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Full text of "A la sainte de la patrie, Jeanne d'Arc : pieux hommage de l'episcopat français pendant la grande guerre"

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THE  BOSTON  PUBLIC  LIBRARY 


JOAN  OF  ARC  COLLECTION 


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JEANNE  D'ARC 


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920 


Tous  droits  de  reproduction  et  de  traduction 
partielles  ou  totales   sont  exclusivement  réservés. 


Il  a  été  tiré  de  cet  ouvrage  : 
700  exemplaires  sur  vélin. 
100  exemplaires  sur  Hollande  numérotés. 
30  exemplaires  sur  Japon  numérotés. 


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I9I4  -  I9I8 - 1920 


A   LA    SAINTE   DE   LA   PATRIE 


JEANNE   D'ARC 


-00- 


PIEUX    HOMMAGE 

DE 


L'EPISCOPAT    FRANÇAIS 

PENDANT    LA    GRANDE    GUERRE 

Ouvrage  honoré  d'une  Lettre  de  S.  S.  le  Pape  Benoît  XV 


PREFACE 
de 

Mgr    Alfred    BAUDRILLART 

de  l'Académie  française 


98    COLLABORATIONS    RÉUNIES,    PRÉPARÉES    ET    MISES    AU    POINT 


PAR 


Amédée  RICHARDET 

Camérier  de  S.  S.  le  Pape  régnant, 
Commandeur   de    l'Ordre   de    Saint  -  Grégoire  -  le  -  Grand 

19,  Rue  Monsieur,  Paris  (7'J 


Tous  droits  réservés 


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AVANT-PROPOS 


iJ'atissi  loin  que  je  puisse  me  rappeler  mon  passage  à  l'école  du  village,  il  y  a  déjà 
un  demi-siècle,  je  me  vois  rempli  d'une  naïve  admiration,  d'un  respect  instinctif  pour 
la  belle  figure  de  Jeanne  d'Arc. 

V/omme  j'aimais  à  lire,  comme  j'aimais  à  apprendre  ces  petits  récits  d'histoire,  coupés 
de  dates,  qui  allaient  de  Domremy  à  Rouen,  en  passant  par  Vaucouleurs,  Chinon,  Orléans 
et  Reims  !  Reims  surtout,  avec  la  description  du  Sacre,  remplissait  mon  imagination 
enfantine. 

l_»es  Voix  de  la  bergère  me  suivaient.  Chaque  jour,  à  la  messe  du  vieux  pasteur,  je 
fixais,  avec  une  particulière  insistance,  la  vieille  statue  de  sainte  Catherine  se  dressant 
au  chœur,  sur  un  socle,  une  roue  à  la  main. 

JJès  que  je  connus  mieux  la  vie  et  les  exploits  de  la  Vierge  lorraine,  les  conquêtes 
d'un  Charlemagne,  les  victoires  d'un  Napoléon,  dont  on  nous  entretenait,  et  que  l'on 
nous  faisait  apprendre  en  phrases  lapidaires,  me  paraissaient  bien  pâles,  bien  ternes, 
à  côté  des  épisodes  miraculeux  de  la  vie  de  Jeanne  d'Arc.  Cette  vie  fulgurante  de  la 
bergère,  de  la  guerrière,  de  la  martyre,  de  la  sainte,  s'était  en  quelque  sorte  emparée 
de  mon  esprit,  à  mesure  que  j'avançais  en  âge.  L'histoire  merveilleuse  de  Jeanne  me 
poursuivait  comme  une  sorte  d'obsession  d'apothéoses. 

iLn  1871,  après  avoir  vu  passer  et  repasser  les  Prussiens,  qui,  hélas  !  n'ont  pas 
changé,  ou  plutôt  qui  se  sont  montrés  encore  plus  barbares,  plus  cruels  hier  qu'il  y  a  tm 
demi-siècle,  je  fis  ma  première  communion.  La  guerre  et  ce  grand  acte  excitèrent  davan- 
tage, si  possible,  ma  confiance  en  la  Vierge  de  Domremy.  Je  dus  bien  souvent,  avant  et 
après,  en  servant  la  messe  et  en  regardant  sainte  Catherine,  prier  la  grande  libératrice 
de  nous  susciter  un  libérateur,  puisqu'elle  ne  pouvait  elle-même  descendre  du  Ciel  ! 

l-<'adolescence  avec  tous  ses  jeux,  la  jeunesse  avec  tous  ses  soucis  d'avenir,  ne  me 
firent  oublier,  à  aucim  instant,  cette  belle  et  suave  figure,  et  mon  souvenir  y  fut  invaria- 
blement fidèle.  Plus  tard,  Paris,  avec  ses  labeurs  et  ses  distractions,  n'affaiblit,  ni 
ne  voila  l'image  de  la  sainte  Pucelle  dans  mon  esprit  tout  bouillonnant  d'ardeur  et 
d'activité. 

XXussi,  lorsque,  bien  jeune  encore,  les  circonstances  me  mirent  en  main  une  petite 
revue,  je  voulus  tout  aussitôt  en  offrir  le  très  humble  et  bien  imparfait  hommage  à  la 
Vierge  libératrice.  Mais  ce  n'était  guère  qu'un  balbutiement,  et  j'attendais  qu'une  voix 
autorisée,  digne  de  la  Sainte,  en  chantât  la  louange  dans  les  colonnes  de  cette  modeste 
publication. 

J 'eus  le  bonheur  d'obtenir  et  l'honneur  de  publier  à  la  gloire  de  la  Vierge  lorraine 
de  belles  et  magistrales  pages  épiscopales  :  de  l'évêque  de  Domremy  comme  de  celui 
d'Orléans,  aussi  bien  que  de  celui  de  Vaucouleurs,  ainsi  que  des  études  d'écrivains 
autorisés,  des  sonnets  de  poètes  connus,  même  d'académiciens. 

Je  n'étais  pas  satisfait.  J'ouvris  une  souscription  dans  la  Revue  Idéaliste  pour 
aider  à  l'édification  d'un  monument  à  la  sainte  bergère,  et  j'eus  la  joie  d'en  constater  la 
parfaite  réussite.  Mon  culte  pour  la  Vierge  ne  fit  qu'augmenter  au  fur  et  à  mesure  de 
ces  manifestations  encourageantes,  et  je  tressaillis  d'une  discrète  et  profonde  allégresse 
lorsque,  en  1909,  Pie  X,  de  sainte  mémoire,  proclama  sa  béatification. 

J  e  sentis  alors  le  besoin,  au  plus  profond  de  mon  cœur,  de  mettre  le  couronnement 
à  ma  vieille  dévotion,  à  mon  vieux  culte  pour  la  «  Sainte  de  la  Patrie  »,  et  de  me  préparer, 
avant  les  jours  entrevus  et  espérés  de  la  canonisation  dont  la  Sacrée -Congrégation  serait 
bientôt  saisie,  à  cette  œuvre  nationale  d'union  patriotique  et  chrétienne. 


J 'y  pensais  souvent,  j'y  pensais  toujours,  d'autant  que,  à  partir  de  cette  année  1909, 
j'eus  la  joie  de  faire  fréquemment  le  voyage  de  Rome  et  d'approcher  du  grand  et  saint 
Pontife  qui  avait  proclamé  la  béatification  de  la  Pucelle. 

Il  me  vint  la  pensée,  quelque  peu  présomptueuse,  d'un  hommage  collectif  de 
l'Épiscopal  français  à  la  Libératrice  de  notre  pays.  Ce  serait,  me  disais-je  non  sans 
quelque  témérité,  une  couronne  digne  de  la  Martyre  et  de  la  Sainte. 

Je  m'en  ouvris  à  l'un  de  nos  plus  illustres  prélats,  qui,  à  plusieurs  reprises,  avait 
bien  voulu  me  marquer  tout  son  bienveillant  intérêt.  Je  dois  à  la  vérité  de  dire  que 
je  ne  reçus  pas  précisément  un  vif  encouragement. 

J  e  m'adressai,  un  peu  plus  tard,  à  plusieurs  de  nos  vénérés  évêques  et  je  recueillis, 
cette  fois,  quelques  promesses.  Je  les  enregistrai  avec  une  joie  indicible,  car  elles  me 
prouvèrent  que  je  devais  avoir  vu  juste.  Je  me  mis  à  l'œuvre. 

i_,a  grande  guerre  vint,  et  les  Germains  se  ruèrent  sur  cette  malheureuse  Belgique, 
menaçant  ensuite  de  nous  exterminer. 

Ils  furent  arrêtés  en  Champagne,  le  jour  même  où  le  mot  de  passe  donné  était 
précisément  le  nom  de  notre  chère  Bienheureuse,  circonstance  providentielle,  miracle 
de  la  Marne  ! 

JL/epuis,  je  me  donnai  tout  entier  au  projet  conçu  et  tant  caressé.  Après  avoir 
réuni  un  assez  grand  nombre  d'adhésions  épiscopales  et  consulté  l'un  de  nos  plus 
grands  évêques  et  l'un  de  nos  plus  éminents  rehgieux,  je  courus  à  Rome.  Je  me  jetai 
aux  pieds  de  notre  Saint -Père  le  Pape,  l'illustre  Benoit  XV.  Je  m'ouvris  de  mon 
projet  au  Père  de  tous  les  Fidèles.  Sa  Sainteté  voulut  bien  me  bénir,  m'encourager, 
et  me  dire  combien  EUe  serait  heureuse  de  me  voir  mener  à  bonne  fin  ce  monimient 
épiscopal  en  l'honneur  de  la  glorieuse  PuceUe  d'Orléans.  EUe  daigna  me  laisser  le 
plus  auguste  et  le  plus  gracieux  témoignage  de  Son  intérêt  à  cette  œuvre  :  la  belle 
lettre  autographe  qui  précède  immédiatement  les  hommages  épiscopaux,  et  qui  est, 
elle  aussi,  un  hommage  insigne  à  la  gloire  de  la  Vierge  lorraine  et  en  même  temps 
la  plus  précieuse  des  faveurs  et  la  plus  douce  des  récompenses. 

1  elle  est  la  genèse  de  cet  ouvrage  consacré  à  «  l'Ange  de  la  France  »,  à  la 
«  Sainte  de  la  Patrie  »,  en  des  heures  d'angoisse  nationale.  Tel  est  le  motif  de  ces 
pages  inédites  des  Eminentissimes  cardinaux,  archevêques  et  évêques  français,  qvii, 
dans  les  circonstances  douloureuses  que  nous  venons  de  traverser,  ont  célébré  les  vertus 
de  Jeanne  d'Arc,  exalté  en  traits  merveilleux  sa  mission  divine,  invoqué  sa  toute- 
puissance  et  montré  dans  la  Libératrice  de  la  France  du  XV'  siècle,  le  salut  et  la 
résurrection  de  celle  du  XX'  siècle. 

JNul  doute  qu'elle  ne  se  soit  unie  à  sainte  Geneviève,  à  sainte  Clotilde  et  à  saint 
Louis  pour  nous  donner  la  victoire  finsde,  la  paix  juste  et  durable. 

iVlalgré  toute  mon  indignité  à  présenter  cet  hommage  solennel  de  l'Épiscopat 
français,  à  parler  de  ce  concert  des  voix  les  plus  vénérables,  les  plus  éloquentes  et  les 
plus  autorisées  de  notre  pays  en  l'honneur  de  la  glorieuse  Jeanne  d'Arc,  j'ai  dû 
faire  taire  mes  scrupules  les  plus  intimes  pour  expliquer  le  développement  naturel  de 
la  pensée  qui  inspira  et  put  mener  à  bien  ce  projet  plein  d'attirance,  quoique  remph  de 
difficultés  de  toute  sorte,  grâce  à  la  haute  collaboration  des  évêques  de  notre  pays. 

J  e  leur  en  exprime  très  respectueusement  ma  vive  reconnaissance  et  les  prie  de  me 
permettre  d'avoir  ici  un  pieux  souvenir  pour  l'artiste  sûr  et  délicat  qui  a  encadré  leurs 
brillantes  pages  avec  la  plus  discrète  élégance  et  l'art  le  plus  achevé,  et  que  Dieu  a 
rappelé  à  Lui  au  moment  où  il  achevait  ce  travail. 

Paris,  le  1 S  février  1920. 


PRÉFACE 


Oui,  c'est  un  beau,  un  très  beau  monument  que  la  foi  d'un  homme  vient  d'élever 
à  notre  Jeanne  d'Arc  et  il  s'achève  juste  à  l'heure  où  le  Pontife  romain  rend  la 
sentence  suprême  qui  la  consacre  sainte  aux  yeux  des  hommes.  Je  dis  bien  la  foi 
d'un  homme,  foi  qui  l'a  saisi  dès  sa  petite  enfance,  qui  a  grandi  avec  lui,  dont  le 
flambeau  toujours  allumé  a  jeté  des  lueurs  de  plus  en  plus  vives,  au  fur  et  à  mesure 
que  grandissaient  les  épreuves  et  les  espoirs  de  la  patrie.  Cette  foi  a  triomphé  de 
tous  les  obstacles,  comblé  toutes  les  vallées,  renversé  toutes  les  montagnes.  Les 
obstacles  même  semblent  n'avoir  été  semés  sur  la  route  que  pour  permettre  à  l'oeuvre 
entrevue  d'éclore  en  des  circonstances  d'où  elle  devait  tirer  un  éclat  et  une  portée 
incomparables. 

Certes,  c'eût  été  quelque  chose  en  tout  temps  que  de  faire  entendre  la  voix 
de  l'épiscopat  français  tout  entier  sur  l'héroïne  et  la  sainte  que  l'univers  envie  à  la 
France  :  non  fecil  tatiler  omni  nationi.  Mais  que,  par  la  volonté  de  Dieu,  cette  voix 
ait  retenti  précisément  au  cours  de  la  grande  guerre,  quand  Jeanne  était  pour  tous 
le  symbole,  le  lien,  le  stimulant  du  patriotisme  français,  le  trait  d'union  entre  notre 
terre  meurtrie  et  le  ciel  imploré,  et  cela  même  pour  ceux  qui  avaient  perdu  l'habitude 
de  tourner  vers  le  ciel  des  regards  suppliants  !  Que  l'évêque  de  Domremy  nous  ait 
conduits  au  berceau  de  la  bonne  Lorraine,  à  la  suite  des  pèlerinages  de  guerre  qui 
y  firent  affluer  nos  soldats!  Que  l'évêque  d'Orléans  ait  vu  couronner  les  efforts  de 
vingt-cinq  ans  d'épiscopat,  en  grande  partie  consacrés  à  l'exaltation  de  celle  qui 
délivra  sa  ville  au  quinzième  siècle,  au  moment  béni  où  le  sol  français  était  de 
nouveau  libéré!  Que  le  cardinal  de  Reims  ait  célébré  le  don  de  Dieu  à  la  France, 
au  lendemain  du  martyre  de  la  cathédrale  où  la  Pucelle  victorieuse  avait  fait  couronner 
son  roi,  le  vrai  roi  de  France!  Que  l'archevêque  de  Paris,  de  ce  Paris  où  la  fortune 
avait  semblé  abandonner  la  conductrice  de  nos  armées,  ait  rappelé  le  sens  profond  et 
permanent  de  sa  mission  surnaturelle,  aux  heures  en  apparence  désespérées  de  la 
surprise  du  Chemin  des  Dames  et  ranimé  l'espoir  par  ces  mots:  «  La  Vierge  libératrice 
semble  être  revenue  vers  nous  pour  nous  redire  :  Bataillons  !  au  temps  marqué.  Dieu 
nous  donnera  la  victoire!  »  Que  l'indomptable  évêque  de  Nancy,  celui  qui  volontiers 
s'appelait  lui-même  l'évêque  de  la  frontière,  ait  chanté  son  hymne  à  la  Vierge  lorraine, 
peu  avant  que  la  mort  ravît  à  ses  yeux  le  spectacle  d'une  revanche  si  longtemps 
attendue  !  Que  les  évêques  de  toutes  nos  provinces  aient  redit  les  traditions  locales, 
les  souvenirs,  les  services,  le  culte  de  Jeanne  d'Arc  en  chacun  de  leurs  diocèses,  tandis 
que  les  enfants  de  tous  ces  pays  de  France  versaient  leur  sang  à  flots  pressés  pour 
arracher  la  patrie  au  joug  de  l'envahisseur  !  Que  les  évêques  français  de  Metz  et  de 
Strasbourg  aient  pu  joindre  leur  témoignage  à  celui  de  leurs  frères  et  dire  à  Jeanne 
la  gratitude  de  leur  peuple  délivré  !  Que  ce  livre  enfin  ait  été  écrit  alors  que,  suivant 
le  vœu  prophétique  de  la  Pucelle,  Anglais  et  Français  marchaient  la  main  dans  la 
main,  entraient  ensemble  à  Jérusalem  et  à  Constantinople,  et  rendaient  à  la  chrétienté 
le  tombeau  du  sauveur  près  duquel  priait,  ces  jours-ci  même,  au  cours  d'une  patriotique 
mission,  le  cardinal-archevêque  de  Rouen,  la  ville  du  bûcher.  Oh  !  la  belle  merveille, 
le  précieux  bienfait,  la  touchante  grâce  de  Dieu  !   Oh  !  que  Pie  X  avait  bien  vu  ce 


qu'allait  être  pour  la  France  celle  qu'il  béatifiait  en  1909,  et  de  quelle  bonté  clair- 
voyante avait  fait  preuve  Benoît  XV  lorsqu'en  pleine  guerre,  il  bénit  l'œuvre  destinée 
«  à  accroître  dans  les  âmes  la  dévotion  en  la  bienheureuse  Jeanne  d'Arc,  protectrice 
de  la  France!  »  Le  Pape,  qui,  aux  heures  lumineuses  de  la  victoire,  annonçant  la 
prochaine  canonisation  de  l'héroïne  française,  disait  éprouver  comme  une  sorte  de 
regret  de  n'être  pas  né  Français  afin  de  se  réjouir  plus  encore  d'un  tel  événement, 
n'avait  pas  craint,  aux  sombres  heures  de  1916,  de  tracer  ces  lignes  :  «Tout  ce  qui 
peut  contribuer  à  augmenter  la  gloire  de  la  Vierge  lorraine  nous  est  une  véritable  joie.  » 

Avant  la  guerre,  je  l'avoue,  j'avais  douté  du  succès  d'une  telle  entreprise.  Quelle 
serait  l'originalité,  la  puissante  unité  d'une  telle  mosaïque  de  déclarations?  L'originalité, 
elle  est  née  du  tragique  des  circonstances,  et  l'unité  est  sortie  du  cœur  même  de  la 
France  qui  a  battu  dans  le  coeur  de  chacun  de  nos  évêques,  transformé  en  défenseur 
de  la  cité. 

Inclinons-nous  avec  reconnaissance  et  respect  devant  celui  qui,  non  content  de 
porter  en  lui  durant  tant  d'années  ce  projet  grandiose  et  généreux,  en  a  surveillé 
l'exécution  avec  un  tel  souci  de  la  perfection. 

Voyez  ces  pages  joliment  encadrées,  ce  frontispice  délicat  qui  donne  l'illusion 
d'une  belle  fresque  décorative,  ces  quatre-vingt-dix  armoiries  épiscopales,  exécutées 
par  un  de  nos  plus  distingués  artistes  de  la  plume,  qui  se  détachent,  en  un  relief 
saisissant,  au  bas  de  chaque  signature  autographe  ;  enfin  tout  cet  ensemble  de  motifs 
d'une  finesse  et  d'une  simplicité  de  composition  rarement  égalées.  L'artiste  est  mort 
à  la  peine;  l'auteur  y  a  mis  une  bonne  part  de  sa  fortune;  mais  le  livre  est  entièrement 
beau  et  sera  recherché  des  bibliophiles  les  plus  avertis,  comme  des  plus  fervents  patriotes. 

Les  restes  de  Jeanne  d'Arc,  ces  pauvres  restes  calcinés,  ce  coeur  qui  avait 
triomphé  de  la  flamme  du  bûcher,  ont  été  jetés  à  la  Seine.  De  cette  sainte,  il  n'est 
point  de  reliques. 

Il  y  aura  du  moins  un  reliquaire.  Ce  reliquaire,  tout  plein  de  pensées  pieuses, 
patriotiques,  chrétiennes  et  françaises,  dira  au  monde  que  la  grande  dette  contractée 
au  xv'^  siècle  envers  Jeanne  par  un  évêque  égaré  est  payée  aujourd'hui,  non  seulement 
par  celui  qui  occupe  le  siège  de  Beauvais,  mais  par  tout  l'épiscopat  du  doux  pays 
de  France;  il  montrera,  bien  mieux  encore  que  de  vénérables  débris,  même  ranimés 
par  un  esprit  de  gratitude  et  de  foi,  tous  les  sublimes  aspects  de  la  sainte  qui  incarnera 
désormais  aux  yeux  des  hornmes  de  tous  les  temps  et  de  tous  les  pays  la  pure  et 
sublime  vertu  du  patriotisme  chrétien. 


^/^^'S, 


Nous  avons  appris  avec  une  vive  satisfaction 
l'hommage  solennel  que  l'Épiscopat  français  veut 
rendre,  dans  les  douloureuses  circonstances  pré- 
sentes,   à    la    Bienheureuse    Jeanne    d'Arc. 

Tout  ce  qui  peut  contribuer  à  augmenter  la 
gloire  de  la  Vierge  Lorraine,  à  répandre  son  culte 
et  à  exciter  à  l'imitation  de  ses  saintes  vertus, 
nous    est  une  véritable    joie. 

C  est  donc  de  grand  cœur  que  nous  bénissons, 
en  le  félicitant,  celui  qui,  le  premier,  conçut  l'idée  de 
ce  monument,  les  membres  de  l'Episcopat  français 
dont  la  collaboration  a  permis  de  l'édifier  ainsi 
que  tous  ceux  qui,  par  la  diffusion  de  cette  oeuvre, 
auront  aidé  à  accroître  dans  les  âmes  la  dévotion 
en  la  Bienheureuse  Jeanne  d'Arc,  protectrice  de 
la  France. 

Du  Vatican,  le  2J  Juillet  1^16. 


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Signer    Amedeo    RICHARDET, 
Parigi. 


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JEANNE    D^ARC    ET    REIMS 


De  tous  les  dons  que  le  Ciel  a  faits  à  la  France,  il  n'en  est  pas  de 
plus  merveilleux  et  de  plus  manifestement  surnaturel  que  celui  de 
l'illustre  héroïne  qui  fut  sa  libératrice  au  XV  siècle. 

Gracieuse  et  douce  comme  Esther,  inspirée  et  brave  comme  Déborah, 
généreuse  et  sainte  comme  Judith,  Jeanne  d'Arc  réunit  tous  les  mérites  de 
ces  femmes  immortelles  et  les  couronne  par  le  sacrifice  de  sa  vie  accepté 
avec  une  angélique  résignation  et  avec  la  magnanimité  des  martyrs. 

Or,  deux  villes  seulement  ont  eu  l'honneur  d'être  nommées  à  Jeanne 
d'Arc  par  ses  Voix  dans  les  visions  qui  la  préparèrent  à  sa  vocation  : 
Orléans  et  Reims  ;  Orléans,  dont  la  délivrance  devait  être  le  signe  de 
sa  mission  ;  Reims,  où  elle  devait  conduire  le  Dauphin  recevoir  «  Son 
Saint  Sacre.  » 

Cette  mention  nominale  de  la  ville  des  Sacres  est  doublement  glo- 
rieuse pour  notre  cité,  et  parce  qu'elle  en  faisait  le  point  culminant  de 
l'épopée  et  de  la  gloire  terrestre  de  la  noble  héroïne,  et  parce  qu'elle 
était  la  consécration  par  le  Ciel  même  de  la  tradition  nationale  du  Sacre 
de  nos  rois,  et  du  privilège  en  vertu  duquel  les  successeurs  de  Clovis 
devaient  venir  recevoir  à  Reims,  dans  l'église  du  Baptistère  national, 
l'onction  royale  avec  le  baume  de  la  Sainte-Ampoule,  de  la  main  du 
successeur  de  saint  Rémi. 

C  est  à  Reims  donc  que  Jeanne  d'Arc  avait  mission  de  conduire  le 
Dauphin  ; 

v/  est  à  Reims  qu'elle  fit  avec  lui  son  entrée  triomphale,  le  16 
juillet  1429  ; 


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V^ 


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C'esf  à  Reims,  dans  notre  cathédrale  actuelle,  que,  le  jour  du  Sacre, 
elle  tint  à  l'honneur  1  étendard  qu'elle  avait  porté  à  la  peine  pendant 
toute  la  campagne  de  la  Loire  et  de  la  Champagne. 

Aussi  Jeanne  d'Arc  aimait -elle  notre  ville,  comme  en  font  foi  les 
lettres  qu'elle  écrivit  «  à  ses  bons  et  féaux  amis  de  Reims.  » 

D  autres  souvenirs  encore  rattachent  la  cité  rémoise  à  l'histoire 
de  la   Pucelle. 

C  est  un  enfant  de  l'Église  de  Reims,  Jean  Gerson,  le  célèbre  chan- 
celier de  Notre-Dame  et  de  l'Université  de  Paris,  qui,  des  premiers,  se 
prononça  en  faveur  de  la  céleste  Envoyée,  en  publiant  un  Mémoire  où 
il  résume  son  sentiment  sur  elle  en  ce  texte  de  l'Ecriture  :  «  A  domino 
factum  est  istud.  » 

C  est  un  archevêque  de  Reims,  Regnault  de  Chartres,  qui  présida,  à 
Poitiers,  l'assemblée  des  Docteurs  chargés  par  le  Dauphin  d'examiner 
la  Voyante  de  Domremy,  et  qui  proclama  que  l'on  pouvait  avoir  con- 
fiance en  la  mission  dont  elle  se  disait  investie  «  de  par  le  Roy  du  Ciel.  » 

C  est  encore  un  archevêque  de  Reims,  Jean  Juvénal  des  Ursins,  qui 
dirigea  les  travaux  de  la  Commission  pontificale  déléguée  par  le  pape 
Calixte  III,  pour  réviser  le  procès  de  Rouen,  et  qui  prononça  la  sen- 
tence de  réhabilitation  de  l'innocente  victime,  en  déclarant  nuls  le  procès 
et  la  sentence  qui  l'avaient  envoyée  au  bûcher. 

Ne  peut-on  pas  dire  que  ces  deux  archevêques  de  Reims  furent  les 
premiers  ouvriers  de  l'œuvre  dont  la  Béatification  de  Jeanne  d'Arc  fut 
le  couronnement  en  1909,  l'un  en  reconnaissant  canoniquement  comme 
digne  de  confiance  la  mission  divine  de  la  Pucelle,  l'autre  en  réhabi- 
litant l'illustre  héroïne,  au  nom  de  l'Église,  par  une  procédure  en  laquelle 
il  semble  permis  de  voir  comme  le  préliminaire  de  celle  qui  se  termina 
par  son  inscription  au  nombre  des  Bienheureux  ? 

Quelle  indignation  la  Sainte  Triomphatrice  de  Reims  n'a-t-elle  pas 
dû  ressentir  contre  les  hommes  qui  ont  osé  lancer  leurs  bombes 
sacrilèges  sur  l'illustre  cathédrale  qui  lui  rappelle  tant  de  glorieux 
souvenirs,  sur  cette  église  de  Notre-Dame  qu'elle  a  vue,  où  elle  est 
entrée  triomphante,  où,  son  étendard  à  la  main,  elle  assista  au  couron- 
nement de  son  œuvre  ! 

Avec  quel  plaisir,  au  contraire,  elle  doit  voir  la  nation  qui  était  alors 
pour  nous  l'ennemi,  combattant  aujourd'hui  fraternellement  avec  nous. 


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la  nation  qui  l'avait  condamnée  au  bûcher  reconnaissant  noblement 
son  erreur  et  s'unissant  à  nous  pour  lui  rendre  hommage  !  Ses  pontifes 
sont  venus  la  fêter  ;  ses  orateurs  lui  ont  fait  amende  honorable  et  ont 
célébré  ses  louanges  dans  notre  cathédrale.  Un  tel  retour  ne  nous 
autorise- 1- il  pas  à  croire  qu'elle  a  voulu  répondre  aux  hommages 
confondus  de  la  France  et  de  l'Angleterre,  en  brandissant  en  tête  de 
nos  armées  son  épée  victorieuse,  et  en  les  couvrant  de  la  protection  de 
son  glorieux  étendard  ? 

Un  des  buts  providentiels  de  sa  mission  était,  en  restaurant  l'indé- 
pendance de  la  Patrie,  de  lui  assurer  aussi  dans  l'avenir  la  conservation 
de  la  foi  catholique,  dont  la  France  a  la  vocation  d'être  l'apôtre,  appelée 
qu'elle  est  à  porter  partout  le  flambeau  de  l'Évangile  et  de  la  civili- 
sation chrétienne.  Fille  de  France,  elle  a  sauvé  sa  Patrie  ;  Fille  de  Dieu, 
elle  lui  a  conservé  sa  foi  religieuse,  L'Église  déclare  dans  l'oraison  de 
la  messe  de  la  Bienheureuse  que  c'est  pour  cette  double  fin  qu'elle  nous 
a  été  donnée  :  «  ad  fidem  ac  patriam  tuendam,  »  pour  la  défense  de 
la  Foi  et  de  la  Patrie, 

Or,  hier  encore,  nous  avons  combattu  non  pas  seulement  pour 
l'intégrité  du  territoire  national,  mais  aussi  pour  la  sauvegarde  de  la 
civilisation  chrétienne.  Sans  l'avoir  prévu,  en  effet,  nous  avons  dû 
combattre  pour  préserver  l'Europe  de  l'hégémonie  politique  et  intel- 
lectuelle à  laquelle  prétend  une  race  ambitieuse,  dont  la  politique  est 
fondée  sur  ce  principe  que  la  force  crée  le  droit,  et  dont  l'esprit  a  été 
imprégné  d'une  philosophie  qui,  en  niant  ou  en  mettant  en  doute  la 
valeur  de  la  raison,  conduit  logiquement  au  scepticisme  universel  et  à 
la  ruine  de  toute  foi  religieuse, 

M.ais  si,  pour  nous  concilier  le  secours  de  Dieu  et  la  protection 
de  Jeanne  d'Arc,  nous  nous  prévalons  du  rôle  de  défenseurs  de  la 
civilisation  chrétienne,  la  logique  nous  oblige  à  ne  pas  persécuter  chez 
nous  la  religion  sur  laquelle  est  fondée  cette  civilisation.  Comment  nous 
poser  devant  le  monde  en  champions  de  la  civilisation  européenne, 
qui  est  la  civilisation  chrétienne,  si  nous  proscrivions  de  chez  nous  la 
religion  chrétienne,  si  nous  refusions  à  Dieu  sa  place  dans  nos  insti- 
tutions, sa  part  dans  notre  vie  nationale,  si  nous  chassions  de  chez  nous 
le  Christ,  dont  cette  civilisation  a  pris  le  nom,  parce  qu'elle  en  a  reçu 
ses  principes  et  son  esprit  ? 

Jeanne  d'Arc  n'eut  qu'une  ambition  :  restaurer  et  affermir  le  règne 
de  Jésus-Christ  sur  la  France,  Pour  elle,  le  vrai  roi  de  France,  c'était 


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Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  le  souverain  de  France  n'était  que  son 
lieutenant.  Elle  demanda  un  jour  à  Charles  VII  de  lui  remettre  son 
royaume  ;  le  roi  y  consentit  ;  alors  Jeanne  en  fit  hommage  et  le  donna 
à  Notre-Seigneur  comme  à  son  véritable  souverain,  puis  elle  le  rendit 
à  Charles  comme  au  Lieutenant  de  Jésus-Christ. 

On  ne  peut  se  réclamer  de  la  protection  de  Jeanne  et  renier  son 
Dieu.  «  Osez- vous  bien  renier  votre  Père  et  Créateur  ?  disait-elle  un  jour 
à  un  prince  de  la  cour  qui  blasphémait.  En  nom  Dieu,  vous  vous  dédirez 
avant  que  je  parte  d'ici.  »  C'est  le  langage  qu'elle  tiendrait  encore 
aujourd'hui  à  ceux  qui,  tout  en  prétendant  l'honorer,  feraient  profession 
d'athéisme,  qui  prétendraient  mettre  Dieu  et  la  Religion  hors  la  loi,  et 
méconnaîtraient  son  Christ  et  son  Église,  Invoquer  Jeanne  d'Arc  et 
renier  le  Dieu  au  nom  de  qui,  jusque  sur  le  bûcher,  elle  se  disait  envoyée 
vers  nous,  ce  serait  lui  faire  injure.  Elle  ne  voudrait  point  de  ces 
hommages  et  les  considérerait  comme  un  obstacle  au  salut  du  pays. 

Si  donc  nous  voulons  que  Jeanne  d'Arc  intercède  toujours  pour 
nous,  comme  elle,  reconnaissons  les  droits  de  Dieu  sur  nous  et  sur 
notre  pays  ;  rendons-lui,  à  Lui,  à  son  Christ,  à  son  Église,  la  place  qui 
lui  est  due  dans  nos  institutions  et  notre  vie  nationales. 

Reims,  le  10  novembre  1916. 

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BORDEAUX 


PRIÈRE,    TRAVAIL,    SACRIFICE 


Une  prophétie  assez  répandue  dans  le  peuple  annonçait  que  la 
France,  perdue  par  une  femme,  serait  relevée  par  une  vierge  venue 
des  Marches  de  Lorraine.  Le  Christ,  qui  aime  d'un  indéfectible  amour 
notre  nation,  choisit,  en  effet,  sur  les  bords  riants  de  la  Meuse,  une  jeune 
bergère,  à  laquelle  il  fit  dire  par  l'archange  saint  Michel  :  «  Va,  Dieu 
le  veut,  serais-tu  fille  de  roi,  aurais-tu  cent  pères  et  cent  mères,  il  faut 
aller,  »  Jeanne,  qui  avait  dit  tout  d'abord  :  «  Je  ne  suis  qu'une  pauvre 
fille,  je  ne  sais  ni  A,  ni  B,  je  ne  sais  ni  monter  à  cheval,  ni  faire  la 
guerre,  »  n'hésite  plus  parce  que  c'est  la  volonté  divine.  Lorsqu'on  lui 
demande  à  quel  moment  elle  veut  partir,  elle  répond  :  «  Plutôt 
aujourd'hui  que  demain,  plutôt  demain  qu'après.  » 

La  voilà  chargée,  par  ordre  du  Ciel,  d'expulser  un  envahisseur  puis- 
sant et  de  rendre  la  France  aux  Français.  Quelle  mission  !  Mais  Dieu 
le  veut,  et  quand  Dieu  le  veut,  rien  ne  résiste.  N'a-t-il  pas  triomphé  de 
Sisara  par   Jahel  et   d'Holopherne  par  Judith  ? 

Jeanne  se  met  en  marche  en  dépit  des  obstacles  de  toute  sorte 
que  sa  jeunesse  et  son  inexpérience  redoutent  ;  elle  va  à  Vaucouleurs, 
de  Vaucouleurs  à  Chinon,  de  Chinon  à  Poitiers,  de  Poitiers  à  Orléans, 
qu'elle  délivre,  et  d'Orléans  à  Reims,  où  elle  fait  sacrer  le  petit  roi  de 
Bourges  devenu  roi  de  France.  Le  résultat  est  merveilleux,  tellement 
merveilleux  qu'on  n'ose  plus  contester  son  caractère  surnaturel. 

Et  par  quels  moyens  a-t-il  été  obtenu  ?  Jeanne  priait.  Elle  priait 
avant,  pendant  et  après  les  batailles.   L'étendard  sur  lequel  elle  avait 


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arboré  les  noms  de  Jésus  et  de  Marie  netait-il  pas  lui-même  une  prière? 
Jeanne  n'ignore  pas,  d'ailleurs,  que  la  prière  est  bien  plus  sûre  d'être 
exaucée  quand  elle  part  d'un  cœur  pur.  Voilà  pourquoi  elle  répond 
quand  on  lui  propose  un  remède  superstitieux  pour  la  blessure  qu'elle 
a  reçue  à  l'assaut  des  Tourelles  :  «  J'aimerais  mieux  mourir  que  com- 
mettre un  péché.  »  Jalouse  de  la  pureté  de  son  âme,  elle  remplit  scru- 
puleusement tous  les  devoirs  de  la  vie  chrétienne.  Elle  assiste  au  Saint- 
Sacrifice,  elle  se  confesse,  elle  communie  aussi  souvent  qu'elle  peut  et 
elle  se  livre  aux  ministères  de  la  charité  avec  le  même  zèle  qu'aux 
exercices  de  la  piété.  Jeanne  priait  et  Jeanne  travaillait.  «  Vive  labeur  !  » 
Et  avec  quel  entrain  elle  observait  cette  noble  consigne,  après  l'avoir 
donnée  à  ses  soldats  !  Jeanne  priait,  Jeanne  travaillait,  Jeanne  souffrait. 

Elle  a  souffert  en  quittant  les  siens.  Elle  a  souffert  en  se  voyant 
en  butte  à  la  suspicion  et  à  la  jalousie.  Elle  a  souffert  surtout  et  avec 
une  patience  héroïque  dans  le  cachot  et  sur  le  bûcher  auxquels  les  juges 
sans  conscience  la  condamnèrent. 


Bordeaux,  le  7  octobre  1919 


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LA   VIERGE   DE   DOMREMY 


Née  dans  un  humble  village  des  bords  de  la  Meuse,  après  avoir 
grandi  dans  l'innocence  et  la  paix  des  champs,  à  dix-sept-ans,  obéissant 
à  de  mystérieux  appels,  elle  quitte  son  père  et  sa  mère  pour  se  vouer  au 
salut  de  la  France,  que  la  domination  étrangère  et  les  discordes  intes- 
tines ont  réduite  à  l'agonie.  A  un  prince  qui  désespérait  de  lui-même  et 
de  sa  destinée,  elle  rend  soudain  la  confiance  et  le  courage,  elle  lui  refait 
une  armée  et  en  prend  le  commandement  ;  en  quelques  jours,  elle  délivre 
Orléans  assiégé  depuis  de  longs  mois  ;  elle  inflige  défaites  sur  défaites  à 
un  ennemi  fier  de  cent  années  de  victoires  ;  et,  selon  sa  promesse,  à 
travers  le  pays  reconquis,  elle  conduit  à  Reims,  pour  y  recevoir  son 
sacre  et  sa  couronne,  celui  qui,  jusque  là,  osait  à  peine  prendre  le  titre 
de  roi.  Puis,  après  ces  rapides  triomphes,  abandonnée,  trahie,  livrée  à 
une  haine  implacable,  elle  endure,  durant  une  année  entière,  toutes  les 
rigueurs  de  la  plus  odieuse  captivité  ;  et  enfin,  condamnée  par  des  juges 
iniques,  elle  meurt  à  dix-neuf  ans  sur  un  bûcher. 

En  face  d'une  telle  vie  et  d'une  telle  mort,  quelle  âme  droite  pourrait 
ne  pas  se  sentir  pénétrée  de  respect  et  d'admiration  ? 

Il  y  a  plus  :  quiconque  étudie,  sans  parti  pris  d'incrédulité,  cette 
merveilleuse  histoire,  est  obligé  d'y  reconnaître  une  manifeste  interven- 
tion divine  et  de  vénérer  en  Jeanne  d'Arc  une  envoyée  céleste.  C'est  à 
des  communications  surnaturelles,  à  des  apparitions  d'anges  et  de 
saintes,  à  des  voix  venues  d'en -haut,  que  dès  le  premier  jour  et  jusque 
dans  son  supplice,  elle  n'a  cessé  d'attribuer  sa  mission.  Et,  en  effet, 
quelle  cause  purement  naturelle  pourrait  rendre  raison,  et  de  l'audacieux 


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dessein  de  cette  jeune  paysanne,  et  de  la  constance  intrépide  avec 
laquelle  elle  l'a  poursuivi,  et  de  la  sagesse  prodigieuse  dont  elle  y  a  fait 
preuve,  et  du  succès  qui  l'a  couronné  ?  A  moins  d'être  aveuglé  par  les 
préjugés  et  par  la  passion,  il  est  impossible  de  ne  pas  s'écrier  à  cette 
vue  :  le  doigt  de  Dieu  est  là  ! 

JVlais  ce  n'est  pas  tout.  Cette  admirable  et  touchante  héroïne,  cette 
envoyée  de  Dieu,  choisie  par  Lui  pour  accomplir  un  des  plus  beaux  gestes 
que  racontent  les  annales  humaines,  elle  a  été  aussi  un  de  ces  chefs- 
d'œuvre  de  grâce  et  de  vertu  qu'on  appelle  une  sainte  :  il  était  réservé  à 
nos  jours  de  pouvoir  saluer  à  son  front  cette  auréole,  de  toutes  la  plus 
glorieuse. 

En  Jeanne  d'Arc,  en  effet,  rayonnent  avec  éclat  les  vertus  qui  font 
les  saints. 

oa  foi  était  profonde  et  vive  :  solidement  attachée  au  CREDO  que 
lui  avait  appris  sa  mère  et  aux  enseignements  de  l'Église,  elle  vivait  dans 
un  commerce  habituel  avec  le  monde  invisible  qui  se  révélait  à  elle. 

oon  espérance  était  ferme,  inébranlable  sa  confiance  en  Dieu  :  elle 
n'ambitionnait  pour  elle-même  que  le  salut  de  son  âme  et  attendait  tout 
du  Seigneur,  de  ses  promesses,  de  son  secours. 

ilmbrasée  d'amour  pour  Lui,  elle  manifestait  cet  amour  par  les  pra- 
tiques d'une  tendre  piété,  par  l'habitude  de  la  prière  et  des  sacrements, 
par  une  insatiable  avidité  pour  la  sainte  Eucharistie,  par  une  telle  soumis- 
sion à  la  volonté  divine  que,  pour  y  obéir,  elle  eût,  disait-elle,  «  quitté 
cent  pères  et  cent  mères  et  usé  ses  jambes  jusqu'aux  genoux.  » 

Lte  nom  de  Jésus  était  gravé  dans  son  cœur,  avec  celui  de  Marie, 
comme  sur  son  étendard,  et  ce  nom  béni  du  Sauveur  fut  le  cri  suprême 
qui,  par  trois  fois,  s'échappa  vibrant  de  ses  lèvres,  parmi  les  flammes  de 
son  bûcher. 

irar  amour  pour  son  Dieu,  elle  était  bonne,  compatissante  et  secou- 
rable  à  son  prochain.  Dès  ses  premières  années,  elle  s'était  montrée  amie 
des  pauvres,  auxquels  elle  cédait  volontiers  sa  nourriture  et  son  lit. 
Obligée  de  faire  la  guerre,  elle  eût  voulu  épargner  la  vie  des  ennemis  ; 
elle  ne  se  résignait  à  les  combattre  qu'après  les  avoir  adjurés  d'aban- 
donner d'eux-mêmes  le  pays  qu'ils  occupaient  indûment.  Ce  n'était  pas 
seulement  le  «  sang  de  France  qu'elle  ne  pouvait  voir  couler  sans  que 
les  cheveux  lui  dressassent  sur  la  tête  ;  »  elle  pleurait  aussi  sur  les 
Anglais  blessés,  pansait  leurs  plaies  et  les  aidait  à  bien  mourir. 


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Elle  ne  supportait  pas  de  voir  Dieu  offensé  et  les  âmes  en  danger  de 
se  perdre.  Avant  de  conduire  ses  soldats  au  combat,  elle  les  pressait  de 
renoncer  au  péché  et  de  purifier  leur  conscience.  Humble  malgré  ses 
triomphes,  elle  en  rapportait  à  Dieu  tout  l'honneur  et  se  dérobait  elle- 
même  aux  louanges. 

Dès  la  première  visite  qu'elle  avait  reçue  des  Anges,  elle  avait  juré 
de  rester  pure  comme  eux  et  voué  à  Dieu  sa  virginité  :  tel  était  en  elle  le 
rayonnement  de  cette  pureté  virginale  qu'elle  imposait  le  respect  aux 
hommes  les  plus  dissolus. 

Brave  comme  un  lion  dans  les  combats,  elle  fut  courageuse  comme 
une  martyre  dans  sa  prison,  devant  ses  juges  et  dans  sa  mort.  Elle  versa 
des  larmes  à  l'annonce  du  cruel  supplice  qu'elle  allait  subir  ;  mais,  l'heure 
venue,  elle  gravit  avec  calme  l'échafaud,  plaignant  la  cité,  théâtre  de  sa 
mort,  comme  Jésus  s'était  lamenté  sur  Jérusalem  déicide,  proclamant 
encore  dans  les  flammes  la  vérité  de  sa  mission  divine,  serrant  sur  son 
cœur  la  croix  qu'elle  avait  réclamée,  et  jetant  à  la  terre  et  au  ciel  le  nom 
de  Jésus  comme  un  dernier  cri  d'amour  et  d'espérance. 

Il  y  a,  dans  la  vie  de  Jeanne  d'Arc,  dans  ces  vertus  dont  nous  venons 
de  retracer  la  rapide  esquisse,  des  leçons  qui  conviennent  à  tous  les 
temps.  Si  elle  peut  être  appelée  la  sainte  du  patriotisme,  c'est  à  tous  les 
peuples  qu'en  sa  personne  Dieu  montre  comment  II  inspire,  bénit  et 
glorifie  l'amour  de  la  patrie. 

Mais  Jeanne  d'Arc  est  et  restera  surtout  la  sainte  de  notre  patrie 
française.  Elle  a  été  suscitée  de  Dieu  pour  garder  à  la  France,  et  son 
indépendance  nationale  et  sa  vocation  chrétienne. 

Cette  vocation.  Pie  X  la  rappelait  avec  la  complaisance  d'un  cœur 
qui  aime  notre  pays,  lorsque,  promulguant  les  miracles  de  notre  Bienheu- 
reuse, il  citait  ces  paroles  du  pape  Grégoire  IX  à  saint  Louis  :  «  Dieu  a 
choisi  la  France,  de  préférence  à  toutes  les  autres  nations  de  la  terre,  pour 
la  protection  de  la  foi  catholique  et  pour  la  défense  de  la  liberté  religieuse. 
Pour  ce  motif,  la  France  est  le  royaume  de  Dieu  même  ;  les  ennemis 
de  la  France  sont  les  ennemis  du  Christ.  » 

N'est-ce  pas  là  ce  que  proclamait  Jeanne  d'Arc,  au  cours  de  sa  mission? 
Pour  elle,  le  véritable  souverain  légitime  de  la  France,  c'était  Notre- 
Seigneur  Jésus-Christ,  de  qui  le  roi  de  France  devait  recevoir  sa  couronne 
et  n'être  que  le  lieutenant.  Si  elle  fut  envoyée  pour  arracher  la  France  au 


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joug  de  l'étranger,  n'est-ce  pas  parce  qu'au  siècle  suivant  ce  joug  eût  été 
celui  du  schisme  et  de  l'hérésie,  et  que  Dieu  voulait  y  soustraire  la  Fille 
aînée  de  son  Eglise? 

Voilà  pourquoi  nous  estimons  faire  œuvre  de  patriotisme  non  moins 
que  de  zèle  religieux  en  travaillant  à  rétablir  dans  notre  pays  le  règne 
de  Jésus-Christ,  de  sa  doctrine  et  de  ses  lois. 

Dieu  a  voulu  glorifier  en  nos  jours  ces  vertus  de  notre  héroïne 
nationale  :  l'Église  l'a  proclamée  Bienheureuse  et  placée  sur  les  autels. 
C'est  pour  notre  pays  une  faveur  singulièrement  opportune  de  la  Provi- 
dence. Elle  nous  encourage  à  la  lutte  pour  le  salut  de  la  Patrie  et  nous 
anime  à  la  confiance.  La  Vierge  Libératrice  semble  être  revenue  vers  nous 
pour  nous  redire  :  «  Bataillons  ;  au  temps  marqué,  Dieu  nous  donnera 
la  victoire.  > 


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Paris,  le  30  mai  1918. 


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JEANNE    D'ARC    ET    LA    LITURGIE 


(1) 


Jeanne  est  «  une  petite  enfant  de  treize  ans,  »  «  innocente  et  douce, 
ignorante  de  toute  autre  science  »  que  de  celle  de  la  religion  et  de  la 
piété.  Rien  ne  la  distingue  de  ses  compagnes,  si  ce  n'est  sa  ferveur  envers 
Dieu  et  son  ardeur  au  travail,  soit  à  l'ombre  «  du  toit  domestique,  soit 
dans  la  paix  du  champ  paternel.  » 

A  cette  bergère  inconnue,  que  rien  ne  distingue  au  dehors.  Dieu 
envoie  une  double  ambassade,  bientôt  familière  et  presque  quotidienne, 
«  qui  la  trouble  et  l'effraie  d'abord,  »  mais  à  laquelle  elle  s'accoutume 
vite,  et  dont  elle  jouit  en  silence,  dans  un  humble  recueillement  ! 

N'est-ce  pas  là  un  tableau  délicat,  qui  condense  en  quelques  traits 
saillants  ce  que  les  historiens  de  Jeanne  nous  racontent  avec  plus  de 
détails  ?  Viennent  maintenant  les  apparitions  !  Elles  contrastent  avec 
l'état  d'inquiétude  d'un  modeste  village  où  arrivent  confusément  les 
bruits  de  la  guerre  ! 

C'est  une  main  visible  et  sûre  —  «  c'est  la  main  de  Dieu  »  — 
qui,  dans  la  maison  paternelle,  où  «  parmi  les  brebis  du  troupeau  de 
Jeanne,  »  la  choisit,  la  prépare,  l'attire  et  l'invite.  Saint  Michel  est 
près  d'elle  l'ambassadeur  familier  du  Très-Haut;  avec  lui  viennent 
fréquemment,  et  vêtues  d'une  lumière  éclatante,  deux  vierges  qui  se 
lient  ici-bas  et  pour  le  ciel  avec  leur  naïve  sœur,  et  lui  communiquent 
le  secret  de  son  avenir  prochain. 


(1)  Méditations  sur  l'Office  de  Jeanne  d'Arc,  approuvé  à  Rome 


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Il  faut  prévoir  «  des  dangers  et  des  obstacles  ;  »  il  faut  «  mettre  en 
Dieu  sa  confiance  ;  »  il  faut  vouloir  lui  obéir  sans  hésitation  ni  crainte  ; 
il  faut  revêtir  son  armure  et  préserver  son  corps  d'une  solide  défense  ; 
il  faut  devenir  enfin  le  soldat  de  Dieu  ! 

rLt  alors,  sans  surprise,  mais,  au  contraire,  avec  plaisir,  tant  il 
est  naturel,  quand  on  écrit  à  Rome,  de  se  souvenir  de  Virgile  et 
d'Horace,  les  expressions  mélancoliques  du  pâtre  que  l'on  exile,  de 
l'époux  dont  l'épouse  expire  :  dulcia  Unquimus  aT~va....  linquenda 
placens  uxor,  se  placent  d'elles-mêmes,  comme  un  souvenir  classique, 
au  milieu  de  ce  touchant  récit  ;  Jeanne  devra  quitter  ses  douces  amies, 
son  humble  maison,  ses  parents,  son  pays.  Dieu  commande,  l'Archange 
et  les  voix  marquent  le  but  ;    —  plus  d'incertitude  ni  de  terreur  ! 

JN  ous  nous  représentons  ce  que  ces  premières  pages  de  l'Office  de  la 
Bienheureuse  Jeanne  produiront  dans  l'âme  de  jeunes  clercs  ou  de  fer- 
ventes religieuses,  alors  que,  pour  la  première  fois,  cet  Office  leur  par- 
viendra, soit  en  France,  soit  à  l'étranger.  Quelles  émotions  profondes, 
quelle  affectueuse  sympathie  pour  la  jeune  paysanne,  sitôt  appelée  à  être 
une  héroïne  !  Quelle  admiration  pour  cette  forme  nouvelle  de  dévoue- 
ment et  de  sacrifice  ! 

iVjLais  voici  que  la  Vocation  se  déclare  et  se  prouve.  Jeanne  porte  en 
son  cœur  une  inviolable  résolution.:  elle  n'appartient  plus  qu'à  Dieu  et 
à  la  France  ;  elle  s'est  offerte  «  comme  une  virginale  hostie.  »  Tout 
doute  a  fui  loin  de  son  esprit,  elle  est  sûre  d'elle-même  parce  qu'elle  est 
sûre  du  but  que  la  Providence  lui  a  assigné.  Ni  les  hésitations  du  Dauphin, 
ni  les  plaisanteries  ou  les  objections  des  courtisans  et  des  hommes  de 
guerre,  ni  enfin  les  intrigues  qui  l'environnent  et  qui  tentent  de  la  para- 
lyser, rien  ne  l'émeut.  Elle  marche  en  avant  dès  qu'on  le  lui  permet  ; 
«  elle  entre  à  Orléans,  »  «  elle  accourt  à  l'assaut,  »  «  elle  reçoit  sa 
première  blessure,  »  elle  revient  à  la  charge,  et  les  ennemis  déconcertés 
s'enfuient  loin  des  tours  reconquises,  la  ville  est  délivrée,  et  le  chemin 
de  Paris  est  ouvert  ! 

On  y  arrive  en  prenant  des  villes,  en  cueillant  des  lauriers  !  Les 
sonneries  du  Sacre  retentissent,  «  les  lys  humiliés  et  noircis  se  redressent 
et  reprennent  leur  blancheur,  »  c'est  le  triomphe  !  Humainement,  ce 
serait  pour  Jeanne  le  sommet  de  la  gloire,  l'orgueil  de  l'apothéose  ;  mais 
les  choses  divines  ne  finissent  pas  ainsi. 


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Les  heures  sombrent  se  précipitent  :  c'est  1  échec  devant  Paris  ;  c'est 
la  trahison  et  la  prise  devant  Compiègne,  c'est  le  marché  qui  la  vend  aux 
Anglais  —  et  le  supplice  final  va  commencer  ! 

Réjouissons-nous  de  voir  l'attitude  de  Jeanne  et  d'entendre  son  lan- 
gage, dans  la  suite  de  notre  Office. 

L'attitude  du  poète  sacré  est  celle  de  l'enthousiasme  :  Mira  fecisti, 
generosa  Virgo  !  Applaudissons  la  Vierge  guerrière  et  généreuse  !  Et 
son  langage  est  plus  remarquable  encore  !  «  Ce  sont  des  cris  reten- 
tissants :  Victoires  d'Orléans,  de  Jargeau,  de  Patay,  oui,  certes  !  »  Mais 
un  nouveau  labeur  appelle  Jeanne,  et  ce  dur  travail  sera  suivi  d'un 
incomparable  triomphe  !  «  Novus  labor  et  triumphus  !  » 

Ce  labeur,  ce  sera  le  procès  devant  des  juges  affreusement  cor- 
rompus :  corruptissimos  judices  !  Et  devant  eux,  réduits  à  un  silence 
honteux,  la  captive  prédira  l'heureux  avenir  de  la  France  ! 

Hélas  !  quelle  injuste  condamnation,  —  mais  accompagnée  des 
signes  de  la  plus  vive  piété  :  le  désir  et  l'amour  de  la  Très  Sainte 
Eucharistie,  la  répétition  confiante  du  nom  sacré  de  Jésus,  l'incessante 
contemplation  de  la  Croix,  et,  quand  s'allumera  le  bûcher,  quand  s'élè- 
veront les  flammes,  des  voix  célestes  murmureront  aux  oreilles  de 
Jeanne  des  paroles  de  consolation  et  d'espérance  :  «  Au  milieu  du 
feu,  mon  ange  ne  t'abandonnera  pas  ;  »  —  «  si  tu  passes  par  le  feu,  ses 
ardeurs  n'atteindront  pas  ton  âme,  et,  même  dans  ce  cruel  supplice,  tu 
ne  cesseras  pas  de  louer  ton  Seigneur  et  ton  Dieu  !...  Colombe  inno- 
cente, vole  vers  ton  Sauveur  !  » 

Ce  n'est  pas  tout  ;  voici  que  la  doxologie  de  l'Office,  aux  pre- 
mières vêpres,  chante  les  œuvres  de  l'adorable  Trinité,  avec  une  admi- 
rable et  profonde  poésie  :  «  Gloire  au  Père,  qui  détermine  et  affermit  le 
sort  de  chaque  nation.  »  «  Gloria  Patri,  qui  terras  statuit  ;  »  «  Gloire  au 
Fils,  qui  rachète  et  sauve  les  peuples.  »  «  Gloria  Filio,  qui  gentes 
redemit  ;  »  —  Gloire  au  Saint-Esprit,  qui  rend  les  âmes  pieuses  et 
vaillantes,  »  «  Gloria  Spiritui  sancto,  qui  fortes  et  pias  animas  feeit  !  » 

Serait-ce  se  tromper,  que  de  découvrir  dans  ces  belles  paroles 
l'intention  d'inviter  la  France  à  ne  point  douter  de  sa  destinée? 

Non,  certes  !  Et  les  hymnes  sacrés,  les  chants  d'allégresse  que 
l'Office  de  la  Bienheureuse  met  sur  nos  lèvres,  ne  cessent  de  nous 
annoncer  que  nous  avons  au  ciel,  auprès  de  Dieu,  «  une  tutrice,  » 
«  une   gardienne  »    dont   la   sollicitude   fraternelle   ne   cessera   jamais 


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vis-à-vis  de  la  France  !  «  Tutrix  et  custos,  »  «  murus  inexpugna- 
bilis  /  »  «  Parmi  les  grands  noms  qui  honorent  l'humanité,  celui  de 
Jeanne  d'Arc  est  un  des  plus  grands,  aux  yeux  et  pour  le  cœur  des 
Français,  mais  aussi  aux  yeux  de  tous  les  peuples.  «  Juxta  nomen 
magnorum  qui  sunt  in  terra.  »  En  son  honneur,  les  louanges  sortirent 
de  toutes  les  bouches  ;   «  non  deficiet  laus  tua  de  ore  hominum  !  * 

Et  qui  doutera  que,  même  aux  heures  les  plus  sombres,  dans  l'avenir 
comme  dans  le  passé,  la  Vierge  de  Domremy  ne  soit  toujours  prête  à 
renouveler  les  prodiges  de  sa  céleste  et  victorieuse  intervention  ! 

Les  siècles,  dans  leur  cours,  l'appelleront  du  titre  glorieux  de  «  Mère 
et  de  Soutien  de  la  Patrie,  »  Jure  te  nostrœ  patriœ  parentem  sœcla 
vocabunt  !  Et  la  France  vivra,  grâce  aux  mérites  d'une  si  puissante 
patronne  :    Tantœ  meritis  patronœ  Gallia  vivet  ! 

Faut-il  ajouter,  puisqu'il  s'agit  d'un  hommage  épiscopal,  que  tous  les 
évêques,  depuis  le  grand  mouvement  suscité  par  Mgr  Dupanloup, 
continué  par  son  successeur  immédiat  le  cardinal  CouUié,  et  amené  par 
Mgr  Touchet  jusqu'à  la  canonisation  de  Jeanne,  ont,  sans  relâche,  écrit, 
parlé,  agi  dans  le  sens  d'une  fête  annuelle  et  nationale  en  son  honneur  ? 


) 


JEANNE  D'ARC,  LIBÉRATRICE  de  la  FRANCE 


Non  fecit  talUer  omni  nationi  (Ps.  CXL  VII).  Ne  craignons  pas  de 
dire  avec  le  Roi-Prophète  :  Non,  «  Dieu  n'a  pas  fait  de  même  pour  les 
autres  nations  !  » 

Car,  dans  sa  miséricorde,  il  a  daigné  faire  pour  la  France  ce  que 
jadis  il  avait  fait  pour  son  peuple,  et  l'on  chercherait  en  vain  dans 
l'histoire  des  autres  nations  une  marque  aussi  signalée  de  la  protection 
divine. 

Une  femme,  une  jeune  fille,  presque  une  enfant,  va  libérer  sa  patrie 
et  chasser  l'ennemi  du  sol  national,  quand  les  plus  habiles  guerriers 
auront  échoué  dans  toutes  leurs  entreprises.  Vraiment,  notre  illustre 
Gerson,  témoin  de  cette  merveille,  avait  bien  raison  de  s'écrier  quelque 
temps  avant  sa  mort  :  A  domino  factum  est  istud  ! 

Je  ne  sais  s'il  y  eut  jamais  dans  notre  histoire  une  époque  plus 
douloureuse  que  ce  commencement  du  quinzième  siècle,  une  heure  plus 
critique  que  celle  où  Jeanne  d'Arc  apparaissait  pour  exécuter  les  desseins 
de  Dieu  parmi  nous.  Soixante-quinze  ans  d'invasions  et  de  défaites,  un 
Trésor  vide,  une  noblesse  décimée  ou  captive,  les  humiliations  et  les 
deuils  de  Crécy,  de  Poitiers  et  d'Azincourt,  l'ennemi  partout  maître  chez 
nous,  et,  par-dessus  tout,  la  France  trahie  par  ses  princes  et  livrée  à  un 
roi  étranger,  tandis  que  le  «  soi-disant  Dauphin  de  Viennois  »  est  traité 
en  prétendant  malheureux;  voilà  le  triste  et  humiliant  spectacle  que 
présentait  notre  pays  lorsque  la  Vierge  de  Domremy  commença  à 
entendre  ses  Voix,  Déjà,  comme  s'il  n'y  avait  plus  de  France,  on  disait 


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le  parti  de  France,  ou  même  le  parti  d'Armagnac,  et  Charles  VII  n'était 
plus  pour  ses  adversaires  que  le  roi  de  Bourges.  C'était  vraiment  la 
«  grande  pitié  »  au  royaume. 

L  heure  était  donc  bien  à  Dieu.  Lorsque  les  hommes  sont  devenus 
impuissants,  il  intervient  Lui-même  pour  sauver  miraculeusement  ceux 
qu'il  aime,  ou  bien  il  envoie  pour  agir  en  son  nom  un  instrument  si 
faible  qu'on  est  bien  forcé  d'y  reconnaître  sa  main. 

C  est  alors,  en  effet,  que  soudain  apparut  la  Pucelle  au  milieu  des 
courages  abattus.  Quelle  mystérieuse  épopée  que  celle  qui  s'accomplit 
avec  elle  dans  cet  été  de  1429  !  Pendant  que  la  prudence  humaine  hésite 
et  que  la  politique  délibère,  Jeanne  est  déjà  aux  portes  d'Orléans,  assiégé 
depuis  sept  mois  et  prêt  à  se  rendre.  «  Vous  avez  été  à  votre  conseil, 
dit-elle  aux  chefs,  et  moi  j'ai  été  au  mien...  Quand  mon  étendard 
touchera  la  muraille,  entrez  hardiment,  tout  est  vôtre.  »  Il  y  touche  et 
l'on  entre  ;  en  quelques  coups  d'épée,  cette  jeune  fille  de  dix-sept  ans  a 
délivré  la  ville  :  c'était  le  8  mai  1429. 

Après  la  délivrance  d'Orléans,  le  sacre  de  Reims.  Les  calculs  de  la 
politique  essaient  bien  encore  de  lui  barrer  la  route,  mais  son  enthou- 
siasme, la  force  irrésistible  qu'elle  tient  du  ciel  triomphent  à  chaque  fois 
de  l'apathie  du  roi  et  du  mauvais  vouloir  de  son  entourage.  Après  une 
brillante  chevauchée  à  travers  les  villes  reconquises,  en  moins  de  trois 
mois,  le  roi  entre  à  Reims  pour  s'y  faire  sacrer.  C'est  le  17  juillet  1429 
que  l'antique  et  glorieuse  cathédrale  —  hélas  !  on  n'en  peut  parler  sans 
que  le  cœur  nous  saigne  —  ouvre  ses  portes  à  l'héritier  de  France  et  que 
Charles  VII  reçoit  l'onction  des  mains  de  l'archevêque  de  Reims, 
redevenant  ainsi  le  chef  incontesté  de  la  patrie  autour  duquel  allaient 
se  rallier  toutes  les  âmes  françaises. 

Cruelle  leçon  pour  nous  que  ces  souvenirs  d'autrefois,  et  quel  réconfort 
aussi  dans  les  heures  tragiques  que  nous  avons  vécues  pendant  près 
de  cinq  ans  ! 

Un  ennemi  déloyal,  plus  terrible  que  celui  du  quinzième  siècle,  se 
jeta  sur  nos  plus  belles  provinces,  détruisit  nos  villes,  renversa  nos 
sanctuaires,  massacra  nos  frères.  Jeanne  d'Arc  ne  vint-elle  pas  au  secours 
de  son  peuple  pour  bouter  l'Allemand  dehors  ?  Oublia-t-elle  la  douce 
France,  chez  laquelle  il  y  a  si  grande  pitié,  à  l'heure  même  où  son  nom 
est  béni  de  tous  et  son  culte  plus  en  honneur  que  jamais,  quand  tous  les 
bons  Français  n'ont  qu'une  voix  pour  l'acclamer  ? 


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iVlais  que  dis -je  ?  sa  protection  ne  s'est  pas  fait  attendre.  Si 
la  France,  surprise  par  une  attaque  qu'elle  n'avait  pas  prévue,  n'a 
pas  été  écrasée  par  un  ennemi  qui  s'est  rué  sur  elle  en  masses  pro- 
fondes à  travers  une  frontière  qui  n'avait  d'autre  garde  que  la  foi 
jurée,  si  elle  s'est  redressée  soudain  après  des  combats  malheureux 
où  la  vaillance  n'avait  pu  l'emporter  sur  le  nombre,  si  depuis  elle 
a  partout  contenu  l'adversaire  et  repoussé  victorieusement  tous  ses 
assauts,  n'est-ce  pas  que  Dieu  était  avec  nous,  et  que  Jeanne  d'Arc, 
du  haut  du  Ciel,  a  combattu  pour  nous  ?  On  a  dit  que,  devant 
la  cathédrale  de  Reims,  sa  statue  était  demeurée  intacte  sous  la 
pluie  des  obus  ;  n'est-ce  pas  un  symbole  de  sa  force  au  milieu  de 
nous  ? 

Pendant  son  procès,  ses  juges  demandaient  perfidement  à  Jeanne  : 
«  Dieu  n'aime  donc  pas  vos  ennemis  ?»  —  «  Je  n'en  sais  rien,  répondit- 
elle,  mais  je  sais  qu'ils  seront  tous  boutés  hors  de  France,  excepté  ceux 
qui  y  mourront.  »  De  même,  nous  n'avons  pas  à  rechercher  si  Dieu 
n'aime  pas  les  Allemands,  mais  ce  que  nous  savons,  c'est  qu'il  ne  les 
aime  pas  dans  notre  pays,  qu'ils  ont  envahi  au  mépris  de  tout  droit,  car 
Dieu  hait  l'injustice  partout  où  elle  se  trouve. 

Nous  avons  combattu  pour  le  droit,  et  le  droit,  pour  des  chrétiens, 
n'est  pas  séparable  de  la  loi  morale  et  chrétienne.  C'est  pourquoi  nous 
comptons  sur  Dieu,  et  nous  avons  confiance  que  notre  Bienheureuse 
Jeanne  d'Arc,  de  son  côté,  comme  autrefois,  combattra  pour  nous,  et 
nous  espérons  enfin  que  la  France  d'après  la  «  Grande  Guerre,  »  comme 
la  France  d'après  la  Guerre  de  Cent  Ans,  continuera  sa  mission 
traditionnelle  de  France  chrétienne. 

Je  suis  donc  heureux  d'unir  ma  voix  à  toutes  celles  qui  ont  exalté 
notre  héroïne  nationale  :  à  celle  d'abord  de  notre  grand  pape  Pie  X,  qui, 
le  18  avril  1909,  à  Saint-Pierre  de  Rome,  dans  une  cérémonie  grandiose 
et  inoubliable,  dont  j'eus  le  bonheur  d'être  le  témoin  ému,  couronna  de 
l'auréole  des  Bienheureux  la  petite  bergère  que  Dieu,  à  l'une  des  heures 
les  plus  critiques  de  notre  histoire,  envoya  chercher  par  ses  anges  et  par 
ses  saintes  pour  en  faire  l'instrument  de  ses  desseins  miséricordieux  ;  à 
celles  ensuite  de  mes  vénérés  collègues,  les  évêques  de  France,  qui 
ont  chanté  avec  une  éloquence  que  je  ne  saurais  avoir  la  libératrice 
d'Orléans  et  la  martyre  de  Rouen  ;  à  celle  enfin  de  tout  notre  peuple 
chrétien,  qui  rivalise  envers  la  Bienheureuse  de  piété,  d'admiration 
et  de  reconnaissance. 


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Au  milieu  des  jours  sombres  où  nous  vivons,  à  l'apogée  de  l'empire 
de  Satan  en  un  pays  qui  fut  jadis  la  nation  sainte  et  qui  est  sous  le 
joug  de  l'impiété  triomphante,  cette  dévotion  croissante  des  catholiques 
pour  l'humble  Vierge  de  Domremy  met  dans  mon  âme  un  rayon 
d'indestructible  espoir.  Je  crois  fermement  que  la  mission  confiée  par 
Dieu  à  Jeanne  n'est  pas  finie  ;  je  crois  que  ce  glorieux  navire  qui  est 
la  France  chrétienne,  armé,  béni  et  baptisé  par  Dieu,  miraculeusement 
sauvé  du  naufrage  au  cours  des  siècles  par  des  interventions  directes, 
visibles  et  multiples  de  la  Providence,  poursuivra  sa  marche  malgré 
la  violence  de  la  tempête  et  la  fureur  des  flots,  et  que  la  glorieuse 
Enfant,  dont  l'épée  chassa  l'envahisseur,  nous  aidera  à  ramener  en 
France  le  règne  du  Christ  Sauveur. 

Je  prie  Dieu,  par  l'intercession  de  la  «  Sainte  de  la  Patrie,  »  qu'il 
daigne  hâter  l'heure  de  notre  repentir,  qui  sera  celle  de  sa  miséricorde, 
et  qu'il  donne  à  tous  les  chrétiens  le  courage  de  «  besogner,  »  de 
•«  batailler  »  pour  hâter  ce  règne  béni. 


Rennes,  le  1"  septembre  1919. 


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JEANNE    D'ARC    ET    L'EUCHARISTIE 


Le  13  décembre  1908,  Pie  X  approuvait  solennellement  les  miracles 
attribués  à  la  vénérable  Jeanne  d'Arc.  Au  cours  de  l'éloquente  allocution 
qu'il  prononça  en  cette  mémorable  circonstance,  le  Saint -Père  disait  : 
«  Elle  était  tout  amour  pour  l'Eucharistie,  comme  un  chérubin.  » 

Ces  paroles  du  Souverain  Pontife  caractérisent  bien  la  piété  de 
Jeanne  au  cours  de  son  existence  :  humble  villageoise,  guerrière,  martyre, 
elle  témoigna  constamment  d'une  angélique  piété  envers  la  Sainte- 
Eucharistie  et  d'un  ardent  désir  pour  la  Sainte-Communion. 

Sa  foi  profonde  lui  inspirait  le  plus  grand  respect  pour  les  églises. 
Elle  y  savait,  elle  y  aimait  la  présence,  très  douce  à  son  âme,  de  Jésus- 
Christ  au  Saint-Sacrement.  Elle  se  plaisait  à  l'y  visiter. 


* 
*    * 


Mais  sa  piété  s'alimente  à  sa  vraie  source  dans  la  communion 
fervente.  C'est  là  qu'elle  écoute  de  plus  près  la  voix  de  son  Seigneur,  de 
«  Messire,  »  comme  elle  l'appelle  ;  qu'elle  lui  dit  tendrement  son  amour 
et  lui  voue  plus  parfaitement  son  obéissance.  Jésus  fut  sa  vie  tout  entière. 
Partout  où,  l'histoire  en  mains,  nous  pouvons  suivre  Jeanne,  nous  la 
retrouvons  fréquemment  à  la  Table  Sainte.  Enfant,  jeune  fille,  elle  s'en 
approche  au  moins  une  fois  par  semaine,  et  c'est  beaucoup  pour  son 
époque.  Ce  n'est  pas  assez  pour  elle.  Quand  elle  le  peut,  elle  multiplie 
ses  communions,  elle  n'y  manque  pas  avant  d'aller  au  combat,  et  elle 
presse  à  l'imiter  le  roi,  les  chefs  de  l'armée  et  les  soldats.  Et,  avant  de 
monter  sur  le  bûcher,  elle  reçoit  une  dernière  fois  —  avec  quelle  admi- 
rable piété  !  —  le  Corps  sacré  de  Notre-Seigneur. 


3. 


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Jeanne  est  un  modèle,  accessible  à  tous,  de  la  dévotion  eucharistique. 


