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Full text of "L'art poétique, où l'on peut remarquer la perfection et le défaut des anciennes et des modernes poésies. Textes conforme à l'édition de 1605. Avec une notice, un commentaire, une étude sur l'usage syntactique, la métrique et l'orthographe et un glossaire"

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L'ART  POÉTIQUE 

DE 

VAUQUELIN 

DE  LÀ  FRESNÀYE 


Imp.  de  la  Soc.  de  Typ.  -  Noizette,  8,  r.  Campagne-Première.  Pari». 


L'ART    POÉTIQUE 

VAUQUELIN 

DE  LÀ  FRESNAYE 

ou  l'on  peut  remarquer  la  perfection 

ET   LE   DÉFAUT 
DES    ANCIENNES    ET    DES    MODERNES    POÉSIES 


TEXTE  CONFORME  A   L'ÉDITION   DE    1605 


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-AVEC  UNE   NOTICE,     UN  COMMENTAIRE 

UNE  ÉTUDE   SUR  L'USAGE  STNTACTIQUE,   LA   MÉTRIQUE  ET    L'ORTHOGRAPHE 

ET   UN*     GLOSSAIRE 


GEORGES    PELLISSIER 

Docteur  es  lettres,  Professeur  de  rhétorique  au  lycée  de  Nancy. 


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PARIS 

GARNIER   FRÈRES,   LIBRAIRES-ÉDITEURS 

6,    RUE   DES   SAINTS-PÈRES,   6 

1885 


768168 


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PRÉFACE 

L'Art  poétique  de  Vauquelin  de  la  Fresnaye,  puplié 
pour  la  première  fois  en  1605,  a  été  réédité  depuis  par 
M.  Achille  Genty  (Paris,  Poulet-Malassis,  1862),  et  par 
M.  Julien  Travers  (Caen,  Le  Blanc-Hardel,  1869,  t.  Ier  des 
OEuvres  complètes  de  Vauquelin). 

Nous  en  dcnnons  une  édition  nouvelle,  d'après  le  texte 
de  1605,  auquel  nous  ne  nous  sommes  permis  de  faire 
subir  aucun  changement  :  c'est  la  première  fois  qu'il  est 
fidèlement  reproduit. 

Cette  édition  est  précédée  d'une  notice  étendue  ;  elle 
est  accompagnée  d'un  commentaire,  pour  lequel  nous 
avons  emprunté  à  M.  Julien  Travers  quelques  renseigne- 
ments d'histoire  ou  de  géographie  locales  ;  elle  est  suivie 
d'une  étude  sur  l'usage  syntaxique,  l'orthographe  et  la 
métrique  de  l'Art  poétique. 

Un  glossaire  renferme  enfin,  avec  leur  explication 
tous  les  mots  tombés  en  désuétude  ou  devenus  rares,  et 
tous  ceux  dont  îe  sens  s'est  modifié. 


/// 


PREMIERE  PARTIE 

LES  ARTS  POÉTIQUES  ANTERIEURS  A  YAUQUELIN 


Aucune  époque  ne  nous  a  laissé  un  plus  grand  nombre 
d'Arts  poétiques  que  le  xvie  siècle  ;  c'est  que,  dans  aucune 
autre,  notre  poésie  n'a  éprouvé  plus  de  vicissitudes.  Le 
xvie  siècle,  c'est  à  la  fois  la  fin  du  moyen  âge  et  le  com- 
mencement de  l'âge  classique  :  il  s'ouvre  en  pleine  déca- 
dence, il  s'achève  en  pieine  Renaissance.  Vauquelin  de  la 
Fresnaye,  dont  nous  réimprimons  la  poétique,  entreprit 
son  œuvre  capitale  au  moment  où  l'école  de  Ronsard  avait 
atteint  l'apogée  de  sa  gloire  en  renouvelant  la  langue,  la 
versification,  les  genres,  la  poésie  elle-même,  non  pas 
seulement  dans  sa  forme  extérieure,  mais  jusque  dans 
son  essence.  Cependant,  on  s'exposerait  à  ne  pas  juste- 
ment apprécier  la  régénération  poétique  dont  ce  poème 
consacre  l'accomplissement,  si  l'on  n'en  recherchait  les 
origines  les  plus  lointaines  et  comme  les  premiers  symp- 
tômes en  remontant  jusqu'à  ces  années  de  barbarie 
érudite  et  de  sénilité  enfantine  que  marquent  les  noms 
de  Crétin,  de  Molinet  et  de  Meschinot.  L'histoire  de  notre 
poésie  au  xvie  siècle  paraît  tout  d'abord  se  t  diviser  en 
deux  périodes  d'égale  étendue,  dont  l'une  se  rattache  au 
moyen  âge,  tandis  que  l'autre  est  signalée  par  une  rup- 
ture éclatante  et  imprévue  avec  toute  tradition  domes- 
tique. Mais,  sans  contester  que,  si  l'on  veut  assigner  une 


—   IV  — 

date  précise  à  la  renaissance  poétique,  celle  de  la  Défense 
et  illustration,  publiée  par  J.  du  Bellay  en  1550,  ne  se 
présente  comme  forcément  à  la  pensée,  il  n'en  est  pas 
moins  vrai  que  nous  voyons  apparaître  de  longues  an- 
nées auparavant  les  premiers  indices  du  nouvel  esprit   j 
qui  transformera  bientôt  notre  poésie-  Ronsard  hâta  le 
mouvement,  il  ne  le  créa  point.   Le  xvie   siècle  s'étend 
depuis  Crétin  jusqu'à  Malherbe,  mais  nulle  part  il  n'y  a    I 
comme  une  solution  de  continuité;  tout  se  tient  et  s'en-    i 
chaîne  :  de  Fabri  à  Sibilet,  de  Sibilet  à  Pelletier,  de  Pelle-    ; 
tier  à  Vauquelin,  nous  trouvons  suite  naturelle  et  progrès   j 
incessant.  C'est  ce  qui  nous  impose  la  tâche  de  jeter  d'à-   \ 
bord  un  rapide  coup  d'œil  sur  les  Arts  poétiques  anté- 
rieurs à  celui  que  nous  publions.  Fabri  nous  fera  con- 
naître l'état  de  la  poésie  en  un  temps  où  la  réforme 
littéraire  porte    seulement  sur  le  vocabulaire  et   sur  la 
syntaxe,  que  les  mots  et  les  constructions  antiques,  res- 
taurés par  les  écumeurs  de  latin,  viennent  quelquefois 
enrichir,  et  plus  souvent  hérisser  de  barbarismes  pédan- 
tesques  ;  Sibilet,  disciple  de  Marot,  nous  montrera  com- 
ment l'école  dont  il  relève,  tout  en  restant  fidèle  aux  tradi- 
tions gauloises,  sait  déjà  puiser  une  inspiration  nouvelle 
aux  sources  antiques  ;  Pelletier,  disciple  de  Ronsard,  nous 
représentera  enfin  cet  âge  héroïque  de  la  Pléiade,  qui, 
dès  lors  victorieuse  et  sûre  de  l'avenir,   parcourt  triom- 
phalement la  vaste  carrière  dont  elle  aperçoit  déjà  le 
terme,  mais  sans  y  avoir  encore  touché. 


CHAPITRE  PREMIER 

LES  ARTS  POÉTIQUES  DE  FABRI  ET  DE  GRACIEN  DU  PONT 

Dans  la  première  partie  du  xvie  siècle,  la  poésie  fran- 
çaise se  rattache  encore  au  moyen  âge  ;  mais  le  moyen 
âge  lui-même  comprend  deux  périodes  qu'il  est  néces- 
saire de  distinguer:  la  plus  ancienne  avait  été  signalée 
par  la  grandeur  héroïque  des  chansons  de  gestes,  la  vi- 
vacité et  l'éclat  du  lyrisme  provençal,  la  verve  maligne 
et  railleuse  des  fabliaux  ;  aussi,  bien  que  les  poèmes  de 
cette  époque  ne  puissent  être  comparés  aux  chefs-d'œuvre 
de  la  Grèce  et  de  Rome,  on  peut  croire  que,  s'ils  n'étaient 
pas  d'assez  bonne  heure  tombés  dans  l'oubli,  les  pro- 
moteurs de  la  Renaissance  n'auraient  jamais  professé  un 
tel  mépris  pour  le  génie  gaulois,  et  que  leur  admiration 
si  légitime  des  anciens  eût  été  tempérée  par  le  sentiment 
plus  ou  moins  vif  d'une  poésie  vraiment  indigène.  Mais, 
au  commencement  du  xvie  siècle,  on  ne  se  souvient  pas 
de  nos  vieux  poètes  :  les  chansons  de  gestes,  que  nul  ne 
cornait  plus,  ont  été  remplacées  par  d'insipides  romans 
d'aventures  ;  à  ces  brillantes  productions  du  génie  lyrique 
qui  avaient  jeté  tant  d'éclat  sur  nos  deux  langues,  ont 
succédé  je  ne  sais  quels  jeux  de  prestidigitation,  indignes 
de  la  poésie  :  quant  à  la  veine  populaire  de  l'esprit  gau- 
lois, elle  n'est  point  tarie  sans  doute  ;  mais  comment 
trouver  en  elle  de  quoi  soutenir  et  alimenter  l'inspira- 
tion du  vrai  poète?  Aussi  ne  faut-il  pas  s'étonner  que  les 
réformateurs  du  xvie  siècle,  comparant  avec  la  perfection 
de  l'antiquité  grecque  et  latine  cette  décadence  du  génie 
national,  dont  ils  ne  soupçonnaient  même  pas  l'ancienne 
fécondité,  répudient  avec  dédain  toute  tradition  dômes- 


—    VI   — 

tique  pour  chercher  en  Grèce  et.  à  Rome  des  guides  et 
des  modèles 

Ce  qu'était  notre  poésie  dans  les  premières  années  du 
xvif  siècle,  nous  pouvons  nous  en  faire  une  idée  exacte  par 
•la  Poétique  que  Fabri  publia  en  1521  (1).  Les  classiques  de 
Fabri  sont  Meschinot,  Crétin  et  Molinet  ;  on  les  considé- 
rait alors  comme  de  grands  poètes  :  tout  leur  mérite  con- 
siste à  éblouir  le  lecteur  par  des  artifices  puérils  et  raf- 
finés ;  ils  croient  avoir  fait  merveille  quand  ils  ont  donné 
à  leurs  pièces  la  forme  d'un  triangle  ou  d'une  fourche  ; 
ils  s'évertuent  à  chercher  les  combinaisons  de  rimes  les 
plus  extravagantes  et  jouent  avec  les  mots  comme  un 
jongleur  avec  ses  billes. 

Élevé  à  leur  école,  Fabri  ne  voit  dans  la  poésie  qu'un 
placage  de  syllabes,  d'autant  plus  méritoire  qu'il  est  plus 
compliqué.  Nous  laisserons  de  côté  la  première  partie  de 
son  traité,  consacrée  tout  entière  à  la  rhétorique  ;  jusque 
dans  la  seconde,  l'orateur  et  le  grammairien  occupent 
d'ailleurs  une  large  place,  et  l'amphibologie,  l'apocope, 
le  pléonasme,  le  tautologie  y  hérissent  leurs  noms  pédan- 
tesques.  Quant  à  la  poétique  elle-même,  elle  consiste  uni- 
quement en  formules  et  en  recettes.  Fabri  commence  par 
définir  le  vers  ;  il  distingue  la  rime  masculine  de  la  rime 
féminine,  et  expose  les  règles  de  la  césure,  telles  qu'onles 
observait  de  son  temps,  avant  que  Jean  le  Maire  de  Bel- 
ges eût  donné  l'exemple  de  ne  pas  terminer  le  premier 
hémistiche  par  un  e  muet  sans  l'élider.  Il  décrit  ensuite 
les  divers  genres  que  cultivent  les  versificateurs  con- 
temporains et  auxquels  notre  poésie  est  alors  réduite  (2). 

1.  Grant  et  vray  art  de  pleine  rhétorique  compilé  et  composé 
par  très  expert,  scientifique  et  vray  orateur  Pierre  Fabri,  en  son  vi- 
vant curé  de  Meray. 

2.  Lay,  virelay,  rondeau,  chapellet,  palinode,  épilogue,  refrain 
branlant,  ballade,  chant  royal,  servantois. 


—  A'II   — 

Parmi  les  formes  de  vers  qu'avaient  pratiquées  nos  an- 
ciens poètes,  quelques-unes  sont  tombées  en  désuétude  : 
l'alexandrin,  qui  avait  fait  si  grande  figure  dans  nos  chan- 
sons de  gestes,  est  appelé  par  Fabri  une  «  antique  ma- 
nière de  rithmer  »  ;  les  rimeurs  du  temps  sont  aussi  in- 
capables de  manier  le  vers  héroïque  que  de  restaurer 
nos  vieilles  épopées,  tombées  depuis  deux  siècles  dans 
un  mortel  oubli.  Quant  aux  genres  que  la  génération 
suivante  empruntera  à  l'Italie  contemporaine  et  à  l'anti- 
quité, il  n'en  est  point  encore  question,  et  l'auteur  de 
l'Art  poétique,  en  1521,  les  ignore  complètement.  Ainsi  la 
poésie  française  laisse  périr  les  monuments  de  son  an- 
cienne gloire,  et,  oublieuse  du  passé,  elle  n'a  encore 
aucun  pressentiment  d'une  rénovation  prochaine  :  elle 
se  passionne  pour  d'épineuses  vétilles  et  s'embarrasse  à 
plaisir  dans  les  rets  d'une  versification  ardue  et  puérile 
où  le  sentiment  et  la  pensée  n'ont  plus  rien  à  voir. 

Fabri  consacre  la  plus  grande  partie  de  sa  Poétique  à 
ces  jeux  de  mots  où  se  complaît  la  Muse  des  Crétin  et 
des  Molinet.  «  La  plus  noble  et  excellente  rithme, 
affirme-t-il,  se  faict  de  termes  équivoques  »;  et  il  part 
de  là  pour  définir  la  rime  entrelacée,  la  rime  annexée,  la 
rime  rétrograde,  etc.  Ces  tours  de  force  où  singé  nient  les 
poètes  du  temps,  Fabri  en  donne  la  formule  avec  une 
gravité  pédantesque,  et  c'est  à  peu  près  toute  la  matière 
de  son  ouvrage.  Il  le  termine  même  en  indiquant  cer- 
taines figures  de  versification  qui  font  du  poète  un  peu 
moins  encore  qu'un  arrangeur  de  syllabes  :  le  parono- 
meon,  par  exemple,  consiste  à  n'employer  dans  un  vers 
que  des  mots  dont  la  lettre  initiale  est  la  même. 

Le  traité  de  Fabri,  dont  l'analyse  qui  précède,  si  brève 
qu'elle  soit,  suffit  à  donner  une  exacte  idée,  nous  fait 
connaître  l'état  de  la  poésie  française  avant  toute  renais- 


—  VIII  — 

sance.«  Dans  les  poésies  de  Crétin,  dit  Pasquier  (I),  j'ai 
trouvé  prou  de  rime  et  équivoque,  les  lisant,  mais  peu 
de  raison.  »  Ces  paroles  peuvent  s'appliquer  à  tous  les 
poètes  contemporains.  Si  le  sens  fait  le  plus  souvent  dé- 
faut à  leurs  vers,  leur  imagination  même  est  frappée  de 
stérilité.  Au  sommet  du  Parnasse,  sur  le  bord  des  sources 
sacrées,  s'est  établie  jene  sais  quelle  officine  d'une  versifi- 
cation laborieuse  et  vaine,  d'où  s'est  vu  bannir  tout  ce 
qu'il  peut  y  avoir  de  libre  et  de  généreux  dans  la  poésie. 
C'est  sous  le  nom  de  rimeurs  que  Fabri  désigne  encore  les 
poètes;  il  convient  admirablement  à  ces  bateleurs  de  la 
rime  dont  tout  l'art  consiste  dans  une  pure  marqueterie. 

La  poésie  française  se  dégagera  bientôt  de  ces  arguties. 
Pourtant  l'Art  poétique  que  Gracien  du  Pont  publia  en 
1539  ne  nous  laisse  encore  pressentir  aucun  symptôme 
de  réforme.  Gracien  était  né  à  Toulouse  et  avait  passé 
toute  sa  vie  en  province  (2)  ;  c'est  ce  qui  explique  com- 
ment son  ouvrage,  malgré  la  date  qu'il  porte,  se  rattache 
à  l'école  de  Crétin  et  de  Molinet  plutôt  qu'à  celle  de  la 
génération  suivante.  Bien  plus,  l'auteur  renchérit  encore 
sur  Fabri  ;  il  le  repiend  d'attacher  tant  de  prix  à  la  rime 
léonime  simple  et  atteste  qu'  «  il  y  a mainctz  aultres  termes 
et  rithmes  plus  nobles,  difficiles  et  supérieures,  comme 
coronees,  retrogradees,  etc.  »  Pour  lui,  toute  rithme  est 
d'autant  plus  belle  qu'elle  impose  plus  de  gêne.  Il  recom- 
mande un  certain  nombre  de  formes  que  son  devancier 
lui-même  avait  omises,  les  rimes  concatenées,  fratri- 
sées,  emperières,  réciproques.  En  un  mot,  son  Art  poé- 
tique ne  fait  guère  que  reproduire  celui  de  Fabri,  mais 
non  pas  sans  raffiner  encore  sur  tant  de  raffinements. 

On  a  souvent  reproché  à  Ronsard  d'avoir  dédaigneu- 

1.  Rech.  de  la  France,  liv.  VII,  chap.  xn. 

2.  Goujet,  Bibl.  fr.,  t.  XI,  p.  184,  sqq. 


—   IX   — 

sèment  répudié  toutes  les  anciennes  traditions  :  le  ta- 
bleau de  la  poésie  française  que  nous  offrent  les  ouvrages 
de  Fabri  et  de  Gracien  du  Pont  montre  assez  quelle  est 
l'excuse  des  novateurs  classiques.  On  peut  blâmer  ou 
railler  l'audace  parfois  malheureuse  de  la  Pléiade  :  si 
notre  poésie  était  demeurée  jusqu'au  milieu  du  xvie  siècle 
dans  un  tel  état  de  stérilité,  comment  Ronsard  et  ses  dis- 
ciples n'auraient-ils  pas  commencé  par  en  faire  table 
rase  ? 

Il  est  vrai,  comme  nous  allons  le  voir,  qu'elle  se  déve-* 
loppera  peu  à  peu,  jusqu'à  leur  avènement.  Déjà  l'on 
peut  découvrir  quelque  indice  d'un  futur  progrès  entre 
Fabri  et  Gracien.  Ce  dernier  repousse  toute  nouveauté  et 
s'indigne  que  «  des  poètes  mesprisent  les  dicts  baulx 
styles  et  termes  graves  comme  equivocques,  coronez,  etc., 
disantz  estre  chose  fort  contrainte  »  ;  mais,  de  telles 
plaintes  nous  le  montrent  elles-mêmes,  ces  poètes 
commencent  à  se  sentir  gênés  dans  les  formules  de  l'é- 
cole qui  reconnaît  pour  chefs  les  Crétin  etlesMeschinot; 
et,  quoique  Gracien  les  appelle  de  «  grossiers  compo- 
seurs  »,  il  ne  peut  empêcher  un  réveil  qui,  dix  ans  plus 
tard,  méritera  le  nom  de  Renaissance. 


CHAPITRE  II 

L'A.RT  POÉTIQUE  DE  THOMAS  SIBILET  ET  LE  QU1NTIL 
CENSEUR  DE  CHARLES    FONTAINE 

Quelques  années  après  que  Gracien  du  Pont  avait  pu- 
blié sa  Poétique,  Th.  Sibilet  en  compose  une  qui  témoigne 
d'un  progrès  sensible  :  l'imitation  des  Grecs  et  des  Ro- 
mains ouvre  déjà  à  notre  poésie  comme  de  nouvelles 
sources.  Fabri  lui-même,  il  est  vrai,  et  les  poètes  ses  con- 

1. 


temporains  n'étaient  pas  sans  connaître  l'antiquité  ;  mais 
à  cette  époque,  on  ne  tirait  profit  des  anciens  que  pour 
les  écumer,  c'est-à-dire  pour  leur  emprunter  des  vocables 
pédantesques  et  bigarrer  la  langue  de  barbarismes 
savants.  Au  contraire,  du  temps  de  Sibilet,  c'est  une  ré- 
novation féconde  qui  commence  :  la  sève  toujours  vivace 
de  l'antiquité  grecque  et  latine  va  ranimer  le  tronc  des- 
séché de  notre  poésie. 

Sans  doute,  dès  les  premières  années  du  xvp  siècle, 
'quelques  rares  écrivains,  par  des  œuvres  plus  vivantes, 
semblaient  annoncer  déjà  une  ère  nouvelle.  Le  plus  cé- 
lèbre d'entre  eux,  Jean  le  Maire  de  Belges,  marque  la 
transition  entre  l'école  de  Fabri  et  celle  de  Sibilet  ;  dis- 
ciple de  Molinet  et  de  Crétin,  il  est  aussi  le  maître  de 
Marot,  qui  le  compare  à  Homère  (1).  Mais,  quelle  qu'ait 
été  l'influence  de  ce  poète,  auquel  Ronsard  lui-même 
dut  beaucoup  (2),  c'est  à  une  génération  postérieure  que 
se  rapporte  directement  l'Art  poétique  de  Sibilet  :  les  re- 
présentants les  plus  connus  en  sont  Héroët,  Boucbet, 
Scève,  Théod.  de  Bèze,  Pontus  de  Thiard,  Pasquier. 
La  plupart  ont  vécu  depuis  les  premières  années  du 
xvie  siècle  jusqu'au  triomphe  de  la  Pléiade,  et  presque 
tous,  après  avoir  dans  leur  jeune  âge  imité  Molinet  et 
Crétin,  ont  fini,  dans  leur  vieillesse, par  seconder  l'œuvre 
de  Ronsard.  Nous  rencontrons  chez  eux  toutes  les  com- 
binaisons de  rimes  et  tous  les  jeux  de  mots  que  Fabri 
recommande  avec  tant  de  complaisance  ;  mais  ces  stériles 
billevesées  ne  forment  au  moins  qu'une  partie  de  leur 
œuvre  ;  ils  ont  déjà  une  idée  plus  haute  et  plus  noble  de 
la  poésie,  et  l'on  peut,  à  bien  des  égards,  les  considérer 

1.  Jean  Lemaire,  Belgeois 

Qui  eust  l'esprit  d'Homère  le  Grégeois. 

2.  Cf.  du  Bellay,  Défense.  —  Pasquier,  Rech.  de  la  Fr,  VII,  1. 


—  XI  — 

comme  les  précurseurs  de  RoDsard.  Scève,Bèze,  Pelletier 
reçoivent  ce  nom  même  d'Etienne  Pasquier  (1)  ;  il  dit  que 
Pelletier  avait  voulu  revêtir  notre  poésie  de  nouvelles 
couleurs  et  que  sa  tentative  fut  couronnée  de  succès  ; 
que  Scève  fut  le  premier  à  ouvrir  une  carrière  nouvelle 
et  à  tenter  des  voies  inconnues.  C'est  au  même  Scève 
que  du  Bellay  écrira  bientôt  ces  vers  : 

Gentil  esprit,  ornement  de  la  France, 
Qui  d'Apollon  sainctement  inspiré, 
Tes  le  premier  du  peuple  retiré 
Loin  du  chemin  tracé  par  ignorance. 

Pontus  de  Thiard,  qu'on  a  coutume  de  compter  parmi 
les  poètes  de  la  Pléiade,  avait  déjà  cherché,  dès  sa  jeu- 
nesse, à  renouveler  la  poésie.  «  J'ay  mis  peine,  disait-il(2), 
d'embellir  et  hausser  le  stile  de  mes  vers  plus  que  n'estoit 
celuy  des  rimeurs  qui  m'avoient  précédé.  >>  En  un  mot, 
tous  les  poètes  dont  nous  avons  rappelé  les  noms  pres- 
sentaient la  renaissance  de  notre  poésie  et  même  la 
préparaient  ;  aussi  Ronsard  et  ses  disciples,  si  dédaigneux 
en  général  de  leurs  devanciers,  les  citent-ils  souvent 
avec  honneur  comme  leur  ayant  frayé  la  route. 

Ce  sont  là  les  maîtres  de  Sibilet  ;  mais,  parmi  tous 
ceux  qu'il  propose  comme  modèles,  nous  en  trouvons 
un  qui  mérite  une  place  à  part,  Clément  Marot.  Malgré  ce 
qu'il  a  de  commun  avec  ses  contemporains,  Marot  se 
distingue  d'eux  par  le  tour  de  son  esprit  tout  gaulois  ; 
ses  qualités  et  ses  défauts  eux-mêmes  lui  font  une  phy- 
sionomie particulière.  Tandis  que  les  autres  poètes  far- 
cissent leurs  moindres  œuvres  d'une  érudition  lourde  et 
indigeste,  il  reste  au  contraire  fidèle  à  la  tradition  do- 
mestique, et,  quoique  formé  à  l'art  des  vers  par  J.  le  Maire 

1.  Rech.  de  la  Fr.,  VII,  7. 

2.  Préface  des  Erreurs  amoureuses. 


—   XII    — 

et  Scève,  il  n'a  jamais  renié  Rutebeuf  et  "Villon.  On  peut 
voir  aisément  ce  qu'il  doit  à  la  culture  latine  ;  sans 
compter  Valère  et  Orose  (1),  il  connaissait  Ovide,  Mar- 
tial, Pétrone  ;  il  traduisit  même,  avec  deux  livres  des 

étamorphoses,  la  première  églogue  de  Virgile  et  le 
chant  nuptial  de  Catulle  en  l'honneur  de  Thétis  et  de  Pe- 
lée. Mais  pourtant  Marot  ne  fut  jamais  un  érudit  et  ne  fit 
jamais  grand  cas  de  l'érudition  ;  il  a  en  aversion  toute 
obscurité  comme  tout  pédantisme,  et  s'attache  à  défendre 
notre  langue  et  notre  poésie  contre  l'étalage  des  termes 
savants  et  du  jargon  prétentieux  qui  menaçaient  d'é- 
touffer les  grâces  légères  et  frêles  de  l'esprit  gaulois. 
Te  est  le  poète  auquel  se  rattache  directement  Th.  Sibilet 
et  au'il  considère  comme  le  classique  par  excellence. 

Sibilet  était  né  en  1517.  Quoique  exerçant  la  charge  d'a- 
vocat au  parlement,  il  s'adonna  tout  entier  à  la  poésie 
et  aux  lettres  ;  très  familier  avec  l'antiquité  grecque  et 
latine,  il  voyagea  longtemps  dans  les  divers  pays  de 
l'Europe  et  apprit  la  plupart  des  langues  qu'on  y  parle. 
Pierre  de  l'Estoile..  dont  il  fut  l'ami,  l'appelle  dans  ses 
mémoires  (21  un  honnête  homme  et  un  savant;  tous 
deux,  à  l'époque  de  la  Ligne,  furent  jetés  en  prison  par 
les  chefs  de  ce  parti,  et  Sibilet  mourut  peu  après  sa  mise 
en  liberté,  l'an  1589.  C'est  là  tout  ce  que  nous  savons  de 
sa  vie. 

Son  Art  poétique  paraît  juste  une  année  avant  la  Dé- 
fense de  du  Bellay,  et  nous  fait  connaître  l'état  de  la 
poésie  française  antérieurement  à  la  Pléiade.  Il  se  divise 
en  deux  livres  :  le  premier  expose  les  règles  de  la  versi- 

1.  J'ay  leu  aussi  le  Romant  de  la  Rose 
Maistre  en  amour,  et  Valere,  et  Orose 
Contant  les  faits  des  antiques  Romains. 

2.  Liv.  T,  chap.  VI. 


—    XIII   — 

lication  et  les  diverses  combinaisons  de  rimes  ;  dans  le 
second,  Sibilet  passe  en  revue  les  genres  que  cultivent 
les  poètes  de  son  temps. 

Pour  la  constitution  même  du  vers,  il  ne  fait  guère 
que  répéter  Fabri  ;  mais  il  donne  les  règles  de  la  coupe 
féminine  ,  et  nous  apprend  que,  méconnues  de  Marot 
dans  sa  jeunesse,  elles  sont  maintenant  observées  par 
tous  les  bons  poètes. 

On  sait  avec  quel  empressement  Scève,  Héroët  et  leur 
école  introduisaient  chez  nous  les  vocables  grecs  et 
latins  :  dans  son  quatrième  chapitre,  intitulé  De  Vêlocu- 
tion  poétique,  Sibilet  conseille  de  procéder  en  ces  em- 
prunts avec  beaucoup  de  réserve  et  de  discrétion  : 
lui-même  trouvait  les  vers  de  Scève  si  obscurs  qu'il 
avouait  ne  pas  les  comprendre.  C'était  bien  là  le  senti- 
ment de  Marot  ;  et  ce  que  son  héritier  direct,  Mellin  de 
Saint-Gelais,  reprochera  le  plus  vivement  aux  poètes  de 
la  Pléiade,  ce  sont  les  mots  à  peine  francisés  qu'eux  aussi 
tireront  parfois  des  langues  antiques. 

Dans  son  cinquième  chapitre,  Sibilet  reconnaît  neuf 
espèces  de  vers  français  «  de  tout  nombre  de  syllabes, 
sauf  de  onze,  de  neuf  et  d'une.  »  D'après  lui,  le  vers  de 
huit  pieds  est  pour  nous  ce  que  le  mètre  élégiaque  était 
pour  les  Grecs  ;  celui  de  dix  pieds,  le  plus  usité  de  tous, 
correspond  au  mètre  héroïque  des  anciens  ;  quant  à  l'a- 
lexandrin, il  est  rarement  employé  à  cause  de  sa  lourdeur. 
Au  sonnet  convient  le  décasyllabe.  A  la  ballade,  le  déca- 
syllabe ou  l'octosyllabe  ;  mais  le  premier  a  plus  de  gravité 
et  le  second  s'approprie  surtout  à  des  sujets  légers  et 
gais.  La  chanson  amoureuse  doit  enfin  être  composée  en 
mètres  très  courts,  si  l'on  veut  qu'elle  se  puisse  chanter 
commodément. 

Pour  les  rimes,  Sibilet  n'ajoute  rien  à  Fabri.  «La  plus 


—   XIV 

élégante  de  toutes»  est  à  ses  yeux  l'équivoque,  «  comme 
celle  qui  Met  ceste  union  et  resemblance  plus  égale  et 
de  ce  plus  poignante  l'ouïe.  »  Bien  plus,  au  dernier  cha- 
pitre de  sa  Poétique,  il  indique  tous  les  genres  de  vers- 
que  Fabri  et  Gracien  du  Pont  avaient  définis,  les  rimes 
fratrisées,  annexées,  concatenées,  etc.  Ces  jeux  de  ver- 
sification dans  lesquels  consistait,  au  commencement  du 
xvie  siècle,  notre  poésie  tout  entière,  et  que  n'avaient 
point  encore  répudiés  les  poètes  de  la  génération  sui- 
vante, Marot  lui-même  les  cultiva  dans  sa  jeunesse.  Son 
disciple  ne  pouvait  donc  pas  les  passer  sous  silence  : 
mais,  tandis  que  Fabri  y  consacre  la  plus  grande  partie 
de  sa  Poétique,  Sibilet  les  relègue  tout  à  la  fin  comme 
quelque  chose  de  purement  accessoire  ;  il  déclare  d'ail- 
leurs que  ces  «  manières  de  rithmer  »  sont  «  de  vieille 
mode,  »  et  que  les  poètes  contemporains  les  ont  aban- 
données. 

En  effet,  la  plupart  des  genres  que  Fabri  avait  recom- 
mandés sont  tombés  en  désuétude  ou  ont  subi  de  sensi- 
bles modifications  ;  au  contraire,  il  en  est  apparu  d'autres 
que  nous  avons  empruntés  aux  anciens  et  qui  déjà  fleu- 
rissent avec  éclat. 

De  la  ballade  et  du  chant  royal  Sibilet  ne  dit  rien 
qu'on  ne  trouve  dans  Fabri  ;  mais  il  nous  apprend  que 
«  les  poètes  les  plus  frians  ont  quitté  les  rondeaux  à 
l'antiquité  »  ;  de  même  pour  les  lays  et  virelays,  tombés 
si  bas  dans  l'estime  des  contemporains  qu'il  «  les  eust 
aisément  laissez  à  déclarer,  s'il  n'eust  craint  faire  tort  à 
l'antiquité,  laquelle  de  ses  rudesses  et  aspretez  nous 
ayant  faict  entrer  aux  polisseures,  doibt  estre  veneree 
de  nous  comme  nostre  mère  et  maistresse.  »  Ce  genre 
avait  été  très  rarement  cultivé  par  les  poètes  du  temps  ; 
Marot  l'avait  abandonné  dès  sa  première  jeunesse. 


—    \Y    — 

Aux  anciennes  formes  qui  tombent  dans  l'oubli  en 
succèdent  d'autres  sur  lesquelles  Fabri  insiste  longue- 
ment. Il  parle  d'abord  de  l'épigramme,  où  Marot  avait 
montré  tant  de  délicatesse  et  de  grâce,  puis  du  sonnet, 
que  Mellin  de  Saint-Gelais  avait  tout  récemment  emprun- 
té aux  Italiens  :  d'après  lui,  ces  deux  genres  traitent  les 
mêmes  sujets  «  fors  que  la  matière  facétieuse  est  répu- 
gnante à  la  gravité  du  sonnet  ». 

L'ode  aussi  a  sa  place  dans  la  Poétique  de  Sibilet.  C'est 
lui  qui  le  premier  (1)  en  introduisit  le  nom  dans  notre 
langue  ;  cependant,  dès  l'année  1547,  Pelletier  composait 
des  poèmes  de  ce  genre,  et  Sibilet  lui-même  cite  une 
chanson  de  Mellin  qu'il  ne  craint  pas  de  donner  comme 
un  modèle  de  l'ode.  D'ailleurs,  la  seule  ode  qu'il  con- 
naisse, c'est  celle  qui  exprime  «  les  affections  tristes  ou 
joyeuses,  craintives  ou  espérantes  de  l'amour».  Pindare 
et  le  genre  pindarique  sont  encore  ignorés. 

Sibilet  passe  ensuite  à  l'épître  et  à  l'élégie.  Il  y  avait 
déjà  longtemps  que  certains  poètes  avaient  cultivé  le 
genre  élégiaque  ;  il  nous  suffit  de  citer  entre  autres  le  nom 
de  Charles  Fontaine  qui,  plusieurs  années  auparavant, 
composait  sur  la  mort  de  sa  sœur  Catherine  un  poème  où 
sa  douleur  s'exprime  avec  une  sincérité  touchante  ;  quant 
à  Marot,  ce  n'est  pas  seulement  dans  l'épître,  mais  encore 
dans  l'élégie  qu'il  était  réputé  comme  le  prince  des 
poètes.  Entre  les  deux  genres,  Sibilet  trouve  fort  peu  de 
différence  :  l'épître,  dit-il,  a  dans  son  domaine  tout  ce  qui 
peut  faire  le  sujet  d'une  lettre;  l'élégie  ne  comporte  pas  une 
aussi  grande  variété,  elle  est  «  triste  et  flebile,  et  traite 
singulièrement  les  passions  amoureuses  »  .  Sans  doute 
l'épître  «  peut  le  faire,  mais  elle  garde  sa  forme  de   su- 

1.  Quoique  Ronsard  s'attribue  «  l'invention  du  mot  comme  de  la 
chose  ». 


—   XVI   — 

perscription  et  de  souscription,  et  le  style  en  est  plus  po- 
pulaire ».' 

Dans  son  chapitre  suivant,  Sibilet  s'occupe  des  buco- 
liques. Il  connaît  l'églogue  «  qui  se  faict  de  perpétuel  fil 
d'oraison  »  ;  il  la  recommande  même,  à  condition  «  que 
lesprosopopeesentremeslees  au  fil  supplissent  l'interlocu- 
teur »  .  Mais,  à  cette  époque,  les  poètes  avaient  coutume 
d'introduire  presque  toujours  des  personnages  dans  la 
pastorale  ;  aussi  Sibilet  réunit-il  sous  le  nom  général  de 
dialogues  les  bucoliques  et  tous  les  genres  dramatiques. 
L'églogue  était  depuis  longtemps  connue  de  nos  poètes  : 
Crétin,  Marguerite  de  Navarre,  Jean  Marot  avaient  com- 
posé des  poèmes  de  ce  genre  :  Salel  et  Clément  Marot 
passaient  pour  y  exceller.  Aucun  d'eux  ne"  connaissait 
d'ailleurs  la  bucolique  autrement  que  sous  forme  d'allé- 
gorie :  dans  maître  Clément,  c'est  le  berger  Colin  qui 
déplore  la  mort  de  la  reine -mère  ;  dans  Salel,  ce  sont 
deux  mariniers,  Merlin  et  Brodeau,  qui  se  lamentent  sur 
«  le  trespas  de  Mgr  François  de  Valoys  ».  La  définition  que 
Sibilet  donne  de  ce  genre  y  convient  parfaitement  :  tel 
qu'on  le  concevait  alors,  le  poëme  pastoral  est  un  «  dia- 
logue entre  bergers,  traitans,  sous  propos  et  termes  rus- 
tiques, morts  de  princes,  calamités  du  temps,  mutations 
de  republiques,  et  telles  choses  sous  allégorie  claire.  » 

Voilà  les  nouveaux  genres  que  nous  trouvons  dans 
Sibilet.  L'épopée  elle-même  ne  lui  est  point  inconnue  ; 
mais  il  n'en  dit  que  peu  de  mots,  et  c'est  à  pbine  s'il 
fait  quelque  différence  entre  le  Roman  de  la  Rose  et 
l'Iliade. 

Dans  un  de  ses  derniers  chapitres,  il  traite  de  la  «  ver- 
sion ou  traduction  » ,  qui  est  considérée  à  cette  époque 
comme  une  sorte  de  genre  particulier.  Il  y  a  longtemps 
que  nos  poètes,  sans  abandonner  les  traditions  domesti- 


—  XVII  — 

que  s,  ont  pourtant  essayé  d'emprunter  aux  Grecs  et  aux 
Latins  cette  gravité  et  cette  élévation  à  laquelle  ils  sen- 
taient bien  que  n'atteignait  pas  notre  langue:  le  meilleur 
moyen,  c'était  assurément  de  traduire  les  chefs-d'œuvre 
antiques.  Dès  1511,  Jean  le  Maire,  dans  ses  Illustrations 
des  Gaules  et  singularitez  de  Troie,  avait  imité  sur  le  latin 
de  Valla  divers  morceaux  de  l'Iliade.  Héroët  avait  traduit 
l'Androgyne  de  Platon  et  l'Art  d'aimer  d'Ovide  ;  Salel,  l'Hé- 
lène d'Euripide  et  les  douze  premiers  livres  de  l'Iliade  ; 
Pelletier,  l'Art  poétique  d'Horace,  les  deux  premiers  livres 
de  l'Odyssée,  le  premier  chant  des  Géorgiques  ;  Octavien 
de  Saint-Gelais,  l'Odyssée  et  l'Enéide  ;  Marot  enfin  avait 
imité  la  première  églogue  de  Virgile  et  Fépithalame  de 
Catulle.  Si,  dans  son  Art  poétique,  Sibilet  attache  un 
grand  prix  à  ce  qu'il  appelle  la  «  Version  »  ,  l'antiquité 
était  déjà  en  tel  honneur  auprès  de  nos  poètes  qu'il  n'y 
a  pas  lieu  de  s'en  étonner.  «  La  version,  dit-il,  est  aujour- 
d'huy  le  poème  le  plus  fréquent  et  mieux  receu  des  es- 
timez poètes  et  des  doctes  lecteurs,  à  cause  que  chacun 
d'eux  estime  grand  œuvre  rendre  la  pure  et  argentine  in- 
vention des  poètes  dorée  et  enrichie  de  nostre  langue.  » 
Lui-même,  suivant  l'exemple  général, traduisit  l'Iphigénie 
d'Euripide. 

Malgré  le  peu  d'années  qui  séparent  Sibilet  de  Fabri, 
on  voit  que  le  caractère  de  la  poésie  s'est  sensiblement 
modifié.  Elle  n'est  plus  un  jeu  d'esprit  ingénieux  et  pué- 
ril. Sibilet  va  jusqu'à  lui  assigner  une  origine  commune 
avec  la  Vertu  :  «  L'une  et  l'autre,  dit-il  non  sans  quelque 
pedantisme,  sont  sorties  de  ce  céleste  et  profond  abysme 
qui  est  le  séjour  mesme  de  Dieu  »  (1).  Au  nom  de  rimeur 
qui  convenait  parfaitement  à  l'école  des  Crétin  et  des 
Molinet,  succède  dès  maintenant  celui  de  poète,  que  Clé- 

1.  Liv.  I,  chap.  i. 


—    XVIII    — 

ment  Marot  et  quelques-uns  de  ses  contemporains  peu- 
vent justement  porter.  Sibilet  comprend  qu'il  faut  régé- 
nérer l'inspiration  poétique,  et  il  s'associe  avec  zèle  au 
mouvement  qui  entraînait  le  génie  français  vers  l'imita- 
tion des  anciens.  Lui-même  savait  de  l'antiquité  tout  ce 
que  son  temps  lui  en  pouvait  apprendre  :  dans  son  traité, 
il  rappelle  (1)  que  l'églogue  est  «  grecque  d'invention, 
latine  d'usurpation,  francoise  d'imitation  »  ;  que  «  la  mo- 
ralité représente  en  quelque  chose  la  tragédie  grecque  et 
latine,  singulièrement  en  ce  que  elle  traite  faits  graves  et 
principaux  »,  et  que,  «  si  la  France  s'estoit  rangée  à  ce 
que  la  fin  en  fust  tousjours  triste,  la  moralité  seroit  tra- 
gédie ».  Quant  à  la  farce  gauloise,  il  n'ignore  pas  combien 
elle  est  différente  de  la  comédie  antique,  mais  il  la  rappro- 
che non  sans  raison  des  mimes  romains  (2).  Après  avoir 
donné  quelques  préceptes  relatifs  à  l'épopée,  il  exhorte 
le  poète  à  «se  former  au  miroir  d'Homère  et  Virgile  »  .  Le 
culte  des  anciens  se  tournait  déjà  en  vrai  fanatisme  ;  non 
contents  d'avoir  renouvelé  leurs  genres,  certains  poètes 
voulaient  leur  emprunter  encore  leur  système  de  versifi- 
cation. Sibilet  blâme  cette  tentative  (3)  ;  mais,  chaque 
fois  que  l'imitation  de  l'antiquité  peut  se  concilier  avec 
les  traditions  de  notre  langue  et  de  notre  génie  national, 
nul  ne  met  plus  de  zèle  que  lui  à  la  recommander.  Dans 
son  neuvième  chapitre,  s'adressant  au  poète  :  «  Je  désire 
en  toy,  dit-il,  parfaicte  connoissance  des  langues  grecque 
et  latine,  car  elles  sont  les  deux  forges  d'où  nous  tirons 
les  pièces  meilleures  de  nostre  harnois.  » 

Sans  doute,  l'Art  poétique  de  Sibilet  n'anticipe  point 
sur  l'avènement  de  la  Pléiade.  Sa  critique  se  borne  encore, 

1.  Liv.  II,  chap.  vm. 

2.  V.  Egger,  Y  Hellénisme  en  France,  14e  leçon 

3.  Liv.  II,  chap.  xv. 


—  XIX  — 

la  plupart  du  temps,  à  de  sèches  formules,  et  il  ne  pénè- 
tre pas~dans  l'essence  même  de  la  poésie.  Aussi  bien  est-il 
loin  d'avoir  une  connaissance  approfondie  de  l'antiquité  ; 
c'est  à  peine  s'il  en  sait  assez  des  genres  dramatiques  de 
la  Grèce  et  de  Rome  pour  saisir  entre  eux  et  les  nôtres 
une  lointaine  parenté  ;  ce  qu'il  dit  du  poème  épique,  dont 
Homère  et  Virgile  lui  fournissaient  pourtant  des  exemples, 
est  bien  vague  et  bien  insignifiant  ;  il  ignore  la  Poétique 
d'Aristote  :  il  ne  fait  même  pas  mention  d'Horace,  que 
cependant  il  connaissait  bien.  .Mais  son  ouvrage  est  celui 
d'un  temps  où  notre  poésie,  si  elle  n'a  pas  encore  pris  un 
grand  essor,  s'efforce  déjà  de  chercher  autour  d'elle  des 
horizons  où  elle  puisse  essayer  ses  ailes.  Sibilet  se  rallia 
plus  tard  à  la  Pléiade  ;  il  n'y  a  là  rien  d'étonnant  :  les 
poètes  qu'il  tient  pourses  maîtres  avaient  déjà  commencé 
à  restaurer  les  lettres  françaises  en  ouvrant  la  carrière 
que  le  génie  de  Ronsard  allait  parcourir  avec  tant  d'au- 
dace. 

Un  an  après  que  Th.  Sibilet  avait  publié  son  Art  poé- 
tique, du  Bellay  fit  paraître  la  Défense  et  illustration  de 
la  langue  française  où  il  trace  le  programme  que  les  no- 
vateurs vont  remplir  :  la  réforme  poétique,  qui  s'annon 
çait  déjà  comme  l'aube  d'une  nouvelle  ère,  eut,  dans  cet 
ouvrage,  et  son  manifeste  et  sa  première  formule.  Nous 
retrouverons  la  Défense  tout  entière  dans  les  Arts  poé- 
tiques de  Pelletier  et  de  Vauquelin  ;  il  nous  suffit  pour  le 
moment  d'en  signaler  la  date  comme  une  sorte  de  dé- 
marcation entre  l'ancienne  poésie  et  la  nouvelle,  non 
sans  rappeler  encore  que  bien  souvent  la  Pléiade  se  con- 
tenta d'enregistrer  et  comme  de  consacrer  les  réformes 
accomplies  par  une  génération  antérieure. 

Ronsard  et  ses  disciples  eurent  bientôt  fait  d'établir 
leur  domination.   Cependant,  il  y  eut  d'abord  quelques 


—  XX  — 

résistances  :  le  poète  Ch.  Fontaine,  protestant  au  nom  de 
ses  maîtres,  Marot  et  Saint-Gelais,  lança,  sous  le  nom  du 
censeur  Quintil,  une  espèce  de  pamphlet  contre  la  Dé- 
fense. Sans  s'y  astreindre  à  aucun  ordre,  il  suit  du  Bellay 
pas  à  pas  et  note  au  passage  toutes  ses  critiques.  Il  blâme 
des  constructions  qui  lui  paraissent  insolites  ;  il  censure 
certaines  métaphores  qu'il  trouve  dures  et  choquantes  (1)  ; 
il  descend  jusqu'aux  plus  petits  détails  et  reprend  même 
l'orthographe  de  quelques  vocables  (2).  Laissons  de  côté 
ces  minuties  pour  indiquer  des  griefs  plus  sérieux  :  ce 
que  Fontaine  reproche  surtout  à  du  Bellay,  c'est  d'in- 
troduire dans  la  langue  des  termes  grecs,  latins  ou  ita- 
liens (3)  :  «  Est-ce  là,  dit-il,  défense  et  illustration  ou 
plus  tost  offense  et  denigration  ?  »  Certes,  les  mots  que 
du  Bellay  et  ses  amis  empruntèrent  à  l'antiquité  ne  sont 
pas  assez  nombreux  pour  qu'on  puisse  accuser  la  nouvelle 
école  d'  «  estranger  »  la  poésie  ;  Fontaine  lui-même  veut 
qu'on  dise  goulphe  et  non  gouffre  à  cause  du  type  xdXizoq, 
et  le  latin  le  préoccupe  tellement  qu'il  reproche  à  du 
Bellay  de  faire  navire  du  mascuiin.  Avouons-le  cependant, 
il  a  quelque  raison  de  se  plaindre  que  les  novateurs 
semblent  répudier  la  tradition  populaire  pour  former  de 
toutes  pièces  une  langue  savante,  propre  à  la  poésie. 

Quant  aux  nouveaux  genres,  Fontaine  accuse  du  Bellay 
de  rompre  brusquement  avec  le  passé  de  notre  poésie  et 
de  n'avoir  qu'injures  ou  dédain  pour  les  poètes  antérieurs. 
«  Tu  accuses  à  grand  tort  et  très  ingratement  l'ignorance 
de  nos  majeurs,  lesquels  n'ont  esténe  simples  n'ignorans 
ny  des  choses  ny  des  paroles.  Guill.  de  Lauris,  Jean  de 


1.  De  sourcil  stoïque,  etc. 

2.  Deffence,  etc. 

3.  HiiUque,  buceinateur,  aliène,  molestie,  rasséréner, patrie,  obli- 
vieux,  liquide,  sinueux,  etc. 


—   XXI   — 

Meung,  Gmll.  Alexis,  le  bon  moine  de  l'Yre,  Messire  Ni- 
colas Oresme,  Alain  Chartier,  Villon,  Meschinot  et  plu- 
sieurs autres  n'ont  pas  moins  bien  escrit  en  la  langue  de 
leur  temps  que  nous  à  présent  en  la  nostre.  »  Il  se  plaint 
que  l'auteur  de  la  Défense  méprise  l'épître  ;  au  contraire 
il  ne  veut  point  de  l'élégie  (1),  que  du  Bellay  avait  re- 
commandée, parce  que  le  seul  effet  en  est  d'attrister  les 
lecteurs  ;  il  prétend  n'avoir  aucun  besoin  de  l'ode  et  se 
contenter  do  la  cbanson  ;  enfin  il  condamne  le  sonnet 
comme  trop  facile.  «  Vêla,  dit-il,  une  bonne  poésie  pour 
en  mespriser  toutes  les  autres  excellentes  françoises  !  » 

En  effet,  quoiqu'il  reprocbe  aux  réformateurs  de  répu- 
dier les  traditions  gauloises  et  de  rendre  leur  poésie  et 
leur  langue  inaccessibles  au  vulgaire,  Fontaine  n'en  ré- 
serve pas  moins  son  admiration  pour  ce  qu'il  y  avait 
dans  nos  anciens  poètes  de  plus  laborieux  et  de  plus 
ardu.  S'il  estime  Meschinot  et  ses  contemporains,  c'est 
surtout  qu'ils  s'exercent  dans  des  genres  plus  compli- 
qués ;  les  formes  poétiques  sont  à  ses  yeux  «  d'autant 
plus  belles  que  de  difficile  facture  »  :  «  excellence  de  vers 
et  ligatures,  nombreuse  multiplication  de  cadences, uni- 
sonante  et  argute  rentrée,  refrains  et  reprinses  avec  la 
majesté  de  la  chose  traictee,  tesmoignent  la  magnificence 
et  richesse  de  nostre  langue  et  la  noblesse  et  félicité  des 
esprits  françois  ».  C'est  pour  la  même  raison  qu'il  re- 
proche à  du  Bellay  de  dédaigner  les  rimes  équivoques. 
«Tu  rejettes,  dit-il,  la  plus  exquise  sorte  de  ryme  que 
nous  ayons,  et  en  cecy  tu  blasmes  taisiblement  Meschi- 
not, Molinet,  Crétin  et  Marot.  »  Enfin  il  accuse  les  nova- 
teurs de  répudier  les  anciens  genres  parce  qu'ils  se  sen- 
tent incapables  d'y  réussir  :  «  La  difficulté  des  équivoques, 
dit-il  à  du  Bellay,  te  les  fait  rejeter.  » 

1.  C'est  pourtant  le  genre  où  lui-même  aie  mieux  réussi. 


—  XXII   — 

Fontaine  doit  être  considéré  comme  le  dernier  repré- 
sentant de  notre  vieille  poésie,  et  c'est  à  ce  titre  que  le 
Quintil  censeur  méritait  de  nous  occuper.  Au  reste,  sa 
critique  acerbe  ne  produisit  aucun  effet  :  Ronsard  et  ses 
amis  tiennent  déjà  les  promesses  de  la  Défense.  En  15501e 
chef  de  la  Pléiade  fait  paraître  son  premier  recueil  d'odes: 
Mellin  de  Saint-Gelais,  pour  se  moquer  du  nouveau 
poète,  lut  devant  la  cour  une  de  ses  pièces  en  la  débi- 
tant d'un  ton  ridicule  ;  mais  Marguerite,  la  sœur  de 
Henri  II,  qui  se  prononçait  pour  Ronsard  comme  sa  tante 
s'était  déclarée  en  faveur  de  Marot,  lui  arracha  le  volume 
des  mains  et  relut  les  vers  avec  un  tel  accent  que  l'ad- 
miration succéda  aussitôt  à  la  risée.  Dès  lors,  la  jeune 
école  triomphe:  Mellin  est  réduit,  dans  l'intérêt  de  sa 
propre  renommée,  à  se  réconcilier  avec  le  jeune  vain- 
queur, et,  lui  cédant  désormais  la  place,  il  se  réfugie 
tristement  dans  les  vers  latins.  Quant  aux  autres  poètes 
de  la  vieille  école,  ou  bien  ils  tombent,  comme  Fontaine 
lui-même,  dans  l'oubli  le  plus  complet,  ou  bien  ils  font 
cause  commune  avec  les  réformateurs,  comme  Sibilet, 
dont  nous  avons  déjà  parlé,  et  Pelletier  dont  il  nous  faut 
maintenant  examiner  la  Poétique.  Rien  ne  légitime  mieux 
la  victoire  de  la  Pléiade  que  de  voir  Fontaine  se  réclamer 
de  Crétin,  de  Molinet  et  de  Meschinot,  et  recommander 
encore  à  nos  poètes  les  rimes  équivoques  comme  le  plus 
«  excellent»  genre  de  la  poésie  française. 


—  XXIII   — 


CHAPITRE  III 

LES  ARTS  POÉTIQUES  DE  PELLETIER,  DE  RONSARD 
ET  DE  LAUDUN 

Jacques  Pelletier,  nous  l'avons  dit,  est  un  de  ceux 
qui,  longtemps  avant  la  Pléiade,  avaient  déjà  tenté  de 
renouveler  notre  poésie.  Il  conseilla  à  du  Bellay  de  com- 
poser des  sonnets  ;  il  fit  imprimer  les  premiers  essais  lyri- 
ques de  Ronsard  ;  si  l'on  en  croyait  Colletet  (1),  il  aurait 
même  été  le  créateur  de  l'ode  française.  Jurisconsulte, 
médecin,  philosophe,  mathématicien,  il  avait  reçu  entre 
tous  les  poètes  contemporains  le  surnom  de  docte.  Sans 
entrer  ici  dans  des  détails  superflus  (2),  rappelons  seule- 
ment que,  si  la  première  partie  de  sa  carrière  appartient 
à  l'école  poétique  qui  préparait  dès  lors  la  Renaissance , 
plus  tard,  après  l'avènement  de  la  Pléiade,  il  se  rallia  de 
bonne  heure  à  la  jeune  et  hardie  génération  dont  Ronsard 
et  du  Bellay  furent  les  chefs. 

Son  Art  poétique,  publié  en  1555,  se  rattache  directe- 
ment àl'influence  des  novateurs.  Il  se  divise  en  deux  par- 
ties. Dans  la  première,  PeUetier  célèbre  l'ancienneté  et 
l'excellence  de  la  poésie,  traite  «  de  la  nature  et  de  l'exer- 
cice »,  compare  le  poète  à  l'orateur,  donne  des  règles  pour 
la  traduction  et  l'imitation,  recommande  aux  jeunes  écri- 
vains de  ne  point  dédaigner  la  langue  nationale.  Nous  ne 
nous  arrêtons  pas  sur  ces  chapitres  du  premier  livre: 
c'est  le  développement  de  lieux  communs  où  nous  ne 
trouvons  rien  qui  appartienne  en  propre  à  Pelletier. 

1 .  I  le  des  poètes  françois. 

2.  V.  Goujot,  Bibl.  fr.,  XII.—  muréau,  H  h  t.  lit  t.  du  Maine,  IX. 


—  XXIV    — 

Il  s'occupe  ensuite  de  la  langue  française  et  en  traite 
longuement:  depuis  que  la  nouvelle  école  avait  pris  à 
tâche  d'enrichir  l'idiome  domestique,  on  ne  pouvait  com- 
poser un  Art  poétique  sans  insister  sur  un  point  aussi 
important-  Pelletier  se  contente  de  reproduire  exactement 
les  vues  et  les  idées  de  Ronsard.  Le  chef  de  la  Pléiade 
voulait  former  une  langue  poétique  distincte  de  la  prose  : 
or,  tous  les  procédés  dont  il  avait  usé,  Pelletier  les  recom- 
mande à  son  tour.  C'est  d'abord  l'emprunt  de  vocables 
aux  langues  antiques.  «  Un  mot  bien  déduit  du  latin, 
dit-il,  aura  bonne  grâce  en  lui  donnant  la  teinture  fran- 
çoise.  »  Il  semble  même  ne  pas  imiter  sur  ce  point  la  sage 
réserve  dont  Ronsard  lui  avait  donné  l'exemple,  quand 
il  ajoute  :  «  Je  ne  ferai  difficulté  d'user  de  repuise,  com- 
bien que  nous  puissions  dire  la  repousse  plus  françoise- 
ment  ;  mais  l'un  sera  oratoire  et  l'autre  poétique.  » 

Pelletier  approuve  les  épithètes  composées  que  les 
novateurs  avaient  introduites  dans  notre  langue,  l'em- 
ploi des  adjectifs  «  substantivés  »  (1)  et  pris  adverbiale- 
ment^); il  invite  les  poètes  à  remettre  en  usagé  les 
anciens  vocables,  et  il  en  cite  un  qui,  restauré  par 
les  contemporains,  s'est  conservé  jusque  dans  notre 
usage  actuel  (3).  De  même  pour  les  termes .  usités 
jadis  dans  nos  divers  dialectes  et  qui  étaient  tombés  de- 
puis en  désuétude.  «  Nous  prendrons,  dit-il,  les  mots 
provençaux  et  gascons,  et  leur  donnerons  notre  marque  ; 
tout  estfrançois,  puisqu'ils  sont  du  païs  du  Roy.  »  Quant 
à  la  construction,  Ronsard  avait  essayé  de  ramener 
notre  langue  à  ses  origines  latines  :  Pelletier  se  plaint, 
à  son  exemple,  qu'il  n'y  ait  aucune  liberté  pour  la  place 

1.  Le  verd  pour  la  verdure. 

2.  11  marche  magnifique . 

3.  Héberger. 


—   XXV   — 

des  mots  :  «  Qui  voudroit,  dit-il,  essayer  à  remédier  à  un  tel 
défaut,  ce  seroit  un  grand  point.  »  En  un  mot,  toutes  les 
innovations  dont  la  Pléiade  avait  pris  l'initiative  trouvent 
en  lui  un  zélé  défenseur,  et  il  pousse  si  loin  son  culte  pour 
l'antiquité,  qu'il  n'hésite  point  à  admettre  jusqu'aux  com- 
paratifs et  aux  superlatifs  que  certains  poètes  avaient 
empruntés  aux  Latins. 

De  la  langue,  Pelletier  passe  aux  ornements  poétiques. 
Il  commence  par  donner  quelques  sages  conseils  sur  l'em- 
ploi de  la  métaphore  ;  puis  il  traite  «  de  la  dignité  des 
personnes  »  et  imite  d'Horace  le  tableau  des  âges.  Quant 
à  l'harmonie  imitative,  l'idée  qu'il  s'en  fait  le  conduit  à 
des  procédés  barbares  et  ridicules  :  s'appuyant  sur  l'au- 
torité de  Virgile,  sans  voir  à  quel  point  il  en  abuse,  le 
poète  se  glorifie  d'avoir  rendu  dans  ses  vers  le  chant  du 
rossignol  et  imité  l'éclat  du  tonnerre.  «  C'est,  ajoute-t-il 
complaisamment,  ce  que  les  Grecs  nomment  hypoty- 
pose.  »  Il  a  beau  se  réclamer  des  anciens:  de  telles  bille- 
vesées n'auraient  fait  que  nous  ramener  à  la  poésie  am- 
phigourique du  bon  Crétin  (1). 

Pelletier  consacre  la  seconde  partie  de  son  ouvrage  à 
la  poésie  française  en  particulier.  Pour  les  divers  usages 
des  différents  mètres,  il  est,  en  général,  d'accordavec  Sibi- 
let;  mais,  en  mémoire  du  distique  grec,  il  recommande 
dans  l'élégie  le  grand  vers  accouplé  au  décasyllabe.  Em- 
ployé seul,  Falexandrin  est,  suivant  lui,  le  mètre  propre 
au  récit  épique  :  sur  ce  point  encore  il  exprime  le  senti- 
ment de  Ronsard,  qui  malheureusement  devait  changer 
d'avis  ;  il  trouve  le  décasyllabe  «  trop  couft  »  pour  soute- 

1.  Cf.  dans  les  Recherches  de  la  France  le  chapitre  x  du  livre  VII, 
intitulé:  Que  notre  langue  Françoise  n'est  moins  capable  que  la 
Latine  de  beaux  traits  Poétiques.  On  y  trouve  beaucoup  d'exemples 
de  ces  hypotyposes  dans  lesquelles  Pasquier  se  pique  d'avoir 
réussi. 


—  XXVI   — 

nir  la-  gravité  d'un  poème  héroïque,  et  la  Franciade  ne 
lui  donnera  que  trop  raison. 

Au  sujet  de  la  rime,  Pelletier  s'était  déjà  plaint  de  la. 
tyrannie  qu'elle  exerce  sur  les  poètes  ;  il  remarquait  du 
moins  qu'elle  les  obligeait  de  «  [longtemps  penser  à 
bien  faire  »  .  Certains  voulaient  l'abolir  ;  il  recommande 
au  contraire  une  grande  exactitude  :  lui-même  prêchait 
d'exemple  en  rimant  toujours  avec  une  richesse  devenue 
rare  chez  les  disciples  de  Ronsard.  Il  observe  avec  raison 
que  la  suppression  de  la  rime  rapprocherait  trop  la  poé- 
sie de  la  prose,  dont  les  novateurs  voulaient  au  con- 
traire la  distinguer  plus  que  jamais.  Quant  aux  vers 
scandés  à  la  façon  des  Latins,  Pelletier,  sans  les  rejeter 
absolument,  indique  de  sérieuses  objections  :  «  Il  faudroit 
savoir  observer  la  longue  et  brieve  nature  de  nos  syllabes 
et  bien  acouttrer  la  façon  vulgaire  d'orthographier,  et 
oster  ces  concurrences  de  consonnes  et  ces  lettres  doubles 
que  l'on  met  es  syllabes  brieves(l).  »  Il  ne  dit  rien  de  l'al- 
ternance des  rimes  masculines  et  féminines,  mais  on 
trouve  à  la  fin  de  sa  Poétique  quelques  pièces  de  vers  où 
pour  la  première  fois  il  observe  lui-même  cette  règle 
que  Ronsard  venait  d'introduire  dans  notre  versification. 

Tout  le  reste  de  son  ouvrage  est  consacré  aux  divers 
«  genres  d'escrire».  Beaucoup  étaient  déjà  plus  ou  moins 
connus  de  Sibilet  ;  pour  quelques-uns  même,  l'épître, 
l'élégie,  l'épigramme,  le  sonnet,  il  n'ajoute  rien  à  son  de- 
vancier :  d'autres  viennent  à  peine  d'être  restaurés, 
et  nous  en  trouvons  chez  lui  soit  la  première  mention, 
soit  une  notion* un  peu  moins  incomplète  et  moins  vague. 

Sibilet  ne  connaissait  que  l'odelette  amoureuse  ;  Pelle- 

1.  V.  sur  cette  question  la  Notice  (2e  Partie,  chap.  iv)  et  le 
Commentaire. 


—   XXVII   — 

tier  connaît  tous  les  genres  d'odes.  D'après  lui,  le  poème 
lyrique  a  pour  matière  «  les  dieux,  demi-dieux,  princes, 
amours,  banquets,  etc  ».  «  L'ode  est  escriteen  divers  styles 
suivant  la  matière,  sans  que  jamais,  mesme  pour  les 
dieux,  elle  se  hausse  au  style  héroïque.  »  Les  couplets,  qui 
n'excèdent  jamais  dix  vers,  doivent  être  bien  liés  les  uns 
aux  autres,  mais  il  faut  que  la  sentence  soit  accomplie  en 
chacun.  —  Sibilet  savait  à  peine  ce  que  c'est  que  le  poème 
épique  ;  Pelletier  est  un  peu  plus  avancé  :  il  invite 
ceux  qui  veulent  composer  une  épopée,  —  le  seul  genre 
qui, suivant  lui, donne  le  vrai  titre  de  poète, — à  commen- 
cer d'un  ton  modeste,  à  introduire  dans  ie  tissu  de  leur 
poème  des  développements  philosophique  s,  enfin  à  sus- 
pendre et  à  ménager  l'intérêt.  Il  connaît  nos  anciens  ro- 
mans et  ne  les  dédaigne  point  (1)  ;  mais  le  grand  modèle 
de  l'épopée  est  à  ses  yeux  l'Enéide.  —  Quant  aux  genres 
dramatiques,  Sibilet  s'en  était  tenu  à  ceux  du  moyen 
âge.  En  1555,  la  comédie  et  la  tragédie  antiques  avaient 
été  déjà  restaurées  ;  aussi  Pelletier  essaie-t-il  d'en  faire 
la  poétique.  La  comédie  est  «  le  m?roir  de  la  vie  »  ;  il  la 
divise  sagement  en  trois  parties  :  la  proposition,  le  pro- 
grès, la  catastrophe  ;  il  remarque  enfin  que,  sil  y  avait, 
avant  la  réforme  de  Ronsard,  un  grand  nombre  de 
moralités,  on  ne  trouvait  en  France  aucune  pièce  qui  eût 
la  force  comique.  Jo délie  avait  déjà  fait  représenter  son 
Eugène  ;  mais  Pelletier  semble  oublier  ou  dédaigner  cette 
comédie  quand  il  ajoute  :  «  C'est  un  genre  qui  est  bien 
favorable  et  qui  auroit  bonne  grâce  si  on  le  remettoit  à 
son  estât  et  dignité  ancienne.  »  Du  poème  comique,  il 

1.  Diray  en  passant  qu'en  quelques-uns  d'iceux  bien  choisiz  le 
poëte  héroïque  pourra  trouver  à  faire  son  profit,  comme  sont  les- 
avantures  des  chevaliers,  les  amours,  voyages,  enchanteurs, 
combats  et  semblables  choses. 


—  XXVIJI   — 

passe  à  la  tragédie,  indique  avec  justesse  la  différence 
des  deux  genres  au  point  de  vue  du  style,  des  person- 
nages, du  dénouement,  et  termine  en  empruntant  à  Ho- 
race tout  ce  qui,  dans  l'épître  aux  Pisons,  traite  du  chœur 
tragique. 

Nous  voyons  par  cette  courte  analyse  quels  progrès 
notre  poésie  a  faits  depuis  Thomas  Sibilet.  Pelletier  re- 
pousse avec  dédain  les  anciens  genres  et  se  plaint  vive- 
ment que  les  poètes,  durant  un  si  grand  nombre  de 
siècles,  n'aient  pas  trouvé  le  moyen  de  s'ouvrir  une  autre 
carrière  ;  il  s'étonne  encore  «  combien  longtemps  notre 
poësie  a  esté  languissante  en  barbarie  jusques  environ 
nostre  aage  »,  combien  elle  a  été  «  sofistiquee  en  ballades, 
rondeaux,  lay s,  virelays,  triolets  »  ;  pour  lui,  comme  pour 
du  Bellay,  ces  genres  ne  méritent  pas  d'autre  nom  que 
celui  d'  «  espisseries  ».  Il  est  tellement  épris  de  l'antiquité 
qu'il  lui  emprunte  toujours  ses  modèles  et  presque  tou- 
jours ses  règles.  Il  ne  connaît  pas  encore  Aristote,  mais 
il  possède  à  fond  l'Art  poétique  d'Horace  et  ne  fait  bien 
souvent  que  le  traduire.  Quoique  Pelletier  ait  commencé 
par  faire  partie  d'une  école  antérieure  à  la  Pléiade,  on  ne 
trouve  dans  son  ouvrage  aucun  précepte,  aucune  vue, 
qui  ne  le  rattache  à  celle  de  Ronsard. 

Ronsard  lui-même,  dix  ans  après  Pelletier,  composa 
un  Abrégé  d'art  poétique.  Nous  y  trouvons  les  mêmes 
conseils  et  les  même  règles  sur  la  langue,  l'usage  des  di- 
vers mètres,  la  rime,  les  principaux  genres.  Ce  que  cet 
ouvrage  offre  de  nouveau,  ce  n'est  pas  dans  les  détails 
qu'il  faut  le  chercher,  mais  dans  l'idée  générale  que  Ron- 
sard se  fait  de  la  poésie.  Nous  avons  affaire  pour  la  pre- 
mière fois  non  pas  à  un  é  ru  dit,  rimeur  lui-même  par 
occasion,  mais  à  un  vrai  poète.  La  figure  de  Ronsard 
domine  toute  la  seconde  moitié  du  xvie  siècle,  et,  si  nous 


—   XXIX   — 

ne  pouvons  lui  donner  ici  la  place  qu'il  mérite  comme  le 
grand  initiateur  de  la  Renaissance  poétique, il  nous  faut  du 
moins  rendre  hommage  au  «  maître  du  chœur  ».  Pour  Si- 
bilet,  la  poésie,  quelque  auguste  origine  qu'il  lui  assigne, 
est  surtout  un  art,  je  dirai  presque  un  métier  ;  Pelletier 
n'en  a  pas  une  notion  beaucoup  plus  élevée  ;  Ronsard 
est  le  premier  qui  en  conçoive  toute  la  grandeur,  qui  en 
fasse,  non  plus  un  délassement  ingénieux  ou  une  élabo- 
ration savante,  mais  la  plus  haute  expression  dont  la 
pensée  humaine  se  puisse  revêtir.  L'âme  même  de  la 
poésie  semble,  vivre  en  lui.  Son  opuscule  n'a  que  quel- 
ques pages,  et  ne  lui  coûta,  paraît-il,  que  le  temps  même 
de  l'écrire  ;  mais  certains  passages  suffisent  pour  mon- 
trer dans  le  chef  de  la  Pléiade  une  hauteur  de  vues,  une 
noblesse  de  sentiment,  une  dignité  morale  inconnues 
jusqu'à  lui.  C'est  par  là  que  nous  frappe  son  Abrégé.  Nous 
laissons  de  côté  les  menus  préceptes  et  les  formules  que 
nous  avons  déjà  trouvés  dans  Pelletier  et  que  nous  re- 
trouverons encore  dans  Vauquelin,  plus  détaillés  et  plus 
complets  ;  mais  ce  qui  manque  absolument  à  Pelletier, 
ce  dont  Vauquelin  lui-même  ne  nous  rendra  qu'un  écho 
affaibli,  c'est  cette  majesté  de  conception,  ce  profond 
amour  du  beau,  cette  idée  si  haute  et  si  généreuse  de  la 
poésie,  et,  en  même  temps,  cette  simplicité  d'accent  si 
noble  et  si  éloquente,  qui  font  d'un  aussi  court  ouvrage 
le  monument  le  plus  significatif  de  la  régénération  litté- 
raire dont  Ronsard  lui-même  avait  donné  le  signal. 

Quant  aux  deux  préfaces  de  la  Franciade,  elles  ne  trai- 
tent guère  que  de  l'épopée;  nous  y  reviendrons  tout  à 
l'heure,  en  étudiant  ce  genre  dans  Vauquelin  de  la  Fres- 
naye.  Mais,  avant  d'aborder  l'Art  poétique  de  Vauquelin, 
nous  devons  examiner  brièvement  celui  que  Pierre  de 
Laudun  publia  en  1598. 

2. 


—    XXX   — 

Il  se  divise  en  cinq  livres.  Les  deux  premiers  se  rap- 
portent entièrement  à  l'école  de  Crétin  et  de  Molinet. 
Laudun  y  traite  avec  complaisance  des  anciens  genres  et 
des  diverses  rimes,  telles  que  les  avaient  cultivées  nos 
poètes  dans  la  première  partie  du  xvie  siècle.  Quoiquïl 
ne  se  dissimule  pas  que  ces  formes  poétiques  sont  à  jamais 
condamnées,  on  le  prendrait,  dans  cette  portion  de  son 
traité,  pour  un  disciple  de  Sibilet  ou  même  de  Fabri  plutôt 
que  pour  an  contemporain  de  Ronsard  et  même  de 
Malherbe.  En  1598,  deux  ans  avant  le  xvif  siècle.  Laudun 
célèbre  la  rime  équivoque  comme  «  la  plus  excellente  de 
toutes  »  et  ne  craint  pas  d'affirmer 'que,  si  les  poètes 
l'ont  délaissée,  c'est  uniquement  parce  qu'ils  la  trouvaient 
trop  difficile.  Mais,  nous  devons  le  dire,  ce  n'est  vraiment 
pas  l'auteur  lui-même  qui  parle  de  la  sorte;  il  ne  fait 
guère,  dans  ces  premiers  chapitres,  que  transcrire  la  Poé- 
tique de  Sibilet  (1)  comme  il  imitera  plus  loin  celle  de 
Pelletier  et  de  Ronsard.  «  J'ay  traité  "en  ces  livres,  dit-il, 
les[sortes  et  genres  depoëmes  qui  sont  contenus  es  autres 
Arts  poétiques  et  ay  suivi  leur  style  en  ce  que  m'a  sem- 
blé bon  (2)  ». 

Les  trois  derniers  livres  s'occupent  des  genres  emprun- 
tés à  l'antiquité  et  de  la  langue  poétique;  mais  nous  n'y 
rencontrons  rien  que  nous  ne  devions  retrouver  dans  Vau- 
quelin:  le  tout  est  d'ailleurs  éciit  avec  plus  d'aridité  encore 
que  de  précision.  Laudun  se  borne  à  dire  quel  est  le 
mètre  qui  convient  aux  divers  genres,  et  à  indiquer  la 
formule  technique  de  chacun.  Il  accorde  une  importance 
excessive  à  l'acrostiche  et  à  l'anagramme;  il  méconnaît 
le  caractère  du  poème  pastoral,  qui  n'est  pour  lui,  comme 

1.  Cf.  notamment  ce  qu'il  dit  de  l'églogue  et  du  blason;  c'est 
une  transcription  littérale. 

2.  Au  lecteur.  Fin  du  liv.  II. 


—    XXXI   — 

pour  Sibilet,  qu'une  pure  allégorie;  quant  au  poème  hé- 
roïque, il  n'en  dit  rien  qui  mérite  l'attention.  Ce  qu'on 
peut  remarquer  dans  son  Art  poétique,  c'est  que,  malgré 
le  respect  trop  souvent  superstitieux  qu'il  professe  pour 
Aristote  et  Horace,  il  lui  arrive  quelquefois  de  faire  preuve 
d'indépendance.  Citons  notamment  sa  poétique  de  la  tra- 
gédie :  il  ne  s'y  croit  point  obligé,  comme  tous  ses  con- 
temporains, de  limiter  le  nombre  des  personnages  qui 
paraissent  sur  la  scène,  et  réfute  même  avec  une  grande 
vigueur  de  sens  la  règle  des  vingt-quatre  heures. 

Quant  à  la  langue  poétique,  si  Laudun  est  disciple  de  la 
Pléiade,  ce  n'est  pas  sans  faire  des  objections  et  des  ré- 
serves. Il  admet  qu'on  tire  des  mots  du  grec  et  du  latin 
ou  qu'on  en  crée  pour  les  besoins  de  l'expression,  mais 
il  n'accepte  que  sous  bénéfice  d'inventaire  cet  héritage  de 
provignements  et  d'adjectifs-adverbes  que  l'école  de 
Ronsard  transmettait  à  la  génération  suivante,  et  ne 
veut  accueillir  à  aucun  prix  les  termes  dialectaux  que  la 
Pléiade  avait  restaurés  (3).  C'est  par  là  qu'on  reconnaît 
dans  Pierre  de  Laudun  le  contemporain  de  Malherbe. 

1.  Liv.  IV. 


SECONDE   PARTIE 


L  ART  POETIQUE  DE  VAUQUELIN  DE    LA  FRESNAYE 


L'Art  poétique  de  Vauquelin  est,  parla  date  de  sa  publi- 
cation, postérieur  à  celui  de  Laudun  ;  mais  il  fut  entrepris 
longtemps  auparavant,  et,  si  l'on  peut  le  considérer  à] 
bien  des  égards  comme  une  sorte  de  trait  d'union  entre 
la  Pléiade  et  Malherbe,  c'est  que  le  goût  sain  et  la  verve 
tempérée  du  poète  marquent,  pour  l'école  de  Ronsard,  à 
laquelle  il  se  rattache  parles  plus  étroits  liens,  l'avène- 
ment d'une  seconde  génération  moins  hardie  et  moins 
puissante,  mais  plus  rassise  et,  pour  ainsi  dire,  assagie. 

Jean  Vauquelin  de  la  Fresnaye  naquit  à  la  Fresnaye 
au  Sauvage,  ou  plutôt  à  Falaise,  en  Normandie.  Il  nous 
donne  lui-même  la  date  de  sa  naissance  :  c'est  cette 
année  1536  «  que  le  grand  roi  François  conquesta  la 
Savoie  ».  Sa  mère,  restée  veuve  quand  il  avait  à  peine 
neuf  ans,  l'amena  très  jeune  à  Paris,  et  il  y  étudia  les 
lettres  antiques  ainsi  que  les  langues  italienne  et  espa- 
gnole sous  la  direction  de  Buquet,  de  Muret  et  de  Turnèbe. 
C'était  justement  l'époque  où  Ronsard,  du  Bellay  et  Baïf, 
formés  par  les  mêmes  maîtres,  commençaient,  en  publiant 
leurs  premières  œuvres,  à  réaliser  leur  audacieux  projet 
d'illustre)"  notre  langue  et  notre  poésie.  Vauquelin  partagea 
l'enthousiasme  qu'avaient  soulevé  les  novateurs,  et  dès 
lors  sa  vocation  de  poète  était  décidée.  Mais  les  nécessités 


—  XXXIII   — 

de  la  vie  le  forçaient  à  faire  choix  d'une  profession  :  à 
l'âge  de  dix-huit  ans,  il  alla  étudier  le  droit  à  Angers,  et, 
de  là,  à  Poitiers  ;  dans  la  première  de  ces  villes,  il  suivit 
les  leçons  de  Jacques  Tahureau,  et  dans  la  seconde  il  lia 
amitié  avec  Scévole  de  Sainte-Marthe  ;  c'est  assez  dire  que 
la  poésie  dut  souvent  faire  tort  à  la  procédure.  Dans  son 
Art  poétique,  il  rappelle  avec  complaisance  les  années  de 
sa  jeunesse  qu'il  passa  à  Poitiers,  sur  les  rives  duClain  : 

Au  lieu  de  desmesler  de  nos  Droits  les  débats, 
Muses,  pipez  de  vous,  nous  suivions  vos  ébats. 

C'est  là  qu'il  fit  paraître,  en  1555,  Les  deus  premiers  li- 
vres des  Foresteries. {{).  Ces  poésies,  qu'il  avait  écrites  «au 
gazouil  des  fonteines  »  (2),  étaient  des  sortes  de  pastora- 
les dans  le  goût  de  l'époque.  Vauquelin  y  prête  aux  ber- 
gers un  style  peu  naturel  ;  mais  on  trouve  aussi  dans  ce 
recueil  toutes  les  promesses  d'une  imagination  aimable 
et  d'une  sensibilité  pénétrante.  Il  n'eut  cependant  que 
peu  de  succès,  et  c'est  sans  doute  ce  qui  détermina  Vau- 
quelin à  poursuivre  ses  études  de  droit,  qu'il  termina  à 
Bourges,  en  1559.  Il  revint  alors  à  la  Fresnaye  et  obtint 
la  charge  d'avocat  du  roi  au  bailliage  de  Caen.  Un  an 
après  il  épousa  Anne  de  Bourgueville  qu'il  avait  peut-être 
célébrée  déjà  dans  ses  Foi^esteries  sous  le  nom  de  Myr- 
tine.En  1563,  il  publie  un  discours,  en  vers  de  dix  syllabes, 
intitulé  :  Pour  la  Monarchie  de  ce  royaume  contre  la  divi- 
sion. On  sait  quel  était  alors  l'état  de  la  France,  que  les 
guerres  religieuses  avaient  commencé  à  désoler  :  Vau- 
cpielin  montre  dans  ce  poème  un  esprit  de  concorde  et 
l'équitable  modération  dont  nous  trouvons  au  xvie  siècle 
bien  peu  d'exemples. 

1.  L'ouvrage  ne  fut  pas  continué. 

2.  Sonnets  divers,  xxv. 


—   XXXIV   — 

Le  second  recueil  du  poète,  les  Idyllies,  tient   toutes  ! 
les  promesses  du  premier;  on  peut  dire  que, sans  rompre 
complètement  avec  le  caractère  factice  de  la  poésie  pas- 
torale, il  y  montre  pourtant  beaucoup  plus  de  natureletde 
vérité.  Sans  doute,  ses  Philanons  et   ses  Philis  ne  sont 
pas  plus  des  bergères  que  les  Catins  et  les  Marions  de 
ses  devanciers;  mais  les  sentiments  qu'il  leur  prête,  et 
qui  sont  les  siens,  s'expriment  avec  une  sincérité  pleine 
de  charme  et  parfois  avec  une  véritable  émotion.  On  to 
trouve  quelque  chose  de  l'églogue  antique  et  comme  une 
veine  grecque  :  c'est  souvent  la  même  candeur  et  la  mêmaj 
aménité,  ce  je  ne  sais  quoi  de  naturellement  aimable  em 
riant  qui  est  le  caractère  propre  de  Vauquelin. 

Cependant,  le  poète  payait  de  sa  personne  dans  les» 
guerres  du  temps.  En  1574,  nous  le  trouvons  aux  siégeai 
de  Domfront  et  de  Saint-Lô,  où  il  est  commissaire  degli 
vivres.  Il  revient  ensuite  à  Caen,  etily  succèdeàson  beau-]- 
père  comme  lieutenant  général  au  bailliage  ;  bientôt  i|| 
reçoit  de  Joyeuse  l'intendance  des  côtes  normandes. 

C'est  à  ce  moment  qu'il  conçoit  la  première  idée  de  son» 
Art  poétique.  Mais  il  abandonne  ce  projet  à  peine  ébau-* 
ché,  quitte  à  le  reprendre  plus  tard,  pour  travailler  de» 
préférence  à  son  Israëlide,  dont  il  ne  nous  reste  qu'uili 
fragment,  et  à  ses  Satires. 

Yauquelin  a  le  premier  traité  la  satire  comme  une* 
forme  poétique  distincte.  Ses  pièces  de  ce  genre  sonu, 
toutes  morales  :  le  poète  fait  la  guerre  aux  ridicules  etjl 
aux  vices  de  son  temps.  Il  arrive  quelquefois  qu'une  sin4- 
cère  indignation  fournisse  à  son  âme  honnête  des  accents 
vifs  et  énergiques  ;  d'habitude,  il  se  contente  de  donner 
d'indulgentes  leçons  et  s'abandonne  à  des  causeries 
amicales  et  familières  ;  il  hait  tout  pédantisme,  il  se 
complaît    dans   une   simplicité  débonnaire,  mais    non 


—    XXXV    — 

ans  de  malicieux  retours.  On  peut,  à  cet  égard,  le 
omparer  à  Horace  qu'il  imite  ou'  traduit  souvent  : 
/auquelin  en  a  l'humeur  facile  et  douce,  le  bon  sens  et 
'aimable  enjouement.  Son  style  même,  si  inférieur  qu'il 
misse  paraître  à  celui  du  poète  latin,  est  moins  diffus, 
noms  lâche,  moins  négligé  que  dans  les  autres  recueils. 
Le  poète,  chez  Vauquelin,  ne  fait  qu'un  avec  l'homme 
t  le  citoyen.  Si  devant  Saint-Lô  il  avaitfait  son  devoir  de 
,oldat,  on  sait  que  dans  les  états  de  Blois,  en  1588,  ce  fut 
m  des  rares  députés  qui  eurent  le  courage  de  s'élever 
m-dessus  des  partis  pour  ne  songer  qu'au  bien  de  la 
rance.  Cette  haine  des  discordes  civiles,  ce  vif  senti- 
nent  de  patriotisme,  nous  en  trouvons  souvent  l'expres- 
ion  dans  ses  Sonnets,  où  ils  lui  inspirent  des  accents 
d'une  généreuse  éloquence. 

Quand  Henri  IV  eut  rétabli  la  paix,  Vauquelin  fut 
nommé  au  siège  présidial  de  Caen:  il  consacra  ses  der- 
nières années  aux  devoirs  de  sa  charge  et  à  la  révision  Je 
ses  poésies  dont  il  publia  en  1605  (1)  tout  ce  qu'il  en 
voulait  conserver  (2).  Il  mourut  deux  ans  après. 

C'est  vers  1574,  avons-nous  dit,  que  Vauquelin  com- 
mença son  Art  poétique.  A  cette  époque,  l'œuvre  de  la 
Pléiade  se  trouvait  accomplie  :'  tous  les  anciens  genres 
étaient  restaurés,  depuis  l'ode,  que  Ronsard  avait  imitée 
de  Pindare  et  d'Horace,  jusqu'à  l'épopée,  dont  il  avait  em- 
prunté le  cadre  à  Virgile .  Le  chef  de  la  nouvelle  école 
était  au  comble  de  la  gloire  ;  les  juges  les  plus  éclairés 
regardaient  la  poésie  française  comme  parvenue  à  la  per- 
fection, et  ils  ne  craignaient  pas   d'égaler  ou  même  de 

1.  Caen,  Charles  Macé. 

2.  L'Art  poétique,  les  Satyres  françoises,  les  Idillies,  des  Épi- 
grames,  des  Épitaphes,  des  Sonnets. 


—  XXXVI  — 

préférer  les  œuvres  des  poètes  contemporains  à  celles 
de  l'antiquité:  toutes  les  espérances  qu'avaient  conçues, 
vingt-cinq  ans  auparavant,  quelques  jeunes  gens  enthou- 
siastes et  audacieux  paraissaient  enfin  réalisées  et  comme 
couronnées.  Aucunmoment  ne  pouvait  être  plus  favorable 
pour  composer  un  Art  poétique  qui  consacrât  et  la  gloire 
des  réformateurs  et  les  principes  mêmes  de  la  réforme.! 
Dès  que  Vauquelin  eut  conçu  son  projet,  il  en  fit  part  à 
Desportes,  avec  lequel  il  était  lié.  Celui-ci,  fort  bien  à  lai 
cour,  recommanda  son  ami  à  Henri  III,  et  c'est  surl'invi-ê 
tation  expresse  du  roi  que  l'Art  poétique  fut  entrepris  : 

Et  vous,  ô  mon  grand  Roy,  soyez  le  deffendeur 
De  l'ouvrage,  duquel  vous  estes    commandeur  (1). 

Les  fonctions  publiques,  dont  Vauquelin  s'acquitta  tou-I 
jours  avec  un  zèle  méritoire,  et  les  agitations  incessantes! 
des  guerres  civiles,  auxquelles  il  fut  forcé  mi-même  de]1 
prendre  part,  expliquent  comment  son  poème  resta  sn 
longtemps  sur  le  métier.  Il  le  quitta  sans  doute  et  lej 
reprit  bien  des  fois.  En  1589,  l'Art  poétique  n'était  pas 
encore  achevé.  C'est  seize  ans  après  seulement  qu'il  fut 
publié. 

Dès  le  début,  Vauquelin  indique  le  but  qu'il  s'est  pro-j 
posé  : 

Sire,  je  conte  ici  les  beaus  enseignemens 
De  l'art  de  Poésie,  et  quels  commencemens 
Les  Poëmes  ont  eu;  quels  auteurs,  quelle  trace 
Il  faut  suivre,  qui  veut  grimper  dessus  Parnasse  (2). 

Ces  vers  suffisent  pour  nous  donner  déjà  une  idée  dej 
l'ouvrage.  Vauquelin  fait  l'histoire  des  diverses  formes 
poétiques  en  ayant  toujours  soin  de  remonter  jusqu'aux 
origines,  et  il  expose  les  règles  de  chacune  en  cherchant 

1.  T.  17.  V.  encori!  m,  1147. 

2.  I,  1. 


—  XXXVII   — 

dans  l'antiquité  grecque  et  latine  soit  ses  propres  guides, 
soit  les  modèles  qu'il  recommande  aux  poètes  contem- 
porains. 

Nous  examinons  dans  notre  travail  en  quoi  et  comment 
Vauquelin  a  profité  de  ses  devanciers  ;  nous  étudions  sa 
Poétique  des  différents  genres  ;  nous  recherchons  quelles 
notions  il  a  de  notre  histoire  littéraire,  si  mal  connue 
non  seulement  du  xvie  siècle,  mais  encore  de  l'âge  sui- 
vant ;  nous  déterminons  ensuite  sur  quels  points  ce  dis- 
ciple de  Ronsard  se  sépare  de  son  maître  ;  enfin  nous 
comparons  son  Art  poétique  avec  celui  de  Boileau,  et 
nous  essayons  de  montrer  que  la  doctrine  classique  y*  est 
déjà  tout  entière. 


CHAPITRE    PREMIER 

CE  QUE    VAUQUELIN  A  EMPRUNTÉ  A  SES  DEVANCIERS 

Un  trait  distinctif  de  l'école  poétique  à  laquelle 
appartient  Vauquelin,  c'est  que,  loin  de  prétendre 
à  quelque  nouveauté,  elle  se  recommande  toujours  des 
anciens  et  ne  fait  jamais  un  pas  sans  s'appuyer  sur  eux. 
J.  du  Bellay,  qui  arbora  le  premier  le  drapeau  de  la 
réforme  littéraire,  invite  les  poètes  à  s'enrichir  des  dé- 
pouilles grecques  et  latines,  et  à  tenter,  fils  des  vieux 
Gaulois,  l'assaut  du  Capitole.  Comme  du  Bellay,  Vauquelin, 
dès  le  début  de  son  poème,  se  réclame  de  l'antiquité, 
c'est-à-dire  d'Aristote  et  d'Horace  ;  s  il  ajoute  à  leurs 
noms  ceux  de  Minturne  et  de  Vida,  n'oublions  pas  que 
Ges  deux  poètes  étaient  eux-mêmes  les  fidèles  disciples 
des  Grecs  et  des  Romains. 

Nos  sçavans  majeurs  nous  ont  desja  tracé 

Un  sentier  qui  de  nous  ne  doit  estre  laissé. 


-  XXXVIII  — 

Pour  ce  ensuivant  les  pas  du  fils  de  Nicomache, 
Uu  harpeur  de  Calabre,  et  tout  ce  que  remâche 
Vide,  et  Minturne  après,  j'ay  cet  œuvre  apresté  (1). 

Les  deux  poètes  italiens  ne  font,  comme  Vauquelin  le 
dit,  que  remâcher  lespréceptes  des  anciens  :  c'est  Aristote 
et  Horace  gui  sont  ses  vrais  et  seuls  maîtres.  Nous  ne 
nous  arrêterons  pas  à  la  Poétique  de  Minturne,  tombée 
bientôt  dans  un  oubli  profond  et  mérité;  quant  à 
Vida,  dont  l'ouvrage  eut  longtemps  la  réputation  d'un 
chef-d'œuvre,  il  nous  faut  y  insister  d'autant  plus  que 
Vauquelin  l'a  parfois  imité  de  fort  près. 

L'Art  poétique  de  Vida,  publié  en  1527,  se  divise  en 
trois  livres.  Dans  le  premier,  l'auteur  s'occupe  de  former 
le  poète,  de  façonner  son  goût  et  son  oreille,  de  le  guider 
dans  seslectures;  il  recherche  ensuite  quel  est  le  principe 
et  l'essence  même  de  la  poésie.  Le  second  a  pour  sujet 
l'invention  et  la  disposition  dans  le  poème  épique,  le 
seul  genre  dont  traite  Vida.  Le  troisième  est  consacré  à  I 
l'élocution  poétique. 

Il  y  a  dans  le  poète  italien  un  assez  grand  nombre  de 
morceaux  qui  prêtent  à  des  rapprochements  avec  le  poète 
français  ;  mais  ces  ressemblances  tiennent,  la  plupart  du 
temps, à  ce  que  l'un  et  l'autre  imitent  Horace:  il  suffit  de 
citer  comme  exemple  le  passage  où  ils  conseillent  tous- 
les  deux  au  poète  épique  de  prendre  un  ton  modeste 
pour  annoncer  son  sujet,  et  d'entraîner  tout  de  suite  les 
lecteurs  au  milieu  des  événements,  comme  si  tout  ce  qui 
précède  était  connu.  Cependant,  en  beaucoup  d'autres 
endroits,  on  ne  saurait  douter  que  Vauquelin  n'imite 
Vida. Au  début  du  premier  livre, l'invocation  suivante: 

Muses,  s'il  est  permis  d'enseigner  l'Art  des  vers, 
Et  montrer  d'IIelicon  les  saints  écrins  ouvers (2). 

1.  1.61. 

2.  I,  5. 


—   XXXIX   — 

rappelle  de  fort  près  celle  par  où  débute  aussi  le  poème 
de  Vida: 

Sit  fas  vestra  mihi  vulgare  arcana  per  orbem, 
Piérides,  penitusque  sacros  recludere  fontes  (1). 

Le  tableau  du  genre  épique  que  nous  trouvons  dans  le 
premier  livre  de  Vauquelin  a  emprunté  quelques  traits 
au  poète  itaben.  Les  vers  du  second  cbant  : 

Et  comme  nous  voyons  beaucoup  d'herbes  plantées 
D'un  bon  terroir  en  l'autre,  et  les  greffes  entées 
Dessus  un  autre  pied,  derechef  revenir, 
Et  de  leur  premier  tronc  perdre  le  souvenir  : 
Tout  de  mesme  les  traits,  les  phrases  et  la  grâce, 
Prenant  d'une  autre  langue  en  nostre  langue  place, 
S'y  joignent  tellement  qu'on  diroit  quelquefois, 
Qu'un  trait  Latin  ou  Grec  est  naturel  François  (2). 

reproduisent  sans  nul  doute  ce  passage  de  Vida: 

Ceu  sata,  mutatoque  solo  felicius  olim 
Ceraimus  ad  cœlum  translatas  surgere  plantas, 
Poma  quoque  utilius  sucos  oblita  priores 
Pi'oveniunl,  etc.  (3). 

Vida  avait  comparé  le  veine  capricieuse  du  poète  avec 

le  cours  d'un  fleuve  : 

» 

Intèrdum  et  silvis  frondes  et  fontibus  humor 

Desunt,  nec  victis  semper  cava  flumina  ripis 

Plena  fluunt,  nec  semper  agros  ver  pingit  apricos: 

Sors  eadem  inccrtis  contingit  saepe  poetis  (4,. 

Vauquelin  imite  cette  comparaison  dans  les  vers  sui- 
vants : 

Mais  comme  tu  vois  bien  que  tousjours  verdoyantes 
Les  forests  ne  sont  pas,  ni  les  eaux  ondoyantes  : 

1.  I.  1. 

2.  11,971. 

3.  III,  231. 

4.  II,  410.   ' 


—  XL  — 

Et  que  jusques  aux  bords  Orne  et  Seine  tousjours 
N'emplissent  regorgeant  les  rives  de  leurs  cours  : 
Aussi  foible  est  parfois  la  veine  Poétique  (1). 

Vida  commence  son  troisième  chant  en  invitant  les 

jeunes  poètes  à  prendre  courage  : 

Ne  te  opère  incepto  deterreat  ardua  meta: 
Audendum,  puer,  atque  invicto  pectore  agendum. 
Jam  te  Piérides  summa  en  de  rupe  propinquum 
Voce  vocant,  viridique  ostentant  fronde  coronam. 

Vauquelin  s'est  approprié  ces  vers  pour  en  faire,  lui 
aussi,  le  début  de  son  troisième  livre  : 

Jeunes,  prenez  courage,  et  que  ce  mont  terrible 
Qui  du  premier  abord  vous  semble  inaccessible, 
Ne  vous  étonne  point.  Jeunesse,  il  faut  oser, 
Qui  veut  au  haut  du  mur  son  enseigne  poser. 
A  haute  voix  desja  la  Neuvaine  cohorte 
Vous  gaigne,  vous  appelle  et  vous  ouvre  la  porte... 
Elle  répand  desja  des  paniers  pleins  d'œillets...  (2) 

Dans    le  même  livre,  Vauquelin  emprunte   encore  à 
Vida  une  belle  comparaison  : 

Comme  le  voyageur  qui,  d'un  beau  lac  aproche, 

En  son  bord  se  va  mettre  au  coupeau  d'une  roche, 

Là  demeurant  longtemps  oisif  en  son  repos, 

Il  n'a  rien  pour  object  que  les  vents  et  les  flots  :    ' 

Toutesfois  les  forests  dedans  l'onde  vitrée 

Montrent  de  cent  couleurs  leur  robe  diaprée  : 

Et  l'ombre  des  maisons,  des  tours  et  des  Ghasteaux 

Cette  eau  luy  représente  au  cristal  de  ses  eaux  ; 

Il  s'esjouit  de  voir  que  l'onde  luy  raporte 

Par  un  double  plaisir  ces  forests  en  la  sorte  : 

Tout  ainsi  le  Poëte  en  ses  vers  ravira 

Par  divers  passetemps  celuy  qui  les  lira, 

Emerveillé  de  voir  tant  de  choses  si  belles, 

En  ses  vers  repeignant  les  choses  naturelles  : 

1.  III,  427. 

2.  III,  7. 


—   XLI    — 
i 
Et  de  voir  son  esprit  de  ce  monde  distrait, 
Mirer  d'un  autre  monde  un  autre  beau  portrait  (1). 

Le  poète  latin  avait  dit  : 

Ceu  cum  forte  olim  placidi  liquidissima  ponti 
.rEquora  vicina  spectat  de  rupe  viator, 
Tantum  illi  subjecta  oculis  est  mobilis  unda  ; 
Ille  tamen  silvas  interquevirentia  prata 
Inspiciens  miratur,  aquae  quae  purior  humor 
Cuncta  refert,  captosque    eludit  imagine  visus  : 
Non  aliter  vates  nunc  hue  traducere  mentes 
Nunc  illuc,  animisque  legentum  apponere  gaudet 
Diversas  rerum  species,  dum  taedia  vitat  (2). 

Si,  dans  tous  ces  passages,  les  emprunts  sont  bien  visi- 
bles, Vauquelin  n'en  a  guère  fait  d'autres  à  Vida  :  ses 
imitations  se  bornent,  en  somme,  à  quelques  figures  poé- 
tiques. C'est  d'Horace  et  d'Aristote  que  notre  poète  a  pris 
directement  tout  ce  qui  touebe  au  fond  même  de  la  poé- 
sie et  aux  règles  des  divers  genres. 

Il  est  inutile  d'insister  sur  ce  que  Vauquelin  doit  à 
Horace.  A  l'exception  de  quelques  passages  (3)  qui  ne 
pouvaient  s'appliquer  à  notre  poésie,  l'épître  aux  Pisons, 
sans  compter  plusieurs  morceaux  des  deux  autres  épîtres 
du  second  livre,  a  passé  en  entier  dans  son  Art  poétique. 
Le  premier  ebant  contient  tout  le  début  d'Horace  jus- 
qu'au vers  cent  trente  ;  le  second  va  du  cent-trentième 
vers  au  deux-cent-quatre-vingtième  ;  le  troisième  com- 
prend tout  le  reste.  Aussi  peut-on  dire  que  le  poème  de 
Vauquelin  est  au  fond  une  paraphrase  de  l'épître  aux 
Pisons  ;  mais  le  poète  y  a  ajouté,à  mesure  et  cbemin  fai- 
sant, tous  les  conseils,  tous  les  exemples  que  l'état  de  la 
poésie  contemporaine  ou  son   histoire  antérieure  pou- 

1.  111,659. 

2.  III,  64. 

3.  Il  n'y  a  pas,  en  tout,  plus  d'une  dizaine  de  vers.  V.  le  Com- 
mentaire. 


—  XLII    — 

vaient  lui  suggérer,  et,  de  plus,  il  s'est  servi  d'Aristote 
dont  la  Poétique  était  connue  en  France  depuis  quelques 
années,  pour  donner  comme  fondement  à  son  ouvrage 
une  doctrine  qui  imposât  le  respect. 

Aristote,  dont  l'autorité  en  matière  de  philosophie 
venait  d'être  fortement  ébranlée,  s'arrogeait  peu  à  peu 
dans  le  domaine  des  lettres  et  de  la  poésie  cette  domina- 
tion absolue  qu'il  garda  pendant  deux  siècles.  C'est 
Scaliger  qui  s'était  le  premier  réclamé  de  lui  dans  sa  Poé- 
tique; dès  1562,  on  trouve  la  trace  de  ses  théories  dans 
la  préface  que  Jacques  Grévin  écrivit  pour  sa  tragédie  de 
César:  elles  s'imposent  peu  à  peu  et  finissent  par  absor- 
ber en  elles  tout  ce  qu'il  y  avait  de  spontané  dans  la 
rénovation  dont  Ronsard  avait  donné  le  signal. 

Jusque  vers  la  dernière  partie  du  xvie  siècle,  Horace 
avait  été  le  seul  guide  de  nos  poètes.  Mais  l'épître  aux 
Pisons  n'est  point  un  Art  poétique  en  forme  ;  l'auteur  y 
procède  sans  ordre  et  s'abandonne  librement  aux  dé- 
tours d'une  conversation  familière.  L'horreur  de  tout 
pédantisme  et  ce  ton  aimable,  cette  allure  vive  et  capri- 
cieuse de  la  causerie,  contribuent  sans  doute  au  charme 
de  son  poème;  mais  le  xvie  siècle  sentait  le  besoin  d'une 
discipline  étroite  et  comme  d'un  guide  infaillible  auquel 
il  pût  se  livrer  en  toute  sécurité  :  c'est  là  justement  ce 
qu'il  devait  trouver  dans  Aristote.  Bien  plus,  les  défauts 
mêmes  du  philosophe  grec  s'accommodaient  parfaitement 
avec  l'inexpérience  de  nos  poètes.  Aristote  soumet  à  des 
règles  rigoureuses  tout  ce  qui  dans  la  poésie  relève  de 
l'imagination  et  du  sentiment;  son  austère  raison  ne 
connaît  aucun  tempérament  et  ne  veut  laisser  nulle  part 
rien  de  vague  et  d'indécis.  Quand  il  donne  les  règles  de 
la  tragédie,  il  la  divise  en  six  parties,  ni  plus  ni  moins  ; 
il  soumet  le  poème  épique  à  une  définition  rigoureuse, 


—   XLIII  — 

en  détermine  la  forme  suivant  d'expresses  conditions, 
en  circonscrit  l'étendue  par  des  limites  précises.  Ces 
règles  inexorables  convenaient  merveilleusement  à  l'inex- 
périence d'un  temps  où  nos  poètes,  après  avoir  répudié 
les  traditions  des  siècles  antérieurs,  s'essayaient  à  créer 
de  toutes  pièces  une  poésie  nouvelle  en  prenant  pour 
modèles  des  ouvrages  qui  remontaient  à  deux  mille  ans. 
Éblouis  parles  cbefs-d'œuvre  de  l'antiquité,  troublés  par 
une  telle  variété  de  genres  et  de  formes  poétiques,  ils 
n'auraient  su  où  se  prendre  s'ils  n'avaient  trouvé  un 
maître  qui  assurât  leur  courage,  affermît  leur  jugement, 
et,  non  content  d'offrir  à  leur  esprit  une  méthode  infail- 
lible, mît  encore  sous  leurs  yeux  comme  une  carte  de  la 
poésie  aux  compartiments  bien  distincts  et  rigoureuse- 
ment limités.  Voilà  pourquoi  ils  s'assujettirent  si  aisé- 
ment à  Aristote  ;  celui-ci  devint  pour  eux  l'oracle  même 
de  l'antiquité,  et  ils  s'habituèrent  de  plus  en  plus  à  voir 
en  lui  l'arbitre  souverain  et  le  suprême  juge  de  toute 
œuvre  poétique. 

VauqueUn  lui-même,  quoiqu'il  fasse  quelquefois  preuve 
d'indépendance,  emprunte  à  Aristote  non  seulement  ses 
définitions  et  ses  règles  pour  les  genres  dont  le  philosophe 
grec  avait  traité,  mais  encore  tout  ce  que  l'on  peut  appe- 
ler sa  philosophie  littéraire. 

Le  traité  d'Aristote  ne  s'occupe  guère  que  de  la  tragédie 
et  de  l'épopée  ;  cependant  Vauquelin  s'approprie  au  moins 
la  définition  qu'il  y  trouvait  du  genre  comique  : 

La  Comédie  est  donc  une  Contrefaisance 

D'un  fait  qu'on  tient  meschant  par  la  commune  usance: 

Mais  non  pas  si  meschant,  qu'à  sa  meschanceté 

Un  remède  ne  puisse  estre  bien  aporté  : 

Comme  quand  un  garçon  une  fille  a  ravie, 

On  peut  en  l'espousant  luy  racheter  la  vie  (1). 

ï.  III,  143. 


—   XLIV   — 

Celle  de  la  tragédie  n'est  qu'une  traduction  presque 
littérale  : 

Mais  le  sujet  Tragic  est  ira  fait  imité 
De  chose  juste  et  grave,  en  ses  vers  limité  : 
Auquel  on  y  doit  voir  de  l'affreux,  du  terrible. . . 
Du  pitoyable  aussi  (1). 

Le  philosophe  grec  dit  que  le  sujet  de  la  tragédie  a 
ordinairement  pour  limite  une  révolution  de  soleil  : 
Vauquelin  s'empare  de  cette  formule,  et  l'applique  avec 
rigueur  non  seulement  à  la  tragédie,  mais  encore  à  la 
comédie  (2). 

Il  reproduit  le  jugement  d'Aristote  sur  le  Margitès 
d'Homère  : 

Au  Poëme  Tragic  se  raporte  et  réfère 
Une  Iliade  en  soy.  Le  Margite  d'Homère 
Respondoit  au  Comic  ou  des  hommes  moyens 
(Comme  des  plus  grand  Rois)  des  humbles  citoyens 
Se  voyoit  la  nature  et  la  façon  bourgeoise 
Comme  Héroïque  escrite  en  sa  langue  Grégeoise  (3). 

C'est  encore  d'après  le  philosophe  grec  qu'il  trace  le 
caractère  du  héros  épique  : 

Cela  fait  qu'un  Homère  ou  Virgile  ne  fait 

Qu'un  homme  soit  tousjours  ou  vainqueur  ou  parfait,  etc.  (4). 

Tout  ce  qui  se  rapporte  enfin  aux  origines  de  la  comé- 
die et  de  la  tragédie  grecques,  Vauquelin  le  tient  soit  d'A- 
ristote, soit  de  ses  commentateurs  (5)  :  ils  lui  ont  certai- 
nement appris  comment,  à  l'époque  des  vendanges,  un 
chœur  célébrait  Bacchus  en  dansant  autour  de  l'autel,  et 

1.111,153. 

2.  II,  257. 

3.  III,  175. 

4.  11.289. 

5.  V.  Egger,  V Hellénisme  en  France,  leçon  xiv. 


—   XLV   — 

par  quelles  évolutions  successives  ce  dithyrambe  primitif 
est  devenu  le  drame  d'Eschyle  et  de  Sophocle. 

Ces  emprunts  de  détail  ne  suffisent  pas  à  Vauquelin  : 
il  s'approprie  encore  le  principe  même  auquel  le  philo- 
sophe grec  ramenait  la  poésie  tout  entière.  Ce  principe 
n'est  autre  chose  que  l'instinct  d'imitation  :  d'après  Aris- 
tote,  nous  sommes  naturellement  enclins  à  imiter,  soit 
les  objets  du  monde  extérieur,  soit  les  images  qui  se 
produisent  dans  notre  esprit  ;  de  là  dérivent,  suivant 
lui,  les  formes  diverses  de  l'art.  Vauquelin  traduit  toute 
cette  partie  de  la  Poétique  grecque  où  le  philosophe, 
partant  de  cette  vue,  explique  l'origine  même  de  la  poé- 
sie et  la  genèse  de3  différents  genres  : 

On  void  aussi  que  l'homme  ayant  dés  la  naissance 
Le  Nombre,  l'Armonie  et  la  Contrefaisance, 
Trois  points  que  le  Poëte  observe  en  tous  ses  vers, 
Que  de  la  sont  venus  tous  les  genres  divers 
Qu'on  a  de  Poésie,  etc.  (1). 

