyre qu'il met sous vn soubassement :
Ou bien qui taillera de ces images riches
Que muettes on met aux Palais dans les niches : 420
Car il veut rendre vn cœur actif eguillonné
Aux exploits généreux, bien qu'il n'y fust pas né :
Il donne des eslans, qui poussent les personnes
A faire vertueux tousiours des œuures bonnes,
Et sous vn plaisant voile, il va cachant souuent 425
Des choses auenir vn admirable euent.
407 sqq. Cf. Du Bartas :
L'Arche contenoit beaucoup plus de sagesse
En deux pierreux tableaux, que la subtile Grèce
Et le peuple romain n'en ont jamais compris
Dedans infinité de leurs doctes escrits.
(Judith, ch, I.)
411-412. Construction équivoque. Le sujet est les paroles et
le régime les choses. — Cf. Boileau, A) -tpoe't., I, 151-154.
421. Il représente le poète, sujet qu'il faut tirer du mot Poésie
au vers 415.
— 150 —
Mais comme tu vois bien que tousiours verdoyantes
Les foresls ne sont pas, ni les eaux ondoyantes :
Et que iusques aux bords Orne et Seine tousiours
N'emplissent regorgeant les riues de leurs cours : 430
Aussi foible est parfois la veine Poétique,
Et langoureuse encor s'estend melencolique,
De sorte qu'on voit bien qu'Apolon dépité
N'a pas de son esprit, cet esprit agité :
Et que les doctes sœurs et des Grâces la suite 435
Ont ailleurs loin de luy, pour l'heure pris la fuite
Lors il faut retourner à la saincte liqueur
Du beau mont dont Phœbus nous échauffe le cœur :
Et la se reposer mesme à l'heure d'étendre
La corde lentement, pour ses forces reprendre : 440
On rendrait son esprit tout morne et rebouché,
Qui le tiendrait tousiours au labeur attaché.
Il faut espier l'heure, attendre qu'à la porte
Frape le Delien, qui la matière aporte :
Lors doucement les vers de leur gré couleront, 445
Et dans l'œuure auancé d'eux mesme parleront,
Sans forcer violent les Vierges Tespiennes,
Versant contre leur gré leurs eaux Pegasiennes.
427 sqq. Cf. Vida, Art poét. Il, 410.
434. Agité. Cf. Virgile :
Mens agitât molem. (Enéide, vi, 727.)
439. D'étendre. Faute d'impression, pour détendre. Cf. Horace :
. . Quondam cithara tacentem
Suscitât musam, neque semper arcum .
Tendit Apollo. {Odes, II, x, 18.)
447. Tespiesnnes. V. la note du vers II, 38.
— 151 —
Dans vn bocage ombreux, les Rosignots plaisans
Vont d'vn si grand courage à l'enui degoisans, 450
Que souuent en chantant, la puissance débile
Défaut plustost au corps que la chanson gentille:
Ainsi beaucoup sont tant des Muses amoureux :
Que par trop detrauaux leurs corps sont langoureux:
Et tandis qu'en sçauoir leur sçauoir chacun domte, 455
Leur peine surmontée eux mesme les surmonte.
Pour ce gardez vos corps ; versant modérément
De bonne huyle en la lampe, on void plus clairement,
Celuy qui bien preuoit, bien ordonne et commence,
En n'allant que le pas souuent le plus auance. 460
449 sqq. Cf. dans Du Bartas le duel de deux Rossignols, lre.
Semaine, 5e jour :
0 Dieu ! combien de fois sous les feuilleus rameaus
Et des chesnes ombreus et des ombreus ormeaus,
J'ay taché marier mes chansons immorteles
Aux plus mignars refrains de leurs chansons plus bêles.
Il me semble qu'encor j'oy dans un vert buisson
D'un sçavant rossignol la tremblante chanson :
Qui tenant or la taille ores la haute-contre
Or le mignard dessus, ore la basse-contre,
Or toutes quatre ensemble, apele par le bois
Au combat des neuf Sœurs les mieus disantes vois.
A trente pas de là, sous les feuilles d'un charme
Un autre rossignol redit le mesme carme,
Puis volant avec luy pour l'honneur etriver
Chante quelque motet pourpensé tout l'hiver.
Le premier luy réplique, et d'un divin ramage
Ajoute à son dous chant passage sur passage,
Fredon dessus fredon, et leurs gosiers plaintifs
Dépendent toute l'aube en vers alternatifs.
Mais souvent le vaincu porte si grand envie
A l'honneur du vaincueur qu'il pert et vois et vie
Tout en mesme moment, et le joyeux vaincueur
Est des autres-prise comme maistre du chœur.
453. Le texte porte cette ponctuation après amoureux.
— 152 —
Comme le voyageur (après plusieurs détours
D'vn long chemin suiuis) qui voit les hautes tours
D'vne cité fameuse, ou faut qu'enfin il rande
D'vn cœur deuotieux vne deuote offrande,
S'esiouit et prend cœur se sentant aprocher 465
Des murs de la Cité dont il voit le clocher:
Ainsi fait le Poëte, alors qu'il se repose
Ioyeux de voir de loin le but quïl se propose :
Et voir les arbres hauts qu'il a sceu remarquer
Depeur qu'vn ombre obscur ne le fist détraquer. 470
Iamais d'enfants ioyeux vne brigade belle,
Plus volontairement en la saison nouuelle
Ne se trouua parmi les vermeillettes fleurs,
Qu'vn pré d'email bigare en cent mile couleurs.
Ni iamais d'vn beau fils belle Dame accouchée 475
Ni la Dame bien peinte et bien endimenchee
Ne s'aima iamais plus aux danses et aux sons.
Aux deuis amoureux, aux mignardes chansons,
Que la Muse se plaist aux peines et aux veilles ;
En recherchant des vers les secrettes merueilles : 480
Et l'homme n'a iamais plus grand plaisir trouué
Que celuy du Poëte en son œuure acheué.
Celui qui du Deuoir a la science aprise,
Ce qu'il doit au Pays, ou naissance il a prise,
Ce quïl doit à son Roy, ce qu'au public il doit, 485
483 sqq. Cf. Horace., Ep aux P., 312-316.
484. Ce qu'il doit au Pays. Ellipse de qui sait, qu'on peut tirer
du mot science dans le précédent vers. Latinisme.
— 153 —
Ce qu'il doit aux amis, qui bien iuge et bien voit
Comme respectueux il faut estre à son père,
De quelle affection il faut chérir son ftere,
Son hoste, son voisin, comme encore chérir
L'estranger qui nous peut quelquefois secourir : 490
Et qui sçait bien ou gist d'vn vray iuge l'office,
Et de celuy qui doit régler vne Police :
Et ce que doit tenir vn braué Chefuetain
En la charge que haute il n'entreprend en vain,
Soit pour aller vaillant en estrangere terre 495
Reuancher vne iniure^ou soit pour la conquerre,
Cettuy-la certes sçait, donner ce qui conuient
A chacun, quel qu'il soit, selon le rang qu'il tient.
Le docte imitateur, qui voudra contrefaire
De cette vie au vray le parfait exemplaire, 500
Tousiours i'auertiray de regarder aux mœurs,
A la façon de viure et aux communs malheurs :
Et puis de là tirer vne façon duisante,
Vn parler, vn marcher qui l'homme représente >
Bref que Nature il sçache imiter tellement 505
Que la Nature au vray ne soit point autrement.
Quelquefois vne farce au vray Patelinee,
Ou par art on ne voit nulle rime ordonnée :
Quelquefois vne fable, vn conte fait sans art,
Tout plein de gosserie et tout vuide de fart, 510
488. Ftere (sic).
499. Cf.Hor.,Ep. auxP.,317-322.Boileau,.4r*poe7.,m,359 sqq.
510. Fart. Employé ici sans acception défavorable comme sy-
nonyme d'art.
— 154 —
Pour ce qu'au vray les mœurs y sont représentées,
Les personnes rendra beaucoup plus contentées,
Et les amusera plustost cent mile fois
Que des vers sans plaisir rangez dessous les lois,
N'ayant sauce ni suc, ni rendant exprimée 515
La Nature en ses mœurs de chacun bien aimée.
Nature est le Patron sur qui se doit former
Ce qu'on yeut pour long temps en ce monde animer.
Zeuxis fut si soigneux de suiure la Nature,
Que voulant de Iunon faire la pourtraiture 520
Pour un peuple lascif, premier il voulut voir
Les belles qu'il pouuoit en sa grand'ville auoir,
Il les flst dépouiller en secret toutes nues,
Et cinq tant seulement de luy furent eslues,
Pour d'elles retirer les marques de beauté 525
Dont fut le naturel de son œuure emprunté :
De mesme aussi, qui veut escrire vn bel ouurage,
Il faut que des Autheurs par choix et par triage,
Il choisisse tousiours les plus excellens traits,
Pour l'embellissement de ses parlants pourtraits : 530
Et que tous au patron de Nature il les tire :
Car en tout, fors en elle, il se trouue à redire.
Phœbus donna iadis aux Romains et aux Grès
519 sqq. Cf. Pline l'Ancien, liv. XXXV, chap. xxxvi.
528 sqq. Ce n'est pas la conclusion qu'on attend. Zeuxis n'em-
pruntait pas le naturel de son œuvre aux tableaux des meilleurs
peintres ses devanciers, mais à la nature elle-même.
533 sqq. Cf. Hor. Ep., aux P., 323-324. Du Bellay : » Les Grecs
auxquels la Muse avoit donné la bouche ronde, c.-à-d. parfaite en
toute élégance et venusté de paroles. » (Défense, I. ix.)
— 155 —
La grâce de parler, la bouche ronde exprès,,
Pour atteindre au vray but : et rien que la louange 535
De surpasser ainsi toute autre langue estrange,
Doctes ne les guidoit (leur langage ils plantoient
Dedans tous les pays, ou vainqueurs ils estoient,
Ainsi que leurs Edits) car Fardante auarice
Ne bruloit point leurs cœurs, pour estre exempts de
[ vice: 540
Mais la plus part de France enseigne ses enfants
Au trafic et au gain comme à faits triomphants :
C'est pour le seul profit, c'est pour la seule enuie
D'estre riche et d'auoir que l'estude est suiuie,
Ce n'est pour la bonté ce n'est pour la vertu, 545
Que des lettres on suit le sentier peu batu :
Qui des richesses a, n'a besoin de science :
Les hommes seulement aux biens ont confiance.
Les vns aprendront bien à porter sur le poin
Vn oiseau pour voler, les autres auront soin 550
Des chiens et des cheuaux : mais tousiours mesprisees
Les Muses seruiront dans leurs cœurs de risées : .
Les autres aux Barreaux s'emploiront aprentifs,
Aux seules actions profitables actifs,
Autres à separer,et les cens et les rentes 555
D'vne succession en parts equipolentes,
A bien dresser vn compte, et l'ample reuenu
Et la mise reprendre après par le menu :
542. Le texte porte cette ponctuation après triomphants.
550. Un oiseau. C'est le faucon.
— 156 —
Et de là conuoiteux de la riche finance
Se iettent affamez aux Bureaux de la France. 560
Les ieunes à Paris aprennent à ietter,
Combien d'vn milion se peut le tiers monter :
A partir, à sommer, multiplier, distraire,
A sçauoir d'vn Banquier l'adresse nécessaire :
S'on demande au garçon, Qui de mille ostera 565
Sept cents escus, dimoy, qui plus te restera?
Trois cents : C'est bien conté : c'est assez, bon cou-
[rage,
Tu peux à l'auenir te garder de dommage :
Si i'en remets deux cents, combien demeureront
Sur le conte dernier? cinq encor resteront. 570
Tu peux garder le tien; car cette expérience,
Mon enfant, vaut bien mieux que toute autre science.
Or comme pourrons nous espérer que ceux ci
Nourris des leur enfance après les biens ainsi,
Ayans desia graué des leurs tendres ieunesses, 575
Les gloutons apetits des friandes richesses,
Aimassent la vertu, faisant quelque œuure beau,
Qui fust pour ne tomber iamais dans le tombeau?
Voire qui meritast d'estre en planche imprimée.,
Consacré seulement à peu de renommée? 58a
Tant s'en faut qu'il deust estre en vn ecrin doré,
En vierge parchemin bien peint, bien azuré,
Escrit, illuminé, pour chatouiller l'oreille
561 sqq. Cf., Hor. Ep. aux P., 325-332.
571. Le tien, au neutre.
— 157 —
D'vn second Alexardre à l'heure qu'il sommeille?
Enseigner, profiter, ou bien donner plaisir, 5S5
Ou faire tous les deux, le Poëte a désir,
Gomme propre à la vie : en faisant tout ensemble
Chose qui profitable et plaisante nous semble.
Or si premier tu veux enseigner, sois tousiours
Clair et bref, sans vser d'obscurs et longs discours : 590
Afin qu'incontinent tes préceptes faciles
Se grauent au cerueau des auditeurs dociles.
La chose superflue aussi bien sortira,
Hors de l'estomac plein, qui l'a reuomira :
Et si plaire tu veux tousiours conte tes fables 595
Pour donner du plaisir, comme estant véritables :
Car n'estant vray-semblable vn propos inuenté,
Comme vray sans propos ne veut estre conté.
Pourtant tu ne feindras rien qu'on ne puisse croire :
Comme celuy qui conte ainsi comme vne histoire , 600
584. Alexandre avait un exemplaire d'Homère dans une riche
cassette.
585. Cf. Hor., Ep. aux P., 333-342. Boileau, Art. Poét.,lW, 85 sqq.
585. Cf. Vauquelin :
C'est pour néant que l'enseignant Horace
Dit que le vers tient la première place
Quand il enseigne et qu'il donne plaisir.
{Sat. fr. III, 6.)
587. Traduction obscure du idonea dicere vitœ d'Horace.
593-594. Cf. Boileau, Art Poét., I, 61-62.
594. L'a (sic).
595. sqq. Cf. Boileau, Art Poét., III, 47 sqq.
597-598. Il faut sans doute comprendre : Si le sujet (propos)
n'est pas vraisemblable, ce n'est pas sans raison (propos) qu'il veut
être conté comme vrai. (La vérité fera passer sur l'invraisem-
blance.) Cependant, etc,
600. Ainsi simple antécédent de comme. Cf. Sicut.
— 158 —
Que les Fées iadis les enfançons voloient,
Et de nuict aux maisons secrettes deualoient
Par vue cheminée: en tout sois vray-semblable,
Le vieillard ne se plaist au conte d'une fable,
Ni voir des vers qui soient sans quelque vtilité : 605
La chose graue plaist aux gens de grauité,
Et la Muse seuere, en ce temps ou nous sommes,
Pareillement deplaist aux ieunes gentils hommes : ]
Qui sçait entremesler l'vtile auec le dous,
L'honneur facilement remportera sur tous, gio
Enseignant les liseurs et de Muse pareille,
D'vn rauisseur plaisir leur rauissant l'oreille.
Yn tel liure sçauant, plein d'vn iugement meur
Aporte de l'argent bien tost à l'Imprimeur,
Et tost outre les mers il passe en telle sorte, gis
Qu'à son autheur connu grand renom il apporte :
Il s'y trouue pourtant quelques défauts souuent,
Ausquels fait pardonner la suite et le deuant:
Car la corde ne rend tousiours à la pensée
Yn son tel que voudroit la chose commencée, 620
Sous les doigts fredonnants, et cherchant vn ton bas,;
Souuent en rend vn haut, et ne vous respond pas.
Tousiours l'arquebusier ne frappe ce qu'il mire,
Ni l'archer bien expert n'atteint le blanc qu'il tire.
Mais s'vn œuure en maint lieu son lecteur satisfait, 625
le ne le diray pas tout soudain imparfait,
609. sqq. Cf. Hor., Ep. aux P., 343-360. Boileau, Art Poét., I,
75-78.
.
— 159 —
Pour vn petit d'erreur passé par non chalance,
Ou que n'a peu preuoir l'humaine preuoyance :
Et quoy donc ie vous pry ? comme on ne deuroit point
Excuser l'imprimeur, qui faut au mesme point 630
Dont on l'auoit repris : et comme on se doit rire
De l'escriuain qui faut tousiours à bien escrire
Aux mots qu'on luy a dits : et mesme du sonneur
Qui faut en mesme ton à son grand deshonneur :
Tout ainsi de celuy, qui fait comme vn Ghœrille, 635
Qui pour faire des vers est rimeur mal habile ;
Et de Sagon se fait appeler Sagouyn,
Meslant en nostre langue vn sot barragouyn
De propos décousus, rie à rie voulant prendre,
Le Latin à la barbe et vulgaire le rendre, 640
Et duquel ie me ri de merueille surpris,
Quand deux ou trois bons vers ie trouue en ses escris.
Souuent en œuure long la Muse mesme chomme,
Par fois le bon Homère est surpris par le somme :
Mais vn ouurage long on excuse es endroits, 645
633. Sonneur. Employé ici non pas dans le sens de poète
comme à l'ordinaire, mais dans celui du latin citharedus. (Hor.,
355/
635. Chaerille, mauvais poète,d'Iasos,en Carie. Cf. Hor.,Ep. II
;ï, 233.
637. François Sagon, curé de Beauvais, composa contre Marot
un libelle intitulé Coup cVessay. Marot lui répondit dédaigneuse-
ment sous le nom de son valet Fripelippcs et métamorphosa Sa-
gon en Sagouyn.
639. Rie à rie ete( Cet hémistiche est cité avec le vers suivant
dans l'Oraison de ne croire légèrement à la calomnie, prononcée par
Vauquelin à l'Université de Çaen.
640. Cf. II, 913. sqq.
16
— 160 —
Ou le sommeil glissant fait errer quelque fois.
La douce Poésie est comme la peinture,
Que belle on trouuera bien prise en sa nature :
Car l'vne de plus près, plus belle semblera,
Et l'autre de plus loin dauantage plaira, 650
L'vne se voudra voir dans vne sale obscure,
Et l'autre au iour plus clair d'vne pleine ouuerture,
L'vne en iour se deuise ou par ombragements,
Et l'autre a de couleurs mile deiettements :
Qui d'vn iuge ne craint la plus subtile veue : 655
L'vne contentera si tost qu'on l'aura veue,
Et l'autre d'autant plus qu'on reuisitera
Ses beaus traits, d'autant plus elle contentera.
Comme le voyageur qui d'vn beau lac aproche,.
En son bord se va mettre au coupeau d'vne roche, 660
Là demeurant long temps oisif en son repos,
Il n'a rien pour obiect que les vents et les flots :
Toutesfois les forests dedans l'onde vitrée
Montrent de cent couleurs leur robe diaprée :
Et l'ombre des maisons, des tours et des Chasteauxe65
Cette eau luy représente au cristal de ses eaux ;
Il sesiouit de voir que l'onde luy raporte
Par vn double plaisir ces forests en la sorte :
Tout ainsi le Poëte en ses vers rauira
Par diuers passetemps celuy qui les lira, cio
Emerueillé de voir tant de choses si belles,
647. sqq. Cf. Hor., Ep. aux P., 361-365.
654. Le texte porte cette ponctuation après dejettements.
659. Cf. Vida, Artpoét., 111,64 sqq.
— 161 —
En ses vers repeignant les choses naturelles :
Et de voir son esprit de ce monde distrait,
Mirer d'vn autre monde vn autre beau pourtrait.
Combien que de vous mesme ô Françoise ieu-
[nesse, 675
Qui suiuez ce bel Art, vous ayez la sagesse,
Toutesfois ie veux bien vous auertir ici,
Qu'il faut vn grand sçauoir aux hommes en ceci :
Nous voyons beaucoup d'Arts, ausquels est suportable
D'vn apparent sçauoir l'apparence notable : 680
Comme pour n'estre aux droits vn Duarin second,
Ou pour docte à plaider, vn Marion facond :
On ne laisse pourtant d'auoir en bonne estime
Sa part de l'or que tant es Palais on estime.
En tout sçauoir aisé, pour n'estre Historien 685
Autant que Titeliue, il suffit du moyen :
Le Peintre qui peint bien d'vn homme la figure,
Sans l'avoir mesme apris, peut tirer en peinture
675 sqq. Cf. Hor., Ep. aux P., 366-373. Boileau, Artpoét. IV, 29-32.
681. Duarin. Célèbre professeur de droit, enseigna à Bourges et
à Paris. Vauquelin l'appelle ailleurs le grand Duarin. (Sat. fr.,
I, 6.) C'est à son instigation que le poète laissa momentanément
les vers pour terminer ses études de droit. Cf:
Hardi suivant le conseil sage et brave
De Duarin, à Bourges, d'un grand cœur
Je fis des vers Bartholle estre vainqueur.
Cf. encore Sonnets divers, 5. (Sat. fr., II, 3.)
682. Marion. Fameux avocat né à Nevers en 1540, mort à Paris
en 1605.
687 sqq. Vauquelin aurait dû ranger la peinture avec la poésie.
Cf. La Bruyère : « Il y a de certaines choses dont la médiocrité est
insupportable, la poésie, la musique, la peinture, le discours pu-
blic. (Chap. I.)
— 162 —
Tout autre tel qu'il soit : ainsi qui sçait des Arts
Le principe et la fin, s'en aide en toutes parts : 690
Pourueu qu'à son suiet d'vne gentille mode,
Du sçauoir qu'il a veu l'vsage il accommode :
Mais les hommes ni Dieu ne veulent receuoir
Celuy qui pour les vers n'a qu'vn moyen sçauoir.