O  Jeanne,  le  Souverain  Pontife  vous  a  élevée  sur  les  autels  au 
moment  même  où  les  fidèles  étaient,  par  son  ordre,  convoqués  d'une 
façon  plus  pressante  à  la  Table  Sainte.  Pie  X  les  a  exhortés  tous  à  la 
Communion  fréquente  et  quotidienne,  et,  leur  montrant  l'Eucharistie,  il 
leur  a  dit  :  «  Là  est  le  salut,  »  parce  que  là  est  la  nourriture  substantielle 
des  âmes  et  la  source  des  vertus  chrétiennes.  Aller  à  l'Eucharistie,  c'est 
retremper  sa  vie  défaillante  dans  la  Toute-Puissance  divine  ;  c'est  parti- 
ciper plus  intimement  aux  bienfaits  que  l'Incarnation  du  Fils  de  Dieu  a 
apportés  à  l'humanité. 

V  ous  le  saviez,  ô  pure  et  douce  enfant,  ô  sainte  héroïne  de  notre 
Lorraine,  ô  patronne  de  la  France  ;  et  voilà  pourquoi,  dans  votre  foi  naïve, 
mais  éclairée,  vous  avez  montré  à  tous  le  chemin  de  la  Table  Sainte. 

Obtenez-nous  de  Dieu  de  répondre  plus  fidèlement  aux  désirs  de 
Notre-Seigneur,  d'être  dociles  aux  exhortations  du  Saint-Père  et  de 
fréquenter  davantage,  à  votre  exemple,  le  sacrement  de  l'Eucharistie. 

Rouen,  le  30  mai  1919. 


) 


JEANNE    D'ARC    ET    LE    DAUPHINÉ 


X  armi  les  hommages  que  la  France  entière  ■ —  avec  la  collaboration 
de  tous  ses  évêques  —  veut  décerner  à  la  Bienheureuse  Jeanne  d'Arc,  le 
Dauphiné  peut  écrire  une  page  glorieuse,  en  s'inspirant  des  faits  et  gestes 
contemporains  de  la  Pucelle, 

I.  —  Ce  sont  d'abord  plusieurs  Chevaliers  dauphinois  qui  continuent 
les  traditions  de  la  Guerre  de  Cent  Ans  et  viennent,  malgré  les  vides 
creusés  dans  les  rangs  de  la  noblesse  par  les  batailles  meurtrières  de 
Poitiers,  d'Azincourt  et  de  Verneuil,  se  mettre  sous  les  ordres  de  la 
bonne  Lorraine  et  lui  offrir  le  secours  de  leur  épée  pour  la  délivrance 
d'Orléans. 

Les  noms  de  ces  braves  nous  sont  connus  par  Guy  Allard,  et  il  faut 
au  moins  citer  Aymar  de  Poisieu,  surnommé  Capdorat  à  cause  de  sa 
chevelure  blonde  ;  André  de  Vallin,  qui  fut  tué  devant  Orléans  et  dont 
Chapelain  fait  mention  dans  son  poème  de  la  Pucelle  ;  Hugues  de 
Roesozel,  baron  de  Maubec,  dont  la  devise  était  «  quoi  qu'il  advienne,  » 
et  vingt  autres  encore, 

L>  archevêque  de  Vienne  aura  lui-même  une  troupe  et  la  ville  vota 
des  subsides  pour  renforcer  l'armée  de  Jeanne  d'Arc  et  répondre  à 
l'appel  de  Charles  VII,  qui  se  dirigeait  alors  vers  Reims  pour  le  Sacre. 

Ajoutons  qu'à  l'assaut  tenté  contre  Paris,  les  Dauphinois,  sous  la 
conduite  de  Louis  de  Poitiers,  seigneur  de  Saint -Vallier,  se  distinguèrent 
entre  tous,  à  la  porte   Saint-Honoré, 

(l)  Pa^es  écrites  par  le  cardinal  Mauriu,  alors  qu'il  était  encore  évèque  de  Grenoble. 


(d). 


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II.  —  Mais,  pour  en  revenir  à  Jeanne  elle-même,  disons  que  non 
seulement  elle  comptait  dans  son  escorte  les  meilleurs  capitaines 
dauphinois,  mais  qu'elle  eut  toujours  en  Dauphiné  les  sympathies  les 
plus  généreuses.  A  peine  y  connut-on  ses  premiers  succès  que  nul  ne 
douta  de  sa  mission  divine.  Le  clergé  de  Grenoble,  entraîné  par 
l'enthousiasme  populaire,  inséra  dans  sa  liturgie  des  oraisons  spéciales, 
où  l'on  invoquait  Dieu  qui  avait  voulu  sauver  le  pays  par  les  mains 
d'une  femme.  Le  18  mai  1429,  les  États,  assemblés  à  Grenoble,  apprenaient 
la  délivrance  d'Orléans  et  la  marche  de  l'armée  royale  sur  Reims  : 
malgré  la  misère  du  peuple,  les  trois  ordres  votèrent  à  l'unanimité,  le 
25  mai,  un  don  gratuit  de  vingt  mille  florins  et  décidèrent  la  levée 
d'une  taille  destinée  en  grande  partie  à  payer  les  frais  de  l'ambassade 
qui  devait  assister  aux  fêtes  du  couronnement. 

Plus  tard,  lorsque  la  Pucelle  fut  tombée  aux  mains  des  Anglais, 
d'autres  prières  furent  prescrites  en  Dauphiné  pour  sa  libération  :  voici 
le  texte  des  trois  oraisons  qui  étaient  ainsi  récitées  à  la  messe,  pour 
que  «  fussent  brisés  les  fers  de  la  Pucelle  et  qu'après  avoir  accompli 
les  œuvres  de  Dieu  par  la  restauration  du  royaume  de  France,  elle 
puisse  achever  librement  le  reste  de  sa  mission.  » 

La  première  se  disait  après  le  Gloria;  la  deuxième  après  l'Offer- 
toire, et  la  troisième  après  V Ablution  : 


) 


PRIMA   ORATIO   PRO   LIBERATIONE  JOHANN^   PUELLiE 

Omnipotens  sempiteme  Deus  qui  tua  sancta  et  ineffabili  clementia  virtuteque 
mirabili  exaltationem  et  conservationem  regni  Francorum  ac  etiam  ad  repulsionem, 
confusionem  ac  destructionem  inimicorum  ejus,  puellam  venire  jussisti  et  eam  in  sacris 
prascepti  liai  operibus  vacantem  per  manus  eorumdem  incarcerari  permisisti,  da  nobis, 
qucBsumus,  intercedente  beata  semper  Virgine  Maria,  cum  omnibus  sanctis,  illam 
ab  eorum  potestate  illaesam  liberari  et  quse  per  te  ei  in  eodem  actu  jussa  sunt  formaliter 
adimplere  per  Dominum  nostrum,  etc. 

SECONDA   ORATIO 

In  hac  oblatione  pater  virtutum  et  Deus  omnipotens,  sacrosancta  benedictio  tua 
descendatque  et  La  potestate  miraculorum  tuorum,  intercedente  beata  semper  Virgine 
Maria  cum  omnibus  sanctis,  puellam  in  carceribus  inimicorum  nostrorum  detentam  sine 
laesura  liberet,  et  suse  negociationis  det,  secundum  ea  qu£e  sibi  jusseras,  operis  sui 
effectum  sortiri,  per  Dominum  nostrum,  etc. 

TERTIA    ORATIO 

Exaudi,  Deus  omnipotens,  preces  populi  tui  et  per  sacramenta  que  sumpsimus,  inter- 
cedente beata  semper  Virgine  Maria  cum  omnibus  sanctis,  Puellae  agentis  secundum 


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opéra  quje  sibi  dixeras,  nunc  ab  inimicis  nostris  incarceratae  vincula  prosterne  quod 
super  est  negociationis  suae  adimplendo  sanctissima  pietate  et  misericordia  tua  illxsam 
abire  concède  per  Dominum  nostrum,  etc. 

Une  autre  prière  dauphinoise,  datant  de  cette  époque  et  jointe 
naguère  aux  prières  du  procès  de  béatification,  débutait  par  le  psaume 
119,  puis  comportait  une  antienne  avec  verset,  répons  et  oraison,  à 
l'effet  d'obtenir  de  «  Dieu,  auteur  et  ami  de  la  paix,  son  intervention 
en  faveur  d'un  peuple  délivré  par  la  main  d'une  femme,  de  telle  sorte 
que  le  Roi  Charles  soit  victorieux  et  puisse  enfin,  dans  la  paix,  arriver 
avec  ses  sujets  à  Celui  qui  est  la  Voie,  la  Vérité  et  la  Vie.  » 

Ces  prières  n'étaient  pas  seulement  dites  à  Grenoble,  mais  dans 
tout  le  Dauphiné  et  jusqu'à  Embrun,  dont  l'évêque,  Jacques  Gélu, 
conseillait  au  roi  de  faire  aussi  prier  dans  toutes  les  églises  de  France 
pour  la  délivrance  de  la  sainte  prisonnière. 

III.  —  Le  souvenir  de  la  martyre  de  Rouen  resta  vivant  en  Dauphiné. 
Ainsi,  Mathieu  Thomassin,  administrateur  de  cette  province  et  membre 
du  présidial,  lors  de  l'apparition  de  Jeanne  d'Arc,  a  laissé  dans  son 
registre  delphinal  le  témoignage  de  son  admiration  pour  la  jeune 
héroïne  :  «  sur  tous  les  signes  d'amour  que  Dieu  a  envoyés  au  royaume 
de  France,  il  n'y  en  a  point  eu  de  si  grand  ni  de  si  merveilleux  que 
celui  de  cette  Pucelle,  » 

-De  même,  Guy  Pape,  le  célèbre  jurisconsulte  dauphinois,  exalte 
Jeanne,  sa  contemporaine,  parmi  les  saints  personnages  qu'il  a  connus 
(Décisiones  84)  ;  «  J'ai  encore  vu,  de  nos  temps,  une  jeune  fille  appelée 
Jeanne,  qui,  prenant  les  armes  de  la  guerre  par  une  inspiration  divine, 
a  rétabli  le  royaume  de  France  en  l'an  de  grâce  1430  et  replacé  sur 
son  trône  le  roi  Charles  ;  cette  Pucelle  a  régné  trois  ou  quatre  ans.  » 

C  est  enfin  le  vieil  historien  dauphinois,  Aymar  du  Rivail,  qui 
raconte  la  vie  de  Jeanne,  sa  mission  surnaturelle,  ses  victoires,  son 
emprisonnement  et  sa  mort  sur  le  bûcher  ;  mais  il  proteste  contre  cette 
exécution  inique,  faite  :  «  en  haine  du  nom  français,  »  et  il  ajoute 
qu'une  femme,  pour  s'être  servie  de  vêtements  d'homme,  ne  devait  pas 
être  condamnée  à  être  brûlée  vive. 

V  oilà,  en  abrégé,  ce  qu'ont  fait,  pensé,  écrit  les  Dauphinois 
contemporains,  ses  admirateurs,  ses  apologistes.  Selon  les  termes  d'une 
complainte,  retrouvée  à  Romans,   en  1891,  ils   proclamaient  tous  que 


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si  les  «  bons  Français  »  avaient  alors  triomphé,  c'était  «  par  le  vouloir 
du  Roi  Jésus,  et  Jeanne,  douce  Pucelle  ;  »  ainsi  triompheront  toujours 
les  «  bons  Français  !  » 

Cette  vieille  complainte  dauphinoise,  dont  l'écho  a  retenti  à  travers 
les  siècles  comme  un  hommage  de  reconnaissance  envers  notre  sainte 
Libératrice,  est  encore  un  gage  d'espérance  divine  et  de  salut  national 
au  cours  de  la  «  Grande  Guerre,  »  en  vue  de  la  victoire  décisive  et 
prochaine  qui  nous  est  garantie  et  nous  sera  donnée. 
Par  le  vouloir  du  Roi  Jésus, 
Et  par  Jeanne,  douce  Pucelle. 
Grenoble,  30  mai  1916,  fête  de  la  Bienheureuse. 


) 


BIBLIOGRAPHIE 

La  Semaine  Religieuse  du  diocèse  de  Grenoble,  40"  année,  N°'  43  et  44,  3  et  10  Juin 
1909.  1  p.  730-2  et  743-7.  La  Croix  de  l'Isère,  18  Mai  1913.  Les  États  du  Dauphiné, 
1915,  par  l'abbé  Dussert,  pp.  1878.  Histoire  de  Grenoble,  1888,  par  A.  Prudhomme, 
p.  252.  Histoire  de  France,  par  Lavisse,  18-11  54.  Bulletin  de  l'Académie  delphi- 
nale,  1867. 


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JEANNE    D'ARC 

PROTECTRICE    ET    GARDIENNE    DE    LA  PATRIE 

Le  peuple  français,  disait  naguère  Pie  X,  et  vingt  de  ses  prédé- 
cesseurs l'avaient  dit  avant  lui,  le  peuple  français  a  fait  alliance  avec 
Dieu,  aux  fonts  baptismaux  de  Reims,  et  c'est  à  partir  de  cette  heure 
qu'il  a  commencé  à  servir  d'apôtre  à  l'Évangile  et  de  défenseur  à  l'Eglise. 

Plus  d'une  fois,  sans  doute,  il  a  été  infidèle  à  sa  mission,  mais  Dieu, 
qui  n'a  jamais  laissé  ses  fautes  impunies,  ne  l'a  jamais  abandonné. 

Le  XIV  siècle  avait  été  plein  de  nos  révoltes.  Quelles  fautes  !  mais 
aussi  quels  châtiments  !  Il  y  avait  chez  nous  une  grande  pitié  :  tout  était 
meurtri,  ruiné  ;  plus  d'honneur,  ni  même  d'espérance,  et  Charles  VII 
n'était  pas  moins  abattu  que  son  peuple.  Le  Bon  Dieu  qui  avait  châtié 
nos  pères  à  cause  de  leurs  fautes  :  ipse  castigavit  nos  propter  iniqui- 
tates  nostras,  ce  Dieu  allait  les  sauver  dans  sa  miséricorde  :  et  ipse 
salvabit  nos  propter  misericordiam  suam  (Tob.  XIII). 

Quand  tout  fut  à  l'extrémité  et  que  les  hommes  se  furent  déclarés 
impuissants,  il  tira  des  champs  de  Domremy  une  bergère,  et,  par  une 
de  ces  ironies  dont  il  est  coutumier  quand  il  veut  nous  faire  sentir 
notre  néant,  il  la  chargea  de  délivrer  la  patrie  :  «  Va,  disaient  à  Jeanne 
d'Arc  les  messagers  du  Ciel,  va  fille  de  Dieu,  il  n'y  a  d'espoir  qu'en 
toi.  »  —  «  Moi,  aller  parmi  les  hommes  d'armes?  »  —  «  Va  !  »  — 
«  Je  ne  sais  ni  chevaucher,  ni  guerroyer  !»  —  «  Va  !  » 

Elle  partit,  et  en  deux  mois,  du  mois  de  mai  au  mois  de  juillet,  elle 
rétablit  à  coups  de  prodiges  les  affaires  de  la  France. 

(1)  Pages  envoyées  par  le  cardinal  Sevin  archevêque  de  Lyon,  quelques  jours  avant  sa  mort. 


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Ç/ui,  mieux  qu'elle,  peut  ranimer  notre  confiance  ? 

Depuis  des  siècles,  quel  peuple  Dieu  a-t-il  traité  ainsi  ?  Pourquoi 
douterions-nous  de  lui  ?  Nos  fautes  l'ont-elles  irrité  contre  nous  ? 

Wos  adversaires  se  plaisent  à  les  énumérer.  N'y  contredisons  pas. 
Prêtons  plutôt  l'oreille  à  ces  paroles  de  Pie  X,  s'écriant  à  propos  de 
notre  pays  :  les  vertus  de  ses  missionnaires  et  de  ses  martyrs,  les 
prières  de  ses  saints,  la  générosité  chrétienne  de  ses  fils,  les  gémisse- 
ments des  vierges  et  des  enfants  en  adoration  devant  le  Tabernacle 
appelleront  toujours  sur  la  France  les  bénédictions  célestes  après 
l'épreuve.  La  France,  fille  de  tant  de  larmes  et  de  mérites,  ne  peut  pas 
périr.  Au  XX"  siècle,  comme  au  XV%  elle  vaincra.  Confiance  ! 

(^ui  nous  apprendra  mieux  qu'elle  à  quel  prix  s'achète  la  victoire 
suprême  ? 

Le  triomphe  sur  les  champs  de  bataille,  disaient  les  Macchabées, 
sort  de  l'union  du  glaive  de  Dieu  et  du  glaive  de  l'homme.  Jeanne 
d'Arc  ne  l'ignorait  pas.  Aussi,  quand  les  docteurs  lui  objectèrent  :  «  Si 
Dieu  veut  nous  sauver,  qu'est-il  besoin  d'hommes  d'armes  ?  »  Elle 
répliqua  :  «  Les  hommes   batailleront,   et  Dieu   donnera  la  victoire  !  » 

JVlais  comment  unir  le  glaive  de  Dieu  et  le  glaive  de  l'homme  ? 
La  Vierge  guerrière  va  nous  l'apprendre.  Elle  prie  sans  cesse,  elle 
assiste  à  la  messe  et  communie  au  matin  des  batailles  ;  elle  visite  les 
sanctuaires  qu'elle  trouve  sur  sa  route.  Mais  il  ne  lui  suffit  pas  de  songer 
à  sa  sainteté  personnelle,  elle  entend  rapprocher  de  Dieu  ses  soldats. 
«  Convertissez-vous,  leur  dit-elle,  convertimini  itaque  peccatores... 
coram  Deo,  »  et  elle  leur  promet  au  nom  du  Tout-Puissant  la  victoire  : 
credentes  quod  faciat  vobiscum  misericordiam  (Tob.  XIII).  Dociles  à 
sa  voix,  ses  troupes  écoutent  la  parole  divine,  et  de  vieux  partisans 
comme  La  Hire  et   Xaintrailles  la   suivent  à    la   Table  eucharistique. 

Jeanne  ne  s'en  tient  pas  là.  Elle  joint  à  la  prière  les  œuvres  qui  la 
rendent  souverainement  efficace  :  le  jeûne,  la  mortification  de  sa  chair 
virginale,  les  profusions  de  la  charité  envers  les  pauvres,  l'acceptation 
spontanée  de  toutes  les  douleurs. 

Enfin,  l'union  scellée  entre  son  glaive  et  le  glaive  de  Jésus-Christ,  le 
vrai  Roi  de  France  et  son  droicturier  Seigneur,  elle  pousse  ce  cri 
victorieux  :  «  En  avant,  tout  est  vôtre  !»  Et  il  en  est  ainsi  toutes  les  fois 
que  les  siens  ne  s'étudient  pas  à  contrecarrer  ses  projets. 


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M-ais  le  sang  qui  coule  de  ses  veines  sur  le  champ  de  bataille  n'était 
que  la  première  libation  du  sacrifice  plénier  qu'elle  devait  offrir  à  Dieu 
pour  son  pays.  Le  bûcher  de  Rouen  fut  l'autel  de  cet  holocauste.  Elle 
n'en  ignorait  pas  la  vertu.  Combien  de  fois  n'a-t-elle  pas  répété  à  ses 
ennemis  :  «  Ma  mort  vous  causera  plus  de  dommages  que  mon  épée  et 
bientôt  vous  serez  tous,  à  l'exception  des  morts,  boutés  hors  de  France.  » 
Elle  mourut  en  murmurant  le  nom  de  Jésus  et  en  affirmant  dans  les 
flammes  la  divine  mission  qui  l'avait  consacrée  à  sa  patrie.  Quelques 
années  après,  Richemont  consommait  son  œuvre  et  chassait  définiti- 
vement les  envahisseurs. 

Jeanne  a  ouvert  la  voie  où  nous  devons  entrer. 
Enfin,  qui  a  plus  de  titres  que  nous  à  ses  intercessions  ? 
Les  élus  s'intéressent  sans  doute  à  ceux  qui  les  invoquent  ;  mais  il  y  a 
des  lieux  et  des  peuples  privilégiés  qu'ils  couvrent  d'une  protection  jalouse. 
Domremy,  Vaucouleurs,  Soissons,  Compiègne,  Beaurevoir,  où  Jeanne 
a  connu  toutes  les  extrémités  de  la  joie  et  de  la  douleur,  ne  sont-ils  pas 
au  nombre  de  ces  coins  de  terre  privilégiés  ? 

Au  reste,  ne  sommes-nous  pas  de  sa  race  et  de  son  sang  ?  N'est-elle 
pas  Française  ?  Ses  cheveux  se  dressaient  sur  sa  tête  quand  elle  voyait, 
selon  son  beau  mot,  couler  le  sang  de  France.  Serait-elle  moins  émue 
aujourd'hui  où  il  coule  par  torrents  ? 

M-ieux  encore,  ne  sommes-nous  pas  son  oeuvre  ?  Elle  a  reçu  de  Dieu 
la  mission  de  défendre  chez  nous  le  droit  et  la  justice,  de  sauver  la 
France  au  moment  où  sa  nationalité  allait  disparaître,  et  d'y  affirmer 
solennellement  que  Jésus-Christ  en  est  la  pierre  angulaire  et  le  Roi. 

Or,  qu'est-ce  que  la  culture  allemande  qu'on  nous  imposerait 
demain  si  nous  étions  vaincus  ?  Une  civilisation  qui  a  pour  caracté- 
ristique essentielle  la  rupture  d'avec  Dieu,  la  rupture  des  idées  d'avec 
Dieu,  car  elle  ne  les  rattache  plus  à  cette  cause  suprême  ;  la  rupture 
des  mœurs  d'avec  Dieu,  car  elle  ne  connaît  d'autre  loi  que  la  force. 
Imagine-t-on  rien  de  plus  opposé  au  catholicisme  ? 

On  nous  objecte,  nous  le  savons,  que  d'autres  peuples  ont  adopté 
cette  culture  et  en  ont  fait  passer  les  principes  athées  dans  leur  consti- 
tution :  c'est  vrai  ;  mais  ces  peuples  ne  les  ont  pas  forgé  eux-mêmes, 
ces  principes,  ils  les  ont  empruntés.  Ce  sont  les  universités  d'Outre-Rhin 
qui,  après  les  avoir  trouvés  dans  l'héritage  de  Kant,  les  ont  vulgarisés  ; 
l'Allemagne  en  demeure  le  foyer.  C'est  la  culture  allemande  qui  ruine 


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dans  toutes  les  nations  la  croyance  en  Dieu,  en  Notre-Seigneur  Jésus- 
Christ  et  en  l'Église. 

La  France,  trop  longtemps  séduite  par  les  sophismes  kantiens,  s'in- 
surge contre  la  culture  athée  et  anticatholique  qui  en  est  issue.  Par  la 
force  des  choses,  elle  reprend,  dans  cette  lutte  de  la  civilisation  alle- 
mande avec  la  civilisation  chrétienne,  la  place  que  quatorze  siècles  lui 
ont  assignée  aux  côtés  de  Jésus-Christ.  Tous  ses  fils  ne  sont  pas  religieux, 
mais  tous  sont  unanimes  à  défendre  les  principes  de  droit,  de  justice, 
d'honneur,  de  vie  qui  sont  à  la  base  du  Catholicisme.  Bon  gré,  mal  gré, 
nous  avons  repris  l'œuvre  de  Jeanne  d'Arc.  Nos  soldats  aujourd'hui  la 
continuent,  demain  nos  philosophes  la  poursuivront  ;  peut-elle  y  être 
indifférente  ? 

Allons  donc  à  elle  et  disons-lui  avec  la  liturgie  :  «  Joanna,  Sponsa 
christi,  tutrix  et  custos  patriœ,  esto  tuis  famulis  murus  inexpugna- 
bilis,  assiduis  suffragiis  ;  »  O  Jeanne,  Protectrice  et  Gardienne  de  la 
Patrie,  que  votre  intercession  entoure  vos  serviteurs  d'un  inexpugnable 
rempart  ! 


Lyon,  le  15  avril  1916. 


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JEANNE    D'ARC    ET    LA    PAIX 

FONDÉE    SUR    LE    RÉTABLISSEMENT    DU    DROIT 


L  article  XVIII  du  réquisitoire  de  Rouen  mettait  à  la  charge  de  la 
Pucelle  de  s'être  constamment  opposée  aux  pourparlers  de  paix  entre 
Charles  VII  et  le  parti  anglais.  Il  y  était  constaté  que,  «  tant  que  la  dite 
«  Jeanne  avait  été  avec  le  dit  Charles,  elle  l'avait  dissuadé  de  toutes 
«  ses  forces  de  prêter  en  rien  l'oreille  à  tout  traité  ou  appointement 
«  quelconque  avec  ses  adversaires  ;  l'incitant  toujours  au  massacre  et  à 
«  l'effusion  du  sang  ;  affirmant  qu'on  ne  pourrait  avoir  la  paix  qu'au  bout 
«  de  la  lance  et  de  l'épée,  et  que,  du  reste,  il  en  était  ainsi  ordonné  de 
«  Dieu,  parce  que  l'ennemi  ne  lâcherait  pas  autrement  ce  qu'il  occupait 
«  dans  le  royaume.  »  De  quoi  Jeanne  s'était  disculpée  en  distinguant  deux 
sortes  de  paix,  la  fausse  qui  consacre  l'usurpation  et  le  brigandage,  et  la 
véritable,  fondée  sur  le  rétablissement  du  droit,  laquelle  avait  été  le  but 
constant  de  ses  efforts.  Elle  disait  qu'à  l'égard  du  duc  de  Bourgogne, 
elle  n'avait  cessé  d'agir  et  par  lettres  et  par  le  moyen  des  ambassadeurs 
pour  qu'il  se  réconciliât  avec  le  roi  ;  qu'à  l'égard  des  Anglais  qui  n'avaient 
aucun  droit  sur  la  terre  de  France,  la  paix  qu'il  y  fallait,  c'était  qu'ils  s'en 
retournassent  dans  leur  pays  en  Angleterre  ;  qu'enfin  elle  avait  toujours 
de  prime  abord  requis  la  paix,  toujours  prête  à  la  donner  si  on  lui 
faisait  raison,  comme  à  l'établir  par  la  force  des  armes  au  cas  contraire, 
mais  ne  visant  jamais  que  bonne  paix  ferme  qui  dure  longuement, 
parce  que  solidement  assise  sur  les  bases  de  la  justice  et  du  droit. 

Cette  formule  est  à  remarquer  ;  on  la  dirait  calculée  en  vue  des 
circonstances  actuelles.  En  effet,  elle  définit  aussi  exactement  que  possible 

(1)  Le  cardinal  Billot,  né  dans  le  diocèse  de  Metz,  réside  à  Rome. 


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les  conditions  de  la  paix  qui,  en  ce  moment,  fait  l'objet  de  tous  les  vœux 
et  est  visée  comme  seule  conclusion  acceptable  de  l'effroyable  guerre  où, 
depuis  plus  de  deux  ans,  coule  par  torrents  le  sang  de  France,  **' 

iVLais  que  les  temps  sont  changés  depuis  que  Jeanne  la  Pucelle 
pouvait  se  présenter  au  nom  de  Celui  qu'elle  appelait  son  droiturier  et 
souverain  Seigneur,  au  nom  du  Fils  de  sainte  Marie,  roi  du  Ciel,  roi 
du  monde,  et,  en  même  temps,  roi  de  France,  dont  le  roi  Charles  n'était 
que  le  mandataire  et  le  lieutenant  !  Quel  renversement  du  tableau  et  quel 
changement  de  scène  !  Je  me  place  en  face  de  la  France  officielle 
d'aujourd'hui,  de  son  gouvernement,  de  sa  vaste  administration,  de  son 
parlement,  de  sa  diplomatie,  de  ses  universités,  de  ses  lycées,  de  ses 
innombrables  écoles,  de  sa  grande  presse  formant  l'opinion  de  la 
multitude  aussi  bien  que  du  grand  monde  de  la  politique  et  des  affaires, 
et  je  constate,  ô  malheur  !  que,  dans  cette  France-là,  on  ne  connaît  plus 
Jésus-Christ,  ni  son  Évangile,  ni  son  Église  ;  Dieu  est  répudié.  Dieu  est 
nié,  Dieu  n'existe  plus,  et  il  existerait  qu'il  en  faudrait  encore  faire 
abstraction  comme  de  la  plus  inutile  et  de  la  plus  encombrante  des 
hypothèses.  Alors  se  présente  aussitôt  la  question  :  Où  est  la  justice  ? 
Où  est  le  droit  ? 

Oh  !  disait  l'autre,  juste  pour  un  mot,  juste  pour  un  chiffon  de 
papier  !  Or,  ce  chiffon  de  papier  était,  ni  plus  ni  moins,  ce  qui  à  nos 
yeux  représente  le  droit,  comme'  en  revanche,  tout  ce  qui  est  pour 
eux  le  droit,  est  pour  nous  le  chiffon  de  papier,  et  beaucoup  moins 
encore.  Nous  voici  donc  en  présence  de  deux  conceptions  du  droit 
absolument  irréductibles  l'une  à  l'autre,  bien  plus,  tellement  opposées 
entre  elles  qu'elles  ne  pourraient  l'être  davantage  :  opposées,  dis-je, 
comme  le  jour  l'est  à  la  nuit,  comme  le  oui  l'est  au  non,  comme  le 
contraire  l'est  à  son  contraire.  Et  qui  va  maintenant  dirimer  le  débat  ? 
Où  est  la  règle,  où  est  la  norme,  où  est  le  critère  d'après  lequel  nous 
reconnaîtrons  le  droit  authentique  et  distinguerons  d'avec  ce  qui 
n'en  est  qu'une  frauduleuse  sophistication?  Rien  de  plus  simple,  direz- 
vous  peut-être,  ni  de  plus  aisé.  Voici  le  code  écrit  dans  la  conscience 
de  tous  les  hommes,  qui  édicté  qu'il  faut  observer  les  traités,  qu'il  ne 
faut  pas  usurper  le  bien  d'autrui,  que  la  guerre  ne  se  légitime  pas  par  le 
seul  appétit  de  la  conquête  ou  de  la  domination,  que,   d'ailleurs,  autre 

(l)Ces  lignes  étaient  écrites  au  mois  de  septembre  1916,  au  moment  où  la  condition  de  la  paix  juste  occupait 
partout  l'opinion. 


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chose  est  la  guerre,  autre  chose  le  brigandage  ;  que  la  nécessité,  ou  vraie 
ou  prétendue  telle,  n'autorise  ni  l'emploi  de  n'importe  quels  moyens,  ni 
le  système  de  terrorisation  par  le  meurtre,  le  viol,  le  massacre,  la 
destruction  à  outrance  ;  qu'en  un  mot  la  force  n'est  pas  le  droit,  et 
qu'elle  ne  le  constitue,  pas  plus  qu'elle  ne  le  prime,  ni  ne  le  crée. 
Encore  une  fois,  voilà  le  code,  et  les  faits  sont  connus. 

Fort  bien,  je  n'y  contredis  pas,  mais  j'observe  seulement  une  chose. 
C'est  qu'en  tête  du  dit  code,  il  est  une  page,  écrite  elle  aussi  au  plus 
intime  des  consciences  d'où  se  tirent  les  articles  précités,  et  que  cette  page 
d'en-tête,  ils  l'ont  tout  simplement  déchirée.  La  page  où  est  inscrit  le 
nom  du  législateur  :  le  nom  de  Dieu  notre  créateur,  de  Dieu  auteur 
de  toute  notre  existence,  de  Dieu  notre  souverain  maître,  de  Dieu  sous 
l'absolue  dépendance  duquel,  à  moins  que  nous  n'ayons  perdu  le  sens, 
nous  nous  sentons  invinciblement  placés  :  de  Dieu,  dis-je,  qui  nous 
commande  de  tendre  à  la  fin  qu'il  est  lui-même,  et  en  conséquence 
nous  défend  tout  ce  qui  s'y  oppose,  notamment  ce  qui  détruit  l'ordre  de 
la  société,  ce  qui  rompt  ce  fœdus  convictus  humani  en  dehors  duquel 
l'homme,  être  social,  ne  peut  arriver  ni  à  le  connaître,  ni  à  l'aimer,  ni 
à  le  servir  comme  il  convient  ;  de  Dieu  enfin  qui,  nous  ayant  faits  tous 
à  son  image,  et  nous  ayant  donné  à  tous  une  commune  destinée 
répondant  à  la  communauté  de  notre  origine,  nous  a  aussi  imposé  des 
devoirs  réciproques,  résultant  des  liens  de  fraternité  et  des  rapports 
d'interdépendance  que,  comme  auteur  de  la  nature  aussi  bien  que  de  la 
grâce,  il  a  lui-même  établis  entre  nous.  Je  le  répète,  c'est  la  page  d'en- 
tête  du  code  de  la  conscience.  Qui  la  lit,  cette  page,  entend  ensuite  les 
suivantes  ;  il  en  saisit  le  sens  et  la  portée,  il  sait  du  même  coup  ce  que 
veulent  dire  ces  grands  mots  de  loi,  d'obligation,  de  justice,  de  devoir, 
de  dû  et  d'inviolable  droit.  Mais  du  moment  qu'elle  est  arrachée  et 
supprimée,  que  peut  représenter  le  reste  ?  Je  vous  prie,  répondez.  Quelle 
valeur  peut  avoir  le  corpus  juris  ?  Tout  juste  la  valeur  d'une  copie 
truquée  de  l'exemplaire  original,  où,  au  lieu  et  place  du  nom  de  Dieu, 
on  aurait  substitué  l'impératif  catégorique  du  fondateur  de  la  philosophie 
allemande,  devenue  pour  le  malheur  du  monde  toute  la  philosophie 
moderne.  Or,  toute  plaisanterie  à  part,  entre  cet  impératif,  si  catégorique 
qu'ils  le  supposent,  et  le  chiffon  de  papier  de  tout  à  l'heure,  y  a-t-il 
une  différence?  Aucune  absolument,  et  la  raison' en  est  on  ne  peut  plus 
simple  :  c'est  que  de  deux  choses  l'une  :  ou  c'est  moi  qui  l'édicté,  cet 
impératif,  ou  c'est  un  autre.  Si  c'est  moi,  j'en  suis  le  maître.  Si  c'est 
un  autre,  qu'il  se  nomme.  O  la  plaisante  histoire  que,  pour  le  fait  d'un 


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commandement  anonyme  dont  je  ne  sais  ni  d'où  il  vient,  ni  d'où  il  me 
tombe  à  dos,  je  doive  me  croire  obligé  à  l'observer  !  Que  si,  au 
contraire,  ce  n'est  ni  moi,  ni  un  autre,  qui  sera-ce  ?  Qui  ou  quoi  ?  Un 
idéal  ?  Mais  un  idéal,  c'est  une  pure  abstraction  qui  n'a  de  réalité  que 
dans  mon  moi  pensant,  et  c'est  cette  abstraction  qui  aurait  la  vertu  de 
lier  ma  liberté  en  conférant  à  mon  voisin  un  droit  inviolable,  un  droit 
absolu,  un  droit  contraire  à  tous  mes  intérêts,  auquel  à  tout  jamais  il  me 
serait  interdit  de  toucher  ?  Vous  vous  moquez,  je  pense.  Un  instinct  de 
la  nature  alors  ?  Oh  !  mais,  il  en  est  tant,  des  instincts  de  la  nature  ! 
Saint  Bazile  parle  quelque  part  des  cigognes  qui  ont  l'instinct  très  tendre 
de  soigner  leurs  vieux  parents,  de  les  réchauffer  sous  le  duvet  de  leurs 
plumes,  de  leur  fournir  les  aliments  qui  leur  sont  nécessaires,  de  les  aider 
même  à  se  mouvoir  en  les  soutenant  dans  leur  vol.  Et,  d'autre  part,  Job 
nous  présente  l'autruche  qui  est  cruelle  et  dure  pour  ses  petits,  comme 
s'ils  n'étaient  pas  siens,  qui  les  abandonne  sur  le  sable  sans  songer  qu'ils 
peuvent  être  foulés  aux  pieds  ou  écrasés  par  les  bêtes  des  champs.  Et 
je  consulte  les  instincts  de  la  nature  humaine,  et  j'y  découvre  à  la  fois 
les  deux  instincts  opposés  de  la  cigogne  et  de  l'autruche.  Lequel  des 
deux  devra  nécessairement  et  constamment  et  toujours  l'emporter  sur 
l'autre  ?  Encore  un  coup,  qu'est-ce  que  cela  veut  dire,  la  justice,  le  droit  ? 
Je  ne  le  sais  pas. 

iVlais  peut-être  finirons-nous  par  le  découvrir.  Interrogeons  les 
disciples  du  Maître  maintenant,  chez  qui  il  y  aura  chance  de  trouver, 
avec  le  développement  de  la  doctrine,  les  éclaircissements  nécessaires. 
Voici  Fichte,  voici  Hegel,  voici  Spencer,  voici  Nietzsche,  voici  Comte, 
voici  tous  les  grands  dieux  de  la  philosophie  moderne,  tous  les  fameux 
oracles  qui  régnent  jusqu'en  Sorbonne,  et  qu'il  faut  forcément  révérer 
sous  peine  de  ne  plus  même  compter  dans  le  monde  de  la  pensée.  Eh 
bien  !  dans  ce  fouillis,  dans  ce  gâchis,  dans  cette  invraisemblable  foire 
aux  idées,  où  le  devenir  et  le  devenu,  l'être  qui  devient  le  non-être,  et  le 
non-être  qui  devient  l'être,  où  la  thèse,  l'antithèse,  la  synthèse,  la  lutte 
des  contraires,  mère  de  toutes  choses,  paraissent  pêle-mêle  pour  être 
donnés  au  choix  comme  dans  les  bazars  forains  à  15  ou  25  centimes  : 
quel  est,  en  fin  des  fins,  le  dogme  qui  se  dégage,  et  la  conclusion  intelli- 
gible surnageant  au-dessus  de  tant  d'autres  choses  qui  ne  le  sont  pas  ? 
Il  n'en  est  qu'une,  une  seule  :  c'est  la  primauté  de  la  force,  c'est  le  droit 
du  plus  fort.  De  fait,  s'il  est  un  principe  où  tous  conviennent,  c'est  que 
l'univers  est  de  soi,  et  que,  n'étant  d'ailleurs  qu'un  perpétuel  devenir,  il 
en   est   venu    au    point   où    nous   le   trouvons  présentement,    par   voie 


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d'évolution.  Assurément,  cette  évolution  dont  ils  parlent,  la  pensée 
aura  infiniment  de  peine  à  la  saisir,  puisqu'elle  se  fait  à  travers 
des  temps  infinis,  sans  aucun  commencement,  ni  aucun  premier  point 
de  départ.  Mais  peu  importe  pour  le  moment,  passons.  D'autant  qu'il 
ne  s'agit  pas  tant  de  l'univers  que  de  l'homme  qui,  dans  l'univers,  est 
le  Dieu  suprême,  suprême  règle  et  arbitre  de  la  morale.  Or,  l'homme, 
d'où  le  font -ils  sortir  ?  Ils  savent  qu'il  ne  s'est  pas  trouvé  tout  fait 
un  beau  jour  sous  une  feuille  de  chou.  D'où  vient-il  donc  ?  Ah  ! 
voici.  De  la  cellule  primitive  insensiblement  transformée  à  travers 
des  siècles  innombrables,  sous  l'influence  de  milieux  divers,  et  surtout 
en  vertu  de  ce  qu'ils  appellent  la  sélection  naturelle.  Mais  encore, 
qu'est-ce  que  cette  sélection  naturelle  ?  C'est  une  loi  en  vertu  de 
laquelle  la  lutte  pour  l'existence  ne  laissant  subsister  que  les  individus 
les  plus  forts,  l'espèce  se  perfectionne  graduellement,  c'est-à-dire  monte 
de  degrés  en  degrés  pour  passer  à  une  catégorie  supérieure.  Certes,  il 
serait  plus  que  curieux  de  suivre  toutes  les  phases  de  ces  ascensions 
plus  que  merveilleuses  aussi,  mais,  pour  ne  pas  aller  à  l'infini,  prenons 
les  choses  au  moment  où  paraît  l'espèce  simienne.  Naturellement,  il 
s'y  sera  trouvé  comme  partout  une  grande  variété  d'individus  plus 
ou  moins  bien  doués  :  d'une  part,  les  rachitiques,  les  malingres,  les 
chétifs,  et  puis  de  l'autre  les  grands  et  beaux  types,  les  individus  drus 
et  vigoureux.  Et  ce  sont  ceux-ci  qui  ont  supprimé  ceux-là  ;  ainsi  le 
voulait  le  perfectionnement  de  l'espèce  ;  c'est  la  loi  de  la  nature,  loi  de 
prépotence  des  forts  sur  les  faibles,  grâce  à  laquelle  le  simien  d'abord 
est  passé  anthropoïde  ;  après  quoi  l'anthropoïde  est  passé  homme.  Quelle 
merveille  que  maintenant  la  sélection  naturelle  continue  son  cours,  et 
que,  dans  la  phase  historique  que  nous  traversons,  l'homme  en  soit 
venu  au  point  de  passer  surhomme;  encore,  toujours,  et  de  plus  en  plus, 
de  par  le  droit  qui  a  présidé  à  la  formation  de  l'espèce,  droit  irréfra- 
gable s'il  en  fut,  puisque  c'est  celui  auquel  nous  devons  l'existence  :  le 
droit  du  plus  fort  ! 

Voilà  où  nous  en  sommes.  Voilà  les  principes,  les  doctrines.  Ce  sont 
les  idées  que  l'on  fait  enseigner  dans  les  écoles,  que  l'on  couronne  dans 
les  académies,  dans  lesquelles  on  élève  la  jeunesse.  Et  me  racontait 
l'Ange  la  pitié  qui  était  en  royaume  de  France!  Oh!  que  grande  elle 
était  dans  la  première  moitié  du  XV«  siècle  !  Que  plus  grande  elle  est 
encore  en  ces  débuts  du  XX»  !  Car,  alors,  ce  n'était  que  l'Anglais  qui 
occupait  nos  provinces  :  maintenant,  c'est  la  négation  kantienne,  c'est 
l'impiété  de  la  Révolution  qui  ont  pénétré  les  âmes. 


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Et  cependant,  pas  plus  aujourd'hui  qu'alors,  Dieu  ne  nous  a  rejetés 
de  sa  miséricorde.  De  quoi,  nous  avons  pour  garant,  outre  tant  d'autres 
signes  que  je  passe  sous  silence,  le  retour  de  la  Libératrice,  qui,  élevée 
par  Pie  X  sur  les  autels,  sort  enfin  de  la  pénombre  oîi  elle  était  restée 
jusqu'ici  et  se  prépare  à  de  plus  grands  exploits  que  ne  furent  ceux 
d'Orléans  et  de  Patay.  Selon  que  l'a  si  bien  observé  l'écrivain  qui  de 
nos  jours  a  élevé  à  la  mémoire  de  la  Pucelle  le  splendide  monument 
que  tout  le  monde  connaît,  «  la  canonisation  confère  aux  saints  une 
seconde  mission,  quelquefois  plus  bienfaisante  que  la  première.  »  '" 
Et  si  la  première  mission  de  la  Bienheureuse  Jeanne  fut  le  rétablisse- 
ment au  pays  de  France  du  droit  politique,  la  seconde,  incompara- 
blement plus  bienfaisante  encore,  sera  le  rétablissement  du  droit  dont 
tous  les  autres  dépendent  :  du  droit  de  Dieu.  La  France  se  meurt  du 
virus  des  principes  de  89  et  de  l'impie  Déclaration  qui  les  promulgua. 
A  nous  donc,  ô  Bienheureuse  Pucelle,  à  nous  qui  périssons  !  A  nous, 
avec  l'Archange  qui  vous  assistait  en  votre  carrière  terrestre,  et  qui  est 
précisément  celui  qui,  le  premier,  s'est  élevé  contre  la  Révolution  à  sa 
toute  première  origine,  et  le  premier  aussi  l'a  terrassée  de  son  cri 
vainqueur  :  Quis  ut  Deus  ! 

(1)  J.  B.  AyroUes.  S.  /.  La  Vraie  Jeanne  d'Arc.  Tome  I,  1,  6,  c.  7- 

Rome,  le  30  septembre  1916. 


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HOMMAGE    A    JEANNE    D'ARC 


Il  m'est  très  agréable  de  joindre  mon  humble  hommage  à  ceux 
que  décernent  à  Jeanne  d'Arc  mes  vénérés  collègues  de  l'Episcopat 
français. 

Le  14  mai  1429,  Jean  Gerson,  chancelier  de  l'Université,  écrivait, 
à  peine  quelques  jours  avant  de  mourir,  dans  un  Opuscule  sur  le  fait 
de  la  Pucelle,  les  lignes  suivantes,  qui  sont  encore  d'une  véritable 
opportunité  :  «  Que  la  grâce  divine,  manifestée  en  cette  Pucelle,  ne 
«  tourne  point,  par  notre  faute,  en  vanités,  en  haines,  en  séditions,  en 
«  vengeance  d'injures  passées  ;  mais  que,  excitant  tout  le  peuple  à  la 
«  prière,  cette  grâce  nous  procure  enfin  la  douce  paix,  afin  que,  délivrés, 
«  avec  l'aide  de  Dieu,  des  mains  de  nos  ennemis,  nous  adorions  le 
«  Seigneur,  dans  la  sainteté  et  la  justice,  tous  les  jours  de  notre  vie. 
«  Ainsi  soit-il.  Cela  a  été  fait  par  Dieu.  » 

L'héroïque  Vierge  a  été  la  Libératrice  par  sa  vertu  et  par  sa  mort. 
Qu'elle  soit  aujourd'hui  la  Pacificatrice. 

Nos  hommages  empressés  sont  une  ardente  prière. 

La  paix,  la  paix  sociale,  si  étroitement  dépendante  de  la  paix  reli- 
gieuse :  voilà,  je  crois  ce  que  nous  devons  demander  et  attendre. 

(1)  L'archevêché  d'Aix  a  parmi  ses  titres  celui  d'Embrun.  Embrodanen,  dont  Jacques  Gelu,  qui  écrivit  un  traité 
consacré  à  examiner  la  nature  de  l'inspiration  de  Jeanne  d'Arc,  fut  le  pieux  archevêque  après  avoir  été  celui  de 
Tours. 


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Son  cœur  de  vierge  patriote,  avec  les  sublimes  accroissements  de  sa 
grâce  transformée  en  gloire,  aime  toujours  la  France,  Elle  en  voit  la 
grande  pitié.  Son  nom  glorieux  nous  sera  un  signe  de  ralliement  et  un 
gage  d'espérance. 

Que  la  sainte  messagère  du  Christ  intercède  pour  la  France  ! 

Que  le  porte-étendard  de  Jésus  et  de  Marie  soit  l'ange  du  ralliement 
dans  la  foi  en  Dieu  et  l'amour  de  la  Patrie  ! 

Que  la  libératrice  de  la  France  la  délivre  des  ennemis  du  dehors  et 
ramène  les  ennemis  de  l'intérieur  ! 


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Aix,  le  20  septembre  1919. 


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LA   BÉATIFICATION    DE   JEANNE   D'ARC 

ET  LE  RÉVEIL  DU  PATRIOTISME  EN  FRANCE 


Le  18  avril  1909,  Pie  X,  de  sainte  mémoire,  proclamait  Jeanne  d'Arc 
«  bienheureuse.  »  Dans  cet  acte  du  Souverain -Pontife,  il  est  permis 
d'entrevoir  aujourd'hui,  à  la  lumière  des  événements,  certaines  opportu- 
nités providentielles  que  nous  voudrions  indiquer. 

Voilà  cinq  siècles  que  Jeanne  d'Arc  a  subi  son  martyre.  Un  instant, 
le  procès  de  réhabilitation  remit  à  l'honneur  celle  qui  avait  été  indicible- 
ment  à  la  peine.  Puis  son  nom  sommeilla  dans  un  long  silence,  trop 
semblable  à  l'oubli.  Ni  dans  la  littérature,  ni  dans  les  arts,  la  magnifique 
épopée  de  la  Pucelle  n'a  inspiré  chez  nous  un  seul  chef-d'œuvre.  Du 
moins,  à  défaut  des  lettrés,  le  peuple,  dont  Jeanne  était  issue  et  qu'elle 
aima  tant,  s'est-il  montré  plus  fidèle  au  souvenir  de  la  Libératrice  ?  Pour 
lui,  bien  des  fois,  les  jours  de  guerre  ont  alterné  avec  les  jours  de  paix. 
Si  ses  annales  sont  glorieuses,  il  a  connu  cependant  les  deuils  de  la 
défaite,  les  tristesses  de  l'invasion,  des  convulsions  intérieures  sans 
exemple.  A  ces  moments  d'angoisse,  où  les  nations  se  réclament  de 
leurs  héros  et  de  leurs  saints,  comme,  instinctivement,  le  soldat  blessé 
appelle  sa  mère,  il  n'apparaît  point  que  la  France  ait  jamais,  d'une 
seule  voix,  crié  vers  Jeanne  sa  détresse,  sa  confiance  et  ses  espoirs. 

M-ais  un  jour  vint,  et  nous  en  avons  tous  vécu  les  sombres  heures, 
où  le  pire  danger  s'abattit  sur  notre  pays.  Ce  n'était  pas  alors  la  menace 
d'outre-Rhin,  les  ambitions  sans  scrupule  de  nos  ennemis,  leurs  préten- 
tions à  une  dictature  mondiale,  qui  se  réaliserait  d'abord  à  nos  dépens. 


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Non,  comme  au  temps  de  Jeanne  d'Arc,  le  vrai  péril  était  en  deçà  des 
frontières,  installé  au  cœur  même  de  la  France.  C'était,  non  point  chez 
tous  les  Français,  ni.  Dieu  merci,  chez  le  plus  grand  nombre,  mais  chez 
les  plus  bruyants,  une  étrange  aberration  de  l'esprit  ;  je  ne  sais  quel 
suicide  de  l'âme  nationale,  le  reniement  de  droits  dont  la  sauvegarde  et 
l'exercice  constituent  pour  un  peuple  d'imprescriptibles  devoirs.  Un  doute 
impie  s'insinuait  dans  les  âmes,  amenant  sur  les  lèvres  des  questions 
sacrilèges  : 

«  Qu'est-ce  que  la  patrie  ?  Qu'est-ce  que  le  drapeau  ?  » 

Depuis  le  jour  où  Charles  VII  lui-même  avait  aussi  douté  de  son  bon 
droit,  jamais,  peut-être,  en  dépit  d'apparences  prospères,  «  plus  grande 
pitié  »  ne  s'était  vue  au  royaume  de  France. 

iVLais  le  Christ,  qui  aime  les  Francs,  allait  bientôt  les  sauver  d'eux- 
mêmes,  et  la  seconde  mission  de  Jeanne  d'Arc  s'inaugurait. 

En  effet,  à  cette  heure  précise  émergeait  des  brumes  du  passé 
l'image,  chaque  jour  plus  nette,  d'une  fille  de  France  qui  incarnait  en  elle 
l'amour  de  la  patrie,  le  culte  du  drapeau,  la  foi  aux  destinées  de  notre 
peuple,  la  passion  du  devoir,  le  sens  du  sacrifice.  Pendant  que  les 
érudits  concentraient  sur  la  vie  de  la  Pucelle  toutes  les  lumières  de 
l'histoire,  la  piété  catholique,  encouragée  par  l'introduction  de  la  cause 
de  Jeanne  d'Arc  en  Cour  de  Rome,  plongeait,  par  de  pénétrantes  intui- 
tions, dans  les  profondeurs  de  son  âme.  Et  comme  Jeanne  et  le  patrio- 
tisme, ce  fut  tout  un,  l'amour  de  la  patrie  bénéficia  de  toute  clarté 
nouvelle  projetée  sur  notre  héroïne  nationale,  de  chaque  essor  nouveau 
imprimé  au  culte  de  la  sainte. 

Comment,  en  effet,  au  pied  de  la  statue  de  Jeanne,  bien  dressée 
dans  son  armure,  étreignant  d'une  main  son  épée,  de  l'autre  son  étendard, 
comment  souffrir  que  l'on  blasphème  encore  le  drapeau  ?  Comment 
douter  que  la  patrie  ne  soit  une  réalité  profonde,  et  sainte,  et  nécessaire, 
voulue  de  Dieu  pour  des  fins  supraterrestres,  digne  de  tous  les  amours, 
réclamant  et  justifiant  tous  les  sacrifices  ? 

La  patrie  !  Mais  c'est  pour  elle  que  Jeanne  a  vécu,  qu'elle  est  morte, 
qu'elle  vit  à  jamais  dans  la  gloire.  Sauver  la  patrie,  ce  fut  le  but  unique, 
comme  ce  fut  le  résultat  immédiat  de  son  oeuvre.  Rien  n'émut  la  sainte 
enfant  à  l'égal  des  maux  de  la  France,  et  sur  cette  détresse  s'épancha 


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toute  la  compassion  de  son  cœur.  Jeanne  sait  que  sa  mission,  sa  raison 
d'être,  les  divins  secours  dont  sa  faiblesse  est  armée,  tout  s'ordonne  à 
une  seule  tâche  :  bouter  dehors  l'envahisseur,  rendre  la  France  à  son  roi, 
libérer  la  patrie,  «  Je  suis  née  pour  cela,  »  dit-elle.  Forte  de  cette 
conviction,  rien  ne  pourra  modérer  la  hâte  qui  l'entraîne  vers  les 
sommets  de  son  calvaire  rédempteur.  Elle  fera  saigner  le  cœur  de  ses 
parents  :  n'importe,  elle  va  !  Elle  serait  allée,  quand  bien  même  elle 
aurait  eu  cent  pères  et  cent  mères.  Elle  rougira  de  son  propre  sang  le 
talus  des  bastilles  ;  elle  le  sait,  elle  l'annonce  ;  elle  va  !  Elle  serait 
allée,  quand  elle  aurait  dû,  l'héroïque  enfant,  user  ses  jambes  jusqu'aux 
genoux. 

De  toute  évidence,  cette  jeune  fille  au  clair  regard,  aux  idées  lucides, 
au  langage  net,  aux  décisions  victorieuses,  cette  voyante  qui  est  une 
thaumaturge,  ne  s'est  point  éprise  d'une  vaine  idéologie.  Ses  Voix  ne 
l'ont  point  trompée,  quand  elles  affirmaient  le  devoir  de  rendre  à  la 
patrie  son  intégrité  territoriale,  d'assurer  son  indépendance  politique,  de 
revendiquer  son  droit  à  rester  elle-même,  libre  de  toute  domination 
étrangère,  vassale  de  Dieu  seul,  dont  elle  réalise  une  volonté  et  accom- 
plit les  gestes  par  le  monde, 

1  elle  est  bien,  en  effet,  la  conception  hautement  morale,  religieuse  et 
mystique  sur  laquelle  se  fonde  le  patriotisme  de  Jeanne.  Procédant,  chez 
elle,  d'une  vue  de  foi,  autant  que  des  profonds  instincts  de  la  race,  c'est 
le  patriotisme  qui  donne  à  la  sainteté  de  Jeanne  sa  physionomie  si 
particulière.  Elle  se  dit  «  bien  baptisée  et  bonne  chrétienne  ;  »  elle  est 
pure,  elle  est  pieuse,  et  sa  foi  est  ardente;  elle  est  courageuse  et  forte, 
humble  autant  que  fière  ;  elle  est  compatissante  et  douce.  Mais  sa  vertu 
dominante,  celle  qui  caractérise  et  différencie,  chez  Jeanne,  la  «  charité  » 
commune  à  tous  les  saints,  c'est  l'amour  de  la  patrie,  c'est  le  patriotisme, 

C  est  donc  le  patriotisme  que  Pie  X  glorifia  en  plaçant  Jeanne  d'Arc 
sur  les  autels.  Deus  qui  beatam  Joannam  Virginem  ad  patriam 
tuendam  mirahiliter  suscitasti...  chante  aujourd'hui  l'Église.  On  sait 
comment  Jeanne  d'Arc  réalisa  ce  miracle  au  XV^  siècle.  Au  lendemain  de 
sa  béatification,  elle  vient  de  le  renouveler,  en  dissipant  les  sophismes  qui 
avaient  pu,  aux  yeux  de  trop  de  Français,  obscurcir  la  notion  de  patrie. 

1  el  a  été  le  fruit  des  exemples  de  Jeanne,  opportunément  remis  en 
lumière  par  le  décret  du  18  avril  1909.  L'intercession  de  la  Bienheureuse 
a  fait  le  reste. 


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Depuis  sept  ans,  une  incessante  prière,  à  laquelle  veulent  s'associer 
des  voix  qui  ne  savent  pas  autrement  prier,  monte  vers  celle  que  Rome 
désigne  à  notre  culte.  Depuis  sept  ans,  la  foi  patriotique  n'a  cessé  de 
croître,  et  c'est  la  réponse  de  Jeanne  à  nos  prières.  C'est  aussi  la  vérifi- 
cation surabondante  de  l'axiome  théologique  :  lex  orandi,  lex  credendi. 
La  prière  pour  la  patrie  a  fait  plus  que  d'exprimer  la  foi  des  Français  en 
la  France,  elle  l'a  comme  ressuscitée  en  des  âmes  oîi  elle  semblait  morte. 

Quelle  est  donc  l'aberration  des  puissants  du  jour,  quand,  à  l'encontre 
des  désirs  populaires,  ils  s'obstinent  à  dénier  à  Jeanne  d'Arc  l'hommage 
national  qu'elle  attend  depuis  cinq  siècles  ! 

Laissons  ces  attardés,  et  tournons  nos  regards  vers  une  génération 
qui  remplit  nos  cœurs  d'espoir  et  de  fierté.  Voyez  passer  ceux  que  la  foi 
en  la  patrie  a  mobilisés  pour  l'honneur  de  la  Pucelle.  Ce  sont  les  avant- 
gardes  d'une  jeunesse  avide  de  certitude  et  impatiente  d'action,  jalouse 
de  garder  à  la  pensée  et  à  l'énergie  françaises  leur  intégrité,  leur  bon  aloi. 
Tandis  que  défilent  ces  jeunes  gens,  les  remous  soulevés  par  leurs 
bataillons  en  marche  se  propagent  au  loin,  faisant  courir  comme  un 
frisson  de  vie  nouvelle  sur  l'âme  du  pays.  Pourtant,  ce  ne  sont  encore 
qu'innocentes  parades,  dont  certains,  qui  se  croyaient  des  sages,  ont 
peut-être  souri.  Bientôt  vont  s'ébranler  d'autres  cortèges... 

Sonne  maintenant  le  tocsin  ,du  1"  août  1914  !  Qu'il  épande  en 
rafales  ses  appels  sur  nos  blés  mûrs  !  La  France  est  debout,  toute  la 
France.  Plus  de  négations  sur  des  lèvres  habituées  à  nier.  Plus  de  scepti- 
cisme dans  des  âmes  façonnées  au  doute.  Partout  une  ardente  foi,  un 
énergique  vouloir,  des  bras  qui  s'arment,  des  coeurs  aguerris. 

Attendrons-nous,  pour  saluer  l'action  de  Jeanne,  le  «  miracle  »  de  la 
Marne  ?  Mais  elle  est  visible,  déjà,  dans  ce  sursaut  de  tout  un  peuple, 
dans  la  confiance  qui  n'a  point  déserté  ses  drapeaux  aux  pires  jours  de 
1914.  En  rendant  à  la  France  sa  foi  en  elle-même,  Jeanne  l'a  plus 
sûrement  sauvée  que  si  elle  eût  brandi  à  la  frontière  un  glaive  infrangible 
et  arrêté  l'invasion.  Elle  lui  a  donné  la  possibilité  de  sentir  encore 
grandir  son  âme,  alors  que  l'ennemi  tient  sous  sa  griffe  et  torture  un 
lambeau  de  sa  chair.  C'est  à  la  foi  patriotique,  raffermie  ou  retrouvée  au 
pied  de  la  statue  de  la  Bienheureuse  Jeanne,  que  la  France  devrait  d'être 
encore  la  grande  France,  quand  bien  même  il  ne  lui  resterait  plus,  de 
son  sol  envahi,  que  l'équivalent  des  saintes  parcelles  où  survit  la 
Belgique  martyre. 


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L'action  de  Jeanne,  saluons-la  dans  «  l'union  sacrée,  »  qui  a  pu 
imposer  une  trêve  aux  haines  de  parti.  Ni  Armagnacs,  ni  Bourguignons  : 
c'était  le  souhait  de  Jeanne.  Ainsi,  devant  le  danger,  la  lutte  des  classes 
s'apaise  et  une  seule  France  fait  face  à  l'ennemi. 

L'esprit  de  Jeanne  anime  nos  soldats.  Nous  ne  sommes  point  un  peuple 
de  proie  :  pourquoi  donc  se  battent  ces  humanitaires  de  la  veille  ?  Pour 
quel  idéal  meurent  ces  pacifiques,  —  ces  pacifistes  aussi  ?  Les  croyants 
vont  au  combat  comme  à  une  nouvelle  croisade  ;  ils  savent  quelle  fécon- 
dité surnaturelle  peut  avoir  leur  sang  répandu,  et  ils  veulent,  par  leur 
immolation,  préparer  le  triomphe  d'une  cause  supérieure  aux  intérêts 
très  légitimes  et  si  saintement  chers  qu'ils  ont  mission  de  défendre.  Plus  ou 
moins  claire,  chez  d'autres,  et  diversement  formulée,  cette  notion  s'installe 
au  cœur  de  tous  ceux  à  qui  la  défense  du  pays  demande  un  sacrifice. 
Ils  luttent,  souffrent  et  meurent  pour  les  plus  nobles  «  buts  de  guerre,  » 
pour  le  droit,  pour  la  justice,  pour  la  liberté  des  peuples,  pour  la  civili- 
sation, et  non  point  pour  les  idées  imprécises  et  creuses  que  ces  mots 
évoquaient  trop  souvent  dans  certains  discours  d'avant  la  guerre,  mais 
pour  une  civilisation,  une  liberté,  une  justice,  un  droit  violés  en  la  personne 
de  la  France,  liés  à  sa  cause,  solidaires  de  son  sort,  incarnés  en  elle. 

Ces  réalités  saintes  ne  peuvent  périr  :  de  là  notre  confiance  invin- 
cible :  «  Quand  ils  seraient  pendus  aux  nues,  disait  Jeanne  d'Arc,  nous 
les  aurons.  »  —  «  Nous  les  aurons  !  »  répète  l'écho  des  tranchées,  des 
dunes  de  Belgique  aux  rives  du  Vardar, 

A  quel  prix  les  aurons -nous  ?  «  Les  hommes  batailleront,  nous 
dit  Jeanne  d'Arc,  et  Dieu  donnera  la  victoire.  »  Ils  bataillent,  nos 
hommes  d'armes  :  la  Marne,  l'Aisne,  la  Champagne,  Verdun,  la  Somme... 
Que  d'héroïsme  évoqué  !  Daigne  Jeanne,  qui  ne  s'intitulait  point  vainement 
«  chef  de  guerre,  »  entraînait  ses  hommes  à  l'assaut,  réglait  les  tirs 
d'artillerie  avec  un  art  consommé,  appréciait  la  valeur  des  armements 
et  ceignait  une  épée  apte  à  «  donner  de  bonnes  buffes  et  de  bons 
torchons,  »  daigne  Jeanne  soutenir  par  son  intercession  le  moral  de  nos 
troupes,  présider  aux  conseils  de  leurs  chefs  et  nous  inspirer  à  tous,  avec 
la  patience  commandée  par  d'inévitables  lenteurs,  les  généreux  sacrifices 
qui  hâteront  la  victoire  ! 

Les  hommes  batailleront  ;  mais  apprenons  de  Jeanne  que  la  décision 
finale  appartient  à  Dieu.  Elle  priait  ;  prions  avec  elle,  et  sans  nous  lasser. 
Elle  ne  voulait  conduire  à  la  victoire  que  «  des  soldats  confessés  et 


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communies  ;  »  pour  que  son  vœu  reçoive  aujourd'hui  une  réalisation 
plénière,  Dieu  a  permis  qu'une  atteinte  coupable  aux  immunités  de  son 
Église  servît  ses  desseins  de  miséricorde,  en  jetant  dans  la  mêlée  ceux 
dont  les  mains  consacrent  le  viatique  et  répandent  le  pardon.  Tout  le 
danger,  pour  nos  soldats,  ne  vient  pas  de  la  tranchée  d'en  face  :  puissent- 
ils  entendre  la  voix  de  Jeanne  leur  rappeler  que  «  ce  sont  les  péchés 
qui  font  perdre  les  batailles  !  » 

Sa  prière  et  son  exemple  ont  suscité  partout  cette  piété  tendre  et 
active  qui  la  courbait,  en  larmes,  sur  le  soldat  blessé.  Puisse  son  inter- 
cession abréger  les  jours  où  tant  d'orphelins,  tant  de  mères,  tant  d'épouses 
pleurent,  parce  que  «  le  sang  de  France  coule  !  »  Puisse  bientôt  Jeanne 
nous  reconduire,  en  une  chevauchée  victorieuse,  jusqu'à  la  cathédrale 
mutilée  de  Reims,  pour  y  chanter  de  nouveau  ce  Te  Deum  dont  les 
accents  de  triomphe  lui  arrachaient  jadis  des  larmes  de  joie  ! 

Puisse  celle  qui  fit  la  guerre  sans  l'aimer,  pour  fonder  la  paix  sur  la 
justice  et  sur  le  droit  des  peuples,  obtenir  à  la  chrétienté  tout  entière 
une  telle  paix,  la  seule  possible  et  durable  :  Ut  ecclesia,  hostiiim  supe- 
ratis  insidiis,  perpétua  pace  fruatur  ! 

Sens,  le  6  janvier  1917. 


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JEANNE    D*ARC    ET    LE    PEUPLE 


Fille  du  peuple,  Jeanne  ne  pouvait  que  le  connaître,  l'aimer  et 
le  comprendre,  et,  à  chaque  pas,  on  la  rencontre  mêlée  au  peuple 
ou  penchée  vers  lui  pour  entendre  la  pulsation  de  son  cœur,  le 
gémissement  de  sa  plainte,  ou  même  le  chant  de  sa  joie. 

A  Domremy,  elle  vit  parmi  le  peuple  campagnard  et  travailleur, 
partageant  ses  occupations,  conduisant  à  son  tour  les  troupeaux  de  la 
communauté  de  son  village,  aimant  les  pauvres,  secourant  les  malades, 
mais  déjà  se  distinguant  de  la  foule,  pour  prier  à  l'écart  ou  pour 
éviter  —  quand  l'aile  de  l'ange  l'eut  touchée  —  les  jeux  trop  ardents 
ou  les  délassements  trop  frivoles  :  elle  vit  avec  tous,  mais  se  range 
parmi  les  meilleurs,  et  se  garde  des  façons  trop  vulgaires  ou  légères. 

Son  instinct  pieux  l'inclinait  de  préférence  vers  les  jeunes  filles  ou 
vers  les  pauvres,  qui  sont  les  classes  particulièrement  chères  à  Notre- 
Seigneur.  Elle  aimait  les  jeunes  filles  et  elle  en  était  aimée.  A  Domremy, 
elle  allait  avec  les  enfants  de  son  âge,  se  livrant  aux  mêmes  jeux  qu'elles. 
Au  matin  de  la  première  apparition,  les  historiens  nous  la  montrent 
rivalisant  avec  ses  compagnes  pour  remporter  à  la  course  un  prix 
gracieux  comme  elle  :  une  couronne  de  fleurs  des  champs.  Au  dimanche 
Lœtare,  elle  se  rendait  avec  l'enfance  du  village  à  un  hêtre  séculaire 
qu'on  appelait  le  Beau-May  ou  l'Arbre  des  Dames.  Des  légendes  de  fées, 
auxquelles  ni  Jeanne  ni  les  autres  ne  croyaient,  couraient  sur  le  passé  de 
cet  arbre  qui  n'avait  jamais  été  fréquenté  par  d'autres  fées  que  les  jeunes 
filles  du  pays.  A  l'ombre  des  rameaux  antiques,  des  rondes  déroulaient 
leurs  cercles  capricieux,  puis  les  enfants  assises  au  bord  d'une  fontaine 


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voisine  mangeaient  en  commun  les  provisions  apportées.  Innocentes  fêtes 
villageoises  où  Jeanne  mêlait  sa  simplicité  et  sa  joie. 

Elle  aimait  les  pauvres  et  en  était  aimée.  Isabellette,  femme  de 
Gérardin  d'Épinal,  raconte  qu'elle  aimait  à  faire  des  aumônes  :  elle 
recueillait  des  pauvres  pour  la  nuit  ;  elle  «  voulait  coucher  dans  le  foin 
et  céder  son  lit  aux  mendiants.  »  Simon  Musnier,  laboureur  à  Domremy, 
dit  qu  «  elle  allait  consoler  les  malades,  faisait  des  aumônes  aux  pauvres. 
Je  le  sais  par  expérience.  Étant  enfant,  j  étais  malade  et  Jeanne  venait 
me  relever  le  cœur.  » 

Dans  son  voyage  vers  Chinon,  elle  est  accompagnée  d'hommes 
du  peuple  qui  forment  sa  troupe:  elle  vit  avec  eux,  couchée  comme 
eux  sur  la  dure  ;  les  écoute  quand  ils  parlent  sagesse  ou  prudence  ; 
pour  acquiescer  à  leur  désir,  se  prive  d'assister  à  la  messe,  sa  grande 
dévotion  de  chaque  matin;  mais  elle  se  défend  de  leurs  passions 
brutales,  et  non  seulement  se  protège,  mais  encore  fait  rayonner 
jusqu'à  eux  l'ascendant  de  sa  pureté, 

A  la  respecter,  ils  apprennent  à  se  respecter  eux-mêmes. 

Pendant  ses  campagnes,  elle  aime  le  peuple,  elle  en  a  le  souci; 
elle  se  plaît  dans  les  églises  au  milieu  des  fidèles  modestes,  surtout 
des  enfants.  Si  une  pauvre  femme  du  peuple  a  perdu  son  fils  sans 
baptême,  elle  pleure  avec  elle,  et  va  parmi  les  autres  jeunes  filles  du 
peuple,  confondue  avec  elles,  joindre  ses  prières  à  celles  de  ces  âmes 
de  foi  et  obtenir  quelques  minutes  de  survie  à  l'enfant. 

Sur  le  champ  de  bataille,  elle  s'appuie  surtout  sur  les  gens  du 
peuple,  sur  ces  soldats  qui  vont  à  elle  avec  confiance  et  la  suivent 
avec  héroïsme.  Les  capitaines  se  défient  d'elle,  tiennent  conseil  à  part, 
ne  la  suivent  qu'à  regret  ou  l'abandonnent  au  plus  fort  de  l'action  ; 
mais  elle  a  dans  la  main  les  soldats,  qui,  sortis  du  peuple,  sentent 
en  elle  une  âme  simple  et  naïve  comme  les  leurs,  doublée  d'un 
pouvoir  surnaturel  et  d'une  merveilleuse  sainteté.  Elle  a,  du  reste, 
le  souci  de  ces  hommes  ;  quand  elle  voit  le  sang  couler,  ses  cheveux  se 
dressent  sur  sa  tête  ;  jusque  sur  le  champ  de  bataille,  elle  songe  à  leurs 
fatigues,  les  remonte  par  son  assurance,  mais  aussi  par  sa  sollicitude: 
«  Reposez -vous  un  peu,  leur  dit -elle,  buvez  et  mangez,  »  et  quand 
ils  sont   réconfortés  :   «  Retournez  de   par  Dieu   derechef  à   l'assaut,  » 

Elle  prend  ainsi  un  ascendant  surnaturel  sur  ses  troupes.  Par  son 
influence,  l'armée  est  purifiée  de  tout  ce  qui  est  indigne  du  nom  chrétien. 


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Les  femmes  de  mauvaise  vie  en  sont  impitoyablement  chassées  ;  on 
n'entend  plus  le  blasphème  ;  les  rapines  si  fréquentes  faites  par  les 
soldats  sans  solde  cessent  sur  l'ordre  de  Jeanne,  et  les  paysans  n'ont 
plus  rien  à  craindre  du  passage  des  troupes  que  commande  la  Pucelle. 
Le  mal  sorti  des  camps,  les  éléments  du  bien  y  rentrent  vite  :  la  disci- 
pline refleurit,  le  patriotisme  s'exalte,  le  surnaturel  lui-même  reparaît 
dans  ces  rudes  soldats.  Jeanne  ne  craint  pas  de  leur  parler  de  confession, 
de  communion  ;  elle  met  des  confesseurs  à  la  disposition  de  ses  compa- 
gnies, et  les  absolutions  sacramentelles  descendent  du  ciel  sur  ces  âmes, 
auxquelles  elles  apportent,  avec  le  pardon  de  Dieu,  les  énergies  que  la 
pureté  de  conscience  assure  à  tout  cœur  croyant.  On  voit  au  matin  des 
batailles  un  autel  s'élever  au  front  des  troupes,  et  le  sang  du  Christ 
descend  là  où  tout  à  l'heure  coulera  le  sang  guerrier  ;  le  second  coulera 
plus  pur  et  plus  généreux  après  avoir  été  sanctifié  par  le  premier. 