Un  peu  plus  bas,  il  se  réfère  encore  au  même  principe  . 
C'est  un  Art  d'imiter,  un  Art  de  contrefaire 
Que  toute  Poésie,  ainsi  que  de  pourtraire, 
Et  limitation  est  naturelle  en  nous (2). 

et  il  continue  en  se  contentant  de  traduire  : 

Et  nous  plaist  en  peinture  une  chose  hideuse, 
Qui  seroit  à  la  voir  en  essence  fâcheuse. 

Nous  devons  encore  rapporter  à  la  théorie  générale 
d'Aristote  ce  morceau,  déjà  cité  (3),  dans  lequel  Vauquelin 
compare  la  poésie  à  un  lac  où  se  réfléchissent  les  forêts, 
les  nuages  et  les  édifices  voisins  de  la  rive.  Cette  philo- 
sophie poétique,  on  peut  se  demander  s'il  en  avait  bien 
pénétré  le  sens  et  la  portée  ;  nous  ne  voyons  pas  com- 

1. 1, 119. 
2. 1, 187. 
3.  V.  p.  XL. 

3. 


—   XLVI   — 

ment  il  met  le  reste  de  son  poème  en  accord  avec  ces 
principes  ;  chez  lui,  ils  sont  plutôt  la  matière  de  déve- 
loppements imposants  que  la  base  d'une  esthétique  rai- 
sonnée;  du  moins  son  Art  poétique  en  emprunte  par 
endroits  un  caractère  d'élévation  et  de  dignité  qui  peut 
faire  illusion  :  ils  forment  comme  un  superbe  portique 
derrière  lequel  se  cache  le  désordre  et  l'incohérence  de 
l'édifice. 

On  voit  par  ce  qui  précède  combien  Vauquelin  doit 
aux  anciens  :  il  nous  reste  à  rechercher  de  quelle  ma- 
nière il  accommode  tous  ces  emprunts  à  l'histoire  et  au 
génie  particulier  de  notre  poésie  nationale. 

Nous  remarquons  d'abord  qu'il  s'efforce  toujours  de 
donnera  ses  imitations  un  caractère  et  comme  une  cou- 
leur modernes  :  aux  exemples  d'Aristoteet  d'Horace,  il  en 
mêle  d'autres  qu'il  tire  de  la  vie  contemporaine  ou  des 
monuments  domestiques.  Quand  il  a  donné  d'après  le 
philosophe  grec  la  définition  du  genre  tragique,  aux 
héros  de  la  tragédie  ancienne  qu'avait  cités  son  de- 
vancier, il  ajoute  le  personnage  tout  moderne  de  Rodo- 
mont  (1)  ;  comme  exemples  de  poème  en  prose,  il  rappelle 
nos  anciens  romans  (2)  ;  quand  il  reproduit  les  vues 
d'Aristote  surla  péripétie  dramatique,  il  trouve  le  moyen 
de  citer  quelques  passages  du  Roland  furieux  (3)  ; 
lorsqu'il  traduit  les  vers  où  Horace  nous  montre  l'impor- 
tance de  la  composition,  au  lieu  de  cet  artiste  qui  habi- 
tait près  du  cirque  Emilien,  c'est  Renaudin,  imager  di- 
ligent, qu'il  prend  pour  exemple  (4)  ;  le  poète  latin 
réclame  pour  Virgile  et  Varius  la  faculté,  donnée  jadis  à 

1.  III,  159. 

2.  II,  267. 

3.  III,  201. 

4.  I,  285. 


—  XLVII   — 

■Cécilius  et  à  Plaute,  d'introduire  dans  la  langue  des  ter- 
mes nouveaux  :  Vauquelin  revendique  pour  Ronsard  et 
Baïf  une  liberté  dont  avaient  joui  Scève  et  Pontus  de 
Tliiard  (1).  Il  serait  facile  de  multiplier  ces  rapproche- 
ments ;  nous  en  avons  assez  dit  pour  montrer  le  soin 
que  prend  notre  poète  de  s'approprier,  au  moins  par  un 
détail  ou  par  un  exemple,  les  fréquents  emprunts  qu'il  a 
faits  à  ses  devanciers. 

Mais  il  n'y  a  guère  là  qu'une  question  de  forme  ;  pour 
ce  qui  touche  au  fond  même  de  son  Art  poétique,  Vau- 
quelin se  laisse  trop  souvent  séduire  par  ses  guides 
jusqu'à  méconnaître  nos  traditions  domestiques  et  vio- 
lenter notre  génie  national. 

C'est  ainsi  qu'il  ne  sait  pas  toujours  se  défendre  contre 
ses  velléités  inconscientes  d'accommoder  notre  histoire 
littéraire  à  celle  des  Grecs  ou  des  Romains.  Sans  doute, 
nous  devons  avouer  que  l'assimilation  est  parfois  exacte  ; 
quand  il  raconte  l'histoire  de  notre  ancienne  comédie, 
s'il  ne  fait  guère  que  traduire  ce  passage  de  l'épître  aux 
Pisons  : 

Successit  vêtus  his  comœdia,  etc. 

on  peut  dire  que  les  vers  d'Horace  sont  parfaitement 
appropriés  à  l'origine  et  au  progrès  de  notre  poésie  co- 
mique (2).  En  des  cas  analogues,  nous  n'avons  qu'à 
louer  Vauquelin;  mais  les  libres  évolutions  du  génie 
littéraire  dans  l'Europe  du  moyen  âge  n'ont  la  plupart  du. 
temps  rien  à  voir  avec  cette  logique  instinctive  qui 
avait  présidé  au  développement  des  lettres  chez  le  peuple 
grec  :  c'est  ce  que  ne  sait  pas  notre  poète,  et,  pour 
s'adresser  à  tous  les  contemporains,  le  reproche  n'en 
est  pas  moins  grave. 

1. 1, 333. 

2.  Y.  Egger,  op.  cit. 


—  XLYIII   — 

Quant  aux  règles,  aux  préceptes,  aux  vues  générales 
sur  la  poésie  et  les  divers  genres  poétiques,  nous  avons 
déjà  vu  que  Vauquelin  imite  souvent  Horace  avec  intel- 
ligence. Par  exemple,  tout  le  passage  où,  d'après  le 
poète  latin,  il  réclame  le  droit  de  créer  des  vocables 
nouveaux  (1),  s'applique  fort  bien  à  l'état  de  notre 
langue  et  à  ses  besoins.  D'ailleurs  il  y  a  beaucoup  de 
maximes  et  de  conseils  littéraires  qui  sont  de  tous  les 
temps  et  de  tous  les  pays,  aussi  justes,  aussi  topiques 
dans  l'Art  poétique  de  Vauquelin  que  dans  l'épître  aux 
Pisons.  Mais,  bien  des  fois  aussi,  notre  poète  semble  cé- 
der au  plaisir  de  traduire,  sans  s'inquiéter  assez  de  sa- 
voir si  ce  qu'il  emprunte  est  susceptible  d'application  do-  | 
mestique.  Qu'il  accuse  les  rimeurs  de  négliger  leur 
barbe  (2)  ;  qu'il  se  plaigne  de  l'éducation  par  trop  posi- 
tive que  l'on  donne  à  la  jeunesse  (3),  —  si  rien  nepouvait 
l'engager  à  s'approprier  ces  boutades  d'Horace, elles  sont 
du  moins  sans  importance  et  nous  n'avons  pas  à  nous 
y  arrêter  ;  mais  nous  trouvons  chez  Vauquelin  bien  des 
passages  où  l'imitation  du  poète  latin  se  traduit  par  de 
singulières  inconséquences  :  c'est  ainsi  qu'il  traite  du 
mètre  iambique  dans  une  Poétique  française  (4)  ;  c'est 
ainsi  que,  traduisant  les  vers  de  l'épître  aux  Pisons  sur 
le  drame  satyrique,  il  se  rappelle  tout  d'un  coup  les  sa- 
tires d'Horace  lui-même,  et  confond  deux  genres  absolu- 
ment distincts,  l'un  tout  grec  et  destiné  à  la  scène, 
l'autre  exclusivement  romain  et  étranger  au  théâtre  (5). 
11  faut  avouer  qu'on  ne  voit  guère  pourquoi  le  poète  latin 
a  introduit  dans  son  Art  poétique  les  Satyres  de  la  scène 

1. 1, 315. 
2.  III,  378. 
3.111,561. 

4.  I,  623. 

5.  II,  679,  sqq.  Y.  Egger,  op.  cit.,  xvie  leçon. 


—   XLIX  — 

grecque;  mais  rien  justement  ne  montre  mieux  que 
cette  inadvertance  de  Vauquelin  combien  la  connais- 
sance de  l'antiquité  au  xvie  siècle  était  incertaine  et 
confuse,  et  combien  l'imitation  des  anciens  offrait  de  pé- 
rils à  nos  poètes. 

Quant  à  Aristote,  Vauquelin  s'est  quelquefois  attaché 
à  lui  avec  la  même  imprudence.  C'était  là  un  guide  bien 
dangereux  ;  il  ne  semble  pas  se  douter  qu'il  puisse  ja- 
mais, chez  un  autre  peuple  ou  -dans  un  autre  temps, 
naître  une  forme  nouvelle  de  poésie,  incompatible  avec 
le  caractère  logique  et  historique  du  génie  grec.  Le  phi- 
losophe avait  observé  avec  soin  les  origines  et  les  pro- 
grès successifs  des  genres  divers  qui  s'étaient  dévelop- 
pés sur  le  sol  hellénique,  et  son  esprit  systématique 
avait  tiré  de  cet  examen  tout  un  code  inflexible  de  for- 
mules. L'historien  et  le  législateur  de  la  poésie  se  con- 
fondent en  lui,  et  voilà  pourquoi,  si  certains  principes 
de  sa  Poétique  sont  universels,  la  plupart  des  règles  qu'il 
trace  ne  répondent  qu'à  des  tendances  ou  à  des  néces- 
sités purement  nationales .  Vauquelin  devait  donc  prendre 
garde  à  ne  pas  se  laisser  entraîner  par  un  tel  guide  jus- 
qu'à méconnaître  la  nature  et  les  traditions  du  génie  fran- 
çais :  c'est  pourtant  ce  qui  lui  arrive  en  bien  des  cas,  et 
nous  aurons  occasion  de  le  montrer  en  étudiant  dans  un 
prochain  chapitre  les  règles,  trop  souvent  étroites,  qu'il 
impose  à  certains  genres  poétiques,  sans  autre  raison 
qu'un  respect   superstitieux  pour   l'autorité  d'Aristote. 

Il  ne  faut  point  s'en  étonner  dans  un  siècle  où  l'ad- 
miration de  l'antiquité  est  devenue  comme  une  sorte  de 
religion  :  aussi,  quoique  Vauquelin  montre  rarement 
assez  d'indépendance,  il  vaut  mieux  le  louer  de  s'être 
quelquefois  gardé  contre  les  formules  rigoureuses  du 
philosophe  grec  et  du  poète  latin,  que  le  blâmer  d'avoir 


L   — 


trop  souvent  assujetti  le  génie  français  à  une  disciplin 
qui  devait  longtemps  encore  gêner  son  libre  dévelop 
pement. 


CHAPITRE  II 

LES   GENRES  POÉTIQUES  RENOUVELÉS  DES  ANCIENS 

Presque  tous  les  genres  poétiques    qu'a  cultivés 
Pléiade  sont  renouvelés  de  l'antiquité  ;  tous  ceux  au  co 
traire  qui  avaient  été  en  honneur  jusqu'au  milieu  c\ 
xvie  siècle  ont  été  répudiés  par  Ronsard  et  ses  disciples 
nous  n'en  excepterons  que  le  sonnet,  dont  l'introductic 
dans  notre  poésie  ne  remonte  pas  d'ailleurs  au  delà  ( 
Marot.  Ces  anciennes  formes  du  moyen  âge,  Vauquel 
n'a  garde  de  les  oublier;  mais  nous  les  retrouvero:] 
plus  tard  quand  nous  étudierons  chez  lui  l'histoire   I 
notre  poésie  :  occupons-nous  pour  le  moment  de  celLJ 
que  la  Pléiade  avait  empruntées  directement  aux  Gre  j 
et  aux  Latins.  Nous  ne  suivrons  pas  le  plan  même  j  I 
poème  ;  on  peut  dire  qu'il  n'en   a  point  :  Vauquelin 
■divise  bien  en  trois  livres,  mais  cette   division   ne  ce 
respond  à  nul  ordre  réel  (1),  et  c'est  pour  procéder  av. 
quelque  méthode  que  nous  n'en  tenons  aucun  compte. 

Le  genre  lyrique  est  le  premier  que  la  nouvelle  éc« 
restaura  d'après  les  anciens  :  dès  l'année  1550,  Rons? 
publie  des  odes.  Ce  genre,  on  le  sait,  a  toujours,  cl 
tous  les  peuples,  inauguré  la  poésie  :  l'impression  ( 
les  spectacles  de  la  nature  font  sur  notre  âme,  un 
sentiment  de  joie,  de  douleur,  d'enthousiasme,  se  trad 
sent  au  dehors  par  des  accents  lyriques  qui,  dès  les  é 
ques  les  plus  primitives,  contiennent  en  germe  l'< 

1.  V.  chap.  v,  p.  CIL 


—   LI  — 

tout  entière.  Mais  celle  de  Ronsard,  surtout  au  début, 
n'a  rien  de  commun  avec  ces  effusions  soudaines  et 
comme  involontaires  ;  il  la  forme  à  limitation  des  an- 
ciens; c'est  l'ouvrage  d'un  art  compliqué,  d'une  industrie 
laborieuse,  où  l'inspiration,  qui  y  a  sa  part,  est  elle-même 
savante  et  réfiécbie. 

Dès  les  premiers  siècles  du  moyen  âge,  un  grand 
nombre  de  genres  lyriques  avaient  fleuri  sur  notre  sol  ; 
mais,  à  l'époque  de  Ronsard,  c'est  à  peine  si  l'on  en  con- 
naissait les  noms  :  pour  restaurer  l'ode,  les  nouveaux 
poètes  se  tournèrent  vers  l'antiquité,  c'est-à-dire  vers 
Horace  et  Pindare.  Ils  goûtèrent  dans  Horace  le  charme 
délicat  et  la  grâce  élégante,  l'art  patient  et  exquis,  mais 
il  n'y  trouvèrent  point  une  inspiration  capable  de  les 
porter  tout  d'abord,  comme  c'était  leur  ambition  in- 
time, sur  les  cimes  les  plus  élevées  de  la  poésie.  Quant 
à  Pindare,  jusqu'à  l'édition  des  Aides,  publiée  en  1513,  il 
était  resté  inconnu  à  la  France  ;  jusqu'à  la  seconde 
moitié  du  siècle,  on  ne  voit  pas  que  ses  odes  aient  laissé 
la  moindre  trace  chez  nos  poètes.  Ce  qui  est  certain,  c'est 
qu'il  est  complètement  ignoré  de  Marot.  Marot  est  le 
dernier  héritier  du  moyen  âge  :  son  génie  aimable  et 
gracieux,  mais  incapable  d'élévation  et  de  grandeur,  ne 
pouvait  soutenir  le  ton  lyrique  ;  c'est  ce  que  prouvent 
suffisamment  sa  traduction  des  Psaumes,  si  souvent 
faible  et  languissante,  et  ce  chant  en  l'honneur  du  duc 
d'Enghien,  vainqueur  à  Cérisoles,  que  Ronsard  devait 
refaire  en  ode  pindarique.  Poète  ingénieux  et  délicat,  il 
n'avait  pas  en  lui  de  quoi  satisfaire  aux  aspirations  géné- 
reuses et  aux  espérances  peut-être  téméraires  de  la  nou- 
velle école. 

Initié  par  Daurat  aux  odes  de  Pindare,  Ronsard  se 
crut  de  force  à  monter  après  lui  sur  le  trépied  lyrique  : 


—  LU    — 

quand,  après  les  mièvreries  de  Marot,  après  les  Psaumeà 
eux-mêmes,  d'une  inspiration  si  courte  et  comme  essouf 
fiée,  le  chef  de  la  Pléiade  publia  son  premier  recueil,  l'ad 
miration  universelle  eut  bientôt  fait  de  lui  un  nouveai 
Pindare  ;  on  y  trouvait. une  élévation,  une  ampleur,  un< 
majesté  encore  inconnues  et  qu'on  avait  crues  jusqu'aloi 
incompatibles  avec  notre  langue.  La  dignité  du  style,  1 
splendeur  des  images,  la  largeur  du  rythme,  justifiaiei 
déjà  cet  enthousiasme  pour  les  odes   pindariques  ;  le 
défauts  mêmes  qui  nous  en  rendent  aujourd'hui  la  lec 
ture  pénible,  c'est-à-dire  l'abus  des  souvenirs  antiques 
l'obscurité  et  l'empbase,  passaient  pour  autant  de  quali 
tés  :  Pindare  était  si  peu  accessible,  qu'on  en  aurait  vouli 
à  Ronsard  de  l'être  trop. 

C'est  dans  le  premier  livre  de  son  Art  poétique  que 
Vauquelin  traite  de  l'ode  ;  il  commence  par  la  définir, 
puis  il  donne  les  règles  du  genre  : 

L'Ode  d'un  grave  pied,  plus  nombreuse  et  pressée 
Aux  dames  et  seigneurs  par  toy  soit addressee  : 
De  mots  beaus  et  choisis  tu  la  façonneras, 
De  mile  belles  fleurs  tu  la  couronneras...  etc.  (1). 

Vauquelin  a  pour  les  odes  pindariques  de  Ronsard  une! 
vive  admiration  : 

Depuis  que  Ron&ard  eut  amené  les  modes 

Du  Tour  et  du  Retour  et  du  Repos  des  Odes, 
Imitant  la  pavane  ou  du  Roy  le  grand  bal, 
Le  François  n'eut  depuis  en  Europe  d'égal  (2). 

Sans  doute,  ces  louanges  passent  la  mesure,  mais} 
le  poète  est  bien  excusable.  Ronsard  avait  assez  dej 
génie  pour  concevoir  dans  son  âme  ce  qu'il  y  a  de  plus] 
grand  et  de  plus  sublime  dans  la  poésie  lyrique;  s'iU 
avait  vécu  en  un  autre  temps,  s'il  avait  trouvé  une  lan-j 

1.1,  651. 
2.  I,  687. 


—  LUI   — 

gue  toute  faite,  assez  populaire  pour  être  comprise  de 
tous,  assez  forte  pour  soutenir  une  inspiration  élevée, 
nul  doute  que,  dès  le  début,  il  n'eût  porté  notre  poésie 
assez  haut  pour  n'avoir  plus  à  craindre  les  Malherbe  et 
les  Boileau  de  l'avenir.  Cette  langue  même  qu'il  s'est 
créée,  il  ne  s'y  sent  pas  à  l'aise  ;  l'instrument  est  sou- 
vent rebelle  entre  ses  mains,  et  nous  l'entendons  bien 
des  fois  se  plaindre  de  ce  qu'il  ne  peut  rendre  à  son  gré 
la  beauté  idéale  dont  l'image,  présente  à  son  esprit,  fait 
à  la  fois  son  ivresse  et  son  désespoir.  Or,  ces  frémisse- 
ments d'une  indignation  généreuse  trahissent  l'âme  d'un 
vrai  poète.  Bien  plus,  quoique  Ronsard  arrive  rarement  à 
remplir  tout  son  cadre,  il  y  a  dans  la  structure  même 
des  odes,  dans  la  succession  régulière  de  ce  que  Vauque- 
lin  appelle  le  tour  et  le  retour,  dans  la  sonorité  et  l'éclat 
des  mots,  je  ne  sais  quelle  grandeur  imposante,  qui,  sans 
regarder  au  delà  de  la  forme  extérieure,  devait  néces- 
sairement provoquer  l'admiration  d'un  public  habitué 
aux  «  espisseries  »  de  l'ancienne  école  et  à  la  langue 
sèche  et  grêle  de  Marot. 

Mais  l'ode  de  Pindare,  cette  ode  tout  animée  dont  la 
strophe  et  l'antistrophe  formaient  pour  ainsi  dire  les 
membres  vivants,  et  qu'inspirait  de  son  souffle  le  chœur 
antique,  avait  jadis  emprunté  à  la  célébration  des  héros 
et  des  dieux,  à  la  pompe  de  cérémonies  solennelles,  à 
l'affluence  même  des  spectateurs,  un  éclat  et  un  mou- 
vement que  notre  imagination  peut  à  peine  nous  figurer. 
C'est  pourquoi  Horace,  qui  vivait  dans  une  époque  tout 
autre,  Horace,  dont  les  odes  devaient  être  lues  et  non 
plus  chantées,  comme  au  temps  de  Pindare,  et,  pour  ainsi 
dire,  jouées,  ne  se  hasarda  jamais  jusqu'à  prendre  en 
main  la  lyre  du  poète  grec  : 

Pindarum  quisquis  studet  semulari;  etc . 


—  LIV  — 

Ronsard  n'eut  pas  la  même  prudence  :  il  restaura  l'ode 
pindarique  dans  sa  forme  extérieure,  condamné  par  la 
force  même  des  choses  à  un  pastiche  froid  et  sans  vie. 

Et  pourtant  cette  tentative  malheureuse  était  encore 
regardée  comme  son  plus  grand  titre  de  gloire  lorsque 
Henri  Estienne,  en  1554,  publia  pour  la  première  fois  le 
prétendu  recueil  d'Anacréon.  Rien  n'était  plus  propre  à 
tempérer  l'emphase  pindarique  que  les  odes  de  ce  poète 
dont  la  grâce  aimable  et  l'élégante  familiarité  faisaient 
un  si  frappant  contraste  avec  le  ton  sibyllique  du  poète 
thébain.  Anacréon  clarifia  le  génie  fumeux  de  Ron- 
sard. «  Au  milieu  de  la  jeune  bande  en  plein  départ,  dit 
Sainte-Beuve  (l),  H.  Estienne  jeta  brusquement  comme 
une  poignée  d'abeilles,  d'abeilles  blondes  et  dorées  dans 
le  rayon,  et  plus  d'un  en  fut  heureusement  piqué.  »  Par 
cette  piqûre,  s'il  est  permis  de  continuer  la  métaphore, 
s'écoula  ce  qu'il  y  avait  de  trop  acre  dans  la  veine  de 
Ronsard  :  le  chef  de  la  Pléiade  se  détourne  de  Pindare 
et  s'abandonne  librement  à  une  inspiration  moins  con- 
trainte qui  lui  vient,  non  plus  de  la  tête,  mais  du  cœur. 
"Voici  comment  il  s'exprime  dans  une  pièce  A  son  laquais  : 

Verse  donc  et  reverse  encor 
Dedans  cette  grand   coupe  d'or; 
Je  vais  boire  à  Henri  Estienne 
Qui  des  enfers  nous  a  rendu 
Du  vieil  Anacréon  perdu 
La  douce  lyre  téienne,  etc. 

Et  dans  celle  qu'il  met  en  tête  de  l'Anacréon  traduit 

par  Belleau  : 

Mais  loue  qui  voudra  les  replis  recourbés 
Les  torrents  de  Pindare  à  nos  yeux  dérobés, 
Obs;urs,  rudes,  fâcheux,  et  ces  chansons  connues 

1.  Anacréon  an  xvie  siècle. 


—  LY  — 

Que  je  ne  sais  comment,par  songes  et  par  nues, 
Que  le  peuple  n'entend  :  le  doux  Anacreon 
Me  plaist,  etc. 

Plus  jeune  que  Ronsard  de  quelques  années,  Vauque- 
lin  ne  connut  pas  cette  première  effervescence  toute 
pindaresque  par  laquelle  avait  d'abord  passé  le  chef  de  la 
Pléiade  :  il  préfère  tout  bellement  Anacreon  à  Pindare. 
S'il  admirait  les  premières  odes  de  Ronsard,  je  ne  sais 
quel  secret  instinct  l'entraînait  de  préférence  vers  un 
genre  plus  accessible  au  commun  des  hommes,  plus 
gracieux  et  plus  riant  : 

Mais  rien  n'est  si  plaisant  que  la  courte  Odelette 
Pleine  de  jeu  d'amour,  douce  et  mignardelette  (1). 

Ce  n'est  pas  seulement  dans  son  Art  poétique  qu'il  fait 
un  tel  aveu  :1a  plupart  de  ses  recueils  attestent  cette  sym- 
pathie intime  ;  il  n'est  aucun  poète,  parmi  tous  ceux  du 
xvie  siècle,  qui  ait  eu  plus  souvent,  en  dehors  de  toute 
imitation,  quelque  chose  de  la  veine  anacréontique. — Aux 
vers  qui  précèdent,  il  en  ajoute  d'autres  dans  lesquels  il 
semble  redouter  et  conjurer  un  retour  de  l'influence  que 
le  genre  pindaresque  avait  exercée  tout  d'abord  sur  no- 
tre poésie  : 

Si  tu  veux  du  sçavoir  philosophe  y  mesler, 
Par  la  Muse  il  le  faut  à  ton  aide  appeler... 
Et  non  l'assujettir  aux  mots  sentencieux 
Sans  qu'elle  sente  un  peu  son  air  capricieux  (2). 

Il  a  pour  le  poète  grec  un  profond  respect,  mais  ce  res- 
pect même  l'en  éloigne  :   major  e  longinguo  revcrentia; 

il  préfère 

S'esjouir  et  rire 

Et  sur  la  Téienne  et  la  Saphique  lyre  (3). 

1.  I,  667. 

2.  I,  669. 

3.  I,  695. 


—   LVI  — 

Il  ne  veut  pas  d'un  art  laborieux  et  contraint  qui  fait 
d'abord  le  supplice  des  poètes,  et  puis  celui  des  lec- 
teurs : 

C'est  le  but,  c'est  la  fin  des  vers  que  resjouir  : 
Les  Muses  autrement  ne  les  veulent  ouir  (1). 

Il  sent  peut-être  par  une  secrète  intuition  que,  quand 
bien  même  le  génie  de  nos  poètes  imiterait  plus  ou 
moins  heureusement  la  forme  des  odes  pindariques,  il 
n'est  pas  en  leur  pouvoir  de  restaurer  ce  milieu  tout 
grec,  tout  mythologique,  ce  cadre  formé  de  traditions  et 
de  symboles,  de  légendes  héroïques  et  religieuses  qui  ne 
pouvaient  chez  nous  avoir  jamais  rien  de  populaire  et 
dans  lesquelles  les  érudits  eux-mêmes  lie  se  débrouil- 
laient qu'à  grand'peine. 

Si  Vauquelin  n'a  que  peu  de  goût  pour  la  poésie  pinda- 
rique,  il  ne  paraît  même  pas  savoir  au  juste  en  quoi 
consiste  l'hymne  et  comment  elle  se  distingue  de  l'ode 
proprement  dite;  il  se  contente  de  rappeler  pêle-mêle  les 
principaux  maîtres  du  genre,  Orphée,  Homère,  Callima- 
que,  Manille,  Claudien,  David;  il  loue  assez  étrangement 
la  facilité  de  Pelletier,  et  déclare  sans  scrupule  que  Ron- 
sard l'emporte  sur  les  anciens  eux-mêmes. 

Quant  à  la  poésie  élégiaque,  il  ne  fait  que  répéter 
ce  qu'en  avait  dit  Horace,  et  exhorter  les  poètes  à  se  ré- 
gler 

Sur  le  Patron  poli  de  l'amant  de  Cinthie  (2).' 

Il  indique  pourtant  quel  est  le  mètre  qui  convient  à 
l'élégie  : 

Ces  plaintes  inventées 

Par  nos  Alexandrins  sont  bien  représentées, 

1.  I,  709. 

2.  I,  528. 


—  LVII  — 

Et  par  les  vers  communs,  soit  que  diversement 

En  Stancss  ils  soient  mis,  ou  bien  joints  autrement  (i). 

Rien  d'ailleurs  sur  le  caractère  intime  de  ce  genre. 

dvd 

Vauquelin,  comme  il  est  naturel,  insiste  longuement 

sur  le  poème  épique.  Nous  avons  déjà  vu,  en  étudiant 
les  Arts  poétiques  de  Fabri  et  de  Sibilet,  que  les  ancien- 
nes épopées  du  moyen-âge  étaient  tombées  dans  l'oubli. 
Ces  poèmes  d'un  accent  simple  et  mâle,  qu'anime  un 
souffle  d'héroïsme,  et  que  l'amour  vient  ensuite  atten- 
drir sans  leur  faire  perdre  encore  ce  caractère  de  naïve 
grandeur,  avaient  peu  à  peu  dégénéré  en  pâles  allégo- 
ries que  ne  pouvaient  point  faire  vivre  les  raffinements 
d'une  galanterie  froide  et  subtile  :  à  Roland  et  Arthur 
succédèrent  bientôt  ces  amoureux  fades  et  languissants 
dont  nous  trouvons  dans  le  Roman  de  la  Rose  le  type  cent 
fois  reproduit.  L'épopée  en  était  là,  lorsque  l'Iliade,  l'O- 
dyssée, l'Enéide  furent  remises  au  jour  :  n'éprouvant 
plus  que  du  dédain  pour  les  insipides  rapsodies  où 
s'épuisait  depuis  deux  siècles  le  génie  de  nos  poètes,  les 
promoteurs  de  la  Renaissance  répudient  la  tradition  do- 
mestique avec  d'autant  moins  de  scrupule  que  le  Roman 
de  la  Rose  avait  depuis  longtemps  relégué  dans  l'oubli  nos 
antiques  chansons  de  gestes.  Mais,  religieux  admirateurs 
de  l'antiquité,  leur  piété  était  moins  éclairée  que  fer- 
vente. Ils  ne  comprirent  pas  le  véritable  caractère  de  la 
poésie  épique  :  ce  fut  pour  l'école  immédiatement  anté- 
rieure à  la  Pléiade  un  poème  dont  le  caractère  distinctif 
était  son  étendue  considérable  (2);  ils  l'appelèrent  le 
long  œuvre  ou  le  grand  œuvre,  et  cette  épithète  les  dis- 

i.  I,  519. 

2.  Cf.  Boileau,  Art.  poét.  : 

Dans  le  vaste  récit  d'une  longue  action  (III,  161). 


—   LVIII   — 
VTUyvV 

pensait  de  toute  définition.  Pelletier  compare  l'épopée  à 
une  mer  sans  bornes  :  comment  donc  pourrait-il  définir 
un  genre  dont  le  trait  caractéristique  est  de  ne  connaî- 
tre point  de  limites?  Il  ne  donne  aucune  règle  et  se  con- 
tente d'inviter  les  poètes  à  imiter  Virgile;  bien  plus,  se 
souvenant  peut-être  de  l'épître  dans  laquelle  Horace  pré- 
tend faire  d'Homère  un  philosophe  (1),  il  semble  ramener 
le  poème  héroïque  au  développement  d'une  maxime 
morale.  En  1561,  Scaliger  écrit  quelques  pages  sur  l'épo- 
pée; il  y  suit  la  doctrine  d'Aristote,  mais  on  ne  trouve 
chez  lui  rien  que  de  vague  et  d'insignifiant  :  il  ne  sait 
même  pas  reconnaître  quel  est  le  vrai  sujet  de  l'Iliade, 
et  juge  d'ailleurs  ce  poème  aussi  inférieur  à  l'Enéide 
qu'une  femme  du  peuple  l'est  à  une  illustre  matrone  (2). 
Bientôt  cependant,  avec  les  règles  que  nos  poètes 
avaient  trouvées  dans  les  Poétiques  des  anciens  ou  qu'ils 
tiraient  eux-mêmes  des  épopées  antiques,  ils  se  for- 
mèrent du  poème  héroïque  un  idéal  tout  artificiel  que 
remplissaient  également  Quintus  de  Smyrne  et  Homère, 
Apollonius  de  Rhodes  et  Virgile.  En  1565,  Ronsard  publie 
son  Abrégé  d'art  poétique  sans  y  rien  dire  de  l'épopée  : 
mais,  sept  ans  après,  non  content  d'avoir  donné  à  la 
France  un  second  Pindare,  il  dote  notre  poésie  d'une 
nouvelle  Enéide  :  dans  la  première  préface  de  la  Fran- 
ciade,  il  recommande  le  vers  de  dix  syllabes  comme  le  plus 
propre  au  poème  héroïque;  il  analyse  quelques  passages 
de  son  œuvre  ;  il  fait  ressortir  la  différence  de  l'épopée 
et  de  l'histoire  :  mais  nous  n'y  trouvons  rien  qui  marque 
une  théorie  raisonnée  du  poème  épique.  Chercherons- 
nous  dans  la  Franciade  même  quelles  étaient  ses  vues  ? 
Les  quatre  livres  de  ce  poème  sont  froids  et  sans  vie  ; 

1.  Liv.  II,  ép.  I. 

2.  Cf.  Egger,  op.  cit.  xvne  leçon. 


—  LIX  —  _ 

Cryvtt 

l'action  languit  et  se  traîne;  la  fable  est  formée  d'épisodes- 
qui  se  juxtaposent  les  uns  aux  autres  sans  former  un 
tout.  Ronsard  a  sur  l'épopée  les  mêmes  idées  que  ses- 
contemporains  ;  elle  n'est  pour  lui  qu'une  compositioa 
toute  factice,  la  mise  en  œuvre  de  procédés  plus  ou 
moins  compliqués,  mais  qu'il  suffît  de  pratiquer  avec 
un  art  ingénieux  et  patient  ;  il  y  a,  pour  composer  un 
poème  épique,  des  recettes  infaillibles  :  récits  de  ba- 
tailles, descriptions  de  tempêtes,  courses  de-  chars, 
songes,  prédictions,  descente  aux  enfers  ou  évocation 
des  ombres,  on  n'a  besoin  que  de  combiner  dans  la  juste 
proportion  ces  divers  ingrédients  pour  obtenir  une  se- 
conde Enéide.  —  En  1584,  Ronsard  écrit  pour  la  Fran- 
ciade  une  seconde  préface  :  il  y  donne  des  préceptes 
minutieux  sur  la  périphrase,  les  comparaisons,  l'usage 
des  consonnes  et  des  voyelles,  l'orthographe  elle-même  ~t 
mais  on  n'y  trouve  rien  qui  dénote  une  véritable  intel- 
ligence de  l'épopée.  Non  seulement  il  borne  par  d'étroi- 
tes limites  la  durée  de  l'action,  mais,  pour  parler  d'une 
façon  générale,  il  accorde  beaucoup  plus  aux  procédés 
de  l'art  qu'au  libre  génie  du  poète.  Plus  que  tout  autre 
entre  les  poètes  du  temps,  il  semble  avoir  eu  pour 
l'épopée  homérique  une  admiration  vive  et  sentie  (1)  : 
mais  Virgile  est  à  ses  yeux  bien  au-dessus  d'Homère, 
parce  que  l'Enéide  est  en  effet  plus  conforme  que 
l'Iliade  à  l'idée  qu'il  se  fait  du  genre.  Au  fond  le 
génie  naïf,  heureux  et  tout  spontané  du  poète  grec 
est  méconnu  de  Ronsard  comme  de  ses  contem- 
porains. Déjà,  pour  Aristote,  Homère  était  un  esprit 
savant  et  réfléchi  qui  avait  procédé  suivant  des   vues 

1.  Cf.  la  pièce  qui  commence  ainsi: 

.  Je  veux  lire  en  trois  jours  l'Iliade  d'Homère. 

{Pièces  retranchées  des  Amours,  1560.) 


►'      .  —  LX  — 

méthodiques  ;  aux  yeux  de  Ronsard,  l'auteur  de  l'Iliade, 
désireux  de  se  concilier  la  faveur  des  Ëacides,  a  choisi 
parmi  les  légendes  des  temps  héroïques  celle  qui  lui 
semblait  le  mieux  appropriée  au  but  qu'il  se  proposait, 
et  il  en  a  combiné  ou  même  inventé  les  divers  épisodes 
d'après  les  règles  précises  auxquelles  était  assujetti  le 
genre  épique.  On  ne  saurait  donc  être  surpris  qu'il  ne 
s'attache  qu'aux  règles  purement  mécaniques  de  l'épopée: 
par  delà  les  formules  et  les  recettes,  Ronsard  n'a  pas 
saisi  la  nature  intime  du  poème  héroïque  :  il  n'a  vu  dans 
l'Iliade  comme  dans  l'Enéide  quune  œuvre  d'art  et  de 
pure  fiction. 

Vauquelin  de  la  Fresnaye  reproduit  les  préceptes  sou- 
vent trop  étroits  d'Aristote  et  d'Horace,  mais  il  y  a  malgré 
tout  quelque  chose  de  libéral  et  de  vraiment  généreux 
dans  sa  conception  de  l'épopée  : 

Tel  ouvrage  est  semblable  à  ces  fecons  herbages, 

Qui  sont  fournis  de  prez  et  de  gras  pasturages, 

D'une  baute  fustaye  et  d'un  bocage  épais, 

Ou  courent  les  ruisseaux,  ou  sont  les  ombres  frais...  etc.(l). 

Dans  cette  image  du  poème  épique,  rien  d'artificielle- 
ment symétrique  et  de  compassé,  aucune  formule  super- 
stitieuse qui  puisse  gêner  le  libre  essor  du  poète  ;  Vauque- 
lin s'est-il  fait  une  idée  bien  précise  du  genre  héroïque, 
c'est  ce  dont  il  est  permis  de  douter  ;  mais  nous  préfé- 
rons le  large  tableau  qu'il  trace  aune  sèche  définition,  et 
il  vaut  encore  mieux  avoir  à  lui  reprocher  quelque  vague 
dans  les  idées  qu'une  précision  catégorique  et  étroite. 

Il  s'attache  ensuite  aux  événements  et  aux  personnages 
que  comporte  l'épopée  : 

On  y  void  peint  au  vray  le  gendarme  vaillant, 
Le  sage  capitaine  une  ville   assaillant, 

1.  I,  443,  sqq. 


—  LXI  — 

Les  conseils  d'un  vieil  homme,  ecarmouches,  batailles,         trpvv*- 
Les  ruses  qu'on  pratique  au  siège  des  murailles,  etc.  (1). 

La  lecture  du  morceau  tout  entier  montre  quel 
immense  domaine  Vauquelin  donne  au  genre  épique  : 
dans  les  deux  derniers  vers  il  nous  indique  le  fond  de  sa 
pensée: 

Car  toute  Poésie  il  contient  en  soy  même 

Soit  tragique  ou  Comique,  ou  soit  autre  Poëme. 

Il  avait  déjà  dit  dans  le  même  livre: 

Mais  il  faut  de  cet  Art  tous  les  préceptes  prendre, 
Quand  tu  voudra  parfait  un  tel  ouvrage  rendre  : 
Par  ci  par  la  meslé  rien  ici  tu  ne  lis 
Qui  ne  rende  les  vers  d'un  tel  œuvre  embellis  (2). 

L'immensité  de  ce  cadre  est  parfaitement  appropriée  à 
l'ampleur  de  l'épopée  :  c'est  la  vie  humaine  sans  limites 
d'espace  ni  de  temps.  Bien  plus,  tous  les  genres  de  poé- 
sie viennent  aboutir  au  poème  épique  comme  tous  le« 
fleuves  vont  se  perdre  dans  la  mer.  Vauquelin,  sans  en 
avoir  conscience,  retrouve  l'épopée  primitive,  dans 
laquelle,  ignorant  de  toute  règle,  le  génie  des  poètes 
n'avait  d'autres  bornes  que  celles  de  la  nature  et  variait 
sans  cesse  son  inépuisable  fécondité. 

Il  y  a  loin  d'une  pareille  licence  à  la  division  systéma- 
tique des  genres,  telle  que  le  xvne  siècle  allait  bientôt 
la  recevoir,  comme  un  héritage  du  xvie,  pour  la  ren- 
dre encore  plus  stricte  et  plus  rigoureuse.  Vauquelin 
lui-même,  dans  le  second  chant  de  son  Art  poétique, 
oublie  la  liberté  pleine  et  entière  qu'il  a  laissée  au  poète, 
pour  limiter  au  cours  d'une  année  l'étendue  de  l'épopée. 

1.  1, 473. 

2.  I,  439. 


—  LXII  — 

^*\u  fond,  s'il  paraît  ici  s'affranchir  des  règles,  c'est  incer- 
titude de  son  esprit  plutôt  que  véritable  intelligence  du 
poème  épique.  Cependant,  on  ne  saurait  douter  qu'il  y  a 
chez  lui,  malgré  son  respect  superstitieux  pour  les  anciens,  ! 
un  instinct  naturel  de  franchise,  une  veine  de  facilité 
large  et  courante  qui  prêtent  souvent  beaucoup  de 
Charme  à  sa  poésie,  et  dont  sa  Poétique  elle-même  doit, 
[  nécessairement  porter  la  trace. 


Vauquelin  est  loin  d'être  aussi  libéral  dans  la  théorie  J 
qu'il  donne   de  la  tragédie.  Aux  genres  dramatiques  e  n  j 
usage  pendant  le  moyen  âge,  les  poètes  de  la  nouvelle  I 
école    avaient  substitué    ceux  de  l'antiquité.  Deux  ans  j 
après  la  Défense,   Jodelle  fait  représenter  sa  Cléopâtre,  ] 
notre  première  tragédie.   Quoique  cette  pièce  n'ait  par 
elle-même   que  peu  de  valeur,  elle  marque  cependant 
une  ère  nouvelle  pour  notre  scène  :  c'est  la  première  fois] 
que  l'action  se  resserre  en  vingt-quatre  heures  et  qu'il  y  ] 
a  unité  dans  le  sujet.   Jodelle  calque    sa  pièce  sur  le  ] 
théâtre  grec  :  la  fable  est  très  simple,  les  personnages 
peu  nombreux,  les  actes  courts  et  coupés  par  des  chœurs,  j 
Après  lui,  Garnier  donna  plus  d'ampleur  au  drame  tragi- 
que, mais  sans  en  changer  la  forme  générale  qui  se  trans- 
mit jusqu'à  Corneille.   Celui-ci  a  mérité,  par  son  génie,  j 
d'être  appelé  le  père  de  notre  théâtre;  pourtant,  dès  Jo- 
delle, la  tragédie  classique  avait  son  cadre,  ses  procédés  j 
et  comme  sa  formule  définitive. 

On  trouve  chez  Vauquelin  toutes  les  règles  auxquelles 
l'auteur  de  Cléopâtre  et  celui  de  Porcie  avaient  assujetti 
la  scène  tragique.  Après  avoir,  dans  son  premier  chant,  | 
indiqué  avec  raison  l'alexandrin  comme  le  mètre  le  plus 
propre   à    la  tragédie,   il  reproduit,  dans  le  second,  et 


—   LXIII  — 

-commente  les  préceptes  d'Horace.  Il  insiste  sur  l'unité 
de  temps.  D'abord  ces  deux  vers  : 

Le  Tragic,  le  Comic,  dedans  une  journée 

Comprend  ce  que  fait  l'autre  au  cours  de  son  année  (1). 

Puis,  comme  si  la  règle  n'était  pas  assez  formelle  et 
Assez  précise,  il  ajoute  : 

Le  Théâtre  jamais  ne  doit  estre  rempli 

D'un  argument  plus  long  que  d'un  jour  accompli  (2). 

Il  veut  que  la  tragédie  soit  divisée  en  cinq  actes,  ni 
plus  ni  moins  : 

La  brave  Tragédie  au  Théâtre  attendue,... 

Ne  doit  point  avoir  plus  de  cinq  actes  parfaits  (3). 

Il  n'admet  que  trois  personnages  sur  le  théâtre  : 

Et  ne  parle  un  quatriesme  en  l'Etage  avec  trois  : 
Trois  parlant  seulement  suffisent  à  la  fois  (4). 

Il  prescrit  aux  poètes  de  ne  pas  mettre  en  scène  ce 
■que  l'action  a  de  trop  violent  ;  il  leur  recommande  le 
souci  de  la  vraisemblance  ;  il  indique  le  rôle  du  chœur. 

Ce  n'est  là,  comme  on  le  voit,  que  répéter  Horace  : 
Vauquelin  traduit  encore  l'épître  aux  Pisons  lorsqu'il 
félicite  les  tragiques  contemporains  d'avoir  osé  célébrer 
des  sujets  domestiques  : 

Ils  n'ont  pas  mérité  peu  de  gloire  et  d'honneur, 

faisant  chanter  la  gloire 

De  leurs  gestes  privez  aux  filles  de  Mémoire  (5). 

1.  II,  255. 

2.  II,  257. 

3.  IL  459. 

4.  II,  465. 

5.  III,  349. 


—   LXIV   — 

On  peut  en  ces  vers  reconnaître  aisément  ceux  d'Ho- 
race: 

Nec  minimum  meruere  decus,  etc.  (1). 

Mais,  dans  le  second  chant,  il  revient  tout  spontanément 
sur  cette  idée  d'un  théâtre  vraiment  national  : 

Chercher  loin  ne  te  faut 

Un  monde  d'argumens  :  car  tous  ces  derniers  âges 
Tragiques  ont  produit  mile  cruelles  rages  (2). 

Il  ne  veut  pas  sans  doute  qu'on  représente  des  sujets 
tout  contemporains  : 

.  .  .Prendre  il  ne  faut  pas  les  nouveaux  argumens  : 
Les  vieux  servent  tousjours  de  seurs  enseignemens, 
Puis  la  Muse  ne  veut  soubs  le  vray  se  contraindre  : 
Elle  peut  du  vieil  temps,  tout  ce  qu'elle  veut,  feindre  (3). 

Mais  les  événements  du  temps  présent  seront  mis  sur 
la  scène  par  les  poètes  tragiques  de  l'avenir: 

Pauvre  France, 

Tes  massacres  cruels  aux  beaux  ans  qui  suivront 
Aux  Poètes  Tragics  de  sujets  serviront  (4). 

Les  Italiens  avaient  depuis  longtemps  célébré  leur 
propre  histoire  sur  le  théâtre  :  dès  le  xiv*  siècle,  Alber- 
tino  Mussato  composait  sa  tragédie  d'Eccerinis.  En 
France,  dans  le  temps  que  Vauquelin  commençait  son 
Art  poétique,  Chantelouve  prenait  la  mort  de  Coligny 
pour  sujet  d'une  tragédie;  en  1589,  Pierre  Mathieu, 
l'auteur  des  Quatrains,  publiait  la  Guisiade  ;  il  faut  noter 
encore  de  Simon  Belyard  le  Guy  sien,  de  Louis  Léger, 
Chilpéric  II,  de  Cl.  Billard,  Mérovée  et  Gaston  de  Foix,  du 

1.  Art.  poét.  286. 

2.  II,  HiO. 

3.  II,  1113. 

4.  II,  1117.  . 


—    LXY    — 

Père  Fronton  Le  Duc,  la  Pucelle  d' 'Orléans,  enfin,  d'An- 
toine de  Monchrestien,  Y  Écossaise  ou  Marie  Stuart,  repré- 
sentée l'année  même  où  Yauquelin  faisait  imprimer  son 
poème. 

Disons-le  sans  crainte,  les  modifications  que  subit 
notre  ancien  théâtre  au  xvie  siècle,  touchent  plutôt  à 
la  forme  qu'au  fond.  Si  Vauquelin,  épris  comme  ses  con- 
temporains de  symétrie  et  de  régularité,  admet  tout  ces 
changements  extérieurs,  il  faut  lui  savoir  gré  de  n'avoir 
pas  circonscrit  le  domaine  tragique  aux  légendes  de  la 
mythologie  et  à  l'histoire  grecque  ou  romaine.  Cette  li- 
berté de  traiter  des  sujets  domestiques  ne  restera  pas 
longtemps  à  nos  poètes:  grec  et  latin  parla  forme,  notre 
théâtre  le  deviendra  bientôt  par  les  sujets  eux-mêmes, 
et  sera  mis  dans  l'alternative  ou  de  se  transformer 
en  école  d'archéologie  ou  plutôt  dé  donner  aux  personna- 
ges de  l'antiquité  notre  costume,  nos  mœurs  et  nos  pas- 
sions. 

Aux  règle*  qui  régissent  également  la  tragédie  et  la 
comédie,  Vauquelin  n'en  ajoute  guère  de  particulièrement 
applicable  à  cette  dernière.  Dans  son  premier  livre,  il 
lui  assigne  le  vers  de  huit  syllabes.  Dans  le  troisième,  il 
la  divise  en  trois  parties  sans  compter  le  prologue  :  la 
première  indique  le  sujet  de  façon  à  éveiller  l'intérêt 
et  à  tenir  en  suspens  l'attention  des  spectateurs  ;  la 
seconde  n'est  autre  chose  qu'un  «  brouil  de  l'entier  ar- 
gument »  ;  la  troisième  enfin  tire  tout  au  clair  et  dénoue 
le  fil  de  l'action  (1).  Cette  division  est  sans  doute  fort  ju- 
dicieuse ;  mais  nous  l'avons  déjà  vue  dans  Pelletier, 
auquel  Vauquelin  n'ajoute  rien  :  aussi  s'étonnerait-on 
justement  que  notre  poète  se  contentât   d'une  définition 

1,111, 111. 


—  LXVI   — 

aussi  sèche,  si  le  manque  même  de  guides  et  d'exemples 
n'expliquait  cette  sécheresse. 

On  trouve  dans  Aristote  fort  peu  de  chose  sur  la  comé- 
die ;  d'autre  part,  il  ne  restait  à  nos  poètes  aucune  pièce 
de  Diphile,  de  Philémon  ou  de  Ménandre  lui-même  pour 
leur  servir  de  modèle  :  quant  aux  comédies  d'Aristophane, 
elles  ne  pouvaient  s'adapter  à  la  scène  française.  Sans 
doute,  les  comiques  latins,  imitateurs  eux-mêmes  de 
Ménandre  ou  de  Philémon,  offraient  des  emprunts  plus 
faciles,  et  Vauquelin  remarque  que  les  poètes  français 
eurent  bientôt  fait  d'abandonner  Aristophane  (1)  pour 
suivre  les  traces  de  Térencc  et  de  Plaute.  Mais  si  les 
pièces  de  ces  deux  comiques  heurtaient  moins  nos 
mœurs  nationales,  il  faut  bien  dire  que,  d'une  façon  gé- 
nérale, la  comédie  est  le  genre  dramatique  le  moins 
propre  à  se  transplanter  d'une  scène  domestique  sur  un 
théâtre  étranger.  Le  poète  tragique  peint  des  sentiments 
et  des  passions  qui  sont  communs  à  tous  les  hommes  et 
que  ne  diversifient  guère  les  circonstances  particulières 
de  temps  et  de  milieu  ;  la  comédie,  tout  en  raillant  des 
vices  inhérents  à  la  nature  humaine,  dont  le  fond  est 
toujours  le  même,  donne  à  ces  vices  une  physionomie 
et  comme  une  couleur  propres  qui  sont  la  marque  dis- 
tinctive  de  ces  circonstances.  D'un  autre  côté,  les  poètes 
du  moyen  âge  n'avaient  laissé  aucune  œuvre  qui  pût 
fournir  un  modèle  à  la  tragédie  ;  le  genre  comique,  au 
contraire,  remontait  chez  nous  à  des  traditions  lointaines  ; 
notre  ancien  théâtre  avait  déjà  ébauché  tous  les  per- 
sonnages que  Molière  devait  reprendre  pour  en  achever 
le  type  depuis  longtemps  populaire.  Aussi  peut-on  affir- 
mer que  notre  comédie  du  xvie  siècle,  quoiqu'elle  imite 
parfois  Aristophane,   plus  souvent  Plaute   et  Térence, 

1.  III,  99. 


—   LXVII  — 

n'est  pourtant  ni  grecque  ni  même  latine;  elle  dérive  en 
droite  ligne  des  genres  du  moyen  âge,  et,  si  Jodelle  et 
Grévin  s'accordent  pour  les  tourner  en  ridicule,  c'est  de 
[là  pourtant  qu'ils  tirent  eux-mêmes  leurs  sujets  et  leurs 
personnages.  Voilà  pourquoi  la  comédie  jouit  toujours 
phez  nous  d'une  liberté  que  les  auteurs  de  Poétiques  ne 
laissèrent  point  à  la  tragédie.  Vauquelin  n'essaya  pas  de 
l'asservir  à  des  règles  étroites,  et  nous  devons  lui  en 
bavoir  gré. 

Un  troisième  genre  dramatique  s'était  récemment  in- 
troduit sur  notre  scène.  C'est  en  1580  que  Garnier  avait 
représenté  sa  Bradamante,  notre  première  tragi-comédie. 
K'auquelin  définitassez  justement,  mais  non  sans  quelque 
païveté,  cette  forme  encore  toute  nouvelle. 

On  fait  la  Comédie  aussi  double,  de  sorte 

Qu'avecques  le  Tragic  le  Comic  se  raporte. 

Quand  il  y  a  du  meurtre  et  qu'on  voit  toutefois. 

Qu'à  la  fin  sont  contens  les  plus  grands  et  les  Rois,  etc.  (1). 

D'ailleurs,  il  s'autorise  des  anciens  pour  donner  droit 
le  cité  à  un  genre  encore  suspect  : 

On  peut  bien  encor  par  un  succez  heureux, 

Finir  la  Tragédie  en  ébats  amoureux  : 

Telle  estoit  d'Euripide  et  l'Ion  et  l'Oreste,  etc.  (2). 

Le  xvne  siècle  respectera  trop  la  division  des  genres 
jour  admettre  cette  confusion  de  la  comédie  et  de  la 
ragédie.  Malgré  le  Cid  et  le  Nicomède  de  Corneille, 
oileau  maintiendra  rigoureusement  la  limite  des  deux 
ormes  dramatiques,  et  Racine  ne  composera  point  de 
ragi-comédie. 

Pour  Vauquelin,  comme  pour  Sibilet,  la  pastorale  est 

1.  III,  163. 

2.  III,  169. 


—  LXVIII  — 

une  scène  à  plusieurs  personnages.  Nous  avons  vu  que 
ce  genre  avait  été  cultivé  longtemps  avant  Ronsard 
Marot  en  emprunta  la  forme,  non  pas  à  Théocrite,  qu'il 
ne  connaissait  point,  mais  à  Virgile  qui  l'avait  transfor- 
mé en  une  sorte  d'allégorie  politique.  La  nouvelle  école 
resta  malheureusement  fidèle  à  cette  fausse  conceptioi 
du  poème  champêtre.  Belleau,  le  peintre  de  la  nature,  fait 
paraître  dans  ses  Bucoliques,  des  princes  et  des  grands 
auxquels  il  donne  le  costume  des  bergers  :  Ronsard, 
malgré  son  amour  pour  les  champs,  malgré  la  sincérité 
pleine  de  charme  avec  laquelle  il  sait  parfois  en  rendre 
la  poésie,  ne  change  point  la  forme  tout  artificielle  et 
symbolique  de  la  pastorale  :  dans  ses  églogues,  des  per- 
sonnages à  peine  déguisés  sous  des  noms  rustiques  cé- 
lèbrent les  louanges  de  Charles  IX  ou  chantent  leurs 
amours  en  vers  élégants  et  fades;  on  y  voit  même  la 
bergère  Margot  faire  l'éloge  de  Turnèbe  et  de  Vatable. 

Nous  ne  trouvons  chez  Vauquelin  aucune  règle  rela- 
tive à  la  pastorale.  Dans  le  troisième  livre  de  son  Art  poé- 
tique, il  rappelle  les  origines  de  ce  genre  et  se  félicite 
d'avoir  introduit  l'églogue  en  France.  Dans  le  premier 
livre,  passanten  revue  les  divers  genres  poétiques,  il  dit 

L'un  fait  une  Satyre,  et  l'autre  une  Idillie 

Qui  jusqu'aux  petits  chants  des  Pasteurs  s'humillie  (1). 

Ce  dernier  terme  se  retrouve  dans  Boileau  sous  une 
autre  forme  : 

Telle,  aimable  en  son  air,  mais  humble  dans  son  style 
Doit  éclater  sans  pompe  une  élégante  idylle  (2). 

Si  l'on  pouvait  juger  par  un  seul  mot  ce  que  pensait 
Vauquelin  du  poème  pastoral,  il  serait  permis  de  croire 

1. 1,  787 
2.  II,  5. 


—   LXIX   — 

qu'il  désirait  en  ce  genre  plus  de  sincérité  et  de  naturel. 
S'abaisser  jusqu'aux  petits  chants  des  pasteurs,  n'est-ce 
pas  répudier  toute  fausse  élégance  et  ramener  la  pasto- 
rale à  la  simplicité  naïve  des  mœurs  rustiques  ?  Mais  les 
églogues  mêmes  qu'il  nous  a  laissées  ont  à  peu  près  le 
même  caractère  que  celles  des  autres  poètes  contem- 
porains. Dans  les  Foresteries,  d'élégants  bergers  soupi- 
rent des  vers  ingénieux  et  délicats  dont  le  cadre  seul  est 
champêtre.  Laissons  de  côté  ces  premiers  essais  de  Vau- 
quelin,  qu'il  a  lui-même  retranchés  de  ses  œuvres  com- 
plètes ;  les  Idyllies  sont  de  beaucoup  supérieures  :  «Le 
nom  d'idyllie,  dit-il,  m'a  semblé  se  rapporter  mieux  à 
mes  desseins,  d'autant  qu'il  ne  signifie  et  ne  représente 
que  diverses  petites  images  et  graveures  en  lasemblance 
de  celles  qu'on  grave  aux  lapis,  aux  gemmes  et  calcé- 
doines pour  servir  quelquesfois  de  cachet.  »  Cette  défi- 
nition s'applique  bien  à  l'idylle  antique,  et  les  pièces 
mêmes  de  Vauquelin  ont  comme  le  parfum  des  églogues 
grecques.  Mais  pourtant,  ce  n'est  pas  là  le  poème  pasto- 
ral dans  sa  simplicité  rustique  ;  le  langage  y  est  encore 
trop  fleuri,  les  sentiments  trop  raffinés  :  les  bergers  des 
Idyllies  annoncent  plutôt  ceux  de  XAstrée  qu'ils  ne  rap- 
pellent ceux  deThéocrite.  Le  poème  pastoral  est  toujours 
en  danger  de  pécher  par  une  élégance  déplacée  ou  par 
une  grossièreté  rebutante  :  mais  nous  préférons  encore 
le  Tailleboudin  des  Propos  rustiques  aux  Philis  et  aux 
Philanons  des  Idyllies. 


Les  trois  grands  genres,  lyrique,  épique  et  dramatique, 
avaient  déjà  été  renouvelés  par  les  poètes  de  la  Pléiade, 
lorsque  Vauquelin  entreprit  son  Art  poétique  :  c'est  lui- 
même  qui  attacha  son  nom  à  la  rénovation  du  genre  di- 


—  LXX   — 

dactique  en  composant  ses  satires  et  le  poème  que  nous 
étudions  ici. 

vauquelin  considère  ce  genre  comme  intermédiaire 
entre  les  bucoliques  et  l'épopée  :  il  le  recommande  au 
poète  qui,  sans  avoir  le  souffle  épique,  ne  veut  pas  cepen- 
dant enfermer  son  génie  dans  le  cadre  d'une  pastorale  : 

Si  d'une  longue  alaine  un  bel  œuvre  tu  veux 
Parfaire  pour  passer  jusqu'aux  derniers  neveux, 
Cnante  d'un  air  moyen,  non  tel  que  l'Héroïque, 
Ni  si  bas  descendant  que  le  vers  Bucolique, 
Mais  qui  de  l'un  et  l'autre  un  vers  enlasscra, 
Qui  tantost  s'élevant,  tantost  s'abaissera  (1). 

Nous  examinerons  plus  bas  (2)  l'Art  poétique  de  Vau- 
quelin pour  étudier,  non  plus  les  règles  qu'il  y  donne,  mais 
la  conception  qu'il  s'est  formée  du  genre  didactique  pro- 
prement dit. 

L'épître  et  la  satire  sont  traitées  en  même  temps,  comme 
un  genre  unique.  Sibilet,  nous  l'avons  vu,  confondait 
presque  l'élégie  avec  l'épître.  Pelletier  veut  bien  admet- 
tre celle  ci,  mais  il  rejette  la  satire.  De  ces  deux  formes 
de  la  poésie  didactique,  c'est  Marot  qui  avait  inauguré 
la  première  en  la  portant  tout  d'abord  à  la  perfection  dans 
le  cadre  qu'il  lui  donna  ;  quant  à  la  seconde,  le  nom 
même  en  était  resté  inconnu  jusqu'à  la  Pléiade  ;  depuis 
1550,  nous  trouvons  cbez  nos  poètes  un  certain  nombre 
de  pièces  qui  peuvent  passer  pour  des  satires  :  le 
Poète  courtisan  de  du  Bellay,  la  Dryade  violée  de  Ron- 
sard et  le  Discours  sur  les  misères  du  temps  présent,  beau- 
coup d'autres  encore  de  Rapin  et  de  Passerat  ;  mais  per- 
sonne avant  Vauquelin  n'avait  fait  de  satires  en  forme  : 
aussi  peut- on  s'étonner  qu'il  ne  s'occupe  pas  plus  lon- 

1.1,913. 
2.  Chap.  v. 


—  LXX1   — 

guement  d'un  genre  dont  il  doit  être  considéré  comme  le 
fondateur.  C'est  à  peine  s'il  en  dit  quelques  mots  :  il  se 
contente  de  recommander  l'exemple  d'Horace  et  d'expli- 
quer en  quoi  les  satires  du  poète  latin  diffèrent  de  ses 
épîtres. 

\     .    Aux  Satyres  il  tache 

Arracher  de  nos  cœurs  les  vices  qu'il  attache, 
Et  (que)  tout  au  contraire  aux  Epistres  il  veut 
Mettre  et  planter  en  nous  toutes  vertus  s'il  peut  (1). 

Cette  distinction  est  fine  et  juste;  mais  quand  Vauquelin 
veut  assigner  à  chacun  des  deux  genres  son  caractère  par- 
ticulier, il  s'attache  à  une  différence  toute  superficielle  : 

Une  Epistre  s'escrit  aux  personnes  absentes. 
La  Satyre  se  dit  aux  personnes  présentes  [2]. 

D'ailleurs,  à  l'exemple  d'Horace,  il  désigne  l'épître  et 
la  satire  sous  le  nom  commun  de  sermons  : 

Et  pourraient  proprement 

Sous  le  nom  de  Sermons  se  ranger  aisément  (3). 

Le  fond  étant  le  même,  il  n'y  avait  lieu  qu'à  une  dis- 
tinction purement  extérieure. 

Parmi  les  petits  genres  dont  Vauquelin  traite  dans  son 
Art  poétique ,  l'épigramme  seule  peut  passer  pour  av  oir  été 
renouvelée  des  anciens.  Sibilet  et  Pelletier  avaient  lon- 
guement insisté  sur  cette  forme  ;  Vauquelin  ne  fait 
guère  que  les  répéter,  et  presque  dans  les  mêmes 
termes  : 

Surtout  brève,  r'entrante  et  subtile  elle  soit  : 

Elle  sent  l'Heroïc,  et  tient  du  Satyrique, 

Toute  grave  et  moqueuse  elle  enseigne  et  se  pique. 

1.  III,  279 

2.  III,  283. 

3.  III,  ?85. 


—   LXXII   — 

L'Epigramme  n'estant  qu'un  propos  raccourci, 
Comme  une  inscription  courte  on  l'escrit  aussi  (1). 

Ces  remarques  sont  judicieuses,  mais  n'ont  rien  de  nou- 
veau. Ce  dont  on  peut  s'étonner,  c'est  que  l'épigramme 
sente  Vhéroic  ;  mais  on  sait  que  ce  geDre  avait  chez  les 
anciens  beaucoup  plus  de  portée  que  chez  nous  :  ils 
donnaient  ce  nom  à  toute  espèce  d'inscription,  et  nul 
doute  que  notre  poète  ne  l'entende  à  leur  manière. 


CHAPITRE    III 

l'histoire  de  la  poésie  française  dans    vauquelin 

Vauquelin  connaît  l'antiquité  aussi  bien  qu'on  pouvait 
la  connaître  de  son  temps;  il  a  vécu  dans  la  familiarité 
d'Horace  ;  il  a  pratiqué  Aristote  lui-même  ;  non  seule- 
ment il  cite  à  chaque  instant,  dans  son  Art  poétique,  des 
exemples  empruntés  aux  Grecs  et  aux  Romains,  mais 
encore  il  remonte  le  plus  souvent  possible  aux  origines 
premières  de  chaque  genre.  Toutefois,  sans  parler  des 
erreurs  de  goût  et  de  critique  qui  lui  sont  communes 
avec  le  xvie  siècle,  sa  connaissance  des  anciens  n'a  rien 
qui  puisse  nous  étonner  dans  une  époque  où  l'étude  de 
l'anliquité  avait  comme  absorbé  en  elle  toute  la  vie  lit- 
téraire Ce  dont  il  faut  féliciter  Vauquelin,  c'est  le  soin 
avec  lequel  il  s'enquiert  de  notre  histoire  poétique,  et, 
sans  se  livrer  peut-être  lui-même  à  des  recherches  ori- 
ginales, recueille  du  moins  avec  empressement  tout  ce 
que  les  érudits  peuvent  lui  apprendre  sur  les  monuments 
les  plus  anciens  de  la  poésie  domestique. 

Les  écrivains  dont  nous  avons  étudié  les  Arts  poétiques 

1.  III. 289. 


—   LXXIII   — 

avant  celui  de  Vauquelin  étaient  fort  ignorants  et  fort 
peu  soucieux  de  notre  antiquité  nationale.  Fabri  ne  con- 
naît que  les  genres  cultivés  par  nos  poètes  dans  les  der- 
niers temps  du  moyen  âge.  Sibilet  ne  remonte  jamais 
au  delà  du  xive  siècle.  Pelletier  recommande  les  poèmes 
héroïques  de  nos  vieux  trouvères,  mais  il  ne  semble  les 
connaître  que  bien  vaguement.  Quant  à  la  Pléiade,  elle 
professe  le  même  mépris  pour  toutes  les  œuvres  qui 
l'ont  précédée  ;  dans  sa  Défense,  du  Bellay  exhorte,  il  est 
vrai,  les  poètes  à  «  choisir  quelqu'un  de  ces  beaux  vieux 
romans  françois  comme  un  Lancelot,  un  Tristan  ou 
autres  »  et  à  «  en  faire  renaistre  une  admirable  Iliade 
ou  une  laborieuse  Eneïde  (1)  »  ;  mais  Tristan  et  Lance- 
lot  ne  sont  plus  ces  figures  épiques  de  nos  ancien- 
nes chansons.  D'ailleurs,  on  ne  voit  pas  qu'aucun  poète 
lu  temps  ait  songé  à  suivre  ce  conseil  :  Francus  était 
bien  le  premier  ancêtre  des  rois  francs,  mais  il  avai* 
surtout  le  mérite  d'avoir  pour  père  un  héros  de 
l'Iliade. 

Quand  Vauquelin  conçut  l'idée  de  son  Art  poétique, 
îotre  histoire  littéraire  était  environnée  d'une  obscurité 
u' aucun  disciple  de  la  Pléiade  ne  se  souciait  de  dissi- 
er  ;  c'est  une  raison  de  plus  pour  le  louer  de  s'être  in- 
Sressé  pieusement  aux  origines  et  aux  développements 
uccessifs  de  notre  poésie  domestique  :  il  ne  rappelle  pas 
eulement  nos  antiques  épopées,  mais  encore  il  fait 
■histoire  de  tous  les  genres  anciens  depuis  les  premiers 
emps  du  moyen  âge  jusqu'au  xvie  siècle. 
Ce  n'est  pas  qu'il  les  apprécie  beaucoup  :  il  n'aime  ni 
anagramme  ni  l'acrostiche  (2),  que  du  Bellay  lui-même 
vait  recommandés  comme  d'ingénieux  thèmes  de  versi- 

1.  Liv.  Il,  chap.  v. 

2.  I.  379. 


—  LXXIV  — 

fication  (1)  ;  il  veut  qu'on  abandonne  pour  jamais  les  an- 
ciennes formes  poétiques  : 

Des  vieux  chants  Royaux  décharge  le  fardeau, 

Oste  moy  la  Ballade,  oste  moy  le  Rondeau  (2). 

Il  s'étonne  que  nos  anciens  poètes  aient  pu  charmer 
leurs  contemporains:  • 

L'innocent  âge 

De  nos  bons  vieux  Gaulois  estimoit  le  ramage 

De  nos  premiers  Romants 

Un  peu  légèrement 

Depuis  longtemps  encor  Guillaume   de  Loris, 
Jean  de  Meun-clopinell,  on  prisoit  à  Paris 
Avec  peu  de  raison  (3). 

Mais,  si  Vauquelin,  disciple  de  Ronsard,  n'estime  guère  I 
les  productions  du  moyen  âge,  il  tient  à  honneur  de 
faire  entrer  dans  son  Art  poétique  tout  ce  qu'il  sait  des 
anciens  genres,  et  ce  n'est  pas  là  le  côté  le  moins  inté-l 
ressant  du  poème. 

Dans  le  temps  même  où  il  l'ébauchait,  la  connaissance] 
de  notre  antiquité  nationale  faisait  des  progrès  rapides.! 
On  avait  d'abord  commencé  par  rattacher  nos  origines! 
aux  plus  anciens  peuples  de  l'Orient,  soit  aux  Scythes,  I 
soit  aux  Babyloniens  ;  ceux  mêmes  qui  se  faisaient! 
scrupule  d'accepter  de  pareilles  fables  ne  répugnaient! 
point  à  croire  que  les  Français  descendaient  des  Grecsl 
ou  des  Troyens.  Or,  ces  erreurs  avaient  nécessairement  I 
leurs  conséquences  dans  le  domaine  de  la  langue  et  de! 
la  poésie  :  en  1546,  J.  Périon,  dans  ses  Dialogues,  soutient! 
encore  que  le  français  est  dérivé  du  gaulois,  et  le  gaulois! 
du  grec.  Des  idées  plus  saines  allaient  bientôt  sel 
faire  jour:  dès  1572,  François  Hotman publie  sa  Fmwco-i 

1.  Défense,  etc.  Liv.  II,  chap.  viil. 

2.  I,  545. 

3.  II,  935. 


—  LXXV   — 

Gallia,  où  il  rattache  la  nation  franque,  non  plus  aux 
Troyens  et  aux  Scythes,  mais  aux  Germains.  Jean  du 
Tillet,  dans  son  Recueil  des  Roys  de  France,  et  Papyrius 
Masson,  dans  ses  Annales  latines  (1),  tirent  de  documents 
jusqu'alors  négligés  une  histoire  assez  fidèle  de  nos  origi- 
nes. On  aborde  en  même  temps  l'étude  de  notre  ancienne 
poésie.  Le  septième  et  le  huitième  livre  des  Recherches 
de  la  France  ne  parurent  pas  assez  tôt  pour  que  Vau- 
quelin  pût  en  profiter  ;  mais  le  Commentaire  de  Claude 
Fauchet  sur  l'origine  de  la  langue  et  de  la  poésie  fran- 
çaise lui  fut  d'un  très  grand  secours.  Le  premier,  Fau- 
chet enseigna  que  notre  idiome  n'était  ni  gaulois,  ni 
grec,  ni  germanique  même,  mais  que  «  la  pluspart  des 
paroles  sont  tirées  du  latin  (2)  ».  Il  mit  en  lumière  les 
anciens  chants  bardiques  (3),  les  poésies  lyriques  de  nos 
troubadours  (4),  les  chansons  de  nos  trouvères,  que  lui- 
même  compare  aux  épopées  homériques  (5)  :  il  eut  enfin 
l'honneur  d'inaugurer  avec  une  admirable  sagacité  la 
critique  de  nos  origines  littéraires  et  de  lui  donner  le 
premier  une  base  vraiment  solide. 

Vauquelin  est  à  cet  égard  le  disciple  de  Claude  Fau- 
chet. On  trouve  dans  les  trois  livres  de  son  Art  poétique 
une  foule  de  traits  épars  avec  lesquels  il  est  facile  de  re- 
constituer le  tableau  de  notre  histoire  littéraire  depuis 
les  temps  les  plus  reculés  ;  ce  tableau  est  bien  incom- 
plet sans  doute,  et  les  fautes  les  plus  graves  n'y  man- 
quent pas  ;  mais,  prenant  Fauchet  pour  guide,  Vau- 
quelin, s'il  n'a  pas  évité  les  erreurs  du  savant  écrivain, 
lui  doit  au  moins  d'avoir  eu  sur  notre  antiquité  nationale 

1.  1577. 

2.  Liv.  I,  chap.  m. 

3.  Liv.  I,  chap.  vi. 

4.  Liv.  I,  chap.  iv. 

5.  Liv.  I,  chap.  vin. 


—  LXXVI   — 

des  vues  plus  justes  que  la  plupart  de  ses  contemporains. 
Vers  la  fin  de  son  troisième  livre,  après  avoir  imité  les 
vers  dans  lesquels  Horace  nous  peint  la  vie  des  premiers 
hommes,  il  compare  à  Orphée  et  à  Amphion  les  anciens 
bardes  celtiques  : 

Premier  ainsi  jadis  nos  Poètes  Druides, 

Nos  Samothes  Gaulois,  nos  Bards,  nos  Sarromides, 

Policerent  la  Gaule  (1). 

Il  n'a  pas  d'idées  bien  nettes  sur  la  formation  des  lan- 
gues néo-latines,  et  croit  que  l'espagnol  et  le  latin  sont 
dérivés  du  français  : 

De  nostre  Gathelane  ou  langue  Provençalle 

La  langue  d'Italie  et  d'Espagne  est  vassalle...  (2). 

Tancred  de  [Hauteville 

Conduisant  douze  fils  de  sa  terre  fertille, 

Mist  en  Pouille  et  Galabre  un  vulgaire  François  (3). 

Mais  on  sait  que  cette  question  est  demeurée  longtemps 
fort  obscure  ;  et  même,  c'est  seulement  de  nos  jours 
qu'elle  a  été  éclaircie  d'une  façon  définitive.  Il  ne  se 
trompe  pas  moins  gravement  sur  lee  origines  du  vers 
français  :  personne,  à  son  époque,  ne  soupçonnait  ce  que 
notre  système  de  versification,  fondé  sur  le  nombre 
de  syllabes  et  l'accent  tonique,  pouvait  avoir  de  commun 
avec  la  métrique  latine  qu'on  ne  connaissait  que  dans  sa 
forme  classique.  Vauquelin  croit  que  la  rime  a  été  trou- 
vée par  les  troubadours. 

Alors  des  Trobadours 

Fut  la  Rime  trouvée  en  chantant  leurs  amours  (4). 

Du  Bellay,  sur  la  foi  de  Jean  Le  Maire,  en  attribuait 
bien  l'invention  à  Bardus,  cinquième  roi  des  Gaules  ! 

1.  III,  831. 

2.  I,  595. 
3. 1,  611. 
4.  I,  549. 


—  LXXVII  — 

Le  poète  explique  ensuite  à  sa  façon  l'origine  des  di- 
vers genres  : 

Et  quand  leurs  vers  Rimez  ils  mirent  en  estime, 

Ils  sonnoient,  ils  chantoient,  ils  balloient  sous  leur  Rime; 

Du  Son  se  fist  Sonnet,  du  Chant  se  flst  Chanson, 

Et  du  Bal  la  Ballade  en  diverse  façon  (i). 

Il  donne  quelques  détails   sur  la  vie  de  nos  anciens 

poètes  : 

Ces  Trouverres  alloient  par  toutes  les  Provinces 

Sonner,  chanter,  danser  leurs  Rimes  chez  les  Princes  (2). 

Il  distingue  avec  justesse  les  trouvères  des  jongleurs  ; 
les  Normands,  dit-il, 

.    .  Faisoient  de  leurs  faits  inventer  aux  Trouverres 

Les  vers  que  leurs  Jouglours,  leurs  Contours  et  Chanterres 

Rechantoient  par  après  (3). 

Comme  Fauchet,  il  compare  cette  phase  de  notre  poésie 
avec  l'âge  homérique  : 

Ainsi  les  Grecs  avoient 

Des  Rapsodes,  qui  lors  tous  les  carmes  sçavoient 
D'Homère...  (4). 

Il  n'ignore  même  pas  les  héros  de  nos  vieux  poèmes  : 

.    .  Nos  vieux  Paladins,  connus  par  tout  le  monde, 
Et  les  preux  Chevaliers  de  nostre  Table-ronde, 
Du  Prophète  Merlin  les  forts  enchantements...  (5). 
Nostre  Amadis  de  Gaule  en  vieil  Picard  rimé,  etc.  (6). 

Mais,  pendant  que  l'épopée  fleurissait  dans  le  Nord  de 
la  France,  nos  poètes  du  Midi  cultivaient  surtout  la  poé- 

1. 1,  551. 
2. 1,  555. 
3.  I,  603. 
4. 1,  605. 

5.  II,  983. 

6.  II,  1005. 


—  LXXVIII  — 

sie  lyrique.  Vauquelin  connaît  tous  les  genres  où  ils  se 
sont  exercés.  Il  se  contente  de  citer  les  uns  (1),  mais  il 
en  est  d'autres  qui  attirent  plus  longuement  son  atten- 
tion. Il  insiste  de  préférence  sur  le  sonnet,  celui  qui  de 
son  temps  était  le  plus  en  honneur,  et  rappelle  le  nom 
des  principaux  troubadours  qui  le  cultivèrent. 

Quoiqu'il  se  vante  d'avoir  le  premier  composé  des  sa- 
tires, il  n'ignore  pas  que  ce  genre  avait  anciennement 
fleuri  sous  un  autre  nom  : 

Et  comme  nos  François  les  premiers  en  Provence 
Du  Sonnet  amoureux  chantèrent  l'excelence, 

ils  ont  aussi  chantez 

Les  Satyres  qu'alors  ils  nommoient  Syrventez...(2). 

Au  xvie  siècle  même,  avant  la  rénovation  poétique,  les 

coq-à-1'âne  étaient  de  véritables  satires  : 

Depuis  les  Coq-à-1'asne  à  ces  vers  «uccederent.  .  .  . 
Dont  Marot  eut  l'honneur  (3). 

Vauquelin  n'oublie  même  pas  la  chanson.  Après  avoir 
rappelé  que  la  musique  chez  nos  ancêtres  s'alliait  tou- 
jours à  la  danse,  il  rend  hommage  à  la  franche  gaieté  du 
bon  vieux  temps  : 

Chantant  en  nos  festins,  ainsi  les  vau-de-vire 

Qui  sentent  le  bon  temps,  nous  font  encore  rire  (4). 

Il  indique  ensuite  comment  l'ode  s'est  substituée  à  la  j 
chanson  : 

Le  temps  qui  tout  polit  depuis  rendit  polies 

La  grâce  et  la  douceur  de  ses  chansons  jolies,  etc.  (5). 

Quant  aux  genres  dramatiques  du  moyen  âge,  Vau- 
quelin ne  se  contente  pas  de  rappeler  les  moralités,  mais 

1.  II,  941,  sqq. 

2.  II,  715. 

3.  II,  723. 

4.  II,  555. 

5.  II,  563. 


—  LXXIX  — 

il  montre  en   quoi  elles  différent  de  la  tragédie,  et  ose 

même  en  faire  l'éloge  : 

Ainsi  nos  vieux  François  u soient  de  leur  Rebec, 

De  la  Flûte  de  bouis  et  du  bedon  avec, 

Quand  ils  representoient  leurs  Moralitez  belles  (1) . 

Nous  avons  déjà  vu  qu'il  n'oublie  pas  les  soties,  lui 
qui  raconte  dans  son  second  livre  comment  il  a  fallu  en 
réfréner  la  licence.  Enfin,  quand  il  engage  les  poètes 
à  mettre  sur  la  scène  des  sujets  chrétiens,  on  ne  peut 
douter  qu'il  ne  songe  aux  anciens  mystères. 

Aussi  versé  dans  l'histoire  de  notre  poésie  nationale 
qu'on  pouvait  l'être  à  son  époque,  Vauquelin,  en  toute 
occasion,  a  soin  de  restituer  au  génie  français  son 
patrimoine,  c'est-à-dire  de  revendiquer  comme  un  héri- 
tage domestique  tout  ce  que  les  poètes  étrangers  avaient 
emprunté  aux  nôtres  ;  ici  encore  il  prend  pour  guide 
Claude  Fauchet. 

C'est  surtout  avec  l'Italie  qu'il  a  affaire.  L'Italie  et  la 
France  étaient  depuis  longtemps  en  rivalité  au  sujet 
de  leur  langue  et  de  leur  littérature.  On  ne  peut 
certes  contester  que  la  poésie  italienne  n'eût  été  d'un 
grand  secours  à  la  nôtre  dans  les  deux  derniers  siècles. 
Sans  remonter  au  delà  de  François  Ier,  son  influence  sous 
•  le  règne  de  ce  prince  avait  déjà  provoqué  une  première 
renaissance  ;  elle  ne  fit  que  grandir  avec  Catherine  de 
Médicis  :  notre  langue  elle-même  se  remplit  de  mots  et 
de  tours  inconnus  jusqu'alors  et  qu'y  introduisit  l'usage 
d'une  cour  tout  italienne.  On  était  loin  du  temps  où  Bru- 
netto  Latini  écrivait  en  français  son  Trésor  de  la  sagesse. 

Cependant,  une  fois  que  les  poètes  de  la  nouvelle  école 

1.  II,  497. 


—  LXXX  — 

eurent  accompli  une  partie  de  leur  œuvre  en  composant 
des  poèmes  non  moins  admirés  au  delà  qu'en  deçà  des 
Alpes,  ils  crurent  que  les  Italiens  n'avaient  plus  rien  à 
leur  enseigner  et  firent  un  peu  comme  «  ces  enfants  drus 
et  forts  d'un  bon  lait  qu'ils  ont  sucé,  qui  battent  leur  nour- 
rice. (1)  »  Déjà,  J.  du  Bellay  avait  défendu  la  langue  fran-  j 
çaise  et  déclaré  qu'elle  ne  le  céderait  bientôt  plus  à  aucune 
autre.  Henri  Estienne  répudie  les  mots  italiens  qui  se  sont 
glissés  dans  notre  usage,  et  affirme  hautement  ce  qu'il 
appelle  la  précellence  du  langage  français.  Enfin,  tous 
les  contemporains  s'empressent  d'égaler  ou  même  de  pré- 
férer notre  poésie  à  celle  de  l'Italie. 

C'était  une  bonne  fortune  pour  Vauquelin  de  pouvoir 
montrer,  grâce  aux  travaux  de  Fauchet,  que,  si  les  poêles 
d'une  génération  précédente  avaient  imité  les  Italiens, 
ceux-ci  s'étaient  anciennement  formés  à  notre  école  et 
avaient  reçu  de  nous  leurs  formes  poétiques,  leurs  genres 
et  jusqu'aux  personnages  de  leurs  poèmes.  Pelletier  fai- 
sait déjà  observer  que  l'Arioste  s'était  inspiré  de  nos  an- 
ciens romans  ;  mais  ce  n'était  là  qu'une  remarque  isolée  : 
Vauquelin  recherche  avec  suite  et  enregistre  soigneuse- 
ment tout  ce  que  la  poésie  italienne  doit  à  la  nôtre. 

Les  sonnets  de  Pétrarque,  les  épopées  de  l'Arioste  et 
du  Tasse  en  faisaient  surtout  la  gloire  ;  or,  Vauquelin  re- 
vendique l'un  et  l'autre  genre  comme  appartenant  à  la 
France.  Dans  son  premier  livre,  il  prétend  que  le  sonnet 
a  été  inventé  par  nos  poètes: 

Des  Grecs  et  des  Romains  cet  Art  renouvelé, 
Aux  François  les  premiers  ainsi  fut  révélé  : 
A  leur  exemple  prist  le  bien  disant  Pétrarque 
De  leurs  graves  Sonnets  l'ancienne  remarque. .. 
Mais  il  marcha  si  bien  par  cette  vieille  trace, 
Qu'il  orna  le  Sonnet  de  sa  première  grâce  : 

l.  La  Bruyère.  Caract.,  i. 


—  LXXXI  — 

Tant  que  l'Italien  est  estimé  l'autheur 

De  ce  dont  le  François  est  premier  inventeur  (1). 

Et  un  peu  plus  bas  : 

...  Ce  qui  frst  priser  Pétrarque  le  mignon, 
Fust  la  grâce  des  vers  qu'il  prist  en  Avignon: 
Et  Bembe  reconnoist  qu'ils  ont  pris  en  Sicille 
La  première  façon  de  la  Rime  gentille  (2). 

Quant  à  l'épopée,  il  montre  que  l'Arioste  nous  a  em- 
prunté toute  la  matière  de  son  poème: 

Et  l'Arioste  après 

Plus  hardiment  a  pris  les  gestes  hasardeux 
De  nos  vieux  Paladins  (3). 
D'Amadis,  l'Espagnol  a  sa  langue  embellie, 
Et  sa  langue  embellit  de  nos  Pairs  l'Italie  (4). 

Enfin  il  conclut  que  reprendre  aux  Italiens  toutes  ces 
dépouilles,  c'est  rentrer  tout  simplement  dans  notre  pa- 
trimoine : 

Et,  quand  nous  reprendrons  ces  beaux  larcins  connus, 
De  rien  nous  ne  pouvons  leur  en  estre  tenus  (5). 

Il  accuse  même  l'Italie  d'ingratitude  et  de  fourberie  : 

Or,  l'Vuailon  estant  tout  le  premier  vulgaire, 
Et  l'Itale,  et  l'Espagne,  ont  formé  l'exemplaire 
Du  leur  sur  son  Roman,  ayant  pris  pour  leçons 
De  nos  chants  et  Sonnets  les  antiques  façons  : 
Et  puis,  comme  celuy  qui  de  ruse  maline, 
Dérobe  le  cheval  en  restable  voisine, 
Luy  fait  le  crin,  la  queue  et  l'oreille  couper, 
Et  quelque  temps  après  le  revend  pour  tromper 

1.  I.  557. 
2. 1,  597, 
3.11,981. 

4.  II,  1007. 

5.  II,  1009. 


—  LXXXII   — 

A  son  mcsme  voisin  :  ainsi  nostre  langage 

Ils  ont  prins  et  planté  dans  leur  terroir  sauvage, 

Et  l'ayant  déguisé,  nous  le  revendent  or, 

Comme  fins  maquinons,  plus  cher  qu'au  prix  de  l'or  (1). 

D'ailleurs, Vauquelin  ne  craint  pas  d'exalter  notre  poésie 
audétrimentdelapoésieitalienne.  Toutes  les  fois  que  dans 
son  ouvrage,  ilrappelle  les  origines  et  les  progrèsde  cha- 
que genre,  c'est  pour  célébrer  sans  mesure  les  poètes  fran- 
çais contemporains  qui  s'y  sont  exercés.  Si  nous  ne  par- 
lons que  de  Ronsard,  il  l'appelle  Y  Apollon  de  la  Gaule  et 
lui  voue  un  véritable  culte  :  par  ses  sonnets,  le  cbef  de 
la  Pléiade  l'a  emporté  sur  «  le  poète  toscan  (2)  »  ;  par  ses 
odes,  il  s'est  mis  au-dessus  de  tout  rival  (3);  par  ses 
hymnes,  il  a  surpassé  les  anciens  (4);  sa  Franciade  elle- 
même,  s'il  l'avait  écrite  en  alexandrins,  serait  un  chef- 
d'œuvre  accompli  (5).  Ces  louanges,  et  celles  que  Vau- 
quelin  prodigue  aux  disciples  de  Ronsard,  sont  sans  doute 
bien  exagérées  :  l'Art  poétique  n'avait  pas  encore  paru 
qu'un  nouveau  poète,  ami  de  Vauquelin  lui-même,  biffait 
d'un  trait  de  plume  toutes  les  œuvres  du  chef  de  la 
Pléiade.  Mais  les  dédains  injustes  de  Malherbe  n'ont  pas 
été  plus  ratifiés  par  la  postérité  que  l'admiration  exces- 
sive de  Vauquelin  :  si  les  éloges  que  ce  dernier  accorde 
aux  poètes  contemporains  ne  peuvent,  malgré  tout  ce 
que  nous  en  rabattons,  déshonorer  son  jugement,  il  faut 
louer  comme  elle  le  mérite,  sauf  des  erreurs  inévitables, 
cette  connaissance  de  notre  poésie  nationale  qu'il  doit 
sans  doute  à  Fauchet,  mais  qui  ne  laisse  pas  de  lui  faire 
honneur.  Dans  la  question  de  nos  origines,  si  obscure 

1.11.959. 

2.  1,  576. 

3.  I.  690. 

4.  III.  312. 
5.11,  105. 


—  LXXXIII   — 

alors  et  si  controversée,  il  a  eu  le  mérite  de  s'attacher 
au  guide  le  plus  sûr  et  le  plus  exact  :  c'est  tout  ce  qu'on 
pouvait  demander  à  un  poète,  et  c'est  assez  pour  donner 
à  son  ouvrage  un  prix  que  n'aura  point  celui  de  Boileau. 


CHAPITRE   IV 

Vauquelin,  Ronsard,  Malherbe 

Malgré  son  admiration  sans  réserve  pour  Ronsard, 
Vauquelin  a  ses  idées  et  ses  vues  personnelles  :  nous 
devons  examiner  dans  ce  chapitre  jusqu'à  quel  degré  il 
a  subi  l'influence  de  la  Pléiade  et  sur  quels  points  il  se 
sépare  des  réformateurs. 

Vauquelin  eut  son  Art  poétique  sur  le  métier  pendant 
de  longues  années  ;  il  commence  sa  préface  de  1605  par 
les  paroles  suivantes  :  «  Lecteur,  ce  sont  ici  des  vieilles 
et  des  nouvelles  Poésies  :  Vieilles,  car  la  plus  part  sont 
composées  il  y  a  longtemps  :  Nouvelles,  car  on  n'escrit 
point  à  cette  heure  comme  on  escrivoit  quand  elles  fu- 
rent escrites.  Si  elles  ne  sont  telles  qu'elles  devroient 
estre,  c'est  mon  défaut  :  car  de  mon  temps  on  escrivoit 
assez  bien.  »  Nous  ne  saurions  en  douter,  l'Art  poétique 
appartient  à  la  portion  de  ses  œuvres  qu'il  a  composée 
longtemps  avant  la  date  de  cette  préface  ;  il  était  cer- 
tainement terminé  avant  que  Malherbe  eût  cessé  de 
ronsardiser  pour  se  poser  en  réformateur  de  la  langue  et 
de  la  versification.  Pourtant,  dans  le  cours  de  ces  vingt 
ou  trente  ans  pendant  lesquels  Vauquelin  travaille  à  son 
ouvrage,*  notre  poésie  subit  bien  des  vicissitudes. 
Ronsard  n'avait  sans  doute  rien  perdu  de  sa  gloire  ;  mais 
il  s'était  formé  une  nouvelle  génération  poétique  qui, 
tout  en  se  rattachant  étroitement  à  la  Pléiade,  ne  lais- 


—   LXXXIV   — 

sait  pas  d'avoir  sa  physionomie  distincte.  Les  uns, 
comme  Du  Bartas,  ont  renchéri  sur  les  premiers  nova- 
teurs en  voulant  donner  à  la  poésie  une  ampleur  de 
forme,  une  majesté  de  ton,  qui  trop  souvent  n'aboutis- 
saient qu'à  l'enflure  ;  les  autres,  comme  Desportes,  ont 
au  contraire  cherché  à  s'approprier,  dans  l'héritage  du 
maître,  ce  qui  s'accordait  le  mieux  avec  le  caractère  de 
leur  génie  moins  hardi  et  moins  vigoureux. 

Certains  critiques  ont  voulu  voir  dans  l'Art  poétique 
comme  le  testament  même  de  Ronsard  ;  d'autres  pré- 
tendent faire  de  Vauquelin  un  devancier  de  Malherbe,  et 
attribuent  les  louanges  dont  sa  plume  enthousiaste 
comble  le  chef  de  la  Pléiade,  non  pas  à  une  admiration 
vraiment  sentie,  mais  à  je  ne  sais  quel  respect  de  com- 
mande; selon  eux,  l'Art  poétique  serait  un  «arrêt  de 
mort»  pour  l'école  que  Malherbe  allait  bientôt  exécuter(l). 
De  ces  deux  jugements  opposés,  le  premier  nous  semble- 
rait juste,  à  condition  qu'on  pût  l'atténuer  par  quelques 
réserves  ;  mais,  malgré  ces  réserves  mêmes,  le  second 
nous  paraît  incapable  de  soutenir  l'examen.  Bien  loin 
d'être  un  arrêt  de  mort  pour  la  Pléiade,  le  poème  de 
Vauquelin  consacre  les  résultats  delà  réforme,  dès  lors 
accomplie  :  c'est  comme  un  trophée  que  notre  poète 
élève  à  l'école  de  Ronsard,  définitivement  maîtresse  de 
la  poésie  française. 

Nous  avons  déjà  vu  dans  les  chapitres  précédents,  et 
surtout  dans  celui  qui  traite  des  genres  poétiques,  avec 
quelle  fidélité  Vauquelin  reproduit  les  doctrines  littéraires 
de  la  Pléiade  ;  il  nous  paraît  donc  inutile  d'insister  ici  sur 
ce  point.  Si,  d'autre  part,  nous  examinons  la  versifica- 
tion et  la  langue  du  poète,  nous  n'y  trouvons  aucune 

1.  Cf.  Ach.  Genty.  Art  poétiq.  de  Vauquelin.  Préface.  Paris, 
1862. 


—  LXXXV  — 

|  trace  de  l'influence  que  Malherbe  aurait  exercée  sur  lui. 

Malherbe,  proscrit  l'hiatus,  n'admet  que  desrimes  éga- 
lement bonnes  pour  l*œil  et  pour  l'oreille,  exclut  en- 
fin de  la  poésie  ces  inversions,  souvent  téméraires,  que 
Ronsard  avait  calquées  sur  les  langues  anciennes.  Or, 
aucune  de  ces  règles  n'a  jamais  été  observée  par  Vauque- 
lin.  Sans  abuser  des  hiatus,  il  est  loin  de  se  les  interdire 
absolument  ;  ses  rimes  sont  ordinairement  exactes,  mais 
il  n'est  point  si  rare  d'en  rencontrer  qui  eussent  fait 
pousser  à  Malherbe  des  cris  d'indignation  (1)  ;  quant 
aux  inversions,  elles  vont  dans  l'Art  poétique  jusqu'à  la 
bizarrerie  et  à  l'obscurité  (2).  A  tous  ces  égards,  la 
versification  de  notre  poète  est  bien  celle  de  la  Pléiade. 
Elle  l'est  encore  par  la  fréquence  des  rejets  et  la  variété 
des  coupes  ;  on  trouve  chez  lui,  à  chaque  pas,  soit  des  en- 
jambements d'un  vers  à  l'autre  (3),  soit,  dans  le  même  vers, 
ces  enjambements  intérieurs  qui  ne  laissent  aucune  trace 
de  césure  médiane  (4).  Ses  alexandrins,  comme  ceux  de 
Ronsard  et  de  ses  disciples,  jouissent  d'une  grande 
liberté  ;  il  les  laisse  se  cadencer  à  l'aventure,  avec  une 
aisance  trop  souvent  lâche  et.  flottante,  mais  avec  une 
variété  de  rythme  que  -Malherbe  devait  sacrifier  à  la 
symétrie  classique. 

Quant  à  la  langue,  nous  devons  reconnaître  qu'elle  n'est 
pas  la  même  dans  l'Art  poétique  et  dans  les  premières 
œuvres  de  Vauquelin.  Pourtant,  nous  trouvons  dans  ce 
poème  lui-même  et  quelques  épithètes  composées,  et  des 
diminutifs,  et  lesprovignements  chers  à  la  Pléiade  (5).  Au 

1.  V.  la  Grammaire,  H. 

2.  V.  la  Grammaire,  1. 

3.  Cf.  I,  18,  25,  61,  122,  139,  149,  286,  309,  901,  940,  986,  992, 

4.  Cf.  I,  8,  67  ;  II,  96,  226,  285,  304,  437,  692,  etc. 

5.  V.  le  Glossaire. 


—  LXXXVI   — 

reste,  le  poète  exprime  tout  au  long  ses  vues  sur  cepoint 
dans  un  passage  du  premier  chant  qu'il  nous  faut  citer  :| 

Tu  peux  feindre  des  mots  dont  on  n'a  point  usé  : 

Et  puis  les  mots  nouveaux  que  les  nostres  inventent, 

Qui  de  l'Italien  la  langue  représentent, 

Ou  qui  sont  du  Latin  quelque  peu  détournez, 

Ou  qui  sont  du  milieu  de  la  Grèce  amenez, 

Seront  receus,  pourveu  qu'avec  propre  matière 

La  France  rarement  en  soit  faite  héritière  : 

Et  tous  les  mots  qui  sont  proprement  françoisez, 

Et  tous  ceux  qui  ne  sont  du  françois  déguisez, 

Et  les  vieux  composez  desquels  toujours  en  France 

On  usoit  à  l'égal  de  la  Grecque  éloquence  (1). 

On  le  voit,  Vauquelin  admet  tous  les  procédés  par 
lesquels  la  Pléiade  avait  essayé  d'illustrer  la  langue  : 
toujours  à  l'exemple  de  Ronsard  et  de  J.  du  Bellay,  il 
termine  en  recommandant  de  chercher  dans  les  anciens 
dialectes  des  termes  expressifs  et  pittoresques: 

L'idiome  Norman,  l'Angevin,  le  Manceau, 
Le  François,  le  Picard,  le  poli  Tourangeau, 
Aprens,  comme  les  mots  de  tous  arts  mécaniques 
Pour  en  orner  après  tes  phrases  Poétiques  (2). 

Nous  aurons  tout  à  l'heure  à  le  dire,  Vauquelin  ne  se  fait 
pas  scrupule  d'attaquer  certains  disciples  des  novateurs, 
Du  Monin  par  exemple,  dont  les  exagérations  ridicules 
ne  pouvaient  que  discréditer  la  réforme  ;  peut-être 
trouve-t-ilmême  que  Ronsard  s'est  parfois  laissé  entraîner 
à  de  regrettables  excès  :  néanmoins,  cette  langue  poé- 
tique que  Malherbe  voudra  refaire,  il  déclare  hautement 
qu'elle  lui  semble  arrivée  à  la  perfection  : 

La  France  aussi...  son  langage  haussa,... 

Prenant  de  son  Roman  la  langue  délaissée, 
L  1,322. 
2.  I,  561. 


—  LXXXVII  — 

Et  dénouant  le  neud  qui  la  tenoit  pressée, 
S'eslargit  tellement  qu'elle  peut,  à  son  chois, 
Exprimer  toute  chose  en  son  naïf  François  (1). 

Ainsi,  quoique  l'Art  poétique  ait  été  publié  en  1605,  on 
b'y  trouve  aucune  trace  de  la  réaction  que  Malherbe 
avait  inaugurée  contre  Ronsard  et  son  école.  Soit  par  la 
doctrine  littéraire  dont  Vauquelin  s'est  fait  l'interprète, 
soit  par  sa  langue  et  sa  versification,  il  est  bien  le  fidèle 
[disciple  de  la  Pléiade. 

Nous  avons  cependant  fait  quelques  restrictions  :  il 
faut  y  insister.  En  étudiant  l'Art  poétique,  nous  voyons 
que,  malgré  son  respect  et  son  admiration  pour  Ronsard, 
[Vauquelin  ne  se  croit  pas  obligé  d'applaudir  à  toutes  ses 
audaces  et  de  souscrire  à  toutes  ses  innovations  :  parmi 
les  héritiers  du  poète,  il  préfère  ceux  qui  ont  essayé 
d'adoucir  la  réforme  littéraire  dahs  ce  qu'elle  pouvait 
avoir  d'un  peu  trop  âpre,  et  d'en  tempérer  la  fougue  par- 
fois téméraire  et  les  dédains  souvent  excessifs. 

Ce  que  nous  remarquons  avant  tout,  c'est  que  notre 
poète,  quoiqu'il  fasse  peu  de  cas  des  anciens  genres,  ne 
les  a  pourtant  pas  complètement  répudiés  :  nous  l'avons 
vu  louer  les  moralités  et  les  chansons  du  moyen  âge. 
D'ailleurs,  le  soin  même  avec  lequel  il  remonte  jusqu'à 
nos  origines  et  recueille,  chemin  faisant,  tout  ce  qu'il 
peut  apprendre  de  notre  histoire  littéraire,  suffirait  à 
nous  montrer  son  indépendance.  Ronsard  et  ses  premiers 
disciples,  préoccupés  avant  tout  de  rompre  avec  le 
moyen  âge  pour  se  rattacher  directement  à  l'antiquité, 
avaient  fait,  par  ignorance,  mais  aussi  de  parti  pris,  la 
nuit  et  le  silence  sur  notre  passé.  Il  semblait  aux  initia- 
teurs de  la  réforme,  que  la  France  n'avait  eu  jusqu'alors 

1.  11,581. 


/ 


—   LXXXVIII   — 

ni  langue  ni  poésie  :  qu'on  suppose  un  d'entre  eux  com- 
posant un  Art  poétique,  il  n'aurait  eu  aucun  souci  de 
notre  antiquité  nationale.  Ce  n'est  point  là  d'ailleurs  une 
pure  hypothèse  ;  sans  parler  de  Ronsard,  qui  ne  nous  a 
laissé  qu'un  court  Abrégé,  la  Défense  de  du  Bellay  ne 
remonte  jamais  au  delà  du  xve  ou  du  xive  siècle,  et  ne 
mentionne  les  anciens  genres  que  pour  les  tourner  en 
dérision.  Vauquelin,  au  contraire,  prend  à  tâche  de  mon- 
trer dans  le  cours  de  notre  histoire  poétique  des  traditions 
continues,  que  la  Renaissance  a  modifiées,  il  est  vrai, 
mais  sans  les  rompre  ;  il  a  soin  de  rattacher  la  satire  aux 
sirventes  et  aux  coq-à-1'âne,  la  tragédie  aux  moralités, 
l'ode  aux  chansons,  l'épopée  aux  anciens  poèmes  du  xne 
et  du  xme  siècle.  Sans  doute,  il  reconnaît  pour  maîtres 
les  poètes  de  la  Grèce  et  de  Rome,  mais  il  ne  pense  pas 
qu'on  doive  faire  table  rase  du  moyen  âge.  En  lisant  son 
Art  poétique,  nous  ne  voyons  point  qu'il  y  ait  eu  tout 
d'un  coup  comme  une  solution  de  continuité  dans  notre 
histoire  littéraire  :  la  réforme  du  xvie  siècle  est  plutôt  une 
transition  préparée  depuis  longtemps  et  qui  a  eu  ses 
phases  successives  avant  le  coup  d'éclat  de  1550.  Il  ne 
veut  pas  faire  tout  commencer  à  la  Pléiade  ;  il  a  assez  de 
sens  et  de  modération  pour  ne  point  dater  notre  poésie 
de  Ronsard,  comme  Boileau  la  datera  moins  justement  de 
Malherbe. 

Au  point  de  vue  de  la  langue,  Vauquelin  gourmande 
les  disciples  de  la  Pléiade  qui,  renchérissant  sur  les  in- 
novations des  premiers  réformateurs,  poussaient  à  bout 
des  procédés  appliqués  jusqu'alors  avec  une  certaine 
i j  mesure.  Au  secondlivre  de  son  Art  poétique,  après  avoir 
i  recommandé  «  la  pureté  et  la  grande  douceur  » 

Que  nostre  langue  veut  sans  nulle  obscurité, 


—   LXXXIX  — 

il  s'élève  contre  les  poètes  qui  gâtaient  leur  style  par  l'em- 
ploi de  mots  bizarres  et  choquants  : 

Et  ne  faut  recevoir  la  jeunesse  hardie 
A  faire  ainsi  des  mots  nouveaux  à  l'estourdie, 
Amenant  de  Gascongne  ou  de  Languedouy, 
D'Albigeois,  de  Provence,  un  langage  inouy  : 
Et,  comme  un  Du  Monin,  faire  une  parlerie 
Qui  nouvelle  ne  sert  que  d'une  moquerie  (1). 

Et  il  ajoute  : 

Ceux  qui  cherchent  des  mots  empoulez  et  bouffis 
Et  des  discours  obscurs,  qui  ne  sont  point  confis 
Dans  le  sucre  François,  font  une  faute  telle, 
Que  ceux  qui  vont  quittant  une  fontaine  belle, 
Pour  puiser  de  l'eau  verte  en  un  palu  fangeux, 
Ou  dans  le  creux  profond  d'un  lieu  marescageux  (2). 

Dans  son  troisième  livre,  il  revient  sur  le  même  sujet 
et  raille  les  novateurs  qui 

Veulent  prendre 

Le  latin  à  la  barbe  et  vulgaire  le  rendre  (3). 

De  telles  critiques  s'adressent  sans  doute,  comme 
nous  l'avons  dit,  à  ces  disciples  de  Ronsard  qui  bigar- 
raient sans  vergogne  notre  vocabulaire,  mais  elles  at- 
teignent aussi  Ronsard  lui-même  :  malgré  sa  discrétion 
relative,  celui-ci  n'avait  pas  toujours  eu  pour  la  langue 
domestique  le  respect  que,  suivant  d'Aubigné,  il  prê- 
chait à  son  entourage. 

Quoique  Vauquelin  admette  presque  toutes  les  vues  de 
son  maître,  non  seulement  sa  doctrine  rationaliste  sur  la 
formation  et  le  développement  des  langues,  mais  encore 
les  divers  procédés  par  lesquels  il  avait  enrichi  et  re- 
haussé la  nôtre,  il  y  a  pourtant  dans  le  style  de  Ronsard, 

1.11,907. 

2.  II,  913. 

3.  III,  693. 


—  xc  — 

surtout  à  ses  débuts,  quelque  chose  de  contraint  et 
comme  de  rocailleux  qui  répugne  au  génie  libre,  doux  et 
facile  de  notre  poète.  Ce  dernier  remarque  lui-même 
que,  depuis  la  Défense  de  du  Bellay,  notre  idiome  a 
déjà  subi  bien  des  vicissitudes  : 

Que  depuis  quarante  ans  desja  quatre  ou  cinq  fois 
La  façon  a  changé  de  parler  en  françois  (1). 
Or,  parmi  les  héritiers  de  la   Pléiade  qui  ont  marqué 
la  langue  chacun  de   son  empreinte  personnelle,   celui 
que  Vauquelin  préfère  comme  écrivain,  c'est  Desportes. 
Après  avoir,  dans  son  premier  chant,  passé  en  revue  les 
poètes  qui  ont  cultivé  le  sonnet,  il  ajoute  : 
Desportes  d'Apolon  ayant  l'ame  remplie, 
Alors  que  nostre  langue  estoit  plus  accomplie, 
Reprenant  les  Sonnets,  d'art  et  de  jugement 
Plus  que  devant  encor  écrivit  doucement  (2). 

C'est  cette  douceur  de  style  qui  charme  surtout  l'auteur 
de  l'Art  poétique,  et  il  en  voit  le  modèle  dans  Desportes 
plutôt  que  dans  Ronsard  (3). 

Quant  à  la  versification,  si,  comme  nous  l'avons  vu, 
Vauquelin  est,  là  encore,  le  fidèle  disciple  de  la  Pléiade, 
il  repousse  du  moins  les  tentatives  hasardeuses  où 
beaucoup  de  poètes  contemporains  avaient  osé  s'engager. 
Ceux-ci,  non  contents  d'emprunter  aux  anciens  leurs 
genres  poétiques,  voulaient  appliquer  à  la  versification 
française  le  système  essentiellement  prosodique  des  Grecs 
et  des  Romains  Avant  même  le  xvie  siècle,  on  avait  fait  des 
vers  «  métrifiés  »  ;  d'Aubigné  affirme  qu'il  a  vu  une  traduc- 
tion de  l'Iliade  et  de  l'Odyssée  composée  en  hexamètres  par 
un  certain  Mousset  vers  la  fin  du  xve  siècle.  Ce  qu'il  y  a  de 
certain,  c'est  que  Michel  de  Boteauville  écrivait  en  1497 

1.  Satyres  fr.  Liv.  II,  Sat.  VIII,  à  Robert  Garnier. 

2.  I,  591. 

3.  III,  1173. 


—  XGI  — 


son  Art  de  metrifier  françois,  et  achevait  en  1500  son 
poème  envers  mesurés.  (1)  Sibilet,  dans  son  Art  poétique, 
n'accueille  pas  cette  innovation  sans  défiance,  mais  du  Bel- 
lay, dans  sa  Défense  et  illustration,  la  signale  avec  faveur. 
En  1553,  Jodelle  publie  des  distiques  ;  trois  ans  après,  Pas- 
quier,  sur  le  conseil  de  Ramus,  compose  dans  ce  mètre 
toute  une  élégie.  Un  peu  plus  tard,  Jacques  delà  Taille  im- 
prime un  traité  sur  l&manière  défaire  des  vers  en  françois 
comme  en  grec  et  en  latin  :il  a  été  pris,  dit-il,  d'un  tel  dé- 
goût pour  la  rime,  qu'il  s'est  «  proposé  une  nouvelle  voye 
pour  aller  en  Parnasse,  non  encore  frayée  que  des  Grecs 
et  des  Latins,  et  qui  pour  son  industrie  et  trop  plus 
grande  difficulté  sera  inaccessible  à  nos  rymasseurs 
d'aujourd'huy  (2)  ».  Baïf  adopte  bientôt  ce  nouveau  genre 
de  versification  qui  s'accordait  parfaitement  avec  ses 
idées  particulières  sur  les  rapports  de  la  musique  avec  la 
poésie.  Rapin,  Sainte-Marthe,  Passerat,  et  beaucoup 
d'autres  érudits  suivent  l'exemple  de  Baïf,  ou  du  moins 
y  applaudissent  ;  Ronsard  lui-même  n'a  aucun  éloigne- 
ment  pour  les  vers  mesurés,  puisqu'il  compose  deux 
odes  dans  lesquelles,  tout  en  conservant  la  rime,  il  calque 
de  son  mieux  la  strophe  saphique. 