Toutes langues ont eu leurs Poètes chacune, 695
Ne pense donc auoir si courtoise fortune
Que de les surpasser, sinon qu'en ton parler
Gomme ils ont fait au leur tu vueilles exceller :
l'approuue toutefois d'escrire en ses langages,
Afin de remarquer les siècles et les âges 700
Par les hommes sçauants : Entre qui les lauriers
Du Poëte Roussel verdoiront des premiers:
Car Phœbus et les sœurs eux-mesmes les arrosent
Dans les iardins de Gaen : et les beaus vers disposent
Du Fanu, de Michel, de Gahaignes auec, 703
Qui doctes le Romain escriuent et le Grec,
694. Cf. Boileau, Art poét, IV, 32.
699. Ses ne se comprend pas ; il faut évidemment ces. D'ai-
lcurs, ces ne peut pas désigner toutes langues du vers 695; Vau-
quelin parle ici du latin et du grec, comme la suite le montre.
702. Roussel ou Rouxel, né à Caen (1530-1586). Il professa, à
l'Université de cette ville, l'éloquence, la philosophie et le droit.
On a de lui : Lamentât iones Jeremiœ carminé elegiaco (1568) et
Ruxellii poemata (1600). Cahaignes (V. 705) prononça son oraison
funèbre en latin, et Vauquelin la traduisit. Le poète a fait en son
honneur deux épitaphes. Dans la première, il célèbre son éloquence
latine ; dans la seconde, il parle de son pur Romain langage.
703. Les sœur?, c.-à-d. les Muses.
705. Du Fanu. Il y eut deux Le Fanu, Michel et Etienne, tous
deux avocats, tous deux auteurs de quelques vers latins. Le pre-
— 163 —
Et comme Sainte Marthe escrit de mesme plume
Le Latin et François quand sa fureur l'allume,
De sorte qu'il egalle vn Dorât d'vne part,
Et de l'autre il seconde vndoux bruyant Ronsart : 710
Ainsi nostre Malherbe et Tirmois, l'éloquence
Et les vers balançants d'vne mesme cadence,
Vn Giceron Latin font deuenir Gaulois,
Et Phœbus tout Romain est comme tout François.
Le grand de l'Hospital a toute Ausonienne : 715
En France ramené la troupe Aonienne :
Et Filleul conduit à la Cour ces neuf Sœurs:
mier avait composé un poème en hendécasyllabes sur l'origine du
droit. Cf. Vauquelin :
Et le docte Fanu, qui la Muse Grégeoise,
Et la Romaine mesle avec {sic) la Françoise.
(Pastorale sur le tombeau de Rouxel.)
Michel, professeur de belles-lettres, fut le successeur de Rouxel
(V. 702). dans la chaire d'éloquence. Vauquelin lui a fait une épi-»
taphe où il l'appelle Socrate, Hippocrate, Homère. — Cahaignes
(Jacques de), professeur de médecine et recteur de l'Université de
Caen, homme fortérudit qui versifiait élégamment en latin. On a de lui,
dans cette langue, des notices sur les hommes distingués de Caen.
707. Sainte-Marthe (Scévole de), érudit et poète. Parmi ses poé-
sies françaises, on distingue les Métarmorphoses sacrées. Nous
avons déjà parlé de sa Pœdotrophia (I, 925).
709. Dorât, le directeur du collège de Coqueret, le maître de
Baïf, de Ronsard et de du Bellay, « le premier, dit Ronsard, qui
a destoupé la fontaine des Muses par les outils des Grecs et le ré-
veil des sciences mortes ». Il composa un grand nombre de vers
grecs et latins, outre des poésies françaises fort médiocres.
711. Malherbe. Vauquelin lui a adressé la IVe satire du liv. II.
On sait qu'il ronsardisa longtemps, avant de se poser en adver-
saire de la Pléiade. — Tirmois (Jean de), avocat au Bailliage de Rouen.
715. L'Hospital a composé en latin des poésies que ses amis
Pibrac, de Thou, Scévole de Sainte-Marthe firent paraître en 1585.
717. Filleul (Nicolas), né à Rouen en 1530, mort en 1575. II
avait composé des tragédies latines quine nous sont pas parvenues.
On a de lui '.Les Théâtres de Gaillon à la Royne, renfermant quatre
lô.
— 164 —
Dauid qui son Perron orne de leurs douceurs,
Possède à iuste droit leur éternelle gloire,
Comme elles filles sont estant fils de Mémoire. 720
Bertaut, qui du Soleil a le cœur allumé,
Chez luy mesme leur dresse un seiour bien aimé :
Et qui taire pourroit la douce Polymnie
De ce diuin Vaillant, tirant la compagnie
De ces iumelles Sœurs hors de dessus leur mont, 725
Pour les faire habiter en son sacré Pimpont ?
églogues et deux pièces de théâtre; (les Naïades, Chariot, Tethys,
Francine sont les titres des églogues ; viennent ensuite une tra-
gédie en cinq actes, Lucrèce, et une comédie également en cinq
actes, les Ombres) ; Achille tragédie ; la Couronne de Henry le.
Victorieux, roi de Pologne; un recueil de sonnets. — Le texte porte
Filleul conduit au lieu de a conduit.
718. David est sans doute mis pour Davy. — Son Perron. Cf. son
Pimpont, 726. Cf. encore Vauquelin :
Étalons nous à l'aise,
Quelquefois es coutaux des roches des Falaise,....
Quelquefois a passer sous le frais des ombrages,
Avec plaisans discours le temps en nos bocages,
Ou soit de ton Perron, soit de nos Iveteaux,
Soit de nostre Boissay, la maison des oiseaux.
(Sat. fr., IV, II.)
— Jacques Davy du Perron, ami de Vauquelin, qui lui adresse la
satire II, du livre III, a traduit en vers des morceaux d'Ovide,
de Virgile, d'Horace ; on a aussi de lui quelques poésies originales
écrites avec élégance et délicatesse. Il était considéré au xvie
siècle comme un des meilleurs poètes français : critique dédai-
gneux, il fut longtemps l'oracle du goût. L'abbé de Longuerue
l'appelait le Colonel général de la littérature.
721. Bertaut, né à Caen en 1552, mort en 1611, poète aimable
et gracieux, mais non sans mollesse. — Du Soleil. Est-ce Phœbus ?
723. Polymnie. V.la note duversl, 671.
724. Vaillant de Guellis, né à Orléans, abbé de Paimpont, a lais-
sé un commentaire sur Virgile (1575) et des vers latihs qui se
trouvent dans le recueil Delicise poelarum gallorum.
726. V. la note précédente. L'Abbaye de Paimpont relevait du
diocèse de Saint-Malo.
— 165 —
Et le sçauant Sueur, que Latin on compare,
Au peu iusqu'à présent, imitable Pindare ?
Et Passerat ayant trois langages diuers,
Qui, comme aux deux, au sien mesure ces beaux
[vers ? 730
Et Chantecler profond, qui de Rome et d'Athènes
Fait bruire en ses dous vers les bouillantes fontenes?
Et qui pourroit cacher le rayon qui reluit
Enl'Ascalle et Ghestien, que tous Phœbus conduit?
Et cette Aurore ouurantau Soleil la barrière 735
Sur le Tybre Romain, iaune de sa lumière?
Et cet autre Apolon de Thou, qui tout diuin
Va par les airs traçant le peu connu chemin
727. Sueur (Nicolas le ), jurisconsulte et poète, né à Paris en
1540, mort en 1594, avait composé des odes latines.
728. Cf. Hor.
Pindarum quisquis studit semulari.
yOd. IV, 2A
729. Passerat (1534-1602), poète remarquable en français par sa
gaieté maligne et gaillarde, fut dans ses poésies latines l'émule des
Sannazar et des Vida ; il écrivit aussi des vers grecs.
731. Chantecler. V. la note du vers II, 1060. Chantecler était un
latiniste distingué. On a de lui : Juliani imperatoris de Cxsaribus
sermo, grsece curn latina versione subjuncta, 1577; Leonardi Are-
tiniexcerpta ex Historia Gothica Prisci, latine interpretata, 1606,
etc.
734. UAscalle. C'est J.-C. Scaliger (1484-1558), l'auteur de la
Poétique. On a aussi de lui un recueil de poésies latines. — Chrestien
Florent, un des auteurs de la Satyre Ménippée, avait composé
des vers grecs, latins et français.
735-736. Il s'agit sans doute de J. du Bellay, dont on connaît
les poésies latines, composées dans son exil à Rome. Cf. Vauque-
lin:
Du Bellay, qui les flots du blond Tybre arrestoit,
Quand les restes de Rome en leur cendre il chantoit.
737. Allusion au poème de de Thou intitulé De re accipitraria.
{De la Fauconnerie.)
— 166 —
Des Sacres et Faucons, ou la Muse Romaine
Attaindre ne peut onc tant fust elle hautaine? 740
Et quel Siècle d'ailleurs a receu si beau don,
Qu'en son Poëte a fait l'isledeCaledon?
De Baïf, Grec-latin, comme François la Muse
Au combat les nouueaux ni les vieux ne refuse,
Et Pasquier a montré par ses vers excelens 745
Que Phœbus hante aussi les barreaus turbulens.
Mais qui met son esprit pour rendre plus connues
Ces Langues qui nous sont pour estranges tenues,
Et contemne la sienne; adultère il commet :
Car son ioug délaissant sous l'estrange il se met. 750
742. L'isle de Caledon, c'est-k-dire l'Ecosse, patrie de Buchaaan
(1506-1582), qui imita les Psaumes en latin et fit dans la même lan-
gue les deux tragédies de Jephté et de Jean-Baptiste.
743. On sait que Baïf pratiquait la versification grecque et latine.
— Le c de François n'a pas de cédille dans le texte de 1605.
745. L'auteur des Recherches de la France composa aussi des
vers français et latins.
747 sqq. Cf. Du Bellay. Défense, liv. I, chap. xi. Ronsard, 2e
préface de la Franciade, vers la fin. Vauquelin : « Le François
docte et bien né... qui contemne et mcsprise son langage naturel,
me semble estre semblable au riche citoyen, lequel met toute sa
cure et son soin pour enrichir de meubles rares et précieux, de
tapisseries superbes et somptueuses, de pavez bien compartis... une
maison qu'il aura située en quelques déserts inhabitez, ou en quel-
que forest eslongnee et séparée des villes et des bourgs, en laquelle
à grand'peine il va une fois en l'année : et au contraire qui délaisse
la maison ou il habite tous les jours sans meuble et sans parement,
pleine d'ordure et de souillure en tous endroits J'ay voulu
choisir un sujet... afin d'encourager les esprits de notre siècle... à
ne laisser plus la langue Françoise, leur légitime espouse, pour
commettre si souvent adultère avec la mignarde Grégeoise et la
belle Romaine. »
748 sqq. Cf. Ronsard : « Heureux et plus qu'heureux ceux qui
cultivent leur propre terre, sans se travailler après une estrangere,
de laquelle on ne peut retirer que peine ingrate et malheur, pour
toute recompense et honneur ! » (Abrégé d'Art poétique.)
— 167 —
Et tel est que celuy, qui de tout meuble rare,
Riche tapisserie et de beaus lambris pare
Vn Chasteau solitaire, écarté dans les bois,
Ou seulement il couche en deux ans vne fois,
Pour estre loin du lieu : Son Palais au contraire, 755
Qu'il choisit en tout temps pour demeure ordinaire
Il délaisse sans meuble et sant nul parement :
A soy mesme bien faire on doit premièrement.
, Gomme entre les banquets et les ioyeuses tables,.
Les chants mal accordez seront désagréables, 760
Et fâcheux le parfum, dont la forte senteur,
Trop aspre passera iusqu'à la puanteur:
(Car bien souuent encor aux festins on s'en passe)
Ainsi la Poésie amoindrissant sa grâce,
(Comme estant inuentee et faite seulement 765
Pour donner du plaisir et du contentement)
Nous deplaist aussi tost qu'elle s'esleue ou baisse,
Ou que bas trébucher du tout elle se laisse.
Qui lutter ne sçait point se garde de lutter,
Et qui iouster ne sçait se garde de iouster, 770
Ni de vouloir froisser, mal apris, vne lance :
Et qui ne sçait danser ne se trouue à la dance :
Et qui ne peut la balle au tripot bricoller,
Passant son temps ailleurs se garde d'y aller,
De peur qu'vn grand amas de personnes s'assemble, 775
Qui librement de luy se gaudiroient ensemble :
757. San t (sic.)
759 sqq. Cf. Hor. Ep., aux P., 374-390.
765-766. Cf. 1,709,710.
- 168 -
Et toutefois celuy, qui ne sçait l'Art des vers,
S'en veut pourtant mesler de tort et de trauers :
Pourquoy non, dira t il, moy qui suis gentil homme,
Et qui reçoy du Roy de pension grand'somme, 780
Desiatenu Poëte, à qui sa Maiesté,
Pour ses vers mainte fois a libérale esté,
Qui de la chambre suis deuenu Secrétaire,
Des vers à mon plaisir ne pourray-ie bien faire?
Estant au bel estât des favoris couché, 785;
Et d'ailleurs n'estant point d'aucun vice entaché ?
Ne di rien, ne fais rien en dépit de Minerue :
En cet Art nç veut point la Nature estre serue.
Mais amis vous auez vn tel entendement
Que vous pouuez en vous en faire iugement. 790
Si quelquefois encor, ô Françoise ieunesse,
Quelque œuure vous voulez mettre dessus la presse :
Il la vous faut soumettre au iugement exquis
D'vn sçauant, qui tout ait, ce qu'en l'Art est requis, '
Et la garder neuf ans dedans le coffre enclose : 795
Cependant vous pourrez corriger mainte chose.
La parole parlée on ne peut déparier,
Et l'œuure mise hors ne se peut rappeler.
On raconte qu'Orphé, des grands Dieux interprète,
792. Nous disons sous au lieu de sur (dessus).
799. Cf. Hor., Ep. aux P., 391-406. Boileau,Jr//>oé*., IV,133sqq.
Vauquelin dit dans sa satire à du Perron :
Mais tel Phœbus ni tel fut Amphion,
Ni ceux qui, pleins de grand' perfection
Premièrement les carmes inventèrent, etc.
(Sat. fr., liv. III, n.)
— 169 —
Les humains qui viuoient d'vne façon infete «oo
De massacre et de sang, sceut bien desauuager,
Et sous plus douces loix hors des bois les ranger :
C'est pourquoy l'on disoit qu'il sçauoit bien conduire
Les Tigres les Lions, aux accords de sa Lyre:
Et mesme qu'Amphion (le gentil bâtisseur 8C5
Des nobles murs Thebains) sceut par la grand douceur
De son Luth façonné d'vne creuse tortue,
Faire marcher des rocs, mainte roche abatue,
Qu'il conduisoit au lieu que meilleur luy sembloit,
Et les faisant ranger, en mur les assembloit. 8io
Telle fut des premiers iadis la Sapience
De sçauoir séparer, par prudente science,
Le public du priué, du prophane le Saint,
D'auoir par vn dous frein son appétit retraint
D'vn vague accouplement, d'auoir du mariage 815
Ordonné les Saints droits, d'auoir trouué l'usage
De bastir les Citez ; dans des tables de bois
Engrauant l'équité des droiturieres lois.
Voila comme s'aquist aux vers et aux Poètes,
"Vn honneur, vn renom tel qu'àdiuins Prophètes. 820
Puis Homère et Tyrté mirent des vers au iour,
Qui graues détournants les hommes de l'amour,
Les firent suiure Mars : et par les vers à l'heure
Des Oracles se fist la responce meilleure :
Et furent mis en vers les beausenseignemens, 825
Pour maintenir la vie en tous gouuernemen,-,
Et par la Muse encor fut la grâce tentée
— 170 —
Des Princes et des Rois, pour leur gloire chantée.
Puis vinrent les derniers les ébats et les ieux,
L'agréable repos de tous trauaux fâcheux. 830
Premier ainsi iadis nos Poètes Druides,
Nos Samothes Gaulois, nos Bards, nos Sarromi-
0 [des,
Policerent la Gaule : et leurs vers animez
Rendoient après la mort les Princes plus aimez.
Et mesme au parauant Dauid auoit choisie 835
Pour mieux célébrer Dieu la sainte Poésie,
Et tant peurent ses vers que sans pompeux arroy,
Ce berger maiesteux de Poëte fut Roy.
Ce que ie dis, afin que vous n'ayez point honte,
De faire d'Apolon et de la Muse conte 840
De l'Apolon surtout qui diuin et sacré
Desancrant de Delos en France s'est ancré.
Portez donc en trophé les despouilles payennes
Au sommet des clochers de vos citez Chrestiennes.
Si les Grecs, comme vous, Chrestiens eussent es-
tent, 845
Ils eussent les hauts faits chanté de Iesus Christ :
832. Samothes, Sarromides. Les prêtres gaulois se livraient soità
la méditation, soit à l'enseignement : on appelait Samothes ceux
qui vivaient dans la contemplation mystique, Sarromides ou plu-
tôt Sarronides, ceux qui se vouaient à l'instruction de la jeunesse.
— Quant aux bardes, on sait que c'étaient des poètes guerriers.
839-840. Cf. Hor., Ep. aux P., 406-407.
845. C'est à tort que dans l'édition Genty, Chrestiens est mis
entre deux virgules ; ce n'est point un vocatif, mais l'attribut du
verbe. Le sens est : Si les Grecs eussent écrit étant chrétiens
comme vous.
— 171 —
Et tant que vous pourrez à despouiller TEgipte,
Et de Dieu les autels orner à qui mieux mieux
De ses beaus parements et meubles précieux: 850
Et des autheurs humains comme l'vtile auette,
Prenons ainsi des fleurs la manne et la fleurete,
Pour confirmer de Dieu les auertissemens,
Contenus aux secrets de ses deux testamens.
Vous Prélats, qui n'auez qu'à Dieu seul la pen-
sée, 855
A luy seul soit aussi votre Muse addressee :
Ainsi que ton du Val Moulinet chante nous
Cette grandeur de Dieu, qu'on voit reluire en tous.
Toy, Dangennes sçauant qui bois en la fontaine
De l'Hippocrene vraye, et de bouche Romaine, 860
Et Grégeoise et Françoise, épuises, bien disant
Le puis de vérité, dont tu vas arrosant
848. L'Egypte est mis ici pour les étrangers. En quittant la
terre égyptienne, les Hébreux empoitèrent les vases de leurs op-
presseurs.
855-856. Cf. Vauquelin :
Du Perron qui tout l'art de ce bel Art soavez,
Puisque le cœur à Dieu tout tourné vous avez,
Tournez encor à lui vostre Muse immortelle.
{Divers sonnets, 8.)
857. Du Val. Théologien et poète, il surveilla l'éducation du
Dauphin fils de François 1er et devint évoque de Sécz en 1545.
Vauquelin lui avait dédié ses Foresteries. On a de lui : le Triomphe
de la Vérité; De la grandeur de Dieu ; De la puissance, sapierux
et bonté suprême de Dieu. — Moulinet, évoque de Séez, succéda
à du Val, son oncle.
858. Grandeur de Dieu. V. la note précédente.
859. Dangennes (1538-1601), évêque de Noyon. puis du Mans.
Vauquelin l'avait connu pendant ses études de droit. Il mi adresse
la sati/e IV du livre Ier.
17
De Noyon la contrée : ouure nous ta poictrine:
Que nous goûtions ici les fruits de ta doctrine.
De Cossé, qui ne quiers les Lauriers flestrissants, 865
Qui sur le mont menteur des Muses vont croissants,?
À ce recoin du monde, au mont ou Michel l'ange
Tient ferme sous ses pieds cette chimère estrange,
Plante par lesbeaus vers de Dieu les estandarts
Qui facent l'Océan trembler de toutes parts. nto
Toy race d'Espinay, qui de maison antique
Deuot, polices seul ton Eglise Armorique :
Apren les flots Bretons, selon le saint Hebrieu,
A redire après toy les louanges de Dieu.
Desportes, que ta Muse à Dieu toute tournée, 875
Ne soit des vers d'amour désormais prophanee :
Maintenant, fauori (puisque dans le cerueau
Apolon t'a versé toute la céleste eau,)
Arrouse, doux coulant la Royale prairie
De l'onde que iamais on ne verra tarie. sue
Hé ! quel plaisir seroit-ce à celte heure de voir
Nos Poètes Ghrestiens, les façons receuoir
Du Tragique ancien ? Et voir à nos misteres
Les Payens asseruis sous les loix salutaires
De nos Saints et Martyrs ? et du vieux testament 885
Yoir vne Tragédie extraite proprement?
865. De Cossé. Philippe de Cosse, évoque de Coutances.
871. Charles d'Espinay, mort évoque de Dol, en Bretagne. On
a de lui des Sonnets. Paris, Robert Estienne, 1560.
875. On sait que Desportes traduisit des psaumes en vers
français..