Ces  hommes  chargeaient  à  la  voix  de  Jeanne,  et  Dieu  leur  donnait 
la  victoire.  La  sympathie  que  la  Bienheureuse  nourrissait  à  leur  endroit 
était  payée  de  retour.  Si  les  grands  étaient  souvent  inspirés  par  la 
jalousie  dans  leur  attitude  envers  la  Bienheureuse,  les  petits,  au  con- 
traire, la  comprenaient,  l'aimaient,  l'accueillaient  avec  joie,  l'accla- 
maient comme  une  sœur  et  une  libératrice. 

Elle  se  garda  cependant  toujours  d'opposer  les  petits  aux  grands, 
de  favoriser  la  division  entre  le  peuple  et  l'aristocratie.  Nulle  part 
on  ne  trouve  chez  elle  ces  sentiments  de  défiance,  ces  procédés 
d'hostilité  qui  sont  le  germe  de  la  guerre  des  classes.  Elle  aime 
tous  les  chrétiens,  elle  aime  tous  les  Français,  elle  les  veut  unis 
dans  une  même  foi  et  dans  un  même  patriotisme.  Elle  sollicite  les 
grands  à  prendre  la  tête  du  mouvement  de  libération  de  la  patrie  ; 
s'ils  ne  marchent  pas,  elle  va  avec  les  petits,  mais  sans  jamais,  devant 
ceux-ci,  dénigrer  ou  même  diminuer  ceux-là.  Le  respect  de  tous  et 
de  tous  les  droits  est  le  grand  caractère  du  sentiment  social  chez 
Jeanne  d'Arc. 

Nous  ne  pouvons  aller  à  meilleure  école  qu'à  celle  de  cette  fille 
et  amie  du  peuple.  Comme  elle,  mêlons-nous  aux  petits,  mais  tout  en 
nous  distinguant  ;  donnons  aux  faibles,  aux  pauvres,  aux  malades,  à 
tous  ceux  qui  constituent  la  foule,  notre  cœur  et  notre  sympathie  ; 
partageons  leurs  peines,  soulageons  leurs  souffrances  ;  évitons  ce 
qu'il  peut  y  avoir  de  léger  ou  de  trivial  dans  leurs  façons.  Soyons 
toujours  distingués,  sans  fierté  avec  les  simples  ;  élevons -les  à  nous, 


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au  lieu  de  nous  rabaisser  ;  condescendre  n'est  pas  descendre.  Sachons 
aussi  faire  rayonner  autour  de  nous  l'ascendant  de  notre  force  surna- 
turelle et  de  notre  vertu.  Il  y  a  toujours  contagion  entre  ceux  qui  se 
fréquentent  :  allons  aux  petits  pour  leur  faire  sentir  la  contagion  de 
notre  idéal:  et  pour  cela  ayons  un  idéal,  vivons -le.  Réalisons -le 
fortement  en  nous  pour  que  sa  réalité  puissante  s'impose  autour  de 
nous. 

Enfin,  tout  en  ayant  la  sollicitude  des  petits  et  des  pauvres,  gar- 
dons-nous d'avoir  le  mépris  des  grands  et  des  riches:  tous  sont  nos 
frères,  et  si  ceux-ci  manquent  à  leur  devoir  social,  c'est  que  ce  sont 
des  malades;  et  nous  devons  aller  à  tous  les  malades  avec  notre 
affection  et  non  avec  notre  mépris.  Tendons  au  rapprochement  de 
toutes  les  classes;  disons  à  tous  leurs  devoirs,  montrons -leur  les  torts 
de  leur  conduite  ;  ne  rappelons  guère  leurs  droits,  ni  aux  petits,  ni 
aux  grands  :  ils  les  connaissent  suffisamment  ;  à  tous  donnons  le  sens 
de  la  fraternité  chrétienne.  Ce  sera  travailler  à  la  plus  grande  France, 
à  la  plus  heureuse  société,  à  la  plus  sainte  Église. 

Cambrai,  le  25  septembre  1919. 


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L'ŒUVRE    DE    JEANNE    D'ARC 

ŒUVRE    D'UNION 


Les  cendres  de  Jeanne  jetées  à  la  Seine,  son  œuvre  sembla  non  pas 
compromise,  mais  irrémédiablement  détruite.  Sa  mémoire  même  était 
flétrie.  Décidément,  la  France  avait  été  victime  d'une  imposture.  L'en- 
nemi croyait  triompher.  Mais  Dieu  veillait. 

Du  jugement  inique  de  prévaricateurs  sans  titres,  ni  mission,  l'hé- 
roïne en  avait  appelé  au  Tribunal  de  l'Église  romaine.  Rome  revisait 
le  procès  et  réhabilitait  la  sainte.  Et,  tandis  que  Jeanne  recevait  au  ciel 
la  palme  du  martyre,  son  œuvre  de  salut  et  d'unité  nationale  se  conti- 
nuait à  travers  les  siècles.  Comme  elle  l'avait  prédit,  l'envahisseur  était 
bouté  hors  de  France. 

Voici  qu'aujourd'hui  la  Vierge  de  Domremy  nous  est  présente  plus 
que  jamais, 

La  France,  l'Église,  l'univers  civilisé  la  regardent  et  l'écoutent 
comme  jadis  elle-même  écoutait  ses  Voix.  Le  Pape  la  glorifie,  l'Épis- 
copat  l'invoque,  les  fidèles  la  prient,  nos  soldats,  même  les  incré- 
dules, l'admirent  et  s'inspirent  de  son  courage.  L'ennemi  du  XV=  siècle 
est  devenu  l'allié  d'aujourd'hui,  et  les  fils  de  ceux  qu'elle  a  chassés  de 
France  désavouent  leurs  pères,  lui  rendent  hommage  par  la  parole,  par 
la  plume,  par  les  fleurs  déposées  aux  pieds  de  son  image  ;  bien  mieux, 
par  leur  sang  versé  sur  les  champs  de  bataille  pour  la  cause  de  Jeanne, 
pour  la  France.  L'Amérique  se  joint  à  l'Europe  et  lui  élève  des  statues, 

(1)  Mâr  Combes  nous  a  envoyé  cette  page  avant  sa  démission  d'arcbevéque  d'AUer.  Il  reste  archevêque  deCarthaiie 
et  Primat  d'Afrique. 


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Et  notre  Afrique,  la  terre  des  résurrections,  contemple  joyeuse 
l'apothéose  de  Jeanne  ;  notre  Afrique,  devenue  française  et  redevenue 
chrétienne,  prend  part  à  l'œuvre  d'union  qui  se  poursuit  sous  sa  glorieuse 
égide.  Dans  nos  temples,  autour  de  sa  statue,  les  foules  viennent  prier 
avec  ferveur,  foules  nombreuses  et  cosmopolites  :  parmi  les  voix  qui, 
chaque  jour,  implorent  le  salut  de  la  patrie  et  la  victoire  de  nos  armes, 
aux  voix  de  France  se  mêlent  celles  d'Italie  et  de  Malte  :  «  Beata  Joanna, 
ora  pro  nobis.  » 

Une  des  églises  de  Tunis  n'attend  que  la  canonisation  pour  recevoir 
le  vocable  de  «  Jeanne  d'Arc.  » 

Nos  jeunes  gens,  même  d'origine  étrangère,  sont  heureux  de  mettre 
leurs  sociétés  sportives  ou  autres  sous  sa  protection. 

Ici  aussi,  la  Vierge  lorraine  fait  l'union  sacrée, 

Le  grain  de  blé  est  tombé  en  terre,  il  est  mort,  nous  voyons  de  nos 
yeux  la  moisson  qu'il  a  fait  naître. 

Alger,  le  23  novembre  1916. 


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JEANNE    D'ARC    ET    ROUEN 

SA  MORT,  SON  SOUVENIR,  SON  CULTE 


Le  matin  du  30  mai  1431,  vers  huit  heures,  Jeanne  est  hissée  sur  la 
charrette  d'ignominie.  Cent  vingt  Anglais  l'escortent,  armés  de  haches, 
d'épées  et  de  lances.  Les  rues  de  la  ville  sont  sillonnées  par  des 
patrouilles.  Aux  carrefours,  les  vainqueurs  attendent  en  troupes  bruyantes 
le  passage  de  la  sorcière;  les  ralliés,  qui  n'ont  pas  osé  rester  chez  eux, 
jettent  un  regard  de  pitié  sur  la  rebelle  dont  la  constance  est  un  muet 
reproche  à  leur  versatilité.  Dans  chaque  maison  vraiment  rouennaise  les 
femmes  agenouillées  pleurent  et  prient.  Le  lugubre  cortège  descend  la 
rue  Beauvoisine,  passe  entre  Saint-Herbland  et  l'aître  de  la  cathédrale, 
pour  entrer  dans  la  Grand'Rue.  Il  s'arrête  enfin  sur  le  Vieil -Marché. 
Huit  cents  soldats  occupent  la  place  et  en  ferment  les  entrées.  Le 
peuple,  le  vrai  peuple  de  Rouen,  est  écarté.  Seule  la  tourbe  ennemie  est 
là,  joyeuse,  hurlante. 

*  Jeanne  n'entend  rien,  et  enfin,  lorsqu'elle  en  perçoit  quelque  chose, 

«  elle  tombe  à  genoux  et  prie  à  haute  voix.  Elle  prie  Jésus-Christ  d'avoir 

«  merci  de  son  âme  et  de  la  rendre  pure  afin  qu'elle  puisse  le  joindre 

«  dans  de  courts  instants  ;  elle  le  prie  de  lui  envoyer  encore  une  fois  ses 

«  saints  bénis,  afin  qu'ils  ne  soient  pas  loin  d'elle  quand  elle  va  mourir 

«  et  la  prennent  aussitôt  après  ;  elle  le  prie  de  ne  la  point  juger  trop 

«  strictement,  si,  mue  par  les  lâches  défaillances  de  la  chair,  sa  langue  a 

«  parlé  contre  le  gré  de  son  âme,  et  renié  avec  les  bontés  de  Dieu  les 

«  merveilles  de  sa  puissance  à  elles  révélées  dans  ses  visions.  Elle  le 

(1)  Envoi  de  Mir  Fuzet,  archevêque  de  Rouen,  depuis  décédé. 


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«  prie  pour  sa  chère  France,  la  France  de  Clovis,  royaume  de  la  liberté  ! 
«  Elle  lui  demande  que  de  sa  mort  puisse  naître  pour  sa  patrie  une  vie 
«  nouvelle,  et  la  paix,  et  une  gloire  durable.  Elle  prie  pour  eux,  même 
«  pour  eux,  ses  exécuteurs,  quatre-vingts  assassins  pour  une  jeune  fille 
«  qui  n'a  pas  vingt  ans  !  Et  si  en  quelque  circonstance,  non  par  un  acte 
«  volontaire,  mais  en  accomplissant  la  mission  donnée  par  Dieu,  elle  a 
«  fait  quelque  mal  à  ses  ennemis,  elle  leur  en  demande  pardon  ;  et  avec 
«  effusion  de  larmes,  les  dernières  que  ses  yeux  répandront,  elle  prie 
«  que  sa  mort  ne  leur  soit  pas  imputée,  de  peur  qu'une  souffrance  pire 
«  que  la  sienne,  un  jugement  plus  terrible  encore  que  celui  qu'elle  a  dû 
«  subir,  ne  les  vienne  saisir  un  jour.  »  '" 

Sur  une  estrade  se  tiennent  l'évêque  Cauchon,  le  vice-inquisiteur,  les 
assesseurs  du  tribunal  ecclésiastique  ;  en  face,  sur  une  autre  estrade,  le 
bailli  anglais,  les  généraux  anglais,  le  chancelier  anglais,  le  régent  anglais. 
Le  roi  anglais,  au  nom  duquel  Jeanne  va  être  brûlée,  n'est  pas  présent  : 
il  n'a  que  dix  ans,  et  il  est  resté  à  jouer  dans  la  cour  du  château  que  la 
victime  vient  de  quitter.  Il  est  neuf  heures  précises  ;  les  formules 
juridiques  sont  interminables,  le  sermon  de  maître  Midy  se  prolonge,  la 
soldatesque  s'impatiente.  On  abrège  par  peur  ;  la  sentence  est  enfin 
prononcée  :  Jeanne  est  remise  au  bras  séculier.  Le  bailli,  lui,  ne  prend 
pas  la  peine  de  rédiger  une  sentence  ;  il  crie  au  bourreau  :  «  Fais  vite.  » 
Les  houspilleurs  saisissent  Jeanne.  «  Donnez-moi  une  croix,  »  supplie- 
t-elle.  On  lui  en  fait  une  avec  deux  bâtons.  Elle  la  saisit  et  la  place  sur 
sa  poitrine.  On  la  fait  monter  sur  l'énorme  bûcher,  on  l'attache  au 
poteau.  Elle  veut  voir  une  dernière  fois  l'image  de  Jésus  mourant  :  elle 
demande  le  crucifix.  Le  clerc  de  l'église  Saint-Sauveur,  dont  l'ombre 
se  projette  sur  la  place,  court  chercher  la  croix  de  procession.  Frère 
Isambart  la  tient  devant  elle  ;  elle  la  baise  avec  amour.  Cependant  le 
feu  est  allumé,  les  flammes  montent  et  l'enveloppent.  «  Jésus  !  Jésus  !  » 
s'écrie  Jeanne.  Un  grand  silence  se  fait.  On  n'entend  plus  que  le  crépi- 
tement du  brasier.   «  Jésus  !  Jésus  !  »  répète  la  victime. 

La  terre  s'efface,  le  ciel  s'ouvre.  Ses  Voix  ne  l'ont  pas  trompée  :  elle 
le  sait  ;  elle  les  entend  ;  elle  le  dit  et  le  redit.  Un  cri,  toujours  le  même, 
s'échappe  du  bûcher  :  «  Jésus  !  Jésus  !  »  Une  immense  pitié  saisit  tous 
les  spectateurs.  Les  curieux  s'enfuient,  les  soldats  se  taisent,  les  juges 
sanglotent,  le  bourreau  tremble.  Le  feu  décroît,  et  bientôt  il  n'y  a  plus 
qu'un  amas  fumant  de  cendres,  d'os  calcinés  et,  parmi  eux,  le  cœur  intact 

(1)  Jeanne  d'Arc,  par  Robert  Stegtal  Londres  (136SI. 


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de  Jeanne.  Ni  le  souffre,  ni  l'huile  jetés  à  profusion  pour  ranimer  les 
flammes  n'ont  pu  le  détruire.  Le  bourreau  ramasse  le  tout,  précipite 
ces  restes  pitoyables  dans  la  Seine,  et,  haletant,  navré  de  douleur  et  de 
remords,  va  se  jeter  aux  pieds  du  prêtre  en  disant  :  «  Je  suis  perdu,  je 
viens  de  brûler  une  sainte  !  » 

Quand  on  veut  glorifier  un  saint,  ordinairement  on  porte  en  triomphe 
et  on  vénère  ses  reliques. 

Aujourd'hui,  de  Jeanne  il  ne  reste  rien  :  la  Seine  a  emporté  les 
cendres  du  bûcher.  La  victime  disait  en  allant  au  martyre  :  «  Rouen  ! 
Rouen!  mourray-je  donc  ici?...  Rouen!  Rouen!  seras-tu  ma  maison 
dernière  ?  »  la  ville  de  Rouen,  la  ville  aux  cent  clochers,  aux  rues  étroites 
et  sinueuses,  aux  vieilles  maisons  à  pignon  gothique,  reste,  avec  les  ruines 
de  son  château  et  les  vestiges  de  son  antique  manoir  archiépiscopal, 
le  reliquaire  vivant  de  Jeanne  d'Arc.  Là  elle  fut  enchaînée,  entendit  ses 
Voix  et  confondit  ses  juges.  Là  elle  fut  injustement  condamnée. 

Par  ce  chemin  elle  passa,  par  cet  autre  elle  fut  conduite  au  supplice. 
Ici  elle  pria  ;  là  elle  souffrit  et  elle  mourut.  Quelle  intensité  de  vie  prennent, 
dans  la  vieille  capitale  de  la  Normandie,  ses  vertus  et  ses  malheurs  ! 

Aussi,  l'oserai-je  dire,  c'est  ma  ville  archiépiscopale  qui  m'occupait 
plus  que  tout  à  Rome,  le  18  avril  1909,  dans  la  mémorable  fête  de  la 
Béatification.  Quand  l'image  de  la  Bienheureuse  se  dévoila  au-dessus  de 
la  chaire  de  Saint-Pierre,  et  que,  sous  les  feux  d'une  multitude  de  lampes 
électriques,  Jeanne  apparut  dans  une  gloire  étincelante,  radieux  symbole 
de  la  gloire  des  cieux,  il  me  sembla,  qu'on  me  pardonne,  que  Rouen 
même,  la  ville  témoin  du  martyre,  se  dressait  là  sous  mes  yeux.  C'étaient 
les  flammes  du  bûcher,  revivant  tout  à  coup,  qui  se  changeaient  là-haut, 
sous  les  voûtes  de  la  Basilique,  en  flammes  d'apothéose.  Et  je  me 
rappelais  combien,  à  cette  transfiguration  triomphale,  les  générations 
rouennaises,  de  1431  à  1909,  avaient  unanimement  travaillé.  Je  revoyais 
les  monuments,  depuis  l'humble  croix  de  bois  élevée  tout  d'abord  sur 
le  lieu  du  supplice,  jusqu'à  l'édifice  récent  et  magnifique  qui  se  dresse 
sur  la  côte  des  Aigles. 

Je  constatais  le  culte  immémorial  et  spontané  ;  j'énumérais,  l'un 
après  l'autre,  tous  les  hommages. 

M.oi-même,  mêlé,  dans  l'immense  abside  de  Saint-Pierre,  aux  soixante- 
cinq  évêques  français  venus  pour  acclamer  la  Bienheureuse,  je  me  consi- 


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dérais  comme  représentant  toute  une  lignée  illustre  :  celle  des  archevêques 
de  Rouen,  qui  s'efforcèrent,  de  siècle  en  siècle,  d'attacher  à  son  front 
l'auréole  sainte,  depuis  le  cardinal  d'Estouteville  jusqu'au  cardinal 
Thomas.  Enfin  apercevant,  dans  la  masse  énorme  des  pèlerins  accourus 
de  toutes  parts,  un  groupe  de  fidèles  de  l'archidiocèse,  les  prêtres  de 
quelques  paroisses  où  elle  passa,  plusieurs  notables  de  la  cité,  des  repré- 
sentants élus  de  nos  religieuses  populations,  je  ne  pus  me  retenir  de 
m'écrier  d'un  cœur  ardent  :  «  O  chère  Bienheureuse,  nous,  postérité  du 
bon  peuple  qui  pleurait  à  votre  mort  et  dont  la  compassion  vous  attendrit 
vous-même,  ne  serons-nous  pas  dans  votre  affection  parmi  les  premiers  !  » 


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Rouen,  le  6  janvier  1915. 


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LA    MISSION    DE    JEANNE    D'ARC 


Jeanne  d'Arc  fut  une  sainte  par  ses  vertus.  Humilité,  obéissance, 
piété,  bonté,  patience,  sacrifice  :  tout  ce  qui  fait  ressembler  une  créature 
au  divin  modèle  de  l'Évangile,  Jeanne  l'a  fait  voir  en  elle  avec  une 
simplicité  qui  s'ignorait.  Mais  il  semble  que  toutes  ses  vertus  peuvent  se 
résumer  en  un  seul  mot  :  l'angélique  pureté,  comme  toutes  les  couleurs 
se  ramènent  au  rayon  de  lumière  blanche. 

Sa  petite  enfance  a  été  formée  aux  leçons  de  la  piété.  Comme  la 
pâquerette  des  prairies  de  Lorraine,  dès  qu'elle  eut  bu  la  goutte  de 
rosée  divine,  elle  commença  à  s'épanouir  et  à  se  tourner  vers  le  soleil 
du  bon  Dieu  pour  recevoir  sa  lumière  et  sa  chaleur. 

Elle  attira  bientôt  les  regards  de  la  prédilection  divine,  et  les  plus 
beaux  des  anges,  les  plus  douces  saintes  se  penchèrent  vers  elle  pour 
l'instruire.  Pendant  quatre  années  elle  fut  formée  par  ces  maîtres  d'en 
haut  et  vécut  à  travers  les  ailes  des  anges  et  les  caresses  des  vierges. 
Dans  la  Lorraine,  la  tradition  populaire  que  les  mères,  depuis  Isabelle 
Romée,  ont  transmise  d'âge  en  âge  à  leurs  filles,  c'est  que  Jeanne  fut 
la  fleur  de  l'humanité  et  le  lis  de  l'innocence. 

Comme  la  colombe  va  baigner  ses  blanches  plumes  aux  eaux  lim- 
pides, Jeanne  entretenait  la  pureté  de  son  âme  aux  sources  vives  de  la 
prière. 

Ne  croyez  pas  que  Jeanne  n'eut  qu'à  monter  à  cheval  à  la  voix  de 
saint  Michel,  escortée  par  les  anges  et  par  sainte  Catherine   et   sainte 

(1)  Mgr  Gauthey,  archevêque  de  Besançon,  est  décédé  en  1918.  après  nous  avoir  envoyé  ces  pâtes. 


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Marguerite,  qui  se  firent  ses  conseillères.  Non,  Jeannette  de  Domremy 
était  dans  sa  treizième  année  quand  elle  entendit  le  premier  appel  du 
Ciel,  et  ce  ne  fut  que  quatre  ans  plus  tard  qu'elle  partit  de  Vaucouleurs 
pour  aller  trouver  le  roi  à  Chinon  (23  février  -  6  mars  1429).  Elle  fut 
donc  formée,  durant  quatre  années,  par  le  grand  archange  saint  Michel, 
protecteur  de  la  France,  et  par  les  admirables  vierges  sainte  Catherine 
et  sainte  Marguerite. 

Il  n'y  a  que  Dieu  pour  mettre  ses  prédestinées  à  si  belle  et  si 
sainte  école. 

Plus  tard,  à  Poitiers,  par  les  docteurs  et  les  évêques,  et  surtout 
à  Rouen,  par  les  juges  et  les  inquisiteurs,  Jeanne  fut  souvent  interrogée 
sur  ses  apparitions  et  sur  «  ses  Voix.  »  Nous  savons  donc  que  l'enfant 
fut  d'abord  effrayée  ;  puis,  les  apparitions  se  produisant  dans  la  lumière, 
le  langage  des  êtres  célestes  étant  clair,  leur  parler  doux  et  agréable, 
la  jeune  fille  fut  bientôt  en  confiance  :  «  Quand  ils  s'éloignaient,  je 
pleurais,  et  j'aurais  bien  voulu  qu'ils  m'eussent  emportée  avec  eux.  » 

Les  Voix  lui  disaient  qu'elle  «  fût  enfant  vertueuse  et  que  Dieu 
l'aiderait.  »  Elles  lui  recommandaient  de  prier,  d'aller  à  l'église,  de  se 
confesser  et  de  communier.  Elle  fit  vœu  de  virginité  dès  ce  moment. 
Par  ces  leçons,  Jeanne  devint  une  jeune  fille  admirable  de  foi,  de 
piété.  Elle  était  bonne  aux  pauvres,  leur  faisait  l'aumiône,  alla  même 
jusqu'à  leur  céder  son  lit,  tandis  qu'elle  se  réfugiait  au  four.  Elle  avait 
une  dévotion  filiale  à  la  Sainte- Vierge,  aimait  à  aller  la  prier,  le  samedi,  à 
son  sanctuaire  de  Bermont.  A  la  maison,  c'était  une  enfant  laborieuse, 
occupée  aux  soins  du  ménage  ;  elle  aidait  son  père  aux  champs,  gar- 
dait quelquefois  les  troupeaux.  Elle  filait  le  chanvre  et  la  laine  :  «  Pour 
filer  et  coudre,  répondit-elle  avec  une  naïve  fierté  à  ses  juges,  je  ne 
crains  aucune  femme  de  Rouen.  »  C'était  une  nature  droite,  franche, 
vive,  ouverte.  «  Il  n'y  en  avait  point  de  semblable  à  elle  dans  la 
paroisse.  »  Et  bien  que  jeunes  gens  et  jeunes  filles  la  critiquassent 
parfois  comme  trop  dévote,  tous  les  habitants  du  pays  l'estimaient  et 
l'aimaient.  Jeanne,  dans  son  ignorance  et  son  angélique  simplicité,  était 
une  créature  exquise,  tout  agréable  à  Dieu,  vraie  fille  du  Ciel  et  sœur 
des  anges. 

Fille  du  Ciel  qui  lui  donna  sa  mission.  Les  incrédules  ont  imaginé 
diverses  explications  pour  échapper  au  surnaturel  qui  se  manifeste  avec 
tant  d'éclat  dans  l'histoire  de  la  Pucelle.  Ils  ont  dit  que  Jeanne  avait 


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été  entraînée  progressivement  par  les  récits  qu'elle  entendait  au  village 
sur  les  malheurs  de  la  France.  Son  imagination  avait  travaillé,  son 
jeune  patriotisme  s'était  exalté  ;  elle  avait  eu  des  hallucinations.  Pauvres 
gens  d'esprit  !  Ils  ont  écrit,  selon  le  mot  d'un  critique  très  avisé,  bien 
que  peu  chrétien,  des  chapitres  d'histoire  «  un  peu  fous.  »  N'est-ce  pas 
folie  de  soutenir  que  la  vaillante  jeune  fille,  saine  de  corps  et  d'âme, 
qui  a  déployé  une  fermeté  virile,  une  constance  inlassable,  une  persé- 
vérance acharnée  pour  partir  de  son  pays  contre  l'avis  de  tous,  qui  fit 
l'admiration  des  chevaliers,  ses  compagnons  de  chevauchée  ;  qui  ne  se 
laissa  déconcerter  ni  par  les  sourires  des  courtisans,  ni  par  l'examen 
minutieux  des  docteurs  ;  qui  parla  au  roi  avec  une  autorité  sans  pareille  ; 
qui  promit,  comme  preuve  de  sa  mission,  de  faire  lever  le  siège 
d'Orléans  ;  qui,  tout  d'un  coup,  sans  apprentissage  guerrier,  se  montra 
un  chef  expérimenté  auquel  les  vieux  capitaines  royaux  rendirent  hom- 
mage ;  qui  transforma,  par  ses  exhortations  et  son  exemple,  les  troupes 
dissolues  et  indisciplinées  qu'on  lui  donna  en  vaillants  soldats  «  bien 
confessés  ;  »  qui,  par  sa  bravoure  à  l'attaque,  devint  un  objet  de  terreur 
pour  l'ennemi  ;  qui  entraîna,  en  dépit  de  toutes  les  résistances  des 
jaloux,  son  «  gentil  Dauphin  »  à  Reims  pour  le  faire  sacrer  ;  qui,  au 
milieu  des  ovations  du  triomphe,  resta  modeste  et  simple  ;  qui,  pendant 
les  longues  séances  du  tribunal  de  Rouen,  ne  se  laissa  ni  intimider  par 
les  menaces,  ni  troubler  par  le  mensonge,  ni  prendre  dans  les  pièges 
tendus  à  sa  bonne  foi,  ni  vaincre  par  l'iniquité  des  juges  ;  qui,  plus  d'une 
fois,  les  confondit  par  des  réponses  d'une  admirable  sagesse  et  d'un  à- 
propos  sans  réplique  possible  ;  qui,  jusqu'à  la  fin,  soutint  qu'elle  n'avait 
rien  fait  que  par  l'ordre  de  Dieu,  et  que  pour  tout  elle  s'en  remettait 
à  son  Seigneur  Jésus- Christ  ;  qui,  enfin,  aima  mieux  mourir  sur  le 
bûcher  que  de  renier  sa  mission  divine  ;  je  le  répète,  n'est-ce  pas  folie 
de  soutenir  que  tant  de  bon  sens,  de  vaillance,  de  sainteté,  que  tant 
de  vertus,  tant  de  sagesse  et  de  courage  sont  le  fait  d'une  hallucinée  ? 
Si  une  pauvre  fille,  ignorante  et  naïve,  pourvu  qu'elle  soit  hallucinée, 
peut  soutenir  un  pareil  rôle  en  face  d'un  roi  et  de  sa  Cour,  en  face 
d'une  assemblée  d'évêques  et  de  docteurs,  devant  les  princes  et  à  la 
tête  d'une  armée,  dans  les  entretiens  particuliers  comme  au  milieu  des 
acclamations  populaires,  dans  les  tortures  d'une  infâme  prison,  où  elle 
fut  en  butte  aux  avanies  et  aux  outrages,  comme  dans  les  interroga- 
toires d'un  long  procès,  où  elle  dut  tenir  tête,  sans  conseils  et  sans 
défenseurs,  aux  assauts  de  juges  acharnés  à  sa  perte  et  qui  l'enve- 
loppaient de  difficultés  imprévues,  de  subtilités  perfides  et  de  mauvaise 


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foi  haineuse  :  c'est  un  miracle  plus  incompréhensible  que  tous  ceux 
auxquels  on  refuse  de  croire.  Les  docteurs  d'université,  vendus  à  l'en- 
nemi, avaient  trouvé  mieux  ;  ils  déclarèrent  que  Jeanne  était  le  suppôt 
de  trois  démons  ;  ils  n'hésitaient  même  pas  à  les  nommer  ;  c'étaient 
Bélial,  Satan  et  Béhémoth  ! 

Aujourd'hui,  les  Anglais,  nos  alliés,  honorent  la  sublime  héroïne,  et 
ce  sont  les  Allemands  qui  l'outragent. 

Dans  une  église  qu'ils  ont  bombardée  et  ruinée,  la  statue  de  la 
Bienheureuse,  patronne  de  la  France,  est  demeurée  intacte  au  milieu 
des  ruines.  Cette  céleste  créature  défie  les  ennemis  de  sa  patrie,  et 
elle  les  vaincra  une  fois  de  plus  ;  «  Les  hommes  d'armes  batailleront, 
et  Dieu  donnera  la  victoire  »  par  l'influence  de  Celle  qu'il  a  suscitée 
pour  la  sauver  au  XV»  siècle  et  qui  est  préposée,  avec  une  puissance 
nouvelle,  à  la  défense  et  à  la  délivrance  de  son  pays. 


Besançon,  le  30  janvier  1918 


PATRICE    DEÇUS 


C  est  dans  des  tressaillements  d'espérance  et  de  joie  que  nous  avons 
salué  sur  les  autels,  pour  la  première  fois,  Jeanne  d'Arc,  la  grande 
Française,  au  jour  inoubliable  de  sa  béatification  :  «  Elle  vient  à  son 
«  heure,  disions-nous  alors,  cette  magnifique  apothéose,  et  le  moment  est 
«  bien  choisi  pour  glorifier  et  faire  resplendir  celle  qui  nous  apparaît 
«  comme  la  plus  pure  personnification  de  la  Patrie  chrétienne.  Qui  donc, 
«  en  la  contemplant  dans  son  nouveau  triomphe,  pourrait  désormais 
«  douter  de  l'avenir  de  cette  France  que  l'impiété  voudrait  détruire.  » 

Depuis  cette  époque,  aux  outrages  de  l'impiété  sont  venues  s'ajouter 
les  terribles  épreuves  de  la  guerre,  et  la  France,  toujours  fidèle  à  ses 
traditions  de  vaillance  et  de  foi,  confiante  en  la  protection  de  la  sainte 
patronne,  soutenue  par  son  souvenir  et  ses  exemples,  a  lutté,  avec  une 
indomptable  énergie  et  un  courage  qui  ont  fait  l'admiration  du  monde, 
contre  les  ennemis  de  la  civilisation  et  les  barbares  destructeurs  de 
l'humanité. 

Quelque  dures  qu'aient  été  nos  épreuves,  notre  espoir,  loin  de 
diminuer,  s'est  affermi  de  plus  en  plus  à  mesure  que  nous  avons  vu 
approcher  le  jour  tant  désiré  de  la  canonisation  de  Jeanne  d'Arc,  qui  sera 
comme  l'action  de  grâces  de  la  victoire. 

En  attendant,  rendons  grâce  à  la  Providence  de  ce  qu'il  lui  a  plu 
de  réserver  à  notre  XX"  siècle  le  culte  de  la  Bienheureuse  Jeanne 
d'Arc,  parce  que  cette  vierge  guerrière  est  pour  tous  les  chrétiens,  et  en 
particulier  pour  tous  les  Français,  un  modèle  et  une  espérance.  Modèle 
des  vertus  simples  et  modestes  qui  sont  l'honneur  des  foyers  chrétiens 


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et  qui  font  le  bonheur  de  la  vie  domestique,  elle  est  aussi  le  type  le  plus 
achevé  des  grandes  âmes  qui  sont  la  gloire  et  le  salut  d'un  pays.  Elle 
unit  dans  son  humble  personne  tout  ce  que  la  vertu  a  de  plus  doux,  de 
plus  attrayant,  de  plus  aimable,  à  ce  que  le  patriotisme  a  de  plus 
éclairé,  de  plus  surhumain,  de  plus  héroïque. 

Notre  admiration  pour  la  grande  Française  ne  nous  fait  d'ailleurs 
point  perdre  de  vue  la  grande  chrétienne,  qu'il  nous  faut  imiter  si  nous 
voulons  lui  plaire  et  obtenir  d'elle  les  secours  dont  nous  avons  besoin. 

Pour  sauver  son  pays,  les  yeux  toujours  tournés  vers  le  Ciel,  Jeanne 
s'inspira  avant  tout  de  la  volonté  de  Dieu,  faisant  passer  l'obéissance 
à  ses  ordres  avant  la  sagesse  des  hommes  et  les  calculs  de  la  politique. 

Voilà  la  sainte  qu'il  faut  honorer  et  prier  ;  alors  nous  pourrons  dire 
avec  vérité,  comme  au  xv»  siècle,  que  la  cause  de  la  France  est  vraiment 
la  cause  de  Dieu. 

Et  si,  comme  pour  Jeanne  d'Arc,  l'âpre  labeur,  la  lutte  sans  merci 
sont  notre  partage,  son  héritage  sera  aussi  le  nôtre  et  nous  recueillerons 
dans  l'allégresse  ce  que  nous  aurons  semé  dans  les  pleurs. 

Toulouse,  le  23  septembre  1919. 


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JEANNE    D'ARC    A    BOURGES 


Si  la  ville  de  Bourges  voulait,  un  jour,  dresser  un  monument  pour 
fixer  dans  le  marbre  ou  dans  le  bronze  l'impression  qu'elle  a  gardée 
des  courtes  semaines  vécues  dans  ses  murs  par  la  Pucelle  d'Orléans, 
elle  pourrait  s'inspirer  de  l'idée  originale,  mais  touchante,  d'un  certain 
curé  berrichon. 

Le  brave  curé  de  Sainte-Bouise  avait  un  culte  pour  la  mémoire  de 
Jeanne  d'Arc,  et  il  s'employait  à  le  faire  partager  à  ses  paroissiens.  Il 
avait  érigé,  à  l'entrée  du  village,  une  croix  dont  les  bras  portaient,  non 
l'image  du  Sauveur,  mais  un  ange  à  la  figure  de  femme  et  aux  ailes 
déployées.  Tous  les  ans,  au  matin  de  l'Ascension,  il  conduisait  son  peuple 
au  «  Calvaire  de  Jeanne  d'Arc,  »  et,  en  quelques  mots  vibrants,  il  lui 
expliquait  le  sens  de  cette  procession  à  la  fois  religieuse  et  patriotique. 

Un  ange  sur  une  croix  !  Voilà  bien  le  symbole  que  Bourges  pourrait 
graver  en  tête  du  chapitre  qui  raconterait,  dans  ses  annales,  les  sou- 
venirs de  la  Vierge  libératrice  :  car  c'est  à  Bourges  que  Jeanne  monta 
la  première  marche  de  ce  calvaire  dont  la  dernière  station  fut  le 
bûcher  de  Rouen. 

Un  matin  de  septembre  de  cette  année  1429,  dans  la  mélancolie 
naissante  de  l'automne,  le  son  des  trompettes  annonçait  aux  habitants  de 
Bourges  l'arrivée  de  l'escorte  royale.  Bientôt  après,  Charles  VII  faisait 
son  entrée  dans  la  ville,  ayant  à  ses  côtés  Jeanne  la  Pucelle.  Le  roi 
paraissait  indifférent  à  la  curiosité  et  aux  ovations  du  peuple.  Jeanne, 
la  victorieuse,   semblait  ployer  sous  le  poids  d'une  tristesse  immense. 


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Naguère,  à  Selles-sur-Cher,  quand  le  jeune  comte  de  Laval  était 
venu  la  saluer  dans  la  maison  du  Chesne,  elle  lui  avait  offert  un  vin 
exquis  du  cru,  en  lui  disant  :  «  Je  vous  en  ferai  boire  bientôt  à  Paris.  » 
Et,  le  soir  même,  elle  faisait  conduire  son  grand  cheval  noir,  qui  se 
cabrait,  devant  la  croix,  en  face  de  l'église  ;  elle  y  montait,  toute 
blanche  dans  son  armure,  et  entraînait  l'indolent  Charles  VII  sur  la 
route  de  Reims, 

Le  sacre  avait  eu  lieu  dans  toute  la  pompe  des  anciens  jours. 
Maintenant  Charles  n'était  plus  celui  que  les  Anglais  appelaient  avec 
dérision  le  «  petit  roi  de  Bourges.  »  Il  était  à  nouveau  le  roi  de 
France.  La  capitale,  il  est  vrai,  manquait  encore  à  sa  conquête.  Mais 
les  chemins  s'ouvraient  devant  lui.  Il  lui  suffisait  de  s'y  engager  et 
d'aller  de  l'avant  :  Paris,  comme  tout  le  reste,  reconnaîtrait  la  force  de 
ses  armes. 

Hélas  !  Jeanne  avait  compté  sans  la  faiblesse  native  de  son  roi  et 
sans  les  images  provocatrices  du  château  de  Mehun-sur-Yèvre.  Sourd 
aux  supplications  de  la  Pucelle,  Charles  avait  renoncé  à  sa  capitale  et, 
tout  humide  encore  de  l'onction  sainte,  il  s'était  replié  sur  le  Berry. 
Jeanne  restait  navrée  ;  elle  perdait  le  fruit  de  ses  victoires  à  l'instant 
même  où  elle  se  flattait  de  le  cueillir.  Pourtant,  elle  ne  désespérait 
pas  de  ramener  le  monarque  au  sentiment  de  son  devoir.  Elle  se  rangea 
à  ses  côtés  et  refit  avec  lui,  râm.e  en  deuil,  les  mêmes  chemins  qu'elle 
avait  faits,  quelques  jours  auparavant,  dans  l'ivresse  de  l'enthousiasme 
et  de  l'espérance. 

Charles  avait  hâte  de  gagner  le  château  de  Mehun  et  ses  plaisirs 
faciles.  Il  confia  Jeanne  à  Marguerite  la  Touroulde,  la  femme  de  Bou- 
ligny,  son  receveur  général  des  finances,  qui  devait  lui  donner  l'hospi- 
talité sur  le  Trésor,  et  il  quitta  Bourges. 

Bourges,  dans  la  joie  de  posséder  la  Pucelle,  oublia  la  lâcheté  du 
roi  et  les  angoisses  du  pays.  Tous  les  cœurs  vibraient  encore  des 
émotions  patriotiques  qu'avait  données  la  délivrance  d'Orléans  ;  et  «  /a 
notable  procession  générale,  »  qui,  par  ordonnance  du  roi,  devait  être 
le  témoignage  de  la  reconnaissance  publique  pour  cet  immense  bien- 
fait, parlait  encore  à  tous  les  yeux. 

Cette  procession  d'action  de  grâces,  certes,  la  cité  reconnaissante 
l'aurait  faite,  quand  même  le  roi  ne  l'eût  pas  demandée.  Quelles  heures 


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inoubliables  Bourges  avait  vécues  pendant  le  siège  d'Orléans  !  Orléans 
tombé,  c'est  tout  le  Berry  ouvert  à  l'invasion  anglaise.  Aussi,  quand,  le 
soir  du  8  mai,  les  messagers  annoncèrent  que  les  Anglais  avaient  lâché 
le  dernier  bastion  et  se  retiraient  vers  le  Nord,  la  joie  devint  du 
délire,  et,  le  dimanche  suivant,  dès  les  huit  heures  du  matin,  tout 
Bourges  se  donnait  rendez-vous  dans  l'immense  cathédrale  de  Saint- 
Étienne,  les  échevins  avec  des  cierges  écussonnés  aux  armes  de  la 
ville  et  du  roi,  les  doyens  des  cinq  collégiales  et  leurs  chapitres,  les 
prieurs  de  tous  les  monastères  et  leurs  religieux  ;  et,  après  le  chant  de 
Sexte,  dans  le  bourdonnement  des  cloches,  au  son  des  instruments,  le 
cortège  s'organisait  et  dévalait,  par  les  rues  de  la  cité,  jusqu'à  l'église 
des  Carmes,  par  respect  pour  les  préférences  que  la  Pucelle  marquait, 
disait-on,  pour  les  ordres  «  mendiants.  »  Là,  Mgr  Henri  d'Avaugour, 
l'archevêque  de  Bourges,  au  nom  de  tout  son  peuple,  faisait  la  solen- 
nelle promesse  de  renouveler  tous  les  ans  cette  grandiose  «  procession 
de  la  Pucelle  »,  Bourges  demeurera  fidèle  à  la  parole  du  pontife  jusqu'à 
l'année  des  tristesses  et  des  ruines  nationales,  jusqu'en  1793, 

Les  Anglais  et  les  Bourguignons,  un  instant  étourdis  par  les  victoires 
foudroyantes  de  la  Pucelle,  commençaient  à  reprendre  leur  sens  devant 
l'inaction  inexplicable  de  ses  armées.  Leurs  amis  s'enhardissaient  à  leur 
tour,  A  la  lisière  est  du  Berry,  sur  les  bords  de  la  Loire,  quelques 
châteaux  forts  :  Saint-Pierre-le-Moutier,  Apremont,  La  Charité,  étaient 
devenus  des  repaires  de  brigands.  De  temps  à  autre,  leurs  compagnies 
franchissaient  le  fleuve,  faisaient  une  pointe  rapide  en  territoire  fran- 
çais, saccageaient  tout  sur  leur  passage  et  couraient  abriter  le  fruit  de 
leurs  rapines  sous  les  épaisses  murailles  de  la  forteresse, 

Jeanne,  sollicitée  par  les  victimes  de  ces  raids  impunis,  priait  le 
roi  de  lui  laisser  la  liberté  d'agir.  Elle  l'obtint,  mais  d'une  main  avare 
qui  mesurait  les  pouvoirs,  les  hommes  et  l'argent.  Elle  mit  sur  pied 
une  compagnie  et,  vers  la  mi-octobre,  vint  mettre  le  siège  devant  Saint- 
Pierre-le-Moutier,  L'affaire  faillit  tourner  mal.  Les  soldats  de  Jeanne, 
vaincus  par  le  nombre,  fléchirent  dans  un  assaut  ;  ils  prenaient  déjà  la 
fuite.  L'Héroïne,  n'écoutant  que  son  courage,  s'était  avancée,  sans  casque, 
jusqu'au  bord  du  fossé.  Son  écuyer  fidèle,  Aulon,  vit  le  péril.  Il  lui 
cria  :  «  Vous  êtes  abandonnée  !  »  Mais  Jeanne  se  retira,  et,  jetant  sur 
les  fuyards  un  de  ces  regards  inspirés  qui  figeaient  la  peur  chez  les 
plus  timides  :  «  Eh  non  !  dit-elle,  je  ne  suis  pas  seule,  j'ai  encore  avec 
«  moi  cinquante  mille  de  mes  gens.  Je  ne  partirai  pas  d'ici  que  je  n'aie 


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«  pris  la  ville.  Aux  fagots  !  Aux  claies  tout  le  monde  !  Qu'on  fasse  un 
«  pont  sur  ce  fossé.  » 

Les  fuyards  s'arrêtent,  honteux  de  leur  lâcheté.  Ils  retournent  à 
l'action,  forcent  l'ennemi  et  pénètrent  dans  la  ville. 

Cette  victoire  de  Saint-Pierre-le-Moutier  fut  la  dernière  de  Jeanne. 
Désormais,  abandonnée  de  son  roi,  trahie  par  les  conseillers  intimes  de 
la  Cour,  dépourvue  d'hommes  et  d'argent,  elle  ira,  d'échec  en  échec, 
jusqu'aux  murs  de  Compiègne,  où  elle  boira  jusqu'à  la  lie  le  calice  de  la 
trahison. 

Au  nord  de  Saint-Pierre-le-Moutier,  assise  sur  la  rive  droite  de  la 
Loire,  La  Charité  narguait  la  Pucelle.  Son  seigneur,  Perrinet-Grasset, 
avait  l'âme  d'un  bandit.  Il  rêvait  meurtre  et  pillage  et  trouvait  auprès 
des  Anglais  et  des  Bourguignons  une  criminelle  complicité.  Jeanne 
résolut  de  châtier  son  impudence. 

Elle  se  replia  sur  Montfaucon,  aujourd'hui  Villequiers,  pour  préparer 
sa  prochaine  campagne.  Tout  lui  manquait.  Elle  écrivit  au  roi.  Pour 
toute  réponse,  Charles  lui  dépêcha  une  aventurière,  Catherine  de  la 
Rochelle,  qui  prétendait  avoir  reçu,  en  vision,  un  moyen  sûr  de  se  pro- 
curer l'argent  nécessaire.  Une  dame,  toute  d'or  vêtue,  lui  apparaissait  la 
nuit  et  la  pressait  de  faire  crier  par  le  héraut,  dans  toutes  les  villes, 
d'apporter  l'argent,  sous  peine  de  le  voir  confisqué.  Jeanne  perça 
l'imposture  et  renvoya  l'intrigante  au  château  de  Mehun,  avec  des 
mots  très  durs  pour  ses  visions,  qu'elle  traitait  de  «  folie  et  de  néant.  » 
Messire  Regnault  de  Chartres,  le  seigneur  de  la  Trémouille  et  sire  de 
Gaucourt,  les  monteurs  de  cette  affaire,  ne  pardonneront  jamais  à 
Jeanne  d'avoir  déjoué  leurs  desseins  et  mis  en  pièces  leur  machination. 

Cependant  l'automne  s'avançait  avec  des  froids  précoces  et  excessifs. 
Il  fallait  se  hâter.  Jeanne,  malgré  l'insuffisance  des  effectifs  et  des  appro- 
visionnements, leva  le  camp  de  Montfaucon,  et,  descendant  le  cours  de 
la  Loire,  se  dirigea  vers  La  Charité.  Elle  passa  devant  le  château  d' Apre- 
mont,  dont  le  seigneur  s'était  vendu  à  la  cause  des  Anglais.  Pour  lui 
marquer  son  dédain,  Jeanne  fit  tirer  un  coup,  un  seul  coup,  et  le 
boulet  s'incrusta  dans  la  muraille,  où  il  demeure  comme  un  reproche 
éternel  à  la  félonie  de  son  maître. 

Les  compagnies  de  la  Pucelle,  mal  vêtues,  mal  nourries,  mal  appro- 
visionnées de  poudre  et  d'armes,  se  découragèrent  vite.  Bourges  leur 
restait  fidèle,  il  est  vrai.  A  l'instigation  de  Pierre  de  Beaumont,  procu- 


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reur  des  bourgeois  et  des  habitants,  la  ville  envoyait  à  Jeanne,  sur  la 
ferme  du  vin,  treize  écus  d'or.  C'était  une  goutte  d'eau  dans  l'abîme. 
Jeanne  ne  voulut  pas  tenter  Dieu.  Elle  leva  le  siège  et  retourna  à 
Bourges,  l'âme  remplie  des  plus  noirs  pressentiments. 

Dans  les  semaines  qui  suivirent,  elle  vint  à  Mehun-sur-Yèvre.  Le 
roi  pensa  consoler  son  chagrin  et  la  payer  de  ses  services  en  lui  con- 
férant des  lettres  de  noblesse  avec  des  armes  parlantes  :  une  épée  entre 
deux  lys  soutenant  la  couronne  royale. 

Le  symbole  était  éloquent,  mais  Jeanne  aurait  voulu  cette  épée, 
qui  soutenait  la  couronne  de  son  roi,  ailleurs  que  sur  un  blason. 

Elle  quitta  la  Cour  et  promena  çà  et  là  sa  tristesse.  Elle  parut  à 
Vierzon,  puis  à  Culan.  Elle  descendit  même  jusqu'à  Aigurande  et 
Sainte-Sévère,  vers  les  Marches  du  Berry,  pour  s'entretenir  de  ses 
espoirs  anéantis  avec  son  ancien  compagnon  d'armes,  le  maréchal  de 
France,  Jean  de  Boussac.  Peu  après,  elle  retourna  à  Bourges  ;  et  là, 
ressaisie  soudain  d'un  violent  désir  d'achever  sa  mission  et  de  sauver 
le  royaume  malgré  le  roi,  elle  assembla  quelques  braves  et,  à  leur 
tête,  s'enfonça  vers  le  Nord.  Le  16  avril,  elle  était  à  Melun.  Le  23 
mai,  sous  les  murs  de  Compiègne,  elle  tombait  entre  les  mains  des  Bour- 
guignons. Sa  vie  de  guerrière  se  fermait.  Sur  les  jours  qui  vont  suivre, 
l'histoire  écrira  ce  mot  :  la  Martyre. 

La  ville  de  Bourges  ne  perdit  pas  le  souvenir  de  la  guerrière  et  de 
la  sainte.  Tous  les  ans,  jusqu'en  1793,  la  «  notable  procession  générale 
de  la  Pucelle,  »  le  dimanche  qui  suivait  l'Ascension  en  ravivait  la 
ferveur  ;  mais  c'était  l'unique  témoignage  de  la  reconnaissance  populaire. 

Bourges  s'est  décidé,  dans  ces  dernières  années,  à  reconnaître  par 
un  marbre  l'effort  du  grand  argentier  du  XV  siècle,  Jacques  Cœur, 
pour  refaire  les  finances  françaises  et  ouvrir  au  commerce  national  les 
plus  riches  marchés  du  monde.  Jeanne,  la  Libératrice  d'Orléans,  et,  par 
Orléans,  de  tout  le  Berry,  n'a  pas  encore  vu  ce  geste  réparateur.  Mais 
ce  qu'une  main  officielle  a  négligé  d'accomplir,  la  main  d'un  archevêque, 
Mgr  Dubois,  l'a  fait. 

L'étranger  qui  visite  la  cathédrale  aperçoit  dans  une  chapelle  de 
gauche,  à  la  hauteur  de  la  grille  ouvragée  du  sanctuaire,  un  beau  marbre 
blanc,  signé  d'un  maître  moderne,  Jean  Larrivé.  Jeanne  est  debout,  le 
casque  sur  la  tête,  l'épée  au  côté,  dans  une  longue  tunique  ouverte,  les  mains 
jointes  devant  son  visage,  dans  l'attitude  de  la  prière  et  de  la  réflexion. 


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Sur  la  paix  profonde  de  ses  traits  passe  un  nuage  d'intime  souffrance. 
On  dirait  que  deux  courants  se  rencontrent  et  se  mêlent  sur  son  visage 
comme  dans  son  âme  :  le  courant  qui  vient  du  Ciel  et  qui  l'enveloppe 
d'un  calme  infini,  le  courant  qui  monte  de  la  terre  et  qui  l'envahit 
d'amertume.  C'est  ainsi  que  l'aperçurent,  sans  doute,  nos  ancêtres  berri- 
chons quand  elle  venait,  dans  les  jours  sombres  de  cet  hiver  de  1429, 
méditer  sous  les  voûtes  de  la  cathédrale  et  se  reposer  de  la  lâcheté  des 
hommes  dans  les  douceurs  de  l'oraison. 

Puisse  ce  chef-d'œuvre  de  l'art  moderne  rester  l'expression  tardive, 
mais  grandiose,  de  la  gratitude  que  la  ville  de  Bourges,  et,  avec  elle,  tout 
le  Berry  doit  à  Jeanne,  à  la  vaillance  de  son  épée  et  à  la  foi  invincible 
de  son  patriotisme  ! 

Puisse,  un  jour,  l'antique  procession  «  de  la  Pucelle  »  entraîner  le 
peuple  de  Bourges,  dans  un  élan  de  fervente  reconnaissance,  vers  l'image 
de  l'héroïne  nationale  dressée,  comme  un  symbole  d'union,  sur  l'une  des 
places  de  la  cité  ! 

Bourges,  le  19  septembre  1919. 


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LE   MARTYRE   DE   JEANNE 


V  oyons-la  en  sa  prison  de  Rouen,  au  soir  de  cette  lugubre  journée 
du  24  mai,  où,  dans  le  cimetière  de  Saint-Ouen,  on  l'avait  tourmentée  de 
tant  de  manières  pour  lui  faire  abjurer  ses  Voix  et  sa  mission.  C'est  peut- 
être  le  moment  le  plus  triste  et  le  plus  douloureux  de  son  supplice,  une 
sorte  de  Gethsémani  !  On  venait  de  la  ramener  dans  la  prison  de  ces 
Anglais  si  justement  exécrés  d'elle.  On  lui  avait  promis  la  liberté,  ou,  tout 
au  moins,  les  prisons  plus  douces  de  l'Eglise  ;  et  la  voilà  de  nouveau 
dans  les  fers,  livrée  aux  mêmes  misérables  qui,  tant  et  tant  de  fois  déjà, 
l'ont  abreuvée  de  leurs  grossiers  et  impudents  outrages.  Que  s'était-il 
donc  passé  le  long  de  ce  jour  néfaste  et  tumultueux  ?  Elle  se  le  demande, 
les  yeux  noyés  de  larmes,  l'âme  accablée  et  comme  étourdie. 

Dès  le  matin,  ses  Voix  lui  avaient  dit  «  qu'on  chercherait  à  la 
tromper.  »  —  Est-ce  donc  «  qu'on  y  était  arrivé,  »  et  se  pourrait-il 
qu'elle  eût  commis  quelque  lâcheté?... 

Il  est  vrai  que,  devant  une  foule  innombrable,  on  lui  avait  montré 
tout  à  coup  le  bourreau,  sa  sinistre  charrette,  le  feu.  —  Et  cette  vue 
l'avait  comme  bouleversée... 

Et,  pourtant,  elle  avait  protesté  que  «  ses  dits  et  faits,  elle  les  avait 
faits  de  par  Dieu.  »  Elle  avait  protesté  «  qu'elle  s'en  rapportait  à  Dieu 
et  à  Notre  Saint-Père  le  Pape.  »  Elle  avait  protesté  «  qu'elle  croyait  aux 
douze  articles  du  symbole,  aux  commandements  de  Dieu,  à  tout  ce  que 
croyait  la  Cour  de  Rome,  à  laquelle  elle  s'en  référait.  »  —  Que  devait- 
elle  faire  de  plus  ? 


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On  l'avait  sommée  d'abjurer.  —  «  Abjurer,  qu'était-ce  ?  »  avait-elle 
demandé...  Eh  bien,  «  elle  s'en  rapportait  à  l'Église  universelle,  si  elle 
devait  abjurer  ou  non...  » 

Elle  avait  bien  vu  que  ses  juges  voulaient  la  «  séduire  :  »  elle  le  leur 
avait  dit  tout  haut.  Et,  pour  la  séduire,  que  n'avaient-ils  pas  fait? 
Conseils,  menaces,  prières,  ils  avaient  mis  tout  en  œuvre.  Et  la  foule  elle- 
même,  attendrie  et  compatissante,  l'avait  pressée  de  ses  supplications. 
C'était  un  bruit  immense  et  confus  de  voix  contraires  et  de  cris  mêlés, 
dont  elle  avait  été  assaillie,  étourdie,  épuisée.  Et  c'est  sous  la  pression 
de  paroles  insidieuses  et  d'une  manœuvre  satanique  qu'elle  avait  signé, 
elle  ne  savait  quoi,  ayant  aux  lèvres  un  sourire  de  pitié  et  de  réprobation. 
—  Mais  non,  non,  mille  fois  non,  comme  elle  le  déclarera  bientôt,  «  elle 
n'avait  point  dit  ou  entendu  rétracter  ses  apparitions...  » 

Jist-ce  donc  qu'elle  aurait  eu  peur  de  la  mort?  —  Mais,  plusieurs 
fois,  elle  avait  dit  à  ses  juges  «  qu'elle  aimerait  mieux  mourir  que 
révoquer  ce  qu'elle  avait  fait  du  commandement  de  Notre-Seigneur,  »  et, 
la  veille  même  de  ce  jour,  le  23  mai,  elle  a  déclaré  que,  «  si  elle  voyait 
le  feu  allumé,  et  même  dans  le  feu,  elle  ne  dirait  autre  chose  que  ce 
qu'elle  avait  dit  au  procès...  » 

ir  ourtant,  la  vue  du  feu  l'a  effrayée  aujourd'hui,  et  elle  a  signé  la 
cédule  qu'on  lui  a  présentée  ;  et  elle  a  dit  :  «  Il  vaut  mieux  signer  cela 
que  d'être  brûlée.  »  —  Etait-ce  bien  vrai  ?...  Mais,  en  réalité,  qu'avait-on 
voulu  d'elle?  Et  qu'était-ce  que  «  cela  »  qu'on  lui  avait  fait  signer?... 
Du  reste,  n'avait-elle  point  dit,  en  le  signant,  «  qu'elle  n'avait  entendu 
rien  révoquer  de  ce  qu'il  plairait  à  Notre-Seigneur  ?  »  Et,  puisqu'il  ne 
s'agissait  que  «  de  se  soumettre  à  l'Église,  de  quitter  ses  habits  d'homme, 
de  changer  la  coupe  de  ses  cheveux  et  même  de  ne  plus  prendre  les 
armes,  »  et  qu'ensuite,  elle  ne  serait  plus  aux  mains  des  Anglais,  n'avait- 
elle  pu,  sans  forfaiture,  tracer  son  nom  au  bas  d'un  pareil  engagement? 
En  revanche,  elle  serait  confiée  à  la  garde  de  l'Église  et  elle  pourrait  de 
nouveau  participer  à  ses  sacrés  mystères  :  il  y  avait  un  si  long  temps 
qu'elle  en  était  privée  et  qu'elle  n'avait  pu  manger  le  pain  des  forts  ! 

V  oilà,  sans  doute,  ce  que  Jeanne  se  dit  et  se  redit  à  elle-même,  tandis 
que  la  vision  de  Saint-Ouen  passe,  va  et  revient  devant  ses  yeux  et  son 
esprit.  Vision  troublante  !  Nuit  d'horreur  dans  ce  cachot  où  elle  ne  croyait 
plus  revenir  ! . . .  On  vient  de  lui  raser  la  tête  ;  elle  a  revêtu  les  habits  de 
femme  :  si,  du  moins,  elle  était  rendue,  demain,  à  la  libre  et  pure  lumière 
des  enfants  de  Dieu!.,. 


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1!) 


5: 


Pauvre  sublime  Enfant  !  Demain,  on  te  mentira  encore  ;  puis,  de 
nouveau,  on  essaiera  d'attenter  à  ta  foi,  à  ta  vertu,  à  ton  honneur  ;  on 
voudra  te  perdre  de  réputation,  t'envelopper  dans  le  mensonge,  discréditer 
ta  mission  par  ton  propre  aveu,  et  t'envoyer  quand  même  au  bûcher. 
O  Jeanne  !  Jeanne  !  Le  jour  n'est-il  pas  venu,  où  va  s'accomplir  cette 
parole  de  tes  Voix  :  «  Prends  tout  en  gré,  ne  t'inquiète  pas  de  ton  martyre  ; 
tu  t'en  viendras  au  royaume  du  Paradis  ?  » 

Le  jour  du  martyre  approche.  D'heure  en  heure,  le  parti  de  Satan  serre 
de  plus  près  l'Envoyée  de  Dieu  ;  et  les  embûches  se  multiplient,  autour 
d'elle,  avec  les  trahisons.  Plus  d'équivoques  :  instruite  par  ses  Voix,  trompée 
par  ses  juges,  menacée  des  derniers  outrages,  Jeanne  a  repris  ses  habits 
d'homme  ;  et,  avec  une  énergie  nouvelle,  elle  affirme  que  ses  apparitions 
sont  certaines  et  que  sa  mission  vient  de  Dieu.  Elle  avait  eu  peur  du  feu, 
disait-elle  ;  c'est  vrai  ;  mais  jamais  elle  n'avait  entendu  rien  révoquer. 

En  disant  cela,  elle  prononçait  son  arrêt  de  mort,  et  elle  le  savait  ! 

Elle  aura  peur  du  feu  une  fois  encore,  le  matin  du  30  mai,  lorsqu'on 
vint  lui  annoncer  que  le  jour  du  supplice  était  arrivé.  «  Oh  !  s'écria-t-elle, 
j'aimerais  mieux  être  décapitée  sept  fois  que  d'être  brûlée,  »  C'était  donc, 
non  la  mort,  mais  la  mort  du  feu  qu'elle  craignait.  Est-ce  que  le  Christ 
ne  s'était  pas  épouvanté  en  se  voyant,  en  son  agonie,  si  près  de  la  mort, 
et  de  la  mort  de  la  croix?  Peut-être  même  que  Jeanne  se  sentit,  un 
instant,  abandonnée  de  ses  Voix  ;  je  ne  dis  point  qu'elle  en  douta.  Le  Christ, 
sur  la  croix  ne  fit-il  point  entendre  ce  cri  de  suprême  désolation  :  «  Mon 
Dieu  !  mon  Dieu  !  pourquoi  m'avez- vous  abandonné  ?  »  Mais  ce  fut  un 
instant  seulement.  Les  Voix  reviennent,  plus  douces,  plus  consolantes,  et 
rappellent  à  Jeanne  leur  promesse  :  «  Tu  t'en  viendras  au  royaume  du 
Paradis.  »  —  «  Oui,  dit-elle,  avec  l'aide  de  Dieu,  j'y  serai  ce  soir.  » 

Oh!  Qu'elle  grandit  encore  à  cette  heure,  et  comme  son  héroïsme 
l'élève  et  la  transfigure  dans  les  hauteurs  sereines  de  la  sainteté  !  Quelle 
effusion  de  piété,  dans  sa  dernière  communion  !  Comme  elle  prie  et 
pleure  en  se  rendant  au  lieu  du  supplice  !  On  dirait  une  pénitente.  Comme 
elle  écoute  en  patience,  sur  son  échafaud,  les  exhortations  qu'on  lui 
adresse  et  les  mensonges  dont  on  l'accable  une  fois  de  plus  !  On  dirait 
une  criminelle.  Qu'elle  est  simple,  humble,  généreuse,  lorsqu'à  genoux  elle 
prie  encore,  demande  pardon  à  tous  et  pardonne  elle-même  à  ses  ennemis, 
même  aux  Anglais  !  Et,  quand  le  moment  est  arrivé  de  monter  sur  le 
bûcher,  quelle  fermeté  dans  sa  démarche,  et  quel  air  de  victime  allant  à  la 
mort  pour  consommer  sa  divine  mission  !  —  «  Non,  non,  dit-elle  encore, 
mes  Voix  ne  m'ont  point  trompée  ;  elles  venaient  vraiment  du  Ciel  !  » 


; 


S). 


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V  ous  pleurez,  cardinal  Winchester,  vous  qui,  avec  Bedford,  avez 
surveillé  le  procès  infâme  ;  et  vous,  évêque  Cauchon,  qui  l'avez  conduit 
pour  «  le  faire  beau  ;  »  et  vous,  d'Estivet,  qui  en  avez  été  le  grand 
accusateur  ;  et  vous,  Nicolas  Midi,  qui  avez  rendu  l'accusation  plus 
perfide  encore  ;  et  vous,  Beaurepère,  l'interrogateur  hypocrite  et  retors  ; 
et  vous,  Erard,  sinistre  et  sacrilège  prêcheur  de  cimetière,  qui  disiez  à 
Jeanne  :  «  Signer  tout  de  suite,  ou  tout  de  suite  brûlée  ;  »  et  vous  tous, 
juges  prévaricateurs,  vendus  aux  Anglais,  qui  avez  trempé  dans  le  crime, 
qui  avez  condamné  la  vierge  innocente  et  la  douce  héroïne  :  vous  pleurez, 
maintenant  ! . . .  Ne  quittez  donc  pas  vos  sièges  d'iniquités,  au  moment  où 
elle  va  mourir,  et  voyez  comment  meurent  les  martyrs  du  Christ. 
Entendez  ce  cri  répété  de  la  victime  expirante  :  «  Jésus  !  Jésus  !  »  Et 
puis,  regardez  à  travers  la  fumée  qui  l'étouffé  et  les  flammes  qui  la  dé- 
vorent ;  regardez  plus  loin,  là-bas,  dans  les  siècles  qui  vont  venir:  c'est 
Saint-Pierre  de  Rome,  où  est  l'Eglise  de  Dieu,  cette  Eglise  à  laquelle 
Jeanne  en  appela  si  souvent.  La  basilique  est  magnifiquement  parée, 
et  toute  ruisselante  de  lumière,  d'harmonie  et  de  fleurs.  Le  Souverain- 
Pontife,  les  cardinaux,  les  évêques,  un  clergé  nombreux,  tout  un  peuple, 
la  France  surtout,  sont  là,  prosternés  devant  l'image  de  l'incomparable 
Libératrice  et  l'invoquant  avec  amour.  Regardez-la  vous-mêmes,  suppôts 
de  Satan,  et  voyez  comme  elle  s'élance  de  son  pied  vainqueur,  l'oriflamme 
à  la  main,  escortée  de  ses  Voix,  parmi  les  lys  et  les  palmes,  vers  la 
gloire,  la  gloire  des  immortels  triomphes  !  Regardez-la,  vous  dis-je  ;  et 
dans  les  cantiques  de  la  foule  immense,  entendez  l'écho  prolongé,  agrandi 
de  la  parole  qui  vient  de  retentir  ici,  autour  du  bûcher  élevé  par  vos 
mains  :  «  Celle  qu'on  a  brûlée  est  une  sainte  !  » 

Et  maintenant,  allez,  traîtres  et  faussaires  ;  allez  dans  votre  lieu,  là 
où  sont  reléguées  les  hontes  de  l'histoire  et  les  balayures  de  l'humanité. 

O  Bienheureuse  Jeanne,  priez  pour  nous  ! 


La  prière  de  Jeanne  d'Arc  nous  est  bien  acquise,  aujourd'hui  ;  et 
nous  pouvons  compter  sur  elle  comme  sur  une  force  nationale. 

Jeanne  d'Arc,  en  effet,  est  sur  nos  autels  ;  elle  est  entrée  dans  notre 
culte  ;  nous  l'invoquons  comme  la  Libératrice  et  l'Ange  de  la  Patrie  ;  et 
c'est  l'Eglise  qui  nous  en  a   donné   authentiquement   le   droit,   le   jour 


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où  elle  lui  a  conféré  les  honneurs  de  la  béatification.  Jeanne  «  la  Bienheu- 
reuse »  est  une  céleste  et  puissante  protectrice  de  la  France. 

En  la  priant,  nous  élevons  nos  âmes  au  souvenir  de  ses  gestes 
héroïques  et  à  la  vision  de  ses  prodigieuses  vertus  :  ce  qui  est,  pour  la 
France,  une  source  nouvelle  de  religion  et  de  patriotisme.  Et,  de  son  côté, 
Jeanne  d'Arc,  en  priant  pour  nous,  assure  à  la  France  les  faveurs  d'une 
éternelle  et  ardente  intercession  :  ce  qui  est  d'un  prix  inestimable  pour  la 
vie  et  la  grandeur  de  la  Patrie.  Un  tel  patronage  est  un  don  insigne  de  Dieu. 

C  est  en  tout  temps  qu'une  nation  a  besoin  du  secours  de  Dieu  pour 
se  tenir  à  la  hauteur  de  ses  destinées,  de  ses  traditions,  et,  partant,  de  ses 
devoirs.  Mais  c'est  un  besoin  qu'elle  ne  sent  pas  toujours  dans  le  cours 
ordinaire  des  événements  ;  et  trop  souvent,  hélas  !  il  faut,  pour  la 
ramener  à  la  sagesse  et  à  la  justice,  qu'un  fléau  vienne  s'abattre  sur  elle, 
et,  en  la  jetant  dans  quelque  péril  extrême,  réveiller  son  sens  moral  et 
ses  énergies.  Alors,  ce  sont  des  souffrances  à  supporter,  des  sacrifices  à 
consentir,  de  graves  résolutions  à  prendre  ;  et,  pour  faire  face  à  toutes 
ces  nécessités,  on  fait  appel  aux  ressources  les  plus  capables  d'inspirer 
la  confiance.  La  confiance  !  c'est  le  mot  magique  qui  rassure  ;  c'est  le 
sentiment  irrésistible  qui  unit  les  esprits,  centuple  les  forces,  égale  les 
actes  d'une  nation  aux  coups  les  plus  contraires  de  la  fortune. 

Or,  précisément,  parmi  les  ressources  qui  sont  propres  à  exciter  la 
confiance  dans  une  nation  éprouvée,  il  n'y  en  a  pas  de  plus  populaire, 
ni  de  plus  facile  à  mettre  en  oeuvre  que  la  prière.  La  prière  naît  d'une 
conviction  et  d'une  croyance  ;  la  prière  apaise  et  console  ;  la  prière,  en 
ramenant  à  Dieu,  épure  les  consciences  et  fortifie  les  volontés  ;  et  nul 
doute  que  ces  divers  effets  d'ordre  moral  ne  constituent  une  puissance 
d'une  grande  portée  pour  ceux  qui  souffrent  de  la  vie  ou  qui  luttent 
contre  la  mort.  Que  si  la  prière  prend  le  caractère  d'une  supplication 
vraiment  nationale  ;  si  elle  assemble  les  fidèles  dans  les  églises  ;  si  elle 
les  range  en  procession  dans  les  rues  de  la  cité  ;  si  elle  tire  de  leurs  cœurs 
et  de  leurs  bouches  des  chants  de  pénitence  et  des  hymnes  de  foi  vive  et 
profonde,  en  y  mêlant  les  invocations  accoutumées  d'un  antique  patronage; 
on  peut  dire  alors  qu'elle  atteint  ce  degré  de  confiance  et  de  force  dont 
le  Sauveur  disait  lui-même  qu'elle  est  comme  «  une  clameur  de  jour  et 
de  nuit,  et  que  Dieu  ne  tarde  pas  à  faire  justice  aux  suppliants.  »  *" 
Heureuse  la  nation  qui  possède  la  liberté  de  cette  Litanie  publique  et  qui 
sait  la  pratiquer  avec  toute  l'intensité  de  sa  ferveur  religieuse  ! 

(1)  Luc,  XVIII,  7  et  8. 


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de  Maistre  appelle   une  sorte   de 
à  l'homme,  et  dont  «  la  nature  est 


Elle  tient  en  mains  ce  que  M 
«  dynamique  »  que  Dieu  «  confie  » 
de  ne  pas  avoir  de  bornes.  »  *" 

France  !  France  !  Sursum  Corda  :  Haut  les  cœurs  de  tes  enfants  et 
réjouis-toi  de  voir  figurer  Jeanne  d'Arc  dans  le  catalogue  des  «  Vertus 
Célestes  »  <^'  qui  veillent  sur  toi.  «  Les  dons  de  Dieu  sont  sans  repen- 
tance.  »  <^*  Ce  n'est  pas  pour  une  seule  fois  que  Dieu  te  donna  ta  Libératrice  : 
elle  est  à  jamais  à  toi  comme  le  divin  génie  de  tes  destinées  ;  et  tu  es  à 
elle  comme  un  peuple  de  prédilection,  toi  qui  fus  l'objet  de  sa  vie 
guerrière  et  de  sa  douloureuse  mort.  Prie-la  donc  sans  cesse,  afin  que  sans 
cesse  elle  puisse  offrir  au  Très-Haut  tes  supplications,  avec  tes  épreuves, 
en  y  mettant  le  double  poids  de  ses  mérites  et  de  son  intercession. 