Quant  à  Vauquelin,  on  ne  peut  s'attendre  sans  doute 
à  ce  qu'il  répudie  complètement  une  tentative  qui  avait 
pour  elle  des  autorités  aussi  nombreuses  et  aussi  consi- 
dérables. Il  n'ose  pas  exprimer  toute  sa  pensée  et  se 
contente  d'en  appeler  à  la  postérité  ;  mais  cet  appel 
même  nous  montre  que  la  versification  mesurée  lui  ins- 
pirait fort  peu  de  confiance,  et  la  postérité  lui  a  donné 
raison.  Ce  n'est  pas  ici  le  heu  d'expliquer  pour  quels 

1.  Cf.  Annalps  de  la  Faculté  des  lettres  de  Bordeaux,  5e  année, 
n°  3  bis.  Michel  de  BoteauvUle  et  les  premiers  vers  français  me- 
sure's,  par  Ant.  Thomas. 

2.  Au  lecteur. 


—  XCII  — 

motifs  la  métrique  latine  ne  peut  s'appliquer  à  notre 
langue  ;  J.  de  la  Taille  lui-même  écrit,  dans  son  traité  : 
«  Nostre  parler  vulgaire  n'est  pas  propre  ny  capable  à  rece- 
voir des  nombres  et  des  piedz.  »  Vauquelin  n'apporte 
aucune  raison  de  sa  défiance;  il  faut  pourtant  le  féliciter 
d'avoir  défendu  notre'versification,  ainsi  que  notre  langue, 
contre  les  imitateurs  forcenés  des  Grecs  et  des  Latins. 

Ce  qui  donne  à  l'auteur  de  l'Art  poétique  une  place 
à  part  entre  les  disciples  de  la  Pléiade,  c'est  surtout  qu'il 
veut  exclure  du  Parnasse  français  toutes  les  divinités  de 
l'Olympe,  et  rappeler  aux  sujets  chrétiens  les  poètes  épi- 
ques et  tragiques.  Dans  leur  idolâtrie  pour  l'antiquité,  les 
promoteurs  de  la  Renaissance  ne  lui  avaient  pas  seule- 
ment emprunté  la  forme  extérieure  et  comme  le  cadre  de 
sa  poésie  ;  ils  [avaient  mis  en  honneur  je  ne  sais  quel 
paganisme  littéraire.  L'usage  des  Actions  mythologiques 
remontait  à  l'école  érudite  qui  florissait  au  début  du 
XVIe  siècle,  et  dont  le  principal  représentant,  le  Maire 
de  Belges,  fut  le  premier  à  introduire  le  merveilleux 
païen  dans  notre  poésie.  Jean  Marot  fait  intervenir  les 
anciens  dieux  dans  son  poème  sur  l'expédition  de 
Louis  XII  à  Gênes  et  à  Venise  ;  son  fils  Clément  laisse  de 
toutes  parts  les  souvenirs  de  la  mythologie  antique  péné- 
trer dans  ses  épigrammes  et  dans  ses  élégies;  ils  devien- 
nent peu  à  peu  l'attirail  nécessaire  delà  langue  poétique. 
Ce  que  ces  poètes  avaient  fait  sans  idée  préconçue,  Ron- 
sard le  lit  de  parti  pris  :  il  voyait  dans  l'emploi  des  figures 
mythologiques  une  source  intarissable  d'ornements.  Non 
contents  d'y  puiser  à  pleines  mains,  les  poètes  de  la  nou- 
velle école  revêtirent  par  instinct  comme  par  système 
les  idées  et  les  sentiments  de  l'antiquité,  restaurèrent, 
pour  ainsi  dire,  la  religion  de  l'Olympe,  et  demandèrent 
toutes  leurs  inspirations  aux  Muses  du  paganisme.  Le 


—  XCIII  — 

merveilleux  chrétien,  dont  le  moyen  âge  s'était  nourri, 
semble  dès  lors  n'avoir  plus  laissé  de  trace  :  la  poésie  de 
la  Pléiade  est  d'abord  toute  mythologique,  non  pas  seu- 
lement d'images  et  de  forme,  mais  aussi  par  les  sujets 
qu'elle  traite  et  par  l'esprit  qui  Vanime. 

Dans  son  Uranie  et  dans  la  préface  de  ses  autres 
poèmes,  Du  Bartas  s'était  déjà  élevé  contre  les  poètes  con- 
temporains qui  préféraient  le  merveilleux  païen  aux  sou- 
venirs et  aux  traditions  de  l'antiquité  chrétienne  :  il 
puise  lui-même  le  sujet  de  toutes  ses  œuvres  aux  sources 
de  la  religion.  D'ailleurs,  s'il  proteste,  ce  n'est  qu'au  nom 
du  christianisme  menacé  par  les  divinités  de  l'Olympe. 

Quant  à  Vauquelin,  il  ne  regarde  pas  seulement  aux 
intérêts  de  la  foi,  mais  encore  à  ceux  de  la  poésie.  Sans 
doute,  il  ne  veut  pas  proscrire  jusqu'au  nom  des  dieux  ; 
lui-même  ne  se  fait  aucun  scrupule  d'en  user  par  méta- 
phore ;  mais  il  invite  les  poètes  à  laisser  de  côté  les  su- 
jets païens  et  à  chercher  dans  le  christianisme  un  fonds 
inépuisable  d'inspirations.  Cette  tendance  se  trahit  déjà 
dans  ses  satires  ;  elle  est  bien  plus  marquée  dans  son  Art 
poétique,  où  il  ne  craint  pas  d'opposer  aux  fictions 
païennes,  devenues  avec  son  maître  Ronsard  la  matière 
même  de  notre  poésie,  ces  légendes  du  moyen  âge,  ces 
héros  de  l'histoire  sacrée,  ces  monuments  de  l'antiquité 
chrétienne  qui  lui  semblent  capables  de  fournir  à  la  tra- 
gédie et  à  l'épopée  des  thèmes  plus  populaires  et  aussi 
plus  poétiques  :  lui-même  avait  commencé  et  mené 
assez  loin  un  poème  épique  sur  David  (1).  Dès  le  premier 
livre  de  son  Art  poétique,  il  proteste  contre  l'abus  des 
divinités  grecques  : 

Aussi  bien  en  ce  temps,  ouir  parler  des  dieux 
En  une  Poésie  est  souvent  odieux. 

1.  Il,  1S3. 


—    XC1V  — 

Des  siècles  le  retour  et  les  saisons  changées 
Souvent  soubs  d'autres  loixont  les  Muses  rangées  (1). 

Dans  le  troisième  livre,  il  invite  les  poètes  à  ne  plus 
traiter  que  des  sujets  chrétiens  : 

Pleust  au  Ciel  que  tout  bon,  tout  Ghrestien  et  tout  Saint 
Le  François  ne  prist  plus  de  sujet  qui  fust  faint! 
Les  Anges  à  miliers,  les  aines  éternelles, 
Descendroient  pour  ouir  ses  chansons   immortelles  (2)  ! 

Plus  bas,  il  invoque  l'exemple  des  Grecs  eux-mêmes 
qui  avaient  chanté  leurs  propres  héros  et  célébré  leur 
histoire  nationale  ou  leurs  légendes  domestiques: 

Si  les  Grecs,  comme  vous,  Chrestiens  eussent  escrit, 
Ils  eussent  Ifes  hauts  faits  chanté  de  Jesus-Christ  : 
Doncques  à  les  chanter  ores  je  vous  invite...  (3). 

Enfin,  parmi  tous  les  poètes  contemporains,  il  s'a- 
dresse de  préférence  à  son  ami  Desportes  : 

Desportes,  que  ta  Muse  à  Dieu  toute  tournée 

Ne  soit  des  vers  d'amour  désormais  prophanee  (4). 

Peu  de  temps  après  que  Du  Bartas  eut  composé  sa 
Semaine,  dans  laquelle  il  célèbre  avec  tant  de  magnifi- 
cence les  œuvres  de  Dieu,  Ronsard  mit  la  première  main 
àunpoème  intitulé  la  Loy  divine,  dont  il  nous  est  parvenu 
les  trente  premiers  vers.  Si  Vauquelin  avait  connu  cet 
essai,  il  aurait  pu  invoquer  l'exemple  du  maître.  Mais  le 
vrai  but  de  Ronsard  était  d'éclipser  la  gloire  du  poète 
huguenot  qu'on  lui  donnait  déjà  pour  rival,  en  triom- 
phant de  lui  sur  son  propre  terrain  ;  d'ailleurs,  il  aban- 
donna tout  de  suite  sa  tentative  pour  revenir  à  la  mytho- 
logie antique  dont  lui-même  avait  été  le  grand  hiéro- 

1. 1,  901 

2.  III,  33 

3.  III,  845 
4.111,875 


—  xcv  — 

pliante.  En  somme,  la  poésie  épique  du  xvi«  siècle  est  toute 
païenne  ;  et,  en  mettant  à  part  les  hymnes  ou  traduc- 
tions de  psaumes  que  certains  poètes  composaient  sur  la 
fin  de  leurs  jours,  à  titre  de  pénitence,  on  peut  en  dire 
autant  de  la  poésie  lyrique. 

Il  n'en  est  pas  de  même  de  la  tragédie  :  au  théâtre, 
nos  poètes  ne  cessèrent  jamais  complètement  d'emprun- 
ter leurs  sujets  à  l'antiquité  sacrée.  Depuis  Buchanan  et 
Théodore  de  Bèze  jusqu'à  Garnier  et  Monchrestien,  on 
peut  citer  un  grand  nombre  de  pièces  toutes  bibliques 
ou  chrétiennes  (1).  D'ailleurs,  les  restaurateurs  de  la 
tragédie  ancienne  n'avaient  point  aboli  d'un  seul  coup 
les  genres  antérieurs  :  sans  parler  d'une  pièce  de  Thomas 
Lecoq  (2),  qui,  malgré  son  titre  de  tragédie,  est  un  véri- 
table mystère,  la  province  de  Normandie,  où  Vauquelin 
naquit  et  passa  sa  vie  tout  entière,  resta  jusqu'à  la  fin  du 
xvie  siècle  fort  attachée  aux  spectacles  chrétiens  du 
moyen  âge,  et  l'on  ne  peut  douter  que  le  poète  lui- 
même  n'ait  assisté  à  des  représentations  de  ce  genre. 
Vauquelin  aime  trop  l'antiquité  pour  ne  pas  conseiller 
à  nos  tragiques  de  se  régler  sur  elle  ;  aussi  ne  leur 
demande-t-il  point  de  conserver  la  forme  du  mystère;  ce 
qu'il  veut,  c'est  que  le  théâtre  transporte  dans  le  cadre 
de  la  tragédie  classique  les  sujets  et  les  personnages 
de  l'histoire  sacrée. 

Hé  !  quel  plaisir  seroit-ce  à  cette  heure  de  voir 
Nos  Poètes  Chrestiens,  les  façons  recevoir 

1.  La  trilogie  de  David,  par  Desmasures  (1566)  ;  la  Jephté  de 
Buchanan  (1567)  ;  le  Pharaon  de  Chantetouve  (1582)  ;  YEsther  de 
Mathieu  (1585),  sa  Vasthi  et  son  Aman  (1589)  ;  le  Saûl  de  Billard  ; 
le  Joseph  de  Montreux;  le  Saùl  et  les  Gabaonites,  de  Jean  de  la 
Taille  (1572-1573);  la  Sédécie  de  Garnier  (1580);  le  David  de  Mon- 
chrestien (1600)  et  son  Aman  (1601),  etc. 

2.  Cain. 


—  XCYI   — 

Du  Tragique  ancien  !  Et  voir  à  nos  misteres, 
Les  payens  asservis  sous  les  loix  salutaires 
De  nos  Saints  et  Martyrs,  et  du  vieux  testament 
Voir  une  Tragédie  extraite  proprement  (1)  ! 

Il  indique  lui-même  plusieurs  héros  tragiques  que  les 
poètes  futurs  pourront  emprunter  à  la  Bible  ou  aux  lé- 
gendes chrétiennes  : 

Au  lieu  d'une  Andromède  au  rocher  attachée 
Et  d'un  Perse  qui  l'a  de  ses  fers  relâchée, 
Un  saint  George  venir  bien  armé,  bien  monté... 
Ou  voir  un  Abraham,  sa  foy,  l'ange  et  son  fils  ! 
Voir  Joseph  retrouvé  !  etc.  (2). 

Ces  souhaits  de  Vauquelin  ne  furent  point  exaucés,  et 
nos  poètes  s'éloignèrent  toujours  davantage  des  sujets 
chrétiens  que  le  xvie  siècle  tolérait  encore,  mais  dont 
l'âge  suivant  ne  voulut  plus.  Le  Polyeucte  de  Corneille  ne 
trouva  aucun  accueil  parmi  les  beaux  esprits  du  temps, 
auxquels  «  le  christianisme  »  de  cette  pièce  «  avait  extrê- 
mement déplu  »  ;  YEsther  de  Racine  ne  fut  pas  représentée 
en  public  ;  Athalie  elle-même,  ce  chef-d'œuvre  de  l'es- 
prit humain,  n'eut  aucun  succès.  Quant  à  l'épopée  chré- 
tienne, de  nombreux  poètes,  vers  le  milieu  du  xvne  siècle, 
tentèrent  de  la  remettre  en  honneur  ;  mais,  soit  qu'ils 
manquassent  de  génie,  soit  que  le  genre  lui-même  fût 
déjà  condamné,  aucun  de  leurs  poèmes  ne  trouva  grâce 
devant  la  critique.  L'Italie  et  l'Angleterre  avaient  beau 
citer  avec  orgueil  les  noms  du  Tasse  et  de  Milton  :  Milton 
et  le  Tasse  eux-mêmes  furent  méconnus  par  Boileau,  qui 
exclut  le  merveilleux  chrétien  et  l'antiquité  sacrée  de 
notre  poésie  héroïque,  en  réduisant  son  domaine  à  la 
«  fable  »  et  à  la  «  fiction  »,  c'est-à-dire  aux  légendes  grec- 
ques et  à  la  mythologie  de  l'Olympe. 

1.111,881 
2.111,891 


—  XGYII  — 

Nous  venons  d'indiquer  les  principaux  points  sur  les- 
quels Vauquelin  a  ses  préférences  personnelles  ;  mais 
ces  restrictions,  quelle  que  puisse  en  être  l'importance, 
ne  nous  empêchent  pas  de  le  rattacher  étroitement  à  la 
Pléiade,  dont  il  exprime  presque  toujours  les  idées  et  les 
vues,  et  non  point  à  Malherbe  dont  il  ne  peut  être  con- 
sidéré à  aucun  titre  comme  le  précurseur.  Il  se  distingue 
avant  tout  de  la  Pléiade  par  le  soin  avec  lequel  il  cher- 
che à  renouer  les  traditions  de  notre  histoire  littéraire  et 
par  sa  prédilection  pour  les  sujets  nationaux  et  chrétiens 
dans  la  tragédie  et  dans  l'épopée  ;  or,  s'il  s'éloigne  par 
là  de  Ronsard,  ce  n'est  certes  pas  pour  se  rapprocher  de 
Malherbe  :  celui-ci,  professant  le  même  dédain  pour  le 
moyen  âge  et  le  xvie  siècle,  avait  tout  fait  dater  de  son 
propre  avènement  :  et  d'ailleurs,  en  conservant  aux  divi- 
nités et  aux  héros  de  la  Fable  la  place  qu'ils  avaient  prise 
dans  notre  poésie,  il  continuait  là  encore  l'œuvre  de 
Ronsard. 

Ce  qu'il  faut  dire,  c'est  que  Ronsard  a  ouvert  la  voie  à 
Malherbe  :  le  chef  de  la  Pléiade  doit  être  considéré  comme 
le  fondateur  de  notre  poésie  classique.  Les  mépris  et  les 
injures  dont  Malherbe  charge  ses  devanciers  ne  sauraient 
l'empêcher  d'en  être  l'héritier  et  le  disciple  ;  son  œuvre 
consista  à  choisir  avec  une  grande  rectitude  de  sens, 
parmi  les  matériaux  de  tout  genre  qu'avait  accumulés 
l'école  de  Ronsard,  ceux  qui  devaient  le  mieux  s'appro- 
prier à  la  construction  de  cet  édifice  régulier  et  impo- 
sant, mais  froid  et  monotone,  qu'il  voulut  donner  pour 
temple  à  notre  poésie.  Ceux  qui  font  les  révolutions  sont 
dédaignés  par  ceux  qui  en  profitent  :  Malherbe  dédaigna 
Ronsard,  mais  il  en  profita  encore  plus. 

Peu  importe  que  Vauquelin  ait  été  l'ami  de  Malherbe 
et  lui  ait  même  adressé  une  de  ses  satires  ;  le  génie  fa- 

6 


—  XCVIII  — 


cile,  souple  et  riant  de  l'un  n'a  par  lui-même  aucun  rap- 
port avec  la  raideur  austère  et  empesée  de  l'autre.  On 
dira  peut-être  que  le  caractère  même  de  Vauquelin,  son 
esprit  de  retenue  et  son  goût  de  la  mesure  le  rendaient 
propre  à  servir  d'intermédiaire  ;  mais,  rappelons-le, 
Malherbe  ne  traitait  pas  mieux  Desportes  que  Ronsard, 
et  s'il  appréciait  son  potage,  il  ne  goûtait  point  ses  vers. 
Au  fond,  il  n'y  a  guère  de  commun  entre  Malherbe  et 
Vauquelin  que  ce  que  Malherbe  lui-même  a  de  commun 
avec  Ronsard. 


CHAPITRE  V 

Vauquelin  et  Boileau 

De  Ronsard  à  Malherbe,  de  Malherbe  à  Boileau,  tout 
se  suit  et  se  tient  dans  l'histoire  de  notre  poésie  :  nous 
aurons  à  montrer  tout  à  l'heure  que  l'Art  poétique  de 
Boileau  est  entièrement  contenu  dans  celui  de  Vauquelin. 

Certains  critiques  sont  allés  jusqu'à  prétendre  que  le 
poète  du  xvne  siècle  avait  beaucoup  emprunté  à  celui  du 
xvie,  et  ils  l'ont  accusé  de  ne  pas  même  avoir  mentionné 
le  nom  de  son  devancier.  Si  Boileau  n'a  point  nommé 
Vauquelin,  c'est  qu'il  ne  lui  devait  rien.  On  a  relevé,  en 
comparant  leurs  poèmes,  quelques  ressemblances  de 
détail,  comme  si  la  parenté  plus  ou  moins  prochaine  de 
deux  ou  trois  vers  ne  pouvait  pas  être  purement  for- 
tuite. Vauquelin  avait  dit  de  Virgile: 

Nul  ne  peut  en  sa  langue  attaindre  à  sa  hauteur  (1) . 

Boileau  commence  ainsi  son  Art  poétique  : 
C'est  en  vain  qu'au  Parnasse  un  téméraire  auteur 
Pense  de  l'art  des  vers  atteindre  la  hauteur. 

1.  I,  422. 


—   XCIX  — 

Vauquelin  définit  l'unité  de  temps  en  ces  termes  : 

Le  Théâtre  jamais  ne  doit  estre  rempli 

D'un  argument  plus  long  que  d'un  jour  accompli  (1). 

Boileau  emploie  la  même  rime  : 

Qu'en  un  lieu,  qu'en  un  jour,  un  seul  fait  accompli 
Tienne  jusqu'à  la  fin  le  théâtre  rempli  (2). 

Nous  avons  déjà  cité  les  deux  vers  de  Vauquelin: 

L'Epigramme  n'estant  qu'un  propos  raccourci, 
Comme  une  inscription  courte  on  l'escrit  aussi  (3). 

Boileau  dit  du  même  genre  qu'il 

N'est  souvent  qu'un  bon  mot  de  deux  rimes  orné  (4). 
Vauquelin  s'élève  contre  le  poète 

Qui  veut  hausser  au  ciel  son  vers  ambitieux  (5). 

Boileau  applique  à  l'ode  la  même  expression  avec  un 
tout  autre  sens,  lorsqu'il  nous  la  présente 
Élevant  jusqu'au  ciel  son  vol  ambitieux  (6). 

Ces  exemples,  les  seuls  que  l'on  puisse  produire,  ne 
nous  permettent  point  de  conclure  que  Boileau  ait  imité 
ou  même  connu  Vauquelin.  On  ne  saurait  guère  atta- 
cher quelque  importance  qu'aux  deux  premiers  ;  or,  ils  se 
réduisent  à  une  rime  tout  indiquée  pour  le  second,  et, 
pour  l'autre,  à  une  expression  que  la  gêne  du  vers  a  bien 
pu  lui  faire  admettre,  mais  qu'il  aurait  critiquée  chez 
tout  autre  poète,  loin  de  la  lui  emprunter. 

1.  H,  257. 

2.  III,  45. 

3.  III,  789. 

4.  II,  103. 

5.  III,  1105. 

6.  II,  59. 


Quant  aux  passages  dans  lesquels  Vauquelin  et  Boileau 
expriment  des  idées  analogues,  nous  avouons  qu'ils  sont 
très  nombreux  ;  mais  ce  qu'il  faut  en  conclure,  ce  n'est 
pas  que  Boileau  a  imité  Vauquelin,  c'est  que  Boileau  et 
Vauquelin  ont  imité  Horace.  On  peut  cependant  citer 
d'autres  endroits  où  les  deux  poètes  se  rencontrent  sans 
avoir  eu  un  modèle  commun.  C'est  ainsi,  pour  en  donner 
au  moins  un  exemple,  que  Boileau,  dans  le  début  de  son 
premier  chant,  assigne  à  chaque  talent  le  genre  qui  lui 
convient  : 

La  Nature,  fertile  en  esprits  excellents,  etc.  (1). 

Vauquelin  avait  dit  : 

Des  Poëtes  ainsi,  l'un  fait  un  Epigramme,  etc.  (2). 

Mais,  ces  exemples  seraient-ils  encore  plus  nombreux, 
il  n'y  aurait  pas  lieu  de  s'étonner  que  deux  auteurs  d'Art 
poétique  traitent  les  mêmes  développements.  Comme  le 
dit  Vauquelin, 

Qui  va  même  chemin  et  fait  même  voyage, 
Quelquefois  se  rencontre  en  un  même  passage  (3). 

Bien  ne  peut  donc  prouver  que  Boileau  ait  imité  Vau- 
quelin; ce  qui  prouve  qu'il  ne  le  connaissait  même 
pas,  c'est  son  ignorance  complète  du  moyen  âge  et  les 
erreurs  qu'il  commet  en  retraçant  l'histoire  de  notre 
poésie  au  xvie  siècle.  Sans  doute,  il  aurait  pu  lire  tout  ce 
que  dit  Vauquelin  de  nos  anciens  genres,  sans  se  croire 
obligé  de  remonter  plus  loin  que  Villon  ;  il  aurait  pu  se 
faire  par  Vauquelin  une  idée  plus  exacte  de  Bonsard  et 
de  la  Pléiade  sans  rien  atténuer  de  sa  sévérité  pour  eux. 

1.1,13. 

2. 1,  783. 
3.  I,  771. 


—   CI  — 

Mais  ce  ne  sont  pas  seulement  des  appréciations  plus  ou 
moins  injustes  que  nous  relevons  chez  Boileau  ;  nous  y 
trouvons    encore    des    inexactitudes    matérielles,  des 
erreurs  de  fait,  dans  lesquelles  la  lecture  de  Vauquelin/ 
l'aurait  empêché  de  tomber. 

Si  Boileau  n'a  pas  connu  l'Art  poétique  de  son  devan- 
cier, il  n'en  est  pas  moins,  comme  nous  l'avons  déjà  dit, 
l'héritier  de  l'école  dont  Ronsard,le  maître  de  Vauquelin, 
fut  le  premier  fondateur.  Quelque  différence  qu'il  y  ait 
entre  eux,  leur  doctrine  littéraire  est  au  fond  la  même. 
C'est  ce  que  nous  verrons  en  comparant  les  deux  Poéti- 
ques. Mais  il  nous  faut  d'abord  étudier  parallèlement  chez 
l'un  et  l'autre  poète  l'ordre  et  le  plan  de  leur  ouvrage, 
le  caractère  que  chacun  d'eux  a  donné  au  poème  didac- 
tique, leur  versification  et  leur  style. 

IVous  avons  déjà  dit  quelle  confusion  régnait  dans  l'Art 
poétique  de  Vauquelin.  Au  contraire,  Boileau  procède] 
avec  ordre  et  méthode,  suivant  un  plan  qu'il  s'est  tracé 
d'avance.  On  ne  peut  nier,  d'ailleurs,  que  sa  division  n'a 
rien  de  logique  et  ne  se  rattache  à  aucune  idée  d'ensem- 
ble, ni  sur  une  classification  raisonnée  des  genres,  ni  sur 
leur  succession  naturelle  et  historique.  On  ne  voit  pas 
pourquoi  il  traite  séparément  les  genres  supérieurs  et 
les  genres  secondaires,  pourquoi  il  range  la  poésie  lyrique 
parmi  ces  derniers  ;  on  se  demande  quelle  raison  peut 
l'engager  à  commencer  par  les  uns  plutôt  que  par  les 
autres,  à  traiter  enfin  dans  le  même  livre  la  tragédie 
avant  l'épopée  et  l'épopée  avant  la  comédie.  La  division 
de  son  Art  poétique  n'a  d'autre  mérite  que  celui  d'assurer 
à  chaque  livre  son  objet  déterminé.  C'en  est  un,  d'ail- 
leurs, et  que  nous  ne  saurions  reconnaître  à  Vauquelin. 
Dans  son  premier  chant,  Boileau  donne  des  conseils  lit- 
téraires, des  préceptes  de  style,  des  leçons  de  goût  ;  dans 

6. 


—  Cil  — 

le  second,  il  s'occupe  des  petits  genres,  et,  dans  le  troi- 
sième, des  genres  supérieurs;  dans  le  quatrième,  enfin, 
il  traite  des  mœurs  et  propose  aux  poètes  quelques  règles 
de  conduite.  Voilà  une  division  parfaitement  claire.  Quant 
à  Vauquelin,  il  n'a  même  pas  pris  la  peine  de  s'en  faire 
une  :  son  poème  marche  au  hasard  sans  se  soumettre  à 
aucun  plan  de  composition  déterminé  d'avance.  Il  définit 
l'épopée  dans  le  premier  livre  et  en  donne  les  règles 
dans  le  second;  il  fait  au  début  d'un  chant  la'théorie  de 
la  tragédie,  en  expose  tout  à  la  fin  l'histoire  et  en  trace 
dans  un  autre  la  définition.  Un  ordre  quelconque,  si  fac- 
tice qu'il  pût  être,  vaudrait  toujours  mieux  que  cette 
inextricable  confusion. 

L'esprit  méthodique  et  rigoureux  deBoileause  retrouve 
encore  dans  la  forme  générale  et  le  caractère  qu'il  a 
donné  à  son  Art  poétique.  Législateur  du  Parnasse,  il 
conçoit  son  poème  comme  un  code  destiné  à  régir  la 
poésie.  Il  est  bien  loin  de  l'aimable  familiarité  avec 
laquelle  cause  Horace  ;  il  l'est  encore  plus  de  cet  abandon 
et  de  cette  prolixité  qui,  chez  Vauquelin,  ont  aussi  leur 
charme.  C'est  un  arbitre  souverain  qui  dicte  des  arrêts. 
On  ne  peut  sans  doute  lui  reprocher  la  sévérité  toute 
dogmatique  avec  laquelle  il  a  composé  son  ouvrage  ;  et 
cependant  on  regrette,  en  admirant  cette  précision  rigou- 
reuse et  impérative,  qu'elle  n'ait  pu  se  concilier  avec  | 
un  peu  plus  d'agrément.  Dans  les  quatre  chants  de  Boi- 
leau,  nous  ne  trouvons  d'autre  digression  (1)  que  celle 
par  où  débute  le  dernier.  Vauquelin,  au  contraire,  évite 
toute  raideur  pédantesque;  les  comparaisons  étendues, 
,  les  diversions,  les  ornements  de  toute  espèce,  abondent 
dans  son  poème.  11  sait  quelquefois  être  bref,  quand  il 
dicte  des  règles  précises  et  catégoriques  ;  on  peut  même 

1.  Excepté  quand  Horace  lui  donne  l'exemple. 


—  cm  — 

citer  certains  vers  de  lui  qui,  comme  tant  d'autres  de 
Boileau,  eussent  mérité  de  passer  en  proverbe  (1).  Mais 
cette  contrainte  n'est  pas  son  fait,  et,  d'ordinaire,  il 
s'abandonne  tout  entier  à  la  facilité  aimable  et  courante 
de  sa  verve.  Il  y  a  dans  son  Art  poétique  quelque  cbose 
d'aisé,  de  souriant  et  d'beureux.  Que  pourrait-on  trouver, 
par  exemple,  de  plus  agréable  que  sa  comparaison  entre 
le  génie  du  poète  et  le  «  miroir  »  d'un  lac  (2)  ?  Dans  son 
premier  cbant,  il  montre  par  une  figure  non  moins  gra- 
cieuse que  l'art  est  nécessaire  à  la  poésie  : 

.  .  .Quand  un  homme  va  pour  un  plaisant  soûlas 
Dans  quelque  beau  jardin,  etc.  (3). 

Boileau  écrit  avec  précision,  mais  non  pas  sans  séche- 
resse, en  parlant  de  la  rime  : 

Au  joug  de  la  raison  sans  peine  elle  fléchit, 
Et,  loin  de  la  gêner,  lui  sert  et  l'enrichit  (4). 

Vauquelin  use  d'une  '•  comparaison  aussi  heureuse  que 
juste  : 

Gomme  on  void  que  les  voix  fortement  entonnées 
Dans  le  cuyvre  étrecy  des  trompettes  sonnées, 
Jettent  un  son  plus  clair,  etc.  (5). 

Dans  le  second  livre,  il  montre  avec  non  moins  de 
bonheur  qu'il  ne  suffit  pas  à  la  poésie  de  plaire  et  de 
charmer  l'oreille  : 

Comme  en  la  vigne  on  void  dessoubs  la  feuille  verte, 

La  grappe  cramoisie,  etc.  (6). 

1.  Par  exemple  : 

Ce  sont  tableaux  parlants  que  les  vers  bien  escrits  (7). 

2.  III,  659. 

3.  I,  21. 
4. 1,  33. 
5. 1,  83. 
6.  II,  67. 
7. 1,  226. 


—  CIV  — 

Il  ne  craint  pas  non  plus  de  quitter  un  moment  son 
sujet  pour  amener  quelque  aimable  digression;  c'est 
ainsi  qu'à  la  fin  du  premier  livre,  il  nous  raconte  com- 
plaisamment  l'anecdote  d'Antigone  et  de  ses  trois  pein- 
tres (1)  ;  au  second,  il  fait  un  retour  sur  sa  jeunesse 
alors  que 

Sans  haine  et  sans  envie 

Nous  passions  dans  Poitiers  l'Avril  de  notre  vie  (2). 

On  pourrait  aisément  multiplier  de  tels  exemples  : 
ceux-là  suffisent  pour  montrer  comment  notre  poète  sait 
tempérer  la  sévérité  du  genre  didactique.  Cette  riante 
abondance  se  tourne  souvent  en  défaut  :  Vauquelin  ne 
sait  ni  se  contraindre,  ni  se  borner;  mais  pourtant  on 
doit  louer  chez  lui  la  grâce  aisée  et  familière  quand  elle 
ne  dégénère  pas  en  lâche  prolixité,  et  la  variété  des  cou- 
leurs quand  elle  ne  va  pas  jusqu'à  la  bigarrure. 

Malgré  le  désordre  qui  y  règne  et  la  négligence  avec 
laquelle  il  est  composé,  l'Art  poétique  de  Vauquelin  ne 
serait  pas  tombé  dans  l'oubli  si  la  versification  et  le , 
style  en  étaient  plus  corrects  et  plus  châtiés.  C'est  par  là 
surtout  qu'il  pèche.  Nous  l'avons  déjà  dit,  Vauquelin  ne 
sait  pas  rythmer  ses  vers.  Quoique  les  poètes  du  xvie 
siècle,  Ronsard  avant  tous,  aient  été  pour  la  plupart 
d'habiles  versificateurs,  on  peut  dire  qu'aucun  d'eux, 
pas  même  Ronsard,  n'a  porté  dans  le  maniement  de 
l'alexandrin  le  même  art  que  dans  la  facture  des  strophes 
lyriques.  Nous  ne  reprocherons  point  à  Vauquelin  d'avoir 
ignoré  les  règles  de  la  césure,  telles  que  Malherbe  de- 
vait bientôt  les  établir  ;  mais  ces  coupes  de  la  période 
rythmique  où  nos  poètes  modernes  ont  porté  une 
science  consommée,  sont  chez  lui,  comme  chez  tous  ses- 

1. 1, 1045. 
2  u.  io<vr. 


—  cv  — 

contemporains,  livrées  entièrement  au  hasard  ;  aussi  la 
faculté  d'enjamber  l'hémistiche  ou  le  mètre  entier  ne 
fait- elle  que  donner  à  son  alexandrin  une  allure  incer- 
taine et  parfois  boiteuse  ;  Vauquelin  en  use  avec  peu  de 
discernement,  comme  si  elle  permettait  au  poète  d'aligner 
à  la  hâte  ses  vers  les  uns  après  les  autres  sans  souci  d'en 
accommoder  le  rythme  à  l'expression  de  la  pensée  et  du 
sentiment.  Il  ne  voit  pas  que  l'alexandrin  à  la  césure  va- 
riable, au  libre  rejet,  est  bien  plus  difficile  à  manier, 
l'absence  même  de  règles  fixes  laissant  à  l'oreille  et  au 
goût  du  poète  une  liberté  périlleuse  :  cette  liberté,  il 
n'en  profite  que  pour  faire  de  sa  facilité  naturelle  le  plus 
regrettable  abus.  Ses  vers  sont  pour  ainsi  dire  inarticu- 
lés, et  leur  fluidité  même  les  empêche  de  prendre  aucune 
forme  précise.  Combien  l'alexandrin  de  Boileau  est  diffé- 
rent, c'est  ce  que  nous  n'avons  pas  besoin  de  dire  : 
chez  le  poète  du  xvne  siècle,  il  a  définitivement  revêtu 
le  rythme  classique,  ;  il  s'est  soumis  à  des  lois  inflexibles 
qui,  après  avoir  isolé  chaque  unité  métrique,  la  décom- 
posent en  deux  fragments  toujours  égaux,  et  font  inva- 
riablement concorder  les  divisions  du  rythme  avec  celles 
du  sens  :  le  vers  de  douze  syllabes  peut  être  dès  lors  con- 
sidéré comme  un  tout  indépendant  de  ce  qui  précède  et 
de  ce  qui  suit;;  bien  plus,  chaque  hémistiche  est  lui-même 
une  sorte  d'entité  rythmique  complète  en  soi,  un  vers 
de  six  syllabes  dans  celui  de  douze.  Cette  symétrie  con- 
vient peut-être  à  la  sévérité  du  genre  didactique,  tel  que 
Boileau  l'avait  conçu  ;  les  préceptes,  les  règles  qu'il  for- 
mule, se  gravent  d'autant  mieux  dans  l'esprit  et  ont  une 
autorité  d'autant  plus  grande  qu'ils  s'expriment  sous  une 
forme  rythmique  plus  fixe  et  plus  arrêtée.  Toutefois,  on 
peut  reprocher  au  poète  d'avoir  péché  pas  trop  de  ri- 
gueur :  tous  ses  alexandrins  sont  coulés  dans  le  même 


—  CVI  — 

moule  ;  an  balancier  en  marquerait  parfaitement  la  me- 
sure. Ce  vers  uniforme  et  monotone  n'est  point  celui  de 
Racine  et  de  Molière  ;  et,  si  la  liberté  du  xvie  siècle  offre 
des  dangers  que  Vauquelin  n'a  même  pas  l'air  de  soup4j 
çonner,  la  symétrie  impitoyable  du  vers  rigoureusement 
classique  a,  chez  Boileau  comme  chez  Malherbe,  une  ! 
raideur  mécanique  qui  rend  le  rythme  incapable  de  toute 
inflexion. 

Nous  trouvons  la  même  opposition  dans  le  style  desV 
deux  poètes.  Vauquelin  avait  toujours  vécu  loin  de  la,', 
cour  ;  aussi  ne  rencontre-t-on  pas  chez  lui  cette  pureté, 
cette  élégance  polie  qu'il  loue  chez  du  Perron  et  Des-* 
portes.  Il  connaissait  lui-même  les  défauts  de  sa  versi- 
fication, et  il  les  confesse  ingénument  : 

Faites  que  vostre  grâce,  ô  riantes  Charités, 
Couvre  ici  le  défaut  de  ces  Règles  escrites 
En  vers  mal  agencez  (1). 

Ceux  de  son  style  ne  lui  échappent  pas  davantage  : 
Marri  que  n'est  sa  Muse  et  plus  nette  et  polie  (2). 

Daniel  Huet  dit,  non  pas  d'ailleurs  sans  beaucoup 
d'exagération  :  «  Si  Vauquelin  avait  joint  à  ses  talents  la 
politesse  du  grand  monde,  il  irait  de  pair  avec  les  plus 
célèbres  poètes  de  son  siècle  (3).  »  Mais  [c'est  justement 
ce  commerce  du  grand  monde  qui  manqua  à  Vauquelin, 
et  lui-même  se  plaint  souvent  d'être  trop  absorbé  par  les 
devoirs  de  sa  charge  pour  accorder  assez  de  soin  à  ses 
poèmes.  Il  ne  faut  donc  pas  s'étonner  que  son  style  soit 
en  général  diffus,  qu'il  manque  si  souvent  d'aisance  élé- 
gante et  de  vive  précision.  Vauquelin  n'est  pas  de  ceux 

1.  II,  15. 

2. 1,  1159. 

3.  Origines,  p.  554. 


—  CVII  — 

qui  ont  poli  sans  cesse  et  repoli  leurs  ouvrages  ;  au  con- 
traire, il  laisse  courir  sa  plume  à  l'aventure  et  ne  ren- 
contre que  bien  rarement  l'expression  juste.  Certes,  l'Art 
poétique  de  Boileau,  malgré   la  réputation  qu'il  en  a, 
n'est  point  un  modèle  de  style  :  les  termes  y  manquent 
trop  souvent  de  propriété  ;  la  forme  a  parfois  bien  de 
l'âpreté  et  bien  de  la  contrainte  ;  l'écrivain  est  à  cbaque 
instant  la  dupe  du  versificateur.  Mais,  malgré  ces  défauts, 
il  y  a  dans  son  style  une  assurance,  une  méthode,  une 
discipline  que  le  poète  du  xvie  siècle  n'a  jamais  connues. 
C'est  par  d'autres  qualités  que  Vauquelin  se  recommande 
à  nous  ;  son  style  d'improvisateur,  diffus,  impropre,  sou- 
vent même  incorrect,  a  du  moins  une  liberté,  une  sou- 
plesse qui  manquent  à  Boileau,  dont  l'art  laborieux  se 
trahit  toujours  :  si  le  premier  fait  des  vers  faciles  avec  trop 
de  facilité,  on  peut  dire  que  le  second  fait  difficilement  des 
vers  souvent  bien  difficiles.  Le  style  de  Boileau  a  d'ailleurs 
quelque  chose  de  terne  et  de  sourd  ;  je  ne   sais  quelle 
teinte  grise  et  morne  semble  faire  le  fond  de  la  toile,  à 
peine  égayée  çà  et  là  par  des  nuances  plus  vives.  Quant  à 
Vauquelin,  ce  qu'on  pourrait  lui  reprocher,  c'est  au  con- 
traire l'abus  de  la  couleur  ;  dans  son  poème,  les  tons  les 
plus  riches  et  les  plus  variés   se  combinent  en  offrant 
toujours  à  l'œil  un  tableau  clair  et  riant,  mais  taché  par 
de  nombreuses  dissonnances.  Le  poète  laisse  toute  li- 
berté à  son  imagination  ;  il  en  sème  les  trésors  à  plei- 
nes mains  et  profite  de  ce  que  Malherbe,  le  maître  d» 
Boileau,  n'a  pas  encore  «  réduit  la  muse  aux  règles  du 
devoir  (1)  ».  Son  style  florissant  manque  de  sobriété  ;  le 
style  de  Boileau,   ferme,   sensé,    d'une  probité  un  peu 
raide,  reste  toujours  marqué  et  comme  frappé  d'une  trie- 
tesse  native. 
1.  Boileau,  Art.poët.,  I,  131. 


—  CVIII  — 

Par  ses  défauts  et  par  quelques-unes  de  ses  qualités 
mêmes,  le  poème  de  Vauquelin  n'était  pas  fait  pour  ré- 
gir la  poésie  française  avec  autorité.  Il  le  publia  à  une 
époque  où  Malherbe,  devenu  déjà  le  «  tyran  du  Par- 
nasse »,  avait  rayé  d'un  trait  de  plume  toutes  les  œuvres 
de  ses  devanciers.  Lui-même,  d'ailleurs,  n'avait  rien  qui 
le  désignât  comme  arbitre  et  comme  législateur;  ce 
n'est  après  tout  qu'un  disciple  de  Ronsard  parmi  tant 
d'autres.  Enfin,  le  siècle  où  il  vivait  avait  déjà  vu  tant  de 
changements  dans  notre  langue  et  dans  notre  poésie  que, 
s'il  eût  même  publié  son  Art  poétique  avant  l'avènement 
de  Malherbe,  personne  n'en  aurait  pu  croire  l'autorité 
bien  durable.  Au  contraire,  celui  de  Boileau  paraît  à  un 
moment  où  la  poésie  française,  après  une  longue  période 
de  trouble  et  de  confusion,  semble  s'être  définitivement 
soumise  à  la  discipline  classique.  Dans  les  lettres  comme 
dans  l'État  politique  et  social,  tout  se  règle  et  s'organise. 
Boileau  lui-même  est  compté  parmi  les  plus  grands 
poètes  de  son  siècle  ;  on  l'accepte  comme  le  juge  su- 
prême du  goût,  et  les  arrêts  qu'il  prononce  sont  tenus 
pour  des  oracles  :  son  Art  poétique  est  la  table  d'airain 
sur  laquelle  il  grave  pour  toujours  les  lois  de  la  poésie. 
Si  son  esprit  si  judicieux  et  si  droit,  son  respect  de  la 
règle,  son  amour  de  la  symétrie,  son  style  sobre  et  sain, 
font  de  lui  le  représentant  le  plus  fidèle  du  xvne  siècle, 
Vauquelin  appartient  au  xvie  dont  il  reproduit  bien  l'hu- 
meur libre,  la  verve  souvent  débordante,  la  raison  encore 
peu  assurée,  l'imagination  brillante  et  féconde,  mais  sans 
règle  ni  frein. 

Toutefois  il  ne  faut  pas  oublier  que,  dans  cette  pé- 
riode confuse  et  tumultueuse  qui  s'étend  depuis  Ron- 
sard jusqu'à  Malherbe,  se  sont  déjà  formés  et  ont  com- 


—   CIX  — 

mencé  à  mûrir  ces  fruits  heureux  de  notre  poésie  qu'ua 
siècle  plus  fortuné  cueillera. 

Quand  on  connaît  le  dédain  que  le  xvif  siècle  mani- 
feste pour  l'école  de  Ronsard,  on  se  demande  tout 
d'abord  s'il  n'y  a  pas  eu  comme  une  rupture  dans  l'his- 
toire et  les  traditions  de  la  poésie  française.  Mais  ce  dé- 
dain hest-il  pas  celui  que  les  poètes  de  la  Pléiade  pro- 
fessaient eux-mêmes  pour  leurs  devanciers  ?  et  l'on  sait 
cependant  que  la  Renaissance,  loin  d'éclater  brusque- 
ment, avait  été  longuement  préparée  par  les  Jean  Le 
Maire,  les  Marot,  les  Scève,  les  Héroët.  Roileau,  tout  en 
gardant  un  souvenir  à  Marot  et  à  Villon,  ne  fait  dater  la 
poésie  que  de  Malherbe,  son  maître  :  il  lui  était  d'autant 
plus  facile  de  dédaigner  le  xvie  siècle  qu'il  ne  le  connais- 
sait guère.  Mais,  quoi  que  lui-même  en  pense,  il  est  bien 
le  disciple  et  l'héritier  de  ce  Ronsard  qu'il  a  si  durement 
traité. 

Au  point  de  vue  de  la  versification,  nous  ne  voyons 
de  Ronsard  à  Roileau,  que  des  changements,  importants 
sans  doute,  mais  qui  ne  portent  pas,  après  tout,  sur  la 
forme  coDstitutive  du  vers.  La  langue  subit  des  épura- 
tions successives  en  passant  de  la  Pléiade  à  Malherbe,  de 
Malherbe  à  Vaugelas  et  à  Corneille,  de  Corneille  à  Ra- 
cine ;  cependant,  c'est  toujours  celle  que  Ronsard  a  crééer 
et  le  xvne  siècle,  s'il  y  opère  beaucoup  de  retranche- 
ments, n'y  ajoute  presque  rien.  Il  nous  parait  inutile 
d'insister  sur  ces  deux  points  qui  ne  sont  pas  contesta- 
bles. Quant  à  la  doctrine  littéraire  du  xvne  siècle,  oa 
ne  peut  niei  que,  dans  son  ensemble,  elle  a  Ronsard  pour 
premier  maître  et  pour  initiateur  :  Roileau  ne  fera  que 
donner  aux  vues  et  aux  théories  de  Vauquelin  une  forme 
plus  précise  et  plus  rigoureuse. 

C'est  le  xvie  siècle  qui  a,  pour  ainsi  dire,  retrouvé  l'an~ 

7 


—  ex  — 

tiquité  :  cette  sorte  de  résurrection,  connue  sous  le  nom 
de  Renaissance,  ouvre  une  nouvelle  ère,  et  le  goût  fran- 
çais prend  dès  lors  une  direction  à  laquelle  l'âge  suivant 
restera  fidèle.  Sans  doute,  on  ne  peut  comparer  la  poé-^ 
sie  de  la  Pléiade  avec  celle  du  xvne  siècle  :  l'une  manque 
de  maturité  et  d'équilibre  ;  l'autre,  au  contraire,  atteint  à 
cette  perfection  d'art,  à  cette  harmonie  du  fond  et  de  la 
forme,  à  cet  heureux  tempérament  de  la  raison   et  de 
l'imagination,  qui  lui  ont  mérité  le  nom  de  poésie  clas 
sique.  Mais,  si  Ronsard  et  ses  disciples  n'ont  peut-êtr 
rien  laissé  que  Ton  puisse  égaler  aux  chefs-d'œuvre  du 
siècle  suivant,  ils  ont  au  moins  amorcé  la  voie  pour  des 
génies  plus  favorisés.  Malherbe  crut  renverser  de   fon 
en  comble  l'édifice  élevé  par  la  Pléiade  :  il  n'en  abatti 
que  l'échafaudage  hérissé  et  fastueux,  derrière  lequel  on 
put  dès  lors  apercevoir  les  lignes  sobres  et  régulières  d 
l'édifice  lui-même. 

Le  xvie  siècle  a  restauré,  sans  exception,  toutes  le 
formes  poétiques  que  le  xvnr2  cultivera.  Il  n'en  est  pa 
une  que  l'on  ne  trouve  dans  le  poème  de  Vauquelin.  No 
seulement  elles  sont  connues,  mais  la  classification  e 
est  faite,  et  l'âge  suivant  n'y  changera  rien  ;  tout,  dan 
notre  poésie,  a  été  mis  en  ordre,  casé,  étiqueté.  Discipl 
d'Aristote,  Vauquelin  adopte  les  divisions  et  les  formule 
de  cet  esprit  systématique  ;  disciple  d'Horace,  il  emprunt 
au  poète  latin  ses  préceptes  et  ses  maximes  de  goût, 
travail  est  fait  une  fois  pour  toutes,  et  le  siècle  de  Loui 
XIV  n'y  reviendra  plus,  fioileau  se  garde  bien  de  déran 
ger  une  symétrie  si  conforme  au  génie  classique  ;  il  ■ 
fait  que  la  mettre  encore  plus  au  jour,  en  donnant  à  s 
Poétique  un  ordre  plus  rigoureux  que  Vauquelin. 

Si  les  genres  sont  les  mêmes,  chacun  d'eux  a  dès  1 
xvie  siècle  ses  règles  définitives.  Passons  en  revue  le 


—   CXI   — 

principaux.  L'ode  a  été  créée  par  Ronsard  sous  toutes 
ses  formes  ;  nous  savons  que  Vauquelin  préfère  à  l'imi- 
tation de  Pindare  celle  d'Anacréon  ;  mais  c'est  là  un  pen- 
chant particulier  de  son  esprit  et  de  sa  nature,  et  qui  ne 
l'empêche  pas  de  donner  son  tribut  d'éloge  aux  odes 
pindaresques  du  maître.  Au  fond,  si  l'on  prend  ce  genre 
dans  son  acception  la  plus  élevée,  le  xvie  siècle  n'en  a 
point  eu  l'intelligence.  Ronsard  s'est  démené  et  surmené 
pour  calquer  les  transpoits  de  Pindare,  il  n'a  fait  que 
des  pastiches  sans  vie.  Mais,  quand  Boileau  s'est  mis  en 
tête  de  composer  une  ode,  n'est-ce  point  aussi  au  poète 
grec  qu'il  est  allé  demander  la  grande  inspiration  lyrique, 
et  l'ode  sur  la  prise  de  Namur  est-elle  moins  ridicule  que 
celles  de  Ronsard  ?  Il  a  beau  émanciper  son  imagination 
jusqu'à  comparer  avec  un  astre  la  plume  blanche  que  le 
roi  portait  à  son  chapeau  :  qui  ne  sent,  dans  ce  dithy- 
rambe avorté,  le  feinte  ivresse  d'un  sage  ?  C'était  bien  la 
peine  de  reprocher  à  Ronsard  le  faste  pédantesque  de  ses 
grands  mots  !  Voilà  pourtant  l'ode  dont  Boileau  nous  fait 
la  théorie  dans  son  Art  poétique  :  comme  celui  de  Ron- 
sard, son  beau  désordre  est  un  effet  de  l'art,  et  il  a  du 
lyrisme  une  idée  tout  aussi  fausse  que  le  xvie  siècle. 

En  est-il  autrement  pour  la  poésie  épique?  Ainsi  que 
nous  l'avons  dit,  Vauquelin  en  donne  une  définition 
large  et  libérale  ;  mais  ce  n'est  plus,  à  proprement  parler, 
une  définition  véritable,  c'est  plutôt  une  sorte  de  tableau 
où  figure  la  nature  entière.  Le  poète  reste  dans  le  vague 
par  ignorance,  par  timidité;  au  fond,  nul  doute  que  son 
idéal  de  l'épopée  ne  fût  conforme  à  celui  de  la  Franciade, 
où  il  ne  trouve  à  regretter  que  l'emploi  du  décasyllabe. 
Mais  cette  Franciade,  si  vite  tombée  dans  l'oubli  et  que  le 
xvne  siècle  connaissait  à  peine  de  nom,  n'est-elle  pas 
aussi,  dans  son  cadre  général  et  dans  sa  conception  d'en- 


—  CXII  — 

semble,  l'épopée  dont  Boileau  lui-même  nous  donne  la 
formule  ?  Boileau  se  posa  en  défenseur  d'Homère,  mais 
il  ne  le  comprend  ni  mieux  ni  autrement  que  le  xvie  sièl 
cle.  Pour  lui  comme  pour  l'école  de  Ronsard,  l'épopée 
estime  œuvre  tout  artificielle,  pure  matière  à  «orne- 
ments égayés  »  . 

Si  nous  passons  à  la  tragédie  et  à  la  comédie,  Boileau' 
n'ajoute  rien  à  Vauquelin.  Le  xvne  siècle  a  ses  Corneille, 
ses  Racine,  ses  Molière  ;  mais  la  théorie  même  du  genre 
dramatique  n'a  guère  changé  depuis  la  Pléiade.  Vauque-1 
lin  et  Boileau  donnent  les  mêmes  règles  ;  tous  deux  sei 
contentent  de  traduire  Horace.  Cette  loi  des  unités  qui 
domine  toute  notre  scène  classique,  nous  l'avons  déjà 
trouvée  dans  le  poète  duxvr5  siècle  :  les  tragiques  contem- 
porains l'observent  peut-être  moins  en  vue  de  Part  que 
par  un  effet  de  l'imitation,  mais  Corneille  lui-même  s'y-; 
soumettra  moinspar  conviction  que  par  crainte.  Si  l'école 
de  Ronsard  saisit  plutôt  la  lettre  que  l'esprit  du  théâtre 
ancien,  si  elle  ne  parvient  qu'à  «   parodier  puérilement 
les  solennités  olympiques  dans  des  classes  et  des  réfec-1 
toires  de  collège  »,  on  ne  saurait,  du  moins,  nier  qu'elle  a 
dressé  l'écho  faut  sur  lequel  Corneille  fera  jouer  le  Cid  et  \ 
Racine  Andromaque.  La  tragédie,   dans  sa  forme  exté-l 
rieure,  n'éprouvera  plus  de  modifications   essentielles  : 
le  tableau  pourra  changer,    mais  le   cadre  restera  le 
même.  Il  n'en  est  pas  autrement  de  la  comédie  ;  la  mar- 
che en  est  plus  libre  au  xvie  siècle,  et  les  règles  moins 
étroites  que  pour  la  tragédie;  cette  liberté  relative,  elle 
en  jouira  encore  au  siècle  de  Louis  XIV.  Si  Vauquelin 
n'y  apporte  pas  trop  d'entraves,   rappelons-nous  aussi 
que,  pour  le  plus  grand  comique  de  l'âge  suivant,  la  rè- 
gle capitale,  la  seule  règle,  c'est  de  plaire. 

Il  est  inutile  de  poursuivre  plus  loin  un  parallèle  dont 


—   CXIII  — 

'l'étude  des  autres  genres  poétiques  ne  ferait  que  confir- 
i  mer  la  conclusion. Le  seul  point  important  sur  lequel  Vau- 
quelin  soit  en  opposition  avec  le  xvne  siècle,  c'est  l'usage 
du  merveilleux  païen  ;  mais,  sur  ce  point,  Vauquelin, 
comme  on  le  sait,  est  lui-même  en  contradiction  directe 
avec  l'école  de  Ronsard. 

La  doctrine  classique  est  donc  établie  déjà  par  la 
Pléiade,  dont  notre  poète  est,  sauf  quelques  réserves,  le 
fidèle  représentant.  Certes,  la  discipline  du  xvne  siècle 
est  bien  plus  forte,  bien  mieux  assise,  bien  plus  réfléchie; 
mais  les  principes  en  sont  les  mêmes  dans  Vauquelin  et 
dans  Boileau.  Quels  que  soient  ses  écarts  de  goût  et  les 
défauts  de  son  esprit,  Vauquelin  n'est  pas  sans  avoir  re- 
connu lui-même  cet  empire  de  la  raison  que  Boileau 
établira  si  fortement.  Pour  lui  comme  pour  le  poète  du 
xvne  siècle,  la  source  de  la  poésie  est  «  toute  céleste  », 
et  l'inspiration  des  poètes  vient  directement  des  dieux  : 

De  fureur  sainte  épris, 

Ils  sentent  tellement  élever  leurs  espris 

Et  de  Phœbus  si  fort  échauffer  leurs  poitrines...  etc.  (1). 

Mais  il  sait  aussi  quelle  est  la  nécessité  du  goût  et  de 
l'art. 

...Tout  par  art  se  fait,  tout  par  art  se  construit... 
Et  sur  tous  le  Poëte  en  son  dous  exercice 
Mesle  avec  la  nature  un  plaisant  artifice  (2). 

Il  assujettit  le  génie  et  l'inspiration  même  au  joug  de 
la  raison  : 

Rends  au  bon  jugement  sujette  ta  fureur  (3). 

Bien  plus,  dans  une  comparaison  que  nous  avons  déjà 
citée,  c'est  avec  un  jardin  «  aux  sentes  egallees  »,  et  non 

1. 1, 97. 
I   2.  I,  77. 
3. 1,  942. 


—  CXIV  — 

avec  un  paysage  agreste  qu'il  compare  la  poésie  (1)  :  on 
ne  pourrait  pas  demander  davantage  à  un  contemporain 
de  la  Quintinie. 

Nous  l'avouerons  toutefois,  ni  Vauquelin,  ni  les  poètes  ; 
de  son  temps  n'ont  toujours  suivi  ces  conseils  si  sagesj 
qu'il  leur  donna.  Notre  poésie,  même  après  l'Art  poétique  < 
que  nous  venons  d'étudier,  a  besoin  de  trouver,  d'abord  ; 
avec  Malherbe,  ensuite  avec  Boileau,  une  autorité  plus 
ferme  et  mieux  réglée^  Mais,  si  le  xvi*  siècle  manque  \ 
encore  de  sagesse  et  de  sobriété,  il  ne  lui  faut  déjà  plusi 
que  quelques  amendements  pour  devenir  le  siècle  clas- 1 
sique.  Malherbe  et  Boileau  feront  rentrer  les  eaux  du.] 
fleuve  dans  leur  lit  :  ce  lit  restera  toujours  le  même.i 

En  somme,  Ronsard,  comme  le  dit  Balzac  (2),  est  une. 
grande  source;  sans  doute,  nous  la  trouvons  un  peu 
bourbeuse  par  endroits  et  souvent  rocailleuse  ;  mais,  en] 
se  purifiant,  en  s'élargissant,  elle  deviendra  bientôt  ce] 
grand  fleuve  de  poésie  royale  qui  a  trop  souvent  méprisé 
et  ignoré  son  origine.  Boileau  est  l'héritier  de  Vauquelin; 
comme  Racine  l'est  de  Ronsard.  Dans  l'histoire  de  la] 
poésie  française,  il  y  a  jusqu'à  notre  siècle  deux  grandes! 
époques  :  le  moyen  âge,  qui  s'étend  jusqu'à  Ronsard,  lai 
période  classique,  qui  va  de  Ronsard  jusqu'à  Victor] 
Hugo. 

1.  1,21. 

2.  Entretien  xxxn.       ■'   ' 


AV   LECTEUR 


Lectevr,  ce  sont  ici  des  vieilles  et  des  nouuelles 
Poésies  :  Vieilles,  caria  plupart  sont  composées  il  y 
a  longtemps  :  Nouuelles,  car  on  n'escrit  point  à 
cette  heure,  comme  on  escriuoit  quand  elles  furent 
escrites.  Si  elles  ne  sont  telles  qu'elles  deuroient  estre, 
c'est  mon  défaut  :  car  de  mon  temps  on  escriuoit 
assez  bien.  Si  elles  ne  sont  assez  reueûes  et  pollies 
c'est  ma  paresse.  Aussi  que  jamais  ie  ne  m'oubliay 
tant,  que  ie  laissasse  mes  affaires  pour  entendre  à 
mes  vers  :  Et  me  donnant  garde  que  les  Syrenes  des 
Muses  ne  m'abusassent,  ie  me  tenoy  lié  à  ma  profes- 
sion toute  contraire  à  leurs  Chansons,  lesquelles  ie 
n'escoutoy  qu'à  mon  grand  loisir  et  aux  heures  où 
d'autres  s'ebatent  à  des  exercices  moins  honnestes. 

Le  Public  où  i'estois  attaché,  tous  les  troubles  de 
ce  Royaume  auenus  de  mon  âge  et  le  soin  de  mon 
ménage  m'empescherent  de  les  reuoir  et  de  les  faire 
imprimer  alors  que  leur  langage  et  leur  stile  eust 


—   CXYI   — 

«s té,  peut-estre,  receu  comme  celuy  de  beaucoup 
qui  firent  voir  leurs  ouurages  au  mesme  temps. 
Mais  grand  nombre  des  Poésies  de  mon  siècle  et  de 
«eux  à  qui  i'auoy  donné  de  mes  vers  sont  trépassez, 
et  le  Roy  mort,  par  le  commandement  duquel  i'auoy 
paracheué  mon  Art  Poétique  :  et  quant  et  quant  ces 
doux  passetemps  tombez  en  tel  mespris,  que  depuis 
en  n'en  a  tenu  guère  de  conte.  Ce  qui  fera  que  ceux-ci 
venants  hors  de  saison  et  comme  mets  d'entrée  de 
table  à  la  lin  du  disner  (ou  comme  ceux  qui  après 
la  dixiesme  année  vinrent  au  secours  de  Troye),  ne 
seront  si  bien  receus  qu'ils  auroient  esté  du  viuant 
de  mes  contemporains.  C'est  pourquoy  vn  ancien 
disoit  bien  à  propos,  qu'il  estoit  malaisé  de  rendre 
conte  de  sa  vie  deuant  des  hommes  d'vn  autre  siècle 
que  de  celuy  auquel  on  auoit  vescu .  Toutefois  ne  les 
pouuant  changer  ni  r'accoutrer  suiuant  la  façon  des 
habits  de  maintenant,  ie  les  laisse  à  leur  naturel. 
Et  me  souuenant  qu'en  yEtiopie  encor  que  les  plus 
grands  et  les  plus  beaux  fussent  choisis  pour  estre 
-Rois,  que  pourtant  ceux-là  n'estoient  chassez  du 
Royaume,  ni  de  la  Chose  publique  qui  en  la  stature 
et  en  la  proportion  des  membres  auoient  eu  la 
Nature  moin?  fauorable  :  j'espère  ainsi,   que   mes 


—  CXYII  — 

vers  en  leur  premier  accoutrement  pourront  auoir 
juelque  place  entre  les  moindres,  s'ils  ne  peuuent 
ittainclre  à  la  hauteur  des  grands.  Sinon  me  voyant 
aranti  par  la  defence  de  mes  ans  (et  que  la 
osterité  sera  iuge  des  ouurages  d'autruy  et  non 
ceux  qui  viuent),  ie  les  laisser ay  au  rang  des  vani- 
tez  du  monde,  dont  ieme  moqueray  auec  ceux  qui 
s'en  moqueront,  ie  te  prie  Lecteur,  d'en  faire  de 
mesme  :  car  ie  ne  trouue  plus  rien  ici  bas  d'admi- 
rable que  les  œuures  de  Dieu  :  aux  volontez  duquel, 
i'essaye  à  me  ranger  et  à  me  conformer  de  sorte, 
que  quand  il  me  faudra  partir  pour  aller  à  luy,  ie 
m'y  en  aille  volontairement  et  sans  regret. 


7. 


EXTRAICT  DV  PRIVILEGE 

DV   ROY 

Par  Lettres  patentes  du  Roy,  données  à  Paris  le] 
vingt  troisiesme  iour  de  Décembre  mil  six  cents  qua- 
tre, signées  par  le  Roy  en  son  Conseil  Angenoust,  etj 
scellées  du  grand  sceau  en  cire  iaune.  Il  est  permis 
au  Sieur  de  la  Fresnaie  Vauquelin,  défaire  imprimer, 
vendre  et  distribuer  ses  Poésies  Françoises  durant  le 
temps  de  dix  ans,  sans  qu'autres  que  ceux  qu'il  y 
commettra  les  puissent  imprimer,  ou  faire  imprimer, 
vendre  et  distribuer,  sur  peine  de  confiscation  et 
d'amende  arbitraire,  comme  il  est  plus  amplement 
contenu  esdites  Lettres. 

Ledit  Sieur  de  la  Fresnaie  au  Saunage,  Sassi, 
Boessey,les  Yueteaux,les  Aulnez,et  iïArri,  Conseil- 
ler du  Roy, et  Président  au  Bailliage  et  Siège  Presi- 
dial  de  Caen,  a  transporté  ledit  Priuilege  à  Charles 
Macé,pour  en  iouirsuiuant  V intention  de  sa  Maiesté, 
deuant  les  Tabellions  Royaux  à  Caen,  le  vingt  troi- 
siesme de  Iuillet  mil  six  cents  cinq. 


A 


L'ART     • 

POETIQVE 

FRANÇOIS 

ou  l'on   pevt  remarqver  la  perfection  et  le  defavt 

DES     ANCIENNES    ET    DES     MODERNES     POESIES 

AV   ROY 

Par  le  sieur  de  la  Fresnaie  Vavqvelin 


LIVRE    PREMIER 

Sire,  ie  conte  ici  les  beaus  enseignemens 
De  l'art  de  Poésie,  et  quels  commencemens 
Les  Poëmes  ont  eu  ;  quels  auteurs,  quelle  trace 
Il  faut  suiure  qui  veut  grimper  dessus  Parnasse. 

Muses,  s'il  est  permis  d'enseigner  l'Art  des  vers,  5 
Et  montrer  d'Helicon  les  saints  écrins  ouuers, 
Que  chacune  de  vous  me  montre  sa  cachette  : 
Permettez  que  les  huis  de  Cirrhe  ie  crochette. 
Que  ie  monte  en  Parnasse  ouurant  vos  cabinets, 
Que  ie  cueille  les  fleurs  des  féconds  iardinets  io 

De  Pimple  et  de  Permesse  :  et  que  l'eau  de  Pirene 
Ruisselle  dans  mes  vers  sur  la  françoise  arène. 

I.  Sire.  Henri  III. 

5.  sqq.  Cf.  Vida.  Ars  poetic.  1, 1  sqq. 

8.  Cirrhe.  "Ville  de  Phocide,  non  loin  de  Delphes, 

II.  Pimple.  Montagne  de  la  Piérie,  au  pied  de  laquelle  jaillissait 
une  source  consacrée  aux  Muses.  —  Permesse.  Source  de  Béotie 
sortant  de  l'Hélicon.  —  Pirene.  Fontaine  de  Corinthe  consacrée  aux 
Muses. 


Apollon  pren  pour  moy  ton  Luth  harmonieux, 
Etoufe  d'vn  son  doux  le  bruit  calomnieux 
De  ceux  qui  blâmeront  cette  mode  enseignante      15 
Pour  ne  sentir  assez  sa  façon  élégante. 
Et  vous,  ô  mon  grand  Roy  soyez,  le  deffendeur 
De  l'ouurage  duquel  vous  estes  commandeur. 

Gomme  Dieu  grand  ouurier,flst  de  rien  toute  chose, 
Son  œuure  aussi  de  peu  le  Poëte  compose  :  20 

Mais  quand  vn  homme  va  pour  vn  plaisant  soûlas, 
Dans  quelque  beau  iardin,  dressé  par  entrelas 
D'aires,  de  pourmenoirs  et  de  longues  allées, 
Partis  diuersement  en  sentes  egallees; 
S'il  marche  dédaigneux  par  dessus  les  plançons      25 
Des  aires,  compartis  en  diuerses  façons, 
Et  qu'il  rompe  en  passant  les  bordures  tondues, 
Et  d'vn  gentil  dedal  les  hayettes  fendues, 
Au  lieu  d'aller  ioyeux  par  les  petits  sentiers, 
Diuisant  le  parterre  en  ses  diuers  quartiers,  30 

Le  iardinier  fasché  de  voir  les  pieds  superbes 
De  ce  hautain  gaster  son  iardin  et  ses  herbes,, 
De  mots  iniurieux  à  luy  s'adressera, 
Et  hors  de  son  iardin,  dépit  le  chassera. 

Ainsi  quand  le  grand  Dieu  iardinier  de  la  terre  35 
Nous  void  marcher  hautains  au  inonde  son  parterre, 

17-18.  Cf.  III,  1145  sqq.  De  même  Préface,  p.  cxvi,  ligne  1. 

21.  Mais.  Le  poète  compose  son  œuvre  de  peu  ;  mais,  pour  ce 
peu  même,  il  faut  de  l'art.  Cf.  les  vers  55, 56,  qu'annoncent  les. com- 
paraisons précédentes. 

21  sqq.  Vauquelin  compare  la  poésie  à  un.  jardin  symétrique- 
ment dressé  :  on  ne  saurait  être  plus  classique. 


—  3  — 

Hors  de  ses  chemins  droits,  les  espaliers  brisant.. 
Les  berceaus  et  les  fleurs  de  son  iardin  plaisant, 
Il  nous  chasse  dehors  :  il  luy  déplaist  que  l'homme 
Retenté  de  nouueau  regouste  de  la  pomme  :  40 

Sa  loy,  ses  mandemens,  sentiers  de  la  cité, 
Sont  chemins  ou  l'on  peut  marcher  en  seureté. 

SIRE  pareillement  si  quelcun  plein  d'audace, 
Malin,  outrecuidé,  vos  Edicts  outrepasse, 
De  vos  grands  Parlemens  le  seuere  pouuoir  45 

Le  fait  bien  tost  ranger  à  son  humble  deuoir. 
Yostre  image  parlant  en  vos  licts  de  iustice, 
Fait  de  vostre  Royaume  obseruer  la  police, 
Et  votre  bras  vangeur  poursuit  de  toutes  pars 
Ceux  qui  vous  irritant  veulent  irriter  Mars.  50 

Les  Edicts  de  nos  Roys,  vos  iustes  ordonnances, 
Doiuent  à  vos  suiets  seruir  de  souuenances 
Du  trac,  dont  on  ne  doit  iamais  se  détraquer, 
Qui  ne  veut  le  couroux  du  prince  prouoquer. 

De  mesme  en  tous  les  arts  formez  sur  la  Nature,  55 
Sans  art  il  ne  faut  point  marcher  à  l'auenture  : 
Autrement  Apollon  ne  guidant  point  nos  pas, 
Monter  au  double  mont  ne  nous  souffriroit  pas  ; 
Les  chemins  sont  tracez,  qui  veut  par  autre  voye 
Regaigner  les  deuants,  bien  souuent  se  fouruoye  :  60 
:Car  nos  sçauans  maieurs  nous  ont  desia  tracé 
Yn  sentier  qui  de  nous  ne  doit  estre  laissé. 

61.  Nos  maieurs.  Les  ancêtres  des  réformateurs  poétiques  sout 
les  anciens. 


Pour  ce  ensuiuant  les  pas  du  fils  de  Nicomache, 
Du  harpeur  de  Calabre,et  tout  ce  que  remâche 
Vide,  et  Minturne  après,  i'ay  cet  œuure  apresté,    65 
Sire,  l'accommodant  au  langage  vsité 
De  vostre  france,  afin  que  la  françoise  Muse 
Sans  Art  à  l'auenir  ne  demeure  confuse. 
Mais  qui  selon  cet  Art  du  tout  se  formera 
Hardiment  peut  oser  tout  ce  qui  luy  plaira  70 

Escriuant  en  françois  ;  ainsi  vostre  langage 
Par  ces  vers  ne  reçoit  vn  léger  auantage 
Yeu  qu'il  se  trouue  plus  de  comments  mille  fois 
Au  latin,  que  de  vers  en  l'art  du  Galabrois  : 
Et  puis  ce  n'est  pas  peu  de  ioindre  à  vos  domaines,  75 
Sans  dépence  ou  hasard,  les  dépouilles  Romaines. 
Mais  tout  par  art  se  fait,  tout  par  art  se  construit, 
Par  art  guide  les  Naux  le  Nautonnier  instruit, 
Et  sur  tous  le  Poëte  en  son  dous  exercice 
Mesle  avec  la  nature  vn  plaisant  artifice  ;  80 

Tesmoin  en  est  cet  Art,  qui  par  les  vers  conté, 
A  tous  les  autres  arts  aisément  surmonté. 

Gomme  on  void  que  les  voix  fortement  entonnées 

63.  Du  fils  de  Nicomache.  Aristote. 

64.  Du  harpeur  de  Calabre.  Horace. 

65.  Vide  et  Minturne.  Voir  la  Notice.  IIe  partie,  chap.  Ier. 
67.  france  (sic). 

67-68.  Cf.  m,  1151  sqq. 

77.  Mais  est  ici  une  simple  formule  de  transition.  —  Cf.  Ovide  : 

Arte  cita?  veloque  rates  remoque  moventur, 

Arte  levés  currus.  {Art  d'aimer,  I,  34.) 

83  sqq. Cf.  Sénèque  :«  Nam,ut  dicebat  Cleanthes,  quemadmodum 

spiritus  noster  clariorem  sonum  reddit  cum  illum  tuba,  per   longi 

canalis  angustias  tractum,  potentiorem  novissimo  exitu  effudit,  sic 


—  5  — 

Dans  le  cuyure  étrecy  des  trompettes  sonnées, 
Iettent  vn  son  plus  clair,  plus  haut,  plus  souuerain,  85 
Pour  estre  l'air  contraint  dans  les  canaux  d'erain  : 
Ainsi  les  beaus  desseins  plus  clairs  on  fait- entendre, 
De  les  soumettre  aux  loix  qu'en  prose  les  étendre. 
Premier  cette  raison,  fist  asseruir  les  voix, 
Soubs  l'air  de  la  syllabe  à  conter  par  ses  doigs.       90 

L'inuention  des  vers  estre  des  cieux  venue, 
Est  vne  opinion  des  plus  sçauans  tenue, 
Et  le  fils  de  Latone  ils  y  font  présider 
Et  les  vierges  qu'on  fait  en  Pinde  résider, 
Pour  monstrer  que  la  source  en  est  toute  céleste  ;  95- 

sensus   nostros  clariores  carmiais  arta  nécessitas  efficit.  »  (Let- 
tre 108). 


Lafaye: 


Boileau  : 


De  la  contrainte  rigoureuse 
Où    l'esprit  semble   resserré, 
Il  reçoit  cette  force  heureuse 
Qui  l'élève  au  plus  haut  degré. 
Telle,  dans  les  canaux  pressée, 
Avec  plus  de  force  élancée, 
L'onde  s'élève  dans  les  airs; 
Et  la  règle  qui  semble  austère 
N'est  qu'un  art  plus  certain  de  plaire 
Inséparable  des  beaux  vers. 

(Epitre  sur  les  avantages  de  la  rime.) 


Au  joug  de  la  raison  sans  peine  elle  fléchit, 
Et,  loin  de  la  gêner,  la  sert  et  l'enrichit. 

(Art  poétique.  I,  33,34.) 
88.  Qu'en  prose   les  étendre.  D'après  Vauquelin,  les  nécessités 
de  la  versification  tendent  à  resserrer  la  pensée.  Ce  n'est  pas  tou- 
jours vrai,  et  son  Art  poétique,  dont  le  style   est  si  souvent  lâche 
et   prolixe,  nous  en  fournit  la  meilleure  preuve. 

90.  Pour  comprendre   ce  vers,  il  faut  se  reporter  à  la  compa- 
raison qui  précède.  Cf.  notamment  le  vers  86. 


—  6  — 

Ce  qu'vn  rauissemenl  à  plusieurs  manifeste  ; 

Car  estants  idiots  de  fureur  sainte  épris, 

Ils  sentent  tellement  éleuer  leurs  espris, 

Et  de  Phœbus  si  fort  échauffer  leurs  poitrines 

Que»  comme  s'ils  auoient  apris  toutes  doctrines,  100 

Ils  chantent  mille  vers  qu'on  pourroit  égaller 

A  ceux  qui  font  la  Muse  en  Homère  parler  : 

Puis  quand  cet  éguillon  plus  ne  les  epoinçonne, 

Ils  remâchent  leurs  vers,  leur  Muse  plus  ne  sonne  : 

Et  demeurants  muets  ils  sontémerueillez  105 

Quel  Ange  auoit  ainsi  tous  leurs  sens  reueillez, 

Quel  Bacchus  leur  auoit  l'ame  tant  éleuee, 

Et  du  Nectar  des  dieux  tellement  abreuuee, 

Que  sans  corps  ils  estoient  en  tel  rauissement 

Tirez  iusques  au  Ciel,  ou  le  saint  souflement  110 

De  la  bouche  de  Dieu  leur  halenoit  en  l'ame 

Vne  fureur  diuine,  vn  rayon,  vne  flame, 

96  sqq.  Cf.  Du  Bartas: 

Les  vrais  poètes  sont  tels  que  la  cornemuse 
Qui  pleine  de  vent  sonne  et  vuide  perd  le  son  : 
Car  leur  fureur  durant  dure  aussi  leur  chanson 
Et  si  la  fureur  cesse  aussi  cesse  leur  muse. 

(Uranie.) 
Ronsard  exprime  les  mêmes  idées  dans  son  Abrégé  d'art  poétique 
et  dans  son  Épitre  à  Grévin^  C'est  la  doctrine  platonicienne  (Ion  et 
Phèdre).  Boileau  parle  aussi  d'une   influence  céleste,  mais  il  n'y 
a  plus  chez  lui  qu'une  figure  banale. 
102.  Cf.  Boileau: 

Jadis  avec  Homère,  aux  rives  du  Permesse, 
Dans  ce  bois  de  lauriers  où  seul  il  me  suivait, 
Je  les  fis  toutes  deux  :  plein  d'une  douce  ivresse, 
Je  chantais  ;  Homère  écrivait. 

(Epigr.  sur  Homère.) 
106.  Quel  ange.  Cet  ange  est  d'un  singulier  effet  dans  un  cou- 
plet tout  mythologique  où  interviennent  Bacchus  et  Apollon.  - 


Qui  sans  art,  sans  sçauoir.  les  faisoit  tant  oser, 
Qu'en  tous  arts  ils  vouloient  et  sçauoient  composer  ; 
Gela  fist  que  l'on  vid  maints  doctes  recognoistre,  115 
Les  Orateurs  se  faire,  et  les  Poètes  naistre. 
Et  truchemens  des  dieux  beaucoup  les  appeloient, 
Groy  ans  que  parleur  bouche  aux  humains  ils  parloient. 
On  void  aussi  que  l'homme  ayant  dés  la  naissance 
Le  Nombre,  l'Armonie  et  la  Contrefaisance,  120 

Trois  points  que  le  Poëte  obserue  en  tous  ses  vers 
Que  de  la  sont  venus  tous  les  genres  diuers 
Qu'on  a  de  Poésie  :  à  raison  que  naissante 
Premier  cette  Nature  en  tous  contrefaisante, 
Fist  que  celuy  qui  fut  enclin  pour  imiter,  125 

S'enhardit  peu  à  peu  de  nous  représenter 
Tous  les  gestes  d'autruy,  chanter  à  l'auenture 
Rapportant  à  la  voix  l'accort  et  la  mesure  : 
Depuis  il  s'ensuiuit  qu'en  beaucoup  de  façons 
Elle  fut  diuisee  en  l'esprit  des  garçons,  130 

Selon  que  de  leurs  meurs  la  couslume  diuerse 
A  faire  les  poussoit  des  vers  à  la  trauerse. 
Delà  vint  qu'on  voyoit  les  sages  généreux 

116.  Cf.  Quintilicn  :  «  Naseuntur  poetae,  fiunt  oratores.  »  —  «  Le 
poëte  naist,  l'orateur  se  faict.  »  (Adages  françois  de  Jean  le  Bon,  1570.) 

119.  Cf.  Aristote.  Poétique,  IV,  1,  2. 

122.  Que  de  là.  Cette  répétition  du  que  ÇV.  notre  étude  sur  la 
syntaxe  de  Vauquelin,  où  l'on  en  trouvera  d  autres  exemples),  est 
fréquente  chez  les  écrivains  du  xvie  siècle;  elle  se  justifie  ici 
par  la  parenthèse  qui  précèdent  équivaut  à  on  voit,  dis-je,  que. 

130.  Elle.  C'est-à-dire  cette  Nature  ainsi  contrefaisante, cet  ins- 
tinct naturel  d'imitation. 

133.  Delà  (sic). 


Les  gestes  imiter  des  hommes  valeureux  : 
Les  prudens  contrefaire  vne  vieille  prudence,       135. 
Et  mettre  d'vn  Nestor  l'esprit  en  euidence, 
En  imitant  leurs  meurs,  leurs  belles  actions, 
Comme  elles  ressembloient  à  leurs  intentions  : 
Les  autres  plus  légers  les  actions  légères 
Imitoient  des  mauuais  :  et  comme  harengeres       140 
Touchoient  l'honneur  de  tous  vsant  de  motspicquants, 
Au  contraire  de  ceux  qui  les  dieux  inuoquants, 
Faisoient  à  leur  honneur  des  Hymmes  vénérables, 
Ou  celebroient  des  bons  les  bontez  fauorables  : 
De  Nature  ils  estoient  poussez  à  cet  effet:  145 

Nul  ne  perisoit  à  l'Art  qui  depuis  s'en  est  fait: 
Mais  l'vsage  flst  l'Art;  FArt  par  apprentissage 
Renouuelle,  embellit,  règle  et  maintient  l'vsage  : 
Et  ce  bel  Art  nous  sert  d'escalier  pour  monter 
A  Dieu,  quand  du  nectar  nous  desirons  gouster.  150 
Le  Nombre  et  la  Musique  en  leur  douce  Harmonie, 
Sont  quasi  comme  l'ame  en  la  sainte  manie 
De  tout  genre  de  vers,  de  qui  faut  emprunter 

137.  Leurs    se    rapporte  à  la    fois  à  hommes    valeureux  et   à 
Nestor.   Mœurs  est   mis   pour   celui-ci,    belles   actions  pour   les 
autres. 
147.  Cf.  Maniiius  : 

Per  variosusus  artem  experientia  fecit.  1,59. 
149-150.  Comparaison  bizarre,   mais   comme    on  en  trouve  un 
grand  nombre  chez  les  poètes   du  xvie  siècle.  Dans  Du   Bartas, 
l'univers  est 

Une  vis  à  repos  qui  par  certains  degrez 
Fait  monter  nos  esprits  sur  les  planchers  sacrez 
Du  ciel  porte  brandons.  (I™  Sem.,  I.) 

153.  De  qui  se  rapporte  à  Nombre  et  Musique.  Le  Nombre  et 
la  Musique  sont  comme  l'âme  des  vers,  et  c'est  d'eux  qu'il  faut,etc. 


Le  sucre  et  la  douceur  pour  les  faire  gouster. 

Bien  que  la  vigne  soit  aussi  belle  aussi  viue       155- 
Qu'aucun  autre  arbrisseau  qu'un  laboureur  cultiue, 
Il  la  faut  toutesfbis  appuyer  d'échalas, 
Ou  quelque  arbre  à  plaisir  luy  bailler  pour  soûlas  : 
Ainsi  des  autres  Arts  il  faudra  qu'on  appuyé 
La  Poésie,  afin  qu'elle  en  bas  ne  s'ennuye  :         160 
Le  Lierre  en  la  sorte  en  forme  de  serpent, 
Sans  son  grand  artifice  en  bas  iroit  rampant  : 
Aux  arbres  il  s'attache,  industrieux  il  grimpe 
Par  son  trauail,  plus  haut  que  le  coupeau  d'Olimpe: 
Il  grauit  contremont  sur  les  antiques  murs  165 

Il  s'éleue  collé  dessus  les  chesnes  durs, 
Et  sa  force  si  bien  haussant  il  etançonne, 
Que  plus  ferme  est  son  pied  qu'vne  ferme  coulonne, 
De  mesme  la  Nature  aux  Arts  a  son  recours, 
Pour  auoir  vn  soustien,  pour  auoir  vn  secours,      no 
Qui  ferme  rend  sa  peine  en  plaisir  égayée 
De  se  voir  par  les  fleurs  de  science  étayee  : 
C'est  pourquoy  quand  on  fait  par  vn  prix  droicturier, 
La  couronne  aux  sçauans  de  verdoyant  laurier,, 
(Signe  que  la  verdeur  d'immortelle  durée  175 

Aura  contre  le  temps  vne  force  asseuree) 
On  y  met  du  lierre  ensemble  entrelassé, 
Pour  montrer  que  sans  l'Art  l'esprit  est  tost  lassé  : 
Ainsi  representoit  l'Egiptienne  écolle 
Le  Poëte  parfait,  par  ce  gentil  symbolle.  180 

179-180.  11  s'agit  des  hiéroglyphes. 


—  10  — 

Comme  vn  autre  disoit,  que  de  laict  doucereux, 
Pour  montrer  la  Nature, et  de  miel  sauoureux, 
Pour  marquer  l'artifice,  on  debueroit  repaistre, 
Celuy  qui  veut  aux  vers  se  faire  appeler  maistre. 
Personne  ne  pouuant  sans  leur  conionction  135 

Iamais  toucher  au  but  de  la  perfection. 
C'est  vn  Art  d'imiter,  Vn  Art  de  contrefaire 
Que  toute  Poésie,  ainsi  que  de  pourtraire, 
Et  l'imitation  est  naturelle  en  nous  : 
Vn  autre  contrefaire  il  est  facile  à  tous  ;  190 

Et  nous  plaist  en  peinture  vne  chose  hideuse, 
Qui  seroit  à  la  voir  en  essence  fâcheuse. 

Comme  il  fait  plus  beau  voir  vn  singe  bien  pourtrait: 
Vn  dragon  écaillé  proprement  contrefait, 
Vn  visage  hideux  de  quelque  laid  Thersite,  195 

Que  le  vray  naturel  qu'vn  sçauant  peintre  imite  : 
Il  est  aussi  plus  beau  voir  d'vn  pinceau  parlant 
Dépeinte  dans  les  vers  la  fureur  de  Roland, 
Et  l'amour  forcené  de  la  pauure  Glimene, 
Que  de  voir  tout  au  vray  la  rage  qui  les  mené.       200 

Tant  s'en  faut  que  le  beau,  contrefait,  ne  soit  beau, 

187.  Un  s'écrit  avec  une  majuscule  clans  la  texte  de  1605. 
193  sqq.   Cf.  Boileau.  Art.  poét.  III,  1-8. 

198.  La  fureur  de  Roland-  Le  titre  du  poëme  eslRoland  furieux. 

199.  Climène,  fille  de  Dicée,  chez  lequel  Francus  avait  reçu  l'hos- 
pitalité, s'éprend  pour  le  jeune  héros  d'un  amour  forcené,  auquel 
il  ne  répond  pas  :  la  nouvelle  Didon  se  précipite  dans  la  mer. 
Cf.  Franciade,  ch.  m. 

201  sq.  Cf.  Pascal  :  «  Quelle  vanité  que  la  peinture  qui  attire 
l'admiration  par  la  ressemblance  des  choses  dont  on  n'admire 
pas  les  originaux.  »(Ed.  Havet,  vu,  31.) 


—  11  — 

Que  du  laid  n'est  point  laid,vn  imité  tableau  : 

Car  tant  de  grâce  auient  par  cette  vray-semblance, 

Que  surtout  agréable  est  la  contrefaisance. 

Donc  s'vn  peintre  auoit  peint  vn  beau  visage  hu- 

[main,  205 
Y  ioignant  puis  après  d  vn  trait  de  mesme  main, 
Vn  haut  col  de  cheual  dont  l'estrange  ligure 
D'vn  plumage  diuers  bigarrast  la  nature, 
Et  qu'ores  d'vne  beste,  et  qu'ores  d'un  oyseau 
Il  aôUoutast  vn  membre  à  ce  monstre  nouueau,    21a 
Ses  membres  assemblant  d'vne  telle  ordonnance, 
Que  le  bas  d'vn  poisson  eust  du  tout  la  semblance, 
Et  le  haut  d'vne  femme,  ainsi  qu'on  dit  qu'estoient 
Celles  qui  de  leurs  voix  les  nochers  arrestoient  : 
Sire,  venant  à  voir  ce  monstre  de  Sirène,  215 

De  rire  que  ie  croy  vous  vous  tiendriez  à  peine. 

Croyez  ô  mon  grand  Roy  qu'en  ce  tableau  diuers, 
Semblable  vous  verrez  vn  beau  liure  en  ces  vers, 
Auquel  feintes  seront  diuerses  Poésies, 
Comme  au  chef  d'vn  fleureux  sont  mille  fantasies  :  220 
De  sorte  que  le  bas  ni  le  sommet  aussi 
Ne  se  rapporte  point  à  mesme  sorte  icy  : 

205  sqq.  Cf.  Horace,  Ep.  aux  Pisons.  1-9.  Vauquelin,  qui  em- 
prunte ce  passage  au  poëte  latin,  le  prend  dans  un  tout  autre  sens. 
Cf.  notamment  le  vers  218  qui  est  d'ailleurs  en  contradiction  avec 
les  vers  215  et  216 . 

220.  Cf.  Ronsard  :  «  ...  Je  n'entends  toutefois  ces  inventions  fan- 
tastiques et  mélancoliques  qui  ne  se  rapportent  non  plus  l'une  à 
l'autre  que  les  songes^ntrecouppez  d'un  frénétique  ou  de  quelque  pa- 
tient extesmement  tourmenté  delà  fièvre.» (Abrégé  d'Art  poétique.) 


—  12  — 

Toutesfois  tout  le  corps  des  figures  dépeintes 
Donnent  vn  grand  plaisir  ainsi  quelles  sont  feintes  : 
Ce  sont  des  vers  muets  que  les  tableaux  de  prix,    225 
Ce  sont  tableaux  parlants  que  les  vers  bien  écris. 

Le  Peintre  et  lePoëte  ont  gaignéla  puissance 
D'oser  ce  qu'il  leur  plaist,  sans  faire  à  l'Art  nuisance: 
Au  moins  nous  receuons  cette  excuse  en  payment, 
Et  la  mesme  donnons  aux  autres  mesmement.      230 
Mais  non  pas  toutesfois  que  les  choses  terribles, 
Se  ioignent  sans  propos  auecques  les  paisibles  : 
Comme  de  voir  couplez  les  serpens  aux  oyseaux, 
Aux  tigres  furieux  les  dous  bellants  agneaux. 
Tout  ce  doit  rapporter  par  quelque  apartenance  ;  235 
Tant  qu'vn  fait  ioint  à  l'autre  ait  de  la  conuenance. 
Comme  en  Crotesque  on  voit  par  entremeslemens 
De  bestes  et  d'oyseaux  diuers  accouplemens. 

Bien  souuent  bastissant  d'vn  hautain  artifice 
Quelque  ouurage  superbe,  on  met  au  frontispice  240 
Et  de  pourpre  et  d'azur  maint  braue  parement, 
Pour  enrichir  le  front  d'vn  tel  commencement. 
Tout  de  mesme  on  descrit  la  forest  honorée, 

224.  Quelles  (sic). 

226.  Cf.  Plutarque  :  «Nousluy  figurerons  et  dcscrirons  que  c'est 
de  la  poésie  en  luy  faisant  entendre  que  c'est  un  art  d'imiter  et 
une  science  repondante  à  la  peinture,  et  lui  alléguant  ce  commun 
dire  que  la  poësie  est  peinture  parlante.  »  (Œuvr.  mor.,  trad. 
d'Amyot). — L'Art  poétique  de  Vauquelin  peut  souvent  nous  suggé- 
rer cette  observation,  qu'au  xvie  siècle,  comme  au  xixe,  la  poésie 
fraternise  avec  tous  les  autres  arts. 

227  sqq.  Cf.  Horace.  Ep.  aux  Pisons.  9-24. 

235.  Ce  (sic). 

243.  Forest  honorée.  C'est  la   traduction  de  lucus,  bois  sacré. 


—  13  — 

Et  l'autel  ou  iadis  fut  Diane  adorée, 

Ou  le  bel  arc  en  ciel  bigarré  de  couleurs  245 

Ou  le  pré  s'émaillant  de  différentes  fleurs  : 

Ou  le  Rhin  Germanique,  ou  la  Françoise  Seine, 

Qui  par  tant  debeaus  champs  en  serpent  se  pourmeine, 

Puis  embrasse  en  passant  de  ses  bras  tortueux 

Paris  le  beau  seiour  des  libres  vertueux.  250 

Mais  de  ne  mettre  point  chose  qui  ne  conuienne 

Au  sujet  entrepris  tousiours  il  te  souuienne  : 

Et  ne  fay  pas  ainsi  que  ce  peintre  ignorant, 

Qui  peindre  ne  sçauoit  qu'vn  Giprez  odorant  : 

Et  désirant  de  luy  tirer  quelque  peinture,  255 

Tousiours  de  ce  Giprez  il  bailloit  la  ligure. 

A  quel  propos  cela  ?  quand  pour  argent  donné 

Veut  estre  peint  celuy,  qui  sur  mer  fortuné 

Le  nauffrage  a  souffert  ?   te  chargeant  de  pourtraire 

Vn  Satire  cornu,  ne  fay  rien  au  contraire.  260 

Parquoy  doncques  au  lieu  d'un  Satire  paillard, 

Nous  viens  tu  figurer  Silène  le  vieillard. 

Si  tu  fais  vn  Sonnet  ou  si  tu  fais  vne  Ode, 
Il  faut  qu'vn  mesme  fil  au  suiet  s'accommode  : 
Etplain  de  iugement  vn  tel  ordre  tenir,  265 

Que  hautain  commençant  haut  tu  puisses  finir. 

Pour  dire  en  bref  il  faut  qu'à  toy  mesme  semblable, 
Ton  vers  soit  tousiours  mesme  en  soymesme  agréable, 

258.  Fortuné,  parce  que,  s'il  a  souffert  le  naufrage,  il  a  eu  la 
chance  d'en  réchapper. 

263.  Sonnet,  Ode,  sont  mis  ici  pour  n'importe  quel  genre  poé- 
tique. 


—  14  — 

Si  bien  que  ton  Poëme  égal  et  pareil  soit. 
Soubs  l'espèce  du  bien  souuent  on  se  déçoit  :        270 
Qui  fait  que  la  pluspart  des  Poëtes  s'abuse. 
Car  l'vn  pour  estre  bref  importunant  la  Muse, 
Trop  obscur  il  deuient  :  à  l'autre  le  cœur  faut 
Suiuant  vn  suietbas  :  trop  s'enflant  s'il  est  haut  : 
Qui  trop  veut  estre  seur,  et  qui  trop  craint  l'orage.  275 
Il  demeure  rampant  à  terre  sans  courage. 

Qui  veut  d'vn  autre  part,  prodigue  de  ses  vers 
Vn  mesme  fait  changer  par  vn  parler  diuers, 
Il  conduit  aux  l'orests  les  Dauphins  hors  des  ondes, 
Les  Sangliers  hors  des  bois  dedans  les  eaux  pro- 
fondes, 280 
Et  les  Cerfs  il  veut  faire  en  hardes  abbander, 
Pour  aller  hors  la  terre  en  la  mer  viander  : 
Au  vice  nous  conduit  la  faute  qu'on  éuite, 
Si  par  Art  elle  n'est  du  jugement  conduite. 

A  Paris,  Renaudin  Imager  diligent  285 

Sçait  bien  représenter  en  bronze  et  en  argent 
Les  ongles  et  la  main  :  et  de  douce  entailleure 
Imiter,  gentiment  le  crêpe  cheueleure: 
Mais  le  chetif  ne  peut  dvne  dernière  main 

270.  Cf.  Hor.  Ep.  aux  P.,  24-37.  Boiloau.  Art.  poét.  I,  64-68. 

274.   Construction  irrégulière,  les  deux  participes   n'étant   pas 
coordonnés. 

277.  D'un  autre  part.  Faute  d'impression,  part    n'ayant  jamais 
été  du  masculin.  Cf.  310. 

284.    Elle  ne  peut  représenter  que  la  faute,  ce  qui  ne  donne 
point  une  signification  satisfaisante.  Cf.  le  vers  d'Horace  : 
In  vitium  ducit  culpae  fuga,  si  caret  arte. 


—  15  — 

Parfaire  son  ouurage  :  Ainsi  ie  fais  en  vain  290 

Mille  vers,  quand  ie  veux  composer  vn  Poëme, 
Qu'imparfait,  ie  ne  puis  paracheuer  de  mesme 
Que  ie  l'ay  commencé  :  comme  si  mal  en  point 
I'auois  la  chausse  neufue  et  quelque  vieux  pourpoint. 

0  vous  qui  composez,que  prudens  on  s'efforce   295 
De  prendre  vn  argument  qui  soit  de  vostre  force  : 
Pensez  long  temps  au  fais  que  vous  pourrez  porter  : 
Car  s'il  est  trop  pesant  il  s'en  faut  déporter. 
Qui  sçait  bien  vn  suiet  selon  sa  force  élire, 
Point  ne  luy  manquera  l'ordre  ni  le  bien  dire.        300 

La  grâce  et  la  beauté  de  cet  ordre  sera, 
Si  ie  ne  me  deçoy,  quand  bien  on  dressera 
Ce  qui  dire  se  doit,  et  non  se  dire  à  l'heure, 
Reseruant  plusieurs  points  en  leur  saison  meilleure 
Et    quand  bien  à  propos  on  sçaura  prendre  vn 

[point,  305 
Et  quand  hors  de  propos  on  ne  le  prendra  point. 

Sur  tout  bien  inuenter,  bien  disposer,  bien  dire, 
Fait  Fouurage  des  vers  comme  vn  Soleil  reluire, 

290  sqq.  Horace  ajoute  : 

Hune  ego  me,  si  quid  componere  curem, 

Non  magis  esse  velim  quam  naso  vivere  pravo, 
Spectandum  nigris  oculis  nigroque  capillo. 
Vauquelin  n'ose  pas  ici  traduire  son  modèle  :  il  avoue  de  fort 
bonne  grâce  sa  ressemblance  avec  Yimager  Renaudin. 

295   sqq.  Cf.   Hor.  Ep.  aux    Pis.,  38-45.  Boileau.  Art.poét.  I, 
11, 12. 

303.  A  l'heure  exprimé  dans  le  second  terme  est  sous-entendu 
dans  le  premier.  —  Cf.  à  Vinstant. 

307.  On  reconnaît  dans  ce  vers  la  division  des  anciennes  Rhéto- 
riques en  trois  parties  :  Invention,  disposition,  élocution. 

8 


—  16  — 

Comme  sur  tous  louable  est  l'édifice,  ou  l'art 
fait  priser  la  matière,  auquel    d'vne  autre  part  310 
La  matière  fait  l'art  estimer  dauantage  : 
Tout  ainsi  le  Poëme  a  l'honneur  en  partage, 
Quand  vn  digne  suiet  fait  les  vers  estimer, 
Et  quand  les  vers  bien  faits  font  le  suiet  aimer. 
Si  quplques  mots  nouueaux  tu  veux  mettre  en 

[vsage,  315 
Montre  toy  chiche  et  caut  à  leur  donner  passage  : 
Ce  que  bien  tu  feras  les  ioignant  finement 
Auec  ceux  dont  la  france  vse  communément. 
Si  mesme  le  premier  il  te  faut  d'aventure, 
Découurir  en  françois  des  secrets  de  nature  320 

Nonencor  exprimez,  lors  prudent  et  rusé, 
Tu  peux  feindre  des  mots  dont  on  n'a  point  vsé  : 
Et  puis  les  mots  nouueaux  quelesnostres  inuentent, 
Qui  de  l'Italien  la  langue  représentent, 
Ou  qui  sont  du  Latin  quelque  peu  détournez,  325 
Ou  qui  sont  du  milieu  delà  Grèce  amenez, 
Seront  receus,  pcurueu  qu'auec  propre  matière 

310.  Le  vers  commence  par  une  minuscule. 
315  sqq.  Cf.  Hor.  Ep.  aux  P.,  46-53. 
318.  france  (sic)., 
321.  Prudent  et  rusé.  C'est-à-dire:  pourvu  que  tu  le  fasses  avec 
prudence  et  adresse. 

324.  Voici  quelques-uns  de  ces  mots  :  Alerte,  balcon,  bouffon, 
cadence,  courtisan,  fantassin,  faquin,  fresque,  spadassin,  etc.  Ce 
sont  en  général  des  termes  de  guerre,  de  cour,  de  plaisir  ou  d'art. 

325.  Citons,  dans  l'Art  poétique  de  Vauquelin  :  Contemner, 
carme,  cautele,  event,  élection  (choix),  etc.  V.  le  Glossaire. 

326.  "Vauquelin,  dans  son  Art  poétique,  emploie  par  exemple  les 
mots:  Chore,  epicede,  Charités,  etc. 


—  17  — 

La  France  rarement  en  soit  faite  héritière  : 
Et  tous  les  mots  qui  sont  proprement  françoisez, 
Et  tous  ceux  qui  ne  sont  du  françois  déguisez,  33(> 
Et  les  vieux  composez  desquels  tousiours  en  france 
OnYSoit  à  légal  de  la  Grecque  éloquence. 

Mais  seroit  ce  raison  qu'à  Thiard  fust  permis, 
Gomme  à  Sceue  d'auoir  tant  de  mots  nouueaux  mis 

328.  On  voit  que  Vauquelin  recomuiande'la  réserve  et  la  discré- 
tion ;  il  ne  faudra  pas  l'accuser  de  se  contredire  quand  il  s'élèvera, 
dans  un  autre  chant,  contre  les  poètes  qui  veulent  prendre  le  latin 
à  la  barbe.  (III,  640.) 

331.  En  france  (sic). 

331-332.  Le  français,  en  effet,  a  toujours  formé  des  mots  com- 
posés ;  l'innovation  de  Ronsard  consista  à  employer  ces  composés , 
non  plus  comme  substantifs,  mais  en  qualité  d'épithètes.  —  Pour 
tout  le  développement  qui  précède,  Cf.  notre  Notice,  notamment 
au  chap.  iv.  de  la  IIe  Partie.  —  Légal  (sic)  pour  l'égal. 

333,  sqq.  Cf.  Ilor.  Ep.  aux  P.,  53-58.  —  Pontus  de  Thiard  (1521- 
1603)  fit  paraître  en  1549,  avant  la  Défense  de  du  Bellay,  un  recueil 
de  poésies  intitulé  Erreurs  amoureuses,  dans  lequel  il  se  plaint 
des  rigueurs  que  lui  fait  endurer  sa  maîtresse  platonique,  Pasithée. 
Ce  recueil  renferme  138  sonnets  et  24  autres  petites  pièces.  L'ins- 
piration en  est  élevée  ;  mais,  si  l'on  y  rencontre  des  vers  remar- 
quables par  la  noblesse  et  la  vivacité  de  l'accent,  la  plupart  sont 
guindés,  froids  et  précieux.  Pontus  fut  un  des  poètes  qui  prépa- 
rèrent les  voies  à  Ronsard  ;  il  se  rallia  bientôt  aux  novateurs,  et 
on  le  compte  généralement  entre  les  sept  de  la  Pléiade.  Vauquelin 
lui  a  adressé  une  satire  (liv.V). 

334.  Maurice  Scève,  Lyonnais,  se  rattache  par  sa  jeunesse  à 
Jean  le  Maire  de  Belges,  et  par  ses  dernières  années  à  l'école  do 
Ronsard.  La  renaissance  de  la  poésie  avait  été  inaugurée  à  Lyon 
longtemps  avant  le  manifeste  de  du  Bellay  grâce  aux  rapports  in- 
cessants de  cette  ville  avec  l'Italie  et  à  la  présence  de  nombreux 
réfugiés  florentins  qui  étaient  venus  y  chercher  un  asile  :  Scève  fut 
à  la  tête  de  ce  mouvement  poétique.  Ses  premières  pièces  dignes 
d'être  citées  sontdeux  églogues,  Arion  et  la  Saulsaye.  La  première 
a  pour  sujet  la  mort  du  Dauphin,  fils  de  François  Ier  ;  ellerenferme 
quelques  vers  heureux,  mais  le  cadre  seul  en  est  pastoral.  La  se- 
conde est  un  éloge  de  la  vie  rustique  mis  dans  la  bouche  du  berger 
Philerme  que  son  ami  Antire  essaye  vainement  d'arracher  à  la  so- 


—  16  — 

Comme  sur  tous  louable  est  l'édifice,  ou  l'art 
fait  priser  la  matière,  auquel    d'vne  autre  part  310 
La  matière  fait  l'art  estimer  dauantage  : 
Tout  ainsi  le  Poëme  a  l'honneur  en  partage, 
Quand  vn  digne  suiet  fait  les  vers  estimer, 
Et  quand  les  vers  bien  faits  font  le  suiet  aimer. 
Si  quplques  mots  nouueaux  tu  veux  mettre  en 

[vsage,  315 
Montre  toy  chiche  et  caut  à  leur  donner  passage  : 
€e  que  bien  tu  feras  les  ioignant  finement 
Auec  ceux  dont  la  france  vse  communément. 
Si  mesme  le  premier  il  te  faut  d'aventure, 
Découurir  en  françois  des  secrets  de  nature  320 

Nonencor  exprimez,  lors  prudent  et  rusé, 
Tu  peux  feindre  des  mots  dont  on  n'a  point  vsé  : 
Et  puis  les  mots  nouueaux  que  les  nostres  inuentent, 
Qui  de  l'Italien  la  langue  représentent, 
Ou  qui  sont  du  Latin  quelque  peu  détournez,  325 
Ou  qui  sont  du  milieu  de  la  Grèce  amenez, 
Seront  receus,  pcurueu  qu'auec  propre  matière 

310.  Le  vers  commence  par  une  minuscule. 
315  sqq.  Cf.  Hor.  Ep.  aux  P.,  46-53. 
318.  france  (sic)., 
321.  Prudent  et  rusé.  C'est-à-dire:  pourvu  que  tu  le  fasses  avec 
prudence  et  adresse. 

324.  Voici  quelques-uns  de  ces  mots  :  Alerte,  balcon,  bouffon, 
cadence,  courtisan,  fantassin,  faquin,  fresque,  spadassin,  etc.  Ce 
sont  en  général  des  termes  de  guerre,  de  cour,  de  plaisir  ou  d'art. 

325.  Citons,  dans  l'Art  poétique  de  Vauquelin  :  Contemner, 
carme,  cautele,  event,  élection  (choix),  etc.  V.  le  Glossaire. 

326.  "Vauquelin,  dans  son  Art  poétique,  emploie  par  exemple  les 
mots:  Chore,  epicede,  Charités,  etc. 


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La  France  rarement  en  soit  faite  héritière  : 
Et  tous  les  mots  qui  sont  proprement  françoisez, 
Et  tous  ceux  qui  ne  sont  du  françois  déguisez,  33(> 
Et  les  vieux  composez  desquels  tousiours  en  france 
On  Ysoit  à  légal  de  la  Grecque  éloquence. 

Mais  seroit  ce  raison  qu'à  Thiard  fust  permis, 
Gomme  à  Sceue  d'auoir  tant  de  mots  nouueaux  mis 

328.  On  voit  que  Vauquelin  recommandera  réserve  et  la  discré- 
tion; il  ne  faudra  pas  l'accuser  de  se  contredire  quand  il  s'élèvera, 
dans  un  autre  chant,  contre  les  poètes  qui  veulent  prendre  le  latin 
à  la  barbe.  (III,  640.) 

331.  En  france  (sic). 

331-332.  Le  français,  en  effet,  a  toujours  formé  des  mots  com- 
posés ;  l'innovation  de  Ronsard  consista  à  employer  ces  composés, 
non  plus  comme  substantifs,  mais  en  qualité  d'épithètes.  —  Pour 
tout  le  développement  qui  précède,  Cf.  notre  Notice,  notamment 
au  chap.  iv.  de  la  IIe  Partie.  —  Légal  (sic)  pour  l'égal. 

333,  sqq.  Cf.  Hor.  Ep.  aux  P.,  53-58.  —  Pontus  de  Thiard  (1521- 
1603)  fit  paraître  en  1549,  avant  la  Défense  de  du  Bellay,  un  recueil 
de  poésies  intitulé  Erreurs  amoureuses,  dans  lequel  il  se  plaint 
des  rigueurs  que  lui  fait  endurer  sa  maîtresse  platonique,  Pasithée. 
Ce  recueil  renferme  138  sonnets  et  24  autres  petites  pièces.  L'ins- 
piration en  est  élevée  ;  mais,  si  l'on  y  rencontre  des  vers  remar- 
quables par  la  noblesse  et  la  vivacité  de  l'accent,  la  plupart  sont 
guindés,  froids  et  précieux.  Pontus  fut  un  des  poètes  qui  prépa- 
rèrent les  voies  à  Ronsard  ;  il  se  rallia  bientôt  aux  novateurs,  et 
on  le  compte  généralement  entre  les  sept  de  la  Pléiade.  Vauquelin 
lui  a  adressé  une  satire  (liv.V). 