— 173 —
Et voir représenter aux festes de Village,
Aux festes de la ville en quelque Escheuinage,
Au Saint d'vne Parroisse, en quelque belle Nuit
De Noël, ou naissant vn beau Soleil reluit, 890
Au lieu d'vne Andromède au rocher attachée,
Et d'vn Perse qui l'a de ses fers relâchée,
Yn Saint George venir bien armé, bien monté,
La lance à sonarrest, l'espee h son costé,
Assaillir le Dragon, qui venoit effroyable 895
Goulûment deuorer la Pucelle agréable,
Que pour le bien commun on venoit d'amener?
0 belle Catastrophe ! on la voit te tourner
Sauue auec tout le peuple ! Et quand moins on y
[pense
Le Diable estre vaincu de la simple innocence ! 900
Ou voir vn Abraham, sa foy l'Ange et son fils !
Voir Ioseph retrouué ! les peuples deconfis
Par le Pasteur guerrier qui vainqueur d'vne fonde,
890. Un beau Soleil. Jésus-Christ.
891-892. Andromède, Perse. Andromède, fdle de Cepheus. roi
d'Ethiopie, qui dut la livrer à un monstre par lequel ses États
étaient ravagés. Persée, fils de Jupiter et de Dauaé, la dé-
livra.
893. Saint George. La Légende dorée nous le montre combat-
tant et tuant un dragon qui s'apprêtait à dévorer la fille du roi de
Libye.
898. Tetourner (sic) pour retourner.
901. Cf. le Sacrifice d' Abraham, par Théodore de Bèze (1551).
902. Joseph. Cf. la pièce de Joseph le Chaste par Nicolas de
Montreux (1601).
' 903. Le Pasteur guerrier. David. Cf. David combattant, fugitif,
triomphant, trilogie de Des Mazures (1556).
— 174 —
Montre de Dieu les faits admirables au monde !
C'est vn point debatu par argumens diuers, 905
Si, de Nature ou d'Art, se compose vn beau vers,
Et laquelle des deux plus on estime et prise
En vers, ou la Nature ou la Science aquise :
Quand à moy ie ne voy que l'Art ou le Sçauoir,
Sans veine naturelle, ait beaucoup de pouuoir : 910 '
Ni que sans la Science vne veine abondante
Soit pour bien faire vn vers assez forte et puissante :
Et tant bien l'vn à l'autre aide sert et suuient,
Et d'amiable accord s'vnit et s'entretient,
Que si Nature et l'Art ne sont tous deux ensemble, 915
Vn vers ne se fait point bien parfait ce me semble.
Or celuy qui paruient enfin au haut sommet
Ou le but désiré de ce bel Art se met,
Qui se fait remarquer par la belle couronne
Du laurier verdoyant,qui son chef enuironne, 920
A porté des l'enfance vn monde de trauaux,
Enduré chaud et froid et souffert mile maux,
N'a connu de Bacchus la liqueur honorée,
Ni la belle Venus des autres adorée.
Qui sçait d'vn pouce expert à bien rauir les Dieux, 925
Ioindre au Luth la douceur d'vn vers mélodieux,
905 sqq. Cf. Hor., Ep. aux P., 408-418.
921 sqq. Cf. du Bellay : « Qu'on ne m'allègue point aussi que
les Poëtes naissent... Qui veult voler par les mains et bouches des
hommes doit longuement demourcr en sa chambre : et qui désire
vivre en la mémoire de la postérité, doit comme mort en soy-
mesme, suer et trembler maintefois et autant que noz poëtes
courtizans boivent, mangent, et dorment a leur aise, endurer de
faim, de soif et de longues vigiles. {Défense, II, III.)
— 175 —
En aprenant il a quelquefois craint son maistre,
Et sceu premièrement cet Art aussi cognoistre :
Auiourd'huy c'est assez de dire et se vanter
Que sa Muse sçait bien de beaus vers enfanter : 930
Moy, ie fay bien vn vers, soit à l'Italienne,
Soit à le mesurer à la mode ancienne?
Si Mecœne viuoit, ainsi comme autrefois,
le serois à bon droit son Virgile françois.
La Pelade et le mal venu de Parthenope, 93t>
Puisse partout saisir cette vanteuse trope,
Ces Poëtastres fouis, qui pour sçauoir rimer,
Pensent comme bons vers leurs vers faire estimer :
le n'ose de ma part ni confesser ni dire
Qu'vn vers ie puisse bien fredonner sur la Lyre : 940
Ains ie reconnoistray franchement désormais,
Que ie ne sçay cela que ie n'aprins iamais.
Comme vn crieur public à l'encan sçait attraire,
Sous ombre de profit la tourbe populaire,
Pour luy faire acheter les meubles des deffuns : 945
Tout ainsi le Poëte, au fumet des parfuns
De sa bonne cuisine et de sa grand'despence
Chacun attire à luy, comme par recompense :
Et riche par présents attrayant les flateurs
Il orra de ses vers mile contes menteurs : 950
S'il est homme qui tienne vne table friande,
932. Le point d'interrogation à la finduversestdansredit.de 1605.
935. Pelade. Maladie qui fait tomber les poils et les cheveux. — '
Le mal venu de Parthenope. Le mal napolitain.
943. Cf. Hor., Ep. aux P., 419-444. Boileau.4^. poét.,1, 186-198.
— m —
Donnant franche repue on vient à sa viande,
Et s'il sçait libéral et prester et piéger,
Pour aider au besoin ceux qui sont en danger
Ou de perdre vn procez ou de souffrir dommage : 955
Ce seroit. grand merueille eux luy faisant hommage,
Qu'il les peust remarquer ou vrais ou faux amis :
Se masquer le visage aux flateurs est permis.
Si doneques, riche et grand tu desires défaire
Plaisir à telles gens tout franc et volontaire, 960
Ne les prens pour iuger tes vers aucunement.
Car esleuants leurs voix souriants faintement,
Te diroient, ô quel vers ! ô quelle douce veine !
Gomme Nature et l'Art, tu sçais ioindre sans peine !
Que ces vers sont bien faits? Et faussement rauis,9a5
Repaistront là dessus leurs esprits assouuis:
Feront plouuoir encor dessus tels rudes carmes,
De leurs yeux façonnez, quelques flateuses larmes,
Ils dresseront au Ciel les yeux en t'admiranU
Comme ceux que iadis, on alloit requérant 970
A gages, pour pleurer^aux grandes funérailles :
Qui, faignant lamenter du profond des entrailles,
Disoient et faisoient plus par leur pleurer moqueur,
Que ceux la qui pleuraient leurs amis de bon cœur :
Ainsi le flateur faint, d'vn déguisé sourire, 975
Plus que le vray loueur s'ébahit et s'admire.
Les grands, ainsi qu'on dit, font quelquefois tenter
964. Cf. 905 sqq.
976. S'admire est sans doute mis pour admire.
— 177 —
Vn homme par le vin, pour l'expérimenter,
Le font boire d'autant luy font faire grand'chere,
Pour sçauoir s'il pourrait bien celer vne affaire : 980
S'il est d'amitié digne ils veulent lors sçauoir :
Par espreuue se peut vn mal aperceuoir.
Aussi faisant des vers tu te dois donner garde
D'vn esprit qui se masque, en sa façon mignarde,
De la peau d'vn Renard : auiourd'huy rarement, 935
On trouue des amis de libre iugement.
S'on recitoit des vers à Quintil, dit Horace,
Il disoit, mon enfant il faut que ie t'efface,
Cet endroit, et cet autre : et corriger ceci:
Tes vers n'ont point de sens, n'ont point de grâce
é [ ainsi. 990
Si tu luy confessois ne pouuoir mieux escrire,
Ayant beaucoup de fois taché de les réduire :
Lors il te les fais Dit tout du long effacer:
Et sçauoit de nouueau plus beaux les retracer,
Te les faisant remettre et tourner sur l'enclume, 9$
Il les repolissoit des bons traits de sa plume.
Hais si mieux on aimoit défendre sa fureur,
Que de les r'agencer, corrigeant son erreur,
Plus rien ne t'en disoit, estimant -chose veine
De perdre après tes vers son conseil et sa peine 1000
Et seul te permettoit de priser sans riual,
987.G'est ce même Quintiliusdont Charles Fontaine a emprunté
le nom dans son Quintil censeur. V. la Notice ;I,e Partie, chap. 111.
997. Défendre sa fureur. Défendre son inspiration c.-à-d. les
vers qui en étaient provenus.
— 178 —
Gomme aueugle en ton fait, toy, ta faute, et ton mal.
L'homme bon et prudent, d'ame non violante,
Reprend des vers grossiers la rime mal coulante,
Et les vers qui ne sont polis et relimez 1005
D'vn trait de plume sont par luy desestimez :
Il retranche d'vn vers comme chose ocieuse
L'ornement superflu, la pompe ambicieuse,
Il donne vne lumière au passage obscurci,
Il rend vn dire obscur beaucoup plus eclarci : 1010
Et ce qu'il faut changer, clair voyant il remarque,
Prenant l'authorité que prenoit Aristarque :
Et si ne dira point, Pourquoy veux-je offenser
Mon ami pour si peu ? Ce peu peut radresser
L'homme qui s'alloit perdre à la sente égarée, 1015
Qu'on voit estre sans fruict des hommes séparée,
Car en ayant le faux pris pour la vérité,
Moqué dans son ouurage il se fust dépité.
Il est vne autre humeur d'hommes qu'on dit Poëtes,
Inconstans et légers, comme des Giroëtes 1020
Qui vont vireuoltant, à tous vents, sur les tours :
Ces gens malasseurez, par incertains détours,
Veulent gaigner du Mont la cime double, et haute :
Ils ont la volonté : mais par la grand'defaute
De la Lune (qui n'est forte comme Phœbus) 1025
1003. Cf. Hor., Ep. aux P., 445456. Boileau. Artpoét. 1, 199 sqq.
1012. Aristarque, grammairien et critique grec du ne siècle
avant J.-C. Son nom est resté synonyme de juge éclairé et
consciencieux.
1025 sqq. C'est la traduction d'iracunda Diana dans Ho-
raee.
— 179 —
Qui leur ceruelle occupe, en l'Art font mile abus.
Ils font cent mile vers, ou Megere préside,
Qu'au lieu de Galiope, ils prennent pour leur guide
Le sage doit fuir ces hommes affolez,
Autant comme en feroit les poures verolez, 1030
Ou bien les furieux pleins d'erreur frénétique
Et pleins d'opinion deuote et fanatique :
Mais les petits enfans en tous lieux les suiuront,
Les garçons débauchez auec eux se riront,
Imitant toutefois les pitaux de Village, 1035
Qui suiuent vn chien foui tourmenté de la rage,
Quand l'vn epoind du bruit de ses voisins prochains,
Prend en haste vne fourche, et l'autre entre ses mains
Vn vouge bien tranchant s'asseurant de defence
Si l'animal cruel leur veut faire vne offence 1040
On voit leurs vers escrits partout aux cabarets,
Farouches et gourmans ils vont dans les forests,
Apres vne débauche importuner les Muses,
Meslant en leurs discours mile choses confuses :
Ils seruent bien souuent aux Seigneursde plaisants, 1045
Vanteurs, iniurieux, iureurs et médisants.
D'ailleurs les courtisans les incitent sans cesse
A chanter leur amour de quelque grand'Princesse.
Et leur dernière fin c'est de mourir batus,
Langoureux, verollez, déchirez deuestus, 1050
Dedans vn hospital, si leur fureur subite
1027. Megere, une des Furies.
1028. Calliope. Muse de l'éloquence et de la poésie héroïque.
1030. Cf. 935,1050.
17.
— 180 —
Pour irriter quelqu'vn morts ne les précipite :
Et ne reste rien d'eux, que contre les parois
Les noms qu'ils egaloient aux noms des plus grands
[Rois.
Horace de son temps vouloit qu'en patience, 1055
On laissast de ces fols l'indiscrète science :
Et si quelquvn d'entre eux (tandis qu'il vomiroit
Mile vers que raui seul il admireroit
Ainsi que l'oiseleur, trop ententif à prendre
Les oiseaux à qui sots les liiez il veut tendre) 106O
Tomboit dedans vn puis, ou dans un creux pro-
ton d.
Bien qu'il criast d'embas longuement contremont:
Amis, secourez moy, mes voisins, ie vous prie,
Tirez hors de ce puis ce malheureux qui crie,
Il dit qu'il ne faut pas à son secours aller : 1065
Ni pour le retirer la corde deualler :
Que sçait il si ce fol de fait apens luymesme
S'est point allé ietter en ce péril extresme,
Et s'il veut glorieux qu'on l'aille secourir?
Il conte, à ce propos, qu'ainsi vouloit mourir 1070
Vn Poète en Sicile : Empedocle pour estre
Estimé comme vn Dieu, qu'on aveu disparestre,
Secret s'alla ietter dans Mongibel ardant :
Qu'il soit loisible donc à ces fouis, cependant
Qu'ils seront en humeur, de mourir ou de viure, 1075
1055 sqq. Cf. Hop., Ep. aux P., 457-469.
1069. Glorieux s'explique par l'exemple d'Empédocle.
1073. Mongibel. C'est l'Etna, les Italiens lui donnent le nom de
Monte Gibello (de l'arabe Djebel, montagne).
— 181 —
Ainsi comme ils voudront, pour Empedocle suiure :
Qui sauue ces gens là, s'oposant à leur mort,
Il s'opose à leur gloire et leur défend le port :
Les gardant de passer l'onde non renageable,
Ils tiennent ce bien là fâcheux et dommageable . io«o
Aussi bien d'autrefois d'vn esprit résolu,
Ils voudront derechef cela qu'ils ont voulu :
Désireux d'acquérir vne gloire nouuelle
Par ce mourir fameux, qui les tient en ceruelle.
Mais courtois de ces fouis il faut auoir pitié, io85
Les garder, secourir, d'vne douce amitié,
Et prier le grand Dieu que leur aine agitée
Du Démon tourmenteux ne soit plus tourmentée.
Gomme vn Alambiqueur tire des minéraux
L'esprit, la quintessence et vertu des métaux, 1090
Fait des eaux de parfum, des huiles salutaires,
Et sçait bien allier maintes choses contraires :
Tandis souuentefois de faux coin, faux alloy,
Il frape monnoyeur sur la face du Roy :
Tout ainsi maint Poëte ayant à gorge pleine 1095
Beu de l'onde sacrée à la docte Neuuaine,
Fera mile beaus vers : Mais souuent orgueilleux
Il meslera des traits mutins et périlleux:
Et souuent contre Dieu superbe il outrepasse
1079. Cf. Virgile :
Evaditque celer ripam irremeabilis undae.
{En. VI, 425).
1081. D'autrefois (sic).
1097 sqq. Cf. Boileau. Art poét., II, 187 sqq.
— 182 —
Par folle opinion les loix du Saint-Parnasse ; noo
Et puis il dément fol : car Dieu le veut punir,
D'auoir aux Saints Edits voulu contreuenir,
Et deslors plein de gloire et de sotte vantance,
Il sera le vangeur de son outrecuidance :
Et si n'aparoist point pourquoy si furieux, 1105
Il veut hausser au Ciel son vers ambitieux,
Ni quelle est la raison de se fureur si grande,
Ni quel vice mutin sur son ame commande :
Ou s'il a le tombeau de son père brouillé,
Ou si dedans son sang, son sang il a souillé, 1110
Polules saints autels, et que par pénitence,
Il luy fust de besoin de punir cette offence.
Il est pourtant tousiours incensé caqueteur,
De ses vers à chacun importun reciteur :
Gomme l'Ours irrité, si de sa caue il ose 1115
Deffaire les barreaus, rompre la porte close,
Loin il chasse tous ceux qui marchent deuant luy :
L'ignorant et le docte ainsi craignants l'ennuy,
S'enfuiront autrepart : Si quelqu'vn il arreste,
De ses vers iargonnant il luy rompra la teste : 1120
Car comme la Sangsue ayant trouué la chair,
Il s'emplira de sang, auant que la lâcher.
La fureur de ces fouis, l'erreur des Poëtastres
Suiuis, malencontreux, de quintes, de desastres,
1105. sqq. Cf.Hor., Ep. aux P., 470-476.
1106. Cf. Boilcau. Art poét., II, 59.
1113. Cf. Boileau. Art poét., IV, 53-58.
— 183 —
Se decouure bien tost : Et se decouure aussi 1125
La passion de tous sous vn voile obscursi :
Car chacun va tousiours ou le plaisir le tire,
L'vn souhaite Bacchus, l'autre Venus désire :
Homère a tant souuent fait les Dieux banqueter,
Que d'aimer le bon vin des Grecs se flst noter : 1130
Car comme on vit iadis que le peintre Arelie
Decouuroit par ses trait sa lasciue folie,
En pourtrayant au vif, sous chacun sien pourtrait,
Celles dont il avoit desia senti le trait,
Aux Temples ayant paint les Romaines déesses, 1135
Par leur face on connut aisément ses maistresses :
Ainsi voit on souuent que beaucoup d'escriueurs
Descouurent leurs désirs descouurant leurs labeurs :
Tant il est bien aisé de cotter la pensée,
Qui leur ame retient aux vices enlassee. 1140
Or, Sire vous offrant souuent de mes escris,
Importun ie craindrois de pécher mal apris
Encontre le public : voyant que vos espaules
Seules portent le fais des affaires des Gaules :
Toutefois puis qu'il plaist à vostre Maiesté, 1145
Que de moy fust escrit des vers quelque traité,
M'ayant tant honoré que daigné m'en escrire :
A vous, ô mon grand Roy, le Prince de bien dire,
1129. 1130. Cf. Horace :
Laudibus arguitur vini vinosus Homerus.
{Ep, I. xix, 6.)
1131 sqq. Anecdote rapportée par Pline l'Ancien, liv. XXXV,
chap. xxxvii. Arelie était un peintre romain du 1er siècle après J.C.
1137-1138. Cf. : Oratio vultus animi est. (Sénèque).
1141 sqq. Cf. Hor., Épit., liv. II, ép. i, 1-14.
— 184 —
Et de toute vertu, qui d'esprit excellent,
Retenez par douceur ce Siècle turbulent : 1150
le présente cet Art de Règles recherchées,
Que sans art, la Nature aux hommes tient cachées:
Non pour vous enseigner (bien qu'en mesmes raisons
Horace ait autrefois enseigné les Pisons)
Mais afin que la Gaule, ainsi que vous sçauante 1155
De ses enseignemens, à l'auenir se vante :
Et que tous ces esprits, qui de mots entassez
D'vn ordre non suiui font des monceaus assez,
Se réglant ne soient plus à ces Singes semblables,
Qui regardans bastir des maisons habitables, nco
Tentèrent plusieurs fois, marmots et babouins,
Le mesme, mais en vain : n'ayant pas les engins
Propres à cet effet : et leur ménagerie
Ne fut rien à la fin que toute Singerie.
le composoy cet Art pour donner aux François :iiG5
Quand vous Sire, quittant le parler Polonnois,
Voulûtes reposant dessous le bel ombrage
De vos Lauriers gaignez, polir vostre langage,
1150. Cf. Virgile:
Hune saltcm everso juvenem succurrere saeclo, etc.
[Géorg. I, 500.)
1159. sqq. Cf. Vauquelin:
On dit, quand au vieux temps les hommes bastissoient
Que les Singes comme eux à bâtir s'efforçoient,
Par mines essayants en tout les contrefaire :
Mais ils estoient sans force et sans outils aussi.
Peut estre. du Bellay, que je veux ainsi faire:
Maints Poètes en France au moins en font ainsi.
'Divers sonnets, 3.)
1165 sqq. Cf. Virgile, Géorgiq, IV, 559 sqq.
— 185 —
Ouir parler des vers parmi le dous loisir
De ces Cloestres deuots ou vous prenez plaisir: îno
Ayant auprès de vous, comme Auguste, vu Mecœne,
Ioyeuse, qui sçauant des Yirgiles vous mené,
Des Horaces, vn Yare, vn Desportes qui fait,
Composant nettement, cet Art quasi parfait.
Depuis vn chant plus haut i'entrepri tout céleste: 1175
Alors que Mars armé du dernier Manifeste,
Me rabaissa la voix. le demeuray soudain,
Comme dans la forest demeure vn petit Dain,
Qui voit vn Ours cruel au pied d'vne descente,
Ouurir les flans batans de sa mère innocente : uso
Il fuit par la brossaille, il fuit de bois en bois,
Timide et défiant il pense à chaque fois,
Reuoir l'Ours qui sa mère et la France deuore :
Depuis ce iour tout tel ie suis poureux encore.
le viuoy cependant au riuage Olenois, 1185
A Caen, ou l'Océan vient tous les iours deux fois ;
Là moy De Yauquelin content en ma Prouince
Présidant ie rendoy la Iustice du Prince.
1172. Joyeuse, mignon de Henri III.
1172-1173. Cf. Hor:ico:
Dilecti tibi Virgiliua Variusque poetre.
(Ép. 11,1,24)
1175. Un Chant. L'épopée dont il a cité le début au IIe livre.
1185. Cf. Virgile, Géorgiq., IV, 563 sqq. — Olenois, c'est-à-
dire de l'Olene, en latin Olena. C'est l'Orne, que Vauquelin ap-
pelle aussi Oulne. (Idyll. 70).
FIN.