Xa  prière,  humble  et  pénitente,  et  la  sienne,  chaste  et  glorieuse, 
s'uniront  dans  un  de  ces  concerts  de  grâce  et  de  beauté  qui  réjouissent  le 
Ciel  et  qui  peuvent  tout  sur  le  cœur  de  Dieu  :  Omnipotentia  supplex. 

(1)  Soirées  de  Sainf-Pélersbourg  (5'  Entretien). 

(2)  Expression  tirée  du  «  Journal  da  Siège  d'Orléans.  * 

(3)  Bossuet. 

Avignon,  le  27  septembre  1919. 


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JEANNE,    LA    GRANDE    FRANÇAISE 


On  a  tant  écrit  sur  Jeanne  d'Arc  en  ces  dernières  années,  prononcé 
tant  de  panégyriques,  qu'il  est  impossible  de  parler  d'elle  sans  tomber 
dans  des  redites,  d'autant  mieux  que  la  vie  de  notre  Bienheureuse  a 
été  fort  courte,  que  les  événements  qu'elle  renferme  se  condensent 
dans  un  espace  de  quelques  mois.  Et  puis  ils  sont  connus  de  tous. 

Si  l'on  pouvait,  sans  irrespect,  comparer  ce  rôle  libérateur  à  celui 
du  Maître,  on  pourrait  remarquer  que  le  ministère  de  Notre-Seigneur 
a  été  bien  court  aussi.  Jeanne  a  délivré  la  France  en  trois  ans,  depuis 
Vaucouleurs  jusqu'à  son  martyre.  Notre-Seigneur  a  racheté  le  monde 
entier  en  trois  ans  de  ministère  public.  Pour  Dieu,  le  temps  n'est  rien. 

Je  suis  d'autant  plus  heureux  de  joindre  mon  témoignage  à  celui 
des  éminents  et  vénérés  membres  de  l'épiscopat,  que  la  première 
paroisse  où  je  fus  curé  a  été  Beaurevoir,  où  Jeanne,  prisonnière,  fut 
enfermée  quelque  temps  dans  ses  douloureuses  étapes  de  Compiègne 
à  Rouen. 

Les  canonistes  se  sont  demandé  souvent  si  les  nations  doivent 
être  regardées  comme  de  simples  personnalités  fictives,  c'est-à-dire  irres- 
ponsables ;  s'il  y  a  des  crimes  nationaux,  une  conscience  nationale  ;  si 
un  être  abstrait  est  tenu  de  réparer  les  erreurs  et  les  fautes  du  passé. 
On  le  pense  de  plus  en  plus.  Une  nation  peut  se  repentir. 

Dans  le  cas  présent,  l'Angleterre  en  est  un  exemple,  et  malgré  ce 
prodigieux  fascinateur    de   Shakespeare,   qui    l'a   enivrée   de  rêves    de 


(1)  Collaboration  reçue  quelques  jours  avant  la  mort  de  Miir  Mi£not,  archevêque  d'AJbi. 


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gloire,  Shakespeare  si  injuste  et  si  passionné,  l'Angleterre  d'aujourd'hui 
rend  justice  à  notre  héroïne,  l'admire,  et  regrette  la  scène  de  la  place 
du  Marché. 

La  France  a  trop  longtemps  oublié  sa  libératrice,  elle  l'a  méconnue 
et  l'a  laissé  outrager  par  des  hommes  de  haute  valeur  littéraire,  qui 
s'imposaient  à  l'Europe  savante  et  cultivée,  mais  étaient  plus  Allemands 
que  Français. 

Grâce  à  Dieu,  la  réparation  est  venue  ;  elle  est  venue  aussi  com- 
plète qu'on  pouvait  l'espérer  dans  l'état  actuel  des  esprits. 

L  union  qui  s'est  faite  sur  le  nom  de  l'héro'ine  à  partir  de  1870 
s'est  resserrée  encore  depuis  la  grande  épreuve  actuelle.  Tous,  aujour- 
d'hui, nous  la  regardons  comme  la  libératrice  de  la  France,  mais  nous, 
chrétiens,  voyons  en  elle  la  libératrice  prédestinée,  et  dans  sa  mission, 
unique  dans  l'histoire,  la  preuve  indéniable  de  la  providence  spéciale  de 
Dieu  envers  notre  Patrie. 

Il  faut  fermer  les  yeux  et  s'aveugler  volontairement  pour  n'être 
pas  frappé  du  caractère  inexplicable  d'une  action  qui  interrompt  heu- 
reusement le  cours  logique  des  événements,  et  dont  nous  apprécions 
les  conséquences  mieux  que  ne  pouvaient  le  faire  les  contemporains. 

Ce  qui  augmente,  si  possible,  notre  foi  au  côté  divin  de  cette 
mission,  c'est  que  l'Église  a  placé  Jeanne  au  rang  des  bienheureuses. 

Je  reconnais  cependant  qu'elle  est  une  sainte  à  part,  une  sainte 
à  nous,  une  sainte  créée  par  Dieu  pour  la  France. 

Malgré  le  bûcher,  si  l'Église  ne  l'a  point  placée  dans  le  catalogue 
des  martyrs,  c'est  qu'en  réalité,  malgré  ses  juges  qui  voulaient  en 
faire  une  hérétique,  elle  n'est  pas  martyre  des  vérités  chrétiennes,  que 
nul  ne  contestait  en  France  et  en  Angleterre.  Elle  est  sainte  par  sa 
mission  et  par  ses  vertus  ;  elle  est,  si  l'on  peut  parler  ainsi,  la  martyre 
du  patriotisme. 


* 

*    * 


Faut-il  regarder  les  adversaires  de  Jeanne  comme  de  mauvais 
Français  ?  Non,  si  on  se  reporte  à  une  époque  singulièrement  troublée, 
où  il  était  beaucoup  plus  difficile  de  connaître  son  devoir  que  de  le 
pratiquer. 


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L  idée  d'une  unité  territoriale  de  la  Patrie  était  moins  vive  dans 
les  intelligences  et  les  cœurs  qu'elle  ne  l'est  aujourd'hui.  Les  provinces, 
tout  en  restant  françaises,  pouvaient  passer  de  main  en  main.  Les 
Anglais  croyaient  posséder  légitimement  l'Aquitaine  par  l'apport  qu'Eléo- 
nore  en  avait  fait  à  Henri  IL  Plus  tard,  par  un  honteux  traité,  œuvre 
d'Isabeau  de  Bavière,  la  France  fut  livrée  à  l'Angleterre  par  suite  du 
mariage  d'Henri  V  avec  Catherine  de  France.  Henri  VI  fut  couronné 
à  Notre-Dame  de  Paris  ;  Charles  VII  était  regardé  comme  illégitime  ; 
le  duc  de  Bourgogne  était  avec  les  Anglais  ;  la  presque  totalité  de  la 
France  avait  échappé  au  roi.  Qui  n'aurait  été  troublé  ? 

La  France  n'aurait  pas  tardé  à  s'effriter,  à  devenir  une  sorte 
d'Heptarchie  ou  de  Novempopulanie  !  Elle  n'était  plus  qu'un  nom  :  Jeanne 
en  refit  une  réalité.  Elle  posa  les  germes  d'une  reconstitution  de  la  France, 
de  notre  France  à  nous,  de  celle  dont  nous  vivons,  que  nous  aimons  et 
qui  est  notre  vraie  mère. 

* 
*    * 

Jeanne  fut,  certes,  une  grande  chrétienne,  mais  son  rôle  fut  surtout 
celui  d'une  grande  Française.  Des  chrétiennes,  il  peut  y  en  avoir  d'aussi 
grandes,  plus  grandes  même  ;  de  plus  grandes  Françaises,  je  n'en 
connais  pas. 

Je  ne  dis  rien  de  Domremy,  d'Orléans,  de  Reims  —  la  place 
manque  ;  —  rien  de  son  procès,  où  le  mensonge,  la  perfidie,  la  lâcheté, 
l'avarice,  l'ambition  se  montrent  dans  toute  leur  laideur.  Laissons  à 
Dieu  le  soin  de  discerner  les  faibles,  les  timides,  les  ignorants,  les 
trompés  d'avec  les  coupables,  d'avec  ceux  qui  savaient  et  voulaient. 

Avant  de  monter  sur  le  bûcher,  elle  se  jette  à  genoux,  prononce  à 
haute  voix,  devant  la  foule  assemblée,  les  paroles  suivantes  : 

«  Sainte-Trinité,  ayez  pitié  de  moi,  je  crois  en  vous.  Jésus,  ayez 
«  pitié  de  moi.  Priez  pour  moi,  ô  Marie  !  Saint  Michel,  saint  Gabriel, 
«  sainte  Catherine,  sainte  Marguerite,  soyez-moi  en  aide  ! 

«  Vous  tous  qui  êtes  ici ,  pardonnez-moi  comme  je  vous  pardonne. 

«  Vous,  prêtres,  dites  chacun  une  messe  pour  le  repos  de  mon  âme  ! 

«  Qu'on  n'accuse  point  mon  roi  :  il  n'a  point  trempé  dans  ce  que  j'ai 
«  fait  ;  et,  si  j'ai  fait  mal,  il  est  innocent  ! 


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3- 


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JEANNE  D'ARC  ET  LA  TOURAINE 


Dernier  refuge  de  l'âme  française  pendant  la  grande  invasion,  la 
Touraine,  au  printemps  de  1429,  vit  passer  dans  sa  radieuse  jeunesse  la 
messagère  de  Dieu,  venue  en  ambassade  à  la  Cour  de  Chinon.  Elle  crut 
en  Jeanne  d'Arc,  et  Jeanne  l'aima.  L'une  et  l'autre  devaient  se  convenir. 

Sous  le  ciel  lumineux  et  doux  du  val  de  Loire,  devant  un  horizon 
reposant  aux  lignes  ondulées,  le  sens  de  la  mesure  et  de  l'à-propos  est  la 
qualité  maîtresse,  servie  par  un  esprit  pénétrant  et  une  critique  jaillissante. 
Cette  qualité  se  trouvait  portée  à  sa  plus  haute  perfection  dans  l'admirable 
nature  de  Jeanne  d'Arc,  si  parfaitement  mesurée  et  proportionnée. 

Avec  une  intégrité  de  vie  qui  s'imposait  comme  un  prestige,  même 
aux  gens  de  guerre,  avec  une  foi  d'apôtre  et  une  piété  angélique,  Jeanne 
avait  un  sens  parfait,  un  esprit  lucide,  un  merveilleux  à-propos,  où 
l'on  trouvait  comme  un  reflet  de  la  sublime  simplicité  des  paroles  du 
Sauveur,  La  France  du  Centre  sut  y  voir  le  signe  divin,  et  reconnaître 
en  Jeanne  une  sainte,  une  de  ces  images  de  Jésus-Christ  comme  il  en 
passe  trop  rarement  dans  l'histoire  du  monde,  quand  Dieu,  par  miséri- 
corde, daigne  nous  donner  une  idée  de  sa  céleste  Cour. 

Si  l'ensemble  du  pays,  qui  accueillit  Jeanne  avec  une  confiance  émue, 
ne  soupçonna  rien  de  ces  hautes  négociations,  il  connut  du  moins  et 
retint  une  chose  :  c'est  que  Dieu  lui-même  voulait  chasser  de  France  les 
ennemis.  Pas  de  levée  en  masse.  Dieu  n'en  avait  pas  besoin.  Pas 
d'enthousiasme  populaire.  Il  aurait  défiguré  l'œuvre  de  la  délivrance  en 
lui  ôtant  son  caractère  divin,  La  Touraine  donna  seulement  à  Jeanne 
d'Arc  son  étendard  et  son  épée,  arme  mystérieuse  découverte  sous  l'autel 


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de  Sainte-Catherine  de  Fierbois.  Elle  lui  donna  aussi  un  choix  de  bons 
et  pieux  soldats  pour  renouveler  les  vieilles  bandes,  avec  des  clercs  et 
des  moines  semeurs  d'héroïsme,  pour  donner  à  cette  œuvre  guerrière 
l'allure  d'une  croisade. 

Quand  partit  vers  l'Est  la  dernière  armée,  celle  qui  vaincrait  par  la 
grâce  de  Dieu,  les  bonnes  gens  de  Touraine,  au  chant  des  hymnes 
liturgiques,  priaient  à  genoux  et  pleuraient  d'émotion  et  d'espérance. 

Pour  la  Libératrice,  et  bientôt,  hélas  !  pour  la  prisonnière,  dans  les 
humbles  paroisses  et  les  vieux  moutiers,  dans  les  chaumières  aux  toits 
roux,  accrochées  au  flanc  des  coteaux,  que  de  larmes,  que  de  prières 
pendant  ces  deux  années  de  la  mission  de  Jeanne  d'Arc,  l'année  des 
triomphes  et  l'année  des  douleurs  ! 

Cinq  siècles  ont  passé.  L'image  de  Jeanne  la  Bienheureuse  est  partout, 
dans  nos  maisons  les  plus  humbles,  à  côté  de  celle  du  Sauveur,  Comme 
aux  années  terribles,  de  1429  à  1431,  devant  elle  on  pleure  et  on  prie. 

La  Touraine  a  envoyé  vers  l'Est  de  bons  et  pieux  soldats,  qui  ont  su 
braver  la  mort.  Et  la  Libératrice,  par  la  grâce  de  Dieu,  nous  a  donné  le 
triomphe. 


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30  mai  1919. 


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JEANNE   D'ARC 

ET    SES    CHEVALIERS    GASCONS 


Puisque  notre  Midi  a  été  un  peu  trop  méconnu  peut-être  pendant 
la  guerre  cruelle,  et  que  certains  ont  osé  suspecter  son  courage  et 
son  loyalisme,  il  nous  plaît,  pour  son  honneur,  de  rappeler  le  vaillant  et 
généreux  concours  qu'il  donna  à  la  Libératrice  du  pays.  C'est  un 
témoignage  qu'est  heureux  de  lui  rendre  l'archevêque  de  la  Gascogne. 

Pendant  la  crise  terrible  que  traversait  la  France  au  commencement 
du  XV  siècle,  notre  Midi  gascon  n'était  pas  resté  indifférent.  Les  malheurs 
de  la  Patrie  l'avaient  ému  peut-être  plus  que  toute  autre  province,  et,  avec 
la  fougue  de  son  caractère,  chaud  comme  son  soleil,  il  s'était  porté,  avec 
ses  chevaliers,  au  secours  de  cette  France  dont  l'ennemi  insolent  menaçait 
de  faire  une  province  anglaise. 

C  étaient,  pour  ne  nommer  que  les  plus  célèbres,  Girault  de  la 
Pailhère,  Raymond -Arnaut  de  Coarraze,  Jean,  seigneur  de  Xaintrailles, 
et  son  illustre  cadet,  Poton  de  Xaintrailles,  surnommé  le  vaillant  Poton, 
Odet  de  Rivière  et  Galaubie  de  Panassac  ;  plusieurs  furent  blessés  à  la 
prise  du  boulevard  des  Tourelles  par  les  Anglais. 

Bientôt  vinrent  se  joindre  à  eux  La  Hire,  surnommé  le  prince 
d'honneur,  Thibault  d'Armagnac,  Bernard  de  Comminges,  Menaud  de 
Castelnau  et  le  seigneur  de  Verduzan. 

On  trouvait  partout  ces  hardis  Méridionaux,  soit  pour  les  messages 
de  la  défense  nationale  qu'il  fallait  porter  au  roi  à  travers  les  lignes 


3- 


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ennemies,  soit  dans  les  sanglantes  escarmouches  qui  se  livraient  presque 
chaque  jour  aux  alentours  des  remparts. 

iJans  la  malheureuse  journée  de  Rouvray-Saint-Remi,  les  cavaliers 
gascons  furent  décimés  et  deux  de  leurs  vaillants  capitaines,  Guillaume 
d'Albret,  sire  d'Orval,  et  le  seigneur  de  Verduzan,  demeurèrent  parmi 
les  morts. 

Jusque  là,  un  peu  abattus  par  les  revers  successifs  qui  semblaient 
rendre  la  défaite  irrémédiable,  ils  manquaient  surtout  d'unité  de  comman- 
dement, livrés  au  hasard  des  initiatives  individuelles  qui  créaient  la 
rivalité  et  la  désunion. 

La  Hire  avait  déjà  vu  Jeanne  à  Chinon,  puis  à  Blois,  le  26  avril  ;  il 
lui  avait  parlé,  et,  pendant  que  tous  souriaient  de  pitié  ou  de  méfiance 
pour  cette  jeune  Pucelle,  La  Hire,  le  premier,  avec  le  brillant  duc 
d'Alençon,  avait  cru  en  elle  et  déclaré  qu'il  la  suivrait  partout. 

Et,  en  effet,  quand  Jeanne  entra  à  Orléans,  c'étaient  La  Hire, 
Thibault  d'Armagnac  et  Coarraze  qui  chevauchaient  à  ses  côtés,  et  Jean 
d'Aulon,  un  Commingeois,  portait  son  étendard  fleurdelisé,  qu'il  ne 
quitta  plus  jamais  jusqu'à  Compiègne,  où  il  devait  être  fait  prisonnier 
avec  Jeanne. 

Le  7  mai,  les  Tourelles  étaient  prises,  les  Anglais  mis  en  fuite,  Orléans 
délivré.  La  Hire,  Xaintrailles,  Coarraze  et  Thibault  d'Armagnac  s'étaient 
si  bien  conduits  dans  les  combats  qui  avaient  donné  la  victoire,  que 
leur  vaillance  fut  chantée  par  les  chroniqueurs  contemporains  et  les 
complaintes  populaires,  dont  la  célèbre  procession  d'Orléans  répéta 
longtemps  les  échos. 

Après  la  délivrance  d'Orléans,  les  Gascons  continuent  la  guerre  avec 
Jeanne.  A  la  bataille  de  Patay,  le  19  juin,  c'est  La  Hire  lui-même  qui, 
avec  ses  cavaliers,  par  la  fougue  de  ses  attaques,  empêche  les  Anglais  de 
se  former  en  bataille  et  remporte  la  victoire  décisive  qui  ouvre  défini- 
tivement la  porte  de  Reims. 

Aussi  Jeanne  disait-elle  de  ces  Gascons  intrépides  :  «  Ils  étaient  tous 
soldats  fols  et  adventureux  qui  ne  voulaient  pas  rester  rasibus  des 
murailles  pour  éviter  les  traits,  mais  allaient  jouer  de  l'espée  en  pleins 
champs.  » 

Et  quand,  dans  la  belle  journée  du  sacre,  le  17  juillet,  on  vit  dans 
la  cathédrale  de  Reims  ces  soldats   admirables   rangés  autour  de  la 


3- 


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Libératrice,  ne  pouvait-on  pas  dire  qu'après  Dieu  et  la  Pucelle,  c'était  pour 
beaucoup  l'épée  des  hommes  du  Midi  qui  avait  préparé  ce  beau  jour  ? 

A  ces  souvenirs  déjà  si  riches  pour  l'histoire  de  notre  pays,  il  faut 
en  ajouter  deux  autres  que  nous  ne  relisons  pas  sans  qu'une  émotion 
bien  douce  fasse  tressaillir  notre  âme  gasconne. 

La  Hire  fit  plus  que  croire  à  Jeanne  et  mettre  sans  réserve  son  épée 
au  service  de  la  cause  dont  le  Ciel  l'avait  investie.  Il  voulut  lui  rester 
fidèle  jusqu'au  bout.  Et  quand  la  sainte,  vaincue,  prisonnière  à  Rouen, 
abandonnée  par  tous,  oubliée  même  de  ceux  qu'elle  avait  le  mieux 
servis,  était  à  la  discrétion  du  brutal  ennemi  qui  s'apprêtait  à  la  faire 
monter  sur  le  bûcher,  La  Hire  conçut  le  projet  plus  que  téméraire  de 
l'arracher  à  ses  mains  ;  mais  il  ne  put  le  réaliser. 

Thibault  d'Armagnac,  dont  le  vieux  château  de  Termes  paraît  encore 
dans  sa  majesté  déchue,  avec  ses  ruines  imposantes,  sur  une  de  nos 
collines,  ne  fut  pas  moins  fidèle  à  la  Pucelle  ;  il  voulut,  un  des  premiers, 
la  rejoindre  à  Chinon  ;  dès  qu'il  la  connut,  il  l'aima  et  s'attacha  à  elle 
sans  retour. 

Cette  fidélité,  rien  ne  put  l'ébranler,  ni  l'inique  sentence  des  juges,  ni  le 
bûcher  ;  et  quand  Charles  VII,  se  souvenant  enfin  de  celle  à  qui  il  devait  sa 
couronne,  voulut  la  réhabiliter,  ce  fut  Thibault,  surtout,  qui  apporta  à  cette 
œuvre  réparatrice  l'autorité  de  son  nom  et  la  fidélité  de  ses  souvenirs. 

Quelle  pieuse  émotion  pour  tous  quand  on  entendit  l'ancien  chevalier 
de  Jeanne  raconter  l'empire  qu'avait  exercé  sur  lui  la  jeune  guerrière,  au 
milieu  même  des  camps  où  sa  figure  lui  apparaissait  comme  auréolée  de 
sainteté  !  Il  ajoutait  qu'au  soir  des  batailles,  toujours  attiré  par  ce 
quelque  chose  de  divin  qui  se  dégageait  de  la  Pucelle,  il  avait  pu  la  voir 
plus  d'une  fois,  à  travers  les  toiles  mal  jointes  de  sa  tente,  encore  couverte 
de  la  poussière  de  la  guerre  et  de  l'armure  du  combat,  ployer  longuement 
les  genoux,  afin  de  crier  pitié  vers  le  Ciel  pour  les  soldats  tombés  dans 
la  journée  et  implorer  pour  le  lendemain  la  victoire  espérée. 

Nous  évoquons  jalousement  ces  souvenirs,  qui  sont  une  gloire  pour 
notre  vieille  province,  et  les  faisons  revivre  avec  la  mémoire  de  celle  qui 
est  désormais  sur  nos  autels. 

l  Ils  sont  pour  nous  le  gage  que  Jeanne  agréera  mieux  notre  prière  et 

qu'elle  laissera  tomber  sur  notre  pays  gascon  les  grâces  de  choix  que 
,       nous  sollicitons  par  son  intercession  puissante. 


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3- 


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O  Jeanne  !  deux  choses  vous  furent  particulièrement  chères  :  la  famille 
et  la  Patrie. 

Faites  que  nos  foyers  ressemblent  au  foyer  de  Domremy,  où  Dieu 
mit  votre  berceau  ;  que,  semblables  à  ce  Jacques  d'Arc  et  à  cette 
Isabelette  Romée,  qui  entourèrent  votre  enfance  de  tant  de  soins  pieux  et 
préparèrent  en  vous  l'héroïne  de  la  France,  nos  pères  et  nos  mères 
façonnent  à  votre  image  leurs  enfants  pour  en  faire  les  hommes  vaillants 
de  demain  dont  notre  pauvre  pays  a  besoin. 

Et  à  cette  France  que  vous  avez  tant  aimée  et  au  service  de  laquelle 
votre  sang  a  coulé,  donnez  l'union  de  tous  les  coeurs  capables  de  la 
défendre,  et  par  l'union  la  force  qui  sera  le  gage  de  la  victoire.  «  Ni 
Armagnacs,  ni  Bourguignons,  »  disiez-vous  souvent  en  face  des  divisions 
qui  ruinaient  la  France  du  XV  siècle.  Faites  qu'en  notre  France  actuelle 
il  n'y  ait  ni  Bourguignons,  ni  Armagnacs,  rien  que  des  catholiques  ralliés 
sous  la  bannière  de  Jésus -Christ  contre  l'éternel  ennemi  qui  a  juré 
sa  perte. 

Que  votre  canonisation,  ô  Jeanne  !  soit  le  gage  des  bénédictions  que 
Dieu  lui  réserve  pour  continuer  encore  sa  mission  providentielle  à 
travers  le  monde  ! 


Auch,  20  septembre  1919. 


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ESPÉRANCES    QUI    S'ATTACHENT 
AU    CULTE    DE    LA    BIENHEUREUSE    JEANNE    D'ARC 


Pie  X  l'a  proclamé  lui-même  :  ce  n'est  pas  sans  une  intention  pro- 
videntielle qu'après  cinq  siècles,  sinon  d'oubli  complet,  du  moins  de 
souvenir  peu  fervent,  le  culte  de  Jeanne  d'Arc  brille  d'un  éclat  souverain 
au  commencement  du  XX^  siècle. 

Dieu  n'a-t-il  pas  voulu  faire  parler,  et  avec  quelle  éloquence  !  le 
langage  de  la  foi  et  de  l'esprit  surnaturel  en  opposition  avec  le  langage 
d'une  science  orgueilleuse  et  d'une  raison  éprise  et  enivrée  d'elle-même  ? 

Dieu  n'existe  pas,  prononce  avec  superbe  et  dédain  la  science  pré- 
tendue infaillible  ;  Dieu,  c'est  V Inconnaissable. 

Et  voici  que,  l'histoire  à  la  main,  —  une  histoire  qui  ne  ment  pas, 
puisque,  selon  la  judicieuse  observation  du  cardinal  Pie,  elle  raconte 
non  seulement  «  l'événement  le  plus  extraordinaire,  le  plus  surnaturel, 
qui  figure  dans  les  annales  humaines,  mais  encore  le  plus  authentique 
et  le  plus  incontestable,  »  une  histoire  qui  consacre  autour  de  cet  évé- 
nement non  pas  seulement,  selon  la  pensée  du  même  cardinal  Pie,  la 
certitude  historique,  mais  la  certitude  juridique,  celle  qui  garantit 
jusqu'aux  moindres  circonstances  de  cette  vie  merveilleuse,  —  et 
voici  que,  l'histoire  à  la  main,  l'Église  du  Christ  nous  montre,  dans 
cette  glorieuse  épopée  du  XV  siècle,  comme  le  passage  manifeste  de 
Dieu  à  travers  un  des  épisodes  les  plus  émouvants  de  notre  histoire 
nationale. 


3- 


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Ecce  transitus  domini,  c'est  l'épigraphe  qu'on  pourrait  appliquer  à 
l'histoire  héroïque  et  toute  surnaturelle  de  Jeanne  la  Bienheureuse  :  oui, 
le  passage  de  Dieu  dans  un  rayonnement  de  force  surhumaine. 

L'esprit  du  Christianisme,  a  dit  Bossuet,  est  un  esprit  de  courage  et 
de  force,  de  fermeté  et  de  vigueur.  C'est  pour  cela  que  le  Fils  de  Dieu 
a  voulu  faire  paraître  cet  esprit  dans  un  si  grand  éclat,  dès  l'origine  du 
Christianisme,  en  envoyant,  dans  les  conditions  que  l'on  sait,  l'esprit  de 
force,  spiritus  fortitudinis. 

C'était  le  prélude  du  salut  du  monde,  par  la  croix  et  par  la  force 
surnaturelle. 

Or,  voici  que,  pour  sauver  la  France  et  l'arracher  à  la  grande  pitié 
qui  la  désolait,  Dieu  a  préparé  l'âme  d'une  Vierge  lorraine  et  en  a  fait 
l'instrument  de  ses  miséricordes  sur  notre  pays  malheureux.  Il  a  mis  au 
cœur  de  cette  Vierge  une  flamme  intime  et  sacrée,  et  la  force  chrétienne 
débordera  d'une  vie  faible  et  fragile  en  apparence,  mais  qui  s'est  pleine- 
ment donnée  à  Dieu,  pour  mieux  se  donner  à  son  pays. 

Telle  est  l'histoire  de  la  Bienheureuse  Jeanne  d'Arc  :  elle  sera  l'Ange 
de  la  Patrie,  mettant  au  service  de  la  France  la  force  surnaturelle  dont 
elle  sera  comme  une  admirable  vision  :  force  surnaturelle  préparée  à 
Domremy  ;  force  surnaturelle  s'affirmant,  avec  quel  éclat  !  dans  l'épopée 
brillante  d'Orléans  à  Reims  ;  force  surnaturelle  s'épanouissant  à  Rouen, 
dans  le  sacrifice  et  le  martyre  ! 


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Dieu  était  donc  passé,  avec  Jeanne  d'Arc,  au  milieu  du  peuple  de 
son  choix  et  de  sa  prédilection,  celui-là  même  dont  il  a  daigné  faire 
l'instrument  glorieux  de  ses  gestes  divins,  Gesta  Dei  per  Francos  ;  et 
voici  que  Jeanne  nous  revient  dans  l'apothéose  d'un  culte  d'enthousiasme 
et  d'admiration  :  c'est  encore  pour  nous  montrer  Dieu  et  pour  nous 
donner  à  Dieu  lui-même. 

Au  duc  d'Alençon,  qu'elle  voyait  hésiter  devant  une  tâche  difficile, 
Jeanne  d'Arc  avait  dit  un  jour  :  «  Gentil  duc,  l'heure  est  bonne,  quand 
il  plaît  à  Dieu  !  » 

L'heure  est  bonne,  quand  il  plaît  à  Dieu  !  La  sainteté  de  Jeanne  d'Arc 
n'est-elle  pas  là  tout  entière,  dans  le  succès  comme  dans  l'épreuve  ? 


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L  heure  est  bonne,  quand  il  plaît  à  Dieu  :  bonne  dans  l'exercice  de 
devoirs  modestes  et  de  vertus  faciles  ;  bonne  dans  l'effort  du  combat 
et  dans  la  contrainte  du  sacrifice  ;  bonne  dans  l'éclat  rayonnant  de  la 
victoire  ;  bonne  dans  le  déclin  apparent  d'une  destinée  brillante  ;  bonne 
dans  l'abandon  des  dévouements  évanouis  ou  des  amitiés  infidèles  ; 
bonne  dans  les  tribulations  d'une  procédure  odieuse  et  d'une  longue 
captivité  ;  bonne  dans  les  angoisses  de  l'agonie  et  les  affres  de  la  mort  ; 
bonne  toujours,  quand  il  plaît  à  Dieu  et  parce  qu'il  plaît  à  Dieu  ! 

Puisse  la  Bienheureuse  Jeanne  d'Arc,  en  nous  rendant  Dieu,  faire 
sonner  pour  nous,  après  l'heure  de  la  souffrance,  l'heure  de  la  victoire 
généreusement  préparée  ! 


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* 
*     * 


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rlélas  !  qu'elle  est  longue  à  venir,  cette  victoire  tant  désirée  !  Si 
nous  la  méritions  un  peu  plus,  non  pas  seulement  par  le  sang  et  l'héroïsme 
merveilleux  de  nos  soldats,  mais  par  notre  part  personnelle  prise  à  la 
défense  nationale,  et  surtout  par  le  retour  de  nos  âmes  à  une  foi  géné- 
reuse et  à  une  vie  chrétienne  sans  intermittence  ! 

Il  y  a  bien  des  facteurs  d'une  victoire  complète  et  décisive,  et,  à  côté 
des  gros  effectifs,  des  munitions  abondantes,  des  armées  intrépides  et 
des  chefs  vigilants,  il  ne  faut  pas  mépriser  l'effort  d'une  prière  ardente 
et  la  force  d'un  sacrifice  chrétien. 

«  l^es  hommes  d'armes  batailleront  et  Dieu  donnera  la  victoire,  » 
avait  dit  Jeanne  d'Arc,  et  cette  loi  providentielle  du  succès  militaire  n'a 
rien  perdu  de  sa  vérité.  Les  causes  secondes  s'agitent  et  Dieu  les  mène. 

Puisse-t-il  mener  l'effort  français  au  triomphe  décisif  !  Mais  Jeanne 
nous  apprendra  toujours  que  la  prière  et  le  sacrifice  chrétien  pèsent  d'un 
grand  poids  dans  la  balance  des  destinées  d'un  peuple,  et  que,  pour 
arracher  à  Dieu  les  grâces  qui  sauvent,  il  faut  savoir  soi-même  s'arracher 
aux  entraves  du  péché. 

Le  péché  est  l'ennemi  de  la  victoire,  et  Jeanne  d'Arc  l'écartait  impi- 
toyablement de  l'âme  de  ses  soldats.  Écartons  nous-mêmes  cet  obstacle 
aux  miséricordes  divines,  et  que  nous  puissions  voir  bientôt,  par 
l'influence  de  la  grande  héroïne  française,  refleurir  parmi  nous  la  fidélité 
chrétienne  ! 


3- 


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Elle  sera  le  gage  de  la  grande  victoire.  Une  fois  de  plus,  par 
Jeanne  d'Arc,  Dieu  sera  passé  sur  la  France.  Dans  son  culte  public, 
inauguré  par  sa  béatification,  Jeanne  d'Arc  sera  revenue  rétablir  son 
règne  au  milieu  de  nous,  en  renouvelant  les  gestes  de  sa  merveilleuse 
épopée. 

Angoulême,  le  31  décembre  1917. 


* 
*     * 


Les  lignes  qui  précèdent  ne  s'éclairent-elles  pas  de  tout  l'éclat  d'une 
victoire  qui  a  mis  fin  à  la  plus  épouvantable  des  guerres  ? 

C  est  encore  Dieu  qui  est  passé,  et  Celle  que  nous  appellerons  bientôt 
«  Sainte  Jeanne  d'Arc  »  n'est  pas  restée  étrangère  à  cette  intervention 
providentielle.  Demeurons  nous-mêmes  les  clients  fidèles  du  Christ  qui 
nous  aime  toujours  ! 


Le  15  novembre  1919 


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JEANNE    D'ARC    ET   SES    CONTEMPORAINS 

LES  BONNES  NOUVELLES  A  CARCASSONNE 

(XV«  SIÈCLE) 


D  aucuns  se  demandent  peut-être  de  quel  prestige  la  Pucelle 
d'Orléans,  aujourd'hui  si  glorieuse  et  si  honorée,  jouissait  au  temps  où 
elle  bataillait,  et  quel  retentissement  avaient,  dans  les  provinces  demeu- 
rées fidèles  au  roi,  les  faits  auxquels  Jeanne  prenait  une  si  large  part. 

A  cette  question,  les  documents  historiques  répondent  en  faisant 
connaître  le  crédit  que,  dès  le  premier  jour,  la  jeune  guerrière  s'était 
acquis  auprès  du  roi,  de  l'armée  et  du  peuple  de  France. 

Ces  données  générales  de  l'histoire,  on  nous  saura  gré  de  venir  les 
confirmer,  en  livrant  ici  quelques  pages  peu  connues  de  nos  annales 
languedociennes. 

Quand,  au  carême  de  1428  (v.  s.),  Charles  VII,  abandonné  de  tous  les 
siens  et  n'ayant  plus  confiance  qu'en  Dieu  et  en  l'épée  de  la  jeune 
guerrière  qui  s'offre  à  le  sauver,  demandait  partout  des  prières,  voici 
quel  écho  sa  parole  avait  à  Carcassonne. 

La  ville,  qui  depuis  deux  siècles  s'était  donnée  avec  son  comté  à 
Saint-Louis,  et  qui,  en  retour,  avait  tout  reçu  de  lui,  s'était  profondément 
attachée  à  la  Couronne.  Même,  elle  avait,  au  début  de  cette  longue 
guerre,  payé,  du  sang  de  ses  habitants  et  de  l'incendie  de  ses  maisons,  sa 
fidélité  à  la  cause  royale  et  sa  résistance  aux  troupes  du  prince  de 
Galles,    le   prince   Noir.    Son    siège   épiscopal    était   alors  occupé  par 


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un  prélat,  Geoffroy  de  Pompadour,  Armagnac  de  famille,  de  pays  et 
de  tradition. 

Ainsi,  ville  et  évêque  confondaient  leurs  sentiments.  On  devine  dès 
lors  quel  accueil,  en  la  circonstance,  ville  et  évêque  firent  à  la  parole 
royale. 

Wos  annales  relatent,  en  effet,  que,  sans  retard,  la  ville  se  mit  en 
prières  et  même  que  ses  habitants,  en  foule,  allaient  grossir  les  rangs  de 
ces  milliers  de  pèlerins,  qui,  de  toutes  parts,  portaient  aux  sanctuaires 
vénérés  de  Notre-Dame  de  Rocamadour  et  de  Notre-Dame  du  Puy 
leur  vœux  et  leurs  patriotiques  espérances. 

V  oici  que,  le  vendredi  8  mai  1429,  Orléans  est  délivré.  Par  qui  et 
comment  ?  Le  roi,  dès  le  dimanche  10,  l'annonce  à  son  peuple  et  se  hâte 
de  lui  signaler  la  grande  part  que  Jeanne  a  prise  à  cette  délivrance.  Le 
message  est  remis  aux  courriers  royaux.  En  telle  conjoncture,  les 
courriers  vont  vite.  La  semaine  n'était  pas  achevée  que,  à  Carcassonne, 
toutes  dispositions  étaient  prises  pour  les  manifestations  demandées. 

Le  dimanche  17,  tout  le  peuple  est  en  liesse  et  l'évêque  avec  lui.  Un 
vieux  registre  de  comptes,  conservé  à  l'église  de  Saint-Michel,  ">  porte  ; 
«  1429.  —  Ce  dimanche  XVII  de  may,  fut  faite  procession  générale  pour 
les  Bonnes  Nouvelles  du  siège  d'Orléans.  » 

«  La  messe  fuct  dite  par  Môn-Seigneur  de  Carcassonne  à  l'Église 
de  Monsieur  Saint-Michel.  » 

Après  Orléans,  Patay.  Nouvelle  victoire  de  l'armée,  nouveau 
triomphe  de  Jeanne  ;  nouveau  message  du  roi,  nouveaux  courriers  en 
province.  A  Carcassonne,  nouvelles  manifestations  populaires. 

Le  vieux  registre  porte  encore  :  «  1429.  —  Jeudi  ce  XXVIII  de  juin, 
fut  faite  procession  générale  pour  les  Bonnes  Nouvelles  du  roi,  notre 
Seigneur  Souverain.  » 

Après  Patay,  Reims.  Charles,  à  la  veille  de  son  sacre,  avait  mandé 
au  comte  de  Foy,  son  lieutenant  en  Languedoc,  de  lui  envoyer,  sur 
l'heure,  tout  ce  qu'il  possédait  en  argent,  hommes  d'armes,  bêtes  de 
trait  ;  et,  en  même  temps,  lui  avait  fait  part  de  son  prochain  couron- 
nement. Au  reçu  du  mandement  royal,  les  États  languedociens,  ayant 

(1)  Vieux  registre  m.  s.  du  xv'  siècle,  dont  de  larges  extraits  ont  été  publiés  dans  les  Mémoires  de  la  Société  des 
Arts  et  Sciences  de  Carcassonne,  t.  I.  —  On  en  retrouve  aussi  de  nombreux  extraits  insérés  dans  le  Cartataire  des 
archives  de  Carcassonne,  publié  par  M.  Mahul,  t.  VI,  V  partie,  1871. 


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choisi  Carcassonne  pour  lieu  de  réunion,  s'assemblent  dans  la  ville, 
votent,  sans  compter,  les  subsides  réclamés  ;  mais,  voulant  eux-mêmes 
payer  de  leurs  personnes,  ils  choisissent  parmi  eux  des  délégués  pour 
le  sacre.  Pompadour  se  met  à  la  tête  de  ceux-ci  ;  tous  partent  sans 
tarder  pour  Reims,  et  là,  le  jour  venu,  ils  purent,  selon  leurs  vœux, 
contempler  le  roi  et  Jeanne  à  ses  côtés. 

Les  jours  s'écoulent.  La  fumée  du  bûcher  de  Rouen  assombrit  les 
gloires  de  Reims.  Jeanne  n'est  plus,  mais  son  souvenir  demeure  et,  avec 
lui,  la  confiance  dans  sa  céleste  protection.  Bientôt,  l'Anglais  recule  de 
ville  en  ville.  Déjà,  on  entrevoit  l'aurore  d'une  paix  glorieuse.  Carcassonne 
ne  manque  pas  de  célébrer  cet  espoir.  Le  Marguillier  de  Saint-Michel 
écrit  :  «  1434.  —  Vendredi,  ce  XI  d'avril,  il  y  eut  procession  générale  à 
St- Vincent.  Les  seigneurs  chanoines  y  portèrent  les  corps  saincts,  pour 
que  Notre-Seigneur  donne  bonne  paix  à  son  Eglise  et  aussi  bonne  paix 
au  royaume  de  France.  » 

Les  victoires  se  succèdent  et  s'accentuent.  Cette  fois,  c'est  la 
Normandie  qui  est  reconquise.  Du  haut  du  Ciel,  l'égide  de  Jeanne 
couvre  toujours  nos  armées. 

Nulle  part  dans  le  royaume  on  n'en  ressent  plus  qu'ici  la  joie. 
Ouvrons  encore  les  vieilles  pages  de  Saint-Michel  :  «  1435.  —  Dimanche, 
ce  XIII  de  février,  procession  générale  ;  messe  à  l'Eglise  des  Saincts 
(Saint-Nazaire  et  Saint-Celse).  Monseigneur  de  Carcassonne  fit  faire 
ladite  procession  pour  ce  que  tout  le  pais  de  Normandie  s'est  rendu  à 
Notre  Seigneur  le  roi  de  France.  » 

Reste  que,  à  son  tour,  le  duc  de  Bourgogne  fasse  sa  soumission  au 
roi.  Cela  ne  devait  pas  tarder.  Le  jour  où  cela  arrive,  nouvelles  mani- 
festations chez  nous.  Notre  Marguillier  en  rend  compte  ainsi  :  «  1436.  — 
Dimanche,  ce  V  de  février,  fut  faicte  procession  pour  la  paix  du  roi 
Notre  Seigneur  avec  Monsieur  le  Duc  de  Bourgogne.  » 

iLnfin  le  calme  renaît.  C'est  la  paix  définitive.  Les  mêmes  pages  en 
relatent  l'impression  en  ces  termes  :  «  1436.  —  Dimanche,  ce  XIII  de 
may,  il  y  eut  procession  générale  et  y  fut  Monseigneur  de  Carcassonne 
et  les  seigneurs  chanoines,  pour  les  Bonnes  Nouvelles  du  royaume.  » 

JcLn  souvenir,  et  en  consécration  de  tous  ces  faits,  l'évêque  du  lieu, 
peut-être  Pompadour  lui-même,  perça  le  mur  roman  de  sa  vieille 
cathédrale  et  y  souda  une  chapelle  à  arcs  fleuris,  qui  est  encore  debout. 


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La  tradition  nous  a  conservé  le  vocable  sous  lequel  elle  fut  érigée,  et 
notre  peuple  l'appelle  toujours  :  La  Chapelle  des  Bonnes  Nouvelles. 

Nous  y  avons  récemment  placé  une  statue  de  Jeanne  d'Arc,  estimant 
que  l'héroïne  d'Orléans,  de  Patay  et  de  Reims  serait  bien  à  sa  place 
dans  cet  oratoire,  dont  elle  a  sans  doute  inspiré  l'érection. 

Cest  vers  cette  chapelle  que,  dans  ces  jours  sombres  de  guerre,  nous 
dirigeons  volontiers  nos  pas.  Là  nous  supplions  la  Bienheureuse  qu'elle 
nous  fasse  entendre  de  nouveau  les  «  bonnes  nouvelles  »  d'autrefois  ;  et 
aussi  nous  supplions  le  Seigneur  qu'il  accorde  bientôt  à  Jeanne  la 
suprême  glorification  que  lui  ont  méritée  ses  vertus  plus  encore  que  ses 
victoires. 

Cette  double  prière,  tous  les  amis  de  la  France  et  tous  les  fervents 
de  Jeanne  voudront  la  formuler  avec  nous. 


Carcassonne,  le  25  décembre  1917. 


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LA   BIENHEUREUSE   JEANNE    D'ARC 


POURQUOI    CET    ENTHOUSIASME    POPULAIRE 

ET    CES    ESPÉRANCES    RELIGIEUSES    ET    PATRIOTIQUES 

QUE    SUSCITE    LE    NOM    DE    JEANNE    D'ARC? 


A  cette  heure,  très  grave,  de  notre  histoire,  quel  nom  sonne  plus 
joyeusement  et  provoque  une  plus  confiante  allégresse  dans  l'âme  fran- 
çaise que  celui  de  Jeanne  d'Arc,  la  Vierge  libératrice  de  la  Patrie  ? 

On  dirait  volontiers  que  ce  nom,  magnifiquement  ennobli  par  la 
double  auréole  de  la  sainteté  et  du  patriotisme,  éclaire  d'un  vif  rayon  de 
lumière,  venu  d'en  haut,  les  ténèbres  épaisses  au  sein  desquelles  s'agite 
le  problème  angoissant  de  nos  destinées. 

En  vérité,  dans  cette  glorification  de  la  Pucelle  d'Orléans,  aussi  sur- 
prenante par  son  universalité  qu'elle  est  merveilleuse  par  son  intensité, 
la  masse  du  peuple  croyant,  par  une  intuition  qui  n'est  pas  trompeuse, 
salue  joyeusement  les  premières  lueurs  d'une  aurore  avant-courrière 
radieuse  de  jours  meilleurs. 

C'est  que,  d'instinct  et  sans  prendre  le  mot  d'ordre  de  personne,  la 
foule,  anxieuse  et  fatiguée  de  sa  vaine  attente  d'un  secours  qui  ne  vient 
pas  du  côté  des  hommes,  s'est  enfin  retournée  du  côté  de  Dieu,  d'où  lui 
viendra  la  délivrance. 

Or,  Jeanne  d'Arc,  pour  la  France  qui  croit,  qui  souffre  et  qui  prie, 
c'est  la  sainte  de  la  Patrie,  la  libératrice  suscitée  de  Dieu,  dont  la  mission 


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n'est  pas  achevée  et  qui  nous  assistera  «  dans  cette  grande  pitié  »  dont 
souffrent  les  âmes  endolories. 

Car,  dire  que  la  glorification  si  populaire  de  la  bergère  de  Domremy 
n'est  que  le  résultat  d'un  enthousiasme  mystique,  sans  racines  dans  le 
cœur  du  peuple,  c'est  n'avoir  étudié  qu'à  la  surface  ce  mouvement  très 
profond  qui  se  rattache  aux  réalités  les  plus  poignantes  de  notre  histoire 
nationale  et  qui  se  synthétise  dans  la  personnalité  de  Jeanne  d'Arc. 

En  effet,  cette  popularité  saine  et  de  bon  aloi  de  l'humble  Vierge 
lorraine,  c'est  le  souvenir  ravivé  de  la  nationalité  française  sauvée  dans 
le  passé  ;  c'est,  après  de  dures  épreuves,  le  salut  de  la  France  catholique 
entrevu  dans  l'avenir. 

Dans  le  passé,  c'est  une  épopée  faite  de  larmes  et  de  victoires  inex- 
plicables, pour  qui  s'obstine  à  écarter  l'élément  divin  qui  les  caractérise, 
que  la  libération  de  la  France  par  le  ministère  de  la  Vierge  lorraine. 

V  oyez  plutôt,  en  1429,  cette  noble  patrie  épuisée,  agonisante  sous 
le  coup  des  défaites  subies  à  Crécy,  Poitiers,  Azincourt,  envahie  au  midi 
par  l'Anglais,  enserrée  par  la  Bourgogne  alliée  à  l'étranger,  amputée  de 
la  Normandie,  de  la  Bretagne  et  de  l'Ile-de-France,  gouvernée  par  un 
pauvre  insensé,  vendue  et  trahie  par  Isabeau  de  Bavière,  cette  mère 
coupable  qui  signa,  à  Troyes,  la  déchéance  de  son  propre  fils. 

Puis,  en  face  de  cet  abîme  dé  désolation,  saluez  l'Ange  de  la  Déli- 
vrance, que  le  grand  nombre  n'espérait  plus,  que  les  autres  dédaignaient, 
complices  inconscients  ou  criminels  de  l'envahisseur. 

C'est  Jeanne  d'Arc,  enfant  de  dix-huit  ans,  dont  la  main  virginale  n'a 
jamais  touché  que  la  quenouille  et  le  fuseau,  et  qui,  au  nom  de  Dieu  qui 
l'envoie,  remportera  les  plus  signalées  victoires. 

«  L'amour  de  Jeanne  d'Arc  pour  sa  patrie  est  marqué  d'un  triple 
caractère  :  caractère  de  force  :  elle  quittera  tout,  la  jeune  vierge,  pour 
obéir  aux  voix  divines,  renversera  tous  les  obstacles.  Caractère  de 
beauté  :  le  peuple  fasciné  par  celle  qui  doit  le  sauver  la  salue  comme 
l'image  de  la  patrie.  Caractère  de  lumière  :  Jeanne  a  des  clartés  sur 
les  hommes,  les  événements,  qui  lui  viennent  d'en  haut  et  la  feront 
triompher  de  toutes  les  difficultés.  Regardez-la  passer,  c'est  la  fortune 
de  la  France  ! 

«  La  paysanne  de  Domremy  est  mise  en  demeure  de  donner  son 
signe  :  la  délivrance  d'Orléans  et  le  sacre  à  Reims. 


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«  Orléans,  le  dernier  rempart  de  notre  indépendance,  comment 
sera-t-il  désassiégé  ?  En  trois  coups  d  epée  Jeanne  dégage  la  ville.  Le 
premier  jour  elle  enlève  avec  ses  bataillons  la  bastille  de  Saint-Loup  ; 
le  lendemain  celle  des  Augustins  ;  le  quatrième  jour  celle  des  Tourelles. 
Il  n'y  avait  plus  un  seul  Anglais  sous  les  murs  d'Orléans.  Maintenant, 
elle  va  chercher  le  roi  à  Chinon  pour  le  conduire  à  Reims  ;  mais  il 
faut  qu'auparavant  elle  débloque  toutes  les  places  de  la  Loire.  Jeanne 
entre  en  campagne  et  ses  succès  sont  aussi  décisifs  que  ceux  d'Orléans. 
Trois  combats  lui  livrent  Jargeau,  Meung,  Beaugency.  A  Patay,  l'ennemi 
laisse  le  souvenir  d'une  sanglante  défaite.  La  route  de  Reims  est  libre. 
Les  illustres  capitaines  qui  combattent  aux  côtés  de  Jeanne  lui  recon- 
naissent le  génie  d'un  général  consommé. 

«  xLUe  a  de  ces  mots  héroïques  et  souverainement  français  qui 
enlèvent  le  soldat  :  «  En  avant,  en  avant,  tout  est  vôtre  !  Quand  ils 
seraient  pendus  aux  nues,  nous  les  aurons  !  »  Elle  fait  une  œuvre 
divine,  mais  elle  la  fait  divinement.  Elle  prie  dans  le  camp,  communie 
avant  la  bataille,  réforme  l'armée  en  en  proscrivant  le  blasphème,  le 
pillage,  les  moeurs  légères.  Son  patriotisme,  pour  être  ardent,  n'est  pas 
borné,  sans  pitié  pour  l'ennemi  après  la  bataille.  Enfin,  au  faîte  du 
triomphe,  au  milieu  des  ovations  enthousiastes  et  délirantes  du  peuple, 
prendra-t-elle  le  vertige  ?  Pas  une  secousse  d'orgueil  dans  son  cœur,  et 
son  humilité  dépasse  encore  son  héroïsme.  »  '•* 

Jinfin,  à  la  suite  de  ces  faits  glorieux,  ce  fut  le  bûcher  de  Rouen  qui 
consuma  la  libératrice,  et  le  silence  de  cinq  siècles  à  peine  interrompu 
par  la  réhabilitation  judiciaire  de  la  douce  victime.  Silence  effroyable, 
que  peut  seule  expliquer  la  préoccupation  des  générations  nouvelles  pour 
les  intérêts  du  jour,  et  qui  leur  fit  cruellement  oublier  les  plus  éminents 
services  rendus  dans  le  passé. 

1  outefois,  l'histoire,  avec  ses  perpétuels  retours,  devait  mettre  un 
terme  à  ce  silence  ingrat. 

Voici  le  temps  présent,  le  nôtre,  avec  ses  défaites  renouvelées  de 
Crécy,  Poitiers  et  Azincourt,  ses  provinces  perdues,  ses  étendards  captifs, 
sa  vie  agitée  et  incertaine  depuis  tant  d'années. 

L/hose  admirable  !  cette  grande  pitié  qui  règne  au  pays  de  France 
dilate  tous  les  cœurs,  et  le  nom  de  la  libératrice,  trop  longtemps  oublié, 


R.  P.  FeuiUette  1894. 


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vient  de  lui-même  se  poser  sur  les  lèvres  du  peuple,  avec  toute  l'intensité 
d'un  amour  vivant  et  longtemps  contenu. 

Surpris  du  réveil  de  cette  popularité  inattendue  de  Jeanne  d'Arc,  les 
sages  prétendus  discutèrent,  les  impies  s'indignèrent,  et  la  foule  des 
ignorants  se  mit  à  ricaner.  Mais  le  rire  se  figea  promptement  sur  toutes 
les  lèvres,  car  le  vrai  peuple,  dédaigneux  des  outrages,  passa  outre,  et 
sa  voix  puissante  sollicita  et  implora  avec  instance,  de  l'Eglise,  que  la 
libératrice,  déjà  proclamée  innocente  et  pure,  fut  élevée  aux  honneurs 
de  la  sainteté. 

Le  Christ,  qui  aime  les  Francs,  avait  armé  jadis  le  bras  de  la  bergère 
pour  sauver  la  Patrie,  ce  Christ  béni  écoutera  la  prière  de  sainte  Jeanne 
d'Arc,  qui  maintenant  lui  crie  :  «  Pitié  pour  nous  !  » 

Cette  grande  pensée  domine,  à  l'heure  présente,  toutes  les  préoccupa- 
tions religieuses  et  patriotiques  des  meilleurs,  et  fournit  l'explication  de  la 
gloire  populaire  de  la  Vierge  lorraine,  libératrice  et  sainte  de  la  Patrie. 

Nîmes,  le  30  mai  1916. 


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JEANNE    D*ARC 
ET    L'ARCHEVÊQUE    D'EMBRUN 


Embrun,  ancien  archevêché  dont  le  titulaire  était  prince  du  Saint- 
Empire,  dépend  aujourd'hui  de  l'évêché  de  Gap.  Héritier  des  gloires 
et  des  traditions  de  cette  illustre  métropole,  qui  vit  plusieurs  conciles  se 
tenir  dans  son  enceinte,  l'évêque  de  Gap  ne  peut  oublier  que  Jacques 
Gélu,  archevêque  d'Embrun,  fut  un  des  premiers  à  prendre  la  défense 
de  Jeanne  d'Arc  et  à  protester  contre  les  intrigues  de  ses  ennemis. 

Jacques  Gélu,  né  à  Carignan,  avait  autant  de  talents  que  de  vertus. 
Aussi  Charles  VII  lui  demanda,  dès  le  commencement,  son  avis  pour 
savoir  si  la  mission  de  la  Vierge  de  Domremy  était  réellement  divine. 
Il  lui  fit  à  ce  sujet  cinq  questions  auxquelles  l'archevêque  répondit  par 
une  déclaration  écrite  favorable. 

«  Nous  conseillons,  disait  Jacques  Gélu,  qu'en  toutes  choses  on  se 
guide  sur  l'opinion  de  la  Pucelle,  et  que  le  roi  s'attache  à  suivre  les 
conseils  précis  qu'elle  pourra  donner,  parce  qu'ils  viennent  de  Dieu... 
Son  avis  doit  être  demandé  avant  tout,  et  l'on  doit  le  rechercher  de 
préférence  à  celui  de  tous  les  autres  conseillers...  Que  le  roi,  avec 
humilité  et  reconnaissance,  courbe  la  tête  et  fléchisse  le  genou  devant 
la  majesté  divine,  et  qu'il  exécute  les  ordres  de  Dieu  avec  vigilance 
et  promptitude.  » 

Après  avoir  été  archevêque  de  Tours,  il  fut  élu  à  l'archevêché 
d'Embrun  par  le  clergé  du  diocèse,  qui  connaissait  sa  profonde  piété 
et  son  grand  savoir. 


(1)  Envoi  de  Mgr  Berthet,  éTégue  de  Gap,  depuis  décédé. 


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Jacques  Gélu  administra  cette  province  ecclésiastique  avec  la  même 
prudence  qu'il  montra  dans  les  nombreuses  affaires  politiques  qui  lui 
furent  confiées  au  cours  de  sa  longue  carrière. 

Il  demanda  au  roi  de  faire  dire  des  prières  dans  toutes  les  églises  de 
France  pour  obtenir  de  Dieu  la  délivrance  de  la  Pucelle. 

Son  cœur  fut  douloureusement  ému  lorsqu'il  assista  impuissant  à 
l'immolation  de  la  libératrice  d'Orléans,  à  laquelle  il  avait  donné  toute 
son  admiration  et  toute  son  estime. 

Fier  de  cette  noble  attitude  de  l'un  de  ses  prédécesseurs,  comment 
l'évêque  de  Gap  ne  se  réjouirait-il  pas  de  la  résurrection  de  notre 
héroïne  nationale  dans  l'amour  et  la  reconnaissance  de  tous  les  vrais 
Français  ? 

A  mesure  que  cette  douce  et  grande  figure  monte  plus  brillante  et 
plus  harmonieuse  sur  le  ciel  de  la  Patrie,  il  semble  que  l'espoir  revient 
au  coeur  de  tous  et  que  sa  glorification  par  l'Église  verra  aussi  notre 
chère  Patrie  reprendre  son  rang  parmi  les  nations  pour  continuer  par 
elle  les  gestes  de  Dieu.  C'est  là  son  vœu  le  plus  ardent. 

Gap,  le  1"  septembre  1914. 


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JEANNE    D*ARC 
ET     NOTRE-SEIGNEUR     JÉSUS-CHRIST 


La  vie  des  saints  n'est  qu'une  copie  de  la  vie  de  Notre-Seigneur 
Jésus-Christ.  Chacun,  selon  les  dispositions  de  la  Providence,  reproduit 
d'une  manière  spéciale  tel  ou  tel  aspect  de  la  beauté  morale  de  celui  qui 
est  l'homme  parfait,  le  type  incomparable  de  la  beauté  humaine,  transfi- 
gurée par  son  union  à  la  personne  du  Verbe, 

Jeanne  d'Arc,  proclamée  bienheureuse  par  l'Église,  a  donc,  elle  aussi, 
cette  ressemblance  avec  le  divin  modèle,  sans  laquelle  il  n'y  a  pas  de 
sainteté.  Est-elle  plus  sainte  que  beaucoup  d'autres  et  occupe-t-elle  un 
rang  très  élevé  dans  la  hiérarchie  des  saints  qui  forment  la  Cour  céleste  ? 
C'est  une  question  que  personne  sur  la  terre  ne  peut  résoudre,  et  dont 
l'étude,  inutile  au  point  de  vue  de  l'édification,  est  condamnée  par  plus 
d'un  maître  de  la  vie  intérieure. 

iM.ais,  sans  essayer  de  sonder  des  secrets  qui  ne  sont  pas  de  la  terre, 
et  en  se  contentant  de  considérer  ce  qui  paraît  à  l'extérieur  dans 
l'ensemble  des  faits,  on  peut  dire  que  peu  de  vies  de  saints  ont  une 
ressemblance  plus  frappante  avec  la  vie  du  saint  des  saints.  Comme 
l'existence  terrestre  du  Verbe  incarné,  l'existence  de  Jeanne  d'Arc  se 
partage  en  trois  périodes  qui  se  succèdent,  s'enchaînent  et  se  complètent 
mutuellement  pour  former  un  drame  d'une  incomparable  grandeur  :  pré- 
paration ou  vie  cachée  ;  accomplissement  de  la  mission  dont  elle  a  été 
chargée  ;  martyre  qui  est  le  complément  et  le  sceau  de  cette  mission. 


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Notre- Seigneur  Jésus-Christ  n'avait  pas  besoin  d'être  préparé  à  sa 
mission  de  Fils  de  Dieu  revêtu  de  notre  nature  :  il  possède,  dès  le  premier 
instant,  la  plénitude  de  la  grâce  et  de  la  vérité.  Néanmoins,  pour  être  le 
modèle  des  hommes,  il  a  voulu  passer  par  les  faiblesses  de  l'enfance  et 
s'élever  par  degré,  comme  nous  tous,  à  l'état  d'homme  parfait.  Et,  en 
même  temps  que  son  corps  grandit  et  se  développe,  son  âme  aussi 
grandit,  au  moins  dans  la  manifestation  de  la  sagesse  et  de  la  grâce  qui 
sont  en  Lui. 

Jeanne  d'Arc  aussi  a  sa  vie  cachée,  préparation  directe  et  merveil- 
leuse à  la  mission  qu'elle  a  reçue  de  sauver  la  France.  Pendant  cinq  ans, 
l'archange  saint  Michel,  protecteur  de  la  France,  la  visite  fréquemment, 
et  les  saintes  Catherine  et  Marguerite  lui  apparaissent  régulièrement 
plusieurs  fois  par  semaine  ;  et,  en  même  temps  qu'elle  la  poussent  à  une 
piété  toujoiu-s  plus  grande,  à  l'accomplissement  scrupuleux  de  ses  devoirs 
d'État,  elles  la  forment  peu  à  peu  à  tout  ce  qu'elle  devra  savoir  pour 
conduire  les  armées  à  la  victoire  et  faire  sacrer  Charles  VII  à  Reims. 
Puis,  quand  l'heure  est  venue,  sa  formation  étant  terminée  et  la  France 
réduite  à  la  dernière  extrémité,  la  Providence  lui  ouvre  les  voies  et, 
malgré  tous  les  obstacles,  toutes  les  oppositions,  la  conduit  jusqu'au 
Dauphin. 

Là,  elle  est  soumise  à  tous  les  examens,  à  toutes  les  épreuves  qui 
pourront  constater  la  réalité  de  sa  mission  ;  et,  lorsqu'enfin  on  a  reconnu 
que  le  doigt  de  Dieu  est  là  et  que  ne  pas  accepter  sa  mission  c'est  aller 
contre  la  volonté  de  Dieu,  on  se  décide  à  lui  confier,  très  timidement 
d'abord,  ensuite  d'une  manière  plus  complète,  la  direction  de  la  guerre 
contre  les  envahisseurs. 


) 


* 

#     * 


Après  trente  ans  de  vie  cachée  dans  l'humble  demeure  de  Nazareth, 
Notre-Seigneur  entre  dans  la  vie  publique.  Pendant  trois  ans  et  demi, 
il  parcourt  les  villes  et  les  bourgades,  prêchant  la  parole  de  Dieu, 
multipliant  les  miracles,  formant  et  instruisant  les  apôtres  qui  seront  les 
continuateurs  de  son  œuvre. 

La  vie  publique  de  Jeanne  d'Arc  sera  plus  courte  encore  que  celle 
de  son  Maître.  Une  année  seulement  lui  sera  donnée  pour  accomplir  sa 
mission.  Entrée  à  Orléans  avec  le  premier  convoi  de  secours,  le  29  avril 
1429,   elle  sera  prise  à  Compiègne  le  23  mai  1430.  Mais,  pendant  ces 


-:> 


II 


100 


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treize  mois,  quelle  merveilleuse  épopée  !  Orléans  délivré  ;  les  ennemis 
battus  successivement  à  Jargeau,  à  Meung,  à  Beaugency,  à  Patay  ;  Patay 
surtout,  dont  la  victoire  marque  le  commencement  de  la  déroute  des 
envahisseurs  de  la  France  ;  Patay  qui,  trois  siècles  et  demi  plus  tard, 
devait  voir  dans  l'oriflamme  du  Sacré-Cœur,  brillant  pour  la  première 
fois  sur  le  champ  de  bataille,  l'annonce  des  victoires  futures  ;  enfin,  et 
par  dessus  tout,  Charles  VII  sacré  à  Reims. 

V  oilà  la  vie  publique  de  la  Pucelle  :  courte  par  le  temps,  immense 
par  les  conséquences  qui  en  ont  découlé  et  qui  se  résument  dans  ce  seul 
mot  :  la  France  est  demeurée  la  fille  ainée  de  l'Église  ! 


JJurant  la  seconde  partie  de  sa  vie  publique,  on  voit  grandir  contre 
Notre-Seigneur  la  conspiration  de  ses  ennemis,  qui  aboutira  au  drame 
du  Calvaire.  La  haine  monte  autour  de  Lui  chez  ceux  dont  sa  mission 
dérange  les  calculs  ou  gêne  les  ambitions.  Ils  veulent  se  débarasser  de 
Lui  afin  de  pouvoir  continuer  à  jouir  en  paix  du  pouvoir  et  de  ses  avan- 
tages. Leurs  efforts,  longtemps  inefficaces,  finissent  par  aboutir,  à  l'heure 
qu'il  avait  marquée  lui-même.  Ils  le  mettent  à  mort  et,  par  là,  assurent 
son  triomphe. 

*  Lorsque  j'aurai  été  élevé  de  terre,  j'attirerai  tout  à  moi.  »  Les 
ennemis,  en  le  clouant  sur  la  croix,  ont  eux-mêmes  et  de  leurs  propres 
mains  brisé  leur  pouvoir. 

Quelle  ressemblance  Jeanne  d'Arc  présente  avec  ce  divin  modèle  ! 
Elle  aussi,  dès  que  sa  mission  commence  à  paraître  et  à  être  justifiée 
par  le  succès,  elle  voit  un  parti  se  former  contre  elle  et  contrecarrer 
l'exécution  des  ordres  qu'elle  reçoit  du  Ciel,  Longtemps,  elle  en  triomphe  ; 
mais  ce  succès  lui-même  ne  fait  qu'exciter  davantage  ses  ennemis.  Ses 
Voix  l'avertissent  que  sa  carrière  ne  sera  pas  longue.  Et,  lorsqu'elle  a 
fait  sacrer  Charles  VII,  elle  commence  à  entrevoir  son  douloureux 
calvaire.  Elle  marche  néanmoins,  confiante  dans  le  Dieu  qui  la  protège. 
Prise  à  Compiègne,  sa  Passion  dure  une  année  entière,  au  milieu  des 
embûches  qui  lui  sont  tendues,  et  dont  le  résultat  est  de  faire  éclater  son 
innocence  en  même  temps  que  la  perfidie  de  ses  juges.  Elle  meurt  sur  le 
bûcher,  consumée  par  le  feu  ;  mais  la  foule  proclame  qu'on  a  brûlé  une 
sainte,  et  sa  mort,  au  lieu  de  rétablir  la  fortune  des  ennemis  de  la 
France,  ne  fait  qu'accentuer  leur  défaite.  Une  à  une,  les  prophéties  de 


101 


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I  Jeanne  s'accomplissent.  Ils  perdent  un  plus  grand  gage  qu'Orléans  : 
S  Paris  est  repris  par  les  Français.  En  1435,  vingt-deux  ans  après  la  mort 
de  la  Pucelle,  le  roi  Charles  VII  règne  sur  la  France  entière. 

* 
*     * 

Bienheureuse  Jeanne  d'Arc,  après  un  trop  long  oubli,  la  France  est 
revenue  à  vous  ;  et  le  décret  qui  vous  a  placée  sur  les  autels  nous 
montre  que  c'est  encore  avec  vous  que  nous  devons  combattre  pour  être 
sauvés.  Il  s'agit  de  refaire  ce  que  vous  aviez  fait  déjà.  La  France, 
séparée  de  Dieu  par  les  impies,  allait  périr  ;  mais,  avec  votre  nom 
glorieux  comme  mot  d'ordre,  elle  a  remporté  la  victoire  de  la  Marne  qui 
a  brisé  la  ruée  des  envahisseurs.  Aidez  notre  cher  pays  à  triompher 
pleinement  de  tous  ses  ennemis,  afin  que,  selon  le  désir  du  Souverain 
Pontife,  il  «  puisse  reprendre  avec  plus  d'éclat  que  jamais,  dans  le 
monde  pacifié,  la  série  magnifique  des  «  gesta  Dei  per  Francos!  »  '■^^ 


Antun,  le  15  janvier  1917. 


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(1)  Lettre  du  cardinal  Gaspairi  à  l'évêquc  d'Autun,  29  septembre  1916. 


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NOS   MOTIFS   DE   CONFIANCE 

EN  L'INTERCESSION  DE  LA  BIENHEUREUSE  JEANNE  D'ARC 


Si  Jeanne  d'Arc  avait  été  une  libre-penseuse,  tous  les  transfuges  du 
catholicisme  n'auraient  qu'une  voix  pour  célébrer  son  patriotisme  et  sa 
valeur  guerrière,  et  ils  seraient  les  premiers  à  solliciter  l'institution  d'une 
fête  civique  en  son  honneur. 

jVlais  l'Église  l'a  proclamée  bienheureuse  et,  bientôt,  elle  lui  décer- 
nera les  suprêmes  honneurs  de  la  canonisation.  Il  n'en  faut  pas  plus 
pour  qu'ils  la  méconnaissent. 

Pourtant,  si  la  Pucelle  a  été  la  grande  libératrice  de  la  France  au 
XV*  siècle,  n'est-ce  pas  uniquement  parce  que  Dieu  l'a  choisie  pour  être 
la  preuve  tangible  de  sa  prédilection  pour  notre  nation  ? 

Elle-même  a  affirmé  qu'elle  était  l'envoyée  de  Dieu,  qu'elle  avait 
reçu  sa  mission  de  Lui. 

iille  l'a  prouvé  par  le  secret  révélé  au  roi,  secret  qui  n'était  connu 
que  de  lui  et  de  Dieu  ;  par  ses  prédictions  qui  se  sont  toutes  réalisées. 

Jeanne  n'est  qu'une  jeune  fille  de  la  campagne,  elle  n'a  fréquenté 
aucune  école.  Sa  mère  lui  a  enseigné  le  Pater,  Y  Ave  et  le  Credo  ;  elle 
lui  a  appris  à  aimer  Dieu  et  à  le  servir,  à  coudre  et  à  filer  ;  c'est  tout. 

Si  Jeanne  d'Arc  n'est  qu'une  jeune  campagnarde,  simple  et  ignorante, 
si  elle  n'a  dû  compter  que  sur  elle-même,  si  elle  n'est  pas  l'envoyée 
de  Dieu  et  l'instrument  de  sa  toute-puissance,  comment  expliquer  sa 
rare  compétence  dans  les  choses  de  la  guerre,  ainsi  que  ses  triomphes 
sur  les  Bourguignons   et  les  Anglais  commandés  par  les  plus  illustres 

(1)  Envoi  (ait  le  8  mai  1918  par  Mgr  Bioller.  évéque  de  Tarentaise,  depuis  décédé. 


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généraux  de  l'époque  ?  C'est  impossible,  car  le  miracle  serait  plus 
grand  que  celui  de  l'intervention  de  Dieu  lui-même  par  son  archange 
saint  Michel  et  ses  saintes  Catherine  et  Marguerite. 

Non,  Dieu  n'a  jamais  rien  fait  de  pareil  en  faveur  d'aucune  autre 
nation  ;  nous  serions  des  ingrats  de  ne  pas  le  reconnaître  et  des  insensés 
si  nous  négligions  de  recourir  à  l'intercession  de  la  Bienheureuse 
Jeanne  d'Arc,  qui  fut  l'instrument  de  notre  salut  à  une  époque  aussi 
tourmentée  et  plus  triste  que  la  nôtre. 

N'attendons  pas  que  Dieu  nous  envoie  une  nouvelle  libératrice  de 
la  Patrie  :  celle  qu'il  nous  a  donnée  au  XV'  siècle  suffit.  Au  Ciel,  elle 
est  mieux  placée  que  sur  la  terre  pour  nous  protéger  et  nous  secourir. 
Les  marques  de  son  assistance  abondent  dans  cette  cruelle  guerre 
qui  nous  a  été  imposée,  depuis  la  victoire  merveilleuse  de  la  Marne 
jusqu'aux  glorieux  succès  qui  l'ont  suivie. 

Nous  croyons  à  la  Providence  divine,  dirigeant  tous  événements  de 
ce  monde  ;  efforçons-nous  de  nous  les  rendre  favorables  par  nos  prières 
et  une  conduite  résolument  chrétienne.  Invoquons  avec  confiance  la 
protection  de  Jeanne  d'Arc,  dont  la  mission  sur  la  terre  a  été  de 
restaurer  l'intégrité  de  la  Patrie  en  la  délivrant  de  ses  ennemis. 


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JEANNE    D'ARC 

NOTRE  LIBÉRATRICE  D'HIER  ET  NOTRE  LIBÉRATRICE  DE  DEMAIN 


Nous  libérer,  fut  la  mission  de  Jeanne  au  XV^  siècle  ;  c'est  encore 
aujourd'hui  sa  mission. 