334.  Maurice  Scève,  Lyonnais,  se  rattache  par  sa  jeunesse  à 
Jean  le  Maire  de  Belges,  et  par  ses  dernières  années  à  l'école  do 
Ronsard.  La  renaissance  de  la  poésie  avait  été  inaugurée  à  Lyon 
longtemps  avant  le  manifeste  de  du  Bellay  grâce  aux  rapports  in- 
cessants de  cette  ville  avec  l'Italie  et  à  la  présence  de  nombreux 
réfugiés  florentins  qui  étaient  venus  y  chercher  un  asile  :  Scève  fut 
à  la  tête  de  ce  mouvement  poétique.  Ses  premières  pièces  dignes 
d'être  citées  sont  deux  églogues,  Arion  et  la  Saulsaye.  La  première 
a  pour  sujet  la  mort  du  Dauphin,  fils  de  François  Ier  ;  elle  renferme 
quelques  vers  heureux,  mais  le  cadre  seul  en  est  pastoral.  La  se- 
conde est  un  éloge  de  la  vie  rustique  mis  dans  la  bouche  du  berger 
Philerme  que  son  ami  Antire  essaye  vainement  d'arracher  à  la  so- 


—  20  — 

Et  voirras  le  Grison  (bien  qu'à  le  manier 
Il  ne  soit  à  la  lin  qu'vn  françois  escuier) 
Et  d'autre  part  Nicot,  qui  de  plume  diuine 
Voyageant  t'assembla  des  termes  de  marine.         360 
L'idiome  Norman,  l'Angeuin,  le  Manceau, 
Le  François,  le  Picard,  le  poli  Tourangeau, 
Aprens,  comme  les  mots  de  tous  arts  mécaniques 
Pour  en  orner  après  tes  phrases  Poétiques. 

Si  tu  veux  vn  dessein  ou  d'armes  ou  d'amour,  365 
Ou  de  lettres  montrer  qui  soit  digne  du  iour, 
Que  tu  saches  la  règle  au  vray  des  Entreprises, 
Gris-de-bataille,  Mots,  Ordres,  Chiffres,  Deuises 
Brisures  et  Couleurs,  les  Armes  des  maisons, 

357.  Le  Grison.  Frédéric  Grisoni,  de  Venise,  publia  en  1552  un 
traité  d'équitation  intitulé  :  Ordini  di  cavalcare,  etc.  ;  la  traduc- 
tion française  (Paris,  Ch.  Perier,  1559)  eut  beaucoup  de  succès. 

357-358.  Le  sens  est  :  Tu  liras  le  Grison,  quoique  tu  puisses, 
après  tout,  te  contenter  des  traités  français,  le  Grison  lui-même  ne 
disant  rien  qu'on  n'y  trouve  déjà. 

359.  Jean  Nicot,  l'auteur  du  Trésor  de  la  langue  françoise,  avait 
composé  un  Traité  de  la  marine. 

361  sqq.  On  sait  que  Ronsard  avait  essayé  de  restaurer  certains 
termes  dialectaux.  Cf.  Abrège'  d'Art  poétique  :  «Tu  sçauras  dextre- 
ment  choisir  et  appropriera  ton  œuvre  les  mots  les  plus  significatifs 
des  dialectes  de  nostre  France...,  et  ne  se  faut  soucier  si  les  voca- 
bles sont  Gascons,  Poitevins,  Normans,Manceaux,  Lionnois,  etc.  » 

363.  Les  mots  de  tous  arts  mécaniques.  Cf.  du  Bellay  :  «  En- 
cores  te  veux-je  advertir  de  hanter  quelquesfois  non  seulement 
les  Scavans,  mais  aussi  toutes  sortes  d'ouvriers  et  gens  Mécani- 
ques, etc.  »  (Défense,  liv.  II,  chap.  xi.J  —  Ronsard  :  «  Tu  prati- 
queras bien  souvent  les  artisans  de  tous  Métiers,  comme  de  Marine, 
Vénerie,  Fauconnerie, aïe.  »  (Abrégé  d'Art,  poét.) 

367  sqq.  Cf.  Vauquelin,  Satire  à  M.  de  Chiverny  : 

....  Tu  veux  sous  ta  conduite 
Qu'à  rechercher  ma  plume  soit  instruite 
Des  Chevaliers  les  antiques  façons, 
Blasons,  Tournois,  Ordres,  Cris,  Ecussons, 


—  21  — 

Anagrammes,  Rébus,  Emblesmes  et  Blasons,        370 

Et  des  Egiptiens  des  choses  les  images 

Soubs  lesquels  ils  couuroient  leurs  doctrines  plus  sages 

Aux  festins  solennels,  aux  ioustes,  aux  tournois 
Tu  rempliras  ainsi  les  Oualles  des  Rois 
D'ames  et  de  beaus  corps  :  ce  sont  Mots  et  Figures,  375. 
Qui  de  guerre  et  d'amour  cachent  les  auantures  : 
Alors  il  te  sera  permis  de  mots  vser 
Que  la  nécessité  ne  pourroit  refuser  : 
(le  ne  veux  toutesfois  qu'vn  bon  esprit  se  fiche 

Ce  qui  seroit  au  Roy  très  agréable  : 
Mais  diferant  ce  labeur  honorable,  etc. 

(Satyres  françoises.  Liv  I,  Sat.  2.) 
Ces  vers  nous   indiquent  que  Vauquelin  avait  été  tenté  de  com- 
poser un  traité  de  blason.  Ceux  qui  suivent  montrent  même  qu'il 
avait  mis  la  main  à  l'œuvre  : 

Tu  me  responds  :  N'escri  plus  et  te  mets 
A  vivre  à  toy  pour  les  tiens  désormais... 
Quitte  les  vers  et  repren  curieux 
Des  vieux  heraults  le  fais  laborieux, 
Et  tu  feras  œuvre  digne  et  Royale 
De  poursuivir  l'histoire  Armoriale.  (îbid.) 

369.  Brisures.  Toute  pièce  d'armoirie  que  les  cadets  ajoutaient  à 
l'écu  des  armes  pleines  de  la  maison  d'où  ils  sortaient. 

371.  Les  images  des  choses  doit  être  considéré  comme  une  sorte 
de  composé  qui  a  des  Egipt iens pour  complément. 

374-375.  Sur  les  Ovalles  des  Rois  (V.  le  glossaire),  on  peignait 

des  figures  {corps)  sous  lesquelles  étaient  gravées  des  légendes  (âme). 

376.  On  sait  que  les  poètes  de  cour,  au  xvie  siècle,  composaient 

pour  les  princes  des  cartels^   des  mascarades,  et  notamment  ces 

devises  dont  parle  ici  Vauquelin.  Cf.  du  Bellay: 

Or  si  les  grands  seigneurs  tu  veux  gratifier, 
Argumens  à  propos  il  te  faut  espier... 
Je  veux  qu'aux  grands  seigneurs  tu  donnes  des  devises,  etc. 

(Le  Poète  courtisan.) 

L'auteur  de  \a.]DéfenseMt  allusion  à  Mellin  de  Saint-Gelais  :  mais 
Ronsard  lui-même,  devenu,  dans  la  seconde  partie  de  sa  carrière 
poétique,  le  favori  de  Charles  IX,  composa  tout  un  recueil  de 
pièces  qui  appartiennent  à  ce  genre. 


—  22  — 

A  faire  vn  Anagramme,  à  faire  vne  Accrostiche 
D'vn  trauail  obstiné  :  ce  sont  fruicts  abortifs 
Dont  la  semence  vient  des  poures  apprentifs), 
Lors  en  renouuelant  une  vieille  empirance 
Changer  tu  peux  des  mots  par  quelque  tolérance. 

On  a  tousiours  permis,  est,  et  permis  sera         385 
Faire  naistre  vn  beau  mot,  qui  représentera 
Yne  chose  à  propos,  pourueu  que  sans  contrainte 
Au  coin  du  temps  présent  la  marque  y  soit  emprainte. 
Gomme  on  void  tous  les  ans  les  fueilles  s'en  aller, 
Au  bois  naistre  et  mourir,  et  puis  renouueler  :      390 
Ainsi  le  vieux  langage  et  les  vieuls  mots  périssent, 
Et  comme  ieunes  gens  les  nouueaux  refleurissent. 

Tout  ce  que  nous  ferons  est  suietà  la  mort: 
Ce  qui  fut  terre  ferme  à  cette  heure  est  vn  port, 
Oeuure  haute  et  royalle  :  et  maintenant  la  Seine  395 
Pour  enceindre  la  ville  abandonne  la  pleine  : 
Et  ce  qui  d'vn  costé  n'estoit  rien  que  marests, 
Et  qui  d'vn  autre  endroit  n'estoit  rien  que  forests 
Est,  fendu  soubs  le  soc,  deuenu  champ  fertille 
Des  blonds  cheueux  que  tond  la  dent  de  la  faucille.  400 
Gomme  ore  en  mainte  part  Loire  a  changé  son  cours, 

380.  Du  Bellay  {Défense,  liv.  II  chap.  vin)  parle  avec  faveur  de 
ces  deux  formes  poétiques.  On  trouve  quelques  acrostiches  dans 
le   livre  II  des  Idyllies. 

383.  C'est-à-dire  en  modifiant  l'ancienne  signification  d'un  mot- 
Pour  empirance  Cf.  le  Glossaire. 

385  sqq.  Cf.  Hor.  Ep.  aux  P.  58—  72. 

393  sqq.  Dans  tout  le  morceau  qui  suit,  Vauquelin  perd  de  vue 
le  sujet  lui-même  pour  le  plaisir  d'amplifier  et  de  délayer  sans 
mesure  une  simple  comparaison  d'Horace. 


—  23  — 

Et  sans  plus  nuire  aux  bleds,  des  prez  est  le  secours  : 
La  mer  en  maint  endroit  de  nos  costes  Normandes 
A  pris  sans  partager,  des  campagnes  trop  grandes  : 
Ailleurs  se  reculant  de  ses  bords  sablonneux,        405 
Elle  a  fait  îles  pastils  de  marests  limonneux. 
A  la  fin  périront  toutes  choses  mortelles  ; 
Aussi  fera  l'honneur  des  paroles  plus  belles  : 
Car  si  l'vsage  veut  plusieurs  mots  reuiendront 
Après  vn  long  exil,  et  les  autres  perdront  410 

Leur  honneur  et  leur  prix,  sortant  hors  de  l'vsage 
Soubs  le  plaisir  duquel  se  règle  tout  langage.  *■ 

Dequel  air,  en  quels  vers  on  doit  des  Empereurs, 
Des  Princes  et  des  Rois  descrire  les  erreurs, 
Les  voyages,  les  faits,  les  guerres  entreprises,        415 
D'vn  siège  de  dix  ans  les  grandes  villes  prises, 
L'enseigne  Homère  Grec,  et  Virgile  Romain: 

409.  Car  se  lie  avec  la  seconde  partie  de  la  phrase.  C'est  comme  s'il 
y  avait  :  car,  à  part  quelques  mots  qui  pourront  revenir,  les  autres, 
etc.  —  Plusieurs  mots  reviendront.  Vauquelin  fait  ici  allusion  à  la 
restauration,  tentée  par  Ronsard,  de  certains  termesdialectaux.  (Cf. 
les  vers  361  sqq,  et  la  note.)  De  nos  jours, plusieurs  provignements 
de  la  Pléiade,  après  avoir  été  proscrits  par  Malherbe,  sont   remis 
en  honneur,  et  la  langue  se  renouvelle  non  seulement  par  l'inven- 
tion de  mots  nouveaux,  mais  par  la  restauration  d'anciens  vocables 
tombés  en  désuétude. 
413.  Deq  uel  (sic). — 413, sqq. Cf.  Hor.  Ep.auxP.,73-74— Cf.Ronsard: 
Homère,  de  science  et  de  nom  illustré, 
Et  le  Romain  Virgile  assez  nous  ont  monstre 
Comment  et  par  quel  art  et  par  quelle  pratique 
Il  falloit  composer  un  ouvrage  héroïque, 
De  quelle  forte  haleine,  et  de  quel  ton  de  vers,  etc 
(Préface  en    vers  de  la  Franciade. 
417.  La    Pléiade  emprunte    à  la   langue  grecque    et  latine  les 
épithètes   redondantes   des  noms  de  personnes   ou   de  lieux: c'est 
ainsi  que  nous  avons  vu  plus  haut  (v.  247)  le  Rhin  Germain  et  la 
Françoise  Seine.  Cf.   Ronsard  : 


—  24  — 

^^Autre  exemple  choisir  ne  te  trauaille  en  vain. 
Gomme  Apelle  en  peinture  estoit  inimitable 
En  ses  traits,  en  ses  vers  Virgile  est  tout  semblable  :  420 
En  l'Epique  tu  peux  suiure  ce  brauê  autheur  : 
Nul  ne  peut  en  sa  langue  attaindre  à  sa  hauteur. 

Pour  t'aider  tu  pourras  bien  remarquer  tes  fautes 
Dedans  la  Thébaide  et  dans  les  Argonautes, 
Suiure  vn  coulant  Ouide  et  cet  Italien,  425- 

Qui  ne  les  suit  de  loin,  bien  que  d'vn  seul  lien, 
Dans  vn  mesme  suiet  de  trois  digne,  il  assemble 
Vn  long  siège,  vn  voyage  et  maint  amour  ensemble. 

Et  d'autant  qu'il  ne  siet  au  Poëte  fameux, 
De  prendre  rien  des  siens  quand  il  écrit  comme  eux,  430 
(Estant  né  de  bon  siècle  auec  la  véhémence 
Qu'en  la  France  a  produit  la  première  semence) 
Sans  rien  luy  dérober  honore  ce  bel  Art 
En  Francus  voyageant  soubs  nostre  grand  Ronsard. 

Si  né  soubs  bon  aspect  tu  auois  le  génie  435- 

420.  sqq.  Virgile  était  considéré  au  xvie  siècle  comme 
le  poète  épique  par   excellence.  (V.  la  notice.  Partie  II,  chap.  il.) 

423-424.  C'est  un  éloge  de  ces  deux  poèmes,  que  Vauquelin 
recommande  comme  modèles  :  on  peut  y  remarquer  ses  fautes  en 
comparant  son  œuvre  à  ces  deux  épopées  qui  sont  parfaites  et  qu'il 
faut  suivre  de  point  en  point  sous  peine  d'insuccès.  On  sait  que  la 
critique  du  xvie  siècle  ne  faisait  guère  de  distinction  entre  les 
poèmes  d'Homère  et  ceux  de  Stace  ou  d'Apollonius. 

425  sqq.  Celltalien.il  s'agit  du  Tasse  et  de  la  Jérusalem  délivrée . 

430.  Comme  eux,  c'est-à-dire  dans  la  même  langue  et  en  s'exer- 
çant  dans  le  même  genre. 

433.  Luy  est  mis  pour  Ronsard,  dont  le  nom  se  trouve  dans  le 
vers  suivant. 

435.  Tu  avois.  Ancune  règle,  jusqu'à  Malherbe,  n'avait  encore 
proscrit  l'hiatus  ;  les  poètes   du  xvie  siècle  évitaient    ceux  qui  leur 


—  25  — 

Qui  d'Apollon  attire  à  soy  la  compagnie, 

Pour  d'vn  ton  assez  fort  l'Héroïque  entonner, 

Les  siècles  auenir  tu  pourrois  étonner  : 

Mais  il  faut  de  cet  Art  tous  les  préceptes  prendre, 

Quand  tu  voudras  parfait  vn  tel  ouurage  rendre  :   440 

Par  ci  par  là  meslé  rien  ici  tu  ne  lis, 

Qui  ne  rende  les  vers  d'un  tel  œuure  embellis. 

Tel  ouurage  est  semblable  à  ces  fecons  herbages, 
Qui  sont  fournis  de  prez  et  de  gras  pasturages, 
D'vne  haute  fustaye,et  d'vn  bocage  épais,  445 

Ou  courent  les  ruisseaux,  ou  sont  les  ombres  frais, 
Ou  l'on  void  des  estangs,  des  vallons,  des  montagnes, 
Des  vignes,  desfruictiers,  desforests,  des  campagnes: 
Vn  Prince  en  fait  son  parc,  y  fait  des  bastimens, 
Et  le  fait  diuiser  en  beaus  appartenons  :  450 

Les  cerfs,  soit  en  la  taille,  ou  soit  dans  les  gaignages, 
Y  font  leurs  viandis,  leurs  buissons,  leurs  ombrages  : 


paraissaient  durs.  Malherbe,  sur  ce  point  comme  sur  quelques 
autres,  ne  laissa  aucune  liberté  à  l'oreille  et  au  goût  du  versi- 
ficateur. Dans  Vauquelin,  les  hiatus,  sauf  exception,  portent  sur 
des  proclitiques.  On  sait  que  ce  qui  rend  désagréables  à  l'oreille 
la  rencontre  de  deux  voyelles,  c'est  l'influence  contradictoire  à  la- 
quelle est  soumise  la  première  lorsqu'elle  est  accentuée.  L'accent 
tonique  a  pour  effet,  non  seulement  l'élévation  de  la  voix,  mais 
encore  un  prolongement  du  son;  au  contraire,  quand  deux 
voyelles  se  suivent,  la  seconde  tend  toujours  à  abréger  la  première 
en  l'attirant  pour  ainsi  dire  vers  elle-même.  L'hiatus  n'a  jamais  été 
interdit  dans  l'intérieur  des  mots  ;  il  ne  devrait  pas  l'être  non  plus 
quand  la  première  voyelle  est  atone  ou  quand  elle  es  t  suivie  d'un  repos. 
441.  Le  sens  est  :  Tu  ne  lis  ici  rien  de  meslé  par  ci  par  là 
443  sqq.  Quelques  traits  de  ce  morceau  ont  été  empruntés  àVéda 

Horace  Galabrois  et  Pindare  Thebain.  (Odes.) 


—  26  — 

Les  abeilles  y  vont  par  esquadrons  bruyants 
Chercher  parmi  les  fleurs  leurs  viures  rousoyants  : 
Le  bœuf  laborieux,  le  mouton  y  pasture,  455 

Et  tout  autre  animal  y  prend  sa  nourriture. 

En  l'ouurage  Héroïque  ainsi  chacun  se  plaist, 
Mesme  y  trouue  dequoy  son  esprit  il  repaist  : 
L'vn  y  tondra  la  fleur  seulement  de  l'Histoire, 
Et  l'autre  à  la  beauté  du  langage  prend  gloire  :       460 
Vn  autre  aux  riches  mots  des  propoz  figurez, 
Aux  enrichissemens  qui  sont  elabourez  : 
Vn  autre  aux  fictions  aux  contes  délectables 
Qui  semblent  plus  au  vray  qu'ils  ne  sont  véritables  : 
Bref  tous  y  vont  cherchant,  comme  sont  leurs  hu-  j 

[meurs,      465  j 
Des  raisons,  des  discours,  pour  y  former  leurs  mœurs  :  j 
Vn  autre  plus  sublim  à  trauers  le  nuage 
Des  sentiers  obscurcis,  auise  le  passage 
Qui  conduit  les  humains  à  leur  bien-heureté 
Tenant  autant  qu'on  peut  l'esprit  en  seureté.         470 
C'est  vn  tableau  du  monde,  vn  miroir  qui  raporte 
Les  gestes  des  mortels  en  différente  sorte. 
On  y  void  peint  au  vray  le  gendarme  vaillant, 
Le  sage  capitaine  vne  ville  assaillant, 

465  sqq.  Malgré  la  largeur  du  tableau  qu'il  trace,  Vauquelin    > 
semble   ici  tomber  dans  cette  fausse  conception  de  l'épopée  qui 
en  fait  le  développement  d'une  maxime  morale.  Cf.  Horace,  Ep.  I,  n.    ! 
(Voir  la  Notice,  partie  II,  chap,  n.) 

467.  Sublim  (sic).  Vauquelin   supprime  quelquefois  Ye  muet  à 
la  fin  de  certains  mots.  (V.  II,  533.)  Cf  : 

...L'util 
De  ce  jardinet  fertil.  (Foresteries,  i,  10.) 


—  27  —  Ê]yCc 

Les   conseils  d'vn  vieil  homme,  ecarmouches,  ba- 
tailles, 475 
Les  ruses  qu'on  pratique  au  siège  des  murailles, 
les  ioustes,  les  tournois,  les  festins   et  les  ieux, 
Qu'vne  grand'  Royne  fait  au  Prince  courageux, 
Que  la  mer  a  ietté  par  un  piteux  naufrage, 
Apres  mille  dangers  à  bord  à  son  riuage.  480 

On  y  void  les  combats  les  harengues  des  chefs, 
L'heur  après  le  malheur,  et  les  tristes  méchefs 
Qui  tallonnent  les  Roys  :  les  erreurs,  les  tempestes 
Qui  des  Troyens  errants,  pendent  dessus  les  testes, 
Les  sectes,  les  discords,  les  points  religieux,  485 

Qui  brouillent  les  humains  entre  eux  litigieux  :  \ 
Les  astres  on  y  void  et  la  terre  descrite, 
L'océan  merueilleux  quand  aquilon  l'irrite: 
Les  amours;  les  duels,  les  superbes  dédains, 
Ou  l'ambition  mist  les  deux  frères  Thebains:         490 
Les  enfers  ténébreux,  les  secrettes  magies, 
Les  augures  par  qui  les  citez  sont  régies  : 
Les  fleuues  serpentants,  bruyants  en  leurs  canaux  ; 
Les  cercles  de  la  Lune,  ou  sont  les  gros  iournaux 
Des  choses  d'ici  bas,  prières,  sacrifices  495 

Et  des  Empires  grands  les  loix  et  les  polices. 
On  y  void  discourir  le  plus  souvent  les  Dieux, 
VnTerpandre  chanter  vn  chant  mélodieux 
A  l'exemple  d'Orphée  :  et  plus  d'vne  Medee 
Accorder  la  toyson  par  Iason  demandée  :  500 

498.  Terpandre,  poète  lyrique  grec  de  l'école  éolienne. 


—  28  — 

On  y  void  le  dépit  ou  poussa  Gupidon 
La  fille  de  Dicsee  et  la  poure  Didon  : 
Car  toute  Poésie  il  contient  en  soyméme 
Soittragique  ou  Comique,  ou  soit  autre  Poëme. 
Heureux  celuy  que  Dieu  d'esprit  voudra  remplir,  505 
Pour  vn  si  grand  ouurage  en  françois accomplir! 
En  vers  de  dix  ou  douze  après  il  le  faut  mettre  : 
Ces  vers  la  nous  prenons  pour  le  graue  Hexamètre. 
Suiuant  la  rime  plate,  il  faut  que  mariez 
Par  la  Musique  ils  soient  ensemble  appariez,  510 

Et  tellement  coulans  que  leur  veine  pollie 
Coule  aussi  doucement  que  l'eau  de  Castallie. 

502.  La  fille  de  Dictée.  Climène.  (V.  la  note  du  vers  199).  —On 
a  reconnu  dans  tout  ce  morceau  les  allusions  de  Vauquelin  aux 
épopées  d'Homère,  Virgile,  Apollonius,  Stace,  Ronsard. 

505-506.  Cf.  du  Bellay:  »  Donques  à  toy.qui  doué  d'une  excellente 
félicité  de  nature,  instruit  de  tous  bons  Ars,  ou  Sciences,...  ô  toy 
(dy-je)  orné  de  tant  de  grâces,  et  perfections,  si  tu  as  quelques  fois 
pitié  de  ton  pauvre  Langaige...  ce  sera  toy  véritablement  qui  luy 
feras  hausser  la  Teste,  et  d'un  brave  Sourcil  s'égaler  aux  superbes 
Langues  Grecque,  et  Latine...  (Défense,  liv.  II,  chap.  v.  Du  Long 
Poëme  Francoys.) 

506.  Accomplir.  Ronsard  ne  fit  que  les  quatre  premiers  chants 
de  sa  Franciade. 

507.  Le  vers  de  dix  syllabes  avait  été  considéré  pendant  long- 
temps comme  le  mètre  héroïque.  Ronsard  fut  le  premier  qui 
connut  le  véritable  emploi  de  l'alexandrin.  Il  fit  pourtant  sa  Fran- 
ciade en  décasyllabes,  et,  dans  la  préface  de  ce  poème,  il  pré- 
tend même  que  le  vers  de  douze  syllabes  sent  trop  la  poésie 
facile,  qu'il  est  énervé  et  trop  flasque.  Il  est  probable  que,  si  Vau- 
quelin laisse  le  choix  entre  ces  deux  mètres,  c'est  uniquement 
par  respect  pour  Ronsard  ;  lui-même  écrivait  en  alexandrins 
l'épopée  dont  il  nous  donne  le  début  dans  son  second  chant.  Au 
reste,  nous  le  verrons  plus  loin  (II,  105)  condamner  hautement 
l'emploi  du  décasyllabe  comme  vers  épique,  et  refaire  même  en 
longs  vers  le  commencement  de  la  Franciade  (II,  107,  sqq.). 

512.  Castallie,  fontaine  de  Béotie,  consacrée  au  Muses. 


—  29  — 

Mais  du  vers  Heroic  ailleurs  nous  parlerons 
Et  tandis  d'autres  vers  ici  nous  mesleronsy 

Les  vers  que  les  Latins  d'inégale  iointure  5i5 

Nommoient  vne  Elégie,  aigrete  en  sa  pointure, 
Seruoient  tant  seulement  aux  bons  siècles  passez, 
Pour  dire  après  la  mort  les  faits  des  trépassez  ; 
Depuis  à  tous  suiets  :  ces  plaintes  inuentees 
Par  nos  Alexandrins  sont  bien  représentées,  520 

Et  par  les  vers  communs,  soit  que  diuersement 
En  Stances  ils  soient  mis,  ou  bien  ioints  autrement. 

Cette  Elégie  vn  Lay  nos  François  appelèrent, 
Et  l'Epitete  encorde  triste  luy  baillèrent: 
Beaucoup  en  ont  escrit  tu  les  imiteras,  525 

Et  le  prix  non  gaigné  peut  estre  emporteras. 
Breue  tu  la  feras,  te  réglant  en  partie 
Sur  le  Patron  poli  de  l'amant  de  Ginthie, 
Les  préceptes  tousiours  généraux  obseruant, 
Tels  que  nous  les  auons  cottez  par  ci  deuant.        530 

513.  Ailleurs.Y. chant  11,83  sqq.  —  Vauquelinsuit  Horace  pas  à 
pas  en  intercalant  tout  ce  qu'il  tire  de  son  propre  fonds.  Le  plan 
de  l'Epître  aux  Pisons  est  déjà  bien  difficile  à  saisir;  quant  à 
notre  poète,  il  n'a  même  pas  essayé  de  s'en  faire  un. 

515  sqq.  Cf.  Hor.  Ep.  aux  P .  75-78.  —  D'inégale  jointure  est 
le  complément  de  les  vers  :  il  s'agit  du  distique  élégiaque  formé 
par  un  hexamètre  et  un  pentamètre. 

521.  Le  vers  commun,  au  xvie  siècle,  c'est  le  décasyllabe. 

523.  Lay.  Le  lai  était  d'abord  un  récit  chanté,  générale- 
ment empreint  de  mélancolie.  (Cf.  les  Lais  de  Marie  de  France.) 
Plus  tard,  il  devint  une  sorte  de  romance. 

526.  Non  gaigné.  Les  élégies  deMarot  avaient  eu  pourtant  un 
ferand  succès.  Parmi  les  poètes  de  la  nouvelle  école  qui  cultivèrent 
ce  genre,  citons  Ronsard  et  Desportes. 

528.  L  amant  de  Cinthie.  Properce. 


—  30  — 

Nos  Poètes  François,  qui  beaus  Cignes  se  fient 
A  leur  voler  hautain,  or  l'a  diuersifient 
En  cent  genres  de  vers,  si  trop  long  est  leur  cours, 
Ils  couurentsa  longueur  d'un  beau  nom  de  discours. 

Qui  la  triste  Elégie  a  premier  amenée,  535 

Cette  cause  au  Palais  encor  est  demeneè  : 
Car  les  Grammairiens  entre  eux  en  vont  plaidant, 
Et  soubs  le  luge  encor  est  le  procez  pendant. 
Tibulle  est  le  premier  dont  la  Muse  bien  nette 
A  Romaine  imité,  Gallimaque  et  Philœtte  :  540 

Puis  Ouide  et  Properce,  et  Gallus  le  vieillart, 
Dont  tu  peux  emprunter  les  règles  de  cet  Art. 
Mais  ta  Muse  ne  soit  iamais  enbesongnee 


532.  Or  Va  est  évidemment  une  faute  d'impression  pour  or  la.m 

534.  Les  Discours  de  Ronsard  renfermentdu  moins  l'élégie  sur  lof 
tumulte  d'Amboise.  Quelques-uns  se  rapprochent  beaucoup  plus  dui 
genre  satirique  que  du  genre  élégiaque.  Cf.  Discours  des  misères  def 
ce  temps,  Continuation  des  misères,  Remonstrance  au  peuple  der 
France,  Response  aux  calomnies  des  predicans,  etc. 

535.  Elégie.  Elegos,  dans  le  passage  d'Horace  que  Vauquelin  tra-i 
duit,  signifie  non  pas  élégie,  mais  mètre  élégiaque. 

540.  Callimaque  de  Cyrène,  poète  lyrique  de  l'école  Alexandrine. 
—  Philétas,  poète  élégiaque  de  la  même  école,   dont  il  ne  nousfc 
reste  que  quelques  fragments.  —  Cf.  Properce  : 

Gallimachi  mânes  et  Coi  sacra  Philetae, 

In  vestrum,  quseso,  me  sinite  ire  nemus.     (III,  1-2.V 

541.  Gallus  le  vieillart.  Nous  retrouvons  la  même  épithète  aveop 
le  nom  de  Gallus  dans  la  3e  satire  du  livre  V.  Il  ne  s'agit  pas  ica 
du  véritable  Gallus,  qui  mourut  vers  l'âge  de  quarante  ans,  mais  du 
pseudo-Gallus  Maximien,  contemporain  de  l'empereur  Anastasej 
que  ses  élégies  mêmes  nous  montrent  comme  un  vieillard  dont  les 
jeunes  filles  ne  veulent  plus.  Maximien  est  d'ailleurs  un  fortméchanl 
poète,  et  c'est  par  un  respect  superstitieux  de  l'antiquité  que  Vau4 
quelin,  voyant  en  lui  le  Gallus  du  siècle  d'Auguste,  ne  craint  pas 
de  le  mettre  sur  la  même  ligne  que  Properce  et  Ovide. 

543  sqq.  Cf.    du  ;Bellay  :   «  Puis  me  laisse  toutes  ces  vieille» 


—  31  — 

Qu'aux  vers  dont  la  façon  ici  t'est  enseignée, 

Et  des  vieux  chants  Royaux  décharge  le  fardeau,     545 

Oste  moy  la  Ballade,  oste  moy  le  Rondeau. 

Les  Sonnets  amoureux  des  Tançons  Prouençalles 

Poésies  Francoyscs  aux  Jeux  Floraux  de  Thoulouze,  et  au  puy  de 
Rouan  :  comme  Rondeaux,  Ballades,  Vyrelaiz,  Chants  Royaux, 
Chansons,  et  autres  telles  episseries.  (Défense,  liv.  II,  chap.  iv.) 

545.  Le  chant  royal  est  une  ballade  (V.  la  note  du  vers  suivant.) 
qui  a  cinq  strophes  et  un  envoi  de  cinq  vers.  Ce  genre  avait 
fleuri  surtouUau  xve  siècle  et  dans  la  première  partie  du  xvie. 

546.  La  ballade  est  un  poëmeen  décasyllabes  ou  en  octosyllabes. 
La  ballade  en  décasyllabes  se  compose  de  trois  dizains  construits 
sur  les  mêmes  rimes,  et  d'unquintain  dont  la  forme  est  la  même  que 
celle  des  cinq  derniers  vers  dans  les  dizain  s. La  ballade  en  octosyllabes 
se  compose  de  trois  huitains  construits  sur  les  mêmes  rimes,  et  d'un 
quatrain  dont  la  forme  est  la  même  que  celle  des  quatre  derniers 
vers  dans  les  huitains.  Le  quintain  et  le  quatrain  s'appellent  envoi. 
La  ballade  fut  un  des  genres  poétiques  les  plus  usités  au  xve  et  au 
xvie  siècle  jusqu'à  la  Pléiade.  (Cf.  les  ballades  de  Villon  et  de 
Marot.)  Abandonnée  par  l'école  de  Ronsard,  elle  retrouva  quelque 
honneur  au  xvne  siècle  avec  Voiture  et  La  Fontaine.  De  nos  jours, 
certains  poètes  ont  repris  cette  forme,  en  particulier  Théodore  de 
Banville. 

Le  rondeau  est  composé  de  treize  vers  divisés  en  trois  strophes, 
dont  la  première  et  la  troisième  ont  chacune  cinq  vers,  la  se- 
conde trois  :  un  refrain,  formé  par  le  premier  ou  les  premiers  mots 
'  du  vers  initial,  s'ajoute  à  la  fin  de  la  seconde  et  de  la  troisième 
strophe.  Les  mètres  sont  l'octosyllabe  ou  le  décasyllabe  ;  tout  le 
poème  est  construit  sur  deux  rimes  si  l'on  ne  compte  pas  le  refrain. 
Le  rondeau,  fort  en  honneur  avant  Ronsard,  et  traité,  par  Marot 
surtout,  avec  beaucoup  de  grâce,  fut  repris  au  xvne  siècle  dt* 
temps  de  Voiture,  qui  est  alors  le  maître  du  genre.  On  peut  citer 
quelques  charmants  rondeaux  d'Alfred  de  Musset. 

547.  Sonnet,  dans  notro  ancienne  langue  provençale,  voulait  dire 
petite  pièce  de  vers . 

Tançons.  La  tenson  était  une  pièce  en  dialogue  où  deux  inter- 
locuteurs défendaient  tour  à  tour,  par  couplets  de  même  mesure 
et  semblablement  rimes,  leur  opinion  contradictoire  sur  diverses 
questions  de  chevalerie,  de  morale,  etc.  C'était  quelquefois  une  sa- 
tire dialoguée  dont  les  deux  personnages  s'invectivaient  mu- 
tuellement. On  trouve  aussi  des  tensons  amoureuses;  elles  con- 
tiennent les  plaintes  que  deux  amants  s'adressent  à  tour  de  rôle  ou 
mie  l'un  d'eux  adresse  à  l'autre . 


—  32  — 

Succédèrent  depuis  aux  marches  inegalles 
Dont  marche  l'Elégie  ;  alors  des  Trobadours 
Fut  la  Rime  trouuee  en  chantant  leurs  amours  :      550 
Et  quand  leur  vers  Rimez  ils  mirent  en  estime 
Ils  sonnoient,  ils  chantoient,  ils  balloient  sous  leur 

[Rime. 
Du  Son  se  fist  Sonnet,  du  Chant  se  fist  Chanson, 
Et  du  Bal  la  Ballade,  en  diuerse  façon  :   , 
CesTrouuerres  alloient  par  toutes  les  Prouinces    555 
Sonner,  chanter,  danser  leurs  Rimes  chez  les  Princes. 

548.  Succédèrent,  etc.  Vauquelin  passe  directement  de  l'élégie 
latine  «à  la  tenson  provençale. 

550.  On  sait  que  le  vers  français  est  né  de  la  versification  latine 
populaire.  La  notion  de  la  quantité  syllabique  s'était  de  bonne  heure 
perdue  chez  les  Latins;  de  bonne  heure  aussi  ils  eurent  recours  a 
la  rime  pour  fortifier  le  rythme  ainsi  affaibli.  On  peut  citer  des 
•exemples  de  vers  latins  rimes  dans  les  Florides  d'Apulée  (11e  siècle) 
et  dans  la  dernière  Instruction  de  Gommodien  (me  siècle).  Dans 
les  hymnes  du  ive  siècle,  la  rime  n'est  plus  un  accident  comme 
chez  les  poètes  qui  précèdent;  elle  semble  avoir  un  caractère  pres- 
que obligatoire  pour  les  poésies  religieuses  et  populaires.  Après  la 
renaissance  classique  du  vme  et  du  ixe  siècle,  elle  devient  un  élé- 
ment nécessaire  de  la  versification  dans  tous  les  genres  de  poésie. 

553.  Le  mot  son  ou  sonnet  s'applique  généralement  dans  la  langue 
provençale  à  toute  espèce  de  chant,  mais  désigne  surtout  les  airs 
•des  poésies  chantées,  et,  par  suite,  les  pièces  lyriques  qui  étaient 
ordinairement  accompagnées  du  son  des  instruments. 

554.  La  ballade,  comme  la  ronde,  était  chez  les  troubadours  une 
chanson  consacrée  à  animer  et  à  embellir  les  danses.  Ce  genre  de 
pièces  ne  s'astreignait  pas  toujours  à  des  règles  déterminées.  Le 
plus  communément,  la  ballade  avait  un  refrain,  et  ce  refrain,  formé 
par  le  vers  qui  commençait  la  pièce  ou  par  les  premiers  mots  de  ce 
vers,  était  répété  plusieurs  fois  dans  chaque  couplet.  Les  couplets 
avaient  généralement  le  même  nombre  de  vers  ;  souvent  aussi,  le 
premier  en  avait  plus  que  les  autres,  et'alors  les  vers  surabondants 
rimaient  avec  celui  qui  dans  chaque  couplet  n'aurait  pas  eu  de  rimes 
•correspondantes.  (Cf.  la  définition  de  la  ballade  moderne,  note  du  i 
vers  546.) 


—  33  — 

Des  Grecs  et  des  Romains  cet  Art  renouuelé, 

Aux  François  les  premiers  ainsi  fut  reuelé  : 

A  leur  exemple  prist  le  bien  disant  Pétrarque 

De  leurs  graues  Sonnets  l'ancienne  remarque  :      560 

En  récompence  il  fait  mémoire  de  Rembaud, 

De  Fouques,  de  Remon,  de  Hugues  et  d'Aarnaud. 

Mais  il  marcha  si  bien  par  cette  vieille  trace, 

Qu'il  orna  le  Sonnet  de  sa  première  grâce  : 

Tant  que  l'Italien  est  estimé  l'autheur  565 

De  ce  dont  le  François  est  premier  inuenteur. 

lus  qu'à  tant  que  Thiard  épris  de  Pasithee 

L'eut  chanté  d'vne  mode  alors  inusitée, 

Quand  Sceve  par  dixains  en  ses  vers  Deliens 

Voulut  auoir  l'honneur  sur  les  Italiens,  570 

Quand  desia  Saingilais,  et  doux  et  populaire 

Refaisant  des  premiers  le  Sonnet  tout  vulgaire 

560.  L'épithète  de  grave  convient  mieux  aux  sonnets  de  Pétrarque 
qu'à  ceux  des  troubadours.  Remarquons  d'ailleurs  que  la  forme  de 
ces  derniers  n'avait  rien  de  commun  avec  la  forme  moderne. 

561  sqq.  Fouques,  etc.  Troubadours  bien  connus.  Cf.  Pasquier  : 
«  Pétrarque,  après  avoir  faict,  au  4  chapitre  du  Triomphe  d'Amour, 
un  sommaire  dénombrement  des  poètes  Grecs,  Latins  et  Italiens 
qui  par  leurs  escrits  avoient  honoré  l'Amour,  repasse  après  non 
sur  tous  nos  poètes  provençaux,  ains  sur  quinze  ou  seize  les  plus 
signalez  et  y  met  pour  le  premier  Arnault  Daniel.  »  (Rech.  de  la  Fr., 
liv.  VII,  chap.  iv.; 

566.  V.  lanote  du  vers  560.  —  Cf.  Fauchet  :  «  Qui  voudra  feuille- 
ter nos  vieils  poètes,  il  trouvera  les  mots  dont  les  Italiens  séparent 
le  plus,  voire  les  noms  et  différences  de  leurs  rymes,  sonnets,  bal- 
lades, lais  et  autres.  »  (Liv.  I,  chap.  v.) 

567.  V.  la  note  du  vers  333. 
569.  V.  la  note  du  vers  334. 

571.  Mellin  de  Saint-Gelais  (1491-1558)  put  passer  sous  François  Ier 
pour  le  type  des  poètes  de  cour  ;  c'est  surtout  lui  que  du  Bellay  a 
en  vue  dans  son  Poète  courtisan.  Rien  de  plus  futile,  en  généra1,  que 


—  34  — 

En  Court  en  eut  l'honneur  :  quand  bien  tost  du  Bellay 

Son  Olliue  chantant  l'eut  du  tout  r'appelé  : 

Et  que  Ronsard  bruslant  de  l'amour  de  Cassandre   575 

Par  dessus  le  Toscan  se  sceut  bien  faire  entendre  : 

Et  Baïf  dudepuis  (Meline  en  ses  ébats 

N'ayant  gaigné  le  prix  des  amoureux  combats) 

le  sujet  de  ses  poésies.  Il  composait  des  cartels  pour  les  fêtes 
royales  et  des  devises  pour  les  nobles  amants  ;  il  fit  une  multitude 
de  petites  pièces,  huitains,  dizains,  douzains,  sur  une  paire  de  gants, 
un  miroir,  un  luth,  une  belette  apprivoisée,  etc.  On  peut  citer  de 
lui  quelques  épigrammes  ingénieuses  et  bien  troussées  ;  mais,  en 
général,  ses  poésies  sont  gAtées  par  la  subtilité  et  l'afféterie.  Les 
productions  de  ce  poète,  dit  Pasquier,  sont  petites  fleurs  et  non 
fruits  d'aucune  durée.  Dans  ce  qu'il  a  de  plus  heureux,  il  fait  son- 
ger tout  au  plus  à  Sarrasin  ou  Benserade.  —  Saint-Gelais  emprunta 
le  premier  avec  Marot  la  forme  du  sonnet  moderne  aux  Italiens. 

574.  L'Olive  est  le  premier  recueil  de  du  Bellay  :  il  renferma 
d'abord  cinquante  sonnets  ;  le  poète  en  porta  plus  tard  le  nombre 
à  cent  quinze.  Du  Bellay,  comme  le  dit  ici  Vauquelin,  acclimata 
ce  genre  en  France.  Les  sonnets  de  l'Olive  sont  alambiqués, 
subtils,  et  en  même  temps  durs  et  comme  rocailleux  :  quelques- 
uns  marquent  pourtant  une  réelle  élévation  de  sentiment  et  de  style. 
Du  Bellay  se  vantera  plus  tard  d'avoir  oublié  l'art  de  pétrarquiser  : 
dans  ses  deux  autres  recueils  de  sonnets  (Antiquitez  de  Rome, 
Reçjrets)\l  montre  une  sensibilité  à  la  fois  discrète  et  pénétrante,  un 
naturel  et  une  sincérité  que  l'Olive  ne  pouvait  guère  laisser  prévoir. 

575.  Les  Amours  de  Cassandre  sont  de  1552.  Ronsard  y  imite 
Pétrarque.  «Lisez  la  Cassandre  de  Ronsard,  disait  Pasquier,  vous 
y  trouverez  cent  sonnets  qui  prennent  leur  vol  jusqu'au  ciel.  »Le 
poète,  qui  en  était  encore  à  sa  première  manière,  y  tend,  comme 
dans  ses  odes,  vers  les  sommets  les  plus  élevés  de  la  poésie.  Les 
Amours  de  Cassandre,  que  commenta  Muret,  sont  souvent  gâ- 
tés par  une  érudition  pédantesque  à  laquelle  se  mêlent  bien  des 
traits  de  subtilité  et  d'afféterie  ;  toutefois  on  peut  y  noter  un  grand 
nombre  de  sonnets  d'un  sentiment  profond,  d'un  accent  élevé,  d'un 
style  riche,  imagé,  sonore,  que  la  poésie  française  n'avait  jamais 
connu  avant  Ronsard. 

576.  Le  Toscan.  Pétrarque. 

577.  Les  Amours  de  Meline,  tel  est  le  titre  du  premier  recueil  que 
fit  paraître  Baïf.  (1552).  Ce  sont  des  sonnets,  des  chansons,  des 
stances,  dans  le  même  genre  que  l'Olive 


—  35  — 

Ces  Sonnets  repillant,  d'vn  plus  hardi  courage, 
Et  changeant  son  amour,  et  changeant  son  langage  580 
Chanta  de  sa  Francine  au  parangon  de  tous, 
Faisant  nostre  vulgaire  et  plus  bas  et  plus  dous. 

Puis  Ronsard  reprenant  du  Sonnet  la  mesure 
Fist  nostre  langue  aussi  n'estre  plus  tant  obscure    . 
'  Et  deslors  à  l'enui  fut  des  François  repris  585 

L'interest  du  vieux  sort,  que  l'Itale  auoit  pris. 
Et  du  Bellay  quitant  cette  amoureuse  flame,' 
Premier  fist  le  Sonnet  sentir  son  Epigrame  : 
Capable  le  rendant,  comme  on  void,  de  pouuoir 
Tout  plaisant  argument  en  ses  vers  receuoir.        590 

Desportes  d'Apolon  ayant  l'ame  remplie, 
Alors  que  nostre  langue  estoit  plus  accomplie, 
Reprenant  les  Sonnets,  d'art  et  de  iugement 

581.  Les  Amours  de  Francine  sont  de  1558.  Ces  sonnets  ont  été 
dictés  à  Baïf  par  une  passion  réelle.  On  y  trouve  plus  de  vérité 
et  de  poésie  que  dans  les  Amours  de  Dieline.  Cf.  Vauquelin  : 

Qu'importe  encor  que  ta  belle  Francine 

Ait  emporté  la  couronne  Myrtine 

Par  dessus  Laure?  (Sat.  fr.,  liv.  III,  à  Baïf.) 

583-584.  Il  s'agit  ici  des  Amours  de  Marie  (1557).  Ce  n'est  plus, 
dans  ce  recueil,  la  magnificence  si  souvent  guindée  dés  sonnets 
,  à  Cassandre  ;  le  génie  de  Ronsard  s'est  tempéré  et  assoupli;  comme 
le  remarque  Vauquelin,  sa  langue  n'est  plus  tant  obscure.  Claude 
Binet  dit  de  ce  recueil  qne  «  le  peu  d'artifice  et  la  pure  simpli- 
cité à  la  catulienne  le  recommande  beaucoup  ». 

587-588.  Vauquelin  a  finement  observé  que  du  Bellay  aiguisa  le 
sonnet.  L'auteur  des  Regrets  fait  de  la  Rome  papale  une  peinture 
toute  satirique.  Cf.  les  sonnets  :  11  fait  bon  voir,  Pascal,  etc.  Mar- 
cher d'un  grave  pas,  etc.  Quand  je  vois  ces  Messieurs,  etc. 

591  sqq  .Desportes  a  composé  les  Amours  de  Diane,  d'Hippolyte, 
de  Cléonice.  Il  était  l'ami  de  Vauquelin,  qui  lui  a  adressé  la  troi- 
sième satire  du  livre  1er. 

592.  Cf.  la  Notice,  partie  II,  chap.  iv. 

9. 


—  36  — 

Plus  que  deuant  encor  écriuit  doucement. 
De  noslre  Cathelane  ou  langue  Prouençalle  595 

La  langue  d'Italie  et  d'Espagne  est  vassalle  : 
Et  ce  qui  fist  priser  Pétrarque  le  mignon, 
Fust  la  grâce  des  vers  quïl  prist  en  Auignon  : 
Et  Bembe  reconnoist  qu'ils  ont  pris  en  Sicille 
La  première  façon  de  la  Rime  gentille,  600* 

Que  l'on  y  fut  planter  auecques  nos  Romants, 
Quand  conquise  elle  fut  par  nos  Gaulois  Normands, 
Qui  faisoient  de  leurs  faits  inuenter  aux  Trouuerres 
Les  vers  que  leurs  Iouglours,  leurs  Contours  et  Chan- 

[terres 

594.  On  s'accorde  en  effet  à  louer  la  pureté,  l'élégance  et  la  dou- 
•ceur  de  Desportes;  ce  sont  les  qualités  que  prise  surtout  Vauquelin. 

595  sqq.  Il  semble  inutile  de  relever  ces  erreurs.  On  sait  que  l'italien 
et  l'espagnol  sont,  non  pas  les  vassaux,  mais  les  pairs  du  français. 

598.  Pétrarque  habita  longtemps  Avignon,  qui  était  alors  la  rési- 
dence des  papes;  c'est  même  là  qu'il  connut  Laure  de  Noves.  — 
Cf.  Fauchet  :  «  Pétrarque  et  ses  semblables  se  sont  aidés  des  plus 
beaux  traits  des  chansons  de  Thicbault,  le  chastelain  de  Goucv,  et 
autres  anciens  poëte-s  françois.  »  (Liv.  I  Chap.  v.) 
;  599  sqq.  Bembo  (1470-1547)  est  ce  cardinal  cicéronien  qui  ne 
lisait  pas  son  bréviaire  dans  la  crainte  de  se  gâterie  style. 

Ils  ne  se  rapporte  grammaticalement  à  aucun  substantif  :  ce  sont 
les  Italiens   que  Vauquelin  veut  évidemment  dire. 

602.  Les  Normands  étaient  devenus  Français,  mais  non  Gaulois. 
Vauquelin  se  met  ici  au  point  de  vue  de  la  langue,  qui,  d'après  lui, 
était  foncièrement  gauloise.  (V.  vers  615.)  —  Cf.  Fauchet  :  «  Il  y  a 
grande  apparence  que  nos  François  ont  monstre  aux  autres  nations 
d'Europe  l'usage  delaryme.  Joan  de  la  Ensina  confesse  que  la  ryme 
est  passée  d'Italie  en  Espagne;  les  Italiens  sont  d'accord  de  la  tenir 
des  Provençaux  ou  Siciliens,  deux  peuples  sujets  des  François.  » 
(Liv.  i,  chap.  vu.) 

603.  Inventer.  C'est  le  sens  du  mot  trobare  d'où  viennent  trou- 
badour et  trouvère. 

604.  Iouglours,  Contours,  Chànterres.  La  décadence  de  la  civi- 
lisation romaine  avait  produit  une  tourbe  d'amuseurs  publics,  les 
scenici,  scurrse,  thymelici,  planipedes,  mimi,   histrioms,  jocula- 


—  37  — 

Rechantoient  par  après.  (Ainsi  les  Grecs  auoient    605 
Des  Rapsodes,  qui  lors  tous  les  earrnes  sçauoient 
D'Homère  et  d'Hésiode,  estant  les  secrétaires, 
Interprètes,  conteurs  des  fabuleux  misteres 
De  ces  poètes  vieux)  lors  Tristau  de  Gisteaux 
En  Pouille  auec  Guiscart,  plantoit  ses  panonceaux.  610 
Puis  en  suite  plus  grand  Tancred  de  Hauteuille 
Conduisant  douze  fils  de  sa  terre  fertille, 
Mist  en  Pouille  et  Galabre  vn  vulgaire  François 
Du  Cathelan,  Roman,  Vualon  et  Thiois, 

tores,  bouffons,  mimes,  faiseurs  de  tours,  chanteurs,  improvisa- 
teurs, qui  colportaient  la  basse  poésie  lyrique  et  dramatique  de 
leur  temps  en  l'associant  aux  mille  prestiges  de  leur  charlatanisme. 
L'invasion  ne  les  détruisit  pas  :  ils  se  modifièrent  et  devinrent 
ce  que  l'on  appelle  les  jongleurs.  Les  trouvères  se  distinguaient 
d'eux;  toutefois  il  y  avait  des  trouvères  qui  déclamaient  eux-mêmes 
leurs  vers,  et  il  y  avait  aussi  des  jongleurs  qui  savaient  faire  les 
vers  qu'ils  chantaient.  Vauquelin  réserve  ici  aux  simples  rapsodes 
le  nom  de  Jouglours,  Contours  et  Chanterres.  (V.Aubertin,  Hist. 
de  la  litt.  fr.  au  ?noy.  âge.,  tome  I.) 

609.  Vors  (sic).  —  Tristau  de  Cisleaux.W  faut  lire  Tristan.  Cf.  His- 
torié Normannor  um  scriptores  antiqui,  par  Duchesne,  1619.  V. 
p.28L  Willelmi  Calculi  Gemmeticensis  monachi  Historia  Normatt- 
norum,  liv.  VII,  cap.  xxx.  Tristan  de  Gisteaux  y  est  appelé  Turstinus 
cognomento  Scilellus .  Gabriel  du  Moulin,  dans  son  Histoire  géné- 
rale de  Xorynandie  (Rouen,  1631),  traduit  en  français  tout  le 
passage  de  Duchesne  relatif  à  Tristan,  qu'il  appelle  Turstin  Ci- 
teau.  (Liv.  VI,  Sommaire  m,  p.  117.)  Pour  plus  de  détails  sur  le 
personnage,  nous  renvoyons  à  l'ouvrage  même  de  du  Moulin. 

613.  Erreur  déjà  signalée.  (V.  vers  595.) 

614.  La  langue  catalane  est  appelée  plus  haut  langue  provençale 
(V.  vers  595),  et  en  effet  elle  avait  avec  cette  dernière  une  grande 
analogie  ;  Vauquelin  la  distingue  ici  de  la  langue  romane  par  la- 
quelle il  entend  sans  doute  le  provençal  proprement  dit.  Elle  se 
parlait  dans  la  Catalogne,  la  Navarre  et  une  partie  de  l'Aragon, 
sans  compter  quelques  districts  du  sud  de  la  France.  —  Le  thiois 
(theutsch)  est  l'ancien  allenmnd.  —  Le  wallon  est  un  dialecie 
du  roman  septentrional,  qui  se  rapproche  plus  du  latin  que  le 
français,  soit  pour  le  vocabulaire  soit  pour  la  syntaxe;  il  se  parlait 


—  38  — 

Langages  tous  formez  sur  la  langue  Gauloise,        615 
Que  corrompit  ainsi  la  Latine  et  Thioise  ; 
Qui  par  les  Cours  des  grands  Romande  se  form?., 
Et  chacun  à  la  fin  ceste  dernière  aima.- 
Les  Normands  derechef,  suiuant  hors  de  leur  terre 
Guillaume  leur  grand  duc,  mirent  en  Angleterre     620 
Leur  coustume  et  leur  langue,  et  de  la  d'autres  lois, 
Qu'en  François  bien  longtems  n'ont  point  eu  les 
D'Archilocque  premier  la  furieuse  rage     [Anglois. 
De  son  ïambe  propre  arma  le  fier  courage  : 

dans  les  provinces  belges  de  Hainaut,  Namur  et  Liège. —  Cf.  Claude 
Fauchet  :  «  Quant  au  Wallon  ou  Gallon,  j'estime  que  c'est  unmoyen 
ou  nouveau  langage,  nay  depuis  Charles  le  Grand  :  ainsi  appelé 
pour  ce  qu'il  sentoit  plus  le  Gaulois  que  le  Thiois  :  lequel  toutesfois 
on  ne  laissa  d'appeler  Romain,  pour  ce  qu'il  approchoit  plus  du 
Romain  que  du  Thiois  ou  François  Germain.  (Recueil  de  Vorig. 
de  la  lang.  et  pots,  françoise,  chap.  iv.) 

615-616.  "Vauquelin  fait  de  la  langue  gauloise  la  mère  des  lan- 
gues catalane,  romane,  wallonne,  thioise.  Cette  langue  gauloise  ne 
peut  être  que  le  celtique,  corrompu  d'après  lui  par  le  latin  et  le 
tudesque.  On  sait  que,  si  notre  idiome  renferme  quelques  mots 
celtiques  et  un  assez  grand  nombre  de  vocables  thiois,  le  fond  en 
est  essentiellement  latin.  Tout  ce  passage  de  Vauquelin  manque  de 
clarté.  Il  aperçoit  bien  la  parenté  du  français  et  du  latin  d'une  part, 
et,  de  l'autre,  celle  des  diverses  langues  romanes  :  il  sait  aussi  que 
le  celtique  et  le  tudesque  ne  sont  pas  étrangers  à  nnre  langue; 
mais  ces  vérités,  toutes  nouvelles  à  l'époque,  se  trouvent  encore 
bien  enveloppées  d'obscurités  et  même  d'erreurs  —  Cf.  Fauchet  : 
«  Quand  les  Francs  entrèrent  dans  la  Gaule,  le  peuple  parloit  un 
langage  corrompu  du  Romain  et  de  l'ancien  Gaulois.  »  (Recueil  de 
Vorig.  de  la  lang.  et  poës.  fr.,  chap.  ni.)  —  Ceste  langue  Romande 
n'estoitpas  la  pure  Latine,  ains  Gauloise  corrompue  par  la  longue 
possession  et  seigneurie  des  Romains.  (Ibid.,  chap.  iv.) 

619  sqq.  Cf.  Fauchet  :  «Or,  la  langue  françoise  avoit  esté  portée 
en  Angleterre  par  Guillaume  le»Bastard.  Lequel...  y  voulut  planter 
sa  langue,  qu'il  estimoit  plus  polie  que  la  Saxonne  ou  Angloisc  : 
ordonnant  que  les  loix  nouvelles...  fussent  escrites  en  françois. 
(Op.  cit ,  chap.  v.) 

623  sqq.  Cf.  Hor.,  Ep.  aux  P.,  79,  82. 


—  39  — 

Ce  pied  du  gros  soulier  des  Gomicques  fut  pris,    625 
I  Et  du  beau  brodequin  des  tragiques  espris  : 
I  Outil  propre  à  traiter  des  communes  affaires, 
1  Des  propos  mutuels  et  des  bruits  populaires, 
I  Se  pouuant  comme  on  veut  en  François  r' apporter; 
I  Car  il  peut  en  tous  vers  l'oreille  contenter  :  630 

I  Mais  nostre  vers  d'huict,  sied  bien  aux  comédies, 
I  Comme  celuy  de  douze  aux  graues  Tragédies. 

Nos  longs  vers  on  appelle  Alexandrins,  d'autant 
H  Que  le  Roman  qui  va  les  prouesses  contant 
I  D'Alexandre  le  grand,  l'vn  des  neuf  preux  de  l'aage,  635 

627.  Des  communes  affaires.  Ce  n'est  pas  le  sens  du  latin  natum 
I  rébus  agendis. 

628.  Des  bruits  populaires.  Ce  n'est  pas  le  sens  du  latin popu- 
I  lares   vincentem  strepitus. 

629-630.  On  ne  s'expliquait  guère  que  Vauquelin  crût  devoir 
I  traiter  d'un  pied  tout  grec  et  latin  comme  l'ïambe.  Ce  n'était  qu'un 
I  développement  historique,  et  l'auteur  se  rappelle  ici  que,  s'il  imite 
I  Horace,  il  s'adresse  à  des  poètes  français. 

631.  L'octosyllabe  fut  généralement  le  mètre  des  mystères,  mo- 
I  ralités,  farces  et  soties  pendant  le  moyen  âge.  Au  xvie  siècle,  la 
I  comédie  le  conserva:  YEugenede  Jodelle,  la.Reconnue  de  Belleau, 
I  la  Tresoriere  de  Grévin,  les  Escoliers  de  Fr.  Perrin,  sont  écrits  en 
I  octosyllabes. 

632.  La  Cleopatre  de  Jodelle,  notre  première  tragédie,  est  écrite 
en  vers  alexandrins  aux  actes  premier  et  quatrième.  La  Didon  est 
déjà  tout  entière  de  ce  mètre. 

633  sqq.  Le  roman  d'Alexandre  fut  composé  par  Lambert  liTors 
et  Alexandre  de  Bernay  ;  il  donna  en  effet  leur  nom  aux  vers  de 
douze  syllabes  qui  pourtant  avaient  déjà  été  employés  dans  le 
Voyage  de  Charlemagne  à  Jérusalem. 

635.  L'un  des  neuf  preux  de  Vaage,  comme  nous  pourrions 
dire  un  d-js  sept  s  iges  de  notre  siècle.  Cf.  Vauquelin  : 

J'admire 

Les  faits  d'armes  hautains  de  ces  braves  neuf  Preux 
Et  de  ces  Chevaliers  errants  parmi  le  monde,  etc- 

(Epiy.  sur  le  portrait  de  Jean  Brise.) 


—  40  — 

En  ces  vers  fut  escrit  d'vn  Romanzé  langage  : 
Héroïques  ainsi  les  Carmes  furent  dits, 
D'autant  que  des  Héros  les  hauts  gestes  iadis 
En  ces  vers  on  chanta  :  Héros  qui  de  la  Grèce 
Guidèrent  en  Golchos  la  fleur  de  la  ieunesse         640 
Dans  la  parlante  Nef,  quand  le  preux  fils  d'^Eson, 
Mais  desloyal  amant,  emporta  la  toyson. 

On  peut  le  Sonnet  dire  vne  chanson  petite  ; 
Fors  qu'en  quatorze  vers  tousiours  on  le  limite  : 
Et  l'Ode  et  la  Chanson  peuuent  tout  librement      645 
Courir  par  le  chemin  d'vn  bel  entendement. 
La  chanson  amoureuse  affable  et  naturelle 
Sans  sentir  rien  de  l'Art,  comme  vue  villan elle, 
Marche  parmy  le  peuple  aux  danses  aux  festins, 

637.  V.  la  note  du  vers  507. 

038.  Hauts  gestes.  Cf.  Hauts  faits  dans  l'usage  actuel. 

641.  La  parlante  Nef.  C'est  le  navire  Argo.  —  Le  fils  d'JEson. 
Jason.  —  Vauquclin  prend  ici  les  Argonautiques  d'Apollonius 
comme  type  du  poème  héroïque. 

643  sqq.  Cf.  du  Bellay  :  «Sonne  moy  ces  beaux  Sonnets,  non  moins 
docte  que  plaisante  Invention  Italienne,  conformes  de  nom  h  l'Ode, 
et  différents  d'elle,  seulement  pour  ce,  que  le  Sonnet  a  certains 
vers  réglez  et  limitez  :  et  l'Ode  peut  courir  par  toutes  manières  de 
Vers  librement.  »  {Défense,  liv.  II,  chap.  iv.) 

645.  Tout  librement,  c'est-à-dire  sans  limite  fixe. 

648.  La  villanelle  est  une  petite  poésie  pastorale  d'origine  ita- 
lienne, divisée  en  couplets  :  c'est  Grévinqui  la  mit  à  la  mode  chez 
nous.Le  rythme  des  villanelles,  le  nombre  de  couplets  et  de  vers,  ont 
varié  d'abord  selon  le  caprice  des  poètes. Ce  genre  ne  tarda  pourtant 
pas  à  être  fixé  par  des  règles.  Dans  sa  dernière  forme,  la  villanelle, 
commençant  toujours  par  un  vers  féminin,  se  divise  en  tercets  dout 
le  nombre  n'est  point  limité.  Le  premier  et  le  troisième  vers  du  pre- 
mier tercet  reviennent  successivement,  en  guise  de  refrain,  pour 
terminer  chacun  à  leur  tour  les  tercets  suivants  :  tous  deux  figurent 


—  41  — 

Et  raconte  aux  carfours  les  gestes  des  mutins  :      650 

L'Ode  d'vn  graue  pied,  plus  nombreuse  et  pressée 

Aux  dames  et  seigneurs  par  toy  soit  addressee  : 

De  mots  beaus  et  choisis  tu  la  façonneras, 

De  mile  belles  fleurs  tu  la  couronneras  : 

D'ornemens,  de  couleurs,  de  peintures  brunies,    655 

En  leurs  dejectemens  également  vnies. 

En  cent  sortes  de  vers  tu  la  peux  varier  : 

Mais  tousiours  aux  accôdrs  du  Luth  la  marier  : 

Et  que  chacun  couplet  r' entre  de  telle  sorte, 

Que  quelque  mot  poignant  en  sa  fin  il  rapporte      653 

Sentant  son  Epigramme,  et  tellement  soit  ioint 

Qu'au  lecteur  il  semble  estre  acomply  de  tout  point. 

Si  d'vne  fiction  d'vn  long  discours  tu  causes, 

Tu  pourras  diuiser  cette  longueur  en  pauses. 

Ou  par  les  plis  tournez  des  Odes  du  Sonneur,        665 

Qui  Grec  sur  les  neuf  Grecs  lyriques  eut  l'honneur. 

à  la  dernière  strophe,  qui  est  un  quatrain.  Le  mètre  usité  est  celui 
de  sept  syllabes.  On  connaît  la  villanelle  de  Passerat  : 

J'ai  perdu  ma  tourterelle,  etc. 

650.  Il  ne  s'agit  évidemment  pas,  dans  ce  dernier  vers,  de  la 
chanson  que  Vauquelin  a  caractérisée  plus  haut  (vers  647),  mais 
d'une  chanson  toute  populaire  et  satirique. 

657.  On  sait  que  Ronsard  a  orée  ou  restauré  une  infinité  "de  ryth- 
mes lyriques,  parmi  lesquels  Malherbe  se  contenta  de  faire  un 
choix. 

658.  Accodrs  (sic).  —  Il  faut  sous-entendre  dans  ce  vers  non  pas 
tu  pmx  du  vers  précédent,  mais  un  autre    verbe  comme  tu  dois. 

660-661.  Vauquelin  ne  veutpas  que  l'ode  ait  un  tour  épigram- 
matique  ;  ce  qu'elle  aura  de  commun  avec  l'épigramme,  c'est  que 
chaque  strophe  se  terminera  par  un  trait  pénétrant. 

665.  Les  plis  tournez.  Les  strophes,  anlistrophes  et  épodcs  de 
l'ode  puida:*esque. 


—  42  — 

Mais  rien  n'est  si  plaisant  que  la  courte  Odelette 
Pleine  de  ieu  d'amour,  douce  et  mignardelette  : 
Si  tu  veux  du  sçauoir  philosophe  y  mesler, 
Par  la  Muse  il  le  faut  à  ton  aide  appeler,  670 

A  toy  mesme  asseruant  la  douce  Polimnie, 
Autrement  sa  faueur,  dépite  elle  dénie, 
Et  non  l'assuiettir  aux  mots  sentencieux 
Sans  qu'elle  sente  vn  peu  son  air  capricieux, 
Sur  quelque  fantaisie  éleué  (par  la  grâce  675 

De  contes  fabuleux)  dessus  la  prose  basse. 

La  Muse  sur  le  Luth  pour  suiet  flst  ioiier 
Et  les  Dieux  et  les  Rois,  et  leurs  mignons  Ioiier, 
Les  ioustes  les  combats,  la  ieunesse  s'aymante 
A  picquer  les  cheuaux  sous  la  bride  écumante  ;     680 
JL.es  ballets  et  le  vin,  les  danses,  les  banquets 
Et  des  ieunes  amants  les  amoureux  caquets. 

Mais  auec  son  fredon,  or  la  Lyre  cornue 
En  la  France  est  autant  qu'en  la  Grèce  connue  : 
Et  nul  vulgaire  encor  n'a  iamais  entrepris  685 

De  vouloir  par  sus  elle  en  emporter  le  pris. 
Car  depuis  que  Ronsard  eut  amené  les  modes 

667-668.  Ces  deuxvers  forment  une  sorte  de  parenthèse  ;Vau- 
quelin  revient  ensuite  à  l'ode  au  grave  pied  et  aux  plis  tournez. 

671.  Polimnie.  Muse  qui  préside  à  la  poésie  lyrique. 

675-676.  Par  la  grâce  de  contes  fabuleux.  On  sait  combien 
Ronsard,  dans  ses  odes  pindaresques,  a  abusé  des  souvenirs  my- 
thologiques et  des  légendes  grecques. 

677  sqq.  Cf.  Hor.,  Ep.  aux  P.,  83-85.  —  Du  Bellay  :  «  Chante 
moy  ces  odes...  Et  quand  à  ce,  te  fourniront  de  matières  les  lou- 
anges des  Dieux  et  des  hommes  vertueux...,  la  solicitude  des 
jeunes  hommes,  comme  l'amour,  les  vins  libres  et  toute  bonne 
chère.  {Défense,  liv.ll,  chap.  iv.) 


—  43  — 

Du  Tour  et  du  Retour  et  du  Repos  des  Odes, 

Imitant  la  pauane  ou  du  Roy  le  grand  bal, 

Le  François  n'eut  depuis  en  l'Europe  d'égal  :         690 

D'Elbene  le  premier  cette  lyre  ancienne, 

A  l'enui  des  François  fait  ore  Italienne. 

En  ce  genre  sur  tous  proposer  tu  te  dois 
L'inimitable  main  de  Pindare  Gregois, 
Et  du  Harpeur  Latin,  et  tesiouir  et  rire  695 

Et  sur  la  Téïenne  et  la  Saphique  lyre. 

Le  but  de  Galien  c'est  garder  de  mourir 
Le  malade  qu'il  veut  par  drogues  secourir: 
Le  but  de  Ciceron  c'est  de  bien  faire  croire 
Par  ses  viues  raisons,  son  fait  comme  vne  histoire.  700 
Mais  quand  et  l'vn  et  l'autre  à  ce  but  n'atteindroit, 
Le  nom  de  médecin  Galien  ne  perdroit, 
Ni  Ciceron  son  tiltre  :  à  raison  que  procède 
Le  mal  souuent  d'vn  point  qui  n'a  point  de  remède 
Et  qu'aussi  d'vn  procez  l'entremeslé  défaut  705 

Empesche  qu'on  ne  soit  entendu  comme  il  faut: 

588.  Du  Tour  et  du  Retour,  etc.  C'est  ce  que  Vauquelin  appelle 
plus  haut  les  plis  tournez  des  odes  (v.  665). 

689.  La  pavane.  Danse  grave,  venue  d'Espagne,  où  les  danseurs 
font  la  roue  l'un  devant  l'autre. 

691.  D'Elbene.  Il  s'agit  ici  de  Bartholomeo  Del-Bene,  poète  flo- 
rentin; il  adressa  à  Ronsard  deux  odes  en  italien,  qu'on  trouve  dans 
l'édition  Blanchemain  (t.  II,  380  ;  IV,  356).  Ne  pas  le  confondre  avec 
Alphonse  Dclbene,  abbé  de  Haute-Combe,  auquel  Ronsard  adresse 
son  Abrégé  d'Art  poétique. 

694.  L'inimitable  main.  La  main,  avec  laquelle  le  poète  touche 
la  lyre,  symbolise  ici  son  art. 

695.  Tesiouir  (sic). 

696.  Anacréon  était  de  Téos. 

697  sqq.  Cf.  Hor.,Ep.  aux  P.,  369,  sqq. 


—  44  — 

Mais  sans  donner  plaisir  son  nom  perd  vn  Homère, 
Il  deuient  de  Poëte  vne  laide  Chimère. 
C'est  le  but,  c'est  la  fin  des  vers  que  resiouir: 
Les  Muses  autrement  ne  les  veulent  ouir.  710 

Les  Peintres  sont  ainsi  peingnants  la  Madelene, 
Pleurante, ils  la  feront  ressembler  vne  Hélène, 
Nonchalante,  agréable,  ouurant  de  tous  costez, 
En  son  rauissement  vn  thresor  de  beautez. 

Ce  qui  flst  sembler  beaus  à  la  Grèce  ancienne    715 
Et  les  vers  et  les  chants  de  Saphcn  Lesbienne, 
C'est  qu'ils  parloient  tousiours  de  mile  faits  plaisans. 
Des  ombrages,  des  prez,  des  oyseaux  degoisans, 
Des  épesses  forests,  des  sources  gasouillardes, 
Roullant  sur  le  grauois  leurs  ondes  babillardes,    720 
Des  Hesperides  Sœurs,  de  leurs  iardins  encor, 
Ou  le  dragon  vueillant  gardoit  les  pommes  d'or  : 
Des  Nimphes,  de  leur  bal,  des  danses  mesurées 
Qu'elles  branloient  en  rond  sur  les  tardes  serees, 
De  mile  autres  plaisirs  qui  tous  délicieux  725 

Sont,  sans  les  regarder,  agréables  aux  yeux: 
Semblables  au  Printemps,  dont  les  fleurs  aurilleres, 
Bigarrant  vn  iardin,  promtes  et  iournalieres, 
Vous  plaisent  sans  penser  aux  bons  fruicts  de  l'Esté, 
Tant  vous  est  à  propos  ce  plaisir  présenté  :  730 

Sans  fruict  ainsi  vous  plaist  vne  rose  nouuelle, 
Et  le  baiser  sans  fruict  qu'on  prend  d'vne  pucelle. 

721.  Les  Hesperides,  filles  d'IIespérus,    habitaient  un  jardin  où 
les  arbres  étaient  chargés  de  pommes  d'or. 


—  45  — 

Puis  des  vers  le  Génie  estant  du  ciel  venu, 
Pour  céleste  plustost  que  terrestre  est  tenu. 
Car  encor  que  la  perle  Indienne  et  gemmeuse       735 
Naisse  dedans  le  nacre  en  la  mer  escumeuse, 
Toutesibis  elle  tient  plus  du  Ciel  que  de  l'eau, 
Aprochant  en  couleur  de  son  visage  beau: 
Aussi  l'esprit  conduit  par  la  Muse  diuine, 
Dépend  plustost  du  Ciel,  dont  il  prend  origine,     740 
Que  non  pas  de  la  terre  ou  son  corps  est  viuant 
Ainsi  que  le  Soucy  son  beau  Soleil  suiuant. 

C'est  pourquoy  des  beaus  vers  la  ioyeuse  alegresse 
Nous  conduit  aux  vertus  d'vne  plaisante  addresse, 
Et  pourquoy  Dieu  se  prie  aux  Temples  en  chantant  745 
Et  d'vn  cœur  réioui  plustost  qu'en  lamentant. 

le  scay  bien  toutefois  que  profiter  et  plaire, 
Comme  ailleurs  ie  diray,  est  le  seul  exemplaire 
De  la  perfection  ;  mais  toujours  si  faut  il, 
Qu'on  trouue  quelque  chose  au  profit  de  gentil  :    750 
Chasteau- vieux  bouffonnant  pour  gosser  et  pour  rire 
Ne  laisse  à  profiter  et  plaire  en  son  médire. 

Des  gemmes  que  l'on  trouue  aux  riuages  Indois, 
Iestime  tousiours  celle  estrede  plus  grand  chois, 

738.  Son  visage,  c'est-à-dire  l'aspect  du  ciel. 

744.  D'une  plaisante  addresse.  Par  un  chemin  agréable. 

745.  Cf.  Vauquelin  : 

Car  pour  montrer  que  Dieu  veut  qu'on  se  réjouisse, 
Il  veut  qu'avecques  chants  on  confesse  son  vice. 

(Satyr.  fr.,  1, 5.) 
747  sqq.  Cf.  Hor.,  Ep.  aux  P.,  333  sqq. 

751.  Chasteau- Vieux  est  un  prédécesseur  des  Garguille  et  des 
Tabarin.  Vauquelin  l'appelle  plus  bas  brave  farceur  (111,  109). 


—  46  — 

Qui  non  seulement  belle  en  couleur  variante       755 

Sçait  réiouir  les  yeux  agréable  et  riante, 

Mais  qui  sçait  à  des  maux  remèdes  aporter, 

Et  par  vertu  secrète  vn  esprit  conforter  : 

Ainsi  des  Muses  est  la  chanson  souueraine, 

Qui  n'a  pas  seulement  la  voix  belle  et  sereine,       760 

La  parole  plaisante  et  l'air  délicieux  : 

Mais  qui  sçait  d'auantage  enchâsser  précieux 

Le  diamant  en  l'or,  tirant  auec  délices, 

Par  ses  enseignemens  vn  homme  de  ces  vices. 

Si    quelqu'vn    deuant   vous,   si   quelqu'vn    puis 

[après  765 
Imite  en  mesme  endroit  les  Latins  et  les  Grecs, 
Vous  rencontrant  ensemble,  il  ne  faut  par  enuie, 
Ni  par  dépit  laisser  l'œuure  non  poursuiuie  : 
Les  Autheurs  sont  communs,  tels  les  imiteront, 
Qui  mieux  que  les  premiers  les  représenteront  :    770 
Qui  va  même  chemin  et  fait  même  voyage, 
Quelquefois  se  rencontre  en  vn  même  passage. 

Gomme  tout  peintre  n'est  parfait  en  chaque  part 
De  tout  ce  que  requiert  la  règle  de  son  art  : 
Mais  l'vn  en  simples  traits  tant  seulement  char- 

[bonne,  775 
L'autre  sait  porfller  l'ombre  d'vne  personne  : 
L'vn  des  membres  fait  bien  vn  raccourcissement, 
L'autre  sçait  de  couleurs  faire  vn  rehaussement  : 

764.  Ces,  faute  d'impression,  pour  ses. 
773  sqq.  Cf.  Boileau,  Art  poét.,  I,  13  sqq. 


—  47  — 

L'vn  peindra  seulement  des  grands  dieux  les  images, 

Et  l'autre  au  naturel  contrefait  les  visages  :  780 

L'vn  sçait  bien  les  couleurs  subtil  entremesler, 

Et  l'autre  en  Symmetrie  aussi  tout  egaller. 

Des  Poètes  ainsi,  l'vn  fait  vn  Epigrame, 

L'autre  vne  Ode,  vn  Sonnet,  en  l'honneur  d'vne  dame, 

L'vn  vne  Comédie,  et  l'autre  d'vn  ton  haut,  785 

Tragique  fait  armer  le  royal  echafaut. 

L'vn  fait  vne  Satyre,  et  l'autre  vne  Idillie, 

Qui  iusque  aux  petits  chants  des  Pasteurs  s'humillie, 

Et  peu,  qui  sont  bien  peu,  la  trompette  entonnant, 

Font  bruire  d'vn  rebat  l'air  au  tour  re sonnant.      790 

Mais  comme  auec  Apelle  on  loue  vn  Timagore, 

Protogene,  Zeusis,  Timante,  Apollodore, 

Parrasse  et  Pollignot,  peignants  diuersement  : 

Homère  seul  ainsi,  ni  Maron  seulement 

N'ont  gaigné  le  Laurier  :  De  cette  branche  on  pare  795 

Gomme  eux,  Gatule,  Horace,  Hésiode,  et  Pindare  : 

Aussi  pour  le  suiet  des  premiers  ne  traitter, 

782.  En  Symmetrie .  ..tout  egaller,  c'est-à-dire  bien  proportionner 
ses  figures. 

789.  La  trompette  épique.  Cf.  II,  106.  —  Boilean.Art  poét.,  II,  14. 

791  sqq.  Apelle,  fameux  peintre  grec  qui  florissait  dans  la 
seconde  moitié  du  ive  siècle.  Timagore,  peintre  grec  du  ve  siècle. 

792-793.  Protogene,  peintre  rhodien  du  ive  siècle. —  Zeusis,  peintre 
grec  du  ve  siècle  —  Timante,  peintre  grec  du  ive  siècle.  —  Apol- 
lodore,  peintre  athénien,  qui  florissait  au  commencement  du 
Ve  siècle.  —  Parrasse,  peintre  grec  du  ive  siècle.  —  Polignot, 
peintre  grec  du  ve  siècle. 

794  sqq.  Cf.  du  Bellay  :  «  Car  c'est  chose  honneste  à  celuy  qui 
aspire  au  premier  Ranc,  demeurer  au  second,  voire  au  troiziesme . 
Non  Homère  seul  entre  les  Grecz,  non  Virgile  entre  les  Latins,ont 
acquis  los  et  réputation,  etc.  {Défense,  liv.  II,  chap.  v.) 


—  48  — 

On  ne  doit  de  leur  rang  les  seconds  reietter  : 

Chacun  en  son  espèce  a  part  à  la  Couronne 

De  l'arbre  Delphien,  qui  leurs  chefs  enuironne.      seo 

Mais  celuy  qui  ne  peut  garder  l'ordre  diuers, 
Et  les  couleurs  de  lœuvre  en  escriuant  des  vers, 
Et  donner  son  vray  iour  à  l'argument  qu'il  traite, 
Ne  méritera  point  qu'on  l'appelle  Poëte. 
Pourquoy  veut  il  honteux,  ignorant  demeurer,     805 
Plustost  qu'en  aprenant,  plushardy  s'asseurer? 

Par  vn  Tragicque  vers  ne  peut  estre  traitée 
Vne  chose  Comique,  ains  bassement  contée: 
Et  ne  faut  reciter  en  vers  priuez  et  bas 
De  Thiëste  sanglant  le  plorable  trespas  ;  sio 

Chacune  chose  doit  en  sa  naïfue  grâce 
Retenir  proprement  sa  naturelle  place  : 
Si  l'Art  on  n'accommode  à  la  Nature,  en  vain 
Se  trauaille  de  plaire  en  ses  vers  l'escriuain  : 
Néanmoins  quelquefois  de  voix  vn  peu  hardie  :     815 

801  sqq.  Cf.  Hor.,  Ep.  auxP.,86-88. 

802.  Lœuvre  (sic). 

807    sqq.  Cf.  Hor.,  Ep.  aux  P.,  89-98. 

808.  Ellipse  analogue  à  celle  du  vers  658.  Après  ains  il  faut  sup- 
pléer le  verbe  doit. 

810.  Il  y  a  dans  Horace  cœna  Thyestœ.  On  serait  tenté  de  croire 
à  une  faute  d'impression,  et  de  lire  repas  pour  trespas.  Mais  nous 
trouvons  de  môme  dans  la  satire  à  Pontus  de  Thiard  : 

La  dure  achoison 

Dont  se  plaignoit  Medee  encontre  de  Jason, 

Le  trespas  d'un  Thicste,  un  souffrant  Promethee,  etc. 

(Satyres  françoises,  liv.  V,  sat.  vin.) 
Atrée  et  Thycste  étaient  les  deux  fds  de  Pélops.    Le  dernier  sé- 
duisit la  femme  de  son  frère.  Celui-ci  tua  les  deux  fds  de  Thyeste 
les  et  lui  servit  dans  un  repas.  Il  fut  lui-même  tué  par  Egisthe. 


—  49  — 

S'éleue  en  son  couroux  la  basse  Comédie  : 

Et  d  vne  bouche  enflée  on  void  souuentefbis 

Chrêmes  se  dépiter  en  éleuant  sa  voix; 

Le  Tragicque  souuent  de  bouche  humble   et  petite. 

Bassement  sa  complainte  aux  échaffauts  recite.      820 

Quand  Telephe  et  Pelé  banis  et  caimandans 
S'efforcent  d'émouuoir  le  cœur  des  regardans, 
Et  Ragot  belittrant,  vn  Euesque  importune, 
Il  a  des  mots  piteux  propres  à  sa  fortune, 
Tous  laissent  les  gros  mots  empoulez  et  venteux,  825 
Comme  mal  conuenant  aux  banis  souffretteux. 

Non  ce  n'est  pas  assez  de  faire  vn  bel  ouurage, 
Il  faut  qu'en  tous  endroits  doux  en  soit  le  langage, 
Et  que  de  l'écouteur  il  sache  le  désir 
Le  cœur  et  le  vouloir  tirer  à  son  plaisir.  830 

Montre  face  riante  en  voulant  que  l'on  rie, 
Pour  nous  rendre  marris  montre  la  nous  marrie, 

818.  Au  ve    acte    de  YHeautontimoroumenos,    Chrêmes  gour- 
mande son  fils  Clitophon. 
819-820.  Cf.  Boileau,  Artpoét.,  III,  141. 

820.  Complainte  traduit  le  dolet  d'Horace. 

821.  Telephe,  roi  de  Mysie,  détrôné  par  Achille.  Eschyle,  Sophocle, 
Euripide,  Agathon,  en  Grèce;  Ennius  et  Accius,  à  Rome,  l'avaient  pris 
pour  héros  tragique.  —  Pelé,  fds  d'Eaque  et  père  d'Achille,  fut  chassé 
de  Salamine  par  son  père  comme  meurtrier  de  son  frère.  Réfugié 
à  Phthie,  il  tua  son  beau-père  et  fut  une  seconde  fois  réduit  à  l'exil. 

823.  Ragot,  célèbre  bélître,  dont  parlent  Brantôme,  Rabelais, 
Marot.  H.  Estienne.  Tahureau  dit,  dans  ses  Dialogues  du  Démo- 
critique  et  du  Cosmophile  :  «  L'elegant  et  insigne  orateur  belistral 
unique  Ragot  jadis  tant  renommé  entre  les  gueux  de  Paris,  comme 
le  paragon,  roi  et  souverain  maîstre  d'iceux,  lequel,  etc.  » 

825.  Les  gros  mots.  Nous  dirions  ici  les  grands  mots. 

825,  826.  Cf.  Boileau,  Art  poét.,  III,  143-144. 

827  sqq.  Cf.  Hor.,  Ep.  aux  P.,  99-118. 


-50- 

Si  tu  'veux  que  ie  pleure  il  faut  premièrement 
Que  tu  pleures  et  puis  ie  plaindray  ton  tourment. 

Ragot  si  tu  venois  en  prière  caimande,     .  835 

Me  faire,  trop  hautain,  vne  sotte  demande, 
le  me  rirois,  ou  bien  tu  n'aurois  rien  de  moy, 
Vn  doux  parler  est  propre  aux  hommes  tels  que  toy  : 
Aux  hommes  furieux  paroles  furieuses, 
Lasciues  aux  lascifs,  et  aux  ioyeux  ioyeuses:         sio 
Et  le  sage  propos  et  le  graue  discours 
A  quiconque  a  passé  de  ieunesse  le  cours  : 
Car  Nature  premier  dedans  nous  a  formée 
L'impression  de  tout  pour  la  rendre  exprimée 
Par  le  parler  après  ;  et  selon  l'accident  845 

Elle  nous  aide,  ou  met  en  vn  mal  euident, 
Ou  d'angoisse  le  cœur  si  durement  nous  serre, 
Q'uelle  nous  fait  souuent  pâmez  tombera  terre, 
Et  découurir  après  d'vn  parler  indiscret, 
Aueuglez  de  fureur,  de  nos  cœurs  le  secret.  850  ; 

Il  faut   que  la  personne  à  propos  discourante, 
Suiue  sa  passion  pour  estre  bien  disante. 

Si  le  graue  langage  à  celuy  qui  le  tient, 
Selon  sa  qualité,  peu  séant  n'appartient, 
La  noblesse  Françoise  et  le  bas  populace  855 

Se  pasmeront  de  rire  en  voyant  son  audace. 

Grand'  différence  y  a  faire  vn  maistre  parler, 

833,834.  Cf.  Boilcau.,  Art  poét.,  III,  142. 

835.  V.  la  note  du  vers  823. 

848.  Q'uelle  (sic). 

858.  Davus.  Valet  de  la  comédie  latine. 


—  51  — 

Ou  Dauus  qui  ne  doit  au  maistre  s'égaller, 

Ou  le  Don  Pantalon,  ou  Zany  dont  Ganasse 

Nous  a  représenté  la  façon  et  la  grâce  :  860 

Ou  le  sage  vieillard,  ou  le  garçon  bouillant 

Au  mestier  de  l'amour  et  des  armes  veillant  : 

Ou  bien  faire  parler  une  dame  sçauante, 

Ou  la  simple  nourrice,  ou  la  jeune  seruante, 

Ou  celuy  qui  la  pleine  en  sillons  va  trenchant,       865 

Ou  bien  de  port  en  port  vagabond  le  marchant, 

L'Alleman,  le  Souisse,  ou  bien  quelque  habile  homme 

Qui  n'est  point  amendé  de  voyager  à  Rome, 

Ou  celuy  qui  nourri  dans  l'Espagne  sera, 

Ou  celuy  qui  d'Italie  en  France  passera.  870 

Toy,  qui  sçauant  escris  d'vne  plume  estimée, 
Au  plus  près  suy  cela  que  tient  la  renommée  : 
Ou  bien  des  choses  fein  conuenantes  si  bien, 
Que  de  non  vray-semblable  en  elles  n'y  ait  rien. 

Si  tu  descris  d'Achille,  honoré  par  Homère  875 
Les  faits  et  la  valeur,  l'ardeur  et  la  colère, 

859.  Pantalon.  Personnage  de  la  comédie  italienne  représentant 
le  vieillard  avare,  crédule,  libertin,  méticuleux.  —  Zany.  Les 
Sannionnes  ou  bouffons  de  la  comédie  antique  se  retrouvent  avec 
l'emploi  de  valet  dans  la  Commedia  deW  arte  où  ils  portent  le  nom 
de  Zanni.  —  Ganasse,  Jean  Ganasse  était  à  la  tête  d'une  troupe  de 
comédiens  italiens  :  il  donna  des  représentations  en  Espagne  et 
ensuite  en  France.  On  voit  ici  qu'il  jouait  le  rôle  des  Zanni. 

86i-868.  Cf.  le  proverbe: 

Jamais  cheval  ni  méchant  homme 

N'amende  pour  aller  à  Rome.       (Littré,  Dictionnaire.) 

C.-à-d.  :   On  ne  se  corrige  pas  de  ses  vices  en  voyageant. 
871  sqq.  Cf.  Hor.,Ep.  aux  P.,  119-130. 

875.  Honore'  par  Homère.  Ce  n'est  pas  le  sens  d'honoratum  dans 
Horace. 

10 


Fay  le  brusque  et  hautain,  actif  et  conuoiteux, 
Ardant,  impitoyable,  inuaincu  depiteux, 
Ne  confessant  iamais  que  les  loix  engrauees 
Pour  luy  soient  en  du  cuyure  es  tables  eleues  :      sso 
Mais  voulant  par  le  fer,  poussé  de  son  dédain, 
Soumettre  toute  chose  à  son  pouvoir  hautain. 

Descris  vne  Medee,  indomtable  et  cruelle, 
Inon  toute  epleuree,  Ixion  infldelle, 
Oreste  furieux,  Ion  vagabondant  885 

De  son  dieu  rauisseur  le.  secours  attendant. 

Si  tu  veux  sur  le  ieu  de  nouueau  mettre  en  veùe, 
Vne  personne  encor  en  la  Scène  inconneùe, 
Telle  jusqu'à  la  fin  tu  la  dois  maintenir, 
Que  tu  l'as  au  premisr  fait  parler  et  venir.  & 

Mais  il  est  malaisé  de  bien  proprement  dire 
Ce  qu'on  n'a  point  encor  veu  par  vn  autre  escrire: 
Pour  ce  plus  seurement  tu  pourras  imiter 
L'aueugle  clair  voyant,  qu'vn  suiet  inuenter, 

875  sqq.  Cf.  Boileau.,  Art.  poét.,  III.  105  sqq. 

878.  Invaincu.  Ce  mot  est  très  usité  au  xvie  siècle.  On  le  trouve 
dans  le  Loyal  Serviteur,  Ronsard,  d'Aubigné,DuBartas.  Le  diction- 
naire de  Nicot  et  celui  de  Cotgravele  donnent  tous  deux. 

883.  Médée,  pour  se  venger  de  Jason,  fit  périr  les  deux  enfanta 
qu'elle  avait  eus  de  lui. 

884.  Ino,  fille  de  Cadmus,  se  jeta  dans  la  mer  pour  se  soustrar 
à  la  fureur  de  son  mari  Athamas.  —  Ixion  tua  son  beau-père  Déioné 
en  le  faisant  tomber  par  trahison  dans  une  fournaise  ardente. 

885.  Oreste,  après  le  meurtre  de  sa  mère,  fut  poursuivi  par  les  Fu- 
ries.— Io,  fille  d'Inachus, parcourut  toute  la  terre  pour  échappera] 
vengeance  de  Junon.(Cf.Ovid.,  Métam.,  1,583;  Eschyle,  Prométhée.) 

887.  sqq.  Cf.Boileau.  Art  poét.,  Ill,  124-126. 
894.  L'aveugle  clairvoyant.  Homère.  Cf.  Victor  Hugo  : 
Quand  l'œil  du  corps  s'éteint,  l'œil  de  l'esprit  s'allume. 

(Contemplations,  tome  I,  xx,  A  un  poète  aveugle.) 


(Qui  n'ait  point  esté  dit)  de  choses  inouyes,         895 

Rendant  sans  aucun  fruict  des  fleurs  epanouyes. 

Ou  bien  si  d'vne  Histoire  vn  grand  Prince  fameux 

Tu  veux  faire  floter  sur  les  flots  ecutneux, 

Faire  tu  le  pourras  et  Chrestien  son  nauire 

Hors  des  bancs  périlleux  et  des  ecueils  conduire  :  900 

Aussi  bien  en  ce  temps,  ouir  parler  des  dieux 

En  une  Poésie  est  souuent  odieux. 

Des  siècles  le  retour  et  les  saisons  changées 

Souvent  soubz  d'autres  loix  ont  les  Muses  rangées. 

Tasso,  qui  de  nouueau  dans  Solyme  a  conduit    905 
Le  deuot  Godefroy,  qu'vne  grand'  troupe  suit, 
Certaine  preuue  en  fait  ;  mais  vn  suiet  semblable 
Il  te  faut  imiter  sur  vne  vieille  fable, 
Et  pour  n'estre  dédit,  il  faut  bien  aduertir 
De  prendre  vn  argument  ou  l'on  puisse  mentir:    910 
Le  vers  du  vray-semblable  aime  vne  conterie, 
Qui  plustost  que  le  vray  suit  vne  menterie. 

Si  d'vne  longue  alaine  vn  bel  œuure  tu  veux 
Parfaire  pour  passer  jusqu'aux  derniers  neueux, 
Chante  d'vn  air  moyen,  non  tel  que  l'Héroïque,      915 
Ni  si  bas  descendant  que  le  vers  Bucolique, 
Mais  qui  de  l'vn  et  l'autre  vn  vers  enlassera, 
Qui  tantost  s'éleuant,  tantosts'abbaissera: 
Tel  que  du  grand  Maron  le  doux  plaisant  ouurage, 

901  sqq.  Cf.  111,33  sqq. 845  sqq.—  V.  sur  la  question  du  merveil- 
leux chrétien  le  chap.  iv  de  la  Notice,  partie II. 

907  sqq.  Sur  la  distinction  du  poète  épique  et  de  l'historien,  Cf. 
Ronsard,  préface  de  \a.Franciade. 


Qu'imitant  Hésiode  il  flst  du  labourage  :  920 

Et  que  celuy  d'Ouide  ayant  par  les  retours 

De  l'an,  chanté  l'honneur  de  leurs  chommables  iours 

Et  tel  qu'après  Pontan  en  nostre  langue  encores 

Auoit  bien  commencé  Baïf  aux  Météores  : 

Tel  que  de  Saintemarthe  est  cet  ceuure  diuin         925 

Qu'il  a  fait  sur  le  Clain  au  bel  air  Poiteuin  : 

Quand  Latin  et  François  imitant  la  Nature, 

Il  chante  des  enfants  la  chère  nourriture, 

Et  tel  qu'après  Arat  Manile  chante  ainsi 

Les  Estoiles  du  Ciel,  leurs  figures  aussi  :  930 

Tel  qu'après  Empedocle,  ô  Lucrèce,  tu  oses 

Chanter  d'vn  aii  pareil  la  Nature  des  choses. 

920.  Cf.  Virgile  : 

Ascraumque  cano  Romanaper  oppida  carmen. 

(Géorg., Il, 116.) 

Virgile  ne     fait  d'ailleurs    à  Hésiode  que  de  rares  emprunts  :  ce 
vers  veut  dire  simplement  qu'il  s'exerce  dans  le  même  genre. 

921.  Celuy  d'Ovide.  Les  Fastes. 

923.  Pierre  Brugge  ou  de  *Ponte,  ou  Pontanus  (1480-1529)  avait 
publié  en  1520  un  Ars  versificatoria. 

924.  Le  Livre  des  Météores,  poème  resté  inachevé  (1567\  est  comme 
un  traité  de  physique  et  d'astronomie  dans  lequel  Baïf,  s'inspirant 
souvent  de  Virgile,  décrit  avec  une  précision  pittoresque  les  phéno- 
mènes du  ciel  et  de  l'atmosphère. 

925  sqq.  Scévole  de  Sainte-Marthe  (1536-1623).  Vauquelin  l'avait 
connu  à  Poitiers  dans  sa  jeunesse.  (Cf.  Satire  Ve  duliv.  Ier.)  Allu- 
sion à  sa  Pœdotrophia,  poème  sur  l'art  de  nourrir  les  enfanJs  à  la 
mamelle,  dont  la  latinité  passait  pour  accomplie. 

926.  Le  Clain  est  une  rivière  qui  baigne  Poitiers. 

929.  Aratus,  le  poète  grec,  auteur  des  Phénomènes  et  Pronostics  ; 
ce  poème  avait  été  traduit  par  Belleau.  —  Manilius,  le  poète  latin, 
auteur  des  Astronomiques. 

931.  Empedocle,  le  philosophe  grec,  auteur  d'un  poème  sur  la 
nature.  Lucrèce,  qui  en  fait  un  magnifique  éloge,  l'a  probablement 
imité. 


—  55  — 

Premier  souuienne  toy  par  vn  humble  recours 
De  la  toute  puissance  inuoquer  le  secours 
Soubs  quelque  nom  diuin,  puis  de  trop  d'abon- 

[dance,  935 
Garde  toy  de  la  Muse  enfraindre  l'ordonnance, 
Enfillant  tes  propos  si  Poétiquement 
Qu'ils  ne  sentent  grossiers  la  Prose  aucunement: 
Et  ne  mets  nul  suiet,  nul  conte,  nulle  histoire, 
Qui  dans  le  cabinet  des  filles  de  mémoire,  940 

Ne  puisse  bien  entrer  :  depeur  de  cette  erreur, 
Rends  au  bon  iugement  suiette  ta  fureur: 
A  quoy  te  seruiront  mile  chose  chantées 
Par  les  Grecs,  dudepuis  des  Romains  imitées. 

Les  argumens  connus  aux  Poëmes  ouuers  945 

Gomme  tiens  se  liront  estre  tes  propres  vers, 
Si  tout  tu  ne  veux  point  t'embrouiller  à  la  suite 
De  l'ample  et  du  vil  tour  de  la  matière  escrite. 
Pour  ce  tu  ne  doibs  point,  mot  pour  mot  t'arrester, 
A  vouloir  vn  suiet  fldelle  interpréter:  '  950 

Car  on  ne  doit  iamais,  lors  que  libre  on  imite, 
De  son  gré  s'engager  en  place  trop  petite  : 

941.  Depeur  (sic). 

945  sqq.  Cf.  Hor.,  Ep.  aux  P.,  131-135- 

946.  Construction  incorrecte,  qui  n'empêche  pas  d'ailleurs  le  sens 
d'être  clair. 

947-948.  Vers  obscurs  ;  il  faut  les  expliquer  à  l'aide  de  ceux   que 
Vauqueliu  traduit  : 

Publica  materies  privati  juris  erit,  si 

Non  circa  vilempatulumque  moraberis  orbem. 

(Hor.,Ep.  aux  P.,  131-132.) 
951-954.  Même  observation. 

10. 


—  56  — 

La  honte  d'en  sortir  nous  viendrait  empescher, 
Et  la  loy  de  l'ouurage  ensemble  d'y  toucher. 
Qui  veut  trop  curieux  vne  langue  traduire  955 

Veut  la  langue  estrangere  et  la  sienne  destruire  : 
Ce  qui  proprement  est  au  langage  ancien 
Il  le  faut  proprement  dire  au  langage  sien. 

Pourtant  ie  je  ne  veux  pas  à  nos  François  deffendre 
De  ne  traduire  plus,  et  fldellement  rendre  960 

Le  Grec  et  le  Latin  :  quiconque  aura  cet  heur 
De  rapporter  au  vray  le  sens  d'vn  vieil  autheur 
Profite  à  la  ieunesse  en  la  langue  suiuante 
Qui  sans  Grec  et  Latin  sera  tousiours  sçauante  : 
Salel  premier  ainsi,  du  grand  François  conduit,    965 
Beaucoup  de  l'Illiade  a  doucement  traduit, 
Et  Iamin  bien  disant,  l'a  tellement  refaite 

954.  Trop  curieux,  c'est-à-dire  avec  une  fidélité  trop  minutieuse. 

963,  964.  Profite  à  la  jeunesse  qui  suit  les  auteurs  grecs  ou  la- 
tins dans  sa  propre  langue;  de  cette  façon,  elle  peut  s'instruire 
sans  connaître  les  langues  antiques. 

965  Hugues  Salel  (1404-1553)appartient  à  l'école  de  Marot.  Il  fit 
sa  traduction  de  l'Iliade  sur  la  demande  de  François  Ier  ;  elle  fut 
imprimée  en  1545  sous  ce  titre  :  Les  Iliades  d'Homère,  prince  des 
poêles,  traduites  du  grec  en  vers  français.  Salel,  enlevé  par  une 
mort  prématurée,  n'eut  que  le  temps  de  traduire  les  onze  premiers 
chants  ;  Amadis  Jamin  continua  et  acheva  l'œuvre.  Ces  onze 
chants  ont  été  faits  non  sur  le  texte  grec,  mais  sur  une  version 
française,  faite  elle-même  sur  la  version  latine  de  Laurent  Valla  ; 
c'est  l'œuvre  de  Salel  que  ses  contemporains  admiraient  le  plus  : 
elle  ne  nous  paraît  qu'une  paraphrase  décolorée,  et  J'emploi  du 
décasyllabe  contribue  encore  à  lui  donner  un  caractère  de  fai- 
blesse et  de  platitude. 

967.  Amadis  Jamyn,  un  des  disciples  préférés  de  Ronsard,  connu 
surtout  par  ses  deux  poèmes  de  la  Chasse  et  de  la  Libéralité',  il 
publia  en  1574  sa  traduction  en  alexandrins  des  treize  derniers 
chants  de  l'Iliade.  Elle  a  du  naturel  et  une  élégante  facilité. 


—  oi   — 

Qu'à  lautheur  ne  fait  tort  vn  si  bon  interprète  : 
.  Long  temps  auparauant  le  bon  Octauien 
De  Saintgilais  flst  voir  le  preux  Dardanien  970 

En  habit  de  François  :  et  depuis  des  Mazures 
Le  fist  marcher  encor  soubs  plus  douces  mesures. 
Mais  nos  deux  Chevaliers  doctes  frères  ont  ioint 
Leurs  esprits,  et  l'ont  mis  encores  mieux  en  point: 
Et  pour  estre  François  Apolon  mesme  auoue       975 
Qu'en  eux  se  reconnoist  le  Cigne  de  Mantoue: 
Qu'ainsi  puissions  nous  voir  tous  autres  vers  chantez 
Aue^ques  la  trompette  en  France  interprétez. 
le  voudrois  bien  aussi  quelquefois  variable 

968.  Lautheur  (sic). 

969.  Octavien  de  Saint-Gelais  (1466-1502),  père  de  Mellin,  avait 
donné  en  1500  une  traduction  de  l'Enéide  en  vers  français. 

971.  Des  Mazures  (1510-1580),  poète  huguenot,  l'auteur  d'une 
trilogie  tragique  (David  combattant,  triomphant,  fugitif),  avait 
fait  paraître,  en  1547,  la  traduction  en  vers  des  deux  premiers 
livres  de  Y  Enéide,  en  1554  celle  des  deux  suivants.)  On  a,  de  1580, 
un  Virgile  complet  dans  lequel  Des  Mazures  a  traduit  les  douze 
livres  de  ce  poème. 

973  Nos  deux  Chevaliers.  Robert  et  Antoine  Lechevalier, 
sieurs  d'Aigneaux,  nés  à  Vire  vers  le  milieu  du  xvi :  siècle,  tra- 
duisirent Virgile  en  alexandrins  (1582).  On  a  aussi  d'eux  une  tra- 
duction d'Horace  (1588).  Vauquelin  nous  apprend  ailleurs  qu'ils 
firent  des  chansons  : 

Apres  du  van-de-Vire  et  des  monts  de  Belon, 
Vindrent  les  Chevaliers,  vrais  enfants  d'Apollon, 
Oui  nous  font  de  rechef  ore  ouïr  des  nouvelles 
D'Olivier  Basselin,  en  mille  chansons  belles. 

(Pastorale  sur   le   tombeau  de  Rouxel.) 
Cf.  encore  les  deux  sonnets  du  IIe  livre  des  Idyllies  qui  portent  le 
numéro  68,  et  l'épitaphe  que  Vauquelin  a  faite  en  l'ùonneur    des 
deux  poètes. 
975.  Pour  estre  françois,  c.-à-d.  quoiqu'ils  soient  français. 
979  sqq.  Outre  le  début    de  .Y  Enéide,    que   Vauquelin    a  para- 
phrasé dans    le    chant  II,  et  sans  compter  l'oraison   funèbre  du 


—  58  — 

Rendre  nostre  François  au  Latin  mariable,  980 

Et  suyure  en  traduisant  nostre  langue  sur  tout: 
Mais  ô  mechef  !  souuent  nous  n'allons  iusque  au  bout 
De  la  course  arrestee,  et  reculions  arrière 
Deuant  qu'auoir  attaint  le  but  de  la  carrière. 
Car  les  vns  retirez  par  leurs  empeschements  935 

Les  autres  détournez  par  fouis  débauchements 
Abandonnent  les  vers  :  Mais  bien  peu  par  addresse 
Fendent  Fempeschement,  comme  on  fend  vne  presse 
De  gens  en  vn  passage  ;  et  l'ayant  renuersé, 
Le  chemin  d'ignorance  est  bien  tost  trauersé.       990 

Comme  pour  s'esiouir  de  voir  briller  la  flame 
Des  rais  d'vn  beau  Soleil  par  les  yeux  d'vne  dame 
Qui  soit  auecques  nous  :  nous  ne  pouuons  pas  voir 
Que  l'Amour  ait  sur  nous  encor  aucun  pouuoir 
Car  à  tous  est  commun  de  sentir  quelque  ioye      995 
Quand  vn  œil  amoureux  ses  regards  nous  enuoye, 
Puis  elongnez  de  luy  la  flame  s'amortit 
Aussi  tost  qu'autre  part  son  œil  on  diuertit. 
Mais  ne  le  voyant  plus,  et  porter  dedans  l'ame 
Le  trait  de  la  beauté  qui  nostre  cœur  entame,      1000 
De  ce  triste  départ  tousiour  s'entretenir, 

sieur  de  Brethevillc  Rouxel,tiréedu  latin  de  Jacques  de  Cahaignes, 
on  sait  qu'il  a  fait  passer  dans  son  Art  poétique  l'Epitre  aux  Pisons 
tout  entière  et  qu'il  lui  arrive  bien  souvent,  dans  ses  Satyres  fran- 
çaises, de  traduire  Horace  plus  ou  moins  librement.  Quelques-unes 
de  ses  Idyllies  ont  été  faites  sur  le  latin  de  du  Bellay;  les  Idyllics 
1,76  et  11,54  sont  imitées  de  Théocrite;  l'Idyllie  I,  80,  de  la 
1"  Eglogue  de  Virgile;  l'Idyllie  II,  6,  d'une  ode  d'Horace  ;  enfin, 
l'Idyllie  II,  41,  est  «  tirée  du  grec  ». 
999.  Il  faudrait  ne  le  voir  plus. 


—  59  — 

Ne  paissant  nos  esprits  que  de  son  souuenir, 
C'est  d'Amour  qui  commence  vne  enseigne  certaine, 
Qui  porte  en  son  drapeau  pourtraite  nostre  peine, 
Qui  nous  pousse  à  reuoir  ce  bel  œil  messager       ioo5 
D'Amour, qui  s'est  venu  dans  nostre  ame  loger  : 
Aussi  pour  voir  plusieurs  s'esiouir  et  se  plaire 
Auprès  du  saint  troupeau  des  neuf  Muses,  et  faire 
Mille  sortes  de  vers,  ce  n'est  pour  asseurer, 
Qu'ils  pourront  amoureux  des  neuf  Sœurs  demeu- 
rer :  1010 
Aux  affaires  tirez  aux  vers  plus  ils  ne  pensent, 
Et  de  suivre  la  Muse  oublieux  se  dispensent: 
Mais  celuy  qui  vrayment  sent  l'éguillon  picqueur 
Des  Muses  iusqu'au  vif  luy  chatouiller  le  cœur, 
11  fait  doux  et  modeste,  amoureux  ses  caresses,  1015 
Courtisant  par  ses  vers  ses  sçauantes  maistresses  : 
Puis  s'il  en  est  distrait  aux  affaires  tiré, 
On  le  verra  fascheux  bruslant  et  martiré 
De  toute  autre  entreprise  :  Impatient  encore 
De  se  voir  absenté,  de  l'amour  qui  deuore  1020 

Son  esprit  elongné  des  Sœurs  et  d'Apolon, 
Oubliant  ses  amis  :  dépiteux  et  félon, 
Iusques  qu'à  tant  qu'il  soit  de  retour  auec  elles. 
Tant  le  point  le  désir  de  ses  doctes  pucelles, 

1013-1014.  Cf.  Lucrèce  : 

Percussit  thyrso  laudis  spes  magna  meum  cor 
Et  simul  Lncussit  suavem  mi  in  pectus  amorcm 
Musarum.  (De  natura  rerum,  1,  922.) 

1020.  Le  sens  exige  la  suppression  de  la  virgule. 


—  60  — 

Tant  il  se  tient  heureux  en  son  loisir  dequoy        1025 

Il  peut  viure  seulet  comme  elles  à  recoy, 

Sçachant  pour  en  iouir  prendre  l'heure  opportune, 

Aidé  de  la  science  et  non  de  la  fortune. 

