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Full text of "L'art religieux du XIIIe siècle en France : étude sur l'iconographie du moyen age et sur ses sources d'inspiration"

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L'ART   RELIGIEUX 

DU    XIII1     SIÈCLE 

l.\    FRANCE 

I    rU  DE     SI   I!     LIC0N0GRA1MI1K     l>l      MOÏ  K\     AGI 
I    I    SUlî    SI   -    -'  H    RCES    D'IXSPl  RATIi  IX 


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L'ART  RELIGIEUX 


Dl      Mil"    SIECLE 


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EMILE    MALE 

L'Art  religieux  dl*  xi  il*  siècle  es  France.  Etude  sut  Y  Iconographie  du  Moyen  âge  et  sur  ses  sources  â?  inspiration 

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L'Art  religieux  de  la  fin  du  moyen  âge  en  France.  Etude  tur  V Iconographie  du  Moyen  âge  et  sur  ses  sources 

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Relié  demi-chagrin,  tête  dorée 32  fr. 


EMILE    MALE 


L'ART    RELIGIEUX 

Dl    XIII     SIÈCLE 

EN   FRANCE 

ÉTUDE    SUR    L'ICONOGRAPHIE    DU    MOYEN    AGE 
ET   SUR   SES   SOURCES   D'INSPIRATION 


Ouvrage    couronné    par    lAcadémie    des    Inscriptions    <■[     Belles-Lettres. 


IPIUX     FOULD 


TROISIEME     EDITION,     REVUE     ET     AUGMENTEE 

Illustrée  de  189  Gravures. 


PARIS 

JBRA1RIE     VRAI  AND    COL 

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1  D 

Monsieur  Georges  PERROT 

Ancien  directeur  <i«'  L'Ecole  normale  supérieure, 
Secrétaire  perpétuel  de  I  Académie  <!<••;  Inscriptions  et   Belles-Lettres, 


Hommage  </  affection  <■/  de  respect. 


PREFACE 


Le  moyen  âge  a  conçu  l'art  comme  un  enseignement.  Tout  ce  qu'il  était 
utile  à  l'homme  tic  connaître,  l'histoire  du  monde  depuis  sa  création,  les 
dogmes  de  la  religion,  les  exemples  des  saints,  la  hiérarchie  tics  vertus,  la 
variété  des  sciences,  des  arts  et  des  métiers,  lui  était  enseigné  par  les  vitraux 
de  l'église  ou  par  les  statues  du  porche.  La  cathédrale  eût  mérité  d'être  appe- 
lée de  ce  nom  touchant,  qui  fut  donné  par  les  imprimeurs  du  w"  siècle  à  un 
de  leurs  premiers  livres  :  »  la  Bible  tics  pauvres  ».  Les  simples.  les  ignorants, 
tous  ceux  qu'on  appelait  »  la  sainte  plèbe  de  Dieu  »,  apprenaient  par  les  yeux 
presque  tout  ce  qu'ils  savaient  de  leur  loi.  Ces  grandes  figures  si  religieuses 
semblaient  porter  témoignage  tic  la  vérité  île  ce  qu'enseignait  l'Eglise.  Ces 
innombrables  statues,  disposées  d'après  un  plan  savant,  étaient  connue  une 
image  de  l'ordre  merveilleux  que  saint  Thomas  faisait  régner  dans  le  monde 
des  idées;  grâce  à  l'art,  les  plus  hautes  conceptions  tic  la  théologie  et  de  la 
science  arrivaient  confusément  jusqu'aux  intelligences  les  plus  humbles. 

Mais  le  sen>  de  ces  o' uvres  profondes  s'obscurcit.  Des  général  ions  nouvelle--. 
qui  portaient  en  elles  une  autre  conception  du  inonde,  ne  les  comprirent  plus. 
Dès  la  seconde  moitié  du  wT' siècle,  l'art  du  moyen  âge  devint  nue  énigme.  Le 
symbolisme,  qui  lut  lame  de  notre  art  religieux,  acheva  alors  de  mourir. 

L  Eglise  rougit  des  chères  légendes  qui  avaient  bercé  la  chrétienté  pendant 
tant  de  siècles.  Le  concile  de  Tien  le  m  an  pie  la  lin  de-  vieilles  traditions  artis- 
tiques. Dans  son  Traité  des  saintes  images,  livre  tout  plein  de  l'esprit  du  cou- 


2  p  i;  la  a  (  i: 

cile,  le  théologien  Molanus  montre  qu'il  n'entre  plus  dans  le  génie  «1rs  œuvres 

du  passé  '. 

Au  xvii0  fi  au  win"  siècle,  les  bénédictins  de  Saint-Maur,  quand  ils  parlent 
de  nos  vieilles  églises,  font  preuve  d'une  ignorance  choquante  chez  de  si  grands 
érudits.  Montfaucon,  dans  ses  Monuments  de  In  monarchie  française,  cherche 
sur  la  façade  de  nos  cathédrales  des  scènes  de  l'histoire  de  France  et  (les  por- 
I  rails  de  rois. 

Que  dire  des  simples  curieux?  Ils  parlent  des  bas-reliefs  et  des  statues  de 
nos  cathédrales,  connue  ils  parleraient  des  monuments  de  I  Inde.  Des  rêveurs 
croient  lire  au  portail  de  Notre-Dame  de  Paris  le  secret  de  la  pierre  philoso- 
phale  '.  A  la  lin  du  xvme  siècle,  Dupuis  trouve  dans  le  Zodiaque  de  Notre-Dame 
un  argument  en  laveur  de  sa  fameuse  thèse  de  l'origine  solaire  île  tons  les 
cultes.  Lenoir3,  son  élevé,  reconnaît,  dans  une  série  de  bas-reliefs  consacrés 
à  saint  Denis,  toute  la  légende  de  Bacchus. 

Il  a  fallu  «pie  notre  siècle  retrouvât  laborieusement  le  sens  des  œuvres  du 

\en  âge   devenues  plus  obscures  que  des   hiéroglyphes.  Quiconque   arrive 

sans  préparation  devant  le  portail  d'Amiens,  ou  devant  le  porche  septentrional 
de  Chartres,  ne  saurait  entrer  dans  ce  monde  fermé.  11  y  faut  un  guide.  Depuis 
l83o,  de  grands  archéologues,  les  Didron,  les  Cahier,  nous  ont  l'ait  pénétrer 
fort  avant  dans  ces  mystères.  Mais  il  reste  encore  après  eux  des  secrets  à 
découvrir.  Il  reste  aussi  à  coordonner  leurs  travaux  épars,  à  en  faire  un 
tout. 

Nous  axons  essavé  précisément  dans  ce  livre  de  donner  une  forme  systéma- 
tique à  leurs  recherches,  et,  partout  où  nous  Taxons  pu,  nous  avons  tenté  de 
les  compléter. 

['n  pareil  travail  pourra  avoir  son  utilité  pour  les  historiens  de  I  art.  Etudier 
l'art  du  moyen  âge,  comme  on  l'a  lait  quelquefois,  sans  s'attacher  aux  sujets. 
et    en    se    préoccupant  uniquement  des    progrès  de    la    technique,  C  est    se    me- 

1  Molanus,  Hr  Instant/  sanct.  imagin.  et  picturarum.  La  première  édition  est  de  i58o  Consulter  Ledit, 
de  Louvain  (1771)'  avec  les  notes  de  Paquot. 

-  (  iobineau  de  Montluisant,  hermétiste  'In  xviï  siècle  Son  traité  .1  été  publié  dans  les  Annales  archéolo- 
giques   1    XXI,  p    1  39-  [99. 

•'■  Alexandre  Lenoir,  Description  historique  et  chronologiqui  des  mo  nu  mens  ■/'•  sculpture  réunis  au 
musée  des  monumens  français.  An  X.  >V-  édit.,  p.  no. 


PRÉFACE  ; 

prendre,  c'est  confondre  les  époques  '.  Nos  vieux  sculpteurs  n  avaienl  pas  de  I  arl 
la  même  idée  qu'un  Benvenuto  Cellini.  Ils  ne  pensaient  pas  que  le  choix  des 
sujets  tût  indifférent;  ils  n'imaginaient  pas  qu'une  statue  ne  lut  qu'une  aimable 
arabesque,  destinée  à  donnera  l'œil  un  moment  de  volupté.  —  An  moyen  âge, 
toute  forme  est  le  vêtement  d'une  pcnséeJ.  Un  dirait  que  cette  pensée  travaille 
au  dedans  de  la  matière  et  la  façonne.  La  forme  ne  peul  se  séparer  de  I  idée  qui 
la  crée  et  qui  l'anime.  Une  œuvre  du  xm  siècle,  même  quand  I  exécution  en  est 
insuffisante,  nous  intéresse  :  nous  y  sentons  quelque  chose  qui  ressemble  à  une 
âme. 

Pour  avoir  le  droit  de  porter  un  jugement  sur  les  artistes  du  moyen  âge,  il 
faut  donc  commencer  par  comprendre  ce  qu'ils  ont  voulu  faire. 

(Test  pourquoi  l'introduction  naturelle  à  l'étude  de  l'art  du  moyen  âge  est 
une  revue  méthodique  des  sujets  où  cet  art  se  comptait.  Cette  entreprise,  qui 
est  la  nôtre,  est  vaste,  car  le  meilleur  de  la  pensée  du  xm"  siècle  a  revêtu  une 
forme  plastique.  Tout  ce  que  les  théologiens,  les  encyclopédistes,  les  inter- 
prètes de  la  Bible  ont  dit  d'essentiel  a  été  exprimé  par  la  peinture  sur  verre  ou 
par  la  sculpture.  Nous  essaierons  de  montrer  comment  les  artistes  ont  traduit 
la  pensée  des  docteurs.  Nous  nous  efforcerons  de  tracer  un  tableau  complet  du 
riche  enseignement  que  la  cathédrale  <.\t[  xin"  siècle  donnait  à  tous. 


Une  couvre  de  synthèse  ainsi  conçue  offre  1  inconvénient  de  ne  pas  laisser 
soupçonner  suffisamment  le  long  travail  d  élaboration  artistique  qui  s  esl  accom- 
pli dans  les  siècles  qui  précèdent  le  xm*.  Le  xnr  siècle  est  --ans  doute  le  moment 
ou  l'art  chrétien  a  exprimé  avec  le  plus  d'ampleur  la  pensée  du  moyen  âge, 
et  c'est  pour  cela  que  nous  l'avons  choisi.  —  mais  il  *,  en  tant  de  beaucoup  qu  d 
ait  tout   inventé,   lue  foule   de  tvpes,  d'agencements,    d  idées,   lui  viennent  des 


1   C'est  notamment  le  défaut  de  Liibke   dans  les  chapitres  qu'il  a  consacrés  à  l'art  du   moyen  h 
schichte  der  Plastik,  t.   I  et  II.   Leipzig,  1880.  in-8. 

-'  Nous  ne  parlons  pas  des  œuvres  purement   décoratives    Nous  montrerons  justement  (livre  I    qu  elles 
n  ont  pas  de  valeur  symbolique. 


I  PRÉFACE 

siècles  antérieurs.  Cette  longue  évolution  de  l'art  chrétien  est  un  des  sujets 
d'étude  les  plus  intéressants  que  puisse  se1  proposer  l'érudition,  mais  c'est  aussi 
l'un  des  plus  délicats. 

Rien  ne  serait  plus  instructif  que  de  suivie  les  représentations  de  tel  person- 
nage, ou  de  telle  scène,  depuis  l'art  des  catacombes  jusqu'à  celui  des  cathé- 
drales. L'étude  attentive  d'un  même  type,  dont  on  observait  le  développement 
en  s'attachanl  à  l'ordre  chronologique,  dans  les  mosaïques  du  v"  siècle,  les 
miniatures  byzantines,  les  ivoires  carolingiens,  les  chapiteaux  romans,  les 
œuvres  du  \nr  siècle,  nous  révélerait  les  plus  fines  nuances  de  la  pensée  chré- 
tienne. On  verrait,  pour  prendre  un  exemple,  que  l'art  des  catacombes  n'ose 
pas  montrer  aux  fidèles  Jésus  crucifié;  que  l'art  roman  des  hautes  époques  le 
représente  attaché  à  une  croix  gemmée,  les  yeux  ouverts,  la  tête  haute,  la  cou- 
ronne sur  le  front,  pareil  à  un  triomphateur;  qu'enfin  l'art  de  la  fin  du  xnr  siècle, 
moins  dogmatique  et  plus  humain,  ferme  les  yeux  de  .fésus  sur  la  croix,  incline 
sa  tète,  détend  ses  bras,  essaie  enfin  de  nous  attendrir,  et  s'adresse  à  notre  sen- 
sibilité plus  encore  qu'à  notre   intelligence. 

De  semblables  nuances,  bien  observées,  feraient  comprendre  quelle  chose 
fluide,  mobile,  et  pour  tout  dire  vivante,  fut  le  christianisme  du  moyen  âge. 
Mais  il  y  faudrait  une  existence  entière.  Didron,  qui  l'avait  entrepris,  s'est  arrêté 
après  avoir  étudié  les  trois  personnes  de  la  Trinité'.  Une  honorable  tentative  a 
été  faite  par  le  coin  te  Grimouard  de  Saint-Laurent2  ;  mais,  en  voulant  embrasser, 
dans  son  Guide  de  Fmt  chrétien,  tout  le  développement  de  l'art  depuis  ses 
origines  jusqu'à  nos  jours,  il  s'est  condamné,  malgré  son  très  grand  savoir,  à 
rester  superficiel  sur  presque  tous  les  points. 

Le  sujet  que  nous  avons  essayé  de  traiter  est  différent.  Nous  prenons  l'art 
du  xiii0  siècle  en  lui-même,  nous  le  considérons  comme  un  tout  vivant,  comme 
un  ensemble  achevé,  et  nous  ('ludions  comment  la  pensée  du  moyen  âge  s'y 
reflète.  On  aura  de  la  sorte  une  idée  de  la  majesté  de  l'ensemble,  et  de 
l'ampleur  vraiment  encyclopédique  de  l'art  chrétien  du  moyen  âge  arrivé  à  son 
plein   épanouissement. 

1   Didron,  Iconographie  chrétienne.  Histoire  de   Dieu.  Paris,    [844,  '"- 1    Collect.  de  documents  inédits 
relatifs  à  l'histoire  de  France  . 

Grimouard  de  Saint-Laurent,  Guide  de  l'art  chrétien.  6  vol,  in-8,  Paris  el  Poitiers,  1872-73. 


PRÉFACE 

Le  nui"  siècle  est  le  centre  «le  nuire  élude.  L'art,  avec  une  audace  admi- 
rable, essaie  alors  de  tout  exprimer.  L'iconographie  de  nos  plus  riches  églises 
romanes  est  bien  pauvre  à  côté  de  celle  de  nos  églises  gothiques.  La  période 
que  nous  embrassons  est  précisément  celle  où  lurent  conçues  cl  exécutées  les 
façades  de  nos  grandes  cathédrales.  Toutefois,  d  nous  a  fallu  de  temps  en  temps 
remonter  en  deçà  et  descendre  au  delà  du  xin1'  siècle.  Le  portail  \  icux  de  Char- 
tres, par  exemple,  a  été  sculpte''  aux  environs  de  n5o;  d'autre  part,  la  décora- 
tion extérieure  de  Notre-Dame  de  Paris  n'a  été  achevée  qu'au  commencement 
du  xive  siècle.  On  comprend  qu'il  eût  été  tout  à  fait  artificiel  d'enfermer  nos 
recherches  entre  1200  et   l'ioo. 

Si  nous  nous  sommes  borné  à  l'étude  de  l'art  français,  ce  n'est  pas  que  nous 
soyons  convaincu  que  l'art  des  nations  voisines  obéisse  à  des  principes  diffé- 
rents. L'art  du  xni°  siècle,  au  contraire,  a  un  caractère  vraiment  œcuménique  : 
il  est  aussi  universel  que  l'enseignement  chrétien.  Nous  avons  pu  nous  con- 
vaincre par  nous-mème  qu'à  Burgos,  a  Tolède,  à  Sienne,  à  Orvieto,  à  Bamberg, 
à  Fribourg,  les  grands  su|ets,  où  se  plaît  Fart  du  moven  âge,  sont  conçus 
comme  à  Paris  ou  à  Reims.  Mais  nous  avons  acquis  aussi  la  certitude  que, 
nulle  part,  la  pensée  chrétienne  n'a  été  exprimée  avec  autant  d'ampleur  et  de 
richesse  qu'en  France.  Il  n'y  a  pas.  dans  l'Europe  entière,  un  ensemble d  œuvres 
dogmatiques  comparable,  même  de  bien  loin,  à  celui  que  nous  présente  la 
cathédrale  de  Chartres.  C'est  en  France  que  la  doctrine  du  moyen  âge  a  trouvé 
sa  forme  parfaite.  La  France  du  xme  siècle  fut  la  conscience  de  la  chrétienté. 
Quand  on  tonnait  Chartres,  Amiens,  Paris,  Reims,  Laon,  Bourges,  Le  Mans. 
Sens,  Auxerre,  Troves.  'l'ours,  Rouen,  Lyon,  Poitiers,  Clermont,  on  a  peu  «le 
«diose  à  apprendre  des  cathédrales  étrangères.  Nous  ne  nous  sommes  pas 
interdit     toutefois    de    demander,     à  l'occasion,     un    exemple  a    I  Allemagne,    à 

l'Italie  ou  à  l'Angleterre,  pour  donner  plus  de  force  à  uni"  de nstration.  L'art 

français  n'en  reste  pas  moins  l'unique  objet  de  noire  étude. 


lu   travail   «le  ce  genre  n'existait   pas  encore   chez   nous1,   In  ouvrage  d'en- 
1   Signalons  toutefois  :  l'abbé  Oosnier,  Iconographie  chrétienne,  Cacn,  iS|S.  in  S;  l'abbé   Pascal,  Insti- 


G  PRÉFACE 

semble  eût  paru  prématuré  aux  archéologues  qui  créèrenl  ta  science  de  l'icono- 
graphie chrétienne.  .M ; i i s  aujourd'hui,  après  plus  de  soixante  ans  d'études  de 
détail,  une  pareille  tentative  paraîtra  sans  doute  moins  téméraire.  Nos  cathé- 
drales ont  été  presque  toutes  l'objet  de  monographies  qui,  tout  en  étant  loin 
d'être  parfaites,  nous  donnent  assez  de  faits  exacts  et  bien  observés  pour  qu'on 
en  puisse  dégager  avec  certitude  quelques  grandes  idées  générales.  Nous  avons 
contrôlé  sur  place  le  plus  ou  moins  d'exactitude  de  ces  travaux.  D'autre  part, 
depuis  i83o,  plusieurs  revues  consacrées  uniquement  à  l'art  du  moyen  âge  on1 
nus  en  lumière  une  multitude  de  faits  précieux. 

Il  faut  citer,  au  premier  rang,  les  Annales  archéologiques,  que,  pendant  plus 
de  vingt  ans,  Didron  anima  de  sa  passion.  Didron,  admirateur  enthousiaste  de 
Victor  Hugo,  appartenait  à  l'âge  romantique  :  aussi  apportait-il  dans  l'étude  du 
passé  presque  autant  d'imagination  que  d'érudition.  Mais,  s'il  a  commis  quelques 
erreurs,  il  a  communiqué  un  peu  de  sa  flamme  à  toute  une  génération  d'archéo- 
logues. 

Le  Bulletin  monumental,  fondé  par  .M.  de  Caumont',  la  Revue  de  l'ai/  chré- 
tien, créée  par  le  chanoine  Corblet,  sont  une  mine  inépuisable. 

Le  P.  Cahier,  aidé  d'un  petit  nombre  de  collaborateurs,  et  notamment  d'un 
artiste  délicat,  le  P.  Martin,  publia  les  deux  savants  recueils  intitulés  :  Mélanges 
et  Nouveaux  Mélanges  (F archéologie*.  Personne,  au  xixe  siècle,  n'a  mieux  connu 
l'art  du  moven  âge  que  le  P.  Cahier.  Ses  Vitraux  de  Bourges  '  et  ses  Caracté- 
ristiques des  saints  dans  l'art  populaire*  sont  des  ouvrages  de  la  plus  solide 
érudition,  que  déparent  malheureusement  un  ton  de  polémique  et  le  style  le 
moins  naturel. 

I)es  revues  comme  la  Bibliothèque  de  l'École  des  Chartes,  la  Revue  archéo- 

tutions  ite  l'art  chrétien,  Paris,  i858,  2  vol.  in-8;  Mgr  Barbier  de  Montault,  Traité  d'iconographie  chré- 
tienne, Paris,  1890,  2  vol.  in-8.  A  l'étranger,  le  Traité  il  iconographie  de  Detzel  mérite  >1  être  cité  :  Il  Detzel, 
Chrislliche  Ikonographie,  2  vol.,  Fribourg  en  Brisgau,  1894-1896,  in-8  Citons  aussi  le  bon  résumé  de  K  rauss, 
dans  Geschichte  der  christl.  Kunst.,  t.  Il,  p.  î63  el  suiv.,  Fribourg,  1897.  Dans  tous  ces  ouvrages,  les 
œuvres  d'arl  scmi  trop  rarcmenl  mises  en  rapport  avec  1rs  textes  théologiques,  liturgiques,  légendaires,  du 
yen  âge. 

1  A  la  collection  du  Bulletin  monumental  s'ajoute  celle  <li>-  Congrès  archéologiques  de  France. 
1    1 1 1  ! .  1   1  1  Martin,    Mélanges  d'archéologie,  d'histoire  ri  île  littérature.  Paris,  1847-56,  4  vol.  in  fol.  - 
Cahier,  Nouveaux  mélanges  d' archéologie  et  d' histoire .  Paris,  1874-77,   i  vol.  in-fol. 

1  Cahier  el  Martin,   Vitraux  peints  </<■  Saint-Etienne  dr  Bourges.  Paris,  iSj-.'.-.jj.  in-fol. 
;  Cahier,  les  Caractéristiques  des  saints  dans  l'art  populaire.  Paris,  i8(J(i-(>S,  1  vol.  iii-.J. 


PRÉFACE  : 

logique,  la  Gazette  archéologique ,  où  I  art  du  moyen  âge  ne  tient,  il  est  vrai, 
qu'une  petite  place,  ne  doivent  pourtant  pas  être  négligées. 

Enfin,  les  sociétés  archéologiques  de  province  qui,  à  partir  de  t83o,  se  fon- 
dèrent, à  l'appel  de  M.  de  Caumont,  dans  presque  tous  nos  départements,  ont 
publié  une  grande  quantité  île  Bulletins  et  de  Mémoires,  dont. MM.  de  Lasteyrie 
et  Lefèvre-Pontalis  ont  donné  la  table  '.  La  Société  îles  Antiquaires  de  Fiance, 
uni'  des  plus  vieilles  île  nos  sociétés  savantes,  mérite  une  mention  spéciale,  et 
ses  Mémoires  ont  souvent,  au  moins  à  partir  de  iS'|o,  un  grand  intérêt. 

Tels  sont  les  recueils  où  nous  avons  trouvé  quelques-uns  îles  matériaux  de 
cet  ouvrage.  Mais  les  monuments  nous  ont  appris  encore  plus  île  choses  que  les 
livres.  Nous  avons  vu  et  revu  tous  ceux  dont  nous  parlons.  Du  reste,  nous  axons 
pu  étudier  à  loisir  à  Paris  ce  que  nous  avions  été  contraint  quelquefois  d'exa- 
miner sur  place  plus  rapidement  que  nous  l'aurions  voulu.  Le  Musée  des  mou- 
lages du  Trocadéro  donne  de  nombreux  fragments.  De  plus,  trois  grandes  col- 
lections de  photographies  ou  d'estampes  nous  ont  rendu  les  plus  continuels 
services.  L'une  est  à  la  Bibliothèque  du  Trocadéro  (collection  des  monuments 
historiques)  ',  l'autre  est  à  la  Bibliothèque  de  l'Ecole  îles  Beaux-Arts,  la  troi- 
sième est  au  Cabinet  des  Estampes.  Cette  dernière,  qui  est  connue  sous  le  nom 
de  Grande  Topographie  île  la  France,  est  surtout  composée  de  gravures  et  de 
dessins  du  xvn'  et  du  xvm0  siècle;  mais  elle  a  le  grand  avantage  de  nous  faire 
connaître  des  œuvres  qui  ont  disparu,  et  île  nous  donner  l'état  des  monuments 
avant  leur  restauration3. 

Ainsi,  nous  avons  pu  avoir  presque  constamment  sous  les  yeux  des  statues 
et  îles  bas-reliefs  dispersés  dans  la  France  entière. 

Il  n'a  pu  en  être  de  même  des  vitraux,  que  l'on  a  rarement  tenté  jusqu'à 
présent  de  reproduire  par  la  photographie.  Heureusement,  le  P.  Cahier  a  donné 
dans  ses  Vitraux  de  Bourges,  sur  les  dessins  du  P.  Martin,  \\\\  véritable  Corpus 
îles  principaux  vitraux  du   \in"  siècle.   M.  F.  de  Lastevrie,  dans  son   Histoire  de 

1  R.  (I,.  Lasteyrie  et  Lefèvre-Pontalis,  Bibliographie  des  travaux  historiques  et  archéologiques  publiés 
par  1rs  sociétés  savantes.  Paris,  a  partir  de  1888,  Irap.  N.H  .  in- i  On  _\  trouve  au>-i  la  table  du  Bulletin 
monumental  et  celle  des  Congrès  archéologiques  de  France. 

-  Elle  doit  être  complétée  par  la  collection  de  la  rue  de  Valois    Commission  des  monuments  historiques 

:!  A  ces  collections  il  faut  ajouter  celle  qu'a  formée  M.  Martin -Sabon  :  elle  esl  bien  < uc  de  tons  ceux 

qui  étudient  le  moyen  âge. 


8  PRÉFACE 

la  peinture  sur  verre,  en  a  reproduit  d'autres1.  Enfin,  des  monographies  comme 
celles  des  I  itraux  de  Tours,  de  Bourrasse  et  Marchand2,  des  I  itraux  du  Mans, 
de  lliiclier ",  des  I  itraux  de  Laon,  de  MM.  de  Florival  et  Midoux4,  ajoutent  un 
assez  grand  nombre  de  planches  nouvelles  à  celle  collection,  malheureusement 
bien  incomplète  encore. 

Les  manuscrits  à  miniatures  ne  pouvaient  être  négligés.  Nous  y  axons 
retrouvé  les  règles  auxquelles  le  grand  art  monumental  obéit.  Parfois  même 
nous  avons  cru  reconnaître  que  les  miniaturistes  étaient  les  vrais  créateurs  des 
types  adoptés,  plus  tard,  par  les  sculpteurs  et  les  peintres  verriers.  Nous 
sommes  convaincu  qu'une  élude  attentive  des  miniatures  réserve,  en  ce  sens, 
de  nombreuses  découvertes.  Mais  ce  travail  est,  à  l'heure  qu'il  est,  1res  difficile. 
Le  catalogue  des  manuscrits  de  la  Bibliothèque  Nationale  est  trop  sommaire  et 
ne  permet  pas  des  recherches  vraiment  méthodiques.  Un  catalogue  des  minia- 
tures des  manuscrits  latins,  commencé  par  M.  Bordier,  sur  le  modèle  de  son 
catalogue  des  miniatures  des  manuscrits  grecsj  est  resté  inachevé  ".  Pour 
décrire  ces  innombrables  manuscrits  à  miniatures,  puis  pour  les  classer  en 
familles  et  en  écoles,  en  suivre  la  filiation,  il  faudra  bien  des  années  et  le  tra- 
vail de  plusieurs  générations  d'érudits".  En  revanche,  la  Bibliothèque  de  l'Arse- 
nal, la  Bibliothèque  Sainte-Geneviève  et  la  Bibliothèque  Mazarine  possèdent 
maintenant  d'excellents  catalogues  descriptifs  qui  permettent  d'en  étudier  1res 
commodément  les  manuscrits  illustrés.  Nous  n'avons  d'ailleurs  interrogé  les 
miniatures  que  dans  la  mesure  où  elles  pouvaient  nous  faire  mieux  comprendre 
les  statues  et  les  vitraux  du  \ni1'  siècle. 


1   F.  de  Lasteyi'ie,  Histoire  de  la  peinture  sur  verre.  Paris,  [838-58,  in-fol. 

Marchand  et  Bourrasse,   Verrières  du  chœur  de  l'église  métropolitaine  de  fours.  Paris,   1849,  in-fol. 

Hucher,   Vitraux  peints  de  la  cathédrale  du  Mans.   Le  Mans,  18G8,  in-fol. 

•   Florival  et  Midoux,  les  Vitraux  de  Laon.  Paris,  [882-91,  in-  j . 

-   Il  n'a   pas  été    imprimé;   on   peut  le  consulter  sons  l.i    rubrique   :   Nouvelles  acquisitions  françaises, 

58 1  !,  ">8  1  j.  58(5.     -  I  ii' lie  pic  m  s  le  catalogue  lix-s  soin  m  a  in-  des  mscrils  à  miniatures  de  la  Bibliothèque 

Nationale  qui  a  été  dressé  par  le  comte  de  Bastard.  Il  <si  également  inédit  :  Bibl.  Nat.,  Nouvelles  acquisi- 
tions françaises,  58i  1  -58  1  3 

,;  Voir  l'étude  de  M  Léopold  Delisle  sur  1rs  livres  à  images  :  llisl.  littér.  de  lu  France,  1  XXXI,  p  il 
el  suiv.  Il  essaie  de  former  des  groupes  de  manuscrits  à  miniatures.  Voir  aussi  <•.  Vit/tluiui.  i/jr  Pariser 
Miniaturmalerei.   Leipzig,  1907. 


P  R  E  F  A  ( .  E 


Une  étude  comme  celle  que  nous  avons  tentée  rencontre  bien  des  diffi- 
cultés. Il  en  est  une  que  nous  devons  signaler  tout  d'abord.  Depuis  plus  de  deux 
siècles,  on  détruit  ou,  ce  qui  est  souvent  la  même  chose,  on  restaure  les  statues 
et  les  vitraux  de  nos  cathédrales,  ha  façade  de  Notre-Dame  de  Paris,  celle  de 
la  cathédrale  de  Reims,  celle  de  la  cathédrale  de  Bourges,  portent  la  marque  de 
ces  retouches.  Ici.  un  saint  a  reçu  une  tête  nouvelle;  là,  une  Vertu  a  changé 
d'attributs.  Dans  presque  toutes  nos  églises,  les  vitraux  ont  eu  à  souffrir  des 
restaurations  maladroites  du  xvme  siècle.  L'ordre  des  sujets  a  été  bouleversé; 
des  fragments  de  vitraux  détruits  ont  servi  à  compléter  les  vitraux  voisins.  A 
Auxerre,  par  exemple,  des  panneaux  de  la  légende  de  saint  Eustache  et  de  la 
vie  de  saint  Pierre  et  de  saint  Paid  sont  disséminés  dans  plusieurs  verrières  du 
chœur  et  des  bas  côtés.  (Test  là  une  source  perpétuelle  d'erreurs. 

Les  restaurations  plus  intelligentes  de  notre  siècle  sont,  au  point  de  vue 
de  l'érudit,  presque  aussi  fâcheuses.  Plusieurs  vitraux  mutilés  ont  été  complétés 
avec  assez  d'habileté,  pour  qu'on  ait  de  la  peine,  à  première  vue,  à  distinguer 
les  parties  anciennes  des  parties  récentes.  On  court  donc  le  risque,  si  on  n'y 
fait  attention,  de  chercher  les  lois  de  l'iconographie  du  moyen  âge  dans  des 
œuvres  du  xixe  siècle.  Les  monographies  locales  ne  font  pas  toujours  mention 
de  ces  restaurations.  Heureusement,  les  œuvres  parlent  d'elles-mêmes  :  un 
coloris  moins  vibrant,  un  dessin  moins  lier,  quelques  traits  insolites  dans  la 
composition  des  scènes,  nous  avertissent  que  nous  sommes  en  présence  d'une 
œuvre  moderne.  11  faut  donc  faire,  en  lace  des  œuvres  du  xme  siècle,  un  travail 
préalable  de  critique,  séparer  ce  qui  est  ancien  de  ce  qui  est  récent,  et  retrouver 
Tordre  véritable  quand  il  a  été  bouleversé.  Nous  espérons  n'avoir  commis  aucune 
erreur  île  ce  chef. 

Une  autre  difficulté  était  de  savoir  se  borner.  Plusieurs  chapitres  auraient 
pu  être  doublés.  Celui  qui  est  consacre''  à  la  Légende  dorée  >r  serai!  étendu 
sans  mesure,   si  nous  avions  voulu  énumérer  tontes   les  œuvres  d'art   ou  de- 


io  PRÉFACE 

saints  figurent.  .Mais,  encore  une  lois,  nous  n'avons  pas  prétendu  faire  un  traite 
complet  d'iconographie.  Il  nous  a  clone  paru  que  nous  ne  devions  dire  que 
l'essentiel,  et  ne  donner  d'exemples  qu'autant  qu'il  en  fallait  pour  bien  mettre 
en  lumière  les  grandes  idées  directrices  do  l'art. 


De  toutes  les  difficultés  que  nous  avons  rencontrées,  celle  que  présentait 
l'étude  de  la  littérature  théologique  du  moyen  âge  était  peut-être  la  plus  grave. 
Quand  on  se  trouve  pour  la  première  fois  en  présence  du  monument  élevé  pen- 
dant dix  siècles  par  les  docteurs,  on  est  accablé  de  son  énormité. 

Mais,  lorsqu'on  a  commencé  à  entrer  dans  l'examen  des  commentateurs  de 
l'Ecriture,  des  liturgistes,  des  encyclopédistes,  on  s'aperçoit  avec  surprise  qu'ils 
se  répètent  indéfiniment.  Isidore  de  Séville  résume  les  Pères,  Bède  le  Vénérable 
s'inspire  d'Isidore  de  Séville,  Raban  Maur  de  Bède  le  Vénérable,  Walafried 
«Strabo  de  Raban  Maur,  et  ainsi  de  suite,  [fans  des  temps  où  les  communications 
étaient  difficiles,  les  livres  rares,  où  les  idées  se  répandaient  avec-  lenteur,  on 
pensait  faire  une  œuvre  méritoire  en  abrégeant  un  livre  célèbre,  en  extrayant 
la  substance  de  plusieurs  traités  fameux,  ou  même  en  reproduisant  l'ouvrage 
d'un  ancien  docteur  sans  presque  y  rien  changer.  Les  hauts  siècles  du  moyen 
âge  ne  connurent  pas  l'amoui'-propre  littéraire,  la  vanité  d'auteur  :  il  était  trop 
clair  qu'une  doctrine  n'appartenait  pas  à  celui  qui  l'exposait,  mais  à  l'Eglise. 
Ecrire  un  livre  était  alors  en  quelque  sorte  pratiquer  une  des  œuvres  de  misé- 
ricorde, faire  connaître,  par  quelque  moyen  que  ce  fût,  la  vérité  à  son  prochain. 

11  en  résulte  que  l'immense  bibliothèque  du  moyen  âge  se  réduit,  en  dernière 
analyse,  à  peu  de  chose.  Une  dizaine  d'ouvrages  bien  choisis  pourraient  presque, 
à  la  rigueur,  tenir  lieu  de  tous  les  autres.  Tous  les  commentateurs  de  1  Ancien 
et  du  Nouveau  Testament  sont  résumés  dans  la  Glose  ordinaire  de  Walafried 
Strabo,  que  Nicolas  de  Lira  compléta  au  xiv°  siècle.  Toute  la  Liturgie  symbo- 
lique est  dans  le  Rational  des  divins  offices  de  Guillaume  Durand.  L'esprit,  la 
méthode  des  anciens  sermonnaires  revivent  clans  le  Spéculum  Ecclesiœà  Hono- 
rius  d'Autun.  L'histoire  sainte,   telle  qu'on  la  comprenait  alors,  est  dans  1  His- 


PRÉFACE  ,, 

toria  Scolaslico  de  Pierre  Comcstor  et  dans  la  Légende  dorée  de  Jacques  de 
Voragine;  l'histoire  profane  dans  le  Spéculum  historicité  de  Vincent  de  Beau- 
vais;  tout  ce  que  l'on  savait  du  monde  physique  est  résumé  dans  le  Spéculum 
naturelle;  tout  ce  que  l'on  savait  du  monde  moral  est  dans  la  Somme  de  saint 
Thomas,  que  le  Spéculum  monde  abrège. 

Un  lecteur  familier  avec  les  livres  que  nous  venons  d'énumérer  aurait  péné- 
tré jusqu  au  fond  du  génie  du  moyen  âge.  Le  moyen  âge,  en  effet,  se  reconnut 
dans  ces  livres  et  les  adopta.  C'est  lui-même  qui  les  signale  à  notre  choix  par 
l'estime  où  il  les  tint. 

L'étude  de  ces  ouvrages,  dont  le  caractère  classique  nous  a  frappé  de  bonne 
heure,  nous  a  permis  de  nous  orienter  au  milieu  de  la  vaste  littérature  patris- 
ticpie  du  moyen  âge  :  les  autres  sont  venus  petit  à  petit  se  grouper  autour  d'eux. 
C'est  à  eux  que  nous  renvoyons  de  préférence,  parce  qu'Us  sont  vraiment 
«  représentatifs  ».  Les  doctrines  qu'ils  exposent,  les  légendes  qu'ils  adoptent 
ont  été  aeeeplées  par  tous.  Grâce  à  eux,  nous  avons  pu  singulièrement  réduire 
le  nombre  de  nos  citations.  Le  Père  ('allier,  dans  les  1  itraux  de  Bourges,  a 
rempli  des  pages  entières  avec  des  textes;  il  n'est  satisfait  que  lorsqu'il  a  pu 
suivre  une  doctrine  à  la  trace  de  saint  Augustin  jusqu'à  saint  Thomas  d'Aquin. 
Il  v  a  là  quelque  affectation  d'érudition  :  un  bon  témoignage  eût  suffi.  Quand 
la  Glose  ordinaire  a  parlé,  il  est  inutile,  la  plupart  du  temps,  d'entendre  les 
autres  commentateurs  de  la  Bible. 

Néanmoins,  nous  ne  nous  sommes  pas  volontairement  privé  des  autres  res- 
sources que  nous  offrait  la  Patrologie.  Il  a  été  parfois  nécessaire  de  multiplier 
les  témoignages  pour  prouver  qu'une  opinion,  qui  semble  aujourd'hui  extraor- 
dinaire, n'étail  pas  isolée.  Puis,  nos  guides  se  sont  trouvés,  sur  certains  points, 

superficiels  :  il  a  fallu  les  compléter  par  d'autres  écrivains.  Mais  nous  soin s 

resté  généralement  fidèle  à  notre  méthode  de  renvoyer  aux  compilateurs 
fameux  qui  ont  résumé  tout  le  savoir  du  moyen  âge. 

Quanta  la  littérature  de  langue  vulgaire,  elle  nous  a  rendu  fort  peu  de  ser- 
vices. Et,  en  effet,  que  pouvions-nous  en  attendre?  Les  Légendes  des  saints.  lc> 
Images  du  monde,  les  Bestiaires  rimes  ne  sont  que  des  traductions  souvent 
asse/.  plates.   Les  livres  les  plus  beaux  et   les  plus  profonds  du  moyen  âge  n'ont 


,,  PRÉFACE 

pas  été  traduits  et  ne  pouvaient  pas  l'être.  La  langue  du  \m"  siècle,  qui  conte 
avec  charme  ou  avec  force,  qui  chante  non  sans  grâce,  est  encore  incapable  de 
p.. lier  l'idée  abstraite.  Le  latin  reste  pour  longtemps  encore  la  langue  de  ceux 
qui  pensent.  On  ne  connaîtrait  pas  le  moyen  âge  si  on  ne  le  connaissait  que  par 
la  littérature  populaire. 

Donc,  sans  nous  arrêter  aux   timides  adaptations  de  nos  écrivains  français. 
nous  sommes  allé  droit  aux  sources. 


L'ART  RELIGIEl  \ 


DU   Mil    SIÈCLE   i:\    FI!  \\<i; 


IXÏKODI CTfON 


CH  IPITRE   PREMIER 

LES  CARACTÈRES  GENERAUX   DE   L'ICONOGRAPHIE 
DU    MOYEN   AGE 

I.     L'iCON'OGRAPHIE  DU    MOYEN    Ai.l'.    ESI    UNE    ÉCRITURE.    --     II.     l'ill.   ESI     UNE     ARITHMETIQUE 

Les  nombres  mystiques       -  III.   Elle  est  une  symbolique.   L'Ain    m    la   Liturgie. 


Le  moven  âge  eut  la  passion  de  [ordre.  Il  organisa  l'art  comme  il  avait  orga- 
nisé le  dogme,  le  savoir  humain,  la  société.  La  représentation  des  sujets  sacrés 
fut  alors  une  science  qui  eut  ses  principes,  et  qui  ne  lut  jamais  abandonnée  à 
la  fantaisie  individuelle.  Nous  ne  pouvons  douter  que  cette  sorte  de  théologie 
de  l'art  '  n'ait  été  réduite,  de  bonne  heure,  en  un  corps  de  doctrine,  car  nous 
voyons  les  artistes  s  y  soumettre,  d'un  bout  à  I  autre  de  l'Europe,  de--  les  temps 
les  plus  anciens.  Cette  science  lut  transmise  par  I  Eglise  aux  sculpteurs  cl  aux 
peintres  laïques  du  \in"  siècle,  qui  conservèrent  religieusement  ces  traditions 
sacrées.  De  sorte  que  l'art  du  moyen  âge,  même  aux  siècles  où  il  lut  le  plu- 
vivant,  garda  la  grandeur  hiératique  de  I  ail   primitif*. 

1    Le  docteur  Piper  .1   écrit,   sous  ce  litre,  un  livre  où  I  011  trouve  loul   autre   chose    tjue    ce  ijuc   1 
cherche  :  1)'   F.    Piper,  Einleittiiig  in  die  monument)        <  igie,  Gotha,    1867    in  8.    Il  | ■.(■- -.■  en  re\ 

écrivains  théologiques  1I11  moyen  âge  el  de  la  Renaissance,   mais  il  n'a  pas   su  montrer 
sujet  —  quelle  action  li  -  livres  onl  pu  avoir  sur  l'art.  C'est  aussi  le  ivpi  -    r  au  livre, 

d'ailleurs  intéressant  à  beaucoup  d'égards,   de  J.  Saucr,   Symholit,   des    hirehengehiittdi 
stattung  m  der  Auffassung  des    ilitlelallers.   Kribourg  eu   Brisgau,   19OJ     in  S 


14  INTRODUCTION 

Ce  sont  ces  principes  généraux  qu'il  importe  de  faire  connaître  d'abord  aussi 
brièvement  que  possible. 


A     7 


L'art  du  moyen  âge  est  d'abord  une  écriture  sacrée  dont  tout  artiste  doit 
apprendre  les  éléments.  11  faut  qu'il  sache  que  le  nimbe  circulaire,  placé  verti- 
calement derrière  la  tête,  sert  à  exprimer  la  sainteté,  et  le  nimbe  timbré  d'une 
croix  la  divinité.  Il  ne  représentera  jamais  Jésus-Christ,  Dieu  le  Père  ou  le 
Saint-Esprit,  sans  entourer  leur  tète  de  ce  nimbe  crucifère  '.  11  apprendra  que 
l'auréole,  lumière  qui  émane  de  toute  la  personne,  sorte  de  nimbe  du  corps 
entier,  appartient  aux  trois  personnes  de  la  Trinité,  à  la  Vierge,  aux  âmes  des 
bienheureux,  et  exprime  la  béatitude  éternelle.  11  devra  savoir  que  la  nudité 
des  pieds  est  encore  un  îles  signes  auxquels  on  reconnaît  Dieu,  les  anges,  Jésus- 
Christ,  les  apôtres;  il  y  aurait  une  véritable  inconvenance  à  représenter  la 
Vierge  ou  les  saints  les  pieds  nus.  En  pareille  matière  une  erreur  aurait  presque 
la  gravité  d'une  hérésie.  Plusieurs  symboles  lui  permettront  d'exprimer  l'invi- 
sible, de  rendre  ce  qui  est  au-dessus  du  domaine  de  l'art.  Une  main  sortant  des 
nuages  en  faisant  le  geste  de  bénédiction,  les  trois  premiers  doigts  levés,  les 
deux  autres  repliés,  et  entourée  d'un  nimbe  crucifère,  sera  le  signe  de  l'inter- 
vention divine,  l'emblème  de  la  Providence.  De  petites  figures  d'enfants  nus, 
sans  sexe,  rangées  côte  à  cote  dans  les  plis  du  manteau  d'Abraham,  signifieront 
la  vie  future,  l'éternel  repos. 

11  y  a  aussi,  pour  figurer  les  objets  du  monde  visible,  des  signes,  que  l'artiste 
apprendra.  Plusieurs  lignes  concentriques,  sinueuses  et  dentelées,  représenteront 
le  oiel;  des  lignes  parallèles  représenteront  l'eau,  les  fleuves,  la  mer  (fig.  i). 
In  arbre,  c'est-à-dire  une  lige  surmontée  de  deux  ou  trois  feuilles,  indiquera 
qu'une  scène  se  passe  sur  la  terre.  Vue  tour  percée  d'une  porte  sera  une  ville; 
si    un   anye  veille  entre   les  créneaux,  ce  sera  la  Jérusalem  céleste2.   Ce  sont. 

1  Nous  n'avons  pas.  comme  nous  l'avons  dit,  à  taire  l'histoire  du  nimbe,  non  pins  que  des  autres  attri- 
buts que  nous  passons  en  revue  dans  ce  chapitre.  La  plupart  remontent  à  la  plus  liante  antiquité  el  quel- 
ques-uns même,  ri  un  me  le  ni  m  he,  jusqu  au  paganis La  question  a  été  étudiée  par  Didron.  Hist.  de  Dieu, 

p.    •  ">  à  i  jo. 

-  Tous  ces  sieurs  sont  d  un  usage  constant  dans  la  peinture  sur  verre. 


LES   CARACTÈRES   GÉNÉRAUX    DE    L'ICONOGRAPHIE    DU    MOYEN    AGE         i5 

comme  on  le  voit,  de  véritables  hiéroglyphes  :  l'art  et  l'écriture  se  confondenl 
ici  '.  L'art  héraldique,  avec  son  alphabet,  ses  règles,  son  symbolisme,  manifeste 
le  même  esprit  d'ordre  et  d'abstraction. 

Une  foule  de  connaissances  précises  devront  être  familières  à  l'artiste.  Il  ne 
lui  scia  pas  permis  d'ignorer  le  type  traditionnel  des  personnages  qu'il  aura  à 
représenter.  Saint  Pierre,  par  exemple,  aura  les  cheveux  crépus,  la  barbe  drue 
et  courte,  et  au  sommet  de  la  tête  une 
tonsure  :  saint  Paul  aura  le  front  chauve, 
la  barbe  longue.  Certains  détails  de  cos- 
tume doivent  être  immuables.  La  Vierge 
portera  sur  les  cheveux  un  voile,  qui  est 
comme  le  symbole  même  de  la  virginité. 
Les  Juifs  se  reconnaîtront  à  leur  bonnet 
conique  J. 

Tous  ces  personnages,  dont  le  costume 
est  invariable,  le  type  arrêté,  seront  enga- 
gés dans  des  scènes  immuables.  Quelque 
dramatique  «pie  soit  l'action  à  laquelle 
ils  participent,  tout  doit  y  être  réglé  à 
l'avance.  Vn  artiste  ne  sera  pas  assez  témé- 
raire pour  oser  modifier  l'ordonnance  des 
grandes  scènes  de  l'Evangile.  S'il  a  à  représenter  la  Cène,  il  ne  sera  pas  libre 
de  grouper  à  sa  fantaisie  les  personnages  autour  de  la  table;  il  montrera  d'un 
coté  Jésus  et  ses  apôtres,  et  de  l'autre  Judas  :.  S'il  doit  représenter  Jésus  en 
croix,  il  mettra,  à  sa  droite,  la  Vierge  et  le  porte-lance,  à  sa  gauche,  saint  Jean 
et  le  porte-éponge. 

Ces  exemples,  qu'il   est  inutile  de   multiplier,  suffiront  à  faire  comprendre 
dans  quel  sens  on  peut  dire  que  l'art  du  moyen  âge  est    une  écriture   sacrée. 

Ces  signes,  ces  arrangements  conventionnels  furent  très  utiles  aux  artistes 
des  hautes  époques.  Grâce  à  eux.  ils  purent  suppléer  à   l'insuffisance  de   leur 


t'ig.   i.  —  Le  ciel,  l'eau,  les  arbres. 

fragment   ^l<'    la   légende   de   saint    Eustachi 
(Vitrail  de  Cbarl  i  es 


1   Le  mut  d'hiéroglyphe  dc  paraîtra  sans  doute  p.*?  trop  fort,  >i  l'on                ,  .  ~  ont  été 

quelquefois  représentés  mjiis  la   forme  d'hommes  à  tète  de  bœuf,  d'aigle,  de  lion    chapiteau  du  cloilre  de 
Moissac  .  L'art  du  moyen  âge  rejoint  ici  celui  de  l'antique  Egypte  :  peut-être   mèi i  t-il  par  l'in- 

termédiaire de  l'art  cjirétien  d'Alexandrie. 

1  C'était  très  probablement  La  coiffure  des  Juifs  au  moyen  àg 

;  Sur  les  représentations  de  la  Cène,  voir  liullel.  inoiium  ,  1SS1.  suiv. 


il',  INTRODUCTION 

art.  Il  était  évidemment  plus  facile  de  tracer  un  nimbe  crucifère  autour  de  la 
tête  de  Jésus-Christ  <|ue  de  faire  paraître  sur  sou  visage  les  caractères  de  la 
divinité.  Le  xme  siècle  aurait  pu  sans  aucun  doute  se  passer  de  ce  genre  de 
secours.  Les  artistes  d'Amiens,  qui  lurent  capables  de  revêtir  de  tant  de 
majesté  le  Christ  enseignant  au  portail  delà  cathédrale, n'en  avaient  pas  besoin 

(fig.  2).  Les  sculpteurs  de  Chartres  surent 
exprimer  la  sainteté  autrement  que  par 
le  nimbe;  une  grâce  virginale  enveloppe 
sainte  Modeste  (fig.  3)  et  la  grande  àme 
de  saint  Martin  rayonne  sur  son  visage  '. 
Le  xme  siècle  cependant,  fidèle  au  passé, 
ne  renonça  pas  aux  anciens  signes,  s'é- 
carta peu  des  ordonnances  tradition- 
nelles. C'est  que  les  combinaisons  de 
l'art  religieux  apparaissaient  alors  comme 
des  articles  de  loi.  Les  théologiens  con- 
sacraient de  leur  autorité  l'œuvre  des 
artistes.  Saint  Thomas  d'Aquin  écrit 
dans  sa  Somme  un  chapitre  sur  le 
nimbe,  et  explique  pourquoi  il  est  l'attri- 
but ordinaire  tic  la  sainteté  ".  L'art  est 
considéré  comme  une  des  formes  île  la 
liturgie.  Guillaume  Durand,  liturgiste 
du  xiii'  siècle,  introduit,  dans  son  Ratio- 
nal  des  divins  offices,  divers  développements  sur  les  saintes  images  :. 

Le  xme  siècle,  en  conservant  pieusement  les  éléments  de  cette  vieille 
écriture,  lut  bien  inspiré.  H  atteignit  parla  à  la  grandeur  qu'ont  les  œuvres 
auxquelles  les  siècles  ont  participé.  Il  y  eut  alors  dans  l'art  quelque  chose 
d'impersonnel  et  de  profond.  On  peut  dire  que  telle  attitude,  tel  groupement 
symbolique  lut    voulu,  désiré    par    tous.    Oui    donc    trouva   le    geste   sublime 


Fis 


Tète  'lu  (  Ihrisl .  d'Amiens. 


1   Saiule  Modcsle  csl  un  porche  du  il  (à  l'extérieur  .  saiul  Martin  est   au  porche  ilu   midi  (portail  de 

droite  . 

-   Sunt.  theol.  Sii|i|>l.   .1  l.i    ;    partie,  Quxst    96  Voir  aussi  Vincent  de  Beauvais,  Sjir<\  lushu-  ,  liv.  1. 

cli     II 

i'.  Durand,  /■'•iln>iin/<'  divinorum  of'ficiorum,  liv.  I.  cli.  m. 


LES   CARACTÈRES   GÉNÉRAUX    DE    L'ICONOGRAPHIE    DU    MOYEN    AGE         17 

de   Jésus  montrant    ses   plaies  aux    hommes,  le    jour   <lu    Jugement,  sinon  la 
conscience  même   de   la  chrétienté  ?    La   pensée  des  théologiens,  I  instinct  de 
la  foule,  la  vive  sensibilité  des  artistes  collaborèrent. 
L'art  du    moyen    âge    est  comme   sa  littérature:    il 
vaut  moins  par  le   talent    conscient   que   par    le  génie 
diffus.   La  personnalité   de  l'artiste  ne  s'y  dégage    pas 
toujours,   mais  d'innombrables  générations  d'hommes 
parlent  par  sa   bouche.  L'individu,  même  quand  il  est 
médiocre,    est    soulevé    très   haut   par  le    génie  de  ces 
siècles  chrétiens.   Les  artistes,   à  partir  de  la  Renais- 
sance,   s'affranchirent    des    vieilles  traditions  à    leurs 
risques  et  périls.  Quand  ils  ne  turent  pas  supérieurs, 
M  leur  devint  difficile,  dans  leurs  œuvres  religieuses, 
d'échapper  à  l'insignifiance  et  à  la  platitude:  et.  quand 
ils    furent   grands,     ils  ne    le  furent   pas  plus  que   les 
vieux   maîtres  dociles   qui    exprimèrent   naïvement   la 
pensée   du    moyen    âge.   Il    est  permis  de  préférer  au 
Christ  maudissant  les  réprouvés,  créé  par  le  génie  de 
Michel-Ange    en    dehors    de   toutes    les    traditions,    le 
Christ    montrant    ses    plaies    de    nos    cathédrales.    Un 
modeste    artiste,     en     reproduisant     simplement       un 
modèle  consacré,    taisait  alors   une  œuvre    profondé- 
ment émouvante. 


II 


Le  second   caractère    de   l'Iconographie  du   moyen 
àffe  est  d'obéir  aux    règles    d'une  sorte   de  mathéma- 
tique    sacrée.    La    place,   l'ordonnance,     la    symétrie,        ' ' '- 
le     nombre,     y    ont    une    importance    extraordinaire. 

Et  d'abord,  l'église  tout  entière  est  orientée  du  levant  au  couchant.  Cette 
prescription  remonte  aux  premiers  siècles  du  christianisme,  puisqu'on  la  trouve 
déjà  dans  les  Constitutions  apostoliques1.  Au  xiiic  siècle,  Guillaume  Durand  la 


V* 


Siiiulc   Modest< 

I    liarl  pos    . 


;*> 


ka-:'  ■jiy.-.'.'iy.;  ïs-iaaupÉvc;     v/'.:'     Const.   tipost      II.   '<- .  Patrologie  grecque  Je  Migne.  I     I.  co 


t. 


,8  INTRODUCTION 

1 

présente  comme  une  règle  qui  ne  souffre  pas  d'exceptions  :  «  Les  fondations. 
dit-il,  doivent  être  disposées  de  manière  que  la  tète  de  l'église  puisse  indiquer 
exactement  Test,  c'est-à-dire  la  partie  du  ciel  où  le  soleil  se  lève  à  l'époque  des 
équinoxes'.  »  Et,  en  effet,  du  m1'  au  xvie  siècle,  c'est  à  peine  si  l'on  peut  citer 
quelques  exemples  d'églises  mal  orientées.  La  règle  tomba  en  oubli  vers 
l'époque  du  Concile  de  Trente,  en  même  temps  que  les  autres  traditions  de 
l'art  du  moyen  âge;  les  Jésuites  furent  les  premiers  à  la  violer. 

Dans  l'église  ainsi  orientée,  les  points  cardinaux  ont  leur  signification.  Le 
nord,  qui  est  la  région  du  froid  et  de  la  nuit,  est  consacré  tic  préférence  à 
l'Ancien  Testament.  Le  midi,  (pie  réchauffe  le  soleil,  que  baigne  la  pleine 
lumière,  est  consacré  au  Nouveau,  dette  règle  souffre,  il  est  vrai,  bien  des 
exceptions  J.  En  revanche,  la  façade  de  l'occident  est  presque  toujours  réservée 
à  la  représentation  du  Jugement  dernier3.  Le  soleil  couchant  éclaire  cette  grande 
scène  du  dernier  soir  du  monde.  Les  docteurs  du  moyen  âge,  qui  eurent  tou- 
jours le  goût  des  mauvaises  étymologies,  rattachaient  occi/lcus  au  verbe  ocei- 
dere  :  l'occident  était  pour  eux  la  région  de  la  mort  '. 

Après  l'orientation,  c'est  la  hiérarchie  qui  préoccupe  le  plus  les  artistes, 
d'accord  ici  avec  les  théologiens.  Certains  passages  de  la  Bible  conduisirent,  de 
très  bonne  heure,  à  admettre  que  la  droite  était  la  place  d'honneur.  Ne  lisait- 
on  pas,  par  exemple,  dans  les  Psaumes  :  «  Adstitit  regina  a  dextris  tuis  in  ves- 
ti tu  deaurato  »  ?  Dans  le  livre  du  Pasteur  d'Ilermas,  qui  appartient  à  la  primitive 
littérature  chrétienne,  la  droite  est  déjà  la  place  que  Ton  donne  à  ceux  que  l'< 


m 


1   Guillaume  Durand,  Italien.,  Lyon,  \h~±,  in-!S,  1  ï v .  I,  ch.  i. 

-  Elle  a  été  scrupuleuseuicnl  observée  à  Chartres.  Les  héros  de  l'Aucieuue  Loi  son!  sculptés  au  porche 
du  nord,  ceux  de  la  Nouvelle  au  porche  du  midi.  A  Notre-Dame  de  Paris,  la  grande  rose  du  nord  est  cou 
sacrée  à  l'Ancien  Testament,  celle  du  midi  au  Nouveau.  A  Reims,  la  rose  du  nord  [mutilée  montre  encore 
des  scènes  de  l'Ancien  Tcstamenl  (création,  Adam,  C.nn,  A  lui.  etc.)  ;  celle  du  midi  (refaite  au  xvie  siècle, 
mais  sans  doute  sur  le  modèle  de  L'ancienne)  esl  remplie  par  Jésus-Christ  et  ses  apôtres. 

La  règle,  chose  curieuse,  esl  encore  observée  au  xv'  siècle.  A  Saint-Ouen  île  Rouen,  à  Saint-Serge 
'!  Angers,  les  vitraux  du  nord  représcnlenl  les  prophètes,  les  vitraux  du  midi  les  apôtres.  L'Orient  connut 

i  galemenl  cette  pratique.   An  couvcnl  de  Salaminc,  I  Ancien  Testa ni  esl  a  gauche,  c'est-à-dire  an  nord, 

le  Nouveau  à  droite,  c'est-à-dire  au  sud.  Voir  Didron  el  Durand,  Iconographie  chrétienne.  Traduction  ilu 
manuscrit  byzantin  du  Mont-Athos.  Paris,  1-845,  in-8,  p.  m.  Sur  le  symbolisme  du  nord  el  du  midi,  voir  eu 
particulier  G.  Durand.  Ration.,  liv.  IV.  ch.  *sni  ci  xxiv,  cl  Raban  Maur,  De  universo,  f.V,  /'ml.  «  auster 
sancta  Ecclcsia  esl  lidci  calorc  accensa  ». 

:  Il  faudrait  citer  le  portail  occidental  de  presque  loules  nos  grandes  cathédrales,  el  quelques  roses 
occidentales  (rose  de  Chartres,  de  Saintc-lladegonde  de  Poitiers,  etc.). 

•  Hortus  deliciarum  A  Herradc,  voir  Bibl.  île  l'École  des  Chartes,  i.  I.  p.  •  iG  Dès  l'époque  carolin- 
gienne, les  Cai  ni  m  a  Sangallensia  placent  le  Jugement  dernier  à  l'occident;  voir  .In  lins  von  Schlosser  dans 
Quellenschriften  fur  Kunslgeschichte,  i.   IV.  p.   3a8,  Vienne,  1893 


LES   CARACTERES   GÉNÉRAUX    DE    L'ICONOGRAPHIE    1)1     MOYEN    AGI  19 

veut  distinguer.  On  lit.  en  effet,  dans  le  récit  de  la  1  roisième  vision  '.  que  l'Église 
lit  asseoir  tlermas  sur  un  banc,  à  sou  côté.  Comme  il  voulait  se  mettre  du  côté 
droit,  elle  lui  lit  signe  de  passer  à  gauche,  parce  que  la  droite  est  réservée  à 
ceux  qui  ont  souffert  pour  le   nom   de  Dieu.   Les  théologiens  du   moyen  âge,  à 


Fig.    [.   —  Le  nimbe  crucifère,  l'auréole,  les  quatre  animaux  [Tympan  de  Chartres 

leur  tour,  ont  longuement  insisté  sur  la  dignité  de  la  droite  '.  Les  artistes  ne 
manquèrent  pas  de  se  conformer  à  une  doctrine  si  bien  établie.  Quand  Jésus, 
par  exemple,  est  représenté  au  milieu  île  ses  apôtres,  saint  Pierre,  le  premier 
en  dignité,  occupe  la  droite  du  Maître   .  De  même,  dans  la  scène  de  la  Gruci- 


1    Hermas,   lib.    I.   vis     III.    Texte  latin  dans  Migne,   Palrol.  gr.,   1.    Il:   texte  grec   dans   l'ischcudorf, 
Leipzig,  18JG.  Le  moyen  âge  n'a   |ias  ignoré  la  version  latine  du  Pasteur  'I  Hermas,  qui   ligure  quelquefois 

dans  la  Bible,  jusqu'au  w   siècle,  à  la  suite  du  Nouveau  Testi nt. 

-  Voir  surtout  Pierre  Damien,  Opuscula  XXXV,  Patrol.  latine,  1    CXLV,  col.    >8ç) 

1  II  v  a  quelques  exceptions  qui  confirment  la  règle  Au  grand  portail  d'Amiens,  |>.n  exemple,  c'est 
saint  Paul  qui  rsi  à  droite  de  Jésus-Christ  el  saint  Pierre  qui  est  à  gauche;  une  telle  disposition  non-  l'ail 
remonter  jusqu'à  l'art  chrétien  primitif.  On  plaçait  volontiers,  dans  les  liants  temps,  saini  Paul  à  droite  el 
saint  Pierre  a  gauche  de  Jésus,  pour  marquer  que  la  gentilité  avait  été  substituée  à  la  synagogue  c  est  la 
raison  que  donne  encore,  au  \ir  siècle,  Pierre  Damien  dans  le  traité  qu'il  écrivit  sur  1rs  représentations 
des  princes  tics  apôtres  [Patrol.,  t.  CXLV  .  Saint  Paul,  dit-il,  a  placé  la  multitude  des  gentils  à  la 
de  Dieu.  D'ailleurs,  ajoute-il,  saint  Paul  est  de  la  tribu  de  Benjamin;  or,  Benjamin  veut  dire  ■  (ils  de  la 
droite  ».  La  bulle  îles  papes,  qui  représentait  saint  Paul  à  droite  el  saint  Pierre  a  gauche  de  la  crois 
peinait  l'antique  doctrine, 


INTROIU/CTION 


fixion    ou  dans  celle  du  Jugement  dernier,  la  Vierge  se  tient  à  droite  et  saint 
Jean  à  gauche  de  Jésus-Christ. 

Pareillement,  la  plaie  du  haut  fut  considérée  comme  plus  honorable  que  la 
place  du  bas.  11  en  résulta  des  combinaisons  curieuses.  La  plus  frappante  esl 
celle  que  nous  présente  la  figure  du  Christ  en   majesté,   cantonnée  des  quatre 

bêtes  de  l'Apocalypse.  Les  quatre  animaux,  qui  sont, 
comme  nous  l'expliquerons  plus  loin,  autant  de  sym- 
boles des  évangélistes,  avaient  été  classés  par  ordre  de 
dignité.  On  les  plaçait  ainsi,  d'après  l'excellence  de 
leur  nature  :  l'homme,  l'aigle,  le  lion,  le  bœuf.  Quand 
il  s'agissait  de  les  disposer  autour  (\u  Christ  dans  un 
tympan,  on  devait  tenir  compte  à  la  fois  de  la  dignité 
(pie  confère  la  place  du  haut  et  de  celle  (pie  confère 
la  place  de  droite.  On  arrivait  donc  à  la  combinaison 
suivante  qui  était  la  plus  communément  adoptée  : 
l'homme  ailé  était  placé  dans  le  haut  de  la  composi- 
tion et  à  la  droite  du  Christ,  l'aigle  dans  le  haut  et 
à  la  ffauche,  le  lion  dans  le  bas  et  à  la  droite,  le  Ixruf 
dans  le  bas  et  à  la  gauche  '  (fig.  4)- 

Le  respect  de  la  hiérarchie  se  manifeste  surtout 
quand  il  s'agit  de  représenter  les  bienheureux  qui  com- 
posent l'Église  triomphante.  Au  portail  du  Jugement, 
à  Notre-Dame  de  Paris,  les  saints  ranges  dans  les 
voussures  forment  des  cordons  concentriques  autour 
de  Jésus-Christ,  comme  dans  la  Divine  Comédie  de 
Dante.  On  voit  successivement  l'ordre  des  patriarches, 
celui  des  prophètes,  celui  des  confesseurs,  celui  des 
martyrs  et  celui  des  vierges,  Un  tel  classement  est  conforme  à  celui  qui  fut 
adopté  par  la  Liturgie  \  A  Chartres,  on  est  allé  plus  loin  :  à  la  haie  de  droite  du 
portail  méridional,  qui  est  consacré  tout  entier  aux  confesseurs,  on  a  classé 
les  saints,  dans  les  voussures,  en  laïques,  moines,  piètres,  évêques,  arche- 
vêques.   Un    saint    Pape    et,    près   de    lui,    un    saint    Empereur    occupent    les 


l'Iint.  Mflrtin-Sabon 


r*ig  5.  —  Balaam  porté  par 
sun  ânesse,  la  reine  i\r  Saba 
portée  par  un  nègre  (Char- 
Ires,  portail  Nord) 


1    Portail  \  ieux  de  <  lhartres. 
A  Notre-Dame,  cependant,  les  confesseurs  onl  été  placés  avaiil   les  martyi 


LES  CARACTERES  GÉNÉRAUX  DE  L  I  CO.VOGR  APHI  E  1)1  MOYEN  VG]     , 

s  apparaissent  comme    les  deux  clefs  de  voûte   de  l'édi- 


sommets  de  l'ogive. 

lice  '. 


Au-dessus  des  chœurs  des  saints  son!  les  chœurs  des  anges.  Les  artistes  les 
rangèrent  souvent  dans  l'ordre  imaginé  par  saint  Denvs 
l'Aréopagite,  qui  le  premier  décrivit  le  inonde  invisible  avec 
la  précision  et  la  magnificence  que  Ion  retrouve  plus  lard 
chez  Dante  ".  Sa  Céleste  hiérarchie,  traduite  en  latin  des  le 
iV  siècle,  par  Seot  Erigène,  souvent  commentée  par  les  doc- 
teurs, et  notamment  par  Hugues  de  Saint- Victor  :,  a  inspire 
les  artistes  qui  sculptèrent  les  neuf  chœurs  d'anges  au  por- 
tail méridional  de  Chartres.  Ils  sont  rangés  dans  l'ordre  sui- 
vant: Séraphins,  Chérubins,  Trônes,  Dominations,  Vertus, 
Puissances,  Principautés,  Archanges,  Anges  '.  Tous  ces  êtres 
ce  lestes  forment,  autour  de  Dieu,  suivant  la  doctrine  de  l'Aréo- 
pagite, comme  de  grands  cercles  lumineux,  et  leur  éclat  aug- 
mente à  mesure  qu'ils  se  rapprochent  de  la  source  de  la 
lumière'.  Aussi,  à  Chartres,  les  Séraphins  et  les  Chérubins, 
parce  qu'ils  sont  plus  voisins  du  foyer  de  toute  chaleur  et  de 
toute  clarté,  portent-ils  à  la  main  des  flammes  et  des  houles  H'/  -^_    /; 

de  feu. 

Dans  l'art  du  moyen  àere,  le  souci  de  l'ordonnance  s'étend 
aux  plus  petits  détails  et  détermine  des  agencements  ingé- 
nieux. Donnons-en  un  exemple  :  sous  le  socle  qui  supporte 
les  grandes  statues,  on  voit  presque  toujours  une  figurine 
accroupie.  Un  observateur  superficiel  serait  tenté  d'y  recon- 
naître une  œuvre  de  décoration  pure;  en  réalité,  chacun 
tles  personnages  ainsi  représentés  est  en  rapport  avec  le  per- 


Kig.  6.  —  I  -.i    Vi 
avec  le   buisson   ar- 
Jenl  sous  ses 
Chartres,     portail 
Xord 


1   Voir  abbé  Bulteau, Monographie  de  la  cathédrale  de  Chartres,  t.  II.  p.   !  iS 
Chartres,  1891,   iu-8.  Celte  bonne  monographie  comprend  trois  volumes.    L'abbé 
Bulteau   avait  déjà  donné    une  étude  complète   >■  11 1-  la  cathédrale  du  Chartres  eu 
un  seul  volume  :  Description  de  la  cathédrale  de  Chartres.  Chartres,  i85o,  in-8. 

-'  Dante,    d'ailleurs,    a    mis   saint    Dcnys    l'Aréopagite   dans    le  Paradis,    i-haul   \.    \.     1 1  "> - 1  17 

■  Patrol.,  t.  CX \ II    col    6  18,  el   t.  CI.XX\  .  col.  9a  I. 

•  L'abbé  Bulteau,  op.  cit.,  p.  Ji  j  el  suiv.,  adopte  un  ordre  un  peu  dilléreul  .  mais  il  esl  visible  qu  il 
s'est  trompé.  Il  est  évident,  par  exemple,  t[ue  la  ligure  armée  de  la  lance  el  du  bouclier,  cl  foulant  am. 
pieds  le  dragon,  représente  l'ordre  des  Archanges  el  non  des  Vertus. 

3  Ha  ha  11  Maur,  lh'  Universo,  1,  5.  Patrol. ,  t.  CXI,  col  "1  :  Kt  ideo  quantum  viriui  us  angeli  roraiu  Deo 
consistunt,  tanin  ma^is  clarilatc  divini  Luminis  inflammautur 


[NTRODUCTIOK 

principal.  Les  apôtres  Foulent  aux  pieds  les  rois  qui  les  ont  persé- 
cutés, Moïse  marche  sur  le  veau  d'or,  les  anges 
sur  le  dragon  de  l'abîme,  Jésus  sur  l'aspic  et  le 
basilic.  Quelquefois,  l'emblème  du  socle  n'ex- 
prime plus  une  idée  de  triomphe,  mais  se  rap- 
porte à  quelque  trait  de  la  vie  ou  du  caractère  du 
héros.  A  Chartres.  Balaam  a  sous  ses  pieds  son 
ânesse,  la  reine  de  Saba  un  nègre  chargé  tics 
présents  d'Ophir  ifig.  ">  .  la  Vierge  le  buisson 
aident  '  (lig.  G;.  Le  rapport  entre  la  statue 
et  le  personnage  du  socle  est  si  étroit, 
qu'on  a  pu,  à  Notre-Dame  de  Paris  ,  grâce 
aux  supports  historiés,  restituer  presque  à 
coup  sûr  les  grandes  figures  du  portail  de 
gauche  -. 

Mais,  de  toutes  les  combinaisons,  aucune  n'a 
rencontré  plus  de  faveur  cpie  la  symétrie.  La  sy- 
métrie, en  effet,  était  regardée  alors  comme  l'ex- 
pression sensible  d'une  harmonie  mystérieuse. 
Les  artistes  opposaient  aux  douze  patriarches  et 
aux  douze  prophètes  de  l'Ancienne  Loi  les  douze 
apôtres  de  la  Nouvelle  .  En  face  îles  quatre 
grands  prophètes,  ils  mettaient  les  quatre  évan- 
gélistes.  A  Chartres,  un  vitrail  du  transept  méri- 
dional, d'un  symbolisme  audacieux,  montre  les 
quatre  prophètes  Isaïe,  Ézéchiel,  Daniel  et  Jéré- 
mie,  portant  sur  leurs  épaules  les  quatre  évan- 
ffélistes,  saint    Matthieu,  saint    Jean,  saint    Marc 


K'g    7      -Isaïe  portant  sainl  Matthieu  i  All  portai]  ,|„  nord,  c'est  la  Vierge  de  ta  Visitation. 

\  il  rail  <lr  Chartres  .  ....  -,    ,  .    ■    i    ,-•  ^      i  i 

-  Façade,  portail  il»  couronnement  de  ta  \  lerge.  Sur  les  soeti  s 

de  ce  portail,  voir  Cahier,  Nouv.  mél,  d'archéol.  [ivoires,  minia- 
tures, etc.),   p.  ■•  ',-  :  i'l   Duchalais,   Mémoires  de  la  Société  des   antiquaires  de  France,  t.  XVI. 

Sur  cette  c :ordance,   voir  le   Commentaire  sur  lu  Genèse  attribué   à   s.iini    Eucher    Patrol.,  t.   !.. 

col.  çyj  i  .  el  Isidore  de  Séville,  Liber  numer.,  Patrol.,  t.  LXXXIfl,  col.  19a.  A  la  cathédrale  de  Lyon,  les 
vitraux  mettent  en  opposition  les  apôtres,  1rs  prophètes  el  1rs  patriarches  il  manque  deux  patriarches  .  Il 
y  a  quelques  reproductions  dans  L.  Bégule  et  C.  Guigue,  Monographie  de  lu  cathédrale  de  Lyon.  Lyon, 
1880,  in-fol. 


LES  CARACTÈRES   GÉNÉRAUX    DE    L'ICONOGRAPHIE    1)1     MOYEN    AGE  ■  : 

et  saint  Luc1  (fig.  7).  11  faut  entendre  par  là  que  les  évangélistes  trouvent  dan-. 
les  prophètes  leur  point  d'appui,  niais  qu'ils  voient  de  plus  haut  (pieux  et  |>lu> 
loin.  Les  vingt-quatre  vieillards  de  l'Apocalypse  correspondent  souvent  aux 
douze  prophètes  et  aux  douze  apôtres  réunis.  On  aimait  aussi  à  mettre  en 
parallèle  les  vertus,   les  arts  *. 

De  pareilles  combinaisons  supposent  une  croyance  raisonnée  à  la  vertu  des 
nombres.  Le  moyen  âge,  en  effet,  n'a  jamais  douté  qu'ils  ne  fussent  doués  d'une 
force  secrète.  Cette  doctrine  venait  des  Pères  de  l'Eglise  qui  la  tenaient  sans 
doute  îles  écoles  néo-platoniciennes,  où  revivait  le  génie  de  Pythagore.  Il  est  évi- 
dent que  saint  Augustin  considère  les  nombres  comme  îles  pensées  de  Dieu.  Il 
laisse  entendre  dans  maint  passage  que  chaque  chiffre  a  sa  signification  provi- 
dentielle. «  La  Sagesse  divine,  dit-il,  se  reconnaît  aux  nombres  imprimés  en  toute 
chose3.  »  Le  monde  physique  et  le  monde  moral  sont  construits  sur  des  nom- 
bres éternels.  Nous  sentons  que  le  charme  de  la  danse  réside  dans  un  rythme, 
c'est-à-dire  dans  un  nombre;  mais  il  faut  aller  plus  loin,  la  beauté  elle-même 
est  une  cadence,  un  nombre  harmonieux  '.  La  science  des  nombres  est  donc  la 
science  même  de  l'univers;  les  chiffres  contiennent  le  secret  du  monde.  Aussi 
devons-nous  considérer  avec  une  respectueuse  attention  les  n lires  qui  se  ren- 
contrent dans  la  Bible,  car  ils  sont  sacrés  et  pleins  de  mystère0.  Qui  sait  les 
comprendre  entre  dans  le  plan  divin. 

Des  idées  identiques  se  retrouvent  chez  presque  tous  les  docteurs  d\i  moyen 
âge.  11  suffira,  pour  marquer  la  libation,  de  renvoyer  au  Liber  formula rum  de 
saint  bûcher,  pour  le  v"  siècle;  au  Liber  numerorum  d'Isidore  de  Séville.  pour 
le  vne;  au  De  JJniverso  de  Raban  Maur,  pour  le  ixe;  aux  Miscellanea  d  Hugues 
tle  Saint-Victor,  pour  le  xn'"'.  On  v  verra  que  le  même  enseignement  se 
transmettait    à    travers    les  siècles  dans    les   mêmes   termes.    La   valeur  sym- 


1   Le  même  thème  a  été  sculpté  au  portail  de  la   cathédrale  de  Bamberg,  sons  un.'  influence  française 
gui  ilia  blement . 

1   Vitraux  de  L'abside  à  la  cathédrale  d'Auxerre  ;  les  arts  sonl   dans  une  rose,  les  vertus  dans  une  autre, 
en  nombre  égal. 

3  S.iini  Augustin,  De  libero  arhitrio,  !.  II,  ch.  xvi.  Palrol.,  t.  XXXII,  col.   ia63. 

■'   /</.,   ibid. 

■•  Saint  Augustin,  Qwest,  in  Heptaleuch.;  Palrol.,  t,  XXXVI-XXXVII,  col.  58g.    Il  1    il re  de 

saint   Augustin  le  traité   De  mtisica,   au  chapitre  :   De  numeris  spiriliialibus   et  xtemis.   VI,  XII    Pair., 
1    XXXII,  col.   1181. 

"  Sainl    Knd.rr.   Palrol.,   1     I.     Isid.   de  Séville,  Patrol.,  t.    I. XXXIII.    Raban   Maur,    Palrol.,   t.   (AI 
Hugues  de  Saint-Victor,  Palrol.,  t.  CLXXVII. 


,  INTRODUCTION 

bolique  de  chaque  nombre  est  énoncée  dogmatiquement  et  vérifiée  ensuite  par 
l'examen  des  passages  de  l'Ecriture  où  figurent  ces  nombres.  Les  explications 
ne  varient  pas.  et  on  seul  qu'on  se  trouve  en  présence  d'un  corps  de  doc- 
i  rine. 

Quelques  exemples  donneront  une  idée  du  système.  Depuis  saint  Augustin, 
tons  les  théologiens  expliquent  de  la  même  façon  le  sens  du  nombre  douze. 
Douze  esi  le  chiffre  de  l'Eglise  universelle,  et  Jésus  a  voulu,  pour  des  raisons 
profondes,  que  ses  apôtres  fussent  au  nombre  de  douze.  Douze,  en  effet,  est  le 
produit  de  trois  par  quatre.  Or,  trois,  qui  est  le  chiffre  de  la  Trinité,  et,  par 
suite,  de  lame  faite  à  l'image  de  la  Trinité,  désigne  toutes  les  choses  spirituelles. 
Quatre,  qui  est  le  chiffre  des  éléments,  est  le  symbole  des  choses  matérielles, 
du  corps,  du  monde,  qui  résultent  de  la  combinaison  des  quatre  éléments1.  M  ul- 
tiplier  trois  par  quatre,  c'est,  dans  le  sens  mystique,  pénétrer  la  matière  d'es- 
prit, annoncer  au  monde  les  vérités  de  la  loi,  établir  l'Église  universelle  dont 
les  apôtres  sont  le  symbole  '. 

De  tels  calculs  furent  parfois  plus  qu'ingénieux  :  ils  atteignirent  à  une  véri- 
table grandeur.  Le  nombre  sept,  que  les  Pères  avaient  déclaré  mystérieux  entre 
tous,  donnait  le  vertige  aux  contemplateurs  du  moyen  âge.  Ils  remarquaient 
d'abord  que  sept,  composé  de  quatre,  chiffre  du  corps,  et  de  trois,  chiffre  de 
l'âme,  est  le  nombre  humain  par  excellence.  11  exprime  l'union  des  deux  natures. 
Tout  ce  qui  se  rapporte  à  l'homme  est  ordonné  par  séries  de  sept.  La  \ie 
humaine  se  divise  en  sept  âges.  A  chaque  âge  est  attachée  la  pratique  il  une  des 
sept  vertus.  Nous  obtenons  la  grâce  nécessaire  à  la  pratique  des  sept  vertus  en 
adressant  à  Dieu  les  sept  demandes  du  Pater  noster.  Les  sept  sacrements  nous 
soutiennent  dans  l'exercice  des  sept  vertus  et  nous  empêchent  de  succomber 
aux  sept  péchés  capitaux  '.  Le  nombre  sept  exprime  donc  l'harmonie  de  l'être 
humain,  mais  il  exprime  aussi  le  rapport  harmonieux  de  l'homme  à  l'univers. 
Les  sept  planètes  gouvernent  la  destinée  humaine;  chacun  îles  sept  âges  de  la 
vie   est    sous    l'influence   de    lune    d'elles.   Ainsi,  sept  fils    invisibles  rattachent 


1  S. mil  Augustin,  In  Psatm  .  VI.  Patrol.,  t.  XXXVI-XXXVII,  col.  \\<  :  «  Numerus  ternarius  ad  animum 
pertinet,  qualernarius  ad  corpus*»,  et  Hugues  de  Saint-Victor,  Patrol.,  I     CLXXV,  col.  ai. 

'  Sur  li  nombre  1  ■>,  voir  Raban  Maur,  De  uni  verso,  XVIII,  >,  Patrol. ,  t.  CXI,  «  Item  duodeciro  ad 
omnium  sanclorum  pertincnl  sacramentum,  i|ni,  ex  quatuor  mundi  partibus  per  (idem  Trinitatis  electi, 
uiKiin  ex  se  tari n ni  ecclesian i  Hugues  de  Saint-A  ictor,  De  scripturis  et  script,  sacris.  Patrol.,  i    CLXXV, 

Col.      !  t. 

:  Sur  le  nombre  7.  voir  Hugues  de  Saint-Victor,  Exposil.  m  Abdiam.  Patrol  .  t,   1  l.\\\.  col.   [oo  el 


LES  CARACTERES  GÉNÉRAUX  DE  L  ICONOGRAPHIE  DU  MOYEN  AGE 

l'homme  à  l'ensemble  des  choses  '.  (  >r,  la  belle  symphonie  que  font  l'homme  et 
le  monde,  le  beau  concert  qu'ils  donnent  à  Dieu  durera  pendant  sept  périodes 
dont  six  sont  déjà  écoulées.  En  créant  le  monde  en  sept  jours.  Dieu  a  voulu 
nous  donner  la  clef  de  unis  ces  mystères2.  Aussi  l'Eglise  célèbre-t-elle  la  subli- 
mité des  desseins  du  Créateur  en  chantant  sept  lois  par  jour  ses  louanges  .  Les 
sept  tons  de  la  musique  grégorienne  sont,  en  dernière  analyse,  l'expression  sen- 
sible de  l'ordre  universel'. 

Nul  doute  que  de  pareilles  conceptions  n'aient  surtout  séduit  les  écoles  mysti- 
ques. Il  suffit  de  jeter  uw  coup  d'œil  sur  YArca  Noe  d'Hugues  de  Saint-Victor, 
pour  se  l'aire  une  idée  de  l'ivresse  avec  laquelle  il  combine  les  chiffres  symbo- 
liques. 

Toutefois,  \\  n'est  presque  pas  de  théologien  du  moyen  âge  qui  n'ait  demandé 
aux  nombres  la  révélation  de  vérités  cachées.  Certains  calculs  rappellent  tout 
à  lait  ceux  de  la  Cabale.  Honorius  d'Autun  veut  expliquer  pourquoi  1  âme  s  unit 
au  corps  quarante-six  jouis  après  la  conception.  11  prend  le  nom  d'Adam  et  il 
montre  que  le  nombre  '|(î  y  est  écrit.  Car,  si  ou  transpose  en  chiffres  les  lettres 
grecques  qui  composent  ce  nom,  on  a  :  %  =  i,  3  =  4,  a  =  1 ,  >j.  ==  jo.  En  addition 
nant.  on  obtient  le  nombre  ï<>-  qui  représente  le  moment  011  l'être  humain  peut 
être  considéré  comme  formé'. 

Entre  tous  les  docteurs,  les  commentateurs  de  la  Bible  sont  les  plus  riches 
en  interprétations  mystiques  fondées  sur  les  chiffres.  Ils  nous  expliquent,  par 
exemple,  (pie,  si  Gédéon  entre  en  campagne  avec  trois  cents  compagnons,  ce  n  est 


1   L'Italie  subtile  el  savante  mil  les  planètes  en  rapport  avec  les  âges  de  la  vie  aux  chapiteaux  du  palais 
ducal  à   Venise,  et   dans   les  fresques   des    Eremitani  à    Padoue.   Annales  itrclit'ul.,  I     X  \  I .  |>    G9.    197,    197 
Les  fresques  des  Eremitani,  œuvre  de  Guariento,  sont  du  \i\     siècle.  Après  sa  naissance.  I  enfant  est   sous 

I  mil :c  de  l.i    Lune  :  clic  le  gouverne  quatre  .m-.    Puis   Mercure   t'accueille  el   agit   sur   lui  pendant  <li\ 

.mis,  Vénus  s'empare  'lu  jeune  nomme  pcndanl  sepl  ans  Le  Soleil  ensuite  gouverne  1  liomiue  pendant  .li\ 
neuf  ans,  Mars  pendant  quinze  ans  Jupiter  pendant  douze  .m-.  Saturne  jusqu  .c  la  morl  I  outes  ces  tradi- 
tions remontent  jusqu'à    l'antiquité. 

-   Sur'  le  -vui In  il  1m ne  des  sepl  jours  de  la  créali voir  Rabau  Maur,  Pc  miive)  >".  I  \  .   10. 

;  Sur  le  symbolisme  'le--  sepl  heures  «le  I  office,  voir  Guilh e  Durand,  Ration  .  \  .  1 

•   Los    sepl    tons     ace pagnes    de    l'octave     sonl    sculptés    sur    les   chapiteaux    de    l'abbaye   .1.-    Cluuj 

(aujourd'hui  au   musée   de  la  ville).    11-   étaient    1res  probablemenl    eu  rapport,  si   on  en   pige  par  quelq ; 

autres  chapiteaux,  avec  les  sept  vertus  et  les  sepl  âges  du  un. mie.    Voit*  Annales  archèulugit/iifx,  1.  X\\l. 
I80,  et  I    XXVII,    \---.   i'i  1.  287. 

5  Honorius  d'Autun,  Sacranicnlarium.  Patrol.,  t.  CLXXII,  col    ;ji  .    Les  quatre  lettres  du  u< l'Adam 

représentent   aussi,  d'après   Honorius  d'Autun.  les   quatre  premières  lettres   des  quati  cardinaux   : 

.mal, île     le\ ,    dysis    [couch .    arktos     -.1  .    mes,,,, lai. 1    (midi   .    Il    est    a    peim 

qu'Honorius  d'Autun   u'esl   pas   l  inventeur   'I is   combinaisons  de   chiffres    el   de    lettres,  qui   rem. mien 


a(",  [INTRODUCTION 

pas  sans  quelque  raison  profonde,  car  il  v  ;i  dans  le  nombre  Unis  cents  un  mys- 
tère. En  grec,  trois  cents  se  rend  par  la  lettre  tau  (T)  :  or,  le  T  est  la  figure  de  la 
croix.  Donc,  par  delà  Gédéon  et  ses  compagnons,  il  faut  voir  Jésus  et  sa  croix1. 
Nous  pourrions  donner  beaucoup  d'autres  exemples  de  semblables  calculs, 
mais  d  nous  suffira  d'avoir  signalé  un  tour  de  pensée  propre  aux  hommes  d'alors. 

I  In  peut  dire  qu'il  y  a  dans  toutes  les  grandes  œuvres  du  moyen  âge  quelque  chose 
de  cette  arithmétique  sacrée.  La  Divine  Comédie  de  Dante  en  est  l'exemple  le 
plus  laineux,  dette  haute  épopée  est  édifiée  sur  des  nombres.  Aux  neuf  cercles  de 
l'Enfer  correspondent  les  neuf  gradins  de  la  montagne  An  Purgatoire  et  les  neuf 
ciels  du  Paradis.  Dans  un  poème  d'une  si  forte  inspiration,  rien  n'a  élé  laissé  à  la 
seule  inspiration.  Dante  décida  à  l'avance  que  chacune  des  parties  de  sa  trilogie 
se  diviserait  en  trente-trois  chants  en  l'honneur  des  trente-trois  années  de  la  vie 
de  Jésus-Christ2.  En  adoptant  la  forme  métrique  du  tercet,  il  semble  avoir  voulu 
graver  aux  fondements  mêmes  de  son  poème  le  chiffre  mystique  par  excellence. 

II  ordonna  l'univers  suivant  les  lois  d'une  géométrie  sublime.  Il  plaça  le  Para- 
dis terrestre  de  l'autre  côté  du  monde,  aux  antipodes  de  Jérusalem,  pour  que 
I  arbre   qui  avait  perdu   1  humanité  fût  précisément  à   l'opposé  de  la  croix  qui 

I  avait  sauvée.  Tout  est  réglé  avec  la  même  précision  dans  le  détail.  L'ima 
lion  la  plus  fougueuse  qui  lut  jamais,  fut  ;ÎWssi  la  plus  soumise.  Dante  accepta  I; 
loi  des  nombres  comme  un  rythme  divin  auquel  l'univers  obéit.  .Mais,  en  méd 
tant  sur  le  mystère  des  nombres,  il  sentit  une  sorte  d'horreur  sacrée  et  il  en  fit 
jaillir  une  poésie  splendide.  liéatrix  elle-même  devint  un  nombre  :  elle  lut.  à  ses 
yeux,  le  chiffre    neuf,  qui  a  sa  racine  dans  la  sainte  Trinité    . 

C  est  ainsi  qu  il  édifia  »  cum  pondère  et  mensura   »  sa  cathédrale   invisible. 

II  lut,  avec  sainl  Thomas,  le  grand  architecte  du  \in''  siècle.  Il  pourrait  être 
représenté  le  compas  et  la  toise  à  la  main.  Ici  qu'on  voit  sur  sa  pierre  tombale 
.Maître  Hugues Libergier,  qui  éleva  Saint-Nicaise  de  Reims. 

Apres  tout  ce  que  nous  venons  de  dire,  il  paraîtra  naturel  de  chercher  dans 
la  cathédrale  des  traces  de  cette  arithmétique  sacrée.  .Nous  croyons,  en  effet,  que 
la  science  des    nombres  a   présidé  parfois    aux   combinaisons  des  artistes.    Nous 

1  Walatricd  Strabo,  Glose  ordin.  Lib.  .Indu-..  Vil,  \.  l>.  Même  doctrine  dans  sainl  Augustin,  Quœst,  m 
Ileptat.,  lib.  Vit.  XXXVII;  el  dans  Raban  Main-,  Comment,  m  lib.  Judic,  LU,  Patrol.,  i  CVIII,  col. 
i  (63. 

-'  I.  Enfer  a   i  \  chants,  mais  1.'  premier  doil  être  considéré  comme  nu  préambule. 

I  Un  iiiiiivii    n  (.clic  dame  lui  toujours  ace pagnéc  du  nombre  neuf,  y ■  donner  à  entendre  qu  elle 

étail  un  neuf,  c'esl  à  dire  un  miracle,  donl  la   racine  esl  l'admirable  Trinité,  o 


na- 
1 
I- 


LES  CARACTÈRES  GÉNÉRAUX  DE  L  ICONOGRAPHIE  1)1  MOYEN  AGE 

sommes  bien  éloigné  toutefois  de  ne  voir  partout  que  des  nombres  symboliques. 
Mien  ne  prouve,  comme  l'ont  voulu  certains  archéologues  aventureux,  qu'il 
faille,  par  exemple,  chercher  un  sens  mystérieux  clans  la  triple  division  de  la 
fenêtre  gothique1.  Mais  il  ne  faut  pas  non  plus  repousser  systématiquement, 
comme  fait  une  autre  éeole.  tout  sjmbolisme  de  ce  genre  ;  on  prouverait  qu  on 
méconnaît  le  véritable  génie  du  moyen  âge. 

11  est  tel  eas  où  la  concordance  des  textes  et  des  monuments  nous  conduit  à 
des  probabilités  qui  approchent  lort  de  la  certitude.  La  forme  octogonale  des 
fonts  baptismaux,  qu'on  voit  adoptée  dès  les  temps  les  plus  anciens  et  qui  per- 
siste pendant  toute  la  durée  du  moyen  âge,  n'est  pas  un  pur  caprice.  Il  est  dif- 
ficile de  n'y  pas  voir  une  application  de  l'arithmétique  mystique  enseignée  par 
les  Pères.  Pour  eux.  le  nombre  huit  est  le  chiffre  de  la  vie  nouvelle.  Il  vient  après 
sept  qui  marque  la  limité  assignée  à  la  vie  de  l'homme  cl  a  la  vie  du  inonde. 
Huit  est  comme  l'octave  en  musique:  par  lui  tout  recommence.  Il  est  le  symbole 
île  la  vie  nouvelle,  de  la  résurrection  finale  et  de  la  résurrection  anticipée  qu'est 
le  baptême". 

Nous  pensons  qu'une  semblable  doctrine,  enseignée  par  les  premiers  Père», 
n'est  pas  restée  sans  effet.  La  piscine  îles  pins  vieux  baptistères  de  l'Italie,  ou 
de  la  Gaule,  affecte  presque  toujours  la  forme  de  l'octogone  .  Au  moyen  âge  les 
fonts  baptismaux  sont  souvent  circulaires,  niais  i|>  sont  plus  souvent  encore 
octogonaux  '. 

Nous  croyons  qu'il  ne  serait  pas  impossible  de  retrouver  les  nombres  mys- 
tiques dans  d'autres  parties  de  la  cathédrale,  mais  de  telles  études  sont  à  peine 
e ha mdiées  :   jusqu'à  présent,  on  y  a  apporte  pin-  d'imagination  que  de  méthode 


1    Voir  Mason  Xoale  •'!   Benj.  Webb,  Un    symbolisme,  il  nus  1rs  cuirs  du  moyen  Ù!(e     traducl         I - 

îS;  j.  i 1 1  S ,  p.   i  '<- 

-  S.iiiii  Ainbroise  dit  :  t  Quis  autrui  diibitel  majus  ,■>>,.  octane  » us,  qiuc  totum  renovavil  liomincui. 

/{pis!,   class.,   I.  XI. IV.   l'nlrnl  ,   l.    XVI,   col.    iii"     Ailleurs,    il    remarque  que   le  chilfre   huil   qui   était 
attaché,  sous  l'Auciennc  Loi,  à  la  circoncision,  rsi   inainlcnanl   attaché  au  baptême  et    i   la  résurrection 
In  Psal.  David,  CXVII1    Patrol..  t.  XV,  col.   1198. 

:   Ex.    :   les   baptistères   de  Ravemie,   Xovare,   Cividale   rie   r'rioul,  Triesle.  Torcello,    Aix-eu  Provence, 
Eréjus,  etc.   Voir  Leuoir,  Architecture  monastique,  Paris,   iS'u.    ■  vol.  in-<S.   On  ue  trouve  chez  les  I 

de  l'Eglise  un   texte   sur  la   fori lu  baptistère  :  |  eu  .u  vaine ni  cherché  dans  s.iiut  Augustin,  saint 

Ambroise,  sainl  <  Irégoire  le  (irand.  Une  adirmalion  de  leur  pari  1  rancherail  la  question,  mais  leur  silence 
ne  condamne  nullement  notre  hypothèse. 

k  Sur  les  l'unis  du  moyen  âge,  voir  une  étude  de  M.  Saiuleuoy,  dans  les  Annales  de  la  Société  arcliéolou 

de  Bruxelles,  iK'ji  el   189a.  Il  .1  étudié  et  classa  un  assez   grand  ubre  de  l'onts  baptismaux  de  toutes  les 

n  gions  de  1  Europe,  du   \i"  au   s\i'   siècle  :  trente  deux   sonl   de   forme  ronde,  m.iis  soixante-sept  -.uil  de 
forme  octogonale.  Il  y  a  d'autres  formes,  in;iis  en  petil  nombn 


a  8 


INTRODUCTION 


II 


Le  troisième  caractère  de  l'art  <lu  moyen  âge  est  d'être  un  langage  symbo- 
lique. Depuis  les  catacombes,  l'art  chrétien  parle  par  figures.  Il  nous  montre 
une  chose  et  il  nous  invite  à  en  voir  une  autre.  L'artiste,  auraient  pu  duc  les 
docteurs,  doit  imiter  Dieu,  qui  a  caché  un  sens  profond  sous  la  lettre  de  I  Ecri- 
ture, et  qui  a  voulu  que  la  nature  elle-même  lui,  un  enseignement. 

Il  y  ;i  donc,  dans  Tari,  du  moyen  âge,  des  intentions  (|u  d  faut  saxon-  com- 
prendre. Lorsque,  par  exemple,  dans  la  scène  du  Jugement  dernier,  nous 
voyons  les  Vierges  folles  à  la  gauche  de  Jésus-Christ  et  les  \  ierges  sages  à  sa 
droite,  nous  devons  entendre  qu'elles  sont  là  pour  symboliser  les  réprouvés  el 
les  élus.  Tous  les  commentateurs  du  Nouveau  Testament  nous  l'apprennent, 
cl  ds  nous  l'expliquent  en  nous  disant  que  les  cinq  Vierges  folles  figurent  la 
concupiscence  des  cinq  sens  et  les  cinq  Vierges  sages  les  cinq  formes  de  la 
contemplation  intérieure'.  Ce  n'est  pas  pour  eux-mêmes  qu'on  représente  les 
quatre  fleuves  du  Paradis,  le  Géon,  le  Phison,  le  Tigre  et  l'Euphrate,  versant 
l'eau  de  leur  urne  vers  les  quatre  points  cardinaux,  c  csl  pour  symboliser  les 
quatre  évangélistes,  qui,  pareils  à  quatre  fleuves  bienfaisants,  ont  épanché  leur 
doctrine  sur  le  monde. 

Tel  personnage  de  l'Ancien  Testament,  au  porche  de  la  cathédrale,  n'est 
iprune  figure  :  il  annonce  Jésus-Christ,  la  Vierge  ou  l'Eglise  future.  A  Chartres, 
Melchisedech,  piètre  et.  roi,  portant  le  pain  et  le  vin  pour  l'offrira  Abraham, 
doit  nous  rappeler  un  autre  prêtre  et  un  autre  roi  qui  offrit  le  pain  et  le  vin  à 
ses  apôtres.  A  Laon,  Gédéon,  appelant,  sur  la  toison  qu'il  a  étendue  à  terre,  la 
pluie  du  ciel,  nous  fait  souvenir  que  la  Vierge  lut  celte  toison  symbolique,  sur 
qui  tomba  la  rosée  d'en  haut  (fig.  H). 

In  détail,  d'apparence  insignifiante,  cache  un  symbole.  Le  lion  qu'on  voit 
dans  un   vitrail   de  Bourges,  près  du   tombeau   d  où  sort  Jésus-Chrisl    ressuscité. 

est  une  ligure  de  la  Résurrection,  l'ont,  le  monde  admettail  au  moyen  âge  que 
la  lionne  mettait  Las  des  petits  qui  semblaient  mort-nés.  Pendant  trois  jours 
les  lionceaux  ne   donnaient  aucun   signe    de  vie,    mais  le  troisième  jour,  le  lion 


1    Nous  t'enverrons  aux  textes,  quand  nous  reviendrons  sur  lous  ces  sujets. 


\ 


LES  CARACTÈRES  GÉNÉRAUX  DE  L  I  -  O.NOGRAPIIIE  Dl  MOYEN  AGE  29 
venait  et  les  ranimait  de  son  souille.  Ainsi,  la  mort  apparente  du  lion  représen- 
tait le  séjour  de  Jésus-Christ  dans  le  tombeau,  et  sa  naissance  était  comme  une 
image  de  la  résurrection. 

Dans  l'art   du  moyen   âge,  on   le   voit,  toute  forme  est  vivifiée  par   l'esprit. 


Fig.  8.        '  li-dc 1  l.i  Te  lison    Vitrail  de  I.. 1 

[D'après  Florival  el   Midoux;  avec  l'autorisation  de  M.  de   Florival. 


Une  pareille  conception  de  l'art  suppose  un  système  du  monde  profondé- 
ment idéaliste,  et  la  conviction  que  l'histoire  et  la  util  1  ire  ne  sont  qu'un  immense 
symbole.  Xou s  verrons  que  telle  lut  bien,  en  effet,  la  vraie  pensée  du  moyen 
âge.  Et  qu'on  ne  croie  pas  que  ces  idées  fussent  seulement  celles  des  grands 
docteurs  du  xme  siècle  :  I  Eglise  sut  les  faire  arriver  jusqu'à  la  foule.  Le  symbo- 
lisme du  culte  familiarisait  les  fidèles  avec  le  symbolisme  de  l'art.  La  Liturgie 
chrétienne  est.  comme  l'Art  chrétien,  une  perpétuelle  figure  :  le  même  génie 
s  y  montre. 


I 

III- 


3o  INTRODUCTION 

Il  faut  lire,  dans  Guillaume  Durand,  les  commentaires  donl  il  accompagne 
le  récit  d'une  grande  fête  chrétienne,  du  Samedi  saint,  par  exemple1.  Chacune 
des  cérémonies  qui  s'accomplit  en  ce  jour  est  pleine  de  mystère. 

Des  le  matin,  on  commence  par  éteindre  dans  l'église  toutes  les  lampes 
pour  marquer  que  l'Ancienne  Loi,  qui  éclairait  le  monde,  est  désormais  abrogée. 
Puis,  le  célébrant  bénit  le  feu  nouveau,  figure  delà  Loi  Nouvelle.  Il  a  lait  jaillir 
ce  feu  du  silex,  pour  rappeler  que  Jésus-Christ  est,  comme  ledit  saint  Paul,  I; 
pierre  angulaire  du  monde.  Alors,  l'évêque,  le  diacre  et  tout  le  peuple  se  < 
<>ent  vers  le  chœur  et  s'arrêtent  devant  le  cierge  pascal.  Ce  cierge,  nous  apprend 
Guillaume  Durand,  est  un  triple  symbole.  Eteint,  il  symbolise  à  la  l'ois  la 
colonne  obscure  qui  guidait  les  Hébreux  pendant  le  jour,  l'Ancienne  Loi  et  le 
corps  de  Jésus-Christ.  Allumé,  il  signifie  la  colonne  de  lumière  qu'Israël  voyait 
pendant  la  nuit,  la  Loi  Nouvelle  e1  le  corps  glorieux  de  Jésus-Christ  ressuscité. 
Le  diacre  l'ait  allusion  à  ce  triple  symbolisme  en  récitant,  devant  le  cierge,  la 
formule  de  VExultet.  .Mais  il  insiste  surtout  sur  la  ressemblance  du  cierge  et  du 
corps  de  Jésus-Christ.  Il  rappelle  que  la  cire  immaculée  a  été  produite  par 
l'abeille,  à  la  lois  chaste  et  féconde  comme  la  Vierge  qui  a  mis  au  monde  le 
Sauveur2.  Pour  rendre  sensible  aux  yeux  la  similitude  de  la  cire  et  du  corps 
divin,  il  enfonce  dans  le  cierge  cinq  grains  d'encens  qui  rappellent  a  la  lois  les 
cinq  plaies  de  Jésus-Christ  et  les  parfums  achetés  par  les  saintes  Femmes  pour 
l'embaumer.  Enfin,  il  allume  le  cierge  aveclefeu  nouveau,  et,  dans  toute  l'église, 
on  rallume  les  lampes,   pour  représenter  la  diffusion  de  la  Nouvelle  Loi  dan-  le 

monde. 

Telle  est  la  première  partie  de  la  cérémonie.  La  seconde  est  consacrée  au 
baptême  des  néophytes  que  l'Église  a  placé  en  ce  jour,  parce  qu'elle  a  vu, 
comme  dit  Durand,  de  mystérieux  rapports  entre  la  mort  de  Jésus-Chrisl  et  la 
mort  symbolique  du  nouveau  chrétien.  Par  le  baptême,  le  chrétien  meurl  au 
monde  et  ressuscite  avec  le  Sauveur.  .Mais,  avanl  de  conduire  les  catéchumènes 
aux  fonts  baptismaux,  on  lit  devant  eux  douze  passages  des  livres  saints  qui  se 
rapportent  aux  sacrements  qu'ils  vont  recevoir.  C'est,  par  exemple.  I  histoire 
du  Déluge  dont  l'eau  purifia  le  momie,  le  récit  du  passage  de  la  mer  Rouge  par 
les  Hébreux,  symbole  du  baptême,  et  le  cantique  d'Isaïe  sur   ceux  qui  ont  soil. 

1  Rationale  div.  offic    Lib.  \  I.  cap.  lxxx 

-  Sur  les  /  cultet  de  I  Église  primitive,  qui  onl  un  si  beau  caractère,  voir  Duchesne.  les   Origim  •■  du 
culte  chrétien.  Paris,  1889,  in  s,  p.   ■  , 


LES    CARACTERES   GENERAUX    DE    I.   ICONOGRAPHIE    01     MOI  I   N    AGE  Si 

Quand  les  lectures  sont  terminées,  l'évêque  bénit  l'eau.  Il  fail  d'abord  mm-  elle 
le  signe  de  la  croix;  puis  il  la  divise  en  quatre  parties  et  en  répand  vers  les 
quatre  points  cardinaux  pour  rappeler  les  quatre  Meuves  du  Paradis  terrestre. 
Il  y  plonge  ensuite  le  cierge  pascal,  image  du  Sauveur,  pour  nous  faire  sou- 
venir que  Jésus-Christ  fut  plongé  dans  le  Jourdain  et  qu'il  sanctifia  par  son 
baptême  toutes  les  eaux  du  monde.  Il  plonge  le  cierge  à  trois  reprises  dans  le 
baptistère  pour  rappeler  les  trois  jours  «pie  Jésus-Christ  passa  dans  le  tombeau. 
Le  baptême  commence  alors,  et  les  néophytes,  à  leur  tour,  sonl  plongés  trois 
lois  dans  la  piscine,  pour  qu'ils  sachent  qu'ils  meurent  au  inonde  avec  le 
Christ,  <pi  ils  sont  ensevelis  avec  lui  et  qu'ils  ressuscitent  avec  lui  à  la  vie 
éternelle. 

On  voit  que,  dans  une  pareille  cérémonie,  il  n'est  pas  un  détail  qui  n  ail  sa 
valeur  symbolique. 

.Mais,  ce  n'esl  pas  seulement  dans  quelques  circonstances  solennelles  que 
I  Eglise  instruit  et  émeut  le  peuple  par  des  symboles.  Tous  les  jours  elle 
célèbre  le  sacrifice  de  la  .Messe,  et,  dans  ce  drame  pathétique,  il  n'esl  rien 
qui  n'ait  sa  signification.  Les  chapitres  que  Guillaume  Durand  a  consacrés  à 
l'explication  delà  messe  comptent  parmi  les  plus  surprenants  de  son  lialional. 

Voici,    par    exemple,    coi ent    il    interprète  la    première    partie    t\\i     divin 

sacrifice1  : 

Le  chant  grave  et  triste  de  V Introït  ouvre  la  cérémonie  :  il  exprimé  l'attente 
des  patriarches  et  des  prophètes.  Le  chœur  des  clercs  est  le  (lueur  même  des 
saints  tle    l'Ancienne    Loi,    <pii    soupirent  après   la   venue   du    Messie   qu'ils  ne 

doivent  point  voir.  L'évêque  entre  alors,  et  il  apparaît  c ic  la  vivante  figure 

de  Jésus-Christ.  Sou  arrivée  symbolise  l'avènement  du  Sauveur  attendu  par 
les  nations.  Dans  les  grandes  fêtes  on  porte  (levant  lui  sept  flambeaux  pour 
rappeler  que,  suivant  la  parole  du  Prophète,  les  sept  dons  du  Saint-Esprit  se 
reposèrent  sur  la  tète  du  Fils  de  Dieu.  Il  s  avance  SOUS  un  dais  triomphal  dont 
les  quatre  pi  n  leurs  peuvent  se  comparer  aux  quatre  évangélistes.  Deux  acolvtes 
marchent  à  sa  droite  et  à  sa  gauche,  et  figurent  Moïse  et  Hélie  qui  se  montrè- 
rent sur  le  Thabor  aux  côtés  de  Jésus-Christ.  Ils  nous  enseignent  cuie  Jésus 
avait  pour  lui   1  autorité    de  la  Loi  et  l'autorité  des   Prophètes. 


1    Nous  résumons  brièvement,  en  omellanl  une  foule  de  circonsl :es.  le  chapitre  v  el  les  rliapili 

v.inl  s  a  m   livre   1  Y  "lu  tiation/il.  On  Irouve  la  même  dortrinr  riiez  les  autres  I  il  m     i    h  N  >>ir 

uolamineul    Sicard,   Milrulr,   III.    t.  l'ntrul  .  i     <  '   Mil 


la  INTRODUCTION 

L'évèque  s'assied  sur  son  trône  et  reste  silencieux.  Il  ne  semble  prendre 
aucune  pari  à  la  première  partie  de  la  cérémonie.  Son  attitude  contient  un 
enseignement  :  il  nous  rappelle  par  son  silence  que  les  premières  années  de  la 
vie  de  Jésus-Christ  s'écoulèrent  dans  l'obscurité  et  dans  le  recueillement.  Le 

sons-diacre,  cependant,  s'est  dirigé  vers  le  pupitre,  et,  tourné  vers  la  droite,  il 
lit  l'Epître  à  hante  voix.  Nous  entrevoyons  ici  le  premier  acte  du  drame  de  la 
Rédemption.  La  lecture  de  l'Epître,  c'est  la  prédication  de  saint  Jean-Baptiste 
dans  le  désert.  Il  parle  avant  «pie  le  Sauveur  ait  commence'' à  l'aire  entendre  sa 
voix,  mais  il  ne  parle  qu'aux  Juifs.  Aussi  le  sous-diacre,  image  du  Précurseur, 
se  tourne-t-il  vers  le  nord,  qui  est  le  côté  de  l'Ancienne  Loi.  Quand  la  lecture 
est  terminée,  il  s'incline  devant  l'évèque.  comme  le  Précurseur  s'humilia  devant 
Jésus-Christ. 

Le  chant  du  Graduel,  qui  suit  la  lecture  de  l'Epître,  se  rapporte  encore  à  la 
mission  de  saint  Jean-Baptiste  :  il  symbolise  les  exhortations  à  la  pénitence 
qu'il  adresse  aux  Juifs,  à  la  veille  des  temps  nouveaux. 

Enfin  le  célébrant  lit  l'Evangile.  Moment  solennel,  car  c'est  ici  que  com- 
mence la  vie  active  du  Messie;  sa  parole  se  l'ait  entendre  pour  la  première  l'ois 
dans  le  inonde.   La  lecture  de  l'Evangile  est   la   figure  même  de   sa  prédication. 

Le  Credo  suit  l'Evangile,  comme  la  loi  suit  l'annonce  de  la  vérité.  Les  douze 
articles  du  Credo  se  rapportent  à  la  vocation  des  douze  apôtres'. 

Quand  le  Credo  est  terminé,  l'évèque  se  lève  et  parle  au  peuple.  Lu  choisis- 
sant ce  moment  pour  instruire  les  fidèles,  l'Eglise  a  voulu  leur  rappeler  le 
miracle  de  son  établissement.  Elle  leur  montre  comment  la  vérité,  reçue 
d'abord  par  les  seuls  apôtres,  se  répandit  en  un  instant  dans  le  monde  entier. 

Tel  est  le  sens  mystique  que  Guillaume  Durand  attribue  à  la  première  partie 
de  la  Messe.  Apres  cette  sorte  de  préambule,  il  arrive  au  drame  lui-même  et  au 
sacrifice.  Mais  ici,  ses  commentaires  deviennent  si  abondants  et  son  symbo- 
lisme si  riche  qu'il  est  impossible  par  une  simple  analyse  d'vw  donner  une  idée. 
Il  tant  renvoyer  à  l'original.  Nous  en  avons  dit  ;ismv,  toutefois,  pour  laisser 
entrevoir  quelque  chose  du  génie  du  moyen  âge.  On  devine  tout  ce  qu  une  céré- 
monie religieuse  contenait  d'enseignements,  d'émotion  et  de  vie  pour  les  chré- 
tiens du    xui    siècle.    Avec  quelle  puissance   une  telle    poésie    ne  devait-elle  pas 

1  Chac les  articles  'lu  Credo  élail  attribué  ■>  un  apôtre.  A  partir  du  xiv°siècle,  lis  apôtre i  sou 

x,  ni  ii  |,ii  -i  ulés  portaul  à  la  main  une  banderole  sur  laquelle  est  écrit  l'article  du  symbole  qu'on  attribue 
.  i  li  icun  d'eux 


LES   CARACTERES  GENERAUX    DE    L'ICONOGRAPHIE    Dl     MOYEN    AGE  !3 

agir  sur  l'àme  tendre  d'un  saint  Louis.  (  In  s'explique  ses  extases  el  ses  larmes. 
A  ceux  qui  l'arrachaient  à  sa  contemplation,  il  disait  à  voix  basse  et  comme 
sortant  d'un  rêve  :  «  Où  suis-je  ?  »  --  Il  croyait  être  avec  saint  Jean  dans  le 
désert,  marcher  aux  côtés  tic  Jésus. 

Les  livres  des  vieux  liturgistes,  si  dédaignés  depuis  le  xvnc  siècle,  doivent 
être  comptés,  sans  aucun  doute,  parmi  les  plus  extraordinaires  du  moyen  âge 
Nulle  part   il   n'y  a  un  si  puissant  rayonnement  de   l'àme.   Toutes   les   réalités 
s'évanouissent  et  se  transfigurent  en  esprit. 

Le  costume  que  le  prêtre  porte  à  l'autel,  les  objets  qui  servent  au  culte 
deviennent  autant  de  symboles.  La  chasuble,  qui  se  met  par-dessus  tous  les 
autres  vêtements,  c'est  la  (hante  qui  est  supérieure  à  tous  les  préceptes  (le  la 
loi  et  qui  est  elle-même  la  loi  suprême  J.  L'étole,  que  le  prêtre  se  passe  autour 
du  cou,  est  le  joug  léger  du  Seigneur;  et,  comme  il  est  écrit  que  tout  chrétien 
doit  chérir  ce  joug,  le  prêtre  baise  l'étole  en  la  mettant  et  en  l'enlevant  .  La 
mitre  à  deux  pointes  de  l'évêque  symbolise  la  science  qu'il  doit  avoir  de  l'un  et 
de  l'autre  Testament  :  deux  rubans  y  sont  attachés  pour  rappeler  que  l'Ecriture 
doit  être  interprétée  suivant  la  lettre  et  suivant  l'esprit  '.  La  cloche  esl  la  voix 
des  prédicateurs.  La  charpente  à  laquelle  elle  est  suspendue  est  la  figure  de  la 
croix.  La  corde  faite  de  trois  (ils  tordus  signifie  la  triple  intelligence  de  l'Ecri- 
ture, < 1 1 1 i  doit  être  interprétée  dans  le  triple  sens,  historique,  allégorique  el 
moral.  Quand  on  prend  la  corde  dans  sa  main  pour  ébranler  la  cloche,  on  exprime 
symboliquement  cette  vérité  fondamentale  que  la  connaissance  des  Ecritures 
doit  abi ui tir  à  I  actii m  '. 

Lu  usage  si  constant  du  symbolisme  esl  bien  fait  pour  étonner  quiconque 
n'est  pas  familier  avec  les   écrivains  du   moyen  âge.   Il  ne  faut  pas  toutefois, 


1   II  l'a  m  l  lire  :  Amalnrins,  De  ecclesiasticis  offîciis  ■  ■!  Eclogne  <lr  officio  miss  ftp    i.V  siècle),  Palrol     t.  <   \  ; 
Rupei'l  do  Tny.    De   dhinis   of/icîis   [xn1    siècle  .   Palrol  .    i    CLXX;   [lonorins  d'Autun,   fiemma  aiiimae  et 
Sacrante ntarium  (xn0  siècle  ,  Palrol..  t.  CLXXII  ;   Hugues  de  Sain I   Victor,  Spéculum  ecclesiae  <ii  De  • 
ecclesiasticis    ,\n      siècle;  l'attribution   .'<  Hugues    de    Saint-Victor    est    douteuse).   Palrol..   i.   CLXXVII; 
Sicard    de   Crémone,    Mitrale     xn°   siècle  .    Palrol.,    i     CCXIII;    Innocent    III.  De    sacro   allaris   mi 
(xm°  siècle),   Patrol.,  t.    CCXYII.  A  la  lin  du  xni1'  siècle,  Guillaume  Durand    résume   el    amplifie  tous    lo 
travaux  de  ses  prédécesseurs   dans   son  Rationale  divinorttm  ofjiciorum.   Il   rsl  curieux  <pie  les  plus  an 

liturgistes,   c e  Isidore  de  Séville    De  ecclesiasticis  officiis  ;  Palrol..   I.    I.XWIII      ne   il teiil   aucune 

place  au    symbolisme.   L  interprétation  symbolique   des  cérémonies  apparti<  ni    ■ yen 

mence  cju  avec  Amaîa  rius. 

1  Guillaume  Durand,  Ration.,  liv.  III.  cli.  vu. 

;   Ration  .  liv.  III.  cli    % 

1   Ration. .  liv.  III.  cb.  mm. 

'     /îtlll'ili    .    liv      I.    i  II  .    I  \ 


;\  INTRODUCTION 

comme  firent  les  Bénédictins  du  xvmc  siècle,  affecter  de  ne  voir  là  qu'un  simple 
jeu  de  lu  fantaisie  individuelle1.  Sans  doute,  de  telles  interprétations  ne  furent 
jamais  acceptées  comme  des  dogmes;  néanmoins,  il  est  assez,  remarquable 
qu'elles  ne  varient  presque  jamais.  Par  exemple,  (lu  il  la  unie  Durand,  au  xmc  siècle, 
attribue  à  l'étole  la  même  signification  qu'Amalarius  au  i\'  J.  .Mais,  ce  qui  est 
intéressant  ici,  c'est  bien  moins  l'explication  prise  en  elle-même  que  l'état  d'es- 
prit qu'elle  suppose  :  ce  qui  est  significatif,  c'est  le  mépris  de  la  réalité,  c'est  la 
conviction  profonde  «pian  travers  de  toutes  les  choses  de  ce  monde  on  peut 
atteindre  à  l'esprit  pur.  on  peut  entrevoir  Dieu.  Voilà  le  vrai  génie  du  moyen 
âge. 

Pour  l'historien  de  l'art,  il  n'est  pas  de  livres  plus  précieux  que  les  livres 
liturgiques.  Grâce  à  eux,  il  apprend  à  connaître  l'esprit  qui  a  modelé  les  œuvres 
plastiques.  Car  les  artistes  furent  aussi  habiles  que  les  théologiens  à  spiritua- 
liser  la  matière:  ils  curent  des  inventions  dont  quelques-unes  furent  ingé- 
nieuses, d'autres  touchantes,  d'autres  grandioses. 

Ils  donnèrent,  par  exemple,  au  grand  lustre  d'Aix-la-Chapelle  la  forme 
d'une  ville  fortifiée  défendue  par  des  tours.  Quelle  est  cette  ville  de  lumière? 
L'inscription  nous  l'apprend  :  c'est  la  Jérusalem  céleste.  Les  Béatitudes  de 
lame  promises  aux  élus  sont  représentées  entre  les  créneaux,  près  des  Apôtres 
et  des  Prophètes  qui  gardent  la  cité  sainte  .  N'est-ce  pas  une  façon  magnifique 
de  réaliser  la  vision  de  saint  Jean  ? 

L'artiste  inconnu  qui  surmonta  un  encensoir  de  limage  îles  trois  jeunes 
Hébreux  dans  la  fournaise,  sut  rendre  sensible  une  belle  pensée1.  Le  parfum 
(ini  montait  du  brasier  semblait  être  la  prière  même  des  martyrs. 

(les  pieux  ouvriers  mettaient  dans  leurs  œuvres  toute  la  tendresse  de  leur 
aine. 

Un  autre,  plus  subtil,  donna  à  la  volute  d'une  crosse  d'évèque  la  forme  il  \n\ 
serpent  qui  lient  dans  sa  gueule  une  colombe.  Il  voulut  de  celle  façon  rappeler 
au   pasteur  les  deux  vertus  qui  conviennent  à  son  ministère.   «   Cache  la  simpli- 


1    Voir  dans  l'IIist.  liil.  de  la  France,  i.  XII.  l' article  sur  Honorius  d'Autun. 

-'  I  >  Amalarius  à  Guillaume  Durand,  tous  les  liturgistos  fonl  >\<-  I  étole  un  symbole  <l  obéissance.  A  m.il.i- 
iin>,  f)e  eccles.  officiis,  col.  1097;   Rupert,  De  divin.  "//"'•  ''"'     '  ' :    Honorius  il  Aulun,  Gemma,  col.  6o5; 

Hugues  de  Saint-Victor,    De  offic.   eccles.,  '"1     i<>">:    Sicard,    Mi  traie,    col.    ;>:    lu :enl    III.    De   sacro 

ail.  myst  .  col.  788. 

:  Annales  archéol,    t.  XIX,  |>    70.  cl  Cahier,  Mclang.  arch.,  1    III.  \<    1  el  suiv. 

■    lïuceusoir  de  Lille,  Annales  archéol.,  I.  IV.  p.    "1  i.  el  1.  XIX,  \<    11  1. 


LES    CARACTÈRES    GÉNÉRAUX    DE    I.   [I   OROGRAPHIE   1)1     MOYEN    AG 

cité  de  la  colombe  sous  la  prudence  du  serpent  »,  disent  deux  vers 
gravés  sur  le  bâton  pastoral1.  Une  autre  crosse 
nous  montre  encore  un  serpent  qui  menace  la 
Vierge  de  sa  gueule  impuissante;  dans  la  vo- 
lute, lange  lui  annonce  qu'elle  enfantera  le 
vainqueur  du  serpent  J. 

Souvent  les  artistes  traduisent  exactement 
la  doctrine  enseignée  par  les  liturgistes.  Dans 
le  sanctuaire  de  la  Sainte-Chapelle,  les  sculp- 
teurs adossèrent  à  douze  colonnes  douze  statues 
d  apôtres  portant  à  la  main  des  croix  de  consé- 
cration. Les  liturgistes  nous  enseignent,  en 
effet :.  que  lorsque  1  évoque  consacre  une  église, 
il  doit  marquer  de  douze  croix  douze  colonnes 
de  la  nef  ou  du  chœur.  Il  veut  faire  entendre  par 
là  que  les  douze  apôtres  sont  les  vrais  piliers  du 
temple.  C'est  ce  symbolisme  qui  a  été  rendu 
sensible  aux  veux  de  la  façon  la  plus  heureuse 
à  l'intérieur  de  la  Sainte-Chapelle  •  (fig.  9  . 

Tout  le  mobilier  religieux  du  xin  siècle 
nous  montre  la  matière  façonnée  par  l'esprit. 
Au  pupitre,  l'aigle  de  saint  Jean  ouvre  ses  ailes 
toutes  grandes  pour  soutenir  l'Evangile5.  De 
beaux  anges,  en  longues  robes,  portent  proces- 
sionnellement  les  cylindres  de  cristal  où  relui- 
sent les  os  des  saints  et  des  martyrs.  Les  Vierges 
d'ivoire    s'ouvrent    et     montrent   qu'elles    ont, 


lu     g      --      apôtre    portant    la    croix 

1  Cahier,  Nouv.  mal.  archéol.  Ivoires,  p.  -iS.  ,    Sain te-Cha polie 

J  Au  Musée  du  Louvre,  galerie  <l  Apollon. 
Voir  Sicard,  Mitrale,  Iiv.  I.  ch    ix.  l'air.,  t.  CCXUI,  col.  m. 

•   Les  statues  qu'on  voil  aujourd'hui  onl  été  refaites,  à  1  exception  do  quali        I  rva\,Det 

liuii  de  la   Sainte-Chapelle,  Paris,   1887,    in-12,    p      ji  '   Les   douze    ap 
douze  colonnes,  à  l'église  Saint-Jacques  des  Pèlerins  à  Paris.     Hev    de  lart  chréi 

■■  A  la  Chartreuse  de   Dijon  le  lutrin  de  l'Evangile  élail    une  colonne  au  sommet   de  1  iquelle  se  troi 
un  phénix.    Les  quatre  animaux  placés   .'1  l'eutour  servaient  de    pupitre.   Si    l'évangile  qu  on    lisait    était    do 
saint  Marc,  on  mettait  le  livre  sur  le  lion,  sur  le  liœuf  -  il   éla  I  M  litur- 

gique,  p.   1  56  . 


,,,  INTRODUCTION 

o-ravée  à  la  place  du  cœur,  toute  l'histoire  de  la  Passion1.  Au  chevet  de  la 
cathédrale,  un  ange  gigantesque,  dominant  toute  la  ville,  tourne  avec  le  soleil  et 
donne   à  chaque  heure;  un  sens  surnaturel2. 

De  huilée  qui  précède,  il  est  permis  de  conclure  «pie  l'art  du  moyen  âge  est 
un  art  éminemment  symbolique,  et  que  la  forme  y  fut  presque  toujours  l'enve- 
loppe légère  de  l'esprit  ;. 

Voilà  les  caractères  généraux  de  l'Iconographie  du  moyen  âge.  L'artesl  alors 
;'i  la  lois  une  écriture,  une  arithmétique,  une  symbolique.  Il  en  résulte  une  har- 
monie profonde.  L'ordonnance  des  statues  au  portail  des  cathédrales  a  quelque 
(diose  de  musical.  N'y  a-t-il  pas  la,  en  effet,  tous  les  éléments  d'une  musique.1 
N'y  trouve-t-on  pas  des  signes  groupés  suivant  la  loi  des  nombres?  Et  n'y  a-t-il 
pas,  dans  les  symboles  multiples  qu'on  entrevoit  derrière  les  formes,  quelque 
chose  de  l'indéfini  de  la  musique  .'  Le  génie  du  moyen  âge,  qu'on  a  si  longtemps 
méconnu,  fut  un  génie  harmonieux.  Le  Paradis  de  Dante  el  les  porches  de  Char- 
Ires  sonl  des  symphonies.  Aucun  art,  plus  justement  (pie  celui  ^\u  XIIIe  siècle, 
ne  mérite  d'elle  défini   :   «    une  musique  fixée  ». 

1   La  Vierge  ouvrante,  qui  figurai!  autrefois  dans  la  collection  des  ivoires  du   Louvre,  esl  probable ni 

l'œuvre  d'un  faussaire,  tl  existe  cependant  une  Vierge  ouvrante  authentique  très  mutilée);  voir  Molinier, 
/,,,,,,  s,  p.  i",  .huis  l'Histoire  générale  des  arts  appliqués  à  l'industrie,  Paris,  1896,  in-fol.  On  en  .1 
signalé  récemment  une  autre;  voir:  La  Vierge  ouvrante  de  Boubou,  par  l'abbé  Leclerc  el  le  baron  de 
Vcrncilh.  Limoges,  1 898. 

-  Au  chevel  de   la  cathédrale  de  Chartres,  avant  l'incendie  de  i836.    Villard  de   Honnecourt,  dans  son 
Album  [fol.  22,   \    ,  explique  le  mécanisme  qui  met  l'ange  en  mouvement. 

I  no  des  questions  les  plus  longtemps  controversées  de  l'archéologie  du  moyen  âge  a  été  celle  de  la 
déviation  de  l'axe  des  églises  qu'on  remarque  si  fréquemment  dans  la  région  du  chœur.  I  ne  pareille  irré- 
gularité est-ellcdue  au  hasard,  à  .1rs  nécessités  d'ordre  matériel,  ou  faut-il  y  voir  nue  intention  mystique  .' 
X  aurait-on  pas  voulu  rappeler  que  Jésus-Christ,  .lonl  l'église  esl   l'image,  esl  mon  sur  la  croix   en  incli 

uant  [a  tèteV Viollet-le-Duc  ne  se  prononce   pas.  tout  en  reconnaissant  qu'une  idée  de  ce  genre  s'accor- 

dcrail  parfaitement  avec  toul  ce  que  nous  savons  du  génie  du  moyen  âge,  [Dictionn.  raisonné  de  l'architect., 
article  :  Axe  Pour  ma  part,  j'ai  été  pendant  longtemps  assez  disposé  à  interpréter  la  déviation  de  1  axe 
dans  un  sens  mystique.  Le  remarquable  mémoire  que  M.  R.  de  Lasteyrie  a  consacré  à  cette  question  ttém 
de  I  tcad.  des  Inscript,  et  Belles-Lettres,  t.  XXXVII,  1905)  m'a  convaincu  que  cette  déviation  ne  pouvait 
avoir  .1.'  signification  symbolique.  Quand  elle  n'est  pas  commandée  par  la  nature  des  lieux,  elle  esl  le 
i-,  ultal  d'une  erreur  d'alignement  el  correspond  toujours  à  une  reprise  des  travaux.  Les  exemples  si 
précis  que  donne  M  de  Lasteyrie  ne  peuvent  guère  laisser  subsister  de  doute  dans  l'esprit.  Son  Mémoire 
,,  entraîné  presque  immédiatement  l'adhésion  de  M.  Anthyme  Saint-Paul,  qui  fui  longtemps  un  des  cham- 
pions de  I  interprétation  symbolique  t/lul/fi.  monum.,  1906).  Ce  symbolisme  écarté,  il  ne  restera  plus  rien 
des  déductions  ingénieuses  de  M""    Félicie  .1  Ayzac,  qui  avait  voulu   prouver  que  la  petite  porte  percée  au 

il de  Notre  Dame  .1.'  Paris,  la  -  porte  rouge     .  étail  la  Ggure  do  la  plaie  faite  par  la  lance  au  côté  droit 

de  Jésus  Christ.  [Revue  de  l'Art  chrétien,  1860  el  1861.)  Le  symbolisme  tient  assez  de  place  dans  l'arl  du 
moyen  âge  pour  qu'il  u  v  ail  pas  lieu  d'accueillir  les  rêveries  des  interprètes  modernes. 


Cil  \NITiE   II 

METHODE   A   SUIVRE   DANS   L'ETUDE  DE   L'ICONOGRAPHIE   DU   MOYEN  AGE 
LES   MIROIRS   DE  VINCENT   DE   BEAUVAIS 


Le  xme  siècle  est  le  siècle  des  Encyclopédies.  A  aucune  autre  époque  on  ne 
publia  autant  de  Sommes,  de  Miroirs,  d'Images  du  .Monde  Saint  Thomas 
d  Aquin  coordonne  alors  toute  la  doctrine  chrétienne;  Jacques  de  Voragine 
réunit  en  un  corps  les  plus  célèbres  d'entre  les  légendes  des  saints;  Guillaume 
Durand  résume  tous  les  liturgistes  antérieurs;  Vincent  de  Beauvais  embrasse 
la  science  universelle.  Le  monde  chrétien  prend  une  pleine  conscience  de  son 
génie.  La  conception  de  l'univers  qui  avait  été  élaborée  par  les  siècles  anté- 
rieurs arrive  à  sa  parfaite  expression.  Les  universités  qui  venaient  d'être  créées 
dans  toute  l'Europe,  et  surtout  la  jeune  Université  de  Paris,  crurent  qu'il  était 
possible  de  bâtir  l'édifice  définitif  du  savoir  humain,  etelles  v  travaillèrent  avec 
ardeur. 

Or,  pendant  que  les  docteurs  construisaient  la  cathédrale  intellectuelle  qui 
devait  abriter  toute  la  chrétienté,  s'élevaient  nos  cathédrales  de  pierre,  qui 
lurent  connue  l'image  visible  de  l'autre.  Le  moyen  âge  y  mit  toute-  ses  certi- 
tudes. Elles  lurent,  à  leur  manière,  des  Sommes,  des  .Miroirs,  des  Images  (.lit 
Monde.  Elles  furent  l'expression  la  plus  parfaite  qu'il  y  eut  jamais  des  idées 
d'une  époque.  Toutes  les  doctrines  v  trouvèrent  leur  forme  plastique.  Voilà 
ce  que  nous  voudrions  montrer. 

La  difficulté  est  de  grouper  dans  un  ordre  logique  les  innombrables  œuvres 
d'art  que  la  cathédrale  propose  à  notre  étude.  Avons-nous  le  droil  de  disposer 
les  laits  à  noire  guise,  suivant  le  plan  qui  nous  paraîtra  le  plus  harmonieux  ' 
Nous  ne  le  peu -on  s  pas.  Nous  devons  ici  nous  délier  de  nos  habitudes  modernes 
d'esprit.  Si   nous  voulions  imposer  nos  catégories  aux  idées  du  moven  âge.  nous 


38  INTRODUCTION 

aurions  bien  des  chances  de  nous  tromper.  Aussi,  est-ce  au  moyen  âge  lui- 
même  que  nous  emprunterons  notre  méthode  d'exposition.  Vincent  de  Beauvais 
nous  la  fournira,  et  les  quatre  livres  de  son  Miroir  seront  les  quatre  divisions 
de  notre  étude. 

Si  saint  Thomas  a  été  le  cerveau  le  plus  puissanl  du  moyen  âge,  Vincenl  de 
Beauvais  en  lut  certainement  le  plus  vaste.  Il  a  porté  en  lui  toute  la  science  de 
son  temps.  Travailleur  prodigieux,  il  a  passé  sa  vie,  comme  Pline  l'Ancien,  à 
lire  et  à  faire  des  extraits.  Saint  Louis  lui  avait  ouvert  sa  belle  bibliothèque,  où 
se  trouvaient  à  peu  près  tous  les  livres  qu'on  pouvait  se  procurer  au  xiu'  siècle. 
On  l'appelait  «  librorum  helluo  »,  le  mangeur  de  livres.  Parfois  le  saint  roi 
venait  lui  rendre  visite  à  l'abbaye  de  l!o\ aumont  cl  il  aimait  à  I  entendre  parler 
des  merveilles  de  l'univers. 

C'est  probablement  vers  le  milieu  du  siècle  que  Vincent  de  Beauvais  lit 
par, titre  ce  grand  Miroir,  ce  Spéculum  majus,  qui  sembla  aux  contemporains  le 
suprême  effort  de  la  science  humaine.  Aujourd'hui  encore,  il  est  difficile  cle  ne 
pas  admirer  une  œuvre  aussi  colossale  '. 

Le  savoir  de  Vincent  de  Beauvais  est  immense,  mais  il  n'en  est  pas  accablé. 
Il  a  su  dominer  son  érudition.  L'ordonnance  qu'il  a  adoptée  est  la  plus  gran- 
diose qu'un  homme  du  moyen  âge  pouvait  rêver:  le  plan  de  Vincent  de  Beau- 
vais est  le  plan  même  de  Dieu,  tel  qu'il  apparaît  dans  l'Ecriture. 

L'œuvre  se  divise  en  quatre  parties  :  Miroir  de  la  Nature,  Miroir  de  la  Science, 
Miroir  de  la  Morale,  Miroir  de  l'Histoire2. 

Au  Miroir  de  la  Nature  se  reflètent  toutes  les  réalités  de  ce  monde  dans 
l'ordre  même  où  Dieu  les  a  créées.  Les  journées  de  la  création  marquent  les 
différents  chapitres  de  celte  grande  Encyclopédie  de  la  nature.  Les  éléments. 
les  minéraux,  les  végétaux,  les  animaux,  sont  successivement  énumérés  el 
décrits.  Toutes  les  vérilés  et  toutes  les  erreurs  que  l'antiquité  avait  transmises 
au  moyen  âge  se  trouvent  là.  Mais  c'est  naturellement  à  l'œuvre  du  sixième  jour. 
à  l'homme,  que  Vincent  de  Beauvais  consacre  les  plus  longs  développements, 
en  l'homme  est  le  centre  du  monde,  et  le  monde  n'a  été  fait  que  pour  lui. 

1   Spéculum  majus    Douai,  iG  •  i.   i  vol.  in  l"l..  c  esl   la  réimpression  des  Jésuites.  Nous  renverrons  «n> 
cesse  à  cette  édition. 

V  incenl  de  Beauvais  h  ;<  pas  eu  le  temps  il  écrire  le  Miroir  moral,  el  I  œuvre  que  nous  ,u>n><  muis  ce 
litre  date  du  commencement  du  xiv'  siècle  (voir  Histoire  littèr.  delà  France,  I  \\lll.  p  j  jo  .  Mais  il 
esl  i  vidcnl  que  le  Miroir  moral  faisail  partie  du  plan  primitif  '!<■  Vinc.  de  Beauvais.  et  c  esl  1 . i  seule  chose 
qui  nous  importe  ici. 


MÉTHODE   A    SUIVRE    DANS    L'ÉTUDE    DE    L'ICONOGRAPHIE    DU    MOYEN    AGE      lg 

Le  Miroir  delà  Science  s'ouvre  par  le  récit  <ht  drame  qui  explique  l'énigme 
de  1  univers,  par  1  liistoire  de  la  Chute.  L'homme  esl  tombé,  et,  désormais,  il 
ne  peut  attendre  son  salut  que  d'un  Rédempteur.  Mais,  de  lui-même,  il  peut 
commencera  se  relever,  et  se  préparer  à  la  grâce  par  la  science.  Il  y  a  dans  la 
science  un  esprit  de  vie,  et  à  chacun  des  sept  arts  correspond  un  des  sept  dons 
du  Saint-Esprit.  Après  avoir  exposé  cette  large  et  humaine  doctrine.  Vincent  de 
Beauvais  passe  en  revue  toutes  les  parties  du  savoir.  Il  n'oublie  même  pas  les 
arts  mécaniques;  car.  par  le  travail  de  ses  mains.  I  homme  commence  l'œuvre 
de  sa  rédemption. 

Le  Miroir  moral  se  rattache  étroitement  au  Miroir  de  la  Science.  Le  but  de 
la  vie.  en  effet,  n'est  pas  de  savoir,  mais  d'agir.  La  science  n'est  qu'un  moyen 
d'arriver  à  la  vertu.  De  là  une  classification  savante  des  vices  et  des  vertus, 
où  se  retrouvent  la  méthode,  les  divisions  et  souvent  même  les  expressions  de 
saint  Thomas  d'Aquin,  car  le  Spéculum  morale  n'est  qu'un  abrégé  de  la  Somme. 

Le  Miroir  historique  vient  le  dernier.  Nous  avons  étudié  I  humanité  abs- 
traite, voici  maintenant  l'humanité  vivante.  Nous  voyons  l'homme  en  marche 
sous  l'œil  de  Dieu.  11  lutte,  il  souffre,  il  invente  les  sciences  el  les  arts,  il  opte 
tantôt  pour  le  viceet  tantôt  pour  la  vertu  dans  la  grande  bataille  de  l'âme  qui 
est  toute  l'histoire  du  momie.  —  11  est  à  peine  nécessaire  de  faire  remarquer  que, 
pour  Vincent  de  Beauvais.  comme  pour  saint  Augustin,  pour  Paul  (dose,  pour 
Grégoire  de  Tours,  pour  tous  les  historiens  du  moyen  âge,  la  véritable  liistoire 
est  l'histoire  de  l'Église,  l'histoire  de  la  Cité  de  Dieu,  qui  commence  à  Abcl,  le 
premier  des  justes.  Il  y  a  un  peuple  de  Dieu  :  son  histoire  est  la  colonne  de 
lumière  qui  éclaire  les  ténèbres.  Quant  à  l'histoire  du  monde  païen,  elle  ne 
mérite  d'être  étudiée  que  par  rapport  a  l'autre,  elle  n'a  que  la  valeur  d  un  sv  11- 
chronisme.  Sans  doute.  Vincent  de  Beauvais  n'a  pas  dédaigné  de  nous  raconter 
les  révolutions  des  empires,  d  s'est  même  complu  a  non-  parler  des  philo- 
sophes,  des  savants  et  des   poètes   de-  Gentils;    mai-   de    pareils   chapitre-    sont 

vraiment  épisodiques.  L'idée  maîtresse  de  son  livre  est  ailleurs.  Ce  qui  lait 
l'unité  de  son  œuvre,  c'est  la  suite  des  saint-  de  l'Ancienne  et  de  la  Nouvelle 
Loi   :  par  eux.    et  par  eux  seulement,  s'explique  I  histoire  du  monde. 

Voilà  comment  est  conçue  l'Encyclopédie  du  xin  siècle.  L'énigme  de  Dieu, 
de  l'homme  et  du  monde,  -v  trouve  complètement  résolue.  Le  système  esl  -1 
parfait  que  le  moyen  âge  ne  pouvait  rien  trouver  de  plus.  Les  siècles  qui  suivi- 
rent, jusqu'à  la  Renaissance,  n'y  ajoutèrent  pas  une  hune. 


jo  INTRODUCTION 

l  n  semblable  livre  esl  donc  le  guide  le  plus  sûr  que  nous  puissions  prendre 
pour  étudier  les  grandes  idées  directrices  de  l'arl  <lu  sm"  siècle.  11  est  difficile 
de  ne  pas  remarquer,  entre  l'économie  générale  du  Spéculum  mai  us  et  le  plan 
qui  a  élé  suivi  aux  porches  de  la  cathédrale  de  Chartres,  par  exemple,  des 
analogies  frappantes.  Les  innombrables  figures  qui  ornent  les  portails  peuvent 
toutes  se  grouper  sous  quatre  chefs  :  nature,  science,  morale,  histoire.  Didron 
a  le  mérite  de  l'avoir  dit  le  premier  dans  la  magistrale  introduction  qui  ouvre 
son  Histoire  de  Dieu.  Il  n'est  pas  sûr,  d'ailleurs,  que  les  hommes  de  génie  tpii 
conçurent  ce  grand  ensemble  décoratif,  se  soient  inspirés  directement  du  livre 
de  Vincent  de  Béarnais,  quoique  les  porches  de  Chartres  et  le  Spéculum  majus 
soient  à  peu  près  contemporains.  Mais  que  nous  importe?  11  est  bien  évident 
que  l'ordonnance  du  Spéculum  majus  n'appartient  pas  en  propre  à  Vincent  de 
Beauvais,  mais  au  moyen  âge  tout  entier.  C'étaient  là  les  formes  qui,  au 
\ni  siècle,  s'imposaient  à  toute  pensée  réfléchie.  Le  même  génie  a  disposé  les 
chapitres  du  Miroir  et  les  statues  des  cathédrales  :  il  est  donc  légitime  de  cher- 
cher dans  les  uns  le  secret  des  autres. 

Les  quatre  grandes  divisions  de  Vincent  de  Beauvais  seront  donc  les  nôtres. 
Nous  chercherons  à  lire  à  la  façade  des  cathédrales  les  quatre  livres  du  Miroir 
du  .Monde.  Nous  les  y  découvrirons  tous  les  quatre,  et  nous  les  déchiffrerons  à 
tour  de  rôle,  dans  l'ordre  même  où  l'encyclopédiste  nous  les  présente.  De  la 
sorte,  chaque  détail  se  trouvera  à  sa  place,  et  l'harmonie  de  l'ensemble  appa- 
raîtra. 


LIVRE   PREMIER 

LE   MIROIR    DE   LA   NATURE 


I.   Le  monde  fut  conçu    paii    le    moyen    âge   comme  in   symbole.  Origines  de   cette   <<>\- 
ception.  La  «  Clef   »   de  Meliton.  Lus  Bestiaires.  —  Il     Les  animaux   représentés  mw  i  \ 

CATHÉDRALE      ONT       PARFOIS       IN       M.>s     SYMBOLIQUE.       LES      QUATRE      ANIMAUX       EX-ANGÉLIQUES.      I.i: 

vitrail  de  Lyon;  la  frise  de  Strasbourg.  Influence  d'Honorius  n'Ai  n  \  ;  rôle  des 
Bestiaires.  —  III.  Exagérations  de  l'école  symbolique.  Il  m.  fa<  i  pas  chercher 
partout  des  sy'mboles.  La  faune  et  la  flore  di  mit  siècle.  Les  gargouilles;  i  i  * 
mons  i  m .-. 


I 

Le  Miroir  de  la  Xature  de  Vincent  de  Beauvais  esl  conc-u  avec  une  majes- 
tueuse simplicité.  Il  est,  nous  l'avons  dit,  le  commentaire  des  sept  journées  de 
la  création.  Les  êtres  y  sont  étudiés  dans  l'ordre  même  de  leur  apparition. 
Dans  le  cadre  tracé  parla  Bible,  Vincent  de  Beauvais  introduit  toute  la  science 
des  anciens.  Grâce  à  lui.  Pline,  Klien.  Dioscoride,  sans  le  vouloir,  chantent  la 
gloire  du  Dieu  de  la  Genèse. 

A  vrai  dire,  un  pareil  plan  ne  lui  appartient  pas.  Iles  les  premiers  siècles,  il 
s'imposa  au  génie  chrétien.  Les  Pères  grecs  et  latins  présentèrent  l'ensemble 
de  leurs  connaissances  sur  l'univers  en  suivanl  les  démarches  mêmes  du  Créa- 
teur :  chacune  des  journées  de  la  création  marque  un  des  chapitres  de  leurs 
livres.  De  tous  ces  discours  sur  l'œuvre  de  Dieu,  ou  Hcxaeineron^  le  plus 
célèbre  en  Occident  fut  celui  de  saint  Ambroise,  qui  devint  le  modèle  de  tous 
les  ouvrages  du  même  genre1.  Vincent  de  Beauvais  n'a  donc  rien  inventé:  il 
reste  la,  comme  partout  ailleurs,  le  fidèle  interprète  de  la  tradition. 

■    S. nul  Ambroiso.   Patrul.,  \.   \\\ 


L'ART   IlELIGl  EUX    m     Mil     SIEI    l  I 


Le  Miroir  de  la  Nature  est  sculpté,  en  abrégé,  à  la  façade  de  la  plupart  de 
nos  cathédrales.  Chartres  fig.  m  .  Laon,  Auxerre,  Bourges,  Lyon,  nous  montrent 

l'œuvre  des  sept  jours1.  L'imagina- 
tion des  artistes  s'v  est  montrée 
sobre  et  synthétique.  A  Chartres, 
un  lion,  une  brebis,  une  chèvre  et 
une  génisse  représentent  tous  les 
animaux;  un  figuier  et  trois  autres 
plantes  d'un  caractère  indécis  rap- 
pellent la  diversité  des  végétaux  -. 
11  va  de  la  grandeur  à  résumer 
ainsi,  en  cinq  ou  six  bas-reliefs, 
l'univers  infini.  Quelques  naïfs  dé- 
tails sont  pleins  de  charme  :  à  Laon, 
Dieu,  assis,  réfléchit  profondément 
axant  de  séparer  les  ténèbres  de  la 
lumière  et  compte  sur  ses  doigts  le 
nombre  de  jours  qu'il  lui  faudra 
pour  achever  son  œuvre.  Plus  loin, 
quand  il  a  terminé  sa  tâche,  le  Créa- 
teur, semblable  à  un  bon  ouvrier 
qui  a  bien  employé  sa  journée,  s'as- 
sied pour  se  reposer,  s'appuie  sur 
son  bâton  et  s'endort. 

Cependant,  on  aurait  le  droit  de 
trouver  que  ces  quelques  figures 
représentent  imparfaitement  la  ri- 
chesse de  l'univers,  et  l'on  pourrait 
accuser  d'impuissance  et  de  timi- 
dité  les  altistes   du   sme   siècle,  si  le  monde   des  plantes  et  des    animaux   tenait 


l'ig.    m.        La  Création:  le  Créateur  chms  la  première 
voussure;  l'œuvre  des  sepl    Jours   dans   la  seconde 

i  li.nl i'cs.  portail  Nord  . 


Chartres    porche  septentrional,  baie  centrale,  voussures      Laon  (façade  occidentale,  voussures  de  la 
grande   fenêtre  de  droite);  Auxerre   (façade  occidentale,  soubassements  du   portail  :   Lyon  (bas-reliefs   du 

portail  occidental  :  Noyon    id    1res  lilés);  Bourges    i'I      ""  | rrail  citer  aussi   plusieurs   vitraux  de    ta 

création  :  Auxerre    khi'   siècle);  Soissons,  vitrail  'lu  chevet. 

I.,i    Créali le    Chartres    .1     été    étudiée    longuemeul     par     Didron,     Annales    Archéot.  ,     1       \l 

I'     1  is- 


LE  M  [ROI  i:   m:   la    x  \ri  i;  i:  i  ; 

réellement,  dans  la  cathédrale,  une  place  aussi  modeste.  Mais  il  suf (il  «le  lever 
les  yeux  pour  voir  la  vigne,  le  framboisier  chargé  «le  -es  fruits  el  les  longs 
jets  du  rosier  sauvage  s'accrocher  aux  archivoltes.  Des  oiseaux  chantent  parmi 
les  feuilles  de  chêne,  d'autres  sont  posés  sur  les  contreforts.  Les  animaux  des 
pays  lointains  :  le  lion,  l'éléphant,  le  chameau;  les  bêtes  indigènes  :  la  poule, 
l'écureuil,  le  lapin,  égaient  le  soubassement  des  portails.  Des  monstres,  atta- 
chés par  leurs  ailes  de  pierre,  aboient  dans  les  hauteurs. 

Combien  nos  vieux  maîtres,  les  plus  naïvement  passionnés  qu'il  y  eut  jamais 
pour  les  beautés  de  la  nature,  méritent  peu  ee  reproche  d'impuissance  et  de 
stérilité.  Leurs  cathédrales  ne  sont  que  vie  et  mouvement.  L'Eglise  lut  pour  eux 
l'arche  cpii  accueille  toute  créature.  Bien  plus,  les  œuvres  de  Dieu  ne  leur 
suffirent  pas:  ils  imaginèrent  tout  un  monde  d'êtres  terribles;  mais  ils  les  ima- 
ginèrent si  vraisemblables,  que  leurs  monstres  semblent  avoir  vécu  aux  âges 
primitifs  du  monde. 

Ainsi,  les  chapitres  du  .Miroir  de  la  Nature  sont  inscrits  partout,  aux  pina- 
cles, aux  balustrades,  aux  voussures,  et  sur  le  moindre  chapiteau. 

Que  signifient  tant  de  plantes,  tant  d'animaux,  tant  de  monstres.'  Sont-ils 
l'œuvre  du  caprice,  ou  bien  ont-ils  un  sens  ?  .Nous  enseignent-ils  quelque 
grande  vérité  mystérieuse?  Puisque  toutes  les  statues,  tous  les  bas-reliefs  que 
nous  aurons  l'occasion  d'étudier  cachent  une  pensée,  ne  pouvons-nous  pas 
supposer  que  ceux-là  aussi  sont  symboliques ? 

Il  faut,   pour  répondit'  à  de  pareilles  questions,  essayer  d'abord  de  i- 

prendre  l'idée  que  le  moyen  âge  se  taisait  de  la  nature  et  ci u  monde. 

Qu'est-ce  que  l'univers  visible?  Que  signifie  la  multitude  innombrable  des 
formes.1  Qu'en  pense  le  moine  qui  rêve  dans  sa  cellule,  ou  le  docteur  qui  médite 
avant  l'heure  de  son  cours,  en  marchant  dans  le  cloître  de  la  cathédrale?  Est-ce 
une  apparence  ?  Est-ce  une  réalité?  —  Le  moyen  âge  est  unanime  à  répondre 
le  monde  est  un  symbole.  L'univers  est  une  pensée  que  Dieu  portait  en  lui.  au 
commence' m  en  t.  comme  l'artiste  porte  dans  son  à  me  l'idée  de  son  œuvre.  Dieu 
a  créé,  mais  il  a  créé  par  son  Verbe  ou  par  son  Fils.  (1  esl  le  Fils  qui  a  réalisé 
la  pensée  du  l'ère,  qui  l'a  lait  passer  de  la  puissance  a  l'acte.  Le  Fils  est  le  vrai 
créateur1.  --  Pénétrés  de  cette  doctrine,  les  artistes  du  moyen  âge  onl  toujours 


1   Gervais  do  Tilbury,  Otia  imperialia,  cap.    i   :       r'ilius    ortço  priucipium   Icmporis,    prinoipiuni    m  un 
dauae  creatiouis. 


I  j  I.  ART    R  ELIG]  EUN    1)1     Mil     SI  ICI.K 

représenté  le  Ci'éaleur  sous  les  traits  de  Jésus-Christ1.  Didron  s'étonne  et 
Michelet  s'indigne,  bien  à  tort,  de  ne  pas  rencontrer  l'image  du  Père  dans  la 
cathédrale2.  Dieu  le  Père  a  créé,  disent  les  théologiens,  «  in  principio  ».  c'est-à- 
dire  «  in  verbo  ».  en  son  Verbe,  en  son  Fils  :.  Jrsus  esl  l'auteur  à  la  lois  de  la 
Création  el  de  la  Restauration4. 

Le  inonde  peut  donc  se  définir  :  «  Une  idée  de  Dieu  réalisée  par  le  Verbe.  » 
S'il  en  csi  ainsi,  tout  être  cache  une  pensée  divine.  Le  monde  est  un  livre 
immense,  écrit  de  la  main  de  Dieu,  où  chaque  être  est  un  mol  plein  de  sens  . 
L'ignorant  regarde,  voit  des  figures,  des  lettres  mystérieuses  et  n'en  comprend 
pas  la  signification.  Mais  le  savant  s'élève  des  choses  visibles  aux  choses  invi- 
sibles :  en  lisant  dans  la  nature,  il  lit  dans  la  pensée  de  Dieu.  La  science  consiste 
donc,  non  pas  à  étudier  les  choses  en  elles-mêmes,  mais  à  pénétrer  les  ensei- 
gnements crue  Dieu  a  mis  pour  nous  en  elles;  car  ci  toute  créature,  dit  Honorius 
d'Àutun,  est  l'ombre  de  la  vérité  et  de  la  vie  ».  Au  fond  de  tout  être  sont  ins- 
crites la  figure  du  sacrifice  de  Jésus,  l'idée  de  l'Eglise,  l'image  des  vertus  et  des 
vices.  Le  monde  moral  et  le  monde  sensible  ne  font  qu'un. 

Voyez  quelles  pensées  mystiques  naissent  dans  l'âme  des  vieux  docteurs  en 
lace  de  la  nature.  Adam  de  Saint-Victor,  dans  le  réfectoire  de  son  couvent,  tient 
dans  sa  main  une  noix,  el  il  réfléchit.  «  Qu'est-ce  qu'une  noix,  dit-il,  sinon 
l'image  de  Jésus-Christ?  L'enveloppe  verte  el  charnue  qui  la  recouvre,  c'est 
sa  chair,  c  est  son  humanité.  Le  bois  de  la  coquille,  c'est  le  bois  de  la  croix  où 
cette  chair  a  souffert.  Mais  l'intérieur  de  la  noix,  qui  est  pour  l'homme  une 
nourriture,  c'est  sa  divinité  cachée'1.  » 


1   Cela  esl  1res  visible  à  Chartres  :  scènes  de  la  création,  porche  septentrional 

J  Didron  nu  < s  de   I  Ulst.  de  Dieu;  Michelel  dans  la  préface  de  la  Renaissance. 

■  C'est  ainsi  que  1rs  théologiens  interprètent   le  passage  :  In  principio  De  us  creavit  ceelum  et  terrain 

!' 'eux,  principium  esl  I  équivalent  de  verbum    Vinc.  'I'-  Beauv.,  Spec .  nat..  I ■  v    I .  ch.  i\.  Honorius  d'Aï 

in  h.  Hexaemer.,  cap    i  .  Patr.,  i.  CLXXII,  col,  2  53.  L'idée  re nie  à  saint  Augustin. 

1   c.  lu  Christo  omnia  creata  ri  poslmodo  cuncta  in  eo  reparata.  9   Honorius  d'Autun,  lm-.  cit. 
1   Hugues  de  Saint-Victor,  Erudit   didasc,  liv.  VII,  ch.  iv.  Patrol.,  1    CLXXVI,  col.  .s  1  1 
'    Adi le  S. uni  Victor,  Sequentite.  Patrol. ,  t.  CXCVI,  col.    iji: 

Contempleinur  adliuc  nucein... 

Nux  est  Christus;  cortex  nucis 

Circa  carneni  pœna  crucis; 

Testa,  corpus  osseiim, 

Came  tecta  Deitas, 

I  1  1  luisît  suavitas 

Signatur  per  nucleum. 
La  même  idée  avait  déjà  été  développée  par  saint  Augustin. 


i.i:  m  [roi  i;  di:  i.a  nature  -,•> 

Pierre  de  Muta,  cardinal  et  évêque  de  Capoue,  dans  son  jardin,  contemple 
des  roses.  Il  n'esl  pas  ému  par  leur  beauté  païenne,  car  il  suit  des  pensées  qui 
se  déroulent  en  lui.  «  La  rose,  se  dit-il,  est  le  chœur  des  martyrs,  ou  bien  encore 
le  chœur  des  vierges.  Quand  elle  est  rouge,  elle  est  le  sang  île  ceux  qui  sonl 
morts  pour  la  loi,  et  quand  elle  est  blanche,  elle  est  la  pureté  virginale.  Elle  naîl 
au  milieu  des  épines,  comme  les  martyrs  s'élèvent  au  milieu  des  hérétiques  cl 
des  persécuteurs,  ou  comme  une  vierge  pure  éclate  au  milieu  de  l'iniquité1,   o 

Hugues  de  Saint-Victor  regarde  une  colombe,  et  il  songe  à  l'Eglise,  a  La 
colombe,  dit-il,  a  deux  ailes,  comme  il  y  a  pour  le  chrétien  deux  genres  de  vie, 
la  vie  active  et  la  vie  contemplative.  Les  plumes  bleues  de  ces  ailes  indiquenl 
les  pensées  du  ciel.  Les  nuances  incertaines  du  reste  du  corps,  ces  couleurs 
changeantes  qui  l'ont  penser  à  une  mer  agitée,  symbolisent  l'océan  des  passion- 
humaines,  où  vogue  l'Eglise.  Pourquoi  la  colombe  a-t-elle  les  veux  d'un  beau 
jaune  d'or?  Parce  (pie  le  jaune,  couleur  des  fruits  mûrs,  est  la  couleur  même  de 
l'expérience  et  de  la  maturité.  Les  veux  jaunes  de  la  colombe  c'est  le  regard  plein 
de  sagesse  que  l'Eglise  jette  sur  l'avenir.  La  colombe,  enfin,  a  les  pattes  rou- 
ges: car  l'Eglise  s'avance  à  travers  le  monde,  les  pieds  dans  le  sang  des  mar- 
tyrs-'. » 

Marbode,  évêque  de  Rennes,  considère  les  pierres  précieuses,  et  il  découvre 
entre  leurs  couleurs  et  les  choses  de  l'âme  de  mystérieuses  consonnances.  Le 
béryl  brille  comme  l'eau  quand  le  soleil  la  traverse,  et  il  réchauffe  la  main  qui 
le  tient:  n'est-ce  pas  là  l'image  du  chrétien?  Le  Christ  est  le  soleil  qui  l'échauffé 
et  l'illumine  jusque  clans  ses  profondeurs.  La  rouge  améthyste  semble  jeter  des 
flammes:  elle  est  l'image  îles  mail  vis  tpii,  en  versant  leur  sang,  prient  pour 
leurs  bourreaux  :. 

Dans  le  monde,  tout  est  symbole.  Le  soleil,  les  constellations,  la  lumière. 
la  nuit,  les  saisons  nous  parlent  un  langage  solennel.  En  hiver,  quand  les  jours 
diminuent  tristement,  quand  la  nuit  semble  vouloir  triompher  a  jamais  de  la 
lumière,  à  quoi  pense  le  moyen  âge.'  Il  songe  aux  longs  siècles  de  demi-jour  qui 
précédèrent  la  venue  de  Jésus-Christ,  il  comprend  que  la  lumière  et  le-  ténèbres 


:    Petrus  de   Morn,  liosa  alphubelica  dans  le  Suicilegium  Solesmense,  t.   III.    [>.    ,-■■■ 

-  Hugues  de  Saint-Victor,  De  besliis  et  aliis  rébus,  lis'.   I.  ch.  r,  ir.   vu,  i\.  \.  P/tlrol  .  I.  «   l.\\\  II.  Le 

De  bestiis  qu'on   attribue  a    Hugues   de  Saint-Victor  pourrai!   bien  être   d'Hugues  de   l'on i I toi     Voir   11 

réau,  les  Œuvres  d'Hugues  de  Saint-Victor,   188IÏ,  p.    169. 

;  Marbode,  Lapid .  pretios.  mystica  applicat.  l'atrol.,  1    Cl.\\l.  rot     1 7  ~  •  - 


[6  L'A  I!  I    RELIGIEUX    DU    XIII1    SI  ECLE 

ont  aussi  leur  rôle  dans  la  divine  comédie.  Il  appelle  ces  semaines  de  décem- 
bre les  semaines  de  l'Avenl  [Adventus  .  et  il  exprime  par  des  cérémonies  litur- 
giques ci  des  I  ce  turcs  I  attente  du  vieux  monde.  Et  le  Fils  de  Dieu  naît  au  solstice 
d'hiver,  au  moment  où  la  lumière  \a  reparaître  dans  le  monde  et  grandir'. 
L  année  d  ailleurs  est  faite  tout  entière  à  l'image  de  1  homme  :  elle  raconte  le 
drame  de  la  vie  et  de  la  mort.  Le  printemps  qui  renouvelle  le  monde  est  l'image 
du  baptême  qui,  à  l'entrée  de  la  vie,  renouvelle  l'homme.  L'été  est  une  figure; 
ses  bridantes  ardeurs  et  sa  lumière  nous  font  songer  à  la  lumière  d'un  autre 
monde,  au  rayonnement  de  la  charité  dans  la  \  ie  éternelle.  L'automne,  saison 
des  récoltes  et  des  \  endanges,  est  le  symbole  redoutable  i\n  jugement  universel, 
du  grand  jour  où  nous  recueillerons  ce  que  nous  aurons  semé.  L'hiver  enfin  est 
l'ombre  de  la  mort  qui  attend  l'homme  et  le  monde".  Ainsi  le  penseur  marche 
au  milieu  d'une  forêt  de  symboles,  sous  un  ciel  peuplé  d'idées. 

Sont-ce  là  des  interprétations  individuelles,  des  fantaisies  mystiques  nées 
de  l'exaltation  du  cloître,  ou  nous  trouvons-nous  en  présence  d'un  système 
et  d'une  antique  tradition?  II  sullil  d'avoir  parcouru  les  œuvres  des  Pères  de 
l'Eglise  et  des  docteurs  du  moyen  âge,  pour  que  le  doute  ne  soit  pas  possible. 
Jamais  doctrine  ne  lut  plus  solidement  liée  et  plus  universellement  acceptée. 

Elle  remonte  aux  origines  de  l'Église,  cl  elle  se  fonde  sur  le  texte  même  de 
la  Bible3.  Dans  l'Ecriture,  en  effet,  telle  queles  Pères  l'interprètent,  le  monde 
matériel  est  une  perpétuelle  figure  du  monde  moral.  Chacune  des  paroles  de 
Dieu  contient  le  visible  et  l'invisible.  Les  Heurs,  dont  le  parfum  fait  défaillir 
l'amante  du  Cantique  des  Cantiques,  les  pierres  précieuses  qui  ornent  le  ratio- 
nal  du  grand  prêtre,  les  animaux  du  désert  qui  passent  devant  Job.  sont  à  la 
lois  des  réalités  et  des  symboles.  Le  genévrier,  le  lérébinthe,  les  cimes  blan- 
chies du  Liban  sont  des  pensées.  Interpréter  la  Bible,  c'est  comprendre  l'harmo- 
nie «pie  Dieu  a  établie  entre  l'âme  cl  l'univers.  Avoir  la  ciel  des  Écritures,  c'est 
avoir  la  ciel  des  deux  mondes. 

Les  interprétations  des  Pères  de  l'Église,  adoptées  par  les  anciens  docteurs. 
se   transmirent  de  livre  en  livre  jusqu'à  la  lin  du   moyen  âge.  On  peut  suivre  à 

1   Indiqué  dans   sainl  Augustin,  Serin,  in  nul.  Dont.,   III.  Voir  aussi   I) Guérangcr  :  l'Année  litur- 
gique, VAveni 

Raban  Maur,  De  uni  verso,  liv     V  ch.  \i    Palrol.,  t.  <   \l 

Il  \"n  l.irkrn.  dans  son  livre  sur  ta  conception  du  monde  au  moyen  Age,  ;t  très  bien  compris  crue  ta 
nature  était  alors  un  symbole,  m;iis  il  n'a  [■;> ^  vu  que  tout  le  système  se  rattachait  h  la  Bible.  Voir  Geschichte 
und  System   </<■/■  mittelalterlichen  Weltanschauung.  Stuttgart,   iSS-,  iu-S.  Ii\.  111.  ch.  m. 


LE    MIROIK    DE    LA    NATURE 

la  tiare  cet  enseignement  symbolique  à  travers  les  siècles  dans  les  Formules  de 
saint  Eucher,  dans  le  De  I  niverso  et  les  Allegoriie  in  Sacrant  Scripturani  de 
lia  ban  Maur1,  dansle  De  Bestiis  attribué  à  [fugues  de  Saint-Victor,  dans  le  Liber 
in  dictiotiibus  dictionum  thcologicarum  d'Alain  de  Lille,  dans  le  Gregorianuin 
de  Garnier  de  Saint-Victor.  <  >n  pourrait  citer  bien  d'autres  noms   . 

Mu  ce  genre,  le  livre  le  plus  curieux  est  le  recueil  qu'un  inconnu  composa. 
au  ix'  <>u  au  \  siècle,  avec  des  fragments  empruntés  aux  Pères  de  l'Eglise  latine. 
Cette  compilation  fut  présentée  sous  le  nom  de  Cle/' de  Méliton  et  attribuée  an 
laineux  évèque  de  Sardes.  Une  pareille  attribution,  quoi  qu'en  ait  pu  dire  Doni 
Pitra,  ne  peut  se  soutenir'.  Quelle  que  soit  la  date  du  livre,  il  demeure  forl 
intéressant.  11  est  conçu  comme  une  Encyclopédie  de  la  nature,  ou  l'homme, 
les  métaux,  les  fleurs,  les  animaux  sont  étudiés  tour  à  tour.  Tous  les  objets  sont 
énumérés  avec  leur  sens  symbolique,  et  les  principaux  passages  de  la  Bible  où 
ces  objets  sont  nommés  accompagnent  chaque  interprétation. 

Ouvrons  ce  livre  singulier  au  chapitre  des  plantes.  Les  roses,  dit  le  pseudo- 
Méliton,  signifient  le  sang  des  Martyrs,  et  c'est  dans  ce  sens  qu'il  faut  interpréter 
ce  passage  de  l'Ecclésiaste  :  «  Les  roses  s  épanouissent  près  des  eaux  vives  '.  >• 
—  Les  orties  désignent  l'ardeur  du  vice,  connue  dans  le  verset  d'isaïe  :  «  Dans 
leur  maison  naîtront  l'épine  et  l'ortie  ■• .  ou  encore  le  prurit  de-  désirs  de  la  terre, 
comme  dans  cet  autre  endroit  du  même  prophète  :  c<  J'ai  passé  dans  le  champ 
de  l'homme  paresseux,  et  voici,  les  orties  l'avaient  envahi  tout  entier5.  »  —  La 
paille  symbolise  les  pécheurs  :  «  Ils  seront,  dit  .lob,  comme  la  paille  devant  la 
lace  du   vent6.    > 

La  difficulté  est.  que  le  même  objet  peut  signifier  des  choses  différentes.  Le 
lis,  par  exemple,  désigne   tantôt  le  Sauveur,   tantôt  les  Saints,   tantôt   l'éclat   de 


1   Lu  De  L 'niverso  dérive  des  Elymol.  'I  Isidore  de  Séville.  Ruban  M -  -  esl  contenté  a  a  ion  1er  à  chaque 

mot  son  si'us  m\  slique. 

-    Dom   Pitra  a  réuni  beaucoup  d'autres  témoignages   daus  te  r nenlaire  qui  accompagne  \<-    lexle   <lu 

pseudo-Méliton  [Spicil.  Solesin  .  11.  p.    j 

'■  La  prétendue  Clef  de  Méliton  a  été  publiée  par  Dom  Pitra  dans  le  Spicil  Solesin  Paris,  i8ï>,  i.  Il 
et  111.  Il  a  voulu  prouver,  suis  \  réussir,  que  I''  livre  remonta  il  an  11  siècle.  Ilottuiauuer,  dans  le  UuLctin 
critique  (i885,  y.  \~' .  a  montré  tout  ee  que  I'-  pseudo-Mc-liton  devait  a  saiul  Augustin.  Ilainack  ' 
der  altchristl.  Litteratur,  Leipzig,  i  S  ■ ,  1 .  |>  •  '■  |  lait  remarquer  que  le  litre  du  manuscrit  ;  Miletus  asianus 
episcopus  hune  librum  edidil  quem  cl  cougruo  uomiue  clavim  appeltavil  i,  esl  d'une  autre  m. un  •■!  a  éli 
ajouté  après  coup.  La  phrase  .1   été  évidemment  empruntée  à  saint  Jérôme 

■  Spi,-.  Solesm.,  I    II,  p.   [l|. 

'   llml  ,  p.    I  ■  ' 

'■  ///;./ . .  p,   ;  ; ■•. 


L  ART  RELIGIEUX   VA     XIII»  SI  ECLE 

l'éternelle  patrie,  tantôt  la  chasteté1.  Mais  l'auteur  a  tout  prévu,  et  il  nous 
montre  comment,  suivant  les  passages,  les  animaux,  les  (leurs,  les  pierres  sont 
pris  soi t dans  un  sens,  soil  dans  un  autre. 

Il  n'est  peut-être  pas  un  sermonnaire,  pas  un  théologien  du  moyen  âge  <|ui 
n'ait  fait  usage  de  la  méthode  mystique.  La  fantaisie  personnelle  enrichit  d  ail- 
leurs infiniment  le  thème  primitif,  comme  nous  l'avons  vu  dans  le  chapitre 
d'Hugues  de  Saint-Victor  sur  la  colomhe,  mais  1  imagination  ne  s  écarta  jamais 
complètement  des  interprétations  traditionnelles  '~. 

Ainsi,  le  monde  apparut  aux  hommes  clu  moyen  âge  comme  un  li\  re  à  double 
sens  i|uc  la  Bible  permet  de  déchiffrer. 

De  tous  les  ouvrages  symboliques  consacrés  à  la  nature,  les  plus  curieux  sont 
certainement  les  Bestiaires.  Le  paganisme  et  le  christianisme  ont  collaboré  à 
ces  livres  extraordinaires.  On  y  trouve  à  la  fois  les  fables  queCtésias,  Pline  et 
Ëlien  recueillirent  sur  les  animaux,  et  les  commentaires  mystiques  que  les  pre- 
miers chrétiens  y  ajoutèrent. 

Le  Bestiaire  symbolique,  le  fameux  Physiologus,  dont  le  texte  original  est 
perdu,  remonte  aux  origines  mêmes  du  christianisme,  probablement  au  second 
siècle8.  D'anciens  textes  grecs,  arméniens,  latins,  prouvent  que  le  Physiologus 
pénétra  dans  tout  le  monde  chrétien  '. 

Les  peuples  de  l'Occident  le  firent  passer  de  bonne  heure  dans  leurs  langues. 
Dès  le  m  siècle,  il  était  traduit  en  allemand;  au  commencement  du  xii°  siècle, 
le  poète  anglo-normand  Philippe  de  Thaon  le  mit  en  français.  Un  siècle  après. 
Guillaume  le  Normand  le  traduisait  de  nouveau8.  La  condamnation  que  le  pape 
Gélase  avait  prononcée  contre  le  Physiologus  n'empêchait  personne  de  lire  et 
tle  citer  le  Bestiaire.  Il  avait  d'ailleurs  pour  lui  l'autorité  de  Pères  de  I  Église, 
de  saint  Augustin,  de  saint  Ambroise,  de  saint  Grégoire  le  Grand,  qui  lui  font 
de    fréquents   emprunts,    (lest  pourquoi  les  sermonnaires,  connue    Honorius 

1   Spic.  Solesm. .  p.    joG 

:  L;i  Clef  de  Mclitou  [Spic    Solesm  .  i     II,  |>.    |Sji  c]  il   exprcssémcul  que  la  colombe  dans  certains  r.is 
signifie  I  Église;  c'est  de  là  que  |>;ni  L'auteur  du  De  bestiis. 

Voir  sur  cette  question  Dom  l'uni,  Proleg.  ml  Spic.  Solesm.,  t.  II,  p.  1.X11I;  Cahier,  Mélanges  d'aï 
chéolog  .  t85i,  i-  11.  |>.  M>  ni  suiv.,  el  .V</«*'.  Mèl.  <l  unit.,  iS;|  [Curiosités  mystérieuses)    p    io6  i  I   sun    : 
Laucliert,  Gesch.  des  Physiologus,  Slrasl g,   188g 

1  l'exte  grec  el  arménien  •  1 . ■  ■  i -  Pitra  [Spic.  Solesm  .  l  III  ;  texte  latin  dans  Cahier,  Mél  d'archéol 
i.  Ml 

•    / e  Bestiaire  divin  de  Cuillau clerc  de  Normandie,  public  par   Hippeau  (Mémoires  de  I"  Soc.  des 

antiq.  de  Normandie,  2    série,  I    \lll.p     Î17  et  sui\    ;  et  plus  récemment  par  le  Ur  Robert,  Leipzig,  1890, 
m  8. 


LE    MIROl  K    DE    I.A     X  A  II    RE  |g 

d'Autun,  puisent  sans  scrupule  dans  le  Bestiaire  des  explications  symboliques 
ou  édifiantes.  Quant  aux  savants,  Vincent  de  Beau  vais,  Barthélémy  de  Glanville, 
'l'humas  de  Cantimpré,  non  seulement  ils  ne  dédaignent  pas  ces  fables,  mais  ils 
les  mettent  au  rang  des  vérités  scientifiques1. 

Ainsi,  le  moyen  âge  a  fait  sien  le  vieux  P/iysioloqus  de  l'Orient  :  il  l'a  mêlé  à 
Imites  ses  conceptions  du  monde,  à  son  exégèse  religieuse,  même  à  ses  rêves 
d'amour".   Il  est  devenu  sa  substance  même. 

In  exemple  donnera  une  idée  du  caractère  composite  du  Bestiaire.  Les 
anciens  avaient  raconté  que  l'éléphant  (Hait  le  plus  froid  des  animaux,  el  qu'il 
ne  pouvait  s'unir  à  sa  lemelle  qu'après  avoir  mangé  de  la  mandragore.  La 
femelle,  disaient-ils,  cueillait  elle-même  la  plante,  au  lever  du  soleil,  et  la  pré- 
sentait au  mâle.  —  L'auteur  chrétien  s'empare  de  ce  récit,  dont  les  païens 
avaient  amusé  leur  curiosité,  et  il  en  montre  le  sens  caché.  L'éléphant  et  sa 
femelle  symbolisent  Adam  et  Eve  dans  le  Paradis  terrestre.  La  mandragore  est 
le  huit  que  la  femme  présenta  à  l'homme.  Quand  il  en  eut  mangé,  Adam,  qui 
n'avait  eu  jusque-là  aucun  des  désirs  de  la  chair,  connut  Eve  el  engendra  Caïn  . 
Ainsi  Dieu  avait  voulu  que  1  histoire  de  la  chute  restât  inscrite  sur  la  terre,  et 
qu'on  pût  la   retrouver  jusque  dans  les  mœurs  des  animaux. 

La  science  antique  la  plus  suspecte  et  l'exégèse  chrétienne  la  plus  contes- 
table s  unissent,  comme  on  le  voit,  dans  les  Bestiaires. 

L'auteur  du  Bestiaire,  quel  qu  il  soit,  dul  tirer  beaucoup  de  son  propre 
louds.  ]|  n  (Hait  presque  plus  soutenu  par  le  symbolisme  traditionnel  fondé  sur 
la  Bible,  car  les  animaux  que  mentionne  le  Phijsiolosus  sont  des  monstres  fabu- 
leux, comme  le  griffon,  le  phénix,  la  licorne,  ou  des  animaux  de  l'Inde  qui  SOill 
inconnus  à  l'Ancien  Testament.  Il  a  donc  dû  imaginer  la  plupart  des  interpré- 
tations morales  qui  accompagnent  ses  descriptions  d'animaux.  Son  symbo- 
lisme  n'en  lut  pas  moins  tenu  pour  excellent  et  le  moyen  âge  n'y  changea 
rien. 

D'autre  part,  personne  ne  songea  jamais  à  vérifier  l'exactitude  des  récits  du 
Bestiaire.  I.  idée  que  l'homme  se  lait  des  choses  eut  toujours  pour  le  moyen 
plus  de  réalité  que  les  choses  mêmes,  (m  comprend  pourquoi  ces  siècles  m  \  s 


1   Sur  le    De    Proprictatibus    rerum    de  13.   de    Glanville   el    le  De  na  t  lira  I  le    de   Cantimpn 

voir  Hist.  littér.  de  In  Fiance,  I.  XXX 

/.    Bestiaire  d'amour  dp  Richard  de  I  nival,  édité  par  llippeau,  Paris, 

Spic.  Solesm.,  4>'jjio/.ôvo;,  ~so'  ^too'j  I     III    p     I6j 


L'A  UT   RELIGIEUX    DU   XIIIe   SIEC  1. 1: 

iic|iics  n'eurent  p;i>  la  moindre  idée  de  ce  que  nous  appelons  la  science.  I.  étude 
des  choses  prises  en  elles-mêmes  n'avait  alors  aucun  sens  pour  les  hommes  de 
pensée.  Comment  eût-il  pu  en  être  autrement,  puisque  le  monde  ('lait  conçu 
connue  un  discours  i.\[\  Verbe,  dont  chaque  être  était  une  parole.'  Discerner  les 
vérités  éternelles  que  Dieu  a  voulu  faire  exprimer  à  chaque  chose,  retrouver  en 
toute  créature  une  ombre  du  drame  de  la  chute  et  de  la  rédemption,  telle  était 
la  lâche  du  savant  qui  observait  la  nature.  Uoger  Bacon,  l'esprit  le  plus  scien- 
tifique du  xme  siècle,  après  avoir  décrit  les  sept  enveloppes  de  l'œil,  conclut 
■que-  Dieu  a  voulu  imprimer  en  nous  l'image  des  sept  dons  cl 1 1  Saint-Esprit. 


Jusqu'à  quel  point  lait  s'est-il  conformé  à  celle  philosophie  du  monde,  el 
dans  quelle  mesure  les  animaux  qui  décorent  la  cathédrale  sont-ils  symbo- 
liques? Voilà  ce  qu'il  importe  maintenant  d'examiner.  Question  délicate,  où 
les  archéologues  n'ont  pas  toujours  su  se  délier  de  leur  imagination. 

Les  o'u\  res  d'art  où  il  est  permis  d'assigner  aux  animaux  un  sens  mysl  ique 
sont  peu  nombreuses,  mais  elles  sont  de  telle  nature  qu'en  les  rapprochanl  de- 
textes  on  arrive  a  des  conclusions  1res  sûres. 

Les  quatre  animaux  qui  cantonnent  l'image  de  Jésus-Christ  au  portail  de 
tant  d'églises,  forment  une  première  classe  de  représentations  donl  le  sens 
symbolique  ne  peut  être  douteux.  Très  fréquent  à  l'époque  romane,  le  motif 
de-  (  pi  a  Ire  animaux,  homme  '.  aigle,  lion,  bœuf,  dévie  ni  plus  rare  au  xin  siècle  ; 
on  l'y  rencontre  cependant  encore.  Les  quatre  animaux  se  remarquent,  par 
exemple,  à  la  porte  du  Jugement  dernier,  à  Notre-Dame  de  Paris.  Ils  n'ont  plus, 
il  est  vrai,  I  ampleur,  la  fierté  héraldique  qu'on  leur  voit  à  Moissac,  ils  n'oc- 
cupent plus  le  tympan,  ils  se  dissimulent  modestement  dans  les  parties 
basses  du  portail. 

Quel  est  le  sens  des  quatre  animaux.1 —  Des  les  premiers  siècles  du  chris- 
tianisme, on  admit  que  l'homme,  l'aigle,  le  lion  et  le  bœuf,  entrevus  d'abord 
par  L/.échiel  près  du  fleuve   Chohar,   el   aperçus    ensuite  par  saint  Jean    autour 

1    Le   premier  des  animaux   n'esl   |);i>   un  ange,  comme  «mi  If  dil  d'ordinaire,  mais  nu  hom On  verra 

qu  il  symbolise  expressément  La  nature   humaine. 


le  m  mon;  de  la  nature  -,, 

du  trône  de  Dieu,  symbolisaient  les  quatre  évangélistes.  Dans  l'Eglise  primitive, 
le  mercredi  de  la  quatrième  semaine  cl  »  i  Carême,  on  expliquait  aux  catéchu- 
mènes, dont  le  baptême  était  proche,  la  signification  tics  quatre  bêtes  mysté- 
rieuses. <)n  leur  apprenait  que  l'homme  était  la  figure  de  saint  Matthieu,  l'aigle 
celle  de  saint  Jean,  le  lion  celle  de  saint  Marc,  le  bœuf  celle  de  saint  Luc,  et  on 
leur  en  donnait  les  raisons1. 

Les  âges  suivants  acceptèrent  cette  explication,  mais  ils  en  imaginèrent  tic 
nouvelles.  Au  xne  siècle,  il  fut  reçu  que  les  quatre  animaux  avaient  trois  sens; 
on  admit  qu'ils  symbolisaient  à  la  luis  Jésus-Christ,  les  évangélistes  et  les  vertus 
tics  élus. 

Il  ne  sera  pas  inutile  de  faire  connaître  tout  ce  monde  d'idées  subtiles  <>ù 
la  théologie  se  mêle  à  la  science  tics  Bestiaires  :  rien  ne  fait  mieux  pénétrer 
dans  le  génie  symbolique  du  moyen  âge. 

Il  serait  facile  de  trouver  dans  les  docteurs  du  temps  tous  les  textes  néces- 
saires "  ;  mais  nous  préférons  invoquer  un  témoignage  encore  plus  solennel. 
Au  xnc  siècle,  le  jour  de  la  fête  de  l'évangéliste  saint  Luc.  il  était  d'usage  de 
lire,  dans  certaines  églises  de  France,  un  curieux  commentaire  ou  le  symbo- 
lisme  des  animaux  est  expliqué  jusque  dans  ses  nuances  les  plus  délicates.  Plu- 
sieurs Lectionnaires  manuscrits  nous  ont  conservé  ce  passage3.  Ils  ne  nous 
disent  pas  d'où  il  vient,  mais  nous  avons  été  assez  heureux  pour  le  retrouver 
dans  le  commentaire  de  Raban  Maur  sur  Ezéchiel4.  En  adoptant  les  interpré- 
tations de  Raban,  l'Eglise  les  consacra  de  son  autorité. 

Les  quatre  animaux,  dit  le  Lectionnaire,  signifient  d  abord  les  quatre  évan- 
gélistes. Saint  Matthieu  a  pour  attribut  l'homme,  parce  qu'il  a  commencé  son 
évangile  par  la  liste  généalogique  des  ancêtres  tic  Jésus-Christ  suivant  la  chair. 
Le  lion  désigne  saint  Marc,  qui,  des  les  premières  lignes,  nous  parle  tic  la  noix 
qui  cric  dans  le  désert.  Le  veau,  animal  du  sacrifice,  symbolise  saint  Luc.  tpii 
débute  parle  sacrifice  offert  par  Zacharie.  L'aigle,  enfin,  est  la  ligure  tic  saint 
Jean,  parce  que,  des  l'abord,  il  nous  transporte  au  sein  de  la  divinité,  semblable 


1   D luéranger,  Année  liturgique,  Carême.  Voir  toul  le  passage  emprunte  au  Sacramentaire  du  pape 

Gélase.  lin  n'y  trouve  aucu les  explications  subtiles  familières  .ni  xii    .-i  au  xm    siècle. 

-  M""'  I1'.  il  Aysac  en  .1  rassemble  béai p  dans  son  excellent  travail  :  les  Quatre  Animau  t  mystiques, 

,'1  la  suite  des  Statues  du  porche  septentrional  de  Chartres.  Paris,  1  S  j . < .  iu-8  Voir  an^  Cahier,  Caracté- 
ristiques tir*  s, nuls,  article     Évangélistes;  ■■!  Darcel,  Ann    Archéol  .  1.  XVII,  i>    1  !g 

:   Voir  notamment  Arsenal,  tus.  162,  I      •  ■  •  <-l  suiv,  :  Lectionnaire  de  Crépy. 

•  Raban  Maur,  fn  Ezech.,   I.  Patrol.,  1.  CX,  col.  5i5. 


52  L'ART   RELIGIEUX   DU   XIII«   SIECLE 

à  l'aigle,  qui,  seul  de  tous  les  animaux,  regarde  le  soleil  en  face.  On  reconnaît 
à  ce  dernier  trait  l'histoire  naturelle  des  Bestiaires  '. 

Les  mêmes  animaux  symbolisent  Jésus-Christ.  Quiconque  voudra  réfléchir 
reconnaîtra  en  eux  quatre  moments  de  la  vie  du  Sauveur  et  quatre  grands  mys- 
tères. L'homme  rappelle  l'Incarnation  et  nous  fait  souvenir  que  Jésus  s'esl 
réellement  fait  homme.  Le  veau,  victime  de  l'Ancienne  Loi,  fait  penser  à  la 
Passion,  au  sacrifice  que  le  Rédempteur  a  fait  de  sa  vie  à  toute  l'humanité.  Le 
lion  est  le  symbole  de  la  Résurrection.  Ici  nous  retrouvons  la  science  fabuleuse 
des  Bestiaires  :  le  lion,  en  effet,  passait  pour  dormir  les  yeux  ouverts'.  C'est 
là,  nous  dit  le  Lectionnaire,  une  figure  de  Jésus-Christ  au  tombeau  :  «  Le 
Rédempteur,  en  effet,  a  paru  s'endormir  dans  la  mort,  comme  le  voulait  son 
humanité,  mais  en  vertu  de  sa  divinité,  il  resta  immortel,  et  il  veilla'.  »  L'aigle 
enfin  est  la  figure  de  l'Ascension.  Jésus  s'éleva  dans  le  ciel,  comme  l'aigle 
monte  jusqu'aux  nuages.  Ainsi,  dit  le  Lectionnaire,  qui  résume  son  enseigne- 
ment en  une  formule  nette,  Jésus  fut  homme  en  naissant,  veau  en  mourant,  lion 
en  ressuscitant,  aigle  en  montant  au  ciel  '. 

Mais  les  quatre  animaux  ont  un  troisième  sens.  Ils  expriment  les  vertus  qui 
nous  sont  nécessaires  pour  être  sauvés.  Chaque  chrétien,  sur  le  chemin  de  la 
divine  perfection,  doit  être  à  la  fois  un  homme,  un  veau,  un  lion  et  un  aigle. 
Il  doit  être  un  homme,  parce  que  l'homme  est  l'animal  raisonnable,  et  que  seul 
celui  qui  s'avance  dans  la  voie  de  la  raison  mérite  le  nom  d'homme;  il  doit  être 
un  veau,  parce  que  le  veau  est  la  victime  qu'on  immole  dans  les  sacrifices,  et 
que  le  vrai  chrétien,  renonçant  à  toute  les  voluptés  de  ce  monde,  s'immole 
lui-mfcme;  il  doit  être  un  lion,  parce  que  le  lion  est  l'animal  courageux  par 
excellence,  et  que  le  juste,  qui  a  renoncé  à  toute  chose,  ne  redoute  rien  en  ce 
monde,  car  c'est  de  lui  qu'il  a  été  écrit  :  «  Le  juste  sera  ferme  et  sans  crainte 
comme  un  lion  »  ;  il  doit  être  enfin  un  aigle,  parce  que  l'aigle  vole  dans  les  hau- 


1  a  Quand  il  I  aigle  regarde  le  soleil,  il  ne  flecist  mie  ses  ex  par  la  force  del  rai.  >  Best,  de  Pierre  le 
Picard.  Arsenal,  ms.  n°  35i6,  f°  198  ri  suiv. 

-'  'I"j7'.o> v/o;.   îrepï  -vj  Xiovxoç.  Spic.  Solesm.,  t.  III.  p.  338. 

:  Léo  etiam  apertis  oculis  dormirc  perhibetur;  quia  in  ipsa  morte,  in  qua  ex  humanitatc  redemptor 
aoster  dormire  potuit.  ex   divinitate  sua  immortalis  permanendo  vigilavit.  Lection.  de  l'Arsenal.  Lectio  11. 

•  Les  miniaturistes  oui  donné  une  forme  artistique  à  ce  symbolisme.  Ils  représentent  quelquefois  près 
de  l'homme  de  sainl  Matthieu  la  nativité,  près  .lu  bœuf  la  cruciGxion,  près  du  lion  la  résurrection,  près  de 
l'aigle  l'ascension .  Il  y  a  des  exemples  de  cette  pratique  depuis  le  v  siècle  [Evangéliaire  'le  l'empereur 
Othon,  Bull,  monum.,  1877,  I'-  '■'■  -'-"'  jusqu'au  m\  (Bibl.  Mazarine,  ms.  n°  167,  fu  i  :  Postilles  de 
N  n  olas  de  I  rira  . 


LE    MIROIR   DE    LA  NATURE  ,  ; 

teurs  et  regarde  le  soleil  sans  baisser  les  yeux,  et  que  le  chrétien  doit  contem- 
pler en  face  les  choses  éternelles. 

Tel  est  l'enseignement  de  l'Eglise  sur  les  quatre  animaux.  Une  seule  de  ces 
explications,  celle  qui  assimile  les  bêtes  apocalyptiques  aux  évangélistes,  sur- 
vécut au  moyen  âge.  Les  deux  autres  eurent  le  sort  de  toute  la  vieille  théologie 
mystique,  et  tombèrent,  au  temps  de  la  Réforme,  dans  le  plus  profond  oubli. 
Mais,  sur  le  premier  point,  les  protestants  eux-mêmes  demeurèrent  fidèles  à  la 
tradition.  Au  xvnc  siècle,  Rembrandt  peignait  le  sublime  saint  Matthieu  du 
Louvre,  qui  écoute  de  toute  son  âme  les  paroles  éternelles  qu'un  ange,  du  tond 
de  l'ombre,  murmure  à  son  oreille. 

On  ne  peut  donc  douter,  après  l'étude  que  nous  venons  de  faire,  que  les 
animaux  ne  jouent  parfois,  dans  l'art  du  moyen  âge,  un  rôle  symbolique.  Les 
textes,  dans  l'exemple  que  nous  avons  étudié,  nous  ont  permis  d'interpréter  les 
monuments  à  coup  sur. 

Il  est  d'autres  cas  où  l'on  peut  arriver  à  la  même  certitude.  11  y  a  à  la  cathé- 
drale de  Lyon  un  vitrail  fameux  qui  attira  de  bonne  heure  l'attention  des 
archéologues.  Le  P.  Cahier  le  fit  reproduire1  et  tenta  de  l'expliquer;  mais  il 
ne  sut  pas  reconnaître  quel  livre  l'avait  inspiré.  MM.  Guigne  et  Rt'gule,  dans 
leur  récente  monographie  de  la  cathédrale  de  Lyon,  n'ont  pas  été  plus  heureux. 
Le  vitrail  de  Lyon  a  trop  d'importance  dans  le  sujet  qui  nous  occupe  et  se 
rattache  trop  étroitement  à  une  grande  œuvre  théologique  du  xn° siècle,  pour  que 
nous  ne  le  décrivions  pas  avec  quelque  soin. 

Voici  comment  a  été  conçue  cette  œuvre  mystique  (fîg.  11).  En  commençant 
parle  bas  (c'est  ainsi  que  se  lisent  presque  tous  les  vitraux),  on  rencontre 
d'abord  un  médaillon  consacré  à  l'Annonciation.  Deux  petits  médaillons,  placés 
dans  la  bordure,  et  qui  sont  évidemment  en  relation  étroite  avec  le  sujet  prin- 
cipal, représentent,  l'un,  le  prophète  Isaïe  déroulant  une  banderole  avec  ces 
mots  :  Ecce  vîrgo  [concipi\et,  l'autre,  une  jeune  fille  assise  sur  une  licorne  cl 
tenant  une  fleur  (fîg.  12).  Le  second  médaillon  nous  montre  la  Nativité:  les 
cartouches  de  la  bordure  sont  consacrés  au  buisson  ardent  de  Moïse  et  à  la 
toison  de  Gédéon.  Jésus  en  croix   remplit  le  troisième  médaillon  :  le  sacrifice 

1  Vitraux  de  Bourges,  planche  d'étude  VIII.  Le  dessin  1res  précieux  du  1'.  Martin  [ue  nous  reprodui- 
sons (lig.  11)  nous  donne  le  vitrail  tel  qu  il  étail  avant  la  restauration  .1  Emile  Thibaud,  peintre-verrier  de 
Clermont-Ferrand.  lui  1842,  Thibaud  changea  de  place  les  médaillons  du  centre  qui  ne  pondent  plus 

exactement  aux  petits  médaillons  des  bordures.  Sur  cette  restauration,  voir  l'intéressant  article  de  M.  G.  Mou- 
geol  dans  la  Revue  d'histoire  de  Lyon,  1.  1.  1902. 


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,  ,  L'ART   RELIGIEUX    DU    XIIIe   SIÈCLE 

d'Abraham  et  le  serpent  d'airain  l'accompagnent.   La  Résurrection  est  le  sujet 

du  quatrième  médaillon  :  la  haleine  vomissant  .louas  et 
un  lion  avec  ses  lionceaux  flanquent  la  scène  principale 
(fig.  i3).  Les  médaillons  suivants  sont  consacrés  à  l'As- 
cension :  Jésus  monte  au  ciel  pendant  que  les  apôtres  et 
la  Vierge,  la  tête  levée,  le  contemplent.  Les  cartouches  de 
la  bordure  représentent  un  oiseau  cpii  se  tient  près  du  lit 
d'un  malade  et  que  l'inscription  nomme  kladrius  (lig.  i4), 
puis  un  aigle  avec  ses  aiglons  (fig.  i5),  enfin    des    anges. 

Le  P.  Cahier  a  fort  Lien  expliqué  que  chacune  des 
scènes  inscrites  dans  les  petits  cartouches  était  une 
figureou  un  symbole  des  faits  du  Nouveau  Testament  qui 
remplissent  les  grands  médaillons.  Par  exemple,  le  sacri- 
fice d'Abraham  et  le  serpent  d'airain,  élevé  par  Moïse, 
sont  des  figures  du  sacrifice  de  Jésus-Christ,  et  sont  rap- 
prochés à  dessein  de  la  mise  en  croix1.  11  remarqua  en- 
core très  justement  que  plusieurs  sujets  étaient  emprun- 
tés aux  Bestiaires  et  que  l'artiste  avait  prétendu  faire 
exprimer  aux  animaux  les  principaux  mystères  de  la  foi  : 
l'aigle,  par  exemple,  était  rapproché  de  l'Ascension;  le 
lion,  de  la  Résurrection,  etc. 

Tout  cela  était  parfaitement  exact;  mais,  ce  que  le 
P.  Cahier  ne  sut  pas  découvrir,  c'est  la  source  unique 
de  tout  ce  symbolisme.  Cette  grande  composition,  en 
effet,  n'est  pas  sortie  de  l'imagination  d'un  arlisle  mys- 
tique échauffé  par  la  lecture  des  Bestiaires  et  des  com- 
mentaires théologiques,  elle  vient  tout  entière  d'une  des 
œuvres  les  plus  célèbres  du  moyen  âge,  du  Spéculum 
Ecclesiœ  d'Honorius  d'Autun,  dont  elle  n'est  que  la  tra- 
duction. L'artiste  n'a  rien  inventé,  il  n'a  fait  que  se  sou- 
venir. C'est  dans  ce  livre  que  nous    trouverons    le  sens 

Fig.  m.  —  Vitrail  svmbo-  ,    .  ,.,   r  -,  ,  , 

..         ,    .  précis  .ni  il  faut  attribuer  a   chacun   îles   animaux  mystl- 

Uquc  de  Lyon.  1  M 

(D'après  Cahier  et  Martin.)         ipicsdll    vilrailde    Lyon. 


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1    Vni-.  expliquerons  longuemenl  le  sens  de  ces  figures  au  chapitre  de  l'Ancien   testamenl 


LE    MIROIR    DE    LA    NATURE  v, 

Le  Spéculum  Ecclesuc  d'Honorius  d'Autun  est  un  recueil  de  sermons  pour 
les  principales  fêtes  de  l'année.  Pour  que  son  latin  |>ùl  se  graver  plus  facilement 
clans  la  mémoire  des  prédicateurs,  Honorius  la  soumis  aux  lois  <]  un  rythme 
barbare  :  chaque  phrase  rime  avec  la  précédente.  Il  y  a,  dans  le  Spéculum 
Ecclesias,  de  vraies  laisses  théologiques,  qui  sont  tout  à  fait  comparables  aux 
couplets  épiques  «les  chansons  de  geste.  Il  est 
possible  que  cette  musique  monotone  ail  contri- 
bué au  succès  du  livre.  Ecrit  au  commencement 
élu  xne  siècle1,  il  était  encore  très  lu  au  trei- 
zième-. Peu  d'ouvrages  expriment  mieux  l'état 
d'esprit  d'une  époque;  c'est  vraiment,  comme 
l'annonce  le  titre,  le  miroir  de  l'Eglise  du 
xn  siècle.  La  méthode  mystique  v  est  préférée 
à  toute  autre,  et  le  monde  entier  vient,  par 
d'ingénieux  symboles,  témoigner  des  vérités  de 
la  foi.  Honorius  d'Autun  procède  toujours  de  la 
même  façon.  Dans  chacun  de  ses  sermons,  écrits 
pour  les  principales  fêtes,  il  commence  par  faire 
connaître  le  grand  événement  de  la  vie  du  Sau- 
veur que  l'Eglise  commémore  en  ce  jour,  puis 
il  cherche  dans  L'Ancien  Testament  les  laits 
qu'on  en  peut  rapprocher  et  qui  en  sont  des 
figures;  enfin,  il  demande  des  symboles  à  la 
nature  elle-même  et  s'efforce  de  retrouver  jus- 
que clans  les  mœurs  des  animaux  l'ombre  de  la  vie  et  de  la  mort  de  .lésus- 
Christ. 

Cette  méthode  est  celle  qu'a  suivie  le  verrier  de  Lyon.  Aide  d'un  docteur, 
il  a  composé  son  enivre  avec  plusieurs  sermons  d'Honorius  d'Autun.  Pour  illus- 
trer le  mystère  de  l'Annonciation  et  celui  de  la  Nativité,  il  a  choisi,  dans  les 
deux  sermons  qu'Honorius  d'Autun   a  consacrés  à  ces  fêtes,  quatre  exemples 


.  —   l.,i  jeune  fille  el   I.i    licorm 

I .  y  1 1 1  . 

Dessin   de  L.    Bégiile.) 


1    Honorius  aurait  écril  entre  1090  <•(   1  i  >u  :  11.   1V/.    '/'hesaurus  tinecdot.  noviss.  Dissertât. i  I.    II.  |>     i 
Springer,  dans   s;i  dissertation,    Uel/er  die   Quellen  !/<■/■  Kunslvorstellungen  im   Millelulter  (Ilerichte  ûhrr 
die    Verhandl.   der  A.    Sachs.    Geselt.    dev   Wissensch.    :«    Leipzig.    l'Ii.    hist.,   cl.   XXXI     1    i".    18 

entrevu  1  importance  •  I ■  ■  Spéculum  Ecclesix  \ c-  I  histoire  de  I  art. 

Nous   montrerons  qu'un  portail   entier  de    Laon  .1   été  inspiré  par  le  Spéculum    /...-.'     pren 
1  nnées  <ln  xm°  siècle1 . 


56  I,  A  Kl    RELIG]  EUX    DU   XIII1    SI  ECLE 

symboliques1  :  la  prophétie  cTlsaïe  sur  la  Vierge  qui  doit  enfanter,  le  buisson 
ardent  <|ui  brûle  sans  être  consumé,  la  toison  de  Gédéon  qu  humecte  la  rosée, 
figure  de  la  maternité  virginale  \  enfin  l'histoire  fabuleuse  de  la  licorne.  Honorius 
voit,  en  effet,  dans  la  licorne  un  symbole  de  l'Incarnation.  «  La  licorne,  dit-il 
en  résumant  brièvement  les  Bestiaires,  est  un  animal  très  sauvage,  si  bien  que. 

pour  s'en  emparer,  on  est  obligé  d'avoir  recours 
à  une  vierge.  L'animal,  en  la  voyant,  vient  à 
elle,  se  couche  sur  son  sein  et  se  laisse  prendre. 
—  La  licorne  est  le  Christ,  et  la  corne  qu'elle 
porte  au  milieu  du  Iront  symbolise  la  force 
invincible  du  Fils  de  Dieu.  Il  s'est  reposé  sur 
le  sein  d'une  vierge  et  a  été  pris  par  les  chas- 
seurs, c'est-à-dire  qu'il  a  revêtu  la  forme  hu- 
maine dans  le  sein  tic  Marie  et  qu'il  a  consenti 
à  se  donner  à  ceux  qui  le  cherchent.  »  A  Lyon, 
la  jeune  lille,  en  signe  de  victoire,  est  montée 
sur  la  bête  qu'elle  vient  de  prendre,  cl  elle 
tient   une   Heur  à  la   main,    symbole   de    pureté 

(fig.    12       . 

Le  troisième  médaillon,  consacré  à  la  mort 
de  Jésus  sur  la  croix,  esl  commenté  par  deux 
scènes  symboliques  :  le  sacrifice  d'Abraham  et 
le  serpent  d'airain,  (le  sont  précisément  Acux 
des  figures  que,  entre  plusieurs  autres,  Hono- 
ius  d'Autun  propose  à  ses  auditeurs  dans  les  deux  serinons  qu  il  a   consacrés  à 


Fig.  i  i. 


Le  li i  les  lionceaux 

Lyon). 

Iic^sin  de  L.  Bégule.) 


la  l'assion    . 

Le  médaillon  d< 


la   Résurrection  est  flanqué  de  la  haleine  de  Jonas,  image 
antique  du  tombeau  <>u  le  Sauveur  passa  trois  jours,  et  d'un  lion  accompagné 

de  lionceaux  bondissants    (fig.    l'îi.    Honorius    d'Autun,    qui    a    recours    lui  au^-i 

à  «es  deux  figures,  explique  la  seconde  notamment  avec  beaucoup  de  clarté, 


1   Spccul    Ecclesise.  Palrol.,  t.  CLXXII,  col.  819  ri  cul.  904    Sermo  </<■  Nativit.  et  de  Anniintiai 
Nous   reviendrons  -ni-  ci-  symbolisme  quand    nous  expliquerons  le  portail  'le   Laon,  qui  .1  «té  conçu 
il  après  le  sermon  sur  I  Annonciation  d'Honorius  il  Autun. 

Cr  nu' ilai 11. m  a  été  restaure  :  peut-être,  à  1  origine,  la  jeune  fille  n'était-elle  pas  montée  mu-  la  lu  01  n< 

■   Spec.  Ecoles     Domin.  de  passione  Dom.),  col.  911,  et    Do  min  m  Palmis),  col.  9:12.  Nous  expliq 

plu     loin     \n I  •  -i.iiii.  ni    le  1 .  ni   di    ces  figuri 


LE    MIRO]  li    DE    LA    NATURE  '.; 

dans  son  sermon  du  jour  de  Pâques  consacré  à  In  Résurrection  '.  «  On  rapporte, 
dil-il  d'après  les  Bestiaires,  que  la  lionne  donne  le  jour  à  des  lionceaux  mort- 
nés,  mais,  trois  jours  après,  un  rugissement  du  lion  les  rend  à  la  vie  '.  De  même, 
le  Christ  est  reslé  étendu  dans  le  tombeau  comme  un  mort,  mais,  le  troisième 
jour,  il  s  est  levé,  réveillé  par  la  voix  de  son  l'ère,  o  II  ajoute  que  le  phénix  et  le 
pélican  figurent  aussi  la  Résurrection,  «  car  Dieu 
a  voulu,  dès  le  commencement,  exprimer,  par 
le  moyen  de  ces  oiseaux,  ce  qui  devait  arriver 
un  jour  ».  Le  peintre  de  Lyon  n'a  pas  pu,  faute 
de  place,  introduire  le  phénix  et  le  pélican  dans 
son  vitrail,  mais  nous  les  retrouverons  ailleurs, 
el  à  Lyon  même. 

Enfin,  le  médaillon  de  l'Ascension  est  com- 
mente'' parla  légende  de  l'aigle  et  de  ses  petits. 
et  par  celle  de  l'oiseau  appelé  kladrius  (corrup- 
tion de  charadrius  (fig.  i  i  et  i  >).  Ces  deux 
légendes  figurent  justement,  à  l'exclusion  de 
toute  autre,  dans  le  sermon  qu'HonoriuS  a  écrit 
pour  le  jour  de  l'Ascension  '.  Voici  comment  il 
les  interprète  :  <<  L  aigle  est  de  tous  les  animaux 
celui  qui  vole  le  plus  haut,  et  le  seul  qui  ose 
plonger  son  regard  dans  le  soleil.  Quand  il  ap- 
prend à  voler  à  ses  petits,  il  vole  d'abord  au- 
dessus  d'eux,  puis  il  les  prend  sur  ses  ailes 
étendues.    Ainsi    le  Christ  s'est  élevé    dans    le  cie 


li-      i  j.    -  -    I  ..■    charadrius 
Lyon). 

Dessin  Je  !..  Bé(ju 


ilus  haut  que  tous  les 
saints,  puisque  sou  l'ère  l'a  pris  à  sa  droite.  11  a  étendu  sur  nous  les  ailes  de  sa 
croix,  et  nous  a  portes  sur  ses  épaules,  comme  la  brebis  égarée,  d  -  Quant  à  la 
légende  du  charadrius,  elle  esl  singulière.  «  11  v  a  un  oiseau  appelé  charadrius, 
dit  llonorius  d'Autun.  qui  permet  de  deviner  si  un  malade  échappera  ou  non  à 
la  mort.  (  )n  le  place  près  du  malade  :  si  le  malade  doit  mourir.  I  oiseau  détourne 


1   L'histoire  de  Jouas  se  trouve  In  ca-na  Dont.,  col.  9a  1  ;  l'histoire  du  lion  dans  le  ser De    Ptn 

Die,  col.  'i  i  V 

-  Quelques  Bestiaires  <l ni  uue  autre  explication.   Ils  disenl   que  le  li essm  '  ux  en 

leur  souillant  dans  la  bouche.  Spicil.  Solesui.,  •Pvs'MAyo;,  cap.   i,p.    138  ;  et  Cahier     \li  trel         .1    II, 

|i    107.  L'histoire  vient  do  Pline,  Hist.  A'at.,  VIII,   17. 
Spec.  Eccles.  In.    tseens    Dont.,  col.  ipS. 

8 


58  L'ART    RELIGIEUX    DU   XIII»   SIECLE 

la  tête;  s  il  doit  vivre,  l'oiseau  fixe  son  regard  sur  lui,  et  de  son  bec  ouvert 
absorbe  la  maladie.  Il  s'envole  ensuite  clans  les  rayons  du  soleil  et  le  mal  qu'il  a 

absorbé  sort  de  lui  comme  une  sueur.  Quant  au  malade,  il  guérit.  —  Le  eliara- 
drius  blanc,  c'est  le  Christ  né  d'une  vierge.  Il  s'est  approché  du  malade  quand 
son  l'ère  l'a  envoyé  sauver  l'humanité.  Il  a  détourné  son  visage  des  Juifs  et  les 

a  laissés  dans  la  mort,  mais  il  a  regardé  de  noire 
côté,  et  il  a  porté  notre  infirmité  sur  la  croix. 
Une  sueur  de  sang  a  coulé  de  lui.  puis  il  est 
remonté  prés  de  son  Père  avec  notre  chair,  et 
nous  a  apporté  le  salut  à  tous  '.    » 

Il  me  semble  qu'on  ne  peut  douter,  après 
les  rapprochements  que  nous  venons  de  faire, 
(pie  le  vitrail  de  Lyon  n'ait  été  inspire  par  le 
Spéculum   Ecclesîm  d  llonorius  d'Àutun. 

Une  autre  <cu\  re  symbolique  du  même  genre 
a,  suivant  nous,  la  môme  origine.  Nous  voulons 
parler  de  la  Irise  d  animaux  qui  lut  sculptée  vers 
le  commencement  du  xiv'  siècle  au  cl  oc  lier  de  la 
cathédrale  de   Strasbourg.   Elle  lut  publiée  par 

le  I'.    Cahier    sur  les  dessins  un   peu  sommaires 

du  P.  Martin".  Aujourd'hui  la  frise  a  été  moulée 
et  on  peut  l'étudier  à  loisir  au  musée  de  I  Œuvre 
du  home  a  Strasbourg.  Instruits  par  l'étude 
^>i<  vitrail  de  Lyon,  nous  devinerons  les  intentions  de  I  artiste  strasbourgeois 
a  la  seule  émi  niera  tion  des  sujets  qu'il  a  représentés.  Ce  sont  :  le  sacrifice 
d  Abraham,  l'aigle  et  ses  petits,  la  licorne  poursuivie  par  les  chasseurs,  la 
licorne  se  réfugiant  dans  le  sein  d'une  vierge,  le  lion  ressuscitant  ses  lion- 
ceaux, .louas  vomi  par  la  baleine,  le  serpent  d'airain,  le  pélican  ranimant  ses 
petits  avec  son  sang,  le  phénix  au  milieu  des  flammes.  Ne  voit-on  pas  que  ce 
sont  là  autant  de  symboles  de  la  Nativité,  de  la  Passion,  de  la  I  îésui  reetioii  cl 
de  I  Ascension  .'  Ne  reconnait-on  pas  les  exemples  mêmes  des  sermons 
d  llonorius  d'Autun.'  L'artiste,  il  est  vrai,  n'a  pas,  comme  à   Lyon,  représenté 


1    II nus  d  Auinii  .1  emprunte  I  histoire  <  1  •  i  charadrius  aux  Bestiaires.  Voir  .Soie.  Solesm.,  'I'uïioXoyo; 

"53'.  /apsoo'.oy,  cap.  \.  p     S/ja.  La  légende  vienl  'I  Elien,  De  anim.,  XVII,  i  1 

Cahier,  .Vu<>     il,  I   ,1  4rch    [Curiosités  mystér.),  p.  1 53.  Voir  aussi  Revue  Archéolog.,  [853. 