Suscitée  par  Dieu  à  l'une  des  heures  les  plus  sombres  et  les  plus 
désespérées  de  notre  histoire,  elle  accourut  ;  elle  pria,  elle  batailla  et, 
surnaturellement  aidée,  elle  eut  vite  fait  de  relever  les  courages  défail- 
lants, de  chasser  l'ennemi  du  sol  envahi,  de  restaurer  le  pouvoir  déchu 
et  de  rendre  à  notre  épée  son  prestige  évanoui.  Puis,  couronnée  de  la 
double  auréole  de  l'héroïsme  et  de  la  virginité,  elle  disparut  dans  un 
tourbillon  de  flammes,  ajoutant  à  toutes  ses  gloires  le  suprême  honneur 
du  martyre  ! 

i-)e  Jeanne,  il  ne  restait  plus  rien  sur  terre.  On  put  croire  que  c'en 
était  fait  d'elle  et  de  son  oeuvre,  que  le  bûcher  de  Rouen  avait  clos  à 
tout  jamais  sa  merveilleuse  carrière. 

Et  voici  qu'elle  reparaît  après  de  longs  siècles  de  mystérieux  oubli 
et  d'apparent  abandon  ;  voici  qu'elle  reprend  son  œuvre  de  relèvement 
et  de  salut. 

Des  jours  mauvais  se  sont  levés  sur  notre  pays.  C'est  plus  grande 
pitié  que  jamais  au  royaume  de  France.  Le  péril  est  extrême  et,  pour  le 
conjurer,  tout  effort  humain  manifestement  impuissant.  La  ruine  est 
fatale  à  moins  que  Dieu  n'intervienne. 

lit  Dieu  intervient. 

11  nous  ramène  Jeanne,  et  il  nous  la  ramène  transfigurée. 


S). 


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Ce  n'est  plus  la  timide  bergère  de  Domremy  ;  ce  n'est  plus  même  la 
guerrière  à  l'armure  de  fer,  aux  brillantes  chevauchées  :  c'est  la  Bienheu- 
reuse rayonnante  de  céleste  beauté,  couronnée  d'une  splendide  auréole, 
le  glaive  endormi  dans  le  fourreau,  mais  les  lèvres  armées  de  la  force 
invincible  et  toujours  victorieuse  qu'est  la  prière  des  saints. 

Jeanne  nous  revient.  C'est  encore  Dieu  qui  nous  l'envoie.  Elle  vient 
reprendre  et  poursuivre  son  œuvre  interrompue.  Ne  dites  pas  que  la 
tâche  est  ardue,  l'effort  désespéré  :  il  n'y  a  pas  de  tâche  ardue,  il  n'y  a 
pas  d'effort  désespéré  quand  celle  qui  a  reçu  la  mission  libératrice  est 
l'inspirée  de  Dieu,  l'envoyée  de  Dieu,  la  eoopératrice  de  Dieu.  Or, 
tel  est  le  rôle  providentiel  de  Jeanne  vis-à-vis  de  la  France.  Elle  est 
prédestinée  à  nous  faire  remonter  de  nos  abaissements,  à  nous  arracher 
à  nos  corruptions,  à  refouler  l'ennemi  hors  de  nos  frontières,  à  nous 
affranchir  des  oppressions  du  dedans  et  du  dehors,  à  nous  ramener  une 
ère  de  paix,  de  gloire  et  de  sainte  liberté. 

Viviers,  le  30  mai  1918.  <^     /       -^       ^^^^S^  S^z.^^ 


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JEANNE    D'ARC    ET    LA    PATRIE 


A  l'heure  où  se  jouent,  sur  les  champs  de  bataille,  les  destinées  de 
la  France,  il  semble  à  propos  de  rappeler  que  l'humble  bergère  de 
Domremy,  notre  héroïne  nationale,  demeure  notre  exemplaire  vivant, 
en  même  temps  que  notre  céleste  protectrice,  parce  qu'elle  fut  l'incarna- 
tion même  de  l'amour  de  la  patrie. 

Hélas  !  la  France  du  XV'  siècle  était  réduite  à  n'être  plus  qu'un 
lambeau  de  territoire,  et  son  roi  se  consolait  trop  aisément  de  n'être 
plus  que  le  «  roitelet  de  Bourges,  » 

La  misère  publique  était  grande  et  l'état  des  populations  rurales 
lamentable  : 

«  Sur  beaucoup  de  points,  les  moissonneurs  ne  pouvaient  rentrer  leurs 
récoltes,  ni  les  voituriers  circuler  sur  les  chemins  sans  avoir  une  escorte. 
On  hésitait  à  mener  les  bestiaux  aux  pâturages,  les  gens  d'armes  occu- 
pant les  garnisons  qui  auraient  dû  protéger  les  populations  rurales, 
empêchaient  souvent  toute  culture  et  répandaient  autour  d'eux  la  terreur. 

•«  Les  pauvres  laboureurs  en  étaient  réduits  à  abandonner  leurs  mai- 
sons et  à  se  réfugier  dans  les  villes,  où  ils  vivaient  de  la  charité  des 
habitants  ;  parfois,  ils  voyaient  ceux-là  mêmes  qui  les  avaient  dépouillés 
venir  vendre  sous  leurs  yeux  le  produit  des  vols  et  des  rapines.  Quand 
les  pillards  ne  trouvaient  plus  rien,  ils  mettaient  le  feu  aux  villages. 

*  1  rop  souvent  les  malheureux  paysans  qui,  fuyant  devant  l'incendie 
et  la  ruine,  arrivaient  «  à  grands  troupeaux  »  dans  les  villes,  s'en 
voyaient  refuser  l'entrée  ;  on  se  bornait  à  leur  distribuer  aux  portes, 

(It  Pages  ïnToyées  par  Mir  Bouissière,  évêque  de  Constantine,  depuis  décédé. 


3- 


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moyennant  finance,  du  pain  et  du  vin  ;  ils  devaient  s'estimer  heureux  si 
on  leur  offrait  un  asile  dans  les  hôpitaux,  mais  pour  une  nuit  seulement  : 
dès  le  lendemain,  ils  étaient  impitoyablement  renvoyés. 

«  Livrée  depuis  de  longues  années  à  des  rivalités  implacables,  aux 
invasions  anglaises,  aux  courses  et  aux  ravages  des  gens  de  guerre  de 
tous  les  partis,  la  France  était  comme  épuisée  et  anéantie.  La  tempête 
des  guerres  civiles  s'élevait  de  toutes  parts  :  entre  les  enfants  d'une 
même  maison,  entre  les  hommes  d'un  même  sang,  se  commettaient  les 
attentats  des  guerres  les  plus  cruelles  ;  les  querelles  multiples  des 
seigneurs  se  mêlaient  à  tous  ces  conflits.  »  <" 

M.ais  voilà  que  là-bas,  à  la  frontière  des  Vosges,  une  modeste  jeune 
fille,  sans  culture  et  sans  lettres,  qui  ne  sait,  dit-elle,  ni  A,  ni  B,  a  pensé 
«  à  la  grande  pitié  qui  est  au  royaume  de  France.  »  Elle  entend  l'appel 
d'en  haut  :  «  Va,  fille  de  Dieu,  va  !  »  et,  en  lui  obéissant,  elle  va 
entraîner  à  sa  suite  la  nation  tout  entière. 

Sous  le  souffle  ardent  de  son  patriotisme,  la  confiance  renaît,  les 
courages  se  relèvent,  le  peuple  l'acclame,  l'armée  la  reconnaît  pour 
chef.  Jamais  homme  n'a  commandé  comme  cette  femme  :  la  victoire 
partout  la  suit. 

Quel  est  donc  le  secret  de  ces  incomparables  triomphes  ?  C'est  le 
patriotisme  ardent  qui  l'enflamme.  Jeanne  aime  passionnément  son  pays, 
et  elle  est  prête  à  lui  tout  sacrifier,  même  sa  vie.  Nul  obstacle  ne  pourra 
l'arrêter  :  elle  sera  devant  le  roi  avant  la  mi-carême,  «  dut-elle  user  ses 
pieds  jusqu'aux  genoux.  » 

«  Quand  bien  même,  dira-t-elle  plus  tard  devant  ses  juges,  j'aurais  eu 
cent  pères  et  cent  mères  et  que  j'eusse  été  fille  de  roi,  je  serais  partie 
tout  de  même.  » 

Tel  est  ce  sentiment  profond,  invincible,  générateur  de  miracles,  qui 
a  fait  de  Jeanne  la  libératrice  de  la  France.  Elle  l'avait  puisé  dans  son 
cœur  de  Lorraine,  dès  son  berceau  placé  par  la  Providence  là-même  où 
l'âme  française  se  semble  avoir  été  toujours  plus  vibrante  et  plus 
sensible,  sans  doute  parce  qu'elle  y  a  plus  souvent  et  plus  cruellement 
souffert. 

iM-ais  ce  sentiment  s'était  développé  et  exalté  encore  dans  la  foi  et  la 
piété  exquise  de  la  jeune  fille,  ainsi  que  dans  la  conscience  qu'elle  avait 


) 


(1)  Histoire  de  Charles  VII.  de  Beaucourt 


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de  sa  mission  surnaturelle.  Comprendrait-on  autrement  un  aussi  mâle 
courage  dans  une  poitrine  d'enfant,  un  héroïsme  aussi  indomptable  dans 
une  bergère  de  cet  âge,  quand  on  ne  les  rencontre  pas  toujours  dans 
l'âme  des  plus  fiers  soldats  ? 

oans  doute,  le  patriotisme  est  une  vertu  naturelle  qui  naît  au  cœur 
de  tous  les  enfants  d'un  même  pays,  héritiers  du  même  patrimoine  de 
traditions  nationales,  attachés  au  même  sol,  défenseurs  jaloux  des  mêmes 
droits  et  des  mêmes  libertés.  Mais,  lorsqu'il  est  consacré  par  la  religion 
et  ennobli  par  la  grâce,  le  patriotisme  s'excite  et  s'enflamme  :  il  fait  les 
héros  et  les  martyrs. 

On  ne  les  compte  déjà  plus,  au  cours  de  cette  longue  et  atroce 
guerre,  ces  nobles  victimes  tombées  sur  les  champs  de  bataille  qui 
ensanglantent  l'Europe.  Mais  les  plus  glorieuses  ne  sont-elles  pas  celles 
qui,  sous  la  bannière  invisible  de  Jehanne,  ont  couru  à  la  mort  au  signal 
sacré  et  au  mot  d'ordre  qui  fut  le  sien  :  «  Jhésus  !  Maria  !  » 

Il  faut  bien  le  reconnaître,  il  fut  un  temps,  pas  encore  très  éloigné  de 
nous,  où,  sous  prétexte  de  je  ne  sais  quel  rêve  de  vague  humanitarisme 
et  de  fraternité  universelle,  on  ne  prétendait  à  rien  moins  qu'à  la 
suppression  de  toutes  les  frontières,  au  nom  de  la  «  social-démocratie.  » 

Pendant  ce  temps,  l'ennemi,  à  nos  portes,  fourbissait  des  armes 
contre  nous  et  préparait  le  plus  formidable  assaut  qui  se  soit  jamais 
livré  d'un  peuple  contre  un  autre.  Il  n'a  fallu  rien  moins  que  le  génie  de 
notre  race,  que  rien  ne  saurait  éteindre,  et  les  trésors  latents  d'indomp- 
table bravoure  accumulés  depuis  des  siècles  dans  l'âme  française,  pour 
triompher  de  la  «  kultur,  »  c'est-à-dire  de  la  barbarie  allemande. 

Ce  sera,  devant  l'histoire,  le  plus  retentissant  échec  qu'ait  pu  subir  la 
doctrine  néfaste  du  socialisme  international,  et  la  plus  éclatante  revanche 
du  vrai  et  pur  patriotisme  sur  les  théories  subversives  des  «  sans  patrie.  » 

A  quelle  hauteur  se  dresse,  parmi  ce  chaos  de  démolitions  et  de 
ruines,  la  radieuse  et  sublime  figure  de  Jeanne  d'Arc,  dévorée  d'une 
seule  ambition  :  celle  de  vivre  et  de  mourir  pour  le  salut  de  la  France  ! 

Après  huit  jours  de  bataille  sous  les  murs  d'Orléans,  elle  tombe 
blessée,  mais  elle  arrache  de  sa  propre  main  la  flèche  de  sa  blessure  en 
disant  :  «  Ce  n'est  pas  du  sang  qui  coule,  c'est  de  la  gloire  !  » 

Et  lorsque,  le  8  mai  1429,  les  portes  de  la  cité  s'ouvrent  enfin  devant 
elle,  elle  s'écrie  :  «  Maintenant,  tout  est  vôtre,  et  y  entrez  !  » 


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iVlais  parce  que  Jehanne  sait  que  la  France  attend  un  roi  et  que  ce 
qui  fait  le  roi  c'est  le  sacre,  elle  conduit  le  dauphin  à  Reims,  par  une 
audacieuse  chevauchée  qui  devient  une  véritable  marche  triomphale. 
Charles  VII  est  oint  par  l'archevêque  de  l'huile  de  la  Sainte-Ampoule  : 
la  France  a  recouvré  son  roi,  sa  libératrice  pourra  monter  sur  le  bûcher 
de  Rouen  enveloppée  dans  les  plis  glorieux  du  drapeau.  La  France  est 
sauvée  ! 

On  raconte  que,  au  cours  de  la  cérémonie  du  sacre,  pendant  que  la 
foule  transportée  mêlait  ses  acclamations  au  bruit  des  fanfares,  le  vieux 
Jacques  d'Arc,  le  père  de  Jehanne,  perdu  dans  la  foule,  pleurait  en 
silence.  Cet  homme  obscur  et  oublié  était  le  vrai  héros  de  la  fête.  Il 
représentait  le  peuple  de  France  qui,  par  les  mains  de  sa  fille,  faisait 
couronner  son  roi.  Et  la  foule,  à  bon  droit,  eût  pu  saluer  en  lui  le  père 
du  patriotisme  de  Jehanne,  le  fondateur  de  l'autonomie  de  la  France,  le 
sauveur  de  sa  liberté. 


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Constantine,  le  30  mai  1916. 


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JEANNE    D'ARC    &    LE    PAYS    CHARTRAIN 


Le  pays  chartrain  conserve  précieusement  la  mémoire  de  plusieurs 
personnages  qui  furent  les  compagnons  d'armes,  les  serviteurs  ou  les 
défenseurs  de  la  Vierge  de  Domremy. 

C  est  ainsi  que,  parmi  les  hommes  de  guerre  qui  ont  bataillé  aux 
côtés  de  Jeanne,  nous  pouvons  mentionner,  en  première  ligne,  le  bâtard 
d'Orléans,  héritier  du  comté  de  Dunois,  qui  la  seconda  si  vaillamment 
dans  la  délivrance  d'Orléans  et  à  la  fameuse  journée  de  Patay.  Il  devait 
plus  tard  réaliser  la  prophétie  de  Jeanne,  en  achevant  son  œuvre  d'ex- 
pulsion des  Anglais,  par  la  conquête  de  la  Guienne  et  de  la  Normandie. 

Il  était  réservé  à  la  capitale  du  Dunois,  à  la  cité  de  Châteaudun,  qui 
a  reçu  de  nos  jours  le  glorieux  surnom  de  Ville  héroïque,  de  le  mériter 
déjà  au  temps  de  la  Pucelle  par  plusieurs  envois  de  troupes  placées 
sous  les  ordres  de  son  gouverneur,  Florent  d'Illiers,  qui,  avec  ses 
secours,  assura  le  succès  de  la  campagne  de  la  Loire.  C'est  à  la  famille 
de  cet  intrépide  capitaine  que  se  rattachent  les  deux  évêques  chartrains, 
son  fils  et  son  neveu,  Miles  d'Illiers  et  René  d'Illiers. 

Pourquoi  ne  citerions-nous  pas  encore  le  comte  Louis  de  Bourbon- 
Vendôme,  à  qui  le  roi  Charles  VII  confia  la  garde  de  la  Vierge  inspirée  ? 
Ce  seigneur  la  suivit  dans  tous  ses  combats  et  la  vengea  de  la  trahison 
de  Compiègne.  Son  souvenir  n'est -il  pas,  d'ailleurs,  inséparable  de 
notre  cathédrale,  qu'il  embellit  par  la  fondation  de  la  chapelle  qui  porte 
encore  son  nom  ? 

A  la  suite  de  ces  vaillants,  nous  ne  pouvons  oublier  ce  gentilhomme 
de   quinze  ans,   Louis  de  Gouttes,   originaire  de  Châteaudun,   qui  fut 


3- 


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attaché,  en  qualité  de  page,  à  la  personne  de  l'héroïne.  Il  l'accompagna 
partout  et  la  servit  fidèlement  jusqu'au  siège  de  Paris.  Ce  témoin,  bien 
informé  de  la  vie  de  Jeanne  d'Arc,  n'a  pas  peu  contribué  par  ses  dépo- 
sitions des  plus  circonstanciées  au  succès  de  sa  réhabilitation. 

Pourquoi  aussi  ne  pas  rappeler  que  Jean  du  Lys,  frère  de  Jeanne 
d'Arc,  fut,  dit-on,  capitaine  de  Chartres,  en  1454  ?  A  ce  titre,  il  était 
chargé  de  la  défense  de  la  ville  et  commandait  à  la  garnison. 

Parmi  les  hommes  d'église  qui  entourèrent  la  Bienheureuse  de  leur 
respect  et  de  leur  protection,  nous  devons  ranger  Regnaud  de  Chartres, 
ancien  dignitaire  du  chapitre,  puis  cardinal  et  archevêque  de  Reims. 
Ce  prélat  approuva,  après  mûr  examen,  à  Poitiers  et  à  Chinon,  la 
mission  de  Jeanne  d'Arc,  et  lui  assigna  dans  sa  cathédrale  une  place 
d'honneur  au  sacre  de  Charles  VIL 

Auprès  de  lui,  c'est  encore  un  Dunois  que  nous  trouvons  parmi 
les  défenseurs  de  la  Pucelle,  Jean  de  Saint -Avit,  devenu  évêque 
d'Avranches,  qui  s'éleva  hautement,  en  1431,  contre  l'inique  procédure 
de  Rouen  et  paya  de  plusieurs  années  de  disgrâce  et  de  captivité 
anglaise  sa  courageuse  protestation.  Pour  expliquer  cette  fière  attitude, 
disons  qu'un  prêtre  de  Châteaudun,  Michel  Picheron,  qui  correspondait 
avec  l'évêque  d'Avranches,  son  compatriote,  le  renseignait  sur  les  faits 
et  gestes  de  la  Pucelle  et  l'instruisait  fidèlement  des  prodigieux  exploits 
qui  attestaient  le  caractère  divin  de  sa  mission. 

C  est  ainsi  qu'un  rayon  de  la  gloire  de  Jeanne  d'Arc  resplendit,  à  des 
degrés  divers,  sur  les  personnages  qui  ont  été  mêlés  à  sa  vie.  Aussi  les 
annalistes  chartrains  ont,  à  bon  droit,  sauvé  leurs  noms  de  l'oubli  pour 
nous  rattacher  à  la  Bienheureuse  par  des  liens  plus  étroits  et  la  rendre 
encore  plus  chère  au  pays  chartrain  où  sa  mémoire  a  toujours  été  honorée. 

JVlais  n'aurions-nous  pas  ce  motif  particulier  de  célébrer  sa  mémoire, 
qu'il  nous  suffirait  de  voir  en  Jeanne  d'Arc  la  grande  compatriote  et  la 
grande  chrétienne  suscitée  par  Dieu  pour  sauver  notre  pays  et  nous 
laisser  l'admirable  exemple  de  ses  héroïques  vertus. 

Dès  qu'elle  connut,  dans  sa  prière,  par  les  révélations  de  ses  saintes, 
les  maux  dont  souffraient  ses  compatriotes  opprimés  par  les  Anglais, 
son  jeune  cœur  s'émut,  elle  ne  songea  qu'à  se  dévouer  pour  y  mettre  un 
terme,  «  Je  les  ai  entendu  pleurer  et  gémir,  dit-elle,  je  ne  peux  plus 
durer  où  je  suis.  »  C'est  en  vain  qu'on  rit  de  sa  mission,  qu'on  la  rebute 


à  Vaucouleurs,  qu'on  la  traite  de  folle,  qu'on  s'oppose  à  son  départ  de 
la  maison  paternelle,  qu'on  la  menace  de  la  noyer  plutôt  que  de  la 
laisser  partir,  rien  ne  l'arrête.  «  Quand  j'aurais  cent  pères  et  cent  mères, 
il  faut  que  je  parte,  dussé-je  user  mes  jambes  jusqu'aux  genoux.  Adieu  ! 
Adieu  à  tout  ce  que  j'aime  !  »  Tel  est  son  merveilleux  patriotisme. 

Les  vertus  chrétiennes  pratiquées  à  un  degré  ordinaire  et  commun 
peuvent  suffire  pour  le  salut,  mais  ne  méritent  pas  les  honneurs  des 
autels.  L'Eglise  les  réserve  aux  vertus  pratiquées  à  un  degré  héroïque, 
c'est-à-dire  constamment,  promptement,  éminemment,  malgré  les  diffi- 
cultés et  les  obstacles.  Telles  furent  les  vertus  de  Jeanne  d'Arc,  comme 
S.  S.  Pie  X  l'a  déclaré  solennellement  le  6  janvier  1904  :  «  La  vénérable 
servante  de  Dieu,  Jeanne  d'Arc,  pratiqua  dans  un  degré  héroïque  les 
vertus  théologales  de  foi,  d'espérance  et  de  charité  envers  Dieu  et 
envers  le  prochain,  et  les  vertus  cardinales  de  prudence,  de  justice, 
de  force,  de  tempérance  et  leurs  annexes.  » 

Dès  son  jeune  âge,  la  Bienheureuse  se  distingue  par  sa  piété,  qui 
en  fait  une  enfant  modèle.  Elle  aimait  à  passer  de  longues  heures  en 
prières  et  volontiers  transformait  ses  promenades  en  pèlerinages.  Un 
jeune  homme  qui  la  vit  souvent  travailler  aux  champs  rapporte,  dans 
son  naïf  langage,  qu'elle  aimait  à  se  séparer  de  ses  compagnes  pour 
«  parler  à  Dieu.  »  Cet  attrait  pour  la  prière  ne  fait  que  grandir  avec 
l'âge  et  sous  l'influence  des  saintes  qui  lui  apparaissent  et  l'engagent 
à  être  bonne  et  pieuse,  à  aimer  Dieu  et  à  fréquenter  l'église.  Les  témoins 
de  sa  vie  publique,  son  page,  ses  hôtesses  attestent  qu'on  la  trouvait 
souvent  à  genoux  dans  sa  chambre,  arrosant  le  pavé  de  ses  larmes, 
qu'elle  aimait  à  assister  aux  offices  canoniaux.  Combien  de  fois,  disaient 
aussi  ses  compagnes  de  Domremy,  ne  l'a-t-on  pas  surprise  prosternée 
devant  les  images  des  saints,  devant  la  croix,  immobile,  insensible  à  ce 
qui  se  passait  autour  d'elle  ! 

A  ce  double  titre  de  grande  patriote  et  de  grande  chrétienne,  elle 
n'appartient  pas  seulement  aux  contrées  et  à  l'époque  où  elle  a  vécu, 
lutté  et  souffert  :  elle  est  à  la  France  entière,  à  la  France  de  tous  les 
temps,  comme  elle  est  à  l'Eglise  entière,  à  toutes  les  âmes  avides  de 
poursuivre  un  noble  idéal  de  patriotisme  et  de  dévouement.  Les  traits 
strictement  historiques  que  nous  venons  de  rappeler  suffisent  amplement 
pour  faire  justice  des  basses  et  haineuses  attaques  dont  elle  a  été  l'objet 
de  la  part  des  ennemis  de  la  religion,  suffisent  aussi  pour  nous  montrer 
que  le  chef  de  l'Eglise  ne  s'est  pas  trompé  en  autorisant  son  culte,  en 


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nous  permettant  de  la  placer  sur  nos  autels  pour  rendre  hommage  à  la 
Sainte  du  patriotisme.  Sa  statue  a  été  érigée  depuis  dans  la  plupart 
des  églises  chartraines  et  de  pieuses  associations  se  sont  placées  sous 
son  patronage. 

Mais  ne  nous  bornons  pas  à  l'honorer,  à  la  glorifier,  prions-la,  invo- 
quons-la ardemment,  et  surtout  efforçons-nous  de  l'imiter,  car  elle  est  un 
modèle  pour  toutes  les  conditions,  un  modèle  pour  tous  les  temps,  en 
particulier  pour  les  Français  de  nos  jours.  N'oublions  pas  que  c'est  dans 
sa  religion  profonde  qu'elle  a  puisé  son  incomparable  amour  de  notre 
patrie,  et  n'en  est  devenue  la  libératrice  qu'en  faisant  respecter  la  loi 
de  Dieu,  seule  sauvegarde  des  familles,  des  sociétés  et  des  peuples. 

Dans  ces  conditions,  nous  pouvons,  devant  cette  terrible  lutte  que 
nous  soutenons  si  héroïquement,  espérer  un  nouvel  effet  de  la  protection 
de  la  Bienheureuse,  au  jour  surtout  prochain  où  sera  proclamée  sa  cano- 
nisation par  le  Saint-Siège. 


Chartres,  le  14  décembre  1919. 


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VERTUS    DE   JEANNE    D'ARC   A   DOMREMY 


Il  y  a  deux  côtés  dans  la  vie  des  saints  :  le  côté  public  et  lumineux, 
et  le  côté  mystérieux  et  privé  où  pénètre  seul  le  regard  du  Père  céleste. 
Quand  un  saint  a  guéri  un  malade  ou  ressuscité  un  mort,  il  fait  comme 
le  Maître  à  la  suite  du  miracle  de  la  multiplication  des  pains  :  il  se  retire 
dans  la  solitude.  Là,  on  le  voit  appliqué  à  l'exercice  des  trois  vertus 
théologales,  des  quatre  vertus  morales  et  des  devoirs  de  son  état.  Les 
croyances  de  l'Église  sont  sa  lumière  ;  il  compte  sur  la  grâce  pour  se 
tenir  au-dessus  de  la  faiblesse  humaine  ;  il  aime  Dieu  de  tout  son  cœur, 
de  toute  son  âme,  de  toutes  ses  forces,  et,  en  cela,  il  s'acquitte  du  premier 
commandement,  qui  comprend  tous  les  autres.  C'est  dans  la  grâce  sanc- 
tifiante, ainsi  entretenue  au  sein  d'une  perpétuelle  floraison  de  mérites, 
que  consiste  la  sainteté.  Pour  cela,  il  faut  des  énergies  surnaturelles.  Le 
saint  les  demande  à  la  prière  et  aux  sacrements.  L'Eucharistie,  qui  le 
met  en  rapports  intimes  avec  Jésus  vivant  et  présent  sur  nos  autels,  lui 
est  particulièrement  chère. 

Aussi,  lorsque  l'Église  est  saisie  d'une  cause  de  béatification,  le 
premier  de  ses  soins  n'est  pas  de  s'enquérir  des  oeuvres  dont  le  bruit  a 
peut-être  étonné  le  monde,  mais  de  la  mesure  dans  laquelle  le  serviteur 
de  Dieu  a  pratiqué  la  foi,  l'espérance,  la  charité,  la  prudence,  la  justice, 
la  tempérance,  la  force.  Elle  sait,  comme  l'a  si  bien  dit  Bossuet  dans 
l'oraison  funèbre  de  Condé,  que  «  ce  sont  ces  choses  simples  :  gouverner 
sa  famille,  édifier  ses  domestiques,  faire  justice  et  miséricorde,  accomplir 
le  bien  que  Dieu  veut  et  souffrir  les  maux  qu'il  envoie,  »  que  «  ce  sont, 
dis-je,  ces  communes  pratiques  de  la  vie  chrétienne  que  Jésus-Christ 
louera  au  dernier  jour  devant  son  Père  céleste.  »   Elle  sait  que  «  les 


.(3_ 


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histoires  sont  abolies  avec  les  empires,  et  qu'il  ne  se  parlera  plus  de 
tous  ces  faits  éclatants  dont  elles  sont  pleines.  »  Elle  sait  que  le  don  du 
génie  et  les  autres  présents  merveilleux,  le  Créateur  en  fait  part  à  ses 
ennemis  comme  à  ses  amis  ;  qu'ils  ne  sont  «  qu'une  décoration  de 
l'univers  et  un  ornement  du  siècle  présent.  *  Si  notre  Jeanne  ne  s'était 
montrée  plus  grande  par  ses  vertus  chrétiennes  que  par  ses  exploits 
militaires,  elle  ne  serait  point  appelée  à  l'honneur  des  autels.  Mais  ce 
fut  avant  tout  une  sainte. 

Oui,  ce  fut  une  sainte,  cette  enfant  dont  les  yeux,  à  peine  ouverts  à 
la  lumière,  se  dirigèrent  vers  le  Ciel  ;  dont  les  lèvres,  dans  leurs 
premiers  essais  précurseurs  de  la  parole,  balbutièrent  le  nom  de  Jésus. 

Ce  fut  une  sainte,  cette  bergère  aussi  innocente  que  les  agneaux  qui 
broutaient,  sous  la  protection  de  sa  houlette,  l'herbe  de  la  prairie. 

Ce  fut  une  sainte,  cette  diligente  ouvrière  qui  partageait  avec  sa  mère 
les  soins  du  ménage  et  avec  son  père  et  ses  frères  les  rudes  travaux  des 
champs.  Combien  de  fois  ne  la  vit-on  pas  guider  l'attelage  pendant  que 
le  laboureur  aiguillonnait  les  bœufs  et  traçait  le  sillon  ? 

Ce  fut  une  sainte,  cette  vierge  compatissante  qui  ne  pouvait  voir  une 
souffrance  sans  être  émue  de  pitié.  Jeanne  rencontrait-elle  un  mendiant, 
elle  ne  manquait  jamais  de  lui  ouvrir  son  humble  bourse.  Un  pèlerin 
sans  abri  s'arrêtait-il  le  soir  à  la  porte  de  la  chaumière,  implorant  un 
gîte,  elle  l'accueillait  avec  bonté,  et,  s'il  était  vieux,  malade,  elle  lui  aban- 
donnait sa  chambrette,  quelquefois  même  sa  modeste  couche,  pendant 
qu'elle  passait  la  nuit  sur  une  chaise,  devant  l'âtre  désert. 

Ce  fut  une  sainte,  cette  fille  de  l'obéissance,  qui,  à  la  voix  du  Ciel, 
quitte  tout  ce  qu'elle  aimait  pour  aller  batailler  à  la  tête  des  armées. 

Obéissance  vraiment  héroïque  !  Elle  n'a  que  seize  ans,  la  pauvre 
petite  ;  elle  ne  sait  que  coudre,  filer,  travailler  aux  semailles  et  aux 
moissons.  Est-ce  bien  elle  que  Dieu  devrait  charger  d'une  mission  dont 
les  généraux  eux-mêmes  n'étaient  pas  capables  ?  Elle  montre  naïvement 
à  l'archange  ses  habits  de  paysanne,  ses  mains  qui  n'ont  jamais  tenu 
que  l'aiguille,  la  quenouille,  le  fuseau,  la  houe  :  «  Je  ne  suis  qu'une  pauvre 
fille  ;  je  ne  connais  ni  A,  ni  B.  Est-ce  que  je  sais  faire  la  guerre,  moi  ? 
Est-ce  que  je  peux  monter  à  cheval  ?»  —  «  Va  !  va  !  va  !  Fille  de  Dieu, 
je  serai  à  ton  aide...  Va  !  va  !  » 

Merveilleux  dialogue  qui  rappelle  celui  de  Marie  et  de  Gabriel  : 
«  Comment  cela  se  pourra-t-il  accomplir  ?  »  avait  demandé  la  Vierge. 


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3- 


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Quomodo  fiet  istud  ?  _  «  Ne  crains  pas,  la  vertu  du  Très-Haut  sera 
avec  toi  »  Virtus  Altissimi  obumbrabit  Tibi.  —  Fiat,  répond  Marie.  — 
Fiat,  répondra  Jésus,  sous  le  poids  de  l'agonie...  Fiat,  répond  Jeanne  à 
son  tour,  oui  Fiat .'  —  «  Ah  !  ajoutait-elle  plus  tard,  quand  j'aurais  eu 
cent  pères  et  cent  mères,  quand  j'aurais  été  fille  de  roi,  je  serais  partie.  » 
Voilà  le  sublime  de  l'obéissance.  Quelle  torture  dans  ce  cœur  de  jeune 
fille  !  Mais  quelle  victoire  obtenue  sur  l'affection,  la  tendresse,  la  crainte, 
par  la  puissance  de  la  foi  ! 

Le  bonheur  de  Jeanne  était  de  visiter  l'église  de  son  village.  Tantôt 
elle  s'associait  aux  divins  offices  qu'on  y  célébrait,  tantôt  elle  s'oubliait 
de  longues  heures  devant  le  tabernacle.  On  la  surprenait  souvent  pros- 
ternée et  tout  en  pleurs,  sur  le  pavé  du  sanctuaire.  Purifier  dans  la 
confession  son  âme  déjà  si  blanche,  s'unir  à  ce  Jésus  à  qui  elle  s'était 
consacrée  par  un  vœu  de  virginité,  là  étaient  sa  consolation,  sa  joie  ;  là 
aussi  sa  force  pour  accomplir  les  rudes  sacrifices  qui  faisaient  saigner 
son  cœur.  Un  regard  sur  la  vie  militante  de  l'héroïne  nous  permettra 
d'apercevoir  ces  vertus  dans  la  splendeur  de  leur  épanouissement.  D'où 
viennent  les  triomphes  de  notre  guerrière  ?  de  sa  foi.  «  C'est  par  la  foi,  >► 
suivant  le  mot  de  saint  Paul,  que  les  grands  chefs  du  peuple  de  Dieu  ont 
vaincu  les  oppresseurs,  per /zdem  vicerunt  regnaM^  Le  nom  de  Jeanne 
ne  déparerait  pas  le  tableau  magnifique  dans  lequel  l'Apôtre  a  enchâssé 
ceux  des  Gédéon,  des  Jephté,  des  Déborah.  Loin  de  là,  il  les  surpasse  de 
toute  la  hauteur  dont  l'Évangile  domine  la  loi  antique.  Comme  la  libé- 
ratrice du  genre  humain,  elle  croit  aux  paroles  divines  ;  elle  sait  que 
messire  Dieu  l'a  choisie  et  proclame  sans  hésiter  que  «  personne  au 
monde,  ni  prince,  ni  roi,  ni  fille  de  roi  ne  peut  reconquérir  le  royaume 
et  qu'il  n'y  a  de  secours  qu'en  elle.  »  Les  victoires  de  Saint-Loup,  des 
Augustins,  des  Tourelles,  de  Patay,  de  Chalon,  le  couronnement  de 
Charles  VII  dans  la  basilique  de  Reims  sont  nés  de  cette  inébranlable 
certitude. 

Au  milieu  de  la  gloire  la  plus  enivrante,  Jeanne  reste  l'humble 
enfant,  la  vierge  pudique,  la  douce  sœur  de  charité,  l'amie  des  saints 
Tabernacles  que  nous  admirions  tout  à  l'heure.  Elle  aime  à  répéter 
que  «  tout  ce  qu'elle  a  fait  de  bien,  elle  l'a  fait  par  le  conseil  et  le 
secours  de  Notre-Seigneur,  >  et  elle  ne  s'en  attribue  aucune  part. 

(1)  Hebr.  XI.  33. 


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\3- 


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Son  innocence  n'est  pas  moins  touchante  que  sa  modestie.  Brave 
comme  l'ange  des  batailles,  elle  s'élance  sur  son  cheval  ardent  au  plus 
fort  de  la  mêlée,  sans  souci  de  la  grêle  des  flèches  ni  des  coups  d'arque- 
buse ;  mais  si  elle  entend  tomber  des  remparts  un  ignoble  outrage,  elle 
rougit  et  se  met  à  pleurer. 

Je  l'ai  appelée  une  sœur  de  charité.  N'en  possède-t-elle  pas  la  man- 
suétude, la  compassion,  le  zèle  pieux  ?  Son  épée  étincelante  lui  sert  à 
guider  les  troupes  à  l'assaut  ;  jamais  elle  n'en  frappe  l'ennemi.  Protéger 
les  prisonniers,  secourir  les  blessés,  se  pencher  sur  les  mourants  pour  les 
consoler  et  susciter  en  eux  le  repentir  et  l'espérance,  tels  sont  les  traits 
sous  lesquels  nous  nous  représentons  la  miséricorde  au  sein  du  carnage, 
telle  nous  apparaît  la  miraculeuse  guerrière. 

Dernier  caractère  de  la  sainteté.  Au  soir  de  ses  triomphes,  c'est  au 
pied  des  autels  que  l'enfant  de  Domremy  va,  comme  autrefois,  chercher 
la  paix  et  le  repos  dans  une  adoration  prolongée  de  l'Eucharistie. 

Le  Puy,  le  21  décembre  1919. 


3- 


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LA    PIÉTÉ    DE    JEANNE    D'ARC 


Personne  n'ignore,  pour  peu  qu'on  soit  au  courant  de  la  vie  si  courte 
et  pourtant  si  glorieuse  de  cette  héroïne,  à  quel  point  elle  fut,  dès  sa 
première  enfance,  animée  des  sentiments  d'une  vraie  et  tendre  dévotion. 

Jilevée  et  formée  à  la  piété  par  une  mère  foncièrement  chrétienne, 
elle  montra  dans  les  circonstances  les  plus  critiques  un  invincible 
attachement  aux  enseignements  sacrés  qu'elle  avait  reçus  au  foyer 
domestique  et  à  l'église.  On  la  vit  toujours  heureuse  d'obéir  aux 
préceptes  divins  et  de  se  soumettre  avec  empressement  à  toutes  les 
observances  de  la  religion. 

C  est  ainsi  que  Jeanne  aimait  à  se  retirer  dans  la  solitude  pour 
s'adonner  à  la  méditation  et  à  la  prière.  Pendant  que  ses  compagnes  se 
livraient  aux  jeux,  à  la  danse  et  aux  divertissements  de  leur  âge,  elle,  au 
contraire,  rentrait  en  elle-même  et  songeait  aux  calamités  qui  accablaient 
la  France  ;  elle  invoquait  en  sa  faveur  le  Dieu  des  armées.  Comme  la 
pieuse  enfant  était  remplie  d'horreur  pour  le  péché,  sa  principale 
préoccupation  était  d'éviter  les  occasions  et  jusqu'à  l'ombre  même  du 
mal,  tant  elle  avait  à  cœur  de  conserver  intacte  l'angélique  pureté  de 
son  âme  !  Admirables  et  saintes  dispositions  qu'elle  garda  sa  vie  durant, 
même  au  milieu  de  la  licence  des  camps. 

*  Oui,  a  dit  Mgr  Dupanloup,  il  y  avait  dans  cette  humble  et  héroïque 
jeune  fille  des  champs  une  grande  chrétienne.  Et  lorsqu'on  regarde  de 
près  cette  âme,  après  le  bruit  des  batailles,  quand  la  poussière  du 
combat  est  tombée,  lorsqu'on  cherche  dans  son  fond  intime  la  source 


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cachée  d'où  jaillissaient  ces  grandes  actions  dont  l'histoire  est  émer- 
veillée, ce  qu'on  trouve,  c'est  cette  piété  qui  fait  les  saints,  cette  piété 
prise  au  fond  même  du  Christianisme  ;  rien  de  médiocre  :  l'amour  de 
Notre-Seigneur,  de  sa  croix,  de  la  Sainte-Eucharistie,  du  saint  sacrifice 
de  la  Messe,  et  aussi  la  piété  envers  la  Sainte -Vierge  et  les  vierges 
martyres. 

«  Jeanne  aimait  Notre-Seigneur,  comme  l'ont  aimé  tous  les  saints,  avec 
tendresse.  Et  voyez-en,  dans  toute  sa  vie  de  batailles,  les  témoignages 
quotidiens. 

•«  Outre  sa  bannière,  où  elle  aimait  à  contempler  l'image  du  Sauveur, 
maître  du  monde,  elle  s'en  était  fait  faire  une  seconde  où  était  peint 
Jésus  en  croix  ;  et  chaque  jour,  matin  et  soir,  des  prêtres  se  rassem- 
blaient à  l'entour,  et  Jeanne  y  venait  prier  pieusement  Notre-Seigneur  et 
adorer  sa  croix.  » 

Une  vertu  qui  doit  s'exercer  parmi  les  plus  merveilleux  événements 
a  besoin,  en  effet,  de  se  vivifier  à  la  source  de  l'amour  divin  ;  d'une 
excessive  fragilité,  elle  est  exposée  à  perdre  son  éclat  et  à  se  flétrir,  si 
on  n'a  pas  soin  de  la  rafraîchir  aux  eaux  vives  de  la  pénitence  et  de 
l'alimenter  fréquemment  de  la  céleste  nourriture  de  l'Eucharistie.  C'est 
ainsi  que  l'humble  bergère  ne  perdait  pas  une  occasion  de  purifier  son 
âme  et  de  la  nourrir  du  «  pain  des  forts.  »  Dans  ce  but,  elle  se  faisait  une 
obligation  d'assister  tous  les  jours,  autant  que  possible,  au  saint  sacrifice 
de  la  Messe,  soit  dans  l'église  de  son  village,  soit  plus  tard  dans  ses  expé- 
ditions guerrières,  et  principalement  la  veille  des  batailles.  Elle  donnait 
même  à  ses  soldats,  sur  ce  point,  des  ordres  qui,  soit  dit  en  passant, 
seraient  peu  suivis  de  nos  jours,  mais  qui  alors  étaient  généralement 
exécutés.  «  C'est,  disait-elle,  le  péché  qui  fait  perdre  les  batailles.  »  Aussi, 
ne  pouvant  souffrir  autour  d'elle  les  désordres  habituels  aux  gens  de 
guerre,  avait-elle  amené  sa  petite  troupe  et  ses  chefs  à  ne  plus  blasphémer, 
à  réclamer  le  ministère  de  ses  confesseurs  et  à  recevoir  avec  foi  «  Celui 
qui  peut  tout  »  et  qui  dispose  à  son  gré  de  la  victoire.  Cette  piété  et  cet 
amour  de  Dieu  n'avaient  pas  le  moins  du  monde  amoindri  dans  son 
cœur  les  sentiments  de  charité  et  de  compassion  que  tout  chrétien 
véritable  doit  éprouver  à  l'égard  de  ses  semblables. 

rie  l'avait-on  pas  vue  plus  d'une  fois,  au  temps  de  son  adolescence, 
s'apitoyer  sur  les  misères  des  pauvres  errant  sans  abri  à  travers  les 
chemins  ?  Elle  s'appliquait  à  les  consoler  et  à  soulager  leurs  souffrances. 


Ayant  un  jour  rencontré  un  malheureux  couvert  d'ulcères  et  se  traînant 
à  peine,  Jeanne  attendrie  s'empressa  de  le  conduire  sous  le  toit  paternel. 
Là,  de  ses  mains  délicates,  elle  soigna  d'abord  ses  plaies  repoussantes  et, 
pour  comble  de  charité,  elle  lui  céda  sa  couchette,  tandis  qu'elle  allait 
prendre  son  repos  de  la  nuit  dans  un  coin  retiré  du  logis. 

Une  autre  fois,  au  cours  d'une  action  meurtrière,  apercevant  un 
soldat  blessé  qu'on  transportait  loin  du  champ  de  bataille,  Jeanne  tout 
émue  s'écrie  :  «  Ah  !  Jamais  je  n'ai  vu  le  sang  français  couler  que  les 
cheveux  ne  me  dressent  sur  la  tête  !  » 

Xouchantes  paroles  qui  montrent  en  cette  jeune  fille  extraordinaire 
les  trésors  de  sensibilité,  de  tendresse,  de  bonté  et,  pour  tout  dire  en  un 
mot,  de  charité  chrétienne. 

Avec  cela,  elle  aima  d'un  amour  singulier  et  la  France  et  son  roi 
légitime,  ce  roi  coupable  par  sa  vie  molle  et  son  inertie,  mais  en  somme 
malheureux  et  intéressant  dans  sa  détresse. 

A  vrai  dire,  l'amour  de  Dieu  est  la  source  de  tout  dévouement  et, 
loin  de  nuire  à  l'amour  du  sol  natal  et  de  la  patrie,  il  en  multiplie  au 
centuple  toutes  les  puissances. 

Il  n'est  donc  pas  étonnant  que  Pie  X,  en  plaçant  Jeanne  d'Arc  sur 
les  autels,  l'ait  donnée  à  la  France  comme  protectrice  nationale  et  comme 
un  modèle  de  courage,  de  piété  et  de  patriotisme. 

Ce  grand  pape  avait  entrevu  dans  une  sorte  de  vision  prophétique 
ce  qui  se  préparait  dans  l'avenir  pour  notre  pays.  Malgré  les  tristes 
réalités  du  moment,  il  avait  foi  en  notre  Patrie  ;  il  la  considérait  toujours 
comme  la  «  Fille  aînée  de  l'Église  »  et  comme  l'instrument  prédestiné 
des  «  gestes  de  Dieu  »  dans  le  monde. 

Il  ne  doutait  donc  pas  de  son  retour  à  sa  glorieuse  mission.  En  lui 
appliquant  les  paroles  de  nos  saints  livres,  il  la  voyait  maintenant 
indocile  et  rebelle,  mais  bientôt,  sous  la  pression  du  frein,  ramenée  à 
l'ordre,  à  la  sagesse,  à  l'accomplissement  de  sa  mission  traditionnelle. 

Jeanne  béatifiée  se  présentait  comme  un  signe  et  une  promesse.  Elle 
brillait  au  Ciel  comme  une  aurore  radieuse  dont  les  premières  lueurs 
devaient  éclairer  les  voies  tracées  par  Dieu  à  la  France. 

Les  catholiques  ne  s'y  trompèrent  pas  ;  ils  saluèrent  sa  béatification 
avec  un  enthousiasme  qui  enflammait  les  cœurs  et  ranimait  de  joyeuses 
espérances. 


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La  Bienheureuse  gagnait  peu  à  peu  la  sympathie  universelle,  car 
elle  avait  rencontré,  sinon  des  dévots,  tout  au  moins  des  admirateurs 
fervents  jusque  parmi  les  représentants  de  la  nation.  La  jeunesse  avait 
les  yeux  fixés  sur  l'héroïque  Vierge  qui  avait  miraculeusement  sauvé  la  i  | 
France.  Sous  son  vocable  s'organisaient  des  groupes  pieux,  des  associa-  '  ! 
tions,  des  conférences,  de  nombreux  patronages,  des  chorales,  des  cercles 
d'études.  En  un  mot,  jeunes  gens  et  jeunes  filles  voulaient  en  foule  s'abriter 
sous  sa  bannière  et  apprendre,  à  son  école,  l'amour  de  Dieu  et  l'amour 
de  la  Patrie. 

Depuis  la  guerre,  la  Bienheureuse  Jeanne  a  eu  sa  place  et  ses  jours 
d'invocation  parmi  les  saintes  et  saints  protecteurs  de  notre  chère 
France.  Nos  héroïques  soldats  l'implorent  au  milieu  du  danger  ;  ils 
s'inspirent  de  ses  exemples  pour  marcher  bravement  à  l'ennemi  et  le 
«  bouter  dehors  ;  »  ils  savent  par  ses  leçons  comment  il  faut  «  batailler, 
comment  il  faut  vaincre,  comment  il  faut  parfois  mourir  pour  Dieu  et 
pour  la  France. 

Annecy,  le  15  octobre  1916. 


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LA    FOI    ET    LA    PATRIE 

UNIES    DANS    JEANNE    D*ARC 


La  religion  a  été  son  inspiratrice,  son  guide,  sa  force  dans  les  gestes 
magnifiques,  presque  surhumains  qu'elle  a  accomplis  en  quelques  mois, 
de  l'église  de  Domremy  à  la  cathédrale  de  Reims,  de  la  prison  de 
Compiègne  au  bûcher  de  Rouen.  La  religion  a  nimbé  son  front  de  l'au- 
réole du  martyre,  elle  l'a  fait  monter  du  bûcher  à  l'autel  ;  elle  la  présente 
aujourd'hui  à  notre  vénération  et  à  nos  prières. 

La  Patrie  fut,  avec  la  religion,  l'unique  et  grand  amour  de  Jeanne 
d'Arc.  Cette  jeune  fille  de  dix-huit  ans  a  incarné  en  elle  tous  les 
charmes,  toutes  les  énergies,  toutes  les  grandeurs  de  la  nation  française. 
Elle  était  un  capitaine  consommé,  un  entraîneur  de  foules,  une  guerrière 
infatigable,  une  victorieuse,  une  héroïne.  En  moins  d'une  année,  elle  a 
vaincu  l'Angleterre  à  Orléans  et  à  Patay,  reconquis  cent  villages,  délivré 
son  pays,  fait  sacrer  son  roi  à  Reims,  relevé  la  fortune  désespérée  de  la 
France.  Elle  a  donné  à  son  pays  son  cœur,  son  sang,  sa  vie  ;  elle  est 
morte  pour  lui  sur  le  bûcher  de  Rouen,  martyre  du  patriotisme.  Ah  !  s'il 
est  juste  que  nous  donnions  à  la  sainte  notre  encens  et  nos  prières,  il  est 
juste  aussi  que  la  grande  patriote  reçoive  l'hommage  de  notre  admiration 
et  de  notre  reconnaissance. 

Sans  doute  Jeanne  d'Arc  n'était  point  de  la  race  catalane,  sans  doute 
les  aïeux  de  nos  diocésains  n'ont  point  combattu  sous  sa  bannière,  et  ses 
exploits  n'ont  point  profité  à  notre  Catalogne  ;  mais  les  descendants  de 
ceux  qui  ont  parcouru  triomphalement  l'Espagne  et  le  sud  de  l'Europe, 
à  la  lueur  des  éclairs  que  jetaient  l'épée  du  Cid  Campeador  et  celle  de 


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Jacques  le  Conquérant,  ne  sont-ils  pas  désignés  pour  marcher  en  tête 
du  cortège  que  les  peuples  héroïques  forment  autour  de  la  Pucelle 
d'Orléans  ? 

La  France  d'ailleurs  les  a  adoptés  depuis  deux  siècles  passés,  et 
depuis  deux  siècles  ils  ont  fait  leurs  les  joies,  les  peines,  les  triomphes, 
les  revers,  les  espérances  de  la  France.  Ils  feront  leur  aussi  la  sainte  qui 
leur  vient  des  Marches  de  la  Lorraine  et  des  bords  de  la  Loire  ;  ils 
feront  leur  la  Vierge  inspirée,  la  femme  sublime,  l'émule  du  Cid  et  du 
Conquérant,  l'héroïne  comme  n'en  a  connu  l'histoire  d'aucun  peuple 
moderne,  la  Française  enfin  qui  incarna  en  elle  la  foi  nationale  dont  elle 
fut  l'inspiratrice  la  plus  entraînante  et  la  martyre  la  plus  sainte.  Au  jour 
prochain  de  sa  canonisation,  ils  lui  feront  dans  leurs  murs  une  réception 
triomphale  :  toutes  les  clocles  la  salueront  de  leurs  plus  joyeuses  volées  ; 
toutes  leurs  maisons  seront  pavoisées  ;  le  drapeau  national  et  l'étendard 
de  Jeanne  mêleront  à  leurs  fenêtres  leurs  plis  et  leurs  couleurs,  comme 
autrefois  aux  grands  jours  des  héroïques  batailles  ;  la  nuit  succédera  au 
jour  sans  lasser  leur  enthousiasme,  et  des  milliers  de  lumières,  dissipant 
les  ténèbres,  feront  encore  resplendir  dans  les  rues  de  notre  ville  les 
couleurs  françaises  et  les  couleurs  de  Jeanne.  Il  faut  qu'en  ce  jour  de 
grande  fête  tous  les  partis,  comme  ils  l'ont  déjà  fait,  se  taisent  et  toutes 
les  passions  s'apaisent  ;  il  faut  que  tous  fassent  la  trêve  de  Jeanne  d'Arc 
et  qu'unis  dans  un  même  amour  de  la  Patrie,  ils  n'aient  qu'un  cri  pour 
acclamer  l'héroïne  nationale  qui,  en  des  temps  désespérés,  sauva  notre 
pays. 

We  croyons  pas  d'ailleurs  que  sa  mission  soit  terminée  et  que  les 
honneurs  que  nous  lui  rendons  et  les  hommages  que  nous  lui  adressons 
soient  de  sa  part  sans  retour.  Elle  demeure  et  sera  jusque  dans  les  siècles 
futurs,  tant  qu'il  plaira  à  Dieu  de  faire  vivre  dans  le  monde  la  nation 
française,  la  protectrice  à  laquelle  on  n'aura  jamais  en  vain  recours,  l'ins- 
piratrice des  nobles  pensées,  des  héroïques  dévouements,  des  gestes 
généreux  dont  elle  fut  et  dont  elle  reste  le  modèle  accompli.  Par  elle,  la 
France,  fidèle  à  sa  double  mission  de  champion  de  la  foi  catholique  et 
de  défenseur  des  faibles  et  des  opprimés,  continuera  à  être  parmi  les 
peuples  de  la  terre  la  nation  prédestinée  vers  laquelle  se  tendront  toujours 
les  bras  suppliants  de  tous  ceux  qui  souffrent  dans  leur  conscience,  dans 
leur  liberté  et  dans  leur  corps. 

xLt,  pour  que  la  France  ne  faiblisse  jamais  à  sa  mission,  Jeanne  entre- 
tiendra dans  les  profondeurs  de  l'âme  française,  comme  une  lampe  qui 


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vacille  quelquefois,  mais  qui  ne  s'éteint  jamais,  les  énergies  vitales  qui, 
aux  heures  critiques,  que  les  nations  comme  les  hommes  traversent  au 
cours  de  leur  vie,  lui  permettent  de  se  ressaisir,  de  se  refaire,  de  se 
dominer,  de  se  vaincre  elle-même  et  de  triompher  des  ennemis  du 
dehors. 

L«  unité  française  est  l'œuvre  de  Jeanne  d'Arc.  Lorsqu'elle  apparut, 
divine  messagère,  la  France,  en  proie  aux  divisions  iutérieures,  morcelée 
par  les  factions  anglaises,  bourguignonnes  et  armagnacaises,  semblait 
irrémédiablement  perdue  ;  elle  agonisait  lamentablement  ;  aux  regards 
de  beaucoup,  elle  était  même  déjà  morte.  Jeanne  paraît,  elle  monte  à 
cheval,  elle  arbore  la  bannière,  elle  brandit  son  épée,  elle  prononce  de 
par  Dieu  les  paroles  de  vie,  et  immédiatement  la  France  tressaille  sur 
son  lit  d'agonie,  un  sang  nouveau  fait  battre  ses  veines,  elle  se  lève 
vivante,  forte,  pleine  de  jeunesse  ;  son  roi,  ses  grands,  son  peuple  se 
groupent,  s'arment,  s'assemblent  en  armées  et,  conduits  par  la  Pucelle, 
courent  à  des  combats  formidables,  à  des  assauts  irrésistibles,  à  des 
victoires  décisives  ;  en  quelques  mois,  les  Anglais  sont  chassés,  les  Bour- 
guignons sont  vaincus,  les  Armagnacs  sont  ralliés,  le  roi  est  sacré  à  Reims, 
la  France  est  refaite. 

Le  miracle  d'Orléans,  de  Patay  et  de  Reims  s'est  renouvelé  plus 
d'une  fois  au  cours  de  notre  histoire.  La  Bienheureuse  Jeanne  garde  du 
haut  du  Ciel  cette  France  qu'elle  a  reconquise,  qu'elle  a  unifiée,  qu'elle 
a  solennellement  donnée  à  Dieu, 

Plus  d'une  fois  elle  l'a  ramenée  des  bords  de  l'abîme  ;  plus  d'une  fois 
elle  a  refermé  devant  elle  la  tombe  entr'ouverte.  Et  ne  voyons-nous  pas, 
à  cette  heure,  ce  miracle  s'opérer  de  nouveau  devant  nous  ?  Il  n'y  a  pas 
de  doute  que  Jeanne  nous  montre  d'une  manière  éclatante,  en  ces 
circonstances  tragiques,  qu'elle  tient  toujours  notre  Patrie  sous  sa  pro- 
tection. 

Il  suffit,  pour  s'en  convaincre,  de  rappeler  les  événements  qui  ont 
marqué  les  débuts  de  la  guerre  :  l'invasion  de  la  France,  subite, 
inattendue,  en  pleine  paix  ;  des  hordes  barbares  traînant  avec  elle  une 
artillerie  formidable,  renversant  sous  leur  poussée  terrible  Liège,  Namur, 
Charleroi  ;  franchissant  nos  frontières  et  prenant  une  à  une,  par  le  fer  et 
par  le  feu,  nos  forteresses,  nos  grandes  villes,  nos  riches  provinces  du 
Nord,  l'Artois,  la  Picardie,  la  Champagne  ;  nos  armées  décimées  par 
des  défaites  successives,  épuisées  par  des  fatigues  sans  nom,  refoulées 


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sur  leurs  dernières  lignes  de  défense  ;  les  Allemands,  enfin,  arrivés  aux 
portes  de  Paris.  Il  semblait  bien  que  ce  fût  la  défaite  irrémédiabe.  Or, 
tandis  que  l'Europe  épouvantée  attendait  le  dénouement,  le  6  septembre, 
le  généralissime  donne  à  nos  armées  le  mot  de  passe  :  «  Jeanne  d'Arc.  » 
et  tout  à  coup  les  prévisions  se  renversent,  nos  armées  en  fuite  s'arrêtent, 
se  reforment  et  font  face  à  l'ennemi  ;  le  soldat  français,  subitement 
rendu  à  lui-même,  redevient  invincible  ;  il  attaque,  il  rejette,  il  poursuit 
l'envahisseur  ;  l'effroi  s'empare  des  bataillons  allemands,  ils  rompent  le 
combat,  ils  fuient  :  la  victoire  de  la  Marne  sauvait  la  France  ! 

O  Bienheureuse  Jeanne,  achevez  votre  œuvre  !  Il  y  a  grande  pitié  en 
votre  royaume  de  France,  ses  frontières  sont  violées,  son  sol  est 
dévasté,  ses  villes  sont  ruinées,  le  sang  et  les  larmes  y  coulent  à  flots  ; 
la  France  en  appelle  à  vous  de  l'injustice,  des  meurtres,  des  incendies, 
des  ruines,  des  sacrilèges  dont  elle  est  victime  :  Lève-toi,  fille  de 
France  !  Lève -toi,  sainte  Pucelle,  guerrière  invincible  !  Lève -toi,  et 
venge  ton  peuple  ! 

Perpignan,  le  8  mai  1917. 


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JEANNE    D'ARC 

ET     NOTRE-DAME    DE    ROC-AMADOUR 


Qui  pourra  dire  le  courage  et  les  sacrifices  des  soldats  de  la  grande 
guerre  ?  Qui  racontera  les  prières,  les  sacrifices  obscurs  des  chrétiens  et 
des  chrétiennes  de  France  ?  Et  pourtant,  c'est  de  toutes  ces  saintes 
choses,  unies  par  l'amour  de  Dieu  et  de  la  Patrie,  qu'auront  été  faits 
le  salut  national  et  la  victoire  définitive. 

Lorsque,  dans  le  recul  du  temps,  un  écrivain  de  génie  entreprendra 
d'écrire  la  formidable  histoire  de  la  guerre,  ces  deux  forces  parallèles 
solliciteront  sa  pensée  :  les  raconter  dans  leur  marche  harmonieuse  sera 
son  tourment  et  sa  fierté. 

oi  les  événements  contemporains  sont  destinés  à  mettre  en  puissant 
relief  ce  qu'on  nomme,  par  peur  du  mot  vrai,  des  «  impondérables,  »  et 
qu'il  faut  appeler  de  son  vrai  nom  :  «  les  forces  surnaturelles,  »  on  peut 
dire  que  le  XV  siècle  a  déjà  fourni  une  preuve  éblouissante  de  cette 
loi  providentielle  qui  seule  explique  tout  à  fait  l'histoire  de  France. 

Jeanne  d'Arc  obéit  à  la  parole  :  «  Fille  de  Dieu,  va  !  »  Elle  était 
l'envoyée  du  Ciel  ;  elle  devait  réaliser  l'ordre  divin  et  «  bouter  »  l'ennemi 
hors  de  France.  Sans  doute,  cette  injonction  miséricordieuse  du  Seigneur 
Jésus  avait  jailli  du  cœur  divin  en  faveur  du  peuple  qu'il  aime,  mais 
comme  elle  avait  été  sollicitée  par  la  prière  confiante  des  populations 
désolées  ! 


0)  Msr  Cézêrac,  nommé  coadiuteur  d'Albi  le  2  janvier  1918, 
M£r  MiiiDot,  décédé. 


a  succédé  comme  archevêque,  le  IS  mars  suivant, 


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Il  serait  utile  à  l'histoire,  de  rechercher  dans  les  documents  locaux 
contemporains  les  traces  de  ces  manifestations  de  la  foi  française.  Ce 
travail,  outre  qu'il  permettrait  de  saisir  sur  le  vif  les  émotions  de  ces 
années  tragiques,  montrerait  aussi  la  grande  part,  la  part  prépondérante 
de  la  prière  et  de  la  foi  dans  le  salut  d'un  peuple  et  la  conquête  de  la  paix. 

L  histoire  de  nos  vieux  pèlerinages  serait,  à  coup  sûr,  révélatrice  ;  et 
il  serait  possible,  après  cette  enquête  méthodique  dans  nos  antiques 
dépôts,  d'apporter  des  preuves  nouvelles  de  l'action  constante  de  cette  loi. 

J'apporte  ma  modeste  contribution  à  cette  œuvre,  tout  heureux  de 
pouvoir  unir  le  souvenir  de  Jeanne  d'Arc  au  souvenir  de  Roc-Amadour. 
Ce  sanctuaire,  où  depuis  tant  de  siècles  retentissaient  les  douleurs  et  les 
gloires  de  la  France,  semble  avoir  été  le  lieu  prédestiné  d'où  partit  la 
prière  puissante  et  victorieuse  qui  obtint  enfin  le  salut. 

Oui,  Jeanne  d'Arc  a  sauvé  la  France  par  le  miracle  de  ses  exploits. 
Mais  elle-même  fut  le  miracle  obtenu  de  Dieu  par  la  prière  des  Français. 

Ceux  qui  ont  étudié  l'histoire  des  provinces  envahies,  en  particulier 
de  la  Gascogne  et  du  Quercy,  savent  les  angoisses,  les  misères,  les 
douleurs  du  peuple  dans  ce  temps  où  les  armées  rivales  prenaient  et 
reprenaient  les  forts  innombrables  qui  servaient  de  repaires  aux  groupes 
de  partisans. 

La  lutte  était  partout,  chaque  village  était  une  forteresse.  Les  grands 
chefs  armagnacs  et  leurs  troupes  combattaient  avec  le  roi  ;  ceux  qui 
étaient  demeurés  au  pays  de  Gascogne  étaient,  suivant  les  moments, 
laboureurs  ou  soldats.  Sur  les  collines  de  l'Armagnac,  les  ruines  des 
châteaux  anglais  et  français  se  font  encore  face,  témoins  d'une  lutte  qui 
recommençait  à  chaque  pas. 

«  iVLais  si  Dieu  ne  protège  la  maison,  c'est  en  vain  que  veillent  et 
combattent  ceux  qui  prétendent  la  sauvegarder  ;  »  aussi,  Martin  V,  le 
pape,  dont  l'élection  au  concile  de  Constance  avait  éteint  le  schisme 
d'Occident  et  fait  «  l'union  sacrée  »  dans  l'Eglise,  s'émut  de  ces  malheurs 
de  la  France,  et  il  voulut  donner  à  tant  d'efforts  humains  l'appui  victo- 
rieux du  Ciel  :  il  proclama  le  grand  pardon  de  Roc-Amadour. 

Le  3  avril  1428,  qui  était  la  veille  de  Pâques,  commencèrent  les 
prières  de  cette  indulgence. 

J'emprunte  le  récit  des  faits  au  «  Livre  Tanné  »  de  la  Bibliothèque 
de  Cahors  (fol.  160). 


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Le  peuple  se  précipita  vers  la  vallée  des  miracles  ;  Français,  Anglais 
vinrent  en  foule,  obéissant  à  l'invitation  du  pape,  et  demandèrent  à 
Dieu,  par  l'intercession  de  la  Vierge  Noire,  la  fin  de  tant  de  maux.  Ils 
étaient  si  nombreux  que,  à  certains  jours,  vingt  à  trente  mille  personnes 
se  rencontrèrent  à  Roc-Amadour.  Ceux  qui  connaissent  l'aspect  sauvage 
de  ces  lieux  hérissés  de  rochers,  et  le  péril  des  sentiers  surplombant  les 
abîmes,  comprendront  que  le  chroniqueur  consulaire  ait  considéré 
comme  un  miracle  que,  malgré  cet  entassement  de  peuple,  personne  n'y 
reçut  «  trouble  ni  dommage.  » 

Notre  chroniqueur,  qui  raconte  avec  plaisir  les  efforts  des  soldats 
français  faisant  reculer  loin  de  Cahors  et  de  Mercuès  les  troupes  du 
captai  de  Buch,  déclare  que  ces  succès  étaient  obtenus  «  non  pas  par 
nos  mérites,  mais  par  sa  [de  Dieu]  sainte  miséricorde  et  par  les  prières 
des  bonnes  gens,  les  seigneurs  chanoines  de  l'église  cathédrale,  prêtres, 
religieux  et  autres,  qui  multipliaient  les  sacrifices,  les  processions  géné- 
rales et  autres  oraisons.  » 

Dieu  entendit  la  prière  du  courage  et  les  appels  de  la  foi.  Comme 
l'avait  demandé  Martin  V,  les  foules  priaient  à  Roc-Amadour  depuis  le 
3  avril  1428  ;  et,  vers  la  mi-carême  1429,  le  chroniqueur  qui  rédigeait  le 
livre  consulaire  apprenait  et  consignait  la  nouvelle  «  qu'était  venue  vers 
le  roi  de  France  une  Pucelle  qui  se  disait  envoyée  vers  lui  par  le  Dieu 
du  Ciel  pour  jeter  les  Anglais  hors  du  royaume  de  France.  » 

Je  transcris  le  texte  roman  du  «  Livre  Tanné  :  » 

«  Lo  dissabde,  a  très  d'abrial  l'an  MCCCCXXVIII  que  era  la  vespra  de 
Pascas,  comenset  lo  perdo  que  nostre  senhor  lo  Papa  avia  autregat  e  donat,  a  pena  e 
a  colpa,  en  la  cappela  e  oratori  de  nostra  Dona  de  Roquamador,  et  ht  aneron  tantas 
de  gens  de  totas  partz,  Frances  et  Angles  et  autres,  que,  moltas  vegadas,  avia  XX 
e  XXX  melia  personas  strangieras  a  Roquamador  ;  et  duret  lo  dich  perdo...  entro 
lo  tertz  jom  aprop  Pantacosta  ;  ni  home  no  hi  près  desturb  ni  dampnatge.  Enviro 
miech  carême  l'an  dessus  (1429)  vent  al  Rey  de  Fransa  nostre  senhor,  una 
puisela  que  se  dizia  estre  tramesa  a  Ihuy  per  Dio  del  Cel,  per  gitar  los  Angles 
del  reaime  de  Fransa.  » 

Voilà  les  faits.  Je  constate  que  Dieu  entendit  les  plaintes  confiantes 
du  peuple  qui  combattait  et  priait,  et  qu'il  lui  donna  la  libératrice. 

Jeanne  aime  toujours  la  France,  où,  comme  au  XV  siècle,  il  y  a 
«  grande  pitié.  »  Les  gens  d'armes  «  bataillent,  mais  Dieu  donne  la 
victoire.  »  La  prière  de  tout  un  peuple  obtint  alors  de  la  miséricorde 
divine  ce  miracle  qui  porte  dans  l'histoire  le  nom  de  Jeanne  d'Arc.  Elle 


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fut  vraiment  «  un  de  ces  coups  extraordinaires,  comme  dit  Bossuet,  où 
Dieu  voulait  que  sa  main  parut  toute  seule.  »  Du  haut  du  Ciel,  l'héroïne, 
la  sainte,  prie  toujours  pour  nous.  Puissent  notre  prière  et  notre  foi, 
unies  à  l'héroïsme  et  au  sang  de  nos  héros,  être  présentées  à  Dieu  par 
la  sainte  du  patriotisme  et  être  agréées  par  Lui. 

Elle  fut,  au  XV»  siècle,  la  libératrice  de  la  France. 

Comme  alors  la  prière  française  supplie  «  Celui  qui  tient  tout  en  sa 
main,  qui  sait  le  nom  de  ce  qui  est  et  de  ce  qui  n'est  pas  encore,  qui 
préside  à  tous  les  temps  et  prévient  tous  les  conseils,  »  '•*  de  maintenir 
en  nous  l'esprit  de  Jeanne  d'Arc  et  sa  protection  sur  notre  pays,  afin 
qu'il  fasse  toujours  à  travers  le  monde  les  «  gestes  de  Dieu.  » 

(1)  BOSSUET,  Discoars  sur  l'Histoire  universelle. 

Cahors,  le  8  décembre  1917. 


LA    MISSION    DE    JEANNE    D'ARC 


L  amour  de  la  France  puisé  par  Jeanne  d'Arc  au  cœur  de  Jésus- 
Christ  est  quelque  chose  d'incomparable  :  c'est  l'idéal  même  ! 

«  Prédestinée  de  Dieu,  disait  en  1869  mon  illustre  maître  l'évêque 
d'Orléans,  Mgr  Dupanloup,  et  admirablement  fidèle  à  son  élection,  elle 
concentre  dans  son  cœur,  comme  dans  un  pur  foyer,  toutes  les  angoisses 
tous  les  espoirs,  toutes  les  vertus,  tout  l'héroïsme  français  ;  elle  rend  du 
cœur  à  tout  un  peuple  abattu,  console  la  grande  pitié  qui  était  au 
royaume  de  France  ;  et  puis,  tout  à  coup,  trahie,  délaissée,  elle  disparaît 
dans  les  flammes  d'un  bûcher.  » 

Que  Dieu  est  un  grand  artiste  !  Comme  il  a  réuni  dans  cette  seule 
page  d'histoire  tous  les  éléments  d'un  grand  amour  et  tout  ce  qui  pouvait 
porter  cet  amour  à  son  sommet  le  plus  sublime  ! 

Pour  briser  l'œuvre  de  la  violence,  il  choisit  non  ce  qu'il  y  a  de  plus 
fort,  mais  ce  qu'il  y  a  de  plus  faible  et  de  plus  délicat  :  une  âme  de 
jeune  fille  ;  il  l'appelle  à  dix-sept  ans,  à  cette  heure  matinale  où  le  cœur 
s'éveille  plein  d'ardeur  et  de  pressentiments  ;  il  la  ravit  en  lui  montrant 
dans  une  double  vision  l'agonie,  puis  la  résurrection  d'un  grand  peuple  : 
de  son  peuple,  et,  quand  il  la  voit  émue  de  pitié  et  d'enthousiasme,  il  la 
pousse  :  «  Fille  de  Dieu,  va  !  va  !  »  Il  la  conduit  au  milieu  des  contra- 
dictions, des  périls,  des  combats,  des  victoires,  des  ovations  populaires, 
de  tout  ce  qui  peut  grandir  l'amour  en  l'éprouvant. 

Et  quand  elle  a  triomphé  de  tout,  soudainement  il  l'arrache  à  la 
gloire  humaine  qui  n'était  pas  digne  d'elle  et  la  précipite  dans  la  douleur 


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et  dans  la  mort,  où  elle  achève,  avec  la  beauté  de  son  amour,  la  déli- 
vrance de  son  peuple,  couronnée  de  toutes  les  gloires,  vierge,  soldat, 
libératrice  et  martyre. 

Et,  entre  tous  ces  martyrs  du  patriotisme  chrétien,  nul  ne  rayonne 
d'une  gloire  comparable  à  la  sienne.  Plus  que  tout  autre,  elle  fut  pré- 
destinée à  montrer  au  monde  quel  patriotisme  Jésus-Christ  sait  inspirer, 
car  c'est  bien  lui  qui  l'inspire  au  pied  de  ses  autels,  à  l'heure  de  la  prière, 
par  la  voix  de  ses  anges  ;  c'est  à  son  commandement  qu'elle  se  lève,  en 
sa  puissance  qu'elle  se  confie,  son  nom  sur  les  lèvres,  son  image  sous 
les  yeux  qu'elle  affronte  la  mort  et  souffre  le  martyre  ;  et  cet  amour  de 
la  France,  puisé  au  cœur  de  Celui  qui  en  mourant  pour  l'humanité  tout 
entière,  les  deux  bras  étendus  vers  le  monde,  eut  un  regard  particulier 
pour  sa  patrie,  cet  amour  de  la  patrie  passé  du  cœur  de  Jésus-Christ  au 
cœur  de  Jeanne  d'Arc  est  l'idéal  même  ;  nos  héros  et  nos  martyrs 
d'aujourd'hui  le  contemplent  encore  et  n'ont  rien  de  plus  inspirateur  à 
regarder  :  c'est  plus  que  jamais  l'heure  de  l'évoquer  et  de  le  contempler. 


iVice,  le  6  janvier  1917. 