Car  bien  qu'vn  bon  Pilote,  aborde  par  hasard 

Aussi  tost  à  bon  port,  comme  il  fait  par  son  art,  1030 

Et  qu'vn  grand  Capitaine  aussi  tost  mette  en  fuite 

L'ennemy  par  hasard  comme  il  fait  par  conduite  : 

Toutefois  la  fortune  aux  arts  ne  sert  de  rien  : 

Sinon  qu'elle  seruit  à  ce  Peintre  ancien, 

Lequel  ayant  tiré  de  main  presque  animante,       1035 

Vn  cheual  furieux  à  la  bouche  ecumante, 

Il  n'en  peut  onc  l'écume  au  vif  représenter  : 

Ce  qui  le  flst  cent  fois  à  la  fin  dépiter  : 

Et  iettant  dédaigneux  son  éponge  souillée, 

Et  de  toutes  couleurs  du  pinceau  barbouillée)     1040 

Au  mords  de  son  coursier,  le  dédain  par  hasart 

Fist  ce  que  le  pinceau  ne  peut  faire  par  art. 

Mais  le  beau  iugement  à  l'art  conioint,  assemble 

Vne  perfection  qui  les  vnit  ensemble. 

De  ce  beau  iugement  vn  exemple  se  voit,         1045 
Quand  Polignot,  Scopas,  et  Diocle  (qu'on  croit 
Trois  peintres  excellens  auoir  des  leur  bas  aage 

1034.  On  sait  que  ce  peintre  ancien  est  Protogène.  L'anecdote  se 
trouve  dans  Pline  l'Ancien,  Hist.  nat.,  liv.  XXXV,  chap.  32. 

1037.  Peut  (put)  est  au  passé  défini,  comme  dans  le  vers  1042. 

1046.  Polignot.  V.  la  note  du  vers  792.  —  Scopas.  Architecte 
et  statuaire  grec  né  à  Paros  vers  424.  —  Diocle.  Il  n'est  men- 
tionné dans  les  Dictionnaires  spéciaux  que  comme  joaillier.  — 
Ces  trois  artistes  n'ont  d'ailleurs  pas  vécu  a  la  même  époque. 


—  61  — 

Payé  soubs  Apelles  le  droit  de  recollage) 

Entreprindrent  chacun  de  tirer  curieux 

Le  Roy  borgne  Antigone,  à  qui  feroit  le  mieux.  1050 

Polignot  lors  estant  à  son  art  tout  fldelle, 
Bien  qu'il  sceust  que  le  Roy  portast  haine  mortelle 
A  ceux  qui  se  moquoient  de  son  œil  arraché, 
Toutefois  sans  respect  de  l'en  rendre  fasché, 
Marchant  par  le  chemin  aux  peintres  ordinaire,   1055 
Le  Roy  borgne  et  hideux  au  vray  va  contrefaire  : 
De  sorte  qu'il  sembloit  auec  son  œil  osté, 
Estre  en  l'image  mort  mieux  qu'au  vif  rapporté. 
Mais  Scopas  plus  craintif  n'ayant  pas  osé  peindre 
Le  Roy  tel  qu'il  estoit  :  ni  ne  voulant  enfraindre  106O 
Les  règles  de  son  Art,  il  le  peignit  moins  vieux, 
Tel  qu'il  estoit  alors  qu'il  auoit  ses  deux  yeux  : 
Son  pinceau  deslié  rapportoit  chose  vraye, 
Antigone  n'ayant  encor  receu  la  playe 
Qui  luy  fist  perdre  l'œil,  ce  pourtrait  bien  tiré      1065 
Semblable  à  ceux  du  temps  fut  de  tous  admiré. 
Scopas  par  ce  moyen  se  pensa  digne  d'estre 
De  ses  deux  compagnons  le  premier  et  le  maistre 

1048.  Apelles.  V.  la  note  du  vers  791. 

1050.  Antigone,  un  des  généraux  d'Alexandre.  Nous  ne  savons 
où  Vauquelin  a  pris  cette  aneedote  plus  que  suspecte.  Dans  Quin- 
tilien,  c'est  Apelle  qui  peint  Antigone  de  profil  pour  cacher  le 
vice  de  son  œil.  —  «  Apelles...  imaginem  Antigoni  latere  tan- 
tum  altero  ostendit,  ut  amissi  oculi  deformitas  lateret.  »  (II,  13.) 
Quant  aux  trois  autres  peintres,  il  n'en  est  nullement  question. 
Pline  l'Ancien  (xxxv,  36)  attribue  aussi  le  portrait  à  Apelle. 
.  1065.  ce  (sic). 

1068.  Construction  incorrecte.  Il  faudrait  le  premier,  avant  ses 
deux  compagnons. 


—  62  — 

Polluant  se  conseruer  en  la  grâce  du  Roy, 
Auecques  le  renom  que  l'Art  tire  après  soy.         1070 

Mais  Diocle  d'ailleurs  desseignant  mesme  chose 
Que  Polignot  faisoit,  en  l'ame  se  propose 
Les  respects  qui  rendoient  Scopas  aussi  douteux, 
Ne  voulant  se  iouer  à  ce  prince  airêteux, 
Ni  suivre  de  son  art  le  plus  commun  vsage,  1075 

Ni  trop  flater  le  Roy  par  un  lasche  courage  : 
Ains  suiuant  du  moyen  le  sentier  asseuré, 
Auecques  vn  espoir  du  laurier  espéré 
Il  peignit  en  profil  d'Antigone  la  face  : 
Dont  le  tableau  couuroit,  d'ombre  de  bonne  grâce  îoso 
Yne  part  du  visage  :  et  son  œil  emporté 
En  droite  ligne  estoit  couuert  de  ce  costé, 
Tant  qu'auècques  bien  peu  de  soigneux  artifice, 
En  l'ombre  se  cachoit  de  son  œil  tout  le  vice  : 
Et  l'outreplus  si  bien  le  Roy  représentait,  îoss 

Que  le  Roy  si  semblable  a  luy  mesme  n'estoit. 

Quand  au  iour  arresté  les  trois  se  rencontrèrent, 
Et  leurs  tableaux  au  Roy  chacun  à  part  montrèrent  : 
Le  Roy  voyant  celuy  de  Polignot,  soudain 
Conceut  en  son  esprit  vh  superbe  dédain,  1090 

Pensant  lors  receuoir  vn  affront,  vn  outrage 
De  se  voir  peint  ainsi  d'vn  si  hideux  visage, 
Des  l'heure  le  faisant  hors  de  sa  Court  chasser, 
Et  hcrs  de  son  Royaume  en  autre  endroit  passer  : 

1077.  Moyen  est  employé  ici  avec  le  sens  de  moyenne,  juste 
'uilieu>  (V.  le  Glossaire.) 


—  63  — 

Par  ce  que  la  prudence  il  auoit  par  enuie,  1095 

A  son  art  glorieux  trop  malin  asseruie  : 
Art  dont  il  haussoit  plus  la  basse  qualité 
Que  de  l'honneur  Royal  la  haute  dignité. 

Le  tableau  de  Scopas  à  tous  fut  agréable 
Pour  raporter  au  vray  cet  aage  fauorable  lioo 

Auquel  fut  Antigone  au  beau  May  de  ses  ans, 
Ayant  en  cor  ses  yeux  amoureux  et  plaisans  : 
Toutefois  au  visage  vne  rougeur  luy  monte, 
Qui  naturelle  fait  qu'il  semble  qu'il  ait  honte 
D'auoir  esté  trompé  par  le  pinceau  menteur,         1105 
Qui  trop  ieune  l'a  fait  dans  son  tableau  flateur  : 
La  façon  de  flater  est  douce  et  délicate 
Quand  point  elle  n'importe  à  celuy  que  l'on  flate: 
Mais  celle  la  despleut  à  sa  simple  bonté, 
Et  le  voulut  chasser  comme  vn  homme  ehonté.     1110 

A  l'heure  Diodes  son  tableau  luy  présente 
Qui  des  le  premier  front  tout  le  monde  contente  : 
Et  sur  tous  Antigone  en  fut  fort  satisfait  : 
Luymesme  re  marquant  le  iugement  parfait 
De  ce  peintre  modeste,  ayant  plustost  laissée        1115 

1108.  Nous  ne  savons  quel  est  ici  le  sens  d'importer.  Il  faut 
drait  l'idée  de  être  à  charge,  importuner.  Mais  nous  n'avons 
trouvé  nulle  part,  même  dans  Vauquelin,  un  autre  exemple  du 
verbe  importer  avec  ce  sens  ou  un  sens  analogue. 

1115-1120.  Pour  comprendre  les  vers  1115-1118,  il  faut  se  re- 
porter à  1095-1096,  et  1077.  Quant  aux  vers  1119-1120  nous  ne 
voyons  d'autre  moyen  pour  les  expliquer  que  de  coordonner  pour 
(1119)  avec  de  (1117),  en  lui  donnant  le  même  sens.  Diodes  aime 
mieux  abaisser  la  grandeur  de  son  art  que  de  ne  sembler  pas 
aimer  la  courtoisie, 

11 


—  64  — 

La  grandeur  de  son  art  par  sa  gloire  abaissée 

Que  de  manquer  prudent  à  l'auis  tempéré, 

Qui  de  l'extrémité  rend  l'erreur  modéré, 

Et  pour  ne  sembler  pas  aimer  la  courtoisie 

Qui  par  vn  noble  choix  des  nobles  est  choisie.      1120 

De  sorte  que  voyant  le  défaut  du  pourtrait 

Du  visage  en  prolil  en  épargne  retrait, 

Il  sembloit  qu'à  dessein  cette  petite  espace 

Plustost  qu'vne  plus  grande  adioutast  de  la  grâce 

A  ce  que  cachoit  l'ombre  :  et  le  Roy  de  costé        1125 

Mieux  que  parlant  estoit  muet  représenté. 

Antigone  depuis  luy  flst  de  l'auantage, 

Autant  que  meritoit  le  prix  de  cet  ouurage 

Et  luy  flst  reconnoistre  en  prenant  le  tableau 

Qu'il  payoit  son  esprit  plustost  que  son  pinceau.  113a 

Beaus  esprits  pensez  y,  vostre  Muse  auertie 
Ne  soit  doncques  si  fort  à  l'Art  assuiettie, 
Que  le  bon  iugement  ne  face  élection 
De  tout  ce  qui  dépend  de  la  discrétion  : 
Donnez  puissance  egalle  aux  mœurs,  au  tems,  aux 

[Muses,  1135 
Sans  pourtant  tromper  l'Art  de  quelques  fausses  ruses. 

Quand  vous  voudrez  les  Roy  s  à  vos  chants  amuser'; 
De  paroles  de  soye  il  faut  toujours  vser  : 
Et  sans  les  flater  trop  d'vne  ame  trop  mauuaise, 
Leur  ombrager  le  vray  par  chose  qui  leur  plaise,  H4û 
Sans  pourtant  offusquer  du  tout  la  vérité  : 
Mais  leur  faire  à  propos  paroistre  sa  clarté. 


—  C5  — 

Vous  en  aurez  ainsi  de  l'honneur  sans  dommage, 

Et  vostre  iugement  fera  que  davantage 

Vous  tirerez  profit  de  cet  Art,  ou  souuent  1145 

Lessçauants  indiscrets  n'emportent  que  du  vent. 

le  ne  fay  point  du  Ciel  vn  Apolon  descendre, 

Pour  faire  ce  bel  Art  mieux  par  sa  bouche  entendre, 

Et  donner  à  mes  vers  plus  grande  auctorité 

Suiuant  des  vieux  autheurs  la  docte  antiquité  :     1150 

Depeur  d'estre  semblable  à  ces  bouffons  tragiques 

Qui  vestus  de  drap  d'or  pompeux  et  magnifiques, 

Ouuroient  la  bouche  grande  vn  Priam  imitant, 

Ou  le  Roy  des  Gregois  enflez  représentant, 

Puis  disoient  quelque  chose  indigne  d'estre  à  peine 

1155 

Ou  dite  par  Hecube  ou  dite  par  Hélène  : 
Mais  sans  déguisement,  sans  le  masque  d'autruy, 
Ces  Préceptes  ie  mets  comme  on  parle  auiourd'huy, 
Marri  que  n'est  ma  Muse  et  plus  nette  et  polie, 

1151.  Depeur  (sic). 

1159.  Cf.  Discours  sur  la  Satyre  :  «  J'eusse  bien  désiré  contenter 
les  hommes  de  cet  âge  avec  un  langage  plus  net  et  plus  poli  que 
le  mien.  »  —  Cf.  aussi  : 

On  dit  encor  que  les  vers  que  je  fais 
N'ont  point  de  nerfs  et  sont  lâchement  fais 
Et  qu'on  pourroit  d'un  air  de  tout   semblable 
En  faire  mile  au  sortir  de  la  table. 

(Satyres  fr.  I,  2.) 

La  langue  se  polht 

Entre  les  bien  disants  ainsi  qu'elle  vieillit 
Et  si  je  mets  au  jour,  comme  tu  me  conseilles, 
Mes  vers  pleins  de  paresse  et  non  de  doctes  veilles, 
Je  me  feray  moquer. 

{Satyres  fr.  II,  8.) 


—  C6  — 

Sans  geindre  soubs  le  fais  de  la  mélancolie  :         1160 
Plus  nette  elle  seroit  si  les  criarts  tabus 
Du  Palais  ne  m'auoient  séparé  de  Phœbus. 
Car  pour  néant  aux  vers  mes  esprits  s'euertuent  : 
le  suis  tousiours  troublé  les  affaires  me  tuent  : 
le  suis  comme  vn  grand  lac  ou  beaucoup  vont  à 

[l'eau,  ii65 
Qui  tarissent  ma  source  et  troublent  mon  ruisseau. 
Il  faut  laisser  r'asseoir  cette  eau  tant  épaissie  : 
C'est  assez  iusqu'à  tant  qu'elle  soit  eclairsie. 

1160.  Sans  geindre.  C.-à-d.  et   qu'elle  n'est  sans  geindre  =  et 
qu'elle  geigne.  Cf.  Vauquelin  : 

Mais  ni  les  eaux,  ni  la  terre  sacrée 
Ou  de  Libetre,  ou  Permesse,  ou  d'Ascree, 
Ne  peuvent  pas  me  faire  escrire  mieux 
Que  je  n'escri,  sans  un  cœur  plus  joyeux. 

(Sat.  fi\,  ni,  2.) 
1161-1162.  Vauquelin    était   conseiller  du  roi  et  Président  au 
Bailliage  et  siège  présidial  de  Caen. 


LIVRE  SECOND 


MYSES,  filles  de  dieu,  qui  tous  les  Arts  sçauez, 
Le  reste  de  cet  Art  Nimphettes  acheuez  : 
Montrez  moy  le  chemin  par  lequel  il  me  loise 
Conduire  seurement  la  ieunesse  Gauloise  : 
Quitez  Vierges  quitez  le  mont  de  Citheron,  5 

Habitez  des  François  le  plaisant  enuiron, 
Et  faites  que  les  eaux  d'Hipocrene  chantantes, 
Aprennent  leurs  chansons  à  nos  eaux  écoutantes  : 
Donnez  moy  de  l'esprit  la  reluisante  ardeur, 
jQue  la  grâce  Aglaïe  accorde  à  la  verdeur  10 

De  Thalie,  agréable  en  sa  ieunesse  blonde, 
Faites  que  la  gayeté  d'Enphrosine  responde 
Auecques  la  douceur  de  sa  ioyeuse  vois 
Et  qu"vn  plaisir  parfait  ie  reçoiue  des  trois. 

Faites  que  vostre  grâce,  ô  riantes  Charités,         15 
Couure  ici  le  défaut  de  ces  Règles  escrites 

5.  Citheron.   Montagne  de  Béotie,  consacrée  aux  Muses. 
5-6.  Cf.  Ronsard  : 

Ronsard  repose  ici  qui  hardy  des  enfance 
Détourna  d'Helicon  les  muses  en  la  France.     (Épitaphe.) 
•    10.  Accorde  est  mis  ici  comme  s'accorde.  Cf.  Le  Glossaire  et  la 
Syntaxe. 

10,11,12.  Enphrosine  (sic).  —  Aglaïe,  Thahe,   Euphrosine,  sont 
les  trois  Grâces. 


—  68  — 

En  vers  mal  agencez  :  et  vous  Phœbus  ostez 
Les  caillonx  des  chemins,  qui  sont  mal  rabotez  : 
Marchez  deuant  afin  que  ces  masses  rocheuses 
Rendent  suiuant  vos  pas  les  sentes  moins  fâcheuses.  20 

SIRE  qui  sçauez  faire  vn  saint  accouplement 
Des  neuf  filles  du  Ciel  (diuin  assemblement!), 
Et  des  Grâces  ensemble  :  aportez  vostre  grâce, 
Qui  ces  filles  du  Ciel  et  les  Charités  passe  : 
Il  est  fort  mal  aisé  les  Muses  bien  gouster,  25 

Qui  ne  sçait  attentif  leurs  beaus  chants  écouter  : 
De  bien  loin  on  ne  peut  la  hauteur  reconnoistre 
Des  haut  monts  que  l'on  voit  seulement  aparoistre: 
Mais  en  les  aprochant  on  tient  pour  merueilleux 
De  grimper  sans  danger  sur  leur  dos  orgueilleux  :  30 
Et  puis  on  s'esbahit  quand  quelque  sente  estroitte 
Nous  conduit  au  plus  haut  de  la  montaigne  droitte  : 
On  ne  regarde  aussi  combien  sont  les  espris 
Des  Poètes  hautains  en  leurs  faits  entrepris, 
Comme  ils  sont  esleuez  sur  toute  chose  humaine,  35 
Si  soymesme  on  ne  veut  entrer  en  leur  doumaine, 
Et  contempler  de  près  leurs  diuines  façons, 
En  l'antre  Thespien  imitant  leurs  chansons: 
Et  puis  on  s'esbahit  que  pas  à  pas  on  gaigne 
Au  haut  sommet  cornu  de  la  double  montaigne.     40 

17.  En  vers  mal  agencez.  Aveu  qu'il  est  bon  de  retenir. (Cf.  I,  1159.) 

18.  Caillonx  (sic). 

33-34.  11  faut  construire  :  combien  les  esprits  des  poètes  sont 
hautains. 

38.  Thespies  était  située  au  pied  de  l'Hélicon,  considéré  comme 
un  des  séjours  favoris  des  Muses. 


—  69  — 

Gomme  l'Emant  le  fer,,  et  l'Ambre  le  festu 
Attire  sans  effort,  par  secrète  vertu  : 
La  Muse  attire  ainsi,  sans  force  violente, 
par  vn  secret  instinc,  à  soy  l'ame  excellente, 
Quasi  des  le  berceau  tout  bel  entendement  45 

Met  à  suiure  ses  pas  tout  son  contentement. 
L'Auette,  pour  aimer  la  douceur  sauoureuse 
De  toute  plante  douce  est  tousiours  amoureuse  : 
L'homme  aussi  de  luymesme  estant  ingénieux 
Aime,  embrasse  et  chérit  tout  œuure  industrieux.  50 
C'est  pourquoy  l'enfançon  de  sa  nature,  en  haste 
Prendra  plustost  qu'vn  pain  vn  oiselet  de  paste. 
Et  quand  on  luy  présente  vn  pourtrait,  vn  belet 
En  argent  imprimé  l'argent  luy  semble  laid 
Qui  n'est  qu'en  simple  masse  :  il  aime  vne  meslange  55 
Qui  la  chose  suiette  à  l'artifice  range. 
Ce  qu'on  voit  de  gentil  et  d'artificieux, 
De  nature  est  à  l'homme  aimable  et  précieux: 
Les  paroles  ainsi  des  Muses  animées 
Sont  naturellement  de  tous  hommes  aimées  :  60 

Ils  aiment  beaucoup  plus  vn  parler  mesuré, 
Que  celuy  qui  sans  pieds  marche  mal  asseuré  : 
De  fait  les  Muses  sont  l'Océan,  dont  les  ondes 
Arrousent  nos  esprits  de  sciences  profondes  : 
Et  ne  faut  pour  y  voir  des  discours  mensongers      65 

41.  L'Emant.  Dans  son  Ion,  Platon  se  sert  de  la  même  compa- 
raison. 
44.  par  (sic). 
62.  Marche  (sic). 


—  70  — 

Croire  qu'y  voyageant  s'y  trouue  des  dangers. 

Comme  en  la  vigne  on  void  dessoubs  la  feuille  verte, 
La  grappe  cramoisie  estre  souuent  couuerte 
Sars  qu'on  la  puisse  voir  :  ainsi  soubs  les  discours 
D'vn  conte  Poétique  et  dessoubs  les  amours  70 

Des  Héros  et  des  Dieux,  entremeslez  de  fables, 
Sont  des  enseignements  richement  profitables. 

Souuent  nous  nous  plaisons  à  l'odeur,  aux  couleurs, 
Sans  chercher  les  vertus  des  odorantes  fleurs: 
L'abeille  toutefois  en  tirera  sacrée  75 

La  cire  et  la  liqueur  dont  son  œuure  est  sucrée  : 
De  mesme  on  voit  plusieurs  s'abuser  aux  beautez 
Des  parolles  qui  sont  pleines  de  nouueautez  : 
Mais  d'autres  n'arrestant  aux  paroles  fleuries, 
Recueillent  le  beau  sens  couuert  d'allégories.         80 
De  feuillage  d'Acante  et  de  plaisans  festons, 
Les  Muses  cachent  l'or  des  vers  que  nous  chantons. 

Mais  T'entrons  au  chemin  de  la  forest  sacrée, 
Ou  parmi  les  lauriers  la  Muse  se  recrée 
A  rendre  des  Héros  'les  beaus  faits  immortels,        85 
Et  disons  comme  on  doit  chanter  en  œuure  tels. 

Pour  vn  commencement  tu  n'enfleras  ta  veine, 

00.  S'y  trouve,  c.-à-d.  il  s'y  trouve. 

73sqq.  Cf.  1,731,  732. 

80.  Couvert  d'allégories,  c.-à-d.  caché  par  des  allégories.  Cf. 
la  Syntaxe. 

80.  On  peut  expliquer  à  la  rigueur  avec  ce  texte  ;  mais  il  faut 
sans,  doute  écrire  œuvres  et  faire  rapporter  tels  avec  ce  substantif 
que  Vauquelin,  comme  les  autres  écrivains  du  xvie  siècle,  em- 
ploie généralement  au  masculin.  Cf.  II,  50. 

87  sqq.  Cf.  Hop.,  Ep.  aux  P.,  136-142.  Vida  II,  30,  sqq.  Boi- 
leau,  III,  268  sqq. 


Comme  fist  vn  Ciclic,  d'vne  trop  forte  aleine  : 

De  Priam  les  destins  hautain  ie  veux  chanter, 
Ses  valeureux  exploits,  et  ses  guerres  conter  :         90 
Ou  comme  a  fait  celuyqui,  tout  plein  de  brauade," 
Voulut  du  premier  mot  router  vne  Illiade  : 
le  chante  les  combats  de  ce  grand  Pharamont, 
Qui  les  Gaules  iadis  bouluersa  contremont. 
Que  pourroit  aporter  ce  prometteur  qui  dresse       95 
L'aisle  si  haut,  qui  fust  digne  de  sa  promesse? 
Les  montaignes  s'enflant,  grosses  accoucheront, 
Vne  mouche  en  naistra  dont  les  gens  se  riront! 

0  combien  mieux  a  dit  d'Vlisse  la  trompette, 
Qui  rien  messeamment  en  ses  œuures  ne  traitte  !  100 
Muse,  di  moy  celuy  qui  tant  a  voyagé 
Apres  Ilion  pris  et  son  mur  saccagé  : 
Pratiqué  tant  de  mœurs  et  tant  d'ames  diuerses, 
Et  tant  souffert  de  maux  dessus  les  ondes  perses  ? 

Ou  bien  nostre  Ronsard,  si  d'vn  air  entonné  105 
Hautement  sa  trompette  en  long  vers  eust  sonné. 

Abusé  du  plaisir  qui  trompe  la  ieunesse, 

91.  Celuy  qui,  etc.  Nous  n'avons  pu  trouver  cette  épopée  du 
xvie  siècle  dont  Pharamont  serait  le  héros.  Peut-être  Vauquelin 
a-t-il  inventé  le  poète  et  le  poème  pour  le  besoin  de  sa  cause.  Les 
deux  vers  93,  94.  seraient  alors  de  sa  façon. 

106.  Le  long  vers  est  l'alexandrin.  (V.  la  note  du  vers  507.  cht. 
Ier.)  Cf.  Ronsard  :  «  Si  je  n'ay  commencé  ma  Franciade  en  vers 
Alexandrins,....  il  s'en  faut  prendre  à  ceux  qui  ont  puissance  de  me 
commander  et  non  à  ma  volonté  ;  car  cela  est  fait  contre  mon  gré, 
espérant  un  jour  la  faire  marcher  à  la  cadence  alexandrine;  mais 
pour  cette  fois  il  faut  obéir.  »  (Abrège'  d'Art  poét.)  Cet  alinéa, ajouté 
en  1573  à  l'Abrégé,  a  été  retranché  dans  les  éditions  posthumes. 

107.  sqq.  Il  fallait  de  la  hardiesse  à  Vauquelin  pour  refaire  le  dé- 
but de  la  Franciade.  Il  .'mite  d'ailleurs  Virgile. 

11. 


—  12  — 

Seruiteur  des  beaus  yeux  d'vne  ieune  maistresse, 
En  vain  i'ai  souspiré  les  amours  bassement  : 
Puis  r'enibrçant  ma  voix  vn  peu  plus  hautement,   110 
Le  premier  des  François  j'ai  façonné  les  modes 
De  marier  la  lyre  au  nouveau  son  des  Odes  : 
Maintenant  plus  hautain, Charles  Roy  treschrestien, 
le  chante  les  valeurs  et  les  faits  du  Troyen, 
Qui  poussé  du  destin,  des  dieux  et  de  Gassandre,  115 
Fuitif  de  son  pays  quand  Troye  fut  en  cendre, 
Ayant  beaucoup  souffert  et  par  terre  et  par  mer 
Vint  de  son  nom  Francus  la  France  surnommer  : 
De  qui,  de  père  en  fils  nos  Roys  ont  pris  naissance, 
Et  qui  nous  raportant  vne  autre  Troye  en  France   120 
Fonda  pour  Ilion  la  cité  de  Paris, 
Et  l'enrichit  du  nom  de  son  oncle  Paris, 
Apres  mile  combats.  Tant  il  y  eut  de  peine 
Avant  que  de  l'enclorre  entre  les  bras  de  Seine  : 
Ou  l'empire  d'Europe  ébranlé  tant  de  fois,  125 

Deuoit  à  tout  iamais  y  demeurer  François. 

Filles  de  Iupiter,  Muses,  venez  moy  dire, 
Si  ce  fut  par  fortune,  ou  si  ce  fut  par  l'ire 
D'vn  dieu  trop  couroucé  que  Francus  a  esté, 
Si  loin  du  bord  Gaulois  tant  de  fois  reieté?  130 

Et  s'il  m'estoit  permis  d'aleguer  de  ma  rime, 
Peut  estre  iè  pourroy  me  mettre  en  quelque  estime 

109.  Allusion  aux  Amours  de   Cassandre.    Le  ton    en    a  une 
grande  élévation:  bassement  est  dit  du  genre  par  rapport  à  l'épopée. 

110.  Puis.  Les  odes  sont  antérieures  de  deux  ans  aux  Amours 
de  Cassandre. 


—  73  — 

En  l'ouurage  que  i'ay  des  long  temps  auancé, 
Autant  qu'autre  qui  soit  en  France  commencé. 

Inspiré  de  l'esprit  qui,  diuin,  tout  inspire,  135 

Muse,  fay  moy  chanter  sur  la  céleste  lire, 
Les  faits  et  la  valeur  du  magnanime  Hebrieu, 
Qui  berger  fut  choisi  par  le  conseil  de  Dieu, 
Flouet,  ieune  et  cadet  d'vne  maison  petite, 
Pour  estre  l'oinct  sacré  du  peuple  Israélite?         140 
Et  qui  suiuant  de  Dieu  les  éternels  destins, 
Du  Royaume  promis  chassa  les  Palestins, 
Chassa  l'Ammonien  et  soustint  la  colère 
De  Saiil  enuieux  sur  son  règne  prospère  : 
Par  bois  etparforests,pardesertspleinsd'horreurs  145 
Il  souffrit  mile  maux,  fuyant  à  ses  fureurs. 

Car  Saiil  tout  ardant  de  voir  sa  main  puissante 
S'affaiblir  par  la  force  en  Dauid  accroissante, 
Brusloit  ouir  d'ailleurs  le  destin  prédisant 
Que  du  tronc  delessé  le  Sion  florissant  iso 

Ombrageroit  le  monde.  Ainsi  par  mainte  guerre 
Il  endura  beaucoup  pour  asseurer  la  terre 
Ou  il  deuoit  fonder  l'admirable  Cité 
Qui  aux  Pères  croyants  promise  auoit  esté. 

Cité  qui  deuoit  estre  en  son  contour  assise,  155 
Pour  figurer  du  Christ  l'vniuerselle  Eglise, 

133.  En  l'ouvrage.  C'est  VIsraëlide,  dont  nous  ne  connaissons 
que  les  cinquante  vers  cités  par  Vauquelin.  Les  troubles  civils 
l'empêchèrent  de  le  terminer.  Cf.  III,  1176  sqq. 

149.  Brusloit.  De  colère.  Cf.  tout  ardant,  147. 

152.  Il  représente  David,  et  non  Saûl  que  la  construction  semble 
indiquer. 


—  74  — 

Dont  Chrestiens  nous  venons  :  et  ce  nom  ancien 
Par  dessus  tous  retient  nostre  Roy  treschrestien 
Henry,  soubs  lequel  puisse  Europe,  Asie,  Afrique, 
Couronner  de  ce  nom  du  monde  la  fabrique.  160 

0  parler  souverain,  dont  la  Triple-vnité 
Est  vne  auecques  Dieu  de  toute  éternité, 
Ayant  en  toy  parfait  vne  parfaite  essence 
En  la  perfection  de  la  grand  prouindence  : 
Qui  Père,  Fils,  Esprit,  es  le  Dieu  tout-puissant,      165 
Commençant  toute  chose,  aussi  la  finissant, 
Par  ta  parole  fais,  que  cette  œuure  conceue 
De  moy,  soit  enfantée  à  bien  heureuse  issue. 

Seigneur  raconte  moy  comme  des  Gieux  amis 
Ce  Prince  fut  esleu  pour  estre  leur  commis?  .       no 
Pourquoy  tant  il  souffrit  pour  vn  courroux  inique, 
Et  pour  vn  feu  sorti  d'vne  flamme  impudique  ? 

Mais  pour  sonner,  Seigneuries  honneurs  bien  àplain, 
Cette  harpe  il  faudroit  dequoy  sur  le  Iourdain, 
Prophète  il  fredonnoit  tes  célestes  louanges,  175 

Qui  vont  encor  bruyant  depuis  Eufrate  et  Ganges 
Iusques  sur  nostre  Seine  !  0  bien  heureux  sonneur, 
Celuy  qui  du  grand  ihoue  auroit  eu  cet  honneur 
De  retoucher  les  nerfs  de  ta  harpe  seraine. 
Diuin  rabaisseroit  la  gloire  plus  hautaine  180 

157  sqq.  Et  ce  nom  ancien,  etc.  C'est-à-dire  :  Notre  roi  Henri  con- 
serve ce  nom;  puissent,  sous  son  règne,  l'Europe,  l'Asie  et  l'Afri- 
que en  couronner  l'édifice  du  monde  entier. 

161.  Porter  souverain.  Le  Verbe. 

172.  On  connaît  l'amour  de  David  pour  Bethsabée. 

178.  Ihoue.  Jéhovah. 


—    tz>  — 

De  ces  fameux  Harpeurs,  dont  les  fables  contoient 
Qu'au  mouuoirde  leurs  doigts  les  fleuves  s'arrestoient, 
Et  qu'ils  estoient  suiuis  des  arbres  et  des  plantes 
Marchant  aux  doux  accords  de  leurs  voix  souspiran  tes  ! 

Mais  ce  n'est  nous  qu'il  faut  aux  François  aleguer,  185 
Il  faut  en  la  mer  Grecque  et  Latine  voguer, 
Amener  ses  vaisseaux  tous  chargez  de  la  proye, 
Que  tant  d'esprits  trouuoient  auxbeaus  restes  de  Troye, 
Suiuant  Virgile  ainsi  (quand  du  suiet  plus  bas 
Passant  par  le  moyen  il  chanta  les  combats)  :         190 

Ce  fut  moy  qui  flutay,  ma  chanson  bocagere 
Au  pipeau  pertuisé  d'vne  auene  légère  : 
Puis  sortant  des  forests,  apris  aux  champs  voisins 
A  doubler  au  fermier  les  bleds  et  les  raisins  : 
Au  laboureur  champestre  œuure  bien  agréable  :      195 
Maintenant  de  la  guerre  et  de  Mars  effroyable 
le  chante  les  combats,  et  ce  Prince  guerrier, 
Qui  fugitif  de  Troye  aborda  le  premier 
Aux  champs  Italiens  :  auec  peine  infinie 
Arriuant  par  destin  au  port  de  Lauinie.  200 

Il  passa  maints  hasards  :  on  ne  peut  estimer 
Combien  dessus  la  terre  et  combien  sur  la  mer 
Il  endura  de  maux  :  de  Iunon  couroucee 
Et  des  dieux  ennemis  sa  flote  estant  poussée  : 

181,  sqq.  Ces  fameux  Haï-peurs.  Amphion  et  Orphée.  Cf.  Hor. 
Ep.  aux  P.,  391-396.  Vauquelin,  Artpoét.,  III,  799  sqq. 

189-190.  Le  sujet  plus  bas,  ce  sont  les  Bucoliques;  le  moyen, 
ce  sont  les  Géorgiques. 

191.  La  virgule  après  flutay  doit  être  évidemment  supprimée. 


Iunon  qui  dans  son  cœur  la  vengeance  couuoit      20.S 

Des  affronts  du  passé  que  soufferts  elle  auoit. 

Aussi  de  grands  périls  il  courut  en  Latie, 

Auant  que  la  cité  superbe  y  fust  bastie, 

Et  qu'il  eust  mis  ses  Dieux,  par  vn  fatal  destin 

Et  par  ses  grands  exploits,  dans  le  terroir  Latin,    21a 

D'où  vint  la  gent  Latine,  et  d'où  tant  on  renomme 

Et  les  Pères  Albains  et  les  hauts  murs  de  Rome. 

Muse,  raconte  moy  la  cause  de  ces  maux? 
Et  quel  Dieu  luy  brassa  tant  de  fâcheux  trauaux? 
Pourquoy  fut  à  ce  Preux  si  iuste  et  débonnaire      215 
La  Princesse  des  cieuxsi  cruelle  et  contraire? 
Que  de  le  voir  ainsi  sur  les  mers  agité  ? 
Peut  vn  céleste  cœur  estre  tant  irrité  ? 

Voyez  comme  le  Grec  rend  la  Muse  estimée 
Tirant  vne  clarté  d'vne  obscure  fumée  :  220 

Ne  voulant  pas  aussi  la  lueur  enfumer, 
Mais  d'vn  épais  brouillas  vne  flamme  allumer  : 
Afin  qu'il  chante  après  des  choses  merueilleuses, 
Vn  Antiphat,  Garibde  et  Scille  périlleuses  : 
Vn  Gyclops  qui  cruel  Vlysse  eust  englouti,-         225 
S'il  ne  s'en  fust  plus  caut  que  les  siens  garanti. 

213.  (Le  point  d'interrogation  à  la  fin  du  vers  est  dans  le  texte  de 
1605. 

218.  Ces  vingt  huit  vers  sont  la  traduction  ou  plutôt  la  paraphrase 
des  quinze  premiers  de  Y  Enéide. 

219  sqq.  Cf.  Hor.  Ep.  aux  P.  143-145. 

224-225.  Antiphate,  roi  des  Lestrygons,  mangea  un  des  compa- 
gnons d'Ulysse  et  détruisit  ses  vaisseaux  (Cf.  Odyss.  X,  100  sqq). 
-  Caribde  et  Scille  (Cf.  Odyss.  XII,  85  sqq.)  —  Un  Cyclops.  Po- 
lyphème.  (Cf.  Odyss.  IX,  187  sqq). 


—  77  — 

Ainsi  le  doux  Virgile  a  sa  voix  abaissée, 
Afin  qu'elle  parust  dauantage  haussée, 
Pour  dire  de  Iunon  le  couroux  tempesteux 
Et  d'Eole  animé  les  tourbillons  venteux,  230 

Vne  Troye  embrasée,  vne  Didon  pleureuse, 
La  descente  d'yEnee  en  la  cauerne  ombreuse 
De  Pluton  ou  chetif  il  fust  lors  demeuré 
Sans  sa  guide  fldelle  et  le  rameau  doré. 
Le  Grec  n'a  commencé  des  l'œuf  iumeau, la  guerre  235 
Des  Troyens  et  des  Grecs  :  le  retour  en  sa  terre 
De  Diomede  aussi,  des  le  fatal  trespas 
Du  f*é  Maleagre  il  ne  raconta  pas. 

Et  de  sorte  Maron  n'a  son  œuure  ordonnée, 
Qu'elle  commence  aussi  des  l'enfance  d'/Enee  :     240 
Mais  le  milieu  prenants  ils  font  subtilement 
Sçauoir  la  fin  ensemble  et  le  commencement  : 
Et  tendant  vers  la  fin,  chacun  d'eux  rend  connues 
Les  choses  qui  ne  sont  et  qui  sont  auenues  : 
Car  ils  font  au  liseur  le  milieu  si  bien  voir  245 

Que  tout  le  précèdent  il  en  peut  conceuoir  : 

229-230.  Cf.  Enéide,  I,  38-128. 

231.  Cf.  Enéide,  liv  II,  liv.  IV. 

232  sqq.  Cf.  Enéide,  liv.  VI. 

235sqq.  Cf.  Hor.,Ep.  aux  P..  146-152.  —  L'œuf  jumeau. Les,  deux 
œufs  de  Léda  :  de  l'un  sortirent  Castor  et  Pollux,  de  l'autre 
Clytemnestre  et  Hélène,  qui  causa  la  ruine  de  Troie. 

236  sqq.  Il  y  avait  des  poèmes  sur  la  guerre  de  Troie  et  d'autres  sur 
le  retour  des  principaux  chefs  qui  y  avaient  figuré. C'est  à  ces  poèmes 
qu'Horace  fait  ici  allusion  dans  les  vers  traduits  par  Vauquelin. 

238.  La  mère  de  Méléagre  avait  reçu  des  Parques,  le  jour  même 
où  il  naquit,  un  tison  auquel  la  vie  de  l'enfant  était  attachée  :  c'est 
ce  qui  explique  l'épithète  fixé. 


—  78  — . 

S'ils  trouuent  quelquefois  la  matière  choisie 

Ne  pouuoir  aisément  couler  en  Poésie, 

Ils  la  quittent  bien  tost,  et  si  vont  tellement  250 

Meslant  le  faux  au  vray  mentant  si  doucement, 

Qu'au  premier  le  milieu  se  rencontre  en  la  sorte, 

Qu'au  milieu  le  dernier  proprement  se  raporte. 

Or  comme  eux  l'Heroic  suiuant  le  droit  sentier, 
Doit  son  œuure  comprendre  au  cours  d'vn  an  entier:-. 
Le  Tragic,  le  Comic,  dedans  vne  iournee  255 

Comprend  ce  que  fait  l'autre  au  cours  de  son  année  : 
Le  Théâtre  iamais  ne  doit  estre  rempli 
D'vn  argument  plus  long  que  d'vn  iour  accompli: 
Et  doit  vne  Iliade  en  sa  haute  entreprise 
Estre  au  cercle  d'vn  an,  ougueres  plus,  comprise.  260 

En  Prose  tu  pourras  poétiser  aussi  : 
L3  grand  Stragiritain  te  le  permet  ainsi. 

250.  L'a  (sic). 

251-252.  Cf.  Ronsard  :  «  Les  bons  ouvrages  commencent  par  le 
mi'.icu  et  sçavent  si  bien  joindre  le  commencement  au  milieu,  et 
le  milieu  à  la  fin,  que  de  telles  pièces  rapportées,  ils  font  un  corps 
entier  et  parfait.  »  {Abrégé  d'Artpoèt.)  «Il  faut...  que  le  poète,  s'ache- 
minant  vers  la  fin,  et  redcvidant  le  fuzcau  au  rebours  de  l'histoire, 
porté  de  fureur  et  d'art...  et  surtout  favorisé  d'une  prévoyance  et 
naturel  jugement,  face  que  la  fin  de  son  ouvrage,  par  une  bonne 
liaison,  se  rapporte  au  commencement.  »  {Préf.  de  la  Franciade,  1572.) 

253.  Cf.  Aristote,  Poét,  V,  3. —  Ronsard  :  «Le  poëme  heroique. 
comprend  seulement  les  actions  d'une  année  entière.  »  (2e  préf.  de 
la  Franciade.) 

255-25G.  Cf.  Ronsard  :  «  Les  plus  excellents  maistres  de  ce  mes- 
tier  (tragédie  et  comédie)  commencent  d'une  minuict  à  l'autre,  et 
non  du  point  du  jour  au  soleil  couchant,  pour  avoir  plus  d'estendue 
et  de  longueur  de  temps.  »  (2e préf.  delà  Franciade.) 

257  -258.  Cf.  Boileau,  III,  45,46. 

262.  Stragiritain  pour  Stagiritain.  —  Cf.  Arist.,  Poét.  V,3. 


Si  tu  veux  voir  en  Prose  vn  œuure  Poétique, 
D'Heliodore  voy  l'histoire  Ethiopique  : 
Cette  Diane  encor,  qu'vn  pasteur  Espagnol  ;  265 

Bergère,  mené  aux  champs  auecques  le  Flageol. 
Nos  Romans  seroient  tels,  si  leur  longue  matière 
Ils  n'alloient  déduisant,  comme  vne  histoire  entière. 
Comme  on  void  les  couleurs  beaucoup  plus  emou- 

[uoir 
■Qu'vn  trait  simple  ne  fait  ou  qu'vn  Crëon  à  voir, 270 
Pour  vn  ie  ne  sçay  quoy  qui  l'homme  représente, 
Trompant  le  iugement  et  toutefois  contente  : 
Ainsi  dedans  les  vers  le  faux  entrelassé, 
•Auec  le  vray- semblant  d'vn  conte  du  passé, 
Nous  émeut,  nous  chatouille  et  nous  poind  dauan- 

[tage,  275 
Que  l'estude  qu'on  met  à  polir  son  ouurage, 

Sans  faire  vne  meslange,  vne  variété, 
Qui  ne  suit,  mensongère,  en  rien  la  vérité: 

2G4.  Héliodore,  romancier  grec  du  ive  siècle,  évoque  de  Tricca 
en  Thessalie,  auteur  des  Ethiopiqucs  ou  Amours  de  The'agène  et  de 
Chariclée,  roman  d'imagination,  peu  vraisemblable,  mais  d'un  style 
aisé  et  élégant.  On  sait  que  ce  fut,  à  Port-Royal,  une  des  lectures 
favorites  de  Racine. 

265.  La  Diane  amoureuse  (1542),  par  George  de  Montemayor, 
poète  espagnol  (1515-1530).  C'est  un  roman  pastoral  dans  le  genre 
de  YArcadie,  comprenant  en  sept  livres  une  suite  d'histoires  amou- 
reuses entre  bergers  et  bergères,  assez  faiblement  reliées  par  celle 
des  deux  principaux  perjonnages,  Sereno  et  Diane.  L'ouvrage  est 
mêlé  de  prose  et  de  vers.  —  Après  Espagnol,  le  point  et  virgule 
esta  remplacer  par  une  virgule. 

257.  Il  s'agit  ici  de«  ces  beaux  vieulx  Romans  Francoys  comme 
un  Lancelot,  un  Tristan  ou  autres  »  d'où  J.  du  Rellay  recommande 
aux  poètes  de  faire  «  renaistre  au  monde  une  admirable  Iliade  et 
laborieuse  Enéide.  »  (Cf.  Défense,  liv.  II,  chap.  v.) 


—  80  — 

Le  changement  diuers  tousiours  affectionne, 

Selon  l'euenement  qui  le  cœur  passionne.  280 

Les  vers  aiment  tousiours  cette  diuersité  : 
Car  le  changement  tient  vn  esprit  excité 
A  se  passionner,  selon  que  veut  le  conte, 
Soit  ioyeux  ou  fâcheux  que  la  Muse  raconte  : 
Le  plaisir  estant  plus  agréable  et  plaisant  285 

Que  la  fin  est  contraire  à  l'aduis  du  lisant  : 
Mais  d'ailleurs  ce  qu'on  void  estre  simple  et  sem- 
blable 
Ne  passionne  point,  pour  estre  vnet  sans  fable  : 
Gela  fait  qu'yn  Homère  ou  Virgile  ne  fait, 
Qu'vn  homme  soit  tousiours  ou  vainqueur  ou  par- 
fait. 29a 
Et  quand  ils  font  les  dieux  se  mesler  des  affaires, 
Heureux  et  malheureux,  doux  les  font  et  colères  : 
Afin  qu'en  nulle  part  ne  manque  Faction, 
Qui  tient  l'homme  tendu  tousiours  en  passion, 
Ce  qui  n'aduiendroit  pas  si  les  choses  heureuses  295 
Ne  trouuoient  du  malheur  parmi  les  dangereuses. 

0  maistre  du  grand  fils  du  Macédonien, 
Si  tes  yeux  eussent  vu  du  Cigne  Ausonien 
Les  admirables  chants,  ta  voix  docte  et  hardie 
Les  eust  lors  préférez  à  toute  Tragédie,  300 

A  tous  vers  Heroïcs  :  car  n'en  desplaise  aux  Grecs, 
Soit  au  commencement,  à  la  fin,  au  progrés, 

289  sqq.  Cf.  Aristote,  Poét.,  XII,  2. 

297  sqq.  Cf.  Aristote,  Poét.,  XXVI.  Dans  ce  chapitre,  le  philo- 
sophe grec  met  la  tragédie  au-dessus  du  poème  épique. 


—  81  — 

Il  les  a  surpassez  :  et  s'Homere  il  seconde 

En  âge,  en  rang  il  est  le  premier  par  le  monde. 

Il  sçait  bien  à  propos  l'esprit  raui  saisir  305 

Tantost  d'ennuy  fâcheux  et  tantost  de  plaisir, 
Quand  il  chante  les  faits  du  débonnaire  /Enee, 
Pour  rendre  d'autant  plus  l'âme  passionnée  : 
Tantost  d'vn  grand  bonheur  en  malheur  l'abaissant, 
Et  tantost  d'vn  péril  en  honneur  le  haussant  :        310 
Aux  vices  naturels  le  faisant  vn  peu  tendre  : 
Mais  ferme  à  la  vertu  tousioursle  fait  entendre, 
Et  sans  du  vray-  semblant  du  tout  se  départir, 
Il  sçait  bien  les  vertus  aux  vices  assortir  : 
Luy  baillant  vne  grâce,  vne  ame,  vne  faconde,      315 
Qui  luy  fait  contrefaire  à  propos  tout  le  monde  : 
Comme  quand  il  luy  fait  à  Didon  raconter 
Le  piteux  sac  de  Troye,  il  luy  fait  emprunter 
Les  gestes,  les  discours,  la  posture  et  les  âges 
(Lorsqu'il  les  fait  parler)  de  plusieurs  personnages.  320 

Oy  donc  ce  que  le  peuple  et  moy  te  desirons, 

303-304.  C'est  l'opinion  du  XVI<=  siècle  tout   entier.  (Cf.  la  No- 
tice. Partie  II,  chap.  n.)  —  Cf.  Vida,  Art  poét.  : 

Unus  hic  (Virgile)  ingenio  praestanti  gentis  Achivae 
Divinos  vates  longe  superavit,  et  arte, 
Aureus,  immortale  sonans.  Stupet  ipsa  pavetque, 
Quamvis  ingen*em  miretur  Graecia  Homerum.  (ch.  I.) 
321.  Cf.  Hor.,  Ep.  aux  P.,  153-178.  — Vauquelin  suit  Horace  pas 
à  pas.  Mais,  après  un  aussi  long  développement  sur  l'épopée,  on 
ne  s'attend  pas  à  le  voir  conclure  sur  la  tragédie  :  Oy  donc,  etc. 
Dans  les  vers  précédents  il  a  du  moins  le  soin  d'indiquer  que  l'é- 
popée, comme  les  genres  dramatiques,  est   souvent  une  représen- 
tation, et  que  le  poète  héroïque  emprunte  les  gestes,  les  discours, 
la  posture  et  les  âges  des  personnages  divers  qu'il  met  en  scène. 


—  82  — 

Si  tu  veux  que  chacun  publie  aux  enuirons 
Du  Théâtre  ta  gloire,  alors  que  le  murmure 
De  l'applaudissement  et  du  chant  dernier  dure: 
Soit  qu'Homère  imitant  tu  fasses  outremer  325 

Derechef  Saint  Loys  en  son  voyage  armer, 
Soit  que  graue  des  Roys,  soit  que  la  Muse  basse 
Te  chante  en  l'échafaut  les  tours  du  populace, 
Tu  dois  de  chacun  âge  aux  mœurs  bien  regarder, 
La  bienséance  en  tout  soigneusement  garder,        330 
Et  tout  ce  qui  siet  bien  aux  natures  changeantes  : 
L'enfançon  qui  petit  assied  fermes  ses  plantes 
Desia  dessus  la  terre,  et  qui  sçait  bien  parler, 
Auecques  ses  pareils  aux  ébats  veut  aller  : 
Soudain  il  pleure,  il  rit,  il  s'appaise  il  chagrine,     335 
D'heure  en  heure  changeant  de  façon  et  de  mine. 

Le  ieune  gentilhomme  à  qui  le  poil  ne  poind, 
Et  qui  sort  hors  de  page,  et  de  maistre  n'a  point, 
Aime  chiens  et  cheuaux,  et  loin  de  son  pédante, 
A  voir  après  le  Cerf  la  meute  clabaudante  :  340 

Aime  les  champs  herbeux  et  se  plaist  dans  les  bois, 
D'entendre  retentir  des  bergères  les  vois  : 

326.  Derechef,  etc.  Seconde  croisade  de  saint  Louis.  On  sait 
que  Vauquelin  engage  les  poètes  épiques  et  tragiques  à  traiter  de 
préférence  des  sujets  chrétiens. 

327-328.  Inversion  et  ellipse  bien  pénible  s.  Il  faut  entendre  :  Soiti 
que  la  Muse  te  chante,  grave,  les  jours   des  Roys,  ou,   basse,  les 
tours  du  populaire.  Encore  le  mot  tours  ne  convient-il  qu'au  second 
terme. 

332.  Cf.Arist.,  Rhetor.,  liv.  II,  chap.xn,  xm,  Boileau,III,373sqq. 
Ce  tableau  des  âges  se  trouve  aussi  dans  Y  Art  poétique  de  Pelletier. 

341.  Les  champs  herbeux.  Horace  ne  parle  que  des  gazons  du 
Champ  de  Mars  sur  lequel  les  jeunes  gens  s'exerçaient. 


—  83  — 

j  Au  vice,  comme  cire,  il  est  ployable  et  tendre, 
Aspre  et  rude  à  ceux-là  qui  le  veulent  reprendre, 
Paresseux  à  pouruoir  à  son  vtilité,  345 

Despencier,  désireux,  rempli  de  vanité  : 
Qui  bien  tost  est  fâché  de  ses  folles  délices, 
I  Aimant  diuers  plaisirs  et  diuers  exercices. 
Quand  il  a  l'âge  d'homme  il  se  veut  augmenter, 
Acquérir  des  amis,  aux  grands  estats  monter,        350 
Garder  le  point  d'honneur,  ne  faisant  téméraire 
Ce  qu'il  faudroit  après  rechanger  ou  deffaire. 

L'âge  aporte  au  vieillard  mainte  incommodité, 
Soit  qu'aux  acquêts  il  soit  ardemment  incité, 
Soit  que  son  bien  acquis  il  ne  veuille  despendre    355 
Qu'il  aime  mieux  garder  qu'à  son  dommage  vendre, 
Soit  qu'en  toute  entreprise  il  soit  timide  et  froid, 
Dilayeur,  attendant,  riotteux,  mal  adroit, 
Conuoiteux  du  futur,  chagrin  plaignant  sans  cesse, 
Louant  le  temps  passé  qu'il  estoit  en  ieunesse  :      330 
Seuere  repreneur  des  mœurs  des  ieunes  gens, 
Se  fâchant  négligent  de  les  voir  negligens  : 
Plusieurs  commoditez  l'âge  venant  ameine, 
Et  plusieurs  quant  et  luy  s'en  allant  il  entraine. 
Le  ieune  est  tout  conduit  de  courage  et  d'espoir,    365 
Espérant  riche  et  grand  quelqueiour  de  se  voir  : 

351.  Garder  le  point  d'honneur.  Ce  n'est  pas  le  sens  du  latin 
miser  vit  honori. 

362.  .\V7%'.?«f. c'est-à-dire  lui  qui,dans  sa  jeunesse,a  été'  négligent. 

36  i.  Quant  et  lug.  Cette  locution  s'explique  aisément.  Tues  arri- 
vé quant  et  lui/  signifie  quand  lui  aussi  est  arrivé.  De  là  quant  tt 
employé  dans  le  sens  de  avec,  comme  il  l'est  ci-dessus. 


—  84  — 

Au  contraire  le  vieil  vit  plus  de  souuenance 
Du  temps  qu'il  a  passé  qu'il  ne  fait  d'espérance. 
Pour  ce  il  ne  faut  iamais  qu'vn  ieune  homme  gaillard 
Représente  en  parlant  la  façon  d'vn  vieillard,         370 
Niqu'vnieune  homme  aussi  son  vieillard  sente  encore,  I 
Ayant  tousiours  égard  à  ce  qui  plus  honore 
La  personne  parlante  :  et  ce  qui  conuient  mieux 
A  l'âge  de  chacun,  ou  soit  ieune  ou  soit  vieux. 
Quand  la  Ibrest  n'est  plus  en  Hyuer  cheuelue        375 
Si  plaisante  elle  n'est  que  quand  elle  est  feuillue  : 
Qui  diroit  son  ombrage  estre  lors  verdoyant, 
Chacun  dementiroit  son  parler  en  Toyant  :  ■  1 

Quand  vue  Dame  n'est  tout  au  vray  contrefaite 
Du  sot  Peintre  on  se  rit  qui  l'a  si  mal  pourtraite.  380 \ 
Guidé  de  iugement  rien  ne  faut  ignorer, 
Ains  clair  et  net  de  l'Art  les  règles  honorer  : 
Geluy  qui  puisera  d'vne  source  troublée, 
De  la  bourbe  mettra  dans  son  œuure  assemblée, 
f*Or  pour  loy  le  Tragic  et  le  Gomic  tiendront        385 
Quand  aux  ieux  vne  chose  en  ieu  mettre  ils  voudront 
Qu'aux  yeux  elle  sera  de  tous  représentée, 
Ou  bien  faite  desia,  des  ioueurs  récitée  : 
Et  bien  que  ce  qu'on  oit  emeuue  beaucoup  moins, 
Que  cela  dont  les  yeux  sont  fldelles  tesmoins,       390 

372.  Honore  est  sans  doute  la  traduction  du  mot  décor  (convenance) 
employé  par  Horace  au  vers  157. 

385.  Cf.  Hor.,  Ep.  aux  P.,  179-188. 

387-388.  Il  faut,  pour  comprendre  ce»  vers,  en  rapprocher  celui 
d'Horace  : 

Aut  agitur  res  in  scèenis  aut  acta  refertur. 


—  85  — 

Toutesfois  il  ne  faut  lors  montrer  la  personne, 
Quand  la  honte  ou  l'horreur  du  fait  les  gens  étonne  : 
Ains  il  l'a  faut  cacher,  et  par  discours  prudens 
Faut  conter  aux  oyants  ce  qui  s'est  fait  dedans  : 
Et  ne  montrer  le  mort,  aporté  sur  l'Etage  395 

Qui  caché  des  rideaux  aura  receu  l'outrage  : 
Car  cela  se  doit  dire  :  et  plusieurs  faits  ostez 
Hors  de  deuant  les  yeux  sont  mieux  après  contez. 
Et  ne  faut  que  Medee  inhumaine  marathre, 
Massacre  deuant  tous  ses  enfans  au  Théâtre  :  .       400 
Ou  qu'Astree  en  public  impudemment  meschant 
De  son  frère  ennemi  les  fils  aille  trenchant  : 
Ou  que  Progne  en  oiseau  deuant  tous  soit  muée  : 
Ou  Cadme  en  vn  serpent  :  ou  Gassandre  tuée: 
Ou  qu'vn  monstre  en  Toreau  dans  les  flots  mugis- 
sant 415 

Engloutisse  Hypolite  en  son  char  bondissant: 
Ou  qu'on  montre  Ajitigone  en  la  caue  pendue, 
j  Et  son  amant  Hemon  lequel  auprès  se  tue  : 

393.  Il  Va  faut  (sic). 

399.  Medee.  V.  la  note  du  vers  I,  883. 

401.  Astree.  V.  la  note  du  vers  I,  810. 

403.  Progne,  fille  de  Pandion,  roi  d'Athènes,  et  sœur  de  Philo- 
mèle.  Térée,  roi  de  Thrace,  son  mari,  ayant  fait  violence  à  Philo- 
mèle.Progné  tua  son  propre  fils,  Itys,  et  le  lui  fit  manger.  Elle  fut 
changée  en  hirondelle. 

404.  Cadme.  Cadmus,  le  fondateur  de  Thèbes,  vieux  et  accablé 
d'infirmités,  pria  les  dieux  de  le  débarrasser  de  la  vie.  Ils  le  chan- 
gèrent en  serpent.  —  Cassandre,  fille  de  Priam,  fut  tuée  par  Cly- 
temnestre  après  avoir  été  rendue  mère  par  Agamemnon. 

405-406.  On  connaît  le  récit  d'Euripide  et  celui  de  Racine. 
407-408.  Cf.  le  récit  du  messager  dans  ÏAntigone  de  Sophocle. 


—  86  — 

Tout  ce  qu'en  l'Echafaut  tu  nous  faits  voir  ainsi, 
Fâché  ie  le  dédaigne  et  ne  le  crois  aussi  :  410 

Mais  le  fait  raconté  d'vne  chose  aparente 
Fait  croire  le  discours  de  tout  ce  qu'on  inuente. 

Le  Gomic  tout  ainsi  sur  l'Etage  fera 
Conter  ce  qu'au  couuert  l'amoureux  fait  aura  : 
Ne  descouurant  à  tous  la  honteuse  besongne  415 

Qu'à  Paris  on  fait  voir  en  l'Hostel  de  Bourgongne  : 
Ains  sortant  vn  Gheré  ieune,  affetté,  mignon, 
Il  dit  sa  iouissance  au  loyal  compagnon 
Que  premier  il  rencontre  :  et  qu'ayant  la  vesture 
Et  d'vn  Eunuque  pris  la  grâce  et  la  posture,  420 

Il  a  d'vne  pucelle,  au  naturel  déduit, 
Cueilli  la  belle  fleur,  de  lupiter  conduit, 
Qui,  peint  en  goûtes  d'or,  tomboit  comme  vne  pluye, 
Dedans  le  beau  giron  d'vne  fille  eblouye 
De  ce  plaisant  métal  !  l'aspec  de  ce  tableau  425 

Rendit  plus  courageux  l'amoureux  iuuenceau  ! 


409.  Faits  (sic). 

409-410.  Cf.  Boileau,  Art.  poét., 111,50.  —  L'exemple  d'Antigone 
et  d'Hémon,  que  Vauquelin  n'a  point  trouvé  dans  Horace,  n'estpas 
bien  choisi,  parce  qu'il  n'offre  rien  d'invraisemblable. 

AlQ.LIIostel  de  Bourgogne. .Théâtre  bâti  par  les  Confrères  de  la  Pas- 
sion sur  une  partie  du  terrain  de  l'ancien  hôtel  des  ducs  de  Bourgogne. 

417.  Cheré.  Chereas  dans  YEunuque  de  Térence.  Pour  ce  qui 
suit,  V.  la  pièce  (111,  6).  Elle  avait  été  traduite  en  vers  par  Baïf. 

421.  Au  naturel  déduit.  La  préposition  à  renfermé  dans  cm  équi- 
vaut ici  h  par. 

423-424.  On  connait  la  légende  de  Jupiter  et  deDanaé. 

425.  L'aspec  de  ce  tableau.  Cf.  Térence  : 
Suspectans  tabulam  quandam  pictam  ubi  inerat  pictura  haec,  Jovem 
Quo  pacto,  etc.  {Eunuque,  loc.  cit.) 


—  87  — 

Quand  au  commencement,  au  temps  de  leurs  ven- 

[denges, 
Que  les  Grecs  celebroient  de  Bacchus  les  louenges, 
Ils  dressoient  des  autels  de  gazons  verdelets, 
Et  chantoientàl'entour  quelques  chants  nouuelets:  430 
Puis  ioyeux,  enuinez,  simples  et  sans  malice, 
D'vu  grand  Bouc  amené  faisant  le  sacrifice, 
Ils  le  mettoient  en  ieu  trépignant  des  ergos  : 
Et  ce  bouc  s'apeloit  en  leur  langue  Tragos, 
D'où  vint  premièrement  le  nom  de  Tragédie  :         435 
Et  celuy  qui  chantoit  de  plus  grand  mélodie 
De  ce  loyer  estoit  content  infiniment  : 
Ces  vers  n'estoyent  sinon  qu'vn  gay  remerciment 
De  la  bonne  vendange,  vn  los  de  la  sagesse 
De  Dieu  qui  leur  donnoit  de  biens  telle  largesse.    44a 

Mais  pour  ce  que  les  grands,  les  Rois  et  les  Tirants 

427  sqq.  Cf.  Virg.  Géorg.,  II,  380.  —  Boileau,  Artpoét.,  III,  61 
sqq.  —  Vauquelin  :  «Ils  (les  Grecs)  avoient  accoutumé...  de  sacri- 
fier àleurs  Dieux...  Ce  qu'ils fesoient  en  toutes  saisons  :  mais  beau- 
coup plus  communément  au  temps  de  la  moisson  et  des  vendanges: 
d'autant  que  s 'assemblant  chacun  en  leurs  champs,...  ils  dressoient 
des  autels  de  ramee,  de  branchages  et  de  gazon,  auxquels  Us  met- 
taient le  feu  en  sacrifiant  à  Bacchus  un  bouc  (qui  s'appelle  Tragos 
en  Grec)  et  chantoient  à  qui  mieux  mieux  une  manière  de  vers  tous 
rustiques  et  mal  polis  :  et  de  leur  chant  et  de  ce  mot  Tragos...  eut 
son  origine  la  Tragédie.  Pour  ce  la  Tragédie  n'estoit  autre  chose 
qu'un  remerciment  à  Dieu  de  la  bonne  vendange  et  une  louange  de 
sa  bonté,  de  sa  sagesse  et  de  sa  grandeur.  »{Discours  sur  la  Satyre.) 
Ce  discours  a  été  composéaprès  Y  Art  poétique,  auquel  il  renvoie. 

432.  Cf.  Boileau,  Art.poéL,  111,66.  Le  poète  du  xvne  siècle  se 
trompe  en  croyant  que  le  noue  était  le  prix  du  plus  habile  chantre. 
Vaufie    i.  après  avoir  dit  justement  que  ce  bouc  était  sacrifié  à 
Bacchus,  tombe  quelques  vers  plus  bas  dans  la  même  erreur. 
'  437.  V.  la  note  du  vers  432. 

441  sqq.  Cf.  Discours  sur  la  Satyre  :«Mais   pour   ce  que  les 

12 


Commencèrent  depuis,  les  siècles  s'empirants, 
D'vsurper  la  louange  aux  dieux  apartenante, 
Il  y  eut  des  esprits,  qui  de  Muse  sçauante, 
Commencèrent  aussi  par  leurs  vers  à  montrer,      445 
Que  l'homme  à  tous  propos  peut  la  mort  rencontrer. 
Combien  de  maux  diuers  sont  ioints  à  nostre  vie, 
Et  d'heur  et  de  malheur  egallement  suiuie, 
Au  respect  du  plaisir,  de  la  félicité, 
Qui  tousiours  est  au  Ciel,  des  Dieux  seuls  habité  :  450 
Et  pour  le  faire  voir  par  des  preuues  certaines 
Lors  ils  ramenteuoient  des  plus  grands  capitaines, 
Des  Princes  et  des  Rois  les  desastres  soudains, 
Comme  ils  estoient  tombez  de  leurs  estais  hautains 
En  misère  et  souffrête  :  et  cela  nous  fait  croire,     455 
Que  c'est  du  vers  Tragic  la  plus  vieille  mémoire  : 
Ainsi  la  Tragédie  eut  son  commencement  : 
Ainsi  les  Rois  chetifs  en  furent  l'argument  : 

La  braue  Tragédie  au  Théâtre  attendue 
Pour  estre  mieux  du  peuple  en  la  Scène  entendue  460 
Ne  doit  point  auoir  plus  de  cinq  actes  parfaits  : 

hommes  Grands  Tyrans  et  puissants  commencèrent  depuis  à  usur- 
per les  louanges  qui  appartenoient  aux  Dieux,  il  setrouva  des  per- 
sonnes de  gentil  entendement  qui  commencèrent  aussi  à  montrer 
par  leurs  vers  combien  la  vie  des  hommes  estoit  fresle,  débile  et 
infortunée,  au  respect  de  la  bienheureuse  félicité  des  Dieux.  Ce  que 
voulant  faire  voir  par  exemples,  ils  ramentevoient  les  calamitez 
des  Roys  et  des  Princes,  lesquels  estoient  tombez  de  leur  grand  et 
magnifique  estât,  en  misère  et  povreté.  Qui  fait  croire  que  de  là, 
la  Tragédie,  telle  qu'elle  est  maintenant  eut  son  commencement.  » 
449.  Au  respect,  c'est-à-dire  en  comparaison. 

458.  Les  deux  points  après  argument,  sont  dans  le  texte  de  1605: 

459.  Cf.  Hor.,  Ep.  aux  P.,  189-201. 


-  89-        ' 

Ange  ni  Dieu  n'y  soit  :  s'il  n'est  besoin  de  faits 
Qui  soient  vn  peu  douteux  :  ou  d'vne  mort  celée 
Qui  d'vne  Ombre  ou  d'vn  Dieu  lors  sera  reuelee: 
Et  ne  parle  vn  quatriesme  en  l'Etage  auec  trois  :    465 
Trois  parlant  seulement  suffisent  à  la  fois.  ' 
Le  Chœur  de  la  vertu  doit  estre  la  defence 
Du  parti  de  l'autheur  repreneur  de  l'offence  : 
Doit  parler  sagement,  graue  et  sentencieux, 
Se  montrant  de  conseil  aux  grands  officieux  :         470 
Chose  n'entremeslant  aux  actes,  que  bien  dite, 
Bien  ne  vienne  à  propos,  et  qui  bien  ne  profite  : 
Aux  bons  et  vertueux  il  fauorisera, 
Et  les  non  feints  amis,  ami  vray  prisera. 
Qu'il  apaise  tousiours  vne  ame  couroucee,  475 

Et  plein  de  iugement  descouure  sa  pensée  : 
Qu'il  honore  celuy  qui  du  vice  est  vainqueur, 
Louant  ouuertement  les  hommes  de  grand  cœur, 
La  table  sobre  et  nette,  et  l'vtile  Iustice, 
Les  Edits  et  les  Loix  qui  vont  bridant  le  vice,        480 
Et  qu'il  lotie  en  passant  la  douce  oisiueté 
Qu'on  reçoit  en  la  paix  viuant  en  seureté  : 
Et  qu'il  tienne  secrets  les  secrets  qu'on  luy  baille  : 
Et  que  les  puissants  Dieux  tousiours  priant  il  aille, 

462.  Ange.  Vauquelin  esttoujours  préoccupé  du  merveilleux  chré- 
tien. 

467.  Rappelons  que  les  tragédies  de  Jodelle  et  de  Garnier  ont 
des  chœurs. 

472.  Ellipse  de  gui  dans  le  premier  membre. 

479.  La  table  sobre  et  nette.  Cf.  II,  615. 


—  90  — 

Qu'aux  humbles  afligez  il  oste  la  douleur,  485 

Et  qu'aux  fiers  orgueilleux  il  donne  le  malheur. 

La    Flûte,    aux    premiers    temps,   aux    Scènes 

[ordonnée 
N'estoit,  comme  depuis,  de  Guyure  enuironnee, 
Et  l'esclatant  Hautbois  n'enuioit  point  encor 
La  Trompette  guerrière  aux  longues  houpes  d'or:  490 
Mais  tenue,  gresle  et  simple,  et  bien  peu  pertuisee, 
Es  ieux  de  ce  temps  la  n'estoit  point  mesprisee 
Quand  elle  ne  pouuoit  si  haut  son  entonner, 
Qu'aux  sièges  elle  peust  grands  troupes  amener  : 
Car  le  peuple  nombrable  estoit  petit  à  l'heure,      495 
Honteux,  chaste,  modeste  et  plein  d'vne  foy  seure. 

Ainsi  nos  vieux  François  vsoient  de  leur  Rebec, 
De  la  Flûte  de  bouis  et  du  Bedon  auec, 
Quand  ils  representoient  leurs  Moralitez  belles, 

4S5-485.  Vauquelin  a  dû  écrire  ilsostent,  ils  donnent  ;  ils,  c-à-d. 
les  dieux.  Le  singulier  ne  donne  pas  un  sens  satisfaisant.  Cf.  Ho- 
i»ace. 

487  sqq.  Cf.  Hor.,Ep.  aux  P.,  202-207. 

493-494.  Ce  n'est  pas  le  sens  du  vers  correspondant  d'Ho- 
race. 

497.  Rebec.  Instrument  de  musique  à  trois  cordes,  delà  famille 
du  violon. 

499.  Les  Moralités  furent  d'abord  de  simples  allégories  morales 
mises  en  action.  Le  germe  en  est  déjà  contenu  dans  les  jeux  que 
donnent  les  Pays  au  nord  de  la  Loire  durant  le  xme  siècle.  Dé- 
finitivement constituées  dès  la  première  moitié  du  xive  siècle,  elles 
se  développèrent  sans  doute  sous  l'influence  du  système  d'allégo- 
ries qu'on  voit  s'épanouir  dans  le  Roman  de  la  Rose.  Plus  tard,  il 
y  eut  des  Moralités  empruntées  à  l'histoire  sacrée  ou  profane,  qui 
ressemblaient  aux  Miracles  et  dramatisaient  les  récits  de  la  mo- 
rale en  action.  Il  y  eut  enfin  des  Moralités  politiques,  comme  celle 
de  l'Homme  obstiné,  donnée  par  Gringore  en  1511. 


—  91  — 

Qui  simples  corpsvoloient  sans  plumes  et  sans  ailles  :  500 
De  Chœur  ils  n'auoient  point  :  et  par  Actes  leurs  ieux 
N'estoient  point  séparez  :  mais  or  plus  courageux 
Ils  feroient  eleuer  le  Théâtre  de  France, 
S'ils  auoient  longue  paix,  sur  l'antique  arrogance. 

Or  quand  le  Romain  eut  riche  et  victorieux,       505 
Estendu  son  doumaine,  et  d'vn  mur  glorieux, 
Plus  ample  enuironné  l'enclos  de  sa  grand'ville, 
Et  que  libre  viuant  soubs  vue  loy  ciuille, 
Impuniment  sortoit  par  les  beaus  iours  festez 
Pour  plonger  ses  esprits  dedans  les  voluptez  :        510 
Aussi  tost  on  vit  naistre  auecques  la  licence 
Et  des  vers  et  des  ieux  la  grand  'magnificence: 
Car  qu'eust  peu  lors  sçauoir  le  paisan  appelé 
Auecques  le  bourgeois  confusément  meslé  ? 
Et  qu'estoit  ce  de  voir  vn  mal  propre  mesnage        515 
Des  champs  estre  en  la  ville  et  la  ville  au  village  ? 

500.  Par  cette  bizarre  figure,  Vauquelin  veut  tout  bonnement 
dire  que  la  mise  en  scène  des  Moralités  était  alors  dans  l'enfance. 
Simples  corps  indique  cette  pauvreté  des  anciens  temps  ;  les  plumes 
et  les  ailles  figurent  justement  tout  l'appareil  de  la  mise  en  scène  : 
les  Moralités  avaient  beau  en  être  dépourvues,  elles  n'en  voloient 
pas  moins,  elles  n'en  prenaient  pas  moins  leur  essor. 

503.  Ils,  irrégulièrement  construit,  ne  représente  plus  nos  vieux 
François  comme  au  vers  501,  mais  les  contemporains  de  Vau- 
quelin. 

505  sqq.  Cf.  Hor.,  Ep.  aux  P.,  208-213. 

512.  Dans  le  passage  correspondant.Ilorace  blâme  cette  grand 
magnificence  {licentia  major),  et  l'explique  en  disant  que 
la  foule  dont  le  théâtre  était  rempli  n'avait  pas  assez  de 
goût    pour    se    contenter    d'une   musique  toute  simple. 

516.  La  ville  au  village.  C'est  le  village  qui  est  à  la  ville, 
comme  Vauquelin  l'a  dit  précédemment.  Le  poète  a  redoublé  l'an- 
tithèse en  ajoutant  une  réciproque    qui  n'est  point  vraie. 

12. 


Et  l'habile  homme  ioint  auec  le  mal  apris, 
Et  voir  les  ignorants  parmi  les  beaus  espris? 

Mais  après  que  le  tems  rendit  ciuilisee, 
Par  l'abondant  plaisir,  l'allégresse  prisée,  520 

Il  aduint  dudepuis  qu'auec  le  mouuement, 
Le  Violon  ioua  beaucoup  plus  plaisamment  : 
Et  par  l'attrait  mignard  des  voix  musiciennes, 
Fist  cette  gayeté  passer  les  anciennes, 
Sur  le  théâtre  ouuert  ioyeux  se  proumenant,         525 
Et  pompeux  à  longs  plis  sa  grand'robe  tramant: 
Sur  les  cordes  aussi  mieux  que  deuant  sonnantes 
Greurent  les  doux  accents  des  voix  bien  accordantes: 
Et  du  parler  encor  l'ornement  estimé 
Yn  langage  eleua  lors  non  accoustumé.  530 

Auecques  l'ornement  de  la  langue  pollie 
Volontiers  la  science  et  s'vnit  et  s'allie, 
Qui  fist  qu'vn  beau  sçauoir  à  l'vtilauisant, 
Et  sage  par  raison,  le  Futur  prédisant, 
Obtint  es  faits  priuez  comme  es  choses  publicques  535 
Honneur  pareil  à  ceux  des  Oracles  Delphiques  : 
Par  loix  et  par  vsage,  vn  Règne  policé, 
Quasi  comme  diuin  est  conduit  et  dressé. 

519  sqq.  Cf.Hor.,  Ep.  aux  P.,  214-219. 

521  sqq.  Vauquelin  loue  ces  progrès  de  la  mise  en  scène,  contrai- 
rement à  Horace  qui  les  signale  comme  faisant  tort  à  l'art  du  poète. 

525-526.  Ce  qu'Horace  dit  du  tibicen,  Vauquelin  l'applique  bi- 
zarrement au  violon. 

533.  Util.  V.  la  note  du  vers  I,  467. 

537-538.  On  ne  voit  pas  bien  à  quoi  se  rattache  cette  conclu- 
sion. —  Dans  tout  ce  passage,  Vauquelin  ne    semble    pas  avoir 


—  93  — 

La  France  tout  ainsi  comme  estant  en  enfance, 
Gaillarde  mesura  ses  pas  à  la  cadance  540 

Diuerse  en  ces  lieux,  quand  des  Pasteurs  apris 
De  Bourgongne  et  Poitou,  furent  les  branles  pris. 

Les  Ballets  tremousants,  les  branles  et  la  dance, 
Auec  la  Poésie  ont  grande  conuenance  : 
Car  on  peut  par  la  mine  et  le  geste  branlant  545 

Démontrer  ce  que  font  les  Muses  en  parlant  : 
Et  comme  en  la  Pirriche  en  nos  bouffonneries, 
On  peut  représenter  mille  plaisanteries, 
Qui  font  aux  passions  les  âmes  emouuoir, 
Et  nous  font  sans  parler  vn  fait  Tragicque  voir  :     550 
Vn  fait  Comic  aussi,  qui  par  la  contenance 
Nous  montre  des  humains  les  mœurs  et  la  semblance, 
Vn  plaisant  Matassin,  qui  sçait  bien  bouffonner, 
Et  contrefaisant  tout  sçait  tout  plaisir  donner. 

Chantant  en  nos  festins,  ainsi  les  vau-de-vire,    555 
Qui  sentent  le  bon  temps  nous  font  encore  rire. 

compris  qu'Horace  parlait  du  chœur  tragique,  où  la  hardiesse  du 
lyrisme, souvent  comparable  à  celle  des  oracles,  suivit  les  progrès 
de  la  musique. 

547.  La  Pirriche.  Danse  grecque,  que  l'on  dansait  les  armes  à 
la  main. 

553.  Matassin.  Nom  qu'on  donnait  à  certains  danseurs  qui  por- 
taient des  corselets,  des  morions  dorés,  des  sonnettes  aux 
jambes,  et  l'épée  à  la  main  avec  un  bouclier. 

555.  Vau-de-Vire .  Les  chansons  des  vaux  (vallées)  de  Vire,  et, 
par  abréviation,  les  Vaux-de-Vire,  célèbrent  le  cidre  et  le  vin. 
Elles  remontent  à  Olivier  Basselin,  foulon  virois.  Au  xvie  siècle, 
Jean  le  Houx,  avocat  de  Vire,  reprit  ce  genre,  abandonné  sans 
doute  depuis  la  mort  de  son  fondateur.  (Cf.  A.  Gasté,  Préf.  des 
Vaudevires de  J.  le  Houx.) 


—  94  — 

Vau-de-vire  plaisant  ie  te  tiens  bien  heureux 
D'auoir  pour  gouuerneur  Bordeaux  le  généreux, 
Qui  Csesar  imitant,  dans  la  fureur  des  lances, 
Mesle  les  doctes  Arts  auecques  ses  vaillances,        500 
Muses  de  vostre  main  tortissez  le  Laurier 
Dont  i'ombrage  le  front  de  ce  ieune  guerrier. 

Le  temps  qui  tout  polit  depuis  rendit  polies 
La  grâce  et  la  douceur  de  ses  chansons  iolies, 
Auec  vn  plus  doux  air  les  branles  accordant,  505 

Et  la  douce  Musique  aux  nerfs  accommodant: 
Et  nous  représentant  ses  farces  naturelles, 
Choisit  vn  chant  qui  fut  alors  bien  digne  d'elles. 
Mais  à  dire  le  vray  la  France  n'eut  iamais 
Yn  repos  assez  long  pour  iouir  de  la  paix  :  570 

La  misère  tousiours  sa  tristesse  a  meslee 
Auec  la  gaillardise  ou  elle  est  appelée  : 
Toutefois  imitant  tant  qu'elle  peut  les  vieux, 
Elle  tient  aux  malheurs  son  courage  ioyeux  : 
Et  nous  a  ramené  de  la  Lyre  cornue  575 

(Qui  fut  au  paravant  aux  nostres  inconnue) 
Les  chants  et  les  accords,  qui  vous  ont  contenté, 
Sire,  en  oyant  si  bien  vn  Dauid  re chanté 

557.  Vau-de-Vire  est  employé  avec  son  sens  propre.  Cf.  Vauque- 
lin: 

Il  (Apollon)  vint  se  promener  jusqu'aux  monts  de  Belon 
Et  jusqu'au  Vau-de-Vire  et  jusqu'aux  Vaux  de  Bures. 

(Div.  sonnets,  10.) 

558.  Louis  de  Bordeaux  s'était  courageusement  conduit  à  la 
bataille  de  Moncontour.  Ce  jeune  guerrier  cultivait  aussi  les 
lettres  et  les  protégeait. 

560.  La  virgule  après  vaillances,  est  dans  le  texte  de  1605. 


—  95  — 

De  Baïf  et  Couruille  :  0,  que  peut  vne  Lyre, 
Mariant  à  la  voix  le  son  et  le  bien  dire.  580 

La  France  aussi  depuis  son  langage  haussa, 
Et  d'Europe  bien  tost  les  vulgaires  passa, 
Prenant  de  son  Roman  la  langue  délaissée, 
Et  dénouant  le  neud,  qui  l'a  tenoit  pressée, 
S'eslargit  tellement  qu'elle  peut  à  son  chois,  585 

Exprimer  toute  chose  en  son  naïf  François. 
Suiuamment  c'est  aussi  la  science  eleuee, 
Au  cœur  des  bons  esprits  des  l'enfance  grauee, 
Qui,  soit  en  faits  communs,  soit  en  diuinité, 
A  gaigné  sur  les  vieux  le  prix  d'éternité.  590 

Et  d'autant  que  meilleurs  sont  en  Gaule  les  hommes, 
D'autant  plus  excellens  que  les  autres  nous  sommes 
En  toute  Poésie,  et  brossons  àtrauers 
Tant  soient  ils  buissonneux,  des  haliers  plus  couuers. 

Toutefois  l'Artisan  n'entreprent point  d'ouurage,  595 

579.  Baïf  et  Courville.  Allusion  à  la  traduction  des  Psaumes 
de  Baïf.  Celui-ci  s'était  adjoint  le  compositeur  Joachim  Thibault 
de  Courville  pour  mettre  ses  vers  en  musique.  Cf.  Épitre 
de  Baïf  A  son  livre  : 

Dy  que  cherchant  d'orner  la  France 

Je  prins  de  Courville  accointance 

Maistre  de  l'art  de  bien  chanter, 

Qui  me  fit  pour  l'Art  de  musique 

Reformer  à  la  mode  antique, 

Les  vers  mesurés  inventer. 

583.  Delaisse.e  V.  la  pièce  de  du  Bellay  adressée  à  Mme  Margue- 
rite :  Sur  la  nécessité  d'écrire  en  sa  langue  propre.  —  Cf.  I,  70-71. 

584.  L'a  (sic). 

589.  Divinité,  se  prenait  dans  le  sens  de  thélogie,  science  des 
choses  divines. 

595  sqq.  Cf.  Hor.,  Ep.  aux  P.,  379.  Épitres.  liv.  II,  ép.  I, 
114-117. 


—  96  — 

S'il  n'a  fait  son  Chef  d'œuure  et  son  apprentissage  : 
Mais  nous,  du  premier  pas  les  Muses  nous  suiuons, 
Sçauans  et  non  sçauans  des  vers  nous  escriuons. 

Neaumoins  ie  diray  cette  douce  folie, 
Cette  gentille  erreur,  estre  toute  remplie  60O 

De  beaucoup  de  vertus.  Iamais  premièrement 
Le  Poëte  n'est  point  auare  aucunement  : 
Il  aime  ses  labeurs,  son  seul  but  et  sa  ioye, 
Il  aime  des  forests  la  solitude  coye  : 
Il  aime  ses  égaux,  qui  de  franche  bonté,  605 

N'estrangent  de  leurs  mœurs  l'honneste  volupté. 
Il  se  mocque,  il  se  rit  des  grands  citez  rasées, 
Des  pertes,  des  ennuis,  des  maisons  embrasées, 
Contre  Dieu  ni  Testât  il  n'a  point  comploté  : 
En  l'Océan  d'erreur  son  esprit  n'a  floté:  6io 

Comme  vn  peu  Philosophe  il  laisse  aller  le  monde, 
Les  Destins  plus  courants  volontaire  il  seconde 
Contre  ses  compagnons  il  ne  machine  rien  : 
Une  tache  d'auoir  des  orphelins  le  bien  : 
Sa  table  est  sobre  et  nette,  et  comme  il  se  présente,  615- 
Du  peu  comme  du  prou,  souuent  il  se  contente. 
S'il  n'est  propre  à  la  guerre  aux  armes  nonchalant, 

596.  On  sait  que,  dans  les  anciennes  corporations,  il  fallait]avoir 
fait  son  chef-d'œuvre  pour  obtenir  le  titre  de  maître. 

599.  Neaumoins  (sic). 

599  sqq.  Cf.  Hor.  Ëpit.  II,  118-131. 

611 .  Comme  un  peu  philosophe .  Comme  étant  un  peu  philosophe. 
Latinisme. 

615.  Il,  c.-à-d.  cela. 

617.  Il  faut  sous-entendre  s'il  est  dans  le  second  membre  au 
lieu  de  s'il  n'est. 


—  97  — 

Il  est  bon  à  la  ville,  aux  meilleurs  s'egallant  : 

Et  si  tu  reconnois  que  les  choses  petites 

Aux  grandes  aident  bien,  tu  connois  ses  mérites.  620 

Car  aux  ieunes  il  sçait  aprendre  la  vertu, 

Leur  former  le  parler  que  ce  monstre  testu 

Que  ce  peuple  ignorant,  par  mauvaise  prononce 

Des  vulgaires  plus  bas,  diuersement  annonce: 

Leur  fait  haïr  le  vice,  et  gracieux  et  doux  625 

Leur  corrige  l'enuie  et  l'aigreur  du  couroux  : 

Les  beaux  gestes  passez  il  remet  en  mémoire, 

Il  raconte  tousiours  quelque  agréable  histoire, 

Il  donne  enseignements,  par  le  ressouuenir 

Des  exemples  connus,  pour  le  siècle  aduenir  :        630 

Plaisante  est  son  humeur,  vtile  sa  hantise  : 

Estant  tout-  courtisan  :  hormis  par  la  feintise  : 

Et  quand,  Sire,  aux  honneurs  vous  l'auez  eleué 

Estant  de  la  liqueur  d'Hipocrene  abreué, 

Beau  laurier  entre  tous  il  paroist  en  la  sorte         635 

Que  fait  la  fueille  verde  au  près  la  fueille  morte. 

Mais  en  mettant  moymesme  en  nos  moissons  la  faux , 
l'ay  veu  dire  d'ailleurs  qu'on  trouue  des  défauts 
Aux  Poètes  aussi.  Vostre  maiesté  mes  me 
Qui  les  Muses  connoist,  les  chérit  et  les  aime,       640 

622.  Ce  monstre  testu.  Cf.  Horace  : 

Bellua  multorum  es  capitum. 

(Epit.,  I,  I,  76.) 
637.  Cf.  Hor.,  Ep.  II,  I,  219-228.  Cf.  Vauquelin  : 

Et  si  j'estens  ma  faux  en  la  moisson  d'autruy. 

(Sut.  fr.,  IV,  6.) 


—  98  — 

Sire,  s'en  aperçoit  lorsque  mal  a  propos 

Vous  présentant  des  vers  on  rompt  vostre  repos  : 

C'est  vne  faute  encor  quand  dépit  on  mesprise 

De  l'ami  de  nos  chants  vne  iuste  reprise  ; 

Quand  on  le  fait  vn  vers  plusieurs  fois  écouter       645 

Qui  des  le  premier  coup  il  a  bien  sceu  gouster  : 

Et  quand  nous  nous  plaignons  que  nos  chants  et  nos  veille 

Que  nostre  Luth  qui  donne  aux  forests  des  oreilles, 

N'est  point  ouy  de  vous,  qu'il  n'est  point  recherché, 

Pour  estre  comme  il  deust  de  vous,  Sire,  aproché  :  650   ■ 

Et  que  nous  espérons  que,  quand  vous  aurez,  Sire, 

Connu  comme  si  bien  nous  iouons  de  la  Lire, 

Qu'enclin  à  nous  aimer,  vous  nous  apelerez, 

Et  chanter  vostre  nom  vous  nous  commanderez  : 

De  sorte  que  iamais  la  piteuse  soufrête  555 

N'aportera  chez  nous  de  fain  ni  de  disete. 

Phœbus  est  de  soymesme  vn  peu  présomptueux, 

Tousiours  ieune  et  vanteur,  toutefois  vertueux. 

Beaucoup  de  nous  aussi  leurs  ouurages  m'amendent: 
Beaucoup  à  les  reuoir  trop  curieux  se  rendent.     660 
On  nota  Protogene  en  son  art  souuerain, 
Pour  ce  qu'il  ne  pouuoit  iamais  oster  la  main 
De  ses  tableaux  polis,  sans  tousiours  l'y  remettre: 
De  mesmes  on  en  voit  cette  faute  commettre 

646.  Qui  pour  que,  faute  d'impression. 
648.  Cf.  Hor.  : 

Et  auritas  fidibus  canoris 

Dueere  (juercus  (Od.  I,  XII,  tl  et  12.) 
659.  Cf.  Hor.,  Ep..  11,  I.  loi. 
661.  Protogene.  V.  la  note  du  vers  I,  792. 


—  99  — 

Par  trop  grand'diligence  à  polir  leurs  escris,  665 

Et  ne  trouuent  iamais  vn  œuvre  assez  repris. 

Mais,  Sire,  vous  auez  fait  vn  choix  honorable 
En  beaucoup  qui  rendront  Apolon  fauorable 
A  votre  maiesté,  qui  d'vn  si  grand  donneur 
Couronne  les  bienfaits  d'vn  immortel  honneur.     670 
Qui  diroit  qu'Alexandre  auroit  fait  dauantage, 
Voulant  que  seulement  fust  faite  son  image 
D'Apelle  et  de  Lysippe,  il  se  mesconteroit  : 
Et  l'œuure  de  la  main  aux  vers  raporteroit  : 
Car  vn  visage  n'est  rapporté  par  le  cuiure,  675 

Si  bien  comme  les  mœurs  le  sont  par  vn  beau  liure, 
I'entens  par  les  beaus  vers  des  Poètes  sçauants. 
Qui  vont  vostre  louange  à  qui  mieux  escriuants, 

Mais  reueuons  au  lieu  de  nos  vieilles  brisées. 
Voici  la  grand  forest,  ou  les  chansons  prisées         680 
Des  vieux  Satyres  sont  :  ie  m'estoy  forlongné 
Du  labeur  ou  i'estoy  n'aguere  embesongné  : 
Et  n'estant  ces  rainas  qu'un  plaisant  tripotage 
D'enseignements  diuers,  i'en  faits  vn  fagotage 
De  bois  entremeslé  :  Car  l'arbre  Delphien  685 

667  sqq.  Cf.  Hor.,  Ep.  II,  I,  245-250. 
671    sqq.  Cf.  Hor.,  Ep.  II,  I,  237-241. 

673.  Apelle.  V.  la  note  du  vers  I,  791.  —  Lysippe,  célèbre  sta- 
tuaire grec. 
681.  Faits  (sic).  Cf.  II,  409.    Fagotage.  Cf.  Satyres  françoises: 

On  dit  encor  que  les  vers  que  je  fais 

N'ont  point  de  nerfs  et  sont  lâchement  faits... 

A  dire  vrai,  je  fais  un  fagotage 

De  mes  discours  sans  farder  mon  langage.  (Liv.  II,  Sat.  °.) 
685.  L  arbre  Delphien.  Le  laurier  d'Apollon,  dieu  de  Délos. 

13 


—  100  — 

S'y  peut  voir  des  premiers  :  l'arbrisseau  Paphien 
Ioint  au  rampant  Lierre  ;  et  d'Oliuier  paisible 
S'y  faire  vne  couronne  à  tous  il  est  loisible  : 
De  ces  bois  sont  sortis  les  Satyres  rageux 
Qui  du  commencement,  de  propos  outrageux        690 
Attaquoient  tout  le  monde,  estant  dessus  l'Etage. 
Mais  depuis  ils  se  sont  polis  à  l'auantage  : 
Car  sortant  des  forests  lasciuement  bouquins, 
En  la  bouche  ils  n'auoient  que  des  vers  de  faquins 
Tantost  longs'  tantost  cours,  comme  les  Dithyram- 

[  bes  695 
Des  mignons  de  Bacchus,  qui  n'ontni  pieds  ni  iambes. 

Les  bons  esprits  d'alors,  afin  que  depiteux, 
Ils  peussent  mieux  taxer  les  vices  plus  honteux, 
Ils  mettoient  en  auant  ces  Satyres  rustiques  : 
Qui  sont  Dieux  ehontez,  impudens  fantastiques,    700 
Qui  les  fautes  nommoient  et  le  nom  des  absents, 

686.L'arbrisseauPapkien.Le  myrte  de  Vénus,  adorée  à  Paphos, 

692.  A  l'avantage,  c.-à-d.  avec  avantage,  à  leur  avantage. 
•     696.  Qui  n'ont  ni  pieds  ni  iambes.  On  sait  que  la  métrique  des 
dithyrambes  est  fort  compliquée. 

697  sqq.  Cf.  Disc,  sur  la  Satyre  :  «  Mais  afin  que  les  Poëtes  de 
ce  siècle  la  peussent  taxer  plus  librement  les  vices  et  les  défaut» 
voluptueux  et  lascifs  de  chacun,  ils  introduisirent  devant  tous  quel- 
ques Satyres,  qui  sont  espèces  de  Dieux  habitants  les  forests, 
ayant  des  cornes  au  front  et  des  pieds  de  Bouc,  qui  sont  foletons 
ehontez  et  impudents.  » 

700  sqq.  Cf.  Disc,  sur  la  Satyre  :  «  Les  escriveurs  de  l'antique 
Comédie  notoient  et  decouvroient  avec  une  grande  liberté,  non 
seulement  les  vices  des  absents,  mais  bien  souvent  aussi  ceux 
des  personnes  présentes.  »  —  Dans  tout  ce  passage,  il  est  inutile 
de  le  faire  remarquer,  Vauquelin  se  trompe  en  confondant  la  sa- 
tire avec  le  drame  satiriquef  L'erreur  n'est  pas  d'ailleurs  sans 
avoir    quelque  apparence  de  vérité. 


—  101  — 

Et  les  forfaits  secrets  quelque  fois  des  présents: 
Tel  estoit  des  Gregéois  la  Satyre  première  : 
Lucile  à  Rome  mist  la  nouuelle  en  lumière. 
Et  celuy  qui  premier  debatit  au  passé,  7C5 

Par  vn  Tragicque  vers,  pour  le  bouc  barbasse, 
Ce  fut  mesme  celuy  qui  le  cornu  Satyre, 
Sauuage  pied-de-bouc,  nous  descouurit  pour  rire  : 
Qui  seuere,  gardant  la  meure  grauité, 
Entremesloit  le  ris  et  la  simplicité  :  710 

Afin  de  retarder,  par  nouueauté  plaisante, 
Et  par  riants  attraits,  la  troupe  regardante, 
Quand  le  peuple  sortoit  ioyeux  et  desbauché 
Apres  le  sacrifice  et  le  ieu  despeché. 

Et  comme  nos  François  les  premiers  enProuence  715 
Du  Sonnet  amoureux,chanterent  l'excelence 
D'auant  l'Italien ,  ils  ont  aussi  chantez 
Les  Satyres  qu'alors  ils  nommoient  Syruentez, 

704.  Cf.  Disc,  sur  la  Satyre  :  «  Finablement  Lucilius  à  Rome 
fut  le  premier  inventeur  de  la  nouvelle  Satyre.  » 

705  sqq.  Cf.  Hor.,  Ep.  aux  P.,  220-224. 

715  sqq.  Cf.  Disc,  sur  la  Satyre  :  «  Les  Cocqs  à  l'asne  prin- 
drent  pied  et  succédèrent  aux  Sylvantez  de  nos  poètes  Wallons  et 
Provençauls  qui  avoient  imité  proprement  en  notre  langage  les 
Satyres  latines,  etc.  » 

716.  La  virgule  après  amoureux  est  dans  le  texte  de  1605. 

718.  Syrventez.  Le  Sirvente  chante  la  guerre,  la  vengeance,  la 
haine,  toutes  les  passions  cupides  et  violentes  que  l'intérêt  privé 
et  la  politique  déchaînent.  Le  sirvente  se  plie  à  toutes  les  formes  ; 
il  se  divise  en  strophes  ;  le  chant  et  la  musique  prêtent  leurs  vi- 
brantes harmonies,  leur  puissance  d'émotion  communicative  à  ses 
invectives  sanglantes,à  ses  effusions  de  colère.  Le  sirvente  est  aussi 
ancien  que  la  cansô,  consacrée  à  l'amour  ;  on  le  trouve  dans  le 
premier  troubadour  connu,  Guill.  de  Poitiers.  (Cf.  Aubertin,  Eist. 
de  la  litt.  fr.) 


—  102  — 

Ou  Syluentois,  vn  nom  qui  des  sylues  Romaines 
A  pris  son  origine  en  nos  forests  lointaines  :  720 

Et  de  Rome  fuyant  les  chemins  périlleux, 
Premier  en  Gaule  vint  le  Satyre  railleux. 

Depuis  les  Gocàl'asne,  à  ces  vers  succédèrent, 
Qui  les  Rimeurs  François  trop  long  temps  possédè- 
rent, 

Dont  Marot  eut  l'honneur.  Auiourd'huy  toutefois,  725 

Le  Satyre  Latin  s'en  vient  estre  François  ; 

Si  parmi  les  trauaux  de  Testude  sacrée, 

Se  plaire  en  la  Satyre  à  Desportes  agrée  : 

Et  si  le  grand  Ronsard  de  France  l'Apolon, 

Veut  peindre  nos  forfaits  de  son  vif  eguillon.       730 

Si  Doublet,  animé  de  Iumel  qui  préside, 

Sçauant  au  Parlement  de  nostre  gent  Druide, 

Met  ses  beaus  vers  au  iour,  nous  enseignants  moraux, 

Soit  en  dueil,  soit  en  ioye,  à  se  porter  égaux  : 

719.  Sirvente  vient  du  latin  servire  et  signifie  poème    servant 
c.-à-d.  composé  au  service  d'un  seigneur  par  un  poète  de  cour. 
723.  La  virgule  après  Coc  à  l'asne  est  dans  le  texte  de  1605. 

728.  On  n'a  de  Desportes,  dans  le  genre  satirique,  que  les  Stances} 
dumariugeow  Vitupère  du  mariage, pièce  danslaquelle  il  exhale  ses* 
sentiments  de  rancune,  de  dépit  et  de  haine  contre  les  femmes,,! 
qu'il  avait  tant  courtisées. 

729.  Ronsard  ne  fit  pas     de  satire   proprement  dite.  Mais  plu- 
sieurs de  ses  poésies  tiennent  de  près  au  genre  satirique   ou  même 
y  appartiennent  sans  en  avoir  le  nom  :  la  Dryade  violée,  les  Dis- 
cours sur  les  misères,  l'Appel  au  peuple  françois,  etc. 

731.  Jean  Doublet,  né  à  Dieppe  (1518),  publia  en  1559  un  recueil 
d'élégies  suivi  d'épigrammes  imitées  en  général  du  grec.  S'il  a  com- 
posé des  satires,  elles  ne  nous  sont  pas  parvenues.  —  Jumel 
(Pierre  le),  homme  d'un  esprit  très  cultivé,  président  au  parlement 
de  Rouen.   Cf.  Vauquelin  : 

Mon  le  Jumel,  le  digne  Président. 

{Sat.,  fr.  I,  3.) 


—  103  — 

Et  si  mes  vers  gaillards,  suiuantla  vieille  trace,      735 
Du  piquant  Aquinois  et  du  mordant  Horace, 
Ne  me  deçoiuent  point,  par  l'humeur  remontreux 
Qu'vn  Satyreau»  follet  soufla  d'vn  Ghesne  creux. 
Mais  rendre  il  faut  si  bien  les  Satyres  affables, 
Mocqueurs,  poignants  et  doux,  en  contes  variables, 740 
Et  mesler  tellement  le  mot  facétieux, 
Auec  le  raillement  d'vn  point  sentencieux, 
Qu'egalle  en  soit  par  tout  la  façon  rioteuse  : 
Qu'agréable  on  rendra  d'vne  langue  conteuse, 
Sautant  de  fable  en  fable,  auec  vn  tel  deuis  745 

Qu'on  fait  quand  priuément  chacun  dit  son  aduis 
D'vn  fait  qui  se  présente  :  en  langue  Ausonienne 
On  apelle  Sermon, cette  mode  ancienne. 
Horace  a  soubs  ce  nom  ses  Satyres  compris, 
Nos  Sermonneurs  preschants  aussi  l'ont  mis  en  prix. 750 

736.  Le  piquant  Aquinois,  c'est  Juvénal. — Du  mordant  Horace. 
Les  satires  de  Vauqiielin  sont  pleines  de  paraphrases  d'Horace. 
739.  Cf.  Hor.,  Ep.  aux  P.,  225-226. 

747  sqq.  Toujours  la  même  confusion  de  la  satire  et  du  drame 
satirique. 

748  sqq.  Cf.  Discours  sur  la  Satyre  :  «  Horace  a  compris  les 
Satyres  sous  le  nom  de  Sermons,  pris  du  mot  Latin  Sermo,  qui 
n'est  autre  chose  que  le  devis  familier  et  commun  d'entre  un  ou 
deux  devisants  ensemble.  Et  pour  cette  raison  et  que  pareillement 
Horace  reprend  les  vices  en  ses  Sermons,  il  est  vraysemblable 
que  l'usage  a  fait  appeler  de  ce  nom  les  prédications  de  nos  pres- 
cheurs.  » 

750.  Dans  la  période  apostolique  du  catholicisme,  à  côté  du 
discours  qui  s'adressait  aux  païens  pour  les  convertir,  était  l'homé- 
lie, sorte  de  conférence  coupée  de  fréquents  dialogues  entre  le 
commentateur  de  la  Bible  et  l'auditoire.  Ce  mot  grec  d'ô;xeXia  fut 
traduit  en  latin  par  sermo,  d'où  nous  avons  tiré  sermon.  (V.  Auber- 
tin,  Hist.  de  la  litt.  fr.,  II,  297.) 


—  104  — 

Et  si  tu  fais  parler  quelques  Nimphes  diuines, 
Des  Dieux  ou  des  Héros  auec  leurs  Héroïnes, 
Accoustrez  brauement  de  pompes  convoiteux, 
Qu'après  on  ne  les  voye,  et  bouffons  et  boiteux, 
Suiure  par  leurs  discours  la  vulgaire  manière      755 
De  ceux  qui  vont  hantant  l'escole  tauerniere  : 
De  sorte  que  pensant  bas  la  terre  euiter, 
On  te  voye  haut  au  ciel  mal  à  propos  monter, 
Et  peu  digne  Tragicque  estendre  à  la  voilée 
Yne  parole  basse  et  puis  vne  empoullee.  760 

Suiuant  vn  dous  moyen  subtil  faut  ioindre  l'Art 
Auecques  la  sornette  et  le  graue  brocart: 
Et  mesme  faire  encor  que  l'ami  ne  se  fâche, 
Quand  d'vn  vice  commun  à  chacun  on  l'atache. 
Gomme  la  Dame  honneste  aux  Dimenches  chommez765 
Se  trouue  quelquefois  aux  banquets  d'elle  aimez, 
Ou  contrainte  à  danser,  ne  laisse  bien  modeste, 
De  courtoise  montrer  vn  graue  et  ioyeux  geste: 
Ainsi  doit  la  Satyre,  en  sornettes  riant, 
La  douce  grauité  n'aller  point  oubliant  :  770 

Estant  et  de  plaisir  et  d'honnesteté  pleine, 
Gomme  la  belle  Grecque  et  la  chaste  Romaine. 
Ainsi  void  on  souuent  la  ioyeuse  beauté, 
Goniointe  chastement  auec  la  loyauté. 

751.  Cf. Hop.,  Ep.  aux  P.,  227-230.  —751  sqq.  Cf.  I,  1151   sqq. 

557.  Bas  la  terre  éviter  répond  à  haut  au  ciel  monter',  cette 
construction  ne  paraît  pas  susceptible  de  s'expliquer  grammatica- 
lement ni  logiquement. 

761.  Moyen.  V.  la  note  du  vers  I,  1077. 

765.  Cf.Hor.,  Ep.  aux  P.,  231-243. 


—  105  — 

Des  mots  dous  et  Mants  il  ne  faut  point  élire,       775 

Ni  ceux  qui  sont  trop  lours  en  faisant  la  Satyre, 

Les  communs  sont  les  bons,  dehors  du  rond  compas 

Du  Tragicque,  du  tout  ie  ne  sortiraypas: 

Mais  ie  mettray  tousiours  vne  grand'difference 

Alors  que  Zani  parle  auec  quelque  aparence  :         780 

Ou  Pite  ayant  Simon  de  son  argent  mouché  : 

Ou  bien  quand  de  Bacchus  vn  Sylene  embouché, 

le  feray  discourir.  D'vne  chose  vulgaire 

Et  commune  à  chacun,  mon  vers  ie  pourray  faire, 

D'vne  facilité  si  douce  l'a  traitant  785 

Que  chacun  pensera  pouuoir  en  faire  autant  : 

De  sorte  qu'il  dira  que  mes  vers  et  la  prose, 

En  discours  familiers  sont  vne  mesme  chose, 

Que  chacun  parle  ainsi,  qu'on  ne  craint  le  malheur 

De  voir  friper  ces  vers  pour  leur  peu  de  valeur  :  790 

Mais  s'il  vient  pour  en  faire  à  l'enui  de  semblables, 

Il  verra  qu'aisément  ils  ne  sont  imitables  : 

Tant  bien  l'ordre,  le  sens,  et  les  vers  se  ioindront, 

Et  le  langage  bas  et  commun  ils  tiendront. 

Et  tant  d'honneur  aduient  et  de  bonne  fortune      795 

775  sqq.  Cf.  Disc,  sur  la  Satyre  :  «  Mais  la  Satyre  ne  demande 
que  la  vérité  simple  et  nue,  et  des  paroles  du  cru  du  pays  de 
ccluy  qui  escrit  sans  s'élever  ni  rabaisser  trop  en   son  propos.  » 

780.  Zani.  V.  la  note  du  vers  I,  859. 

781.  Pite.  Il  s'agit  de  l'esclave  Pythias,  qui,  dans  une  comédie 
deLucilius  ou  de  Gœcilius  volait  son  maître.  —  Simon  était  le  nom 
de  sa  dupe. 

785.  Le  texte  porte  l'a. 
785  sqq.  Cf.  la  note  du  1159,  chant  I. 

790.  Friper,  dans  son  sens  propre,  c'est-à-dire  gâter  par  l'usure; 
ici  feuilleter. 


—  106  — 

Au  suiet  que  l'on  prend  d'vne  chose  commune. 

Selon  mon  iugement,  ces  Faunes  fron-cornus, 
Qui  des  noires  forests  aux  villes  sont  venus, 
Ainsi  que  s'ils  estoient  aux  citez  dans  les  rues, 
Aux  Palais  aux  marchez  des  villes  plus  courues,  soo 
Comme  ieunes  muguets  n'vseront  affettez 
Du  parler  de  la  ville  ou  d'ordes  saletez, 
Et  ne  vomiront  point  d'vne  manière  sote 
Yn  propos  indiscret,  vue  iniure  ou  riote, 
Les  riches  et  les  grands  s'en  tiendroient  offensez  :     805 
Et  bien  que  des  bouffons  il  se  rencontre  assez, 
Et  tels  marchants  louans  cette  façon  bouffonne, 
Si  n'acquerront  ils  point  des  sages  la  couronne. 

En  Satyre  tu  n'as  en  Grec  autheur  certain  : 
Suy  doncques  la  façon  du  Lyrique  Romain  ;  810 

De  Iuvenal,  de  Perse,  et  l'artifice  brusque 
Que  suit  le  Ferrarois  en  la  Satyre  Etrusque  : 
Remarque  du  Bellay  ;  mais  ne  l'imite  pas  : 
Suy,  comme  il  a  suyui,  la  marque  des  vieux  pas, 
Meslant  sous  vn  dous  pleur  entremeslé  de  rire,     815 

797.  Cf.  Hor.,  Ep.  aux  P.,  244-250 

807.  Marchants  est  employé  ici  comme  terme  de  mépris,  ainsi 
que  dans  Horace  le  fricti  ciceris  et  nuçis  emptor. 

808.  Des  sages,  complément  d'acquerront. 

812.  Le  Ferrarois.  Arioste,  dont  le  père  était  juge  au  tribunal  de 
Ferrare,  où  le  poëte  habita  de  bonne  heure.  11  composa  sept  satires 
qui  lui  ont  valu  le  surnom  d'Horace  italien.  Dans  son  Discours  sur 
la  Satyre,  Vauquelin  déclare  que  le  poëte  ferrarois  lui  a  parfois 
servi  de  guide. 