GRAMMAIRE
DE L'ART POÉTIQUE DE VAUQUELIN
SYNTAXE ET FORMES GRAMMATICALES
Emploi de l'article. — L'article s'omet avec les noms de per-
sonnes, quand ils sont accompagnés d'un adjectif indiquant
le lieu d'origine. Ex : Pindare Gregois. I, 694. Homère grec et
Virgile Romain. 1,417. — On trouve l'article devant un nom de
personne sans adjectif. Ex: La Madelene. I, 711.
Les noms de montagne s'en passent d'ordinaire. Ex: Grimper
dessus Parnasse. I, 4. Jardinets de Pimple. 1, 11. En Pinde.
I, 94. D'Helicon et Parnasse. HT, 375. — Il s'omet souvent avec
les noms de rivière. Ex : Loire. I, 401. Les bras de Seine. 11,124
Eufrate et Ganges. II, 176. Orne et Seine. 111, 429.
L'article est supprimé avec les noms communs lorsqu'ils se
prennent dans un sens général et indéfini, ou lorsqu'ils sont
abstraits. Ex : Quand à nouvelle chose ils ont un nom donné.
I, 342. Sa loy, ses mandemens...Sont chemins. I, 41. Avec pro-
pre matière. I, 327. Les beaus enseignemensDe l'Art de Poésie.
1, 2. Quiconque a passé de jeunesse le cours. 1, 842. Par des-
tin. II, 200.
Le substantif s'unit souvent au verbe sans article pour for-
mer une sorte de verbe composé. Ex : Donner passage. I, 316.
Souffrir dommage, III, 955.
Les noms joints aux adjectifs mesme, tout, autre, tel, ne
prennent généralement pas l'article. Ex: En tous arts. I,
114. En mesme endroit. 1, 766. De mesme main. 1,206. De tous
hommes. II, 60. Tous Bergers. III, 251. Tel ouvrage. I, 443.
L'article partitif peut être employé devant les noms pluriels
précédés de l'adjectif. Ex: Des gentils bouffons. II, 1015.
— 188 —
L'article peut servir pour plusieurs noms de suite. Ex : Les
Armes des maisons, Anagrammes, Rébus, Emblesmes, et
Blasons. I, 369. L'esprit, la quintessence et vertu des métaux.
III, 1090.
On le trouve dans certaines locutions où nous ne le met-
tons plus Ex: Au couvert pour à couvert. II, 414.
Il se supprime souvent avec le superlatif. Ex: Leurs doc-
trines plus sages. 1, 372. L'honneur des paroles plus belles.
I, 408, A ce qui plus honore. II, 372. Qui le fer des esprits plus
durs aiguiseray. III, 390.
Signalons enfin l'usage de es pour en les. II, 492.
Emploi du substantif. — Quand le substantif se termine par
un é fermé, il prend le pluriel avec uni. Ex: Bontez. I, 144.
Quand il se termine par une dentale, celle-ci peut tomber de-
vant Y s du pluriel. Ex : Enseignemcns. I, 1.
On trouve environ au singulier. Ex : Le plaisant environ. II,
6. De même brossaille (pour broussaille). Ex : Il fuit par la bros-
saille. III, 1181.
On trouve au pluriel : Jeunesses, III, 575. Vaillances. II, 560.
Valeurs. II, 114. Souvenances. I, 52. Barreaux (pourZe barreau,
au figuré) III, 553. Risées III, 552.
Le singulier est mis pour le pluriel dans la locution : Une
moisson de bien. III. 73. On trouve encore cet exemple : Ma-
nières de parler qu'un Rethoricien En Grec apelle Scheme.
II, 921 Le pluriel est mis pour le singulier dans l'exemple sui-
vant : Succédèrent depuis aux marches inegalles Dont marche
l'Elégie. I, 548.
Un certain nombre de substantifs n'ont pas leur genre actuel
Ce sont : Accrost'.che. I, 380. Aise. II, 1135. Anagramme. I, 380.'!
Epigramme. I, 783. Epitaphe. III, 304. Erreur. 1, 1118. Espace.
I, 1123. Guide. II, 231. Humeur. 11,737. Image. I, 105S. Limites.
III, 98. Meslange. II, 55,277. Nacre. I, 736. OEuvre. I, 65,442.
Ombre. 1,416; 111,246, 470. Personne. 111,423-424. Populace.
I, 855. Notons encore : Brouil. III, 118, et Rouil. III, 63.
Les substantifs peuvent s'unir directement au verbe dans
les constructions suivantes : Epouse estre donnée. III, 204.
Qu'il les peust remarquer ou vrais ou faux amis. III, 957.
Les noms propres sont francisés d'une façon souvent bizarre.
Ex : Tancred. I, 611. Vide. I, 65. Timagore. I, 791. Parrasse.
— 189 —
], 703. Pelé. I, 821. Arat. 1, 929. Manile. I, 929. Aglaïe. II, 10.
Latie. II, 207. Cadme. II, 404. Quintil. III, 987.
Les noms de personnes peuvent, commeles noms communs,
prendre le signe du pluriel. Ex : Nos deux Chevaliers. 1, 973.
Emploi de l'adjectif. — L'adjectif grand reste souvent inva-
riable au féminin, mais d'ordinaire avec une apostrophe. Ex:
GrandRoyne. I, 478.
Vieil se met au lieu de vieux. Ex : Au contraire le vieil vit
plus de souvenance. Il, 367.
L'adjectif est souvent employé comme adverbe. Ex: Aller
joyeux. I, 29. Fidcfle interpréter. I, 950. Les beaus desseins
plus clairs on fa:4 entendre. I, 87. Il fait doux et modeste,
amoureux ses caresses. I, 1015. Qui ne sçait attentif leurs
beaus chants écouter. II, 26.
Notre adjectif premier est mis comme premièrement. Ex:
Premier cette raison flst asservir les voix. I, 89.0n trouve aussi:
Au premier pour tout d'abord. I, 890; un petit pour un peu. III,
627. Signalons encore les composés: Dous bellant. I, 234.
Doux plaisant. I, 919. Doux bruyant. III, 710; et les autres
comme : Pied de bouc. II, 708. Fron-cornus. II. 797.
Des adjectifs au neutre sont pris substantivement. Ex: En
l'Epique. I, 421. Suivant du moyen le sentier. I, 1077. Tout le
précèdent. II, 246. Le tien = tuum. 111, 571. Tentèrent... le
mesme. III. 1162.
Des adjectifs sont employés' comme substantifs avec ellipse.
Ex: Ce hautain. I, 32. Le chetif. I, 289. Maints doctes. I. 415
Un fiévreux I. 220. Des libres vertueux. I, 250. Aux bons et
vertueux. II, 473.
L'adjectif varie en certains cas où l'usage moderne le laisse
invariable. Ex : Amener ses vaisseaux tous chargez de la proye.
I, 187. Toute epleuree. I, 884.
Vauquelin emploie comme adjectifs les mots suivants :
Druide. 11,732. Forestier. 111, 224. Musicien. II, 523. Ravisseur
III, 612. Tavernier. II, 756.
Tel que est usité pour quel que. Ex : Tout autre tel qu'il soit.
III, 689.
Antique est mis avec un sens passif. Ex : L'antique arro-
gance = l'arrogance des anciens. II, 504. De môme : Une
vieille prudence = la prudence d'un vieillard. 1, 135.
Certains adjectifs, qui ne s'emploient plus qu'absolument
dans l'usage moderne, sont construits avec un régime. Ex:
— 190 —
Convoiteux du futur. II, 359. Fugitif de Troye. II, 198. Aux '
siens trop inhumain. III, 161. — Réciproquement, l'adjectif
désireux est employé d'une façon absolue. Ex : Despencier, dé-
sireux, rempli de vanité. II, 346.
D'autres adjectifs s'unissent à leur complément par des
prépositions dont nous ne les faisons plus suivre. Ex : Enclin
pour imiter. 1, 125. Envieux sur. II, 144. Bien qu'il n'y fust pas
né = propre. III, 422. Respectueux à son père. III, 487. Fertille
des blonds cheveux. I, 399. Propre pour exprimer. I, 348.
L'adjectif peut se construire après le relatif qui de la façon
suivante : Les oiseaux à qui sots les filez il veut tendre. 111,1060.
Vauquelin met l'indéfini un en bien des cas où nous met-
trions le défini. Ex : Un visage hideux de quelque laid Thersite.
1, 195. Suivre un coulant Ovide. I, 425. Avecques un espoir du
laurier. I, 1078. Réciproquement : J'avois la chausse neufve. I,
294. — Il supprime un dans bien des cas où nous le mettons.
Ex : De plume divine. 1, 359. Par secrète vertu. II, 42. De voix
un peu hardie I, 815.
Un se met parfois devant le substantif employé en apposi-
tion. Ex : Celuy qui pourroit voir une forest arbreuse... Et la
revoir après sans ombre ni rameaux, Un Taillis remarqué de
quelques balliveaux. III, 1119.
Emploi des noms de nombre. — On trouve deux cents non
suivi d'un substantif. Ex : Si j'en remets deux cents. III, 569.
Emploi des déterminatifs. — Celui, antécédent de qui, est
souvent supprimé. Ex : Qui sçait bien un sujet suivant sa
force élire II ne lui manquera... I,299.0n peut expliquer aussi
par l'ellipse d'un déterminatif les constructions suivantes où
qui équivaut à si l'on : Quels auteurs, quelle trace II faut sui-
vre qui veut grimper dessus Parnasse. I, 4. Dont on ne doit
jamais se détraquer, Qui ne veut le couroux du Prince provo-
quer. I, 53. Il est fort mal aisé les Muses bien gouster,Qui ne
sçait. II, 25.
Grâce à l'ellipse de l'antécédent ce,te relatif peut se rappor-
ter à un groupe de mots. Ex : Soubs l'espèce du bien souvent
on se déçoit: Qui fait que la pluspart desPoëtes s'abuse. I. 270.
Vauquelin dit cela que et cela dont. Ex : Suy cela que tient
la renommée. I, 872. Cela dont les yeux sont fldelles tesmoins.
II, 390.
Ce se construit avec la conjonction que. Ex : Pour ce qu'il
ne pouvoit. II, 662. Cependant que. II, 1049.
— 191 —
| Notons encore l'ellipse de celui, celle dans la construction
suivante: La langue d'Italie et d'Espagne. I, 596.
Cettuy-là se met pour celui-là. III, 497.
Emploi des relatifs. De quoy équivaut à de ce que. Ex : Il se
tient heureux. ..de quoy II peut vivre seulet. I, 1025. Il se met
aussi pour dont, duquel. Ex : Cette harpe... de quoy... il
fredonnoit. II, 174.
A quoy est mis pour à cela = chose à laquelle. Ex : Rends
au bon jugement sujette ta fureur : A quoy te serviront...
I, 942.
Lequel se met pour qui. Ex : Et les vieux composez desquels.
I, 331.
Que s'emploie pour où, dans lequel. Ex : Louant le temps
passé qu'il estoit en jeunesse. Ii, 360. Viendra jamais le temps
que. III, 61. Qu'il conduisoit au lieu que meilleur lui sem-
bloit. III, 809.
Emploi des interrogatifs. Qui est mis pour qiCest-ce-qui. Ex :
Qui plus te restera? 111, 566.
[, L'interrogation indirecte à qui s'emploie dans les construc-
tions suivantes : A qui feroit le mieux. 1, 1050. A qui mieux
escrivants. II, 678.
Quel s'emploie comme interrogation indirecte dans le lati-
nisme ci-dessous : Emerveillez Quel Ange avoit ainsi... I, 105.
Emploi des indéfinis. Quelque chose n'est pas encore devenu
substantif neutre. Ex : Quelque chose indigne d'estre... dite.
1, 1155.
Chacun s'emploie adjectivement. Ex : Chacun couplet. I,
| 659. Chacune chose. I, 811. Chacun âge. II, 329.
L'un est mis pour un. Ex : Comme on voit l'une fois... Et
l'autre fois. II, 893.
L'on est employé, après un verbe dont il est le sujet, au
I lieu de on. Ex : M'en porte l'on envie. 1, 340.
On se construit avec nous et vous dans les locutions sui-
vantes : O vous qui composez, que prudens on s'efforce. I, 295.
I Aux vices nous conduit la faute qu'on évite. I, 283.
Emploi des pronoms personnels Le pronom personnel sujet
est souvent supprimé. Ex : Tu les imiteras et le prix non gai-
i gné peut estre emporteras. I, 525.
L'impersonnel neutre il l'est généralement. Ex : De qui faut
! emprunter. I, 153. Est, et permis sera. I, 385.
— 192 —
Le pronom personnel se met en des cas où nous l'omettons.
Ex : Qui trop veut estre seur.. .11 demeure. I, 275. Mais Scopas...
n'ayant pas osé... il peignit. I, 1059. Les bons esprits... afin
que..., Us mettoient. II, 697.
Il se met pour cela. Ex : Comme il se présente. II, 615.
Moy se met où nous employons me. Ex : Venez moy dire.
11,127.
On trouve se avec un infinitif quand le sujet déterminé
est nous. Ex : Comme pour s'esjouir de v®ir briller la fiame
Des rais d'un beau Soleil par les yeux d'une dame Qui soit
avecques nous : nous ne pouvons pas voir... I, 991. Nous ensei-
gnants... à se porter égaux. II, 733.
Soy se met pour lui, eux. Qui d'Apollon attire àsoy la com-
pagnie, I, 436.
Emploi des possessifs. — On trouve l' adjectif possessif où
nous mettons l'article. Ex : L'espee à son costé. 111, 891. La
lance à son arrest. III, 894. Elevant sa voix. I, 818.
Il est employé dans la construction suivante : C'est assez de
dire... Que sa Muse... III, 929, sa se rapportant au sujet sous-
entendu du verbe dire.
Sien est mis avec l'article pour son. Ex: Il le faut ... dire au
langage sien. I, 958.
Emploi des verbes. — Le verbe aller employé comme auxi-
liaire avec le participe présent d'un autre verbe forme souvent
des périphrases comme les suivantes : En bas iroit rampant.
I, 162. Tous y vont cherchant. I, 465. Qui va.. .contant. I, 634.
Vauquelin use du passif où nous mettons le réfléchi. Ex : 4^,
luy seul soit aussi vostre Museaddressee, III, 8u6. Plus souvent
le réfléchi est substitué au passif. Ex : Dieu se prie. I, 745. ;
Des verbes aujourd'hui réfléchis sont construits sans régime
pronominal, d'une façon absolue. Ex : Chagrin, plaignant sans
cesse, II, 359. Voix bien accordantes, II, 528. Ballets tremou-
sants. II, 543. En lamentant. I. 746. Pour gosser. I, 751. Il s'ap-
paise, il chagrine 11,335. N'arrestant aux paroles fleuries. II, 79
La force... accroissante. II, 148. Mourir, et puis renouveler. I,
390. Le sommeil glissant. 111, 646. Lauriers... flestrissants.
m. 40.
S'admirer est mis pour admirer dans la construction sui-
vante: Le flateur... Plus que le vray loueur s'ébahit et s'ad-
— 103 —
mire. III, 976. S'empirer s'emploie pour empirer. Ex: Les siècles
s'empirants. II, 442.
f Envoler peut avoir un complément direct autre que le pro-
nom personnel. Ex: Quel vent... ma nacelle envole? II, 1103
Des verbes aujourd'hui neutres se construisent transitive-
ment. Ex : Polinisse croyoit la mort d'Ariodant. III, 197.
Ressembler une Hélène. I, 712.
Réciproquement, des verbes aujourd'hui transitifs se cons-
truisent intransitivement, soit avec un régime indirect, soit
d'une façon absolue. Ex : La seule envie D'estre riche et d'avoir
111, 543. Eclairer à ceux. III, 400. Oiseaux degoisan s. I, 718. Aux
bons... il favorisera. II, 473. Fuyant à ses fureurs, II, 146.
Quand le verbe faire est construit avec un infinitif, cet infini-
tif, s'il appartient à un verbe réfléchi, peut perdre son pronom.
Ex : Le fait bien tost ranger à son humble devoir. 1, 46.
i Certains verbes régissent, contre lusage actuel, l'infinitif
sans préposition. Ex : Permis sera Faire naistre. I, 385. Garde
toy... enfraindre. I, 936. Choisir ne te travaille. 1. 418. Brusloit
ouir. II, 149. Chanter... vous nous commanderez. II, 654. Exer-
cité Marcher, 111, 130. Faignant lamenter. 111, 972. De même :
S'y faire une couronne à tous il est loisible. II, 688.
D'autres sont construits avec une préposition autre que dans
l'usage actuel. Ex : S'enhardit de.1, 126. Et le baiser ..qu'on prend
d'une pucelle. I, 782. Se travaille de plaire. I. 814, Responde
avecques. II, 12. Se plaist... d'entendre. II, 341. Puisera .d'une
source. II, 383. Me dois-je hasarder de. II, 879. Enseigne ses
enfants Au trafic. 111,541.
Le verbe peut se construire avec des compléments d'ordre
divers. Ex : 11 faut qu'un mesme fil au sujet s'accommode Et
plein de jugement un tel ordre tenir. I, 264. 11 dit sa jouis-
sance... et qu'ayant. 11,418. Aime chiens et chevaux, et... à voir.
II, 339.
L'indicatif se met pour le subjonctif. Ex : Marri que n'est
ma Muse et plus nette et polie. I, 1159. Aprouvez Que parmi
tant de maux joyeux vous vous trouvez. II, 1145.
L'imparfait du subjonctif est employé au lieu du conditionnel.
Ex : Pour estre comme il deustde vous, Sire, aproché. 11,650.
Le subjonctif se rencontre au lieu de l'indicatif. Ex :Voir
briller la flame Des rais d'un beau Soleil par les yeux d'une
— 194 —
dame Qui soit avecques nous. I, 991. Viendra jamais le temps
que... je voye? III, 67.
Le subjonctif de souhait se passe de la conjonction que. Ex:
Tousjours il te souvienne. 1, 252. Ta Muse ne soit... embeson-
gnee. I, 543.
On trouve le subjonctif où nous mettons l'impératif. Ex : Que
tu saches la règle. 1, 367.
Dans les locutions suivantes, Vauquelin emploie le subjonctif
avec une conjonction, au lieu de l'infinitif. Ex : Et puis on s'es-
bahit que pas à pas on gaigne. II, 39. Y trouve dequoy son
esprit il repaist. I, 458.
L'infinif est souvent substantif. Ex : Leur voler hautain. I
532. En son médire. I, 752. Au mouvoir de leurs doigs. II, 182.
Ce courageux oser. II. 845. Sur l'aisle du penser. 111,42. Un mar-
cher. III, 50L Leur pleurer. III, 973. Ce mourir. III, 1084. Dans
les exemples suivants, l'infinitif est encore un véritable subs-
tantif : Le commencement d'escrire. 111,404. La grâce de parler
111,534. Qui d'aimer le bon vin des Grecs se fist noter. III, 1130
On rencontre souvent des propositions infinitives construi-
tes comme en latin. Ex : L'invention des vers estre des cieux
venue Est une opinion...!. 91. Apollon... Monter au double
mont ne nous souffriroit pas. I, 57. Recognoistre Les Orateurs
se faire et les Poètes naistre.l, 115. J'estime tousjours celle estre
de plus grand chois Qui... 1, 754. Quand Léon le voyant estre
Roger, III, 215. Dans la locution suivante, l'infinitif est incor-
rectement construit: Les argumens connus aux Poëmes ouvers
Comme tiens se liront estre tes propres vers. 1, 945.
Vauquelin emploie l'infinitif en des cas où nous tournons
par une conjonction et un mode personnel. Ex : Mile autres
plaisirs qui tous délicieux Sont, sans les regarder, agréables
aux yeux. I, 725.
L'infinitif est mis pour le participe passé dans l'exemple sui-
vant : Mais il est malaisé de bien proprement dire Ce qu'on
n'a point encor veu par un autre escrire. I, 891.
Nous trouvons une fois l'infinitif coordonné avec le participe
présent. Ex : Mais ne le voyant plus, et porter delans l'ame...
1,999.
Le participe présent employé verbalement varie d'ordinaire
en nombre. Ceux qui... invoquants. I. 142. Les fleuves serpen-
tants, bruyants en leurs canaux. I, 493. Les peintres peignants.
— 193 —
I, 711. Quelquefois, il varie aussi en genre. Ex : Et faites que
les eaux d'Hippocrene chantantes Aprennent leurs chansons
à nos eaux écoutantes. II, 7.
Souvent aussi, le participe demeure invariable. Dans les vers
suivants, de trois participes coordonnés, les deux premiers sont
au pluriel et le troisième au singulier : Buvants, mengeants
ensemble, ensemble aussi chantant. III, 137.
Le gérondif ou le participe présent ne se rapportent pas
nécessairement au sujet de la proposition. Ex : Et désirant de
luy tirer quelque peinture, Tous jours de ce Ciprez il bailloit la
figure. 1,255. Alors des Trobadours Fut la Rime trouvée en chan-
tant leurs amours. I, 549. Dieu se prie aux Temples en chan-
tant. 1, 745. Et ne faut... Croire qu'y voyageant s'y trouve des
dangers. II, 65. Il ne faut jamais qu'un jeune homme gaillard
Représente en parlant la façon d'un vieillard... Ayant tousjours
égard a ce qui plus honore La personne parlante. II, 369.
Le participe présent s'emploie comme substantif. Ex : Le
cœur des regardans. I, 822. Du lisant. II, 286. Aux oyants II, 394.