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JEANNE    D^ARC    ET    LE    NIVERNAIS 


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Jeanne  d'Arc  !  Quel  nom  synthétise  plus  de  pureté,  plus  de  vaillance, 
plus  de  sacrifice  ?  Enfant  toute  d'innocence  et  de  piété,  elle  entre,  à 
partir  de  sa  treizième  année,  en  colloque  perpétuel  avec  les  anges  et  les 
saints  du  Ciel  !  Envoyée  de  Dieu,  elle  sauve  sa  patrie  de  l'ennemi,  après 
une  épopée  merveilleuse  de  combats  dont  n'approchent  pas  les  exploits 
des  plus  grands  capitaines  !  Hostie  de  souffrance,  elle  consomme  la 
rédemption  de  son  pays  par  sa  mort  sur  le  bûcher. 

Il  y  a  entre  sa  mission  et  celle  du  Christ  des  analogies  frappantes. 
Son  œuvre  est  toute  enveloppée  de  surnaturel  ;  elle  est  de  Dieu,  et  nous 
ne  pouvons  la  contempler  sans  une  admiration  profondément  émue  ! 
A  domino  factum  est  istud  et  est  mirabile  in  ocalis  nostris  ! 

L  Église  a  donné  à  Jeanne  sa  plus  belle  gloire  et  sa  plus  belle 
récompense  en  plaçant  sur  sa  tête  l'auréole  des  Bienheureux.  L'histoire, 
aussi  bien  que  les  annales  religieuses,  gardera  l'immortel  souvenir  de  ce 
jour  où  la  France,  représentée  par  plus  de  cinquante  mille  pèlerins, 
acclamait  sa  libératrice  dans  la  basilique  de  Saint-Pierre  ;  jour  à  jamais 
mémorable  encore  par  le  baiser  paternel  que  Pie  X  donnait  à  notre 
Patrie,  lorsque,  prenant  dans  ses  mains  les  plis  du  drapeau  français,  il 
les  pressait  avec  amour  sur  ses  lèvres,  les  mêmes  lèvres  qui  venaient 
de  proclamer  la  sainteté  de  Jeanne. 

A  l'exemple  de  l'Église,  nous  ne  saurions  trop  exalter  Jeanne  d'Arc  ! 
La  chanter,  la  prier,  lui  dresser  des  monuments  est  pour  nous  un  devoir 
de  piété  et  de  patriotisme.  Jeanne  fut  notre  Christ  rédempteur. 


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Notre  Nivernais,  d'ailleurs,  a  des  raisons  spéciales  de  s'associer  à 
tout  ce  qui  glorifie  Jeanne  d'Arc.  Notre  petite  ville  de  Saint-Pierre-le- 
Moutier  fut  le  théâtre  de  sa  dernière,  et  l'on  pourrait  dire  de  sa  plus 
éclatante  victoire.  On  sait  qu'avec  quelques  soldats,  mais  aidée  des 
milices  célestes,  comme  elle  le  proclamait  elle-même  au  moment  du 
combat,  elle  emporta  cette  ville  d'assaut  avec  une  intrépidité  sans  égale. 
Hélas  !  c'étaient  les  dernières  lueurs  de  ce  météore  puissant  qui  avait 
jeté  feu  et  flamme  sur  la  France  et  qui  était  à  la  veille  de  disparaître. 

Selon  nous,  le  miracle  de  Jeanne  d'Arc  se  manifeste  à  Saint-Pierre- 
le-Moutier  plus  que  partout  ailleurs.  Le  surnaturel  de  sa  mission  apparaît 
ici  dans  tout  son  éclat.  Cette  victoire  de  Saint-Pierre-le-Moutier  doit 
figurer  à  côté  des  faits  les  plus  merveilleux  de  son  épopée  guerrière. 
Jeanne  n'a  autour  d'elle  que  cinq  ou  six  soldats  pour  monter  à  l'assaut, 
et,  cependant,  elle  proclame  qu'elle  a  à  sa  disposition  cinquante  mille  de 
ses  gens  et  qu'elle  ne  se  retirera  pas  que  la  ville  ne  soit  prise.  Et 
l'assaut  est  livré,  et  la  ville  est  prise  ! 

Cinquante  mille  de  ses  gens  !  Mais  d'où  lui  sont  venus  ces  guerriers 
invisibles  ?  Quelle  réserve  mystérieuse  les  lui  a  fournis  ?  Ne  sont-ce  pas 
des  troupes  célestes  descendues  à  son  appel?  Les  anges  de  la  France 
qui,  des  hauteurs  des  cieux,  «  sont  accourus  au  vol  puissant  de  leurs 
ailes,  pour  s'enrôler  un  instant  sous  ses  étendards,  et  qui,  de  là,  la 
victoire  gagnée  >•>,  remontèrent  tout  poudreux,  comme  on  l'a  si  joliment 
dit,  de  notre  vieille  poussière  nationale  !  (P.  Barret  et  P.  Perroy.) 

Lisez  encore  cette  relation  du  haut  fait  d'armes  de  Saint-Pierre-le- 
Moutier  : 

«  La  garnison  étant  très  forte  et  composée  de  vaillants  hommes  de 
guerre,  un  premier  cessant  fut  repoussé.  Jean  d'Aulon,  écuyer  de  la 
Pucelle,  blessé  d'un  trait  au  talon,  s'était  retiré  du  combat,  quand 
soudain  il  s'aperçut  que,  loin  de  suivre  la  retraite,  Jeanne  était  demeurée 
presque  seule  sous  les  murs  de  la  place.  Aussitôt,  craignant  pour 
l'héroïque  jeune  fille,  que  le  roi  avait  spécialement  confiée  à  sa  garde,  il 
oublie  sa  blessure,  monte  à  cheval,  court  vers  elle,  et  lui  demande  ce 
qu'elle  fait  là,  et  pourquoi  elle  ne  se  retire  pas  comme  les  autres.  La 
Pucelle,  qui  semblait  animée  d'une  ardeur  extraordinaire,  lui  répond  en 
ôtant  son  casque  de  dessus  la  tête  :  «  Je  ne  suis  pas  seule  :  j'ai  encore  en 
«  ma  compagnie  cinquante  mille  de  mes  gens  ;  je  ne  partirai  point  d'ici 
«  que  la  ville  ne  soit  prise.  >^  «  Elle  n'avait  pourtant  avec  elle,  j'en  suis 


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bien  sûr,  rapporte  Jean  d'Aulon,  que  quatre  ou  cinq  hommes.  »  Le 
bon  écuyer  renouvelle  ses  instances.  Pour  toute  réponse,  Jeanne  lui 
commande  de  faire  apporter  des  fagots  et  des  claies  pour  faire  sur  les 
fossés  de  la  ville  un  pont  où  les  assaillants  pussent  passer.  Elle-même 
crie  d'une  voix  forte  :  «  Aux  fagots,  aux  claies  tout  le  monde,  afin  de 
«  faire  le  pont  !  »  Les  Français  l'entendent  ;  ils  reprennent  courage  ;  ils 
accourent  en  foule.  Le  pont  est  aussitôt  établi  ;  on  arrive  au  pied  des 
murs,  on  dresse  des  échelles,  on  escalade.  La  résistance  cesse  comme 
par  enchantement,  et  voici  que  la  ville  est  prise.  Les  vainqueurs  se 
livrent  au  pillage  ;  leur  cupidité  ne  recule  pas  même  devant  le  sacrilège  : 
ils  pénètrent  dans  une  église,  et  veulent  enlever  les  vases  sacrés.  Mais 
Jeanne  ne  le  peut  souffrir  ;  elle  les  réprimande  avec  une  vigueur  singu- 
lière, et,  reprenant  sur  ces  hommes  farouches  tout  l'ascendant  qu'elle 
exerçait  sur  eux  naguère,  elle  préserve  la  maison  de  Dieu.  Sa  piété  est 
toujours  la  même,  aussi  bien  que  son  héroïsme.  »  'i* 

JNous  gardons  pieusement  et  fièrement,  en  Nivernais,  le  souvenir  de 
cette  victoire  de  Jeanne.  Chaque  année,  au  commencement  d'octobre, 
nous  célébrons  un  triduum  solennel,  à  Saint-Pierre,  dans  cette  même 
vieille  église  où  Jeanne  vint  rendre  grâces  à  Dieu  après  la  bataille.  Les 
fêtes  sont  clôturées,  le  dimanche,  par  des  offices  pontificaux  ;  le  pané- 
gyrique de  la  Bienheureuse  est  prêché  par  une  voix  éloquente. 

Les  cérémonies  religieuses  achevées,  les  fidèles  quittent  l'église  et 
se  rendent  sur  la  place  publique,  où  s'élève  une  belle  et  grande  statue  de 
Jeanne,  et,  là,  après  le  chant  de  l'étendard,  les  foules  acclament  Jeanne 
et  la  France. 

Grâce  au  zèle  de  son  pasteur,  Saint-Pierre-le-Moutier  tend  à  devenir 
un  centre  de  piété  envers  Jeanne  d'Arc.  Notre  ambition  serait  qu'avec  le 
temps,  l'influence  bienfaisante  de  cette  dévotion  débordât  la  petite  cité 
et  la  région  et  rayonnât  sur  tout  le  Nivernais, 

Jrendant  les  années  de  la  guerre,  nos  fêtes  ont  eu  un  caractère 
éminemment  patriotique.  On  a  prié  avec  une  particulière  ferveur  pour 
la  France,  pour  ses  héroïques  soldats,  pour  ses  glorieux  morts  ! 

Dans  la  grande  lutte  que  nous  avons  soutenue,  Jeanne  a  été  avec 
nous  ;  en  pourrions-nous  douter  ?  Elle  ne  faisait  plus  appel  à  ses  gens 
pour  aider  les  nôtres  ;  c'était  sa  vertu  protectrice  qui  descendait  d'en- 

(1)  Marius  Sep«t.  —  Procès  VaUet  de  Viriville,  Henri  Martin. 


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haut  et  couvrait  nos  armées.  Qui  oserait  dire  qu'elle  ne  fut  jamais  à  la 
tête  de  nos  bataillons,  au  cours  de  cette  guerre,  et  qu'elle  ne  les  conduisit 
pas  à  des  succès  humainement  inespérés  ? 

Ayons  donc  une  ardente  confiance  en  Jeanne  d'Arc  ;  suppliante 
devant  l'Étemel,  elle  plaide  avec  une  particulière  ferveur  la  cause  de 
cette  France  dont  elle  fut  la  libératrice  il  y  a  cinq  siècles,  et  qui  lui 
reste  infiniment  chère.  Soyons  fidèles  à  l'aimer  et  à  la  prier. 

Nos  soldats  «  ont  bataillé  »  depuis  de  longs  mois  ;  «  bataillons 
toujours,  »  nous  aussi,  par  la  prière  assidue,  par  les  sacrifices  généreu- 
sement acceptés,  par  tous  nos  efforts  dirigés  vers  un  but  unique  :  le 
salut  de  la  Patrie. 

«  Et  Dieu  nous  donnera  la  victoire,  »  qui  aura  coûté  des  flots  de  sang 
et  de  larmes,  hélas  !  mais  qui,  par  cela  même,  sera  une  victoire 
vraiment  méritée  et  glorieuse,  et  dont  le  fruit  sera  la  paix,  une  paix 
forte  qui  permettra  à  notre  chère  France  de  reprendre  ses  grandes 
traditions  nationales  et  chrétiennes. 


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Nevers,  le  15  novembre  1916. 


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Avec  Jeanne  d'Arc,  pour  la  première  fois  depuis  l'Évangile,  Dieu 
fait  d'une  vierge  un  chef  de  guerre. 

Pourquoi  pas  ?  C'est  le  droit  de  Dieu,  j'oserai  presque  dire  que  c'est 
aussi  son  intérêt.  Puisqu'il  veut  agir  lui-même,  c'est  par  la  faiblesse  de 
la  vierge  qui  combat  en  son  nom  qu'apparaîtra  le  mieux  l'action  divine 
dans  l'œuvre  humaine. 

lit  même,  qui  vous  dit,  en  vérité,  qu'elle  n'est  pas  mieux  choisie  que 
toute  autre,  la  vierge,  comme  vierge,  par  ses  qualités  de  vierge,  pour 
remplir  l'auguste  mission  ? 

Et  non  seulement  parce  qu'elle  sera  compatissante  et  qu'elle  pleurera 
à  plein  cœur  sur  les  blessés  et  sur  les  morts,  et  plus  encore  sur  les  âmes 
exposées  à  la  damnation  —  et,  croyez-moi,  il  est  bon  que  le  chef  de 
guerre  ne  soit  pas  insensible  aux  souffrances  qu'il  cause  et  ennoblisse 
l'exercice  de  son  dur  métier  par  la  pensée  des  choses  éternelles  —  mais 
parce  que  les  vertus  attachées  à  la  virginité  trouveront  dans  le  cas  unique 
de  Jeanne  d'Arc  leur  emploi  exceptionnel  et  très  fécond. 

La  guerre  veut  des  âmes  qui  voient  bien  leur  plan  et  qui  l'exécutent 
hardiment.  Bien  voir  ?  Qu'est-ce  qui  pourrait  bien  l'en  empêcher  ?  Le 
plan  n'est  pas  d'elle.  Il  est  de  Dieu.  Entre  Dieu  qui  l'éclairé  et  elle 
qui  voit,  où  peut  être  l'obstacle?  Elle  est  vierge,  servante  du  Christ, 
épouse  du  Christ.  Elle  voit  ce  que  Dieu  veut,  comme  il  le  veut,  quand 
il  le  veut.  —  Exécuter  ?  Elle  a  l'âme  trop  simple  et  trop  droite  pour  ne 
pas  bien  accomplir  la  volonté  divine  qu'elle  connaît.  Napoléon  contre- 


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lerait,  discuterait,  en  ferait  sans  doute  à  sa  tête.  Blanche  de  Castille 
demanderait  à  réfléchir.  Anne  de  Beaujeu  serait  hésitante  et  inquiète. 
Voyez  ce  que  fait  le  conseil  de  guerre  du  dauphin  :  il  étudie,  il  calcule, 
et  conclut  contre  les  décisions  du  conseil  de  Dieu.  Quant  à  Jeanne,  elle 
s'en  tient  à  l'ordre  transmis  par  ses  Voix.  Elle  comprend,  elle  obéit,  en 
vierge  éclairée,  prudente,  soumise.  Dunois,  La  Hire,  Xaintrailles,  Alençon 
l'ont  constaté  et  le  répéteront  aux  siècles  incrédules. 

La  guerre  veut  des  âmes  sans  peur.  De  quoi  peut  avoir  peur  une 
âme  de  vierge  ?  Elle  s'est  donnée  à  Dieu  seul.  Elle  n'aime  que  Lui,  Elle 
ne  craint  que  Lui. 

Dieu  d'abord.  Dieu  toujours  ;  car,  la  Pucelle  l'a  dit  :  «  C'est  Dieu  qui 
doit  tout  faire.  »  En  vain  les  Anglais,  méprisant  ses  sommations,  lui 
répondent  par  d'ignobles  injures  et  de  cruelles  menaces  qui  la  font 
pleurer.  Jeanne  a  foi  au  Roi  du  Ciel  qui  protège  le  sang  de  France.  En 
vain  les  capitaines  français,  inquiets  de  l'importance  qu'elle  prend  et 
redoutant  leur  effacement  dans  sa  gloire,  s'efforcent  de  contrarier  les 
plans  qu'elle  a  conçus.  «  Vous  avez  été  en  votre  conseil,  dit-elle,  j'ai  été 
au  mien,  et  croyez  que  le  conseil  de  Dieu  s'accomplira  et  tiendra 
ferme,  et  que  cet  autre  conseil  périra.  »  '" 

Des  traîtres,  des  ennemis,  des  armées  d'invasion,  elle  ne  sait  pas 
comment  elle  pourrait  les  craindr.e.  Sa  virginité  la  fait  vivre  au-dessus  de 
tout  cela.  Cuj'us  conversatio  in  cœlis  est.  Voilà  de  quoi  faire  des  âmes 
sans  peur  comme  sans  reproche. 

JLa  guerre  veut  des  âmes  combatives.  Quelle  âme  plus  combative 
trouverez-vous,  je  dis  combative  pour  Dieu,  pour  la  justice  de  Dieu, 
pour  le  plein  accomplissement  de  la  volonté  de  Dieu  sur  son  peuple, 
que  l'âme  qui  n'a  fait  élection  de  virginité  que  pour  devenir  la  volonté 
vivante  de  Dieu  ;  qui  a  horreur  des  batailles  et  du  sang  versé,  et  qui 
cependant,  pour  servir  les  vues  providentielles,  dominera  ses  répu- 
gnances, sacrifiera  la  famille  lointaine  et  se  résignera  à  ne  plus  revoir 
son  hameau  béni  du  Ciel,  puisque  Dieu  la  veut  à  la  guerre,  et  elle  veut 
ce  que  Dieu  veut,  et  elle  le  veut  avec  un  courage  tout  militaire. 

La  guerre  veut  des  âmes  qui  aiment  la  patrie.  Croyez-moi,  les 
vierges  aiment  la  patrie  comme  une  mère,  et  j'en  connais  qui  ne  peuvent 
se  consoler  de  n'y  plus  vivre.  Quelle  âme  lui  pourra  être  plus  pieusement 
attachée  que  l'âme  virginale,  qui  voit  dans  la  patrie  non  seulement  le 


(1)  R.  P.  Monsabré. 


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domaine  du  roi,  le  domaine  du  peuple,  mais  le  domaine  de  Dieu  lui- 
même,  et  qui  ne  peut  comprendre  l'invasion  étrangère  que  comme  la 
plus  sacrilège  des  injustices  ? 

Vous  m'entendez  bien,  tout  ce  que  j'ai  dit  de  la  vierge  en  général, 
trouve  son  application  parfaite  en  Jeanne  d'Arc.  Quelle  vertu  du  chef  ou 
du  soldat  vous  semble  lui  manquer?  Dans  ses  hymnes,  nous  chantons 
qu'elle  est  une  vierge  au  cœur  d'homme  :  Virilis  pectoris  virgo  ;  est-ce 
trop  dire  ? 

1  ant  de  génie  dans  son  art,  tant  de  vigueur  dans  sa  volonté,  un  si 
étonnant  prestige  sur  les  capitaines  et  sur  leurs  troupes,  avec  le  talent 
de  se  faire  obéir  des  plus  grands  comme  des  plus  humbles,  l'émotion  du 
sang  de  France  versé  et  de  la  misère  de  France  chaque  jour  accrue, 
avec  la  force  de  ne  pas  se  laisser  arrêter  dans  son  œuvre  par  de  vains 
attendrissements  ;  et  toujours  tant  de  hardiesse  et  de  prudence  dans  ses 
plans,  tant  d'impétuosité  et  de  sang-froid  dans  l'exécution,  tant  de  ténacité 
devant  l'obstacle,  et  tant  de  confiance  réfléchie  même  après  l'échec  ! 
Vertus  de  chef,  mais,  vous  en  conviendrez  aussi,  vertus  de  vierge  et 
vertus  de  Jeanne  d'Arc. 

D  ailleurs,  résistante  à  la  fatigue  au-dessus  de  son  âge  et  de  son 
sexe  ;  lasse,  mais  jamais  arrêtée,  manquant  de  nourriture,  manquant  de 
sommeil,  mais  toujours  en  marche,  toujours  dans  l'action,  toujours  sur 
la  brèche  :  huit  jours,  huit  nuits  dans  son  armure  ;  les  coups  noblement 
affrontés,  jamais  rendus  ;  les  blessures  connues  d'avance  et  d'avance 
acceptées  comme  des  lauriers  de  victoire.  Vertus  de  soldat,  mais  éga- 
lement vertus  de  vierge.   Virilis  pectoris  virgo. 

Son  secret  ?  Je  viens  de  le  dire  :  virginité.  La  méthode  peut  s'appli- 
quer à  d'autres.  Les  vertus  militaires  grandissent  dans  les  âmes  chastes. 
Les  soldats  de  Jeanne  en  ont  fait  eux-mêmes  l'épreuve.  Elle  les  a 
pénétrés  de  sa  propre  pureté.  La  virginité  perdue  ne  se  recouvre  pas  ; 
mais  la  pénitence  peut  la  suppléer.  La  vierge  leur  fait  faire  pénitence. 
Elle  les  purifie.  Purifier,  c'est  une  fonction  virginale.  Aussi,  devant  elle, 
les  âmes  les  plus  grossières  sont  stupéfaites  de  se  sentir  chastes.  «  C'était 
presque  divin,  »  dira  Dunois  vieilli.  Divin,  assurément.  Elle  a  le  Ciel 
dans  le  cœur.  Elle  l'a  par  l'Eucharistie.  Elle  le  porte  partout  où  elle  va, 
et  partout  l'Eucharistie  pieusement  reçue  lui  chante  le  même  cantique  : 
«  Sois  pure,  sois  humble,  la  Communion  gardera  à  ton  sourire  l'austérité 
virile.  Et,  parce  que  tu  es  vierge,  la  jeunesse  de  la  Cour  et  des  camps  ne 


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pourra  pas  arrêter  sur  toi  des  regards  profanes.  Tu  marcheras  dans  le 
rayonnement  d'une  conscience  sans  ombre,  comme  à  demi  voilée  sous 
les  plis  du  drapeau  qui  rappelle  tes  deux  patries  et  entraînant  au  parfum 
de  ta  vertu  les  vieux  pécheurs  des  bandes  militaires,  chefs  ou  soldats.  » 
C'est  invraisemblable,  peut-être.  Ils  y  viennent  tous.  Ils  abordent  la 
pénitence  comme  la  bataille,  car  la  guerrière  qui  commande  n'entend 
pas  tolérer  dans  les  âmes  ces  péchés  d'hier  ou  de  plus  loin,  qui  feront 
manquer  la  victoire.  Alors  ces  enfants  perdus  de  la  vraie  France 
apprennent  à  prier,  à  se  confesser,  à  communier,  à  parler  et  à  se 
conduire  en  honnêtes  chrétiens,  et  les  pécheresses  s'enfuient  de  leur 
camp  sous  le  plat  de  l'épée,  qui  prêche  à  sa  manière  la  virginité  de 
celle  qui  la  porte. 

Çuimper,  le  10  octobre  1917. 


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JEANNE    ET    SES    JUGES 


Dans  le  procès  qu'ils  firent  à  Rouen,  les  pires  ennemis  de  «  l'envoyée 
de  Dieu  »  se  proposaient  de  rendre  l'Église  responsable  de  leur  inique 
sentence  et  de  couvrir  d'infamie  leur  innocente  victime.  Ils  avaient 
compté  sans  l'intervention  de  «  Celui  qui  juge  toutes  les  justices  »  et 
qui  fait  tourner  à  la  gloire  des  siens  les  perfides  desseins  des  méchants. 

Le  23  mai  1430,  vers  six  heures  du  soir,  à  la  suite  d'une  vaillante 
sortie  de  Compiègne,  et  peut-être  aussi  par  le  fait  d'une  trahison  plus 
que  probable,  Jeanne  tombait  entre  les  mains  des  Bourguignons. 

Jetée  bas  de  son  cheval,  accablée  par  les  assaillants,  elle  avait  dû  se 
rendre  au  bâtard  de  Wandonne,  qui  la  remit  à  Jean  de  Luxembourg,  à 
la  solde  duquel  il  combattait. 

La  voie  douloureuse  s'ouvrait  large  devant  elle. 

Tandis  que  la  France  consternée  se  refusait  à  croire  la  nouvelle  qui 
se  répandait  de  la  prise,  à  Compiègne,  de  la  Pucelle  vaincue,  l'Angleterre 
commençait  les  négociations  qui  devaient  lui  livrer  sa  victime.  Elle  avait 
«  à  sa  dévotion  »  l'homme  capable  de  «  telle  besogne,  »  à  la  condition 
qu'elle  y  mît  le  prix  ;  elle  fit  des  propositions  qu'appuyèrent  l'Université 
de  Paris  et  même  l'Inquisiteur  de  la  foi  marchanda  la  vierge  captive 
et  finalement  l'acheta. 

Vers  la  fin  de  décembre  1430,  Jeanne,  sous  escorte  anglaise,  arrivait 
à  Rouen.  Derrière  elle  se  refermaient  les  lourdes  portes  de  la  grande 
tour  du  château. 

(1)  Mir  de  Durfort,  évèque  de  Lan£res,  a  été  transféré,  le  3  septembre  1918  à  l'évèché  de  Poitiers. 


•<5. 


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Prisonnière  de  guerre,  elle  devait  être  traitée  comme  telle,  et  même 
«  admise  à  rançon.  »  Toutes  les  femmes  de  France  eussent  filé  pour 
hâter  l'heure  de  sa  délivrance. 

Non,  ceux  qui  viennent  de  la  payer  ne  sont  pas  susceptibles  de  ces 
nobles  sentiments.  Pour  eux,  Jeanne  n'est  pas  prisonnière  de  guerre  : 
c'est  une  sorcière  qu'il  faut  déférer  au  jugement  des  hommes  d'église. 

IVlais  alors,  elle  doit  être  incarcérée  dans  une  prison  d'église,  comme 
elle  le  réclame,  et  comme  le  droit  en  vigueur  le  prescrit.  Non,  le  sort  de 
l'innocente  victime  est  fixé  depuis  longtemps.  Elle  doit  être  brûlée  vive. 
Ainsi  l'ont  décidé  ses  implacables  ennemis. 

Aussi,  ce  n'est  pas  seulement  un  «  beau  procès  »  qu'ils  attendent  de 
l'astucieux  évêque  à  leurs  gages,  c'est  une  sentence  de  mort  ;  ce  n'est 
pas  un  arrêt  de  justice  qu'ils  exigent  de  lui,  c'est  un  service  largement 
payé. 

Le  mercredi,  21  février,  dans  la  chapelle  du  château,  s'ouvrent, 
avec  une  imposante  solennité,  les  séances  et  les  interrogatoires  qui 
commencent  le  long  et  cruel  supplice  de  Jeanne. 

Elle  est  seule  à  la  barre  de  ce  prétendu  tribunal  dont  elle  avait  le 
droit  de  récuser  les  juges,  tous  terrorisés  ou  vendus. 

Elle  n'a  ni  conseil,  ni  défenseur,  elle  ne  sait  ni  A,  ni  B,  mais  elle 
est  forte  de  la  promesse  du  Sauveur.  Il  lui  dira  ce  qu'elle  doit  dire  : 
«  Dabitur  enim  vobis,  in  illa  hora,  quid  loquimini  !  »  Ceux  qui  l'enten- 
dent sont  émerveillés.  L'un  d'eux  le  reconnaît  :  «  In  suis  responsionibus 
faciebat  mirabilia.  »  Le  dominicain  Raoul  Sauvage  l'avoue  :  «  Jamais 
il  n'avait  vu  une  aussi  jeune  fille  donner  tant  de  peine  aux  examinateurs 
et  posséder  une  aussi  surprenante  mémoire.  »  Un  de  ceux  qui  l'inter- 
rogeaient, ajoute  Jean  Riquier,  n'eût  pas  mieux  répondu.  «  Sa  défense, 
conclut  Nicolas  de  Houppeville,  ne  s'explique  que  par  une  assistance 
surnaturelle.  » 

En  effet,  l'humble  bergère  se  révèle,  au  milieu  de  ces  dignitaires 
et  de  ces  docteurs  acharnés  à  sa  perte,  plus  grande,  s'il  est  possible, 
qu'aux  plus  belles  heures  de  sa  vie  guerrière.  Comme  elle  les  domine 
tous  par  sa  digne  et  noble  attitude  !  Et  comme,  fidèle  à  ses  Voix,  elle 
les  rappelle  hardiment  au  respect  du  roi  de  France  en  même  temps 
qu'au  respect  d'eux-mêmes  ! 


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Il  est  de  la  dernière  évidence  qu'on  veut  la  perdre  par  ses  propres 
paroles.  Les  questions  les  plus  difficiles,  les  plus  délicates,  les  plus 
subtiles,  les  plus  perfides,  lui  sont  successivement  et  simultanément 
posées,  avec  une  haineuse  passion.  «  Beaux  seigneurs,  dit-elle  avec  un 
calme  imposant,  faites  donc  l'un  après  l'autre,  »  Elle  ne  dira  que  la 
vérité,  mais,  sur  certaines  choses,  elle  ne  parlera  point  qu'elle  n'ait 
«  congé  de  le  faire.  »  —  «  Ah  !  la  brave  fille,  s'écrie  l'un  des  officiers 
présents,  c'est  dommage  qu'elle  ne  soit  pas  Anglaise  !  » 

V^ette  énergie  vraiment  virile,  surhumaine,  ne  se  dément  pas  au 
cours  de  cet  odieux  procès,  qu'on  espérait  n'être  pour  l'innocente  pas- 
tourelle qu'une  série  de  défaillances  aboutissant  à  l'abattement  total,  à 
la  désespérance  finale.  Cependant,  écrit  le  notaire  Manchon,  les  interro- 
gatoires qu'on  lui  faisait  subir  duraient  trois  -ou  quatre  heures  le  matin, 
parfois  presque  autant  l'après-midi. 

Ces  longues  et  douloureuses  séances  à  peine  terminées,  Jeanne, 
épuisée,  était  brutalement  reconduite  dans  son  cachot.  Là,  sans  parler  de 
la  cage  de  fer  construite  exprès  pour  elle,  une  planche  grossière,  sur 
laquelle  la  fixaient  une  chaîne  entourant  son  corps  et  deux  entraves 
lui  serrant  les  jambes  et  les  pieds,  constituait  sa  couchette.  La  nuit 
se  passait  dans  la  prière  et  les  sanglots, 

JLes  ignobles  gardiens  s'amusent  de  la  terreur  du  supplice  qu'elle 
redoutait  et  troublent  son  sommeil  agité  de  leurs  propos  immondes  et 
de  leurs  ordurières  injures.  Un  instant  même  s'agita  la  question  de  la 
mettre  à  la  torture  pour  arracher  à  son  innocence  des  aveux  qui  l'eussent 
déshonorée. 

Plus  grande  que  l'épreuve,  forte  de  sa  confiance  en  ses  Voix,  elle 
résista  sans  faiblir. 

JJans  une  dernière  et  solennelle  audience,  qui  ne  fut  qu'une  sinistre 
parodie  de  jugement,  l'inique  et  capitale  sentence  fut  prononcée  :  Jeanne 
sera  brûlée  vive  ! 

Elle  n'avait  pas  vingt  ans  ! 

L»  éternelle  justice  se  devait  de  châtier  les  auteurs  et  les  complices 
de  cette  iniquité,  l'une  des  plus  grandes  qu'ait  enregistrées  l'histoire. 

Les  juges  sortent  de  leur  tribunal  à  jamais  flétris  de  cet  indigne  et 
lâche  guet-apens,  dont  ils  restent  lourdement  responsables  devant  la 
postérité. 


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3- 


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Le  vendu  qui,  moyennant  finances,  s'est  chargé  de  ce  crime  pour 
compte  de  ses  généreux  acheteurs,  s'est  à  jamais  déshonoré,  mais  il  n'a  com- 
promis ni  l'Eglise  ni  la  France,  disqualifié  qu'il  était  pour  les  représenter. 

Quant  à  l'héroïque  martyre,  sa  pure  et  virginale  mémoire  sort 
immaculée  de  cette  suprême  épreuve.  En  effet,  jusqu'à  sa  dernière  heure 
elle  ne  cesse  de  répéter  ses  affirmations  et  de  multiplier  les  preuves  les 
plus  convaincantes  de  sa  mission  surnaturelle. 

Lf  Église,  à  laquelle  si  souvent  elle  en  avait  appelé,  mais  dont  elle 
n'avait  pu  se  faire  entendre,  ne  devait  pas  tarder  à  reprendre  sa  cause. 
C'est  elle  qui  devait  la  conduire  du  bûcher  à  l'autel,  aux  applaudissements 
unanimes  et  reconnaissants  de  la  France. 

Par  un  de  ces  retours  dq|,  choses  que  ménage  assez  souvent  dans 
l'histoire  des  peuples,  le  souverain  arbitre  de  leur  destinée,  les  pièces 
authentiques  du  «  beau  procès  »  de  Rouen,  providentiellement,  sinon 
miraculeusement  conservées,  ont  fourni  les  documents  les  plus  irrécu- 
sables du  procès  de  canonisation  de  Jeanne  d'Arc.  Dieu  la  vengeait  ainsi 
lui-même. 

Et  bientôt  la  France,  une  fois  de  plus  victorieuse,  à  la  prière  de  sa 
libératrice,  saluera  dans  la  vierge  martyre,  non  seulement  la  plus  pure 
de  ses  gloires  nationales,  mais  la  Sainte  de  la  Patrie. 


Langres,  le  30  mai  1918. 


+  Cyl/t^  •  j'UoM.) 


L'AME   DE  JEANNE  D'ARC 

ET    L'AME    DE    LA    FEMME    FRANÇAISE 


Je  ne  sais  si  nul  orateur  a  jamais  plus  profondément  pénétré  dans 
l'âme  de  Jeanne  d'Arc  que  l'illustre  cardinal  Pie.  Voici  l'immortel 
portrait  où  il  condensa  les  résultats  de  son  analyse.  Ses  paroles  sont 
d'autant  mieux  à  leur  place  qu'elles  commencent  par  des  souvenirs  de 
victoire  et  des  élans  d'action  de  grâces. 

«  Un  de  nos  rois,  jadis,  écrivait  à  sa  mère  :  Veuillez  mander  partout 
pour  faire  remercier  Dieu,  car  il  a  montré  se  coup  qu'yl  est  bon  François.  » 
Quand  Dieu  se  montra-t-il  plus  Français  qu'aux  jours  de  Charles  VII  ? 
Jeanne  d'Arc,  qu'il  a  donnée  à  la  France,  «  est  dans  la  loi  nouvelle  une 
des  plus  suaves  et  fidèles  copies  de  Marie,  comme  Judith,  Esther,  Ruth, 
Déborah  étaient  ses  ébauches  figuratives.  »  Brave  comme  l'épée,  elle  est 
pudique  comme  les  anges.  Ardente  comme  un  lion,  elle  est  bonne  et 
sensible  comme  un  agneau.  Timide  et  naïve  comme  une  bergère  qui  ne 
sait  ni  A,  ni  B,  elle  a  toute  la  sublimité  du  génie,  toute  l'autorité  de 
l'inspiration.  Au  milieu  des  camps  et  dans  l'arène  de  la  guerre,  elle  est 
pieuse  et  recueillie  comme  une  fille  du  Carmel.  Elle  est  de  Dieu,  et  son 
témoignage  à  ce  sujet  est  magnifiquement  confirmé  par  le  témoignage  de 
ses  oeuvres,  de  sa  vie  et  de  sa  mort,'" 

1  rois  principaux  traits  me  semblent  se  dégager  de  cette  physionomie, 
qui  tient  de  l'ange,  du  lion  et  de  l'agneau. 

Oui,  l'âme  de  Jeanne  d'Arc  fut  religieuse,  vaillante  et  compatissante. 
Ce  sont  là  les  éminentes  qualités  du  cœur  que  la  femme  est  appelée  à 


(1)  Cardinal  Pie. 


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déployer  et   que  la   femme   française  a    déployées   avec   plus   d'éclat, 
tout  le  long  de  la  guerre,  en  leur  imprimant  sa  marque. 

Ame  religieuse.  —  La  maison  de  famille  de  Domremy  se  dressait 
non  loin  de  l'église.  Autour  de  l'église,  le  cimetière,  et,  contigu  au 
cimetière,  le  jardin  familial.  C'est  dans  ce  jardin  que,  un  jour  de 
l'année  1424,  vers  midi,  au  son  de  l'Ave  Maria,  Jeanne,  âgée  de  treize 
ans  à  peine,  entendit,  pour  la  première  fois,  les  Voix  du  Ciel. 

Ces  voix  de  saint  Michel  et  des  anges,  de  sainte  Catherine  et  de 
sainte  Marguerite  enveloppèrent  sa  vie  de  l'influence  divine  :  «  Mes 
frères  du  Paradis,  disait-elle,  me  répètent  ma  leçon.  »  En  contact 
perpétuel  avec  les  Cieux,  elle  fit  dès  lors  le  vœu  angélique  de  virginité. 
On  trouvait  qu'elle  allait  trop  souvent  et  restait  trop  longtemps  à 
l'église.  Sans  négliger  aucun  devoir  domestique,  d'autant  plus  ardente 
et  plus  fidèle  à  les  accomplir,  elle  priait,  elle  se  confessait,  elle  commu- 
niait fréquemment. 

Sa  devise  était  :  «  Dieu  premier  servi.  »  Sa  confiance  :  «  Je  m'en 
attends  à  Notre-Seigneur.  »  Son  autorité  :  «  De  par  le  Roi  du  Ciel, 
mon  droiturier  et  Souverain  Seigneur,  »  Ses  décisions  :  «  Vous  êtes 
allés  à  votre  conseil,  je  vais  au  mien,  qui  est  celui  de  Dieu.  »  Sa 
science  :  «  Il  y  a  plus  au  livre  invisible  de  Messire  Dieu  que  dans 
vos  livres  de  docteurs.  »  Sa  conduite  :  «  J'aurais  mieux  aimé  mourir 
que  de  contrister  Jésus.  » 

Jit  cet  esprit  surnaturel  se  traduisait  en  paroles  qui  sonnaient  haut  et 
clair,  imprégnant  notre  langue  française  des  sonorités  du  Paradis,  en 
actes  qui  commandaient  le  respect,  l'admiration,  l'obéissance,  même  aux 
soldats  et  aux  chefs  de  guerre,  même  à  la  majesté  royale. 

Un  souffle  religieux  passa  sur  l'armée  et  sur  le  pays.  Elle  les  mit  en 
prières,  et,  bannissant  des  camps  le  blasphème  et  l'immoralité,  elle  y 
ramena  la  confession  et  la  communion  :  «  Vous  êtes-vous  confessés  et 
avez-vous  communié  ?  C'est  le  péché  mortel  qui  fait  perdre  les  batailles.  » 
Elle  réunissait  les  troupes  dans  les  églises,  à  l'appel  des  cloches.  Et  l'on 
allait  à  la  bataille,  bannière  au  vent,  en  chantant  le   Veni  Creator. 

Ainsi  fait,  toute  proportion  gardée,  avec  les  modifications  que  com- 
porte la  différence  des  époques,  la  femme  française.  La  guerre  a 
rapproché  l'homme  de  Dieu,  en  le  rapprochant  des  grandes  idées  de 
justice,  de  dévouement,  de  sacrifice,  en  le  rapprochant  du  danger  et  de 
la  mort  acceptés  comme  d'héroïques  formes  du  devoir.  L'homme  vient 


6). 


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davantage  dans  les  églises,  à  la  messe,  au  tribuftal  de  la  pénitence,  à  la 
sainte  table.  Il  chante  sa  foi  et  son  patriotisme,  si  bien  faits  pour 
fraterniser.  Sans  vouloir  évaluer  le  nombre  de  ceux  qui,  sous  le  feu  de 
l'ennemi,  ont  retrouvé  le  Credo  avec  le  Confiteor,  nous  savons  qu'il  va 
se  multipliant  et  que  beaucoup  invoquent  Dieu  en  mourant  pour  la  France. 

iVlais  c'est  toujours  la  femme  qui  tient  le  premier  rang  dans  les 
manifestations  de  la  piété,  c'est  elle  qui  remplit  nos  églises,  récite 
presque  sans  interruption  le  «  Je  vous  salue,  »  qui  fait  prier  et  commu- 
nier les  petits,  qui  demande  des  messes  pour  les  combattants  et  les 
victimes,  qui  imprime  au  pays  tout  entier  l'attitude  de  la  prière.  C'est 
elle  qui  obtient  que,  en  partant,  le  soldat  se  réconcilie  avec  Dieu.  C'est 
elle  qui,  de  loin,  entretient  chez  ce  brave  les  saintes  pensées.  A  son 
foyer  et  partout,  travail,  repos,  lecture,  éducation,  c'est  toujours  de  la 
prière.  Et  comment  assez  louer  celles  qui,  suppléant  à  l'absence  du 
prêtre,  dans  plus  d'une  paroisse  privée  de  service  dominical,  groupent 
les  fidèles  au  pied  de  l'autel,  munies  de  l'agrément  des  autorités  religieuses, 
pour  les  mettre  par  de  pieux  exercices  en  relation  avec  Dieu. 

Ame  vaillante.  —  On  serait  porté  à  ne  voir  en  Jeanne  d'Arc  que  la 
guerrière.  Elle  est  avant  tout  la  sainte, 

iVlais  guerrière,  elle  le  fut  aussi.  Elle  avait  à  montrer  que  Dieu,  pour 
vaincre,  se  sert  avec  préférence  des  plus  humbles  moyens.  Les  timi- 
dités, les  pudeurs,  la  sensibilité  de  la  femme  protestèrent  d'abord.  Il 
fallut  toutes  les  instances  de  ses  Voix  :  «  Va,  fille  de  Dieu,  va  ! 
C'est  par  toi  seule  que  viendra  le  salut  !  »  Elle,  chef  de  guerre  !  Elle,  dans 
les  ardentes  chevauchées  et  dans  les  mêlées  sanglantes,  à  la  tête  des 
hommes  d'armes  !  Elle,  libératrice  du  pays  !  Elle  avait  peur  de  sa 
vocation  :  «  Va  !  va  !  »  répètent  les  voix.  «  Pour  coudre  et  pour  filer,  je  ne 
crains  aucune  femme,  pas  même  à  Rouen...  Mais  je  suis  une  pauvre 
fille  ;  je  ne  sais  pas  monter  à  cheval,  ni  faire  la  guerre.  »  «  Va  !  va  ! 
reprenaient  les  voix.  Dieu  t'aidera  !  »  Elle  comprit  qu'il  s'agissait  de 
ramener  et  de  garder  à  Dieu  la  France,  et  que  sa  mission  guerrière  était 
encore  une  mission  religieuse.  Elle  partit.  Sa  première  démarche  fut 
un  appel  à  la  paix  dans  la  justice  et  l'honneur.  Puis,  elle  ne  cessa  de 
travailler  à  promouvoir  l'union  dans  la  patrie  contre  l'étranger,  union 
des  petites  et  des  grandes  passions,  union  du  roi  et  de  son  féal 
révolté,  le  duc  de  Bourgogne  ;  union,  à  la  Cour,  de  Richemont  et  de  la 
Trémouille,  de  toutes  les  coteries  et  de  tous  les  partis,  union  où  réside 
un  des   principaux   secrets  de  la  force.   Elle  combattit  ;    mais    si   elle 


3- 


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semait  partout  l'ardeur  guerrière,  jamais  elle  ne  tua  un  seul  ennemi. 
Sous  ses  pas  marchaient  la  vaillance  et  la  victoire.  Au  pied  des  remparts 
d'Orléans,  elle  reçoit  sa  première  blessure.  Orléans  est  sauvé.  Elle 
l'avait  prédit  !  En  avant  !  En  avant  !  Tout  le  long  de  la  Loire.  Jargeau, 
Meung,  Beaugency,  Patay  !  Sonnez  sur  ces  victoires,  fanfares  militaires 
et  cloches  des  églises  !  Troyes,  Châlons,  Reims  ouvrent  leurs  portes. 
Noël  !  Noël  !  C'est  le  sacre.  Elle  l'avait  prédit  aussi.  L'étendard  fut 
à  la  peine  :  il  est  à  l'honneur  ! 

Alors  surtout,  quand  vinrent  les  heures  de  lassitude,  même  pour 
les  meilleurs,  les  divisions,  les  intrigues,  les  tentations  de  transiger, 
la  trahison,  la  captivité,  les  séances  d'un  tribunal  inique,  sous  l'hypo- 
crite appareil  d'une  justice  ecclésiastique  faussée  par  l'ambition  et  le 
servilisme,  alors  rayonne  le  plus  beau  courage. 

Chez  la  femme,  c'est  moins  à  la  violence  qu'à  la  ténacité  que  l'on 
reconnaît  la  vaillance.  Elle  a  des  énergies  de  tenue,  d'endurance,  de 
patience  inlassable,  des  clairvoyances  de  droiture  qui  déroutent  les 
louches  manoeuvres  des  pacifistes  à  outrance.  On  tend  à  pactiser  avec 
le  Bourguignon.  On  risque  de  perdre  ainsi  le  fruit  des  labeurs  dépensés. 
Jeanne  voit  juste.  Elle  dénonce  les  défaillances.  Elle  va  jusqu'au  bout  : 
blessure,  trahison,  bûcher.  Et,  quand  sa  robe  blanche  ondule  et  prend 
feu,  quand  la  grâce  virginale, de  ses  dix-neuf  ans  se  consume  en 
cendres,  elle  ratifie  sa  mission  :  «  Non,  non,  mes  Voix  ne  m'ont  pas 
trompée  !  » 

Après  avoir  prophétisé  que  les  ennemis  perdraient  tout  ce  qu'ils 
avaient  pris  à  la  France,  elle  lui  laissa  quelque  chose  de  ses  Voix  et 
de  ses  exemples  :  ce  qu'il  fallait  pour  que  notre  Patrie  expulsât  l'étranger 
et  entrât  dans  l'avenir,  forte,  indépendante,  prête  à  demeurer  la  «  Fille 
aînée  de  l'Église  ». 

Faut-il  montrer  la  vaillance  des  Françaises  d'aujourd'hui  ?  Oui, 
vaillance  des  épouses,  des  sœurs,  des  mères,  des  filles,  des  fiancées  ; 
vaillance  faite  de  lutte  obscure,  d'inquiétudes  et  de  sacrifices.  Comme 
elles  soutiennent  la  foi,  comme  elles  soutiennent  le  courage  !  Ces  cœurs 
qui  aiment  mettent  dans  leur  amour  la  Patrie  avant  la  famille.  C'est 
une  sorte  de  défi  entre  le  foyer  et  le  champ  de  bataille,  à  qui  fera  le 
mieux  son  devoir.  A  cette  double  école,  l'enfant  apprend  que,  au-dessus 
de  la  politique  et  des  dissentiments  de  classes  les  plus  aigus,  il  y  a  la 
France  ;    il   apprend   qu'il  faut   se    dévouer  pour   elle,    sans  compter. 


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I  jusqu'au  bout,  jusqu'à  la  paix  dans  la  victoire.  Et  les  larmes,  tantôt 
contenues,  tantôt  jaillissantes,  soit  au  départ,  soit  quand  surviennent  les 
terribles  nouvelles  ou  quand  l'anxiété  dévore  les  jours  et  les  nuits,  ne 
sont  que  le  tribut  payé  par  la  sensibilité  au  courage. 

Ame  compatissante.  —  Jeanne  s'apitoyait  sur  les  maux  de  la 
guerre,  au  lieu  d'en  aggraver  l'atrocité.  Parmi  l'horreur  des  tueries 
malheureusement  nécessaires,  elle  trouvait  le  moyen  de  jeter  des  rayons 
de  bonté.  Elle  ne  pouvait  voir  couler  le  sang  de  France  sans  être 
secouée  d'un  frisson.  Elle  descendait  de  cheval  pour  panser  la  blessure 
d'un  ennemi  et  le  consoler.  Elle  songeait  au  salut  des  âmes  de  ceux 
qui  tombent,  et  elle  demandait  que  l'on  bâtît  des  chapelles  pour 
célébrer  le  Saint- Sacrifice  à  l'intention  des  victimes.  Déjà,  tout  enfant, 
elle  allait  au-devant  des  pauvres,  partageait  son  pain  avec  eux,  quittait 
sa  petite  chambre  pour  aller  coucher  ailleurs  et  leur  offrir  le  repos  de 
la  nuit.  «  Je  n'ai  jamais  eu  le  cœur  d'écarter  de  moi,  disait-elle,  les 
pauvres  et  les  malheureux,  car  c'est  pour  eux  que  je  suis  née.  »  Elle 
était  du  peuple  et  elle  l'aimait.  Quand,  après  ses  grandes  victoires,  elle 
traversait  villes  et  campagnes,  elle  souriait  à  ce  bon  peuple  qui 
accourait  sur  son  passage,  et,  oubliant  sa  propre  gloire,  se  penchait  vers 
les  plaintes  de  la  misère  ou  les  démonstrations  de  la  joie  populaire. 
Elle  ne  voulut  pour  sa  part  d'autre  récompense  que  l'exemption  des 
impôts  pour  son  lieu  natal. 

Les  redoutables  répliques  à  ses  juges,  à  ses  ennemis,  à  ses  bourreaux, 
vengeaient  la  vérité  outragée,  mais  ne  respiraient  pas  la  haine.  Elle 
pardonnait.  Au  moment  de  mourir,  elle  dit  :  «  Vous  tous  qui  êtes  ici,  je 
vous  demande  pardon  des  torts  que  j'ai  pu  avoir  envers  vous...  je  vous 
pardonne  le  mal  que  vous  m'avez  fait...  et  vous  demande  de  vouloir  bien 
prier  pour  moi.  »  La  plupart  des  assistants  pleuraient.  Elle  avait  supplié 
qu'on  lui  apportât  la  croix  de  la  paroisse  voisine  :  «  Tenez-la  élevée, 
s'écria-t-elle,  que  je  puisse  la  voir.  »  Et  elle  expira  en  regardant  l'image 
de  l'Homme-Dieu  qui  pardonne.  Elle  expira  en  prononçant  trois  fois  ce 
nom  de  douceur  et  d'amour  :   «  Jésus  !  Jésus  !  Jésus  !  » 

Sur  ce  modèle,  la  femme  française  et  chrétienne  transfigure  par  sa 
bonté  les  horreurs  de  la  guerre.  Pendant  que  ce  fléau  de  feu,  de  fer, 
d'abominable  asphyxie,  poursuit  sa  cruelle  besogne  de  ruine  et  de  mort, 
elle  accomplit  son  œuvre  d'assistance  et  de  vie.  Son  aiguille  ne  va  pas 
assez  vite,  à  son  gré,  pour  préparer  les  vêtements  chauds  de  l'hiver.  Elle 
quitte  sa  maison  pour  les  hôpitaux,  s'empresse  autour  des  malades  et  des 


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blessés,  soulage  et  réconforte  les  mourants,  accompagne  les  morts  à 
leur  dernière  demeure,  recueille  les  orphelins,  les  veuves,  les  réfugiés. 
L'étendue  des  maux  élargit  son  cœur.  Leur  atrocité  l'attendrit.  Elle 
pleure,  s'indigne,  juge  sévèrement  les  hideuses,  implacables  et  inutiles 
cruautés.  Elle  ne  maudit  point.  Quand  elle  entre  dans  les  ambulances 
et  s'approche  d'un  lit  pour  panser  une  plaie  ou  encourager  une 
douleur,  elle  ne  demande  pas  si  c'est  un  Français  ou  un  ennemi.  Il  lui 
suffit  que  ce  soit  un  malheureux. 

O  Jeanne,  vous,  la  victorieuse,  accordez-nous  les  victoires  qui  feront 
éclore  la  paix  ;  vous,  la  blessée  d'autrefois,  guérissez  les  blessures  ;  vous 
la  prisonnière,  adoucissez  le  sort  des  captifs  et  ramenez -les  ;  vous,  la 
martyre,  appelez  et  accueillez  au  Ciel  ceux  qui  sont  morts  pour  la 
Patrie  ;  vous,  qui  avez  été  suscitée  pour  sauver  la  France,  préparez-nous 
dans  la  foi,  dans  l'union,  dans  le  courage,  par  des  femmes  qui  vous 
ressemblent,  des  lendemains  nouveaux  ! 

La  Rochelle,  le  30  mai  1917. 


^-♦-«-.ou-.^    •    £^-^— -3„4-— -v-Cc^ 


Jeanne  d'Arc  est  la  sainte  de  notre  patrie  française,  Dieu  l'a  suscitée 
pour  conserver  à  la  France  son  indépendance  nationale  et  sa  vocation 
chrétienne. 

Les  Anglais  avaient  envahi  notre  pays  et  s'étaient  rendus  maîtres 
de  la  plupart  de  nos  provinces.  Charles  VII  n'était  plus  que  le  roi 
de  Bourges.  La  France,  déchirée  par  les  factions  intestines  et  accablée 
par  ses  ennemis,  était  sur  le  point  de  périr  et  d'être  rayée  du  nombre 
des  nations. 

iViais  l'archange  saint  Michel  apparaît  à  une  humble  enfant  des 
Marches  de  la  Lorraine.  Il  lui  parle  de  la  «  grande  pitié  qu'il  y  a  au 
royaume  de  France  ;  »  il  lui  annonce  que  Dieu  l'a  choisie  pour  sauver 
le  pays,  délivrer  Orléans  assiégée  et  faire  sacrer  le  roi  à  Reims. 

Et  Jeanne  quitte  son  village  pour  aller  au  secours  de  la  Patrie.  Elle 
qui  ne  connaissait  ni  A,  ni  B,  ne  savait  ni  monter  à  cheval  ni  conduire 
la  guerre,  elle  fait  lever  en  cinq  jours  le  siège  d'une  grande  ville  à  des 
généraux  dont  l'expérience  égale  la  bravoure,  à  une  armée  habituée 
à  vaincre. 

Elle  rappelle  la  victoire  sous  nos  drapeaux  qui  ne  la  connnaissaient 
plus.  Elle  entraîne  malgré  lui  un  roi  indolent  de  succès  en  succès,  pour 
lui  faire  retrouver,  avec  l'onction  sainte  du  sacre,  la  couronne  de  ses 
pères  et  ruiner  à  jamais  par  là  les  prétentions  d'Henri  d'Angleterre  à  la 
possession  légitime  du  royaume  de  France.  Quelques  années  après,  il  n'y 


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avait  plus  un  étranger  sur  le  sol  de  la  Patrie  ;  la  France  avait  recouvré 
sa  dignité  de  nation  libre  et  indépendante,  et,  de  cette  lutte  d'un  siècle, 
il  ne  restait  que  le  souvenir  d'un  drame  gigantesque  dénoué  par  la  main 
d'une  enfant  envoyée  et  inspirée  de  Dieu. 

«  Dieu  gouverne  les  événements  de  ce  monde  par  des  voies  mysté- 
rieuses et  cachées  ;  mais  il  lui  plaît  quelquefois  de  sortir  de  son  mystère 
et  de  découvrir  son  action  providentielle.  Il  le  fait  alors  de  telle  sorte 
qu'on  ne  peut  le  méconnaître.  C'est  ainsi  qu'il  se  manifeste  dans  le  salut 
de  la  France  par  Jeanne  d'Arc.  Il  apparaît  partout  et  toujours  dans  ses 
exploits  ;  l'idée,  l'exécution,  le  succès  lui  appartiennent  en  propre.  A  lui 
seul  doit  donc  être  rapportée  la  gloire,  comme  ne  cessait  de  le  dire  et 
de  le  faire  Jeanne  d'Arc. 


(1) 


En  même  temps  qu'elle  rendait  à  notre  Patrie  son  indépendance 
nationale,  Jeanne  d'Arc  lui  gardait  sa  vocation  chrétienne.  Cette  vocation, 
le  pape  Pie  X  la  rappelait  avec  la  complaisance  d'un  cœur  qui  aime 
notre  pays,  lorsque,  après  la  promulgation  du  décret  sur  les  miracles  de 
la  Bienheureuse,  il  citait  ces  paroles  de  Grégoire  IX  à  saint  Louis  : 
«  Dieu  a  chéri  la  France  de  préférence  à  toutes  les  autres  nations  de 
la  terre  pour  la  protection  de  la  foi  catholique  et  pour  la  défense  de  la 
liberté  religieuse.  Pour  ce  motif,  la  France  est  le  royaume  de  Dieu 
même  ;  pour  ce  motif.  Dieu  aime  la  France  qu'aucun  effort  n'a  jamais 
pu  détacher  entièrement  de  la  cause  de  Dieu  ;  Dieu  aime  la  France 
où  en  aucun  temps  la  foi  n'a  perdu  la  vigueur,  où  rois  et  soldats  n'ont 
jamais  hésité  à  affronter  les  périls  et  à  donner  leur  sang  pour  la  conser- 
vation de  la  foi  et  de  la  liberté  religieuse.  » 

i^ 'est-ce  pas  là  ce  que  proclamait  Jeanne  d'Arc  au  cours  de  sa 
mission  ?  Pour  elle,  le  vrai  roi,  le  souverain  légitime  de  la  France,  c'est 
«  Messire  Dieu  »,  de  qui  Charles  VII  devait  recevoir  la  couronne  et 
n'être  que  le  lieutenant.  «  Le  royaume  n'est  pas  en  propre  au  Dauphin, 
mais  à  mon  Seigneur,  qui  est  Dieu.  Mon  Seigneur  veut  pourtant  que  le 
Dauphin  soit  fait  roi  et  qu'il  ait  ce  royaume  en  commende.  »  Et  si  la 
Bienheureuse  fut  envoyée  pour  arracher  la  France  au  joug  de  l'étranger, 
n'est-ce  pas  parce  qu'au  siècle  suivant,  ce  joug  fut  devenu  celui  du  schisme 
et  de  l'hérésie,  et  que  Dieu  voulait  y  soustraire  la  fille  aînée  de  son  Eglise  ? 

«  Dieu   pouvait-il   laisser  périr  cette  nation   si    noble,    si    généreuse, 
appelée  par  lui  à  une  mission  si  grande  dans  le  monde  ?  Elle  serait 

(1)  L'abbé  De^ucrry. 


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condamnée  à  tourner  comme  un  satellite  dans  l'orbite  d'une  puissance 
étrangère,  à  suivre  comme  une  chaloupe  le  grand  vaisseau  de  l'Angle- 
terre, à  devenir  une  Irlande,  une  Pologne  !  Non,  Dieu,  après  avoir 
baptisé  les  Francs  à  Reims,  avec  Clovis,  voulait  agir  par  eux  :  Gesta 
Dei  per  Francos.  Quelle  autre  épée  que  la  nôtre  a  protégé  le  Saint- 
Siège  contre  les  Barbares,  constitué  temporellement  la  papauté,  repoussé 
l'invasion  musulmane,  brisé  le  croissant  ?  Absorbée  par  l'Angleterre,  la 
France  eût  été  entraînée  dans  son  schisme,  elle  eût  manqué  à  l'Eglise, 
à  l'Europe  et  au  monde.  »  '*' 

Lfa  France  étant  le  royaume  de  Dieu,  Jeanne  veut  qu'il  y  soit  fidèle- 
ment aimé  et  servi.  Avant  de  conduire  son  armée  contre  les  Anglais,  elle 
fait  confesser  ses  hommes  d'armes  ;  elle  bannit  des  camps  la  licence 
qui  y  était  coutumière  ;  elle  condamne  vigoureusement  l'habitude  du 
blasphème.  Elle  considère  tout  péché  comme  nuisible  à  la  cause  de  la 
France  ;  elle  prêche  aux  soldats  et  aux  capitaines,  au  peuple,  aux  princes 
et  au  roi  la  pénitence,  la  pratique  de  la  charité,  de  la  pureté,  de  toutes 
les  vertus  qui  font  les  nations  chrétiennes  et  leur  méritent  les  bénédictions 
divines. 

«  J eanne  est  donc  le  symbole  du  patriotisme  et  de  la  foi,  dans  leur 
alliance  indissoluble.  Quand  la  France  ressuscite  les  souvenirs  de  l'héroïne 
et  l'applaudit  partout,  elle  applaudit  tout  ensemble  et  la  grande  Française 
et  la  grande  chrétienne  ;  mais  applaudir  ainsi,  n'est-ce  pas  glorifier  les 
idées  que  le  rationalisme  combat  et  qui  ont  fait  notre  puissance  et  notre 
grandeur  passées  ?  N'est-ce  pas  demander  le  retour  aux  traditions  chré- 
tiennes, à  notre  vocation  providentielle  ?  Oui,  ce  retour,  la  France  le 
veut  ;  elle  le  veut  d'une  manière  un  peu  inconsciente  peut-être,  mais  (sous 
l'impulsion  d'un  instinct  qui  ne  trompe  pas,  de  cet  instinct  que  Dieu 
réveille  au  cœur  des  nations  dont  il  prépare  le  salut.  »  '-' 

Que  la  vierge  libératrice  continue  à  l'égard  de  notre  pays  l'œuvre 
qu'elle  a  accomplie  il  y  aura  bientôt  cinq  siècles  !  Que  du  Ciel,  où  elle 
règne  dans  la  gloire,  elle  conduise  encore  nos  soldats  à  la  victoire  et 
obtienne  à  notre  Patrie  de  sortir  triomphante  de  la  lutte  terrible  où  elle 
est  engagée  !  Que  son  exemple  et  son  intercession  ramènent  la  «  doulce 
France  »  au  Dieu  qui  l'a  aimée  et  lui  fassent  reprendre  les  traditions  de 
foi,  de  piété,  de  vie  chrétienne  qui  firent  sa  gloire  dans  le  passé  !  Ainsi, 

(1)  M£r  lAtrzntt. 

(2)  Mtr  Paiis. 


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la  France,  fidèle  à  sa  mission  providentielle,  restera  le  soldat  du  Christ 
et  accomplira  toujours  dans  le  monde  les  «  gestes  de  Dieu.  » 

Bientôt  une  nouvelle  auréole  ceindra  le  front  de  la  glorieuse  Lorraine. 
Jeanne  la  bienheureuse  va  devenir  Jeanne  la  sainte.  La  prochaine  cano- 
nisation de  la  triomphatrice  d'Orléans  et  de  Reims,  de  la  martyre  de 
Rouen  autorise  tous  les  espoirs.  Sa  protection  se  fera  sentir  plus  effica- 
cement que  jamais  sur  la  nation  française  qu'elle  a  délivrée  du  joug  de 
l'étranger  et  maintenue  fidèle  à  ses  antiques  croyances  et  au  service  du 
Roi-Jésus.  La  France  est  un  «  pays  de  résurrection.  » 

Grâce  à  la  prière  de  Jeanne  d'Arc,  puissante  comme  autrefois  son 
épée,  aux  heures  douloureuses  que  nous  traversons,  succédera,  nous  en 
avons  la  confiance,  une  ère  radieuse  de  paix,  de  grandeur  nationale  et 
de  rénovation  religieuse  de  notre  Patrie  bien-aimée. 

Saint- Jean-de-Maurienne,  le  30  mai  1918. 


-f-^. 


Y. 


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Pro    Domo 


Qu'Orléans,  jaloux  de  sa  gloire, 
Nous  conviant  sur  le  rempart, 
Exalte  en  un  chant  de  victoire 
La  Pucelle  et  son  étendard  ; 

II 

Que  Reims  en  un  joyeux  cantique 
Célèbre  le  jour  fortuné 
Où  Jeanne  dans  la  basilique 
Salua  son  Roi  couronné  ; 


III 

Que  Vaucouleurs  dise  sa  joie 
D'avoir  fourni  le  destrier  ; 
Que  sur  l'Anglais,  Patay  la  voie 
Qui  s'élance  à  franc  étrier  ; 

IV 

Si  ma  part  peut  sembler  moins  belle. 
Je  n'en  ai  pourtant  nul  ennui  : 
J'ai  le  berceau  de  la  Pucelle 
Et  la  maison  de  Domremy. 

L'évêque  de  Saint-Dié. 


AU    PAYS    DE    JEANNE    D'ARC 

(1914-1919) 


LfC  mouvement  de  dévotion  chez  les  catholiques  et  d'admiration  de 
la  part  des  autres,  qui  s'est  produit  à  l'égard  de  Jeanne  d'Arc  lors  de  sa 
béatification,  ne  s'est  pas  ralenti  et  semble,  au  contraire,  prendre  tous  les 
jours  une  nouvelle  intensité. 


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Le  nom,  les  œuvres,  la  mission  de  la  Pucelle  n'ont  cessé  d'occuper 
la  pensée  et  de  solliciter  la  plume  des  esprits  les  plus  éminents.  Pour  se 
rendre  compte  de  ce  prodigieux  mouvement,  il  suffit  de  consulter  la 
bibliographie  publiée  par  M.  Lanery  d'Arc,  dont  un  second  volume, 
impatiemment  attendu,  nous  mettra  sous  les  yeux  l'intéressant  catalogue 
de  tout  ce  qui  a  été  écrit  jusqu'à  ce  jour  pour  la  glorification  de  notre 
incomparable  héroïne. 

Historiens,  poètes,  romanciers,  dramaturges,  orateurs  sacrés  ou  pro- 
fanes, tous  ont  trouvé  les  accents  les  plus  vibrants  pour  célébrer  la 
mémoire  de  Celle  qu'on  a  si  justement  appelée  la  Sainte  de  la  Patrie. 
Dans  ce  concert  universel,  tous  les  peuples  ont  élevé  la  voix. 

De  l'Angleterre  elle-même  sont  venus  à  Jeanne  d'Arc  les  plus  sincères 
témoignages  d'admiration,  et  ce  ne  fut  pas  sans  émotion  qu'on  vît  récem- 
ment les  parlementaires  anglais  venir  déposer  aux  pieds  de  la  statue 
de  la  place  des  Pyramides  la  couronne  de  fleurs  qui  symbolisait  les 
hommages  de  la  nation  anglaise. 

Si  quelques  notes  discordantes  se  sont  fait  entendre,  il  est  juste  de 
faire  observer  qu'elles  sont  venues  d'Allemagne.  C'est  tout  à  la  gloire 
de  Jeanne  d'Arc. 

M.ais  parmi  tant  de  chaleureux  enthousiasmes,  quelle  a  été  l'attitude 
du  pays  même  de  la  Pucelle  ? 

A  Domremy  donc,  qui  garde  son  berceau  sur  les  pentes  du  Bois- 
Chenu,  où  s'élève  en  son  honneur  une  basilique  nationale,  le  mouvement 
qui  attire  les  foules  est-il  toujours  le  même  ? 

Depuis  la  béatification,  les  pèlerinages  se  succèdent  sans  interruption 
pendant  la  belle  saison,  c'est-à-dire  de  mai  à  octobre.  Dans  les  années 
qui  ont  précédé  la  guerre,  on  comptait,  bon  an  mal  an,  les  pèlerins  par 
cinquante  mille. 

C'étaient  les  enfants  de  nos  patronages,  les  jeunes  filles  de  nos  congré- 
gations, les  pèlerinages  paroissiaux,  les  habitants  des  villages  environnants, 
les  touristes  venus  des  points  les  plus  opposés  de  la  France.  De  là, 
dans  la  chère  petite  église  de  Domremy,  les  messes  du  matin  avec  des 
communions  nombreuses  et  ferventes,  et,  le  soir,  les  vêpres  solennelles  à 
la  basilique,  avec  la  procession  du  Saint-Sacrement  sur  la  vaste  esplanade. 

Depuis  la  guerre,  si  l'affluence  des  civils  a  diminué  forcément,  le 
nombre  des  visiteurs  militaires  a  considérablement  augmenté.  On  a  déjà 


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compté  environ  cent  mille  soldats  accomplissant  ce  patriotique  pèlerinage, 
M,  le  curé  de  Domremy,  quoique  absorbé  par  les  multiples  soucis  d'une 
ambulance  qu'il  abrite  dans  sa  maison,  et  dont  il  est  l'infatigable  gestion- 
naire, trouve  le  temps  et  le  moyen  de  faire  à  tous  les  visiteurs  le  plus 
aimable  accueil  et  d'organiser  les  cérémonies  les  plus  touchantes  en 
l'honneur  de  la  Bienheureuse. 

Au  Bois-Chenu,  le  spectacle  est  extrêmement  curieux.  Le  service  de 
santé  militaire  y  a  installé  un  dépôt  de  cinq  cents  éclopés.  La  maison 
des  Chapelains  et  le  monastère  des  Carmélites  *i'  en  ont  logé  un  certain 
nombre.  Les  autres  sont  dans  les  baraquements,  fort  bien  organisés, 
construits  par  le  génie.  Ce  va-et-vient  des  soldats,  les  uns  qui  arrivent, 
les  autres  qui  partent,  donne  à  l'esplanade  une  animation  à  laquelle 
elle  n'était  pas  habituée. 

Wos  chers  éclopés  ne  restent  pas  oisifs.  Comme  les  voies  de  commu- 
nications n'avaient  pas  été  prévues  pour  un  ravitaillement  aussi  consi- 
dérable, il  a  fallu  élargir  et  solidifier  les  voies  d'accès.  Ce  fut  un  assez 
gros  travail,  rapidement  mené  à  bien,  grâce  à  l'entrain  de  nos  soldats. 
A  travers  tout  le  monde,  le  directeur  de  la  basilique  circule,  félicitant, 
encourageant,  distribuant  de-ci  de-là  quelques  cigarettes  toujours  bien 
accueillies,  et  revenant  à  son  bureau  pour  enregistrer  les  adhésions  à  la 
confrérie,  ou  répondre  à  un  courrier  de  plus  en  plus  chargé. 

JLes  lettres,  en  effet,  ne  sont  pas  moins  nombreuses  que  les  visiteurs, 
car  c'est  également  à  une  centaine  de  mille  qu'on  peut  évaluer,  depuis  la 
guerre,  le  nombre  des  inscrits,  soldats  vivants  qui  se  mettent  ou  que  l'on 
met  sous  la  protection  de  Jeanne  d'Arc,  soldats  morts  pour  lesquels  on 
réclame  le  bénéfice  de  la  messe  quotidienne  célébrée  à  la  basilique. 

Ajoutons  que,  sur  mon  invitation  adressée  à  tous  les  soldats  de  mon 
diocèse,  j'ai  recueilli  moi-même  des  milliers  de  signatures,  par  lesquelles 
nos  admirables  combattants  (ceux  du  moins,  hélas  !  qui  nous  reviendront) 
s'engagent  à  se  grouper  autour  de  moi  le  jour  où  nous  chanterons  au  pays 
de  Jeanne  d'Arc  le  Te  Deum  de  la  victoire. 

Ce  serait  même  déjà  fait  si  nous  n'avions  dû  attendre  que  la  démobi- 
lisation soit  complète  pour  permettre  à  tous  nos  chers  soldats  vosgiens 
de  se  rendre  au  Bois-Chenu.  Mais  voilà  d'une  part  que  l'hiver  nous  con- 
damne à  un  retard  facile  à  comprendre,  et  que  d'autre  part  la  crise  des 

(1)  Les  Carmélites,  dès  le  début  de  la  Éueirc,  ont  évacué  leur  monastère  et  se  sont  établies  dans  l'Isère. 


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JEANNE    VIERGE    SIMPLE 


L/ ecu  de  Jeanne  d'Arc  représente  une  colombe  volant  à  tire-d'aile 
sur  un  champ  d'azur,  et  portant  au  bec  une  banderoUe  sur  laquelle  il  est 
écrit  :  «  De  par  le  roi  du  Ciel.  »  C'est  un  symbole  qui  exprime  la  physio- 
nomie morale  de  la  Pucelle,  simple  comme  la  colombe  de  son  blason.  Ce 
trait  caractéristique  a  frappé  l'Eglise,  qui  ouvre  l'office  consacré  aux 
louanges  de  la  Bienheureuse  par  ces  mots  :  «  Voici  Jeanne,  la  vierge 
simple.  » 

La  simplicité  est  l'opposé  de  la  duplicité,  dit  saint  Thomas.  La 
duplicité  est  ainsi  nommée  parce  qu'elle  dédouble  l'homme,  divisant  en 
lui  ce  qui  doit  rester  uni,  rompant  l'harmonie  entre  sa  pensée  et  sa 
parole,  entre  son  intention  et  son  acte,  entre  ce  qui  est  au  dedans  de 
lui  et  ce  qui  paraît  au  dehors  ;  c'est  elle  qui  met  sur  la  perversité 
un  masque  d'honnêteté  destiné  à  égarer  notre  jugement.  Elle  est  un 
mensonge. 