813.  Vauquelin  ne  veut  pas  que  les  poètes  français  s'imitent 
entre  eux.  Cf.  I,  429-430. 

815  sqq.  Il  s'agit  ici  des  Regrets;  dans    ce  recueil,  souvent  élé- 


-=^-T  M*Ov<i   I 


—  107  — 

Les  ioyeux  eguillons  de  l'aigrette  Satyre  : 

Et  raporte  vn  butin  de  Latin  et  Grégeois, 

Ainsi  comme  il  a  fait  au  langage  François, 

Et  ieune  ne  suy  pas  ces  Damerets  Poètes 

Qui  larrons  ne  sont  rien  que  Singes  et  Choëttes.    820 

Quand  la  syllabe  longue  après  la  breue  alloit, 
Ce  pied  "vite  en  Latin  ïambe  on  apeloit  : 
Et  si  nom  de  Trimetre  à  l'ïambe  l'on  donne 
Pour  ce  que  sous  les  doigs  par  six  lois  il  resonne. 
A  soy  premièrement  semblable  il  fut  sans  plus  :    825 
Mais  depuis  les  Spondés  pesans  et  résolus, 
En  fin  auecques  luy  plus  fermes  prindrent  place, 
L'ïambe  patient  les  receut  de  sa  grâce  : 
Mais  en  les  receuant  il  ne  leur  quitta  pas 
Ni  le  siège  second  ni  le  quatriesme  pas.  830 

Plus  dous  par  ce  moyen  ils  furent  à  l'oreille, 
Et  les  vieux  les  faisoient  de  cadence  pareille. 

Apres  que  maints  esprits  rangeants  la  quantité 
De  la  langue  Françoise  à  la  Latinité, 

giaque,  plusieurs   sonnets  ont  le  tour  satirique.  Cf.  I,  588,    et   la 
note. 

819.  Ces  Damerets  poètes  :  la  queue  de  Ronsard  et  de  la  Pléiade, 
tous  ces  méchants  rimeurs,  subtils  et  affétés,  qui  sont  comme  la  me- 
nue monnaie  de  Desportes.  Cf.  Vauquelin  : 

Je  ne  crois  pas  qu'on  trouve  de  beautez 
Dedans  Paris  sans  jargon  Poétique, 
Et  chaque  Dame  a,  selon  son  humeur, 
Ou  son  bouffon  ou  son  petit  Rymeur 
Qui  du  François  le  dous  commun  usage 
Ont  corrompu  de  barragouinage. 

(Sat.fr.,  HI,6.) 
821.  Cf.  Hor.,  Ep.  aux  P., 251-258. 
833.  Sur  les  vers  mesurés,  Cf.  la  Notice,  partie  II,  chap.  rv. 

13. 


—  108  — 

Eurent  rendus  aux  pieds  de  leurs  mots  ordinaires,  835 

La  démarche  et  les  pas  de  leurs  légers  Senaires  : 

De  ces  vers  l'artifice  en  la  France  a  esté 

Par  maints  autres  esprits  diuersement  tenté. 

De  sorte  que  Toutain  a  fait  que  l'Alexandre 

En  la  Rime  pouuoit  en  Phaleuces  se  rendre.  840 

Baif  qui  n'a  voulu  corrompre  ni  gaster 
L'accent  de  nostre  langue,  a  bien  osé  tenter. 
De  renger  sous  les  pieds  de  la  Lyre  Gregoise, 
Mais  en  son  propre  accent,  nostre  Lyre  Françoise  : 
Et  tant  a  profité  ce  courageux  oser,  845 

839-840.  Charles  Toutain  ou  Toustain,  né  à  Falaise,  ami  d'en- 
fance de  Vauquelin.  Il  est  surtout  connu  par  sa  tragédie  d'Agamen- 
non  (1557).  Cf.  Il,  1047-1048.  —  Le  phaleuce,  mètre  grec  et 
latin,  dont  le  premier  pied  est  un  spondée,  quelquefois  un  trochée 
ou  un  ïambe,  le  second  un  dactyle,  les  trois  derniers  des  trochées  ; 
la  césure  est  après  deux  pieds  (ou  deux  pieds  et  demi).  Ce  vers  de 
onze  syllabes,  dont  la  dernière  est  atone,  n'est  pas  sans  analogie 
avec  notre  décasyllabe,  surtout  celui  que  la  césure  coupe  en  deux 
hémistiches  égaux.  —  Au  vers  839,  Y  Alexandre  est  sans  doute  mis 
pour  le  vers  alexandrin.  Vaujuelin  prend  d'assez  grandes  liber- 
tés avec  d'autres  mots  du  même  genre,  surtout  à  la  rime,  pour  qu'une 
pareille  licence  n'ait  rien  de  bien  surprenant.Ce  que  nous  ne  voyons 
point,  c'est  de  quelle  façon  notre  vers  de  douze  syllabes  pouvait  se 
rendre  en  phaleuces.  Mais  il  ne  faut  pas  prendre  cettt>  expression 
à  la  lettre.  Le  poète  veut  tout  simplement  dire  que  le  phaleuce 
rimé  était  employé  par  Toutain  au  lieu  et  place  de  l'alexandrin. 

841-842.  Baïf  n'est  point,  comme  cela  s'est  dit  souvent,  l'in- 
venteur des  vers  mesurés,  mais  il  fut  le  premier  qui  poursuivit 
cette  innovation  avec  suite  et  logique.  Si  Vauquelin  le  félicite  de 
n'avoir  pas  gâté  l'accent  de  nostre  langue,  c'est  probablement  un 
hommage  rendu  au  soin  avec  lequel  il  s'évertua  à  noter  les  sons 
élémentaires  par  rapport  à  la  quantité.  —  Onpourrait  croire 
au  premier  abord  que,  dans  ce  passage,  le  poëte  fait  allusion  au 
mètre  baïfin  (mètre  tout  français,  mais  composé  de  quinze  syllabes, 
sept  pour  le  premier  hémistiche  et  huit  pour  le  second).  Les  vers 
843  et  844  montrent  qu'il  s'agit  de  mètres  lyriques,  et  le  vers  847, 
que  ces  mètres  lyriques  ont  pour  base  la  quantité  des  syllabes. 


«—  - -»-— -  ~-»~~- r— *— f~-r  — ~—  -.- T--  »~~  r~r  - 


—  109  — 
Que,  comme  luy,  plusieurs  ont  daigné  composer, 
Allians  à  leurs  vers  mesurez  à  l'antique, 
L'artifice  parlant  de  la  vieille  Musique  : 
le  ne  sçay  si  ces  vers  auront  authorité, 
C'est  à  toy  d'en  parler  sage  Postérité,  850 

Qui  sans  affection  peux  iuger  toutes  choses, 
Et  qui  sans  peur  les  prendre  ou  reieter  les  oses. 

Bref,  ces  ïambes  sont  biserres  et  diuers, 
Par  nous  représentez  à  maints  genres  de  vers  : 
Comme  sont  d'autrepart  les  doux  vers  de  Catule,  855 
De  Pontan,  de  Second,  de  Flamin,  de  Marule, 

848.  L'innovation  des  vers  mesurés  se  rattachait,  dans  la  pensée 
de  Baïf,  à  des  vues  particulières  sur  l'union  intime  de  la  poésie  et 
de  la  musique.  Il  ne  suffit  pas,  en  effet,  pour  qu'une  phrase  musi- 
cale convienne  également  à  plusieurs  stances,  que,  dans  ces 
stances  successives,  le  nombre  des  vers  et  la  combinaison  des  divers 
mètres  soient  les  mêmes  ;  il  faut  que  les  accents  aient  toujours  la 
même  place,  de  façon  qu'ils  puissent  toujours  coïncider  avec  les 
temps  forts  delà  musique.  Baïf  comprit  bien  qu'il  n'y  avait  pas  con- 
cordance harmonique  entre  les  vers  et  la  phrase  musicale,  comme 
on  les  mariait  avant  lui  ;  mais  il  ne  vit  pas  que  cette  concordance  se 
fait  par  celle  des  temps  forts  dans  la  musique  et  dans  la  versi- 
fication. Aussi  prit-il  pour  base,  non  pas  les  accents  tonico- 
rythmiques,  mais  la  quantité  des  brèves  et  des  longues. 

853.  Vauquelin  revient  maintenant  aux  ïambes,  après  sa  digres- 
sion sur  les  vers  mesurés. 

854.  Représentez,  etc.  C'est-à-dire  que  la  versification  française 
peut  remplacer  lesiambes  par  maints  mètres  divers. 

855  sqq.  Pontan.  V.  note  du  vers  I,  923.  — Second  (Jean), poète 
hollandais  (1511-1536),  a  écrit  des  Elégies  latines  et  des  Baisers 
(Basia).  —  Flamin.  Plaminio,  poète  latin  moderne,  né  à  Serravalle 
(1498-1550').  On  a  de  lui  :  De  rébus  divinis  carmina,  Paraphrasis 
triginta  Psalmorum,  etc.  —  Marulle,  poète  latin  moderne,  mort  en 
1500,  avait  composé  quatre  livres  d'épigrammes  et  trois  livres 
d'hymnes  aux  dieux  païens.  Vauquelin  lui  a  fait  son  épitaphe. 

Cf.  Du  Bellay  :  «Adopte  moy  aussi  en  la  famille  françoyse  ces 
coulans  et  mignons  hendpcasyllabes  à  l'exemple  d'un  Catule,  d'un 
Pontan,  et  d'un  Secund.  »  (De'fense,  liv.  II,  chap.  iv.) 


—  110  — 

Qui  d'vnze  pieds  marchoient  :  mais  les  François  gail- 

[lars, 
Qui  les  font  plus  petits,  ne  les  font  moins  mignars  : 
Tesmoinstantdebaisers,  Chansons,  Airs,  Amourettes, 
Mignardises,  Gaytez,  et  telles  œuurelettes,  860 

Dont  leurs  escrits  sont  pleins,  peignans  d'vn  dous 

[pinceau 
Tout  ce  que  la  Nature  a  de  rare  et  de  beau. 

Les  vers  pesants  et  lourds  enuoyez  sur  la  Scène, 
Langoureux  ou  hâtez,  ou  composez  à  peine, 
Ne  sont  pas  estimez  par  vn  sçauant  en  l'Art  :         865 
Il  blasmera  celuy  qui  tente  le  hasard 
De  se  faire  mocquer,  quand  trop  mal  il  s'asseure, 
En  balançant  au  poids  des  nombres  la  mesure, 
Et  de  n'enfanter  pas  en  termes  bien  receus, 
Les  vers  qu'en  luy  premier  Phœbus  aura  conceus,  870 
Et  de  n  estre  soigneux  d'vne  rime  coulante, 
Qui  se  rende  à  l'oreille  agréable  et  plaisante. 

Chacun  n'auise  pas  les  vers  qui,  mal  limez, 
Sont  montrez  au  public,  d'entre  les  estimez. 
A  la  Muse  Romaine  ayant  esté  permise  875 

Vne  grande  Licence  (indigne  d'être  admise), 
Alors  qu'on  commençoit  :  et  mesme  nos  François 
S'estants  plus  largement  estendus  mile  fois, 

857.  D'unze  pieds.  Pieds  est  mis  ici  pour  syllabes. 

858.  V.  (note  du  vers  855)  le  titre  du  second  recueil  de  Jean 
Second  :  ses  Baisers  avaient  été  souvent  imités  par  nos  poètes 
français. 

863.  Cf.  Hor.,  Ep.  aux  P.,  259-269. 


—  111  — 

Me  dois-ie  hasarder  de  mètre  sur  la  presse 

Mes  Poëmes  qui  sont  pleins  de  toute  rudesse  ?      880 

Ou  si  plustost  ie  doy,  par  iugement  preuoir, 

Que  chacun  pourra  bien  ma  faute  aperceuoir? 

Si  bien  que  me  taisant,  par  vne  sage  ruse, 

le  ne  sois  point  tenu  de  faire  aucune  excuse? 

La  faute  en  ce  faisant  je  peux  bien  euiter,  885 

Mais  de  louange  aussi  ie  ne  puis  mériter. 

Esprits,  qui  recherchez  et  matins  et  serees 
Des  Grecs  et  des  Latins  les  traces  asseurees, 
Feuilletez  leurs  labeurs  et  là  vous  trouuerrez 
Gomme  vn  renom  fameux  acquérir  vous  pourrez  :  890 
Le  sçauoir,  l'artifice  auec  l'experte  vsance, 
Donneni  en  quelque  temps  au  renom  accroissance  : 
Comme  on  void  l'vne  fois  nostre  ombre  aller  deuant, 
Et  1: autrefois  derrière:  ainsi  va  s'esleuant 
Le  renom  des  humains  :  quelquefois  des  la  vie,    895 
Et  quelque  fois  après  la  mort  en  est  suiuie. 
Et  les  Muses  tousiours  laisseront  renommez 
Tous  ceux  qu'elles  auront  chéris  et  bien  aimez. 

Mais  nostre  Poésie  en  sa  simplesse  vtile, 
Estant  comme  vne  Prose  en  nombres  infertile,      900 
Sans  auoir  tant  de  pieds,  comme  les  Grecs  auoient 

8S7sqq.  Cf.  Du  Bellay: 

Je  ne  veux  que  resveur  sur  le  livre  il  vieillisse 
Feuilletant  studieux  tous  les  soirs  et  matins 
Les  exemplaires  Grecs  et  les  auteurs  Latins. 

Cf.  Boileau,  Art  poét.,  II,  27,  28.  (Le  Poète  courtisan.) 

895.  Quelquefois  des  la  vie  doit  être  rattaché  au  verbe  précédent  : 
quelquefois  il  s'élève  dès  la  vie  et  quelquefois,  etc. 


—  112  — 

Ou  comme  les  Romains  qui  leurs  pas  ensuiuoyent, 

Ains  seulement  la  Rime  :  il  faut  comme  en  la  Prose, 

Poëte  n'oublier  aux  vers  aucune  chose 

De  la  grande  douceur,  et  de  la  pureté  9°5 

Que  nostre  langue  veut  sans  nulle  obscurité: 

Et  ne  recevoir  plus  la  ieunesse  hardie, 

A  faire  ainsi  des  mots  nouueaux  à  l'estourdie, 

Amenant  de  Gascongne  ou  de  Languedouy, 

D'Albigeois  de  Prouence,vn  langage  inouy:  910 

Et  comme  vn  du  Monin,  faire  vne  parlerie 

Qui,  nouuelle,  ne  sert  que  d'vne  moquerie. 

Ceux  qui  cherchent  des  mots  empoulez  et  bouffis, 
Et  des  discours  obscurs,  qui  ne  sont  point  confis 
Dans  le  sucre  François,  font  vne  faute  telle  915 

Que  ceux  qui  vont  quitant  vne  fontaine  belle, 
Pour  puiser  de  l'eau  verte  en  vn  palu  fangeux 
Ou  dans  le  creux  profond  d'vn  lieu  marescageux: 
Vos  paroles  soient  donc  et  vos  pointes  eleues, 
En  ligures  qui  sont  des  Muses  bien  voulues  :  920 

903.  On  sait  que,  dans  notre  versification,  la  rime  n'a  d'autre  ob- 
jet que  de  marquer  la  fin  de  l'unité  métrique,  c'est-à-dire  de  battre 
la  mesure.  Le  rythme  se  marque  ainsi  à  la  fin  du  vers;  dans  l'inté- 
rieur, il  est  indiqué  par  les  accents,  accents  toniques,  qui,  sauf 
ceux  de  l'hémistiche  et  de  la  fin,  sont  laissés  au  gré  du  poète, 
libre  de  les  placer  où  il  veut,  et  accents  rythmiques  dont  la  distri- 
bution est  complètement  affranchie  de  toute  règle,  au  moins  dans 
notre  poésie  contemporaine. 

907  sqq.  Cf.  1.361  sqq.  V.  la  Notice,  partie  II,  chap.  iv. 

911.  Jean  Edouard  du  Monin,  né  vers  1557,  mort  en  1586.  On  a 
de  lui  le  Phœnix,  poème,  la  tragédie  d'Orbec-Oronte,  et  enfin  une 
grande  composition  héroïque,  intitulée  Bérésithias,  du  mot  hébreu 
Bereschith,  qui  ouvre  le  récit  de  la  Genèse.  Le  Bérésithias  est  une 
imitation  grotesque  de  du  Bartas. 


—  113    - 

Manières  de  parler  qu'vn  Rethoricien 

En  Grec  apelle  Scheme  enseignant  l'Artien. 

Chasser  on  ne  doit  pas  par  les  forests  espaisses, 
Qui  ne  sçait  les  détours,  les  routes,  les  adresses  : 
Qui  ne  sçait  redresser  les  chiens  à  leur  défaut,      925 
De  faire  vn  Horuari  requêter  comme  il  faut  : 
Ainsi  dans  l'espaisseur  du  buisson  de  Permesse, 
Ne  faut  s'auenturer  qui  ne  sçait  la  r'adresse, 
Qui  conduit  au  sommet  du  double  mont  cornu: 
Car  Poëte  on  n'est  point  qu'on  D'y  soit  paruenu      930 

le  confesser  ay  bien  que  les  Romains  antiques 
Auoient  fort  estimé  les  nombres  Poétiques, 
Les  vers  et  plaisants  mots  de  Plaute  qu'ils  portoient 
Par  trop  patiemment,  et  qu'ils  s'en  contentoient 
Par  grossière  simplesse,  et  que  l'innocent  âge       935 
De  nos  bons  vieux  Gaulois  estimoit  le  ramage 
De  nos  premiers  Romants  (qui  le  Romain  parler 
Fait  Gaulois,  au  Gaulois  sçauoient  entremesler) 
Vn  peu  légèrement  :  et  si  ne  veux  pas  dire 
Qu'à  l'heure  qu'ils  oyoient  quelque  bon  mot  pour 

[rire  940 
En  leurs  chants ,  Chanterels,  Sons ,  Seruantois, Tançons, 
Pastorelles,  Déports,  Soûlas,  Sonnets,  Chansons, 

931.  Cf.  Hor.,Ep.  aux  P.,  270-272. 

932.  Avoient  estimé.  Habebant  œstimùtum  ;  c'est    l'imparfait  et 
non  le  plus-que-parfait. 

937-938.    Cf.  la  note  des  vers  I,  615,  616. 

941.  Chanterels.  Petits  chants. —  Sons.  Cf.  I,  553.  — Servantois. 
Cf.  II,  718.  —  Tançons.  Cf.I,547. 

942.  Pastorelles.  La  pastorelle  était  une  espèce  d'églogue  dialoguée 
entre  le  poète  et  une  bergère  ou  un  berger.  —  Déports,  Soûlas. 


—  114  — 

Triolais,  Virelais,  Ieux-partis,  Lais,  Sornettes, 
(Sans  les  bonnes  iuger  d'entre  les  imparfaites) 
Goffes  tout  leur  plaisoit  en  tel  contentement,         945 
Qu'ils  n'ont  iugé  depuis  des  Rondeaux  autrement, 
Balades,  Chants  royaux,  Epistres  et  Complaintes, 
Que  bons  ils  adoroient  d'affections  non  feintes  : 
Descriuant    leurs    amours,    ainsi    comme    en    ta- 

[bleaux, 
Dedans  leurs   beaus  Romants,  et  dedans  leurs  Fa- 

[bleaux.  950 

Petites  pièces  de  vers  joyeuses.  On  sait  que  la  poésie  lyrique  des 
troubadours  comprenait  une  infinité  de  genres  divers  ;  à  coté  des 
déports  et  des  soûlas,  on  trouve  les  tristesses,  les  de'plaùirs,  les 
jalousies,  etc.  — Sonnets.  Cf.  1,547. 

943  Triolais.  —  Le  triolet  est  un  poème  de  huit  vers,  générale- 
ment octosyllabes  :  le  premier  vers  est  le  même  que  le  quatrième 
et  le  septième  ;  le  second  est  le  même  que  le  dernier.  Les  rimes  sont 
disposées  suivant  la  figure  :  ABABBABA.  Cette  forme  s'applique 
fort  bien  à  l'expression  d'idées  gracieuses;  maison  l'a  aussi  employée 
pour  la  satire,  à  laquelle  elle  donne  un  tour  piquant.  Le  triolet  a 
repris  faveur  dans  notre  poésie  toute  moderne.  —  Virelais.  Le  lai 
se  composait  d'une  série  de  vers  féminins  pentésyllabes,  écrits  sur 
une  même  rime  et  séparés  de  deux  en  deux  par  des  vers  masculins 
de  deux  syllabes  rimant  entre  eux.  Dans  le  virelai,  les  rimes 
•  opéraient  un  virement.  Celle  du  petit  vers  était ,  dans  un  second 
couplet,  attribuée  au  grand  ;  au  troisième  couplet,  le  grand  vers 
s'appropriait  celle  du  petit  dans  le  second,  et  ainsi  de  suite.  — 
Jeux-partis.  Les  querelles  d'amants,  outre  le  nom  générique  de 
tenson  (V.  I,  547),  s'appelaient  jeux-partis,  parce  que  la  question 
separtageait  entre  poètes  rivaux. —  Lais.  Y.  ci-dessus.— Sornettes. 
On  appelait  ainsi  des  poésies  d'un  caractère  tout  frivole,  de  pures 
bagatelles. 

945.  Nous  ne  connaissons  pas  de  genre  appelé  goffe,  comme 
explique  un  commentateur.  Goffes  est  un  adjectif  (V.  le  Glossaire) 
et  se  rapporte  au  complément  leur  du  verbe  plaisoit. 

946.  Rondeaux.  V.  la  note  du  vers  I,  546. 

947.  Balades.  V.  la  note  du  vers  I,  546.  —  Chants  royaux.  V.  la 
note  du  vers  I,  545. 


—  115  — 

En  France  lors  n'estoit  de  race  grande  et  belle 
Qui  n'eust  quelque  Roman  particulier  pour  elle. 

Depuis  long  temps  encor  Guillaume  de  Loris, 
Iean  de  Meun-clopinel,  on  prisoit  à  Paris 
Auecpeude  raison  :  au  moins  si, pour  cette  heure,  955 
Des  Rimes  nous  sçauons  discerner  la  meilleure  : 
Et  si  nous  sçauons  bien  à  l'oreille  et  aux  dois 
Iuger  le  vers  qui  marche  au  nombre  de  ses  lois. 

Or  l'Vualon  estant  tout  le  premier  vulgaire, 
Et  l'Itale,  et  l'Espagne,  ont  formé  l'exemplaire       %o 
Du  leur  sur  son  Roman,  ayant  pris  pour  leçons 
De  nos  chants  et  Sonnets  les  antiques  façons  : 
Et  puis  comme  celuy  qui  de  ruse  maline, 
Dérobe  le  cheual  en  l'estable  voisine, 

951-952.  Au  moyen  âge,  les  grandes  maisons  se  faisaient  une 
gloire  de  rapporter  leur  origine  à  quelque  héros  célébré  par  les 
chansons  de  gestes. 

953-954.  Guill.  de  Loris  et  Jean  de  Meun,  surnommé  Clopinel, 
sont  les  deux  auteurs  du  Roman  de  la  Rose.  Ils  représentent, 
comme  Charles  d'Orléans  et  Villon  au  xve  siècle,  les  deux  inspi- 
rations auxquelles  on  peut  rattacher  notre  poésie  du  moyen  âge, 
Guilaume  de  Loris,  l'inspiration  chevaleresque,  d'ailleurs  bien 
affadie,  Jean  de  Meun  l'inspiration  populaire  dans  toute  la  crudité 
de  sa  verve  railleuse.  —  Le  Roman  de  la  Rose  avait  été,  depuis  le 
xire  siècle,  la  source  où  puisaient  tous  nos  poètes;  jusqu'à  la  se- 
conde moitié  du  xvie  siècle,  il  domine  notre  littérature  et  exerce 
sur  les  divers  genres  une  influence  souveraine.  C'est  le  seul  monu- 
ment du  moyen  âge  qu'apprécie  la  Pléiade.  Cf.  du  Bellay  :  «De  tous 
les  anciens  Poètes  François,  quasi  un  seul  Guillaume  du  Lauris  et 
Jean  de  Meun,  sont  dignes  d'estre  leuz.  »  (Défense,  liv.  II,  chap.  n.) 

955  sqq   Cf.  Hor.,  Ep.  aux  P.,  272-274. 

959.  sqq.  Erreur  déjà  signalée.  (Cf.  1, 595  sqq.)  —  Cf.  Ronsard  : 
«Outre  jet'adverti  de  ne  faire  conscience  de  remettre  en  usage  les 
antiques  vocables,  et  principalement  ceux  du  langage  wallon  et 
picard,  lequel  nous  reste  par  tant  de  siècles,  l'exemple  naïf  de  la 
langue  française,  jenten  de  celle  qui  eut  cours  après  que  la  latine 
n'eut  plus  d'usage  en  nostre  Gaule.  »  (2e  préf.  de  la    Franciade.) 


—  116  — 

Luy  fait  le  crin,  la  queue  et  l'oreille  couper,         965 
Et  quelque  temps  après  le  reuend  pour  tromper 
A  son  mesme  voisin  :  ainsi  nostre  langage 
Ils  ont  prins  et  planté  dans  leur  terreur  sauuage, 
Et  l'ayant  déguisé  nous  le  reuendent  or, 
Gomme  fins  maquinons  plus  cher  qu'au  prix  de  l'or.  970 
Et  comme  nous  voyons  beaucoup  d'herbes  plantées 
D'vn  bon  terroir  en  l'autre,  et  les  greffes  entées 
Dessus  vn  autre  pied,  derechef  reuenir, 
Et  de  leur  premier  tronc  perdre  le  souuenir  : 
Tout  de  mesme  les  traits,  les  phrases  et  la  grâce,  975 
Prenant  d'vne  autre  langue,  en  nostre  langue  place, 
S'y  ioignent  tellement  qu'on  diroit  quelquefois 
Qu'vn  trait  Latin  ou  Grec  est  naturel  François. 
Yirgile  ainsi  pilla  d'Homère  la  richesse, 
Et  naturalisa  des  Grégeois  la, sagesse  :  980 

Et  l'Arioste  après  en  les  pillant  tous  deux, 
Plus  hardiment  a  pris  les  gestes  hasardeux 
De  nos  vieux  Paladins,  connus  par  tout  le  monde, 
Et  des  preux  Gheualiers  de  nostre  Table-Ronde, 
Du  Prophète  Merlin  les  forts  enchantemens,        985 

968.  Terreur  est  évidemment  mis  pour  terroir. 

970.  Voir,  pour  ce  qui  précède,  la  Notice,  partie  II,  chap.  m. 

971  sqq.  Cf.  Vida,  Art  poét.  III,  231,  sqq. 

981.  sqq.  Cf.  Fauchet  :  «  Les  Italiens,  Espagnols,  Alemands 
et  autres  ont  esté  contraints  forger  leurs  romans  et  contes  fabu- 
leux sur  les  telles  quelles  inventions  de  nos  trouverres,  chanterres 
conteors  et  jongleors  tant  caressez  par  toutes  les  cours  d'Europe 
pour  leurs  chansons  de  la  Table-Ronde,  Roland,  Renaud  et  Pala- 
dins. »  (Liv.  I,  chap.  v.) 

985.  Merlin  l'enchanteur,  un  des  héros  du  Cycle  armoricain,  est 
ainsi  appelé  parce  qu'il  a  laissé  un  livre  de  Prophéties;  elles  furent 


—  117  — 

De  Turpin  l'Archeuesque,  en  ses  racontemens, 
Suiuant  l'histoire  vraye,  alors  que  Charle-magne 
Pauoit,  à  Ronceuaux,  de  morts  toute  l'Espagne  : 
Et  qu'Agramant  venu  cet  outrage  vanger, 
Youloit  dessous  ses  lois  la  grand'Cité  ranger.         990 

A  l'heure  Lancelot,  en  Prose  Héroïque, 
Montroit  de  nos  maieursla  fureur  Poétique, 
Et  rauissoit  l'esprit  de  cent  diuersitez  : 
Meslant  auec  l'Amour  les  grands  solennitez 
Des  ioustes,  des  Bouhourds,  lors  que  des  Gonnois- 

[sances,  995 
Ils  honoraient  le  bout  de  leurs  guerrières  lances  : 
Et  dessoubs  le  secret  des  figurez  blasons. 
Se  cachoient  de  l'Amour  les  plaisantes  raisons. 

Aux  combats  mesmement  on  void  mile  manières 
De  porter  armoyez  les  Escus  aux  Banieres,  1000 

LeTymbre  menaçant  l'Armet  enpanaché, 
Et  le  Mot-de-bataille  au  dessoubs  attaché, 
Cotte-d'armes,  Harnois,  les  armes  etofees 
Par  la  courtoise  main  des  gracieuses  Fées. 

recueillies  par  Geoffroy  de  Mommouth  qui  les  traduisit  en  latin  et 
les  inséra  dans  son  Histoire  des  Bretons. 

986.  Turpin,  archevêque  de  Reims.  On  lui  a  attribué  une  chro- 
nique dite  du  Moine  de  Saint-Denis,  qui  s'intitule  De  Vita  Caroli 
Magni  et  Rolandi.  Ce  n'est  qu'un  roman  d'aventures  et  d'exploits 
chevaleresques. 

989.  Agramant,  neveu  de  Braban,  roi  d'Espagne.  C'est  un  des 
héros  du  Roland  furieux. 

990.  La  grand'Cité.  Paris. 

991.  Il  s'agit  ici  du  roman  en  prose  de  Lancelot  du  Lac  (Cycle  ar- 
moricain). —  Dans  Héroïque  Yh  est  aspirée. 


—  118  — 

Nostre  Amadis  de  Gaule  en  vieil  Picard  rimé,  1005 
N'estoit  moins  que  nos  Pairs  entre  nous  estimé. 
D'Amadis  l'Espagnol  a  sa  langue  embellie, 
Et  sa  langue  embellit  de  nos  Pairs  l'Italie  : 
Et  quand  nous  reprendrons  cesbeaus  larcins  connus, 
De  rien  nous  ne  pouuons  leur  en  estre  tenus.      1010 

De  Thespis  le  premier  la  manière  est  venue, 
De  la  Farce  Tragicque  en  cor  lors  inconnue, 
Quand  dans  les  Chariots  et  Tombereaus  couuers 
Conduit,  il  fist  iouer  publiquement  ses  vers 
Par  des  gentils  bouffons,  qui  d'vne  lie  epesse       1015 
Leur  face  barbouilloient  par  les  villes  de  Grèce  : 
Ainsi  vont  à  Rouen  les  Gonards  badinants, 
Pour  tout  déguisement  leur  face  enfarinants. 

Mais  par  /Eschyle  fut  cette  façon  ostee 
Depuis  que  braue  il  eut  la  manière  inuentee       1020 
De  se  seruir  de  masque,  et  proprement  changer 

1005.  On  a  cru  longtemps  qW  Amadis  était  un  roman  d'origine 
française.  Herberay  des  Essarts  qui,  à  la  requête  de  François  Ier, 
traduisit  le  texte  d'Ordonez,  s'exprime  ainsi  dans  sa  préface  :  «  Il 
est  tout  certain  qu'il  fut  premier  dans  nostre  langue  françoise,  es- 
tant Amadis  gaulois  et  non  Espagnol.  Et  qu'ainsi  soit,  j'en  ay 
trouvé  encore  quelques  restes  d'un  vieil  livre  escrit  à  la  main  en 
langue  picarde  sur  lequel  j'estime  que  les  Espagnols  ont  fait  les 
traductions.  »  Cette  opinion  n'a  pas  été  adoptée  par  la  critique  mo- 
derne, l'original  picard  n'ayant  laissé  nulle  part  la  moindre  trace; 
on  admet  seulement  que  les  Amadis  sont  une  imitation  indirecte 
de  nos  romans  français  de  la  Table-Ronde. 

1011.  Cf.  Hor.,  Ep.  aux  P.,  275-280.  Boileau,  Art.poét.,  III,  67, 
sqq. 

1015.  Vauquelin  confond  ici,  comme  devait  le  faire  Boileau,  l'o- 
rigine de  la  tragédie  avec  celle  de  la  comédie. 

1017.  Les  Couards  ou  Cornards  étaient  une  ancienne  confrérie 
de  Rouen  et  d'Evreux. 


—  119  — 

D'habillemens  diuers,  commençant  à  ranger 

Les  limandes,  les  ais,  pour  dresser  le  Théâtre: 

Il  enseigna  deslors  à  parler,  à  s'ébattre 

Yn  peu  plus  hautement,  et  lors  fut  amené  1025 

L'vsage  encor  non  veu  du  soulier  cothurne. 

De  fausse  barbe  ainsi  nos  vieux  François  vserent, 
Quand  leurs  moralitez  au  peuple  ils  exposèrent  : 
Ils  ont  montré  depuis  d'vn  vers  auantageux, 
louant  deuant  les  Rois  leurs  magnifiques  ieux,  1030 
Qui  feroient  aisément  que  la  Muse  Françoise 
Peut  estre  passeroit  la  Romaine  et  Gregoise, 
S'elle  auoit  eu  l'apuy  d*vn  grand  Roy  poursoustien: 
Plustost  le  bien  estrange  on  prise  que  le  sien. 

Iodelle  moy  présent,  fist  voir  sa  Cleopatre,        1035 
En  France  des  premiers  au  Tragique  théâtre, 
Encor  que  de  Baïf,  vn  si  braue  argument 
Entre  nous  eust  esté  choisi  premièrement. 
Peruse  ayant  depuis  celte  Muse  guidée 

1030.  Malgré  l'absence  de  virgule,  il  faut  rattacher  jeux  ^.montré 
et  non  h  jouant. 

1035.  C'est  en  1552  que  Jodelle  fit  représenter  sa  Cleopatre,  la 
première  tragédie  française.  Cf.  Pasquier  :  «  Cette  comédie  {la  Ren- 
contre ou  Eugène)  et  la  Cleopatre  furent  représentées  devant  le 
roy  Henry  à  Paris,  en  l'hostel  de  Reims,  avec  un  grand  applaudis- 
sement de  toute  la  compagnie.  Et  depuis  encore  au  Collège  de  Bon- 
cour,  où  toutes  les  fenestres  estoient  tapissées  d'une  infinité  de 
personnages  d'honneur,  et  la  cour  si  pleine  d'escoliers  que  les  portes 
du  Collège  en  regorgeoient.  »(Rech.  de  la  Fr.,  liv.  VIII,  chap.  vu.) 

1039  sqq.  Jean  de  la  Péruse,  né  vers  1530  à  Angoulème,  mourut 
prématurément  en  1555,  laissant  manuscrite  et  inachevée  sa  tragédie 
deMédée,  publiée  en  1556  par  les  soins  de  Sainte  Marthe  qui  l'a- 
vait terminée  ;  celui-ci  appelle  son  ami  le  véritable  Euripide  des 
Français.  —  Jean  de  la  Péruse  avait  été  un  des  acteurs  de  Cleo- 


—  120  — 

Sur  les  riues  du  Glain,  flst  incenser  Medee:         1040 

Mais  la  mort  enuieuse  auançant  sontrespas, 

Fist  que  ces  vers  tronquez  parfaire  il  ne  sceut  pas  : 

Quand  Saintemarthe  emeu  de  pitié  naturelle 

De  ces  doux  orphelins  entreprist  la  tutelle, 

Sçauant  les  r'agença,  leur  patrimoine  accreut,     1045 

Et  grand'peine  et  grand  soin  pour  ses  pupiles  eut. 

Puis  Toutain  nous  flst  voir  de  la  couche  royale 

Du  Prince  Agamemnon  la  traison  desloyale, 

Cependant  que  Morin  en  tout  sçauoir  profond, 

Et  d'vn  autre  costé  le  bien  disant  Nemond,  1050 

pâtre.  (Cf.  Rech.  de  la  Fr.,  liv.  VII.,  chap  vu).  Pasquier  nous 
apprend  que  la  Médée  n'eut  pas  grand  succès  :  «  La  Peruse,  dit- 
il,  fit  une  tragédie  sous  le  nom  de  Medee,  qui  n'estoit  pas  trop 
décousue,  et  toutes  fois  par  malheur,  elle  n'a  pas  esté  accompagnée 
de  la  faveur  qu'elle  meritoit.  »  (Ibid.,  ibid.)  —  On  trouve  dans  les 
Foresteries  une  épitaphe  pour  le  tombeau  de  la  Péruse. 

1040.  La  Péruse  avait  composé  sa  tragédie  à  Poitiers,  que  le  Glain 
arrose. 

1043.  Scévole  de  Sainte-Marthe  (1536-1623)  a  laissé  des  poésies 
françaises  qui  ne  manquent  ni  de  naturel  ni  de  grâce.  Ses  poésies 
latines  lui  valurent  au  xvie  siècle  une  grande  réputation.  Vauquelin 
a  déjà  loué  sa  Pœdotrophia.  (V.  I.  925,  sqq.) 

1047,  Toutain  ou  Toustain,  né  à  Falaise,  publia  en  1556  une 
plate  imitation  de  Y  Agamemnon  de  Sénèque.V.noteduversII,839. 

1049.  Robert  Morin,  conseiller  du  roi  au  bailliage  de  Caen.  Il  cul- 
tivait la  poésie  en  latin  et  en  français.  Si  Ton  en  croit  Huet,  il  avait 
entrepris  la  traduction  de  Staceen  vers.  Cf.  Vauquelin  : 

Puis  Morin  le  berger  qui  aime  quelquefois, 
Plus  le  plaisir  des  vers  que  le  profit  des  loix. 

(Pastor.  sur  le  tomb.  de  Rouxel.) 

1050.  François  de  Nemond,  jurisconsulte,  auquel  Vauquelin  a 
dédié  une  de  ses  Foresteries,  la  dixième  du  livre  premier.  Mo- 
rin et  lui  enseignaient  sans  doute  le  droit  à  Poitiers  du  temps  que 
Vauquelin  l'y  étudiait  avec  la  Péruse,  Toutain  et  Scévole  de  Sainte- 
Marthe. 


—  121  — 

S'efforçoient  d'enseigner  en  nostre  langue  ornée 
La  loy  qui  fut  iadis  aux  vieux  Romains  donnée. 

Et  maintenant  Garnier,  sçauant  et  copieux, 
Tragique  a  surmonté  les  nouueaux  et  les  vieux: 
Monstrant  par  son  parler  assez  doucement  graue,  1055 
Que  nostre  langue  passe  aujourd'huy  la  plus  braue. 

Maisonnier  d'autrepart  qui  se  plaisoit  souuent 
D'ouyr  son  Pin  sifler  aux  aubades  du  vent, 
La  Satyre  escriuoit  :  en  sa  prime  iouvance, 
Chantecler  arriuant  paya  la  redeuance  îœo 

A  Phœbus  comme  nous,  et  d'autres  que  le  temps 
Eniura  du  plaisir  de  ces  vains  passetemps  : 

1053.  Robert  Garnier  (1544-1601),  le  meilleur  poète  tragique  du 
xvie  siècle.  Avec  lui,  la  tragédie  resta,  pour  la  composition,  ce  que 
Jodelle  l'avait  déjà  faite,  c'est-à-dire  un  calque  de  Sénèque.  Mais  il 
l'emporta  de  beaucoup  sur  son  devancier,  comme  Vauquelin  l'a  bien 
vu,  par  les  qualités  de  son  style.  Ses  principales  tragédies  sont: 
Porcie  (1563Ï  ;  Marc. Antoine  (1576),  et  surtout  Sédérie  ou  les  Juives 
(1580).  De  la  même  année  est  Bradamante,  notre  première  tragico- 
médie.  Vauquelin  a  adressé  à  Garnier  la  dernière  satire  du  livre  III. 
Il  a  aussi  composé  son  épitaphe . 

1057.  Roger  Maisonnier  avait  été  à  Poitiers  l'ami  de  Vauquelin, 
qui  lui  a  adressé  la  huitième  Foresterie  du  livre  Ier  ;  on  trouve 
aussi  dans  ce  recueil  un  sonnet  de  Maisonnier  à  Vauquelin  :  quant 
aux  satires  de  ce  poète,  elles  ne  nous  sont  pas  parvenues.  —  A  par- 
tir du  vers  1057,  Vauquelin  quitte  la  tragédie  pour  rassembler  dans 
un  commun  souvenir  ses  amis  de  jeunesse,  dans  quelque  genre 
qu'ils  se  soient  exercés. 

1058.  Cf.  VauqueUn  : 

Les  pins  sifflants  au  vent  de  leurs  pointus  feuillages. 

(Pastor.  sur  le  tombeau  de  Rouxel.) 
1060.  Charles  de  Chantecler,  mort  en  1620,  avait  cultivé  la  poésie 
dans  sa  jeunesse  ;  il  devint  plus  tard  conseiller  d'État.  Nous  avons 
de  lui  des  ouvrages  écrits   en  latin   qui  portent  la  marque  d'une 
grande  érudition.  —  Cf.  Vauquelin,  Sonnets  divers,  21,  29  : 
Que  fait  mon  Chantecler  ?  Il  fait  aux  environs 
Rechanter  ses  beaux  vers  sur  sa  Lyre  divine. 


—  122  — 

Quand  en  mesme  saison,  plein  d'vne  ardeur  diuine, 
Le  Feure  bouillonnant  dans  sa  vierge  poitrine, 
Des  Hébreux  et  des  Grecs,  Poëte  tout  Chrestien,  1065 
De  bien  chanter  de  Dieu  rechercha  le  moyen. 

En  ce  temps,  ô  quel  heur  !  sans  haine  et  sans  enuie, 
Nous  passions  dans  Poitiers  l'Auril  de  nostre  vie, 
Au  lieu  de  demesler  de  nos  Droits  les  débats, 
Muses,  pipez  de  vous,  nous  suiuions  vos  ébats:     lOTGj 
Mais  comme  vn  pèlerin,  qui  retourne  au  voyage, 
D'où  s'estant  plusieurs  fois,  par  maint  diuers  bocage, 
Egaré,  ne  s'égare  encore  vne  autre  fois  : 
Ainsi,  Muses, .depuis  le  chant  de  vostre  vois 
Ne  nous  a  tant  deceus,  que  n'ayons  fait  seruice   1075 
Au  Roy,  tenant  le  poix  de  l'égale  Iustice; 
Que  nous  n'ayons  aussi  par  vos  douces  liqueurs, 
De  la  guerre  ciuile  adouci  les  rigueurs, 

1064.  Il  s'agit  ici,  non  pas  de  ce  Jean  Lefèvre  que  d'Aubigné  met J 
dans  la«  suite»  de  Ronsard  (édit.  Réaurne,  t.  I,  p.  457),  mais  d<jl 
Guy  le  Fèvre  delà  Bodei'ie,ami  de  Vauquelin  et  son  voisin  decam-j 
pagne.  Nous  avons  de  Vauquelin  une  Pastorale  sur  le  Trépas  de  Guy 
le  Fevre,  escuyer,  sieur  de  laBoderie.  {Satyres  Fr.,liv.  V.)Le  Fèvrel 
avait  publié  les  poèmes  suivants  :  la  Galliade,  l'Encyclie  des\ 
secrets  de  l'Eternité,  Hymnes  ecclésiastiques,  Cantiques  spirituels,  i 
VHarmoniedu  monde.  On  voit  pour  quelle  raison  Vauquelin  l'appelle 
Poëte  tout  Chrestien.  Cf.  : 

Du  docte  Fevre  on  fait  trop  peu  de  conte  : 
Et  l'Espagnol  jusqu'en  nos  lieux  ombreux, 
(Pour  eclaircir  les  beaux  secrets  Hébreux) 
Le  vint  quérir  quand,  plein  d'un  saint  courage, 
En  Flandre  il  fiât  des  grands  Bibles  l'ouvrage. 
(Sat.  fr„  liv.  III,  à  Baïf.) 
1069.  Cf.  : 

Au  lieu  de  demesler  les  épineuses  lois, 
Les  Nymphes,  les  Sylvains  nous  suivions  par  les  bois. 
(Sat.fr.  I,  6.  A  son  livre.) 


—  123  — 

Et  que  chacun  de  nous  en  sa  douce  contrée, 
0  Muses,  n'ait  de  vous  la  science  montrée  :  1080 

Tesmoins  sont  de  ma  part  la  belle  eau  de  Gressy, 
Ante  petit,  la  Roche,  et  mon  grand  Orne  aussy, 
Ou  ieune  le  premier  i'enflay  vostre  Musete  : 
Mais  nul  n'est,  ô  malheur  !  en  sa  terre  prophète. 
Les  soupçons  enuieux,  les  médits,  la  rancœur,     îoss 
Des  nostres  me  faisoit  tout  refroidir  le  cœur. 
La  Muse  est  enuiable  et  l'ignorant  s'irrite, 
Quand  il  oit  de  Phœbus  vne  chanson  bien  dite. 
Gomme  on  conte  qu'vn  Tigre  au  son  du  Tabourin, 
Et  s'irrite  et  bondit,  comme  vn  monstre  marin,    1090 
Et  tant  plus  le  Tabour  il  oit  sonner  et  bruire, 
Dépit  en  se  mordant  plus  fort  il  se  déchire  : 
Ainsi  fait  l'enuieux,  les  louanges  oyant 
:Du  vertueux  qu'il  va  misérable  enuiant. 
Tousioursilse  tourmente,  et  tousiours  vne  enuie  1095 
;Luy  ronge  les  poulmons  le  reste  de  sa  vie  : 
Ghetiue  enuie,  encor,  tu  fais  bien  seulement, 

1081-1082.  Cressy.  C'est  une  source  voisine  de  Falaise.  —  Ante. 
Ruisseau  qui  coule  au  bas  de  Falaise.  —  La  Roche.  Masse  de  ro- 
chers en  face  de  ce  donjon.  —  Orne.  L'Orne,  comme  on  sait, 
passe  à  Falaise.  Cf.  : 

Car  de  Cressy  la  douce  onde  bruyante 
Qui  par  canaux  d'artifice  coulante, 
Passe  en  tes  prez  :  et  puis  les  monts  rocheux 
Qui  cachent  Ante  en  ses  vallons  fâcheux  : 
Et  d'autrepart  la  haute  Roche  aux  Fées 
Que  chaque  jour  visitent  les  Orphees,  etc. 
(Sat.  fr.  III,  2.) 
1085.  La  virgule  après  rancœur  est  dans  le  texte  de  1605. 

14 


—  124  — 

En  donnant  à  tous  ceux  qui  t'aiment  du  tourment. 
Vne  belle  lumière  amené  vn  bel  ombrage, 
Qui  les  yeux  enuieux  éblouit  d'vn  nuage  :  1100 

Né  de  bonne  maison  par  la  faueur  des  Gieux. 
Mon  bon  heur  offusqua  l'œil  de  mes  enuieux. 

Mais  quel  vent  ma  nacelle  en  haute  mer  enuole,  • 
Car  i'ay  passé  le  temps  que  marque  ma  Boussole? 
Reuenons  au  courant  ou  les  grands  Empereurs    1105 
Mourants  sont  faits  egauls  aux  poures  laboureurs. 

Au  Tragique  argument  pour  te  seruir  de  guide, 
Il  faut  prendre  Sophocle  et  le  chaste  Euripide, 
Et  Seneque  Romain  :  et  si  nostre  Echafaut 
Tu  veux  remplir  des  tiens,  chercher  loin  ne  te  faut  1110 
Vn  monde  d'argumens:  Car  tous  ces  derniers  âges 
Tragiques  ont  produit  mile  cruelles  rages. 
Mais  prendre  il  ne  faut  pas  les  nouueaux  argumens: ,( 
Les  vieux  seruent  tousiours  de  seurs  enseignemens, 
Puis  la  Muse  ne  veut  soubs  le  vray  se  contraindre  : 

[  1115 
1100.  Cf.  Hor  : 

Urit  enim  fulgore  suo  qui  praegravat  artes 
Infra  se  positas.  (Epitres,  liv.  II,  ép.  I,  v.  13.) 

1105.  C'est-à-dire  la  tragédie,  qui  représente  les  malheurs  et  la 
mort  des  princes.  (Cf.  11,451  sqq.) 

1108.  Cette  épithète  de  chaste  est  sans  doute  un  souvenir  du  sur- 
nom qu'Euripide  avait  reçu  :  on  sait  qu'il  était  appelé  le  Misogyne. 

1109.  Sénèque  eut  sur  la  tragédie  du  xvie  siècle  une  influence 
prédominante;  on  en  retrouve  la  trace  bien  sensible  jusque  dans 
Corneille. 

1113.  Cf.  Ronsard:  «  Le  poëte  ne  doit  jamais  prendre  l'argument 
de  son  œuvre  que  trois  ou  quatre  cents  ans  ne  soient  passez  pour 
le  moins.  »  (i}e  préf.  delà  Franciade.\  —  Racine,  dans  la  préface  de 
Bajazet,  s'excuse  d'avoir  pris  un  sujet  tout  contemporain,  et  fait 
valoir  cette  raison  que  «  l'éloignement  du  pays  répare  en  quelque 
sorte  la  trop  grande  proximité  des  temps  ». 


—  125  — 

Elle  peut  du  vieil  temps,  tout  ce  qu'elle  veut,  feindre. 

Pauvre  France  qui  dors,  quand  tu  t'eueilleras, 
De  tes  enfants  mutins  tu  t'emerueilleras. 
Celuy  qui  pourroit  voir  vne  forest  arbreuse, 
Grande,  belle,  peuplée,  antique,  noire,  ombreuse,  1120 
Et  la  reuoir  après  sans  ombre  ni  rameaux, 
Vn  Taillis  remarqué  de  quelques  balliueaux, 
Ayant  senti  le  fer  de  la  hache,  émoulue 
Pour  faire  trébucher  sa  richesse  fueillue  : 
France,  il  te  voit  ainsi,  sans  Sceptre  maiesteux,    1125 
Sans  couronne  Royale  en  port  calamiteux, 
Ta  robe  par  lambeaux,  comme  à  l'accoustumee 
N'estant  plus  de  lis  d'or  sur  l'azur  parsemée. 
Tes  massacres  cruels  aux  beaux  ans  qui  suiuront, 
Aux  Poètes  Tragics  de  suiet  sentiront  :  1130 

Mais  ore  appaise  toy  ;  permets  que  tes  contrées 
Ne  soient  à  l'auenir  de  tes  fureurs  outrées. 
Nous,  en  ce  peu  de  paix,  Nous,  qui  sentons  en  nous 
Vn  Dieu  qui  nous  échauffe  et  nous  chatouille  tous, 
Nous  nous  reiouirons  tachant  par  un  bel  aise,      1135 
A  faire  quelque  chose  enquoy  Phœbus  se  plaise  : 

1130.  Cf.  la  Notice,  partie  II,  chap.  n.  —  Gf  :  «  De  là  sont  venus 
les  désastres  innombrables  et  tragiques,  desquels  les  poésies 
Grecques  sont  remplies...  Et  qui  voudroit  feuilleter  les  histoires, 
il  trouveroit  celle  des  Empereurs  Romains  pleines  de  telles  mal- 
heureuses infortunes  ;  et  je  croy  comme  en  la  maison  de  France, 
d'Orléans  et  de  Bourgongne,  il  s'en  trouveroit  quelques-unes,  etc. 

(Oraison  de  la  calomnie.) 
1134.  Cf.  Ovide  : 

Est  deus  in  nobis,  agitante  calescimus  illo. 


—  126  — 

Aussi  bien  pouuons  nous,  Muses,  vous  dire  adieu, 
Car,  Muses,  de  long  temps  ici  vous  n'aurez  lieu  : 
Des  bons  ioueurs  de  Luth  la  main  est  engourdie, 
L'ardeur  de  la  ieunesse  est  partout  refroidie,        iho 
Et  desia  de  vos  sons,  et  desia  de  vos  chants, 
Moins  de  conte  il  se  fait  que  des  contes  des  champs. 
Et  si  par  cette  paix,  vnpeud'eiouissance, 
Ne  nous  donne  pouuoir  sur  l'aueugle  ignorance, 
Tous  vos  arts  se  perdront:  Muses,  donc  aprouuez  1145 
Que  parmi  tant  de  maux  ioyeux  vous  nous  trouuez. 
Comme  vn  forçat  Chrestien,  qui  depuis  mainte  année, 
Yiuoit  dessoubs  le  Turc  en  triste  destinée, 
De  Tripoly  sortant  à  Malte  va  ioyeux, 
Echapé  hors  des  mains  d'vn  bascha  furieux  :         1150 
Ainsi  gais  nous  viurons  si  sortis  de  l'oppresse 
De  la  guerre  il  se  peut  tirer  quelque  alegresse. 

Vous,  Sire,  cependant  aimez  le  saint  troupeau, 
Qui  du  guide  Apolon  a  suiui  le  drapeau  : 
Replantez  les  Lauriers,  refournissez  les  places       1155 
Des  monts  et  des  vallons,  des  Muses  et  des  Grâces, 
Faites  que  leurs  recois  de  Mars  endommagez, 
Ainsi  qu'au  parauant  ne  soient  desombragez  : 
Vous  laisserez  le  Sceptre  et  le  beau  Diadesme, 
Les  ornemens  Royaux,  et  la  Couronne  mesme:  1160 
Mais  cela  que  la  Muse  acquis  vous  gaignera, 
Sire,  tousiours  par  tout  vous  accompagnera  : 
Et  dans  le  Ciel  les  vents  en  la  bouche  des  Anges, 
Les  Anges  iusqu'à  Dieu  porteront  vos  louanges.  1165 


LIVRE   TROISIESME 


SIRE,  ie  voy  le  port  :  montrez  vostre  faueur  : 
Dans  ce  trouble  Océan,  soyez  l'Astre  sauueur, 
Qui  me  face  espérer  que  vous  ma  petite  Ourse, 
Conduirez  mon  esquif  seurement  en  sa  course. 
Muses,  ayant  passé  les  flots  plus  oragez  5 

Ne  permettez  qu'au  port  nous  soyons  submergez. 

Ieunes,  prenez  courage  et  que  ce  mont  terrible 
Qui  du  premier  abord  vous  semble  inaccessible, 
Ne  vous  estonne  point.  Ieunesse  il  faut  oser, 
Qui  veut  au  haut  du  mur  son  enseigne  poser.        10 
A  haute  voix  desia  la  Neuuaine  cohorie, 
Vous  gaigne,  vous  appelle  et  vous  ouure  la  porte, 
Yous  montre  vne  guirlande,  vn  verdoyant  lien, 
Dont  ceint  les  doctes  fronts  le  chantre  Delien: 
Et  par  vn  cri  de  ioye  anime  vos  courages  15 

A  vous  ancrer  au  port  en  dépit  des  orages  : 
Elle  répand  desia  des  paniers  pleins  d'oeillets, 
Des  roses  des  boutons,  rouges,  blancs,  vermeillets, 
Remplissant  l'air  de  musc,  de  fleurettes  menues, 
Et  d'vn  parfum  suaue  enfanté  dans  les  nues  :         20 


7  sqq.  Cf.  Vida,  Art  poét.,  III,  6-14. 
13.  Cf.  Boileau.  Art  poét.,  IV,  230. 


14. 


—  128  — 

Ces  belles  fleurs  du  Ciel  vos  beaus  chefs  toucheront, 
Et  sous  vos  pieds  encor  la  terre  enioncheront. 
Dans  le  Ciel  obscurci  de  ces  fleurs  epandues 
Sont  les  diuines  voix  des  Muses  entendues  : 
Voyez  comme  d'odeurs  vn  nuage  épaissi  25 

De  Manne,  d'Ambrosie,  et  de  Nectar  aussi, 
Fait  pleuuoir  dessus  vous  vne  odeur  embamee, 
Qui  d'vn  feu  tout  diuin  rend  vostre  ame  enflamee. 
Les  vers  sont  le  parler  des  Anges  et  de  Dieu, 
La  prose  des  humains  :  Le  Poète  au  milieu  30 

S'eleuant  iusqu'au  Ciel,  tout  repeu  d'Ambrosie, 
&n  ce  langage  escrit  sa  belle  Poésie. 

Pleust  au  Ciel  que  tout  bon,  tout  Chrestien  et  tout 

[Saint, 
Le  François  ne  prist  plus  de  suiet  qui  fust  faint! 
Les  Anges  à  miliers,  les  âmes  éternelles,  35 

Descendraient  pour  ouir  ses  chansons  immortelles  I 

C'est  desia  trop  long  temps  cette  Muse  inuoqué, 
Qui  rend  d'vn  court  plaisir  vn  bel  esprit  moqué, 
Sur  l'Helicon  menteur  couronnant  les  Perruques 
De  Lauriers  abuseurs,  flestrissants  et  caduques  :     40 
Apres  elle  tousiours  il  ne  faut  s'incenser: 
Il  faut  monter  aux  Gieux  sur  l'aisle  du  penser, 
La  cette  Muse  voir,  qui  d'Astres  couronnée, 
Ayant  de  beaux  rais  d'or  la  teste  enuironnee, 

30.  Au  milieu.   C'est-à-dire  que  le  poète    tient  le  milieu   entra 
Dieu  et  les  hommes. 
34.  Fàint.  Emprunté  aux  légendes  mythologiques. 


—  129  — 

Couronne  les  beaus  chefs  de  Lauriers  qui  sont  tels,  45 

Que  non  mourants  ils  font  les  mourables  mortels, 

Dessus  vn  vray  Parnasse  ou  la  sainte  verdure 

Des  Myrthes  amoureux  éternellement  dure  : 

Ne  laissant  toutesfois  d'embellir,  d'emperler 

De  fleurs  d'humanité  ses  vers  et  son  parler  :  50 

Du  sage  Médecin  imitant  la  coustume, 

Qui  pour  faire  aualer  la  fâcheuse  amertume 

D'vn  breuuage  salubre,  au  bord  du  gobelet 

Met  du  iulet  sucré,  plaisant  et  doucelet. 

Mais  les  Prouinces  sont  en  France  si  troublées,  55 
Que  pour  Mars  seulement  s'y  font  les  assemblées  : 
Les  Muses  n'y  sont  plus,  Phœbus  en  est  parti: 
Les  doctes  autrepart  veulent  prendre  parti: 
Vn  orage  par  tout  les  beaus  lauriers  fracasse, 
Saccage  nos  forests,  destruit  nostre  Parnasse.         60 

Viendra  iamais  le  temps  que  le  harnois  sera 
Tout  couuertdes  filets  que  laraigne  fera? 
Que  le  rouil  mangera  les  haches  émoulues, 
Que  les  hant^  seront  des  lances  vermoulues? 
Que  le  son  des  clairons  ne  rompra  nuict  ne  iour     65 
Du  pasteur  en  repos  le  paisible  seiour? 
Viendra  iamais  le  temps  que  les  amours  iolies 

51  sqq.  Cf.  Lucrèce,  IV,  11-17. 

55sqq.Cf.  II,  1137  sqq. 

61-62.  Cf.  DuBartas: 

Puissé-je  voir  le  doigt  de  l'araigne  empesché 
A  fder  dans  le  creux  d'un  casque  empennaché. 

(2e  Semaine.  Les  Furies.) 

62.  Laraigne.  (Sic.) 


—  130  — 

Et  les  Muses  ie  voye  en  France  racueillies, 

Sans  que  de  la  discorde  on  parle  désormais  ? 

Viendra  iamais  le  iour  que  retourne  la  paix?  70 

La  main  pleine  despics  auec  l'Oliuier  palle, 

La  corne  d'Amaltee  et  qu'ici  liberalle 

Abondante  elle  semé  vne  moisson  de  bien 

Qui  remette  la  France  en  son  heur  ancien  ? 

Que  derechef  encor  les  Bouffons  on  reuoye,  75 

Masquez  et  déguisez,  se  brauer  par  la  voye, 

Et  laissant  leurs  vieux  ieux,  à  la  façon  du  temps 

Des  Grecs  et  des  Romains,  iouer  leur  passetemps? 

Or  aux  Grecs  vint  ainsi  la  vieille  Comédie, 
Non  sans  grande  louange  outrageuse  et  hardie  :      80 
Quand  en  vice  tomba  cette  grand'liberté, 
Qui  de  tout  blasonner  prenoit  authorité: 
Et  par  Edict  exprès  elle  fut  reformée, 
Ce  qui  fut  bien  receu  la  vieille  estant  blamee  : 
Et  le  Chore  deslors  s'en  teut  honteusement,  85 

Et  de  piquer  ne  fut  permis  aucunement. 

Ainsi  dedans  Paris  i'ay  veu  par  les  collèges, 
Les  sacrilèges  estre  appelez  sacrilèges 
Es  Ieux  qui  se  faisoient,  en  nommant  franchement 
Ceux  qui  de  la  grandeur  vsoient  indignement,         90 

71.  Despics.  (Sic.) 

72.  Amalthée,  chèvre  qui  avait  nourri  Jupiter.  Une  de  ses  cornes, 
remplie  de  fruits  par  les  nymphes,  fut  prise  pour  symbole  de  l'abon- 
dance. 

79  sqq.  Cf.  Hor.,  Ep.  aux  P.,  281-284.  Boileau,  Artpoét.,  III,  335 
sqq. 

87  sqq.  Il  s'agit  ici  des  pièces  satiriques  que  jouaient  les  Enfanls 
sans  Souci  et  les  clercs  de  la  Basoche. 


—  131  — 

Et  par  son  nom  encor  appeler  toute  chose  :  " 
Médire  et  brocarder  de  plus  en  plus  on  ose. 
Alors  vous  eussiez  veu  les  paroles  d'vn  saut, 
Gomme  balles  bondir,  voilant  de  bas  en  haut. 

Mais  cette  liberté  depuis  estant  retrainte,  95 

Mile  gentils  esprits  sentant  leur  ame  attainte 
De  la  diuinité  d'Apolon,  ont  remis 
Le  soulier  du  Gomicque  aux  limites  permis  : 
Fuyant  d'Aristophane  en  médisant  la  faute, 
Et  prenant  la  façon  de  Terence  et  de  Plaute,  îoo 

•'ils  ont  en  leurs  Moraux  d'vn  air  assez  heureux, 
De  Menandre  meslé  mile  mots  amoureux  : 
Mais  les  Italiens  exercez  d'auantage, 
En  ce  genre  eussent  eu  le  Laurier  en  partage, 
Sans  que   nos   vers    plaisants    nous   représentent 

[mieux    105 
Que  leur  prose  ne  fait  cet  argument  ioyeux  : 
Greuin  nous  le  tesmoigne  :  et  cette  Reconnue 
Qui  des  mains  de  Belleau  n'agueres  est  venue  : 
Et  mile  autres  beaus  vers,  dont  le  braue  farceur 

95.  Retrainte.  Par  les  arrêts  du  Parlement. 
101.  Moraux.   C'est  ici  la  comédie    morale.   Ailleurs,  c'est    la 
satire.  Cf.  : 

En  liberté  j'escri  des  Moraux  en  ce  livre. 

(Sat.  fr.  I.  1). 

107.  Jaccpie  Grévin,  outre  sa  tragédie  la  Mort  de  Ce'sar,  avait 
laissé  deux  comédies,  la  Trésorière  ou  Maubertine  (1558),  imitation 
déguisée  d'Eugène,  et  les  Esbahis  composés  d'après  le  Sacrifice  de 
Ch.  Etienne— La  Reconnue  est  une  œuvre  posthume  de  Rémi  Belleau  ; 
celte  comédie  est  écrite  d'un  style  lâche  et  faible,  mais  non  sans 
naturel  et  sans  grâce;  elle  renferme  d'ailleurs  d'agréables  peintures 
de  mœurs. 


—  132  — 

Chasteau-vieux,  a  monstre  quelque  fois  la  douceur. no 

Premier  la  Comédie  aura  son  beau  Proëme, 
Et  puis  trois  autres  parts  qui  suiuront  tout  de  mesme. 
La  première  sera  comme  vn  court  argument  : 
Qui  raconte  à  demi  le  suiet  breuement, 
Retient  le  reste  à  dire,  afin  que  suspendue  us 

Soit  l'aine  de  chacun  par  la  chose  attendue. 
La  seconde  sera  comme  vn  Enu'lopement, 
Vn  trouble-feste,  un  brouil  de  l'entier  argument  : 
De  sorte  qu'on  ne  sçait  qu'elle  en  sera  l'issue, 
Qui  tout'autre  sera  qu'on  ne  l'auoit  conceue.         120 
La  dernière  se  fait  comme  vn  Renuersement, 
Qui  le  tout  débrouillant  fera  voir  clairement 
Que  chacun  est  content  par  vne  fin  heureuse, 
Plaisante  d'autant  plus  qu'elle  estoit  dangereuse  : 
Des  ieunes  on  y  void  les  faits  licencieux,  125 

Les  ruses  des  putains,  l'auarice  des  vieux. 
Elle  eut  commencement  entre  le  populaire, 
Duquel  l'Athénien  bailla  le  formulaire  : 
Car  n'ayant  point  encor  basti  sa  grand'Gité, 

110  Chasteau-  Vieux.  V.  la  note  du  v.  I,  751. 

111  sqq.  Cf.  Aristote.  Poét.  chap.  xvi  et  xvn. 
119.  Qu'elle.  {Sic.) 

124.  Mauvaise  construction.  Le  sens  est  d'ailleurs  clair  :  d'autant 
plus  agréable  que  le  danger  des  personnages  avait  été' plus  grand. 
Nous  avons  déjà  vu  cette  idée  dans  Vauqueli.i. 

129  sqq.  Cf.  Discours  sur  la  Satyre  :  «  Devant  que  les  Athéniens 
eussent  basti  leur  cité,  ils  faisoient  leur  demeure  en  des  tentes  et 
pavillons,  ils  habitoient  aux  champs  en  des  bordes  et  cabanes,  et 
devant  que  sacrifier  à  leur  Apolon  Nomien,  Dieu  des  pasteurs  et 
bergers,  ils  s'assembloient  en  grandes  compagnies  et  grandes  as- 
semblées, et  buvant  et  rnengeant  tous  ensemble,  ils  faisoient  grand' 


—  133  — 

En  des  bordes  ce  peuple  estoit  exercité  :  130 

Marcher  comme  champestre,  et  parles  belles  plaines, 
Auprès  des  grands  forests,  des  prez  et  des  fontaines, 
Tantost  il  s'arrestoit,  tantost  en  autre  lieu  : 
Il  faisoit  cependant  sacrifice  à  son  Dieu 
Apolon  Nomien  :  en  grandes  assemblées,  135 

Faisant  tous  à  l'enui  des  chères  redoublées, 
Buuants,    mengeants    ensemble,    ensemble    aussi 

[chantant, 
Ils  apeloient  cela  Gomos,  qui  vaut  autant 
Que  commune  assemblée,  et  de  leurs  mariages, 
De  leurs  libres  chansons  et  de  leurs  festiages,       no 
Qu'ils  faisoient  en  commun,  ce  fist  en  fin  le  nom 
De  Comédie,  ayant  iusqu'ici  son  renom. 

La  Comédie  est  donc  vne  Contrefais ance 
D'vn  fait  qu'on  tient  meschant  par  la  commune  vsance 
Mait>  non  pas  si  meschant,  qu'à  sa  meschanceté    145 
Vn  remède  ne  puisse  estre  bien  aporté  : 

chère,  ils  faisoient  mille  jeux,  passoient  le  temps  à  divers  plaisirs 
et  chantoient  une  infinité  de  vers,  toutefois  goffes  et  mal  faits  : 
lesquels  ils  appeloient  Comédie,  de  Comos,  ou  Comoï  qui  signifie 
en  Grec,  Assemblée  ou  Mengerie  publique  :  comme  qui  diroit, 
Chanson  d'Assemblée  et  de  grand'chere.» 

130.  Le  sens  exige  la  suppression  des  deuxpoints. 

143  sqq.  Cf.  Aristote.,  Poét.,  chap  v.  —  Discours  sur  la  Satyre  : 
«  La  comédie  est  fondée  sur  faits  tout  vitieux,  mais  non  de  telle 
sorte  que  le  vice  ne  s'en  puisse  bien  amender  et  reparer  :  Et  tout 
ainsi  qu'en  l'une  (la  tragédie)  ne  sont  introduits  que  Roys  et  Princes 
bien  nourris  et  bien  apris,  aussi  en  l'autre  ne  se  voient  que  des  per- 
sonnages vulgaires  et  de  moyenne  condition,  qui,  pour  avoir  débau- 
ché et  suborné  une  fille  ne  font  cas  de  l'épouser  pour  couvrir  leur 
faute  et  éviter  la  punition  du  péché  :  et  tousjours  firent  en  noces 
ou  autre  contentement  cette  Comédie.  » 


_  —  134  — 

Comme  quand  vn  garçon,  vne  fille  a  raiiie, 
On  peut  en  l'espousant  luy  racheter  la  vie. 

Telle  dire  on  pourrait  la  mocquable  laideur 
D'vn  visage  qui  fait  rire  son  regardeur  :  150 

Car  estre  contrefait,  auoir  la  bouche  torte, 
C'est  vn  défaut  sans  mal  pour  celuy  qui  le  porte. 

Mais  le  suiet  Tragic  est  vn  faiï  imité 
De  chose  iuste  et  graue,  en  ses  vers  limité  : 
Auquel  on  y  doit  voir  de  l'affreux,  du  terrible,      155 
Vn  fait  non  attendu,  qui  tienne  de  l'horrible, 
Du  pitoyable  aussi,  le  cœur  attendrissant 
D'vn  Tigre  furieux,  d'vn  Lion  rugissant: 
Comme  quand  Rodomont  abusé  par  cautelle, 
Meurtrit  se  repentant  la  pudique  Isabelle.  160 

Ou  comme  quand  Crëon,  aux  siens  trop  inhumain, 
Yit  sa  femme  et  son  fils  s'occire  de  leur  main. 

On  fait  la  Comédie  aussi  double,  de  sorte 
Qu'auecques  le  Tragic  le  Comic  se  raporte. 

^147.  C'est  la  donnée  commune  de  plusieurs  comédies  latines. 
153  sqq.  Cf.  Aristote,  Poét.,  chap.  vi. 

159.  Rodomont,  roi  d'Alger,  personnage  créé  par  le  Boiardo  et 
repris  par  l'Arioste. 

160.  Isabelle,  fille  du  roi  de  Galice,  après  avoir  vu  périr  son  amant 
Zerbin,  est  aimée  par  Rodomont,  qui  veut  lui  ravir  l'honneur.  Elle 
lui  fait  prendre  patience  en  préparant,  avec  des  plantes  aromati- 
ques,un  baindonteiîe  lui  fait  croire  quelavertule  rendra  invulnéra- 
ble. La  jeune  fille  se  plonge  dans  l'eau,  puis  invite  Rodomont  à  en 
éprouver  l'effet  sur  elle-même.  Le  prince  saisit  son  épée,  et  d'un 
seul  coup, lui  fait  volerlatôte.(Arioste,  Roland  furieux,  chant  xxix.) 

161, -162.  Cf.  Antigone  de  Sophocle.  La  pièce  avait  été  traduite 
par  3aïf  avec  une  grande  convenance  de  style. 

iùi  sqq.  Cf.  Disc,  sur  la  Satyre  :  «  Les  Tragédies  sont  toutes  fon-    f 
dees  sur  laits  tous  vertueux  et  pitoyables,  et  bien  qu'elles   soient  à 


—  135  — 

1  Quand  il  y  a  du  meurtre  et  qu'on  voit  toutefois,    165 
j  Qu'à  la  fin  sont  contens  les  plus  grands  et  les  Rois, 
Quand  du  graue  et  du  bas  le  parler  on  mendie, 
On  abuse  du  nom  de  Tragecomedie  ; 
Car  on  peut  bien  encor  par  vn  succez  heureux, 

|   Finir  la  Tragédie  en  ébats  amoureux  :  170 

Telle  estoit  d'Euripide  et  l'Ion  et  l'Oreste, 
L'Iphiginie,  Hélène  et  la  fldelle  Alceste. 
Tasso  par  son  Aminte  aux  bois  fait  voir  d'ailleurs 
Que  ces  contes  Tragics  ainsi  sont  des  meilleurs. 
Au  Poëme  Tragic  se  raporte  et  réfère  175 

;  Yne  Iliade  en  soy.  Le  Margite  d'Homère 
Respondoit  au  Gomic,  ou  des  hommes  moyens, 
(Gomme  des  plus  grands  Rois)  des  humbles  citoyens, 
Se  voyoit  la  nature  et  la  façon  bourgeoise, 
Gomme  Héroïque  escrite,  en  sa  langue  Grégeoise.  180 

[  Le  Tragic  ne  montroit  que  des  faits  vertueux, 
Magnifiques  et  grands,  Royaux  et  somptueux: 
Le  Gomic  que  des  faits,  qui  tous  dignes  de  blâme, 
Ne  rendroient  pas  pourtant  le  bon  Margite  infâme. 

leurs  entrées  quelquefois  pleines  d'allégresse,  toutefois  à  la  fin 
elles  sont  toutes  douloureuses  :  sinon  celles  d'Euripide,  qui  finis- 
sent en  joye  et  contentement  comme  l' Alceste,  l'Ifigenie,  l'Ion.  » 

172.  Vauquelin  aurait  pu  citer,  comme  exemple  de  tragi-comédie 
française,  la  Bradamante  de  Garnier  (1580).  • 

173.  UAminte  est  un  drame  pastoral. 
175  sqq.  Cf.  Aristote,  Poét.,  iv,  2. 

176.  Le  Margitès  est  un  ancien  poème  satirique  grec    attribué 
"par  Aristote  à  Homère.  Le  héros    en  était  un  sot  orgueilleux. 
•    180.  Comme  Héroïque  escrite.  C'est-à-dire  écrite  avec  le  mètre 
et  les  formes  majestueuses  du   poème  héroïque. 

Ï5 


—  136  — 

Las  1  le  temps  deuorant  Margite  a  deuoré,  185 

Et  le  nom  seulement  nous  en  est  demeuré. 
Depuis  nul  autheur  Grec,  ni  Romain,  ni  vulgaire, 
De  Poëme  pareil  n'ont  entrepris  de  faire. 

Mais  rien  n'est  si  plaisant  si  patic  ne  si  dous, 
Que  la  Reconnoissance,  au  sentiment  de  tous  !        190 
Vlysse  fut  connu  par  vne  cicatrice 
Qu'en  luy  lauant  les  pieds  remarqua  sa  nourrice. 
Par  ioyaux,  par  vn  merc,  qui  sur  nous  aparoist, 
Et  par  cent  tels  moyens,  les  siens  on  reconnoist. 

Puis  qu'est  il  est  rien  plus  beau  qu'vne  aigreur 

[adoucie  195 
Par  le  contraire  euent  de  la  Péripétie? 
Polinisse  croyoit  la  mort  d'Ariodant, 
Espérant  voir  ietter  dans  vn  brasier  ardant 

191.  Cf.  Odyssée,  XIX,  386  sqq. 

194.  Dans  les  comédies  grecques  et  latines,  les  enlèvements,  et,  ] 
par  suite,  les  reconnaissances,  tiennent  une  grande  place.  On  les 
retrouve  chez  nous,  malgré  leur  peu  de  convenance  avec  notre 
état  social,  jusque  dans  Molière,  qui  en  use  volontiers  pour  ses 
dénouements.  Cf.  les  Fourberies  de  Scapin,Y Avare,  etc. —  Le  cha- 
pitre xvi  de  la  Poétique  d'Aristote  est  consacré  aux  quatre  espèces 
de  reconnaissances. 

195.  Qiïest-il  rien  plus  beau?  Mélange  de  deux  constructions:! 
Est-il  rien  de  plus  beau  ?  et  :  Qu' est-il  de  plus  beau  ? 

195  sqq.  Cf.  Aristotc,.  Poét.  ch.  x.  Boileau,  Art.  poét.,  111,553 
sqq.  j 

197  sqq.  Personnages  du  Roland  furieux.  Polinesse,  duc  d'Al-s 
banie.  Ariodant,  chevalier  italien,  amoureux  de  Genèvre.  Genèvre,  j 
fille  du  roi  d'Ecosse,  est  aimée  de  Polinesse,  mais  aime  Ariodant.] 
Polinesse  fait  prendre  les  habits  de  Genèvre  à  Dalinde,  qui,  dui 
haut  d'un  balcon,  jette  au  traître  une  échelle  de  soie.  Alors  il  va  1 
trouver  Ariodant,  et  prétend  devant  lui  que  Genèvre  est  sa  maî- 
tresse. Renaud  découvre  enfin  la  perfidie  du  duc  dAlbanie,  et  le 
tue  en  duel.  (Roland  furieux,  chant  v.) 


—  137    - 

L'innocente  Geneure,  alors  que  misérable 

Au  contraire  il  se  voici  mourir  comme  coupable.    200 

Léon  de  Bradamante  ayant  esté  vainqueur 
Par  Roger  inconnu,  son  amour  et  son  cœur, 
Par  la  loy  du  combat  de  Charles  ordonnée 
Elle  deuoit  au  Grec  épouse  estre  donnée  : 
Mais  elle  ne  pouuant  en  son  ame  loger  205 

Vn  autre  amour  égal  à  celuy  de  Roger, 
Plustost  que  de  le  prendre  elle  se  veut  défère  ; 
Son  Roger  d'autre  part  de  mourir  délibère. 

Par  vn  euent  diuers  il  avient  autrement  : 
Roger  est  reconnu  pour  auoir  feintement  210 

Combattu  soubs  le  nom  du  Prince  de  la  Grèce, 
Soubs  ce  masque  vaincu  soymesme  et  sa  maistresse  : 
Desia  toute  la  Court  de  l'Empereur  Latin, 
La  donne  bien  conquise  au  fils  de  Constantin: 
Quand  Léon  le  voyant  estre  Roger  de  Rise  215 

De  sa  vaine  poursuite  abandonne  la  prise, 
Luy  quitte  Bradamante,  et  courtois  généreux, 
Aide  à  conioindre  encor  ce  beau  couple  amoureux: 
Ainsi  sont ioints  ensemble  et  la  reconnoissance, 
Et  le  contraire  euent  qui  luy  donne  accroissance.  220 
L'Heroic,  le  Tragic,  vse  indiferemment 
Auecques  le  Comic,  de  ce  dous  changement. 

Tu  ne  dois  pas  laisser,  ô  Poëte,  en  arrière 
Croupir  seule  es  forests  la  Muse  Forestière  : 

201  sqq.  Dans  ces  vers,  Vauqiielin  résume  les   derniers  chants 
de  l'Arioste.  C'est  le  sujet  de  la  Bradamante  de  Garnier. 


—  138  — 

Mais  tu  la  dois  du  croc  dépendre,  et  racoutrer      225 
Son  enche  et  son  bourdon,  et  pastre  luy  montrer 
Comme  Pan  le  premier  soufla  la  Chalemie, 
Goniointe  des  roseaus  de  Syringue  s'amie, 
Qu'Apolon  ensuiuit,  quand  sur  le  bord  des  eaux,  230 
D'Admete  en  Thessalie  il  gardoit  les  troupeaux  : 

227  sqq.  Le  dieu  Pan  poursuivait  Syrinx,  nymphe  d'Arcadie; 
elle  s'enfuit  vers  le  fleuve  Ladon,  son  père,  dans  les  eaux  duquel 
elle  se  jeta.  Pan  la  métamorphosa  en  roseau,  et  c'est  avec  ce  ro- 
seau qu'il  fit  la  Syrinx.Y.  Virg.  Bucoliq.,  Il,  32.  Ovide,  Métamorph, 
—  Cf.  Vauquelin,  Idyllie  66  du  livre  II.  (Cette  pièce  fut  composée 
par  le  poète  en  un  moment  où  il  pensait  faire  réimprimer  ses 
Foresteries.)  : 

Imitons  aux  forests    de  Pan  les  Chalemies, 

Reveillons  après  luy  les  Forests  endormies  : 

Pan  le  premier  joignit,  sous  l'ombre  des  ormeaux, 

De  cire  ensèmblement  les  premiers  chalumeaux. 

Pan,  des  roseaux  sortis  de  Syringue  la  belle,  etc. 

Depuis  en  Syracuse,  un  pasteur  tant  osa 

Qu'à  l'exemple  de  luy,  la  flûte  composa... 

Mais  mourant  sa  Musette  à  Corydon  laissa. 

Corydon  Mantouan  qui  depuis  la  haussa... 

Longtemps  après  qu'il  eut  quitté  l'humble  Musette, 

Pour  faire  retentir  la  superbe  trompette, 

Cette  Musette  vint  aux  mains  d'un  jouvenceau... 

(Qui)  du  fond  d'Arcadie  aux  rivages  connus 

De  Sebete  tira  les  Satyres  cornus. 

Or,  depuis  lors  d'aucun  cette  Musette  enflée, 

Au  moins  que  j'eusse  vu,  n'avoit  été  souflee,     • 

Quand,  jeune  bergerot,  une  audace  je  pris 

De  racoutrer  son  enche  en  mes  ans  moins  apris,  etc. 

Cf.  encore  : 

Je  luy  disais  la  seigneurie 
Qu'a  Pan  sur  toute  bergerie, 
Et  comme  joignant  des  tuyaux 
D'aveine,  il  fit  des  chalumeaux  : 
Comme  des  roseaux  de  s'amie 
Il  fist  premier  la  Chalemie. 

{Idyllie,  II,  41.) 


—  139  — 

Apres  vn  Berger  Grec  es  champs  de  Syracuse, 

A  l'égal  de  ces  Dieux  enfla  la  Cornemuse. 

Sur  le  Tybre  Romain  Tytire  dudepuis 

Les  imitant,  sonna  la  flûte  à  sept  pertuis  : 

Long  temps  après  encor  reprist  cette  Musette,        235 

Vn  Berger  sur  les  bords  du  peu  coEnu  Sebethe  : 

Et  ce  flageol  estoit  resté  Napolitain, 

Quand,  pasteur,  des  premiers  sur  les  riues  du  Glain 

Hardi  ie  l'embouchay,  frayant  parmi  la  France, 

Ce  chemin  inconnu  pour  la  rude  ignorance  :  240 

le  ne  m'en  repen  point,  plustost  ie  suis  ioyeux 

Que  maint  autre  depuis  ait  bien  sçeu  faire  mieux. 

Mais  plusieurs  toutefois,  nos  forests  epandues, 

Ont  sans  m'en  faire  hommage  effrontément  tondues 

Et  mesprisant  mon  nom  ils  ont  rendu  plus  beaux  245 

Leurs  ombres  decouuers  de  mes  fueillus  rameaux. 


232.  Un  Berger  Grec.  Théocrite. 

233.  Tytire,  Nom  sous  lequel  Virgile  s'est  lui-même  représenté. 
(Bucoliq.  Ire.) 

236.  Un  Berger.  Sannaz  ar(l  458-1530) , auteur  de  YArcadia, recueil  de 
douze  scènes  pastorales,  dont  chacune  commence  par  un  petit  récit  en 
prose  et  se  termine  par  ime  églogue  envers.  —  Le  Sebethe,  petite  ri- 
vière qui  prend  sa  source  au  nord  du  Vésuve  et  se  jette  dans  la 
baie  de  Naples.  Cf.  :  «  Pour  orner  les  rives  de  mon  Orne...  j'ay 
cueilli  les  plus  mignardes  fleurettes  desquelles  la  Nimphe  Are- 
thuse  ait  point  illustré  la  Sicille  :  et  de  celles  dont  le  Mince  enflé 
borde  ordinairement  les  bords  :  et  dont  le  petit  Sebethe  a  lemieux 
empeinturé  les  prairies  Napolitaines.  » 

(Pre'f.  des  Foresteries.) 

238.  DuClain.  Cf.  la  note  du  vers  I,  926. 

239.  Allusion  aux  Foresteries. 

242.  Le  premier  recueil  de  Vauquelin  remonte  à  1555. 
245.  Les  Foresteries  n'avaient  pas  eu  de  succès. 


—  140  — 

Baïf  et  Tahureau,  tous  en  mesmes  années, 
Auions  par  les  forests  ces  Muses  pourmenees  : 
Belleau,  qui  vint  après,  nostre  langage  estant 
Plus  abondant  et  dous,  la  nature  imitant,  250 

Egalla  tous  Bergers,  toutefois  dire  i'ose 
Que  des  premiers  aux  vers  i'auoy  meslé  la  prose  : 
Or'  Pibrac  et  Binet  pasteurs  iudicieux, 
Font  la  champestre  vie  estre  agréable  aux  Dieux. 

Tu  peux  encore  faire  vne  sorte  d'ouurage  255 

Qu'on  peut  nommer  forest  ou  naturel  bocage; 
Quand  on  fait  sur  le  cham,  en  plaisir,  en  fureur 
Vn  vers  qui  de  la  Muse  est  vn  Auancoureur, 
Et  que  pour  vn  suiet  on  court  par  la  carrière, 
Sans  bride  gallopant  sur  la  mesme  matière,        260 
Poussé  de  la  chaleur,  qu'on  suit  à  l'abandon, 

247.  Baïf  a  laissé  dix-neuf  égloguos.  —  Tahureau,  né  au  Mans 
en  1527,  mort  à  28  ans.  Il  a  été  surnommé  le  Parny  du  xvie  siècle. 
On  a  de  lui  '.Recueil  de  ses  premières  poe'sies,  dédié  au  cardinal  de 
Guise,  où  il  célèbre  les  exploits  des  capitaines  du  temps  ;  Sonnets, 
odes  et  mignardises  de  l'Admirée,  en  l'honneur  d'une  jeune  fille  de 
Tours,  qu'il  épousa  deux  ans  avant  sa  mort.  Vauquelin  lui  a  dé-  j 
dié  la  troisième  Foresterie  du  livre  Ier.  Il  a  fait  aussi  une  épitaphe 
pour  son  tombeau. 

249.  Rémi  Belleau  publia  la  première  journée  de  sa  Bergerie  en;  I 
1565,  et  la  seconde  en  1572;  on  trouve  dans  ces  deux  recueils  un 
sentiment  sincère  de  la  nature  qu'il  sait  peindre  avec  beaucoup  de 
délicatesse  et  de  grâce.  —  Vauquelin  a  composé  une  épitaphe  en  3 
l'honneur  de  Belleau. 

252.  La  prose.  A  l'imitation  de  Sannazar.  V.  la  note  du  vers  236. 
Cf.  la  Foresterie  IX  du  IIe  livre. 

253.  Guy  du  Faur  de  Pibrac,   l'auteur    des  quatrains    moraux,! 
avait  aussi  écrit  un  poème  élégamment  versifié  sur  la  Vie  rus-ë 
tique.  —  Claude  Binet  avait  composé  une  églogue  sur  la  mort  de 
Ronsard,  dont   il  donna  la  biographie,  un  Chant  Forestier  et  un 
poème  intitulé  les  Plaisirs  de  la  vie  rustique  et  solitaire. 

255  sqq.  Il  s'agit  ici  devers  improvisés,  de  poèmes  de  circonstance. 


—  141  — 

D'vne  grand' violence  et  d'vn  aspre  randon. 

Stace  fut  le  premier  en  la  langue  Romaine, 
Qui  courut  librement  par  cette  large  plaine. 
Comme  dans  les  forests  les  arbres  soustenus         265 
Sur  leurs  pieds  naturels,  sans  art  ainsi  venus, 
Leur  perruque  iamais  n'ayant  esté  coupée, 
Sont  quelquefois  plus  beaus  qu'vne  taille  serpee: 
Aussi  cette  façon  en  beauté  passera 
Souuent  vn  autre  vers  qui  plus  limé  sera.  270 

Les  François  n'ont  encor  cette  façon  tentée 
Si  Ronsard  ne  l'a  point  au  Bocage  chantée  : 
En  mon  âge  premier  chanter  ie  la  pensoy, 
Quand  ma  Foresterie  enfant  ie  commençoy. 

Si  puis  après  on  veut  la  toile  ourdir  et  tistre,      275 
Du  vers  sentencieux  de  l'enseignante  Epistre, 
Le  vray  fil  de  la  trame  Horace  baillera, 
Libre,  graue,  ioyeux  à  qui  trauaillera, 
Et  tu  verras  chez  luy  qu'aux  Satyres  il  tache 
Arracher  de  nos  cœurs  les  vices  qu'il  attache  :        280 

263-264.  Dans  ses  Silves. 

265.  Comparaison  tirée  du  nom  même  des  Silves  (forêts). 

272.  Le  Bocage  royal  renferme  des  pièces  de  circonstance  :  de- 
venu poète  de  cour,  Ronsard  y  célèbre  Charles  IX,  Henri  III, 
Catherine  de  Médicis,  sous  les  noms  de    Carlin,  Henriot,  Catin. 

273.  Vauquelin  publia  ses  Foresteries  à  dix-huit  ans. 

279  sqq.  Cf.  Discours  sur  la  Satyre  :  «C'est  une  chose  aussi  que 
j'ay  notée,  qu'il  n'y  a  pas  grande  différence  entre  les  Epistres  et 
les  Satyres  d'Horace  fors  que  volontiers  il  escrit  ses  Epistres  à 
gents  absents  et  à  personnes  elongnees;  et  qu'il  semble  qu'en  ses 
Satyres  son  intention  ait  este  d'arracher  le  vice  du  cœur  des  hommes, 
d'en  desfricher  et  déraciner  les  mauvaises  herbes  :  pour  en  ses 
Epistres  y  planter  au  lieu  les  vertus  et  y  enter  et  greffer  des  fruits 
d'un  bon  ordre.» 


—  142  — 

Et  que  tout  au  contraire  aux  Epistres  il  veut 

Mettre  et  planter  en  nous  toutes  vertus  s'il  peut. 

Vne  Epistre  s'escrit  aux  personnes  absentes, 

La  Satyre  se  dit  aux  personnes  présentes 

Sans  grande  différence  :  et  pourroient  proprement  285 

Sous  le  nom  de  Sermons  se  ranger  aisément. 

Imite  dans  les  Grecs  l'Epigramme  petite, 
Marque  de  Martial,  trop  lascif,  le  mérite  : 
Sur  tout  breue,  r' entrante  et  subtile  elle  soit: 
De  Poëme  le  nom  trop  longue  elle  reçoit  :  290 

Elle  sent  l'Heroic,  et  tient  du  Satyrique; 
Toute  graue  et  moqueuse  elle  enseigne  et  si  pique. 
L'Epigramme  n'estant  qu'vn  propos  racourci, 
Gomme  vne  inscription,  courte  on  l'escrit  aussi. 

Les  Huictains,  les  Dixains,  de  Marotles  Estreines,295 
T'y  pourront  bien  seruir  comme  adresses  certaines, 

286.  Cf.  II,  748  sqq. 
289.  Cf.  Vauquelin  : 

Mon  grand  Duc,  une  belle  ame 
Toujours  court  fait  l'Epigrame  : 
Car  qui  trop  long  le  fer  oit 

Un  Poëme  ce  seroit.  (Recueil  des  Epigrame s.) 

293-294.  Cf.  Boileau,  Art  poét.,  II,  103,  104.  —  Cf.  Vauquelin  : 
L'Epigramme  n'estant  qu'un  propos  racourci, 
Comme  un  court  Ecriteau,  court  on  l'escrit  aussi  : 
Elle  sent  l'Héroïque  et  tient  du  Satyrique  : 
Toute  grave  et  moqueuse,  elle  enseigne  et  s'y  pique. 

(Recueil  des  Epigr.) 

295.  Huictains.  —  Le  huitain  est  un  poème  de  huit  vers  octosyl- 
labes ou  décasyllabes,  dans  lesquels  les  rimes  sont  disposées  de  la 
façon  suivante  :  ABABBCBC. 

Dixains.  —  Le  dizain  est  un  poème  de  dix  vers  octosyllabes  ou 
plus  souvent  décasyllabes  ;  les  rimes  y  affectent  Tordre  suivant  : 
ABABBCCDGD.  —  Estreines.  Ce  sont  de  petites  poésies,  généra- 


—  143  — 

Et  les  vers  raportez,  qui  sous  bien  peu  de  mots, 
Enferment  brusquement  le  suc  d'vn  grand  propos. 

L'Epicede  se  chante  auant  que  l'on  enterre 
Le  corps  du  trespassé.  Quand  la  voûte  l'enserre,    300 
L'Epitaphe  se  met  sur  le  Tombeau  graué, 
Ou  bien  dans  vn  Tableau  dignement  eleué. 

Quand  en  vers  l'Epitaphe  on  fait  en  Epigramme, 
Mis  contre  vne  coulonne  en  Guyure  en  quelque  lame, 
Celuy  pour  le  meilleur  on  doit  tousiours  tenir,    305 

lement  élogieuses,  renfermant  dans  leur  cadre  étroit  quelque  pen- 
sée gracieuse  ou  quelque  saillie  piquante. 

297.  Vers  raportez.  Ce  sont  des  vers  composés  de  parties  sem- 
blables, dans  chacune  desquelles  entrent  des  mots  qui  se  rapportent 
non  pas  aux  mots  voisins,  mais  à  ceux  qui  sont  placés  semblable- 
ment  dans  les  autres  parties  de  la  phrase.  Voici  un  sonnet  en  vers 
rapportés  que  cite   Pasquier  dans  ses  Recherches  de  la  France, 
(nv.  VII,  chap.  xv);  il  est  pris  dans  Y  Olive  de  du  Bellay  : 
Face  le  ciel  quand  il  voudra  revivre 
Lisippe,  Apelle,  Homère,  qui  le  pris 
Ont  emporté  sur  tous  humains  esprits, 
En  la  statue,  au  tableau  et  au  livre  : 

Pour  engravcr,  tirer,  escrire,  en  cuivre, 
Peinture,  et  vers,  ce  qu'en  vous  est  compris  ; 
Si  ne  sçauroit  leur  ouvrage  entrepris, 
Cizeau,  pinceau,  ou  la  plume  bien  suivre. 
Voila  pourquoy  ne  faut  que  je  souhaite, 
De  l'engraveur,  du  peintre,  et  du  Poëte, 
Marteau,  couleur,  ou  ancre,  ma  maistresse. 

L'art  peut  errer,  la  main  faut,  l'œil  s'escarte, 
De  vos  beautez  mon  cœur  soit  donc  sans  cesse, 
Le  marbre  seul,  et  la  table,  et  la  charte. 
303-sqq.  Cf.  Vauquelin  : 

Le  meilleur  Epitaphe  on  doit  tousjours  tenir 
Qu'on  peut  mesme  en  courant  et  lire  et  retenir. 

{Recueil  des  Epitaphes.) 
305,  306.  Cf.  Properce  : 

Hic  carmen  média  dignum  me  scribe  columna, 
Sed  brève,  quodcurrensvectoraburbe  légat. 
{Elég,  vu,  83,84.) 
15. 


—  144  — 

Qu'on  peut  mesme  en  courant  et  lire  et  retenir. 

Or  si  d'vn  plus  beau  feu  ton  ame  est  échauffée 
Pour  des  Hymnes  chanter  :  suy  les  restes  d'Orphée 
Homère  et  Gallimach  :  et  suy  ce  Bisantin 
Marule,  et  Glaudian  les  chantans  en  Latin  :  310 

Note  pareillement  la  généreuse  audace 
De  Ronsard,  qui  les  vieux  en  ce  beau  genre  passe  : 
Et  le  iugement  grave  et  la  facilité 
Du  sçauant  Pelletier  en  son  antiquité  : 
Et  si  tu  ne  veux  point  vser  de  noms  estranges,    315 
Donne  leur,  comme  luy,  le  beau  nom  de  louanges. 
Ou  si  tu  veux,  plus  sage,  imite  de  Sion 
Le  Prophète  Royal  sur  le  Psalterion. 

A  dire  il  reste  encor  que  Poëmes  se  prennent, 
Pourun  suiet  petit  que  peu  de  vers  comprennent  :  320 
Gomme  qui  descriroit  le  superbe  pauois 

308.  Orphée,  poète  mythique  de  la  Grèce;  on  a  sous  son  nom 
des  hymnes  composés  sans  doute  par  des  poètes  de  l'école  d'A- 
lexandrie. 

309.  Callimach.'  Callimaque,  poète  de  la  période  Alexandrine, 
dont  il  nous  reste  six  hymnes. 

309-310.  Marulle  (V.  la  note  du  vers  11,855)  était  né  à  Constan- 
tinople. 

312.  Les  hymnes  de  Ronsard  pèchent  souvent  par  la  du- 
reté et  l'emphase  ;  mais  beaucoup,  sans  mériter  cet  éloge  de 
Vauquelin,  sont  pleines  de  grandeur  et  animées  d'un  souffle  puis- 
sant. 

314.  Pelletier  fut  un  des  précurseurs  de  la  Pléiade  ;  nous  avons 
étudié  son  Art  Poétique  plus  haut.  (V.  notre  Notice.)  Il  avait 
reçu  dans  la  société  de  Marguerite  de  Navarre  le  surnom  de  Docte. 
Son  recueil  de  Louanges  parut  en  1581. 

316.  Louanges.  V.  la  note  précédente. 

318.  C'est  ce  que  firent,  au  xvie  siècle,  Marot,  Baïf,  Desportes, 
Bertaut,  etc. 


—  145  — 

Ou  du  Troyen  Mnee  ou  d'Achile  Grégeois, 
Et  dessus  tout  au  long  de  leur  race  future, 
Et  du  temps  auenir  la  diuerse  auenture  : 
Ou  l'amour  d'Angélique  et  du  soldat  Medor:  325 

La  fureur  de  Roland,  de  Rodomont  encor, 
Qui  d'vne  Poésie  estant  vn  petit  membre, 
Qu'en  peu  de  vers  à  part  de  son  corps  on  démembre. 
Les  Cartels  de  deffy,  qu'on  présente  aux  tournois, 
Des  Poëmes  ce  sont  pour  le  plaisir  des  Rois,         330 
Et  qui  seruent  aussi  de  nui  et  aux  Mommeries 
Soubs  le  masque  muet  :  mesme  aux  bouffonneries 
Que  sans  despence  on  fait.  Mais  les  Italiens 

322.  Cf.  Iliade,xvm  ;Enéide,  vin  ;  le  Bouclier  cl 'Hercule,  d'Hésiode. 

325.  Angélique  et  Medor.  Angélique,  reine  de  Cathay  dans  les 
Indes,  après  les  aventures  les  plus  romanesques,  finit  par  épouser 
un  jeune  Sarrasin,  nommé Médor,  qu'elle  avait  trouvé  sur  sa  route 
presque  expirant  et  dont  elle  s'était  éprise . 

326.  Roland.  Le  héros  du  poème  de  l'Arioste.  —  Rodomont.  V. 
la  note  du  vers  III,  159. 

327-328.  Construction  incorrecte. 

329  sqq.  V.  les  Cartels  de  Ronsard  et  ses  Mascarades.  Cf.  le 
sonnet  suivant  du  même  : 

Mascarade  et  Cartel  ont  prins  leur  nourriture, 
L'un  des  Italiens,  l'autre  des  vieux  François, 
Qui  erroient  tous  armez  par  déserts  et  par  bois, 
Accompagnez  d'un  nain,  cerchant  leur  aventure. 

L'honneur,  des  nobles  cœurs  généreuse  poincture, 
Les  faisoit  par  cartels  desfier  aux  tournois 
(Ou  nuds  en  un  duel,  ou  armez  du  pavois) 
Ceux  qui  forçoient  les  loix,  le  peuple  et  la  droicture. 

L'accord  italien,  quand  il  ne  veut  bastir, 
Un  théâtre  pompeux,  un  cousteux  repentir, 
La  longue  tragédie  en  Mascarade  change. 

Il  en  est  l'inventeur  :  nous  suyvons  sesleçons, 
Comme  ses  vestemens,  ses  mœurs  et  ses  façons, 
Tant  l'ardeur  des  François  aime  la  chose  estrange. 

{Recueil  des  Mascarades.) 


—  146  — 

Faisant  représenter  à  leurs  Comédiens, 

(Soit  Tragic,  ou  Gomic)  vn  fait  soubs  la  parade      335 

De  la  non  coutageuse  et  braue  Mascarade, 

Nous  ont  laissé  ce  nom,  prenant  l'effect  de  nous. 

C'est  pourquoy  nous  suiuons  leurs  mascarades  tous, 

Ou  soit  que  d'un  ballet  la  feste  on  solennise, 

Ou  soil  qu'en  vn  Tournoy  se  face  vne  Entreprise  340 

Couuerte  d'vn  beau  corps  et  d'un  mot  généreux, 

Qui  montre  d'vn  amant  le  dessein  amoureux  : 

Comme  a  fait  du  Bellay,  quand  il  fait  d'Hibernie 

Venir  de  Cheualiers  vne  grand' compagnie, 

Qui  portent  à  la  Iouste  vne  Entreprise,  afin  345 

Qu'on  conneust  ie  dessein  du  gentil  Roy-Dauphin. 

Nos  Poètes  vrayment,  pleins  de  haute  pensée, 
N'ont  point,  sans  la  tenter,  chose  aucune  laissée: 
Et  n'ont  pas  mérité  peu  de  gloire  et  d'honneur, 
D'auoir  laissé  du  Grec  et  du  Romain  sonneur         350 
Le  vieux  chemin  batu,  faisant  chanter  la  gloire 
De  leurs  gestes  priuez  aux  filles  de  Mémoire. 
Et  ne  seroient  point  plus  les  François  trauaillans, 
En  Iustice,  en  proësse,  en  fait  d'armes  vaillans, 
Qu'à  bien  dire  ils  seroient,  si  plus  soigneux  la  lime  355 
Le  Poëte  employoit  à  bien  polir  sa  Rime  : 

336.  Coutageuse  (sic). 
340.  Face  (sic). 

343  sqq.  V.  l'Entreprise  du  Roy  Dauphin  pour  le  tournoy  soubz 
le  nomde  Chevaliers  avantureux.  Paris,  1558. 
347.  Cf.  Hor.,  Ep.  aux  P.,  285-294. 
352  Cf.  la  Notice,  partie  II,  chap  n. 
354.  Fait  (sic). 


—  147  — 

Et  si  tant  à  l'enui  ne  fais  oient  voir  au  iour 
Leurs  Sonnets  enfantez,  plustostque  leur  amour, 
Sans  prendre  le  loisir  de  penser  qu'vn  bon  Astre, 
Regarde  le  Poëte  et  non  le  Poëtastre  :  360 

Vn  secret  est  aux  vers  que  ie  ne  diray  point  : 
On  le  gouste,  on  lèsent,  son  eguillon  nous  poind, 
Quand  nous  oyons  sa  voix  qui  nous  frappe  l'oreille  : 
Et  mesme  l'ignorant  admire  sa  merueille. 

Tous,  ô  vray  sang  Gaulois,  reprenez  et  blâmez  365 
Les  vers  qui  ne  sont  pas  assez  veus  et  limez, 
Assez  bien  repolis,  dont  la  Rime  tracée 
N'a  plusieurs  fois  esté  refaite  et  r'effacee  : 
Et  par  plus  de  dix  fois  corrigez  vous  si  bien 
Qu'à  la  perfection  il  ne  manque  plus  rien.  370 

D'autant  que  Democrite  aimoit  plus  vne  veine, 
Coulante  naturelle  en  son  grauois  sans  peine, 
Que  l'art  trop  misérable  ou  l'on  mordoit  cent  fois, 
Deuant  que  faire  vn  vers,  ses  ongles  et  ses  doigts  : 
Qu'il  banissoit  encor  d'Helicon  et  Parnasse,  375 

Celuy  qui  tous  les  vers  par  le  seul  Art  compassé, 
La  Nature  estimant  plus  heureuse  que  l'Art, 
Pour  ce  maints  on  voyoit,  qui  faisoient  bien  à  tard 
Rongnerleur  poil  hideux, leurs  ongles  pleins  d'ordure, 
Pensant  par  ce  moyen  figurer  la  Nature  :  380 

Comme  encor  on  en  voit  qui  vestus  simplement, 
Solitaires  ne  vont  ou  sont  communément 

365  sqq.  Cf.  Boileau,  Art  poét.,  I,  171-174. 
371  sqq.  Cf.  Hor.,  Ep.  aux  P.,  295-301. 


—  148  — 

Les  gens  en  compagnie,  estimant  fantastique, 

Yn  homme  estre  agité  de  fureur  Poétique, 

Et  remporter  ie  nom  de  Poëte  parfait,  385 

Si  iamais  au  Barbier  son  poil  raire  ne  fait  : 

Pour  garir  ce  catarre  vn  monde  d'Elebore 

D'Anticire  aporté  ne  sufiiroit  encore. 

Mais  moy  n'estant  Poëte,  vne  Queux  ie  seray, 
Qui  le  fer  des  esprits  plus  durs  aiguiseray  :  390 

Car  bien  que  la  Queux  soit  à  couper  inutile, 
Elle  rend  bien  coupant  tout  l'acier  qu'elle  affile. 
Ainsi  n'escriuant  point,  ie  diray  le  deuoir 
Du  Poëte  et  comment  il  peut  des  biens  auoir, 
Et  ce  qui  peut  encor  le  tenir  à  son  aise,  395 

Le  dresser  et  conduire  en  chose  qui  luy  plaise  ; 
Ce  qui  conuient  le  mieux  ;  et  ce  qui  point  ne  duit, 
Ou  la  vertu  nous  meine,  ou  l'erreur  nous  conduit. 
Et  ie  seray  celuy  qui  porte  vne  lumière 
La  nuict  pour  éclairer  à  ceux  qui  vont  derrière.  "  400 
Son  flambeau  seulement  flambera  pour  autruy  : 
Fort  peu,  quoy  que  ce  soit,  il  flambera  pour  luy. 

Le  sage  et  saint  sçauoir  est  la  fontaine  claire, 
Et  le  commencement  d'escrire  et  de  bien  faire  : 
Chose  que  te  pourront  montrer  les  hauts  escris     405 

383-384.  Construction  embarrassée  ;  le  sens  est  d'ailleurs  clair. 

388.  Anticire.  Ville  de  Phocide  sur  le  golfe  de  Corinthe. 

389  sqq.  Cf.Hor.,  Ep.  aux  P.,  304-308.  Boileau,  Artpoét.  IV, 236. 

402.  Quoy  que  ce  soit.  Latinisme. 

403.  Cf.  Hor.,  Ep.  aux  P.,  309-311. 

405.  Chose.  Le  rem  du  vers  d'Horace  veut    dire   le  fond,   par 
opposition  à  la  forme. 


—  149  — 

De  Socrate  et  Platon  ou  tous  biens  sont  compris, 
Et  mieux  nos  liures  saints,  dont  la  sainte  science 
Allume  vn  ray  diuin  en  nostre  conscience  : 
Qui  nous  fait  voir  le  vray,  qui  du  faux  est  caché  ; 
Et  le  bien  qui  du  mal  est  souuent  empesché  :        410 
Puis  les  choses  suiuronl  doctement  préparées 
Les  paroles  après  non  à  force  tirées  : 
Quand  seront  amassez  ensemble  tels  aprets: 
Aisément  tout  dessein  tu  conduiras  après. 

Le  parler  le  sçauoir  de  telle  Poésie  415 

(Qui  n'entrera  iamais  qu'en  belle  fantaisie) 
N'est  point  comme  vn  graueur  qui  fait  sans  sentiment 
Vn  Satyre  qu'il  met  sous  vn  soubassement  : 
Ou  bien  qui  taillera  de  ces  images  riches 
Que  muettes  on  met  aux  Palais  dans  les  niches  :  420 
Car  il  veut  rendre  vn  cœur  actif  eguillonné 
Aux  exploits  généreux,  bien  qu'il  n'y  fust  pas  né  : 
Il  donne  des  eslans,  qui  poussent  les  personnes 
A  faire  vertueux  tousiours  des  œuures  bonnes, 
Et  sous  vn  plaisant  voile,  il  va  cachant  souuent    425 
Des  choses  auenir  vn  admirable  euent. 

407  sqq.  Cf.  Du  Bartas  : 

L'Arche  contenoit  beaucoup  plus  de  sagesse 

En  deux  pierreux  tableaux,  que  la  subtile  Grèce 
Et  le  peuple  romain  n'en  ont  jamais  compris 
Dedans  infinité  de  leurs  doctes  escrits. 

(Judith,  ch,  I.) 

411-412.  Construction  équivoque.  Le  sujet  est  les  paroles  et 
le  régime  les  choses. —  Cf.  Boileau,  A) -tpoe't.,  I,  151-154. 

421.  Il  représente  le  poète,  sujet  qu'il  faut  tirer  du  mot  Poésie 
au  vers  415. 


—  150  — 

Mais  comme  tu  vois  bien  que  tousiours  verdoyantes 
Les  foresls  ne  sont  pas,  ni  les  eaux  ondoyantes  : 
Et  que  iusques  aux  bords  Orne  et  Seine  tousiours 
N'emplissent  regorgeant  les  riues  de  leurs  cours  :  430 
Aussi  foible  est  parfois  la  veine  Poétique, 
Et  langoureuse  encor  s'estend  melencolique, 
De  sorte  qu'on  voit  bien  qu'Apolon  dépité 
N'a  pas  de  son  esprit,  cet  esprit  agité  : 
Et  que  les  doctes  sœurs  et  des  Grâces  la  suite        435 
Ont  ailleurs  loin  de  luy,  pour  l'heure  pris  la  fuite 

Lors  il  faut  retourner  à  la  saincte  liqueur 
Du  beau  mont  dont  Phœbus  nous  échauffe  le  cœur  : 
Et  la  se  reposer  mesme  à  l'heure  d'étendre 
La  corde  lentement,  pour  ses  forces  reprendre  :     440 
On  rendrait  son  esprit  tout  morne  et  rebouché, 
Qui  le  tiendrait  tousiours  au  labeur  attaché. 
Il  faut  espier  l'heure,  attendre  qu'à  la  porte 
Frape  le  Delien,  qui  la  matière  aporte  : 
Lors  doucement  les  vers  de  leur  gré  couleront,     445 
Et  dans  l'œuure  auancé  d'eux  mesme  parleront, 
Sans  forcer  violent  les  Vierges  Tespiennes, 
Versant  contre  leur  gré  leurs  eaux  Pegasiennes. 