On le trouve comme adjectif dans les locutions analogues à la
suivante : L'enseignante Epistre. 111, 276.
Quand le verbe auxiliaire et le participe passé sont séparés
par le complément direct, il y a ordinairement accord du parti-
cipe avec ce complément. Ex : Il a nostre langue embellie. I,
335. Ce cas rentre dans la règle générale en vertu de laquelle
le participe s'accorde avec le régime direct qui le précède.
Cependant, même quand il suit son régime, il peut rester inva-
riable. Ex: Quels commencemens LesPoëmes ont eu. 1,2.
Avec la véhémence Qu'en la France a produit. I, 431. A tous les
autres arts aisément surmonté. I, 82.
Quand le complément suit, le participe peut s'accorder avec
lui. Ex : Nature... dedans nousaformee L'impression. I, 843.
Ayant plustost laissée Lagrandeur.l,1115.David avoit choisie...
la sainte Poésie. III, 835.
Le participe passé accompagné d'un nom a quelquefois un
sens équivalent à celui que nous donnerions au substantif tiré
du verbe auquel appartient ce participe avec le nom exprimé
pour complément. Ex : Apres Ilion pris et son mur saccagé.
H, 102. Pour leur gloire chantée. III, 828.
Notons encore la construction suivante : C'est desja trop
long temps cette Muse invoqué. III, 37.
L'usage des temps est le même que chez nous. On trouve
18
— 106 —
pourtant l'imparfait du subjonctif où nous mettons le présent.
Ex : Car il veut rendre un cœur actif eguillonnô Aux exploits
généreux, bien qu'il n'y fust pas né. 111, 421. Comme pourrons
nous espérer que ceux-ci... Aimassent. 111, 573. On trouve
encore le plus-que-parfait pour l'imparfait. Ex : Avoient fort
estimé les nombres Poétiques. II, 932.
Dans la construction suivante : Une Queux je seray, qui...
aiguiseray. III, 389., le pronom personnel détermine la per-
sonne du verbe, bien qu'il ne soit plus grammaticalement le
sujet. Dans l'exemple ci-dessous, le verbe est à la première
personne avec deux sujets de la troisième : Baïf et Tahureau, ,
tous en mesmes années Avions. III, 217; le pronom nous est
compris dans tous.
On trouve un verbe au singulier avec plusieurs sujets de ce
nombre. Ex: Tel estoit d'Euripide et l'Ion et l'Oreste. III, 171.
Puisse Europe, Asie, Afrique. II, 159. L'Héroïc, le Tragic use.
III. 221. Et l'un et l'autre... n'atteindroit. I, 701. Quelquefois
même u;i ou deux de ces sujets sont au pluriel. Ex : Lcssoupr
•çons envieux, les médits, la rancœur... Me faisoit. II, 1085.
Au contraire, le verbe se trouve au pluriel avec un seul sujet
du singulier. Ex: Nul authcur Grec, ni Romain, ni vulgaire...
N'ont entrepris. III, 187. Tout le corps des figures dépeintes
Donnent un grand plaisir. I, 223.
Citons enfin quelques formes grammaticales tombées en
désuétude. La première personne de l'indicatif présent dans
certains verbes n'apasl's. Ex: Deçoy. 1,302. Sçay. I, 747. Repen.
111, 241. De même pour l'imparfait, l'impératif et le passé défini.
Ex : j'avoy. 111, 252. Je pensoy. III, 273. Prend. 1, 13. Fay.1,25
Suy. I, 872. Fein. I, 873. J'entrepri. 111, 1175.
Le conditionnel du verbe debvoir s'écrit debveroit. I, 183. Le
verbe asservir fait au participe asservant. I, 671. Le verbe faite
lir a la troisième personne de l'indicatif présent faut.Wl, 030.
Le verbe Voir t'ait au futur voirrai 1,357. Le verbe ouir aies
formes suivantes : Oit. II, 389. Oy. II, 321. Orra, III, 9503
Oyant. Il, 378.
Usage des prépositions. A. — A signifiant pour devant un
substantif. Ex : Cruelle à. II, 215. A l'homme aimable. II, 58. Soit
enfantée à bienheureuse issue. II, 168. — Signifiant x>our devant
un infinitif. Ex: Biea que la Queux soit à couper inutile. III, 391. .
— Mis pour dans, en. Ex : Il se trouve plus de comments mile
fois Au latin. I, 73. Au bois naistre et mourir. 1, 390. Se gravent
— 197 —
au cerveau. III, 592. À leur honneur. I. 143. — Mis au lieu de
par. Ex: Les Anges à miliers. III, 35. Au naturel déduit. II,
421. — Mis pour de. Ex: Ne laisse à profiter. 1,752. — Notons
encore la locution à tard pour tard. III, 378. — A gouvernant
plusieurs termes coordonnés peut ne s'exprimer qu'une fois.
Ex: Ayant tousjours égard à ce qui plus honore La personne
parlante et ce qui convient mieux. II, 372.
Après. — Nourris des leur enfance après les biens. III, 574.
Auprès. — Se joint directement à son complément. Ex : Au-
près la feuille. II, 636.
Contre. — Mis pour sur. Ex: L'Epitaphe... Mis contre une
coulonne. III, 303.
De — Se supprime parfois après rien, quelque chose, etc., sui-
vis d'un adjectif ou d'un adverbe. Ex : Par ci par la meslé rien ici
tu ne lis. 1, 441. Qu'est-il... rien plus beau? III, 195. — Se sup-
prime encore dans les constructions suivantes. Le but de Galiea,
c'est garder. I, 697. Comme il fait plus beau voir. 1, 193. Il est
fort malaisé... gouster. II, 25. — De pour à. Ex : Dç tort et de tra-
vers. III, 778. Du premier abord... III, 8.— De ma part est mis
comme pour ma part. 111,939. — D'avant s'emploie pour dès
avant. II, 717. — De exprime tous les rapports que le latin rend
par l'ablatif. Ex: De mots injurieux à luy s'adressera. 1,33. D'un
siège de dix ans les grandes villes prises. I, 416. Caché des
rideaux. II, 396. Appuyer d'échalas. 1, 157. Vainqueur d'une
fonde. III, 903. Qui d'unze pieds marchoient. II, 857. — Il peut
avoir aussi le sens du de latin. Ex : Bien chanter de Dieu. II, 1066.
Chanta de sa Francine. I. 581. — De suivi d'un infinitif peut
équivaloir à en avec le gérondif. Ex: Les beaux desseins plus
clairs ont fait entendre, De les soumettre aux lois qu'en prose
les étendre. I. 87. — De gouvernant plusieurs termes coordonnés
peut ne s'exprimer qu'une fois. Ex: Muses, s'il est permis d'en-
seigner l'Art des vers, Et montrer. I, 5. Joyeux de voir de loin
le but qu'il se propose Et voir. III. 468. Dans l'exemple sui-
vant de exprimé avec le premier membre est omis dans le second
pour reparaître dans le troisième: Celuy qui de tout meuble
rare, Riche tapisserie et de beaus lambris pare, III, 751.
En pour dans. Ex : Qui font la Muse en Homère parler. 1, 102.
— Pour sur. Ex: En Pinte résider. I, 94. En la Scène. IL 460.—
Pour de. Ex: En beaucoup de façons. 1, 126. En la sorte. 1, 161.
Encontre pour contre. Encontre le public. III, 1143.
Hors se trouve joint directement à son régime. Ex: Hors la
— 193 —
terre. I, 282. — S'emploie par pléonasme. Ex: Sortant hors de
l'usage. 1,411. Sort hors de page. 11, 338. Echapé hors des
mains. II, 1150.
Par. — S'emploie dans les locutions : Par ci devant. I, 530. Par
sus elle. I, 686. Par après. I, 605.
Parmxj. — Parmy le peuple. I, 649.
Pour. — Avec le sens de au lieu de. Ex: Fonda pour Ilion la
cité de Paris. II, 121. — Suivi d'un infinitif, pour peut signifier
parce que. Ex : Ceux qui blâmeront cette mode enseignante
Pour ne sentir assez. I, 15. Jettent un son plus clair... Pour
estre l'air contraint. I, 85. Ce qu'on void estre simple et sem-
blable Ne passionne point pour estre un et sans fable. II, 287.
— Estre pour a le sens de être capable de, être fait pour. Ex :
Quelque œuvre beau, Qui fust pour ne jamais tomber dans le
tombeau. 111, 577. — Notons encore la construction suivante:
Pour voir plusieurs... faire Plusieurs sortes de vers, ce n'est
pour asseurer Qu'ils pourront amoureux des neuf Sœurs
demeurer. I, 1007.
Sur. — A souvent le sens de par dessus, de préférence à. Ex :
Et sur tous le Poète en son dous exercice Mesle avec la nature
un plaisant artifice. I, 79. Sur tous louable est l'édifice. I, 309.
Avoir l'honneur sur les Italiens. I, 570. — Sur peut se sous-
entendre dans le second terme. Ex : Et sur la ïéïenne et la
Saphique lyre. I, 696. — Par sus s'emploie pour par dessus.
Ex : Par sus elle. I, 686.
Signalons encore l'emploi des anciennes prépositions: Dessus.
Ex: Dessus Parnasse. 1,4. Dessoubs. Ex: Dessoubsla feuille
verte. II, 67. Dedans. Ex: Dedans la ïhebaïde. I, 424. Dehors.
Ex: Dehors du rond compas. II, 777.
Emploi des adverbes. — ^mejeestmis pour en arrière. Ex:
Reculions arrière. I, 983.
Autour est employé adverbialement. Ex: L'air au tour reson-
nant. 1, 790.
Davantage peut-ôtre suivi de que. Ex: Davantage Que l'es-
tude. 11, 275.
Devant s'emploie comme adverbe. Ex: Plus que devant. I,
594. Dans cet exemple il a le sens de auparavant. — Il se met
aussi pour avant. Ex : Si quelqu'un devant vous, si quelqu'un
puis après I, 765. Devant qu'avoir attaint. I, 984.
Dont s'emploie pour d'où. Ex : Despend plustost du Ciel dont
il prend origine. I, 740.
— 199 —
Dudepuis. Ex: Et Baïf dudepuis. I, 577.
Du tout a le sens de entièrement, quand il est employé sans
négation. Ex: Mais qui selon cet Art du tout se formera. I, 69.
Que le bas d'un poisson eust du tout la semblance. I, 212.
Ou se met pour dans lequel. Ex: On y voit le dépit ou poussa
Cupidon. I, 501. Chemins où l'on peut marcher. I, 42.
Outreplus. L'outreplus équivaut à le reste. I, 1085.
Puis se construit avec après. Ex : Y joignant puis après. I, 206.
Tandis signifie pendant ce temps. Ex : Et tandis d'autres vers
ici nous meslerons. 1, 514.
Tant devant un adjectif ou un adverbe s'emploie pour si.
Ex: Tant bien. II, 793. Tant obscure. I, 584. Tant... buissonneux
II, 594.
Tant seulement. Ex : Servoient tant seulement. I, 517. Tant
seulement charbonne. I, 7*5.
Tost est mis pour bientôt. Ex : L'esprit esttost lassé. I, 177.
Aussi tost s'emploie poui* aussi bien, comme dans l'usage
moderne ptutôt pour mieux. Ex : Qu'un grand Capitaine aussi
tost mette en fuite L'ennemi par hasard comme il lait par
conduite. I,. 1031.
Tout pris adverbialement se joint à certains mots pour ren-
forcer le sens. Ex : Tout de mesme. II, 975. Tout ainsi. I, 312.
Tout soudain. III, 626.
ï's'emploie par pléonasme. Ex : Auquel on y doit voir. III, 155.
Ou l'empire d'Euiope... Devoit... y demeurer. II, 125.
Emploi des conjonctions. — Alors que est employé commo
lorsque. Ex : Depuis un chant plus haut j'entrepri tout céleste,
Alors que Mars... Me rabaissa la voix. III, 1175.
Aussi se met pour non plus. Ex : De sorte que le bas ni* le
sommet aussi. I, 221. On ne regarde, aussi. II, 33.
Il s'emploie comme ainsi. Ex : Aussi fera l'honneur. I, 408.
D'autant que équivaut à parce que. Ex : Nos grands vers on
appelle Alexandrins, d'autant Que le roman... 1, 633. Héroïques
ainsi les Carmes furent dits, D'autant que... I. 637.
Avant que se construit avec l'infinitif. Ex : Avant que la
lâcher. III, 1122.
Combien que a le sens de quoique. Ex: Combien que... vous
ayez la sagesse. III, 675.
Comme se met pour comment. Ex : Disons comme on doit
chanter. II, 86. — Il se met pour que après certains termes
servant à exprimer la comparaison. Ex: Aussi tost à bon
18 .
— 200 —
port comme. 1, 1030. Ainsi comme.- II, 818. Il équivaut quel-
quefois à selon que. Ex : Comme sont leurs humeurs. I, 465.
Doncques est mis pour donc. II, 810. I. 2G1.
Et se redouble sans la locution et l'un et Vautre. I. 701.
Parquoy est mis comme pourquoi. Ex : Parquoy doncques
au lieu d'un Satire paillard Nous viens tu figurer Silène le
vieillard. I, 261.
Que est employé par pléonasme. Ex : On voit aussi que l'homme,
ayant... Que de là sont venus. 1, 119. Nous espérons que, quand
vous aurez... Qu'enclin à nous aimer... II, 651. Quand au com-
mencement, au temps de leurs vendenges, Que les Grecs cele-
broiont de Baechus les louenges. II, 427. — Que s'emploie après
sinon dans l'exemple ci-dessous: Ces vers n'estoyent sinon
qu'un gay remerciaient. II, 438.-— On lo trouve dans la cons-
truction suivante: Que je croy. I, 216. — Gouvernant plusieurs
propositions, il peut ne s'exprimer qu'une fois. Ex: De sorte
qu'il egalle un Do *at d'une part, Et de l'autre il seconde. III, 709.
— De même, dans l'exemple qui suit: Comme tout peintre n'est
parfait en chaque part... Mais l'un. I, 773.
Comme sans devant l'infinitif (Ex: Mais sans donner plaisir,
son nom perd un Homère. I, 707), de mfime sans que avec le
subjonctif aie sens de si... ne pas. Ex: Eussent eu le Laurier en
partage Sans que nos vers plaisants... III, 104.
Si s'emploie avec un sens adversatif. Ex : Mais toujours si
faut-il. I, 749 — Gouvernant plusieurs propositions de suite,
il peut ne s'exprimer qu'une fois. — Employé avec une négation
dans un premier terme, il peut se sous-entendre avec le verbe
dans le second terme pris affirmativement. Ex: S'il n'est pro-
pre à la guerre, aux armes nonchalant. II, 617. —Si... que de
équivaut à assez pour. Ex: Si cruelle. ..quedelovoir ainsi. 11,216.
Tant que est mis pour au point que ou de. Ex: Tant que
l'Italien est estimé l'autheur. I, 565. M'ayant tant honoré que
daigné. 111,1147.— Jusqu'à tant que a. le sens de jusqu'à ce que.
Ex: Jusqu'à tant que Thiard... L'eut chanté. I, 567.
Emploi des négations. — Ne forme très souvent une négation
complète. Ex: Afin que la Françoise Muse Sans Art à l'avenir ne
demeure confuse. I, 68. Je ne veux toutesfois qu'un bon esprit.
I, 379. Ne permettez qu'au port nous soyons submergez. III, 6 ;
Ni se met au lieu de et. Ex : Se garde de jouster Ni de vou-
loir. III, 770.
La négation est employée en bien des cas où nous la suppri-
— £01 —
mons. Ex :Despendplustôt du Ciel. ..que non pas de la terre. 1,740.
Une leur quitta pas. Ni le siège second ni le quatriesme pas. II,
829. Deffendre De ne traduire plus. I, 959. Jamais... le Poëte n'est
point avare. II, 602. N'estant point d'aucun vice entaché. III, 786.
La négation ne se répète pas dans la construction suivante :
Nuict ne jour. 111, 65.
Ne peut se supprimer après un verbe ou une conjonction
exprimant la crainte. Ex : De peur qu'un grand amas... sas-
semble. III, 775. Il est encore omis dans la construction sui-
vante: Et ne seroient point plus les François travaillants En
justice... qu'à bien dire ils seroient.. III, 353.
On trouve l'exclamation affirmative dans des cas où l'usage
moderne demande une négation. Ex : Que peut une Lyre ! 11,
579.
Ordre des mots. — Mots isolés. — Le substantif attributif se
met souvent avant le substantif principal. Ex : Tu dois de cha-
cun âge aux mœurs bien regarder. II, 329. Qui de guerre et
d'amour cachent les aventures. I, 376.
On trouve souvent un verbe ou un adverbe entre les deux
substantifs. Ex : Les actions légères imitaient des mauvais.
1, 139. Que tu sçaches la règle au vray des Entreprises. I, 367.
De même un complément. Ex Ex: La couronne aux sçavants
de verdoyant laurier. 1, 174. Notons particulièrement l'inver-
sion suivante : Les vers que les Latins d'inégale jointure
Nommoient une Elégie. I, 515.
Le qualificatif se met avant le substantif en bien des cas où
nous le mettons après. Ex : Un Duarin second. III, 681. Le
poli Tourangeau. I, 362. L'entremeslé défaut. I, 705. La cham-
pestre vie. III, 254. En estrangere terre. III, 495. Son seul but
= son but seul. II, 603. Certaine preuve = preuve certaine. I,
907. Notons encore les constructions : Du laid un imité tableau.
I, 202. Enchâsser précieux Le diamant en l'or. I, 762. Dans ce
dernier exemple, le qualificatif précède l'article lui-môme.
Le qualificatif se met après le substantif en bien des cas où
nous le mettons avant. Ex :Et des empires grands les lois. I.
496. Son visage beau. I, 738. Du chant dernier. 11,324. En mon
âge premier. III, 273.
De môme : Chose aucune. III, 348.
Il peut y avoir un adverbe entre les deux termes. Ex : Les
préceptes tousiours généraux observant. I, 529.
Cdrri peut se séparer de qui. Ex : J'estime tousiours celle
— 202 —
estre de plus grand chois, Qui... I, 754. Celuy pour le meilleur
on doit tousiours tenir, Qu'on peut. 111,305.
De môme, on trouve de sorte séparé de que. II, 239.
L'auxiliaire est parfois après le participe. Ex : Ce qu'au couvert
l'amoureux lait aura. II, 414.
L'adverbe est avant le verbe en bien des cas où nous le met-
tons après. Ex : Quand bien on dressera. I, 302. Ce que bien tu
feras. I, 317. Qui tant a voyagé. II, 101. Quand cet eguilion
plus ne les espoinçonne. I, 103.
Il peut être séparé de l'adjectif qu'il modifie. Ex : Au peu
jusqu'à présent imitable Pindare. 111, 728.
Certaines prépositions sont séparées de l'infinitif qu'elles
gouvernent. Ex : Pour d'un ton assez fort l'Héroïque entonner.
I, 437. Pour des Hymnes chanter. III, 308.
Éléments de la proposition. — Le sujet peut se mettre après
le verbe. Ex : On y voit le dépit ou poussa Çupidon La fille de
Dicee. I, 501. Il occupe très souvent cette place quand la pro-
position commence par un complément, adverbe, attribut,
etc. Ex : Par art guide les Naux le Nautonnier. 1, 78. Tousiours
si faut il. I, 749.
Le sujet peut se mettre entre l'auxiliaire et le verbe. Ex :
Pour estre l'air contraint. I, 86. Et l'autel ou jadis fut Diane
adorée. I, 244. Il peut être séparé du verbe par une locution
adverbiale. Ex : Afin qu'elle en bas ne s'ennuye. I, 160. On
trouve dans les interrogations le substantif sujet après le
verbe. Ex : Peut un céleste cœur estre tant irrité ? II, 218.
L'attribut se met souvent avant le verbe. Ex : Tesmoin en
est cet Art. I, 81. Semblable vous verrez un beau livre. 1,218. Si
bien que son Poëme égal et pareil soit. I, 269.
Le régime peut être avant le verbe. Ex : Les huis de Cirrhe
je crochette. I, 8. Son œuvre... le Poëte compose. I, 20. Et le
fils de Latone ils y font présider. I, 93. Qui peindre ne sçavoit.
I. 254.
Il peut s'intercaler entre l'auxiliaire et le verbe. Ex : J'ay cet
œuvre apresté. I, 65. A tous les autres arts aisément sur-
monté. I, 82. Ils ont un nom donné. I, 342. Qui font la Muse
parler. I, 102.
Quand il y a plusieurs pronoms personnels, l'un régime
direct, l'autre indirect, et que le direct est de la troisième per-
sonne, il peut se mettre avant l'autre. Ex .-Montre la nous mar-
rie. I, 832. Il la vous faut soumettre, III, 793.
— 20.* —
Quand les pronoms personnels sont compléments d'un infi-
nitif qui dépend d'un autre verbe, ils se placent souvent avant
le premier des deux verbes, qui joue le rôle d'auxiliaire. Ex :
Il la faut appuyer. I, 157. Nous viens-tu figurer? I, 262.