La  simplicité,  au  contraire,  toujours  d'après  le  Docteur  angélique, 
est  une  forme  de  la  vérité.  Elle  montre  l'homme  vertueux  tel  qu'il 
est.  Non  pas  qu'elle  étale  au  grand  jour  toutes  ses  richesses  intérieures 
—  la  modestie  jette  toujours  sur  la  beauté  de  l'âme  un  voile  de  discré- 
tion —  mais  tout  ce  qu'elle  en  laisse  voir  est  marqué  au  coin  de  la 
sincérité. 

«  V  oici  Jeanne,  la  vierge  simple  »  :  Celle  qui  n'a  rien  à  cacher  de  ce 
qu'elle  est  parce  que  son  intention  est  droite  et  son  cœur  pur  ;  celle  qui 
n'a  pas  à  se  composer  un  visage,  à  voiler  sa  pensée  sous  les  artifices  du 
langage  ;    celle  qui   est  vraie   en  tout,   ne   connaissant  ni  les  attitudes 


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embarrassées,  ni  les  savantes  équivoques,  ni  les  habiletés  humaines. 
Toutes  les  phases  de  sa  vie  se  déroulent  dans  la  clarté  :  elle  s'y  meut 
avec  aisance  et  naturel. 

A  Domremy,  elle  ne  se  distingue  pas  des  autres  enfants,  sinon 
par  une  plus  grande  piété.  Elle  aide  sa  mère  aux  soins  du  ménage, 
manie  la  quenouille  avec  dextérité  ou  garde  les  troupeaux  de  son  père 
comme  les  autres  pastourelles.  Quand  l'occasion  s'en  présente,  elle 
partage  les  joies  de  ses  compagnes,  et  elle  n'est  pas  la  moins  gaie. 

Le  R.  P.  Monsabré  disait  d'elle,  il  y  a  plus  de  quarante  ans  :  «  Plus 
riche  de  bon  sens  que  d'imagination,  douée  d'un  esprit  sain  dans  un 
corps  robuste  et  bien  portant,  bonne,  simple,  franche,  honnête,  pure, 
courageuse  au  travail,  joyeuse  aux  plaisirs  innocents,  soumise  à  ses 
parents,  douce  à  ses  compagnes,  compatissante  aux  pauvres,  à  qui  elle 
cédait  sa  place  au  foyer,  et  jusqu'à  sa  modeste  couche,  pieuse,  assidue  à 
la  prière,  amie  de  l'église,  où  elle  goûtait  une  douceur  extrême,  dévote 
à  Notre-Dame,  aimée  de  tout  le  monde,  n'ayant  point  sa  pareille  au 
village,  elle  allait  à  Dieu  en  toute  simplicité  et  droiture,  sans  recher- 
cher les  faveurs  du  Ciel.  Cependant,  pendant  trois  années  de  sa  vie 
des  champs,  elle  en  fut  comblée.  » 

Un  jour  d'été,  saint  Michel  lui  apparaît  dans  le  petit  jardin  de  son 
père.  Cet  événement,  gros  de  conséquences,  va-t-il  bouleverser  cette 
enfant,  compliquer  sa  vie,  en  troubler  la  limpidité  ?  Elle  en  éprouve 
sans  doute  quelque  émotion,  de  l'effroi  même,  mais  si  vite  dissipé  ! 
Elle  garde  surtout  de  cette  visite  inattendue  un  sentiment  de  vif  plaisir 
qui  lui  en  fait  ardemment  désirer  le  retour.  C'est  que  les  cœurs  purs, 
à  qui  l'Évangile  promet  qu'ils  verront  Dieu,  sont  en  étroite  affinité  avec 
les  Esprits  célestes  qui  le  contemplent  face  à  face.  Aussi,  les  appari- 
tions se  multipliant,  l'enfant  n'en  est  pas  autrement  surprise  ;  elle  s'y 
habitue  ;  son  naturel  s'épanouit  sous  le  charme  des  délicieuses  ren- 
contres. Quelles  gracieuses  révérences  la  petite  paysanne  fait  à  ses 
mystérieux  visiteurs  !  Quels  affectueux  merci  elle  leur  adresse  !  Puis, 
quand  la  ravissante  vision  s'est  évanouie,  elle  rentre  dans  la  vie 
normale.  On  ne  remarque  en  elle  rien  de  singulier  ;  on  constate  seulement 
qu'elle  progresse  dans  les  vertus  de  son  état.  Elle  était  bonne,  elle 
devient  meilleure,  plus  active,  plus  laborieuse,  plus  serviable.  Elle  met 
sa  perfection  à  faire  avec  diligence  et  bonne  humeur  les  actions  les 
plus  communes,  de  même  qu'elle  accomplira  bientôt  avec  aisance  les 
plus  nobles  et  les  plus  héroïques.  Elle  reste  la  vierge  simple. 


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La  facilité  avec  laquelle  elle  s'adapte  aux  situations  les  plus  diverses 
est  remarquable.  Elle  marchera  toujours  dans  le  chemin  que  Dieu  lui 
trace  avec  un  courage  tranquille,  sans  se  laisser  déconcerter  par  les 
obstacles  qui  surgissent  devant  elle.  Elle  sait  qu'ils  tomberont  sous  ses 
pas,  car  elle  se  sent  dans  la  vérité;  elle  est  forte  des  certitudes  qui 
s'attachent  à  la  parole  venue  du  Ciel. 

Rebutée  à  Vaucouleurs,  elle  reprend  paisiblement  la  quenouille,  en 
attendant  que  le  sire  de  Baudricourt  se  décide  à  lui  donner  un  sauf- 
conduit,  «  toujours  simple,  dit  la  chronique,  bonne  fille  et  douce, 
filant  avec  la  femme  du  charron  qui  l'héberge  et  se  partageant  entre 
ces  travaux  familiers  et  la  prière.  » 

A  Chinon,  en  présence  du  roi  et  de  sa  Cour,  elle  ne  montre  aucun 
embarras.  Elle  s'avance  revêtue  de  cette  simplicité  qui  est  la  plus  haute 
des  distinctions.  Habituée  à  la  société  de  ceux  qui  se  tiennent  devant  le 
trône  de  Dieu,  pourquoi  se  troublerait-elle  devant  les  grands  de  la 
terre  ? 

Elle  n'est  pas  plus  empruntée  en  face  des  doctes  théologiens  de 
Poitiers,  L'élève  de  sainte  Catherine,  la  martyre  philosophe,  se  dégage, 
avec  une  victorieuse  ingénuité  et  non  sans  esprit,  de  leur  savante  dialec- 
tique, ce  qui  leur  fait  dire  :  Elle  a  bien  répondu  ;  on  ne  trouve  en  elle 
que  «  bien,  humilité,  virginité,  dévotion,  honnêteté,  simplesse.  » 

Saint  Jean  Chrysostome  a  dit  de  la  simplicité  qu'elle  est  le  chemin 
qui  mène  à  la  sagesse.  C'est  la  ligne  droite,  la  voie  des  colombes  qui 
volent  à  leur  but  sans  détour,  tandis  que  les  vautours  décrivent  d'insi- 
dieux circuits  pour  surprendre  leur  proie. 

Par  cette  voie,  Jeanne  est  allée  à  Vaucouleurs,  à  Chinon,  à  Poitiers. 
Elle  ira  par  la  même  route  à  Orléans  et  à  Reims,  Mais  que  deviendra 
sa  simplicité  sur  le  chemin  de  la  gloire  ? 

Elle  ne  connaissait  ni  A,  ni  B,  ne  savait  pas  monter  à  cheval.  Et, 
maintenant,  elle  commande  une  armée,  elle  chevauche  avec  grâce  sur  les 
chemins  poudreux,  toute  blanche  sous  sa  brillante  armure.  Quand  l'heure 
presse,  elle  s'élance  rapide  et  court  si  vite  que  le  «  sabot  de  son  cheval 
fait  jaillir  des  étincelles.  »  A  ces  qualités  extérieures,  elle  joint  celles 
qui  distinguent  les  grands  capitaines  :  la  sûreté  du  coup  d'œil,  la 
décision,  le  courage,  l'ascendant,  l'habileté  à  rassembler  les  troupes,  à 
ordonner  les  batailles  ou  à  disposer  l'artillerie.  D'après  le  duc  d'Alençon, 
on  l'admirait  surtout  dans  l'emploi  de  cette  arme  nouvelle. 


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Evidemment,  la  science  prodigieuse  dont  témoignent  ses  succès 
militaires  lui  est  venue  de  ses  saintes  éducatrices  :  «  Dieu  a  pourvu  à  ce 
qui  te  manque,  lui  avait  dit  saint  Michel  ;  je  conduirai  vers  toi  deux 
saintes,  deux  vierges  et  martyres,  Catherine  et  Marguerite.  Notre- 
Seigneur  les  a  chargées  de  te  guider  ;  tu  n'auras  qu'à  suivre  leurs 
conseils.  »  Elle  les  a  suivis  docilement,  simplement,  n'entreprenant  rien 
d'important  que  sur  leur  avis  et  se  recueillant  dans  le  doute  pour 
écouter  leurs  voix.  «  Ses  Voix,  »   comme  elle  disait. 

Jeanne  est  la  faiblesse  dont  Dieu  se  sert  ;  mais  avec  quelle  souplesse 
l'instrument  s'ajuste  à  la  motion  divine  !  Comme  Dieu  l'a  bien  en  main  ! 
Comme  la  force  d'en-haut  se  superpose  harmonieusement  à  l'activité 
humaine,  sans  lui  rien  ôter  de  son  naturel  !  Ici  encore,  Jeanne  reste 
ce  qu'elle  est.  «  En  toutes  choses,  dit  le  duc  d'Alençon  qui  l'avait  vue  à 
l'œuvre,  hors  du  fait  de  la  guerre,  elle  était  simple  et  comme  une  jeune 
fille.  » 

Oui  !  simple  et  comme  une  jeune  fille  !  avec  la  fraîcheur  d'une 
âme  qui  laisse  transparaître  la  plus  délicate  pureté  au  milieu  dès  camps, 
la  plus  exquise  sensibilité  parmi  les  horreurs  de  la  guerre,  l'humilité  la 
plus  vraie  dans  l'exaltation  de  la  gloire. 

A  vivre  auprès  d'elle,  les  hommes  d'armes  n'ont  éprouvé  d'autres 
sentiments  que  l'admiration  et  le  respect  :  ils  «  étaient  comme  enflammés 
de  l'amour  divin  qui  était  en  son  âme  et  devenaient  chastes  et  purs 
par  la  contagion  de  sa  sainteté.  »  Et  l'angélique  pucelle  pouvait  s'en- 
dormir dans  sa  cuirasse  de  fer  avec  la  même  sécurité  que  la  moniale 
dans  son  cloître.  Tel  était  le  prestige  de  sa  chasteté  que  ses  ennemis 
eux-mêmes,  qui  ont  accumulé  toutes  les  accusations  pour  la  déshonorer, 
n'ont  pu  en  articuler  aucune  contre  sa  vertu.  Elle  est  la  vierge  simple  et 
blanche  comme  la  colombe  de  son  écu. 

Sa  sensibilité  ne  s'est  pas  émoussée  au  spectacle  des  cruautés  de 
la  guerre.  Elle  ne  voit  jamais  sans  une  émotion  violente  couler  le  beau 
sang  de  France.  Atteinte  elle-même  d'une  flèche,  elle  ne  peut  retenir  ses 
larmes  quand  elle  aperçoit  le  sang  vermeil  qui  jaillit  de  sa  blessure. 
Ses  larmes  pudiques  sont  sa  seule  réponse  aux  grossières  invectives  des 
ennemis,  comme  plus  tard  elles  seront  sa  suprême  protestation  contre 
l'horreur  du  feu  infligée  à  son  corps  «  net  et  entier,  qui  ne  fut  jamais 
corrompu.  » 

V  raie  et  sincère,  elle  ne  se  refuse  pas  à  elle-même  la  pitié  qu'elle 
accorde  aux  autres,  sans  excepter  ses  ennemis.  Rien   ne  met  plus  en 


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relief  la  simplicité  et  la  droiture  de  son  cœur  que  cette  sensibilité  de 
jeune  fille  restée  intacte.  En  elle,  la  grâce  a  tout  embelli  sans  rien 
détruire. 

JLa  gloire  elle-même,  la  gloire  militaire,  de  toutes  la  plus  enivrante, 
la  laisse  humble  et  modeste.  Sans  doute,  l'héroïne  n'en  est  pas  accablée  ; 
elle  porte  ce  noble  fardeau  avec  la  fierté  qui  convient  aux  champions 
des  saintes  et  grandes  causes.  N'est-elle  pas  «  fille  de  France  »  ?  Ne 
marche-t-elle  pas  à  la  tête  de  la  nation  choisie  par  laquelle  s'accom- 
plissent les  gestes  de  Dieu  ?  Elle  s'avance  donc  sans  confusion  à 
travers  les  foules  qui  l'acclament,  mais  aussi  sans  orgueil  ni  vanité. 
Elle  est  la  «  vierge  simple,  »  c'est-à-dire  vraie,  tandis  que  l'orgueil  est 
le  plus  grossier  comme  la  vanité  est  le  plus  ridicule  des  mensonges. 
Notre  héroïne  est  guerrière  comme  elle  a  été  bergère,  avec  simplicité, 
vérité  et  naturel. 

Aussi,  le  roi  une  fois  sacré,  l'entendons-nous  qui  soupire  après  son 
village  et  la  vie  champêtre  :  «  Que  je  voudrais  qu'il  plût  à  Dieu, 
mon  créateur,  que  je  m'en  retournasse  maintenant,  quittant  les  armes,  et 
que  je  revinsse  servir  mon  père  et  ma  mère  à  garder  leurs  troupeaux, 
avec  ma  sœur  et  mes  frères,  qui  seraient  bien  aises  de  me  revoir.  »  Avec 
quelle  simplicité  la  colombe  reviendrait  à  son  nid  ! 

Jusqu'ici,  elle  a  volé  dans  l'azur,  «  de  par  le  roi  du  Ciel  ».  Non  qu'elle 
n'ait  été  combattue  ouvertement  ou  sournoisement.  Elle  avait  dû  lutter 
contre  le  scepticisme,  la  légèreté,  l'apathie,  l'ambition,  la  jalousie  et  la 
ruse  ;  sa  marche  s'en  était  trouvée  plus  d'une  fois  gênée.  Cependant, 
toutes  les  difficultés  avaient  fini  par  s'aplanir  devant  la  simplicité  de  sa 
confiance  ;  dès  qu'elle  avait  recouvré  la  liberté  de  ses  ailes,  la  colombe 
reprenait  dans  l'azur  la  ligne  droite  qui  lui  ouvrait  le  chemin  de  la  victoire. 

Après  le  sacre  de  Reims,  les  oppositions  deviennent  plus  violentes 
et  les  complots  plus  perfides.  La  Pucelle  est  comme  la  colombe  pour- 
suivie, qui  voltige  effarouchée  ;  elle  ne  connaît  plus  les  hauts  vols  de 
la  victoire  :  Incessamment  guettée  par  d'habiles  oiseleurs,  elle  tombe 
dans  leurs  filets. 

C  est  le  douloureux  calvaire  qui  commence  avec  la  prison  et  ses 
fers,  le  procès  et  ses  interrogatoires  captieux,  les  longues  nuits  semées 
d'embûches,  la  perversité  des  gardiens,  la  partialité  et  la  cruauté  des 
juges.  Enfin,  c'est  le  bûcher,  c'est  la  mort,  c'est  aussi  la  délivrance. 


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La  souffrance,  épreuve  suprême  de  la  vertu,  met  à  nu  le  fond  des 
âmes.  Celle  de  Jeanne  sort  du  creuset  claire  et  transparente  comme 
le  cristal,  simple  et  lumineuse  comme  la  vérité. 

Chaque  jour  de  douleur  l'épure  et  l'embellit  jusqu'à  ce  que,  libérée 
par  le  feu  de  ses  entraves  de  chair,  elle  monte  à  tire- d'aile  vers  les 
hauteurs.  De  par  le  Roi  du  Ciel,  Portes  Eternelles,  ouvrez-vous.  Voici 
Jeanne,  la  vierge  simple  ! 

Luçon,  le  1"  octobre  1919. 


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MISSION    DIVINE    DE    JEANNE    D'ARC 

ET    SON    ACTION    SURNATURELLE   DANS   LA    GUERRE    ACTUELLE 


Dans  ce  siècle  où  le  naturalisme  s'efforce  de  régner  en  maître,  n'est-il 
pas  consolant  de  voir  la  France  entière  s'éprendre  d'une  jeune  fille  de 
dix-huit  ans,  dont  la  vie  ne  fut  qu'un  tissu  d'actions  surnaturelles  ? 

La  vie  et  la  mission  de  la  Bienheureuse  Pucelle  se  déroulent  comme 
une  incomparable  épopée,  où  le  merveilleux  déborde  et  rayonne  tour  à 
tour,  dans  l'ordre  moral,  dans  l'ordre  intellectuel,  dans  l'ordre  physique, 
pour  lui  donner  l'authentique  de  Dieu  lui-même. 

Pour  sauver  la  France,  Jeanne  ranima  le  patriotisme,  l'union  et  la  foi. 
Pour  bouter  dehors  les  barbares  du  XX"  siècle,  elle  a  renouvelé  ce  prodige. 

Le  patriotisme,  force  et  gloire  de  nos  aïeux,  s'est  montré  vivace, 
ardent,  malgré  nos  craintes  fondées  de  le  voir  refroidi  chez  un  grand 
nombre.  Nous  n'avons  pas  oublié  le  lugubre  tocsin  annonçant  tout  à 
coup  à  la  France  la  mobilisation  générale  de  ses  soldats,  que  nous 
avons  vus  partir  dans  un  élan,  un  enthousiasme  admirables.  Écrasés  par 
le  nombre  à  Charleroi,  ils  se  replient  en  bon  ordre,  se  ressaisissent 
soudain  sur  les  bords  de  la  Marne  et,  contre  toute  prévision,  refoulent 
vers  la  frontière  nos  ennemis  déconcertés. 

Ensuite,  dans  les  Flandres,  dans  la  Meuse,  dans  la  Somme,  la  chaleur 
du  patriotisme  n'a  fait  qu'augmenter  sur  tous  les  fronts. 

De  ce  mouvement  patriotique,  de  cette  passion  de  vaincre  est  née 
l'union  de  tous  les  cœurs  et  de  toutes  les  volontés.  Dès  le  premier  appel 


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aux  armes,  tous  les  regards  se  sont  tournés  vers  la  frontière  ;  toutes  les 
passions,  toutes  les  divisions  se  sont  éteintes,  et  des  hommes  jusque  là 
séparés  par  des  intérêts  et  des  opinions  opposés  sont  partis,  la  main 
dans  la  main,  à  l'assaut  de  l'ennemi  commun.  Le  parlementaire  et 
l'homme  des  champs,  le  patron  et  l'ouvrier,  le  riche  et  le  pauvre,  le 
prêtre  et  l'instituteur,  serrant  leurs  rangs,  se  sont  prêté,  à  l'heure  du 
danger  surtout,  un  secours  fraternel. 

iVLais  nos  soldats  n'ont  pas  compté  uniquement  sur  la  valeur  de  nos 
grands  chefs,  sur  l'abondance  de  nos  munitions,  sur  la  puissance  de  nos 
armements,  sur  la  fidélité  et  le  nombre  de  nos  alliés  :  ils  se  sont  appuyés 
aussi  sur  le  secours  du  Ciel.  C'est  pourquoi  ils  priaient  le  Dieu  des  armées, 
ils  assistaient  au  Saint-Sacrifice,  ils  se  nourrissaient  du  «  pain  des  forts  »,  ils 
s'inclinaient  sous  la  main  bénissante  et  purifiante  du  prêtre. 

Le  réveil  de  ces  nobles  sentiments  de  patriotisme,  de  concorde  et 
de  foi,  à  qui  le  devons-nous  ?  Eh  !  sans  doute,  pour  une  large  part,  à  la 
grande  Lorraine,  à  la  fière  guerrière,  à  la  Bienheureuse  Jeanne  d'Arc. 

Grâce  à  elle,  nous  avons  soutenu  sans  défaillance  cette  guerre  qu'un 
grand  général  a  appelée  la  guerre  miraculeuse,  et  nous  avons  remporté 
la  victoire  finale. 


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Mende,  le  1"  novembre  1918. 


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JE    SUIS    NÉE    POUR   CELA..." 


Quelle  splendide  figure  que  celle  de  Jeanne  !  La  Vierge  de  Domremy  ! 
La  Pucelle  d'Orléans  !  L'Héroïne  de  la  noble  France  !... 

Elle  est  toute  auréolée  de  simplicité  et  de  grandeur  ! 
Elle  est  ravissante  de  tendresse  et  d'héroïsme  ! 
Elle  est  éblouissante  de  candeur  et  de  sainteté  ! 
Elle  est  sublime  de  foi,  d'espérance  et  de  charité  ! 

«  Lia  faiblesse  a  vaincu  la  force  !  »  s'écriait  saint  Paul  à  la  vue  du 
puissant  et  barbare  paganisme  fuyant  devant  la  parole  des  apôtres, 
hommes  faibles  et  dépourvus  de  tout  ce  qui  fait  grand  et  redoutable 
aux  yeux  du  monde. 

Cette  faiblesse,  toutefois,  dont  parle  saint  Paul,  n'était  pas  dans  sa 
pensée  synonyme  d'incapacité  absolue,  de  manque  d'aptitude  et  de  qua- 
lités naturelles.  Loin  de  là... 

JJe  son  coup  d'oeil  sûr  et  rapide,  il  avait  constaté,  en  même  temps 
que  la  disproportion  frappante  qui  existait  entre  les  forces  des  ouvriers 
apostoliques  et  le  travail  à  fournir,  la  disparition  de  cette  dispropor- 
tion sous  l'action  de  la  toute-puissance  divine,  et,  cette  constatation 
faite,  il  pouvait  dire  en  toute  vérité  :  «  La  faiblesse  a  vaincu  la  force.  » 
Infirma  mundi  elegit  Deus  ut  donfundat  fortia. 

«  L«a  faiblesse  a  vaincu  la  force  !   » 

J-«a  faible  Jeanne,  elle  aussi,  a  vaincu  la  force  ! 


3- 


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Quoi  de  plus  faible,  en  effet,  pour  conduire  des  armées,  élaboi-er 

'des   plans  de    bataille,  prendre  d'assaut  des  forteresses  et   des  villes, 

faire  couronner  un  roi  et  lui  rendre  son   royaume  avec   sa  couronne, 

qu'une  jeune  fille  des  champs,  habituée  à  prier  Dieu  sur  ses  doigts  et 

à  garder  les  brebis  de  ses  parents  et  de  ses  voisines  ? 

Et  cependant,  c'est  ce  qu'a  fait  Jeanne  avec  sa  faiblesse,  de  cette 
faiblesse  dont  parle  saint  Paul  ;  car  l'héroïne  de  tant  de  gestes  extra- 
ordinaires était  richement  douée.  Et  c'est  dans  l'accomplissement  de 
sa  mission  exceptionnelle  qu'elle  a  mis  en  relief,  avec  l'aide  de  Dieu, 
l'étendue  de  sa  fine  intelligence,  la  ténacité  pleine  de  douceur  de  sa 
volonté  et  les  merveilleux  à-propos  de  son  bon  sens  ! 

Quelle  splendide  figure  que  celle  de  Jeanne  ! 

«  Un  ange,  a  dit  l'éminent  cardinal  Perraud,  peut-être  le  même  qui 
avait  été  envoyé  à  Gédéon,  sous  le  chêne  d'Ephra,  le  prince  des  milices 
célestes,  celui  dont  le  nom  exprime  la  force  suréminente  de  Dieu, 
saint  Michel,  va  trouver  près  d'une  vieille  forêt  lorraine  une  paysanne 
à  peine  adolescente.  Il  lui  parle  et  il  la  persuade  ;  elle  croit  et  elle  obéit. 
Jeanne,  envoyée  de  Dieu,  ou,  pour  employer  le  langage  encore  plus 
expressif  des  contemporains,  Jeanne,  Message  de  Dieu,  entre  en  scène. 
Pendant  deux  ans,  tout  sera  rempli  du  bruit  de  son  nom.  D'abord  discutée 
et  contredite,  elle  deviendra  bientôt  la  personnification  sublime  de  la 
France  combattant  pour  s'affranchir  du  joug  de  l'étranger.  Des  épreuves 
égales  à  ses  triomphes  marqueront  au  cachet  d'une  prédestination  extra- 
ordinaire sa  courte  et  glorieuse  existence.  Mais  à  travers  les  vicissitudes 
des  fortunes  les  plus  contraires,  acclamée  par  les  foules  ou  délaissée, 
entourée  de  l'admiration  universelle  ou  indignement  méconnue,  Jeanne 
se  montrera  toujours  fidèle  à  cette  grâce  du  divin  message  qui  fait  l'unité 
de  sa  vie  et  la  seule  explication  plausible  des  prodiges  dont  elle  a  été 
l'instrument.  » 

iVlais  c'est  dans  sa  foi  des  plus  sublimes  qu'elle  resplendit  de  toute 
sa  beauté  surnaturelle.  Pour  elle,  le  succès  de  son  entreprise  ne  fait 
aucun  doute.  Elle  en  a  la  certitude.  «  Je  suis  née  pour  cela,  »  dit-elle. 
Paroles  d'une  profondeur  émouvante,  dont  elle  se  sert  pour  prouver  sa 
mission  sans  se  douter  que  le  Sauveur  du  monde  avait  employé  les 
mêmes  termes  pour  affirmer  devant  Pilate  la  raison  d'être  de  sa  venue 
en  ce  monde  :  «  Ego  in  hoc  natus  sum.  » 


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«  Je  suis  née  pour  cela,  »  et  cela,  c'est  la  délivrance  d'Orléans  et  le 
sacre  du  roi  à  Reims.  «  Je  suis  venue,  répond-elle  à  ses  interrogateurs, 
de  par  Dieu,  et  j'ai  de  par  le  Roi  des  Cieux  deux  mandats  à  exécuter  : 
faire  lever  le  siège  d'Orléans  et  mener  le  dauphin  à  Reims  pour  qu'il 
y  soit  sacré  et  couronné.  »  C'est  dit,  et  elle  le  fera.  Rien  ne  pourra 
l'arrêter.  N'a-t-elle  pas  d'ailleurs  la  puissance  de  cette  foi  dont  parlait 
Notre-Seigneur,  capable  de  soulever  les  montagnes  ? 

Elle  est  sûre  de  sa  mission.  Cette  assurance,  elle  la  tient  de  saints 
et  de  saintes  du  Ciel  dont  elle  a  entendu  les  voix. 

A  l'âge  de  treize  ans,  elle  entend,  en  effet,  des  voix  célestes,  c'est- 
à-dire  qu'elle  entre  en  conversation  avec  de  bienheureux  habitants  du 
Paradis  —  et  c'est  ce  qu'elle  appelle  ses  «  voix.  » 

Elle  ne  peut  douter  ni  de  l'existence  de  ceux  qui  lui  parlent,  ni  de 
la  véracité  de  leurs  paroles. 

Doute-t-elle  de  l'existence  de  ses  parents,  de  ses  amis  avec  qui  elle 
conversait  tous  les  jours  ? 

Ses  «  voix  »  lui  disent  d'aller  souvent  à  l'église,  de  prier  et  de 
communier. 

Elle  va  à  l'église,  prie  et  communie. 

Ses  «  voix  »  lui  parlent  de  la  grande  pitié  qui  règne  au  beau  pays 
de  France.  Aussitôt,  son  cœur  si  bon  et  si  compatissant  s'apitoie  sur 
la  grande  pitié  qui  règne  en  France. 

Ses  «  voix  »  lui  disent  d'aller  faire  cesser  cette  grande  pitié. 

Elle  écoute  et,  après  réflexion,  elle  expose  candidement  son  embarras 
à  exécuter  pareille  chose,  car  elle  ne  sait  pas  monter  à  cheval  et  n'a 
jamais  quitté  son  hameau  !... 

Ses  «  voix  »  lui  disent  d'aller  quand  même,  et  elle  va,  accomplit  sim- 
plement sa  mission,  et,  cette  mission  accomplie,  elle  veut  retourner  à 
ses  brebis.  De  fait,  que  pourrait-elle  bien,  à  ses  yeux,  faire  autre  chose 
puisqu'elle  n'était  née  que  pour  cela  et  que  «  cela  »  était  accompli  ? 

«  Je  suis  née  pour  cela.  » 

Quels  sublimes  enseignements  se  dégagent  de  ces  paroles  qui  résu- 
ment toute  la  vie  de  Jeanne  ! 

Ecoutons-les,  Méditons-les. 


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3- 


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L'heure  est  propice  !  C'est  l'heure  des  sanglantes  hécatombes  ! 

C'est  l'heure  des  angoisses  !  C'est  l'heure  de   la  plus  grande  pitié 
qui  ait  jamais  déchiré  le  cœur  de  la  noble  France  ! 

«  Je  suis  née  pour  cela.  » 

Pouvons-nous,  sans  réclamations  de  la  part  de  la  conscience,  redire 
les  paroles  de  Jeanne  ? 

Avons-nous,  avant  la  guerre,  vécu  tous   en  vrais  chrétiens  et   en 
vrais  Français  ? 

Vivons-nous,  pendant  cette  terrible  guerre,  en  vrais  chrétiens,  en  vrais 
Français,  réparant  ainsi  le  passé  et  préparant  la  plus  noble  France  ? 

La  Basse-Terre,  le  30  mai  1917. 


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2/-- 


ORAISON  DE  LA  FÊTE   DE  JEANNE  D^ARC 


«  O  Dieu  qui  avez  merveilleusement  suscité  la  Bienheureuse  Jeanne 
pour  la  défense  de  la  Foi  et  de  la  Patrie...  » 

Jeanne  d'Arc  apparaît,  au  seuil  des  temps  modernes,  comme  une 
double  incarnation,  en  une  même  personne,  du  surnaturel  et  de  l'idée 
de  Patrie.  Sur  ses  traits  viennent  se  fondre,  en  une  incomparable  figure, 
la  sainteté  religieuse  et  l'héroïsme  militaire. 

oa  sainteté  a  été  solennellement  reconnue  par  l'Église,  qui,  par  la 
bouche  de  Pie  X,  l'a  proclamée  Bienheureuse,  en  attendant  que  bientôt 
elle  soit  inscrite  au  catalogue  des  saints. 

oon  patriotisme  éclate  à  tous  les  regards  en  traits  incomparables. 

Jj  abord,  elle  a  pour  la  France  un  respect  religieux  ;  elle  la  vénère 
comme  une  chose  sacrée,  une  terre  sainte,  un  fief  principal  du  Christ 
sur  la  terre. 

L  amour  qu'elle  a  pour  la  France  est  proportionné  à  la  haute  estime 
où  elle  la  place,  et  cet  amour  lui  fait  accomplir  des  prodiges  et  la  porte 
jusqu'au  martyre. 

Jille  a  pitié  d'elle  ;  elle  souffre  de  ses  malheurs  plus  que  de  ses 
épreuves  personnelles,  quand  des  messagers  apportent  de  sombres 
nouvelles  à  Domremy. 

iVlalgré  sa  douleur,  elle  ne  désespère  pas  de  son  pays  ;  au  contraire, 
ses  Voix  lui  soufflent  un  invincible  espoir  qu'elle  s'en  va  semer  à  travers 
les  campagnes  dévastées,  à  la  Cour  du  Dauphin,  à  Chinon,  et  dans  l'armée 

M)  Mgr  de  Gibergues,  évéque  de  Valence,  est  décédé  en  décembre  1919. 


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qu'elle  réorganise  et  entraîne.  Un  de  ses  premiers  mots  en  abordant 
Charles  VII  exprime  sa  foi  en  la  Patrie  :  «  Donnez-moi  des  soldats  et  la 
Patrie  sera  bientôt  sauvée.  »  C'est  la  première  fois  qu'on  trouve  dans  un 
document  historique  le  mot  de  Patrie  appliqué  à  la  France,  Mais  Jeanne 
fait  mieux  que  d'inventer  le  mot  :  elle  en  précise  le  sens  et,  par  ses  actes, 
elle  fait  comprendre  à  ses  contemporains  quels  éléments  essentiels 
constituent  la  Patrie  :  homogénéité  et  indépendance  du  territoire  en  ses 
frontières  naturelles  et  union  de  tous  les  Français,  Bourguignons  aussi 
bien  qu'Armagnacs,  sous  le  seul  souverain  légitime.  Elle  chasse  l'étranger 
et  elle  unit  les  Français  entre  eux. 

Pour  accomplir  de  si  hauts  faits,  elle  se  donne  jusqu'à  l'héroïsme.  La 
jalousie  et  la  trahison  en  font  une  victime,  puis  une  martyre.  Quelle 
preuve  plus  éloquente  de  son  amour  pour  la  Patrie  ?  Captive,  elle 
souffre,  non  d'être  privée  de  la  gloire  et  des  témoignages  d'affection 
populaire  dont  on  l'entourait  jusque-là,  non  de  mourir  jeune  dans  les 
flammes  du  bûcher,  mais  de  ne  pouvoir  «  plus  servir  le  noble  royaume 
de  France.  »  Elle  se  trompait  :  son  immolation  devait  servir  sa  Patrie 
mieux  que  ses  plus  éclatantes  victoires, 

La  sainte  n'est  pas  moins  admirable  que  la  grande  patriote.  Mais 
comment  séparer  sa  sainteté  de  son  patriotisme  ?  Il  n'y  a  pas  en  elle 
deux  personnalités  distinctes  ;  nulle  cloison  étanche  entre  ses  vertus  et 
ses  actes  publics.  La  religion  chez  elle  est  en  fonction  de  sa  mission 
sociale.  Aussi  l'Église,  en  mettant  Jeanne  sur  ses  autels,  a-t-elle  proposé 
solennellement  à  l'imitation  des  peuples  ses  vertus  plus  opportunes  que 
jamais. 

Son  héro'isme  sur  les  champs  de  bataille  demeure  le  type  le  plus 
achevé  et  le  plus  pur  de  la  bravoure  chevaleresque  française. 

Ce  n'est  pas  elle  qui  aurait  donné  l'ordre  de  massacrer  des  innocents  ! 
Avant  la  bataille,  elle  sommait  les  ennemis  de  se  rendre,  pour  épargner 
leur  vie.  Elle  voulait  surtout  ménager  le  sang  français,  «  qu'elle  ne  vit 
jamais  couler  sans  que  ses  cheveux  se  dressent  sur  sa  tête.  » 

Inexprimable  mélange  de  droiture  et  de  loyauté,  de  tendresse  d'âme 
et  de  bonté,  d'intrépide  courage  et  d'insurmontable  vaillance,  elle  entraî- 
nait les  soldats  aux  assauts  victorieux. 

JVLais  c'était  en  Dieu  surtout  qu'elle  plaçait  toute  sa  confiance.  A 
Blois,  devant  marcher  à  la  délivrance  d'Orléans,  elle  n'enrôlait  sous  sa 
bannière  que  les  officiers  et  les  soldats  qui  avaient  rempli  leurs  devoirs 


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3- 


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religieux.  Elle  écartait  les  autres,  comme  pouvant  porter  malheur  à 
l'armée.  «  Dieu,  s  ecriait-elle,  a  coutume  de  punir  les  péchés  des  hommes 
par  la  perte  des  batailles.  »  Elle  voulait  la  pureté  des  mœurs  et  chassait 
des  camps  les  femmes  de  mauvaise  vie  ;  et,  un  jour,  on  la  vit  briser  son 
épée  sur  le  dos  de  l'une  d'elles. 

Avant  le  combat,  elle  rassemblait  les  fidèles  dans  les  églises,  et  elle 
les  y  ramenait  après  la  victoire.  «  Les  gens  d'armes  batailleront,  disait- 
elle,  mais  c'est  Dieu  qui  baillera  la  victoire  !  » 

Telle  fut  Jeanne  :  une  sainte,  une  héroïne,  une  martyre  de  Jésus- 
Christ  et  de  la  France,  la  double  cause  qui  explique  toute  la  vie. 

Passionnée  pour  son  Dieu  et  pour  son  pays,  elle  fut  providen- 
tiellement envoyée  à  la  France  afin  de  la  délivrer  dans  le  présent  de  la 
servitude  politique,  et,  par  là,  de  la  préserver  pour  l'avenir  de  l'hérésie 
protestante  qui  devait  s'abattre  sur  l'Angleterre  et  n'aurait  sans  doute 
pas  épargné  la  France,  dominée  par  sa  rivale. 

Dès  lors,  qui  ne  voit  pas  qu'au  début  du  XX°  siècle,  le  culte  de 
Jeanne  d'Arc  est  d'une  actualité  saisissante  ? 

Délivrée  du  péril  de  l'invasion  étrangère,  la  plus  redoutable  que 
l'histoire  ait  enregistrée,  mais  en  péril  encore  de  divisions  sociales  et 
d'athéisme  politique,  les  pires  des  fléaux  pour  une  nation,  la  France  a 
besoin  d'apprendre  de  son  immortelle  libératrice,  et  l'amour  de  la  patrie 
porté  jusqu'au  sacrifice  de  la  vie,  et  l'amour  de  Dieu  poussé  jusqu'à  la 
défense  publique  de  ses  droits  suprêmes  et  à  la  proclamation  de  son 
autorité  souveraine. 

Lors  de  la  glorieuse  victoire  de  la  Marne,  le  mot  de  passe  n'était-il 
pas  «  Jeanne  d'Arc  ?»  Et  notre  sainte  héroïne  n'a-t-elle  pas  soufflé,  en  ce 
jour  mémorable,  dans  le  cœur  de  tous  nos  soldats,  l'ardeur  de  son 
patriotisme  et  la  flamme  de  son  intrépide  confiance  ?  N'a-t-elle  pas 
contribué  à  conduire  nos  armées  aux  victoires  décisives  ? 

Combien  la  France  était  divisée  quand  Jeanne  d'Arc  apparut  ! 
Combien  elle  l'était  aussi  lorsque  la  guerre  éclata  !  Mais  l'union  s'est 
faite  devant  l'imminence  du  danger.  Devant  le  flot  débordant  des 
barbares,  il  n'y  a  plus  eu  que  des  Français. 

Ne  nous  divisons  plus  :  Nous  serions  à  nous-mêmes  nos  pires 
ennemis.  «  Tout  royaume  divisé  contre  lui-même,  dit  l'Évangile,  périra.  » 


3- 


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Que  Jeanne  d'Arc,  la  grande  Française,  nous  apprenne  à  nous  aimer 
comme  des  frères  ! 

Que  Jeanne  ramène  à  la  religion  de  ses  pères  cette  illustre  nation 
qui  est  née  d'un  acte  de  foi  catholique  sur  un  champ  de  bataille  et  qui 
vient  d'être  conduite  à  la  victoire  par  de  grands  généraux  catholiques. 

Qu'elle  fasse  comprendre  à  tous  que  Dieu  doit  être  à  la  base  de 
toute  société,  de  tout  État,  de  toute  législation,  de  toute  convention  inter- 
nationale, qui,  sans  lui,  n'est  plus  que  «  chiffon  de  papier  !  »  Et  que 
le  monde  civilisé  se  dresse  tout  entier,  dans  un  acte  solennel  de  foi, 
pour  opposer  à  la  religion  barbare  de  la  force,  qui  a  causé  tant  de 
ravages  en  France  et  dans  le  monde,  la  religion  du  seul  vrai  Dieu  et  de 
Celui  qu'il  nous  a  envoyé  :  Jésus-Christ  ! 

Dans  les  plis  de  l'étendard  de  notre  sainte  guerrière,  déployé  à 
nouveau  sur  nous  et  nos  vaillantes  armées,  cherchons  tous  le  secret  du 
relèvement  national,  que  pourra  seule  produire  l'union  de  tous  les 
Français  dans  la  reconnaissance  et  le  règne  de  «  Dieu  premier  servi  !  » 


Valence,  le  8  septembre  1919. 


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LA   PIETÉ   DE   JEANNE   D*ARC 

La  France  est  vraiment  une  nation  à  part.  Elle  est  la  servante 
du  Christ,  et  elle  a  pour  mission  de  protéger  et  de  propager  la  foi 
chrétienne.  C'est  là  toute  son  histoire,  toute  sa  vocation,  toute  sa  raison 
d'être.  Dès  les  jours  de  sa  naissance,  elle  se  mit  au  service  de  la 
vraie  religion.  «  Il  m'ennuie,  disait  Clovis,  de  voir  des  hérétiques  pos- 
séder les  plus  belles  provinces  des  Gaules.  En  avant,  avec  l'aide  de 
Dieu  !  »  Bientôt,  les  musulmans  franchissent  les  Pyrénées  et  menacent 
de  submerger  le  monde  sous  le  torrent  du  sensualisme  et  de  la  force 
brutale  ;  mais  les  champs  de  Poitiers  voient  leur  irrémédiable  défaite 
et  redisent  à  jamais  la  gloire  de  notre  Charles-Martel. 

Plus  tard,  la  France  organise  les  croisades.  Elle  semble  seule  à 
marcher  contre  l'Orient,  et,  malgré  la  participation  des  autres  peuples, 
à  la  délivrance  des  lieux  saints  ;  les  croisés  n'eurent  qu'un  nom  :  on  les 
appela  les  Francs. 

Et  maintenant,  nous  voici  au  XIV"  et  au  XV  siècles.  L'interminable 
guerre  de  Cent  Ans  désole  notre  Patrie,  et  la  France  va  mourir.  Elle 
va  perdre  sa  nationalité.  Non,  Dieu  a  besoin  de  la  France  pour  le 
service  de  la  civilisation  chrétienne,  et,  au  sein  de  la  plus  noire  misère, 
il  suscite  pour  nous  sauver  une  humble  fille  des  champs,  la  Bienheu- 
reuse Jeanne  d'Arc.  Jeanne  d'Arc  est  vraiment  une  créature  à  part. 
Il  n'y  a  pas  dans  l'histoire  de  l'humanité  deux  Jeanne  d'Arc,  Sans 
modèle  dans  les  âges  qui  l'ont  précédée,  elle  est  restée  sans  copie  dans 
les  âges  qui  l'ont  suivie.  C'est  une  jeune  villageoise  des  frontières  de 
la  Lorraine,  du  hameau  de  Domremy.  Elle  n'a  que  dix-sept  ans.  Soudain 
elle   échange  sa  houlette  contre  une  épée  et  elle  conduit  les  Français 


3- 


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étonnés  à  la  bataille  et  à  la  victoire.  Il  lui  faut  des  mois  pour  triompher 
de  l'incrédulité  du  lieutenant  du  roi,  Baudricourt,  du  roi  lui-même,  de 
la  Cour,  des  docteurs,  des  guerriers,  et  pour  se  faire  accepter  comme 
chef  de  guerre  et  libératrice  du  territoire.  Trois  jours  lui  suffisent  pour 
faire  lever  le  siège  d'Orléans,  qui  durait  depuis  sept  mois.  Dans  l'espace 
de  huit  jours,  elle  force  Jargeau,  Meung  et  Beaugency,  et  elle  inflige 
à  l'armée  anglaise,  réputée  invincible,  la  désastreuse  défaite  de  Patay. 
Puis  elle  prend  le  gentil  dauphin  comme  par  la  main,  et,  à  travers 
quatre-vingts  lieues  d'un  pays  ennemi,  hérissé  de  forteresses  et  de 
garnisons  anglo-bourguignonnes,  sans  coup  férir,  elle  le  conduit  à  Reims 
prendre  son  sacre  et  sa  couronne. 

Elle  peut  mourir.  Et,  en  effet,  sa  vie  qui  a  commencé  par  une 
idylle,  qui  s'est  épanouie  en  épopée,  s'achève  comme  une  tragédie  dans 
les  flammes  d'un  bûcher.  Mais  cette  vie,  si  merveilleuse  en  elle-même, 
est  encore  plus  merveilleuse  dans  son  lendemain.  Pour  Jeanne  d'Arc, 
le  bûcher  de  Rouen  n'est  pas  une  fin,  mais  un  commencement.  Du 
brasier  où  elle  succombe,  elle  se  relève  dans  les  joies  du  Paradis,  elle 
s'empare  des  hommages  de  la  postérité  ;  elle  rayonne  sur  sa  Patrie 
ressuscitée.  Elle  avait  dit  que  les  Anglais  seraient  tous  chassés  de  France, 
excepté  ceux  qui  y  laisseraient  leurs  os,  et  qu'avant  sept  ans,  ils  auraient 
perdu  une  ville  plus  importante  qu'Orléans,  et,  six  ans  seulement  après 
sa  mort,  en  1437,  Charles  VII  entre  dans  la  bonne  ville  de  Paris  ; 
il  n'y  a  plus  qu'une  patrie,  la  France  du  XV'  siècle  a  retrouvé  enfin 
l'intrégrité  de  son  territoire  et  l'union  de  tous  ses  enfants.  Là,  d'ailleurs, 
ne  s'arrête  pas  l'influence  posthume  de  notre  héroïne.  Bientôt,  le  pro- 
testantisme va  se  lever  sur  l'Europe  et  enlever  à  l'Église  de  puissantes 
nations.  Que  fût-il  advenu  si,  à  ce  moment,  la  France  eût  été  la 
vassale  de  l'Angleterre  ?  Elle  eût  été  entraînée  dans  la  Réforme,  et 
l'Église  perdait  en  Europe  son  dernier  refuge  et  son  suprême  espoir. 
L'histoire  ne  la  redira  pas,  cette  défection  de  la  France  qui  eût  ébranlé 
le  monde.  Sauvés  par  Jeanne  d'Arc  au  XV  siècle,  nous  avons  sauvé 
l'Église  au  siècle  suivant,  en  imposant  à  Henri  IV  l'obligation  d'être 
catholique  pour  mériter  l'honneur  d'être  roi...  de  sorte  que,  libératrice 
de  la  Patrie,  Jeanne  d'Arc  mérita  en  même  temps  la  reconnaissance  de 
la  religion. 

M-ais  il  ne  suffit  pas  de  contempler  et  d'admirer  Jeanne  d'Arc.  Il 
faut  tâcher  de  la  comprendre.  Elle  a  pratiqué,  dans  un  degré  héroïque, 
les  vertus  humaines  de  force,  de  tempérance,  de  justice,  de  prudence, 


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et  les  vertus  chrétiennes  d'humilité  et  de  pureté.  Comment  s'expliquent 
de  telles  vertus  dans  une  créature  si  jeune,  si  faible,  si  exposée  aux 
tentations  du  dedans  et  aux  sollicitations  du  dehors?  Elle  a  produit 
instantanément  des  faits  de  guerre,  des  plans  de  bataille,  des  coups 
d  epée,  qui  ont  émerveillé  les  plus  grands  capitaines,  qui  ont  stupéfié 
les  Anglais,  qui  ont  délivré  la  Patrie.  Comment  s'expliquent  de  tels 
exploits  accomplis  par  une  pauvre  enfant  de  dix-sept  ans  et  suivis  de  résul- 
tats si  immédiats,  si  grandioses,  si  retentissants  ?  Ne  nous  contentons 
pas  de  voir  l'éclat  de  son  visage  et  de  son  glaive.  Allons  jusqu'à  son 
âme  pour  en  discerner  le  dernier  secret,  le  plus  profond  ressort,  la 
force  intime  et   cachée. 

C  est  elle-même  qui  va  se  révéler  tout  entière  dans  la  belle  parole 
tombée  de  ses  lèvres.  Répondant  à  un  des  docteurs  de  Poitiers  qui  lui 
objectait  que  le  seul  plaisir  de  Dieu  suffisait  à  mettre  les  Anglais  en 
déroute  et  que  l'intervention  des  armées  était  inutile,  elle  a  dit  :  «  Les 
hommes  d'armes  batailleront,  et  Dieu  donnera  la  victoire.  » 

Saint  Paul  avait  dit  :  «  Gratia  Dei  mecum,  Dieu  avec  moi  et  moi 
avec  Dieu.  »  Les  deux  formules  se  valent,  expriment  la  même  idée  : 
la  nécessité  de  l'effort  humain  complété  par  le  secours  divin,  la  néces- 
sité de  la  prière  et  de  l'action.  Certes,  Jeanne  d'Arc  a  agi  :  «  Vive  labeur  !  » 
c'était  sa  devise.  Qu'on  se  représente  l'immensité  du  labeur  accompli  par 
elle  en  moins  d'un  an  et  demi,  la  prodigieuse  accumulation  de  faits 
compris  entre  son  départ  de  Vaucouleurs,  le  14  février  1429,  et  le 
début  de  sa  captivité,  le  24  mai  1430.  Elle  a  agi,  elle  a  travaillé,  elle 
a  bataillé,  elle  a  peiné.  Mais,  dans  sa  pensée,  l'important,  l'essentiel 
n'était  pas  là.  L'important,  l'essentiel,  ça  été  la  prière,  la  piété,  la 
confiance  en  Dieu,  l'amour  de  Notre-Seigneur,  le  culte  de  l'Eucharistie. 
Elle  a  été  vaillante  comme  un  chevalier,  pure  comme  un  ange  et 
surtout  pieuse  comme  une  sainte. 

La  requête  que  présenta  sa  mère  pour  obtenir  la  revision  du 
procès  de  Rouen  commence  par  ces  mots  :  «  Jeanne  était  ma  fille. 
Je  l'ai  élevée  dans  la  crainte  de  Dieu.  Elle  fréquentait  l'église,  se 
confessait  et  communiait  tous  les  mois.  »  Et  ce  qu'elle  a  fait  à  Dom- 
remy,  elle  n'a  cessé  de  le  faire  jusqu'à  son  dernier  souffle.  Pieuse  elle 
a  été  dans  les  vallées,  pieuse  elle  est  restée  dans  les  batailles,  dans 
les  châteaux,  dans  les  prisons,  dans  sa  vie  si  mouvementée,  si  active 
et  si  tragique.  Enfant  et  guerrière,  sa  pieuse  pratique  de  dévotion 
était    l'assistance  à   la  messe  ;  la   communion   l'attirait   et  la  visite  au 


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Saint- Sacrement  aussi.  A  Orléans,  le  matin  de  l'assaut  des  Tourelles, 
elle  «  reçoit  en  moult  grande  dévotion  le  précieux  corps  de  Jésus- 
Christ.  »  Un  chanoine  de  l'église  de  Saint- Aignan,  Pierre  Compaing,  la 
voit  «  au  moment  de  l' Élévation,  pleurer  à  chaudes  larmes.  »  Et  le 
jour  de  sa  mort,  quand  elle  va  de  la  prison  au  bûcher,  elle  fait  sa 
dernière  communion  avec  une  telle  émotion,  avec  de  tels  sentiments 
de  piété,  que  Frère  Martin  Ladvenu,  son  confesseur,  se  déclare  inca- 
pable de  retracer  un  aussi  touchant  spectacle. 

V  oulons-nous  donc  comprendre  Jeanne  d'Arc  ?  C'est  ici  qu'il  faut 
venir,  dans  la  maison  de  Dieu,  devant  les  autels,  au  pied  du  Taber- 
nacle. Qu'on  loue  son  génie  militaire,  son  sens  politique,  son  activité 
inlassable,  ses  admirables  vertus,  nous  le  voulons  bien.  Mais  tous  ces 
effets  ont  une  cause,  tous  ces  ruisseaux  jaillissent  d'une  source,  tous 
ces  rayons  émanent  d'un  foyer,  toutes  ces  lumières  et  ces  énergies 
surnaturelles  sont  les  fruits  de  la  foi  de  Jeanne,  de  sa  ferveur  inef- 
fable, de  son  angélique  piété  surtout  envers  la  Sainte-Eucharistie. 


Versailles,  le  8  mai  1918. 


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BAYONNE 


JEANNE    D'ARC 

SES    GASCONS,    SES    BASQUES,    SES    BÉARNAIS 


Le  diocèse  de  Bayonne  est  formé  de  trois  pays  :  le  pays  basque, 
le  Béarn,  une  bonne  lisière  de  la  Gascogne, 

On  pourrait  croire  que  ces  régions,  si  éloignées  du  théâtre  de  la  guerre 
au  temps  de  Jeanne  d'Arc,  ont  dû  se  désintéresser  du  drame  national. 

En  vérité,  ces  régions  ont  pris  une  part  capitale,  décisive,  à  la  lutte 
pour  l'existence  de  la  Patrie. 

Alors  que  dans  l'Est,  dans  le  centre,  dans  le  Nord,  on  discute,  on  se 
divise,  on  se  combat  ;  alors  que  dans  l'Ouest  on  diffame,  on  emprisonne, 
on  brûle  Jeanne  d'Arc,  du  Midi  surgit,  accourt  toute  une  armée  dont 
Jeanne  devient  le  capitaine  incontesté,  adoré. 

On  l'a  écrit  :  pendant  de  longs  siècles,  la  vocation  spéciale  des  Méri- 
dionaux de  France  fut  de  guerroyer.  A  l'origine  de  notre  histoire,  à 
travers  les  âges,  sur  le  sol  français,  aux  croisades,  en  Italie,  un  peu 
partout,  on  les  retrouve  infatigables  batailleurs,  préférant  à  tout  le 
métier  des  armes, 

L  historien  Florimond  de  Raymond  écrivait  vers  la  fin  du  XV  siècle  : 
*  Comme  il  se  voit  de  certaines  contrées  qui  produisent  d'aucuns  fruits 
en  abondance,  il  semble  que  la  Gascogne  porte  un  nombre  infini  de 
grands  et  valeureux  capitaines,  comme  un  fruit  qui  lui  est  propre  et 
naturel...  Elle  est  un  magasin  de  soldats,  la  pépinière  des  armées,  la 
fleur  et  le  champ  de  la  plus  belliqueuse  noblesse  de  la  terre  et  l'essaim 


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de  tant  de  braves  guerriers  qui  peuvent  contester  l'honneur  de  la  vaillance 
avec  les  plus  fameux  capitaines  grecs  et  romains  qui  furent  oncques.  » 

Le  pape  Paul  III  Farnèse  tenait  ce  propos  rapporté  par  Brantôme  : 
«  Ces  Français  gascons  paraissent  de  vrais  instruments  envoyés  de  Dieu 
pour  faire  la  guerre.  »   , 

«  Donnez-moi  une  armée  de  Gascons,  s'écriait  Napoléon,  et  je  traver- 
serai cent  lieues  de  flammes.  » 

Les  Basques,  race  aventureuse  et  hardie,  multiplient,  depuis  des 
siècles,  leurs  prouesses  sur  mer.  Les  premiers,  ils  pèchent  la  baleine, 
la  morue.  Les  notes  d'un  capitaine  basque  aident  Christophe  Colomb  à 
découvrir  l'Amérique.  Eux-mêmes,  en  1504,  découvrent  Terre-Neuve. 
Le  Basque  se  plait  au  danger  et  le  brave  avec  volupté,  sur  terre  comme 
sur  mer.  C'est  d'eux  que  l'on  a  pu  écrire  :  Bellicosus  cantaber  non 
pluribus  impar. 

Un  Béarnais,  le  général  Latrille,  devenu  plus  tard  le  comte  de 
Lorencez,  à  la  tête  de  son  régiment  composé  de  Béarnais,  venait  d'enlever 
avec  un  entrain  endiablé  un  retranchement  formidable.  Napoléon,  émer- 
veillé, lui  dit  :  «  Je  ne  suis  pas  étonné  si  Henri  IV  a  conquis  la  couronne  à 
l'aide  des  Béarnais.  Avec  eux,  je  voudrais  faire  la  conquête  du  monde.  » 

On  ne  sera  donc  pas  surpris  de  voir  accourir  Gascons,  Basques  et 
Béarnais  au  premier  appel  de  guerre  :  «  Qui  me  aymera  si  me  suive,  » 
avait  dit  Jeanne  à  toute  la  France.  Ce  fut  le  mot  de  ralliement  pour 
les  Méridionaux. 

Sous  les  murs  d'Orléans,  ils  composent  les  deux  tiers  de  l'armée 
nationale.  Leurs  chefs  s'appellent  le  sire  d'Albret,  La  Hire,  le  sire  de 
Coarraze,  Poton  de  Xaintrailles,  Jean  d'Aulon,  Thibault  d'Armagnac  et 
cent  autres  dont  l'histoire  cite  les  noms  avec  admiration. 

Commandés  par  le  comte  de  Foix,  vicomte  de  Béarn,  trois  mille 
Béarnais  poussent  une  pointe  hardie  jusqu'à  Jargeau,  en  1425. 

La  Hire,  qui  est  né  dans  les  environs  de  Dax,  pas  loin  de  la  patrie 
de  saint  Vincent  de  Paul,  recrute  des  troupes,  composées  de  Gascons  et 
de  Basques,  restées  fameuses  par  leurs  exploits  légendaires.  La  Hire,  le 
capitaine  que  Jeanne  chérit,  par  elle  et  pour  elle  accomplira  des  prodiges 
de  valeur  ;  comme  à  Orléans,  le  8  mai,  lorsqu'il  poursuit  larrière-garde 
anglaise,  et  s'empare  de  plusieurs  canons,  après  avoir,  avec  les  siens, 
soutenu  un  instant  tout  l'effort  de  l'ennemi. 


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Et  puis,  le  Basque,  le  Basque  héroïque  et  têtu  qui  arrache  des  mains 
de  Jeanne  l'étendard,  touche  de  la  hampe  le  rempart  d'Orléans,  et  ne 
s'en  dessaisit,  malgré  les  avis  et  les  réclamations  de  Jeanne,  que  lorsqu'il 
a  donné  le  signal  de  la  victoire. 

Aussi,  au  sacre  de  Reims,  à  côté  de  Jeanne  et  de  son  étendard,  se 
place  La  Hire.  Le  sire  d'Albret  porte  l'épée  de  connétable  par  ordre  du  roi. 

Quand  vinrent  les  jours  d'abandon  et  de  trahison,  une  troupe  de 
braves  s'immortalisa  par  sa  vaillance  et  sa  fidélité. 

La  Hire,  avec  ses  Basques  et  ses  Gascons,  tenta  plusieurs  fois  de 
surprendre  Rouen  afin  de  délivrer  la  Pucelle  ;  ses  efforts  restèrent 
infructueux.  Mais  ils  sont  tout  à  l'honneur  du  hardi  capitaine  et  de 
ses  braves. 

S  étonnera-t-on  si,  dans  nos  régions  du  Sud-Ouest,  le  culte  de  Jeanne 
est  en  honneur  ?  Jeanne  n'eut  pas  de  soldats  plus  dévoués,  plus  vaillants, 
plus  fidèles  que  les  Basques,  les  Béarnais,  les  Gascons. 

Les  petits -fils  n'ont  pas  dégénéré.  De  race  guerrière.  Gascons, 
Basques,  Béarnais  ont  renouvelé  pendant  la  grande  guerre  les  prouesses 
de  leurs  pères  sur  les  champs  de  bataille,  de  l'Yser  à  Verdun.  Le  premier 
corps  d'armée  mis  à  l'honneur  est  le  XVIII",  de  Bordeaux,  dans  lequel 
servent  nos  compatriotes.  Un  régiment  dans  lequel  combattaient  Basques, 
Béarnais  et  Gascons  a  été  décoré  par  le  maréchal  Joffre. 

On  sait  que  la  reprise  du  plateau  de  Craonne  par  les  troupes  françaises 
est  un  des  plus  beaux  faits  d'armes  de  la  dernière  guerre.  Les  Allemands 
s'étaient  solidement  établis  sur  ce  plateau.  Ils  y  avaient  accumulé  de 
formidables  moyens  de  défense.  De  là  ils  bravaient  et  défiaient  les 
Français,  Jamais,  disaient-ils,  on  ne  pourrait  les  déloger. 

Un  jour  l'assaut  fut  donné  par  la  36'""  division,  que  commandait  le 
général  Hirschauer.  Cette  division  comprenait  les  régiments  de  Bayonne. 
Pau  et  Mont -de -Marsan,  recrutés  presque  exclusivement  parmi  les 
Basques,  les  Béarnais  et  les  Gascons. 

L  assaut  fut  sanglant.  Le  général,  voyant  ses  soldats  grimper  et 
poursuivre  leur  course  furieuse  sous  un  feu  d'enfer,  ému  jusqu'aux 
larmes,  s'écriait  :  «  Bravo  !  Bravo  !  mes  petits  écureuils  !  » 

Ils  tombèrent  par  centaines.  Mais  les  Allemands  étaient  délogés  et 
pour  toujours  refoulés.  Le  plateau  de  Craonne  était  reconquis. 


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Dans  ces  vaillants,  Jeanne  reconnaît  et  salue  les  frères  des  La  Hire, 
des  d'Albret,  des  Coarraze,  de  leurs  compagnons. 

Lorsqu'allait  s'accomplir  la  prophétie  de  la  Pucelle,  que  bientôt  les 
Anglais  seraient  chassés  de  toute  la  France,  un  miracle  s'accomplit  à 
Bayonne,  que  Dunois  et  le  vicomte  de  Béarn  racontèrent  au  roi,  et 
que  les  historiens  de  l'époque  nous  ont  transmis  :  «  Au  moment  où 
l'armée  prenait  possession  du  château  de  Bayonne,  le  21  août,  dans  le 
ciel  très  clair,  apparut  sur  la  ville,  du  côté  de  l'Espagne,  une  nue  où 
paraissait  une  grande  croix  blanche,  et  là  s'est  arrêtée,  sans  remuer, 
ni  bouger,  l'espace  d'une  heure  ;  elle  était  en  forme  d'un  crucifix,  la 
couronne  sur  la  tête,  laquelle  couronne  se  tourna  ensuite  en  une  fleur 
de  lys.  Elle  a  été  vue  par  tous  les  gens  de  l'armée  où  étaient  de  mille 
à  douze  cents  hommes  de  guerre  espagnols.  >^  '" 

Les  Anglais  étaient  boutés  dehors.  La  France  était  libre.  Le  miracle 
qui  annonçait  sa  délivrance  eut  lieu  à  Bayonne. 

Bayonne,  le  30  mai  1918. 


(1)  Bcaucourt.  —  V.  5,  2.  Cité  par  le  R.  P.  AyroUes. 


JEANNE    D'ARC    A    VERDUN 


Comment  ne  pas  unir  ces  deux  noms  !  Qui  dira  leurs  liens  mys- 
térieux ! . .  . 

Jeanne  d'Arc  est  la  grande  héroïne  française,  celle  qui  incarne 
toutes  les  vertus  de  notre  race,  toutes  les  gloires  de  notre  histoire 
nationale,  et  dont  le  patriotisme,  inspiré  du  Ciel,  a  fait  une  sainte, 
que  la  voix  du  Vicaire  de  Jésus-Christ,  au  lendemain  de  la  victoire, 
vient  de  placer  sur  l'autel  de  l'Eglise  universelle. 

L'amour  de  la  France  et  l'amour  de  Dieu  ont  été  les  deux  flam- 
beaux de  sa  vie,  allumés  au  même  foyer  et  jetant  les  mêmes  flammes. 

Du  reste,  ces  deux  amours,  qui  n'en  font  qu'un,  se  retrouvent 
toujours  unis  dans  le  cœur  des  bons  Français.  Par  contre,  qui  n'aime 
pas  le  Christ  aime-t-il  vraiment  la  France  ?  Qui  serait  l'adversaire  du 
Christ  ne  serait-il  pas  le  pire  ennemi  de  la  France  ?  Nous  en  avons 
eu  la  preuve,  hélas  !  convaincante  et  terrible,  à  certaines  heures  de 
notre  histoire.  La  plus  sombre  et  la  plus  lugubre  de  toutes  ne  nous 
avait-elle  pas  donné  une  caricature  odieuse  et  grimaçante  de  notre 
«  vieille  et  douce  France  »  avec  le  rictus  sardonique  de  Voltaire  et 
les  faces  sinistres  et  sanguinaires  de  Robespierre,  de  Danton  et  de 
Marat  ! 

Au  contraire,  l'angélique  Pucelle  en  est  l'image  la  plus  fidèle. 
Noble  sans  fierté,  douce  sans  faiblesse,  aimable  sans  mièvrerie,  chaste 
et  modeste  sans  raideur,  chevaleresque  sans  orgueil,  ardente  et  vive 
sans  excès,  elle  est  la  personnification  la  plus  authentique  et  la  plus 
adéquate  de  la  nation  d'oîi  elle  est  sortie. 


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Jeanne  revit  aujourd'hui  pour  sauver  une  fois  de  plus  la  Patrie 
menacée.  Partout  sa  radieuse  figure  se  dresse,  bénie,  acclamée,  honorée. 
C'est  une  perpétuelle  apothéose  qui  inspire  tous  les  arts  et  provoque 
tous  les  enthousiasmes. 

Elle  vit,  la  gracieuse  et  puissante  héroïne,  mais  ailleurs  que  dans 
le  marbre  et  le  bronze.  Elle  vit,  devenue  légion,  dans  ces  admirables 
religieuses,  femmes  et  jeunes  filles  de  France,  qui,  partout  et  toujours, 
se  donnent,  s'immolent,  essuient  les  larmes,  pansent  les  plaies  des  cœurs 
et  des  corps  meurtris,  et  font  fleurir  la  vertu  où  règne  le  vice,  la  paix 
au  sein  de  la  discorde,  la  joie  au  milieu  des  pleurs.  Ne  sont-elles  pas 
autant  de  Jeanne  d'Arc  qui,  à  leur  manière,  sauvent  ou  du  moins 
servent  la  France?  C'est  Jeanne  d'Arc  aussi  qui  suscite  des  héros, 
comme  autrefois,  dans  les  rangs  de  la  jeunesse  française,  les  soutient 
et  les  enflamme  sur  les  champs  de  bataille. 

N'est-ce  pas  Jeanne  d'Arc  qui,  en  des  journées  particulièrement 
critiques,  a  sauvé  Verdun  ? 

V  erdun,  que  le  kronprinz  appelait  «  le  cœur  de  la  France  »  et  que  le 
kaiser  lui-même  qualifiait  :  «  la  première  forteresse  de  notre  principal 
ennemi  ;  »  Verdun  aux  quinze  bastions  redoutables  et  «  cuirassés  »  qui 
semblaient  défier  la  puissance  et  l'ambition  des  barbares  ;  Verdun  qui, 
pendant  huit  mois,  a  résisté  aux  assauts  les  plus  formidables  ;  Verdun 
qui  concentrait  l'âme  de  la  Frahce,  tous  ses  espoirs,  toutes  ses  énergies 
dans  ses  murs  démantelés  et  sous  les  ruines  amoncelées  par  la  rage 
impuissante  des  hordes  maîtrisées  et  décimées  ;  Verdun  où  cette  âme 
française  a  montré  toute  sa  force,  toute  sa  grandeur,  toute  sa  bonté 
dans  le  génie  des  chefs,  dans  l'incomparable  héroïsme  de  ses  soldats  ; 
Verdun  enfin,  nom  illustre  entre  tous,  honoré  par  toutes  les  nations 
alliées,  qui  lui  ont  composé  un  diadème  avec  leurs  propres  gloires  ; 
Verdun  que  nos  grandes  cités  inscrivent  en  lettres  d'or  sur  leurs 
murailles,  comme  le  symbole  des  chemins  sanglants  et  glorieux  et  des 
grandes  victoires  ! . . .  Eh  bien  !  Verdun  connut  le  danger.  L'histoire 
dira-t-elle  qu'il  faillit  succomber  ?  Dans  tous  les  cas,  l'ennemi  eut 
l'audace,  commit  la  folie  d'attaquer  Verdun,  et  il  eut  un  instant, 
mais  un  instant  seulement,  l'espérance,  l'illusion  de  le  prendre.  Ah  ! 
quelles  journées  tragiques,  quelles  heures  angoissées  nous  y  avons 
vécues  !  Nos  lignes  de  défense  rejetées,  sinon  brisées  ;  un  ouragan  de 
fer  et  de  feu  vomi  par  des  milliers  de  bouches  monstrueuses,  s'abat- 
tant  nuit  et  jour,   avec  un  fracas  épouvantable,  sur  toute  la  région,   et 


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qui  devait  tout  broyer,  tout  anéantir  ;  des  vagues,  des  flots,  des  torrents 
humains,  déferlant  de  tous  les  côtés  à  la  fois,  irrésistibles,  inépuisables  ; 
telle  était  la  bataille  titanesque  engagée,  et  qu'eut  à  soutenir  pendant 
cinq  jours  une  faible  armée  française,  on  pourrait  dire  une  poignée 
de  braves.  Encore  un  bond  en  avant,  et  la  citadelle  était  prise.  Ce 
bond  ne  fut  point  fait.  Pourquoi  ?  Mystère.  Qui  arrêta  l'élan  de  l'ennemi  ? 
Qui  opposa  une  digue  à  ses  vagues  se  succédant  sans  arrêt  ?  On  dit 
que,  certain  soir,  elles  n'avaient  en  face  ni  canons,  ni  soldats  ;  la  route 
était  libre,  la  porte  ouverte  ;  elles  n'avaient  qu'à  marcher.  Bientôt, 
il  ne  fut  plus  temps  :  la  minute  avait  passé. 

JJemain,  l'histoire  dira  les  noms  glorieux  des  chefs,  des  armées, 
des  légions  qui  firent  des  prodiges  de  valeur  ;  mais  il  faut  porter 
son  regard  plus   haut  et  plus  loin. 

On  a  raconté  qu'au  début  de  la  guerre,  à  une  autre  heure  critique 
où  Verdun  fut  enveloppé,  mais  non  attaqué,  des  soldats  allemands 
avaient  aperçu  dans  les  airs  Jeanne  d'Arc  protégeant  la  cité  ;  plus 
tard,  d'autres  auraient  vu  «  une  grande  dame  qui  les  empêchait  d'a- 
vancer. »  Ces  visions  ne  sont  probablement  que  des  légendes  ;  mais 
pour  nous,  chrétiens  et  Français,  qui  croyons  au  monde  surnaturel  et 
à  l'intervention  mystérieuse  et  très  efficace  de  Dieu,  de  ses  anges  et 
de  ses  saints,  nous  avons  la  ferme  conviction  que  Jeanne  d'Arc  était 
là,  veillant  sur  la  Lorraine  et  sur  la  ville  qui  en  est  à  la  fois  l'un  des 
joyaux  et  des  plus  solides  appuis.  Verdun  protège  soiï  berceau.  Dom- 
remy  et  Vaucouleurs  sont  assis  en  amont  sur  les  bords  de  la  Meuse , 
dont  il  est  tributaire.  L'ennemi,  franchissant  le  fleuve,  n'aurait  pas 
manqué  d'en  remonter  le  cours  sur  l'autre  rive,  et  d'aller,  suivant  son 
instinct  de  barbare,  semer  la  dévastation  à  travers  les  collines  et  les 
vallées  que  la  sainte  héroïne  illustra. 

Combien  de  défenseurs  de  Verdun  eurent  dans  leur  esprit  et  dans 
leur  cœur  la  réconfortante  vision  de  la  Pucelle  !  Son  nom  erra  sur  leurs 
lèvres  ;  sa  douce  image  enflamma  leur  ardeur  et  dirigea  leurs  coups  ; 
elle  se  pencha  sur  leurs  corps  meurtris  et  murmura  à  l'oreille  des 
héros  expirants  les  espérances  suprêmes  et  la  parole  du  sacrifice  sublime 
et  rédempteur  :  «  Vive  la  France  !  » 

Aussi,  glorifions  Jeanne  d'Arc.  Faisons-lui  fête  ;  dressons-lui  des 
autels  ;  racontons  sa  vie  ;  redisons  ses  mots  de  victoire  ;  allons  en 
pèlerins  aux  lieux  qu'elle  sanctifia  ou  qui  furent  le  théâtre  de  ses  hauts 


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faits,    et...  de  sa  mort  :  Domremy,  Vaucouleurs,  Orléans,  Reims,  Paris, 
puis  Compiègne,   Rouen,  marquent  les  étapes  de  cette  glorieuse  épopée. 

Le  diocèse  de  Verdun  s'appelle  aussi  le  diocèse  de  Vaucouleurs. 
Ce  double  titre  sera-t-il  un  jour  inscrit  sur  le  blason  de  1  evêque  par 
l'autorité  de  l'Église  ? 

Dans  tous  les  cas,  si  Domremy  est  le  berceau  de  la  vie  et  de 
l'enfance  de  Jeanne  d'Arc,  Vaucouleurs  est  le  berceau  de  sa  céleste 
et  patriotique  mission.  C'est  là  qu'elle  la  fit  reconnaître  officiellement, 
qu'elle  revêtit  l'armure,  monta  sur  son  coursier  et  fut  acclamée  par  le 
peuple.  C'est  là,  dans  la  chapelle  castrale,  aux  pieds  de  Notre-Dame 
des  Voûtes,  qu'elle  pria  et  reçut  la  divine  investiture.  Faire  revivre 
ces  souvenirs,  reconstituer  dans  sa  forme  primitive  ce  sanctuaire  véné- 
rable, telle  est  l'œuvre  qui  s'imposera  demain  à  la  piété  et  au  patrio- 
tisme de  tous  les  Français.  Ce  sera  comme  un  des  ex-voto  les  plus 
précieux  offerts  à  Jeanne  la  Libératrice,  après  l'effroyable  cataclysme, 
après  la  victoire  définitive,  et  dans  la  paix  glorieuse,  par  la  France 
reconnaissante. 