LE   MIROIR   DE    LA    XATURE 


les  faits  historiques  dont  ces  animaux  ne  sont  que  les  figures;  il  n'y  a,  à 
Strasbourg,  ni  la  nativité,  ni  la  mise  en  croix,  ni  la  sortie  du  tombeau,  ni 
l'ascension  de  Jésus-Christ;  mais  pouvons-nous  hésiter  sur  la  pensée  «lu  sculp- 
teur? On  remarquera  que,  pour  rappeler  la  Résurrection,  il  ne  s'est  pas  con- 
tenté, comme  à  Lyon,  de  représenter  le  lion  ressuscitant  ses  petits,  mais 
qu'il  a  encore  emprunté  à  Honorius  d'Autun  la  légende  du  phénix  qui  se  brûle 
sur  un  bûcher,  et  qui  reprend,  trois  jours  après,  son  ancienne  forme,  et  la 
légende  du  pélican  qui,  après  avoir  Lue  ses  petits,  les  l'ait  revivre  au  bout  de 
trois  jours,  en  s'ouvrant  la  poitrine  et  en  les  arrosant  de  son  sang,  comme  Dieu 
a  ressuscité  son  Fils,  le  troisième    jour'. 

Je  retrouve  encore  l'influence  du  Spéculum  Ecclesiw  d'IIonorius  d'Autun  en 
étudiant  quatre  vitraux  symboliques  qui  se  trouvent  à  Bourges,  à  Chartres,  au 
.Mans  et  à  Tours  \  (les  vitraux,  que  nous  aurons  plus  tard  l'occasion  d'étudier  en 
détail,  rapprochent,  en  un  parallélisme  savant,  les  principaux  événements  delà 
vie  de  Jésus-Christ  des  laits  de  l'Ancien  Testament  qui  en  sont  la  ligure.  Or, 
près  de  Jésus  sortant  du  tombeau,  on  remarque,  à  côté  de  scènes  symboliques 
empruntées  à  la  Bible,  le  lion  ressuscitant  ses  lionceaux,  et  le  pélican  soin  ranl 
la  poitrine  pour  rendre  la  vie  à  ses  petits1.  Il  était  donc  admis  au  xin  siècle, 
sur  la  foi  d  Honorius,  «pie  le  lion  et  le  pélican  symbolisaient  la  résurrection,  au 
même  litre,  par  exemple,  que  Jonas.  —  Tous  les  Bestiaires,  dira-t-on,  ensei- 
gnent la  même  doctrine.  Cela  est  vrai;  mais  Honorius  d'Autun  n'en  est  pas 
moins  le  premier  qui  ait  eu  recours,  pour  commenter  l'Evangile,  à  la  lois  a  des 
événements  eboisis  dans  l'Ancien  Testament,  et  à  des  taits  empruntés  a  l'his- 
toire des  animaux.  Ces  deux  ordres  de  symboles  semblent  avoir  la  même  valeur 
à  ses  yeux.  Ci'  genre  de  démonstration  prend  «lie/,  lui  l'aspect  d'une  doctrine 
parfaitement  liée  qui  s'impose  à  la  raison  et  à  la  mémoire.  Les  prédicateurs,  toul 
nourris  de  son  livre,  rendirent  populaires  les  légendes  <lu  lion,  du  pélican,  de 
la  licorne.  On  pourrait  presque  affirmer  que  les  enseignements  de-  Bestiaires 
n'ont  guère  pénétré  dans  le  clergé  du  moyen  âge  que  par  le  livre  d  Honorius 
d'Autun.  Il  est  remarquable,  en  tout  cas.    que  les  animaux  symboliques  peints 


1  Spec.  Ecoles.   De  Pusehati  Die,   col.   yiG    Nous  tu    parlons  pas  de  l'autre  partie  Je   la  Irise  de    S 

I 'g  qui  s'-   compose   soil  de  scènes  <l<-    pure  fantaisie  [batailles  de    monstres      ^<>a  di    scènes  populaires 

(hommes  ■  •!  t « ■  1 1 1 1 > m v-  >  arrachant  les  cheveux,  joueurs  'I  échi  es  éi  liangeanl  des  horions, 

1  Publiés  par  Cahier,    Vitraux  </r  Bourges,  pi.   I,  el   pi,  d'étude  l\ 

:  A  Chartres,  les  lions  onl  disparu:  à   Tours  el  au  Mans,  ils  oui  été  ehaug<  ,  à  la  suite  de  rema- 

niements. 


6o 


I     \  RT    RELIG  [EUX    IM     XIII1    SIECLE 

ou  sculptés  dans  nos  cathédrales,  soient  précisé- 
ment ceux  <|ii  a  nommés  Honorius,  et  non  1rs  autres. 

Au  portail  de    Lyon,   par  exemple,    d'inn brables 

petits  médaillons,  sculptés  au  commencement  du 
\i\'  siècle,  iiuus  montrent,  au  milieu  de  scènes  de 
pure  fantaisie  et  de  monstres  créés  par  la  verve  de 
l'artiste,  quelques  animaux  empruntés  aux  Bestiaires . 
Or,  ces  animaux  sont  justement  le  pélican1,  la  li- 
corne2, le  phénix,  et  enfin  les  sirènes  musiciennes  . 
qu'Honorius  nous  donne,  dans  son  sermon  pour  le 
dimanche  de  la  Septuagésime  ',  comme  le  symbole, 
ou  mieux  encore,  comme  la  voix  même  des  voluptés 
du  monde.  Le  portail  occidental  île  Noyon,  si  mutilé, 
nous  laisse  encore  entrevoir,  au  trumeau,  le  pélican, 
le  phénix  et  un  animal  à  moitié  brisé  qui  semble  être 
un  lion  penché  sur  ses  petits. 

Donnons  encore  un  exemple  typique  <!<•  I  111- 
fluence  que  le  li\  rc  d'Honorius  d'Autun  a  exercée  sur 
l'art.  Le  Spéculum  Ecclesiœ  contient,  pour  le 
dimanche  des  Hameaux,  un  sermon  sur  le  \ersel  du 
psaume  XC  :  «  Tu  marcheras  sur  1  aspic  et  le  basi- 
lic, et  tu  fouleras  aux  pieds  le  lion  et  le  dragon  s.  ■> 
Honorius.  comme  le  veut  la  tradition  catholique, 
appliquece  texteà  Jésus-Christ,  et  nous  fait  voir  le 
Seigneur  triomphant  de  tous  ses  ennemis.  Il  nous 
explique  longuement  le  sens  de  chacun  des  monstres 
que  nomme  le  prophète  :  le  lion  est  l'Antéchrist, 
le  dragon  le  diable,  le  basilic  la  mort,  I  aspic  le  pé- 
ché :  il  s'étend  tout  particulièrement  sur  l'aspic, 
dont     il    nous   fait    comprendre     le    symbolisme     en 


I  il;    i ii  Le  <  ilirisl   a\  aiil  sous 

m-*  pieds  le  li'iu  el  le  dragon, 
l'aspic  <•!  le  basilic  Amiens, 
portail   central). 


1    Re] luils  dans  Guigue  el  Bégule,  lue.  cil.,  pi    II,  c. 

-   1,1..  pi.  1'...  p.  20a. 
/,/..    •    série  .  pi.  IV,  c.    i.  el   ■    série,  pi.  1.  c.   i . 
Spci     /Vr/rs.  Dominic.  m  Septuag.,  ,"\   855,  856 
Spec,  /.'</->.  ///  Dominic.  Palm.,  col.  91  > 


LE  M  i  roi  i;  m:  la  na  h  i;  r. 

ces  termes  :  o  L  aspic  est  une  espèce  de  dragon  que  l'on  peul  charnier  avec  des 
chants.  Mais  il  est  en  garde  contre  les  charmeurs,  et,  quand  il  les  entend,  il 
colle,  dit-on,  une  oreille  contre  terre  et  bouche  l'autre  avec  sa  queue,  de  sorte 
qu  il  ne  peut  rien  entendre  et  qu'il  se  dérobe  à  l'incantation.  L'aspic  esl  l'image 
du  pécheur  qui  ferme  ses  oreilles  aux  paroles  de  vie.  »  -  Au  trumeau  du 
portail  central  de  la  cathédrale  d'Amiens,  s'élève  l'admirable  Christ  que  le 
peuple  appelle»  le  beau   Dieu   »  (fig.   iG).-Sous  ses   pieds  on   voit  le   lion  et  le 

dragon.  Un    peu  plus  Lias,    à  droite  et  à  gauche  du 

socle,  sont  sculptés  deux 

animaux  singuliers  (fig.  17 

et  i8).  L  un  esl  un  coej  à 

queue  i\r  serpent,  où    il 

est  facile  de  reconnaître 

le    basilic    que   l'histoire 

naturelle  du  temps  repré- 
sente comme  un  composé 

de  l'oiseau  et  du  reptile  '. 

I.  autre     animal    est     une 

sorte  de  dragon  qui  ap- 
puie une  oreille  sur  le  sol 
et  qui  bouche  l'autre  avec  l'extrémité  de  sa  queue.  C'esl  évidemment  l'aspic, 
comme  le  prouve  le  texte  que  nous  venons  de  citer.  —  Le  Christ  d'Amiens, 
qu  on  appelle  communément  le  Christ  enseignant,  est  donc  quelque  chose  de 
plus  :  d  est  le  Christ  vainqueur.  Il  triomphe  par  sa  parole,  du  démon,  du 
péché,  de  la  mort».  L  idée  est  belle  et  I  artiste  1  a  magnifiquement  réalisée;  mais 
il  oublions  pas  que  le  Spéculum  Ecclesiw  a  inspiré  en  partie  cette  belle  œu\  re  . 


l'it 


Lt  basi 


l-'ig,   [8.         L'aspic    Ai 


1   Albert  le  Grand,  Vf  animât.,  XXIII.    <.\    Œuvres  v pluies,  I     Y  I         Basilicus..    sicut  jaillis      1    li 

ri  ci  1 1 1  longam  scrpenlis   babet.   0 

-    L  influence  d  Honorais  d  Auiiin   esl  incontestable    i<  i,  puisqu'un  vil   1  aspic   >•<■  boucbaul  I  ureille  -i\    1 

,1  queue.  Je  dois  dire  cependaul  que  I  image  du  Cbrisl  foulaut  le  lion  et   le  dragon,  taudis  qu  il  bénil  de  la 

ni. iin  droite  el  tienl    le  livre  de  la  main  gauche,  remonte   jusqu  à  1  arl    chrétien  des   premiers  siêi  !-  -.     on  la 

IrQUve  pour  la  première  fois  dans  la  catacombe  chrétienne  d  Alexandrie     Les  [exandriiis  ont  repro- 

duil   très  exactement    cette    image,   < me  1'-     prouve   I  ivoire--   du  \  alican.    C  <■>!    par   les  ivoires    que 

représentation  du  Christ  .1   pénétre  en  <  ►ccident.   I.  artiste  d  Amiens  s  est  inspiré  1res  pn  bablemenl  d  un  de 
ces  ivoires,  mais  un   théologien,  qui  connaissait  [louorius  d  Aiifiiu.  lui  a  expliqué-  la  nécessité  de  repn 
comme   il  I  .1  l'ait,   i  aspic  ■■(   le  basilic.  Ces  deux   animaux  m-  figurent    pas  sous    cet   aspecl   dans   les    ivoires 
-I   Vlexandrie.  .1  .u  expliqué  loul  cela  plus  longuement  dans  un  mémo  ire  présenté  un    Congrès  a  rrhéologiq  in- 
du Caire  en    1 


62  L'ART   RELIGIEUX    DU   XIII1    SIÈCLE 

En  résumé,  nous  croyons  que  les  Bestiaires,  dont  les  archéologues  ont  tant 
parlé,  n'eurent  d'infruénce  véritable  sur  l'art,  que  le  jouroù  leur  substance  eut 
passé  dans  le  livre  d'Honorius  d'Autun,  et  de  son  livre  dans  les  sermons.  J'ai 
vainement  cherché  dans   nos  cathédrales   l'image  du   liérisson,  du  castor,  du 
paon,  du  tigre,  par  exemple,  el  de  plusieurs  autres  animaux  qui   figurent  dans 
les   Bestiaires,    mais  dont  Honorius  ne   dit  rien.  Ce   n'est  que  dans  des  cas 
assez  rares  que  les  artistes  semblent  avoir  demandé  directement  leurs  inspira- 
tions aux  Bestiaires.  A  vrai  dire,  je  ne  connais  que  deux  exemples  certains  d  une 
dérogation  à  la  règle  que  je  viens  d'indiquer.   L'un  nous  est  fourni  par  un  cha- 
piteau de  la  cathédrale  du  Mans,  qui  représente  un  hibou  entouré  de  plusieurs 
oiseaux1.  Le  sens  d'une  pareille  représentation  ne  peut  être  douteux.  Les  Bes- 
tiaires, en  effet,  nous  apprennent  que  le  hibou  a  les  yeux  faits  de  telle  sorte 
qu'il  ne  voit   pas  clair  pendant  le  jour  :    aussi,  quand   il  s'aventure  en  pleine 
lumière,    les  oiseaux   lui    donnent-ils   la    chasse.    Le    hibou  devient   ainsi   une 
image  de  l'aveuglement  du  peuple  juif  qui  a  fermé  les  yeux  au  Soleil,  et  a  été 
exposé  comme  un  objet  de   risée  au  milieu  des    chrétiens2.  Il  est  évident  que 
le    sujet  du    chapiteau  du  Mans  a  été    directement   emprunté  aux    Bestiaires. 
car    le    symbolisme    du    hibou   ne    se    trouve    pas    dans    le    Spéculum     Eccle- 
sise. 

J'ai  découvert,  sur  un  chapiteau  deTroyes,  aujourd'hui  au  muséedu  Louvre3, 
un  autre  trait  d'histoire  naturelle  légendaire,  dont  Honorius  d'Autun  n'a  pas  fait 
mention.  —  Des  oiseaux  sont  perchés  sur  un  arbre,  pendant  que  deux  dragons 
placés  à  droite  et  à  gauche  les  observent,  et  semblent  attendre  le  moment  de 
s'en  emparer.  L'arbre  est  le  péridéxion  dont  parle  le  Bestiaire*.  Ses  fruits  sont 
si  doux  qu'ils  attirent  les  colombes  qui  viennent  nicher  dans  ses  branches.  .Mais 
un  grand  danger  menace  les  oiseaux  des  qu'ils  ont  l'imprudence  de  s'écarter 
de  l'arbre,  car  un  dragon  caché  dans  le  voisinage  les  guette  pour  les  dévorer. 
Heureusement,  le  dragon  redoute  l'ombre  du  péridéxion,  si  bien  que,  quand  elle 
tombe  d'un  côté,  il  est  obligé  de  passer  de  l'autre".  Les  oiseaux  savent  donc 
toujours  où  est  leur  ennemi  et  peuvent   l'éviter.    Le    péridéxion  est  l'image  de 


1   Publié  par  Cahier,  Nom1.  Met.  d'Archéot.,  1N7  j.  |j.  iji. 

Sur  le  hibou,  voir  Best   latin,  publié  parCahicr,  Mél    Archéol.,  1.  II.  p.  17". 

Sculpture  du  moyen  âge,  n°  -  \    chapiteau  de  Saint-Urbain  de  Troyes 
•  Spic.  Solesm  .  <t>u<3!.o\6yos,  tzzoi  oâvopou  ■sEpioslîou,  p.  156. 

C  esl  pour  celte  raison  sans  doute  iju  il   \  h  deux  dragons  mu*  le  chapiteau. 


LE    MIR01  R    I>K    LA    NATURE  G; 

l'arbre  de  vie  dont  l'ombre  écarte  le  démon.   Les  oiseaux  sonl   1rs  âmes  qui  se 
nourrissent  du  fruit  de  vérité'. 

Voilà  deux  exemples  de  l'influence  directe  que  les  Bestiaires  ont  pu  exercer 
sur  l'art.  Assurément,  il  est  possible  qu'on  en  trouve  d'autres.  .Je  ne  crois  pas 
toutefois  qu'ils  soient  jamais  1res  nombreux.  L'art  religieux  du  \m"  siècle  n'a 
admis  communément  que  le  lion,  l'aigle,  le  phénix,  le  pélican,  la  licorne,  figures 
populaires  de  Jésus-Christ,  que  le  livre  d'Honorius  d'Autun  et  les  sermons  des 
prédicateurs  axaient  l'ait  connaître  au  plus  grand  nombre. 


III 


Les  animaux  que  nous  avons  étudiés  jusqu'à  présent  figurent  dans  la  cathé- 
drale à  titre  de  symboles.  La  signification  n'en  saurait  être  douteuse.  Les  textes 
d'ailleurs  nous  ont  sans  cesse  éclairés.  .Mais  nous  voici  en  présence  de  la  l'aune 
et  de  la  flore  si  riches  de  Reims,  d'Amiens,  de  Rouen,  de  Paris,  et  du  monde 
mystérieux  des  gargouilles.  V  chercherons-nous  aussi  des  symboles  ?  Quel  livre 
nous  en  expliquera  le  sens.'  Quel  texte  nous  guidera? 

Avouons-le  :  les  livres  ici  ne  nous  apprennent  plus  rien:  les  textes  et  les 
monuments  ne  concordent  plus.  En  les  rapprochant  les  uns  des  autres  on 
n'arrive  à  aucune  conclusion  certaine,  à  rien  qui  ressemble  aux  résultats  exacts 
que  nous  avons  obtenus  plus  haut. 

De  trop  ingénieux  archéologues  ont  eu.  je  le  sais,  la  prétention  de  ne  rien 
laisser  d'inexpliqué  dans  la  cathédrale.  Suivant  eux,  la  moindre  Heur,  le  moindre 
monstre  grimaçant  aurait  un  sens  que  les  théologiens  du  moyen  âge  nous  révé- 
leraient. «  Dansées  majestueuses  basiliques,  dit.  l'un  d'eux,  pas  un  détail,  pa- 
nne tète  sculptée,  pas  une  feuille  de  chapiteau  qui  ne  représente  une  pensée 
et  ne  parle  un  langage  compris  de  tous".   » 

L'abbé  A uber  l'ut  un  des  premiers  et  des  plus  notables  champions  de  celle 
école  symbolique.    Dès  r8/|7,  au  congrès  scientifique  de  Tours,  il  expo-, ni  sa 


1  Peut-être  faudrait-il  interpréter  dans  ce  sens  le  grand  chapiteau  de  Reims  [moulage  .m  I  roi  nléro 
qui  représente  des  oiseaux  au  milieu  des  branches  el  des  dragons.  La  présence  d  un  lion  el  d  une  chèvre 
rend  cette  interprétation  moins  sûre. 

-'  Rev.  île  l  Art  chrét.,  i .   \ .  p    i  i'i    article  di    l  abbé  Auber 


i,|  L'A  l!T    R  ELIG  I  EU  \    DU    XIII      S1EC  LE 

doctrine1,  qu'il  s'efforça  d'appliquer  dans  son  Histoire  de  la  cathédrale  de  Poi- 
tiers, et  qu'il  développa  dans  sa  confuse  Histoire  du  symbolisme*.  Dans  ce  Aev- 
nier  ouvrage,  il  soutient,  entre  autres  paradoxes,  que  les  modillons  sculptés, 
ornés  de  têtes  d'hommes  et  d'animaux,  qui  régnent  autour  des  églises  «In  moyen 
âge,  cachenl  le  pins  profond  enseignement  moral.  »  Ces  hôtes  sonl  là,  dit-il, 
comme  autant  de  sentinelles,  pour  crier  an  passant  de  la  vie  humaine  une  leçon 
de  verdi  :.  »  En  réalité,  l'abbé  Auber  n'a  rienétabli;  du  vague,  de  l'arbitraire, 
des  rapprochements  forcés  entre  les  monuments  et,  les  textes,  voilà  tout  <•<■ 
qu  on  I rouve  dans  son  livre. 

.M""'  Félicie  d'Ayzac  Int.  pins  ingénieuse.  Dans  son  Mémoire  sur  trente- 
deux  statues  symboliques  observées  dans  1rs  parties  liantes  des  tourelles  de 
Saint-Denis  ',  (die  lit  des  textes  l'usage  le  pins  habile.  Les  statues  de  Saint-Denis 
sont  des  monstres  hybrides  :  .M"'"  Félicie  d'Ayzac  les  décompose  en  leurs  élé- 
ments :  lion,  chèvre,  bouc,  cheval;  puis,  ai  niée  du  dictionnaire  mystique  de  saint 
Eucher  on  de  Raban  Maur,  elle  en  découvre  le  sens  moral.  Chacun  de  ces  mons- 
tres devient  donc  l'expression  d'un  curieux  cas  psychologique.  Ce  sont  autant 
d  états  d  aines,  autant  d'heureuses  s  vu  thèses  des  passions  qui  peuvent  cohabiter 
dans  une  conscience. 

.M"'    Félicie   d'Ayzac   crut  avoir  trouva''  une  méthode  et  créé  la  science  du 

symbolisme.  En  réalité,  elle  ne  démontra  qu'une  chose,  c'est  «pie  jamais  nos 

vieux  artistes  ne  lurent  aussi  subtils  nue  leurs  exéffètes  modernes.  Ouelle  vrai1 

i  o  * 

semblante  qu'ils  aient  voulu  l'aire  dire  tant  tic  choses,  et  des  choses  si  déli- 
cates, a  des  figures  qu'on  ne  peut  apercevoir  d'en  bas  qu'avec  une  bonne 
lorgnette  ! 

M Félicie  d'Ayzac,    nourrie   de   la   littérature   théologique  du   xn     siècle, 

qu'elle  possédait  parfaitement,  chercha  toute  sa  vie.  sur  la  loi  des  docteurs,  les 
symboles  les  plus  compliqués  dans  les  œuvres  d'art  les  plus  simples.  Elle 
donna  à  la  lleeue  de  l'Art  chrétien  une  foule  d'articles  ingénieux  et  stériles5. 
Elle  mourut  sans  avoir  eu  le  temps  de  terminer  le  Traité  de  symbolique  qu'elle 

1   Congrès  scientifiques  de  France,  i5'  session,  Tours,  i S  ; 7 .  1.  I.  p.  10a,  el  1    II.  p.  85. 

•'  Histoire  de  /<<  cathédrale  tir  Poitiers,  Poitiers,  1849,  in-8;  et  Histoire  ri  théorie  du  symbolisme  reli- 

:,irn  1     Paris,   1871,   i  Mil.  in-S. 

llist.  du  symhol  .  1.  III.  p.  1-27. 
1   Publié  dans  la  Revue  d'architecture  de  Dalj ,  t.  VII,  p.  6  et  suiv. 
M  ""    1     a  Ayzac  n  ;i  écrit  que  deuN  mémoires  qui  demcurenl  :  les  Statues  du  porche  septentrional  de 
(  liai  lus  il  I  Etude  sur  1rs  quatre  animaux  mystiques. 


LE    MIROIR    DE    LA    KATURE  65 

préparait  depuis  de  longues  années  '.   Elle  n'y  eut  sans  doute  rien  démontré  de 

ce  qu'elle  affirmait,  mais  elle  eût  donné  une  preu\  e  nouA  elle  de  son  ingéniosité. 

Le  P.  Cahier,  qui  appliquait  d'ordinaire  aux  études  archéologiques  un  esprit 

si  rigoureux,  ne  sut  pas,  lui-même,  résister  à  la  tentation  d'expliquer  l'inexpli- 
cable. Dans  un  volume  de  ses  Nouveaux  Mélanges  d'Archéologie  consacré  aux 
"  Curiosités  mystérieuses  »,  il  essaya  d'interpréter,  à  l'aide  des  Bestiaires  ou 
des  textes  théologiques,  des  œuvres  qui    ne  sont  que  des  fantaisies  d'artistes. 

Le  comte  de  Bastard  donna  dans  le  même  travers  en  écrivant  ses  Etudes  rie 
symbolique  chrétienne  "'. 

Ainsi  les  archéologues  les  plus  érudits  et  les  plus  sensés  n'échappèrent  pas 
à  la  manie  symbolique.  Que  dire  des  esprits  aventureux  qui  concilie  ut  l'archéologie 
comme  une  œuvre  d'imagination  .'  Ils  contribuèrent  par  leurs  articles  et  leurs 
mémoires  à  discréditer  ce  genre  d'étude.  Didron,  de  Caumont  avaient  fait  de 
l'archéologie  une  science  exacte,  ils  en  lirent  un  roman. 

Leur  point  de  départ  pourtant  était  juste.  Ils  virent  très  bien  que,  pour  les 
grands  esprits  du  moyen  âge,  le  inonde  ne  lut  qu'un  symbole.  Mais  ils  eurent 
le  tort  de  croire  que  les  artistes  enfermèrent  dans  leurs  moindres  œuvres  une 
conception  symbolique  du  monde.  Sans  doute,  ils  le  lirent  quelquefois  et  sui- 
virent avec  docilité  les  enseignements  qu'ils  recevaient  :  les  exemples  que  nous 
avons  donnes  plus  haut  le  prouvent.  Mais,  la  plupart  du  temps,  ils  se  contentè- 
rent d'être  des  artistes,  c'est-à-dire  de  reproduire  la  réalité  pour  leur  plaisir. 
Tantôt  ils  imitaient  avec  amour  les  formes  vivantes,  et  tantôt,  se  jouant  avec 
elles,  ils  les  combinaient  et  les  déformaient  selon  leur  caprice. 

Il  est  surprenant  que  le  fameux  passage  de  saint  Bernard  sur  le  luxe  des 
églises  clunisiennes  n'ait  pas  lait  réfléchir  les  trop  subtils  interprètes  de  l'art 
du  moyen  âge. 

Saint  Bernard,  en  se  promenant  dans  les  cloîtres  magnifiques  de  l'ordre  de 


1   Voit-  un  fragmenl  du  travail  inachevé  de  M F.  'I  Ayzac  d:\n-~  la  Revue  de  l'Art  chrétien,   [S 

ri  suiv  :  De  lu  Zoologie  composite. 

-  Comte  île   Basfard,    Eludes   de  symbolique  chrétienne.  Paris,    Imprim.  Imp.,   18C1,    in  S.  el    dans  le 
Bulletin  du  Comité  de  la  langue,  de  l'histoire  et  des  arts  d(  /"  Fiance    S.-.: .  d'ardu     I.  .  i .  IV.   1861 

:   Voir,  par  exemple,  dans  la  Revue  de  l'art  chrétien    1 S7IV.  1.  X  I  \  ,  un  article  sur  la  1  tore  numcntale 

ilu  cloître  de  Moissac.  Chaque  fleur  sculptée  esl   censée  représenter  une  vertu,  une  idée    Un  chapiteau 
sacré  .1  saint  Jacques  el  à  sainl  Jean  esl  orné  de  fleurs  à  cinq  lobes  :  l'auteur  se  demande      -i  ce  ne  sérail 
pas  la    représentation    îles  cinq   étapes   que  traversa   chacun  des  deux  frères         A  l'éti  lit   une 

méthode  d'interprétation  presque  aussi  aventureuse.  Voir  Mcnzcl,  Christliche  Symholilt.   R    gensburg,  i85.j, 
2  vol.   in-8. 


66  L'ART    RELIGIEUX    DU    XIII     SIÈCLE 

Cluny,  avait,  lui  aussi,  contemplé  les  animaux  ci  les  monstres  qui  ornaient  les 
chapiteaux,  et,  bien  avant  nous,  il  s'était  demandé  ce  qu'ils  pouvaient  signifier  : 

n  Dans  les  cloîtres,  dit-il,  sous  les  yeux  des  frères  qui  lisent,  que  viennent 
faire  ces  monstres  ridicules..  .,  que  signifient  ces  singes  immondes,  ces  lions 
sauvages,  ces  centaures    monstrueux?  Que  viennent  faire  ces  êtres  qui  sont 

moitié  bête  et  moitié  homme,   ces  tigres  tachetés? On   peut  voir  plusieurs 

corps  sous  une  seule  tète  et  aussi  plusieurs  têtes  sur  un  seul  corps.  Ici.  on 
remarque  un  quadrupède  a  tète  de  serpent,  la,  un  poisson  à  tête  de  quadrupède, 
ailleurs,  un  animal  est  cheval  par  devant,  chèvre  par  derrière  ..  .  De  -race,  si 
on  ne  rougit  pas  de  semblables  inepties,  qu'on  regrette  au  moins  la  dépense 

Que  deviennent  les  fines  analyses  de  M"'  d'Ayzac?  Saint  Bernard,  on  le 
voit,  fut  moins  pénétrant  que  notre  ingénieuse  contemporaine;  il  ne  sul  pas 
reconnaître,  dans  ces  mélanges  de  formes  hybrides,  les  plus  délicates  nuances 
îles  passions.  Le  grand  mystique,  l'interprète  du  Cantique  des  Cantiques,  le 
sermonnaire  (pu  ne  parle  que  par  symboles,  avoue  ne  pas  comprendre  les 
bizarres  créations  des  artistes  de  son  temps.  Et  il  ne  les  déclare  pas  seulement 
incompréhensibles,  il  affirme  qu'elles  sont  dangereuses,  parce  qu'elles  arra- 
chent l'âme  à  elle-même,  «  l'empêchent  de  méditer  sur  la  loi  de  Dieu  ».  --  Un 
pareil  témoignage  tranche  la  question.  11  est  évident  que  la  faune  et  la  flore  du 
moyen  âge,  réelles  ou  fantastiques,  n'ont,  la  plupart  du  temps,  (pi  une  valeur 
décorative. 

Comment  d'ailleurs  en  serait-il  autrement.'  Au  temps  de  saint  Bernard, 
c'est-à-dire  en  pleine  époque  romane,  les  fleurs  et  les  animaux  qui  ornent  les 
cloîtres  et  les  églises  sont  la  plupart  du  temps  des  copies  d'originaux  antiques, 
byzantins,  orientaux,  que  l'artiste  reproduisait  sans  en  comprendre  le  sens. 
Lait  décoratif  (\n  moyen  âge  .1  commencé  par  l'imitation.  Ces  prétendus  sym- 
boles ont  été  souvent  sculptés  d'après  le  dessin  d'une  étoffe  persane  ou  d  un 
tapis  arabe. 

A  mesure  (pi  on  l'étudié  mieux,  lait  décoratif  du  xi  et  du  xn  siècle  appa- 
raît de  plus  en  plus  comme  un  art  composite  qui  vit  d'emprunts.  Les  multiples 
éléments  dont  il  est  fait  commencent  a  se  laisser  entrevoir.  Les  chapiteaux 
romans  nous  montrent  fréquemment,  par  exemple,  (\ciix  lions  disposes  symétri- 
quement  de  chaque  cote   d'un   arbre   ou   d'une    Heur.   Irons-nous,    avec  l'abbé 

1  Apolugia  ad  Guilh.  Sancli  Theodorici  abbat.,  ch.  \i.  Patrol.,  1.  CLXXXII,  col.  916. 


LE    Ml  lin  I  K    DE    LA    NATURE  C- 

Auber,  en  chercher  le  sens  dans  les  livres  des  théologiens  du   m    siècle?  

Nous  perdrions  notre  temps,  car  ces  Acux  lions,  M.  Lenormant  l'a  prouvé,  ont 
été  copiés  sur  quelque  étoffe  fabriquée  à  Constantinople  d'après  de  vieux 
modèles  persans.  Ce  sont  les  deux  animaux  qui  veillent  sur  le  ho  m,  l'arbre  sacré 
de  l'Iran1.  Les  tisserands  byzantins  n'en  savaient  déjà  pins  le  sens  cl.  n'\ 
voyaient  qu'un  dessin  industriel  d'une  disposition  heureuse.  Quant  à  nos  sculp- 
teurs du  xiie  siècle,  ils  imitaient  les  figures  du  tapis  byzantin  apporté  en  France 
par  les  marchands  île  Venise,  sans  se  douter  qu'elles  pussent,  avoir  une  signifi- 
cation quelconque. 

Des  chapiteaux  sont  ornes  parfois  d'un  griffon  qui  boit,  dans  une  coupe.  \e 
serait-ce  pas  là  quelque  symbole  eucharistique?  Le  griffon,  être  double,  qui  par- 
ticipe de  la  nature  du  lion  et  de  la  nature  de  l'aigle,  ne  cacherait-il  pas  quelque 
mystérieuse  allusion  à  Jésus-Christ.' —  Non.  Le  griffon  à  la  coupe  est  un  vieux 
motif  décoratif,  cher  à  tous  les  peuples  de  race  germanique.  Il  orne  un  assez. 
grand  nombre  d'agrafes  et  de  boucles  de  ceinturons  qui  ont  été  retrouvées 
surtout  dans  les  tombes  burgondes2.  Quelques  œuvres  de  celte  orfèvrerie  bar- 
bare, qui  s'étaient  conservées  jusqu'au  x'  ou  au  xie  siècle,  ou,  peut-être, quelques 
anciens  chapiteaux  sculptés  au  vie  ou  au  vu''  siècle  d'après  ces  boucles  et  ces 
agrafes,  ont  servi  de  modèles  aux  altistes  romans. 

Ailleurs,  un  montant  de  porte  est  lait  d'oiseaux,  de  monstres  et  d'hommes 
qui  se  poursuivent,  s'attaquent  et  se  dévorent3.  Quelle  vérité  l'artiste  a-l-il 
prétendu  nous  révéler  par  là .'  A-t-il  voulu  dire  que  la  lutte  est  la  loi  du  monde? 
(  )u  bien,  ces  monstres  figureraient-ils,  dans  sa  pensée,  l'armée  des  vices  que 
tout  homme  doit  combattre  jusqu'à  la  mort?  —  Le  vieux  sculpteur  ne  fui  sans 
doute  pas  si  littéraire.  Il  avait,  simplement  sous  les  yeux,  dans  quelque  manus- 
crit, un  de  ces  dessins  anglo-saxons  que  les  miniaturistes  anglais,  amenés  a 

1  M .  Lonormant,  dans  un  article  des  Mélanges  d'archéologie  do  Martin  et  Gabier  i  "  série),  .1  mis  relte 
interprétation  hors  de  doute.  Springer,  dans  ses  feonogr.  Studicn,  a  montré,  lui  aussi, qne  les  dessins  des 
étoffes  avaient  souvent  servi  <!<■  modèles  aux  sculpteurs:  voir  Mittlieil.  der  h.  h.  Centraicommission.  Wirn, 

[860,  t.  V.  |>   66  et  suiv.  Plus  récem ni  C 'ajod,  dans  les   Leçons  professées    à  l'école   </»    (.ouvre,   1.  I. 

|i.    i  1 1 ,  ■■!   M.  Marquet  de  Vasselot,  dans  Y/Iist.  de  I  art,  publiée  sous  la  direction  il.'  M.  André  Micbi  I.  1     I . 
I».    '»i|  '  et  p.  882,  ont  étudié  I  influence  des  modèles  orientaux  sur   I  ;irt  du  moven 

-   Voir  sur  l'art  '1rs  Barbares  :  Lindenschmitt,  Die  Altertliiïmer  unserer  heidnischen    Vorzeit    iS'»s 
l><    Baye,   l'Industrie  longobarde     iSss    ,■!  ï Industrie  anglo-saxonne     [889  .         Barrière  I  lavv,   Etude  sur 
1rs  sépultures  barbares  du  midi  et  de  l  ouest  de  la  France    189'i  ,  et  surtout,  Les  arts  industriels  des  peuples 

barbares  de  la   Gaule,  Toulouse  cl  Paris,   ■  vol.  in-fol.  Les  Burgondes  devenus  cb retiens  on I   parfois 

place  m roix  ou  un  ebrisme  sur  la  croupe  du  griffon,  mais  cette  addilio saurait  donner  au  griffon  à  la 

coupe  l.i  moindre  signification  mystique. 

Par  exemple,  .1  l  église  de  Souillac     Loi  ;  moulage  au   I  roeadéro 


68  L'ART   RELIGIEUX    DU   XIII»   SIECLE 

Tours  par  Alcuin  en  796,  contribuèrent  à  répandre  dans  toute  l;i  Gaule.  Les 
miniatures  anglo-saxonnes  sont  d'étonnantes  arabesques,  d'inextricables  réseaux 
où  se  poursuivent  les  monstres  et  les  guerriers,  comme  au  travers  de  la  foré! 
primitive1.  Les  moines  anglais  du  vi°  siècle,  qui  créèrent,  dans  un  demi-rêve, 
cel  art  décoratif  si  étrange,  étaient  des  chrétiens  de  la  veille  qui  portaient 
encore  en  eux  tout  le  vieux  paganisme  obscur  des  races  germaniques.  Les 
anciens  monstres  vivaient  dans  les  couches  profondes  de  leur  âme.  Sous  leur 
plume  renaissaient,  sans  qu'ils  y  songeassent,  les  serpents  fabuleux  qui  habi- 
taient  les  marais,  les  dragons  ailés  qui  gardaient  les  trésors  dans  les  bois  et 
les  défendaient  contre  les  héros.  Toute  une  mvthologie  inconsciente  reparait 
dans  leurs  manuscrits '. 

Les  enroulements  d'hommes  et  de  monstres  créés  par  le  génie  des  moines 
anglo-saxons  passèrent  dans  les  manuscrits  français  et  régnèrent  dans  l'art  du 
miniaturiste  jusqu'à  la  fin  du  xn"  siècle.  Les  sculpteurs  romans,  qui  emprun- 
tèrent si  souvent  leurs  modèles  aux  enlumineurs,  imitèrent  ces  vivantes  ara- 
besques. Ils  furent  séduits  par  la  seule  complication  des  lignes,  car  ces  rêves 
vagues  d'une  autre  race,  d'un  autre  monde,  n'avaient  plus  de  sens  pour  eux. 

Voilà  quelques  exemples  qui  peuvent  faire  comprendre  combien  il  est  vain, 
à  l'époque  romane,  d'interpréter  tout  animal,  toute  fleur  dans  un  sens  symboli- 
que. Reconnaissons  que  saint  Bernard  avait  raison  et  ne  soyons  pas  plus  subtils 
que  lui.  Le  vrai  symbolisme  tient  assez  de  place  dans  l'art  du  moyen  âge,  pour 
que  nous  n'allions  pas  le  chercher  là  où  il  n'est  pas. 

On  peut  objecter  que  saint  Bernard  ne  parle  que  de  l'art  de  sou  temps,  cl 
que  ce  cpii  est  vrai  de  l'art  roman  ne  l'est  peut-être  pas  de  l'art  gothique.  Car. 
si  l'art  décoratif  du  xie  siècle  est  un  art  composite  où  se  combinent  des  éléments 
de  toute  provenance,  l'art  décoratif  du  xuie  siècle,  en  revanche,  est  un  art  par- 
faitement  original.   Dans   les  cathédrales   apparaissent  une   faune  et  une  flore 

1  Voir  sur  les  miniatures  anglo-saxonnes  :  Weslwood,  Fm-  similes  <if  the  miniatures  and  ornaments 
ofanglo  saxon  andirish  Manuscripts    iSf„s  ,  el  1  Album  publié  parla  Pakeographical Society. 

-   Les  artistes  de  race  germanique    reproduisirent    parfois   très  conscie lenl   des  épisodes  de   leurs 

anciens  récits  épiques,  dont  le  souvenir  était  encore  vivant.  Dans  la  crypte  de  la  cathédrale  de  Frisingue 
Bavière  .1  été  sculptée,  sur  un  pilier,  I  histoire  de  Siegfried  luttant  contre  le  dragon  Fafnir  et  délivrant 
la  Walkyrie.  On  voit  sur  son  épaule  la  feuille  de  tilleul  <|ni .  en  tombant  sur  lui,  l'empêcha  d'être  tout  à  fait 
invulnérable  quand  il  se  haigua  dans  le  sang  •  1  •  ■  dragon.  Les  oiseaux  qui  guidèrent  le  héros  sont  aussi  repré- 
seni<  5ui  l  chapiteau.  Voir  un  article  du  P.  Mail  in  dan-  les  Mélanges  d'archéologie,  t.  III,  p.  i63  cl 
suiv.  Le  P.  Martin  a  d'ailleurs  beaucoup  exagéré  les  influences  germaniques  ou  Scandinaves  qu'il  vou- 
lait, dans  ses  dernières  années,  retrouver  partout,  lia  été  combattu  par  Springer,  Ikonogi  Sludien;  Mit- 
theil.  der  Centrale,  \  .  p,  I09. 


LE    MIROIR    DE    I.A    NATUK  I'.  ..,, 

nouvelles.  Des  êtres  inconnus  surgissent,  qu'on  ne  peut  rattacher  au  passé, 
comme  au  lendemain  des  gran- 
des révolutions  géologiques. 
On  croit  voir  une  autre  époque 
de  la  nature.  Sans  modèles, 
les  sculpteurs  gothiques  ont 
créé  ce  monde  par  un  effort  de 
volonté.  Pourquoi  n'auraient- 
ils  pas  mis  dans  chacune  de 
leurs  créations  une  pensée  et 
un  symbole? 

Arguments  spécieux,  mais 
qui  ne  résistent  pas  à  l'examen. 
Quiconque  étudiera,  sans  parti 
pris,  la  faune  et  la  flore  déco- 
ratives du  xme  siècle,  n'y  verra 
iprunc  œuvre  d'art  pur.  Au- 
cune idée  dans  cet  art  char- 
mant, mais  un  tendre  et  pro- 
fond amour  de  la  nature.  Les 
sculpteurs  du  moyen  âge, livrés 
à  eux-mêmes,  ne  s'embarras- 
saient plus  de  symboles  :  ils 
redevenaient  peuple,  ils  regar- 
daient le  monde  avec  des  veux 
émerveillés  d'enfant. 

Voyez-les  créant  la  magni- 
fique flore  du  xm°  siècle.  Ils  ne 
cherchent  pas  à  lire,  dans  les 
jeunes  fleurs  du  mois  d'avril,  le 
mystère  de  la  Chute  et  de  la 
Rédemption  .  Aux  premiers 
jours  du  printemps,  ils  vont  dans  les  forêts  de  l'Ile-de-France,  on  d'humbles 
plantes  commencent  à  percer  la  terre.  I.a  fougère,  enroulée  sur  elle-même 
comme    un    puissant    ressort,  esl    encore   couverte    d'une    bourre  cotonneuse, 


Fig.  ig. —  lige  do  cressou    Volrc-Damu  de  l'ai   - 


7o  L'ART   RELIGIEUX    DU   XIII     SIECLE 

mais,  le  long  des  ruisseaux,  l'arum  est  déjà  près  de  s'épanouir.  Il>  cueillent 
les  bourgeons,  les  feuilles  qui  vont  s'ouvrir,  et  les  regardent  avec  cette 
curiosité  tendre  et  passionnée  que  nous  ne  sentons  que  dans  la  première 
enfance  cl  que  les  vrais  artistes  conservent  toute  leur  vie.  Les  lignes  puis- 
santes de  ces  jeunes  plantes,  qui  se  tendent  et  aspirent  à  être,  leur  semblent 
pleines  île  grandeur  par  l'énergie  concentrée  qu'elles  expriment,  vraiment  monu- 
mentales. D'un  bourgeon  qui  va  s'entr'ouvrir,  ils  feront  le  fleuron  qui  termine 
un  pinacle.  Des  pousses  qui  sortent  de  terre,  ils  orneronl  la  corbeille  d'un  cha- 
piteau. Les  chapiteaux  de  Notre-Dame  de  Paris,  surtout  les  plus  anciens,  sont 
faits  de  ces  feuilles  printanières,  tout  engorgées  déjeune  sève,  qui  semblent 
vouloir,  dans  leur  élan,   soulever  les  tailloirs  et  les  voûtes. 

Yiollet-le-Due,  dans  un  très  bel  article  de  son  Dictionnaire*,  a  remarqué,  le 
premier,  que  Fart  gothique,  à  son  aurore  (vers  ri 80),  imite  de  préférence  les 
bourgeons  et  les  feuilles  enveloppées  du  commencement  du  printemps2.  L'im- 
pression de  jeunesse,  de  puissance  contenue  que  donnent  les  plus  anciennes 
cathédrales,  Sens,  Laon,  le  chœur  de  Notre-Dame  de  Paris,  vienl  en  partie  de 
là.  Au  cours  du  mm''  siècle,  les  bourgeons  éclatent,  les  feuilles  se  développent. 
Des  la  lin  du  xme  siècle,  et  pendant  tout  Iexive,  ce  sont  des  branches  entières, 
des  tiges  de  rosiers,  des  jets  de  vigne  qui  courent  autour  des  portails.  De 
sorte  que  la  flore  de  pierre  du  moyen  âge  semble  soumise  aux  lois  mêmes  de 
la  nature.  Les  cathédrales  ont  leur  printemps,  leur  été,  et,  quand  apparaît  le 
triste;  chardon  du  xv°  siècle,  leur  automne. 

Pendant  ces  trois  siècles,  il  est  impossible  de  surprendre  une  seule  intention 
symbolique.  Les  feuilles  ou  les  fleurs  sont  choisies  pour  leur  beauté.  L'art  du 
xii°  siècle  aime  les  bourgeons,  lait  du  mu"  préfère  les  feuilles.  Ce  sont  des  feuilles 
simplifiées,  mais  non  déformées  ;  la  structure  intime  et  l'allure  générale  en  sonl 
respectées  (fig.  19).  Il  est  facile  d'en  reconnaître  un  grand  nombre.  Des  érudits, 
qui  furent  à  la  fois  archéologues  et  botanistes,  ont  signalé  le  plantain,  l'arum,  la 
renoncule,  la  fougère,  le  trèfle,  la  chélidoine,  l'hépatique,  l'ancolie,  h'  cresson,  le 
persil,  le  fraisier,  le  lierre,  la  Heur  du  muflier  et  du  genêt,  la  feuille  du  chêne3. 


1   Dict.  raisonné  de  l'architect.  Article  Flore,  1.  V,  p.  s85. 
Cela  est  très  sensible  à  La  cathédrale  de  Laon 

::  Voir,  mil  re  l'article  de  Viollet-le-Duc  déjà  cite  :  1)'  Woillez,  Iconographie  des  plunirs  aroïdes  figurées 
an  moyen  âge  en  Picardie.  Amiens,  iSPS  i.  [Xdela  Société  des  antiquaires  de  Picardie]  :  Lambin,  lu  Flore 
gothique,  Paris,  iS.|  i.  in-8    les  Eglises  des  environs  tir  /'mis,  étudiées  au  /mini  de  vue  de  lu  flore.   Paris, 


LE    MI  ROUI    DE    LA    NATURE  :, 

Flore  toute  française,  comme  on  le  voit,  fleurs  aimées  des  l'enfance.  Xos 
grands  sculpteurs  ne  méprisèrent  rien;  au  fond  de  leur  art,  comme  au  fond  de 
tout  art  vrai,  on  trouve  la  sympathie,  l'amour.  Ils  pensèrent  que  les  plantes  des 
prés  et  des  bois  de  Champagne  ou  de  l'Ile-de-France  avaient  assez  de  noblesse 
pour  orner  la  maison  de  Dieu.  La  Sainte-Chapelle  est  pleine  de  renoncules'.  La 
fougère  des  landes  du 
Berri  apparaît  aux  chapi- 
teaux de  la  cathédrale  de 
Bourges.  Le  plantain,  le 
cresson,  la  ehélidoine  en- 
guirlandent Notre-Dame 
de  Paris2.  Les  sculpteurs 
du  xme  siècle  chaulèrent 
eux  aussi  leur  «  chant  de 
Mai  ».  Par  eux,  toutes  les 
joies  printanières  du 
moyen  âge,  l'ivresse  de 
Pâques  fleuries,  les  cha- 
peaux de  Heurs,  les  bou- 
quets attaches  aux  por- 
tes, les  fraîches  jonchées 
d'herbes  dans  les  cha- 
pelles, les  fleurs  magiques 
de  la  Saint-Jean,  toute  la  grâce  éphémère  des  anciens  printemps  et  des  an- 
ciens étés,  revivent  à  jamais.  Ainsi,  le  moyen  âge,  qu'on  a  accusé  de  ne  pas 
avoir  aimé  la  nature,  a  contemplé  avec  adoration  le  moindre  brin  d'herbe. 
Qui  saura  jamais  toutes  les  raisons  pour  lesquelles  les  artistes  du  xim  siècle 
choisirent  telle  fleur  ?  L'une  charmait  par  sa  beauté  et  ses  formes  fières,  I  autre 
rappelait  les  jours  heureux  d'une  libre  enfance,  et  l'autre  était  la  fleur  du  pays, 
l'emblème  de    toute    une  province.    Les    Bourguignons,   à   Semur,  à    Auxerre, 


v  J> 


I  ig.  20.  —  Doux  perroquets 
Album  i!c  Villard  de  Uonnecourt). 


1893,  in-8  ;  lu  Flore  des  grandes  cathédrales  de  France.  Paris,    [897,  in  s    Bibliothèque  de  la  Seiii 
constructeurs  . 

1   Lambin,  La  Flore  gothique. 

-  De  beaux  exemples  de  la  llore  du  moyen  âge  se  trouvi  ni  dans  Adams,  Recueil  de  sculptures  gothiij 
Paris,  i856. 


7i  L'A  HT   RELIG]  EUX    1)1     XIII1    SI  ECLE 

firent  grimper  la  vigne  autour  des  portails.  Chacun  mettait  dans  son  œuvre  un 

peu  de  son  cœur.  Je  croirais  volon- 
tiers aussi  que  d'antiques  supers- 
titions païennes  s'épanouissent 
aux  chapiteaux  avec  pins  d'une 
fleur.  Est-ce  un  hasard  si  l'arum  le 
gouet  montre  sa  large  feuille  dans 
tant  d'églises  ?  Le  docteur  Woillez 
sentit  le  premier  que  celle  fleur, 
si  chère  aux  pins  anciens  sculp- 
teurs gothiques,  avait  élé  choisie 
pour  ses  vertus  mystérieuses  '. 
Elle  est  maintenant  encore,  pour 
les  paysans  de  la  \  allée  de  l'Oise, 
un  emblème  de  fécondité;  elle 
servait  jadis  aux  incantations  et 
aux  sortilèges.  11  faut  nous  rési- 
gner à  ignorer  les  singulières  asso- 
ciations d'idées  qui  se  faisaient 
dans  la  lète  du  peuple.  Le  temps 
les  a  presque  toutes  effacées  au- 
jourd'hui. Contentons-nous  d  affir- 
mer que  le  symbolisme  savant  des 
théologiens  ne  fut  pour  rien  dans 
le  choix  de  la  flore  «lu  moyen  âge. 
Les  artistes,  lies  surveillés  quand 
ils  devaient  exprimer  la  pensée 
religieuse  de  leur  temps,  furent 
laissés  libres  d'orner  la  cathédrale, 
à  leur  guise,  d  innocente-  Heurs. 
Heureuse  liberté:  combien  leur 
naïf    amour    de     la    nature     nous 

louche    plus   (pie    le    symbolisme    des  clercs,    noble  sans  doute,   niais   stérile. 


i-ig. 


•.m.  —    Animaux    fantastiques 
i  Nolri  -II. il'-   Paris)  . 


\\  oillez,  loc.  cit. 


LE   MI  ROI  R    DE    LA    NATURE 


:'■ 


Ces  artistes  ingénus  sculptèrent  des  animaux  comme  ils  sculptèrcnl  des 
(leurs,  sans  autre  pensée  que  d'exprimer  un  des  aspects  du  monde.  Abstraction 
faite  des  exemples  très  précis  que  nous  avons  cités  plus  haut,  où  l'influence 
d'Honorius  d'Autun  et  des  Bestiaires  est  incontestable,  on  peut  affirmer  que 
les  animaux  de  l'église  gothique  n'ont  pas  plus  de  valeur  symbolique  que  ceux 
de  l'église  romane. 

La  cathédrale  de  Lyon  nous  montre,  dans  les  petits  médaillons  qui  tapissent 
les  soubassements  du  portail,  un  grand 
nombre  de  bêles  des  champs  et  des 
bois.  Ce  sont  deux  poulets  qui  se  grat- 
tent, une  patte  enfouie  sous  les  plu- 
mes1; c'est  un  écureuil  qui  sautille 
parmi  des  branches  de  noisetier  où 
pendent  des  noisettes  -  ;  plus  loin,  un 
corbeau  se  perche  sur  un  lapin  mort3; 
un  oiseau  pécheur  enlève  dans  son  bec 
une  anguille  ':  un  escargot  chemine  sur 
des  feuilles  :  ;  une  tête  de  pore  se 
montre  entre  des  branches  de  chêne". 
Tous  ces  animaux  ont  été  regardes 
d'un  œil  attentif,  surpris  dans  leur  geste  familier.  On  reconnaît  en  nos  artistes 
du  moyen  âge  des  observateurs  pleins  de  finesse  et  de  bonhomie,  proches  pa- 
rents îles  trouvères  qui  dessinèrent  d'un  trait  si  juste  la  silhouette  de  Renaît 
et  d'Isengrin.  Ce  sont  des  animaliers  à  la  manière  de  ha  Fontaine. 

Qu'ils  aient  aimé  à  regarder  les  bêles,  qu'ils  aient  pris  plaisir  a  les  étudier 
d'après  nature,  \  Album  de  \  illard  de  Honnecourt  le  prouve.  <  )n  sait  qu  un  heu- 
reux hasard  nous  a  conservé  le  livret  où  un  architecte  du  \nr  siècle,  qui  lui 
laineux,  puisqu'il  fut  appelé  jusqu'en  Hongrie,  notait  tout  ce  qu  il  rencontrait 
de  remarquable  sur  son  chemin".   L'âme  excellente  du   \ieux   maître    se   révèle 


Fis 


La  .Mer  (Notre-Dame  de  Paris). 


'.Reproduits  dans  la  Monographie  </<■  lu  cathédrale  tir  Lyon  de  Guigue  i  i   Lî <     ulo,        série,  pi.  I.  B    1. 

-'  Ibid.,   l'   série,  pi.  1,  B.   >. 

'■  Ibid.,   'y  série,  pi.    1,  B.    >. 

•  Ibid.,  a0  sci  ii',  pi.  IV.  1!    *). 

;'  Ibid '..   >  série,  pi.   I.  A     !. 

6  Ibid.,  >'  série,  pi.  IV,  A    I. 

'  Album  Je  Villard  de  Honnecourt,  publié  par  Lassus     Paris,  luipriru    Itnp  .  1 858,  in 


-\  L'ART    RELIGIEUX    DU    Mil'    SIÈCLE 

des  les  premières  lignes.  «  Villard  de  Honnecourt,  dit-il  en  son  rude  dialecte 
picard  qu'il  faut  traduire,  vous  salue,  et  prie  tous  ceux  qui  travaillent  aux  divers 
genres  d'ouvrages  contenus  en  ce  livre,  de  prier  pour  son  âme  et  de  se  sou- 
venir de  lin.  »  Cet  homme  si  occupé,  qui  élève  la  collégiale  de  Saint-Quentin, 
qui  parcourt  la  France  et  la  Suisse  en  dessinant  sur  son  album  les  tours  de  Laon, 
les  fenêtres  de  Reims,  le  labyrinthe  de  Chartres,  la  rose  de  Lausanne,  qui  s'en 
va  aux  extrémités  du  monde  chrétien  bâtir  des  églises,  trouve  le  temps  d'étu- 
dier les  volutes  tic  la  coquille  d'un  limaçon  '.  Sur  une  autre  page,  il  dessine 
d'après  nature  un  ours  et  un  beau  cygne  dont  le  cou  se  recourbe  avec  grâce2. 
Ailleurs,  il  a  étudié  avec  application  une  sauterelle,  un  chat,  une  mouche,  une 
libellule,  une  écrevisse  "\  Quelque  grand  seigneur  l'ayant  admis  un  jour  à  visiter 
sa  ménagerie,  il  en  profite  pour  »  contrefaire  »,  comme  il  dit,  un  lion  enchaîné 
et  deux  perroquets  sur  leur  perchoir  (fig.  20).  11  ne  veut  pas  que  nous  igno- 
rions cpie  le  lion  a  été  lait  d'après  nature  :  «  Et  bien  saciés,  dit-il.  que  cil  lion 
lut  contrefais  al  vif  '.    » 

Le  goût  de  l'observation  se  retrouve  chez  tous  nos  grands  sculpteurs  ano- 
nymes  cl  1 1  xni     siècle.   Ils    sculptent  tout    un     monde    d'oiseaux    et  d'animaux 
.pour  le  plaisir  de  reproduire  la  nature  vivante. 

Peut-être  eurent-ils  parfois  le  désir  de  glorifier  quelques-uns  de  leurs  bons 
compagnons,  A  Laon,  presque  au  sommet  des  tours,  seize  grands  bœufs  dres- 
sent leurs  silhouettes  colossales.  La  tradition  veut  que  ces  farouches  statues 
aient  été  destinées  à  éterniser  le  souvenir  des  bœufs  infatigables  qui,  pendant 
tant  d'années,  transportèrent  de  la  plaine  au  sommet  de  l'acropole  de  Laon  les 
pierres  de  la  cathédrale.  Une  légende,  racontée  par  Guibert  de  Nogent,  semble 
fortifier  la  tradition  locale'.  Il  nous  dit  qu'un  jour,  un  des  bœufs  qui  traînaient 
sur  la  pente  de  la  montagne  un  chariot  plein  de  matériaux  destines  à  l'église, 
tomba  sur  le  chemin,  épuisé  de  fatigue.  Le  conducteur  était  fort  empêché  de 
continuer  sa  route,  quand  un  autre  bœuf  apparut  soudain  et  se  présenta  pour 
être  attelé.  Le  char  put,  de  la  sorte,  arriver  jusqu'au  sommet;  la  tâche  termi- 
née,   le  bœuf  mystérieux  disparut.  Une  semblable  légende  montre  bien  que  le 

1  Album  de  Villard  de  Honnecourt,  pi.  III 

2  Ibid.,  pi.  VI. 

::  Ibid.,  pi.  XIII. 

'  Ibid.,  pi.  XLVI  e1  L. 

-  Guiberl  de  Nogent,  De  yita  sua,  liv.  III,  ch.  mu.  Patrol.,  t.  CLVI,  col.  941. 


LE    MIROIR    DE    LA    N  A T  l   11  E  ; ". 

peuple  ne  pensait  pas  sans  émotion  aux  vaillantes  bêtes  qui  avaient,  travaille 
comme  de  vrais  chrétiens  à  la  maison  de  Dieu.  Après  les  avoir  vues  >i  longtemps 
à  la  peine,  il  les  voulut  à  l'honneur. 

Les  bœufs  de  Laon  sont  une  exception.  Partout  ailleurs  les  artistes  pro- 
diguent les  animaux  sans  autre  pensée  que  de  rendre  la  cathédrale  plus  vivante. 
Ils   sentirent  parfaitement  que  l'immense  église  était  l'abrégé  du   monde.   Ils 


Fig,  23.  —  Soubassement  de  la  cathédrale  de  Sens    fragment). 

auraient  voulu  v  mettre  tout  ce  qui  respire.  A  Notre-Dame  de  Paris  '.  deux  lias- 
reliefs  témoignent  de  leur  désir  d'embrasser  l'univers.  L'un  représente  la  Terre 
sous  la  ligure  d'une  mère  féconde  donl  la  robe  découvre  le-  inépuisables 
mamelles.  Vne  jeune  femme,  agenouillée  devant  elle,  s'approche  de  son  sein 
où  elle  s'apprête  à  boire  la  vie.  L'autre  bas-reliel  svmbolise  la  Mer.  lue  sorte 
de  divinité  antique  très  mutilée]  chevauche  un  énorme  poisson  qui  a  reçu  le 
mors  et  la  bride.  Le  génie  de  la  mer  porte  dans  sa  main  un  navire  fig.  22  \. 
La  même  idée  prend  ailleurs   une  forme  différente.   A   Sens    le  sculpteur 


Façade  septentrionale,  portail  de  gauche,  partie  lias* 


exprime 


r/ART    RELIGIEUX    DU    \  I  I  I     SIECLE 

autrement  l'immensité  des  terres  el  des  mers  [fig,  23).  Il  inscrit,  dans 
les  médaillons  <lc    la  façade,   l'éléphant  de    l'Inde 
chargé  de  sa  tour,   le  griffon,  antique  gardien    des 
trésors  de  I  Asie,  l'autruche  et  le  chameau  montés 
par  des  cavaliers    d'Afrique.    I  ne  sirène  symbolise 
le  mystère  de  l'Océan  '.   Un   homme  couché  sur  le 
dos,    le  légendaire  sciapode,  levé  son  pied  unique, 
comme    un    gigantesque     parasol,    pour    s'abriter 
contre   les   rayons  du   soleil   :  à  lui   seul   il  exprime 
tout  l'inconnu  de  cet  Orient,  où  nid  voyageur  n'a- 
vait pénétré  depuis  Alexandre.  On  reconnaît  là  les 
différents  chapitres   d'une   géographie  universelle, 
telle  qu'on    la  concevait  alors.    Honorius    d'Autun 
dans  son    Imago  mundi*,  (Servais   de  Tilbury  dans 
ses  Otia  imperialia   ,  Vincent  de  Beauvais  dans  son 
Spéculum  naturale1",  pour  ne  citer   que   des    noms 
connus,  ne  manquent  pas,  à  mesure  qu'ils  décrivent 
les  pays  de  l'Orient,  d'en  signaler  les  monstres.  Ils 
recueillent   toules    les   fables  éparses    dans   Pline. 
dans   Solin,    dans   le   lie    Monstris,    dans    la    Lettre 
apocryphe   d'Alexandre    à  Aristote*.    On    ne   peut 
douter  que  le  portail  de  Sens  ne  soit  une  espèce  de 
géographie  du    monde,   illustrée  à  la   manière   iWtw 
vieux  portulan.  L'atlas  catalan  de  i  '>~~>,  un  des  plus 
anciens    documents  de    ce   genre    qui    nous  soient 


parvenus,  nous  montre,  dessinés  près  des  mers  et 


1  (>n  voil  aussi.  ;'i  coté,  un  homme  monté  sur  un  poisson 
nui  symbolise  évidemment  la  mer  comme  .1  Notre-Dame  de 
Paris. 

-'  L' Imago  mundi  est  du  xn°  siècle.  Palrol.,  l.  CLXXII,  col.    ia3, 
i ■'  i- 
'■-    '  i  rigures  grotesques  du  |  ,,s  (;/,,,  imperialia  sont  du  commencement  du  xnr  siècle  :  pu- 

portail   des  Libraires  [Rouen).  bli(5s  ,|.llls  ],.s  Scriptores  rerum  Brunsvicensium.  Hanovre,  1707.  in- 

fol.,  t.  I,  i"   partie,  cap.  ru, 
1   Spec.  nalurale  :  voir  notamment  11%.  XVIII,  ch.  cxxix. 

Sur  l'origine  antique  des   fables  géographiques  cl   ethnographiques  du   moyen  .î;v.    voir   Berger  de 
Xivrey,   Traditions  tératologiques.  Paris,  Imp.  Royale,  i836,  in-8 


Magog 


LE    MIROIR    DE    I.A    NATURE 

des  rivages,  tics  éléphants,  des  chameaux,  des  sirènes,  les  rois  Gog  et 

(l'est  aussi  comme  une  carte  du  monde  qu'il 
faut  interpréter,  je  crois,  le  laineux  portail  de 
Vézelay  qui  représente,  autour  de  Jésus-Christ 
envoyant  son  Saint-Esprit  sur  les  Apôtres,  tous 
les  peuples  de  l'univers.  Les  hommes  à  léte  de 
chien,  les  hommes  aux  oreilles  larges  comme  des 
vans  [yannosas  mires1*,  rappellent  que  Jésus  est 
venu  annoncer  l'Evangile  à  Imites  les  races  hu- 
maines et  que  l'Eglise  doit  porter  sa  parole  jus- 
qu'au bout  de  la  terre    . 

On  surprend  donc  chez  nos  altistes  du  moyen 
âge  le  désir  d'exprimer  la  vie  universelle.  Vouloir 
expliquer  toute  leur  œuvre  à  l'aide  des  Bestiaires 
serait  la  diminuer,  la  réduire  aux  plus  mesquines 
proportions. 

Il  reste  encore,  il  est  vrai,  à  rendre  compte  des 
êtres  innomés  qui  se  sont  abattus  sur  les  contre- 
forts, sur  le  haut  des  tours,  comme  des  colonies 
d'oiseaux  chimériques.  Que  nous  veulent  ces  gar- 
gouilles au  longcou  qui  hurlent  dans  les  hauteurs.' 
Si  elles  n'étaient  retenues  par  leurs  lourdes  ailes 
de  pierre,  elles  s'élanceraient,  prendraient  leur 
vol,  feraient  sur  le  ciel  une  effrayante  silhouette. 
Aucun  temps,  aucune  race  ne  conçurent  jamais 
plus  terribles  larves  ;  elles  participent  à  la  lois  du 
loup,  de  la  chenille,  de  la  chauve-souris.  Elles 
ont  une  sorte  de  vraisemblance  qui  les  rend  plus 
redoutables.  Derrière  Notre-Dame  de  Paris  on  en 


1   L'allas  catalan  ;\   été   public  dans  les  Xoliccs  ri   Extraits  (1rs 
manuscrits,  i     XIV,    >:   partie,  iS  j  ;.  SIIUPS  ''" 

,   .,  ,    s-  i  ,i  ■  i  -,  ■  i  1  dos  Libraires   Rouen  . 

-   Berger  de  Xivrey,  toc.  cit.,  p.  i  i  >-  Je  crois  que  le  petit  nom  me 

qui  a    besoin  d'une  échelle  pour  montera    cheval   esl   nu  Pyginée. 

■   Les  mosaïques  de  Saint-Marc  ■<   \  enise  représentenl  I.-  même  sujet.  Nous  n'avons  pas,  ii  i,  à 
détail  le  portail  de  Vézelaj  qui  esl  de  I  époque  romane.  Beaucoup  de  sujets  restent  encore  inexpliqui  -    I  a 
fameuse  colonne  de  Souvigny    au  Trocadéro)  esl  aussi  une  espèce  de  résumé  du  monde. 


;8  L'A  HT    RELIGIEUX    DU    XIII      SI  ÈCLE 

aperçoit  quelques-unes  abandonnées  dans  le  jardin,  que  le  temps  achève  de 
détruire.  On  croirait  voir  les  monstres  encore  inliarmoniques  de  l'âge  ter- 
tiaire, se  réduisant  peu  à  peu,  s'apprêtant  à  dispa- 
raître. 

Quel  est  le  sens  de  cette  création  parallèle  à  l'au- 
tre? Que  signifient  les  prodigieuses  têtes  qui  émergent 
île  la  façade  de  Notre-Dame  de  Reims,  et  ces  oiseaux 
funèbres   voilés  d'un   linceul1? —  Les  interprétations 

de  M Félicie  d  Ayzac,  nous  lavons  vu,  doivent  être 

écartées.  Aucun  symbolisme  ne  peut  expliquer  la  faune 
monstrueuse  des  cathédrales.  Les  Bestiaires  restent 
muets.  De  pareilles  créations  sont  toutes  populaires. 
Ces  gargouilles,  qui  ressemblent  aux  vampires  de  cime- 
tière, aux  dragons  vaincus  par  les  vieux  évêques,  ont 
vécu  dans  les  profondeurs  de  l'âme  du  peuple  :  elles 
sont  sorties  d'anciens  contes  d'hiver.  Souvenirs  d'an- 
cêtres 

paru.    Le  génie    sombre    et    puissant    du 
éclate  ici  -'. 

Mais  tous  les  monstres  enfantés  par  le  xin'  siècle 
ne  sont  pas  aussi  terribles.  La  plupart  portent  la 
marque  d  une  fantaisie  joyeuse,  dune  aimable  bonho- 
mie. Le  portail  des  Libraires  et  le  portail  de  la  Ga- 
lende.  à  la  cathédrale  de  Rouen,  nous  présentent,  en 
ce  genre,  une  foule  d'amusants  petits  bas-reliefs  ins- 
crits dans  tics  quatre-feuilles  (fig.  i\,  25,  2G).  Ils  offrent 
tant  d'analogie  avec  ceux  de  la  cathédrale  de  Lyon 
*  1 1 1  "ils  semblent  l'œuvre  dune  même  colonie  d'artistes 

Fig    26   -  Figures  grotesques      nomades".     Les     monstres   y    pullulent,    mais    ce   sont 
<ln     portail     des     Libraires 
(Rouen] . 

1   Rappelons  que  les  très  beaux  monstres  qui  ornenl  la  balustrade  ilrs 
tours  de  Notre-Dame  •  I < -  Paris  sontdcs  créations  de  Viollel-le-Duc  (il  ne 

rcslail  que  des  frag ni-     Il  s'est   inspire-  de  ce  qu'on  \"ii  encore  .<  Reims, 

-   L'hypothèse  de  Spinger   Ueber  die  Quellen  der  KuiisWorstell  .  loc.  cit     est  bien  insuffisante    11  croit 

1 plains  passages  des  Psaumes  expliquent  et  justifient  ces  figures  de  monstres    par  exemple,  Ps.  xxi, 

x<m  :  Salva  me  ex  leonis  et  a  corn  Unis  iiniinrnitim,  ou  encore  :  et  delectabilur  infinis  ab  ubere  super  fora 
mine  aspidis  et  in  caverna  reguli  qui  ablactatus  fuerit  manum  suam  millet  i  (saïe,  XI,  8). 
:   Les  !>:<-  reliefs  de  Lyon  ><mi  postérieurs  à  ceux  de  Rouen 


lointains,    dernières    images   d'un    monde    dis- 

*U    moyen    àij'e 


LE    MIROIR    DK    LA    NATURE 


79 


des  monstres  ingénieux  et  spirituels.   On  devine  de   jeunes  sculpteurs   pleins 
de  verve,  qui  se  délient,   qui  renchérissent  les  uns  sur  les  autres.  Un  centaure, 


Fig.  27.  —  Figure   marginale 

(B.  N.   m*,   lutin    1  i.'S;  ) 


eoillé  d  un  capuchon  et    barbu   comme  un   prophète,    se  cabre  et    montre  par 
devant  deux  pieds  de  cheval,    par    derrière    deux    pieds    humains  chausses  tic 
bottes  '.   Un    médecin,    qui    porte  la   barrette   de   la  Faculté   et    étudie  grave- 
ment, comme  le  médecin  de  Gérard  Dow,  la  fiole  aux  urines, 
n'estdocteur  que  jusqu'à  la  ceinture:  il  finit  soudain  en  oie.      n 
Un  philosophe  à  tète  de  porc   se  prend   la   mâchoire  et  mé- 
dite.   Un  jeune  maître   de  musique,  moitié  homme  et  moitié 
coq,   donne  une  leçon  d'orgue  à  un  centaure.  Une  femme  à      7 
tète  de  veau  entrouvre  sa  robe.  V\\  homme,  changé  en  chien 
par  l'incantation  de  quelque  sorcière,  porte  aux  pieds  une 
paire  de  brodequins,   comme   un  souvenir  de    son  ancienne 
condition.    Une  femme-oiseau  écarte  son    voile    et   lève    un 
doigt  mystérieux. 

Si  jamais  œuvres  furent  exemptes  de  pensée,  ce  sont  bien 
celles-là.    Une    fois    livrés    à    eux-mêmes,    nos    artistes    du 
xme  siècle    ressemblaient    aux   artistes    de   tous    les   temps. 
Rien,    alors,   ne   leur    paraissait   plus    digne   de  leurs   efforts     que    d'inventer 
quelques  combinaisons  nouvelles   de  lignes.   A  Rouen  et  à   Lyon,  le  problème 


I  ig,    28      —  I  ig 

marginale. 

13    N    nis.  latin  i  Jï8i 


1    Les  figures  grotesques  du  portail  «Je  L\<>n  se   trouvent  dans  Guigue  et  Bégule;  c<  lies  du  portail  des 
Libraires  et  du  portail  delà  Calende,  reproduites  d'abord  par  Jules  Adeline    Sculptiin  jues  et  sym- 

/>nlu/itrs,    Uon.'ii,  i8;<|.   iii-r.'  .    ont  <■(<'•  rtndicrs  par    Mlll!  Louise  Pilliou.    Elle  est  arrivi  me    nous,    ïi 

cette  conclusion  que   ces  êtres  hybrides  n'avaient  aucun  sens.    Voir  l'iutéressai flude   qu'elle  .1   publiée 

sous  le  titre  :  Les  Porlails  latéraux  </'■  lacathédrale  de  ttouen,  Paris,  1907    m  8. 


L'ART  RELIGIEUX    1>1     Mil     SIECLE 

se  réduisait  pour  eux  à  ceci  :  inscrire  harmonieusement  une  forme  quel- 
conque dans  un  quatre-feuilles.  De  là.  tant  de  monstres  hybrides,  dont  les 
membres  souples,  faciles  à  jeter  dans  tous  les  sens,  avaient  le  mérite  d'occuper 
toutes  les  partiesdu  champ  à  remplir.  Il  est  visible  qu'ils  cherchèrent  à  résoudre 
une  question  d'art  pur.  11  n'y  a  donc  pas  lieu  île  se  demander  quel  sens  peuvent 
avoir  les  figures  de  lion  en.  et  si  elles  expriment  des  vertus  ou  des  vices  '.  Champ- 
fleury,  dans  son  Histoire  de  la  caricature ,  el,  après  lui,  M.  Adeline,  virent  très 
bien  que  le  symbolisme  n'avait  rien  à  faire  avec  ces  charges  d'atelier2.  Toutes 
les  tentatives  d'explication  sont  condamnées  d'avance. 


tmrtrmfyriimr 


Fig.  ag.  —  Figures  marginales. 

(B.  N.  ms.  lalin  14*284.) 

Si  on  objecte  que  le  clergé  n'eût  point,  à  la  porte  même  de  sa  cathédrale, 
toléré  de  pareils  sujets,  s'ils  n'eussent  eu  quelque  sens  profond,  on  prouve 
qu'on  est  peu  familier  avec  l'esprit  du  moyen  âge.  Quiconque  a  parcouru  un 
certain  nombre  de  manuscrits  liturgiques  du  xiii0  siècle  sait  (pie.  souvent,  la 
verve  du  dessinateur  se  |<>ue  en  images  très  profanes  dans  la  marge  des  offices 
les  plus  solennels,  lu  missel  ilu  mii  siècle,  conservé  à  la  Bibliothèque  Sainte- 
Geneviève,  mêle  au  texte  sacré  des  milliers  de  figures  grotesques  *.  Les  lettres 
majuscules  abritent  des  dragons  a  tète  d'évêque;  un  jambage. en  se  prolongeant, 
devient  une  souris,    un   oiseau,    un    démon  qui  lire   la  langue.  De  pareils  livres 


1  Au  milieu  des  figures  grotesques  que  nous  reproduisons  (fig.  -j»'.  ,  un  remarquera  le  phénix  que  l'ar- 
tiste .1  n  produil   comme  un  motif  décoratif. 

-  Champfleury,  llist.de  la  Caricature  au  moyenâge.  Paris,  1876,  in-i  ■;  cl  Adeline,  oo    cit.;  Louise  1  il- 
lion,  op.  cit. 

Bibl.   s, unie  Geneviève,  ms.  n°  ;|S.  Le  manuscril  esl  de  1286]  les  dessins  en  sont  très  médiocres. 


LE    MIROIR    DE    LA    NATURE  81 

ouverts  sur    nu    lutrin  ne  choquaient  personne.    Les  exemples   al) lent.    La 

Bibliothèque  Nationale  possède  des  livres  de  prières  ornés  à  chaque  page  de 
figurines  qui  ne  sont  ni  plus  graves  ni  plus  instructives  que  celles  du  portail 
de  Lyon  ou  du  portail  de  Rouen.  Un  psautier  du  \nf  siècle  est  égayé  de  mons- 
tres bicéphales  qui  eussent  réjoui  Callot1.  Ici,  un  moine  joue  au  trie-trac  avec 
un  singe,  là,  un  enfant  poursuit  un  papillon,  des  coqs  se  battent,  une  étonnante 
ligure  surgit  d'une  coquille  de  limaçon.  Lu  ce  genre,  le  chef-d'œuvre  est  peut- 
être  un  livre  d'Heures  des  dernières  années  du  \m  siècle  '  lig.  •_>-.  28,  29, 
3o).  Une  inépuisable  fantaisie,  une 
grande  sûreté  de  main,  font  de  ce 
manuscrit  un  livre  rare.  Telle  sil- 
houette semble  enlevée  par  le  pin- 
ceau léger  d'un  artiste  japonais. 
La  nature  humaine  et  la  nature  ani- 
male se  marient  ingénieusement. 
La  gaieté  éclate  partout  :  un  mu- 
sicien donne  un  concert  en  raclant 
deux  mâchoires  d'âne;  un  singe, 
déguisé    en     moine,     marche   sur 


t'ig.    in.  Figure   marginal' 

(13   X.  ms,  latin    i  \*X\ 


des  échasses,  ou  contemple,  avec  un  sérieux  doctoral,  le  vase  aux  urines. 
A  quoi  bon  multiplier  les  exemples3?  Il  est  clair  que  de  pareilles  ligures 
n'ont  aucun  rapport  avec  les  Heures  de  la  Vierge  ou  avec  les  Psaumes  de  la 
Pénitence  qu'elles  illustrent.  Elles  n'ont  pas  plus  de  sens  que  les  bas-reliefs  du 
portail  de  Rouen,  avec  lesquels  elles  offrent  tant  d'analogies.  Le  clergé  les 
tolérait  dans  la  cathédrale  comme  il  les  tolérait  dans  les  livres  de  chœur.  Le 
christianisme  du  moyen  âge  avait  accueilli  la  nature  humaine  tout  entière.  Le 
rire,  les  écarts  d'une  jeune  imagination  ne  lurent  jamais  condamnés  :  la  fête  des 
fous  et  la  fête  de  làne  le  prouvent.  Quand  les  bons  chanoines  de  Rouen  ou  de 
Lyon  virent  ce  que  leurs  sculpteurs  avaient  imaginé  pour  décorer  le  portail  où 
le  Seigneur  et  ses  saints  se  montraient  dans  toute  leur  gloire,  ils  lurent  sans 
doute  les  premiers  à  sourire.    La  foi   profonde   donna   à   ces  temps  la  gaieté,  la 


1    Bibl,    X.u..  m-    l.iini  1  ; 

-    Bibl     X.ii   .   m-    latin  i  i  ,s  i 

;   Citons  encore  Bibl    Sainlc-Cieneviève,  ms    u     1690    xm'   siècle,  l'saulier  à  I  usage  de  Paris  ;  Bibl    \al 
.   latin   1  >-'S    \nr    siècle),   1  I9  j     \i\'    siècle  . 


8a  L'ART    RELIGIEUX    DU   XIII1    SIECLE 

sérénité  «.le  l'enfance.  N'oublions  pas  que  Dante  a  réservé  un  cercle  de  son 
Enfer  «  à  ceux  qui  pleurèrent,  alors  qu'ils  pouvaient  être  joyeux  ». 

Au  badinage  des  artistes  il  ne  se  mêla  jamais  ni  indécence  ni  ironie.  Les 
énormes  obscénités  qu'on  s'est  plu  à  signaler  dans  nos  cathédrales  n'existèrent 
jamais  que  dans  l'imagination  de  quelques  archéologues  prévenus.  L'arl  du 
mu"  siècle  est  lies  chaste,  étonnamment  pur.  A  la  cathédrale  tic  Lyon,  l'artiste 
qui  était  chargé  de  raconter  les  origines  du  monde,  arrivé  à  l'aventure  de  Loth 
et  de  ses  lilles,  laissa  un  médaillon  vide. 

Ce  n'est  qu'au  xv°  siècle  qu'apparaît  dans  l'art  ce  réalisme  un  peu  bas  qui,  à 
l'occasion,  ne  recule  pas  devant  l'obscénité.  Il  faut  distinguer  avec  soin  les 
époques  '. 

Nulle  trace,  non  plus,  d'ironie  a  l'endroit  îles  choses  du  culte.  On  cite  tou- 
jours le  fameux  chapiteau  de  la  cathédrale  de  Strasbourg,  décoré  de  l'enterre- 
ment burlesque  d'un  hérisson  que  d'autres  animaux  portent  en  terre  pendant 
qu'un  cerf  dit  la  messe  et  qu'un  àne  chante  au  lutrin.  .Mais  le  bas-relief  a  dis- 
paru aujourd'hui,  et  nous  ne  le  connaissons  que  grâce  à  un  dessin  publie  au 
commencement  du  xvn"  siècle  par  le  protestant  Jean  Fisc  liait,  qui,  préoccupé 
de  chercher  des  ancêtres  à  la  Réforme,  avait  cru  voir  là  une  satire  delà  messeJ. 
De  quel  siècle  était  l'original?  et  fut-il  bien  tel  que  nous  le  montre  la  médiocre 
copie  de  Fischart?  Voilà  ce  que  nous  ignorons.  En  admettant  que  la  reproduc- 
tion en  soit  exacte,  il  n'y  faudrait  guère  voir  autre  chose  qu'une  fantaisie  sans 
portée,  dans  le  genre  de  celles  du  Roman  de  Renart. 

Résumons  en  deux  mots  tout  ce  chapitre. 

Pour  les  théologiens  du  moyen  âge,  la  nature  était  un  symbole,  les  êtres 
vivants  exprimaient  des  pensées  de  Dieu.  Ils  imposèrent  parfois  leur  conception 
du  inonde  aux  artistes  et  firent  exécuter  sous  leurs  yeux  un  petit  nombre  d'œu- 
vres  dogmatiques,  où  chaque  animal  a  la  valeur  d'un  signe.  Mais  de  pareilles 
œuvres  sont  rares.  La  plupart  du  temps,  les  sculpteurs  peuplèrent  à  leur  gré 
l'église  de  plantes  et  d'animaux.  Ils  choisirent  ces  formes  en  purs  artistes,  mais 
avec  la  pensée  confuse  que  la  cathédrale  est  un  abrégé  du  monde,  et  que  toutes 
les  créatures  de  Dieu  peuvent  y  entrer. 

i  C'esl  ce  que  n'a  pas  fait  suffisamment  Champfleury  dans  son  Histoire  de  la  Caricature,  ai  surtout 
Th.  Wright  <hiii>  son  flist.  de  lu  Caricature  et  <h<  Grotesque  dans  lu  littéral,  et  dans  l'art  (traduction 
Française).  Paris,  i.S;'>.  in-13.  Toutes  les  époques  sonl  confondues, 

-  Le  dessin  rsi  reproduit  par  Champfleury,  Histoire  de  la  Caricature,  p.  i">,-. 


LIVRE   II 


LE   MIROIR   DE   LA   SCIENCE 


1.     Le   travail  et   la  bciexce  ont   leur   rôle   daxs  l'œuvre    de    i\   Rédemption-.   Le   tra- 
vaii.    manuel.    Représentation    m:s    cravaux     de     chaque    mois;    >  ^lexdriers    illustrés. 
il.   La  Science:    le  trivium  ei   le  quadrivium.    Les    sept   arts    daxs  le  livre  de   Martianus 
Capella.  Ixfluexce  m    livre  de  Martiaxus  Capella  sur  la   littérature  du  moyex  ace  ei   si  m 
l'art.  —  III.    Représentations  figurées  de  la  Philosophie.  Influence  de  Boèce.  —   IV    Con 
clusion     La  destixi  e  m  maixe.  L\  roi  i:  m   Fortune. 


I 


Le  monde  est  donc  créé.  L'œuvre  de  Dieu  est  achevée  et  parfaite;  mais 
l'homme,  pour  avoir  mal  usé  de  sa  liberté,  en  trouble  l'harmonie.  Sa  faute  fait 
de  lui  le  plus  misérable  des  êtres.  Le  lamentable  couple  d'Adam  et  d'Eve  qui 
semble  frissonner  sous  la  pluie  et  le  brouillard  dans  les  hauteurs  de  Notre-Dame 
de  Paris,  voilà  l'humanité  nouvelle'. 

Comment  va-t-elle  se  relever  cette  humanité  déchue?  Par  le  sacrifice  du 
Sauveur  et  par  la  grâce  :  l'Eglise  nous  le  crie  par  toutes  ses  statues.  Mais  elle 
nous  enseigne  aussi  que  l'homme  doit  mériter  la  grâce  et  travailler  lui-même 
a  l'œuvre  de  la  Rédemption.  Vincent  de  Beauvais,  dansla préface  de  son  Miroir 
doctrinal,  prononce  cette  parole  virile  :  «  Jpsa  restitut'w  sivc  restauratio  per 
doctrinam  efficitur  —  l'homme  peut  se  relever  de  sa  chute  par  la  science. 
Et  par  science  il  entend,  comme  la  suite  le  prouve,  le  travail  sous  toutes  ses 
formes,  même  les  plus  humbles.  1-e  moyen  âge  ne  fut  donc  pas  seulement  I  âge 
delacontemplation.il  fut  aussi  l'âge  du  travail  héroïquement  accepté,  et  conçu, 


1    Les  statues  si  tragiques  '1  Adam  <-\  .1  Eve  -nui  modernes,  niai-  on  n  .i  t. ni  qui    l'établir  ce  qui  i 


Si  L'ART    RELIGIEUX    1)1'   \  IIP    SIÈCLE 

non  comme  une  servitude,  mais  comme  un  affranchissement.  Le  travail  manuel, 
dil  en  substance  Vincent  deBeauvais,  nous  affranchit  des  nécessités  auxquelles 
notre  corps  est  soumis  depuis  la  chute;  la  science  nous  affranchit  de  l'ignorance 
qui,  depuis  lors,  pesé  sur  notre  esprit'.  Or,  il  se  trouve  précisément  que  la 
cathédrale,  où  toutes  les  pensées  du  moyen  âge  ont  pris  une  forme  visible,  a 

jlorifié   à  la    lois  le  travail   manuel  et   la    science. 

Dans  l  église    i\i\    moyen  âge,   où    les  nus.  les    barons, 

les  évêques  tiennenl  une  place  si  modeste',  presque 

^S^JL  .         \     l<,,ls    'es    métiers    sont    représentés.   A    Chartres,    à 

bourges,  au  bas  des  vitraux  olierts  par  les  cor- 
porations ouvrières,  les  donateurs  se  sont  fait 
peindre  maniant  la  truelle,  le  marteau, 
le  peigne  à  carder,  la  pelle  du  bou- 
langer, le  couteau  du  boucher  ;.  On  ne 
pensait  pas  alors  <pi  d  y  eût  quelque 
inconvenance  à  placer  ces  tableaux  de 
la  vie  quotidienne  à  côté  des  scènes 
héroïques  de  la  légende  îles  saints.  Le 
travail  apparaissait  ainsi  avec  sa  dignité 
propre  et  sa  sainteté. 

Ce  désir  de  glorifier  le  travail  esl 
particulièrement  visible  à  Notre-Dame  de  Seinur.  Dans  une  des  chapelles  des 
bas  côtés,  un  vitrail,  donne''  par  la  confrérie  îles  drapiers,  représente  en  plu- 
sieurs tableaux  tout  le  détail  de  la  fabrication  du  drap  '.  (Test  là  l'unique  sujet 
du  vitrail;  aucun  saint,  aucune  scène  religieuse  n  y  figurent.  Est-ce  hardiesse 
ou  naïveté.'  —  Ni  I  une  ni  l'autre.  Un  pareil  sujet  porte  sa  justification  avec  soi. 
Si  le  travail  est  une  loi  divine,  s  il  est  une  des  voies  qui  mènent  à  la  rédemp- 
tion,   pourquoi    aurait-il   besoin     d'un     introducteur    dans    la    maison   de    Dieu? 


I  ■  j_v     Ji  Les  pcllolicrs    vitrail  de  Chartres, 

I  paginent). 


1   Spéculum  doctrinale,  liv.  I.  ch    i\     lionorius  >l  AmIum  a  développé  La  incuic  idée  dans  son  De  anitnae 
e.rsilio  et  palria.  l'ai  ml.,  i    CLXXII,  col.  i  ■  i  i     L'idée  esl  celle-ci     l'exil  de  l'Ame  esl  l'ignorance.  In  ii.it  i  ■  i  «  • 

esl  l.i  sagessi \  arrive    par    les   arts    libéraux  qui    son!  autanl  de  cités  placées  sut-  la  route  qui  \  i 

duit. 

Voir  ci  dessous,  sur  la  place  que  les  mis  occupent  dans  la  cathédrale,  le  livre  IV    [le   Mn  oii  de  I  In* 

huit'),  ch.    v. 

;  A  Chartres,  on  voit  jusqu  à  dix-neuf  corps  de  métiers.  Voir  Bulteau,  Monogr.  de  la  cath,  de  Chartres, 

t     I,  p.  i--. 


Côté  <li 


'I.   I,r  vitrail  de  Semur  esl  vraisemblablemenl  des  d 


ernieres  ;inii 


ées  'In  xiv1   siècle. 


LE  Ml  roir  ni:  i.a  sci  i:\ci-:  s 

Pourquoi   ne   s'y  montrerait-il  pas  tout    seul  dans  sa    noblesse.1   Voilà   ce  qu< 
sentaient    les  drapiers  de   Semur  quand  ils  décidèrent  de    fair< 


hommage    à 


aheur 


Notre-Dame    de   la    simple  image    d'une   de    leurs  journées  de 

Mais,  c'est  le  travail  imposé  par  Dieu 
lui-même  à  Adam,  l'antique  travail  de  la 
terre,  que  I  Eglise  semble  mettre  au 
premier  rang.  Plusieurs  de  mis  cathé- 
drales nous  présentent,  sculpté  auxvous- 
sures  ou  au  soubassement  d'un  portail, 
le  cycle  des  travaux  du  paysan '.  Chaque 
scène  de  moisson,  de  labour  ou  de  ven- 
dange est  accompagnée  d'un  signe  du 
zodiaque.  Ce  sont  vraiment  les  Trru'au.r 
et  les  .Jours. 

D'où  vient  1  usage  d  orner  les  églises 
d'un  calendrier  de  pierre  .'  —  (  In  le  trouve 
établi  dès  les  origines  du  christianisme. 
Nous  saxons  que  le  pavé  tics  basiliques 
primitives  était  parfois  décoré  de  l'image 
symbolique  des  saisons.  La  mosaïque  de 
I  église  de  Tyr,  rapportée  au  Louvre  par 
la  mission  Renan,  représente  des  scènes 
de  chasses  cl  de  vendanges  accompa- 
gnées de  la  ligure  des  mois  -.  L'œUA  re 
est  encore  tout  antique  cl  semble  provenir  d  une  salle  de  t  lier  m  es  ou  d  une  villa. 

1   Notaninienl  Sniiis   [portail  <b'   l'ouesl  :  Semur    portail  <Iu  nord  ;  Chartres     portail   vieux,   portail  du 
nord,  vitrail  du  chœur  ;  lleiins  (portail  <lc  I  ouest,  série  mutilée);  Amiens    portail  de  l'ouest):  Notre  D 
de   Paris    portail  de  1  un.'si   ri  rose  occidentale);   Kampillon    Seine-et-Marne      portail   de  l'ouest      La  rose 
de  Notre-Dame  de  Paris,  telle  qu  on  la  trouve  reproduite  dans  Lenoir  [Statistique  monumentale  de  Paris, 

i.  II,  pi.  XIX),  présente  plusieurs  resl 'ations,  mais  I  étal  ancien  est  donné  par  I     de  Lasti  yrie    lh-t    de 

la  peint    sur  verre,  p.  i  |i   .Didron  a  cru  reconnaître  ù  Notre-Dame  de  Paris  un  troisième  zodiaque  [façade 

«le  1  ouest,  portail  de  gauche,  tr .mi     Je  ne  suis  pas  de  son  avis.   L'artiste  de  Notre-Dame  u  .1  pas  voulu 

représenter   K's   travaux    des  mois,  mais    bien   une  sorte  d  échelle  de  la   température  :   c'esl   un  véritable- 
thermomètre.  Ou  voit,  dans  le  bas,  un  homme  qui  se  chaulle  devanl  un  bon  feu:  plus  haut,  uu  homme  qui 
va  chercher  du  buis:   puis  un   homme  qui  se   promène,    mais   avec  uu  manteau;  puis  une    curieuse    li 
faite  de  deux  têtes  et  '!<■  deux  corps  soudés,  I  un  ib's  corps  <>t  vêtu  el  l'autre  esl  nu  :  elle  exprinn 
nient  lus  brusques  variations  de  la   température  printanière  ;   *>u  voil   ensuite  uu   personnage  qui  n'a   pour 
toul  vêtement  qu'un  caleçon    lig.    i  •  ,  enliu  uu  homme  loul  à  fait  nu    De  I  autre  côté  du 
in.    échelle  des  âges  de  la    \i<'  humaine. 

Reproduite  dans  les  Ann    Arch.,  1.  XXIV. 


I  1. 


L'été  [.\olre-D <■  de  l'y  ris). 


86  L'ART   RELIGIEUX    DU   Mil'    SIECLE 

L'Eglise  ne  se  fit  pas  scrupule  d'emprunter  au  paganisme  des  images  cônsa- 
i-iriN,  mais  elle  les  sanctifia  en  les  interprétant  dans  le  sens  chrétien.  Des  lors, 
la  suite  îles  mois  ne  rappela  plus  seulement  un  cycle  de  travaux,  mais  un  cycle 
de  prières  et  de  fêtes  liturgiques. 

Nos  anciennes  églises  romanes,  dont  le  pavé  ('lait,  si  souvenl  décoré  des 
signes  du  zodiaque,   prouvent  (pie   les  traditions  des   premiers  siècles  furenl 

fidèlement   conserv  ées  '. 

Les  grands  calendriers  sculptés  au  portail  des  églises  gothiques  uni  donc 
une  lointaine  origine.  Le  chrétien  du  xm"  siècle  qui  s'arrêtait  sur  le  seuil  pour 
les  contempler  y  trouvait  plus  d'un  sujet  de  méditations,  suivant  son  degré  de 
culture.  L'homme  de  labeur  reconnaissait  le  cercle  immuable  des  travaux 
auxquels  il  était  condamné  jusqu'à  la  mort  :  mais  la  statue  de  Jésus  ou  de  la 
Vierge,  planant  au-dessus  de  ces  choses  de  la  terre,  lui  rappelait  qu'il  ne 
travaillait  pas  sans  espoir'.  L'homme  d'église,  instruit  dans  la  science  de  la 
liturgie  cl  du  comput,  songeait  que  chacun  îles  mois  c< >rrespondai l  à  un  momenl 
delà  vie  terrestre  de  Jésus-Chrisl  ou  de  celle  des  grands  saints.  A  ses  yeux. 
chaque  mois  était  marqué,  non  par  des  travaux  vulgaires,  niais  par  une  suite 
d'actes  héroïques.  L'année  lui  apparaissait  comme  une  couronne  de  vertus. 
Le  mystique,  en  lin,  pensait  à  l'écoulement  des  jours  qui  sortent  de  Dieu  et  vonl 
se  perdre  en  lui.  Il  se  disait  (pie  le  temps  est  l'ombre  de  l'éternité3.  Il  réflé- 
chissait que  l'année,  avec  ses  quatre  saisons  et  ses  douze  mois,  est  une  figure  du 
Christ,  dont  les  membres  sont  les  quatre  évangélistes  et  les  douze  apôtres  '. 

C'est  à  Chartres,  à  Paris,  à  Amiens,  à  Reims,  (pie  nous  trouvons  les  plus 
beaux  calendriers  sculptés.  Œuvre  de  vraie  poésie.  Dans  ces  petits  tableaux, 
l'homme  lait  des  gestes  éternels.  Sans  doute,  c'est  le  paysan  de  France  que 
l'artiste  a  voulu  représenter,  mais  c'est  aussi  l'homme  de  tous  les  temps  courbé 
vers  la  terre,  l'immortel  Adam.  Dans  leur  généralité,  nos  bas-reliefs  du  xm"  siècle 
n'ont  rien  de  banal.  Tous  les  détails  en  ont  été  sentis  par  des  artistes  qui  ne 
vivaient   pas  loin  de  la  nature.  Au   pied  des  murs  de  la  petite  ville  du  moyen  âge 


1   Pavé  de  L'église  de  Tournus,  de  Saint-Remi  de  Reims    aujourd'hui  disparus),  de  Saint-Berlin  j  Saint- 
Ci i-,  de  l'église  d'Aoste.  A   la  façade  de  Saint-Denis,  Suger,  fidèle  à   l'antique  tradition,  fil  exécuter  l^s 

travaux  '1rs  douze  mois  en  mosaïque  (un  fragmenl  au  Musée  <lr  Cluny). 

Ruperl   le  laisse  entendre  :  De  Trinitale,  lil>    I ,  cap.  xlv.  Patrol.,  i    CLXVII  ;  suivant  lui,  la  vue  des 
calendriers  rend  le  peuple  plus  disposé  à  servir  Dieu 

:   Honorius  d'Autun,  De  Imag.  Minuit,  lib.  II,  cap.  m.  Patrol.,  l    CI, XXII. 

'•  Sicard,   \Iilrale.  Patrol.,  i    CCXIII,  col.  ■•  1  i.  <   A  nu  us  esl  generalis  Chrîstus,  cujus  membra  s  m  ni  qua- 
i tempora,  sciliccl  quatuor  Evangelislœ.  Duodccim  menses  sunt  Apostoh...  » 


LE    MIROIR    DE   LA   SCI  I".  N  <    I  87 

commence  la  vraie  campagne,  les  terres  labourées,  les  prés,  le  beau  rythme  des 
travaux  virgiliens.  Les  deux  clochers  de  Chartres  se  dressent  au-dessus  des 
moissons  de  la  Beauce,  et  la  cathédrale  de  Reims  domine  les  vignes  champe- 
noises. A  l'a  ri  s.  de  l'abside  de  Notre-Dame,  on  apercevait  les  prairies  el  les  huis. 
Les  sculpteurs,  en  imaginant  leurs  scènes  de  la  vie  rustique,  purent  s'inspirer 
de  la  réalité  voisine. 

Ce  beau  poème  îles  mois,  ces 
Géorgiques  de  la  vieille  France, 
pleines  de  bonhomie  et  de  gran- 
deur, méritent  d'être  analysés. 

Croirait-on  que  le  sens  de  ces 
tableaux  si  clairs  échappait  aux  ar- 
chéologues du  commencement  du 
xixc  siècle  ?  En  1806,  Lenoir  recon- 
nut, dans  les  douze  scènes  qui  illus- 
trent le  calendrier  de  la  cathédrale 
de  Cambrai,  les  douze  travaux 
d'Hercule  '.  Dupuis,  l'auteur  de 
YOriginc  de  touilles cultes,  sut.  il  est 
vrai,  discerner  les  signes  du  zodia- 
que  a  la  façade  de  Notre-Dame  de 

Paris,  mais  ce  fut  pour  en  tirer  la  conclusion  que  le  culte  du  Soleil  ou  de 
M i t lira  s'était  perpétué  jusqu'au  xin'  siècle". 

Le  zodiaque  et  les  scènes  rustiques  qui  l'accompagnent  ont  été  disposes  à 
Chartres  ;  et  a  Paris'  de  façon  à  rappeler  la  marche  même  du  soleil.  Les  signes 
des  mois,  en  effet,  s'élèvent  avec  le  soleil,  de  janvier  a  juin,  et  redescendenl 
avec  lui  île  juin  à  décembre. 

Il  est  remarquable  que  tous  ces  calendriers  ne  commencent  pas  par  le  même 
signe.  A  Saint-Savin,  dans  le  Poitou,  le  signe  du  bélier  mois  de  mais  est  le 
premier  signe  du  zodiaque5.  A  la  façade  d'Amiens,  I  année  s'ouvre  par  le  mois 


li-     ;;    --  Décembre,  Janvier,  Février    Amiens  . 


1  Lenoir,  liappurt  fuit  à  l  Académie  celtique,  le  tg  septembre  r8o6. 
1  Dupuis,  Origine  tic  tous  1rs  cultes,   1  7 "j  > .  I    III.  p.   i  '■ 
;  Au  porche  'lu  uunl  :  archivoltes. 

•   Façade  occidentale  :  portail  de  la   Vierge;  pieds-droits. 

•'   Longuemar,   Bulletin  monum..  1.   XXII     iS>-,  p     s6g  <■!  suiv,  Saiul-Saviii    .  si   une  église   rom 
églises  gothiques  ne  nous  nul  pas  Fourni  '1  exemple  'I  un  calendrier  commençanl  en  mars. 


88  L'ART   RELIGIEUX    DU   XIII'    SIECLE 

de  décembre  el  le  signe  du  Capricorne.  A  Chartres,  aux  deux  portails,  l'année 
commence  parle  mois  de  janvier  qu'accompagne,  chose  singulière,  le  signe  du 
Capricorne  an  lieu  du  signe  du  Verseau. 

Ces  particularités  ni'  sont  peut-être  pas  toujours  dues,  comme  on  l'a  pensé, 
a  l'inadvertance  des  poseurs  chargés  de  mettre  en  place  les  morceaux  sculptés 
à  l'atelier.  Au  moyen  âge,  l'année  commençait  à  des  dates  qui  variaient  suivant 
les  régions.  Gcrvais  de  Cantorbéry  écrivail  au  commencement  du  xm    siècle  : 

Quidam  enini  annos  inci- 
piunt  computarc  ah  An- 
nuntiatione,  alii  a  Nati- 
vitate,  quidam  a  Circum- 
cisione .  quidam  vero  a 
Passione.  Ainsi,  l'année 
commençait  tantôt  en 
mars  ou  avril  Annoncia- 
tion, Passion  I,  tantôt  au 
■  "i  décembre  (Nativité), 
tantôt  au  premier  janvier 
( ii rconcision  .  I (ans  deux 
villes  aussi  peu  éloignées 
que  Reims  el  Soissons 
l'année  commençait,  à 
Reims,  le  iourde  I  A  nnon- 
ciation  (23  mais  .  ;i  Soissons  le  jour  de  Noël1.  Ainsi  pourrait  s'expliquer  qu'à 
Saint-Savin  le  zodiaque  débute  par  le  signe  du  Bélier,  c'est-à-dire  par  le  mois  de 
mars  \  Il  est  probable  aussi  qu'à  Amiens,  en  commençant  par  le  mois  de  décem- 
bre, oi>a  voulu  rappeler  que  l'année  s'ouvrait  à  Noël8.  Quant  à  la  concordance 
inusitée  du  mois  de  janvier  et  du  signe  du  Capricorne  <pi  on  remarque  à  Chartres, 
<dle  peut  aussi  s'expliquer.  Au  moyen  âge,  en  effet,   les  signes  du  zodiaque  ne 


I  ii;.    I  j.  Mars,    K\  1  il.    M. m 

(Amiens  . 


1    \  '  h  1   Ii-  coin  le  de  Mas  Latrie,   Trésor  de  chronologie.  Paris.   i88q,  in-fol  .  col    21-22.  \  1  >i  1   .1 11--1  G  1 1  \ 
\Ianuel  de  diplomatique.   Paris,  1894,  iu-8,  p.   ii|. 

-  Au  iih>\<  n  âge,  en  Poilou,  on  faisait  commencer  L'année  soil  -«11  1  >  mars  [Annonciation),  soit  le  jour 
l   Pâques,  <|ui  tombe  souvent  au  mois  de  mars.  Giry,  "/'.  cit. 

1  M.  «le  Mas-Latrie,  "/'.  cit.,  nous  ilil  qu'à  Amiens,  ,111  \n  siècle,  l'année  commençait  la  veille  de 
Pâques,  le  jour  de  la  bénédiction  'lu  cierge  pasi  .il  I!  faut  donc  supposer,  <>"  qu'il  n'en  était  déjà  plus  de 
même  .m  xm"  siècle,  ou  qu'il  y  .1  une  erreur  dans  la  disposition  îles  signes 


LE    M  [ROI  I!    DE    LA    SCI  ËNC.E  8g 

correspondaient  |>as  exactement  à  la  longueur  «lu  mois  ci  empiétaient  mit  le 
mois  suivant.  Pour  le  mois  de  janvier,  nous  en  avons  la  preuve  dans  ce  vers 
du    moine  Wandalbert  qui   écrivait,  au    i\"   siècle,  dans  son  poème  de-  Mois  : 

Unie  gemino  prœsunt  Capricorni  sidéra  monstro  '. 

«    Le  signe  du  Capricorne  préside  au  monstre  à  deux  têtes    Janus      .   c'est- 
à-dire  :  le  signe  du  Capricorne  préside  au  mois  de  janvier. 

Il  faut  reconnaître  toutefois  que  ees  anomalies  son!   rare-.   Presque  ton-  les 


Fig    j'i.-     Février,  Mars.  Avril,  Mai   ^Rampillon). 


n 

ne 


zodiaqpes  peints  ou  sculptés  font  débuter  l'année  en  janvier,  et  les  signes,  c 
commençant  par  le  Verseau,  concordent  exactement  avec  chaque  moi-.  .Ii 
connais  point  d'exceptions  à  cette  règle  dans  les  manuscrits  à  miniatures;  elles 
-ont  très  rares  dans  les  bas-reliefs  des  cathédrales.  C'est  par  erreur  que  Didron 
a  écrit  que  l'année  commençait  au  portail  de  Notre-Dame  de  Paris  au  moi-  >\r 
décembre  :  Janus  et  le  smne  du  Verseau  Y  ouvrent  l'année  '. 

A  Reims  même,  où  l'on  nous  dit  que  le  premier  mois  de  l'année  était  le  mois 
de  mars  .  le  calendrier  de  la  cathédrale  débute  par  le  mois  de  janvier.  Donc. 
bien  avant  l'édit  de  Charles  IX  (1 564),  qui  fixa  au  premier  janvier,  pour  la  France 

1   Wandalbert,  moine  de  Prum     Achéry,  Spicil.,  t.  II,  p.   <~ 
Oi  Iron,    (nit.  Arch  .  t.  XIV.    |>.  .■-.   A    Notre-Dame  de    Paris,    le   signe  du  Verseau  n'est  pas   en  elfet 
visible  .m  premier  coup  d'oeil,  car  il  fait  partie  d  un  bas-relief  <K-  l'arcature  voisine,  >|iii   représente  la  Mi  1 
montée  sur  un  poisson.  Mais  avec  un  peu  d'atteution  ou  discerne   très   bien  li    versi  tu  el   sou  urne 

dir\  .   np.   cit. 


,,,,  L'ART   RELIGIEUX    DU   XIIIe  SIECLE 

entière,  le  commencement  de  l'année,  L'Église  avait  en  fait  adopté  celte  date. 

C'est  ce  (|ui  explique  que  Gervais  <Te  Cantorbéry  ait  pu   écrire  au   début   du 

.  xhic  siècle,  après  avoir  signalé  plusieurs 

F  exceptions    locales    :    «   L'année    solaire. 

••jfMMte»d^^fcM»>f-...  ■- ■■■  '-■■    ■■  suivant   la    tradition   îles    Romains  et  la 

I  coutume  de  l'Eglise  de  Dieu,  commence 
aux  Calendes  de  janvier  l  premier  janA  ier  . 
et  se  termine  aux  jours  qui  suivent  la 
Nativité  du  Seigneur,  c'est-à-dire  à  la  fin 
de  décembre.  » 

Analysons  maintenant  les  bas-reliefs 
consacrés  aux  travaux  de  chaque  mois. 
Nous  ne  trouverons  presque  pas  trace  ici 
d'une  influence  littéraire.  Nous  sommes  « 
en  présence  d'une  vieille  tradition  artis- 
tique qui  s'est  perpétuée  à  travers  le*. 
siècles,  mais  que  les  artistes  onl  rajeu- 
nie sans  cesse  par  l'observation  de  la 
réalité  voisine.  Ils  ont  su  rendre  vivantes 
de  1res  antiques  formules.  .Nous  observe- 
rons des  variantes  qui  ont  parfois  leur 
intérêt.  Les  manuscrits  à  miniatures 
nous  fourniront  quelques  exemples.  Les 
livres  de  prières  du  xii°  et  du  xiii°  siècle 
ornés  d'un  calendrier  illustré  sont  in- 
nombrables. Leur  étude,  si  elle  n'apprend 
rien  de  1res  nouveau,  permet  au  moins 
de  reconnaître  la  force  de  la  tradition. 
Pour  le  paysan  i\u  moyen  âge,  janvier 
était  le  mois  des  fêtes  et  du  repos.  De  Noël  jusqu'aux  liois,  il  y  avait  plus  d  un 
prétexte  à  banquets.  Les  instincts  païens,  toujours  vivaces,  reparaissaient  à 
la  laveur  de  la  liberté  des  l'êtes  chrétiennes.  Certains  vieux  calendriers  illus- 
trent   les   premiers  jours   de  janvier  de  deux  cornes  à  boire  '.  Au  \in    siècle,  les 


Fig.   16.  —  Le is  de  mai    Noire-Dame  de  Paris) 


1    Voir  Cahier,  Caractéristique  des  saints.  Article  :  Calendrier. 


L  E    MIROIR   ni:    I.A   SCI  ll.NCK  ,,, 

sculpteurs  nous  montrent  lui  homme  assis,  avec  la  majesté  d'un  roi,  devant 
une  table  bien  garnie.  Parfois  ce  personnage  a  deux  lèles.  et  souvent  l'une  des 
lûtes  est  celle  d'un  jeune  homme,  tandis  que  l'autre  est  celle  d'un  vieillard 
(fig.  33).  Nul  limite  qu'il  ne  faille  reconnaître  là  l'antique  Jet  nus  ùi/'rons,  dont 
l'enseignement  des  écoles  avait  perpétué  le  souvenir.  On  aimait  le  symbolisme 
de  ces  deux  visages  :  l'un  regardait  vers  le  passé,  l'autre  vers  l'avenir;  l'un  ap- 
partenait   à    l'année    qui 


venait  de  s'achever,  l'au- 
tre à  l'année  nouvelle2. 
Parfois  même,  pour  plus 
de  clarté,  on  représentait 
Janus  fermant  une  porte 
derrière  laquelle  dispa- 
raissait un  vieillard,  et 
eu  ouvrant  une  autre  à 
un  jeune  homme  '.  Enfin, 
réfléchissant  que  Janus, 
avec  ses  deux  visages,  ne 
figurait  que  deux  mo- 
ments de  la  durée,  le 
passé  et  l'avenir,  les  ar- 
tistes imaginèrent  île  lui 
en  donner  un  troisième,  pour  signifier  le  présent  :  maladroite  innovation  qui 
n'eut  pas  grande  fortune,  puisqu'on  ne  pourrait  guère  en  signaler  que  deux  ou 
trois  exemples  '.  Ainsi  Janus  en  personne,  assis  à  la  table  de  famille,  ouvre 
joyeusement  l'année  du  moyen  âge. 

Février  ne  marque  pas  encore  la  reprise  des  travaux  des  champs.  En  Italie, 
le  soleil  brille  déjà  et  le  paysan  commence  à  tailler  la  vigne,  comme  on  le  voit 


i  i-_ 


Juin,  Juillel .  Août  (Amiens). 


1  Amiens    [portail  ;  Chartres    portai]   vieux,  porche  'lu  nord  ;    N'olre-Daim    di     Paris  (rose  du   vitrail 
Beaucoup  de  psautiers,   notamment  :  Bibl.  Nat  .   mss    ta.   i  !-jcS.   ■  ;s.    1-20,828,   [ 3g4  ;  Arsenal    psautier  de 
saint  Louis]  :  Sainte-Geneviève,  2200,  2690. 

-  Isidore  de  Séville,  Elymol.  V.    il,   PatroL,  t.  L.WXII.  col     îiij  :       Bifrous  idem   Janus  pingitur,  ni 
introitus  anni  et  exitus  demonstretur.  » 

;:  Portail  de  Saint-Denis;  vitrail  de  Chartres,  lias  côté  méridional  du  chœur;  Arsi  ual    psautier   d 
Louis);    Bibl.  Nat.,  ms.  latin  •>  18. 

'  Vitrail  de  Chartres;  Bibl    Nat.,   ms.  latin   1076.  Je  ne  \<>is   pas  que  les  sculpteurs  aienl  adopté   1  in- 
vention  des  peintres. 


,,.  L'ART   RELIGIEUX    DU   XIII'    SIECLE 

dans  lin  manuscrit  italien  de  la  Bibliothèque  Nationale'.  .Mais,  dans  la  France  du 
nord,  Ile-de-France,  Picardie,  Champagne,  dans  La  France  des  cathédrales, 
février  est  un  rude  mois  d'hiver.  Le  paysan  reste  chez  lui,  quand  rien  ne  I  oblige 
à  sortir,  et  il  se  chauffe  à  un  bon  feu  de  bois.  A  Paris,  à  Amiens,  ces  petites 
scènes  d'intérieur  sont  d'une  charmante  intimité  (fig.  33).  11  semble  que  le 
pauvre  vilain  vienne  de  marcher  longtemps  dans  la  neige,  sons  la  bise  glaciale. 
A  peine  assis,  sans  prendre  le  temps  de  quitter  son  manteau,  il  enlevé  ses  sou- 
liers pour  se  chauffera  Taise.  Un  sent  (pie  la  maison  est  bien  close  au  vent 
d'hiver.  Il  y  régne  une  douce  chaleur  et.  une  sécurité  profonde  :  un  jambon 
pend  au  plafond,  et  il  l'esté  encore,  accroché  au  dressoir,  un  chapelet  d'an- 
douilles. 

En  mars,  il  n'est  plus  permis  de  resterai!  coin  du  feu.  A  Paris,  le  Bélier  du 
zodiaque  île  Notre-Dame  est.  entouré  des  premières  fleurs2.  Pc  paysan  va  a  sa 
vigne.  A  Chartres,  à  Seniur,  à  Rampillon  (fig.  35),  il  la  taille;  ailleurs,  il  la 
bêche,  même  à  Amiens  (fig.  34),  qui  est  aujourd'hui  au  delà  des  limites  où  croit 
la  vigne,  mais  qui  eut  des  vignobles  au  moyen  âge,  comme  le  prouvent  les 
appellations  qui  sont  restées  attachées  à  plusieurs  propriétés.  Connue  le  veut 
est  froid  et  le  ciel  changeant,  à  Chartres  le  vigneron  garde  le  manteau  d'hiver 
et  le  capuchon  :. 

Pour  l'homme  du  moyen  âge,  avril  est  le  plus  beau  mois  de  l'année;  il  le 
préfère  au  mois  de  mai.  In  manuscrit  nous  montre  avril  sous  la  ligure  d'un  roi 
qui  tronc,  une  jeune  branche  dans  une  main,  un  sceptre  dans  l'autre  '.  Avril  est 
le  mois  que  chantent  les  trouvères.  A'os  \ieux  poètes  semblent  n'avoir  senti  que 
le  charme  printanier  de  la  nature,  comme,  plus  tard,  les  peintres  du  xviic  siècle 
n'en  comprirent  (pie  la  splendeur  automnale.  La  première  pointe  du  printemps, 
le  clair  soleil  de  Pâques,  les  vergers  fleuris  SOUS  la  menace  d'un  ciel  changeant 
apportaient  plus  de  joie  au  cœur  du  paysan  du  XIIIe  siècle  que  les  beaux  jouis 
de  Tété.  Pc  mois  d'avril  avec  sa  grâce  indécise,  son  humeur  mobile,  lut  conçu 
comme  un  adolescent  couronné  de  (leurs.   Ainsi  le  représentent  nos  sculpteurs 

Bibl.  .Vil.,  mis.  Latin    >  ■<>. 
J  11  un  est  de  même  au  zodiaque  tir  La  rose  occidentale 

Chartres,  zodiaque  du  porche  «lu  nord. 
•   Bibl.   Mal     ms,  latin  î38,  psautier  du  \m     siècle.  —  A   Soissons,  à  la    Lin   du  moyen  âge,   les  jeunes 
gens  nommaienl  au  mois  >l  avril  un   o  prince  de  ta  jeunesse       Dormay,  llist.  de  Soissons,  liv.  V  I,  ch.  ww; 
la   Ligure  du  mois  il  avril,  telle  que  les  artistes  la  conçoivent,  a  I  air  souvent  d'être  ce  prince  <lr  ta  jeunesse 
Voir  Le  mois  d'avril  <!<■  Rampillon  ,)!;_;.  >5). 


M     MIROIR    DE 

du  siiie  siècle.  A  Charl res,  au 
seu 1 1  de  la  I îeauce,  ;i  vril  p< >rle 
.1  la  main  un  bouquet  d'épis, 
pour  rappeler  que  c'est  à  ce 
moment  de  l'an  née  qu'ils  se 
forment.  Le  même  emblème 
se  remarque  au  portail  de 
Notre-Dame  de  Paris.  Il  sem- 
ble donc  qu'en  ce  doux  mois 
le  paysan  de  la  Beauce  et  tic 
1  Ile-de-France  se  contente  de 
regarder  son  blé  pousser. 
Miiis  le  vigneron  de  la  ( Iliam- 
pagne  ne  se  repose  pas  :  la 
\  igné  est  plus  exigeante  que 
le  blé;  il  fallait  la  bêcher  en 
mars,  il  faut  la  tailler  en 
avril  '. 

Mai  s  avance  en  chevale- 
resque appareil.  Mai  est  le 
mois  des  gentilshommes. 
Avec  les  beaux  jours,  le  ba- 
ron reprend   ses  chevauchées 

cl  ses  chasses.  Dans  nos  ca- 
lendriers sculptés  ou  peints, 
on  le  \<>il  se  promener,  tan- 
tôt à  pied,  tan  loi,  a  cheval  "'. 
Parfois,  connue  au  vitrail  de 
Chartres,  il  a  une  lance    a    la 


1    lù'iin-,  portail. 

-  Les  miniatures  montrent  presque 
toujours  un  <  avalier.  Le  baron  à  cheval 
se  voit  .m  portai]  vieux  el  au  vitrail  de 
Chartres,  au  portail  de  Semur,  au  por- 
tail de  Rampillon  (ig  15  :  .'i  Senlis,  il 
tient   son  chci  al  par  La  bride. 


A   sci  i;.\<;  k 


93 


* 


18.      -  !.'•  mois  de  juillel     Notre  Dame  de  l'aris 


9-4 


1.  A  RT    RELIG1  EUX    1)1'    XIII1    S]  ICI. T. 


111,1111.  mais  le  plus  ordinairement  il  porte  une  branche  pacifique  ou   une  fleur; 
souvent  il  tient   son  faucon   sur   le    poing'   (fig.    36).  Que   fait  cependant    le 

vilain?  Lui  aussi,  il  jouit  de  la  saison   el   des  derniers  loisirs  avant  les  grands 

travaux   de  1  été:   à  Amiens,   il  se  repose  à  l'ombre    fig.    1  ï  . 

En  juin,  on  fauche  les  prés.  A  Chartres  -'.  le  travail  n'a  pas  encore  commence. 

c'est  sans  don  le  le  ma  Lin  de  la  Saint-Barnabe,  date  traditionnelle  :  le  faucheur  s'en 

va  au  pré.   un  chapeau  rond  sur  la   tête,  la  faux  sur  l'épaule,  la  pierre  à  aiguiser 

au  coté.  A  Amiens,  le  faucheur  < -si 
dans  le  feu  de  l'action  :  il  lance  sa 
faux  au  plus  épais  de  l'herbe  fig.  >-  . 
A  l'a  lis,  le  loin  est  déjà  sec  :  le  paysan 
le  rapporte  à  la  grange  et  revient 
courbé  sous  la  charge.  Les  manus- 
crits donnent  tics  variantes  insigni- 
fiantes. Le  manuscrit  italien  déjà  si- 
gnalé '.  <pii  fut  sans  doute  enluminé 
par  un  artiste  de  la  chaude  Campanie, 

lait  commencer  en   juin   la  isson. 

Iles  le  XIIIe  siècle,  on  voit  apparaître, 

dans  les  livres  à  miniatures,  le  motif 

Septembre,  Oclobre,  Novembre  [Amiens  .      de  la  tonte  des  moulons  qui  deviendra 

si   fréquent  au  xve  et  au  \\f  siècle  . 

En  juillet,  la  moisson.  A  Chartres,  comme  presque  partout  ailleurs,  le 
paysan  coupe  le  blé  avec  une  faucille.  .Mais,  au  portail  de  Notre-Dame  de  Paris, 
le  moissonneur,  avant  de  se  mettre  à  l'ouvrage,  d  un  geste  plein  île  vérité. 
aiguise  une  grande  faux"  (fig.  38). 

En  août,  la  moisson  n'est  pas  encore  terminée  :  elle  continue  au  portail  nord 
de  Chartres,  à  Paris,  à  Reims.  Mais  ailleurs,  à  Senlis,  à  Semur,  à  Amiens  (fig.  \~  . 
on  commence  déjà  à  battre.  Rude  besogne  :  le  paysan,  nu  jusqu'à  la  ceinture6, 


i-ig.  (9. 


1   Chartres,  .mx   drus   portails.  —  Notre-Dame  de  Paris,  portail;  le  personnage  de  la   rose  de  Notre- 
Dame  esl  une  restauration.  —  .Smli-.  portail. 
J   Porche  du  nord. 

Bibl.  .Vit.,  m*    latin   tao. 
;    Bibl.  Sainte-Geneviève,  ins.  •■.•.'.ou  (Imaige  de]  monde,  mit  siècle 
•   A  Notre-Dame  de  Paris  le  signe  du  Lion  ;i  été  placé  par  erreur  en  juillet. 
'    Rose  de  Notre-Dame  de  Paris;  manuscrits.  A  Amiens,  il  esl  habilli 


LE    MIROIR   DE   LA   SCIENCE  ,,, 

travaille  seul,  sans  un    compagnon    qui  le   soutienne  du  rythme    de   son   fléau. 

Septembre.  Le  paysan  a  à  peine  eu  le  temps  de  reprendre  haleine,  et  déjà  la 
vendange  arrive.  Dans  cette  vieille  France,  qui  semble  avoir  été  plus  chaude  que 
la  nôtre1,  <>n  avail  vendangé  partout  à  la  fin  de  septembre,  et  le  vigneron  dan- 
sait joyeusement  dans  la  cuve.  La 
Champagne  seule  faisait  exception. 
A  la  cathédrale  de  Reims,  on  bat  en- 
core le  blé  en  septembre,  et  ce  n'est 
qu'en  octobre  qu'apparaissent  la  cuve 
cl  le  tonneau.  A  Amiens,  on  récolte 
les  frui  ts  |  lii;-.     i((  . 

Octobre,  dans  nos  provinces  aux 
vignes  illustres,  voit  la  lin  des  Iras  aux 
du  vigneron.  Lu  Bourgogne  (Se mur), 
en  Champagne  (Reims),  le  vin  qui  a 
fermenté  dans  la  cuve  est  transvasé 
dans  les  tonneaux.  Ailleurs,  à  Paris, 
à  Chartres,  c'est  le  temps  des  se- 
mailles. L'homme,  qui  a  repris  le  man- 
teau d'hiver2,  semble  marcher  avec 
lenteur  sous  b'  ciel  dé|à  froid  d'oc- 
tobre. Le  grain  emplit  son  tablier. 
Le  bras  prend  son  (dan  pour  disperser 
au    loin     la    semence.    La    beauté    du 


i  ii 


■I  "■  lobre    .Notre-Dame  .1-  l',,ri-\ 


ci  geste  auguste  »  a  été   parfaitement  sentie    par    les   artistes   du  \m"  siècle 

En  novembre,  il  faut  se  préoccuper  de  l'hiver  qui  approche.  A  Reims,  le 
paysan  va  faire  sa  provision  de  bois.  A  Paris,  à  Chartres,  on  voit  le  porcher 
avec  son  troupeau  à  la  lisière  des  forêts.  Le  sont  les  forcis  de  chênes,  les 
grandes  forêts  druidiques  de  la  Gaule,  si  profondes  encore  au  \m  siècle.  Les 
vents  d'automne  ont  abattu  les  glands,  et  les  porcs  s'engraissent  pour  les  fêtes 


1    M.  de  Caumont  avail   déjà   posé  celle  question   au   congrès  des   Sociétés   savantes  de  Paris  en  îfi'.-: 
l'examen  des  zodiaques  indique-t-il  des  changements  dans   l'époque  de-   récoltes    •■!    dès    semailles?  l/iull. 

iiitmiini..  r  XXIII,  p.  26g  el  suiv.).  La  vendange  seule  semble  avoir  été  un  peu  plus  prée( 

Notre-Dame  <l<-  Paris,   r< >sr . 

Par  exemple,  .m  portail  de  Notre  Dai I.-  Paris  :  le  bas-relief  osl  malheureuseim  ni  1res  mutilé    h 


96  L'ART    RELIGIEUX    DU    XIIIe   SIKCLE 

de  décembre.  En  plus  d'un  endroit,  à  Chartres  même  ',  à  Semur,  on  tuait  et  on 
s;il;\il  le  porc  dès  novembre.  Mais  à   Paris,  à  Reims,  à  Senlis,  <>n  attendait  le 
mois  suivant.  A  Amiens,  où  le  calendrier  est  un  peu  en  retard,  le  paysan  sème 
fig.39). 

La  lin  de  décembre  est,  comme  le  commencement  de  janvier,  un  temps  de 

réjouissance  et  de  repos.  Il 
semblequ'on  n'ait  d'autre  préoc- 
cupation que  de  préparer  les 
joyeux  banquets  de  Noël.  Bas- 
reliefs  et  manuscrits  ne  nous 
montrent  que  gens  occupés  à 
tuer  le  porc,  à  assommer  le 
bœuf J.  à  enfourner  des  gâteaux  . 
Parfois  aussi,  décembre,  comme 
■^  j»  **  #'  |an\ier.  esl  représen  té  suus  la 
? *■  '  paMl      ligure  d'un    joyeux    compagnon, 

\ .1^*i^^  ~w:"w?rJII      I''  \env  cl   le   couteau  en    main. 
H     assis    en    lace    d'un    jambon    '. 

[•ig.  41.-     Octobre,  Novembre    Ramp u).  L'année    commence   et    s'achève 

dans  la  joie  ". 
Tout  cela  simple,  grave,  tout  près  île  l'humanité.  Il  n'y  a  rien  la  des  grâces 
un  peu  fades  des  fresques  antiques  :  nul  amour  vendangeur,  nid  génie  ailé  qui 
moissonne.  Ce  ne  sont  pas  non  plus  les  charmantes  déesses  florentines  de 
Botticelli  qui  dansent  à  la  léte  de  la  l'rimavera.  C'est  l'homme  tout  seul,  luttant 
avec  la  nature;  et  l'œuvre  est  si  pleine  (le  \  ie,  qu'elle  a  gardé,  après  cinq  siècles, 
toute  sa  puissance  d'émouvoir. 


1    Vitrail   el    portail  vieux.  Dr    môme    dans    les    manuscrits  :    Bibl.    Nat.,  mss    [alias    i"77-    a38,   1  >i<>, 

'  Bibl.  Nat.,  ros.  lati 77. 

Bibl.  Nat.,  ms.  lai  in   1  ia/j 

■    Chartres  :  portail    vii'iix:    vitrail.  Jiibl.  de  [Arsenal  :   bréviaire  de  saint  Louis;     Bibl     Nat.,    ms.  latin 
I20    i38. 

Le  moyen  Sec  résumait  en  quatre  vers  latins  bien  connus  les  occupations  « I .   chaque  mois  ; 

Polo,  li^mi  cremo,  de  vile  superflua  démo; 

Do  graine n  gralum,  mihi  flos  servit,  mihi  pratttm; 

Feenum  declino,  messes  meto,  vina  propino; 

Semen  humi  jaclo,  mihi  pasco  suein,  immolo  porcos. 


LE    M  IKOI  R    1)K    LA   SCIENCE  ,,- 


I  I 


Des  travaux  manuels,  l'homme  s'élève  a  la  science.  Le  savoir,  en  dissipant 
1  erreur,  nous  relève  en  partie  de  la  chute  originelle.  Les  sept  ails  ouvrent  sept 
voies  (trivium  et  quadrivium)  à  L'activité  humaine.  Dans  la  grammaire,  la  rhéto- 
rique et  la  dialectique  d'une  part,  dans  l'arithmétique,  la  géométrie,  l'astron ie 

et  la  musique  d'autre  part,  sont  contenues  presque  toutes  les  connaissances 
(jue  l'homme  peut  acquérir  en  dehors  de  la  révélation'. 

Au-dessus  des  sept  arts  s'élève  la  Philosophie  qui  en  est  la  mère.  La  Philo- 
sophie et  les  sept  arts  sont  le  suprême  effort  de  l'intelligence  humaine  :  au  delà 
commence  l'œuvre  de  Dieu. 

Nos  artistes  du  xm°  siècle,  jaloux  d'embrasser  tout  le  domaine  de  l'activité 
humaine,  ne  manquèrent  pas  de  sculpter  ces  huit  Muses  du  moyen  âge  à  la 
façade  de  nos  cathédrales.  Elles  se  présentent  généralement  sous  la  figure  de 
jeunes  femmes  pleines  de  gravité,  majestueuses  comme  des  reines.  On  recon- 
naît au  premier  coup  d'œil  qu'elles  n'ont  jamais  vécu  de  notre  vie,  qu'elles 
trônent  au-dessus  du  monde  comme  ces  Idées  dont  parle  Gœthe.  Elles  tiennent 
à  la  main  divers  attributs,  clairs  sans  doute  pour  les  contemporains,  mais 
obscurs  pour  nous.  Il  importe  donc  île  les  expliquer,  et  nous  v  parviendrons 
sans  peine,  si  nous  remontons  jusqu'à  l'origine  de  ces  personnifications  des 
sciences. 

La  division  des  sciences  en  trivium  et  en  quadrivium  a  été  imaginée  par  les 
anciens.  .Mais,  c'est  à  la  lin  du  monde  antique,  à  l'heure  ou  les  barbares  mena- 
çaient de  faire  disparaître  les  derniers  restes  de  la  civilisation,  que  quelques 
esprits  cultives  s'efforcèrent  île  sauver  les  sciences  en  les  présentant  sou-,  le 
plus  petit  volume.  Saint  Augustin  lut  sans  doute  le  premier  qui  songea  à 
composer  un  manuel  des  sept  arts;  mais  son  Encyclopédie,  dont  nous  ne  possé- 
dons plusqu'un  fragment,  demeura  inachevée2.  Boèce  écrivit  quelques  chapitres 
du  quadrivium  :  son  De  institulione  avitlimetica  en  deux  livres,  son  De  musica 

1   Saint  Augustin,  Traité  /'<■  ordine,  II.   i  ■     Patrol  ,  i     XXXII,  col.    ion. 

i  Saiiil   Augustin  dit  qu'à  Mil, m  il  ,i\,ul  écrit  six  livres  sur  la    Musique  et  nu  livre  mil-  la  Grammaire;   il 

ajoute  qu'il  composa  plus  tard  des  traités  de  Rhétorique,  de  Géométrie,  d  Aritl tique  .'i  de  Philosophie. 

Voir  Retractationum  libri  duo,  I.  6    Patrol  .  t.  XXXII,  col.  585  el  suiv. 


98  L'ART   RELIGIEUX    DU    XIII"   SIÈCLE 

en  cinq  livres,  son  Ars  geometrica*  transmirent  au  moyen  âge  quelques  pauvres 
fragments  de  la  science  grecque.  Vers  le  même  temps,  Cassiodore,  dans  son  De 
artibus  ac  disciplinis  liberalium  litterarum,  donna  un  manuel  complet  des  sepl 
arts2.  Avec  Cassiodore,  la  pensée  antique  s'obscurcit  tout  à  fait.  Son  livre 
était  destiné  aux  moines  de  Vivarium,  auxquels  il  s'efforce  de  démontrer 
que  les  sept  arts  sont  indispensables  à  l'intelligence  des  Ecritures.  Car,  dit-il, 
.Moïse  posséda  dans  sa  plénitude  la  connaissance  des  sept  arts,  et  les  païens 
n'ont  fait  que  lui  dérober  quelques  lambeaux  de  sa  science. 

Isidore  de  Séville,  au  seuil  du  moyen  âge,  consacra  définitivement  dans  ses 
Etymologies\a  division  du  trivium  et  du  quadrivium3. 

Les  cadres  où  le  moyen  âge  s'enferma  furent  donc  tracés  dès  la  lin  de  l'an- 
tiquité. Les  livres  que  nous  venons  de  citer  furent  tous  classiques  au  xn'  et  au 
xiii"  siècle;  mais  il  en  est  un  qui,  dans  les  écoles,  fut  plus  célèbre  que  tous  les 
autres  :  c'est  le  fameux  traité  des  sept  arts  que  Martianus  Capella  publia  sous 
le  titre  fallacieux  de  Noces  de  Mercure  cl  de  la  Philologie.  Martianus  Capella, 
grammairien  africain  du  v°  siècle,  eut  la  prétention  d'égayer  l'austérité  de  la 
science  par  les  grâces  de  l'imagination.  Son  manuel  s'ouvre  par  un  roman.  11 
imagine  que  Mercure,  décidé  enfin  à  prendre  femme,  demande  la  main  de  la 
Philologie.  Le  jour  du  mariage,  la  jeune  épouse  se  présente  avec  son  cortège 
composé  des  sept  sciences  du  trivium  et  du  quadrivium.  Chacune  des  para- 
nymphes  s'avance  à  son  tour,  et  elle  fait,  en  présence  du  dieu,  un  long  dis- 
cours qui  est  un  traité  complet  de  la  science  qu'elle  représente.  Nous  ren- 
controns là,  pour  la  première  fois,  les  sciences  personnifiées.  Les  figures  bizarres 
enfantées  par  l'imagination  africaine  de  Martianus  Capella  s'imposèrent  à  la 
mémoire  du  moyen  âge  plus  tyranniquement  cjue  les  plus  pures  créations  des 
maîtres.  Elles  vécurent  jusqu'à  la  Renaissance  de  vie  puissante  de  l'art*.  Un 
obscur  rhéteur  d'Afrique  a  fait  ce  que  peu  d'hommes  de  génie  ont  su  faire  :  il 
a  créé  des  types.  Les  artistes  du  moyen  âge,  il  est  vrai,  durent  travailler  à 
simplifier  ces  figures  surchargées  d'ornements  connue  des  femmes  de  Carthage. 

La  Grammaire,  que  Martianus  Capella  introduit  d'abord,  s'avance  vêtue  de 
la pœnula.    Elle  porte  à  la  main  un  étui  d  ivoirequi  ressemblée  la  trousse  d'un 

1  L'attribution  de  XArs  geomelrica  à  Boèce  .1  été  contestée. 

-  Patrol.,  1.  LXX,  col.  11  [9  el  suiv. 

;  Etymol,  liv.  [.  f;,tn,l..  1,  LXXXII. 

1  Voir  Les  fresques  des  Arts  libéraux,  que   Botticelli  peignit  a  la    villa  Lemmi;  aujourd  hui  an  Louvre. 


LE    MIROIR   DE    LA   SCIENCE  99 

médecin,  car  la  grammaire  est  une  vraie  thérapeutique  qui  nous  guérit  de  tous 
nos  vices  de  langage.  Dans  sa  trousse  on  peut  voir,  entre  autres  choses,  de 
l'encre,  des  plumes,  un  martinet,  des  tablettes  et  une  lime  où  des  traits  d'or 
marquent  huit  divisions,  symboles  des  huit  parties  du  discours.  On  aperçoit 
encore  une  sorte  de  scalpel  (scalprum),  avec  lequel  la  Grammaire  fait  diverses 
opérations  à   la  langue  et  aux  dents  pour  rendre  la  prononciation  plus  facile'. 

La  Dialectique,  qui  vient  ensuite,  est  une  femme  maigre  drapée  dans  un 
manteau  noir  :  des  yeux  vifs  brillent  dans  son  visage  pale;  ses  cheveux,  enrou- 
lés avec  art,  descendent  par  étages  sur  ses  épaules.  I  )e  la  main  gauche,  elle  tient 
un  serpent  à  moitié  caché  sous  sa  robe;  dans  la  main  droite. elle  a  une  tablette 
de  cire  et  un  hameçon2.  Rémi  d'Auxerre,  qui  écrivit  au  x'  siècle  un  commen- 
taire sur  Martianus  Capella,  n'est  nullement  embarrassé  pour  expliquer  les 
attributs  de  la  Dialectique  :  la  subtilité  du  moyen  âge  ne  s'étonnait  pas  de  celle 
des  rhéteurs  antiques.  Suivant  lui.  les  cheveux  roulés  désignent  le  syllogisme, 
le  serpent  les  ruses  sophistiques,  l'hameçon  les  arguments  captieux'. 

La  Rhétorique  est  une  vierge  armée  qui  marche  au  son  des  trompettes.  Elle 
est  belle,  grande,  svelte;  un  casque  couvre  sa  chevelure  et  elle  brandit  des 
armes  menaçantes.  Sur  sa  poitrine  étincellent  des  pierreries,  et  un  manteau 
brodé  de  mille  figures  l'enveloppe '. 

La  Géométrie  porte  une  robe  merveilleuse  :  on  y  voit  brodés  le  mouvement 
des  astres,  l'ombre  que  fait  la  terre  dans  le  ciel,  les  signes  du  gnomon.  Dans  sa 
main  droite,  elle  tient  un  compas  [radius),  dans  sa  main  gauche,  une  sphère. 
Devant  elle,  on  a  place'-  une  table  couverte  de  poussière  verdâtre  où  elle  dessi- 
nera ses  figures  . 

L'Arithmétique  a  la  beauté  grandiose  des  déesses  primitives  ;  en  la  contem- 
plant, on  comprend  qu'elle  est  née  avec  le  monde.  De  son  front  s'échappe  un 
rayon  qui  bifurque  et  devient  double,  puis  triple,  puis  quadruple,  et  qui,  après 
s'être  multiplié  à  l'infini,  revient  à  l'unité.  Ses  doigts  sont  agiles  et  se  meuvent 
avec  une  incompréhensible  rapidité.    Leur  mouvement  rappelle  celui  des   vers 


1  Martianus  Capella,  liv.  lit.  22Î.  Édit.  Teubm  r,   t866 

2  lbid.,  liv.    IV,  3a8. 

:   Le  commentaire  de  Rémi  d'Auxerre  sur  Martianus  Capella   a  été  publié  par  Corpi     dans  Ir*.  Annales 
archéol.,  t.  XVII,  p.  89  el  suiv. 
1   Mart.  Capella,  liv.   V,   i'ij. 
■  //,/,/..   liv.  VI.  '>*"  el   587. 


roo  L'ART    RELIGIEUX    1)1"    XIIIe   SIECLE 

[vermiculati),  et  symbolise,  affirme  Hemi  d'Auxerre,  la  rapidité  de  ses  cul- 
culs  '. 

L'Astronomie  jaillit  soudain  d'une  auréole  de  flammes.  Elle  apparaît  avec 
une  couronne  d'étoiles  sur  ses  cheveux  étincelants.  I>lle  ouvre  deux  grandes 
ailes  d'or  aux  plumes  de  cristal.  Elle  porte,  pour  observer  les  astres,  un  instru- 
ment coudé  cpii  brille  dans  sa  main  [cubitalem  fulgentemque  mensuram).  Elle 
a  aussi  un  livre  fait  de  l'assemblage  de  plusieurs  métaux,  qui  expriment,  d'après 
Hemi  d'Auxerre,  la  variété  des  zones  et  des  climats  qu'elle  étudie  *. 

La  Musique  enfin,  la  belle  Harmonia,  s'avance  avec  un  cortège  de  déesses, 
de  poètes  et  de  musiciens.  Orphée,  Amphion,  Arion,  la  Volupté,  les  Grâces 
chantent  doucement  autour  d'elle,  pendant  qu'elle  tire  d'ineffables  accents 
d'un  grand  bouclier  d'or  tendu  de  cordes  sonores.  Des  pieds  à  la  tête  elle  n'est 
qu'harmonie  :  à  chacun  de  ses  mouvements,  les  lames  d'or  de  son  costume 
frissonnent  mélodieusement8. 

Tels  sont,  autant  que  l'obscur  latin  de  Martianus  Gapella  permet  de  le  devi- 
ner, les  attributs  et  l'aspect  des  sept  suivantes  de  la  Philologie. 

Ces  sept  grandes  ligures  de  femmes,  éclatantes,  surnaturelles  comme  des 
mosaïques  byzantines,  éblouirent  le  moyen  âge.  Dès  le  temps  de  Grégoire  de 
'l'ours,  la  connaissance  du  livre  de  Martianus  Gapella  était  considérée  comme 
indispensable  à  tout  homme  d'église1.  Au  xie,  au  xn°,  au  xin'  siècle,  il  figurait 
dans  la  plupart  des  bibliothèques  de  monastères  ou  de  chapitres,  comme  le 
prouvent  les  anciens  catalogues  publiés  par  M.  Léopold  Delisle5. 

Désormais,  toutes  les  fois  que  les  poètes  essaieront  de  personnifier  les  arts 
libéraux,  leur  fantaisie  ne  sera  plus  libre,  ils  ne  pourront  oublier  les  descriptions 
du  rhéteur  africain. 

Il  est  facile  d'en  donner  la  preuve.  Théodull'e,  évêque  d'Orléans  du  temps  de 
Charlemagne,  a  laissé  un  petit  poème  latin  sur  les  sept  arts".  Il  prétend  s'être 

I  Martianus  Gapella,  liv.  VII,  729. 
-  Ibid.,  Iiv.  VIII,  81  1. 

11,1,1  .liv.    I\.  909 

•  Grégoire  <1il  Tours,  Ih^l    Franc,  dernier  chapitre. 

8  L.  Delisle,  Le  Cabinet  des  manuscrits,  t.  II,  pp.  [29,445,  i  i~.  3  io,  536  Saint-Amand,  Cluny,  Corbie, 
Saint-Pons  de  Tomières,  etc.  ;  t.  III.  p  9,  catal.  de  l'ancienne  Bibl.  de  la  Sorbonne.  —  Martianus  Capella 
figure  dans  la  bibliothèque  du  chapitre  de  Rouen  au  mi"  siècle  Revue  de  l'Art  chrétien,  1886,  p.  [55  :  on  le 
trouve  di  ux  fois  dans  le  vieux  catalogue  des  livres  appartenant  au  chapitre  de  Bayeux    Bullet    archéol.  t/n 

Comité,  [896,  p.    i''.  Il  figure  trois  fois  dans  la  bibliothèq 1rs   papes  d'Avignon.   (Maurice  Faucon,   La 

Librairie  des  papes  ,1  Avignon.  Paris,  1886,  in  s,  1.  1 .  p,  ■  8S,  el  1.  II.  p|>     ; ■•.  ci  i  1 

II  Théodulfe,  De  Septem  liberalibus  arlibus  111  quadam  pictura  depictis.   Patrol.,  1.  CV,  col.    ',  < ', 


LE   MIROIR   DE    F. A    SCIENCE  ,,,, 

inspiré  d'une  peinture   qu'il  avail   sous    les   veux.    Voici  comment   il   décrit  la 
Grammaire  : 

...  laeva  tenet  flagrum,  sru  dextra  machacram. 

ci  Sa  main  gauche  tient  un  fouet,  sa  main  droite  un  coutelas  ou  mieux,  un 
scalpel).  »  On  reconnaît  deux  des  attributs  imaginés  par  le  rhéteur  africain.  — 
La  Dialectique  est  caractérisée  par  un  serpent  qui  se  dissimule  sous  son  manteau  : 

...  corpus  tamen  occulit  anguis. 

La  Géométrie  porte  dans  sa  main  droite  un  compas,  dans  sa  main  gauche 
une  sphère  : 

Dextra  manus  radium  Leva  vehit  rotulam. 

L'imitation  de  Martianus  Gapella  est  évidente. 

Quatre  cents  ans  après,  Alain  de  Lille,  le  plus  grand  poète  latin  du  moyen 
âge,  décrit  à  son  tour  les  sept  arts;  il  ajoute,  il  retouche,  mais  il  conserve  aussi 
beaucoup  de  traits  imaginés  par  Martianus  Gapella. 

Alain  de  Lille  fait  pressentir  Dante1  :  comme  lui,  il  a  essayé  de  résumer  en 
un  poème  symbolique  toute  la  science  de  son  temps.  Il  traça  la  première  ébauche 
du  monument  colossal  que  Dante  édifia.  Son  livre,  Y Anticlaudianus,  est  le  plus 
noble  effort  de  l'art  du  cloître.  Son  vers  est  d'une  charmante  harmonie,  sa 
pensée  est  haute  et  pure.  Que  manque-t-il  à  son  poème?  On  ne  sait  :  l'air 
respirable,  la  vie. 

Il  imagine  que  la  sagesse  purement  humaine,  la  Philosophie  [Prudentia)  veut 
monter  —  comme  fera  hante  —  à  la  recherche  de  Dieu".  Il  lui  faut  un  char 
comme  on  n'en  vit  jamais,  capable  de  l'emporter  dans  l'infini.  A  sa  demande, 
les  sept  arts  en  personne  viennent  travailler  à  ce  char  merveilleux,  <|iii.  comme 
on  le  voit,  symbolise  la  Science. 

La  Grammaire  vient  d'abord  :  c'est  une  matrone  majestueuse,  dont  les 
mamelles  gonflées  sont  toujours  prêtes  à  verser  le  savoir.  Mais,  si  elle  est  douce 
comme  une  mère,  elle  est  aussi,  quand   il  le  faut,   sévère  comme  un  père.   Elle 


1  Alain  de  Lille,  né  vers  1 1  > S .  est  morl  en  1202  à  Cîteaux  Voir  liauréau,  Mém.  •  {end  des  fus 
cript.  et  Belles-Lettres,  t.  XXXII.  1886,  p.  1  e(  suiv.  Voir  aussi  Hist.  littér.  </-■  la  Fraiia  .  I.  XVI.  |>.  «96  et 
suiv. 

-  Chez  Dante  toul  esl  plus  vivant  :  la  Scien :'esl   Virgile,  la  Théologie  c'esl  Béatrix. 


,,,.  L'ART   RELIGIEUX    DU   Mil"   SIECLE 

tient  d'une  main  une  férule  (scuticam),  et  de  l'autre  un  scalpel  pour  enlever  la 
rouille  des  dents  et  rendre  la  liberté  à  la  langue  : 

linguasque  ligatas 

Solvit1. 

Elle  fait  le  timon  du  char  et  y  sculpte  le  portrait  des  grands  grammairiens  : 
Donat,  Aristarque. 

La  Dialectique  se  présente  ensuite.  Les  veilles  l'ont  amaigrie,  mois  n'ont  pas 
éteinl   l'éclat  de  ses  yeux.  Ses  cheveux  ne  sont  pas  soutenus  par  le  peigne.   De 

la   main  gauche  elle    porte,    non  pas  un    serpent,   mais  un  scorpioi -nacant". 

Elle  fait  l'essieu  du  char. 

La  Rhétorique  a  le  visage  enflammé,  la  physionomie  changeante.  Sa  robe 
brille  de  mille  couleurs  :  elle  porte  à  la  main  une  trompette.  Elle  orne  le  char 
d'un  revêtement  d'or  et  d'argent,  et  sur  le  timon  elle  sculpte  des  fleurs  '. 

L'Arithmétique  s'avance  éclatante  de  beauté.  Elle  porte  la  table  de  Pytha- 
gore,  et  de  la  main  montre  «  des  batailles  île  chiffres  ».  Elle  fait  la  première 
roue  du  char  '. 

La  Musique  jonc  de  la  cithare  :  elle  fait  la  seconde  roue5. 

La  Géométrie  tient  un  étalon  avec  lequel  elle  mesure  le  monde  : 

Virgam  virgo  gerit,  qua  totum  circuil  orbem6. 

Elle  fait  la  troisième  roue. 

L'Astronomie,  qui  vient  la  dernière,  levé  la  tète  vers  le  ciel.  Elle  est  vêtue 
d'une  tunique  étincelante  de  diamants,  et  elle  porte  à  la  main  une  sphère.  Elle 
lait  la  quatrième  roue. 

Quand  le  chai-  est  terminé,  la  Philosophie  y  attelle  cinq  coursiers  fougueux, 
qui  sont  les  cinq  sens,  et,  lâchant  la  bride,  elle  s'élance  vers  le  ciel. 

Il  est  a   peine  nécessaire  de  faire  remarquer  les  emprunts  qu'Alain  de  Lille  a 

1  Anliclaudianus,  liv.  Il,  chap.  vu.  PatroL,  i.  CCX. 

Nous  trouvons  chez  Alain  de  Lille,  | ■  la  première  fois,  te  serpent  remplace  par  un  scorpion    t.  .ni 

is  in  fournira  plus  d'un  exemple. 

tnticlaudianus,  liv     III.  ch.  ii, 

•  Ibid.,  liv.  lit.  cli.  iv. 

•  //.„/  .   liv     III.  ch.   v. 

'    Ibid.,  liv.  III,  ch.  vi    Alain  de  Lille  a  Ira' In  il  1.-  mol      radius  »  qu'emploie  Marti; -  I  apella,  nonpas  par 

,    compas  »,  mais  par  "  règle  à  mesurer  o     La  même  interprétation  si-  trouve  dans  Rémi  d'Auxerre,   qui 
commente  o  radium  »  par  «  virgam  geometricalem  ». 


LE   MIROIR    DE    LA    SCIENC  I,  ,,,  ; 

faits  à  Martianus  Capella.  L'imitation  est  trop  visible  :  imitation  discrète  d'ail- 
leurs et  qui  dépouille  le  modèle  de  beaucoup  d'ornements  superflus  '. 

Faut-il  insister  davantage?  Est-il  nécessaire  de    rappeler  qu'Henri  d'Andeli 

lit,  au  Mil1'  siècle,  en  langage  vulgaire,  une  «  bataille  des  sept  arts  ».  et  Jean  le 
Teinturier  un  «  mariage  îles  sept  arts  »,  où  nous  retrouvons  les  personnifica- 
tions accoutumées?  Faut-il  rappeler  encore  queles  images  un  peu  pédantesques 
des  sciences  ont  trouvé  place  jusque  dans  les  poèmes  chevaleresques,  et  que, 
dans  le  roman  (Y Hrcc  et  Enide  de  Chrestien  de  Troves.  les  fées  brodent  sur  une 
robe  les  Muses  du  quadrivium2? 

Après  tous  ces  exemples,  il  paraîtra  sans  doute  bien  établi  qu'au  xme  siècle, 
les  ligures  créées  par  Martianus  Capella  ont  été  acceptées  de  tous  les  écrivains. 

Les  artistes  se  montrèrent  aussi  dociles.  Les  plus  anciennes  représentations 
des  Arts  libéraux  se  trouvent  à  la  façade  de  Chartres  et  à  celle  de  Laon1.  Il 
semble  qu'il  en  devait  être  ainsi,  car  peu  d'écoles  au  moyen  âge  furent  plus 
célèbres  que  celles  de  Chartres  et  de  Laon. 

Dès  la  fin  du  x"  siècle,  les  écoles  de  la  cathédrale  de  Chartres,  dont  l'histoire 
a  été  récemment  écrite,  jetèrent  un  admirable  éclat5.  Fulbert,  «  ce  vénérable 
Socrate  »,  comme  l'appelaient  ses  disciples,  v  enseignait  toutes  les  sciences  hu- 
maines. Déjà  les  élèves  commençaient  a  accourir  des  provinces  les  plus  reculées 
et  jusque  de  l'Angleterre.  Plus  tard,  le  grand  évèque  saint  Les,  puis  Gilbert  de 
la  l'orée  et  Jean  de  Salisbury,  dirigèrent  tour  à  tour  cette  école  fameuse.  Les 
maîtres,  qui  comptent  parmi  les  plus  grands  du  moyen  âge,  se  distinguaient 
par  leur  science  encyclopédique,  leur  respect  des  anciens,  leur  mépris  pour 
les  nouvelles  méthodes  d'enseignement  qui  prétendaient  rendre  l'acquisition 
du  savoir  plus  rapide  et  plus  facile.  Gilbert  de  la  Porée.  Jean  de  Salisbury  luttè- 
rent toute  leur  vie  contre  les  Corniliciens,  dangereux  novateurs  qui  voulaient 
proscrire   l'antiquité    et   réduire    à    un   petit    nombre    d'années    la    durée    des 

1  Citons  encore  le  poème  latin  de  Baudri,  abbé  de  Bourgueil  [composé  avant  i  10-),  publié  par  M .  Li  op. 

Delisle.  Le  poète,  décrivant  la  chambre  de  la  c tesse  Adèle,  lille  de  Guillaume  le  Conquérant,  suppose 

que  sou  lil  est  orné  delà  figure  des  .iris  libéraux.  Il  emprunte  une  foule  'I'-  traits  à  Martianus  Capella. 

-  Erec  et  Enide.  Bibl.  Xat.,  ms.  français  i  î/6,  loi.  >  i  > 

■   Portail  vieux  [porte  de  droite). 

*   Laon,  façade,  dans  les  voussures  de  la   fenêtre  'I.1  gauche  rang      <  >n  aurait  beaucoup  de  peine  a 

étudier  ces  Ggures  si  elles  n'avaient  été  reproduites  par  Viollet-le  Duc  Dut.  raisonné  de  I  Archit.,  article  : 
Arts  libéraux).  A  Laon,  un  vitrail  [rose  'lu  nord    esl  encore  consacré  au.v    \  lux.  Il  a  été  restauré; 

reproduit  par  Martin  el  Cahier  :  Mélanges  d'arch  .  I  IV.  Voir  ans-i  :  les  Vitraux  de  l.'i<,n.  par-  MM.  de 
Florival  el   Midoux.  Paris,   [882-91. 

"  Voir  h'  travail  si  complet  de  l'abbé  Clerval,  les   Ecoles  de    Chartres  au  moyen  ùge.  Paris,   1893,  iu-8. 


,,,;  L'ART   RELIGIEUX    1)1    XIII'    SIÈCLE 

études.  Pendant  tout  le  xit0  siècle,  les  écoles  de  Chartres  furent  le  sanctuaire 
de  la  tradition,  le  refuge  de  l'antiquité.  Jamais  païen  de  la  Renaissance,  ivre 
de  grec  et  de  latin,  n'a  parlé  plus  magnifiquement  des  anciens  que  Bernard. 
écolâtre  «le  Chartres  au  \n'  siècle  :  «  Si  nous  voyons  plus  loin  qu'eux,  dit-il, 
ce  n'est  pas  à  cause  de  la  puissance  de  notre  vue,  c'est  parce  que  nous  sommes 
élevés  par  eux  et  portés  à  une  hauteur  prodigieuse.  Nous  sommes  des  nains 
montés  sur  les  épaules  des  géants  '.  » 

Ne  nous  étonnons  donc  point  de  voir  la  série  des  sept  arts  sculptée  au  por- 
tail de  Chartres.  Nulle  part  les  sept  vierges  de  Martianus  Capella  ne  furent  plus 
honorées  au  moyen  âge. 

L'école  de  Laon  fut  presque  aussi  célèbre  que  celle  de  Chartres.  Elle  eut 
deux  maîtres  qui,  pendant  prés  d'un  demi-siècle,  en  firent  la  première  école  de 
la  chrétienté:  Raoul  et  surtout  Anselme  de  Laon2.  Anselme  de  Laon,  «  la  lumière 
de  la  France  et  du  monde  »,  comme  l'appelle  Guibert  de  Nogent  ',  fut  le  maître 
de  Guillaume  de  Ghampeaux  et  d'Abélard.  On  venait  étudier  à  Laon  de  l'Italie 
et  de  l'Allemagne.  Des  maîtres  déjà  fameux  quittaient  leur  chaire  et  s'asseyaient 
de  nouveau  sur  les  bancs  pour  entendre  les  leçons  d'Anselme*.  Rien  ne  décou- 
rageait les  élèves,  ni  la  distance,  ni  les  événements  tragiques  qui  s'accomplis- 
saient à  Laon  sous  leurs  yeux  :  l'incendie  delà  cathédrale,  le  meurtre  de  l'évè- 
que,  l'exil  des  citoyens s. 

11  semble  vraiment  que  les  Arts  libéraux  de  Laon  aient  été  sculptés  à  la 
façade  de  la  nouvelle  cathédrale  et  peints  sur  une  des  roses,  près  d'un  siècle 
après,  en  mémoire  d'Anselme,  «  le  docteur  des  docteurs  ». 

A  Auxerre,  les  Arts  libéraux  sont  aussi  représentés  deux  fois6.  C'est  que 
l'école  de  la  cathédrale  d'Auxerre  avait  eu,  au  xn  siècle,  une  réputation  qui 
s'était  étendue  au  loin.  Thomas,  plus  tard  archevêque  de  Cantorbéry,  revenant 
de  Bologne,  crut  devoir  terminer  ses  études  à  Auxerre7.  On  peut  affirmer  d'une 
façon  générale  que  dans  toutes  les  églises  où  l'on  voit  représentés  le  trivium  et 

'  Cité  par  Jean  de  Salisbury  dans  sa  Mélalogique,  III.  i.  Patrol.,  i.  CXCIX,  col.  900. 
J   l' m  ilu  m'  siècle. 

:1  Dr  vitasua,  liv.  III.  ch.  iv.  Patrol.,  1    CI. VI 

*  Sur  Anselme  de  Laon.  voir Hist.  littêr.  de  lu  France,  t.  \II    p.  89  el  suiv. 
1  (  les  événements  se  passaient  en  1  1 1  j;  Anselme  csi  mort  en  m  7. 
Si  ulptés  à  la  façade  occidentale,  portail  de  droite  (très  mutilés),  el  peints  à  la  rose  d'une  fenêtre  du 
chœur.  Le  vitrail  a  été  publié  par  Cahier  el  Martin,    Vitraux  <!<■  Bourges,  pi.  d'étude  XVII. 
:   Jlisl.  litiér.  de  la  France,  t.  IX.  p.  43. 


LE    M  [ROI  II    Hi:    LA    SCI  li.XCE  - 

le  quadrivium,  il  y  eut    une  école  florissante.  Ainsi  s'explique  la  présence   des 
Arts  libéraux  à  Sens,  à  Rouen,  à  Clermont'. 

,\  Paris,  dans  la  ville  que  Grégoire  IX  appelait  parcns  scic/ilcuruni,  ou 
encore  Cariath  Sepher,  a  la  ville  des  livres1*  »,  a  Notre-Dame  qui  vil  grandir 
la  jeune  Université  à  son  ombre,  il  serait,  surprenant  de  ne  pas  trouver  quelque 
représentation  des  sept  Arts.  Ils  y  étaient,  en  eiïet,  avant  les  mutilations 
qui  déshonorèrent  la  façade  à  la  lin  du  x\m"  siècle:  ils  décoraient,  au  portail 
central,  le  trumeau  où  s'adossait  la  statue  du  (llirisl  ;. 

Etudions  maintenant  chacune  des  représentations  tics  Arts  libéraux,  telles 
quelles  s'offrent  à  nous  dans  les  cathédrales,  et  voyons  jusqu'à  quel  point,  les 
artistes  se  sont  inspirés  du  texte  tic  Martianus  Gapella.  Quelques  miniatures  de 
manuscrits,  et  même  quelques  monuments  étrangers  à  la  France,  nous  fourni- 
ront, à  l'occasion,  îles  détails  précieux. 

La  Grammaire  est  bien  la  femme  vénérable,  au  long  manteau,  que  décrit  .Mar- 
tianus; mais,  de  tous  les  attributs  que  lui  prête  le  rhéteur  antique,  les  artistes 
du  moyen  âge  n'en  ont  retenu  qu'un  seul  :  la  férule.  Ils  agirent  très  sagement. 
Il  est  évident  que  la  trousse  de  médecin,  le  scalpel,  la  lime  à  huit  divisions 
n'offraient  rien  d'assez  clair  à  l'esprit.  Avec  un  bon  sens  parfait,  les  sculpteurs 
et  les  peintres,  plus  résolument  que  les  poètes,  dépouillèrent  les  sciences  de 
Martianus  Capella  de  leur  trop  riche  parure  :  ils  ne  conservèrent  que  l'essen- 
tiel. Désireux  de  marquer  le  caractère  élémentaire  de  l'enseignement  que  donne 
la  Grammaire,  les  sculpteurs  et  les  peintres  ont  représenté  à  ses  pieds  deux 
jeunes  enfants  la  tète  penchée  sur  leurs  livres'. 

La  Dialectique  a  le  serpent;  c'est  a  cet  attribut  qu'on  la  reconnaît  au  pre- 
mier coup  d' œil  b     fig.  \i).   Les  exceptions  sont   rares;   une  seule    mérite   d'être 


1  Si-us   :    façade    occidentale,    portail    ceutral    (reproduction    dans    Viollet-le-Duc,    Oicl.     raisonné 
ï.trch.,  article  :  Arts  libéraux);   Rouen  :  portail  dus  Libraires,  .m  loi  me. m  :  la  série  e:  I   mutilée  et  incom- 
plète; Clermont  :  façade  du  nord,  dans  la  partie  haute  Yosc  du  gable   :  Soissons  ;  vitrail  du  chevet. 

-  Bulle  de   rit.   Voir  llist.  liltér.,  i.  XVI,  p.    ;8. 

:  Viollet-le-Duc,  Dict.  raisonné  de  l.irch.,  article  Arts  libéraux.  Beaucoup  de  représentations  des 
A  ii>  libéraux  oui  disparu.  <  lu  les  vovail  sur  le  pavé  de  Saiut-Heini  .1  Reims,  de  I  église  Saint-Irém  e  .1  Lyon, 
de  l.i  cathédrale  de  Saint-Oincr.  Voir  ./////.  Archéul  ,  1    XI,  p.   71. 

•    Il  en  est  ainsi   déjà  .111    portail  vieux  de   Chartres,  où    se  trouve   certainement    la    plus   ancienne  ligure 
sculptée  de  la  1  îrammaire  qui  m  m  s  M>il  parvenue  (lig      1  1  .   1  - .  •   tradition  esl   encore  fidèlement  n 
w     siècle     fresque  du   lJu\    .  Au  portail   d'Auxerre    Iij     1  !     les  enfants  soûl   mutilés, 

■'  Le  serpent  à  Laon,  à  Auxerre,  est  di>p<>N<;  comme  une  ceinture  autour  du  la  taille  de  la  Dialectique. 
Au  vitrail  d  Auxerre,  la  Dialectique,  parfaitcmcnl  reconnaissal  l  au  erpeul  qui  I  entoure,  ;i  été  appelée  par 
erreur  c<  alimetica     .  arithmétique. 

'  i 


ioG  L'A  Kl     RELIGIEUX    l>l     Mil'    SIÈCLE 

signalée.  Au  portail  vieux  de  Chartres,  la  Dialectique  porte  un  scorpion.  Alain 
de  Lille,  lui  aussi,  pour  des  raisons  qui  nous  échappent,  axait  substitué 
le  scorpion  au  serpent.  L'une  et  l'autre  tradition  se  perpétuèrent  dans 
l'art,  puisque,  au  xve  siècle,  l'artiste  inconnu  qui  peignit  les  Arts  libéraux 
de   la   salle    capitulaire    du  Puy,  et  Sandro    Botticelli,   clans  la   fresque    de  la 

villa  Lemmi,  mirent  un  scor- 
pion aux  mains  de  la  Dialec- 
tique. 

La  Rhétorique  est  très 
simplement  conçue.  Nulle 
part,  saul  dans  un  manuscrit 
du  xme  siècle  '.  elle  n'apparaît 
avec  le  casque,  la  lance  et  le 
bouclier.  Peut-être  la  Rhéto- 
rique de  Laon,  dont  le  bras 
droit  est  brisé,  tenait-elle  à  la 
main  une  épée.  Il  est  plus 
probable  cependant  qu'elle 
taisait  simplement  un  geste 
oratoire.  C'est  avec  celle  atti- 
tude qu'elle  se  montre  le  plus 
souvent  à  nous,  à  moins  que, 
comme  dans  la  rose  de    Laon.  elle    n'écrive  sur  ses   tablettes. 

L'Arithmétique  ne  pouvait  être  représentée  avec  ce  faisceau  île  rayons  lumi- 
neux qui  partent  de  son  Iront  et  se  prolongent,  en  se  multipliant,  jusqu'à  l'in- 
fini. Un  autre  trait  de  la  description  île  Martianus  Capella  fixa  l'attention  des 
artistes.  Il  signale  parmi  les  particularités  qui  la  distinguent  la  surprenante 
agilité  de  ses  doigts.  C'est  pourquoi,  à  la  rose  du  vitrail  d'Àuxerre  et  au  portail 
de  la  cathédrale  île  Fribourg,  1  Arithmétique  est  représentée  les  bras  tendus. 
les  mains  ouvertes,  les  doigts  comme  en  mouvement2.  A  Laon.  un  semblable 
geste  parut  sans  doute  obscur  a  l'artiste;  c'est  pourquoi  il  imagina  de  mettre 
entre  les  doigts  de  l'Arithmétique  les  boules  de  l'abaque.  Il  exprimait  ainsi  clai- 


ig.    ja. 


l'hnl       M    II».     -    ,1m,,! 

La   Grammaire  et   la    Dialectique 
(portail  d'Auxerre). 


1    Bibl.  Saiulc-Geneviève,  in  s.  n    m  ,  i    ,  >.  I     i .  v°  (xmc  siècle). 

J   Par  erreur,   à   AuxerrD,   elle    esl   appelé li     alectica    ».    Nous    avons   vu   que   la    Dialectique  est 

en  revanche  nommée  «  a  lin  ici  ira  o ,  Il  y  a  en  une  transposition  il  inscriptions. 


LE    M  I  Uni  |;    |i|;    LA    SCI  ENCE  ...- 

rement  que  I  Arithmétique,  sur  ses  doigts,  fail  les  calculs  les  plus  compliqués. 
A  Laon,  l'Arithmétique  est  figurée  deux  lois  de  la  sorte  :  au  portail  occidental 
et  dans  le  vitrail  de  la  rose  du  nord,  l'eu  d  artistes  furent  aussi  ingénieux  que  le 
sculpteur  et  le  peintre  de  Laon  à  traduire  leurs  textes.  Partout,  ailleurs,  ils  se 
contentèrent  de  représenter  un  personnage  assis  devant  une  tringle  où  glissent 
des  boules  ',  ou  devant  une  table  couverte  de  chiffres  ~. 

La  Géométrie  a,  dans  Martianus  Capella,  des  attributs  très  clairs  :  une  table 
où  elle  trace  des  ligures,  un  compasou  une  verge  graduée,  suivant  le  sens  qu'on 
donne  au  mot  radius,  et  une  sphère.  Ces  attributs,  à  l'exception  de  la  sphère, 
qui  eût  pu  faire  confondre  la  géométrie  avec  l'astronomie,  se  retrouvent  dans 
presque  toutes  nos  cathédrales.  A  Sens  et  à  Chartres  le  compas  a  été  brisé,  et 
la  tablette  où  la  Géométrie  trace  ses  épures  subsiste  seule.  Mais,  à  la  façade 
de  Laon.  la  figure  de  la  Géométrie  est  m  lac  le.  Partout  le  mot  radius  a  été  inter- 
prété dans  le  sens  de  compas.  Cependant,  comme  pour  concilier  les  deux  sens, 
on  met  parfois  à  la  Géométrie  un  compas  dans  une  main  et  une  règle  dans 
I  autre.  Il  en  est  ainsi  au  vitrail  d  Auxerre.  au  portail  de  Fri  bourg  et  dans  cer- 
tains manuscrits  '. 

L'Astronomie  n'a  plus  la  splendeur  dont  .Martianus  Capella  I  avait  revêtue  : 
elle  n'a  plus  d'auréole  de  lumière,  plus  d'ailes  d'or  et  de  diamant.  Elle  a  seu- 
lement cet  instrument  coudé,  cubitalcm  me/isuram,  qui  lui  sert  à  prendre  les 
hauteurs  des  étoiles,  et  parfois  aussi  le  livre  fait  de  divers  métaux,  où  elle 
retrouve  l'image  des  climats.  A  Sens',  à  Laon,  à  Rouen,  à  Fribourg,  I  Astro- 
nomie lève  vers  le  ciel  un  disque  sillonné  généralement  d  un  trait  brisé.  Au 
vitrail  d'Auxerre,  elle  porte  le  livre  \ 

La  Musique  est,  île  toutes  les  personnifications   imaginées    par  Martianus 


1  Manuscrit  <!<•  l'Hortus  deliciarum.  Calques  au  Cabinet  des  Estampes,  dans  la  collection  Bastard  de 
l'Estang.  L'original,  qui  élail  à  Strasbourg,  a  brûlé  pendant  le  bombardement. 

-   Cathédrale  de  Clermonl     Vitrail  de  la  chapelle  Saint-Pial   à   Notre-Dame  de  Chartres.    Manuscrits  : 

Bibl    N.H..  ms    franc.  5~4.  f°  28  [Image  du  monde.  xiv°  s.  .  Bibl.  Sainte-Geneviève,  11 1    38.  \      Image 

du  monde,  \nr   s.).  Vitrail  de  Soissons. 

:   florins  deliciarum,  et  Bibl.   Sainte-Geneviève, I     58,   » 

1  Soubassement    du  portail,  premier  rang,  troisième  figure 

■  Au   portail  vieux  de  Chartn  -  et  au  vitrail  de  Laon,  comme  d'ailleurs  dans  le   manuscrit  de  1  llmius 

deliciarum,  l'Asln mie,  les  yeux  levés  vers  le  ciel,  tient  .1  la  main  un  boisseau  '  ne  se  voit  plus 

aujourd'hui   .>  Chartres      Est  il  destiné  .1  étudier  les  étoiles  par  réflexion,  comme  le  pense  Viollel   le  I'   c 

(article  :  Arts  libéraux   .'  flappelle-t-il  que  I  Astronomie  fixe  I  époque  des  semailles nme  le  croil  1  abbé 

Bulteau  Vonogr.  //<■  Chartres,  1  II .  p.  --  .'  C  est  ce  qti  il  est  difficile  de  décider  en  1  absence  d  un  texte  que 
nous  m  avons  | > ^  1  —  réussi  à  découvrir. 


io8  L'ART  r;  ELIGIEUX   DU  x  t  i  t    si  i:<:  1. i: 

Capella,  la  seule  qui  n'ait  rien  conservé  des  traits  qui  la  distinguent  dans  l'ori- 
ginal. La  païenne  Harmonia,  qui  s'avance  à  la  tête  d'un  cortège  de  poètes  et  de 
dieux  en  jouant  d  un  instrument  inconnu,  a  été  remplacée  par  une  femme 
assise  qui  frappe  avec  «les  marteaux  surtrois  ou  quatre  cloches1  (fig.  \  !  i.  Au 
moyen  âge,  la  Musique n  eut  presque  jamais  d'autres  attributs.  Dans  les  psautiers 

du    mm'    siècle,   pour   rappeler  que 

le  roi  David  lui  le  plus  grand  des 
musiciens  et  connue  la  vivante 
incarnation  de  la  Musique,  les 
miniaturistes  le  représentent  frap- 
pant avec  deux  marteaux  sur  des 
cloches  suspendues  devant  lui  -. 
On  trouve  là  la  trace  dune  légende 
fort  répandue  au  moyen  âge  sur 
les  origines  de  la  musique.  Vin- 
cent de  Beauvais  rapporte,  après 
Pierre  Comeslor.  que  Tubal,  des- 
cendant de  Caïn,  inventa  la  mu- 
sique en  frappant  des  corps  so- 
nores avec  des  marteaux  de  poids 
différents  :  «  Les  Grecs,  ajoutc-t-il. 
ont  fabuleusement  attribué  cette 
invention    à    Pythagore    .    »     Nul 

doute  rpie  les   marteaux    mis  par   les  artistes    du    moyen    âge   aux  mains  de  la 

Musique  ne  soient  destinés  à  rappeler  son  origine. 

(  )n  voit  quelle  puissance  plastique  était  contenue  dans  le  texte  de  Martianus 

Capella,  puisque  deux  et  même  trois  siècle-  ne  se  lassèrent  pas  d'y  recourir.  Le 

yen  âge  ne  put  se  figurer  les  sept  Arts  autrement  «pie  sous  la   figure  de  sept 

vierges  majestueuses.  Les  exceptions  ne  comptent  pas4. 


Fig.    ji    —  La  Musique  (vitrail  de  Laon) 
(D'apvès  MM.  de   Florival  el  Midoux.) 


1  Au  portail  'I  Auxcrre  el  sur  le  fameux  candélabre  de  bronze  de  la  cathédrale  de  Milan  (xm    siècle] .  la 
Musique  csl  représentée  jouanl  de  la  cithare.  Ce  sont   là  des  exceptions. 

I  ,i  s  i  xemples  sonl  innombrables.  Citons  seule nt  :  Bibl.  Sainte  Geneviève    n°  1689,  l  '  la  i.  el  1690, 

1    gg    \in    siècle  . 

1  Specul.  doctrin.,  lil>.  XVI,  cap.  \\\. 

!   Les  bas-reliefs  de  la  façade  de  la  cathédrale  .1.-  Reims  [portail  de  gauche,  chambranle  .  où  Didron  ■< 
voulu  voir  1rs  Ail-  libéraux     Inn.  Archéol.,  t.   XIV,  p.  ••  ">  el  suiv.),  sonl  très  obscurs.  Il  me  paraîl  très  peu 


LE    MIR01  R    DU    LA    SCI  KM    I  109 

An  portail  vieux  île  Chartres,  l'artiste,  se  conformant  plus  exactemenl  encore 
au  texte  de  Martianus  Capella,  lui  a  emprunté  une  idée  nouvelle.  Dans  le  livre 
du  rhéteur,  en  effet,  les  sciences  s'avancent  presque  toutes  accompagnées  il  un 
cortège  composé  des  grands  hommes  qui  s'illustrèrent  en  les  cultivant.  C'est 
pourquoi,  à  Chartres,  au-dessous  de  chacune  îles  personnifications  des  Arts 
libéraux,  se  voit  un  homme  assis  qui  écrit  ou  qui  médite. 

11  n'est  pas  facile  de  désigner  ces  personnages  par  leur  nom.  puisque 
Martianus  Capella  en  admet  non  pas  un,  mais  plusieurs,  dans  le  cortège  de 
chaque  science.  Cependant,  en  saillant  des  livres  les  plus  répandus  au  moyen 
âge  et  en  recourant  à  des  monuments  analogues,  quoique  postérieurs,  on  peut 
arrivera  des  vraisemblances. 

Le  personnage  qui  est  sous  la  Grammaire  ne  peut  être  que  Douai  ou  Pris- 
•  ien  (fig.  n).  Le  moyen  âge  donne  la  préférence  tantôt  à  1  un,  tantôt  à  l'autre; 
la  plupart  du  temps  i!  ne  les  sépare  pas.  Isidore  de  Séville,  qui  nomme,  dans  ses 
Etymologies,  l'inventeur  de  chaque  science,  pour  la  grammaire  désigne  Douai' 
Mais  à  Chartres  même,  au  x 1 1 '  siècle,  l'écolàtre  Thierry,  dont  on  a  conservé 
V Heptateuchon  ou  Manuel  des  sept  arts,  mettait  sur  la  même  ligne  Donat  et 
Priscien;  il  enseignait  la  grammaire  avec  les  livres  de  l'un  et  de  l'autre.  A 
Florence,  dans  la  chapelle  des  Espagnols  à  Santa-Maria  Novella,  des  fresques 
du  xive  siècle  qui  représentent,  comme  à  Chartres,  au-dessous  des  sepl  sciences, 
l'homme  qui  s'y  est  le  plus  illustré,  nous  montrent,  au  dire  de  Vasari,  le 
grammairien  Donat  assis  au-dessous  de  la  Grammaire  ;.  Mais  les  fresques  du 
w  siècle  de  la  salle  capitulaire  du  Puv,  conçues  exactement  comme  celles  de 
Florence,  représentent  aux  pieds  de  la  Grammaire  Priscien,  dont  le  nom  est 
écrit  en  toutes  lettres1.  Il  est  donc  difficile  d'affirmer,  comme  a  fait  l'abbé 
Bulteau,  qu'à  Chartres  on  a  représenté  Priscien  à  l'exclusion  de  Donat. 

Au-dessous  de  la  Rhétorique,  on  ne  peut  guère  hésiter  à  voir  Cicéron.  Dieu 


probable  que  ces  nombreux  personnages  qui  semblent,  il  est  vrai,  méditer,  mais  qui  n'ont  pas  d'attributs 
clairs,  symbolisent  les  sciences.  Le  chanoine  Cerf  illist.  de  I"  cathédrale  de  Reims.  Reims,  i8Gi,  in  X. 
i     II.  |>    ioï)  émel  des  doutes  très  légitimes. 

1   Isidore,  Etym.,  liv.  I,  ch.  vi   Patrol.,  t.  I.WXII. 

J  Abbé   Clerval,   L'Enseignement  des  .iris  libéraux  à   Chartres  et  à   Paris,  d'après   l'IIeptateuchon  de 
Thierry  de  Chartres.  Paris,  1889,  brochure. 

:;  Vasari,   Vite.  Firenzc,  1878    édit.  Milanesi),  1.   I,  |i    58o.   Vasari.  en  pareille  matii 
lion.  Au  xvï  sièi  le,  la  tradition  du  moyen  âge  élail  ''ii  grande  partie  perdue. 

'    Voir  le  rapport  de  Mérimée  sur  les  peintures  du   l'n  \ .  qu  il  a  lui-uiê découvertes.  Ami.  "1 "ck .,  1 .   \  . 

[1.    'S-  el  suiv. 


ii, ,  L'ART    li  ELIG1  EUX    DU   XIII1    SI  I.C  1. 1: 

qu'à  Chartres  on  ne  le  connût,  au  xnc  siècle,  que  par  ses  traités  les  |  >1  u>  scolas- 
tiques,  le  De  inventione,  le  De partitione  oratorio,  et  la  Rhétorique  a  flerennius, 
qu'on  lui  attribuait1,  il  n'en  était  pas  moins  pour  les  hommes  d'alors  le  maître 
de  l'art  oratoire.  »  La  rhétorique,  écrivait  Alain  de  Lille,  peut  être  appelée  la 
fille  de  Cicérona.  »  C  est  lui  qui  est  assis  aux  pieds  de  la  Rhétorique  dans  la 
fresque  du  Puy.  C!est  lui  aussi  sans  doute,  quoique  Vasari  ne  le  nomme  pas. 
qu'on  voit  dans  la   fresque  de  Florence. 

La  Dialectique  de  Chartres  est,  accompagnée  d'un  homme  qui  trempe  sa 
plume  dans  l'encrier  cl  se  prépare  à  écrire.  On  peut  affirmer,  sans  crainte  de 
se  tromper,  que  c'est  le  grand  maître  de  l'Ecole.  Aristote.  Des  la  lin  de  l'anti- 
quité, Isidore  de  Séville  proclame  qu'Aristote  est  le  père  delà  dialectique3. 
Tout  le  moyen  âge  le  répéta  après  lui.  .Mais  Chartres  semble  avoir  eu  des  rai- 
sons particulières  pour  mettre  Aristote  en  rapport  avec  la  ligure  de  la  Dialec- 
tique. En  effet,  c'est  très  probablement  un  écolâtre  de  Chartres,  Thierry,  qui  lit 
connaître  le  premier  à  la  France  YOrganum  complet.  En  1  [36,  Abélard  ne  pos- 
sédait encore  que  les  deux  premiers  traités  qui  composent  VOrganum,  c'est-à- 
dire  les  Catégories  et  V Interprétation  '.  Vers  i  i  \i,  Thierry  insère  les  autres 
[Analytiques,  Topiques,  Sophistiques)  dans  Y  Heptateuchon* .  D'autre  part,  ce 
sont  ses  élèves,  Jean  de  Salisbury,  Gilbert  delà  l'orée,  plus  tard  directeurs  des 
écoles  de  Chartres,  qui  parlent  les  premiers  des  livres  encore  inconnus  d'Aris- 
tote.  C'est  donc  à  Chartres,  suivant  toutes  les  vraisemblances,  «pic  le  fameux 
livre  d  Aristote  fut  étudié  dans  son  intégrité  pour  la  première  lois.  Chartres, 
en  ce  sens,  est  le  vrai  berceau  de  la  scolastique.  Nous  ne  pouvons  donc  douter 
qu'Aristote  ne  figure  au  portail  vieux  de  la  cathédrale,  qui  fut  décoré  de  bas- 
reliefs  au  moment  même  où  Thierry  venait  d'achever  son  livre6. 

Quel  est  le  personnage  qui,  assis  au-dessous  de  la  Musique,  écrit  avec  appli- 
cation? (fig.  'l 'i  .  Il  est  difficile  de  songer  à  Tubal,  que  Vincent  de  Beau  vais,  nous 


I  Voir  (  llerval,  np  .   cit. 

-  Anticlaudianus,  liv.  III.  cli.  ir. 

:  Etymol  .  liv.   I.  chu  p.  \\n. 

•  Voir  Hauréau,  /lis/   ili-la  Philos,  scolastique,  '     I  '.  cl  Cousin,  Abèlard  (préface 

:'   Voir  Clerval,  <>p.  cit.  La  date  de  i  i  i a,  que  donne  l'abbé  Clerval  pour  la  rédaction  de  V ffeplatettchon, 
i  inlili'  assez  bien  établie. 

II  Sur  la  date  probable  du  vieux  portail  de  Chartres,  donl  1rs   ligures  doivent   avoir  été  sculptées  aux 

environs  de  i  i  j5,  voir  I!    de  Lasteyrie,  Etudes  sur  lu  sculpture  française  <hi  moyen  âge,  I lation  Eugène 

l'."i.  [902,  iii  s    chap.  vu.   Voiraussi  les  articles  de  M.  Lanorc  dans  la  Revue  de  l'Art  chrétien,  1899-1900. 


LE    MI  ROI  R    DE    LA    SCI  ENC  E  ,,  , 

l'avons  vu,  donne  pour  l'inventeur  de  la  musique;  car  on  le  verrait,  comme  à 
Florence  ou  au  Puy,  frappant  de  ses  deux  marteaux  sur  l'enclume.  A  Chartres 
l'homme  réfléchi  qui,  la  plume  en  main,  compose  un  traité  didactique,  a  bien 
plus  l'air  d'un  savant  < |u c  d'un  patriarche  antédiluvien.  C'est  1res   vraisembla- 
blement Pythagore  :  le  sculpteur  de  Chartres  a  suivi    la 
tradition   rapportée   par  Cassiodore '  cl    par    Isidore    de 
Séville2,  <|ui    lui    attribue    la  découverte  des  lois  de   la 
musique. 

Sous  l'Astronomie  est  représenté  Ptolémée.  Le  doute 
n'est  pas  possible.  Isidore  de  Séville  \  Alain  de  Lille  '  le 
désignent  comme  le  plus  grand  des  astronomes.  A  Char- 
tres, d'ailleurs,  vers  i  i  \o,  on  ne  connaissait  pas  d'autres 
livres  que  les  siens.  On  étudiait  l'astronomie  dans  les 
Tables  cl  dans  les  Canons  que  les  Arabes  avaient  trans- 
mis aux  chrétiens  sous  son  nom 

La  Géométrie  est-elle  accompagnée  d'Euclide,  comme 
on  l'a  pensé. 'Ou  peut  le  supposer  avec  quelque  vraisem- 
blance, bien  qu'aucun  livre  d'Euclide  ne  figure  dans 
Y Heptateuchon  de  Thierry  de  Chartres.  .Mais  Euclide  était 
un  grand  nom.  Dans  le  poème  d'Alain  de  Lille,  c'est  lui 
qui  représente  la  géométrie6;  c'est  lui  encore  qui  a 
été  peint   dans  la  chapelle  îles    Espagnols  à   Florence7. 

L'Arithmétique  a  sous  ses  pieds  un  savant  qui  lait  le  geste  d'enseigner  et 
dont  le  nom  n'est  pas  facile  à  deviner.  Les  encyclopédies  où  le  moyen  âge  allait 
chercher  sa  science,  celle  d'Isidore  de  Séville  s.  celle  de  Vincent  de  Beauvais  ', 
désignent  Pythagore  connue  l'inventeur  de  l'arithmétique.  Dans  Martianus 
Capella,  l'Arithmétique  n'a  pour  l'escorter  que  le  seul  Pythagore,  qui  lient  une 


l' ig.    i  i .   -     I  .,i   *  Irammairo 
avec    I  >onal    <>u    Prisi  ien 
ta     Musique    avec    Pylha- 
erore    .'     (  iharlres 


1   Cassiodore,  De  artiLus  m-  discipl.  liherulium  artiuin,  cap    ^    Patrol.,  I     l.\\ 
'  Etymol.,\\s    III,  ch    \\    Palrol. ,  t.  LXXX II 

ll.i,/  .  lu.   III.  ri,    XXIV. 
'  Anliclaud.,  liv.   I.  ch.  iv. 
■    Clerval,  op.  cit  .  \,      <• 
*■  Anticlaud.,  In.  III    ch    m 
'   \  asari,  <ij>  .  cit 

Elymol  .  lu     III.  ch.  n. 
''  Spec    a, tint..  Ii\    \  \  I. 


,,  i  L'A  RT    RELIG  I  EUX    DU    XIII1    SI  EC  LE 

torche'.  Pythagore  passait  donc  pour  avoir  inventé  à  la  lois  L'arithmétique  et 
la  musique  :  cette  double  gloire  lui  étail  généralement  accordée8.  Par  consé- 
quent, il  est  possible  que  Pythagore  soit  représenté  deux  lois  à  Chartres, 
qu'il  écrive  aux  pieds  de  la  .Musique  et  qu'il  enseigne  aux  pieds  de  l'Arithmé- 
tique. Un  seul  noin  pourrait  être  substitué  au  sien  avec  quelque  vraisemblance, 
«•'est  celui  de  Boèce.  Boèce,  qu'Isidore  de  Séville  signale  parmi  les  savants  qui 
s'illustrèrent  dans  la  science  des  nombres3,  était  étudié  tout  particulièrement  à 
Chartres,  où  Thierry  expliquait  son  traité  d'arithmétique  en  deux  livres'.  C'est 
Boèce  d'ailleurs,  comme  M.  Chasles  a  pu  le  prouver  en  se  servant  précisément 
de  Y Heptateuchon  de  Thierry  de  Chartres,  qui  a  lait  connaître  au  moyen  âge 
les  chiffres  improprement  appelés  «  arabes  »  et  l'arithmétique  de  position. 
Boèec  a  donc  presque  autant  de  droits  que  Pythagore  à  figurer  aux  pieds  de  la 
.Muse  de  l'arithmétique,  et,  entre  les  deux,  il  est  impossible  de  choisir. 

Ou  voit  qu'à  Chartres  l'ordonnance  imaginée  par  Martianus  Capella  a  été 
respectée  assez  scrupuleusement.  Comme  dans  les  Noces  de  Mercure  et  île  lit 
Philologie,  chaque  science  est  accompagnée  de  son  inventeur,  ou  de  l'homme 
qui  a  acquis  le  plus  de  gloire  en  la  cultivant. 

A  la  cathédrale  de  Clermont,  l'idée  tic  Martianus  Capella  est  présentée  en  un 
raccourci  assez  original  :  science  et  savant  ne  font  plus  qu'un.  C'est  Aristole, 
Cicéron,  Pythagore,  qui,  assis  sur  la  cathedra  des  docteurs,  portcntles  attributs 
que  nous  avons  vus  aux  mains  des  sept  Arts  libéraux.  Mais,  pour  indiquer  que 
ces  hommes  vénérables  sont  hors  de  la  vie,  qu'ils  sont  devenus  des  symboles, 
et  qu'ils  sont  revêtus  désormais  de  la  majesté  même  de  la  science,  on  leur  a  mis 
des  couronnes  sur  le  front3. 


Jusqu  ici    nous  n'avons  parlé  que  des  sept  sciences  du  trixiuin  et  Au  quadri- 
viuin.  niais  il  en  est  une  huitième  qui  domine  toutes  les  autres,  la  Philosophie. 

1   Martianus  Capella,  Vil. 

-  .Xous  avons  vucependanl  Pierre  Cornes tor  l'I  Vincent  de  Bcauvais  lui  contester  l'honneur  d'avoir  inventé 
la  sique,  an  profil  de  i'ubal. 

Isidore,  Etymol.,  Ii\ .  III.  ch.  u. 
'   (  Ilerval,  op.  cit.,  pp.    10,   iH.   tg. 
An  portail  du  nord. 


LE    MinO]  !',    Il  i:    LA    SC  I  I.M.  I". 

Sun  image,  sculptée  à  Sens  et  à  Laon ',  se  distingue,  à  Laon  surtout,  par  les 
attributs  les  plus  singuliers.  Elle  a  la  tète  dans  les  nuages  el  une  échelle  csl 
appuyée  sur  sa  poitrine  (fig.  |>  •  Viollet-lc-Duc  essaya  d'expliquer  cette  bizarre 
ligure.  «  (Test,  dit-il,  la  Philosophie  ou  la  Théologie.  Cette  statuette  tient  un 
sceptre  de  la  main  gauche,  dans  la  droite  un  livre  ouvert,  au-dessus  un  livre 
fermé.  Il  esta  présumer  que  le  livre  fermé  représente 
l'Ancien  Testament  et  le  livre  ouvert  le  Nouveau.  Sa 
tète  n'est  pas  couronnée  comme  à  Sens,  niais  se  perd 
dans  une  nuée:  une  échelle  pari  de  ses  pieds  pour 
arriver  jusqu'à  son  cou,  et  ligure  la  succession  des  de- 
grés qu'il  faut  franchir  pour  arriver  à  la  connaissance 
parfaite  de  la  reine  des  sciences  -.  »  —  La  description 
esl  exaete.  mais  l'explication  est  fausse,  Viollet-le-Duc 
n'a  pas  connu  le  livreoù  les  artistes  du  moyen  âge  sont 
ailes  chercher  ce  singulier  portrait  de  la  Philosophie. 
Car  c'est  bien  la  Philosophie  et  non  la  Théologie,  que 
nous  avons  suiis  les  veux  :  c'est  la  Philosophie  avec 
les  attributs  que  Boèce  lui  a  piétés. 

Dans  sa  Consolation  philosophique.  Boèce  nous 
raconte  qu'il  était  dans  sa  prison,  et  que,  pendant  1  ■•;,.■ 
qu'il  rêvait  à  sa  triste  destinée-,  il  vil  soudain  apparaître 
une  femme  qu'il  décrit  ainsi  :  o  Les  traits  «le  son  visage 
inspiraient  le  plu-  profond  respect;  il  y  avait  de  la  lumière  dans  son  regard,  et 
on  sentait  qu'il  pénétrait  plus  avant  que  celui  des  mortels;  (die  avail  le-  cou- 
leurs de  la  vie  cl  de  la  jeunesse,  quoiqu'on  vil  bien  qu'elle  était  pleine  de  jours,  et 
que  son  âge  ne  pouvait  se  mesurerai!  mitre.  Quant  à  -a  taille-  on  ne  s'en  faisait 
pas  une  idée  nette,  car  tantôt  elle  restreignait  sa  stature  aux  proportions 
humaines,  tantôt  le  haut  de  sa  télé  semblait  frapper  le  ciel.  tantè>t  même,  sa  tète, 
encore  plus  hautaine,  pénétrait  dans  le  ciel  lui-même  et  disparaissait  aux  re- 
gards curieux  îles  hommes.  Ses  vêtements,  tissés  avec  un  art  savant,  étaienl 
faits  de  fils  subtils  et  incorruptibles  :  elle  m'apprit  plus  tard  elle-même  qu'elle 
les  avait  lisses   de  sa  main.  .Mais   le   temps,  qui  ternit    toutes  le-  œuvres   d'art. 


I..,   Philnsouhl 


Dnpivs  Viollnl-I,    Du. 


Si  us,  [Mirl.iil  occid  ;     I.. façadi'  occident.,   frni'liv  de   u lu  .    voussures 

J   Yiollel-le  Duc     Pict.  raisonné  dt    l'.tirkil  .  article  :  Arls  libéraux,  i     II.  n    "i 


,,  I  L'A  RT   RELIG  [EUX    IM     XIII     SIECL  I 

avait  éteint  leur  couleur  et  dissimulait  leur  beauté.  Sur  la  frange  du  bas  était 
tissée  la  lettre  grecque  ~,  et  sur  la  bordure  du  haut  la  lettre  G.  Pour  aller  de 
l'une  à  l'autre  il  y  avait  une  série  de  degrés  représentés,  qui  ressemblaient  à  une 
échelle,  el  qui  conduisaient  des  éléments  inférieurs  aux  éléments  supérieurs. 
Ou  voyait  que  ees  vêtements  avaient  été  déchirés  violemment  par  des  mains 
qui  en  axaient  arraché  tout  ce  qu'elles  avaient  pu.  Delà  main  droite,  elle  portail 
tles  livres,  et  de  la  main  gauche  un  sceptre  '.  » 

Cette  femme, que  Boèce  nous  décrit  avec  cette  bizarrerie  si  ingénieuse,  n  esl 
autre  que  la  Philosophie  qui  vienl  le  consoler  dans  sa  prison.  Quant  aux  lettres 
mystérieuses  7;  et  '),  les  commentateurs  sont  d'accord  pour  y  reconnaître  une 
façon  sommaire  de  désigner  la  Philosophie  pratique  et  la  Philosophie  théo- 
rique. 

La  statue  de  Laon  correspond  de  tout  point  à  cette  description.  Lesculpteur 
n'a  rejeté  que  les  traits  qui  n'étaient  pas  compatibles  avec  sou  art.  Il  a  repré- 
senté la  Philosophie  telle  que  Boèce  Pavait  vue,  la  tête  dans  les  nuages,  un 
sceptre  dans  la  main  gauche  et  des  livres  dans  la  main  droite.  Il  n'a  pas  craint 
même  de  figurer  une  échelle  appuyée  sur  sa  poitrine,  et  de  traduire  aux  yeux  le 
symbolisme  du  philosophe  (fig.  45).  H  était  difficile  a  la  sculpture  d'aller  plus 
loin  dans  cette  voie.  On  pourra  peut-être  s'étonner  que  l'artiste  n'aitpas  gravé 
sur  les  bordures  de  la  robe  le  r.  et  le  0.  Je  croirais  volontiers  que  les  deux  lettres 
étaient  peintes  sur  la  robe  et  qu'elles  ont  disparu  avec  le  temps.  L'architecture 
du  moyen  âge,  comme  l'architecture  antique,  était  polychrome.  Presque  toutes 
les  statues  étaient  peintes.  Elles  l'étaient  sans  doute  avec  discrétion  et  avec  ce 
sentiment  juste  de  l'effet  qu'eurent  à  un  si  haut  degré  les  peintres  du  moyen 
âge,  qui  lurent  des  coloristes  exquis  si  on  en  juge  par  leurs  vitraux.  A  Notre- 
Dame  de  Paris,  les  statues  peintes  du  portail  se  détachaient  sur  un  fond  d  or  cl 
formaient  un  ensemble   somptueux  qui  remplissait  d'admiration,  au  x\    siècle. 

1  Boèce,  ('misai,  plu/.,  lib.  I,  cap.  1.  Voici  le  texte  :  ■  Adslitissc  uiihi  supra  vcrliceiD  visa  est  millier 
reverendi  admodum  vultus,  oculis  ardentibus  el  ultra  communem  hominum  valentiam  perspicacibus,  colore 
vivido  atque  inexhausli  vigoris,  quamvis  ila  aavi  plena  foret,  ni  uullo  modo  nostrœ  crederetur  ictatis,  Sla- 
tura   diserctionis  ainbiguœ  :   nain  nunc  quidem   ad   communem  sesc   hominum  mensuram   cohibebat,  uunc 

vero  pulsare  cœlum  sui i  verticis  cacuminc  ridebatur   :  quœ   cum  altius  capul   extulisset,  ipsum  eliam 

ccelum  penetrabat,  respicientiumque  hominum  fruslrabatur  intuitum.  Vestes  eranl  lenuissimis  Glis  subtili 
artiiicio  indissolubili  materia  perfecta;,  quas,  uti  post,  cadeu]  prodente,  cognovi,  suis  manibus  ipsa  texui  rai 

Quarum  specicm,  veluti  li sas  imagines  solel,  caligo  quœdani  neglectœ  vetustatis  obduxeral    Harum  i" 

extrema  marginc  -  grœcum,  in  supremo  vero  (|  graicum  Lcgebatur  intexlum.  Atque  in  utrasque  litteras  in 
scalarum  modum  gradus  quidam  insignali  videbantur  quibus  ab  inferiore  ad  superius  elemenlum  essel 
ascensus,  Earadem  tamen  vesleoi  violentorum  quorumdam  scideranl  inanus  ri  parliculas  quas  quisque  potuil 
abstulerat.  \'.\  dcxlcra  quidem  ejus  libcllos,  sceptrum  vero  siuistra  gerebal. 


I.K   MIROI  l\    DE    I.A    sci  i:.nc|.;  ,,-, 

un  évêque  d'Arménie,  habitué  pourtant  aux  magnificences  de  l'art  oriental1.  Il 
est  donc  très  vraisemblable  que  l'artiste  de  Laon,  qui  a  suivi  de  si  pies  le  texte 
de  Boèce,  n'avait  pas  oublié  le  -  et  le  h. 

I)u  reste,  nous  allons  trouver  ailleurs  ces  deux  lettres  grecques.  A  la  cathé- 
drale de  Sens,  on  voit  sculptée  en  lias-relief,  dans  le  soubassement  de  la  porte 
centrale,  au  milieu  de  la  série  des  Arts  libéraux,  une 
figure  que  Viollet-le-Duc  reproduit  en  se  demandant 
s  il  faut  y  voir  la  Philosophie  ou  la  Théologie  - 
fig.  46).  Un  examen  attentif  du  bas-relief  lève  tous 
les  doutes,  et  montre  assez  qu'il  s'agit  encore  ici  de 
la  Philosophie.  Elle  est  représentée  sous  la  figure 
<l  une  femme  assise;  elle  tient,  conformément  à  la 
description  tic  Boèce,  un  livre  de  la  main  droite  et 
un  sceptre  de  la  main  gauche;  la  tête,  qui  est  très 
mutilée,  semble  avoir  été  couronnée;  elle  ne  se 
perdait  point  clans  les  nuages,  comme  on  le  voit  à 
Laon,  mais  il  ne  faut  pas  oublier  que,  dans  Boèce 
lui-même,  la  Philosophie  ne  se  montre  pas  toujours 
avec  une  stature  colossale  :  elle  a  parfois  une  taille 
ordinaire.  L'artiste,  avec-  beaucoup  de  tact,  a  préféré 
celte  Philosophie  réduite  aux  proportions  île  l'huma- 
nité et  plus  accessible  à  l'ait.  Il  a  encore  fait  preuve 

de  goût  en  supprimait  l'échelle.  Il  a  sans  doute  pensé  qu'un  bas-reliel  de 
peu  de  saillie  ne  comportait  pas  un  pareil  détail,  qui  eût  singulièrement  nui  a 
la  fermeté  et  à  la  noblesse  delà  composition.  Mais,  fidèle  néanmoins  a  la  pensée 
de  Boèce,  et  jaloux  d'en  conserver  l'essentiel,  il  a  gravé  une  suite  de  h  sur  la 
bordure  supérieure  de  la  robe  et  une  suite  de  -  sur  la  bordure  inférieure.  Il  est 
facile  de  reconnaître  les  deux  lettres  grecques  dan>  le  dessin  de  \  iollet-le-Duc, 
qui  les  a  reproduites  avec  sa  scrupuleuse  exactitude,  mais  sans  les  comprendre 
et  en  les  prenant  pour  des  ornements  :  H  est  évident  qu'il  a  pris  celle  suite  de  • 
pour  une  espèce  de  bordure  grecque. 

Il  me  parait  donc   prouvé   jusqu'à  l'évidence  que  les  figures  de  Laon  cl    de 


I  i-.    il',.  —  I..,  Philosophie 

S. MIS 

[D'après  \  ioltcHo-Duc. 


1   Description  de  Xotre-Dame  de  Paris  par  un  évèq I.'  la  grande  Arménie,  publiée  dans  les  Annale; 

archéol. ,  1 .  I ,  p.  100  '■!  suiv. 

Viollet-le-Duc.  Dict.  raisonné  </>■  l'Archit.,  I.   II.  p     '•,  lig     • 


.  [6  L'A  HT    RELIG  I  i:  L  \    DU    Mil'    SI  1ÎCLK 

Sens  représentent  la  Philosophie,  et  la  représentent  d'après  un  texte  de  Boèce. 

L  influence  persistante  de  Boèce  n'est  pas  faite  pour  surprendre  quiconque 
connaît  un  peu  l  histoire  de  la  transmission  des  idées  au  moyen  âge.  On  vénérait 
m  lui  le  dépositaire  tic  la  sagesse  antique  et  l'éducateur  du  monde  moderne. 
C'était  à  la  lois  le  dernier  des  Romains  el  le  premier  des  clercs.  Il  apparais- 
sailà  la  limite  des  deux  mondes.  avec  quelque  chose  du  mystère  qui  entourail 
\  irgile.  Ses  défautsonl  contribué  à  sa  renommée  au  moins  autant  que  ses  qua- 
lités. On  admirait  sans  doute  sa  science  universelle,  mais  ce  qu'on  aimait  sur- 
tout e  elai L  sa  vague  tristesse,  ses  élans  poétiques  qui  se  mêlent  si  étrangement 
à  la  dialectique,  son  symbolisme  raffiné,  enfin  tout  ce  qu'il  \  a  d'un  peu  trouble 
chez  ce  philosophe  des  derniers  jours.  11  suffit  de  jeter  un  coup  d'oeil  sur  les 
catalogues  des  bibliothèques  monastiques  et  épiscopales  du  moyen  âge,  pour 
reconnaître  que  Boèce  y  figure  presque  toujours1.  Tout  prouve  que  sa  Consola- 
tion philosophique  lut  un  livre  classique.  M  n'est  donc  pas  surprenant  que 
Boèce  ait  fixé  les  traits  et  les  attributs  de  la  Philosophie  une  lois  pour  toutes. 
Il  axait  vu  la  Philosophie,  d  avait  conversé  avec  elle:  le  moyen  âge  le  crut  sur 
parole,  et  il  ne  voulut  pas  se  la  figurer  autrement2. 

Alix  figures  des  sept  arts  et  île  la  Philosophie  viennent,  dans  le  courant  du 
xnic  siècle,  s  en  ajouter  de  nouvelles.  Il  y  avait  alors  un  désir  de  tout  comprendre 
et  de  tout  embrasser.  Les  Universités  réunissaient  en  faisceau  tout  le  savoir 
li u mai n.  Les  grands  livres  du  xm  siècle  prenaient  naturellement  la  forme  d'en- 
cyclopédies. Le-  moyen  âge  crut  qu'il  avait  atteint  les  limites  extrêmes  de  la 
science  et  que  son  œuvre  n'était  plus  que  de  coordonner.  C'est  pourquoi,  dans 
les  cathédrales  du  xiié  siècle,  des  sciences  nouvelles  viennent  s  asseoir  auprès 
des  sept  vierges  du  trivium  el    du   quadrivium.  La  .Médecine  se  montre  à  Sens   . 


1  \iiir  I,.  Delisle,  le  Cabinet  des  manuscrits,  i.  I.  |>  ni.  ci  i  II.  pp.  j  _mj.  j  |-,  _j  j,S,  j  s  7 ,  jg3,  >i  i, 
i3o,  i36  :  1  III.  pp.  1 ,  ;i  [10  exemplaires  de  Boèce  a  la  Sorbonnc  Voir  .mssi  Maurice  Faucon,  lu  Librairie 
des  papes  d'Avignon,  1.  I.  p.  70.  ci  1 .  11.  |>.  i3a.  —  Pour  ce  qui  esl  de  la  cathédrale  de  Laon,  en  particulier, 

is  avons  la  certitude  que  Boèce  (igurail  dans  la  bibliothèque  du  chapitre  «lis  le  \     siècle.  Voir  le  ' "nta- 

logue  des  /».v.s  des   lnhl.  c/r.s  départements,  1.    I.    p.    '!•.   n°    j3g.    Voir  aussi   Montfaucon,   Biblioth.   des 
Bibliolh .  des  manuscrits,  t.  H,  p.   1  192 

Alain  de  Lille,  dans  VAnliclaudianus,  décril  la    Philosophie,  1    l'rudentia  »,   en  empruntant  quelques 
1  raits  à  Boèce.  Il  dil    li\ .  I .  ch.  \  11 

Canone  sub  vertu  dimensiu  uulln  retardât 
Corporis  excursum,  vel  certo  fine  refrénât, 
Yunc  magis  evadens  coclestia  verlicc  puisai, 
Xunc  oculos  frustrans  cwlestibus  insidet,  ad  nos 
.Xitiir  redit  . 
Portail  de  I  ouesl 


i.i:   m  i  roiR   Dis   LA   SC  [  KM   I 


"7 


à  Laon',à  Auxerre*.  A  Reims  ',  à  travers  une  fiole  transparente  élevée  à  la  hau- 
teur de  L'oeil,  elle  étudie  L'urine  du  malade. 

Les  sciences  occultes  elles-mêmes,  astrologie,  alchimie,  qui  tlottaient  alors 
aux  limites  de  la  vraie  science  et  du  rêve.  <>uL  leur  place  dans  la  cathédrale.  A 
Chartres,  au  porche  du  nord,  un  personnage  nommé  «  Magus  »  symbolise  les 
recherches  hermétiques.  11  Lient  a  la  main  une  banderole  qui  l'ut  peut-être  cou- 
verte autrefois  de  signes  cabalistiques;  à  ses  pieds  rampe  le  dragon  ailé  dont  le 
nom  revient  si   souvent  dans  les  formules  alchimiques. 

Les  arts,  qui  prenaient  dans  ce  temps-là  un  si  magnifique  essor,  ne  sont  pas 
oubliés.  L'Architecture  est  représentée  au  portail  nord  de  Chartres  sous  la  figure 
d'un  homme  qui  tient  la  règle  et  le  compas  '.  Un  peintre,  la  palette  a  la  main, 
est  debout  à  ses  cotés. 

Au  même  portail  tic  Chartres,  les  arts  mécaniques  et  les  métiers  accom- 
pagnent les  sciences,  comme  dans  le  Spéculum  doctrinale  de  \  incent  deBeau- 
vais.  La  métallurgie,  c'est  Tubal  qui  frappe  sur  son  enclume;  l'agriculture, 
c'est  Adam  qui  bêche  et  Caïn  qui  pousse  la  cliarrue;  l'élève  du  bétail,  c'esl 
Abel  cpii  garde  ses  troupeaux". 

(  )u  sent  là  un  effort  pour  élargir  le  cadre  un  peu  étroit  du  trivium  cl  du  ipia- 
drivium,  un  désir  d  accueillir   toute  connaissance,  tonte  science.  Unit  art. 


IV 


Le  travail  sous  tontes  ses  formes  mérite  donc  d  être  respecte  :  tel  est  I  ensei 
l;  ne  me  ni  de  la  cathédrale.  Llle  nous  en  donne  encore  un  autre.  Kl  le  nous  apprend 
que  de  notre  travail  nous  ne  devons  pas  attendre  la  richesse,  ni  de  notre  science 
la  gloire.  Le  travail  et  la  science  sont  les  instruments  de  noire  perfection  mlé- 


1   Façade  ouest    fenêtre   et  vitrail. 

-'  Rose  <ln  vitrail. 

Façade  ouesl,  portail  de  droite,  chambranle    La   Médecine  se  trouve  mêlée   .'i   dos  ligures    des   \  i.  ■     . 
aussi  ii  avait-elle  |ias  été  reconnue. 

1   Je  c-n.i-.  aussi   recouuaitre  l'Architecture  à  la  façade  de  Laon      elle  est   symbolisée  |>.ir  un  hoi ■  i[iii, 

une  planchette  sur  les  genoux,  semble  tracer  une  é| . 

1    Les  métiers   sont    représentés  à    peu    près  de  1 ê façou  ■<    ileiins,   portail   du  nord,   voussun 

l,i  rose  :  on  voit   l'ubalcaïu  forgeant.  Jabal  travaillant  sous  la  lente,  ele  :  même  chose  à  I  loreui  e.  au  '  auipa- 
uile. 


,,8  L'ART   RELIGl  EUS    DU   XIII»  SI]  CLE 

rieure,  et  rien  de  plus.  Les  biens  passagers  que  noire  activité  pourrait 
nous  procurer  en  ce  monde  sont  trop  fragiles  pour  que  nous  nous  y  atta- 
chions. 

A  la  cathédrale  d'Amiens,  une  curieuse  figure  rend  sensible  celte  vérité 
morale.  Dans  la  partie  liante  du  portail  méridional,  on  aperçoil  une  sorte  de 
demi-roue,  autour  de  laquelle  dix-sept  petits  personnages  s'échelonnent.  Huit 
semblent  monter  avec  la  roue,  huit  autres  descendent  avec  elle  :  au  sommet 
un  homme  assis,  la  couronne  en  tète,  le  sceptre  en  main,  reste  seul  immobile 
pendant  que  tout  ce  qui  l'entoure  est  en  mouvement (fig.  \~  .  —  Quel  est  le  sens 
de  celle  allégorie?  --  Est-ce,  comme  essaie  de  l'établir  Didron,  une  image  des 
différents  âges  de  la  vie1?  Nous  ne  le  pensons  pas.  Il  suffit  de  remarquer  que 
les  personnages  qui  descendent  si  brusquement  la  pente  de  la  roue  sont  vêtus 
de  haillons,  pieds  nus,  ou  (haussés  de  souliers  qui  laissent  passer  leurs  orteils, 
pour  reconnaître,  avec  Jourdain  et  Duval,  dans  ce  demi-cercle  symbolique,  non 
pas  la  roue  de  la  vie,  mais  la  roue  de  la  fortune".  Une  miniature  d'un  manus- 
crit italien  du  xiv'  siècle  achevé  la  démonstration  \  Près  du  personnage  qui 
semble  monter  le  long  de  la  roue  on  lit  :  regnabo  ;  prés  tic  celui  qui  trône 
au  sommet  est  écrit  :  regno;  près  de  ceux  qui  descendent  l'autre  pente: 
regnavi  et  sum  sine  regno.  Il  s'agit  donc  bien  de  puissance,  de  richesse,  de 
gloire,  de  toutes  les  grandeurs  de  chair  La  roue  exprime  l'instabilité  de  toute 
chose. 

L'exemple  d'Amiens  n'est  pas  unique.  Au  portail  septentrional  de  Saint- 
Etienne  de  Beauvais  et  à  celui  de  la  cathédrale  de  Bâle,  les  mêmes  petits  per- 
sonnages montent  et  descendent  autour  d'un  cercle.  Il  est  probable  que  d  au- 
tres monuments  aujourd'hui  disparus,  comme  par  exemple  les  vitraux  peints 
des  rosaces,  présentaient  le  même  motif.  Un  croquis  de  l'album  de  \  illard  de 
Honnecourt  nous  montre  assez  combien  un  semblable  sujet  lut  répandu  au 
moyen  âge'.  On    lit  d'ailleurs  dans  la  Somme  le  Roi  ces  lignes  significatives  : 

1  Didron,  Iconographie  chrétienne.  Guide  de  la  peinture  du  Mont-Àthos,  p.  i"S,  note.  Le  thème  des 
âges  de  La  vie  n'esl  il  ailleurs  |>;is  inconnu  .1  notre  iconographie  française  du  moyen  âge.  Je  crois  les  voir 
représentés  au  portail  de  gauche  (façade  occidentale  de  Noire-Dame  de  Paris  le  long  «lu  trumeau,  à 
droite.  Il  y  ;i  six  âges  depuis  l'adolescence  (il  manque  0  infantia  »). 