427  sqq.  Cf.  Vida,  Art  poét.  Il,  410. 
434.  Agité.  Cf.  Virgile  : 

Mens  agitât  molem.  (Enéide,  vi,  727.) 

439.  D'étendre.  Faute  d'impression,  pour  détendre.  Cf.  Horace  : 

.     .    Quondam   cithara  tacentem 
Suscitât  musam,  neque  semper  arcum . 

Tendit  Apollo.  {Odes,  II,  x,  18.) 

447.  Tespiesnnes.  V.  la  note  du  vers  II,  38. 


—  151  — 

Dans  vn  bocage  ombreux,  les  Rosignots  plaisans 
Vont  d'vn  si  grand  courage  à  l'enui  degoisans,       450 
Que  souuent  en  chantant,  la  puissance  débile 
Défaut  plustost  au  corps  que  la  chanson  gentille: 
Ainsi  beaucoup  sont  tant  des  Muses  amoureux  : 
Que  par  trop  detrauaux  leurs  corps  sont  langoureux: 
Et  tandis  qu'en  sçauoir  leur  sçauoir  chacun  domte,  455 
Leur  peine  surmontée  eux  mesme  les  surmonte. 
Pour  ce  gardez  vos  corps  ;  versant  modérément 
De  bonne  huyle  en  la  lampe,  on  void  plus  clairement, 
Celuy  qui  bien  preuoit,  bien  ordonne  et  commence, 
En  n'allant  que  le  pas  souuent  le  plus  auance.       460 

449  sqq.  Cf.  dans  Du  Bartas  le  duel  de   deux  Rossignols,  lre. 
Semaine,  5e  jour  : 

0  Dieu  !  combien  de  fois  sous  les  feuilleus  rameaus 

Et  des  chesnes  ombreus  et  des  ombreus  ormeaus, 

J'ay  taché  marier  mes  chansons  immorteles 

Aux  plus  mignars  refrains  de  leurs  chansons  plus  bêles. 

Il  me  semble  qu'encor  j'oy  dans  un  vert  buisson 

D'un  sçavant  rossignol  la  tremblante  chanson  : 

Qui  tenant  or  la  taille  ores  la  haute-contre 

Or  le  mignard  dessus,  ore  la  basse-contre, 

Or  toutes  quatre  ensemble,  apele  par  le  bois 

Au  combat  des  neuf  Sœurs  les  mieus  disantes  vois. 

A  trente  pas  de  là,  sous  les  feuilles  d'un  charme 

Un  autre  rossignol  redit  le  mesme  carme, 

Puis  volant  avec  luy  pour  l'honneur  etriver 

Chante  quelque  motet  pourpensé  tout  l'hiver. 

Le  premier  luy  réplique,  et  d'un  divin  ramage 

Ajoute  à  son  dous  chant  passage  sur  passage, 

Fredon  dessus  fredon,  et  leurs  gosiers  plaintifs 

Dépendent  toute  l'aube  en  vers  alternatifs. 

Mais  souvent  le  vaincu  porte  si  grand  envie 

A  l'honneur  du  vaincueur  qu'il  pert  et  vois  et  vie 

Tout  en  mesme  moment,  et  le  joyeux  vaincueur 

Est  des  autres-prise  comme  maistre  du  chœur. 

453.  Le  texte  porte  cette  ponctuation  après  amoureux. 


—  152  — 

Comme  le  voyageur  (après  plusieurs  détours 
D'vn  long  chemin  suiuis)  qui  voit  les  hautes  tours 
D'vne  cité  fameuse,  ou  faut  qu'enfin  il  rande 
D'vn  cœur  deuotieux  vne  deuote  offrande, 
S'esiouit  et  prend  cœur  se  sentant  aprocher  465 

Des  murs  de  la  Cité  dont  il  voit  le  clocher: 
Ainsi  fait  le  Poëte,  alors  qu'il  se  repose 
Ioyeux  de  voir  de  loin  le  but  quïl  se  propose  : 
Et  voir  les  arbres  hauts  qu'il  a  sceu  remarquer 
Depeur  qu'vn  ombre  obscur  ne  le  fist  détraquer.  470 

Iamais  d'enfants  ioyeux  vne  brigade  belle, 
Plus  volontairement  en  la  saison  nouuelle 
Ne  se  trouua  parmi  les  vermeillettes  fleurs, 
Qu'vn  pré  d'email  bigare  en  cent  mile  couleurs. 
Ni  iamais  d'vn  beau  fils  belle  Dame  accouchée      475 
Ni  la  Dame  bien  peinte  et  bien  endimenchee 
Ne  s'aima  iamais  plus  aux  danses  et  aux  sons. 
Aux  deuis  amoureux,  aux  mignardes  chansons, 
Que  la  Muse  se  plaist  aux  peines  et  aux  veilles  ; 
En  recherchant  des  vers  les  secrettes  merueilles  :  480 
Et  l'homme  n'a  iamais  plus  grand  plaisir  trouué 
Que  celuy  du  Poëte  en  son  œuure  acheué. 

Celui  qui  du  Deuoir  a  la  science  aprise, 
Ce  qu'il  doit  au  Pays,  ou  naissance  il  a  prise, 
Ce  quïl  doit  à  son  Roy,  ce  qu'au  public  il  doit,     485 

483  sqq.  Cf.  Horace.,  Ep  aux  P.,  312-316. 
484.  Ce  qu'il  doit  au  Pays.  Ellipse  de  qui  sait,  qu'on  peut  tirer 
du  mot  science  dans  le  précédent  vers.  Latinisme. 


—  153  — 

Ce  qu'il  doit  aux  amis,  qui  bien  iuge  et  bien  voit 
Comme  respectueux  il  faut  estre  à  son  père, 
De  quelle  affection  il  faut  chérir  son  ftere, 
Son  hoste,  son  voisin,  comme  encore  chérir 
L'estranger  qui  nous  peut  quelquefois  secourir  :    490 
Et  qui  sçait  bien  ou  gist  d'vn  vray  iuge  l'office, 
Et  de  celuy  qui  doit  régler  vne  Police  : 
Et  ce  que  doit  tenir  vn  braué  Chefuetain 
En  la  charge  que  haute  il  n'entreprend  en  vain, 
Soit  pour  aller  vaillant  en  estrangere  terre  495 

Reuancher  vne  iniure^ou  soit  pour  la  conquerre, 
Cettuy-la  certes  sçait,  donner  ce  qui  conuient 
A  chacun,  quel  qu'il  soit,  selon  le  rang  qu'il  tient. 

Le  docte  imitateur,  qui  voudra  contrefaire 
De  cette  vie  au  vray  le  parfait  exemplaire,  500 

Tousiours  i'auertiray  de  regarder  aux  mœurs, 
A  la  façon  de  viure  et  aux  communs  malheurs  : 
Et  puis  de  là  tirer  vne  façon  duisante, 
Vn  parler,  vn  marcher  qui  l'homme  représente  > 
Bref  que  Nature  il  sçache  imiter  tellement  505 

Que  la  Nature  au  vray  ne  soit  point  autrement. 

Quelquefois  vne  farce  au  vray  Patelinee, 
Ou  par  art  on  ne  voit  nulle  rime  ordonnée  : 
Quelquefois  vne  fable,  vn  conte  fait  sans  art, 
Tout  plein  de  gosserie  et  tout  vuide  de  fart,  510 

488.  Ftere  (sic). 

499.  Cf.Hor.,Ep.  auxP.,317-322.Boileau,.4r*poe7.,m,359  sqq. 
510.  Fart.  Employé  ici  sans  acception  défavorable  comme  sy- 
nonyme d'art. 


—  154  — 

Pour  ce  qu'au  vray  les  mœurs  y  sont  représentées, 

Les  personnes  rendra  beaucoup  plus  contentées, 

Et  les  amusera  plustost  cent  mile  fois 

Que  des  vers  sans  plaisir  rangez  dessous  les  lois, 

N'ayant  sauce  ni  suc,  ni  rendant  exprimée  515 

La  Nature  en  ses  mœurs  de  chacun  bien  aimée. 

Nature  est  le  Patron  sur  qui  se  doit  former 

Ce  qu'on  yeut  pour  long  temps  en  ce  monde  animer. 

Zeuxis  fut  si  soigneux  de  suiure  la  Nature, 
Que  voulant  de  Iunon  faire  la  pourtraiture  520 

Pour  un  peuple  lascif,  premier  il  voulut  voir 
Les  belles  qu'il  pouuoit  en  sa  grand'ville  auoir, 
Il  les  flst  dépouiller  en  secret  toutes  nues, 
Et  cinq  tant  seulement  de  luy  furent  eslues, 
Pour  d'elles  retirer  les  marques  de  beauté  525 

Dont  fut  le  naturel  de  son  œuure  emprunté  : 
De  mesme  aussi,  qui  veut  escrire  vn  bel  ouurage, 
Il  faut  que  des  Autheurs  par  choix  et  par  triage, 
Il  choisisse  tousiours  les  plus  excellens  traits, 
Pour  l'embellissement  de  ses  parlants  pourtraits  :  530 
Et  que  tous  au  patron  de  Nature  il  les  tire  : 
Car  en  tout,  fors  en  elle,  il  se  trouue  à  redire. 

Phœbus  donna  iadis  aux  Romains  et  aux  Grès 

519  sqq.  Cf.  Pline  l'Ancien,  liv.  XXXV,  chap.  xxxvi. 

528  sqq.  Ce  n'est  pas  la  conclusion  qu'on  attend.  Zeuxis  n'em- 
pruntait pas  le  naturel  de  son  œuvre  aux  tableaux  des  meilleurs 
peintres  ses  devanciers,  mais  à  la  nature  elle-même. 

533  sqq.  Cf.  Hor.  Ep.,  aux  P.,  323-324.  Du  Bellay  :  »  Les  Grecs 
auxquels  la  Muse  avoit  donné  la  bouche  ronde,  c.-à-d.  parfaite  en 
toute  élégance  et  venusté  de  paroles.  »  (Défense,   I.  ix.) 


—  155  — 

La  grâce  de  parler,  la  bouche  ronde  exprès,, 
Pour  atteindre  au  vray  but  :  et  rien  que  la  louange  535 
De  surpasser  ainsi  toute  autre  langue  estrange, 
Doctes  ne  les  guidoit  (leur  langage  ils  plantoient 
Dedans  tous  les  pays,  ou  vainqueurs  ils  estoient, 
Ainsi  que  leurs  Edits)  car  Fardante  auarice 
Ne  bruloit  point  leurs  cœurs,  pour  estre  exempts  de 

[  vice:    540 
Mais  la  plus  part  de  France  enseigne  ses  enfants 
Au  trafic  et  au  gain  comme  à  faits  triomphants  : 

C'est  pour  le  seul  profit,  c'est  pour  la  seule  enuie 
D'estre  riche  et  d'auoir  que  l'estude  est  suiuie, 
Ce  n'est  pour  la  bonté  ce  n'est  pour  la  vertu,       545 
Que  des  lettres  on  suit  le  sentier  peu  batu  : 
Qui  des  richesses  a,  n'a  besoin  de  science  : 
Les  hommes  seulement  aux  biens  ont  confiance. 

Les  vns  aprendront  bien  à  porter  sur  le  poin 
Vn  oiseau  pour  voler,  les  autres  auront  soin         550 
Des  chiens  et  des  cheuaux  :  mais  tousiours  mesprisees 
Les  Muses  seruiront  dans  leurs  cœurs  de  risées  : . 
Les  autres  aux  Barreaux  s'emploiront  aprentifs, 
Aux  seules  actions  profitables  actifs, 
Autres  à  separer,et  les  cens  et  les  rentes  555 

D'vne  succession  en  parts  equipolentes, 
A  bien  dresser  vn  compte,  et  l'ample  reuenu 
Et  la  mise  reprendre  après  par  le  menu  : 

542.  Le  texte  porte  cette  ponctuation  après  triomphants. 
550.  Un  oiseau.  C'est  le  faucon. 


—  156  — 

Et  de  là  conuoiteux  de  la  riche  finance 
Se  iettent  affamez  aux  Bureaux  de  la  France.         560 
Les  ieunes  à  Paris  aprennent  à  ietter, 
Combien  d'vn  milion  se  peut  le  tiers  monter  : 
A  partir,  à  sommer,  multiplier,  distraire, 
A  sçauoir  d'vn  Banquier  l'adresse  nécessaire  : 
S'on  demande  au  garçon,  Qui  de  mille  ostera        565 
Sept  cents  escus,  dimoy,  qui  plus  te  restera? 
Trois  cents  :  C'est  bien  conté  :  c'est  assez,  bon  cou- 

[rage, 
Tu  peux  à  l'auenir  te  garder  de  dommage  : 

Si  i'en  remets  deux  cents,  combien  demeureront 
Sur  le  conte  dernier?  cinq  encor  resteront.  570 

Tu  peux  garder  le  tien;  car  cette  expérience, 
Mon  enfant,  vaut  bien  mieux  que  toute  autre  science. 

Or  comme  pourrons  nous  espérer  que  ceux  ci 
Nourris  des  leur  enfance  après  les  biens  ainsi, 
Ayans  desia  graué  des  leurs  tendres  ieunesses,      575 
Les  gloutons  apetits  des  friandes  richesses, 
Aimassent  la  vertu,  faisant  quelque  œuure  beau, 
Qui  fust  pour  ne  tomber  iamais  dans  le  tombeau? 
Voire  qui  meritast  d'estre  en  planche  imprimée., 
Consacré  seulement  à  peu  de  renommée?  58a 

Tant  s'en  faut  qu'il  deust  estre  en  vn  ecrin  doré, 
En  vierge  parchemin  bien  peint,  bien  azuré, 
Escrit,  illuminé,  pour  chatouiller  l'oreille 

561  sqq.  Cf.,  Hor.  Ep.  aux  P.,  325-332. 
571.  Le  tien,  au  neutre. 


—  157  — 

D'vn  second  Alexardre  à  l'heure  qu'il  sommeille? 

Enseigner,  profiter,  ou  bien  donner  plaisir,       5S5 
Ou  faire  tous  les  deux,  le  Poëte  a  désir, 
Gomme  propre  à  la  vie  :  en  faisant  tout  ensemble 
Chose  qui  profitable  et  plaisante  nous  semble. 

Or  si  premier  tu  veux  enseigner,  sois  tousiours 
Clair  et  bref,  sans  vser  d'obscurs  et  longs  discours  :  590 
Afin  qu'incontinent  tes  préceptes  faciles 
Se  grauent  au  cerueau  des  auditeurs  dociles. 
La  chose  superflue  aussi  bien  sortira, 
Hors  de  l'estomac  plein,  qui  l'a  reuomira  : 
Et  si  plaire  tu  veux  tousiours  conte  tes  fables         595 
Pour  donner  du  plaisir,  comme  estant  véritables  : 
Car  n'estant  vray-semblable  vn  propos  inuenté, 
Comme  vray  sans  propos  ne  veut  estre  conté. 
Pourtant  tu  ne  feindras  rien  qu'on  ne  puisse  croire  : 
Comme  celuy  qui  conte  ainsi  comme  vne  histoire ,    600 

584.  Alexandre  avait  un  exemplaire  d'Homère  dans  une  riche 
cassette. 

585.  Cf.  Hor.,  Ep.  aux  P.,  333-342.  Boileau,  Art.  Poét.,lW,  85 sqq. 
585.  Cf.  Vauquelin  : 

C'est  pour  néant  que  l'enseignant  Horace 

Dit  que  le  vers  tient  la  première  place 

Quand  il  enseigne  et  qu'il  donne  plaisir. 

{Sat.  fr.  III,  6.) 
587.  Traduction  obscure  du  idonea  dicere  vitœ  d'Horace. 
593-594.  Cf.  Boileau,  Art  Poét.,  I,  61-62. 

594.  L'a  (sic). 

595.  sqq.  Cf.  Boileau,  Art  Poét.,  III,  47  sqq. 

597-598.  Il  faut  sans  doute  comprendre  :  Si  le  sujet  (propos) 
n'est  pas  vraisemblable,  ce  n'est  pas  sans  raison  (propos)  qu'il  veut 
être  conté  comme  vrai.  (La  vérité  fera  passer  sur  l'invraisem- 
blance.) Cependant,  etc, 

600.  Ainsi  simple  antécédent  de  comme.  Cf.  Sicut. 


—  158  — 

Que  les  Fées  iadis  les  enfançons  voloient, 

Et  de  nuict  aux  maisons  secrettes  deualoient 

Par  vue  cheminée:  en  tout  sois  vray-semblable, 

Le  vieillard  ne  se  plaist  au  conte  d'une  fable, 

Ni  voir  des  vers  qui  soient  sans  quelque  vtilité  :     605 

La  chose  graue  plaist  aux  gens  de  grauité, 

Et  la  Muse  seuere,  en  ce  temps  ou  nous  sommes, 

Pareillement  deplaist  aux  ieunes  gentils  hommes  :  ] 

Qui  sçait  entremesler  l'vtile  auec  le  dous, 
L'honneur  facilement  remportera  sur  tous,  gio 

Enseignant  les  liseurs  et  de  Muse  pareille, 
D'vn  rauisseur  plaisir  leur  rauissant  l'oreille. 

Yn  tel  liure  sçauant,  plein  d'vn  iugement  meur 
Aporte  de  l'argent  bien  tost  à  l'Imprimeur, 
Et  tost  outre  les  mers  il  passe  en  telle  sorte,  gis 

Qu'à  son  autheur  connu  grand  renom  il  apporte  : 
Il  s'y  trouue  pourtant  quelques  défauts  souuent, 
Ausquels  fait  pardonner  la  suite  et  le  deuant: 
Car  la  corde  ne  rend  tousiours  à  la  pensée 
Yn  son  tel  que  voudroit  la  chose  commencée,        620 
Sous  les  doigts  fredonnants,  et  cherchant  vn  ton  bas,; 
Souuent  en  rend  vn  haut, et  ne  vous  respond  pas. 
Tousiours  l'arquebusier  ne  frappe  ce  qu'il  mire, 
Ni  l'archer  bien  expert  n'atteint  le  blanc  qu'il  tire. 
Mais  s'vn  œuure  en  maint  lieu  son  lecteur  satisfait,  625 
le  ne  le  diray  pas  tout  soudain  imparfait, 

609.  sqq.  Cf.  Hor.,  Ep.  aux  P.,  343-360.  Boileau,  Art  Poét.,  I, 
75-78. 


. 


—  159  — 

Pour  vn  petit  d'erreur  passé  par  non  chalance, 
Ou  que  n'a  peu  preuoir  l'humaine  preuoyance  : 
Et  quoy  donc  ie  vous  pry ?  comme  on  ne  deuroit  point 
Excuser  l'imprimeur,  qui  faut  au  mesme  point     630 
Dont  on  l'auoit  repris  :  et  comme  on  se  doit  rire 
De  l'escriuain  qui  faut  tousiours  à  bien  escrire 
Aux  mots  qu'on  luy  a  dits  :  et  mesme  du  sonneur 
Qui  faut  en  mesme  ton  à  son  grand  deshonneur  : 
Tout  ainsi  de  celuy,  qui  fait  comme  vn  Ghœrille,  635 
Qui  pour  faire  des  vers  est  rimeur  mal  habile  ; 
Et  de  Sagon  se  fait  appeler  Sagouyn, 
Meslant  en  nostre  langue  vn  sot  barragouyn 
De  propos  décousus,  rie  à  rie  voulant  prendre, 
Le  Latin  à  la  barbe  et  vulgaire  le  rendre,  640 

Et  duquel  ie  me  ri  de  merueille  surpris, 
Quand  deux  ou  trois  bons  vers  ie  trouue  en  ses  escris. 
Souuent  en  œuure  long  la  Muse  mesme  chomme, 
Par  fois  le  bon  Homère  est  surpris  par  le  somme  : 
Mais  vn  ouurage  long  on  excuse  es  endroits,  645 


633.  Sonneur.  Employé  ici  non  pas  dans  le  sens  de  poète 
comme  à  l'ordinaire,  mais  dans  celui  du  latin  citharedus.  (Hor., 
355/ 

635.  Chaerille,  mauvais  poète,d'Iasos,en  Carie.  Cf.  Hor.,Ep.  II 
;ï,  233. 

637.  François  Sagon,  curé  de  Beauvais,  composa  contre  Marot 
un  libelle  intitulé  Coup  cVessay.  Marot  lui  répondit  dédaigneuse- 
ment sous  le  nom  de  son  valet  Fripelippcs  et  métamorphosa  Sa- 
gon en  Sagouyn. 

639.  Rie  à  rie  ete(  Cet  hémistiche  est  cité  avec  le  vers  suivant 
dans  l'Oraison  de  ne  croire  légèrement  à  la  calomnie,  prononcée  par 
Vauquelin  à  l'Université  de  Çaen. 

640.  Cf.  II,  913.  sqq. 

16 


—  160  — 

Ou  le  sommeil  glissant  fait  errer  quelque  fois. 

La  douce  Poésie  est  comme  la  peinture, 
Que  belle  on  trouuera  bien  prise  en  sa  nature  : 
Car  l'vne  de  plus  près, plus  belle  semblera, 
Et  l'autre  de  plus  loin  dauantage  plaira,  650 

L'vne  se  voudra  voir  dans  vne  sale  obscure, 
Et  l'autre  au  iour  plus  clair  d'vne  pleine  ouuerture, 
L'vne  en  iour  se  deuise  ou  par  ombragements, 
Et  l'autre  a  de  couleurs  mile  deiettements  : 
Qui  d'vn  iuge  ne  craint  la  plus  subtile  veue  :  655 

L'vne  contentera  si  tost  qu'on  l'aura  veue, 
Et  l'autre  d'autant  plus  qu'on  reuisitera 
Ses  beaus  traits,  d'autant  plus  elle  contentera. 

Comme  le  voyageur  qui  d'vn  beau  lac  aproche,. 
En  son  bord  se  va  mettre  au  coupeau  d'vne  roche,  660 
Là  demeurant  long  temps  oisif  en  son  repos, 
Il  n'a  rien  pour  obiect  que  les  vents  et  les  flots  : 
Toutesfois  les  forests  dedans  l'onde  vitrée 
Montrent  de  cent  couleurs  leur  robe  diaprée  : 
Et  l'ombre  des  maisons,  des  tours  et  des  Chasteauxe65 
Cette  eau  luy  représente  au  cristal  de  ses  eaux  ; 
Il  sesiouit  de  voir  que  l'onde  luy  raporte 
Par  vn  double  plaisir  ces  forests  en  la  sorte  : 
Tout  ainsi  le  Poëte  en  ses  vers  rauira 
Par  diuers  passetemps  celuy  qui  les  lira,  cio 

Emerueillé  de  voir  tant  de  choses  si  belles, 

647.  sqq.  Cf.  Hor.,  Ep.  aux  P.,  361-365. 

654.  Le  texte  porte  cette  ponctuation  après  dejettements. 

659.  Cf.  Vida,  Artpoét.,  111,64  sqq. 


—  161  — 

En  ses  vers  repeignant  les  choses  naturelles  : 

Et  de  voir  son  esprit  de  ce  monde  distrait, 

Mirer  d'vn  autre  monde  vn  autre  beau  pourtrait. 

Combien  que  de  vous  mesme  ô  Françoise  ieu- 

[nesse,  675 
Qui  suiuez  ce  bel  Art,  vous  ayez  la  sagesse, 

Toutesfois  ie  veux  bien  vous  auertir  ici, 

Qu'il  faut  vn  grand  sçauoir  aux  hommes  en  ceci  : 

Nous  voyons  beaucoup  d'Arts,  ausquels  est  suportable 

D'vn  apparent  sçauoir  l'apparence  notable  :  680 

Comme  pour  n'estre  aux  droits  vn  Duarin  second, 

Ou  pour  docte  à  plaider, vn  Marion  facond  : 

On  ne  laisse  pourtant  d'auoir  en  bonne  estime 

Sa  part  de  l'or  que  tant  es  Palais  on  estime. 

En  tout  sçauoir  aisé,  pour  n'estre  Historien        685 

Autant  que  Titeliue,  il  suffit  du  moyen  : 

Le  Peintre  qui  peint  bien  d'vn  homme  la  figure, 

Sans  l'avoir  mesme  apris,  peut  tirer  en  peinture 

675  sqq.  Cf.  Hor.,  Ep.  aux  P., 366-373.  Boileau,  Artpoét.  IV,  29-32. 

681.  Duarin.  Célèbre  professeur  de  droit,  enseigna  à  Bourges  et 
à  Paris.  Vauquelin  l'appelle  ailleurs  le  grand  Duarin.  (Sat.  fr., 
I,  6.)  C'est  à  son  instigation  que  le  poète  laissa  momentanément 
les  vers  pour  terminer  ses  études  de  droit.  Cf: 

Hardi  suivant  le  conseil  sage  et  brave 
De  Duarin,  à  Bourges,  d'un  grand  cœur 
Je  fis  des  vers  Bartholle  estre  vainqueur. 
Cf.  encore  Sonnets  divers,  5.  (Sat.  fr.,  II,  3.) 

682.  Marion.  Fameux  avocat  né  à  Nevers  en  1540,  mort  à  Paris 
en  1605. 

687  sqq.  Vauquelin  aurait  dû  ranger  la  peinture  avec  la  poésie. 
Cf.  La  Bruyère  :  «  Il  y  a  de  certaines  choses  dont  la  médiocrité  est 
insupportable,  la  poésie,  la  musique,  la  peinture,  le  discours  pu- 
blic. (Chap.  I.) 


—  162  — 

Tout  autre  tel  qu'il  soit  :  ainsi  qui  sçait  des  Arts 
Le  principe  et  la  fin,  s'en  aide  en  toutes  parts  :      690 
Pourueu  qu'à  son  suiet  d'vne  gentille  mode, 
Du  sçauoir  qu'il  a  veu  l'vsage  il  accommode  : 
Mais  les  hommes  ni  Dieu  ne  veulent  receuoir 
Celuy  qui  pour  les  vers  n'a  qu'vn  moyen  sçauoir. 

Toutes  langues  ont  eu  leurs  Poètes  chacune,      695 
Ne  pense  donc  auoir  si  courtoise  fortune 
Que  de  les  surpasser,  sinon  qu'en  ton  parler 
Gomme  ils  ont  fait  au  leur  tu  vueilles  exceller  : 
l'approuue  toutefois  d'escrire  en  ses  langages, 
Afin  de  remarquer  les  siècles  et  les  âges  700 

Par  les  hommes  sçauants  :  Entre  qui  les  lauriers 
Du  Poëte  Roussel  verdoiront  des  premiers: 
Car  Phœbus  et  les  sœurs  eux-mesmes  les  arrosent 
Dans  les  iardins  de  Gaen  :  et  les  beaus  vers  disposent 
Du  Fanu,  de  Michel,  de  Gahaignes  auec,  703 

Qui  doctes  le  Romain  escriuent  et  le  Grec, 

694.  Cf.  Boileau,  Art  poét,  IV,  32. 

699.  Ses  ne  se  comprend  pas  ;  il  faut  évidemment  ces.  D'ai- 
lcurs,  ces  ne  peut  pas  désigner  toutes  langues  du  vers  695;  Vau- 
quelin  parle  ici  du  latin  et  du  grec,  comme   la  suite  le  montre. 

702.  Roussel  ou  Rouxel,  né  à  Caen  (1530-1586).  Il  professa,  à 
l'Université  de  cette  ville,  l'éloquence,  la  philosophie  et  le  droit. 
On  a  de  lui  :  Lamentât iones  Jeremiœ  carminé  elegiaco  (1568)  et 
Ruxellii  poemata  (1600).  Cahaignes  (V.  705)  prononça  son  oraison 
funèbre  en  latin,  et  Vauquelin  la  traduisit.  Le  poète  a  fait  en  son 
honneur  deux  épitaphes.  Dans  la  première,  il  célèbre  son  éloquence 
latine  ;  dans  la  seconde,  il  parle  de  son  pur  Romain  langage. 

703.  Les  sœur?,  c.-à-d.  les  Muses. 

705.  Du  Fanu.  Il  y  eut  deux  Le  Fanu,  Michel  et  Etienne,  tous 
deux  avocats,  tous  deux  auteurs  de  quelques  vers   latins.  Le  pre- 


—  163  — 

Et  comme  Sainte  Marthe  escrit  de  mesme  plume 

Le  Latin  et  François  quand  sa  fureur  l'allume, 

De  sorte  qu'il  egalle  vn  Dorât  d'vne  part, 

Et  de  l'autre  il  seconde  vndoux  bruyant  Ronsart  :   710 

Ainsi  nostre  Malherbe  et  Tirmois,  l'éloquence 

Et  les  vers  balançants  d'vne  mesme  cadence, 

Vn  Giceron  Latin  font  deuenir  Gaulois, 

Et  Phœbus  tout  Romain  est  comme  tout  François. 

Le  grand  de  l'Hospital  a  toute  Ausonienne  :  715 

En  France  ramené  la  troupe  Aonienne  : 

Et  Filleul  conduit  à  la  Cour  ces  neuf  Sœurs: 

mier  avait  composé  un  poème  en  hendécasyllabes  sur  l'origine  du 

droit.  Cf.  Vauquelin  : 

Et  le  docte  Fanu,  qui  la  Muse  Grégeoise, 
Et  la  Romaine  mesle  avec  {sic)  la  Françoise. 

(Pastorale  sur  le  tombeau  de  Rouxel.) 

Michel,  professeur  de  belles-lettres,  fut  le  successeur  de  Rouxel 
(V.  702).  dans  la  chaire  d'éloquence.  Vauquelin  lui  a  fait  une  épi-» 
taphe  où  il  l'appelle  Socrate,  Hippocrate,  Homère.  —  Cahaignes 
(Jacques  de),  professeur  de  médecine  et  recteur  de  l'Université  de 
Caen, homme  fortérudit  qui  versifiait  élégamment  en  latin. On  a  de  lui, 
dans  cette  langue,  des  notices  sur  les  hommes  distingués  de  Caen. 

707.  Sainte-Marthe  (Scévole  de),  érudit  et  poète.  Parmi  ses  poé- 
sies françaises,  on  distingue  les  Métarmorphoses  sacrées.  Nous 
avons  déjà  parlé  de  sa  Pœdotrophia  (I,  925). 

709.  Dorât,  le  directeur  du  collège  de  Coqueret,  le  maître  de 
Baïf,  de  Ronsard  et  de  du  Bellay,  «  le  premier,  dit  Ronsard,  qui 
a  destoupé  la  fontaine  des  Muses  par  les  outils  des  Grecs  et  le  ré- 
veil des  sciences  mortes  ».  Il  composa  un  grand  nombre  de  vers 
grecs  et  latins,  outre  des  poésies  françaises  fort  médiocres. 

711.  Malherbe.  Vauquelin  lui  a  adressé  la  IVe  satire  du  liv.  II. 
On  sait  qu'il  ronsardisa  longtemps,  avant  de  se  poser  en  adver- 
saire de  la  Pléiade. — Tirmois  (Jean  de), avocat  au  Bailliage  de  Rouen. 

715.  L'Hospital  a  composé  en  latin  des  poésies  que  ses  amis 
Pibrac,  de  Thou,  Scévole  de  Sainte-Marthe  firent  paraître  en  1585. 

717.  Filleul  (Nicolas),  né  à  Rouen  en  1530,  mort  en  1575.  II 
avait  composé  des  tragédies  latines  quine  nous  sont  pas  parvenues. 
On  a  de  lui  '.Les  Théâtres  de  Gaillon  à  la  Royne,  renfermant  quatre 

lô. 


—  164  — 

Dauid  qui  son  Perron  orne  de  leurs  douceurs, 

Possède  à  iuste  droit  leur  éternelle  gloire, 

Comme  elles  filles  sont  estant  fils  de  Mémoire.       720 

Bertaut,  qui  du  Soleil  a  le  cœur  allumé, 

Chez  luy  mesme  leur  dresse  un  seiour  bien  aimé  : 

Et  qui  taire  pourroit  la  douce  Polymnie 

De  ce  diuin  Vaillant,  tirant  la  compagnie 

De  ces  iumelles  Sœurs  hors  de  dessus  leur  mont,  725 

Pour  les  faire  habiter  en  son  sacré  Pimpont  ? 

églogues  et  deux  pièces  de  théâtre;  (les  Naïades,  Chariot,  Tethys, 
Francine  sont  les  titres  des  églogues  ;  viennent  ensuite  une  tra- 
gédie en  cinq  actes,  Lucrèce,  et  une  comédie  également  en  cinq 
actes,  les  Ombres)  ;  Achille  tragédie  ;  la  Couronne  de  Henry  le. 
Victorieux,  roi  de  Pologne;  un  recueil  de  sonnets.  —  Le  texte  porte 
Filleul  conduit  au  lieu  de  a  conduit. 

718.  David  est  sans  doute  mis  pour  Davy. —  Son  Perron.  Cf.  son 
Pimpont,  726.  Cf.  encore  Vauquelin  : 

Étalons  nous  à  l'aise, 

Quelquefois  es  coutaux  des  roches  des  Falaise,.... 
Quelquefois  a  passer  sous  le  frais  des  ombrages, 
Avec  plaisans  discours  le  temps  en  nos  bocages, 
Ou  soit  de  ton  Perron,  soit  de  nos  Iveteaux, 
Soit  de  nostre  Boissay,  la  maison  des  oiseaux. 

(Sat.  fr.,  IV,  II.) 
—  Jacques  Davy  du  Perron,  ami  de  Vauquelin,  qui  lui  adresse  la 
satire  II,  du  livre  III,  a  traduit  en  vers  des  morceaux  d'Ovide, 
de  Virgile,  d'Horace  ;  on  a  aussi  de  lui  quelques  poésies  originales 
écrites  avec  élégance  et  délicatesse.  Il  était  considéré  au  xvie 
siècle  comme  un  des  meilleurs  poètes  français  :  critique  dédai- 
gneux, il  fut  longtemps  l'oracle  du  goût.  L'abbé  de  Longuerue 
l'appelait  le  Colonel  général  de  la  littérature. 

721.  Bertaut,  né  à  Caen  en  1552,  mort  en  1611,  poète  aimable 
et  gracieux,  mais  non  sans  mollesse.  —  Du  Soleil.  Est-ce  Phœbus  ? 

723.  Polymnie.  V.la  note  duversl,  671. 

724.  Vaillant  de  Guellis,  né  à  Orléans,  abbé  de  Paimpont,  a  lais- 
sé un  commentaire  sur  Virgile  (1575)  et  des  vers  latihs  qui  se 
trouvent  dans  le  recueil  Delicise  poelarum  gallorum. 

726.  V.  la  note  précédente.  L'Abbaye  de  Paimpont  relevait  du 
diocèse  de  Saint-Malo. 


—  165  — 
Et  le  sçauant  Sueur,  que  Latin  on  compare, 
Au  peu  iusqu'à  présent,  imitable  Pindare  ? 
Et  Passerat  ayant  trois  langages  diuers, 
Qui,  comme  aux  deux,   au  sien  mesure  ces  beaux 

[vers  ?  730 
Et  Chantecler  profond,  qui  de  Rome  et  d'Athènes 
Fait  bruire  en  ses  dous  vers  les  bouillantes  fontenes? 
Et  qui  pourroit  cacher  le  rayon  qui  reluit 
Enl'Ascalle  et  Ghestien,  que  tous  Phœbus  conduit? 
Et  cette  Aurore  ouurantau  Soleil  la  barrière         735 
Sur  le  Tybre  Romain,  iaune  de  sa  lumière? 
Et  cet  autre  Apolon  de  Thou,  qui  tout  diuin 
Va  par  les  airs  traçant  le  peu  connu  chemin 

727.  Sueur  (Nicolas  le  ),  jurisconsulte  et  poète,  né  à  Paris  en 
1540,  mort  en  1594,  avait  composé  des  odes  latines. 

728.  Cf.  Hor. 

Pindarum  quisquis  studit  semulari. 

yOd.  IV,  2A 

729.  Passerat  (1534-1602),  poète  remarquable  en  français  par  sa 
gaieté  maligne  et  gaillarde,  fut  dans  ses  poésies  latines  l'émule  des 
Sannazar  et  des  Vida  ;  il  écrivit  aussi  des  vers  grecs. 

731.  Chantecler.  V.  la  note  du  vers  II,  1060.  Chantecler  était  un 
latiniste  distingué.  On  a  de  lui  :  Juliani  imperatoris  de  Cxsaribus 
sermo,  grsece  curn  latina  versione  subjuncta,  1577;  Leonardi  Are- 
tiniexcerpta  ex  Historia  Gothica  Prisci,  latine  interpretata,  1606, 
etc. 

734.  UAscalle.  C'est  J.-C.  Scaliger  (1484-1558),  l'auteur  de  la 
Poétique.  On  a  aussi  de  lui  un  recueil  de  poésies  latines. —  Chrestien 
Florent,  un  des  auteurs  de  la  Satyre  Ménippée,  avait  composé 
des  vers  grecs,  latins  et  français. 

735-736.  Il  s'agit  sans  doute  de  J.  du  Bellay,  dont  on  connaît 
les  poésies  latines,  composées  dans  son  exil  à  Rome.  Cf.  Vauque- 
lin: 

Du  Bellay,  qui  les  flots  du  blond  Tybre  arrestoit, 
Quand  les  restes  de  Rome  en  leur  cendre  il  chantoit. 

737.  Allusion  au  poème  de  de  Thou  intitulé  De  re  accipitraria. 
{De  la  Fauconnerie.) 


—  166  — 

Des  Sacres  et  Faucons,  ou  la  Muse  Romaine 
Attaindre  ne  peut  onc  tant  fust  elle  hautaine?      740 
Et  quel  Siècle  d'ailleurs  a  receu  si  beau  don, 
Qu'en  son  Poëte  a  fait  l'isledeCaledon? 
De  Baïf,  Grec-latin,  comme  François  la  Muse 
Au  combat  les  nouueaux  ni  les  vieux  ne  refuse, 
Et  Pasquier  a  montré  par  ses  vers  excelens  745 

Que  Phœbus  hante  aussi  les  barreaus  turbulens. 

Mais  qui  met  son  esprit  pour  rendre  plus  connues 
Ces  Langues  qui  nous  sont  pour  estranges  tenues, 
Et  contemne  la  sienne;  adultère  il  commet  : 
Car  son  ioug  délaissant  sous  l'estrange  il  se  met.  750 

742.  L'isle  de  Caledon,  c'est-k-dire  l'Ecosse,  patrie  de  Buchaaan 
(1506-1582),  qui  imita  les  Psaumes  en  latin  et  fit  dans  la  même  lan- 
gue les  deux  tragédies  de  Jephté  et  de  Jean-Baptiste. 

743.  On  sait  que  Baïf  pratiquait  la  versification  grecque  et  latine. 
—  Le  c  de  François  n'a  pas  de  cédille  dans  le  texte  de  1605. 

745.  L'auteur  des  Recherches  de  la  France  composa  aussi  des 
vers  français  et  latins. 

747  sqq.  Cf.  Du  Bellay.  Défense,  liv.  I,  chap.  xi.  Ronsard,  2e 
préface  de  la  Franciade,  vers  la  fin.  Vauquelin  :  «  Le  François 
docte  et  bien  né...  qui  contemne  et  mcsprise  son  langage  naturel, 
me  semble  estre  semblable  au  riche  citoyen,  lequel  met  toute  sa 
cure  et  son  soin  pour  enrichir  de  meubles  rares  et  précieux,  de 
tapisseries  superbes  et  somptueuses,  de  pavez  bien  compartis...  une 
maison  qu'il  aura  située  en  quelques  déserts  inhabitez,  ou  en  quel- 
que forest  eslongnee  et  séparée  des  villes  et  des  bourgs,  en  laquelle 
à  grand'peine  il  va  une  fois  en  l'année  :  et  au  contraire  qui  délaisse 
la  maison  ou  il  habite  tous  les  jours  sans  meuble  et  sans  parement, 

pleine   d'ordure  et  de  souillure  en  tous   endroits J'ay  voulu 

choisir  un  sujet...  afin  d'encourager  les  esprits  de  notre  siècle...  à 
ne  laisser  plus  la  langue  Françoise,  leur  légitime  espouse,  pour 
commettre  si  souvent  adultère  avec  la  mignarde  Grégeoise  et  la 
belle  Romaine.  » 

748  sqq.  Cf.  Ronsard  :  «  Heureux  et  plus  qu'heureux  ceux  qui 
cultivent  leur  propre  terre,  sans  se  travailler  après  une  estrangere, 
de  laquelle  on  ne  peut  retirer  que  peine  ingrate  et  malheur,  pour 
toute  recompense  et  honneur  !  »  (Abrégé  d'Art  poétique.) 


—  167  — 

Et  tel  est  que  celuy,  qui  de  tout  meuble  rare, 

Riche  tapisserie  et  de  beaus  lambris  pare 

Vn  Chasteau  solitaire,  écarté  dans  les  bois, 

Ou  seulement  il  couche  en  deux  ans  vne  fois, 

Pour  estre  loin  du  lieu  :  Son  Palais  au  contraire,  755 

Qu'il  choisit  en  tout  temps  pour  demeure  ordinaire 

Il  délaisse  sans  meuble  et  sant  nul  parement  : 

A  soy  mesme  bien  faire  on  doit  premièrement. 

,  Gomme  entre  les  banquets  et  les  ioyeuses  tables,. 

Les  chants  mal  accordez  seront  désagréables,        760 

Et  fâcheux  le  parfum,  dont  la  forte  senteur, 

Trop  aspre  passera  iusqu'à  la  puanteur: 

(Car  bien  souuent  encor  aux  festins  on  s'en  passe) 

Ainsi  la  Poésie  amoindrissant  sa  grâce, 

(Comme  estant  inuentee  et  faite  seulement  765 

Pour  donner  du  plaisir  et  du  contentement) 

Nous  deplaist  aussi  tost  qu'elle  s'esleue  ou  baisse, 

Ou  que  bas  trébucher  du  tout  elle  se  laisse. 

Qui  lutter  ne  sçait  point  se  garde  de  lutter, 
Et  qui  iouster  ne  sçait  se  garde  de  iouster,  770 

Ni  de  vouloir  froisser,  mal  apris,  vne  lance  : 
Et  qui  ne  sçait  danser  ne  se  trouue  à  la  dance  : 
Et  qui  ne  peut  la  balle  au  tripot  bricoller, 
Passant  son  temps  ailleurs  se  garde  d'y  aller, 
De  peur  qu'vn  grand  amas  de  personnes  s'assemble,  775 
Qui  librement  de  luy  se  gaudiroient  ensemble  : 

757.  San  t  (sic.) 

759  sqq.  Cf.  Hor.  Ep.,  aux  P.,  374-390. 

765-766.  Cf.  1,709,710. 


-  168  - 

Et  toutefois  celuy,  qui  ne  sçait  l'Art  des  vers, 
S'en  veut  pourtant  mesler  de  tort  et  de  trauers  : 
Pourquoy  non,  dira  t  il,  moy  qui  suis  gentil  homme, 
Et  qui  reçoy  du  Roy  de  pension  grand'somme,       780 
Desiatenu  Poëte,  à  qui  sa  Maiesté, 
Pour  ses  vers  mainte  fois  a  libérale  esté, 
Qui  de  la  chambre  suis  deuenu  Secrétaire, 
Des  vers  à  mon  plaisir  ne  pourray-ie  bien  faire? 
Estant  au  bel  estât  des  favoris  couché,  785; 

Et  d'ailleurs  n'estant  point  d'aucun  vice  entaché  ? 

Ne  di  rien,  ne  fais  rien  en  dépit  de  Minerue  : 
En  cet  Art  nç  veut  point  la  Nature  estre  serue. 
Mais  amis  vous  auez  vn  tel  entendement 
Que  vous  pouuez  en  vous  en  faire  iugement.         790 

Si  quelquefois  encor,  ô  Françoise  ieunesse, 
Quelque  œuure  vous  voulez  mettre  dessus  la  presse  : 
Il  la  vous  faut  soumettre  au  iugement  exquis 
D'vn  sçauant,  qui  tout  ait,  ce  qu'en  l'Art  est  requis,  ' 
Et  la  garder  neuf  ans  dedans  le  coffre  enclose  :      795 
Cependant  vous  pourrez  corriger  mainte  chose. 
La  parole  parlée  on  ne  peut  déparier, 
Et  l'œuure  mise  hors  ne  se  peut  rappeler. 

On  raconte  qu'Orphé,  des  grands  Dieux  interprète, 

792.  Nous  disons  sous  au  lieu  de  sur  (dessus). 
799.  Cf.  Hor., Ep.  aux  P., 391-406.  Boileau,Jr//>oé*.,  IV,133sqq. 
Vauquelin  dit  dans  sa  satire  à  du  Perron  : 

Mais  tel  Phœbus  ni  tel  fut  Amphion, 
Ni  ceux  qui,  pleins  de  grand'  perfection 
Premièrement  les  carmes  inventèrent,  etc. 

(Sat.  fr.,  liv.  III,  n.) 


—  169  — 

Les  humains  qui  viuoient  d'vne  façon  infete  «oo 

De  massacre  et  de  sang,  sceut  bien  desauuager, 

Et  sous  plus  douces  loix  hors  des  bois  les  ranger  : 

C'est  pourquoy  l'on  disoit  qu'il  sçauoit  bien  conduire 

Les  Tigres  les  Lions,  aux  accords  de  sa  Lyre: 

Et  mesme  qu'Amphion  (le  gentil  bâtisseur  8C5 

Des  nobles  murs  Thebains)  sceut  par  la  grand  douceur 

De  son  Luth  façonné  d'vne  creuse  tortue, 

Faire  marcher  des  rocs,  mainte  roche  abatue, 

Qu'il  conduisoit  au  lieu  que  meilleur  luy  sembloit, 

Et  les  faisant  ranger,  en  mur  les  assembloit.         8io 

Telle  fut  des  premiers  iadis  la  Sapience 
De  sçauoir  séparer,  par  prudente  science, 
Le  public  du  priué,  du  prophane  le  Saint, 
D'auoir  par  vn  dous  frein  son  appétit  retraint 
D'vn  vague  accouplement,  d'auoir  du  mariage       815 
Ordonné  les  Saints  droits,  d'auoir  trouué  l'usage 
De  bastir  les  Citez  ;  dans  des  tables  de  bois 
Engrauant  l'équité  des  droiturieres  lois. 

Voila  comme  s'aquist  aux  vers  et  aux  Poètes, 
"Vn  honneur,  vn  renom  tel  qu'àdiuins  Prophètes.   820 
Puis  Homère  et  Tyrté  mirent  des  vers  au  iour, 
Qui  graues  détournants  les  hommes  de  l'amour, 
Les  firent  suiure  Mars  :  et  par  les  vers  à  l'heure 
Des  Oracles  se  fist  la  responce  meilleure  : 
Et  furent  mis  en  vers  les  beausenseignemens,      825 
Pour  maintenir  la  vie  en  tous  gouuernemen,-, 
Et  par  la  Muse  encor  fut  la  grâce  tentée 


—  170  — 

Des  Princes  et  des  Rois,  pour  leur  gloire  chantée. 
Puis  vinrent  les  derniers  les  ébats  et  les  ieux, 
L'agréable  repos  de  tous  trauaux  fâcheux.  830 

Premier  ainsi  iadis  nos  Poètes  Druides, 
Nos    Samothes   Gaulois,    nos   Bards,   nos  Sarromi- 
0  [des, 

Policerent  la  Gaule  :  et  leurs  vers  animez 
Rendoient  après  la  mort  les  Princes  plus  aimez. 
Et  mesme  au  parauant  Dauid  auoit  choisie  835 

Pour  mieux  célébrer  Dieu  la  sainte  Poésie, 
Et  tant  peurent  ses  vers  que  sans  pompeux  arroy, 
Ce  berger  maiesteux  de  Poëte  fut  Roy. 
Ce  que  ie  dis,  afin  que  vous  n'ayez  point  honte, 
De  faire  d'Apolon  et  de  la  Muse  conte  840 

De  l'Apolon  surtout  qui  diuin  et  sacré 
Desancrant  de  Delos  en  France  s'est  ancré. 
Portez  donc  en  trophé  les  despouilles  payennes 
Au  sommet  des  clochers  de  vos  citez  Chrestiennes. 

Si  les  Grecs,  comme  vous,  Chrestiens  eussent  es- 
tent, 845 
Ils  eussent  les  hauts  faits  chanté  de  Iesus  Christ  : 

832.  Samothes,  Sarromides.  Les  prêtres  gaulois  se  livraient  soità 
la  méditation,  soit  à  l'enseignement  :  on  appelait  Samothes  ceux 
qui  vivaient  dans  la  contemplation  mystique,  Sarromides  ou  plu- 
tôt Sarronides,  ceux  qui  se  vouaient  à  l'instruction  de  la  jeunesse. 
—  Quant  aux  bardes,  on  sait  que  c'étaient  des  poètes  guerriers. 

839-840.  Cf.  Hor.,  Ep.  aux  P.,  406-407. 

845.  C'est  à  tort  que  dans  l'édition  Genty,  Chrestiens  est  mis 
entre  deux  virgules  ;  ce  n'est  point  un  vocatif,  mais  l'attribut  du 
verbe.  Le  sens  est  :  Si  les  Grecs  eussent  écrit  étant  chrétiens 
comme  vous. 


—  171  — 

Et  tant  que  vous  pourrez  à  despouiller  TEgipte, 
Et  de  Dieu  les  autels  orner  à  qui  mieux  mieux 
De  ses  beaus  parements  et  meubles  précieux:        850 
Et  des  autheurs  humains  comme  l'vtile  auette, 
Prenons  ainsi  des  fleurs  la  manne  et  la  fleurete, 
Pour  confirmer  de  Dieu  les  auertissemens, 
Contenus  aux  secrets  de  ses  deux  testamens. 
Vous  Prélats,  qui  n'auez  qu'à  Dieu  seul  la  pen- 
sée, 855 
A  luy  seul  soit  aussi  votre  Muse  addressee  : 
Ainsi  que  ton  du  Val  Moulinet  chante  nous 
Cette  grandeur  de  Dieu,  qu'on  voit  reluire  en  tous. 
Toy,  Dangennes  sçauant  qui  bois  en  la  fontaine 
De  l'Hippocrene  vraye,  et  de  bouche  Romaine,      860 
Et  Grégeoise  et  Françoise,  épuises,  bien  disant 
Le  puis  de  vérité,  dont  tu  vas  arrosant 

848.  L'Egypte    est    mis  ici  pour  les    étrangers.  En  quittant  la 
terre  égyptienne,  les  Hébreux  empoitèrent  les  vases  de  leurs  op- 
presseurs. 
855-856.  Cf.  Vauquelin  : 

Du  Perron  qui  tout  l'art  de  ce  bel  Art  soavez, 
Puisque  le  cœur  à  Dieu  tout  tourné  vous  avez, 
Tournez  encor  à  lui  vostre  Muse  immortelle. 
{Divers  sonnets,  8.) 

857.  Du  Val.  Théologien  et  poète,  il  surveilla  l'éducation  du 
Dauphin  fils  de  François  1er  et  devint  évoque  de  Sécz  en  1545. 
Vauquelin  lui  avait  dédié  ses  Foresteries.  On  a  de  lui  :  le  Triomphe 
de  la  Vérité;  De  la  grandeur  de  Dieu  ;  De  la  puissance,  sapierux 
et  bonté  suprême  de  Dieu.  —  Moulinet,  évoque  de  Séez,  succéda 
à  du  Val,  son  oncle. 

858.  Grandeur  de  Dieu.  V.  la  note  précédente. 

859.  Dangennes  (1538-1601),  évêque  de  Noyon.  puis  du  Mans. 
Vauquelin  l'avait  connu  pendant  ses  études  de  droit.  Il  mi  adresse 
la  sati/e  IV  du  livre  Ier. 

17 


De  Noyon  la  contrée  :  ouure  nous  ta  poictrine: 
Que  nous  goûtions  ici  les  fruits  de  ta  doctrine. 
De  Cossé,  qui  ne  quiers  les  Lauriers  flestrissants,  865 
Qui  sur  le  mont  menteur  des  Muses  vont  croissants,? 
À  ce  recoin  du  monde,  au  mont  ou  Michel  l'ange 
Tient  ferme  sous  ses  pieds  cette  chimère  estrange, 
Plante  par  lesbeaus  vers  de  Dieu  les  estandarts 
Qui  facent  l'Océan  trembler  de  toutes  parts.  nto 

Toy  race  d'Espinay,  qui  de  maison  antique 
Deuot,  polices  seul  ton  Eglise  Armorique  : 
Apren  les  flots  Bretons,  selon  le  saint  Hebrieu, 
A  redire  après  toy  les  louanges  de  Dieu. 
Desportes,  que  ta  Muse  à  Dieu  toute  tournée,        875 
Ne  soit  des  vers  d'amour  désormais  prophanee  : 
Maintenant,  fauori  (puisque  dans  le  cerueau 
Apolon  t'a  versé  toute  la  céleste  eau,) 
Arrouse,  doux  coulant  la  Royale  prairie 
De  l'onde  que  iamais  on  ne  verra  tarie.  sue 

Hé  !  quel  plaisir  seroit-ce  à  celte  heure  de  voir 
Nos  Poètes  Ghrestiens,  les  façons  receuoir 
Du  Tragique  ancien  ?  Et  voir  à  nos  misteres 
Les  Payens  asseruis  sous  les  loix  salutaires 
De  nos  Saints  et  Martyrs  ?  et  du  vieux  testament   885 
Yoir  vne  Tragédie  extraite  proprement? 

865.  De  Cossé.  Philippe  de  Cosse,  évoque  de  Coutances. 

871.  Charles  d'Espinay,  mort  évoque  de  Dol,  en  Bretagne.  On 
a  de  lui  des  Sonnets.  Paris,  Robert  Estienne,  1560. 

875.  On  sait  que  Desportes  traduisit  des  psaumes  en  vers 
français.. 


—  173  — 

Et  voir  représenter  aux  festes  de  Village, 
Aux  festes  de  la  ville  en  quelque  Escheuinage, 
Au  Saint  d'vne  Parroisse,  en  quelque  belle  Nuit 
De  Noël,  ou  naissant  vn  beau  Soleil  reluit,  890 

Au  lieu  d'vne  Andromède  au  rocher  attachée, 
Et  d'vn  Perse  qui  l'a  de  ses  fers  relâchée, 
Yn  Saint  George  venir  bien  armé,  bien  monté, 
La  lance  à  sonarrest,  l'espee  h  son  costé, 
Assaillir  le  Dragon,  qui  venoit  effroyable  895 

Goulûment  deuorer  la  Pucelle  agréable, 
Que  pour  le  bien  commun  on  venoit  d'amener? 
0  belle  Catastrophe  !  on  la  voit  te  tourner 
Sauue  auec  tout  le  peuple  !  Et  quand  moins  on  y 

[pense 
Le  Diable  estre  vaincu  de  la  simple  innocence  !      900 
Ou  voir  vn  Abraham,  sa  foy  l'Ange  et  son  fils  ! 
Voir  Ioseph  retrouué  !  les  peuples  deconfis 
Par  le  Pasteur  guerrier  qui  vainqueur  d'vne  fonde, 


890.  Un  beau  Soleil.  Jésus-Christ. 

891-892.  Andromède,  Perse.  Andromède,  fdle  de  Cepheus.  roi 
d'Ethiopie,  qui  dut  la  livrer  à  un  monstre  par  lequel  ses  États 
étaient  ravagés.  Persée,  fils  de  Jupiter  et  de  Dauaé,  la  dé- 
livra. 

893.  Saint  George.  La  Légende  dorée  nous  le  montre  combat- 
tant et  tuant  un  dragon  qui  s'apprêtait  à  dévorer  la  fille  du  roi  de 
Libye. 

898.  Tetourner  (sic)  pour  retourner. 

901.  Cf.  le  Sacrifice  d' Abraham,  par  Théodore  de  Bèze  (1551). 

902.  Joseph.  Cf.  la  pièce  de  Joseph  le  Chaste  par  Nicolas  de 
Montreux  (1601). 

'  903.  Le  Pasteur  guerrier.  David.  Cf.  David  combattant,  fugitif, 
triomphant,  trilogie  de  Des  Mazures  (1556). 


—  174  — 

Montre  de  Dieu  les  faits  admirables  au  monde  ! 

C'est  vn  point  debatu  par  argumens  diuers,      905 
Si,  de  Nature  ou  d'Art,  se  compose  vn  beau  vers, 
Et  laquelle  des  deux  plus  on  estime  et  prise 
En  vers,  ou  la  Nature  ou  la  Science  aquise  : 
Quand  à  moy  ie  ne  voy  que  l'Art  ou  le  Sçauoir, 
Sans  veine  naturelle,  ait  beaucoup  de  pouuoir  :     910  ' 
Ni  que  sans  la  Science  vne  veine  abondante 
Soit  pour  bien  faire  vn  vers  assez  forte  et  puissante  : 
Et  tant  bien  l'vn  à  l'autre  aide  sert  et  suuient, 
Et  d'amiable  accord  s'vnit  et  s'entretient, 
Que  si  Nature  et  l'Art  ne  sont  tous  deux  ensemble,    915 
Vn  vers  ne  se  fait  point  bien  parfait  ce  me  semble. 

Or  celuy  qui  paruient  enfin  au  haut  sommet 
Ou  le  but  désiré  de  ce  bel  Art  se  met, 
Qui  se  fait  remarquer  par  la  belle  couronne 
Du  laurier  verdoyant,qui  son  chef  enuironne,        920 
A  porté  des  l'enfance  vn  monde  de  trauaux, 
Enduré  chaud  et  froid  et  souffert  mile  maux, 
N'a  connu  de  Bacchus  la  liqueur  honorée, 
Ni  la  belle  Venus  des  autres  adorée. 

Qui  sçait  d'vn  pouce  expert  à  bien  rauir  les  Dieux, 925 
Ioindre  au  Luth  la  douceur  d'vn  vers  mélodieux, 

905  sqq.  Cf.  Hor.,  Ep.  aux  P.,  408-418. 

921  sqq.  Cf.  du  Bellay  :  «  Qu'on  ne  m'allègue  point  aussi  que 
les  Poëtes  naissent...  Qui  veult  voler  par  les  mains  et  bouches  des 
hommes  doit  longuement  demourcr  en  sa  chambre  :  et  qui  désire 
vivre  en  la  mémoire  de  la  postérité,  doit  comme  mort  en  soy- 
mesme,  suer  et  trembler  maintefois  et  autant  que  noz  poëtes 
courtizans  boivent,  mangent,  et  dorment  a  leur  aise,  endurer  de 
faim,   de  soif  et  de  longues  vigiles.  {Défense,  II,  III.) 


—  175  — 

En  aprenant  il  a  quelquefois  craint  son  maistre, 
Et  sceu  premièrement  cet  Art  aussi  cognoistre  : 
Auiourd'huy  c'est  assez  de  dire  et  se  vanter 
Que  sa  Muse  sçait  bien  de  beaus  vers  enfanter  :    930 
Moy,  ie  fay  bien  vn  vers,  soit  à  l'Italienne, 
Soit  à  le  mesurer  à  la  mode  ancienne? 
Si  Mecœne  viuoit,  ainsi  comme  autrefois, 
le  serois  à  bon  droit  son  Virgile  françois. 
La  Pelade  et  le  mal  venu  de  Parthenope,  93t> 

Puisse  partout  saisir  cette  vanteuse  trope, 
Ces  Poëtastres  fouis,  qui  pour  sçauoir  rimer, 
Pensent  comme  bons  vers  leurs  vers  faire  estimer  : 
le  n'ose  de  ma  part  ni  confesser  ni  dire 
Qu'vn  vers  ie  puisse  bien  fredonner  sur  la  Lyre  :  940 
Ains  ie  reconnoistray  franchement  désormais, 
Que  ie  ne  sçay  cela  que  ie  n'aprins  iamais. 

Comme  vn  crieur  public  à  l'encan  sçait  attraire, 
Sous  ombre  de  profit  la  tourbe  populaire, 
Pour  luy  faire  acheter  les  meubles  des  deffuns  :    945 
Tout  ainsi  le  Poëte,  au  fumet  des  parfuns 
De  sa  bonne  cuisine  et  de  sa  grand'despence 
Chacun  attire  à  luy,  comme  par  recompense  : 
Et  riche  par  présents  attrayant  les  flateurs 
Il  orra  de  ses  vers  mile  contes  menteurs  :  950 

S'il  est  homme  qui  tienne  vne  table  friande, 

932.  Le  point  d'interrogation  à  la  finduversestdansredit.de  1605. 
935.  Pelade.  Maladie  qui  fait  tomber  les  poils  et  les  cheveux.  — ' 
Le  mal  venu  de  Parthenope.  Le  mal  napolitain. 
943.  Cf.  Hor.,  Ep.  aux  P.,  419-444.  Boileau.4^.  poét.,1,  186-198. 


—  m  — 

Donnant  franche  repue  on  vient  à  sa  viande, 

Et  s'il  sçait  libéral  et  prester  et  piéger, 

Pour  aider  au  besoin  ceux  qui  sont  en  danger 

Ou  de  perdre  vn  procez  ou  de  souffrir  dommage  :  955 

Ce  seroit.  grand  merueille  eux  luy  faisant  hommage, 

Qu'il  les  peust  remarquer  ou  vrais  ou  faux  amis  : 

Se  masquer  le  visage  aux  flateurs  est  permis. 

Si  doneques,  riche  et  grand  tu  desires  défaire 
Plaisir  à  telles  gens  tout  franc  et  volontaire,         960 
Ne  les  prens  pour  iuger  tes  vers  aucunement. 
Car  esleuants  leurs  voix  souriants  faintement, 
Te  diroient,  ô  quel  vers  !  ô  quelle  douce  veine  ! 
Gomme  Nature  et  l'Art,  tu  sçais  ioindre  sans  peine  ! 
Que  ces  vers  sont  bien  faits?  Et  faussement rauis,9a5 
Repaistront  là  dessus  leurs  esprits  assouuis: 
Feront  plouuoir  encor  dessus  tels  rudes  carmes, 
De  leurs  yeux  façonnez, quelques  flateuses  larmes, 
Ils  dresseront  au  Ciel  les  yeux  en  t'admiranU 
Comme  ceux  que  iadis,  on  alloit  requérant  970 

A  gages,  pour  pleurer^aux  grandes  funérailles  : 
Qui,  faignant  lamenter  du  profond  des  entrailles, 
Disoient  et  faisoient  plus  par  leur  pleurer  moqueur, 
Que  ceux  la  qui  pleuraient  leurs  amis  de  bon  cœur  : 
Ainsi  le  flateur  faint,  d'vn  déguisé  sourire,  975 

Plus  que  le  vray  loueur  s'ébahit  et  s'admire. 

Les  grands,  ainsi  qu'on  dit,  font  quelquefois  tenter 

964.  Cf.  905  sqq. 

976.  S'admire  est  sans  doute  mis  pour  admire. 


—  177  — 

Vn  homme  par  le  vin,  pour  l'expérimenter, 
Le  font  boire  d'autant  luy  font  faire  grand'chere, 
Pour  sçauoir  s'il  pourrait  bien  celer  vne  affaire  :    980 
S'il  est  d'amitié  digne  ils  veulent  lors  sçauoir  : 
Par  espreuue  se  peut  vn  mal  aperceuoir. 
Aussi  faisant  des  vers  tu  te  dois  donner  garde 
D'vn  esprit  qui  se  masque,  en  sa  façon  mignarde, 
De  la  peau  d'vn  Renard  :  auiourd'huy  rarement,    935 
On  trouue  des  amis  de  libre  iugement. 

S'on  recitoit  des  vers  à  Quintil,  dit  Horace, 
Il  disoit,  mon  enfant  il  faut  que  ie  t'efface, 
Cet  endroit,  et  cet  autre  :  et  corriger  ceci: 
Tes  vers  n'ont  point  de  sens,  n'ont  point  de  grâce 

é     [  ainsi.    990 
Si  tu  luy  confessois  ne  pouuoir  mieux  escrire, 
Ayant  beaucoup  de  fois  taché  de  les  réduire  : 
Lors  il  te  les  fais  Dit  tout  du  long  effacer: 
Et  sçauoit  de  nouueau  plus  beaux  les  retracer, 
Te  les  faisant  remettre  et  tourner  sur  l'enclume,   9$ 
Il  les  repolissoit  des  bons  traits  de  sa  plume. 

Hais  si  mieux  on  aimoit  défendre  sa  fureur, 
Que  de  les  r'agencer,  corrigeant  son  erreur, 
Plus  rien  ne  t'en  disoit,  estimant -chose  veine 
De  perdre  après  tes  vers  son  conseil  et  sa  peine     1000 
Et  seul  te  permettoit  de  priser  sans  riual, 

987.G'est  ce  même  Quintiliusdont  Charles  Fontaine  a  emprunté 
le  nom  dans  son  Quintil  censeur.  V.  la  Notice ;I,e  Partie,  chap.  111. 

997.  Défendre  sa  fureur.  Défendre  son  inspiration  c.-à-d.  les 
vers  qui  en  étaient  provenus. 


—  178  — 

Gomme  aueugle  en  ton  fait,  toy,  ta  faute, et  ton  mal. 

L'homme  bon  et  prudent,  d'ame  non  violante, 
Reprend  des  vers  grossiers  la  rime  mal  coulante, 
Et  les  vers  qui  ne  sont  polis  et  relimez  1005 

D'vn  trait  de  plume  sont  par  luy  desestimez  : 
Il  retranche  d'vn  vers  comme  chose  ocieuse 
L'ornement  superflu,  la  pompe  ambicieuse, 
Il  donne  vne  lumière  au  passage  obscurci, 
Il  rend  vn  dire  obscur  beaucoup  plus  eclarci  :      1010 
Et  ce  qu'il  faut  changer,  clair  voyant  il  remarque, 
Prenant  l'authorité  que  prenoit  Aristarque  : 
Et  si  ne  dira  point,  Pourquoy  veux-je  offenser 
Mon  ami  pour  si  peu  ?  Ce  peu  peut  radresser 
L'homme  qui  s'alloit  perdre  à  la  sente  égarée,      1015 
Qu'on  voit  estre  sans  fruict  des  hommes  séparée, 
Car  en  ayant  le  faux  pris  pour  la  vérité, 
Moqué  dans  son  ouurage  il  se  fust  dépité. 

Il  est  vne  autre  humeur  d'hommes  qu'on  dit  Poëtes, 
Inconstans  et  légers,  comme  des  Giroëtes  1020 

Qui  vont  vireuoltant,  à  tous  vents,  sur  les  tours  : 
Ces  gens  malasseurez,  par  incertains  détours, 
Veulent  gaigner  du  Mont  la  cime  double, et  haute  : 
Ils  ont  la  volonté  :  mais  par  la  grand'defaute 
De  la  Lune  (qui  n'est  forte  comme  Phœbus)  1025 

1003.  Cf.  Hor.,  Ep.  aux  P.,  445456.  Boileau.  Artpoét.  1, 199  sqq. 

1012.  Aristarque,  grammairien  et  critique  grec  du  ne  siècle 
avant  J.-C.  Son  nom  est  resté  synonyme  de  juge  éclairé  et 
consciencieux. 

1025  sqq.  C'est  la  traduction  d'iracunda  Diana  dans  Ho- 
raee. 


—  179  — 

Qui  leur  ceruelle  occupe,  en  l'Art  font  mile  abus. 

Ils  font  cent  mile  vers,  ou  Megere  préside, 

Qu'au  lieu  de  Galiope,  ils  prennent  pour  leur  guide 

Le  sage  doit  fuir  ces  hommes  affolez, 
Autant  comme  en  feroit  les  poures  verolez,  1030 

Ou  bien  les  furieux  pleins  d'erreur  frénétique 
Et  pleins  d'opinion  deuote  et  fanatique  : 
Mais  les  petits  enfans  en  tous  lieux  les  suiuront, 
Les  garçons  débauchez  auec  eux  se  riront, 
Imitant  toutefois  les  pitaux  de  Village,  1035 

Qui  suiuent  vn  chien  foui  tourmenté  de  la  rage, 
Quand  l'vn  epoind  du  bruit  de  ses  voisins  prochains, 
Prend  en  haste  vne  fourche,  et  l'autre  entre  ses  mains 
Vn  vouge  bien  tranchant  s'asseurant  de  defence 
Si  l'animal  cruel  leur  veut  faire  vne  offence  1040 

On  voit  leurs  vers  escrits  partout  aux  cabarets, 
Farouches  et  gourmans  ils  vont  dans  les  forests, 
Apres  vne  débauche  importuner  les  Muses, 
Meslant  en  leurs  discours  mile  choses  confuses  : 
Ils  seruent  bien  souuent  aux  Seigneursde  plaisants, 1045 
Vanteurs,  iniurieux,  iureurs  et  médisants. 

D'ailleurs  les  courtisans  les  incitent  sans  cesse 
A  chanter  leur  amour  de  quelque  grand'Princesse. 
Et  leur  dernière  fin  c'est  de  mourir  batus, 
Langoureux,   verollez,  déchirez  deuestus,  1050 

Dedans  vn  hospital,  si  leur  fureur  subite 

1027.  Megere,  une  des  Furies. 

1028.  Calliope.  Muse  de  l'éloquence  et  de  la  poésie  héroïque. 
1030.  Cf.  935,1050. 

17. 


—  180  — 

Pour  irriter  quelqu'vn  morts  ne  les  précipite  : 
Et  ne  reste  rien  d'eux,  que  contre  les  parois 
Les  noms  qu'ils  egaloient  aux  noms  des  plus  grands 

[Rois. 
Horace  de  son  temps  vouloit  qu'en  patience,     1055 
On  laissast  de  ces  fols  l'indiscrète  science  : 
Et  si  quelquvn  d'entre  eux  (tandis  qu'il  vomiroit 
Mile  vers  que  raui  seul  il  admireroit 
Ainsi  que  l'oiseleur,  trop  ententif  à  prendre 
Les  oiseaux  à  qui  sots  les  liiez  il  veut  tendre)      106O 
Tomboit  dedans    vn  puis,  ou  dans  un  creux  pro- 
ton d. 
Bien  qu'il  criast  d'embas  longuement  contremont: 
Amis,  secourez  moy,  mes  voisins,  ie  vous  prie, 
Tirez  hors  de  ce  puis  ce  malheureux  qui  crie, 
Il  dit  qu'il  ne  faut  pas  à  son  secours  aller  :  1065 

Ni  pour  le  retirer  la  corde  deualler  : 
Que  sçait  il  si  ce  fol  de  fait  apens  luymesme 
S'est  point  allé  ietter  en  ce  péril  extresme, 
Et  s'il  veut  glorieux  qu'on  l'aille  secourir? 
Il  conte,  à  ce  propos,  qu'ainsi  vouloit  mourir        1070 
Vn  Poète  en  Sicile  :  Empedocle  pour  estre 
Estimé  comme  vn  Dieu,  qu'on  aveu  disparestre, 
Secret  s'alla  ietter  dans  Mongibel  ardant  : 
Qu'il  soit  loisible  donc  à  ces  fouis,  cependant 
Qu'ils  seront  en  humeur, de  mourir  ou  de  viure,  1075 

1055  sqq.  Cf.  Hop.,  Ep.  aux  P.,  457-469. 
1069.  Glorieux  s'explique  par  l'exemple  d'Empédocle. 
1073.  Mongibel.  C'est  l'Etna,  les   Italiens  lui  donnent  le  nom  de 
Monte  Gibello  (de  l'arabe  Djebel,  montagne). 


—  181  — 

Ainsi  comme  ils  voudront,  pour  Empedocle  suiure  : 

Qui  sauue  ces  gens  là,  s'oposant  à  leur  mort, 

Il  s'opose  à  leur  gloire  et  leur  défend  le  port  : 

Les  gardant  de  passer  l'onde  non  renageable, 

Ils  tiennent  ce  bien  là  fâcheux  et  dommageable .  io«o 

Aussi  bien  d'autrefois  d'vn  esprit  résolu, 

Ils  voudront  derechef  cela  qu'ils  ont  voulu  : 

Désireux  d'acquérir  vne  gloire  nouuelle 

Par  ce  mourir  fameux,  qui  les  tient  en  ceruelle. 

Mais  courtois  de  ces  fouis  il  faut  auoir  pitié,      io85 
Les  garder,  secourir,  d'vne  douce  amitié, 
Et  prier  le  grand  Dieu  que  leur  aine  agitée 
Du  Démon  tourmenteux  ne  soit  plus  tourmentée. 
Gomme  vn  Alambiqueur  tire  des  minéraux 
L'esprit,  la  quintessence  et  vertu  des  métaux,        1090 
Fait  des  eaux  de  parfum,  des  huiles  salutaires, 
Et  sçait  bien  allier  maintes  choses  contraires  : 
Tandis  souuentefois  de  faux  coin,  faux  alloy, 
Il  frape  monnoyeur  sur  la  face  du  Roy  : 
Tout  ainsi  maint  Poëte  ayant  à  gorge  pleine  1095 

Beu  de  l'onde  sacrée  à  la  docte  Neuuaine, 
Fera  mile  beaus  vers  :  Mais  souuent  orgueilleux 
Il  meslera  des  traits  mutins  et  périlleux: 
Et  souuent  contre  Dieu  superbe  il  outrepasse 

1079.  Cf.  Virgile  : 

Evaditque  celer  ripam  irremeabilis  undae. 
{En.  VI,  425). 
1081.  D'autrefois  (sic). 
1097  sqq.  Cf.  Boileau.  Art  poét.,  II,  187  sqq. 


—  182  — 

Par  folle  opinion  les  loix  du  Saint-Parnasse  ;        noo 

Et  puis  il  dément  fol  :  car  Dieu  le  veut  punir, 

D'auoir  aux  Saints  Edits  voulu  contreuenir, 

Et  deslors  plein  de  gloire  et  de  sotte  vantance, 

Il  sera  le  vangeur  de  son  outrecuidance  : 

Et  si  n'aparoist  point  pourquoy  si  furieux,  1105 

Il  veut  hausser  au  Ciel  son  vers  ambitieux, 

Ni  quelle  est  la  raison  de  se  fureur  si  grande, 

Ni  quel  vice  mutin  sur  son  ame  commande  : 

Ou  s'il  a  le  tombeau  de  son  père  brouillé, 

Ou  si  dedans  son  sang,  son  sang  il  a  souillé,         1110 

Polules  saints  autels,  et  que  par  pénitence, 

Il  luy  fust  de  besoin  de  punir  cette  offence. 

Il  est  pourtant  tousiours  incensé  caqueteur, 
De  ses  vers  à  chacun  importun  reciteur  : 
Gomme  l'Ours  irrité,  si  de  sa  caue  il  ose  1115 

Deffaire  les  barreaus,  rompre  la  porte  close, 
Loin  il  chasse  tous  ceux  qui  marchent  deuant  luy  : 
L'ignorant  et  le  docte  ainsi  craignants  l'ennuy, 
S'enfuiront  autrepart  :  Si  quelqu'vn  il  arreste, 
De  ses  vers  iargonnant  il  luy  rompra  la  teste  :     1120 
Car  comme  la  Sangsue  ayant  trouué  la  chair, 
Il  s'emplira  de  sang,  auant  que  la  lâcher. 

La  fureur  de  ces  fouis,  l'erreur  des  Poëtastres 
Suiuis,  malencontreux,  de  quintes,  de  desastres, 

1105.  sqq.  Cf.Hor.,  Ep.  aux  P.,  470-476. 

1106.  Cf.  Boilcau.  Art  poét.,  II,  59. 
1113.  Cf.  Boileau.  Art  poét.,  IV,  53-58. 


—  183  — 

Se  decouure  bien  tost  :  Et  se  decouure  aussi        1125 

La  passion  de  tous  sous  vn  voile  obscursi  : 

Car  chacun  va  tousiours  ou  le  plaisir  le  tire, 

L'vn  souhaite  Bacchus,  l'autre  Venus  désire  : 

Homère  a  tant  souuent  fait  les  Dieux  banqueter, 

Que  d'aimer  le  bon  vin  des  Grecs  se  flst  noter  :     1130 

Car  comme  on  vit  iadis  que  le  peintre  Arelie 

Decouuroit  par  ses  trait  sa  lasciue  folie, 

En  pourtrayant  au  vif,  sous  chacun  sien  pourtrait, 

Celles  dont  il  avoit  desia  senti  le  trait, 

Aux  Temples  ayant  paint  les  Romaines  déesses,    1135 

Par  leur  face  on  connut  aisément  ses  maistresses  : 

Ainsi  voit  on  souuent  que  beaucoup  d'escriueurs 

Descouurent  leurs  désirs  descouurant  leurs  labeurs  : 

Tant  il  est  bien  aisé  de  cotter  la  pensée, 

Qui  leur  ame  retient  aux  vices  enlassee.  1140 

Or,  Sire  vous  offrant  souuent  de  mes  escris, 
Importun  ie  craindrois  de  pécher  mal  apris 
Encontre  le  public  :  voyant  que  vos  espaules 
Seules  portent  le  fais  des  affaires  des  Gaules  : 
Toutefois  puis  qu'il  plaist  à  vostre  Maiesté,  1145 

Que  de  moy  fust  escrit  des  vers  quelque  traité, 
M'ayant  tant  honoré  que  daigné  m'en  escrire  : 
A  vous,  ô  mon  grand  Roy,  le  Prince  de  bien  dire, 

1129.  1130.  Cf.  Horace  : 

Laudibus  arguitur  vini  vinosus  Homerus. 

{Ep,  I.  xix,  6.) 
1131  sqq.  Anecdote   rapportée  par  Pline    l'Ancien,  liv.  XXXV, 
chap. xxxvii.  Arelie  était  un  peintre  romain  du  1er  siècle  après  J.C. 
1137-1138.  Cf.  :  Oratio  vultus  animi  est.  (Sénèque). 
1141  sqq.  Cf.  Hor.,  Épit.,  liv.  II,  ép.  i,  1-14. 


—  184  — 
Et  de  toute  vertu,  qui  d'esprit  excellent, 
Retenez  par  douceur  ce  Siècle  turbulent  :  1150 

le  présente  cet  Art  de  Règles  recherchées, 
Que  sans  art,  la  Nature  aux  hommes  tient  cachées: 
Non  pour  vous  enseigner  (bien  qu'en  mesmes  raisons 
Horace  ait  autrefois  enseigné  les  Pisons) 
Mais  afin  que  la  Gaule,  ainsi  que  vous  sçauante  1155 
De  ses  enseignemens,  à  l'auenir  se  vante  : 
Et  que  tous  ces  esprits,  qui  de  mots  entassez 
D'vn  ordre  non  suiui  font  des  monceaus  assez, 
Se  réglant  ne  soient  plus  à  ces  Singes  semblables, 
Qui  regardans  bastir  des  maisons  habitables,        nco 
Tentèrent  plusieurs  fois,  marmots  et  babouins, 
Le  mesme,  mais  en  vain  :  n'ayant  pas  les  engins 
Propres  à  cet  effet  :  et  leur  ménagerie 
Ne  fut  rien  à  la  fin  que  toute  Singerie. 

le  composoy  cet  Art  pour  donner  aux  François  :iiG5 
Quand  vous  Sire,  quittant  le  parler  Polonnois, 
Voulûtes  reposant  dessous  le  bel  ombrage 
De  vos  Lauriers  gaignez,  polir  vostre  langage, 

1150.  Cf.  Virgile: 

Hune  saltcm  everso  juvenem  succurrere  saeclo,  etc. 
[Géorg.  I,  500.) 
1159.  sqq.  Cf.  Vauquelin: 
On  dit,  quand  au  vieux  temps  les  hommes  bastissoient 
Que  les  Singes  comme  eux  à  bâtir  s'efforçoient, 
Par  mines  essayants  en  tout  les  contrefaire  : 

Mais  ils  estoient  sans  force  et  sans  outils  aussi. 
Peut  estre.  du  Bellay,   que  je  veux  ainsi  faire: 
Maints  Poètes  en  France  au  moins  en  font  ainsi. 

'Divers  sonnets,  3.) 
1165  sqq.  Cf.  Virgile,  Géorgiq,  IV,  559  sqq. 


—  185  — 
Ouir  parler  des  vers  parmi  le  dous  loisir 
De  ces  Cloestres  deuots  ou  vous  prenez  plaisir:    îno 
Ayant  auprès  de  vous,  comme  Auguste, vu  Mecœne, 
Ioyeuse,  qui  sçauant  des  Yirgiles  vous  mené, 
Des  Horaces,  vn  Yare,  vn  Desportes  qui  fait, 
Composant  nettement,  cet  Art  quasi  parfait. 

Depuis  vn  chant  plus  haut  i'entrepri  tout  céleste:  1175 
Alors  que  Mars  armé  du  dernier  Manifeste, 
Me  rabaissa  la  voix.  le  demeuray  soudain, 
Comme  dans  la  forest  demeure  vn  petit  Dain, 
Qui  voit  vn  Ours  cruel  au  pied  d'vne  descente, 
Ouurir  les  flans  batans  de  sa  mère  innocente  :      uso 
Il  fuit  par  la  brossaille,  il  fuit  de  bois  en  bois, 
Timide  et  défiant  il  pense  à  chaque  fois, 
Reuoir  l'Ours  qui  sa  mère  et  la  France  deuore  : 
Depuis  ce  iour  tout  tel  ie  suis  poureux  encore. 

le  viuoy  cependant  au  riuage  Olenois,  1185 

A  Caen,  ou  l'Océan  vient  tous  les  iours  deux  fois  ; 
Là  moy  De  Yauquelin  content  en  ma  Prouince 
Présidant  ie  rendoy  la  Iustice  du  Prince. 

1172.  Joyeuse,  mignon  de  Henri  III. 
1172-1173.  Cf.  Hor:ico: 

Dilecti  tibi  Virgiliua  Variusque  poetre. 

(Ép.  11,1,24) 
1175.  Un  Chant.  L'épopée  dont  il  a  cité  le  début  au  IIe  livre. 
1185.  Cf.  Virgile,  Géorgiq.,  IV,    563   sqq.  —  Olenois,   c'est-à- 
dire  de  l'Olene,  en  latin  Olena.  C'est  l'Orne,    que  Vauquelin  ap- 
pelle aussi  Oulne.  (Idyll.  70). 

FIN. 


GRAMMAIRE 

DE  L'ART  POÉTIQUE   DE  VAUQUELIN 


SYNTAXE  ET    FORMES  GRAMMATICALES 

Emploi  de  l'article.  —  L'article  s'omet  avec  les  noms  de  per- 
sonnes, quand  ils  sont  accompagnés  d'un  adjectif  indiquant 
le  lieu  d'origine.  Ex  :  Pindare  Gregois.  I,  694.  Homère  grec  et 
Virgile  Romain.  1,417.  —  On  trouve  l'article  devant  un  nom  de 
personne  sans  adjectif.  Ex:  La  Madelene.  I,  711. 

Les  noms  de  montagne  s'en  passent  d'ordinaire.  Ex:  Grimper 
dessus  Parnasse.  I,  4.  Jardinets  de  Pimple.  1, 11.  En  Pinde. 
I,  94.  D'Helicon  et  Parnasse.  HT,  375.  —  Il  s'omet  souvent  avec 
les  noms  de  rivière.  Ex  :  Loire.  I,  401.  Les  bras  de  Seine.  11,124 
Eufrate  et  Ganges.  II,  176.  Orne  et  Seine.  111,  429. 

L'article  est  supprimé  avec  les  noms  communs  lorsqu'ils  se 
prennent  dans  un  sens  général  et  indéfini,  ou  lorsqu'ils  sont 
abstraits.  Ex  :  Quand  à  nouvelle  chose  ils  ont  un  nom  donné. 
I,  342.  Sa  loy,  ses  mandemens...Sont  chemins.  I,  41.  Avec  pro- 
pre matière.  I,  327. Les  beaus  enseignemensDe  l'Art  de  Poésie. 
1,  2.  Quiconque  a  passé  de  jeunesse  le  cours.  1,  842.  Par  des- 
tin. II,  200. 

Le  substantif  s'unit  souvent  au  verbe  sans  article  pour  for- 
mer une  sorte  de  verbe  composé.  Ex  :  Donner  passage.  I,  316. 
Souffrir  dommage,  III,  955. 

Les  noms  joints  aux  adjectifs  mesme,  tout,  autre,  tel,  ne 
prennent  généralement  pas  l'article.  Ex:  En  tous  arts.  I, 
114.  En  mesme  endroit.  1,  766.  De  mesme  main.  1,206.  De  tous 
hommes.  II,  60.  Tous  Bergers.  III,  251.  Tel  ouvrage.  I,  443. 

L'article  partitif  peut  être  employé  devant  les  noms  pluriels 
précédés  de  l'adjectif.  Ex:  Des  gentils  bouffons.  II,  1015. 


—  188  — 

L'article  peut  servir  pour  plusieurs  noms  de  suite.  Ex  :  Les 
Armes  des  maisons,  Anagrammes,  Rébus,  Emblesmes,  et 
Blasons.  I,  369.  L'esprit,  la  quintessence  et  vertu  des  métaux. 
III,  1090. 

On  le  trouve  dans  certaines  locutions  où  nous  ne  le  met- 
tons plus   Ex:  Au  couvert  pour  à  couvert.  II,  414. 

Il  se  supprime  souvent  avec  le  superlatif.  Ex:  Leurs  doc- 
trines plus  sages.  1,  372.  L'honneur  des  paroles  plus  belles. 

I,  408,  A  ce  qui  plus  honore.  II,  372.  Qui  le  fer  des  esprits  plus 
durs  aiguiseray.  III,  390. 

Signalons  enfin  l'usage  de  es  pour  en  les.  II,  492. 

Emploi  du  substantif.  —  Quand  le  substantif  se  termine  par 
un  é fermé,  il  prend  le  pluriel  avec  uni.  Ex:  Bontez.  I,  144. 
Quand  il  se  termine  par  une  dentale,  celle-ci  peut  tomber  de- 
vant Y  s  du  pluriel.  Ex  :  Enseignemcns.  I,  1. 

On  trouve  environ  au  singulier.  Ex  :  Le  plaisant  environ.  II, 
6.  De  même  brossaille  (pour  broussaille).  Ex  :  Il  fuit  par  la  bros- 
saille.  III,  1181. 

On  trouve  au  pluriel  :  Jeunesses,  III,  575.  Vaillances.  II,  560. 
Valeurs.  II,  114.  Souvenances.  I,  52.  Barreaux  (pourZe  barreau, 
au  figuré)  III,  553.  Risées  III,  552. 

Le  singulier  est  mis  pour  le  pluriel  dans  la  locution  :  Une 
moisson  de  bien.  III.  73.  On  trouve  encore  cet  exemple  :  Ma- 
nières de  parler  qu'un  Rethoricien  En   Grec  apelle  Scheme. 

II,  921  Le  pluriel  est  mis  pour  le  singulier  dans  l'exemple  sui- 
vant :  Succédèrent  depuis  aux  marches  inegalles  Dont  marche 
l'Elégie.  I,  548. 

Un  certain  nombre  de  substantifs  n'ont  pas  leur  genre  actuel 
Ce  sont  :  Accrost'.che.  I,  380.  Aise.  II,  1135.  Anagramme.  I,  380.'! 
Epigramme.  I,  783.  Epitaphe.  III,  304.  Erreur.  1,  1118.   Espace. 
I,  1123.  Guide.  II,  231.  Humeur.  11,737.  Image.  I,  105S.  Limites. 

III,  98.  Meslange.  II,  55,277.  Nacre.  I,  736.  OEuvre.  I,  65,442. 
Ombre.  1,416;  111,246,  470.  Personne.  111,423-424.  Populace. 
I,  855.  Notons  encore  :  Brouil.  III,  118,  et  Rouil.  III,  63. 

Les  substantifs  peuvent  s'unir  directement  au  verbe  dans 
les  constructions  suivantes  :  Epouse  estre  donnée.  III,  204. 
Qu'il  les  peust  remarquer  ou  vrais  ou  faux  amis.  III,  957. 

Les  noms  propres  sont  francisés  d'une  façon  souvent  bizarre. 
Ex  :  Tancred.  I,  611.  Vide.  I,  65.  Timagore.  I,   791.    Parrasse. 


—  189  — 

],  703.  Pelé.  I,  821.  Arat.  1,  929.  Manile.  I,  929.  Aglaïe.  II,  10. 
Latie.  II,  207.  Cadme.  II,  404.  Quintil.  III,  987. 

Les  noms  de  personnes  peuvent,  commeles  noms  communs, 
prendre  le  signe  du  pluriel.  Ex  :  Nos  deux  Chevaliers.  1,  973. 

Emploi  de  l'adjectif.  —  L'adjectif  grand  reste  souvent  inva- 
riable au  féminin,  mais  d'ordinaire  avec  une  apostrophe.  Ex: 
GrandRoyne.  I,  478. 

Vieil  se  met  au  lieu  de  vieux.  Ex  :  Au  contraire  le  vieil  vit 
plus  de  souvenance.  Il,  367. 

L'adjectif  est  souvent  employé  comme  adverbe.  Ex:  Aller 
joyeux.  I,  29.  Fidcfle  interpréter.  I,  950.  Les  beaus  desseins 
plus  clairs  on  fa:4  entendre.  I,  87.  Il  fait  doux  et  modeste, 
amoureux  ses  caresses.  I,  1015.  Qui  ne  sçait  attentif  leurs 
beaus  chants  écouter.  II,  26. 

Notre  adjectif  premier  est  mis  comme  premièrement.  Ex: 
Premier  cette  raison  flst  asservir  les  voix.  I,  89.0n  trouve  aussi: 
Au  premier  pour  tout  d'abord.  I,  890;  un  petit  pour  un  peu.  III, 
627.  Signalons  encore  les  composés:  Dous  bellant.  I,  234. 
Doux  plaisant.  I,  919.  Doux  bruyant.  III,  710;  et  les  autres 
comme  :  Pied  de  bouc.  II,  708.  Fron-cornus.  II.  797. 

Des  adjectifs  au  neutre  sont  pris  substantivement.  Ex:  En 
l'Epique.  I,  421.  Suivant  du  moyen  le  sentier.  I,  1077.  Tout  le 
précèdent.  II,  246.  Le  tien  =  tuum.  111,  571.  Tentèrent...  le 
mesme.  III.  1162. 

Des  adjectifs  sont  employés'  comme  substantifs  avec  ellipse. 
Ex:  Ce  hautain.  I,  32.  Le  chetif.  I,  289.  Maints  doctes.  I.  415 
Un  fiévreux  I.  220.  Des  libres  vertueux.  I,  250.  Aux  bons  et 
vertueux.  II,  473. 

L'adjectif  varie  en  certains  cas  où  l'usage  moderne  le  laisse 
invariable.  Ex  :  Amener  ses  vaisseaux  tous  chargez  de  la  proye. 
I,  187.  Toute  epleuree.  I,  884. 

Vauquelin  emploie  comme  adjectifs  les  mots  suivants  : 
Druide.  11,732.  Forestier.  111,  224.  Musicien.  II,  523. Ravisseur 
III,  612.  Tavernier.  II,  756. 

Tel  que  est  usité  pour  quel  que.  Ex  :  Tout  autre  tel  qu'il  soit. 
III,  689. 

Antique  est  mis  avec  un  sens  passif.  Ex  :  L'antique  arro- 
gance =  l'arrogance  des  anciens.  II,  504.  De  môme  :  Une 
vieille  prudence  =  la  prudence  d'un  vieillard.  1, 135. 

Certains  adjectifs,  qui  ne  s'emploient  plus  qu'absolument 
dans  l'usage  moderne,  sont  construits  avec   un  régime.  Ex: 


—  190  — 

Convoiteux  du  futur.  II,  359.  Fugitif  de  Troye.  II,  198.  Aux  ' 
siens  trop  inhumain.  III,  161.  —  Réciproquement,  l'adjectif 
désireux  est  employé  d'une  façon  absolue.  Ex  :  Despencier,  dé- 
sireux, rempli  de  vanité.  II,  346. 

D'autres  adjectifs  s'unissent  à  leur  complément  par  des 
prépositions  dont  nous  ne  les  faisons  plus  suivre.  Ex  :  Enclin 
pour  imiter.  1, 125.  Envieux  sur.  II,  144.  Bien  qu'il  n'y  fust  pas 
né  =  propre.  III,  422.  Respectueux  à  son  père.  III,  487.  Fertille 
des  blonds  cheveux.  I,  399.  Propre  pour  exprimer.  I,  348. 

L'adjectif  peut  se  construire  après  le  relatif  qui  de  la  façon 
suivante  :  Les  oiseaux  à  qui  sots  les  filez  il  veut  tendre. 111,1060. 

Vauquelin  met  l'indéfini  un  en  bien  des  cas  où  nous  met- 
trions le  défini.  Ex  :  Un  visage  hideux  de  quelque  laid  Thersite. 
1, 195.  Suivre  un  coulant  Ovide.  I,  425.  Avecques  un  espoir  du 
laurier.  I,  1078.  Réciproquement  :  J'avois  la  chausse  neufve.  I, 
294.  —  Il  supprime  un  dans  bien  des  cas  où  nous  le  mettons. 
Ex  :  De  plume  divine.  1,  359.  Par  secrète  vertu.  II,  42.  De  voix 
un  peu  hardie  I,  815. 

Un  se  met  parfois  devant  le  substantif  employé  en  apposi- 
tion. Ex  :  Celuy  qui  pourroit  voir  une  forest  arbreuse...  Et  la 
revoir  après  sans  ombre  ni  rameaux,  Un  Taillis  remarqué  de 
quelques  balliveaux.  III,  1119. 

Emploi  des  noms  de  nombre.  —  On  trouve  deux  cents  non 
suivi  d'un  substantif.  Ex  :  Si  j'en  remets  deux  cents.  III,  569. 

Emploi  des  déterminatifs.  —  Celui,  antécédent  de  qui,  est 
souvent  supprimé.  Ex  :  Qui  sçait  bien  un  sujet  suivant  sa 
force  élire  II  ne  lui  manquera...  I,299.0n  peut  expliquer  aussi 
par  l'ellipse  d'un  déterminatif  les  constructions  suivantes  où 
qui  équivaut  à  si  l'on  :  Quels  auteurs,  quelle  trace  II  faut  sui- 
vre qui  veut  grimper  dessus  Parnasse.  I,  4.  Dont  on  ne  doit 
jamais  se  détraquer,  Qui  ne  veut  le  couroux  du  Prince  provo- 
quer. I,  53.  Il  est  fort  mal  aisé  les  Muses  bien  gouster,Qui  ne 
sçait.  II,  25. 

Grâce  à  l'ellipse  de  l'antécédent  ce,te  relatif  peut  se  rappor- 
ter à  un  groupe  de  mots.  Ex  :  Soubs  l'espèce  du  bien  souvent 
on  se  déçoit:  Qui  fait  que  la  pluspart  desPoëtes  s'abuse. I.  270. 

Vauquelin  dit  cela  que  et  cela  dont.  Ex  :  Suy  cela  que  tient 
la  renommée.  I,  872.  Cela  dont  les  yeux  sont  fldelles  tesmoins. 
II,  390. 

Ce  se  construit  avec  la  conjonction  que.  Ex  :  Pour  ce  qu'il 
ne  pouvoit.  II,  662.  Cependant  que.  II,  1049. 


—  191  — 

|  Notons  encore  l'ellipse  de  celui,  celle  dans  la  construction 
suivante:  La  langue  d'Italie  et  d'Espagne.  I,  596. 

Cettuy-là  se  met  pour  celui-là.  III,  497. 

Emploi  des  relatifs.  De  quoy  équivaut  à  de  ce  que.  Ex  :  Il  se 
tient  heureux. ..de  quoy  II  peut  vivre  seulet.  I,  1025.  Il  se  met 
aussi  pour  dont,  duquel.  Ex  :  Cette  harpe...  de  quoy...  il 
fredonnoit.  II,  174. 

A  quoy  est  mis  pour  à  cela  =  chose  à  laquelle.  Ex  :  Rends 
au  bon  jugement  sujette  ta  fureur  :  A  quoy  te  serviront... 
I,  942. 

Lequel  se  met  pour  qui.  Ex  :  Et  les  vieux  composez  desquels. 
I,  331. 

Que  s'emploie  pour  où,  dans  lequel.  Ex  :  Louant  le  temps 
passé  qu'il  estoit  en  jeunesse.  Ii,  360.  Viendra  jamais  le  temps 
que.  III,  61.  Qu'il  conduisoit  au  lieu  que  meilleur  lui  sem- 
bloit.  III,  809. 

Emploi  des  interrogatifs.  Qui  est  mis  pour  qiCest-ce-qui.  Ex  : 
Qui  plus  te  restera?  111,  566. 

[,  L'interrogation  indirecte  à  qui  s'emploie  dans  les  construc- 
tions suivantes  :  A  qui  feroit  le  mieux.  1, 1050.  A  qui  mieux 
escrivants.  II,  678. 

Quel  s'emploie  comme  interrogation  indirecte  dans  le  lati- 
nisme ci-dessous  :  Emerveillez  Quel  Ange  avoit  ainsi...  I,  105. 

Emploi  des  indéfinis.  Quelque  chose  n'est  pas  encore  devenu 
substantif  neutre.  Ex  :  Quelque  chose  indigne  d'estre...  dite. 
1, 1155. 

Chacun  s'emploie  adjectivement.  Ex  :    Chacun  couplet.  I, 
|    659.  Chacune  chose.  I,  811.  Chacun  âge.  II,  329. 

L'un  est  mis  pour  un.  Ex  :  Comme  on  voit  l'une  fois...  Et 
l'autre  fois.  II,  893. 

L'on  est  employé,  après  un  verbe  dont  il  est  le  sujet,  au 
I    lieu  de  on.  Ex  :  M'en  porte  l'on  envie.  1, 340. 

On  se  construit  avec  nous  et  vous  dans   les  locutions  sui- 
vantes :  O  vous  qui  composez,  que  prudens  on  s'efforce. I,  295. 
I    Aux  vices  nous  conduit  la  faute  qu'on  évite.  I,  283. 

Emploi  des  pronoms  personnels  Le  pronom  personnel  sujet 
est  souvent  supprimé.  Ex  :  Tu  les  imiteras  et  le  prix  non  gai- 
i   gné  peut  estre  emporteras.  I,  525. 

L'impersonnel  neutre  il  l'est  généralement.  Ex  :  De  qui  faut 
!    emprunter.  I,  153.  Est,  et  permis  sera.  I,  385. 


—  192  — 

Le  pronom  personnel  se  met  en  des  cas  où  nous  l'omettons. 
Ex  :  Qui  trop  veut  estre  seur.. .11  demeure.  I,  275.  Mais  Scopas... 
n'ayant  pas  osé...  il  peignit.  I,  1059.  Les  bons  esprits...  afin 
que...,  Us  mettoient.  II,  697. 

Il  se  met  pour  cela.  Ex  :  Comme  il  se  présente.  II,  615. 

Moy  se  met  où  nous  employons  me.  Ex  :  Venez  moy  dire. 
11,127. 

On  trouve  se  avec  un  infinitif  quand  le  sujet  déterminé 
est  nous.  Ex  :  Comme  pour  s'esjouir  de  v®ir  briller  la  fiame 
Des  rais  d'un  beau  Soleil  par  les  yeux  d'une  dame  Qui  soit 
avecques  nous  :  nous  ne  pouvons  pas  voir...  I,  991. Nous  ensei- 
gnants... à  se  porter  égaux.  II,  733. 

Soy  se  met  pour  lui,  eux.  Qui  d'Apollon  attire  àsoy  la  com- 
pagnie, I,  436. 

Emploi  des  possessifs.  —  On  trouve  l' adjectif  possessif  où 
nous  mettons  l'article.  Ex  :  L'espee  à  son  costé.  111,  891.  La 
lance  à  son  arrest.  III,  894.  Elevant  sa  voix.  I,  818. 

Il  est  employé  dans  la  construction  suivante  :  C'est  assez  de 
dire...  Que  sa  Muse...  III,  929,  sa  se  rapportant  au  sujet  sous- 
entendu  du  verbe  dire. 

Sien  est  mis  avec  l'article  pour  son.  Ex:  Il  le  faut  ...  dire  au 
langage  sien.  I,  958. 

Emploi  des  verbes.  —  Le  verbe  aller  employé  comme  auxi- 
liaire avec  le  participe  présent  d'un  autre  verbe  forme  souvent 
des  périphrases  comme  les  suivantes  :  En  bas  iroit  rampant. 
I,  162.  Tous  y  vont  cherchant.  I,  465.  Qui  va.. .contant.  I,  634. 

Vauquelin  use  du  passif  où  nous  mettons  le  réfléchi.  Ex  :  4^, 
luy  seul  soit  aussi  vostre  Museaddressee,  III,  8u6.  Plus  souvent 
le  réfléchi  est  substitué  au  passif.  Ex  :  Dieu  se  prie.  I,  745.    ; 

Des  verbes  aujourd'hui  réfléchis  sont  construits  sans  régime 
pronominal,  d'une  façon  absolue.  Ex  :  Chagrin,  plaignant  sans 
cesse,  II,  359.  Voix  bien  accordantes,  II,  528.  Ballets  tremou- 
sants.  II,  543.  En  lamentant.  I.  746.  Pour  gosser.  I,  751.  Il  s'ap- 
paise,  il  chagrine  11,335.  N'arrestant  aux  paroles  fleuries.  II,  79 
La  force...  accroissante.  II,  148.  Mourir,  et  puis  renouveler.  I, 
390.  Le  sommeil   glissant.  111,  646.    Lauriers...  flestrissants. 

m.  40. 

S'admirer  est  mis  pour  admirer  dans  la  construction  sui- 
vante: Le  flateur...  Plus  que  le  vray  loueur  s'ébahit  et  s'ad- 


—  103  — 

mire.  III,  976.  S'empirer  s'emploie  pour  empirer.  Ex:  Les  siècles 
s'empirants.  II,  442. 

f  Envoler  peut  avoir  un  complément  direct  autre  que  le  pro- 
nom personnel.  Ex:  Quel   vent...  ma   nacelle  envole?  II,  1103 

Des  verbes  aujourd'hui  neutres  se  construisent  transitive- 
ment. Ex  :  Polinisse  croyoit  la  mort  d'Ariodant.  III,  197. 
Ressembler  une  Hélène.   I,  712. 

Réciproquement,  des  verbes  aujourd'hui  transitifs  se  cons- 
truisent intransitivement,  soit  avec  un  régime  indirect,  soit 
d'une  façon  absolue.  Ex  :  La  seule  envie  D'estre  riche  et  d'avoir 
111,  543.  Eclairer  à  ceux.  III,  400.  Oiseaux  degoisan s.  I,  718.  Aux 
bons...  il  favorisera.  II,  473.  Fuyant  à  ses  fureurs,  II,  146. 

Quand  le  verbe  faire  est  construit  avec  un  infinitif,  cet  infini- 
tif, s'il  appartient  à  un  verbe  réfléchi,  peut  perdre  son  pronom. 
Ex  :  Le  fait  bien  tost  ranger  à  son  humble  devoir.  1,  46. 
i  Certains  verbes  régissent,  contre  lusage  actuel,  l'infinitif 
sans  préposition.  Ex  :  Permis  sera  Faire  naistre.  I,  385. Garde 
toy...  enfraindre.  I,  936.  Choisir  ne  te  travaille.  1.  418.  Brusloit 
ouir.  II,  149.  Chanter...  vous  nous  commanderez.  II,  654.  Exer- 
cité  Marcher,  111, 130.  Faignant  lamenter.  111,  972.  De  même  : 
S'y  faire  une  couronne  à  tous  il  est  loisible.  II,  688. 

D'autres  sont  construits  avec  une  préposition  autre  que  dans 
l'usage  actuel. Ex  :  S'enhardit de.1, 126.  Et  le  baiser  ..qu'on prend 
d'une  pucelle.  I,  782.  Se  travaille  de  plaire.  I.  814,  Responde 
avecques.  II,  12.  Se  plaist...  d'entendre.  II,  341.  Puisera  .d'une 
source.  II,  383.  Me  dois-je  hasarder  de.  II,  879.  Enseigne  ses 
enfants  Au  trafic.  111,541. 

Le  verbe  peut  se  construire  avec  des  compléments  d'ordre 
divers.  Ex  :  11  faut  qu'un  mesme  fil  au  sujet  s'accommode  Et 
plein  de  jugement  un  tel  ordre  tenir.  I,  264. 11  dit  sa  jouis- 
sance... et  qu'ayant.  11,418.  Aime  chiens  et  chevaux,  et...  à  voir. 
II,  339. 

L'indicatif  se  met  pour  le  subjonctif.  Ex  :  Marri  que  n'est 
ma  Muse  et  plus  nette  et  polie.  I,  1159.  Aprouvez  Que  parmi 
tant  de  maux  joyeux  vous  vous  trouvez.  II,  1145. 

L'imparfait  du  subjonctif  est  employé  au  lieu  du  conditionnel. 
Ex  :  Pour  estre  comme  il  deustde  vous,  Sire,  aproché.  11,650. 

Le  subjonctif  se  rencontre  au  lieu  de  l'indicatif.  Ex  :Voir 
briller  la  flame  Des  rais  d'un  beau  Soleil  par  les  yeux  d'une 


—  194  — 

dame  Qui  soit  avecques  nous.  I,  991.  Viendra  jamais  le  temps 
que...  je  voye?  III,  67. 

Le  subjonctif  de  souhait  se  passe  de  la  conjonction  que.  Ex: 
Tousjours  il  te  souvienne.  1, 252.  Ta  Muse  ne  soit...  embeson- 
gnee.  I,  543. 

On  trouve  le  subjonctif  où  nous  mettons  l'impératif.  Ex  :  Que 
tu  saches  la  règle.  1, 367. 

Dans  les  locutions  suivantes,  Vauquelin  emploie  le  subjonctif 
avec  une  conjonction,  au  lieu  de  l'infinitif.  Ex  :  Et  puis  on  s'es- 
bahit  que  pas  à  pas  on  gaigne.  II,  39.  Y  trouve  dequoy  son 
esprit  il  repaist.  I,  458. 

L'infinif  est  souvent  substantif.  Ex  :  Leur  voler  hautain.  I 
532.  En  son  médire.  I,  752.  Au  mouvoir  de  leurs  doigs.  II,  182. 
Ce  courageux  oser.  II.  845.  Sur  l'aisle  du  penser.  111,42.  Un  mar- 
cher. III,  50L  Leur  pleurer.  III,  973.  Ce  mourir.  III,  1084.  Dans 
les  exemples  suivants,  l'infinitif  est  encore  un  véritable  subs- 
tantif :  Le  commencement  d'escrire.  111,404.  La  grâce  de  parler 
111,534.  Qui  d'aimer  le  bon  vin  des  Grecs  se  fist  noter.  III,  1130 

On  rencontre  souvent  des  propositions  infinitives  construi- 
tes comme  en  latin.  Ex  :  L'invention  des  vers  estre  des  cieux 
venue  Est  une  opinion...!.  91.  Apollon...  Monter  au  double 
mont  ne  nous  souffriroit  pas.  I,  57.  Recognoistre  Les  Orateurs 
se  faire  et  les  Poètes  naistre.l,  115.  J'estime  tousjours  celle  estre 
de  plus  grand  chois  Qui...  1,  754.  Quand  Léon  le  voyant  estre 
Roger,  III,  215.  Dans  la  locution  suivante,  l'infinitif  est  incor- 
rectement construit:  Les  argumens  connus  aux  Poëmes  ouvers 
Comme  tiens  se  liront  estre  tes  propres  vers.  1, 945. 

Vauquelin  emploie  l'infinitif  en  des  cas  où  nous  tournons 
par  une  conjonction  et  un  mode  personnel.  Ex  :  Mile  autres 
plaisirs  qui  tous  délicieux  Sont,  sans  les  regarder,  agréables 
aux  yeux.  I,  725. 

L'infinitif  est  mis  pour  le  participe  passé  dans  l'exemple  sui- 
vant :  Mais  il  est  malaisé  de  bien  proprement  dire  Ce  qu'on 
n'a  point  encor  veu  par  un  autre  escrire.  I,  891. 

Nous  trouvons  une  fois  l'infinitif  coordonné  avec  le  participe 
présent.  Ex  :  Mais  ne  le  voyant  plus,  et  porter  delans  l'ame... 
1,999. 

Le  participe  présent  employé  verbalement  varie  d'ordinaire 
en  nombre.  Ceux  qui...  invoquants.  I.  142.  Les  fleuves  serpen- 
tants, bruyants  en  leurs  canaux. I,  493.  Les  peintres  peignants. 