Notons enfin les constructions suivantes, qui pèchent par
la symétrie : Et qu'ayant la vesture Et d'un Eunuque pris la
grâce et la posture. II, 419. Qu'ils n'ont jugé depuis des Ron-
deaux autrement, Balades, Chants-royaux. II, 946. Et qui sçait
bien ou gist d'un vray juge l'office Et de celuy qui doit. III. 491
Quand le preux flls d'/Eson Mais desloyal amant. I. 641.
II
MÉTRIQUE.
Nous avons apprécié ailleurs la versification de VauqueHn.
Indiquons ici les mots dont la mesure n'est plus la même, et
relevons les rimes qui nous ont paru notables.
Mesure. — La synérèse se fait dans les mots : Bruire. 1, 790.
Ouvrier. 1, 19. Paysan. 11,513. Quatriesme. II, 830.Traison. 11.1048.
La diérèse se fait dans les mots .-Ancien. I. 957, 103i.Babouin.
III, 1161. Barragouyn. III, 638. Duel. I. 489. Fuir. III, 1U29. Huict.
I. 631. Lierre. I, 161, 177. Sagouyn. III, 637. Souisse. I, 807.
Viande. III, 952.
Gayeté compte pour trois syllabes. I, 524.
Vualon est aussi trisyllabique. I, 614.
L'e muet à la fin d'un mot peut compter dans la mesure. Ex:
Fuitif de son pays quand Troye fut en cendre. II, 116. Que les
Fées jadis les enfançons voloient. III, 601.
Il peut aussi, sans élision, ne pas y compter. Ex: Mais tenue,
gresle et simple, et bien peu pertuisee. II, 491,
L'e de ce dans la locution pour ce est élidé. I. 63. De môme Yi
de qui (III, 794) et de si (II, 303). - Au vers 991 du chant II,
l'e de prose ne s'élide pas devant héroïque, dont l'A est aspirée.
Nous ne mentionnons pas en particulier les hiatus, qui sont
d'ailleurs assez rares. Cf. la note du vers, I, 435.
Rimes. — Un grand nombre de rimes sont faites par deux
adjectifs ou deux adverbes.
Les rimes de terminaisons verbales sont très fréquentes.
Voici celles que nous relevons dans les cent premiers vers du
chant II : Sçavez - achevez, chantants-ecoutants, ostez-rabo-
— 204 —
tez, gouster-ecouter, reconnoistre-aparoistre, animees-aimees
mesuré-asseuré, chanter-conter, accoucheront-riront.
En parcourant les trois chants, on pourrait citer beaucoup
d'exemples empruntés à tous les temps et modes. En voici
quelques-uns :
Indicatif présent. — Appuye-ennuye. I, 159. Represente-con-
tente. II, 271.
Indicatif imparfait. — Appeloient-parloient. I, 117. Estoient-
s'arrestoient. I, 213. Contoient-s'arrcstoîent. II, 181.
Indicatif passé défini. — Haussa-passa. II, 531.
Indicatif futur. — Adressera-chassera. I, 33. Sera-dressera.
I, 301. Ostera-restera. III, 565.
Conditionnel. — Attendroit-perdroit. I,701.Vomiroit-admire-
roit. III, 1057.
Subjonctif présent. — Convienne-souvienne. I, 251.
Infinitif. — Detraquer-provoquer. I, 53. Aleguer-voguer. II,
185. Former-animer. III, 517.
Participe présent. — Proumenant-trainant. II, 525. Accor-
dant-accommodant. II. 565.
Participe passé. — Tondues-fendues. I, 27.Tracé-laissé. I, 61 .
Exprimee-aimee. III, 515.
Très souvent un mot rime avec lui-même par l'adjonction
d'un préfixe. Ex: Temps-passetemps. 111,77. Porter-deporter. I •
297. Permis-mis. I, 333.
On trouve aussi beaucoup de rimes formées des deux mémos
mots avec des préfixes différents. Ex : Prononce-annonce. II,
623. Remettre-commettre. II, 663.
Un grand nombre de rimes ont été rendues défectueuses par
un changement de prononciation.
LV se prononçait au xvie siècle dans les infinitifs en er. Delà
les rimes : Mer-surnommer. II, 117. Chair-lacher, III. 1121.
Le c au contraire ne so prononçait pas dans certains mots
où nous le faisons sonner. De là les rimes : Faite-architecte. I»
347. Apres-Grecs. I, 765. Grecs-progrés. II, 301.
De même pour le p. De là la rime : Invite-Egypte. III, 847.
Les deux II ne se mouillaient pas dans gentille et faucitt&l
De là les rimes : Debile-gentille. III, 452. Fertille-faucille.I, 339,
Eu se prononçait u dans certains mots contrairement à l'u-
sage actuel. De là les rimes : Heure-seure. II, 495, Meur-impri-
meur. III. 613. O/se prononçait ouè. De là les rimes : Fois
Calabrois. I, 73. Autrefois-françois. III, 933.
— 205 —
Quoique Vauquelin soit loin d'être exact dans ses rimes, il
l'est assez pour adopter toujours, avec les mots dont l'ortho-
graphe est variable, celle qui convient le mieux au vocable
rimant. Les exemples sont très nombreux. Citons-en deux
caractéristiques : Au vers 356 du chant premier, escuyer s'écrit
avec un y dans l'intérieur de l'hexamètre ; au vers 358, il s'écrit
avec un i pour mieux rimer avec le verbe manier. Même
s'écrit d'ordinaire mesme ; au vers 503 du chant premier, il s'écrit
même pour mieux rimer avec poème. Cette préoccupation de
satisfaire non seulement les oreilles, mais encore les yeux,
est commune à tous les poètes contemporains.
111
ORTHOGRAPHE
Il n'y a pas au xvie siècle d'orthographe fixe et universellement
admise. Non seulement deux écoles opposées, les Etymologis-
^es et les Phonographes se trouvent en présence, mais encore
dans la plupart des écrivains qui se rattachent à l'une où à
l'autre, le caprice seul l'ait souvent toutes les lois. Il est sans
doute un certain nombre de règles générales que maintient la
tradition; pourtant ces règles mômes ne s'imposent pas en
général avec assez d'autorité pour empêcher les transgres-
sions. J. du Bellay déclarait que de son temps « l'orthographe
estoit aussi diverse qu'il y avoit de sortes d'écrivains » ; après
les écrivains, c'était le tour des imprimeurs ; eux aussi avaient
leurs vues ou leurs fantaisies propres, et bien souvent l'au-
teur par indifférence ou lassitude, leur laissait plein pouvoir
sur l'orthographe. On se rappelle que Meigret, le chef des Pho-
nographes, fut réduit, pour faire imprimer un de ses ouvrages,
à abandonner son système.
L'orthographe de Vauquelin n'offre rien de caractéristique.
Elle ne se ^attache à aucune école particulière, et les contradic-
tions s'y rencontrent presque à tous les mots sur lesquels il
pouvait y avoir doute. Nous ne voulons ici que dresser un in-
dex des notations qui sont en désaccord avec l'usage actuel.
Relever un à un tous les vocables de notre auteur qui ne s'écri-
vent pas comme aujourd'hui, c'eût été entreprendre un cata-
logue fastidieux, confus, et qui nous aurait astreint à une foule
de répétitions. Nous n'avions pas d'auire part à faire un travail
— 206 —
d'ensemble sur l'orthographe du xvie siècle : on trouvera pour
cette étude tous les renseignements désirables dans les ou-
vrages de MM. Livet, Darmesteter et Hatzfeldt, Thurot. Quant
à nous, nous avons dû nous borner à un tableau complet,
mais général, qui, tout en nous permettant de ne pas indi-
quer une à une tant de formes similaires, n'en omît pourtant
aucun groupe distinct et donnât pour chacun de nombreux
exemples. Dans ce tableau, nous avons adopté, comme le
plus clair et le plus méthodique, l'ordre des voyelles, diph-
tongues et consonnes, respectivement rangées suivant leur
nature. Pour les explications historiques et philologiques où
nous ne saurions entrer, nous renvoyons aux ouvrages ci-
dessus mentionnés
A. — Pour al dans Fantasia. I, 220, etc. — Pour e dans Garir.
jll, 387, etc. — Pour au dans Embamee. III, 27, etc. — Aa pour
d dans Aage. I, 635, etc
E. — Pour ai dans Marest. I, 397. Eguillon. I, 1013 ; II, 730. .
Défère. III, 207. Epesses. I, 719. Erain. I, 8G. Eman. II, 41, etc.
Pour ay dans Crèon. II, 270. — Pour a dans Cathelane. I, 595.
Biserres. II, 853, etc. — Pour. ci dans Madelene. I, 711, etc. —
Pour ie dans brevement. III, 114. — Pour eu dans abrevé. II,
634, etc. — E muet supprimé à la fin de certains mots. Ex : ,
Pry. III, 629. Bards. III, 832, Dedal. I, 28. Trophé. 111,843. Perse.}
III, 892, etc. — Cette suppression entraîne la chute de la se-
conde l dans Rouil. III, 63. Brouil. III, 118. — E muet sup-
primé au milieu d'un mot dans Carfours. I, 650., cette suppres-
sion entraînant la chute de la seconde r.
I. —Pour e dans Saingclais. I, 571. Impuniment. II, 509, etc.
— Pour y dans Ciprez. I, 254. Ciclic. II, 88, etc.
O. — Pour au dans Toreau. II, 405. Povres. I, 382, etc. —Pour
oi dans Ambrosie. III, 26, etc.— Pour ou dans Trobadour. I,
549. Trope. III, 936. Choëtte. II, 820. Loys (Louis). II, 326, etc!
U. — Pour o dans unze. II, 857, etc. — Pour ou dans juven-
ceau II, 426.
Y. — Pour i dans Cuijvre. I, 84. Voye. I, 59. Roy. I, 17, etc.
Al. — Pour é dans Mme. II, 232. Csesar. II, 559, etc.
AI. — Pour ei dans Emprainte. I, 388. Faint. III, 31. En-
fraindre. I, 935. Plain. II, 173, etc.
EAU. — Pour iau dans Fableaux. II, 950, etc.
EL —Pour ai dans Pleine. I, 39o. — Veine, III 999, etc. — Pour
«dans Pourmeine I, 21S. — Pour i dans Desseignxnt. I, 107 1
— 207 —
EU. — Pour ieu dans Contageuse. III, 336. — Pour o dans
Epleurer. I, 884. — Pourœ dans Meurs.}, ISl.Neud. II, 584, etc.
— Pour u dans Seureté. I, 42. Chevelewe. I, 288. Veu. I, 73, etc.
— Pour ueu dans Majesteux. III, 838.
F&7. — Pour ei dans Veuillant. I, 722, etc.
OF. — Pour o/ dans Cloestres. III, 1170.. Pour édans Mecœne.
III, 933.
07, 0 Y. — Pour ai dans Françoise. I, 12. Reconnoist. I, 599
Gardoit. III, 230, etc.— Pour ez dans Royne. I, 478, etc.
OU.— Pour eu dans Contours. I, 604. Plouvoir. III, 967. P(w-
reMtf.III, 1184,etc. — Pour o dans Elabourez. I, 462. Foute. 1,986.
Router. II, 92. Doumaine. II, 506. Coulonne. 1, 168. Arrousent.
II, 64, etc. — Pour u dans Flouet. II, 139, etc.
OL7. — Pour Mi dans Souisse. I, 867. Bomis. II, 498, etc.
UEI. — Pour eui dans Fueille. 1, 389. ûMe«7. II, 734, etc.
Ul. — Pour i dans Vuide. III, 510, etc.
AV. — Pour en dans Vangeur. I, 49. Avantures. I, 376, etc.
£iV. — Pour an dans Mengeants. III, 137. Vendenges. II, 427.
Harengues. I, 481, etc.
P. — Pourpp dans Apresté. I, 65.^pns. 1, 100. Apartenance.
I, 235. Aportè. III, 146. Roupes. II, 490, etc. — P supprimé dans
Promte. I. 728. rems. I. 1135. C/ia»i. III, 257, etc.
R. — surabondant dans Soubs. 1,90, etc. — R supprimé dans
Suvient. III, 913, etc.
F. — Pour ff dans Afligez. II, 485. Etoufe. 1. 14. Souflement.
I, 110, etc.— F /"pour/" dans Deffendeur. 1, 17. NaufjFrage.I, 259,
etc. — F surabondant dans Neu/ve. I, 294. Naifve. I, SU, etc.
— Dans Apprentif. 1. 382. — F pour p/t dans Eufrate. II, 176.
T.— Pour «dans Floter.l, 893, etc. Gowte. II, 423, etc . — Tt
pour * dans /etté. 1, 479, Secrettes. I, 491. Cotiez. I, 530, etc. —
J surabondant dans Court.l, 573. Romants. I, 601; II, 937. rïranf.
(tyrans). II, 441, etc. — T supprimé dans Ouvers. I, 5. Espris. I,
93. Ergos. II, 433. Puis. III, 862. Doios. 1, 90. Instinc. II, 44. Aspec.
II, 425, etc. — T pour d dans Vieillart. . 541. Sief. II, 331, etc. —
Pour p dans Julet. III, 54.
Z). — Surabondant dans Addressee III, 856. Advertir. I, 909.
-4dm's. II, 286. Rled. 1,402. Mords, 1, 1041, etc. — D supprimé dans
^vi'enf. 1,203. Norman. I, 361. lowrs. II, 776. Fecons. I, 443, etc.
— D pour * Foid. 1, 36. Verde. II, 636, etc.
S- —Surabondant dans Desja. I, 61. Monstrer. I, 95. Soustien.
19
— 208 —
1,170. Tonsjours. 1,252. Fist. 1,19. Aisle. 11,96. Encores. I, 923,etc.
S supprimé dans Retrainte. III, 95, etc. —S pour ss dans Rosi-
gnols.lll, 449. Tremousants. II, 543, etc.— S pour c dans Eclair-
sie. I, 1168, etc.
S pour x dans C/iois. II, 585. Fais (faix). I, 297. Pris (prix). I,
686. Beans. 1, 1. Ausquels. 111,618, etc.— 5 pour s dans Biserre.lï,
853. BisanUn. III, 309, etc.
S pour c dans Entrelassé. 1, 177, etc.
Ar. — Pour s Dans Loix. 1, 88. Pota (poids). II, 1076, etc.— Pour
z dans Dixain. I, 569.
C. — Surabondant dans Auctorité. I, 1149. Droicturier. 1, 173.
Fdïds. I, 44. Effect. III, 337. Licts. I, 47. Picquans. I, 141. Jl/oc-
çuer. H, 867. Comicque. I, 625. Publicques. H, 535. Accrostiche.
1, 380, etc. — C supprimé dans Acomplir. I, 506. Racourci. III, 293.
JçuisUII, 819. Gres.III, 533. Ftans. III, 1180,etc— Cpourgdans
Coc. II, 723. Quelcun. I, 43. Caimandants. I, 821, etc. —Pour #we
dans Cicfa'c. II, 88. Tragic. II, 255. Heroïc. II, 253, etc. — Pour s
dans Offence. II, 468. Depence. I, 76, etc. — Pour £ dans Ambi-
tieux. III, 1008, etc.— Pour # dans Grotesque. I. 237. — Pour ss
dans Face. III, 3, etc.
0. — Pour c dans Esquadrons. I, 453. — Dwe pour c dans Ca-
duque. III, 40.
G. — Supprimé dans Poin. III, 549. — Pour ge dans Gregois.
I, 694.
CJ7. — Pour q dans Nicomache. I, 63. Pirriche. II, 547, etc.
J7. — Surabondant dans Thresor. Il, 74. Autheur. I, 421. Mt-\
rathre. II, 399. Rethoricien. II, 921, etc. — 77 supprimé dans
Armonie. 1, 120. Epitete. I, 524. Rethoricien.il, 921. Alaine.1. 913*
0 (exclamatif). II, 579, etc.
L. — Surabondant dans TWre. I, 703. Poulmons. II, 1096.
Egaulx. II, 1106. Fïewte. I, 391. Bellans. I, 234. Egallees. I, 24.
Fertille. I, 399, etc. — L. supprimé dans m££e. 1,654. Miliers.
III, 35. Fauœ (faulx). II, 637, etc.
M. — Surabondant dans Mommerie. III, 331. Symmetrie. I,
782, etc. — M supprimé dans Epigrame. I, 588. Flame. 1, 112, etc.
2V. — Surabondant dans Prins. II, 968. Besongne. II, 415. Ffora-
gnez.I, 997. Provindence. II, 164, etc.— W supprimé dans Baniere.
1, 344. Para. 1,826, etc.— iV pour m dans Dam. III, 1178. Fain .11,
656.Pa;'/ims.III,946, etc. — Pour gn dans Maline. II, 963. Maqui-
nons. II, 970, etc. — Pour mp dans Conte. III, 840, etc.
209 —
GN. — Pour nn dans Recognoistre. I, 115, etc. —Pour n dans
Desseignant. I, 1071.
R.— Surabondant dans Enclorre. II, 124. Tronverre. 1. 555, etc.
— Supprimé dans Couroux. I, 54, etc.
Contrairement à l'usage actuel, Vauquelin 1° Lie par des
traits d'union un certain nombre de composés comme Mot-de-
Bataillell, 1002. Cotte-d'armes. Il, 1003. Vray-semblable. 111,597.
Non-chalance.ïll, 627. Charle-magne. II, 987.2° Sépare en plusieurs
mots d'autres composés que nous écrivons en un seul, comme
Auparavant. 11,576. Quelque fois. II, 702; III, 646. Long temps.
II, 953. Mal habile. III, 636. Gentil homme. III, 779. Clair voyant.
III, 1011. Puis que. III, 1145. Bien heureux. II, 177,etc.3° Unit au
contraire en un seul mot d'autres composés dont nous sépa-
rons les termes, comme Embas. III, 1062. Autrepart. III, 58; III,
1119. Avancoureur. III, 258. (Temps) Avenir. III, 324. Soyméme.
I, 503. Deslors. I, 585, etc.
L'apostrophe se met souvent avec les mots formés du préfixe
re, comme Rappelé. 1, 574. Rapporter. 1,629. Rentre. I, 659. Elle
peut remplacer l'e à la fin de certains mots, comme Tout'. III,
120. Or', III, 253. Grand'. I, 857, et même dans l'intérieur, comme
Env'loppement. III, 117. Elle remplace aussi Yi de si. Ex: S'Ho-
mere. II, 303, et de qui. Ex. Ce qu'en l'art est requis. III, 794. Elle se
met encore aux mots : D'avantage. 1, 762. N'agueres. III, 108, etc.
Le tréma est mis surl'it de Jouer. 1,671. Louer. 1,678. Veùe. 1,887.
Sur l'e de Queue. II, 965. Proèsse. III, 354. Choètte. II, 820. Poète.
II, 34. Poésie. 1, 168, etc. — Il ne se met pas sur ouir. I, 710.
La cédille se trouve une fois devant e. Face. III, 340.
N'ont pas l'accent aigu: Fécond. I, 110. Elégante. I, 16. Allée.
1, 23. Severe. 1, 45. Epoinçonne. 1, 103. Félon. 1, 1022, etc, etc. N'ont
pas l'accent grave: Sirène. I, 11. Severe. I, 45. Règle. I, 367, etc.
N'ont pas l'accent circonflexe : Blâmeront. I, 15. Ame. I, 152.
Flûte. III, 234. Fâche. II, 763. Grâce. II, 975. Pâmez. I, 848, etc.
A l'accent circonflexe: Chaque. I, 773. A l'accent aigu au lieu du
grave -.Après. 1, 410, etc. ; au lieu du circonflexe : Soyméme. 1, 503.
Le tableau suivant fera ressortir les contradictions de l'or-
thographe dans Vauquelin: Pâmez. I, 848 et pasmeront. I, 856.
Age. II, 1111. et aage. I, 635. Escuyer. I, 356 et escuier. I, 358.
Espaisse. II, 923 etepesse. 1, 719. Vendange. II, 439 etvendenge. II,
427. Mœurs. I, 466 et meurs. 1, 131. Fols. III, 1056 et fouis. 1,986;
Naufrage. I, 479 et nauffrage. I, 259. Esprits. II, 510. et espris.
— 210 —
II, 518. Montrer. I, 178 et monstrer. I, 95. Nouveaux. I, 315 et
beaus. 1, 1. Grecs. III, 78. et Grès. III, 533. Droiturier. III, 818 et
droicturier. 1, 173. Moqué. III, 38 et mocquer. II, 867. Ambitieux.
III, 1106 et ambicieux. III, 1008. Harmonie. I, 151 et armonie.
I, 120. Ftewx. H, 1054 et vieuls. I, 391. Au paravant. II, 576 et
auparavant. III, 835. Davantage. III, 650 et d'avantage. I, 762,
etc., etc.
GLOSSAIRE
VOCABLES TOMBÉS EN DESUETUDE OU DEVENUS D'UN EMPLOI RARE.
Abbander. V. I, 281. Réunir en bandes.
Abortif. Adj. I, 381. Qui est sujet à avorter, qui a avorté.
Absenté. Part. p. I, 1020. Retenu loin.
Abuseur. Adj. III, 40. Trompeur.
Accroissance. S. Il, 892. Accroissement.
Acquêt. S. II, 354. C'est acquisition. Il se prend aussi pour
gain et profit. (Nicot.)
Affaitter. V. I, 354. Apprivoiser un oiseau de proie.
Aigret. Adj. I, 516; II, 816. Tirant un peu sur l'aigre. (Nicot.)