J  Jourdain  el  Duval,  Le  Portail  Saint-Honorè  ou  de  I"   Vierge  dorée  à  lu  cathédrale  d  Amiens.  Amiens, 

l8.j|,    in  s. 

1   La  miniature  a  été  publiée  par  <i.  de  Saint-Laurent,  Guide  de  l'Art  chrétien,  1    III.  p.  3  i'i- 

•  Album  ilv  Villard  de  Honnecourt,  pi.  \I.I    Les  principales  Roues  de  Forli onl  été  énumérées  par 

ii    Heider,  Das  Gliicksrad,  dans  Miltheilungen  der  A    A.   Centralcommission.  VVien,  i85g. 


LE    MIROI  R   DE    LA    SCI  F.  N  (  :  i:  1,9 

a  Ces  églises  cathédrales,  ces  abbayes  royaus,  où  clame  Fortune  est  qui  tourne 
plus  tost  ce  dessous  dessus  que  moulin  à  vent  '.   » 

D'où  vient  cette  idée  à  la  lois  naïve  et  profonde?  On  serait  tenté  d'abord  de 
la  croire  d'origine  populaire.  Mais,  en  réfléchissant,  on  reconnaît  là  une  méta- 
phore antique  déformée.  Le  moyen  âge  avait  entendu  parler  de  la  roue  de  la 
Fortune;     mais   il    s'imaginait  la   déesse  non   pas  portée    sur   une   roue    ailée, 


'•g-  i; 


rimi   Martin  Sabon. 

I..i  roue  ■!'■  Fortune  (fragment  il.'  la  rose   méridionale  'I  Amiens  . 


comme  la  représentent  les  anciens,  niais  placée  à  l'intérieur  de  la  roue  cl  par- 
ticipant à  sou  mouvement.  C'est  ainsi  qu'llonorius  d'Autun  nous  la  dépeint  : 
'i  Les  philosophes J,  écrit-il,  nous  parlent  d  une  femme  attachée  à  une  roue  qui 
tourne  perpétuellement,  et  ils  nous  disent  que  sa  tète  tantôt  s'élève  et  tantùl 
s  abaisse.  Qu'est-ce  que  cette  roue  .'  —  (Test  la  gloire  du  monde  qui  est  empor- 
tée dans  un  mouvement  éternel.  La  femme  attachée  à  la  roue,  c'esl  la  Fortune  : 
sa  UHe  s'élève  et  s'abaisse  alternativement,  pince  que  ceux  que  leur  puissance 


1  Homme    /,■   Roi    l'iln    (le  I sanne,  iSjV,  p.  67.    Au    \n    siècle,    un    abbé  de    l'écamp,  pour  nie  lire  à 

toute  heure  sous  les  yeux  de  ses  moines  le  spectacle  des  vicissitudes  humaines,  avail  l'ait  l'ail 
roue  de  Fortune  qu  un  mécanisme  mettait  en  mouvement.  Voir  liilil.  de  l'Ecole  des  Charles, 
P     'M- 

-   Nous  verrons  tout  à  1  heure  que  les  philosophes  dont  parle  vague 11 1  llonorius  «I  Aulini  se  réduisi  ut 

à  un  seul,  qui  est  Boci  c 


i20  I.  A  i;  l    RELIGIEUX    M     XIII     SIEC I.  E 

et  leur  richesse  avaient  élevés  sont  souvent  précipités  dans  la  pauvreté  el 
dans  la   misère  '.  » 

C'esl  à  |>eu  près  ainsi  que  le  miniaturiste  italien  dont  nous  avons  parlé,  se 
figurait  la  Fortune.  Il  la  placée  au  milieu  des  rayons  de  la  roue  rotas  innexa, 
comme  dit  Honorius),  à  qui  elle  semble  communiquer  le  mouvement. 

Une  façon  si  nouvelle  et  si  singulière  de  se  représenter  la  Fortune  e1  sa  roue 
a  son  origine  dans  divers  passages  de  la  Consolation  philosophique  de  Boèce. 
Le  second  livre,  en  effet,  esl  entièrement  consacré  aux  inconstances  de  la  foi- 
lune.  En  une  prosopopée  qui  rappelle  celle  de  la  Mort  dansLucrèce,  la  Fortune 
elle-même  explique  à  Boèce  qu'il  n'a  pas  le  droit  de  se  plaindre  de  son  humeur 
changeante.  La  Philosophie,  qui  assiste  à  l'entretien,  prend  la  parole  a  son  tour, 
et,  armée  de  Ions  les  lieux  communs  de  la  morale  stoïcienne,  elle  achevé  la 
démonstration.  .Mais  ce  qui  nous  intéresse  ici  plus  particulièrement,  c'est  qu  il 
est  souvent  question  dans  ce  second  livre  de  la  roue  de  la  Fortune.  Or  Boèce, 
chose  curieuse,  se  représente  déjà  les  hommes  comme  suspendus  à  la  roue  de 
la  Fortune,  comme  contraints  de  monter  et  de  descendre  avec  elle.  Voici  le 
passage  capital  :  o  Je  fais  tourner  une  roue  rapide;  j'aime  à  élever  ce  <|iii  esl 
abaissé,  à  abaisser  ce  qui  est  élevé.  Monte  donc,  si  Lu  veux,  niais  à  la  condi- 
tion que  tu  ne  t'indignes  pas  de  descendre,  quand  la  loi  qui  préside  à  mon  jeu 
le  demandera2,  o 

Un  pareil  passage  ci  quelques  autres  \\u  même  genre  ont  fait  naître  I  idée 
don!  nous  cherchons   l'origine.    Le  moyen  âge,  qui  prenait  tout  au  pied  de  la 


Honorius  d'Aulun,  Spec.   Eccles.,  col.  m",;    Patrol.,l.  CI. XXII. 

■'   Boèce,    Consol.   phil.,   éd.  'IYiiImht,    1861,   ch.   il.   a   Rolaro  volubili  orbo  versamus.   infimn   su 

sutnma  in  M  mis  mu  Lare    gaudemus.   Ascende,    si  placet,  sed,  ea  lege,  ne  uli,  cum  ludicri  mei  ratio    | t, 

descendere  injuriam  putes.  »  El  encore  :  o  Tu  vero  volventis  rotas  impelum  relinerc  conaris? 

//.ri1  cum  superba  verterit  vnrs  dextva, 
i'.x.TsIiianlis  more  ferlur  Euripi. 
Dudum  tremendos  seeva  proterit  reges 
Ilumilemquc  vieli  sublevat  fallax  vultum. 

I  n  passage  d'Alain  de   Lille  dans   VAnliclnudianus  (liv,  VIII.   ch.  i    montre  commcnl  li    moyen  âge,  en 
s  inspirant  de  Boèce.  renchéril  encore  sur  lui    II   parle  de  la  Eorlune 

Prxcipitem  movci  ill't  rotam,  molusquc  îahorem 

Nttlla  quies   claudit. 

Ilos  premit,  hos  relevât,  hoc  déficit,  m^ii  illos 

Siiilinltl  rul.r  i/nm   Cn'sus   Inlhct.   Ii'llrl  illfiiim   Codrus, 

.liiluis  ascendit,  descendit  Magnus,  et  infra 
Sylla  jacet,  surgit  Marius,  sed,  cardine  irisa. 
S'i  lin  redit 


T,K    MIROIR    DE    I.  \    SCIEM    I 


lettre,  et  qui  aimait  à  revêtir  d'une  forme  concrète  les  idées  les  plus  abs- 
traites,  donna  à  la  métaphore  de  Boècc  une  réalité  artistique.  Du  \n  au 
xve  siècle,  toutes  les  lois  qu'on  voudra  rappeler  les  brusques  changements   de 


Fig.    j8.   —  I..i  roue  de  Fortune. 
D'après  I  Ilortus  ilelicîarum,  \n,:  siècle  i 


la  fortune,  on    représentera   cette    roue  symbolique,    où    I  humanité    monte  et 
descend  '. 

Ainsi,  la  roue  de  Fortune  d'Amiens  apporte  au  chrétien  un  sujet  nouveau  de 
méditations.   La  royauté  que  donnent   la   richesse,  la  gloire,   la  puissance,   ne 

1  La  miniature  de  I  Horlus  deliciarum  ait  siècle  que  nous  reproduisons  uous  montre  la  Fortune 
placée  hors  de  la  roue  el  la  faisanl  tourner  li u,  18  .  Dans  uu  Boèce  manuscrit  de  la  lin  du  \%  siècle,  une 
miniature  représente,  auprès  du  philosophe  assis  dans  sa  prison  el  causant  avec  la  Phili  la  Fortune 

avec  -.1    roue,  où  les  hommes  montent  el  descendent.     /.' ■•  dii  si le   la  tîruthuyse,  miniat.  reproduite 

par  Molinier,  les  Manuscrits,  1892,  in  1  s,   p.    188 

16 


L'ART  RELIGIEUX  DU  XIII0  SIECLE 

dure  qu'un  instant.  Le  roi  que  nous  envions  esl  assis  sur  une  roue  :  demain,  un 
autre  l'aura  remplacé.  Nuire  travail,  notre  science,  tous  nos  efforts  ne  doivent 
point  tendre  à  la  possession  de  biens  aussi  fragiles.  Il  nous  faut  un  point  il  ap- 
pui plus  solide  :  ce  monde  ne  nous  le  donnera  pas  el  nous  ne  le  trouverons 
qu'en  I >ieu . 

La  fin  de  tout  travail,  de  toute  science,  c  est  La  vertu. 


M  VUE    III 


LE   MIROIR    MORAL 


I.   Représentations  des  vices  et  m:s  vebtus  dans  l'art  du   moyen    u.i:.  La  Psychomachie 
de  Prudence  i.i   son  influence.  —    II.   La   représentation   m.n  vices  i.i    des  vertus  mil.  m 

IjF.S     FORMES     NOUVELLES     AL      Mil       SIECLE.      Lis     DOUZE     VlîHTUS     II      LES      DOUZE     Ylcls     \     NoTRE- 

Dame  m.   Paris,    a  Chartres,    a   Amiens.    --    III.    Lv    m    active  ei    h    \ii    contemplative 
s  i  a  i  i  i  s  de  Char  i  kes. 


Nature,  science,  vertu  :  tel  est  l'ordre  du  Spéculum  ma/us.  Ce  sont,  qu'on 
le  remarque,  1rs  trois  mondes  de  Pascal  :  inonde  des  corps,  inonde  des  esprits, 
monde  de  la  charité.  La  pensée  chrétienne  est  si  parfaitement  une,  qu  on  la 
retrouve  identique  dans  ions  les  siècles.  La  vertu,  enseigne  le  moyen  âge,  est 
supérieure  à  la  science  et  à  l'art  :  elle  est  la  fin  suprême  du  inonde. 

.Mais,  chose  curieuse,  les  artistes  de  nos  cathédrales  ont  nus  parfois  ce  <|u  il 
v  a  tle  plus  haut  à  la  place  la  plus  liumble.  A  l'a  ri  s  et  à  Amiens,  les  douze  s  ierges 
pensives  qui  symbolisent  les  Vertus  ne  trônent  pas  dans  les  hauteurs  du  por- 
tail, aux  cotés  des  bienheureux  et  des  anges  :  elles  sont  assises  au  niveau  de 
nos  veux  pour  que  nous  puissions,  en  passant,  apprendre  à  les  Lieu  connaître. 
Les  mains  des  générations  les  ont  users  ;  la  poussière  que  nos  pieds  soûles  en  t 
sur  le  seuil  monte  jusqu'à  elles.  Elles  sont  vraiment  engagées  dans  la  vie.  Il 
était  difficile  de  mieux  faire  comprendre  que  cette  perfection  que  I  Evangile 
exige  de   nous,  nous  pouvons,  nous  devons  y  atteindre. 

A  quelle  époque  les  vertus  prirent-elles  dans  l'imagination  chrétienne  une 
forme  concrète  et  vivante?  Quand  furent-elles  conçues  pour  la  première  Lus 
comme  de  chastes  jeunes  femmes,  belles,  simples,  héroïques  -  l^ès  les  ori- 
gines me  n  ics  du  christianisme.  Elles  apparaisse  ni  déjà  dan--  le  livre  du  Pasteur 


i>i  L'ART    RELIGIEUX    DU    XIII1    SIÈCLE 

d'Hermas  sous  la  figure  de  vierges.  Un  peu  plus  tard,  elles  seront  conçues 
comme  des  vierges  années.  Il  semble  que  ce  soit  Tertullien  qui,  le  premier, 
ait  représenté  les  vertus  comme  des  guerrières  luttant  dans  l'arène  :>vec  les 
vices  :  «  Voyez,  dit-il,  l'impudicité  renversée  par  la  chasteté,  la  perfidie  massa- 
crée par  la  bonne  foi,  la  cruauté  abattue  par  la  pitié,  l'orgueil  vaincu  par  l'hu- 
milité :  tels  sont  les  jeux  où,  nous  autres  chrétiens,  nous  recevons  des  cou- 
ronnes '.  »  Africain  comme  Martianus  Gapella,  qui,  plus  tard,  fera  vivre,  marcher, 
parler  les  sciences,  Tertullien  ne  peut  s'empêcher  de  donner  une  figure  à  ce 
qu  il  pense.  Le  premier,  il  exprima  naïvement  une  idée  profonde.  Le  christia- 
nisme n'a  point  apporté  la  paix  au  monde,  mais  la  guerre;  l'âme  est  devenue 
un  champ  de  bataille.  L'harmonie  que  les  anciens  sages,  dans  leur  ignorance  de 
la  vraie  nature  de  l'homme,  avaient  voulu  faire  régner  en  eux,  n'est  pas  de  ce 
monde  :  tant  que  nous  vivons,  les  i\c[\\  hommes  qui  sont  en  nous  combattent. 
Le  drame,  que  l'antiquité  avait  mis  dans  la  lutte  de  l'homme  et  d'une  fatalité 
extérieure  à  lui,  n'est  pas  ailleurs  qu'en  nous-même. 

L'idée  d'une  bataille  intérieure,  d'une  Psychomachie,  n'appartient  certes  pas 
à  Tertullien,  puisque  c'est  une  des  idées  fondamentales  du  christianisme;  il 
n'eut  d'autre  mérite,  en  homme  d'imagination  qu'il  était,  que  de  lui  donner  une 
forme  concrète. 

La  phrase  de  Tertullien  pourrait  servir  d'argument  au  poème  île  Prudence. 
La  PsychomacJde  raconte  en  vers  virgiliens  la  bataille  des  Vertus  et  des  Vices 
cest  souvent  un  centon  de  VEnéide.  lue  idée  si  nouvelle  eût  mérité  une 
(orme  plus  neuve  ;  on  s'étonne  de  trouver  Prudence  à  la  lois  si  jeune  et  si  vieux. 
.Mais  n  oublions  pas  que  les  peintres  des  catacombes  lurent  obligés,  eux  aussi, 
pour  rendre  toute  leur  pensée,  d'emprunter  à  l'art  classique  ses  ligures  tradi- 
tionnelles. 

Tel  qu'il  est,  le  poème  ih-  Prudence  plut  infiniment  à  l'âge  suivant.  Ou 
jugea  qu'il  axait  donné  des  billes  intérieures  un  tableau  définitif.  L'art  du  moyen 
âge  alla  y  chercher  des  inspirations,  et  c'est  à  lui  que  les  sculpteurs  romans  et 
même  les  premiers  sculpteurs  gothiques  empruntèrent  leurs  représentations 
des  Vices  et  des  Vertus.  Il  est  donc  nécessaire  de  faire  connaître  les  épisodes 
caractéristiques  du  poème  de  Prudence. 


1    I  i  1 1  iilli<  n.  De  Spcclaculis,  XXIX.  Voir  sur  ce  sujet      Puech,  Prudence.  Paris,  18MH.  in  (H.  p      ,i, 
-  Prudence,  l'airol.,  1.  I.\.  col.  19  cl  suiv. 


LE    M  [ROI  R    MORAL  ,  ■  , 

Il  nous  montre  l'armée  des  Vices  et  l'armée  des  Vertus  en  présence.  I>e^ 
champions  sortent  des  rangs,  se  provoquent  conformément  aux  règles  de  l'épo- 
pée, et  s'attaquent  en  combats  singuliers. 

La  Foi  [Fides  .  la  première,  avec  une  généreuse  imprudence,  s'élance  dans 
la  plaine1.  Elle  dédaigne  de  se  couvrir  d'une  cuirasse  et  d'un  bouclier,  et 
s'avance,  la  poitrine  nue,  au-devant  de  son  ennemie,  la  vieille  Idolâtrie  velus 
Cultura  deorum).  La  lutte  est  courte  :  tonte  blessée  qu'elle  est,  la  Foi  renverse 
l'Idolâtrie  et  lui  met  fièrement  le  pied  sur  la  tête. 

La  Pudeur  (Pudicitia),  jeune  vierge  à  la  brillante  armure,  reçoit  le  choc  sou- 
dain de  la  Débauche  {Libido) 1.  C'est  une  courtisane  qui  brandit  une  torche 
fumeuse.  La  Pudeur  renverse  la  torche  d'un  coup  de  pierre  ,  et,  tirant  son  épée, 
égorge  la  Débauche  qui  vomit  un  sang  épais  comme  de  la  boue,  et  souille  la 
pureté  de  l'air  en  exhalant  son  âme.  Impitoyable  comme  un  guerrier  homérique, 
la  Pudeur  apostrophe  le  cadavre  de  son  ennemie,  célèbre  Judith,  en  qui  la  chas- 
teté triompha  pour  la  première  fois,  puis  lave  son  épée  souillée  dans  I  eau  sainte 
du  Jourdain . 

La  Patience  Pulienlia),  grave  et  modeste,  attend  de  pied  ferme  l'attaque  de 
la  Colère  [Ira  '.  Impassible,  elle  reçoit  d'innombrables  traits  qui  sonnent  sur  sa 
cuirasse.  La  Colère  s'élance  enfin,  l'épée  à  la  main,  et  frappe  son  ennemie  à  la 
tète,  mais  le  casque  résiste  et  l'épée  vole  en  éclats.  Hors  d'elle-même,  la  Colère 
saisit  un  javelot  qui  est  à  ses  pieds  et  se  l'enfonce  dans  la  poitrine.  Ainsi  la 
Patience  triomphe  de  son  ennemie  sans  même  avoir  tiré  1  épée. 

L'(  )rgueil  [Superbe'a),  cependant,  monté  sur  un  cheval  aillent,  voltige  devant 
le  front  de  l'armée  ennemie  .  Ses  cheveux  relevés  sur  son  front  ressemblent  a 
une  tour;  le  vent  gonfle  son  manteau.  Ce  fougueux  guerrier  apostrophe  avec 
insolence  l'armée  ennemie,  et  accuse  de  lâcheté  les  Vertus  impassibles.  Soudain. 
cheval  et  cavalier  disparaissent  dans  une  chausse-trape  «[lie  la  Fraude  h  nuis 
a  creusée  sur  le  champ  de  bataille.  L'Humilité  [Mens  humilis  s'avance  alors, 
prend  l'épée  que  lui  tend  l'Espérance  Spes),  et  tranche  la  tête  de  l'Orgueil. 
Puis  la  belle  vierare,  ouvrant  ses  ailes  d'or,  s  élevé  vers  le  ciel. 


1   Psi  'lui  m.,  v.    îa  el  suiv. 

-'  IliiJ.,   v.    ii  et  suiv. 

1   II  est  probable  que  cette  pierre  symbolique  désigne  I.  sus-(  liri  i    ainsi  1  entendent  les  couimenl 

•     /'s  1  rjimil    ,  Y.     ni')   cl    Mliv. 

5  Ibid.,  v.   i-8  et  suiv. 


,a6  L'ART    RELIGIEUX   ;DU   XIII»   SIECLE 

La  Luxure  (Luxuria),  les  cheveux  parfumés,  gracieuse  el  Languissante,  se 
présente  montée  sur  un  char  merveilleux.  L'essieu  est  d  or,  les  roues  sont  cer- 
clées cTélectrum,  et  partout  brillent  les  pierres  précieuses.  La  belle  ennemie 
combat  d'une  manière  nouvelle  :  au  lieu  de  décocher  des  traits,  elle  lance 
des  violettes  et  elle  effeuille  îles  roses.  A  cette  vue,  les  Vertus  se  troublent, 
mais  la  sobriété  (Sobrietas),  armée  de  l'étendard  de  la  croix,  marche  au-devant 
de  l'attelage.  Les  chevaux  se  cabrent,  le  char  est  renversé,  la  Luxure  roule  dans 
la  poussière.  Tout  son  cortège  l'abandonne  :  Petulantia  s'enfuit  en  jetant  ses 
cymbales,  Amoren  abandonnant  son  arc.  D'un  coup  de  pierre,  la  Sobriété  vienl 
à  bout  de  sa   faible  ennemie. 

Pendant  ce  combat,  l'Avarice  (Avarùia),  toujours  vigilante,  ramasse  de  ses 
doigts  crochus  l'or  et  les  bijoux  que  la  Luxure  en  déroute  a  semés  sur  le  sable  '. 
Elle  les  cache  dans  son  sein,  puis  elle  en  emplit  des  bourses  et  des  sacs  qil  elle 
dissimule  sous  son  bras  gauche2.  La  Raison  Ratio  ose  l'attaquer,  mais  seule 
elle  ne  pourrait  en  triompher;  il  tant  (pie  la  Charité  [Operatid]  vienne  a  sou 
secours.  Elle  tue  l'Avarice  et  distribue  son  or  aux  pauvres. 

La  bataille  semble  terminée.  La  Concorde  [Concordia),  couronnée  dune 
branche  d  Olivier,  donne  l'ordre  de  rapporter  au  camp  les  étendards  victorieux  ', 
mais,  pendant  qu'elle  parle  encore,  un  trait  part  des  rangs  ennemis  et  I  atteinl 
au  liane.  C'est  la  Discorde  [DiscordlCl  ou  Hœresis)  qui  refuse  de  poser  les  armes. 
lu  nouveau  combat  s'engage,  et  la  Discorde,  vaincue  pal'  la  Roi,  a  la  langue 
percée  d  un  coup  de  lance. 

Les  Vertus,  en  lin  victorieuses,  élèvent  pour  célébrer  leur  triomphe  un  temple 
qui   ressemble  à  la  Jérusalem  nouvelle  de  I  Apocalypse. 

Tel  est.  le  poème  de  Prudence  où  les  écrivains  et  les  artistes  sont  venus  -i 
souvent  chercher  l'inspiration,  Les  poètes  carolingiens  Théodulfe,  Walafried 
Strabo,  racontent,  en  imitant  Prudence,  la  bataille  des  Vices  et  des  \  ertus.  Plus 
lard.  Alain  de  Lille  reprend  le  même  sujet  :   le  neuvième  livre  de  son  Anticlau- 


/'M  rhum    .   V,     j  55   ri    sniv. 

Les  vers  mérilenl  d'être  cites,  car  lt's  artistes  s  en  soûl  inspirés  : 

...  nec sufficit  amplos 
Implevissc  sinus  ;  juvat  infercive  crunienis 
Turpe  lucrum,  gravidos  furtis  disiendere  fiscos, 
(jiius  Ixva  celante  tegil,  laterisque  minislri 
Velat  operimenlo. 

'■   ti  Operalio  »  désigue  évidenimcul  a  les  Œuvres  »  ou  la  Charité. 

/'   i  '  hnm      v,  645  el  suh 


LE    M  1  ROIR    Mi  IRA  I. 


ri 'ianus  est  rempli  tout  entier  par  une  psychomachie.  Les  poètes  de  langue  vul- 
gaire, comme  Rutebeuf,  travaillent  parfois  aussi  sur  le  vieux  thème '.  Les  théo- 
logiens eux-mêmes  sont  tout  pleins  cl 1 1  poème  de  Prudence  :  la  lutte  des  vertus 
et  des  vices  leur  apparaît  comme  un  drame.  Isidore  île  Séville  les  met  aux  prises 
dans  un  chapitre  de  ses  Sentences1.  Grégoire  le  Grand,  s'il  est  vrai  qu'il  soil 
l'auteur  du  traite'1  De  conflictu  vitiorum  et  virtutum  qu'on  lui  attribue,  oppose 
ele-ux  à  deux  les  vices  et  les  vertus,  et  les  tait  se  défier  comme  des  couples 
homériques3.  Vincentde  Beauvais  reproduit  une  partie  de  ce  traite'',  sans  doute 
parce  qu'il  en  admire  le  mouvement  et  la  vie  '.  Des  docteurs  aussi  graves 
qu'Hugues  de  Saint-Victor3,  que  Guillaume  d'Auvergne  6,  se  croient  obligés, 
quand  ils  traitent  îles  vertus,  de  nous  les  montrer  en  action  et,  de  les  faire  parler. 
Partout  c'est  Prudence  qui  a  donné  l'élan. 

Les  artistes  essayèrent  d'assez  bonne  heure  de  lutter  avec  sou  texte.  Le  pre- 
mier manuscrit  illustré  de  Prudence  remonte  peut-être  au  siècle  même  où  vivait 
le  poète,  car  le  manuscrit  du  x  siècle  que  possède  la  Bibliothèque  Nationale 
est  orné  de  dessins  encore  tout  antiques  d'aspect  et  visiblement  copiés  sur  un 
original  très  ancien.  Les  vieux  dessins,  légèrement  retouchés  et  accommodes 
au  goût  du  jour,  reparaissent  encore  dans  un  Prudence  du  xm   siècle8. 

De  toutes  les  illustrations  de  Prudence,  la  plus  intéressante,  à  coup  sur.  esl 
celle  de  VHortus  deliciarum  ' .  Les  dessins  de  ce  farouche  manuscrit,  qui  ne  se 
rattache  en  aucune  façon  à  ceux  du  groupe  précédent,  nous  présentent  les 
Vertus  sous  l'aspect  de  chevaliers  du  xn"  siècle:  les  vierges  guerrières  qui 
portent  dans  Prudence  la  cuirasse  d'Enée  cl  de  Turnus,  sont  devenues  des 
barons  francs.   Elles  sont  vêtues  de  mailles  île  1er.  portent  le  casque  a  nasal  de 

1   Rutebeuf,  ..In.  Jubiual.   iS  ;.,.  i.  II.  p.     n, 

'■  Sentent.,  lib.  II.  Patrol.,t.  LXXXIII,  col  658. 

Bibl.  de  l'Arsenal,  ins.  n' 
•   \  iiir.-ui  de  Beauvais,  Spec    kistor.,  lib.  XXII,  cap.  i. 
••  Hugues  de  Saint- Victor,  Appendix  :  De  Anima.  Palrol.,  I    CLXXYII.  ce>l.   [85 

i  .m  II, n .1  Auvergne,  /'••  Moribus,  relit.  d'Orléans.  r6"  |.  in-fol  ,  I.  I.  |>.  r  i  «  »  - 

Ms.  latin  S  1  iS,  f°  jg  ci  suiv. 

8  Bibl.   Xat.,  m-,   l.i lin  1 5 1 5 S  ;  étudier    par  ex.  l'An ■  jetant    ses   flèches  a      ,s    ri   le  i 

I  Amour  du  manuscrit  83 18,  I  '  58,  \      Signalons  une  étude  très  complète  de  M .  Il,  Slcttiner  sur  les  m, 
crils  à  miniatures  de   Prudence.    Die  illustrivten  Prudentiushandschrifien.  Berlin, i8o5,  in-8.  I  n  recueil  d'il- 
lustrations  accompagnant  le  texte  vienl  d'être  publié      Les  manuscrits  illusti  toutes   les 

bibliothèques  .l>-  l'Euro] ni  été  classés  en  familles  par  M.  Stetliner.  Il  reconnaît,  lui  aussi,  derrière  les 

manuscrits  carolingiens,  un  original  .lu  \    siècle    p.  idq  .-I  suiv. 
'   Calques  au  Cabinet  des  Kstampes    rollection  de  Bastard  , 


Ia8  I.  AI1T    RELIGIE1  S    Dl     XIII'    SIÈCLE 

la  première  croisade,  le  grand  bouclier  triangulaire  et  La  large  épée.  La  bataille 
<^l  rude  :  on  croirail  voir  quelque  tournoi  féodal,  quelque 
ncni   de  Dieu.  L'artiste  suit,  le  texte  de   très 


grand  nombre  d'églises  de 
l'ouest  :  Notre-Dame  de  la  Cou- 
dre à  Parthenay,  Saint-Hilaire 
de  Melle,  Saint-Nicolas  de  Ci- 
vray  .  Aulnay    et  Fenioux  dans 


I  ig.    ;(|      -  Psychomachie    A.ulnaj  ,'\m    siècle. 


Moulage  au  Trocadéro. 

Willriiiin,  Monuments  français  inédits,  |il    \I.YII. 

R,  de  Lasteyrie,  Etude  sur  l'Eglise  d'Aulnay.  Gazette  archéologique,  iS!S6. 


u:  mi  roi  r  moi;  a  i,  i  ■  ■, 

la  Charente-Inférieure,  Saint-Pompain  dans  les  Deux-Sèvres.  A  Aulnay 
(fig.  'i')i.  Vertus  el  Vices  sont  désignés  par  leurs  noms;  ce  sont:  Ira  et  Patien- 
ha.  —  Luxuria  et  Castitas,  —  Superbia  et  Humilitas,  -  Largitas  cl  Ava- 
ritia,  —  Fides  et  Idolatria,  —  Concordia  cl.  Discordia.  'in  reconnaît  les  cou- 
ples nus  aux  prises  par  Prudence.  Il  ne  manque  que  Pudor  et  Libido.  .Mai-, 
poiir  des  raisons  de  symétrie,  à  Anlnav.  comme  partout  ailleurs,  l'artiste  s'esl 
borné  a  sculpter  six  couples.  Les  engagements,  si  variés  dans  Prudence,  -ont 
représentés  de  la  manière  la  plus  uniforme.  Chaque  Vertu  triomphe  île  -on 
ennemi  de  la  même  façon .  Tout  détail  caractéristique  a  disparu  '.  Le  mouvement 
île  la  lutte  est  remplacé  par  le  calme  de  la  victoire.  Ce  que  le  poêle  a  conçu  a 
l'état  dynamique,  si  l'on  peut  dire,  l'artiste  l'a  réalisé  a  l'étal  statique.  Telles 

sont    les    exigences   de   la   statuaire    monumentale,  si   bien    c prises   de-   le 

su'  siècle.  Ainsi  la  turbulence  un  peu  vulgaire  des  liéroïnes  de  Prudence  se 
lige  en  une  immobilité  majestueuse. 

Les  artistes  gothiques  furent  Lien  loin  de  montrer  autant  de  prédilection 
que  les  sculpteurs  romans  pour  le  poème  de  Prudence.  Ils  trouvèrent,  comme 
nous  allons  le  voir,  pour  représenter  les  vertus,  des  images  nouvelles,  toutefois, 
il-  n'abandonnèrent  pas  aussitôl  le  vieux  thème  de  la  Psychomachie.  I  n  des 
portails  de  la  cathédrale  de  Laon,  œuvre  encore  archaïque,  nous  montre  dan- 
ses voussures  le  combat  des  Vices  et  des  Vertus2.  L'artiste  a  pris  quelques 
libertés  avec  le  texte  de  Prudence  :  les  nécessités  de  la  symétrie  I  ont  obligé  à 
ajouter  un  couple  de  plus  aux  sept  paires  de  combattants  îles- m  ce-  par  le  poète. 
Parfois  aussi,  il  s'est  permis  de  remplacer  un  Vice  ou  une  Vertu  par  une  autre. 
Mais  il  ne  s'écarte  jamais  beaucoup  de  son  modèle  auquel  il  emprunte  parfois 
de  petits  détails  pittoresques.  La  Débauche,  par  exemple,  tient  à  la  main  une 
torche  enflammée  avec  laquelle  elle  menace  la  Chasteté;  l'Avarice  serre  su 
Louise  sur  son  cœur.  Les  inscriptions,  dont  plusieurs  sont  mutilées  . 
donnent  le  nom   des  combattants  qui    sont  :    SoLriel  as  el    llcbela  tio   :   Luxuria 


1   On  en  retrouve  quelques-uns  dans  des   œuvres  d'art  décoratif.  Sur  la  cro         lite  de  H  xu     ■ 

probablement;  Willemin,  Mon.  franc,  inédits,  pi.  XXX,  el   V.  de  Mély,   G  ?..  1888     la  Dis 

a  la  langue  percée  d'un  coup  de  lanée.  conformément  au    lexte  de  Prudem  ■       -  s"''  I  ivoire  de  Meli 
\ir  s.:  Cahier,  Nom'.  Mél.  archêol.,    pi     I  .  on  uote    la    même   particularité  cl  plusieurs  autres  du  . 
genre    la  Sobriété  brise  les  dents  de  la  Luxure,  etc 
Kaçade  occidentale,  portail  de  gauche. 

■   Elles  ont  été    relevées  avec  soin    pari   ibbé    Buiixin,  lu  Catit      ' 
in-8,  p.  6 1 . 


i3o  L'ART    RELIGIEUX    DU   XIII"  SIECLE 

et  Gastitas;  Pati[entia]  cl  Ira;  Garitas  et  Paupfer]1;  Fides  et  Idolatria;  Super- 
bia  cl  Humilitas]  ;  Violentia  et  [Mansuetudo  (?)];  Largitas  et  Avaritia.  Les  statues 
de  Laon  datent  sans  doute  (les  premières  années  du  xme  siècle. 

Au  cours  du  mu'  siècle,  le  poème  de  Prudence  semble  perdre  peu  à  peu  sa 
force  créatrice.  Les  artistes  en  "ardent  encore  quelque  souvenir,  puisque  tel 
épisode  i  ni  agi  né  par  le  poète  latin  reparaît  encore  dans  leurs  œuvres;  niais  il 
csL  visible  que  la  pensée  maîtresse  de  Prudence,  l'idée  d'une  bataille  entre  les 
Viceset  les  Vertus,  va  s'aiïaiblissant.  Le  porche  septentrional  de  Chartres  nous 
montre  la  vieille  tradition  artistique  en  voie  de  se  transformer.  Les  Vertus 
triomphent  encore  des  Vices,  mais  elles  semblent  en  triompher  sans  combat; 
elles  les  ont  sous  leurs  pieds  et  ne  daignent  même  plus  les  regarder.  A  vrai 
dire,  la  bataille  est  finie,  cl  les  Vertus  ont  dépouillé  leur  costume  de  guerre  : 
elles  n'ont  plus  aux  mains  que  des  attributs  pacifiques  '.  L'artiste  n'a  pas  voulu 
représenter  la  bataille,  niais  la  victoire  :  noble  spectacle,  a  coup  sur,  niais  qui 
nous  touche  de  inoins  près;  il  semble  (pie  les  Vertus  triomphantes  ne  soient 
déjà  plus  de  ce  monde'.  Le  choix  même  des  Vertus  et  des  Vices  n'est  plus  celui 
du  poète.  A  Chartres,  nous  voyons  la  Prudence  opposée  a  la  Folie,  la  Justice  à 
I  Injustice,  la  Force  à  la  Lâcheté,  la  Tempérance  a  l'Intempérance,  la  Foi  à 
I  Infidélité  (sous  les  traits  de  la  Synagogue  ,  l'Espérance  au  Désespoir,  la  Cha- 
rité à  I  Avarice,  l'Humilité  à  l'Orgueil,  de  n'est  plus  ce  bataillon  un  peu  désor- 
donné que  Prudence  semble  avoir  composé  sans  choix  et  où  les  Vertus  n'ont 
pas  de  rang  certain  ;  à  Chartres,  nous  reconnaissons  les  quatre  Vertus  cardinales 
et  les  trois  Vertus  théologales.  La  nécessité  de  remplir  une  place  vide  et  de  mettre 
quatre  Vertus  dans  chaque  voussur<  explique  la  présence  de  L'Humilité  et  de 
I  Orgueil  :  choix  très  heureux  d'ailleurs,  puisque  les  théologiens  contemporains 
regardent!  orgueil  comme  la  racine  de  tous  les  vices.  A  quelques  traits,  toutefois, 
nous  reconnaissons  (pie  Prudence  n'a  pas  été  tout  à  fait  étranger  à  cette  compo- 
sition. L'Orgueil,  par  exemple,  roule  la  tète  la  première  dans  le  fossé  qui  s'est 
ouvert  sous  ses  pas.   L'Avarice,    non  contente  d'avoir  rempli  sa  bourse  et  ses 

1   La  Charité  u  '--i  pas  aux  | > ri ~ <•  -  avec  un  vice    elle  est  représentée  avec  le  pauvre  ;<  qui  elle  fail  l'au- 
mône. 


Portail  de  gauche,  umss 


iurei 


Nous  reviendrons  mm-  ces  attributs  un   peu   plus  loin,  quand  nous  étudierons  les  caractéristiques  des 
Vertus. 

•    Remarquons   qu'elles  sonl  placées,  à   Chartres,  à  côté  des  Béatitudes  de   l'âme  dans  la  vie  éternelle. 
N'ous  étudierons  ces  statues  .m  chapitre  du  Jugement  dernier. 


LE    MIROIR    MORAL  ,  j , 

coffre-,  cache  sa  richesse  dans  sou  sein.  Le  Désespoir  dans  Prudence  cesl  la 
Colère)  se  perce  lui-même  de  son  épée. 

C'est  là  une  des  dernières  images,  et  déjà  bien  affaiblie,  de  la  Psychomaehie. 
Déjà  les  artistes  avaient  imaginé  une  façon  toute  nouvelle  de  représenter  les 
Vices  et  les  Vertus.  Toutefois,  la  région  de  l'est,  l'Alsace,  si  longtemps  attachée 
aux  traditions  romanes,  si  fidèle  au  passé,  conserva  longtemps  encore  le  vieux 
thème.  Au  portail  de  la  cathédrale  de  Strasbourg,  les  Vertus,  charmantes 
ligures  virginales  de  la  lin  du  xm"  siècle,  achèvent  de  leurs  lances  les  Vices 
renversés  sous  leurs  pieds.  A  l'intérieur  de  l'église,  un  vitrail  du  xi\'  siècle  est 
consacré  au  combat  symbolique  de  douze  Vices  et  de  douze  Vertus  '.  Le  choix 
est  plus  riche  et  plus  méthodique  que  celui  de  Prudence  :  les  Vertus  cardinales 
et  les  Vertus  théologales  sont  accompagnées  d'un  certain  nombre  de  Vertus 
accessoires-'.  Le  génie  des  docteurs  du  moyen  âge  ne  s'était  pas  appliqué  en  vain 
à  distinguer,  à  définir,  à  classer  les  vertus. 

Au  xive  siècle  encore,  presque  à  la  fin  du  moyen  âge,  l'église  de  Niederhas- 
lach,  en  Alsace,  nous  montre  une  dernière  fois,  sculptée  au  portail  et  peinte  sur 
verre,  la  bataille  des  Vices  et  des  Vertus  . 


Des  le  xm'  siècle,  les  théologiens,  et  après  eux  les  artistes,  commencent  a 
voir  l'opposition  des  vices  et  des  vertus  sous  de-  aspects  nouveaux.  Honorius 
d'Autun,  une  des  sources  vives  de  l'ait  du  moyen  âge,  se  représente  la  vertu 
comme  une  haute  échelle  qui  unit  la  terre  au  ciel  '.  Il  interprète  la  vision  de 
Jacob  dans  un  sens  moral.  Chacun  des  degrés  de  l'échelle  est  une  vertu  qu  il 
nomme.  Il  yen  a  quinze  :  patientia,  benignitas,  pietas,  simplicitas,  humilitas, 
contemptus  mundi,  paupertas  voluntaria,  pax,  boni  tas.  spirituale  gaudium,  sulle- 
rentia,  fides,  spes,  longanimitas,  perseverantia. 

1   Près  .1.-  I  eulrée. 

-   I".  de  Lasteyrie    llist.  de  lu  peint,  sur  \-erre.     p    ï.'|J     u   relevé  leurs  noms;   ce  sonl      [l'rudentia     el 
Slultitia:   —  [Justicia    el   [uiquitas;  —  Sobrietas  el  Gula  ;  —  Simplicia  cl  Kraus      -  Fidcs  cl  Idolatria;- 
Humilitas  et  Superbia  :  —  Caritas  el  Invidia;  —  Largilas  el  Avaritia;       Castilas  el  Luxuria  ;        Concordia 
el  Discordia;  —  Fortitudo  el  Ai-idi.i  :  —  Spes  cl   Desperatio. 

:  F.  de  Lasteyrie,  llml ..  p.  26  '■ 

•   Il jrius    d'Autun,  Scala    cœli  miiwr,    col.    S < î . ,  ;    Spéculum   Ecctesix,  roi.  869.    l'utral..    1    CLWli. 

Il  n'esl  |ms  l'inventeur  de  celte  métaphore  <■(  ne  fail  qn  imiter  -.1  i n t  Jean  <  limaquc 


A  i;  I     RELIGIEUX    m     XIII'    SIE<    Ll 


Il  n'étail  pas  facile  de  réaliser  une  métaphore  aussi  peu  plastique.  Le   minia- 
turiste qui  illustra  VHortus  deliciarum  l'essaya,  en  s'inspiranl  d'ailleurs  d'un 

original  byzantin.  II 
représenta  fidèlement 
l'échellemj  stique,don1 
la  base  s'appuie  sur  la 
terre  ei  dont  le  som- 
met se  perd  dans  le 
ciel.  l'in^.  sur  celle 
échelle  il  mit  l'huma 
ni  lé  '  fig  .  K>  .  Les 
hommes,  clercs  ei  lai 
ques,  s'élèvent  pénible- 
ment d'échelon  en  éche- 
lon, pendant  que  les 
Vices,  qui  sont  restés 
sur  la  terre,  les  appel- 
lent d'en  bas.  In  lit. 
qui  symbolise  la  Pa- 
resse, les  invite  a  \  enir 
se  reposer  de  leurs  fati- 
gues :  la  Luxure  leur 
sourit .     L  01'     dans     les 

corbeilles,  les  mets 
dans  les  plais,  les  che- 
vaux et  les  boucliers 
remuent  toutes  leurs 
convoitises.  Quelques- 

uns    ne    savent   pas    ré- 

sister,  ei .  des  hauteurs 
où  ils  sont  parvenus,  redescendent  d'un  saut  brusque  sur  la  terre.  Mais  une 
femme,    sans  doute   une    religieuse,    -ans    rien   entendre   ei    sans    rien    voir,   Se 

lève  vers  la   couronne  <pii  l'attend  au  sommet.  Est-il    possible   de   rendre   une 


l«'ig.  'm.  —  I.  échelle  de  la  \  erlu. 
D'après  Vlloritts  deliciarum. 


1    Calque  an  Cabinel  des  Estampes  collccl.  de  Baslard  . 


LE    MIROIR    \IO|;  AI. 

allégorie  plus  dramatique.' Comme  elle  dut  émouvoir  les  âmes  enfantines  des 
religieuses  auxquelles  elle  était  destinée!  Et  nous-mêmes,  aujourd'hui,  ne 
sommes-nous  pas   touchés  par  la  sincérité  que  nous  y  sentons!1 

Vers  le  même  temps,  une  autre  métaphore  se  fait  jour.  Les  théologiens  du 
\n  et  du  xm  siècle,  qui  étudièrent  avec  tant  d'application  la  filiation  des  vices 
el  des  vertus,  les  comparent  souvent  à  deux  arbres  vigoureux,  Hugues  de 
Saint-Victor,  qui  a  présenté  un  des  premiers  cette  idée  nouvelle  avec  tout  son 
développement,  donne  un  nom  à  chacune  des  branches  de  ces  dv[[\  arbres  '.  L'un 
est  l'arbre  du  vieil  Adam  et  a  pour  racine  et  tige  principale  l'orgueil  superbia). 
Sept  maîtresses  branches  parlent,  du  tronc  :  l'envie,  la  vaine  gloire,  la  colère, 
la  tristesse,  l'avarice,  l'intempérance,  la  luxure.  Chacune  de  ces  branches,  a  son 
tour,  donne  naissance;!  des  rameaux  secondaires;  de  la  tristesse,  par  exemple, 
sortent  la  crainte  et  le  désespoir.  —  Le  second  arbre  est  l'arbre  du  nouvel 
Adam.  L'humilité  en  est  le  tronc,  et  les  sept  branches  principales  sont  les  trois 
vertus  théologales  et  les  quatre  vertus  cardinales.  Chaque  vertu  se  subdivise  à 
son  tour.  De  la  foi,  par  exemple,  sortent  comme  des  rejetons  la  chasteté  et 
I  obéissance,  de  l'espérance  la  patience  et  la  joie,  de  la  charité  la  concorde,  la 
libéralité,  la  paix,  la  miséricorde.  Adam  a  planté  le  premier  de  ces  arbres  et 
Jésus-Christ  le  second;  à  nous  de  choisir2. 

Un  des  livres  les  plus  célèbres   du  \m"  siècle,  la  Somme  le   Roi,  écrite 
français  par  le  dominicain  Frère  Lorens  pour  Philippe  le  Hardi,  dont  il  était 
confesseur^,  présente  la  pensée  d'Hugues  de  Saint-Victor  sous  des  formes  nou- 
velles. 

L'auteur  commence  lui  aussi  par  nous  montrer  les  deux  arbres  du  bien  et  du 
mal;  mais,  avec  un  sens  plus  profond  de  la  nature  humaine,  il  donne  pour 
racine  au  premier  l'amour,  c'est-à-dire  la  charité,  et  au  second  la  convoitise, 
c'est-à-dire  l'égoïsme  \  Ainsi,  ions  les  vices  naissent  de  l'amour  de  soi  comme 
toutes  les  vertus  sortent  de  l'oubli  de  soi.  11  eût  pu  s'en  tenir  à  cette  belle 
comparaison,  si  simple,  si  vraie.  .Mais  Frère  l.orens  est  de  son  siècle,  il  lui  tant 
un  symbolisme  plus  raffiné.  Dans  la  suite  de  son  livre,  les  sept  verlu>  n  appa- 

Hugucs  do  Saiiil- Vie  toi-,  De  fructihus  camis  et  spirilus.  Putrul..  I.  CLXXYI,  col. 

Quelques   manuscrits   représentent    les  deux   arbres,   mais    d'une    façon  très    schématique      \o 
exemple  Bibl.  de  l'Arsenal,  u     [liti    xm'    siècle  .  I     i85. 

Voir  liist.    littér     i     XIX.  p     197.  et  P.  Paris,  les    \/ss  français,  [     III.  p     188 
1    Somme  le  Iioi  (édit.  de  Lausanne     [ S-J 5 .  dans  le  I     IV  des  Mémoires  el  Document 
'I  lnsi    de  l.i  Suisse  i'< uuaude.   p.    ■  ■ 


en 
le 


L'A  H  I    RE  I.H'.i  i:r\    DU   X1II<    SIECLE 

raissenl  plus  comme  les  sepl  branches  d  un  arbre  unique,  mais  comme  sept 
arbres   différents   plantés  dans  un  beau  verger  qui  est   l'Eden  d<'  l'àme.  Sept 

sources  limpides  les  se|)l  dons  du  Saint-Esprit)  jaillissent  au  pied  des  sepl 
arbres  el  sepl  pucelles  puisent  l'eau  dans  ces  sources  avec  sepl  \ases  qui  sont  les 

sept  demandes  du  Pater  rioster1.  Les  vices  sont  également  représentés  par  un 
symbole  nouveau.  Frère  Lorens  croit  que  les  sept  tètes  orgueilleuses  de  la  bête 
apocalyptique  son!  la  parfaite  image  des  sepl  péchés  capitaux,  et  au-dessus  de 
chacune  de  ces  tètes  il   inscrit  le  nom  d'un  vice. 

De  pareilles  conceptions  n'ont  pas  été  sans  influence  sur  l'art.  Elles  expli- 
quent certains  dessins  énigmatiques  îles  manuscrits  du  xiii0  siècle.  Donnons-en 
au  moins  un  exemple.  Dans  le  Miroir  de  vie  et  de  mort  de  la  Bibliothèque  Sainte- 
Geneviève,  une  curieuse  miniature  représente  un  grand  arbre  dont  les  racines 
s'étendent  au  loin  \  (les  racines  offrent  celle  particularité  qu'elles  affectent  à 
leur  extrémité  la  forme  d'un  serpent,  et  «pie  ce  serpenl  lui-même  se  termine  par 
une  figure  de  femme.  La  plupart  de  ces  femmes  portent  un  emblème  ou  font  un 
geste  qui  permettrait  de  les  reconnaître  quand  même  leur  nom  ne  serait  pas 
écrit  près  d'elles.  La  première  [Radix  luxurisè]  se  regarde  dans  son  miroir,  la 
deuxième  [Radix  gulee)  tient  un  verre  à  la  main,  la  troisième  \l{a<li.ï  avaritise) 
ferme  un  coffre-fort,  la  quatrième  [Radix  acidise)  se  détourne  de  l'autel,  la  cin- 
quième |  Radix  iracundise)  s'arrache  les  cheveux,  la  sixième  [Radix  invidim  porte 
une  bête  dans  son  sein,  la  septième  Radix  superbise  '  n'a  aucun  attribut  carac- 
téristique. L'arbre,  dont  les  racines  sont  autant  de  péchés,  s'épanouil  magni- 
fiquement :  à  son  sommet,  une  reine  esl  assise,  la  couronne  au  Iront,  le  sceptre 
en  main,  entourée  d'oiseaux  noirs,  dette  figure  insolente  est  comme  une  anti- 
Vierge,  une  Vierge  du  mal;  les  blanches  colombes  qui  reposent  sur  Marie  sont 
remplacées  ici  par  les  noirs  corbeaux  de  l'enfer.  Lue  échelle  est  appuyée  à 
I  arbre,  el.  pendant  que  des  musiciens  accordent  leurs  instruments,  une 
femme,  vêtue  de  blanc,  pareille  à  une  morte,  monte  lentement  en  portant  sous 
son   bras  le  couvercle  de  son  cercueil. 

On  reconnaît  là,  savamment  amalgamées,  plusieurs  métaphores  chères  aux 
théologiens  du  \\\"  et  du  xme  siècle.  L'arbre  est  évidemment  l'arbre  du  Mal  des 

1   IIhiI..   |.     >4i.   Les    manuscrits  représenter  le   verger   el  les  m'|>i  pucelles.   Voir  Bibl.  Mazarine,  ms. 
ii    870,  1    61,  i 

J   Bibl.  x i<    Geneviève,  ms.    t: I     164    le  manuscrit  esl  de  1  ■  —  < j  . 

'  '■' »  "  >  esl  pas,  mais  il  <-si  facile  a  suppléer,  car  ce  sont,  comme  on  peul  le  remarquer,  les  sepl 

péchés  capitaux 


I.i:   MIROIR   MORA  I.  ,  ;-, 

docteurs,  niais  conçu  un  peu  autrement.  Les  vires  sont  à  la  racine,  et  ces  racines 
sont  en  même  temps  les  sept  tètes  du  dragon  de  l'Apocalypse.  L'échelle  nous 
fait  penser  à  celle  qu'Honorius  d'Autun  dusse  entre  la  terre  et  le  ciel,  mais 
l'une  conduit  à  la  vie,  l'autre  à  la  mort  :  ceux  qui  la  gravissent  s'imaginent 
qu'ils  vont  vivre,  el  déjà  ils  sont  enveloppés  dans  leur  linceul  —  Toutes  les 
idées  qu'un  esprit  cultivé  d'alors  se  faisait  du  vice  cl  de  la  vertu,  toutes  les 
comparaisons  qui  couraient  dans  les  écoles  ont  trouve''  là  leur  expression. 

Le    grand    art    monumental    ne    s'inspira    jamais    d'un    symbolisme    aussi 
subtil    :    il    laissa    de    pareils    raffinements  aux   miniaturistes.    Les  sculpteurs 
du    \in     siècle    ne    représentèrent    jamais    ni    l'arbre    des   vices,    ni    l'échelle 
mystique    des    vertus.     Ils    ne    revinrent    pas   davantage    a    la     Psychomachie 
qui    laissa    pourtant,    comme    nous    le    verrons,    plus    d'une     trace    dans    leur 
œuvre  '.  Ils  opposèrent,  il  est  vrai,  les  vertus  aux  vices,  mais  d'une  façon  toute 
nouvelle.  Les  Vertus  sculptées  en   bas-relief  sont  des  femmes  assi-es.  graves, 
immobiles,  majestueuses;  elles  portent  sur  leur  écu  un  animal  héraldique  qui 
témoigne  île  leur  noblesse.  Quant  aux  Vices,  ils  ne  sont  plus  personnifiés,  mais 
représentés   eu  action,   dans   un   médaillon,  au-dessous  de  chaque  Vertu    :    un 
mari  qui  liât  sa  femme  figure  la  Discorde;  l'Inconstance  est  un  moine  qui  s'en- 
fuit de  son  couvent  en  jetant  son  froc.  La  vertu  est  donc  représentée  dans  s,,ii 
essence  et  le  vice  dans  ses  effets.  D'un  coté,  tout  est  repos;  de  l'autre,  tout  est 
mouvement  et  lutte.  Le  contraste  fait  naître  dans  l'esprit  l'idée  que  les  artistes 
ont  voulu  exprimer   :  ces  calmes  figures   nous  enseignent  que  seule   la    vertu 
unifie  lame  et  lui  donne  la  paix,  et  (pie  hors  d'elle  il  n'y  a  qu'agitation.  Ainsi 
les  artistes  du  xin    siècle,  en  abandonnant  la   Psychomachie  chère  à   l'âge  pré- 
cédent,  semblent  avoir  voulu   pénétrer  plus  avant  et  traduire  une  pensée  plus 
profonde.    Les   sculpteurs   romans  nous  disent  :       La  vie   t\\i  chrétien    est   une 
lutte  >>  ;  —  mais  les  sculpteurs  gothiques  ajoutent  :  «  La  vie  du  chrétien  qui  a  su 
faire  régner  en  lui  toutes  les  vertus,  c'est  la  paix  elle-même,  c'est  déjà  le  repos 
en  Dieu.    » 

La  façade  de  Notre-Dame  de  Paris  nous  offre    le  plus  ancien  exemple  de  ce 
genre  de  représentations".   On   ne   peut   douter  que   ce    ne   -oh    un    artiste  de 

1  Par  une  singularité  qui  prouve  combien  <»u.i\.  iii  de  peine  à  oublier  le  poème  de  Prudence,  !»■>  Vertus 
de  la  rose  de  Notre-Dame  de  Paris,  si  calmes,  si  sereines,  ont  encore  à  la  main  nue  lance.  Voir  celles  que 
nous  reproduisons  plus  loin    flg.  *>8  >'i  tii 

La    façade    de     Xotre-Dame    de     Paris    dale    des    premières    .1 :es    du    \m     siècle      Les   trop 

documents   qui   permettent   d'établir  une  clirouologie   *"nl    dans    \      Mortel,  lltiitlr  Itisl    et  ttïcltéul     si//1   l<i 


i36  L'A  li'l    RELIGIEUX    1)1"    S  l  I  I     SIÈCL] 

Paris,  aidé  des  conseils  (l'un  théologien,  qui  ail  conçu  ce  programme  nouveau 

dès  les  premières  années  du  mm    siècle. 

Tout,     restaurés    que     soienl    ces     bas-reliefs,     qui     eurent     a    subir    au 

xvm'  siècle  les  maladroites  retouches  des  ouvriers  de 
Soufflol  '.  ils  doivenl  être  le  point  de  départ  de 
notre  étude.  La  grande  rose  de  la  façade  occiden- 
tale «le  Notre-Dame  de  Paris  présente  le  même  sujet, 
traite  d'une  façon  presque  identique  ~.  Les  bas- 
reliefs  d'Amiens     ont  été  exécutés  plusieurs  années 

après    ceux   de  Paris,   dont    ils  reproduisent,   à  peu  de 

chose  près,  ton-,  les  détails.  Ceux  de  Chartres  '.  sculp- 
tés dans  la  seconde  moitié  du  xm°  siècle,  restent 
parfaitement  fidèles  au  prototype  fig.  5i).  In  vitrail 
d'Auxerre  5,  à  peu  près  contemporain  ^^  porche  de 
Chartres,  est  moins  complet,  mais  dérive  visiblemenl 
du  même  original.  Enfin,  à  Reims,  vers  la  même 
époque,  lut  encore  exécutée  une  suite  de  bas-reliefs 
des  Vices  et  des  Vertus,  où  l'on  retrouve  encore. 
malgré  des  mutilations  et  des  lacunes,  quelques  traces 
de  l'idée  primitive  ". 

Etudions  ces  diverses  séries  en   les  complétant   el 
en  les  éclairant  les  unes  par  les  autres. 

Les  bas-reliefs  de  Paris,  d  Amiens  el  de  Chartres, 
où  la  pensée  a  reçu  tout  son  développement,  nous 
offrent  exactement  dans  le  même  ordre  douze  Vertus 
el  douze  Vices,  qui  sont  :  La  Foi  et  l'Idolâl  rie  :  —  1  Es- 


Pho     >i 


i-ig 


t. a  Folie,  l'Humi- 
lité .  l"(  Irgueil  Chartres , 
porche  méridional' . 


cathédrale  ri  le  palais  épiscopal  de  Paris.  Paris.  1888,  iu-8.  —   Amiens 
ri    1rs  porches  de   Chartres    sont  postérieurs. 
1    F.  de  Guilhermy,  Descript.  de  Notre-Dame  de  Paris.  Paris,  i856,  in-i  ■.  p.    h 
Voir  Lenoir,  Slatist.  monument.  </'■  Paris,  1.  Il,  |>1    XIX.  Celte  planche  ne  mérite   |>.<--  une  confiance 
absolue,    car  plusieurs  panneaux   sont    modernes.   Heureusement  F.  il.-   Lasleyric     Hist,  de  lu  peint,    sur 
P    1  ;s    h, ,11s  fait  connaître  l'étal  'lu  vitrail  av. ml  s.i  restauration. 
Portail  occidental,  porte  'lu  milieu,  soubassi  menl    On  sail  que  la  c  ithi  drale  'I  Amiens  lui  commencée 
en  1  1  !0. 

i    Porche  du    midi.   Les   bas-reliefs  décorent  les  piliers  du  porche.   Les  porches  de  Charlrcs  ne   furent 
terminés  que  vers   1280. 

■    Rose  d fenêtre  du  chœur  (reproduite    dans  les   \'ih,mi  de  Bourges    planche  d'étude  XVIII). 

6   Fai     1 teutale,  portail  il'-  droiti 


le  mi  non;  m  ou  ai. 


'•: 


pérance  cl    le    Désespoir;   -  -  la    Chanté    et  l'Avarice;    —  la    Chasteté    el     la 
Luxure;   -  -  la  Prudence  et  la    Folie;  --  l'Humilité  el    l'Onnieil  ;  La    Force 


a    I  (ouccu  r  el    la  I  )ureté  : 


et  la  Lâcheté;  —  La   Patience  et  la  Colère; 
Concorde  et  la  Discorde;  —  l'Obéissance   et    la 
Rébellion;    —  la  Persévérance  et   l'Inconstance. 

Une  première  question  se  pose  :  quelle  pensée 
générale  a  présidé  à  ce  choix  de  Vertus?  Car  il 
s'en  faut  quelles  y  soienl  toutes,  cl  parmi  les 
principales  mêmes,  il  en  est  qui  manquent1. 

Il  est  facile  d'abord  de  reconnaître  que  la 
série  commence  parles  trois  Vertus  théologales  : 
la  Foi.  l'Espérance  et  la  Charité,  dont  saint  Paul, 
le  premier,  avait  défini  la  nature".  Elles  sont  dans 
l'ordre  même  que  leur  assignent  les  théologiens; 
«  car,  disent-ils,  la  Foi  pose  les  fondements  de 
l'édifice  spirituel,  l'Espérance  l'élève  et  la  Cha- 
rité le  couronne  »,  ou  encore  :  C'esl  parce  que 
nous  croyons  que  nous  espérons,  et  c'est  parce 
que  nous  espérons  que  nous  aimons   »   . 

Après  les  trois  Vertus  théologales  nous  nous 
attendons  à  trouver  les  quatre  Vertus  cardinales  : 
Tempérance,  Force.  Prudence,  Justice.  Emprun- 
tées par  saint  Ambroise  à  la  République  de  Pla- 
ton, mais  pliées  à  la  pensée  chrétienne'',  elles 
entrent  dans  la  littérature  théologique  de  l'Occi- 

1    Par  exemple,  la  Justice. 

J  Saiiil  Paul,  I,  l'nriiilli ..  \ni.   i  \. 

■  Pierre  Le  Chantre,    Verbum  ubbres'ialWum.  Patrol.,  I.  CCV.  i 

•   Saiui  Ambroise,    De  Paradiso,  cap     m,    Patrol.,  I    XIV,   col     179.    Il  1 ipare  les  quatre    vertus   aux 

quatre  fleuves  du  Paradis.  Le  Pliisou  qui  roule  de  I  or  <>i  la  Prudeuee    le  Géhon  qui  lave  I  Ethiopie    doul  le 
nom  signifie  impureté    est  la  Tempérance,  le   Tigre  (en   hébreu,   le  Kapide    esl  la    Korce,  et   I  Euphrate  (le 

li  cond)  la  Justice.    Chacun  'les  quatre  âges  de  I  I unité  correspond  aussi,   pour  saint   Ambroise 

vertu,  La  première  époque,  d'Abel  à  Noé,  esl  celle  de  la  Prudence;  la  deuxième,  d'Abraham  ii  Jacob,  esl 
celle  de  la  Chasteté;  la  troisième,  de  Moïse  aux  prophètes,  esl  celle  de  la  Korce  la  quatrième,  qui  coin 
meuce  à  Jésus-Christ,  est  celle  de  la  Justice,   Les  fonts  baptismaux  d'Hildesheim 

les  quatre  fleuves  du  Paradis  symbolisant,  conforménieul  à  la  doctrine  de  s.iini  Ambroise,  les  quatre 
cardinales.  On  lil .  par  exemple,  près  de  I  Euphrate  :  frugifer  Kuphrtilt'i  esl  /iislilin  r/w.r  mtlaliir.  I  .es 
cardinales  sonl  représentées  au-dessus, 


Eij»    ">■>..        La  l-'oi  el  l'Idolâtrie 

Amiens) 


ni. 


me 


1.  ART   RELIGIEUX    DU  XIII'    SIECLE 

déni    dès   le   ivc  siècle.  Saint  Augustin  consacre   celle    division    de  son  auto- 
Isidore de    Séville  cl,   après  lui,   Kaban    Maur  la   transmettent  au  moyen 

âge2.  Les  théologiens  qui  ont  étudié  les 
vertus  avec  le  plus  de  profondeur,  Pierre 
Lombard  au  xn'  siècle  et  saint  Thomas  au  xiii  . 
se  conforment  a  la  classification  reçue.  Cha- 
cune des  trois  vertus  théologales  cl  des 
quatre  vertus  cardinales  marque  une  des  di- 
visions de  la  Somme.  Saint  Thomas  s'attache 
précisément  à  montrer  comment  ces  sept 
vertus  principales  engendrent  toutes  les  au- 
tres :.  Le  Spéculum  morale,  ajouté  au  Spécu- 
lum mai  us  de  Vincent  de  Béarnais  après  la 
mort  de  l'auteur,  adopte  la  méthode  de  saint 
Thomas  et  donne,  en  supprimant  une  partie 
de  l'appareil  scolastique,  les  résultats  aux- 
quels il  était  arrivé. 

Il  semble  donc  tout  naturel  de  chercher 
à  reconnaître,  dans  les  séries  sculptées  des 
Vertus,  les  Vertus  cardinales  après  les  Ver- 
tus théologales.  Aussi  les  chanoines  Jourdain 
et  Duval,  qui,  les  premiers,  s'attachèrent  à 
expliquer  les  bas-reliefs  de  la  cathédrale 
d'Amiens,  voulurent-ils  à  tout  prix  voir  la 
Tempérance,  la  Force,  la  Prudence  et  la  Jus- 
tice à  la  suite  de  la  Foi,  de  l'Espérance  et 
de  la  Charité'.  Ils  raisonnaient  en  hommes 
familiers  avec  l'art  du  moyen  âge  et  cou- 
les bas-reliefs   des    cathédrales    sont   d'impeccables    catéchismes 


I.  Espérance  cl  le  Dé 
Amiens) . 


vaincus    (pu 

de   pierre  toujours  conformes  à  l'enseignement  de  l'Ecole.  Mais  cette  fois  il^  se 

Sainl  Augustin,  Délibéra  arbitrio,  lib    I.  cap    mu    Patrol     t.  XXXII,  col    ta35,  et  De  Moribus  Ecele- 
si.r  catkol.,   lit).  I.  cap.  \*.  même  volume,  col.  i  lia. 

'   Isidore  de  Séville,   Differentiarum,  lib.  Il    cap.  xxxijc  el    \i     l'ulml..  t.   UXXXII1     ici    g5.         II. il. .m 
Maur,  Tractatus  animse.  Patvol.,  t.  CX,  col.   i  i";i 

Saint  Thomas,  Summa  theolog  .  sec.  secundœ,  quœst    I.  article  I  ri  suiv. 
•  Articles  de  Jourdain  ci  Duval  sur  les  portails  d'Amiens  dans  Bulletin  munutn.,  l.  M.  p.   j3o  el  Min 


LE    MIROIR    M  OU  Al, 

trompèrent,  et  leurs  yeux  prévenus  ne  surent  pas  discerner  le  véritable  sens 
des  figures  qu'ils  voulaient  expliquer. 

Dans  la  suite  d'œuvres  d'art  qui  nous  occupe,  il  faut  le  reconnaître,  il  n'y  a 
pas  la  scrupuleuse  exactitude  dogmatique  à  laquelle  les  artistes  du  moyen  âge 
nous  ont  habitués.  Les  neuf  Vertus  qui  accompagnent  les  trois  Vertus  théolo- 
gales paraissent  prises  et  rangées  au  hasard.  Telle 
Vertu  dérivée  a  le  pas  sur  la  Vertu-mère  ou  même 
la  remplace.  La  justice,  par  exemple,  ne  figure  pas 
dans  cet  ensemble  :  on  lui  a  substitué  la  vertu 
d'Obéissance  qui  en  dérive. 

Nous  nous  sommes  demandé  si  sous  ce  désordre 
apparent  ne  se  cachait  pas  un  ordre  plus  profond. 
Partant  de  ce  fait  que  la  plus  ancienne  série  des 
douze  Vertus  et  des  douze  Vices  avait  été  sculptée  à 
Notre-Dame  de  Paris,  nous  axons  cherché  si  nous  ne 
trouverions  pas  la  justification  d'un  pareil  choix 
dans  les  œuvres  des  théologiens  qui  ont  appartenu 
au  clergé  de  la  cathédrale  à  la  fin  du  xn"  ou  au  com- 
mencement du  xme  siècle.  Il  y  a,  en  effet,  clans  l'en- 
tente de  certaines  figures,  des  particularités  qui 
trahissent  la  collaboration  d'un  clerc.  Malheureuse- 
ment, ni  le  Livre  des  sentences  de  Pierre  Lombard, 
évêque  de  Paris  à  la  fin  du  xn"  siècle,  ni  le  I  erbum 
abbreviativum  de  Pierre  le  Chantre,  qui  professa  la 
théologie   à  l'école  de   la  cathédrale  dans  le  temps 

même  où  commentait  à  s'élever  l'église  nouvelle',  ni  le  traité  De  Moribus  et  de 
Virtutibus  de  Guillaume  d'Auvergne,  qui  monta  sur  le  siège  épiscopal  de  Paris 
au  commencement  du  xme  siècle2,  ne  nous  ont  donné  ce  «pie  nous  cherchions. 
Nulle  trace  dans  tous  ces  livres  d'une  classification  des  vices  et  des  vertus 
conforme  à  l'œuvre  d'art  que  nous  voudrions  expliquer.  Tous  les  ouvrages  con- 
sacrés aux  vices  et  aux  vertus  que  le  xni'  siècle  vil  éclore  en  si  grand 
nombre   :  — Sommes  dogmatiques,  comme  celles  de  Frère   Lorens  ou  de  Guil- 


Kig   5  i    —  La   Colère.    Vitrail 
de   Lyon     fragment  . 

H  après  I.    Bcgule 


1   11  mourut  en  i  198. 

-  Guillaume    d'Auvergne,  élu    évêque    de    Paris   en  1  128,  esl   mort  1  11   i  :.jg 
t    XVIII,  |i    >'>-     Ses  œuvres  ont  été  publiées   a  Orléaus  eu    1  * •  —  t ,      vol.   in-fol. 


llisl.  liltt  1    de    In  I  < 


i/jo  L'ART   RELIGIEUX    DU    XIII'    SIÈCLE 

laume  Péraud1,   poèmes  en  langue  vulgaire,  comme  les  petits  traités  des  vices 
*et  des  vertus2  et   le   roman   de  Fauvel",   enfin   simples  listes  de  vertus  et  de 

vices  opposés  deux   à   deux,  comme  il  s'en  rencontre  dans  les  manuscrits*,  - 

ions  ces  livres  sonl  conçus  autrement,  présen- 
tent des  divisions  différentes. 

Nos  recherches  ne  nous  ont  donc  conduil  à 
aucun  résultat  :  peut-être  sera-t-on  plus  heureux 
que  nous".  Nous  avons  de  la  peine  à  croire 
qu'une  œuvre  aussi  importante  que  la  série  des 
Vices  el  des  Vertus  de  Notre-Dame  de  Paris, 
qui  fut  jugée  digne  d'être  copiée  à  Amiens  et  à 
Chartres,  n'ait  pas  été  sérieusement  méditée. 
Nous  nous  souvenons  du  tabernacle  d'Or  San 
Michèle  à  Florence,  où  Orcagna  représenta  les 
Vertus  en  empruntant  à  saint  Thomas  sa  nié- 
thode.  Dans  ce  merveilleux  monument  où  la 
Scolastique  s'est  cristallisée  en  marine,  comme 
dans  le  poème  de  Dante,  elle  s'est  transfigurée 
en  lumière,  chacune  des  Vertus  cardinales  est 
accompagnée  d'une  Vertu  accessoire,  prise  sur 
la  liste  dressée  par  saint  Thomas  qui  révèle  une 
si  profonde  connaissance  des  mouvements  de 
l'àme'.  La  Force,  par  exemple,  est  flanquée  de 
la  Patience  cl  de  la  Persévérance,  la  Prudence  de 

la   Docilité  et  de  l'Habileté.  Si   une   méthode  si 
Kig,  55.        Ln  l . I • . 1 1 ■  i l < •  ri  l'Ai  arice 
[Amiens 

1  i  liiill.niMir  IYi-;iiitl.  liilil.  Sainte-Geneviève,  ms.  n°  i    |S 

-  Par  ex,  :  Bibl.  Xal.,  mss  franc.  ■  i  i  ,(.i.  I  69.  cl  17177.  Ce  >-■  m  1  deux  poèmes  •  1 1  •  \iu'  siècle  sur  les 
Vertus. 

;   Les  deux  livres  de  Fauvcl,   Bibl.  X.ii..  lus    franc.  146  (xiv'    siècle). 

1    \  "ir  Bibl.  de  I  Arsenal,  mis.  n°  90  >.  I     1  16    mm1  siècle 

•'  Nous  avions  d'abord  accepté  l'idée  émise  par  l'abbé  Lcbeuf  dans  sa  description  de  Notre-Dame  de 
Paris  Ih-i.  ilr  tout  le  diocèse  de  /'mis  édil.  Cochcris,  p.  g  ,  Il  imagine  que  les  douze  vertus  du  portail 
"ni  été  exécutées  il  aprèsunc  liste  qui  m-  trouve  (Nuis  la  vie  il'-  sainte  Geneviève,  patronne  de  Paris,  .Mais, 
vérification  faite,  nous  avons  reconnu  que  la  liste  cl  1rs  lias  reliefs  ne  concordent  pas.  Voici,  en  effet,  les 
douze  vertus  énumerces  par  lliagiographc  Acla  Sun  il  .  Janvier,  i  I .  p.  ■  I9,  édit.  de  [6  j  \  :  lides,  absti- 
nentia,  patientia,  inaguanimitas,  simplicitas,  innocentia,  concordia,  caritas  disciplina,  castitas  veritas, 
prudentia  . 

'    Voir  Surigny,  le  Tabernacle  d  Or  Sun  Michèle.  Ami.  arclt.,  1.  X  \  \  I 


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LE    M  [ROI  II    MOT,  Al,  i  ji 

scrupuleuse  a  présidé,  au  xiv°  siècle,  à  la  classification  des  Vertus  à  Florence, 
on  a  peine  à  croire  qu'à  Paris,  au  \in  siècle,  en  plein  âge  théologique,  l'ordre 
en  ait  été  abandonné  au  hasard  '. 

Quoi  qu'il  en  soit,  nous  devons  maintenant  étudier  les  unes  après  les 
autres  ces  images  des  Vertus  et  des  Vices  el  essayer,  à  l'aide  de  la  littérature 
théologique,    d'en    expliquer    tous    les    détails. 

La  Foi,  sculptée  à  la  droite  de  Jésus-Christ,  est 
à  la  place  d'honneur.  Assise  sur  un  banc  sans  dossier, 
elle  tient  un  écusson  sur  lequel  sont  représentés,  à 
Paris  nue  croix*,  à  Chartres  un  calice',  à  Amiens 
une  croix  dans  un  calice  '  (fig.  52).  Au  porche  nord 
de  Chartres,  la  Foi  remplil  le  calice  du  sang  de 
l'agneau  immolé  sur  l'autel.  La  Foi  du  moyen  âge, 
c'est  donc  la  vertu  du  sacrifice  de  Jésus  mort  sur  la 
croix,  mais  c'est  aussi  (comme  le  prouve  le  calice 
la  foi  dans  la  perpétuité  de  ce  sacrifice  renouvelé 
tous  les  jours  miraculeusement  sur  l'autel.  La  Foi 
a  donc  été  représentée  par  nos  artistes  conformé- 
ment à  la  définition  de  saint  Augustin  reprise  par 
Pierre  Lombard  et  acceptée  de  toute  la  chrétienté 
«  La  Foi  est  la  vertu  par  laquelle  nous  croyons  à  ce 
que  nous  ne  voyons  pas".  »  Le  sacrement  de  I  Eucha- 
ristie en  est  le  plus  parfait  symbole. 

Sous  la  Foi,  un  homme,  à  Paris.  ;'i  Amiens 
(fig.  V_>i.  à  Chartres,  fait  le  geste  d'adorer  une  idole 
velue,  qui  ressemble  à  un  singe6.  (Test  l'Idolâtrie,  car  telle  est  la  figure  naïve 


I  ig,    ,r,         [..,  Charité,  vitrail 

tic  L\  "ii    fragmenl  . 

H  après  L.  Bcgule 


1  On  voit   1res  bien  pourquoi,  à  Notre-Dame  do    Paris,  il  u  v   .1  que   douze  vertus  :    c  esl  qu  il  y   avail 
douze  places  à  remplir  sous  les  douze  apôtres.  Le  chiffre  douze  a  été  conservé  .'t  Chartres,  bien  que 

position   architectonique    lui    différente,    par [u'on    travaillai!    d'après    un    modèle   accepté.    Mais 

n'explique   pas  pourquoi  telle  vertu  .1  été  choisie  de  préférence  à  telle  autre. 

-  La  croix  a  été  refaite  an  win'   siècle.  A  I  origine  il  \  avail  probablemenl  aussi  un  calice. 
Elle  tienl  la  croix  •>  la  main. 

'   La  Foi  de  la    rose  de  Notre  Dame  de  Paris  porte  aussi  une  croix  dans  un  calice,  mais  le  panni  au 
refait.  En  lia  lie   porte  du  baptistère  de  Florence  de  E'isano  cl  Campanile  .  la  loi  a  aussi  la  croix  el  le  calice. 

;;   l-'ides  est  virtus  qua   creduutur   quoi    videntur    Spec    mui\,  L.   I.   divis     \\ll.   pars    III.   d'après 

Pierre  Lombard. 

(|  A  Paris,  le  bas-relief  refail  au  wm    siècle  nous  montre  un   homme  adorant    u\f    espèce  di    1 
A    Amiens,  des  restes  de  cocues  pourraienl  faire  croire  qu'il  s  agil  non  d'un  sin^e,  mai:     1  nu  dén 


!j>  L'ART   RELIGIEUX    DU   XIII«  SIÈCLE 

que  le  moyen  âge  donne  aux  dieux  «lu  paganisme1.  Dans  la  pensée  des  hommes 
il  alors,  les  statues  «les  anciens  dieux  étaient  habitées  par  «le  dangereux  dénions 
qui  se  manifestaient  parfois  sous  leur  forme  hideuse;  quiconque  les  adorait 
adorait  Satan  lui-même.  —  Au  portail  nord  de  Chartres,  une  autre  pensée  esl 
exprimée.  La  Foi  a  sous  ses  pieds  la  Synagogue  aux  yeux  bandés.  Il  faut  recon- 
naître là  un  des  épisodes  de  la  lutte  dramatique  de 
deux  religions,  dont  l'art  du  xin"  siècle  s'est, 
comme  nous  le  verrons,  si  souvent  inspiré. 

Lorsque  Dante,  accompagné  de  Béatrix,  esl 
arrivé  à  la  huitième  sphère  du  Paradis,  une  voix 
sort  d'une  lueur  et  l'interroge  sur  l'Espérance. 
Le  poète  reconnaît  saint  Jacques  qui,  dans  une 
épître  célèbre,  avait  lepremier  parlé  de  cette  vertu. 
Et  Dante,  <>  empressé  comme  un  écolier  qui  répond 
à  son  maître  »,  donne,  sans  y  changer  un  mol,  la 
définition  qu'il  avait  lue  dans  le  Livre  des  Sentences 
de  Pierre  Lombard  :  «  L'Espérance  est  une  attente 
certaine  de  la  gloire  future  que  produisent  la  grâce 
divine  et  les  mérites  antérieurs2.  »  C'est  pourquoi  à 
Paris,  à  Amiens  (fig.  53),  à  Chartres,  l'Espérance 
lève  an  ciel  un  regard  assuré  et  tend  la  main  vers 
une  couronne,  symbole  de  la  gloire  future  «pii 
l'attend3.  Près  d'elle  se  voit  un  écu,  où  un  éten- 
dard surmonté  «l'une  croix  est  dessiné.  Il  ne  me 
paraît  pas  qu'on  ait  parfaitement  compris  le  sens 
d'un  pareil  emblème.  Les  archéologues  y  voient  un 
signe  de  victoire  alors  qu'il  faut  y  voir  un  symbole 
de  résurrection.  La  croix  ornée  d'un  étendard  est,  en  effet,  comme  on  le 
sait,  l'attribut  de  Jésus  sortant  du  tombeau.  Le  moyen  âge  «-ut  l'idée  sublime 
de  transformer  entre  les  mains  «lu   Sauveur    l'instrument   d'ignominie    en    un 


Fig,  '17  —  La  Chasteté  cl  la  Luxure 
Amiens  . 


'   l);uis  1<<  roman  'I'1  Vauvel  illustré  (Bibl.  Nat.,  m-    franc.   1  i6,   \i\    siècle),  Idolâtrie  tient  à  \»   main  un 

sin^f  :    I"  1  '    \  ". 

-   Dante,  l'ura.hs.  chant  XXV,  v.  67-69.  1'.  Lombard,  Sentent.,  lit'.   Ht,  dist.  XXVI  :  -  Esl   enim  Spes 
,-,  ,1,1  expectatio  futurœ  beatitudinis  veniens  ex  Dei  gratia  et  meritis  prsecedenlibus.  » 

La  couronne  ne  s'est  conservée  qu'à  Amiens    Au  portail  nord  de  Chartres,  une  main  sort   des  nuages 
pour  encou  ra  ger  I  espérance. 


I  ig     >8.  —  Lu  <  Miaslelc     rose 
<le   Notre-Dame  de  Paris  . 


LE   MIROIR    Moral  ,;; 

orne  ment  triomphal.  Or,  la  confiance  qui  éclate  sur  la  physionomie  de  l'Espérance 
et  dans  toute  sa  personne  est  (ondée  justement  sur 
la  certitude  de  la  résurrection  des  corps.  Les  théolo- 
giens, empruntant  les  propies  paroles  de  l'apôtre 
saint  Jacques  dans  l'épître  déjà  mentionnée,  font  dire 
à  l'Espérance  :  <  Je  sais  que  mon  Rédempteur  vit  el 
qu'au  dernier  jour  je  ressusciterai  du  sein  de  la  terre 
et  que  je  serai  de  nouveau  revêtu  de  ma  chair,  et 
ipie  je  verrai  de  mes  yeux  Dieu  mon  Sauveur'.  » 
Ainsi  le  bas-relief  du  moyen  âge,  au  moyen  de  la 
ronronne  et  de  la  croix,  veut  nous  faire  entendre 
dans  son  langage  hiéroglyphique  que  nous  recevrons  notre  récompense  au  jour 
de  la  résurrection. 

En  regard  de  l'Espérance  se  voit  le  Désespoir  (fig.  ï3).  C'est  tantôt  un  homme 
et  tantôt  une  femme2  qui  se  tue  en  se  perçant  la  poitrine  d'une  épée.  Une  sem- 
blable ligure,  on  ne  peut  en  douter,  est  traditionnelle  et  se  rattache  directe- 
ment au  poème  de  Prudence.  Dans  Prudence,  nous  l'avons  vu,  c'est  la  Colère 
(Ira)  qui,  désespérée  de  ne  pouvoir  triompher  de  la  Patience,  se  donne  la  mort. 

Au  xmc  siècle,  les  artistes  prennent  l'habitude  d'at- 
tribuer au  Désespoir  ce  cpie  le  poète  dit  de  la 
Colère.  Certaines  œuvres  marquent  parfaitement 
la  transition.  In  vitrail  de  Lyon,  où  vit  encore 
l'esprit  des  hautes  époques  (fig.  *>  j  ,  montre  Ira 
se  perçant  de  son  épée  eu  lace  de  «  Patientia 
.Mais  à  Auxerre.  c  est  «  Desperatio  »  qui  se  lue  en 
regard  de  <  Patientia"  A  Paris,  le  sculpteur, 
[dus  logique  que  le  peintre  d  Auxerre.  oppose 
«  Desperatio  »  à  «  Spes  »,  tout  en  représentant 
ii  Desperatio  »  comme  autrefois  un  représentait 
«   Ira  ». 


Fig.  5g.  — La  Luxure    rose  d< 
Notre-Dame  de   Paris). 


Arrivons  à  la  plus  haute  des  vertus  théologales,  à  la  Charité. 


1    Pierre  le  Chantre,    Verbum  abbreviativum,  col.  271.  l'ulml     1    '  C\ 

:   Paris    rose  .  Chartres    portail  nord  .  Auxerre    rose  . 

;  Guigue  et  Bégule,  Monogr.  de  la  cathédrale  de  Lyon,   [>.   iJa  el  sui> 

■   A  Auxerre,  1 ue  à  Lyon,  les  noms  <\<±  Vertus  el  des  \  ices  soûl  écrits  en  toutes 


m  L  ART   RELIG]  EUS    DU    XIII'    SIECLE 

«  Maintenant  donc  dit  saint  Paul,  ces  (rois  choses  demeurent,  la  Foi,  l'Espé- 
ranceet  la  Charité,  mais  la  plus  grande  est  la  Charité1.  »  Et  il  définit  la  Charité 
en  ces  termes  magnifiques  :  o  Quand  je  parlerais   les  langues  des  hommes  et 

des  anges,  si  je  n  ai  pas  la  Charité,  je  suis  un  airain 
qui  résonne  ou  une  cymbale  qui  retentit.  Kl  quand 
l'aurais  le  clou  de  prophétie,  la  science  de  tous  les 
mystères,  et  toute  la  connaissance,  quand  j'aurais 
même  toute  la  Foi,  jusqu'à  transporter  des  monta- 
gnes, si  je  n'ai  pas  la  Charité,  je  ne  suis  rien.  Kl 
quand  je  distribuerais  tout  mon  bien  pour  la  nour- 
riture îles  pauvres,  quand  je  livrerais  même  mon 
corps  pour  être  brûlé,  si  je  n'ai  pas  la  Charité, 
cela  ne  me  sert  à  rien  \  » 

Qu'est-ce    donc    que    celle    sublime    vertu?    — 
(Test  l'amour   de   Dieu   et  du    prochain  à  cause  de 
Dieu  cl  en  Dieu3,  (le  qui  lait  la  grandeur  de  la  Cha- 
rité et,  la  met  au-dessus  des  deux  autres  vertus  théo- 
logales, c'est   qu'elle   seule   doit  subsister  clans    la 
vie  éternelle.  La  Foi  el  l'Espérance  sont  des  vertus 
qui  nous  ont  été  données  pour  le  pèlerinage  d'ici- 
bas  (/'//  via),  au   terme   du  voyage  Un  patria  ,  elles 
s'évanouiront  dans   la    Charité  '.   La  Charité   n'est 
donc  pas   seulement  la  plus  haute  des  vertus,  elle 
est,  à  vrai  dire,  la  vertu  unique,  et  la  parole  île  saint 
Paul  nous  devient  claire. 
Comment  le  moyen  âge  a-t-il  représenté  la  reine  des  vertus?  —  Avouons-le. 
nos  artistes  du  xin"  siècle  furent  ici  au-dessous  de  leur  tache.  La  Charité  qu'ils 
nous  montrent  est  tout  simplement  l'Aumône,  qui  n'est  qu'un  effet   et  un  effet 


Fia  60.        I  -.i  Prudence  el  la  Folii 
Amiens  . 


/  (  Dl  inth  . .  Mil.   ri. 
■'  /  Corinth.,  mu.  1-  \. 
P.  Lombard,  Sentent.,  lib.  III.  dist.  XXVII  :   «  Charilas  est  dilectio  qua  diligitur  Deus  propter  »    ,1 
[jroximus  propter  Deum  ve]  in  Deo.  <■ 

■  Voir  Spec.  moi:,  lil>  l,  dist.  XXII,  pars  III,  c.  244,  el  Pierre  Lombard,  Sentent  ,  lib.  [II,  dist  XXVII. 
lin  retrouve  dans  la  doctrine  de  la  Scolastiquc  l'écho  <l<-  la  parole  'I'-  -.uni  Paul  :  «  La  Charité  ne 
linira  jamais,  pas  même  lorsque  les   prophéties  -  évi iront  el   que  la   science  sera  abolie       /  Corinth  . 

Mil.    S. 


1 1  > 


ig.  )  '  ,  au  vitrail  d'Auxerre, 


I '"ig.  61.  —  La  Prudence  [rose  de 
Notre-Dame  de  Paris 


m:  miroir  moral 
tout  extérieur  de  la  Charité1.  A  Chartres3,  à  Amiens 
au  vitrail  de  Lyon  (fîg.  56),  la  Charité  est  une 
femme  qui  se  dépouille  de  son  manteau  pour  le 
donner  à  un  pauvre.  A  Paris  ,  elle  porte  simple- 
ment un  écusson  orné  d'une  brebis1.  La  brebis  est, 
il  est  vrai,  un  touchant  symbole  de  l'oubli  de  soi. 
a  La  brebis,  dit  Rupert  de  Tuv,  donne  sa  chair  à 
mangera  ceux  qui  sont  forts,  son  lait  à  ceux  qui 
sont  faibles,  elle  couvre  de  sa  toison  ceux  qui  sont 
nus  et  se  dépouille  de  sa  peau  pour  réchauffer 
ceux  qui  ont  froid  '.  »  Néanmoins,  le  principal 
caractère  de  la  Charité,  qui  est  l'amour  de  Dieu,  n'a 
pas  été  exprimé  par  nos  artistes  français.  Les  Italiens  du  \iv  siècle  surent  bien 
mieux  faire  sentir  la  double  nature  de  la  Charité.  A  l'Arena  de  Padoue,  Giotto 
lui  a  mis  dans  une  main  un  cœur  qu'elle  présente  à  Dieu  pendant  que  l'autre 
main  s'apprête  à  puiser  dans  une  corbeille  où  sont  les  offrandes  destinées  aux 
pauvres6.  La  Charité  d'Orcagna  au  tabernacle  d'Or  San  Michèle  est  mieux  con- 
çue encore  :    elle  allaite   un  enfant  et   présente  à    Dieu   son   cœur  enflammé7. 

Ces  belles  ligures  expriment  toute  la  parole  :  •  Tu 
aimeras  Dieu  de  tout  ton  cœur  et  ton  prochain 
comme  toi-même.  »  —  L'art  français  est  plus  près 
de  la  terre.  Est-ce  là  un  caractère  de  race.'  Nos 
plus  grands  saints,  qu'on  y  songe,  ont  été  moins 
des  mystiques  que  des  hommes  d  action.  La  Cha- 
rité qui  tend  à  Dieu  son  cœur  enflammé  est  du 
pays  de  saint  François  d'Assise;  la  Charité  qui 
donne  son  manteau  aux  pauvres  est  ilu  pays  de 
saint  Vincent  de  Paul. 

rig.  62.  —  La   roue  :  rose  de  >>olre- 

Dame  de  Paris  .  .... 

'   Le   opeeulum  murale,  d  après  sainl    thomas,  divise   les  -  il  1s 

<lc  la  charité  <-n  intérieurs  et  en  extérieurs.  Les  effets  intérieurs  son( 

la  paix,  la  joie,  la  miséricorde  ;  nu  des  effets  extérieurs  est  la  bienfaisance.  Lib.  I.  dist.  XXVI,  pars  III. 

2  Porche  du  sud  et  porche  du  nord. 
;  Portail  et  ros<". 

4  Le  même  écusson  se  voit  aussi  à  Chartres  cl  a  Amiens 

3  Rupert,  /»  Eccles.,  lib.  I.  Patroi,  t.  CI. XVIII,  col.  i  o  • 

6  G.  de  Saint-Laurenl  [Guide  de    l'art  chrétien,  t.    III.  \>     jig    cl    suiv.     a  su  le    premier  expliquer  les 
attributs  delà  Charité  de  Giotto. 

7  Surigny,  <>ji    cit. 


146  L'ART  RELIGIEUX   DU  XIII'  SIÈCLE 

A  la  Charité,  on,  pour  parler  plus  exactement,  à  la  Bienfaisance  de  nos  cathé- 
drales  est  opposée  l'Avarice.  C'est  une  femme  qui  remplit  son  coffre-fort  (fig.  ï5), 
ou  qui,  d'un  geste  énergique,  en  rabat  le  couvercle1.  Parfois,  elle  porte  la  main 
à  son  sein  pour  y  cacher  son  or".  On   retrouve   là  l'influence  de  Prudence3   : 

certains  traits  de  la  Psychomachie  (nous  en 
verrons  d'autres  exemples)  demeuraient  pro- 
fondément gravés  dans  les  esprits. 

Lesdeux  bas-reliefs  qui  suivent  ont  été  sou- 
vent mal  interprétés  (fig.  57).  Convaincus  que 
les  vertus  cardinales  devaient  suivre  les  vertus 
théologales,  les  chanoines  Jourdain  et  Duval 
crurent  se  trouver  en  présence  de  la  Justice 
et  de  l'Injustice.  M.  de  Guilhermy,  adoptant 
leur  interprétation,  expliqua  de  même  les 
deux  bas- reliefs,  presquecomplètement  refaits 
d'ailleurs,  de  Notre-Dame  de  Paris.  G.  de 
Saint-Laurent  fit  passer  cette  explication  er- 
ronée dans  son  Guide  de  l'Art  chrétien.  Des 
doutes  cependant  s'étaient  élevés  de  bonne 
heure;  le  comte  de  Bastard  avait  émis  l'idée 
que  les  deux  médaillons  d'Amiens  représen- 
taient la  Cltastcté  et  la  Luxure  '.  M.  Ducha- 
lais,  dans  un  article  de  la  Bibliothèque  de 
I  Ecole  des  ('lia ries,  en  donna  la  preuve    . 

Etudions  à  notre  tour   ces   deux   bas-re- 
liefs. A  Paris,  à  Amiens,  à  Chartres,  la  Chas- 
teté est  une  jeune  vierge  «  dont  la  bouche,  comme   dit   Alain  de  Lille,  n'a  pas 


Fig.   03. 


L'Humilité  et  l'Orgueil 
(Amiens 


1  Voir  I  Avarice  < I < •  la  Façade  occidentale  de  la  cathédrale  de  Sens.  L  Avarice  de  Sens  est  opposée  à  une 
admirable  figure  delà  Libéralité  fig.  j6  :  c'est  une  reine  qui  cuivre  largement  tous  ses  trésors.  Ainsi  la 
décril  Alain  de  Lille.  Liber  de  planclu  naturx.  Patrol.,  t.  CCX,  col.  4"i- 

J  Chartres  aux  deux  portails1.  Amiens,  Paris  (rose).  Au  portail  de  Notre-Dame  de-  Paris,  I  Avarice, 
refaite  sans  intelligence,  a  l'air  de  cacher  sa  main  dans  un  manchon. 

/Ver  sufficit  amplos 

Implevisse  sinus. 

■  Calques  et  documente  manuscrits  du  Cabinet  des  Estampes  collection  Bastard  de  l'Etang),  art 
Vertus. 

Bill.  :!<■  l'École  des  Chartes,  1.  V.  >,"  série,  p.  !i . 


LE    MIROIR   MORAL  i  ,; 

été  baisée1  ».  Elle  a  sur  la  Lètc  le  voile  virginal.  1)  une  main,  elle  porte  une 
palme  et  de  l'autre  un  écu  où  se  voit  un  animal 
au  milieu  des  flammes.  Est-ce  une  salamandre? 
M.  Duchalais  l'a  cru,  et  il  n'a  pas  eu  de  peine  à 
prouver.  lesBestiaires  en  main,  que  la  salamandre, 
qui,  disait-on,  vivait  dans  les  flammes  et  avait 
même  la  propriété  de  les  éteindre,  était  le  sym- 
bole de  la  Chasteté.  Il  eût  pu  ajouter  encore  que. 
pour  les  naturalistes  du  xin'  siècle,  la  salamandre 
est  un  animal  qui  n'a  pas  de  sexe  ~.  .Mais,  en  re- 
gardant avec  plus  d'attention  l'animal  héraldique 
de  Chartres,  d'Amiens  et  de  la  rose  de  Notre-Dame 
de  Paris  (fig.  ">y  et  58),  il  nous  a  été  facile  de  re- 
connaître que  c'était  un  oiseau  et  non  pas  une  salamandre.  Un  oiseau  environné 
de  flammes  ne  peut  être  que  le  phénix,  qui,  dès  la  haute  antiquité  chrétienne, 
apparaît  comme  la  figure  de  l'immortalité.  S'il  en  est  ainsi,  les  attributs  de  la 
Chasteté  sont  très  vagues  :  la  palme  et  le  phénix  signifient  qu'elle  trouvera  sa 
récompense  dans  une  autre  vie. — Notre  explication,  nous    l'avouons,   ne   nous 

satisfait  pas  pleinement.  L'emblème  animal,  si 
précis  partout  ailleurs,  a,  dans  le  cas  présent,  un 
caractère  trop  général.  Nous  ne  serions  pas  éloi- 
gné de  croire  que  l'artiste  parisien  avant  par 
inadvertance  donné  à  la  salamandre  la  ligure  d'un 
oiseau,  son  erreur  a  été  reproduite  a  Amiens  et  à 
Chartres  . 


Kit;.    64.    —    L'Orgueil      rose 
de  Notre-Dame  de  Paris  . 


Fig.  05.  — ■  La  Lâcheté  (rose  de 
Noire-Dame  de  Paris). 


1  Alain  de  Lille.  Liber  de  planctu  natui  e  Palrol  .  t  CCX,  col. 
-\~i   Ou  trouve  dans  sou  livre  plusieurs  descriptions  de  vertus. 

-  Vincent  du  Beauvais,  Spec.  tint.,  lib.  \\,  cap  mhi  :  In  lus 
non  est  ni.iM'uliniiin  genus  aul  femineuni.  » 

;  Ce  < ] 1 1 1  a  pu  favoriser  une  semblable  confusion,  cYsl  que  la 
Chasteté  est  souvent  représentée  an  mu1'  siècle        i  :  ar  les  mi- 

niaturistes, avec  nue  tourterelle  sur  son  écu.  Ainsi  nous  la  montre  déjà  Alain  de  Lille,  dans  -on  De  planclu 
nalurs,  et  il  explique  que  la  tourterelle,  privée  de  -on  .'poux,  ne  daigne  pas  se  cousoler  par  de  nouvelles 
amours.  Plusieurs  manuscrits  de  la  Somme  le  Roi  Bibl.  Mazarine,  u  870,  f"  1  i:  :  Arsenal,  11  G 
v°;  Bibl.  Nat.,  ms.  franc  g38,  I  120,  v  illustrés  à  la  lin  «lu  \m!  siècle  el  dérivanl  ions  d'un  même  origi- 
nal copié  avec  pins  ou  moins  de  fidélité,  olïrenl  de»  représentations  de  la  Chasteté  conformes  à  cette  donnée. 
Elle  porte,  sur  une  sorte  de  bouclier  rond  qu'elle  lieni  a  la  main,  1  image  d  un  <.  seau  qui  ne  peut  être 
qu'une  tourterelle.  Comme  Frère  Lorcns,  dans  la  Somme  le  Roi,  ne  parle  d'aucun  emblème  de  ],,  Cha 
il   tant    admettre   que  les   miniaturistes   s'inspiraient    dune  tradition    d'atelier  des   lors    parfaitement   éla- 


i  J8  L'A  UT   li  ELIG1  EUX    DU    XIII     SI  ECLE 

Mais,  sans  insister  davantage,  étudions  le  groupe  qui  fait  face  à  la  Chasteté. 
A  Cliartres  et  à  Amiens  (fig,  "i-j  ',  un  jeune  liomme  embrasse  une  jeune  femme 
qui  tient  d'une  main  un  sceptre  et  de  l'autre  un  miroir  ;  à  la  rose  de  Notre-Dame 

de  Paris,  c'esl  simplement   une   femme  qui  se 
ffii 


mire  [Iig.  "><)'.  C  est  la  Luxure  sous  les  traits 
d'une  courtisane.  Le  sceptre  et  le  miroir  sont 
évidemment  symboliques.  Le  sceptre  exprime  la 
toute-puissance  de  la  femme  et  sa  loyauté  char- 
nelle. Les  sculpteurs  du  moyen  âge  signifiaient 
au  moyen  du  sceptre  ce  que  les  conteurs  ita- 
liens de  la  Renaissance  faisaient  entendre  par 
les  beaux  noms  de  «  V  iolante  »  et  d'  «  Imperia  », 
qu'ils  donnaient  à  leurs  courtisanes.  Quant  au 
miroir,  il  est  l'emblème  de  la  coquetterie  de  la 
femme  et  de  son  génie  de  séduction  2.  Les 
boites  à  miroir,  si  finement  sculptées  dans  l'i- 
voire, que  le  xnt"  siècle  nous  a  transmises, 
célèbrent  toutes  la  puissance  invincible  de  la 
femme  :  les  femmes  défendent  victorieusement 
le  Château  d'Amour,  ou  reçoivent  la  soumission 
de  l'amant  vaincu  qu'elles  couronnent  de  roses3. 
Plusieurs  de  ces  gracieux  miroirs  appartinrent 
sans  doute  à  des  courtisanes  du  xin'  siècle.  — Le 
groupe  de  (martres  est  charmant  et  d'ailleurs 
1res  chaste.   Nous   sommes  dans  l'âffe  courtois 


I  ig   66.  —  La  Force  et  la  Lachclc 
\  miens.) 


par  excellence,    dans    le    siècle   qui  divinisa  la 
femme.    Les    artistes   chargés   de    nous   mettre 


M  i.  Ainsi  pourrait  peut-être  s'expliquer  qu'à  l'a  ri  s,  à  Chartres  et  à  Amiens  un  oiseau  ait  été  substitué  à  une 
salamandre.  —  Enfin,  il  est  possible  i]»e  les  artistes  du  moyen  âge  se  soient  imaginé  que  la  salamandre  était 
un  oiseau.  M.   Gaston   Paris  a  bien  voulu  nous  dire  qu'il   avait  trouvé  dans  les   textes  plusieurs   exemples 

de   relie   erreur. 

1  A  Paris,  le  bas-relief  de  la  Luxure,  comme  d'ailleurs  celui  de  la  Chasteté,  a   été  complètement  refait. 

Au  lieu  de  la  Luxure,  on  voit  maintenant  une  femme  (|(ii  a  l'air  de  tenir  une  balance. 

-  An  vitrail  d'Auxerre,  à  la  rose  de  Notre-Dame  de  Paris,  au  vitrail  de  Lyon,  la  Luxure  n'a  pas  il  autre 
attribut  qu'un  miroir.  Même  chose  dans  une  des  miniatures  de  la  Somme  le  Roi  (Bibl.  de  L'Arsenal,  mis. 
h    63ag,  1    m.-,  v°  .  Ailleurs  la   Luxure  a  l'air  de  présenter  des  chaînes  (Bibl.  Nat.,  mis.  franc.  \\'i*.  I     i  to, 

\    .  i  I   Ma/arine,   lus.  n "  S70.  I"   1  j-1 . 

Non    li  collection  du   musée  de  Cluny  et  relie  du  Louvre. 


m:  miroir  MORAL  ,  ;,, 

en  garde  contre  elle  n'ont  pu  se  résigner  à  l'avilir.  Nous  voilà  loin  des  ter- 
ribles ligures  de  la  Luxure  sculptées  au  portail  des  églises  romanes;  à  Moissac, 
à  Toulouse,  des  crapauds  devinent  le  sexe  d'une  femme  nue  et  se  suspendenl  à 
ses  seins.  Le  xm  siècle,  d'une  sensibilité  si  raffinée,  n'eût  pu  supporter  ces 
brutales  images  faites  pour  loucher  des  âmes  encore  simples  et  rudes1.  Nos 
artistes  sentirent  très  bien  qu'en  représentant  le  vice  sous  des  traits  si  hideux 
ils  enlevaient  toute  noblesse  à  la  vertu. 

Après  la  Chasteté  vient  la  Prudence (fig. 60) .  L'attribut  qu'elle  porte  à  Paris, 
à  Chartres,  la  fait  reconnaître  au  premier  coup  d'oeil.  Son  écu  est   décoré  d'un 


fftelfc  fpmatts  ton 


Fig.  67.  —  Chevalier  effrayé  par  un  lièvre. 
(B.  X.  lai  .   1 [28] 

serpent  qui  parfois  s'enroule  autour  d'un  bâton  (fig.  lit  .  Aucun  blason  n'est 
plus  noble,  puisque  c  est  Jésus  lui-même  qui  l'a  donné  à  la  Prudence  :  <  Soyez 
prudents,  disait-il,  comme  des  serpents  î.  » 

La  Folie,  qui  s'oppose  à  la  Prudence,  mérite  de  nous  arrêter  un  peu  plus 
longtemps.  Elle  s'offre  à  nous  à  Paris-,  à  Amiens  (fig.  60),  à  la  rose  d'Auxerre 
et  de  Notre-Dame  de  Paris  (fig.  62),  sous  les  traits  d'un  homme  à  peine  vêtu, 
armé  d'une  massue,  qui  marche  au  milieu  des  pierres  et  qui  parfois  reçoit  un 
caillou  sur  la  tête.  Presque  toujours  il  porte  à  sa  bouche  un  <>l>jet  informe.  C'est 
évidemment  là  l'image  d'un  fou  que  d'invisibles  gamins  semblent  poursuivre  à 
coups  de  pierres.  Cette   figure   si   vivante,   qui   semble   empruntée   à    la   réalité 


1  J'en  Irouve  cependant  encore  un  exemple  au  commencement  'In  \m  siècle,  dans  !■•  tympan  du  jugement 
dernier  provenant  de  Saint-Yved  de  Braisne,  aujourd'hui  au  musi  e         :        ons. 

-  Saint  Matthieu,  x,  16.  —  Pierre  le  Chantre  ne  manque  pas  di  rappeler  cette  parole  dans  l'article  qu  il 
;.  consacré  à  la  Prudence,   Verbum  abbreviat.  Patrol  ,  1.  CCV,  cil 

;  l.a  figure  cl<-  la  Folie  au  portail  de  Notre-Dame  de  Paris  a  été  retouchée  L'u  cornet  dans  lequel  souffle 
le  Ion  a  remplacé  l'objet  qu'il  semblait  manger,  !■•  bâton  est  devenu  un.'  espèce  de  flambeau. 


L'ART   RELIGIEUX    1)1     XIII     SIÈCLE 

quotidienne,  a  en  effet  une  origine  populaire.  (1  'était  une  vieille  tradition  au 
moyen  âge  de  représenter  les  fous  portant  à  la  main  une  massue,  qui  devien- 
dra plus  tard  la  marotte,  et  mangeant  un  fromage.  Plusieurs  poèmes  en  langue 
vulgaire,  et  notamment  la  Folie  Tristan,  nous  montrent  les  fous  sous  cet  aspect  '. 
On  ne  peut  clouter  que  les  artistes,  en  imaginant  cette  figure,  ne  se  soient  con- 
formés à  la  tradition2. 

Après  la  Prudence  et  la  Folie,  viennent  l'Humilité  et  l'Orgueil  ;.  L'Humilité  a 
dansses  armes  un  oiseau.  Les  bas-reliefs'  (fig.  63et5i),  les  vitraux6,  les  miniatures 
même  %  reproduisent  fidèlement  cet  emblème.  On  peut  affirmer  sans  crainte  de 
se  tromper  que  l'oiseau  est  une  colombe.  «  Soyez  simples  comme  des  colombes)), 
disait  Jésus  à  ses  disciples.  Par  simplicité,  il  faut  entendre,  suivant  les  com- 
mentateurs, la  simplicité  du  cœur  qui  est  l'opposé  de  l'orgueil.  C'est  pourquoi 
saint  Bernard  a  pu  dire  de  la  colombe  qu'elle  était  le  vrai  symbole  de  l'Humilité. 

L'Orgueil  nous  apparaît  sous  un  aspect  qui  nousest  familier  :  c'est  un  cavalier 
désarçonné  par  sa  monture  et  qui  roule  avec  elle  dans  un  fossé"  (fig.  G3,  (34  et  5i). 
Nous  reconnaissons  sans  peine  un  épisode  de  la  Psychomachie.  On  voit  cpie  les 
artistes  du  xin°  siècle,  même  quand  ils  ont  voulu  innover,  ne  se  sont  jamais 
affranchis  complètement  de  l'influence  de  Prudence.  La  ligure  de  l'Orgueil  sem- 
blait consacrée.  Yillard  de  Honnecourt  la  reproduit  dans  son  Album  comme  un 
modèle  reçu  dont  on  n'a  pas  le  droit  de  s'écarter8.  11  écrit  dans  la  marge  : 
«  Orgueil,  si  cunie  il  trébuche  ».  voilà  comment  l'Orgueil  trébuche.  11  faut 
entendre  :  voilà,  quand  on  sera  chargé  de  faire  une  ligure  de  l'Orgueil,  comment 
on  devra  le  représenter. 

Ici  commence  la  seconde  série  des  Vertus,  celle  qui,  aux  portails  de  Paris  et 
d'Amiens,  est  à  la  gauche  de  Jésus-Cbrist. 


lier. 


1   Je  dois  celle  explication  à  M.  Gaslon  Paris  et  à  mon  ami  Joseph  Bédi 
Celte  ligure  traditionnelle  du  fou  se  rencontre  dans  beaucoup  de  psautiers  cl  illustre  le  psaume   l.lll 
où  il  esl  question  de  l'insensé  [Voir  Bibl.  Nat.,  ms.  lat.  ioilj  ;  Sainte-Geneviève,  n°  268g 
El  non,  comme  le  pensent  Jourdain  ri   Duval.  la  Tempérance  et  l'Intempérance. 

•  A  Amiens,  à  Chartres  portail  sud  :  au  portail  nord  de  Chartres  l'Humilité  tient  l'oiseau  dan-  sa 
main   Au  portail  de  Notre-Dame  de  Paris  l'oiseau  a  été  refait,  on  dirait  maintenanl  un  aigle. 

:    Roses  de  Notre-Dame  de  Paris  et  d'Auxcrre. 

'  Somme  le  Roi.  Bibl.  Nat.,  ms.  franc.  928,  1  7  j.  Dans  le  ms.  de  la  Mazarine  (n°  870.  I  89,  v°  il  y  a  eu 
une  erreur.  L'artiste,  par  inadvertance,  a  opposé  à  l'Orgueil  la  Virginité,  reconnaissable  à  la  Vierge  qu'elle 
porte  sur  son  bouclier  et  à  la  licorne  qui  esl  à  ses  pieds. 

1  Dans  le  vitrail  de  Lyon.  1  Orgueil  esl  précipité  dans  1  abîme,  mais,  faute  de  place,  le  cheval  n'a  pas  été 
représenté, 

Album  de  Yillard  de   Honnecourt,  pi.  V. 


M* 


• 


LE    MIROIR    MORAL  .Si 

On  reconnaît  d'abord  la  Force  sous  les  traits  d'un  guerrier  revêtu  d'une  cotte 
de  mailles,  le  casque  en  tête,  l'épéeen  main  fig.  66).  Ce  guerrier  est  une  femme, 
comme  le  prouve  la  longue  robe  qui  descend  jusqu'à  ses  pieds.  La  Force  n'est 
point  menaçante  :  assise  sur  son  siège  dans  une 
belle  attitude  pleine  de  calme  et  d'équilibre1, 
elle  ne  provoque  personne,  elle  attend,  l'esprit 
lucide,  le  regard  droit,  prête  à  tout  événement. 
Son  bouclier  est  timbré  d'un  lion  ou  d'un  tau- 
reau. Nulle  imaffc  de  la  Force  n'a  été  conçue 
avec  plus  de  vraie  noblesse,  nulle  n'est  plus 
conforme  à  la  définition  des  théologiens  :  a  une 
vigueur  de  lame,  qui  conduit  tout  conformé- 
ment à  la  raison  '  ».  Qu'une  telle  figure  se  soit 
présentée  spontanément  à  l'imagination  d'ar- 
tistes qui  vivaient  dans  des  siècles  chevale- 
resques, rien  de  plus  naturel.  Le  soldat  chré- 
tien, disciplinant  sa  force  et  la  mettant  au  ser- 
vice de  l'Eglise,  apparaissait  alors  comme  le 
plus  haut  idéal  humain.  Ne  serait-il  pas  possible, 
cependant,  de  faire  sortir  cette  image  de  la 
Force  de  quelques  lignes  de  saint  Paul?  Le  chré- 
tien vraiment  fort  lui  semble  être  un  guerrier 
revêtu  des  principales  vertus  comme  d'autant 
de  pièces  d'armure  :  «  Fortifiez-vous,  dit-il, 
dans  le  Seigneur...  Revêtez  l'armure  de  Dieu 
afin  de  pouvoir  résister.  .  Prenez  la  cuirasse  de 

la  justice  et  le  bouclier  de  la   foi le  casque 

du  salut  et  l'épée  de  l'Esprit  qui  est  la  parole  de  Dieu  .  «  Le  passage,  pris 
en  lui-même,  peut  ne  pas  paraître  très  significatif,  car  la  Force  n'est  pas 
nommément  désignée;  mais  il  est  remarquable  qu'il  ait  été  repris  au  moyen 
âge  et  appliqué  spécialement  à  la  vertu  qui  nous  occupe.  Hugues  de  Saint-Victor, 
dans  le  De  Anima,  où  il  fait  parler  les  Vertus  tour  à  tour,  met  les  paroles  de 


Fis?.  68. 


La  Patience  cl  la  Colèn 
'Amiens' . 


1  Voir  surtout  la  Force  du  porche  sud  de  Chartres,  si  bien  pondérée. 

-  Spec.  morale,  lil».  I.  disl    I.XW.  pars  III.  La  déGnition  se  Irouvi    l<  jà  'lui-  saint  Bernard. 

;  Ephes. .  vi,  i o  r8, 


r> ..  L'ART   RELIGIEUX    DU   Mil"  SIECLE 

saint  Paul  dans  la  bouche  de  la  Force1.  11  se  peut  donc  que  l'idée  d'armer  la 
Force  en  chevalier  vienne  réellement  du  passage  de  saint  Paul.  Le  lion  repré- 
senté sur  le  bouclier  offre  un  sens  très  clair.    Kst-il  nécessaire  d'accumulei   les 

textes  pour  prouver  que  le  lion  fut,  aux  veux  des 
symbolistes  du  moyen  âge,  un  des  types  du  cou- 
rage "  ?  «  Le  lion,  dit  Haban  Maur,  est  par  son 
courage  le  roi  des  animaux;  le  livre  des  Pro- 
verbes dit  :  le  lion  est  la  plus  courageuse  des 
bêles,  elle  ne  redoute  la  rencontre  d'aucune  '".  » 
Au  xif  siècle,  le  De  Bestiis  répète  textuellement 
les  paroles  de  Haban  Maur'. 

La  Lâcheté  est  opposée  à  la  Force.  Nos  artistes 
ont  représenté  à  Paris6  (fig.  G5  et  70),  à  Amiens 
(fig.  GG),  à  Chartres6,  à  Heims,  une  scène  pleine 
de  bonhomie  populaire.  Un  chevalier,  pris  de  pa- 
nique, jette  son  épée  et  s'enfuit  à  toutes  jambes 
devant  un  lièvre  qui  le  poursuit:  sans  doute  il  fait 
nuit,  car  une  chouette,  perchée  sur  un  arbre,  sem- 
ble pousser  son  cri  lugubre.  Ne  dirait-on  pas  un 
A'ieux  proverbe  ou  quelque  fabliau  ?  Je  croirais 
volontiers  que  l'anecdote  du  soldat  poursuivi  par 
un  lièvre  était  au  nombre  des  historiettes  que  les 
prédicateurs  aimaient  à  raconter  à  leurs  ouailles. 
Etienne  de  Bourbon,  il  est  vrai,  ne  rapporte  rien 
de  pareil;  mais  on  trouve  dans  Frère  Lorens 
quelque  chose  qui  ressemble  fort  à  notre  bas-re- 
lief. 11  dit  en  effet,  dans  la  Somme  le  Roi,  en  par- 
lant du  poltron  :  «  Cesti  ressemble  à  celi  qui  n'ose  entrer  el  sentier  de  bonne 


Fig    69. 


La  Douceur  et  la  DmeU 
(Amiens 


1  Hugues  de  Saint-Victor,  Appcndix  de  Anima.  Palrol.,  t.  CLXXVII,  col.  i85.  L'ouvrage  a  été  contesté 
à  Hugues  de  Saint-Victor,  mais  cela  n'a  aucune  importance  pour  nous. 

-  Le  taureau  en  fut  un  autre.  La  Force,  à  la  rose  'I.'  Notre-Dame  de  Paris,  porte  sur  son  bouclier  une 
tète  de  taureau. 

3  Raban  Maur.  De  Universo,  lib.  VIII. 

'  Do  llcsitis  (attribué  à  Hugues  de  Saint-Victor  .  Palrol.,  t.  CLXXVII.  col.  23. 

I  Portail  et  rose. 

II  A  Chartres,  le  lièvre  a  presque  complètement  disparu. 


l'n 


c  comparaison  analogue 


mÊéÉÊiÈÊÊÊÊÊm     '■mu  nu  iimh" 

Fig    -ii   —  l.,i  Lâcheté 
(portail  do  Notre-Dame  de  Paris] . 


LE    MIROl  I!    Ml  il".  A  I 

voie  pour  le  limaçon  qui  li  monstre  ses  cornes 
répétée  mainte  fois  en  chaire,  a  dû  inspirer  mis 
sculpteurs2. 

La  Vertu  et  le  Vice  qui  suivent  n'offrent  pas 
\\n  sens  très  clair.  La  Vertu  n'a  pas  d'autre 
attribut  caractéristique  qu'un  bœuf  sur  son 
écusson  (fig.  08).  Le  Vice  est  figuré  par  un 
homme3  qui  s'avance,  1  épée  à  la  main,  contre 
un  moine  impassible1  (fig.  68).  Suivant  l'expli- 
cation généralement  reçue,  la  Vertu  en  ques- 
tion serait  la  Patience  symbolisée  par  le  bœuf,  le 
Vice  serait  l'Impatience  'ou  la  Colère;  le  laïque 
qui  menace  le  clerc  de  son  épée  pourrait  être 
quelque  pénitent  indocile  qui  ne  sait  pas  endu- 
rer une  réprimande.  L'explication  est  vraisemblable,  mais  n  est  appuyée  sur 
aucun  texte.  Il  y  a  là  quelque  chose  à  trouver;  mais  nous  avouons  n'avoir  pas 
été  plus  heureux  dans  nos   recherches  que  nos   prédécesseurs. 

Les  deux  bas-reliefs  suivants  ont  l'ait  naître  une 
controverse.  Décrivons-les  d'abord.  La  Vertu  porte 
un  écu  blasonné  d'un  agneau  (fig.  69)  ;  quant  au 
Vice,  il  est  mis  en  scène  avec  vivacité  :  une  dame, 
qui  semble  de  noble  maison,  richement  vêtue,  assise 
sur  un  siège  ouvragé,  accueille  d'un  coup  de  pied 
en  pleine  poitrine  un  personnage  très  humble  qui 
lui  présente  une  coupe  (fig.  6g  et  71).  Les  cha- 
noines Jourdain  et  Duval  virent  là  la  Violence  o]  - 
posée  à  la  Douceur.  Cette  explication,  acceptée  par 


fig.  71    —  La  Dureté  [portail 
de  Notre-Dame  de  l'.iiis  . 


1  Somme  le  Roi,  édil.  de  Lausanuc,  p.  ;  ' 
-  Sur  la  façade  de  la  maison  ilit  miroir,  à  Dijon.  qui  datail  du 
xiit'  siècle  et  que  nous  ne  connaissons  plus  que  par  un  dessin  'lu  xvin0,  cm  voyait  un  chevalier  comballanl 
contre  un  escargot  Chabeuf,  Bévue  de  l'art  chrét.,  1899,  p.  uaetsuiv  .  Un  manuscrit  B.  N  lat.  1  ,  18  , 
nous  montre  le  chevalier  épouvanté  par  le  lièvre  fig  67).  Le  sujet  devait  être  évidemment  très  popu 
laire. 

:  A  Chartres  et  à  Amiens  c'est  une  femme. 

1   A  la  rose  de  Notre  Dame  de  Paris,  il  semble  que  ce  -"il  un  laïque 

:'   Opinion  adoptée  par  Jourdain  cl  Duval    Étude  sur  le  portail  d'Amiens),  F.  de  Guilhermy  [Descript. 
de  Notre-Dame  de  l'un*  .  Bulteau     Vohogr    de  Chartres 


l'>i 


L'ART   RELIGIEUX    DU   Mil     SIECLE 


d'autres  interprètes1,  fut  contestée  par  M.  Duchalais2.  Suivant  Lui,  les  deux 
bas-reliefs  représentaient  Noblesse  et  Vilenie.  En  étudiant  un  manuscrit  illustré 
du  poème  de  Fauvcl,  singulier  ouvrage  symbolique,  où  l'on  voit  le  cheval  (les 

bas  appétits  de  notre  nature)  trôner  au  milieu 
d'une  cour  de  Vices,  —  il  avait  découvert  une 
miniature  du  xive  siècle  reproduisant  avec  une 
exactitude  parfaite  la  scène  de  violence  figurée 
à  Paris  :,  à  Amiens  et  à  Chartres.  Or,  cette  minia- 
ture se  trouvait  précisément  dans  le  voisinage  d'un 
développement  sur  la  Noblesse  et  la  Vilenie.  L'ar- 
gument semblait  assez  fort.  —  En  nous  reportant 
au  manuscrit  de  Fauvel',  nous  avons  pu  constater 
la  parfaite  similitude  de  la  miniature  en  question 
et  des  bas-reliefs  que  nous  étudions  :  la  même 
noble  dame  frappe  son  serviteur  avec  une  égale 
brutalité,  la  coupe  n'a  pas  été  oubliée  :  l'analogie 
est  complète.  Mais  nous  avons  reconnu,  en  lisant 
le  poème,  qu'il  n'y  a  aucune  raison  d'affirmer  que 
la  miniature  illustre  précisément  les  vers  consa- 
crés à  la  Vilenie.  La  peinture  que  le  poète  fait 
de  ce  vice  est  aussi  vague  que  possible,  et  ne  con- 
tient aucun  trait,  aucun  mot  qui  puisse  se  rappor- 
ter au  dessin'.  Au  contraire,  les  \ers  qui  précè- 
dent immédiatement  la  miniature,  et  qui  ont  l'In- 
gratitude pour  sujet,  quoique  très  vagues  aussi, 
éveillent  dans  l'esprit  une   idée  analogue  à  celle 


Fia 


—  La  Cotcorde  cl  la  Dis- 
corde   Aiiii.n^  . 


qu'a  exprimée  le  dessinateur.  On  lit  en  effet 


1   Guilhermy,  Bulteau 

-'   liiblioth,  de  l'École  des  Charles,  t.    V,  ••'   série. 

Portai]  el  rose. 
1   Bibl.  Nat.,  mis.  franc.,  i  16,  f°  i.J.  \"  (\iv  siècle). 
■    Les  détails  les  plus  caractéristiques  smil  les  suivants 

Elle  étude  estre  noble  et  sage 
l'une  ce  qu'elle  n  grand  héritage, 
Mais  el  se  déçoit  el  meserre 
Car  noblesse  n'est  pas  [mur  terre. 


LE    M  I  KOI  R    Moi; A  I,  ,55 

Amprès  li  sisl  ingratitude 

Qui  est  très  mauvaise  el   très  rude 

Car  el  ne  veust  nul  recognoistre. 

La  dame  qui  récompense  d'un  coup  de  pied  le  serviteur  quilui  offre  à  boire 
mérite  les  épithète  du  poète,  et  il  est  vrai  de  dire  d'elle  qu'elle  <  ne  veust  nul 
recognoistre  »,  c'est-à-dire  qu'elle  n'a  de  reconnaissance  pour  personne.  Il  me 
parait  évident  que  la  miniature  a  été  mise  à  la  place  qu'elle  occupe  pour  illus- 
trer les  vers  sur  l'Ingratitude,  et  non  pas  le  passage  sur  la  Vilenie.  Le  miniatu- 
riste s'est  d'ailleurs  servi  d'un  poncif  qui,  depuis  au  moins  cent  ans,  courait 
d'atelier  en  atelier  :  le  vieux  motif  lui  parut  cadrer  tant  bien  que  mal  avec  le 
texte  de  Fauvel. 

11  est  donc  probable  que,  depuis  un  siècle,  la  petite  scène  de  la  châtelaine 
et  du  vassal  (dont  l'origine  ne  nous  est  pas  connue)  servait  à  exprimer  l'Ingrati- 
tude, ou  plus  exactement  la  Dureté  d'âme,  —  car  la  brebis  sculptée  sur  l'écu 
de  la  Vertu  opposée  symbolise  plutôt  la  Douceur  que  la  Reconnaissance.  Poul- 
ies théologiens,  la  brebis  est  la  parfaite  image  de  la  Douceur,  parce  qu'elle  se 
laisse  prendre  sans  résistance  ce  qu'elle  a  de  plus  précieux,  sa  laine  et  son 
lait1.  Tout  le  mo}-en  âge,  à  la  suite  d'Isidore  de  Séville.  rattachait  «  ovis  •>  à 
c<  oblatio  "  ».  —  Il  n'y  a  donc  pas  lieu,  quoi  qu'en  ait  pu  dire  .M.  Duchalais,  de 
modifier  les  noms  proposes  par  les  chanoines  Jourdain  et  Duval,  et  d'ajouter 
Noblesse  et  Vilenie  à  la  liste  des  vertus  et  des  vices. 

La  Concorde  ou  la  Paix,   reconnaissable  à  son  attribut,  s'oppose  ensuite  à 
la  Discorde.  La  vertu  pacifique  porte  sur  son  écu  une  branche  d'olivier  (fig.  -2 
Dans  Prudence,  on   s'en    souvient,   la   Concorde    a    une   couronne   de    feuilles 
d'olivier;   Alain    de    Lille,    un   peu   avant   le    temps   où    nos    bas-reliefs  furent 
sculptés,  lui  met  un  rameau  d'olivier  en  Heur  à  la  main   . 


1  Raban  Maur,  De  Univ.,  lib.  VIII.  Pair.,  t.  CXI,  col.  ïoi,el  Vincenl  de  Beauvais,  Spec.  nat.,  lib    \  VIII. 
cap.  lxix  et  lxx. 

-  Vincent  de  Beauv.  Ibul. 
M.  G.  Durand  ,la  Cathédrale  d'Amiens    remarque  qu  ■>  Amiens  la  branche  porte  une  greffe,   Il  y  ,c  là 
très  probablement  une  intention  symbolique. 
'  Anticlaud,  Palrol.,  t.  CCX.  col.  ">..  > 

Virginis  m  dextrei,  foliorum  crine  comatus, 
Flore  liinirits,  fructus  exspectans,  rain 
Pubescit... 

An   vitrail   d'Auxerre,   la   Concorde,    sans    attribut,   joint    les   mains   dei  i  Cette  Com 


i.i,  L'ART   RELIGIEUX    DU    XIII1    SIECLE 

Une  scène  d'intérieur  figure  la  Discorde  :  la  femme  et  le  mari  se  prennent 
aux  cheveux  pendant  que  le  pot  ou  la  cruche  roulent  d'un  côté  et  la  quenouille 
de  l'autre1  (fig.  72).  Ne  dirait-on  pas  que  Frère  Lorens  avait  notre  bas-relief 

sous  les  veux,  quand  il  écrivait  dans  la  Somme  le 
Roi,  à  propos  de  la  colère2  :  «  Li  tierce  guerre  que 
li  irons  ha,  eest  a  ccls  qui  sont  dessous  lui,  cesl  a 
sa  faine  et  a  sa  meignie,  car  li  bonis  est  aucune 
foiz  si  forcenez  que  il  bat  et  Gert  et  laine  et  mei- 
gnie et  enfanz  et  brise  pous  et  lianaps.  0  A  vrai 
dire,  le  théologien  et  l'artiste  puisaient  l'un  et 
l'autre  dans  le  riche  trésor  de  la  prédication  popu- 
laire où  abondaient  les  vivantes  images  de  la  réa- 
lité. 

Les  deux  bas-reliefs  suivants  représentent, 
l'un,  une  femme  dont  l'écu  est  chargé  d'un  cha- 
meau agenouillé  (fig,  "3  et  7")),  l'autre,  un  homme 
qui  lève  la  main  sur  un  évêque  (fig.  7J).  Le  cha- 
meau qui  s'agenouille  pour  recevoir  le  fardeau 
est  le  symbole  de  l'humilité,  de  la  soumission'. 
La  Vertu  qui  en  a  décoré  son  blason  est  sans  au- 
cun doute  l'Obéissance  '.  Le  Vice  opposé  ne  peut 
être  que  la  Rébellion.  Frère  Lorens  nous  explique 
en  ces  termes  ce  (pie  c'est  que  Rébellion  :  1  C'est 
quant  li  bonis  est  rebelle  à  cens  qui  son  bien  li 
veulent  :  si  on  le  reprent  il  se  défend,  si  on  le  chas- 
lie,  il  se  courrouche8.  »  Ouels  sont  ceux  qui  veulent  «  le  bien  de  l'homme  », 
qui  savent  le  reprendre,  qui  ont  le  droit  de  le  punir,  sinon  les  évèques,  les  vrais 


•"ig,  7  >.  —  1 ,  <  )béissancc  et  La 
Rébellion  [Amiens  . 


d'Auxerre  nous  fail   comprendre   que  la  Concorde  de   Paris,  d'Amiens,  de  Chartres  n'est   pas  uni'  vertu 
sociale;  elle  exprime  la  concorde  de  l'a avec  elle-même,  la  paix  intérieure  trouvée  dans  la  loi. 

1  Le  bas-relief  de  Notre-Dame  de  Paris  (refait]   nous  montre  mu-  dispute  entre  deux  hommes,  mais  le 
médaillon  de  la  rose  nous  rend  une  querelle  domestique  analogue  à  celle  de  Chartres  el  ■!  Amiens. 

-'   Nous  suivons  !,■  texte  du   ms.  g38  de  la   Bibl.   Nat.  (fonds  français),  I    16,  1  .  plus  net  que  celui  que 
donne  M.  Chavannes    p    1  1  1  .  il  après  le  ms.  de  Lausanne. 

Il,  il  .m  Maur,  De  Universo,  col.  211.  l'ut  ml.,  t   CXI,  <•  Camelus  aulem  Christi  humilitatem  signitical  ». 

'•   Et   non  l.i  Tempérance,   comme  l'a    cru   Bulteau    Monographie   de    Notre-Dame  de    Chartres,   1.  Il, 
p.   186 

Somme  le  Roi,  édit.  de  Lausanne,  \<   <<\. 


LE    M  [ROI  R    M  m  11  .\  I,  ,,- 

chefs  spirituels? —   La  rébellion  n'apparaît  donc,  au  moyen  âge,  que  sous   un 
seul  aspect  :  la  désobéissance  à  l'Eglise.   L'homme  qui   lève  la  main   sur  son 
évoque  ne  se  rend  pas  seulement  coupable  d'un    acte  de   violence,  il  entre  en 
conflit  avec  la    raison,  avec  la   loi.    La  rose  de 
Notre-Dame  de  Paris    offre  un  curieux  détail  : 
l'homme  qui  se  révolte  contre  l'évêque  porte  le 
bonnet  conique  des  Juifs.   Il  ne  peut  y  avoir  de 
doute  sur  l'interprétation  dune  pensée  si  fami- 
lière au  moyen  âge.  Le  Juif,  qui  depuis  tant  de 
siècles  refusait  d'entendre  la  parole  de  l'Eglise, 
semblait  être  le  symbole  même  de  la  révolte  et 
de  l'obstination. 

Enfin,  les  deux  derniers  bas-reliefs  nous 
montrent  la  Persévérance  et  l'Inconstance. 
L'idée  de  mettre  à  la  fin  de  la  série  des  Vertus 
la  Persévérance,  non  pas  comme  la  plus  humble, 
mais  comme  la  plus  indispensable  à  conserver 
jusqu'au  bout,  n'est  pas  sans  beauté.  Honorius 
d'Autun,  nous  l'avons  vu,  faisait  lui  aussi  de  la 
Persévérance  le  dernier  échelon  de  l'échelle 
mystique  qui  conduit  au  ciel.  La  Persévérance 
porte  sur  son  écu  une  couronne  (fig.  7  \  et  j5). 
«  Sois  fidèle  jusqu'à  la  mort,  dit  saint  Jean  dans 
l'Apocalypse,  et  je  te  donnerai  la  couronne  de 
vie'.  »  Deux  autres  attributs,  moins  clairs  à 
première  vue,  achèvent  de  caractériser  la  vertu  de  persévérance.  Une  tête  de 
lion,  qui  ressemble  à  une  tête  coupée,  apparaît  vers  le  haut  tle  la  composition, 
et  sur  le  bouclier  une  queue  tle  lion  s'étale  \  Hiéroglyphe  naïf:  la  tète  cl  la 
queue,  c'est  le  commencement  et  la  fin.  L'artiste  a  voulu  nous  dire  :  la  persé- 
vérance est  nécessaire  du  premier  jusqu'au  dernier  jour. 

L'Inconstance  est  représentée  par  un  moine  qui  s'enfuit  de  son  couvent  en 


Vin 


La  Persévérance  el  1  lui'  ins- 
tance  Amiens' . 


1   Apocal.,  11,  iu. 

-  Ces  détails  sont  encore  visibles  à  Amiens  cl  à  Chartres.  A  Amiens,  la  tète  parait  être  non  une  li 
lion,  mais  une  tète  de  bœuf. 


,58  L'ART   RELIGIEUX    DU   XIII0  SIÈCLE 

détournant  la  tête  (fig.  7Ï>.  Il  regarde  une  dernière  fois  l'église  i\u  moutier,  ou 
bien  sa  cellule  ouverte  où  son  froc  est  resté. 

On  voit  combien  ces  petites  compositions  sont  complexes.  On  y  trouve  des 
souvenirs  de  Prudence,  des  emblèmes  empruntés  à  l'Ancien  Testament,  à  l'Evan- 
gile, aux  Bestiaires,  de  nombreuses  traces  de  l'enseignement  théologique  des 
écoles,  des  scènes  populaires  qui  ne  furent  peut-être  que  des  exemples  de 
sermons.  Une  foule  de  pensées  familières  au  xnr  siècle  se  groupent  et  s'orga- 
nisent autour  de  ces  figures  des  Vices  et  des  Vertus.  Sans  aucun  doute,  un  clerc 
expérimenté  a  dirigé  la  main  des  artistes. 


Ë 


r*ig.  7").  —  L'Obéissance  cl  la  Persévérance  (portail  de  Notre-Dame  de  Paris 


L'ensemble  fait  une  œuvre  d'une  vie  morale  assez  profonde.  Les  figures  des 
Vertus  sont  touchantes  par  leur  chasteté  et  leur  modestie.  Dans  ce  terrible 
monde  féodal,  où  les  blasons  se  hérissent  île  griffes  et  de  serres,  elles  ont 
choisi  pour  en  décorer  leur  écu  (à  l'exception  de  la  Force  qui  a  pris  le  lion)  les 
animaux  les  plus  humbles  et  les  plus  doux  :  la  brebis,  le  mouton,  la  colombe. 
le  bœuf,  le  (hameau  :  bètes  des  paraboles  évangéliques  et  que  le  christianisme 
a  comme  sanctifiées.  Nous  retrouvons  la  charmante  pastorale  des  Catacombes, 
où  s'est  complu  si  longtemps  l'imagination  des  artistes  chrétiens. 

Nous  avons  dit  que  le  choix  de  ces  vertus  n'était  pas  conforme  aux  divisions 
adoptées  par  les  théologiens;  il  n'en  est  pas  moins  intéressant.  L  homme,  quel 
qu'il  fût,  qui  en  arrêta  la  liste,  était  un  vrai  chrétien;  car  il  adonné  la  meilleure 
place  aux  vertus  les  plus  humbles,  les  plus  intérieures,  les  plus  cachées  :  l'humi- 
lité, la    patience,    la    douceur,    l'obéissance,    la    persévérance.    Préoccupé   de  la 


LE    MIROIR   MORAL  i5g 

vie  profonde  «le  l'âme,  il  n'a  même  pas  songea  mettre  à  son  rang  une  vertu 
sociale  comme  la  justice.  Une  àme  ornée  des  vertus  qu'il  nous  propose  serait 
une  très  belle  âme;  ce  serait  celle  de  quelques-uns  des  plus  grands  saints  du 
moyen  âge.  L'idéal  tic  vie  humble,  patiente  et  douce,  chrétienne,  pour  tout  dire 
d'un  mot,  que  conçurent  ces  siècles  de  loi,  est  inscrit  encore  aujourd'hui  au 
Iront  de  nos  cathédrales.  Notre  théologien  inconnu  se  rencontre  à  peu  près  avec 
L'auteur  de  X Imitation. 

Pour  sentir  tout  ce  qu'il  y  a  de  vie  dans  l'art  du  moyen  âge,  que  Ton  com- 
pare nos  glaciales  allégories  modernes  du  Courage  ou  de  la  Justice  à  ces  petites 
figures  recueillies,  d'où  se  dégage  un  parfum  de  sainteté.  Elles  agissent  vrai- 
ment par  leur  chasteté,  leur  douceur,  sur  lame  de  quiconque  les  regarde  avec 
sympathie.  Elles  semblaient  dire  à  l'homme  du  moyen  âge  :  «  Tes  jours  passent, 
tu  sens  venir  la  vieillesse,  la  mort.  Regarde-nous  :  nous  ne  vieillissons  pas, 
nous  ne  mourons  pas;  notre  pureté  nous  conserve  une  éternelle  jeunesse. 
Accueille-nous  dans  ton  àme  si  tu  veux  ne  pas  vieillir,  ne  pas  moui 


irir.   » 


II 


Mais  pour  arriver  à  conquérir  ces  belles  vertus,  ne  faut-il  pas  se  séparer  du 
monde?  Les  atteindrons-nous  par  la  vie  de  tous  les  jours?  -  La  cathédrale  a 
encore  réponse  à  cette  question  décisive.  La  vie  active  et  la  vie  contemplative, 
nous  dira  la  cathédrale  de  Chartres,  sont  également  saintes.  Au  porche  du  nord, 
en  effet,  tout  près  du  cordon  où  sont  représentées  les  Vertus,  douze  charmantes 
petites  ligures  svmbolisent  les  deux  formes  de  l'activité  humaine1.  A  gauche, 
six  jeunes  femmes,  à  la  ligure  souriante,  travaillent  :  l'une  lave  la  laine,  l'autre 
la  peigne,  une  autre  broie  le  lin,  une  autre  le  tarde,  une  autre  le  file,  la  der- 
nière le  met  en  écheveau.  Une  grande  figure  assise,  qui  a  malheureusement 
disparu  au  temps  de  la  Révolution2,  complétait  et  résumait  toute  la  série  :  elle 
était  en  train  de  coudre  et  symbolisait  la  Vie  active. 

A  di'oite,  six  statuettes  représentent  autant  déjeunes  femmes  voilées,  occu- 
pées à  lire,  à  méditer,  à  prier.  L'une  d'elles  lève  les  yeux  au  cul  dans  I  extase. 

1   Avant-dernier  cordon. 
Voir  Bulleau,  Monogr.  de  Chartres,  11,   |>-  ■■  \ .">. 


160  L'ART    RELIGIEUX    DU    XIII1    SI  ÈCLE 

Une  grande  statue,  également  détruite  pendant  la  Révolution,  s'élevait  au-des- 
sous du  cordon  sculpté  cl  représentait  une  femme  qui  lisait,  c'était  la  Vie  con- 
templative. Peut-être  les  deux  grandes  statues  figuraient-elles  plus  expressément 
Marthe  el  Marie  ou  bien  Lia  et  Rachel,  <|ui  sont,  pour  les  Docteurs,  les  sym- 
boles familiers  de  la  Vie  active  et  de  la  Vie  contemplative1. 


rii.it.  Martin  - 

Fig.  ;6.  —  La  Libéralité   [portail  de  Sons). 

A  Chartres,  la  Vie  active  a,  il  est  vrai,  la  place  d'honneur,  niais  on  sent  que 
toutes  les  deux  sont  égales  devant  Dieu. 

Ainsi  —  et  c'est  la  conclusion  de  l'enseignement  que  donne  la  cathédrale 
-  que  nul  ne  cherche  de  prétexte  et  d'excuse.  La  vertu  est  obligatoire  et  elle 
est  obligatoire  pour  tous  et  dans  toutes  les  conditions,  car  toutes  les  voies 
peuvent  mener  à  Dieu. 


Voir  nota enl  LIonorius  d'Autun,  Specul.  eccles.  Patrol.,  i.   CLXXII,  col.   


LIVRE  TV 
CHAPITRE   PREMIER 

LE   MIROIR   HISTORIQUE.   --   L'ANCIEN   TESTAMENT 


I.  L'Ancien  Testament  considéré  comme  une  figure  du  Nouveau.  Origines  de  l'interpré- 
tation symbolique  de  la  Bible.  Les  Pekes  d'Alexandrie.  Saint-Hilaire.  Saint  Ambroise. 
Saint  Augustin.  Le  moyen  a<;f..  La  Glose  ordinaire.  -II.  Les  figures  de  [.'Ancien 
Testament  dans  l'art  nu  moyen  âge.  Figures  se  rapportant  a  Jésus-Christ.  Vitraux 
symboliques  de  Bourges,  de  Chartres,  du  Mans,  de  Tours.  —  III.  Figures  de  l'Axcikn 
Testament  se  rapportant  a  la  Vierge.  Le  portail  de  Laon.  Influence  d'Honorius  d'Aï  un. 
—  IN'.  Lf.s  patriarches  et  les  mus.  Leur  rôle  symbolique.  —  V.  Les  Prophètes.  El  forts  de 
l'art  du  moyen  ace  pour  représenter  les  prophéties.  —  VI.  L'arbre  de  Jessé.  Les  rois 
deJudaala  façade  de  Notre-Dame  de  Paris,  d'Amiens,  de  Chartres.  --  VII  Résumé  Les 
médaillons  symboliques  des  vitraux  de  Suger  a  Saint-Denis.  Les  statues  di  portaii  nord 
de  Chartres. 

Jusqu'à  présent  nous  avons  étudié  L'homme  abstrait  avec  ses  vices  el  ses 
vertus,  avec  son  génie  inventif  qui  crée  les  sciences  et  les  arts;  nous  allons  voir 
maintenant  l'humanité  agir  et  vivre,  nous  arrivons  à  l'histoire. 

La  cathédrale  raconte  l'histoire  du  monde  d'après  un  plan  qui  est  toul  à  fait 
conforme  à  celui  de  Vincent  de  Beauvais.  A  Chartres,  comme  dans  le  Spéculum 
historiale,  l'histoire  de  l'humanité  se  réduit,  à  peu  de  choses  pies,  à  celle  des  élus 
de  Dieu.  L'Ancien  Testament,  le  Nouveau  et  enfin  la  Vie  des  Saints  en  four- 
nissent tous  les  éléments.  Ces  trois  livres  contiennent  tout  ce  qu'il  esl  néces- 
saire à  l'homme  de  savoir  sur  ceux  qui  ont.  vécu  avanl  lui .  Ce  -ont  les  t  roi-  actes 
de  l'histoire  universelle,  et  il  ne  peut  \  en  avoir  que  trois.  Dieu  a  réglé  lui- 
même  l'ordonnance  du  drame.  L'Ancien  Testament  nous  montre  l'humanité 
dans  l'attente  de  la  Loi;  le  Nouveau  nous  fait  connaître  la  Loi  incarnée  ci 
vivante;    la    Vie  des  Saints    nous  l'ail   assister  aux  efforts  >\<-  l'homme  pour    se 


i6s  L'A  l:  I     KKI.K.l  EUX    1)1     XIII0   SI  ECLE 

conformera  la  Loi.  Chacun  de  ces  grands  livres  marque  donc  une  des  époques 
de  l'histoire,  et  formera  l'objet  d'un  des  chapitres  de  notre  élude. 


I 


L'Ancien  Testament,  depuis  le  jour  où  les  mosaïstes  de  Sainte-Marie-Majeure 
eurent  l'idée  d'emprunter  à  la  Bible  une  série  de  tableaux  historiques,  inspira 
fréquemment  l'art  du  moyen  âge.  Mais  on  ne  trouve  pas  avant  le  xm'  siècle 
ces  grandes  compositions  narratives  qui  embrassent  toute  l'histoire  du  peuple 
de  Dieu.  Les  vitraux  de  la  Sainte-Chapelle,  par  exemple,  forment  une  illus- 
tration complète  des  différents  livres  qui  composent  la  Bible  depuis  la  Genèse 
jusqu'aux  Prophètes.  Onze  verrières  immenses,  dont  quelques-unes  comptent 
jusqu'à  cent  panneaux,  nous  montrent,  dans  une  lumière  surnaturelle,  toute 
l'histoire  des  héros  de  l'Ancienne  Loi.  Ces  innombrables  compositions,  traitées 
dans  la  manière  des  miniatures,  font  de  la  Sainte-Chapelle  la  plus  admirable  des 
Bibles  historiées.  Au  portail  méridional  de  la  cathédrale  de  Rouen,  une  nom- 
breuse série  de  petits  bas-reliefs  offre  le  même  caractère  narratif  :  ici,  comme 
à  la  Sainte-Chapelle,  l'artiste  a  suivi  pas  à  pas  le  récit  des  premiers  livres  de 
l'Ancien  Testament  et  il  ne  s'est  arrêté  que  quand  la  place   lui   a  fait  défaut. 

11  serait  long,  et  d'ailleurs  parfaitement  inutile,  de  passer  en  revue  toutes 
les  compositions  du  xiiic  siècle,  vitraux  et  bas-reliefs,  où  telle  partie  de  la  Bible 
est  racontée.  Ou  il  nous  suffise  de  remarquer  que  certains  sujets  touchants  et 
vraiment  populaires,  comme  l'histoire  de  Joseph,  reviennent  plus  souvent  que 
d'autres1,  'foutes  les  compositions  consacrées  à  l'Ancien  Testament  sont 
simples,  sobres,  affectent  la  forme  d'un  récit  limpide  et  impersonnel. 

Si  h'  moyen  âge  s'était  contenté  de  ces  grands  cycles  historiques,  il  n'y 
aurait  pas  lieu  d'y  insister  plus  longuement,  et  ce  serait  assez  de  les  avoir 
signalés.  Mais  le  xiii°  siècle  eut  une  autre  façon  —  infiniment  plus  curieuse  — 
de  comprendre  I  Ancien  Testament  :  au  heu  de  s'attachera  la  lettre,  les  artistes, 
la  plupart  du  temps,  préfèrent  s'attachera  l'esprit.  L'Ancien  Testament  se  pré- 
sente à  eux  comme  une  vaste  ligure  du  Nouveau.  Guidés  par  les  docteurs,  ils 
font  choix  (.l'un  certain  nombre  de  scènes  île  l'Ancien  Testament  et  les  mettent 

1   ll\  a  des  vitraux  consacrés  à  l'histoire  de  Joseph,  à  Chartres,  à  Bourges,à  Auxerreetà  la  cathédrale 
ilt-  Poitiers 


c  un  hic 


;i    nieUtode 


EE    MIROIR    HISTORIQUE  [/ANCIEN    TESTAMENT  e,  ; 

en  rapport  avec  des  scènes  de  l'Evangile  pour  en  l'aire  sentir  la  profonde  concor- 
dance. Là  où  les  vitraux  de  la  Sainte-Chapelle  ne  nous  laissenl  voir  qu'un  récit, 
ceux  de  Chartres  ou  de   Bourges  nous  montrent  un  mystère. 

Un  pareil  système  d'interprétation  est  tout  à  fait  conforme  à  l'orthodoxie; 
mais,  depuis  le  concile  de  Trente,  l'Eglise,  laissanl  dans 
symbolique,  s'est  attachée  de 
préférence  au  sens  littéral  de 
l'Ancien  Testament,  de  sorte 
que  l'exégèse  fondée  sur  le 
symbolisme,  dont  les  Pères 
de  l'Église  font  un  usage  cons- 
tant, pour  ne  pas  dire  unique, 
est  généralement,  ignorée  au- 
jourd  hui.  Il  nous  paraît  donc 
utile  d'exposer  brièvement 
une  doctrine  qui  trouva  si 
souvent  son  expression  dans 
l'art. 

Dieu,  qui  voit  tout  sous 
l'aspect  de  l'éternité,  a  mis 
entre  l'Ancien  et  le  Nouveau 
Testament  une  harmonie  pro- 
fonde :  l'un  n'est  que  la  figure 
de  l'autre.  Ce  que  l'Évangile 
nous  montre  à  la  lumière  du 
soleil,  pour  parler  la  langue  du  moyen  âge,  I  Ancien  Testament  nous  le  l'ail 
voir  à  la  clarté  incertaine  de  la  lurys  et  des  étoiles.  Dans  l'Ancien  Testament  la 
vérité  porte  un  voile;  mais  la  mort  de  Jésus-Christ  déclina  ce  voile  mystique. 
C'est  pourquoi  il  est  dit  dans  l'Évangile  que  le  rideau  du  Temple  se  lendit  du 
haut  en  bas  à  l'heure  OÙ  Jésus  rendit  l'esprit1.  Ainsi  I  Ancien  Testament  n  a  de 
sens  que  par  rapport  au  Nouveau,  et  la  Synagogue  qui  s'obstine  à  I  expliquer 
en  lui-même  porte  un  bandeau  sur  les  yeux2. 

1   Sur  le  voile  du  temple  el  son  symbolisme,  voir  Honor.    d' Aulun.  Cemma  anima    l'alrol      l    (XXXII, 
col.  !>">;. 

-  C'est  ainsi,  comme  nous  le    verrons,    que  la  Synagogue  esl   représentée  dans  l'art  du  xin'  siècle 


IL 


l,;i  (îenèse   ^fragmenl   .     Soubassement 
•  In  portail  d'Auxcrre 


L'ART   RELIGl  EUX    DU   Mil'    SIECLE 

Cette  doctrine,  qui  a  toujours  été  celle  de  l'Eglise,  est  enseignée  dans 
l'Évangile  par  la  bouche  même  de  Jésus-Christ  :  «  Comme  .Moïse  éleva  le  ser- 
pent dans  le  désert,  dit-il,  il  faut  de  même  que  le  (ils  de  l'homme  soit  élevé  '.  » 
Ou  encore:  «  De  même  que  Jonas  fut  trois  jours  et  trois  nuits  dans  le  ventre  de 
la  haleine,  de  même  le  lils  de  l'homme  sera  trois  jouis  et  trois  nuits  dans  le 
sein  de  la  terre  '-.  » 

Les  apôtres,  comme  on  le  voit  par  leurs  Epitrcs.  enseignèrent  aux  nouveaux 
chrétiens  la  mystérieuse  concordance  des  deux  Lois.  Saint  Paul  y  insiste  tout 
particulièrement  dans  son  Épitre  aux  Hébreux.  Il  fait  entendre  aux  Juifs,  récem- 
nienl  convertis,  et  trop  attachés  encore  à  la  lettre  de  l'Ancien  Testament,  que 
les  cérémonies  de  l'ancienne  alliance  n'étaient  que  des  figures  destinées  à  faire 
pressentir  l'alliance  nouvelle3.  Il  leur  explique  que  Melchisédec,  le  roi-prêtre, 
n'est  qu'une  image  du  Fils  de  Dieu,  pontife  et  roi.  Plusieurs  passages  de  la  pre- 
mière Epître  aux  Corinthiens,  de  l'Épître  aux  Galates,  comme  aussi  quelques 
versets  de  la  troisième  Epitre  de  saint  Pierre,  nous  prouvent  que  la  méthode 
d'interprétation  allégorique  fut  familière  aux  apôtres'. 

Mais,  c'est  à  Alexandrie,  vers  le  111e  siècle,  que  cette  manière  d'expliquer  la 
Bible  devint  décidément  \>t\  système.  Cela  n'a  rien  de  surprenant  si  l'on  songe 
que,  des  le  ier  siècle,  les  Juifs  d'Alexandrie,  tout  pénétrés  de  l'esprit  hellénique. 
ne  voyaient  déjà  dans  leur  livre  sacré  qu'un  symbole.  Philon,  pour  mettre  son 
système  d'accord  avec  la  Bible,  faisaitdans  son  commentaire  s  évanouir  le  sens 
littéral  de  l'Écriture.  Il  expliquait  la  Genèse  à  peu  près  comme  les  stoïciens 
expliquaient  Homère  :  pour  eux.  Y  Iliade  cl  l' Odyssée  étaient  des  allégories  pro- 
fondes, où  se  cachait  la  plus  haute  philosophie.  Ainsi  dans  cette  ville  extraor- 
dinaire d'Alexandrie,  le  génie  grec  et  le  génie  de  1  Orient  se  combinèrent. 
Philon,  à  quelques  égards,  peut  être  considéré  comme  le  plus  ancien  des  Pères 
de  I  Eglise;  on  ne  peut  douter  que  saint  Clément  d'Alexandrie  et  Origène  ne 
soient  ses  élèves. 

C'est  dans  Origène  que  l'explication  allégorique  de  l'Ancien  Testament 
apparaît  pour  la  première  fois  comme  un  système  arrêté.  11  commence  par 
poser  comme  un  axiome  que  le  sens  de  1  Ecriture  est  triple  :  car  1  Écriture  est  un 

s, uni  Jean,  in.  i  \. 
-  Sainl  Matthieu,  mi.    jo 

il'  lu  eux,  ix  et  vu,   ; 
•  /  Gorintk.,  \.  6;  Gala,  i    IV,    'j.  PetriEpist.  m,  10-21. 


LE    MIROIR    HISTORIQUE   —    r/AN'CIEN     L'ESTAMEN'I 

composé  harmonieux  lait,  comme  l'homme,  à  l'image  tic  Dieu.  De  même  qui] 
va  dans  l'homme  trois  principes,  le  corps,  l'esprit  vital  et  l'âme,  de  même  il  y 
a  dans  l'Écriture  trois  sens,  le  sens  littéral,  le  sens  moral  et  le  sens  mystique  . 
Mais,  ajoute-t-il,  tous  les  passages  de  l'Écriture  ne  -<■  prêtent  pas  a  une  triple 
interprétation;  dans  les  uns  il  convient  de  s'attacher  uniquement  au  sens  lit- 
téral, et  clans  les  autres  au  ^ens  moral  ou  au  sen>  mystique.  Origène  se  délie 
surtout  du  sens  littéral:  la  lettre  lui  parait  contenir  des  absurdités  et  des 
contradictions  d'où  sont  sorties  toutes  les  hérésies.  «  <v'ui  est  assez  stupide, 
dit-il,  pour  croire  que  Dieu,  comme  un  jardinier,  ait  fait,  des  plantations  dans 
l'Eden,  et  y  ait  mis  réellement  un  arbre  nommé  arbre  dévie,  capable  de  tomber 
sous  les  sensJ.  »  Dans  son  Commentaire  sur  la  Genèse,  il  explique  que  l'Eden 
n'est  pas  autre  chose  qu'une  allégorie  de  l'Eglise  future1.  A  chaque  instant, 
dans  ses  Commentaires  de  l'Écriture,  la  lettre  disparaît.  A-t-il  à  expliquer  le 
passagede  la  Genèse  où  il  est  dit  que  Dieu  lit  pour  Adam  et  Eve  des  tuniques 
avec  des  peaux  de  bètes.  il  dit  :  «  Quelle  est  l'intelligence  bornée,  quelle  est  la 
vieille  femme  qui  voudrait  croire  que  Dieu  ait  égorgé  tics  animaux  [tour  faire 
ensuite  des  vêtements  à  la  manière  des  corroyeurs ?  o  Pour  éviter  une  pareille 
absurdité,  il  faut  entendre,  d'après  lui,  que  les  tuniques  de  peau  désignent  la 
mortalité  qui  suivit  la  faute.  «  C'est  ainsi,  ajoute-t-il,  que  Ton  doit  apprendre 
à  trouver  les  trésors  cachés  sous  la  lettre  '.   » 

Il  essaie  de  justifier  une  méthode  aussi  hardie.  Le  genre  d'interprétation  qu'il 
adopte  viendrait  des  apôtres  et  se  serait  transmis  par  la  tradition  orale  jusqu  à 
son  temps.  Mais  il  est  bien  évident  qu'Origène  se  lai>se  emporter  par  --a  puis- 
sante imagination.  A  la  flamme  de  son  génie,  que  l'on  comparait  à  la  fournaise 
où  se  liquélie  la  fonte,  le  sens  littéral  de  l'Écriture  s'évanouit.  Celse,  et  tous  les 
esprits  médiocres  qui,  s'attachant  à  la  lettre  de  l'Ecriture,  n'y  voyaient  que 
contradictions,  se  trouvèrent  confondus;  mais  Origène  lui-même  franchit  par- 
fois les  limites  de  l'orthodoxie,  et  risqua,  à  son  tour,  de  [tasser  pour  un  hén 
tique. 

L'Occident  apprit  des    Pères  de  l'Église    grecque,    cl    tout   particulièrement 
d'<  >rigène,  la  méthode  allégorique.  Saint  Jérôme  affirme  que  personne  plus  que 

1  Qepï  ipyâri,  lit).  IV  Patrol.  grecque,  l.  XI,  col     163 
-'  Pairol  grecque ,  i    XI,  roi     ! 

I.';  -r,v  "i'£7'.-/.  Pair,  grecque,  i    \i.  col.  'mi. 
■  /,/..  ihid  .  t    XI,  col    ioi 


L'ART    RELIGIEUX    DU    XIII<   SIÈCLE 

saint  Hilaire  n'a  contribuée  la  rendre  familière  au  monde  latin1.  Exilé  en  Asie 
.Mineure  par  l'empereur  Constance,  saint  Hilaire  eut  pendant  quatre  ans  le  loisir 
d'étudier  le  grec  cl  de  lire  les  ouvrages  des  docteurs  de  l'Eglise  d'Orient. 
Revenu  en  Gaule,  il  écrivit  un  Commentaire  sur  les  Psaumes,  où  on  retrouve 
l'esprit  d'(  )rigène. 

Apportée  d'Orient  par  saint  Hilaire,  la  méthode  il  interprétation  allégorique 
ne  devinl  vraiment  populaire  que  grâce  à  saint,  Ambroise.  C'est  parla  prédica- 
tion qu'il  répandit  la  doctrine  de  saint  Clément  et  d'Origène;  car  on  ne  peut 
douter  que  ses  Traites  sur  Gain  et  Abel,  sur  l'arche  de  Noé,  sur  Abraham  et  sur 
Isaac,  n'aient  été,  dans  leur  forme  première,  des  sermons  familiers.  Dans  ses 
homélies  il  s'attachait  surtout  à  faire  connaître  le  sens  spirituel  des  Écritures, 
et  il  expliquait  au  peuple  tous  les  mystères  de  l'allégorie.  Nous  avons  là-dessus 
le  précieux  témoignage  de  saint  Augustin  :  «  Souvent,  dit-il  dans  ses  Confes- 
sions, j'entendais  avec  joie  Ambroise  dire  au  peuple  dans  ses  entretiens  fami- 
liers :  «  La  lettre  lue  et  l'esprit  vivifie.  »  Et  il  interprétait  dans  un  sens  spirituel 
les  passages  qui,  pris  à  la  lettre,  semblaient  être  une  exhortation  au  vice2.  » 
C'est  de  la  sorte  que  saint  Ambroise  triompha  des  dernières  résistances  de  saint 
Augustin  qui  se  retranchait  encore  derrière  les  difficultés  de  la  Bible. 

Saint  Augustin,  à  son  tour,  reprit  la  méthode  de  son  maître.  11  la  fit  con- 
naître au  monde  chrétien  tout  entier.  Mais,  en  même  temps,  il  posa  pour  les 
siècles  à  venir  le  principe  fondamental  de  l'exégèse  symbolique,  c'est  que  le 
sens  littéral,  si  souvent  dédaigné  par  Origène,  est  sacré.  «  Frères,  dit-il,  avant 
toutes  choses,  je  vous  avertis,  au  nom  de  Dieu,  de  croire,  quand  vous  entende/. 
lire  l'Ecriture,  que  les  choses  ont  eu  lieu  réellement  comme  il  est  dit  dans  le 
livre.  N'allez  pas  enlever  à  l'Ecriture  son  fondement  historique,  sans  quoi  vous 
bâtiriez  en  l'air.  Abraham  a  réellement  existé,  et  il  a  eu  vraiment  un  fils  de  sa 
femme  Sara...  Mais  Dieu  a  fait  de  ces  hommes  comme  les  hérauts  de  son  Fils 
qui  allait  venir.  C'est  pourquoi  dans  tout  ce  qu'ils  ont  dit,  dans  tout  ce  qu'ils 
ont  fait,  on  peut  chercher  le  Christ,  on  peut  trouver  le  Christ.  Tout  ce  que 
l'Écriture  dit  d'Abraham  est  réellement  arrivé,  mais  c'est  en  même  temps  une 
figure  prophétique.  L'Apôtre  nous  l'enseigne  lui-même  :  «  Il  est  écrit,  dit-il 
«  (Gala  t.,  i\,  22-24)  qu'Abraham  eut  deux  fils,  l'un  de  la  servante,  l'autre  de  la 
«    femme  libre;  c'est  là  une  allégorie  :  l'une  des  femmes  est  1  Ancien  Testament 

1  Saint  Jérôme,  Epist    ad  Vigilant  .  IAI    Patrol  ,  1    XXII,  col.  6o3. 
-'   Confess  .  lib.  VI.  cap.  n  . 


LE    MIROIR   HISTORIQUE    --    L'ANCIEN    i'ESTAMI   .NI  167 

((  et  l'autre  le  Nouveau'.  »  —  Saint  Augustin  n'admet  dune  pas  que  la  lettre  «le 
1  Ecriture  puisse  s'évanouir:  il  veut  au  contraire  que  la  réalité  historique  soit 
la  hase  solide  de  l'allégorie.  II  a  écrit  son  long  Commentaire  de  l<i  Genèse  sui- 
vant la  lettre  pour  établir  que  les  fa  ils.  s'ils  peuvent  donner  lieu  à  nue  foule 
d'interprétations  mystiques,  ne  s'en  sont  pas  moins  passés  comme  le  livre 
sacré  le  raconte.  Le  principe  posé,  il  n'a  pas  craint  de  faire  un  usage  constant 
de  la  méthode  allégorique.  La  Cité  de  Dieu  est  toute  pleine  d'explications  mys- 
tiques. C'est  l'arche  de  Noé  qui  devient  une  figure  de  Jésus-Christ  en  croix, 
parce  que  le  corps  de  l'homme  est  six  lois  pins  long  que  large,  et  que  ce  son! 
là  précisément  les  dimensions  de  l'arche';  c'est  Xoé  lui-même  dont  la  nudité 
symbolise  la  passion  du  Sauveur3;  c'est  Abraham  sacrifiant  Isaac  pour  faire 
pressentir  le  sacrifice  du  Fils  de  Dieu  '  ;  c'est  Said  rejeté  par  Dieu  et  remplacé 
par  David  [tour  nous  laisser  entendre  qu'à  l'Ancienne  Loi  succédera  nue  Loi 
Nouvelle5.  Une  phrase  de  la  Cité  de  Dieu  pourrait  servir  d'épigraphe  à  tous  les 
travaux  d'exégèse  de  saint  Augustin  :  «  L'Ancien  Testament,  dit-il.  n'est  pas 
autre  chose  que  le  Nouveau  couvert  d'un  voile,  et  le  Nouveau  n'est  pas  autre 
chose  que  l'Ancien  dévoilé".   » 

Le  même  génie  d'explication  se  trouve  dans  ceux  de  ses  sermons  OÙ  il 
commente  quelque  passage  de  l'Ancien  Testament.  Voici,  par  exemple,  com- 
ment il  expliquait  au  peuple  d'Hippone  l'histoire  de  David  et  de  Goliath. 
«  Frères,  dit-il,  vous  voyez  ici  aux  prises,  d  un  côté,  le  démon  figuré  par  Goliath, 
et  de  l'autre  Jésus-Christ  figuré  par  David.  David  prit  cinq  pierres  dans  le  tor- 
rent, les  mit  dans  le  vase  qui  lui  servait  à  recueillir  le  lait  des  brebis,  et.  ainsi 
armé,  il  marcha  contre  son  ennemi.  Les  cinq  pierres  de  David  représentent  les 
cinq  livres  de  la  Loi  de  .Moïse.  La  Loi,  à  son  tour,  renferme  dix  préceptes  salu- 
taires d'où  découlent  tous  les  autres.  La  Loi  est  donc  figurée  a  la  lois  par  le 
nombre  cinq  et  par  le  nombre  dix.  Voilà  pourquoi  David  combat  avec  cinq 
pierres,  et  chante,  comme  il  dit.  avec  un    instrument  à  dix  cordes.    Et  remar- 

»  Sermo  H    Palrol  ,  l.  XXXVIII,  col.    lo 

1  Civit.  Del,  lib.  XV.  cap.  xxvr. 

1   //-(</.,  lib    XVI,  cap    11 

'    Ibiil ..  lib.  XVI,  cap.  wmi 

•'  Ibid '.,  lib.  XVII,  cap.  i\ 

''■  Ibid..  lib  XVI,  cap  \\i  «  Quid  enim  quod  dicilurTcslamcnluni  Velus  nisi  occullalio  Xovi  ?  lit  quid 
rsi  aliud  quod  dicitur  Novuiu  nisi  Veleiïs  revelatio  ?  \<>n-  aussi  son  trailô  Contrit  Faustum.  Palrol.. 
1    XLII. 


i68  L'A  I!  I    RELIG]  EUX    DU   XIII«  SI  ÈCLE 

quez  cju'il  ne  lance  pas  les  cinq  pierres,  mais  une  seule  :  celle  pierre  unique 
c'est  l'unité  qui  accomplit  la  Loi,  c'est-à-dire  la  Charité.  Remarquez  encore 
qu'il  prit  les  cinq  pierres  dans  le  lit  du  fleuve.  Que  représente  le  fleuve,  sinon  le 
plus  léger  et  inconstant  que  la  violence  des  passions  entraîne  dans  la  nier  du 
siècle  ?  Or,  tel  était  le  peuple  Juif.  Il  avait  reçu  la  Loi,  mais  il  passait  par-des- 
sus, comme  le  fleuve  coule  par-dessus  les  pierres.  Le  Seigneur  prit  donc  la  Loi 
pour  l'élever  jusqu'à  la  grâce,  comme  David  prit  les  pierres  dans  le  lit  du  fleuve 
et  les  mil  dans  le  vase  à  lait.  Et  quelle  figure  plus  juste  de  la  Grâce  que  l'abon- 
dante douceur  du  lait1  ?  » 

Les  rapprochements  ingénieux,  surprenants  abondent  dans  saint  Augustin. 
Il  ne  les  donne  d'ailleurs  que  pour  des  essais,  et  il  se  garde  bien  de  les  imposer 
comme  des  dogmes  :  «  Nous  sondons,  dit-il.  comme  nous  pouvons,  les  secrets 
de  l'Ecriture.  D'autres  le  feront  avec  plus  de  succès  :  mais  il  y  a  une  chose  cer- 
taine, c'est  que  tout  cela  n'a  pas  été  écrit  sans  mystère".  » 

Apres  saint  Augustin,  saint  Grégoire  le  Grand,  le  dernier  des  Pères  de 
l'Eglise,  ajouta  encore  au  fonds  déjà  si  riche  des  explications  mystiques.  Dans 
son  laineux  Commentaire  du  livre  de  .loi),  qui  fut  si  célèbre  au  moyen  âge,  il 
use  continuellement  de  la  méthode  allégorique. 

L'immense  travail  symbolique  des  premiers  siècles  chrétiens  fui  accepté  avec 
respecl  par  le  moyen  âge,  qui  n'y  changea  rien  cl  v  ajouta  fort  peu. 

('.'est  Isidore  de  Séville  qui  résuma  pour  les  siècles  barbares  qui  allaient 
venir  l<>us  les  commentaires  des  Pères  de  l'Esrlise.  Ses  Qusestiones  in  Vêtus 
Testamentum  son  t  un  des  anneaux  essentiels  de  l'immense  chaîne  de  la  i  radit  ion 
catholique.  Il  déclare  dans  la  préface  que,  pour  écrire  son  Commentaire,  il  a 
puisé  largement  dans  Origene,  dans  saint  Ambroise.  dans  saint  Jérôme,  dans 
saint  Augustin,  dans  Fulgence,  dans  Cassien,  dans  saint  Grégoire.  Il  condense 
dans  son  manuel  toute  la  science  des  anciens  docteurs  ;  mais  il  est  séduit  avant 
tout  par  leurs  explications  allégoriques  :  il  compare  récriture  à  une  Ivre  dont 
les  cordes  ont  une  résonance  infinie. 

Pour  rendre  plus  sensible  encore  le  caractère  mystique  de  la  Bible,  il 
écrivit  un  petit  mémento  intitulé  :  Allégories  qumdam  Scripturx  Sacras,  qui  esl 
une  sorte  de  ciel  île  l'Écriture  Sainte.  Il  \  énumère  les  principaux  personnages 
de  l'Ecriture  en   ndiquant  brièvement,  d'après  les  Pères,  dansquel  sens  chacun 

1    Senno  \  \  \  1 1 .  cap    v  cl  vi 
(  bit    Dci,  lib    \\  I.  cap    wxn 


LE   MIROIR   HISTORIQUE    —    L'ANCIEN    TESTAMENT  169 

deux  figure  le  Messie.  Adam,  Abraham,  Moïse,  apparaissent  comme  des  signes 
sacrés.  Tous  les  patriarches,  tous  les  héros,  tous  les  prophètes  deviennent  les 
lettres  d'un  alphabet  mystérieux  avec  lesquelles  Dieu  écrit  dans  l'histoire  le 
nom  de  Jésus-Chris! . 

Les  livres  d'Isidore  de  Séville  ont  donné  nue  forme  définitive  aux  Commen- 
taires mystiques  de  l'Ancien  Testament.  Les  écrivains  du  moyen  âge  répéte- 
ront pendant  des  siècles  les  interprétations  allégoriques  trouvées  par  les 
Pères,  et  désormais  consacrées.  Le  0  torrent  des  docteurs  0,  comme  parle  le 
xiiic  sieele.  roule  sans  cesse  la  même  doctrine.  On  est  surpris,  quand  on  par- 
courl  les  Commentaires  sur  l'Ecriture  île  Bède  le  Vénérable  ou  de  Raban  Maur, 
de  voir  combien  il  va  peu  d'originalité  dans  leurs  livres.  Ils  copient  les  Pères 
de  l'Eglise,  à  inoins  qu'ils  ne  copient  simplement  Isidore  de  Séville.  On  senl 
Lien  d'ailleurs  que  leurs  Commentaires  ne  sont  que  des  ouvrages  faits  pour 
l'enseignement  et  où  ils  ne  se  piquent  d'aucune  espèce  de  nouveauté.  IU 
mettent  au  contraire  tout  leur  soin  à  rester  scrupuleusement  fidèles  à  la 
tradition. 

De  l'école  de  Raban  Maur  sortit,  au  t\"  siècle,  le  livre  qui  séduisit  le  plus  le 
moyen  âge  par  ses  qualités  d'exactitude,  et  qui  lut  célèbre  jusqu  à  la  Renais- 
sance sous  le  nom  de  Glose  ordinaire1.  Walafried  Strabo,  qui  en  est  1  auteur, 
n'eut  d'autre  prétention  que  d'être  un  habile  compilateur.  Les  explications  allé- 
goriques qu'il  donne  de  chaque  verset  delà  Bible  sont  tout  à  fait  conformes  a 
la  tradition;  il  se  contente  même  la  plupart  du  temps  de  citer  textuellement 
les  Pères  de  l'Eglise,  ou  encore  Isidore  de  Séville,  Bède  et  Raban.  La  vogue 
dont  a  joui  la  (ilo.se  ordinaire*  en  fait  pour  nous  un  livre  précieux  :  il  peut  tenir 
lieu,  à  lui  seul,  de  presque  tous  les  autres  commentaires  du  moyen  âge.  Les 
ouvrages  du  même  genre  qui  furent  écrits  au  xi  et  au  \n"  siècle  n  y  ajoutent 
pas  graiuLchose.  C'est  la  même  doctrine,  avec  un  peu  plus  de  développements, 
qu'on  trouve  dans  les  Allegorix  in  Vêtus  Testamentum,  œuvre  anonyme  de 
l'école  de  Saint-Victor3.  C'est  la  même  doctrine  encore,  condensée,  celte  fois, 
en  vers  mnémotechniques,  qu'on   rencontre  dans  ["Auront  de  Pierre  de  Riga, 


1   Patrol  .  I    CXIII  el  CXIV.   Voir  aussi  la  grande  édition  d  Anvers,  ili  i  i,  plus  complète. 

-  n  Pour  le  xne  siècle,  disent  les  Bénédictins  dans  leur  tlist.  littér.  de  I"  France,  toute  I  intelligence  de 
L'Écriture  devait  être  dans  la  Glose  ordinaire  0  [Ilist  littér.,  t.  IX,  p  21  M  Samuel  Berger  remarque 
qu'au  xiii'  siècle  les  commentaires  de  la  Bible  française  sont  empruntés  en  grande  partie  à  la  Glose  ordinaire 
de  Walafried  Strabo     La  Bihl.  française  au  moyen  tige    Paris,  188.},  in-8,  |>    in 

■  Patrol.,  t    CLXXV    Ouvrage  attribué  longtemps  à   Hugm  :      ■'   Victor 


t7o  L'A  RT    RELIG  I  EUX    DU    XIII1    SIECLE 

chanoine  de  Reims,  à  la  lin  du  xn'  siècle1.   On  pourrait  citer  une  foule  d'autres 
noms. 

Il  sérail  évidemmenl  puéril  d'affirmer  que  les  clercs  imi  dirigèrent  les 
artistes  ont  consulté  tel  commentaire  plutôt  que  tel  autre  pour  interpréter  la 
Bible;  cependant  on  peut  croire  que  la  Glose  ordinaire,  manuel  <l  enseignement 
commode,  répandu  dans  toutes  les  écoles  monastiques  et  épiscopales,  leur  a 
servi  le  pins  souvent.  Dans  tous  les  eus.  un  tel  livre  reste  un  des  plus  pré- 
cieux que  nous  ait  transmis  le  moyen  âge,  puisqu'il  permet  de  résoudre 
presque  toutes  les  difficultés  qu'offrent  les  représentations  allégoriques  de  la 
Bible. 

Ainsi  au  commencement  du  mm  siècle,  au  moment  où  les  artistes  déco- 
raient les  cathédrales,  les  docteurs  enseignaient  du  haut  de  toutes  les  chaires 
que  I  Ecriture  était  à  la  fois  une  histoire  et  un  symbole.  Il  était  admis  alors  que 
la  Bible  pouvait  s'interpréter  dans  quatre  sens  différents  :  le  sens  historique,  le 
sens  allégorique,  le  sens  tropologique,  le  sens  anagogique.  Le  sens  historique 
faisait  cou  nai  Ire  la  réalité  des  faits,  le  sens  allégorique  ni  on  trait  dans  l'Ancien  Tes- 
tament une  ligure  du  Nouveau,  le  sens  tropologique  dévoilait  une  vérité  morale 
qui  se  cachait  sous  la  lettre  de  l'Ecriture,  enfin  le  sens  anagogique,  comme  le 
nom  I  indique,  laissait  entrevoir  par  avance  les  mystères  de  la  vie  future  et  la 
béatitude  éternelle.  Le  nom  de  Jérusalem,  par  exemple,  qui  revient  si  souvent 
dans  les  Livres  saints,  pouvait  recevoir,  suivant  les  cas,  une  de  ces  quatre  inter- 
prétations. «  Jérusalem,  dit  Guillaume  Durand,  c'est,  dans  le  sens  historique,  la 
ville  de  la  Palestine  où  se  rendent  maintenant  les  pèlerins;  dans  le  sens  allé- 
gonque,  c  est  I  Eglise  militante;  dans  le  sens  tropologique,  c'est  l'âme  chré- 
tienne; dans  le  sens  anagogique,  c'est  la  Jérusalem  céleste,  la  patrie  d'en 
haut2.  »  I  ous  les  passages  de  la  Bible  n'étaient  pas  susceptibles  d'une  qua- 
druple interprétation.  Quelques-uns  ne  pouvaient  s'entendre  que  dans  trois 
-eus.  L'histoire  des  souffrances  île  Joli,  par  exemple,  avait  d'abord  la  valeur 
cl  un  fait  historique,  c'était  ensuite  uwv  allégorie  de  la  Passion  de  Jésus-Christ; 
enfin,  dans  le  sens  anagogique,  c'était  une  figure  des  épreuves  de  l'âme  chré- 
tienne3. D'autres  passages  ne  comportaient  que  deux  explications  e1  beaucoup 
devaient  être  simplement  entendus  à  la  lettre. 


1   Patrol  .  i    CCXII 

-'   Guillaume  Durand,  Hatiun    Proem  .   i  i 
Hugues  de  Sainl- Victor,  De  scripturis  cl  sériai    sacris,  cap.  m.  l'alrol  .  I.  CLXXV,  col     10  el  suiv 


LE   MIROIR  HISTORIQUE    —    L'ANCIEN   TESTAMEX'I  i-i 

Telle  fut  la  méthode  adoptée  par  l'Ecole1.  On  a  vu  par  ton I  ce  qui  précède 
cpie  le  moyen  âge,  en  pareille  matière,  ne  fit  que  se  conformer  à  la  tradition 
drs  premiers  siècles.  Il  ne  lui  ni  plus  lundi  ni  plus  subtil  que  les  Pères  de 
l'Eglise;  L'interprétation  allégorique  de  la  Bible  est  donc  tout  simplement  une 
partie  de  la  tradition  chrétienne. 

Il  était  nécessaire  de  rappeler  brièvement  cette  filiation  d'idées,  pour  faire 
comprendre  sous  quelles  influences  fuient  créées  les  œuvres  d'art  si  curieuses 
que  nous  axons  à  examiner. 


Il 

Les  artistes  chrétiens  eurent  d'assez  bonne  heure  l'idée  de  choisir  dans  l'An- 
cien Testament  un  certain  nombre  de  passages  célèbres,  que  les  commentateurs 
interprétaient  comme  des  figures  du  Nouveau.  Des  les  temps  mérovingiens,  les 
peintres  opposèrent  les  deux  Testaments  pour  l'instruction  des  fidèles.  Bède  le 
Vénérable,  dans  sa  I  ce  des  saints  aubes  de  I  eremouth,  raconte  que  Benoist 
Biseop  était  allé  à  Borne  demander  des  tableaux  pour  décorer  les  églises  de  ses 
monastères.  Or,  les  tableaux  qu'il  rapporta  étaient  groupés  de  telle  sorte  qu'une 
scène  de  l'Ancien  Testament  était  expliquée  par  une  scène  du  Nouveau.  Isaac 
portant  le  bois  du  sacrifice  «Hait  en  lace  de  Jésus  portant  sa  croix,  et  le  serpent 
d'airain  élevé  par  .Moïse  dans  le  désert  faisait  pendant  à  Jésus  crucifié2.  I  >n 
reconnaît  les  concordances  familières  aux  interprètes  de  la  Bible.  Dans  l'église 
du  palais  d'Ingelheim,  îles  peintures  carolingiennes  représentaient  douze  scènes 
de  l'Ancien  Testament  mises  en  opposition  avec  douze  scènes  du  Nouveau  . 
Les  altistes  du  xm1  siècle  qui  se  complurent  aussi,  comme  nous  allons  le  voir, 
à  opposer  les  deux  Testaments,  avaient  donc  derrière  eux  une  longue  tradition. 

Les  œuvres  les  plus  importantes  que  l'art  gothique  ait  consacrées  à  la  con- 
cordance des  deux  Testaments   sont  des  vitraux'.   Les    verrières  célèbres  de 

1   Celle  méthode  se  résumai  I   ni  ili'iix  vers  m  in*  in  olr  cliniques  <jui  fureul  1res  i  >  l>  bn  s  .mi  moyen 
l.illei'it  geshi  doect,  i/tiiJ  credas  allegui'id. 

Moi'ulis  tlllid   "v"s.   '/*<"   ll'lldcts    HIHtgtigiu . 

J    Vïla  lirai    abbal,  ll'iremulhens    Pulrol.,  i     XCIV,  col    ;  io 

;  Ermoldus  Nigellus.  In  Imnm-  f.ttdutic  .  lib.  IV,  v,  imi-  ■  j  •  Sur  ce  sujel  voir  1'  Piper,  l'eber  den  Chria- 
llichen  Bilderlcreis  Berlin,  i8V>,  in-S,  u  \i\  el  suiv,  Voir  aussi  Julius  von  Schlo  :r,  Scliri/tquelleii  zur 
Gcschichte  der  karolinst'ischen  Kttiisl:  el,  du  inê (Juelleubuch  zuv  Ktiiistgeschicltte.  Wieu,  i8g(i 

■    Les  sculpteurs  ne  nous  mil   laissé  eu  ce  genre  qu'une  œuvre  i  m  port  aille,  ce  soûl  les  statues  inlérieurcs 


,:  .  L'A  UT    R  ELIG]  EUX    DU    XIII1    SI  EC  LE 

Bourges1  (fig.  78),  de  Chartres,  du  Mans,  de  Tours,  de  Lyon,  de  Rouen,  expo 
seul  toutes  la  même  doctrine  d'une  façon  presque  identique.  Lesgrandes  pages 
symboliques  que  nous  allons  étudier  sont  presque  toujours  disposées    de   la 
même  façon  :  un  médaillon  central  montre  la  réalisation  du  fait,  tandis  que  lc^ 
médaillons  adjacents  en  font  voir  la  figure2. 

C'est  autour  du  grand  drame  de  la  Passion  que  se  groupent  de  préférence 
les  représentations  mystiques  empruntées  à  L'Ancien  Testament.  Près  île  .lésus 
portant  sa  croix,  nos  verrières  du  xmc  siècle  placent  Isaac  portant  le  Lois  de  son 
sacrifice,  les  Juifs  marquant  du  tau  mystérieux  la  porte  de  leurs  maisons,  la 
veuve  de  Sarepta  ramassant,  en  présence  du  prophète  Flie,  deux  morceaux  de 
bois,  enfin  le  patriarche  Jacob  bénissant  les  deux  fils  de  Joseph,  Éphraïm  el 
Manassé. 

(les  scènes  de  l'Ancien  Testament  sont,  en  effet,  autant  de  figures  où  les 
commentateurs  nous  font  apercevoir  la  croix  de  Jésus-Christ.  —  La  Glose  ordi- 
naire nous  apprend  d'abord  qu'Isaac  est  une  figure  du  Fils  de  Dieu,  comme 
Abraham  est  une  figure  de  Dieu  le  l'ère.  Dieu,  qui  devait  donner  son  Fils  pour 
les  hommes,  a  voulu  laisser  entrevoir  le  grand  sacrifice  au  peuple  de  l'Ancienne 
Loi.  Tout  le  passage  de  la  Bible,  où  le  sacrifice  d'Abraham  est  raconté,  est 
rempli  de  mystères.  Chaque  mot  doit  être  pesé.  Bar  exemple,  les  trois  jours 
de  marche  qui  séparent  la  demeure  d'Abraham  du  mont  Moria  signifient  les 
trois  âges  du  peuple  juif,  d'Abraham  à  Moïse,  de  Moïse  à  Jean-Baptiste,  de  Jean- 
Baptiste  au  Seigneur.  Les  deux  serviteurs  qui  accompagnent  Abraham  sont 
les  deux  fractions  du  peuple  juif,  Israël  et  Juda.  L'âne  qui  porte  les  instru- 
ments du  sacrifice,  sans  savoir  ce  qu'il  fait,  est  la  Synagogue  ignorante.  Enfin, 
le   bois  qu'Isaac  a  chargé  sur  son  épaule  est  la   croix  même   de  Jésus-Christ". 

Le  signe  tracé  par  les  Juifs  sur  la  porte  de  leur  maison  avec  le  sang  tic 
l'agneau  était  regardé  aussi  comme  une  figure  de  la  croix.  Les  commentateurs 
axaient  l'habitude  de  rapprocher  le  passage  en    question,   qui   se    trouve   dans 


de  la  cathédrale  de  lui  m  s  [portail  de  gauche  en  entrant      II  n'y  a,  il  est  vrai,  i[uu  les  ligures,  non  les  réalités 
(Abraham  el  Isaac,  Moïse  el  le  serpent,  les  Israélites  marquant  leurs  portes  du  tau,  la  veuve  de  Sarepta 

1    Les  pages  qui  suivent  deviendront  plus  claires  si  le  lecteur  se  reporte  sans  cesse  à  la  Ggurc  7S 

J  Ces  vitraux  symboliques  ont  été  reproduits  par  Cahier  el  Martin  «huis  1rs  Vitraux  de  Bourges  II 
l'aul  consulter,  outre  la  belle  dissertation  de  Cahierdans  les  Vitraux  de  Bourges,  1rs  Mélanges  archéol.  du 
P.  Cahier  [Curiosités  mystér.,  |>  ;ii  el  suiv.  :  les  Annales  Archéolog.,  t.  XVIII  [Etude  sur  la  Croix  de 
Saint-Bertin  ;  enfin  le  Guide  de  l'art  chrétien,  de  <  '•  de  Saint-Laurent,  t.  IV,  p.  5g  el  suiv  A  l'étrangei  : 
Zeitschrifi  fur  christliche  Kunst,  i8g3,  |>   Sa  el  suiv. 

Glose  ordin..  lib.  Gones  .  cap.  \\n.  \.   j.   >,  8 


LU,    MIROIR    HISTORIQUE    -    I,  A  N  <  :  I  r.  \     iESTAME.V] 

ÏE.vode,  (I  un  passage  d'Ezéchiel,  où  le  pro- 
phète annonce  qu'il  a  vu  l'ange  de  Dieu  mar- 
quer les  justes  au  front  de  la  lettre  tau.  Un 
pensait  que  le  /au  d  Ëzéchiel  devait  être  pré- 
cisément le  signe  que  les  Juifs  avaient  dû 
tracer,  en  Egypte,  sur  la  porte  de  leurs 
maisons.  Comme  <1  autre  part  la  lettre  tau 
(T)  offrait  quelque  ressemblance  avec  la 
cn»i\,  on  en  avait  conclu  que  ces  deux  pas- 
sages taisaient  allusion  à  la  croix  de  Jésus- 
Christ1. 

Le  médaillon  du  prophète  Elie  et  de  la 
veuve  de  Sarepta  préfigure  encore  le  même 
mystère.  Elie,  chassé  par  les  Juifs,  est  envoyé 
par  le  Seigneur  dans  le  pays  des  Gentils, 
chez  une  veuve  de  Sarepta,  au  territoire  de 
Sidon.  Quand  il  arrive  chez  elle,  la  veuve 
vient  de  puiser  de  I  eau  et  elle  est  en  train  de 
ramasser  deux  morceaux  de  bois.  Dans  ce 
récit  il  n'est  rien  qui  ne  soit  symbolique. 
Elie,  chassé  par  les  Juifs,  et  plus  tard  enlevé 
au  ciel  sur  un  char  de  feu,  est  une  figure  de 
Jésus-Christ.  La  veuve  de  Sarepta  est  l'Eglise 
des  Gentils  accueillant  le  Sauveur  que  la 
Synagogue  n'a  pas  voulu  reconnaître.  Elle  a 
puisé  de  l'eau  pour  marquer  qu'elle  croira 
désormais  à  la  vertu  du  baptême,  et  elle 
assemble  deux  morceaux  de  bois  pour  expri- 
mer qu'elle  attend  tout  son  salut  île  la 
croixJ.    (Test  pourquoi    l'artiste    de   Bourges 


lit;    78.  —  Yilrail  symbolique  de  Bourges, 
fig.  78)  et  l'artiste   du    .Mans  ont  mis  entre  les  mains   de    la    veuve  de   Sarepta. 


non  pas  deux  morceaux  de  bois,   mais  une  croix  véritable. 


1    Glose  ordin.,  1  i I >    K\od  ,  cap    xu.   v.  7 
'■  Glose  ordin.  Ree.,  svii,  8-1  i 


i;  i  I,  A  Kl    R  ELIGIEUX    IM     XIII'    .M  ÈC  LE 

Le  portement  de  croix  est.  accompagné,  an  .Mans  ci  à  Tours,  d'une  quatrième 
scène  symbolique  :  la  bénédiction  des  lils  de  Joseph,  Ephraïm  et  Manassé,  par 
le  patriarche  Jacob.  Il  faut  reconnaître  encore  là.  a\  ce  les  interprètes,  une  ligure 
de  la  croix;  Jacob,  en  effet,  bénii  ses  petits-fils  «  en  mettant  les  bras  en  croix  », 
connue  le  dit  le  texte  biblique:  circonstance  qui  a  pain  mystérieuse  à  tous  les 
commentateurs'.  —  Le  peintre  verrier  de  Bourges  a  reproduit,  la  même  scène, 
niais  il  l'a  mise  tout  en  liant  du  vitrail,  à  la  place  d'honneur  fig.  781.  Il  semble 
avoir  voulu  exprimer  par  là  une  pensée  plus  générale  et,  plus  profonde  (pie  les 
artistes  du  Mans  et  de  Tours.  Les  Pères  faisaient  observer  que  Jacob,  en  bénis- 
sant ses  petits-fils,  les  bras  en  croix,  avait  voulu  marquer  qu'il  préférait  le  cadet 
à  laine:  car  c'est  sur  Ephraïm,  le  plus  jeune,  qu'il  avait  mis  sa  main  droite. 
La  bénédiction  de  Jacob  devenait  donc  une  image  tic  la  Nouvelle  Alliance: 
.Manassé  représentait  le  peuple  juif  el  Ephraïm  les  Gentils.  Jacob,  figure  du 
Christ,  en  préférant  Ephraïm  à  .Manassé.  annonçait  que  le  Messie  substituerait 
par  le  mystère  de  la  croix  un  peuple  nouveau  au  peuple  ancien  \  Telle  fut  sans 
doute  la  pensée  de  l'artiste  de  Bourges.  En  plaçant  la  bénédiction  de  Jacob  au 
point  culminant  de  son  vitrail,  il  exprimait  cette  pensée  que  Jésus  était  mort 
sur  la  croix  non   pour  \\\)  peuple  élu  mais  pour  tous  les   hommes   . 

Après  le  Portement  de  crois,  la  Mise  en  croix  est,  dans  nos  vitraux, 
l'occasion  du  plus  riche  symbolisme.  Autour  de  Jésus  crucifié  on  remarque, 
dans  des  médaillons,  I  image  de  la  source  qui  jaillit  sous  la  baguette  de 
Moïse4,  le  serpent  d'airain',  la  mort  d'Abel  ",  enfin  la  grappe  merveilleuse  de 
la  Terre  promise'  (fig.   78  et  70) . 

Depuis  suint  Paul,  l'Eglise  considérait  le  rocher  frappé  par  Moïse  comme 
une    image   de  Jésus-Christ8.    Mais  le   rapprochement,    brièvement    indiqué    par 

1   Olose   ordin.,    lib     Geucs.,    m.mii.    la-iâ.    Voir  aussi    Isidore   de   Séville,    Qusest.  m   Vel.   restant., 
cap.  xxxi,  De  benedicliuiiibus  palriarcharum, 

-   Voir  Isidore  de  Séville,  loc.  cil. ,  el  Allegor.  r/itsedam  Script,  sacrx,  aux  mots  Jacob,  Manasses.  lîphr; 

Voir  Cahier,  Vitraux  tic  Bourges,  \*   ■■'<. 
'   Bourges,  Tours,  Le  Mans. 

Bourges,  Tours,  Le  Maus,  Saiul-Deuis,  Lyou. 

6    l'ours    .1  Tours  le  panneau  a  été  déplacé  el  mis  près  du  Porlemeut  de  croix 

Croix  de  Saint-Berlin  (reproduite  dans  les  Annales  arch.,  1.  XVIII)  el    Reliquaire  de  Tongres  (dans 

(  ahier,   Nouv.   mélang.   arch..    Curiosités   mystér.,  p.  91        -   Le  fragment  du   vitrail    du   Mans  que  1 s 

reproduisons  lit;  ;9  nous  montre  Moïse  frappanl  la  source  el  élcvanl  Le  serpent  d'airain.  Le  pélican 
accompagné  de  David  [qui  111  a  parlé  dans  1rs  Psaumes]  se  rapporte  aussi  1  la  Crucifixion.  Quant  aux  lions, 
ils  -mil  ni  il  placés;  ils  devraicnl  être  à  côté  'In  médaillon  de  la  Résurrection 

8  /  Corinth.,  \.   :   j. 


LE    MIROIR    HISTORIQUE  L'ANCIEN    TESTAMENT  ,--, 

l'Apôtre,  avait  été  longuement  justifié  par  les  commentateurs  de  VK.vode. 
D'après  la  Glose  ordinaire,  qui  les  résume  tous,  la  source  nui  jaillit  du  rocher 
sous  la  baguette  de  Moïse,  c'est  I  eau  et  le  sang  qui  sortent  du  côté  <le  Jésus 
frappé  par  la  lance  du  centurion.  La  foule  qui  murmure  contre  Moïse,  dans 
l'attente  du  miracle,  symbolise  les  peuples  nouveaux  qui  ne  voudront  plus  ~c 
soumettre  à  la  loi  judaïque  et  qui  viendront  se  désaltérer  à  la  source  vive  du 
Nouveau  Testament1.  On  comprend  comment  une  scène  si  étrangère,  en 
apparence,  à  la  Crucifixion,  ait  pu  en  être  rapprochée. 

Le  serpent  d'airain,  élevé  sur  une  perche  par  Moïse  pour  la  guérison  du 
peuple,  est  déjà  donne,  dans  I  Evangile,  connue  une  figure  de  la  Mise  en  croix. 
Aussi  les  commentateurs  expliquent-ils  ce  passage  de  l'Ancien  Testament  plus 
brièvement  que  de  coutume  :  ils  le  supposent  sans  doute  plus  connu.  Isidore 
de  Séville,  que  cite  la  Glose  ordinaire,  se  contente  de  rappeler  que  Jésus  est  le 
serpent  nouveau  qui  a  vaincu  l'antique  serpent,  cl  il  ajoute  que  l'airain,  le  plus 
solide  et  le  plus  durable  de  tous  h' s  métaux,  lut  choisi  par  Moïse  pour  exprimer 
la  divinité  de  Jésus-Christ  et  I  éternité  de  son  règne J. 

La  mort  d'Abel,  le  premier  des  pistes  et  le  type  du  Messie  futur,  paraissait 
aussi  aux  interprètes  une  figure  transparente  de  la  mort  de  Jésus-Christ.  Ils  se 
contentaient  de  rappeler  que  Caïn,  l'aîné  des  entants  d'Adam,  etail  le  clair 
symbole  de  l'ancien  peuple  de  Dieu.  Abel  tué  par  Caïn,  c'était  Jésus  tué  parles 
Juifs  '. 

En  revanche,  la  grappe  de  la  Terre  promise  ne  semblait  pas  un  symbole 
aussi  facile  à  interpréter,  car  les  commentateurs  s'étendent  longuement  sur  le 
laineux  passage  du  livre  des  Nombres.  Les  douze  explorateurs  que  Moïse 
envoya  dans  le  pars  de  Canaan  et  <pii  déclarèrent,  à  leur  retour,  qu'on  ne  pou- 
vait s'emparer  de  la  Terre  promise,  sont  les  scribes  et  les  Pharisiens  qui  per- 
suadèrent aux  .luits  de  ne  pas  croire  en  Jésus-Christ.  Jésus  était  pourtant  au 
milieu  d'eux  sous  la  figure  de  la  grappe  merveilleuse.  Ce  raisin,  que  deux  explo- 
rateurs rapportèrent  du  pays  de  Canaan  suspendu  à  une  perche,  c  est  Jésus  sus- 
pendu a  la  croix  :  car  Jésus  est  la  grappe  mystique  dont  le  sang  a  rempli  le  calice 
de    l'Eglise'.    Les   deux    porteurs   expriment   eux    aussi    un    mystère.    Celui    <pii 


1    Glose  '■!  <l m ..  M  li.    Exod  .  cap    xvir,  \     '>-  \ . 
-   Glose  ordin.,  lib.  Numer  .  cap    \\i.  *     8 
;   llnd  .  lit)    <  irTirs..  cap,  i\ .  v.  8 

1    Glose  ordin.,  Xiimor.,  cap     stvm,   v.     i.\     l..i   Glose   'lil   :   «  Calice  m  Kcclesia'   propinavil         Le    pas 
est    1res  importaul  pour    l'Iiistuire  'I'1  I  arl     Ce  lie  image  de  la  Glose    qui   il  til  il'l  le)  I 


i;6  L'ART   RELIG  [EUX    DU    \  I  I  I     SI  KC  l.i: 

marche  le  premier,  en  tournant  le  <l<>s  à  la  grappe,  est  le  peuple  juil  aveugle  et 
ignorant  qui  tourne  le  dos  à  la  vérité.  Tandis  que  celui  qui  vient  derrière,  les 
veux  fixés  sur  la  grappe,  est  l'image  du  peuple  des  Gentils  qui  s'avance  les 
yeux  lixés  sur  la  croix  de  Jésus-Christ  '.  dette  explication  mystique,  qui  est  celle 
de  la  Glose  ordinaire,  a  été  suivie  à  la  lettre  par  l'artiste  inconnu  qui  a  dessiné 
les  sujets  symboliques  du  reliquaire  de  la  vraie  croix  à  Tongres2.  Il  a  donne,  en 
effet,  au  premier  des  porteurs,  à  celui  qui  ne  voit  pas  la  grappe,  le  bonnel 
conique  des  Juifs,  pour  bien  marquer  que  ce  personnage  symbolisait  l'Ancienne 
Loi.  On  peut  juger  par  cet  exemple  de  la  fidélité  avec  laquelle  les  altistes  du 
moyen  âge  traduisaient  la  pensée  de  l'Eglise. 

La  Résurrection  de  Jésus-Christ  était,  comme  sa  Passion,  annoncée  par  des 
figures  bibliques  qui  ont  trouvé  place  dans  nos  vitraux.  La  plus  célèbre  de 
toutes  était  empruntée  à  l'histoire  de  Jonas.  Le  prophète  sortant  vivant  île  la 
gueule  du  monstre  marin  annonçait  par  avance  la  victoire  du  Fils  de  1  homme 
sur  la  mort.  L'Evangile,  nous  lavons  vu.  avait  déjà  indiqué  ce  rapprochement. 
Les  commentateurs  faisaient  remarquer  que  Jonas  était  demeuré  trois  jours 
dans  le  ventre  de  la  baleine  comme  Jésus  était  resté  trois  jours  dans  le  tombeau  . 
Les  vitraux  de  Bourges,  du  .Mans,  de  Lyon  nous  montrent  Jonas  vomi  par  le 
monstre  tout  auprès  de  Jésus  sortant  du  sépulcre  (fig.  78  . 

Lue  autre  figure  biblique,  qui  accompagne  parfois  '  la  sortie  du  tombeau, 
est  dune  interprétation  plus  délicate:  c'est  l'histoire  d'Elisée  ressuscitant  le 
lils  di'  la  veuve".  Il  s'agit  ici,  non  pas  tant  de  la  résurrection  de  Jésus-Christ, 
que  de  la  résurrection  de  l'humanité  elle-même  qui  est  sortie  du  tombeau  en 
môme  temps  (pie  le  Sauveur.  Ecoutons  la  Glose":  Elisée  est  une  figure  de  Jésus- 
Christ.  Quand  il  apprend  que  le  lils  de  la  veuve  est  mort,  il  envoie  d'abord  son 
serviteur  avec  son  bâton  pour  ressusciter  l'enfant.  Mais  le  serviteur  n'a  pas  assez. 
de  force  divine  pour  accomplir  le  miracle.  Image,  dit  la  Glose,  de  .Moïse,  de  ce 


tard  réalisée  par  les  artistes.  Près  de  la  croix,  on  voil  1  Église  emplissant  son  calice  du   sang    qui  sorl  du 
côté  de  I  ésus  '  Ihrisl 

1    //„,/ 

-  \  oir  Cahier,  op.  ni . 

Glose  ordin.,  lu  Matth.,  1111,  3g-  j  1 . 

4  A  Bourges,  au  Mans. 

C  esl  Elisée  el  non  pas  Élie,  à  qui  d'ailleurs  la  Bible  attribue  1 iracle  analogue.   Sur  le  vitrail  du 

Man     ni  lii   :  Eliseus. 

'    Glose  ordin. ,  lib    Keg.,  iv,   >  -    I 


I.K    MIROIR    HISTORIQUE  L'ANCIEN    TESTAMEN'I  \-t- 

serviteur  que  Dieu  avait  armé  de  la  verge  pour  sauver  son  peuple,  el  qui  ne  pul 
y  réussir.  Jésus  arrive  comme  Elisée  pour  achever  l'œuvre  du  salut.  Il  s'étend 


l'ig.  79    —  Krag ai  'In  vitrail  symbolique  Hn  Mans 

D'apiès  Mu.  Ii.  r 


sut 

h 


le  cadavre  cl  il  s'unit  à  ses  membres,  ce  qui  veut  dire  qu'il  s  unit  à  la  nature 
umaine  en  prenant  un  corps  mortel.  Il  souffle  sept  lois  sur  le  mort  l'esprit  de 
vie,  ce  qui  signifie  qu'il  apporte  à  l'humanité  morte  les  sepl  dons  du  Saint- 
Esprit,  et  enfin,  il  se  relevé  avec  l'enfant  vivant,  comme  l'humanité  ses!  levée 
du  tombeau  en  même  temps  que  Jésus-Christ. 


i;N  [.  A  RT    RELIGIEUX    l»l     XIII'    S]  ÈC  I    I 

Le  vitrail  de  Chartres  nous  montre  une  figure  nouvelle  de  la  Résurrection  : 
c'est  Samson  enlevant  les  portes  de  Gaza.  Samson  entre  dans  Gaza,  cl  les  Phi- 
listins referment  sur  lui  les  portes,  persuadés  <|ii  ils  le  tiennent  prisonnier.  Mais 
pendant  la  nuit,  le  héros  arrache  les  portes  de  leurs  gonds,  les  met  sur  son 
épaule,  et  les  dépose  au  sommet  de  la  montagne.  Samson  c'est  Jésus,  et  Gaza 
c'est  le  tombeau  où  les  Juifs  croient  avoir  enfermé  le  Sauveur  pour  toujours. 
Mais,  avant  le  point  du  jour,  il  l>rise  comme  Samson  les  portes  du  sépulcre,  et 
il  les  emporte  avec  lui  sur  la  montagne,  c'est-à-dire  au  ciel,  où  il  remonte,  pour 
indiquer  qu'il  a  vaincu  la  ni  or  L  à  jamais1. 

Voilà  quelques  exemples  de  la  façon  dont  les  artistes  ont  interprété  l'Ancien 
Testament  en  le  niellant  en  parallèle  avec  le  Nouveau.  On  voit  jusqu'à  quel 
point  ils  eulrenl  dans  la  pensée  des  commentateurs2. 


III 

Mais  ce  n'es  t.  pas  toujours  autour  de  Jésus-Christ  que  se  groupent  les  scènes 
empruntées  à  l'Ancien  Testament,  c'est  parfois  aussi  autour  de  la  \  ierge. 

D'assez  bonne  heure,  les  docteurs  avaient  admis  que  certains  traits  bibli- 
ques pouvaient  être  considérés  comme  des  allusions  à  la  virginité  de  Marie.  Le 
xme  siècle,  qui  honora  la  Vierge  d'un  culte  si  tendre,  ne  pouvait  manquer  de 
donner  une  forme  artistique  à  quelques-unes  de  ces  figures.  Deux  passages  de 
l'Ancien  Testament  inspirèrent  surtout  les  artistes  :  celui  du  livre  de  VE.vode 
où  il  esl  dil  que  Moïse  aperçut  Dieu  au  milieu  d'un  buisson  ardent3,  cl  celui 
du  livre  des  Jttqes  où  l'on  voit  Gédéon  appeler  sur  la  toison  qu  il  a  étendue  dans 
l'aire  la  rosée  du  ciel  '.  —  Il  avait  été  admis  par  les  docteurs  que  le  buisson 
ardent  était  une  figure  de  la  Vierge.  Ce  buisson,  qui  brûle  sans  se  consumer,  el 
<pii  laisse  entrevoir  au  milieu  des  Ha  m  mes  la  figure  de  Dieu,  était  une  image  «  de 
celle  qui  avail  reçu  dans  son  sein  la  flamme  divine  sans  être  consumée    ».  Bien 

1    Glose  ordin.,  lil>.  Judic,   wi.  1. 

Sous  n'avons  pas  à   revenir  ici  sur  les  ligures  symboliques   «lu  lion,  du  pélican,   du  charadius,  qui   se 
voienl  dans  les  vitraux  que  nous  venons  d'étudier  à  côté  des  scènes  '!<■  1  Ancien  Testament.  Il  cil  a  été  ques 
iu  livre  I    le   Viroir  de  la  nature 

ILxode,  m,  i  2. 
'*  .1 1 1  g  '  'S .  \  i .  16  jo 
■    Voir  Raban  Maur,  De  universo..  lib    Wlll    Patrul..  I    CLI.  col     ii3 


I.i:    MIROIR    HISTORIQUE  L'ANCIEN     l'ESTAMENT  i    9 

(juc  la  Glose  ordinaire  donne  une  autre  interprétation,  c'est  la  première  qui 
avait  prévalu  et  c  est  celle  que  l'Eglise  adopta  dans  l'office  de  la  Vierge.  Quant 
a  la  mystérieuse  toison  de  Gédéon,  après  avoir  été  considérée  comme  une  figure 
de  I  Eglise  ',  elle  lut  regardée,  surtout  aux  approches  du  \m  siècle,  comme  une 
image  de  Marie.  Saint  Bernard,  qu'il  faut  toujours  citer  quand  on  parle  du  culte 
de  la  Vierge  au  moyen  âge,  a  développé  le  sens  allégorique  de  la  toison  de 
Gédéon  dans  un  de  ses  sermons  :  a  --es  yeux,  la  rosée  qui  tombe  du  ciel  sur  la 
toison  est  une  ligure  très  claire  do  la  conception  virginale". 

Les  vitraux  du  xm  siècle,  a  Laon  (îg.  S  et  a  Lyon,  nous  montrent,  près  des 
scènes  de  la  vie  de  la  Vierge,  ces  deux  symboles  de  sa  virginité. 

Mais  l'œuvre  symbolique  la  plus  remarquable  qui  ait  été  consacrée  à  glori- 
fier la  Vierge  au  moyen  de  figures  bibliques  est.  certainement  le  portail  «pu 
s  ouvre  dans  la  laça  de  de  la  cathédrale  de  Laon  à  la  gauche  du  spectateur.  (  >n 
nous  permettra  d'insister  sur  cet  important  ensemble  de  sculptures  qu'on 
n  avait  pas  encore  exactement  décrit :|,  et  dont  l.i  signification  générale  n'avait 
pas  été  comprise  jusqu'ici. 

Les  scènes  tle  la  vie  delà  Vierge  au  nom  la  I  ion .  adoration  des  Mages,  nati- 
vité île  Jésus)  qu'on  voit  sculptées  au  linteau  ou  dans  le  tympan  de  la  porte  non-. 
I011L  déjà  pressentir  que  le  portail  tout  entier  est  consacre  a  la  mère  de  Dieu. 
La  présence  des  anges  dans  la  première  voussure,  cl  dans  la  seconde  des  \  crins 
chrétiennes  «pie  les  docteurs  attribuent  d'ordinaire  a  la  Vierge,  ne  font  cpic 
confirmer  cette  première  impression  '.  Mais  l'examen  de  la  troisième  voussure 
vient  soudain  dérouler  l'observateur.  Il  reconnaît,  il  est  vrai,  Gédéon  et  sa  toi- 
son" ainsi  que  Moïse  devant  le  buisson  ardent.  Mais  (pie  vient  (aire  ici  Daniel 
écrasant  sous  ses  pieds  un  dragon  .puis  recevant  dans  la  fosse  aux  lions  le  panier 
que  lui  apporte  Abacuc ' ?  Que  signifient,  plus  liant,  l'arche  d'alliance  désignée 
par  son  nom  ARGHA  DLL  et  enfin  une  porte  fermée  près  de  laquelle  se  tient  un 
prophète'.'  —  Si  l'on  passe  à  la  quatrième  VOUSSUre,  on  rencontre  des  scènes 
aussi  disparates,  et  aussi  difficiles  à  ramènera  une  pensée  unique.  On  rec ait 


1   Glose  ordin  .  lil>   Judic,  vi,   16 
s. uni  Bernard,  Super  Missus  est  angélus  hom,  Patrot  .  1.  <   IAWIII.  col 
Voir  lu  Cathédrale  y olrc-Damc  de  Laon,  par  l'abbé  Bouxin,  |i.  1 

•   Nous  avons  parlé  do  cette  curieuse   Psyclioniachie  de  Laon  au  livre  III    le   \liroii   u 

■■  On  lit  près  du  personnage    :    \  I.I.I.NS 

,:   là  non  pas  Suzanne,  con le  croit  I  abbé  Bouxin 

"   Ou  lit  ABACVC  :  Al  I  I.KI.Ns  :  ES<     11111  . 


i8o  I/ART    RELIGIEUX    DE    XIII1    SIECLE 

une  jeune  fille  qui  accueille  dans  son  giron  un  animal  une  licorne,  comme  nous 
le  verrons  avec  l'inscription  GAPITVR1.  On  \oil  aussi  Balaam,  reconnaissante 
a  l'inscription  :  B[alaa  M  :  ORIETVR  STELLA  EX  JACOB,  —  puis  le  roi  Nabu- 
chodonosor,  couché  sur  son  lit  et  apercevant  eu  rêve  la  statue  d'or,  d'argent, 
d  airain,  de  fer  et  d'argile  qui  est  représentée  au-dessus  de  lui,  avec  l'inscription 
STATVA;  — puis  un  personnage  sacrant  un  roi,  —  puis  une  femme  portant  une 
tablette  et  désignée  par  l'inscription  énigmatique  ET:  P:  SECLA  :  FVTVRVS. 
—  enfin  les  trois  jeunes  Hébreux  dans  la  fournaise,  avec  l'inscription  entière- 
ment conservée:  THES:   PVERI  :  IN:  FORNACE. 

Que  peuvent  bien  signifier  des  sujets  si  divers,  et  quelle  est  1  idée  d'ensem- 
ble qui  a  pu  présider  à  leur  groupement?  —  Nous  trouverons  la  réponse  la 
plus  précise  à  celle  question  dans  le  Spéculum  Ecclesiœ  d'Honorius  d'Autun. 
Nous  avons  déjà  ilil  île  quelle  vogue  avaitjoui  son  livre  au  moyen  âge  :  en  voici 
un  exemple  de  plus.  Le  sermon  qu'on  lil  dans  le  Spéculum  Ecclesiœ  au  jour 
de  la  fête  de  l'Annonciation  explique  en  effet  et  ramène  à  l'unité  les  figures  du 
portail  de  l.aon  "'.  Honorius  d'Autun  veut  prouver  que  le  mystère  de  la  virginité 
de  .Marie  a  élé  annoncé  par  les  prophètes  et  montré  en  figures  dans  l'Ancien 
Testament.  Voici  comment  il  s'exprime3:  «  .Moïse  vil  un  buisson  ardent  que  la 
flamme  ne  pouvait  consumer  el  au  milieu  duquel  Dieu  apparut.  (Test  là  une 
figure  de  la  Sainte  Vierge  ;  car  elle  porta  en  elle  la  flamme  du  Saint-Esprit  sans 

brûler  du  feu  de  la  concupiscence — -  Aaron,  sur  Tordre  de  Dieu,  mit  un  bâton 

desséché  dans  l'arche  d'alliance*,  el  le  lendemain  le  bâton  fleurit  el  produisit 
son  fruit.  Le  bâton  stérile  qui  donne  son  fruit,  c'est  la  Vierge  Marie  qui  met  au 

monde  Jésus-Christ  à  la  lois  Dieu  et  homme —  Gédéon,  juge  d'Israël,  étendit 

une  toison  dans  1  aire,  el  la  rosée  du  ciel  y  descendit  sans  que  l'aire  fût  mouillée. 
La  toison  où  descend  la  rosée  est  la  Sainte  Vierge  qui  devient  féconde;  l'aire  qui 

reste  sèche  est  sa  virginité  qui  ne  subit  aucune  atteinte —  Ézéchiel  vit  une 

porte  toujours  fermée,  par  laquelle  seul  passa  le  roi  des  rois,  et  après  \  avoir 
passé  il  la  laissa  fermée.  Sainte  Marie  est  la  porte  du  ciel  qui  avant  l'enfante- 
ment, pendant  l'enfantement  et  après  l'enfantement  resta  intacte6.  —  Le  roi 

1   II  v  a  ensuite  deux  sujets  que  nous  u  avons  pu  identifier;  c'est  d'abord  un  personnage  avec  l'inscription 
l'I.I.X  :  \  l.\  :  NO  :  Mil  I.        puis  un  vieillard  el  un  jeune  homme  sans  inscription. 
Spee  Eccles.  In  Annuntiat.  Palrol.,  i-  CLXXII,  col  i|<>  j  ci  suiv. 
Mous  m'  traduisons  que  les  passages  essentiels. 
1   L'artiste  de  Laon  n'a  pas  représente  Aaron,  mais  sculemenl  l'arche     ARCHA  DEI 
"  Un  \uii  que  le  personnage  qui  se  lienl  près  de  la  porte  esl  le  prophète  Ézéchiel. 