—  193  — 

I,  711.  Quelquefois,  il  varie  aussi  en  genre.  Ex  :  Et  faites  que 
les  eaux  d'Hippocrene  chantantes  Aprennent  leurs  chansons 
à  nos  eaux  écoutantes.  II,  7. 

Souvent  aussi,  le  participe  demeure  invariable.  Dans  les  vers 
suivants,  de  trois  participes  coordonnés,  les  deux  premiers  sont 
au  pluriel  et  le  troisième  au  singulier  :  Buvants,  mengeants 
ensemble,  ensemble  aussi  chantant.  III,  137. 

Le  gérondif  ou  le  participe  présent  ne  se  rapportent  pas 
nécessairement  au  sujet  de  la  proposition.  Ex  :  Et  désirant  de 
luy  tirer  quelque  peinture, Tous  jours  de  ce  Ciprez  il  bailloit  la 
figure.  1,255.  Alors  des  Trobadours  Fut  la  Rime  trouvée  en  chan- 
tant leurs  amours.  I,  549.  Dieu  se  prie  aux  Temples  en  chan- 
tant. 1,  745.  Et  ne  faut...  Croire  qu'y  voyageant  s'y  trouve  des 
dangers.  II,  65.  Il  ne  faut  jamais  qu'un  jeune  homme  gaillard 
Représente  en  parlant  la  façon  d'un  vieillard... Ayant  tousjours 
égard  a  ce  qui  plus  honore  La  personne  parlante.  II,  369. 

Le  participe  présent  s'emploie  comme  substantif.  Ex  :  Le 
cœur  des  regardans.  I,  822.  Du  lisant.  II,  286.  Aux  oyants  II,  394. 
On  le  trouve  comme  adjectif  dans  les  locutions  analogues  à  la 
suivante  :  L'enseignante  Epistre.  111,  276. 

Quand  le  verbe  auxiliaire  et  le  participe  passé  sont  séparés 
par  le  complément  direct,  il  y  a  ordinairement  accord  du  parti- 
cipe avec  ce  complément.  Ex  :  Il  a  nostre  langue  embellie.  I, 
335.  Ce  cas  rentre  dans  la  règle  générale  en  vertu  de  laquelle 
le  participe  s'accorde  avec  le  régime  direct  qui  le  précède. 
Cependant,  même  quand  il  suit  son  régime,  il  peut  rester  inva- 
riable. Ex:  Quels  commencemens  LesPoëmes  ont  eu.  1,2. 
Avec  la  véhémence  Qu'en  la  France  a  produit.  I,  431.  A  tous  les 
autres  arts  aisément  surmonté.  I,  82. 

Quand  le  complément  suit,  le  participe  peut  s'accorder  avec 
lui. Ex  :  Nature...  dedans  nousaformee  L'impression.  I,  843. 
Ayant  plustost  laissée  Lagrandeur.l,1115.David  avoit  choisie... 
la  sainte  Poésie.  III,  835. 

Le  participe  passé  accompagné  d'un  nom  a  quelquefois  un 
sens  équivalent  à  celui  que  nous  donnerions  au  substantif  tiré 
du  verbe  auquel  appartient  ce  participe  avec  le  nom  exprimé 
pour  complément.  Ex  :  Apres  Ilion  pris  et  son  mur  saccagé. 
H,  102.  Pour  leur  gloire  chantée.  III,  828. 

Notons  encore  la  construction  suivante  :  C'est  desja  trop 
long  temps  cette  Muse  invoqué.  III,  37. 

L'usage  des  temps  est  le  même  que  chez  nous.  On  trouve 

18 


—  106  — 

pourtant  l'imparfait  du  subjonctif  où  nous  mettons  le  présent. 
Ex  :  Car  il  veut  rendre  un  cœur  actif  eguillonnô  Aux  exploits 
généreux, bien  qu'il  n'y  fust  pas  né.  111,  421.  Comme  pourrons 
nous  espérer  que  ceux-ci...  Aimassent.  111,  573.  On  trouve 
encore  le  plus-que-parfait  pour  l'imparfait.  Ex  :  Avoient  fort 
estimé  les  nombres  Poétiques.  II,  932. 

Dans  la  construction  suivante  :  Une  Queux  je  seray,  qui... 
aiguiseray.  III,  389.,  le  pronom  personnel  détermine  la  per- 
sonne du  verbe,  bien  qu'il  ne  soit  plus  grammaticalement  le 
sujet.  Dans  l'exemple  ci-dessous,  le  verbe  est  à  la  première 
personne  avec  deux  sujets  de  la  troisième  :  Baïf  et  Tahureau,  , 
tous  en  mesmes  années  Avions.  III,  217;  le  pronom  nous  est 
compris  dans  tous. 

On  trouve  un  verbe  au  singulier  avec  plusieurs  sujets  de  ce 
nombre.  Ex:  Tel  estoit  d'Euripide  et  l'Ion  et  l'Oreste.  III,  171. 
Puisse  Europe,  Asie,  Afrique.  II,  159.  L'Héroïc,  le  Tragic  use. 
III.  221.  Et  l'un  et  l'autre...  n'atteindroit.  I,  701.  Quelquefois 
même  u;i  ou  deux  de  ces  sujets  sont  au  pluriel.  Ex  :  Lcssoupr 
•çons  envieux,  les  médits,  la  rancœur...  Me  faisoit.  II,  1085. 

Au  contraire,  le  verbe  se  trouve  au  pluriel  avec  un  seul  sujet 
du  singulier.  Ex:  Nul  authcur  Grec,  ni  Romain,  ni  vulgaire... 
N'ont  entrepris.  III,  187.  Tout  le  corps  des  figures  dépeintes 
Donnent  un  grand  plaisir.  I,  223. 

Citons  enfin  quelques  formes  grammaticales  tombées  en 
désuétude.  La  première  personne  de  l'indicatif  présent  dans 
certains  verbes  n'apasl's.  Ex:  Deçoy.  1,302.  Sçay. I,  747.  Repen. 
111,  241.  De  même  pour  l'imparfait,  l'impératif  et  le  passé  défini. 
Ex  :  j'avoy.  111,  252.  Je  pensoy.  III,  273.  Prend.  1, 13.  Fay.1,25 
Suy.  I,  872.  Fein.  I,  873.  J'entrepri.  111,  1175. 

Le  conditionnel  du  verbe  debvoir  s'écrit  debveroit.  I,  183.  Le 
verbe  asservir  fait  au  participe  asservant.  I,  671.  Le  verbe  faite 
lir  a  la  troisième  personne  de  l'indicatif  présent  faut.Wl,  030. 
Le  verbe  Voir  t'ait  au  futur  voirrai  1,357.  Le  verbe  ouir  aies 
formes  suivantes  :  Oit.  II,  389.  Oy.  II,  321.  Orra,  III,  9503 
Oyant.  Il,  378. 

Usage  des  prépositions.  A.  —  A  signifiant  pour  devant  un 
substantif.  Ex  :  Cruelle  à.  II,  215.  A  l'homme  aimable.  II,  58.  Soit 
enfantée  à  bienheureuse  issue.  II,  168.  —  Signifiant x>our  devant 
un  infinitif.  Ex:  Biea  que  la  Queux  soit  à  couper  inutile.  III,  391. . 
—  Mis  pour  dans,  en.  Ex  :  Il  se  trouve  plus  de  comments  mile 
fois  Au  latin.  I,  73.  Au  bois  naistre  et  mourir.  1, 390.  Se  gravent 


—  197  — 

au  cerveau.  III,  592.  À  leur  honneur.  I.  143.  —  Mis  au  lieu  de 
par.  Ex:  Les  Anges  à  miliers.  III,  35.  Au  naturel  déduit.  II, 
421.  —  Mis  pour  de.  Ex:  Ne  laisse  à  profiter.  1,752. —  Notons 
encore  la  locution  à  tard  pour  tard.  III,  378.  — A  gouvernant 
plusieurs  termes  coordonnés  peut  ne  s'exprimer  qu'une  fois. 
Ex:  Ayant  tousjours  égard  à  ce  qui  plus  honore  La  personne 
parlante  et  ce  qui  convient  mieux.  II,  372. 

Après.  — Nourris  des  leur  enfance  après  les  biens.  III,  574. 

Auprès.  —  Se  joint  directement  à  son  complément.  Ex  :  Au- 
près la  feuille.  II,  636. 

Contre.  —  Mis  pour  sur.  Ex:  L'Epitaphe...  Mis  contre  une 
coulonne.  III,  303. 

De  — Se  supprime  parfois  après  rien,  quelque  chose,  etc.,  sui- 
vis d'un  adjectif  ou  d'un  adverbe.  Ex  :  Par  ci  par  la  meslé  rien  ici 
tu  ne  lis.  1,  441.  Qu'est-il...  rien  plus  beau?  III,  195.  —  Se  sup- 
prime encore  dans  les  constructions  suivantes.  Le  but  de  Galiea, 
c'est  garder.  I,  697.  Comme  il  fait  plus  beau  voir.  1, 193.  Il  est 
fort  malaisé...  gouster.  II,  25.  —  De  pour  à.  Ex  :  Dç  tort  et  de  tra- 
vers. III,  778.  Du  premier  abord...  III,  8.—  De  ma  part  est  mis 
comme  pour  ma  part.  111,939.  —  D'avant  s'emploie  pour  dès 
avant.  II,  717.  —  De  exprime  tous  les  rapports  que  le  latin  rend 
par  l'ablatif.  Ex:  De  mots  injurieux  à  luy s'adressera.  1,33.  D'un 
siège  de  dix  ans  les  grandes  villes  prises.  I,  416.  Caché  des 
rideaux.  II,  396.  Appuyer  d'échalas.  1, 157.  Vainqueur  d'une 
fonde.  III,  903.  Qui  d'unze  pieds  marchoient.  II,  857.  —  Il  peut 
avoir  aussi  le  sens  du  de  latin.  Ex  :  Bien  chanter  de  Dieu.  II,  1066. 
Chanta  de  sa  Francine.  I.  581.  —  De  suivi  d'un  infinitif  peut 
équivaloir  à  en  avec  le  gérondif.  Ex:  Les  beaux  desseins  plus 
clairs  ont  fait  entendre,  De  les  soumettre  aux  lois  qu'en  prose 
les  étendre.  I.  87.  —  De  gouvernant  plusieurs  termes  coordonnés 
peut  ne  s'exprimer  qu'une  fois.  Ex:  Muses,  s'il  est  permis  d'en- 
seigner l'Art  des  vers,  Et  montrer.  I,  5.  Joyeux  de  voir  de  loin 
le  but  qu'il  se  propose  Et  voir.  III.  468.  Dans  l'exemple  sui- 
vant de  exprimé  avec  le  premier  membre  est  omis  dans  le  second 
pour  reparaître  dans  le  troisième:  Celuy  qui  de  tout  meuble 
rare,  Riche  tapisserie  et  de  beaus  lambris  pare,  III,  751. 

En  pour  dans.  Ex  :  Qui  font  la  Muse  en  Homère  parler.  1, 102. 
—  Pour  sur.  Ex:  En  Pinte  résider.  I,  94.  En  la  Scène.  IL  460.— 
Pour  de.  Ex:  En  beaucoup  de  façons.  1, 126.  En  la  sorte.  1, 161. 

Encontre  pour  contre.  Encontre  le  public.  III,  1143. 

Hors  se  trouve  joint  directement  à  son  régime.  Ex:  Hors  la 


—  193  — 

terre.  I,  282.  —  S'emploie  par  pléonasme.  Ex:  Sortant  hors  de 
l'usage.  1,411.  Sort  hors  de  page.  11,  338.  Echapé  hors  des 
mains.  II,  1150. 

Par.  —  S'emploie  dans  les  locutions  :  Par  ci  devant.  I,  530.  Par 
sus  elle.  I,  686.  Par  après.  I,  605. 

Parmxj.  —  Parmy  le  peuple. I,  649. 

Pour.  —  Avec  le  sens  de  au  lieu  de.  Ex:  Fonda  pour  Ilion  la 
cité  de  Paris.  II,  121.  —  Suivi  d'un  infinitif,  pour  peut  signifier 
parce  que.  Ex  :  Ceux  qui  blâmeront  cette  mode  enseignante 
Pour  ne  sentir  assez.  I,  15.  Jettent  un  son  plus  clair...  Pour 
estre  l'air  contraint.  I,  85.  Ce  qu'on  void  estre  simple  et  sem- 
blable Ne  passionne  point  pour  estre  un  et  sans  fable.  II,  287. 
—  Estre  pour  a  le  sens  de  être  capable  de,  être  fait  pour.  Ex  : 
Quelque  œuvre  beau,  Qui  fust  pour  ne  jamais  tomber  dans  le 
tombeau.  111,  577.  —  Notons  encore  la  construction  suivante: 
Pour  voir  plusieurs...  faire  Plusieurs  sortes  de  vers,  ce  n'est 
pour  asseurer  Qu'ils  pourront  amoureux  des  neuf  Sœurs 
demeurer.  I,  1007. 

Sur.  —  A  souvent  le  sens  de  par  dessus,  de  préférence  à.  Ex  : 
Et  sur  tous  le  Poète  en  son  dous  exercice  Mesle  avec  la  nature 
un  plaisant  artifice.  I,  79.  Sur  tous  louable  est  l'édifice.  I,  309. 
Avoir  l'honneur  sur  les  Italiens.  I,  570.  —  Sur  peut  se  sous- 
entendre  dans  le  second  terme.  Ex  :  Et  sur  la  ïéïenne  et  la 
Saphique  lyre.  I,  696.  —  Par  sus  s'emploie  pour  par  dessus. 
Ex  :  Par  sus  elle.  I,  686. 

Signalons  encore  l'emploi  des  anciennes  prépositions:  Dessus. 
Ex:  Dessus  Parnasse.  1,4.  Dessoubs.  Ex:  Dessoubsla  feuille 
verte.  II,  67.  Dedans.  Ex:  Dedans  la  ïhebaïde.  I,  424.  Dehors. 
Ex:  Dehors  du  rond  compas.  II,  777. 

Emploi  des  adverbes. —  ^mejeestmis  pour  en  arrière.  Ex: 
Reculions  arrière.  I,  983. 

Autour  est  employé  adverbialement.  Ex:  L'air  au  tour  reson- 
nant. 1,  790. 

Davantage  peut-ôtre  suivi  de  que.  Ex:  Davantage  Que  l'es- 
tude.  11,  275. 

Devant  s'emploie  comme  adverbe.  Ex:  Plus  que  devant.  I, 
594.  Dans  cet  exemple  il  a  le  sens  de  auparavant.  —  Il  se  met 
aussi  pour  avant.  Ex  :  Si  quelqu'un  devant  vous,  si  quelqu'un 
puis  après  I,  765.  Devant  qu'avoir  attaint.  I,  984. 

Dont  s'emploie  pour  d'où.  Ex  :  Despend  plustost  du  Ciel  dont 
il  prend  origine.  I,  740. 


—  199  — 

Dudepuis.  Ex:  Et  Baïf  dudepuis.  I,  577. 

Du  tout  a  le  sens  de  entièrement,  quand  il  est  employé  sans 
négation.  Ex:  Mais  qui  selon  cet  Art  du  tout  se  formera.  I,  69. 
Que  le  bas  d'un  poisson  eust  du  tout  la  semblance.  I,  212. 

Ou  se  met  pour  dans  lequel.  Ex:  On  y  voit  le  dépit  ou  poussa 
Cupidon.  I,  501.  Chemins  où  l'on  peut  marcher.  I,  42. 

Outreplus.  L'outreplus  équivaut  à  le  reste.  I,  1085. 

Puis  se  construit  avec  après.  Ex  :  Y  joignant  puis  après.  I,  206. 

Tandis  signifie  pendant  ce  temps.  Ex  :  Et  tandis  d'autres  vers 
ici  nous  meslerons.  1, 514. 

Tant  devant  un  adjectif  ou  un  adverbe  s'emploie  pour  si. 
Ex:  Tant  bien.  II,  793.  Tant  obscure.  I,  584.  Tant...  buissonneux 
II,  594. 

Tant  seulement.  Ex  :  Servoient  tant  seulement.  I,  517.  Tant 
seulement  charbonne.  I,  7*5. 

Tost  est  mis  pour  bientôt.  Ex  :  L'esprit  esttost  lassé.  I,  177. 

Aussi  tost  s'emploie  poui*  aussi  bien,  comme  dans  l'usage 
moderne  ptutôt  pour  mieux.  Ex  :  Qu'un  grand  Capitaine  aussi 
tost  mette  en  fuite  L'ennemi  par  hasard  comme  il  lait  par 
conduite.  I,. 1031. 

Tout  pris  adverbialement  se  joint  à  certains  mots  pour  ren- 
forcer le  sens.  Ex  :  Tout  de  mesme.  II,  975.  Tout  ainsi.  I,  312. 
Tout  soudain.  III,  626. 

ï's'emploie  par  pléonasme.  Ex  :  Auquel  on  y  doit  voir.  III,  155. 
Ou  l'empire  d'Euiope...  Devoit...  y  demeurer.  II,  125. 

Emploi  des  conjonctions.  —  Alors  que  est  employé  commo 
lorsque.  Ex  :  Depuis  un  chant  plus  haut  j'entrepri  tout  céleste, 
Alors  que  Mars...  Me  rabaissa  la  voix.  III,  1175. 

Aussi  se  met  pour  non  plus.  Ex  :  De  sorte  que  le  bas  ni*  le 
sommet  aussi.  I,  221.  On  ne  regarde,  aussi.  II,  33. 

Il  s'emploie  comme  ainsi.  Ex  :  Aussi  fera  l'honneur.  I,  408. 

D'autant  que  équivaut  à  parce  que.  Ex  :  Nos  grands  vers  on 
appelle  Alexandrins,  d'autant  Que  le  roman...  1, 633.  Héroïques 
ainsi  les  Carmes  furent  dits,  D'autant  que...  I.  637. 

Avant  que  se  construit  avec  l'infinitif.  Ex  :  Avant  que  la 
lâcher.  III,  1122. 

Combien  que  a  le  sens  de  quoique.  Ex:  Combien  que...  vous 
ayez  la  sagesse.  III,  675. 

Comme  se  met  pour  comment.  Ex  :  Disons  comme  on  doit 
chanter.  II,  86.  —  Il  se  met  pour  que  après  certains  termes 
servant  à  exprimer  la  comparaison.  Ex:  Aussi  tost  à    bon 

18  . 


—  200  — 

port  comme.  1, 1030.  Ainsi  comme.-  II,  818.   Il  équivaut  quel- 
quefois à  selon  que.  Ex  :  Comme  sont  leurs  humeurs.  I,  465. 

Doncques  est  mis  pour  donc.  II,  810.  I.  2G1. 

Et  se  redouble  sans  la  locution  et  l'un  et  Vautre.  I.  701. 

Parquoy  est  mis  comme  pourquoi.  Ex  :  Parquoy  doncques 
au  lieu  d'un  Satire  paillard  Nous  viens  tu  figurer  Silène  le 
vieillard.  I,  261. 

Que  est  employé  par  pléonasme.  Ex  :  On  voit  aussi  que  l'homme, 
ayant...  Que  de  là  sont  venus.  1, 119.  Nous  espérons  que,  quand 
vous  aurez...  Qu'enclin  à  nous  aimer...  II,  651.  Quand  au  com- 
mencement, au  temps  de  leurs  vendenges,  Que  les  Grecs  cele- 
broiont  de  Baechus  les  louenges.  II,  427.  —  Que  s'emploie  après 
sinon  dans  l'exemple  ci-dessous:  Ces  vers  n'estoyent  sinon 
qu'un  gay  remerciaient.  II,  438.-—  On  lo  trouve  dans  la  cons- 
truction suivante:  Que  je  croy.  I,  216. —  Gouvernant  plusieurs 
propositions,  il  peut  ne  s'exprimer  qu'une  fois.  Ex:  De  sorte 
qu'il  egalle  un  Do  *at  d'une  part,  Et  de  l'autre  il  seconde.  III,  709. 
—  De  même,  dans  l'exemple  qui  suit:  Comme  tout  peintre  n'est 
parfait  en  chaque  part...  Mais  l'un.  I,  773. 

Comme  sans  devant  l'infinitif  (Ex:  Mais  sans  donner  plaisir, 
son  nom  perd  un  Homère.  I,  707),  de  mfime  sans  que  avec  le 
subjonctif  aie  sens  de  si...  ne  pas.  Ex:  Eussent  eu  le  Laurier  en 
partage  Sans  que  nos  vers  plaisants...  III,  104. 

Si  s'emploie  avec  un  sens  adversatif.  Ex  :  Mais  toujours  si 
faut-il.  I,  749  —  Gouvernant  plusieurs  propositions  de  suite, 
il  peut  ne  s'exprimer  qu'une  fois.  —  Employé  avec  une  négation 
dans  un  premier  terme,  il  peut  se  sous-entendre  avec  le  verbe 
dans  le  second  terme  pris  affirmativement.  Ex:  S'il  n'est  pro- 
pre à  la  guerre,  aux  armes  nonchalant.  II,  617.  —Si...  que  de 
équivaut  à  assez  pour.  Ex:  Si  cruelle.  ..quedelovoir  ainsi.  11,216. 

Tant  que  est  mis  pour  au  point  que  ou  de.  Ex:  Tant  que 
l'Italien  est  estimé  l'autheur.  I,  565.  M'ayant  tant  honoré  que 
daigné.  111,1147.—  Jusqu'à  tant  que  a.  le  sens  de  jusqu'à  ce  que. 
Ex:  Jusqu'à  tant  que  Thiard...  L'eut  chanté.  I,  567. 

Emploi  des  négations.  —  Ne  forme  très  souvent  une  négation 
complète.  Ex:  Afin  que  la  Françoise  Muse  Sans  Art  à  l'avenir  ne 
demeure  confuse.  I,  68.  Je  ne  veux  toutesfois  qu'un  bon  esprit. 
I,  379.  Ne  permettez  qu'au  port  nous  soyons  submergez.  III,  6  ; 

Ni  se  met  au  lieu  de  et.  Ex  :  Se  garde  de  jouster  Ni  de  vou- 
loir. III,  770. 

La  négation  est  employée  en  bien  des  cas  où  nous  la  suppri- 


—  £01  — 

mons.  Ex  :Despendplustôt  du  Ciel. ..que  non  pas  de  la  terre.  1,740. 
Une  leur  quitta  pas. Ni  le  siège  second  ni  le  quatriesme  pas. II, 
829.  Deffendre  De  ne  traduire  plus.  I,  959.  Jamais...  le  Poëte  n'est 
point  avare.  II,  602.  N'estant  point  d'aucun  vice  entaché.  III,  786. 

La  négation  ne  se  répète  pas  dans  la  construction  suivante  : 
Nuict  ne  jour.  111,  65. 

Ne  peut  se  supprimer  après  un  verbe  ou  une  conjonction 
exprimant  la  crainte.  Ex  :  De  peur  qu'un  grand  amas...  sas- 
semble.  III,  775.  Il  est  encore  omis  dans  la  construction  sui- 
vante: Et  ne  seroient  point  plus  les  François  travaillants  En 
justice...  qu'à  bien  dire  ils  seroient..  III,  353. 

On  trouve  l'exclamation  affirmative  dans  des  cas  où  l'usage 
moderne  demande  une  négation.  Ex  :  Que  peut  une  Lyre  !  11, 
579. 

Ordre  des  mots.  —  Mots  isolés.  —  Le  substantif  attributif  se 
met  souvent  avant  le  substantif  principal.  Ex  :  Tu  dois  de  cha- 
cun âge  aux  mœurs  bien  regarder.  II,  329.  Qui  de  guerre  et 
d'amour  cachent  les  aventures.  I,  376. 

On  trouve  souvent  un  verbe  ou  un  adverbe  entre  les  deux 
substantifs.  Ex  :  Les  actions  légères  imitaient  des  mauvais. 
1, 139.  Que  tu  sçaches  la  règle  au  vray  des  Entreprises.  I,  367. 
De  même  un  complément.  Ex  Ex:  La  couronne  aux  sçavants 
de  verdoyant  laurier.  1,  174.  Notons  particulièrement  l'inver- 
sion suivante  :  Les  vers  que  les  Latins  d'inégale  jointure 
Nommoient  une  Elégie.  I,  515. 

Le  qualificatif  se  met  avant  le  substantif  en  bien  des  cas  où 
nous  le  mettons  après.  Ex  :  Un  Duarin  second.  III,  681.  Le 
poli  Tourangeau.  I,  362.  L'entremeslé  défaut.  I,  705.  La  cham- 
pestre  vie.  III,  254.  En  estrangere  terre.  III,  495.  Son  seul  but 
=  son  but  seul.  II,  603.  Certaine  preuve  =  preuve  certaine.  I, 
907.  Notons  encore  les  constructions  :  Du  laid  un  imité  tableau. 
I,  202.  Enchâsser  précieux  Le  diamant  en  l'or.  I,  762.  Dans  ce 
dernier  exemple,  le  qualificatif  précède  l'article  lui-môme. 

Le  qualificatif  se  met  après  le  substantif  en  bien  des  cas  où 
nous  le  mettons  avant.  Ex  :Et  des  empires  grands  les  lois.  I. 
496.  Son  visage  beau.  I,  738.  Du  chant  dernier.  11,324.  En  mon 
âge  premier.  III,  273. 

De  môme  :  Chose  aucune.  III,  348. 

Il  peut  y  avoir  un  adverbe  entre  les  deux  termes.  Ex  :  Les 
préceptes  tousiours  généraux  observant.  I,  529. 

Cdrri  peut  se  séparer  de  qui.  Ex  :  J'estime  tousiours  celle 


—  202  — 

estre  de  plus  grand  chois,  Qui...  I,  754.  Celuy  pour  le  meilleur 
on  doit  tousiours  tenir,  Qu'on  peut.  111,305. 

De  môme,  on  trouve  de  sorte  séparé  de  que.  II,  239. 

L'auxiliaire  est  parfois  après  le  participe.  Ex  :  Ce  qu'au  couvert 
l'amoureux  lait  aura.  II,  414. 

L'adverbe  est  avant  le  verbe  en  bien  des  cas  où  nous  le  met- 
tons après.  Ex  :  Quand  bien  on  dressera.  I,  302.  Ce  que  bien  tu 
feras.  I,  317.  Qui  tant  a  voyagé.  II,  101.  Quand  cet  eguilion 
plus  ne  les  espoinçonne.  I,  103. 

Il  peut  être  séparé  de  l'adjectif  qu'il  modifie.  Ex  :  Au  peu 
jusqu'à  présent  imitable  Pindare.  111,  728. 

Certaines  prépositions  sont  séparées  de  l'infinitif  qu'elles 
gouvernent.  Ex  :  Pour  d'un  ton  assez  fort  l'Héroïque  entonner. 
I,  437.  Pour  des  Hymnes  chanter.  III,  308. 

Éléments  de  la  proposition.  —  Le  sujet  peut  se  mettre  après 
le  verbe.  Ex  :  On  y  voit  le  dépit  ou  poussa  Çupidon  La  fille  de 
Dicee.  I,  501.  Il  occupe  très  souvent  cette  place  quand  la  pro- 
position commence  par  un  complément,  adverbe,  attribut, 
etc.  Ex  :  Par  art  guide  les  Naux  le  Nautonnier.  1, 78.  Tousiours 
si  faut  il.  I,  749. 

Le  sujet  peut  se  mettre  entre  l'auxiliaire  et  le  verbe.  Ex  : 
Pour  estre  l'air  contraint.  I,  86.  Et  l'autel  ou  jadis  fut  Diane 
adorée.  I,  244.  Il  peut  être  séparé  du  verbe  par  une  locution 
adverbiale.  Ex  :  Afin  qu'elle  en  bas  ne  s'ennuye.  I,  160.  On 
trouve  dans  les  interrogations  le  substantif  sujet  après  le 
verbe.  Ex  :  Peut  un  céleste  cœur  estre  tant  irrité  ?  II,  218. 

L'attribut  se  met  souvent  avant  le  verbe.  Ex  :  Tesmoin  en 
est  cet  Art.  I,  81.  Semblable  vous  verrez  un  beau  livre.  1,218.  Si 
bien  que  son  Poëme  égal  et  pareil  soit.  I,  269. 

Le  régime  peut  être  avant  le  verbe.  Ex  :  Les  huis  de  Cirrhe 
je  crochette.  I,  8.  Son  œuvre...  le  Poëte  compose.  I,  20.  Et  le 
fils  de  Latone  ils  y  font  présider.  I,  93.  Qui  peindre  ne  sçavoit. 
I.  254. 

Il  peut  s'intercaler  entre  l'auxiliaire  et  le  verbe.  Ex  :  J'ay  cet 
œuvre  apresté.  I,  65.  A  tous  les  autres  arts  aisément  sur- 
monté. I,  82.  Ils  ont  un  nom  donné.  I,  342.  Qui  font  la  Muse 
parler.  I,  102. 

Quand  il  y  a  plusieurs  pronoms  personnels,  l'un  régime 
direct,  l'autre  indirect,  et  que  le  direct  est  de  la  troisième  per- 
sonne, il  peut  se  mettre  avant  l'autre.  Ex  .-Montre  la  nous  mar- 
rie. I,  832.  Il  la  vous  faut  soumettre,  III,  793. 


—  20.*  — 

Quand  les  pronoms  personnels  sont  compléments  d'un  infi- 
nitif qui  dépend  d'un  autre  verbe,  ils  se  placent  souvent  avant 
le  premier  des  deux  verbes,  qui  joue  le  rôle  d'auxiliaire.  Ex  : 
Il  la  faut  appuyer.  I,  157.  Nous  viens-tu  figurer?  I,  262. 

Notons  enfin  les  constructions  suivantes,  qui  pèchent  par 
la  symétrie  :  Et  qu'ayant  la  vesture  Et  d'un  Eunuque  pris  la 
grâce  et  la  posture.  II,  419.  Qu'ils  n'ont  jugé  depuis  des  Ron- 
deaux autrement,  Balades,  Chants-royaux.  II,  946.  Et  qui  sçait 
bien  ou  gist  d'un  vray  juge  l'office  Et  de  celuy  qui  doit.  III.  491 
Quand  le  preux  flls  d'/Eson  Mais  desloyal  amant.  I.  641. 


II 

MÉTRIQUE. 

Nous  avons  apprécié  ailleurs  la  versification  de  VauqueHn. 
Indiquons  ici  les  mots  dont  la  mesure  n'est  plus  la  même,  et 
relevons  les  rimes  qui  nous  ont  paru  notables. 

Mesure.  —  La  synérèse  se  fait  dans  les  mots  :  Bruire.  1, 790. 
Ouvrier.  1, 19.  Paysan.  11,513.  Quatriesme.  II,  830.Traison.  11.1048. 

La  diérèse  se  fait  dans  les  mots  .-Ancien.  I.  957, 103i.Babouin. 
III,  1161.  Barragouyn.  III,  638.  Duel.  I.  489.  Fuir.  III,  1U29.  Huict. 
I.  631.  Lierre.  I,  161,  177.  Sagouyn.  III,  637.  Souisse.  I,  807. 
Viande.  III,  952. 

Gayeté  compte  pour  trois  syllabes.  I,  524. 

Vualon  est  aussi  trisyllabique.  I,  614. 

L'e  muet  à  la  fin  d'un  mot  peut  compter  dans  la  mesure.  Ex: 
Fuitif  de  son  pays  quand  Troye  fut  en  cendre.  II,  116.  Que  les 
Fées  jadis  les  enfançons  voloient.  III,  601. 

Il  peut  aussi,  sans  élision,  ne  pas  y  compter.  Ex:  Mais  tenue, 
gresle  et  simple,  et  bien  peu  pertuisee.  II,  491, 

L'e  de  ce  dans  la  locution  pour  ce  est  élidé.  I.  63.  De  môme  Yi 
de  qui  (III,  794)  et  de  si  (II,  303).  -  Au  vers  991  du  chant  II, 
l'e  de  prose  ne  s'élide  pas  devant  héroïque,  dont  l'A  est  aspirée. 

Nous  ne  mentionnons  pas  en  particulier  les  hiatus,  qui  sont 
d'ailleurs  assez  rares.  Cf.  la  note  du  vers,  I,  435. 

Rimes.  —  Un  grand  nombre  de  rimes  sont  faites  par  deux 
adjectifs  ou  deux  adverbes. 

Les  rimes  de  terminaisons  verbales  sont  très  fréquentes. 
Voici  celles  que  nous  relevons  dans  les  cent  premiers  vers  du 
chant  II  :  Sçavez  -  achevez,  chantants-ecoutants,  ostez-rabo- 


—  204  — 

tez,  gouster-ecouter,  reconnoistre-aparoistre,  animees-aimees 
mesuré-asseuré,  chanter-conter,  accoucheront-riront. 

En  parcourant  les  trois  chants,  on  pourrait  citer  beaucoup 
d'exemples  empruntés  à  tous  les  temps  et  modes.  En  voici 
quelques-uns  : 

Indicatif  présent.  —  Appuye-ennuye.  I,  159.  Represente-con- 
tente.  II,  271. 

Indicatif  imparfait.  —  Appeloient-parloient.  I,  117.  Estoient- 
s'arrestoient.  I,  213.  Contoient-s'arrcstoîent.  II,  181. 

Indicatif  passé  défini.  — Haussa-passa.  II,  531. 

Indicatif  futur. —  Adressera-chassera.  I,  33.  Sera-dressera. 
I,  301.  Ostera-restera.  III,  565. 

Conditionnel.  —  Attendroit-perdroit.  I,701.Vomiroit-admire- 
roit.  III,  1057. 

Subjonctif  présent.  —  Convienne-souvienne.  I,  251. 

Infinitif.  —  Detraquer-provoquer.  I,  53.  Aleguer-voguer.  II, 
185.  Former-animer.  III,  517. 

Participe  présent.  —  Proumenant-trainant.  II,  525.  Accor- 
dant-accommodant.  II.  565. 

Participe  passé.  —  Tondues-fendues.  I,  27.Tracé-laissé.  I,  61 . 
Exprimee-aimee.  III,  515. 

Très  souvent  un  mot  rime  avec  lui-même  par  l'adjonction 
d'un  préfixe.  Ex:  Temps-passetemps.  111,77.  Porter-deporter.  I  • 
297.  Permis-mis.  I,  333. 

On  trouve  aussi  beaucoup  de  rimes  formées  des  deux  mémos 
mots  avec  des  préfixes  différents.  Ex  :  Prononce-annonce.  II, 
623.  Remettre-commettre.  II,  663. 

Un  grand  nombre  de  rimes  ont  été  rendues  défectueuses  par 
un  changement  de  prononciation. 

LV  se  prononçait  au  xvie  siècle  dans  les  infinitifs  en  er.  Delà 
les  rimes  :  Mer-surnommer.  II,  117.  Chair-lacher,  III.  1121. 

Le  c  au  contraire  ne  so  prononçait  pas  dans  certains  mots 
où  nous  le  faisons  sonner.  De  là  les  rimes  :  Faite-architecte.  I» 
347.  Apres-Grecs.  I,  765.  Grecs-progrés.  II,  301. 

De  même  pour  le  p.  De  là  la  rime  :  Invite-Egypte.  III,  847. 

Les  deux  II  ne  se  mouillaient  pas  dans  gentille  et  faucitt&l 
De  là  les  rimes  :  Debile-gentille.  III,  452.  Fertille-faucille.I,  339, 

Eu  se  prononçait  u  dans  certains  mots  contrairement  à  l'u- 
sage actuel.  De  là  les  rimes  :  Heure-seure.  II,  495,  Meur-impri- 
meur.  III.  613.  O/se  prononçait  ouè.  De  là  les  rimes  :  Fois 
Calabrois.  I,  73.  Autrefois-françois.  III,  933. 


—  205  — 

Quoique  Vauquelin  soit  loin  d'être  exact  dans  ses  rimes,  il 
l'est  assez  pour  adopter  toujours,  avec  les  mots  dont  l'ortho- 
graphe est  variable,  celle  qui  convient  le  mieux  au  vocable 
rimant.  Les  exemples  sont  très  nombreux.  Citons-en  deux 
caractéristiques  :  Au  vers  356  du  chant  premier,  escuyer  s'écrit 
avec  un  y  dans  l'intérieur  de  l'hexamètre  ;  au  vers  358,  il  s'écrit 
avec  un  i  pour  mieux  rimer  avec  le  verbe  manier.  Même 
s'écrit  d'ordinaire  mesme  ;  au  vers  503  du  chant  premier,  il  s'écrit 
même  pour  mieux  rimer  avec  poème.  Cette  préoccupation  de 
satisfaire  non  seulement  les  oreilles,  mais  encore  les  yeux, 
est  commune  à  tous  les  poètes  contemporains. 

111 

ORTHOGRAPHE 

Il  n'y  a  pas  au  xvie  siècle  d'orthographe  fixe  et  universellement 
admise.  Non  seulement  deux  écoles  opposées,  les  Etymologis- 
^es  et  les  Phonographes  se  trouvent  en  présence,  mais  encore 
dans  la  plupart  des  écrivains  qui  se  rattachent  à  l'une  où  à 
l'autre,  le  caprice  seul  l'ait  souvent  toutes  les  lois.  Il  est  sans 
doute  un  certain  nombre  de  règles  générales  que  maintient  la 
tradition;  pourtant  ces  règles  mômes  ne  s'imposent  pas  en 
général  avec  assez  d'autorité  pour  empêcher  les  transgres- 
sions. J.  du  Bellay  déclarait  que  de  son  temps  «  l'orthographe 
estoit  aussi  diverse  qu'il  y  avoit  de  sortes  d'écrivains  »  ;  après 
les  écrivains,  c'était  le  tour  des  imprimeurs  ;  eux  aussi  avaient 
leurs  vues  ou  leurs  fantaisies  propres,  et  bien  souvent  l'au- 
teur par  indifférence  ou  lassitude,  leur  laissait  plein  pouvoir 
sur  l'orthographe.  On  se  rappelle  que  Meigret,  le  chef  des  Pho- 
nographes, fut  réduit,  pour  faire  imprimer  un  de  ses  ouvrages, 
à  abandonner  son  système. 

L'orthographe  de  Vauquelin  n'offre  rien  de  caractéristique. 
Elle  ne  se  ^attache  à  aucune  école  particulière,  et  les  contradic- 
tions s'y  rencontrent  presque  à  tous  les  mots  sur  lesquels  il 
pouvait  y  avoir  doute.  Nous  ne  voulons  ici  que  dresser  un  in- 
dex des  notations  qui  sont  en  désaccord  avec  l'usage  actuel. 
Relever  un  à  un  tous  les  vocables  de  notre  auteur  qui  ne  s'écri- 
vent pas  comme  aujourd'hui,  c'eût  été  entreprendre  un  cata- 
logue fastidieux,  confus,  et  qui  nous  aurait  astreint  à  une  foule 
de  répétitions.  Nous  n'avions  pas  d'auire  part  à  faire  un  travail 


—  206  — 

d'ensemble  sur  l'orthographe  du  xvie  siècle  :  on  trouvera  pour 
cette  étude  tous  les  renseignements  désirables  dans  les  ou- 
vrages de  MM.  Livet,  Darmesteter  et  Hatzfeldt,  Thurot.  Quant 
à  nous,  nous  avons  dû  nous  borner  à  un  tableau  complet, 
mais  général,  qui,  tout  en  nous  permettant  de  ne  pas  indi- 
quer une  à  une  tant  de  formes  similaires,  n'en  omît  pourtant 
aucun  groupe  distinct  et  donnât  pour  chacun  de  nombreux 
exemples.  Dans  ce  tableau,  nous  avons  adopté,  comme  le 
plus  clair  et  le  plus  méthodique,  l'ordre  des  voyelles,  diph- 
tongues et  consonnes,  respectivement  rangées  suivant  leur 
nature.  Pour  les  explications  historiques  et  philologiques  où 
nous  ne  saurions  entrer,  nous  renvoyons  aux  ouvrages  ci- 
dessus  mentionnés 

A.  —  Pour  al  dans  Fantasia.  I,  220,  etc.  —  Pour  e  dans  Garir. 
jll,  387,  etc.  —  Pour  au  dans  Embamee.  III,  27,  etc.  —  Aa  pour 
d  dans  Aage.  I,  635,  etc 

E.  —  Pour  ai  dans  Marest.  I,  397.  Eguillon.  I,  1013  ;  II,  730. . 
Défère.  III,  207.  Epesses.  I,  719.  Erain.  I,  8G.  Eman.  II,  41,  etc. 
Pour  ay  dans  Crèon.  II,  270.  —  Pour  a  dans  Cathelane.  I,  595. 
Biserres.  II,  853,  etc.  —  Pour. ci  dans  Madelene.  I,  711,  etc.  — 
Pour  ie  dans  brevement.   III,  114.  —  Pour  eu  dans  abrevé.  II, 
634,  etc.  —  E  muet  supprimé  à  la  fin  de   certains  mots.  Ex  : , 
Pry.  III,  629.  Bards.  III,  832,  Dedal.  I,  28.  Trophé.  111,843.  Perse.} 
III,  892,  etc.  —  Cette  suppression  entraîne  la  chute  de  la  se- 
conde l  dans  Rouil.  III,   63.  Brouil.  III,  118.  —  E  muet  sup- 
primé au  milieu  d'un  mot  dans  Carfours.  I,  650.,  cette  suppres- 
sion entraînant  la  chute  de  la  seconde  r. 

I.  —Pour  e  dans  Saingclais.  I,  571.  Impuniment.  II,  509,  etc. 
—  Pour  y  dans  Ciprez.  I,  254.  Ciclic.  II,  88,  etc. 

O.  —  Pour  au  dans  Toreau.  II,  405. Povres.  I,  382,  etc.  —Pour 
oi  dans  Ambrosie.  III,  26,  etc.—  Pour  ou  dans  Trobadour.  I, 
549.  Trope.  III,  936.  Choëtte.  II,   820.  Loys  (Louis).  II,  326,  etc! 

U.  —  Pour  o  dans  unze.  II,  857,  etc.  —  Pour  ou  dans  juven- 
ceau  II,  426. 

Y.  —  Pour  i  dans  Cuijvre.  I,  84.  Voye.  I,  59.  Roy.  I,  17,  etc. 

Al.  —  Pour  é  dans  Mme.  II,  232.  Csesar.  II,  559,  etc. 

AI.  —  Pour  ei  dans  Emprainte.  I,  388.  Faint.  III,  31.  En- 
fraindre.  I,  935.  Plain.  II,  173,  etc. 

EAU.  —  Pour  iau  dans  Fableaux.  II,  950,  etc. 

EL  —Pour  ai  dans  Pleine.  I,  39o.  —  Veine,  III  999,  etc.  —  Pour 
«dans  Pourmeine  I,  21S.  —  Pour  i  dans  Desseignxnt.   I,  107 1 


—  207  — 

EU.  —  Pour  ieu  dans  Contageuse.  III,  336.  —  Pour  o  dans 
Epleurer.  I,  884.  —  Pourœ  dans  Meurs.},  ISl.Neud.  II,  584,  etc. 

—  Pour  u  dans  Seureté.  I,  42.  Chevelewe.  I,  288.  Veu.  I,  73,  etc. 

—  Pour  ueu  dans  Majesteux.  III,  838. 

F&7.  —  Pour  ei  dans  Veuillant.  I,  722,  etc. 

OF.  —  Pour  o/  dans  Cloestres.  III,  1170.. Pour  édans  Mecœne. 
III,  933. 

07,  0  Y.  —  Pour  ai  dans  Françoise.  I,  12.  Reconnoist.  I,  599 
Gardoit.  III,  230,  etc.—  Pour  ez  dans  Royne.  I,  478,  etc. 

OU.—  Pour  eu  dans  Contours.  I,  604.  Plouvoir.  III,  967.  P(w- 
reMtf.III,  1184,etc.  —  Pour  o  dans  Elabourez.  I,  462.  Foute.  1,986. 
Router.  II,  92.  Doumaine.  II,  506.  Coulonne.  1, 168.  Arrousent. 
II,  64,  etc.  —  Pour  u  dans  Flouet.  II,  139,  etc. 

OL7.  —  Pour  Mi  dans  Souisse.  I,  867.  Bomis.  II,  498,  etc. 

UEI.  —  Pour  eui  dans  Fueille.  1, 389.  ûMe«7.  II,  734,  etc. 

Ul.  —  Pour  i  dans  Vuide.  III,  510,  etc. 

AV.  —  Pour  en  dans  Vangeur.  I,  49.  Avantures.  I,  376,  etc. 

£iV.  —  Pour  an  dans  Mengeants.  III,  137.  Vendenges.  II,  427. 
Harengues.  I,  481, etc. 

P.  —  Pourpp  dans  Apresté.  I,  65.^pns.  1, 100.  Apartenance. 
I,  235.  Aportè.  III,  146.  Roupes.  II,  490,  etc.  —  P  supprimé  dans 
Promte.  I.  728.  rems.  I.  1135.  C/ia»i.  III,  257,  etc. 

R.  —  surabondant  dans  Soubs.  1,90,  etc.  —  R  supprimé  dans 
Suvient.  III,  913,  etc. 

F.  —  Pour  ff  dans  Afligez.  II,  485.  Etoufe.  1. 14.  Souflement. 

I,  110,  etc.—  F /"pour/"  dans  Deffendeur.  1, 17.  NaufjFrage.I,  259, 
etc.  —  F  surabondant  dans  Neu/ve.  I,  294.  Naifve.  I,  SU,  etc. 

—  Dans  Apprentif.  1. 382.  —  F  pour  p/t  dans  Eufrate.  II,  176. 
T.—  Pour  «dans  Floter.l,  893,  etc.  Gowte.  II,  423, etc  .  —  Tt 

pour  *  dans /etté.  1, 479,  Secrettes.  I,  491.  Cotiez.  I,  530,  etc.  — 
J surabondant  dans  Court.l,  573.  Romants.  I,  601;  II,  937.  rïranf. 
(tyrans).  II,  441,  etc.  —  T  supprimé  dans  Ouvers.  I,  5.  Espris.  I, 
93.  Ergos.  II,  433.  Puis.  III,  862.  Doios.  1,  90.  Instinc.  II,  44.  Aspec. 

II,  425,  etc.  —  T  pour  d  dans  Vieillart. .  541.  Sief.  II,  331,  etc. — 
Pour  p  dans  Julet.  III,  54. 

Z).  —  Surabondant  dans  Addressee  III,  856.  Advertir.  I,  909. 
-4dm's.  II,  286.  Rled.  1,402.  Mords,  1, 1041,  etc.  —  D  supprimé  dans 
^vi'enf.  1,203.  Norman.  I,  361.  lowrs.  II,  776.  Fecons.  I,  443,  etc. 

—  D  pour  *  Foid.  1, 36.  Verde.  II,  636,  etc. 

S-  —Surabondant  dans  Desja.  I,  61.  Monstrer.  I,  95.  Soustien. 

19 


—  208  — 

1,170.  Tonsjours.  1,252.  Fist.  1,19.  Aisle.  11,96.  Encores.  I,  923,etc. 

S  supprimé  dans  Retrainte.  III,  95,  etc.  —S  pour  ss  dans  Rosi- 
gnols.lll,  449.  Tremousants.  II,  543,  etc.—  S  pour  c  dans  Eclair- 
sie.  I,  1168,  etc. 

S  pour  x  dans  C/iois.  II,  585.  Fais  (faix).  I,  297.  Pris  (prix).  I, 
686.  Beans.  1, 1.  Ausquels.  111,618,  etc.— 5  pour  s  dans  Biserre.lï, 
853.  BisanUn.  III,  309,  etc. 

S  pour  c  dans  Entrelassé.  1, 177,  etc. 

Ar.  —  Pour  s  Dans  Loix.  1, 88.  Pota  (poids).  II,  1076,  etc.—  Pour 
z  dans  Dixain.  I,  569. 

C.  —  Surabondant  dans  Auctorité.  I,  1149.  Droicturier.  1, 173. 
Fdïds.  I,  44.  Effect.  III,  337.  Licts.  I,  47.  Picquans.  I,  141.  Jl/oc- 
çuer.  H,  867.  Comicque.  I,  625.  Publicques.  H,  535.  Accrostiche. 
1, 380,  etc.  —  C  supprimé  dans  Acomplir.  I,  506.  Racourci.  III,  293. 
JçuisUII, 819.  Gres.III,  533.  Ftans.  III,  1180,etc—  Cpourgdans 
Coc.  II,  723.  Quelcun.  I,  43.  Caimandants.  I,  821, etc.  —Pour  #we 
dans  Cicfa'c.  II,  88.  Tragic.  II,  255.  Heroïc.  II,  253,  etc.  —  Pour  s 
dans  Offence.  II,  468.  Depence.  I,  76,  etc.  —  Pour  £  dans  Ambi- 
tieux. III,  1008,  etc.—  Pour  #  dans  Grotesque.  I.  237.  —  Pour  ss 
dans  Face.  III,  3,  etc. 

0.  —  Pour  c  dans  Esquadrons.  I,  453.  —  Dwe  pour  c  dans  Ca- 
duque. III,  40. 

G.  —  Supprimé  dans  Poin.  III,  549.  —  Pour  ge  dans  Gregois. 
I,  694. 

CJ7.  —  Pour  q  dans  Nicomache.  I,  63.  Pirriche.  II,  547,  etc. 

J7.  —  Surabondant  dans  Thresor.  Il,  74.  Autheur.  I,  421.  Mt-\ 
rathre.  II,  399.  Rethoricien.  II,  921,   etc.  —  77  supprimé  dans 
Armonie.  1, 120.  Epitete.  I,  524.  Rethoricien.il,  921.  Alaine.1. 913* 
0  (exclamatif).  II,  579,  etc. 

L.  —  Surabondant  dans  TWre.  I,  703.  Poulmons.  II,  1096. 
Egaulx.  II,  1106.  Fïewte.  I,  391.  Bellans.  I,  234.  Egallees.  I,  24. 
Fertille.  I,  399,  etc.  —  L.  supprimé  dans  m££e.  1,654.  Miliers. 
III,  35.  Fauœ  (faulx).  II,  637,  etc. 

M.  —  Surabondant  dans  Mommerie.  III,  331.  Symmetrie.  I, 
782,  etc.  —  M  supprimé  dans  Epigrame.  I,  588.  Flame.  1, 112,  etc. 

2V.  —  Surabondant  dans  Prins.  II,  968.  Besongne.  II,  415.  Ffora- 
gnez.I,  997.  Provindence.  II,  164,  etc.—  W  supprimé  dans  Baniere. 
1, 344.  Para.  1,826,  etc.— iV pour  m  dans  Dam.  III,  1178.  Fain  .11, 
656.Pa;'/ims.III,946,  etc.  —  Pour  gn  dans  Maline.  II,  963.  Maqui- 
nons.  II,  970,  etc.  —  Pour  mp  dans  Conte.  III,  840,  etc. 


209  — 


GN.  —  Pour  nn  dans  Recognoistre.  I, 115,  etc.  —Pour  n  dans 
Desseignant.  I, 1071. 

R.—  Surabondant  dans  Enclorre.  II,  124.  Tronverre.  1. 555,  etc. 
—  Supprimé  dans  Couroux.  I,  54,  etc. 

Contrairement  à  l'usage  actuel,  Vauquelin  1°  Lie  par  des 
traits  d'union  un  certain  nombre  de  composés  comme  Mot-de- 
Bataillell,  1002.  Cotte-d'armes. Il,  1003.  Vray-semblable.  111,597. 
Non-chalance.ïll,  627.  Charle-magne. II,  987.2°  Sépare  en  plusieurs 
mots  d'autres  composés  que  nous  écrivons  en  un  seul,  comme 
Auparavant.  11,576.  Quelque  fois.  II,  702;  III,  646.  Long  temps. 

II,  953.  Mal  habile.  III,  636.  Gentil  homme.  III,  779.  Clair  voyant. 

III,  1011.  Puis  que.  III,  1145.  Bien  heureux.  II,  177,etc.3°  Unit  au 
contraire  en  un  seul  mot  d'autres  composés  dont  nous  sépa- 
rons les  termes,  comme  Embas.  III,  1062.  Autrepart.  III,  58;  III, 
1119.  Avancoureur.  III,  258.  (Temps)  Avenir.  III,  324.  Soyméme. 

I,  503.  Deslors.  I,  585,  etc. 

L'apostrophe  se  met  souvent  avec  les  mots  formés  du  préfixe 
re,  comme  Rappelé.  1, 574.  Rapporter.  1,629.  Rentre.  I,  659.  Elle 
peut  remplacer  l'e  à  la  fin  de  certains  mots,  comme  Tout'.  III, 
120.  Or',  III,  253.  Grand'.  I,  857,  et  même  dans  l'intérieur,  comme 
Env'loppement.  III,  117.  Elle  remplace  aussi  Yi  de  si.  Ex:  S'Ho- 
mere.  II,  303,  et  de  qui.  Ex.  Ce  qu'en  l'art  est  requis.  III,  794.  Elle  se 
met  encore  aux  mots  :  D'avantage.  1, 762.  N'agueres.  III,  108,  etc. 

Le  tréma  est  mis  surl'it  de  Jouer. 1,671.  Louer.  1,678.  Veùe.  1,887. 
Sur  l'e  de  Queue.  II,  965.  Proèsse.  III,  354.  Choètte.  II,  820.  Poète. 

II,  34.  Poésie.  1, 168,  etc.  —  Il  ne  se  met  pas  sur  ouir.  I,  710. 
La  cédille  se  trouve  une  fois  devant  e.  Face.  III,  340. 

N'ont  pas  l'accent  aigu:  Fécond.  I,  110.  Elégante.  I,  16.  Allée. 
1, 23.  Severe.  1, 45.  Epoinçonne.  1, 103.  Félon.  1, 1022,  etc,  etc.  N'ont 
pas  l'accent  grave:  Sirène.  I,  11.  Severe.  I,  45.  Règle.  I,  367,  etc. 
N'ont  pas  l'accent  circonflexe  :  Blâmeront.  I,  15.  Ame.  I,  152. 
Flûte.  III,  234.  Fâche.  II,  763.  Grâce.  II,  975.  Pâmez.  I,  848,  etc. 
A  l'accent  circonflexe:  Chaque.  I,  773.  A  l'accent  aigu  au  lieu  du 
grave  -.Après.  1, 410,  etc.  ;  au  lieu  du  circonflexe  :  Soyméme.  1, 503. 

Le  tableau  suivant  fera  ressortir  les  contradictions  de  l'or- 
thographe dans  Vauquelin:  Pâmez.  I,  848  et  pasmeront.  I,  856. 
Age.  II,  1111.  et  aage.  I,  635.  Escuyer.  I,  356  et  escuier.  I,  358. 
Espaisse. II,  923  etepesse.  1, 719. Vendange.  II,  439  etvendenge.  II, 
427.  Mœurs.  I,  466  et  meurs.  1, 131.  Fols.  III,  1056  et  fouis.  1,986; 
Naufrage.  I,  479  et  nauffrage.  I,  259.  Esprits.  II,  510.  et  espris. 


—  210  — 

II,  518.  Montrer.  I,  178  et  monstrer.  I,  95.  Nouveaux.  I,  315  et 
beaus.  1, 1.  Grecs.  III,  78.  et  Grès.  III,  533.  Droiturier.  III,  818  et 
droicturier.  1, 173.  Moqué.  III,  38  et  mocquer.  II,  867.  Ambitieux. 

III,  1106  et  ambicieux.  III,  1008.  Harmonie.  I,  151  et  armonie. 
I,  120.  Ftewx.  H,  1054  et  vieuls.  I,  391.  Au  paravant.  II,  576  et 
auparavant.  III,  835.  Davantage.  III,  650  et  d'avantage.  I,  762, 
etc.,  etc. 


GLOSSAIRE 


VOCABLES  TOMBÉS  EN  DESUETUDE  OU  DEVENUS  D'UN  EMPLOI  RARE. 

Abbander.  V.  I,  281.  Réunir  en  bandes. 

Abortif.  Adj.  I,  381.  Qui  est  sujet  à  avorter,  qui  a  avorté. 

Absenté.  Part.  p.  I,  1020.  Retenu  loin. 

Abuseur.  Adj.  III,  40.  Trompeur. 

Accroissance.  S.  Il,  892.  Accroissement. 

Acquêt.  S.  II,  354.  C'est  acquisition.  Il  se  prend  aussi  pour 
gain  et  profit.  (Nicot.) 

Affaitter.  V.  I,  354.  Apprivoiser  un  oiseau  de  proie. 

Aigret.  Adj.  I,  516;  II,  816.  Tirant  un  peu  sur  l'aigre.  (Nicot.) 

Ains.  Conj.  I,  808.  Mais. 

Airêteux.  Adj.  1, 1074.  Qui  a  des  arêtes  saillantes,  âpre. 

Alambiqueur.  S.  III,  1089.  Celui  qui  manie  l'alambic,  alchimiste. 

Amiable.  Adj.  III,  914.  Aimable. 

Apens.  Adj.  III,  1067.  Prémédité.  Faire  un  meurtre  de  guet 
appens,  ou  appensé  et  de  propos  délibéré.  (Nicot.) 

Apartenance.  S.  I,  235.  Rapport  de  convenance. 

Araigne.  S.  III,  62.  Araignée. 

Arbreux.  Adj.  II,  1119.  Couvert  d'arbres. 

Armoyé.  Adj.  I,  344;  II,  1000.  Armorié. 

Arroy.  S.  III,  837.  Équipage,  assortiment,  appareil. 

Artien.  S.  II,  922.  Écolier  qui,  ses  humanités  terminées,  étu- 
die en  philosophie. 

Attraire.  V.  III,  943.  Attirer. 

Avene.  S.  II,  192.  Avoine. 

Avette.  S.  II,  47.  Abeille. 

Avriller.  Adj.  I,  727.  Du  mois  d'avril. 

Baller.  V.  I,  552.  Danser. 

Barbasse.  Adj.  II,  706.  Barbu. 


212  — 


Bedon.  S.  II,  498.  Tambourin. 

Belet.  S.  II,  53.  Sorte  de  hochet. 

Belittrer.  V.  I,  823.  Trotter  çà  et  là,  mendiant.  (Nicot.) 

Bien-heureté   S.  I,  469.  Félicité. 

Blasonner.  V.  III,  82.  Mesdire  et  detracter  d'aucun.  (Nicot.) 

Borde.  S.  III,  130.  Logete  portable  assise  sur  quatre  roues, 
habitacle  des  bergers  aux  champs.  (Nicot.) 

Bouhourd.  S.  II,  995.  Tournoy  de  plusieurs  chevaliers  tour- 
noyants en  foule.  (Nicot.) 

Bouquin.  Adj.  II,  693.  Débauché. 

Bricoller.  V.  III,  173.  Jouer  de  bricole  à  la  paume. 

Brocarder.  V.  III,  92.  Se  moquer  de. 

Brosser.  V.  II,  593.  Courir  à  travers  bois. 

Brouil.  S.  III,  118.  Embrouillement. 

Brouillas.  S.  II,  222.  Brouillard. 

Caimand.  Adj.  I,  835.  Mendiant. 

Calvacadour.  S.  I,  355.  Ecuyer. 

Carme.  S.  I,  606,  637  ;  III,  967.  Vers. 

Caut.  Adj.  I,  316  ;  II,  226.  Avisé. 

Cautelle.  S.  III,  159.  Buse. 

Chanterel.  S.  II,  941.  Sorte  de  petit  chant. 

Chanterre.  S.  I,  604.  Chanteur. 

Charités.  S.  II,  15.  Grâces. 

Chefvetain.  S.  III,  493.  C'est  le  chef,  seigneur  et  conducteur. 
(Nicot.) 

Chommable.  Adj.  1, 922.  Qu'on  doit  ou  peut  chômer. 

Chore.  S.  III,  85.  Chœur. 

Comment.  S.  I,  73.  Commentaire. 

Compartir.  V.  I,  26.  Diviser. 

Compasser.  V.  III,  376.  Mesurer,  tirer  au  compas. 

Conforter.  V.  I,  758.  Réconforter. 

Conjoindre.  V.  III,  218.  Joindre  ensemble. 

Conquerre.  V.  III,  496.  Conquérir. 

Contemner.  V.  III,  749.  Mépriser. 
*  Conterie.  S.I,  911.  Conte. 

Contrefaisance.  S.  I,  120  ;  III,  143.  Imitation. 

Contremont.  Adv.  I,  165;  II,  94.  Vers  le  haut,  à  contre-sen&, 
-ens  dessus  dessous. 
Convenant.  Adj.  1, 873.  Qui  convient,  assorti. 
Convoiteux.  Adj.  I,  877.  Qui  convoite. 


—  213  — 

Cothurne.  Adj.  II,  1026.  Qui  a  la  forme  du  cothurne. 

Coupeau.  S.  I,  164;  III,  660.  Sommet  d'une  montagne. 

Couplé.  Part.  p.  I,  233.  Accouplé. 

Crêpe.  Adj.  1,288.  Frisé. 

Debauchement.  S.  I,  986.  Débauche. 

Déduit.  S.  II,  421.  Divertissement,  plaisir  de  l'amour. 

Delaute.  S.  III,  1024.  Défaut,  faute. 

Dejectement  S.  I,  656  ;  III,  654.  Dégradation. 

Déparier.  V.  III,  797.  Retirer  ce  qu'on  a  dit. 

Dépit.  Adj.  I,  34  ;  II,  643.  Irrité. 

Depiteux.  Adj.  I,  878.  Irrité. 

Déport.  S.  II,  942.  Petite  pièce  de  vers  gaie. 

Desauvager.  V.  JII,  801.  Civiliser. 

Desestimer.  V.  III,  1006.  Déprécier. 

Desombrager.  V.  II,  1158.  Priver  d'ombre. 

Despendre.  V.  II,  355.  Dépenser. 

Devotieux.  Adj.  111,  464.  Religieux,  pieux. 

Dilayeur.  Adj.  II,  358.  Qui  diffère. 

Discord.  S.  I,  485.  Dissension. 

Dommageable.  Adj.  III,  1080.  Qui  porte  dommage. 

Doucelet.  Adj.  III,  54.  Un  peu  doux. 

Droicturier.  Adj.  I,  173;  III,  818.  Conforme  au  droit. 

Duire.  V.  III,  397,  503.  Convenir,  être  avantageux. 

Ecouteur.  S.  I.  829.  Celui  qui  écoute. 

Ejouissance.  S.  H,  1143.  Réjouissance. 

Embesongné.  Adj.  I,  543.  Occupé. 

Emperler.  V.  III,  49.  Orner  de  perles. 

Empirance.  S.  I,  383.  Déchet.  (Nicot.)  Usure  des  vocables 
comparés  à  des  monnaies. 

Enceindre.  V.  I,  396.  Entourer  comme  d'une  ceinture. 

Enfançon.  S.  II,  51.  Petit  enfant. 

Engraver.  V.  I,  879.  Graver  dans. 

Enjoncher.  V.  III,  22.  Joncher. 

Ensuivre.  V.  I,  63  ;  II,  902.  Suivre. 

Entailleure.  S.  I,  287.  Action  d'entailler  ou  effet  de  cette 
action. 

Ententif.  Adj.  III,  1059.  Attentif. 

Entrelas.  S.  I,  22.  Entrelacement. 

Entremeslement.  S.  I,  237.  Action  d'entremêler. 

Enviné.  Adj.  II,  431.  Pris  de  vin. 


—  214  -r 

Epicède.  S.  III,  299.  Poème  funèbre. 

Epoinçonner.  V.  I,  103.  Piquer,  exciter. 
__Epoindre.  V.  III,  1037.  Piquer,  exciter. 

Escriveur.  S.  III,  1137.  Celui  qui  écrit. 

Esjouir.  V.  I,  695,  991.  Réjouir. 

Estranger.  V.  II,  606.  Écarter. 

Etançonner.  V.  I,  167.  Etayer. 

Etrecy.  Adj.  I,  84.  Etroit. 

Event.  S.  III,  196.  Résultat  final,  issue. 

Exercité.  Adj.  III,  130.  Exercé. 

Faé.  Adj.  II,  238.  Qui  est  sous  l'influence  d'un  charme. 

Fagotage.  S.  II,  684.  Action  de  lier  en  fagots,  ou  bois  propre 
à  mettre  en  fagots. 

Feintement.  Adv.  III,  210.  Avec  feinte. 

Feintise.  S.  II,  632.  Feinte. 

Flageol.  S.  II,  266  ;  III,  237.  Flageolet. 

Flûter.  V.  II,  191.  Jouer  avec  la  flûte. 

Fonde.  S.  III,  903.  Fronde. 

Forlongner  (se).  V.  II,  681.  S'éloigner. 

Fuitif.  Adj.  II,  116.  Qui  s'enfuit. 

Gaignage.  S.  I,  451.  Pâturage,  champs  ensemencés. 

Gazouillard.  Adj.  I,  719.  Qui  gazouille. 

Gemmeux.  Adj.  I,  735.  Qui  a  la  nature  de  la  gemme. 

Gent.  S.  II,  211.  Race. 

Goffe.  Adj.  II,  945.  Grossier. 

Goulûment.  Adv.  III,  896.  Avec  gloutonnerie. 

Gravois.  S.  I,  720.  Gravier. 

Halener.  V.  1, 111.  Respirer,  souffler. 

Hante.  S.  III,  64.  Fuste  d'une  javeline.  (Nicot.) 

Hantise.  S.  II,  631.  Fréquentation. 

Harde.  S.  I,  281.  Troupe  de  bêtes  sauvages.  (Nicot.) 

Harpeur.  S.  I,  64.  Celui  qui  joue  de  la  harpe. 

Hayette.  S.  I.  28.  Petite  haie. 

Heur.  S.  I,  482.  Bonheur. 

Horvari.  S.  II,  926.  Terme  dont  usent  les  chasseurs,  quand 
les  chiens  sont  tombés  en  défaut,  pour  les  ramener  sur  la 
piste. 

Idyllie.  S.  I,  787.  Idylle. 

Imager.  S.  I,  285.  Statuaire. 


—  215  — 

Incenser  (s').  V.  II,  1040;  III,  41.  S'emporter  en  discours  en- 
flammés. 

Incensé.  Part.  p.  III,  1113.  Enflammé,  furieux. 

Indois.  Adj.  1, 753.  Indien. 

Ire.  S.  II,  128.  Colère. 

Itale.  S.  1,586,  870.  Italie. 

Jargonner.  V.  III,  1120.  Parler  ou  dire  dans  son  jargon. 

Jouvance.  S.  II,  1059.  Jeunesse. 

Liseur.  S.  II,  245.  Lecteur. 

Loist  (il).  II,  3.  Il  est  permis. 

Los.  S.  II,  439.  Gloire. 

Loueur.  S.  III,  976.  Celui  qui  loue. 

Majeurs.  S.  I,  61.  Ancêtres. 

Martiré.  Part.  p.  I,  1018.  Martyrisé. 

Mechef.  S.  I,  482,  982.  Fâcheuse  aventure,  dommage. 

Médit.  S.  II,  1085.  Médisance. 

Merc.  S.  III,  193.  Dans  Nicot,  merque  pour  marque.  Merc  est 
mis  pour  merque,  comme  tragic  pour  tragique,  etc., 

Mesconter  (se)  V.  II,  673.  Se  tromper  dans  son  compte. 

Mesmement.  Adv.  I,  230.  De  la  même  façon. 

Messeamment.  Adv.  II,  100.  D'une  façon  malséante. 

Mignardelet.  Adj.  I,  668.  Diminutif  de  mignard. 

Mocquable,  Adj.  III,  149.  Qui  doit  exciter  la  moquerie. 

Mourable.  Adj.  III,  46.  Qui  doit  mourir. 

Naux,  S.  I,  78.  Nefs,  vaisseaux. 

Neuvain.  Adj.  III,  11.  Composé  de  neuf  personnes. 

Nombrable.  Adj.  II,  495.  Qu'on  peut  compter. 

Nouvelet.  Adj.  II,  430.  Diminutif  de  nouveau. 

Nuisance.  S.  I,  228.  Dommage. 

Nymphette.  S.  II,  2.  Diminutif  de  nymphe. 

Ocieux.  Adj.  III,  1007.  Oiseux. 

OEuvrelette.  S.  II,  860.  Diminutif  de  œuvre. 

Ombragement.  S.  III,  653.  Les  ombragemens  des  peintres  : 
umbrx  pictorum.  (Nicot.) 

One.  Adv.  I,  1037.  Jamais. 

Oppresse.  S.  II,  1151.  Oppression. 

Orage.  Adj.  III,  5.  Orageux. 

Ore.  Adv.  I,  356,  401,  683  ;  III,  847.  Maintenant,  tantôt. 

Outrecuidé.  Adj.  I,  44.  Présomptueux. 

Outreplus.  Adv.  I,  1085.  L'outreplus  =  le  reste. 

19. 


—  216  — 

-  Qvalle.  S.  I,  374.  Ecu  des  souverains. 

Palu.  S.  II,  917.  Marais. 

Parangon.  S.  I,  581.  Type  idéal. 

Parlerie.  S.  11,911.  Langage  (en  mauvaise  part). 

Partir.  V.  I,  24.  Diviser. 

Pastil.  S.  I,  406.  Pâturage. 

Pateline.  Adj.  III,  507.  Fait  avec  la  malice  naïve  de  Patelin. 

Patic.  Adj.  III,  189.  Pathétique. 

Pédante.  S.  II,  339.  Précepteur. 

Pers.  Adj.  II,  104.  Bleu  foncé. 

Pertuisé.  Part.  p.  II,  192,  491.  Percer. 

Pitaux.  S.  III,  1035.  Paysans  qui  formaient  des  compagnies 
à  pied  ;  lourdauds,  rustauds,  patauds. 

Plançon.  S.  I,  25.  Un  plançon  de  fresne  ou  autre  arbre. 
(Nicot.) 

Piéger.  V.  III,  953.  Fournir  caution. 

Plorable.  Adj.  I,  810.  Déplorable. 

Poëtastre.  S.  III,  360,937.  Mauvais  poète. 

Polu.  Adj.  III,  1111.   Souillé. 

Pourmeiner.  V.  I,  248.  Promener. 

Pourmenoir.  S.  I,  23.  Promenoir. 

Pour  traire.  V.  I,  188,193.  Faire  le  portrait  de,  représenter. 

Prime.  Adj.  II,  1059.  Premier. 

Privément.  Adv.  II,  746.  En  particulier. 

Proëme.  S.  III,  111.  Introduction,  exposition. 

Prometteur.  S.  II,  95.  Celui  qui  promet. 

Prononce.  S.  II,  623.  Prononciation. 

Prou.  Adv.  Il,  616.  Beaucoup. 

Racontement.  S.  II,  986.  Récit. 

Racoutrer.  V.  III,  225.  Remettre  en  état. 

Racueilli.  Part.  III,  68.  Accueilli  de  nouveau. 

Radresse.  S.  Il,  928.  Chemin  direct. 

Radresser.  V.  III,  1014.  Remettre  dans  le  bon  chemin. 

Rageux.  Adj.  II,  689.  Rageur. 

Rai.  S.  I,  992  ;  III,  44,408.  Rayon. 

Railleux.  Adj.  II,  722.  Railleur. 

Raillement.  S.  II,  742.  Moquerie. 

Raire.  V.  III,  386.  Raser. 

Ramentevoir.  V.  II,  452.  Rappeler. 

Rancœur.  S.  II,  1085.  Rancune. 


—  217  — 

Randon.  S;  III,  262.  Impétuosité. 

Rebat.  S.  I,  790.  Retentissement. 

Rebouché.  Part.  p.  III,  441.  Emoussé. 

Reciteur.  S.  III,  1114.  Celui  qui  récite. 
'  Recoy.  S.  II,  1157.  Repos,  lieu  retiré.  —  A  recoy.  1, 1026  = 
tranquillement,  en  secret, 

Regardant.  S.  1, 822.  Spectateur. 

Regardeur.  S.  III,  150.  Spectateur. 

Rehaussement.  S.  I,  778.  Action  de  rehausser  ou  effet  de 
cette  action. 

Remontreux.  Adj.  II,  737.  Qui  fait  des  remontrances. 

Renageable.  Adj.  III,  1079.  Qu'on  peut  repasser  à  la  nage. 

Repreneur.  S.  II,  361,  468.  Celui  qui  reprend. 

Requêter.  V.  II,  926.  Terme  de  vénerie,  quêter  de  nouveau. 

Retraindre.  V.  III,  814.  Réfréner,  écarter  de. 

Retraire.  V.  I,  1122.  Retirer. 

Revancher.  V.  III,  496.  Se  venger  de,  user  de  représailles. 

Riote.  S.  II,  804.  Querelle. 

Riotteux.  Adj.  II,  358,743.  Querelleur. 

Romanzé.  Adj.  I,  636.  Roman. 

Rousoyant.  Adj.  I,  454.  Couvert  de  rosée. 

Router.  V.  II,  92.  Roter.  (Nicol.) 

Sacre.  S.  III,  739.  Espèce  d'oiseau  de  proie. 

Scheme.  II,  922.  Figure  (de  rhétorique). 

Semblance.  S.  I,  212.  Ressemblance. 

Seree.  S.  I,  724.  Soirée. 

Serper.  V.  III,  268.  Couper  avec  la  serpe. 

Servantois.  S.  II,  941.  Sirvente. 

Simplesse.  S.  II,  899.  Simplicité. 

Sion.  S.  II,  150.  Rejeton. 

Souflement.  S.  I,  110.  Souffle. 

Souffrête.  S.  II,  455.  Misère. 

Soûlas.  S.  I,  21, 158.  Consolation,  soutien. 

Souventefois.  Adv.  III,  1093.  Souvent. 

Suivamment.  Adv.  II,  587.  Ensuite. 

Sylve.  S.  II,  719.  Forêt. 

Tabour.  S.  II,  1091.  Tambour. 

Tabourin.  S.  II,  1088.  Tambourin. 

Tabus.  S.  I,  1161.  Tracas,  querelle. 

Tistre.  V.  III,  275.  Tisser. 


—  218  — 

Torte.  Adj.  III,  151.  Tordue. 

Tortir.  V.  II,  561.  Tresser. 

Tourmenteux.  Adj.  III,  1088.  Qui  tourmente. 

Trac.  S.  I,  53.  Trace,  sentier. 

Tymbre.  S.  II,  1001.  Ornement  et  devise  dont  en  armoiries 
on  semé  un  armet.  (Nicot.) 

Usance.  S.  II,  891  ;  111, 144.  Expérience,  pratique. 

Vantance.  S.  III,  1103.  Vantardise. 

Vanteur.  Adj.  II,  658.  Vantard. 

Venteux.  Adj.  I,  859.  Gonûé  de  vent. 

Vermeillet.  Adj.  III,  18.  Diminutif  de  vermeil. 

Viander.  V,  I,  282.  Pâturer,  manger. 

Viandis.  S.  I,  452.  Pastis  ou  pasquis  oùle  cerf  et  autres  bestes 
rousses  paissent.  (Nicot.) 

Virevolter.  V.  III.  1021.  Se  tourner  en  rond. 

Vite.  Adj.  II,  822.  Rapide. 

Vitré.  Adj.  III,  663.  Qui  a  la  couleur  du  verre. 

Vouge.  S.  III,  1039.  Epieu  armé  d'un  large  fer. 

Vray- semblant.  S.  II,  313.  Vraisemblance. 


II 


VOCABLES  DONT  LE  SENS  A  CHANGE 

Accorder.  V.  II,  10.  S'accorder. 
Accoutrer  V.  II.  753.  Habiller  {en  bonne  part). 
Abuser.  V.  III,  168.  User. 

Adresse.  S.  Il,  924.  Chemin  de  traverse,  raccourci. 
Affable.  Adj.  I,  647.  Aimable.  La  chanson  amoureuse,  affable 
et  naturelle. 
Affection.  S.  II,  851.  Passion,  prévention. 
Aimer  (s').  V.  III,  477  ;  I,  679.  Se  plaire. 
Air.  S.  I,  413  ;  III,  101.  Façon,  manière. 
Aise.  S.  H,  1135.  Plaisir,  joie. 
Aleguer.  V.  II,  185.  Citer  comme  exemple. 
Annoncer.  V.  II,  624.  Prononcer. 
Aparence.  S.  II,  780.  Belle  apparence,  dignité. 


—  219  — 

Appartenir.  V.  I,  854.  Convenir. 

Apris.  Adj.  II,  541.  Instruit. 

Ardant.  Adj.  II,  147.  Enflammé  de  colère. 

Arène.  S.  I,  12.  Sable. 

Arquebusier.  S.  III,  623.  Celui  qui  tire  à  Parquebuse. 

Artifice.  S.  I,  80,  239.  Art. 

Artificieux.  Adj.  II,  57.  Artistement  fait. 

Aspect.  S.  I,  435.  Terme  d'astrologie.  Les  astrologues  comp- 
taient cinq  aspects  des  astres. 

Asseurer.  V.  II,  152,  888.  Solidement  affermir. 

Atacher.  V.  II,  764;  III,  280.  Attaquer. 

Augmenter  (s').  V.  II,  349.  Accroître  sa  fortune  ou  son  rang. 

Aviser.  V.  II,  873.  Apercevoir. 

Bassement.  Adj.  I,  808.  Dans  un  style  bas. 

Bastisseur.  S.  I,  346.  Architecte. 

Blanc.  S.  III,  624.  Cible,  but. 

Branle.  S.  II,  542.  Danse. 

Branler.  V.  I,  724.  Mener  (des  danses). 

Brasser.  V.  II,  214.  Tramer,  préparer. 

Bravade.  S.  II,  91.  Assurance  présomptueuse. 

Brave.  Adj.  I,  241,  421  ;  II,  1056.  Beau,  bon. 

Bravement.  Adv.  II,  753-  Avec  élégance. 

Brigade.  S.  III,  471.  Troupe.  D'enfants  joyeux  une  brigade  belle. 

Brouil.  S.  III,  118.  Embrouillement. 

Cabinet.  S.  I,  9.  Meuble  à  tiroirs  où  l'on  enfermait  les  livres 
et  papiers. 

Catarre.  S.  III,  387.  Flux  (de  méchants  vers). 

Cave.  S.  II,  407;  III,  1115.  Caveau,  cage. 

Chef.  S.  I,  220.  Tête. 

Chetif.  Adj.  I,  289.  Malheureux. 

Commandeur.  S.  1, 18.  Celui  qui  a  fait  commande  de  quelque 
chose. 

Commis.  S.  II,  170.  Ministre,  représentant,  mandataire. 

Compas.  S.  II,  777.  Cercle,  sphère,  dans  le  sens  de  domaine. 

Conduite.  S.  I,  1032.  Dessein  suivi. 

Conjoint.  Part.  p.  I,  1043.  Joint,  uni.  Le  beau  jugement  à 
Vart  conjoint. 

Connoissance.  S.  II,  995.  Pannonceau,  baniere  ou  enseigne 
où  estoit  peint  le  blason  d'aucun  seigneur  ou  chevalier.  (Nicot.) 

Connoistre.  V.  III,  191.  Reconnaître. 


—  220  — 

Conte.  S.  III,  840.  Cas.  Faire  conte  =  faire  cas. 

Contrefaire.  V.  I,  780.  Imiter,  représenter. 

Copieux,  Adj.  II,  1053.  Riche  et  ample  de  forme,  en  parlant 
d'un  écrivain. 

Cotter.  V.  I,  530  ;.  III,  1139.  Remarquer,  noter,  observer. 

Courage.  S.  I,  1076.  Cœur. 

Curieux.  Adj.  II,  660.  Soigneux,  minutieux. 

Débattre.  V.  II,  705.  Combattre,  jouter. 

Découvrir.  V.  I,  320.  Mettre  au  jour,  exprimer. 

Dédit.  Part.  p.  I,  909.  Contredit,  désavoué. 

Defence.  S.  II.  467.  Soutien. 

Défère.  V.  III,  207.  Détruire,  faire  mourir. 

Deffendeur.  V.  I,  17.  Défenseur. 

Démener.  V.  I,  536.  Débattre. 

Démontrer.  V.  II,  546.  Montrer,  représenter. 

Dépiter  (se).  V.  I,  818.  Sirriter. 

Déporter  (se).  V.  I,  298.  Se  désister  de,  renoncer  à. 

Désireux.  Adj.  II,  346.  Plein  de  désirs. 

Détraquer.  V.  I,  53;  III,  470.  Égarer  du  sentier. 

Devaller,  V.  III,  1066.  Faire  descendre. 

Devant.  S.  III,  618.  Ce  qui  précède.  La  suite  et  le  devant. 

Dire.  S.  III.  1010.  Expression. 

Discours.  S.  II,  69.  Paroles,  termes,  propos. 

Discrétion.  S.  1, 1134.  Discernement. 

Distraire.  V.  III,  563.  Soustraire,  opérer  une  soustraction. 

Divers.  Adj.  I,  217.  Composé  d'éléments  hétérogènes. 

Divertir.  V.  I,  998.  Détourner. 

Divinité.  S.  II,  589.  Théologie,  sciences  sacrées. 

Donneur.  S.  II,  669.  Celui  qui  donne  (en  bonne  part). 

Doucement.  V.  I,  966.  Avec  un  style  doux. 

Doucereux.  Adj.  1, 181,  Doux.  Lait  doucereux. 

Douteux.  Adj.  I,  1073.  Hésitant. 

Dresser.V.1, 22,302;  H,  538,Former,  construire,disposer,  établir. 

Drogue.  S.  I,  698.  Médecine  (sans  acception  défavorable  . 

Echafaut.  S.  I,  786,  820.  Scène  du  théâtre. 

Election.  S.  I,  1133.  Choix. 

Elire.  V.  I.  299.  Choisir. 

Eloquence.  S.  I,  332.  Élocution . 

Embouché.  Part.  p.  II,  782.  Inspiré  dans  son  langage.  Va 
Bacchus  un  Sylene  embouché. 


—  221  — 

Ennuy.  S.  II,  306.  Douleur,  affliction. 
'    Ennuyer  (s')  V.  I,  160.  Languir. 

Enseigne.  S.  I,  1003.  Signe,  symptôme. 

Entreprendre.  V.  II,  1044.  Prendre,  se  charger  de.  De  ces 
doux  orphelins  entreprist  la  tutelle. 

c  Entreprise.  S.  III,  340,  345.  Vœu  de  prendre  part  à  telle  aven- 
ture; gage  qu'on  donnait  de  sa  promesse  ;  insigne  qu'on  portait 
en  souvenir  du  vœu. 

Epargne.  S.  I,  1122.  Terme  de  gravure.  Taille  d'épargne, 
quand,  enlevant  le  fond,  les  traits  qui  doivent  paraître  sont 
ceux  qu'on  épargne,  qu'on  laisse  en  relief. 

Erreur.  S.  I,  414,483.  Pérégrination,  aventure. 

Espèce.  S.  I,  270;  799.  Apparence;  spécialité. 

Esprit.  S.  I,  505.  Inspiration. 

Esprits.  S.  I,  98.  Esprit,  âme. 

Estât.  S.  II,  350.  Situation  sociale,  charge  publique. 

Estendre.  V.  II,  759.  Lancer,  exprimer. 

Estendre  (s').  V.  II,  878.  Se  relâcher. 

Estrange.  Adj.  II,  1034.  Etranger. 

Etage,  S.  II,  395.  Scène  du  théâtre.    . 

Etofé.  Part  p.  II,  1003.  Garni  de  tout  ce  qui  est  nécessaire 

sur  la  commodité  et  l'ornement. 

Etonner.  V.  II,  392.  Frapper  d'horreur,  de  stupeur. 

Excellent.  Adj.  II,  44.  Supérieur,  éminent. 

Exemplaire.  S.  I,  748;  III,  500.  Modèle,  image,  type. 

Expérimenter.  V.  III,  978.  Mettre  (quelqu'un)  à  l'épreuve. 

Exprimer.  V.  I,  348.  Représenter,  reproduire,  rendre. 

Fabrique.  S.  II,  160.  Édifice. 

Fâcheux.  Adj.  11,20.  Pénible.  Les  sentes  moins  fâcheuses. 

Façon.  S.  II,  37.  Manière  d'être,  mœurs. 

Facond.  Adj.  III,  682.  Eloquent  (sans  acception  défavorable). 

Faconde.  S.  II,  315.  Eloquence  (sans  acception  défavorable). 

Façonné.  Part.  p.  III,  968.  Composé.  Yeux  façonnez. 

Fait.  S.  I,  415,603  Haut-fait. 

Fantasie.  S.  I,  220;  III,  416.  Imagination,  chimère. 

Fantastique.  Adj.  11,700;  III,  383.  Fantasque,  maniaque. 

Farce.  S.  IL  1012.  Pièce  de  théâtre.  La  farce  tragicque. 

Farceur.  S.  III,  109.  Auteur  de  farces. 

Fart.  S.  III,  510.  Art. 

Feindre.  V.  I,  224,322.  Représenter,  imaginer. 


—  222  — 

Fier.  Adj.  I,  624.  Farouche. 

Figurer.  V.  I,  262.  Représenter.  Pourquoy  doncques  au  lieu 
d'un  Satire  paillard  Nous  viens-tu  figurer  Silène  le  vieillard  ? 

Filet.  S.  III,  62.  Petit  ûl  (de  toile  d'araignée). 

Finement.  Ad.  I,  317.  Adroitement,  ingénieusement. 

Fleurete.  S.  III,  852.  Ce  qu'il  y  a  de  meilleur,  de  plus  fin,  etc. 

Fredonner.  V.  111,621.  Chanter,  célébrer. 

Froisser.  V.  III,  771.  Mettre  en  menues  pièces.  (Nicot.) 

Front.  S.  1, 1112.  Abord. 

Fruictier.  S.  I,  448.  Arbre  fruitier. 

Fureur.  S.  I,  97,  112,  942;  111,  997.  Inspiration  poétique. 

Futur.  S.  II,  359.  Avenir.  Convoiteux  du  futur. 

Gaigner.  V.  III,  12.  Attraire  et  captiver  à  soy.  (Nicot.) 

Gaillard.  Adj.  II,  369.  Vif,  vaillant. 

Gaillardise.  S.  II,  572.  Vivacité,  gaieté. 

Gendarme.  S.  I,  473.  Homme  d'armes,  soldat. 

Gentil.  Adj.  I,  180.  Joli,  gracieux.  Gentil  Symbolle. 

Geste.  S.  I,  127,  472.  Fait,  exploit. 

Grâce.  S.  III,  827.  Faveur,  crédit. 

Grammairien.  S.  I,  537.  Critique. 

Grave.  Adj.  II,  762.  Qui  est  à  charge,  dur,  violent. 

Gregois.  Adj.  II,  843.  Grec. 

Habile.  Adj.  II,  517.  Instruit,  savant. 

Hautain.  Adj.  I,  239,  266.  Pompeux,  noble,  élevé. 

Hautement.  Adv.  II,  1025.  Avec  élévation,  avec  noblesse. 

Hasard.  S.  II,  866.  Risque. 

Héraut.  S.  I,  343.  Officier  dont  une  des  fonctions  était  de 
régler  les  fêtes  de  chevalerie  et  de  tenir  registre  des  noms  et 
blasons  des  chevaliers. 

Honorer.  V.  II,  996.  Embellir,  orner. 

Honteux.  Adj.  II,  496.  Qui  a  de  la  pudeur,  de  la  réserve. 

Idiot.  Adj.  I,  97.  Poétiquement  inspiré   et  ravi  hors  de  soi. 

Illuminé.  Part  p.  III,  583.  Enluminé,  illustré. 

Inouï.  Adj.  I,  895.  Qui  n'a  pas  encore  été  entendu  (au  sens 
propre). 

Inventer.  V.  I,  307.  Imaginer,  concevoir  des  idées. 

Jetter.  V.  III,  561.  Calculer  avec  des  jetons. 

Jeu.  S.  H,  501.  Pièce  de  théâtre,  scène. 

Joueur.  S.  II,  388.  Acteur. 

Ficher  (se).  V.  1, 379.  S'attacher. 


—  223  — 

Journal.  S.  I,  494.  Relation  jour  par  jour  de  ce  qui  se  passe. 
Les  cercles  de  la  Lune,  ou  sont  les  gros  journaux  Des  choses 
d'ici  bas. 

Journalier.  Adj.  I,  728.  Qui  dure  une  journée. 

Juger.  V.  II,  944.  Distinguer. 

Labeurs  S.  II,  889.  Ouvrages  écrits. 

Lame.  S.  III,  304.  Pierre  sépulcrale. 

Langoureux.  Adj.  III,  454.  Languissant,  affaibli. 

Leurrer.  V.  I,  354.  Dresser  au  leurre. 

Litigieux.  Adj.  I,  486.  Qui  est  en  désaccord. 

Loyer.  S.  II,  437.  Prix,  récompense. 

Malapris.  Adj.  II,  517.  Ignorant. 

Malin.  Adj.  I,  44,  1096.  Méchant. 

Mandement.  S.  I,  41.  Commandement. 

Manie.  S.  1, 152.  Folie,  inspiration  poétique. 

Mariable.  Adj.  I,  980.  Qui  peut  se  marier.  Rendre  nostre 
François  au  Latin  mariable. 

Marmot.  S.  III,  1161.  Singe. 

Marque.  S.  II,  814.  Trace.  La  marque  des  vieux  pas. 

Marquer.  V.  III,  288.  Remarquer. 

Mémoire.  S.  I,  561.  Mention. 

Ménagerie.  S.  III,  1163.  Industrie. 

Menterie.  S.  I,  912.  Fiction. 

Mentir.  V.  I,  910.  Imaginer. 

Mignon.  Adj.  1,597.  Gentil,  joli,  charmant.  Pétrarque  le  mi- 
gnon. 

Mirer.  V.  III,  623,  674.  Viser,  contempler. 

Mise.  S.  III,  558.  Capital. 

Mode.  S.  1,568.  Manière. 

Mommerie.  S.  III,  331.  Mascarade. 

Moraux.  S.  III,  101.  Moralités,  pièces  morales. 

Moucher.  V.  II,  781.  Frustrer. 

Moyen.  S.  II,  761.  Milieu,  moyenne,  tempérament. 

Muer.  V.  II,  403.  Changer. 

Nerfs.  S.  II,  179.  Cordes  de  la  harpe. 

Neuvaine.  S.  III,  1096.  Réunion  des  neuf  Muses. 

Objet.  S.  III,  662.  Ce  qui  se  présente  au  regard. 

Obscurci.  Adj.  III,  1009.  Obscur. 

Offence.  S.  III,  1040.  Blessure  (au  propre). 

Offusquer.  V.  I,  1141.  Obscurcir. 


—  224  — 

Ombrage.  S.  II,  1099.  Ombre.  Une  belle  lumière  amené  un 
bel  ombrage. 

Outrepasser.  V.  I,  44.  Transgresser. 

Outrer.  V.  II,  1132.  Traverser  de  part  en  part. 

Parement.  S.  I,  241  ;  III,  757,  850.  Parure. 

Parfait.  Adj.  II,  461.  Entier,  achevé. 

Parole.  S.  1,408.  Vocable. 

Patron.  S.  I,  528.  Modèle. 

Perruque.  S.  III,  39.  Chevelure. 

Pipé.  Part.  p.  II,  1070.  Séduit. 

Piteux.  Adj.  I,  479,  824;  II,  318,  655.  Digne  de  pitié. 

Pitoyable.  Adj.  III,  157.  Attendrissant. 

Plaisamment.  Adv.  II,  522.  Agréablement.* 

Plaisant.  Adj,  I.  38,80,  590,  667,  717,  761;  11,2;  III,  54. 
Agréable,  qui  plaît. 

Plaisir.  S.  I,  412.  Bon  plaisir,  souveraine  volonté. 

Pleureux.  Adj.  II,  231.  Éploré. 

Poétiser.  V.  II,  261.  Faire  des  vers. 

Poignant.  Adj.  I,  660.  Piquant. 

Poindre.  V.  1, 1024.  Piquer. 

Pointure.  S.  I,  516.  Piqûre. 

Police.  S.  III,  492.  Gouvernement  d'une  République.  (Nicot.) 

Populaire.  Adj.  III,  944.  Composé  du  peuple.  La  tourbe  popu- 
laire. 

Port.  S.  II,  1126.  Contenance.  (Nicot.) 

Porter.  V.  II,  933.  Supporter. 

Porter  (se).V.  H,  734.  Se  comporter. 

Privé.  Adj.  I,  809.  Familier.  Vers  privez  et  bas. 

Propos.  S.  I,  232.  Opportunité. 

Proposer  (se).  V.  1, 1072.  Se  représenter. 

Prudent.  Adj.  III,  812.  Éclairé,  clairvoyant. 

Puissance.  S.  I,  227.  Pouvoir.  Le  Peintre  et  le  Poète  ont  gaigné 
la  puissance  D'oser... 

Quitter.  V.  II,  829;  III,  217.  Céder. 

Raccourcissement.  S.  I,  777.  Raccourci. 

Ranger.  V.  H,  833.  Accommoder. 

Rapporter.  V.  II,  675.  Représenter. 

Recherché.  Adj.  III,  1151.  Abstrus,  caché  au  vulgaire. 

Réduire.  V.  III,  992.  Amender. 

Relâcher.  V.  III,  892.  Délivrer,  délier. 


—  225  — 

Remarque.  S.  I,  560.  Marque. 
Remarqué.  Part.  p.  II,  1122.  Marqué,  parsemé. 
Rencontrer  (se).  V.  II,  251.  S'accorder. 
Rentrant.  Adj.  III,  289.  Incisif. 
Reprise.  S.  II,  644.  Critique. 

Respect.  S.  I,  1054;  II,  449.  Scrupule,  appréhension,   égard. 
Au  respect  de  =  à  l'égard  de. 
Retarder.  V.  II,  711.  Captiver,  tenir  sous  le  charme. 
Retirer.  V.  1, 985  ;  III,  525.  Détourner,  tirer. 
Retour.  S.  I,  688.  Antistrophe. 
Rompre.  V.  II,  642;  III,  65.  Interrompre. 
Rusé.  Adj.  I,  321.  Bien  avisé.  Lors  prudent  et  rusé  Tu  peux 
\  feindre  des  mots  dont  on  n'a  point  usé. 
Sacré.  Adj.  III,  1096.  Consacré. 

Seconder.  V.  II,  303;  III,  710.  Venir  le  second,  venir  après. 
Secret.  Adj.  III,  602.  Qui  agit  secrètement. 
Séjour.  S.  III,  65.  Tranquillité,  loisir. 

Sembler.  V.  I,  464.  Ressembler. 
Sermonneur.  S.  II,  750.  Sermonnaire. 
Seur.  Adj.  I,  275.  Qui  est  en  sûreté. 
Seurement.  Adv.  II,  4;  III,  4.  En  sûreté 
Somme.  S.  111,644.  Sommeil.  Parfois  le  bon  Homère  est  sur- 
pris par  le  somme. 

Sommer.  V.  III,  563.  Additionner,  faire  la  somme  de. 
'    Sonner.  V.  II,  173.  Chanter,  célébrer. 

Sonneur.  S.  I,  665  ;  III,  350.  Celui  qui  chante,  poète. 

Sornette.  S.  II,  943.  Pièce  de  poésie. 

Sort.  S.  I,  586.  Principal  d'une  somme  d'argent. 

Souffreteux.  Adj.  I,  826.  Malheureux. 

Subtil.  Adj.  1, 781.  Habile.  L'un  sçait  bien  les  couleurs  subtil 
entremesler. 
■    Subtilement.  Adv.  II,  241.  Habilement. 

Succez  S.  III,  169.  Issue,  fin. 

Suivant.  Adv.  II,  20.  A  la  suite  de. 

Surtout.  Adv.  I,  204.   Par-dessus  tout.  Surtout  agréable  est 
la  contre f aisance. 

Taille.  S.  III,  268.  Taillis. 

Tandis.  Adv.  I,  514.  En  attendant. 

Taxer.  V.  II,  698.  Censurer. 

Tellement.  Adv.  I,  967.  De  telle  sorte. 


—  226  — 

Tirer.  V.  1, 1070,  1049,  1011.  Entraîner,  amener  ;  faire  le  por- 
trait de. 

Tour.  S.  I,  688.  Strophe. 

Tripot.  S.  III,  773.  Jeu  de  paume. 

Vague.  Adj.  III,  815.  Qui  ne  se  fixe  pas.  Vague  accouple- 
ment =  promiscuité. 

Vaillances.  S.  II,  560.  Traits  de  vaillance. 

Valeurs.  S.  II,  114.  Traits  de  valeurs. 

Verdeur.  S.  I,  175;  II,  10.  Verdure,  couleur  verte,  fraîcheur 
de  la  jeunesse? 

Vesture.  S.  II,  419.  Vêtements. 

Viande.  S.  III,  952.  Tout  ce  qu'on  mange. 

Vice.  S.  1, 1084.  Défectuosité,  mauvais  état. 

Vif.  Adj.  1, 155.  Vigoureux. 

Visage.  S.  I,  738.  Aspect. 

Volontaire.  Adj. III,  960.  Qui  agit  volontiers. 

Volontairement.  Adv.III,  472.  Volontiers. 

Vulgaire.  S.  I,  582,  613.  Langue  vulgaire. 


INDEX 


L'Art  poétique  de  Vauquelin  est  si  mal  ordonné  et  si 
confus  que  nous  croyons  utile  de  présenter  dans  un  index 
les  noms  des  écrivains  cités  par  l'auteur  et  ceux  des  genres 
dont  il  s'occupe,  avec  des  renvois  au  livre  du  poème  et  au 
numéro  du  vers. 


Acrostiche.  I,  3S0.  —  Ages  (ta- 
bleau des) .  II.  329,  —  Alexandre 
(le  Roman  à").  I,  634.  —  Alexan- 
drin (le  vers).  I,  633.  —  Amadis 
(Y  —  de  Gaule).  II,  1005.  —  Ana- 
gramme.   I,    380.     —    Angennes 


(d').  III,  859.  —  Aratus.  1,  929.  — 
Arioste.  II,  981  —  Aristophane. 
III,  99.  —  Aristote.  I,  63,  etc.  — 
Arnaud  I,  562.  —  Art  (Y  —  dans 
la  poésie.  I,  19,  155.  L'Art  et 
la  Nature.  111,  371  ;  III,  S05. 


Bàif.  I,  337,  577.  924  ;  II,  579, 
841,  etc.  —  Ballade.  I,  546,  554,  — 
Bardes.  III,  832  —  Bellay  (du). 
I,  337,  577,  924  ;  II,  579,  841,  etc. 
—  Belleau   (Rémi).  111,  108  .249, 


etc.  — Bembo.  I,  599.  — Bertaut. 
III,  721.  —  Binet.  III,  253.  — 
Bocage.  III,  25fc.  —  Buchanan. 
III.  741. 


Cahaignes.  III,  705.  —  Calli- 
maque.  1, 540  ;  III,  309.  —  Cartel. 
III,  3i9.  —  Catalane  (la  langue). 
I,  595,  614.  —  Catulle.  II,  855.  — 
Chanson.  I,  647.  —  Chant  royal- 
I,  545.  —  Chantecler.  II,  1060; 
III,  731.  —  Chasteauvieux.  1,  751  ; 
III,  109.  —  Chevalier  (Robert 
et  Antoine  le).  I,  5>73.  —  Chœur 
/le -tragique).  II,  467.  —  Chrétien 
(Florent).  III,  734,  —  Claudien. 
111,  310.    —  Comédie   (l'unité   de 


temps  dans  la).  II,  255.  L'action 
et  le  récit  dans  la  comédie.  II, 
413.  Licence  primitive  de  la  co~ 
niédie.  III,  79.  Différentes  parties 
de  la  comédie  III,  111.  Origines 
de  la  comédie,  III,  127.  Définition 
de  la  comédie.  III,  143.  —  Con- 
venance (la  —  des  parties).  I,  205. 
—  Coq  à  l'âne.  II,  723.  —  Cossê. 
III,  865.  —  Courville.  II,  579.  — 
Critxque  (le  portrait  du  vrai).  III, 
987. 


—  228  — 


Desportes.  I,  591  ;  II,  728  ;  III, 
875,  etc.  — Dialectaux  (restaura- 
tion des  termes).  I,  361. —  Didac- 
tique (le  genre).  1,913.  —  Dizain. 


III,  295.  —  Dorât.  III,  709.  — 
Doublet.  II,  731.  —  Druides.  III, 
831.  —  Duarin.  III,  6S1. 


E 


Elbene  (d).  I.  691.  —  Élégie.  I, 
515.  —  Entreprise.  III,  340.  — 
Epicède.  III,  299.  —  Epigramme. 
III,  287.  —  Epinay  (d').  III,  871. 
—  Epitaphe.  III,  301.  —  Epitre. 
III,  275.  — ^Epopée  (la  matière  de 


1').  I.  413.  Le  mètre  épique.  I, 
507  —  Le  début  de  l'épopée.  II. 
87.  L'étendue.  II,  233.  ie  héros, 
II,  289.  L'épopée  en  prose.  II, 
231.  —  Eschyle.  II.  1019.  —  Pren- 
nes. III,  295. 


Faww  (le).  III,  705.  —  Fauve 
(le).  Il,  1064.  —  Filleul.  III,  717. 
—  Flamin.  II,  855.  —  Fota;  (le 
prince  de).  1,  350.  —  Fouilloux 
(du).  I,  350.  —  Foulques.  I,   562. 


—  Française  (perfectionnement 
de  la  langue).  II,  581.  /£  ne  /awf 
pas  la  dédaigner .  III,  747.  — 
Francière)  Jean  de).  I,  352. 


Gallus,  I,  541.  —  Ganasse.  I, 
859.  —  Garnter.  II,  1053,  — 
Gauloise   (la  langue).   I,    615,  — 


Genres  (anciens  —  du  moyen  âge.) 
II,  940     —    Grevin.    III,    107.  -1 
Grison  (le).  I,  357. 


Hésiode,  1,607.  —  Homère. 1, 416,    I    — Hughes.  I,   562.    —  Huitain. 
607,  etc.  —  Horace.  1,  64,  74,  etc.    |   III,  295.  —  Hymne.  III,  307. 


ïambe.  I,  623;  11,821.    -   2mt-    I    piration    (l'-poétique).    1,91;    IIJj 
tation  (l'-poétique).  I,  119,  —  Ins-    I    427. 


Jamin  (Amadis).  I,  967.  —  Jo-    I    604.  —  Jumel  (le).  II,  731.  —  Ju* 
délie.    II,    1035.  _  Jongleurs,  I,    i   vénal.  II  ,811. 


—  229  — 


Lai.  I.  523,  —  Lancelot.  II,  991. 
—  L'Hospital.   III,  715.  —  Lorris 


(Guillaume  de).  II,  933.  —  Lucilius, 
II,  704.  —  Lucrèce.  I,  931. 


M 


Maisonnier.  II,  1057.  —  Mal- 
herbe. III,  711.  —  Manilius.  I, 
929.  —  Marion.  III,  682,  —  Ma- 
rot  (Clément).  II,  725.  —  Mar- 
tial. III,  288 .  —  Martin.  I,  347. 
—  Marulle.  II,  856;  III,  310.— 
Mascarade.  III,  336-  —  Mazures 
(des).  I,  971.  —  Menandre.  III, 
102.  —  Merlin.  II,  985.  —  Mer- 
veilleux païen  et  chrétien.  I,  901; 


III.  33,  815.  —  Mesurés  (vers). 
II,  833.  —  Meung  (Jean  de).  II, 
954.  —  Michel.  III,  705.  —  Min- 
turne.  I,  65.  —  Modus.  I,  350.  — 
Mœurs  (l'usage  des).  I,  835.  — 
Monin  (du).  II,  911.  —  Moralité. 
II,  499.  —  Morin.  II,  1019.  — 
Mots  nouveaux.  I,  315.  —  Mouli- 
net. III,  857. 


N 


Nature  (la  —  et  l'art).  111,371, 
805.  L'imitation  de  la  nature.  III, 


499. 


Némond.  II,  1050. 


Ode.  I,  651.  —  Odelette.  I,    667. 
—  Orphée.    III,  303.  —    Ovide.  1, 


425,  541,  921. 


Pasquier.  III,  745.  —  Passerat. 
III,  729.  —  Pastorale.  III,  22J.  — 
Pelletier.  III,  314.  —  Péripéties. 
III,  195.  —  Perron  (du).  III,    71S. 

—  Péruse  (la),  II.  1039,  —  Pétrar- 
que.!,^, ^n.—  Philetas.  1,540. 

—  Pibrac.  III,  253.  —  Pindare. 
I,  694,  etc.  —  Plaute.  III,  100.  — 
Poésie  (Supériorité  de  la  —  sur  la 
prose).  I,  83.  La  poésie  à  pour 
fin   de   réjouir.  I,  697.  Elle  doit 


allier  l'utile  au  beau,  I,  753.  La 
poésie  et  la  peinture.  III,  647,  — 
La  médiocrité  n'est  pas  tolérable 
en  poésie.  III,  675,  759.  —  Œuvre 
civilisatrice  de  la  poésie.  III,  799. 
Poète  (chaque  —  à  son  talent 
particulier).  I,  773.  Qualités  mo- 
rales du  poète.  II,  599.  Ses  dé- 
fauts. II,  636.  —  Pontan.  I,  923; 
II,  856.  —  Properce.  I,  541.  — 
Provençale  (la  langue).  I,  595. 


Rapportés  (vers).  III,  297.  — 
Reconnaissance  (la).  III,  189.  — 
Rembaud.  I.  561.  —  Remon.  I, 
562.  —  Rime.  I,  550,  600.  —  Ro- 
land furieux.  I,  198.  —  Romane 


(la  langue).  I,  614.  —  Romans 
(les) .  I,  601  ;  II,  937.  —  Rondeau 
I,  546.  —Ronsard.  1,337,  434,  575, 
583,  6S7;  II,  729,  etc.  —  Rouxel. 
III,  702. 


—  230  — 


Saint  Gelais  (O.  de).  I,  970.  — 
Saint  Gelais  fMellin  de).  I,  571. 
—  Saintemarthe  (Scévole  de). 
I.  925  ;  II,  1043  ;  III,  707.  —  Salel. 
I,  96S.  —  Samothes.  III,  832.  — 
Sannazar .  III,  235.  —  Sapho.  I, 
716.  —  Sarromides.  III,  832.  — 
Satire  (les  Satyres  et  la).  II,  679. 


La  Satire.  III,  284.  —  Scahger 
III,  734.  —  Scève.  I,  331,  539. 
Second.  II,  856.  —  Sénùque.  II 
1109  —  Sirvente.  II,  718.—  Sonnet 
1,  547,  553,  560,  L61,  643.  —  So> 
phocle.  II,  1108.  —  Stace.  III 
263.  —  Sueur.  III,  727. 


Table  ronde  (la).  II,  984,  — 
Tahureau.  III,  247.  —  Tasse  (le). 
I,  425,  905,  etc.  —  Tenson.  I, 
547.  —  Terence.  III,  100.  — 
Thêocrile.  III,  231  —  Thespis.  II, 
1011  —  Thiard  (Pontus  de).  I, 
333,  567.  —  Thioise  (la  langue). 
I,  614  —  Thou  (de).  III,  737.  — 
Tibulle.  I,  539.  —  Tirmois.  III, 
711.  —  Toutain.  II,  839,  1047.  — 
Traduction  (la  —  et  les  traduc- 
teurs). I,  955.  —  Tragédie  (le 
mètre  de  la).  I,  632.  Différence 
entre  la   tragédie  et    la  comédie. 


I,  807.  Unité  de  temps  dans  latra 
gêdie.  II,  255.  Le  récit  et  l'actior* 
dans  la  tragédie.  II,  301.  Origint 
de  la  tragédie.  II,  427,  1011.  —  La 
tragédie  doit  avot  cinq  actes.  II, 
461.  —  La  tragédie  est  bornée  à 
trois  personnages.  II,  466.  Lei 
sujets  modernes  et  domestiques 
dans  la  tragédie.  II,  1109;  III, 
347.  Définition  de  la  tragédie.  III, 
153.  —  Tragicomédie .  III,  163. 
Troubadours.  I,  519.  —  Trou- 
vères. I,  555,  603.  —  Turpin.  II, 
936. 


Vaillant.  III,  724.  —  Val  (du). 
III,  857.  —  Variations  des  lan- 
gues. I,  393.  —  Vau  de  vire.  II, 
555.  —    Vida.    1, 65.   —    Virgile. 


I,  417,  420,  919  ;  II,  297  ;  III,  233, 
etc.  —  Vitruve.  1,318.  —  Vrai- 
semblance (la).  III,  599.  —  Wal- 
lonne ,1a  langue).    I,  614;  II,  959. 


Imp.  de  la  Soc.  de  Typ.  -  Noizbtte,  8,  r.  Camp»gne-Première.  P«ri». 


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I 


PQ  Vauquelin  de  ^a  Fresnaye,  Jean, 

1707  sieur  des  Yveteaux 
V35A7  L'art  poétique 

1885 


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