Ains. Conj. I, 808. Mais.
Airêteux. Adj. 1, 1074. Qui a des arêtes saillantes, âpre.
Alambiqueur. S. III, 1089. Celui qui manie l'alambic, alchimiste.
Amiable. Adj. III, 914. Aimable.
Apens. Adj. III, 1067. Prémédité. Faire un meurtre de guet
appens, ou appensé et de propos délibéré. (Nicot.)
Apartenance. S. I, 235. Rapport de convenance.
Araigne. S. III, 62. Araignée.
Arbreux. Adj. II, 1119. Couvert d'arbres.
Armoyé. Adj. I, 344; II, 1000. Armorié.
Arroy. S. III, 837. Équipage, assortiment, appareil.
Artien. S. II, 922. Écolier qui, ses humanités terminées, étu-
die en philosophie.
Attraire. V. III, 943. Attirer.
Avene. S. II, 192. Avoine.
Avette. S. II, 47. Abeille.
Avriller. Adj. I, 727. Du mois d'avril.
Baller. V. I, 552. Danser.
Barbasse. Adj. II, 706. Barbu.
212 —
Bedon. S. II, 498. Tambourin.
Belet. S. II, 53. Sorte de hochet.
Belittrer. V. I, 823. Trotter çà et là, mendiant. (Nicot.)
Bien-heureté S. I, 469. Félicité.
Blasonner. V. III, 82. Mesdire et detracter d'aucun. (Nicot.)
Borde. S. III, 130. Logete portable assise sur quatre roues,
habitacle des bergers aux champs. (Nicot.)
Bouhourd. S. II, 995. Tournoy de plusieurs chevaliers tour-
noyants en foule. (Nicot.)
Bouquin. Adj. II, 693. Débauché.
Bricoller. V. III, 173. Jouer de bricole à la paume.
Brocarder. V. III, 92. Se moquer de.
Brosser. V. II, 593. Courir à travers bois.
Brouil. S. III, 118. Embrouillement.
Brouillas. S. II, 222. Brouillard.
Caimand. Adj. I, 835. Mendiant.
Calvacadour. S. I, 355. Ecuyer.
Carme. S. I, 606, 637 ; III, 967. Vers.
Caut. Adj. I, 316 ; II, 226. Avisé.
Cautelle. S. III, 159. Buse.
Chanterel. S. II, 941. Sorte de petit chant.
Chanterre. S. I, 604. Chanteur.
Charités. S. II, 15. Grâces.
Chefvetain. S. III, 493. C'est le chef, seigneur et conducteur.
(Nicot.)
Chommable. Adj. 1, 922. Qu'on doit ou peut chômer.
Chore. S. III, 85. Chœur.
Comment. S. I, 73. Commentaire.
Compartir. V. I, 26. Diviser.
Compasser. V. III, 376. Mesurer, tirer au compas.
Conforter. V. I, 758. Réconforter.
Conjoindre. V. III, 218. Joindre ensemble.
Conquerre. V. III, 496. Conquérir.
Contemner. V. III, 749. Mépriser.
* Conterie. S.I, 911. Conte.
Contrefaisance. S. I, 120 ; III, 143. Imitation.
Contremont. Adv. I, 165; II, 94. Vers le haut, à contre-sen&,
-ens dessus dessous.
Convenant. Adj. 1, 873. Qui convient, assorti.
Convoiteux. Adj. I, 877. Qui convoite.
— 213 —
Cothurne. Adj. II, 1026. Qui a la forme du cothurne.
Coupeau. S. I, 164; III, 660. Sommet d'une montagne.
Couplé. Part. p. I, 233. Accouplé.
Crêpe. Adj. 1,288. Frisé.
Debauchement. S. I, 986. Débauche.
Déduit. S. II, 421. Divertissement, plaisir de l'amour.
Delaute. S. III, 1024. Défaut, faute.
Dejectement S. I, 656 ; III, 654. Dégradation.
Déparier. V. III, 797. Retirer ce qu'on a dit.
Dépit. Adj. I, 34 ; II, 643. Irrité.
Depiteux. Adj. I, 878. Irrité.
Déport. S. II, 942. Petite pièce de vers gaie.
Desauvager. V. JII, 801. Civiliser.
Desestimer. V. III, 1006. Déprécier.
Desombrager. V. II, 1158. Priver d'ombre.
Despendre. V. II, 355. Dépenser.
Devotieux. Adj. 111, 464. Religieux, pieux.
Dilayeur. Adj. II, 358. Qui diffère.
Discord. S. I, 485. Dissension.
Dommageable. Adj. III, 1080. Qui porte dommage.
Doucelet. Adj. III, 54. Un peu doux.
Droicturier. Adj. I, 173; III, 818. Conforme au droit.
Duire. V. III, 397, 503. Convenir, être avantageux.
Ecouteur. S. I. 829. Celui qui écoute.
Ejouissance. S. H, 1143. Réjouissance.
Embesongné. Adj. I, 543. Occupé.
Emperler. V. III, 49. Orner de perles.
Empirance. S. I, 383. Déchet. (Nicot.) Usure des vocables
comparés à des monnaies.
Enceindre. V. I, 396. Entourer comme d'une ceinture.
Enfançon. S. II, 51. Petit enfant.
Engraver. V. I, 879. Graver dans.
Enjoncher. V. III, 22. Joncher.
Ensuivre. V. I, 63 ; II, 902. Suivre.
Entailleure. S. I, 287. Action d'entailler ou effet de cette
action.
Ententif. Adj. III, 1059. Attentif.
Entrelas. S. I, 22. Entrelacement.
Entremeslement. S. I, 237. Action d'entremêler.
Enviné. Adj. II, 431. Pris de vin.
— 214 -r
Epicède. S. III, 299. Poème funèbre.
Epoinçonner. V. I, 103. Piquer, exciter.
__Epoindre. V. III, 1037. Piquer, exciter.
Escriveur. S. III, 1137. Celui qui écrit.
Esjouir. V. I, 695, 991. Réjouir.
Estranger. V. II, 606. Écarter.
Etançonner. V. I, 167. Etayer.
Etrecy. Adj. I, 84. Etroit.
Event. S. III, 196. Résultat final, issue.
Exercité. Adj. III, 130. Exercé.
Faé. Adj. II, 238. Qui est sous l'influence d'un charme.
Fagotage. S. II, 684. Action de lier en fagots, ou bois propre
à mettre en fagots.
Feintement. Adv. III, 210. Avec feinte.
Feintise. S. II, 632. Feinte.
Flageol. S. II, 266 ; III, 237. Flageolet.
Flûter. V. II, 191. Jouer avec la flûte.
Fonde. S. III, 903. Fronde.
Forlongner (se). V. II, 681. S'éloigner.
Fuitif. Adj. II, 116. Qui s'enfuit.
Gaignage. S. I, 451. Pâturage, champs ensemencés.
Gazouillard. Adj. I, 719. Qui gazouille.
Gemmeux. Adj. I, 735. Qui a la nature de la gemme.
Gent. S. II, 211. Race.
Goffe. Adj. II, 945. Grossier.
Goulûment. Adv. III, 896. Avec gloutonnerie.
Gravois. S. I, 720. Gravier.
Halener. V. 1, 111. Respirer, souffler.
Hante. S. III, 64. Fuste d'une javeline. (Nicot.)
Hantise. S. II, 631. Fréquentation.
Harde. S. I, 281. Troupe de bêtes sauvages. (Nicot.)
Harpeur. S. I, 64. Celui qui joue de la harpe.
Hayette. S. I. 28. Petite haie.
Heur. S. I, 482. Bonheur.
Horvari. S. II, 926. Terme dont usent les chasseurs, quand
les chiens sont tombés en défaut, pour les ramener sur la
piste.
Idyllie. S. I, 787. Idylle.
Imager. S. I, 285. Statuaire.
— 215 —
Incenser (s'). V. II, 1040; III, 41. S'emporter en discours en-
flammés.
Incensé. Part. p. III, 1113. Enflammé, furieux.
Indois. Adj. 1, 753. Indien.
Ire. S. II, 128. Colère.
Itale. S. 1,586, 870. Italie.
Jargonner. V. III, 1120. Parler ou dire dans son jargon.
Jouvance. S. II, 1059. Jeunesse.
Liseur. S. II, 245. Lecteur.
Loist (il). II, 3. Il est permis.
Los. S. II, 439. Gloire.
Loueur. S. III, 976. Celui qui loue.
Majeurs. S. I, 61. Ancêtres.
Martiré. Part. p. I, 1018. Martyrisé.
Mechef. S. I, 482, 982. Fâcheuse aventure, dommage.
Médit. S. II, 1085. Médisance.
Merc. S. III, 193. Dans Nicot, merque pour marque. Merc est
mis pour merque, comme tragic pour tragique, etc.,
Mesconter (se) V. II, 673. Se tromper dans son compte.
Mesmement. Adv. I, 230. De la même façon.
Messeamment. Adv. II, 100. D'une façon malséante.
Mignardelet. Adj. I, 668. Diminutif de mignard.
Mocquable, Adj. III, 149. Qui doit exciter la moquerie.
Mourable. Adj. III, 46. Qui doit mourir.
Naux, S. I, 78. Nefs, vaisseaux.
Neuvain. Adj. III, 11. Composé de neuf personnes.
Nombrable. Adj. II, 495. Qu'on peut compter.
Nouvelet. Adj. II, 430. Diminutif de nouveau.
Nuisance. S. I, 228. Dommage.
Nymphette. S. II, 2. Diminutif de nymphe.
Ocieux. Adj. III, 1007. Oiseux.
OEuvrelette. S. II, 860. Diminutif de œuvre.
Ombragement. S. III, 653. Les ombragemens des peintres :
umbrx pictorum. (Nicot.)
One. Adv. I, 1037. Jamais.
Oppresse. S. II, 1151. Oppression.
Orage. Adj. III, 5. Orageux.
Ore. Adv. I, 356, 401, 683 ; III, 847. Maintenant, tantôt.
Outrecuidé. Adj. I, 44. Présomptueux.
Outreplus. Adv. I, 1085. L'outreplus = le reste.
19.
— 216 —
- Qvalle. S. I, 374. Ecu des souverains.
Palu. S. II, 917. Marais.
Parangon. S. I, 581. Type idéal.
Parlerie. S. 11,911. Langage (en mauvaise part).
Partir. V. I, 24. Diviser.
Pastil. S. I, 406. Pâturage.
Pateline. Adj. III, 507. Fait avec la malice naïve de Patelin.
Patic. Adj. III, 189. Pathétique.
Pédante. S. II, 339. Précepteur.
Pers. Adj. II, 104. Bleu foncé.
Pertuisé. Part. p. II, 192, 491. Percer.
Pitaux. S. III, 1035. Paysans qui formaient des compagnies
à pied ; lourdauds, rustauds, patauds.
Plançon. S. I, 25. Un plançon de fresne ou autre arbre.
(Nicot.)
Piéger. V. III, 953. Fournir caution.
Plorable. Adj. I, 810. Déplorable.
Poëtastre. S. III, 360,937. Mauvais poète.
Polu. Adj. III, 1111. Souillé.
Pourmeiner. V. I, 248. Promener.
Pourmenoir. S. I, 23. Promenoir.
Pour traire. V. I, 188,193. Faire le portrait de, représenter.
Prime. Adj. II, 1059. Premier.
Privément. Adv. II, 746. En particulier.
Proëme. S. III, 111. Introduction, exposition.
Prometteur. S. II, 95. Celui qui promet.
Prononce. S. II, 623. Prononciation.
Prou. Adv. Il, 616. Beaucoup.
Racontement. S. II, 986. Récit.
Racoutrer. V. III, 225. Remettre en état.
Racueilli. Part. III, 68. Accueilli de nouveau.
Radresse. S. Il, 928. Chemin direct.
Radresser. V. III, 1014. Remettre dans le bon chemin.
Rageux. Adj. II, 689. Rageur.
Rai. S. I, 992 ; III, 44,408. Rayon.
Railleux. Adj. II, 722. Railleur.
Raillement. S. II, 742. Moquerie.
Raire. V. III, 386. Raser.
Ramentevoir. V. II, 452. Rappeler.
Rancœur. S. II, 1085. Rancune.
— 217 —
Randon. S; III, 262. Impétuosité.
Rebat. S. I, 790. Retentissement.
Rebouché. Part. p. III, 441. Emoussé.
Reciteur. S. III, 1114. Celui qui récite.
' Recoy. S. II, 1157. Repos, lieu retiré. — A recoy. 1, 1026 =
tranquillement, en secret,
Regardant. S. 1, 822. Spectateur.
Regardeur. S. III, 150. Spectateur.
Rehaussement. S. I, 778. Action de rehausser ou effet de
cette action.
Remontreux. Adj. II, 737. Qui fait des remontrances.
Renageable. Adj. III, 1079. Qu'on peut repasser à la nage.
Repreneur. S. II, 361, 468. Celui qui reprend.
Requêter. V. II, 926. Terme de vénerie, quêter de nouveau.
Retraindre. V. III, 814. Réfréner, écarter de.
Retraire. V. I, 1122. Retirer.
Revancher. V. III, 496. Se venger de, user de représailles.
Riote. S. II, 804. Querelle.
Riotteux. Adj. II, 358,743. Querelleur.
Romanzé. Adj. I, 636. Roman.
Rousoyant. Adj. I, 454. Couvert de rosée.
Router. V. II, 92. Roter. (Nicol.)
Sacre. S. III, 739. Espèce d'oiseau de proie.
Scheme. II, 922. Figure (de rhétorique).
Semblance. S. I, 212. Ressemblance.
Seree. S. I, 724. Soirée.
Serper. V. III, 268. Couper avec la serpe.
Servantois. S. II, 941. Sirvente.
Simplesse. S. II, 899. Simplicité.
Sion. S. II, 150. Rejeton.
Souflement. S. I, 110. Souffle.
Souffrête. S. II, 455. Misère.
Soûlas. S. I, 21, 158. Consolation, soutien.
Souventefois. Adv. III, 1093. Souvent.
Suivamment. Adv. II, 587. Ensuite.
Sylve. S. II, 719. Forêt.
Tabour. S. II, 1091. Tambour.
Tabourin. S. II, 1088. Tambourin.
Tabus. S. I, 1161. Tracas, querelle.
Tistre. V. III, 275. Tisser.
— 218 —
Torte. Adj. III, 151. Tordue.
Tortir. V. II, 561. Tresser.
Tourmenteux. Adj. III, 1088. Qui tourmente.
Trac. S. I, 53. Trace, sentier.
Tymbre. S. II, 1001. Ornement et devise dont en armoiries
on semé un armet. (Nicot.)
Usance. S. II, 891 ; 111, 144. Expérience, pratique.
Vantance. S. III, 1103. Vantardise.
Vanteur. Adj. II, 658. Vantard.
Venteux. Adj. I, 859. Gonûé de vent.
Vermeillet. Adj. III, 18. Diminutif de vermeil.
Viander. V, I, 282. Pâturer, manger.
Viandis. S. I, 452. Pastis ou pasquis oùle cerf et autres bestes
rousses paissent. (Nicot.)
Virevolter. V. III. 1021. Se tourner en rond.
Vite. Adj. II, 822. Rapide.
Vitré. Adj. III, 663. Qui a la couleur du verre.
Vouge. S. III, 1039. Epieu armé d'un large fer.
Vray- semblant. S. II, 313. Vraisemblance.
II
VOCABLES DONT LE SENS A CHANGE
Accorder. V. II, 10. S'accorder.
Accoutrer V. II. 753. Habiller {en bonne part).
Abuser. V. III, 168. User.
Adresse. S. Il, 924. Chemin de traverse, raccourci.
Affable. Adj. I, 647. Aimable. La chanson amoureuse, affable
et naturelle.
Affection. S. II, 851. Passion, prévention.
Aimer (s'). V. III, 477 ; I, 679. Se plaire.
Air. S. I, 413 ; III, 101. Façon, manière.
Aise. S. H, 1135. Plaisir, joie.
Aleguer. V. II, 185. Citer comme exemple.
Annoncer. V. II, 624. Prononcer.
Aparence. S. II, 780. Belle apparence, dignité.
— 219 —
Appartenir. V. I, 854. Convenir.
Apris. Adj. II, 541. Instruit.
Ardant. Adj. II, 147. Enflammé de colère.
Arène. S. I, 12. Sable.
Arquebusier. S. III, 623. Celui qui tire à Parquebuse.
Artifice. S. I, 80, 239. Art.
Artificieux. Adj. II, 57. Artistement fait.
Aspect. S. I, 435. Terme d'astrologie. Les astrologues comp-
taient cinq aspects des astres.
Asseurer. V. II, 152, 888. Solidement affermir.
Atacher. V. II, 764; III, 280. Attaquer.
Augmenter (s'). V. II, 349. Accroître sa fortune ou son rang.
Aviser. V. II, 873. Apercevoir.
Bassement. Adj. I, 808. Dans un style bas.
Bastisseur. S. I, 346. Architecte.
Blanc. S. III, 624. Cible, but.
Branle. S. II, 542. Danse.
Branler. V. I, 724. Mener (des danses).
Brasser. V. II, 214. Tramer, préparer.
Bravade. S. II, 91. Assurance présomptueuse.
Brave. Adj. I, 241, 421 ; II, 1056. Beau, bon.
Bravement. Adv. II, 753- Avec élégance.
Brigade. S. III, 471. Troupe. D'enfants joyeux une brigade belle.
Brouil. S. III, 118. Embrouillement.
Cabinet. S. I, 9. Meuble à tiroirs où l'on enfermait les livres
et papiers.
Catarre. S. III, 387. Flux (de méchants vers).
Cave. S. II, 407; III, 1115. Caveau, cage.
Chef. S. I, 220. Tête.
Chetif. Adj. I, 289. Malheureux.
Commandeur. S. 1, 18. Celui qui a fait commande de quelque
chose.
Commis. S. II, 170. Ministre, représentant, mandataire.
Compas. S. II, 777. Cercle, sphère, dans le sens de domaine.
Conduite. S. I, 1032. Dessein suivi.
Conjoint. Part. p. I, 1043. Joint, uni. Le beau jugement à
Vart conjoint.
Connoissance. S. II, 995. Pannonceau, baniere ou enseigne
où estoit peint le blason d'aucun seigneur ou chevalier. (Nicot.)
Connoistre. V. III, 191. Reconnaître.
— 220 —
Conte. S. III, 840. Cas. Faire conte = faire cas.
Contrefaire. V. I, 780. Imiter, représenter.
Copieux, Adj. II, 1053. Riche et ample de forme, en parlant
d'un écrivain.
Cotter. V. I, 530 ;. III, 1139. Remarquer, noter, observer.
Courage. S. I, 1076. Cœur.
Curieux. Adj. II, 660. Soigneux, minutieux.
Débattre. V. II, 705. Combattre, jouter.
Découvrir. V. I, 320. Mettre au jour, exprimer.
Dédit. Part. p. I, 909. Contredit, désavoué.
Defence. S. II. 467. Soutien.
Défère. V. III, 207. Détruire, faire mourir.
Deffendeur. V. I, 17. Défenseur.
Démener. V. I, 536. Débattre.
Démontrer. V. II, 546. Montrer, représenter.
Dépiter (se). V. I, 818. Sirriter.
Déporter (se). V. I, 298. Se désister de, renoncer à.
Désireux. Adj. II, 346. Plein de désirs.
Détraquer. V. I, 53; III, 470. Égarer du sentier.
Devaller, V. III, 1066. Faire descendre.
Devant. S. III, 618. Ce qui précède. La suite et le devant.
Dire. S. III. 1010. Expression.
Discours. S. II, 69. Paroles, termes, propos.
Discrétion. S. 1, 1134. Discernement.
Distraire. V. III, 563. Soustraire, opérer une soustraction.
Divers. Adj. I, 217. Composé d'éléments hétérogènes.
Divertir. V. I, 998. Détourner.
Divinité. S. II, 589. Théologie, sciences sacrées.
Donneur. S. II, 669. Celui qui donne (en bonne part).
Doucement. V. I, 966. Avec un style doux.
Doucereux. Adj. 1, 181, Doux. Lait doucereux.
Douteux. Adj. I, 1073. Hésitant.
Dresser.V.1, 22,302; H, 538,Former, construire,disposer, établir.
Drogue. S. I, 698. Médecine (sans acception défavorable .
Echafaut. S. I, 786, 820. Scène du théâtre.
Election. S. I, 1133. Choix.
Elire. V. I. 299. Choisir.
Eloquence. S. I, 332. Élocution .
Embouché. Part. p. II, 782. Inspiré dans son langage. Va
Bacchus un Sylene embouché.
— 221 —
Ennuy. S. II, 306. Douleur, affliction.
' Ennuyer (s') V. I, 160. Languir.
Enseigne. S. I, 1003. Signe, symptôme.
Entreprendre. V. II, 1044. Prendre, se charger de. De ces
doux orphelins entreprist la tutelle.
c Entreprise. S. III, 340, 345. Vœu de prendre part à telle aven-
ture; gage qu'on donnait de sa promesse ; insigne qu'on portait
en souvenir du vœu.
Epargne. S. I, 1122. Terme de gravure. Taille d'épargne,
quand, enlevant le fond, les traits qui doivent paraître sont
ceux qu'on épargne, qu'on laisse en relief.