LE    MIROIR    HISTORIQUE    -■    L'ANCIEN    TESTAMENT  181 

Nabucliodonosor  vit  une  statue  dont  la  tète  était  d'or,  la  poitrine  et  les  bras 
d'argent,  le  ventre  d'airain,  les  jambes  de  fer,  les  pieds  d'argile.  Une  pierre, 
arrachée  de  la  montagne  sans  l'effort  des  mains  humaines,  brisa  la  statue  et  la 
réduisit  en  poudre;  puis  la  pierre  devintgrande  comme  une  montagne  el  emplit 
le  monde.  Les  différents  métaux  de  la  statue  sont  les  différents  royaumes.  La 
pierre  arrachée  de  la  montagne  sans  le  secours  des  liras,  c'est  Jésus-Chrisl  né 
d'une  Vierge  nue  nul  ne  loucha  de  sa  main.  II  subjuguera  tous  les  peuples  et 
régnera  toujours'.  -  -  Ce  même  Nabucliodonosor  lit  faire  une  statue  d'or  haute 
de  quarante  coudées  et  large  de  seize  qu'il  ordonna  à  tout  le  peuple  d'adorer. 
Mais  Ananias,  A/.arias.  Misaël,  refusèrent  de  courber  la  tête  devant  elle.  Le  roi 
irrité  les  lit  charger  de  chaînes  et  ordonna  qu'on  les  jetât  dans  une  fournaise 
qu'on  avait  chauffée  sept  fois  plus  que  l'habitude.  Or,  par  la  volonté  de  Dieu, 
la  flamme,  s'échappant  de  la  fournaise,  brûlait  tout  ce  qui  était  dehors,  cl  ne 
touchait  pas  un  seul  cheveu  de  ceux  qui  étaient  dedans.  Eux,  cependant,  ch 
taient  au  milieu  des  flammes,  et  avec  eux  le  roi  vit  le  Fils  de  Dieu 
que  le  Saint-Esprit  féconda  la  Sainte  Vierge  de  son  feu   intérieur,   tandis  que, 

au  dehors,  il  la  protégeait  contre  toute  concupiscence —  Daniel  détruisit 

1  idole  des  Babyloniens  avec  l'autorisation  du  roi  et  tua  un  dragon  qu'ils  ado- 
raient'. C'est  pourquoi  les  Babyloniens  irrités  le  jetèrent  dans  une  fosse  aux 
lions  qu'ils  fermèrent  d'une  grande  pierre  jusqu'au  septième  jour.  Le  roi  nul  sur 
la  pierre  le  sceau  de  son  anneau.  Alors  l'ange  du  Seigneur  enleva  de  la  Judée 
le  prophète  Abacuc  avec  une  corbeille  de  nourriture,  et  il  le  plaça  sur  la  fosse 
aux  lions.  Abacuc  lit  passer  la  nourriture  à  Daniel  sans  briser  le  sceau.  Le 
septième  jour,  le  roi  en  arrivant  trouva  le  sceau  intact  et  Daniel  vivant.  Il  loua 
Dieu,  fit  sortir  le  prophète  de  la  fosse,  et  lit  dévorer  ses  ennemis  par  les  lion-. 
C'est  ainsi  que  le  Christ,  sans  briser  le  sceau  île  la  virginité,  entra  dans  le  sein 
de  sa  mère,  et  sortit,  sans  toucher  a  ce  sceau,  de  la  demeure  virginale. 

Il  est  impossible  qu'on  ne  soit  pas  frappé  de  l'identité  absolue  qu'il  y  a  entre 

1  C'est  ce  qu'exprime  la  scène  du  sacre  représentée  après  la  \  ision  de  Nabucliodonosor    II  faut  v  voir  uni' 

gure  de  la  royauté  de  Jésus-Chrisl      La  femme  qui   vien!  ensuite  el  qu'ace pagne  l'inscription  ET  :  I'  : 

li   LA  :  FVTYRVS  t ; ■  i l  allusion  .'1  l'éternité  du  règne  de  Jésus-Christ.  Cette  femme,  en  effet,  esl  la  sibylle, 

1 1  . ...  : ......      il!.     1     .1 1 ..  1:..  .1..  .  ...  1   .  .    .    1 ;    1.      , 


an- 
C'est  ainsi 


jrimtée  à  I  nevt  istiche  fai \ . 


li 

I        '      .     I    ,  .  ï        .       |  1        1        1      11      T»-'     1(111        <l4.Hi.^lVll**>xl*      ■■■*■'  'III        1    *-    Ci  11',       w'         u  v.  éJ  14  *J        \-»Ji*.-'I.        \.  .  *      1    l    v         I'      m 

comme  le  prouvent  1rs  mots  qui  sout  gravés  près  d  elle.  Cette  fin  de  vers  est  emprunt 

cité  par  sainl  Augustin,  où  la  Sibylle  annonce  .t  la  lois  le  jugement  dernier  et  l'éternité  -In  lésus 

Christ. 

Iii-iii'u  signum  ;  tellus  sudore   madescet, 

I.  Coelo  rex  adveniet  per  secla  futurus, 

•'   C'est   le    sujet    (li-    la   première    scène   «|iii    nous    montre    Dai  niant    aux    pieds    nu     dragou    ù 

humaine. 


i8-j  L'A  I!  r    R  ELIGIEUX    DU    XIII1    S]  ÈC  LE 

I  œuvre  écrite  et  I  œuvre  sculptée.  Ce  sont  exactement  les  mêmes  exemples,  et 
dans  I  histoire  de  Daniel,  notamment,  l'artiste  a  suivi  le  texte  de  si  près  qu'il 
n'a  |>;is  craint  de  représenter  des  épisodes  (comme  la  morl  du  serpent  qui  ne 
tendent  pas  direelemenl  à  prouver  la  virginité  de  Marie.  .Nous  pouvons  affirmer 
avec  certitude  que  le  sermon  d'Ilonorius  d'Aulun  fut  le  programme  même  qu'on 
proposa  à  l'artiste.  —  Mais,  comme  il  restait  encore  des  places  vides  dans  la 
voussure,  <>n  emprunta  encore  au  même  Honorius  i\cux  scènes  symboliques  qui 
sont  tirées  de  deux  autres  sermons  consacrés  à  la  Vierge.  Le  premier  bas-relief 
représente  une  jeune  fille  qui  accueille  dans  son  giron  une  licorne  '.  Nous  savons 
déjà  quel  sens  Honorius  d'Autun  donne  à  cette  scène  :  il  y  \oit  une  image  de 
l'Incarnation.  Le  second  bas-relief  représente  le  prophète  Balaam  annonçant, 
comme  en  témoigue  l'inscription,  qu'une  étoile  naîtra  de  Jacob.  On  sait  assez, 
et  Honorius  d'Aulun  n'a  pas  de  peine  à  le  montrer,  qu'il  s'agit  encore  ici  de  la 
naissance  de  Jésus-Christ 2. 

Nous  avons  insisté  sur  le  portail  de  Laon,  parce  qu'on  n'avait  pas  encore 
déterminé  le  vrai  sens  de  ce  grand  ensemble,  consacré  tout  entier,  comme  on 
le  voit,  à  la  virginité  de  Marie,  et  parce  que  cet  exemple  montre  bien  quels 
étroits  rapports  rattachent  les  œuvres  d'art  aux  œuvres  écrite-. 

Il  serait  possible  de  citer  plusieurs  autres  compositions  du  xme  siècle  où  la 
personne  de  Marie  se  laisse  deviner  SOUS  les  figures  de  l'Ancien  Testament3.  Il 
faut  signaler  au  premier  rang  les  bas-reliefs  du  portail  occidental  de  la  cathé- 
drale d'Amiens',  consacré  dans  son  ensemble  à  la  mère  de  Dieu.  Au-dessus  des 
deux  grandes  statues  de  la  paroi  de  droite,  qui  représentent  la  Vierge  et  l'ange 
de  I  Annonciation,  on  peut  voir  quatre  bas-reliefs,  dont  les  sujets  nous  sont 
familiers  (fig.  80).  On  reconnaît  :  la  pierre  qui  se  détache  de  la  montagne  sous 
les  yeux  de  Daniel,  Moïse  et  le  buisson  ardent,  la  toison  de  Gédéon,  la  verge 
d  Aaron.  (le  sont  quatre  scènes  du  portail  de  Laon.   Il  est  doue  permis  de  sup- 

1   La  corne  esl  brisée.    On  lii  à  Laon,  près   il'1    cette   Ggurine,   l'inscription  CAPITVR.  Or,  r  csl   la  lin 

mi' 1 des  phrases  rimées  cVHo "ms  : 

Ad  quam  capiendam  virgo  puella  in  cauipum  ponitur, 
Ail  quam  veniens,  ri  m-  in  gremio  ''jus  reclinans.  capitur. 
Spec.  Eccles,  Denativ.  Domini,  col.  819, 

Spec    Ecoles.  De  Epiphania  Domini,  col    846. 

Signalons-cn  également  une  du  xn0  siècle,  an  porche  il''  l'église  d  Ydes  (Cantal]  qui  a  été  bâtie  par  les 
I  empliers  dans  la  seconde  partie  du  mi'  siècle;  on  voit  d  un  côté  I  Annonciation,  de-  l'autre  Daniel  dans  la 
fosse  aux  lions,  el   près  de  lui  le  prophète  Abacuc  qu'un  ange  tient  par  1rs  cheveux  —  représentation  qui, 

a  ides  coi :  a  la ,  dérive  du  sermon  d'Honorius  d'Autun  sur  l'Annonciation. 

'   Porli    de  droite 


1.1     MIROIR    HISTORIQ1   l  L'A.NCIEN    l'ESTAM  E.VI 


poser  que  1  artiste  d'Amiens,  comme  celui  de  Laon,  a  trouvé  son  inspiration  dans 
!c  sermon  il  Honorius  d'Aulun  sur  l'Annonciation.  La  scène  de  l'Annonciation 


Kig.  80     —  Bas-reliefs  symboliques  se  rapportant  à  la   Viergi      Amiens 

qui  accompagne  justement  les  bas-reliefs  d'Amiens  rend  notre  hypothèse  très 
vraisemblable. 

Un  vitrail  de  la  collégiale  de  Sain t-Quen tin  '  semble  provenir  du  même  ori- 
ginal. Les  scènes  de  la  vie  de  la  Vierge  ■-ont,  mises  en  rapport.  :i\ec  les  mêmes 


Abside,  chapelle  située  dans  l'axe  de  l'église     !    vitrail  à  gauelie  . 


i    i  L'A  UT    RELIGIEUX    1)1     XIII1    SIEC  LE 

figures  symboliques  de  l'Ancien  Testament.  L'Annonciation  esl  accompagnée 
de  Nabuchodonosor  contemplant  en  rêve  la  statue,  et  d'Aaron  revêtu  des  orne- 
ments sacerdotaux1.  La  Nativité  de  Jésus-Christ  est  commentée  par  la  toison  «le 
Gédéon  et  le  buisson  ardent  <le  Moïse.  L'adoration  des  Mages  est  rapprochée  de 
la  prophétie  de  Balaam  qu'on  aperçoit  monté  sur  son  ânesse.  — La  ressemblance 
du  vitrail  de  Saint-Quentin  et  des  portails  de  Laon  et  d'Amiens  est  assez  frap- 
pante pour  qu  on  puisse  croire  que  les  trois  œuvres  proviennent  des  mêmes 
sermons  d'Honorius  d'Autun. 

Les  trois  grandes  œuvres  d'art  symbolique  «pie  nous  venons  d'étudier  sont 
autant  de  preuves  nouvelles  du  culte  que  le  moyen  âge  avait  voué  à  la  mère  de 
Dieu.  C'est  à  la  Vierge  que  les  artistes  ont  voulu  nous  faire  penser  en  peignanl 
ou  en  sculptant  les  épisodes  de  l'Ancien  Testament  qui  lui  sont  en  apparence  si 
étrangers. 

IV 

Le  moyen  âge  a  donc  aimé,  comme  on  le  voit,  à  faire  pressentir  le  Nouveau 
Testament  par  quelques  scènes  choisies  de  l'Ancien.  Mais,  dès  le  xn'  siècle,  les 
artistes  imaginèrent  une  façon  encore  plus  simple  de  montrer  Jésus-Christ  dans 
l'Ancienne  Loi.  Ils  dressèrent  simplement,  à  l'entrée  de  la  cathédrale,  les 
patriarches  ou  les  rois  que  les  Pères  avaient  désignés  comme  des  figures  du 
Sauveur.  Les  saints  de  l'Ancien  Testament  annoncent  donc  Jésus-Christ  dès  le 
seuil,  et  deviennent  ainsi  «  les  hérauts  de  Dieu  »,  comme  dit  saint  Augustin. 
A  ('.liai  tics,  au  porche  septentrional,  Melchisédech,  Abraham,  Moïse.  Samuel. 
David,  se  tiennent  à  l'entrée  du  sanctuaire,  (les  grandes  statues  comptent  parmi 
les  plus  extraordinaires  du  moyen  âge  (fig.  95).  Elles  semblent  appartenir  à 
une  autre  humanité  tant  elles  sont  surhumaines.  On  les  dirait  pétries  avec  le 
limon  primitif,  contemporaines  des  premiers  jouis  du  monde.  L'art  du  commen- 
cement du  xinc  siècle,  malhabile  à  rendre  le  caractère  de  l'individu,  exprime 
puissamment  ce  qu'il  v  a,  dans  toute  ligure  humaine,  d'universel,  d'éternel.  Les 
patriarches  et  les  prophètes  de  Chartres  apparaissent  vraiment  comme  les  pères 
des  peuples,  comme  les  colonnes  (h-  l'humanité.  Mais  ce  qui  ajoute  infiniment 
à  leur  grandeur  et  à  leur  mystère,  c'est  qu'ils  rappellent  quelqu'un  de  plus  grand 
«pieux,   cl    «pi  ils   forment    connue  une   avenue   symbolique  «pu  conduit    jusqu'à 

1  i peul  guère  douter  que   le   grand    prêtre   revêtu    <ln    rational,  <|n  <>n  voil  dans  le  vitrail,   ne  s<>ii 

A.i  ron. 


LE    MI  r.OTi;    HISTORIQUE 


L'A  XCIE.N     I  ESTA  M  EXT 


[85 


Jésus-Christ.  —  On  retrouve  à  Reims,  à  la  baie  de  droite  du  portail  occidental. 
les  mêmes  personnages  figuratifs,  rangés  à  peu  pics  comme  ceux  «le  Chartres. 
et  offrant  avec  eux  les  plus  étonnantes  analogies  (fig.  81).  On  les  retrouve  à  Senlis. 
mais  des  restaurations  très  maladroites  empêchcnl  qu'on  puisse  désigner  tous 
les  personnages  par  leur  nom   .  On  en  retrouve  quelques-uns  au  portail  de  Saint- 


Phot.  Martin 

Fig.  Si.         Siniéon,  saint  Jcavi-Bapliste,  [saïe,  Moïse,  Abraham  [Reims  . 


Benoit-sur-Loire,  où  on  reconnaît  sans  peine,  au  milieu  de  plusieurs  statues 
mutilées.  Abraham  mettant  la  main  sur  la  tête  de  son  fils,  el  le  roi  David.  I  ne 
série  très  analogue  aux  précédentes  décorait  au  siècle  dernier  le  portail  de  la 
collégiale  de  Sainte-Madeleine,  à  Besançon2.  Les  statues  qui  se  voient  dan-  les 
parlics  liantes  de  la  cathédrale  de  Lyon  .  les  figurines  qui  emplissent  les  vous- 
sures du  portail  Saint-Honoré,  à  Amiens,  montrent  aussi,  avec  des  variantes,  1rs 
principaux  personnages  de  l'ancienne  Loi  '. 

1   On  reconnaît  cependant    très  bien  Abraham  avec  Isaac  ;'i  ses  pieds.  Moïse  portant  le  serpent  d  airain 
restauré  en  David),  Jérémie  portant  la  croix,  Siméon  portant  l'enfant. 

-   Voir  HiilU'l.  arch    rhi  comité,  1895,  p,   1 58. 

3  Du  côté  du  midi,  les  statues  mutilées  de  Lyon  semblcnl  représenter  Moïse,  Aaron,  Josui  .  '  tthoni*  l 
Sa  muel  sâcranl  David,  l>n\  i<l . 

1   Est-il    besoin   r]r  faire   remarquer  que   les    figures  de  patriarches   qui    se   voient  à   Laon    portail  de 
gauche,  raçade    sont  modernes  .' 


[86  L'ART   RELIGIEUX    DU    XIII1    SIECLE 

Le  commentaire  le  plus  clair  de  toutes  les  œuvres  d'art  que  nous  venons 


(I  en  m 


ncicr  est   le  manuel  qu'Isidore  <le  Séville  a  intitulé  Allegoriee  quaedam 


Scriptui'i 


nages  de 


sacras1.  Dans  ce  petit  livre  il  passe  en  revue  les  principaux  person- 
Ancien  Testament  en  faisant  connaître  leur  signification  mystique. 
^__^^^__^^^__ _^___      Les  quelques  lignes  qu'il  consacre  à    chacun 
ï/Fj  'I  eux  sonl  parfois  si  brèves  el  si  nettes  qu'elles 

eussent  pu  être  inscrites  sur  des  phylactères 
et  mises  aux  mains  des  statues.  Le  manuel 
d'Isidore  de  Séville  rend  compte  de  toutes  les 
difficultés  que  peut  soulever  la  présence  d'un 
personnage  de  l'Ancien  Testament  clans  une 
œuvre  du  xin°  siècle.  Nous  lui  empruntons 
l'explication  des  statues  symboliques  de  Char- 
tres, de  Reims,  d'Amiens,  tle  Senlis,  de  Lyon. 
Adam  est  la  première  figure  de  Jésus-Christ 
et  c'est  aussi  la  plus  significative2.  Le  Christ 
est  le  nouvel  Adam.  Le  premier  a  été  formé 
le  sixième  jour  et  le  second  s'est  incarne  au 
sixième  âge  du  monde.  L'un  nous  a  perdus 
par  sa  faute,  l'autre  nous  a  sauvés  par  sa  mort, 
et,  en  mourant,  il  a  refait  l'homme  à  l'image 
de  Dieu3.  On  comprend  pourquoi  le  moyen 
âge  a  si  souvent  placé  Adam  au  pied  de  la 
croix  de  Jésus,  pourquoi  encore  il  imagina 
que  l'arbre  du  Paradis  terrestre,  conservé  mira- 
culeusement à  travers  les  siècles,  avait  servi  à 
faire  la  croix  de  Jésus-Christ.  La  légende  était  belle,  saisissante,  et  donnait 
une  loi  nie  populaire  au  dogme  de  la  chute  et  de  la  rédemption. 

Abc!  esi  la  seconde  ligure  de  Jésus-Christ  '.  Ce  n'est  pas  seulement  par  sa 

1  Patrol.,  t.  LXXXIII,  col.  96. 

-'  Adam  ligure  au  portail  Saint-Honoré  d'Amiens  (fig.  8a  Le  portail  d'Amiens  nous  montre  au  premier 
cordon  après  les  anges,  Adam  bêchant,  Noé  construisant  laïc  lie,  Melchisédech  portant  le  pain  et  le  vin. 
Abraham  se  préparant  à  sacrifier  Isaac,  Jacob  et  [saac. 

:  Isidore  de  Séville,  Allegor.,  col.  99. 

'•  Le  personnage  qui,  au  portail  de  lleims  et  au  portail  de  Senlis,  tient  un  agneau,  n'est  certainement 
pas  Abel,  comme  on  le  dit,  nuis  Samuel.  Abel,  dans  ions  1rs  cas.  ligure  comme  symbole  de  Jésus-Christ 
sur  la  fi mse  plaque  niellée  de  la  fin  du  xn°  siècle  publiée  par  Didron  [Annales  arch.,   1.  VIII.) 


Fig  Sj.  — Voussures, du  portail  Saint- 
Honoré  à  Amiens.  Les  patriarches  et 
les  prophètes. 


LE   MIROIR   HISÏORIQ1  E      -   L'ANCIEN   TESTAMENT 
mort  qu'il  symbolise  le  Sauveur,  mais  aussi  par  sa  vie.   Il  fut  pasteur  de  brebis 
ot.  dés  le  commencement  du  monde,  il  annonça  cel  autre  berger  qui  a  dit  de 
lui-même  :  o  -le  suis  le  bon  pasteur  qui  donne  sa  vie  pour  ses  brebis  Uissi, 

dans  l'art  du  moyen  âge,  la  caractéristique  d'Abel  est-elle  un  agneau. 

Noé  figure  Jésus-Christ,  et  l'arche  de  Noé  figure  l'Église  de  Jésus-Chrisl 
L'arche,  en  effet,  était  de  bois 
comme  la  croix.  Les  dimensions 
de  l'arche  préfiguraient  au  moyen 
de  nombres  mystiques  les  dimen- 
sions de  la  croix.  L'arche  a  été 
bâtie  par  Xoé,  le  seul  juste  de 
l'ancien  monde,  comme  l'Eglise 
a  été  édifiée  par  Jésus-Christ,  le 
juste  par  excellence.  L'arche 
enfin  a  flotté  sur  les  eaux  du  dé- 
luge pour  enseigner  aux  hommes 
que  l'Eglise  trouve  son  salut 
dans  les  eaux  du  baptême  :  vérité 
que  nous  signifient  d'une  autre 
manière  les  huit  personnes  en- 
fermées dans  l'arche  :  car  huit 
est  le  nombre  de  la  régénération 
et  de  la  vie  éternelle  . 

Melchisédech,  grâce  au  Ca- 
non de  la  Messe,  où  son  nom  figure,  est  devenu  le  plus  célèbre  de  tous  les 
types  de  Jésus-Christ'.  La  Bible,  qui  en  parle  avec  tant  de  mystère,  nous  dit 
de  lui  qu'il  était  à  la  lois  pontife  et  roi  :  daw  litre-  qui  ne  conviennent  qu'à 
Jésus-Christ.  Enfin,  en  offrant  le  pain  et  le  vin  à  Abraham,  Melchisédech 
annonce,  dès  les  premiers  jours  du  monde,  le  sacrifice  divin  que  Jésus  viendra 
plus  tard  instituer1.    L'idée  mystique  qu'éveille  le  nom  de  Melchisédech  a  de 


Fie    S  !.  —  Melchisi  dec  el    Abraham    Reims  . 


I  sur  i.t  plaque  du  \n     sièc 


'   Isidore  de  Séville,  Allegor.,   col.  99 

-'  Noé,  avec  son  arche,  se  voil  à  Amiens    fig     ;-: 

Isidore,  Allegor  .  col.  102 
1  Melchisédech  est  représente    .'1   Chartres,    .'1  Amiens  el  à  Reims  à   l'intérieur  di    la  calli  ii.nl 

central    ûg.  83 

■'   Isidore,  Allegor.,  col.  10  i. 


,88  L'ART   RELIGIEUX    DU   XIII"  SIECLE 

liés  heureusement  exprimée  par  l'artiste  de  Chartres  :  il  a  mis  sur  le  Iront  de 
l'antique  roi  de  Salem  une  tiare  bordée  d'une  couronne  et  lui  a  fait  porter  à 
la  main  un  ealiee.  L'artiste  de  Reims  a  encore  été  plus  audacieux  :  il  nous  montre 
Melchisédech  présentant  à  Abraham  le  pain  sous  la  forme  d'une  hostie1  (fig.  8  >  . 

Abraham  qui,  a  Chartres,  à  Reims,  a  Amiens,  a  Senlis,  est  toujours  repré- 
senté levant  le  couteau  sur  son  fils  lsaac"'.  est  une  figure  trop  claire  pour  qu'il 
soit  nécessaire  d'y  insister.  Il  suffit  de  faire  remarquer  qu'ici,  ce  n'est  pas 
Abraham  qui  symbolise  Jésus-Christ,  mais  lsaac.  A  Chartres,  sous  le  socle  qui 
porte  Abraham  et  lsaac,  cm  distingue  un  bélier.  Suivant  le  récit  biblique,  en 
effet,  le  patriarche  trouva  un  bélier  retenu  par  les  cornes  au  milieu  d'un  buis- 
son, cl  il  l'immola  à  la  place  de  son  lils.  L'épisode  du  bélier  fut  jugé  mystérieux 
par  les  commentateurs,  qui  y  virent  une  ligure  nouvelle  du  sacrifice  de  Jésus- 
Christ.  Les  cornes  du  bélier  qui  le  retenaient  suspendu  au  buisson  devinrent 
un  symbole  des  deux  bras  de  la  croix,  et  les  épines  où  sa  tête  s'embarrassait 
turent  considérées  comme  une  allusion  à  la  couronne  d'épines  . 

Le  patriarche  Joseph  préligure  Jésus-Christ,  non  pas  par  un  acte  isolé  de  sa 
vie,  mais  par  sa  vie  entière,  Isidore  de  Séville  se  contente  de  faire  remarquer 
eu  gros  qu'il  a  été  trahi,  comme  Jésus,  par  sa  famille,  et  qu'il  a  été,  comme 
lui,  accueilli  par  une  nation  étrangère'.  C'en  serait  assez,  pour  expliquer  la  pré- 
sence de  la  statue  de  Joseph  au  porche  de  Chartres''.  Mais  le  xme siècle  ne  s'est 
pas  contenté  du  rapprochement  un  peu  vague  d'Isidore  de  Séville,  et  il  a  poussé 
jusque  dans  le  détail  la  comparaison  entre  Joseph  et  Jésus.  Un  vitrail  de 
Bourges,  par  exemple,  représente  quelques  scènes  typiques  de  la  vie  de  Joseph. 
Il  serait  permis  de  n'y  voir  qu'un  simple  récit,  si  les  sept  Etoiles  qui  dominent 
toute  la  composition,  et  qui  sont  comme  le  blason  de  Jésus-Christ,  ne  nous 
avertissaient  que  cette  vie  île  Joseph  n'est,  dans  la  pensée  de  l'artiste,  qu'une 
figure  de  celle  du  Sauveur6.  On  ne  peut  guère  douter  de  l'intention  de  l'auteur 

1    Ir  m  crois  pas  i]u'uii  puisse  douter  que  le  prêtre  qui  fait  communiquer  un  guerrier  (statues  intérieures 
de  la  cathédrale  de  Reims,  portail  du  milieu,  dans  le  bas   ne  soit  Melchisédech.  Il  ne  faul  pas  s'étonner  1 1  < ■ 
voir  Abraham  \ùlu  comme  un  chevalier  du  xin°  siècle.  Le  psautier  de  saint  Louis    Bibl.  Nat.,  m  s.  lai    i  <  >  ">  ■  "> 
ihiiis  le  montre  sous  cel  aspect. 
Le  couteau  csl  souvent  brisé. 
Glose  ordin.  .  lilj.  Gènes.,  cap.  xxn,  \ .  o-  i  i 

•   Isidore,  Allegoi:,  col.    [07. 

"  Porche  septentrional,  Malin-  de  la   baie  de  droite. 

"   Vitraux  de  Bourges,  pi.  X.  Le  P.   Cahier  a  parfaitement  vu  que  le    vitrail  de  Bourges   était  au   lnuil 
s^  mbolique. 


LE   MIROIR   HISTORIQUE  —  L'ANCIEN   TESTAMENT  189 

<lu  vitrail  tic  Bourges,  quand  ou  a  lu  les  chapitres  de  la  Glose  ordinaire  consa- 
crés à  Joseph'.  Il  est  donc  légitime  tic  penser  que  le  songe  de  Joseph,  qui  est 
représenté  toul  il  abord  dans  le  vitrail,  est.  conformément  à  l'exégèse  du  temps, 
une  allusion  au  règne  tic  Jésus-Christ.  Joseph,  en  effet,  rêve  que  le  soleil  et  la 
lune  l'adorent,  parce  qu'il  a  été  dit  au  Sauveur  :  h  La  lune  et  le  soleil  t'adore- 
ront et  toutes  les  étoiles.  »  Ses  frères  s'irritent  contre  lui  quand  il  leur  raconte 
son  rève,  comme  les  Juifs,  parmi  lesquels  Jésus  était  ne  et  qu'il  appelait  ses 
frères,  s'irritèrent  contre  leur  Sauveur.  Joseph,  qu'on  \<>it  dans  les  autres 
compartiments  tic  la  verrière  dépouillé  tic  son  manteau,  jeté  dans  la  citerne, 
et  vendu  trente  deniers  aux  marchands  d'Ismaël,  figure  successivement  la 
trahison,  la  Passion  et  la  mort  de  Jésus.  Le  manteau  qu'on  lui  arrache,  c'est 
I  humanité  que  le  Sauveur  avait  revêtue  et  dont  on  le  dépouilla  en  le  faisant 
mourir  sur  la  croix.  La  citerne  où  on  jette  Joseph  après  lui  avoir  enlevé  sa 
robe,  ce  sont  les  Limbes,  où  Jésus  descend  après  sa  mort.  Enfin,  les  trente 
deniers  que  paient,  pour  acheter  Joseph,  les  marchands  ismaélites,  rappel- 
lent les  trente  deniers  de  la  trahison.  L  histoire  de  Joseph  et  tic  la  femme  tic 
Putiphar,  que  montrent  les  médaillons  suivants,  est  une  nouvelle  allusion  à 
la  Passion  tic  Jésus-Christ.  La  femme  de  Putiphar  est  la  Synagogue  accou- 
tumée à  commettre  l'adultère  avec  les  dieux  étrangers;  elle  cherche  a  séduire 
Jésus,  qui  repousse  sa  doctrine  et  qui  enfin  laisse  entre  >es  mains  son  manteau, 
c  est-à-dire  son  corps,  dont  il  se  dépouilla  sur  la  croix.  Le  triomphe  tic  Joseph, 
i|ui  couronne  le  vitrail,  figure  la  victoire  de  Jésus  sur  la  mort  et  son  éternelle 
10 \  au  té. 

Tel  est  le  m'hs  cache  du  vitrail  tic  Bourges.  Là  où  le  peuple  ne  voyait  qu'une 
histoire  touchante,  le  théologien  reconnaissait  un  symbole. 

.Moïse  est  après  Joseph  une  des  figures  les  plus  caractéristiques  île  Jésus- 
Christ".  11  apporta  la  première  Loi  aux  Juifs,  comme  Jésus  apporta  la  seconde. 
Au>si  est-il  représente  les  laides  tic  la  Loi  a  la  main,  à  Chartres,  a  lleims,  .1 
Amiens.  Une  foule  tic  traits  tic  son  histoire  taisaient,  tl  après  les  Pères,  pres- 
sentir Jésus-Christ  :.  Les  sculpteurs  n'en  ont  guère  retenu  qu  un  seul  :  I  érection 

1    Close  tirJiii  .   1  i I j .  Gènes.,   cap.    xxvn    H    suiv.    —    Les  miniaturistes,    •!•■  leur    côté,    rappruclicnl    foi 
mellement   la   vie   de  Joseph  de   celle  de  Jésus-Christ.   Voir  Uibl.  X.u  .  uis    laliu  9361,  1     1  1  el  sui\     \n    1  1 
Mil     Mcile-  . 

-'  Isidore,  ALlegur.,  col.   [09. 

:   Isidore  de  Séville  .1  rapproché  longuement  la  vie  de  Moïse  de  celle  de  lésus  Chris!  dans  ses     1 
m  vet.    Testant     m  I  1  n,l  ,  /  es'itic 


igo  L'ART  RELIGIEUX   DU  XIIL    SIECLE 

du  serpent  d'airain.  Tous  lui  mettent  à  la  main  une  colonne  portant  à  son 
sommet  un  dragon  ailé l. 

David  et  Salomon  furent  encore  des  figures  1res  populaires  de  Jésus-Christ. 
Les  raisons  en  sont,  comme  toujours,  très  nombreuses.  Quelques-unes  cepen- 
dant ont  paru  décisives  aux  artistes  du  xin'  siècle.  A  Chartres  et  à  Amiens,  ils 
ont  voulu  rappeler  surtout  que  le  sacre  de  David  par  Samuel  était  une  figure 
d'un  sacre  plus  auguste,  du  sacre  de  celui  qu'on  appelait  «  l'oint  du  Seigneur  ». 
A  Amiens,  on  voit  Samuel  versant  l'huile  sur  le  front  de  David2,  tandis  qu'à 
Chartres  on  voit  simplement  la  statue  de  Samuel  près  de  celle  de  David. 

Quanta  Salomon,  on  a  rapproché  non  sans  raison,  à  Chartres,  à  Amiens  et 
à  Reims3,  sa  statue  de  celle  de  la  reine  de  Saba.  On  voulait  signifier  par  là  que, 
conformément  à  la  doctrine  ecclésiastique,  Salomon  figurait  Jésus-Christ,  et  la 
reine  de  Saba  l'Eglise  qui  accourt  des  extrémités  du  monde  pour  entendre  la 
parole  de  Dieu'. 

Voilà  quelques-uns  des  types  les  plus  célèbres  de  Jésus-Christ  :  ce  sont  ceux 
que  le  moyen  âge  a  représentés  avec  le  plus  de  grandeur.  Mais  il  ne  serait  pas 
difficile  d'en  citer  beaucoup  d'autres.  Il  y  a  tout  lieu  de  supposer,  par  exemple, 
que  les  scènes  de  la  vie  de  Job,  de  Tobie,  deSamson,  de  Gédéon,  qui  remplissent 
les  voussures  et  le  tympan  de  la  baie  de  droite  au  portail  septentrional  de  Char- 
tres, ont  été  représentées  avec  l'intention  d'honorer  Jésus-Christ  dont  ces  per- 
sonnages bibliques  sont  des  figures.  Job  est,  par  ses  souffrance  et  sa  victoire, 
le  type  de  la  Passion  et  du  triomphe  de  Jésus-Christ5.  Gédéon  l'est  aussi,  mais 
pour  des  raisons  plus  mystiques.  La  victoire  qu'il  remporta  avec  ses  trois  cents 
compagnons  préfigure  la  victoire  que  le  Sauveur  remportera  en  mourant  sur  la 
croix,  parce  que  le  nombre  trois  cents  (T),  nous  l'avons  vu,  est  l'hiéroglyphe 
même  de  la  croix  B. 

1  A  Chartres,  Reims,  Amiens  (portail  Saint-Honoré  .  Sentis  [le  serpent  a  disparu). 

-  Portail  Saint-Ho ■'. 

:  A  Amiens,  la  statue  de  Salomon  et  celle  de  l.i  reine  de  Saba  ne  se  trouvent  pas  au  portail  Saint-Honoré, 
mais  à  la  haie  de  droite  tlu  portail  occidental.  —  A  Chartres,  les  deux  statues  sont  à  la  baie  de  droite, 
p.. iiail  septentrional.  — A  Reims,  en  pendant,   façade  occidentale,  baie  «lu  centre,  contreforts. 

'•   l.a  visite  de  la  reine  de  Saba  à  Salomon  fui  aussi  considérée  au  moyen  âge  comme  une  figure  de  1  - < ■  J ■  • 
ration  des  Mages.  La  reine  de  Saba,  qui  vienl  de  l'Orient,  symbolise  les  Mages;  le  roi  Salomon,  assis  sur 
son  trône,  symbolise   la  Sagesse  éternelle  assise    sur  les  genoux  de    Marie.   (Ludolphe  le  Chartreux,    Vita 
Ckristi,  cap.  \i     C  est  pourquoi  à  la  façade  de  Strasbourg  (portail  central,  gable)  on  voil  Salomon  sur  sou 
trône  gardé  par  douze  lions,  et  au-dessus  la  Vierge  portant  l'enfant  sur  ses  genoux. 

■    Isidore,  Allegov  .  col    108. 

'     llild  .col     III 


LE    MIROIR    HISTORIQUE    —    L'ANCIEN    TESTAMENT  [91 

Tobie,  qui  rend  la  vue  a  son  vieux  père,  c'est  Jésus-Christ  qui  apporte  la 
lumière  au  peuple  de  Dieu  devenu  aveugle1.  Quant  à  Samson,  nous  avons  déjà 
dit  comment  on  le  considérait  d'ordinaire  comme  le  type  de  Jésus  vainqueurde 
la  mort. 

Il  apparaît,  par  ces  exemples,  que  les  chrétiens  du  moyen  âge  avaient  l'âme 
toute  pleine  de  Jésus-Christ  :  c'est  lui  qu'ils  cherchaient  partout,  c'est  lui  qu'ils 
voyaient  partout.  Ils  lisaient  son  nom  à  toutes  les  pages  de  l'Ancien  Testament. 
Ce  genre  de  symbolisme  donne  la  clef  de  beaucoup  d'oeuvres  du  moyen  agi 
qui,  sans  lui.  demeureraient  inintelligibles.  Nous  ne  parlons  pas  seulement  des 
œuvres  d'art,  mais  de  telle  composition  littéraire  célèbre.  Les  habitudes  symbo- 
liques  du  moyen  âge  peuvent  seules,  par  exemple,  expliquer  l'économie  d'une 
œuvre  aussi  décousue,  en  apparence,  que  le  Mistère  du  I  iel  Testament*.  Pour- 
quoi les  poètes  inconnus  du  xv  siècle  qui  composèrent  cet  immense  drame 
sacré  n'ont-ils  pas  cru  devoir  donner  la  même  importance  à  toutes  les  parties 
de  l'Ancien  Testament,  pourquoi  ont-ils  choisi  tel  personnage  plutôt  que  tel 
autre? Pourquoi  nous  parlent-ils  surtout  d'Adam,  de  Noé,  d'Abraham,  de  Joseph, 
de  Moïse,  de  Samson,  de  David,  de  Salomon,  de  Job,  de  Tobie.  de  Suzanne,  de 
Judith  et  d'Esther?  C'est  évidemment  parce  que  ces  héros  et  ces  héroïne- 
bibliques  étaient  les  figures  les  plus  populaires  de  Jésus  et  de  Marie.  Les  auteurs 
d'ailleurs  n'ont  pas  voulu  nous  laisser  ignorer  leurs  intentions,  et.  au  commen- 
cement de  l'histoire  de  Joseph,  ils  ont  fait  dire  par  Dieu  le  Père  lui-même  que 
tous  les  malheurs  des  patriarches  n'étaient  que  des  ligures  des  souffrances 
réservées  à  son  fils  ;.  Le  mystère  tout  entier  est  donc  ordonné  comme  un 
portail  de  cathédrale.  Les  personnages  du  drame  sont  ceux-là  mêmes  qui  ont 
été  représenté-,  pour  des  raisons  analogues,  à  Chartres  ou  à  Amiens   . 

Tous  les  arts  concouraient  donc,  au  moyen  âge.  à  donner  au  peuple  le 
même  enseignement  religieux. 

1  Isidore,  Allegor.,  col.    1 16 

-  Mistère  du  Viel  Testament,  publié  par  la  Société  des  anciens  textes  français,  6  78-9 1 . 

'  est  seulement 
Pour  figurer  les  Escriptures 
Et  monstrer pi      -'    >ses  figures 
L'envye  que  les  Juifs  auront 
Su  -  mon  fils 

1  Dialogue  entre  Dieu  et  M  .t.  II.  v.  i6g36  e(  - 

■  Ne  pas  oublier  qu'à  Chartres,  comme  dans  le  Mistère  du    1 
de  Samsou,  de  Tobie  et  de  Gédéon,  celle  de  Judith  el  d"Esther  (porche  si  ptentrional,  portail  de  droite' . 


,ni  L'ART    RELIGIEUX    DU   XIII0  SIECLE 


V 

Apres  les  patriarches  cl  les  mis  qui  figurèrent  Jésus-Clirisl  par  leur  vie,  le 
moyen  âgea  représenté  les  prophètes  qui  l'annoncèrent  par  leur  parole.  C'étaient 
là  les  ligures  les  plus  extraordinaires  de  l'Ancien  Testament.  Ces  inspirés  que 
Dieu  arrache  à  leurs  troupeaux  et  à  leurs  sycomores,  qui  luttent  avec  l'esprit. 
qui  se  sentent  saisis  aux  cheveux,  qui  crient  :  a  Seigneur,  Seigneur,  je  ne  sais 
que  bégayer  !  »,  qui,  vaincus  par  une  force  inconnue,  se  tiennent  aux  portes  des 
villes  pour  annoncer  des  calamités  inouïes,  qui  prophétisent  du  fond  des 
citernes,  qui  rasent  leurs  cheveux  et  leurs  sourcils,  déchirent  leur  manteau. 
marchent  nus  dans  le  désert,  ces  voyants  surhumains  étaient  bien  faits  pour 
inspirer  le  génie  des  grands  artistes  du  xni'"  siècle.  Il  faut  avouer  pourtant  que 
le  seul  Michel-Ange  a  su  nous  en  tracer  une  image  profondément  émouvante. 
Seul,  ce  génie  vraiment  biblique  a  su  exprimer  les  espérances  et  les  terreurs 
de  l'ancien  monde:  seul,  il  a  su  rendre  la  tristesse  infinie  de  Jérémie,  qui  laisse 
douloureusement  tomber  sa  tète  sur  sa  main,  ou  l'enthousiasme  du  jeune 
Daniel,  qui  sent  le  souille  de  l'esprit  soulever  ses  cheveux.  Le  moyen  âge  n'a 
rien  tenté  de  pareil  '. 

En  représentant  les  prophètes,  les  graves  artistes  du  xin"  siècle  voulurent 
faire  encore  une  œuvre  dogmatique.  Ils  furent  uniquement  préoccupés  d'expri- 
mer cette  vérité  théologique,  que  les  prophètes  sont  les  apôtres  de  l'Ancienne 
Loi,  et  qu'ils  ont  annoncé  les  mêmes  choses  sousunc  forme  à  peine  différente. 
Partant  de  là  ils  opposèrent  dans  les  vitraux  de  l'abside  de  Bourges,  par 
exemple,  aux  douze  apôtres  et  aux  quatre  évangélistes,  les  quatre  grands  pro- 
phètes et  les  douze  petits '.  lis  leur  donnèrent  la  même  tunique,  le  même  livre, 
le  même  nimbe  qu'aux  apôtres  :  ils  ne  les  distinguèrent  que  par  le  bonnet 
conique  des  Juifs  qu'ils  mirent  sur  quelques  tètes  de  prophètes  .  Il  semble 
qu'ils  aient  voulu  inviter  les  fidèles  à  faire  eux-mêmes  le  rapprochement.  —  Si 
peu  caractéristiques  que  soient  ces  images,  elles  n'en  laissent  pas  moins  une 
impression  profonde.  Les  prophètes  des  vitraux  de  Bourges,  d'un  aspect  mono- 
tone, d'un  dessin  rude  et    sauvage,   qui    parait  grandiose  à  une  telle    hauteur. 

1  N'oublions  ]>.is  pourlanl  les  admirables  figures  de  prophètes  'lu  Puils  'I'-  Moïse  à  Dijon. 
Voir  Vitraux  de  Bourges,  planches  \\.  XXI,  XXII. 
Suc  [es  vitraux  de  Chartres  on  est  allé"  jusqu'à  les  représenter  les  pieds  nus  comme  les  apôtres. 


LE   MI  KOllï    HISTORIQUE   -      L'ANCIEN   TESTAMENT  i93 

apparaissent  comme   une  solennelle  assemblée   de   témoins.    On   lil    sous  leurs 
pieds  leurs  noms  :  Amos,  Joël,  Nahum,  Sophonias...  et 
ces    noms  eux-mêmes   qui    viennent   dune   antiquité   si 
lointaine,    semblent  rendre  leurs  grandes  figures  encore 
plus  mystérieuses. 

Cette  façon  de  concevoir  le  rôle  des  prophètes  expli 
que  pourquoi  le  moyen  âge  s'est  peu  soucié  de  leur  don- 
ner une  physionomie  individuelle  :  il  ne  les  considéra  il 
que  comme  l'ombre  des  apôtres.  L'éton- 
nante poésie  des  livres  prophétiques 
touchait  moins  les  hommes  de  ce  temps- 
là  que  les  commentaires  qu'en  avaient 
faits  saint  Jérôme,  Walafried  Strabo  ou 
Rupert.  Ils  pensaient  que,  sans  Jésus- 
Christ,  dont  il  faut  savoir  lire  le  nom  à 
chaque  ligue,  les  lamentations  de  Jéré- 
mie,  ou  les  malédictions  d'Ezéchiel  se- 
raient des  œuvres  insipides  et  vides  de 
sens.  Ils  traitaient  donc  les  prophètes 
comme  des  symboles  qui  ne  prenaient  de 
valeur  qu'autant  qu'ils  étaient  rapprochés 
de  Jésus  et  de  ses  apôtres. 

Le   portail   Saint-Honoré,  à   Amiens, 
est  une  des  rares  œuvres  du   xiii"  siècle 
où   l'on    se    soit   appliqué   à    caractériser    quelques-uns 
des    prophètes     (fig.    82).   Encore   ces  traits   distinctifs 
sont-ils  empruntés  moins  à  leurs  œuvres  qu'à  leur  histoire 
légendaire.  On  voit  Isaïe,  la  tète  fendue,   martyrisé  par 
ses  bourreaux,  tandis  que  Jérémie,  étendu   à    terre,  est 
lapidé.    On   peut   reconnaître   encore    Daniel   défendant 
Suzanne   accusée  par  les  vieillards,  et  Osée  donnant   la      M      s.    _    (  ,.   ,,,.,>,, ii,t„ 
main  à  la  prostituée  symbolique  qu'il  épousa2.   L'artiste        Amos  (fragment  du  vitrail 

du  Mans]  . 

D'après  Bûcher 
1  On  peut  encore  citer  quelques  figures  de  la  cathédrale  « I < ■  Reims    statues 
de  l'intérieur,  au  revers  du  portail  central);  on  voit  Sophonie  avec  une  lanterne,  Abacuc  portant  la  crèche. 
-'  Le  second  cordon  de  la  figure  82,  en  commençant  par  la  gauche,   110119   montre,  de  bas  en  haul    1 


L'ART    RELIGIEUX    TU'    XIII'    SIECLE 


s'est  inspire  ici  de  petits   manuels  historiques  d'un    usage  courant  où    étaient 
résumées  toutes  ces  légendes  qui   remontaient  à  la   pins  liante  antiquité.  Je  ne 

doute  pas  que    le  court  traite    De  ortu  et  obitu 
Pntrum,  attribué  à  Isidore  de  Séville,  ne  soit  la 
principale  source  de  tout  ce  que  le  moyen  âge 
racontait  des  Prophètes1.  Cette  espèce  de  Dic- 
tionnaire  biographique,    où   l'histoire  et   la  lé- 
gende se  mêlent,  est  un  résumé    1res  bref  de  la 
vie    et  de  la  mort  des  héros   bibliques.   Les  lé- 
gendes  apocryphes  des  Juifs,  que  saint  Jérôme 
avait  tant  contribué  à   faire  connaître  à  I Occi- 
dent, surtout  par  ses  lettres  au  pape  Damase,  \ 
sont  reçues    au   même  titre  que  les  faits  histo- 
riques les  mieux  établis.  C'est  là  que  nous  appre- 
nons qu'Isaïe   fut  coupé  en  deux  avec  une  scie, 
sous  le  règne  de  Manassé,  et  que  Jérémie,  cap- 
tif en    Egypte,   fut    lapidé   par  des  hommes    et 
par   des   femmes,  près  de  la  ville  de  Taphnas. 
Ces  légendes,  résumées  dans  le  livre  d'Isidore, 
firent  fortune    au  moyen  âge.   On  les  retrouve 
au  xiic  siècle  dans   le  livre  de  Pierre  Comestor, 
la    fameuse    Histoire  scolastique  -'.   où   presque 
toutes  les  traditions  viennent  aboutir,  et  au  xiti0 
dans  le  Miroir  historique  de  Vincent  de  Beauvais, 
qui    ne    lit  qu'amplifier    l'œuvre  de  Comestor. 
L'iconographie  doit  du  reste  peu  de  chose  à  ces 
récits  légendaires.  L'histoire  apocryphe  des  pro- 
phètes esl  loin  d'avoir,  dans  l'art  du  moyen  âge, 
l'importance  de  l'histoire  apocryphe  des  apôtres. 
Le  \in'  siècle  cul  d'ailleurs  une  autre  manière  de  caractériser  les  prophètes. 


Fig.  85.        1  h  prophète  (Reims) 


épousanl  1.  prostituée  symbolique,  Joël  sonnaul  de  la  trompette  el  ai açanl  le  jugement  dernier,   Ain..-. 

voyant  tomber  le  Feu  du  ciel,  Abdias  nourrissant  les  prophètes  qu'il  a  cachés  dans  sa  maison,  Jonas  vomi 
par  la  baleine,  Michéc  forgeant  les  piques  el    les  changeanl  enhoyaux. 

i  rsidoro  de  Si  ville.  Patrol.,  i  I. XXXIII.  col  i  lo  II  faut  compléter  le  traité  De  Ortu  et  Obitu  patrum 
par  I  appendix  X  \ 

'  P.  i  omostor,  Uist.  ,S<  olasl.  Patrol  .  i  CX(  VHT;  voir  la  mort  d'Isaïe,  col.  i/ji/i,  el  la  mort  de  Jérémie, 
col       m 


LE  M  moi  U   UISTOR  iQE  i: 


L'ANCIEN    i  ESTA  M  EN 'J 


"i  ' 


Il  leur  mit  à  la  main  des  phylactères  sur  lesquels  étaient  écrits  quelques  ver- 
sets empruntés  à  leurs  livres1  (fig.  85).  La  parole  prophétique  prenait  ainsi  plus 
d'importance  que  le  prophète  lui-même.  L'artiste  exprimai!  par  là  que  tous  les 
grands  inspirés  de  l'Ancien  Testament  n'étaient  que  des  bouches  sonores  par 
qui  Dieu  avait  parlé.  Les  prophéties, 
peintes  autrefois  sur  les  banderoles 
de  pierre,  ont  disparu  par  l'injure 
du  temps.  Il  est  probable  qu  elles 
étaient  en  rapport  avec  la  place 
qu'on  assignait  aux  prophètes  dans 
les  grandes  compositions  monumen- 
tales. <  )n  peut  croire,  par  exemple. 
que  le  prophète  Isaïe  qu'on  voit  à 
Chartres,  au  porche  septentrional, 
près  de  la  statue  de  la  Vierge,  annon- 
çait, par  l'inscription  de  son  phylac- 
tère, qu'une  (leur  sortirait  de  la 
racine  de  Jessé.  Il  y  avait  longtemps 
que  les  Pères  avaient  classe  les  pas- 
sages des  prophètes  qui  se  rappor- 
taient à  la  naissance,  à  la  vie,  à  la 
Passion,  à  la  mort  de  Jésus-Christ, 
et  l'artiste  n'avait  qu'à  choisir  ceux 
qui  convenaient  à  son  sujet".  .Mais 
le  livre  auquel  les  artistes  semblent 
s'être  référés  de  préférence  est  le 
fameux  discours  Contra  Judœos,  Pa- 
ganos  cl  Arianos,  attribué  à  saint 
Augustin1.  L'orateur  inconnu  fait 
défiler   les   uns  après  les   autres  les 


prophètes  en  leur  faisant  réciter  un  verset 


1   Reims,  galerie  des  prophètes,  .m  midi,  el   ligures  do   l'intérieur  a»  revers  des  portail 

-   l  les  sources  a  pu  être  le  De  fide  calliolica  conlra  Judo-os  d'Isidore  de  Séville.  Patrol.,  t.   LXXXI1I. 

col.  .j  jo.    Les  événements  de    la   \i<'   de  Jésus  < . Ii ii-l  et  les  dogmes  du  christianisme    soûl    rapproclu  s  des 
prophéties  qui   s')   rapportent.  Sur  les  versets  que   les  artistes  donnent   de   préférenci    aux   prophète 
Cahier,  Caraciér.  des  Saints,  t    II.   article  :  Prophètes. 

'■   Patrol.,  I     XI. II.  col.    111-     Cela  esl   vrai  surtoul   des  artistes  romans 


i96  L'AR'J    RELIGIEUX    DU    XIII'    SIÈCLE 

emprunté  à  leurs  «.'livres  et  relatif  à  la  divinité  de  Jésus-Christ.  Le  sermon 
du  pseudo-Augustin,  récité  à  Matines  le  jour  de  la  fête  de  Noël,  était  devenu 
très  célèbre  dans  toute  la  chrétienté.  M.  Marins  Sepet  a  montré,  on  le  sait,  que 
le  drame  liturgique  en  était  sorti1.  Plus  récemment,  M.  Julien  Durand  a  fait 
voir  que  plusieurs  grands  cycles  artistiques  du  moyen  âge  s'y  rattachaient 
également.  Les  prophètes  sculptés  à  Notre-Dame  la  Grande,  à  Poitiers,  ceux  qui 
ornent  la  façade  de  la  cathédrale  de  Ferrare  et  de  la  cathédrale  de  Crémone, 
ont  justement  sur  leurs  phylactères  les  propres  paroles  que  le  pseudo-Augustin 
leur  fait  réciter  -. 

A  Amiens,  où  les  prophètes  sont  rangés  à  la  façade  occidentale,  on  a  eu 
l'idée  ingénieuse  de  remplacer  les  versets,  gravés  ordinairement  sur  des  bande- 
roles, par  de  petits  bas-reliefs  sculptés  au  pied  des  statues  (fig.  80).  On  s'est  donc 
efforcé  de  présenter  sous  une  forme  plastique  quelques-unes  des  prophéties  les 
plus  célèbres  de  la  Bible.  Aux  pieds  de  Sophonie,  par  exemple,  on  voit  le  Sei- 
gneur visitant  Jérusalem,  une  lanterne  à  la  main,  et,  aux  pieds  d'Aggée,  la  terre 
desséchée  et  le  temple  en  ruines  '.  Ces  petites  images,  inscrites  dans  des  quatre- 
feuilles,  sont  naïves  et  pures,  biles  sont  charmantes  comme  les  figures  sur  bois 
si  claires  qui  ornent  les  livres  d'Heures  français  de  la  lin  du  xv°  siècle.  Mais  il 
faut  reconnaître  qu'elles  n'ont  rien  retenu  de  la  grandeur  des  originaux  quelles 
prétendent  traduire.  La  poésie  sans  ombre  de  la  Bible,  éclairée  d'une  lumière 
d'Orient  et  tout  éclatante  de  métaphores,  les  visions  magnifiques  qui  se  suc- 
cèdent devant  les  yeux  du  prophète  avec  la  netteté  effrayante  de  la  réalité 
semblent  très  propres  à  inspirer  l'art,  et  ne  le  sont  pourtant  pas.  Le  rêve  du  pro- 
phète, si  précis  qu'il  soit  parfois,  ne  veut  pas  être  limité  par  des  formes.  Les 
artistes  du  xm"  siècle  en  firent  l'expérience.  Leurs  œuvres  aujourd'hui  nous 
frappent  autant  par  leurs  défauts  que  par  leurs  qualités.  Comment  croire,  par 
exemple,  que  le  sculpteur  d'Amiens  <|ui  a  représenté  Ezéchiel,  la  tète  dans  la 
main,  en  contemplation  devant  une  mesquine  petite  roue  (fig.  87),  ait  eu  la 
prétention  d'illustrer  ce  passage  de  ce  prophète  :  «  Je  regardai  les  animaux,  et 

1  Marius  Sopet,  Les  prophètes  du  Christ.  Paris,  1877,  in-8. 

-  Voir  Julien  Durand,  Bulle l.  Munum..  îtfSS,  p,  Vj  1  el  suiv.  Voici  par  exemple  quelques-uns  des  textes 
(|n  mi  lil  ii  Poitiers  sur  les  phylactères  des  prophètes.  Moisi-  :  0  Prophetarn  dabil  vobis  de  Ira  tribu  s  vestris  0  : 
.li  iv  m  le  :  «  Post  ha;c  in  terris  visus  est  ri  cuiii  hominibus  conversatus  est  >  ;  Daniel  :  «  Cum  venerit  Sanctus 
Sanctorum  cessabit  unctio.  0  11  suffit  de  m-  reporter  au  sermon  du  pseudo-Augustin  pour  reconnaître  que 
..s  textes  sont  bien  ceux  qu'il  assigne  à  chaque  prophète 

La  Ggurc  86  représente  ;i  droite  Abdias,  au  milieu  Joiuis,  .1  gauche  Osée,  Jonas  i->i  chauve  suivant 
une  traditionqui  remonte  aux  byzantins. 


L 13    .Ml  HO  111    HISTORIQUE  L'ANCIEN    L'ESTAME.N'I 


«j: 


Fier.  87.  —  La  vision  d'Ézcchiel    Ar 


voici,  il  v  avait  des  roues  sur  la  terre  près  des  animaux.  A  leur  aspect  et  à  leur 
structure  les  roues  semblaient  être  en  chrysolithc,  et  toutes  les  quatre  avaient 
la  même  forme;  leur  aspect  et  leur 
structure  étaient  tels  que  chaque  roue 
paraissait  être  au  milieu  d'une  autre 
roue.  Elles  avaient  une  circonférence 
et  une  hauteur  effrayantes,  et  à  leurs 
circonférences  les  quatre  roues  étaient 
remplies  d'yeux  tout  autour.  Quand  les 
animaux  marchaient,  les  roues  chemi- 
naient à  coté  d'eux...  Au-dessus,  il  v 
avait  comme  un  ciel  de  cristal  resplen- 
dissant '.  »  Toute  l'horreur  religieuse 
d'une  pareille  vision  disparait  à  l'ins- 
tant où  on  essaie  de  la  représenter. 

Un  peu  plus  loin,  on  remarque  un 
médaillon  qui  représente  un  petit  monument  gothique;  un  oiseau  est  perché 
sur  le  linteau  et  un  hérisson  entre  par  la  porte  ouverte  (fig.  88).  <)n  peux'  à 
quelque  fable  d'Esope,  et  non  au  terrible  passage  de  Sophonie,  «pie  l'artiste 
a  pourtant  eu  la  prétention  de  rendre  :  «  L'Eternel  étendra  sa  main  sur  le 
septentrion.  11  détruira  l'Assyrie,  et  il  fera  de  Ninive  une  solitude,  une  terre 
aride  comme  le  désert.  Des  troupeaux  se  coucheront  au  milieu  d'elle,  des  ani- 
maux de  toute  espèce,  le  pélican  et  le  hérisson  habiteront  parmi  les  chapiteaux 

de  ses  colonnes,  des  cris  retentiront  aux  fenêtres,  la  dévas- 
tation sera  sur  le  seuil,  car  les  lambris  de  cèdre  seront 
arrachés2.  » 

Dans  un  autre  médaillon,  sous  les  pieds  de  Zacharie, 
deux  femmes  ailées  soulèvent  une  autre  femme  assise  sur 
une  chaudière,  et  forment  une  composition  élégante  et  bien 
équilibrée  fig.  8g  ;  mais  qu'est  devenue  l'étrangeté  du 
texte  sacré  :  L'ange  qui  parlait  avec  moi  s'avança  et  d 
me  (.lit  :  «  Lève  les  veux  et  regarde  ce  qui  sort  là.  Je 
Et  il  dit  :  a  C  esl  la  chaudière  ciui  sort,  c  est  leur  ini- 


Fig.  88. —  La  prédiction 
de  Sophonie   Amiens 


répondis  :  «  Qu'est-ce 

1  Ézéchiel,  r,  1 5  et  suiv. 

2  Sophonie,   h,  i  3  el  suiv 


une 


femme  assise  au  milieu.    L'ange  dit 


198  L'ART   RELIGIEUX    DU    XIII1    SIÈCLE 

quité  dans  tout  le  pays.  »  Et  voici,  une  chaudière  de  plomb  s'éleva,  cl  il  y  avait 

a  (lest  l'iniquité...  »  Et  voici,  deux 
femmes  parurent.  Le  vent  soufflait 
dans  leurs  ailes.  Elles  avaient  des  ailes 
comme  celles  de  la  cigogne.  Elles 
enlevèrent  la  chaudière  entre  ciel  et 
terre.  Je  dis  à  l'ange  qui  parlait  avec 
moi  :  «  Où  l'emportent-elles?  »  Et  il 
me  répondit:  «  Elles  vont  lui  bâtir 
une  maison  dans  le  pays  de  Schi- 
néar'.  » 

L'exactitude  de  la  sculpture  dé- 
truit soudain  tout  le  mystère  du  rêve 
prophétique. 

Nos  artistes  du  moyeu  âge,  d'ail- 
leurs, ont  rarement  essayé  de  lutter 
avec  celle  poésie  trop  forte  de 
l'Orient.  <vHii  sait  si  les  sculpteurs 
d'Amiens  axaient  lu  les  originaux  et 
emprunté  leurs  sujets  au  texte  même 
des  prophètes?  On  peut  en  douter.  11 
est  possible  qu'ils  n'aient  connu  les 
prophètes  que  par  de  petits  traités 
semblables  au  DeOrtu  et  obitu  Patrum 
d'Isidore  de  Séville,  où,  à  côté  de 
—  -■■"       —  ~         '  ""-"S^-  BB^^H  leur  vie,  on  pouvait  lire,  très  briève- 

Fig.  89.  -  La  vision  de  Zacharie  (Amiens).  ment  résumés,  les  traits  les  plus  sail- 

lants de  leurs  prophéties".  Ainsi  s'ex- 
pliquerait le  choix  des  petites  scènes  représentées  à  Amiens,  en  même  temps 
que  leur  insuffisance. 


1   Zacharie,  \ .  ')  el  suiv. 

Isidore  de  Séville.  Patrol.,  t.  LXXXIII,  Append.,  XX.  Voir  aussi,  même  volume,  cul.  166  •■!  sui> 
résumé  des  prophéties. 


LE    MIROIR    HISTORIQUE    —    L'ANCIEN    TESTAMENT  19g 


VI 


De  toutes  les  prophéties,  il  n'en  est.  à  vrai  dire,  qu'une  seule  qui  ait  inspiré 
l'art  dune  façon  durable,  c'est  celle  d'Isaïe  sur  le  rejeton  de  Jessé  :  »  Il  sortira 
un  rejeton  de  la  tige  de  Jessé,  et  une  fleur  s'épanouira  au  sommet  de  la  tige,  et 
sur  elle  reposera  l'esprit  du  Seigneur,  l'esprit  de  Sagesse  et  d'Intelligence, 
l'esprit  de  Conseil  et  l'esprit  de  Force,  l'esprit  de  Science  et  l'esprit  de  Piété. 
et  l'esprit  de  Crainte  du  Seigneur  le  remplira...  En  ce  temps-là  le  rejeton  de 
.lessé  sera  exposé  devant  tous  les  peuples  comme  un  étendard1.    > 

Il  suffit  de  consulter  n'importe  quel  commentateur  d'Isaïe  pour  troin  ci-  de  ce 
passage  une  explication  symbolique  qui  n'a  pas  varié  depuis  sainl  .Jérôme  :  Le 
patriarche  Jessé,  écrit  au  xir  siècle  le  moine  Hervé,  appartenait  à  la  famille 
royale,  c'est  pourquoi  la  tige  de  Jessé  signifie  la  lignée  des  rois.  Quant  au  rejeton 
il  symbolise  Marie,  comme  la  Heur  symbolise  Jésus-Christ2.  » 

Les  artistes  du  moyen  âge  ne  se  laissèrent  pas  effrayer  par  un  motif  si 
abstrait  :.  Ils  trouvèrent  pour  rendre  le  texte  d'Isaïe  quelque  chose  de  naît  el  de 
magnifique.  Ils  interprétèrent,  à  la  lettre,  avec  une  candeur  d'enfants,  les 
paroles  du  prophète.  Ils  dressèrent  à  la  façade  des  cathédrales  un  arbre  généa- 
logique assez  semblable  à  ceux  qu'on  voyait  au-dessus  des  cheminées  féodales 
mais  combien  plus  grandiose  !  Combinant  les  versets  d'Isaïe  avec  la  généalogie 
de  Jésus-Christ,  telle  qu'elle  est  rapportée  dans  l'Evangile  de,  saint  Mathieu,  et 
telle  qu'on  la  récitait  le  jour  de  Xoèl  et  le  jour  de  l'Epiphanie',  ils  représen- 
tèrent un  grand  arbre  sortant  du  ventre  de  Jessé  endormi °;  dans  les  branches 
ls  mirent  les  rois  deJuda  et  souvent  leurs  descendants  jusqu  à  la  vingt-huitième 


i 

1    Isaïc,  xi,  i .  2,  10. 

-  Herveus.  Patrol.,  l.  CLXXXI,  roi    i  i". 

'  Il  est  question  pour  la  première  fois  'le  l'arbre  de  Jessé,  comm livre  d'art,  à   la  lin  'In  xi°  siècle. 

Voir  Rohault  il'-  Fleury,  /</  Suinte  Vierge,  i  I.  p  17:  un  texte  |>onrrail  laisser  croire  que  le  motif  a  été 
imaginé  en  Orient. 

'  Voir  Guillaume  Durand,  Ration.,  Iib.  VI,  cap.  \m  cl  \\i 
Pourquoi  Jessé  .'si-il  représenté  endormi  ?  L'abbé  Corblel     Revue  de  luit  chrétien,  1860     en     : 
uni'    raison   très   ingénieuse  :       Ne   serait-ce  point,   «lit-il    page   m),   par  analogie  avec  Adam  qui  dormait 

lorsque  Dieu  tira  Eve  de  son  coté  ?  Une  nouvelle  Eve,  réparatri les  fautes  de  la  première.  <l"ii  sortir  de 

la  raco  de  Jessé.  0  II  ne  rit'-  pas,  il  '■-!  vrai,  '1'-  texte  à  l'appui  de  cette  interprétation  si  conforme  aux 
idées  mystiques  <\u  moyen  âge,  Je  n'ai  pis  réussi  non  pin-  a  en  trouver,  mais  je  no  doute  pas  qu  on  en 
puisse  découvrir. 


L'ART   RELIGIEUX    Kl'    Mil'    SIECLE 


génération;  sur  la  plus  liante  lige,   ils  placèrent  la  Vierge  et  au-dessus  d'elle 

Jésus-Christ;  enfin,  ils  firent  à  Jésus 
une  auréole  de  sept  colombes,  pour 
rappeler  que  sur  lui  s'étaient  reposés 
les  sept  dons  du  Saint-Esprit.  C'était 
\  rai  ment  là  l'arbre  héraldique  du  Christ: 
sa  noblesse  devenait  ainsi  manifeste 
aux  yeux.  Mais,  pour  donner  à  la  com- 
position tout  son  sens,  le  xme  siècle 
mit,  à  côté  des  ancêtres  selon  la  chair, 
les  ancêtres  selon  l'esprit.  Aux  vitraux 
de  Chartres  (fig.  90)  et  de  la  Sainte- 
Chapelle,  on  voit,  auprès  des  rois  de 
Juda,  les  prophètes,  le  doigt  levé, 
annonçant  le  Messie  qui  doit  venir. 
L'art  ici  a  égalé,  sinon  surpassé,  la 
poésie  du  texte  '. 

Les  ancêtres  de  Jésus  furent  repré- 
sentés parfois  d'une  manière  plus 
simple.  Il  y  a,  à  la  façade  de  presque 
toutes  nos  grandes  cathédrales  du 
xme  siècle,  une  galerie  où  sont  rangées 
.  des  statues  colossales  et  qu'on  appelle 
la  galerie  des  rois.  Ces  rois  ne  sont  pas 
les  rois  de  France,  comme  on  l'a  cru  si 
longtemps2,    mais    les   rois    de    Juda. 

1  Le*  arbres  de  Jessé  sont  nombreux  au  xui°  siè- 
cle;  ou  eu  voit  dans  les  voussures  de  plusieurs  por- 
lails  (Laon,  Clin  rires,  Amiens)  el  dans  plusieurs  vitraux 
(Saint-Denis,  Chartres,  Le  Mans,  Sainte-Chapelle). 
Nous  renvoyons  au  catalogue  dressé  par  l'abbé  Cor- 
blel  [Rev.  de  l'art  chrétien,  1860).  A  la  (in  du  moyen 
âge,  l.i  A  ierge  apparaîtra  au  sommet  de  l'arbre  dans  le  calice  d'une  fleur  portant  l'enfant  Jésus  dans  ses  bras. 
-  Guérard,  dans  l'Introduction  du  Cartul.  de  Notre-Dame  de  Paria  [Docum.  inéd.  de  I  kist.  de  France), 
1.  I.  p.  11.  mx.  a  donin;  à  cette  erreur  un  air  de  vraisemblance.  11  rappelle  que  les  noms  des  mis  de  France, 
comme  nous  l'apprend  un  manuscrit  (Bibl.  Nal.,  ms.  Lit. ,  Soai,  iu  47>  v°), étaient  gravés  auxin0  siècle  sur 
la  porte  de  Notre-Dame  de  Paris.  D'après  lui  ces  noms  correspondraient  aux  grandes  statues  de  la  façade. 
I  ne  simple  remarque  détruit  cette  argumentation  :  il  y  a  vingt-huil  statues  de  rois  à  la  façade  île  Notre- 
Dame  el  il  v  avail  sur  la  imite,  de  Clovis  i  saint  Louis,  trente-neuf  noms. 


1  it;    90.  —  L'arbre  de  Jessé  (vitrail  de  Chartres  . 
(D'après  la  monographie  de  Lassus.) 


LE    MIROIR    HISTORIQ1    11  l/ANCIEN    TESTAMENT 

L'erreur  vient  de  loin,  puisqu'un  fabliau  du  mm'  siècle  met  en  scène  un  vilain 
qui  montre  du  doigt  Pépin  et  Charlemagne  à  la  façade  «le  Notre-Dame,  pen- 
dant qu'on  lin  coupe  sa  bourse  par  derrière'.  Nul  doute  que  l'auteur  du  fabliau 


Kig.  91.    -  Jésus-Chrisl    cl  les  dons  'lu  Saint-Espril  (Le  Mans 
D'aprrs  Huchet' 

ne  lût  mieux  renseigné  que  le  vilain,  dont  il  a  voulu  justement  railler  l'épaisse 
sottise. —  La  galerie  des  rois  est  une  autre  forme  de  l'arbre  de  Jessé.  L'étude 
attentive  des  statues  de  rois  qui  ornent  la  façade  méridionale  de  la  cathédrale 
de  Chartres  ne  laisse  aucun  doute  à  ce  sujet.  <  >n  voil  aux  pieds  d  une  statue, 
qui  esi  évidemment  celle  de    David,    le  vieux  Jessé  cl    le-  pousses  de   l'arbre 


1    /..--   .YX/I  mnnièvos  du  vilain.  Voir  aussi  \  i. .  Il  -  1  I .  •  I  >  n .- .  Met    dr  l'tircliil..   1.  II.  |> 


.., 


202  L'ART    RELIGIEUX    DU    Mil'    SIECLE 

symbolique  :  de  sorte  qu'il  est  impossible  de  ne  pas  reconnaître  dans  Les  dix- 
huit  rois  de  Chartres,  dix-huit  rois  deJuda1.  Il  n'est  pas  difficile  uon  plus  de 
remarquer  que  les  vingt-huit  personnages  qu'on  voit  à  la  façade  de  Notre- 
Dame  de  Paris  correspondent  exactement  aux  vingt- 
huit  ancêtres  de  .lésns  que  saint  Matthieu  énumère  de 
Jessé  à  Joseph  \  Ils  portent  tons  la  couronne  et  le 
sceptre,  parce  que,  s'ils  ne  furent  pas  tons  rois,  ils 
lurent  tous  de  race  royale  .  Le  nombre  de  vingt-huit 
n'est  pas  toujours  scrupuleusement  respecté  :  a  la  fa- 
çade d'Amiens,  par  exemple,  il  n'y  a  que  vingt-deux 
rois  '.  En  revanche,  à  Reims,  il  y  en  a  cinquante-six':  ce 
qui  prouve  que  l'artiste  a  adopté  la  généalogie  cle  saint 
Lue,  qui  remonte  au  delà  de  Jessé  jusqu'à  Adam,  et 
qui  donne  justement  cinquante-six  noms  d'Abraham  à 
Jésus6  en  y  comprenant  Jessé  lui-même.  Le  lion  qu'on 
voit  sous  les  pieds  d'un  des  rois  n'est  donc  pas,  comme 
on  l'a  dit7,  le  lion  de  Pépin  le  Bref,  niais  le  lion  de 
Juda. 

Il  est  très  remarquable  encore  que  les  galeries  des 
rois  se  trouvent  justement  à  la  façade  des  cathédrales 
consacrées  à  Notre-Dame,  c'est-à-dire  à  la  façade  des 
cathédrales  de  Paris,  de  Reims,  d'Amiens,  de  Chartres. 

'  Voir  Bulleaiij  i  II.  |>.  ioi.  Il  est  étonnant  que  cette  remarque  n'ait 
pas  éclairé  l'abbé  Bulteau  mu-  la  signification  de  La  galerie  des  rois  à  la 
façade  occidentale;  voir  l.  II.  p.  16.  —  M.  C.  Durand,  qui  a  repris  ré 
cemmenl  la  vieille  thèse  des  rois  de  France  [Cathédrale  d'Amiens)  el  qui 
;i  discuté  m>>  arguments,  ne  parle  pas  de  celui-là,  qui  est  pourtant  déci- 
sif. Il  est  impossible  de  nier  que  les  dix-huit  rois  de  Chartres  ne  soirui 
des  rois  'le  Juda.  Or,  ces  rois  de  Chartres  sont  pareils  à  ceux  d'Amiens 
cl,  comme  eux,  portent  des  gants:  détail  i|tii  avait  fait  croire  a  M.  Du- 
rand que  1rs  rois  ,1  Amiens  ne  pouvaient  être  '1rs  personnages  bibliques. 
1  Les  statues  .1.-  Notre-Dame  de  Paris,  brisées  pendant  la  Révolution,  oui  été  refaites. 

;  Saiiii  Matthieu  ne  noi :  que  quinze  rois,  mais  1rs  artistes  donnèrent  le  costume  royal  a  un  bien  plus 

grand  nombre  de  personnages.  Par  exemple,  I  arbre  de  Jessé  .lu  portail  .1  Amiens  (baie  centrale,  voussures, 

7'  cordon    nous  utre  vingt-quatre  rois, 

i    L'un  de  ces  rois  que  nous  reproduisons  (fig    9a    porte  à  la  main  une  pou*sr  de  l'arbre  de  .Irss,-.  1  .•■  1 1 , 
branche  ne  saurail  être  un   sceptre  royal  stylisé. 
■■   Voir  Cerf,    Votre  Dame  de  Reims,  1    11.  p.  1G9. 
•■   1 ,11c,  m,    i3  el  suiv, 
'  Cerf,  Études  sur  quelques  statues  de  lieims   Reims,   1886.  in-8, 


..— 


l'ig.  g  i.  Uni  de  Juda  tenant 
nue  pousse  de  l'arbre  de 
Jessé    Amiens  . 


LE   MIROIR   HISTORIQUE  L'ANCIEN   TESTAMENT  io3 

()n  peut  croire  que  ces  ancêtres  royaux  sont,  là  au  moins  autanl  pour  honorer  la 
Vierge  que  pour  honorer  son  lils.  Le  moyen  âge  admettait,  en  effet,  que  la  gé- 
néalogie donnée  par  saint  .Matthieu  ('lait  à  la  fois  celle  de  Joseph  cl  celle  de  la 
\  ierge.  Guillaume  Durand  nous  l'explique.  Les  hommes  de  la  famille  de  David, 
dit-il,  ne  pouvaient  se  marier  hors  de  cette  famille  royale,  de  sorte  que  ré- 
ponse avait  les  mêmes  ancêtres  que  l'époux1.  Il  semble  évident  que  les  rois 
de  Juda  ont  été  admis  à  décorer  la  façade  des  cathédrales  consacrées  à  Notre- 
Dame  surtout  à  titre  d'ancêtres  de  la  Vierge. 

Tel  est  le  beau  développement  qu'a  pris,  dans  l'art  du  xm'  siècle,  la  pro- 
phétie d'Isaïe.  Les  rois  de  Juda  «le  la  façade  des  cathédrales  marquenl  connue 
les  dates  de  1  histoire  du  monde  et  symbolisent  l'attente  des  générations. 

On  voit  quelle  place  les  prophètes  et  leurs  prophéties  ont  tenue  dans  I  ima- 
gination des  hommes  du  moyen   âge.  Les  voyants  d'Israël    lurent  pour  eux  les 
plus  graves  des  témoins.   Ils  aimaient  à  les  ranger  à  la  façade  ou  au  porche,  ci 
à  leur  mettre  aux  mains,  sur  des  phylactères,  les  preuves  de  la   mission   divine 
de  Jésus-Christ.  Le  peuple,  qui  ne   savait  pas  lire,  n'aurait  pas  clé  embarrassé 
pourtant    pour    dire    quelles    paroles    ils    déroulaient    sur    leurs    banderoles. 
Le  peuple    du    moyen    âge,  en  effet,    connaissait    familièrement    les    prophètes. 
Chaque  année,   au    temps   de    Noël    ou    de    l'Epiphanie,    il   les    voyait  défiler 
sous  la  figure  de  vieillards  à    barbe  blanche,  vêtus  de   longues  robes.  La  pro- 
cession entrait  dans  la  cathédrale,  et  chaque  prophète,  à   l'appel  de  son  nom. 
venait  rendre  témoignage  à   la  vérité,  et  récitait  un  verset",    haïe  parlait  de  la 
tige   qui     sortirait   de    la    racine    de  .lessè.   Abacuc    annonçait    qu'on    viendrait 
reconnaître    l'enfant  entre   les  t\ru\  animaux.   David    prophétisait    le  règne  uni- 
versel   du    Messie,    le   vieillard    Siméon    remerciait   Dieu  d'avoir  vu    le  Sauveur 
axant    de  mourir.    Les   Gentils    même   étaient  appelés   en   témoignage.   Virgile 
venait  dire  un  vers  de  sa  mystérieuse  églogue  ',  la  Sibylle  chantait  son  cantique 
acrostiche  sur  la  lin   des   temps.    Nabuchodonosor   proclamait   qu'il    avait    vu 
le  Lils  de  Dieu  au  mi  lieu  des  lia  m  mes  de  la  ton  niaise  .  lialaam.  enfin,  s'avançait 
monté  sur  son  ànesse,  et  annonçait  qu'une  étoile  se  lèverai!  au-dessus  de  Jacob. 


1  Ration  .  lili    VI .  cap  *\  n 

2  Voir  Marins  Sopet,  Les  Prophètes  du  Christ. 

i  in  voyait   el  "n  entendait  beaucoup  '1  autres   prophètes      Moisi  .   Aaron,  Jéré Daniel, 

Abdias,  Jonas,  Michéc,  Nahum.  Sophonie,  Aggée,  Zacharie,  Siim  on,  I  lisabi  th.  sa  ul  li  an-B  iptisle. 
•   .l.iin  nova  progenies  cœlo  demittitur  alto, 
■'■  On  voyail  une  fournaise  nl!i ;e  dans  1  église. 


20  | 


L'A  RT  il  i:  m  ci  ici  \  ni    \  1 1 1'  si  i;ci.i: 


L'âne  lui-même  avait  son  rôle.  Il  attestait  par  sa  présence  que  l'esprit  de  Dieu 
parle  parfois  par  la  bouche  des  | >  1 1 1  —  humbles,  cl  que  l'œil  de  la  bête  peut  voir 
l'ange  invisible  à  l'oeil  de  l'homme. 

Tous  les  prophètes  que  les  fidèles  avaient  vus  défiler  devant  leurs  yeux  dans 
l'église,  ils  les  reconnaissaient  au  portail.  Celte  procession,  d'où  est  sorti  le 
drame  religieux,  et  qui  est  déjà  elle-même  un  drame,  n'est  pas  sans  doute  sans 
avoireu  quelque  influence  sur  l'art.  Les  artistes  y  assistaient,  mêlés  à  la  foule; 
ils  admiraient  comme  les  autres,  cl  il  leur  était  probablement  bien  difficile  de 
se  figurer  les  prophètes  autrement  qu'ils  les  axaient  vus  ce  jour-là.  On  peut 
croire  que  les  belles  statues  de  Reims  ou  d  Amiens  reproduisent  quelque  chose 
du  costume  et  de  l'aspect  des  acteurs  sacrés.  Les  indications  des  manuscrits 
sont  malheureusement  trop  sommaires1.  Les  renseignements  sur  le  vêtement  cl 
les  attributs  des  personnages  tics  Mystères  ne  deviennent  précis  qu'à  une 
époquebien  postérieure  à  celle  dont  nous  nous  occupons,  .le  ne  doute  pas,  par 
exemple,  que  les  costumes  magnifiques  des  prophètes  d'Auch"  ou  d  Albi  .  man- 
teaux merveilleux  semés  de  larges  fleurs,  turbans  orientaux,  chapeaux  fastueux 
d'où  pendent  des  poires  île  diamant  et  des  chaînes  de  perles,  ne  soient  un  sou- 
venir de  quelque   représentation  de  Mystère4. 

Telle  est  la  forte  unité  du  moyen  âge  :  le  culte,  le  drame,  l'art  donnent  les 
mêmes  leçons,  rendent  manifeste  la  même  pensée. 


Vil 


Il  résulte  de  tout  ce  qui  précède  que  le  moyen  âge  lui  moins  sensible  aux 
qualités  narratives  et  pittoresques  de  la  Bible  qu'à  sa  signification  dogmatique. 
Le  mu  siècle  était  infiniment  trop  chrétien  pour  ne  chercher  dans  les  récits  de 
la  Genèse  que  d'intéressants  motifs.  Les  épisodes  héroïques  du  Livre  des  .lunes 
ou  du  Livre  des   .Macchabées,  si    bien  faits   pour  plaire  aux   chevaliers  des  croi- 


1    Voir  pourlaiil   Marius  Scpet,  "/'    cit  .  p    ii 

J   11  s  .i^ii  des  fameux  vitraux  d'Audi  [commcnccmeul  "1"  \ >  i    siècle). 

:  Statues  du  pourtour  'lu  chœur,  w   siècle 

1  Sur  l.i  magnificence  des  costumes  j  cette  époque,  voir  Girardot,  Le  Mystère  des  Apôtres  <!<■  Bourges, 

wi1    siècle).   Ann,   archéol.,  i     XIII.   Nous  avons  longi ni    insisté   dans    I   lit   religieux    i/<'  /"  fin  >ln 

moyen  âge  sur  les  rapports  de  l'arl   H  '1rs   Mystères. 


J.  K    MIROIR    HISTORIQUE  L'ANCIEN    TKSTA.MEN'I 

sades,  ne  furent  même  pas  représentés.  Les  charmantes  fresques  de  Benozzo 
Gozzoli  au  Campo  Santo  de  Pise,  ces  belles  vignes  italiennes  où  vendange  Xoé, 
cette  tour  de  Babel  qui  s'élève  dans  la  campagne  de  Florence  parmi  les  cyprès 
et  les  orangers,  toute  celte  Bible  aimable  coin  me  un  conte  de  nourrice  eût  sans 
doute  étonné  les  sérieux  artistes  du  moyen  âge.  En  un  tel  sujet,  ils  ne  crurent 
pas  qu'il  fût  possible  de  plaire  :  ils  ne  songèrent  qu'à  instruire.  Leurs  œuvres, 
souvent  gauches,  soûl  toujours  fortes  cl 
pleines  de  sens.  Tout  l'esprit  des  Pères 
de  l'Eglise  est  passé  en  elles. 

Quelques  médaillons  d'un  vitrail  de 
Saint-Denis,  dont  Suger  avait  fourni 
lui-même  les  sujets  et  les  inscriptions, 
résument  d'une  façon  1res  frappante  la 
doctrine  théologique  des  grands  siècles 
du  moyen  âge  à  l'endroit  de  l'Ancien 
Testament.  Les  médaillons  de  Saint- 
Denis  ne  subsistent  pas  tous,  mais  nous 
connaissons  ceux  qui  manquent  par  la 
description  que  Suger  lui-même  nous  en 
a  laissée1.  Trois  surtout  semblent  con- 
tenir   la    pensée    maîtresse    de   l'œuvre. 

Dans  le  premier  fig.  <)  i  .  on  voit  Jésus  portant  sur  la  poitrine  une  espèce 
d'auréole  formée  par  sept  colombes  <pii  symbolisent  les  sept  dons  du  Saint- 
Esprit.  De  la  main  droite,  il  couronne  l'Eglise,  et  de  la  gauche  il  enlève  le  voile 
qui  couvre  le  visage  de  la  Synagogue.  Que  signifie  une  semblable  allégorie, 
sinon  que  Jésus,  en  venant  au  monde  et  en  promulguant  la  Loi  Nouvelle,  a  rendu 
soudain  intelligible  tout  le  mystère  de  l'Ancienne  Loi  qui  semblait  se  dérober 
sous  un  voile? —  l'n  vers,  que  le  vitrail  nous  présente  inutile,  mais  que  le  texte 
de  Suger  donne  dans  son  intégrité,  explique  d'ailleurs  lies  nettement  le  sens 
de  la  composition   : 

Quod  Moyses  velal  Chrisli  doetrina  révélât. 
«    Ce  nue  .Moïse  couvre  d'un  voile  est  dévoile  par  la  doctrine  du  Christ. 


I  i_    i,',    —Jésus   cuire  l'Ancienne  cl   !.c  Xouwlli 
I  ,oi    médaillon  'I  un  vilrail  de  Saint-1  >enis 


1    La  description  clés  vitraux  se  trouve  dans,  le  De  liebiis  in  <itlm 
l.,ln    Leco\   de  ta    Marche,  l'aris,    [H    u 


,06  I    ART   RELIGIEUX   DU  Mil-  SIÈCLE 

Le  second  médaillon  représente  l'arche  biblique  portée  sur  quatre  roues  et 
pareille  à  un  char  triomphal  (fig.  <n  .  Dans  l'intérieur,  on  aperçoit  les  tables  de 
la  Loi  et  la  verge  d'Aaron.  Mais,  du  fond  de  l'arche,  dominant  les  tables  et  le 
bâton  sacerdotal,  s'élève,  comme  un  étendard,  une  grande  croix  verte  où  Jésus 
est  crucifié;  Dieu  le  Père  lui-même  la  soutient,  et,  près  des  quatre  roues,  se 
voient  les  quatre    animaux  des  évangélistes,  qui  semblent    l'attelage   du  char 

symbolique.  —  ('/est  la  même  pensée 
présentée  sous  une  forme  encore  plus 
subtile.  L'arche,  les  tables  de  la  Loi.  la 
verge  d'Aaron,  qui  marquent  la  première 
alliance  de  l'homme  avec  Dieu,  ne  sont 
que  le  symbole  d'une  autre  alliance  qui 
doit  être  définitive.  L'arche  apparaît 
comme  le  piédestal  de  la  croix.  L'arche 
surmontée  de  la  croix  est  vrai  ment,  comme 
le  dit  l'inscription,  le  quadrige  d'Anii- 
nadab,  le  char  triomphal  du  Cantique  des 
Cantiques,  que  les  évangélistes  doivent 
traîner  jusqu'au  bout  du  monde1. 

Le  troisième  médaillon,  aujourd'hui 
détruit,  ne  nous  est  connu  (pie  par  la 
description  de  Suger.  Il  exprimait  encore-la  même  idée,  mais  sous  une  forme 
moins  théologique  el  plus  populaire.  On  voyait  les  prophètes  versant  du  blé 
dans  un  moulin,  pendant  que  saint  Paul  tournai!  la  meule  et  recueillait  la 
farine.  C'était  une  façon  de  dire  que  l'Ancien  Testament,  interprété  par  la 
méthode  de  saint  Paul,  devail  se  résoudre  tout  entier  dans  le  Nouveau.  Et  en 
vi-  transformant  il  se  purifiait,  car,  comme  disaient  les  vers  latin-  de  Suger,  le 
son  avait  disparu  el  il  ne  restait  plu-  que  la  farine  : 


li      Q.<j.  —   Le  quadrige  symbolique  d'Amii 
médaillon  d'un  vitrail  ■!<■  Sainl-Denis). 


dab 


1    lin  elï'el .  fi   i"i  é  do  ces  deux  vers  : 

Fœderis  ci  arca  Christi  cruce  sistitur  ara 
Fccdere  majori  vull  ibi  vita  mort, 

•  >n  lii  :  Quadrige  Aminadab.  Les  commentateurs  du  Cantique  des  Cantiques,  notamment  Honorais  jd'Aulnn, 
contemporain  de  Suger.  expliquenl  qu  Aminadab,  debout  dans  le  ebar,  esl  Jésus  crucifn  i  I  que  les  quatre 
chevaux  du  quadrige  sonl  les  quatre  évangélistes  (Honoriusd'Autun,  in  Cantic.  l'un  tir.  Patrol  .  i    CIA  \  11. 

col     j6  ■        il     un  re  de  Limoges,  aujourd  liui  au  musée  de  Clunj  .  représente  égale ni  !<•   char  triomphal 

de   lésus  (Christ,  dont  les  r 'S  sonl  les  évangélistes,  Catalogue  i99'' 


LE    MIROIR    UISTORIQI    I  L'ANCIEN    TESTAME.VJ 

Tollis  agendo  tuolam  de  furfure,  l'aide,  farinant, 

Mosaictc  legis  intima  nota  lacis: 
Kil  dr  gTanis  verus  sine  furfure  panis 

Perpetiuisque  eibus  noster  cl  angelicus '. 

Rien  n'exprime  mieux  cjue  ces  médaillons  la  pensée  des  docteurs  du  moyen 
âge.  On  voit  qu'à  leurs  yeux  les  Commentaires  de  la  Bible  nui  autant  de  prix 
(pie  la  Bible  elle-même.  Bien  que  I  Ancien  Testament  ait  été  traduit  tout  entier 
par  l'Université  de  Paris  des  le  commencement  du  xme  siècle,  on  comprend 
(pie  l'Eglise  n\'\\  ait  jamais  recommandé  particulièrement  la  lecture  aux  fidèles. 

La  Bible  n'apparaissait  pas  alors  c me  un  ouvrage  édifiant  que  le  père  de  famille 

peut  expliquer  le  soir  a  ses  enfants.  On  avait  plus  de  respect  pour  le  livre  plein 
d'énigmes  :  on  croyait  avoir  besoin  pour  le  comprendre  du  secours  de  Ions  |(- 
Pères  de  1  Eglise.  Le  clergé  se  contentait  de  transmettre  au  peuple,  par  la 
parole  ou  par  l'œuvre  d'art,  ce  qu'il  était  essentiel  île  lui  en  faire  connaître. 

Les  artistes,  inspirés  par  les  théologiens,  lurent  donc,  eux  aussi,  a  leur 
manière,  des  commentateurs  de  la  Bible.  Des  bas-reliefs  et  des  vitraux  jusqu'aux 
miniatures  de  manuscrits,  c'est  le  même  système  d'interprétation". 

Plus  tard  les  premiers  imprimeurs,  en  publiant  les  fameuses  Bibles  cl  en  pau- 
vres, essayèrent  de  rendre  intelligibles  aux  plus  ignorants  les  mystères  de  l'A  ne  ien 
Testament  '.  Les  gravures  sur  bois  de  la  Bible  des  pauvres  sont  conçues  connue 
les  médaillons  des  anciennes  verrières.  A  chaque  lait  important  du  Nouveau 
Testament  correspondent  deux  ligures  empruntées  à  l'Ancien.  La  Nativité  de 
Jésus,  par  exemple,  est  accompagnée  du  buisson  ardent  et  de  la  verge  (leurie 
d'Aaron.  La  descente  île  Jésus  aux  limbes  est  figurée  par  la  victoire  de  Samson 
siii-  le  lion  et  par  la  victoire  de  David  sur  Goliath.  L'incrédulité  de  sainl  Thomas 

1  A  l.i  façade  de  s.nni-  l'rochime  d'Arles,  sainl  l'aul  lient  mie  banderole  sur  laoucllc  ou  lit  :  Lex  Moisi 
celai  qu«e  sermo  l'.udi  révélai.  Nain  data  grana  Sinai  per  eum  suul  faela  farina  luscription  uni  pn  senle 
de  singulières  analogies  avec  les  vers  de  Suger  A  La  Renaissance,  le  thème  du  moulin  esl  remplacé  par 
celui  du  pressoir.  Les  patriarches,  les  prophètes  apporti  m  le  raisin  dans  la  cuve,  le  pape  el  les  cardinaux 
recueillent  le  \in  vitrail  de  Saint-Etienne  ilu  Mont,  ei  vitrail  aujourd  liui  disparu]  de  Saiul-Hilaii 
Chartres,  1320]  Voir  Lindel,  Les  Représent,  allégor.  du  moulin  ri  tin  pressoir  Revue  '< 
I".  M. île.  /.  Art  religieux  de  l<t  /in  du  moyen  âge,  p.  1  1  »  el   sui\ 

J    Le  fameux  Credo  deJoinville  nous  olfre  'xeuiple  inléressanl  de  la  1 cord 11  x  U  si  aux 

eu  face  de  l.i  descente  aux  limbes  el  de  la  résurrection,  on  voil  Jonas  vomi  par  la  baleine;  en  lace  du 
jugement   dernier  le  jugement  de  Salomon  oui  eu  esl   la  iigure.  etc      llibl    .Xal  .,  mue.     acu    fraui 

1  Voir,  par  exemple.  Bibl    Xal.,  ius.  franc.    1 88,  et  surtout  Nouv.  act|    lai        1    9    Ce  inuscrit, 

"iin    de  ligures  très  grossières,  est  d'origine  allemande     ii    1   .   A   une  série  du  Nouveau    l'estaniei 

seul    dcUX     scelles    de    |    Ancien      el    deUX     liglIIVS     de     piailles     OU    d'. Mille 

encore    la   méthode  d  llonorids   d  Aultiu. 


io8 


L'ART    RELIGIEUX   DU   XIIIe  SIECLE 


est  ingénieusement  commentée  par  la  lutte  de  Jacob  et  de  I  Ange,  el  par  l'in- 
crédulité de  Gédéon  liésitanl  à  reconnaître  le  messager  de  Dieu.  Si  ce  n'était 
sortir  de  noire  sujet,  nous  pourrions  citer  beaucoup  d'oeuvres  de  la  même  époque 
inspirées  par  le  même  esprit  :  les  Heures  de  Kercer,  le  Spéculum  humante  Sal- 


Kig,  m  >  Melchisédcch,  Abraham,  Mois,-,  Samuel,    l>.i\iil   [Chartres  . 

vationis,  les  tapisseries  de  l'histoire  «le  la  Vierge  à  la  cathédrale  <le  Reims. 
Jusqu'à  son  déclin,  le  moyen  âge  demeure  donc  fidèle  à  l'ancienne  exégèse*. 

En  résumé,  le  moyen  âge,  interprétant  la  Bible,  s'est  attaché  beaucoup 
plus  an  symbole  qu'à  l'histoire. 

Les  représentations  historiques,  nous  l'avons  mi,  sont  pin-,  rares  que  les 
représentations  symboliques.  Il  est  tel  cas,  cependant,  où  le  symbole  et  I  lus- 
toire  se  combinent.  •—  La  plus  profonde  de  ces  œuvres  à  double  sens  e>i  certai- 
nemen!  celle  qui  se  voit  à  la  haie  centrale  du  portail  septentrional  de  Chartres 


Voir  sur  ce  sujet,  l'Art  reliuicu*  de  latin  du  moyen  h^*1.  |i   a  j  j  el  suiv. 


LE    MIROIR   HISTORIQUE   -      L'ANCIEN    TESTAMENT  109 

(fig.  ()')  et  96).  Il  y  a  là  dix  statues  de  patriarches  el  de  prophètes,  rangées 
par  ordre  chronologique,  qui  toutes  symbolisent  ou  annoncent  Jésus-Christ, 
niais  qui  toutes,  en  même  temps,  racontent  I  histoire  du  monde.  Melchisédech, 
Abraham   et  Isaac  représentent  un  âge  de  1  humanité.   Ils  rappellent  le   temps 


'  -^rV  ^*->Oc  I  '  <A<£É  i< 


Kig.  96.  —  Isaïe,  Jéréinie,  Siméon,  saint  Jean-Baptiste,  sainl  Pierre  (Chartn  - 


où,  pour  parler  comme  les  docteurs,  les  hommes  vivaient  sous  la  loi  de  la  cir- 
concision. Moïse,  Samuel  et  David  représentent  les  générations  qui  oui  vécu 
sous  la  loi  écrite  et  qui  ont  adore  Dieu  dans  le  Temple.  Isaïe  cl  Jérémie, 
Siméon  et  Jean-Baptiste  expriment  la  durée  des  temps  prophétiques,  qui  se 
prolongèrent  jusqu'à  l'avènement  de  Jésus-Christ.  Enfin  saint  Pierre,  qui  vient 
le  dernier,  vêtu  de  la  dalmaliqiie.  couronne  de  la  tiare,  portant  la  croix  et  le 
calice,  annonce  que  Jésus  a  aboli  la  loi  et  le-  prophéties,  cl  que.  en  créant 
l'Église,    il   a    établi,   pour   tout   l'avenir,    le  règne  de    l'Évangile    .       •    lin    même 

1  Ces  ilivisionv  de  L'histoire  'lu    monde  -■    trouvenl  souvent   indiquées  au  moyen  âge     Voir  notamment 
Honorius  d'Autun.  in  Cantic.  Cautic  .  Palrol  .  1    CLXXII,  col     |6o 


aïo  L'ART    RELIGIEUX    DU    XIII''   SIECLE 

temps,  chacune  des  grandes  figures  de  Chartres  porte  un  symbole  qui  annonce 
Jésus-Christ,  qui  est  Jésus-Christ  lui-même.  Melchisédech  a  le  calice,  Abraham 
pose  la  main  sur  la  tête  d'Isaac,  Moïse  tient  le  serpent  d'airain,  Samuel  l'agneau 
du  sacrifice,  David  la  couronne  d'épines1,  Isaïe  la  tige  de  Jessé2,  Jérémie  la 
croix.  Siméon  l'enfant  divin,  Jean-Baptiste  l'agneau,  et  enfin  saint  Pierre  le 
calice.  Le  mystérieux  calice  qui  apparaît,  au  commencement  de  l'histoire,  aux 
mains  de  Melchisédech,  se  retrouve  dans  celles  de  saint  Pierre'.  Parla  le  cycle  se 
trouve  clos.  Chacun  de  ces  personnages  est  donc  une  sorte  de  christophore.  et 
ils  se  transmettent  de  génération  en  génération  le  signe  mystérieux. 

Ce  sont  bien  là  les  grandes  divisions  d'une  histoire  universelle  où  tout  parle 
de  Jésus-Christ.  Ce  sont  les  chapitres  mêmes  du  Miroir  historique  de  Vincent 
de  Beauvais.  La  Bible  nous  apparaît  M'aiment  ici  ce  qu'elle  lut  pour  le  moyen 
âge  :  u\n-  série  de  figures  de  Jésus-Christ  dont  le  sens  devient  de  plus  en  plus 
clair.  Les  patriarches  qui  symbolisent  le  Messie,  et  les  prophètes  qui  l'annon- 
cent, forment  une  immense  chaîne  cpii  va  du  premier  Adam  jusqu'au  second. 

'   Brisée. 

J  Mutilée. 

;l  Du  calice  de  sainl    Pierre  il  no  reste  que  le  pied. 


CHAPITRE  II 

LES    EVANGILES 


I.  Toutes  les  scènes  de  la  vie  de  Jésus-Christ  n'ont  pas  été  représentées  m  moyen 
ace.  Pourquoi?  Les  autistes  ni:  représentent  que  le  cycle  des  fêtes.  Influence  de 
la  Liturgie.  Cycle  nu  noël  et  cyxle  de  Pâques  -  II.  Interprétations  symboliques  du 
Nouveau  Testament.  Représentations  sy'mroliques  de  la  naissance  ni:  Jésus-Christ.  De 
i.v  mise  en  choix.  Dus  deux  Adam.  De  la  résurrei  iton.  Des  Noces  de  Caxa.  —  III.  Lus 
paraboles.  Paraboles  nus  Vierges  sa<;us  ut  du  Bon  Samaritain.  Leur  signification  sym- 
bolique.  Les  paraboles  du  Mauvais  Riche  et  nu:  L'Enfant   Prodigue. 


Après  l'âge  des  figures,  voici  maintenant  le  temps  des  réalités.  C'est  ici  le 
nœud  de  l'histoire  du  monde.  Tout  vienl  aboutir  à  Jésus-Christ  et  tout  part  de 
lui. 

Nulle  part  cette  philosophie  de  l'histoire  n'a  été  exprimée  plus  clairement 
qu'au  portail  d'Amiens.  Jésus  est  \  rai  ment  le  point  central  de  l'immense  façade. 
Revêtu  d'une  beauté  divine,  foulant  aux  pieds  le  lion  et  le  dragon,  il  bénit  de  la 
main  droite  et  tient  de  la  gauche  le  livre  des  Évangiles  fig.  iG  .  Autour  de  lui, 
l'Ancien  Testament  est  représenté  par  les  prophètes,  le  Nouveau  par  les  apô- 
tres, l'histoire  du  christianisme  parles  martyrs,  les  confesseurs,  les  docteurs.  Du 
premier  coup  d  œil,  on  voit  que  Jésus  esl  au  milieu  de  I  histoire.  Le  Discours  sur 
l'histoire  universelle  de  Bossuel  se  trouve  réalisé  à  Amiens  avec  magnificence. 
Le  portail  méridional  de  Chartres  <li<j.  <r  ,  les  vitraux  de  la  grande  nef  de  Bourges, 
où  Jésus  occupe  aussi  la  place  centrale,  donnent  le  même  enseignement. 

L.e  Christ  enseignanl  du  trumeau  de   nos  cathédrales  résume  si  fortement 


2J2  L'ART    RELIGIEUX    DU    XIII'    SIÈCLE 

tout  le  Nouveau  Testament,  il  en  est  si  bien  l'âme,  que  le  moyen  âge  n'a  pas 

cru   devoir  retracer  longuement  aux  yeux  des  fidèles  les  scènes   de  l'Evangile. 

Personne   n'a    encore   songé   à   faire  remarquer   que,  dans  les    églises    du 

xme siècle,  la  vie  des  saints  tient  beaucoup  plus  de  place  et  est  racontée  avec 

beaucoup  plus  de  complaisance  que  la  vie 
de  Jésus-Cbrist.  C'est  une  singularité  qui 
est  pourtant  très  frappante.  Une  ou  deux 
verrières,  quelques  sculptures  représentant 
un  petit  nombre  de  faits  évangéliques, 
voilà  tout  ce  que  nous  offrent  des  cathé- 
drales aussi  riches  que  Chartres,  Bourges 
et  Amiens.  La  surprise  augmente  lorsque, 
en  comparant  ces  sculptures  et  ces  vitraux. 
on  reconnaît  que  les  scènes  empruntées  à 
l'Evangile  sont  toujours  les  mêmes,  et 
qu'une  foule  d'autres  semblent  avoir  été 
négligées  de  parti  pris  par  les  artistes. 
Les  miracles,  par  exemple,  qui  tiennent  une 
si  grande  place  clans  l'ait  îles  Catacombes, 
laguérison  du  paralytique,  de  l'hémorroïsse, 
de  l'aveugle-né,  la  résurrection  du  lils  de  la 
veuve  ou  de  la  fille  du  centurion,  n'appa- 
raissent jamais,  ou  presque  jamais,  dans 
l'art  du  xiii"  siècle'.  La  prédiction  de  Jésus, 
son  enseignement  familier  dans  le  Temple, 
au  bord  du  lac,  sa  rencontre  avec  les  apô- 
tres, son  repas  chez  le  Pharisien,  tant  descènes  fameuses  et  si  propres  à  inspi- 
rer de  grands  artistes,  ne  se  rencontrent  pas  davantage.  Tout  ce  qu'il  y  a  d'hu- 
main, de  tendre,  ou  simplemeni  de  pittoresque  dans  l'Evangile  ne  semble  pas 
avoir  touché  les  artistes  du  moyen  âge.  Ils  ne  Noyaient  évidemment  pas  dans  le 
Nouveau  Testament  les  mêmes  choses  qu'un  Véronèse  ou  qu'un  Rembrandt. 


['bol    Martin  Sabon. 

Fig.  97.  —  Jésus-Chrisl  (portail  méridional, 
Chartres 


1  Au  nombre  des  exceptions  très  rares  .  il  faul  citer  les  bas-reliefs  de  Reims  sculptures  intérieures, 
portail  de  gauche  en  entrant).  On  voit  Jésus  guérissant  la  belle-mère  de  >;iini  Pierre,  el  .1  côté  Jésus  el  la 
Samaritaine  Ces  sculptures  sonl  insolites  à  tous  égards  :  Jésus  esl  représenté  imberbe,  par  exemple.  Je 
serais  tenté  de  croire  que  ces  sculptures  de  Reims  ont  été  copiées  sur  cilles  il  un  sarcophage  des  premiers 
siècles 


LE    MIROIR    HISTORIQUE    --    LES    EVANGILES  n3 

Ici,  comme  partout  ailleurs,  les  artistes  du  \in"  siècle  furent  les  interprètes 
dociles  des  théologiens. 

Si  on  divise  la  vie  de  Jésus-Christ  en  trois  parties,  enfance,  vie  publique, 
Passion,  on  reconnaîtra  que  seules  la  première  et  la  dernière  ont  été  représen- 
tées avec  tout  leur  développement.  Quant  à  la  vie  publique,  quatre  scènes  la 
résument,  le  Baptême,  les  Noces  de  Cana,  la  Tentation  et  la  Transfiguration  : 
encore  est-il  fort  rare  de  les  rencontrer  toutes  les  quatre  ensemble1.  Il  n'y  a 
presque  pas  d'exception  à  cette  règle.  S'il  arrive  qu'on  trouve  quelque  autre 
épisode  de  la  vie  publique  de  Jésus-Christ,  comme  la  vocation  des  apôtres  ou  la 
résurrection  île  Lazare,  ce  sera  incidemment,  dans  un  vitrail  consacré  à  saint 
Pierre  ou  à  Marie-Madeleine2. 

La  règle  trouve  sa  vérification  jusque  dans  les  manuscrits  à  miniatures.  11 
semble  pourtant  que  l'artiste  qui  illustre  un  livre  ait  plus  de  liberté  que  celui 
qui  sculpte  un  bas-relief:  en  réalité,  il  n'en  est  rien.  J'ai  parcouru  un  assez 
grand  nombre  de  manuscrits  enluminés  du  xn"  au  xv"  siècle,  pour  pouvoir  affir- 
mer qu'une  illustration  détaillée  de  toutes  les  parties  de  l'Evangile  est  une  rareté  '. 
Les  miniatures  du  fameux  Évangéliaire  de  la  Sainte-Chapelle  nous  offrent  peut- 
être  le  seul  exemple  d'une  série  évangélique  complète  '.  La  plupart  du  temps, 
l'artiste  s'est  contenté  de  nous  montrer  les  scènes  de  l'enfance  et  celles  de  la 
Passion  de  Jésus-Christ,  en  y  ajoutant  parfois  les  quelques  scènes  de  sa  vie 
publique  qu'il  était  d'usage  alors  de  représenter. 

Je  veux  en  donnerun  exemple  caractéristique.  Le  manuscrit  français  17*1»  a 
la  Bibliothèque  Nationale  contient  un  recueil  d'évangiles  pour  tous  les  dimanches 
de  l'année:   des  miniatures  assez  nombreuses  accompagnent  le   texte".   — -  Le 


1   Nous  énuinérons  dans  1  Appendice  les  principales  couvres  que   les  artistes  français  'in  xiii    siècli 
consacrées  à  la   vie  de  Jésus-Christ.  (Voira  la  lin  du  volume 

-   Le  vitrail  qui  se   vu  il  à  Chartres,  dans  la  chapelle  de  l'abside,   semble  faire    exception.    Il   représente 
eu   effet  :  Saint    Jean-Baptiste    el    ses  disciples.     —  La  vocation    des  apôtres,  h  sus  et    Philippe 

Jésus  cl   Nathanaël.     —  La  pèche   miraculeuse.  —  Jésus    conversant  avec  les  apôtres.  I       '  I  ■ 

lavement  des  pieds.  —  Jésus  au  jardin  des  Oliviers  (les  apôtres  d ni  .        Jésus  arrêté  par  lis  soldats 

les  apôtres  se  désolent  dans  le  fond  .  Jésus  apparaissanl   aux  apôtres    après  la  résurrection.      -   L'as- 

cension 'le  Jésus-Christ  <<u  milieu  des  apôtres.         Il  est  évident    qu  un  pareil  vitrail    i  consacré  a 

Jésus-Christ,  mais  au    collège  apostolique     Dans  imites  les  scènes  repre  sentéi       on  remarque  la    pri 
d'un  ou  de  plusieurs  apôtres    Ajoutons  que  la  chapelle  où  se  trouve  le  vitrai]    aujourd  hni  la  chapelle  de  la 
Communion     s'appelait   au   \nr     siècle    la    chapelle    -les    Apôtres.    Voir   Bulleau,  Descrip.    de  la   catli.   de 
Chartres    é.lii.  de  [85o  ,  p    i     I 

\  i,n'  a  I  Appendice  I  indication  d  un  certain  nombre  des  manuscrits. 

•    Bibl.   Nat  ,  ms.  lai.    i;  !'.i).  \m     sièi  le. 

"    Le   ms.    i  -h  ,      Iran,        esl    lin  \l\      siècle. 


al4  L'ART    RELIGIEUX    DU    XIII"   SIECLE 

livre  s'ouvre  par  les  évangiles  du  temps  de  Noël,  où  sont  rapportées  tontes  les 
circonstances  de  l'enfance  de  Jésus-Christ,  et  l'artiste,  fidèle  à  son  texte,  nous 
montre  tour  à  tour  la  Fuite  en  Egypte,  la  Circoncision,  l'Adoration  des  Mages. 
Puis  viennent  les  évangiles  qui  se  rapportent  à  la  vie  publique  de  Jésus-Christ, 
et  ici,  l'artiste  nous  montre  encore  le  Baptême  de  Jésus-Christ,  les  Noces  de 
Cana,  la  Tentation  et  la  Transfiguration;  puis,  il  s'arrête  soudain,  et  laisse  sans 
miniatures  la  moitié  du  livre.  Il  ne  reprend  son  œuvre  qu'à  la  Semaine  Sainte 
pour  nous  faire  assister  à  la  Passion,  à  la  Résurrection,  aux  Apparitions  de 
Jésus-Christ.  —  N'est-il  pas  évident  que  notre  artiste  dessinait  d'après  des 
poncifs  antérieurs  dont  le  nombre  était  rigoureusement  déterminé?  Là,  où  la 
tradition  ne  lui  offrait  aucun  modèle,  il  n'a  même  pas  songé  à  inventer,  il  a  fait 
ce  qu'on  avait  l'habitude  de  faire  avant  lui,  et  rien  de  plus.  Dans  la  plupart  des 
Psautiers,  Bréviaires,  Missels,  Evangéliaires  illustrés,  les  scènes  de  la  vie  publi- 
que de  Jésus-Chrisl  disparaissent  tout  à  fait:  seuls  le  cycle  de  l'enfance  et  le 
cycle  de  la  Passion  ont  été  traités  avec  tout  le  développement  accoutumé  '.  Par- 
fois même  il  arrive,  dans  certains  manuscrits  où  les  miniatures  n'ont  pas  été 
prodiguées,  que  toute  la  vie  de  Jésus-Christ  se  trouve  résumée  en  deux  scènes 
capitales  :  une  pour  le  cycle  de  l'enfance,  la  Nativité,  et  une  pour  le  cycle  de  la 
Passion,  la  Résurrection. 

D'où  vient  donc  cette  forte  discipline?  C'est  là  un  problème  facile  à  résoudre, 
car,  d'où  viendrait-elle  au  moyen  âge,  sinon  de  l'Eglise?  -  -  Et  en  effet,  c'est 
la  liturffie,  comme  nous  allons  le  voir,  qui  a  déterminé  le  choix  de  telle  scène  de 
la  vie  de  Jésus-Christ  à  l'exclusion  dételle  autre. 

L'Eglise  n'a  pas  voulu  présenter  aux  chrétiens  toute  la  vie  de  Jésus-Christ, 
pas  plus  qu'elle  n'a  mis  entre  leurs  mains  les  quatre  évangiles,  mais  elle  a  choisi 
quelques  faits  de  sens  profond,  significatifs  entre  Ions,  pour  les  proposer  a  la 
méditation  des  fidèles.  Ces  laits  sont  précisément  ceux  (pie  l'Eglise  célèbre 
chaque  année  dans  le  cycle  de  ses  fêtes.  Les  sculpteurs,  les  verriers,  les  minia- 
turistes n'ont  donc  fait  qu'illustrer  le  calendrier  liturgique.  Nous  allons  en  trou- 
ver la  preuve  dans   les  livres  des  lilurgisles  du  mi    et  du   \m    >iecle. 

Le  cycle  de  l'enfance,  celui  delà  vie  publique  et  celui  de  la  Passion  de  Jésus- 
Christ,  tels  que  les  sculptures  et  les  vitraux  nous  les  présentent,  se  composenl 
des  scènes  suivantes  :  la  Nativité,  l'Annonce  aux  bergers,  le  Massacre  des  Inno- 

\  i  iir  1  Appendice 


LE    MIROIR    HISTORIQUE    --    LES    IVAM.II.KS  n5 

cents,  la  Fuite  en  Egypte,  la  Présentation  au  Temple,  l'Adoration  des  Mages, 
le  Baptême  de  Jésus-Christ,  les  Noces  de  Cana,  laTentation,  la  Transfiguration, 
l'Entrée  à  Jérusalem,  la  Cène,  le  Lavement  îles  pieds,  la  Passion  avec  tous  ses 
détails,  la  Mise  en  croix,  la  Mise  au  tombeau,  la  Résurrection,  les  Apparitions, 
et  enfin  l'Ascension.  — Or,  on  s'aperçoit,  en  lisant  Rupert,  llonorius  d'Autun 
et  Guillaume  Durand,  rpie  ce  sont  là  précisément  les  mystères  que  1  Eglise 
célèbre  au  temps  de  Noël,  de  l'Epiphanie,  du  Carême,  enfin  pendant  la  Semaine 
Sainte  el  les  semaines  qui  la  suivent.  Ce  sont  là.  pour  les  chrétiens,  les  grands 
jours  de  l'année.  Les  peintres  du  Mont  Athos.  qui  ont  conservé  quelques-unes 
des  traditions  du  haut  moyen  âge,  peignent  encore  aujourd  liui  sur  les  murs 
de  leurs  couvents  »  les  quinze  grandes  fêtes  de  l'Eglise  »  dans  un  ordre 
immuable  '. 

Venons  au  détail.  — -Les  représentations  delà  Nativité  et  de  l'Annonce  aux 
bergers  correspondent  trop  exactement  aux  deux  principaux  moments  île  la 
fête  de  Noël,  la  messe  de  minuit  et  la  messe  de  l'aurore,  pour  qu'il  soit  néces- 
saire d'insister  davantage. 

Le  Massacre  des  Innocents,  qui  apparaît  à  première  vue  comme  un  épisode 
secondaire,  se  rattache  cependant  étroitement  a  la  fête  de  Noël.  C'est,  en  effet, 
clans  les  trois  jours  qui  suivent  Noël  que  1  Eglise  célèbre  le  massacre  des  Inno- 
cents, en  même  temps  que  la  l'été  de  saint  Etienne  et  celle  de  sain  t  Jean  l'apôtre. 
101  le  a  voulu,  nous  disent  les  liturffistes,  réunir  au  tour  du  berceau  île  Jésus-Christ 
les  enfants  sans  tache  et  le  diacre  protomartyr  qui,  les  premiers,  versèrent  leur 
sang  pour  la  foi  :  elle  v  a  joint  saint  Jean,  parce  qu'il  lut  le  disciple  bien-aimé 
du  Sauveur  et  (pie,  seul  entre  tous  les  hommes,  il  reposa  sa  têtesur  --on  cœur2. 
Ce  rapprochement  d'un  sentiment  délicat  a  inspiré  des  groupements  artistiques 
qui  n'avaient  pas  été  remarqués  jusqu  ici.  A  1  abside  de  la  cathédrale  de  Lyon, 
comme  à  celle  de  la  cathédrale  de  Troyes,  des  vitraux  du  xin'  siècle  nous  mon- 
trent, en  même  temps  que  les  scènes  de  Noël  et  le  massacre  des  Innocents,  1  his- 
toire de  saint  Etienne  et  de  saint  Jean 3.  Les  vitraux  de  Lyon  et  de  Troyes  écla- 


1  Voir  Didron,  Fconogr.  chréi  (Guide  de  la  peinture  du  Mont  Athos),  1845,  p  i  19,  el  Rohaull  de 
I  ti  miy,  lu  Sainte  Vierge,  i .  1 ,  p.  86  à  propos  du  tableau  byzantin  des  fêtes  de  l'Eglise,  an  Vatican  I  i  - 
fêtes  adoptées  par  l'Occident  diffèrenl  légèrement  de  celles  uni  ont  >!.'  adoptées  par  l'Orient 

J  Guillaume  Durand.  Ration  .  lib  VII,  cap  \ui  Honorius  d'Autun,  Gemma  aniline,  lib  lit.  cap  \i. 
\n.  mu    P, lirai  .1    CI.WII,  col.  6  i'> 

A  Lyon,  on  y  a  joint  I  histoire  de  saint  Jean  Baptiste,  parce  que  I"  moyen  .  i  re  el 

rc  mm  souvent  leur  histoire  dans  le  même  vitrail  [vitrail  de  Tours,    par  i  scmple  .  el   p  la  morl  de 

sainl  Jean  l'apôtre  tombait,  disait-on,  le  même  jour  que  la  uaissanec  de  s. nui  Jean  K.i ] -li^ i <- 


,,!',  L'ART    RELIGIEUX    DU    XIII"   SIÈCLE 

Lmt  comme  un  vieux  Noël.  La  semaine  de  Noël  tout  entière  y  est  célébrée.  Le 
peuple  qui  le  Lait  si  joyeusement  les  derniers  jours  de  décembre,  qui  aimait  à 
voir,  le  jour  de  la  Saint-Etienne,  les  diacres  jouer  à  la  balle  dans  la  cathédrale  '. 
comprenait  sans  peine  des  œuvres  d'art  qui  pour  nous  sont  muettes.  On  pour- 
rait, je  n'en  doute  pas,  trouver  plusieurs  autres  œuvres  inspirées  par  la  même 
idée  '-. 

La  Circoncision  et  la  Présentation  au  Temple,  deux  scènes  que  les  artistes 
confondent  quelquefois,  correspondent  encore  à  des  jours  solennels.  Ces  deux 
fêtes  célébrées,  l'une,  le  premier  janvier,  l'autre,  au  commencemeut  de  février, 
sous  le  nom  populaire  de  Chandeleur,  tenaient  dans  l'art  autant  de  place  que 
dans  la  liturgie.  Elles  étaient  destinées  toutes  les  deux  à  rappeler  que  le  Fils  de 
Dieu,  venu  pour  apporter  la  Loi  nouvelle,  avait  pourtant  voulu  se  soumettre 
d'abord  à  la  Loi  ancienne3. 

L'Adoration  des  .Mages,  le  Baptême  de  Jésus-Christ  et  les  Noces  de  Cana, 
que  les  œuvres  d'art  nous  montrent  ensuite,  correspondent  à  trois  moments 
1res  différents  de  la  vie  de  Jésus-Christ,  et  pourtant  le  moyen  âge,  avec  son 
sens  si  poétique  des  rapports  mystérieux,  avait  rattaché  ces  trois  événements  à 
une  idée  commune.  On  lescélébrait  tous  les  trois  le  même  jour,  et  la  fête  portait 
le  nom  de  Théophanie,  avant  que  celui  d'Epiphanie  eût  prévalu.  C'étaient  là.  en 
effet,  les  trois  premières  manifestations  de  Dieu.  Les  Mages,  en  adorant  Jésus- 
Christ,  avaient,  les  premiers  entre  les  Gentils,  reconnu  sa  divinité.  Le  jour  du 
Baptême,  la  voix  d'en  haut  avait  proclamé  cette  divinité  pour  la  seconde  lois. 
Enfin,  aux  noces  de  Cana,  Jésus  lui-même,  par  un  miracle,  le  premier  de  ceux 
qu'il  devait  accomplir,  avait  manifesté  qu'il  était  Dieu.  Et  pour  que  le  parallé- 
lisme fui   complet,   le  moyen  âge  voulait  que  les  trois  événements  se  fussent 

1  Honorius  <l  Autun  donne  au  jeu  des  diacres  un  sens  symbolique.  Il  signifie,  d'après  lui,  la  glorieux 
lutte  (palaestra]  de  saint  Etienne.  Le  diacre  vainqueur  recevail  une  couronne,  comme  le  saint  martyr 
[Gemm    anim.,  col    6  j6 

-  Je  croirais  volontiers  que  les  sculptures  intérieures  des  portails  de  Reims,  qui  semblent  si  confuses 
au  premier  abord,  traduisent  la  même  idée;  car  on  y  voit,  avec  les  prophètes  qui  onl  prédil  la  naissance  de 
Jésus-Christ,  le  massacre  des  Innocents,  l'histoire  de  sainl  Etienne,  s.iini  Jean  el  son  Apocalypse,  enfin 
l.i  vie  de  sainl  Jean-Baptiste.  —  A  Chartres  (porche  du  sud.  portail  de  gauche,  tympan  el  voussures  on 
voil  rapprochés  le  martyre  de  sainl  Etienne  el  des  statuettes  d'enfants  portant  des  palmes,  qui  s. .ni  les 
saints  Innocents.  —  A  la  Sainte-Chapelle,  il  est  très  remarquable  que  le  vitrail  consacré  à  l'enfance  de 
lésus-Christ,  el  où  se  voient,  par  conséquent,  La  Nativité  el  le  massacre  des  Innocents,  contienne  aussi  La 
vie  de  sainl  Jean  I  Evangéliste.  —  A  Saint-Julien-du-Saull  (Yonne),  un  vitrail  du  xm°  siècle  rapproche  l'en- 
fance de  Jésus-Christ  (massacre  des  Innocents  de  la  légende  de  sainl  Jean  I  Lvangéliste  el  de  celle  de 
saint  Jean-Baptiste. 

3   Guillaume  Durand,  Ration.,  Lib,  VI,  cap.  xv. 


LE    MIROIR   HISTORIQUE  LES    ÉVANGILES  217 

passés  à  la  même  date.  Les  liturgistcs  affirmaient  que  le  Baptême  avait  eu  lieu 
trente  ans  et  le  miracle  de  Cana  trente  et  un  ans.  jour  pour  jour,  après  l'Adora- 
tion des  Mages1.  De  là  l'importance  exceptionnelle  de  ces  trois  scènes  dans 
l'art 2.  La  prédilection  des  artistes  du  xine  siècle  pour  les  noces  de  Cana,  notam- 
ment, ne  saurait  s'expliquer  autrement.  S  ils  n'avaient  pas  été  si  dociles  aux 
règles  liturgiques,  s  ils  axaient  pu  suivre  leur  sentiment,  ils  auraient  choisi 
sans  doute  dans  la  vie  île  Jésus  un  miracle  plus  touchant,  pins  propre  à  aller 
au  cœur.  .Mais,  encore  une  lois.  I  art  du  x  1 11'  siècle  n  est  pas  soumis  aux  caprices 
de  l'individu,  et  n  est  (pie  la  forme  sensible  de  la  doctrine. 

La  Tentation  et  la  Transfiguration  sont  dans  l'art  le  centre  de  la  vie  de 
•lesiis.  Ces  deux  scènes,  auxquelles  il  faut  joindre  le  Baptême  et  les  Noces  de 
Cana.  résument  tonte  sa  vie  publique.  D'où  leur  vient  un  privilège  si  singulier? 
La  liturgie  nous  en  fournira  encore  l'explication.  La  Tentation  et  la  Transfigu- 
ration sont,  en  effet,  destinées  à  rappeler  un  antre  moment  de  l'année  chré- 
tienne. Entre  Noël  et  Pâques,  il  n'y  a  pas,  pour  le  fidèle,  de  semaines  dune 
plus  haute  signification  que  celles  du  Carême.  Lutte  contre  la  tentation,  victoire 
sur  la  chair,  voilà  précisément  ce  que  symbolisent  les  deux  scènes  de  la  vie  de 
Jésus-Christ  que  l'Eglise  a  choisies  elle-même  pour  nous  les  offrir  en  exemple. 
Tout  chrétien  est  un  Christ;  il  doit  s'associer  aux  épreuves  de  son  divin  Maître 
pour  être  associé  à  sou  triomphe.  Les  quarante  jours  d  abstinence  du  Carême 
sont  donc  l'image  des  quarante  jours  de  jeune  et  de  lutte  que  Jésus  passa  dans 
le  désert.  Aussi,  le  premier  dimanche  du  Carême,  lit-on  1  évangile  de  la  Tenta- 
tion, qui  devient  comme  le  symbole  même  des  combats  que  le  chrét ien  va  a\ oir 
à  livrer1.  .Mais,  tics  la  fin  de  cette  première  semaine,  pour  que  les  fidèles  ne  se 
découragent  pas,  par  deux  lois,  le  samedi  et  le  dimanche,  on  leur  lit  I  évangile 
de  la  Transfiguration.  La  Transfiguration,  en  effet,  était,   aux  veux  des  litur- 


1    Honorius  d'Autuu,  (Jemm.  muni  ,  lil>    III.  ci  p.  xvm.   Rupert,  De  divin,  o/fic  .  lib.  111.  cap    \\iv .  G 
tau Durand.  Holum..  \\\<    VI,  cap.  xvi, 

Ces  trois  scènes  sonl  rapprochées  dans  un  ri  Irait  de  T  rayes  publié  par  Gau  —  n    Portefeuille  archéol. 
delà   Champagne),   la  Tentation   \    esl  jointe     L'Autriche  nous    olfre  aussi   un  exemple   curieux.   I. 
romauc  de  Schôngrabern  esl  ornée  à  I  extérieur  de  sculptures  qui  repn  senleul   la  V  i<  lit    ilanl     Prés 

d'eux  six  In  •  i  »-  ï  •  -  —  symbolisent  les  Noces  de  Cana  ;    au  dessus  d  eux  la  colombe  qui   plane  el  1 a  in  du  Péri 

qui  bénil   rappellenl   le  Baptême,  euliu  1  lînfaul    lient  dans  s.i  inaiu  les  pn  seuls  que  les  rois  Mages  lui  uni 
offerts     Voir  Springer,  Berichte  Cther  die  Verhandl.   der  kûnigl    >  sellschafl,  187g    A    l'arme 

itislère  .  on  \"ii   l«-s  Mages  et  If  Bapté le  Jésus  Christ. 

Guillaume   Durand  explique  longuemenl   lout  le  symbolisme  '1"  \<  '         1 !  des  trois 

lions  de  Jésus-Christ.  Ration.,  lib    VI,  cap    xxxii       •  Dans  les  manuscrits,  la    l'eut;  inmen- 

ce ni  du  Carême  ;  ex.  :  Bibl.  Sainte-Geneviève,  ins.  n     ioa,   1     199.  ^      xni'  sièi  le 


218  L'ART   RELIGIEUX    DU   XIIF   SIECLE 

gistes  du  moyen  âge,  une  sorte  d'exaltation  du  jeûne.  Ils  remarquaient,  entre 
autres  choses,  que  Jésus  s'était  montré  aux  apôtres  entre  Moïse  et  Elie.  Or. 
Moïse  et  Elie  avaient,  comme  Jésus-Christ,  jeûné  pendant  quarante  jours  dans 
le  désert  ;  ils  avaient  institué  le  jeûne  dans  la  Loi  Ancienne,  comme  Jésus  l'avait 
institué  dans  la  Loi  Nouvelle1.  La  Transfiguration  de  Jésus-Christ  était  donc, 
pour  le  chrétien  qui  luttait,  une  promesse  de  victoire.  Dans  certaines  églises, 
dans  celles  de  Paris,  par  exemple,  on  lisait  l'évangile  de  la  Transfiguration  après 
le  récit  de  la  lutte  de  Jacob  avec  l'Ange2.  Un  pareil  symbolisme,  mieux  compris 
au  xni"  siècle  qu'aujourd'hui,  explique  la  présence  de  la  Tentation  et  de  la  Trans- 
figuration dans  un  certain  nombre  d'œuvres  d'art  de  cette  époque. 

Les  représentations  consacrées  à  la  vie  publique  de  Jésus-Christ  s'arrêtent 
là.  Une  chose  qui  prouve  bien  que  les  artistes  n'ont  pas  voulu  suivre  l'ordre 
des  événements,  mais  bien  l'ordre  des  fêtes  liturgiques,  c'est  qu'après  la  Ten- 
tation et  la  Transfiguration,  on  voit  commencer  immédiatement  les  scènes  de 
la  Passion. 

Le  cycle  de  Pâques  s'ouvre  presque  toujours  par  l'entrée  triomphale  de 
Jésus-Christ  à  Jérusalem1,  qui  correspond  au  dimanche  des  Rameaux4.  La  Crue 
vient  ensuite,  et  enfin  la  Passion  proprement  dite,  traitée  avec  un  développe- 
ment qui  s'explique  assez  par  l'importance  des  céré nies  de  la  Semaine  Sainte. 

Enfin  la  sortie  du  tombeau  montre  aux  yeux  le  mystère  de  Pâques  et  termine 
le  cycle.  Il  n'y  a  rien  dans  tout  cela  qui  ne  s'explique  aisément  et  qui  ne  soit 
parfaitement  clair  pour  nous. 

La  plupart  des  séries  évangéliques  s'arrêtent  à  la  Résurrection,  mais  quel- 
ques-unes s'étendent  au  delà.  Les  fameux  bas-reliefs  du  chœur  de  Notre-Dame 
de  Paris  nous  montrent,  avec  un  détail  qu'on  ne  trouve  nulle  paît  ailleurs,  toutes 
les  apparitions  qui  suivirent  la  résurrection  de  Jésus-Christ  :  apparition  aux 
saintes    femmes,    aux   disciples  d'Emmaiis,  à   saint  Thomas,  aux   apôtres  réunis 

1  Voir  Honorius  d'Autun,  Sacram  .  cap    \.  et  Guillaume  Durand,  loc.  cit. 

-  Guillau Durand,  lib    VI,  cap.  xxxix. 

;  Dans  le  \iir.nl  de  Bourges,  la   Passi lommence  avec  la  Résurrection  de  Lazare.  La  résurrection  de 

Lazare  en  elTel  marque  le  c mencemenl  de  la  Passion,  puisque  c'est  après  ce  miracle  que  les  Juifs  prirent 

la  résolution  de  faire  mourir  Jésus.  Giolto  à  l'Arma  de  Padouc,  commence  lui  aussi  la  Passion  par  la 
résurrection  de  Lazare 

4  Ce  qui  prouve  clairement  que  1  ; •  représentation  de  l'Entrée  a  Jérusalem  a  été  déterminée  par  la 
Liturgie,  c'est  qu  an  su'  •  ■!  an  \m"  siècle  les  apôtres  qui  suivent  Jésus  sont  représentés  avec  des  palmes  a 
la  main.  Or  m  I  Évangile  <lii  que  les  Juifs  accueillirent  Jésus  Christ  avec  des  branches  d'arbre,  il  m  dil 
pas  que  les  ap  itres  en  portaienl  La  palme  aux  mains  des  apôtres  était  destinée  à  rappeler  la  procession 
Mu  dimanche  di      Ri aux    Ex.     chapiteau  de  Chartres,  vitrail  de  Bourges. 


LE    MIROIR    HISTORIQUE    —    LES    ÉVANGILES  219 

dans  le  cénacle,  à  saint  Pierre  età  ses  compagnons  au  bord  de  la  mer  de  Tibé- 
riade.  Il  ne  faut  pas  voir  là  une  fantaisie  de  maître  Le  Bouteiller,  tailleur  d'ima- 
ges. De  pareilles  représentations  se  rattachent  étroitement  à  la  fête  de  Pâques. 
La  semaine  qui  suit  Pâques  était  tout  entière,  au  x  1 1 1  '  siècle,  une  semaine  de 
iètes  dont  les  fidèles  suivaient  assidûment  les  offices.  I  ne  cérémonie  étrange  et 
symbolique,  la  procession  du  serpent,  qu'on  portait  triomphalement  au  bout 
d'une  perche  jusqu'aux  fonts  baptismaux,  excitait  la  curiosité  populaire1.  Or. 
chacun  des  jouis  de  cette  semaine,  on  lisait,  à  l'évangile,  une  des  apparitionsde 
Jésus-Christ2.  La  fête  de  Pâques  se  prolongeait  doue  en  réalité  jusqu'au  diman- 
che suivant;  et  c'est  précisément  cette  semaine  liturgique  que  l'artiste  avait  été 
chargé  de  rappeler  à  la  clôture  du  chœur  de  Notre-Dame  de  Paris. 

L'Ascension  enfin,  comme  il  est  naturel,  clôt,  dans  beaucoup  d'œuvres  d  art. 
l'histoire  évangélique. 

En  résumé,  il  est  facile  de  reconnaître  que  les  représentations  artistiques 
delà  vie  de  Jésus-Christ  se  groupent  autour  de  sa  naissance  et  autour  de  sa 
résurrection.  Dans  les  cathédrales  du  xme  siècle  on  est  presque  sur  de  rencon- 
trer deux  vitraux  consacrés  à  Jésus-Christ;  l'un  pourrait  s'appeler  le  vitrail  de 
Noël,  et  l'autre  le  vitrail  de  Pâques.  Les  séries  sculptées,  qui  sont  d'ailleurs 
beaucoup  plus  rares,  mériteraient  les  mêmes  noms.  .Mais  une  remarque  est 
nécessaire  :  les  représentations  peintes  ou  sculptées  du  cycle  de  Noël  sonl  sen- 
siblement plus  nombreuses  que  celles  du  cycle  île  Pâques.  Il  est  facile  d'en 
comprendre  la  raison.  En  racontant  l'enfance  de  Jésus-Christ,  on  racontait 
aussi  une  partie  de  la  vie  de  sa  mère,  et,  dans  une  même  œuvre,  on  célébrait 
l'un  et  l'autre.  La  plupart  des  vitraux  (pie  nous  appelons  vitraux  de  I  Enfance 
mériteraient  tout  aussi  bien  le  nom  de  vitraux  de  la  \  ierge.  Il  est  certains  cas 
où  il  ne  peut  y  avoir  d'incertitude,  et  ou  l'artiste  a  lui-même  pris  soin  de  nous 
faire  connaître  sa  pensée.  Au  bas  d'un  vitrail  de  Strasbourg  consacre  a  I  Enfance 
de  Jésus-Christ,  ou  lit  :  .1er,  Maria,  gracia  plena,  inscription  qui  ne  laisse  pas 
de  doute  surl'intention  de  l'auteur  de  l'œuvre.  A  la  rose  septentrionale  du  transepl 
de  la  cathédrale  de  Soissons  se  voient  toutes  les  scènes  de  1  Enfance,  mais  la 
présence  de  la    Vierge  dans  le   médaillon  central  indique  assez  que  I  œuvre  lui 

1   Voir  Guillaume  Durand,  Ration.,  lit)    VI,  cap    lxxxix,  et  Jacques  ,  cap.  lxx. 

Le  serpent  devail  ressembler  au  dragou  qui  surmonte  la  colonne  que  porte  Moïse  .c   Chartres  cl    .1  1 
A  Chartres,  peudanl  la  procession,  on  faisait  brûler  desétoupes  dans  la  gueule  du  >li  r 

llist.  de  Chartres,  1.  I.  Appendice,  p.   >  ri. 

-  Guillaume  Durand,  ilnd. 


2ao  L'ART    RELIGIEUX    DU    XIII0   SIÈCLE 

est  consacrée.  Les  livres  d'heures  nous  fournissent,  jusqu'au  x\"  siècle,  les 
mêmes  témoignages,  et  nous  montrent  la  persistance  d'un  tradition.  On  trouve, 
en  effet,  au  commencement  de  tous  ces  livres,  une  série  de  prières  réunies  sous 
le  titre  d'  «  Heures  de  Notre-Dame».  Or,  cette  partie,  consacrée  uniquement  à 
la  Vierge,  est  toujours  illustrée  de  scènes  empruntées  à  l'Enfance  de  Jésus-Christ, 
i|ui,  à  première  vue.  pourrait  tromper  sur  la  nature  de  l'ouvrage  qu'on  a  entre 
les  mains1. 

D'ailleurs,  dans  les  vitraux  du  xnie  siècle,  où  l'Enfance  de  Jésus-Christ  est 
racontée,  nous  sommes  souvent  avertis  par  telle  ou  telle  scène  introduite  dans 
la  série,  qu'on  a  prétendu  célébrer  la  Vierge  au  même  titre  que  son  lils.  Il  est 
raie,  par  exemple,  que  l'Annonciation  et  la  Visitation  ne  s'y  rencontrent  pas. 
Le  moyen  âge  mettait  dans  de  pareilles  œuvres  tout  son  amour  pour  la  \  ierge. 
Raconter  les  premières  années  de  Jésus,  n'était-ce  pas  célébrer  le  dévouement 
et  la  tendresse  de  Marie  dont  la  protection  et  la  douce  influence  s'étaient  éten- 
dues sur  toute  l'enfance  du  Fils  de  Dieu.  Comment  la  mieux  glorifier  qu'en  mon- 
trant qu'elle  était  indispensable  alors  à  l'œuvre  du  salut,  que  par  elle,  vivait, 
grandissait  le  frêle  enfant  sur  qui  reposait  l'espoir  du  monde? 

Les  vitraux  et  les  sculptures  consacrées  à  l'Enfance  de  Jésus-Christ  témoi- 
gnent, en  réalité,  du  culte  ardent  que  le  xui"  siècle  avait  voué  à  la  .Mère  de 
Dieu  '. 

Voilà  l'esprit  qui  a  présidé  au  choix  des  scènes  de  la  vie  de  Jésus-Christ. 
Nulle  part  n'apparaît  mieux  le  caractère  profondément  dogmatique  de  l'art  i\n 
moyen  âge,  qui  est  la  liturgie  elle-même  et  la  théologie  devenues  visibles. 


Il 


Mais  l'étude  attentive  des  scènes  de  l'Évangile,  telles  que  l'art  les  reproduit, 
nous  réserve  encore  d'autres  surprises  :  un  détail,  une  attitude,  un  personnage 
que  nous  ne  saxons  même  plus  remarquer  aujourd'hui,  faisaient  entrevoir  alors 

1  Voici  quelques  exemples  typiques  :  Bibl.  Nal  Heures,  lat.  i  i  ">8.  921  ;  franc.  iS-  j,  1  i  ilj;.  Mazarine, 
w  491.  '-'—  miniatures  qu'on  trouve  dans  les  Heures  de  ta  Vierge  sont,  à  de  in'^  rares  exceptions  près, 
les  suivantes  :  Annonciation,  Visitation,  Nativité,  Annonce  aux  Bergers  Adoration  des  Mages,  Présenta- 
tion au  Temple,  Fuite  en  Egypte,  Couronnement  de  la  Vierge. 

-  Nous  rattachons  au  désir  <lr  glorifier  La  Vierge  La  scène  <  i  «  *  Jésus  retrouvé  par  ses  parents  discutant 
avec  les  docteurs.  On  la  rencontre  quelquefois  .«11  xme  siècle. 


LE    MIROIR    HISTORIQUE  LES    K  Y  AN'G  ILES  121 

tout  un  monde  de  symboles.  Les  artistes  du  x  1 1 1  '  siècle,  éclairés  par  les  théolo- 
giens, virent  dans  l'Evangile  non  pas  un  recueil  de  tableaux  pittoresques  ou 
touchants,  niais  une  suite  de  mystères. 

Il  nous  semble,  à  nous  qui  sommes  si  peu  familiers  avec  les  livres  du  moyen 
âge,  que  l'Evangile  ne  comporte  aucun  symbolisme.  Si  1  Ancien  Testament 
peut  passer  tout  entier  pour  une  figure,  le  Nouveau  ne  doit-il  pas  être 
considéré  comme  la  réalité  elle-même.'  Qu'v  a-t-il  à  chercher  derrière  les  faits 
qu'il  nous  raconte.1  In  chrétien  peut-il  faire  autre  chose  que  de  les  lire  en 
toute  simplicité.'  —  Tel  ne  lut  pas  pourtant  l'avis  des  docteurs  du  moyen 
âge.  Sans  doute,  le  Nouveau  Testament  est  la  réalité  suprême,  mais  la 
parole  inspirée  des  évangélistes  est  si  profonde  qu'elle  a  une  résonance 
infinie.  Chacun  des  actes  de  Jésus-Christ,  chacun  des  mots  qu'il  prononce  con- 
tient le  présent,  le  passé,  l'avenir.  Les  Pères  de  l'Église  nous  font  entrevoir 
quelques-uns  de  ces  mystères;  ils' nous  montrent  que  le  Nouveau  Testament 
esl  aussi  symbolique  que  l'Ancien  et  qu'on  peut  chercher,  dans  l'un  comme 
dans  l'autre,  le  sens  historique,  le  sens  allégorique,  le  sens  tropologique, 
le  sens  anagogique.  La  Glose  ordinaire  de  Walafried  Strabo  applique  au  Nou- 
veau Testament  le  même  système  d'interprétation  qu'à  l'Ancien.  Nous  conti- 
nuerons à  suivre  ce  eruide  célèbre,  sûrs  d'être  avec  lui  dans  la  vraie  tradition 
chrétienne. 

Parmi  les  scènes  de  la  vie  de  Jésus-Christ  que  nous  avons  énumérées,  il  en 
est  quatre  ou  cinq  dont  la  représentation  donne  lieu  au  plu--  curieux  symbo- 
lisme. 

D'abord  la  Nativité.  Le  \m"  siècle,  fidèle  d'ailleurs  à  la  tradition  des  siècles 
antérieurs,  représente  la  naissance  de  Jésus-Chrisl  d'une  façon  qui  ne  manque- 
rait pas  de  nous  paraître  singulière,  si  nous  nous  donnions  seulement  la  peine 
d'observer.  Il  n'y  a  dans  celte  scène,  si  souvent  reproduite  sur  les  \  itraux,  rien 
de  tendre,  on  pourrait  presque  dire  rien  d'humain.  On  ne  voit  jamais,  comme 
chez  les  Quattrocentistes  italiens,  la  mère  agenouillée  devant  l'enfant,  le  con- 
templant les  mains  jointes,  l'enveloppement  d'un  amour  infini  Au  xin  siècle. 
.Marie,  étenduesur  son  lit,  semble  détourner  la  tête  pour  ne  pas  voir  son  t i  1  —  ; 
elle  regarde  vaguement  devant  elle  quelque  chose  d'invisible.  Quanl  à  l'enfant, 
il  est  couché,  non  pas  dans  une  crèche,  mais  chose  étrange,  sur  \n\  autel  élevé 
qui  occupe  toute  la  partie  centrale  delà  composition;  une  lampe  est  su -peu  due 
au-dessus  de  sa  tête  entre  des  rideaux  ouverts.  La  scène  a  l'air  de  se  passer  non 


L'ART    RELIGIEUX    DU    XIII"   SIÈCLE 

pas  dans  une  étable,  mais  dans  une  église  fig.  98).  Et,  en  effet,  c'est  bien  à 
une  église  que  les  artistes  théologiens  du  moyen  âge  ont  voulu  nous  faire  son- 
ger.  Dès  l'instant  où  il  est  né,  Jésus-Christ  doit  apparaître  sous  l'aspect  d  une 
victime.  La  crèche  où  il  repose,  dit  la  Glose,  est  l'autel  même  du  sacrifice'. 

Devant  un  tel  mystère,  les  sentiments  humains  se  taisent,  et  même  l'amour 
maternel.  Marie  garde  un  religieux  silence  ;  elle  repasse  dans  son  esprit,  disent 

les  commentateurs,  les  paroles  des  prophètes  et 
les  paroles  de  l'ange  qui  viennent  de  se  réaliser. 
Saint  Joseph  imite  son  silence,  et  tous  les.  deux 
immobiles,  les  yeux  fixes,  semblent  écouter  leur 
âme.  11  v  a  loin  d'une  pareille  conception,  si 
grandiose  et  toute  théologique,  aux  «  crèches» 
pittoresques,  qui  apparaissent  au  commence- 
ment du  xvc  siècle  et  qui  marquent  la  fin  du 
grand  art  religieux2. 

Le  xnr  siècle,  ici  comme  partout,  donne  à 
des  idées  antérieures  leur  forme  suprême3.  Les 
manuscrits  îles  Xe,  xi',  x  1 1  siècles,  où  Jésus  est 
représenté  couché,  non  dans  la  crèche,  mais  sur 
l'autel,  où  .Marie  semble  se  détourner  de  son 
fils,  sont  nombreux'.  La  disposition  symbolique 
que  nous  signalons  a  été  évidemment  inventée 
à  une  haute  époque  par  des  moines,  a  la  lois 
artistes  et  théologiens.  Les  ateliers  monastiques  la  transmirent  aux  artistes 
laïques  du  xm"  siècle. 


I  .  _    98,  —  La  Nativité. 
Vii  .  m-,  lai    1 7 ';■.'(;,  mm1  siècle. 


1   ainsi'  ord  .  in  Luc  .  cap.  il  :  »    Ponitur  in  pr<es  ipio,  ï •  1  est  corpus  Christi  super  altare.    » 
-    I  n  manuscrit  français  du  mu    siècle,  aujourd'hui  au  Vatican,  nous  montre  au  dessus  de  Jésus  enfant 
couché  sur  L'autel,  Jésus  crucifié.  L'arbre  de  La  croix  sort  de  L'autel  même  où  esl  couché  L'enfant.  Le  sym- 
bole ici  parli    aux  yeux     La   miniature  donnée  par  d'Agincourl  a  été  reproduite  par  J.-C  Broussolle     Le 
Christ  de  la  légende  dorée,  p.  10. 

La  N  tlivilé  esl  représentée  suivant  la  formule  que  nous  indiquons  dans  une  foule  d'eeuvres  du  xme  siècle, 

nui. icnl  :  vitrail  do  Tours  [chapelle  centrale  de  I  abside  .  vitrail  de  Sens    chœur  ,  vitrail  de  Lyon,  vitrail 

de  *  )ha  ri  res,  etc. 

■   \  oici    I  indication  'I  un  certain  nombre  de  manuscrits  qui  permettront  de  suivre  la   filiation  du  type  : 
liilil     Nai.,    mss   lai..,i'S    i\    siècle),   ij3i5  ,\r   .  17961  (xn    .    1 .  >  ;  ;  j    xii°),  833     su1  .  1077     ml    •   '7'-1"1 

mu"),   11  '!        1  ;  ■  î    \in    .  1  ig  j    mv       Bibl.  Sainte-Geneviève,  n3o  (xiv'         -   Dès  Le  xiv°  siècle,  la 

tradition  salin.     Dans  [e  fameux  Bréviaire  des  Frères  prêcheurs,  «lit   Bréviaire  de  Belleville  iLîibl.  Nat., 

ins   lai.  10484, xn    siècle),    déjà  la  Vierg sse  l'enfant.  D'autre  part,  le  vieux  type  symbolique  se  ren 

contre  encore  eu  plein  w     siècle.  .Voir  Forgeais,  Plombs  historiés,  t.   IV.  p.  22.) 


LE   MIROIR    HISTORIQUE   —   LES   EVANGILES 

Apres  la  naissance  de  Jésus-Christ,  <-Ysl  sa  mort  qui  offre  dans  l'art,  comme 
on  doit  s'y  attendre,  le  plus  riche  symbolisme.  Au  \m"  siècle,  les  artistes,  en 
représentant  la  Crucifixion,  se  proposent  beaucoup  moins  de  nous  attendrir 
sur  les  souffrances  de  I  Homme-Dieu,  que  de  nous  remettre  en  mémoire  deux 
grandes  idées  dogmatiques,  dont  la  première  est  que  Jésus-Christ  est  le  nouvel 
Adam  venu  en  ce  monde  pour  effacer  la  faute  de  l'ancien,  et  dont  la  seconde 
est  qu'il  a,  ce  jour-là  même,  donné  naissance  à  l'Eglise  et  aboli  tous  les  pou- 
voirs de  l'antique  Synagogue. 

L'idée  que  Jésus-Christ  est  le  nou- 
vel Adam  fut  si  familière  aux  hommes 
du  moyen  âge  qu'ils  la  présentèrent 
sous  toutes  les  formes  possibles.  En 
un  pareil  sujet,  ils  poussèrent  l'amour 
de  la  symétrie,  qui  fut  une  de  leurs 
passions,  jusqu'à  ses  dernières  limites. 
Ils  voulaient  que  l'ange  eut  annoncé  à 
Marie  qu'elle  enfanterait  le  Sauveur 
dans  le  lieu  même  où  Dieu  avait 
façonné  Adam  avec  le  limon  primitif, 
et    Ton    continuait     à     croire,    malgré 


Fig.  99.  —  I.a  Nath  it<i 
portail  île  la  cathédrale  de  Laon' . 


quelques  docteurs  scrupuleux2,  que 
Jésus-Christ  était  mort  à  l'endroit  précis  où  Adam  était  enterré,  de  sorte 
que  son  sang  avait  coulé  sur  les  os  de  notre  premier  père3.  La  croix  n'avait 
pas  été  faite  d'un  bois  quelconque,  mais  c'était  l'arbre  même  du  bien  et  A\i  mal, 
dont  le  tronc,  après  avoir  jadis  servi  île  pont  à  la  reine  de  Saba,  quand  elle 
entra  à  Jérusalem,  avail  été  miraculeusement  conservé  au  fond  de  la  piscine 
probatique,  de  sorte  (pie,  par  un  décret  de  Dieu,  l'instrument  de  la  chute  étail 


1   On  conserve  dans  le  trésor  de    Monza  des  eulogios   faites  avec  de  pi  ni-  s  galotti  s   de  li  mpée, 

provenaul  de  l'endroit  un  eul  lieu   l'Annonciation  el  nu  ha   formé  Adam  (voir  Barbier  de   Monlault,  Bullet. 

m  a  11 11  m  ,   ■  88  j,  p.  1  15).   D'anciens  calendriers   porteul  au  a  5  mars  la  double  nié ire  de  la  nia  in  m  d'Adam 

el  de  I  Incarnation.   I.  idée  de  placer  au  même  endroil  la  Création  el  1  Annonciation  remonte  liaul  :  1 

déjà    indiquée  dans  Pseudo-Abdias,    Vie    de  saint    Barthélémy    voir  Migne,    Dicl     des    an       •  I.    II. 

col    1  '1  j 

-   \  oir  Glose  ordin  ,  in  Mattli.,  cap.  xxvn  :     Golgolha  interpréta  lur  Cal  va  ri,u,  non  ab  1  alvi  pu  m 

mentiuntur  ibi  scpull  uni. 

I  a  vitrail  d'Angers    xm     siècle    el   un  vitrail   de    Beauvais     Vitraux   <lr   Boni  l\     1 

Ad; 1  Ifvc  reccvanl  le  sang  qui  coule  de  la  croix. 


124  L'ART    RELIGIEUX    1)1"   XIII"   SIÈCLE 

devenu  celui  île  la  rédemption'.  Enfin,  le  jour  et  l'heure  delà  mort  de  Jésus- 
Christ  n'étaient  pas  sans  une  signification  mystérieuse,  car  Jésus  fut  mis  à  mort 
un  vendredi,  le  jour  même  où  Adam  fut  créé,  et  il  rendit  l'esprit  à  la  troisième 
heure,  c'est-à-dire  à  l'heure  précise  où  Adam  commit  la  faute  qui  perdit  le  genre 
humain". 

11  u  était,  certes,  pas  facile  de  fixer,  de  condenser  toute  cette  poésie  qui  flot- 
tait autour  de  la  croix.  Les  artistes  y  réussirent  pointant.  Us  surent  traduire 
aux  yeux  une  des  idées  les  plus  étonnantes  des  docteurs  sur  le  nouvel  Ad. nu. 
De  même  qu'Eve  est  sortie  du  côté  d'Adam  pendant  son  sommeil,  pour  perdre 
le  genre  humain,  de  même,  nous  disent  les  Pères,  l'Eglise  est  sortie,  pour  sau- 
ver l'humanité,  du  liane  ouvert  de  Jésus  mort  ou  plutôt  emdormi  sur  la  croix. 
Le  nouvel  Adam  a  produit  une  nouvelle  Eve.  Le  sang  et  l'eau  qui  jaillirent  de  la 
plaie  de  Jésus-Christ  sont  le  symbole  même  des  deux  principaux  sacrements  de 
l'Église  :  le  baptême  et  l'eucharistie3.  — Les  artistes  prirent  au  pied  de  la  lettre 
l'idée  des  théologiens  et  la  réalisèrent  non  sans  grandeur.  Ils  imaginèrent 
d'abord  que  la  lance  dont  le  cœur  de  Jésus-Christ  avait  été  percé,  était  entrée 
par  le  côté  droit  et  non  parle  côté  gauche,  comme  le  voudrait  la  vraisemblance. 
Ils  placèrent  donc  à  droite  la  plaie  de  Jésus-Christ  pour  nous  laisser  entendre 
que  cette  plaie  est  avant  tout  symbolique.  Elle  est  la  plaie  du  côté  droit  d'Adam 
ou  encore  la  porte  mystérieuse  qui  s'ouvrait  dans  le  flanc  de  l'arche '.  Près  de 
cette  plaie,  ils  mirent  la  nouvelle  Eve,  l'Eglise,  sous  la  figure  d'une  reine  qui 
recueille  dans  son  calice  le  sang  et  l'eau.  Enfin,  il  leur  arriva  parfois,  comme 
dans  un  vitrail  de  Sens  (fig.  101,  médaillon  du  bas)  et  un  vitrail  de  Rouen,  pour 
rendre  leur  idée  plus  claire  encore,  de  représenter  près  de  la  croix  le  séraphin 


1  Voir  Leg  cuir.,  De  invent,  sanci  crue,  el  Eïonorius  il 'A  ni  un.  Spec.  Ecoles  ,  De  invent,  sanct.  crue.  Voir 
aussi  du  Méril,  Poésies  latines  du  moyen  âge,  i  <S  j 7 .  p     ;■ 

-  Voir  Glose  ordin.  in  Marc,  cap.  w,  et  lionorius  d'Autun,  Hexaemer.,  cap.  vi,  De  Incarnat.  Christi: 
1  Et  qua  hora  lerrenus  homo  invasil  pomum,  humanum  genus  interempturus,  eadem  hora  toleravit  crucem 
ci  mortisamaritudincm  cœlestis  homo,  universum  m  m  ne  lu  m  redempturus.  »  Voir  encore  Vincent  de  Beauvais, 
Spect.  lu  si. .  h  li.  [,cap.  lvi,  et  lil>.  VII,  cap,  \i.\  ;  Jacques  de  Voragine,  Leg  aur.,  De  passion.  Christi,  cap.  lui. 
La  Légende  dorée  énumère  .m  s  m  (cap.  11  tes  grands  événements  de  1  histoire  religieuse  qui  ont  eut  lieu  le 
même  jour;  ce  sonl  :  l'Annonciation,  la  Visitation,  la  mon  de  Jésus-Christ,  la  naissance  d'Adam,  la  chute 
d'Adam,  la  mort  d'Abel,  l'offrande  de  Melchisédech,  le  sacrifice  d'Abraham. 

Voir  Glose  ordin.,  in  Joau.,  \i\.  L'idée  remonte  aux  Pères  de  l'Église  Sainl  Augustin  écrit  : 
Dormil  Adam   ut   liai  Eva,  moritur  Christus  ul  fiai    Ecclesia.   Dormienli  Adœ  lii  Eva  de  lalere;  mortuo 

Chrislol :ea  perçu  tilur  latus,  ut  profluant  sacramentaquibusformetur  Ecclesia     1    Tract,  in  Joan.,   tx,   10). 

Voir  encore  te  poème  de  sainl  Avil,  De  spirit.  hisi  gestis,  1.  \.  nio.  Au  moyen  âge  les  textes  sont  tn- 
nombreux.  Voir  Honorius  d  Autun,  Spet  .  1      les.,  col    910,  et  V.  de  B.  Spec.  hist.,  lib.  \  II.  cap.  \lm. 

Glose  ordin.,  in  Joan.,  XIX. 


LE    MIROIR    HISTORIQUE    —    LES    ÉVANGILES 
qui  chassa   nos  premiers  parents   du  paradis   terrestre  :   mais   ici,    l'ange  n'esl 
plus  le   ministre   des  vengeances  de   Dieu;  il  nous  annonce,  au  contraire,  en 
remettant  son  épée  flamboyante  au  fourreau,  qu'un   nouvel  Adam  a   payé  pour 
l'ancien  et  que  la  colère  divine  est  satisfaite1. 

En  représentant  Jésus  mourant  sur  la  croix,  les  artistes  i\{[  xin"  siècle  ont 
donc  moins  songé  à  nous  attendrir  qu'à  nous  rappeler  le  dogme  de  la  chute  el 
de  la  rédemption,  la  pensée  maîtresse  du  christianisme. 

.Mais  une  autre  idée  non  moins  importante  leur  parut  digne  d'être  exprimée 
dans  le  même  moment.  Jésus  en  mourant  n'a  pas  seulement  donné  naissance  à 
l'Eglise,  d  a  en  même  temps  aboli  les  pouvoirs  île  la  Synagogue,  Sur  le  Calvaire, 
a  1  heure  même  où  Jésus  rendit  l'esprit,  la  Synagogue  avec  ses  sacrifices  san- 
glants, qui  n'étaient  que  des  symboles,  avec  sa  Bible,  dont  elle  ne  pouvait  pas 
comprendre  le  sens,  s'évanouit  devant  l'Eglise.  Désormais  l'Eglise  seule  aura 
le  pouvoir  île  célébrer  le  Sacrifice,  seule  elle  pourra  expliquer  les  mystères  du 
Livre  -, 

La  défaite  de  la  Synagogue  et  la  victoire  de  l'Eglise  au  pied  de  la  croix  furent 
trop  souvent  célébrées  par  la  Théologie  pour  que  les  artiste-  n'aient  pas  eu 
l'idée  de  les  représenter  en  ce  moment  solennel.  Ceux  du  xni'  siècle  n'y  man- 
quèrent pas,  forts  d'ailleurs  d'une  longue  tradition  a  laquelle  ils  ne  firent  que 
se  conformer3.  Ils  mirent  donc  l'Église  a  la  droite  de  Jésus-Christ  crucifié  et  la 
Synagogue  à  sa  gauche.  D'un  coté  l'Église,  couronnée,  nimbée,  un  étendard 
triomphal  a  la  main,  recueille  dans  le  calice  l'eau  et  le  sang  qui  soi  lent  de  la 
plaiedu  Sauveur.  De  l'autre  côté  la  Synagogue,  les  yeux  couverts  d'un  bandeau, 
tient  d'une  main  la  hampe  brisée  de  son  drapeau,  et  de  l'autre  laisse  échapper 
les  tables  île  la  Loi,  pendant  (pie  la  couronne  tombe  de  sa  tête  fig.  [OO  .  Les 
attributs  de  la  Synagogue  lui   venaient  d'un  passage  de  Jérémie  que   le  moyen 


1    Le  vitrail  de  Sens  et  le  vitrail  de  Roueu  uni  été  publiés  par  Cahier.   Vitraux  de  Bourg ide  \\ll 

et  étude  XII.    Voir  aussi  ce  qu  il  <lit  du  cycle  des  deux  Adam  :    Vitraux  de  Bourges,  p     sc<5  et  suiv.         Les 
miniaturistes  sont  plus   hardis  encore  que   les  peintres    verriers    Ils  représenlenl  1  Eglise  si  rtanl  à  ■ 
du  côté  droit  de  Jésus-Christ.    Voir  Bibl.  N'at  .  eus    français   9261,  I"  6  el  f°  _.  v°     on   la  prés  des  m 
tures  :  «  Eve  qui  yssi  hors  del  coste  Adam  senefie  Sainte  Église  qui  isl  lors  del  coste  Jhucrist.  > 

-'   Voir  Ludolphe.    Vita  Çhristi,  cap,  Lin. 

:  L'idée  grandi  use  de  personnifier  les  deux  doctrines  n'esl  pas  byzantine.  M.  de  Liuas  .1  assez  bien  démon- 
tré que  les  deux  ligures  de  I  Eglise  et  de  la  Synagogue  sont  nées  en  Auslrasie  .mx  temps  carolingi< 
de  l'art  chrét.,  1883,  p.  212.  Le  plus  ancien  exemple  qu'on  en  connaisse  se  trouve  dans  le  Sacramentaire 
de  Drogon  qui  date  du  milieu  du  i\  siècle.  Le  point  de  dépari  de  ces  représentations  .1  peut-être  été 
i'Altercalio  Ecclesiœ  et  Synagogx,  attribuée  à  s.iini  Augustin  [Patrol.,  t.  M. II.  col.  11I1  .  Sur  ce 
sujet,  voir  P.  Weber,  Geistliches  Schauspiel  und  iirchliche  Kunst  in  ihreui  Verltàltniss  erlàutert  'in 
Iconographie  der  Kirche  und  Synagoge   Stuttgart,  iS.M.  in-8 


226  L'ART  RELIGIEUX    1)1     XIII     SIECLE 

âge  lui  appliquait  :  «  Malheur  à  nous,  dit  le  prophète,  parce  que  nous  avons  péché, 
nos  yeux  se  sont  couverts  de  ténèbres,  notre  cœur  est  devenu  triste  et  la  cou- 
ronne est  tombée  de  notre  tête.  Parfois,  comme  dans  les  fragments  d'un  vitrail 
du  Mans,  pour  mieux  marquer  l'opposition  des  deux  sacerdoces,  saint  Pierre  se 
tient  aux  côtés  de  l'Eglise,  et  Aaron  près  de  la  Synagogue  dont  il  soutient  la 
défaillance  '. 

11  était  difficile  de  donner  une  forme  plus  claire  et  plus  pittoresque  à  une 
idée  abstraite.  Mais  ce  n'est  pas  toujours  dune  façon  aussi  explicite  que  les 
artistes  représentent  le  triomphe  de  l'Église  sur  la  Synagogue  au  pied  de  la 
croix.  Ils  ont  parfois  recours  à  un  symbolisme  plus  caché,  et  que  nous  ne  pour- 
rions même  pas  soupçonner  aujourd'hui  sans  le  secours  des  commentateurs  des 
Evangiles.  11  arrive  parfois,  en  effet,  qu'aux  côtés  de  Jésus  l'Eglise  est  remplacée 
par  le  centurion  et  la  Synagogue  par  le  porte-éponge  i.  Ces  deux  personnages, 
symétriquement  opposés,  apparaissent  dès  les  plus  hauts  temps,  et  il  faudrait 
être  peu  familiarisé  avec  les  idées  du  moyen  âge,  pour  croire  qu'ils  jouent  là 
simplement  un  rôle  historique.  On  n'aurait  pas  fait  tant  d'honneur  à  des  acteurs 
secondaires  du  drame  de  la  Passion,  et  surtout  on  ne  les  aurait  pas  placés  inva- 
riablement l'un  à  gauche,  l'autre  à  droite  de  la  croix.  Tous  les  deux  sont  des 
symboles.  Le  centurion  romain,  qui,  après  avoir  ouvert  de  sa  lance  le  côté  droit 
de  Jésus-Christ,  reconnaît  qu'il  est  vraiment  le  Fils  de  Dieu  et  proclame  haute- 
ment sa  croyance,  c'est  l'Eglise  nouvelle.  11  est  là  pour  nous  apprendre  que  la 
foi  a  passé  en  ce  jour  des  Juifs  aveuglés  aux  Gentils  qui  recouvrent  la  vue8. 
Quant  au  porte-éponge,  dont  la  tradition  a  toujours  fait  un  Juif,  c'est  la  Syna- 
gogue elle-même.  Le  vinaigre  dont  il  emplit  l'éponge  est  l'ancienne  doctrine 
qui  vient  de  se  corrompre  :  car,  désormais,  l'Eglise  sera  seule  à  verser  le  vin 
généreux  de  la  science  divine1. 

Mais  il  y  a  mieux  encore.  11  arrive  souvent  qu'à  la  place  des  personnages 
symboliques  dont  nous  venons  de  parler,  les  artistes  se  sont  contentés  de  repré- 
senter au  pied  de  la  croix  la  Vierge  et    saint  Jean.  La  présence  de  la  Mère    de 

1    Vitraux  de  Bourges,  pi   d'étude  VI. 

-  Par  exemple  au  beau  vitrail  de  la  cathédrale  de  Poitiers. 

1  Glose  ordin.,  in  Luc,  xxm.  La  légende  veut  que  Longin  ail  été  aveugle  et  que  le  sang  de  Jtsus  l'ail 

guéri.  On  voit  con ;nl  une  idée  dogmatique  a  pu  donner  naissance  à  une  légende  <l  apparence  populaire. 

Les  manuscrits  noua  montrent  parfois  Longin  recevanl  unjel  de  sang  sur  les  yeux.  Il  j  porte  vivemenl  la 
main  el  semble  se  frotter  avec  le  sang.  Voir  par  ex,  Bibl.  -N.a.  tus.  latin  i  —  » _> * >  :  Évangéliairc  de  la  Sainte- 
Chapelle,  xiii0  siècle. 

1   Glose  ordin.,  in  Joan,,  \i\. 


LE    M1R0I1!    HISTORIQUE   —    LES    EVANGILES 

Dieu  cl  de  l'apôtre bien-aimé  n'a  rien  qui  doive  surprendre;  ils  sont  à  la  place 
que  leur  assigne  l'Evangile.  Mais  le  génie  tin  moyen  âge  fut  si  —  1 1 1  >  l  i  1  qu'il  a 
voulu  là  encore  découvrir  du    mystère.    Aux  veux  des  théologiens,  Marie  n'est 


1  ig     ioo  1.  I  glise  i  i  la  Synagogm    (vitrail  de  Bourges 

[D'après  Martin  et  Cahier 

pas  seulement  la  mère  de  Jésus,  elle  est  encore  l'Eglise  personnifiée;  quant  à 
Jean,  si  étrange  qu'un  tel  symbolisme  puisse  nous  paraître,  il  représente  la 
Synagogue.  —  Que  Marie  dans  certains  cas  symbolise  l'Eglise,  c  est  ce  qui  ne 
peut  taire  de  doute  pour  quiconque  est  familier  avec  la  littérature  patristique 
du  moyen  âge.  Isidore  de  Séville,  en  résumant  il  un  mot  la  doctrine  des  pre- 
miers  siècles,  dit  dans  ses  Allégories  :  <s  Marie  est  la  figure  de  l'Eglise  .  Tout 
le  moyen  âge  l'a  répété  après  lui.  Marie  symbolise  l'Eglise  dans  presque  toutes 


lllegor.,  i38.  i  !g    Voir  aussi  saint  Ambroisc.  Cumin    m  Luc,  i,    '7. 


aa8  L'ART    RELIGIEUX   DU   XIII6    SIECLE 

les  circonstances  de  sa  vie,  mais  surtout  au  moment  où  elle  se  tient  debout  près 
de  la  croix.  Quand  Jésus  expira,  personne  au  inonde,  pas  même  saint  Pierre, 
n'avait  plus  la  foi  :  seule  Marie  ne  doutait  point.  L'Eglise  tout  entière,  comme 
dit  Jacques  de  Voragine,  s'était  réfugiée  dans  son  cœur1.  Marie  est  donc 
l'Eglise,  et,  à  ce  titre,  elle  mérite  la  place  qu'elle  occupe  à  la  droite  de  Jésus 
expirant  ;  —  et  elle  la  mérite  d'autant  mieux  qu'elle  est  encore  la  nouvelle  Eve, 
bien  digne  de  figurer  au  côté  droit  du  nouvel  Adam.  Le  moyen  âge  a  comparé 
si  souvent  Marie  à  Eve,  qu'il  serait  superflu  d'insister  sur  ce  point.  Il  suffira  de 
rappeler  que  le  nom  d'Eva,  retourné  par  l'ange,  au  moment  de  la  salutation,  et 
cbangé  en  Ave,  apparaissait  comme  une  des  innombrables  preuves  de  cette 
ressemblance. 

Il  ne  saurait  donc  y  avoir  de  doute  sur  la  signification  mystérieuse  du  per- 
sonnage de  Marie  au  pied  de  la  croix.  Il  parait  plus  difficile  que  saint  Jean 
puisse  symboliser  la  Synagogue  :  les  Pères  nous  l'expliquent  pourtant.  Saint 
Jean,  dans  l'Evangile,  n'a,  il  est  vrai,  figuré  la  Synagogue  qu'une  fois;  mais 
c'était  assez  pour  que  les  artistes  fussent  autorisés  à  le  mettre  à  la  gauche  de 
la  croix.  Saint  Jean  raconte  dans  son  Evangile  que  le  matin  de  la  Résurrection 
il  courut  au  tombeau  en  même  temps  que  saint  Pierre.  Saint  Jean  arriva  le 
premier,  mais  il  ne  voulut  pas  entrer,  et  il  laissa  passer  saint  Pierre  avant  lui. 
Quesignifie  l'acte  de  saint  Jean,  dit  saint  Grégoire  le  Grand,  sinon  que  la  Syna- 
gogue, qui  était  la  première,  doit  désormais  s'effacer  devant  saint  Pierre,  c'est- 
à-dire1  devant  l'Eglise2?  Saint  Jean  a  donc  une  luis  dans  sa  vie  symbolisé  la  Syna- 
gogue, et  il  était  légitime  de  le  mettre  en  opposition  avec  Marie,  figure  de 
l'Eglise. 

Ainsi,  la  présence  de  la  Vierge  et  de  saint  Jean  à  droite  et  à  gauche  de  la 
croix,  a,  au  xiiU  siècle,  un  sens  superhistorique.  Si  on  pouvait  en  douter,  il 
suffirait  de  jeter  un  coup  d  œil  sur  le  vitrail  de  Rouen  où,  dans  [a  scène  du  cru- 
cifiement, on  voit  l'Eglise  aux  côtés  de  Marie  et  la  Synagogue  pics  de  saint  Jean. 
Qu'on  étudie    encore  le    vitrail  de    Tours    et  le    vitrail    du  Mans  publiés  par  le 


1  Jacques  de  Voragine  Mariale.  I.  Senno  '•  On  remarquait  encore  que.  le  Samedi  Saint,  la  Vierge 
n'avait  pas  apporte  de  parfums  au  tombeau  parce  que  seule  elle  conservai!  l'espoir  en  la  résurrection. 
En  ces  jours  de  douleur,  à  elle  seule  elle  était  l'Eglise. 

Voir  sainl  Grégoire  le  Grand,  llomcl,  XXII,  in  Evang.  Juan.,  xxii,  1-9,  el  la  '-/use  ordin.,  m  Joan., 
xxn.  Le  samedi  après  Pâques,  on  Usa  il  dans  l'évangile  de  sainl  Jean  le  récit  de  la  course  'les  deux  disci- 
ples au  tombeau;  on  lisait  ensuite  L'homélie  de  sainl  Grégoire  le  •  ira  ml  qui  commente  symboliquement  le 
passage.  Voir  Bibl.  Sainte-Geneviève.  Lection.,  ms    1  ;,s,  l"  13. 


LE    .MIROIR    HISTORIQUE      -    LES    EYA.M.ILES  ■  , 

P.  Cahier.  Dans  ces  deux  vitraux,  toutes  les  scènes  qui  se  groupent  autour  de 
la  croix  expriment  I  idée  unique  que  Jésus,  en  mourant,  a  substitué  l'Eglise  à  la 
Synagogue.  — Il  est  donc  légitime  de  supposer  que  la  Vierge  et  saint  Jean  sont 
destinés  eux  aussi  à  rappeler  l'Église  et  la  Synagogue  dont  tout  nous  parle  ici. 
L'idée  d'une  nouvelle  alliance,  dune  transmission  de  pouvoirs  sopérant  au 


è 


Fig     mi.  —  Crucifixion  symbolique. 
(.Miniature  de  Vt/orlus  deliciarum.) 

pied  de  la  croix,  fut  si  familière  aux  hommes  du  moyen  âge  que  toutes  les  cir- 
constances de  la  1 '.is- ion  la  leu r  rappelaient.  —  Les  deux  larrons  crucifiés,  I  un  a 
droite,  l'autre  à  gauche  de  Jésus-Christ,  étaient  considérés  eux-mêmes  comme 
le  symbole  de  l'Eglise  nouvelle  el  de  la  vieille  Synagogue1. 

On  trouve  donc  dans  la  crucifixion  symbolique,  telle  qu  elle  lui  conçuealors, 
la  complète  symétrie  et  la  perfection  mathématique  qui  plaisaient  par-dessus 
tout  au  nio\ en  âge. 

l'nc  œuvre  du  \n"  siècle  résume  si  heureusement    ce  que    non-   venons  de 


1   Isidore,    Allegor.,  col     •:        ■     Duo  lalrones  populum  cxprimunl   :  el    Geuliuiu. 

un/m.,  in  .lu. m  .  \i\.   18  :  <i  Latro  qui  pcrmausil  in  perfidia  signilical    lud;i  os.  s 


;..  L'ART    RELIGIEUX    DU    XIIIe   SIECLE 

dire,  qu'on  nous  permettra  de  la  citer,  bien  qu'elle  n'appartienne  pas  à  l'époque 
que  nous  avons  choisie.  Une  miniature  de  VHortus  deliciarum  représente  la  cru- 
cifixion avec  tous  ses  détails  symboliques  '  (fig.  101).  A  droite  de  la  croix,  on  voit 
le  centurion,  la  Vierge,  le  bon  larron,  enfin  l'Eglise  assise  sur  une  monture  à 
quatre  tètes  où  Ton  peut  reconnaître  chacun  des  animaux  évangéliques.  A  gain  lie. 
on  voit  le  porte-éponge,  saint  Jean,  le  mauvais  larron,  enfin  la  Synagogue  mon- 
tée sur  làne,  la  bête  entêtée  qui,  lorsqu'il  faut  avancer,  recule.  Le  voile  déchiré 
du  Temple,  placé  dans  le  haut  de  la  composition,  en  donne  le  sens  général  et 
montre  bien  qu'il  s'agit  de  la  substitution  de  la  Nouvelle  Loi  à  l'Ancienne.  L'in- 
térêt de  cette  miniature  est  de  nous  offrir  groupés  des  éléments  qu'on  ne  trouve 
d'ordinaire  qu'isolés.  Devant  un  pareil  ensemble,  il  ne  peut  rester  aucun 
doute  sur  la  signification  symbolique  de  tel  ou  tel  personnage  pris  en  parti- 
culier. 

Pourquoi  le  moyen  âge  a-t-il  tant  aimé  cette  crucifixion  symbolique  dont  le 
sens  s'est  perdu  dans  la  suite.1  Peut-être  en  trouverait-on  la  raison  dans  le  désir 
de  convaincre  les  Juifs  de  l'inanité  de  leur  foi,  ou  plutôt  dans  le  désir  de  rassu- 
rer les  fidèles  contre  l'orgueil  du  peuple  obstiné  qui  prétendait  toujours  être 
seul  capable  d  expliquer  le  Livre.  Les  deux  grandes  ligures  de  la  Synagogue 
aux  yeux  voilés  et  de  l'Église,  qu'on  voyait  à  la  façade  de  Notre-Dame  de  Paris', 
disaient  très  haut  aux  Juifs  que  la  Bible  n'avait  plus  de  sens  pour  la  Synagogue, 
aux  chrétiens  qu'elle  n'avait  plus  de  mystère  pour  l'Eglise.  C'est  en  tout  cas  le 
fond  de  L'argumentation  d'un  Isidore  de  Séville  ou  d'un  Pierre  Alfonse  dans 
leurs  livres  d  apologétique  chrétienne  écrits  pour  convertir  les  Juifs  :.  Une 
légende,  très  populaire  au  moyen  âge,  résumait  avec  force  tout  cet  ensemble 
d  idées.  On  disait  que  la  croix  de  Jésus-Christ  avait  été  orientée  de  telle  sorte 
qu  il  avait  derrière  lui  Jérusalem  et  devant  lui  Home.   Il  s'était  donc,  à  l'heure 

1  Conservée  par  Baslard,  Calques  (Cabinel  des  Estampes  .  —Voir  encore  dans  la  collect.  Bastard   Cabi- 
nel  '1rs  lisi  i.  i.   VII,  une  crucifixion  symbolique  du  \w  siècle,  analogue  à  celle  de  VHortus  deliciarum. 
-   Elles  mil  été  refaites    Reims  nous  montre  deux  fois  l'Eglise  el  la  Synagogue,  au  portail  du  midi    près 

de  1 saci     et  au  portail  occidental,   sous  deux   clochetons,  près  de  la  croix  de  Jésus-Christ.    L'Église  el 

i  :    nagogue  du  portail  ridi I  de  ta  cathédrale  de  Strasbourg  sont  justement  célèbres.  A  S.iini  Seurin 

de  Bordeaux,  la  Synagogue  a  les  yeux  voilés,  non  par  un  bandeau,  mais  par  la  queue  d'un   drag [ui   se 

li.'ni  derrière  sa  tète.  Il  en  était  de  même  à  Paris. 

Isidore  de  Séville,  De  fi.de  catholica.  .  adv  Judxos.  Pelrus  Alfonsi.  Dialog.,  lit.  XII,  lil>.  II.  cap.  «vu. 
Voir  encore  clans  les  œuvres  de  Pierre  Damien,  Opusc.  III.  Dialog.  inter  Judseum  et  Christianum.  M.  Paul 
Weber,  op  cit.,  rattache  forl  bien  les  œuvres  d'arl  ainsi  qu'un  certain  nombre  d'œuvres  dramatiques .  où 
figurent  I  Eglise  el  la  Synagogue,  à  la  lutte  engagée  par  1  Église  du  moyen  âge  contre  le  Judaïsme.  Viollet- 
lc-Duc  lin  l .  de  I  archit.,  article  :  Eglise  i  va  jusqu'à  prétendre  <|"''  la  Qgure  de  La  Sj  nagogue  ne  se  renconti  e 
'1 'ans  les  villes  où  les  Juifs  étaient  nombreux  :  Paris,  Reims,  Strasbourg,  Bordeaux. 


LE    MI  HOIR    HISTORIQUE  LES    ÉVANGILES  a3i 

de  la  mort,  détourné  de  la  ville  qui  tue  les  prophètes  pour  regarder  du  côté  de 
la  Cité  sainte  des  temps  nouveaux'. 

La  naissance  et  la  mort  tic  Jésus-Christ  offrent  donc  comme  on  vient  de  le 
voir,  la  plus  riche  matière  aux  interprétations  symboliques;  mais  d'autres  scènes 
de  sa  vie  s'y  prêtent  également.  Dans  la  représentation  tic  la  Résurrection,  par 
exemple,  les  artistes  ont  essayé  d'exprimer  sous  une  tonne  sensible  une  idée 
théologique  familière  aux  docteurs.  La  représentation  de  la  Résurrection  de 
Jésus-Christ,  devant  laquelle  avaient  reculé  les  premiers  siècles  chrétiens2,  fut 
conçue  par  les  artistes  du  xin'  siècle  d'une  façon  singulière.  Contrairement  au 
récit  de  l'Evangile,  qui  nous  cl i t  que  la  pierre  lut  renversée  par  un  ange,  le 
matin  du  sabbat,  après  la  Résurrection1,  ils  ont  presque  toujours  représenté 
Jésus-Christ  sortant  d'un  tombeau  dont  la  pierre  avait  déjà  été  enlevée.  Ce  n'est 
pas  sans  intention  que  nos  vieux  maîtres,  si  scrupuleux  d'ordinaire  et  si  fidèles 
à  la  lettre,  ont  réuni  deux  événements  distincts.  Ils  ont  voulu,  sans  aucun  doute, 
nous  rappeler  la  haute  signification  que  les  Pères  attachaient  à  l'enlèvement  de 
la  pierre.  La  pierre  du  tombeau  en  effet  est  un  symbole;  c'est,  dit  la  Glose,  la 
talde  de  pierre  où  fut  écrite  l'Ancienne  Loi,  c'est  l'Ancienne  Loi  elle-même.  Elle 
recouvrait  Jésus-Christ,  comme  dans  l'Ancien  Testa  ment  la  le  tire  cachait  l'esprit. 
Jésus-Christ  ressuscite  et  désormais  la  Loi  n'a  plus  de  sens'. 

L'Ascension  de  Jésus-Christ  nous  offre  encore  l'exemple  d'un  symbolisme 
du  même  genre.  Aucun  texte  ne  nous  dit  que  .Marie  ait  assiste  a  1  Ascension  tic 
Jésus-Christ,  et  les  artistes  des  hautes  époques  n'ont  pas  l'habitude  de  la  faire 
figurer  dans  cette  scène.  Mais,  à  partir  du  XIIe  siècle,  Marie  apparaît  souvent 
au  milieu  des  apôtres5;  bien  mieux,  on  lui  donne  la  place  d'honneur,  on  en  lail 

1  Voir  Ludolphe  le  Chartreux,  Pass  Christi,  LX III.  Certains  diptyques  d'ivoire  très  anciens  repré 
sentent  devanl  Jésus  crucifié  ta  louve  de  Rome.  Voir  Gori,  Thésaurus  veter.  diplych.,  i  III.  p.  Wll  Dip 
tyque  de  Rambona  i. 

-   <  >  1 1  a  souvent  affirmé  (G.  de  Saint-Laurent,  H.  de  Montault)  que  la  résurrection  de  Jésus  Chrisl  ne  se 

rencontre  pas  dans  l'art  avant  le  \ur  siècle;  et  en  effet,  à   l'époque  rom ces   représentations  sont  très 

rares.  Nous  pouvons  cependant  en  citer  deux  exemples  :  une  miniature  de  la  Bibl.   Nat.  pour  le  xi°  siècle    ms. 
l,i lin  h"  i  ;  I  j'i.  I     lo   \     .  el  un  chapiteau  du  musée  de  Toulouse  pour  le  xnu.  Les  artistes  primitifs  n'av; 
pas  osi;  représenter  la    mystérieuse   sortie  du   tombeau,   parce    qu'elle   n'est   pas  décrite  dans  1  Evangile. 
Il-  se  contentaient  de  représenter  les  saintes  femmes  au  tombeau.  Au  xin'-  siècle  encore,  l'antique  toruiule 
se  rencontre    vitrail  de  Laon,   au    chevet  :  vitrail  de  Lyon,  abside      <    csl   sous  l'influence   du  drame  litur- 

giq I  de  La  scène  qui  se  jouait  dan-  l'Eglise  le  matin  de  Pâques  que  les  artistes  oui  été m      à  i 

senior  Jésus-Christ  sortant  du  tombeau 
Saint  Matthieu,  xxvm,    i    '• 

'   Glose  ordin.f  in  Matth.,  xxvm  ;  in  Mari-,  xvi  ;  in  Luc.,  xxiv. 

'■■  Dans  le  vitrail  de  l'Ascension  au  Mans  bas  côté  de  droite)  et  dans  le  vitrail  de  Laon  [vitrail  du  milieu, 
au  chevet). 


232  L'ART   RELIGIEUX    DU    XIII"  SIECLE 

le  centre  de  toute  la  composition.  La  Vierge  ici  est  encore  un  symbole.  Elle 
représente,  comme  d'ordinaire,  l'Eglise;  et  sa  présence  signifie  que  Jésus  en 
remontant  au  ciel,  pour  ne  pas  abandonner  les  hommes  sans  guide  et  sans  appui, 
leur  a  laissé  son  Église1. 

Il  n'est  pas  impossible  de  trouver  dans  d'autres  représentations  évangéli- 
cpues  des  intentions  symboliques,  mais  il  faut  que  nous  en  soyons  avertis  par 
quelque  particularité  frappante.  C'est  le  cas,  par  exemple,  pour  un  vitrail  con- 
sacré aux  noces  de  Cana  qui  se  voit  dans  la  cathédrale  de  Gantorbéry.  Nous 
saxons  par  tous  les  commentateurs  de  l'Evangile  de  saint  Jean  que  le  miracle 
de  Cana  contient  un  mystérieux  enseignement.  Les  six  hydries  de  pierre,  qui 
étaient  pleines  d'eau  et  qu'on  trouva  pleines  de  vin,  sont  les  six  âges  du  monde. 
Cette  eau.  où,  sans  qu'on  le  sache,  un  vin  encore  invisible  est  caché,  est  l'An- 
cienne Loi,  où  Jésus  se  cache  sous  la  lettre.  Car  l'Ecriture,  suivant  la  lettre,  est 
une  eau  insipide,  et  un  vin  généreux  suivant  l'esprit.  Pendant  six  âges,  mar- 
qués par  Adam,  Noé,  Abraham,  David,  Jéchonias  et  Jean-Baptiste,  Jésus  a  été 
caché  au  monde  comme  le  vin  dans  l'eau  ;  il  s'est  montré  au  septième  âge,  et  son 
règne  durera  jusqu'au  jugement  dernier,  c'est-à-dire  jusqu'au  jour  où  commen- 
cera le  huitième  âge  qui  n'aura  pas  de  fin2.  —  Qu'un  tel  symbolisme  ait  été 
accepté  par  le  maître  verrier  de  Cantorbéry,  c'est  ce  dont  on  ne  peut  douter 
quand  on  examine  les  scènes  cpii  entourent  les  noces  de  Cana.  On  y  voit  d'abord 
les  six  âges  de  la  vie  humaine  :  inlantia,  pueritia,  adoleseentia,  juventus,  virilitas, 
senectus  ;  puis,  les  six  âges  du  monde,  que  marquent,  comme  des  pierres  mil- 
liaires,  les  figures  d'Adam,  de  Xoé,  d'Abraham,  de  David,  de  Jéchonias,  de 
Jésus-Christ3.  Enfin  deux  vers  latins  achèvent  de  lever  tous  les  doutes  : 

llvdria  metretas  capiens  est  quaelibet  setas  : 
Lympha  dat  historiam,  viiium  notai  allegoriam. 

«  Les  hydries  qui  contiennent  les  mesures  d'eau  symbolisent  tous  les  âges. 
L'eau  est  le  sens  historique,  le  vin  le  sens  allégorique.  » 
L  intention  symbolique  est  ici  évidente. 


1  II ius  iIAiiIiiii.  Spec.  Ecoles.,  in  Pentecos. 

2  Glose  ordin.,  in  Jùan.,  cap.  il. 

:  Saint  .Iran  Baptiste  manque  dans  le  vitrail  de  CantorbtSry.  Voir  Didron,  Annales  archéol.,1    I.p.  j>> 


LE    MJROIR    HISTORIQUE  LES    ÉVANGILES  .; 


Il] 

Après  avoir  parlé  des  actes  de  Jésus,  disons  un  mot  de  ses  paroles.  —  Les 
quarante  paraboles  que  représentent  parfois  les  peintres  du  Mont  Athos  sont  bien 
loin  d'avoir  rencontré  la  même  faveur  dans  notre  arl  du  moyen  âge.  Pourquoi 
ces  beaux  récits,  éclairés  d'une  lumière  si  limpide,  n'ont-ils  pas  tous  inspiré 
nos  artistes.'  Pourquoi  ne  rencontre-t-on  plus,  au  x  1 1 1 '  siècle,  l'histoire  du  Bon 
Pasteur,  par  exemple,  qui  fut  si  chère  aux  peintres  des  Catacombes  et  qui 
donne  au  christianisme  primitif  un  air  de  douce  idylle?  --  Il  esl  difficile  de  le 
dire. 

Quatre  paraboles  seulement  ont  été  représentées  dans  nos  cathédrales  à 
l'exclusion  îles  autres  :  l'histoire  du  bon  Samaritain,  celle  des  Vierges  sages  cl 
des  Vierges  folles,  celle  de  l'Enfant  prodigue  et  celle  du  Mauvais  Riche,  (les 
quatre  paraboles  sont,  il  faut  l'avouer,  parmi  les  plus  dramatiques,  les  plus 
touchantes,  les  plus  vraiment  populaires  de  l'Evangile. 

One  le  symbolisme  ait  pu  trouver  place  dans  des  récits  si  directs,  c'esl  ce 
cpii  peut  surprendre  d'abord.  Quel  besoin  de  voir  du  mystère  dans  des  choses  si 
simples?  Le  vrai  sens  de  la  parabole  i\\i  bon  Samaritain  ne  se  dégage-t-il  pas  de 
lui-même,  et  faut-il  y  chercher  autre  chose  qu'une  leçon  de  charité.'  Il  suffit 
pourtant  de  jeter  les  yeux  sur  le  vitrail  de  Sens  (fig.  102)  ou  sur  celui  de  Bour- 
ges1 pour  voir  que  les  artistes  du  moyen  âge  l'entendaient  autrement.  Ils  oui 
agrandi  l'histoire  du  pauvre  voyageur,  qui  va  de  Jérusalem  a  Jéricho,  au  poinl 
d'en  faire  l'histoire  de  l'humanité  tout  entière.  Ce  voyageur  c'est  l'homme,  et. 
pour  qu'il  n'y  ait  pas  de  doute,  le  verrier  de  Sens  a  écrit  son  nom  symbolique  : 
«  Homo  ».  L'artiste,  est-il  besoin  de  le  dire,  n'invente  rien  et  ne  fait  que  répéter 
la  leçon  de  1  Ecole.  —  Le  voyageur  qui  s'en  va  de  Jérusalem  a  Jéricho,  nous  dit 
la  Glose,  est  la  figure  de  l'homme  déchu  qui  abandonne  le  paradis  après  la 
faute.  Jérusalem  est  souvent  dans  les  livres  saints  le  nom  symbolique  île  l'Eden  ; 
quanl  au  nom  de  Jéricho,  qui  en  hébreu  signifie  ci  la  lune  ».  d  doit  nous  faire 
songer  aux   défaillances   de   l'humanité,   qui,   comme   la    lune,   a   ses  éclipses. 

L'homme  est  attaqué  pur  des  voleurs  qui  lui  enlèvent  sa  tunique,  c  est-à-dire 


1    Reproduits  dans  les   Vitraiu  ■/>■  Bourges,  pi.  VI  el  pi.  d'étude   \\. 


2  S  I 
( 


;;  I.  ART    RELIGIEUX    DU    XIII"   SIECLE 

rue  tous  les  péchés  envoyés  par  le  démon  fondent  sur  lui  et  le  dépouillent  de 
son  vêtement  d'immortalité.  Pendant  qu'il  est  étendu  nu  et  blessé  sur  la  route, 
viennent  à  passer  un  prêtre  et  un  lévite;  tous  les  deux  détournent  les  yeux  eteon- 
tinuent  leur  chemin.  Ce  piètre  et  ee  lévite  sont  l'image  de  l'Ancienne  Loi,  de  la 
loi  de  Moïse,  qui  fut  impuissante  à  guérir  l'humanité  malade.  Enfin  survient 
le  bon  Samaritain  qui  panse  les  blessures  du  moribond,  le  met  sur  son  cheval 
et  le  conduit  jusqu'à  l'hôtellerie.  Le  bon  Samaritain  cst.léstis-Clirist  en  personne  : 
•  Samaritain  »  en  hébreu  veut  dire  «  gardien  »,  et  aucun  nom  ne  convient  mieux 
à  Jésus-Christ.  11  panse  les  plaies  de  l'humanité  que  Moïse  n'avait  pu  guérir, 
et  il  la  conduit  dans  l'hôtellerie,  c'est-à-dire  dans  l'Eglise. 

Tel  est  le  sens  théologique  que  les  docteurs,  depuis  saint  Augustin,  don- 
naient à  la  parabole  du  bon  Samaritain  '.  Le  vitrail  de  Sens,  dont  la  composition 
est  d'une  clarté  parfaite,  reproduit  l'enseignement  de  l'Eglise  et  le  rend  sen- 
sible aux  yeux. 

Trois  médaillons  en  losange,  qui  se  détachent  très  nettement  au  milieu  de 
la  composition,  contiennent  le  récit  évangélique  (fig.  102).  Des  médaillons  cir- 
culaires se  groupent,  sans  confusion,  autour  de  chacune  tics  scènes  centrales 
qu'il  s  a-il  d'expliquer  et  en  donnent  le  sens  symbolique.  C'est  la  glose  ajoutée 
au  texte.  Ainsi,  autour  du  premier  médaillon  en  losange  qui  représente  le 
voyageur  dépouillé  par  les  voleurs,  on  voit  la  création  de  l'homme  et  de  la 
femme,  leur  faute,  cl  leur  expulsion  du  paradis  terrestre".  Autour  du  second 
médaillon,  qui  nous  montre  le  voyageur  étendu  entre  le  piètre  et  le  lévite 
indifférents,  on  voit  Moïse  et  Aaron  devant  Pharaon,  Moïse  recevant  la  Loi  de 
Dieu,  le  serpent  d'airain,  ligure  vague  de  l'autre  victime,  et  enfin  le  veau  d  or, 
qui  proclame  l'insuffisance  de  la  Loi  Ancienne.  Enfin,  autour  Aw  troisième 
médaillon,  qui    représente  le  bon  Samaritain  conduisant  le  blessé  à  l'hôtellerie, 

on  voit  la  Passion,  la  Mort  et  la  Résurrection  de  Jésus-Christ3.  Est-il  possible 
d'exprimer  plus  clairement  tout  un  ensemble  d'idées  abstraites?  I>  un  coupa  œil 
on  saisit  la  signification  de  la  parabole,  et  l'œuvre  d'art  est  vraiment  mieux 
ordonnée  que  I  œuvre  écrite. 

1    Glose  ordin.,  in  Luc,  \.  el  Honorius   d'Autun,  Specul.    Eccles.    Domin.    Mil   ]>">!  Pentecost.  —  Ou 
peu!  consulter  aussi  Hugues  di  Saint- Victor,  Alleg.  m  Nov.  Testament.,  lib.  IV.  cap.  xn.  Le  livre  'I  Hugues 
de  Saint- Victor  est  consacré  en  grande  partie  .1  l'interprétation  des  paraboles;   il  résume  clairement  la  doc- 
trine traditionnelle.  Une  foule  de  textes  onl  été  réunis  par  Cahier.   Vitraux  de  Bourges,  p.  191  et  suiv. 
La  ville  de  Jérusalem  occupe  le  haut  de  la  composition.  La  création  il  Adam  se  voil  :'i  B -ges. 

'   La  Késurrecli si  liguréc  par  les  saintes  femmes  au  tombeau. 


LE    M  I  ROI  R    II  1STORIQU  I' 

Les  vitraux  de  Bourges  et  de  Char- 
tres, où  le  même  sujet  est  traité  dune 
façon  presque  identique,  sont  peut-être 
moins  heureusement  composés.  Quant 
au  vitrail  de  Rouen,  il  a  beaucoup  souf- 
fert :  néanmoins,  il  est  possible  d'y 
reconnaître  une  partie  des  scènes  que 
nous  avons  signalées.  On  voit  combien 
la  parabole  du  bon  Samaritain  fut  popu- 
laire au  moyen  âge,  puisqu'on  la 
retrouve  dans  quatre  de  nos  grandes 
cathédrales,  et  combien  son  interpré- 
tai ion  fut  constante. 

.Mais,  entre  les  paraboles  évangé- 
liques,  celle  qui  a  rencontré  le  plus  de 
laveur  au  mm"  siècle  est  l'histoire  des 
Vierges  sages  et  des  Vierges  folles. 
Amiens,  Bourges1,  Notre-Dame  de 
Paris2,  Reims3,  Sens,  Auxerre,  Laon, 
nous  les  montrent  au  portail  occidental, 
les  unes  à  droite,  les  autres  à  gauche  du 
souverain  juge.  Elles  assistent  au  juge- 
ment dernier  où  elles  semblent  jouer 
leur  rôle.  Et  eu  effet,  elles  sont  elles- 
mêmes,  suivant  les  théologiens,  la  figure 
symbolique  des  réprouvés  et  des  (dus. 
Leur  histoire  mystérieuse  et  terrible  est 
celle  du  dernier  soir  de  l'humanité. 

Ecoutons  la  Glose  ordinaire.  Elle  nous 
apprend    d  abord    ce     que    symbolisent 


1    Les  \  ierges  sonl  dans  une  gracieuse  pose  sculpté* 
,'i  la  façade  occidentale. 

Elles  "ni  été  refaites. 

:   Par   exception,    l»-~    Vierges    de    l»<iins    sonl    ai 
portail  nord  (voussures  .  < si   le  jugemenl  dernier. 


LES    IÎVANG  ILES 


.  ;, 


1 


Parabole  du   bon  Sai  ritrail 


,1,.  -- 


|i  npiès  Cahier  cl   Martin 


236  L'ART    RELIGIEUX    DU    Mil'    SIECLE 

les  cinq  Vierges  sages  et  pourquoi  elles  sont  cinq  :  car  jamais  un  nombre  n'est 
mis  au  hasard  dans  l'Ecriture.  Les  Vierges  sages  sont  au  nombre  de  cinq  parce 
qu'elles  figurent  les  cinq  formes  de  la  contemplation  intérieure,  qui  sont  comme 
les  cinq  sens  de  l'âme.  Elles  sont  donc  limage  parfaite  de  l'âme  chrétienne 
tournée  vers  Dieu.  L'huile  qui  brûle  dans  leur  lampe  est  la  vertu  suprême,  la 
Charité.  Quant  aux  cinq  Vierges  folles,  elles  symbolisent  les  cinq  formes  de  la 
concupiscence  charnelle,  les  joies  des  cinq  sens,  qui  font  que  lame  oublie  toute 
pensée  divine  et  laisse  s'éteindre  en  elle  la  flamme  de  l'amour.  L'époux  qu'elles 
attendent,  les  unes  et  les  autres,  à  la  porte  île  la  maison  nuptiale,  est  Jésus- 
Christ.  Elles  attendent  longtemps,  si  longtemps  qu'elles  s'endorment;  et  leur 
sommeil  lui-même  est  symbolique  :  il  figure  l'attente  des  générations  humaines 
(jui  se  sont  endormies  du  sommeil  de  la  mort,  et  qui,  après  de  long  siècles,  se 
réveilleront  à  l'heure  du  second  avènement  de  Jésus-Christ.  «  .Mais  soudain,  dit 
la  parabole,  un  cri  fut  poussé  au  milieu  de  la  nuit.  »  L'effrayant  cri  nocturne 
est  la  voix  de  l'archange,  la  trompette  de  Dieu  qui  résonnera  dans  le  silence  de 
la  nuit,  au  moment  où  nul  ne  s'y  attendra  :  car  «  le  Seigneur  viendra  comme 
un  voleur  ».  Les  Vierges,  enfin,  se  réveillent  et  se  lèvent,  comme  se  réveilleront 
les  morts,  comme  ils  se  lèveront  de  leur  tombeau.  Celles  qui  viennent  avec  la 
lampe  où  bride  l'amour  de  Dieu  entrent  avec  l'époux;  les  autres  restent 
derrière  la  porte  fermée  et  l'époux  leur  dit  :  «  En  vérité,  je  ne  vous  connais 
pas  '.  » 

(  )n  comprend  maintenant  pourquoi,  au  \ur  siècle,  la  parabole  des  Vierges 
sages  et  des  Vierges  loties  est  toujours  associée  au  Jugement  dernier.  Leur 
présence  donne  à  cette  scène  terrible  la  garantie  de  la  parole  divine;  elle  rap- 
pelle au  chrétien  que  Jésus-Christ  lui-même  l'a  prédite  dans  tous  ses  détails 
sous  le  voile  transparent  du  symbole. 

Le  moyen  âge,  fidèle  à  ses  habitudes  hiérarchiques,  n'a  pas  manqué  de  mettre 
les  \  ierges  sages  à  la  droite  de  Jésus-Christ  et  les  Vierges  folles  à  sa  gauche. 

Les  premières  ont  le  nimbe  et  les  autres  en  sont  dépourvues.  Une  porte  s'ouvre 
devant  les  unes  et  se  ferme  devant  les  autres. 

Dans  les  paraboles  comme  celle  du  bon  Samaritain,  et  comme  celle  des  Vier- 
ges sages  et  des  Vierges  folles,  le  symbolisme  est  manifeste  :   il   ne  peut  pas  y 

1  dlnsr  ordin.,  i 1 1  Matth.,  xxv.  Même  doctrine  dans  les  autres  commentateurs  de  sainl  Matthieu,  dont 
les  principaux  sonl  sainl  Hilairc,  Bède,  Raban  Maur,  Pascase  Radbert,  Brunon  d'Asti,  Hugues  de  Saint- 
Victor    dans  Allegor.  in  no\     Testament.,  lib    III.  cap.  xxxiv). 


LE    MIROIR   HISTORIQUE    —    LES    ÉVANGILES  î37 

avoir  de  doute  sur  l'intention  des  artistes  qui  les  ont  représentées.  —  Il  n'en  est 
pas  tout  à  fait  de  même  des  deux  autres  paraboles  dont  il  nous  reste  à  parler  : 
relie  de  l'Enfant  prodigue  et  celle  du  Mauvais  Biche. 

L'histoire  de  1  Enfant  prodigue  lut  très  chère  aux  artistes  du  moyen  âge  : 
elle  est  peinte  aux  vitraux  de  Bourges,  de  Chartres,  de  Sens,  de  Poitiers, 
d'Auxerre;  elle  est  sculptée  au  portail  de  cette  même  cathédrale  d'Auxerre  dans 
de  charmants  médaillons  presque  effacés  par  le  temps.  Mais,  nulle  part,  quoi 
qu'en  pense  le  P.  Cahier1,  on  ne  peut  découvrir  dans  ces  compositions  d'in- 
tention symbolique. 

Les  docteurs  qui  ont  commenté  saint  Luc  nous  expliquent,  il  vrai,  tout 
le  mystère  de  1  histoire  de  l'Enfant  prodigue.  Suivant  eux,  l'enfant  qui  s'éloigne 
de  son  père  pour  courir  le  momie  et  vivre  avec  des  courtisanes,  pendant  que 
son  frère  aîné  reste  à  la  maison,  est  une  ligure  du  peuple  des  Gentils  qui 
s'éloigne  de  Dieu,  pendant  que  le  peuple  juif  garde  fidèlement  sa  loi.  Mais  le 
père  est  si  indulgent  qu'il  pardonne  au  (ils  égaré  et  le  fait  asseoir  à  la  place 
d'honneur  dans  la  salle  du  festin,  malgré  les  murmures  de  son  frère2. 

Il  eût  été  possible  de  rendre  sensible  un  pareil  symbolisme,  comme  on  le 
lit  pour  la  parabole  du  Bon  Samaritain;  mais  nous  ne  voyons  pas  qu'on  ait 
essayé.  Ce  que  nous  dit  le  P.  Cahier  des  huit  petites  figures  de  rois  qui  sont 
semées  dans  le  champ  du  vitrail  de  Bourges,  et  qui  seraient  destinées,  d'après 
lui,  a  rappeler  les  huit  princes  dont  parle  le  prophète  Michée3,  choisis  par  Dieu 
pour  soumettre  les  infidèles  et  pour  convertir  les  Gentils,  est  trop  probléma- 
tique. L  allusion  eût  été  si  obscure  et  si  lointaine  (pie  nul  ne  lent  comprise. 
La  vérité  est  que  cette  belle  histoire  se  suffisait  à  elle-même  :  le  peuple  n  \  \  m 
pas  autre  chose  qu'un  père  pardonnant  a  son  lils.  Il  est  très  remarquable  d'ail- 
leurs que  la  verve,  d  ordinaire  si  contenue  des  artistes,  se  soit  ici  donne  libre 
carrière.  Ils  prennent  avec  le  texte  saint  les  mêmes  libertés  qu'avec  la  Légende 
dorée.  Ils  nous  montrent  l'enfant  prodigue  jouant  aux  dés  dans  une  taverne,  pre- 
nant un  bain  avant  de  se  metl  re  à  table  ',  appelé  par  des  cour  tisanes  qui  si'  tien- 
nent devant  leur  porte,  couronné  de  fleurs  par  elles,  chassé  enfin  quand  il  n'a 
plus    rien  a   leur  donner  que  son   manteau.    Ce  sont  autant  de  petits  tableaux  de 

1    Vitraui  de  Bourges,  p.    1 79. 

-   Glose  ordin.)  in  Luc,  xv,  et  Hugues  de  Saint-Victor,  Allegor.  in  •Vu»-.  Testament.,  lib,   IV,  cap     xxiv. 

Michée,  m,   1  2. 
•  Ce  détail  se  remarque  au  portai]  <1  Auxerre. 


.;*  L'ART    RELKilK  IX    DU    XIII1    SIKCLK 

genre  où  s'égaie  leur  fantaisie.  Il  semble  que  les  théologiens  aient  concédé  à  la 
foule  cette  touchante  histoire. 

(  )n  pourrait  en  dire  autant  de  la  parabole  de  Lazare  et  du  Mauvais  Riche.  Les 
commentateurs  ne  se  sont  pas  fait  faute  de  nous  dire  que  Lazare  symbolise  les 
Gentils,  et  le  Mauvais  Riche  le  peuple  juif.  Mais  ils  reconnaissent  eux-mêmes 
qu'une  pareille  interprétation  est  secondaire,  et  qu'en  un  tel  sujet  le  sens  litté- 
ral a  plus  de  force  que  le  sens  symbolique.  L'histoire  de  Lazare,  disent-ils,  est 
plutôt  une  narration  qu'une  parabole2. 

On  crut  si  bien  à  la  réalité  historique  du  récit  tic  l'Evangile  que  le  pauvre 
lépreux  fut  sanctifié  :  on  l'appela  saint  Lazare  ou  saint  Ladre.  Il  devint  le  patron 
des  mendiants,  des  lépreux,  de  tous  ceux  auxquels  on  donna  en  Italie  ce  surnom 
de  «  lazzaroni  »,  où  on  avait  mis,  à  l'origine,  de  la  pitié  chrétienne.  Il  était  vrai- 
ment difficile  de  voir  dans  cette  histoire,  si  pénétrée  de  réalité,  autre  chose  que 
l'exaltation  du  pauvre  et  la  condamnation  du  riche.  Aucun  commentaire  ne 
s'interposa  jamais  entre  le  texte  saint  et  les  artistes  :  ils  le  rendirent  littérale- 
ment, et  traduisirent  jusqu'à  la  métaphore  biblique  qui  nous  montre  l'âme  de 
Lazare  recueillie  dans  le  sein  d'Abraham3.  Le  vitrail  de  Rourges,  où  Lazare 
apparaît  sous  l'aspect  d'un  lépreux  du  xnf  siècle,  muni  de  sa  cliquette  pour 
prévenir  les  passants,  est  purement  narratif4.  Ce  qui  achève  de  prouver  que 
l'Eglise,  en  faisant  représenter  la  parabole  du  .Mauvais  Riche,  n'eut  d'autre  inten- 
tion que  de  donner  aux  fidèles  une  leçon  de  charité,  c'est  la  place  même  qu'elle 
occupe  dans  certains  monuments  du  haut  moyen  âge.  On  la  voit  représentée  au 
porche  de  Moissac,  au  porche  de  La  Grolière  (Corrèze) ,  et  sur  les  chapiteaux  de 
la  porte  du  transept  méridional  à  Saint-Sernin  de  Toulouse,  c'est-à-dire  à  I  en- 
droit même  où  s'asseyaient  les  pauvres.  Les  mendiants  qui  tendaient  la  main  à 
la  porte  de  l'église  grandissaient  et  se  transfiguraient  aux  yeux  des  fidèles  qui 
voyaient  sculpte  au-dessus   de  leur  tête  le  triomphe  de  Lazare. 

Voilà  les  paraboles  qui  donnèrent  lieu,  au  xm"  siècle,  à  une  représentation 
figurée. 

Les  artistes  de  ces  siècles  de  loi  profonde  s'efforcèrent  donc  de  mettre  sur- 


1   Glose  ordin.,  in   Luc,   cap.   \\,   et  Hugues  de  Saint-Victor,     Allegor.  in  nov.    Testament.,  lib     l\ 

cap    \\i\  . 

Glose  ordin.      o  niagis  videtur  narratio  quara  parabola  ». 
Volamment  au  porche  de  Moissac. 
•  Publié  dans  les  Vitraux  de  Bourges,  pi.  IX. 


■.-> 


LE    MIUOIK    HISTORIQUE  LES    EVANGILES 

ton l  en  lumière  la  liante  signification  dogmatique  «lu  Nouveau  Testament.  Ils 
firent  peu  d'efforts  pour  rapprocher  l'Evangile  «le  Illumine.  La  tendresse  toul 
humaine  qu'y  cherchèrent  des  s  ici- les  moins  croyants  apparaît  à  peine  dans  leurs 
œuvres.  C'est  le  temps  où  la  Vierge,  debout  aux  pieds  de  la  croix,  sait  supporter 
sa  douleur  sans  faiblir',  (le  ries,  les  vieux  maîtres  italiens  ont  fait  avec  l'évanouis- 
sement, «  le  spasimo  »  de  Notre-Dame,  des  œuvres  profondément  touchantes, 
mais  qui  parlent  surtout  au  cœur.  Le  xnT  sièele  voulait  parler  a  l'intelligence. 
Il  ne  faut  pas  oublier  «pic  les  artistes  des  cathédrales  turent  les  contemporains 
de  saint  Thomas.  Leur  art  est  austère  comme  les  Sommes,  les  commentaires, 
les  sermons  de  ce  temps-là,  où  on  m*  trouve  guère  autre  chose  que  la  pure  doc- 
trine. 

De  l'œuvre  des  artistes  «lu  xni  siècle  sort  la  même  impression  de  grandeur 
que  de  certaines  pages  de  Bossuet  dans  ses  Elévations  sur  les  mystères.  Ce  sont 
«les  beautés  «lu  même  ortlre.  Apres  eux  on  ne  vit  rien  «le  pareil;  car  des  le 
xiv"  sièele  l'art  s'attendrit  :  la  Vierge  s«'rr«'  tendrement  son  enfant  sur  sou  cœur, 
lui  sourit,  lui  offre  un  oiseau,  des  (leurs.  La  pomme  symbolique  que  la  sérieuse 
Vierge  du  xin"  siècle  porte  tlans  sa  main,  pour  rappeler  qu'elle  est  1  Eve  nou- 
velle, devient,  au  xiv"  siècle,  un  jouet  «pii  empêche  Tentant  Ji'-sus  de  pleurer. 
Un  tel  art  est  plus  humain,  mais  combien  moins  solennel.  Fra  Angelico  lui-même, 
le  plus  «'mu  de  tous  les  artistes  qui  ont  peint  l'Evangile,  n'eût  peut-être  pas 
toujours  paru  assez  grave  a  nos  vieux  maîtres. 

1  On  voil  cependant  une  fois,  dans  un  vitrail  de  Bourges     le  Bon  Samaritain  .    la   \  iergo    s'i  vanouissanl 
.m  |>ird  ']»■  la  croix.  Ou  pressent  déjà  l'arl  «in   \iv   siècle. 


CHAPITRE  III 

LES  TRADITIONS  LEGENDAIRES  SUR  L  ANCIEN 
ET  LE  NOUVEAU  TESTAMENT 


1.   TbADITIoNS  AI>OCHYPI1ES  RELATIVES  A  L'ANCIEN  TESTAMENT.     LiA   MORT    DE    CaÏN.    —  II.  TRADI- 
TIONS    APOCRYPHES      RELATIVES     AU    NOUVEAU     TESTAMENT.     EVANGILE     DE     L'ENFANCE.    ÉVANGILE     Ml 

Nicodème.  —  III.  Traits  apocryphes  se  rapportant  a  l "enfance  de  Jésus-Christ.  Le  bœui 
et  l'ane.  Les  sages-femmes.  Les  Mac.es  et  leur  voyage.  Miracles  de  Jésus  enfant  en 
Egypte.  —  IV.  Traits  apocryphes  se  rapportant  a  la  vie  publique  de  Jésus.  Les  no<  i  s 
de  Cana.  —  V.  Traits  apocryphes  se  rapportant  a  la  passion  et  a  la  résurrection  de 
Jésus-Christ.  Légendes  sur  la  Croix.  La  descente  aux  limbes.  Les  apparitions.  — VI.  Cer- 
tains détails  traditionnels  qui  se  remarquent  dans  les  œuvres  d'art  viennent-ils  des 
livres  apocryphes  ?  Les  traditions  d'atelier.  Y  eut-il  au  xme  siècle  un  guide  de  la  pein- 
ture ?  —  VII.  Traditions  apocryphes  relatives  a  la  Vierge.  Le  culte  de  la  Vierge  au 
nui"  siècle.  La  naissance  de  la  Vierge.  Sainte  Anne  et  saint  Joachim.  Le  mariage  de  i  v 
Vierge.  Détails  d'origine  apocryphe  dans  la  scène  de  l'Annonciation.  Mort,  funérailles  et 
couronnement  de  la  Vierge.  — VIII.  Les  miracles  de  la  Vierge.  L'Histoire  de  Théophile. 
Le  «  De  Gloria  Martyrum  »  de  Grégoire  de  Tours.  Explication  de  plusieurs  vitraux  du 
Mans. 


Nous  n'avons  pas  encore  tout  dit.  Les  œuvres  quela  Bible  a  inspirées  renfer- 
ment d'autres  mystères.  Nous  avons  vu  les  artistes  traduire  la  pensée  des  théo- 
logiens, nous  allons  les  voir  donner  une  forme  à  la  légende  populaire.  Dans  les 
œuvres  complexes,  que  nous  sommes  contraint  d'analyser  si  lentement,  tout 
se  fond  en  une  belle  harmonie,  la  parole  du  Livre,  le  commentaire  de  1  Eglise, 
et  le  naïf  rêve  du  peuple.  Ce  que  nous  séparons  est  très  uni  :  du  texte  sacré  on 
ne  peut  détacher  ni  le  symbole  ni  la  légende.  Ces  pousses  vigoureuses  enlacent 
fortement  l'arbre  de  la  croix. 

Donnons-en  un  exemple.  La  scène  de  la  Nativité,  telle  que  le  mm'  siècle  la 
conçoit,  nous  met  d'abord  sous  les  veux  le  fait  historique  dans  sa  simplicité. 
Mais,  en  remplaçant  la  crèche  par  un  autel,  l'artiste  se  fait  l'interprète  des  corn- 


LE   MIROIR    HISTORIQUE      -    LES   APOCRYPHES  ■  ,, 

mentateurs  et  donne  une  forme  sensible  à  la  doctrine  de  la  Rédemption;  enfin, 
en  représentant,  près  de  l'enfant,  l'âne  et  le  bœuf,  dont  il  n'est  pas  fait  mention 
dans  les  Evangiles,  il  montre  qu'il  ne  veut  pas  séparer  de  l'histoire  la  légende 
qui  a  charmé  tant  dames. 

De  pareilles  œuvres  sont  chargées  de  pensée  et  de  rêve.  Combien  elles  sont 
supérieures  aux  pauvres  imaginations  des  artistes  modernes  qui  ont  prétendu 
renouveler  l'art  chrétien. 

Achevons  donc  notre  analyse.  Apres  avoir  montré  tout  ce  que  le  symbolisme 
a  donné  de  grandeur  aux  scènes  de  l'Ecriture,  faisons  voir  ce  que  la  légende  y 
a  ajouté  de  naïveté  et  parfois  de  tendresse. 


Il  y  eut  sur  la  Bible  un  immense  travail  populaire  qui  se  lit  en  Orient.  Ces 
légendes  sont  bien  loin  d'avoir  le  même  caractère  suivant  qu'elles  se  rapportent 
à  l'Ancien  ou  au  Nouveau  Testament. 

Les  traditions  relatives  à  l'Ancien  Testament,  dont  nous  nous  occuperons 
d'abord,  sont  merveilleuses.  Elles  nous  introduisent  dans  un  momie  féerique, 
aussi  étrange  que  celui  où  se  meuvent  les  personnages  des  Mille  et  une  Nuits. 
Les  rabbins,  parleurs  commentaires,  les  Arabes,  par  leurs  récits,  créèrent  une 
Bible  nouvelle,  qui  n'estque  fantasmagorie  et  rêve1.  Le  texte  sacré  est  à  chaque 
ligne  rectifié  et  complété.  Les  rabbins  enseignaient,  par  exemple,  qu'après 
avoir  créé  Adam.  Dieu  façonna  avec  le  même  limon  une  femme  nommée  Lilith, 
qu'il  lui  donna  pour  compagne.  Mais  Lilith  ne  voulut  point  obéir  a  Adam,  sous 
prétexte  qu'étant  formée  de  la  même  terre  que  lui,  elle  était  sou  égale.  Dieu  lut 
donc  obligé  de  créer  une  nouvelle  femme,  qu'il  nomma  Eve,  et  qu'il  tira  de  la 
côte  d'Adam  pour  qu'elle  n'ait  plus  de  motif  de  s'enorgueillir  de  sou  origine. 

Ces  curieuses  légendes  abondent  dans  les  livres  des  rabbins.  Mais  ce  sont  les 
grandes  figures  delà  Bible,  Moïse,  David,  Salomon,  qu'on  a  de  la  peine  à  recon- 
naître. Les  rois,  les  prophètes  deviennent  d'habiles  magiciens  qui  comprennent 
le  langage  des  oiseaux  cl  connaissent  les  vertus  des  pierres  précieuses.  Toute 

1    t.. ^  traditions  juives  et  arabes  sur  les  priucij \  personnages  de  l'Ancien  l'i  slamcnl  se  trouvent  réu- 
nies dans  !'■  Dictionnaire  des  apocryphes  <l<-  L'abbé  Migne.   i  vol.  iu-i.  i858 

Si 


L'ART    RELIGIEUX   DU   X  1 1 1     SIÈCLE 

la  fantaisie  de  l'Orient  se  joue  autour  de  Salomon.  Son  souvenir,  si  cher  aux 
Juifs,  émut  aussi  l'imagination  arabe.  Dans  le>  légendes  des  Arabes,  Salomon 
commande  aux  auges  et  aux  dénions,  il  enferme  les  djinns  dans  des  vases  de 
enivre,  il  l'ait  rugir  les  douze  lions  d'or  qui  ornent  les  marches  de  son  tronc. 
11  parle  aux  fourmis,  aux  oiseaux.  Son  anneau  lui  donne  pouvoir  sur  toutes  les 
créatures.  L'univers  tout  entier,  dont  il  dispose  à  son  gré,  apparaît  comme  une 
œuvre  magique. 


- 


I  ig     ioi.  —  Lamech  tuanl  Caïn    portail  do  Bourg  - 


De  tels  récits  portent  la  marque  de  leur  origine.  Dans  les  solitudes  ardentes 
de  l'Orient,  l'imagination  semble  participe!  de  la  nature  de  la  lumière  qui  crée 
les  mondes  chimériques  du  mirage. 

Le  moyen  âge  n'a  pas  connu  toutes  ces  merveilleuses  histoires.  Quelques- 
unes  cependant  arrivèrent  jusqu'en  Occident  et  furent  accueillies  par  les  com- 
pilateurs. Pierre  Comestor  a  inséré  dans  son  Historia  Scolastica  et  Vincent  île 
Beauvais  dans  son  Spéculum  historicité  quelques-une»  de  ces  légendes 

Les  artistes  s'en  inspirèrent  parfois.  — Il  en  est  une  pour  laquelle  ils  mon- 
trèrent tant  de  prédilection  qu'on  la  trouve  peinte  ou  sculptée  dans  plusieurs 
de  nos  cathédrale».  11  s'agit  de  l'histoire  île  la  mort  de  Caïn,  telle  que  la  racon- 
taient les  livres  apocryphes.  Caïn,  disaient  les  rabbins,  fut  tue  par  Lamech.  qui. 


-    ipocryphes  de  l'Ancien  Testament,  le  Testant        I  -    VI f  Patriarches,  'tout  Vin 

ss    _   -.  avait  été  traduit   récemment  du  grec  par  Robort  Gr   --  rue  do  Lîn- 

sf.,  lib.  I,  cap.  .  \\\ 


i.t:  m im >i i;  msTon iqi  r       les  a.pock\  phi  - 

sans  le  vouloir,  punit  le  meurtrier  d'Abel.  Lamech  étanl  devenu  aveugle  dans 
sa  vieillesse  n'en  continuai!  pas  moins  à  aller  à  la  chasse  sous  la  conduite  d'un 
enfant  nommé  Tubalcaïn.  Un  jour  que  Lamech  chassait  dans  un  bois,  l'enfant 
lui  lit  dirigerson  arc  vers  un  fourré  où  il  croyait  avoir  aperçu  une  bète  sauv; 
Lamech  tira  et  tua  Caïn  qui  se  cachai!  entre1  les  branches.  Quand  il  connu!  son 
crime,  il  entra  clans  une  violente  colère 
et  tua  l'entant  qui  l'avait  si  mal  conseillé. 

Cette  légende,  à  laquelle  saint  Jérôme 
s'était  contenté  de  faire  une  brève  allu- 
sion ',  apparaît  pour  la  première  fois, 
avec  tout  son  développement,  dans  la 
Glose  ordinaire  de  Walafried  Strabo  .  Il 
avait  trouve  eette  tradition  dans  un  livre 
de  son  maître  Raban  Maurque  nous  n'a- 
vons pas  conservé.  La  légende  de  la  mort 
de  Caïn,  dont  les  premier-  Pères  n'avaient 
pas  connu  le  détail,  n'entre  vraiment  qu'au 
i\  siècle  dans  la  littérature  du  moven 
âge.  11  est  vraisemblable  que  liaban 
Maur  la  tenait  d'un  rabbin.  Au  moyen 
âge,  les  rapports  entre  les  juifs  et  les 
chrétiens   étaient  plus  nombreux  et  plu» 

pacifiques  qu'on  n'imagine.  Les  docteurs  de  l'Eglise  connaissaienl    quelq 
unes  îles  traditions  de  la  Synagogue  bien  axant  que   le  Juil  converti  Nicolas  de 
Lira  les  ait  révélées  dan»  ses  travaux  sur  l'Ancien  Testament    .  Le   récit  de  la 
mort   de  Caïn,    sur  la  foi  de  la   Glose  ordinaire,  fut  reçu   dans  1  Lcole.    Pierre 
Comestor,  au  mi   siècle,  l'inséra  dans  son  récit  des  origines  du  monde  . 

Ainsi  firent  les  artistes.  Il  est  bien  rare  qu'ils  aient  peint  ou  sculpté  1  histoire 


V\m 


ici  j.  —  Lamech  luanl 
le  d'  Vuxei 


Dans  une  de  si  -  letlrcs   au   pape  Damase   sm    les  qu  •slio  is    liftii  iles  d         \      i        l'es 
Damas.,  C\\\  Lamech,  qui  septimus  ab  Adam,  Don  sponle.  ni  in  i|uoilam  Llolmeo  vol  i  bitur. 

interfecit  Caïn       II  n'ajoute  rien  de  plus. 

Glose   tuJ..  in    Geues,  *.    > '..      Aiuul  tlebr;ei   Lamech   diu  vi\ 
adolescentem  dueem  et  recto  rem  itineris  liabuissc.  Exerçons  ergo  veualionem,  sagitlam  direxil    [un 
cens  indicavit,  casuque  Cain  iuler  frutcla   latenlem  interfecit.,     un 
tem         [Raban. 

Nicolas  de  Lira  écrivait  au   \i*     -. 
•   llisl     Scolast.,  lib.  lîones  .  cap.   xxvm. 


244  L'ART   RELIGIEUX    1)1     XIII'    SIÈCLE 

îles  premiers  hommes  sans  nous  montrer  la  mort  de  Caïn.  Ils  aimaient,  au 
xiii"  siècle,  à  représenter  les  premiers  chapitres  delà  Genèse.  C'était  alors  une 
tradition,  qu'on  retrouve  jusque  dans  les  manuscrits  à  miniatures,  de  mettre 
sous  les  yeux  des  fidèles  la  création,  la  faute  d'Adam,  le  déluge  universel.  On 
allait  rarement  au  delà  de  l'histoire  de  Noé.  On  se  contentait  de  montrer  au 
peuple  les  hautes  antiquités  du  monde.  Si  bref  que  fût  ce  récit,  la  légende  de 
Caïn  y  trouvait  place.  On  la  voit  sculptée  à  la  façade  d'Auxerre  (fig.  io4),  dans 
la  partie  basse  du  portail  de  gauche,  et  au  portail  de  la  cathédrale  de  Bour- 
ges1 (fig.  loi  .  On  la  reconnaît  au  milieu  des  innombrables  médaillons  qui 
ornent  la  façade  de  la  cathédrale  de  Lyon.  Des  vitraux  nous  la  montrent;  elle 
est  représentée  en  deux  panneaux  sur  le  vitrail  de  Tours  qui  est  consacré  aux 
origines  du  monde2.  Elle  figure  aussi  dans  le  vitrail  de  la  Genèse  à  la  Sainte- 
Chapelle. 

Ces  exemples,  qu'on  pourrait  sans  doute  multiplier,  montrent  (pie  la  légende 
était  déjà  populaire  au  xm°  siècle.  Elle  le  fut  davantage  encore  plus  tard  :  les 
Mystères  la  firent  connaître  à  tous  et  les  artistes  la  prirent  fréquemment  pour 
thème  jusqu'au  xvic  siècle  :. 

De  toutes  les  légendes  rabbiniques,  c'est  la  seule  à  qui  l'art  ait  donné  une 
vie  durable  :  toutefois  il  n'est  pas  impossible  qu'on  en  puisse  découvrir  quel- 
ques autres  dans  nos  monuments  du  moyen  âge.  — Parmi  les  nombreux  médail- 
lons consacrés  à  la  Genèse  qu'on  voit  à  la  façade  dé  la  cathédrale  de  Lyon,  il 
en  est  un  qui  semble  bien  être  la  traduction  d'une  légende  juive.  Vn  ouvrier, 
monté  sur  une  tour,  laisse  tomber  sur  la  tète  d'un  de  ses  compagnons  un  objet 
qui  a  l'air  d'être  une  brique.  Il  s'agit  de  la  tour  de  Babel  et  de  la  légende  de  la 
confusion  des  langues,  telle  qu'on  la  racontait  dans  les  Synagogues.  On  peut 
la  lire  dans  le  Yaschar.  «  Depuis  ce  jour,  dit  ce  livre  tout  plein  de  traditions 
étranges,  l'un  n'entendait  plus  l'idiome  de  l'autre;  et  lorsqu'un  maçon  recevait 
de  la  main  de  son  compagnon  des  matériaux  qu'il  n'avait  pas  demandés,  il  les 
lui  lançait  à  la  tète  et  le  tuait  :  et  un  grand  nombre  d'entre  eux  moururent 
de  cette  manière  '.  » 


1  Daus  les  arcatures  du   soubassement.    La  tête  de  Caïn  ri  celle  de  l'enfani   sont   des  restaurations 
nodernes. 

-'   Public  par  Bourassé  cl  M  arc  h  and,  pi.  XII. 

:  Nous  avons  indiqué  quelques-unes  de  ces  œuvres  dans  la  Revue  archéologique,  189). 

;   l.a  traduction  du  Yaschar  se  trouve  dans  Migne,  Dict    des  apocryphes,  t.   II.  col.  iuG<j  cl  suiv. 


LE    MIROIR   HISTORIQUE   —   LES   APOCRYPHES  >i> 

Néanmoins,  les  traditions  apocryphes  sur  l'Ancien  Testament  ne  tinrent 
jamais  une  très  grande  place  dans  l'art.  Le  moyen  âge  se  contenta  presque 
toujours  du  texte  de  la  Bible  qui  satisfaisait  pleinement  sa  curiosité. 


II 


Il  n'en  fut  pas  tout  à  fait  de  même  de  l'Evangile.  Les  récits  apocryphes  sur 
la  vie  du  Sauveur,  que  l'Eglise  toléra  toujours,  s'épanouirent  librement  dans 
l'art. 

Ces  légendes  remontent  aux  premiers  siècles  du  christianisme.  Elles  sont 
nées  de  l'amour,  du  désir  touchant  de  mieux  connaître  Jésus  et  tous  ceux  qui 
l'approchèrent.  Le  peuple  trouvait  les  Évangiles  trop  brefs  et  ne  pouvait  se  rési- 
gner à  leur  silence.  Il  prenait  à  la  lettre  la  parole  de  saint  Jean  :  «  Jésus,  dit  le 
disciple  à  la  fin  de  son  Évangile,  a  fait  encore  beaucoup  d'autres  choses;  si  on 
les  écrivait  en  détail,  je  ne  crois  pas  que  le  monde  même  put  contenir  les  livres 
ipion  écrirait  '.  o 

Le  désir  de  deviner  la  vie  cachée  de  Jésus-Christ  se  retrouve  dans  tous  les 
temps.  Les  révélations  de  sainte  Brigitte,  de  Marie  d'Agréda,  et  les  étonnants 
récits  delà  sœur  Catherine  Emmerich,  nous  montrent  que  la  curiosité  tendre 
qui  a  fait  naître  les  Évangiles  apocryphes  n'a  pas  disparu  même  de  nos  jours. 

Les  petites  communautés  chrétiennes  de  l'Orient  ne  pouvaient  se  lasser  d'en- 
tendre parler  de  Jésus.  Son  enfance  surtout,  sur  laquelle  les  livres  canoniques 
s'étendaient  si  peu,  avait  le  privilège  d'émouvoir  l'imagination  populaire.  On 
en  faisait  des  récits  merveilleux  qui  naquirent  sans  doute  parmi  les  fellahs  et  les 
mariniers  du  Nil.  Les  caravanes  les  emportèrent  en  Palestine  et  [dus  lard  jus- 
qu'au fond  de  l'Arabie  J.  Dans  les  haltes  du  désert,  on  racontait  comment  Jésus 
enfant  façonnait  des  oiseaux  avec  de  la  terre  détrempée  cl  les  faisait  ensuite 
s'envoler  en  frappant  dans  ses  mains,  comment,  chez  le  maître  d  école,  il  lisait 
les  lettres  de  l'alphabet  sans  les  avoir  apprises,  comment  il  aidait  avec  1  habi- 
leté d'un  maître  son  père  adoptif  à  faire  des  charrues. 


1   Saint  Jean,  xxi,     !  i 

:  On  sait  que  Maho l  ne  connaissail  guère  la  vie  de  Jésus-Chrisl   que  par  les   récils  dc-s  Evan 

apociyphes. 


246  L'ART   RELIGIEUX    DU   XIII"  SIÈCLE 

Tout  n'est  pas  gracieux  dans  les  récits  de  l'enfance  du  Sauveur.  Quelques- 
uns  des  miracles  qu'on  lui  prête  sont  puérils,  d'autres  sont  barbares.  En  Egypte. 
Jésus  rend  à  sa  première  forme  un  homme  qu'un  sort  avait  métamorphosé  en 
mulet.  En  revanche,  en  Judée,  il  change  des  enfants  en  béliers  pour  manifester 
sa  puissance.  Un  autre  jour,  il  dessèche  la  main  du  maître  d'école  qui  voulait  le 
happer,  et  il  fait  tomber  mort  devant  lui  un  enfant  qui  l'avait  heurté  en  courant. 
Plusieurs  chapitres  des  Évangiles  apocryphes  ressemblent  à  la  Vie  d'Apollonius 
de  Ti/ane  ou  même  à  l'Ane  d'or  :  la  croyance  aux  sortilèges,  à  la  magie  se 
montre  partout.  Ee  peuple  crédule  de  l'Orient  fit  ces  légendes  à  son  image. 
Dans  tout  cela,  il  n'y  a  qu'ingénuité  et  candeur;  de  temps  en  temps,  il  est  vrai, 
on  reconnaît  le  désir  d'accréditer  une  théorie  gnostique. 

Ees  écrivains  anonymes  qui  composèrent  les  Evangiles  apocryphes  surent 
parfois  atteindre  à  la  vraie  candeur.  L'Évangile  de  Nicodème  notamment,  dont 
l'auteur  fut  certainement  un  homme  de  race  juive,  très  familier  avec  la  Bible,  a 
d'admirables  pages.  La  descente  triomphale  de  Jésus  aux  Limbes  peut  se  com- 
parer aux  plus  beaux  passages  des  livres  canoniques. 

Toutes  les  légendes  dont  la  réunion  forme  ce  qu'on  appelle  les  Evangiles 
apocryphes,  furent  sans  doute  écrites  à  l'origine  dans  le  grec  populaire  qu'on 
parlait  en  Egypte  et  en  Syrie,  délies  qui  se  sont  conservées  nous  sont  parvenues 
en  diverses  langues  :  arabe,  copte,  grec,  latin.  .Nous  n'avons  pas  à  rechercher 
l'origine  de  ces  légendes  ou  à  étudier  les  rapports  qu'il  peut  y  avoir  entre  elles. 
Le  travail  a  été  fait  en  partie  par  les  éditeurs  des  Évangiles  apocryphes,  Fabri- 
cius,  Thilo,  T ischendorf  '.  En  un  tel  sujet,  une  seule  chose  nous  intéresse,  c'est 
de  savoir  ce  que  le  moyen  âge  a  connu  des  vieilles  traditions  orientales. 

Parmi  tous  les  récits  consacrés  au  Sauveur,  il  en  est  deux  surtout  qui  nous 
paraissent  avoir  été  mis  à  contribution  par  les  écrivains  du  xn"  et  du  xnr  siècle. 
malgré  le  décret  du  pape  Gélasequi  les  avait  placés  au  nombre  îles  apocryphes. 
Le  premier  est  l'Évangile  intitulé  De  Nativitate  Maria;  et  Infantia  Salvatoris, 
dont  la  première  partie  est  consacrée  à  la  jeunesse  de  Marie  et  la  seconde  à 
1  enfance  de  Jésus-Christ J.  Ce  livre,  qui  nous  est  parvenu  sous  la  forme  d'une 
traduction  latine,  était  attribué  à  sain!  Matthieu.  Le  moyen  âge  semble  en  avoir 


o 


1   FabriciuSj  Codex   apocryphus  Novi  Testamenti.  Hambourg,  1 7 1  «j .  — Thilo,  Codex  apocryphus  Novi 
Vestamenti.  Leipzig,  hS>j,   —  Tischendorf,  Evangelia  apocrypha,  Leipzig,  i853.  La  traduction  des  Evan- 
giles apocryphes  de  Brunet  sr  trouve,  revue  el  complétée,  dans  le  I1'  n<>I    du  Dict,  des  apocryphes  de  Migne. 
Publié  pour  la  première  fois  par  Thilo. 


I,K   MIROIR   HISTORIQUE         LES   A.POCRYPHES  _>j; 

fait  grand  cas,  car  il  est  cité  avec  honneur  par  Fulbert  de  Chartres1,  el  Vincent 
de  Beauvais  lui  emprunte  quelques-unes  des  légendes  qu'il  a  rapportées  dans 
son  Miroir  historique  -. 

Le  second  des  Évangiles  apocryphes  que  connut  le  moyen  âge  est  celui  qui, 
sous  le  nom  à! Actes  <lr  Pilâtes  ou  d'Evangile  de  Nicodème,  est  consacré  à  la 
Passion  de  Jésus-Christ  et  à  sa  descente  aux  limbes.  Ce  livre,  dont  le  texte  grec 
a  seul  été  conservé,  dut  être  répandu  de  bonne  heure  en  Occident  sous  la  tonne 
d'une  traduction  latine,  car  nous  le  voyons  cité  déjà  par  Grégoire  de  Tours  qui 
ne  savait  pas  le  grec  ;.  Au  xm"  siècle,  Vincent  de  Beauvais  l'a  transcrit  presque 
tout  entier  dans  son  Miroir  historique,  et  Jacques  de  Voragine  dans  sa  Légende 
dorée  '. 

De  ces  deux  Évangiles  viennent  la  plupart  des  traditions  apocryphes  qu'on 
retrouve  dans  la  littérature  et  dans  l'art  du  xin"  siècle.  Mais  il  ne  faut  pas  croire 
qu'ils  suffisent  à  tout  expliquer.  11  y  a,  surtout  dans  la  Légende  dorée,  plusieurs 
récits  qui  ne  proviennent  pas  de  nos  deux  Kvangiles.  Jacques  de  Voragine 
nous  raconte,  par  exemple,  que  la  nuit  de  la  naissance  du  Sauveur  les  vignes 
fleurirent  dans  toute  la  Palestine.  11  nous  apprend  sur  le  voyage  tics  Mages 
d'intéressantes  particularités;  il  nous  explique  comment  ils  vinrent  guidés  par 
une  étoile  qui  avait  la  ligure  d'un  enfant,  et  qui  en  effet  était  un  ange,  cl  coin 
ment  ils  repartirent  sur  un  navire  de  Tarse  pour  échapper  à  lacolère  d'Hérode. 

D'où  viennent  de  pareilles  légendes?  Sont-elles,  comme  les  autres,  origi- 
naires de  l'Orient?  —  Nous  ne  saurions  le  dire,  car  dans  tous  les  Apocryphes 
du  Nouveau  Testament  qui  ont  été  publiés  jusqu'à  présent,  nous  n'avons  rien 
trouvé  de  pareil.  Peu  nous  importent  d'ailleurs  les  origines  de  ces  traditions  puis 
(pie  nous  n'avons  pas  à  en  chercher  la  libation.  Il  nous  suffira  d'étudier  le  cycle 
légendaire  tout  formé,  tel  que  nous  le  trouvons  dans  les  Encyclopédies  histo- 
riques du  moven  âge,  et  de  montrer  ce  que  l'art  lui  a  emprunté.  Nous  aurons 
continuellement  sous  les  yeux,  non  seulement  les  Évangiles  apocryphes  eux- 
mêmes,  mais  Y  Histoire  Seolastique  de  Comestor,  le  Miroir  historique  de  \  in- 
cent  de  Beauvais,  la  Légende  dorée  de  Jacques  de  Voragine,  où  tics  traditions 
plus  récentes  se  inélentaux  traditions  antiques  de  l'Orient.  A  ces  livres  célèbres, 

1  Sermo  111 

1  Spec.  Instar  .  !il>    \  1.  cap.  \< m 

Hlst.  Franc,  lil>    I.  cap.  \\i 
;   Spec.  hislnr. .  lili.  \II.  cap.  i\i  cl  suiv.,  ri   f.eg  nd.  aur.,  De  resurrectione  Domini. 


î48  I.  ART   RELIGIEUX    1)1'   XIII"    SIÈCLE 

il  convient  d'ajouter  la  grande  Vie  de  Jésus-Christ  de  Ludolphe  le  Chartreux, 
bien  que  l'ouvrage  date  du  milieu  du  xi\l  siècle  ';  mais  presque  toutes  les  légendes 
antérieures  s'y  trouvent  :  c'est  la  somme  la  plus  complète  que  nous  ait  léguée  le 
moyen  âge. 


III 


Les  scènes  de  l'Enfance  de  Jésus-Christ,  telles  que  les  artistes  du  xmc  siècle 
les  représentent,  admettent  plusieurs  traits  apocryphes.  Le  récit  évangélique 
et  la  légende  s'y  mêlent  si  étroitement  qu'il  est  difficile  de  les  séparer.  Nous 
sommes  si  bien  habitués  à  voir  figurer  le  bœuf  et  l'âne  dans  les  représentations 
de  la  .Nativité  que  nous  ne  réfléchissons  guère  qu'aucun  des  Evangélistes  n'a 
signalé  la  présence  des  animaux  près  de  la  crèche.  C'est,  en  effet,  dans  le  seul 
Évangile  apocryphe  de  la  Nativité  de  Marie  et  de  f  Enfance  du  Sauveur  qu'il  en 
est  fait  mention  '.  La  légende,  qui  fut  sans  doute  imaginée  pour  justifier  une  pro- 
phétie d'Isaïe  et  un  passage  mal  compris  d'Abacuc3,  fut  admise  dès  les  origines 
de  l'Église.  Elle  est  demeurée  vivante  à  travers  les  siècles  parce  qu'elle  avait 
touché  le  cœur  du  peuple  ému  de  voir  son  Dieu  méconnu  par  les  hommes,  et 
accueilli  par  les  plus  humbles  d'entre  les  animaux.  La  liturgie  consacra  défini- 
tivement la  tradition  en  mentionnant  les  animaux  dans  un  répons  de  la  fête  de 
Noël*.  —  Les  imagiers  du  xiii*  siècle,  comme  les  auteurs  de  nos  vieux  Nocls, 
n'oublièrent  jamais  le  bœuf  et  l'âne. 

Une  autre  tradition,  très  naïve,  sur  la  naissance  de  Jésus-Christ,  apparaît 
aussi  quelquefois  dans  nos  cathédrales.  Prés  de  la  Vierge  étendue  sur  son  lit, 

1    Ludolphe  le  Chartreux  esl  mort  en  i  I78.  Sun  Livre  a  < ■  i <-  écril  vers  1 55o. 
/  vang.  de  Nativ    Maris  et  Infant.  Salvat.,  cap.  xiv  :  c  Tertio  autem  die  Nativitatis  Doraiui  egressa  est 
bcata  Maria  de  spelunca  el  ingressa  esl   stabulum  ci   posuil  puerum  in  prsesepio,  el   bos  el   asinus  adora- 
bant  eum.  » 

;  Isaïe,  cap.  i.  !.  <>  Aguovil  bos  possessorem  suum  el  asinus  prœsepe  domini  sui  »  :  cl  Abacuc,  m,  -i  : 

(i  Èv  •/■'<;>  8'jo  Çiiirtv  ••'"""'''l7',  "•  ''"  s''''  '!'"'  sainl  li'i-i' rectifia  ce  passage  de  la  version  Alexandrine  el 

traduisit  :  ••  In  ruedio  annorum  vivifica  illud.  »  Mais  l'ancienne  interprétation  «  In  medio  duorum  animalium 
cognosceris  <  n'en  subsista  pas  moins.  Voir  le  Sermon  'lu  pseudo  Augustin  publié  par  Marins  Sepel  [les 
Prophètes  du  Christ).  Jacques  de  Voragine  {Leg  aur.,  de  Nativit.,  cap  >  el  Ludolphe  le  Chartreux  l  //<< 
Christi,  cap.  i\  expliquent  la  présence  du  bœul  el  de  l'âne.  L'âne  élail  celui  qui  avait  porté  la  Vierge  de 
Nazareth  a  Bethléem;  quant  au  bœuf,  saint  Joseph  l'avait  amené  pour  le  vendre. 

■  i  0  magnum  mysterium  el  admirabile  sacramentu i  animalia  videront  dominum  jacenlem  in  prsese- 
pio. s  Le  versel  se  trouve  dans  les  Bréviaires  du  mit1  el  ilu  xiv°  siècle,  par  exemple  :  Bibl.  de  l'Arsenal, 
h    m-.  I     m-,  Bréviau  t  de  Pot  ssj 


LE    MIROIR    HISTORIQUE  LES   APOCRYPHES  ■  ,., 

ou  voit  deux   femmes  qui  s'empressent   autour  de  [enfant  Jésus  et  souvent  le 
lavent  dans  une  cuve1.  Parfois  une  des  femmes  porte  le  bras  en  écharpe'. 
(le  sont  les  sages-femmes  donl  il  est  parlé  dans  X Evangile  de  lu  Nativité  de  Marie 


Fig    m')    —  La  Vierge  ri  une  sage-femme  [vitrail  de  Laon). 
H  après  .MM.  de  Florival  et  Midonx 


et  île  l Enfance  du  Sauveur.  «  Joseph  était  allé  chercher  une  sage-femme,  cl 
lorsqu  il  revint  à  la  caverne,  Marie  avail  déjà  été  cl él ivrée  de  son  enfant.  Et  Joseph 
dit  à  Marie  :  g  Je  t'ai  amené  deux  sages-femmes,  Zélé  mi  el  Salomé,  qui  attende  ni 
à  l'entrée  de  la  caverne.  >  Marie,  entendant  cela,  sourit.  Ri  Joseph  lui  dit  :  Ne 
souns  pus.  mais  ^ois  sur  les  gardes,  de  peur  que  tu  n  .or-  besoin  de  quelques 

1    H  est  possible,  i me  l'a  pense    G.  de  Saint-  Laurent,  Guide  de  l'a  ri  chrétien,  I     III.    p      \o-,  que  la 

scène  ail  eu  a  l'origine  une  signification  symbolique.  Il  esl  remarquable,  en  elfcl,  que  le  vase  où   les  sages 
femmes  lavenl  l'enfanl  Jésus   soil  toujours  un.'  cuve  baptismale,   la-  bain  de  I   sus  sérail  comme  um   I 
de  son  baptême  futur. 

-  Sur  la  cliàsse  d'Aix-la-Chapelle,  voir  Cabier  el  Martin.    Mêlai  ■  '      série.  I.  I. 


L'ART   RELIGIEUX   DU    XIII»   SIECLE 

remèdes.  »  Et  il  donna  Tordre  à  une  des  sages-femmes  d'entrer.  Et  lorsque 
Zélémi  se  fut  approchée  de  Marie,  elle  lui  dit  :  «  Souffre  que  je  te  touche.  »  Et 
lorsque  Marie  le  lui  eut  permis,  la  sage-femme  s'écria  à  voix  haute  :  «  Seigneur, 
Seigneur,  aie  pitié  de  moi,  je  n'avais  jamais  soupçonné  chose  semblable;  ses 
mamelles  sont  pleines  de  lait,  et  elle  a  un  enfant  înàle  bien  qu'elle  soit  vierge. 
Nulle  souillure  n'a  existé  à  la  naissance  et  nulle  douleur  à  l'enfantement.  Vierge 
elle  a  conçu,  vierge  elle  a  enfanté,  et  vierge  elle  demeure.  »  L'autre  sage-femme, 
nommée  Salomé,  entendant  les  paroles  de  Zélémi,  dit  :  «  Ce  que  j'entends,  je 
ne  le  crois  point  si  je  ne  m'en  assure.  »  Et  Salomé  s'approchant  de  Marie  lui 
dit  :  «  Permets-moi  de  te  toucher  et  d'éprouver  si  Zélémi  dit  vrai.  »  Et  Marie 
le  lui  ayant  permis,  Salomé  la  toucha,  et  aussitôt  sa  main  se  dessécha.  Et  res- 
sentant une  grande  douleur,  elle  se  mit  à  pleurer  très  amèrement  et  à  crier  et 
à  dire  :  «  Seigneur,  tu  sais  que  je  t'ai  toujours  craint...  Et  voici  que  je  suis  deve- 
nue misérable  à  cause  de  mon  incrédulité,  parce  cpie  j'ai  osé  douter  de  ta 
vierge.  »  Lorsqu'elle  parlait  ainsi,  un  jeune  homme  d'une  grande  beauté  lui 
apparut  et  lui  dit  :  «  Approche  de  l'enfant  et  adore-le,  puis  touche-le  de  ta  main. 
et  il  te  guérira;  car  il  est  le  Sauveur  du  monde  et  de  tous  ceux  cpii  espèrent  en 
lui.  »  Et  aussitôt  Salomé  s'approcha  de  l'enfant,  et,  l'adorant,  elle  toucha  le 
bord  des  langes  dans  lesquels  il  était  enveloppé,  et  aussitôt  sa  main  fut  guérie'.  » 

Ces  sages-femmes  appelées  à  certifier  la  virginité  de  Marie,  ce  miracle 
enfantin,  tout  ce  naïf  récit  avait  de  bonne  heure  excité  l'indignation  des  Pères2. 
Mais  la  colère  de  saint  Jérôme  contre  les  folies  des  Apocryphes,  «  deliramenta 
Apocryphorum  »,  n'empêcha  pas  la  légende  de  devenir  populaire.  Au  moyen 
âge,  Jacques  de  Voragine  l'accueillit  en  modifiant  le  nom  d'une  des  sages-fem- 
mes :  la  Zélémi  de  l'Evangile  apocryphe  devint  la  Zebel  de  la  Légende  dorée  . 
L'imagination  populaire,  travaillant  sur  le  vieux  thème,  y  ajouta  des  ornements 
nouveaux.  Dans  plusieurs  poèmes  du  xif  et  du  xm"  siècle,  et  notamment  dans 
un  mystère  provençal,  les  sages-femmes  sont  remplacées  par  une  femme  infirme 
nommée  Anastasie  ou  Ilonestase.  Anastasie  est  née  sans  bras,  mais,  des 
qu'elle  a  vérifié  la  virginité  de  Marie,  des  bras  lui  poussent  sur-le-champ4. 

L'Eglise  du  moyen  âge,  qui  se  montra  si  indulgente  aux  légendes  populaires, 

/  vang.  de  Nativ,  Mariée  cl  Infant.  Salvat.,  cap.  un.  Traduct.  Brunet. 
2  «  Nulla  ibi  obstetrix,  nulla  muliercularum  sedulitas  intercessit.  Ipsa    Maria]  pannis  involvit  infantem, 
i|.-.i  et  m. ilcr  el  obstelrix  fuit.  ><  Saint  Jérôme  [Contra  Helvid.). 
'■  Leg.  aur.,  De  Nativ.,  cap.  vi. 
1  P.  Meyer,  Romania,  i88j,  t.  XIV.  p.   jy;. 


LE    .MIROIR   HISTORIQUE    —    LES   APOCRYPHES  .,, 

qui  elle-même  fut  peuple  eu  cela,  laissa  représenter  plus  d'une  fois  par  les 
artistes  l'histoire  des  sages-femmes.  On  la  voit  dans  l'intérieur  de  la  cathédrale 
de  Lyon  sur  un  chapiteau  de  l'abside,  à  la  façade  occidentale  de  la  cathédrale 
de  Chartres,  sur  un  des  chapiteaux  qui  forment  la  longue  frise  où  la  vie  de 
Jésus-Christ  est  racontée  ';  on  la  voit  encore  dans  un  des  vitraux  du  chevet  de  la 
cathédrale  de  Laon  (fïg.  io5),  et  dans  un  vitrail  du  Mans  qui  est 
placé  dans  la  chapelle  de  la  Vierge  et  qui  est  consacré  à  l'En- 
fance de  Jésus-Christ  (fig.  106).  A  ces  exemples,  on  pourrait 
en  ajouter  beaucoup  d'autres,  mais  on  serait  obligé  d'al- 
ler les  chercher  dans  les  hautes  époques.  Les  chapi 
teaux  de  Chartres  et  de  Lyon  sont  du  xn'  siècle; 
quant  aux  vitraux  de  Laon  et  du  .Mans,  ils  sont 
des  premières  années  du  xm".  A  partir  de  ce 
moment,  la  légende  des  sages-femmes  ne  se 
rencontre  plus  dans  nos  cathédrales.  Je  n'ai 
pas  réussi  non  plus  à  la  découvrir  dans  les 
manuscrits  à  miniatures  du  xuT  et  du  xiv'  siècle 
que  j'ai  parcourus.  II  semble  que  l'extrême  naï- 
veté du  vieux  récit  ait  enfin  choqué  l'Eglise,  et, 
si  elle  laissa  longtemps  encore  les  sages-femmes 

paraître  dans  les  Mystères,  elle  les  exclut  au  moins  du  sanctuaire.  Au  xmc  siècle, 
les  artistes  désapprirent  le  vieux  motif  des  sages-femmes  et  de  l'enfant  qui 
remontait  aux  premiers  temps  de  l'art  chrétien2. 

Aucune  des  scènes  de  l'Enfance  de  Jésus-Christ  ne  fournit  une  plus  riche 
matière  à  l'imagination  populaire  que  l'adoration  des  Mages.  Ces  figures  mys- 
térieuses que  l'Évangile  nous  montre  sous  un  voile  excitaient  vivement  la  curio- 
sité. Aussi  la  légende  ne  manque-t-elle  pas  de  nous  apprendre  toul  ce  que  saint. 
Matthieu  nous  laisse  ignorer.  On  nous  dit  les  noms  îles  Mages,  on  nous  fait  con- 
naître les  incidents  de  leur  voyage,  on  nous  raconte  toute  leur  vie  et  même  leur 
mort.  On  les  fit  mourir  en  vrais  chrétiens,  baptisés  par  saint  Thomas  dans  son 
voyage  de  l'Inde',  et  la  cathédrale  de  Cologne  accueillit  pieusement  leurs  reli- 
ques. De  grandes  familles  du   moyen  âge  comptaient  les  Mages  au  nombre  de 


Fig.  to6.  —  Les  sages-femmes  la- 
vant l'enfant  (fragment  d'un  vitrail 
du  Mans). 


1   A  Chartres,  les  sages-femmes  ne  lavent  p.ts  1  enfant . 

-'  Rohaull  de  Fleurj    In  Sainte  Vierge)  croit  que  la  scène  des  sages  femmes  apparaît  pour  la  première 
luis  au  vu0  siècle  dans  la  Bible  des  Arméniens  de  San  Lazzaro,  près  de  Venise. 


■l'y,  L'ART    RELIGIEUX    DU    Mil1    SIECLE 

leurs  ancêtres.  <  >n  voit  encore,  dans  les  ruines  du  château  des  Baux,  près 
d'Arles,  l'écusson  orné  de  l'étoile  qui  attestait  la  noble  origine  de  cette  illustre 
maison.  Le  peuple  honorait  les  Mages  à  sa  manière  :  il  mêlait  leurs  noms  aux 
conjurations,  aux  sortilèges,  (les  trois  noms,  écrits  sur  un  ruban  qu'on  portait 
au  poignet,  (lassaient  pour  guérir  du  mal  caduc  '. 

Au  moyen  âge,  les  traditions  relatives  aux  Mages  sont  très  nombreuses  et 
1res  pittoresques.  Le  lointain  Orient  d'où  ils  venaient  Taisait  rêver.  Les  imagi- 
nations emportées  au  pays  de  la  reine  de  Saba,  au  pays  de  l'or  et  des  aromates, 
ne  se  contenaient  plus.  (  )n  racontait,  entre  autres  choses,  que  les  Mages  descen- 
daient de  Balaam  et  qu'ils  axaient  hérité  des  secrets  de  l'antique  devin-.  On 
assurait  que  les  pièces  d'or  qu'ils  avaient  apportées  à  l'Enfant  avaient  été  frap- 
pées par  Térali.  le  père  d'Abraham,  et  quelles  avaient  été  données  aux  Sabéens 
par  Joseph,  fils  de  Jacob,  quand  il  vint  chez  eux  acheter  des  parfums  pour 
embaumer  le  corps  de  son  père'. 

Chose  curieuse.  les  Évangiles  apocryphes  ignorent  ces  légendes,  cl  n'ajou- 
tent presque  rien  au  récit  des  Evangiles  canoniques.  Le  chapitre  de  Y  Evangile 
de  la  Nativité  de  Marie  et  de  l'Enfance  du  Sauveur  esl  d'une  concision  qui  est 
la  prcu\c  dune  haute  antiquité4.  Les  traditions  relatives  aux  Mages  \inrenl 
d'ailleurs  :  le  cycle  légendaire  se  forma  lentement.  Au  xnr  siècle,  Jacques  de 
Voragine  groupa  une  partie  des  récits  qu'on  faisait  sur  les  Mages  dans  les  deux 
chapitres  île  sa  Légende  dorée1". 

Jacques  de  Voragine  nous  apprend  que  les  Mages  étaient  au  nombre  de  trois, 
et  que  leurs  noms  étaient  Caspar6,  Balthazar,  Melchior.  Ces  Mages  étaient  en 
mcine  temps  des  rois.  Dans  leur  pays,  ils  montaient  au  sommet  des  montagnes 
et  observaient  les  astres.  L'étoile  qui  les  guidait  avait  la  figure  d'un  entant,  et, 
en  effet,  c'était  un  ange,  le  même  qui  s'était  montré  aux  bergers7. 

1    Voir   l'iiicrs,  Traité  tirs  superstitions,  el  B.  de  Montault,  Bullet.  nu  mu  m  ,  i  S8  j .  \<    -  ■•  >. 
-'   Ludolphe,   Vita  Chrisli,  cap.  m. 
Voir,  sur  ces  légendes  el   sur  leurs  sources,   Migne,    Dict.  des  apocryphes,    i.   I.  col.    i;n.  el    t.   Il, 

col.    m  '  1-1025. 

1  Cap    xvi. 

"   Leg.  fntnj't.  De  Innocent. ,  cap,  \.  el   De  Epipkania  Domini,  cap.  xtv, 

'•   Plus  lard.  I  iaspard. 

"  La  légende  des  Mages  dans  la  littérature  el  dans  1  art  vienl  il  èlre  étudiée  avec  beaucoup  de  soin  \<,<r 
M.  Hugo  Kclircr,  die  Ueiligen  drci  Kônige  ai  Litteratur  und  Kunst,  Leipzig,  1908,  2  vol.    i  ■.  Il  a  montré 

que  le  n bre  des  Mages,  indéterminé  à  l'origine,  ;i\  ,iii  été  réduit  d'assez  bonne  heure  à  trois  par  1rs  Pères. 

Origène  est  le  premier  écrivain  ecclésiastique  qui  parle  de  ir.ùs  Mages,  In  Genesim.  Homilia  Xl\,  ;. 
Patrol  greca  .  1    XII,  col.    i38    Les  artistes  des  premiers  siècles  représentèrent  souvent  deux,  unis,  quatn 


LE    MIROIR    HISTORIQUE  LES  APOCRYPHES  ■.; 

La  plupart  tics  particularités  enregistrées  par  Jacques  de  Voragine  se  retrou- 
vent dans  les  œuvres  d'art  du  \m"  siècle.  --  Dans  nos  cathédrales,  le  nombre 
des  Mages,  encore  indéterminé  aux  premiers  siècles,  ne  dépasse  jamais  trois, 
Ils  ont  toujours  une  couronne  sur  la  tête,  par  allusion  à  leur  royauté.  Enfin, 
l'étoile   a    parfois  la   figure      ^^^^ 

jm  (  : 


nmn.  ■■ 


d'un  ange.  MM.  Guigue  et 
Bégule,  dans  leur  Monogra- 
phie  de  la  cathédrale  de 
Lyon,  ont  publié  une  minia- 
ture du  xive  siècle,  emprun- 
tée à  un  missel  français  du 
trésor  de  Saint-Jean,  où, 
dans  la  scène  de  l'Adoration 
des  Mages,  une  tête  d'ange 
apparaît  au  milieu  de  l'é- 
toile. A  la  clôture  du  chœur 
de  Notre-Dame  de  Paris, 
l'artiste  a  trouvé  quelque 
chose  de  plus  gracieux 
pour  traduire  la  même  lé- 
gende. Il  a  remis  l'étoile  aux 
mains  d'un  ange  <|ui  semble 
diriger  sa  course  (fig.  107). 

Parmi  ces  légendes,  aucune  n'a  été  plus  scrupuleusement  respectée  des 
artistes  que  celle  qui  assigne  un  âge  différent  à  chacun  des  Mages.  Dans  les 
vitraux,  les  bas-reliefs,  les  manuscrits,  le  premier  roi  a  toujours  l'aspect  d'un 
vieillard,  le  second  d  un  homme  d'âge  mûr,  le  troisième  d  un  jeune  homme 
imberbe.  Les  exemples  sont  si  nombreux  qu  il  nous  suffira  de  citer  un  des  plus 


l'"ig     m;.  —  Adoration  des  Mages 

ÎVotre-Da me  do  Pari? 


et  nième  six  Mages  :  ce  u'osl  qu  à  partir  'Ici  ic    siècle  que  le   nombre   trois   i  emporte  décidément.   Quant  .'i 
ce   titre   de  roi    qui   est   devenu    inséparable    du   nom  des    Mages,    c'esl    Tertullien    qui   le    premier  v  i.iii 
allusion,  ru  laissant   entendre  que   les   rois  'I  Arabie   el   de   Saba  dont  parleul    les    Psaumes   s,, ni  une  li 
des  Mages,  Advcrsus  Jlarcionein,  lib.  III,  cap.  xm,    .iclversus  Jtuheos,  cap    i\.'i    de  Idolitti  i  Mais 

les   M.il;' '^   m'   deviennent   réellement   des   rois   qu  .m    \     siècle,   dans  un   Irailé    il'1    Maxime  de    I  'urin.  et  au 

h    siècle  chez  Césairc    l'Arles.  Ce   u'esl   p 'laul  qu'au   \    siècle  qui-  les  artistes  c uencèreiil  à    repré 

senti  r  les  Mages  comme  des  rois  avec  des  t ronnes  -m-  la  tète  :  !<■  plus  ancien  exemp  contre  dans 

le  fameux  uologe  de  Basile  II  au  Vatican,  qui  (la ti    di    976  environ.  Jusqiu  1  :    représentés  avec 

li-  bounel   phrygien  ri   lis  auaw  rides  des   Persans  el  'li  'S  prêtres  de  M  il  lira 


23  i  L'ART   RELIGIEUX    TU'   X  1 1 1 ^   SIÈCLE 

célèbres  :  l'Adoration  des  Mages  à  la  clôture  du  chœur  de  Notre-Dame  de  Pan-. 

La  tradition  est  très  ancienne:  elle  était  déjà  respectée  des  miniaturistes  du 
xi"  siècle',  et  elle  remonte  beaucoup  plus  haut2,  ("est  dans  un  curieux  passage 
qu'on  attribuait  à  Bède,  et  qu'on  trouve  dans  les  Collectanea  qui  accompagnent 
ses  œuvres  ',  que  se  rencontre  la  plus  ancienne  mention  de  cette  légende.  »  Le 
premier  des  Mages,  dit  le  pseudo-Bède,  fut  Melchior,  un  vieillard  avec  de  longs 
cheveux  blancs  et  une  longue  barbe...  C'est  lui  qui  offrit  l'or,  symbole  de  la 
royauté  divine.  Le  second,  nommé  Caspar,  jeune,  imberbe,  le  teint  coloré.... 
honora  Jésus  en  lui  présentant  l'encens,  offrande  qui  manifestait  sa  divinité.  Le 
troisième,  nommé  Balthazar.  le  teint  brun  fuscus),  portant  toute  sa  barbe  — 
témoigna,  en  offrant  la  myrrhe,  que  le  61s  de  l'homme  devait  mourir'.  » 

Les  compilateurs  du  moyen  âge  semblent  avoir  accordé  peu  d'attention  aux 
portraits  tracés  par  le  pseudo-Bède  :  ils  ne  les  transcrivirent  pas  dans  leurs 
livres.  Mais  les  artistes  furent  moins  dédaigneux  :  la  tradition  relative  à  l'âge 
des  Mages  se  transmit  dans  les  ateliers  pendant  des  siècles5. 

Il  faut  noter  encore  qu'au  xm'  siècle  le  qualificatif  de  «  fuscus  »,  que  le  pseudo- 
Bède  applique  à  Balthazar.  ne  fut  jamais  pris  au  pied  de  la  lettre.  C'est  seulement 
au  xiv'  et  surtout  au  xv  siècle  qu'un  des  rois  Mages  apparaît  avec  la  figure 
d'un  nègre6.  Les  artistes  furent  conduits  à  cette  interprétation  nouvelle  par 
les  commentaires  des  théologiens.  Dans  les  sermons  d'alors,  on  enseignait  que 
les  rois  Mages,  préfigurés  dans  l'Ancien  Testament  par  les  trois  fils  de  Noé, 

1  B.  N.  lat.  iy3a5  (xi    siècle). 

J  C  est  dans  un  manuscrit  oriental,  dans  l'évangéliaire  d'Etschmiadzin,  qui  date   des  environs  de  55o, 
que  l'on  rencontre  pour  la  première  fois  les  trois   Maires   représentés   sous   la   ligure    d'un   vieillard,   d  un 
homme  d'âge  mur  et  d  un  jeune  homme.  Eu  Occident,  cette  pratique  ne  commence  à  apparaître  qu'à  la  fin 
de  1  âge  carolingien    [voire  du  Musée  de  Lyon,  vers  900). 
Palrol  .1    \<  1\ 

1  Ce  passage  du  psèudo-Bède,  comme  le  prouvent  certains  mots  singuliers  mil.  nus.  hyacinthinus, 
mitrarium  .  a  été  certainement  traduit  du  grec.  Il  semble  provenir  d  un  Guide  de  lu  peinture  très  antique. 
Voir  Kehrer.  t  1.  p.  lij.  67.  Il  paraît  donc  certain  que  ce  sont  les  Orientaux  qui  ont  eu  l'idée  d  assigner 
aux  trois  Mage»  un  âge  différent.  Quant  aux  noms  mystérieux  des  Mages,  ou  les  rencontre  pour  la  première 
fois  dans  une  chronique  grecque  du  commencement  du  VIe  siècle,  traduite  en  latin  par  un  moine  méro\in- 
gieu  [Excerpta  Latina  Barbari  .  Les  trois  noms  se  présentent  sous  celle  forme:  Bithisarea,  Melichior, 
Gathaspa. 

s  Ou  alla  jusqu'à  donner  1  âge  exact  de  chaque  Mage.  On  disait  en  effet,  au  moyen  âge.  que  le  plus 
des  rois   Mages  avait  soixante  ans.  le  plus  jeune  vingt,  et   lautre  quarante.   C  était,  si  l'on  veut,  l'enthou- 
siasme de  la  jeunesse,  la  ferme  raison  de  1  âge   mûr  et  1  expérience  de  la   vieillesse  rendant   hommage  à 
Jésus-Christ.  Ces  âges  pr  >uvent  dans  le  Catalogus  Sanctorum  de  Petrus  de  Natatibus,  publié  à  la 

lin  du  xv    siècle. 

'■  1.  exemple  le  plus  aucien  que  l'on  puisse  citer  se  voit  au  tympan  sculpté  de  l'église  de  Thanu  :  l'œuvre 
est  de  ij55  environ.  Voir  Kehrer,  t.  II.  p.  ■-■  :  i  Les  exemples  sont  beaucoup  plus  fréquents  en  Allemagne 
qu'en  France  où  ils  sont  très  tardifs. 


LE   MIROIR   BISTORIQUE   -   LES   APOCRYPHES 

Sein.  Cham  et  Japhet.  symbolisaient  les  tro^-  -  humaines       -         -  parties 

du  monde  venant  rendre  hommage  à       -    --  Ihrist1. 

Xos  monuments  du  moven  âge  nous  montrent  certain*  -  -  -  »es  de 

la  vie  des  Mages  qui  ont  souvent  embarrassé  les  interprètes.    \   la  façade  <l<-  la 
cathédrale  d'Amiens,  au  portail  de  droite,  on  peut  vo       sous  les  g  -  -     tue> 

des  rois  M   _  es.  plusieurs  petits  médaillons  qui  représentent  leur  histoire  fîg 


«M 

Dansl  un.  ils  sont  embarque-  tous  les  tro  -       -    nblent  voguer 
et  dans  les  autres,  un  personnage  ordonne  de  mettre  le  feu  à  un  navire  que  l'on 
brûle2.  Au  moyen  âge,  les  fidèles,  très  I  ers  s  ssaient 

-  peine,  dan-  les       s-  eliefs  d'Amiens,  un  épisode  du  ret  -  M   _■  -  que 

Jacques  de  Voragine  nous  raconte  ainsi  :     Comme  Hérodi  riait  la  morl 

Innocents,  il  fut  cité  par  une  lettre  de\ant  César  pour  répondn  sation 

de  son  fils.  Et  comme  il  passait  à  Tarse,  il  apprit  que   les  ti"  -        s  s'él  lient 
embarqui  -  -      un  navire  du  port,  et  d      -  -  re  il  lit  u  à  tous 

- 

saint  Matthieu.  I 
-   M  d  1 1  r  j     /.  -  • 
expliquer. 


256  L'ART    RELIGIEUX    DU    Mil'    SIECLE 

navires,  selon  ce  que  David  avait  dit  :  «  Il  brûlera  les  nefs  de  Tarse  en  son 
courroux  '.  »  La  légende,  comme  beaucoup  d'autres,  est  née  d'un  versel  de  l'An- 
cien Testament2.  Elle  était  évidemment  1res  populaire  an  xmc  siècle3,  car  les 
artistes  s'en  inspirèrent  plusieurs  fois.  On  voit  les  Mages  revenant  en  bateau 
sur  des  panneaux  de  la  rose  <le  Soissons  ',  et  sur  le  vitrail  consacré  à  l'En- 
fance de  Jésus-Christ  qui  orne  la  chapelle  absidale  de  la  cathédrale  de 
Tours  \ 

Hérode  entra,  lui  aussi,  dans  le  cycle  légendaire  des  Mages.  Tous  les  récits 
(pie  Pierre  Comestor,  Vincent  de  Beauvais,  Jacques  de  Voragine  nous  font  de 
l'horreur  de  ses  dernières  années  ne  passèrent  pas  dans  l'art  :  les  artistes  n  en 
retinrent  qu'un  seul  trait.  --  A  la  façade  d'Amiens,  au  portail  de  gauche,  on  voit 
sous  les  pieds  de  la  statue  d  llérode.  devant  qui  les  rois  Mages  comparaissent, 
un  personnage  nu  que  deux  serviteurs  plongent  dans  une  cuve.  C'est  le  vieil 
llérode  qui  essaie  de  retarder  sa  mort  en  prenant  des  bains  d'huile  :  i  Kl  Hérode 
avait  déjà  soixante-quinze  ans,  et  il  tomba  dans  une  grande  maladie  :  fièvre 
violente,  pourriture  et  enflure  des  pieds,  tourments  continuels,  grosse  toux  et 
des  vers  qui  le  mangeaient  avec  grande  puanteur,  et  il  était  fort  tourmenté;  et 
alors,  d'après  lavis  des  médecins,  il  fut  mis  dans  [\nc  huile  d'où  on  le  tira  à 
moitié  mort0.  »  llérode  vécut  encore  assez  pour  apprendre  que  son  lils  Anti- 
pater  n'avait  pas  caché  sa  joie  en  entendant  le  récit  de  l'agonie  de  son  père.  — 
La  colère  divine  éclatait  dans  cette  mort  d'Hérode  "que  Comestor  avait  rendue 
célèbre  en  l'insérant  dans  son  Histoire  scolastique  ' .  L'imagier  d'Amiens  eut 
donc  une  idée  ingénieuse  en  niellant  sous  les  pieds  d'Hérode  triomphant  le 
vieil   llérode  vaincu   :    il    annonçait   l'avenir  et  la   vengeance  prochaine  de  Dieu. 

La  fuite  en  Egypte,  que  les  évangélistes  nous  signalent  d'un  mot,  fut  un  des 
sujets   OÙ  s'exerça    le   plus    volontiers    l'imagination   populaire.  Dans  les  récits 

1   Leg    aurea,  De  Innocent.,  cap    \     Vinccul  de  Beauvais,  Spec    hist  .  VU,  g3    Ludolphe,   Vita  Chrisli, 
cap    m  . 

-    La  ville  de  Tharsis  demi  il  esl  question  dans  l'Ancien  Testamenl  lui  identifiée  avec  Tarse. 

l'u  Italie,  jusqu'au  xviii0  siècle,  on  a  i < ■  l ■  • .  le  r  '  mars,  le  retour  di'S  Mages. 
■    Reproduite  pari',  de  Laslcyiïe,  Hist.  de  la  peint,  sur  verre,  pi.  XXV. 

La  figure    ioS    représente,  première  lig le    Massacre   des   Innocents;  Hérode  consultant    les  Doc 

leurs;  Michée  aunonçaul  que  le  Messie  sortirait  de  Bethléem;  Balaam  montrant  l'étoile.  Deuxième  Ligne, 
adroite:  les  Mages  réveillés  par  l'ange;  les  Mages  revenaul  par  mer;  les  navires  de  Tarse  brûlés;  Hérode 
donnant  l'ordre  de  brûler  1rs  navires 

Leg.  aurea,  De  Innocent  .  cap.  x  (traducl.  Brunet). 

P.  Comestor,  Hist.  scolast.  lu  Evang.,  cap.  mi,  d'après  Josèphe.  Voir  aussi  Vincent  de  Beauvais, 
Spec.  hist.,  lib.  VI,  cap.  i  .  el  Leg.  aurea,  De  Innocent  .  cap.  \. 


LE    MIROIR    HISTORIQUE    —    LES   APOCRYPHES  ?S; 

légendaires,  Jésus  s'avance  au  milieu  des  miracles.  Il  dompte  les  dragons,  les 
bètes  sauvages,  désarme  les  brigands.  L'eau  qui  a  lavé  ses  langes  ressuscite  les 
morts.  Aux  légendes  rapportées  par  les  Evangiles  apocryphes  s'ajoutaient  les 
traditions  locales  conservées  par  les  Coptes,  et  de  nombreux  récits  imaginés  par 
les  Arabes  eux-mêmes  '. 

Le  moyen  âge  puisa  discrètement  dans  ce  riche  trésor  de  légendes.  Vincent 
de  Beauvais  se  contente  de  transcrire  YÊvangile  de  la  Nativité  <!<■  Marie  et  de 
VEnfance  du  Sauveur,  le  moins  chargé  de  circonstances  fabuleuses  '.  Quant  à 
Jacques  de  Voragine,  contrairement  à  son  habitude,  il  se  montre  très  sobre  . 
Les  artistes  le  furent  plusencore  :  de  tant  de  légendes,  ils  ne  retinrent  que  celle 
de  la  chute  des  Idoles. 

L'Évangile  de  la  Nativité  de  Marie  et  de  VEnfance  du  Sauveur  ',  et  tons  les 
auteurs  du  moyen  âge  rapportent  qu'en  entrant  dans  le  temple  de  la  ville  de 
Sotime,  que  d'autres  appellent  Hermopolis,  Jésus  fit  choir  toutes  les  idoles  pour 
que  s'accomplit  la  parole  d'Isaïe  :  «  Voici  que  le  Seigneur  vient  sur  une  nuée, 
et  tous  les  ouvrages  de  la  main  des  Égyptiens  trembleront  à  son  aspect.  »  A  la 
nouvelle  du  miracle, le  gouverneur  île  la  ville,  nommé  Aphrodise,  se  rendit  dans 
le  temple,  et  quand  il  vit  toutes  les  statues  brisées,  il  adora  Jésus.  La  tradition 
ajoutait  que,  dans  la  suite.  Aphrodise  était  venu  en  Gaule,  et  qu  il  avait  prêche 
l'Évangile  dans  la  Narbonnaise.  On  voulait  qu'il  eut  été  le  premier  évêque  de 
Béziers. 

L'histoire  de  la  chute  des  idoles,  qui  est  née,  comme  beaucoup  de  légendes 
apocryphes,  d  un  texte  prophétique  qu'il  s'agissait  de  justifier,  fut  adoptée  par 
l'Église.  Elle  autorisa  les  artistes  à  la  représenter.  On  la  retrouve  dans  toutes 
les  séries  peintes  ou  sculptées  consacrées  à  l'Enfance.  Le  xm  siècle  donna  à  la 
légende  une  forme  abrégée,  presque  hiéroglyphique.  <>n  ne  voit  ni  la  ville,  ni 
lesj)  ré  très,  ni  le  temple,  comme  dans  quelques  œuvres  d'à  il  des  hautes  époque--  : 
deux  statues  tombant  de  leur  piédestal  et  se  brisant  par  le  milieu  suffisent  à 
rappeler  le  miracle.  Un  vitrail  du  Mans  présente  une  particularité  curieuse  :  les 
idoles  égyptiennes  sont  multicolores;  leur  tête  est  d'or,  leur  poitrine  d  argent, 
leur  ventrede  cuivre,  leurs  jambes,  peintes  en  bleu,  semblent  de  fer,  leur-  pieds 

1   /Jirl.  des  apoctypkes,  t.   I,  col.  'i'i  '  996 
-   Spec.  histor  .  lib.  \  I.  cap    \<in 
Leg.  aur.,  Dr  Innocent.,  cap.  \ 

•    (  :,i|>.  wrii. 


ï58  L'ART   RELIGIEUX    DU    XIII'    SIECLE 

sont  couleur  d'argile  '.  Il  est  évident  que  le  peintre  a  pensé  à  la  statue  du  Songe 
de  Nabuchodonosor,  qui  est  devenue  pour  lui  l'idole  par  excellence. 

Voilà  tout  ce  que  la  légende  a  fourni  aux  artistes.  11  serait  possible,  cepen- 
dant, qu'un  détail,  d'apparence  insignifiante,  qu'on  remarque  fréquemment  dans 
les  représentations  de  la  fuite  en  Egypte,  rappelât  une  autre  tradition  légendaire. 
Près  de  la  Sainte  Famille  en  marche,  on  voit  souvent  un  arbre.  Est-ce  seulement 
un  signe  destiné  à  nous  rappeler  les  campagnes  où  cheminent  les  voyageurs? 
Ou  n'est-ce  pas  plutôt  l'image  de  l'arbre  merveilleux  dont  parlent  les  Apocry- 
phes? On  lit,  en  effet,  dans  1 'Evangile  de  la  Nativité  de  Marie  et  de  l'Enfance  du 
Sauveur,  qu'au  troisième  jour  de  marche,  la  Vierge  fatiguée  s'assit  sous  un  pal- 
mier et  désira  un  de  ses  fruits.  Saint  Joseph  lui  fit  remarquer  combien  l'arbre 
était  élevé  :  «  Alors  l'enfant  Jésus,  qui  était  dans  les  bras  de  la  Vierge  Marie, 
sa  mère,  dil  au  palmier:  «  Arbre,  incline  tes  rameaux  et  nourris  ma  mère  de 
«  tes  fruits.  »  Aussitôt,  à  sa  voix,  le  palmier  abaissa  sa  cime  jusqu'aux  pieds  de 
Marie.  Ils  purent  cueillir  les  fruits  qu'il  portait  et  s'en  nourrirent  tous.  Le 
lendemain,  au  moment  du  départ,  Jésus  dit  au  palmier  :  «  Palmier,  j'ordonne 
«  qu'une  de  tes  branches  soit  transportée  par  mes  anges,  et  soit  plantée  dans  le 
«  Paradis  de  mon  père.  Pour  te  récompenser,  je  veux  qu'on  dise  à  tous  ceux  qui 
v  auront  vaincu  dans  le  combat  pour  la  foi  :  «  Vous  avez  mérité  la  palme  de  la 
«  victoire.  »  Comme  il  parlait  ainsi,  voici  que  l'ange  du  Seigneur  apparut  se  tenant 
sur  le  palmier,  et  il  prit  une  des  branches,  et  il  s'envola  par  le  milieu  du  ciel, 
tenant  cette  branche  à  la  main  \  » 

Ce  récit,  que  reproduit  Vincent  de  Beauvais  ',  se  retrouve  avec  des  variantes 
chez  plusieurs  des  écrivains  du  moyen  âge.  Mais,  s'appuyant  sur  un  passage  de 
Cassiodore,  ilsont  tous  remplacé  le  palmier  par  un  pêcher*.  Vincent  de  Beau- 
vais. qui  pourtant  suit  de  très  près  VÉvangile  de  la  Nativité,  se  range  lui-même 
à  l'opinion  de  Cassiodore.  — Ce  détail  a  son  importance.  A  la  clôture  du  chœur 
de  Notre-Dame  de  Paris,  on  voit,  près  de  la  Vierge  montée  sur  un  âne,  un  arbre 
chargé  de  fruits  qui  a  tout  l'air  d'être  un  pêcher(fig.  109).  Si  notre  conjecture  est 
exacte,  c'est   donc  la  légende  de   l'arbre  du  désert  que   l'artiste  a    voulu  rappe- 

1  Publié  par  Huchcr,  Vitraux  <ln  ïluns.  (.  est  le  vitrail  de  l.i  chapelle  de  la  Vierge  consacre  à  l'Enfance 
de  Jésus  Christ 

J   Evang.  Nativ.  Munir  ri  Infant.  Salvat.,  cap    \\  et  \\i.  Trad.  Brunet. 

Spec.  kist  .  Iil.    VI,  cap    xcin. 
•   Voir  notamment    Honorius  d'Aulun,   Specul.  Eccles,  Patrol.,  t.   CLXXII,  col    s;;    il  appelle   l'arbre 
persicus  .  et  Leg    mu  ru.  Dr  Innocent.,  cap.  \. 


de  la   même  énorme 


igure  dans  un  vitrail  de  la  cathédrale 


LE    MIROIR   HISTORIQUE    —    LES   APOCRYPHES 

1er.  La    présence  de   l'arbre   dans    plusieurs  œuvres  d'art 

rend  la  conjecture  très  vraisemblable 

de  Lyon1,  et  dans  un  vitrail  de  la  cathédrale   de    Tours     où  la  fuite  en    Egypte 

est  représentée. 

Ce  sont  là  les  seuls  traits  apocryphes  que  le  xm"  siècle  semble  avoir  admis 
dans  la  représentation  de  la  fuiteen  Egypte.  On  ne  trouve  alors  presque  aucune 
trace  de  certaines  légendes 
<iui  devinrent  plus  tard  très 
populaires  et  dont  les  ar- 
tistes, à  partir  de  la  fin  du 
xivc  siècle,  et  en  particulier 
les  miniaturistes,  s'inspirèrent 
souvent3.  Nous  voulons  parler 
de  la  légende  des  voleurs  et 
de   celle   du  champ    de    blé. 

Voici  comment  un  incu- 
nable du  xvc  siècle  nous  ra- 
conte les  deux  traditions  : 
«  Marie  et  Joseph  n'avoient 
point  d'argent  et  il  leur  falloit 
porter  leur  enfant  et  fuir  en 
étrange   pays  et   déserts  sau- 

vaiges  et  chemins  terribles,  où  ils  trouvèrent  des  larrons,  dont  il  en  eut  un  qui 
leur  lit  bonne  chère,  en  les  renvoyant  moult  doucement  et  en  leur  montrant  le 
chemin,  et,  dit-on  que  ee  fut  le  bon  larron  qui  fut  sauvé  a  la  Passion  «le  Noire- 
Seigneur.  Ainsi  après  que  Notre-Dame  cheminoit  ils  vont  trouver  un  laboureur 
qui  seminoit  du  blé.  L'enfant  Jésus  mil  la  main  au  sae  cl  jeta  son  plein  point; 
de  blé  au  chemin;  incontinent  le  blé  fut  si  grand  et  si  meur  que  s'il  eût  de- 
meuré un  an  à  croître,  et  quand  les  gens  d'armes  de  Mérodes  qui  quéroient  Ten- 
tant pour  l'occire  vinrent  à  celui  laboureur  qui  cueilloit  son  blé,  si  lui  vont 
demander  s'il    avoit   point  vu     une   femme    «pii  portoit   un   enfuit.  «   Oui,    dit-il, 


Kit 


109. 


La  Fuite  en  Egypte  [clôture  1 1  n  chœur. 
Notre-Dame  de  Paris! . 


1   Dans  Cahier,   Vitraux  de  Bourges,  pi.  d'étude  VIII. 

-  Bourassé  el  Marchand,  Vitraux  de  Tours,  pi.    VII.  A  Chartres,  portail  vieux   [chapiteau),  l'arl 

ligure  pas.  mais  la   Vierge  tient  à  la   main   une   palme. 

■'  Voir  notamment,  Bibl.  Na(  .  ms.  latin   1 1 58,  Heures  du  xn    siècle,  el  ms.  latin  9a  1 .  Heures  >lu  xv". 


•  lin  L'ART    RELIGIEUX    DU    XIII6  SIECLE 

quand  je  semois  ce  blé.  »  Lors  les  meurtriers  se  pensèrent  qu'il  ne  savoit  ce 
qu'il  faisoit,  car  il  avoit  près  d'un  an  que  celui  blé  avoitété  semé;  si  s'en  retour- 
nèrent en  arrière  '.  » 

Gesdeux  épisodes,  dont  le  premier  est  emprunté  aux  Évangiles  apocryphes2, 
cl  le  second  à  une  source  cpie  nous  n'avons  pu  découvrir,  n'ont  pas  élé  accueillis 
par  les  compilateurs  du  xnf  siècle  :  on  ne  les  trouve  ni  dans  Vincent  de  Beau- 
vais,  ni  dans  Jacques  de  Voragine.  Les  deux  légendes  n'étaient  sans  doute  pas 
inconnues  alors,  mais  elles  n'étaient  pas  encore  entrées  vraiment  dans  la  litté- 
rature et  dans  l'art.  Je  n'ai  jamais  rencontré  l'épisode  du  champ  de  blé  dans  nos 
cathédrales  du  xiu"  siècle. 

II  se  montre  pour  la  première  fois,  si  je  ne  me  trompe,  parmi  les  sculptures 
du  xiv'  siècle  qui  décorent  le  portail  sud  de  la  belle  église  Notre-Dame  d'Avioth, 
dans  la  Meuse. 

Quant  à  la  légende  du  larron,  on  ne  la  rencontre  pas  dans  la  période  qui  va 
de  1200  à  i  '"Ho3. 


IV 


Les  légendes  apocryphes  qui  se  rapportent  à  l'enfance  de  Jésus-Christ  figurent 
donc  en  petit  nombre  dans  l'art  du  xm'  siècle.  Elles  apparaissent  moins  nom- 
breuses encore  dans  les  scènes  empruntées  à  la  vie  publique  du  Sauveur.  Com- 
ment, en  effet,  oser  toucher  au  texte  sacré,  dans  les  passages  les  plus  solennels? 
Commentoser  attentera  la  majesté  de  l'Évangile?  D'ailleurs  ici  les  Apocryphes 
devenaient  muets. 

Cependant,  la  passion  du  merveilleux,  le  goût  des  combinaisons  romanesques 
étaient  bien  loris  au  moyen  âge.  Si  on  ne  pouvait  changer  une  seule  parole,  un 
seul  geste  du  Fils  de  Dieu,  on  pouvait  au  moins  faire  mille  conjectures  sur  les 
malades   qu  il  avait    guéris,   sur    les   disciples  qui   l'avaient   approché,   sur    les 

1  De  quelques  miracles  que  l'Enfant  Jésus  fit  en  sa  jeunesse  (29  feuillets).  Lyon,  sans  date  (Bibl.  Nal  ). 

Evang.  Infant.,  cap    xxm.  Le  bon  e(  le  mauvais  larron  sonl  nommés   Titus  et  Dummachus. 

Peut  être  pourrait-on  reconnaître  l'épisode  du  bon  larron  dans  le  vitrail  du  chevet  dv  la  cathédrale  de 
Laon  1,1  droite).  La  fuiti  en  Égj  pte  )  est,  en  effet,  représentée  d'une  façon  insolite.  Saint  Joseph  a  l'enfant 
dans  ses  bras,  la  \  ierge  esl  sur  son  âne,  el  un  homme,  qui  porte  un  petit  baril,  eouduil  1  âne.  Cet  homme 
pourrait  bien  être  le  bon  larron  servant  de  guide  à  la  Saint.'  Famille,  Une  plaque  émaillée  de  Limoges,  au 
Musée  de  Clunj     \m'   siècle  .  nous  montre  une  scène  analogue 


LE   MIROIR    HISTORIQUE    --    LES   APOCRYPHES  161 

inconnus  auxquels  il  avait  parlé.    Là,  on  pouvait,  sans  sacrilège,  suppléerai! 
silence  tics  Evangiles. 

Le  moyen  âge  avait  de  la  peine  à  admettre  que  ceux  qui  avaient  vu  et  en  tendu 
Jésus  fussent  restés  des  hommes  obscurs,  et  ne  lussent  pas  devenus  plus  tard 
des  chrétiens  illustres  et  de  grands  saints.  Les  Églises  de  France,  notamment, 
étaient  riches  en  traditions  de  ce  genre  :  presque  toutes  voulaient  avoir  été 
fondées  par  un  de  ceux,  si  humble  fût-il,  qui  avaient  marché  dans  l'ombre  du 
divin  Maître.  C'étaient  là  les  titres  tic  noblesse  de  nus  métropoles  ecclésias- 
tiques.-- Saint  Martial,  par  exemple,  qui  fonda  le  siège  de  Limoges,  était  le 
jeune  enfant  de  qui  Jésus  avait  dit  :  "Si  vous  n'êtes  semblable  à  cet  enfant,  vous 
n'entrerez  pas  dans  le  royaume  des  cieux1.  »  Plus  tard,  saint  Martial  avait  servi 
à  table  le  jour  de  la  Cène,  et  il  avait  apporté  l'eau  avec  laquelle  Jésus  avait  lave 
les  pieds  des  apôtres-.  Saint  Sernin  de  Toulouse  avait  tenu  la  robe  de  Jésus- 
Christ  pendant  que  saint  Jean  le  baptisait  dans  le  Jourdain.  Saint  Uestitut,  pre- 
mier évêque  de  Saint-Paul-Trois-Chàteaux,  était  l'aveugle-né  guéri  par  le  Sau- 
veur. Zachée,  le  publicain  qui  regardait  passer  Jésus  du  haut  d'un  sycomore, 
était  venu  en  Gaule  chercher  la  solitude,  et  avait  vêtu  de  longues  années  sur  la 
montagne  sauvage  où  s'éleva  plus  tard  Notre-Dame  de  ftocamadour.  Enfin,  on 
sait  que  la  Provence  se  glorifiait  d'avoir  reçu  l'Evangile  de  la  bouche  même  de 
Lazare,  accompagné  de  Marie-Madeleine  et  de  Marthe. 

On  trouve  dans  l'art  quelques  traces  de  ces  traditions.  Sur  un  chapiteau 
roman  du  Musée  de  Toulouse  qui  représente  la  Cène,  un  serviteur,  qui  apporte 
un  plat,  a  la  tête  nimbée.  C'est  évidemment  saint  Martial.  A  Tours,  un  vitrail 
consacré  a  saint  Martial  montre  le  jeune  saint  versant  l'eau  sur  les  mains  de 
Jésus-Christ  et  servant  a  table  le  Seigneur  et  les  apôtres  .  In  vitrail  de  Laon 
fait  également  assister  saint  Martial  à  la  Cène  en  qualité  de  serviteur1. 

La  plus  singulière  île  ces  légendes  est  sans  aucun  doute  celle  qui  concerne 
les  époux  des  noces  de  Cana.  Une  tradition  tics  antique,  puisqu'on  la  trouve 
déjà  dans  Bède,  désignait  par  leur    nom  le  fiancé  et  la  fiancée    dont  l'Evangile 

1  Vincent  de  Beauvais,  Spec.  hisior.,  lib.  VII,  cap.  xxiv. 

2  Voir  Ademarus,  Epislol.  de  Sanclo  Martiali.  Patrol,  t.  CX LI,  col  gô  ie).  Pseudo  I  lure, 
Méditât.,  cap.  lx  Ludolphe,  Passio  Ckrisli,  cap.  lui.  La  tradition  concernant  saint  Martial  fut  reçue  par 
l'Eglise;  je  la  trouve  dans  un  Lecti aire  manuscrit  du  xn"  siècle  ;  Bibl.  Sainte-Geuevièvi     i           ,  I"  6 

3  Bourassé  et  Marchand,   Vitraux  de   Tours,  pi.  I\ 

4  Florival  et  Midoux,  Vitraux  de  Laon.  M.  de  Florival  s'étonne  de  la  présence  'I  un  treizième  apôtre 
nimbé.  Il  ne  s  agit  pas  <1  mm  apôtre,  mais  d'un  <li>.ri[>lr  qui  a  est  autre  une  saint  Martial. 


S 


2iW  L'ART    RELIGIEUX   DU   XIII»   SIÈCLE 

parle  si  peu.  On  disait  que  l'un  était  saint  Jean  et  l'autre  Marie-Madeleine.  On 
expliquait  ainsi,  d'une  façon  ingénieuse,  la  présence  de  Jésus  et  de  sa  mère  à 
ces  noces.  La  Vierge  et  son  fils  avaient  été,  disait-on,  invités  par  Salomé,  sœur 
de  Marie  et  mère  de  saint  Jean  :  ils  étaient  venus  en  qualité  de  parents  du  nou- 
veau marié.  On  ajoutait  d'ailleurs  que  saint  Jean  avait  abandonné  sa  femme  le 
jour  même  de  son  mariage.  Après  le  repas,  le  Seigneur  lui  avait  dit  :  «  Laisse  là 
cette  épouse  et  suis-moi.  »  Et  Jean,  choisissant  la  virginité,  avait  suivi  le 
maître  '. 

Cette  bizarre  tradition  ne  fut  pas  inconnue  des  artistes.  On  en  a  la  preuve  à 
la  clôture  du  chœur  de  Notre-Dame  de  Paris.  On  y  observe  en  effet  que  le 
fiancé  est  nimbé  :  or,  comme  dans  l'iconographie  du  moyen  âge  le  nimbe  n'est 
donné  qu'aux  saints,  l'artiste,  par  cet  attribut,  désigne  clairement  saint  Jean2. 

Une  étude  attentive  des  œuvres  d'art  de  cette  époque,  et  principalement 
des  manuscrits,  en  offrirait  certainement  d'autres  exemples3. 


La  légende  est  absente  des  autres  grandes  scènes  de  l'Evangile.  Le  respect 
contenait  l'essor  de  l'imagination. 

11  faut  arriver  à  la  Passion  pour  rencontrer  encore  la  légende.  Comment 
eût-il  pu  en  être  autrement?  Les  siècles  mystiques,  le  \n"  et  le  xmc,  révèrent 
sans  cesse  au  drame  inouï.  Cette  mort  d'un  Dieu,  ce  mystère  îles  mystères,  c'est 
le  fond,  c'est  1  âme  même  de  l'art  du  moyen  âge.  La  croix,  alors,  est  partout  et 
jusque  dans  le  plan  symbolique  de  la  cathédrale.  «  La  vie,  dit  magnifiquement 
un  docteur,  n'est  que  l'ombre  que  projette  la  croix  de  Jésus-Christ  :  hors  de 
cette  ombre,   il  n'y  a  que  mort*.   » 

De  la  Passion  infatigablement  méditée  sont  nés  ces  chefs-d'œuvre  :  le  Sta- 
bat  Mater,   les    Méditations  attribuées  à  saint  Bonaventure,  la   liturgie  de  la 

1  Honorius  d  Autun,  Spec.  Ecoles.,  col.  834  !  Vincent  de  Beauv.,  Spec.  histor.,  lih.  VII,  cap.  xi  :  Pseudo- 
Bonaventure,  Méditai  .  cap.  xxi.  Sur  celle  légende  voir  Molanus,  Traité  des  Saintes  Images,  lit».  III,  cap.  w. 

-  Le  nimbe  a  été  repeint,  mais  on  peut  rire  sûr  qu'il  n'a  pas  été  imagine  par  Le  restaurateur  moderne. 

;  I  en  note  un  dans  un  manuscrit  du  \i\  siècle;  Bibl.  Nat.,  ins.  franc.  i;6'>,  f°  6.  l'n  îles  Qancés  seule- 
ment est  nimbé  comme  à  Notre-Dame. 

•   Delaudib.  heatse  Marin  Virg  .  lib,  1.  cap.  vu. 


LE   MIROIR    HISTORIQUE   -     LES   APOCRYPHES  i63 

Semaine  Sainte,  les  poèmes  du  cycle  du  saint  Graal,  l'immense  Christ  du  vitrail 
de  Poitiers  mourant  sur  une  croix  «  rougie  de  la  pourpre  royale'  ». 

Toutes  ces  merveilleuses  fleurs  sont  nées  d'une  goutte  du  sang  divin,  comme 
ces  roses  que  les  vieux  maîtres  peignent  sur  le  Calvaire. 

La  Passion  fut,  à  vrai  dire,  l'unique  étude  du  moyeu  âge.  Saint  François 
d'Assise,  en  qui  le  moyen  âge  s'incarne,  poussa  l'amour  jusqu'à  réaliser  la  Pas- 
sion en  lui,  jusqu'à  ne  plus  se  distinguer  de  Jésus-Christ,  jusqu'à  souffrir  de 
ses  plaies.  «  0  Seigneur,  s'écrie  saint  Bernard,  qui  me  consolera  de  t'avoir  vu 
suspendu  à  la  croix2.  » 

Comment  tant  d'âmes  ardentes  se  seraient-elles  ahstenucs  de  rêver  sur  le 
texte  sacré.  La  légende,  en  effet,  a  fleuri  la  marge  du  livre.  11  y  a,  sur  la  Passion, 
des  détails  qui  viennent  on  ne  sait  d'où  :  détails  émouvants,  et  non  pins  pué- 
rils, et  qu'on  sent  sortis  du  cœur  même  des  foules  chrétiennes.  C'est  la  Vierge 
qui  arrache  le  voile  de  son  front  pour  couvrir  la  nudité  de  son  (ils  sur  la  croix  : 
ce  sont  les  disciples  qui  recueillent  le  sang  de  Jésus-Christ  dans  le  vase  même 
de  la  Cène,  dans  ce  vase  sacré  dont  les  poètes  ont  raconté  la  merveilleuse  his- 
toire; c'est  le  centurion  Longin  qui  recouvre  la  vue  en  recevant  sur  les  yeux 
quelques  gouttes  du  sang  divin';  c'est  le  démon  perché  sur  les  bras  de  la 
croix,  comme  un  oiseau  sinistre,  attendant  l'âme  de  Jésus  au  passage  pour  exa- 
miner s'il  ne  trouvera  pas  quelque  faute  en  elle,  et  s 'enfuyant  confondu*. 

La  croix  elle-même  excitait  la  curiosité.  On  désirait  connaître  sa  forme,  ses 
dimensions.  On  la  disait  faite  de  quatre  espèces  de  bois  :  le  cèdre,  le  cyprès,  le 
palmier,  l'olivier  :  secret  merveilleux  (pion  se  transmettait  avec  mystère,  que 
les  corporations  d'ouvriers  gardaient  avec  respect  et  ne  livraient  qu'au  nouveau 
compagnon6.  Un  voulait  encore  que  l'éclipsé  de  soleil  qui  se  produisit  à  la  mort 
de   Jésus-Christ   ait   été    observée   à    Athènes  par    Denys    l'Aréopagite.   Denys, 

1   Expression  de  Fortunal  :  crux  ornata  régis  purpura. 

-   Lamentât   in passione  Christi.  Patrol.,  i.  CLXXXIV,  col.  769. 

;   Pseudo-Bonaventure,  Médit.,  cap,  i\s  ;  Ludolphe,  Passio  Christi,  cap.   lxiii. 

'   Vincenl   de  Beauvais,   Spec.  /</>/. .  lil>    VII,  cap    xlvi.   Ludolphe,  Passio,   cap.  xlvi.   Le  centurion  esl 
désigné  sous  le  nom  de  Longin  dans  VEvang.  de  Xicodème,  ch,  \. 

'  Vincent  de  Beauvais,  Spec.  hist  .  lili    VII,  cap.  \im.  Ludolphe,  Passio,  lxiii, 

8   Vincent  de  Beauvais,  Spec    hist.,  Mb.   VI,   cap     \in,    Ludolphe,   Passio,     lxiii      Ou    trouve,  chez    1rs 

auteurs  du  moyeu  âge,  le  vers  ^moteclinique 

Ligna  crucis  :  palmes,  cedrus,  cupressus,  oliva. 

On  trouve  jusque  dans  notre   siècle,  chez  les  compagnons  charbonniers,  le   souvenir  de  ces  anciennes 

Légendes  [Simon,  Histoire  des  compagnonnages  1.  La  tradition  des  quatre  bois         esl  en  1  onlradic- 

tion  avec  celle  de  L'arbre  du  Paradis,  conservé  dans  !,i  piscine  probati  ; 


264  L'ART    RELIGIEUX    DU    XIIIe   SIECLE 

encore  païen,  s'émut  de  ce  phénomène  inexplicable,  et  éleva  un  autel  «  au  Dieu 
inconnu  '    ». 

Quelques-unes  de  ces  légendes,  qui  pénétrèrent  si  avant  dans  la  conscience 
populaire,  se  retrouvent  dans  l'art. 

Le  vase  de  la  Cène,  le  saint  Graal,  se  voit  parfois  au  xne  siècle  sous  les  pieds 
de  Jésus  crucifié2.  Un  peu  plus  tard,  ce  sont  les  anges  eux-mêmes  qui  recueil- 
lent le  sang  divin.  Quelquefois  aussi,  comme  on  le  voit  dans  un  vitrail  d'Angers, 
le  sang  de  Jésus  tombe  directement  sur  la  terre  en  ruisseau.  Le  sang  divin 
semble  vouloir  arroser  le  monde,  et,  suivant  la  pensée  d'Origène,  ruisseler 
jusqu'aux  étoiles. —  Les  deux  modes  de  représentation  sont  intéressants.  Dans 
le  premier  exemple,  le  calice,  qui  reçoit  le  sang  du  Sauveur,  nous  rappelle  que 
le  sacrifice  est  éternel,  qu'il  n'est  pas  limité  dans  le  temps,  puisqu'il  doit  se 
renouveler  tous  les  jours.  Dans  le  second  exemple,  le  ruisseau  qui  descend  de 
la  croix  nous  fait  souvenir  que  le  sacrifice  est  valable  pour  tout  l'univers  et 
n'est  pas  limité  dans  l'espace*. 

La  légende  du  centurion  Longin  guéri  au  pied  de  la  croix  est  quelquefois 
représentée.  Pour  nous  faire  comprendre  le  miracle,  l'artiste  a  eu  recours  à  une 
mimique  expressive.  Longin  porte  la  main  à  ses  yeux  comme  un  homme  ébloui 
par  la  lumière  \ 

Quant  à  la  légende  des  quatre  arbres  dont  la  croix  fut  formée,  il  n'était  pas 
facile  de  lui  faire  prendre  une  forme  artistique.  Les-  peintres  verriers  l'essayè- 
rent pourtant.  Je  crois  la  reconnaître  dans  un  vitrail  de  la  cathédrale  de  Bourges 
consacré  à  la  Passion  ".  Le  peintre  a  précisément  donné  aux  bois  qui  composent 
la  croix  quatre  couleurs  différentes6.  Il  est  probable  qu'il  faut  voir  là  autre 
chose  qu'une  coïncidence  fortuite. 

La  légende  tic  saint  Denys  l'Aréopagite  observant  l'éclipsé  n'a  guère  été 
représentée  avant  le  \\    siècle7. 

1    Vincent  de  Beauvais,  Spec.  /u>t.,  lib.  \  1 1 .  cap.  xliv. 

-'   Vitrail  île  Reims.  Album  de  Villard  de  Honnecourl     \m    siècle 

Les   ivoires    carolingiens  n trenl   la  Terre  el    la  Mer  assistant    à   1 . •  mort  de    Jésus-Christ.   —  l  ne 

œuvre  d'orfèvrerie  du  xni°  siècle,  le  pied  de  la  croix  il''  Sainl-Omer,  représente  les  quatre  éléments  pour 
signifier  qu'ils  participèrent  a  la  rédemption. 

•  Bibl.  de  l'Arsenal,  ms.  '<-".  I    ;  i .  %      \m    siècle).  Heures  de  Metz  ;  ctBibl.  Nat.,  ms.  frauç.  i83, 1    9,  ï 
(mit   siècli 

•  Vitraux  de  Bourges,  [>1    V. 

'    Il  faut,  il  est  vrai,   compter  les  cales  qui  soutiennent  la  croix. 
I  n  vitrail  de   Bourges    \\     siècle    montre   saint    Denvs   observant   l'éclipsé.    Dans   le    compartiment 
suivant,  un  voit  l'autel  élevé  au  Dieu  inconnu. 


I.K    MIROIK    HISTORIQ1    I.      -    LES   APOCRYPHES 

.Mais,  entre  toutes  les  légendes  qui  se  groupent  autour  île  la  Passion  de  .lésus- 
Christ,  c'est  sans  contredit  celle  de  la  Descente  aux  Limbes  qui  eut  la  plus 
belle  fortune.  C'est  aussi  la  plus  grandiose.  Nous  en  connaissons  fort  bien  les 
origines.  On  la  trouve  pour  la  première  fois  avec  tout  son  développement  dans 
Y  Evangile  de  Nicodème,  que  Vincent  de  Beauvais,  Jacques  de  Voragine,  et  les 
autres  compilateurs  du  xmc  siècle  se  sont  contentés  de  transcrire1  V  Évangile 
de  Nicodème  a,  au  moins  dans  la  seconde  partie,  un  caractère  de  grandeur  qui 
en  fait  une  des  plus  belles  œuvres  de  la  littérature  chrétienne  des  premiers 
temps  '■'. 

Ce  mystérieux  récit  aurait  été  écrit  de  la  main  de  deux  ombres  silencieuses, 
de  deux  morts,  ressuscites  le  jour  où  mourut  Jésus-Christ,  où  les  tombeaux  s'ou- 
vrirent. Ils  se  nommaient  Carinus  et  Leucius,  et  ils  étaient  les  lils  du  vieillard 
Siméon,  qui,  jadis,  reçut  Jésus  cuire  ses  bras  dans  le  Temple.  Depuis  leur  résur- 
rection, ils  vivaient  dans  la  ville  d'Arimathie  et  priaient  nuit  et  jour.  «  Quel- 
quefois on  entendait  leurs  cris,  mais  ils  ne  parlaient  à  personne  et  restaient 
silencieux  comme  des  morts.  »  Quand  les  prêtres  apprirent  qu'ils  étaient 
ressuscites,  ils  les  firent  venir  dans  le  Temple  et  les  conjurèrent  de  leur  expli- 
quer ce  mystère.  Carnius  et  Leucius  demandèrent  d\\  parchemin,  et  ils  écri 
virent  ce  qu'ils  avaient  vu  clans  l'autre  momie. 

Leur  récit  commence  ainsi  :  «  Lorsque  nous  étions  avec  tous  nos  pères  au 
fond  des  ténèbres  de  la  mort,  nous  avons  été  soudain  enveloppés  dune  lumière 
dorée  comme  celle  du  soleil,  et  une  lueur  royale  nous  a  illuminés.  Ll  aussitôt, 
Adam,  le  père  de  tout  le  genre  humain,  tressaillit  de  joie  ainsi  que  les 
patriarches  et  les  prophètes,  et  ils  dirent  :  «  Cette  lumière,  c'est  l'auteur  de  la 
ti  lumière  éternelle,  qui  nous  a  promis  de  nous  transmettre  une  lumière  qui 
ci  n'aura  ni  déclin  ni  terme.  »  Et  tous  les  justes  de  l'Ancienne  Loi  se  réjouirent 
en  attendant  l'accomplissement  de  la  promesse.  Cependant  I  Enfer  s'inquiétait; 
le  prince  du  Tartare  craignait  de  voir  arriver  celui  qui  avait  déjà  brave  sa  puis- 
sance en  ressuscitant  Lazare,  «  Lorsque  j'ai  entendu  la  force  de  sa  parole,  disait- 
"  il,  |'ai  tremblé.  Nous  n'avons  pu  retenir  ce  I. a/are:  mais,  nous  échappant 
a  avec  la  vitesse  de  I  aigle,  il  est  sorti  d'entre  nous.  » 

«  Comme  il  parlait  ainsi,  il  se  lit  une  voix  connue  celle  des  tonnerre-,  connue 


1    Vincenl  de  Beauvais,  Spect.  hisl.,  lib    VII,  cap.  lvi.  l.cg.  aitren,  cap    iiv. 

i ii i   l'ischendorf,   I  Evangile  de    Vicvdème  pourrait  reiuoiiter  jusqu  au  n 


Is, 

1 

mi 


L'ART    RELIGIEUX   DU    XIII"    SIÈCLE 

le  bruit  de  l'ouragan  :  «  Princes,  enlevez  vos  portes,  et  élevez-vous,  portes  éter- 
«  nelles,  et  le  Roi  de  gloire  entrera...  »  Et  le  prince  de  l'Enfer  dit  à  ses  minis- 
tres impies  :  «  Fermez  les  portes  d'airain  et  poussez  les  verrous  de  fer,  et 
résistez  vaillamment,   o 

o  De  nouveau  il  se  (it  une  voix  comme  celle  des  tonnerres,  disant  :  «  Princes, 
«  enlevez  vos  portes,  el  élevez-vous,  portes  éternelles,  et  le  Koi  de  gloire 
«  entrera...  »  Et  le  Seigneur  de  majesté  survint  sous  la  forme  d'un  homme,  et  il 
illumina  les  ténèbres  éternelles,  et  il  rompit  les  liens,  et  sa  vertu  invincible 
nous  visita,  nous  qui  étions  assis  dans  les  profondeurs  des  ténèbres  des  fautes. 
et  dans  l'ombre  de  la  mort  des  péchés.  » 

o  Le  prince  du  Tartare,  la  Mort,  et  toutes  les  légions  infernales  sont  saisis 
d'épouvante  :  «  Oui  es-tu?  »  crient-ils  à  Jésus,  »  D'où  viens-tu?  »  .Mais  Jésus  rie 
daigne  pas  répondre. 

«  Alors,  le  Roi  île  gloire,  écrasant  dans  sa  majesté  la  .Mort  sous   ses  pie 
el  saisissant  Satan,  priva  l'Enfer  de  toute  sa  puissance,   et  amena  Adam    à   I 
clarté  de   la  lumière.    Et   le    Seigneur  dit  :  «  Venez  à   moi,  tous  mes  Saints 
t   étiez  mon  image  et  ma  ressemblance.  » 

«  Et  tous  les  saints  réunis  dans  la  main  de  Dieu  chantèrent  ses  louanges. 
David.  Abacuc,  tous  les  prophètes,  récitaient  des  pages  de  leurs  anciens 
chants  où  ils  annonçaient  en  paroles  mystérieuses  ce  qui  s'accomplissait  en  ce 
jour.  Et  tous,  guidés  par  l'archange  saint  Michel,  entrèrent  dans  le  Paradis 
où  les  attendaient  llénoch  et  Élie,  les  deux  justes  qui  ne  furent  pas  sou- 
mis à  la  mort,  el  le  bon  larron,  qui  portait  sur  les  épaules  le  signe  de  la 
croix.   » 

Tel  fut  le  récit  qu'écrivirent  sur  le  parchemin  Garinus  et  Leucius.  Quand 
leur  œuvre  fut  terminée,  ils  la  remirent  entre  les  mains  de  .Xicodeme  et  de 
Joseph.  «  Et  toul  d'un  coup  ils  furent  transfigurés,  et  ils  parurent  couverts  de 
vêtements  d'une  blancheur  éblouissante,  et  on  ne  les  \it  plus1.  » 

Cette  vieille  épopée  chrétienne,  digne  de  Millon  et  de  Dante,  semble  être 
une  magnifique  paraphrase  (lu  verset  d'Isaïe  :  «  (  )  Mort,  où  est  ta  victoire  ?  0  Mort. 
où  est  ton  aiguillon2?  »  Bien  que  I  œuvre  tùl  notoirement  apocryphe,  elle  ren- 


'    fîvang,  de  Nicod.  Traduct.  Bruuel 
i  In  admettait  d'ailleurs  que  sainl  Paul  avail  déjà  fait  allusion  à  la  descente  aux  Enfers  dans  un  passage 
tic  I  pîlres   Ad  Colôss   .  u,  2      0  Expolians  principalus  el  poteslates   sciliccl  infernales  .  >•  Voir  Specul. 

Itislor  .  lib.  VII,  <m|>.  xi.ix. 


LE    MIROIR    HISTORIQUE      -    LES   APOCRYPHES  •>.- 

fermait  de  telles  beautés  que  les  Pères  et  les  docteurs  ne  se  montrèrent  jamais 
sévères  pour  elle.  Ils  y  trouvèrent  souvent  de  belles  inspirations1. 

Les  artistes  les  imitèrent.  La  descente  aux  limites,  telle  que  le  \m'  siècle  la 
conçut,  est  une  traduction  presque  littérale  de  I  Evangile  de  Nicodème.  Jésus 
s'avance  comme  un  triomphateur.  Il  porte  à  la  main  la  croix  de  victoire, 
;i  laquelle  le  \i\r  siè- 
cle attachera  une  ori- 
[lamme  blanche,  comme 
une  bannière  à  la  lance 
(I  un  chevalier.  11  mar- 
che sur  les  portes  arra- 
chées de  leurs  gonds 
<|iii,  en  tombant,  ont 
écrasé  la  Mort  et  Satan . 
L'Enfer  s'ouvre  devant 
lui  :  c'est  une  gueule 
de  monstre,  la  gueule 
béante  du  Léviathan 
biblique  qui  semble 
prête  à  le  dévorer2. 
Mais  Jésus  plante  le 
boutde  sa  croix  dans  la 
mâchoire  menaçante  et 
tend  la  main  à  Adam  .  Derrière  Adam,  les  Trecentistes  italiens  représentent 
parfois  les  patriarches  et  tous  les  saints  de  l'Ancienne  Loi  '.  Nos  peintres  ver- 
riers, plus  synthétiques,  se  contentent  de  nous  montrer  Adam  el  Eve,  nus  tous 
les  deux,  et  comme  revêtus  d'une  innocence  nouvelle  . 


Fig.  ii".        Double  apparition  do  Jésus-Chrisl  à  sainl  Pii 
'clôture  <ln  chœur.  Notre-Dame  'I*-  Paris  . 


'    La  légende  entra  tnêi [ans  ta  littérature  de  langue  vulgaire.  Elle  se  trouve  dans  les  manuscrits 

rais  de  la  Passion  (P.  Meycr,  liamania,  1877,  p.   >  >G]  :  i'll<'  donna  lieu  aussi  à  des  poèm<  -  séparés  1  P.  Meyer. 
Romania,  1887,  p.  î  1  . 

J   Nous  .lin mis  d'où  \  ient  celle  gueule  de  monstre    ci-dessous,   livre  I  \  .  chap    vi.  le  Jugement  dernier 

;   Les  exemples  sonl  trop  nombreux  p ■  que  nous  puissions  les  énumérer    Cilons  seulenienl  un  vilrail 

de  Bourges  1  Vitraux  tir  Hum-:-,  pi     \     .1   un  vilrail  de   I 'S  1  Vitraux  de    Tours,  \>\    \  III 

•   Par  exemple  à  la  Chapelle  des  Espagnols  à  Santa-Maria  Xovella. 

■    A  côté  d'Adam  el  d'Eve  on  voit  quelquefois  un  ou  deux  personnages  s. m-  allribuls    I  es  d<  nions  assis 
tenl  généralemenl  à  la  victoire  de  lésns  t  hrisl'.  Au  tympan  de  Saint- Yved  de  liraism     aujourd  h  ni  au 
de  Soissons),  le  démon  a  une  chaîne  .m  cou,  aux  |.i.<|s  ci  aux  mains.  Reproduit  dans  l'ieury,  Antiquités  de 
l'Aisne,  1.  IV,  p.    1  I. 


v-,  I,  ART    RELIGIEUX    DU    XIII*    SIÈCLE 

Là  ne  s'arrêtent  pas  les  emprunts  faits  par  les  artistes  du  mu"  siècle  aux 
Apocryphes.  Ils  connurent  quelques-unes  des  légendes  relatives  aux  apparitions 
de  Jésus-Christ  après  sa  mort.  On  ne  rencontre  pas  encore  au  \in';  siècle,  il  est 
vrai,  la  fameuse  apparition  de  Jésus  à  sa  mère,  le  matin  de  Pâques,  que  les 
vitraux  et  les  miniatures  delà  Renaissance  nous  montrent  si  fréquemment.  Cette 
apparition  de  Jésus  à  Marie  figurait  peut-être  à  Notre-Dame  de  Paris  dans  la 
partie  de  la  clôture  du  chœur  qui  a  été  détruite.  Car  il  est  visible  que  l'artiste 
avait  entrepris  de  représenter  toutes  les  apparitions  tic  Jésus-Christ,  authen- 
tiques ou  légendaires,  en  suivant  pas  à  pas  la  Légende  Dorée,  qui  n'oublie  pas 
l'apparition  de  Jésus  à  sa  mère1.  —  Cette  même  clôture  d'ailleurs  nous  montre 
l'apparition  apocryphe  de  Jésus  à  saint  Pierre  (fig.  no).  On  disait  que  saint  Pierre, 
après  la  mort  du  maître,  s'était  réfugié  dans  une  caverne  de  la  montagne.  Là. 
il  pleurait  sur  la  mort  du  Seigneur  et  sur  sa  propre  lâcheté,  quand  Jésus  res 
suscité  vint  se  montrer  à  lui  et  le  consoler.  A  Notre-Dame  de  Paris,  un  rocher 
en  forme  de  grotte,  d'où  saint  Pierre  émerge,  rappelle  la  légende". 

Voilà  à  peu  près  toutes  les  circonstances  apocryphes  que  les  artistes  insé- 
rèrent dans  l'histoire  de  l'Enfance,  de  la  Vie  publique,  de  la  Passion  et  de  la 
Résurrection  de  Jésus-Christ. 


VI 


Jusqu'à  présent,  nous  n'avons  parlé  que  des  légendes  écrites  qui  passèrent 
pendant  des  siècles  de  livre  en  livre,  et  que  les  artistes  se  transmirent  avec  la 
même  fidélité. 

Mais  n'y  eut-il  pas  d'autres  légendes?  N'y  eut-il  pas  une  tradition  orale  sur 
les  principaux  événements  de  la  vie  de  Jésus-Christ  qui    n'a  pas  laissé  de  trace 

'  Leg.  aurea,  De  resurrectione,  cap.  liv.  Comparer  1  ordre  des  apparitions  dans  la  Légende  dorée  el  à 
Notre-Dame  de  Paris  :  ou  verra  qu'il  est  le  même.  Nous  avons  expliqué  plus  haut  [livre  l\.  eh  n  que  les 
bas-reliefs  de  Paris  étaient  en  rapport  avec  la  liturgie  de  la  semaine  qui  suit  PAques. 

Leg    nuira.  Iliid.  —  A  Notre-Dame  de  Paris,  à  côté  de  la  scène  de  l'apparition  de  lesn-  a  saint  Piern 
dans  la  grotte,  on  en   voit  une  autre  qui  semble  singulière  (fig.  uo).  Jean  el   Pierre  Boni  arrivés  au  loin 


rre 


•  1011^    i«t    i,i"ii,.     ,'n     111      iiiii     uni     niiii,       ijiu    ocuiuic  aiUKUUCIi:     l  l,rA-    'loi.    .Mail     ci     i   nui      »imii    ui  i  i  >  >  ^    un     ivjiii- 

beau,  Pierre  entre  le  premier  et  il  aperçoil  Jésus  ressuscité  dans  h-  tombeau.  On  ne  peut  comprendre 
cette  scène  <\"r  le  texte  de  la  Légende  dorée  a  la  main.  Jacques  de  Voragine  dit  en  effet  :  o  11  apparut  à 
Pierre  mais  on  ne  sait  ni  où,  ni  quand.  Ce  fut  peut-être  quand  il  revint  du  sépulcre  avec  .hau  .  :  ou  bien 
ce  fut  quand,  tout  seul,  Pierre  entra  dans  le  tombeau;  ou  bien  ce  fut  dans  la  grotte  qu'on  appelle  aujour- 
d'hui Gallican  tus.  a  On  voil    que   l'artiste,  écartant  la   première   hypothèse,   s'est   arrêté  aux  deux  autres 

.....       1         ...     1 1  :l    .  a  i       !    • 


entre  lesquelles  il  n  n  pas  voulu  choisit 


LE    MIT.  OI  P,    HISTORIQUE 


LES    \l'(.i    RYPH] 


dans  les  livres  ■'  —  On  serait  tenté  de  le  croire  quand  on  étudie  de  près  certaines 
œuvres  d'art  du  moyen  âge.  Qu'on  examine,  par  exemple,  les  principales  repré- 
sentations de  la  Cène  que  le  \n°  et  le  xm"  siècle  nous  ont  laissées.  (  )n  voit  presque 
toujours  Jésus-Christ  et  tous  les  apôtres  assis  d'un  côté  de  la  table,  tandis  que 
Judas  est  seul  île  l'autre.  Devant  le  Maître  est  un  plat  qui  contient  un  poisson  '. 
Le  thème  est  si  scrupuleusement  respecté  par  trois  ou  quatre  générations  d  ar- 
tistes, il  est  reproduit  avec  une  telle  fidélité  dans 
diverses,  qu'on  peut  se  demander  s  il  n  y  n 
pas  là  quelque  légende  populaire  dont  le  sou- 
venir s'est  perdu. 

On  peut  dire  que  la  même  question  se 
pose  à  chaque  instant  lorsque  l'on  observe 
avec  attention  les  œuvres  d'art  du  moyen  âge. 
Pourquoi,  pendant  au  moins  deux  siècles,  les 
rois  Mages  sont-ils  représentés  couchés  tous 

_  PllOt.    .M i  - 

les  trois   dans    le   même  lit,  enveloppés  dans      Fig    IM  Adoration  dus   Mages.  L.  - 

i  .  .     n  *     l'„„     -.  Maires    couchés   dans   le   même   ht    i\m- 

la  même    couverture,    au    moment  ou    I  ange  ,    ,  ,  ,  •,  , 

°  pan  de  Chartres,  portail  du  nord), 

vient  les  avertir  de  ne  pas  retourner  vers  llé- 

rode?  Depuis  le  vieux  chapiteau  du  cloître  Saint-Trophime,  à  Arles,  jusqu  au 
vitrail  de  Lyon2,  jusqu'au  vitrail  du  Mans3,  jusqu'au  tympan  du  portail  nord 
de  la  cathédrale  de  Chartres  (fig.  iiti  et  au  beau  bas-relief  de  l'ancien  jubé 
(fig.  ii2'.  on  suit  ce  curieux  motif  à  la  trace.  —  Pourquoi  Jésus-Christ  est-il 
attaché  à  la  croix  par  quatre  clous  jusqu'à  la  fin  du  xn'  siècle,  et  par  trois  seu- 
lement à  partir  du  \m "  .' —  Les  textes  sont  muets.  Si  ce  sonl  là  des  légendes, 
elles  ont  disparu  tout  entières. 

En  réalité,  il  ne  s'agit  plus  ici  de  légendes  populaires,  mais  de  simples  tra- 
ditions d'atelier. 

Quelques-unes  de  ces  formules  remontent  très  liait  i  :  peut-être  ont-elles  été 
imaginées  aux  premiers  siècles  du  christianisme  dans  quelque  couvenl  de  Syrie. 
d'Egypte  ou   de  Constantinople.   Mais  d'autres  sont   beaucoup   plus   récentes. 


1   Citons  quelques  exemples     La   Cène    esl   ainsi  représentée   dans    les  vitraux  île  lîourgi        d<     Laou,  de 

Tours,  consacrés  à  la  Passion.  Dans  les  manuscrits,  me  for le  :  Bibl    N'ai  .  ms    latin   m--      un1   siècle  . 

■  ■i  Nouv.  acq.  lai     li'i^    xiv'    siècle      —  Même  chose  sur  un  cuivre  doré  el  repoussé,  originaire  de  Liin 
aujourd'hui  au  musée  de  Clun\     mm     sièrle 

-    Vitrait*   de   Bourges,  étude  \lll 
Hucher.   Vitraux  du  Mans,  pi.   \  I 


':" 


L'A  RT    R  ELIGIEUX    1)1     \  I  I  I1    SI  EC  LE 


Quand  on  étudie  l'art  du  xii°  cl  du  mie  siècle,  on  en  voit   naître  quelques-unes 

sous  ses  yeux. 

Donnons-en  un  exemple.  Vers  1200,  on  remarque  encore  quelque  incertitude 
dans  la  scène  de  l'Adoration  des  Mages,  niais  bientôt  une  formule  s'impose  aux 
artistes.  Le  premier  des  rois  Mages,  le  vieillard,  est  à  genoux  ilig.  1  il  .  Il  vient 
de  nuitter  sa  couronne,  et  il  présente  son  offrande  à  Jésus.  Le  second,  l'homme 


lis. 


l'i  11     Martin  5al 

Les  Mages  1 liés  sur  !<■  même  lii   [fragment  <ln  jubé  de  Chartres). 


il  âge  nui i-,  est  debout  à  côté  de  lui  :  il  a  la  couronne  sur  la  tète  et  d'une  main 
tienl  un  vase.  Mais  au  lieu  de  diriger  ses  regards  vers  l'enfant,  il  tourne  la  tête 
du  cote  du  roi  Mage  qui  le  suit,  et,  de  l'autre  main,  il  lui  montre  l'étoile  qui 
vient  de  s  arrêter  au-dessus  de  l'étable.  Le  dernier  roi,  jeune  homme  imberbe. 
est  aussi  dclioui  et  couronné.  Il  porte  de  la  main  droite  le  vase  aux  offrandes 
ci  semble  attentif  aux  paroles  de  son  compagnon.  Celle  formule  pittoresque 
est  très  heureuse  puisqu'elle  introduit  du  mouvement  et  une  sorte  de  petit 
drame  dans  une  scène  hiératique  '. 

Le  type  de  1  adoration  des  Mage--,  trouvé  un  peu  avan!  raoo,  fut  désormais 


1   Celle  formule   i| i   voil   poindre  à   l.i   façade  de  Sainl   L'rophimc    d'Arles   apparail    au    tympan   de 

S. uni  Gilles  à  une  date  qui  ne  doit  pas  être  très  antérieure  à  1200.  Mais,  an  débul  du  khi'  siècle,  le  sculp- 
teur du  portail  de  gauche  '!■■  la  façade  de  Laon  ne  -  j   conforme  pas  encore  absol ni      il  faul  arriver  au 

portail  septentrional  de  Chartres    lit;.   111     pour  trouver  la   formule  parfaite ni  établie. 


le  m  mon;  historique 


les  a  roc  i;  vi'ii  i:s 


consacré1.  Les  artistes  lui  demeurèrent  fidèles  pendant  longtemps:  bas-reliefs, 
vitraux,  miniatures,  nous  le  montrent  sans  une  variante  non  seulement  pendant 
h-  xme  siècle,  mais  pendant  la  plus  grande  partie  du  \i\  '.  De  la  France,  la  nou- 
velle formule  s'étendit  à  l'Europe  presque  tout  entière  :  elle  rayonna  aussi  loin 
que  noire  art  gothique. 

Nous  devons  aux  artistes  du  xmc  siècle  plusieurs  innovations  du  même 
genre.  Tout  en  restant  profondément  res- 
pectueux île  la  tradition,  ils  se  sont  efforcés 
d'introduire  la  vie  dans  l'art  encore  immobile 
du  xne  siècle.  In  geste  heureux  leur  suffit. 
Au  \n  sieele,  par  exemple,  dans  la  fuite  en 
Egypte.  Joseph  tient  l'âne  par  la  bride  et 
marche  droit  devant  lui  en  portant  ses  hardes 
sur  son  épaule  au  bout  d'un  bâton.  Au 
\in  siècle,  rien  n'est  changé,  sinon  que  Jo- 
seph détourne  la  tête  et  jette  un  regard  de 
sollicitude  sur  la  mère  et  l'enfant     (fig.  roq). 

Dans  la   scène  de  la  Visitation,   Elisabeth 
et  .Marie  ne  sont  plus  immobiles  l'une  en  lace 
de  l'autre.  Au  xm"  sieele,   Elisabeth  met  dou- 
cement  la    main    sur  la    poitrine    de    .Marie   et    s'émerveille    de    sentir    son    sein 
gonflé  '  (fig.  i  i  '|  i . 

1   Les  artistes  qui   invcnl6rc.nl   cette   nouvelle   forme   de  l'adoration  des  Mages  s'inspirèrenl   du  drame 

liturgique.  C'est  du  draine  liturgique  du   mi"  siècle  que  vienl    le    geste  si  caractéristiq lu    roi   Mage  qui 

lève  te  bras  pour  nlrcr  l'étoile.  Dans  le  drai les  Mages  de  Limoges,  on  lii  cetle  indication  scénique  : 

I  mis  ti ni  élevai   manu stendenlem  stellam  »,  et  dans  celui  de   Besancon         Rex  ostendens  slellain 

.diis.    '   Le  geste  du  vieillard  qui  s'agenouille   esl   égalemenl   indiqué  dans   te  dr :  de  Laon  Vccccluiil 

magi  et  genuflexo  primus  dicit...  »  Voir  sur  ce  sujet  Kclirer,  op.  cit.,  t.  [.  p.  55  cl  siii\. 

'   Voici  quelques  exemples.  Sculpture:  clôture  du  chœur  de  Notre-Dame  de  Paris  lig    m-  .  \  ilraux    s,  ,  , 
abside)      Vitraux  •/•■   llourges,  études  \\    el   XVI  .     Tours   [Bourassé   el  Marchand,   pi    \ll  .   Ivoires,   .m 

Louvre  A    1  j .  A    !5,  A    jo,  5i,  5  j    Diptyques  du  xiv° et  du  commencement  du  x\    siècle).  Au  sée  de  Cluiiy. 

n'   i""i    xi>     siècle],  n°   \ii  (xiv°  siècle),    n°  1077   [xiv°  siècle).     Manuscrits,    Bibl.   Xal  .    m"   lalins    io.j  3  J 
[xm1    siècle) ,    i  I  'S     \nr    siècle),  1077    [xm    siècle),    [iig.j     xiv°  siècle);  Saiuli    Geneviève,  n     102     I     1  19.  \ 
miï   siècle),  110  to3,  i     18,  v°     mv  siècle),  u°  ni",  I"  17')    mv    siècle'  :   Arsenal,  n°    'Su     xm     sièch 

[xm°  siècle),  ïg5  (xi\     siècle  .  5~-i    lin  du  xiv'  ou  commencement  du  w   .   Le  type  cou uce  à  se  déformer 

dans  ce  dernier  manuscrit.  C'esl  le  (dus  je ■  des  rois  Mages  qui  montre  l'étoile. 

Clôture  du  chœur  de  Notre-Dame  de  Paris    première  partie  du  xiv'  siècle  .  Vitraux  de  Lyon  [Vitraux 

de  Bourges,  élude  \  lit  .  Châlons-sur-Marne  [Ibid  .  pi.  XII),  Sens  (Ibid.,  études  XV  et  XVI  M scrils, 

Bibl.  Na t.,  mss  latins  107"    xmc  siècle),  i3g4     \i\     siècle),    franc.  1763  (xn     sied         Irscnal     88  (xivp  sic 
cti    |    ig5    xivc  siècle  . 

'  Tours,  vitrail  [Vitraux   de   Tours),   ]>l     \ll  .  Manuscrits.    Bibl.    Nat.,    m^s    lalins    iîî8     mu'    sii 
1  'ni  j     \n  '    siècle),   (Clôture  du  chœur  de  Notre-Dame  dr  l'a  ris    \  n     siècle  . 


l-'ig.   1 

î. 

-  1.  Ad 

iralioi 

des  M 

1;     X  . 

lus 

al         1- 
lll     Mil 

;a,.    - 

sit'clc 

-      un. il 

272  L'ART    RELIGIEUX    DU   XIIIe   SIECLE 

Ces  innovations  si  discrètes  et  si  touchantes  furent  accueillies  avec  faveur 

par  tous  les  artistes.  Elles  donnent  à  l'art  du  xin"  siècle  un  caractère  nouveau. 

Ainsi,  les  détails  ingénieux  ou  émouvants  qui  apparaissent  alors  dans  l'ai  I 

ne  sont  empruntés  ni  à  des  légendes  écrites,  nia  des  traditions  orales  :  imaginés 

par  tles  artistes  inconnus,  ils  se  transmirent  dans 
les  ateliers  pendant  plus  d'un  siècle. 

On  peut  se  demander  si  toutes  ces  règles  ne 
lurent  pas  mises  par  écrit,  et  ne  formèrent  pas  une 
sorte  de  Somme  que  tout  artiste  était  tenu  de 
connaître.  — L'extraordinaire  ressemblance  qui  se 
remarque  entre  des  œuvres  d'art  exécutées  pour  des 
cathédrales  souvent  fort  éloignées  les  unes  des 
autres,  pourrait  le  faire  croire.  Dans  les  chantiers 
de  nos  églises,  dans  les  ateliers  permanents  (pie 
les  Italiens  appellent  «  opéra  del  duomo  ».  on 
se  transmettait  sans  doute  de  génération  en  géné- 
ration un  manuel  d'iconographie,  un  Guide  des 
peintres  et  des  sculpteurs.  Un  pareil  traité  devait 
ressembler  au  livre  du  moine  Denys  que  Didron 
découvrit  au  Mont  Athos.  Le  fameux  Guide  de  lu 
peinture,  écrit  par  un  moine  grec,  ne  date,  il  est 
vrai,  que  du  xvm'  siècle,  niais  les  plus  anciennes 
traditions  s'y  perpétuent.  Rien  ne  change  dans 
l'Orient  immobile.  Aujourd'hui  les  peintres  de 
1  Allios,  qui  décorent  leurs  chapelles  neuves 
en  observant  les  règles  que  leur  a  transmises  le  moine  Denys,  peignenl 
exactement  comme  leurs  prédécesseurs  du  moyen  âge.  C'esl  par  un  livre 
de  ce  genre  que  durent  se  maintenu-  chez  nous  les  règles  de  l'icono 
graphie  et  l'unité  de  l'arl  religieux  pendant  la  longue  période  que  nous  étu- 
dions. 

(le  livre  nous. ne  l'avons  pas.  mais  en  étudiant  de  près   les  œuvres  d'art  (\\\ 
\im    siècle,  nous  pourrions  presque  le  refaire.  Après  avoir  comparé  un  certain 

nbre  de  bas-reliefs,  de  vitraux,  de  miniatures,   il   ne  serait  pas  très  difficile 

cl  en  rédiger  les  principaux  chapitres.  Voici,  pour  prendre  un  exemple,  comment 
on  peut  imaginer  que  le  Guide  décrivait    la  sortie  du  tombeau  :  »    Le  tombeau 


l'ig.    iij.         La    Visilaiion    (clôlurc 


.lu    .'I, 


Noire  Dame  .1"  Paris 


I.K    MIROIR    HISTORIQUE      -    LES   APOCRYPHES  î73 

ouvert.  Jésus  debout  met  la  jambe  droite1  hors  du  tombeau.  Il  bénil  de  la  main 
droite  et  tient  de  la  main  gauche  la  croix  triomphale  à  longue  hampe.  Deux 
anges  se  tiennent  à  droite  et  à  gauche,  l'un  portanl  un  flambeau,  l'autre  un 
encensoir".  Au-dessous  du  tombeau,  dans  une  arcature  trilobée,   trois  soldats 

de  petite  taille  sont  représentés  endormis'.  »  Voilà  c ment,  pendant  près  de 

cent  cinquante  ans,  fut  représentée  la   sortie  du  tombeau. 

Si  nous  possédions  un  Corpus  îles  vitraux  et  îles  miniatures  du  xnr  siècle, 
nous  pourrions  taire  mille  curieuses  remarques  du  même  genre.  Nous  pourrions 
retrouver  tous  les  canons  de  l'art  du  moyen  âge,  et  rédiger  presque  à  coup  sur 
les  chapitres  du  Guide  tic  lu  peinture  du  xnr  siècle. 

La  tradition  écrite,  on  le  voit,  n'explique  pas  tout  l'art  du  moyen  âge  :  il 
faut  tenir  le  plus  grand  compte  de  ce  qu'on  pourrait  appeler  la  tradition  artis- 
tique. Il  faut  se  garder  de  vouloir  retrouver  îles  légendes  apocryphes  où  il  n'y  a 
que  de  simples  formules  d'atelier,  (les  libertés,  d'ailleurs,  se  réduisent  a  peu  de 
chose.  Dans  un  siècle  respectueux  comme  le  xin°,  on  ne  s'écarte  guère  des 
Livres  saints  ou  des  légendes  tolérées  par  l'Eglise.  M\\  geste.  \\\\  regard,  une 
attitude,  telle  fut  la  part  d'invention  de  nos  graves  artistes.  Ils  exprimaient 
sobrement,  en  restant  fidèles  aux  règles,  aux  antiques  traditions,  l'émotion 
qu'ils  ressentaient  à  la  lecture  de  l'Evangile. 


VII 


Aucun  des  personnages  du  Nouveau  Testament  ne  doit  plus  à  la  légende  que 
la  Vierge.  L'Evangile,  qui  la  laisse  à  peine  entrevoir,  qui  lui  lait  prononcer  de 
rares  paroles,  sembla  de  bonne  heure  insuffisant.  On  voulut  connaître  sa  la  m  il  le, 
son  enfance,  les  circonstances  de  son  mariage,  ses  dernières  année-,  sa  mort. 
Ainsi  naquirent,  aux  premiers  siècles,  les  récits  apocryphes  qui  charmèrent  le 
moyen  âge.  La  ligure  de  la  Vierge  apparaît  sur  un  tond  de  légendes,  comme  dans 
les  tableaux  îles  vieux  maîtres  allemands  elle  se  détache  sur  une  haie  de  roses. 

1   Plus  raremenl  la  jambe  gaucho. 

-'  Parfois  ils  on!  chacun  un  flambeau 

"•   Voici  quelques  exemples  :   Vitrail  de  B 'ges    (  ahier,  y\    I  .  vitrail  'lu  Mans  (Huchcr     Saint-Géréon 

de  Cologne  (Cahier,    Vitr.  il,'  Bourges,  étude  \ll  .  Manuscrits      Bibl.   Nal  .  n.  acq.  lat.    i  ••,  ■    xin'    si' 
Bibl.  Sainte-Geneviève,  10a    mi°  siècle),  f°  ï 55.  Arsenal,  570    kiii     siècle),  I     ,  1 .  v°. 


a74  L'ART   RELIGIEUX    DU   XIII"   SIÈCLE 

Dans  nos  églises,  les  récits  apocryphes  de  la  vie  et  de  la  mort  de  Marie  se 
voient  partout.  C'est  un  fait  curieux  qu'au  xiii'  siècle  la  légende  ou  l'histoire  de 
la  Vierge  soient  sculptées  aux  portails  de  toutes  nos  cathédrales.  Qu'elle  ait 
cette  place  d'honneur  dans  celles  qui  lui  sont  consacrées,  à  Notre-Dame  de 
Paris,  de  Reims,  d'Amiens,  de  Chartres,  de  Laon,  de  Senlis,  rien  d'étonnant  à 

cela  ;  mais  ce  qui  est  plus  surprenant,  c'est  de  voir 
qu'à  Saint-Etienne  de  Bourges,  à  Saint-Etienne 
de  Sens  etde.Meaux,  à  Saint-Jean  de  Lyon,  elle  ait 
également  son  portail1.  Elle  qui  se  montrait  rare- 
ment dans  les  vieilles  églises  romanes,  qui  lais- 
sait à  son  fils  et  aux  apôtres  les  portails  d'Arles, 
de  Moissac,  de  Vézelay,  d'Autun,  elle  est  mainte- 
nant partout.  Dans  nos  cathédrales,  à  partir 
du  xme  siècle,  se  trouve  non  loin  de  l'autel,  dans 
l'axe  de  l'église,  une  belle  et  profonde  chapelle 
qui  lui  est  consacrée.  On  devine  qu'elle  a  aussi 
une  place  d'honneur  dans  les  aines. 

Le  culte  de  laVierge,  qui  grandit  au  xne  siècle, 
s'épanouit  au  xmc.  Les  cloches  de  la  chrétienté 
commencent  à  sonner  l'Angélus4.  On  récite  tous 
les  jours  l'office  de  là  Vierge3.  Nos  plus  belles 
cathédrales  s'élèvent  sous  sou  vocable.  La  pen- 
sée chrétienne,  méditant  depuis  des  siècles  sur 
le  mystère  d'une  Vierge  élue  de  Dieu,  entrevoit 
alors  l'idée  de  la  Conception  immaculée,  et  la  mystique  église  de  Lyon,  des 
le  \n  .  en  célèbre  la  fête.  Les  moines,  toujours  occupés  de  la  Vierge  dans  leur 
solitude,  exaltent  ses  perfections  :  plus  d'un  eût  mérité  le  titre  de  Doctor 
Marianus  qu'on  donna  au  solitaire  d'Ecosse.  Les  ordres  nouveaux,  les  Fran- 
ciscains, le>  Dominicains,  vrais  chevaliers  de  la  Vierge,  répandent  son  culte 
dans  le  peuple. 


Ki^.    m").  La    Vierge    «lu     por- 

tail   Sainte-Anne     Notre-Dame  de 
Paris 


1   MM.  Guigue  <i  Bégule  {Cathédrale  dr  l.xun.  \>.  -■•.   conjecturent  très  justement,  d  après  des  contours 
•  Qcore  visibles;  qu  un  des  portraits  mutilés  de  la  cathédrale  de  Lyon  était  consacré  à  la  Vierge. 

L'Angélus  'lu  malin  seulement,  et  dans  les  dernières  années  du  xm'   siècle.  Voir  Vacant  et  Manjenot, 
Dictionn.  de  théologie  catholique,  article  :  Angélus. 

Sur  l'Office  quotidien  de  la  \  ierge,  i|ui  esl  'I  origine  monastique,  voir  Batiflbl,  /h si. ./»  bréviaire  romain. 
Paris,  ica)  i.  in-i  i .  \*    162. 


LE    MIROIR    HISTORIQUE  LES    APOCRYPHES  ■>- "> 

Il  faut  lire  les  Sermons  de  saint  Bernard,  le  De  Laudibus  beatos  Marias  '  elle 
Spéculum  beatas  Marias1,  pour  se  faire  une  idée  juste  des  sentiments  que  le 
xn"  et  le  xm°  siècle  professaient  pour  la  Vierge.  Saint  Bernard,  qui  commenta 
si  longuement  le  Cantique  des  Cantiques,  en  applique  à  Marie  toutes  les  méta- 
phores 3.  Il  la  pare  de  tous  les  noms  gracieux  ou  mystérieux  qu'il  rencontre  dans 
la  Bible.  Elle  est  le  buisson,  l'arche, l'étoile,  la  tige  fleurie,  la  toison,  la  chambre 
nuptiale,  la  porte,  le  jardin,  l'aurore,  l'échelle  de  Jacob  '.  Il  nous  la  montre 
dans  l'Ancien  Testament,  annoncée  à  toutes  ses  pages*. 

L'auteur  du  Spéculum  beatse  Marias  commente  VAve  Marin  en  un  volume. 
Chaque  mot  est  un  profond  mystère  qu'il  dévoile.  Dans  ce  livre  singulier,  la 
scolastique,  les  mauvaises  étymologies 6  n'arrivent  pas  à  étouffer  la  poésie. 
Souvent  le  théologien  devient  un  poète  lyrique  et  développe  de  belles  méta- 
phores. Marie,  dit-il,  est  l'aurore  quia  précédé  en  ce  monde  et  qui  a  annoncé  le 
soleil  de  justice.  Elle  apparaît  à  la  fin  de  la  longue  nuit  des  anciens  jours.  Comme 

1  Attribué  s.nis  raison  à  Albert  le  Grand. 

-  Attribué,  sans  prouves  également,  à  saint  Bonaventure. 

1  Tout  le  moyen  âge  d'ailleurs  vit  en  Marie  la  ûancée  du  Cantique  des  Cantiques.   Voir  II ■.  d'Autun, 

Sigillum  beatse  Marix,  Patrol  ,  t.  CLXXII  ;  Guiberl  de  Nogent,  Liber  de  Laudibus  beatx  Maria    Vain,!  . 
t.  CLVI:  P.  Comestor,  Sermon  sur  l'Assomption.  Patrol. ,  t.  CXCVIII;  Alain  de  Lille,  Elucidât    in  Cantic. 

Cantic.  Patrol.,  t.  CCX.  Enfin,  le  jour  de  la  Nativité  (par-lois  le  jour  il.-  t'Assompti le   la    Vierge,  on 

lisait  le  Cantique  des  Cantiques.  Ex.  :  Bibl   Sainte-Geneviève,  m  s.  i  ><H.  I  '  >  •  ;    Lectionnaire  du  xine  siècle 
n"  iii,   I"    1 86  (Lectionnaire   du  xm     siècle  :  n°   ii\.   f°  ui.  v  [Lectionnaire   du   mi'-xih'   siècle  ;  n     i     ■ 
f°  148  (Lectionnaire  du  \in    siècle] 

•  Saint  Bernard.  Patrol.,  t.  CLXXXIV,  col.  1017.  Gautier  de  Coinci  semble  se  souvenir  de  s, uni  Ber- 
nard quand  il  écrit  dans  le  Prologue  de  s, -s  Miracles  de  Notre-Dame  [Ed.   Poquet,  Paris,    (837) 

Elle  est  la  fleur,  elle  est  lu  ruse 
En  cui  habite,  en  cui  repose 
Et  jour  et  nuit  Sainz  Esperiz. 


C  est  la  douceur,  c  est  la  rousée 
Dont  toute  riens  est  arousée 
C'est  la  dame,  c'est  la  pucèle. 


C'est  lu  fontaine,  c'est  le  tluiz 
Dont  sourt  et  viens  miséricorde, 
1  'est  le  tuyau,  c'est  le  conduiz, 
Par  où  huit  bien  est  aconduiz: 
Cest  lu  royne  des  archanges, 
1  est  lu  pucèle  à  cui  li  anges 
I  e  haut  salit  dist  et  porta 

"  La  Biblia  Mariana  attribuée  à  Alberl  le  1  irand  suil  égal ni  Mari.-  à  travers  l'Ancien  Testament 

8     /,■,.  | •  lui  vienl  de  u  pin. Mil  cl  de  1  e  qui   signifie  malheur    Marie  entend  -  ave  pour  que 

les  trois  malédictions    va;  !  voe  !  vœ  !)  que  profère  l'aigle  de  l'Apocalypse  soient  cllai    1       S  \larix, 

lectio  II.  Œuvres  de  sainl  Bonaventure.  Edil    de   Mayence,   1609,  t.  VI).  Mèn  dans  le  De  laudib 

beat     Marias   attribué  à  Albert   le  Grand 


276  L'ART   RELIGIEUX    DU    XIII'    SIECLE 

l'aurore  nous  achemine  de  la  nuit  profonde  à  la  pleine   lumière,    Marie  nous 


Eig.  1 16.  —  Vitrail  de  Chartres  (Notre-Dame  de  la  belle  verrière  . 
(Commencement  «lu  \m    siè<  le 

conduit  du    péché  à   la  grâce.   Elle  est  l'intermédiaire  entre  l'homme  et  Dieu 


LE    MIROIR    HISTORIQUE   --   LES  APOCRYPHES  2-7 

«  Marie,  s'écrie-t-il,  est  notre  aurore  :  imitons  les  ouvriers  qui  partent  au  lever 
du  jour,  et  travaillons  quand  se  lève  notre  aurore1.  » 

Le  De  Laudibus  beatas  Marin-  sent  davantage  l'école2.  Dans  cette  longue 
Somme  en  douze  livres,  l'auteur  passe  en  revue  toutes  les  verdis  de  Marie  et 
tous  ses  noms  symboliques.  Les  divisions  tripartites,  quadripartites  abondent. 


Fig.  117  La  Vierge    vitrail  de  Laon) , 

D'après  MM.  de  Florival  et  Midoux.) 


Mais  bien  -.ornent  le  grave  docteur  s'émeut  :  il  s'attendrit  sur  l'humilité  de 
Marie.  C'est  cette  humilité,  dit-il,  qui  lit  violence  à  Dieu,  qui  attira  le  Seigneur 
du  ciel  sur  la  terre'. 

Dans  tous  ces  livres  composés  à  la  gloire  de  la  \  ierge,  1  idée  qui  revient  le 
plus  souvent  peut-être  c'est  que  Marie  est   reine.  Marie,  dit  le  Spéculum  beatœ 

1  Spec    beats  Mari  e,  lecl     \  I 

-   De  Laudib.  beats  Mariée:  l>.m-  les  œuvres  d'Alberl  le  Grand,  Lyon.    t65i,  1     XX. 

;   De  Laudib.  beatse  Mariée,  lil».  I,  cap.  \ 


•;S  L'ART    RELIGIEUX    DU    XIII      SIÈCLE 

Mariée  est  à  la  fois  reine  du  ciel,  où  elle  trône  au  milieu  des  anges,  la  reine   de 

la  terre,  où  elle  manifeste  fréquemment  sa  puissance, 
enfin  la  reine  des  enfers,  où  elle  a  tout  pouvoir  sur 
les  démons  '.  Il  la  compare  ailleurs  à  une  reine  qui 
entre  dans  son  palais  avec  un  roi  ~. 

Parmi  tant  d'idées,  de  sentiments  qui  se  grou- 
pèrent alors  autour  de  la  Vierge,  1  idée  de  royauté 
fut  celle  que  les  artistes  comprirent  le  mieux  et 
exprimèrent  le  plus  fortement.  LaVierge  duxne  siècle 
et  du  commencement  du  xine  est  une  reine.  Au  por- 
tail occidental  de  Chartres,  à  la  porte  Sainte-Anne  de 
Notre-Dame  cle  Paris  ilig.  i  i  *>  .clic  apparaît  assise 
sur  son  trône  avec  une  solennité  royale.  Elle  a  la  cou- 
ronne sur  le  front,  le  sceptre  Henri  à  la  main,  et  elle 
soutient  l'enfant  qui  repose  sur  ses  genoux.  Telle 
elle  se  montre  aussi  dans  le  vitrail  de  Chartres  qu'on 
appelle  «  la  belle  verrière  »  (fig.  iitij  et  dans  un  beau 
vitrail  de  Laon  '  (lig.  117).  11  semble  que  nos  vieux 
artistes  aient  voulu  réaliser  la  parole  des  docteurs  : 
«  Marie  est  le  trône  de  Salomon  \  »  Jésus  enfant  re- 
pose en  effet  sur  elle  comme  sur  un  trône  fi.  .Marie  est 
une  reine  qui  porte  le  roi  du  monde.  A  aucune  époque 
les  artistes  ne  surent  donner  autant  de  grandeur  à 
Fi  mage  de  la  mère  de  Dieu. 

A  la  lin  du  xm  siècle,  au  seuil  du  xiv ".  cette  Vierge 
des  théologiens,  majestueuse  comme  une  pure  idée, 
parut  trop  loin  de  l'homme.  Tant  de  miracles  que  le 
xm'    siècle    lui    attribuait,    tant  d'apparitions  où  elle 


Fig.   1  1 8         Lu  Vierge    Ni  il  re 

I  ' ■  de  Paris  . 


:   Spec.  beatse  Marise,  lect.  III. 

J  Ibid.  .lect.  XIHjvoir  aussi/;,'  laudib,  beatse  Marise, \\h.  Y,  cap.  xm. 


N.    pas  oublier  non  plus  la    fameuse  antienne  :  Salve  Regina,  qui  date 
peut-être  de  la  un  du  xi'   siècle. 

1   Les  ili'ux  tympans  sonl  de  La  même  école. 
•   r'iorival  el  Midoux,    Vitraux  de  /.non,  pi.  I. 
■    De  Laudib.  beatse  Marix,  lib.  X.  cap.  11. 

1    C'esl  ci   qui        voil  nettement  au  portail  Sainte  Anne  el  dans  Le  vitrail  de  Chartres.  Dans  le  vitrail  de 
I h,  qui  esl  il  une  époque  un  peu  postérieure,  l'attitude  est  déjà  moins  solennelle. 


LE    MIROIR    HISTORIQUE   --    LES   APOCRYPHES  279 

s'était  montrée  au  pécheur  miséricordieuse,  souriante,  avaient  fini  par  la 
rapprocher  de  nous.  C'est  alors  que  les  artistes,  fidèles  interprètes  des  sen- 
timents du  peuple,  conçurent  la  Vierge  rayonnante  d'orgueil  maternel  du  por- 
tail nord  de  Notre-Dame  de  Paris  (fig.  118),  et  la  Vierge  dorée  d'Amiens.  La 
Vierge  d'Amiens  est    une   svclte 


jeune  fille  qui  porte  légèrement 
l'enfant  et  le  contemple  avec  un 


gracieux  sourire 


hg.    ihj 


anges  soutiennent  son  nimbe, 
et  sa  haute  couronne  semble  bien 
lourde  pour  sa  jeune  tète.  La 
Vierge  est  devenue  une  femme, 
une  mère. 

Au  milieu  du  xiv'  siècle,  le 
groupe  de  la  Vierge  et  de  l'en- 
fant, si  solennel  un  siècle  aupara- 
vant, n'aura  plus  rien  que  d'in- 
time. Les  idées  théologiques  que 
représente  la  Vierge  deviennent 
de  plus  en  plus  inaccessibles 
aux  artistes.  Ils  ont  beau,  comme 
autrefois,  entendre  réciter  à 
FOI  lice  de  Notre-Dame  <«  que  le 
Dieu  infini  a  voulu  s'unir  à  une 
Vierge,  et  qu'elle  a  porté  dans 
son  sein  celui  que  le  monde  ne 
peut    contenir    »,    ils    ne    savenl 

plus  refaire  les  Vierges  surhumaines  du  passé,  ils  se  contentent  de  représenter 
une  mère  qui  sourit  à  son  enfant  '. 

Bientôt  ils  rendront  la  Vierge  plus  humaine  encore  par  la  douleur.  Mais  la 
«  Mater  dolorosa  »  qui  a  inspiré  à  l'art  du  xve  siècle  tant  de  chefs-d'œuvre, 
celte  vierge  vieillie  axant  l'âge  qui  pleure  sur  le  front  sanglant  de  son  lils. 
n'appartient  pas  aux  siècles  que  nous  étudions.  L'art  s'est   trouvé  ici  un  peu  cw 


l''ig.   1  ni  I  ..1   V  h  1     .    .  !    !..     1    \  mieus. 


1   Voir  sur  ce  sujel   :   f.' Art  religieux   de  la  fin  du  moyen  âge,  p.  i.'r>  et  suiv 


ï8o  L'ART    RELIGIEUX    DU   XIII»   SIÈCLE 

retard  sur  la  Littérature.  On  chantait  déjà  depuis  longtemps  le  Stabat  mater,  on 
célébrait  les  sept  douleurs  de  Notre  Daine,  on  répétait  avec  les  docteurs  qu'elle 
était  le  «  martyr  des  martyrs  '  »  —  et  les  artistes  n'avaient  pas  encore  osé 
exprimer  cette  douleur.  C'est  à  peine  si  on  aperçoit  çà  et  là,  sur  un  vitrail,  une 
épée  symbolique  plantée  dans  le  cœur  de  .Marie  au  pied  de  la  croix  \  ou  encore, 
comme  sur  les  ivoires  sculptés,  une  lance  qui  va  du  côté  de  Jésus  au  cœur  de 
sa  mère3. 

Si  les  artistes  se  sont  affranchis  d'assez  bonne  heure  des  idées  des  théolo- 
giens, ils  sont  en  revanche  toujours  restés  fidèles  aux  légendes.  C'est  aux  Apo- 
cryphes qu'ils  empruntèrent  presque  tous  les  épisodes  de  la  vie  de  Marie.  11 
importe  de  montrer  quels  livres,  quelles  traditions  les  inspirèrent. 

Les  artistes  du  xm"  siècle  n'eurent  pas  l'idée  de  représenter,  comme  ceux  de  la 
Renaissance,  la  Vierge  avant  qu'elle  soit  née.  Le  xine  siècle  le  cède  ici  au  x\ ". 
C'est  à  la  fin  du  moyen  âge  qu'on  vit  apparaître  sur  les  vitraux,  les  tapisseries, 
ou  dans  les  livres  d'Heures,  la  jeune  fille  aux  longs  cheveux  qu'entourent  la 
rose,  l'étoile,  le  miroir,  la  fontaine,  le  jardin  fermé.  La  Vierge  ici  n'existe  pas 
encore;  pur  concept,  elle  est  antérieure  à  tous  les  temps,  elle  est  la  pensée 
éternelle  de  Dieu.  Une  si  haute  idée,  et  si  bien  faite  pour  inspirer  les  artistes 
contemporains  de  saint  Bonaventure  ou  de  Dante,  leur  fut  pourtant  inconnue. 
On  lisait  cependant  déjà  à  l'Office  de  la  Vierge  le  verset  biblique  :  «  J'ai  été 
créée  dès  le  commencement  et  avant  les  siècles  '.  » 

Les  artistes  du  xm"  siècle  ne  remontèrent  pas  non  plus  dans  la  généalogie 
de  la  Vierge  jusqu'au  père  et  à  la  mère  de  sainte  Anne.  Ils  ne  racontèrent  pas 
l'étrange  histoire  de  saintFanuel,  ni  celle  de  la  mère  de  sainte  Anne  qui  conçut 
sa  lille  en  respirant  une  rose6.  Ils  ne  remontèrent  pas  plus  haut  que  sainte 
Anne,  dont  ils  représentèrent  parfois,  conformément  à  la  légende,  les  trois 
époux   et   les   trois  filles6.  .Mais   de  semblables   représentations,  fréquentes  au 

1   De  Laudib    beatm  Marix,  lib.  III,  cap.  mi. 

-'  Vitrail  de  Fribourg  en  Brisgau  [Vitraux  de  Bourges,  Étude  XII). 
Sur  les  représentations  de  la  Vierge  de  douleur  voir  L'Art  religieux  delà  fin  du  moyen  âge,  p    118 

il  suiv. 

'■  »  Ali  iniilii  il  unir  sœcula  creata  sum.    a  Bibl.  de  l'Arsenal,  mss  106  el   107  (xivc  siècle). 

\\  ace,  dans  son  poème  de  la  Conception,  raconte  celte  singulière  histoire  de  1  ai 1,  Voir  sur  ce  sujel 

Meyer,  Romania  P.  1877,  |>    »35.  Noir  aussi  Douhaire,  Coiirs  sur  les  Apocryphes,  dans  l'Université  catho- 
lique, t    I V  il  V  . 

'■  Sur  lr>  trois  époux,  Joachim,  Cléophas,  Salomé,  qu  Anne  épousa  successivement  sur  l'ordre  d'un  ange 
et  dont  elle  eut  trois  lilles,  les  huis  Marie,  et  sur  la  postérité  de  ces  trois  tilles,  mères  de  Jésus-Christ, 


LE    MIROIR    UISTORIQl   I'.  I,i:s   APOCRYPHES  181 

xv°  siècle,  sont  rares  au  \ni'  '  :  les  artistes  gothiques  s'attachèrent  uniquement 
à  l'histoire  de  sainte  Anne  et  de  saint  Joachim,  son  premier  époux. 

Cette  légende  célèbre  nous  a  été  conservée  par  trois  évangiles  apocryphes  : 
le  Protévangile  de  Jacques,  I  Evangile  de  In  Nativité  de  Marie,  dont  on  attri- 
buait le  texte  à  saint  .Matthieu  et  la  traduction  latine  à  saint  Jérôme,  et  enfin 
Y  Histoire  de  l/t  Nativité  de  Marie  et  île  I  Enfance  du  Su/n'e/u  .  De  ces  trois  li\  ivs 
—  que  le  moyen  âge  connut  tous  les  trois  -  c'est  le  dernier  qui  est  le  plus  sou- 
vent eité  :,  c'est  à  lui  que  Vincent  de  Beauvais  '  et  Jacques  de  \  oragine  emprun- 
tèrent la  plupart  des  laits  apocryphes  qu'ils  ont  mêlés  à  la  vie  de  Marie.  C'est 
a  lui  surtout  que  les  artistes  ont  demande''  leur  inspiration".  C'est  donc  à  lui 
que  nous  emprunterons  le  récit  de  la  miraculeuse  conception  de  la  \  iei'ge. 

«  11  v  avait  en  Israël  un  homme  nommé  Joachim,  de  la  tribu  de  Juda,  et  il 
gardait  ses  hrelus,  craignant  Dieu  dans  la  simplicité  et  dans  la  droiture  de  son 
cœur.  »  Le  récit  commence  sur  ce  ton  biblique.  Depuis  vingt  ans,  Joachim  avait 
épousé  Anne,  et  il  n'en  avait  pas  d'enfant.  C'est  pourquoi,  un  jour  qu'il  était 
monté  au  Temple  pour  faire  son  offrande  au  Seigneur,  il  lut  repoussé  par  un 
scribe  qui  lui  dit  :  »  11  ne  te  convient  pas  de  te  mêler  aux  sacrifices  qu'on  offre 
à  Dieu,  t'ar  Dieu  ne  t'a  pas  béni,  puisqu'il  ne  t'a  pas  accordé  de  rejeton  en 
Israël.  ><  Joachim  se  retira  en  pleurant  et  il  n'osa  pas  retourner  chez  lui,  mais 
il  s'en  alla  clans  les  montagnes,  au  milieu  de  ses  troupeaux,  parmi  les  bergers. 
Pendant   cinq   mois,  Anne   se  lamenta  en   l'attendant,    ne   sac  haut    ni  s'il  était 


des  deux  Jacques,  majeur  el   mineur,  de  Simon,  il.-  Jude,  de  .Iran  ri  de  Joseph  le  juste,  nous  avons  les  vers 
mnémotechniques  de   Viuceul  de  Beauvais: 

Aium  viras  kahuit  Joachim,  Cleophiv,  Salomeque  ; 
Très  parit  :  fias  ducunl  Joseph,  Alphieus,  /<■/>>■  J.  tus 
Christian  prima:  Joseph,  Jacohum  vum  Simone  Judam 

Altéra;  qux  restai  Jacohum  parit  atque  Joannem. 

Spec.  ht  si  .  lib.  \  I .  cap.  vu). 

Vitrail  de  Bourges  (le  reste  consacré  à  sainl  Jean  I  évangéliste). 

'   L'abbesse  Hrolswitha  mit  les  deux  premiers  m  vers  latins.  Patrol.,  1    1  A  \  \  VII 

;  Cité   par  Jacques  de   Yoragine,    r<eg.   aurea,    ]>>■   annoncial.,    el   dans   !<■    lie   l.audih    !',■  M 

lil>    \  .  cap.  11 

'  Vincenl  de  Beauvais  cite  cepeudanl  deux  fois  I  Kvangile  du  pscudo-Mallhieu  Spec  hist  .  hl>.  VI, 
cap  i\i\  'i  lxxii),  Il  désigne  Y  Histoire  <!<•  l<t  Nativité  de  Marie  cl  de  I  Enfance  tin  Sun, fin-  sous  h-  uom 
d  Evangile  de  Jacques,  parce  qu'en  cfTel  le  récit  commence  par  ces  mois  Moi,  Jacques,  Ml-  de  Joseph. 
plein  di-  la  crainte  de  Dieu,  j  .ii  écrit.  <  I.  Kvangilc  de  Jacques  donl  parle  \  încenl  di  Beauvais  ne  doil  |>.is 
être  confondu  avec  le  Protévangile  de  Jacques. 

'■'   Le  Protëvangile  de  Jacques  do  il  être  écarté,  car  il  n'y  esl  pas  quesli le  la  Porte  d'or  que  nos  artistes 

représenlenl    toujours.    L' Evangile    de    In    Nativité    de    Marie   doil    l'être   aussi,   car     dans    re    lexte.    au 

menl  d.'  la  rencontre,  Ami,'  n'esl    pas  .ut pagnée   de   sa  servante,  m  Joachim   d  un   de    ses  bergers 

personnages  que  n>>-  artistes,  el  surloul  les  Trecentistes  italiens,  aîiuenl  .'1  représenter 

Ui 


a8î  L'ART  RELIGIEUX    DU   XIII8  SIECLE 

vivant,  ni  s'il  était  mort.  Un  jour  quelle  était  en  prière,  elle  vit  sur  une 
branche  de  laurier  un  nid  de  passereau.  8  Elle  poussa  un  profond  gémissement 
et  elle  dit  :  «  Seigneur,  Dieu  tout-puissant,  toi  cpii  as  donné  de  la  postérité  à 
«  toutes  les  créatures,  aux  bêtes  et  aux  serpents,  aux  poissons  et  aux  oiseaux, 
«  et  qui  fais  qu'elles  se  réjouissent  de  leurs  petits,  je  te  rends  grâce  puisque 
«  tu  as  voulu  que  seule  je  fusse  exclue,  des  faveurs  de  ta  bonté;  car  tu  con- 
o  nais,  Seigneur,  le  secret  de  mon  cœur;  j'avais  fait  vœu  dès  le  eommenec- 
«  ment  de  mon  mariage,  que,  si  tu  m'avais  donné  un  lils  ou  une  fille,  je  te 
«  l'aurais  consacré  dans  ton  saint  Temple.  »  Et  quand  elle  eut  dit  cela,  soudain 
l'ange  du  Seigneur  apparut  devant  sa  face  lui  disant  :  «  Ne  crains  point, 
«  Anne,  car  ton  rejeton  est  dans  le  conseil  de  Dieu,  et  ce  qui  naîtra  de  toi 
((  scia  en  admiration  dans  tous  les  siècles  jusqu'à  leur  consommation.  »  Et 
lorsqu'il  eut  dit  cela,  il  disparut  de  devant  ses  veux'.  » 

Le  même  ange  apparut  à  Joachim  au  milieu  de  ses  troupeaux  et  lui  ordonna 
de  revenir  à  Jérusalem.  «  Sache  au  sujet  de  ta  femme,  dit-il,  quelle  conce- 
vra une  fille  qui  sera  dans  le  Temple  de  Dieu,  et  l'Esprit  Saint  reposera  sur 
elle.  »  Et  il  ordonna  d'offrir  un  sacrifice  à  Dieu.  Or,  il  arriva  cpie  lorsque 
Joachim  offrit  le  sacrifice  l'ange  du  Seigneur  remonta  aux  cieux  avec  l'odeur 
et  la  fumée  du  sacrifice.  Alors  Joachim  se  prosterna  la  face  contre  terre  et  y 
resta  depuis  la  sixième  heure  jusqu'au  soir".  » 

Cependant  il  se  mit  en  route  avec  ses  bergers,  et  marcha  pendant  trente 
jours.  Comme  il  approchait  de  Jérusalem,  Anne  revit  l'ange  qui  lui  dit  :  «  Va 
à  la  porte  qu  on  appelle  la  Porte  d'or,  et  rends-toi  au-devant  de  ton  mari,  car 
il  viendra  à  toi  aujourd'hui.  »  Elle  se  leva  promptement  et  se  mit  en  marche 
avec  ses  servantes,  et  elle  se  tint  près  de  cette  porte  en  pleurant;  et  lorsqu'elle 
eut  attendu  longtemps,  et  comme  elle  était  près  île  tomber  en  défaillance  de 
celle  longue  attente,  elle  vit  Joachim  (pu  venait  avec  ses  troupeaux.  Anne 
courut  se  jeter  à  son  cou,  rendant  grâce  à  Dieu3,  » 

Ensuite  Anne  conçut,  et  après  neuf  mois  accomplis,  elle  enfanta  une  fille 
à  laquelle  elle  donna  le  nom  de  Marie. 

(le  récit,  tout  apocryphe  qu'il  fût,  n'avait  pas  été  rejeté  par  l'Eglise  du 
moyen  âge.   Le  jour  de    la   fête   de  la    .Nativité  de   la  Vierge  on  avait  l'habitude 

1  flist.  de  lu  Nativ.,  chap.  h. 
-  Hist.  de  In  Nativ.,  chap.  in 
;  /,/  .  ihid. 


LE    MIROIR    HISTORIQUE      -    LES  APOCRYPHES  iS3 

de  le  lire  aux  lidèlcs.  De  temps  en  temps  un  évêque  montrait  quelques  scru- 
pules. «  .le  vous  lirais  ee  livre  aujourd'hui,  dit  Fulbert  de  Chartres,  s'il   n'avait 

été  condamné  par  les  Pères '.  o  Ce  qui  ne  l'empêche  pas.  dans  un  autre  ser i 

pour  la  fête  de  la  Nativité,  de  raconter  toute  l'histoire  d'Anne  et  de  Joachim'. 
Certaines  églises  se  montrèrent  si  peu  sévères  pour  la  légende  qu'elles  l'intro- 
duisirent dans  leurs  Lectionnaires.  On  la  lisait,  notamment  dans  les  églises 
normandes,  le  jour  de  la  Nativité,  comme  en  témoignent  un  Lectionnaire  de 
Coutances  et  un  Bréviaire  de  Caen  . 

Il  n'est  donc  pas  surprenant  de  rencontrer  dans  nos  cathédrales  l'histoire 
de  sainte  Anne  et  de  saint  Joachim.  A  Chartres,  les  successeurs  tic  Fulbert 
n'eurent  pas  ses  scrupules,  car  ils  laissèrent  sculpter  toute  cette  histoire  sur  les 
chapiteaux  du  portail  occidental'.  Elle  reparut  plus  tard  au  portail  nord,  mais 
avec  plus  de  discrétion.  Sous  la  grande  statue  de  sainte  Anne  on  voit,  en  effet, 
Joachim  au  milieu  de  ses  troupeaux".  —  A  Notre-Dame  de  Paris,  le  premier 
linteau  du  portail  Sainte-Anne  nous  montre  la  même  légende;  elle  se  continue 
dans  les  voussures  de  droite,  où  on  reconnaît  Joachim  parmi  les  bergers  et  la 
rencontre  à  la  Porte  d'or.  Un  vitrail  du  Mans,  placé  dans  la  chapelle  de  la  Vierge, 
représente  une  partie  de  l'histoire  de  sainte  Anne  et  de  saint  Joachim   fig.  ijo  . 

La  rencontre  à  la  Porte  d'or  est  le  sujet  qui  revient  le  plus  fréquemment7. 
Les  artistes  de  la  fin  du  moyen  âge  s'y  attachent  avec  une  prédilection  mar- 
quée. C'était,  en  effet,  la  seule  façon  qu'on  eût  encore  imaginé  de  représenter 
l'Immaculée  Conception  s.  On  répétait,  bien  que  l'erreur  eût  été  condamnée  par 
les  docteurs9,  que  Marie  avait  été  conçue  à  ce  moment  du  baiser  d'Anne  et  de 

1   Fulbert  de  Chartres.  Sermo  IV.  Patrol  .  t.  CXLI. 

-  /</.,  Sermo  V.  —  Même  chose  dans  Honorius  d'Autun  :  Sermon  pour  ta  Nativité  dans  lu  Spec.  Ecoles. 
Patrol.,  t.  CLXXII,  col.  iooi. 

:   Bibl.  Sainte-Geneviève,  ms,   i>[  (Coutances  ou  Saint-Lô  (?)  \nr   siècli       Arsenal,  m>.   j-g,  I     j65,   » 
(Bréviaire  de  Caen,  sur  siècle). 

1  Pour  l.i  description,  voir  Bultcau,  t.  Il    p.    16  el  suiv. 

■'  Très  mutilé. 

6  Le  vitrail  du  Mans  que  nous  reproduisons,  représente  dans  le  bas  Joachim  chassé  du  temple,  la  Viei 
présentée  au  Temple,   puis  la  Vierge  gravissant  l'escalier  du  Temple,  la  reucontre  à  la  Porte  d  or,  un 
s'entretenant  avec  la  Vierge  dans  le  Temple,  la  Vierge  en  majesté, 

"  La  rencontre  à  ta  Porte  d'or  se  voit  dans  des  vitraux  consacrés  à  1  enfance  de  Jésus-Chrisl  [Le  Mans, 
Beauvais). 

s  Voir  Hucher,  Ballet,  monum.,  i855,  el  Rohault  d.-  Floury,  lu  Si  unir  Vierge,  i  I .  La  confrérie  de  1  Im- 
maculée-Conception, établie  à  Saint-Séverin,  semble  avoir  adopté  pour  emblème,  dès  le  \m  siècle,  la  ren- 
contre à  la  Porte  d'or. 

Saint  Bernard,  Episl.  il  i  ad  canon,  l.ugdun. 


■  ;s, 


A  KT    RELIGIEUX    l»l'    Mil'    M  EC  I.  I. 


Fig.  120  Vil  rail  de  sainte  Anne  .-I  de  sainl  Joai  him 

Le  Mans). 

D'après  [lui  I"  r 


Joachim.  C  est  pourquoi  un  artiste 
italien  du  xivc  siècle,  dans  une  fres- 
que exquise,  nous  montre  un  ange 
qui  rapproche  pour  ce  saint  baiser 
la  tète  des  deux  époux1. 

L'histoire  des  premières  années 
île  la  Vierge  et  de  son  mariage  ac- 
compagne  presque  toujours  dans 
les  œuvres  d'art  celle  de  sa  con- 
ception. A  Chartres,  comme  à 
Paris  et  au  Mans,  le  voyage  à  Jé- 
rusalem et  la  présentation  de  Marie 
au  Temple  font  suite  à  la  légende 
d'Anne  et  de  Joachim.  Je  ne  \<>is 
pas  qu'on  aitessayé,  saul  au  Mans, 
de  représenter  la  vie  de  la  Vierge 
dans  le  Temple,  que  I  Evangile  de 
la  Nativité  nous  raconte  si  com- 
plaisamment  \  L'auteur  anonyme 
de  ces  pages  atteint  à  la  suavité  de 
certains  tableaux  de  Fra  Angelico. 
La  Vierge  est  si  belle  qu'on  peut  à 
peine  soutenu'  l'éclat  de  son  \  isage; 
elle  est  si  grave  que  ses  jeunes 
compagnes  n'osent  ni  rire  devant 
elle,  ni  parler  haul  ;  elle  csl  si 
pure  que  les  anges  descendent  du 

ciel  pour  s'entretenir  avec  elle  et 
lui  apporter  sa  nourriture.  Le  vi- 
trail d\i  Mans  représente  la  con- 
versation de  la  Vierge  el  d'un  ange 
dans  le  Temple  (fig.  i  20  . 

■   IVlii    cloilrc    de    Santa-Maria    Kovclla    à 
Florence 

(    Il     VI. 


I,r    MIROIR    HISTORIQI   1E    —    LES    APOCRYPHES 

Quant  au  mariage  de  la  Vierge,  on  en  reconnail  sans  peine  les  épisodes  à 
Chartres,  à  Paris,  et  dans  un  vitrail  tic  la  chapelle  de  la  Vierge  au  Mans1.  La 
légende  en  est  bien  connue.  —  Quand  la  Vierge  eut  quatorze  ans,  le  grand 
prêtre  voulut  la  marier,  niais  elle  refusa.  Il  résolut  alors  de  la  confiera  la  pro- 
tection d'un  homme  de  la  tribu  de  Juda.  Il  lit  savoirà  tous  ceux  de  la  tribu  qui 


I  [p     i  -i.        L'Annoucialion    vitrail  de  Lyon 
Il  après   I.    Bégule 

n'étaient  pas  mariés  qu'ils  devaient  venir  le  lendemain  dan--  le  temple,  une 
baguette  à  la  main.  Les  baguettes  seraient  mises  dan-  le  Saint  des  Saints,  puis 
on  les  rend  rail  à  chacun.  Celui  que  Dieu  aurait  choisi  verrait  une  colombe  sortir 
du  sommet  de  s;i  baguette.  Les  baguettes  furent  rendues  et  la  colombe  ne  parut 
point.  .Mais  l'ange  vint  avertir  le  grand  prêtre  qu'il  avait   oublié  dans  le  sanc- 


1    Vitrail  des  changeurs.   Le  vitrail  i  -^l  consacré  presque  Loitl  entier  .1  l'histoire  apocryphe  'le  la   \  1 

Plusieurs   scènes    --nul   obscures   (les   trois   jeunes    lilles   devanl    nu    coi;    la  jeuiu'   (ille   enfer e   à   qui   nu 

homme  pa  ri'-  de  l'autre  coté  'In  mur 


286  L'ART    RELIGIEUX    1)1'    Mil"    SIÈCLE 

tuaire la  baguette  de  Joseph,  et,  des  qu'il  la  lui  cul  remise,  une  colombe  toute 
blanche  s'envola  dans  le  Temple  '. 

La  colère  des  prétendants  n'est  pas  indiquée  dans  le  texte  et  n'apparaît  que 
plus  tard  dans  les  œuvres  d'art2. 

A  partir  de  ce  moment,  Marie  sort  du  demi-jour  de  la  légende  pour  entrer 
dans  la  lumière  de  l'Évangile.  L'Annonciation,  la  Visitation,  toutes  les  scènes 
où  elle  est  mêlée,  sont  dessinées  trop  nettement  dans  le  Nouveau  Testament, 
pour  que  l'artiste  ait  eu  l'idée  d'aller  chercher  ses  modèles  ailleurs.  Au  xnr  siè- 
cle, en  effet,  nous  ne  voyons  pas  qu'on  ose  s'écarter  il u  texte  sacré.  Cependant, 
dans  certaines  régions  où  les  anciennes  traditions  étaient  très  fortes,  on  voit, 
même  dans  les  scènes  les  plus  solennelles,  se  glisser  quelques  détails  apocry- 
phes. A  la  cathédrale  de  Lyon,  dont  les  vitraux,  bien  qu'ils  soient  du  xm"  siècle, 
offrent  de  singulières  réminiscences  d'un  art  très  antérieur,  on  remarque  dans 
la  scène  de  l'Annonciation,  un  fuseau  entre  les  mains  de  la  Vierge  .  Il  y  a  là  un 
souvenir  des  Évangiles  apocryphes.  D'après  l'Histoire  de  la  Nativité,  Marie,  une 
fois  fiancée  à  Joseph,  continua  à  filer  pour  le  Temple.  Le  grand  prêtre  lui  avait 
donné  plusieurs  compagnes  qui  travaillaient  avec  elle  :  mais  à  elle  seule  était 
('■chu  l'honneur  de  tisser  le  voile  de  pourpre  du  Saint  des  Saints.  Elle  y  travail- 
lait quand  l'ange  se  présenta  pour  la  seconde  lois  devant  elle  '.  «  Le  troisième 
jour,  connue  elle  lissait  la  pourpre  de  ses  doigts,  il  se  présenta  à  elle  un  jeune 
homme  dont  il  est  impossible  de  dépeindre  la  beauté.  En  le  voyant,  Marie  fut 
saisie  d'effroi  et  se  mita  trembler;  et  il  lui  dit  :  «  Ne  crains  rien.  Marie,  tu  as 
trouvé  grâce  auprès  «le  Dieu.  Voici  que  tu  concevras  et  que  tu  enfanteras  un  roi 
dont  l'empire  s'étendra  surtoute  la  terre.''  »  Au  xmc  siècle,  c'est  à  Lyon   qu'on 

1  Hist,  {/c  in  Naliy.  de  Muni'  et  de  l'enf.  du  Sauveur,  ch.  \m.  —  /.  Evangile  de  lu  IVativ.  de  Marie 
ii'ti.  vn)  dit  que  la  baguette  fleuril  el  <]u  une  colombe  sr  |>os;i  sur  cil»'. 

Le  plus  .inrii'ii  exemple   se   rencontre  au  \i\'    siècle  dans  une  oeuvre  d'art  italienne    :  le  tabernacle 

d'Orcagn: San-Michele.    Un  '1rs  prétendants   lève   la   main  sur  s.iiui   Joseph.    Voir  Surigny,   Ann. 

arch.,  i  XXVI,  p.  79.  A  propos  du  mariage  de  la  Vierge,  il  y  a  une  différence  curieuse  à  remarquer  entre 
l.i  formule  française  el  la  formule  italienne.  En  France,  les  deux  fiancés  se  donnent  simplement  la  main,  en 
Italie,  s.iini  Joseph  mol  un  anneau  au  doigl  de  la  Vierge.  C'esl  ijik1  depuis  le  \'  siècle,  I  Italie  se  vantail 
<lr  posséder  l'anneau  des  fiançailles  de  la  Vierge:  conservé  longtemps  à  Chiusi,  il  lui  volé  en  1  17  >  ri 
apporté  ;\  Pérouse  où  il  esl  resté. 

:  Guiguc  h  Bégule,  lu  Cathédrale  de  Lyon,  p.  116.  Voir  aussi  Cahier.  Vitraua  île  Bourges, 
pi.  d'étude  VIII.  —  Citons,  parmi  les  traits  qu'on  s'étonne  de  rencontrer,  à  Lyon,  dans  (1rs  vitraux  du 
xiii"  siècle,  la  Vierge  de  la  Nativité  étendue  sur  un  matelas  comme  dans  les  miniatures  byzantines,  et  1rs 
saintes  femmes  se  dirigcanl  vers  un  tombeau  de  forme  ronde  très  semblable  à  celui  des  ivoires  carolingiens. 

■  L'ange  s'étail  montré  pour  la  première  lois  ,1  .11.-  à  la  fontaine  [Hist.  Naliv.  Maria,  cap.  ix).  Des 
ivoires  des  hautes  époques  reproduisent  la  scène. 

"   Hist.  Nativ.  Mur. .  cap.  i\. 


LE    Ml  K<>  Mi    HISTORIQUE    —    LES   APOCRYPHES 


•s; 


rencontre  pour  la  dernière  t'ois  la  légende  en  question  fig.  121  i  ;  mais  si  on  remon- 
tait dans  les  siècles  antérieurs,  on  la  trouverait  très  fréquemment.  M.  Uohaull  de 
Fleury  a  établi  que  la  corbeille  remplie  de  laine,  ou  simplement  le  fuseau,  figu- 
raient presque  toujours  dans  la  scène  de  l'Annonciation,  axant  le  mm  siècle  '. 
Telle  était  l'autorité  des  Apocryphes  dans  les  hauts    temps.   Le    peuple,   d'ail- 


liu     i'1  L'Annonciation    vitrail  <Io  Laon 

(D'après  MM.  -I.-  t'iorirul  el  Midoux. 


leurs,    n'oublia    jamais    complètement    la    vieille   tradition    :   les  légers   fils   qui 
flottent  en  automne,  dans  les  pics,  s'appellenl  encore  aujourd'hui  le>  fils  de  la 


Vierge. 


1  n  vitrail  du  \n    siècle,  à  la  cathédrale  d'Angers,  emprunte  à  la  légende  un 
antre  détail.    Au   moment  de   l'Annonciation,   contrairement  à  toute   vraisem- 


i    Roliaull  de   Kleury.   I  „   Wuih'   Vii-nji;  t.   I.  pi.  \  II.   IX,  \,  \l 


,ss  L'ART    EtELIGIEl   \    DU    XIII'    SIÈCLE 

blance,  une  jeune  fille  est  représentée  aux  côtés  de  Marie.  La  présence  de  ce 
personnage  ne  peut  s'expliquer  epic  par  les  Évangiles  apocryphes.  L'Histoire 
de  la  Nativité  de  Marie  nous  apprend,  en  effet,  que  le  grand  piètre  donna  pour 
compagnes  à  la  Vierge,  dans  la  maison  de  Joseph,  cinq  jeunes  filles  :  Rébecca, 
Séphora,  Suzanne,  Abigée  et  Zahel1.  Le  peintre  d'Angers  a  supposé  que  l'une 

d'elles  avait  assisté  à  l'Annon- 
ciation. 

L'art  du  xiiï  siècle,  dans  la 
scène  de  l'Annonciation,  re- 
vient à  la  grave  simplicité  de 
l'Evangile.  La  Vierge  et  l'ange, 
debout  l'un  en  face  de  l'autre, 
sont  seuls.  La  Vierge  ne  trahit 
son  émotion  que  par  \m  léger 
mouvement  de  la  main.  La 
scène  est  solennelle  comme  le 
mystère  quelle  représente.  Elle 
ne  comporte  aucun  décor.  Au 
XIIIe  siècle,  on  ne  voit  ni  le  léger 
portique  on  prie  la  Vierge  ita- 
lienne, ni  la  chaste  petite 
chambre,  la  cellule  de  béguine, 
où  médite  la  Vierge  des  Flan- 
dres.    Rien    ne  détourne    notre  attention  des    deux   acteurs   du   mystère. 

Cependant,  dans  le  courant  du  \m  siècle,  commence  à  apparaître  un  détail 
symbolique  dont  il  ne  me  semble  pas  qu'on  ait  compris  le  sens,  lue  Heur  à 
haute  tige  s'élève  dans  un  vase  cuire  la  Vierge  et  l'ange.  Cette  Heur  n'est  pas 
encore  un   lis.  et  elle  ne  symbolise  pas,  comme    on   pourrai!   le   croire,  la  pureté 

de  Marie.  Elle  rappelle  un  autre  mystère.  Les  docteurs  du  moyen  âge,  en  tête 
desquels  il  faut  citer  saint  Bernard,  admettaient  que  l'Annonciation  avait  eu 
lieu  au  printemps,  e  au  temps  des  fleurs  ».  Ils  croyaient  en  trouver  une  preuve 
dans  le  nom  même  de  Nazareth  qui  signifie  «  Heur  ».  De  sorte  que  saint  Ber- 
nard avait  pu  dire   :  «    La   Heur  a    voulu    naître  d'une   fleur,   dans  une  fleur,  au 


Fie.   123. 


iim  r.iillis   de    la   Vierge    [Notre-Dami 
de  Paris  . 


1   Hist.  A'a/iV.  Mnii:t,  cap,  vm. 


LE    MIROIR    HISTORIQUE  LES   APOCRYPHES 

temps  des  fleurs  '.  »  —  La  (leur  apparaît  dans  beaucoup  de  vitraux  du. \ni'  siècle  : 
qu'il  nous  suffise  de  citer  ceux  de  Laon  (fig.  1221.  de  Sens  et  de  Bourges".  On  la 
rencontre  presque  toujours  dans  les  miniatures  de  la  même  époque.  Quand  elle 
manque,  on  peut  affirmer  que  c'est  inadvertance  <le  I  artiste,  car  I  ordonnance 


I  ig.  i  ■  j.        La  Résurrection  de  la  Vierge  el  son  C onuemeul     Noire  Daine  de  l'a  ris  . 


de  la  scène  était  scrupuleusement  lixéc,  et  on  n'y  changea  rien  pendant  pics 
d'un  siècle.  L'ange  debout,  les  deux  ailes  tombant  parallèlement,  lève  la  main 
droite,  et  tient  delà  gauche  un  phylactère  sur  lequel  on  lii  :  Ave  Maria.  La 
Vierge,  debout  aussi,  tienl  un  livre  de  la  main  gauche,  el  fail  de  la  main  droite 
un  geste  d'étonnement.  Entre  eux  se  placonl  le  vase  et  la  fleur  .  Telle  esi  I  ori- 

1    0  Nazareth  iulerpretatur  ll.>>    mule  dicil   Beruardus,   i|iio<l   llos  nasci   volnil  de  flore,  in  llore,  el  1 1  •  >  ri  - 
tempore.  •>  Leg    aur.,  cap    li.  De  Annoiicial. 

■    Vitraux  de  Bourges,  p]    .1  étude  \  Y  el  XVI  el  pi.  XXVII. 

:   Voici   quelques    exemples    :    Bibl.    Saiul viève,  ros      [ou      i       91  cl<     el    111s.    loi 

\i\      siècle    :  dans  cri    exemple,    la    II -,    indéterminée    jusqin    là,  enl    1111   lis.    Arsenal,    m-.   11 

f°  ~>  i  el  P>  (82    xiv1   siècle] 


igo  L'ART    RELIGIEUX    DU    XIII1    SIECLE 

^ine  des  merveilleuses  Heurs  < [ 1 1 c  les  primitifs  italiens  détachent  sur  l'or  des 
fonds  entre  la  Vierge  et  l'ange  de  l'Annonciation. 

Nos  artistes  du  x i m '  sièele  rejetèrent  avec  beaucoup  de  tact  de  la  vie  <le 
la  Vierge  quelques  circonstances  apocryphes  chères  aux  Orientaux.  Par 
exemple,  ils  ne  commirent  pas  la  faute  de  représenter,  comme  on  le  lit  à  Saint- 
Marc  de  Venise  au  xnc  siècle,  sous  l'influence  des  Byzantins,  l'épreuve  de  l'eau 
amère.  Il  v  avait  quelque  inconvenance  à  supposer  que  la  Vierge,  pour  prouver 
sa  virginité,  avait  été  obligée  de  boire  l'eau  de  l'épreuve,  et  île  montrer  au 
grand  piètre,  après  avoir  fait  sept  fois  le  tour  de  l'autel,  qu'aucun  signe  ne 
paraissait  sur  son  visage  '. 

Je  ne  trouve  plus  dans  la  vie  de  la  Vierge,  telle  qu'on  la  représentait  au 
xin"  siècle,  qu'un  seul  trait  légendaire.  On  supposait  que  son  séjour  chez  Elisa- 
beth s'était  prolongé  assez  longtemps  pour  qu'elle  ait  pu  assistera  la  naissance 
de  saint  Jean-Baptiste2.  On  voulait  que  le  Précurseur,  entrant  en  ce  monde,  ait 
été  accueilli  par  elle,  porté  entre  ses  bras.  On  voit  parfois  dans  les  œuvres  d'art 
de  cette  époque,  près  du  lit  de  sainte  Elisabeth,  une  femme  nimbée  qui  n'est 
autre  que  la  Vierge3.  C'est  ainsi  que  le  Sauveur,  encore  au  sein  de  sa  mère,  cl 
le  Précurseur,  au  moment  de  sa  naissance,  s'étaient  trouvés  rapprochés.  Le 
moyen  âge  s'en  tint  à  cette  tradition,  et  il  ne  représenta  jamais,  comme  les 
artistes  de  la  Renaissance,  comme  Léonard  de  Vinci  et  Raphaël,  les  deux  enfants 
jouant  sous  la  garde  de  la  Vierge  et  des  anges. 

Il  faut  arriver  aux  derniers  moments  de  la  Vierge  pour  retrouver  la  légende. 
L  histoire  de  sa  mort,  de  son  ascension,  de  son  couronnement  est  tout  entière 
apocryphe.  Mais  ces  récits  lurent  si  populaires  qu'il  n'est  peut-être  pas  une 
seule  de  nos  grandes  cathédrales  qui  n'en  présente  au  moins  un  épisode.  Les 
églises  qui  sont  consacrées  à  la  Vierge  montrent  presque  toujours  son  couron- 
nement à  la  place  d'honneur,  dans  un  tympan,  dans  un   pignon,  dans  un  gable 

de  la  laça  de  '.  Le  couronnement  de  la  Vierge  a  été  sculpté  j  use  pi 'à  trois  lois  dans 

1   Hist.  Nativ.    Warise,  cap.  xic. 
Leg.  aur.  De  Yativ.  Sanct   Johan.  Bapt.,  cap.  lxxxvi  (d'après  Pierre  Comeslor);  el   Ludolphe  le  Char- 
i  reux,    \  lin  i  hristi,  cap.  \  i. 

Vitrail  de  Sainl-Père  de  Chartres    \i\    siècle). 

1  (  h.i  i  t  ii  tympan  de  la  porte  centrale,  façade  < i •  i  nord  :  Reims  (gable  du  portail  central  :  Laon  (por- 
tail central);  Bourges  j  droite  du  portail  central);  Sens  [id.  Rouen  (dans  le  pignon  qui  esl  au  dessus 
de  la  rosi  du  portail  de  la  Calende  A.uxcrrc  façade;  tympan  de  la  porte  de  gauche);  Paris  façade;  tympan 
de  la  porte  de  gauche);  S'oyon  (portail  de  droite,  tympan  à  peine  visible)  ;  Meaux  (portail  de  droite). 
Les  vitraux  donnent  aussi  la  place  d'honneur  au  couronnemenl  de  la  Vierge  :  Lyon  (vitrail  central  de 
I  abside)  :  Troj  es    \  il  rail  de  I  abside  i 


LE    MIROIR    HISTORIQUE  LES   APOCRYPHES 

la  seule  cathédrale  de  Paris1,  et  cinq  bas-reliefs  y  sonl  consacrés  à  sa  mort  et 
à  son  assomption  '. 

Aucun  sujet  ne  fut  donc  plus  populaire.  L'Eglise,  qui  laissa  sculpter  ces 
légendes  sur  toutes  nos  cathédrales,  ne  les  accueilli!  pourtant  pas  dans  ses 
livres  liturgiques.  Je  les  ai   vainement  cherchées  dans   les  vieux  Lectionnaires 


l'hul     « 

Fig.   ni.        L'Assoiiiplion  de  lii  Vierge    Notre-Dame  de  Paris  . 


de  la  fin  du  \tt'  siècle,  si  hospitaliers  aux  récits  apocryphes,  et  dans  les  Bré- 
viaires du  \in  .  A  l'office  de  I  Assomption,  on  lisail  une  lettre  que  sainl  Jérôme 
était  censé  avoir  adressée  à  l'aida  et  à  fvistochie  sur  la  mort  de  la  \  ierge  .  La 
lettre  esl  grave  cl  un  peu  froide.  L'auteur  \  parle  avec  beaucoup  de  réserve 
des  traditions  légendaires  qui  avaienl  cours  de  son  temps.  liien  n  est  im- 
possible a  Dieu,  dit-il,  mais,  pour  moi.  l'aime  mieux  ne  rien  affirmer  L'ar- 

1    Paris  :  porte  il'-  gauche    façade  occidentale  :  porle  rouge    tympan);   bas-reliefs  du  min  rional. 

tympan  du  portail  de  gauche  <!>■  1 . <  façade  occidentale,  et  bas-reliefs  du  i ■  septentrional. 

Cette  lettre,  comme  I.'  prouvent  plusieurs  particularités,  el  nolammenl   l'emploi  des   m  uvr<  -  d< 
Léon  le  Grand,  ne  saurai!  être  de  sainl  Ji  rôme    Elle  ne    remonte  pas  plus    haut  que  le  eoiuuienceineiil    'lu 
\  n'   sièi  le 

■    Bibl.  Sainte-Geneviève,  ms   a    •  m    i    i63    Lect.  xh    siècle);  n°  555, 1  I  ;  i  .  I  '  >  >"• 

\      Lect.  xuic  siècle).  —  Arsenal,  mss  u"  162,  f°  1 8 1.  v     Lect.  xn    siècle      l  i         g,  I     iiç).  \      Lect.  xiir'  : 


L'ART   RELIGIEl'.x    l»l"    MU'    SIECLE 


dente  piété  populaire  avait  besoin  de  certitudes  :  le  doute  lui  eût  semblé  im- 
pie. D'ailleurs,  ce  tombeau  d'où  la  Vierge  était  sortie  à  l'appel  de  son  Fils,  les 
croisés  l'avaient  vu  dans  la  vallée  de  Josaphat,  ils  l'avaient  embelli,  orné  de 
lampes  d'or;  il  leur  élail  cher  comme  un  endroit  sanctifié  par  le  plus  beau 
des  miracles  de  Jésus-Christ. 

Aussi    l'Eglise    ne   voulut-elle   pas  enlever  aux    licléles   la   joie  de  croire  au 
merveilleux  récit    de  la   Mortel  de  l'Assomption    de    .Marie.    On  l'attribuait   à 


l'ig,   [26.        Couroimemenl  de  la  Vierge -(Sentis  . 
Photographie  communiquée  par  M.  E.  Lefèvre-Ponlalis. 

Méliton,  disciple  de  saint  Jean,  et  parfois  à  saint  Jean  lui-même.  Le  texte,  tel 
qu'il  nous  a  été  conservé,  remonte  très  liaut.  La  célébrité  de  la  légende  s'étendit 
fort  loin,  car  on  en  a  retrouve  des  versions  arabes  et  coptes  plus  <>u  moins 
altérées  '.  C'est  Grégoire  de  Tours  qui  la  fiteonnaitre,  en  l'abrégeant,  à  l'Eglise 
des  Gaules2.  Au  xm'  siècle,  Vincenl  de  Beauvais  et  Jacques  de  Voragine,  qui 
avaient  la  version  latine  sous  les  veux,  la  reproduisirent  avec  fort  peu  de  modi- 
fications '. 

On  doit  étudier  de  très   près  ce  récit  si   l'on   veut  comprendre    les  œuvres 


Miguc  [Dicl.  des  apocryphes,  l.  11.  col.    io3  el   suiv.    donne  ta  traduction   du  mauuscril  arabe. 

Grégoire  de  Tours,  De  Gloria  tiiarlyrum.  cap    iv. 

Jacques  de  Yoragiue  T.eg.  aur.  De  assuinpl.,  il  Vincent  de  Beauvais,  Spec.  Iiisl.  lib.,  VII,  cap.  lxxv  sqq. 
Il  termine  en  disanl  1 1  •  .  Iii-ic>ri.i  ticel  inter  apocryphas  scripturas  repulelur.  pia  la  m  on  videtur  esse  ad 
crcdenduni       <    esl  bien  là  le  sentiment  de  I  Eglise  du  moyen  âge 


LE    MIROIR    HISTORIQUE    --    LES   APOCRYPHES  •.,  ; 

d'art,  délicates  à  interpréter,  qui  L'illustrent.  C'est  une  sorte  de  drame  très 
vivant  qui  se  termine  parle  plus  magnifique  épilogue.  Les  artistes,  en  l'analy- 
sant, y  découvrirent  jusqu'à  six  motifs  plastiques. 

Le  premier  est  l'apparition  de  l'ange  à  la  Vierge.  Marie  avait  soixante  ans  . 
et  depuis  longtemps  elle  désirait  être  réunie  à  son  Fils.  Un  jour,  au  milieu  d'une 
grande  clarté,  un  ange  lui  apparut  portant  à  la  main  une  palme  :  «  Marie,  dit- 
il,  je  te  salue.  Je  t'apporte  une 
branche  de  palmier  cueillie  dans 
le  paradis  :  ordonne  qu'on  la  porte 
devant  ton  cercueil  le  troisième 
jour  après  ta  mort,  car  ton  Fils 
t'attend  J.  »  L'ange  remonta  au  ciel, 
et  la  branche  de  palmier  <pi  il  avait 
apportée  resplendissait  «  comme 
l'étoile  du  matin  ».  dette  suprême 
salutation  angélique,  qu'il  ne  faut 
pas  confondre  avec  la  première, 
a  été  représentée  dans  un  vitrail 
île  Saint-Quentin  3et  dans  un  vitrail 
de  Soissons  '. 

Mais  ce  n'est  là  que  le  prélude 
du  grand  événement  qui  va  s'accomplir.  Les  apôtres,  qui  étaient  alors  disper- 
sés par  le  monde  pour  y  prêcher  l'Évangile,  se  sentirent  emportés  soudain  par 
une  force  mystérieuse  et  se  trouvèrent  réunis  dans  la  chambre  de  Marie.  Marie. 
étendue  sur  son  lit,  attendait  la  mort.  A  la  troisième  heure  de  la  nuit,  Jésus 
apparut,  accompagné  d'une  multitude  d'anges,  île  martyrs,  de  confesseurs  et  de 
vierges.  Et  pendantque  chantaient  les  chœurs  angéliques,  un  dialogue  s  engagea 
entre  la  mère  et  le  fils  :  «  Viens,  dit  Jésus,  loi  que  j'ai  élue,  el  je  le  placerai 
sur  mon  trône,  car  j'ai  désiré  la  beauté,  o  Ft  Marie  répondit  :  «  Je  viens,  car  il 
est  écrit  de  moi  que  je  ferai  ta  volonté,  o  Etainsi  lame  de  Marie  sortit  de  -on 
corps,  et  (die  s'envola  dans   les  bras  île  son  Fils.  Et  tous  les  chœurs  de-   bien- 


ft 


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-3=.» 

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l'h.il    Martin  - 

Couronne  meut  de  lu   \  ierge    <  liai  In  s 


1  Soixante  douze,  -  ■■  i\  .1  ii  i  une-  .min-  tradition  qui  para  il 
-'   f.eg.  niir.   De  assumpt.  (Trailucl     Brunel). 
;   Chapelle  de  la  Vierge. 
•    \  itrail  .lu  chevet 


»in~   \  ratsri 


ihlal.le  ii    larqi 


de  Vorasfiii, 


.,,,  L'ART   RELIGIEUX    DU    XIII"    SIECLE 

heureux  remontèrent  au  ciel,  cl  ils  portèrent  dans  leurs  liras  l'âme  de  celle 
(|iii  avait  enfanté  leur  Roi,  et  ils  chantaient  :  «  Quelle  est  celle  qui  monte  i\\\ 
désert?    Elle  est  belle  au-dessus  de  toutes  les  lilles  de  Jérusalem...  » 

C'est  là  la  scène  capitale.  Les  artistes  anciens,  les  miniaturistes  du  Xe,  du 
\f  siècle,  n'en  représentent  presque  jamais  d'autres1.  Les  apôtres  sont  rangés 
autour  du  lit  où  repose  le  corps  de  la  Vierge,  et  Jésus  tient  dans  ses  bras  l'âme 
de  -a  mère  sous  la  figure  d'un  petit  enfant.  La  scène  ainsi  conçue  n'est  pas  raie 
au  xm'  siècle.  On  la  voit  dans  un  vitrail  de  Saint-Quentin;  on  la  reconnaît 
encore,  bien  qu'elle  soit  mutilée,  au  tympan  du  portail  central  de  la  façade 
nord  de  Chartres.  Le  porche  (restauré)  de  la  cathédrale  de  Laon,  et  un  vitrail 
d'Angers8  nous  montrentavec  quelques  variantesle  même  sujet.  A  Notre-Dame 
de  Paris,  un  des  bas-reliefs  du  xivc  siècle  encastrés  dans  le  mur  cl u  nord  non- 
présente  la  même  scène,  mais  on  n'y  retrouve  déjà  plus  la  grandeur  de  l'art 
ancien.  Les  apôtres,  il  est  vrai,  expriment  leur  douleur  avec  des  gestes  pleins 
de  vérité,  mais  Jésus  n'est  plus  là  pour  recevoir  l'âme  de  sa  mère'. 

Alors  commencent  les  funérailles  de  la  Vierge.  Son  corps,  d'où  sortait  une 
éblouissante  lumière,  fut  mis  dans  le  cercueil;  les  apôtres  prirent  leurs  rangs 
et  formèrent  le  cortège  funèbre.  Saint  Jean  marchait  le  premier,  tenant  à  la 
main  la  palme  céleste  que  la  Vierge  lui  avait  confiée1;  saint  Pierre  et  saint  Paul 
portaient  le  cercueil  sur  leurs  épaules,  saint  Pierre  en  tète,  saint  Paul  derrière, 
parce  qu'il  s'était  déclare  lui-même  le  plus  humble  d'entre  les  apôtres.  Ils 
s'avançaient  en  chantant  :  ///  exitu  Israël,  et  du  haut  du  ciel  les  anges  les 
accompagnaient.  Les  Juifs,  en  entendant  cette  céleste  mélodie,  se  rassem- 
blèrent. Quand  ils  surent  qu'on  enterrait  Marie,  mère  de  Jésus,  ils  voulurent 
arrêter  le  cortège,  prendre  le  corps  et  le  brûler.  Le  prince  des  prêtres  poussa 
l'audace  jusqu'à  essayer  (le  s'emparer  du  cercueil;  mais  ses  deux  mains,  sou- 
dain desséchées,  y  restèrent  attachées.  Vainement  il  supplia  saint  Pierre  : 
«  Tu  ne  pourras  être  guéri,  répondit  l'apôtre,  (pic  si  tu  crois  en  Jésus-Christ  e1 
en  celle  qui  l'a  porté,  a  Le  prince  des  prêtres  s'écria  alors  :  «  Je  crois  que  Jésus 
fut  le  vrai  Fils  de  Dieu  et  que  Marie  fut  sa  mère.   »  Et  aussitôt  ses  mains  rede- 


1    Voir  les  exemples  dans  Rohaull  de  I  leury,  lu  Sainte   Vierge,  l.  1 .  chap.  xi. 

J  Publié  par  Rohaull  de  Floury,  la  Sainte  Vierge,  I.  I.  pi,  l.\\  Il     Voir  aussi  I     de  Lasteyrio,  ffist.  de 
ta  peint,  sur  \-erre,  p.  106.  —    Le  vitrail  <l  Angers  esl  du  xn°  siècle. 

Le  bas  relief  esl   du  premier  quarl   •  I n  xiv1   siècle.   Voir  Courajod  el   Marcou,  Catalogue  raisonné  du 
Musée  du   Trocadéro.  Paris,   1892,  in  S  ,  n0!  601  609. 


LE    MIROIR    HISTORIQUE   —    LES   APOCRYPHES 

vinrent  libres,  mais  ses  bras  demeurèrent  desséchés.  Kl  Pierre  lui  dit  :  «  Baise 
le  cercueil  et  dis  :  «  Je  crois  en  Jésus-Christ  et  en  .Marie  qui  l'a  porté  dans  son 
ci  sein  et  qui  esl  demeurée  vierge  après  lavoir  enfanté,  d  11  le  lit.  et  aussitôt  il 
recouvra  la  sa  nié  '.   » 


l'"i{Ç.  128,        Funérailles,   Résurrection  et  Couronnement  do  la  Vierge    Abbaye  de  Longponl 

On  rencontre  rarement,  groupés  dans  une  même  œuvre,  tous  les  détails  de 
cette  scène;  mais  on  les  retrouve  les  uns  après  les  autres  dans  les  vitraux,  les 
bas-reliefs,  les  miniatures.  C'est  ainsi  que  dans  le  vitrail  d'Angers,  sainl  Jean 
porte  la  palme;  dans  les  miniatures  du  \m    siècle,  sainl  Pierre  est  d'un  côté  Ati 


1    l.eg.  aur.  !><■  Assiiinpl 


L'ART   RELIGIEUX   DU  XIIIe   S]  ECLE 

lii  funèbre  el  saint  Paul  de  l'autre  '.  A  Saint-Ouen  de  Rouen  et  à  Notre-Dame 
de  Paris2  (fig.  123),  un  bas-relief  représente  le  miracle  des  mains  desséchées. 
On  remarquera  qu'à  Paris  <]eux  personnages  semblent  vouloir  s'emparer  du  cer- 
cueil  :    l'un  s'élance  et  le  saisit,   l'autre   roule  à  terre  pendant  que  ses  mains 


kv1^ 


I'Imii.  Martiii-Sabon 


Fig.   i  >i|         Funérailles,  Résurrection  et  Couronnement  de  la  Vierge    Amiens  . 

restent  fixées  au  drap  funèbre.  En  réalité,  ces  deux  personnages  n'en  font 
qu'un.  Ce  sont  deux  moments  An  récit  que  l'artiste  a  voulu  représenter. 
Le  dédoublement  d'un  mcmc  personnage  n'esl  pas  rare  au  moyen  âge.  L'art, 
comme  le  théâtre  de  ce  temps,  est  souvent  synoptique.  Dans  les  œuvres  d'art, 


1  Bibl  Sainli  Geneviève,  nis.  iï  i3i,  f°  147  (xm1  siècle)  ;  Arsenal,  ms.  n°  279, 1  119,  v  [xm1  siècle  Ces 
miniatures,  qui  représentent  le>  funérailles  de  la  \  ierge  >l  une  façon  très  abrégée,  se  trouvent  souvent  dans 

les  Lectionnaircs  à  la  fête  de  l'Ass ption.  Chose  curieuse,   elles  illustrenl   la  lettre  de  sainl   Jérôme  qui 

conda  nane  ces  1  l'adil  ions  apocr>  phes 

-  Sainl  Ouen    portail  méridional),  Paris  (mur  <ln  nord  . 


LE    MIROIR    HISTORIQUE    --    LES   APOCRYPHES  297 

comme  sur  la  scène  où  Ton  jouait  le*  Mystères,    on  embrassait  d'un  coup  d'oui 
toute  une  suite  d'événements '. 

Les  apôtres,  cependant,  ont  accompagné  Marie  au  tombeau,  et,  sur  l'ordre 
de  Dieu,  ils  y  veillent  pendant  trois  jours.  Le  troisième  jour,  Jésus  vint  accom- 
pagné d'une  multitude  d'anges  pour  ressusciter  le  corps  de  sa  mère.  L'archange 
saint  Michel  portait  lame  de  Marie.  Et  le  Seigneur  dit  :  0  Lève-toi,  ma  colombe, 
tabernacle  de  gloire,  vase  de  vie.  temple  céleste:  de  même  qu'en  concevant  tu 


Fig.  1  lo.  —  Couronnement  de  la  Vierge    Porte  Rouge.  Notre-Dame  de  Paris 

n'as  pas   connu    de   souillure,   ainsi,    dans   le  sépulcre,    ton    corps    ne    connaîtra 
nulle  corruption.   0  Et   aussitôt  l'âme  de  Marie  rentra  clans  son   corps 

Cette  scène  de  la  résurrection  du  corps  a  été  souvent  confondue  avec  celle 
de  la  moi  I  de  la  Vierge.  On  peut  s'y  tromper  au  premier  coup  d'œil.  C'est 
ainsi  que  l'admirable  tympan  de  Notre-Dame  de  Paris  fig'.  mf\  ne  représente 
pas.  coin  me  on  le  dit  d  ordinaire  .  la  mort  de  Marie,  mais  sa  résurrecl  ion.  Deux 
anges,   tremblants  de   respect,   enlèvent    la   Vierge  du   tombeau.  Ils  la  portent 


1    Les  exemple!,  sont  nombreux    A isée  de  Cluny,  un  ivoire  du  \u    siècle    11"  m,,,    représente  pn 

séraenl  la  morl  de   la  \  ierge.    le  mi>  tieul  encore  I  àme  de  -.1  mère  dans  ses  bras,  tandis  que  déjà  un 
s  envole  vers  le  ciel  portant  cette  même  àme 

■  Lcg  .   nitr    De  _  issumpt. 

■  YiolU'I-le-Diic.   Met    raisonné  de  l'archil.,  t.  IX.        J 


;)s  L'ART   RELIGIEUX    DU   XIII0  SIÈCLE 

doucement  sur  un  long  voile,  car  ils  n'osent  toucher  son  corps  sacré.  Jésus  lève 
la  main  pour  bénir  sa  mère,  et  les  apôtres  pensifs  méditent  sur  ce  mystère. 
.Marie  est  belle,  revêtue  d'une  jeunesse  éternelle;  la  vieillesse  n'a  pas  osé  l'ap- 
procher. Sur  ce  point  seulement  les  artistes  n'ont  pas  voulu  suivre  la  tradition 
de  la  Légende  dorée1.  A  Chartres,  le  texte  a  été  interprété  avec  plus  d'exacti- 
tude encore  qu'à  Paris,  car,  près  du  tombeau  de  Marie,  deux  archanges  portent 
respectueusement  sur  une  nappe  l'âme  de  la  Vierge  qui  va  se  réunir  à  son 
corps.  A  Senlis  \  l'artiste  a  voulu  faire  voir  la  multitude  d'anges  dont  parle  la 
légende.  Ils  s'abattent  près  du  tombeau,  et  s'élancent  tous  à  la  fois  pour  accom- 
plir l'œuvre  de  Dieu. 

Après  la  résurrection  a  lieu  l'Assomption.  Le  corps  de  Marie,  réuni  à  son 
âme,  monte  au  ciel  soutenu  par  les  anges.  A  Sens,  dans  un  vitrail  du  chœur, 
et  à  Troyes,  dans  un  vitrail  de  l'abside,  Marie  triomphante  porte  une  palme  . 
C'est  le  signe  de  victoire  dont  parle  l'hymne  de  l'Assomption  :  palmam praefert 
singularem  '.  La  plupart  du  temps,  la  Vierge  porte  un  livre  à  la  main,  et  elle 
s'élève  dans  une  auréole  que  soutiennent  les  anges  . 

Ici  se  place  l'épisode  de  la  ceinture  de  la  Vierge.  Saint  Thomas,  qui  était 
absent,  arrive  après  la  résurrection,  voit  le  tombeau  vide,  mais,  fidèle  à  son 
caractère,  refuse  de  croire  au  miracle.  Marie,  du  haut  du  ciel,  pour  le  con- 
vaincre, lui  jette  sa  ceinture.  La  légende  fut  particulièrement  chère  aux  Italiens 
qui  se  glorifiaient  de  posséder  à  Prato  la  ceinture'  de  la  Vierge.  Aussi  ne  la 
rencontre-t-on  guère,  à  l'origine,  que  dans  lait  italien.  Une  miniature  italienne 
du  xme  siècle,  calquée  parle  comte  de  Bastard,  nous  en  offre  peut-être  le  plus 
ancien  exemple G.  Il  est  évident  que  le  sculpteur  du  tympan  de  Notre-Dame  de 
Paris  n'a  pas  connu  la  légende,  ou  n'a  pas  voulu  la  représenter,  car  il  a  fait 
assister  les  douze  apôtres  à  la  résurrection  de  la  Vierge. 

Quand  Marie  est  arrivée  au  ciel  portée  par  les  anges,  Jésus  la  lait  asseoir  à 
sa  droite  sur  son  trône,  et  place  une  couronne  sur  son  iront.  C'est  le  Couron- 

1  Même   remarque   pour  le  tympan  d'Amiens   (façade  occidentale),  nui  a  tant  d'analogie  avec  celui  de 

Nolre-Di -  de  Paris. 

-  Moulage  au  Trocadéro. 

:  S. -us  [Vitraux  de  Bourges,  planche  d'étude  \\    .  Troyes  [ibid.,   pi.  XIII). 

•  Leg.  mu-    Dr  Assumpt. 

•  Sens,  tympan  du  portai]  sud  de  la   façade    liu     i  li    :  Notre-Dame  de  Paris,  bas-relief  extérieur  des 
chapelles,  côte  du  nord  (fig,  1 2  "1 

'    Documents  archéolog.  manuscrits  du  comte  de  Bastard,  1.  III.   I     m   (Cabinet  des  Estampes 


LE   MIROIR  HISTORIQUE  --   LES  APOCRYPHES 

nement  de  la  Vierge,  que  la  Légende  dorés  ne  décrit  pas,  mais  qu'elle  indique 
d'un  mot  :  «  Viens  du  Liban,  mou  épouse,  dit  Jésus  à  .Marie,  viens  recevoir  lu 
couronne.  »  Et  Jacques  de  Voragine  ajoute  que  les  chœurs  des  bienheureux, 
remplis  de  joie,  l'accompagnèrent  dans  le  ciel,  où  elle  s'assit  su/-  le  trône  de 
gloire,  à  la  droite  de  sou   Fils.    Il  n'en  fallait  pas  davantage  pour    mettre   eu 


Fig.   1 3 1 .  —  Mort,  Résurrection  et  Couronnement  de  la  Vierge   Sens). 
(Photographie  communiquée  parM.  E.  Lefèvre-Pontalîs.) 

mouvement  l'imagination  des  artistes.  Ils  trouvaient  aussi,  dans  le  texte  de 
l'Office  de  l'Assomption,  des  indications  précises  :  on  y  appliquai!  a  Marie  les 
versets  du  Psalmistc  :  «  La  reine  s  est  assise  à  sa  droite  en  un  vêtement  d  m 
ou  encore  :  «  Il  a  posé  sur  sa  tète  une  couronne  de  pierres  précieuses  . 
Ce  ne  fut  pourtant  pas  avant  le  xii  siècle  qu'on  eut  l'idée  de  réaliser  le-  paroles 
liturgiques.  M.  Rohault  deFleury,  qui  a  si  consciencieusement  exploré  les  pre- 
miers siècles  du  moven  âge,  n'y  a  jamais  rencontré  la  scène  du   couronnement    . 


1   o  Astitil   regiua  .1  dextris  ejus,    in    vestilu    deauralo         Ps    XI. I\      10).    Ci    texte   esl    passé  dau 
liions  il.'  I.i  Vierge  :  voir  Bibl    Sainte  Geneviève,  ms.  o     •-  \    I     ■-  (Heures  de  Noire-Dame  . 
-   >,  Posuil  in  capite  coronam  de  lapide  pretioso.    1    Ps    XX     [). 
Knli.ioli  il'-  h'Ieury,  la  Suint'-   Vierge,  1.  I.  ehap.  \i. 


L'ART   RELIGIEUX   DU   XIII1    SIECLE 

Elle  apparut  pour  la  première  luis,  comme  il  convenait,  au  siècle  de  saint 
Bernard,  et  le  plus  ancien  exemple  que  nous  puissions  en  c i te i-  se  voit  au 
portail  de  la  cathédrale  de  Senlis.  Le  siècle  suivant,  le  xin",  proclama  la  royauté 
de  .Marie  et  l'inscrivit  au  front  de  toutes  les  cathédrales,  dette  scène  du  cou- 
ronnement de  la  Vierge  se  présente,  au  cours  du  xmc  siècle,  sous  trois  aspects 
différents. 

Le  bas-relief  de  Senlis  nous  donne  la  plus  ancienne  formule  (fig.  i  26) .  La  Vierge 
est  assise  à  la  droite  de  son  Fils;  des  anges  l'encensent  ou  portent  des  flambeaux. 
.Mais  ce  qu'il  v  a  de  remarquable  ici  c'est  que  la  Vierge  a  déjà  la  couronne  sur 
la  tète  et  que  son  Fils  se  contente  de  lever  la  main  pour  la  bénir.  Le  couronne- 
ment, vient  donc  d'avoir  lieu  et  la  Vierge  a  pris  possession  du  trône  pour  l'éter- 
nité. Tel  est  le  couronnement  de  la  Vierge  de  Laon  qui  n'est  qu'une  imitation  de 
celui  de  Senlis.  Tel  est  aussi  le  couronnement  de  la  Vierge  de  Chartres  ',  œuvre 
encore  archaïque  qui  remonte  aux  premières  années  du  xnf  siècle  (fig.   1 12—  1. 

A  Notre-Dame  de  Paris,  le  couronnement  de  la  Vierge  revêt  un  aspect 
nouveau.  Celte  fois  c'est  bien  un  couronnement  que  nous  avons  sous  les  yeux. 
Mais  ce  n'est  pas  le  Christ  qui  couronne  sa  mère,  c'est  un  ange  qui  sort  du  ciel 
pour  lui  placer  la  couronne  sur  la  tête  fig.  iil\  .  Tout  est  admirable  dans  ce  tympan 
de  Notre-Dame.  Il  n'y  a  rien  de  pins  chaste  et  de  plus  grave  dans  tout  l'art  du 
moyen  âge  .  La  Vierge,  assise  aux  côtés  de  son  Fils,  tourne  vers  lui  son  pur 
visage  et  le  contemple  en  joignant  les  mains,  tandis  que  l'ange  place  la  cou- 
ronne sur  son  Iront.  Jésus,  éclatant  d  une  beauté  divine,  la  bénit  et  lui  présente 
un  sceptre  qui  s'épanouil  en  fleur  :  ce  sceptre  est  le  symbole  de  sa  puissance  et 
il  veut  que  désormais  sa  mère  la  partage  avec  lui.  Cl  le  geste  de  la  \  ierge 
exprime  à  la  lois  l'admiration,  la  reconnaissance  et  la  modestie.  Ce  groupe 
était  jadis  doré,  et  Marie  apparaissait,  comme  la  reine  du  Psalmiste,  vêtue  d  un 
manteau  d'or.  Le  soleil  couchant,  les  soirs  d'été,  lui  rend  son  antique  parure. 
Tout  autour,  se  groupent  dans  les  voussures  les  anges,  les  rois,  les  prophètes, 
les  saints,  qui  lorinent  la  cour  de  la  reine  du  ciel. 

Certes,  nous  admirons  l'exquis  tableau  du  Louvre,  <>u  Fra  Angelico  a  repré- 
senté Marie  couronnée*  par  son  Fils  au  milieu  du  chœur  des  vierges,  des  saints 
cl  des  martyrs,  vêtus   de   couleurs  célestes.  Mais  ne  soyons  pas  injustes  [tour 

\n   portail  nord 
-  On  pourra  i  '■  1 1 1  <  I  i  <  r  de  prrs  ces  admirables  sculptures,  le  chef-d'œuvre  de   l'école  de   l'Ile  de-France, 
au  musée  du  Trocadéro. 


LE    MIROIR    HISTORIQUE  LES    APOCRYPHES 

no>  vieux  maîtres  :  deux  siècles  avanl  Fra  Angelico,  iU  avaient  traité  le  même 
sujet  avec  plus  de  grandeur  encore.  IU  avaient  rangé  tout  le  Paradis  autour  de 
la  Vierge  en  cercles  concentriques,  ils  avaient,  comme  fait  Dante,  ouvert  le  ciel 
aux  yeux  des  hommes,  montré  Marie  au  centre1  des  choses  divines,  entourée 
de  plus  de  mille  anges,  les  ailes  ouvertes,  qui  la  célébraient,  ayant  chacun  sa 
splendeur  propre 


I  i_ .  i  »  - .     -  <  louronnemeiil  de  lîi  \  ierge    Linteau  de  la  porto  de  droite.  Auxern 

Le  tympan  de  Notre-Dame  de  Paris  a  été  mis  en  place  vers  [220  :  la  tormul 
nouvelle  du  couronnement  de  la  Vierge  qu'il  inaugurait  a  régné  pendant  11 
quart  de  siècle.  On  la  retrouve  à  Notre-Dame  de  Paris  même,  au  portail  roug 
fig.  1  '!o  .  (  )n  la  retrouve  encore  à  Longponl  fig.  [28  et  à  Amiens  lig.  i2y 
où  limitation  de  Paris  est  évidente  .  A  Amiens,  toutefois,  les  détails  de  I 
composition  sont  moins  heureux:  le  sceptre  que  le  Christ  de  Paris  présente 
sa  mère  est  déjà  aux  mains  de  la  Vierge  d'Amiens.  L'artiste  ;i  cru  honore 
davantage  la  Vierge,  mais  il  ,i  Lui  perdre  à  -on  groupe  celle  délicatesse  de 
liment  qu'y  avait  mise  le  maître  parisien  :  à  Amiens  le  touchant  dialogue  entre  I 
mère  et   le  lils  :i   pris  fin. 

Paradiso,  canl    XXXI,  i  lo-i  1 
-1   Même  formule  en  Espagne,  .>   la  cathédrale  de  Lcou 


3o2  L'ART   RELIGIEUX    DU   XIII'   SIÈCLE 

A  une  date  qu'il  est  difficile  d'indiquer  avec  précision  mais  qui  doit  être 
assez  voisine  de  i2jo,  on  voit  apparaître  une  troisième  formule  du  couronne- 
ment de  la  Vierge.  Cette  fois  ce  ne  sont  plus  les  anges  qui  mettent  la  couronne 
sur  la  tète  de  la  Vierge,  c'est  Jésus-Christ  lui-même  :  ainsi  va  grandissant  le 
respect  de  la  Vierge.  Tels  sont  les  couronnements  de  Sens  (lig.  i3i),  d'Auxerre 
(fig.  i32),  de  Reims.  Ce  beau  groupe  de  la  mère  couronnée  de  la  main  de  son 


Fig.    i  i  !.  —   Couronnement   de   la  Vierge  (Ivoire  français   du  xin'   siècle. 
Musée  du  Louvre 

lils  que  nos  ivoires  rendirent  populaire  à  l'étranger  (lig.  1 33)  séduisit  toute 
l'Europe  :  on  le  retrouve  en  Italie,  en  Espagne,  en  Allemagne.  Il  marque 
l'apogée  du  culte  de  la  Vierge  au  xm°  siècle1. 