Erreur. S. I, 414,483. Pérégrination, aventure.
Espèce. S. I, 270; 799. Apparence; spécialité.
Esprit. S. I, 505. Inspiration.
Esprits. S. I, 98. Esprit, âme.
Estât. S. II, 350. Situation sociale, charge publique.
Estendre. V. II, 759. Lancer, exprimer.
Estendre (s'). V. II, 878. Se relâcher.
Estrange. Adj. II, 1034. Etranger.
Etage, S. II, 395. Scène du théâtre. .
Etofé. Part p. II, 1003. Garni de tout ce qui est nécessaire
sur la commodité et l'ornement.
Etonner. V. II, 392. Frapper d'horreur, de stupeur.
Excellent. Adj. II, 44. Supérieur, éminent.
Exemplaire. S. I, 748; III, 500. Modèle, image, type.
Expérimenter. V. III, 978. Mettre (quelqu'un) à l'épreuve.
Exprimer. V. I, 348. Représenter, reproduire, rendre.
Fabrique. S. II, 160. Édifice.
Fâcheux. Adj. 11,20. Pénible. Les sentes moins fâcheuses.
Façon. S. II, 37. Manière d'être, mœurs.
Facond. Adj. III, 682. Eloquent (sans acception défavorable).
Faconde. S. II, 315. Eloquence (sans acception défavorable).
Façonné. Part. p. III, 968. Composé. Yeux façonnez.
Fait. S. I, 415,603 Haut-fait.
Fantasie. S. I, 220; III, 416. Imagination, chimère.
Fantastique. Adj. 11,700; III, 383. Fantasque, maniaque.
Farce. S. IL 1012. Pièce de théâtre. La farce tragicque.
Farceur. S. III, 109. Auteur de farces.
Fart. S. III, 510. Art.
Feindre. V. I, 224,322. Représenter, imaginer.
— 222 —
Fier. Adj. I, 624. Farouche.
Figurer. V. I, 262. Représenter. Pourquoy doncques au lieu
d'un Satire paillard Nous viens-tu figurer Silène le vieillard ?
Filet. S. III, 62. Petit ûl (de toile d'araignée).
Finement. Ad. I, 317. Adroitement, ingénieusement.
Fleurete. S. III, 852. Ce qu'il y a de meilleur, de plus fin, etc.
Fredonner. V. 111,621. Chanter, célébrer.
Froisser. V. III, 771. Mettre en menues pièces. (Nicot.)
Front. S. 1, 1112. Abord.
Fruictier. S. I, 448. Arbre fruitier.
Fureur. S. I, 97, 112, 942; 111, 997. Inspiration poétique.
Futur. S. II, 359. Avenir. Convoiteux du futur.
Gaigner. V. III, 12. Attraire et captiver à soy. (Nicot.)
Gaillard. Adj. II, 369. Vif, vaillant.
Gaillardise. S. II, 572. Vivacité, gaieté.
Gendarme. S. I, 473. Homme d'armes, soldat.
Gentil. Adj. I, 180. Joli, gracieux. Gentil Symbolle.
Geste. S. I, 127, 472. Fait, exploit.
Grâce. S. III, 827. Faveur, crédit.
Grammairien. S. I, 537. Critique.
Grave. Adj. II, 762. Qui est à charge, dur, violent.
Gregois. Adj. II, 843. Grec.
Habile. Adj. II, 517. Instruit, savant.
Hautain. Adj. I, 239, 266. Pompeux, noble, élevé.
Hautement. Adv. II, 1025. Avec élévation, avec noblesse.
Hasard. S. II, 866. Risque.
Héraut. S. I, 343. Officier dont une des fonctions était de
régler les fêtes de chevalerie et de tenir registre des noms et
blasons des chevaliers.
Honorer. V. II, 996. Embellir, orner.
Honteux. Adj. II, 496. Qui a de la pudeur, de la réserve.
Idiot. Adj. I, 97. Poétiquement inspiré et ravi hors de soi.
Illuminé. Part p. III, 583. Enluminé, illustré.
Inouï. Adj. I, 895. Qui n'a pas encore été entendu (au sens
propre).
Inventer. V. I, 307. Imaginer, concevoir des idées.
Jetter. V. III, 561. Calculer avec des jetons.
Jeu. S. H, 501. Pièce de théâtre, scène.
Joueur. S. II, 388. Acteur.
Ficher (se). V. 1, 379. S'attacher.
— 223 —
Journal. S. I, 494. Relation jour par jour de ce qui se passe.
Les cercles de la Lune, ou sont les gros journaux Des choses
d'ici bas.
Journalier. Adj. I, 728. Qui dure une journée.
Juger. V. II, 944. Distinguer.
Labeurs S. II, 889. Ouvrages écrits.
Lame. S. III, 304. Pierre sépulcrale.
Langoureux. Adj. III, 454. Languissant, affaibli.
Leurrer. V. I, 354. Dresser au leurre.
Litigieux. Adj. I, 486. Qui est en désaccord.
Loyer. S. II, 437. Prix, récompense.
Malapris. Adj. II, 517. Ignorant.
Malin. Adj. I, 44, 1096. Méchant.
Mandement. S. I, 41. Commandement.
Manie. S. 1, 152. Folie, inspiration poétique.
Mariable. Adj. I, 980. Qui peut se marier. Rendre nostre
François au Latin mariable.
Marmot. S. III, 1161. Singe.
Marque. S. II, 814. Trace. La marque des vieux pas.
Marquer. V. III, 288. Remarquer.
Mémoire. S. I, 561. Mention.
Ménagerie. S. III, 1163. Industrie.
Menterie. S. I, 912. Fiction.
Mentir. V. I, 910. Imaginer.
Mignon. Adj. 1,597. Gentil, joli, charmant. Pétrarque le mi-
gnon.
Mirer. V. III, 623, 674. Viser, contempler.
Mise. S. III, 558. Capital.
Mode. S. 1,568. Manière.
Mommerie. S. III, 331. Mascarade.
Moraux. S. III, 101. Moralités, pièces morales.
Moucher. V. II, 781. Frustrer.
Moyen. S. II, 761. Milieu, moyenne, tempérament.
Muer. V. II, 403. Changer.
Nerfs. S. II, 179. Cordes de la harpe.
Neuvaine. S. III, 1096. Réunion des neuf Muses.
Objet. S. III, 662. Ce qui se présente au regard.
Obscurci. Adj. III, 1009. Obscur.
Offence. S. III, 1040. Blessure (au propre).
Offusquer. V. I, 1141. Obscurcir.
— 224 —
Ombrage. S. II, 1099. Ombre. Une belle lumière amené un
bel ombrage.
Outrepasser. V. I, 44. Transgresser.
Outrer. V. II, 1132. Traverser de part en part.
Parement. S. I, 241 ; III, 757, 850. Parure.
Parfait. Adj. II, 461. Entier, achevé.
Parole. S. 1,408. Vocable.
Patron. S. I, 528. Modèle.
Perruque. S. III, 39. Chevelure.
Pipé. Part. p. II, 1070. Séduit.
Piteux. Adj. I, 479, 824; II, 318, 655. Digne de pitié.
Pitoyable. Adj. III, 157. Attendrissant.
Plaisamment. Adv. II, 522. Agréablement.*
Plaisant. Adj, I. 38,80, 590, 667, 717, 761; 11,2; III, 54.
Agréable, qui plaît.
Plaisir. S. I, 412. Bon plaisir, souveraine volonté.
Pleureux. Adj. II, 231. Éploré.
Poétiser. V. II, 261. Faire des vers.
Poignant. Adj. I, 660. Piquant.
Poindre. V. 1, 1024. Piquer.
Pointure. S. I, 516. Piqûre.
Police. S. III, 492. Gouvernement d'une République. (Nicot.)
Populaire. Adj. III, 944. Composé du peuple. La tourbe popu-
laire.
Port. S. II, 1126. Contenance. (Nicot.)
Porter. V. II, 933. Supporter.
Porter (se).V. H, 734. Se comporter.
Privé. Adj. I, 809. Familier. Vers privez et bas.
Propos. S. I, 232. Opportunité.
Proposer (se). V. 1, 1072. Se représenter.
Prudent. Adj. III, 812. Éclairé, clairvoyant.
Puissance. S. I, 227. Pouvoir. Le Peintre et le Poète ont gaigné
la puissance D'oser...
Quitter. V. II, 829; III, 217. Céder.
Raccourcissement. S. I, 777. Raccourci.
Ranger. V. H, 833. Accommoder.
Rapporter. V. II, 675. Représenter.
Recherché. Adj. III, 1151. Abstrus, caché au vulgaire.
Réduire. V. III, 992. Amender.
Relâcher. V. III, 892. Délivrer, délier.
— 225 —
Remarque. S. I, 560. Marque.
Remarqué. Part. p. II, 1122. Marqué, parsemé.
Rencontrer (se). V. II, 251. S'accorder.
Rentrant. Adj. III, 289. Incisif.
Reprise. S. II, 644. Critique.
Respect. S. I, 1054; II, 449. Scrupule, appréhension, égard.
Au respect de = à l'égard de.
Retarder. V. II, 711. Captiver, tenir sous le charme.
Retirer. V. 1, 985 ; III, 525. Détourner, tirer.
Retour. S. I, 688. Antistrophe.
Rompre. V. II, 642; III, 65. Interrompre.
Rusé. Adj. I, 321. Bien avisé. Lors prudent et rusé Tu peux
\ feindre des mots dont on n'a point usé.
Sacré. Adj. III, 1096. Consacré.
Seconder. V. II, 303; III, 710. Venir le second, venir après.
Secret. Adj. III, 602. Qui agit secrètement.
Séjour. S. III, 65. Tranquillité, loisir.
Sembler. V. I, 464. Ressembler.
Sermonneur. S. II, 750. Sermonnaire.
Seur. Adj. I, 275. Qui est en sûreté.
Seurement. Adv. II, 4; III, 4. En sûreté
Somme. S. 111,644. Sommeil. Parfois le bon Homère est sur-
pris par le somme.
Sommer. V. III, 563. Additionner, faire la somme de.
' Sonner. V. II, 173. Chanter, célébrer.
Sonneur. S. I, 665 ; III, 350. Celui qui chante, poète.
Sornette. S. II, 943. Pièce de poésie.
Sort. S. I, 586. Principal d'une somme d'argent.
Souffreteux. Adj. I, 826. Malheureux.
Subtil. Adj. 1, 781. Habile. L'un sçait bien les couleurs subtil
entremesler.
■ Subtilement. Adv. II, 241. Habilement.
Succez S. III, 169. Issue, fin.
Suivant. Adv. II, 20. A la suite de.
Surtout. Adv. I, 204. Par-dessus tout. Surtout agréable est
la contre f aisance.
Taille. S. III, 268. Taillis.
Tandis. Adv. I, 514. En attendant.
Taxer. V. II, 698. Censurer.
Tellement. Adv. I, 967. De telle sorte.
— 226 —
Tirer. V. 1, 1070, 1049, 1011. Entraîner, amener ; faire le por-
trait de.
Tour. S. I, 688. Strophe.
Tripot. S. III, 773. Jeu de paume.
Vague. Adj. III, 815. Qui ne se fixe pas. Vague accouple-
ment = promiscuité.
Vaillances. S. II, 560. Traits de vaillance.
Valeurs. S. II, 114. Traits de valeurs.
Verdeur. S. I, 175; II, 10. Verdure, couleur verte, fraîcheur
de la jeunesse?
Vesture. S. II, 419. Vêtements.
Viande. S. III, 952. Tout ce qu'on mange.
Vice. S. 1, 1084. Défectuosité, mauvais état.
Vif. Adj. 1, 155. Vigoureux.
Visage. S. I, 738. Aspect.
Volontaire. Adj. III, 960. Qui agit volontiers.
Volontairement. Adv.III, 472. Volontiers.
Vulgaire. S. I, 582, 613. Langue vulgaire.
INDEX
L'Art poétique de Vauquelin est si mal ordonné et si
confus que nous croyons utile de présenter dans un index
les noms des écrivains cités par l'auteur et ceux des genres
dont il s'occupe, avec des renvois au livre du poème et au
numéro du vers.
Acrostiche. I, 3S0. — Ages (ta-
bleau des) . II. 329, — Alexandre
(le Roman à"). I, 634. — Alexan-
drin (le vers). I, 633. — Amadis
(Y — de Gaule). II, 1005. — Ana-
gramme. I, 380. — Angennes
(d'). III, 859. — Aratus. 1, 929. —
Arioste. II, 981 — Aristophane.
III, 99. — Aristote. I, 63, etc. —
Arnaud I, 562. — Art (Y — dans
la poésie. I, 19, 155. L'Art et
la Nature. 111, 371 ; III, S05.
Bàif. I, 337, 577. 924 ; II, 579,
841, etc. — Ballade. I, 546, 554, —
Bardes. III, 832 — Bellay (du).
I, 337, 577, 924 ; II, 579, 841, etc.
— Belleau (Rémi). 111, 108 .249,
etc. — Bembo. I, 599. — Bertaut.
III, 721. — Binet. III, 253. —
Bocage. III, 25fc. — Buchanan.
III. 741.
Cahaignes. III, 705. — Calli-
maque. 1, 540 ; III, 309. — Cartel.
III, 3i9. — Catalane (la langue).
I, 595, 614. — Catulle. II, 855. —
Chanson. I, 647. — Chant royal-
I, 545. — Chantecler. II, 1060;
III, 731. — Chasteauvieux. 1, 751 ;
III, 109. — Chevalier (Robert
et Antoine le). I, 5>73. — Chœur
/le -tragique). II, 467. — Chrétien
(Florent). III, 734, — Claudien.
111, 310. — Comédie (l'unité de
temps dans la). II, 255. L'action
et le récit dans la comédie. II,
413. Licence primitive de la co~
niédie. III, 79. Différentes parties
de la comédie III, 111. Origines
de la comédie, III, 127. Définition
de la comédie. III, 143. — Con-
venance (la — des parties). I, 205.
— Coq à l'âne. II, 723. — Cossê.
III, 865. — Courville. II, 579. —
Critxque (le portrait du vrai). III,
987.
— 228 —
Desportes. I, 591 ; II, 728 ; III,
875, etc. — Dialectaux (restaura-
tion des termes). I, 361. — Didac-
tique (le genre). 1,913. — Dizain.
III, 295. — Dorât. III, 709. —
Doublet. II, 731. — Druides. III,
831. — Duarin. III, 6S1.
E
Elbene (d). I. 691. — Élégie. I,
515. — Entreprise. III, 340. —
Epicède. III, 299. — Epigramme.
III, 287. — Epinay (d'). III, 871.
— Epitaphe. III, 301. — Epitre.
III, 275. — ^Epopée (la matière de
1'). I. 413. Le mètre épique. I,
507 — Le début de l'épopée. II.
87. L'étendue. II, 233. ie héros,
II, 289. L'épopée en prose. II,
231. — Eschyle. II. 1019. — Pren-
nes. III, 295.
Faww (le). III, 705. — Fauve
(le). Il, 1064. — Filleul. III, 717.
— Flamin. II, 855. — Fota; (le
prince de). 1, 350. — Fouilloux
(du). I, 350. — Foulques. I, 562.
— Française (perfectionnement
de la langue). II, 581. /£ ne /awf
pas la dédaigner . III, 747. —
Francière) Jean de). I, 352.
Gallus, I, 541. — Ganasse. I,
859. — Garnter. II, 1053, —
Gauloise (la langue). I, 615, —
Genres (anciens — du moyen âge.)
II, 940 — Grevin. III, 107. -1
Grison (le). I, 357.
Hésiode, 1,607. — Homère. 1, 416, I — Hughes. I, 562. — Huitain.
607, etc. — Horace. 1, 64, 74, etc. | III, 295. — Hymne. III, 307.
ïambe. I, 623; 11,821. - 2mt- I piration (l'-poétique). 1,91; IIJj
tation (l'-poétique). I, 119, — Ins- I 427.
Jamin (Amadis). I, 967. — Jo- I 604. — Jumel (le). II, 731. — Ju*
délie. II, 1035. _ Jongleurs, I, i vénal. II ,811.
— 229 —
Lai. I. 523, — Lancelot. II, 991.
— L'Hospital. III, 715. — Lorris
(Guillaume de). II, 933. — Lucilius,
II, 704. — Lucrèce. I, 931.
M
Maisonnier. II, 1057. — Mal-
herbe. III, 711. — Manilius. I,
929. — Marion. III, 682, — Ma-
rot (Clément). II, 725. — Mar-
tial. III, 288 . — Martin. I, 347.
— Marulle. II, 856; III, 310.—
Mascarade. III, 336- — Mazures
(des). I, 971. — Menandre. III,
102. — Merlin. II, 985. — Mer-
veilleux païen et chrétien. I, 901;
III. 33, 815. — Mesurés (vers).
II, 833. — Meung (Jean de). II,
954. — Michel. III, 705. — Min-
turne. I, 65. — Modus. I, 350. —
Mœurs (l'usage des). I, 835. —
Monin (du). II, 911. — Moralité.
II, 499. — Morin. II, 1019. —
Mots nouveaux. I, 315. — Mouli-
net. III, 857.
N
Nature (la — et l'art). 111,371,
805. L'imitation de la nature. III,
499.
Némond. II, 1050.
Ode. I, 651. — Odelette. I, 667.
— Orphée. III, 303. — Ovide. 1,
425, 541, 921.
Pasquier. III, 745. — Passerat.
III, 729. — Pastorale. III, 22J. —
Pelletier. III, 314. — Péripéties.
III, 195. — Perron (du). III, 71S.
— Péruse (la), II. 1039, — Pétrar-
que.!,^, ^n.— Philetas. 1,540.
— Pibrac. III, 253. — Pindare.
I, 694, etc. — Plaute. III, 100. —
Poésie (Supériorité de la — sur la
prose). I, 83. La poésie à pour
fin de réjouir. I, 697. Elle doit
allier l'utile au beau, I, 753. La
poésie et la peinture. III, 647, —
La médiocrité n'est pas tolérable
en poésie. III, 675, 759. — Œuvre
civilisatrice de la poésie. III, 799.
Poète (chaque — à son talent
particulier). I, 773. Qualités mo-
rales du poète. II, 599. Ses dé-
fauts. II, 636. — Pontan. I, 923;
II, 856. — Properce. I, 541. —
Provençale (la langue). I, 595.
Rapportés (vers). III, 297. —
Reconnaissance (la). III, 189. —
Rembaud. I. 561. — Remon. I,
562. — Rime. I, 550, 600. — Ro-
land furieux. I, 198. — Romane
(la langue). I, 614. — Romans
(les) . I, 601 ; II, 937. — Rondeau
I, 546. —Ronsard. 1,337, 434, 575,
583, 6S7; II, 729, etc. — Rouxel.
III, 702.
— 230 —
Saint Gelais (O. de). I, 970. —
Saint Gelais fMellin de). I, 571.
— Saintemarthe (Scévole de).
I. 925 ; II, 1043 ; III, 707. — Salel.
I, 96S. — Samothes. III, 832. —
Sannazar . III, 235. — Sapho. I,
716. — Sarromides. III, 832. —
Satire (les Satyres et la). II, 679.
La Satire. III, 284. — Scahger
III, 734. — Scève. I, 331, 539.
Second. II, 856. — Sénùque. II
1109 — Sirvente. II, 718.— Sonnet
1, 547, 553, 560, L61, 643. — So>
phocle. II, 1108. — Stace. III
263. — Sueur. III, 727.
Table ronde (la). II, 984, —
Tahureau. III, 247. — Tasse (le).
I, 425, 905, etc. — Tenson. I,
547. — Terence. III, 100. —
Thêocrile. III, 231 — Thespis. II,
1011 — Thiard (Pontus de). I,
333, 567. — Thioise (la langue).
I, 614 — Thou (de). III, 737. —
Tibulle. I, 539. — Tirmois. III,
711. — Toutain. II, 839, 1047. —
Traduction (la — et les traduc-
teurs). I, 955. — Tragédie (le
mètre de la). I, 632. Différence
entre la tragédie et la comédie.
I, 807. Unité de temps dans latra
gêdie. II, 255. Le récit et l'actior*
dans la tragédie. II, 301. Origint
de la tragédie. II, 427, 1011. — La
tragédie doit avot cinq actes. II,
461. — La tragédie est bornée à
trois personnages. II, 466. Lei
sujets modernes et domestiques
dans la tragédie. II, 1109; III,
347. Définition de la tragédie. III,
153. — Tragicomédie . III, 163.
Troubadours. I, 519. — Trou-
vères. I, 555, 603. — Turpin. II,
936.
Vaillant. III, 724. — Val (du).
III, 857. — Variations des lan-
gues. I, 393. — Vau de vire. II,
555. — Vida. 1, 65. — Virgile.
I, 417, 420, 919 ; II, 297 ; III, 233,
etc. — Vitruve. 1,318. — Vrai-
semblance (la). III, 599. — Wal-
lonne ,1a langue). I, 614; II, 959.
Imp. de la Soc. de Typ. - Noizbtte, 8, r. Camp»gne-Première. P«ri».
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PQ Vauquelin de ^a Fresnaye, Jean,
1707 sieur des Yveteaux
V35A7 L'art poétique
1885
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