Les  artistes  trouvèrent  donc  dans  les  légendes  de  la  Vierge  la  plus  féconde 
inspiration.  Ces  naïfs  récits,  que  nous  ne  lisons  plus,  enchantèrent  la  foule 
pendant  quatre  cents  ans.  Nous  leur  devons  au  moins  la  moitié  de  nos  anciennes 
œuvres  d'art.  Qu'il  nous  suffise  de  remarquer  que,  des  trois  grands  portails  de 
Notre-Dame  de  Paris,  deux,  celui  de  sainte  Anne  et  celui  de  la  Vierge,  sont 
presque  uniquement  décorés  de  sujets  empruntés  aux  Apocryphes. 


1  A  la  lin  du  \n  siècle,  au  château  de  La  Ferté-Milon,  se  montre  une  quatrième  formule  du  couronne- 
ment de  la  Vierge  qui  sera  celle  de  la  lin  du  moyen  âge  la  \'i<  rgr  s  agenouille  devant  Jésus-Chris!  pour 
recevoir  la  couronne.  Les  sentiments  se  v.uii  déjà  modiGés  ici,  el  c  esl  1  humilité  de  la  Vierge  que  l'artiste 
célèbre  cl  non  plus  sa  grandeur. 


LE   MIROIR   HISTORIQUE   —   LES   APOCRYPHES  !,  ! 


VII 

Après  la  légende  de  Notre-Dame,  rien  ne  fut  plus  célèbre  au  \ni  siècle  que 
ses  miracles.  Marie  apparaît  comme  la  grâce  plus  forte  que  la  loi.  Au  tympan 
des  cathédrales,  on  la  voit  agenouillée  près  de  son  Fils  qui  s'apprête  à  juger  le 
monde.  Elle  rassure  le  pécheur  qui  n'oserait  en  entrant  regarder  son  juge. 

Elle  fut  1  «  avocate  »  des  causes  désespérées  '.  Tous  les  trésors  de  la  misé- 
ricorde de  Dieu  furent  entre  ses  mains2.  «  Femme,  dit  Dante,  tu  es  si  grande,  el 
tu  as  tant  de  puissance,  que  celui  qui  veut  une  grâce  et  ne  recourt  pas  à  toi. 
veut  que  son  désir  vole  sans  ailes  :.  » 

D'ailleurs  la  Vierge  du  moyen  âge  est  restée  femme.  Elle  n'a  égard  ni  au 
bien  ni  au  mal,  mais  elle  pardonne  tout  à  l'amour.  Il  suffît  d'avoir  récité  tous 
les  jours  la  moitié  de  son  Ave  Maria  pour  être  sauvé.  Satan  a  beau  être  le  roi 
des  logiciens,  au  dernier  moment  elle  met  sa  scolastique  en  déroute  avec  une 
bonne  grâce  charmante,  une  finesse  gauloise.  Elle  se  déguise,  et  se  présente  à 
des  rendez-vous  où  le  diable  ne  l'attendait  guère.  Elle  assiste  â  la  pesée  des 
âmes  et  sait  faire  pencher  du  bon  enté  la  balance. 

Le  livre  des  Miracles  de  Notre-Dame,  que  rima  le  chanoine  de  Soissons. 
Gautier  de  Coinci,  est  le  livre  de  la  grâce.  Marie  sauve  tous  ceux  que  la  justice 
humaine  et  la  justice  divine  ont  condamnés.  C'est  aussi  le  plus  varié  des 
romans.  Le  poète  nous  transporte  dans  un  monde  aussi  merveilleux  que  celui 
des  lais  bretons  :  des  cierges  allumés  apparaissent  sur  le  grand  niai  pendant  la 
tempête,  ou  descendent  sur  la  vielle  du  jongleur  de  Rocamadour;  des  naufragés 
voguent  sur  les  Ilots,  soutenus  par  le  manteau  de  la  \  ierge;  de  saintes  images 
arrêtent  les  lions,  sauvent  les  pèlerins  dans  le  désert. 

Tous  ces  récits  avaient  déjà  charmé  bien  des  unes  quand  Gautier  de 
Coinci  les  mit  en   vers.   Quelques-uns  étaient  célèbres  déjà   depuis  un  siècle'. 

1  »  Advocata  aostra.  a  Sermo  in  antiph.  Salve  regina  Sermon  inséré  dans  les  œuvres  de  saint 
Bernard  .  Patrol  .  i.  CLXXXIV,  col.  1039.  Voir  aussi  les  se ns  de  sainl  i:<  rnard  pour  I  octave  de  I  as- 
cension. 

1  Spec.  Mur  ,  lectio  XIII. 

:  Paradiso,  cant.  XXXIII,   ia-i5. 

•  Sur  lr>.  recueils  de  miracles  antérieurs  à  Gautier  de  Coinci  el  sur  ses  sourci  s  latines,  consulter  le 
catalogue  si  complet  que  M.  Mussafia  public  depuis  1886,  dans  les  mémoires  de  l'Académie  de  Vienne 
[Studien  ~ii  den  mittelalterlichcn  Marienlegenden  . 


;,,;  L'ART   RELIGIEUX    DU   Mil-    SIECLE 

Beaucoup  (II-  grandes  églises  avaient  leur  recueil  des  miracles.  Hugues  Farsit, 
chanoine  de  Saint-Jean-des-Vignes,  avait  fait  un  livre  sur  les  guérisons,  par  où 
Notre-Dame  de  Soissons  avait  manifesté  sa  puissance,  au  commencement  du 
x 1 1°  siècle,  pendant  une  peste'.  Le  moine  Hermann  avait  raconté  tous  les 
miracles  qui  avaient  signalé,  tant  en  France  qu'en  Angleterre,  le  passage  de  la 
chasse  de  Notre-Dame  de  Laons.  l'ius  tard,  Jean  le  Marchand  avait  célébré  la 
toute-puissante  intercession  de  Notre-Dame  de  Chartres,  en  dérobant  parfois  à 
Gautier  de  Coinci  quelques-uns  de  ses  récits,  pour  la  plus  grande  gloire  de  sa 
patronne  vénérée. 

Tous  ces  livres  n'eurent  pas  sur  l'art  autant  d'influence  (pion  pourrait  l'ima- 
giner. A  Chartres,  à  Laon,  à  Soissons.  il  n'y  a  nulle  trace,  ni  dans  les  sculptures, 
ni  dans  la  peinture  sur  verre,  des  miracles  de  ces  Vierges  célèbres.  Les  nom- 
breux vitraux  que  nous  avons  perdus  pouvaient  être,  il  est  vrai,  consacrés  à 
quelques-unes  de  ces  légendes  locales  ;. 

C'est  un  fait  remarquable  cependant  que  dans  nos  cathédrales,  à  l'excep- 
tion de  celle  du  Mans,  on  ne  trouve  représenté  qu'un  seul  miracle  de  la  Vierge, 
toujours  le  même,  le  miracle  de  Théophile.  11  est  sculpté  deux  fois  à  Notre- 
Dame  de  Paris1.  Un  vitrail  mutilé  de  Chartres  le  représente.  11  est  longuement 
raconté  dans  un  vitrail  de  Laon,  dans  v\\\  vitrail  de  lîeauvais,  dans  un  vitrail 
de  Troyes,  dans  deux  vitraux  du  Mans.  In  bas-relief  du  portail  occidental  de 
la  cathédrale  de  Lyon  rappelle  brièvement  la  légende. 

Le  miracle  est  vraiment  dramatique.  --  Le  clerc  Théophile  est  vidame  de 
l'évêque  d'Adana  en  Cilicie.  Il  est  si  pieux,  si  vertueux,  qu'à  la  mort  de  l'évoque 
le  peuple  le  désigne  d'une  seule  voix  pour  lui  succéder.  Mais  telle  est  la 
modestie  de  Théophile  qu'il  refuse  et  qu'il  reste  simple  vidame  auprès  ^\y^ 
nouvel  évêque.  Le  démon,  cependant,  ne  désespère  pas  de  perdre  un  si  saint 
homme  :  il  tente  son  humilité,  et  bientôt  lui  fait  désirer  le  pouvoir  qu  il  a  refusé. 


1   Hugues   farsit.    Palrol.,   I.    CLXXIX. 
Patrol.,  I.   Cl.\  I. 

:  lu  vitrail  mutilé  de  la  cathédrale  <lo  Chartres  lias  côté  sud)  uous  montre  une  \  ierge  vénérée  par  des 
pèlerins  (sans  doute  la  fameuse  Vierge  de  Chartres  .  Le  rosir  du  vitrail  contienl  quelques  épisodes  de 
L'histoire  do  Théophile.  Peut-être  quelques-uns  <los  miracles  de  Notre-Dame  de  Chartres  j  figuraient-ils 
aussi.  —  Nul  doute  que  certaines  verrières  n'aienl  été  consacrées  aux  miracles  de  Notre-Dame.  Joinvillc 
nous  'lit  qu'il  avait  fail  peindre  dans  sa  chapelle  de  Joinvillc  el  d  es  verrières  de  Blahecourl  I  histoire  d  cm 
de  ses  compagnons  qui  tomba  en  mer  au  retour  de  la  croisade  cl  que  la  Vierge  sauva  en  le  soutenaul  par 
les  épaules, 

■    \n  portail  nord    lit;    i3j    el  parmi  les  bas  reliefs  appliqués  au  mur  du  nord    fi  g    i35). 


LE   MIROIR    HISTORIQUE  LES   APOCRYPHES  !o5 

Théophile  va  trouver  un  juif,  savanl  dans  les  arts  magiques,  et  s'engage  à 
livrer  son  àme  à  l'enfer,  si  Satan  lui  donne  en  échange  la  gloire  du  inonde.  Le 
pacte  est  rédigé  en  bonne  forme,  écrit  sur  parchemin,  et  Théophile  le  signe  de 
son  nom.  A  l'appel  du  nécromant,  Satan  apparaît,  et  emporte  le  traité.  I>es  ce 
jour  tout  réussit  au  vidame.  Il  ne  tarde  pas  à  supplanter  son  évêque  dans  la 
faveur  du  peuple  :  c'est  à  lui  que  vont  tous  les  honneurs,  tous  les  présents1. 


I  m     [34.  —  Miracle  de  Théophile    Porlail  du  nord.  Notre-Dame  de  Paris 


Cependant,  au  milieu  des  joies  de  la  puissance,  les  remords  viennent  l'as- 
saillir. Le  souvenir  de  son  crime  le  poursuit,  le  torture,  le  jette  dans  le  déses- 
poir.   Lue   nuit,  après  avoir  longtemps  prié   devant  la  statue  de   la   Vierge,   il 


s'endort  dans  l'église.  Il  rêve  que  dans 


éblouissante  lumière  Marie  lui  appa- 


raît, lui  pardonne  sa  faute,  et  lui  rend  le  parchemin  qu'elle  a  arraché  au  démon. 
Or,  à  son  réveil,  d  se  trouve  qu  il  n'a  pas  rêvé  et  ipi  il  a  réellement  le  parche- 
min dans  la  main. 

Théophile  pardonné  rend  grâce  a  Marie  et  va  confesser  sa  faute  à  son  évèque. 

1  Ou  remarquera  qu'à  l.aon,  coi à  Beauvais,  à  Troyes  et  au  Mans    ou  voit,  dans  nu  compartiment  du 

vitrail,  des  gens  «lu  peuple  qui  apportent  un  poisson  à  Théophile.  Je  u'ai  trouvé  ce  détail  ni  dans  In  l 

dorée    De  Nativitate  .  ni  dans  le  ser o  'I  Honorius  d'Autun,  qui  dil  simplcmcnl        Si bi  divilias  atlliu  re 

[Patrol.,  t.  CLXXII,  col.  '.ni  .  ni  dans  les  | mes  que  Marbodc  cl   Hrotswilha  ont  consacrés  à  Théophile. 

ni  dans  la  chronique  de  Sigeberl  de  Gembloux,  qui  raconte  celte  histoire    Pair.,  I    CLX,  col  II  y  .1 

là  simplement   une  tradition  ■!  iilelior     <  .  csl  une  preuve  nouvelh    d*    I  -  xistenec  <1  un  (ini</>'  </>■  \<i  iH'inturr. 


;  ii,  L  A  Kl    RE  LIGIEUX    DU   XIII'    si  l  <:  L  i: 

Il  fait  plus,   il   raconte  au  peuple  l'histoire  du  crime   et   du  pardon.  Quelques 
jours  après  son  aveu  public  il  meurt  saintement. 

Ce  récit,  qui  semble  comme  nue  première  esquisse  de  la  légende  de  Faust, 
était  d'origine  orientale,  mais  il  u\;iit  pénétré  de  bonne  heure  en  Occident1. 
Paul,  diacre  de  Naples,  le  traduisit  du  grec;  l'abbesse  Hrotswitha,  l'évêque 
Marbode  le  mirent  en  vers.  Rutebeuf,  au  mu'  siècle,  en  lit  un  Mystère. 


Fig.    i  i'i.        Miracle  de  Théophile  [Bas-relief  extérieur,  Notre-Dame  de  Paris 

\n'"  siècle. 

In    pareil  drame,  qui  se  joue  aux   confins  des  deux  mondes,    était    bien  lait 
pour  émouvoir  la  foule,  el  on  s'explique  sou  succès.  Mais  la  légende  ne  lut  si 

populaire  nue  parce  que  1  tëglise  la  choisit  cuire  beaucoup  d  autres  cl  I  adopla. 
Au  m'  cl  au  \n  siècle,  l'histoire  de  Théophile  (Hait  devenue  un  exemple. 
Elle  ligure  dans  les  sermons  eu  I  honneur  de  la  \  ierge.  Honorius  d'Autun,  qui 
résume  dans  le  Spceulum  Ecclesiw  toul  I  enseignemenl  religieux  que  le  clergé 
donnait  au  peuple  de  sou  temps.  ne  manque  pas  de  raconter  I  histoire  de  Théo- 
phile dans  le  sermon-type  <pi  d  propose  aux  clercs  pour  le  iourde  I  Assomp- 
tion   . 


On  plar  ni  en    .  ;  -   1  .iv  Future  de  Théophile 
Patrol  .i    CLXXII,  col.   99  ; 


LE    MIROIR    HISTORIQUE  LES   APOCRYPHES 

Enfin  le  miracle  de  Théophile  recul,  au  m  siècle,  la  solennelle  consécration 
de  la  Liturgie.  <  )n  chantait  à  I  office  de  la  Vierge  : 

Tu  mater  es  misericordia; 
I  )e  lacu  i'.rcis  et  miseritr 
Theophilum  refonnans  gratin*1. 

\  oilà  les  vraies  raisons  qui  expliquent  la  présence  du  miracle  de  Théophile 
dans  tant  d'églises.  Il  est  inutile  d'en  chercher  d'autres  \ 

On  trouvait  sans  doute  que  ce  miracle  célèbre  manifestait  assez,  à  lui  tout 
seul,  la  puissance  de  la  Vierge,  car.  en  général,  les  artistes  se  sonl  dispensés 
de  reprodui  re  les  a  u  I  res. 

La  seule  cathédrale  du  Mans  nous  montre,  à  c< >l <•  de  la  légende  «le  Théo- 
phile, qui  est  représentée  jusqu'à  trois  lois,  des  légendes  nouvelles.  Dans  la 
chapelle  de  la  Vierge  et  au  triforium  du  chœur,  deux  vitraux  méritent  d'être 
décrits. 

On  voil  d'abord  des  ouvriers,  puis  des  enfants-,  <|ui  élèvenl  les  colonnes 
d'une  basilique,  ensuite  une  maison  qui  brûle,  enfin  des  moines  qui  semblent 
recevoir  des  présents  de  la  main  de  la  Vierge  (fig.   i'3(>  et  i  >~  . 

Quel  est  le  sens  île  ces  scènes  disparates.'  Personne,  jusqu'ici,  n  en  a  donne 
une  explication  satisfaisante.  M.  Ilucher,  trompé  par  la  présence  d'un  évèque, 
qu  une  inscription  appelle  N.  Gregori  us  .  crul  --ans  doute  qu'il  s'agissait  de 
sainl  Grégoire  le  Grand,  el  voulut  retrouver,  dans  le--  \iir.iu\  du  Mans,  quel- 
ques-uns des  symboles  mystiques  de  la  virginité  de  Marie   . 

.lai  trouvé,  en  étudiant  les  Lectionnaires  du  \n  siècle,  l  explication  de 
1  énigme.  A  I  office  de  I  A  s  soin  pi  ion.  un  axait  I  habitude  de  lire,  dans  le-  ég  lises 
du  moyen  âge,  après  la  laineuse  lettre  attribuée  a  saint,  Jérôme,  le  récit  de 
quatre  ou  cinq  miracles  de  la  Vierge  qu  on  empruntai!  au  De  Gloria  martyrum 
de  Grégoire  de  Tours    .   (ï  est  la.  en  effet,  le  plus  ancien   recueil  île  miracles  de 

Ulysse  Chevalier,  Poésies  liturgiques  traditionnelles  de  I  /:'^h~r  catholique  en  Occident.  Tourna 
iii-12,  |>.   [34. 

-  iin  ,i  fail  sur  ce  sujet  bien  des  dépenses  d'érudition   inutile.    Voir  .1  mm  1rs  archéol.,   t  .    X  \  .    p 
t     XXII,  p.  276     t.  XXIII,   \<    Si     Voir  aussi  Gazette  archéol.,   [885.    M     I!-' i  y  signale  un  des  plus  an- 
ciens exemples  qu'on  connaisse  de  la  légende  de    I  h<  opliile,  .m  portail  de  Souillac    Lot),  t  11  grand  nombre 
d'oeuvres  d'arl  consacrées  à   la  légende  de  Théophile   sont  énumérées  'lui-  la   Revue  des   traditions  juij'u- 
laii-es,  1  Siji>.  p.  1  et  suiv. 

Hucher,    Vitraux   <lu    \lans  [sans  pagination). 

■  Grégoire  de  Tours,  ÎÂhri  miracul.  t.  Tie  /J<>rtn  martyrum.  cap.  i\.  n.  xt.  Patrol.,  t,  l.\\l.  roi.  -1  ; 
ri  suiv. 


.  ;  L'ART   RELIGIEUX    1)1'    XIII'    SIECLE 

Notre-Dame  qui  ait  été  connu  dans  l'Église  des  Gaules.  Il  demeura,  comme  on 
le  voit,  très  longtemps  en  usage. 

Voici  ces  légendes,  dans  l'ordre  où  les  raconte  Grégoire  de  Tours. 

—  L'empereur  Constantin  faisait  élever  à  la  Vierge  une  magnifique  église, 
mais  quand  on  voulut  mettre  les  colonnes  en  place,  personne  ne  fut  capable  de 
les  soulever.  La  Vierge  apparut  en  rêve  à  l'architecte  et  lui  conseilla  de  prendre 
comme  aide  trois  enfants  à  l'heure  où  ils  sortiraient  de  l'école.  L'architecte  obéit, 
et  les  trois  enfants,  sans  effort,  mirent  en  place  les  colonnes  de  la  basilique. 

—  11  y  avait  à  Marciacum,  en  Auvergne,  un  oratoire  de  la  Vierge  qui  con- 
tenait de  ses  reliques.  Une  nuit,  Grégoire  de  Tours  s'y  rendit  pour  célébrer  les 
vigiles.  En  arrivant,  il  aperçut  une  telle  chuté  à  toutes  les  fenêtres,  qu'il  crut 
qu'on  avait  allumé  des  milliers  de  lampes  dans  l'église.  Il  s'approcha,  la  porte 
s'ouvrit  devant  lui;  mais,  dès  qu'il  fut  entré,  la  lumière  disparut  et  il  ne  fut 
plus  éclairé  que  par  sa  torche. 

Dans  une  ville  d'Orient  ',  un  verrier  juif  avait  un  (ils  qui  allait  souvent  à 
l'église  avec  les  jeunes  chrétiens,  l'n  jour,  l'enfant  communia  avec  eux.  Quand 
son  père  l'apprit,  il  entra  dans  une  telle  fureur  qu'il  jeta  son  fils  dans  le  four 
qu'il  venait  d'allumer.  Aux  cris  de  la  mère,  toute  la  ville  accourut.  On  croyait 
l'enfant  consumé,  mais  on  l'aperçut  couché  au  milieu  des  flammes,  «  aussi  dou- 
cement que  sur  la  plume  ».  Il  raconta  que  la  dame  dont  l'image  était  dans 
l'église  Taxait  couvert  de  son  manteau,  et  on  attribua  le  miracle  à  la  sainte 
Vierge. 

—  l'n  jour,  à  Jérusalem,  dans  un  riche  monastère,  les  vivres  manquèrent. 
!.es  moines  vinrent  s'en  plaindre  à  l'abbé  :  Prions,  mes  frères,  leur  répondit- 
il.  "  Ils  passèrent  la  nuit  en  prières,  et  le  matin  leur  grenier  était  si  plein  cpi  on 
ne  pouvait  en  fermer  la  porte.  Plusieurs  années  après,  nouvelle  disette.  L'abbé 
cl  ses  moines  passèrent  de  nouveau  la  nuit  en  prières,  jusqu  à  l'heure  de  ma- 
tines. Quand  ils  se  lurent  retires,  il  vint  un  ange  qui  déposa  sur  1  autel  une 
grande  quantité  de  pièces  d'or.  Le  sacristain  qui  veillait  à  la  porte  de  léglise 
n'avait  vu  entrer  personne,  et  le  miracle  lut  encore  attribué  à  l'intervention  de 
la  Vierge. 

—  En  marchant  à  travers  champs,  Grégoire  de  Tours  aperçut  une  ferme  qui 
brûlait.  Les  paysans  s'efforçaient  vainement  d'éteindre  le  feu.  L'évêque  portait 

1  Ce  célèbre  miracle  fui  placé  plus  lard  à  Bourges. 


LE  MIROIR  HISTORIQUE 
sur  la  poitrine  une  croix 
qui  contenait  des  reliques 
de  la  sainte  Vierge.  Il  la 
présenta  à  la  flamme,  et 
soudain  l'incendie  s'étei- 
gnit. 

Ces  cinq  miracles, 
qu'on  rencontre  dans 
quelques  Lectionnaires  ', 
se  trouvaient  à  coup  sûr 
dans  les  livres  liturgiques 
de  l'église  du  Mans",  car 
les  deux  vitraux  que  nous 
avons  signalés  plus  haut 
n'en  sont  que  l'exacte 
traduction  ;.  Dans  le  pre- 


1  Voir  notamment  Bibl.Sainte- 
Genev.,  mss  554,  'J  t63,  v",  sqq. 
(xii°  siècle),  et  n°  555,  f°  iij,  sqq. 
(xue  siècle).  Le  miracle  des  co- 
lonues  et  celui  de  l'enfant  juif  pas- 
sèrenl  dans  le  Spec.  hist.  de 
Vincent  de  Beauvais,  lib.VII,  cap. 
lxxxi,  sqq.  11  les  place,  lui  aussi, 
après  le  récit  de  l'Assomption. 

-  Les  Lectionnaires  de  la  cathé- 
drale du  Mans  ne  nous  ont  pas  été 
conservés.  Voir  Calai,  génév.  des 
mss  des  bibliothèques  publiques 
de  France ,  t.  XX. 

3  Voici  le  détail  des  scènes  du 
vitrail  de  la  chapelle  de  la  Vierge 
(fig.  1 36)  :  i°  Les  changeurs  'dona- 
teurs du  vitrail):  2°  Les  ouvriers 
essaient  de  soulever  les  colonnes; 
3°  La  Vierge  apparaît  à  l'architecte 
endormi  et  lui  montre  1rs  trois 
écoliers  l'un  d'eux  tient  un  livre); 
4"  Les  écoliers  soulèvent  une  co- 
lonne; 5°  (fig.  lif  La  Vierge  vers.  • 
du  blé  dans  trois  récipients  i  . 
n'est  pas  un  auge,  comme  dans  le 
récit,  mais  la  Vierge  elle-même 
près  du  nimbe,  on  lit  sou  nom 
•<iuir/,i     Mai i.i  ;    t,     Les    moines 

viennent    trouver  leur  abbé':    ;      I,., 


LES  A  POC  li  1  Ml  i:s 


log 


I  "ig.  i  lié         les    Miracli 
Première  partie.  Ni1 

D'après  iiucber.j 


Mans  . 


3io  L'ART   RELIGIEUX    DU   XIII"    SIÈCLE 

mier1,  on  voit  tous  les  miracles  que  raconte  Grégoire  de  Tours,  sauf  celui  de 
IViifanl  juif.  Dans  le  second  J,  on  voit  le  miracle  des  colonnes  et  le  miracle  du 
couvent  de  Jérusalem,  auquel  a  été  ajouté  le  fameux  miracle  du  peintre  que  le 
diable  fait  tomber  de  sou  échafaud,  mais  que  la  Vierge  qu'il  vient  de  peindre 
sur  le  mur  retient  par  le  liras. 

Dans  une  lancette  voisine,  quelques  médaillons  mutilés  laissent  deviner 
une  autre  légende  dont  la  \  ierge  est  I  héroïne.  On  aperçoit  un  guerrier  et  un 
évêque  s'entretenant  à  la  porte  dune  église,  puis  \\\i  chevalier,  armé  de  pied 
en  cap,  enfonçant  son  épée  dans  la  poitrine  d'un  personnage  couronné  qui  est 
à  table.  M.  Hucher,  qui  a  décrit  ces  médaillons,  a  cru  v  voir  un  épisode  de  la 
vie  tic  saint  Bernard,  lin  réalité,  ils  représentent  un  nouveau  miracle  de  Notre- 
Dame  qui  lut  souvent  associé  aux  précédents.  On  racontait  que  l'empereur 
Julien,  passant  par  Césarée,  axait  été  reçu  par  lévéquc  saint  Basile  qui  lui 
offrit  comme  présent  d'hospitalité  trois  pains  d'orge.  Julien,  méprisant  un 
cadeau  si  modeste,  fit  par  dérision  envoyer  du  loin  à  l'évèque.  Basile  lui  dit  : 
■  Nous  taxons  envoyé  ce  dont  vivent  les  hommes,  et  tu  nous  as  envoyé  ce  dont 
lu  nourris  les  hèles.  »  Julien  irrité  répondit  :  «  Je  détruirai  cette  cité  et  je  la 
raserai,  de  sorte  qu  elle  produira  du  froment  au  lieu  d'abriter  des  hommes.  » 
Mais  celle  nuit  même,  la  Vierge  .Marie  ressuscita  un  chevalier  nommé  Mercure 
qui  avait  été  nus  à  mort  par  Julien  pour  la  loi  de  Jésus-Christ.  Mercure  tout 
armé  apparut  de  van  1  Julien  et  le  perça  de  sa  lance.  L'empereur  apostat  mourut 
en  s'écrianl  :  o  (ialiléen.  lu  as  vaincu  !  »  —  Celle  légende,  qu'on  rencontre 
pour  la  première  Ims  dans  la  vie  île  saint  Basile,  passa  dans  le  Miroir  historique 
de  Vincent  de  Beauvais  ,  et  dans  la  Légende  dorer  '•  des  poèmes  en  langue  vul- 
gaire la  rendiren l  populaire   . 

Quant  a  I  histoire  de  l'enfant   put.   on  la    rencontre  deux  lois   au  Mans  dans 


Vierge  apporte  de   l'or  sur  l'autel;  .s    Sainl   Grégoire  de  Tours    <>n  lii  son  doœ   Gregorius    élève  un  objet 

sur le  d'une   flamme  devant   une  maison.   C'esl    sans   doute    le    reliquaire   «pii   éteint   L'incendie   et  qui 

semble  emporter  les  dernières  flammèches;  90  Une  maison  d'où  s'élèvent  de  hautes  flammes  peut  être  la 
même  que  la  précédente,  ou  peut-être  l'église  de  Marciacum  d'où  sort  une  éblouissante  lumière);  io°  Deux 
personnages  agenouillés  devant  la  \  ierge  qui  domine  toute  la  composition. 

Chapelle  de  la  \  ierge     c  csl  celui  que  trous  reproduisons  en  deux  parties  'fig,  i36  cl  i  •;  . 
-   Vitrai]  du  Info  ri  uni  du  chœur    r!    fenêtre). 

Vincent  de  Beauvais,  Spec.  hislor.,  lil. .   XIV,  chap  xlui. 
•   Lcg.  aui  .  \  ie  de  ^.iini  Julien.   La  similitude  des  noms  a  déterminé  Jacques  de  \  oragine  à  ajouter  celle 
ude  à  la  snile  de  la  \  ic  de  sainl  Julien 
Voir  Paul  Me  ver,  Notice  sur  un  manuscrit  d  Orléans  contenant  d'anciens  miracles  de  l<>   Vierge,  flans 
Xoticcs  '■!  /  iir   des   Manuscr.,  i    \.\_\1\     i8g5  .  p.    ii  cl  suiv. 


M-    MIROIR    HISTORIQUE   —   LES   APOCRYPHES 


In 


drs  vitraux  voisins  également  consacrés  à  la  Vierge  '.  Il  faut  noter  que  dans 
ces  deux  fenêtres,  le  miracle 
de  reniant  juif  accompagne 
le  miracle  de  Théophile.  La 
première  tics  deux  légendes 
était  presque  aussi  célèbre 
que  la  seconde  :  elle  était 
devenue  un  exemple  de  ser- 
mon. Honorius  d'Autun  la 
raconte  le  jour  de  la  I'urili- 
cation  J. 

Dans  l'église  du  Mans, 
où  les  vitraux  consacrés  à 
la  Vierge  sont  si  nombreux, 
il  en  est  un,  le  seul  que  nous 
ayi mis  rencon lie,  où  est  ra- 
conté un  miracle  local  de 
Xoi  re-1  lame,  Il  fut  certaine- 
ment donné  par  l'abbave 
d  Kvron.  car  on  v  voit  I  his- 
toire miraculeuse  de  la  fon- 
dai h  m  de  ce  mi  inaslère.  I  n 
pèlerin  revenant  de  la 
Terre-Sainte  rapporte  dans 
sou  sac  une  relique  de  la 
\  ierge.  Arrivé  près  du  Mans, 
il  s  arrête  au  pied  d  un  ar- 
bre, accroche  son  sac  a  une 
des  branches,  se  couche  a 
I  ombre  et  s  endort  .A  sou 
réveil,  l'arbre  axait  telle- 
ment grandi  qu'il  lui  élail 
devenu  impossible  d'atteindre  le  sac.    Toul    le    pays   s'émeut,    l'es   bûcherons 

'    lit  h  ni iln  cli.riii-  ;    J     1,11,1  iv  cl    i  ■'    feni 

Y   ,     /    ,  les    Prttrol..  I.  i   l.\\  II.  col 


I  io      ,  :-  I         M.,. ,,  I,  »  Je  I., 

I  '     i  m, ■ni"  pal  lie.    \  il  rail  'lu   Mans  . 


lia  L'ART   RELIGIEUX    DU   XIII'    SIÈCLE 

essaient  vainement  de  couper  l'arbre  :  leurs  haches  s'émoussent  sur  lui.L'évêque 
vient  à  son  tour.  A  peine  a-t-il  fait  le  signe  de  la  croix  cpie  l'arbre  s'incline 
devant  lui  et  lui  présente  les  saintes  reliques.  On  comprit  que  la  Vierge 
voulait  être  honorée  à  cet  endroit  et  on  v  éleva  une  abbaye  en  cet  honneur. 

Les  miracles  de  la  Vierge  que  nous  venons  de  passer  en  revue  sont  les  seuls 
qui  figurent  dans  nos  églises  du  moyen  âge.  Partout,  sauf  au  Mans,  on  s'est 
contenté  de  peindre  ou  de  sculpter  l'histoire  de  Théophile.  Malgré  la  célébrité 
des  miracles  de  Notre-Dame,  les  artistes  s'attachèrent  de  préférence  à  raconter 
sa  vie  et  sa  mort. 

Les  Apocryphes  furent  donc,  au  moyen  âge,  une  source  vive  de  poésie  et 
d'art.  Sans  leurs  secours,  la  vie  de  la  Vierge  tout  entière,  et  une  partie  de  celle 
de  Jésus-Christ  telle  cpie  les  artistes  du  xme  siècle  la  racontaient,  nous  seraient 
inintelligibles.  Nous  avons  le  droit  d'affirmer  de  nouveau,  en  terminant  ce  cha- 
pitre, que  sans  les  Apocryphes  la  moitié  au  moins  des  œuvres  d'art  du  moyen 
âge  deviendrait  pour  nous  lettre  close. 


CHAPITRE  IV 

LES   SAINTS    ET    LA    LEGENDE    DOREE 


I.    Les   Mi\h     Place   qi   ils    iit.nnknt   dans   la    vie   di  s  hommes   di     moyen   âge.  Il     l.v 

Légende  Douée.  Son  caractère.  Son  charme.  —  III.  Commeni  les  artistes  interpri  rÈREXi 
la  Légende  Dorée.  Effort  pour  exprimer  la  sainteté.  --  IN".  Les  caractéristiques  des 
saints.  Emblèmes,  attributs.  Réaction  de  l'art  sur  la  légende.   --  V.  Les  caractéristiques 

DES  SAINTS  ET  LES  CORPORATIONS  OUVRIERES.  LES  SAINTS  PATRONS.  —  VI.  QUELS  SAINTS  LE 
MOYEN    AGE    A-T-IL    REPRÉSENTÉS    DE     PRÉFÉRENCE?    Les    APÔTRES.     LEUR     MIS il;    APOCRYPHE    :     LE 

Pseudo-Abdias.    Attributs    des    ipôtres.   —   VII.    Lies    saints   locaux.    —   VIII.    Les    saints 

ADOPTÉS    PAR     LA    CHRETIENTE    TOUT    ENTIÈRE.    —    IX.     INFLUENCE    DES    RELIQUES    SUR    LE    CHOIX     DES 

saints.   —  X.   Saints   choisis  par    les   donateurs.   Les   corporations.   —    XI.    Influence    des 

PÈLERINAGES    SUR    LE    CHOIX    DES    SAINTS.    SAINT    JACQUES,    SAINT    NlCOLAS.    SAINT    MARTIN. 


I 


La  cathédrale  présente  l'histoire  du  monde  chrétien  à  la  façon  du  Miroir 
historique  de  Vincent  de  Beauvais.  Elle  compte  les  siècles  non  par  les  empe- 
reurs <hi  les  rois,  mais  par  les  saints.  Elle  proclame  par  ses  verrières  H  ses  sta- 
tues que,  depuis  l'avènement  de  Jésus-Christ,  il  n'y  a  pas  d'autres  grands 
hommes  que  les  docteurs,  les  confesseurs  et  les  martyrs.  Tous  ceux  qui  ont 
rempli  le  monde  de  leur  nom,  les  conquérants  et  les  victorieux,  ont  dan-  le 
sanctuaire  la  plus  humble  attitude.  Les  vitraux  nous  les  montrent  agenouillés 
aux  pieds  des  saints  et  plus  petits  que  des  enfants. 

Le  Miroir  historique  de  Vincent  de  Beauvais  témoigne  qu'une  telle  concep- 
tion de  l'histoire  fut  Lien  celle  du  moyen  âge.  Rien  n'est  plus  surprenant  que 
l'ordonnance  de  ce  grand  ouvrage  où  tant  de  générations,  et  nos  rois  eux- 
mêmes,  apprirent  l'histoire.  Au  commencement  de  chaque   livre,    Vincenl   de 


3i4  L'ART   RELIGIEUX    DU   XIIIe   SIÈCLE 

Beauvais  nomme  les  empereurs  d'Orient,  les  empereurs  d'Allemagne  et  les  rois 
de  France;  il  consacre  quelques  lignes  à  leurs  batailles  et  à  leurs  traités,  puis 
il  arrive  à  son  sujet  qui  est  l'histoire  des  saints  contemporains  de  ces  empe- 
reurs et  de  ces  rois.  Ses  héros  sont  des  abbés,  des  moines  perdus  dans  les  soli- 
tudes, de  jeunes  bergères,  des  mendiants.  A  ses  yeux,  les  faits  les  plus  impor- 
tants de  l'histoire  du  monde  sont  une  translation  de  reliques,  la  fondation  d'un 
monastère,  la  guérison  d'un  démoniaque,  la  retraite  d'un  ermite  dans  le 
désert. 

A  l'heure  où  finit  la  civilisation  antique,  où  Boèce  et  Symmaque  apparaissent, 
parmi  les  barbares,  comme  les  derniers  Romains,  Vincent  de  Beauvais  ne 
marque  dans  son  histoire  ni  étonnement  ni  émotion;  il  détourne  ses  veux  de 
Home,  et,  plein  de  sérénité,  met  en  ordre  les  seuls  événements  d'alors  qui  lui 
paraissent  dignes  d'être  connus  des  hommes  :  les  miracles  de  saint  Léonard 
dans  le  Limousin,  ceux  de  l'abbé  saint  Mexent  dans  le  Poitou,  et  les  voyages 
de  saint  Malo1.  L'ermite  saint  Dié  dans  la  forêt  des  Vosges  retient  plus  long- 
temps l'historien  que  l'empereur  Héraclius. 

L  histoire  du  moyen  âge  se  réduit  ainsi  à  celle  de  quelques  âmes  pures  qui 
M'eurent  loin  des  hommes.  Au  ix%  au  x"  siècle,  il  semble  que  la  terre  ne  soit 
plus  habitée  que  par  des  saints.  Le  monde  ressemble  à  ce  pavsage  du  Campo 
Santo  de  Lise,  où  l'on  ne  voit  que  des  anachorètes  en  prières.  Les  grands  évé- 
nements contemporains  eux-mêmes,  les  croisades  exceptées,  n'occupent  jamais 
la  première  place  dans  le  livre  île  Vincent  de  Beauvais.  La  bataille  de  Bou- 
vines  passe  presque  inaperçue  entre  l'histoire  de  sainte  Marie  d'Oignies  et 
celle  de  saint  François  d'Assise.  Les  saints  forment  une  chaîne  céleste  qui  va 
de  saint  Louis  aux  apôtres,  et  cpii,  des  apôtres,  par  les  patriarches  et  les  pro- 
phètes,  remonte  à    Abel.    le  premier  des  justes. 

Telle  est  la  véritable  histoire  du  mondeaux  veux  d'un  homme  du xin*  siècle, 
telle  esl  [a  vraie  cité  de  Lieu.  Il  faut  avoir  celle  conception  de  l'histoire  pré- 
sente à  l'esprit  pour  bien  interpréter  les  innombrables  légendes  de  saints  qui 
ont  été  peintes  ou  sculptées  dans  la  cathédrale  de  Chartres.  Chaque  verrière, 
chaque  lias-relief  est  comme  un  chapitre  du  Miroir  universel.  Cette  faconde 
comprendre  1  histoire  explique  dans  une  certaine  mesure  la  prodigieuse  quan- 
tité d  images  de  suints  qui  ornent  nos  cathédrales,  mais  elle  n'explique  pas  tout. 

1  Spec.  hist.,  lib.  XXI.  cap.  xxn,  x\s,   liv. 


LE    MIROIR   HISTORIQUE   —   LA    LEGENDE    DORÉE  !i5 

Pour  les  chrétiens  du  moyen  âge,  les  saints  n'étaient  pas  seulement  les 
héros  de  l'histoire  du  inonde,  ils  étaient  surtout  des  intercesseurs  el  des 
patrons.  Il  y  avait  dans  les  honneurs  dont  ils  étaient  l'objet  plus  d'un  reste  de 

l'antique  paganisme.  Ils   se  mêlaient  à   la    vie  des  I mes  cl   des  cilés  comme 

les  dieux  indigètes  de  la   Home  païenne.    En  naissant,    le  chrétien  recevait    au 

baptême  le  nom  d'un  saint   qui  devenait  son  patron  el  son  modèle,  (les  n s 

n'étaient  pas  donnés  au  hasard  :  on  choisissait  de  préférence  ceux  des  vieux 
évêques,  des  anciens  moines  de  la  province,  dont  les  reliques  faisaient  des 
miracles.  Beaucoup  de  noms  de  baptême,  devenus  noms  propres,  révèlent 
encore  aujourd'hui  le  pays  d'origine  des  familles  qui  les  portent'.  L'enfant, 
devenu  jeune  homme,  choisissait  un  métier  et  entrait  dans  une  corporation  :  un 
nouveau  saint  l'y  accueillait.  S'il  était  tailleur  île  pierres,  il  chômait  la  fête  de 
saint  Thomas,  apôtre;  s'il  était  eardeur  tic  laine,  la  fête  de  saint  Biaise;  s'il 
était  tanneur,  celle  de  saint  Barthélémy.  Ce  jour-là,  il  oubliait  les  rudes  tâches 
et  les  longues  journées  :  fier  comme  un  chevalier,  il  marchait  derrière  la  bannière 
du  saint  patron,  assistait  à  la  messe  avec  les  maîtres  et  les  compagnons,  puis 
s'asseyait  à  la  même  table  qu'eux.  Le  nom  d'un  saint  était  associe  aux  meilleurs 
souvenirs  de  sa  jeunesse.  Les  grandes  fêtes  où  se  déroulaient  les  splendides 
processions,  où  brillaient  les  chasses,  ou  se  jouaient  les  Mystères,  où  la  cite  se 
donnait  en  spectacle  à  elle-même,  étaient  celles  des  saints  patrons  des  villes. 
Dans  le  bourg  le  plus  sauvage  de  la  vieille  France,  on  se  réjouissait  au  moins 
une  fois  l'an  :  on  dansait  sous  I  orme,  près  cl 1 1  cimetière,  le  jour  OÙ  revenait  la 
fête  du  saint  dont  l'église  conservait  les  reliques.  Dans  les  provinces  du  centre 
de  la  France,  la  fête  du  villagese  nomme  encore  aujourd'hui  «  l'apport  »,  nom 
qui  rappelle  l'offrande  que  tout  bon  chrétien  devait  présenter,  ci'  jour-là,  a 
l'autel  du  patron  de  la  paroisse. 

Les  saints  arrachaient  l'homme  du  moyen  âge  a  sa  vie  monotone,  l'obli- 
eaient  à  prendre  le  hà  ton  et  à  courir  le  monde.  Tous  les  voyageurs  de  ce  temps- 
là  étaient  des  pèlerins.  Les  plus  pauvres  allaient  d'abbaye  en  abbaye,  d  llôtel- 
Dieu  en  hôtel-Dieu  jusqu'à  Saint-Jacques  de  Compostelle.  deux  qui  ne  pou- 
vaient entreprendre  le  grand  voyage,  se  contentaient    daller  offrir  un    rouleau 


1    Les   Fulcran  viennenl    .lu   Languedoc    -.uni  l'ulcran  de    Lodèvi        les  K :aud   de  l,i  Bo  i     --.inii 

Foucaud   ■  !  Auxerre);  tes  Géraud  du  Cantal  (sainl  <  léraud  d'Aurillac);    les   I  rd  ou  I  iénard  du  Lim 

(saint  Léonard  est  le  grand  sainl  du  Limousin  ;  1rs  Lubin   de  Chartres,   etc.,  i  t.     Voir  sin 
Manuel  de  Diplomatique.  Paris,  1894,  p     168. 


^ 


;,i,  L'ART    RELIGIEUX  DU  XIII'    SIÈCLE 

de  cire  à  saint  Mathurinde  Larchant  ou  à  saint  Faron  de  Meaux.  Les  routes  de 
France  étaient  couvertes  de  voyageurs  qui  portaient  à  leur  chapeau  l'image  de 
plomb  de  saint  Michel  du  Péril  ou  de  saint  Gilles  de  Languedoc1.  Ces  petites 
médailles  valaient  le  sauf-conduit  d'un  roi  :  les  années  ennemies  laissaient 
passer  ces  hommes  pacifiques  qui  voyageaient  «  pour  le  remède  de  leur  âme  ». 
—  D'ailleurs,  chaque  province  avait  ses  lieux  sacrés,  sanctifiés  par  un  évèque. 
un  ermite,  un  martyr.  Les  fontaines  qu'habitaient  jadis  les  déesses-mères,  les 
pierres  de  la  lande  bantées  par  les  fées,  étaient  devenues  chrétiennes  :  de 
grands  saints  les  avaient  bénies.  Chaque  année,  dans  le  Morvan,  les  paysans 
venaient  boire  à  la  source  que  saint  Martin  avait  fait  jaillir  d'un  coup  de  sa 
crosse,  ou  se  traîner  à  genoux  autour  du  rocher  où  la  mule  du  grand  évèque 
avait  laissé  la  trace  de  son  sabot".  Les  saints  avaient  remplacé  les  génies  des 
montagnes,  des  vallées,  des  forêts.  Toutes  les  hauteurs,  dédiées  autrefois  à 
Mercure,  étaient  maintenant  consacrées  à  saint  Michel,  le  messager  du  ciel  qui 
se  manifestait  sur  les  cimes.  La  terre  de  France  était  redevenue  un  immense 
sanctuaire,  comme  aux  temps  celtiques  :  dans  ses  plus  profondes  solitudes  elle 
gardait  la  trace  de  quelque  homme  de  Dieu. 

Sanctuaires,  ermitages,  fontaines  saintes,  c'était  là  toute  la  géographie 
d'alors.  Les  saints  étaient  l'unique  science  de  l'homme  du  xine  siècle,  il  les 
mêlait  à  toutes  ses  pensées,  à  tous  ses  actes.  Dans  ses  maladies,  c'est  d'eux 
qu'il  attendait  la  guérison.  Contre  la  fièvre  il  invoquait  sainte  Geneviève  de 
Paris,  et  contre  les  maux  dégorge  saint  Biaise.  Saint  Hubert,  le  grand  chasseur 
qui  vécut  si  longtemps  parmi  les  meutes,  guérissait  de  la  rage  :  il  fallait  avoir 
une  clef  de  fer  bénie  dans  une  chapelle  de  saint  Hubert,  la  faire  rougir  au  feu  et 
l'appliquer  sur  la  morsure.  Sainte  Apolline,  dont  les  bourreaux  brisèrent  la 
mâchoire,  guérissait  les  maux  de  dents.  Saint  Sebastien,  saint  Adrien,  puis 
saint  Hoch,  à  partir  du  xiv'  siècle,  protégeaienl  les  villes  contre  la  peste.  Le 
fléau  n'entrait  pas  dans  les  maisons  qui  portaient  les  trois  lettres  protectrices  : 
Y.  S.  R.  (Vive  saint  Hocln  '.  Un  patron  plein  de  bonté  prenait  en  pitié  toutes 
les  défaillances,  tous  les  frissons  do  notre  pauvre  chair.  Les  femmes  enceintes 
étaient  soulagées  des  lassitudes  que  donne  la  grossesse  en  ceignant  la  ceinture 
île  sainte  Foyou  de  sainte  Marguerite.  Les  enfants  qui  axaient  porté  autour  de 


irs  df  tiflrniiit^rs . 


Voir  I  orgeais,  Plombs  historiés.  Paris,  iSi'.i.   •    série,  Enseignes  de  pèle 
■'  Voir  Bulliol  et  Thïollier,  I"  Mission  cl  le  culte  de  saint  Martin  dans  le  pays  Eduen.  Paris,  1892. 
;   Dans  le  midi  de  la  France  el   le  nord  de  1  Espagne 


LE    MIROIR    HISTORIQUE  LA    LÉGENDE   DORÉE  ;l: 

Leur  poignet  un  ruban  orné  du  nom  de  saint  Amable  de  Riom  n'avaientjamais 
peur  la  nuit.  Saint  Servais  aguerrissait  les  âmes  faibles  contre  la  terreur  de  la 
mort.  Saint  Christophe  mettait  à  l'abri  «le  la  mort  subite  :  il  suffisait  de  voir  sa 
grande  imam' a  lentrée  de  la  cathédrale  pour  être  assuré  de  ne  pas  mourir  dans 


la  journée1. 


Ghristophorum  videas,  postea  tutus  eus 


La  vertu  des  prières  qu'on  récitait  en  l'honneur  des  saints  s'étendait  aux 
animaux,  aux  plantes,  à  toute  la  nature.  Saint  Corneille  protégeait  les  bœufs, 
saint  Gall  les  poules,  saint  Antoine  les  pores,  saint  Sa!  uni  in  les  montons  '.  saint 
Médard  défendait  les  vignes  contre  la  gelée. 

Ce  désir  passionné  d'appui,  de  guérison,  de  salut,  dans  l'ignorance  profonde 
de  toute  chose,  est  singulièrement  touchant3.  Aux  heures  difficiles  de  la  vie, 
au  milieu  des  inquiétudes  de  l'esprit,  des  tristesses  de  l'âme,  le  nom  d'un  saint 
secourable  se  présentait  toujours  à  la  mémoire  du  chrétien.  Les  voyageurs 
égarés  la  nuit  loin  des  routes,  priaient  saint  Julien  l'hospitalier.  Les  causes 
désespérées  étaient  remises  à  saint. Inde.  Les  chevaliers  <pii  devaient  combattre 
en  champ  clos  invoquaient  pendant  la  veillée  des  armes  l'appui  de  saint  Drausin, 
évêque  de  Soissons.  Thomas  Becket,  avant  de  partir  pour  l'Angleterre,  où  il 
allait  lutter  contre  Henri  II,  comme  un  champion  de  Dieu,  voulut  passer  une 
nuit  auprès  du  tombeau  du  vieil  évêque '.  Les  prisonniers  enfermés  dans  le 
caveau  des  plus  profondes  tours  se  confiaient  à  saint  Léonard,  et  lui  promet- 
taient, comme  lit  Bohémond,  de  suspendre  des  chaînes  d'argenl  dans  sa  cha- 
pelle le  joui-  de  leur  délivrance. 

Nos  vieux  proverbes  français,  oubliés  aujourd'hui,  mais  qui  passèrent  de 
bouche  en  bouche  pendant  des  siècles,  mêlenl  le  nom  de-  -.unis  a  tous  les 
conseils  de  la  sagesse  populaire.  Le  calendrier  ecclésiastique  était  tellement 
présent  a  la  mémoire  de  tous  qu'on  pouvait  dire  : 

1  On  voit  encore  aujourd  hui  à  la  cathédrale  'I  Amiens  le  bas-relief  de  sainl  Christophe    à  l'entrée     [,L.S 

statues  gigantesques  de  ^.lint  Christophe  à  Auxerrc  el  à  Xotre-Damc  de  Paris  ne  dataient  <| lu  w  ,  i  du 

xvi°  siècle. 

-'  S  m-  les  s.iini-  protecteurs  du  bétail,  voir  Rolland    I  ug    .  F,  m  m-  populaire  de  la  France,  i .  V.  p.   i  1 1 
:   (  '.i-  qui  esl  puéril,  c'est  que  les  vertus  qu'on  attribuait  aux  s.iiui-  n  étaient  souvent  justifiées  que  par  des 

calembours.  S.iini   Lié  guérissait  les  enfants  noués,  sainl  Fort   les   fortifiait,  sainl   Vàl  les  faisait  mari 

sainte  Claire  guérissait  les  maux  d'yeux. 

1   Voir  Michel  Germain,  Ilist   de  Notre-Dame  de  Soissons.  liv.  III,  chap.  i.  Le  tombeau  de  saint  Drausin 
esl  aujourd  hui  au  Louvre. 


,iS  L'ART   RELIGIEUX   DU   XIII<=  SIECLE 

A  la  Saint-George  (a3  avril) 
Sème  ton  orge; 
A  la  Saint-Marc  (a5  avril) 
Il  est  trop  tard. 

(  )u  encore  : 

A  la  Saint-Barnabe  (m  juin) 
La  Taux  au  pré. 
A  la  Saint-Len  (ior  septembre 
La  lampe  au  cleu  '. 

De  petits  calendriers  populaires  taillés  au  couteau  par  des  paysans  illettrés 
marquaient  les  principales  dates  de  l'année  par  les  attributs  d'un  saint  :  une 
(lècbe  pour  la  Saint-Sébastien,  une  clef  pour  la  Saint-Pierre,  nue  épée  pour  la 
Saint-Paul2.  De  tels  hiéroglyphes  étaient  compris  de  tous. 

Les  saints  rythmaient  Tannée.  Ils  semblaient  monter  tour  à  tour  au-dessus 
de  l'horizon  comme  les  constellations.  Ils  retenaient  quelque  chose  du  charme 
païen  de  la  nature  et  de  la  saison.  La  fête  de  la  Saint-Jean  d'été,  qui  se  célébrait 
dans  le  temps  a  où  toute  herbe  fleurit  »,  était  un  peu  la  fête  du  soleil,  ha  Saint- 
Valentin,  qui  marquait  la  fin  de  l'hiver,  était  (surtout  en  Angleterre)  la  fête  du 
jeune  printemps  encore  indécis.  En  ce  jour  les  oiseaux,  disait-on,  se  réunis- 
saient par  couples  dans  les  bois,  et  les  jeunes  gens  devaient  mettre  des  fleurs  à 
la  fenêtre  de  leur  bien-aimée. 

Dans  la  pensée  populaire  les  saints  ne  marquaient  pas  seulement  le  retour 
des  saisons,  ils  en  réglaient  aussi  la  marche.  Ils  distribuaient  à  leur  gré  aux 
hommes  les  heaux  et  les  mauvais  jours,  comme  les  anciens  dieux  germaniques. 
Kn  Provence,  saint  Césaire  d'Arles  avait  toute  puissance  sur  les  tempêtes:  sou 
gant,  apporté  plein  d'air  dans  la  vallée  de  Vaison,  y  avait  déchaîné  les  vents  . 
Saint  Servais  tenait  en  réserve  trois  jours  de  neige  au  milieu  même  du  mois  de 
mai.  Sainte  Barbe  écartait  la  foudre  :  c'est  pourquoi  les  cloches  qu'on  sonnait 
pondant  les  orages  étaient  ornées  de  son  image'.  Saint  Médard  était  le  maître 
de  la  pluie.  Plusieurs  autres  saints  partageaient  avec  lui  ce  privilège;  pendant 
les  longues  sécheresses,  le   peuple,  irrité  de  l'inutilité  de  ses  prières,  trempa 

1   Voir  Leroux  de  Lincy,  le  Livre  des  proverbes  français. 

-  Voir-  Cahier,  Caractéristiques  des  Saints,  t.  H.  Article      Calendrier. 

;i  <;.  de  Tilbury,  Otia  imperialia,  1°  partie,  cap.  xxxiv. 

4   Voir  Bullet,  monum.,  t.  XXIV,  |>.  a  ■-  el  suiv. 


LE   MIROIR  HISTORIQUE   —    LA    LÉGENDE    DORÉE  ;,,, 

plus  d'une  fois  dans  l'eau  la  statue   du   saint   qu'il   avait  vainement  invoqué1. 

La  nature,  l'univers  entier,  proclamaient  la  gloire  des  saints.  La  voie  lactée 
s'appelait  «  le  chemin  de  saint  Jacques  »  ;  les  phosphorescences  de  la  mer,  le 
feu  saint  Elme  ».  Les  petites  baies  des  haies  qui  mûrissent  en  hiver  se  nom- 
maient en  Flandre  «  lampes  de  sainte  Gudule  o  ;  le  plantain  qui  guérit  de  la 
scrofule  était  connu,  dans  le  nord  de  la  France,  sous  le  nom  d  t>  herbe  de  saint 
Marconi  "'  ». 

Ainsi  l'antique  paganisme  se  perpétuait  ingénument  sous  le  couvert  des 
saints.  Telle  nous  voyons  aujourd'hui  la  Bretagne  avec  ses  chapelles,  ses  fon- 
taines, ses  pardons;   telle  il  faut  se  figurer  tonte  la  France  du  moyen  âge. 


On  comprend  pourquoi  les  saints  ont  tenu  tant  de  place  dans  la  cathédrale. 
pourquoi  tant  de  vitraux  leur  lurent  consacrés.  Le  peuple  ne  se  lassait  pas  de 
voir  ses  protecteurs,  ses  amis,  tous  ceux  avec  <pii  il  était  plus  familier  qu'avec 
Dieu.  Il  ne  se  lassait  pas  non  plus  tien  entendre  parler.  I  tes  poèmes  en  langue 
vulgaire,  des  drames  populaires,  des  sermons,  rappelaient  sans  cesse  à  la 
mémoire  des  chrétiens  les  miracles  laineux,  les  illustres  exemples  de  la  vie  des 
saints.  L'Eglise  gardait  fidèlement  le  dépôt  de  cette  histoire  presque  infinie  et 
la  transmettait  au  peuple.  Chaque  cathédrale,  chaque  monastère  conservait  et 
lisait  solennellement  les  Actes  des  saints  du  diocèse  le-  jour  de  leur  fête.  Quant 
aux  saints  fameux  dans  la  chrétienté  tout  entière,  leur  vie.  plus  ou  moins 
abrégée,  était  contenue  dans  le  livre  de  lecture  du  chœur,  dans  le  Lectionnaire. 
Le  Lectionnaire,  dont  les  leçons  passeront  plus  tard  dans  le  lire\  iaire.  quand  ce 
livre  unique  aura  remplacé,  dans  le  courant  du  \m  siècle,  tous  les  vieux  livres 
liturgiques',  a  fait  vivre  les  saints  dans  la  mémoire  de  l'Eglise  pendant  de-- 
siècles.  11  était  fait  d'extraits  empruntes  aux  plus  célèbres  légendes.  I.  Histoire 
des  apôtres  d'Abdias,  la   Vie  des  Pères  du  désert  traduite  par  lUifin  d  Aquilée, 

1  Molanus,  De  sanct.  imagin.,  lib.  II,  <-.i|>.  \xxin. 
Sur  les  plantes  qui  oui  des  noms  'I'1  saints,  on  peul  consulter  le  vieux  livre  de  Ban Ii in    /».    plantis  u 
divis  sanctisve  nomen  habentibus.  Bàle,  i5gi,  in-i  •    Sainl   Marcou]  |»u«rissail  les  i  crouelles     on  disail  que 
c'était  lui  qui  avail   transmis  ce  privilège  aux  u>is  de   France;  aussi,  après  leur   sacre,   allaienl 
l'abbaye  de  Corbeny  (près  Laon  .  où  le  sainl  étail  enterré. 
Voir  Batiffol,  Hist    du  Bréviaire,  ch.  iv,  p    193  el  suiv. 


;.,,  L'ART    RELIGIEUX    1)1"    XIII'    SIECLE 

les  Dialogues  de  saint  Grégoire  le  Grand,  le  Martyrologe  de  Bède,  et  beaucoup 
de  récits  anonymes,  avaient  été  mis  à  contribution  avec  une  grande  naïveté  et 
une  complète  absence  d'esprit  critique.  C'était  une  Somme  de  la  vie  des  saints, 
précieuse  dans  un  temps  où  les  livres  étaient  rares. 

Jacques  de  Voragine  ne  fit  donc  rien  de  bien  nouveau  en  écrivant,  à  la  fin 
du  xmc  siècle,  la  fameuse  Légende  dorée  '.  Dans  ce  livre  célèbre,  il  ne  fit  cpie  vul- 
gariser le  Lectionnaire,  dont  il  conserva  jusqu'à  l'ordonnance2.  Sa  compilation 
n'offre  aucune  originalité;  il  se  contenta  çà  et  là  de  compléter,  en  recourant 
aux  originaux,  les  récits  du  Lectionnaire,  et  d'ajouter  des  légendes  nouvelles. 
La  Légende  dorée  devint  célèbre  dans  toute  la  chrétienté,  parce  qu'elle  mettait 
entre  les  mains  de  tous  des  récits  qui,  jusque-là,  n'étaient  guère  sortis  des 
livres  liturgiques.  Le  baron  dans  son  château,  le  marchand  dans  son  arrière- 
boutique  purent  désormais  savourer  à  loisir  toutes  ces  belles  histoires. 

Les  critiques  dont  les  érudits  du  xvn''  siècle  accablaient  Jacques  de  Vora- 
gine portaient  à  faux.  Cette  légende  d'or,  qu'ils  accusaient  d'être  une  «  légende 
de  plomb3  »,  n'était  pas  l'œuvre  d'un  homme,  mais  bien  de  toute  la  chrétienté. 
La  candeur,  la  crédulité  de  l'écrivain  étaient  celles  de  son  temps.  Les  fabu- 
leuses histoires  du  voyage  de  saint  Thomas  dans  l'Inde,  ou  du  manteau  miracu- 
leux de  saint  Jacques,  que  la  Légende  dorée  raconte  si  complaisamment,  et  qui 
déplaisaient  tant  aux  sévères  théologiens  formés  à  l'école  des  Pères  du  Concile 
de  Trente,  étaient,  au  xin1  siècle,  acceptées  de  tous.  Elles  se  lisaient  publi- 
quement dans  les  cathédrales  et  elles  étaient  représentées  dans  les  vitraux.  Con- 
damner Jacques  de  Voragine,  c'était  condamner  tous  les  vieux  Lectionnaires, 
et  avec  eux  tous  les  chanoines  qui  les  avaient  lus,  tous  les  fidèles  qui  les  avaient 
écoutés. 

Pour  nous  qui  ne  cherchons  dans  les  livres  i\\i  moyen  âge  (pie  le  génie  du 
temps,  la  Légende  dorée  demeure  un  des  ouvrages  les  plus  intéressants  de  cette 
époque.  Sa  fidélité  a  reproduire  les  récits  antérieurs,  son  absence  d'originalité 
nous  le  rendent  particulièrement  précieux.  Un  pareil  livre  représente  admirable- 
ment Ionienne  série  d'œuvres  qu'il  peut,  à  la  rigueur,  dispenser  de  consulter. 
Il  suffit  de  l'avoir  lu   pour  pouvoir  expliquer  presque    tous  les  bas-reliefs  et 

1   Jacques  de  Voragine,  il iuicain,  évèquc  de  Gènes,  esl  né  vers  1  ■  !<>  el  mort  vers  i  198 

l.<>-  ]■'•■_•,  ml, .s  il.-s  saints  sont  racontées  dans  l'ordre  <l"  calendrier  ecclésiastique  el  commencent  au 
temps  de  1  Avent. 

:'   Les   Bollandistes   dans  leur  préface,    el   Molanus   (lib.   II.   cap.   xxvn  Tolérât   Ecclesia  legendara 

aurcam  Jacobi  de  Voragine  quam  alii  plumbeam   vocunt.  » 


LE    MIROIR    HISTORIQUE  LA    LÉGENDE    DORÉE 

presque  tous  les  vitraux  légendaires  de  nos  cathédrales.  Graesse,  en  le  rééditanl . 
a  rendu  le  plus  grand  service,  sinon  à  l'histoire  religieuse,  au  moins  à  l'histoire 
de  l'art1.  La  Légende  dorée  sera  doue  notre  principal  guide  dans  cette  étude. 
C  est  à  ce  livre  populaire  que  nous  demanderons  l'explication  d'oeuvres  d'art 
laites  pour  le  peuple. 

Un  peut,  sans  trop  d'effort,   comprendre  quel   charme  dut  avoir  un  pareil 
livre,  et  quel  aliment  moral  le  moyen  âge  y  trouva. 

Ces  nombreuses  biographies  offraient  d'abord  au  fidèle  le  tableau  le  plus 
varié  de  I  existence  humaine.  Connaître  la  vie  des  maints,  (•'('■tait  connaître  toute 
I  humanité,  toute  la  vie.  <  >n  pouvait  y  étudier  tous  les  âges  et  toutes  les  condi- 
tions. Nos  romans,  nos  ci  comédies  humaines  »,  sont  moins  divers,  moins  riches 
d'expérience  que  l'immense  collection  des  Àcta  Sanvtorum.  La  Légende  //<>/<', 
en  donnait  l'essentiel.  Il  n'y  avait  pas  de  métier,  pas  de  profession  libérale  qui 
n'ait  eu  ses  saints.  Des  saints  avaient  été  rois  comme  saint  Louis,  papes  connue 
saint  Grégoire,  chevaliers  errants  connue  saint  Georges,  cordonniers  comme 
saint  Crépin,  mendiants  commesaint  Alexis.  Il  s'était  même  trouvé  un  avocat 
pour  être  canonisé  :  le  peuple  en  marquait  son  étonnement  avec  bonhomie  dans 
I  hymne  TU  il  chantait  en  I  honneur  de  saint  ,l  ves  : 


Advocatus  el  non  lai r<>, 
lies  miranda  populo. 

Des  bergers,  des  loin  heurs  de  bœufs,  des  valets  de  charrue,  de  petites  ser- 
vantes, avaient  été  jugés  dignes  de  s'asseoira  la  droite  de  Dieu.  Les  vies  de  ces 
humbles  chrétiens  montraient  ce  qu'il  y  a  de  sérieux,  de  profond,  dans  toute 
existence  humaine.  Elles  étaient  pour  le  lecteur  du  moyen  âge  le  plu-  riche 
trésor  de  sagesse.  Tout  homme  pouvait  trouver  un  modèle  dans  son  livre. 

La  Légende  dorée,  qui  faisait  connaître  la  vie  au  chrétien,  bu  apprenait  aussi 
a  connaître  le  inonde,  à  imaginer  d'autres  climats,  d'autres  siècles.  Le  moyen 
âge  entrevit  l'histoire  et  la  géographie  a  travers  la  Légende  dorée.  L  univers  y 
apparaissait,  il  esl  vrai,  vague  et  flottant,  déformé  comme  dans  le-  vieilles 
caries,  mais  «était  pourtant  une  image  de  la  réalité.  Suivant  le  jour  de  la 
semaine,  le  livre  transportait  le  lecteur,  tantôl  dans  le-  déserts  de  la  I  hébaïde 
au  milieu  de-  tombeaux  (pie  le-  I une-  de  Dieu  habitaient  en  compagnie  des 

1    Legenda  nuira.  VA.  Graesse.  Wratislavi.-e,  1890    in  S.    IBnmcl  .t  'I I  une  ti-adnrti le  la   I 

dorée.  Paris,  i843.    t  vol     iu-rj      th.  de  Wv  zew  ,1  cm  a  donné  une  pins  réci  nie, 

il 


L'A  l'.T    RELIG1  EUX    DU    XIII'    SI  ÈCLE 

chacals,  tantôt  dans  la  Home  de  saint  Grégoire,  déserte,  pleine  de  ruines, 
désolée  par  la  peste.  D'autres  fois,  il  fallait  suivie  le  narrateur  aux  bords  des 
fleuves  de  la  Germanie,  ou  faire  voile  avec  lui  vers  F  «  Ile  des  saints  ».  A  la  lin 
de  Tannée  chrétienne,  l'imagination    avait   parcouru    tous  les  pays  et  tous  les 


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Fig    ii8. 


M'udr  de  sainl   Euslaehe  (Première  partie.  Vitrai]  de  Chartres  . 


temps.  L'humble  fidèle  qui  ne  connaissait  au  inonde  que   sa  rue  et  son  clocher 
avait  vécu  delà  vie  de  la  chrétienté  tout  entière. 

.Mais  le  plus  grand  charme  >\y^  livre  était  moins  encore  dans  la  vérité  que 
dans  le  merveilleux.  Plusieurs  vies  de  saints  égalaient  les  plus  ingénieux 
romans.  Les  légendes  des  saints  orientaux  surtout,  arrangées  par  les  hagio- 
graphes  grecs  ou  copie-,  ressemblaient  à  des  contes  de  fées  héroïques.  L  his- 
toire de  saint  Eustache,  celle  de  sainl  Georges  et  celle  de  saint  Christophe,  se 
distinguaient  entre  toutes  par  leur  étrangeté. 


LE    MIROIR    HISTORIQUE—    LA    LEGENDE    DORÉE 

Plâcidas,  général  de  l'empereur  Trajan,  vit  un  jour  l'image  de  Jésus-Chrisl 


I  i_.   i  ;,-,  Légontle  île  sainl  Etislaelie  (Deuxième  partie.  Vitrail  île  ( 

entre  les  cornes  d'un  grand  cerf  qu'il  poursuivait.  Converti  par  ce  miracle,  il  se 
fit  baptiser  avec  sa  femme  et  prit  le  nom  d'Eustache  fig.  t38  .  Dieu,  pour  l'éprou- 
ver, comme  jadis  son  serviteur  Job,  le  ruina.  Enstache  sans  ressources  -  embarqua 


,,  i  L'ART    RELIGIEUX    DU    XIII'    SIECLE 

avec  sa  famille  et  arriva  en  Egypte.  Comme  il  n'avait  pas  d'atgent  pour  payer 
son  passage,  le  patron  du  bateau  retint  sa  femme.  Plein  de  tristesse,  Eustache 
s'enfonça  dans  le  pays  inconnu  où  il  venait  d'aborder  et  il  arriva  près  d'un 
fleuve  avec  ses  deux  enfants.  11  en  laissa  un  sur  la  rive  et  transporta  l'autre  sur 
le  bord  oppose.  11  revenait  chercher  le  second,  et  il  était  déjà  au  milieu  du 
fleuve,  quand  un  loup,  d'un  côté,  et  un  lion,  de  l'autre,  lui  enlevèrent  ses  deux 
lils  à  la  fois  (fig.  i3cj).  Désespère,  Eustache  vint  au  village  voisin  et  se  mit  au  ser- 
vice d'un  laboureur.  Il  resta  là  plusieurs  années,  pleurant  ses  fils  qu'il  croyait 
morts,  alors  qu'ils  grandissaient  non  loin  de  lui,  chez  des  paysans  qui  les  avaient 
sauvés.  L'histoire  finit  comme  les  romans  et  les  comédies  antiques.  Le  procède 
dramatique  auquel  Ménandre  et  Térence  ont  si  souvent  recours,  la  reconnais- 
sance, l'àvavvwoiTiÇj  est  très  habilement  manié  par  l'hagiographe.  Des  soldats  de 
Trajan,  en  passant  par  le  village  où  Eustache  s'était  réfugié,  reconnaissent  leur 
général.  Eustache,  que  l'empereur  a  remis  à  la  tète  des  légions,  reconnaît  ses 
deux  lils  qui  s'étaient  engagés  dans  l'armée.  A  leur  tour,  les  deux  jeunes  gens 
sont  reconnus  par  leur  mère  qui  leur  a  entendu  raconter  leur  enfance  dans  une 
hôtellerie.  Apres  tant  d'épreuves,  Eustache  est  donc  de  nouveau  réuni  à  sa 
femme  et  à  ses  enfants.  .Mais  leur  bonheur  est  de  courte  durée.  Le  successeur 
de  Trajan,  Hadrien,  en  apprenant  qu'Eustache  était  chrétien,  le  fit  enfermer 
avec  sa  femme  el  ses  enfants  dans  un  taureau  de  bronze  et  renouvela  pour  eux 
le  supplice  inventé  par  Phalaris  (fig.  i4o). 

De  telles  histoires  avaient  pour  le  moyen  âge  le  charnu-  de  nos  romans 
d'.i\ entures  '. 

La  légende  de  saint  Georges,  née  dans  le  monde  grec,  est  un  fragment 
d'épopée.  En  Grèce,  la  sève  épique  ne  tarit  jamais.  Saint  Georges  est  le  l'crsec 
de  l'Orient  chrétien.  —  Il  y  avait  près  de  Silène,  en  Libye,  un  étang  où  habitait 
un  monstre.  La  ville  lui  envoyait  régulièrement  un  tribut  de  brebis.  Si  par 
hasard  on  y  manquait,  le  monstre  s'avançait  jusque  sous  les  murs  et  empestait 
l'air  de  son  souille.  Quand  il  n'y  eut  plus  de  brebis,  on  offrit  au  monstre  des 
jeunes  garçons  et  des  jeunes  lille>.  <  >r,  il  arriva  que  le  sort  désigna  la  propre 
fille  du  roi.  Rien  ne  put  la  sauver,  et  après  un  délai  de  huit  jours,  sous  les 
yeux  de  la  ville  entière,  elle  marcha  vers  l'étang,  parée  de  ses  vêtements  royaux. 

1    La  légende  de   >.iinl   Eustache  fui  très  chère  aux   artistes  du  yen  âge  (vitrail  de  Sni>,   d'Auxerrc 

.lu  Maus,  de  Tours  A  Chartres,  rlcux  vitraux  sont  consacrés  à  sainl  Eustache,  el  un  bas-relief,  au  porche 
du  sud. 


,E    MIKOin    HISTORIQUE    -    LA    LEGENDE    DORÉE 


Saint  Georges,  qui  passait  par  là,  vit  quelle  pleurait  et  lui  demanda  où  elle 
allait.  «  Jeune  homme,  dit-elle,  je  crois  que  tu  as  le  cœur  noble  et  grand,  mais 
hàte-toi  de  partir.  »  Georges  répondit  :  ci  Je  ne'partirai  que  lorsque  tu  m'auras 


Fie.  i  jo.  —  Légende  de  saint  Euslache    Troisième  partie.  Vitrail  de  Chartres).' 


appris  la  cause  de  tes  larmes.  »  Lorsqu'elle  l'eut  instruit  de  tout,  Georges  dil  : 
«  Ne  crains  rien,  car  je  t'aiderai  au  nom  de  Jésus-Christ.  Brave  cheva- 

lier, reprit-elle,  ne  cherche  pas  à  mourir  avec  moi;  il  suffil  que  seule  je  périsse, 
car  lu  ne  pourrais    ni   manier,   ni    me  délivrer,  et   tu    succoni  lierais  avec  moi. 
Dansée   moment  le  monstre  sortit  de   l'eau.  Alors  la  vierge  dit  en  tremlilanl    : 
<(  Fuis  au  plus  vite,  chevalier.  »  —  Pour  toute  réponse,  Georges  monta  sur  son 
cheval,  fit  le  signe  de   la  croix,   s'avança,  au-devant  du    monstre  en  se  recom- 


32G  L'ART    RELIGIEUX    Dl     XIII'    SIÈCLE 

mandant  à  Jésus-Christ,  et  le  chargea  intrépidement.  Il  brandit  sa  lance  avec 
une  telle  force  qu'il  le  traversa  et  le  jeta  par  terre.  Alors,  s'adressant  à  la  fille 
du  roi,  il  lui  dit  de  passer  sa  ceinture  autour  du  cou  du  monstre  et  de  ne  le 
redouter  en  rien.  Quand  ce  fut  fait,  le  monstre  la  suivit  comme  le  chien  le  plus 
doux1.  »  Cette  aventure  chevaleresque  n'égalait-elle  pas  les  plus  belles  entre- 
prises tic  Lancelot  ou  de  Gauvain?  Quel  chevalier  errant  pouvait  se  comparer 
à  saint  Georges? 

L'histoire  de  saint  Christophe  était  plus  étonnante  encore.  Christophe  était 
un  géant  de  la  terre  de  Chanaan,  haut  de  douze  coudées  et  d'un  aspect  terrible. 
Il  entra  au  service  d'un  roi  parce  qu'il  avait  entendu  dire  que  ce  roi  était  le  plus 
puissant  du  monde.  Un  jour  qu'on  prononçait  le  nom  du  diable,  le  roi  se  signa. 
Christophe  connut  par  là  qu'il  y  avait  dans  le  monde  quelqu'un  de  plus  puis- 
sant que  son  maître.  C'est  pourquoi  il  partit  pour  s'aller  mettre  au  service  du 
diable.  Il  le  rencontra  dans  un  désert  et  lit  route  avec  lui.  En  arrivant  dans  un 
carrefour,  ils  aperçurent  une  croix,  et  soudain  le  diable  prit  la  fuite.  Lorsque 
Christophe  l'eut  rejoint,  il  voulut  connaître  la  cause  de  cette  terreur  subite.  Le 
diable,  pressé  de  questions,  fut  contraint  d'avouer  qu'il  y  avait  quelqu'un  de- 
plus  puissant  que  lui  et  que  c'était  Jésus-Christ.  Sans  tarder,  Christophe  se 
mil  à  la  recherche  de  ce  maître  plus  fort  que  le  diable.  Un  ermite  qu'il  ren- 
contra lui  enseigna  les  vérités  de  la  foi  chrétienne  et  le  baptisa.  L'ermite,  dési- 
reux de  le  taire  avancer  dans  la  voie  de  la  perfection,  lui  recommanda  d'abord 
de  jeûner;  mais  le  bon  géant  en  était  tout  à  fait  incapable.  Il  lui  enjoignit  alors 
de  réciter  ses  prières,  mais  Christophe  s'embrouilla  et  n'en  put  venir  à  bout. 
L'ermite,  connaissant  mieux  son  néophyte,  établit  cet  homme  de  bonne  volonté 
au  bord  d'un  fleuve  rapide,  où  chaque  année  beaucoup  de  voyageurs  se  noyaient. 
Christophe  prenait  les  passants  sur  son  dos.  et,  aidé  d'un  bâton,  il  franchissait 
le  torrent.  Un  jour,  il  s'entendit  appeler  par  un  enfant.  Il  sortit  de  sa  hutte,  mit 
h-  jeune  voyageur  sur  son  épaule  et  commença  à  traverser  le  fleuve.  Mais, 
quand  il  lut  au  milieu,  l'enfant  devint  si  lourd,  (pie  le  géant,  courbé  en  deux. 
n'avançait  plus  qu'à  grand'peine.  Arrivé  enfin  à  la  rive,  il  demanda  à  I  enfant 
qui  il  était.  «  Tu  m'as  chargé  d'un  si  grand  poids,  dit-il,  que  si  j  avais  porté  le 
monde  entier  sur  mes  épaules,  je  n  aurais  pas  eu  un  plus  lourd  fardeau.  »  — 
6  Ne  t  (tonne  pas.  Christophe,  répondit  l'enfant,  car  tu  as  eu  sur  les  épaules  non 

1   Lég.  dorée  (Brunel  .  i      II.   p.  ;">     —  Sainl   Georges  csl    représenté  \\«\-  fois  à  Chartres    statue  du 
porche     il    vitrail  de  la  nef,  vitrail  du  chœur):  à  Lyon,  deux  bas  reliefs  du  portail  lui  sont  consacrés. 


LE    MIROIR    HISTORIQUE  LA    LÉGENDE    DORÉE 

seulement  le  momie  entier,  mais  celui  qui  a  créé  le  momie.  Sache  que  je  suis 
Jésus-Christ.  »  L'enfant  disparut  aussitôt,  et  Christophe,  qui  avail  planté  sou 
bâton  dans  le  sable,  vit  qu'il  était  couvert  de  feuilles  et  de  Heurs.  Peu  de  temps 
après,  Christophe  mourut  comme  un  vaillant  martyr,  en  Lveie.  dans  la  ville  de 
Samos  '.  --Si  saint  Georges  ressemble  à  Persée,  saint  Christophe  ressemble  à 
Hercule  :  comme  lui.  il  est  né  pour  servir.  Dans  la  Grèce  du  moyen  âge,  les 
vieux   héros,  qu'on  croyait  morts,  renaissaient  sous  des  formes  nouvelles. 

Tous  ces  récits  charmaient  un  peuple  enfant.  Presque  toutes  les  légendes 
des  saints  d'origine  orientale  axaient  un  air  de  roman.  Sainte  Théodore  se 
déguise  en  homme  et  vit  pendant  vingt  ans  au  milieu  des  moines;  saint  A  lc\  i  - 
vient  mendier  dans  le  palais  de  son  père,  couche  sous  l'escalier  avec  les 
chiens,  et  n'est  reconnu  de  personne.  La  légende  des  sept  dormants  d'Ephèse 
est  un  charmant  conte  îles  Mille  cl  une  Nuits,  où  ne  manquent  ni  la  caverne  ni 
les  trésors. 

L'histoire  des  saints  de  l'Occident  «Hait  moins  riche  en  belles  aventures. 
Toutefois  quelques  biographies  de  saints  d'origine  germanique  ou  celtique 
pouvaient  plaire  à  l'imagination.  La  légende  du  roi  saint  Contran  de  Boure'oa'ne, 
qui  trouva,  guidé  par  îles  rats,  un  souterrain  rempli  d'or,  était  sans  aucun  doute 
un  chant  populaire  des  trilms  burgondes  \  La  vie  de  saint  Patrick  d'Irlande, 
celle  tle  saint  Brendan,  semblaient  avoir  été  écrites  par  des  bardes  celtiques 
récemment  convertis  au  christianisme  :.  Le  poète  'il  mérite  ce  nom)  y  emporte 
à  chaque  instant  son  lecteur  au  delà  des  limites  du  monde  connu.  Les  a\  enturcs 
de  saint  Brendan  sur  la  mer  furent,  avant  les  récits  de  .Marco  Polo,  le  seul  livre 
de  voyages  du  moyen  âge.  Les  îles  chimériques  que  le  saint  irlandais  était  censé 
avoir  découvertes  sur  l'Océan  faisaient  encore  rêver  les  premiers  navigateurs 
du  w''  siècle. 

D'ailleurs,  s'il  y  avait  dans  la  vie  des  sain  i s  de  l'Occident  moins  d'aventures, 
il  y  avait  au  moins  autant  de  miracles  que  dans  celle  de-  s;unls  de  l'Orient. 
L'Eglise,  même  au  moyen  âge,  tenait  pour  suspects  plusieurs  de-  miracles  de 


1   Leg.  mu.  De  Sancl    C'hristuplt,  Vitrail  do  Chartres.  Les  images  de  sainl   Christophe  se  multiplient  à 
la  lin  il  m  moyen  âge. 

-   l.a  légende  de  sainl  (ïonlran,  ainsi  que  celles  de  plusieurs  autres  saints  dont  nous  parlons  dans  ce  clin 

pitre,  ne  ligurent  pas  dans  la  Légende  dorée,    mais  non-  avons  déjà  <lii  que  ce  n de  f.égende  dnréi 

| >■  m 1 1'  nous   surtout    un    litre   conii le   qui  désigne   tous   les   recueils   de  vies   de  saints  en  usage   au   \mi 

âge 

:   tin  voit  sainl   Patrick  changer  en  renard  un  roi  d'Irlande. 


;,,s  L'ART   RELIGIEUX    DU   XIIIe  SIECLE 

la  Légende  dorée;  le  peuple  les  acceptait  tous.  Il  eu  prêtait  de  nouveaux  à  ses 
saints  favoris  '.  Des  saints  raisonnables,  comme  un  saint  Vincent  de  Paul  ou  un 
saint  François  de  Sales,  n'eussent  guère  plu  aux  chrétiens  du  xmc  siècle.  Un 
vrai  saint  était  un  homme  qui  voyait  face  à  face  les  démons  et  les  anges.  De 
l'histoire  de  sainte  Geneviève  le  peuple  de  Paris  n'avait  retenu  qu'une  chose, 
c'esl  cpie  le  diable  éteignait  son  cierge  d'un  côté  pendant  qu'un  ange  le  rallu- 
mait de  l'autre. 

L'intervention  continuelle  des  anges  donne  à  ces  légendes  un  charme  déli- 
cieux. Les  anges  viennent  servir  humblement  les  saints,  car  ces  hommes 
héroïques  sont  devenus  plus  grands  qu'eux  par  la  lutte  et  la  souffrance.  Les 
anges  portent  doucement  jusqu'aux  stalles  du  chœur  le  vieux  saint  Pierre  Nolas- 
que,  le  fondateur  de  la  Merci,  quand  ses  jambes  ne  peuvent  plus  le  soutenir. 
Ils  achèvent  le  sillon  que  saint  Isidore  a  interrompu  pour  prier.  Ils  emportent 
au  Sinaï  le  corps  virginal  de  sainte  Catherine  après  son  supplice.  La  terre  el  le 
ciel  se  mêlent.  Jésus-Christ  descend  dans  la  prison  de  saint  Denis  et  le  (ail 
communier  de  sa  main. 

Les  miracles  qu'aimait  surtout  le  peuple  étaient  ceux  par  où  les  saints  mani- 
festaient leur  pouvoir  sur  la  nature.  Autour  de  ces  hommes  de  Dieu  il  semble 
que  le  monde  revienne  à  l'innocence  primitive.  Les  ermites  qui  habitent  dans 
les  forêts  de  la  Gaule  ont  l'air  de  vivre  dans  l'Eden.  Saint  Calais,  dans  le  désert 
du  Perche,  a  pour  compagnon  l'aurochs,  le  taureau" sauvage  de  l'ancienne  Gaule. 
Saint  Gilles  est  nourri  par  une  biche  et  il  a  la  main  percée  d'une  flèche  en  la 
défendant  contre  les  veneurs  du  roi,  car  les  rois  mérovingiens,  dans  leurs 
chasses,  se  trouvaient  souvent  face  à  face  avec  les  solitaires.  Saint  Plaise  gué- 
rissait les  animaux  malades,  mais  ils  attendaient,  avant  de  1  approcher,  qu'il  eût 
fini  ses  prières.  Sainte  Brigitte  caressait  les  cygnes  des  mers  boréales  qui  s'abat- 
taient sur  l'étang  fflacé  de  Rildare. 

Dans  la  Vie  des  saints  l'homme  est  réconcilié  avec  la  nature.  Les  animaux 
les  plus  farouches  deviennent  les  plus  dociles.  Un  lion  suivait  saint  Gérasime 
dans  le  désert2;  un  loup  guidait  à  travers  la  Bretagne  l'aveugle  saint  Hervé; 
quand  saint  Gervais  s'endormait  dans  la  campagne,  un  aigle  planait  au-dessus 
de  sa  tète  pour  le  mettre  à  l'abri  des  rayons  du  soleil. 

1   Le  miracle  des  trois  écoliers  ressuscites   par  saint   Nicolas  est,  c le  nous  le  verrons  bientôt,  une 

invention  populaire. 

Les  peintres  uni  de  bonne  heure  confondu  sainl   Gérasime   el  sainl  Jérôm*,  auquel  ils  uni  donné  le 
lion  comme  compagnon. 


Il  Mil 

on 


1.1.    MIROIR    HISTORIQUE  LA    LÉGENDE    DORÉE  32g 

On  dirait  qu'une  vertu  sort  des  saints,  et  la  nature  inanimée  elle  même  tres- 
saille à  leur  passage.  Le  jour  de  la  translation  des  reliques  de  saint  Firmin,  les 
arbres  dépouillés  par  l' hiver  reverdirent  soudain.  Là  où  sainte  Ulphe  de  Picardie 
avait  passé  pour  se  rendre  à  l'église,  l'herbe  était  plus  belle  qu'ailleurs.  Ainsi 
les  saints  rétablissaient  partout  autour  d'eux  l'antique  harmonie  ^\u  monde. 
Beaucoup  de  ces  légendes  sorties  de  l'âme  même  du  peuple  témoignent  d'une 
grande  douceur,  d'une  profonde  tendresse  pour  la  nature.  Elles  font  l'éloge  des 
rares  qui  les  créèrent  et  de  celles  qui  les  adoptèrent. 

Tel  est  le  charme  de  la  Légende  dorée.  Les  fidèles  du  \nr  siècle  v  in  un  aient 
tout  ce  qu'ils  aimaient  :  un  tableau  de  la  vie  humaine,  ui\  résumé  de  l'histoire 
du  inonde,  des  aventures  extraordinaires,  des  miracles. 

L'Eglise,  depuis  le  Concile  de  Trente,  s'est  montrée  sévère  pour  ces  naïfs 
récits.  Elle  jugeait  sans  doute  que  tant  de  merveilles  cachaient  la  vraie  gran- 
deur tics  saints.  Les  docteurs  du  xvu"  siècle  connaissaient  leur  temps  :  ils  ne 
voulaient  pas  que  la  vie  des  saints  devînt,  pour  des  esprits  formés  à  la  critique 
par  les  protestants,  une  occasion  de  scandale.  Launoi  méritait  alors  son  suri 
de  »  dénicheur  de  saints  ».  Le  curé  de  Saint-Eustache,  tremblant  pour  le  pat 
de  son  église,  saluait  très  bas,  quand  il  le  rencontrait,  cet  homme  redoutable. 
De  tels  scrupules  ne  pouvaient  venir  à  l'Eglise  du  moyen  âge.  Le  peuple 
d'ailleurs,  sous  les  ornements  de  la  légende,  sentit  presque  toujours  le  vrai 
sublime.  Les  contes  infinis  qu'on  faisait  des  miracles  de  saint  Martin  n'empê- 
chèrent pas  les  artistes  de  préférer  le  trait  le  plus  humain  de  sa  vie.  Ils  éterni- 
sèrent le  geste  héroïque  du  jeune  soldat  romain  coupant  de  -un  épée,  pour  vêtir 
un  pauvre  nu.  la  moitié  de  son  manteau  militaire. 


III 

La  Légende  (/urée  fut  dune,  pour  toutes  les  raisons  que  nous  venons  de  dire. 
le  livre  favori  du  moyen  âge.  Il  faut  von-  maintenant  comment  les  artistes  l'in- 
terprétèrent '. 

Dans  nos  cathédrales  du  \in"  siècle,  nos  2'rands  saints  sont  odorifiés  de  deux 

1    Esl  il   nécessaire  de  rappeler  que  les  maîtres   verriers  du  xm    siècle   exécutèrent  la  pliiji.iri  de-  leurs 
vitraux  avanl  que  Jacques  de  Voragine  eûl   composé  sou  recueil?  M . i i -  la    I  si    déjà   tout 

entière  dans  les  Lectionnaires  et  dans  le   Spéculum  hisloriale  de  Vincent  de  Ur.un.n-. 


33o  L'ART   RELIGIEUX    DU   XIIL    SIÈCLE 

façons  :  tantôt  leur  vie  tout  entière  est  racontée  dans  une  suite  de  tableaux, 
tantôt  leur  image,  nettement  caractérisée,  est  mise  toute  seule  sous  les  yeux 
tics  lidèles. 

La  première  manière  fut  celle  que  les  mai  Ire  verriers  adoptèrent  de  préfé- 
rence. Le  vitrail,  pendant  le  xme  siècle,  fut  surtout  narratif.  Les  vitraux  des  bas 
côtés  de  lacatliédrale  de  Chartres,  si  merveilleusement  conservés,  sont  les  pages 
éclatantes  d'une  Légende  dorée.  L'ensemble  forme  un  des  plus  beaux  livres  à 
miniatures  que  jamais  prince  ait  payé  au  poids  de  l'or.  Le  texte  de  Jacques  de 
Yoragine  à  la  main,  on  déchiffre  sans  peine  toutes  les  scènes  '.  L'artiste,  en 
commençant  par  le  bas,  et  en  s'élevant  peu  à  peu  jusqu'au  sommet  du  vitrail, 
suit  le  légendaire  pas  à  pas.  L'histoire  de  saint  Lustache,  par  exemple,  se 
déroule  tout  entière  en  une  vingtaine  de  médaillons,  depuis  l'apparition  du  cerf 
miraculeux  à  Placidas,  jusqu'au  martyre  du  saint  et  de  sa  femme  dans  le  taureau 
d'airain.  De  chaque  épisode,  nos  artistes  surent  ne  retenir  que  l'essentiel.  Dans 
un  médaillon,  il  n'y  a  qu'un  petit  nombre  de  personnages  dont  la  mimique  est 
extrêmement  nette.  Etudiés  de  près,  les  gestes  semblent  exagérés  jusqu'à  la 
caricature;  de  loin,  ils  ne  sont  qu'expressifs.  Le  décor  est  réduit  à  l'indispen- 
sable :  un  arbre,  une  porte  de  ville,  des  traits  ondulés  qui  figurent  les  fleuves 
et  la  mer.  Ce  sont  des  signes  destinés  à  nous  suggérer  l'image  des  lieux  où  se 
passe  la  scène.  Aucune  couleur  locale  :  les  soldats  romains  ont  la  cotte  de 
mailles  et  le  bouclier  du  xinc  siècle,  les  empereurs  portent  le  sceptre  et  la  cou- 
ronne des  rois  de  France,  et  sont  assis  sur  un  trône  pareil  au  fameux  fauteuil 
de  bronze  de  Saint-Denis.  Un  roi  ressemble  à  un  autre  roi,  un  soldat  à  un  autre 
soldat.  Ils  apparaissent  presque  comme  des  symboles.  Nul  désir  de  s'échapper 
du  sujet,  de  développer  un  brillant  épisode  :  aucun  de  ces  hors-d'œuvre  de 
décors,  d'architectures,  de  scènes  familières  où  se  plaisent  les  verriers  de  la 
Renaissance.  Il  y  a  dans  ces  petits  tableaux  un  remarquable  génie  de  clarté  et 
d'abstraction  qui  fait  songer  à  notre  théâtre  classique.  Les  légendes  de  saints 
sont  souvent  longues  cl  diffuses  :  en  les  interprétant,  les  maîtres  verriers  ont 
presque  toujours  réussi  à  éviter  ces  défauts. 

La  seconde  manière'  d'honorer  les  saints  fut  de  les  offrir  au  respect  du 
peuple,   non    plus   engagés   dans    l'action,    mais    immobilisés   dans   une  attitude 

1  Quelques  verrières  >-< > ■  ■  i  consacrées  à  la  vie  des  suints  locaux  qui  ne  m-  trouvent  pas  dans  la  Légende 

dorée,  d'autres  a   <\c-  pers lages  de  l'Ancien   Testament   [Noé,  Joseph).  Tous  ces  sujets  sont  expliqués 

'lois  I  ;  1 1  u  Descrip  de  la  cath.  de  Chartres  (édil  'I'-  i85o,  en  un  volume),  et  Monograp  hie  de  la  cathédr. 
de  Charti        i.  III. 


LE    MIROIR    HISTORIQUE 


1.  \    LEGENDE    DORKK 


13 1 


solennelle.  Les  vitraux  tics  fenêtres  hautes  ou  les  statues  île-  portails  repré- 
sentent les  suints  sous  un  aspect  presque  surhumain.  Les  mille  compartiments 
de  vitraux  légendaires  racontaient  les  luttes  et  les  souffrances  des  saints  dans 
cette  vie,  tandis  que  ces  grandes  images  nous  montrent  les 
bienheureux  transfigurés  par  la  lumière  d'un  autre  inonde 
rayonnant  d'une  sérénité  éternelle.  Les  uns  étaient  con- 
sacrés à  I  Eglise  militante,  les  autres  le  sont  à  l'Eglise 
triomphante. 

Les  artistes,  et  surtout  les  sculpteurs,  <|ui  eurent  à 
représenter  ces  grandes  ligures,  se  trouvèrent  aux  prises 
avec  un  des  plus  beaux  problèmes  de  l'art.  Il  s'agissait  de 
taire  rayonner  une  vertu  différente  sur  la  lace  de  chaque 
saint.  Rien  n'est  moins  monotone  que  les  grands  saints. 
Dans  la  Légende  dorée,  ils  ont  chacun  Unir  caractère  :  saint 
Paul  est  l'homme  d'action,  et  saint  Jean  le  contemplateur; 
saint  Jérôme  est  le  savant  dont  les  yeux  se  sont  affaiblis 
sur  les  livres,  et  saint  Ambroise  est  l'évêque  par  excellence, 
le  surveillant  du  troupeau.  Il  n'est  pas  de  sentiment,  de 
nuance  de  sentiment  qu'un  saint  ne  puisse  incarner.  Saint 
Georges  est  le  courage  qui  s'élance  au-devant  de  la  mort, 
et  saint  Etienne  la  résignation  qui  l'attend.  Sainte  Agnès, 
sainte  Catherine,  sainte  Cécile  sont  la  virginité;  mais  sainte 
Agnès  est  la  vierge  candide,  ignorante  et  désarmée  qui  a 
l'agneau  pour  emblème:  sainte  Catherine  est  la  vierge  sage 
qui  connaît  la  science  du  bien  et  du  mal  et  qui  dispute 
avec  les  docteurs;  sainte  Cécile  est  l'épouse  vierge  qui 
embrasse  volontairement  la  chasteté  dans  la  chambre 
nuptiale.  La  vie  des  saints  proposait  toutes  ces  nuances  exquises  ù  l'art.  Il  en 
est  résulté  que  I  ari  du  moyen  âge,  qui  n  a  guère  représenté  que  de>  saints,  esl 
l'art  idéaliste  par  excellence  :  car  on  ne  lui  demandait  que  de  faire  transparaître 
des  âmes,  force,  chante,  justice,  tempérance,  voilà  ce  qu  on  devait  lire  sur  les 
visages.  Ce  ne  sont  pas  là  de  froides  abstractions  :  les  saints  lui  cm  i  des  réalités 
vivantes.  Il  y  eu  i  en  eux.  pour  parler  comme  les  docteurs,  plu-  de  vie  véritable 
que  chez  tous  les  autre-  hommes.  Seul-  ils  ont  vécu. 

En   même    temps,    chacun  eut    son    type   physique,  son   caractère.   Au  lieu 


; .        S.iint  Théo- 
dore ('  lliartres 


;  ;  i 


L'ART    RELIGIEUX    1)1"    XIIIe   SIECLE 


d'avoir  à  représenter  I    «  Eloquence  »  sous  la  figure  d'un  vague  orateur,  l'artiste 

avait  à  faire  le  portrait  de  saint  Paul,  d'un  petit  homme  chauve,  à  longue  barbe, 

que  legénie  transfigurait j.  De  sorte  que  cet  ait,  idéaliste  en  son  fond,  eut  les  atta- 
ches les  plus  étroites  avec  la  vérité  et  avec  la  vie.  La  vraie 
grandeur  de  l'art  du  moyen  âge  est  là2.  Il  ne  se  propose 
pas  cet  idéal  académique,  cette  beauté  épurée  par  les 
canons  de  l'Ecole,  cpii  n'a  pas  plus  de  saveur  que  l'eau 
pure,  —  il  s'empare  de  la  réalité  la  plus  chétive  et  la 
fait  rayonner.  L'artiste  procède  comme  les  saints  eux- 
mêmes,  cpii  se  sont  sculptés  avec  effort,  et  qui  ont  fait 
apparaître  sur  un  visage  ingrat,  vulgaire,  ou  beau  d  une 
beauté  simplement  humaine,  la  chasteté,  la  force  d'âme, 
la  charité,  enfin  un  reflet  de  Dieu.  L'artiste,  comme 
auraient  pu  dire  les  théologiens  du  moyen  âge,  fait  ce 
«pie  fera  Dieu  lui-même  au  jour  du  Jugement,  —  il  con- 
serve aux  élus  les  traits  que  chacun  d'eux  eut  dans  la 
vie,  mais  ces  visages,  pénétrés  de  la  lumière  d'une  âme 
pure,  participent  de  la  beauté  éternelle. 

Tels  furent  les  principes  qui  guidèrent  la  main  des 
artistes  au  xme  siècle  :  tout  cela  senti  confusément, 
deviné,  et  non  pas  réduit  en  formules  pédantesques. 
Toutes  les  statues  de  saints  du  moyen  âge  ne  sont  pas 
des  chefs-d'œuvre,  mais  dans  toutes  on  sent  un  même 
effort.  Quelques-unes  sont  admirables.  Le  saint  Martin 
du  portail  sud  de  Chartres  (fig.  i  \3),  le  bâton  pastoral 
à  la  main,  actif  et  sévère,  commande  vraiment  à  toute 
créature.  Sainte  Modeste,  au  portail  (fig.  3),  apparaît 
comme  la  statue  de  la  Pudeur.  Saint  Théodore  est 
l'image  du  vrai  chevalier  (fig.  i'iO-  A  Reims,  saint 
Nicaise,    le    haut    du    crâne    enlevé,     marche    avec    une 

sérénité  héroïque   entre  deux   anges  qui    lui    sourient.    Au    portail   d'Amiens, 

saint  Firmin  (fig.  iV-'U   revêtu   d'une 


Fig.  i-i2.  —  Saint  Firmin 
Amiens) 


umière  céleste,  fait  un  geste  où  il  y  a 


1  Citons  le  sainl  Paul  du  musée  de  Toulouse   [xiv1   siècle 

J  II  s  ;iwïi  surtout  de  l'art  de  l;i  seconde  moitié  du  mi1  siècle    I.  arl  du  commeucemeul  du  xme  siècle  est 
encore  malhabile  à  exprimer  le  caractère  de  l'individu 


LK    MIROIR    HISTORIQUE    —    LA    LÉGENDE    DOREE  333 

de  l'éternel.  Jamais  peut-être  <>n  n'exprima  mieux  le  fond  de  l'être.  Le 
saint  Firmin  d'Amiens  est  une  âme.  Les  apôtres,  à  Chartres,  à  Amiens,  ont  été 
conçus  par  des  hommes  tic  génie  :  presque  tous  ressemblent  à  .lésus-Christ, 
comme  si  l'esprit  du  Maître,  eu  passant  en  eux,  les  eût  façonnés. 

L'obligation  où  les  artistes  furent,  pendant  trois  cents  ans,  de  représenter 
des  hommes  supérieurs  à  l'homme  a  donné  à  lait  du  moyen  âge  -ou  inimitable 
caractère. 

On  comprend  maintenant  quelle  influence  a  eue  la  Légende  dorée  -ni'  I  histoire 
de  l'art  français. 

Si  c'en  était  le  lieu,  nous  pourrions  montrer  ici  comment  l'étude  de  la 
vie  des  saints  a  affiné  aussi  la  sensibilité  des  artistes  italiens,  et  leur  a  ensei- 
gné la  connaissance  de  l'homme  moral.  Des  la  fin  du  \i\'  siècle,  grâce  a  la 
peinture,  cet  instrument  d'analyse  si  subtil,  ils  s'essaient  à  montrer  sur  des 
visages  les  âmes  les  plus  variées.  Au  xv1'  siècle,  Fia  Angelico  trouve  dans 
la  vie  des  saints  ses  nuances  les  plus  suaves.  Les  païens  du  xvi  siècle  eux- 
mêmes  peignent  encore  des  s. unis.  (Jne  .Madeleine,  un  sainl  Jean-Baptiste  au 
désert,  restaient  pour  eux  de-  physionomies  rayonnantes  de  pensée  ci  de  rêve, 
où  ils  mettaient  toute  leur  science  de  la  vie. 


IV 

Cependant,  malgré  ton-  Leurs  efforts,  malgré  leur  désir  passionné  de  mettre 
en  saillie  le  caractère,  les  artistes  du  xm  siècle  ne  pouvaient  faire  que  le 
peuple  mît  à  coup  sur  un  nom  sur  chacune  de  leurs  -laine-.  Comment  empê- 
cher de  confondre  deux  saints  chevaliers,  saint  Georges  et  saint  Théodore,  ou 
deux  vierges,  sainte  Barbe  et  sainie  Agnès?  —  Au  mm  siècle,  on  cherchait 
encore  la  solution  de  ce  problème. 

A  Chartres,  il  fui  résolu  dune  façon  ingénieuse.  Sous  les  pieds  de 
chaque  saint  se  voit  une  petite  -cène  qui  rappelle  quelque  trait  fameux  de 
sa  vie  ou  de  sa  mort'.   Sur  le  socle  de  la  statue  ^\r  sainl   Denis,  par  exemple, 


i   Voir  l.i  figure  i43  qui  représi  nie  l'ébrasemenl  'lu  portail  de  droite  de  la  fai  Chai   res 

On  voit  sainl   Martin    el   sous  ses  pieds  les  chiens  qu  il   arrêta    d  un  mot,  au   moment   où   il-  allaii  i.i   s 
sur  un  lièvre.    Puis  sainl  Jérôme  lenanl   la   Bible;  sous  ses  pieds  la 

nemenl   de    déchiffrer  une    banderole     le    texte    de    l'Ecriture    qu'elle    ue    comprend    plus.     Vient    ensuite 
sainl  Grégoire  le  Grand     il  porte  une  col i"'    la  létc  esl  brisée    sur  sou  i  paule     sous  p  i  iccré- 


;;j  L'ART    RELIGIEUX    DU    XIII'    SIECLE 

<■>!  sculpté  un  des  lions  auxquels  lut  exposé  le  martyr,  et  sur  le  socle  de  la 
statue  de  saint  Georges  une  roue  qui  rappelle  sa  mort.  Les  saints,  debout  sur 
les  instruments  de  supplice  et  sur  les  persécuteurs,  semblent  en  triompher. 

Mais  les  artistes  voulurent  frapper  plus  fortement  encore  l'attention,  et 
bientôt  ce  fut  dans  la  main  même  des  saints  qu'ils  mirent  l'instrument  du  sup- 
plice. Les  apôtres,  les  premiers,  parurent 
au  portail  de  nos  cathédrales,  portant, 
les  uns  la  croix  sur  laquelle  ils  avaient 
été  étendus,  les  autres  la  lance  ou  l'épée 
qui  les  avait  percés,  le  couteau  qui  les 
avait  déchirés'.  A  partir  du  xiv"  siècle, 
presque  tous  les  saints  sont  représentes 
un  emblème  aux  mains.  Au  portail  des 
Libraires,  à  la  cathédrale  de  Rouen, 
sainte  Apolline  tient  les  tenailles  qui  lui 
arrachèrent  les  dents,  sainte  Barbe  la 
tour  percée  de  trois  fenêtres  (symbole  de 
la  Trinité)  où  son  père  l'enferma.  Les 
saintes  portent  fièrement,  triomphale- 
ment, les  instruments  de  torture  qui  leur 
ouvrirent  le  ('ici. 

Parfois  un  épisode  célèbre  de  la  vie  du 
saint  a  fourni  un  emblème  à  l'artiste. 
Le  calice  surmonté  d  un  serpent  laisait 
reconnaître  saint  Jean,  et  rappelait  que  l'apôtre  avait  bu  sans  péril  une  coupe 
de  poison,  après  avoir  fait  le  signe  de  la  croix".  Saint  Grégoire  le  Grand  se 
distinguait  de  tous  les  autres  papes  à  la  colombe  qu'il  portait  sur  l'épaule. 
Cette  colombe  venait  lui  dicter  ses  livres  à  l'oreille;  son  secrétaire,  caché 
derrière  un  rideau,  l'avait  un  jour  aperçue  (fig.  1 4^  et  I-'m).  Sainte  Marie 
I  Egyptienne   ne  pouvait  être  confondue  avec  aucune  autre  pénitente,  car  elle 


l'iioi.  Martin-Saioc 


Fig.  i  i  ).  —  Sitinl  Martin,  s;iini  Jérôme, 
saint  Grégoire  (Chartres) 


taire  écrit,  derrière  un  rideau.  Il  semble  qu  il  regarde  par  un  trou,  comme  le  raconte  La  légende,  et  qu'il 

1  it  avec  étonnement  la  colombe  parlant  à  l'oreille  du  pape     l i u    i  i  i 

1    Sous  j  revii  udrons  dans  <•.•  chapitre. 

-  Le   petit   dragon   ailé  qu'on  voit  souvent   au-dessus   du  calice  de   s.iini  Jean  symbolise   la   force   du 

poison. 


LE    MIROIR    HISTORIQUE  LA    LEGENDE    DORÉ1-: 

portait  à  la  main  les  trois  pains  quelle  acheta  avant  de  s'enfoncer  dans  le 
désert  et  qui  la  nourrirent  pendant  quarante  ans.  L'art  ici  ramasse  en  un  trait 
toute  la  vie  du  saint.  Le  peuple  ne  s'y  trompait  jamais,  tant  ces  emblèmes  lui 
étaient  familiers.  On  voit  combien  la  Légende  dorée  fut  populaire,  car  tons 
ces  signes  caractéristiques  lui  sont  empruntés.  Il  faut  l'avoir  très  présente 
pour  désigner  sûrement  à  leurs  attri- 
buts les  saints  des  portails  OU  des 
vitraux. 

Mais  la  Légende  dorée,  elle-même, 
ne  rend  pas  compte  de  tout.  Profon- 
dément mêlés  à  la  vie  du  peuple,  les 
saints  ont  reçu  de  l'art  populaire  les 
plus  étranges  attributs.  Saint  Martin, 
par  exemple,  est  quelquefois  repré- 
senté accompagné  d'une  oie  sauvage. 
Si  l'on  parcourt  sa  légende,  on  ne 
trouve  pas  d'épisode  qui  puisse  justifier 
un  pareil  emblème.  L'oie  ne  rappelle 
aucun  des  miracles  de  saint  Martin. 
En  réalité,  elle  est  destinée  à  nous 
faire  souvenir  que  la  fête  de  saint  Mar- 
tin, à  l'entrée  de  l'hiver,  coïncide  avec 
le  passage  des  oiseaux  migrateurs1. 
L'art,  dans  ce  cas,  a  donné  une  forme 
à   un  vieux  dicton   populaire. 

La  puissance  de  l'art  sur  le  peuple  lui  si  grande  que  les  emblèmes  imaginés 
par  les  artistes  ont  parfois  donne  naissance  à  des  légendes  nouvelles.  Ici.  ce 
n'est  plus  l'art  qui  emprunte  à  la  Légende  dorée,  c  esl  la  Légende  dorée  au 
contraire  qui  s'inspire  des  inventions  de  l'art.  On  devine  cette  obscure  alchimie 
plusqu'on  ne  l'explique.  Tous  les  phénomènes  qui  se  passent  dans  le-  profon- 
deurs de  l'âme  populaire  demeurent  à  moitié  mystérieux.  Saint  Denis,  on  le 
sait,  est  toujours  représenté  portant  sa  tète  dans  ses  mains.  Des  Lectionnaires 


Fig.  iji-  —  Partie  inférieure  de  la  statue  de  sainl 
Grégoiri      Li    secrétaire  de   -ai ut   <  i  régoire 
les  pieds  du  saint    t  lhartres  . 


1   Le  P.   Cahier  a  forl  bien  expliqué  I  emblème   de  l'oie  :  Carat  t    à  :s  Saints,  t.   II. 
Lecoj  de  la  Marche,  Saint  Martin    Tours,  1890,      édit.,  p  606    l  lartiu  est  si 

de  Sainl  Martin  dr  VVorms.   I.  oie  se  voit  aussi  sur  le  sceau  d'un  chanoine  de  Sainl   Martin  de    I 


;;f,  L'ART    RELIGIEUX    DU   XIIIe   SIÈCLE 

du  xiie  siècle1  nous  le  montrent  déjà  dans  cette  attitude.  Ce  genre  de  représen- 
tation est  certainement  plus  ancien  encore.  Les  artistes,  en  l'imaginant, 
n'avaient  pas  prétendu  autre  chose  que  de  rappeler  son  genre  de  mort  :  la  tète 
dans  les  mains  était  un  signe  hiéroglyphique  qui  signifiait  que  saint  Denis  avait 
été  décapité.  Leur  idée,  un  peu  barbare,  n'était  pourtant  pas  sans  grandeur, 
car  le  saint  semblait  de  ses  deux  mains  offrir  sa  tête  à  Dieu.  Le  peuple  no  com- 
prit jamais  très  bien  l'invention  des  artistes  ;  il  expliqua  à  sa  manière  ce  qu'il 
voyait,  et  il  imagina  cjue  saint  Denis  avait  réellement  porté  sa  tête  après  avoir 
été  décapité.  On  surprend  là  en  travail  le  génie  mythique  du  moyen  âge. 
Bientôt  cet  établissement  entra  dans  la  vie  écrite  du  saint,  et  les  artistes,  sans 
le  savoir,  se  trouvèrent  avoir  collaboré  à  la  Légende  durée' . 

La  légende  de  saint  Nicolas  s'enrichit  de  la  même  façon  d'un  miracle  nou- 
veau. Rien  ne  fut  plus  célèbre,  à  partir  du  xn'  siècle,  que  l'histoire  des  trois 
enfants  assassinés  par  un  hôtelier,  coupés  en  morceaux,  mis  dans  un  saloir,  et 
enfin  ressuscites  par  l'intervention  de  saint  Nicolas.  Les  anciennes  vies  du  saint 
ne  connaissent  pas  ce  miracle.  Chose  inouïe,  Jacques  de  Yoragine,  ne  le  jugeant 
sans  doute  pas  assez  certain,  ne  l'a  pas  inséré  dans  la  Légende  dorée.  Au 
xi\r  siècle,  il  n'est  pas  encore  entré  dans  la  leçon  des  Bréviaires3.  Cependant, 
les  artistes  représentèrent  pendant  tout  le  xiii"  siècle  le  miracle  des  trois 
enfants  ressuscites.  On  le  voit  dans  un  vitrail  de  Bourges  consacré  à  saint 
Nicolas,  dans  deux  vitraux  du  Mans',  dans  un  vitrail  de  Troyes  et  un  vitrail  de 
Chartres.  La  même  histoire  se  déchiffre  au  milieu  des  innombrables  bas-reliefs 
qui  ornent  le  portail  Saint-Jean  de  Lyon.  Nous  nous  trouvons  donc  en  présence 
d'une  légende  orale  qui  se  transmit  longtemps  avant  d'être  écrite.  Quelle  en 
est  l'origine?  —  Une  conjecture  du  P.  Cahier  à  ce  sujet  parait  si  vraisemblable, 
si  conforme  aux  habitudes  du  moyen  âge,  qu'on  peut  la  tenir  pour  1  explication 
véritable1'.  La  Légende  durée  raconte  que  saint  Nicolas  délivra  trois  officiers  de 
l'empereur  Constantin  qui  avaient    été    injustement  emprisonnés;  le  saint   les 


1   Bibl.  de  l'Arsenal    m-    a    162,  f°  220  (Leclionnaire,  xn'  siècle  . 

-  Le  P.  Cahier  croil  que  1rs  actes  de  sainl  Denis  furenl   refaits  vers  le  xie  siècle.  Caract.  <lc*  Saints, 
1     II.  p    776 

:  Bibl.   de  l'Arsenal,    Bréviaire  des  Frères  prêcheurs,  cas    a"  ig3,  fu  64,  el  suiv     \i\'   siècle  .  Chaque 
leçon  «lu  bréviaire  ressemble  a  un  compartiment  de  vitrail. 

*  Sur  un  des  vitraux  du  Mans  les  trois  enfants  portent  le  costume  de  clerc.  C'esl  qu  en  effet  sainl  Nicolas 
était  le  patron  des  clercs 

Vilraua  de  Bourses,  étude  sur  le  vitrail  de  saint  Nicolas. 


LE    MIROIR    HISTORIQUE    --    LA    LÉGENDE    DORÉE  ;;: 

arracha  des  mains  du  bourreau  dans  la  prison  même,  au  moment  OÙ  ils  allaient 
être  mis  à  mort.  De  bonne  heure,  sans  doute,  ce  sujet  lut  adopté  par  les 
artistes,  surtout  en  Orient  où  naquit  le  culte  de  saint  Nicolas.  Conformément 
aux  habitudes  de  l'art  du  moyen  âge,  qui,  en  Orient  comme  en  Occident, 
témoigne  sa  déférence  aux  saints  en  leur  donnant  une  taille  surhumaine,  saint 
Nicolas  fut  représenté  très  grand,  tandis  que  les  trois  officiers  apparaissaient  à 
ses  pieds  plus  petits  que  des  entants.  Pour  marquer  qu'ils  avaient  été  délivres 
de  prison,  on  figura,  avec  la  naïveté  de  ces  temps,  leurs  trois  têtes  émergeant 
du  sommet  d'une  tour.  Les  chrétiens  de  l'Occident,  OÙ  le  culte  de  saint  Nicolas 
venait  d'être  importé  au  xi"  siècle1,  ne  connaissaient  pas  encore  lies  bien  >a 
légende.  Ils  en  imaginèrent  une  pour  expliquer  les  images  qu'ils  axaient  sous 
les  yeux.  Les  trois  officiers  devinrent  trois  enfants,  la  tour  un  saloir.  L'hôtelier 
assassin  et  sa  femme  étaient  des  personnages  faciles  à  imaginer  tant  ils  étaient 
apparentés  à  l'imagination  populaire.  On  les  retrouve  dans  tous  les  contes  : 
c'est  l'ogre  et  l'ogresse  de  Perrault,  dette  histoire  de  nourrice  s'ajouta  à  la 
légende  de  saint  Nicolas  ;  elle  passa  de  bouche  en  bouche,  et  les  artistes,  qui  ne 
lavaient  lue  nulle  part,  la  représentèrent  sans  scrupules2.  D'ailleurs,  l'histoire 
des  trois  officiers,  remise  en  honneur,  parut  sur  les  vitraux  à  Bourges  par 
exemple)  concurremment  avec  l'histoire  des  trois  enfants. 

Il  se  passa  pour  la  légende  de  saint  Georges  quelque  chose  d'analogue.  Le 
bel  épisode  de  la  fille  du  roi  sauvée  du  dragon  par  le  chevalier  est  né  probable- 
ment d'une  peinture  mal  comprise.  Ce  fut  une  habitude  orientale,  que  l'Occi- 
dent adopta,  de  figurer  l'idolâtrie  par  un  monstre.  Eusèbe  rapporte  déjà  dans 
son  Histoire  ecclésiastique  que  Constantin  se  lit  représenter  perçant  de  sa  lance 
le  dragon  du  paganisme.  Le  dragon  devint  un  symbole,  et  accompagna  l'image 
des  vaillants  martyrs  qui  axaient  porté  la  foi  dans  une  contrer  nouvelle.  Ainsi 
fut  représenté  saint  Georges.  D'autre  part,  quand  les  artistes  de  I  Orienl  pei- 
gnirent pour  la  première  lois  le  saint  guerrier,  au  v"  ou  au  \f  siècle,  les 
vieilles  traditions  de  l'art  antique  substituaient  encore  :  les  allégories,  les  per- 


1  Quand  les  marchands  italiens  apportèrenl  son  corps  à   Bari 

J    La    légende  des  trois  enfants  ressuscites  par  -.nul   Xicolas  devint    très   populaire  au  mu"  siècle    \ 

que  le  théâtre  religieux  s'en  étail   emparé    l  n  m. scrit  -I  <  Irléaus  (xm    siècle    nous  .c  conserve  uu  petil 

drame  en  latin  donl  le  sujet  esl   le  miracle  du  sainl     Le  uianuscril   provient  du  monastère  de  Fleury.  où  il 

étail  i i  par  les  écoliers  donl  sainl  Nicolas  étail  le  patron.  Voir  Édclestand  du  Méril     Origines  latines  du 

théâtre  moderne,  Paris,  iN  ,.,.  in-8°,  p.    16  1    1  u  miracle  analogue  étail  joué  '1rs  le  \u'  siècle  par  les  écoliers 
de  l'abbaye  d'Einsiedeln  en  Suiss,-,   Voir  Creizenach,  Geschichle  des  neueren  Drainas,  t.  I.  p.   i< 

ii 


138  L'ART   RELIGIEUX    DU   XIII»   SIÈCLE 

sonnifications  du  paganisme  n'avaient  pas  disparu.  (  )n  les  retrouve  aux  mosaïques 
de  Ravenne,  où  un  vieillard  couronné  de  roseaux  symbolise  le  Jourdain.  Il  est 
donc  probaiile  qu'une  figure  de  jeune  femme,  placée  près  de  saint  Georges  et 
du  dragon,  personnifiait  dans  les  anciennes  peintures  la  province  de  Cappadoce 
évangélisée  par  le  martyr.  Le  jour  où  ce  symbolisme  ne  fut  plus  compris,  le 
peuple  grec  trouva  dans  son  imagination  le  récit  épique  qui  rendait  compte  de 
tous  les  détails  de  la  scène.  Un  moine  le  rédigea,  et  il  se  répandit  dans  toute 
l'Europe  '. 

La  légende  de  saint  Georges  aide  à  comprendre  toutes  celles  où  le  dragon 
ligure.  Symboliques  à  l'origine,  et  présentées  comme  telles  par  les  artistes,  elles 
furent  bientôt  prises  au  pied  de  la  lettre.  S'il  en  fallait  croire  les  anciens  Actes 
des  saints,  presque  tous  nos  vieux  évêques  de  France,  et  surtout  les  fondateurs 
des  sièges  épiscopaux,  auraient  eu  a  lutter  avec  des  monstres.  Suivant  la 
légende,  saint  Romain  de  Rouen  avait  enebainé  la  «  gargouille  »,  qui  désolait 
la  Normandie,  saint  Marcel  de  Paris  avait  mis  en  fuite  un  horrible  serpent  qui 
habitait  dans  un  cimetière,  saint  Julien  du  Mans,  et  un  de  ses  successeurs, 
saint  Pavace,  avaient  tué  des  monstres  qui  gardaient  une  fontaine.  On  racon- 
tait la  même  chose  de  saint  Front  de  Périgueux,  de  saint  Lô,  évêque  de  Cou- 
tances,  de  saint  Loup,  troisième  évêque  de  Bayeux,  de  saint  Germain,  évèque 
d'Auxerre.  En  Bretagne,  il  y  avait  jusqu'à  dix  saints  à  qui  on  prêtait  la  même 
aventure,  notamment  les  grands  évêques  saint  Brieuc  et  saint  Pol  de  Léon. 
Toutes  ces  victoires  sur  des  monstres  expriment  des  victoires  sur  l'idolâtrie. 
Les  légendes  consacrées  au  dragon  ne  dépassent  pas  le  vi"  siècle,  c'est-à-dire 
l'époque  où  la  France  était  devenue  chrétienne2.  Ainsi,  une  simple  méta- 
phore est  devenue  un  récit  vivant  en  passant  par  le  cerveau  créateur  du 
peuple  :. 

Quand  les  artistes  populaires  touchent  à  un  sujet,  tout  s'anime,  tout  prend 
une  tonne  concrète.  D'où  vient  le  cierge  porté  par  sainte  Geneviève,  sinon  d'une 

1  Les  Bollandistes  avaient  déjà  entrevu  cette  explication  de  la  légende  tir  suint  (Jcorges  (Acta  Suint., 
avril,  t  [II,  p.  (04),  que  G.  de  Saint-Laurent  (Guide  de  l'art  chrétien,  t.  V,  p.  -iS-i)  ot  le  P.  Cahier  [Caraet. 
des  s, unis.  i.  I,  art.  :  Femme)  ont  présentée  avec  plus  de  netteté. 

-  Saint  Bertrand  de  Comminges,  il  est  vrai,  en  plein  moyen  âge,  passe  pour  avoir-  tué  un  dragon.  Le 
P.  Cahier  a  très  ingénieusement  supposé  que  la  légende  était  née  îles  dessins  qui  couvrent  le  coffret  où 
furent  enfermées  ses  reliques.  Ces  dessins  représentent  en  effet  îles  personnages  luttant  avec  des  dragons 
(Caraet.  des  s, unis,  t.  I,  p.  418  ■ 

;1  A  l'origine,  l'histoire  du  dragon  est  une  métaphore  pieuse  imagine''  par  des  clercs.  Ce  qui  le  prouve, 
c'est  que  le  dragon  défend  la  plupart  du  temps  une  fontaine  qui  semble  être  le  symbole  du  baptême. 


LE   .MIROIR    HISTORIQUE   —   LA    LÉGENDE    DORÉE  O9 

métaphore?  La  sainte  tient  à  la  main  le  flambeau  des  vierges  sages,  la  lampe 
symbolique  dont  parle  l'Evangile  :  un  souffle  du  mauvais  esprit  peut  éteindre 
la  frêle  lumière  ;  il  1  éteindrait,  si  un  ansre  ne  veillait  sur  elle.  Cette  fierure  de  ser- 
monnaire,  traduite  parles  artistes,  est  devenue  la  scène  pleine  de  bonhomie  qui 
se  voyait  au  portail  de  Notre-Dame  de  Paris  :  d'un  côté  le  diable  éteint  avec  un 
soufllet  le  flambeau  de  la  sainte,  pendant  qu'un  ange  le  rallume  de  l'autre  '.  La 
comparaison  mysl  ique  de  la  lampe  des  vierges  sages,  appliquée  à  sainte  Gudule, 
fut  rendue  par  les  artistes  de  Flandre  comme  par  les  artistes  parisiens  :  sainte 
Gudule  est  représentée  sur  le  sceau  du  chapitre  de  Bruxelles,  portant  sa  lan- 
terne entre  le  diable  et  un  ange2. 

Il  faut  un  tact  extrême  pour  remonter  à  l'origine  de  pareilles  légendes,  car 
ce  n'est  pas  toujours  une  métaphore  qu'on  trouve  au  point  de  départ,  ce  sonl 
parfois  des  laits  mal  interprétés.  Pourquoi,  depuis  la  lin  du  xiv  siècle,  saint 
Antoine  le  solitaire  est-il  toujours  représenté  accompagné  d'un  porc  qui  porte 
au  cou  une  clochette?  Le  peuple  eut  bientôt  fait  d'imaginer  que  le  saint  ermite 
avait  vécu  dans  la  solitude  avec  ce  compagnon  fidèle.  Mais  on  ne  lit  rien  de 
pareil  dans  la  Vie  des  Pères  du  désert,  lue  image  de  confrérie  mal  comprise  a 
très  probablement  donné  lieu  à  la  légende.  Il  v  avait  en  Dauphiné  un  ordre  reli- 
gieux, qu'avaient  fondé,  en  iorp,  deux  gentilshommes  sous  le  patronage  de 
saint  Antoine.  Les  Antonins  étaient  des  frères  hospitaliers  qui  se  dévouaient  au 
soin  des  malades  et  des  pèlerins3.  L'ordre,  protégé  par  les  particuliers  et  par 
l'Etat,  eut  des  maisons  dans  beaucoup  de  villes  de  France.  Les  ordonnances  de 
police,  qui  défendaient  de  laisser  les  porcs  errer  libremenl  par  les  rues,  firent 
une  exception  pour  ceux  qui  appartenaient  aux  Antonins.  Les  porcs  de  l'hôpi- 
tal, une  clochette  au  cou,  allaient  tranquillement  chercher  leur  nourriture  dans 
le  ruisseau.  Des  dessins,  probablement  des  sceaux,  consacrèrent  ce  privilège  : 
saint  Antoine,  patron  de  Tordre,  v  lui  représenté  accompagné  d'un  porc  por- 
tant la  clochette.  L'image  se  grava  dans  la  mémoire  de  la  foule  et  se  transmit 
de  siècle  en  siècle,    bien  que  le   sens  primitif  en  lût  tout  à  lait  oublié1.  Ce  qui 

1  I.a  Légende  dorée  De  Sanct.  Genovef^  'lit  simplement  qu'un  cierge  éteint  par  le  vent  se  ralluma  dans 
sa  main.  — ■  I.a  statue  <l''  Notre-Dame  a  été  refaite. 

-  Cahier,  Caract.  des  saints,  t.  I,  p.  197.  Même  légende  pour  une  autre  vierge  flamande,  sainte  Wivine 
\ii"  siècle] 

:  Voir  Advielle,  Histoire  <!<■  I  ordre  hospitalier  (!•■  Saint-Antoine    i883. 

•   Voir  Collin  de  Plancv,  Dict.  des  reliques,  1821,  t.  I,  p.    !'J;  Rev.  archéolog.,  i855  nuée,  et  Cahier, 

Caract.  des  Saints. 


;;,,  L'ART   RELIGIEUX    DU   XIIIe   SIÈCLE 

prouve  que  telle  fut  bien  en  effet  l'origine  de  l'attribut,  c'est  que  saint  Antoine 
fut  presque  toujours,  en  même  temps,  représenté  avec  une  béquille  eu  forme 
de  T,  dessinée  sur  son  manteau.  Cette  béquille  était  comme  le  blason  des  Anto- 
ti i  us.  et  rappelait  que  les  frères  s'engageaient  à  consacrer  leur  vie  aux  infirmes. 
Elle  persista,  ainsi  que  le  porc  et  la  clochette,  dans  les  œuvres  d'art  du  xv°  et 
du  xvi'  siècle,  époque  où  tout  souvenir  de  l'antique  congrégation  hospitalière 
avait  disparu  '. 

La  faculté  qu'eut  le  peuple  du  moyen  âge  de  créer  des  légendes  est  surpre- 
nante. Saint  Erasme  ou  saint  Elme  était  le  saint  favori  des  matelots  de  la 
Méditerranée  :  son  image  se  voyait  à  l'avant  des  felouques  des  mers  latines. 
En  sa  qualité  de  patron  des  marins,  saint  Erasme  portait  à  la  main  nu  cabestan 
où  s'enroulait  uu  câble.  Loin  des  côtes,  un  pareil  emblème  ne  pouvait  plus  être 
compris.  Les  populations  de  l'est  de  la  France,  chez  qui  saint  Érasme  était  en 
grand  honneur,  imaginèrent  que  le  saint  évèque  tenait  à  la  main,  comme  les 
autres  saints,  l'instrument  de  son  supplice.  On  supposa  donc  que  les  bourreaux 
lui  avaient  ouvert  le  ventre,  et  que,  par  un  raffinement  de  barbarie,  ils  avaient 
enroulé  ses  intestins  sur  un  treuil.  Les  Actes  du  saint  accueillirent  le  récit 
populaire,  et  désormais  saint  Erasme  fut  invoqué  contre  la  colique.  Dans  la 
petite  église  de  l'Huys,  près  de  Braisne,  dans  le  Soissonnais,  les  mères  venaient 
suspendre  des  écheveaux  de  fil  au  cou  de  sa  statue,  et  prier  pour  la  guérison  de 
leurs  enfants2. 

Les  artistes  ont  donc  été  souvent  les  collaborateurs  inconscients  de  la 
Légende  dorée.  Les  vies  des  saints  furent  écrites  plus  d'une  fois  d'après  de 
vieilles  images  symboliques,  dont  le  sens  était  perdu.  Quand  on  nous  dit  que 
saint  Rouan  battait  le  diable  avec  son  bâton,  il  faut  entendre  qu'un  artiste  bre- 
ton avait  sculpté  dans  quelque  vieille  chapelle  le  saint  évèque  posant  symboli- 
quement sa  croisse  sur  un  démon  renversé  â  ses  pieds  '.  Les  âmes  enfantines 
des  paysans  prirent  cela  pour  de  l'histoire.  —  On  comprend  combien  il  fau- 
drait d'esprit  critique  et  d'érudition  pour  reconnaître  le  vrai  sens  de  tous  les 
emblèmes  que  tous  les  artistes  ont  mis  aux  mains  des  saints.  Le  P.  Cahier  a  heu- 


1  A  partir  de  1297,  tes  Antonins  »>u  Antonites  se  transformèrent  « ■  1 1  une  congrégation  de  chanoines  régu- 
liers <|ni  ne  conservèrenl  |>lus  rien  de  leurs  attributions  hospitalières  (Advielle,  »/>.  cit. 

-  Cahier,   Caract.,  1.   I.   p.    t6a.    L'écheveau   symbolisai!   sans  doute   les  intestins,   S.iini    Erasme  était 

connu  ;'i  I  Huys  sous  le  populaire  de  s.iint  Agrapard. 

Cahii  1 .  Caract . ,  1 .  I .  p.   loti. 


LE    MIROIR   HISTORIQUE  LA    LÉGENDE    DORÉE  !/ji 

censément  rendu  la  tâche  facile  aux  archéologues.  Dans  le  grand  diction- 
naire qu'il  a  .publié  sons  le  titre  de  Caractéristiques  des  saints  dans  V art  popu- 
laire1, il  n'est  presque  pas  d'attribul  qu'il  n'ait  parfaitement  expliqué.  L'érudi- 
tion n'ajoutera  pas  grand'chose  à  un  livre  où  tous  les  travaux  antérieurs  ont  été 
utilisés  et  dépassés.  Le  P.  Cahier  avait  lu,  la  plume  à  la  main,  non  seulement 
tonte  la  collection  des  Bollandistes,  mais  encore  tout  ce  qui  s'est  écrit  sur  le 
culte  des  saints  depuis  lexvn  siècle  -.  Le  seul  reproche  qu'on  puisse  taire  à  son 
immense  répertoire,  c'est  de  n'avoir  pas  fait  une  place  assez  grande  aux  œuvres 
d'art.  Le  P.  Cahier  a  mieux  connu  les  textes  que  les  monuments.  11  lui  a 
manqué,  pour  rendre  son  œuvre  parfaite,  son  collaborateur  ordinaire,  le  Père 
Martin.  Tel  qu'il  est.  -on  livre  permet  de  reconnaître  presque  sans  hésitation 
tous  les  saints  qui  figurent  dans  des  œuvres  d'art,  surtout  depuis  la  lin  du 
moyen  âge  jusqu'à  nos  jours. 


C'est  à  la  lin  du  moyen  âge,  en  effet,  à  l'extrême  limite  de  la  période  que 
nous  étudions,  que  les  emblèmes  se  multiplièrent.  Chaque  saint  eut  le  sien,  que 
l'usage  consacra. 

Lien  ne  contribua  plus  au  maintien  et  à  la  diffusion  de  ces  signes  que  les 
corporations  ouvrières.  Chaque  corps  de  métier,  nous  l'avons  vu.  eut  -un 
patron.  Les  corporations  avaient-elles  déjà,  au  xm"  siècle,  les  patrons  qu'elles 
reconnurent  plus  ta  ni  .'Il  est  permis  de  le  conjecl  urer,  bien  que  les  documents 
soienl  rares,  et  que  le  livre  d'Etienne  Boileau  -oit  presque  muel  sur  ci'  point,'. 
Pour  le  \i\  .  et  surtout  [jour  le  \\''  et  le  svie  siècle,  les  renseignements  abon- 
dent '.  Il  est  probable,  si  on  en  juge  par  la  permanence  du  culte  rendu  aux 
saints  île  la  corporation  pendanl    au  moins  deux  siècle-,   que  ce-  patrons  clian- 

1   Caractéristiques  des  saints  dans  l'art  populaire,  par  1'-  I'    Cahier.  Poussiclgue,   ri  '.  in-fol. 

Le  Dictionnaire  'lu  P.  Cahier  rend  inutiles  des  ouvrages  i]iii  curenl  leur  valeur,  c me  Heliusdorfer. 

Christiiche  Kunslsrmbolik  und  phie.  Francfort,   i83g     Mrs  Jai  5  *endary  art, 

<  vol.,   1874  !  Guénebault,  Dict.  I  .         '  ollect.  Migi 

:!  Nous  v  voyons  cependanl  que  les  boucliers  fabricants  'I'-  boucles  fêtaient  la  Saint-Léonard,  dès  le 
\m  siècle,  cl  que  les  maçons  faisaient  pai  er  les  amendes  1  la  chapelle  de  Saint-Biaise  aux  siècles  suivants, 
saint  Biaise  est  encore  le  patron  des  :ons  . 

■  Voir  surtout  Les  Métiers  et  corporations  ./•■  I<i  ville  de  Paris,  par  11.  '1.-  Lespinasso,  \  vol.  [à  partir 
de  1886  .  dans  la  Collection  publiée  parla  ville  de  Pai  - 


342  L'ART   RELIGIEUX    DU   XIIIe   SIÈCLE 

gèrent  peu  clans  une  même  région.  Des  textes  et  des  monuments  du  xve  et  même 
du  xvie  siècle  peuvent  donc  nous  permettre  de  remonter  jusqu'au  moven  âge. 
Les  raisons  qui  déterminèrent  les  corporations  à  choisir  tel  ou  tel  patron  sont 
souvent  très  simples  :  il  est  tout  naturel  que  saint  Eloi  soit  le  patron  des 
orfèvres,  saint  Crépin  celui  des  cordonniers.  Mais  ces  raisons  ne  sont  pas 
toujours  aussi  faciles  à  deviner.  Les  menuisiers,  par  exemple,  à  qui  les  églises 
commandaient  parfois  le  tabernacle  où  on  enferme  le  saint  ciboire,  avaient 
choisi  pour  patronne  sainte  Anne,  sous  le  prétexte  que  sainte  Anne  avait  fait 
le  premier  des  tabernacles,  c'est-à-dire  la  sainte  Vierge  qui  porta  Dieu  dans 
son  sein1.  Les  scieurs  de  long  fêtaient  la  Visitation,  parce  que,  ce  jour-là,  la 
Vierge  et  sainte  Elisabeth  s'inclinèrent  l'une  devant  l'autre,  comme  font  les 
deux  ouvriers  en  maniant  la  scie  2. 

Quelques-unes  des  idées  qui  présidèrent  à  ces  choix  ne  manquent  pas  de 
beauté  et  d'une  sorte  d'ingéniosité  touchante.  Les  portefaix  reconnaissaient 
comme  patron  saint  Christophe,  qui  porta  Dieu  sur  ses  épaules1.  Les  épin- 
gliers  avaient  choisi  comme  fête  de  corporation  la  Nativité,  parce  que  la 
Vierge  avait  (pensait-on),  pendant  la  nuit  de  Xoël,  attaché  le  maillot  de  l'enfant 
avec  des  épingles,  comme  font  les  nourrices'.  Les  servantes  se  réclamaient 
de  l'humble  et  active  sainte  Marthe;  les  marchands  de  parfums,  de  Marie- 
Madeleine  qui  versa  un  vase  d'aromates  sur  les  pieds  du  Sauveur;  les  auber- 
gistes, de  saint  Julien  qui  accueillit  même  le  lépreux. 

Plusieurs  rapprochements  ne  sont  pas  d'un  tics  bon  goût.  Saint  Barthélémy, 
qui  fut  écorché  vivant,  était  le  patron  des  tanneurs,  et  saint  Jean,  qui  lut 
plongé  dans  l'huile  bouillante,  celui  des  fabricants  de  chandelles  B.  Beaucoup  de 
ces  analogies  sont  puériles  et  quelques-unes  sont  fondées  sur  de  mauvais  calem- 
bours. Un  jeu  de  mots  avait  fait  de  sainte  Claire  la  patronne  des  verriers.  Aucun 
trait  de  la  vie  du  diacre  saint  Vincent  ne  le  rendait  propre  à  devenir  le  patron 
des  vignerons  :  on  le  choisit  à  cause  de  la  première  syllabe  de  son  nom6. 


1  Ils  appelaient  <  cervelle  de  Sainte-Anne  <>  le  mélange  '1''  colle  et  de  sciure  rie  bois  qui  leur'  servait  à 
boucher  les  trous  el  à  dissimuler  Ks  défauts  il  une  planche.  Voie  Forgeais,  Plombs  historiés,  r  série. 
Mil, ■mit  des  corporations  de  métiers,  1861,  p.  91. 

-  Cahier,  Caractér   des  saints,  t.  II,  article  :  Patrons. 

1  Les]. 'masse,  i     [,  p.    >  1 1 ,  el  Cahier,  op.  cil. 
•   Forgeais,  op.  cit.,  p    •  >  I 

M.,  p.  ;-. 

'    Voir  I  ahier,  Caract.,  article  :  Calembour,  t.  I.  et  article  :  Patron,  1.  Il 


LE    MIROIR   HISTORIQUE   -     LA    LÉGENDE    DORÉE  143 

Puéril  ou  touchant,  le  culte  des  saints  patrons  avait,  on  le  voit,  des  racines 
bien  profondes  dans  l'âme  populaire.  En  multipliant  les  images  de  leurs  protec- 
teurs, les  corporations  ne  furent  pas  sans  agir  sur  l'art.  Quelques  attributs  qui 
se  voient  aux  mains  ne  se  justifient  pas  par  un  épisode  de  leur  \  ie, 
mais  par  un  patronage.  Saint  Honoré  porte  une  pelle  à  four  uniquement  parce 
que  les  boulangers  le  choisirent  comme  patron1.  Une  raison  analogue  explique 
la  grappe  de  raisin  que  tient  saint  Vincent  sur  plusieurs  méreaux  de  la  fin  du 
moyen  âge",  frappés  par  la  corporation  des  vignerons.  (  )n  chercherait  vainement 
dans  la  Légende  dorée  l'explication  de  pareils  emblèmes. 

Les  corporations  ne  proposèrent  pas  toujours  aux  artistes  des  attributs 
nouveaux,  mais  elles  les  obligèrent  toujours  à  représenter  avec  la  plus  grande 
clarté  les  attributs  consacrés.  Lescardeurs,  qui  avaient  pour  patron  saint  Biaise, 
voulaient  qu'on  distinguât  nettement  aux  mains  du  martyr  le  peigne  de  fer  qui 
avait  été  l'instrument  de  son  supplice.  Une  image  où  saint  Éloi  eût  été  figuré 
sans  ses  tenailles  n'aurait  eu  aucune  chance  de  satisfaire  les  orfèvres.  Les  corps 
de  métiers  contribuèrent  donc  à  répandre  parmi  les  artistes  l'habitude  de  repré- 
senter les  saints  avec  quelques  signes  caractéristiques  toujours  pareils  '. 

On  en  trouve  la  preuve  en  parcourant  la  curieuse  collection  de  plombs 
historiés  que  possède  le  Musée  de  Cluny. 

Ces  petits  monuments  de  l'art  populaire  furent  trouvés  dans  la  Seine.  Sous 
le  règne  de  Napoléon  III,  quand  on  relit  les  quais,  un  antiquaire,  M.  Forgeais, 
les  recueillit  pieusement  et  les  publia.  Il  supposa  avec  beaucoup  de  vraisem- 
blance que  ces  médailles,  dont  la  série  va  du  xme  au  x\i  siècle,  provenaient 
des  boutiques  qui  couvraient  jadis  les  vieux  ponts  de  bois  de  la  cité.  Les  pouls 
de  Paris  s'écroulaient  ou  brûlaient  assez,  fréquemment  au  moyen  âge  :  a  chaque 
accident  un  grand  nombre  de  ces  petits  objets  étaient  entraînés  dans  le  lit  de 
la  Seine,  où  ils  se  sont  conservés  parfaitement.  De  toutes  les  monnaies,  médailles, 
jetons,  qui  nous  sont  parvenus  de  la  sorte,  les  plus  intéressants  sonl  les  méreaux 
frappés  par  les  corporations  ouvrières.  Chacun  d'eux  porte,  d'un  cote,  l'image 
du   saint   patron,    de    l'autre,   le    nom    ou    l'emblème   du    corps    de    métier.    Quel- 

'   Forgeais,  np.  cit.,  p.  3a. 

-  Forgeais,  op.  ni  ,  p     146. 

1  M  .1.'  Linas  |  Vém.  </<•  l<i  Société  des  Antiq.  de  France,  1  XL  Y,  [884  croyait  avoir  remarqué  que  sainl 
Joseph,  patron  des  charpentiers,  .i\.tit  à  la  main,  sur  une  châsse  limousine  <tn  \m  >urd  hui  au 

Vatican  .  la  canne  que  portenl  encore  maintenant,  pendant  le  tour  de  France,  les  compagnons  du  Devoir, 
l  ne  pareille  intentiou  paraît  un  peu  prématurée,  au  xin'   siècle,  mais  toutefois  a  est  p.i^  invraisemblable. 


i;;  L'ART   RELIGIEUX   DU   XIII»  SIÈCLE 

ques-uns  remontent  au  xiii°  siècle,  mais  la  plupart  sont  du  xivc  ou  du  xv°.  Sur 
les  uns  comme  sur  les  autres,  d'ailleurs,  nous  trouvons  la  même  image  de 
saint,  barbare,  enfantine,  réduite  à  ses  traits  essentiels.  Mais  ce  qui  se  remar- 
que d'abord,  et  ce  qui  fait  reconnaître  à  première  vue  le  nom  du  saint,  c'est 
l'attribut  qu'il  tient  à  la  main.  L'attribut  était  donc  la  principale  préoccupation 
de  celui  qui  frappait  l'image  et  de  ceux  à  qui  elle  était  destinée. 

Le  saint  patron  et  son  emblème  étaient  devenus,  dès  le  xiv"  siècle,  des 
signes  hiéroglyphiques  auxquels  on  ne  devait  rien  changer.  A  la  lin  du  moyen 
âge,  les  attributs  des  saints  se  voient  partout  :  les  monnaies  émises  par  les 
villes,  les  blasons  de  certains  ordres  religieux,  les  mettent  sans  cesse  sous  les 
yeux  du  peuple.  Sur  l'écusson  des  Dominicains,  par  exemple,  un  chien  qui  porte 
dans  sa  gueule  un  flambeau  rappelle  le  rêve  prophétique  que  fit  pendant  sa 
grossesse  la  mère  de  saint  Dominique.  Le  blason  des  Chartreux  montre  les  sept 
étoiles  cpii  apparurent  en  songe  à  l'évêque  de  Grenoble  et  lui  annoncèrent 
l'arrivée  de  saint  Bruno  et  de  ses  six  compagnons.  —  Les  attributs  de  saints 
étaient  passés  en  proverbe.  On  disait  de  deux  amis  :  ils  sont  inséparables 
comme  saint  Hoeh  et  son  chien  '. 


VI 

Parmi  tant  de  saints  auxquels  le  moyen  âge  rendit  un  culte,  quels  sont  ceux 
que  l'art  représente  de  préférence:1 

Quiconque  a  vu  Chartres,  Amiens,  ou  Notre-Dame  de  Paris-  sait  cpie,  parmi 
les  saints,  les  apôtres  sont  au  premier  rang.  Placés  des  deux  côtés  du  portail 
principal,  ils  accompagnent  Jésus-Christ.  Ils  tiennent  une  si  belle  place  dans 
l'église  (ils  étaient  peints  ou  sculptés  deux  ou  trois  fois  dans  chacune  de  nos 
cathédrales)  que  nous  devons  leur  donner  aussi  une  place  d'honneur. 

Les  ailistes  représentent  tantôt  la  vie  des  apôtres  et  tantôt  leurs  images 
isolées.  Un  assez,  grand  nombre  de  vitraux,  à  Chartres,  à  Bourges,  à  'l'ours,  à 
Poitiers,  sont  consacrés  à  la  vie  des  apôtres.  Ce  sont,  peut-être,  parmi  les 
œuvres  légendaires  du  moyen  âge,  les  plus  extraordinaires.  Si  on  ne  connaît 
que  les  Atles  des  apôtres,  on  ne  pourra  rien  comprendre  aux  mirai  les  de  saint 

1  Collin  de  Plancy.  Uni.  des  reliques,  article  :  Proverbes. 

~  Lus  apôtres  «lu  portail  de  Notre-Dame  <iV  Paris  ont  été  refaits. 


LE    MIROIR    HISTORIQUE    —    LA    LÉGENDE    DORÉE  ;,. 

Jean  et  aux  voyages  de  saint  Thomas  que  représentant  nos  vitraux.  Il  y  a  au 
moins  trois  cents  ans  qu'on  ne  raconte  plus  de  la  sorte  l'histoire  des  apôtres. 

Ces  récits,  que  L'Eglise  abandonna  définitivement  après  le  concile  de  Trente, 
furent  autrefois  très  célèbres.  Ils  proviennent  de  livres  apocryphes  que 
le  pape  (iélasc  condamna,  mais  dont  l'usage  demeura  toléré.  L'Orient  n'avait 
pu  se  résigner  au  silence  que  gardent  les  livres  saints  sur  la  plupart  des  apô- 
tres. Quelques  traditions  orales  dignes  de  foi  subsistaient  encore  sans  doute 
dans  les  premières  communautés  chrétiennes  ;  mais  la  légende  ne  tarda  pas  à 
étouffer  l'histoire.  On  vil  paraître  des  Actes  de  saint  Jean,  de  saint  Pierre,  de 
saint  Paul,  de  saint  Thomas,  attribués  à  un  certain  Leucius,  où  la  vérité  se 
mêlait  à  la  fiction  '. 

Plusieurs  sectes  hérétiques  s'exercèrent  à  la  composition  de  ces  romans,  et 
s'efforcèrent  de  couvrir  leurs  erreurs  de  l'autorité  des  apôtres  \  Un  compilateur 
inconnu,  du  \"  siècle  probablement,  dans  un  livre  <pi  d  intitula  Histoire  ilu 
Combat  apostolique  et  qu'il  attribua  à  Àbdias,  évêque  de  Babylone,  contem- 
porain et  compagnon  de  saint  Jude  et  de  saint  Simon,  rassembla  presque  tout 
ce  qu'on  avait  écrit  sur  ce  sujet.  L'ouvrage  du  pseudo-Abdias  était  censé  avoir 
été  rédigé  primitivement  en  hébreu,  puis  traduit  en  grec,  et  enfin  mis  en  latin 
par  un  certain  Julius  Africanus.  La  traduction  de  Julius  Africanus  lii  fortune  au 
moyen  âge.  Vincent  de  Beauvais  s'en  est  servi  pour  écrire  sou  Miroir  histo- 
rique, et  Jacques  de  Voragine,  dans  sa  Légende  dorée,  s'est  presque  toujours 
contenté  de  la  résumer  en  abrégeant  les  longs  discours   . 

Le  pseudo-Abdias  jouit  d'une  grande  autorité  dans  l'Eglise  du  moyen  âge. 
Non  seulement  on  le  toléra,  mais  on  en  lui  des  fragments  au  chœur,  le  joui'  de 
la  (été  de  chacun  des  apôtres.  On  en  trouve  la  preuve  dans  les  Lectionnaires 
du  xne  siècle  qui  sont  venus  jusqu'à  nous'.  Les  légendes  des  apôtres  persistent 
encore  dans  les  premiers  Bréviaires,  au  mm  Cl  au  \i\    siècle  '.  Le  clergé  n  avait 


1   Voir  Batiffol.  Anciennes  littéral,  chrétiennes.  Paris,   1897,  in-ia,   p     |i 

J  Notamment  dans  les  Actes  de  >'iint  Thomas,  composition  gnoslique  où  le  mariage  esl  coud né     \ 

Renan,  l'Eglise  chrétienne    p    5a3     Les  actes  a] ryphes  des  apôtres  onl  élé  publiés  par  l'ischendorl 

Apostolorum  apocrypha    Leipzig,  18Î1   ;  plusieurs  sonl  traduits  dans  le  Dict   des  apocryphes  de  M  igné.  t.  II. 

:   Le  texte  latin  du  pseudo-Abdias  a  été  publié  par  Fabricius  :  Coder  apocryph        \         I  Ham- 

li 'g,   17  l 'i.  1.  I. 

1   Par  exemple,  à  la  Bibl.Sainle-l viève.ms  n°  1  t7o(anliphonaircel  leelionn.  duxii'  pcul  y  lire 

ti I  histoire  apocryphe  de  sainl  Jean,  el  la  lutte  de  sainl    Pii  rre  1  1   de  saint   Paul  conlre  le   magii 

Rome  (I     i5>)    Voir  aussi  Bibl.  Sainte-Geneviève    ms    n     1 3a    leetionn    du  >  .  toute  l'histoire  apo 

cryphe  de  >.iinl   Jacques    I     1  1    .   \    1. 

5   Voir  Balilfol,  Histoire  du  hré\'iaire  romain,  p. 


;,i,  L'ART   RELIGIEUX   DU   XIII'    SIECLE 

donc  aucune  raison  île  défendre  aux  artistes  la  représentation  de  ces  vies  apo- 
cryphes :  il  lisait  dans  les  livres  de  chœur  les  mêmes  histoires  que  les  maîtres 
verriers  peignaient  sur  leurs  vitraux. 

Grâce  aux  œuvres  d'art  surtout,  les  fidèles  n'ignoraient  aucune  circonstance 
de  la  vie  des  principaux  apôtres.  11  fut  reçu  que  chacun  d'eux  avait  évangélisé 
une  contrée  différente  du  monde.  Saint  Pierre  avait  apporté  la  foi  à  Rome,  saint 
Paul  l'avait  répandue  de  Jérusalem  jusqu'à  l'Illyrie,  saint  André  l'avait  fait  con- 
naître à  l'Achaïe,  saint  .laïques  le  Majeur  à  l'Espagne,  saint  Jean  à  l'Asie,  saint 
Thomas  à  l'Inde,  saint  Jacques  le  Mineur  à  Jérusalem,  saint  Matthieu  à  la  Macé- 
doine, saint  Philippe  à  la  Galalie,  saint  Barthélémy  à  la  Lycaonie,  saint  Simon 
à  l'Egypte,  saint  Juile  à  la  Mésopotamie  '. 

Les  voyages  et  les  miracles  des  apôtres  ne  fuient  pas  tous  également  célè- 
bres. Il  n'y  a  guère  que  saint  Pierre,  saint  Paul,  saint  Jean,  saint  Thomas, 
saint  Jacques,  saint  Juile  et  saint  Simon  dont  la  vie  ait  été  racontée  avec  détail. 
Les  maîtres  verriers  se  sont  inspirés  si  souvent  de  l'histoire  apocryphe  de  ces 
apôtres  que  nous  devons  en  faire  connaître  les  principaux  traits. 

La  légende  de  saint  Pierre  ne  va  jamais  sans  celle  de  saint  Paul,  l'n  même 
vitrail  réunit  les  deux  saints  que  l'Église  fête  le  même  jour2.  On  n'avait  pas 
voulu  séparer  les  deux  apôtres,  qui  avaient  soutenu  les  mêmes  luttes,  et  qui, 
disait-on,  s'étaient  embrassés  au  moment  de  marchera  la  mort  .  Aussi  les 
vitraux  nous  montrent-ils  de  préférence  les  épisodes  de  leur  séjour  à  Home,  et 
les  scènes  où  ils  associent  leurs  prières  pour  triompher  de  Simon  le  magicien. 

La  Légende  dorée  a  achevé  de  déformer  les  actes  apocryphes  de  saint  Pierre 
et  de  saint  Paul.  La  Rome  où  nous  transporte  Jacques  de  Voragine  est  la  ville 
fabuleuse  qu'aimait  le  moyen  âge,  la  Rome  qu'avait  embellie  le  magicien 
Virgile.  Néron  v  règne  entouré  d'enchanteurs.  Il  a  épousé  un  de  ses  affranchis, 
cl  il  veut  à  toute  force  que  ses  médecins  le  fassent  accoucher;  et,  en  effet,  par 
l'effet  d'un  philtre,  il  mit  au  monde  une  grenouille  qu'il  fit  élever  dans  son 
palais.  Le  sage  Sénèque  n'osait  s'opposer  aux  folies  de  son  élève.  Néron  s'amu- 
sait   à    l'épouvanter  en   faisant  brandir  une  épée   au-dessus  de  sa  tète.   Il   lui 

1  Isidore  de  Séville,  lie  Orlu  cl  obitu  Patrum.  Patrol.,  t.  lxxxiii,  col.  i  j-  et  suiv. 

2  La  légende  de  saint  Pierre  est  réunie  à  celle  de  saint  Paul  dans  des  vitraux  de  Bourges  [Cahier et  Martin. 
pi.  Mil  .  de  Chartres  vitrail  du  chœur),  de  Lyon  (chapelle  do  Saint-Pierre),  de  Sens  [chapelle  absidale, 
mutilé  et  ri  stauré  ,  de  Poitiers  (près  du  chevet  .  de  Troyes  cathédrale,  abside),  dans  doux  vitraux  de  Tours 
(l'un  dans  un.'  des  i  hapelles  absidales,  I  autre  dans  le  chœur). 

Le  vitrail  de  1  :■  -ii r— ^?-  représente  cette  dernière  scène. 


LE   MIROIR    HISTORIQUE   —   LA   LÉGENDE   DORÉE 

avait  même  dit  un  jour,  en  lui  montrant  un  arbre  :      A  quelle  branche  veux-tu 

être  pendu.1     Il  lil  si  bien  que  le  malheureux  Sénèque  finit   par  se  tuer,  et.  par 
-     mort,  justifia  son  nom    Se  necans 

C'est  devant  ce  Néron,  qui  ne  conserve  plus  rien  île  réel,  que  comparaissent 
saint  Pierre  et  Saint  Paul.  L'empereur  avait  entendu  parler  de  leurs  miracles 
avait  même  appris  que  saint  Paul  axait  ressuscité  -on  échanson  Patrocle2.  .Mais 
il    conservait    de-    doute-.    Il-    avaient    un  rival  redoutable  en  la   personne  de 
Simon  le   magicien,  qui  s'était  empare  par  ses  prestiges  de  l'esprit  de  Xéron. 
Simon  se  vantait  de  faire  mouvoir  des  serpents  d'airain,    rire   de-   statut  s 
bronze  et  chanter  des  chiens.  11  ordonnait  à  une  faucille  de  moissonner  et  elle 
faisait    plus    de    travail    que    dix     moissonneurs.     Sa    phvsionomie    chang 
bru-quement    d'aspect,    de  sorte   qu'il  avait  l'air  tantôt   d'un   jeune  homme  et 
tantôt  d'un  vieillard.  Un  jour,  il  se    fît  décapiter  par  le  bourreau   :  mais    il  eut 
l'art  de   substituer   un  bélier  a  sa  place,   et    le   troisième    jour,    il  parut  devant 
Xéron.  (1  est  pourquoi  le  peuple  romain  lui  éleva  une  statue  avec  cette  inscrip- 
tion :  Semoni  deo  suinta.      A  Simon,  dieu  saint 

L'empereur  voulut    mettre   aux    prises   les  apôtres   avec   son    thaumaturg 
Quand  ils  furent  en  présence,  saint  Pierre  dit  à  Xéron  :      >i  la  divinité  es 
lui.  qu'il  médise  ce  que  je  pense,  et  je  vais   confiera  ton  oreille  la  peu-ce  que 
j'ai  en  mou  esprit        Ht    Pierre   dit  secrètement  à    Xéron  :        Ordonne  q 
m'apporte  un  pain  d'orge  et  qu'on  me  le  donne  en  cachette.       Quand  Pierre  eut 
reçu  le  pain,  il  le  bénit,  le  mit  -ous  -;1  tunique  et    dit  :       Que  Simon,  qui  pré- 
tend être  Dieu,  dise  ce  (pie  j'ai  pen-e.  ce  que  j'ai  dit.  el  ce  que  j'ai  fait.      Simon 
répondit  :       Que  ce  -oit  Pierre  qui    dise  ce  que  je  pen-e.      Kl  Pierre  répliqua  : 
Ce  que  Simon  pen-e.  je  montrerai  que   je  le  sais.        Simon,  plein  de  colère. 
s'écria   :       Que  les  (bien-   viennent    et   le   dévorent.        Et  aussitôt    des   chiens 
énormes  apparurent  et  se  jetèrent  sur  saint  Pierre  :  mais  il  leur  présenta  le  pain 
< 1 11  il  axait  béni  et  aussitôt  il  leur  lit  prendre  la  fuite    . 

Simon  ne -e  tint  pas  pour   battu,    et   il    se    lit  forl    île  ressusciter  un  jeune 
homme  qui  venait  de  mourir.  .Mai-  il  eut  beau  prononcer  le-  formules  les  plus 


/ .  _     aui     /'    -  /'-■'        /' 

!.■   vitrail  de  Chartres  montre  saint  Paul  ressuscitant  Pair 

1  inscription      Semoni  Deo  S  I  compris   .  Semo 

•   /    .  Légende   de  saint  Pierre     Bruuel  . 

dans  nu  \  ilrail 


148  L'ART    RELIG]  EUX    DU    XIII1    SIÈCLE 

efficaces,  il  ne  sut  que  lui  faire  remuer  la  tête.  Les  apôtres  alors  s'approchèrent 
du  lit,  et  saint  Pierre  dit  :  «  Jeune  homme,  au  nom  de  Jésus-Christ  de  Nazareth 
qui  a  élé  crucifié,  lève-toi  et  marche.   »   Et  le  mort  se  leva  et  marcha1. 

Le  peuple  murmura  bientôt  contre  Simon.  Le  magicien  mécontent  déclara 
qu'il  voulait  abandonner  une  ville  qui  n'était  plus  digne  de  lui  servir  de  séjour, 
et  il  annonça  qu'il  allait  s'enlever  au  ciel.  Au  jour  qu'il  avait  lixé.  il  monta  au 
Capitole,  couronné  de  lauriers,  et,  en  présence  de  toute  la  ville,  il  se  jeta  du 
haut  d'une  tour  et  se  mit  à  voler.  «  Néron,  plein  d'admiration,  dit  aux  apôtres  : 
"  Cet  homme  a  dit  vrai:  quant  à  vous,  vous  n'êtes  que  des  imposteurs.  »  Alors, 
le-  apôtres  se  mirent  en  prière,  et  soudain  les  démons  qui  soutenaient  Simon 
l'abandonnèrent.  Il  tomba  et  se  fracassa  la  tête2.  » 

Néron,  inconsolable  de  la  mort  de  son  magicien,  fit  emprisonner  les  apôtres 
dans  la  prison  Mamertine.  .Mais  ils  convertirent  leurs  geôliers  qui  les  déli- 
vrèrent. Pierre,  redoutant  la  mort  qui  le  menaçait,  résolut  de  s'enfuir.  Il  était 
déjà  sorti  des  murs,  et  il  était  arrivé  à  l'endroit  où  se  trouve  aujourd'hui  l'église 
Sancta  Maria  ad  passus,  quand  soudain  il  vit  Jésus-Christ  qui  venait  vers  lui. 
Seigneur,  où  allez-vous?  »  dit  Pierre.  «  Je  vais  à  Home  pour  y  être  crucifié 
de  nouveau  »,  répondit  Jésus-Christ.  Saint  Pierre  comprit  la  leçon  que  lui  don- 
nait son  maître,  et,  en  pleurant  sur  sa  faiblesse,  il  rentra  à  Rome  pour  y  mourir  . 

Le  gouverneur  Agrippa  ne  tarda  pas  à  faire  saisir  les  apôtres,  et,  après  les 
avoir  fait  comparaître  devant  lui,  il  les  condamna  à  mort.  Ils  s'embrassèrent 
axant  de  marcher  au  supplice.  Saint  Pierre,  qui  était  Juif,  fut  mis  en  croix.  11 
demanda  par  humilité  a  être  crucifié  la  tète  en  bas.  Au  moment  où  il  expirait, 
les  veux  des  bourreaux  s'ouvrirent,  et  ils  virent  des  anges  qui  tenaient  des  cou- 
ronnes de  lis  et  des  roses  et  qui  entouraient  saint  Pierre  suspendu  à  la  croix1. 
Saint  Paul,  en  sa  qualité  de  citoyen  romain,  fut  condamné  à  avoir  la  tète  tran- 
chée. Sur  la  route,  il  rencontra  une  chrétienne  nommée  Platilla  :  il  la  pria  de 
lui  prêter  son  voile  pour  qu'on  put  lui  bander  les  yeux,  et  il  lui  promit  de  le  lui 
rapporter  après   sa  mort.  Les  soldats  se  mirent  a  rire,   lappelerent   faux  magi- 

1   Vitrail  de  Bourges,  vitrail  de  Lyon. 

l  <!<■  Bourges,  <  1  «  •  Chartres,  de  Tours.  Rosace  du  vitrail  'le  Reims  consacre  .'i  sainl  Pierre.  \  itrail 
I     Poitiers,   \  itrail  de  Saint-Père  de  Chartres  (fenêtres  hautes  du  chœur.  \i\     siècle  . 

L'épisode,  si  célèbre  ilu  <•  Domine,  quo  \,<<IU  a  <-^l  représenté  dans  un  compartiment  du  vitrail  de 
Bourges,  dans  relui  de  Lyon,  cl  dans  un  bas-relief  du  portail  de  la  cathédrale  de  Lyon. 

'   Voir  le  s.iim  Pierre  crucifié  de  la  cathédrale  de  Rouen  (portail  des  Libraires] .  moulage  au  Trocadéro. 


LE    MIROIR    HISTORIQUE  —   LA    LÉGENDE    DORÉE  ;;., 

rien,  et,  par  dérision,  ils  permirent  à  Platilla  de  faire  ce  qu'il  demandait.  Sainl 
Paul  lut  décapité  pics  de  la  voie  d'Ostie  en  prononçant  le  nom  de  Jésus-Christ. 
Le  jour  même,  il  apparut  à  Platilla  revêtu  d'une  splendeur  incomparable,  et  il 
lui  rendit  son  voile  taché  de  sang  '. 

(  )n  retrouve  dans  les  récits  que  nous  venons  de  résumer  quelques  souvenirs 
des  miracles  d'Apollonius  de  Tyane  mêlés  à  des  fables  puériles,  nées  aux 
basses  époques.  Un  très  bel  épisode,  d'une  sublime  simplicité,  celui  du 
humilie,  quo  vadis,  rappelle  seul  la  grande  littérature  chrétienne  des  premiers 
temps. 

Ces  légendes  flattaient  trop  la  passion  dominante  du  moyen  âge,  son  amour 
du  merveilleux,  pour  qu'il  ne  les  ait  pas  mieux  aimées  (pie  les  graves  récits  des 
Actes  des  Apôtres.  11  est  remarquable  en  effet  que  les  Actes  aient  inspiré  si  peu 
d'œuvres  aux  artistes  du  xnieet  du  \i\  siècle  :  ils  préférèrent  toujours  la  source 
trouble  des  Apocryphes'2. 

L'histoire  de  saint  Jean  est  aussi  presque  tout  entière  empruntée  à  la  Légende 
dorée.  Il  n'y  a  peut-être  pas  de  biographie  d'apôtre  qui  ait  donné  lieu  à  plus 
de  labiés  que  celle  de  saint  Jean.  Jacques  île  Voragine  est  bien  loin  d'avoir  fait 
usage  de  tous  les  anciens  récits.  Il  n'a  pas  connu,  par  exemple,  la  curieuse  his- 
toire de  saint  Jean  qui  est  censée  rédigée  par  son  disciple  Prochore  .  Cette  vie 
de  l'apôtre  séduisit  les  Grecs  par  un  air  de  sincérité  et  par  l'extrême  précision 
des  détails  :  mais  il  ne  semble  pas  qu'elle  ait  pénétré  en  Occident  avant  le 
xvie  siècle8.  Jacques  de  Voragine  n'a  même  pas  rapporté  tous  les  événements 
que  raconte  le  faux  Abdias.  L'histoire  si  dramatique  de  l'amour  de  Callimaquc 
pour  Drusiana.  d'où   l'abbesse  Hrotswita  avait   tiré  une  tragédie  au  \"  siècle,  ne 


1    Leg.  aurea.  Ile  sanclo  Paulo.  L'épisode  du  voile  'If  l'I.iiilla  se  voil  dans  le  vitrail  de  Chartres. 

-   Les  œuvres  d'art  empruntées  aux  Actes  sonl  si  rares  que  nous  avons  dû  i  allai  lier  celle  élude  sur  les 
Apôtres,  m > 1 1   point  au  chapitre  du  Nouveau  Testament,  mais  au  chapitre  de  la   f.égen  Parmi  les 

rares  œuvres  inspirées  par  les  Actes  signalons  un  vitrail  de  Semur,  dans  la  chapelle  de  la  Vierge,  consacré 
à  sainl  Pierre  saint  Pierre  devant  le  juge,  sainl  Pierre  en  prison,  sainl  Pierre  délivré  par  I  ange  à  Auxcrre, 
un  vitrail  de  sainl  Pierre  el  de  sainl  Paul  donl  les  fragments  sonl  dispersés  dans  plusieurs  verrières  (on 
voit  :  sainl  Pierre  et  la  nappe  chargée  d'animaux;  Ananio  elSaphire:  sainl  Paul  à  Malle  piqué  par  la  vip 
à  Amiens,  un  vitrail  de  la  chapelle  de  la  Vierge  montre  I  histoire  de  sainl  Klienne  •■!  de  la  conversion  <lr 
saint  Paul  d'après  les  Actes.  L'histoire  de  la  conversion  de  saint  Paul  d'après  les  Actes  ix,  1-19)  se  voil 
aussi  aux  linteaux  du  portail  de  droite  cl  du  portail  de  gauche  delà  façade  de  lï>iins.  Portail  de  gauche  : 
saint  Paul  foudroyé  sur  le  chemin  de  Damas;  portail  de  droite;  saint  Paul  frappé  de  cécité,  guéri  par 
Ananio  . 

:   Migne,  Dict.  des  apocr.,  1.  II,  col.  7  5g  el  suiv. 

•    Voir  les  épisodes  du  naufrage    col.  ;ii  •  .  de  sainl    Iran  valel  de  thermes   [col.  76J  . 

3   Publiée  par  Xéander,  à  Bile,  en  1 3C7 . 


!5o 


L'ART    RELIGIEUX    IH"    XIII'    SIECLE 


figure   pas  clans  la  Légende  dorée.  Si  abrégé  qu'il  suit,    le   récit  de  Jacques  de 
Yoragine  suffit  à  expliquer  toutes  les  œuvres  d'art  du  xine  siècle. 

Après  avoir  été  plongé  clans  l'huile  bouillante,  à  Home,  près  de  la  Porte 
Latine,  saint  Jean  fut  exilé  à  Pathmos,  où  il  écrivit  l'Apocalypse.  La  mort  de 
Domitien  lui  rendit  la  liberté,  et  il  revint  à   Ephèse.  Comme  il  rentrait  dans  la 


Fig.   i  j'i.  —  Morl  du  sain!  Jean  (Vitrail  de  l.\ 

1 1  o  près  L.  l>rg"ulc.) 

ville,  on  portail  en  terre  une  chrétienne,  appelée  Drusiana,  qui  avait  passion- 
nément désiré  son  retour,  et  qui  était  morte  sans  l'avoir  revu.  Saint  Jean,  touché 
de  compassion,  lit  arrêter  le  cortège  et  la  ressuscita1. 

Le  lendemain,  il  vit  sur  le  forum  d'Ephèse  un  philosophe,  nommé  Craton, 
<|iii  donnait  à  la  foule  une  leçon  d'abnégation.  Deux  jeunes  gens,  ses  disciples, 
avaient,  sur  ses  conseils,  vendu  tous  leurs  biens  et  ils  en  avaient  converti  la 


1    Vitraux  de  Chartres,  de  Bourges,  de  la   Sainte-Chapelle. 


LE    MIROIR    HISTORIQUE   —    M    LÉGENDE    DORÉE  ;,i 

valeur  en  pierres  précieuses.  Craton  leur  ordonna  de  prendre  \\n  marteau,  et, 
devant  les  assistants,  de  réduire  les  diamants  en  poudre.  Saint  Jean  blâma  ce 
fastueux  mépris  des  richesses,  où  il  ne  vit  que  de  l'orgueil,  o  lia  été  écrit, 
dit-il,  si  tu  veux  être  parfait,  vends  tout  ce  <[ue  tu  possèdes  et  donne-le  aux 
pauvres.  »  -  «  Si  ton  maître  est  le  vrai  Dieu,  reprit  ("raton,  fais  que  les  pierres 
qui    viennent    d'être  brisées  redeviennent   entières,   afin    que    le    prix    de    l'or 


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Pig.  i  it>.  —  Morl  do  sainl  Jean  I  évangélisle  el  Décollation  de  sainl  Jeau-Bapliste 

|  Portail  de  Rouen  . 

qu'elles  ont  coûté  puisse  être  donné  aux  pauvres.  -  Alors  sainl  Jean  se  mit  en 
prière  et  les  pierres  redevinrent  entières  comme  auparavant.  Et  les  deux 
jeunes  gens  et  le  philosophe  crurent  en    Dieu  . 

Deux  autres  jeunes  gens,  touchés  de  cet  exemple,  vendirent  leur-  biens,  les 
distribuèrent  aux  pauvres  et  suivirent  l'apôtre.  Mais  bientôt  ils  devinrent 
tristes  et  regrettèrent  leur  première  condition.  Saint  Jean  s'en  aperçut.  Un  jour 
qu'ils   étaient   au    bord  de   la   mer,   l'apôtre   leur  lit   ramasser  du  bois   et  des 


1   Leg.  aur   De  sancl.  Johan.   Vitraux  de  Bourges,  de  (  liartres    de  la  Sainte-Chapell  '• 

hautes  'lu  chœur  . 


J5a  L'ART   RELIGIEUX    DU   XIII'    SIÈCLE 

cailloux  et  les  changea  sous  leurs  yeux  en  or  et  en  pierres  précieuses  :  -  Allez 
racheter  vos  terres,  leur  dit-il,  car  vous  avez  perdu  la  grâce  de  Dieu;  soyez 
somptueusement  vêtus  afin  d'être  mendiants  pour  toujours.  »  Les  jeunes  gens 
eurent  honte,  et,  quand  ils  curent  fait  pénitence,  l'or  et  les  diamants  redevin- 
rent du  bois  et  des  cailloux1. 

Les  miracles  de  saint  Jean  ameutèrent  contre  lui  les  prêtres  de  la  grande 
Diane  d'Ephèse.  Ils  le  traînèrent  au  temple  et  voulurent  le  forcer  à  sacrifier. 
Mais  saint  Jean  se  mit  en  prière,  et  soudain  le  temple  s'écroula.  Aristodème, 
«  l'évêque  des  idoles  ».  ne  fut  pas  convaincu  par  un  si  grand  prodige.  «  Je 
croirai  en  ton  Dieu,  dit-il,  si  tu  Lois  le  poison  que  je  te  donnerai.  »  —  «  Fais 
ce  que  tu  voudras  »,  répondit  l'apôtre.  La  force  du  poison  fut  éprouvée  sur 
deux  condamnés  qui  tombèrent  morts  après  lavoir  Lu.  Saint  Jean  sans  s'émou- 
voir, en  présence  de  tout  le  peuple,  prit  la  coupe,  fit  le  signe  de  la  croix,  but  le 
poison  et  n'en  eut  aucun  mal.  Aristodème  demeura  incrédule.  «  Je  croirai, 
dit-il,  si  tu  ressuscites  ces  morts.  »  Saint  Jean  ne  daigna  pas  s'approcher  des 
cadavres.  «  Pose  mon  manteau  sur  eux  »,  dit-il  à  Aristodème.  Aristodème  le  fit, 
et  les  morts  ressuscitèrent  par  la  vertu  qui  était  dans  le  manteau  de  l'apôtre. 
L'apôtre  baptisa  Aristodème  ainsi  que  le  gouverneur  de  la  ville  et  toute  sa 
famille,  et  fonda  une  église". 

Saint  Jean  cependant  était  arrivé  à  l'extrême  vieillesse  :  il  ne  marchait  plus, 
et  ses  disciples  le  portaient  à  l'église.  11  se  contentait  pour  tout  enseignement 
de  répéter  ces  mots  :  «  Mes  enfanls,  aimez-vous  les  uns  les  autres.  »  Et  comme 
les  frères  lui  demandaient  pourquoi  il  redisait  toujours  la  même  parole  : 
(i  Parce  que,  dit-il,  c'est  le  commandement  de  A'otre-Seigncur,  et  si  celui-là  seul 
est  accompli,  il  suffit.  »  Saint  Jean  avait  quatre-vingt-dix-neuf  ans  ;  H  venait 
d'écrire  son  Évangile,  et,  pendant  qu'il  avait  écrit,  la  nature  entière  étuit 
demeurée  dans  un  calme  profond,  et  les  vents  n'avaient  pas  soufflé  par  respect. 
Jésus-Christ  lui  apparut  et  lui  dit  :  «  Viens  à  moi,  mon  bien-aimé,  car  il  est 
temps  (pie  tu  t'asseyes  à  nia  table  avec  tes  frères.  »  Et  le  dimanche  suivant,  les 

1    \  itrail  de  Chartres,  —  Les  alchimistes  <ln  moyen  âge,  se  souvenant  que  s.iini  Jean  .n.iii  changé  des 

caillou;  e disaicnl  ijm  il  avail  eu  le  secret  de  In  pierre  philosophale    ffist.  littér.  de  lu  France,  i    XV, 

1'-   i' 

-  (.  esl  1  épisode  '|"i  a  été  le  plus  souvent  reproduit  et  qui  ;i  valu  à  saint  Jean  le  calice  qu'il  porte  à  la 
m, un.  Vitraux  de  Bourges,  Chartres,  Tours,  Troyes  [vitrail  de  l'abside),  Sainte-Chapelle,  vitrail  île  Saint- 
Julien-du  S. mit  (voir  Gaussin,  Portefeuille  arch.  Je  lu  Champagne,  1861,  pi.  VIII);  Reims  dans  la  petite 
ruse  du  vitrail  'In  chœur  consacré  à  Bainl  Jean  Reims  (bas-relief  du  mur  du  midi,  prés  du  portail  occi- 
dental consacré  il  l'A  pocah  pse  . 


LE   MIROIR    HISTORIQUE  LA    LÉGENDE    DORÉE  ;,; 

fidèles  étant  rassemblés  dans  l'église,  saint  Jean,  après  les  avoir  exhortés  à 
observer  les  commandements,  fit  creuser  une  fusse  au  pied  de  l'autel  fig.  i  i  ">  . 
Il  y  descendit  et,  joignant  les  mains,  il  pria.  Alors  il  fut  environné  d'une  telle 
clarté  qu'on  ne  pouvait,  en  soutenir  la  vue.  Quand  la  splendeur  se  fut  dissipée, 
nul  ne  vit  plus  l'apôtre,  et  ceux  qui  se  penchèrent  sur  la  fosse  la  trouvèrent 
pleine  d'une  manne  parfumée1. 


Fig.  i  \~ .  —  Légende  de  saint  Thomas  (Portail  de  Seimir). 

La  Nie  et  la  mort  de  sainl  Jean  racontées  par  les  Apocryphes  ne  sont  pas 
sans  beauté.  L'histoire  des  pierres  précieuses  était  sans  doute,  dans  la  pensée 
des  premiers  rédacteurs,  une  sorte  d  ingénieux  apologue,  où  la  charité  chré- 
tienne était  opposée  à  l'orgueil  stoïcien.  Quant  à  la  légende  de  la  mort,  ou 
plutôt  de  la  disparition  mystérieuse  de  saint  Jean,  elle  est  née  de  la  croyance 
fort  répandue  parmi  les  chrétiens  de  la  première  génération  que  le  disciple 
bien-aimé  ne  devait  pas  mourir. 


1  Chartres,  Bourges.  Tours,  Reims,  Saint-Julicn-du  Sault,  Lyon    vitrail  de  l'abside).  L;i 
.Iran  est,  dans  le  vit  rail  de  Lyon,  le   seul  emprunt  qui  ait  été  fait  aux  Apocryphes;  le  reste  est  consacré  a 
la  vision  de  saint  Jean  a  Pathmos.   La  scène  uni  a  été  s<- ni ] it.. ■  dans  la  partie  li  i  i   au  portail 

de  gauche   d'1    la  cathédrale  de   Rouen,  est,  ne  l'a  montré  M"'    Louise  Pillion  [liev.  de  l'art  chrétien, 

i  S.|  |  ,  la  mort  mystérieuse  de  sainl  Jean  l  évangéliste    fig.  i  i<J).  L'autre   registre  du  tympan  csl  consacré  à 
la  décollation  de  sainl  .Iran  Baptiste 

t"> 


;,;  L'ART   RELIGIEUX   DU   XIII1    SIECLE 

L'histoire  légendaire  de  saint  Jean  fut  si  sincèrement  tenue  pour  véritable  au 
moyen  âge  que  certains  vitraux  qui  lui  fuient  consacrés,  comme  ceux  de  Char- 
tres ou  de  Bourges,  ne  contiennent  pas  un  seul  trait  qui  ne  soit  emprunté  aux 
Apocryphes. 

La  légende  des  aventures  de  saint  Thomas  dans  l'Inde  n'était  qu'un  roman  : 
saint  Augustin  l'avait  sévèrement  condamnée1  ;  elle  n'en  fut  pas  moins  très 
chère  aux  fidèles  et  aux  artistes.  11  y  avait  un  charme  pour  l'imagination  à  suivre 
saint  Thomas  jusqu'aux  extrémités  du  monde  connu,  jusqu'au  royaume  du  mys- 
térieux Gondoforus.  On  disait  que  ce  roi  lointain  l'avait  fait  venir  comme  archi- 
tecte pour  lui  bâtir  un  palais,  a  pareil  à  ceux  de  Home  ».  L'apôtre  s'embarqua, 
et  il  arriva  dans  une  ville  où  on  célébrait  des  noces.  Il  v  fut  invité,  et  il  s'assit 
avec  les  convives  à  la  table  du  festin.  Il  y  avait  là  une  jeune  fille  venue  de  la 
Judée,  qui  jouait  de  la  flûte  et  chantait.  Elle  devina  que  saint  Thomas  était  Juif, 
et  elle  se  mit  à  chanter  dans  sa  langue  :  «  C'est  le  dieu  des  Hébreux  qui  a  créé 
toute  chose  et  qui  a  creusé  les  mers.  »  L'apôtre  écoutait,  les  veux  levés  au  ciel. 
L'échanson,  voyant  que  saint  Thomas  ne  mangeait  ni  ne  buvait,  se  mit  en  colère 
et  lui  donna  un  soufflet.  Dieu  ne  laissa  pas  l'insulte  impunie.  Quand  l'échanson 
sortit  pour  aller  puiser  de  l'eau  à  la  fontaine,  un  lion  le  tua,  des  chiens  le  déchi- 
rèrent et  ils  apportèrent  sa  main  dans  la  salle  du  festin.  Les  assistants  com- 
prirent qu'il  y  axait  dans  l'inconnu  une  force  secrète,  et  la  joueuse  de  flûte 
tomba  à  ses  pieds.  Alors  saint  Thomas  parla,  et  il  fut  si  persuasif  que  les  époux 
demandèrent  le  baptême  et  s'engagèrent  à  vivre  dans  la  continence.  —  De  là, 
l'apôtre  se  rendit  dans  la  capitale  de  Gondoforus.  Le  roi  lui  présenta  le  plan  du 
palais  qu'il  voulait  faire  bâtir,  lui  ouvrit  ses  trésors  et  s'en  alla  dans  une 
autre  province.  Saint  Thomas  se  mit  aussitôt  à  prêcher  l'Evangile  et  il  con- 
vertit une  partie  de  la  ville.  Quand  le  roi  revint  et  qu'il  apprit  ce  que  l'apôtre 
avait  fait  pendant  son  absence,  il  le  lit  jeter  en  prison  et  le  condamna  à  être 
écorché  vivant.  .Mais,  la  veille  de  l'exécution,  le  frère  du  roi.  qui  venait  de 
mourir,  ressuscita  et  il  dit  à  sou  frère  :  «  .Mon  frère,  j'ai  vu  le  palais  d'or,  d'ar- 
gent et  de  pierreries  qu'a  bâti  cet  homme  :  il  est  dans  le  paradis,  et  si  lu  veux, 
d  est  à  loi.  »  Gondoforus  s'émut  et  fit  venir  l'apôtre  (pu  dit  au  roi  et  à  son 
frère  :  »  Croyez  en  Jésus-Christ  et  soyez  baptisés,   car  il  y  a  au  ciel  d  innom- 


1  Sainl   Augustin,    Contra  l'un  .s  lu  m,  lib.  XXII,   cap.   Lxxix.    Patrol.,   I.    XL1I,  col.   \'->  i .    II    reconnaît 
dans  la  Légende  de  saint  Thomas  une  œuvre  «les  Manichéens, 


LE   MIROIR    HISTORIQUE  LA    LÉGENDE    DORÉE 

brables  palais  qui  sonl  préparés  depuis  le  commencemenl  <lu  inonde1.  »  On 
entrevoit  l'origine  d'une  pareille  légende  :  elle  est  née  d'une  métaphore.  Les 
apôtres  bâtissent  l'édifice  de  la  foi.  ils  »  édifient  »  un  temple  fait  de  pierres 
vivantes  qui  est  l'Eglise.  Encore  aujourd'hui,  le  mot  «  édifier  •■  garde  dans 
notre  langue  son  sens  mystique.  Un  écrivain  d'une  imagination  \  ive  est  parti  de 
là  pour  faire  de  saint  Thomas  un  architecte2.  Tout  eela  était  pris  au  pied  de  la 
lettre  au  xnr  siècle,  sans  commentaire  et  sans  exégèse.  Rien  n'étonnait  ces 
âmes  naïves. 

Certaines  légendes  où  les  apôtres  apparaissaient  comme  d'habiles  magiciens 
semblent  leur  avoir  plu  tout  particulièrement.  Les  verrières  reproduisent  sou- 
vent l'histoire  de  saint  Jacques  le  .Majeur  qui  a  l'air  d'être  empruntée  à  quelque 
livre  de  sorcellerie. 

Comme  saint  Jacques  prêchait  en  Judée,  un  magicien,  nommé  Hermogène,  lui 
envoya  son  disciple  Philétus  pour  le  convaincre  d'erreur.  Le  maître  n'avait  pas 
daigné  se  déranger  lui-même.  .Mais  il  arriva  que  saint  Jacques,  par  sa  parole  et 
par  ses  miracles,  convertit  Philétus.  Quand  Hermogène  apprit  ce  qui  s'étail 
passé,  il  fut  tellement  irrité  qu'il  lia  Philétus  par  ses  sortilèges, et  le  retint  prison- 
nier sans  qu'il  pûtfaireun  mouvement.  Philétus  envoya  un  valet  prévenir  saint 
Jacques.  «  L'apôtre  lui  fit  passer  son  manteau,  en  disant:  «  Qu'il  prenne  ce  man- 
teau et  qu'il  dise  :  ci  Dieu  relève  ceux  qui  sont  tombés  et  délivre  ceux  qui  -uni 
captifs  »>  (fig.  r/|8).  Aussitôt  que  Philétus  eut  touché  le  manteau,  il  lut  délivré 
de  la  captivité  où  le  retenait  lait  magique  d'Hermogène,  et  il  se  hâta  d'aller 
trouver  Jacques.  Hermogène,  plein  de  courroux,  réunit  les  démons,  leur  disant 

1  Leg.  aur.  De  sancto  Thoma, 

-  La  légende  de  saint  Thomas  esl  reproduite  avec  tous  ses  détails  dans  les  vitraux  de  Chartres  chœur), 
de  Bourges  [chœur),  de  Tours  (chœur,  fenêtres  hautes).  —  Tout  le  tympan  du  portail  septentrioi 
l'église  ili>  Semur  lui  est  consacré.  Nous  nous  permettrons  d  insister  sur  le  portail  'l<-  Semur  parce  que  le 
sens  des  scènes  <[ni  le  décorent  n  avait  pas  encore  été  compris,  Les  archéologues  locaux  continuent  .1  \  voir 
l'histoire  >lu  meurtre  de  Dalmace,  assassiné  par  ordre  de  Robert,  duc  de  Bourgogni  1  I  edeuil,  Sotiee  sur 
Semur-en-Auxois  Semur,  1  ss  j .  p.  56).  Le  Guide  .In, mur  [Bourgogne  et  Worvan,  édit.  de  1892,  \>.  i~  ■  \ 
voit  la  conversion  dis  peuples  .111  christianisme  V'oici  comment  il  faut  interpréter  les  diverses  scènes  qui 
remplissent  le  tympan    li^;    14 7).  lr0  ligne   à  gauche   :  saint  Th as  met  la  main  dans  le  coté  de  Jésus-Christ 

1.'  prévôt  du  ici  1  londoforus  rencontre  saint  Thomas    accompagné  d'un  disciple   sur  la  | ■!■■ 

saint   Thi s  esl   en   bateau   el   se  dirige  vers  l'Inde.  ligm      il  droiti        un   festin  ;  une  danseuse 

marche  sur  les  mains  :  un  chien  apporte  dans  s.i  gueule  la  main  de  I  échanson  ;        saint  Thomas  reçoit  les 
ordres  du   roi  Gondoforus  ;         il  distribue  aux  pauvres,  au  lieu  de  bâtir  le  palais,  les  trésors  de  C! 
loin  s  ;  un  il.--  pauvres  esl  .issis  sur  iwi  escabeau,  un  autre  tient  une  1  ilebasse  el  .1  un  lyp<  •  pro 

nonce.-    S;«  in  1   Tin  mu-  en  prison.      S.iiul  Thomas  parle  avec  un  personnage  agenouillé  dont  la  tète  a  disparu, 
peut  être  Gondoforus  :  la  robe  cependant  .1  I  air  d  être  celle  d  une  femme,  ce  serait  .dors  Migdomic  deman- 
dant pardon  .1  -;mit  Thomas  d  être  cause  de  sa  captivité.  —  Comment  expliquer  celte  place  faite  à  la  I 
de  — . i i  1 1 1  Thomas  dans  l'église  d.'  Semur  '.'  S. m-  doute  par  quelque  relique  du  saint.  Les  documents  manquent. 


156  L'ART    RELIG  I  EUX    DU   XIII"   SIECLE 

de  lui  amener  Jacques  et  Philétus,  tous  deux  garrottés,  afin  qu'il  se  vengeât 
(I  eux.  Les  démons,  volant  à  travers  les  airs,  vinrent  trouver  Jacques,  disant  : 
"  Jacques,  apôtre  de  Dieu,  aie  pitié  de  nous,  car  nous  brûlons  avant  que  notre 
temps  soit  venu,  n  Et  Jacques  leur  dit  :  «  Pourquoi  êtes-vous  venus  vers  moi  ?  » 
Et  ils  répondirent  :  «  Hermogène  nous  a  envoyés  pour  que  nous  te  menions  à 
lui  avec  Philétus;  mais  comme  nous  allions  vers  toi,  l'ange  du  Seigneur  nous 
a  attachés  avec  des  chaînes  de  fer,  et  nous  a  très  rudement  tourmentés.  »  Et 
Jacques  leur  dit  :  «  Retournez  à  celui  qui  vous  a  ordonné  de  venir,  et  amenez-le- 
moi  garrotté,  niais  sans  lui  faire  de  mal.  <>  Et  les  démons  prirent  Hermogène, 
lui  attachèrent  les  mains  et  les  pieds  derrière  le  dos,  et  l'amenèrent  à  saint 
Jacques.  —  Jacques  lui  parla  avec  douceur,  lui  expliqua  que  les  chrétiens 
devaient  rendre  le  bien  pour  le  niai,  puis  le  délivra.  Mais  Hermogène  n'osait 
pas  s'en  aller.  c<  Je  connais  la  fureur  des  démons,  dit-il,  si  tu  ne  me  donnes 
quelque  chose  qui  t'appartienne,  ils  me  tueront.  >  Et  Jacques  lui  donna  son 
bâton.  Quelque  temps  après,  Hermogène  jeta  tous  ses  livres  de  magie  dans  la 
mer  et  reçut  le  baptême  '. 

Presque  tous  les  apôtres,  dans  la  Légende  dorée,  ont  à  lutter  avec  des 
enchanteurs.  Mais  c'est  saint  Jude  et  saint  Simon  qui  eurent  à  combattre  les  plus 
redoutables  thaumaturges.  Ils  vinrent  les  provoquer  jusque  dans  le  sanctuaire 
des  ails  magiques,  jusque  clans  le  temple  du  Soleil,  à  Sannir,  près  de  Babylone. 
La  science  de  Zoroès  cl  d'Arphaxat  ne  les  effraya  pas  :  ils  devinèrent  l'avenir, 
firent  parler  un  enfant  qui  venait  de  naître,  domptèrent  des  tigres,  des  serpents, 
chassèrent  d  une  statue  un  démon  qui  se  montra  sous  la  figure  d'un  Ethiopien 
noir  et  s'enfuit  en  poussant  des  cris  rauques2. 

Sainl  André  ne  put  convertir  l'Asie  et  la  Grèce  ([n'en  surpassant  tous  les 
prodiges  îles  magiciens,  en  chassant  de  Nicée,  sous  la  figure  de  sept  gros 
chiens,  sept  démons  qui  désolaient  la  ville,  en  exorcisant  un  esprit  qui  habitait 
dans  des  thermes  et  qui  étranglait  les  baigneurs  . 

(les  légendes,  si   rebutantes  qu'elles   nous  paraissent  aujourd'hui,  ne  sont 


1   Leg.  a  m    De  su  m  lu  Jacobo  Maj.  —  Vitraux  '!<■  Bourges  (chœur),  de  Chartres  chœur  agi lu''    Gg.  148), 

il  Auxerre  (bas  ■ côli    droit,  près  du    chœur)  :  deux  vitraux  à  Tours  [l'un  dans  une  des  chapelles  du  chœur, 
l'autre  dans  les  fenêtres  hautes  'Ici  chœur  . 

Leg.  mu    De  sancto  Si  m  ma-  ci  .Indu.  —  Vitrail  de  Chartres  (chœur)  el  vitrail  de  Reims  [rose  du  vitrail 
de  sainl  Jude,  dans  le  chœur) 

Leg.  mu     /ii   sancto  Andréa,  el  pseudo-Àbdias   (Migne,  I.    Il,   au   mot      André).    Vitrail  de  Troycs 
(abside);  vitrail  d'Auxcrre    lias  côté  gauchi    . 


LE   MIROIR    HISTORIQUE  LA    LEGENDE    DOREE  ;\; 

pas  sans  valeur  historique.  Elles  témoignent  d'un  état  d'esprit;  elles  sont  un 
précieux  document  sur  le  monde  antique,  et  sur  les  temps  où  elles  sont  nées. 
Elles  nous  rappellent  que  le  paganisme  voulut  réellement  lutter  contre  l'Eglise 
chrétienne  par  les  prestiges  de  la  magie,  qu'on  opposa  Apollonius  de  Tyanc  à 
Jésus,  que  Julien  et  les  philosophes  essayèrent  de  répondre  aux  miracles  par 
des  miracles. 


Fig.  i  j8.  —  Légeud 


<■    <!<■   >.I|U 


i  Jacques    r'ragincut  'I  un  \ilr.iil  do  Chartres  . 


Le  moyen  âge,  de  sou  côté,  aimait  des  œuvres  qui  semblaient  avoir  été 
écrites  pour  lui.  Il  y  reconnaissait  sa  conception  du  merveilleux.  De  là  tant  de 
vitraux  dont  le  pseudo-Àbdias  a  fourni  le  sujet. 

Ces  vitraux  sont  sans  doute  les  œuvres  les  plus  curieuses  que  le  moyen  âge 
ail  consacrées  aux  apôtres,  mais  ce  ne  sont  pas  les  plus  belles.  Les  person- 
nages, trop  petits,  ne  se  présentent  pas  avec  la  majesté  qu  on  soit  aux  grandes 
figures  isolées    d'apôtres    des    fenêtres   hautes,    el    aux    statues    du     porche. 

A  Chartres,  el.  surtout  peut-être  au  grand  portail  d'Amiens,  on  est  frappé 
de  la  beauté  de  ces  nobles  figures  et  de  ces  grands  fronts  lumineux.  Les  artistes, 
nous  l'avons  dit,  par  une  inspiration  heureuse,  leur  ont  donne  presque  à   tous 


358  L'ART  RELIGIEUX    DU   XIII8  SIECLE 

un  air  de  ressemblance  avec  Jésus-Christ.  Ils  sont  rayonnants  d'intelligence. 
Ils  regardent  droit  devant  eux  avec  une  sérénité  profonde.  La  meilleure 
manière  de  les  décrire  est  d'emprunter  à  la  Légende  dorée  le  portrait  qu'elle 
trace  de  saint  Barthélémy  :  c<  Sa  figure  est  blanche,  ses  yeux  grands,  son  nez 
droit  et  régulier,  sa  barbe  abondante  et  mêlée  de  quelques  poils  blancs;  il  est 
vêtu  d'une  robe  de  pourpre  et  couvert  d'un  manteau  blanc  qui  est  décoré   de 


Finit   Martin-SaJxm 
Vie.  1Î9.  —  Apôtres  de  Chartres. 


pierres  précieuses.  Depuis  vingt  ans,  il  porte  les  mêmes  vêtements  sans  qu'ils 
se  soient  usés  ou  salis.  Des  anges  raccompagnent  clans  ses  voyages.  II  a  tou- 
jours la  même  contenance  affable  et  sereine.  Il  prévoit  et  il  sait  toute  chose;  il 
comprend  et  il  parle  la  langue  de  tous  les  peuples,  et  ce  que  je  dis  en  ce 
moment,  il  le  sait  '.   » 

Seuls  saint  Pierre,  saint  Paul  et  saint  Jean  sont  méconnaissables  à  quelques 
détails  traditionnels  de  leur  physionomie.  Saint  Pierre  a  les  cheveux  courts  el 
crépus,  et  il  porte  la  tonsure  ecclésiastique.  Saint  Paul  est  chauve.  Depuis  les 
premiers  siècles   de  l'Eglise  le   type  des  deux  chefs   du   collège  apostolique  n  a 

1   Pseudo  Abdias   (Migne,  1.   11.  article   :   Saint  Barthélémy),  cl   Leg.  aur.  De  sancto   Barthol.  -     Le 
manteau  orné  de  pierres  précieuses  ne  se  rencontre  que  dans  1  arl  roman. 


I.i:    MIROIR    HISTORIQUE  LA    LÉGEXDE    DORÉE  15g 

pas  varié1.  Quant  à  saint  Jean,  le  plus  jeune  des  apôtres,  on  le  représente 
imberbe  jusque  clans  l'extrême  vieillesse2.  (  )n  ne  reconnaît  les  autres  apôtres 
i|n  aux  attributs  qu'ils  ont  à  la  main.  .Mais  ces  attributs  eux-mêmes  ne  furenl 
donnés  d'abord  qu'à  quelques  apôtres  et  ne  furent  accordés  aux  autres  que  peu 
à  peu. 

Il  n'est  pas  impossible,  en  passant  en  revue  les  principales  séries  de  figures 
d'apôtres  qui  se  trouvent  dans  nos  églises,  de  se  rendre  compte  de  la  façon  donl 
les  artistes  ont  procédé. 

A  l'époque  romane,  les  apôtres  n'ont  pas  d'autre  attribut  qu'un  livre.  Seul 
saint  Pierre  porte  les  clefs,  en  mémoire  du  pouvoir  que  lui  avait  donné  le  Sei- 
gneur de  lier  et  de  délier.  Au  \ni'  siècle,  quand  les  apôtres  se  rangèrent  aux 
deux  eôtés  du  portail,  on  commença  à  leur  mettre  entre  les  mains  les  instruments 
de  leur  supplice.  Mais  on  n'était  pas  encore  tombé  d'accord  sur  le  genre  de 
mort  de  cliacun  d'eux.  On  retrouve  dans  Jacques  de  Voragine,  à  la  fin  du 
xin'  siècle,  la  trace  de  ces  incertitudes  :.  L'accord  se  lit  d'abord  sur  saint  Paul, 
saint  André,  saint  Jacques  le  Mineur  et  saint  Barthélémy.  Saint  Paul  reçut  une 
épée,  parce  qu'on  ne  pouvait  douter  qu'il  n'eut  été  décapité.  Saint  André  porte 
une  croix,  parce  que  ses  Actes  disaient  qu'il  avait  été  crucifié  '.  Saint  Jacques  le 
Mineur  tient  une  massue,  parce  qu'il  avait  été  assommé  au  pied  du  temple  de 
Jérusalem  par  un  loulou  armé  de  son  bâton.  Quant  à  saint  Barthélémy,  il  fut 
reçu  îles  la  première  moitié  du  xin'  siècle,  malgré  le  désaccord  des  légendaires, 
qu'il  avait  été écorché,  et  on  lui  mit  un  coutelas  à  la  main". 

Au  portai!  méridional  de  Chartres  fig.  1  '\<j\  les  apôtres  que  nous  venons  de 
nommer  sont  seuls  reconnaissables  à  leurs  emblèmes.  Les  autres  portent  des 
livres  comme  à  l'époque  romane,  ou  des  épées  cpii  rappellent  d'une  façon  i\n 
peu  vague  leur  mort  violente. 


1   Voir  .'<  ce  sujet  le  chapitre  m  nourri  de  faits  que  M.  G    de  Saint  Lauréat  a  consacn    à   saint  Piern 
.1  saint  Paul  dans  le  Guide  de  l'art  chrétien,  t.  V,  el  dans  les  Annal.  archéol.,i.  XXIII,  XXIV,  XXV. 

-'   Dans  I  Eglise  d'I  trient,  saint  Jean  est  presque  toujours  repn  si  ntc  barbu    Le  vitrail  de  Lyon  consacré 

à  saint  Jean  nous  montre  I  apôtre  avec  toute  sa  barbe  au  a ml  de  sa  mort     fig    Preuve  nouvelle  de 

cette  curieuse  influence  byzantine  qui  se  remarque  dans  les  vitraux  de   Lyon. 

;   Voir,  notamment,  Leg.  uur.,  De  sancto  Barlliol. 

■  An  mu    sii  i  le,  li  '  roix  de  saiut  André  est  presque  toujours  une  croix  latine,  et  non  une  croix  en  X. 

■  Il  y  a  unanimité  au  xiii    siècle    Voir  le  tableau    p.   !63).  Le  saint  Barthélémy  d'Amiens  avait  un  coutelas 
qu'une  restauration  a  remplacé  par  une  hache     Voir  G    Durand,/»  Cathédrale  à    >  t.  I. 

"   Le  portail  méridional   de  Chartres,  si  ou  eu  juge  par  le  style  des  statues,  nous  montre  une  di  -  plu; 
anciennes  séries  monumentales  d'apolres  que  nous  possédions.  .Nous  u  eu  reprodu 


!6o 


L'ART  RELIGIEUX   1)1    XIIIe   SIECLE 


Bientôt  trois  nouveaux  apôtres  reçurent  des  attributs  distinctifs.  Saint  Jean 
porta  parfois  le  ealiee  où  Aristodème  lui  avait  fait  boire  le  poison,  comme  on  le 
voit  au  portail  occidental  d'Amiens'  (fig.  i5i).  Saint  Jacques,  tout  en  gardant 
encore  l'épéc  de  son   supplice-,  reçut  dans  l'autre  main  un  bâton  de  voyage. 


Photo  Martin-Sal 

I  ig.  i5o.  —  Apôtres  placés  à  la  droite  de  Jésus-Christ  (Amiens). 

pareil  au  bourdon  des  pèlerins  de  Santiago.  Les  coquilles  qu'on  rapportait  des 
grèves  de  la  Galice,  les  fameux  peignes  de  sainl  Jacques  .  apparurent  sur  sa 
tunique  ou  sur  sa   panetière  (fig.    i5a  .    L'apôtre  avait  l'air  de  revenir  de  son 


1  Le  calice  d'Amiens  a  été  refait;  L'attribut  cependant  existait,  seroblc-t-il,  avant  la  restauration.  Voir 
li.  Durand,  la  Cathédrale  d'Amiens,  t.  I.  Sur  la  chasse  '1rs  grandes  reliques  à  Aix-la-Chapelle  (Cahier, 
Mélanges  d'archéologie,  i"  série,  t.  1,  p,  20),  s;iint  Jean  porte  le  baquet  où  il  fut  plongé  près  ilr  la  Porte 
Latine.  L'exemple  ne  lut  pas  sni\i. 

•  Co c  au  portail  nord  do   Reims,  qui  est    un  des  plus  anciens  de  La  cathédrale,  et  au  portail  de  La 

Coulure,  au  Mans  (l'épée  rsi  dans  Le  fourreau). 


LE    MI  HOIK    HISTORIQUE   —    F. A    LÉGENDE    DORÉE  !6i 

église  de  Gompostelle.  A  la  lin  du  xtv"  siècle,  avec  son  bâton,  son  grand 
chapeau,  son  manteau  semé  de  coquillages,  saint  Jacques  est  la  parfaite  image 
du  pèlerin  du  moyen  âge1.  Saint  Thomas,  enfin,  en  mémoire  ilu  palais  qu  il 
devait  bâtir  dans  l'Inde  au  roi  Gondoforus,  porte  à  la  main  l'équerre   de  l'ar- 


1  ig     i 'i  i .    —  Apôtres  placés  .1  Ui  gauche  de  Jésus-Christ    Amiens 

chitecte  comme  on  le  voit,  pour  la  première   lois  peut-être,  à  la  façade  occi- 
dentale d'Amiens  (fig.   1  5o)s.  D'ailleurs,  le  calice  de  sainl  Jean,  l'équerre  de  sainl 
Thomas,  le  bourdon  de  saint  Jacques  le  Majeur,  et  même  la  massue  de  saint  Jacques 
le  Mineur,  ne  furent,  pas  des  emblèmes    immuables,  comme  on  peut  s'en  cou 
vaincre  en  jetant  un  coup  d'œil  sur  le  tableau  ci-joint  où  les  œuvres  sont  classées 


1    Le  beau  saint  Jacques  du  musée  de    l'oulouse    xiv'   siècle]  .1  tout  .1  fail  1  air  d'un  pèlerin. 
'  Si  toutefois  l'équerre  n'est  pas  une  croix  qui  aurait  été  brisée 


L'ART   RELIGIEUX    DU    Mil-   SIECLE 

dans  un  ordre  chronologique  très  approximatif.  A  vrai  dire,  il  n'y  a  que  saint 
Pierre,  saint  Paul,  saint  André,  et  saint  Barthélémy  dont  les  attributs  se  main- 
tinrent à  peu  près  invariables  pendant  tout  le  moyen  âge.  Quant  à  saint 
Philippe,  sainl  Matthieu,  saint  Simon,  saint  Jude  et  saint  Mathias,  dont  la 
physionomie  était  pins  effacée  et  la  légende  moins  connue,  ils  n'eurent  jamais 
d'attributs  parfaitement  fixes.  Ce  n'est  que  dans  le  courant 
du  xve  siècle  qu'on  vit  s'établir  la  pragmatique,  en  vertu  de 
laquelle  saint  Philippe  et  saint  Jude  furent  représentés  avec 
une  croix,  saint  Matthieu  avec  une  hache,  saint  Simon  avec 
une  scie,  et  saint  Mathias  avec  une  hallebarde1,  pour  rappeler 
le  genre  de  mort  qu'on  attribuait  à  chacun. 

Les  séries  d'apôtres  sculptées  au  portail  des  églises  sont 
rares  aujourd'hui  :  beaucoup  ont  été  détruites  au  moment 
des  guerres  de  religion  ou  pendant  la  Révolution,  en  i5Ô2 
ou  en  17;)^;  mais  on  pourrait  presque  affirmer,  sans  craindre 
de  se  tromper,  que  presque  toutes  nos  cathédrales  montraient 
les  apôtres  rangés  des  deux  côtés  de  la  grande  porte. 


Vil 

I  ig  1  12.  -  Saint 
Jacques  [Portail  de 
la     cathédrale     do  .  .  1  •  1  • 

Bayonn  Apres  les  apôtres,  quels  saints  le  moyen  âge  a-l-il  pré- 

férés? 

Est-il  possible  de  deviner  les  motifs  qui  ont  fait  représenter  tel  sainl  à  l'ex- 
clusion de  tel  autre?  Quelles  idées  directrices  ont  présidé  au  choix  des  innom- 
brables légendes  peintes  par  les  verriers  de  'l'ours,  du  .Mans,  de  Chartres,  de 
Bourges?  Pourquoi  voit-on  si  souvent  l'histoire  de  saint  Nicolas,  par  exemple? 

Il  11  est  pas  facile  de  répondre  à  toutes  ces  questions.  Maigre  les  recherches 
des  érudits,  il  restera  toujours  de  l'ombre  dans  la  cathédrale  du  moyen  âge.  On 
entrevoit  cependant  quelques  solutions. 

Les  œuvres  d'art  que  le  xme  siècle  a  consacrées  aux  saints  peuvent  se 
grouper  sous  quatre  OU  cinq  chefs. 


1  Sainl   Mathias  est  1  apôtre  qui  lui  substitue  à  Judas  <laus  le  collège  apostolique.  Il  est  très  rarement 
représenté.  Les  artistes  mettent  presque  toujours  à  sa  place  saint  Paul,  <] ni  ne  fut  pas  l'un  des  douze. 


LE    MIROIR    HISTORIQUE—    F. A    LÉGENDE    DORÉE 


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;,,,  L'ART   RELIGIEUX    DE    XIII1    SIÈCLE 

On  est  frappé  d'abord  du  zèle  pieux  que  chaque  diocèse  a  mis  à  honorer  ses 
saints.  Dans  ucs  cathédrales,  les  saints  locaux  tiennent,  après  les  apôtres,  la 
première  place.  In  portail  entier  est  souvent  consacré  à  leur  vie.  à  leurs 
miracles  et   à  leur  ri. 

A  Amiens,  au  portail  de  gauche  de  la  grande  façade,  est  écrite  à  grands 
hails  l'histoire  religieuse  de  la  Picardie.  L'apôtre  saint  Firmin,  qui  apporta 
la  foi  dans  l'antique  Samarobriva  des  Ambiani  estadossé  au  linteau,  et,  autour 


li;     1 53.  —  Martyre  de  sainl  Kicaise  et  de  sainte  Eutrope  (Reims). 

de  lui,  se  range  sa  garde  d'honneur,  les  premiers  martyrs,  saint  Gentien,  saint 
Fuscien,  sainl  Victoric,  les  premiers  évêques,  saint  Honoré,  saint  Salve,  les 
saints  les  pins  célèbres  du  diocèse,  saint  Domice,  saint  Geoffroy  et  la  vierge 
sainle  llplie  '.  Au  t\  nipan  se  déroulent  l'histoire  des  reliques  de  saint  Firmin  et 
la  miraculeuse  procession  de  sa  (liasse,  l'n  autre  portail,  celui  du  midi,  retrace 
avec  détails  les  principaux  (rails  de  la   vie  de  saint  Honore,  le  plus  grand  évèque 

d'Amiens, 

A   Reims,  un   des    portails  du   nord    nous   montre  pareillement  les  grands 

saints  de  la  province,  ceux  qui  enracinèrent  la  loi  en  Champagne.  Saint  Sixte,  à 
Reims,  de  même  qu'à  Amiens  saint  Firmin,  est  à  la  première  place,  comme  il 
convient  à  celui  qui  apporta  l'Evangile,  l 'es  deux  côtés  se  tiennent  ses  succes- 
seurs, martyrs  ou  évêques  illustres  :   saint  Nicaise,  que  les  Vandales   massa- 


Voir  Corblct,  Hagiographie  du  diocèse  d'Amiens 


LE    MIROIR    HISTORIQUE   -      LA    LÉGENDE    DORÉE  (65 

crèrent  au  seuil  de  son  église,  et  qui  laissa  sur  la  pierre  la  truc  de  son  sang 
sa  sœur,  sainte  Eutrope,  qui  fut  tuée  en  voulant  le  défendre2;  puis  saint  Rémi 
recevant  la  sainte  ampoule  apportée  par  la  colombe3.  Le  souvenir  de  saint  Rémi 
était  trop  vivace  dans  l'église  du  sacre,  pour  qu'on  n'ait  pas  songé  à  raconter 
sa  vie  aux  Rémois  :  sa  légende  et  ses  principaux  miracles  sont  retracés  en 
charmants  bas-reliefs  dans  le  tympan  du 
portail  nord  '. 

A  Bourges,  sur  les  cinq  portails  de  la 
cathédrale,  deux  sont  consacrés  à  des 
saints  du  pays.  Celui  de  droite  rappelle  le 
souvenir  de  saint  Ursin,  l'apôtre  du  Berri 
et  du  Bourbonnais,  celui  de  gauche  la  il 
revivre  la  mémoire  de  l'évêque  saint  Guil- 
laume, illustre  par  ses  miracles,  et  les 
victoires  qu'il  remporta  sur  le  diable8.  Les 
statues  de  ces  deux  portails,  brisées  par 
les  protestants,  représentaient,  à  n'en  pas 
douter,  les  saints  évêques  de  l  église  de 
Bourges,  saint  Oustrille,  saint  Sulpice , 
tous  ceux,  en  un  mot,  dont  les  images 
accompagnent  celles  des  apôtres  dans  les 
vitraux  de  la  nef. 

A  Notre-Dame  de  Paris,  si  un  portail 
entier  ne  fut  pas  réservé  aux  saints  de  l'Ile- 
de-France,  plusieurs  grandes  statues  el 
quelques  bas-reliefs  très  apparents  empêchèrent  les   Parisiens  d  oublier  saint 


Fig.  i5.j    —  Saint  Marcel  baptisanl    Voussures 
du  portail  rougi     Notre  1'. le  Paris 


1   An  wii    siècle,  nu  vénérait  i  ucorc  dans  la   cathédrale  la  pierre  de  suint  Nicaisc     elle  él :nlour<  e 

d'une  grille.  Cerf,  Histoire  i/>-  Xotre  Dame  de  Reims,  i     I,  p.    >;">. 

-  Un  bas-relief  représente  égale nt  la  mort  de  saint  Nicaisc    li-     ijî).  Sainte    '  meul 

;i ti  récil  de   Flod <l.  soufflette  le  meurtrier  de  son  frère, 

;  Je  ne  suis  pas  sûi  que  le  pers âge  <|ui  se  voit  aux  côti  -  de  saiul  Ri  mi  représenl  i  omine  on 

le  'lit  d'ordinaire. 

•  A.  l'histoire  de  sainl   Rémi  se  trouve  bizarr ni  mêlée  (3    ligi 

de  Job    II  est   impossible  de  no  pas   reconnaître  Job  sur   s, m   fumier,   ses  ti 

bouche  le  nez    <  In  ne  trouve  rien  dans  1  Histoire  de  Reims  de  Flodoard,  à  qu    t  le  tympan    i  runlé, 

qui  puisse  justifier  la  présence  de  Job     Ces  sculptures   semblent  inspirées  d'un  sarcopha  i  des 

premiers  temps,  donl   on  voit  quelques  restes  au  musée. 

Le  portail  de  Saint-Guillaume  fui   refait  au  xvic  siècle  quand  -  i  i  roula  la  l '. 


366  L'ART   RELIGIEUX    DU   XIIIe    SIÈCLE 

Denis,  sainte  Geneviève',  et  surtout  saint  Marcel.  Le  fameux  évêque  de  Paris 
perce  le  dragon  de  sa  crosse  au  trumeau  encore  archaïque  du  portail  Sainte- 
Anne".  Mais  les  voussures  du  portail  rouge,  postérieures  d'au  moins  un 
siècle,  retracent  en  des  groupes  d'une  finesse  exquise  une  partie  delà  légende 
du  sainL  (fig.   i  54),  et  notamment  sa  lutte  avec  le  vampire  du  cimetière. 

A  Chartres,  vitraux  et  statues  célèbrent  à  l'envi  les  premiers  confesseurs  de 
la  foi  dans  le  pays  Carnute  :  saint  Potentien,  qui  éleva  son  église  au-dessus  de 
la  grotte  dédiée  par  les  druides,  depuis  des  siècles,  à  la  vierge  qui  devait 
enfanter,  virgini pariturœ ;  puis  sainte  Modeste,  fille  du  gouverneur  romain  Qui- 
rinus,  que  son  père  fit  jeter  dans  un  puits  avec  d'autres  martyrs  ';  saint  Chéron, 
qui  porta  sa  tète  comme  saint  Denis';  le  pâtre  saint  Lubin,  qui  devint  évèque 
de  Chartres5;  l'abbé  saint  Laumer,  moine  de  la  forêt  du  Perche6. 

Il  en  fut  de  même  dans  toutes  nos  cathédrales.  Beaucoup  d'églises  mutilées, 
privées  de  la  plupart  de  leurs  statues  et  de  leurs  vitraux,  gardent  encore  cepen- 
dant quelques  monuments  commémoratifs  de  leurs  premiers  évoques  ou  de 
leurs  premiers  martyrs. 

La  cathédrale  du  Mans  a  conservé  l'immense  vitrail  du  xne  siècle  consacré  à 
saint  Julien,  l'apôtre  des  Cénomans.  Des  verrières  retracent  la  vie  de  saint 
Crépin  et  de  saint  Crépinien  à  Soissons,  de  saintMartin  à  Tours,  de  saint  Pothin, 
de  saint  Iiénée  et  de  saint  Polycarpe  à  Lyon.  A  Saint-Quentin,  au  pourtour  du 
choeur,  des  bas-reliefs  (restaurés)  racontent  la  vie  des  premiers  apôtres  du 
Vermandois.  A  Rouen,  au  portail  de  la  Calende,  la  légende  de  deux  grands 
saints  normands,  saint  Domain  et  saint  Ouen,  se  lit  dans  des  reliefs  demeurés 
longtemps  mystérieux  '. 

Chaque  province  retrouvait  donc  dans  sa  cathédrale  un  peu  de  son  passé. 
Tout  ce  qui,  suivant   les  idées  d'alors,  méritait  d'échapper  à  l'oubli   dans  les 

1  Portail  de  g ihe  façade  occidentale).  Les  statues  ont  été  refaites,  m.iis  Lebeufles  avait  déjà  signa- 
lées Histoire  de  la  ville  et  de  tout  le  diocèse  de  Paris]  .il.  Réédition  de  1884,  p.  3.  Les  bas-reliefs  placés 
sous  Les  statues  subsistent  seuls    décollation  <K-  s;iini  Denis,  sainte  Geneviève  el  sa  mère). 

-   Refait.   L'original  esl  au  musée  de  Cluny. 
C'esl  le  puits  qui  lut   si   longtemps  célèbre  à  Chartres  sous  le   nom  de  puits  des  Saints-Forts  [voir 
Bulteau,    Monographie  de  Notre  Dame  de  Chartres,  t.  I,  p.  16  .  Les  statues  de  saint  Potentien  et  de  sainte 
Modeste  sonl  au   porche  du  nord  :  un  vitrail  leur  esl  aussi  1 sacré    ■■'  chapelle  du  chœur,  à  gauche  . 

■  \  iir.nl  du  chœur  el  bas-relief  du  portail  méridional. 

■  \  itrail  du  lus  côté  de  gauche. 

'■   Bas-reliel  el  grande  statue  au  portail  méridional. 

'  Ils  onl  1  lé  ■  1  ■  ■  1 1 1 1 1 1 .  -  par  M"  Louise  Pillion,  Les  Portails  latéraux  de  In  cathédrale  de  Rouen,  Paris, 
1907,  in-M  '.  p.  îoii  el  sniv. 


LE    MIROIR    HISTORIQUE  LA   LÉGENDE    DOR1   I  (67 

annales  d'une  ville  semblait  sculpté  là  pour  l'éternité.  L'humble  peuple  àvail 
devant  ces  grands  monuments  une  confuse  idée  de  son  histoire  :  il  sentail  qu'il 
u'était  pas  sans  racine  sur  la  terre,  qu'il  avait  lui  aussi  ses  aïeux.  Chacune  de 
nos  cathédrales  axait  vraiment  fleuri  du  sol  comme  une  plante  indigène  qui  doit 
au  terroir  sa  couleur  et  son  parfum. 


Fig.   t55.  —  Hisloirc  de  sainl   I  tienne  [Portail  méridional  Notre-Dame  de  Paris 

Le  mu  siècle  semble  avoir  eu  à  un  haut  degré  ce  culte  du  passé,  cel  amour 
de  l'histoire.  Les  artistes  qui,  à  Paris,  accommodaient  a  une  façade  du  \m  siècle 
une  porte  du  XIIe1,  axaient  le  respect  des  souvenirs.  Il-  firent  mieux  encore  ,1 
Notre-Dame.  Quand  ils  bâtirent  la  nouvel  le  cathédrale,  ils  lurent  obliffés  de  faire 
disparaître  une  vieille  église  Saint-Etienne,  voisine  de  l'antique  basilique  de  la 
Vierge,  et  qui  remontait  presque  aussi  haut   .  Ils  ne  voulurent  pas  que  le  sou- 


1   11  s'agit  du   portail  Sainle-Anne,  Nous  avons   essayé   de  prouver    Revue  </■'  lart  ancien  et   mu.: 
(H'toluv   iH.|-     |n  il  datait  du  temps  de  Maurice  de  Sully,  et  qu'il  lut  conservé  pan  mpan 

le  portrait  de  1  1  vèque  fondateur  do  la  cathédrale  et  celui  du  roi  Louis  \  11 

-   Voir  Lebeuf,  Histoire  du  diocèse  de  Paris,  |>.  8     et  Mortel,  Etude  historique  et  archéologique  sur  lu 
cathédrale  de  Paris  et  le  palais  épiscopal  du   VI'  au    \ll    siècle,  Paris,   1888,  il  p     ta. 

Lebeuf  a  remarqué  très  justement  que  les  statues  de  saint  Jean  Ba]  ul  Deuis  et  saint  Ltieime,  qu'on 


3G8  L'ART    RELIGIEUX    DU   XIII'    SIÈCLE 

venir  en  fui  perdu  cl  ils  consacrèrent  à  saint  Etienne  et  à  son  martyre  l'admi- 
rable bas-relief  du  tympan  du  portail  sud  qui  s'élève  justement  à  l'endroit  où  se 
trouvait  l'église  [iîg.  r55  . 


VIII 

Apres  les  saints  locaux,  ce  sont  les  saints  illustres  dans  la  chrétienté  tout 
entière  qui  tiennent  la  plus  grande  place. 

Nous  avions  commencé  à  dresser  une  liste  de  toutes  les  images  de  saints 
qui  subsistent  encore  dans  nos  cathédrales  du  xiié  siècle,  niais  nous  n'avons  pas 
tardé  à  reconnaître  qu'un  pareil  travail  était  impossible,  carilreste  et  il  restera 
toujours  trop  d'incertitudes  sur  l'identité  dune  foule  de  statues  sans  nom  et 
sans  attributs.  D'ailleurs,  à  supposer  qu'un  catalogue  de  ce  genre  soit  possible, 
on  ne  pourrait  pas  en  tirer  de  conclusions  certaines,  parce  qu'il  y  a  de  trop 
nombreuses  lacunes  dans  la  série  des  vitraux  et  des  statues  de  nos  églises.  Il 
faut  se  contenter  d'approximations. 

De  nos  li>lcs  incomplètes  se  dégage  celle  vérité,  un  peu  trop  générale,  mais 
précieuse  cependant,  (pie  le  xine  siècle  a  représenté  de  préférence  les  saints 
assez  célèbres  pour  occuper  une  place  dans  les  livres  liturgiques  de  toute  la 
chrétienté.  M.  Ulysse  Chevalier  a  dressé  un  très  intéressant  calendrier,  où  ne 
figurent  précisément  que  les  saints  qui  furent  honorés  dans  toutes  ou  presque 
toutes  les  églises  du  moyen  âge  :  de  nombreux  antiphonaires  et  bréviaires  de 
toute  provenance  lui  en  ont  fourni  les  éléments1.  Or,  la  plupart  de  ces  saints, 
si  on  en  excepte  quelques  martyrs  et  confesseurs  de  l'Eglise  de  Rome,  que  le 
respect  de  la  ville  sainte  avait  fait  adopter  au  monde  chrétien,  se  retrouvent 
peints  dans  les  vitraux  cl  sculptés  aux  porches  des  églises.  Les  diacres  saint 
Vincent,  saint  Etienne  cl  saint  Laurent,  les  martyrs  saint  Sébastien,  saint 
Biaise,  saint  Georges,  saint  Gervais,  saint  Protais,  saint  Hippolyte,  saint  Denis, 
saint   Christophe,    saint   Thomas  Becket;   les  confesseurs  saint  Marcel,  saint 


voyait  au  portail  gauche  de  la  façade  de  Notre  Dame  de  Paris,  étaient  «  comme  un  mémorial  des  deux 
petites  églises  adjacentes,  Saint-Jean  et  Saint-Denis,  el  de  l'ancienne,  Saint-Etienne  op.  cit.).  Toutes  ces 
églises  i  i.u.  ni  de  véritables  annexes  de  Notre-Dame.  Il  en  était  ainsi  de  plusieurs  cathédrales  qui  compre- 
naienl   une  église  de  Notre-Dame,  une  église  de  Saint-Jean-Baptiste  (baptistère  .  et  une  église  dédiée  au 

protomartj  r  saint  l.ii 

1   l  lysse  Chevalier,  Poésie  liturgique  traditionnelle  de  l'Eglise  catholique  en  Occident.  Tournai,  1894, 
in  8°.  Introduction,  p.  lxv  H  suiv. 


LE   MIROIR   HISTORIQUE      -    LA    LÉGENDE    DORÉE 

Grégoire,  saint  Jérôme,  saint  Nicolas,  saint  .Martin;  les  vierges  -unie  Agnès, 
sainte  Cécile  étaient  honorés  dans  toutes  les  enlises.  Ce  sont  précisément  ces 
saints-là  dont  les  images,  encore  aujourd'hui,  frappent  le  pins  son  veut  nos  veux. 

Au  portail  méridional  de  Chartres,  on  surprend  facilement  l'intention  d'ho- 
norer les  saints  conformément  aux  prescriptions  de  la  Liturgie  :  la  porte  du 
centre,  en  effet,  est  consacrée  aux  apôtres,  celle  de  droite'  aux  martyrs,  celle 
de  gauche  aux  confesseurs.  De  nombreux  bas-reliefs,  scènes  de  martyres,  mira- 
cles (qu'il  n'est  pas  toujours  facile  de  reconnaître  .  ornent  les  piliers  du  porche. 
Les  litanies  en  usage  dans  le  diocèse  de  Chartres  ont  1res  probablement  inspiré 
aux  artistes  l'ordonnance  générale  et  même  le  détail  de  cet  ensemble  gran- 
diose 2. 

.Mais  il  s'en  faut  Lien  qu'on  trouve  partout  une  aussi  belle  ordonnance.  A 
Chartres  même,  il  semble  que  le  seul  hasard  ait  présidé  au  choix  des  vies  de 
saints  représentées  dans  les  verrières.  Pourquoi  le  même  saint  occupe-t-il  par- 
fois jusqu'à  trois  verrières.'  Pourquoi,  dans  une  chapelle,  telle  légende  est-elle 
rapprochée  de  telle  autre.'  Quelles  sont  les  raisons  secrètes  de  ces  choix  ou  de 
ces  groupements? 

Il  est  possible  d'en  indiquer  quelques-unes. 


IX 

En  premier  lieu,  il  est  certain  «pie  les  reliques  possédées  par  les  églises  ont 
contribué,  plus  que  toute  autre  cause,  à   multiplier  les  images  des  saints. 

Une  grande  et  belle  étude  sur  les  reliques  serait  un  des  chapitres  les  plus 
curieux  de  l'histoire  du  moyen  âge,  où  l'historien  de  la  civilisation  cl  1  historien 
de  l'art  trouveraient  également  à  apprendre.  In  tel  sujet  demanderait  plus 
d'érudition  et  plus  d'intelligence  du  passé  qu'on  n'en  trouve  dan-  le  /)/rf/<>i/- 
naire  des  Reliques  d'un  Collin  de  Plancy,  lourd  pamphlet  écrit  par  un  disciple 
attardé  de  Voltaire,  qui  n'avait  ni  l'esprit  ni  le  style  du  maître  .  Ktudier  le 
moyen  âge  pour  s'en  moquer,  non  pour  entrer  dans  son  esprit,  est  un  ridicule 
d'un  autre  temps. 

1   A  gauche  du  spectateur,  mais  .1  droite  de   ri    u     'lui1,.  upe  le  trumeau  itralc 

-   Voir  Bulteau,  Monographie  de  Xotrc-Dame  <lr  Chartres,  1.  II.  p.    'S;. 

;  Collin  de  Plancy,  Dictionnaire  critique  des  reliques  ri  images  miraculeuses.  Paris,    iSm.    ; 


370  L'ART   RELIGIEUX   DU   XIII»   SIÈCLE 

L'intéressante  étude  de  M.  le  comte  Riant  sur  les  dépouilles  religieuses 
enlevées  à  Constantinople  au  xmc  siècle  est  le  premier  travail  exact  et  déjà 
fécond  qui  ait  été  entrepris  sur  cet  important  sujet1. 

C'est  un  sérieux  objet  d'étude,  en  effet,  que  ces  reliques  qui  passionnèrent 
tant  de  générations  humaines.  L'annonce  du  jubilé  d'Aix-la-Chapelle,  et  l'assu- 
rance d'entrevoir  de  loin  le  saint  voile  que  Jésus  avait  porté  sur  la  croix,  met- 
taient en  mouvement  quarante  mille  pèlerins  accourus  de  tous  les  points  de 
l'Europe2.  Les  reliques  avaient  vraiment  en  elles  des  vertus  surnaturelles. 
Partoutoù  se  trouvait  le  bras  d'un  apôtre,  le  sang  d'un  martyr,  une  riche  abbaye 
naissait,  un  village  grandissait.  La  ceinture  de  sainte  Foy  créait  Conques  dans 
les  montagnes  de  l'Aveyron.  Un  corps  saint  élevé  sur  l'autel  façonnait  l'église 
qui  le  contenait,  obligeait  l'architecte  à  trouver  des  formes  nouvelles,  à  agran- 
dir le  chœur,  à  élargir  les  transepts3.  Les  plus  ingénieuses  inventions  des 
orfèvres  du  moyen  âge  sont  nées  de  la  nécessité  d'enfermer  un  ossement  dans 
le  cristal,  ou  de  l'enchâsser  dans  l'or  v.  Tout  un  monde  d'espoirs,  de  désirs  a 
flotté  autour  de  ces  frêles  reliquaires,  qui  nous  émeuvent  aujourd'hui,  comme 
toutes  les  choses  sur  lesquelles  la  pensée  de  l'homme  s'est  reposée  long- 
temps8. 

L'histoire  de  l'art  n'a  pas  le  droit  de  dédaigner  les  reliques.  N'oublions  pas 
(pie  le  monument  le  plus  parlait  du  xiiie  siècle,  la  Sainte-Chapelle,  n'est  qu'une 
châsse  destinée  à  abriter  une  couronne  d'épines.  Et  le  temple  du  Graal,  lui- 
même,  le  plus  beau  rêve  mystique  du  moyen  âge,  qu'est-ce  autre  chose  qu'un 
reliquaire? 

Calvin,  d'un  souille,  dissipa  toute  cette  poésie.  Avec  sa  verve  rude  et  sa 
logique,  il  démontra  au  «  pauvre  monde  »  que  Dieu  est  partout,  et  qu'il  n'est 
pas  nécessaire  d'aller  si  loin  pour  adorer,  comme  des  païens,  des  reliques. dou- 
teuses. »  Je  vous  prie,  dit-il  dans  son  Truite  des  reliques,   le  monde  n'a-t-il  pas 


C le  Riant.    Exuvix   Sacrée  Constantinopolitanx.  Genève,    1S7N,  2  vol.  in-8°.  Du  même.   Dépouilles 

religieuses  enlevées  à  Constantinople  au  XIII'  siècle,  dans  1rs  Mémoires  de  la  Société  des  Antiquaires  de 
France,  1     XXXVI,   iS7r,. 

-  Martin  el  Cahier,  Mélanges  d'archéologie,  t.  I,  |>.  1  el  suivantes, 

1  par  exemple  à  Saint-Semin  de  Toulouse.  Il  Fallait  permettre  à  la  foule  de  voir  les  corps  sainls 

sur  l'autel, 

1   \oir-  Viollet-le-Duc,  Dictionnaire  du  mobilier,  article  :  Reliquaire. 

'"  On  faisait  par  testament  '1rs  donations  à  <lrs  reliquaires.  De  nobles  dames,  des  riens,  donnent  à  la 
châsse  de  la  sainte  chemise,  à  Chartres,  des  perles,  '1rs  colliers  d'or.  Voir  Cartulaire  deNotre  Dame  de 
Chartres,  publié  par  Ë.  de  Lépinois  et   l>.   Merlet.  Chartres,  iSOj-GS,  in-40,  1.  III,  (j.  :>S,  9'i,  î.li,  i5o. 


LE    MIROIR    HISTORIQUE  LA    LÉGENDE    DORÉE 

été  bien  enragé  de  trotter  cent  ou  six  vingts  lieues  loin  ave,-  gros  frais  el 
grandes,  peines,  pour  voir  un  drapeau  (le  saint  suaire  de  Gadouin  .  duquel 
on  ne  pourrait  nullement  être  assuré,  mais  plutôt  rire  contraint  .l'en  dou- 
ter1. ..  Rien  ne  trouve  grâce  devant  le  terrible  démolisseur,  aucun  de  ces 
souvenirs  qui  méritaient  detre  touchés  d'une  main  délicate,  ni  l'urne  des 
noces  de  Cana  qu'on  montrait  à  Angers,  ni  la  larme  que  Jésus-Christ  versa 
sur  Lazare,  qui  se  voyait  enchâssée  à  Vendôme,  ni  les  tableaux  peints  par 
les  anges,  a  car  on  sait  bien,  dit-il,  que  ce  n'es!  pas  le  métier  des  anges  d'être 
peintres  ». 

L'humanité  sort  décidément  de  l'âge  poétique"'.  L'enthousiasme  des  croisés 
s'en  allant  défendre  un  tombeau  vide,  et  rapportant,  pour  toute  richesse,  un 
peu  de  terre  sainte,  apparaîtra  désormais  comme  une  inexplicable  folie.  <  Et  de 
fait,  dit  Calvin,  ils  ont  consumé  leurs  corps  et  leurs  biens,  et  une  bonne  partie 
de  la  substance  de  leurs  pays,  pour  rapporter  un  tas  de  menues  folies  dont  on 
les   avait  embabouinés,    pensant  que  ce  fussent  joyaux    les   plus  précieux   du 


moncle.    » 


Tel  était,  en  effet,  le  sentiment  des  croises  du  xin" siècle  qui  envoyèrenl  de 
Constantinople  aux  églises  de  la  Champagne,  de  l'Ile-de-France,  de  la  Picardie, 
comme  d'incomparables  trésors,  enfermées  dans  des  bourses  précieuses  ,  une 
foule  de  reliques  qui  ne  lurent  pas  sans  influence  sur  l'art'. 

A  Amiens,  en  1206,  arriva  une  des  reliques  les  plus  illustres  de  la  chré- 
tienté, la  face  antérieure  de  la  tète  de  saint  Jean-Baptiste,  trouvée  dans  les 
ruines  d'un  vieux  palais  a  Constantinople5.  Dans  la  nouvelle  cathédrale  dont 
on  posa  la  première  pierre  quelques  années  après,  en  1220,  deux  œuvres 
d'art   rappelèrent  l'insigne  relique  :  un  vitrail  du   xm'   siècle  retraça    la  vie   du 


1  Calvin,   Traité  des  reliques   [réimprimé  par  Collin  de   Plancy,  dans  le  1    III.  de  son  Dictionnaire  cri- 
tique des  reliques  . 

-  Guiberl  de  Nogenl  avait,  il  esl  vrai,  bien  avanl  Calvin,  en  plein  moyen  âge,  manifesté  s  sur 

l'authenticité  de  certaines  reliques.  Son  livre,  le  De  Pignoribus  Sanctorum    Patrol.,  1.  CLXV,  col 
.•>l  dirigé  contre  les  moines  de  S. uni  Médard     surtoul  le  livre  III    qui  prétendaienl  posséder  une  dei 
Jésus-Christ.  Il  n'a  pas  de  peine  à  montrer  que  le  corps  tout  entiei   de  Jésus-1  hrisl  au  moment 

de  la  Résurrection.  Il  parle,  non  sans  quelque  irrévérence,  des  deux  lèles  de  saint  Jean-Baptiste  conser- 
vées l'une  .1  s.iini  Jean-d  Angély,  1  autre  1  Constantinople  <M>i<l  ergo  magis  ridiculum  super  tanto  hominc 
praedicetur,  quam  m  biceps  esse  ;ib  utrisque  dicatur  ':'        Lib.  I.  cap,  m,  S 

;   Voir  une  de  ces  bourses  dans  Montfaucon,    Monuments  de  la  monarchie  /><  II.  pi     XXXI. 

•   La  liste  de  ces  reliques  ,1  été  donnée  par  Riaui     \lém.  des  antiq     . 

■'  Un  (',m-,   .1  écril  un  Traité  du  chef  de  saint  Jean-Baptiste  (Paris,  1  61  pour  démontrer  l'an  llien- 

ticité  de  la  relique  d'Amiens. 


37a  L'ART   RELIGIEUX    DU   XIII"   SIÈCLE 

précurseur1.  Puis,  plus  tard,  dans  les  dernières  années  du  xve  siècle,  on  sculpta 
au  pourtour  du  chœur  les  belles  scènes  de  l'histoire  de  saint  Jean  2. 

La  Sainte-Chapelle  acquit,  sous  le  règne  de  saint  Louis,  la  partie  postérieure 
de  la  tête  de  saint  Jean-Baptiste  cpii  était  restée  à  Constantinople  s.  C'était, 
après  les  reliques  de  la  Passion,  la  pièce  la  plus  précieuse  du  trésor.  Deux 
vitraux  placés  au  fond  de  l'abside,  comme  à  la  place  d'honneur,  furent  destinés 
à  rappeler  sans  cesse  la  présence  de  ces  objets  vénérés,  qu'on  n'exposait  que 
rarement  aux  regards  des  lidèles  :  l'un  fut  consacré  à  la  Passion  du  Sauveur, 
l'autre  à  la  vie  de  saint  Jean-Baptiste. 

Chartres  eut  sa  part  des  reliques  de  Constantinople.  En  r2o5,  le  comte  île 
Blois  envoya  d'Orient  à  la  cathédrale  Notre-Dame  le  chef  de  sainte  Anne.  «  La 
tête  de  la  mère,  dit  un  acte  du  Cartulaire,  fut  reçue  avec  une  grande  joie  dans 
l'église  de  la  fille  '.  »  Le  portail  nord  de  la  cathédrale,  qui  fut  commencé  pro- 
bablement vers  i2io%  nous  paraitcommémorer  par  une  de  ses  statues  la  récente 
acquisition  de  la  précieuse  relique.  On  voit,  en  effet,  adossée  au  trumeau  du 
portail  central,  non  pas  la  Vierge  portant  l'enfant,  comme  le  voudrait  l'usage, 
mais  sainte  Anne  portant  la  Vierge.  Cette  singularité  se  reproduit  à  l'intérieur, 
où  an  îles  vitraux  de  la  claire-voie  placée  sous  la  rosi-  du  nord  nous  montre  aussi 
sainte  Anne  tenant  la  Vierge  dans  ses  bras  (fig.  i5(>).  II  est  visible  qu'on  a  voulu 
honorer  d'une  façon  toute  particulière  la  mère  de  Marie  et  (pie  la  présence  de 
son  chef  dans  l'église  peut  seule  expliquer  la  place  insolite  qu'elle  occupe. 

Beaucoup  de  difficultés  de  ce  genre  seraient  résolues  si  nous  axions  la  liste 
de  toutes  les  reliques  (pie  possédait  la  cathédrale  de  Chartres  au  xm"  siècle. 
La  grande  statue  de  saint  Théodore,  par  exemple,  qu'on  voit  au  portail  du 
midi,  a  passé  longtemps  pour  une  statue  de  saint  Victor.  Didron  pensait  que  le 
légionnaire  romain  était,  plus  connu  dans  nos  églises  de  France  que  le  soldat 
grec  d'Héraclée.  On  ignorait  alors  (pie  la  tète  de  saint  Théodore  avait  été  rap- 
portée de  Rome  à  Chartres  en   i  120.  comme  nous  l'a  appris  le  Cartulaire  publié 

1   Le  vitrail,  consacré  itié  à  saint  Jean-Baptisle  et   moitié  à  saint  Georges,  se  trouvait  jadis  dans  la 

chapelle  de  Saint-Jean-Baptiste. 

'-'  (V  qui  prouve  que  cette  dernière  œuvre  a  été  bien  réellement  inspirée  parla  relique  d'Amiens,  c'est 
qu'un  'lis  lias  reliefs  représente  Hérodiade  frappant  de  son  couteau  la  tête  de  saint  .Iran  Baptiste.  On  mon- 
trait justement  sur  le  crâne  conservé  à  Amiens  la  Iran'  de  ce  coup  de  couteau  dont  ne  parle  aucune 
légende. 

:  Voir  Morand,  Histoire  <le  la  Sainte-Chapelle.  Paris,  1790,  in-  i".  p     \-. 

k  Cartulaire  de  Notre-Dame  de  Chartres,  1.  III,  p.  89  et  \>.  i;8.  —  Riant,  Exuvisc,   1    11.  p.  73. 
■    \  oir  Bulteau,  t.  I,  p.   i*8. 


LE   MIROIK   HISTORIQUE      -    LA    LÉGENDE    DORÉE 

en  1862 \   Il  a  été  dés  lors  possible  de  nommer  à  coup  sur  la  belle  statue  de 

chevalier  qui  l'ait  pendant  à  celle  de  saint 

Georges. 

A  la  cathédrale  de  Sens,  dans  le 
déambulatoire  du  chœur,  <>n  remarque 
un  beau  vitrail  consacré  à  l'histoire  de 
saint  Thomas  Becket.  C'est  que  le  trésor 
de  l'église  conservait  la  chape  et  la  mitre 
de  l'illustre  archevêque  qui  avait  vécu 
quatre  ans  au  monastère  de  Sainte- 
Colombe,  près  de  Sens.  Ces  ornements 
sacerdotaux  devinrent  de  précieuses 
reliques,  le  jour  où  le  martyr  fut  canonisé 
par  le  pape  (1 17')). 

On  comprend  de  quelle  importance 
est,  pour  l'histoire  de  l'art,  l'exacte  con- 
naissance des  reliques  conservées  dans 
chacune  de  nos  anciennes  églises,  si 
modeste  qu'elle  soit.  La  petite  église  de 
Valcabrère",  un  des  plus  anciens  et  des 
plus  curieux  édifices  religieux  des  Pyré- 
nées, en  a  fourni  récemment  la  preuve. 
L'église  était,  on  le  savait,  consacrée  à 
saint  .lust  et  à  saint  Pasteur,  dont  on 
voyait  le  martyre  sculpté  sur  les  chapi- 
teaux du  portail  ;  mais  on  ne  s'expliquait 
pas  pourquoi  l'histoire  de  saint  Etienne 
figurait  à  côté  de  la  leur.  En  1886,  un 
heureux  hasard  a  lait  découvrir  des 
reliques  dans  une  cavité  de  l'autel.  Un 
parchemin,  qui  les  accompagnait,  les 
donnait    comme   celles    des    trois    s;iints. 


1   Cart.  de  Notre-Dame  de  Chartres,  t.  I.  p.  60. 
-  Haute-Garonne;   au     |>i'-<l    de    Saint-Bertrand    île 
Comminges. 


Fig.   [56.        Sainte  Anne  portant  la  Vi 
[Vitrail  de  < 


;-;  L'ART   RELIGIEUX    DU   XIII1    SIECLE 

Just,  Pasteur  et  Etienne,  patrons  de  l'église1.  Ainsi  se  trouvait  résolue  la  petite 

difficulté  qui  avait  arrêté  les  archéologues. 

Nous  croyons  que  dans  nos  grandes  cathédrales  les  reliques  conservées 
dans  une  chapelle  en  expliquent  souvent  les  vitraux.  Il  ne  saurait  y  avoir 
de  doute  pour  les  chapelles  de  l'abside  de  Notre-Dame  de  Chartres.  Par  une 
bonne  fortune  trop  rare,  l'avocat  Rouillard,  qui  a  publié  au  commencement  du 
xvne  siècle  une  description  de  la  cathédrale,  sous  le  titre  de  Parthénie,  nous  a 
conservé  les  anciens  vocables  des  chapelles".  Les  vitraux  y  correspondent  exac- 
tement. La  première  chapelle,  en  commençai] l  par  la  gauche,  contenait  les 
reliques  de  saint  Julien  l'hospitalier  et  portait  son  nom  :  le  nom  a  changé 
depuis,  niais  un  vitrail  de  la  fenêtre  centrale  nous  retrace  encore  aujourd'hui 
la  vie  et  la  mort  de  saint  Julien.  La  deuxième  chapelle  s'appelait  la  chapelle 
de  Saint-Étienne  ou  des  Martyrs  :  un  vitrail  nous  montre,  en  effet,  à  la  place 
d'honneur,  l'histoire  de  saint  Ltienne;  trois  autres  vitraux  sont  consacrés  à  saint 
Savinien,  saint  Potentien,  sainte  Modeste,  saint  Ghéron  et  saint  Quentin,  qui 
tous  sont  morts  martyrs.  La  troisième  chapelle  était  connue  sous  le  nom  de 
chapelle  des  Apôtres  :  aussi  les  vitraux  représentent-ils,  dans  la  fenêtre  centrale, 
la  vocation  des  apôtres  et  des  scènes  où  Jésus  s'adresse  au  collège  apostolique 
tout  entier",  dans  les  fenêtres  voisines,  l'histoire  de  saint  Siméon  et  de  saint 
Jude,  de  saint  Pierre  et  de  saint  Paul  à  Home.  La  quatrième  chapelle  s'appelait 
la  chapelle  de  Saint-Nicolas  ou  des  Confesseurs":  saint  Nicolas  y  occupe  juste- 
ment une  verrière  ainsi  que  saint  Rémi.  On  s'étonne,  il  est  vrai,  de  voir  auprès 
d'eux  sainte  Catherine,  sainte  Marguerite  et  saint  Thomas  Becket,  qui  ne  sont 
pas  des  confesseurs,  mais  des  martyrs  '.  La  cinquième  chapelle  enfin  est  désignée 
par  Rouillard  sous  le  nom  de  chapelle  de  Saint-Loup  et  de  Saint-Gilles,  mais  on 
n\  voit  plus  aujourd'hui  que  des  vitraux  en  grisaille  qui  semblent  être  d'une 
assez,  basse  époque. 

L'exacte   correspondance  qui  se    montre   à   Chartres   entre  les  sujets   des 
vitraux  el  les  vocables  des  chapelles  se  remarquait  probablement  dans  toutes 

1  Ballet,  minium  .  t886,  p  5o6.  Rappelons  encore  qu'à  Moissac  on  voil  sculptée  sur  les  chapiteaux  du 
cloître  l'histoire  de  sainl  i  yprien,  donl  Les  reliques  avaient  été  apportées  dans  l'abbaye  vers  na6  [Bibl.  de 
l'Ecole  des  Chartes,   I    série,  i    I,  18  iç)-5o  . 

Parthénie,  ou  Histoire  </>■  /"  très  auguste  église  de  Chartres,  par  Sébastien  Rouillard  de  Melun,  1608, 
p.  i.i<>  el  s  m  i  \ . 

1  e  h  «'si  pas  le  vitrail  «lu  Seigneur  Jésus,  comme  l'appelle  Bulteau,  mais  le  vitrail  des  Apôtres. 
1   Les  deux  vitraux  de  sainl  Martin  el  de  >.iini  Sylvestre,  qui  sonl  dans  les  fenêtres  voisines,  n'étaient-ils 
|uis  destinés  à  cette  chapelle?  N'ont-ils  p;is  été  déplacés? 


LE  MIROIR  HISTORIQUE  LA    LÉGENDE    DORÉE 

nos  cathédrales.  Malheureusement  la  preuve  n'en  est  pas  facile  à  faire  aujour- 
d'hui, car  ce  sont  tantôt  les  noms  des  chapelles  qui  ont  disparu,  et  tantôt  les 
vitraux. 

A  Amiens,  les  rares  verrières  qui  aient  échappé  au  vandalisme  des  derniers 
siècles  nous  laissent  deviner  une  ordonnance  aussi  régulière  qu'à  Chartres.  Une 
chapelle  de  l'abside,  dédiée  aujourd'hui  au  Sacré-Cœur,  et  consacrée  autrefois 
à  saint  Jacques  le  Majeur  ',  a  conservé  un  vitrail  où  est  racontée  l'histoire  de 
l'apôtre.  Une  autre  chapelle  de  l'abside,  du  vocable  de  Sainte-Theudosie,  esl 
ornée  d'un  vitrail  du  xme  siècle  qui  retrace  la  vie  de  saint  Augustin  :  c'est  que 
saint  Augustin  fut  au  moyen  âge  le  titulaire  de  la  chapelle  ". 

Il  est  inutile  de  multiplier  les  exemples  ;.  Ceux  que  non-  avons  donne-  suf- 
fisent  à  prouver  que  dans  les  chapelles  les  vitraux  ne  furent  pas  placés  au 
hasard  :  les  reliques  du  saint  auquel  la  chapelle  était  dédiée  ont  déterminé  le 
choix  des  pieux  donateurs. 


Mais  les  reliques  n'expliquent  pas  tout,  car  les  vitraux  ne  sont  pas  tous  dans 
des  chapelles.  De  grandes  figures  de  saint-  se  voient  dans  les  fenêtres  liantes. 
des  récits  de  la  Légende  dorée  occupenl  les  fenêtres  des  bas  côtés.  Quelles  rai- 
sons ont  présidé  au  choix  de  ces  saints.'  Il  y  en  a  sans  doute,  car  dans  I  église 
du  moyen  âge,  rien  n'est  livré  au  hasard:  et,  en  effet,  on  peut  en  apercevoir 
quelques-unes. 

Ces  vitraux  ont  été  donnés  à  nos  cathédrales  par  des  corporations  ou  par 
des  particuliers  qui  ont  voulu  perpétuer  le  souvenir  de  leur  générosité.  Les  pan- 
neaux inférieurs  '  des  verrières  du  mm  siècle  nous  offrent  généralement  l'image 
et  quelquefois  le  nom  des  donateurs  :  moine-  en  prière,  évêques  portant  à  la 
main  un  modèle  de  vitrail,  chevaliers  armés  de  toutes  pièces  et  reconnaissables 

1  Voir  Abbé  Roze,  Une  visite  à  lu  cathédrale  d'Amiens     \ ■     ns,  1887,  in-i  1,  p 

J    /</..  iblil ..   |>    60. 

3  On  pourrait  en   citer  plusieurs  autres     Une  chapelle  de  la   collégiale  l'ucliial  à    Laval 

ornée   d  un   vitrail    représcntanl  la  vie  de  saint  Tudual,  parce  que   les   reliques   du  ^.iim  élaienl 
chapelle     IS11II.   minium..    1  S., ">.    p.    [53      A   Clerniont,   les   vitrau> 
légi  ndes  de  saint  Georges,  sainl  Austremoine.  sainte  Madeleine,  1  istemenl  dans  les  cliapelh 

portent  le  n de  ces  saints    (Voir  Thibaud,  De  la  peinli 

lu  peinture  sur  verre,  p.  »o5 

•  Quelquefois  le  panneau  supérieur,  surtout  si  le  vitrail  1  si  surmonté  >i  une  petite  n 


376  L'ART   RELIGIEUX    DU   XIII0   SIECLE 

à  leur  blason,  changeurs  vérifiant  le  titre  des  monnaies  (fig.  i30),  pelletiers 
vendant  leurs  fourrures  (fig.  3i),  bouchers  abattant  des  bœufs,  sculpteurs 
taillant  des  chapiteaux.  Ces  scènes  de  la  vie  d'autrefois,  qui  sont  si  précieuses 
en  elles-mêmes,  nous  permettent  en  outre  de  résoudre  en  partie  le  problème 
qui  nous  occupe. 

11  esl  souvent  facile,  en  effet,  de  deviner  pourquoi  tel  donateur  a  choisi  tel 
saint  de  préférence.  A  Chartres,  saint  Louis  avait  donné  un  vitrail  représentant 
saint  Denis  exposé  aux  lions  :  le  roi  de  France  avait  voulu  honorer  le  protecteur 
de  la  monarchie  française'.  Saint  Ferdinand  de  Castille  avait  offert  à  cette 
même  cathédrale  de  Chartres  \m  vitrail  consacré  à  saint  Jacques  :  l'illustre 
vainqueur  des  .Maures  témoignait  ainsi  de  son  culte  pour  l'apôtre  chevalier, 
pour  le  Matamoro,  comme  on  l'appelait,  qu'on  avait  vu  combattre  aux  premiers 
rangs  de  l'armée  chrétienne2. 

On  comprend  sans  peine  encore  pourquoi  un  évèque  de  Nantes  offrit  à  la 
cathédrale  de  Tours  un  vitrail  de  saint  Pierre  et  de  saint  Paul  :  les  deux  apôtres 
sont,  en  effet,  et  depuis  les  temps  les  plus  reculés,  les  patrons  de  la  cathédrale 
de  Nantes.  11  n'est  pas  difficile  non  plus  de  deviner  pourquoi  un  abbé  de  Cormery 
fit  hommasre  à  cette  même  cathédrale  de  Tours  d'une  verrière  consacrée  à  saint 
Martin  :  l'abbaye  de  Cormery  relevait,  en  effet,  de  Saint-Martin  de  Tours  et 
honorait  d'un  culte  particulier  le  grand  apôtre  des  Gaules'.  On  peut  encore 
tenir  pour  vraisemblable  la  conjecture  de  M.  Uucher  qui  attribue  aux  trois 
grandes  abbayes  de  Saint-Vincent,  de  Saint-Calais  et  d'Evron  les  trois  vitraux 
de  la  cathédrale  du  Mans  consacrés  précisément  à  saint  Vincent,  à  saint  Calais 
et  à  la  miraculeuse  apparition  de  la  Vierge  d'Evron. 

Parfois  le  donateur  d'un  vitrail  offre  tout  simplement  l'image  du  saint  dont 
il  porte  le  nom.  A  Chartres,  Jeanne  de  Dammartin,  seconde  femme  de  Ferdinand 
de  Castille.  avait  donné  un  grand  vitrail  consacré  à  l'histoire  de  saint  Jean-Bap- 
tiste, son  patron  '. 

1  Ce  vitrail  a  disparu  en  177!.  11  a  été  remplacé  par  du  verre  blanc.  Cependant,  on  voil  encore  dans  la 
rose  un  magnifique  saint  Louis  en  costume  de  chevalier.  Il  esl   monté  sur  un  cheval   blanc,   el    il  tient   le 

pe I  i/iii-  semé  de  lis  d'or.  (Bulteau,  Descript  </<•  la  cath.  de  Chartres,   i85o,  p.  ao8,  el  Montfaucon, 

Minium,  de  la  Monarchie  franc.,  t.  Il,  pi.  X\l 

Le  vitrail  n'existe  plus,   mais  il  a  été  décrit  an  siècle  dernier  par  Pintard,  dont  le  manuscrit  est  à  la 
bibliothèque  de  Chartres  (voir  Bulteau,  p.  207).  On  y  Lisait  l'inscription  :  «  Rex  Castiliœ.  »   La  figure  de 
saint  Ferdinand  a  été  publiée  par  Montfaucon,  Monum.  d<-  lu  Monarchie  franc.,  t.  II,  pi.  XXIX. 
Verrières  du  choeur  de  l'église  mêtrop.  il''  Tours,  Bourassé  el  Marchand,  p.  Si. 
•   Il  a  disparu  en  17SS,  mais  il  a  été  décrit  dans  le  manuscrit  de  Pintard  (voir  Bulteau,  p.  -io6).  —  Il  esl 


LE   MIROIR   HISTORIQUE   -    LA    LÉGENDE    DORÉE  \-- 

Les  corporations  donnent  L'histoire  de  leur  protecteur,  du  sainl  dont  l'image 
orne  leurs  bannières  et  leurs  méreaux.  A  Bourges,  le  vitrail  de  saint  Thomas 
apôtre,  patron  des  architectes  et  de  tous  les  ouvriers  qui  travaillent  sous  leurs 
ordres,  a  été  offert  par  les  tailleurs  de  pierre.  A  Chartres,  les  épiciers  firent 
faire  à  leurs  frais  une  verrière  de  saint  Nicolas,  leur  patron,  et  les  vanniers  une 
verrière  de  saint  Antoine  '. 

Quand  les  donateurs  n'offrent  pas  l'image  de  leur  patron,  il  est  parfois  pos- 
sible de  deviner  pour  quelles  raisons  ils  ont  choisi  tel  autre  saint  personnage. 
Il  n'est  pas  très  étonnant  de  voir  trois  chevaliers,  Pierre  de  Courtenay,  Raoul 
de  Courtenay  et  Julien  de  Castillon  faire  présenta  la  cathédrale  de  Chartres  de 
trois  vitraux  représentant  saint  Eustache,  saint  Georges  et  saint  Martin  :  ces 
trois  saints  sont  des  soldats,  des  modèles  de  vraie  chevalerie  .  Amaury  <lc 
Montfort,  qui  se  reconnaît  à  son  écu  chargé  du  lion  d'argent  grimpant  sur  fond 
de  gueules,  apparaît  à  Chartres  clans  la  rose  d'un  vitrail  consacre  a  sainl  Paul  : 
n'est-ce  pas  parce  que  saint  Paul,  l'apôtre  qui  porte  l'épée,  lui  lui  aussi,  au 
moyen  âge,  un  des  patrons  îles  hommes  d'armes?  Guillaume  Durand  nous 
apprend  dans  son  Ratlonale  que  les  chevaliers  se  levaient,  quand  I  épître  que 
le  prêtre  lisait  était  empruntée   a  saint  Paul  '. 

Les  corporations  obéissent  à  tics  sympathies  du  même  genre.  Les 
tonneliers  de  Chartres,  au  lieu  de  donner  à  la  cathédrale  I  1 1 i ~-t < >i ce  de  leur 
patronne,  qui  était  sans  cloute  sainte  Catherine,  donnent  le  vitrail  de  i\oé, 
apparemment  parce  que  le  saint,  patriarche  planta  la  vigne.  A  Tours,  les  labou- 
reurs offrent  la  verrière  d'Adam,  qui  le  premier  ouvrit  la  terri'  à  la  sueur  de 
son  front. 

assez  curieux  qu'au  xm°  el  au  xive  siècle,  les  donateurs  offrent  assez  rarement  l'image  de  leur  pati 
au    contraire    la    règle    au   xv°   et   au    xvi°   siècle     La    rose  occidentale  de    la   cathédrale   d'Auxerre,    par 
exemple     xvi1    siècle),  nous   montre  les  huil   saints      saint  Jacques,  saint  Christophe,   sainl   Claude,  sainl 
Sébastien,  sainl  Nicolas,  sainl  Charlemagne,  sainl  Jean  et  sainl  Eugène,  donnés  par  les  cli  u   [m  - 

Vautrouillct,  Christophe   Chaucuard,    Claude  de   Bussy,   Sébastien    Le   Royer,    Nicolas  Cochon,   Charles 
|,,  geron,  Jean  I  ;hi  rallard,  Eugène  Motel,  qui  payèrenl  les  frais  de  1..   rose     Bonneau,    Vitruur  d'An  i 
p    n        .  Les  vitraux  de  Bourges  des  w  el  xvi    siècles  oflrenl  de  nombreux  exemples  de  la  même  habitude 
(voir  Des  Meloizes,  Vitraux  de  Bourges  postérieurs  au  XIIIe  siècle    Lille 

1  Saint  Antoine,  supérieur  des  monastères  de  la  Thébaïde,  où  les  moines  gagnaient  leur  vie  en  tr.'<s.iiii 
des  corbeilles,  était,  au  moyen  âge,  le  patron  des  vanniers. 

1  Les  deux  premiers  de  i  es  vitraux  ne  sonl  connus  aujourd'hui  que  par  la  description  de  Pintard  Bul 
teau,  p.  a  m). 

;   [1  y  a,  à  Chartres,  un  autre  vitrail  des  fenêtres  haute  he)  qui  représente  s  I         iche  et  qui 

a  été  donné  également  par  un  chevalier,  seigneur  de  Beaumont-sur-Risl  i    !•'    de  Mély,  fic\  > 

chrétien,  [888.] 

•  Guillai Uni. m. I.  Nation,  lit.  IV,  cap.  xvi. 


;-.S  L'ART   RELIGIEUX    DU    XIII'    SIÈCLE 

Mais  il  s'en  faut  bien  que  toutes  les  explications  que  nous  suggèrent  les 
noms  des  donateurs  soient  aussi  satisfaisantes.  Souvent  on  doit  avouer 
qu'on  ne  comprend  pas.  Pourquoi  les  armuriers  ont-ils  choisi,  à  Chartres, 
l'histoire  de  saint  Jean,  les  tanneurs  eelle  de  saint  Thomas  Becket,  les 
tisserands  celle  de  saint  Etienne,  les  portefaix  celle  de  saint  Gilles?  Ce  que 
nous  savons  des  anciennes  corporations  ne  saurait  expliquer  la  bizarrerie  de 
ces  choix. 

Il  faut  admettre  que  dans  bien  des  cas  le  chapitre  de  la  cathédrale  proposait 
aux  donateurs  le  sujet  du  vitrail  qu'ils  voulaient  offrir.  On  s'en  convaincra  si  l'on 
remarque  que  le  vitrail  du  bon  Samaritain  a  été  donné,  à  Bourges,  par  les  tisse- 
rands, et,  à  Chartres,  par  les  cordonniers.  Or,  comment  supposer  que  l'idée 
d'offrir  cette  parabole  accompagnée  de  son  profond  commentaire  théologique 
ail  pu  venir  à  des  artisans?  Les  chanoines  demandaient  donc  aux  donateurs, 
soil  l'histoire  d'un  saint  fameux,  comme  était  alors  saint  Thomas  Becket1,  soit 
quelques  vitraux  théologiques,  pareils  à  ceux  qu'on  voyait  dans  d'autres  cathé- 
drales, et  dont  la  renommée  était  venue  jusqu'à  eux. 

Peut-être  aussi  faut-il  supposer  que  les  corporations  ouvrières  rendaient  alors 
à  certains  saints  un  culte  dont  la  tradition  ne  s'est  pas  perpétuée  aux  siècles 
suivants.  Nous  connaissons  fort  mal  l'organisation  des  corps  de  métiers  au 
moyen  âge  :  nous  savons  très  peu  de  chose  notamment  des  ouvriers  de  Chartres. 
M.  de  Lépinois,  qui  en  a  esquissé  l'histoire,  n'a  pas  trouvé  des  documents  anté- 
rieurs à  la  lin  du  xme  siècle';  ceux  qu'on  rencontre  dans  les  Ordonnances  des 
/■ois  de  France  ne  sont  que  du  x\ ''"■.  Les  uns  et  les  autres  sont  presque  muets 
sur  les  patronages  des  corps  de  métiers.  Il  semble  d'ailleurs  que  certaines  cor- 
porations aient  été  subdi\  isées  en  confréries  dont  chacune  vénérait  un  saint 
particulier.  A  Chartres,  par  exemple,  les  tisserands  ont  donné  trois  verrières, 
celle  de  saint  Etienne,  celle  des  saints  Savinien  et  Polenticn,  et  enfin  celle  de 
saint  Vincent.  Or,  on  lit,  au  bas  du  vitrail  de  saint  Vincent,  près  des  médaillons 
OÙ  les  tisserands  sont  représentés,  cette  inscription   : 


Chartres  devait  avoir  une  vénération  toute  particulière  pour  saint  Thomas  Becket,  car  un  de  ses  évê- 
ques  de  la  fin  du  \u  siècle  (de  1 176  à  1 180),  Jean  de  Salisbury,  se  trouvait  dans  la  cathédrale  de  Cantor- 
béry  aux  côtés  du  saint  martyr  quand  il  fut  assassiné,  el  s, m  sang  avait  rejailli  sur  lui.  Il  en  avait  recueilli 
quelqm  s  gouttes  dans  deux  vases  qu  il  avait  donnés  à  la  cathédrale  de  Chartres  [Cartulaire  de  Notre-Dame 
de  Chartres,  t.  III.  p     soi   .  Jean  de  Salisburj  avail  écrit  une  Vie  de  •••mil   Thomas  Becket. 

-  Lépinois,  Histoire  de  Chartres.  Chartres,  iS>j.  in-8,  t.  I.  p.    18/j  el  sni\.,  el  1.  II.  Appendice. 

:i  Ordonn.  des  ruts  de  France,  t.  XIX,  p.  633. 


LE  MIROIR    HISTORIQUE      -    LA    LÉGENDE    DORÉE  i7g 

TERA   :  A  CEST  :  AVTEL  :  TES  :   LES  :   MESSES  : 
QEN   :   CHARE   :   SONT   :  ACOILL1    :   EN   :   TO 
ERET   :  CESTE   :    VERRIE   :   CENT   :   CIL   :   QVIDO 
LI   :  CONFRERE   :   SAINT  :   VIN 

Inscription  très  obscure,  dont  on  ne  peut  qu'entrevoir  le  sens,  et  que 
M.  F.  de  Lasteyrie  propose  de  lire  ainsi  :  s  A  cet  autel  toutes  les  messes  qui  en 
charge  sont  accueillies...  et  donnèrent  celte  verrière...  ceux  qui  sont  les  con- 
frères de  saint  Vincent1.  »  De  ce  texte  confus,  il  résulte  que  les  tisserands  for- 
maient une  confrérie  de  Saint-Vincent,  et  qu'ils  faisaient  dire  des  messes  sans 
doute  pour  les  membres  défunts)  dans  la  chapelle  du  saint.  Saint  Vincent  n'est 
nommé  nulle  part  coin  me  le  patron  des  tisserands  qui  se  mettent  généralement 
sous  la  protection  de  saint  Biaise.  Peut-être  en  était-il  de  même  à  Chartres, 
mais  la  grande  corporation  était  divisée  en  petites  confréries  pieuses  qui  hono- 
raient d'autres  saints.  Ainsi  pourraient  s'expliquer  certains  vitraux  donnés  par 
des  artisans  et  consacrés  à  des  saints  qui  ne  sont  pas  les  patrons  ordinaires  de 
la  corporation  J. 

Si  nous  ne  connaissons  pas  toutes  les  dévotions  des  corporations  ouvrières, 
à  plus  forte  raison  ignorons-nous  celles  des  particuliers.  Pourquoi,  à  Chartres, 
par  exemple,  un  chevalier,  Guillaume  de  la  Ferté-Hernaud,  a-t-il  donné  uw  vitrail 
consacré  à  saint  Barthélémy.'  Une  dévotion  héréditaire  dans  une  famille,  une 
sainte  image  conservée  dans  un  oratoire  domestique,  une  relique  gardée  comme 
un  talisman  dans  le  pommeau  d'une  épée,  un  vœu  fait  pendant,  une  bataille, 
mille  petits  faits  que  nous  ne  connaîtrons  jamais,  expliqueraient  sans  doute  le 
choix  des  donateurs. 


1    F.  de  Lasteyrie,  Histoire  de  lapeinturc  sur  verre.  L'inscription  a  élé  publiée  en  fac  simili'  par  M     K.  de 

Mély  'la us  la  Revue  de  l'art  chrétien,  i SSS.  p.    j  ■  ■ .  Certains  ts  ou  fragments  de  mots  onl  ■  :és.  Il 

l.mt  rapprocher  VIN  el  CENT  el  lire  SAINT  :  VINCENT;  il  faut  rapprocher  aussi  DO  el  lîKÊ T  et  lire 
DOERÈT. 

-   Il  est  bien  certain  qu'une   corporation  ne  confrérie   religieuse   pou  r  plusieurs   pati 

En  1882,  On  a  trouvé  dans  I  églisi  Saint-Miche!  de  \  aucelles,  à  (  laen,  des  fresques  représentant  sainl  Michel, 
saint  Jean-Baptiste,  sainl  Pierre,  sainl  Paul,  sainl  Jacques,  sainl  Christophe,  sa  ni  Martin,  sainl  Mathurin, 
saint  Eustache,  sainte  Catherine,  sainl  André,  sainl  Nicolas,  sainl  Sébastien,  sainte  Aune.  I  11  document 
daté  de  i  j  jti  est  venu   prouver  qu'il   v  avail   dans  celle  église  une   1  oufrérie  de   -  el  qni   honorait 

c ic  patrons,  non  seulement  1  archange,  mais  tous  l<  s  simis  dont  ou  avait  découvi  rt  1  nu.ij  .    Voir] 

repaire,  dans  le  Bulle  t.  monum.,   [883,  |>.  689  el  suivantes. 


3So  L'ART   RELIGIEUX   DU   XIII"   SIÈCLE 


XI 


Parmi  tant  de  raisons  mystérieuses  qu'eurent  les  fidèles  de  choisir  l'image 
d'un  saint,  il  en  est  une  qui  se  laisse  entrevoir  plus  d'une  fois.  C'est  la  recon- 
naissance du  pèlerin  qui  revient  des  fameux  sanctuaires  de  Compostelle,  de 
Bari,  ou  de  Saint-Martin  de  Tours. 

C'est  une  chose  très  remarquable,  en  effet,  que  saint  Jacques,  saint  Nicolas 
et  saint  Martin  soient,  de  tous  les  saints  honorés  au  moyen  âge,  ceux  qu'on 
ici  louve  le  plus  souvent  dans  nos  églises. 

A  Chartres,  où  la  série  des  verrières  est  presque  complète,  il  y  a  jusqu'à 
quatre  vitraux  consacrés  à  saint  Jacques1. 

Le  xiii''  siècle  est.  en  effet,  la  belle  époque  des  pèlerinages  de  Compostelle. 
Vn  livre  qui  parut  dans  le  courant  du  xn"  siècle,  et  où  étaient  racontés  les 
innombrables  miracles  dont  l'apôtre  avait  récompensé  la  foi  des  pèlerins,  excila 
l'enthousiasme  de  la  chrétienté.  L'auteur  du  livre  était,  comme  on  l'a  prouvé, 
un  certain  Aimen  Picaud,  et  non  pas  le  pape  Calixte  II,  auquel,  dès  le  xme  siècle, 
on  en  lit  honneur-.  Le  récit  des  miracles  de  saint  Jacques  était  suivi  d'unguide 
à  l'usage  des  pèlerins3,  où  sont  indiqués  tous  les  sanctuaires  fameux  que  le 
voyageur  peut  rencontrer  sur  sa  route.  Quatre  chemins  se  présentent  à  lui.  S'il 
vient  par  la  Provence,  il  devra  visiter  en  passant  le  cimetière  des  Alyscamps, 
la  (liasse  de  sainl  Cilles,  Saint-Sernin  de  Toulouse.  S'il  suit  la  route  des  mon- 
tagnes,  il  ne  manquera  pas  de  s'arrêter  à  Notre-Dame  du  Puy,  au  monastère 
d'Aubrac,  a  Sainte-Foy  de  Conques,  à  Moissac.  S'il  doit  traverser  le  Limousin, 
il  s'arrêtera  à  Saint-Léonard,  à  Saint-Front  de  Périgueux,  à  la  Réole.  S'il  part 
de  Paris,  il  ira  faire  ses  dévotions  au  tombeau  de  saint  Martin,  à  Tours,  au 
tombeau   de  saint  Hilaire,  a  Poitiers,  au  tombeau  du  paladin  Roland  (beatus 


1  On  en  trouve  deux  à  Tours,  un  à  Bourges,  un  à  Auxerre. 

-  Voir  I  article  de  \.  Le  Clerc  consacré  à  Aimeri Picaud  dans  1  Histoire  littéraire  de  hi  France,  t.  XXI. 
p.  -i-i  et  suivantes,  el  de  M.  Léopold  Delisle  dans  le  Cabinet  historique,  ■->''  série,  t.  II,  187.x.  p.  i  cl  suiv. 
I .  erreur  vienl  de  ce  que  le  pape  Calixte  II  s'étail  signale  par  son  culte  pour  sainl  Jacques  dès  le  commen- 
cement .lu  mi  siècle  11  avail  rendu  obligatoires  la  fête  de  la  Translation  de  sainl  Jacques  lu  décembre]  el 
celle  des  miracles  de  sainl  Jacques  (3  octobre  .  Voir  Patrol.,  i.  CLXIII,  cul.   i  Igi 

;'  Le  IV'  livre  d'Aimeri  Picaud,  qui  est  un  vrai  guide  du  voyageur,  a  été  publié  pour  la  première  lois 
parle   1'.  Fila  -ou-  le  titre  de  Codex  de  Compostelle.  Paris,  1882,  in-ia. 


LE    MIROIR    HISTORIQUE   —    LA   LEGENDE    DORÉE  I8i 

Rotolandus),  à  Blaye.  Ces  églises  fameuses  sont  comme  les  bornes  milliaires  de 
la  route  de  Saint-Jacques1. 

Dès  la  fin  du  xn"  siècle,  le  voyage  était  devenu  plus  facile  et  plus  sûr.  Des 
maisons  d'asile  accueillaient  le  voyageur  à  chacune  de  ses  étapes2.  Au  passage 
des  Pyrénées,  au  bout  des  sombres  défilés  où  l'homme  des  plaines  se  sentait 
envahi  par  l'épouvante,  où  tout  l'effrayait,  les  montagnes  o  qui  semblaienl  tou- 
cher le  ciel  »,  l'eau  écumante  des  gaves  qu'il  croyait  empoisonnée,  la  rencontre 
des  Aragonais  aux  longs  couteaux,  ou  des  Basques  «  habiles  à  imiter  le  cri  du 
loup  ou  de  la  chouette  :  »,  —  l'hôpital  de  Sainte-Christine  apparaissait  soudain. 
L'antique  chaussée  romaine  qui  conduisait  en  Galice  avait  été-  réparée.  Saint 
Dominique  de  la  Calzada,  au  xn"  siècle,  avait  passé  sa  vie  à  refaire,  de  Compos- 
telle  à  Logroiîo,  les  ponts  emportés  par  les  torrents;  et  l'Eglise,  jugeant  son 
œuvre  sainte,  lavait  canonisé.  Depuis  m~">,  les  chevaliers  de  Saint-Jacques  de 
l'Epée-Rouge  '  parcouraient  les  routes  et  défendaient  les  voyageurs.  Les  plus 
grands  personnages  entreprenaient  le  pieux  voyage.  Charlemagne,  s'il  en  fal- 
lait croire  le  pseudo-Turpin,  aurait  été  le  premier  des  pèlerins  de  Galice  :  il 
était  parti  de  France  en  suivant  la  direction  de  la  voie  lactée  qui  s'était  appelée 
depuis  le  «  chemin  de  Saint-Jacques  ».  Louis  VIL  à  l'exemple  du  grand  empe- 
reur, avait  rendu  visite  au  sanctuaire  de  Compostelle5.  Saint  Louis  n'y  put  aller, 
mais  il  eut  pour  l'apôtre  une  dévotion  particulière,  et  Joinville  nous  apprend 
qu'à  son  lit  de  mort  il  prononça  le  nom  de  g  Monseigneur  saint  Jacques  ».  Le 
peuple,  en  qui  vivait  encore  l'esprit  des  croisades,  entreprenait  sans  hésiter 
l'immense  voyage  :  les  pèlerins  s'en  allaient  le  bourdon  à  la  main,  chantant  le 
long  de  la  route  le  cantique  de  saint  Jacques,  et  reprenant  en  chœur  le  vieux 
refrain  :  Ultreia  !  «  En  avant!"  »  Dans  beaucoup  de  villes  des  confréries  de 
Saint-Jacques  prirent  naissance.  A  l'origine,  les  pèlerins  qui  avaient  entrepris 
le   voyage  de   Galice   pouvaient   seuls   en    faire    partie;   plus    lard,    au    déclin  du 

I  11  est  très  remarquable  «pu-  les  églises  île  Sainte-Koy  de  Conques,  de  Saint-Sernin  di     I  cl  de 
Saint-Jacques  de  C postclle  s,,i,.ni  .'i  \wn  près  identiques. 

J   Voir  Lavergne,  les  Chemins  de  Saint-Jacques  en  Gascogne.  Bordeaux,  1887,  in-8°  ;  voir  aussi 
Histoire  de  saint  Jacques  le  Majeur.    Bordeaux,   [863,  in-12. 

:   Voir  1  ii;i.  Codex,  p,    [8. 

*   IU  avaienl  1 r  devise         Rubel  sanguine  Arabnm.  » 

■    Cartulaire  de  Saint-Père  de  Chartres  [publié  par  Guérard  dans  les  Pur  uni    inèd.  de  I  ln>(.  ,i-    I 
1     11.  p.    ;.,; 

II  Voir   Le   Clerc,  op.   cit.    et    le  Pèlerinage   d'un   paysan  picard    <   Saint-Jacques   de   Compostelle  nu 
XVIII-   siècle,  publié  par  le  baron  Bonnaull  cl  Houet.  Monldidier,   [890,  io 


382  L'ART   RELIGIEUX    DU    XIIIe   SIÈCLE 

moyen  âge,  i!  suffît  de  payer  une  somme  d'argent  pour  être  admis  au  nombre 
des  confrères  '.  —  De  ces  confréries,  c'est  celle  de  Paris  que  nous  connaissons 
le  mieux.  Son  histoire,  esquissée  par  l'abbé  Lebeuf2,  a  été  écrite  par  M.  Bro- 
dier3.  L'association  des  pèlerins  de  Paris  remonte  au  xin"  siècle,  mais  elle  ne 
nous  est  guère  connue  que  par  des  documents  du  xiv".  Au  xiv"  siècle,  d'ailleurs, 
les  confrères  étaient  encore  très  nombreux  :  au  grand  banquet  qui  fut  donné  le 
25  juillet  1Î27  en  l'honneur  du  saint  patron,  on  comptait  1 536  personnes. 
Etienne  Marcel  était  inscrit  au  nombre  des  confrères  de  Saint-Jacques. 

Y  eut-il  des  confréries  de  ce  genre  à  Chartres,  à  Tours,  à  Bourges?  En 
l'absence  de  documents  écrits,  les  vitraux  permettent  presque  de  l'affirmer.  A 
Chartres,  en  effet,  sans  parler  de  trois  autres  vitraux  consacrés  à  saint  Jacques 
-  indices  d'une  vénération  singulière  —  il  en  est  un  quatrième  qui  ne  repré- 
sente pas  autre  chose  que  six  pèlerins  accompagnés  d'un  chancelier  de  l'église 
de  Chartres,  Robert  de  Berou,  dont  le  nom  est  écrit  en  toutes  lettres  '.  Or, 
l'un  de  ces  pèlerins  porte  la  coquille  de  saint  Jacques.  N'est-ce  pas  là  le  vitrail 
d'une  confrérie  analogue  à  celle  de  Paris,  dont  Robert  de  Berou  aurait  été  le 
doyen  ? 

A  Bourges,  la  verrière  de  saint  Jacques,  consacrée  à  la  lutte  de  l'apôtre 
contre  Hermogène,  et  d'ailleurs  mutilée,  ne  contient  point  de  nom  de  dona- 
teur1. .Mais,  le  grand  coquillage,  cher  aux  pèlerins,  le  «  peigne  de  sain! 
Jacques  »,  qu'on  aperçoit  semé  sur  le  fond,  permet  encore  d'attribuer  le  vitrail 
à  une  confrérie. 

A  Tours,  des  deux  vitraux  qui  se  rapportent  à  saint  Jacques,  il  en  est  un  qui 
nous  intéresse  d'une  façon  toute  particulière".  Il  représente,  en  effet,  à  la  suite 
de  la  légende  de  la  lutte  de  saint  Jacques  et  d'Hermogène,  un  miracle  emprunté 
au  livre  d'Aimeri  Picaud.  C'est  l'histoire  d'un  hôtelier  de  Toulouse  qui  lit  con- 
damner a    mort  un    jeune  pèlerin    de  Saint-Jacques,   m    l'accusant  d'avoir    volé 

1   Voir  Ouin-Lacroix,  ///-./   des  anciennes  corporations  d'arts  et  métiers  de  Rouen.  Rouen,   iS*>o.  in-8, 
p.   i'i  il  Forgeais,  Plombs  historiés  (4°  série)  :  Imagerie  religieuse,  p.   i5i,  el    i    série,  p.  io5. 

Lebeuf,  Hist.  'lu  diocèse  de  Paris,  1.  I,  p.  iaj  (édit.  Cocheris),  w  1.  II.  p.    if. 

Bordier,  /."  Confrérie  des  pèlerins  </<•  Saint  Jacques,  dans  les  Mém.  de  lu  Société  de  l'hist.  de  Paris, 
1  I .  i  s  -  >  p  186  et  suivantes,  el  t.  II,  1876,  p.  34a  el  suivantes  Nous  connaissons  assez  bien  aussi  la 
Confrérie  des  pèlerins  de  Saint-Jacques  de  Rouen  par  des  documents  d'une  laisse  époque,  il  ■■>!  vrai.  Voir 
Ouin  Lacroix,  "/>    cit.,  p.    i;  i  ci  suivantes. 

vitrai]  du  chœur,  à  gauche,  fenêtres  hautes. 

\  ih ,111 1'  ./,■  Bourges,  pi.  XV. 

Boura  ss<   el  Marchand,  pi.  III. 


LE    MIROIB    HISTORIQUE  LA    LÉGENDE    DORÉE 

une  coupe  d'or,  qu'il  avait  introduite  lui-même  dans  son  sac.  Saint  Jacques, 
heureusement,  répara  l'injustice  des  hommes,  et,  durant  plusieurs  semaines, 
il  soutint  de  ses  propres  mains  le  jeune  homme  pendu  au  gibet.  Il  le  rendit 
vivant  à  son  père  qui  fit  proclamer  son  innocence  '.  —  L'introduction  d'un 
pareil  épisode  dans  le  vitrail  de  'l'ours  indique  l'intention  d'honorer  tout  parti- 
culièrement saint  Jacques  de  Compostelle.  C'est  pourquoi  il  n'est  peut-être  pas 
trop  téméraire  d'attribuer  le  don  de  cette  verrière  à  une  confrérie  de  pèlerins  -. 
—  Enfin,  c'est  certainement  à  l'influence  des  confréries  de  Saint-Jacques  qu'il 
faut  attribuer  l'habitude  que  prirent  les  artistes  du  xm'  siècle  de  représenter 
l'apôtre  avec  le  bourdon,  la  panetière  et  le  manteau  garni  de  coquillages. 

Nous  connaissons  beaucoup  moins  bien  les  confréries  de  Saint-Martin  et  de 
Saint-Nicolas,  'fout  ce  que  nous  pouvons  dire,  c'est  que  de  pareilles  confréries 
ont  réellement  existé  au  xm'?  siècle  '. 

Saint  Martin  et  saint  Nicolas  étaient  vénérés  comme  les  plus  grands  faiseurs 
de  miracles  qu'il  y  ait  jamais  eu.  L'un  était  le  thaumaturge  de  l'Occident,  l'autre 
celui  de  l'Orient.  Au  portail  méridional  de  Chartres,  ils  ont  été  places  l'un  en  face 
de  l'autre  :  l'intention  de  mettre  les  deux  grands  saints  en  parallèle  est  visible. 

Les  images  de  saint  Nicolas  se  rencontrent  à  profusion  dans  toutes  nos 
églises  du  moyen  âge.  A  Chartres,  où  presque  aucune  œuvre  n'a  disparu,  saint 
Nicolas  est  peint  ou  sculpté  jusqu'à  sept  fois.  Les  vitraux  si  incomplets 
d'Auxerre  nous  racontent  deux  lois  sa  légende,  ceux  du  .Mans  deux  fois  égale- 
ment. On  le  retrouve  à  la  cathédrale  de   Rouen,  à  I! 'ges,  à  Tours,  à  Saint- 

Julien-du-Sault  en  Bourgogne,  à  Saint-Remi  de  Reims.  On  le  voyait  autrefois  à  la 
cathédrale  de  Troyes-.  I',n  un  mot,  on  le  rencontre  presque  partout  où  il  reste 
des  vitraux  «lu  mm"  siècle.  Vénéré  chez  nous  des  le  m  siècle,  peut-être  des 
le  Xe',   son  culte  ne  devint  vraiment  populaire  qu'après  la  translation  de   ses 

1   Le  récil  d'Aimeri  Picaud  est  passe,  sous  le  nom  de  Calixte  II,  dans  la  /■ 
nui/.,  el  dans  If  Spec.  histor.  de  Vincenl  de  Beauvais,  lib.  XXVI,  cap.  xxxi. 

1  Les  tours  de  Caslille  <|u\>li  voit  dans  lit  bordure  ne  conUrmcraienl-ellcs  pas  cette  supposition  \ 
moins  qu'on  ne  veuille  v  reconnaître  1rs  armes  de  La  donatrice,  Blanche  de  Castille,  désireuse  <I  honorer  le 
grand  sainl  de  l'Espagne.  Dans  les  deux  cas  il  s'agil  bien  de  sainl  Jo  H.'. 

::  Pour  les  confréries  de  Saint-Martin,  voir  Bihl.  de  l'Ecole  '1rs  Chartes,  1881,  p.  5  el  sui>  .  el  Lecoy  de 

La  Marche,  Saint  Martin    Tours,   li il  .    '■         Pour  les  coufréries  formées  par  les  pèlerins  de 

Saint-Nicolas,   voir  Korgeais,   Plombs   histor.,    1    série,  p.   i>-> 

1   (  )n  i\  retrouvé  des  fragments  d'un  \  itrail  de  sainl   N'icolas  dans  1    grei  ier  de  la  calhédralc  il 
[liev.  de  l'art  chrétien,   1891,  |>.   116.  Article  il'-  l'abbé  Laroche  sur  VIconograph  ■lus.) 

5  On  trouve  quelques  preuves  'I'-  l'ancienneté  du  culte  rendu  à  sainl  Nicolas  dans  1> Joseph  de  1  Isle 

Histoire  de  lu  vie  et  du  culte  de  saint  Xicolas.  Nancy,  171'.  \>.  Ci. 


;sj  L'ART   RELIGIEUX   DU   XIII*   SIÈCLE 

reliques  de  Myre  à  I i;ni  en  1087.  Los  miracles  qui  se  faisaient  dans  le  fameux 
sanctuaire  de  l'Italie  méridionale  répandirent  sa  renommée  au  loin.  Dès  le 
xiie siècle,  Pierre  Damien,  dans  un  sermon,  recommande  d'invoquer  saint  Nicolas 
immédiatement  après  la  Vierge.  11  le  donne  comme  le  protecteur  le  plus  effi- 
cace que  les  chrétiens  puissent  trouver  dans  le  ciel,  et  il  se  réjouit  de  voir  que 
les  iideles  de  tous  les  pays  de  l'Europe  affluent  à  son  tombeau  l. 

Dans  les  périls  les  plus  pressants,  c'est  en  effet  à  saint  Nicolas  qu'on  avait 
recours,  .loinville  nous  raconte  qu'en  1254,  la  reine,  assaillie  dans  la  Méditer- 
ranée  par    une   furieuse   tempête,    promit   à   saint    Nicolas    une    nef   d'argent. 

Le  pèlerinage  de  Bari,  moins  célèbre  sans  doute  (pue  celui  de  Santiago, 
séduisait  vivement  aussi  les  imaginations.  La  merveille  qu'on  allait  y  admirer 
élait  la  fontaine  d'huile  parfumée  qui  coulait  du  tombeau  du  saint.  On  remplis- 
sait des  ampoules  de  plomb  de  cette  liqueur  intarissable  qu'on  employait 
comme  remède.  Un  fragment  d'os  de  saint  Nicolas  rapporté  à  la  fin  duxm"  siècle 
à  Varangeville,  en  Lorraine,  produisait  aussi,  disait-on,  cette  huile  merveil- 
leuse J.  Il  s'y  éleva  sous  le  nom  de  Saint-Nicolas  du  Port  une  église  qui  devint 
bientôt  célèbre  et  où  affluèrent  les  pèlerins  français  que  le  grand  voyage  de 
Bari  eût  effrayés. 

Les  deux  pèlerinages  fameux  de  Bari  et  de  Varangeville  n'ont  pas  été  sans 
doute  sans  influence  sur  les  nombreuses  œuvres  d'art  que  le  moyen  âge  a 
consacrées  a  saint  Nicolas.  11  faut  se  contenter  ici  de  probabilités,  puisque  les 
documents  écrits  nous  font  défaut  :  cependant,  il  est  assez  vraisemblable  que 
plus  d'une  verrière  ait  été  commandée  par  des  pèlerins  en  l'honneur  de  saint 
Nicolas. 

A  Chartres,  d'ailleurs,  au  portail  méridional,  un  bas-relief  du  tympan"  est 
consacré  au  fameux  miracle  de  Bari.  On  voit  le  sarcophage  sur  lequel  l'évêque 
est  couclié;  des  filets  d'huile  s'en  échappent  et  des  malades  sont  occupés  à 
recueillir  la  liqueur    dans  des  \ascs  ou    ;ï    se  faire   des   onctions   avec    le    baume 

miraculeux.  Un  tel  sujet  fut  peut-être  exécuté  à   la   demande  d'une  confrérie 


1   l'i  1 1'.  Diimiau.  Sermu  39.  Patrol-,  1.  CXLIV,  col.  853, 

-'  Dom.  d.'  1  [sic,  «//.  cit.,  i>.    1    >. 
i  ortail  de  droite  (fig.  >">;'.   Le  lympan  esl   consacré  à  la  fois  à  saint   Nicolas  et   ;'i  s.iint  Martin.  II 

1.  | 1    1  droite  le  miracle  du  tombeau  de  saiiil  Nicolas  d'où  coule  l'huile  parfumée  et,  au-dessous,  saint 

Micol  1       t; ne  bourse  dans  la  chambre  du  pauvre  que  la  misère  allai)  pousser  à  vendre  ses  trois  filles. 

On  voil   à  gauche   saint  Martin  donnant  la  moitié  do  son  manteau  au  mendiant,  et  au  dessus  Jésus-Christ 
apparaissant  .1  saint  Martin  pendant  son  sommeil  (le  valet  de  saint  Martin  est  couché  |>iés  de  lui). 


LE    MIROIR   HISTORIQUE    --    LA    LÉGEiNDE    DORÉE  385 

ilt-    Saint-Nicolas    :    il  révèle   en    tout    cas    les    préoccupations    des     fidèles    au 
xme  siècle. 

Saint  Martin  fut,  au  inoins  en  France,  aussi  célèbre  que  saint  Nicolas.  Dans 
les  temps  mérovingiens,  le  sanctuaire  de  Saint-Martin  de  Tours  avait  été  le 
vrai  centre  de  la  vie  religieuse  en  Gaule.  Les  barbares  pèlerins  du  xi"  siècle 
venaient  toucher  du  Iront  les  cancels 
de  bronze  qui  entouraient  son  loin- 
beau,  ou  boire,  dans  de  l'eau,  la 
poussière  <jii'ils  avaient  recueillie 
sur  le  couvercle  de  son  sarcophage. 
Au  xme  siècle,  l'antique  dévotion 
était  encore  bien  vivante,  si  on  en 
juge  par  les  œuvres  d'art  que  le 
grand  apôtre  des  Gaules  a  inspirées. 
A  Chartres,  il  est  représenté  jusqu'à 
sept  fois;  à  Tours,  deux  vitraux  lui 
sont  consacrés  ;  à  Bourges  et  au 
Mans,  deux  également.  On  en  trouve 


.<•    ._.f   r._. 


1111 


à   Angers,  et  on  vient  de  décou- 


—  Tympan  consacré  \  saint   Nie  las 
cl  à  sainl  Martin    i  Chartres  . 


vrir    qu'une    verrière    de    Beauvais, 

qu'on     n'avait     pas     su     déchiffrer 

jusqu'à     présent,     contenait      toute 

l'histoire    de  saint    Martin1.    Quand    nos   cathédrales  conservaienl    toute    leur 

parure,  le  vitrail  de  saint  Martin  ne  manquait  sans  doute  dans  aucune. 

On  peut  retrouver,  là  encore,  l'influence  des  confréries.  A  Tours,  les  vitraux 
consacrés  au  saint  dans  la  cathédrale  ont  bien  pu  être  donnés  par  la  confrérie 
de  Saint-Martin  qui  existait  dès  la  lin  du  vu"  siècle2.  Il  semble  que  la  confrérie 
de  Tours  ait  étendu  ses  libéralités  aux  églises  voisines,  car  on  bl  sur  un  vitrail 
de  Chartres  consacré  a  saint  Martin   :   VTR1   :  TVRONV    :  DEDERVT  :   NAS:   III. 

Il  est  probable  que  plus  d'une  verrière  consacrée  à  saint  Martin  lui  donnée 
par  une  confrérie,  par  des  pèlerins.  Le  chevalier  qui,  avant  de  partir  pour  un 
long  voyage,  clouait  à  la  porte  de  l'église  un  fer  à  cheval  en  I  honneur  de  sainl 


1   Dans   la  chapelle  absidalc  de   la    Vierge,  vitrail  de   gauche.  Voir  A     Pigeon,  Oazclti    des    ' 

1 8g  >.  i    1 1 ,  p.  j  ;  i. 

-   Lecoy  de  la  Marche,  <>p    cit.,  \>    6 


t86  L'ART    RELIGIEUX  1)1'   XIII"   SIÈCLE 

Martin  ',  à  son  retour  faisait  hommage  d'un  vitrail  au  saint  qui  l'avait  protégé. 
Tout  cela  s'aperçoit  confusément  :  malheureusement,  en  l'absence  tic  docu- 
ments écrits,  il  est  impossible  d'arriver  à  la   certitude. 

Tels  sont  les  sainls  les  plus  souvent  honorés  dans  nos  églises  du  moyen  âge. 
Reliques,  pèlerinages,  confréries,  dévotions  privées,  dévotions  locales,  mille 
raisons,  dont  beaucoup  nous  échappent  aujourd'hui,  déterminèrent  tous  ces 
choix. 

Ainsi,  pendant  plus  de  trois  cents  ans,  la  vie  des  saints  lui  pour  les  artistes 
une  matière  inépuisable.  Après  l'Evangile,  le  recueil  de  la  vie  des  sainls  est  de 
tous  les  livres  de  l'humanité  celui  qui  a  eu  la  plus  profonde  influence  sur  l'art. 

1   On  voyail  des  fers  à  cheval  cloués  ii  la  porte  de  Saint-Martin  d  Amiens.  On  en  voil  encore  aujourd  hui 
à  la  porte  de  la  petite  église  de  Palalda  (Pyrénées-Orientales).   Voir  Lecoj   de  la  Marche,  op.  ni  .  p.  6oj 
Signalons  encore  les  fers  à  cheval  cloués  sur  la  porte  de  l'église  de  Chablis  (Yonne  .  Cette  église  dépen- 
dail  de  l'abbaye  de  Saint-Martin  de  Tours,   et  les  reliques  de  saint  Martin  y  reposèrent  pendant  quelque 
temps  au  îv  siècle. 


CHAI» [TUE   Y 

L'ANTIQUITÉ  —  L'HISTOIRE   PROFANE 


I     L'antiquité.   Les  grands  hommes  de  l'antiquité  raremeni   représentés  dans  i  \  <  vriiii 
drale.   Aristote  i.i    Campaspe.   Virgile  dans  sa  corbeille.  L'antiquité    roi  i    entière  symbo- 
lisée   par   la   Sibylle.    Le    xiu     siècle    n'a    représenté    que   la    sibylle    Erythrée.    Pour- 
quoi?   —    II.    Les     mythes    antiques     interprétés    symboliquement.    Ovide    moralisé 
III.  L'histoire  de  France.    Les  rois  de  France.   Leurs  images  sont  moins  fréquentes  qi  on 
m.    pensait.     Erreur  de  Montfaucon.   —  IV.   Les  grandes    scènes  de  l'histoire  di    franci 
Le  baptême   de  Clovis.    L'histoire  de   Charlemagne    (vitrail  de  Chartres)     Les  Croisades 

I.  \    VIE    DE    SAINT    Loi  1S. 


La  cathédrale,  nous  l'avons  vu,  est  la  cité  de  Dieu,  les  justes,  cl  tous  ceux 
qui.  depuis  le  commencement  du  monde,  ont  travaillé  à  édifier  la  cité  s. unie  \ 
ont  leur  place.  Mais  ceux  de  l'autre  lignée,  ceux  qui  descendent,  comme  dit 
saint  Augustin,  non  d'Abel,  mais  de  Caïn,  ceux-là,  quelque  rôle  qu'ils  aient 
joué  dans  le  monde,  ne  s'y  voient  pas.  Nulle  place  pour  Alexandre  ou  pour 
César. 

Les  rois  chrétiens  eux-mêmes  se  montrent  très  rarement.  L  I icur  d  être 

représenté  dans  l'église  ne  fut  pas  accorde  à  tous  :  il  fut  réservé  à  ceux  qui 
travaillèrenl  vraiment  au  règne  de  Jésus-Christ,  à  Clovis,  à  Charlemagne,  à 
saint  Louis.  Ainsi  l'histoire  profane,  quand  par  hasard  elle  apparail  aux  vitraux 
du  \m    siècle,  mérite  encore   le  nom  d  histoire  sainte. 


On  est  d'abord  un  peu  surpris  de  trouver  si  peu  de  trace-  d.'  I  antiquité  dans 
nos  cathédrales.  Lexm    siècle,  tout  nourri  d'Aristote  cl  de  Virgile,  ignorant  le 


[88  L'ART   RELIGIEUX    1)1     XIII"  SIÈCLE 

grec,  il  est  vrai,  mais  sachant  merveilleusement  bien  le  latin,  presque 
aussi  classique,  en  somme,  que  le  xvi\  nous  paraît  un  peu  ingrat  pour  ses 
maîtres.  Il  suffit  de  parcourir  Vincent  de  Béarnais  pour  se  convaincre  que  l'his- 
toire de  la  Grèce  et  de  Rome,  malgré  bien  des  erreurs  de  détail,  était  connue 
dans  ses  grandes  lignes,  et  que  les  principaux  écrivains  latins,  Virgile,  Horace, 
Ovide,  Lucain,  Cicéron,  Sénèque  étaient  lus  et  goûtés  '.  Vincent  de  Beauvais 
extrait  de  leurs  œuvres  les  passages  qui  lui  semblent  dignes  d'être  gravés  dans 
toutes  les  mémoires. 

Pourtant,   la    seule  cathédrale  de   Chartres  nous   montre  quelques   grands 

h îes  de  l'antiquité.  Nous  avons  vu  (pie  Cicéron  était  sculpté  aux  pieds  de  la 

Rhétorique,  Aristote  sous  la  Logique,  Pythagore  sous  l'Arithmétique,  Ptolémée 
sous  l'Astronomie. 

L'art  byzantin  lut  infiniment  plus  hospitalier  que  le  nôtre  aux  grands 
hommes  du  monde  antique.  Ce  fut  en  Orient  une  tradition  de  peindre  dans 
l'église  ceux  d'entre  les  païens  qui  avaient  parlé  le  mieux  de  Dieu,  ceux  dont 
les  livres  pouvaient  être  considérés  comme  une  «  préparation  évangélique  ».  Le 
Manuel  du  Mont  Athos,  dont  les  formules  remontent  certainement  au  moyen 
âge.  invite  le  peintre  à  représenter,  près  des  prophètes,  Solon,  Platon,  Aristote, 
Thucydide,  Plutarque,  Sophocle".  Chacun  d'eux  déroule  un  phylactère  sur 
lequel  on  lit  une  sentence  qui  se  rapporte  au  Dieu  inconnu.  «  L'ancien  est  le 
nouveau,  dit  Platon,  et  le  nouveau  est  ancien.  Le  père  est  dans  le  lils  et  le  lils 
dans  le  père  :  l'unité  est  divisée  en  trois  et  la  trinilé  réunie  en  unité.  »  Aristote 
dit  :  «  La  génération  de  Dieu  est  infatigable  par  sa  nature,  car  le  verbe  lui- 
même  reçoit  de  lui  son  essence  »  ;  el  Sophocle  :  «  11  existe  un  Dieu  éternel; 
simple  par  sa  nature,  il  a  créé  le  ciel  et  la  terre.  »  Didron  a  vu  quelques- 
uns  de  ces  sages  païens  peints  au  porche  extérieur  (comme  s'ils  donnaient 
accès  dans  le  temple)  de  l'église  de  la  Vierge  Portière  [Panagia  Portaïtissa)  au 
couvent  d'Iviron  dans  le  mont  Athos'.  Ainsi  la  Grèce  affirme,  comme  saint 
Justin,  que  les  vieux  sages  ont  eu  leur  révélation  propre,  et  (pie.  dans  leurs 
œuvres,  tout  ce  qui  est  beau  est  chrétien.  On  pressent  le  génie  si  large  et  si 
humain  <l<-  la  Renaissance.  Raphaël  lui  aussi  réconciliera  la  Philosophie  antique 

1  \(>ii   BoutariCj  Vincent  de  Beauvais  et  la  connaissance  de  l'antiquité  classique  nu  XIII"  siècle  [Revue 
des  questions  historiques,  I.  XVII,  187».  p.  1  ci  suivantes  . 

-  Didron,  Manuel  d'iconographie  chrétienne    Guide  de  la  peinture  .  ]>.  1  î >S  ri  suivantes 

;  II}.,  ibid. .  p.    i5i. 


LE    MIROIR    HISTORIQUE   —    I.   HISTOIRE    PROFANE  >8g 

et    le  Christianisme,  et,  en  lace  de  la  Dispute  du  Saint-Sacrement,  il   peindra 
V Ecole  d'Athènes. 

A  première  vue,  nos  artistes  français  semblent  bien  loin  d'égaler  par  la  lar- 
geur d'esprit  les  peintres  byzantins  et  les  artistes  de  la  Renaissance.  Un  obser- 


Fis 


Arislotc  i'l  Cainpaspe    Lyon 


valeur  superficiel  les  jugerait  très  inférieurs.  .Mais  ne  non-  liàtons  pas  «le  pro- 
noncer. 

11  est  vrai  que  dans  la  cathédrale  du  \im  siècle  tout  souvenir  de  I  antiquité 
semble  perdu  '.  Les  sages  du  paganisme  saul  à  Chartres  n'apparaissent  jamais. 
Seuls  Aristote  et  Virgile  sont  quelquefois    représentés,   mais  dans  quelle  atti- 


1  Au  mii1'  siècle,   pourtant,  un  artiste   décore    la    vasq lu  cloître  il.-  Saint-Denis  |  liui  dans  la 

conr  de  l'Ecole  des  Beaux-Arts    de  ligures  de  Jupiter,  de  .1  mu  m.  d'Hercule,  de  Silvain,  de  Faune,  de  Diane, 
de  Neptune,  de  Cérès,   de   Bacchus,   de  Pan,  ■  I « ■   Vénus,  de  Paris  et  d'Hélène    Quelques-unes  de  ces  iin 
sont  d'un  paganisme  ingénu  qui  n  est  pas  sans  charme  :  Neptune  est  coiffé  >l  un   |  pour 

chevelure  des  feuilles  de  chêne,   Sur  les  souvenirs    de  l'antiquité  qui  se  rencontrent    dans    l'ail  du  moyeu 
âge,  voir  Springer,  Das   Nachleben  <l<r   Antike  un   Mittelaltt  '   -  Bilder  >ius  der  neuern  Kitnstge- 

schichte.  Bonn,    îtStfii,  a   vol.  in-8      Voii    aussi   Ë.    Muni/,  Journal   des    Savants,    octobre    1887  '■!  janvier- 
mars  i888. 


j9o  L'ART   RELIGIEUX   DU   XIII"   SIÈCLE 

tude  !    Aristote  marche  à  quatre  pattes  en  portant  sur  son   dos  la  courtisane 
Campaspe  (fig.  i58),  et  Virgile  est  suspendu  dans  un  panier1. 

Les  deux  légendes  sont  si  connues  qu'il  est  à  peine  nécessaire  de  les  rap- 
peler. 

Aristote  veut  arracher  Alexandre  à  l'amour  de  la  belle  Campaspe.  La  jeune 
femme  jure  de  se  venger  du  philosophe.  Un  matin  donc  qu'Aristote  travaille 
dans  sa  chambre,  Campaspe  vêtue  seulement  d'une  chemise  violette,  passe 
sous  ses  fenêtres  en  cueillant  de  la  menthe  en  fleur.  A  cette  vue,  le  sage 
s'émeut.  Il  descend  dans  le  jardin  etjure  à  Campaspe  qu'il  l'aime.  Mais  la  belle 
Indienne  exige  qu'il  le  lui  prouve  en  se  laissant  brider,  seller  et  en  la  portant 
sur  son  dos.  Alexandre,  cpii  a  tout  vu,  arrive  sur  ces  entrefaites  et  surprend  son 
maître  dans  cette  fâcheuse  posture.  Sans  s'étonner,  le  vieux  logicien  tire  lui- 
même  la  moralité  de  l'aventure  :  Combien  un  jeune  prince  ne  doit-il  pas  se 
défier  de   l'amour,    puisqu'un  vieux  philosophe  comme  lui  s'y  laisse  prendre. 

Ce  charmant  fabliau  n'a  pas  la  prétention  d'être  de  l'histoire.  Il  ne  fut 
jamais  pris  très  au  sérieux  puisqu'il  ne  passa  ni  dans  les  biographies  latines 
d'Al'istote,  ni  dans  la  légende  d'Alexandre2.  A  vrai  dire,  il  n'a  été  représenté 
dans  nos  cathédrales  que  parce  que  les  prédicateurs  en  ornaient  parfois  leurs 
sermons1.  Le  fabliau  d'Aristote  est  un  exemple  destiné  à  illustrer  une  vérité 
morale.  Il  figure  au  portail  ou  aux  chapiteaux  des  églises  au  même  titre  que  les 
fables  d'Ésope  qu'on  y  voit  parfois  représentées',  et  qui  étaient  également 
chères  aux  scrmonnaires\  Il  n'est  donc  nullement  destiné  à  rappeler  aux 
fidèles  le  souvenir  de  l'Aristote  de  l'histoire,  du  grand  maître  de  l'Ecole. 

On  en  peut  dire  autant  de  la  légende  de  Virgile  qui  est  figurée  sur  un  cha- 


1  Cinq  bas-reliefs  qui  datent  des  dernières  années  du  xin"  sièrle  ou  des  premières  du  mV  sonl  consa- 
crés .1  l.i  Légende  d'Aristote.  Deux  se  voient  à  la  façade  de  1  ;  *  cathédrale  de  Lyon  (publiés  dans  la 
Revue  d'architecture,  t.  1,  18(0,  col.  385  et  suivantes,  daus  les  Annal,  arch.,  1.  VI.  p.  i.j">.  dans  Guigue  et 
Bégule,  pi.   11.  ■•)     Le  troisième  décore  le  portail  de  la  Calende  à  la  cathédrale  de  Rouen   [voir  Adeline, 

Sculpl.  grotesg.,  pi.  XXXIX),  le  quatrième   un  chapiteau  de   la  nef  de   l'église  Saint-Pierre  à  Caen    

Caen  illustré,  par  Etig.  de  liobillard  de  ISeaurepaire.  Caen.   1 8y6,  in-fol.,  p.  180).  le  cinquiè !  stalle 

du  mu"   siècle  à   Lausanne  (Ami.  incli . ,  1.  XVI,  p.   56).  Voie  sur  ee  fabliau,    I .   Bédier,    les  Fabliaux,   l8o3, 
p.    170   el  suiv. 

-  Vincenl  .1.  Beauvais  ne  connaît  pas  l'histoire  de  Campaspe.  Il  parle  d'Aristote  (lib.  III.  cap.  1  xxxu  du 
Spcc.hist.),  et  d'Alexandre  (lib.  IV,  cap.  1  el  suivants).  Le  fabliau  n'esl  pas  inséré  dans  l'histoire  latine 
d'Alexandre.  Bibl.  Nat.,  ms.  lai.  8865  (xm0  siècle). 

Il  se  trouve  dans  le  Prompluarium  exemplorum,  emprunté  à  Jacques  de  Vitry. 

■   Portail  il  Amiens  :  le  loup  et  la  cigogne,  le  corbeau  (ou  peut-être  le  coq)   ei  le  renard. 

:;  Vincenl  de  Beauvais  (Spec.  hist.,  lib.  III.  cap.  vm)  rapporte  plusieurs  laides  d'Esope,  parce  que,  sui- 
vant  lui.   elles    peuvent  servir  aux  sernionnaires . 


LE   MIROIR   HISTORIQUE   —   L'HISTOIRE    PROFANE 

piteau  du  xiv"  siècle,  dans  l'église  Saint-Pierre  à  Caen1.  La  ridicule  aventure 
que  le  moyen  âge  prêtait  au  poète  est  bien  connue.  Virgile  a  accepté  le  rendez- 
vous  qu'une  fallacieuse  Romaine  lui  a  donné.  La  dame  qui  demeure  au  sommet 
dune  tour,  hisse  le  poète  dans  une  corbeille,  mais  elle  s'arrête  à  mi-chemin  et 
laisse  Virgile  suspendu  entre  ciel  et  terre.  Le  lendemain,  la  ville  entière  vient 
contempler  le  fameux  magicien,  le  savant  qui  savait  tout,  mais  qui  ne  savait  pas 
encore  de  quoi  les  femmes  sont  capables2.  Une  pareille  histoire,  dont  les  ailleurs 
graves  ne  font  pas  mention',  n'est  qu'un  amusant  fabliau.  Elle  fait  pendant 
à  la  légende  d'Aristote;  toutes  les  deux  étaient  il  excellents  exemples  qui  pou- 
vaient orner  un  sermon  sur  la  malice  des  femmes.  A  vrai  dire,  les  noms  de 
Virgile  et  d'Aristote  ne  sont  là  que  pour  embellir  le  conte  et  le  rendre  plus 
efficace.  Qu'était-ce  donc  que  la  femme,  si  elle  avait  pu  mettre  en  si  ridicule 
posture  les  deux  plus  grand  clercs  du  monde!' 

11  n'y  a  donc  pas  lieu  d'insister  plus  longuement  sur  de  pareilles  représen- 
tations :  elles  se  rapportent  à  peine  à  notre  sujet.  Il  est  trop  évident  que  les 
artistes  qui  sculptèrent  ces  historiettes  n'avaient  aucune  pensée  profonde,  et 
ne  se  proposaient  pas,  comme  les  Byzantins,  d'introduire  les  grands  hommes 
du  paganisme  dans  la   maison  de  Dieu,  pour  porter  témoignage". 

L'antiquité  pointant  est  représentée  —  et  très  noblement  —  dans  la  cathé- 
drale du  xma  siècle.  Un  ne  voit  pas.  il  est  vrai,  les  sages  du  paganisme,  mai-  on 
voit  dans  plusieurs  de  nos  églises  la  sibylle  païenne. 

La  sibylle  est  en  ellet  pour  le  moyen  âge  un  profond  symbole.  Elle  esl  la 
voix  du  vieux  monde.  Toute  l'antiquité  parle  par  sa  bouche  ;  elle  atteste  «pie  les 

1     I  'uni    lllu  Slré,    |i.    I  71J. 

C paretti,   Virgilio  ncl  medio  evo. 

Vincenl  de   Beauvais,  qui  raconte  tous  les  prodiges  qu'on  atlribuail  .m  magicien  \  rapporte 

p;is  cette  aventure    Spec.  kist.,  lib.    \  I .   cap.  i  m  .  i  \n  . 

1  Nous  ne  parlons  pa    ici  de  certains  objets  d'usage  domestique  où  des  personnages  de  1  autiquité 
représentés  :  le  bassin  de  la  Bibl.  Nat.,  où   l'histoire  d'Achilli    i    I    rai     utéi         iprès  Slace  (Maurice  Prou, 
Gaz.  archéol.,  1886,  p    18);  un  ivoire  du  xm°  siècle  où  se  voil  l'histoire  de  l'y  rame  el  de  Thisbé    Jakrhûcher 
des   Vereins  von  Alterthumsfreunden  in   Rheinland.   Bonn.,   [847,   pi.  V   ;    une   fontaine  du  xm     siècle  qui 

représente   C paspe   chevauchant   Aristotc    [Guiguo   el    Bégule,  p.    !o3   .  un    <    •><■    du   sm    sii 

même  sujet    Montfaucon,  Antir/.  expl.,  t.  III.  •    partie,  p]    CXI   l\    ,etc    De  pareils  objets  n'app 

p.Ls  à  l'arl  religieux.  Nous  ne  parlons  pas  non  plus  de  la  li  gende  d  Alexandre  montant  au  ciel  1  1 

deux  griffons,  ni  de  celle  de  Trajau  rendant  justice  à  la  veuve,  parci     ,  rent  pas  une 

lois    (huis   1rs  cathédrales  françaises.    Ils    sonl    particuliers  à   l'Italie  el  .1   l'Allemagne.   Alexandre  - 

notamment  à  Saint-Marc  de  Venise    I    Durand.  Ann.  arch.,  t.  \\  V,  p.   1  i  1  .  à  Anagni,  sur  nue  dalmatiquc 

(B.  de  Montault,  Ann.  arch.,  t.  XVIII,  p     ■',.,,    Bàle  el  à  Kribourg  1  n  Brisgau    Cahier,  .Vomi  .  mél 

archéol.,  p.   [65  et  suiv.  .   Lm  justice  de  Trajan  esl    représentée  sur  ^uu  chapiteau  du 

Venise. 


392  L'ART   RELIGIEUX    DU   XIII8   SIÈCLE 

Gentils  eux-mêmes  ont  entrevu  Jésus-Christ.  Pendant  que  les  prophètes  annon- 
çaient le  Messie  aux  Juifs,  la  sibylle  promettait  un  Sauveur  aux  païens;  les 
deux  peuples,  les  deux  cités  étaient  travaillés  du  même  désir.  La  parole  de  la 
sibylle  valait  donc  toute  la  sagesse  des  philosophes  :  seule  elle  méritait  de 
représenter  le  paganisme,  parce  que  seule  elle  avait  clairement  annoncé  le  Sau- 
veur en  l'appelant  par  son  nom. 

L'antique  prophétcsse  se  voit  encore  aujourd'hui  à  Laon  et  à  Auxerre.  Elle 
était  peut-être  sculptée  au  portail  de  toutes  nos  cathédrales,  mais  le   temps  a 
effacé  son  nom  sur  les  phylactères,  et  aujourd'hui  on  ne  la  reconnaît  plus. 
Quel  nom  faut-il  donner  à  la  sibylle  d'Auxerre  et  à  celle  de  Laon? 
Le  mii'    siècle,  en  effet,  connaissait  jusqu'à  dix   sibylles.  Vincent  de   Beau- 
vais,  répétant  ce  qu'avaient  dit  Lactance',  saint  Augustin2,  Isidore  de  Séville3, 
Bède   le  Vénérable4,  donne  à   ces  prophétesses  païennes  les  noms  suivants  : 
Persica,  Libyca,   Delpliica,  Cymeria,   Erythraja,   Samia,  Cumana,  Hellespontia, 
l'hrygia,  Tiburtina".  Mais  de  ces  dix  sibylles  une  seule  fut  vraiment  célèbre,  la 
sibylle  Erythrée.  «  La  sibylle    Erythrée,   dit  Vincent  de   Beauvais,  fut   la  plus 
fameuse  et  la  plus  illustre  de  toutes.  Elle  prophétisait  dans  le  temps  de  la   fon- 
dation de  Rome,  Achaz,  ou,  suivant  d'autres,  Ëzéchias  étant  roi  de  Juda6.  »  La 
célébrité  cle  la  sibylle  Erythrée  lui  vient  d'un  passage  de   la  Cité  de  Dieu,   où 
saint  Augustin  lui  attribue  les  fameux  vers  acrostiches  sur  le  jugement  dernier7. 
Dans  ce  poème  sur  la  lin   du  monde,  les  premières  lettres  de  chaque  vers  for- 
ment h'  nom  du   Dieu  Sauveur. 

La  sibylle  Erythrée  fut  dès  lors  considérée  comme  la  plus  grande  de  toutes 
les  sibylles,  la  plus  divinement  inspirée.  C'est  d'elle  évidemment  que  parle  le 
Dies  ii.e,  car  son  nom  est  associé  à  la  catastrophe  suprême  : 

Dies  ira',  dies  illa 
Solvet  saeclum  in  favilla, 
Teste  David  cum  sibylla. 

1  Lactance,  Divin.  Inslil., lib.  I.  Palrol.,l.  VI.  cul.  i.ji. 
-  Sainl  Augustin,  De  Civil,  /ici.  Pairol.,  t.  XLI,  col.  ">:>i. 

[sidore,  Etymol.,  lib.    VIII,  cap.  vm.  Pairol.,  I    I.WXII,  col.  JSoo. 
•  Bède    Dubia  et  Spuria).  Pairol  .  t    XC,  col.   1181. 
:   \  inc.nl  de  Beauvais,  Spec.  hist.,  lib.  Il,  cap.  c,  ci,  en.  Les  poètes  français  du  khi8  siècle  adoptent  ce 

nbr<    <l<    '!i\  sibylles,  N  uii-  Bibl.  Nal.,  m  s.  franc,    •  ">  1  '  *  7  (xiu°  siècle). 

6  Spec.  hist.,  Iil>.  Il,  cap.  eu.   Ce  que  Vincenl  de  Beauvais  «lit  de  la  célébrité  delà  sibylle  Erythrée  esl 
emprunté  à  Isidore  de  Séville,  /.'/>/».,  VIII,  8.   Patrol.,  t.  LXXXII,  col    ion. 
Sainl  August,  Cité  de  Dieu,  XVIII,  2  i    l'ut  rat.,  t.  XLI,  col.   '>:m 


LE    MIROIR    I1ISTORIQ1   i:  I.   Il  I  S'I'i  1 1  i;  i;    l'ROl'ANE 


l93 


Il  non-;  reste  à  démontrer  que  la  sibylle  d'Auxerre  el  celle  de  Laon  repré- 
sentenl  bien  vraiment  la 
sibylle  l.rvl  brée.  l'uni'  celle 
d'Auxerre,  il  ne  peill  v 
avoir  que  des  présomp- 
tions. Sun  nom  est  inscrit 
près  d'elle,  et  on  lit  a  Si- 
bylla  '  ».  L'absence  d'ad- 
jectif, toutefois,  semble 
i  ndiquer  (pie  l'arl  iste  ;i 
pensé  à  la  sibylle  par 
excellence,  à  celle  du  Dies 
ir;r.  Ce  ([ni  donne  à  nuire 
liypotbèse  une  grande  vrai- 
semblance, c'est,  qu'on  voil 
près  de  la  sibylle  nue  tète 
de  n>i  couronné,  i|ni  parait 
bien  être  le  roi  David.  Le 
sculpteur  aurait  de  la  sorte 
essayé  de  traduire  un  \  ers 
du  Dies  inv. 

Mais  à  Laon,  nous  attei- 
gnons à  la  certitude.  La 
statue  de  Laon,  qui  se  voit 
dans  une  voussure  du  por- 
tail de  gauche  de  la  façade 
fig.  i  h  |  .  n'avait  jamais 
encore  été  désignée  sons 
son  vrai  nom  '.  L'abbé 
Bouxin,  dans  sa  descript ion 
de  la  cathédrale  de  Laon,  l'an 


I    i  I  ">,|.  I..I     Sil.\  lll'    \a\  lluve      i 


pelle  o  la  Loi  divine    ».  Il  lit  mal  l'inscription  qu'il 


1    I...   ligure  di'  la  sibylle  esl   sculptée  à  l'iiil  la  cathédrale,   au  | rlour  Hu  rlueiir.  suivant  un 

usage  propre  ù  l'arl   I 'gu  ign<  m. 

-  Elle  .i  été   moulée  el    se  Irouve  .m    Trocadéro     u"  120       La    lèle   .1    disparu      Elle   lienl    ;i    la  mai» 
tablettes  qui  ressemblonl   aux  tables  de  la  l"i. 

1    Abbé     I!.  .11X111.     /  .:     I    (itlli     I      .    ,1.       I     IDII  .      |).    -  '. 


;,M  L'ART    RELIGIEUX    DU    XIII'    SI  ÈCLE 

restitue  sous  cette  forme  o  aeterna  per  saecla  (Ht ma  o,  et  qu  il  traduit  o  elle  la 
loi  divine  demeurera  pendant  les  siècles  éternels  ».  La  vérité  est  qu  il  faut 
lire  :  «  [advenijet  per  saecla  futurus  ».  C'est  la  lin  du  second  vers  du  poème 
acrostiche  que  saint  Augustin  attribue  à  la  sibylle  Erythrée.  Le  morceau  com- 
mence ainsi  : 


Judicii  signum  :  tellus  sudore  madescet, 
E  cœlo  rex  adveniet  per  sœcla  futurus, 
Scilicet  in  carne  prassens  ni  judicet  orbem. 

Il  ne  saurait  dune  v  avoir  de  doute  :  la  figure  du  portail  de  Laon  représente 
la  sibylle  par  excellence,   la  sibylle   Erythrée. 

Les  fresques  du  palais  des  papes  à  Avignon,  qui  datent  du  xiv'  siècle,  nous 
montrent,  en  face  des  prophètes,  une  sibylle1.  Elle  déroule  une  banderole  sur 
laquelle  on  lit  :  »  Judicii  signum  tellussudore  madescet  |  e  cœlo  rex  adveniet  per 
stccla  futurus  |  scilicetin  carne  [praVjsens  |  sibilla.  »  On  reconnaît  la  sibylle  Ery- 
thrée, qui,  au  XIVe  siècle  comme  au  \in",  continue  à  représenter  a  elle  seule 
toutes  les  sibylles. 

Comment  expliquer  ce  privilège  .'  (  )n  peut  affirmer  sans  craindre  de  se  l  rom- 
per  que  la  célébrité  dont  la  sibylle  Erythrée  a  joui  au  moyen  âge  lui  vient  du 
rôle  (pie  le  pseudo-Augustin  lui  a  fait  jouer  dans  son  laineux  sermon.  Elle 
défile,  eu  effet,  a  la  suite  îles  prophètes,  la  couronne  sur  la  tête,  et  elle  pro- 
nonce justement  les  vers  acrostiches  sur  la  lin  du  monde  (pie  nous  avons  cités 
plus  haut  :  o  Judicii  signum...  »  Les  artistesqui  devaient  déjà  à  ce  sermon  I  idée 
de  montrer  aux  veux  la  suite  des  prophètes  déroulant  sur  des  phylactères  des 
versets  messianiques2,  empruntèrent  encore  au  pseudo-Augustin  le  personnage 
de  la  sibylle,  el  symbolisèrent  en  elle  l'attente  des  Gentils. 

Une  particularité  curieuse  et  qui  mérite  d'être  signalée,  c'est  que  le  Guide 
île  lu  peinture  du  Mont  AtllOS  ne  nomme  aussi  qu'une  sibylle.  La  prophétesse 
esl  désignée  --ou-  le  nom  vague  de  la  «  sage  sibj  lie  :  ».   mais,  en  lisant  les  paroles 

que  le  Guide  lui  attribue,  on  reconnaît  qu'il  s'agit  encore  de  la  sibylle  Erythrée. 
Elle  (but.  en  effet,   tenir  à  la    main  une  banderole  sur  laquelle  on  lit  :  «  11  vien- 

Salle  'lu  consistoire. 
'  Voir  ci-dessus  livre  IV.  ch.  i    l'Ancien   Testament  .  \<    up 
Didi  on.  Guide  de  la  peint.,  p.    1 5o 


LE    MIROIR   HISTORIQUE      -    1.  HISTOIRE    PROl  A  Ni; 

dra  du  tiel  un  roi  éternel  qui  jugera  toute  chair  et  tout  l'univers  ;  «—prophétie 
qui  n  est  qu'une  traduction  un  peu  libre  île  deux  des  vers -acrostiches  donnés 
plus  haut  :  «  E  cœlo  rex  ad  véniel. ..  »,  etc.  Il  v  a.  <>n  le  voit,  analogie  parfaite  entre 
la  sibylle  byzantine  et  la  sibylle  de  Laon  ou  d'Avignon.  Didron  a  donc  tort 
d'opposer  à  la  sibylle  unique  de  l'Orient  les  douze  sibylles  de  l'Occident.  Au 
xiii0  siècle,  en  France  comme  en  Grèce,  un  ne  représente  qu'une  seule  sibylle, 
la  sibylle  Erythrée;  les  autres  n'apparaîtront  que  plus  tard  '. 


Il 


L'antiquité  n'est  donc  figurée  dans  nos  cathédrales  que  par  la  mystérieuse 
figure  de  la  Sibylle. 

Il  se  taisait  cependant  dans  les  esprits,  au  \m"  siècle,  un  singulier  travail. 
Les  livres  des  anciens  commençaient  à  apparaître  aux  lettrés  connue  une  obscure 
révélation,  où  la  vérité  transparaissait  île  temps  en  temps.  Les  Métamorphoses 
d'Ovide,  notamment,  furent  interprétées  avec  la  méthode  symbolique  qu'on 
appliquait  à  la  Bible,  et  on  v  découvrit  les  mêmes  enseignements.  I.  idée,  si  fré- 
quemment soutenue,  que  la  mythologie  antique  n  est  tout  entière  qu  une  cor- 
ruption de  la  tradition  biblique,  n'était  pas  précisément  celle  des  clercs  du 
\iii''  siècle.  Ils  allaient  beaucoup  plus  loin.  La  (able  païenne  était,  a  leurs  yeux, 
une  sorte  de  révélation  particulière  que  Lieu  axait  laite  aux  Gentils,  cl  où  il 
avait  esquissé,  comme  dans  l'Ancien  Testament,  l'histoire  de  la  Chute  et  de  la 
Rédemption.  Dans  l'immense  tapisserie  d  Ovide,  parmi  les  fils  entrecroisés,  îles 
yeux  chrétiens  discernaient  les  figures  de  Jésus-Chrisl  cl  de  lu  Vierge  que  le 
poète  avait  dessinées  sans  le  saxon'. 

1  J'ai  Qln    dans   ■  thèse   latine  intitulée   :  n  Quo  modo    Sihyllas   vecentioves   artifices   repv.vsi 

revint     .  que  I  Italie  du  moyen  âge  connut,  outre  la  sibylle  Kr\  thrée,  la  sibylle  de  l'ibur,  que  la  légende  de 

l'Ara    cœli    avail    rendue  très   célèbre    Elle  était  censée  avoir  ntré   la  Vierge   el    l'Knfanl   à   l'enip 

Auguste.   La  légende  élail  localisée  ,t  I! e.  mais  le  reste    de  l;i  chrétienté  ne   I  ignorai!  |>.i*.  Aussi  n 

p.is  surprcnanl  de   rencontrer  à  Soissons,  dans  un  vitrail  de   1  arbre  de  J  —  i      i<  m  In  s   lia  lueur, 

xm°  siècle),  deux  sibylles  On  lit  près  de  chacune  d'elles  :  Sihjrlla  Ou  s'aperçoit  d'ailleurs  tout  de  suite 
que  la  seconde  sibylle  a   été  mise  là  pour  faire  pendant  .'i  la  première    L'arb 

branches  parfaite ni  symétriques     un  roi  corresp I  ii    un  roi,  un  prophète  à  un  propli  face  de 

la   sibylle    il    fallail   une  autre    sibylle.  —    J'ai   noté    la    même   particularité  à    Notrc-Di de   Paris     I   i 

voussure  du  portail  de  gauche  faç  ide  occidentale  forme  aussi  un  arbre  de  Fessé  Le  premier  cordon  esl 
consacré  aux  pi-ophèles,  le  second  aux  rois  de  Juda,  Or,  parmi  les  rois  île  Juda,  il  j  a,  se  laisanl  pen- 
dant,   deux  femmes  c onuéi  s  qui   me  semblent  être,  cou S  sibylles     Le  uoui.  qui  etail 

jadis  écrit  sur  le  pbylactèri  .  a   disp 


Ig6  L'ART   RELIGIEUX    Dl     XIII1    SIÈCLE 

Rien  n'est  plus  curieux,  à  cet  égard,  qu'un  manuscrit  des  Métamorphoses  à 
la  Bibliothèque  de  l'Arsenal  '.  Au  milieu  de  miniatures  consacrées  à  I  histoire  de 
Médée,  d'Esculape  ou  d'Achille,  apparaissent  soudain  une  Crucifixion,  une 
Annonciation,  une  Descente  aux  Limbes.  Le  commentaire  rimé  qui  accompagne 
chaque  récit  d'Ovide  explique  et  justifie  la  présence  des  sujets  chrétiens.  Nous 
apprenons  ainsi  qu'Esculape,  qui  mourut  pour  avoir  ressuscité  des  morts,  est 
une  figure  de  Jésus-Christ2;  Jupiter,  changé  en  taureau,  et  portant  sur  son  dos 
Europe,  c'est  encore  Jésus-Christ,  c'est  le  bœuf  du  sacrifice  qui  a  accepté  le 
fardeau  de  tous  les  péchés  du  monde1.  Thésée,  qui  abandonne  Ariane  pour 
Phèdre,  préfigure  le  choix  que  fit  Jésus  entre  l'Eglise  et  la  Synagogue*.  Thétis, 
qui  apporte  à  son  fils  Achille  les  armes  avec  lesquelles  il  triomphera  d'Hector, 
n'est  autre  que  la  Vierge  Marie  qui  donnera  au  Fils  de  Dieu  un  corps,  ou,  comme 
disent  les  théologiens,  l'humanité  dont  il  doit  se  revêtir  pour  vaincre  l'ennemi5. 

Voilà  quelques  exemples  qui  peuvent  donner  une  idée  (fi'  ce  genre  d'ou- 
vrages. La  mythologie  tout  entière  devient  prophétique  et  comme  sibylline.  ■ — 
Les  artistes  du  moyen  âge  (si  on  en  excepte  les  miniaturistes)  ne  semblent  pas 
avoir  connu  cette  méthode  d'interprétation  :  jamais  ils  ne  mirent  en  parallèle 
une  scène  île  la  fable  et  une  scène  de  l'histoire  sainte.  Mais  les  artistes  de  la 
Renaissance  ne  se  firent  pas  scrupule  d'opposer  Hercule  à  Samson  \  Adam, 
condamné  à  mourir  par  la  faute  d'une  femme,  est  mis  en  parallèle  avec  Hercule 
se  brûlant  sur  l'Œta  pour  avoir  trop  aimé  Déjanire  '  ;  lïve  est  rapprochée  de 
Pandore  \ 

A  l'origine,  il  n'y  avait  là  qu'ingénuité.  Cependant  les  humanistes  et  les  éru- 
dils  commençaient  à  rire  de  tant  de  candeur,  et  Rabelais  disait  :  «  Croyez-vous 
en  votre  foi  qu'onques  Homère,  escripvant  l'Iliade,  l'Odyssée,  pensâ"st  es  allé- 
gories lesquelles  de  lui  ont   calefreté  Plutarche,   Heraclides  Ponticus...   Si  le 

1  Bibl.  de  L'Arsenal,  m^.  n°  5o6ç>.  Le  Roman  des  fables  d'Ovide  le  Grand   commenccmcnl  duxiv0  siècle 

par  Chrostien  Legouais  de  Sainlc-More,  près  Troycs.  La  i  raductii i  le  coin ntairesont  on  vers  français. 

La  Bibl.  Nat.  a   six   m. scrits  de  Legouais  :   franc.    \-  !,    l;  î.  870,  871,  872,    'i   ioG    Sur  Legouais,  w>ir 

Ga   Ion  Paris,  Hist.litl    Afin  France,  1.  XXIX,  1 S  S  > .  p,   \\'>. 

-  Arsenal,  n°  S069,  l     ■  1 

'  Ibid.,  I  '  -, 

■  Ibid,,  i    1  m 

•■  //.,,/  .  I'  .:: 

,;  Jubé  d«'   Limoges     1  m  m  1 1.i  l^< *  au   Trocadéro       I  .  Piper  .1  signalé  ciuelqucs-uns  de  ci"-    rapprochemenl 
il. mis  -..1  Mythologie  der  christlichen  Kunst.  Weimar,  1 S  j 7 .  in  s,   1.  I.  p.  91  •!  p.  1  1 '•  el  suiv. 
Pilastres  du  tombeau  de  Philippe  de  Commines    École  des  Beaux-Arts). 

s  11 s'agil  du  fameux  tableau  attribué  à  Jean  Cousin  :  Eva  prima  Pandora. 


LE   MI  non;    Il  ISToi;  loi  K   —    L'HISTOIKK   prokaxi 

croyez,  vous  n'approchez  ni  de  pieds  m  de  mains  à  mon  opinion  qui  décrète 
icelles  aussi  peu  avoir  été  songécs  d'Homère  que  d'Ovide,  en  ses  Métamor- 
phoses, les  sacrements  de  l'Evangile,  lesquels  un  frère  Lubin,  vrai  croquelar- 
don,  s'est  efforcé  de  montrer,  si  d'adventure  il  rencontrait  gents  aussi  lois  (pic 
lui,  et  (comme  dict  le  proverbe)  couvercle  digne  du  chaulderon  '.   o 

Le  grand   art   An  xme  siècle  lui  plus  sage  et  mieux  inspire''  en   n'admettant 
dans  la  cathédrale,  pour  représenter  le  paganisme,  que  la  sibylle  Erythrée. 


Il 


Cependant  Jésus  est  né,  et  l'histoire  des  siècles  chrétiens  commence.  Xous 
voici  de  l'autre  côté  de  la  croix.  Désormais  les  vrais  héros  seront  les  saint-.  : 
seuls  ils  figureront  dans  la  cathédrale.  Quant  aux  rois  chrétiens,  si  grands  qu  ils 
soient,  ils  seront  rarement  jugés  dignes  d'un  tel  honneur. 

A  Reims  toutefois,  dans  l'église  du  sacre,  on  ne  peut  douter  que  les  vitraux 
îles  fenêtres  hautes  de  la  ne!  ne  représentent  les  rois  de  France.  Une  inscrip- 
tion, d'ailleurs,  donne  à  l'un  deux  le  nom  de  »  Karolus  "  ".  Chaque  roi  esl 
accompagné  de  l'évoque  qui  l'a  sacré.  Rien  d'ailleurs  ne  distingue  les  unes  des 
autres  les  figures  solennelles  des  vingt  monarques.  Elles  sont  dans  I  église  pour 
rappeler  au  peuple  que  la  royauté  est  d'essence  divine,  el  qu'un  roi  oinl 
de  1  huile  sainte  est  plus  <pi  un  homme.  Les  curieuses  statuettes  sculptées  à 
l'extérieur,  autour  de  la  grande  rose  de  la  façade,  complètent  l'enseignement. 
(  )n  voit  David  sacre''  par  Samuel  et  Salomon  sacré  par  Nathan.  Les  scènes  qui 
suivent  sont  destinées  à  rappeler  que  si  Dieu  élève  les  rois  au-dessus  de  tous 
les  hommes,  il  exige  d  eux  les  plus  hautes  vertus  :  il  leur  demande  d  être  cou- 
rageux (David  lue  Goliath)  ((ig.  [Go  .  d'être  pistes  Salomon  rend  l'enfant  à  sa 
mère),  d'être  pieux  Salomon  bàtil  le  temple  .  Au  sommet  apparaît  la  figure  A<- 
Dieu  bénissant  les  rois  .  On  dirait  les  chapitres  d  une  sorte  de  Polit if/ue  tirée  de 


1   Prologue    de  Gargantua,  Le  frère  Lubin  esl   le    dominicain   anglais  Thomas    Walleys,    auteur  du  li\re 

inlilulû  :  ilelamorpliosis  iwidiana  mornliter  explanata.  Paris    i I  u  pareil  livi 

I ion  du    in<»\ <-ii  âge. 

<  •  o     f/ist.  ri  Pe.icript.  de  Xolre-Pame  de  Reims,  I.   II,   p 

l  les  bas  reliefs,  I  rompris  jusqu'ici,  •  •  •  ■  1  été  expliqués  pour  la  première  fois  'I  une  façon  salisfai: 

par  le   chanoine  Cerf(o/;.  cit..  p.    itio   et  suiv. 


j98  L'ART   RELIGIEUX    DU    XIIIe  SIÈCLE 

rÈcriture  Sainte.  De  pareils  sujets  étaient  parfaitement  à  leur  place  dans  l'église 

du  sacre. 

Dans  les  autres  cathédrales,  les  images  des  rois  de  France  se  montrent  rare- 
ment '.  Nous  avons  déjà  prouvé  que  les  statues  rangées  à  la  façade  de  Notre- 
Dame  de  Chartres,  de  Notre-Dame  de  Paris 
et  de  Notre-Dame  d'Amiens,  où  on  a  voulu 
voir  les  rois  de  France,  représentent  en  réalité 
les  rois  de  Juda,  ancêtres  de  la  Vierge. 

Les  archéologues  du  xvme  siècle,  encore 
peu  familiers  avec  le  vrai  génie  du  moyen 
âge,  contribuèrent  à  accréditer  l'opinion  que 
les  images  de  nos  anciens  rois  ornaient  le 
portail  des  églises  i\u  xne  et  du  mii"  siècle. 
Montfaucon,  dans  ses  Monuments  de  In  Mo- 
narchie française,  ne  doute  point  que  les  huit 
grandes  statues  du  portail  de  Saint-Germain 
des  Prés  (aujourd'hui  détruites  ne  représen- 
tent sept  princes  ou  princesses  des  temps 
mérovingiens  accompagnés  de  l'évêque  saint 
Rémi.  Il  va  jusqu'à  les  nommer.  Ce  sont,  sui- 
vant lui,  Clovis,  Glotilde,Clodomir,Théodoric, 
Childebert,  la  reine  Ultrogothe  et  Glotaire  J. 
A  Notre-Dame  de  Paris,  au  vieux  portail 
Sainte-Anne,  .Montfaucon  voit  aussi  des  rois 
de  la  première  race.  11  soupçonne  notammenl 
que  le  personnage  qui  tient  un  violon  pour- 
rait bien  être  Ghilpéric,  car  <s  il  lit  des  hymnes 


Fie    1 60.       I).i\ i'I 


i\  ni  vainqueur  de 


le  Golialh 


delafacade.  R  c 


pour  l'Église  0. 


1  Ou  s.iit  qu  ,i  Strasbourg  les  vitraux  du  bas  côté  nord  représenlenl  les  empereurs  d'Allemagne. 

Uonum.  de  lu  Monarch.  franc.  Paris,  1729,  in-f°,  t.    I.   p.  Si.   Montfaucon  fui  trompé,  il  esl  vrai,  par 
des  inscriptions  qui  avaient  été  peintes  sur  1rs  phylactères  des  rois,  probablement  au  xvii'    siècle    11  avait 

lu  (1  Chlod irus  «  en  lettres  r aines  et  t  Chlo  tari  us  0.  Avant  lui,  Dom  Ruinarl  avait  relevé  les  mêmes 

is    Voici  ce  qu'il  en  dit,  dans  son  Grégoire  de  Tours         Quas  quidem  lilteras,  etsi  forte  primariis  subs 

tilulœ  videantur,  antiquissimas  tamen  esse   ipsa   characterum   forma  et  viridis  color  fere  penitus  détritus 
probant  1     Sancli  Gregorii  Turon.  Opéra  omnia.  Paris,  1699,  col     1  !;i  .  Ruinarl  ne  se  trompe  pas  en  pen 

s., ni  n scriptions  onl  été  substituées  à  <l  autres.  A  la  cathédrale  du  Mans,  où  l'une  des  inscriptions 

anciennes  esl  conservée,  "ii  lii  sur  le  phylactère  d'un  des  mis  :      Salomo.  » 

Il  s  agit  de  David 


LE    MIROIR    HISTORIQUE    -   L'HISTOIRE   PROFAN  E 

A  la  porte  royale  de  la  cathédrale  de  Chartres,  au  portail  el  dans  le  cloître 
de   Saint-Denis,   Montfaucon  retrouve   toujours 
les    Mérovingiens.    <)n    sait    ou  il    lit    dessiner 
toutes  ces   figures  pour  illustrer  l'histoire  des 
premiers  rois  de  France1. 

Il  est  surprenant  que  le  savant  bénédictin, 
si  habile  à  interpréter  les  monuments  de  l'an- 
tiquité, ail  si  mal  connu  l'art  religieux  de  son 
pays.  Les  rois  et  les  reines  de  France,  qu'il 
prétend  reconnaître  à  la  porte  de  nos  églises, 
sont  en  réalité  les  ancêtres  de  Jésus-Christ 
suivant  la  chair.  Les  graves  rois  du  portail  de 
Chartres,  les  reines  aux  belles  tresses,  au 
sourire  mystérieux,  sont,  comme  semble  I  avoir 
prouvé  M.  Vôge,  les  rois  et  les  reines  que 
nomme  saint  Matthieu  dans  sa  généalogie  de 
Jésus-Christ".  Ce  serait  au  portail  du  milieu,  à 
gauche,  lîabab,  Salmon3,  liutb,  Booz,  Obed,  el 
à  droite,  Jessé,  David,  Bethsabé,  Salomon.  La 
concordance  est  si  parfaite  avec  saint  Matthieu 
i,  "),  (i,  7),  qu'il  est  difficile  de  ne  pas  tenir 
pour  vraie  la  solution  proposée  par  M.  Vogc. 

L'erreur  de  I  Ecole  bénédictine  eut  les  plus 
funestes  conséquences.  On  avait  si  souvent 
répété,  sur  la  foi  de  Montfaucon,  que  les  statues 
de  Saint-Denis,  de  Saint-Germain  des  Prés  et 
de  Notre-Dame  représentaient  des  rois  Je 
France,  qu'en  i7;)>  on  se  crut  obligé  de  les 
détruire.  Une  interprétation  erronée  fut  cause 
que  nous  perdîmes  les  monuments  les  plus  pré- 
cieux. Une   telle  lacune   rend  désormais   difficile   l'histoire  des  origines  de   la 


I    ]iili|i|ir    cl 

Miihaul  di    Bon  1      'i  1res  . 


1  Monum.de  la    Vonarch.  franc  .  pi.  VIII,  IX,  XV  el    \\l  du  I     I. 
J  Vôge,    Die  Atifunge  des  nionum    Stites,  ch.  n,   p. 

:  La  statue  a  disparu 


400  L'ART    RELIGIEUX    DU    XIIIe   SIÈCLE 

sculpture  française1.  L'erreur  de  Montfaucon  s'est  perpétuée  jusqu'à  nos  jours. 
Quelques  archéologues  s  obstinent  encore  à  chercher  1  image  des  rois  de  France 
au  portail  des  églises.  L'abbé  Bulteau  a  commis  plus  d'une  lois  celle  faute  dans 

sa  Mi graphie  de  Chartres.  Il  croit  reconnaître  à  la  porte  royale  de  Chartres, 

là  où  M.  Vôge  nous  montre  les  ancêtres  de  Jésus-Christ,  Chàrlemagne,  Berthe 
aux  grands  pieds,  le  roi  Canut,  Guillaume  le  Conquérant,  la  reine  Mathilde2.  Il 
affirme,  sans  l'ombre  d'une  preuve,  qu'au  porche  septentrional  deux  grandes 
statues  représentent  l'une  Louis  VIII,  l'autre  Isabelle  de  France,  la  fille  de 
Louis  VI II  et  de  Blanche  cle  Castillc"  (fig.  162).  Il  nomme,  parmi  les  statues  de  ce 
même  porche  qui  existent  encore  ou  qui  ont  disparu,  Philippe,  comte  de  Bou- 
logne, et  sa  femme  .M  alia  ut  (fig.  161),  Philippe  Auguste,  roi  de  France,  et  Richard 
Cœur  de  Lion  '.  Ils  seraient  là,  suivant  lui,  à  titre  de  bienfaiteurs  de  la  cathé- 
drale. Il  ne  se  demande  pas  si  ces  statues  ne  représenteraient  pas  plutôt  des 
prophètes  d'Israël,  des  rois  et  des  femmes  illustres  de  la  Bible,  figures  de  Jésus- 
Christ.  —  Les  scènes  bibliques  qui  sont  sculptées  sur  les  supports  des  statues 
auiaient  dû  pourtant  l'éclairer.  Sous  les  pieds  des  statues  (détruites)  du  pré- 
tendu Philippe  Auguste  et  du  prétendu  Richard  Cœur  de  Lion,  on  déchiffre  plu- 
sieurs traits  de  l'histoire  de  Saûl  et  de  David.  Là  où  Bulteau  a  vu  un  roi  de 
France  et  un  roi  d'Angleterre,  il  faut  donc  voir  tout  simplement  dcwx  rois 
d'Israël*.  —  De  même,  sur  les  supports  du  problématique  Louis  Ylll.  de  sa 
fille  et  des  deux  statues  d'hommes  qui  les  accompagnent,  on  peut  reconnaître 
six  scènes  de  l'histoire  de  Samuel.  L'un  de  ces  petits  bas-reliefs  représente 
Samuel  amené  par  son  père  et  sa  mère  devant  le  grand  piètre  Eli  :  les  per- 
sonnages sont  désignés  par  leur  nom  :  Anna.  Llcana,  Samuel,  llélv.  Il  est 
difficile  de  douter  que  les  quatre  grandes  statues  ne  représentent  justement 
Samuel,  sa  mère  Anna,  son  père  Elcana,  et  le  grand  prêtre  Eli  tenant  l'encen- 
soir (fig.   [62).  On  remarquera  précisément  que  la  grande  statue  d'Anna  porte 


1  M.  \ûge,  dans  le   livre  si  intéressant  qu  il    .1  consacré  aux   origines  de  ta  sculpture  Française,  est  s.ms 
cosse  oblige  d'avoir  recours  aux  mauvais  dessins  de  Montfaucon. 
Bulteau,    Uo?wgr,  delà  cath.  de  (lutrin*,  t    II.  |>   65,  66. 
I  .  II.  |. 

•  Les  prétendues  statues  de  Philippe  Auguste  el  de  Richard  Cœur  de  Lion  ont  disparu  pendant  la  Ri  ro 

lution,  Bulteau   les  décril  d'après  le  manuscrit  que  le  chanoine  Brillon  avait   préparé  p •  Montfaucon  el 

'|ni  s''  trouve  aujourd  hui  .1  la  Bibl.   de  Chartres,  n'    1099 

"  L  un  d  eux  semblait  porter  une  croix  :  l);i\i<l  a  en  effet  prédil  la  Passion.  Quanl  au  comte  de  Boulogne 
el  ■'  Mahaul  fig  1 1. 1  .  ce  pourraient  bien  être  le  père  de  David,  Jcssé  el  sa  femme.  Jesséesl  en  effet  repré- 
senté dans  nn  bas-relief  du  socle  el  désigné  par  1  inscription   VS1II 


LE    MIROIR    HISTORIQUE    -      L'HISTOIRE    ['ROI    \\l.  ;.., 

un  livre  à  la  main,  comme  la  petite  figure  désignée  -mis  le  nom  <l  Anna  clans 
le  bas-relief. 


l-j,..   ,ir..        Personnages  bibliques  fausse il  <lénomuu;s  Louis  VIII        I  i-lres  . 


Les  œuvres  d'art,   dont  on   peut  dire  à  coup  sûr  qu'elles  sonl  consacrées 
quelque  personnage  de  notre  histoire,  ne  sonl  pas  fréquentes  dan-  les  cathé- 
drales. La  piété  des  rois,  leur  respect  pour  la  maison  de  Dieu  expliquent  sans- 
doute  la  rareté  de  leurs  effigies.  Il-  ne  voulaient  pas  être  place-  au-dessus  île  la 
tête  des  fidèles,  à  côté  des  prophètes,  des  apôl  res  et  des  martyrs.  (,hi  on  se  sou 


[02  L'A  l;  I     RELIGIEUX    DU    XIII1    SIECL  E 

vienne  du  retable  d'or  de  saint  Henri  au  musée  tic  Gluny  xï  siècle.  L'empe- 
reur et  sa  femme,  m  petits  qu  on  ne  les  remarque  pas  d  abord,  sont  prosternés 
devant  Jésus-Christ,  osent  à  peine  baiser  ses  pieds.  De  pareils  sentiments,  si 
puissants  au  mc  siècle,  n'avaient  pas  perdu  de  leur  force  au  xm°.  Dans  les  ver- 
rières, les  rois,  les  barons,  les  évoques  n'occupent,  comme  donateurs,  qu  une 
place  très  modeste  :  en  général,  ils  sont  humblement  agenouillés  aux  pieds  de 
Jésus-Christ,  île  la  Vierge  ou  des  saints. 

C'est  dans  celle  attitude  que    Louis  VII    a   élé  sculplé   au  tympan   de  la    porte 

Sainte-Anne  à  Notre-Dame  de  Paris.  A  la  porte  rouge  de  la  même  église,  saint 
Louis  et  sa  femme,  Marguerite  tic  Provence,  sont  à  genoux  devant  la  Vierge1 
(fig.  i3o  . 

Dans  le  cours  du  siècle  suivant,  si  la  piété  ne  diminue  pas,  l'orgueil  royal 
■Maudit.  Vers  i  )-">.  Charles  Y,  le  dauphin  Charles  VI,  Jean  Bureau,  sire  de  la 
Rivière,  conseiller  (lu  roi,  le  duc  Louis  d  Orléans  et  le  cardinal  La  Grange  lurent 
représen  tes  aux  contreforts  de  la  tour  septentrionale  de  la  cathédrale  d  Amiens, 
à  côté  de  la  Vierge  et  de  saint  Jean-Baptiste,  ci  de  la  même  taille  queux  -. 
Tant  de  familiarité  eût  sans  doute  pain  choquante  à  un  saint  Louis:  mais  en 
i  '»-">  nous  sommes  aux  confins  du  vrai  moyen  âge. 

Il  est  permis  de  conclure  de  ce  qui  précède  qu'au  \nr  siècle,  a  la  belle 
époque  de  I  ait  religieux,  le--  rois,  les  barons  ou  le--  évêques  ne  figurent  géné- 
ralemenl  dans  la  cathédrale  qu'en  qualité  de  donateurs,  et  qu'ils  v  figurenl 
presque  toujours  dans  une  attitude  qui  ne  permet  pas  de  les  confondre  avec 
les   bien  heiireu  \  ". 


1  Guillicrmy,  Descript.  de  Xotre-Danic  de  Paris,  p.  170.  Sainl  I,- mis.  --.1  mère  Blanche  de  Cas li lie,  ■  1 
1  femme  Marguerite  de  Provence,  se  voienl  aussi  agenouillés  aux  pieds  de  la  Vierge  el  d.'  saiul  Pierre 
dans  1111  vitrail  exéculê  pour  l'église  des  Moulineaux,  près  de  Rouen  I  de  Lasteyrie  Uisl.  dr  In  Peint,  sur 
verre ,    p .   [ 5 !\  cl    planche  XXIV. 

Voir  Courajod  el   Marcou,    Calai,   raisonné  du   Vrocadéro,   \r    |6  cl  suiv. 

Les   exceptions  sonl  très  rares.   Voici  cependaut   un  curieux  témoignage,   récemincul  décoi  vert.  Avant 

1    g3.  il  \  avail  .1  Notre-Dame  d'1  Paris,  au  portai]  de  gauche  de  la  façade,   gr le  statue  de  roi  (elle  .1 

,  té  refaite  Lcbcul  ///■■/  du  dioc.  de  Paris,  éd.  Cocheris.  1.  I.  p.  g  signale  ce  roi  iiu  il  ne  nomme  pas. 
(  ii-.  m  iS,s  |    M     Delaborde  11  publié  un  docuincnl  de  1  .jio  où  il  esl  question  de   notre   statue    Mém.   de   In 

Société  tir  Vllist.  de  Pu»  is,  1.  \  I.   1884,  p.    !G  :  .  Il  -  agil  d  procès  du  chel  de  sainl  Denys    .  <  'n  3  lit 

ce  qui  suil  :  Il  appert  par  le  portail  senestre  de  I  église  de  Paris,  vers  Sainl  Jeau-le-Rond,  auquel,  eu 
gratis  el  anciens  y  mages  de  pierre  eslcvez,  esl  l'image  du  roi  Philippe  le  Conquérant,  ligure  en  jeune  âge, 

pour  ce  qu'il  fui   c 'onné  au  \  1 1 1 1   an  de  son  aage  ;   lequel  monstre  l'imaige  de  Monseigneur  saiul    Denis 

pi  ir  la  ni  son  chef  demi-tranché  el  aussi  les  yinages  do  Xolre-Di t,  de  saiul   Etienne,  de  sa  ml  Jean-Baptiste, 

en  démonstranl  que  les  reliques  dessus  dictes  qu  il  avail  d :s  à  la  dicte  1  glisc  de  Paris élaicnl  des  saints 

donl   il  itstrc  les  images    ■   La  statue  de  Notre-Dame  sérail  d ;  celle  de  Philippe   Vugusle,  et  elle  au  rail 

été  élevée  de  son  vivanl  Un  pareil  témoiguage  esl  sujel  à  caution.  Au  w  siècle,  les  traditions  du  grand 
arl   religieux  commençaienl  i\  se  perdre  :  ou  p. un  an  parfaitement  s,'  ni.éjircudrc  sue  une  oeuvre  du  mu  .  .N'' 


LE    Mll'.ollî    HISTORIQUlî  L'IIISTOIRK    PROFANE 


io3 


IV 


Mais  si  1  image  des  rois  se  montre  rarement  dans  la  cathédrale,  leurs  vic- 
toires, qui  parfois  sauvèrent  l'Eglise,  ne  s'y  voient-elles  pas  '  Dans  l'édifice 
national    par  excellence,    n'y    a-t-il    pas    quel  pies   chapitres    de    I  histoire    de 

l'ra  nec  .' 

()n  en  pciil  découvrir  jusqu  à  trois  :  le  baptême  de  Clovis,  les  exploits  de 
Chai'lemagne,  les  victoires  des  premiers  croisés.  En  y  réfléchissant,  on  recon- 
naîtra que  pour  un  Français  du  xm  siècle  <■  était  la  toute  I  histoire  de  France. 
Ces  grands  noms,  ces  grands  souvenirs  étaient  presque  les  seuls  qui  fussenl 
encore  vivants  dans  la  mémoire  populaire.  L"  Eglise  les  accueillit  et  les  lii  siens. 
En  effet,  Clovis,  Charlemagne,  Godefroy  de  Bouillon  marquaient  trois  époques 
de  I  histoire  du  christianisme  en  France.  Ee  jour  du  baptême  de  Clovis,  la  race 
n >vaie  et  la  France  tout  entière  semblaient  avoir  été  bapl  isées.  I .  ère  cli rél  ienne 
dans  notre  pays  pouvait  presque  partir  de  là.  Trois  cents  ans  après.  Charle- 
magne avait  donné  pour  la  première  loi^  a  la  Gaule  le  parfait  modèle  Aw  roi 
chrétien  ;  en  mettant  son  épée  au  service  de  la  foi,  il  avait  réalisé  le  rêve  de 
I  Eglise.  Godefrov  de  Bouillon  et  les  premiers  croisés  continuaient  I  œuvre  du 
grand  empereur.  Il  semblait  qu  il  ne  se  lut  rien  passé  depuis  trois  siècles.  Ees 
changements  de  dynastie,  les  mouvements  de  peuples,  les  luttes  de  la  féoda- 
lité n'étaient  rien  en  effet  pour  I  Eglise;  elle  ne  cherchait  que  Dieu  dans  I  his- 
toire. Pendant  trois  cents  ans,  il  semblait  s  être  relire  du  inonde,  mais  il  avait 
soudain  reparu.  Ees  croisades,  les  a  Gesta  Dei  per  Francos  .  étaient  son 
(cu\ re. 

C'est  à  peu  près  de  celle  façon  que  \  incenl  de  Beau  vais  comprend  I  his- 
toire. Il  raconte  avec  une  complaisance  \  isible  les  exploits  de  Clovis,  de  Char- 
lemai>'ne,  des  prem  iers  croisés  . 


muions  pas  pourlanl  qu  .1  la  calhédrale  di     1  Iraux  (1rs  1  iules  do  I  iblonl 

bien  roprésoulor  Irois  pers lages  iiislui*it|iics    L'un  osl  i  rour  inconnu    Impritittir,  ilil  I  inscripli 

l'autre    esl    un    1  "i     II  '■  >    Philipp.   (sans   dnulo    l'hilippus     qui    pu 

troisième  esl  un  i;vr|ii<      A'w.s.  //t'/'iv,  clil    l  inso  ri  p  lion' .  sans  (1  [lu1  llorvc,  1110 1 

rroil  vi lie  .111  Iruinoan  (lu  poêlai]  si'pli'ul nouai  do  la  cathedra!'    di    lioi'di   i"\  le  pape  Clciiionl    \      I  I 

Golh,  ancien  archevêque  de  Bordraio        M      \  la  tèlo  a  él  el  il  y  a  li 

représente    bien  '  lléineul    \  . 

1  Spi-r    /11's/.,  lib.  XXI,  cap.  iv  sqq.;  lib    XXI V,  cap     1  sqq.  ;  lib    \  \  \     cap    Sun 


jo/j  L'ART   RELIGIEUX    DU   XIII"  SIÈCLE 

Fidèles  interprètes  de  la  pensée  de  l'Eglise,  les  artistes  sculptèrent  à  la 
façade  de  Reims  le  baptême  de  Clovis.  Au-dessus  delà  rose,  sept  grandes  statues 
abritées  dans  sept  niches  représentent  Clovis,  saint  Rémi,  la  reine  Clotilde,  et 
quatre  dignitaires  laïcs  ou  ecclésiastiques.  Le  roi  barbare,  nu,  est  plongé  à  mi- 
corps  dans  la  cuve  baptismale  :  saint  Rémi  étend  la  main  pour  recevoir  la 
sainte  ampoule  qu'une  colombe  lui  apporte.  Les  statues  du  roi  et  de  l'évèque 
occupent  le  milieu  même  de  la  façade  :  elles  s'imposent  à  l'attention  dés  qu'on 
levé  les  yeux.  Il  est  visible  qu'elles  sont  destinées  à  rappeler  aux  plus  lointaines 
générations  que  la  France  est  devenue  chrétienne  en  la  personne  de  son  roi  par 
un  miracle  de  Dieu. 

L'histoire,  ou  plutôt  la  légende  de  Gharlemagne  est  à  Chartres  :  elleoccupe 
un  vitrail  donné  par  les  pelletiers.  Cette  verrière  laineuse,  souvent  reproduite 
et  souvent  décrite,  n'a  jamais  été  comprise  parfaitement;  aussi  mérite-l-elle 
d'être  ('indice  avec  quelque  détail'. 

L'erreur  des  interprètes  vient  de  ce  qu'ils  n'ont  pas  su  démêler  les  diverses 
sources  auxquelles  les  auteurs  du  vitrail  empruntèrent  leur  récit.  Ceux-ci 
mirent  en  effet  à  contribution  trois  ouvrages  :  Y  Histoire  du  voyage  de  Gharle- 
magne en  Orient,    la  Chronique  de  pseudo-Turpin,  la  légende  <lc  su  in/  Gilles. 

V Histoire  du  voyage  de  Gharlemagne  en  Drieu/  est  l'œuvre  d'un  moine,  et 
peut-être  d'un  moine  tic  Saint-Denis,  qui  l'écrivit  au  commencement  du 
m  siècle  .  I  >ésireux  de  prouver  l'authenticité  de  certaines  reliques  de  la  Passion 
conservées  dans  l'église  de  Saint-Denis,  l'auteur  imagine  une  expédition  de 
Cliarlemagne  en  Terre-Sainte.  L'empereur  de  Constantinople,  pour  récom- 
penser l'empereur  des  Francs  d  avoir  délivré  le  Saint  Sépulcre,  lui  aurait  donné 
.1  son  retour  la  couronne  d'épines. 

La  Chronique  de  pseudo-Turpin,  œuvre  composite  de  plusieurs  auteurs 
anonymes,  se  forma  dans  le  cours  du  m"  siècle.  Elle  est  consacrée  au  récit  des 
luttes  de  Cliarlemagne  contre  les  infidèles  d'Espagne,   et  les  traditions  histo- 


1  Le  vitrail  de  Cliarlemagne  a  été  public  par  les  auteurs  de  la  grande  Monographie  de  l<i  cathédrale 
de  Chartres  pi.  I.WII  el  par  Didron  dans  les  Annales  arch.,  t.  XXIV,  p.  1  jg.  Lévy  et  Capronnier,  dans 
['Histoire  de  l<i  Peinture  sm  verre,  onl  donne  le  panneau  du  rêve  de  Constantin  pi.  X  .  M.  F.  de  Lasteyrie 
a  décril  le  vitrail  de  Chartres  dans  -un  Hist.  </<•  la  Peint,  sur  verre     p    77    ;  il  y  voit  l'histoire  de  Charles. 

le  Chauve    L'abbé  Bullcau  j   reci ait  Cliarlemagne    Descrip.  de  Chartres,  iSiu,   |>.  2  '17  .   mais  il  commet 

plusieurs  erreurs.  Paul  Durand,  dans  la  Monogr.  de  Notre-Dame  de  '  hartres  qui  ace pagne  les  planches 

publiées  par  I  Étal     1880  .  esl   plus  exai  1.   mais  il  s  esl  trompé  sur  certains   points    p,  i65). 

-:  Paris,  Hist  poél.  de  Cliarlemagne,  p  55  M  Coulct,  dans  son  Elude  sur  le  voyage  de  Ckarlemagne  en 
Orient,   190;  .  u  nlré  que  la  légende  avail  été  inventée  au  \'   siècle  par  Benoît,    moine  du   il   Soracte 


LE    MIROIR    HISTORIQUE    —    L'HISTOIRE    PROFANE  io5 

riques  s'y  combinent  avec  les  légendes  populaires.  Très  bien  accueillie  dans 
l'Eglise,  parce  qu'elle  était  écrite  en  latin,  elle  fut  reçue,  des  le  xn'  siècle, 
comme  l'œuvre  authentique  du  vieil  archevêque  de  Reims. 

Quant  à  la  Vie  de  saint  Gilles,  elle  n'a  fourni  qu'un  trait  à  la  légende  de 
Charlemagne  :  c'est  l'histoire  d'un  horrible  péché  que  l'empereur  ne  veul  pas 
révéler,  et  que  Dieu  fait  connaître  miraculeusement  au  saint  ermite. 

Le  vitrail  de  Chartres  a  été  composé  à  l'aide  des  trois  originaux  que  nous 
venons  de  nommer.  Il  est  permis  de  supposer  que  ces  diverses  compositions 
avaient  été  réunies  en  un  ouvrage  unique  que  possédaienl  les  chanoines  de 
Chartres.  Une  compilation  de  ce  genre  existe  en  effet  :  elle  fut  entreprise,  au 
\ne  siéele.  par  quelque  moine  d'Aix-la-Chapelle,  sur  1  ordre  de  Frédéric  Barbe- 
rousse,  qui  voulait  répandre  dans  la  chrétienté  l'histoire  du  grand  empereur 
récemment  canonise'.  Le  livre  intitulé  :  De  lu  sainteté,  des  mérites  et  <Ic  la 
gloire  des  miracles  du.  bienheureux  Charlemagne,  renferme  le  I  oyage  en  Orient, 
la  Chronique  de  pseudo-Turpin  et  plusieurs  détails  biographiques  empruntés  à 
d'autres  sources.  L'histoire  des  rapports  de  saint  Gilles  et  de  Charlemagne  ne 
ligure  pas,  il  est  vrai,  dans  les  manuscrits  que  nous  avons  pu  parcourir5.  Mais 
on  ne  peut  guère  douter  que  ce  dernier  épisode  n'ait  été  ajouté  dans  quelques 
manuscrits  du  xine  siéele.  car  la  laineuse  chasse  des  reliques  île  Charlemagne, 
à  Aix-la-Chapelle,  représente  aussi  —  outre  les  épisodes  du  voyage  à  Constan- 
tinople  et  les  voyages  d'Espagne  —  l'histoire  de  Charlemagne  el  de  saint  Gilles 
Une  analogie  si  parfaite  entre  des  œuvres  d'art  exécutées  dans  deux  régions  si 
éloignées  prouve  qu'elles  viennent  toutes  les  deux  d'une  source  écrite  unique. 

Expliquons  maintenant  les  différentes  scènes  du  vitrail  de  Chartres,  en  coin 
mençant  (comme  c'est  la  règle)  par  le  bas.  Les  six  premiers  panneaux  fig.  iG3 
sont  empruntés  au    I  oyage  en  Orient . 

i"  Charlemagne  nimbe''  accueille  deux  évêques  qui  lui  apportent  une  lettre 
de  Constantin,  empereur  d'Orient.  Celle  lettre'  contient  le  récit  il  une  vision  de 
(  lonstantin. 

■i"  Vision  île  Constantin.  —  »  Pendant  mon  sommeil,  dit  le  texte,  un  ange 
m'a  dit  :  <   Regarde  devant  toi  Charlemagne,  roi  'l<-  France,  ton  défenseur     .  el 

i  Charlu .il"  lui    canonise    le    i8  décembre    nGi.    sur  la   compilation   d'Aix-la-Cliapelle   voir   Gaston 

Paris,  ///.s/    pool. .   p.    6  I 

'  Bibl.  Nal  .  mss  latins   , s>, '.  A  el  6187. 
Voir  la  reproduction  de  quelques-unes  des  scènes  qui  ornent  la  cliàsse  d'Aix-la   <   liapelli    dans  E     Muni/ 
IClitJcs  icoiio"i\  sni  le  moyen  tige,   1XS7  :  lu    Légende  </>■  Cliuilem  >uiv. 


io6  l.'A  i:  T    RELIGIEUX    DU    \"  I  I  I'    SI  liCLE 

il  me  montra  un  guerrier  armé,  portant  la  cotte  de  mailles,  tenant  un  bouclier 

rouge,  et  ceint  d'une  épée 
dont  la  garde  (Hait  couleur  de 
pourpre.  11  avait  une  grande 
lance  dont  la  pointe  lançait 
des  flammes;  il  tenait  à  la 
main  son  casque  d  or  et  son 
\  isage  était  celui  d'un  vieillard 
à  longue  barbe,  plein  de  ma- 
jesté et  plein  de  beauté.  Sa 
tête  était  blancbe,  et  ses  veux 
brillaient  comme  des  ('toi- 
les '.  »  L'artiste  n'a  pas  suivi 
1res  fidèlement  celle  belle 
deseiipi  ion,  car  il  a  caché  le 
visage  de  son  béros  sous  le 
casque  fermé  du  xmc  siècle  : 
néanmoins,  la  liante  silhouel  te 
«le  Charlemagne  .  immobile 
sur  son  cheval,  mystérieux 
comme  une  apparition,  ne 
manque  pas  de  grandeur  épi- 
que. 

!     Une    bataille.     Charle- 
magne délivre  Jérusalem . 

i  l  lharlemagne  vainqueur, 
et    portant  encore  aux  pieds 

les     éperons,     est      reçu      par 

Constantin     aux     portes     de 
Constantinople. 

">"  Charlemagne   reçoil  de 

I  empereur     I  rois     châsses     : 

1  l'.dil  Nal  .  m-  latin  i'.i.S;.  l  n',  cl 
suiv.  I  .'■  texte  du  voyage  en  <  >rienl  se 
trouve  aussi  dans  Vincenl  de  Beauvais, 
Spec,  hisl..lib.  XXIV,  cap.   i  el  suiv. 


l'ig     1 63         Vin  -1  di    i   liai  Icmii  ;n      Première  partie    Chartres  . 


Il  MIROIR  HISTORIQUE  -  L'HISTOIRE  PROI  \M 
l'une  contient  In  couronne  d  épines  fini,  à  ce  moine  ni  même,  se  couvril  de  fleurs 
et  guérit  par  ><>u  pari  uni  trois 
cents  uialatles;  les  autres  ren- 
ie mien  I.  un  morceau  de  La  croix, 
le  suai re  de  Jésus-( llirist ,  la 
chemise  de  la  \  ierge,  le  bras 
du  \  ieillard  Siinéon  ipn  avait 
porté  I  enfant  dans  Le  Temple. 

d"  Cliarlemagne  offre  ces 
saintes  reliques  à  I  église  d  Aix- 
la-Chapelle. 

A  parti r  d'ici,  I  auteu r  em- 
prunte ses  sujets  à  la  C/i/'oriir/tw 
de   pseudo-Turpin. 

~"  Cliarlemagne  et  deux  de 
ses  fidèles  regardent  le  ciel  où 
mi  aperçoit  la  voie  lactée.  L  em- 
pereur s'émerveille  eL  demande 
où  conduit  ce  grand  chemin  '. 

8"  Saint  Jacques  apparaît  à 
Charlemagne.  Il  lui  ordi  m  ne  de 
>u  i  \  re  la  voie  lactée  pisqu'en 
Galice  cl  de  del i \  rer  son  l<  un 
beau  qui  appartient  aux  infi- 
dèles. 

q°  Cliarleniagne  pari  avec 
ses  guerriers  parmi  lesquels  on 
recon naît  I  évè(juc  I  urpin. 

lo  L'empereur  se  |etle  à 
genoux  en  présence  de  son 
aimée  et  supplie  Dieu  de  lui 
li\  rer   l 'a  in  i  ieln  ne  . 


1    llilil     Vil   .  ins.  lai.  61H7,  I     '1  l  cl  sni\   . 
.1   Vinccnl  de   Ueaiivnis,   Sprc.   histitr.,   lib. 

\  \  I  \  .  ra  [1.  h 


4o8  I.  AliT    RELIGIEUX    DU    Mil'    SIÈCLE 

i  i"  Les  chrétiens  entrent  dans  Pampelune.  L'artiste  de  Chartres  n'a  pas  cru 
devoir,    comme  celui   d'Aix-la-Ghapelle,    représenter   les  murs   de  Pampelune 

set-roulant  sous  la  main  de  Dieu. 

12°  Charlemagne  donne  des  ordres  à  des  ouvriers'qui  élèvent  une  église  en 
l'honneur  de  saint  Jacques  (fig.  164) ■ 

il"  Charlemagne  est  retourné  en  Espagne.  Son  aimée  va  en  venir  aux  mains 
avec  celle  du  roi  païen  Aygoland.  Pendant  la  nuit,  les  lances  tics  soldais  chré- 
tiens qui  doivent  mourir  le  lendemain  fleurissent. 

i  V  La  bataille.  Les  infidèles  se  distinguent  à  leur  casque  conique  à  cotes  et 
à  leur  bouclier  rond. 

i  V1  Ici  l'artiste  intercale  au  milieu  des  récits  de  pseudo-Turpin  un  épisode 
emprunté  à  la  Vie  de  saint  aides.  Charlemagne  avait  commis  une  faute  si  grave 
qu'il  n'osait  l'avouer  en  confession.  Or,  un  jour  que  saint  (îilles  célébrait  la 
messe  en  présence  de  l'empereur,  un  ange  apporta  au  saint  ermite  une  bande- 
role sur  laquelle  se  lisait  le  péché.  Charles  se  repentit  et  Dieu  lui  pardonna1. 
Tel  est  le  sujet  que  l'artiste  a  représenté  dans  ce  panneau,  où  l'abbé  Bulteau 
et  P.  Durand  ont  cru  voir  l'archevêque  Turpin  célébrant  la  messe.  .Mais  ils  n'ont 
pas  lait  attention  que  l'officiant  est  un  moine,  non  un  archevêque,  qu'il  a  le 
nimbe  îles  saints,  enfin  qu'un  ange  sortant  du  ciel  lui  tend  une  banderole, 
pendant    que   l'empereur  assis  à   l'écart  se  tient  le  menton  d'un    air  soucieux. 

Le  sujet  est  représenté  de  la  même  façon  sur  la  chasse  d'Aix-la- 
Chapelle  :  quatre  marnais  vers  latins  qui  accompagnent  la  composition  ne 
peuvent  laisser  aucun  doute  sur  son  sens2.  La  messe  de  saint  Gilles  se  voit  une 
seconde  lois  à  Chartres;  elle  est  sculptée  au  porche  méridional,  dans  une  des 
voussures  du  portail  de  droite. 

i<>"  Le  récit  de  la  Chronique  de  I ur/iiii.  interrompu  un  instant,  recommence. 
Roland,  qui  a  engagé  un  combat  singulier  avec  le  géant  Ferragut  (Ferraeutus  . 
le  lue  d'un    coup  d'épée.    On    remarquera    qu'il    lui    enfonce    Durandal    dans  le 

1  Viiii.Ii/.  s,  m:/..  Sepl  I.  299  sqq.,  cl  Vinccnl  de  Beauvais,  Spec.  hist.,  lib.  XXXIII,  cap.  cxl.  La 
légende  latine  parle,  non  de  Charlemagne,  m;< is  d'un  roi  nommé  Carolus,  i|iii  esl  peut-être  ('liiirlc-s  Mar- 
tel. De  bonne  houn  ,  cependant,  ta  poésie  populaire  lii  de  Charlemagne  le  héros  de  la  légende,  (  *n  voulu! 
aussi  connaître  le  péché  de  Charles,  e(  on  imagina  qu'il  avait  eu  un  commerce  incestueux  avec  si  sœur; 
voir  Gaston  Paris,  Hist.  poét.,  p,  378,  el  l'Introduction  à  la  Vie  de  suint  lii/h's.  publiée  par  la  Société 
des  Anciens  Textes  français. 

Crimen  mortale  convertitur  in  veniale. 

Egidio  Karolum  crimen  pudet  edeire    sic   soliiin, 

llliul  enim  tanti  gravât.  Egidio  celebranti 
ingelus  occultum  perhibet  reseratque  sepullum 


LE    MIROIR    HISTORIQUE   —    L'HISTOIRE    PROFANE  ,   9 

ventre,    pince  que,  dit  pseudo-Turpin,  le  géanl    n'étail   vulnérable  qu'au  nom- 


i.ni 


17"  Gharlemagne  traverse  les  montagnes  pour  venir  en  France  :  il  semble 
causer  avec  un  personnage  qui  est  probablement  Gannelon. 

180  Roland  a  été  surpris  avec  l'arrière-garde.  Il  reste  seul  au  milieu  îles 
morts.  L'artiste,  conformément  aux  habitudes  du  moyen  âge,  pour  rendre  deux 
moments  différents  d u  récit,  a  représenté  deux  fois  le  héros  dans  le  même  pan- 
neau. Ici,  Roland  frappe  le  rocher  de  son  épée;  là,  il  sonne  du  cor.  C'esl 
l'exacte  traduction  graphique  de  ce  passage  du  chroniqueur  :  »  Il  leva  son  épée 
et  pleura  sur  elle.  Puis,  voulant  la  briser,  il  frappa  sur  un  rocher,  niais  il  le 
fendit  du  haut  en  bas  et  en  retira  son  épée  intacte.  Alors,  il  souilla  dan-  sa 
trompe  avec  tant  de  force  quelle  éclata,  dit-on,  par  le  milieu,  et  que  les  veines 
et  les  nerfs  de  son  cou  se  rompirent.  Le  son  du  cor,  conduit  par  un  ange,  arriva 
jusqu'à  Charlemagne.. .  »  Roland  est  représenté  nimbé,  parce  «pie,  au  \ m  siècle. 
il  était  honoré  comme  saint.  D'anciens  Passionnaux  le  désignent  sous  le  nom 
de  a  sanctus  Rolandus  cornes  et  martyr  in  Roncevalla  '  ».  Les  pèlerins  de  Saint- 
Jacques  de  Compostelle  qui  passaient  par  Blave  allaient  faire  leurs  dévotions 
à  son  tombeau-.  La  canonisation  était  alors  la  tonne  la  plus  liante  de  I  admira- 
tion populaire. 

i<)"  Baudoin  (Balduinus)  prend  son  casque  pour  aller  cherchera  boire  .1 
Roland. 

•iou    Baudoin    n'ayant  pas  trouvé  d'eau    et    ne    pouvant    plus    rien  taire  pour 

Roland,  monte  sur  le  cheval  du  héros,  et  vient  annoncer  à  Charlemagne  la  I 

de  son  neveu. 

21"  La  joute  de  Roland  el  de  Perragut.  Par  une  distraction  singulière,  le 
verrier  a  placé  là  ce  panneau  qui  devait  précéder  celui  où  esl  représentée  la 
mort  du  géant. 

Telle  est  l'o'in  re  la  plus  remarquable  que  l'art  du  moyen  âge  ait  consacrée  à 
Gharlemagne  .  Elle  est  toute  légendaire,  il  est  vrai  ;  mais  le  Charlemagne qu  elle 

l  Cahier,    Caract.    des   Saints,  t.   II,   p.   778     note).    D'ailleurs    pseudo-Turpin   mol    Roland  au  nombre 

des  élus.  I.'-  guerrier,  en  mourant,  décrit  le  paradis  qu  il  voil    1    j  1         Jam,  Chrislo  donante,  inl •  quod 

oculus  non  vidil,  nec  auris  audivit,  quod  prœparavil    Deus  diligentibus 

-  Codex  de  Compostelle,  lib.  IV,  et  Bonnaull  d'H 1.    Pèlerinage  d'un  paysan  picard,  p     19a. 

■  [lest  probable  qu'un  autre   vitrail  de  L'histoire  de  Charlemagne  se  trouvait   à   Saint-Denis     si 

juge   par  les  fragments  publiés    par   Montfaui ilonuin.   de  lu   Monarch,   franc..,   pi.   \\\   .   On  y  voil 

comme   à  Chartres,  l'arrivée  des  messagers  de   Constantin  auprès  de  Charleinagi  '    uislanlini  ad 

Carolum   Parisiis    el    l'entrevue  de    <  liai  onstantin  aux  portes  de  Conslantinople     11   faut 


,..,  L'ART   RELIGIEUX    DU   XIII»  SIÈCLE 

nous  fait  connaître  est  justement  le  héros  pieux,  le  roi  aimé  de  Dieu,  favorisé 
de  l'entretien  des  saints  et  des  anges,  qui  vivait  dans  la  mémoire  de  l'Eglise. 

L'histoire  des  croisades  avait  inspiré  aux  verriers  une  œuvre  tics  intéres- 
sante, qui  se  voyait  autrefois  à  l'église  Saint-Denis,  mais  qui  a  disparu  à  la 
Révolution.  Nous  ne  la  connaissons  que  par  le  livre  de  Montfaucon.  11  était 
naturel  que  les  moines  de  Saint-Denis,  gardiens  de  nos  antiquités  nationales, 
chroniqueurs  de  l'histoire  de  France,  eussent  l'idée  de  consacrer  un  vitrail  aux 
plus  belles  victoires  de  la  guerre  sainte.  N'était-ce  pas  d'ailleurs  faire  œuvre 
pieuse  cl  honorer  la  mémoire  de  véritables  martyrs? 

La  verrière  de  Saint-Denis,  dont  nous  ne  connaissons  que  quelques  panneaux, 
a  été  cornue  par  un  artiste  plein  du  souffle  épique  de  ce  grand  xne  siècle.  Il  avait 
don  né  place,  en  effet,  à  des  épisodes,  très  secondaires  aux  yeux  de  l'historien, 
mais  beaux  par  eux-mêmes  et  vraiment  héroïques,  comme  le  duel  d'un  Sarrasin 
et  de  Robert,  comte  de  Flandre  (Duellum  Parthi  et  Roberti  flandrensis  cpmitis), 
ou  le  combat  singulier  d'un  infidèle  et  du  duc  tic  Normandie  (R(obertus) .  du(x) 
Normannorum  Parthum  prosternit)1.  Toutefois,  les  trois  grandes  victoires  de  la 
première  croisade,  la  prise  de  Nicée,  la  prise  d'Antioche  et  la  prise  de  Jérusalem 
par  Godefroy  de  Bouillon  n'avaient  pas  été  oubliées,  et  occupaient  évidemment 
le  centre  de  la  composition8.  Les  chevaliers  chrétiens  se  distinguent  des  infidèles 
a  la  croix  (pi  ils  portent  sur  leurs  casques.  Un  pareil  monument,  si  précieux 
pour  nuire  histoire,  n'existe  malheureusement  plus" que  dans  le  livre  de  Mont- 
faucon,  dont  les  médiocres  planches  ont  été  dessinées  et  gravées  par  tics  artistes 
tout  à  lait  étrangers  au  génie  de  nos  vieux  maîtres  . 

La  vie  de  saint  Louis  clôt  la  série  des  représentations  historiques  que  le 
moyen  âge  admit  dans  les  cathédrales.  .Mais  ici,  le  roi  est  en  même  temps  un 
saint,  et  c'est  à  ce  dernier  titre  surtout  qu'il  est  entré  dans  l'église.  Toutefois, 
le  vitrail  de  la  Sainte-Chapelle  (malheureusement  tics  restauré   '  qui  représente 

signaler  aussi  le    sceptre  de  Charles   V,  au    mus..'  .lu    Louvre,  où   Ion    \  >>ii  s.iini   Jacques  apparaissanl   à 

Cliarle gne,  le  miracle  «1rs  lances  fleuries,  la  l  de  Charlemagne   (Molinier,  Notice  des  émaux  cl  de 

l'orfèvi  .  Suppléai,  nu  catalogue  </<■  .1/.  Darcel,  p.    170  el  suiv.). 

1  Le  combal  singulier  de  Roberl  C -le-Hcuse  ri  il.-  l'émir  Corbaran  esl  en  effet   un  épisode  poétique 

M1"   '"'   développé    par   l'épopée  populaire  ri  .pi  on  retrouve  dans   la   chanson   d'Antioche  (c mie.  .1.' 

< ..  Paris  .1  l'Acad    des  Inscrip.  el  Belles  Lettres,  9  mai  [890  .  Voir  aussi  P.  .1.-  M.h  ,la  Croix  des  premiers 
Croisés.  Rev.  ,!<■  l'Art  chrét  .  1890,  p.    Joo) . 

2  Chaque  ville  esl  noi ée  :  Nicena  civilas,  Antiocliia,  Irêm  (Jérusalem 

\lonum    de  In  Monarch.  franc.,  1.  1.  pi.  L. 
1  Sut  ce  vitrail,  voir  F.  de  Lastcyrie,  Hist.  </.•  la  peint,  sur  verre,  p.  1 '.  ;  h  Guilhermy,  Descript.de  ht 
Sainte-Chapelle,  p.  60.  C.  .->i  la   première  fenêtre  à  droite  en  entrant  ;   19  panneaux  seulement  sonl  anciens, 
toute   I  histoire  de  la  découverte  de  la  vraie  croix  esl  moderne. 


LE    MIR0I11    llISTOUIQl    I  L'HISTOIRE    PROKAN'l 

plusieurs  épisodes  de  la  vie  tic  saint  Louis,  et  notamment  la  translation  de  la 
couronne  d  épines,  semble  bien  avoir  été  mis  en  place  avant  la  canonisai  nui  du 
roi  (' i •_> <j 7 1  :  saint  Louis,  en  effet,  est  représenté  sans  nimbe. 

Quant  au  vitrail  consacré  à  la  vie,  à  la  mort  cl  aux  miracles  de  sainl  Louis, 
qui  se  voyait  dans  la  sacristie  de  Saint-Denis  et  qui  datait  du  commencement 


Fie.    i65.         Prétendues  scènes  delà  vie  des   étudiants    Notre-Dame  de  Paris 


du  \i\'  siècle,  il  était  évidemmenl  destiné  à  honorer  le  sainl  .  Il  en  laul  dwr 
autant  <.\\i  vitrail  >\r  Poissy  fin  du  xiv'  siècle  .  el  des  quatorze  fresques  qui 
décoraient  le  couvent  des  Cordelières  de  Lourcine  .  De  telles  œuvres  relevèrent 
de  l'hagiographie,  non  de  I  histoire. 

Concluons    que    le-  œuvres  d'art   d'un  caractère  purement    historique  sont 
rares  dans  nos  cathédrales.  Les  grands  événements   n'y   sont    pas   représentés 

1  Montfaucon,  Mon .  de  ta    Wonarck.  franr.,  t.  Il,  p.    i  il 

-/,/..   ///«/..  pi.    \\ 
Elles  étaienl  «In  \i\     siècle.   Lu   manuscril  de  Peiresc,  aujourd  liui 
quelques  dessins.  Sainl   Louis  apparaît  nimbi     Voii   Lon  uni    ntirisii'tts  sur  l  iconttgrapli 

Louis,  Paris,    i88j,  m-cS  '. 


4i2  L'ART   RELIGIEUX    D  L"   XIII''   SIECLE 

pour  eux-mêmes.  On  n'a  admis  que  ceux  qui  symbolisaient  quelque  grande 
victoire  de  l'Église  chrétienne.  Clovis,  Charlemagne,  Roland,  Godefroy  île 
Bouillon  ne  sont  représentés  dans  l'église  qu'à  titre  de  champions  de  Jésus- 
Ghrist1. 

1  A  priori,  il  faut  se  méfier  des  interprètes  (si  ingénieux  qu'ils  soient)  qui  prétendent  retrouver  dans  la 
cathédrale  des  chapitres  de  l'histoire  du  xm"  siècle.  Pour  ma  part,  je  suis  peu  disposé  à  admettre  avec 
M  de  Verneilh  [Ann.  Arch.,  t.  XXVI,  p.  g6)  que  les  célèbres  bas-reliefs  du  portail  méridional  de  Notre-Dame 
de  Paris  (fig.  i6j)  représentent  un  épisode  de  l'histoire  de  l'Université.  Un  sujet  aussi  insignifiant  que  des 
batailles  d'étudiants  ne  méritait  pas  d'occuper  une  place  si  honorable,  même  si  on  suppose  que  l 'évoque, 
chef  de  l'Université,  ail  voulu  rappeler  par  là  l'autorité  suprême  dont  il  était  investi.  Les  prétendues 
révoltes  d'écoliers,  leurs  expulsions,  leurs  punitions  sont  peut-être  autant  de  chapitres  de  la  vie  d'un  saint 
qu'on  n'a  pas  su  reconnaître.  Même  réserve  à  l'égard  des  ligures  d'empereurs,  de  rois,  de  barons  qu'on 
nous  signale  dans  les  cathédrales  étrangères,  La  statue  équestre  qui  se  voit  dans  la  cathédrale  de  Bamberg, 
il  i|n  mi  désigne  sous  le  nom  de  Conrad  IV,  s'appelait  encore  au  siècle  dernier  saint  Etienne  de  Hongrie. 
C'est  là  son  véritable  nom.  Voir  Weese,  die  Bamlrerger  Domsculpluren,   189-,  p.  126. 


CHAPITRE    \  I 

LA   FIN    DE   L'HISTOIRE.  L'APOCALYPSE.  LE    JUGEMENT    DERNIER 


I.   L'Apocalypse    Commeni  m^  irtistes  s'en   inspirent    L'Apocalypse  espagnole  m    l'Apo- 
calypse   ANGLO-NORMANDE.     INFLUENCE    DE    CETTE     DERNIERE.    —     II.     I.l:     JUGEMEN1      DERNIER       Les 

sources.  Importance  de  l'Elucidarium  d'Honorius  d'Autun.  Les  signes  précurseurs  L'Appa- 
rition de  Jésus-Christ.  La  résurrection  des  morts.  Le  jugement  Saini  Michel  i  i  sa 
balance.  L'enfer.  La  gueule  de  Léviathan.  Les  élus.  —  III.  L'éternité  bienheureuse. 
Lls  Béatitudes  de  l'ami;.  Les  Béatitudes  du  portail  nord  de  Chartres  représentées 
d'après  saint  Anselme.   Fin   de  l'histoire 


Quand  Vincent  de  Beauvais  eut  raconte  L'histoire  du  monde  jusqu'à  l'année 
où  il  écrivait,  il  ne  crut  pas  que  son  œuvre  fût  achevée.  I  n  chrétien  connaît 
l'avenir.  Il  sait  que  le  monde  finira,  et  comment  il  finira.  Jésus  lui-même  dans 
l'Evangile,  et  saint  Jean  dans  l'Apocalypse  ont  marqué  un  terme  à  l'histoire. 
C'esl  pourquoi  Vincent  de  Beauvais  donne  comme  épilogue  à  son  livre  le  récit 
du  jugement  dernier. 

Les  imagiers  firent  de  même.  IU  sculptèrent  au  tympan  du  grand  portail,  du 
côté  qu'éclaire  le  soleil  couchant,  le  drame  solennel  du  dernier  jour. 

L'histoire  ainsi  se  trouvait  close. 

Au  xme  siècle,  la  pensée  du  j ugement dernier  étail  présente  à  tous  les  esprits. 
Sans  doute,  on  sentait  hien  qu'il  y  avait  quelque  impiété  à  vouloir  en  deviner  la 
date,  puisque  le  Seigneur  avait  dit  :  «  Vous  ne  connaissez  ni  le  jour  ni  l'heure 
néanmoins  on  aimait  à  prêter  l'oreille  aux  prophéties  qui  couraient.  L'ahhé 
Joachim,  à  qui  Dante  attribue  le  génie  propliétique,  avait  affirmé,  dans  son 
Commentaire  sui  Jêrcmie,  que  la  fin  du  monde  arriverait  après  i  .  La  voyante 

1  Vincent  de  Beauvais,  Spec.  hist.Epilog..  cap.  cvm.  Sur  l'allente  de  la   lin  du  id< 

Dr  Ernsl    Wadstein,    die   eschatologischc    Ideengruppe      >        hrist,    H'eltsabbal,    U'ellende,    Wellgericht.) 
Leipzig,  1896,  in-S. 


j,.j  L'ART   RELIGIEUX    DU   XIIIe  SIÈCLE 

sainle  Hildegarde  avait  annoncé  qu'après  i  (8o  lejugement  dernier  serait  immi- 
nent.1. Un  demi-siècle  après,  ces  prédictions  semblaient  encore  menaçantes  à 
Vincent  de  Béarnais. 

On  s'accordait  à  reconnaître  que  différents  signes  pouvaient  faire  pressentir 
la  lin  des  temps  :  le  débordement  des  crimes,  la  propagation  des  hérésies,  la 
diffusion  de  la  science".  Les  mystiques  du  xm"  siècle,  qui  jugeaient  sévèrement 
leur  temps,  durent  croire  plus  d'une  fois  que  le  «  jour  de  colère  »  allait  enfin 
venir  . 

Les  jugements  derniers  sculptés  au  portail  de  nos  cathédrales  remuèrent 
donc  plus  profondément  les  âmes  que  nous  ne  pouvons  nous  le  figurer.  De  telles 
scènes  ne  furent  pas  regardées  sans  anxiété.  Le  fidèle,  en  passant  sous  le  porche, 
songeait  que  ces  anges  qui  sonnaient  de  la  trompette  sur  sa  tète,  il  pouvait  les 
entendre  demain. 


Comment  les  artistes  ont-ils  exprimé  l'épouvante  du  dernier  jour?  Où  out- 
ils été  chercher  leur  inspiration? 

La  première  idée  qui  leur  vint  fut  d'interpréter, à  leur  façon, quelque  terrible 
page  tic  l'Apocalypse.  Ils  choisirent  la  seconde  vision,  où  Dieu,  rayonnant  d'une 
éblouissante  clarté,  assiste,  assis  sur  son  troue,  à  l'ouverture  des  sceaux  et  aux 
prodiges  qui  annoncent  la  fin  des  temps,  ci  Celui  qui  était  assis,  comme  l'appelle 
mystérieusement  l'apôtre,  était  semblable  à  une  pierre  de  jaspe  ou  de  sardoine. 
L'arc-en-eiel  était  à  l'entour  de  son  trône,  pareil  à  une  vision  smaragdine,  et 
autour  île  son  trône  il  y  axait,  vingt-quatre  sièges,  et  sur  ces  sièges  vingt-quatre 

vieillards,  velus  de  blanc,  portant  sur  la  tête  des  couronnes  d  or.  I)u  trône 
sortaient  des  ('clairs,  des  voix  et  des  tonnerres,  et  sept  lampes  ardentes  qui 
sont  les  sepl  esprits  de  Dieu  brûlaient  devant  le  trône.  En  face  du  trône,  il  \ 
avait  une  mer  de  verre  semblable  à  du  cristal,  et  tout  autour  se  tenaient  les 
quatre  animaux  '.    d 

'  Vinceul  de  Bcauvais,  Spec.  hist.  Epilog  ,cap.  cvm. 

Ll     ibiâ     cap.  <  \  n. 
■  De  nouveaux  calculs  faits  il  mis  le  cou  rai  il  du  mu    siècle  Qxèrenl  La  lin  du  monde  à  L'année   i  Uni.  Flisi . 
littér.  de  la  France,  i    \\Y,  \>.  a58 
'■  Apocal. .  iv,   •  7 


LE   M  I  Uni  li    UISTORIOU  I-. 


le  jug  i:m  ent  dekn  i  1:1; 


ii  ' 


Le  passage  était  bien  choisi,  car  Dieu  s'y  montre  à  la  luis  gloricuN  comme 

un   souverain  et  menaçant  co •  un  juge.  Pendant  liuit  cents  ans,  sur  l'arc  de 

triomphe  des  basiliques,  et  plus  lard  au  portail  des  églises  romanes,  trôna  la 
ligure  apocalyptique  entourée  des  vieillards  el  des  animaux.  Les  exemples  sont 


Fig.  iiii'i  l..i  vision  de  sainl  Jean    Vitrail  de  Lyon  . 

[D'après  \.    Bëgulc.) 


innombrables,  mais  aucune  œuvre  ne  dépasse  en  beauté  le  tympan  de  Moissac. 
Ici.  le  texte  est  presque  égalé.  Le  souverain  juge,  portant  au  front  la  couronne 
polygonale  des  vieux  empereurs,  est  assis  sur  un  fond  d'étoiles.  Les  anges,  les 
animaux,  les  vieillards  cntourenl  son  trône  el  lèvenl  la  tète  vers  lui,  comme 
ail  ires  et  éblouis  à  la  lois  par  sa  splendeur.  I  ><■  vives  couleurs,  que  le  temps  a 
fait  disparaître,  achevaient  de  donner  a  celle  grande  composition  l'aspect  d'une 
chose  surnaturelle,  «I  une  •<  vision  smaragdine 

Le  haul   moyen  âge  ne  connut  pas  d'autre  manière   de  représenter  le  Dieu 
redoutable  du  dernier  jour.  A  la  lin  du  mi"  siècle,   une  façon  nouvelle  de  coin- 


4t6  L'ART   RELIGIEUX    DU   XIII"  SIÈCLE 

prendre  la  scène  du  jugement  se  substitua,  comme  nous  allons  le  voir,  à  l'an- 
cienne. De  magnifiques  compositions  apparaissent,  qui  ne  doivent  presque  plus 
rien  à  l'Apocalypse,  mais  qui  s'inspirent  de  l'Evangile  de  saint  Matthieu. 

Néanmoins,  les  artistes  ne  renoncèrent  pas  tout  à  l'ait  à  retracer  les  scènes 
de  la  lin  il u  monde,  d'après  la  vision  de  saint  Jean.  Au  xme  et  au  xiv"  siècle, 
quelques  œuvres  nous  prouvent  que  l'Apocalypse  continua  à  servir  de  thème  à 
l'art.  Toutefois,  les  traductions  plastiques  inspirées  par  le  livre  de  saint  Jean 
sont  relativement  rares  :  un  vitrail  de  Bourges,  un  vitrail  d'Auxerre  (dont  les 
fragments  sont  dispersés),  les  tapisseries  de  la  cathédrales  d'Angers,  etsurtoul 
1rs  sculptures  intérieures  et  extérieures  d'un  des  portails  delà  façade  occiden- 
tale de  Reims  sont  presque  les  seules  compositions  de  quelque  importance 
qu'on  puisse  citer  pour  une  si  longue  période. 

Nul  doute  que  les  artistes  n'aient  reculé  la  plupart  du  temps  devant  la  diffi- 
culté. La  poésie  d'un  pareil  texte  n'a  pas  de  commune  mesure  avec  les  arts 
humains.  Quel  sculpteur  osera  représenter  l'ange  qui  enroule  le  ciel  dans  sa 
main  comme  un  livre,  ou  la  bête  qui,  de  sa  queue,  abat  la  troisième  partie  des 
étoiles?  Quel  peintre  égalera  les  couleurs  dont  la  Jérusalem  céleste  resplendit, 
saphir,  émeràude,  chrysoprase  ?  Le  génie  des  voyants  d'Israël  n'est  pas  un  génie 
plastique.  Leur  œil  visionnaire  déforme  la  réalité  comme  certains  miroirs.  I  >es 
occidentaux,  des  latins,  passionnément  épris  de  lignes  pures,  aimant  à  incar- 
ner l'idée  dans  des  formes  définies,  ne  réussirent'jamais  à  rendre  les  images 
surnaturelles,  monstrueuses,  inharmoniques  qu'avaient  enfantées  le  cerveau  de 
l'Orient,  (l'est  pourquoi  l'Apocalypse  donna  naissance  à  des  œuvres  curieuses, 
pleines  de  caractère,  grandioses  même  parfois,  mais  jamais,  comme  l'Evangile, 
à  des  œuvres  humaines,  profondes,  éternelles. 

De  bonne  heure,  les  miniaturistes  de  l'Occident,  avec  une  enfantine  naïveté, 
osèrent  s'essaver  à  rendre  littéralement  les  versets  du  livre.  Deux  grandes 
écoles  artistiques  semblenl  s'y  être  particulièrement  appliquées1. 

La  première  est  l'école  espagnole,  qui,  du  ix'  au  xn'  siècle,  enlumina  «le 
couleurs  violentes  les  dessins  farouches  qui  accompagnent  le  Commentaire  de 

1    M.    l'iini 1    [Die    Apocalypse   in    der   Bilderhandschrijlen    des   Mitielalters,    Wien,    iSS'i     signale 

l'existence   d'une   Iroisiè école   que  représenteraient   les  .1  pin-.i I y |i-i>  <!■•   Titus    h  .|.>   lomln  iv.   l'ius 

récemment,  M.  Maxence  Pelil  a  voulu  constituer  un  autre  groupe  d'apocalypses  qu'il  appelle  le  groupe 
flamand  Apocalypse  de  Valenciennes,  de  (  '. ambrai,  de  .Nain m-,  de  1  Escu  rial  .  Voir  le  Moyen  âge,  mars  1896. 
La  question  esl  loin  d'être  c plètemenl  élucidée.  Les  deux  groupes  donl  nous  parlons  espagnol  el  anglo- 
normand),  étudiés  ilr|niis  longtemps,  commencent  à  être  assez  bien  connus. 


LE   MIROIR    HISTORIQUE     -    LE   JUGEMENT   DERNIEK  ; , - 

l'Apocalypse  de  Béatus,  abbé  de  Liébana.  M.  Léopold  Delislc  a  indiqué  les 
principaux  manuscrits  de  cette  famille'  (manuscrits  de  Silos,  de  Girone,  d'Ur- 
gel,  delà  Cogolla,  etc.),  dont  la  Bibliothèque  Nationale  possède  le  plus  beau, 
l'Apocalypse  de  Saint-Sever2.  Tous  ces  manuscrits  semblent  se  rattachera  un 
original  unique  du  VIIIe  OU  du  ix°  siècle.  Ainsi  des  moines  espagnols,  dans  les 
vieux  couvents  de  la  Catalogne,  de  l 'Aragon  et  de  la  Navarre,  eurent  peut-être 
l'honneur  d'être  les  premiers  en  Occident  à  illustrer  le  texte  de  l'Apocalypse. 


I  ig.   Hj;    —  Cavalier  ■  ( ■  -  l'Apocalypse    Apocalypse  de  Saint-Sever 
i;     \     latin  8878.) 

Peut-être  v  avait-il  quelque  harmonie  entre  le  sombre  poème  el  le  génie  de- 
hommes  de  celle  race.  Leur  œuvre,  souvent  barbare,  n'est  jamais  vulgaire.  Dans 
l'Apocalypse  de  Saint-Sever,  les  personnages  se  détachent  tantôt  sur  de-  fonds 
jaunes  ou  rouges,  pareils  à  un  ciel  ardent,  d'où  le  soleil  vienl  de  disparaître, 
tantôt  sur  des  bandes  d'un  violet  sombre,  semblables  à  un  beau  ciel  nocturne. 
Quelques  pages  sont  d'une  grande  puissance  :  il  suffit  de  citer  I  aigle  qui  vole 
au  milieu  des  ('toiles  en  criant  g  Ve  !  Ye'  Malheur!  Malheur'        OU   le  serpent 

colossal  imbriqué  d'écaillés,  qu'un  aune  précipite  dans  l'abîme  .  A  force  de 
candeur,  le  naïf  artiste  égale  le  sublime  de  son  texte  :  Quand  I  agneau  ouvrit 
un  des  sceaux,  dit  saint  Jean,  j'entendis  l'un  des  quatre  animaux  qui  criait  d  une 

1  I.    Delisle,  Mélanges  de pnléogr  .   1880,  p.  1-7  el  snîv. 
Bibl    N.a..  m-     latin  8878    xi    siècle  . 

Il.nl     I     1  ji. 
•  Ibid  .  1    juj. 


B 


j,S  L'ART   RELIGIEUX    DU   X  i  1 1  ■  ■   SIÈCLE 

voix  de  tonnerre  :  «  Viens.  »  Je  regardai  et  je  vis  un  cheval  '.  ><  Le  moine  espa- 
gnol imagine  de  représenter  le  lion  ailé  volant  vers  sainl  Jean,  lui  prenant  fami- 
lièrement la  main  dans  ses  griffes  et  lui  montrant  un  cavalier  monté  sur  un 
cheval  noir  (fig.  167) 2. 

Une  autre  école,  dont  les  origines  restent  un  peu  obscures,  tenta  aussi 
d'illustrer  l'Apocalypse.  Elle  prit  naissance  en  Angleterre3.  L'une  des  œuvres- 
types  île  cette  école  est  en  effet  un  manuscrit  dont  le  texte  est  écrit  dans  un 
français  où  se  mêlent  diverses  locutions  de  la  langue  anglo-normande4.  Les 
miniatures  sont  l'œuvre  d'artistes  qui  n'ont  pas  un  sentiment  très  vif  de  la  cou- 
leur Nous  sommes  loin  de  l'Apocalypse  polychrome  créée  par  l'Espagne.  Ici. 
les  fonds  sontrestés  blancs  et  le  Irait  est  a  peine  relevé  d'une  nuance  discrète. 
D'ailleurs,  jamais  miniaturiste  ne  fut  plus  probe  ni  plus  loyal.  Chaque  verset 
est  rendu  dans  sa  littéralité.  Le  mystère,  il  est  vrai,  s'évanouit.  L'illimité  prend 
des  contours  précis,  l'énorme  est  ramené  aux  proportions  humaines.  Il  manque 
à  cette  œuvre,  d'ailleurs  si  estimable,  quelque  chose  d'âpre,  à  abrupt,  d'im- 
prévu. 

Les  dessins  du  beau  manuscrit  (pie  possède  la  Bibliothèque  Nationale 
(franc.  '|o')i  ont  été  exécutés  dans  les  premières  années  du  xiii'  siècle,  mais  ils 
reproduisent  des  originaux  beaucoup  plus  anciens.  La  mention  qui  se  lit  sur  la 
première  page  :  «  Apocalypsis  in  pictura  facta  Carolo  Magno  ».  peut  faire  sup- 
poser que  le  manuscrit  primitif  remontait  à  l'âge  carolingien.  Faut-il  croire,  avec 
M.  Didot,  (pie  l'original  sortit  des  ateliers  <\'\  orl«  au  temps  d'Alcuin  ?  Quoi  qu'il 
en  soit  de  celle  hypothèse,  et  sans  vouloir  entrer  dans  l'examen  (\  \\\\  problème 
encore  insoluble,  il  nous  suffira  de  faire  remarquer  que  peu  d'œuvres  lurent 
plus  fécondes  que  l'Apocalypse  anglo-normande  qu'on  nous  permette  de  lui 
donner  ce  nom  .  Presque  toutes  les  œuvres  d'arl  du  \m  eldu  xivc  siècle  consa- 
crées à  l'Apocalypse,  mi  nia  turcs  ',  vitraux,  bas-reliefs,  lui  doivent  quelque  chose. 


1  Apocal.,  vi,  1. 

!  Bibl.  Nat.,  ms.lat.  8878,  f*1 109  ;  chacune  des  bêles  évangéliques  prend  à  sou  tour  sainl  Jean  par  la  main. 

;  Voir  mu-  ce  sujel  P.  Paris,  les  Manuscrits  franc  de  la  Bibl.  du  roi,  l.  III,  p.  171  :  Didot,  Des  Apoca 
lypses  figurées,  manuscrites  et  cylo  graphique  s.  Paris,  iH;u.  p.  28  ;  S.  Berger,  In  Bible  française  au  moyen 
âge,  1884,  p.  58  el  suiv.,  .-i  Appendice;  L.  Delisle,  llist.  liltér.  <lr  la  France,  1  \\\l  i8g3,  p.  184  el 
surtout  la  préface  capitale  donl  M.  Léopold  Delisle  a  fait  précéder  {'Apocalypse  en  français  au  XIIIe  siècle, 
publier  par  MM.   L.  Delisle  el  P.  Meyer   [Société  des  Anciens  Textes  .   1901. 

1  ISibl    Nal  .  ins.  franc.   jo3. 

;'  Citons  quelques  uns  .1rs  manuscrits  de   la  Bibl.  Nal.  <pii   se   rattachent   au    manuscrit    franc      [o3.  I  < 
sont:  mss   lat    i.ss,  14410,  10484:   franc     [75,   i3og6,   </>;  i     Même   le    ms.   franc.    1768   (si   médiocre    s'en 


I.K    MlllOin    HISTORIQUE  M'.    JUGEMENT    UER.MIÎH 

L'artiste  qui  imagina  le  premier  tant  de  scènes  fortes,  dessinées  d'un  trail  ner- 
veux, travailla  pour  l'avenir.  L'école  anglo-normande,  en  effet,  eut  un  rayon- 
nement que  n'eut  pas  l'école  espagnole.  Les  Apocalypses  illustrées  de  l'Espagne 
du  Nord  dépassèrenl  à  peine  les  Pyrénées  et  ne  s'imposèrent  jamais  à  l'imagi- 
nation des  artistes.    L'Apocalypse  anglo-normande,  au   contraire,  après  avoir 


I    :;     1G8.         !..<   bêle  tnenaçanl  l.i  femme  et  l'enfant. 
13.  \.  Cranç.    îo3. 

inspiré  les  peintres  et  les  seul  pleurs  cl oyen  âge,  inspira  encore  les  graveurs 

sur  bois  du  w     siècle  '. 

Certains  versets,  que  les  Espagnols  n'avaienl  pas  su  rendre,  trouvèrent  une 
forme  définitive.  La  magnifique  bête  qui  dresse  sept  tètes  hautaines  .  la  Icinmc 
nimbée  d'étoiles  oui  dérobe  son  enfant  aux  attaques  du    monstre  en  le  remet- 


rapproclie,   saint   lean    regarde    les  scènes   Je    l'ApocaKpse   d'une   sorte  de  chapelle    cornu  le  ras. 

I  imim'     {<  »3  :   .1  I   \  l'scnal,  le  mis     '.  ■  i  , 
1  Voir  l.i  preuve  de  I  tidot,  op.  cit. 

Les  moines  espagnols  avaient  imaginé  m  me  seule  tète  rt  plti- 

irs  cornes  :  mis.  lai  in  ss-s.  1°  5i  et  I     i  ■ .  i  . 


i  .,,  L'ART   RELIGIEUX    DU   XIII'    SIKCLE 

tant  aux  mains  d'un  ange1  (fig.  168),  l'apparition  divine  qui  porte  une  épée  dans 
la  bouche2  sont  des  figures  sans  cesse  reproduites  au  moyen  âge.  L'imitation  fut 
bien  loin  d'être  servile,  et  les  artistes  prirent  toutes  sortes  de  libertés  avec  leur 
modèle  :  il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  la  vieille  œuvre  anglo-normande  mar- 
qua des  limites  à  leur  fantaisie  créatrice. 

l'n  des  plus  anciens  monuments  de  la  peinture  au  moyen  âge,  les  laineuses 
fresques  de  Saint-Savin,  nous  révèle  tout  d'abord  eelte  influence.  Quelques 
fragments  d'une  illustration  de  l'Apocalypse  subsistent  encore  sur  les  murs  du 
porche  de  l'église.  On  y  remarque,  notamment,  une  femme  qui  se  détourne 
devant  la  bête  et  qui  tend  son  enfant  à  un  ange3.  C'est,  avec  moins  de  richesses, 
le  motil  qui  se  voit  au  f"  i<)  du  manuscrit  /|o3.  Comme  les  fresques  de  Saint- 
Savin  sont  du  xie  siècle,  on  en  peut  conclure  que  l'archétype  anglais,  d'où  le 
manuscrit  4o3  est  sorti,  était  déjà  répandu  en  France. 

Mais,  c'est  au  xiv"  siècle, surtout,  que  l'imitation  est  évidente.  Une  des  plus 
belles  œuvres  d'art  qu'ait  inspirées  l'Apocalypse  au  moyen  âge  est  sans  contre- 
dit la  série  de  tapisseries  conservées  aujourd'hui  à  la  cathédrale  d  Angers. 
Elles  furent  commencées  en  137J  par  ordre  de  Louis  I"  d'Anjou,  frère  de 
Charles  Y  '.  Nous  savons  qu'Hennequin  de  Bruges,  qui  les  dessina,  lit  demander 
au  roi  de  France  un  manuscrit  historié  de  l'Apocalypse  qui  pût  lui  servir  de 
modèle.  Quel  était  ce  manuscrit  '.'  .M.  Giry  a  cru  pouvoir  affirmer  que  c'était  pré- 
cisément celui  de  l'Apocalypse  anglo-normande  (ms.  franc.  /|o3),  qui  en  effet  a 
appartenu  à  Charles  Y '.  M.  Maxence  Petit  a  repris  depuis  la  thèse  de  M.  Giry 
en  essayant  de  lui  donner  une  force  nouvelle".  Les  ressemblances  sont  en  effet 
surprenantes.  Pourtant  M.  Léopold  Delisle,  après  un  examen  plus  attentif,  est 
arrive  à  cette  conclusion  que  ce  n'est  certainement  pas  le  manuscrit  4o3  qu'Hen- 
nequin de  Linges  a  eu  sous  les  yeux.  Le  manuscrit  dont  il  s'est  servi  ne  diffé- 
rait; il  est  vrai,  que  par  quelques  détails  du  manuscrit  !jo3,  mais  il  appar- 
tenait  a   une   seconde  famille  qui    est   fort   bien    représentée   aujourd'hui    par 

I  Bibl.  Nal  .   in>.  franc,    |o3,  I"  19. 
-  Ihul  .  1    1, 

;  Voir  les  Peintures  de  Saint-Savin,  publiées  par  Mérimée,  pi.  III 

'  Voir  M.  de  Farcy,  Hist.  et  descript,  des  tapisseries  <lr  la  cath.  il  Angers    Lille,  1889  (avec  plam  hi 
Les  tapisseries  furent  données  en  1  iX<>  à  1  ;*  cathédrale  par  le  roi  René 
•■  VoirGirj  .  /  Art,  1876,  t.  VII,  p    loi. 

II  Le  '/'"'       1  .'■,  mars  1896  :  les  Apocalypses  manuscrites  <ln  moyen  âge  et  les  tapisseries  de  la  cathé- 
di  aie  il  Angers. 

'•  Léopold  Dolisle,  préface  de  I  Apocalypse  en  français  au  \lll'  siècle. 


LE    MIROIR    HISTORIQUE  LE   JUG1   Ml    \l     IU   !',  M  I.  [; 

l'Apocalypse  de  la  Bibliothèque  de  Cambrai.  Ileniicquin  de  Bruges  n'a  rien 
inventé  :  1rs  quelques  scènes  qui  ne  figurent  pas  dans  le  manuscrit  ïo'3,  et  donl 
un  lui  luisait  honneur,  se  retrouvent  dans  le  manuscril  de  Cambrai. 

Ainsi,  une  des  œuvres  les  plus  importantes  que  le  moyen  âge  ail  consacrées 
à  l'Apocalypse  dérive  d'un  manuscrit  du  groupe  anglo-normand. 

Les  sculptures  du  portail  de  Reims  s'y  rattachent  aussi,  quoique  bien  moins 
étroitement.  C  est  dans  la  seconde  partie  du  \m  '  siècle  «pie  furent  mises  en  place 
les  statuettes  d'un  art  si  raffiné  qui  racontent  la  vision  de  l'apôtre.  L'histoire 
commence  par  les  bas-reliefs  du  contrefort1,  et  se  continue,  sans  beaucoup 
d'ordre,  par  les  figures  disposées  dans  des  voussures  et  dans  des  niches  à 
l'intérieur  et  à  l'extérieur  du  portail".  Le  récit  s'achève  sur  le  mur  méridional, 
où  sont  retracés  la  vie  et  la  mort  de  saint  Jean. 

La  ressemblance  entre  les  s  La  t.  ues  et  les  miniatures  n  apparail  pas  à  premièn 
vue.  Ces  figures  isolées  dans  leurs  niches  ne  rappellent  guère  les  scènes  coni 
pliquées,  dramatiques,  du  manuscrit.  Jamais  Apocalypse  ne  fui  moins  terrible. 
Les  anges  de  Keims.  vêtus  de  longues  robes,  portent  des  livres,  des  coupe-, 
de-  épées,  des  étoiles,  et  sourient  avec  une  grâce  voluptueuse.  Les  maîtres 
exquis  de  Keims.  uniquement  amoureux  de  la  beauté,  n'étaient  plus  capables 
d  exprimer  la  sombre  poésie  du  livre.  Leur  œuvre,  charmante  en  ses  détails, 
reste  une  erreur  artistique. 

(  m  aura  quelque  peine  à  admettre  qu'une  composition  si  personnelle  ait  été 
inspirée  par  notre  manuscrit.  Il  est  pourtant  probable  que  les  artistes  <\<-  Keims 
curent  sous  les  yeux  un  livre  historié  dérivé  de  l'une  des  deux  familles  de 
l'Apocalypse  anglo-normande.  Certains  détails  le  prouvent  :    la  femme  qui  fuit 

devant  la  bête  ',  le  cavalier  qui  chevauche  avec  une  épée  dans  la  I lie  .  les 

quatre  anges  qui  retiennent  les  quatre  vents  sous  la  forme  de  quatre  masques 
antiques,  les  corbeaux  mangeant  les  yeux  des  morts  .  I  le  pareilles  ligures  dérivent, 
sinon  directement,  du  moins  par  des  in  termédiaires,  du  manuscrit  original.  Mais  M 
est  une  preuve  Lien  plus  forte.  Une  des  particularités  qui  caractérisent  le  manus- 
crit anglo-normand  est  qu'une  vie  de  saint  Jean  illustrée  accompagne  l'Api 

I  ,n  ,i.i.    occidentale,  cote  sud. 
J  Façade  occideutale,  portail  du  d  i 

Portai]  intérieur    voussures   :  ms      I     19,  « 
■  Portail  extérieur,   ms  .1     S,  \ 

Portail  intérieur,   ins  .   I     ■  •■.  \  ■. 
1   Portail  extérieur,  ms  .1     \~. 


I  •  ' 


Q  M**?***  5*Wfc***  I C3 


Fig    169 


Vitrail  de  I  Apocalypse 

13  jes 

(D'après  1   iliin  cl  Mari  1  n 


L'A  l!T    RELIGIEUX    M     \  I  I  I      SI  ECLE 

lypse.  La  biographie  dont  l'artiste  s'est  ins- 
pire'1 est  celle  du  pseudo-Abdias  reproduite 
plus  lard  par  la  Légende  dorée.  C'est  pourquoi 
les  manuscrits  qui  dérivent  de  cet  archétype, 
et,  plus  tard,  les  incunables  ornés  de  gravures 
sur  bois1,  commencenl  ou  se  terminent  pres- 
que toujours  par  quelques  épisodes  de  la  vie 
de  l'apôtre.  Albert  Durer  lui-même  est  resté 
fidèle  à  celle  antique  tradition.  Or,  nous  l'a- 
vons dit,  l'Apocalypse  de  Reims  est  complé- 
tée, sur  le  mur  du  sud,  par  le  récit  de  quelques 
épisodes  de  la  vie  de  saint  Jean.  On  y  voit, 
comme  dans  le  manuscrit,  le  supplice  de  saint 
Jean  à  la  Porte  Latine,  le  miracle  du  poison  à 
Kphesc.  et  enfin  la  mort  mystérieuse  de  l'a- 
pôtre2. Ajoutons  que  cette  dernière  scène  — 
au  moins  pour  quelques  détails  —  a  élé 
conçue  par  le  sculpteur  comme  par  le  minia- 
turiste. L'apôtre  esl  couché  dans  sa  tombe 
revêtu  de  sa  chasuble,  et  il  porte  une  large 
tonsure  ecclésiastique  ;  au-dessus,  des  anges 
enlèvent  son  àme  au  ciel.  Il  est  difficile  de 
croire  que  tant  de  ressemblances  soient  for- 
tuites. Les  sculpteurs  de  Reims  ont  souvent 
suivi  leur  fantaisie,  ou  bien  ils  ont  pris  avec 
leur  modèle  tant  de  libertés  que  la  plupart  du 
temps  on  ne  le  reconnaît  pas;  néanmoins, 
l'imitation  a  laissé  assez  de  traces  dans  leur 
œuvre  pour  qu'on  puisse  deviner  de  quel  ori- 
ginal ils  se  sont  inspirés. 

(  )n    voit  quelle  puissance  de  vie  il  y  avait 
dans  l'œuvre  du  miniaturiste  anelo-normand. 


Si  ce  n'étail  sortir  de  noire  sujet,  nous  aimerions  à  montrer  comment,  jusqu  à 

Voir  I  '  d  >l    op.  cit. 

Le  manuscril  contient  'I  autres  miracles    par  exemple  celui  des  cailloux  changés  en  or  . 


LE    MIROIR    HISTORIQUE    —    LE   JUGEMENT    1)1 .  i:\li:  i: 
la    lin  du   \V    siècle    les   artistes  perpétuèrent    les  formes  anciennes  '.   <  mi  s  m>- 
pira    des  \ien\   originaux  jusqu'au    jour   où    Albert    Durer  créa  une  apocalypse 
nouvelle  . 

L'Apocalypse  a  inspiré,  au  xine  siècle,  une  œuvre  curieuse  el  isolée.  Elle 
ne  se  rattache  pas  à  la  tradition,  parce  qu'elle  prétend  représenter  autre  chose. 
Le  vitrail  de  Bourges,  en  effet,  n'est  pas  une  illustration,  mais  un  commentaire 
de  l'Apocalypse.  Le  théologien  qui  en  a  conçu  le  plan  s'esl  efforcé  de  rendre 
sensible  aux  yeux  la  doctrine  des  interprètes  de  saint  Jean.  L'institution  de 
I  Eglise,  la  présence  réelle  de  Jésus  dans  celte  Église  dont  il  esl  I  àme,  enfin 
l'éternité  glorieuse  réservée  à  l'Eglise  quand  les  temps  se ro ni  accomplis  :  ici  les 
sont  les  vérités  que  l'artiste  nous  enseigne   . 

Au  lias  du  vitrail  lig.  169),  Jésus  représenté  comme  sainl  Jean  l'aperçut, 
tenant  l'épée  et  le  livre  aux  sept  sceaux,  a  devant  lui  saint  Pierre  qui  baptise 
la  foule.  ('.  est  la  traduction  symbolique  de  ce  passage  de  I  Apocalvpse  :  •■  Il  \ 
avait  devant  lui  une  nier  de  verre  semblable  à  du  cristal  '.  »  Par  la  mer  de  verre, 
en  effet,  tous  les  interprète--  de  I  Apocalypse  au  moyen  âge,  et  spécialemenl 
Anselme  de  Laou,  ipn  est  le  plus  laineux  de  tous,  entendent  le  baptême.  «  La 
merde  verre  qui  ressemble  au  cristal,  dil  Anselme  de  Laon  avec  la  subtilité 
d'un  docteur  du  xr  siècle,  est  le  baptême.  Car,  de  même  que  le  cristal  esl  de 
l'eau  durcie,  de  même  le  baptême  translorme  les  hommes  flottants  cl  sans 
consistance  en  ch retiens  résistants  et  solides ".  0  La  première  vision  se  rapporte 
donc  à  I  institution  du  baptême,  ou,  si  l'on  veut,  de  I  Eglise. 

Plus  haut,  le  vitrail  nous  montre  Jésus  assis  dan-  sa  gloire  el  entouré  tic 
douze  personnages  de  l'Ancien  Testament,  parmi  lesquels  on  reconnaît  Moïse, 
cl  des  douze  apôtres  du  Nouveau.  Les  docteurs,  en  effet,  interprétaient  «le  cette 
façon  la  vision  de  l'Apocalypse  où  Dieu  est  mon  tic  assis  sur  son  tronc  el  en  ton  ré 
des   vingt-quatre   vieillards.    Suivant    cu\.    les   vingt-quatre   vieillards    sont    le- 


1   Les  apocalypses  xylographie]  ues  du  w    siée] ilélé  dessinées,  < mu    l'a  il  ré  M     I  éopold  Delisle, 

d'après  les  manuscrits  de   la    première  famille  anglo-normande,    donl   le  mauusrril   franc.    jo'j   esl    '.■ 
notable  représentant.  Il  a  paru  cepi  udaul  à  M    Léopold  l>.  lisle  que  le  dessii 

non    pas    le   manuscril     i"  !    lui mais    une    apocalypse   pareille    à   celles 

Bibliothèque  Bodléicnuc,  et  qui  apparticnneul  à  la  même  famille. 

-  Sur  l'Apocalyse  d'Albert  Durer  el  son  influence,   voir  l'Ai 

e  I  s  1 1  i  \ . 

■  Vitrait  1  de  Bourges    pi.  VIII  el  | 

■  Apocal.,  i\ .  G 

5  Anselme  de  Laon,  EiHirral.  in  Api        cap    n     l'tili    '..  I    CLX1I,  col 


i  .  i  I.   A  RT    RELIG  I  EUX    DU    X  III'    SIEC  LK 

douze  apôtres  accompagnés  de  douze  héros  de  l'Ancienne  Loi  '.  Pour  ne  rien 
laisser  de  mystérieux  dans  le  texte  de  saint  Jean,  l'artiste  est  allé  jusqu'à  rem- 
placer les  quatre  animaux  symboliques  par  les  quatre  évangélistes.  Ainsi,  Jésus 
assis  au  milieu  des  prophètes,  des  apôtres  et  des  évangélistes,  c'est  Jésus  assis 
au  milieu  de  son  Église,  toujours  présentait  milieu  d'elle,  comme  il  l'a  annoncé2. 
Dans  le  troisième  compartiment  du  vitrail,  Jésus  et  l'agneau  portentla  croix 
triomphale.  Saint  Pierre'  parle  à  la  foule,  pendant  que  deux  hommes  boivent  aux 
mamelles  «le  l'Église,   symbolisée  par  une   reine  couronnée.   On  reconnaît  ici 


encore  l'interprétation  que  donnaienl  les  docteurs  des  dernières  visions  de 
I  A  pocalypse.  Saint  Pierre  est  l'Eglise  militante  :  il  appelle  les  fidèles  aux  noces 
de  l'Église  triomphante  avec  l  Agneau.  L'Eglise,  en  elle  t.  qui  nourrit  les  hommes 
du  lait  des  deux  Testaments,  enl  rera,  quand  les  temps  seront  révolus,  dans  l'éter- 
nité glorieuse  et  s'unira  à  Dieu  .  Sept  étoiles  et  sept  nuages,  qui  sont  coin  me  le 
chiffre  de  la  durée  (qui  désormais  va  être  abolie),  dominent  toute  la  coin  position . 
Tel  es!  ce  grand  ensemble  théologique,  l'œuvre  la  plus  subtile  et  la  plus 
profonde  que  l'Apocalypse  ail  inspirée  à  I  art  du  moyen  âge,  œuvre  toute  doc- 
trinale, qui  n'emprunte  rien  aux  types  traditionnels. 


Il 


Malgré  les  exemples   (pic    nous    venons  de   citer,    on    ne    peul     pas    dire    que 
l'Apocalypse  ail  été  un  livre  très  fécond.  C'est  qu'en  effet,  des  le  XIVe  siècle,  les 

1     Anscl de    1,,'iull.   J(/.,    ihlil. 

Itl..  ibid.  —  Anselme  de  Laon  l'ail  ici  le  calcul  que  nous  a\<ms  déjà  indiqué,    'i     dit-il,   esl   composé 
de  deux  lois   i  -..  (  > ■  •  i  ■  esl  obtenu  en  multipliant    :.  le  chiffre  de  la  Trinité,  par  i.  le  chiffre  de  la  Terre    Le 

bre  i ■.•.  ci  le  h lue  ■>  ;  symbolisent  donc  I  Église  annonçant  La  vérité  au  mondi 

A  Qselme  de  !   p,  \i\ . 


LE    MIROIR    HISTORIQUE    --    LE    M  GEMENT    DERNIER  ,  ■. 

artistes  préfèrent  emprunter  à  saint  Matthieu  le  tableau  de  la  lin  du  monde  !. 
Le  texte  de  l'évangéliste  est  sans  doute  moins  fulgurant,  mais  il  est  plus 
accessible  à  l'art.  Chez  saint  .Matthieu,  Dieu  n'est  plus  l'énorme  pierre  précieuse 
dont  l'éclat  ne  peut  se  soutenir  :  il  est  le  Fils  de  l'Homme  :  il  apparaît  sur 
son    trône  tel    qu'il    fut    sur  la   terre;    les   peuples    reconnaissent   son    visage. 

Un  chapitre  de  saint  Paul,  dans  la  première  Fpître  aux 
Corinthiens,  sur  la  résurrection  des  morts 2,  ajouta  quelques 
traits  à  l'ensemble.  L'Apocalypse  fournit  même  un  ou  deux 
détails  secondaires. 

Ces  divers  passages,  interprétés  par  les  théologiens  et  en- 
richis par  l'imagination  populaire,  donnèrent  naissance  aux 
belles  scènes  du  jugement  dernier  qui  décorent  presque 
toutes  les  cathédrales  du  xiu"  siècle. 

En  France,  dès  le  xne siècle,  les  deux  manières  de  représenter 
le  jugement  dernier  (d'après  l'Apocalypse  et  d'après  saint  Mat- 
thieu) coexistent.  A  Saint-Trophimc  d'Arles  elles  se  combinent. 
Le  tympan  nous  montre  encore  le  roi  traditionnel,  cantonne  des 
quatre  animaux  que  décrit  l'Apocalypse,  niais  déjà  les  bas-re- 
liefs de  la  frise  nous  font  assister  à  la  séparation  des  bons  et  des 
méchants, conformément  à  l'Evangile  de  saint  Matthieu  II  en  est 
de  mêmeàAutun:  le  Dieu  qui  préside  au  jugement  est  le  Dieu 
de  l'Apocalypse,  ce  n'est  pas  encore  le  «  Fils  de  l'Homme  ». 

C'est  la  grande  école  de  sculpture  du  sud-ouest  qui  élabora  dès  le  milieu 
du  xne  siècle  l'ordonnance  nouvelle  du  jugement  dernier.  Elle  apparaît  pour  la 
première  fois  sur  les  vieux  chapiteaux  du  cloître  de  la  Daurade  que  conserve 
le  musée  de  Toulouse  :.  On  la  retrouve,  avec  toute  l'ampleur  de  la  sculpture 
monumentale,  au  portail  de  Beaulieu  dans  la  Corrèze,  el  bientôt  après,  enri- 
chie de  détails  nouveaux,  au  portail  de  Comptes  dans  l'Aveyron.  A  Conques,  on 
voit  groupées  toutes  les  scènes  donl  la  réunion  c posera  désormais  le  juge- 
ment dernier  :  Jésus  montrant  ses  plaies,  anges  portant  les  instruments  de  la 
Passion,  pèsement  des  âmes,   séparation   des  bons  et   de-  méchants,  paradis, 


l'IlMl         M 

Fig.  171.  1  aralicr 
< [ <  l  A  [m  tcalypsc  :  la 
Morl  Noire  Dame 
de  Paris  . 


1  Saint  Matthieu,  xxi\  el  xxv. 
/  Corinth.,  xi 

I  ,ii  étudie  ces  chapiteaux  dans  la  Revue   archéologique,    <     \       '        [ui    est    propre   à    l'arl  méridional 
,  esl  le  geste  de  Jésus-Christ  montrant  ses  plaies  el    I  apparition   de   la  croix  portée  par  les 


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]*+*>r\ 


4a6  L'ART   RELIGIEUX    DU    XIIIe   SIÈCLE 

enfer.  Du  Languedoc  la  nouvelle  formule  du  jugement  dernier  semble  avoir 
rayonné  du  côté  du  nord  et  du  côté  du  midi.  Au  midi  on  la  retrouve  avec 
quelques  variantes  au  portique  de  la  Gloire  à  Saint-Jacques  de  Compostelle  en 
iiK'i.  Au  nord,  elle  se  voyait,  dés  1180,  à  Notre-Dame  de  Corbeil1.  Mais  les 
artistes  du  nord  enrichissent  l'ordonnance  méridionale  :  ils  disposent  symétri- 
quement des  deux  côtés  du  Juge  la  Vierge  et  saint  Jean.  Vers  1200,  le  jugement 
dernier  de  Laon,  surchargé  et  confus,  demeure  encore  très  archaïque  (fig.  172). 

Mais  à  Chartres  la  scène  s'ordonne 
et  devient  dune  admirable  clarté 
(fig.  173).  A  Paris,  la  formule  défi- 
nitive est  enfin  trouvée  lig.  174) - 
C'est  ce  jugement  dernier  si 
complexe  et  si  riche  de  nos  ca- 
thédrales du  \iii°  siècle,  que  nous 
nous  proposons  d'étudier  au  mo- 
V^V^tiL'&jl*  '".*"'    '■{r*f^>~''i'?A*'?       ment  même  où    il  est  parvenu  au 

terme  de  son  évolution.  Une  pa- 
reille étude,  plusieurs  lois  tentée, 
n'a  jamais  donné  de  résultats  satis- 
faisants, parce  que  les  archéologues  qui  l'entreprirent  furent  trop  étrangers  à 
la  littérature  du  moyeu  âge.  En  un  semblable  sujet,  nulle  interprétation  per- 
sonnelle n'est  de  mise.  Ce  n'est  que  dans  les  livres  des  théologiens  du  jcn1 
et  du  xiii"  siècle  qu'il  faut  espérer  trouver  le  sens  de  ces  vastes  composi- 
tions. 

Le  plus  précieux  de  ces  ouvrages  est  celui  qu'écrivit  Honorius  d  Aulun,  au 
commencement  du  xn'  siècle,  sous  le  titre  d' ' Elucidarium* .  Le  troisième  livre 
de  celle  sorte  de  catéchisme  dialogué  est  consacré  presque  tout  entier  à  la  fin 
du  monde  et  au  jugement  de  Dieu.  L'œuvre  d'Honorius,  composée  dans  un 
temps  où  la  formule  artistique  du  jugement  dernier  n'avait  pas  encore  été 
trouvée  .  a  pu  fournir  quelques  traits  aux  peintres  el  aux  sculpteurs.  L'extrême 
célébrité  du  manuel  d'Honorius.  qui   fut  de  bonne  heure  adopté  par  l'Ecole,  el 


r  '  )   r  •  s  \ 

l'ig.  i'i.  —  Jugement  dernier  (Laon) 
(Les  Lêles  ont  été  refaites.) 


1  Quelques  frag uts  de  ce  jugement  dernier  de  Corbeil  subsistent. 

2  Palrol.,  t.  CLXXII,  col.  1109  el  suiv. 

;  L'Elucidarium   •  immi   le  prouve  la  préface,  est  une  œuvre  de  jeunesse  qui  .i  dû  être  écrite  aux   envi- 
rons <lc  1 100. 


LE    MIROIR    HISTORIQUE   —   LE   JUGEMENT    DERNIER 

qu'une  traduction  française  mit  à  la  portée  des  laïques1,  rend  une  pareille 
hypothèse  assez,  vraisemblable.  Un  siècle  après,  Vincent  de  Beauvais  résuma 
dans  l'Epilogue  de  son  Miroir  historique  tout  ce  que  le  moyen  âge  croyait 
savoir  du  second  avènement  de  Jésus-Christ2.   Contemporain  des  artistes  qui 


Fig.  17J.  —  Jugement  dernier   Chartres 


sculptèrent,  les  tympans  d'Amiens  ou  de  Reims,  il  donne  le  meilleur  commen- 
taire tic  leur  u'in  re. 

Saint  Thomas  d'Aquin  traite  le  même  sujet  dan-  la  Somme  avec  -.1  méthode 
accoutumée  :  les  quelques  détails  concrets  qui  se  détachent  sur  le  fond  serré 
de  ses  syllogismes  sont  parfaitement  conformes  à  la  doctrine  reçue  .  Lnlin 
Jacques  de  Voragine,  au  premier  chapitre  de -a  Légende  dorée,  non-  donne  la 

1  Hist.  littér.  de  France,  t.  XII,  p.  i65et  suiv.  I.  Elttcidarium  a  Honorius  d'Aulun  lui  traduit  .'ii  Iran 
sous  le  titre  de  Lucidaire    Bibl.  de  l'Arsenal,  ms.  n     I5i6,  I     \.\\).  Voir  P    Meycr.    \  s  et  extraits  de 

manuscrits,  t.  XXXII,    ■    partie,  p.  ja-8i 

'■  Spec.  histor.  Epilog.   Traclatus  de  ultimis  lemporibus,  Lejugcmeul  dernier  esl  êgalrinenl  L-xposé  dans 
li'  Spec.  morale,  lib.  II.  pars  II. 

3  Saint  Thomas,  Somme,  Supplément  à  la    ;    partie     édil    d'Anvers,  m .  1  •    i .  XII,  p.   i6.j   'i  -un    . 


4a8  L'ART    RELIGIEUX    DU    XIII'    SIÈCLE 

preuve  qu'à  la  fin  du  xm'  siècle  le  sentiment  de  l'Eglise  sur  le  jugement  dernier 
n'avait  pas  varié  '. 

Il  va  doue  pendant  le  moyen  âge  un  véritable  courant  d'opinion  sur  toutes 
les  circonstances  ([ni  doivent  accompagner  le  second  avènement  de  .lésus- 
Clirist. 

Avec  de  tels  guides,  nous  ne  risquons  pas  de  nous  tromper  sur  les  inten- 
tions des  artistes. 

Le  jugement  dernier,  tel  que  le  xin"  siècle  l'entend,  est  un  grand  drame  qui 


l'Iiiil.  ll.ii  hu-Sal/ou. 


Fig.  i?  i-  —  J"g 


H  de 


rmer  ( 


Notre-Dame  de  Paris). 


se  divise  très  exactement  en  cinq  actes.  Par  une  nécessité  de  son  art,  le  sculp- 
teur nous  montre  simultanément  des  événements  successifs.  A  nous  de  distin- 
guer el  de  suivre  l'ordre  des  temps. 

D'abord  des  signes  précurseurs  annoncent  la  lin  du  monde  et  forment  le 
prélude  du  jugement,  Les  menaces  de  l'Apocalypse  sont  réalisées,  et  l'Anté- 
christ na il  de  la  tribu  de  Dan  à  Babylone.  Les  théologiens  s'étendent  longue- 
ment sur  les  fléaux  avant-coureurs  du  cataclysme  final.  Vincent  de  Deauvais 
énuinère.  d'après  saint  Jérôme,  les  quinze  bouleversements  cosmiques  qui 
doivent  signifier  aux  hommes  que  les  temps  sont  révolus  -.  Les  sculpteurs  du 
\in    siècle  sont  plus  solncs.  A  Paris  et  à   Amiens  dig.   171  et  170),  les  cavaliers 

1  Leg,  aur  .  cap   1.  De  adventu  Do  mi  ni. 

-  Spec  kislor.  Epil.  exi,  et  Leg  aurea,  cap  1.  Les  quinze  signes  de  la  Un  'lu  monde  (débordement  dis 
mers,  tremblements  de  terre,  etc.]  n'uni  reçu  une  forme  plastique  qu'au  xv°  siècle  gravures  mm-  bois  des 
livres  d'Heures      Voir  l'Art  religieux  de  la  fin  du  moyen  âge,  p.   i;H 


LE    MIROIR    HISTORIQUE    --    l.E   JUGEM.EiVl     DERNIER 

de  1  Apocalypse,  placés  dans  les  voussures  du  portail  du  jugement,  rappellent 
seuls  les  jours  de  terreur  qui  doivent  précéder  1  avènement  du  Fils  de  I  Homme. 
Quelques-unes  de  ces  figures  sont  dignes  du  sujet.  A  Paris,  la  Mort,  les  yeux 
bandés,  courbée  sur  son  cheval,  et  portant  en  croupe  un  cadavre,  est  [\i\c  figure 
farouche  qui  annonce  magnifiquement  le  cycle  d'épouvante  qui  va  s'ouvrir1. 

Soudain,  à  l'heure  marquée,  au  milieu  de  la  nuit,  à  l'instanl  même  ou  jadis 
le  Christ  ressuscita,  le  Juge  apparaîtra  sur  les  nuées2.  «  Alors,  dit  l'évangé- 
lisle,  le  signe  du  Fils  de  I  Homme  paraîtra  dans  le  ciel,  toutes  les  tribus  de  la 
terre  se  lamenteront,  et  elles  verront  le  Fils  de  1  Homme  venant  sur  les  nuées 
cl 1 1  ciel  avec  puissance  et  une  grande  gloire  .  »  Ce  court  passage  de  saint 
.Matthieu,  inédité  par  toute  la  chrétienté,  enrichi  de  commentaires,  trouva  au 
\ni"  siècle  sa  forme  parfaite. 

Au  sommet  du  tympan,  <>ù  le  jugement  va  se  dérouler,  Jésus-Christ,  assis 
sur  son  trône,  apparaît.  Il  n'a  ni  couronne,  ni  ceinture  d'or,  comme  la  figure  de 
l'Apocalypse.  Il  a  voulu  se  montrer  aux  hommes  tel  qu'il  fut  parmi  eux  et  il 
s'est  revêtu  de  son  humanité.  D'un  geste  admirable,  il  lève  ses  deux  mains 
pour  faire  voir  ses  blessures,  et  sa  tunique  écartée  sur  sa  poitrine  laisse 
paraître  la  cicatrice  de  son  liane  (fig.  17'ii.  On  sent  qu'il  n'a  pas  encore  ouvert 
la  bouche  pour  parler  au  monde,  et  ce  silence  est  terrible. 

Que  veut-il  nous  dire  en  nous  faisant  voir  ses  plaies  ?  --  Écoutons  les  doc- 
leurs,  o  II  montre  ses  cicatrices,  dit  l'un  d'eux,  pour  témoigner  de  la  vérité  de 
l'Evangile,  et  pour  prouver  qu'il  a  été  vraiment  crucifié  pour  nous'.  «  Mais  ce 
n'est  pas  tout.  «  Ses  plaies,  dit  un  autre,  prouvent  sa  miséricorde,  car  elles  rap- 
pellent son  sacrifice  volontaire,  elles  justifient  aussi  -a  colère,  car  elle-  nous 
l'ont  souvenir  que  tous  les  hommes  n'ont  pas  voulu  profiter  de  son  sacrifice 
El  saint  Thomas  d'Aquin  ajoute  :  «  Ses  plaies  prouvent  sa  force,  car  elles 
attestent  qu'il  a  triomphé  de  la  mort8,  o  Le  -este  de  Jésus-Chrisl  le  désigne 
donc  comme  le  rédempteur,  comme  le  juge,  comme  le   Dieu   vivant. 

I  i  les  statuettes  de  voussures  onl  été  reproduites  à  Amiens,   mais  elles  sont  moins  heureuses. 

/  lucidarium,  cap.  m  el  xir,  col.  i  [6  i  et  n65    I.  idée  que  1''-  morts  ressusciti  i  ni  de 

la  m. mi   .i  I  heure  même  où  Jésus-I  Ihrisl  en  a  triomphé  pour  l'humanité  tout  entière,  esl  un  de  ces  parallé- 
lismes  familiers  au  génie  du  moyen 
S.iini  Matthieu,  wn  .   lo. 
•  Vincenl  de  Beauvais,  Spec.  hist    Epil.,  cxn 
'    /  eg.  niir.,  cap.  i. 

II  S. nui  Thomas,  Somme    Supplémcnl  .>  la   I'   partie     Qua>st.  KC,  art.  11. 


•i  !o 


L'ART   RELIGIEUX    1)1'    XIII"   SIKCLE 


Aux  ((Mrs  du  Fils  de  l'Homme  apparaissent  des  anges.  Les  uns  portent  la 
croix  et  la  couronne  d'épines,  les  antres  la  lance  et  les  clous.  Leurs  mains, 
presque  toujours  couvertes  d'un  voile,  touchent  avec  respect  ces  objets  sacrés. 
Les  «  signes  du  Fils  de  l'Homme  »,  dont  parle  l'évangéliste,  ce  sont,  au  témoi- 
gnage  de   lous  les  Pères,  les  instruments  de  son  supplice  et  spécialement  sa 


&3  ■ 


I-'ig.  17Ï.  —  Jugement  dernier  (Poitiers 


croix.  De  même  qu'au  jour  de  l'entrée  solennelle  d'un  empereur  on  porte  devant 
lui  son  étendard,  son  sceptre  et  sa  couronne,  de  même,  au  jour  glorieux  où  le 
Fils  de  Dieu  se  montrera  au  monde  pour  la  seconde  fois,  les  anges  porteront 
triomphalement  la  croix,  la  lance  et  la  couronne  d'épines'.  Tant  de  lumière 
jaillira  de  ces  instruments  d'ignominie  devenus  des  insignes  de  gloire,  que  le 
soleil  et  la  lune  en  seront  éclipsés.  La  croix  projettera  une  lumière  sept  fois 
plus  brillante  (pie  celle  des  astres2.  C'est  pourquoi  on  voit  parfois,  uotamment 


1  La  métaphore  semble  être  de  s.iini  Jean  Chrysostome.  Elle  est  reprise  par  Bonorius  d'Autun,  Eluci- 
darium,  cap.  mi.  Vincent  de  Beauvais.  Spec.  hist.  Epil.,  cxn,  et  Leg.  aurea,  cap,  t. 

2  Elucid '..  cap,  mu    /,.';'.  aurea,  cap.  1    Spec.  hisl    Epil.,  exu, 


LE   MIRO]  Il    11  ISTOR1QU  li 


LE   Jl'ii  EMENT   DERNIER 


iii 


à  Bordeaux1,  au-dessus  de  Jésus,  deux  anges  qui  emportent  le  soleil  et  la 
lune,  comme  on  éteint  des  lampes  désormais  inutiles  (fig.  1771. 

Enfin,  pour  enrichir  encore  cette  scène  déjà  si  pleine  de  vie,  les  artistes 
imaginèrent  d'introduire,  à  droite  et  à  gauche  du  Juge,  la  Vierge  cl  sainl  Jean 
en  prière.  L'Evangile  n'indique  rien  de  pareil,  mais  les  théologiens  pouvaienl 
justifier  la  présence  de  ces  deux  nouveaux  personnages.  Honorais  d'Autun 
remarque  que  la  Vierge  et  saint 
Jean  ont  à  peine  connu  la  mort. 
Tous  les  deux  ont  été  ravis  à  la 
terre  par  Jésus-Christ  en  personne. 
Ils  sont  donc  comme  les  prémices 
de  la  résurrection". 

Mais  je  serais  plus  disposé  à 
croire  que  les  artistes,  en  intro- 
duisant la  Vierge  et  saint  Jean  dans 
la  scène  du  jugement,  ont  été  gui- 
dés par  un  sentiment  de  piété 
toute  populaire.  La  mère  et  le  dis- 
ciple bien-aimé  qui  s'étaient  tenus 
près  de  la  croix,  au  jour  de  dou- 
leur, ne  méritaient-ils  pas  d'assister  le  tri phateur  au  jour  de  gloire?  Mai- 
quelle  raison,  en  ce  cas,  de  les  représentera  genoux,  les  mains  jointes,  c me 

des  suppliants  .'  —  Nous  louchons  ici  aux  sentiments  les  plus  délicats  de  I  aine 
chrétienne.  Les  théologiens  axaient  affirmé  qu'au  jour  suprême  nulle  prière  ne 
pourrait  fléchir  le  Juge;  mais  l'humble  foule  des  fidèles  ne  le  crul  pas.  Elle 
continua  à  espérer  qu'en  ce  |our  la  \  ierge  et  saint  Jean  seraient  encore  de  puis- 
sants intercesseurs  et  sauveraient  plus  d  une  àme  par  leurs  prières.  Les  artistes 
s'inspirèrent  dune  croyance  qu'ils  partageaient:  ils  opposèrenl  la  grâce  à  la 
loi.  et,  au  milieu  du  sévère  appareil  de  la  justice,  firenl  briller  une  lueur  d'es- 
pérance   . 


'76. 


Jugcmcnl    dernier     s. nul  Scui 
de  Bordeaux  . 


1  Cathédrale,  porte  royale. 

-'  Elucid.,  cap.  kh,  '-"I    i  îij  i. 

En    Allemagne,  sainl   Jean-Baptiste  remplace  -.1  i  ni   Jean  l'Eva 

r'rancc,  te  jugcmcnl    dernier  de   Reims  portail   du   nord    nous  ntre  aussi    le   précurseur  à  la  place  de 

1  apôln  .   La  pensée    csl   différente,  s. nui  Ii  an  Baptiste   montre    l<  sus  I  aux  hommes  : 

voilà,  c'est  Lui  que  j'ai  annoncé 


432  L'ART  RELIGIEUX   DU   XIII0  SIÈCLE 

La  scène  de  l'apparition  du  Fils  de  l'Homme  se  trouve  ainsi  complète. 

Après  avoir  tâtonné  à  Laon  et  à  Chartres,  les  artistes  trouvèrent  à  Notre- 
Dame  de  Paris  le  groupement  le  plus  parfait  de  tous  leurs  personnages  (fig.  174). 
Ils  triomphèrent  très  habilement  des  difficultés  que  leur  opposait  l'arc  en  tiers- 
point  du  tympan.  Au  milieu,  Jésus  assis  est  plus  grand  que  tout  ce  qui  l'en- 
toure; à  ses  côtés  deux  anges  debout  tiennent  les  instruments  delà  Passion; 
Jean  et  Marie  agenouillés  remplissent  l'extrémité  du  champ  '.  Le  groupement 
est  parfait.  La  formule  une  fois  trouvée  se  répandit  dans  toute  la  France  2,  jus- 
qu'à Poitiers  (fig.  170),  jusqu'à  Bordeaux  (fig.  176),  et  même  jusqu'à  Dax  où  elle 
se  déforme  un  peu  '. 

Dans  cette  ordonnance  si  harmonieuse,  la  Vierge  et  saint  Jean  à  genoux 
sont  séparés  du  Christ  par  les  anges  qui  portent  les  instruments  de  la  Passion. 
Le  sculpteur  d'Amiens  les  trouva  trop  éloignés  :  il  lui  sembla  que  leur  prière 
serait  plus  efficace  s'ils  étaient  plus  près  du  Juge.  11  les  plaça  donc  des  deux 
côtés  du  Christ  les  bras  tendus  vers  lui  :  de  la  sorte,  leur  supplication  semble 
irrésistible  (fig.   179). 

Cette  innovation  était  émouvante,  assurément,  mais  plastiquement  elle 
n'était  pas  heureuse.  L'artiste  d'Amiens, pour  la  rendre  acceptable,  dut  réduire 
la  taille  des  anges  placés  maintenant  derrière  la  Vierge  et  derrière  saint  Jean. 
De  la  sorte,  toutes  les  tètes  se  trouvèrent  presque  sur  la  même  ligne  :  le  tympan 
avait  un  registre  de  plus,  mais  sa  partie  haute  était  mal  remplie.  Le  problème 
oétait  donc  pas  résolu.  Il  est  clair  que,  pour  garnir  heureusement  un  triangle, 
les  personnages  doivent  aller  en  diminuant  de  hauteur  et  il  est  de  toute  né- 
cessité que  les  figures  agenouillées  en  occupent  les  angles.  L'exemple  d'Amiens 
resta  donc  isolé. 

Des  que  Jésus  s'est  montré  sur  les  nuées,  la  trompette  retentit'  et  le  troi- 
sième acte  commence.  A  l'appel  des  anges,  les  morts  soulèvent  la  pierre  de  leur 

1  A  Poitiers  (fig.  17  >),  il  y  a  encore  derrière  eux  deux  anges  à  genoux. 

2  Dans  l.i  région  qui  avoisine  Paris,  on  la  trouve  dans  toute  sa  perfection  à  l'église  de  Rampillon  Seine- 
et-Marne).  A  Sainl  Sulpice  de  Favières  [Seine-et-Oise]  (fig.  1 78  ,  l'ordonnance  parisienne  esl  respectée,  mais 
le  Christ  au  lieu  d'être  assis  esl  debout,  et  (exception  unique  .  .111  lieu  de  montrer  ses  plaies,  il  montre  son 
sang  dans  I'-  calice  qu'il  tienl  île  la  main  gauche.  L'idée  de  sacrifice  et  'I.  rédemption  est  clairement 
exprimée  ici,  mais  en  dehors  des  traditions. 

A  l,i  cathédrale  de  Bordeaux,  le  groupe  central  esl  toujours  conçu  comme  à  Notre-Dame  de  Paris, 
mais  le  reste  de  la  composition  s'écarte  du  prototype  ,li^.  177  . 

1  Sainl  Matthieu,  xxiv,  !i.  1  Mittel  angelos  suos  cum  tuba.  0  El  suint  Paul,  /  Corinth.,  m,  >  . 
<   Canel  enim  tuba  el  mortui  résurgent.  » 


L  E    MIROIR    II  IS  I  i  i  l;  I  ni   K  l.l,    I  I   (.  I   M  l,  \|     m   |;  \|  |   R 

tombeau  et  se  préparent  à  comparaître  devant  leur  Juge.  Dans  presque  toutes 
nos  cathédrales,  une  bande  du  I  ympancsl  consacrée  à  la  résurrection.  Los  artistes, 
élèves  dociles  des  théologiens,  v  ont  exprimé  plusieurs  nuances  délicates  qui 
nous  échapperaient  tout  à  lait,  si  nous  n'avions  recours  à  nos  guides  ordinaires. 


I  !■■     i-;.   —  Juge il  dernier    cathédrale  ili'  Bordeaux 

Pendanl  que  les  anges  sonnenl  de  leurs  longs  oliphants  <l  nuire,  les  morts 
m1  dressenl  du  lond  de  leur  tombe,  éblouis  «  par  le  i_; t ■  ; 1 1 1  <  1  jour  de  I  éternité 
[ls  ont  tous  les  veux  tournés  vers  la  lumière,  el  quelques  âmes  pures,  les 
mains  jointes,  se  réveillent  dans  l'attitude  de  la  prière  .  La  résurrection  a 
lieu  si  vite  [in  irtu  omit  ~  .  qu'au  premier  son  de  la  trompette  la  poussière 
humaine  à  déjà  repris  sa  forme.  Aussi  les  artistes  du  xin'  siècle  n  eurent-ils  pas 
l'idée  de  représenter  les  morts,  comme  le  lil    Luca  Sii^norclli,  à  Orvicto.  sous 


1   Xolammenl  à  Reims  ol  à  Bourges 

'■  C'esl  l'expression  qn'cniploioiil  tlouoi   us  d'An  luit  ri  Yincrul  de  Beauvais,  en  se  souvi'ii    « 


134 


L'ART  RELIGIEUX    IM     Mil      SIECLI 


I  ;i s j ><«  i  de  squelettes  décharnés,  ou  déjà  à  moitié  recouverts  de  chair. 
Ces  morts  ressuscites  sont  nus  ou  à  peine  voilés  de  leur  linceul  (fig.  i8o).  Une 
couronne  royale,  une  tiare  papale,  une  mitre  épiscopale  apparaissent  sur  quel- 
ques têtes  anxieuses,  et  rendent  plus  manifeste  l'égalité  «les  hommes  devant  le 
l  ribunal  de  I  tien.  L'art  du  moyen  âge  n'aime  pas  le  nu,  et  volontiers  l'évite  :  mais 
il  fallait,  sur  ce  point,  suivre;  l'enseignement  de  l'Eglise.  L'homme  doit  sortir  de 


Fig.   1 7  S .        Jugcmenl  dernier.  Saint-Sulpice  de  Favîères    Seine-et-Oise) . 


la  terre  comme  Dieu  l'en  a  tiré  au  commencement  du  momie.  En  ce  jour, 
chaque  être  réalisera  son  type,  cl  atteindra,  chacun  suivant  sa  loi,  à  la  beauté 
parfaite".  Les  se\e>  seront  conservés,  bien  <pi  ils  soient  devenus  inutiles  :  ils 
serviront,  toutefois,  à  manifester  la  toute-puissance  de  Lieu,  et  ils  embellironl 
de  leur  diversité  la  cité  éternelle3.  Les  hommes,  d'ailleurs,  n'auront  pas,  au 
moment  de  la  résurrection,  l'âge  (pi  ils  avaient  le  jour  de  leur  mort.  S'il  en  était 
autrement,  ils  ne  pourraient  réaliser  la  beauté  qui  est  la  loi  suprême  de  toute 
créature.   Ils  resteraient  en  deçà  de  leur  type  ou  l'outrepasseraient.   Us  renaî- 

1  A  S.iini  I  ri  ii  m  .le  Troycs,  ccpcndaiil  [jugement  dernier  de  la  lin  du  \ni  siècle,  moulage  au  Trocadéro  . 
mi  aperçoit  deux  tètes  de  rts. 

-  Elucid. .  cap.  \i.  el  Vinci  ni  do  Béarnais,  Spec.  hisl.  Epil.,  r.i|>  cxm.  Le  jugement  dernier  de  Notre- 
dc  Paris  nous  montre  1rs  morts  ressuscitant  habilles.  .M.ii>  toute  c<  tte  partie  du  tympan  a  été  refaite 
de  nos  jours.  Néanmoins,  quelques  figures  du  tympau  primitif  (au  musée  de  Cluny]  sont  habillées  :  c'est 
■  exee  plio 

\  inccnl  de  Boau> .,  lue.  cil. 


m:  miroir  historique        m;   IUGEMKNT  DEIIMKK  j'iï 

tront  donctous,  qu'ils  soient  morts  enfants  ou  vieillards,  avec  \'i\<>c  parfait  de 
trente  ans.  L'humanité  tout  entière,  en  effet,  doit  ressembler  à  son  divin  exem- 
plaire, à  Jésus-Christ,  qui  triompha  de  la  mort  précisément  à  cet  âge 

Cette  curieuse  doctrine  fut  prise  à  la  lettre  par  nos  artistes.  Dans  les  ju"'e 


-'i  Jugemenl  dernier    Amiens 


ments  derniers  du  xin'  siècle,  on  ne  voit  ni  un  entant  ni  un  vieillard.  Ce  sont 
de*-  corps  jeunes  et  beaux,  dans  la  plénitude  de  la  vie,  qui  se  lèvent  de  la 
tombe.  A  Bourges  le  plus  beau  de  nos  jugements  derniers  sculptés),  les 
morts  sont  nus-,  aucune  draperie  ne  dissimule  leur  sexe,  et  l'artiste  leur  a 
donné,  autant    qu'il   en  elaii    capable,    la    perfection   de  la  jeunesse  et    de   la 

1  /./  ,  loe.  cit.  Elucid.,  cap.  si,  col.  u6.j.   llonoiius  d    . 
Eccle.?.,  col.   ro85         Rcsurgenl  aulom  inorlui  ea  a; talc  i  i   qna   Clu  \  \  X 

.ii 1 1 1 1 1 .  1,1111  ml. m-  iinius Ii-  quani   alit|ui 

ralenti  h I  que  Jésus-Chrisl    esl    ressuscili 

l'avis  de  saint  Augustin,  qui  avauce  <| ne  Jésus-C li ris t  n'a  vécu  qui  \  '  I. 

i  i    Palrol    t.   \l.ll       la   rai   on  qu  il   en  donne  esl  qi 
x.nil  un  (îvèquc. 


i  16  L'ART    RELIGl  IMX    Dl     XIIIe   SI  ÈCLE 

beauté.  Le  délicieux  bas-relief  de  Rampillon  (fig.  i  S  i  lest  conçu  delà  même  manière. 

Après  la  résurrection  des  morts,  le  jugement.  C'est  Jésus  qui  juge,  mais  il 
ne  juge  pas  seul.  Les  apôtres  sonL  ses  assesseurs,  car  Jésus  leur  a  dit  de  sa 
bouche  :  '  Vous  serez  assis  sur  douze  troues  et  vous  jugerez  les  douze  tribus 
d'Israël1,  o  Delà,  l'habitude  de  présenter  les  douze  apôtres,  soit  aux  côtés  i\a 
juge,  soit  sous  ses  pieds,  comme  à  la  cathédrale  de  Laon,  au  portail  de  Saint- 
Urbain  de  Troyes  ou  à  la  rose  de  Sainte-Radegonde  de  Poitiers",  soit  enfin 
debout  dans  les  ébrasements  du  portail,  comme  à  Paris,  à  Amiens,  à  Chartres, 
à  I  !  e  1 1 1 1  s . 

Mais  I  acteur  principal  tic  la  scène  du  jugement  n'est  ni  Jésus  ni  le  collège 
apostolique,  c'est  l'archange  saint  Michel.  Il  est  debout,  vêtu  d'unelongue  robe 
à  plis  droits —  car  au  \in  siècle  il  ne  porte  pas  encore  l'armure  chevaleresque 
—  et  la  balance  est  suspendue  dans  sa  main.  Pies  de  lui,  une  âme  attend  en 
tremblant  que  son  sort  se  décide  :  dans  l'un  des  plateaux,  en  effet,  ont  été 
mises  ses  bonnes  aidons  et  dans  l'autre  ses  péchés.  Le  diable  est  présent,  car 
devanl  le  tribunal  suprême  il  remplit  le  rôle  d'accusateur'1.  Le  subtil  avocat  fait 
des  prodiges  île  dialectique.  Il  ose  jouer  au  plus  lin  avec  Dieu.  Convaincu  que 
le  noble  archange,  qui  regarde  droit  devant  lui  d'un  si  loyal  regard,  ne  soup- 
çonnera pas  sa  ruse,  il  donne  un  coup  île  pouce  à  la  balance'.  La  bassesse  de 
cette  friponnerie  de  marchand  d  "épiées  n'émeut  pas  saint  .Michel,  qui  ne  daigne 
rien  remarquer.  Mais  dans  sa  main  la  balance  l'ail  son  devoir  et  penche  du  côté 
qu'il  faut.  Satan  est  vaincu,  et  l'archange  caresse  doucement  la  petite  âme8. 

Où  les  artistes  ont-ils  trouvé  l'idée  d'une  scène  aussi  profondément  pathé- 
tique.' Aucun  texte  évangélique  ne  l'autorise  :  mais  elle  est  née  d'une  méta- 
phore aussi  vieille  (pie  l'humanité.  L'ancienne  Egypte  et  l'Inde  primitive 
avaient  déjà  imaginé  (pie  les  vices  et  les  vertus  seraient,  au  jour  du  jugement 
des  morts,  suspendus  dans  les  deux  plateaux  d'une  balance'.  Les  Pères  de 
I  Lglise   emploient  l'am il icreinen I   cette  comparaison   :  «   Les  bonnes  et  les  mau- 

1  Saiul  MaUliicu,  m,  28,  et  Elucid.,  cap.  mu. 

"  Ce  fui  la  manière  la  plus  ancienne  :  elle  rsi  usitée  à  I  époque  romane.  Sous  le  Dieu  de  l'Apocatj  pse 
entouré  des  quatre  animaux,  on  voil  1rs  douze  apôtres,  à  Sainl-Trophime  .1  Arles,  au  portail  vieux  de  Char- 
tres Ce  qui  prouve  une  fois  de  |iln>  que  la  grande  figure  apocalyptique  des  églises  romanes  est  ) > i ■  - 1 1  celle 
du  Dieu  juge. 

Leg,  aui   .  cap.  1. 

Vulle  pari  cette  scène,  dans  9a   bonhomie  populaire,  u  .1  été  mieux  rendue  qu  au   portail  de   Conques. 

":nl-  lr  vieux  jugemi  ni  dernier  d  A n,  les  ilmes  cherchent   un    refuge  smi>  la  robe  de   saint  Michi  I. 

'   Voir  M. mu.  la  Psyclioslasle    Rev    arcli  .  i.Sjj.  t.  I,  p     lJ3  el  suh     . 


LE    MIROIR    HISTORIQUE  l.i:    JUGEME.VI     DERNIER  ;  ;: 

vaises  actions,  dit  saint  Augustin,  seront  comme  suspendues  dans  une  balance 
ei    sj    la   multitude   «les   mauvaises    l'emporte,  le  coupable   sera   entraîné  dans 
I  Enfer'.  »  Et  saintJean  Cbrysostome  :  «    En  ce  jour,    nos  actions,  nos  paroles 
et  nos  pensées  seront  mises  dans  les  deux  plateaux,  et,  en  penchant  d'un  côté, 
la  balance  entraînera  l'irrévocable  sentence2.  » 

Reprise  maintes  lois  par  les  écrivains  et  les  prédicateurs  du  moyen  âge3,  la 
métaphore  happa  I  imagination  populaire  :  l'art  la  réalisa. 


Kig      1  'Su  UésUlTeCl  lilll    r|. 


Morts    kïlus  cl   Daninos,  Portail  dos  Libraires    Rouen  . 


Mais  on  remarque  dans  la  scène  de  la  pesée  des  aine-,  telle  que  le  \in  siè- 
cle la  conçut,  des  variantes  qui  montrenl  assez  qu  nue  œm  re  de  ce  genre  n  esl 
pas  née  d'un  enseignement  formel  de  l'Eglise.  Beaucoup  de  liberté  fui  laissée  ;ï 
la  fantaisie   des  artistes.  A   Chartres,   par  exemple,   un  des  plateaux  porte  une 

petite  figure  aux  mains  jointes,  qui   symbolise  les  bonnes  act s.  l'autre  une 

tète  hideuse  el  des  crapauds  qui  représentent  les  vices,  lîien  n  esl  plus  clair. 
Au  portail  de  la  Couture,  au  Mans,  les  deux  plateaux  nous  montrenl  deux  lois 
la  même  petite  ligure  aux  mains  jointes,  comme  si,  du  fond  de  no-  péchés,  une 
prière  pouvait  encore  monter  jusqu'à    Dieu.   A  Amiens,   l'Agneau  de  Dieu   esl 


'Saint   Augustin     Sernw   I  in   vi§     Peniecost    Molauus,   dans    son    Trait*  "     H. 

cap    sxin  .  veul   que   ''''  soit  de  ce   passage  do   saint    Augustin  que   dérivent    tontes   les   re| 
iiioj  in  âge  el  de  la  Renaissance. 

Cité  par  Vincenl  de  Béarnais.   <pec.  hisl     Kpil. ,  cap.   rxvui. 

Voir  plusieurs  exemples  dans    Mam-y,  op.  cit. 


i  18 


L'ART    RELIGl  EUX    1)1'    XIII     SI  ECLE 


dans  un  plateau,  une  tête  ignoble  tic  réprouvé  est  dans  l'autre'.  L'artiste  ici  a 
voulu  nous  signifier  que  si  nous  étions  sauvés,  ce  ne  pouvait  être  que  par  les 
mérites  de  Jésus-Christ,  et  que  ce  que  nous  appelons  nos  vertus  n'est  que  le 
don  de  sa  grâce.  A  Bourges,  une  autre  idée  est  exprimée.  Dans  l'un  des  pla- 
teaux de  la  balance  est  la  lampe  des  Vierges  sages,  dans  l'autre  une  figure 
hideuse  aux  oreilles  démesurées.  C'est  nous  laisser  entendre  que  noire  salut 
dépend  de  noire  vigilance.  L'artiste  de  Bourges  est  presque  pélagien,  tandis  que 
celui  d'Amiens  est  presque  janséniste  2. 

Il  reste  à  justifier  le  rôle  que  joue  saint  Michel   dans    la  scène  du  jugement 


li-     t8i .     -  Résurrection  des  Morts.  Abral accueillant  les  âmes    Rampillon 

dernier.  Pour  tout  le  moyen  âge,  saint  Michel  fui  l'introducteur  des  âmes  dans 
l'autre  vie,  le  saint  psychopompe.  Des  les  premiers  siècles  du  christianisme, 
l'Eglise,  désireuse  de  détourner  sur  saint  Michel  le  culte  que  les  Gallo-Romains, 
encore  païens,  rendaient  à  Mercure,  donna  à  l'archange  presque  toutes  les 
attributions  du  dieu.  Sur  les  ruines  des  anciens  temples  de  .Mercure,  qui  occu- 
paient généralement  les  hauteurs,  s'élevèrent  des  chapelles  dédiées  à  saint 
Michel.  Une  colline  de  la  Vendée  porte  encore  aujourd'hui  le  nom  significatif 
de  Saint-Michel-Mont-Mercure  .  Saint  Michel,  qui  était  déjà  le  messager  du  ciel, 
devint,  comme  Mercure,  le  conducteur  des  morts.  Le  rôle  funèbre  de  saint 
.Michel  esl  attesté  par  d'anciens  usages.  Les  chapelles  de  cimetières  lui  étaient 
dédiées  el  les  confréries  instituées  pour  ensevelir  les   morts  le  reconnaissaient 


I    agneau  esl  ancien,  mais  la  tète  du  réprouvé  esl  une  restauration. 
■'  J'ai  regardé  avec  beaucoup  d'attention  l'objel  qui  esl  dans  l'un  des  plateaux  de  la  balance  de  Bourg<  s, 
et  je  crois  que  c'est  une  lampe  pareille   .'i   celles   que   portent    1rs    Vierges  sages.  Si   l'on  voulait  3   voir  un 
calice    ce  qui  me  paraîl  difficile  .  ce  sérail  alors  la  me idéi  que  i  elle  qui  esl  exprimée  ..  Amiens. 

'  (Vnthyme  Sainl  Paul,  Histoire  monumentale  de  la  France,  p.  90.  Le  culte  de  saint  Michel  sur  1rs  hau- 
teurs a  été  étudié  pari  rosnier,  Bullel.  monument.,  1    \\\lll. 


LE    MIROIM    IIISTORIQI   E  LE  J  L'tiEM  ENT    DERNIER  jîg 

comme  patron  '.  Son  image  était  parfois  gravée  sur  les  pierres  I baies,  ou  sculp- 
tée sur  les  tombeaux2.  Enfin,  dès  le  moyen  âge,  l'offertoire  delà  messe  des  morts 
disait  expressémenl  :  a  Signifer  sanctus  Michael  repnosentet  eas  animas)  m 
lucem  sanctam.  »  Saint  Michel  esl  (lune  l'ange  de  la  mort,  et  c'est  à  ce  titre  qu'il 
préside  au  jugement  des  morts. 

Quand  le  jugement  est  terminé,  la  scène  suprême  commence.  Les  brebis 
sont  séparées  d'avec  les  boucs3,  les  bons  d'avec  les  méchants.  Ils  s'en  vont,  les 
uns  à  droite,  les  autres  à  gauche  du  .lune,   vers  les  récompenses  ou  les  peines 


Kig    iS>.     -  Séparation  des  Bons  ut  des  Méchants    Laon\ 

éternelles.  Les  démons,  d'abord,  s'emparent  des  condamnés,  les  réunissent  par 
une  chaîne  en  une  longue  file  et  les  entraînent  vers  la  gueule  béante  de  I  l.nler. 
On  trouve  à  peine  ici  la  trace  d'un  enseignement  dogmatique.  La  laideur  bes- 
tiale de  Satan  et  de  ses  aeolvles,  leur  gaieté  cynique,  les  privautés  qu  ils  pren- 
nent avec  plus  d'une  noble  dame,  le  désespoir  des  damnés,  tous  ces  traits 
relèvent  de  la  fantaisie  populaire.  Les  viees  ne  sont  pas  méthodiquement  dis- 
tingués. On  ne  discerne  guère  que  l'avarice  à  la  bourse  qu'elle  porte  au  cou.  au 
milieu  d'une  foule  de  péchés  anonymes  .  C'est  encore  un  sentiment  bien  popu- 


1  Voir  Lcbeuf,   Dissertai     sur  les  anciens   cimetières,   et    l/ist.    du   a  .  i     I,  |) 

Cocheris     II    iignale  une   chapcUu  de  Saiut-Mii  lu  I  dans  li    cimetière  des  Innocents. 

-  Saint   Michel  esl  représenté  port  an  l   laine  du  mort  sur  un  tombeau  du  \m     siècle 
gique    Lorrain.   Voir   Léon   Germain  de    Maid\  dans   le    Ballet,    mensuel  de  la   - 
juin  1909. 

Sainl   Matthieu,  xxv,    >       lj 

'Tympan   de    Saint-Yved    de    licaisne, u^.;<'    de   Soissons  ;    1 ail     lr   l.aon     II 

Reims     I  i  y     1  S  ; 


j4<  L'ART  RELIGIEUX   Dl     XIIIe  SI  ECLE 

laire  <|iii  a   poussé    l'artiste  à  mettre  îles  rois  ou  «les  évêques  au    nombre  des 
damnés1.  Le  sculpteur  s'esl  érigé  en  justicier  à  la  manière  île  Dante. 

Toutes  ces  inventions,  nées  dans  la  verve  des  artistes,  ne  doivent  rien  aux 
livres  des  théologiens.  On  trouve  cependant,  aux  portail  de  Bourges,  la  traie 
d'un  enseignement  doctrinal.  Les  démons,  en  effet,  sont  représentés  avec  une 
tète  humaine  dessinée  sur  le  ventre  <>u  sur  le  bas-ventre.  Qu'est-ce  à  dire  ?  sinon 
que  1rs  damnés  ont  déplacé  le  siège  de  leur  intelligence,  et  ont  mis  leur  âme  au 
service  île  leur  plus  bas  appétits.  Façon  ingénieuse  île  taire  comprendre  que 
l 'antre  déclin  est    tombé  au  niveau  de  la  bête. 


I ■' i_-     i fi  '>.        Les  I tamnés    Reims  . 

La  figure  de  l'Enfer,  telle  qu'elle  fut  représentée  au  moyen  âge,  procède 
également  des  commentaires  de  l'Ecole.  Presque  tous  les  jugements  derniers 
du  \in"  siècle  nous  montrent  une  énorme  gueule  ouverte  d'où  s'échappent 
des  flammes  et  où  les  damnés  sont  précipités.  (Test  d'une  gueule  pareille 
articulée  et  devenue  mobile,  que  sortent  les  diables  qui  jouent  un  si  grand  réde 
dans  les  Mystères  de  la  lin  du  w'  siècle. 

D'où  vient  qu'une  semblable  image  se  soit  transmise  avec  tant  de  fidélité  à 
travers  tout  le  moyen  âge?  La  raison  véritable  est  qu'elle  n'est  pas  née  il  un 
caprice  de  l'imagination  mais  d'un  texte.  La  gueule  île  l'Enfer  est  la  gueule  de 
Lé\  iatlian  dont  parle  le  livre  de  .lob.  On  se  m  m  vient  que  Dieu  lui-môme  s  adres- 
sant au  patriarche,  lui  décrit  le  monstre  qu'il  a  créé,  et  lui  demande  sévèrement  : 
«  Le  prendras-tu  à  l'hameçon  ?  Oui  pénétrera  dans  ses  mâchoires/  Qui  ouvrira 
les  po  rie-  de  sa  gueule  ?  Autour  de  ses  dents  habile  la  terreur.  I>es  lia  ni  m  es  jail- 

Vii. ni   .1   Krini-,  ,'i  Chartres  el  à  Bourges     portail  el  vitrail  du  jugement   dernier,  dans  le  chœur). 


LE    MIROIR   HISTORIQUE   —   LE   JUGEMENT   DERNIER  [4< 

lissent  de  sa  bouche,  clés  étincelles  s'en  échappent,  une  l'innée  sort  de  ses  narines 
comme  d'un  vase  qui  bout...  Il  lait  bouillir  h;  loiul  de  la  nier  comme  une 
chaudière1.  » 

De  bonne  heure,  les  commentateurs  du  livre  de  Job  (sain!  Grégoire  le 
Grand  est  l'un  des  plus  anciens)  recon- 
nurent dans  Léviathan  une  figure  de 
Satan  et  de  ses  œuvres.  Certains  pas- 
sages, interprétés  avec  une  subtilité  sur- 
prenante, eurent  au  moyen  âge  la  plus 
singulière  fortune.  Saint  Grégoire  le 
Grand,  par  exemple,  admet  que  le  verset 
où  il  est  parlé  de  l'hameçon  qui  prendra 
le  monstre  se  rapporte  à  la  victoire  de 
Jésus-Christ  sur  Satan  \  Les  plus  laineux 
interprètes  du  livre  de  Job,  Odon  de 
Cl ii n  v  ,  Brunon d'Asti  ',  transmirent  celte 
doctrine  à  Honorius  d'Autun,  qui,  ren- 
chérissant sur  eux  tous,  écrivit  :  «  Lévia- 
than, le  monstre  qui  nage  dans  la  nier  ilu 
monde,  c'est  Satan.  Dieu  a  lancé  la  ligne 
clans  cette  mer.  La  corde  de  la  ligne, 
c'est  la  génération  humaine  du  Christ;  le 
1er  de  l'hameçon,  c'est  la  di\  inité  de  .lésiis- 
Christ;  l'appât,  c'est  son  humanité.  Attiré 
par  rôdeur  de  la  chair,  Léviathan  veul  le 
saisir,  mais  l'hameçon  lui  déchire  la  mâ- 
choire \  0  L'Horlus  deliciarum,  le  fameux  manuscril  d'Herrade  de  Landsberg, 
contenait  une  miniature  <>u  la  pensée  des  commentateurs  du  livre  de  Job  avait 
pris  ligure  :  les  rois  de  Juda  formaient  la  corde  de  la  ligne,  et  Jésus,  avec 
I  hameçon,  déchirait  la  gueule  du  monstre    fig.  i  S  i  . 


Fig.  i  s  |  I  ,a  pèche  de  Lc\  iallian. 

Miniulure  de  VU  arum. 


1  .lob,  xxxix,    io,  et  xli,    i.  '>.  ii).  i  i . 

-  Job,  xi..  20,  et  s.iini  Grégoire    Moral,  in  Job    Palrol.,  t.  I.\\\  I 

i  (don  de  Cluny,  Epi  tout,  moral   m  J<,l>.  Palrol  ,  l.  e  \  \  \  I  [  [,  col. 
•  Brunon  'i  Asti,  lu  Job.  Palrol.,  t.  CLXIV,  col    685 

Honorius  d'Autun,  Spec.  Eccl.  Patrol.,   i    CLXXII, 


,,.  L'ART    RELIGIEUX    DU   Mil'    SIÈCLE 

Il  lui  admis  encore  que  le  passage  où  il  est  parlé  de  »  celui  qui  ouvrira  les 
portes  de  la  gueule  du  Léviathan  »  désignait  la  descente  de  Jésus-Christ  aux 
Enfers  et  sa  victoire  sur  Satan,  a  En  brisant  les  portes  de  l'Enfer,  dit  Brunon 
d'Asti,  Jésus-Christ  brisa  les  portes  derrière  lesquelles  Léviathan  cachait  son 
visage  '.  »  De  là  est  née  la  tradition  artistique  bien  connue  qui  consiste  à  repré- 
senter, dans  la  scène  de  la  descente  aux  Enfers,  près  des  portes  brisées  que 
Jésus  (ouïe  aux  pieds,  la  gueule  ouverte  de  Léviathan. 

Enfin,  les  versets  où  il  est  dit  que  «  les  flammes  jaillissent  de  sa  bouche, 
qu'une  fumée  sort  de  ses  narines  comme  d'un  vase  qui  bout,  et  qu'il  lait  bouillir 
le  fond  de  la  mer  comme  une  chaudière  »,  passèrent  pour  une  description 
exacte  de  l'Enfer.  Les  artistes  du  xme  siècle  traduisirent  en  effet  littéralement 
ces  images,  et  ils  poussèrent  le  scrupule  jusqu'à  représenter  dans  la  gueule 
ouverte  du  monstre  une  chaudière  en  ébullition.  Le  tympan  de  Bourges  (fig.  iS"> 
et  une  voussure  de  Notre-Dame  de  Paris  nous  en  (dirent  un  exemple. 

.Mais,  cette  exactitude  à  se  conformer  à  un  commentaire  théologique  ne  se 
rencontre  pas  dans  les  scènes  diverses  où  sont  représentés  les  supplices  des 
damnés.  Les  artistes  n'acceptèrent  pas  la  doctrine  de  saint  Thomas  et  de  la 
pluparl  des  théologiens  qui  prennent  les  supplices  de  1  Enfer  dans  un  sens 
symbolique.  «  Les  vers  qui  dévorent  les  réprouvés,  dit  saint  Thomas,  doivenl 
s'entendre  au  sens  moral,  et  signifient  les  remords  de  la  conscience  .  o  Les 
artistes  restèrent  fidèles  à  la  lettre.  A  Bourges,  des  serpents  et  des  crapauds 
dévorent  les  damnés,  pendant  que  des  démons  les  retournent  dans  la  chau- 
dière. Les  sculpteurs  du  moyen  âge,  rejetant  tout  symbolisme,  semblent  s  ins- 

pirer  des  vers   laineux   sur  les  supplices  éternels  qui  couraient    dans  I  Ecole  ■ — 

vers  atroces  qui  ressemblent  à  des  intruments  de  torture  : 

Nix,  nox,  vox.  lachrymae,  sulphur,  silis.  œstus; 
Maliens  cl  stridor,  spes  perdita,  vincula,  ver s  . 

Pendanl  que  l'épouvante  règne  a  la  gauche  du  Juge,  la  joie  éclate  a  -a  droite. 
L'artiste  a  choisi  le  moment  où  la  sentence  qui  ouvre  l'éternité  bienheureuse 

aux   (dus  vient   d'être   prononcée.  Nous  sommes  sur  le  seuil  du  Paradis.   Les   (dus 
portent    de  longues   robes,  ou   même  les  habits  de  leur  rang  et  de  leur  condi- 

1  Brunon  'I  Asli,  col.  688, 
Somme,  Supplcm    à  1m   V   partie.  Quoest,  XCYII,  art.  II. 
\  mr,  ni  de  Béarnais,  Spec    hist.  EpiL,  exix. 


LE   M  I  i;<  H  K    II  [S'I  ORIQUE 


LE    JUG  KM  EN  I     lii;i;.\  I  lin 


i-i'i 


Iniii  terrestres,  contrairement  à  la  doctrine  d'IIonorius  d'Autun,  qui  s'efforce 
de  démontrer  que  les  juste-,  ne  seront  revêtus  que  de  leur  innocence  el  de  la 
splendeur  de  leur  beauté1.  Les  artistes  du  moyen  âge,  soil  pour  se  conformer  à 
la  parole  de  l'Apocalypse  qui  parle  de  a  ceux  qui  ont  revêtu  des  robes  blan- 
ches2 »,  soit  plutôt  pour  rappeler,  jusqu'au  sein  de  la  béatitude,  les  luttes  de 
la  terre,  ont  préféré  donner  aux.  bienheureux  les  costumes  de  leur  ancien  état. 
Des  rois,  des  évoques,  des  abbés,  mêlés  à  la  foule  îles  âmes  saintes,  marchent 


r'ig.  i85.  —  Jugement  dernier.  Les  Damnés    L>om_ 


vers  le  ciel.  A  Bourges,  un  roi  s'avance  une  Heur  à  la  main.  Cette  délicieuse 
ligure  exprime  l'union  de  la  royauté  et  de  la  sainteté.  Le  souvenir  de  saint 
Louis,  mort  depuis  peu,  a  sans  doute  inspiré  l'artiste.  Ce  n  est  pas  un  portrait, 
c'est  l'image   idéale  du  roi  chrétien,  dont  saint  Louis  fut   le   type   achevé.    A 

Bourges,  il  apparaît  svelte  comme  un  chevalier,  et    o    beau  c< ne  un  ange 

pour  parler  comme  Kra  Salimbene,  le  peintre  charmant  du  saint  roi  .  Il  est 
remarquable  qu'à  Bourges  et  au  Mans  église  de  la  Couture  un  franciscain, 
ceint  du  cordon  à  triple  nœud,  marche,  en  même  temps  que  le  roi,  à  la  tète  des 
élus  '    (ig.  [86  .  L'arliste  de  la  lin  du  xme  siècle  eut  sans  aucun  doute  la  pensée 

1  Elucid  .  III.  11.  col.  i  n'.'.t. 
ipoi  al.,  vu,   i  ;. 

I  ra  Salimbene  faisant  le  portrait  de  sainl    l..juis,   le  décrit  ainsi  :      gracilis,    uiacilentus  el 
facie  ». 

1  Le  1  rauciscain  se  voit  aussi  à  Amiens;  c  est  lui  qui  entre  le  prcinii  i   d  iradis. 


444  L'ART   RELIGIEUX    Dl'    XIIIe   -SIÈCLE 

d'associer  dans  le  môme  hommage  les  deux  âmes  les  plus  pures  de  son  temps  : 
sainl  François  d'Assise  et  saint  Louis.  La  royauté  devenue  sainte,  et  Tordre 
récent  des  Franciscains,  voie  nouvelle  ouverte  au  salut,  furent  glorifiés  à 
Bourges,  à  Amiens  et  au  Mans  '. 

Les  élus  s'avancent  donc  vêtus  au  costume  qu'ils  portèrent  en  ce  monde; 
mais  des  anges  qui  se  tiennent  à  la  porte  du  ciel  s'apprêtent  à  les  revêtir  d'une 
magnificence  royale.  Ils  tiennent  des  couronnes  qu'ils  placent  sur  la  tète  de 
ceux  qui  franchissent  le  seuil.  Cet  épisode  ne  fait  défaut  clans  presque  aucune 


Eig.  1 86.  —  Jugement  dernier.  Les  Elus  [Bourges] 


des  représentations  du  jugement  dernier'.  A  Notre-Dame  de  Paris,  les  saints 
ont  déjà  reçu  leurs  couronnes,  et,  avant  même  d'entrer  dans  le  Paradis,  ils  res- 
semblent tous  à  des  rois.  A  Amiens,  les  anges,  des  couronnes  à  la  main,  forment 
une  frise  gracieuse  au-dessus  de  la  tète  des  élus.  Une  tradition  si  bien  établie 
ne  peut  s'expliquer  que  par  un  texte.  On  lit,  en  effet,  dans  l'Apocalypse  :  «  Sois 
fidèle  jusqu'à  la  mort,  et  je  te  donnerai  la  couronne  de  vie  '.  » 

Au  vestibule  du  Paradis,  qu'une  porte  rappelle,  parmi  les  anges  souriants, 
une  grave  ligure  attire  le  regard  :  c'est  saint  Pierre,  qui,  les  clefs  à  la  main, 
reçoit  les  nouveaux  venus  '.  Le  peuple,  à  ce  propos,  imagina  mille  jolis  contes, 

1  A  Conques,  au  su''  Biècle,  c'est  Charlemagnc,  qui  passail   pour   avoir  <;lc''  un  des  bienfaiteurs  de  l'ab- 

baye,  et  Les  ines  de  Saint  Benoît,  qui  sont  au  premier  rang  des  ('lus. 

-  Ou  U>  voit  à  Reims,  à  Chartres,  à  Bourges,  à  Amiens,  à  Rouen  (portail  <K's  Libraires). 

:l  A  pue  ni  ,  h,  io. 

4  Notamment  à  Amiens,  à  Bourges,  au  Mans  [la  Coulure 


LE    MIROIR    HISTORIQ1   E    —   LE   JUGEMENT    DERNIER  if. 

et  transforma  saint  Pierre  en  portier  du  ciel.  La  pensée  des  artistes  fui  plus 
profonde.  Saint  Pierre  n'est  qu'un  symbole  :  il  figure  le  pouvoir  de  lier  et  <le 
délier  (pie  Jésus  donna  à  l'Eglise  en  la  personne  du  premier  des  papes.  En  repré- 
sentant saint  Pierre  à  la  porte  du  Paradis,  les  artistes  ont  voulu  nous  rappeler 
que,  seule,  l'Eglise  catholique  a,  par  ses  sacrements,  le  pouvoir  de  nous  faire 
entrer  dans  la  vie  éternelle'.  A  Bourges,  le  maître  verrier  qui  a  composé  le 
vitrail  du  jugement  dernier,  enfermé  dans  un  champ  moins  étroit  que  le  sculp- 
teur, a  trouvé  la  place  de  développer  plus  longuement  cette  pensée  maîtresse. 
11  a  représenté  dans  le  bas  de  la  composition  le  sacrement  de  pénitence  sous 
la  figure  d'un  fidèle  agenouillé  devant  un  prêtre2. 


Cependant  nous  n'avons  pas  encore  pénétré  dans  le  Paradis  :  le  sculpteur, 
s'il  veut  achever  sa  «  divine  comédie  ».  doit  nous  introduire.  Il  1  a  essayé,  mais 
on  ne  peut  pas  dire  qu'il  y  ait  parfaitement  réussi.  Peut-être  prit-il  a  la  lettre 
la  parole  de  saint  Paul  :  a  L'œil  de  l'homme  n'a  jamais  vu.  son  oreille  n'a  jamais 
entendu,  son  cœur  n'a  jamais  senti  le  bonheur  que  Dieu  prépare  a  ses  élus  . 
I.  art,  d'avance,  s'avoua  vaincu. 

Une  ligure  archaïque  et  naïve  perpétue,  en  plein  \m  siècle,  I  image  du 
Paradis  tel  que  les  premiers  sculpteurs  romains  le  conçurent.  Le  patriarche 
Abraham,  assis  sur  son  troue,  porte  dans  son  sein  les  aines  des  justes'.  1  ne 
semblable  représentation.  Ires  conforme  d'ailleurs  à  l'enseignement  théolo- 
gique 5,  n'est  qu'une  sorte  d'hiéroglyphe.  A  Reims,  il  est  vrai,  l'artiste  a  lait  de 
merveilleux  efforts  pour  rendre  cette  métamorphose  expressive.  Des  anges, 
avec  une  délicatesse  exquise,  portent  sur  des  nappes  pures  !c-  âmes  de-  bien- 


1  Sur  les  clefs  (t.-  sainl  Pierre,  voir  Pierre  Lombard,  Sentent.,  lib.  IV.,  dist.  XVII]  :  Claves  isla;  non 
sunt  corporales  sed  spirituales,  sciliect  discernendi  scicutia  ■•!  potentia  judicaudi,  id  esl  ligandi  el  sol- 
vendi.   »  Patrul  .  t.  CXCII,  col.   885 

-  Vitraux  de  B 'ges,  pi-    III. 

:i  /  Corinth.,  n,  9, 

•   Exemples:  Laon,  Chartres,   Noir,' Dam,-  de   Paris,    Reims,    Bourges,    bas-reliel  el   vitrail; 

Rampillon   [flg,   1S1      Saint-Urbain  de  Troyes. 

6  Sainl    1  1 1 ,i~    Somme,    !'    partie.  Qua>st.  b-j,  arl    1   dit  expressément  qui    le  sein  d'Abraham  est  le  lieu 

de  repos  des  justes. 


i46 


L'AR'J     1  ;  1  ;  1 . 1  < .  I  EUX    Dl"    XIII'    SI  ECLE 


heureux  vers  le  sein  d'Abraham  (fig.  iS-).  Jamais  on  n'a  mieux  exprimé  le 
respecl  «le  l'âme  hùoiaine  et  la  loi  dans  1  immortalité;  mais  où  sont  les  joies 
du  Paradis.1  (  )ù  sont  les  divines  prairies  de  Fra  Angelico,  et  la  ronde  des  élus 
au  milieu  des  hautes  Heurs,  et  la  lumière  du  jour  qui  n'a  pas  de  fin? 

Esclaves  d'une  dure  matière,  prisonniers  des  lois  inflexibles  de  leur  ail,  les 
sculpteurs  n'ont  pas  tenté  d'exprimer  l'infini,  l'éternel.  Seul,  l'admirable  artiste 


Phot.  Martin  Sabou. 
l'ig.  iS;.  —  Les  âmes  portées  par  les  anges  dans  le  sein  'I  Abraham  (Reims), 


inconnu  de  Bourges  lit  un  noble  effort.  Sans  doute  ses  élus  ne  sont  pas  encore 
dans  le  ciel,  niais  les  lignes  de  ces  corps  bienheureux  sont  si  chastes,  une  telle 
joie  rayonne  sur  ces  visages,  qu'un  reflet  du  Paradis  est  sur  son  œuvre.  Ailleurs, 
quelques  détails  seulemenl  méritent  d'être  signalés.  A  Notre-Dame  de  Paris. 
deux  époux  se  sont  retrouvés  et  marchent  la  main  dans  la  main,  unis  pour 
jamais.  .\  Saint-Urbain  de  Troyes,  des  âmes  émergent  du  milieu  des  feuillages, 

apparaissent  parmi  les  «  saintes  I leurs  du  Paradis  ». 

Dante  lad  1res  bien  comprendre  l'impuissance  de  la  sculpture  à  exprimer  la 
béatitude  éternelle.  Son  Paradis  n'est  «pie  musique  et  lumière.  Les  âmes  sonl 
des  lueurs  qui  chantent.  La  (orme  s'évanouit,  dévorée  par  une  lumière  cent  fois 
plus  ardente  «pie  telle  du  soleil.   Le  Saint  des  Saints  est  une  immense  rose  aux 


LE    MIROIR  HISTORIQUE  LE  JUGEMENT    DERNIER  j  j7 

pétales  de  feu,  et,  tout  au  fond,  la  Trinité  se  laisse  entrevoir  sous  l'aspect  mys- 
térieux d'un  triple  cercle  de  flammes. 

Seules,  les  couleurs  limpides  d'un  Fra  Angelico  pourront  donner  à  cette 
éblouissante  vision  quelque  réalité.  La  couleur  nous  emporte  presque 
aussi  haut  que  la  musique.  Mais  que  fera  le  sculpteur  avec  sou  art  à  moitié 
païen,  et  ses  lourdes  figures  qui  semblent  porter  le  poids  de  la  faute  origi- 
nelle? 

Cependant,  la  sculpture  du  moyen  âge  était  trop  idéaliste  pour  ne  pas  tenter 
d'exprimer  l'inexprimable.  Au  moins  une  lois,  au  portail  de  Chartres,  l'art 
essaya  de  rendre  l'infinie  béatitude  des  «dus. 

Pour  comprendre  ces  figures,  il  faut  avoir  quelque  idée  de  la  doctrine  des 
théologiens  sur  la  vie  éternelle. 

Quand  le  monde  aura  été  jugé,  il  sera  renouvelé.  Tout  ce  qu'il  y  a  d'indisci- 
pliné et  d'indocile  clans  la  nature  :  le  chaud,  le  froid,  les  orages,  tous  les  désordres 
nés  du  premier  péché,  disparaîtront.  L'antique  harmonie  sera  rétablie.  Les 
éléments  seront  purifiés,  beau,  «pie  Jésus  a  sanctifiée  en  plongeant  son  corps 
dans  le  Jourdain,  deviendra  plus  éclatante  que  le  cristal.  La  terre,  cpie  les  mar- 
tyrs ont  arrosée  de  leur  sang,  se  couvrira  de  Meurs  immarcesciblcs '.  Le  corps 
des  justes  participera  à  la  rénovation  universelle  et  deviendra  glorieux.  L'âme 
elle-même  s'enrichira  de  dons  immortels.  Il  y  aura  sept,  dons  du  corps  el  sept 
dons  de  I  .une.  Les  dons  du  corps  seront,  la  beauté,  l'agilité,  la  lorec,  la  liberté, 
la  santé,  la  volupté,  la  longévité;  cl  les  dons  de  lame,  la  sagesse,  l'amitié,  la 
concorde,  I  honneur,  la  puissance,  la  sécurité,  la  joie.  Tout  ce  qui  nous  m  inqiui 
si  tristement  en  ce  monde,  nous  l'aurons  en  lin.  Le  corps  participera  de  la  nature 
i\<-  l'âme  :  il  sera  agile,  fort,  el  libre  comme  la  pensée.  L'âme  ne  sera  qu'har- 
monie :  elle  se  réconciliera  avec  le  corps  el  avec  elle-même. 

Saint  Anselme,  au  \i  siècle,  donna  la  première  classification  des  quatorze 
Béatitudes,  telle  que  nous  venons  de  l'indiquer2.  Le  système  qu  il  adopta  lui 
reproduit,  fidèlement,  ou  avec  de  très  légères  retouches,  par  tous  les  grands 
théologiens  du   moyen   âtre,   llonorius  d'Autun   .   s. uni    Bernard '.  saint  Th as 


/  lucid.,  III.  cap.  xv.  col.    m 
-  Le  Liber  de  bcalitndii  ■  patri.v  s,  mble  être   ilu  moine  Ëadmcr  île  Canlurl 

Anselme,    mais  il  n'i  :sl  que  la  reproduction  d'un  sermon  de  s;iint  Anselme    voir   Patrol  .  I.  CL1X,  col 
et  l.  CL"\  III.  col 

Elucid.,  III,  cap.  xvm,  col     1169,  et  Spec.  Eecles.  In  P 
•  .S;iini    Bernard,  De  vilico  iniquitatis.,  Pair.,  I    CLXXXIV,  <•'! 


',.j6  L'ART   RELIGIEUX    DU   XIII?   SIÈCLE 

d'Aquin  ',  saint  Bonaventure2,  Vincent  de  Beauvais  \  La  contemplation  des 
joies  promises  remplit  tous  ces  docteurs  d'une  sainte  allégresse.  Un  grand 
souffle  d'enthousiasme  soulève  Ilonorius  d'Autun.  Son  Elucidarium  devient  un 

poème  lyrique.  Le  maître  parle,  l'élève 
écoute  dans  l'extase  :  «  Le  Maître  : 
Ouelle  ne  serait  pas  ta  joie,  si  tu  étais 
aussi  fort  que  Samson...  —  L'Élève  : 
0  gloire!  —  Le  Maître  :  Que  dirais-tu 
si  tu  te  voyais  aussi  libre  qu'Auguste 
qui  posséda  le  monde  }  —  L'Elève  : 
O  splendeur  !  —  Le  Maître  :  Si  tu  étais 
aussi  sage  que  Salomon  qui  connut 
tous  les  secrets  de  la  nature  ?  — 
L'Elève:  0  sagesse! — ■  Le  Maître  :  Si 
tu  étais  uni  à  I  humanité  entière  d'une 
amitié  pareille  à  celle  de  David  pour 
Jonathan?  —  L'Elève  :  O  béatitude! 
—  Le  Maître  :  Si  ta  joie  égalait  celle 
du  condamné  à  mort  qui,  du  chevalet 
où  il  est  étendu,  est  appelé  soudain 
au  trône-?  -  L'Élève  :  O  majesté!...'  » 
Les  quatorze  dons  sublimes  de 
l'âme  et  du  corps  apparurent  aux  ar- 
tistes du  xme  siècle  comme  un  chœur 
de  quatorze  belles  vierges,  et  ils  les 
représentèrent  au  porche  nord  de  la 
cathédrale  de  Chartres"  (fig.  188). 
Les  ligures  de  Chartres,  bien  que  neuf  d'entre  elles  soient  désignées  par 
leurs  noms,  firent  beaucoup  travailler  l'imagination  des  archéologues.  Didron 
écrr\  il  en  i  <S  \-  un  brillant  article  pour  prouver  qu'elles  représentaient  les  vertus 


.M a  Sabon 

l "ig    iNti. —  Les  Béatitudes  del'Ame    Premier  rang 
des  voussures .  (  Iharlres  . 


1  Saiut  Thomas,  Somme,  Supplém.   )'   partie.  Quœsl    XCVI,  art.  5. 

2  Sainl   Bonaventure,  De  gloria  Paradisi. 

8  Ou  du  moins  l'auteur  'lu  Spéculum  morale,  quel  qu'il  soit.  Spec.  morale.,  lib.  11.  pars  IV. 
■  Elucid.,  lih.  III,  cap.  svni,  col.  1 169, 
Baie  di      aui  lu     porche  .  r    cordon  de  voussures. 


LE   MIROIR   HISTORIQUE   —    LE   JUGEMENT    DERNIER  i4g 

civiques1.  Il  ne  pouvait  assez  admirer  que  les  imagiers  du  xm°  siècle  aient  osé 
élever  une  statue  à  la  Liberté.  Les  naïfs  vieux  maîtres  devenaient  chez  lui, 
comme  ils  ne  sont  que  trop  souvent  chez  Viollet-le-Duc,  des  précurseurs  de  la 
Révolution  française. 

Deux  ans  après.  M""'  Félicie  d'Ayzac  publia  sur  le  même  sujet  une  brochure 
pleine  d'érudition  et  de  bon  sens'.  Elle  démon  trait 
sans  réplique  que  les  quatorze  statues  de  Chartres  ne 
représentaient  pas  les  vertus  du  citoyen,  mais  les 
quatorze  béatitudes  de  lame  au  sein  de  l'éternité,  con- 
formément à  la  classification  de  saint  Anselme.  C'est 
ainsi  que  nos  vieux  imagiers  se  trouvèrent  dépossédés 
du  brevet  de  civisme  que  leur  avait  octroyé  Didron. 

A  Chartres,  sur  quatorze  statues,  neuf  sont  nom- 
mées; ce  sont  :  la  Liberté,  l'Honneur,  l'Agilité,  la 
Force,  la  Concorde,  l'Amitié,  la  Majesté,  la  Santé,  la 
Sécurité.  Cinq  ne  sont  accompagnées  d'aucune  ins- 
cription; mais  M"1"  Félicie  d'Ayzac,  en  interprétant 
très  ingénieusement  les  attributs  mu  les  distinguent, 
a  reconnu  en  elles  :  la  Beauté,  la  .bue.  la  Volupté,  la 
Longévité,  la  Science. 

Ces  quatorze  Béatitudes  sont  autant  île  reines  cou- 
ronnées et  nimbées.  Elles  ont  une  noblesse  et  une 
naissance  divines.  Leurs  cheveux  flottent  librement  sur 
leurs  épaules;  leur  ample  robe  tombe  en  plis  calmes 
en  dessinant  les  lignes  pures  de  leur  beau  corps.  I)  une 
main  elles  tiennent  un  sceptre,  de  l'autre  elles  s'ap- 
puient a\  ce  légèreté  sur  un  grand  bouclier  orné  d'em- 
blèmes. Elles  ont  chacune  leur  blason.  La  Liberté  porte  deux  couronnes  pour 
l'appeler  que  les  souverains  sont  les  plus  libres  des  hommes.  L  Honneur  a  une 
double  mitre  sur  son  écu,  parce  que  la  mitre  esl  en  ellel  le  symbole  le  plu- 
haut  de  I  honneur.  C'esl  île  I  évèque  portant  la  nuire  sur  sa  tète  que  le  Psal- 
miste  a  dit  :  ci  Seigneur,  vous  l'avez  couronné  d  honneur  el  de  gloire  ;  vous  l'avez 


Fig.  1 89,       lui-  des  Béai  i1 

de    I  i dans  la    Vie   élei 

uellc    Chartres 


Annal,  arch.,  [847,  '•    I.  p.    i'.i- 

Les  statues  du  porche  septentrional  de  Chartres,  par  M"     Kolici     d  Vyzac,  Paris,   18.19. 


I  '" 


L'ART   RELIGIEUX    DU   XIIL    SIECLE 


tei 


établi    en    autorité    au-dessus   de    tout    ce  <|ui    est  sorti   de  votre  main  '.    »    La 

jouclier  l'aigle  dont  la   vieillesse    rajeunit  aux 

Science  a  pour  emblème  le  griffon  qui  con- 

hés.    Quelques-uns   des  attributs  des 

>ius  savants:  l'Agilité  porte  trois 

un  lion,  la  Concorde    [Ci g.    189) 

colombes,  la  Santé  îles  pois- 

un    château    fort    et     la 

irises. 


Longévité    a    sur  son 
feux  du    soleil,   et  la 
nait  les  trésors    ca- 
Béatitudes       sont 
flèches,   la    Force 
et    l'Amitié    des 
sons,  la  Sécurité 
Beauté       des 

Toutes      ces 
l'image  de    nos  à  mes 
Leur  sérénité,  leur  beauté 
monde    imparfait  au    chrétien 
temple,  et  lui  ouvrent  le  ciel.  Par 
radis  devient  visible;  et  on  ne  peut 
des    artistes    qui    créèrent    ces   nobles 
qu'ils  se  sont  laissé  vaincre  par  la  gran- 
deur   du   sujet  et  qu'ils  furent  impuissants 
à  exprimer  la  béatitude  éternelle. 

On    a    maintenant    une    idée   de   la    richesse 
d'invention  que  déployèrent  les  artistes  du  moyen 
âge    dans    l'agencement   de   la    scène  du  jugement 
dernier.  Et  nous  avons   même  négligé  plus  d'un  dé 
tail.  Nous  n'avons  pas  parlé,  par  exemple,  des  légio 
d'anges  et  de  saints  qui,   du  haut  des  voussures,  con- 
templent  l'œuvre    de  la  justice  divine.  A  Notre-Dame 
de  Paris,    de  charmants   anges   regardent,  appuyés  sur 
la  voussure  comme  à  un  balcon  du   ciel.  Nous  n'avons 
rien  dit  non  plus  des  figures  symboliques  qui  accompa- 
gnent souventle  motif  principal.  Les  plus  fréquemment 
représentées  sont  celles  des  Vierges  sagesetdes  Vierges 
folles.  Les  unes  se  tiennent  à  la  droite  du  juge  et  portent 
avec  fierté  leur  lampe  pleine  d'huile,   les  autres  sont  ran- 


belles  vierges    sonl 
lienheu  reuses. 

font  oublier  ce 
[|in    les   con- 
el 
pas 


W  r  ■  ~i  ï 

g     rqo.  Les    \  ierges 

fi illes.  I.  arbre   el    La  co- 
gnée  'Longponl 


1  C'esl  Innocent  III  lui-même  i|tii  applique  ce  passage  de  l'Écriture  à  l'évèque portant  La  mitre  :  De  sacro 
niions  mysterio,  L,  [4.  Patrol.,  t.  CGXVII,  col.  790. 


LE    MIROIR    HISTORIQUE      -   LE   JUGEMENT   DERNIER  ,.. 

gées  à  sa  gauche  et  laissent  pendre  tristement  leur  lampe  vide  (fig.  190  . 
Image  1res  claire  des  élus  et  des  réprouvés.  Les  unes  marchent  vers  une  porte 
ouverte,  les   autres  vers  une  porte  fermée1. 

Quelquefois  aussi,  comme  à  Amiens,  un  arbre  chargé  de  fruits  se  montre 
à  la  droite  du  juge,  et  un  arbre  see,  entamé  par  la  cognée,  se  voit  à  gauche.  Le 
sens  n'en  saurait  être  douteux  :  l'allusion  aux  peines  et  aux  récompenses  est 
évidente.  Mais  peut-être  ne  comprendrions-nous  pas  toute  la  pensée  des  artistes, 
si  Vincent  de  Beauvais  ne  nous  l'expliquait.  »  Les  réprouvés,  nous  dit-il, 
subiront  une  double  peine,  la  séparation  du  royaume  et  le  feu.  C'estlà,  ajoute- 
t-il,  la  hache  et  le  feu  dont  d  est  parlé  dans  l'Evangile,  où  il  est  dit  :  ci  'fout 
arbre  qui  ne  portera  pas  un  lion  fruit  sera  coupé  et  jeté  au  feu-.  »  La  hache 
symbolise,  comme  on  le  voit,  la  séparation  des  damnés  qui  seront  en  ce  jour 
retranchés  de  l'Eglise  triomphante. 

(  )n  remarquera  que  dans  toutes  les  représentations  du  jugement  dernier,  il 
n'y  a  nulle  trace  du  Purgatoire.  Rien  n'est  plus  logique.  Le  Purgatoire,  en 
effet,  participe  de  la  durée,  il  est  soumis  à  la  loi  du  temps.  Or,  après  le  juge- 
ment dernier,  le  monde  ne  peut  plus  être  conçu  que  sous  1  aspect  de  I  éternité. 
Il  n'y  a  donc  place  que  pour  le  Paradis  et  l'Enfer,  parce  que  seuls  le  Paradis 
cl  l'Enfer  sont  éternels. 

Ainsi  s'achève  l'histoire  du  momie.  L'artiste,  comme  Vincent  de  Beauvais, 
l'a  déroulée  tout  entière  devant  nous  avec  magnificence.  Il  nous  a  servi  de 
guide  à  travers  la  durée,  il  nous  a  conduits  depuis  l'éveil  <\\\  premier  homme 
sous  la  main  du  Créateur  jusqu'à  son  éternel  repos  dans  le  sein  de  Dieu. 

1    Les   exemples  sonl  très   nombreux    :   voussures  de    Laon,    Amiens,   Notre-Dame  de   l'.ni-,    Bourges 
autour  de  la  rose  qui  esl  au-dessus  du  tympan),    Reims,   etc.  Nous   avons  expliqué  ailleurs   assez  loi 
m.  ni    |,     !  15    le  symbolisme  de  cette  parabole  pour  que  nous  n'ayons  pas  à  y  revenir  ni 

-  Vincent  de  Beauvais,  Spec.  hist.  Epil.,  cap.   cxviu.    Les   deux  arbres    ainsi   que   les  Vierges  folles]  se 
roienl  aussi  au  portail  de  Longpoul    tig.    190 


CONCLUSION 


I.     Physionomie    de    chacune    de    nos    grandes   cathédrales  II      L'ordonnance    des 

SUJETS    A    ÉTÉ    RÉGLÉE  PAR  LE  CLERGÉ.  Les  ARTISTES  SON!     LES  INTERPRETES    DOCILES    DE    l\     PENSÉE 

de  l'Eglise,    L un euh   m.  Viollei  le-Duc.   Les  artistes  laïques   m    soni  pas  des  révoltés. 

III       \.\    CATHÉDRALE    ŒUVRE    DE    lui    II     d'aMOUII 


Victor  Hugo,  dans  un  des  chapitres  de  Notre-Dame  de  /'<//  is  où  la  lumière 
se  mêle  à  tant  d'ombre,  disait  :  o  An  moyen  âge,  le  genre  humain  n'a  rien 
pensé  d'important  qu'il  ne  l'ait  écrit  en  pierre.  »  Nous  avons  démontré  laborieu- 
sement ce  que  le  poète  avait  senti  avec  l'intuition  du  génie. 

Victor  Hugo  a  dit  vrai  :  la  cathédrale  est  un  livre.  C'est  à  Chartres  que  ce 
caractère  encyclopédique  de  l'art  du  moyen  âge  est  le  mieux  marqué;  chacun 
tles  Miroirs  y  a  trouvé  sa  place.  La  cathédrale  de  Chartres  est  la  pensée  même 
du  moyen  âge  devenue  \isil>le;  il  n'y  manque  rien  d'essentiel.  Ses  dix  mille 
personnages  peints  ou  sculptés  font  un  ensemble  unique  en  Europe. 

Plusieurs  autres  de  nos  grandes  cathédrales  étaient  peut-être  aussi  complètes 
t[iie  celle  de  Chartres,  mais  le  temps  h-  .1  moins  respectées.  .Nulle  part,  cepen- 
dant, n'apparaît  un  effort  aussi  suivi  pour  embrasser  tout  l'univers,  fel  chapitre 
seulement  est  développé  a  Amiens,  tel  autre  à  Bourges.  Cette  diversité  n'esl 
pas  sans  charme.  Chacune  de  nos  cathédrales  soit  que  le-  nommes  I  aient 
réellement  voulu  ainsi,  soit  que  le  temps,  en  anéantissant   le-  œuA  res  voisines, 

ad   r pu    l'équilibre  —  semble    destinée   a    mettre   plus  particulièrement  en 

relief  une  vente,   une  doctrine. 


,,,  L'ART   RELIGIEUX    DU   XIII'    SIÈCLE 

Amiens  est,  en  ce  sons,  une  cathédrale  messianique,  prophétique.  Les  pro- 
phètes de  la  façade,  jetés  en  avant  des  contreforts  comme  des  sentinelles, 
observent  l'avenir.  Tout,  dans  cette  œuvre  grave,  parle  de  l'avènement  prochain 
d'un  Sauveur. 

Notre-Dame  de  Paris  est  l'église  de  la  Vierge.  Quatre  portails  sur  six  lui 
sont  consacrés.  Elle  occupe  le  milieu  de  deux  des  grandes  roses  peintes:  dans 
l'une,  les  saints  de  l'Ancien  Testament,  dans  l'autre,  le  rythme  des  travaux,  des 
mois,  les  ligures  des  Vertus  s'ordonnent  par  rapport  à  elle.  Elle  est  le  centre 
des  choses.  Nulle  part  elle  ne  fut  plus  aimée.  Le  xn°  siècle  (porte  Sainte-Anne), 
le  xin"  (porte  de  la  Vierge),  le  xive  (bas-reliefs  du  nord)  la  célébrèrent  tour  à 
tour  sans  se  lasser. 

La  cathédrale  de  Laon  est  érudite.  Elle  semble  mettre  au  premier  rang  la 
science.  Les  Arts  libéraux,  accompagnés  de  la  Philosophie,  sont  sculptés  à  la 
façade  et  peints  sur  une  des  roses.  Elle  aime  à  présenter  l'écriture  sous  sa  forme 
la  plus  mystérieuse.  Elle  cache  les  vérités  du  Nouveau  Testament  sous  les  sym- 
boles de  l'Ancien.  On  sent  que  des  docteurs  fameux  ont  vécu  à  son  ombre.  Elle 
a,  elle-même,  la  figure  sévère  d'un  docteur. 

Reims  est  la  cathédrale  nationale.  Les  autres  sont  catholiques,  c'est-à-dire 
universelles,  elle  seule  est  française.  Le  baptême  de  Clovis  emplit  le  haut  du 
pignon.  Les  rois  de  France  sont  peints  sur  les  vitraux  de  la  nef.  Sa  façade  est  si 
riche  qu'il  est  inutile  de  la  décorer  les  jours  de  sacre.  Des  tentures  de  pierre 
sont  sculptées  au  portail,  de  sorte  qu'elle  est  toujours  prête  à  recevoir  les  rois. 

Bourges  célèbre  les  vertus  des  saints.  Ses  vitraux  illustrenl  la  Légende  dorée. 
La  vie  et  la  mort  des  apôtres,  des  confesseurs  et  des  martyrs  forment  une  cou- 
ronne éblouissante  autour  de  l'autel. 

Le  portail  de  Lyon  raconte  les  merveilles  de  la  création.  Sens  laisse  entre- 
voir l'immensité  du  monde  et  la  variété  de  l'œuvre  de  Dieu.  Rouen  ressemble  à 
un  riche  livre  d'Heures,  où  Dieu,  la  Vierge  et  les  saints  occupent  le  milieu  des 
pages,  pendant  que  la  fantaisie  se  joue  dans  les  marges. 

.\  exagérons  rien  toutefois.  Dans  chaque  cathédrale,  on  devine  le  désir  de 
donner  un  enseignement  encyclopédique.  Dans  chacune,  sans  doute,  un  cha- 
pitre du  Miroir  semble  développé  de  préférence,  mais  il  est  rare  que  les 
autres  ne  soient  pas  au  moins  indiqués. 

Par  les  statues  et  les  vitraux  de  l'église,  le  clergé  du  moyen  âge  essaya  d'en- 
seigner aux  fidèles  le  plus  grand  nombre  possible  de  vérités.  11  sentait  fort  bien 


CONCLUSION  [55 

la  puissance  de  l'ait  sur  des  âmes  encore  enfantines  et  obscures.  Pour  le  peuple 
immense  des  illettrés,  pour  la  foule  qui  n'avait  ni  psautier  ni  missel,  et  qui  ne 
retenait  du  christianisme  que  ce  qu'elle  en  voyait,  il  fallait  matérialiser  l'idée, 
la  revêtir  d'une  forme  sensible.  Au  xne,  au  xme  siècle,  la  doctrine  s'incarna  à  la 
fois  dan*-  les  personnages  des  drames  liturgiques  et  dans  les  statues  des  por- 
tails. La  pensée  chrétienne,  avec  une  puissance  merveilleuse,  se  créa  des 
organes.  Là  encore.  Victor  Hugo  a  vu  juste.  La  cathédrale  est  un  livre  de  pierre 
pour  les  ignorants,  que  le  livre  imprimé  a  peu  a  peu  rendu  inutile.  Le  soleil 
gothique  se  couche  derrière  la  gigantesque  presse  de  Mayence.  » 

A  la  fin  du  xvie  siècle,  le  christianisme  perd  sa  force  plastique,  devient  inté- 
rieur. 


Nul  doute  que  l'ordonnance  de  ces  grandes  pages  théologiques,  moi 
scientifiques  n'ait  été  réglée  par  le  clergé.  Les  artistes  ne  lurent  que  les  inter- 
prètes de  la  pensée  de  l'Eglise.  Dès  787,  les  Pères  du  second  Concile  de  Xicée 
s'expriment  en  ces  termes  :  La  composition  (\c>  images  religieuses  n'est  pas 
laissée  à  1  initiative  des  artistes  :  elle  relevé  des  principes  posés  par  l'Eglise 
catholique,  et  île  la  tradition  religieuse.  »  Et  plus  loin  :  '  L'art  seul  appartient 
au  peintre,  l'ordonnance  et  la  disposition  appartiennent  aux  Pères    . 

('.  est  bien,  en  Orient  comme  en  Occident,  au  mi  comme  au  \in  siècle,  la 
doctrine  de  I  Eglise.  L'étude  des  œuvres  il  art.  d'un  sens  souvent  si  profond, 
tpic  nous  avons  passées  en  revue  dans  les  précèdent-,  chapitre-  ne  laisse  aucun 
doute  a  cet  égard.  Quelle  apparence  que  île-  peintres  ou  de-  sculpteurs  aient 
imaginé  de-  œuvres  aussi  savantes  ?  -le  veux  bien  que  le-  artistes  du  moyen 
aient  eu  quelque  culture  littéraire  :  Villa  ni  de  llonnecoiii  t  -avait  le  latin  ".  .Mi- 
lle l,i  a  composer  des  vitraux  théologiques  comme  celui  de  la  Passion  à  I  ><  m 
ou  a  Chartres,  il  y  a  loin.  Des  verrières,  comme  celle  du  bon  Samaritain  a 
Bourges  et  a  Sens  .  ou  chaque  épisode  est  accompagné  de  -mi  interprétation 
symbolique,  supposent    la  plu-  solide    instruction   doctrinale.    Des  ensembles 


1  Labbe,  Coneil.,  t.  VIII,  col    f>ii    Syn    Nicœna,  II, 

2  II  écrit  sur  une  ;  n  .aluni         lllud  bre&biterium  riuro    invencrunt  Y!. 
court  ci  Petrus  de  Corbia  iater  se  disputa 


456  L'ART    RELIGIEUX    DU    XIIIe   SIÈCLE 

comme  le  portail  septentrional  de  Chartres  (portail  central),  où  chacune  des 
grandes  statues  christophores  personnifie  une  époque  de  l'histoire  du  monde, 
cl  symbolise  l'attente  des  nations,  n'ont  pu  être  conçus  que  par  des  clercs.  Ce 
sont  des  clercs  qui  ont  ordonné,  d'après  le  Spéculum  Ecclesias  d'Honorius 
d'Autun,  le  portail  gauche  (façade  occidentale)  de  la  cathédrale  de  Laon,  où  les 
héros  de  l'Ancien  Testament  nous  sont  présentés  comme  des  figures  de  la 
Vierge.  Ce  sont  des  clercs  encore  qui  ont  composé  le  vitrail  de  Lyon,  où  chaque 
événement  de  la  vie  du  Sauveur  est  mis  en  parallèle  avec  un  animal  du  Bes- 
tiaire, conformément  à  la  doctrine  du  même  Honorais  d'Autun. 

Partout  on  retrouve  la  main  des  hommesde  l'Ecole,  des  docteurs.  D'humbles 
artistes,  qui  ne  se  distinguaient  guère  alors  des  artisans  ',  auraient-ils  eu  l'idée 
d'aller  emprunter  à  Boèce  l'image  de  la  Philosophie,  et  de  graver  des  lettres 
grecques  sur  la  bordure  de  sa  robe,  ou  d'aller  chercher  dans  l'obscur  Martianus 
(  \w  |  ici  la  une  description  des  sept  Arts  ?  Même  dans  les  œuvres  populaires,  légen- 
daires, où  Ton  pourrait  croire  que  l'artiste  a  reproduit  spontanément  ce  qu'il 
savait  par  cœur,  on  retrouve  la  direction  de  l'Eglise.  N'avons-nous  pas  montré 
que  les  vitraux  du  Mans,  où  sont  racontés  quelques-uns  des  plus  fameux 
miracles  de  la  Vierge,  n'étaient  cpie  la  traduction  d'un  passage  du  Lection- 
naire  '.' 

Dans  toutes  les  œuvres  que  nous  avons  étudiées,  nous  avons  reconnu  des 
esprits  familiers  avec  l'ensemble  des  sciences  ecclésiastiques.  Il  ne  faut  pas 
oublier  que  chaque  cathédrale  était  une  école.  Dans  les  chapitres  se  rencon- 
traient les  hommes  les  plus  instruits  du  moyen  âge,  les  maîtres  les  plus  émi- 
nents.  Les  évoques  (''(aient  souvent  d'anciens  professeurs  et  des  docteurs 
émérites.  On  ne  peut  douter  qu'ils  n'aient  surveillé  la  décoration  de  leurs 
cathédrales,  et  qu'ils  n'en  aient  tracé  eux-mêmes  le  programme.  Ils  durent, 
dans  bien  des  cas.  remettre  aux  artistes  de  véritables  «  livrets  ». 

Le  seul  document  de  ce  genre  que  nous  ait  transmis  le  moyen  âge  est  le 
livre  que  Suger  a  consacré  à  l'église  de  Saint-Denis.  Les  pages  où  il  décrit  les 
vitraux  de   la  basilique  sont  capitales.   On  y   voil    que  l'abbé  avait  choisi  les 

1  Sur  la  condition  <lrs  artistes  au  moyen  âge  quelques  documents  précieux  onl  été  mis  en  lumière  par 
Quicheral  Mélanges  d'arch.  etd'kisl.,  i.  II1.  Les  artistes  qui  sculptent  le  jubé  de  la  cathédrale  de  l'royes 
in  i  18  i  sonl  traités  comme  de  simples  ouvriers.  Ils  travaillent  du  soleil  levant  au  soleil  couchant,  <  ju*i|u  à 
l'heure  qu  ils  pussent  avoir  souin'  »  lu  <lrs  mai  in- s  '!<■  I  uimr,  llnn-i  ■  I  «-  Iiruxclles,  se  marie  en  î  iiS  j  avec 
une  jeune  Dlle  de  Troyes  La  cérémonie  lui  fait  perdre  un  jour  :  les  chanoines  le  lui  retranchent  sur  son 
salaire    p     108  el  sui 


CONCLUSION  i  i - 

sujets,  qu'il  les  avait  savamment  ordonnés,  et  qu'il  avait  voulu  composer  lui- 
même  les  inscriptions  qui  rendent  ces  œuvres  symboliques  un  peu  moins  obs- 
cures. —  Nous  aurions  beaucoup  de  pages  aussi  probantes,  si  les  évêques  du 
xiii0  siècle  avaient  pris  la  peine  de  nous  raconter  l'histoire  de  la  construction 
et  delà  décoration  de  leurs  églises.  Malheureusement,  aucun  autre  document 
de  ce  genre  ne  nous  est  parvenu.  Il  faut  descendre  jusqu'au  xvc  siècle  pour  en 
rencontrer  quelques-uns.  En  i  '(•-">•  l'église  de  la  Madeleine,  à  Troyes,  lit  faire 
une  suite  de  tapisseries  représentant  l'histoire  de  sa  sainte  patronne.  On  se 
garda  bien  de  laisser  l'ordonnance  des  sujets  à  la  fantaisie  de  l'artiste.  «  Frère 
Didier,  jacobin,  avant  extrait  et  donné  par  écrit  l'histoire  de  sainte  .Made- 
leine, Jacquet,  le  peintre,  en  lit  un  petit  patron  sur  papier.  Puis  Poinsète,  la 
couturière,  et  sa  chambrière  assemblèrent  de  grands  draps  de  lit  pour  servir 
à  exécuter  les  patrons  qui  lurent  peints  par  Jacques  le  peintre  et  Symon  l'en- 
lumineur. »  Le  frère  jacobin  revint  à  plusieurs  reprises  au  cours  du  travail  pour 
s'assurer  que  le  peintre  restait  fidèle  à  son  livret.  Il  donnait  des  conseils,  en 
«  buvant  le  vin  »  avec  les  artistes  '. 

Nous  n'avons  pas  le  mémoire  du  frère  Didier,  mais  nous  avons  celui  qu  un 
anonyme  écrivit  quelques  années  après  dans  une  circonstance  semblable. 
L'église  Saint-Urbain  de  Troyes  désirait  avoir  une  suite  de  tapisseries  retraçant 
à  la  fois  l'histoire  du  pape  Urbain  et  celle  de  saint  Valérien  et  de  son  épouse. 
sainte  Cécile.  Un  clerc  (son  érudition  le  prouve)  écrivit,  en  puisant  à  diverses 
sources-,  un  canevas  d'une  telle  précision  qu'il  ne  laissait  rien  à  faire  à  1  ima- 
gination de  l'artiste.  Voici  un  passage  de  ce  curieux  manuscrit  : 

«  Sera  fa  i  et  et  pourtraict  unglieu  el  tabernacle  comme  à  manière  d  une  belle 
chambre,  dedans  laquelle  sera  la  dicte  saincte  Cécile  humblement  prosternée  .1 
deux  genoux  et  les  mains  joinctes,  faisant  manière  de  prier  Dieu.  El  auprès 
d'elle  sera  le  dict  Valérian  faisant  grande  admiration  et  regardant  un  ange, 
lequel  estant  dessus  leurs  chefs  tiendra  deux  coronnes  laide-  et  pourtraictes 
de  lys  et  de  roses,  desquelles  il  fera  manière  de  asseoir  et  poser  I  une  sur  le 
chef  de  saincte  Cécile  et  laull  re  sur  le  chef  du  dict  Valérian,  son  époux  ;  et  de 
la  bouche  d'icelluy  ange  sortira  un  grand  rosleau,  auquel  sera  escript,  si  pos 

1  Ph.  Guignard,   Mémoires  fournis  aux  peintres  pour  une  tapisserie  de   -  I  rbain  de   Troyes.  Lroycs, 

1  ,s">  i .  in-8,   p.  I  \ 

-  Voir  Ph.  Guignard,   op    cit.  L'anom se  serl  surloul  du  Spéculum  historiale  de  Vincent  de  Beauvais 

el  des  Chroniques  de  sainl  Antoniu,  mais  il  ronnail  encore  <l  autres  écrivains. 


|58  L'ART    RELIGIEUX   DU   XIII"   SIÈCLE 

sible  est,  ou  partye  :  lstas  coronas  mundo  corde  et  corpore  custodite,  quia  de 
paradiso  Dei  ad  voseasattuli,  nec  unquam  marcescent,  nec  odorem  amittenl  '.  » 

On  peut  conjecturer  que  l'usage  de  pareils  livrets  remonte  jusqu'au  com- 
mencement du  moyeu  âge.  Du  xnc  siècle  jusqu'à  la  Renaissance,  l'Eglise  ne 
s'est  jamais  relâchée  de  la  surveillance  qu'elle  croyait  devoir  exercer  sur  les 
œuvres  d'art. 

D'un  autre  côté,  nous  avons  vu  que  les  artistes  eux-mêmes  avaient  leurs 
traditions.  Dans  les  représentations  de  l'Évangile  on  ne  pouvait  se  départir  de 
certaines  règles  immuables.  L'Enfant,  dans  la  scène  de  la  Nativité,  devait  être 
couché  sur  un  autel.  Les  trois  Mages  devaient  représenter  par  leur  extérieur  les 
trois  âges  de  la  vie  :  jeunesse,  maturité,  vieillesse.  Jésus  sur  la  croix  devait 
avoir  sa  mère  à  sa  droite  et  saint  Jean  à  sa  gauche.  Le  centurion  lui  perçait  le 
ccHé  droit.  Dans  la  scène  de  la  Résurrection,  le  Sauveur  devait  sortir,  la  croix 
triomphale  à  la  main,  du  tombeau  grand  ouvert.  11  est  inutile  de  multiplier  ces 
particularités  que  nous  avons  étudiées  en  leur  lieu.  Ces  traditions,  nous  l'avons 
dit,  étaient  probablement  codifiées  :  un  manuel  écrit,  ou  tout  au  moins  des 
modèles  dessinés,  les  transmettaient  d'atelier  en  atelier,  de  génération  en 
génération.  Or,  ces  traditions  elles-mêmes  sortaient  de  l'Eglise;  ces  formules 
d'art  avaient  été  élaborées  en  Orient  et  en  Occident  par  les  moines  artistes  et 
théologiens  du  ix°,  <\n  \',  du  xi"  siècle.  Les  manuscrits  à  miniatures  permettent, 
sinon  de  remonter  jusqu'à  leur  origine,  au  moins  de  suivre  leurs  progrès.  Ainsi 
nous  trouvons  partout  la  pensée  chrétienne  et  le  dogme. 

Il  faut  donc  renoncer  à  l'aire  de  nos  vieux  artistes  du  moyen  âge  des  esprits 
indépendants,  inquiets,  toujours  prêts  à  secouer  le  joug  de  l'Église.  Victor 
Hugo  exprima  le  premier,  dans  Notre-Dame  de  Paris,  cette  idée  si  parfaitement 
fausse  :  «  Le  livre  architectural,  dit-il,  n'appartient  plus  au  sacerdoce,  à  la 
religion,  à  Rome  :  il  est  à  l'imagination,  à  la  poésie,  au  peuple...  11  existe  àcette 
époque,  pour  la  pensée  écrite  en  pierre,  un  privilège  tout  à  fait  comparable  à 
notre  liberté  de  la  presse  :  c'est  la  liberté  de  l'architecture.  Cette  liberté  va 
ires  loin.  Quelquefois  un  portail,  une  façade,  uneéglise  tout  entière  présentent 
un  sens  symbolique  absolument  étranger  au  culte,  ou  même  hostile  à  1  Eglise... 
Sous  prétexte  de  bâtir  des  églises,  l'art  se  développait  dans  des  proportions 
magnifiques.  » 

1  Ce  latin  esl  prunté  à  Vincent  de  Beauvais. 


CONCLUSION  ,  ... 

En  iSS'j.  quand  Victor  Hugo  écrivait  ces  lignes,  <>n  n'avait  encore  que  des 
notions  confuses  sur  l'iconographie  <lu  moyen  âge;  mais,  trente  ans  après, 
Viollet-le-Duc  était  moins  excusable  de  soutenir  le  même  paradoxe.  Dans  l'ar- 
ticle de  son  Dictionnaire  qu'il  a  consacré  à  la  sculpture,  il  reprend  l'idée  du 
poète.  «  L'art  dans  la  société  des  villes,  dit-il,  devient  au  milieu  d'un  état  poli- 
tique très  imparfait  — qu'on  nous  passe  l'expression  —  une  sorte  de  liberté  de 
lapresse1,  un  exutoire  pour  1rs  intelligences  toujours  prêtes  à  réagir  contre  les 
abus  de  l'état  féodal.  La  société  civile  vit  dans  l'art  un  registre  ouvert,  où  elle 
pouvait  jeter  hardiment  ses  pensées  sous  le  manteau  de  la  religion  :  que  cela 
fût  réfléchi,  nous  ne  le  prétendons  pas,  mais  c'était  un  instinct Si  l'on  exa- 
mine avec  une  attention  profonde  cette  sculpture  laïque  du  mu  siècle,  si  on 
l'étudié  dans  ses  moindres  détails,  on  y  découvre  bien  autre  chose  que  ce  qu'on 
appelle  le  sentiment  religieux.  Ce  qu'on  y  voit,  c'est  avant,  tout  un  sentiment 
démocratique  prononcé  dans  la  manière  de  traiter  les  programmes  donnes  '  , 
une  haine  de  l'oppression  qui  se  fait  jour  partout,  et,  cequiesl  plus  noble,  etce 
qui  en  fait  un  art  digne  de  ce  nom,  le  dégagement  de  l'intelligence  des  langes 
théocratiques  et  féodaux.  Considérez  ces  tètes  de  personnages  qui  gar- 
nissent les  portails  de  Notre-Dame.  Qu'y  trouvez-vous?  L'empreinte  de  l'in- 
telligence, de  la  prudence  morale  sous  toutes  ses  formes.  Celle-ci  esl  pensive 
et  sévère;  cette  autre  laisse  percer  une  pointe  d'ironie  entre  ses  lèvres  serrées. 
Là  sont  ces  prophètes  du  linteau  de  la  Vierge,  dont  la  physionomie  méditative 
finit  par  vous  embarrasser  comme  un  problème.  Plusieurs,  animes  d'une  foi 
sans  m  t'Iange,  ont  les  traits  d'illuminés  :  mais  combien  plus  expriment  un  doute, 
posent  une  question  et  la  méditent2.   » 

Nous  croyons  avoir  le  droit,  après  la  longue  étude  qui  précède,  de  nous 
inscrire  en  faux  contre  une  semblable  théorie,  que  \  iollet-le-Duc  n  appuie  d  ail- 
leurs d'aucun  fait. 

Non,  les  artistes  du  moyen  âge  ne  furent  ni  des  révoltés,  ni  des  «  penseurs  . 
ni  des  précurseurs  de  la  Révolution  :.  Il  esl  devenu  inutile  aujourd  hui  de  les 
présenter  sous  ce  jour  pour  intéresser  le  public  à  leur  œuvre,   Il  suffi)  de  les 


1  On  \"ii  que  Viollet-le-Duc  se  souvienl  de  Victor  Hugo. 

J  Uni.  raisonné  de  l'architect.,  i     VIII,  p.    iii  et  suiv.,   1866 
Sur  les  associations  d'ouvriers  qui  travaillèrent  aux  cathédrales,  voir  Schnaase,   tan.  arck.,  t    XI,  p. 
Nous  apprenons  que  les  francs  iu.in.n--  allemands,   encore  à  la  fin  du  \\"  siècle,  étaient   tenus    de  commu- 
nier chaque   année  sous  peine  d'exclusion. 


i6o  L'ART   RELIGIEUX    DU    XIII     SIÈCLE 

montrer  comme  ils  furent  vraiment  :  simples,  modestes,  sincères.  Ils  nous 
plaisent  mieux  ainsi.  Ils  lurent  les  interprètes  dociles  d'une  grande  pensée, 
qu'ils  mirent  tout  leur  génie  à  bien  comprendre.  Il  leur  fut  rarement  permis 
d'inventer.  L'Eglise  n'abandonna  guère  à  leur  fantaisie  que  les  parties  de  pure 
décoration.  Mais,  là.  leur  puissance  créatrice  se  déploie  librement  :  pour  orner 
la  maison  de  Dieu  ils  lui  tressent  une  couronne  de  toutes  les  cboses  vivantes. 
Les  plantes,  les  animaux,  toutes  ces  belles  créatures  qui  éveillent  la  curiosité 
et  la  tendresse  dans  l'âme  de  l'enfant  et  du  peuple,  naissent  sous  leurs  doigts 
Par  eux,  la  cathédrale  est  devenue  un  être  vivant,  un  arbre  gigantesque  plein 
d'oiseaux  et  de  (leurs.  Elle  ressemble  moins  à  une  œuvre  des  hommes  qu'à  une 
œuvre  de  la  nature. 


III 


Dans  la  cathédrale  tout  entière  on  sent  la  certitude  et  la  loi,  nulle  part  le 
doute.  Cette  impression  de  sérénité,  la  cathédrale  encore  aujourd'hui  nous  la 
donne  pour  peu  que  nous  voulions  nous  y  prêter. 

Oublions  pour  une  heure  nos  inquiétudes,  nos  systèmes.  Allons  vers  elle. 
De  loin  avec  ses  transepts,  ses  flèches  et  ses  tours,  elle  nous  apparaît  comme 
une  puissante  uel  en  partance  pour  un  longvoyage-.  Toute  la  cité  peut  s'embar- 
quer sans  crainte  dans  ses  robuste  lianes. 

Approchons-nous.  Au  porche,  nous  rencontrons  d'abord  Jésus-Christ, 
comme  le  rencontre  tout  homme  qui  vient  en  ce  monde.  Il  est  la  ciel  de 
I  énigme  de  la  vie.  Autour  de  lui  une  réponse  à  toutes  nos  questions  est  écrite. 
Nous  savons  comment  le  monde  a  commence  et  comment  il  finira.  Des  statues, 
dont  chacune  est  le  symbole  d'un  âge  du  monde,  nous  en  mesurent  la  durée. 
Tous  les  hommes  dont  il  importe  que  nous  connaissions  l'histoire,  nous  les 
avons  sous  les  veux.  Ce  sont  ceux  qui,  sous  l'Ancienne  ou  la  Nouvelle  Loi, 
lurent  des  types  de  Jésus-Christ  :  car  les  hommes  n'existent  qu'autant  qu'ils 
participent  à  la  nature  du  Sauveur.  Les  autres,  rois,  conquérants,  philosophes, 
ne  sont  que  des  noms,  des  ombres  vaines.  Ainsi  le  monde  et  l'histoire  du 
monde  nous  de\  iennent   clairs. 

.Mai-  notre  histoire  à  nous-même  est  écrite  à  cote  de  celle  de  ce  vaste  uni- 
vers.   Nous  y  apprenons  que  notre    vie  doit  être  un  combat  :   lutte   contre   la 


CONCLUSION  j6i 

nature  à  chaque  mois  de  l'année,   lutte  contre  nous-même  à  tous  les   instants, 
éternelle  Psychomachie.  A   ceux  qui  ont  bien  combattu,  des  anges,  du  liant  du 

ciel,  tendent  des  couronnes. 

Y  a-t-il  place  ici  pour  un  doute,  ou  seulement  pour  une  inquiétude  de  l'es- 
prit? 

Pénétrons  dans  la  cathédrale.  La  sublimité  des  grandes  lignes  verticales  agil 
d'abord  sur  lame.  II  est  impossible  d'entrer  dans  la  grande  net  d  Amiens  sans  se 
sentir  purifié.  L'église,  par  sa  seule  beauté,  agit  comme  un  sacrement.  Là  encore 
nous  retrouvons  une  image  du  monde.  La  cathédrale,  connue  la  plaine,  comme 
la  forêt,  a  son  atmosphère,  son  parfum,  sa  lumière,  son  clair-obscur,  ses 
ombres.  Sa  grande  rose,  derrière  laquelle  le  soleil  se  couche,  semble  être,  aux 
heures  du  soir,  le  soleil  lui-même,  prêt  à  disparaître  à  la  lisière  dune  forêt  mer- 
veilleuse. Mais  c'est  un  monde  transfiguré  où  la  lumière  est  plus  éclatante  que 
celles  de  la  réalité,  où  les  ombres  sont  plus  mystérieuses.  Déjà  nous  nous  sen- 
tons au  sein  de  la  Jérusalem  céleste1,  de  la  cité  future.  Nous  en  goûtons  la  paix 
profonde.  Le  bruit  de  la  vie  se  brise  aux  murs  du  sanctuaire  et  devient  une 
rumeur  lointaine.  Voilà  bien  l'arche  indestructible,  contre  laquelle  les  vents  ne 
prévaudront  pas.  Nul  lieu  au  monde  n'a  empli  les  hommes  d'un  sentiment  de 
sécurité  plus  profonde. 

Ce  (pie  nous  sentons  encore  aujourd'hui,  combien  plus  vivement  le  senti- 
rent les  hommes  du  moyen  âge.  La  cathédrale  fut  pour  eux  la  révélation  totale. 
Parole,  musique,  drame  vivant  des  mystères,  drame  immobile  des  statues,  tous 
les  arts  s'y  combinaient.  C'était  quelque  chose  de  plus  que  I  art.  c  était  la  pure 
lumière  avant  qu'elle  ait  été  divisée  en  faisceaux  multiples  par  le  prisme. 
L'homme,  enfermé  dans  une  classe  sociale,  dans  un  métier,  dispersé,  endetté 
par  le  travail  de  tous  les  jours  et  par  la  vie,  v  reprenait  le  sentiment  de  I  unité 
de  sa  nature.  Il  y  retrouvait  l'équilibre  et  l'harmonie.  La  foule,  assemblée  pour 
les  grandes  fêtes,  sentait  qu'elle  ('tait  elle-même  l'unité  vivante.  Elle  devenait 
le  corps  mystique  du  Christ  dont  Lame  se  mêlait  a  -on  .une.  Le>  fidèles  étaient 

1  C'est  bien  ainsi  que  le  moyen  âge  définil   l'église    L'acte  par  lequel   le   chapitre  de   l'abbaye  de  s. ma- 
lin.-n  décide   il.'  continuer   l'église  co icncc  ainsi      ■    Urbem  beatam  Jérusalem,  quœ  redificattir  m  i 

non  saxorui « >1 1 1 > <■  ^  -.,-,1  ,\  vivis  lapidibus,  qua:  virtutum  soliditatc  Grmalur   et  sanctorum  socielatc  nun- 

quam  dissolvcnda  extruitur,  sacro  sancta  militait*  licclesia  mat.  r  nostra  per  manu  factam  .-i  materialem 
basilic; 'epra;sentat.  a  Quicheral,  Mélanges,  t.  II.  |>  217.  Jean  de  Jandun,  qui.  en  1  !-j  '..  dérrivit  Notre- 
Dame  de  Paris,  .lit  en  parlant  de  la  chapelle  de  la  \  ii  rge  qui  esl  derrière  le  chœur  :  En  \  entrant  on  se 
croit  ravi  au  ciel  •■!  introduit  dans  une  des  plus  belles  chambres  du  Paradis.  1  De  I.audib.  Paris,  [édil. 
Leroux  de  Lincy,  Paris,   [856 


L'ART   RELIGIEUX    DU   XIII1    SIECLE 

l'humanité,  la  cathédrale  était  le  monde,  et  l'esprit  de  Dieu  emplissait  à  la  fois 
l'homme  et  la  création.  Le  mot  de  saint  Paul  devenait  une  réalité  :  on  était,  on 
se  mouvait  en  Dieu.  Voilà  ce  que  sentait  confusément  l'homme  du  moyen 
âge,  au  beau  jour  de  Noël  ou  de  Pâques,  quand  les  épaules  se  touchaient,  quand 
la  cité  tout  entière  emplissait  l'immense  église. 

Symbole  de  foi,  la  cathédrale  lut  aussi  un  symbole  d'amour.  Tous  y  travaillè- 
rent. Le  peuple  offrit  ce  qu'il  avait  :  ses  bras  robustes.  Il  s'attela  aux  chais, 
porta  les  pierres  sur  ses  épaules.  Il  eut  la  bonne  volonté  du  géant  saint  Chris- 
tophe'. Le  bourgeois  donna  son  argent,  le  baron  sa  terre,  l'artiste  son  génie. 
Pendant  plus  de  deux  siècles  toutes  les  forces  vives  de  la  France  collaborè- 
rent. De  là  la  vie  puissante  qui  rayonne  de  ces  œuvres  éternelles.  Les  morts 
mêmes  s'associaient  aux  vivants.  La  cathédrale  était  pavée  de  pierres  tombales. 
Les  générations  anciennes,  les  mains  jointes  sur  leurs  dalles  funèbres,  conti- 
nuaient à  prier  dans  la  vieille  église.  En  elle  le  passé  et  le  présent  s'unissaient 
en  un   même  sentiment  d'amour.  Elle  était  la  conscience  de  la  cité. 

Il  faut  comparer  l'ait  du  moyen  âge  à  l'art  des  siècles  suivants,  du  \vi"  et  du 
xviic  pour  en  sentir  toute  la  grandeur.  D'un  côté  un  art  national,  né  de  la 
pensée  et  de  la  volonté  communes,  de  l'autre  un  art  d'importation  quin'a  aucune 
racine  profonde.  Comment  le  peuple  s'intéresserait-il  à  Jupiter,  à  Mars,  à  Her- 
cule, aux  héros  de  la  Grèce  et  de  Home,  aux  douze  Césars  qui  désormais  pren- 
nent la  place  des  douze  apôtres?  Il  cherche,  ce  peuple  naïf,  saint  Jacques  avec 
son  bourdon,  il  veut  voir  sainte  Anne,  les  clefs  pendues  au  côté  comme  une 
bonne  ménagère,  apprenant  à  lire  à  la  petite  Marie,  et  on  lui  montre  Mercure 
et  son  caducée,  Cérès  et  Proserpine.  D'ailleurs,  ces  œuvres  raffinées  ne  sont 
pas  faites  pour  lui  :  elles  sont  destinées  à  orner  le  cabinet  d'un  riche  financier 
ou  la  terrasse  d'un  château  royal.  Les  Mécènes,  les  amateurs  apparaissent. 
L'art  se  met  au  service  des  caprices  d'un  particulier. 

Au  xni"  siècle,  riches  et  pauvres  ont  les  mêmes  joies  artistiques.  Il  n'y  a 
pas  d'un  coté  le  peuple  et  de  l'autre  une  classe  de  prétendus  connaisseurs. 
L'église  est  la  maison  de  tous,  l'art  traduit  la  pensée  île  tous.  C'est  pourquoi, 
si  notre  ait  du  x\i"  ou  du  \vn"  siècle  nous  apprend  peu  de  chose  de  la  pensée 
profonde  de    la  France  de  ce  temps-là,   notre   art  du  xme  siècle,  au  contraire, 

'  Su i-  l'empressement  du  peuple  à  travailler  aux  cathédrales,  voir  la  lettre  d'Hugues,  archevêque  de 
Rouen  [Patrol  ,  t.  CXCII,  col  n33),etla  lettre d'Haimon,  abbédeSaint-Pierre-sur-Dives  (L.  Delisle,  Bibl. 
</-■  l'École  des  Chartes,  V  série,  t.  I). 


CONCLUSION  |63 

exprime  pleinement  une  civilisation,  un  âge  de  l'histoire.  La  cathédrale  peut 
tenir  lieu  de  tous  les  livres. 

Et  ee  n'est  pas  seulement  le  génie  de  la  chrétienté,  c'est  le  génie  de  la 
France  qui  éclate  ici.  Sans  doute,  les  idées  qui  ont  pris  corps  dans  nos  cathé- 
drales ne  nous  appartiennent  pas  en  propre  :  elles  sont  le  patrimoine  commun 
de  l'Europe  catholique.  Mais  la  France  se  reconnaît  à  sa  passion  de  l'universel. 
Seule,  elle  a  su  faire  de  la  cathédrale  une  image  du  monde,  un  abrégé  de  l'his- 
toire, un  miroir  de  la  vie  morale.  Ce  qui  appartient  encore  à  la  France,  c'esl 
l'ordre  admirable  qu'elle  a  imposé  à  cette  multitude  d'idées  comme  une  loi 
supérieure.  Les  autres  cathédrales  du  monde  chrétien,  qui  toutes  sont  posté- 
rieures aux  mitres,  n'ont  pas  su  dire  tant  de  choses,  ni  les  dire  dans  un  si  bel 
ordre.  Il  n'y  a  rien  en  Italie,  en  Espagne,  en  Allemagne,  en  Angleterre  qui 
puisse  se  comparer  à  Chartres.  Nulle  paît  on  ne  trouve  une  pareille  richesse 
de  pensée.  Si  l'on  songea  tout  ce  que  les  guerres  religieuses,  le  mauvais  -dût 
et  les  révolutions  ont  détruit  dans  nos  cathédrales,  la  riche  Italie  elle-même 
paraîtra  pauvre  '. 

Quand  donc  voudrons-nous  comprendre  que,  dans  le  domaine  de  l'art,  la 
France  n'a  jamais  rien  lait  de  plus  grand? 


'  Il  y  .nu-, ni  à  faire  une  intéressante  statistique  des  grandes  œuvres  'In  moyen  âge  qui  oui  été  di  truites 
en  i  'ii).i  par  les  guerres  de  religion,  au  xvm'  siècle  par  les  chapitres,  en  i  -•,  i  par  la  Révolution,  el  au 
commencement  du  xiv  siècle  par  la  baude  noire  ;  on  comprendrait  alors  quelle  prodigieuse  puissance  artis- 
tique il  y   a  eu  chez  nous  au  moyen  âge. 


APPENDICE 


LISTE  DES  PRINCIPALES  ŒUVRES  CONSACREES  A  LA  VIE  DE  JESUS-CHRIST 

(  FIN     DIS     XIIe,      Mil'      I.  I      XIVe    Ml  CL]  S) 

Notre-Dame  de  Paris 

—  Portail  septentrional.  <  >n  y    voit   sculpté  le  cycle  de  l'Enfance  depuis  la   Nati- 
vité jusqu'à  la  Fuite  en  Egypte  (fin  ilu  \in    siècle). 

-  Sculptures  de  la  clôture  du  chœur  Série  évangélique  très  typique.  11  manque 
une  partie  de  la  Passion,  qui  a  été  détruite  On  voit  :  la  Visitation,  l'Annonce  aux 
Bergers.  l'Adoration  des  Mages,  le  .Massacre  des  Innocents,  la  Fuite  en  Egypte,  la 
Présentation  au  Temple.  Jésus  et  les  docteurs,  le  Baptême  de  Jésus,  les  Noces  de 
Cana,  I  Entrée  à  Jérusalem,  la  Cène,  le  Lavement  des  pieds,  le  Jardin  des  Oliviers 
(lacune  ,  le  Noli  me  tangere,  le  Chris!  et  les  trois  Maries.  l'Apparition  a  sa  ml  Pierre, 
les  disciples  d'Emmaùs,  l'Apparition  le  soir  de  Pâques,  l'Incrédulité  de  saint  Tho- 
mas, la  Pèche  miraculeuse,  Jésus  apparaissant  deux   l'ois   aux   apôtres     \i\     siècle  , 

Sainte-Chapelle 

—  A  la  Sainte-Chapelle,  ou  toul  l'Ancien  Testament  esl  raconté,  il  n  \  a  que  deux 

vitraux   consacrés   à  Jésus-Christ.    C'est,  comi l'habitude,  le   vitrail  de  l'Enfance 

(la  légende  de  saint  Jean  l'Èvangéliste  complète  le  vitrail]  et  le  vitrail  tle  la  Passion 
.dans  l'axe  :  \im    siècle  . 

Chartres. 

-  Au  portail  vieux,  des  chapiteaux  historiés  nous  montrenl  la  vie  de  Jésus-Chrisl 
représentée  suivant  la  formule  que  nous  avons  indiquée  :  Enfance  \'ati\  itè,  annonce 
aux   Bergers,   Adoration   des   Mages,   Fuite    en    Egypte,    Massacre    des    Innocents, 


,i,i,  APPENDICE 

Circoncision,  Jésus  et  les  docteurs).  —  Vie  publique  (Baptême,  Tentation).  — 
Passion  (Entrée  à  Jérusalem,  Gène,  Lavement  des  pieds,  Jésus  au  Jardin  des  Oliviers, 
Mise  au  tombeau,  les  Saintes  Femmes  au  tombeau,  les  Pèlerins  d'Emmaùs,  Appa- 
rition aux  apôtres)." Quelques  chapiteaux  ont  été  intervertis  (xue  siècle). 

—  Vitraux  consacres  à  la  vie  de  Jésus-Christ  au-dessus  du  portail  occidental.  On 
y  voit  les  scènes  ordinaires.  Dans  le  premier  :  l'Annonciation,  la  Visitation,  la  Nati- 
vité, l'Annonce  aux  Bergers,  l'Adoration  des  Mages,  le  Massacre  des  Innocents,  la 
Présentation,  la  Fuite  en  Egypte,  le  Baptême,  l'Entrée  à  Jérusalem. 

|i;ins  le  second  :  la  Transfiguration,  la  Cène,  le  Lavement  des  pieds,  la  Trahison 
de  Judas,  la  Flagellation,  la  Crucifixion,  la  Mise  au  tombeau,  la  Résurrection,  les 
Apparitions  à  Madeleine,   aux  disciples  d'Emmaùs    x  1 1°  siècle). 

-   l'n  vitrail  du  pourtour  du  chœur  consacré  à   la  Vierge  montre,  en  outre,  le 
miracle  de  Cana  et  la  Transfiguration  (xmc  siècle). 

Bourges. 

—  Vitrail  de  la  Passion  depuis  l'Entrée  à  Jérusalem  jusqu'à  la  Descente  aux 
limbes  (xiiie  siècle). 

Sculptures  du  Jubé.  Elles  étaient  consacrées  à  la  Passion,  à  la  Résurrection,  à  la 
Descente  aux  enfers,  comme  le  prouvent  les  beaux  fragments  conservés  au  Louvre 
et  au  Musée  de  Bourges   (fin  du  xin'  ou  commencement  du  xiv'   siècle). 

Tours 

Vitrail  de  l'Enfance  représentant  à  la  ibis  l'arbre  de  Jessé  et  les  scènes  de 
l'Enfance  de  Jésus-Christ  (Annonciation,  Visitation,  Nativité,  Annonce  aux  Bergers, 
Adoration  des  Mages,  Massacre  des  Innocents,  Fuite  en  Egypte  ;  xm"  siècle). 

Vitrail  de  la  Passion  (Entrée  à  Jérusalem,  la  Cène,  le  Baiser  de  Judas,  la  Fla- 
gellation, le  Portement  de  croix,  Jésus  en  croix.  Mise  au  tombeau,  Limbes,  Saintes 
femmes  au  tombeau,  Noli  me  tangere  ;  xnr  siècle). 

(les  deux  vitraux  ont  été  publiés  par  Marchand  et  Bourassé  :  Verrières  du  chœur 
deTours,  VII  et  NUL  Les  deux  suivants,  qui  se  trouvent  dans  la  chapelle  absidale 
placée  dans  l'axe  de  l'église,  n'ont  pas  été  publiés: 

Vitrail  de  l'Enfance  Annonciation,  Visitation,  Nativité.  l'Ange  et  les  Bergers, 
les  Mages  en  voyage,  les  Mages  devant  Hérode,  Adoration  des  Mages.  Présentation 
au  Temple,  Départ  des  Mages  en  bateau,  Massacre  des  Innocents,  Fuite  en  Egypte  ; 
xm'  siècle  . 

Vitrail  de  la  Passion  Cène,  Lavement  des  pieds,  Jardin  des  Oliviers,  Fla- 
gellation, Jésus  devant  Pilate.  Portement  de  croix.  Crucifixion,  Sortie  du  tombeau, 


APPENDICE  i.,: 

Xoli   me    tangere,  Pèlerins   d'Emmaiis,    Incrédulité   de    sainl    Thomas,  Pasce  oves  ; 
XIIIe  siècle). 

Sens. 

-  Vitrail  de  l'Enfance  (Nativité,  Annonce  aux  Bergers,  Fuite  en  Egypte  ;xme  siècle  . 

-  Vitrail  <le  la  Passion  (de  l'entrée  de  Jérusalem  à  l'Ascension  ;  \in  siècle  . 

Laon 

—  Vitrail  de  l'Enfance  (au  chevet  :  toute  l'Enfance  de  Jésus-Chrisl  jusqu'à  la 
Fuite  en  Egypte,  avec  quelques  ligures  de  l'Ancien  Testament  se  rapportant  à  la 
Vierge  :  xiiT  siècle). 

—  Vitrail  de  la  Passion  (au  chevet  :  depuis  l'Entrée  à  Jérusalem  jusqu'à  I  As- 
cension ;  xme  siècle). 

Rouen   (cathédrale). 

—  Vitrail  de  la  Passion  (depuis  la  Cène),  Publié  par  Cahier,  Vitraux  de  Bourges, 
étude  XII  (xiii"  siècle). 

Chatons  sur-Marne 

A  la  Cathédrale.  Vitrail  (déplacé  depuis  contenant  à  la  lois  l'Enfance  -  -  trois 
scènes  —  et  la  Passion  —  une  seule  (xme  siècle).  Publie  par  Cahier,  Vitraux  de 
Bourges,  étude  XII. 

—  A  Notre-Dame  chœur,  chapelle  du  nord  .  l'n  vitrail  du  \nï  siècle  est  consacre 
à  l'Enfance  (Nativité,  Fuite  en  Egypte,  les  Mages  . 

Troyes. 

—  A    la   Cathédrale.   Vitrail    de    l'enfance     Annonciation.  Mages    Présentation; 

XIIIe   siècle    , 

—  A  Saint-Urbain.  Vitraux  consacrés  à  la  Passion  depuis  l'Entrée  à  Jérusalem 

(XIV"  siècle 

Reims  (cathédrale  . 

—  Vitrail  de  la  Passion  à  l'abside  .  Jésus  en  croix,  et  au  dessus,  dan-  les  sepl 
compartiments  d'i ruse,  sept  épisodes  de  la  Passion   \m    siècle  . 

—  Sculptures  de    la  façade     voussures   ,\l\  portail  de   gain  lie,    gable   et  coiltreforl    . 

On  voit  :  la  Tentation,   l'Entrée  à  Jérusalem,   le  Lavement   des] I-,   le  Jardin  des 

(  Hiviers,  le  Baiser  de  Judas,  la  Flagellation,  Jésus  en  croix    dans  le  gable  .  les  Lim- 
bes, les  disciples  d'Emmaiis    xiv'  siècle  . 

Sculptures  de  l'intérieur     même  portail  .   Non-  avons  vu  que  par  une  singula- 


468  A  v  Pli  ND  ici: 

rite  dont  il  n'y  a  pas  d'autre  exemple  au  moyen  âge,  ces  sculptures  représentaient 
Jésus  et  la  Samaritaine,  et,  en  plusieurs  scènes.  Jésus  guérissant  la  belle-mère  de 
saint  Pierre.  Nous  avons  émis  l'idée  que  ces  sculptures  peuvent  avoir  été  copiées 
sur  un  sarcophage  antique.  Jésus,  en  effet,  est  représenté  imberbe (xme  siècle). 

Beauvais. 

Vitrail  de  l'Enfance  (dans  la  chapelle  de  la  Vierge).  On  voit  :  l'Annonciation, 
la  Visitation,  la  Nativité,  les  Bergers,  les  Mages,  la  Présentation  au  Temple,  le 
Massacre  des  Innocents,  la  Fuite  en  Egypte,  la  Chute  des  Idoles  (xm0  siècle).  Le 
panneau  qui  représente  le  mariage  de  la  Vierge  est  moderne. 

Amiens 

-  Dans  la  chapelle  de  la  Vierge,  deux  vitraux  du  xme  siècle  étaient  consacrés  à 
l'Enfance  et  à  la  Passion  de  Jésus-Christ,  mais  ces  vitraux  ont  été  tellement  restaurés 
qu'ils  n'ont  presque  plus  de  valeur  archéologique. 

Clermont-Ferrand. 

-Dans  une  chapelle  du  chœur  (cinquième  chapelle  à  droite,  aujourd'hui  cha- 
pelle de  la  bonne  Mort;,  ornée  de  vitraux  du  xin°  siècle,  on  voit  l'Enfance  de  Jésus- 
Christ  et  toute  la  Passion  depuis  la  Cène.  Un  panneau  représentant  saint  Pierre 
crucifié  la  tète  en  bas  a  été  introduit  dans  ce  vitrail  à  la  suite  d'une  restauration. 

Bayeux 

Le   portail  de  gauche   de    la   cathédrale   (façade  occidentale)    montre   dans    le 
tympan  toute  la  Passion  depuis  la  Cène  et  le  Lavement  des  pieds  ;  xiv°  siècle  . 

Dol 

—  Le  grand  vitrail  qui  remplit  le  chevet  contient  (.les  scènes  très  variées  emprun- 
tées à  l'Ancien  Testament,  à  la  Légende  dorée.  Deux  compartiments  sont  consacrés, 
l'un  à  l'Enfance  (Annonciation,  Nativité,  Bergers,  Mages'1,  l'autre  à  la  Passion  Entrée 
à  Jérusalem,  ('.eue,  passion  tout  entière  depuis  la  Flagellation,  Descente  de  croix. 
Saintes  femmes  au  tombeau,  Noli  me  tangerc  :  xm"  siècle  . 

Strasbourg 

La  façade  de  Strasbourg  nous  montre,  au  tympan  t\u  portail  de  gauche,  l'En- 
fance de  Jésus-Christ,  et,  au  tympan  du  portail  central,  toute  la  Passion  depuis 
l'Entrée  à  Jérusalem  jusqu'à  l'Ascension.  Toutes  ces  heures,  mutilées  du  temps  de 
la   Révolution,  ont  été  refaites,  mais  d'après  d'anciens  dessins. 


APPENDICE 

—  Le  bas  côté  méridional  conserve  une  série  de  grands  vitraux  consacrés  à  la 
Vie  de  Jésus-Christ.  <  >n  y  voit  non  seulemenl  l'Enfance  et  la  Passion  de  Jésus  (  dirist, 
niais  encore  sa  vie  publique  el  ses  miracles.  A  vrai  dire,  celle  vie  de  Jésus,  qui 
serait  si  insolite  au  xin"  siècle,  n'appartient  plus  à  la  période  qui  nous  occupe  Les 
vitraux  île  Strasbourg  sont  des  dernières  années  du  xi\  siècle.  Ils  échappent  déjà 
à  l'antique  discipline. 

Angers. 
Vitrail  de  l'Enfance.  —  Vitrail  de  la  Passion    siii'  siècle 

Le    Mans. 
Vitrai]  de  la  Passion.  —  Vitrail  de  l'Enfance. 

Le  Bourget  (Savoie). 
Passion  de  Jésus-Christ  depuis  l'entrée  à  Jérusalem    sculptures  du  \m   siècle 


—  Dans  les  œuvres  d'art  décoratif,  les  mêmes  principes  sont  appliqués.  La  vie 
de  Jésus-Christ  est  résumée  en  quelques  scènes  typiques  qui  sont  précisément 
celles  que  nous  avons  indiquées.  La  fameuse  châsse  d'Aix-la-Chapelle,  ou  châsse 
des  Grandes  Reliques  x 1 1 1 '  siècle  ,  nous  montre  :  l'Annonciation,  la  Visitation,  la 
Nativité,  l'annonce  aux  Bergers,  les  Mages,  la  Présentation  au  Temple,  le  Baptême, 
la  Tentation,  la  Cène,  la  Crucifixion,  la  Descente  de  croix,  la  Mise  au  tombeau. 

—  Plusieurs  crosses  en  ]>oi^,  sculptées  au  XII  siècle,  CTOSSC  de  Sa  i  n  l-<  '•  1 1 1  rien  . 
de  Saint-Gauthier,  de  Saint- Aubin,  représentent  la  vie  de  Jésus  Christ  avec  beaucoup 
de  détails.  Maison  n'y  trouve  pas  autre  chose  que  les  Menés  traditionnelles  Voir 
Congrès  Archéolog.,  Reims,  i<S(ir.  p.  160  Ces  scènes  sont  les  suivantes  :  Annoncia- 
tion, Visitation,  Nativité.  Voyage  des  Mages,  Adoration  des  Mages,  l'Ange  el  les 
Mages,  Présentation  au  Temple,  Massacre  des  Innocents,  fuite  en  Egypte,  Baptême 
de  Jésus-Christ,  Tentation,  Entrée  à  Jérusalem,  Lavement  des  pieds.  Cène,  Jardin 
des  Oliviers,  flagellation.  Portement  de  croix,  Crucifiement,  Mise  au  tombeau, 
Résurrection,  les  Limbes,  Apparition  aux  Saintes  femmes,  à  Madeleine,  aux  disci- 
ples d'Emmaùs,  à  saint  Thomas,  Ascension.  Descente  du  Saint-Esprit  les  Appa- 
ritions ne  se  voient  pas  sur  le  bâton  de  Saint-Gibrien  . 


—  Les  miniaturistes  obéissent  à  la  même  pragmatique.  Nous  signalerons  d  abord 
une  seric>  de  trente  gouaches  de  la  fin  du  xii"  siècle,  conservées  à  Saint  Martin  de 


[-o  APPENDICE 

Limoges,  et  publiées  par  le  comte  de  Bastard  en  iSjq.  sous  le  titre  de  Histoire  de 
Jésus-Christ  eu  figures.  Cette  série  est  très  intéressante  pour  nous.  L'artiste,  que 
rien  ne  gênait  ou  ne  limitait,  n'a  pourtant  pas  fait  une  œuvre  narrative.  Il  a  choisi 
les  scènes  traditionnelles  de  la  vie  de  Jésus-Christ  :  Scènes  de  l'Enfance,  Baptême, 
Tentation,  Entrer  à  Jérusalem,  Cène,  Passion,  Résurrection  (les  Saintes  femmes  au 
tombeau  ,  les  Apparitions,  l'Ascension. 

—  Quant  aux  manuscrits  proprement  dits,  ils  contiennent  généralement,  avec 
plus  ou  moins  de  développement,  les  deux  cycles,  cycle  de  l'Enfance  et  cycle  de  la 
Passion.  Donnons  quelques  exemples  : 

Bibl.  Nat.,  lat.  ()4a8  (ix  siècle).  Sacramentaire  de  Drogon,  le  cycle  de  l'Enfance 
et  le  cycle  de  la  Passion,  plus  la  Tentation  correspondant  au  carême  (l'°  4')- 

Bibl.  Nat.,  lat.  1 7 :i •> 5  (xie  siècle).  Évangiles  pour  différentes  fêtes.  Les  deux 
cycles. 

Bibl.  Nat.  lat.  17961  (xne  siècle).  Psautier.  L'Enfance.  La  Vie  publique  (Baptême). 
La  Passion  (Baiser  de  Judas). 

Bibl.  Nat.,  lat.  833  (xne  siècle).  Missale.  Les  deux  cycles. 

—  lat.   io-3  (xn°  siècle).  Psautier.  Les  deux  cycles. 

—  lat.   1 328  (xae  siècle).  Psautier.  Cycle  de  l'Enfance. 

—  lat    1 077  (xme  siècle).  Psautier.  Les  deux  cycles, 
lat.   10434  (xine  siècle).  Psautier.  Enfance.  Passion, 
franc.   i83  (xnf  siècle).  Légende  dorée.  Les  deux  cycles. 

—     1 85    \iv"  siècle     Légende  dorée.  Les  deux  cycles. 
lat.  10484    \i\    siècle).  Bréviaire  de  Belleville.  Les  deux  cycles. 
lat.  1  .''><)  î    xivc  siècle).  Psautier.  Cycle  de  l'Enfance. 
Bibl.  Mazarine,  4  1 4  (xme  siècle).  Missel.  Annonciation.  Résurrection.  Ascension. 
Descente  du  Saint-Esprit. 

Bibl.  Mazarine,  416  (xiv"  siècle).  Missel.  Cycle  de  l'Enfance  et  de  la  Passion. 
4  in    xive  siècle).  Missel.  Les  deux  cycles. 
4  1  y.  (xve  siècle).  Missel  de  Paris.  Les  deux  cycles. 
4»o    \\    siècle  .  Missel  de  Poitiers,   une   miniature  pour  la  Nati- 
vité   Noël  .une  pour  la  Résurrection  (Pâques  . 

Nous  citerons  en  lei'niinani  le  Catalogue  des  manuscrits  illustrés  du  British 
Muséum  de  Walter  de  Gray,  Birch  et  Henry  Jenner,  Londres,  1879.  Les  miniatures 
sont  groupées  par  sujets;  or,  tandis  que  le  catalogue  des  scènes  de  l'Enfance  et  de 
la  Passion  de  Jésus-Christ  remplit  de  longues  pages,  on  remarque  que  les  scènes 
de  la  Vie  publique  iniracles,  prédication),  si  elles  ne  font  pas  tout  à  fait  défaut,  ne 
sont  signalées  que  dans  un  très  petit  nombre  de  manuscrits. 


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Lambin,  l.*i  Finir  gothique    P. iris.   i8g3,  in-8  ti^r    Paris,  iS.ji,  in-8, 

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au  point  de  vue  de  la  flore    Paris,   1893,  in  -H.  les  églises  du  moyen  âge    traduct.     Tours,  1874,  in-8. 

Lasteyrie    (F.    de  .   Histoire   de   In  peinture    sur  Des  Meloizes,  Vitraux  de  Bourges  postérieurs  au 

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Lasteyrie    R  de  ,  La  déviation  de  l'axe  des  églises  Mémoires  de  la  Société  de  l'histoire  de  /' 

dans  les    Mémoires   de    l'Académ.    des    Inscript,   et  Mémoires  de  lu  Société  des  Antiquaires  de  Nor- 

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du  moyen  âge.  Fondation  Eugène  Piot,  t.  VIII,    [902  Mémoires     de     la     Société    des    Antiquaires    de 

Lasteyrie     K.  de]  el    \     Lefèvre  Pontalis,    Biblio-  Picardie 

graphie  des   travaux   historiques  et  archéologiques  Menzel,  Christliche   SymbolU     Regensbi 

publiés  par  1rs  sociétés  savantes.  Paris,  1888,   Imp.  2  vol.  m  8, 

nat.,  in-|    en  c ■-  de  publication  .  Méril     V.     .In       /•     -     >    lai           du   moyen 

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188g  Mérimée,    Les   Peintures    dr    Saint-Savin.    Paris, 

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Lebeuf    abbé  .    Histoire   dr   tout    le    diocèse    dr  direction  c!,.  M.  A.  Michel,  1    II.   1 

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2°  édit.  Moliuier    l'm.  .  Histoire  générale  des  arts  appli- 

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;-;  INDEX    BIBLIOGRAPHIQUE 

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,.-,,,        ,,             ■ ,     f          -ii      a-il-  Si»riii"vr    (A.\    Ihis    Nachlehen    der    Antike    un 

Paris     I     .  Les   Manuscrits   français  de  la   Jiihlio-  1       .-        i       ■ 

,,            ,  Mittelalter.  dans  les  Bilder  mis  der  neuern  Kunstge- 
theque  du  nu. 

Paris    (G.),   Histoire  poétique    de   Charlemagne.  ^hichte.  Bonn.   1886,  ■>.  vol.  in-8. 

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Pillion   (M»«   L.).    Les   portails    latéraux    de    lu  Thil°-  Codexapocryphus  Novi  Tes tameati.  Leipzig, 

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Tischendorf,  Evangelia  apocrypha.  Leipzig,  >853. 

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Viollct-le-Duc,  Dictionnaire  raisonne  de  l'archi- 
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Vogc  (W.),  /'/'■  Anfànge  des  monumentalen  Stiles 


Revue  d  architecture. 

Revue  de  l'art  ancien  et  moderne 
Revue  de  I  art  chrétien. 


,,,,,,             ,,     •         ...,.,    ■      .,  un  Mittelalter.   Strasbourg,   1894,  in-8. 

Puech,  Prudence.  Paris,  ixn.s,  m-8. 

, ,   .   .             ...              ,        ,      ,                 ,,,..  .  .  Voss,  Dos  jûngste  Gericht  m  der  Kunst  des  frûhen 

Quicherat,  Mélanges  a  archéologie  et   a  histoire, 

....              1.      1      1                        1,           '     qoc              1     •      o  Mittelalters.  Leipzig,    1884. 

publies  par  n.  de  ijasteyrie,  r ans    [880,  2  vol.  in-8.  ' 

,  ■,.   ,         ,    ',  Wadslein   il)'    Ernsl  .    />ie  eschatologische  Ideen- 

loii.ni,    /  /  glise  chrétienne.  v                                             ° 

.   '    .  grappe.    Antichrisl.   Il  eltsalilial.    Il  eltende.   Weltse- 

Hevue  archéologique.  o     ri 

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Weber  [Paul  .   Geistliches  Schauspiel  und  kirch- 

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Rianl      C'°       Exuvse   sacra    Constantinopolilanee.  ^    ■  '■     K 

1  1 8<i  (    m-o 

(" '"' ■>'■•  ''s:s-  "  x"'    '"  s-  Weese,  Die  Bamberger  Domsculpturen. 

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Romania  figurées   au  iuo\en  âge  eu  Picardie.  Amiens,  18.J8. 

Rouillard    Sébastien     Parthénie,  ou  histoire  de  la  Wrighl  Histoire  de  la  caricature  et  du  grotesque 

1res  auguste  église  de  Chartres,  [608  dans  lu  littérature  et  dans  /art.  Paris,  1 H 7 r> .  in-12. 

Sauer,  Symbolii  </<■.-  Kirchengebaudes  und  s, •mer  Zeitschrift  fur  christliche  hunst. 


INDEX    DES   OEUVRES   D'ART 

CITÉES    DANS   CET    OUVRAGE 


Aix-en-Provence,  baptistère,  p.  27.  Anagni.     église;    dalmatique    avec    la     légende 

Aix-la-Chapelle,  couronne  «le  lumière,   p      14  ;  d'Alexandre,  p.   [91 

châsse  des  grandes  reliques,  p.  249.  3 60  ;  châsse  H  es  Angers,  cathédrale  ;  vitraux  :  vitrail  d«    la 

reliques  de  Charlemagne,  p.    jo'«.    jo\  cilixion,  p.  22  !.  264     l'Annonciation,  p.  287;  morl  el 

Albi,  cathédrale  :  statues  de  prophètes,  p.  204  funérailles   de    la    Vierge;    p.   29.5  ;   vitrail   de 

Amiens. cathédrale; iconographie,  p.  [53.  Statues:  l'ierrp,  p     Î47  ;  vitrail  de  sainl   Martin,  p.    185. 

s;iini  Pierre  el  saint  Paul,  p.  19;  Salomon  el  la  reine  rapisseries  :  tapisseries  de  l'Apocalypse,  p.    [20, 

de  Saba,  p.    iqo;    rois  '!>•  Juda,   p.   202;   le   Chrisl  [21. 

enseignant,    |>.     16,    j  1 1 .   212;    Hérode,  p.    256;    la  Sainte  Serge,  vitraux,  p.   18. 

Vierge    dorée,    p.    279;    saint    Firmin,    p.    >  >■-  :    les  Aoste    zodiaque,  p.  86. 

apôtres  au  portail  central,  p.    157-363  ;  statues   des  Arles.    Saint-Trophime,    p.    207  :    chapiteau   <l«'s 

saints  du  diocèse,  p.   364;   Charles  V,  Charles   VI,  Mages,  p.  269;    le  Jugement  dernier,  p,    [vs,   |36 

Bureau  de  la  Rivière,  contreforts  septentr.,  p.   [02.  Auch.  vitraux,  p,    "|. 

Bas-reliefs  :  l'aspic  «i  le  basilic  sons  les  pieds  de  Aulnay.  bataille  «les  Vices  el  des  Vertus,  p.   i„».S. 

J.-C,  façade  occid.,  p.  <W  :  zodiaque  el  travaux  des  Autun,    cathédrale;    tympan    du    jug«  m«  ni    der- 

mois,  p.    85,  87-96;  roue  de   Fortune,    portail   mé-  nier,  p.    (25,    i  U\. 

ridional,  p.  118-122;  les  vertus  el   les  vices,  façade  Auxerre.  cathédrale;   bas-reliefs  :  scènes  de  lu 

occidentale,    p.     I.36-I39  ;    bas-reliefs    symboliques  création,  façade  occident.,  p.   ■  ;  I.   >44  .  h's  Arts  libé- 

relatifs  à    la    Vierge,    façad tcidentale,    p.     182;  raux,  façade  occident.,  p.    io5  ;  les  \ 

patriarches  el  prophètes  figuranl  J.-C,  voussures  du  les  \  ierges  folles,  p.  2  15  ;  parabole  de  l'Enfant 

portail  Saint-Honoré,  p.  185-191,  ig3,   164  ',  prophé-  digue,  p.  237  ;  la   mort   de  Caïn,  p.    2  j  ;.    i.{.j  ;  cou- 

ties,  façade  occid.,  p   [95-198;  arbre  de  Jessé,  p.   101;       conne ni   'le   !.«    Vierge     p      ''.1"  :    la    Sibylle    Ery- 

les    Vierges    sages   el    les    Vierges   folles,    p.    235,  thrée,  p.    >g3. 

j5i  ;  bas-reliefs  des  Mages,  p.  255  ;  couronne ut  de  Vitraux  :  vitrail  de  saint  Euslachc    p.    ,     I    |  ;  de 

l,i   Vierge,   p.  296;   bas-relief  de   Saint-Christophe,  sainl    Pierre  el  sainl  Paul,  p.  9,    I49  :  rose  des  arts 

p.     ii;;    bas-reliefs   «lu    portail    «le    Saint-Firmin,  libéraux,  p.   •  >.  i«>i.   io5,  106,  107.   108,  117  ;  vitrail 

p.    !64  ;  bas-reliefs  de  saint  Jean-Baptiste pour-  de  la  Création,  p.    |2  ;  rose  des   Vertus,    fenêtre  'In 

loue  du  chœur,  p.  371  ;  fables  d'Esope  au  portai]  chœur,    p.     1  l'i.     i-i  i,     1  i  ">.    1  |S.     149,    1 

occid  ,   p.     I90  ;   cavaliers   de   l'Apocalypse,   p.    \i\.  de   l'histoire  de   Joseph,  p.    t63  ;  vitrail  'le   1  Enfant 

4'jS:  Jugement  dernier,  p.    [36,    il;.    [38,   i  i  ;.    i  i  1  ;  prodi                       ;  vitrail  'le  s, uni  Pierre  et  il.'  sainl 

l'arbre  entamé  par  la  cognée,  p     [5i.  Paul                      .  p.    (46;    légende  'le  s.iiiit   I 

Vitraux:  vitrail  de  Saint-Etienne,  p     ;  |«i  ;  vitrail  le    Majeur,    p.     156,     is"  :    vitrail    «le    sainl    An 

il«-  saint  Jean-Baptiste  el  'le  sainl  1 ^es,  p.  3  1                            ccidontale,   p.    I                              sainl 

vitrail  de  saint  Jacques  le  Majeur,  p     '•;<     vitrail  de  Nicolas,  p     183;   vitrail  de  l'Apocalypse     «lisp 

sainl  Augustin,  p.    I73  ;  vitraux  'le  I  Enfance  et  -le  la  p,     , 

Passion  de   I  -C  .  p    i68  Avignon,  palais  des  papes     fresques 

—   Église  Saint  Martin,  p.    186.  Avioth    Meuse),  p 


■i:*; 


I.MIEX    DES   ŒUVRES   D'ART 


Bàle.  cathédrale  :  roue  de  Fortune,  p.  ri8  ; 
Alexandre  montant  au  ciel,  p.  3gi. 

Bamberg,  cathédrale,  p.  23;  statue  de  saint 
Etienne  de  Hongrie,  p.    i1'-'- 

Baux  (château  des",  p.   25 ■>.. 

Bayeux.  tympan,  p.  460. 

Bayonne.  cathédrale,  statue  de  saint  Jacques, 
p.  362. 

Beauvais,  église  Saint-Etienne;  roue  de  Fortune, 
p.  118. 

—  Cathédrale  :  Vitraux  :  vitrail  de  la  crucifixion, 
p.  22  3  :  le  miracle  de  Théophile,  p.  3o.i,  3o5  ;  vitrail 
de  sainl  Martin,  p.  385  ;  vitrail  de  l'Enfance  de  J.-C, 
p.  a83,  468. 

Besançon,  collégiale  Sainte- Madeleine  :  statues 
symboliques,  p.   1 8 5 . 

Blaye.  tombeau  de  Roland,  p.  38o,  38i. 

Bordeaux, cathédrale  :  statue  il»  pape  Clément  Y, 
p,  io3  ;  tympan  du  jugement  dernier,  p.  43 1,  433. 

—  Saint-Seurin  ;  statues  :  l'Eglise  et  la  Synagogue, 
p.  23o;  statues  des  apôtres,  p.  363;  juge  m  eut  dernier, 
p.  .j3i,  4  ;>. 

Bourges,  cathédrale  ;  façade,  p.  9  ;  Iconographie, 
|i  j53  ;  bas-reliefs  :  Scènes  de  la  création,  façade 
occident.,  p.  4'2  ;  h's  Vierges  sages  et  les  Vierges 
folles,  p.  2  V>.  j'ii  ;  la  mort  de  Caïn,  p.  244;  COU- 
ronnement  de  la  Vierge,  p.  290  ;  histoire  de  saint 
Ursin,  p.  365  ;  de  sainl  Guillaume,  p.  365;jugement 
dernier,  p.  \V\,  435,  i  38,  j  j  •  » .  4  i>,  iii,  iii.  445; 
sculptures  du  jubé,   p.   466. 

Vitraux  :  vil  rail  avec  animaux  s\  mboliques,  p.  5g  ; 
vitrail  «le  Joseph,  p.  ilil.  iMS;  vitrail  symbolique  de 
L'Ancien  et  du  Nouveau  Testament,  p.  171-177,  '227  ; 
vitraux  des  prophètes  el  des  apôtres,  p.  192  ;  vitrail 
du  bon  Samaritain,  p.  233,  235,  236;  vitrail  de 
I  Enfant  prodigue,  p.  23^  :  parabole  du  Mauvais  riche, 
p.  2  18  ;  vil  rail  de  la  Passion,  p.  -218,  -264,  267,  269, 
271,    (66;  sainte  Aune  et  sa  famille,  p.  281  :  vitrail 

de    sainl    Nicolas,    p.    336,    337,     183;    légende    de    s. ont 

Pierre  et  de  sainl  Paul,  p  1  [6  >4g  ;  légende  de  saint 
Jean,  p.  149 !  légende  de  saint  Thomas,  p.  >5  {  : 
légende  de  sainl  Jacques  le  Majeur,  p.  155,  !56, 
!8o,  (82  :  vitraux  des  apôtres,  p.  363  ;  vitraux  des 
s.iinis  locaux,  p,  165  ;  vitrail  offert  par  les  tailleurs 
de  pierres,  p.  177  ;  vitraux  de  sainl  Martin,  p.  385; 
vitrail  de  l'Apocalypse,  p.  1  1  •,  |2  i  ;  vitrail  du  Juge- 
ment dernier,  p.  4  jo,  i  i  i.  4  i">- 

Bourget  (le  Savoie  ;  bas-reliefs  de  la  Passion 
de  1    C,  p,    [6g 

Caen.  église  Saint-Michel  de-Yaucelles  :  fresques, 
!'•    ;7!i- 


—  Eglise  Saint-Pierre  :  chapiteau  d  Aristote  et  de 
Campaspc,  p.  3go  :  Virgile  daus  la  corbeille,  p.  391. 

Cantorbéry.  cathédrale  :  vitrail  des  Noces  de 
Cana,  p.  232. 

Cbablis  (Yonne),  p.  386. 

Chàlons-Sur-Marne,  cathédrale  ;  vitrail  de  lEn- 
fance  et  de  la  Passion,  p.  271,  467. 

—  Notre-Dame  :  vitrail  de  l'Enfance,  p.  467. 

Chartres,  cathédrale  ;  iconographie,  p.  455. 

Statues:  sainte  Modeste,  p.  16,  17,332,  3  '1 5  ;  si  a  lu  es 
du  porche  nord  et  du  porche  sud,  p.  18  ;  voussures 
du  portail  méridional,  p.  20;  chœurs  des  anges, 
p.  21  ;  Balaam.  p.  22  :  la  reine  de  Saba,  p.  20,  22  ; 
Melchisedech,  p.  28;  ange  du  chevet,  p.  36;  pa- 
triarches et  prophètes  figurant  J.-C.  au  porche  nord, 
p.  184-191,  208-210  :  le  prophète  Isaie,  portail  du 
nord,  p.  iy5;  rois  de  Juda,  p.  201,  202;  saint 
1  reorges,  p.  ta6,  134  ;  s<onl  Martin,  p.  16,  332  ;  saint 
Théodore,  port,  mérid.,  p.  332,  372;  sainl  Denis,  p. 
">  1  j  ;  sainl  Grégoire  le  Grand,  p.  334:  335;  sainl 
Jérôme,  p.  333  ;  les  apôtres,  portail  du  midi,  p.  358- 
363  ;  saint  l'oleiilien,  p.  366;  statue  de  sainte  Anne, 
p.  372;  prétendus  rois  de  France,  au  portail  sep- 
lenlr.,  p.  400.  40Ii  au  portail  occidental,  p.    3gy. 

Bas-reliefs  .'  le  Christ  en  majesté,  façade  occ, 
p.  20:  voussures  de  la  création,  façade  sept.,  p.  42; 
zodiaques  el  travaux  des  mois,  p.  85,  88-gli  ;  les 
Arts  libéraux,  p.  104,  io5-na;  la  Magie,  p.  117; 
l'Architecture  el  la  Peinture,  p.  117  ;  la  Métallurgie 
et  l'Agriculture,  p.  117  :  les  Vertus  et  les  Vices,  au 
porche  septentrional,  p.  i3o;  les  Vertus  et  les  Vices 
au  porche  méridional,  p.  i36-i5g;  figurines  sym- 
bolisant la  vie  active  el  la  vie  contemplative,  vous- 
sures du  portail  septentrional,  i5g,  160;  histoire  de 
Tobie  de  Job,  de  Samson,  de  Gédéon,  de  Judith, 
d'Eslher,  porche  sept.,  voussures,  p.  igo.  igi  ;  les 
sages  femmes  el  L'enfanl  Jésus,  p.  î5i  ;  les  Mages 
au  portail  nord.  p.  '269;  la  Vierge,  portail  occiden- 
tal, p.  278  ;  histoire  de  sainte  Anne  el  de  sainl  Joa- 
chim,  p.  284  :  mort  et  couronnement  de  la  Vierge, 
p  290-300  ;  bas-relief  de  sainl  Eustache,  p  I  •  i  :  les 
apôtres  au  porche  méridional,  p.  «63;  bas  relief  de 
saint  I.. iiimer,  p,  166;  iconographie  des  portails  du 
midi,  p.  36g  ;  le  miracle  du  tombeau  de  saint  Ni- 
colas, p.  383:  tympan  du  jugement  dernier,  p.  [26, 
427.  ii'.  i  ni.  i '7  :  bs  apôtres  sons  le  Christ  en 
majesté'  au  portail  vieux,  p.  436:  les  béatitudes  de 
l'âme  dans  la  vie  éternelle,  p.  448-45o;  chapiteaux 
de  la  \  ie  de  J.-C,  p.    J65. 

—  Vtlroii. 1  :  rose  occident.,  p.  18;  les  prophètes 
portant  les  évangélistes,  p.  22  ;  vitrail  orné  d  animaux 
symboliques,  p.  "><i  ;  zodiaque  el    travaux  des  mois. 


INDEX    DES   ŒUVRES    D'A  Kl 


i   1 


p.  85,  gi  ;  les  Arts  libéraux,  vitrail  de  la  chapelle 
Saint-Piat,  p,  107  ;  vitrail  de  Joseph,  p.  i63  ;  vitrail 
symbolique  de  l'Ancien  et  «lu  Nouveau  Testament, 
p.  171-178  ;  vitrail  de  l'arbre  <!«•  Jessé,  |i  200; 
vitrail  des  apôtres,  p.  21  j  ;  vitrail  du  bon  Samari- 
tain, p.  a33  ;  vitrail  de  l'Enfant  prodigue,  p.  2  '>~ 
vitraux  de  la  façade  occidentale,  |>  264  [66;  la  des- 
cente di-  croix,  p.  270  ;  la  belle  verrière,  p.  276  :  le 
miracle  de  Théophile,  p.  loi:  vitraux  de  saint  lais 
tache,  |>.  !■-•.  j.  33o  ;  vitraux  de  saint  Georges,  p.  126; 
vitrail  de  saint  Christophe,  p  ;•;;  vitraux  légen- 
daires des  bas  eûtes,  p.  »  lo  ;  vitrail  de  s^inl  Nicolas, 
p.  136;  légende  de  saint  Pierre  et  de  saint  Paul,  |>. 
3  [6-3  i<j  ;  légende  de  saint  Jean.  p.  >  i<|-  15  j  ;  légende 
de  s.iint  Thomas,  p.  154-355;  légende  de  saint  Jac- 
ques le  Majeur',  p.  355;  légende  de  saint  Simon  et 
de  saint  .Inde,  p.  )">tj  ;  vitraux  des  apôtres,  p.  363  : 
vitrail  de  saint  Chéron,  de  saint  l.uliiu,  p.  366  ; 
vitrail  de  sainte  Anne,  p.    j;j  ;  vitraux  des  chapelles 

du  chœur,    p.    '<~  j  :    vitrail   donné   par'  saint    I is. 

p  J;!).  par  saint  Ferdinand,  p.  176;  par-  Jeanne  de 
Dammarlin,  p.  J70  :  par  Amaury  de  Montfort, 
p.  177:  par  divers  chevaliers,  p.  377,  >~\)',  par 
lis  .piliers,  p  177,  les  vanniers,  |,  177,  les  tonne- 
liers, p.  >77,  les  tanneurs,  les  tisser, nids,  les  épi- 
ciers, les  armuriers,  p.  '177:  les  portefaix,  p.  I77  ; 
vitrail  de  saint  Vinrent  donné  par  les  tisserands, 
p.  I78  ;  vitrail  de  saint  Thomas  Becket,  p.  378; 
vitraux  consacrés  à  saint  Jacques,  p.  !8o:  vitrail 
de  Robert  de  Henni  et  des  pèlerins,  p.  382  vitrail 
de  saint  Martin,  p.  385  ;  vitrail  de  Charleniagne  et  de 
Uni, uni,  p.  404-410. 

—  Eglise  Saint-Père;  Vitraux  :  nativité  de  saint 
Jean-Baptiste,  p.  290  ;  saint  Pierre  et  Simon  le 
magicien,  p.    >  17  ;  vitraux  des  apôtres,  p.    163, 

Cividale  de  Frioul  :  baptistère,  p.  27. 

Civray,  p.  128. 

Clermout-Ferrand,  cathédrale  ;  bas-reliefs  :  bas- 
relief  des  Arts  libéraux,  p.  io5,  107 

Vitraux  :  vitrail  de  saint  I  leorges,  de  saint  Ausl  l'e- 
moine,  de  sainte  Madeleine,  p  17")  ;  vitrail  de  I  En- 
fance  de   J.-C.    et   de   1.1    Passion,    p      |68. 

—  Notre  Dame  du  Port     chapiteau,  p.   i  18, 
Cluny  (Saône-el-Loirc      chapiteaux,  p       > 
Cluny     Musée   de  .    pi bs    historiés,    p.     i  1  ; 

retable  de  saint  Henri,  p  J02  fragments  d  un  I  \  ni  pan 
ilc>  Notre-Dame,   p     1  i  1 

Cologne,  église  Saint-Géréon  ;  vitrail,  p.    -7). 

Conques,  enlise  Sainte-Foy,  p  18i  tympan  du 
jugement  dernier,  p.    j  îf">,    i  j  i 

Crémone,  prophètes,  p.   196 

Dijon,  Chartreuse  ;  lutrin,  p.   15. 


Dol,  vitrail  du  chevet,  p.    168. 

Ferrare.  prophètes,  p.    196. 

Florence.  Sauta  Maria  Novell.,,  chapelle  des 
Espagnols;  1res, pu-  des  Arts  libéraux,  [1.  too,  tio, 
111  :  descente  de  J.-C    aux  limbes,  p.  267. 

-  Campanile;  les  métiers,  p,   117. 

—  Or  San  Michèle     tabernacle,  p.   [40     i.p, 
Baptistère,  p.  1  i  1 . 

FréjUS.    baptistère,    p,   27. 

Fribourg  en-Brisgau.  eaih,  .h  ,de     s/, //»,■, 
Arts  libéraux,  p.  106,  107. 

Bas  reliefs  :  Alexandre  montanl  ,01  ciel,  p     [91. 

I  itraux  :  vitrail  de  la   Passion,  p.   280. 

Frisingue.  cathédrale,  p,  lis 

Hildeskeim.  fonts  baptismaux,  p.  137. 

Ingelheim,  fresques,  p.    171. 

Iviron    Mont  Athosl,  p     188 

Laon.  cathédrale  iconographie,  p.  i>i  :  statues: 
bœufs  colossaux,  p.  7  i. 

Bas-reliefs  :  voussures  de  la  façade  représentait 
l.i  création,  p.  j  »  :  flore  des  chapiteaux,  p.  70;  les 
Arts  libéraux,  p.  10  i.  106-1  1  •  la  Philosophie,  p  1  1  i. 
1 1  j,  11*):  la  Médecine,  p.  117    l'Architecture,  p.  117 

e.  Ulll1.1t    des   Vires  et    des    Vertus,    p      |    m,       bas-reliefs 

symboliques  se  rapportant  a  la  Vierge,  p  [79-182; 
arbre  de  Jessé,  p.  200;  les  Vierges  sages  et  les 
Vierges  tulles,  p.  235;  couronnement   de  la    Vierge, 

p.   290;    la  Sibylle    Erythrée,  p.     I9  I-  !g  i     juge ni 

dernier,  p.    jitj,  \  il,    \  j5 

Vitraux  :  Gédéon  et  la  toison,  p.  28,  179     rose  des 
Arts  libéraux,  p.    106,     107  :  vitraux   du   chevet,    p. 
23i,a5i,26o,  161,269,  i<>7  :  la  Vierge,  p    278 
noue ia lion.   p.  289  :   le  miracle  de    l'héophile,  p.    !"  i . 

Lausanne,  cathédrale;  stalles,  Aristolc  et  Cam- 
paspe,  p.    '")'  1 , 

Laval,  église  Saint-Tudual,  p 

Lille,  encensoir,  p     1  j 

Longpont,  église  ;    les  Vierges  folles,  p 

Lyon,  cathédrale      -  '  '  !  !l       !  statues  : 

patriarches  cl  prophi  tes  li  !     C,  p.  i85. 

Bas  reliefs  :  scènes  de  la  création,  1, 
p.    ;•.     'ii:    bas-reliefs    représentant    des    animaux 

symboliques,  le  .il, nid  ,  p.  39  :  animaux,  f.u 

dent  .   p.   rio.  7  '•      figures   : 
p    -s     la  mort   de  (  laïn,  p.    '  i  i      la    tour  de  I 
p  '  s  et  l'enfant  Jésus,  p 

portail  de  la    Vierge,    p.    i~  \  :   le  miracle  de  Théo- 
phile, p     i"  i      bas  rclii  fs  de  saint  Georges,  p, 
bas  '  -  liefs  de  s, uni    \  icolas,    p  ef  du 

Domine,  quo  vadis,  p.    I48      bas-reliefs  d' A rislo te  et 
ip.ispe.  p.    tgo. 


INDEX    DKS   ŒUVRES    1)  A  R  I 


Vitraux  :  Apôtres,  patriarches,  prophètes,  p.  22  : 
vitrai]  des  grandes  fêtes  accompagné  d'animaux 
symboliques,  p.  54-5g  ;  vitrail  avec  1rs  Vices  et  les 
Vertus  '-H  bordure,  p.  i  i '!.  i  j5,  i48,  i">o;  vitrail 
symbolique  de  l'Ancien  el  du  Nouveau  Testament, 
p.  172-177;  vitrail  du  cycle  de  Noël,  p.  21a  :  l'An- 
nonciation, p.  2S6  :  couronnement  de  la  Vierge, 
p.  290;  sainl  Pierre  et  saint  Paul.  p.  3  J 6 - 3 4 9  '•  vitrail 
de  saiiil  .Lan  |i  353,  'i  'xj  :  vitrail  île  saint  l'otliin, 
saint  Irénéo,  saint  Polycarpe,  p.  366. 

-  Église  Saint-Irénée  ;  arts  libéraux,  p.  io5. 

Le  Mans,  cathédrale;  chapiteau  symbolique. 
p.  62  :  Statue  ilu  portail,  |>.   Î98. 

Vitraux  :  vitrail  orné  d'animaux  symboliques, 
|.  5g  vitrail  symbolique  de  l'Ancien  et  du  Nouveau 
Testament,  p.    172-177  :   vitrail  de  l'arbre  de  Jessé, 

p,  l'Église  el  la  Synagogue,  p.  226:  vitrail  de 

l'Ascension,  p.  a3i  :  vitrail  de  l'Enfance  de  J.-C, 
]>.  a5i,  283  :  Chute  des  Moles,  p  2^17:  vitrail  de 
saint  Anne  el  de  saint  Joachim,  p.  283,  281:  ma- 
riai;' de  la  Vierge,  p.  28.1  ;  Miracle  de  Théophile, 
p.  "><>  i  :  vitraux  consacrés  aux  miracles  de  la  Vierge, 
p.  3o3-3ia;  vitrail  de  sainl  Eustache ,  p.  324; 
vitraux  de  sainl  .Nicolas,  p.  336,  383  ;  vitrail  de  sainl 

Julien,   p,  366;   vitraux    d les    par    les  abbayes   de 

Saint-Vincent,  de  Saint-Calais,  d'Evron,  p.  376: 
vitraux  de  saint  Martin,  p.   385. 

— ■  Eglise  de  la  Couture  :  les  apôtres,  statues  du 
porche,  p.  36o,  363;  jugement  dernier,  p.  .'1Î7.  443, 

444. 

Meaux,  cathédrale;  portail  de  la  Vierge,  p.  274. 
290. 

Melle  :  bataille  des  Vices  el  des  Vertus,  p.  128. 

Milan,  cathédrale  :  candélabre  orné  de  la  ligure 
des  Arts  libéraux,  p    ro8. 

Moissac.  (loi  ire.  p  r.  les  quatre  animaux,  p.  5o  : 
la  Hure  des  chapiteaux,  |>.  (J">;  la  Luxure  au  portail, 
p,  1  [g  :  la  parabole  du  Mauvais  Riche  au  portail,  p. 
2  .S  :  chapiteau  de  l'histoire  de  saint.  Cy.  prien,  p.  3  7  j  : 
1  vmpan  du  portail .  p.   i  1  *>- 

Moulineaux  ^es  (prés  Rouen),  église  ;  vitrail 
de  saint   Louis  ei  de  Blanche  de  Castille,  p.  402. 

Nancy  Musée  archéologique  lorrain,  tombeau 
du  xme  siècle  avec  1  image  de  sainl  Michel,  p.    i  Î9. 

Niederhaslach  Alsace)  :  vitrail  des  Vertus  el  des 
Vices,  p.  1  î 1 . 

Novare.  baptistère,  |>.  27 

Noyon,  cathédrale;  bas-reliefs  (mutilés)  :  bas- 
reliefs  de  la  création,  portail  occid.,  p.  42  :  animaux 
->.  mboliques,  portail  occid.,  p.  60  :  couronnement  de 
la  Vierge     p.  290. 

Orvieto.  cathédrale  ;  jugement  dernier,  p,   j  i  :. 


Padoue.  Ercmitani;  fresques  astrologiques,  p.  a5. 

—  Arena  :  fresque  représentant  la  Charité,  p.  1  i">. 

Palalda  (Pyrénées-Orientales),  p.  386. 

Paris,  cathédrale  ;  façade,  p.  9  ;  axe.  p  36;  porte 
ronge,  p.  3G  :  polychromie,  p.  114:  iconographie, 
p.  453. 

Statues  :  socles  des  statues,  p.  22  :  gargouilles, 
p.  78  ;  statues  d'Adam  et  d'Eve,  p.  83  :  rois  de  Juda, 
p.  200,  201  :  l'Eglise  et  la  Synagogue,  p.  a3o  ;  la 
Vierge,  au  portail  nord,  p.  278;  sainte  Geneviève, 
p.  33g  :  saint  Denis,  p.  366  :  saint  Marcel,  p.  366  ; 
saint  Jean-Baptiste,  sainl  Etienne,  p.  367  :  prétendus 
rois  de  France  au  portail  Sainte-Anne,  p.  398:  pré- 
tendue statue  de  Philippe  Auguste,  p.  402. 

Bas-reliefs:  voussures  du  portail  central,  p.  20: 
les  quatre  animaux,  p.  5o  :  flore  des  chapiteaux,  p. 
70;  bas-reliefs  de  la  Terre  et  de  la  Mer,  p,  71  ; 
zodiaque  et  travaux  des  mois,  p.  85,  88-96  :  bas- 
reliefs  représentant  1rs  degrés  de  la  température, 
p.  85:  bas-reliefs  des  âges  de  la  vie,  p.  85,  118; 
bas-reliefs  des  Arts  libéraux,  p.  io5  ;  bas-reliefs 
des  Vertus  et  des  Vices,  p.  1 3 6- 1 5 9  :  apparitions 
de  J.-C,  clôture  du  chœur,  p.  218,  268  ;  les  Vierges 
sages  et  les  Vierges  folles,  p.  235:  Enfance  de 
Jésus-Christ,  clôture  du  chœur,  p.  254,  258,  271, 
les  Noces  de  Cana,  clôture  du  chœur,  p.  262: 
la  Vierge,  tympan  du  portail  Sainte-Anne,  p.  278; 
sainte  Anne  el  sainl  Joachim  au  portail  Sainte-Anne, 
p.  283:  la  mort  dr  la  Vierge,  ses  funérailles,  son 
couronnement,  p.  290-302  :  le  Miracle  de  Théophile, 
portail  septentr.  et  mur  du  nord.  p.  3o4  :  légende 
de  saint  Marcel  au  portail  ronge,  p.  166  :  bas-reliel 
de  sainl  Etienne,  portai]  méridional,  p.  3G7  :  date 
des  bas-reliefs  du  portail  Sainte-Anne.  p.  367  :  vous- 
sures avec  1rs  rois  dr  Juda  el  deux  Sibylles. 
p.  395  ;  saint  Louis  au  portail  rouge,  p.  402  ;  Louis  Vil 
au  portail  Sainte-Anne,  p.  402:  bas-reliefs  consa- 
crés à  la  vie  des  étudiants  de  l'Université  (?),  p.  j  1  j  : 
cavaliers  de  l'Apocalypse,  p.  ia8  jugement  dernier, 
p.  43'-*,  i' i-  i36,  i  i'.  444>  ii>.  i";  bas-relief  de 
l'Enfance  de  J.-C.  au  portail  nord,  p.  J65. 

Vitraux  :  rose  occidentale,  1rs  travaux  des  mois, 
p.  85,  88-96:  les  Vertus,  p.   iiii-119. 

Sainte-Chapelle       statues  :    Apôtres,    p.    35, 
36. 

Vitraux  :  Vitraux  dr  l'Ancien  Testament,  p.  1  •  »  ■ 
vitrail  de  l'arbre  de  .les*..,  p.  aoo  ;  vitrail  du  cycle 
dr  Noël,  p  ai6  vitrail  dr  la  Genèse,  p,  1  1  la  lé- 
gende dr  sainl  Lan.  p.  15a  vitrail  dr  la  Passion, 
p.  I72,  ili'i  :  vitrail  de  sainl  Jean-Baptiste,  p.  172  : 
vitrail  de  sainl  Louis,  p.  jio;  vitrail  de  l'Enfance  de 
J.-C,  p.    [65 


INDEX    DES   ŒUVRES    l>  ART  j   g 

Paris,  Saint-Jacques-des-Pèlerins  ;  statues  d'apô-  vitrail  de  saint  Jean,   p     ;>•     vitrail  de  saint  Jude, 

1res,  p.    >") .  p.    156  ;   vitraux    des    apôtres,    p.     !6o      vitraux   des 

—  Saint-Germain-des-Prés  :  statues  de  prétendus  rois  de   France,  p     '>*t~- 

rois  de  France,  p.    (99.  Eglise  Saint-Remi  ;    vitraux  :    vitrail  de   saint 

—  Couvent  des  Cordelières  de  Lou reine  ;  fresques  Nicolas,  p.  383. 

consacrées  a  saint   Louis,  p.    jn.  Pavé:  Zodiaque,  |>.  .S  1  i  :  Arts  libéraux,  p.    io5. 

Parme,  baptistère  ;  bas-reliefs,  p.  217.  Rouen,  cathédrale  :   Iconographie,    p.    ;53  ;    .•./</ 

Parthenay,  p.  128.  tues  :  sainte  Apolline,   sainte   Barbe  an    portail  des 

Poissy,  collégiale  :  vitrail  de  saint  Louis,  p.    jn.  Libraires,  p.    iij. 

Poitiers,  cathédrale  :    tympan  du  jugement  der-  Bas  rrlirfs  ;  a stres  et   figures  grotesques  aux 

nier,  p.  .j'W.  portails  de  la  Calende  el  des  Libraires,  p.  711  :   bas- 

Viiraux  :  vitrail  de  Joseph,   p.   1 G  I  :   vitrail  delà  reliefs  des  Arts  libéraux  au  portail  des  Libraires    to5 

crucifixion,  p.  3  26,  26  >  :  vitrail  de  l'Enfant  prodigue,  107  .  bas-reliefs  de  l'Ancien   I  eslameul  au  portail  de 

p.  2 'i-  :  saint  Pierre  el  saint  l'a  ni,  p.  346-349,  la  Calende,  p.  162,  co ncinctil  de  la  Vierge,  p.   190 

—  Sainte-Radegonde  ;  rose  occident.,  p,    18,  .\  36.  saint  Pierre  crucifié,  p.    (48     Aristolc  et  Campaspe, 

—  Notre-Dame  la  Grande  ;  prophètes  de  la  façade,  Î90  ;    jugement    dernier,    p.     iii:    bas-relief  de    la 
]).  196.  légende  de  saint  Romain  el  de  saint  Ouen,  p.    166. 

Prato.  ceinture  de  la  Vierge,  p  298.  Vitraux  :  vitrail  symbolique  de  l'Ancien  et  du  Non 

Puy  (Le),  cathédrale  ;  fresques  .le  la   salle  capi-  veau  Testament,  p.   171-178,  228     vitrail  du  bon  Sa- 

tulaire  représentant  les  Arts  libéraux,   p.  106,   109,  maritain,  p.  2  !5  :  vitrail  de  saint   .Nicolas,  p.   ;,s;. 

110,  111.  —    Saint  Ouen;  vitraux,   p.    18 

Rainpillon  (Seine-et-Marne).   Jugement  dernier,  Bus-reliefs:  funérailles  de  la  Vierge,    p       ,< 

p.  4 îG.  Saint-Benoit-sur-Loire,    statues   symboliques, 

Ravenne.    baptistère,   p.  27:    mosaïques,  p.    i  ;s  p.    i85. 

Reims,  cathédrale;  façade  occident.,  date,  p.  433  :  Saint  Bertin,  croix,  p.  17  j. 

chapiteau  symbolique,  p.  63  ;  iconographie,  p.  454-  Saint-Denis,  basilique  ;  sculpture     monstres  hy- 

Statues  :  monstres,  p.  78  ;  patriarches  et  prophètes  brides,  p.   G  |  :  zodiaque,  p.   86,  91  :   statues  de  pré 

figurant  J.  -C.  façadeoccid.,  p.  183-191  ;  Melchisédech  tendus  rois  de  France,  p.    S99. 

.1   Abraham,  p.  188;  reine  de  Sal>a.  p.  iyo  :  rois  de  Vitraux  :   vitrail  de  l'arbre  de  Jessé,    p,    200;  vi- 

Juda,  p.  201,  202:  statues  des   portails     intérieur,  traux  symboliques,   p.  17  i.    7,    156:  vitra 

p.  iij'i,  19  i,  216  :  Eglise  et  Synagogue,  p.  2  So  :  saint  1  histoire  de  Charlemagne    détruit  .    p.    |"'i     vitrail 

Nicaise,  portail occid.,   p.    i!»  :   apôtres    du    portail  des    croisades     détruit),   p.    jio:     vitrail    de    saint 

nord,  p.  363  ;  apôtres  du  portail  sud,  p.  363  ;  apôtres  Louis    détruit  .  p-    jio. 

des  contreforts,    p.    iti  '•     saint  Sixte,   saint  Nicaise,  Mosaïque  :  travaux  des is   au  musée  de  Cluny), 

s.oiiie  Eutrope,  saint  Rémi,  p.    164-365.  p.  Sti. 

Bas-reliefs  :  travaux  des  mois,  p.  M'>,  iS<),  <|j,  u'i,  Vasque    a  l'école  des  Beaux  Arts  .  p     Î89. 

i)6:   les    Arts  libéraux,    p.    108,    109;    la   Médecine,  Saint-Jacques  de  Compostelle.  église,  p.   S80, 

p.  1 1  7  :  les  métiers  au  portail  nord.  p.  117;  les  Vices  Saint  Julien  du-Saut.  vitrail  du  cycle   de   Moi  I. 

el      les     VertUS,     laeade     oit  i  dent  a  le .     p.     1 36  ;     Heures  p.    2  lli        légende   de  sailli   ,1e.  in      p.     ;>>:    vitrail  de 

symboliques  de  l'Ancien  l'est; nt,  p.  [72;  miracles  .Nicolas,  p     183. 

de   J.-C,   à  l'intérieur,   p.   212,    (67:    les    Vierges  Saint  Omer.  pied  de  croix,  p.  264. 

sages  et   les    Vierges    folles,    p,   a35,     { 5 1  ;   couron-  Saint-Quentin,  collégiale  :  bas 

nenieiit    de   la    Vierge,    p.    290;    conversion  cl,-   saint  des  apôtres  du  Ycrmandois  (clôture  duehœur\p 

Paul,  p.    i  [g      ne, ci   de  sainl    lean,  mur  du  midi,  p  Vitraux  :  vitrail   s                      relatif  a  la    \  i< 

l"i',     |2I  ;     histoire     de     saint     l;,  mi,     portail    noid.  p.    i  S  \.    i  -S  i ,29  j      mort  de  la   \  1,  ■ 

p.    Wi'>  :  voussures  de   la  rose  de  la  laeade.  p.    [97  Saint  -  Savin.  zodiaque,  p   87  ;  fresques  de  i 

baptême  de  C'iovis,   pignon  de  la   laeade,   p.     jo4  ;  calypse,  p.    j   o 

bas-reliefs  de  I  Vpocalypsc     p.    ri      r       jugemenl  Saint  Sulpice  do  Favières  Seim 

dernier,  p.    (  i  i .    i  ■  i,    |36,    i  |o.    j  i  i.    j.J 5  :  Passion  de  meut  dernier,  p. 

J.-C  ,  portail  d.   gauche,  extérieur,  p.   ,1,7,  Saint  Yved  de  Braisne.  p.  1  iy,   167.  bas-reliefs 

Vitraux:  roses  du  nord  el  du  midi,  p.  ig    Jésus  i\n  Jugemenl  dernier,  p 

en  croix,  p.  264,  ( ' ■  7  .  vitrail  de  saint  Pierre,  p.  I48  Seliougrabern    Autriche  .  p 


î8o 


INDEX    DES  ŒUVRES   I)  A  I;  l 


Semur.  église,  bas-reliefs  :  lion-  des  portails, 
)i    71  :  zodiaque  el  travaux  dos  mois,  p.  85,  91,  ;ii. 

•  1 ..  96;   légende  de-  saint  Thomas  au  portail  nord, 
1 1 .   t55 , 

Vitraux  :  vitrail  des  draperies,  p.  8i  :  vitrail  de 
sainl  Pierre,  p.   I49. 

Senlis.  cathédrale  :  :  statues  :  patriarches  et  pro- 
phètes Ggurant  J.-C,  portail  occident.,  p.  184-191. 

Bas-reliefs  :  zodiaque  et  travaux  des  mois,  p.  85, 

•  ii.  96;  mort  de  la  Vierge,  p.  198. 

Sens,  cathédrale  :  iconographie,  p.  453;  bas-re- 
liefs :  flore  des  chapiteaux,  p.  70  :  animaux  et  mons- 
tres, façade  occid.,  p.  76  :  les  Arts  libéraux,  p.  io5, 
106-1)2;  la  Philosophie,  11  '!,  1 1  ">  :  la  Médecine, 
p.  1 1 G  :  la  Libéralité  el  l'Avarice,  p.  i-iti:  couronne- 
ment de  la  Vierge,  p.  290. 

Vitraux  :  vitrail  du  bon  Samaritain,  223,  a  '>\.  ■  15, 
i')>  ;  vitrail  de  l'Enfant  prodigue,  p.  237  ;  les  Mages, 
vitrail  de  l'abside,  p.  271  :  l'Annonciation,  p.  289: 
Assomption  de  la  Vierge,  p.  298:  vitrail  de  saint 
Eustache,  p.  W.i  :  saint  Pierre  et  saint  Paul,  p.  3  [6  : 
vitrail  de  saint  Thomas  Becket,  p.  \-  1  :  vitraux  de 
l'Enfance  de  J.-C.  et  de  la  Passion,  p.  222,  466. 

Soissons.  cathédrale  :  vitraux  :  vin-ail  de  la  Créa- 
lion,  |>.  42  ;  vitrail  des  Arts  libéraux,  ]>.  io5  ;  rose 
septentrionale,  p.  256  :  lange  annonçant  à  la  Vierge 
sa  mort,  p.  2g3  :  vitrail  de  saint  Crépin  et  de  saint 
Crépinien,  p.  360  ;  arbre  de  Jessé  et  Sibylles,  p.  3o5. 

Souillac,  église  :  trumeau,  p.  67  :  le  miracle  de 
Théophile,  p.  307. 

Souvigny,  colonne,  p.  77. 

Strasbourg,  cathédrale  :  statues  .  les  Vertus  au 
portail  occidental,  p.  1  Ji  ;  l'Eglise  et  la  Synagogui  , 
|i    2  !o. 

/;./s  reliefs  :  Irise  d'animaux  symboliques,  p.  5g; 
chapiteau  burlesque,  p.  82;  Salomon  sur  son  trône, 
façade,  p.  190;  Enfance  et  Passion  de  J.-C,  p.  468. 

Vitraux  :  vitrail  de  l'Enfance  de  J.-C  p.  219; 
vitraux  des  empereurs  d'Allemagne,  p.  I98  vitraux 
de  la  vie  de  J.-C,  p,   (68 

Torcello,  baptistère,   p.  27. 

Toulouse,  musée  .  La  Luxure,  p.  j  [9  :  chapiteau 
représentant  la  Résurrection,  p.  2  ji  ;  chapiteau  delà 


Cène, p.  261  ;  saint  Paul,  p.  33a  :  saintJacques,  p.  36i. 

—  Sainl-Sernin  :  chapiteaux  du  Mauvais  Riche  et 
de   Lazare,  p.  217 . 

Tournus.  église  pavé  -  zodiaque,  p,  8(3. 

Tours,  cathédrale  :  vitraux  :  vitrail  avec  des  ani- 
maux symboliques,  p.  5g,  2  ;  j  :  \  il  rail  symbolique  de 
l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament,  p.  171-178,  22S  : 
vitrail  de  la  Création,  p.  244;  vitrail  de  l'Enfance  de 
Jésus-Christ,  p.  222,  25g,  271;  vitrail  de  saint 
Martial,  p.  261  ;  vitrail  de  la  Passion,  p.  2IJ7,  26g; 
vitrail  de  saint  Eustache,  p.  ijj;  vitraux  de  saint 
Pierre  et  saint  Paul,  p.  Î46-349,  3y6  ;  légende  de  saint 
Jean,  p,  34g  '•  5  j  légende  de  saint  Thomas,  p.  35  j- 
355  :  vitraux  consacrés  à  la  légende  de  saint  Jacques 
le  Majeur,  |>  355,  356,  382  :  vitraux  des  apôtres, 
p.  363  :  vitrail  de  saint  Martin,  p.  lliii.  I76,  373  ; 
vitrail  donne1  par  l'abbaye  de  Cormery,  p.  \6  ;  par 
les  laboureurs,  p .  177;  vitrail  de  saint  .Nicolas, 
p.  383  :  vitrail  de  l'enfance  de  J.-C.  et  vitrail  de  la 
Passion  dans  la  chapelle  absidale,  p.    j66. 

Trieste.  baptistère,  p.  27. 

Troyes.  cathédrale  :  vitraux  :  vitraux  du  cycle 
de  Noël,  p.  2i5,  467  :  vitrail  du  baptême,  dos  Mages 
et  des  noces  de  Cana,  p.  217  ;  Assomption  de  la 
Vierge,  p.  298  :  couronnement  de'  la  Vierge,  p.  290  ; 
vitrail  de  saint  Nicolas,  p.  336,  383;  saint  Pierre 
etsaintPaul,  p.  346-349;  légende  de  saint  Jean.  p.  3 5  2  : 
vitrail  de  saint  André',  p.  356  :  vitraux  représentant 
un  empereur,  un  roi,  un  évêque,  )>.    102. 

—  Saint-Urbain  :  sculpture .  chapiteau  sj  mbolique 
(aujourd'hui- au  Louvre},  p.  62  :  jugement  dernier, 
ji.  434,  i  »6,  i  i  >  :  tapisseries,  p.  457  ;  vitraux  ■  vitrail 

de  la  Passion,  p.    167. 

-  Eglise  de  la  Madeleine  :  tapisseries,  p.   'P7. 
Tyr  :  mosaïque  de  l'église,  p.  85. 
Valcabrère  (Haute-Garonne),  chapiteaux,  p.  37  i. 

Venise,  église  Saint-Mare  :  mosaïques,  p.  77.  290  ; 

Alexandre  montant  au  ciel,  bas-relief,  p.  391. 

—  Palais  ducal  :  chapiteaux,  p.  25  :  justice  de  Tra- 
jan,  p.  391. 

Vézelay.  église;  tympan  du  portail,  p.  77. 
Ydes   (Cantal),    bas-reliefs  symboliques   relatifs 
à  la  Vierge,  p.   182. 


TABLE  ALPHABET MU  E   DES  (.RAVI  KES 


Adoration  des  Mages,  (N.-D.  de  Paris  .  253. 

Adoration  > I « ' s   Mages  (Chartres),  269,  270. 

Adoration  des  Mages  (ms.  du  \m    siècle),  271. 

Ames  portées  par  les  anges  (Reims),    j  ji'i 

Aigles  et  aiglons  (Lyon),  58. 

Ames  portées  dans  le  sein  d'Abraham  (Reims  ,  j  |ii 

Animaux   (les  quatre)   (Chartres),  21. 

Animaux   fantastiques  (N.-D.  de  Paris),  7a. 

Annonciation  (Lyon),  i85. 

Annonciation  (Laon),  287. 

Apocalypse    il  après  un  ms.  de  la  B    N  ),    jig. 

Apocalypse  (vitrail  de  Bourges),    [22. 

Apôtres  de  Chartres,    158. 

Apôtres  d'Amiens,  36o,  36i . 

Apôtre    portant  la    croix    de    consécration   (Sainti 

Chapelle  .   1 5 
Apparition  de  Jésus-Christ  à  Sainl-Pierrc    N.-D.  de 

Paris).  267. 
Arbre  de  Jessé  [Chartres  .    '.00. 
Aristotc  el  Campaspe  (Lyon),    189. 
Arts    libéraux,    La    Grammaire    et     la    Dialectique 

(Auxerre),   106. 
Arts  libéraux.  La  Musique  [Laon  ,    ro8. 
Arts  libéraux     La  Grammaire  (Chartres),    111. 
Arts  libéraux    La  Philosophie    Laon),   n3. 
Arts  libéraux.  La    Philosophie   (Sens),  m. 
Aspic    A  miens  .  •  V 1  . 

Assomption  de  la  Vierge    N.-D.  de  Paris),  291 
Balaam   el   la  reine  de  Sabba  [Chartres),  20. 
Basilic    Amiens] .  Gi . 
Béatitudes  ((  !hai  1  res  .    i48,    i  i'.i. 
Bète    la    menaçant  la  femme  el  1  enfant,   [19, 
Bon  Samaritain  [le    [Sens  .    ■  '.  I 
Cavalier  de  l'Apocalypse     N,  D   de  Paris  .    j>. 
Cavalier  de  l'Apocalypse  [d'après  un  ms.),    \i~. 
Cavaliers  de  l'Apocal}  psn    Ami)  ns),    c, 
Charadrius    Lyon  .  '17. 
Cbarlemagnc  (vitrail   de  Chartres  .    [06,    [07. 


Christ   (Amiens  ,  60 

(  '.'i'\ ,  eau,  .1  rbres    (  '  1 1  ;■  ri  res  .   r  > 

Couronne  m  cul  Je  la  V'ierge    Vit    de  Paris),  297. 

(' onnement    de    la    Vierge     [Abbaye     de      Long- 
pont)  .    "i  ». 

Couronnement  de  la  Vierge  [Senlis  .   192 

Couronnement  de  la  Vierge    Chartres),    "t  » 

Couronnement  de  la  Vierge    Amiens  ,  296. 

Couronnement  delà  Vierge    Sens  .    >,,,, 

Couronnement  de  la   Vierge    Auxerre  .    toi. 

Couronnement   de  la    Vierge     ivoire  du  \irr    siècle. 
Louvre  .   !"  ■ . 

Création    Chartres),    [2. 

(  Irucifixion  symbolique,   2  "1 

David  el  Goliath     Reims  .    (98. 

Dons  du  Saint-Espril    le  Mans  .    101 

Échelle  de  la  Vertu ,  1  Ï2. 

Eglise  el  Synagogue     vitrail  de  Bourges  , 

Été    .N  -H    de  Paris  .  85 

Étudiants    prétendues  scènes  de  la  vie  des     N.-D    di 
Paris),   i  1  1 . 

Kigures  marginales   ms.  de  la  Bibl    nat.  ,79,80,81 

Plorc  monumentale    N  -D.  de  Paris  ,  69 

Kuilc  en  Egypte    N    I  ».  tic  Paris  .    ■  e, 

I  imérailles  de  la   Vierge    X.   H.  de   Paris  .    188. 

(  lédéon  ei    la  Toison  [\ 11  rail  de   I  ,aon] . 

'  ienèse    Auxerre  .    1 63 

1 ,  rotesques   du   portail  des  Libraires    Rou 
78. 

Histoire  de  salut  Etienne     N     I»    de  Paris  ,    107. 

\~.t\<-  portant  saiui  Matthieu    vitrail  de  '  liai 

Nue,     1'  rémie,    saint    Jean  Baptiste,     saint     Pierre 
I   harlres  .     09 

1 .  Christ    A  miens      I  i< 

Jésus  '   hrisl     Chartres),      1 

JésUS     enhe      I     \luienue      et     la     NoUVell        I 

Denis  ,   io5. 
Jeune  lille  et  lui  une     Lyou       »  » 


INDEX    ALPHABETIQUE    DES   GRAVURES 


Jugement  dernier  (Laon),  426. 

Jugement  dernier   (N.-D.  de  Paris),  428. 

Jugement  dernier  (Amiens),  435. 

Jugemenl  dernier  (Saint-Sulpice  de   Favières),  434- 

Jugement   dernier  (cathédrale  de  Bordeaux),  433. 

Jugemenl  dernier  (Chartres),  427. 

Jugemenl    dernier  (Sainl  Seurin  de  Bordeaux),  43i. 

Jugement  dernier  (Poitiers),  43o. 

Jugemenl  dernier,  les  damnés  (Bourges),    iii. 

Jugemenl  dernier,  1rs  élus  (Bourges),  444- 

Jugemenl  dernier,  les  damnés  (Reims),  440. 

Lamech   tuant  Caïn  (Bourges,  Auxerre),  '242,  243. 

Léviathan  (pèche  de),  44 1  • 

Lion  el  lionceaux  (Lyon),  56. 

Mages  'Amiens^,  255 . 

Martyre    de    Saint-Nicaise    et     de    Sainte-Eutrope 

Reims  ,   364. 
Melchisédech  el  Abraham  (Reims),  187. 
Melchisédech,    Abraham,     Moïse.    Samuel,     David 

(Chartres),  208. 
Mer  (N.-D.  de  Paris),  7  3. 

Miracle  dé  Théophile  (N.-D.  de  Paris),  3o5,  3o6. 
Mirai  lis  de  la  Vierge  (vitrail  du  Mans),  309,   3  I  I . 
Mois  (les)   [Amiens),  87.  88,  91,  94. 
Mois    les)  (N.-D.  de  Paris),  90,  93,  g5. 
Mois    les    (Rampillon  ,  89.  96. 
Mort  de  saint  Jean  (vitrail  de  Lyon),  35o. 
Mort  de  Saint-Jean  1  Évangéliste  [Rouen),  35i. 
Nativité  (la)  (ins.  du  xm°  siècle),  222. 
Nativité  (la)  (Laon),  22 3. 
Nimbe  crucifère  (Chartres),  19. 
Pelletiers  (les)  (Vitrail  de  Chartres),  84. 
Perroquets,  7  1 . 

Personnages  bibliques  (Chartres),    199,  401. 
Prédiction  de  Sophonie  (Amiens),  197. 
Prophète    le)  Amos  (Vitrail  du  Mans),  ig3. 
Prophète  (Reims) .  19  ;. 
Prophètes  [Amiens),  19V 
l'ss  chomachic  (Aulnaj  ),  [28. 
Quadrige  d  Aminadab  (Saint-Denis),  206. 
Résurrection  de  ta  Vierge  (N.  1).  de  Paris),  289. 
Résurrection  de  la  Vierge  (abbaye  de  Longpont),  295. 
Ré  urrection  des  Morts  [Rampillon),  438. 
Résurrection  des  Morts  (Rouen),    ]'•■;. 

Roi  de   Jnda,  202. 

Roue  de  Fortune  (Amiens" .  1  19. 


Roue  de  Fortune  (ins.  du  xne  siècle),   121. 

Sages-femmes  lavant  L'enfant  (Le  Mans),  a5i. 

Saint  Eustache  (Chartres),  322.  323,  325. 

Saint  Firmin  (Amiens),  332. 

Saint  Jacques   légende  de),    Chartres),  357. 

Sainl  Jacques  (Bayonne),  362. 

Saint  Marcel  baptisant    .N.-D.  de  Paris).  365 . 

Saint  Martin,  sainl  Jérôme,  saint  Grégoire  le  Grand, 

(Chartres  ,334,  335. 
Saint  Nicolas  et  saint  Martin  (Chartres  .    385. 
Saint    Pierre   el  saint   Jean    au   Tombeau    (N.-D.    de 

Paris).  264. 
Sainl  Théodore  (Chartres),  33i. 
Sainl  Thomas  (légende  de)   (Semur),  353. 
Sainte  Anne  el  saint  Joachim  (vitrail  du  Mans'.  28  j. 
Sainte  Anne  portant  la    Vierge  (vitrail  de  Chartres). 

37!. 
Sainte  Modeste  (Chartres),     17. 
Séparation  des  bons  el  des  méchants  [Laon),    }  I  *  » . 
Sibylle  Erythrée  (Laon),  3g3. 
Siinion,  saint  Jean-Baptiste,  Isaie,  Moïse,  Abraham 

(Reims.    [85. 
Soubassement  de  la  cathédrale  de  Sens,  75. 
Tète  du  Christ   (Amiens),   16. 
Vertus    i'l    vices   (Amiens,    Paris,    Lyon.   Chartres1 . 

i36,   (37,    1  18.  139,   140,  1  J 1 .    1  j2,  i43,  iii.  i45, 

146,   i(7-  ii8.   149,  )5i,  132,  [53,   [54,   i56,   1  "> 7 . 

[58,  160. 

Vierge  avec  le  buisson  ardent     Charlres\  21. 

Vierge   (la)  (Amiens',   1 83. 

Vierge    la    el'une  sage-femme  (vitrail  de  Laon).  249. 

Vierge  (la)  (vitrail  de  Laon),  277. 

Vierge  de  Chartres  N.-D.  de  la  Belle- Verrière),  276. 

Vierge  (la     dorée  d  Amiens,  279. 

Vierge  (N.-D.  de  Paris),  274,278. 

Vierges  (les)  folles  (Longpont).  j'10. 

Visitation  (N.-D.  de  Paris1.  272. 

Vision  d'Ezéchiel  (Amiens),  197. 

Vision  de  Zacharie  (Amiens),  198. 

Vision  de  sainl  Jean  (vitrail  de  Lyon),    j  1  '>. 

Vitrail  symbolique  de  Lyon,  5  j. 

Vitrail  symbolique  de  Bourges,    17  1. 

Vitrail  symbolique  du  Mans,   177. 

Vitrail  de  Saint  Denis,  2o5,  206. 

Voussures   du    portail  Saint-Honoré    (Amiens},    186. 


TABLE  GENERALE  DES  MATfÈRES 


Préface  .    . 


INTRODUCTION 

Chapitre  I.  —  Les  caractères  généraux  de   l'Iconographie   du   moyen  âge  i  '. 

I.  —  L'Iconographie  du  moyen  âge  est  une  écriture. 

II.  —  Elle  est  une  arithmétique.  —  Les  nombres  mystiques. 

III.  —  Elle  est  une  symbolique.  —  L'Art  et  la  Liturgie. 

Chapitre  II.  —   Méthode  à  suivie  dans  l'étude  de  l'Iconographie   du  moyen  âge.      -  Les 

miroirs  de  Vincent  de  Beauvais.    ...  '■- 

LIVRE    I 
LE    MIROIR    DE    LA    NATURE 

I .  —  Le  monde  lut  conçu  par  le  moyen  âge  comme  un  symbole.  —  Origines  de  cette  concep 

tion.  —  La  clef  de  Meliton.  —  Les  Bestiaires. 

II.  —  Les  animaux  représentés  dans  la  cathédrale  ont  parfois  un  -ins  symbolique  ■—  Les 
quatre  animaux  évangéliques.  —  Le  vitrail  de  Lyon;  la  frise  de  Strasbourg.  -  Influence 
d'Honorius  d'Autun  ;  rôle  des  Bestiaires. 

III.  —    Exagérations  de  l'école  symbolique    —  Une  faul  pas  chercher  partout  des  symboles. 

—  La  faune  et  la  flore  dans  l'art  du  x 1 1 1 '  siècle.  —  Les  gargouilles;  les  monstres  '|  i 

LIVR  i:   I  I 
LE    MIROIR    DE   LA    SCIENCE 

I.  —  Le  travail  et  la  science  ont  leur  rôle  dans  l'œuvre  de  la  Rédemption.  —  Le  travail  manuel. 

—  Représentation  des  travaux  de  chaque  mois  :  calendriers  illustrés. 

II.  —  La  Science;  le  trivium  et  le  quadrivium.  -  ■  Les  sept  Arts  dans  le  livre  de  Martianus 
Capella.  —  Influence  du  livre  de  Martianus  Capella  sur  la  littérature  du  moyen  âge  et  sur 
l'art. 

III.  —  Représentations  Dgurées  de  la  Philosophie.  -  -  Influence  de  Bo< 

IV.  —  Conclusion.  La  destinée  humaine.        La  roue  de  Fortune 


|3/j  TABLE    GEl\ÉRALE    DES    MATIERES 

LIVRE    III 
LE    MIROIR    MORAL 

I.  —  Représentations  des  Vices  el  des  Vertus  dans  L'art  du  moyen  âge.  —  La  Psychomachie 

de  Prudence  et  son  influence. 
IL  —  La  représentation  des  Vices  et  des  Vertus  affecte  des  formes  nouvelles  au  xmesiècle.  — 

Les  douze  Vertus  et  les  douze  Vices  à  Notre-Dame  de  Paris,  à  Chartres,  à  Amiens. 
III.  —  La  vie  active  et  la  vie  contemplative  :  statues  de  Chartres. ia3 

LIVRE    IV 
LE    MIROIR  HISTORIQUE     —  L'ANCIEN  TESTAMENT 

Chapitre  I.  —  I.  —  L'Ancien  Testament  considéré  comme  une  ligure  du  Nouveau.  —  Ori- 
gines de  l'interprétation  symbolique  de  la  Bible.  —  Les  Pères  d'Alexandrie.  —  Saint 
Hilaire.  —  Saint  Ambroise.  —  Saint  Augustin.  —  Le  moyen  âge.  —  La  Glose  ordinaire. 

H  —  Les  ligures  de  l'Ancien  Testament  dans  l'art  du  moyen  âge.  —  Figures  se  rapportant  a 
Jésus-Christ.  — Vitraux  symboliques  de  Bourges,  de  Chartres,  du  Mans,  de  Tours. 

III.  —  Figures  de  l'Ancien  Testament  se  rapportant  à  la  Vierge.  —  Le  portail  de  Laon.  — 
Influence  d'Honorius  d'Autun. 

IV.  —  Les  patriarches  et  les  rois.  —  Leur  rôle  symbolique. 

V.  —  Les  Prophètes.  —  Efforts  de  l'art  du  moyen  âge  pour  représenter  les  prophéties. 

NT.  —  L'arbre  de  Jessé.  —  Les  rois  de  Juda  à  la  façade  de  Notre-Dame  de  Paris,  d'Amiens, 

de  Chartres. 
VIL  — Résumé.  —  Les  médaillons   symboliques   des  vitraux   de  Suger  à  Saint-Denis.    — 

Les  statues  du  portail  nord  de   Chartres [6  i 

LES    ÉVANGILES 

Chapitre  II.  —  I.  —  Toutes  les  scènes  de  la  vie  de  Jésus-Christ  n'ont  pas  été  représentées  au 
moyen  âge.  Pourquoi  .'  —  Les  artistes  ne  représentent  que  le  cycle  des  fêtes.  —  Influence 
de  la  Liturgie.  —  Cycle  de  Noël  et  cycle  de  Pâques. 

IL  —  Interprétations  symboliques  du  Nouveau  Testament.  —  Représentations  symboliques 
de  la  naissance  de  Jésus-Christ. —  De  la  Mise  en  Croix.  —  Des  deux  Adam.  —  De  la 
Résurrection.  —  Des  noces  de  Cana. 

III.  —  Les  paraboles.  —  Paraboles  des  Vierges  sages  et  du  Bon  Samaritain.  —  Leur  signifi- 
cation symbolique. —  Les  paraboles  du  Mauvais  Riche  et  de  l'Enfant  Prodigue ai' 

LES  TRADITIONS    LÉGENDAIRES    SUR    L  ANCIEN    ET    LE    NOUVEAU 

TESTAMENT 

Chapii  RE  III.  —  I.  —  Traditions  apocryphes  relatives  à  l'Ancien  Testament.  —  La  mort  de 
Caïn. 

II.  -Traditions  apocryphes  relatives  au  Nouveau  Testament.  -  Evangile  de  l'Enfance.  — 
l'.\ angile  de  Nicodème. 


\ 


TABLE   GÉNÉRALE    DES    MATIÈRES  |85 

III.  —  Traits  apocryphes  se  rapportant  à  l'Enfance  de  Jésus-Christ.  —  Le  bœul  el  l'âne.  - 
Les  sages-femmes.  —  Les  Mages  et  leur  voyage.  —  Miracles  de  Jésus  enfant  en  Egypte. 

IV.  —  Traits  apocryphes  se  rapportant  à  la  vie  publique  de  Jésus.        Les  Xoces  de  Cana. 

V.  —  Traits  apocryphes  se  rapportant  à  la   Passion  et   à  la  Résurrection  de  Ji  -u<-<  llirist.  

Légendes  mm-  la  croix.  —  La  Descente  aux  Limbes.  -  -  Les  apparitions. 

VI.  —  Certains  détails  traditionnels  qui  se  remarquent  dans  les  œuvres  d'art  viennent  ils  des 
livres  apocryphes?  Les  traditions  d'atelier.  —  Y  eut-il  au  xiu  siècle  un  Guide  de  la 
Peinture  ' 

VII.  —  Traditions  apocryphes  relatives  à  la  Vierge.  —  Le  Culte  de  la  Vierge  au  \in  siècle. 
—  La  Naissance  de  la  Vierge.  —  Sainte  Anne  et  saint  Joachim.  —  Le  Mariage  de  la 
Vierge.  —  Détails  d'origine  apocryphe  dans  la  scène  de  l'Annonciation.  --  Mort,  funé- 
railles et  couronnement  de  la  Vierge. 

\I1I.  —  Les   Miracles  de   la  Vierge.  —  L'histoire  de  Théophile.  —   Le  De  gloria   marlyrum 

de  Grégoire  de  Tours.  —   Explication  de  plusieurs  vitraux  du  Mans.    .    .    .  ■..  ,.. 

LES    SAINTS  ET  LA  LÉGENDE  DORÉE 

Chapitre   l\  .  —  I.  —  Les  Saints.  —  Place  qu'ils  tiennent  dans  la  vie  des  hommes  du  moyen 

âge. 
II    —  La  légende  dorée   — Son  caractère.  —  Sun  charme. 

III.  —  Comment  les  artistes  interprétèrent  la  Légende  dorée.  -  Effort  pour  exprimer  la 
sainteté. 

IV.  —  Les  Caractéristiques  des  Saints.  —  Emblèmes,  attributs.  —  Réaction  de  l'art  sur  la 
légende. 

Y. — Les  Caractéristiques  des  Saints  el  les  corporations  ouvrières  Les  Saint-   patrons 

VI.  —  Quels  Saints  le  moyen  âge  a-t-il  représentés  de  préférem  -  Les  Apôtres  -  -  Leur 
histoire  apocryphe  :  le  pseudo-Abdias.  -  -  Attributs  des  Apôtres. 

VII.  —  Les  Saints  locaux. 

\  III.  —  Les  Sainis  adoptés  par  la  chrétienté  tout  entière. 

IX.  —  Influence  des  reliques  sur  les  choix  des  Sainis. 

X.  —  Saints  choisis  par  les  donateurs.        Le-  corporations. 

XL  —  Influence  des  pèlerinages  mu-  le  choix   des  Saints  S. uni   Jacques,    saint  Nicolas, 

saint  Martin .  I  i  I 

L'ANTIQUITÉ     —    L'HISTOIRE    PROFANE 

Chapitiie  V.  —  I.  —  L'antiquité.  —  Les  grands  I imes  de  l'antiquité  rarem<  ni  représentés 

dans  la  cathédrale.  •  Aristote  et  Campaspe.  —  Virgile  dan-  la  corbeille.  --  L'antiquité 
tout  entière  symbolisée  parla  Sibylle.  — ■  Le  xin"  siècle  n'a  représenté  que  la  Sibylle 
Erythrée.  -  -  Pourquoi  ? 

II.  —  Les  mythes  antiques  interprétés  symboliquement.  —  <  >vide  moralisé. 

III.  -  L'histoire  de  France.  —  Les  roi-  de  France.  —  Leurs  images  sonl  inoins  fréquentes 
qu'on  ne  pensait.  —  Erreur  de  Montfaucon. 

[Y  _  Les  grandes  scènes  de  1  histoire  île  France.  —  Le  baptême  de  Clovis.  L'histoire  de 
Charlemagne   vitrail  de  Chartres).        Les  Croisades         La  vie  de  saint  Louis 


[86  TABLE   GENERALE   DES   MATIERES 

LA    FIN    DE   L  HISTOIRE.  L  APOCALYPSE.  LE  JUGEMENT   DERNIER 

Chapitre  VI.  —  I.  —  L'Apocalypse.  — ■  Comment  les  arlistes  s'en  inspirent.  —  L'Apocalypse 
espagnole  et  l'Apocalypse  anglo-normande.  —  Influence  de  cette  dernière. 

II.  --  Le  Jugement  dernier.  —  Les  Sources.  —  Importance  de  Y Elucidarium  d'Honorius 
d  Autun.  —  Les  signes  précurseurs.  —  L'Apparition  de  Jésus-Christ.  —  La  Résurrection 
des  morts.  —  Le  Jugement.  —  Saint  Michel  et  sa  balance.  ■ —  L'enfer,  la  gueule  de  Lévia- 
than.' —  Les  élus. 

III.  —  L'éternité  bienheureuse.  —  Les  Béatitudes  de  l'âme.  —  Les  Béatitudes  du  portail  nord 

de  Chartres  représentées  d'après  saint  Anselme.   —  Fin  de  l'histoire 4 1 3 

CONCLUSION 

I.  —  Physionomie  de  chacune  de  nos  grandes  cathédrales. 

II.  —  L'ordonnance  des  sujets  a  été  réglée  par  le  clergé.  —  Les  artistes  sont  les  interprètes 
dociles  de  la  pensée  de  l'Eglise.  —  Erreur  de  Viollet-le-Duc.  —  Les  artistes  laïques  ne  surit 
pas  des  révoltés. 

III.  —  La  cathédrale  œuvre  de  foi  et  d'amour .',5'i 

Appendice ',(jj 

Index   bibliographique ',-1 

Index  des  œuvres  d'art  citées  dans  cet  ouvrage ',-î 

l'ahle  alphabétique  des  gravures .     .      481 

Table  générale  des  matières ...      18 i 


I.\  REUX,     IMI'lilMI  lilE    i   II  . 


III  IIISSE1  .     PAUI      III  HISS]  1  .     MCI1 


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