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Bar-le-Duc,  le  14  octobre  1916. 


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VANNES 


JEANNE  D'ARC,  GAGE  D'ESPÉRANCES 


Des  esprits  autorisés  ont  cru  constater  que,  dans  nos  épreuves 
actuelles,  nous  ne  prions  pas  assez  la  Bienheureuse  Jeanne  d'Arc.  Peut- 
être  est-il  vrai,  en  effet,  que  nous  ne  semblons  pas  assez  compter  sur  le 
secours  que  la  Providence  nous  a  donné  dans  cette  alliée  céleste  ;  nous 
ne  sommes  pas  assez  pénétrés  de  cette  idée  qu'exprime  l'Église  dans 
l'oraison  de  sa  fête  :  «  Vous  l'avez  suscitée,  ô  mon  Dieu,  pour  la  défense 
de  la  Foi  et  de  la  Patrie,  » 

Nous  invoquons  bien  la  sainte  libératrice  de  la  France  ;  mais  sommes- 
nous  assez  convaincus  que  le  salut  nous  viendra  par  elle  ? 

Ce  n'est  pas  en  vain  que  Dieu  permit  la  béatification  de  Jeanne, 
il  y  a  neuf  ans.  En  contemplant  alors  l'unanimité  d'un  peuple  qui  se 
levait  pour  acclamer  la  gloire  de  la  Bienheureuse  dans  des  fêtes  d'un 
éclat  incomparable,  dans  des  fêtes  ininterrompues  sur  tous  les  points  du 
territoire  français,  les  esprits  les  plus  superficiels  eux-mêmes  se  disaient 
qu'une  ère  nouvelle  se  préparait  pour  la  France.  C'était  l'unité  de  la 
patrie  qui  se  reformait  pour  les  jours  de  danger  qu'on  ne  savait  pas  si 
prochains. 

JJéjà  l'on  saluait  avec  enthousiasme  une  seconde  mission  confiée  à 
Jeanne  pour  le  salut  de  la  France.  Que  serait  cette  mission  ?  se 
demandait-on. 

Dans  les  temps  passés,  Dieu  avait  donné  Jeanne  pour  récompenser 
les  gestes  de  Dieu  par  les  Francs.  La  France  moderne  pouvait-elle 
attendre  une  récompense  semblable  ?  Malgré  bien  des  défaillances,  la 


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France  moderne  accomplit  encore  les  gestes  de  Dieu  sur  les  champs 
de  bataille  de  la  charité  et  de  l'apostolat.  La  France  des  missions 
catholiques,  la  France  des  œuvres,  la  France  toujours  généreuse  et 
désintéressée,  la  France  qui  ne  demande  jamais  à  être  payée,  la  France 
a  continué  de  bien  mériter  de  Dieu,  et  Dieu  la  paiera.  Pourquoi  Jeanne 
victorieuse  ne  serait-elle  pas  encore  sa  récompense  ? 

J eanne  a  été  une  victime  expiatoire  pour  les  fautes  du  passé.  Dieu  la 
réservait-il  pour  une  semblable  mission  ?  Jeanne  ne  peut  plus  être 
victime,  puisqu'elle  est  dans  la  gloire  ;  mais  elle  suscitera  d'autres 
victimes  en  leur  inspirant  l'amour  du  sacrifice  et  de  l'immolation. 

Certes,  jamais  la  France  n'avait  donné  un  plus  beau  spectacle 
d'abnégation  et  de  générosité  que  celui  qui  nous  fut  offert,  pendant  cinq 
ans,  par  notre  vaillante  jeunesse  française.  Il  n'est  pas  téméraire  de  dire 
que  le  culte  de  Jeanne  d'Arc  ne  fut  pas  étranger  à  la  formation  de  cet 
esprit  de  sacrifice.  Ce  culte  a  ravivé  la  flamme  de  l'idéal  au  cœur  de 
beaucoup.  Son  nom  a  servi  de  drapeau  à  un  grand  nombre  de  nos 
groupements  de  jeunesse  ;  il  prêchait  à  tous,  avec  l'amour  de  la  Patrie, 
la  nécessité  de  se  dévouer  pour  sa  cause.  Leur  sang  s'est  mêlé  à  celui  de 
Jeanne,  et  devant  Dieu  il  a  obtenu  le  salut  de  la  France. 

M.ais  c'est  en  revivant  la  foi  de  notre  pays  que  Jeanne  a  préparé 
plus  de  surnaturel  qu'il  n'en  faut  pour  alimenter  la  foi  de  tout  un 
peuple  :  «  Quand  je  veux  me  démontrer  Dieu,  disait  un  général,  je  ne 
pense  ni  aux  beautés  de  la  nature  et  à  son  ordre,  ni  aux  étoiles  et 
au  mouvement,  je  pense  à  Jeanne  d'Arc.  » 

Le  côté  surnaturel  de  la  vie  de  Jeanne  d'Arc,  tel  qu'il  nous  a  été 
montré  depuis  quelques  années,  a  fait  impression  sur  tout  le  monde. 
Ceux  mêmes  qui  nient  l'existence  du  divin  se  sont  inclinés  devant  ce  qui 
reste  un  mystère  pour  eux.  Le  peuple  français  croit,  dans  sa  généralité, 
à  l'envoyée  de  Dieu. 

Il  ne  s'y  était  pas  trompé  lorsqu'il  apprit  que,  le  3  septembre  1914,  le 
général  en  chef  avait  donné  le  nom  de  Jeanne  d'Arc  comme  mot 
d'ordre  ;  il  attribua  à  sa  protectrice  le  mouvement  imprévu  qui  détour- 
nait, ce  jour-là,  l'armée  allemande  de  sa  marche  sur  Paris,  et  l'amenait 
à  la  défaite  de  la  Marne. 

En  cette  circonstance,  Jeanne  nous  montrait  la  réalité  et  la  force  du 
secours  qu'elle  nous  apportait. 


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Oien  d'autres  faits,  que  l'histoire  enregistrera  lorsque  le  silence  et  la 
paix  permettront  de  mieux  en  voir  la  vérité,  bien  d'autres  faits  nous 
prouveront  que  Jeanne  fut  avec  nous.  Dans  une  multitude  de  lieux,  sa 
statue,  restée  invulnérable  aux  coups  de  l'ennemi,  c'était  le  symbole 
de  la  force  qu'elle  nous  gardait. 

xLlle  ne  devait  pas  combattre  elle-même  ;  elle  n'a  jamais  frappé  de 
son  épée.  Mais  elle  a  fait  batailler  par  ses  exemples  et  par  ses  conseils. 
Elle  nous  a  appris  qu'on  attire  la  victoire  par  la  prière  :  «  Les  hommes 
bataillent,  mais  c'est  Dieu  qui  donne  la  victoire.  » 


} 


Jeanne  est  venue  et  elle  nous  a  donné  la  victoire. 

De  nouveau  Jeanne  d'Arc  a  sauvé  la  France,  restant  fidèle  à  la 
mission  qu'elle  n'a  pas  cessé  de  remplir  depuis  cinq  siècles,  mission 
qui  fut  toujours  de  garder  la  France  sauvée  par  elle  une  première  fois 
au  XV  siècle. 

Les  grands  hommes,  et  les  grands  saints  surtout,  ne  laissent  rien 
d'inachevé.  Jeanne  nous  conservera  donc  notre  victoire.  Jusqu'ici,  la 
France  a  vécu  de  son  sang  rédempteur  ;  elle  en  vivra  encore. 

On  ne  remarque  peut-être  pas  assez  que  la  glorification  de  Jeanne 
d'Arc,  telle  que  l'Église  la  fait  en  ce  moment,  en  l'inscrivant  au  nombre 
de  ses  saints,  coïncide  avec  la  victoire  de  la  France.  Après  cinq  années 
d'épreuves,  la  France  triomphe,  et,  après  cinq  siècles  d'attente,  la  gloire 
de  Jeanne  d'Arc,  trop  longtemps  voilée,  va  éclater  dans  le  plus  magni- 
fique triomphe  que  puisse  connaître  une  créature  humaine  ! 

A  l'heure  où  la  France  peut  espérer  reprendre  le  cours  de  sa  provi- 
dentielle mission  dans  le  monde,  Jeanne  d'Arc  reçoit  l'assurance  de 
l'immortalité  près  des  hommes  ! 

Xant  que  l'Église  durera,  c'est-à-dire  toujours,  les  hommes  proclame- 
ront Jeanne  bienheureuse  en  rappelant  ce  qu'elle  a  été,  ce  qu'elle  a  fait  : 
toujours,  par  conséquent,  la  France  en  recevra  une  sorte  d'immortalité. 

Tant  que  Jeanne  sera  honorée,  la  France  pourra  compter  sur  la 
protection  divine  qu'elle  lui  a  procurée  aux  jours  d'épreuves. 

T.  ant  que  les  Français  se  souviendront  de  Jeanne  (et  son  culte 
empêchera  de  l'oublier),  elle  restera  pour  eux  un  signe  et  un  gage 
d'union  qui  effacera  les  divisions  et  fera  cesser  les  luttes  intérieures. 


V»-/ 


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Dans  la  gloire  où  elle  apparaîtra  désormais,  elle  prêchera  avec  plus 
de  force  que  jamais  les  vertus  qui  font  les  peuples  heureux. 

Nous  aimions  déjà  à  saluer  en  elle  les  qualités  qui  font  notre  carac- 
tère national  :  l'idéal  et  la  vaillance,  la  gaieté  et  le  désintéressement  ; 
sur  les  autels  où  l'Église  placera  ses  statues,  elle  sera  plus  que  jamais 
l'image  de  la  France, 

Aux  qualités  traditionnelles  de  notre  pays  apparaîtront  jointes  en 
elles  (puisque  l'Église  en  a  proclamé  l'héroïcité)  l'énergie  de  la  foi, 
l'ardeur  de  la  charité  et  la  générosité  du  sacrifice.  C'est  tout  un 
programme  de  vie  nationale  que  le  Ciel  nous  prépare  par  sainte 
Jeanne  d'Arc. 

Spes,  nostra  salve. 


Vannes,  le  31  octobre  1919. 


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V 


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LAVAL 


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JEANNE    D'ARC    ET     LE    BAS-MAINE 


La  vocation  prodigieuse  de  Jeanne  d'Arc  se  déclara  à  Domremy  et 
à  Vaucouleurs  :  les  Lorrains  sauront  célébrer  sa  constante  fidélité  aux 
Voix  d'en  haut,  sa  miraculeuse  familiarité  avec  l'archange  saint  Michel 
et  avec  les  saintes.  A  Chinon,  à  Poitiers,  elle  se  montra,  en  présence 
du  roi  et  de  la  Cour,  au  tribunal  des  théologiens  et  des  docteurs,  la 
voyante  des  secrets  les  plus  cachés,  l'ambassadrice  de  Dieu,  rayonnante 
de  clartés  surhumaines  :  Tours  et  Poitiers  applaudiront  à  ses  lumières. 
Faut-il  parler  des  hommages  que  lui  décernera  Orléans,  la  délivrée  ; 
Reims,  la  cité  du  sacre  ;  Rouen,  la  station  du  martyre  ?  Bornons-nous,  de 
peur  d'une  énumération  trop  longue,  à  rappeler  ces  noms  illustres.  Mais 
par  quel  endroit,  par  quel  trait,  l'épopée  de  Jeanne  a-t-elle  touché  notre 
Mayenne  ?  Nos  ancêtres  ont-ils  contribué  à  ses  exploits,  ont-ils  bénéficié 
de  ses  faits  d'armes  et  de  ses  vertus  à  d'autres  titres  que  tous  les  Fran- 
çais ?  Oui,  et  il  nous  est  doux  de  signaler  un  des  plus  grands  services 
que  les  Mayennais  aient  rendus  à  la  Patrie,  ainsi  que  leur  précoce  adhé- 
sion infiniment  précieuse  à  la  mission  de  l'héroïne. 

iVLême  quand  Dieu  sauve  les  peuples  par  des  miracles  évidents,  il 
demande  d'ordinaire  au  moins  quelque  effort  et  un  commencement  de 
coopération  de  la  part  de  ses  fidèles.  En  Israël,  on  le  voit  susciter 
Gédéon,  Judith,  Esther,  pour  accomplir  la  délivrance  nationale.  Elle 
s'opère,  en  effet,  presque  soudainement.  Toutefois,  autour  des  libérateurs, 
comme  une  protestation  vivante  contre  l'abattement  de  tous  les  citoyens 
et  des  guerriers,  Dieu  plaçait  quelques  âmes  dignes  de  comprendre  et 
de  suivre  ses  élus.  Or,  n'a-t-il  pas  de  même  destiné  une  place  de  choix 
auprès  de  la  Pucelle  d'Orléans  à  plusieurs  de  nos  nobles  aïeux  ?  Interrogez 


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l'histoire  :  ils  furent  des  premiers  à  reconnaître  l'envoyée  du  Seigneur  ; 
ils  l'acclamèrent  sans  crainte  de  se  tromper. 

A  l'appel  de  Charles  VII,  les  dames  de  la  grande  maison  de  Laval, 
Jeanne  de  Laval,  veuve  du  connétable  Du  Guesclin,  et  Anne  de  Laval, 
avec  un  empressement  exemplaire,  au  prix  d'énormes  dépenses,  avaient 
levé  de  nombreuses  troupes  pour  renforcer  la  petite  armée  du  dauphin. 
Des  chevaliers  très  renommés  de  notre  Mayenne  dirigeaient  l'expédition. 
Dès  leur  arrivée  près  de  Jeanne  d'Arc,  Guy  de  Laval  et  André  de 
Lohéac,  le  futur  seigneur  de  Montjean,  montrent  bien  qu'ils  lui  appar- 
tiennent :  ils  la  saluent  comme  des  soldats  saluent  leur  général,  ils  l'ho- 
norent comme  une  sainte.  Guy  de  Laval  écrit  à  sa  mère  que,  parvenus 
à  Selles,  où  se  trouve  la  jeune  guerrière,  tous  les  deux  sont  allés  la  voir 
à  son  logis.  C'est  chose  toute  divine,  dit-il,  de  la  voir  et  de  l'ouïr. 
Ils  l'ont  considérée  montant  à  cheval,  armée  tout  en  blanc,  sauf  la  tête, 
et  maîtrisant  son  belliqueux  coursier  sans  aucun  effort,  dès  qu'elle  l'eut 
conduit  au  pied  d'une  croix,  devant  l'église. 

«  A  ce  moment,  continue  le  narrateur,  elle  se  tourne  vers  la  porte 
de  l'église  toute  proche  et  dit  d'assez  bonne  voix  :  «  Vous,  les  prêtres 
et  gens  d'église,  faites  procession  et  prières  à  Dieu.  »  Puis  elle  partit, 
ayant  commandé  à  tous  de  s'élancer  sur  la  route.  «  Son  étendard  ployé 
que  portait  un  gracieux  page,  elle  avait  la  hache  petite  en  la  main,  et 
un  sien  frère,  venu  depuis  huit  jours,  partait  aussi  avec  elle  tout  armé 
en  blanc. » 

Nos  ancêtres  ont  donc  servi  Jeanne  d'Arc  et  la  France  de  tout  leur 
pouvoir  ;  ils  ont  eu  pleine  confiance  en  la  Bienheureuse  ;  ils  l'ont  révérée 
et  soutenue  comme  la  messagère  du  salut  national.  C'est  le  moment 
d'ajouter  qu'elle  aussi  les  a  distingués  authentiquement  parmi  les  meil- 
leurs auxiliaires.  N'a-t-elle  pas  loué  le  seigneur  de  Château-Gontier,  ce 
jeune  duc  d'Alençon,  qui  était  son  premier  garde  d'honneur  ?  Tant  que 
dura  la  carrière  militante  de  l'héroïne,  il  eut  la  gloire  de  combattre  à 
côté  d'elle  et  de  veiller  sur  sa  vie  toujours  exposée.  Vingt-cinq  ans 
après,  il  eut  la  gloire  non  moins  enviable  d'être  l'un  des  principaux 
témoins  de  son  innocence  toute  divine. 

Au  procès  de  réhabilitation,  ordonné  par  le  pape  Calixte  III,  en  1455, 
quand  il  faudra,  pour  la  première  fois,  venger  avec  autorité  Jeanne  d'Arc 
de  toutes  les  calomnies  et  préparer  pour  l'avenir  les  fêtes  de  sa  béati- 
fication solennelle,  le  duc  d'Alençon  se  retrouva  de  garde,  si  l'on  peut 
parler  de  la  sorte  ;  son  attestation  comptera  parmi  les  documents  les  plus 


3- 


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décisifs  de  cette  noble  cause.  C'est  que,  pour  1  étemelle  renommée  dont 
la  Pucelle  est  digne,  il  a  apporté  l'appui  de  ses  souvenirs,  et  qu'au  sen- 
timent des  juges  pontificaux  comme  des  représentants  les  plus  qualifiés 
de  la  France,  sa  voix  est  accréditée  entre  toutes  les  voix,  son  témoignage 
est  d'une  valeur  hors  de  pair,  et  ce  témoignage  inaugure  les  panégyriques 
de  la  Bienheureuse. 

Il  proclame,  en  effet,  qu'elle  avait  été  assurément  conduite  par  le  Ciel, 
qu'elle  était  personne  de  très  haute  vertu,  s'indignant  de  tout  jurement, 
de  toute  offense  de  Dieu  ;  qu'il  l'avait  vue  se  confesser  fréquemment, 
communier  deux  fois  la  semaine  et  verser  des  larmes  en  abondance 
lorsqu'elle  contemplait  le  corps  de  Notre-Seigneur  ;  qu'il  a  été  le  témoin 
de  beaucoup  de  prodiges  accomplis  par  elle,  et  qu'il  les  atteste  sous 
la  foi  du  serment. 

J-«e  duc  d'Alençon  déclare  que  l'un  de  ces  prodiges  fut  la  levée  du 
siège  d'Orléans  ;  car,  explique-t-il,  d'après  un  examen  attentif  de  la 
solidité  des  positions  et  des  bastilles  de  l'ennemi,  elles  furent  prises  par 
miracle  plutôt  que  par  la  force  des  armes. 

Depuis  la  délivrance  de  la  ville  jusqu'à  l'entrée  dans  Reims,  Jeanne 
d'Arc  ordonne  les  batailles  sous  la  dictée  de  ses  Voix,  souvent  contre 
l'avis  des  guerriers  expérimentés,  et  il  se  trouve  que  ce  sont  de  vrais 
ordres  de  victoires  ;  elle  prédit,  par  inspiration  surnaturelle,  des  inci- 
dents, des  succès  hors  de  vraisemblance,  qui  ont  lieu  selon  ses  vues. 

Aussi  résulte-t-il,  de  la  déposition  de  son  ami  et  témoin,  qu'elle 
est  non  seulement  une  sainte,  mais,  en  maintes  circonstances,  une  pro- 
phétesse  et  une  thaumaturge. 

V/e  trait  d'histoire,  tout  à  l'honneur  de  notre  pays  et  de  nos  an- 
cêtres, montre  que  l'une  des  régions  de  France  qui  reconnurent  le  plus 
tôt  la  mission  de  Jeanne  d'Arc  fut  notre  contrée  appelée  le  Bas-Maine. 

Jin  le  mettant  en  relief  dans  cet  hommage  de  l'épiscopat  français 
à   la  Bienheureuse,  je    fais  des  vœux  ardents  pour  que  le  culte  de   la  . 
libératrice    de   la   France  s'étende  parmi    nos    héroïques   soldats,    ses 
défenseurs  d'aujourd'hui,  aussi  bien  que  dans  toute  la  nation. 

Aux  pages  précédentes  on  nous  demande  une  conclusion  en  forme 
de  louange  et  de  remerciement  à  la  Bienheureuse  Jeanne  d'Arc  pour 
les  services  les  plus  récents  qu'elle  nous  a  rendus.  Nous  écrivons,  en 
effet,  sous  l'impression   de   l'épouvantable  guerre  subie  par  la  France, 


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^ 


de  1914  à  1918,  et  terminée  par  son  immortelle  victoire  ;  et  ne  devons- 
nous  pas  dire  que  la  sainte  de  la  Patrie  s'est  révélée  à  notre  région 
avec   un  nouvel  éclat  ? 

C  est  le  sentiment  des  soldats  de  la  Mayenne.  En  très  grand 
nombre,  ils  l'ont  invoquée  comme  présente  dans  leurs  rangs,  sur  les 
champs  de  bataille,  au  fond  des  tranchées,  dans  les  ambulances  et 
les  hôpitaux.  Les  souvenirs  de  ses  exploits,  la  contemplation  de  sa 
gloire  au  Ciel,  la  confiance  en  son  secours  ont  inspiré  un  courage 
héroïque  aux  fils  des  guerriers  mayennais  qui  suivirent  autrefois  son 
étendard.  Leur  noble  conduite  pendant  toute  la  guerre  et  leur  piété 
persévérante  ont  été  le  signe  que  la  Bienheureuse  écoutait  leurs  prières 
et  qu'elle  accueillait  aussi  en  leur  faveur  les  offrandes  généreuses  et 
les  vœux  empressés  que  tant  de  familles  de  notre  contrée  multipliaient 
au  pied  de  ses  autels. 

Nous  aimons  à  croire  que  ces  faits  d'un  caractère  local,  cités  seu- 
lement en  exemple,  peuvent  obtenir  une  modeste  place  parmi  tant 
d'autres  événements  illustres  de  ces  dernières  années  pour  justifier  et 
compléter  nos  hommages  à  Jeanne  d'Arc. 


1 


Laval,  le  3  novembre  1919. 


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JEANNE  D'ARC   MODÈLE   DE  PATRIOTISME 


A  l'heure  où  le  patriotisme  exige  de  tous  les  Français  les  plus 
sublimes  efforts,  quoi  de  plus  salutaire  que  de  porter  nos  regards  sur 
celle  qui  personnifie  chez  nous  le  patriotisme  et  sa  vertu  ?  Nous  avons 
nommé  Jeanne  d'Arc,  si  justement  appelée  la  sainte  de  la  Patrie. 

Nous  la  voyons  quitter  les  Marches  de  Lorraine,  briser  les  liens  si 
doux  qui  la  retiennent  au  foyer  paternel,  parce  que  des  voix  du  Ciel 
lui  ont  appris  qu'il  y  a  grande  pitié  au  royaume  de  France. 

jViais  qu'on  veuille  bien  y  prendre  garde.  Le  patriotisme  de  Jeanne 
ne  se  traduit  pas  en  paroles  :  il  se  manifeste  par  des  actes.  Patriote 
active  et  entreprenante,  patriote  désintéressée  surtout,  telle  nous  voyons 
la  Pucelle  à  tous  les  instants  de  sa  carrière.  Sa  gloire  personnelle,  elle 
n'en  a  cure  ;  ce  qu'elle  veut,  ce  qu'elle  obtiendra,  avec  l'aide  de  Dieu, 
sans  doute,  mais  grâce  aussi  à  sa  persévérante  énergie,  c'est  la  libé- 
ration du  sol  français,  c'est  l'ordre  et  la  paix  rétablis  en  France,  c'est 
la  prospérité  ramenée  dans  le  pays  par  la  reconnaissance  du  souverain 
légitime  et  le  rétablissement  du  principe  d'autorité,  sans  lequel  les 
nations  et  les  peuples  s'en  vont  à  la  dérive  et  roulent  jusqu'aux  abîmes. 

Aussi  bien,  à  l'heure  où  paraît  Jeanne,  le  patriotisme  subit  dans 
notre  beau  pays  de  France  une  crise  des  plus  dangereuses.  L'âme 
nationale  elle-même  semble  péricliter.  Armagnacs  et  Bourguignons  en 
viennent  constamment  aux  mains  ;  les  luttes  fratricides  se  succèdent 
sans  trêve  ;  chacun,  suivant  son  intérêt  personnel  ou  son  caprice,  place 
l'autorité  où  il  lui  plaît  :  Celui-ci  cherche  le  roi  en  Angleterre,  celui-là  se 
range  du  côté  du  dauphin.  C'est  partout  la  confusion  et  l'anarchie. 


3- 


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jM.ais  patience.  Voici  venir  la  bergère  de  Domremy.  Les  hommes  de 
guerre  du  dauphin,  un  instant  humiliés  et  confus  de  servir  sous  ses 
ordres,  subissent  bientôt  l'ascendant  de  sa  vertu.  Son  patriotisme  ardent 
les  subjugue  en  même  temps  qu'il  réveille  en  eux  le  sentiment  de  la 
grandeur  nationale.  Comme  Jeanne,  ils  n'ont  plus  qu'une  pensée  : 
bouter  l'ennemi  et  rendre  le  peuple  à  son  roi.  L'union  sacrée  s'établit 
entre  tous,  l'esprit  et  le  cœur  sont  redevenus  français,  le  pays  est  sauvé. 

Si,  pour  tout  chrétien,  Jeanne  d'Arc  est  un  modèle  achevé  de  foi, 
d'espérance  et  d'amour,  pour  tout  Français  elle  est  encore  l'idéal  le 
plus  pur  du  patriotisme  vainqueur.  Au  lendemain  d'une  paix  glorieuse, 
supplions -la  de  continuer  à  sa  Patrie  d'autrefois  sa  bienfaisante  pro- 
tection en  maintenant  entre  tous  les  Français  l'union  sacrée,  la  charité 
fraternelle  qui  garantira  les  fruits  de  la  victoire.  Et,  comme  symbole  de 
cette  union  féconde,  faisons  des  vœux  pour  que  la  France,  purifiée  par 
le  sacrifice  et  régénérée  par  la  souffrance,  adopte  enfin  d'un  cœur 
unanime,  pour  fête  nationale,  la  fête  de  la  libératrice  de  la  Patrie  ! 


Coutances,  le  15  octobre  1919. 


JEANNE    D'ARC 

PROTECTRICE  ET  PATRONNE  DE  LA  FRANCE 


Ce  n'est  pas  sans  un  dessein  de  miséricorde  envers  la  France  que 
Jeanne  d'Arc  a  été,  il  y  a  neuf  ans,  élevée  sur  les  autels.  Pie  X, 
dans  la  bulle  de  béatification,  s'exprimait  ainsi  :  «  Certainement,  elle 
paraît  devoir  être  appliquée  directement  à  Jeanne,  cette  louange  de 
l'Ecriture  à  Judith  :  «  Chez  toutes  les  nations  qui  entendront  ton  nom,  le 
Dieu  d'Israël  sera  glorifié  à  cause  de  toi.  »  (  Jud.  XIII,  31  )...  A  une 
époque  où  l'univers  catholique  est  désolé  par  tant  et  de  si  grands 
malheurs...  il  nous  plaît  de  célébrer  les  glorieux  exemples  de  l'héroïque 
vierge,  afin  qu'ils  nous  rappellent  qu'  «  agir  et  souffrir  avec  courage  est 
le  propre  du  chrétien.  » 

Nous  avons  l'espérance,  presque  certaine,  que  la  vénérable  servante 
de  Dieu  obtiendra  à  sa  Patrie,  dont  elle  a  si  bien  mérité,  la  vigueur  de 
sa  foi  antique,  et  à  l'Église  catholique,  dont  elle  fut  toujours  l'enfant 
soumise,  la  consolation  de  lui  voir  revenir  tant  de  ses  fils  égarés. 

On  saura  plus  tard,  quand  les  bouleversements  et  les  émotions  de  la 
guerre  auront  cessé,  le  concours  que  nos  armées  auront  reçu  de  la 
Pucelle  d'Orléans.  Il  en  est  qui  chuchotent  de  mystérieuses  inter- 
ventions, lors  de  la  grande  affaire  inattendue  de  la  Marne.  Ce  serait 
splendidement  beau  ;  mais  il  faut  que  ce  soit  bien  vrai.  Il  n'est,  du  reste, 
pas  nécessaire  de  constater  que,  ce  jour-là,  le  nom  de  Jeanne  d'Arc  fut  le 
mot  d'ordre  donné,  ni  de  prétendre  avoir  vu  au-dessus  de  nos  troupes 
«  une  dame  blanche,  »  l'épée  à  la  main,  jetant  l'épouvante  dans  les 
masses  allemandes,  pour  ne  pas  douter  de  l'assistance  et  des  suffrages 


3- 


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de  la  sainte  catholique  et  française,  ardente  entre  tous  les  saints,  nos 
protecteurs,  familière  avec  le  grand  archange  Michel,  patron  du  pays 
comme  elle,  vengeur  comme  elle  des  droits  de  Dieu  et  de  l'éternelle 
justice. 

Quand,  à  Reims,  saluant,  sur  le  parvis  inondé  de  décombres,  la 
statue  intacte  de  Jeanne,  la  France  victorieuse  rentrera  dans  ce  qui  nous 
reste  de  la  cathédrale  martyre  pour  chanter  le  Te  Deum  de  la  résurrec- 
tion nationale,  c'est  dans  l'acclamation  triomphante  de  tout  un  peuple 
réconcilié  que  la  fête  de  Jeanne  d'Arc  sera  définitivement  consacrée  fête 
nationale  de  la  France. 


* 

*     * 


Jeanne  d'Arc  achèvera  son  œuvre  de  salut  envers  la  France.  Elle  a 
aidé  à  la  victoire  !  L'année  1920  verra  son  exaltation  définitive  par 
la  proclamation  de  sa  canonisation.  Qu'elle  obtienne,  au  jour  de  son 
triomphe  céleste,  l'union  des  Français  dans  le  culte  de  la  religion  qui  a 
pétri  et  fait  si  généreuse  l'âme  française,  et  dans  la  fraternité  vraie,  que 
seul  peut  sceller  notre  Père  qui  est  aux  Cieux  ! 

Fréj'us,  le  17  novembre  1919. 


/ 


■  \^ 


POITIERS 


1 


JEANNE    D'ARC    ET    POITIERS 


En  prononçant,  le  8  mai  1844,  à  Orléans,  le  panégyrique  de 
Jeanne  d'Arc,  celui  qui  devait  être  le  cardinal  Pie  disait  :  «  Souffrez 
donc  que,  du  haut  de  cette  chaire,  je  sois  moins  historien  que  prêtre, 
et  qu'en  face  des  autels,  je  proclame  ces  grands  principes  qui  seront 
toujours  compris  en  France  :  c'est  que  c'est  la  justice  qui  élève  les 
nations,  et  que  c'est  le  péché  qui  les  fait  descendre  dans  l'abîme  ; 
qu'il  est  une  Providence  sur  les  peuples,  et  qu'en  particulier,  il  est 
une  Providence  pour  la  France,  Providence  qui  ne  lui  a  jamais  manqué, 
et  qui  n'est  jamais  plus  près  de  se  manifester  avec  éclat  que  quand 
tout  semble  perdu  et  désespéré  ;  que  le  plus  riche  patrimoine  de  notre 
nation,  la  première  de  nos  gloires  et  la  première  de  nos  nécessités 
sociales,  c'est  notre  sainte  religion  catholique,  et  qu'un  Français  ne 
peut  abdiquer  sa  foi  sans  répudier  tout  le  passé,  sans  sacrifier  tout 
l'avenir  de  son  pays.  » 

Que  dirait  aujourd'hui  celui  qui  proclamait  ces  grands  principes  ? 
N  affirmerait-il  pas,  avec  une  nouvelle  énergie,  qu'ils  sont  vrais  toujours, 
qu'il  est  encore  une  Providence  pour  la  France,  et  que  l'action  divine 
transparaît  sous  le  voile  des  événements  contemporains  comme  sous 
l'armure  de  Jeanne  d'Arc. 

C  est  à  Poitiers,  dont  le  grand  évêque  devait  illustrer  le  siège,  que 
la  mission  de  Jeanne  d'Arc  obtint  de  l'Église  l'autorisation  officielle  de 
s'exercer.  Et,  de  ce  fait,  notre  ville,  que  Dieu  a  voulu  mêler  à  tous 
les  grands  événements  de  l'histoire  du  christianisme  en  notre  pays, 
tient  une  place  de  premier  rang  dans  la  merveilleuse  délivrance  de  la 
Patrie. 


.(3 


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Elle  était  alors  la  vraie  capitale  du  royaume,  siège  du  Parlement 
et  de  l'administration  du  roi.  Aussi,  quand  une  jeune  fille,  venue  des 
Marches  de  Lorraine,  se  présenta  au  malheureux  Charles  VII,  disant 
qu'elle  venait  de  la  part  du  roi  du  Ciel  pour  reconquérir  le  royaume, 
le  roi  la  conduisit  à  Poitiers,  pour  la  faire  interroger  et  examiner  par 
les  théologiens.  Elle  descendit  à  l'hôtel  de  la  Rose.  Le  président  du 
Parlement,  Jean  Juvénal  des  Ursins,  et  son  fils,  le  futur  président  de  la 
commission  de  réhabilitation,  étaient  vraisemblablement  au  nombre  des 
examinateurs. 

Jeanne  pria  dans  nos  églises  ;  elle  y  fut  sans  doute  favorisée  de 
grâces  extraordinaires  ;  du  moins  Dieu  ne  l'abandonna  pas  au  cours 
du  procès.  L'enquête  fut  minutieuse,  et  c'était  nécessaire.  Les  juges 
devaient  à  la  gravité  de  la  cause  d'être  sévères  et  méfiants.  Mais  ils 
furent  justes.  La  Pucelle  les  émerveilla  par  la  vivacité  et  l'à-propos 
de   ses  réparties  ;   elle  les   édifia  par  son  esprit   de  foi  et  de  docilité. 

iVLalheureusement,  nous  n'avons  pas  le  texte  du  procès,  mais  seulement 
un  résumé,  ou  plutôt  la  conclusion  que  Charles  VII  a  dû  faire  publier. 
Nous  avons  aussi  le  texte  de  deux  réponses  de  Jeanne  d'Arc,  L'une, 
piquante  et  maligne,  fut  adressée  au  frère  Seguin  :  celui-ci  était  originaire 
du  Limousin  ;  il  en  avait  gardé  l'accent  et  le  dialecte.  Un  jour,  il  s'avisa 
,  de  demander  à  Jeanne  :  «  Dans,  quelle  langue  vous  entretiennent  les 
Voix  ?»  —  «  Dans  une  langue  meilleure  que  la  vôtre,  »  lui  répartit 
vivement  la  jeune  fille.  Le  bon  frère  dut  être  convaincu,  du  moins, 
il  ne  se  froissa  pas.  A  l'âge  de  soixante-dix  ans,  devenu  doyen  de  la 
Faculté  de  théologie  de  Poitiers,  il  ne  craignit  pas  de  faire  le  voyage 
de  Rouen,  pour  déposer  au  procès  de  la  réhabilitation.  C'est  de  lui- 
même  que  l'on  tient  ce  fait.  Il  fit  aussi  connaître  l'autre  réponse  de 
Jeanne  d'Arc  :  celle-là  .est  pleine  de  profondeur,  résume  d'un  mot  tout 
le  programme  de  cette  vie  merveilleuse  et  peut  servir  d'encouragement 
à  tous  les  hommes  d'action.  Guillaume  Aimeri  demandait  donc  :  «  Si 
Dieu  veut,  comme  vous  le  dites,  délivrer  le  peuple  de  France,  qu'est-il 
besoin  d'hommes  d'armes  ?»  —  «  Les  hommes  d'armes  batailleront  et 
Dieu  donnera  la  victoire  !  » 

Rien  d'étonnant  qu'une  paysanne,  ainsi  armée  pour  les  luttes  de  la 
procédure,  ait  emporté  la  conviction  d'hommes  de  bonne  foi.  Les  juges 
de  Poitiers  conclurent  donc  qu'on  pouvait  aussi  l'armer  pour  le  champ 
de  bataille  et  la  mettre  en  mesure  de  faire  ses  preuves.  Ils  déclarèrent. 


S). 


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«  sans  aucune  contradiction,  »  qu'elle  était  •<  vraiment  conduite  par  l'esprit 
de  Dieu  ••>  et  qu'on  n'avait  trouvé  en  elle  que  «  bien,  humilité,  virginité, 
dévotion,  honnêteté  et  simplesse.  »  Sans  affirmer  le  caractère  miraculeux 
de  sa  mission,  ils  conseillèrent  à  Charles  VII  d'user  prudemment  du 
secours  que  Dieu  lui  envoyait  par  cette  jeune  fille,  où  rien  de  mauvais 
n'avait  pu  être  discerné. 

C  est  à  Poitiers  aussi  que  Jeanne  dicta  la  sommation  enjoignant,  de 
par  le  roi  des  Cieux,  aux  chefs  de  l'armée  anglaise,  de  retourner  en 
Angleterre.  Elle  termina  par  ces  mots  :  «  Si  vous  ne  faites  raison  à 
Dieu  et  à  la  Pucelle,  on  verra,  aux  horions,  à  qui  est  meilleur  droit,  et 
croyez  que  les  Français  accompliront  le  plus  bel  exploit  qu'oncques 
fut  fait  en  la  chrétienneté.  » 

Cette  énergique  déclaration  est  datée  du  22  mars  1429,  mardi  de  la 
semaine  sainte.  Jeanne  était  entrée  à  Poitiers  avec  le  roi  le  jeudi 
précédent,  17  mars. 

Nous  rappelons  ces  faits  avec  grande  fierté,  car  ils  attachent  pour 
toujours  notre  vieille  cité  au  souvenir  de  la  bonne  et  vaillante  Lorraine. 
C'est  un  honneur  qui  impose  des  devoirs  et  que  nous  ne  saurions  oublier. 
Quelles  leçons  pour  le  présent  dans  ce  passé  !  «  Gentil  Dauphin,  disait 
Jeanne  à  Charles  VII,  j'ai  nom  Jeanne  la  Pucelle,  et  vous  mande  le 
Roy  des  Cieux  par  moi  que  vous  serez  le  lieutenant  du  Roy  des  Cieux, 
qui  est  le  Roy  de  France.  » 

Depuis  son  origine,  quel  peuple,  autant  que  le  peuple  français,  a  vu 
le  divin  pénétrer  son  histoire  ?  Cette  attention  d'En-Haut,  mais  elle 
transparaît  à  chaque  page  de  nos  annales,  depuis  le  baptême  de  Clovis 
jusqu'à  nos  jours.  Pour  ne  parler  que  des  événements  dont  notre  géné- 
ration a  été  le  témoin,  n'avons-nous  pas  vu  se  succéder  sans  interruption 
nos  torts  à  l'égard  de  Dieu  ?  Aussi,  quel  terrible  châtiment  n'avons-nous 
pas  éprouvé  en  1870  !  Tout  alors  s'est  tourné  contre  nous,  et  jamais 
l'habileté  des  chefs  ou  le  courage  des  soldats  n'ont  pu  ressaisir  la 
victoire,  qui,  dès  le  début,  avait  déserté  nos  drapeaux.  Dans  la  guerre 
actuelle,  au  contraire,  nous  constatons  visiblement  que  nos  orgueilleux 
ennemis  ont  manqué  plusieurs  fois  de  cueillir  le  résultat  que  semblaient 
leur  promettre  leur  parfaite  préparation  militaire  et  l'impétuosité  de 
leurs  attaques.  C'est  donc  que  la  miséricorde  de  Dieu  veut  vaincre 
notre  infidélité  et  vient  à  notre  rencontre.  Mais  craignons  de  la  laisser 


3- 


^ 


passer  sans  en  recueillir  le  fruit.  Prions  donc  avec  ardeur  et  grande 
foi,  et  appelons  à  notre  aide  la  sainte  qui  a  déjà  sauvé  et  libéré 
notre  pays.  *** 


Poitiers,  le  31  mai  1918. 


(1)  Ces  pages  ont  été  écrites  quand  nous  étions  encore  évêque  de  Poitiers.  Combien 
elles  se  sont  réalisées  glorieusement  pour  nous  et  pour  la  France  !  Mais  aussi,  que  de 
supplications  sont  montées  vers  le  Ciel  !  Quel  esprit  de  sacrifice  et  de  pénitence  anima  et 
nos  soldats  valeureux  et  les  Français  de  l'arrière  !  Elles  allaient  tom'  à  tour  au  Sacré-Cœur 
de  Jésus,  à  la  Sainte- Vierge  Marie,  à  l'archange  saint  Michel,  à  la  Bienheureuse  Jeanne 
d'Arc,  à  tous  les  saints  de  France.  Nous  le  répétons  donc  :  il  ne  faut  jamais  désespérer 
d'une  nation  que  Dieu  a  consacrée  fille  aînée  de  l'Église,  et  dont  l'histoire  se  réstuneences 
paroles  :  «  Gesfa  Dei  per  Francos.  •» 


Besançon,  le  30  octobre  1919. 


7 


JEANNE    D'ARC    A    REIMS 

sous    LES    OBUS 


Nous  l'avions  si  bien  fêtée  en  1896  et  en  1909  ! 

JYLieux  que  toute  autre  cité  de  France,  plus  que  Rouen,  plus  même 
qu'Orléans  si  fidèle  au  souvenir,  Reims  s'y  sentait  obligé. 

A  Orléans,  Jeanne  avait  bataillé:  «  Vive  labeur!  »  et,  régime  de 
guerre,  rudes  combats,  assauts  héroïques,  elle  avait  tout  affronté  pour 
culbuter  l'obstacle,  pour  ouvrir  la  voie,  pour  frayer  les  chemins.  A 
Rouen,  elle  avait  souffert  :  Rouen,  c'était  le  calvaire  !  Mais,  dans  la 
vision  divine,  le  point  lumineux,  n'était-ce  pas  la  Cathédrale  de  Reims  ? 

Les  Tourelles,  Jargeau,  Beaugency,  Meung,  Patay  :  noms  resplen- 
dissants de  victoires  qui  jalonnent  les  étapes  de  cette  marche  du  Sacre  ! 

iVLais  le  but,  c'était  Reims  ! 

Le  17  juillet  1429,  elle  entrait  dans  notre  basilique  comme  une 
radieuse  apparition  de  la  victoire,  comme  une  angélique  incarnation  de 
la  Patrie,  de  la  religion  et  de  la  paix. 

Elle  demeura  quatre  jours  à  Reims.  Son  père  et  sa  mère  vinrent  l'y 
rejoindre  ;  et  trois  lettres  écrites  à  ses  «  très  chers  et  bons  amis,  gens 
d'église,  bourgeois  et  habitants  de  la  ville  de  Reims,  »  et  signées  de 
sa  main,  attestent  qu'elle  conserva,  de  ce  séjour,  le  meilleur  souvenir. 

A.  Reims,  on  n'avait  point  oublié.  On  portait,  —  pourquoi  ne  pas  le 
dire,  —  comme  une  souffrance,  comme  un  remords,  cet  inexplicable 
silence  qui  s'était  fait  partout  sur  le  nom  de  Jeanne  d'Arc  et  que  seul 
réveillait,  chaque  année,  l'écho  des  fêtes  d'Orléans. 


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On  n'attendait,  pour  s'y  mettre,  que  l'occasion,  et  l'on  s'y  mit  avec 
d'autant  plus  d'ardeur  que  les  cœurs  étaient  plus  impatients. 


* 

*     * 


En  1896,  ce  fut  l'érection,  sur  la  place  du  Parvis,  de  la  statue  de 
P.  Dubois,  si  expressive  et  si  délicate,  où  s'accuse,  en  un  contraste 
saisissant,  à  l'ombre  du  portail  majestueux  de  Notre-Dame,  la  dispro- 
portion du  miracle  opéré  et  de  l'instrument  choisi.  D'aucuns  déplorent 
ce  voisinage  écrasant  de  la  cathédrale  :  il  n'écrase  pas  ;  il  souligne 
l'idée  :  «  Et  il  plût  à  Dieu  ainsi  faire  par  une  simple  Pucelle  !  » 

Toute  la  France  était  là,  je  veux  dire  le  gouvernement,  l'armée,  le 
peuple,  l'Église  ! 

Dans  la  tribune  officielle  :  le  président  de  la  République,  les  pré- 
sidents du  Conseil,  du  Sénat,  de  la  Chambre  ;  au  premier  rang,  parmi 
les  ministres,  le  cardinal-archevêque  de  Reims  ;  puis  les  diplomates,  les 
grands  chefs  militaires,  les  dignitaires  des  grands  corps  de  l'État,  toutes 
les  têtes  illustres,  tous  ceux  qui  comptent,  qui  marquent,  qui  émergent  ! 

Le  canon  tonne,  les  bourdons  sonnent  à  pleine  volée  ;  les  troupes 
défilent  devant  la  statue,  au  son  des  tambours  et  des  cuivres  ;  la  foule 
électrisée  acclame,  et  Jeanne,  frêle  et  gracieuse  comme  une  enfant,  sur 
son  cheval  de  bataille,  domine  toute  cette  multitude. 

Elle  sort  de  Notre-Dame,  l'action  de  grâces  aux  lèvres  :  «  Gentil 
Roy,  maintenant  est  accompli  le  plaisir  de  Dieu  qui  voulait  que 
vous  vinssiez  à  Reims  pour  y  recevoir  votre  saint  Sacre  !  »  La 
fatigue  des  combats  se  lit  encore  sur  son  visage,  et  on  dirait  qu'un  nuage 
de  tristesse  —  pressentiment  douloureux  de  l'avenir  !  —  en  accentue  la 
virginale  gravité. 

L  épée  haute,  le  regard  plus  haut  encore,  l'âme  très  loin,  dans  l'infini, 
elle  semble  faire  au  Christ  hommage  de  la  France  reconquise,  qu'elle  a 
ramenée  à  Reims,  au  Baptistère  national,  là  où  fut  signé  le  pacte  initial, 
afin  qu'elle  pût  renaître  où  elle  avait  commencé  de  vivre. 


* 
*     * 


En  1909,  ce  fut  le  Triduum  de  béatification.  Les  Rémois,  accoutumés 
aux  splendeurs  royales  de  leur  cathédrale,  furent  étonnés  de  l'incom- 
parable majesté  de  ces  solennités. 


) 


On  bénit,  le  premier  jour,  la  précieuse  statue  polychrome  de 
P.  d'Epinay,  «  Jehanne  au  Sacre  »  *•'.  On  l'avait  installée  dans  le  chœur, 
à  l'endroit  même  où  elle  se  tenait  le  17  juillet  1429. 

Et,  dans  ce  cadre,  à  cette  place,  quand  apparut  tout  à  coup,  à  la 
chute  du  voile,  cette  figure  idéale  d'Orante,  où  transparaît,  en  dépit  du 
casque  et  de  l'armure,  une  âme  de  vierge,  sœur  des  âmes  mystiques 
du  cloître,  on  aurait  cru  vraiment  qu'elle  était  là,  qu'elle  allait  lever  les 
yeux,  interrompre  un  moment  sa  prière  et  parler  à  ce  peuple  qui,  tendu 
de  tout  son  être  vers  elle,  d'instinct,  écoutait. 

Lorsqu'on  vit,  à  la  cérémonie  de  clôture,  la  procession  des  reliques 
des  saints  de  France,  soixante-dix  châsses,  reliquaires  et  monstrances  '^', 
à  la  suite  de  l'étendard  de  Jeanne,  se  frayer  laborieusement  un  passage 
à  travers  la  multitude  tassée  dans  les  nefs,  encerclant  presque  la  cathé- 
drale, ce  fut  un  spectacle  grandiose. 

L  évêque  d'Orléans,  quelques  semaines  plus  tard,  après  avoir  évoqué 
ce  souvenir,  avec  la  note  chaude  et  vibrante  qui  donne  tant  de  relief  et 
de  coloris  à  sa  pensée,  s'écriait  :  «  Non,  non,  qui  a  vu  ce  spectacle, 
qui  a  ouï  ces  chants,  ne  l'oubliera  jamais  !  » 


) 


En  septembre  1914,  pendant  les  jours  d'occupation,  on  a  revu  des 
troupes  campées  sur  cette  même  place  :  l'armée  lourde  et  grise  du 
kaiser,  tout  un  appareil  militaire,  un  mouvement  incessant  de  soldats, 
un  encombrement  de  matériel  de  guerre,  des  hommes,  des  chevaux,  des 
caissons,  des  cuisines  ambulantes,  des  fourgons,  les  pesantes  machines 
du  train  ;  et  dans  ce  va-et-vient  tumultueux,  bruyant,  passèrent,  hautains, 
affairés,  von  Klûck,  von  Biilow,  les  princes  Eitel  et  "Wilhem,  le  Kron- 
prinz,  ces  maîtres  de  l'heure,  qui  se  croyaient  déjà  les  maîtres  du  monde. 

Et  cela  faisait  mal  de  voir  notre  Jeanne  d'Arc  esseulée,  perdue  au 
milieu  de  ce  bivouac  allemand,  entourée  de  Prussiens,  comme  si  elle 
était  leur  prisonnière. 

Sa  physionomie  douce  et  grave,  qui  exprime  à  la  fois  la  candeur  de 
l'âme  et  une  secrète  anxiété  du  cœur,  semblait  refléter  cette  humiliation. 

Pour  ajouter  à  la  mélancolie  de  cette  vision,  la  scène  se  détachait  sur 
le  grand  portail  de  Notre-Dame  de  Reims  !  Les  bourdons  se  taisaient  ; 
mais  le  canon  grondait  au  loin  :  le  canon  de  la  bataille  de  la  Marne  ! 

(1)  Cette  statue  a  été  offerte  à  la  cathédrale  par  M.  Henri  Abelé,  de  Reims. 

(2)  Ces  châsses,  reliquaires  et  moastrances  dons  des  diocèses  de  France,  appartiennent  au  Trésor  de  la  basilique  de 
Sainte-Clotilde,  à  Reims. 


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Lorsque,  au  lendemain  de  l'incendie,  le  20  septembre  1914,  je  rentrai 
dans  la  cathédrale  dévastée,  souillée,  mutilée,  avec  ses  porches  béants, 
ses  verrières  éventrées,  ses  nefs  embuées  encore  d'une  fumée  acre  et 
puante,  dans  cette  atmosphère  lourde,  sinistre,  de  cataclysme  et  de  sacri- 
lège, Jehanne  priait  toujours.  Ni  la  flamme,  ni  la  mitraille  ne  l'avaient 
effleurée  ! 

Après  44  mois  de  siège  et  857  jours  de  bombardement  effectif,  qui 
ont  fait  de  la  ville  de  Reims  un  effroyable  monceau  de  cendres  et  de 
ruines,  alors  que  la  cathédrale  a  reçu,  à  cette  date,  159  obus  repérés, 
que  la  place  et  les  maisons  voisines  en  sont  criblées  —  près  de  400 
points  de  chute  autour  de  la  statue,  dans  un  rayon  de  cent  mètres  — 
l'autre  Jeanne  d'Arc,  celle  du  parvis,  est  également  intacte. 

Les  Rémois,  qui  n'ont  pas  lâché  pied,  qui  ont  tenu  bon  jusqu'au 
bout,  la  couvrent  de  fleurs. 

Ils  lui  ont  mis  en  main  le  drapeau  de  la  France  !  et,  dans  cette 
détresse  des  choses,  adossée  au  portail  calciné,  ravagé,  blindé  de  sacs 
de  terre,  avec  son  geste  suppliant,  son  regard  éperdu  qui  implore  le 
Ciel,  elle  personnifie  la  Patrie,  toujours  debout,  vaillante  sous  l'épreuve, 
qui  lutte,  qui  souffre,  qui  prie  et  qui  espère  ! 


24  mars  1918. 


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LA  BIENHEUREUSE  JEANNE  D'ARC 

"  FILLE   AU   GRAND   CŒUR  " 


C  est  le  Ciel  qui,  par  la  voix  de  l'archange  saint  Michel,  donna 
cette  louange  à  la  bergère  de  Domremy,  libératrice  de  la  France  :  «  Va, 
fille  au  grand  cœur  !  » 

Jeanne  d'Arc,  en  effet  —  il  faut  des  expressions  cornéliennes  pour 
parler  d'elle  —  Jeanne  d'Arc  eut  «  toutes  les  grandeurs  qui  font  une  âme 
grande.  » 

Le  premier  trait  de  la  grandeur  morale,  c'est  un  certain  sens  très 
délicat  et  très  vif  de  l'honneur,  c'est  l'amour  du  droit,  la  «  soif  de  la 
justice.  »  La  Pucelle  en  a  eu  le  souci,  le  culte,  la  passion.  Son  âme 
«  droiturière  »  ne  connut  ni  hésitation,  ni  faiblesse,  ni  repos  quand  il 
fallut  servir  ou  défendre  des  droits  sacrés. 

Le  respect  de  Dieu,  de  qui  dérivent  ces  droits  et  vers  qui, 
finalement,  doivent  remonter  nos  obéissances,  prime  tout  pour  elle. 
«  Dieu  premier  servi  !  »  c'est  sa  loi  suprême.  Aussi,  fait-elle  flotter  au 
vent  un  étendard  qui  porte,  dans  une  image  symbolique,  la  décla- 
ration des  droits  de  Dieu,  roi  du  Ciel,  roi  du  monde,  roi  de  France  ! 

Les  droits  du  dauphin  Charles,  elle  les  soutiendra  avec  une  fidélité 
chevaleresque  et  elle  les  fera  proclamer  solennellement  dans  le  rayonne- 
ment de  la  basilique  de  Reims,  qui  fut  jadis  à  l'honneur  et  qui,  présen- 
tement, est  à  la  peine,  dans  le  deuil  de  ses  ruines.  La  première  fois 
qu'elle  l'aborde,  à  Chinon,  elle  s'empresse  de  trancher,  si  l'on  peut  parler 


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ainsi,  une  question   de   «  droit  royal  »    qui  trouble  la  conscience  du 
dauphin  :  «  Tu  esjvrai  héritier  de  France  et  fils  de  roi  !  » 

Sa  carrière  achevée,  quand  elle  entend  les  juges  de  Rouen  insulter 
Charles  VII,  toute  prisonnière  qu'elle  est,  elle  proteste  avec  indignation  : 
«  Par  ma  foi,  révérence  gardée,  je  vous  ose  bien  dire  et  jurer,  sur  peine 
de  ma  vie,  que  c'est  le  plus  noble  chrétien  de  tous  les  chrétiens.  » 
«  Réclamer  le  sang  royal,  de  la  part  de  Dieu,  c'est  l'office  de  ce  céleste 
justicier.  » 

Pareillement,  elle  est  envoyée  pour  remettre  en  pays  de  France  les 
choses  et  les  gens  «  dans  l'ordre  et  l'équité,  »  se  faire  rendre  les  clés  «  des 
bonnes  villes  prises  et  violées  »  par  l'ennemi,  le  «  bouter  hors  »  du  sol 
injustement  usurpé.  Quels  cris  libérateurs,  quels  gestes  entraînants,  quel 
élan  irrésistible,  quels  appels  frémissants  sortent  de  son  âme  impatiente 
de  délivrer  de  la  domination  étrangère  la  terre  de  France  ! 

Lra  conscience  humaine  est  terre  sacrée  aussi.  De  ces  droits  immor- 
tels, le  «  grand  cœur  »  de  Jeanne  a  le  sentiment  très  vif.  Il  ne  fait  pas 
bon  toucher  à  son  âme  !  Quand  on  l'insulte,  cette  créature  de  douceur  et 
de  grâce  candide  se  redresse  ;  si  l'on  doute  de  sa  parole,  elle  fait 
irradier  sa  fière  loyauté  ;  lorsqu'on  la  calomnie,  elle  cingle  de  ses 
railleries  indignées  les  menteurs  qui  l'outragent,  ou  bien  elle  en  appelle 
noblement  à  Dieu,  à  l'Église,  au  pape,  «  de  tous  les  torts  qu'on  lui 
fait  »  ;  enfin,  lorsqu'on  suspecté  ou  qu'on  menace  sa  vertu,  elle  est 
terrible  aux  soudards  ou  aux  geôliers  insolents. 

Comme  son  épée,  sa  parole  a  des  éclairs. 

Eclairs  allumés  au  foyer  d'une  âme  éprise  d'honneur,  de  droiture  et 
de  justice. 

L/a  vaillance  est  une  autre  marque  des  âmes  magnanimes.  Le 
*  courage  de  l'esprit  »  n'est  rien  sans  le  «  courage  du  cœur.  »  Celui-ci  ne 
recule  devant  aucun  sacrifice. 

«  Au  travers  des  périls,  un  grand  cœur  se  fait  jour  »  (Racine). 

Jeanne  d'Arc,  la  timide  pastourelle,  soulevée  au-dessus  d'elle-même 
par  le  souffle  de  Dieu,  s'est  montrée  égale,  supérieure  même,  aux  plus 
héroïques  champions  des  causes  chères  à  la  France  et  soutenues  par  elle 
le  long  des  siècles. 

Libératrice  de  son  peuple,  elle  a  connu  et  elle  a  subi  toutes  les 
épreuves  familières  à  ceux  qui  ont  une  œuvre  de  délivrance  à  accomplir  : 


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opposition  familiale,  scepticisme  des  uns,  persiflage  des  autres,  fatigues, 
combats,  sanglants  échecs,  victoires  plus  sanglantes  encore  :  elle  a  tout 
affronté  avec  un  cœur  intrépide. 

Rédemptrice  de  son  pays,  qu'elle  doit  remettre  dans  la  voie  de  sa 
providentielle  vocation,  elle  pâtit  et  elle  s'immole  :  c'est  le  sort  de  tous 
ceux  qui  ont  le  devoir  de  racheter  les  âmes,  les  peuples,  le  monde.  «  Il 
n'y  a  pas  de  rémission,  dit  le  grand  apôtre,  sans  effusion  de  sang.  »  C'est 
pourquoi  le  sien  coule  devant  Orléans  ;  elle  souffre  pour  le  salut  de  la 
Patrie,  elle  meurt  afin  d'en  être  la  rançon. 

O  Jeanne  au  cœur  vaillant  et  fort,  soyez  encore  la  libératrice  et  la 
rédemptrice  de  la  France  !  Unis  au  sacrifice  de  ce  Jésus  que  vos  lèvres 
mourantes  invoquaient  si  ardemment,  votre  vie  et  votre  supplice  ont  de 
quoi  racheter  tous  les  siècles  de  notre  histoire.  Quel  siècle  eut,  plus  que 
le  nôtre,  besoin  de  vous  ?  Mais  aussi,  en  quel  siècle,  ô  Vierge,  ô  Fleur  de 
France,  en  quel  siècle  fûtes-vous  plus  invoquée  et  plus  aimée  ? 

Dernier  trait.  —  Un  cœur  n'est  grand  que  s'il  est  bon. 

J  eanne  est  douce  envers  ses  compagnes,  aimante  envers  son  père  et 
sa  mère,  tendre  pour  les  petits  enfants,  compatissante  à  l'égard  des 
mères  douloureuses,  pitoyable  aux  pauvres,  secourable  aux  soldats 
blessés,  même  à  ses  ennemis.  Elle  ressent  toutes  les  émotions  de  l'âme 
humaine,  elle  est  triste,  elle  est  joyeuse,  elle  souffre,  elle  aime,  elle 
pleure  ;  oui,  elle  pleure  amèrement  en  quittant  son  village  ou  en  voyant 
couler  le  sang  français,  elle  pleure  même  sur  la  ville  de  son  martyre  et 
sur  les  bourreaux  qui  vont  la  brûler  vive.  Par  là,  disait  Mgr  Dupanloup, 
par  là  elle  appartient  à  l'humanité.  Par  là  elle  appartient  aussi  au  Ciel, 
car  c'est  du  cœur  de  Dieu  que  la  bonté  vient  s'épanouir  dans  les  grands 
cœurs. 

Far  là,  par  sa  bonté,  par  son  courage,  comme  par  sa  passion  de  la 
justice,  elle  appartient  surtout  à  la  France. 

Jeanne  d'Arc  vit  toujours  dans  la  France! 

Fendant  l'horrible  guerre  qui  vient  de  s'achever  dans  la  victoire,  son 
âme  palpitait  encore  au  sein  de  nos  armées. 

-La  même  ardeur  pour  le  triomphe  de  notre  juste  cause,  la  même 
vaillance,  la  même  bonté  humaine  et  chrétienne  les  animaient  et  les 
enflammaient. 


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Le  souvenir  de  la  Pucelle  d'Orléans  clamant  à  ses  compagnons 
d'armes  :  «  En  avant  !  »  exaltait  leur  courage. 

L-a  vision  de  l'héroïque  martyre  du  patriotisme,  debout  sur  le  bûcher 
de  Rouen,  d'oîi  son  âme  va  s'élancer  dans  le  Paradis,  les  remplissait 
d'espérance.  Enveloppée  dans  les  plis  de  sa  longue  robe  blanche,  entre 
le  ciel  bleu  de  France  et  les  rouges  flammes  qui  montent  vers  elle, 
Jeanne  d'Arc  leur  apparaissait  comme  l'image  vivante  de  la  France, 
éprouvée  un  jour,  glorieuse  le  lendemain. 

La  pensée  de  cette  protectrice  priant  pour  eux  Jésus  et  Notre-Dame, 
excitait  leur  générosité  et  avivait  leur  enthousiaste  confiance. 

Ces  espoirs  n'ont  pas  été  trompés. 

vjrâce  à  eux  et  grâce  à  l'ange  tutélaire  qui  planait  sur  leurs  bataillons, 
grâce  à  notre  Jeanne  d'Arc,  la  France  restera  dans  l'avenir,  comme  elle 
le  fut  dans  le  passé,  la  France  «  au  grand  cœur.  » 

Saint-Flour,  le  17  novembre  1918. 


JEANNE  D'ARC  ET  LE  BON  PLAISIR  DIVIN 

Le  bon  plaisir  divin,  c'est-à-dire  la  Wolonté  de  Dieu,  ordonnant 
l'ensemble  et  le  détail  de  notre  vie  :  voilà  notre  grande  règle   morale. 

V  oulez-vous  faire  le  bien  ?  Voulez-vous  accomplir  votre  devoir,  tout 
votre  devoir  ?  Faites,  en  toutes  choses,  la  volonté  de  Dieu.  Ainsi,  vous 
serez  dans  l'ordre  et  dans  la  règle.  Ainsi,  vous  serez  dans  la  paix  ; 
puisque  la  paix,  selon  la  belle  parole  de  saint  Augustin,  c'est  la 
tranquillité  de  l'ordre  :  «  Tranquillitas  ordinis.  » 

Les  saints,  d'ailleurs,  n'ont  fait  que  suivre  l'enseignement  de  Jésus- 
Christ  dans  la  grande  prière  :  «  Que  votre  volonté  soit  faite  !  »  Ils  n'ont 
fait  qu'imiter  l'exemple  du  Sauveur,  voulant  en  tout  acquiescer  à  la 
volonté  divine  et  en  faire  sa  nourriture  :  «  Oui,  mon  père,  puisque  tel 
est  votre  bon  plaisir  !  »  Si  leurs  voies  ont  été  multiples  et  variées,  du 
moins  n'ont-ils  pu  se  sanctifier  et  être  proposés  par  l'Eglise  en 
exemple,  que  grâce  à  la  perfection  héroïque  avec  laquelle  ils  ont  pratiqué 
la  divine  volonté. 

Saint  François  de  Sales  nous  a  exposé  lumineusement  cette  doctrine  : 
«  Ne  regardez  nullement  à  la  substance  des  choses  que  vous  faites, 
écrit-il,  mais  à  l'honneur  qu'elles  ont,  toutes  chétives  qu'elles  soient, 
d'être  voulues  de  Dieu,  ordonnées  par  sa  providence  et  disposées 
par  sa  sagesse...  » 

lit  le  saint  docteur  dit  encore,  élargissant  cet  enseignement  :  «  O  Dieu, 
que  votre  volonté  soit  faite  non  seulement  en  l'exécution  des  comman- 
dements, conseils  et  inspirations  qui  doivent  être  pratiqués  par  nous, 
mais  aussi,  en  la  souffrance  des  afflictions  et  peines  qui  doivent  être 


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reçues  en  nous,  afin  que  votre  volonté  fasse,  par  nous,  pour  nous,  en 
nous  et  de  nous,  tout  ce  qu'il  lui  plaira,  » 

Or,  toute  la  vie  de  notre  Bienheureuse  Jeanne  d'Arc,  notre  douce 
héroïne,  est  une  application  de  cette  doctrine  de  sainteté. 

Toute  petite,  Jeanne  est  élevée  dans  l'amour  de  Dieu  et  dans  l'ac- 
complissement de  la  volonté  de  son  «  droiturier  »  Seigneur.  Avec  quelle 
ferveur  elle  redit,  dans  le  Pater,  la  demande  :  que  votre  volonté  soit  faite  ! 

Bientôt,  dans  le  calme  d'un  beau  jour  d'été,  après  les  derniers 
tintements  de  l'Angelus,  les  voix  célestes  l'appellent  :  «  Jeannette  ! 
Jeannette  !  »  Elle  est  heureuse  et  troublée.  Sa  seule  parole  est  celle-ci  : 
«  Seigneur,  Seigneur,  manifestez-moi  votre  volonté  !  » 

Il  y  a  grande  pitié  au  royaume  de  France,  et  saint  Michel  dit  à  la 
petite  bergère  :  «  Pars,  va  en  France...  il  le  faut  !  » 

Elle  objecte  bien,  en  pleurant,  à  l'archange  :  «  Je  ne  suis  qu'une 
pauvre  fille  ;  je  ne  connais  ni  A  ni  B  ;  je  ne  sais  ni  monter  à  cheval, 
ni  faire  la  guerre.  » 

JVlais,  elle  ajoute,  agenouillée  et  docile  :  «  Je  suis  prête,  indiquez-moi 
les  moyens  ;  quand  le  moment  sera  venu,  je  partirai.  » 

Elle  part,  obéissante.  A  Vaucouleurs,  on  lui  demande  :  «  Quel  est 
ton  Seigneur  ?»  —  Elle  répond  :  .«  C'est  le  roi  du  Ciel.  » 

Et  son  obéissance  à  Dieu  est  non  seulement  joyeuse,  mais  immédiate  : 
«  Plutôt  aujourd'hui  que  demain,  plutôt  demain  qu'après.  » 

«  Ce  n'est  pas  de  moi  que  j'agis,  répète-t-elle...  Je  viens  de  la  part  du 
roi  du  Ciel.  »  Aussi,  avait-elle  eu  soin  de  placer  sur  son  écu,  juste  symbole 
de  son  programme  de  vie,  la  blanche  colombe  aux  ailes  déployées  et 
portant  une  banderoUe  avec  ces  mots  :  «  De  par  le  roi  du  Ciel.  » 

Son  obéissance  au  bon  plaisir  divin  va  lui  permettre  de  chanter  les 
plus  belles  victoires. 

A  Orléans,  sa  première  parole  aux  ennemis  renfermés  dans  le  bastion 
des  Tourelles  signifie  qu'elle  est  exécutrice  de  la  volonté  divine  :  «  Noble 
chevalier,  s'écrie-t-elle  à  Glasdall,  rendez-vous  au  bon  plaisir  de  Dieu, 
et  vous  aurez  la  vie  sauve  !  » 

A  l'assaut  des  Tourelles,  elle  est  visée  par  les  plus  habiles  d'entre 
les  archers  anglais.  Elle  tombe  blessée  dans  le  fossé.  Héroïne,  mais  non 
insensible,  elle  pleure  ;  et,  comme  des  hommes  d'armes  proposent  de  la 


guérir  par  quelque  sortilège,  elle  réplique  aussitôt  :  «  Plutôt  mourir  que 
de  commettre  un  péché  :  la  volonté  de  Dieu  soit  faite  !  Si  l'on  sait  à  mon 
mal  quelque  remède  permis,  je  veux  bien  qu'on  l'emploie.  » 

Puis,  de  sa  propre  main,  elle  arrache  le  trait  de  sa  blessure.  Après  la 
prise  des  Tourelles,  les  Anglais  offrent  le  combat.  Jeanne  range  ses 
troupes  en  bataille  ;  mais,  fidèle  à  ses  Voix,  elle  veut  différer  l'action. 
Écoutez  comment  elle  ordonne  ce  retard  :  «  C'est  le  plaisir  et  la  volonté 
de  Dieu  qu'on  permette  aux  Anglais  de  partir  s'ils  le  veulent.  » 

En  quatre  jours,  elle  a  pris  Orléans,  qui  était  assiégé  depuis  sept  mois  ; 
Orléans  défendu  par  dix  mille  Anglais  :  Orléans  aux  treize  forteresses 
défiant  tous  les  assauts.  La  gloire  ne  la  trouble  pas.  Son  cœur,  plus  que 
jamais,  cherche  à  se  conformer  au  divin  vouloir  :  «  Je  serais  la  plus 
désolée  de  l'univers,  dit-elle,  si  je  pensais  n'être  pas  dans  la  grâce 
de  Dieu.  » 

Au  duc  d'Alençon,  qui  paraît  hésiter  sur  l'opportunité  de  l'attaque 
de  Jargeau,  elle  redit  le  cri  des  croisades  :  «  Ne  craignez  pas.  Il  faut 
savoir  se  mettre  à  l'œuvre  lorsque  Dieu  le  veut.  Travaillez  donc  et 
Messire  travaillera  pour  nous.  » 

L  heure  est  venue  du  sacre  de  Charles  VII.  La  cathédrale  de  Reims 
offre  un  grandiose  spectacle.  C'est  la  victoire.  C'est  le  triomphe.  Les 
voûtes  du  temple  retentissent  du  son  des  trompettes  et  des  acclamations 
de  la  foule  :  «  Vive  le  roi  à  jamais  !  Noël  !  Noël  !  »  Jeanne  est  là,  heureuse 
et  émue.  Son  souhait  au  roi  évoque  la  volonté  de  Dieu  :  «  Noble  roi, 
maintenant  est  accomplie  la  volonté  de  Dieu,  qui  m'avait  commandé  de 
lever  le  siège  d'Orléans  et  de  vous  amener  en  cette  cité  de  Reims  pour 
recevoir  les  saintes  onctions  du  sacre.  » 

Jrlus  tard,  à  l'entrée  du  cortège  royal  dans  Crépy-en-Valois,  le 
chancelier  l'interroge  :  «  Jeanne,  en  quel  lieu  croyez -vous  mourir  ?»  — 
«  Où  il  plaira  à  Dieu,  »  répond-elle. 

JL.  horizon  de  Jeanne  s'assombrit.  Elle  demande  à  ses  saintes  :  «  Dites- 
moi  quand  on  me  fera  captive  ?  Au  moins  que  je  ne  languisse  pas  en 
prison,  mais  que  je  meure  bien  vite  !»  —  «  Prends  tout  en  gré,  » 
répondent  les  Voix.  Et  Jeanne  prend  tout  en  gré. 

Jille  est  trahie,  vendue  ;  elle  est  prisonnière,  couverte  de  chaînes, 
exposée  dans  une  cage  de  fer,  comme  une  bête  fauve  :  elle  prend  tout  en 
gré,  elle  agit  bien  et  selon  Dieu. 


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Son  procès,  aux  interrogations  traîtresses,  n'altère  pas  la  sérénité  de 
son  âme.  Tant  de  fois,  nous  l'entendrons  répondre  :  «  Je  m'en  rapporte 
à  Notre-Seigneur,  dont  je  ferai  toujours  le  bon  commandement.  » 

Son  âme  est  abreuvée  d'angoisses.  Sur  le  bûcher,  en  face  de  l'écriteau 
qui  l'accuse  des  crimes  les  plus  honteux,  dans  les  horreurs  du  supplice, 
elle  souffre  tout,  jusqu'à  la  fin,  en  parfaite  soumission  à  ce  que  Dieu 
a  permis. 

A  chaque  page  de  cette  vie  admirable,  vous  lirez  comment  Jeanne 
d'Arc  a  été  l'humble  et  fidèle  servante  de  Dieu. 

O  Jeanne,  notre  libératrice,  apprenez-nous  cette  sublime  sagesse  qui 
consiste  à  faire,  toujours  et  en  tout,  le  bon  plaisir  divin  ! 

Nantes,  le  6  janvier  1919. 


-IIMM 


JEANNE    D*ARC 

ET    LA    VICTOIRE    MORALE    DE    LA    FRANCE 


Cinq  siècles  après  que  Jeanne  d'Arc  l'eût  magnifiquement  libérée 
par  ses  victoires  et  ses  immolations,  notre  France  bien-aimée  a  vu  se 
dresser  contre  elle  les  plus  redoutables  périls.  Un  double  assaut  a  menacé 
et  sa  vie  religieuse  et  son  existence  nationale.  De  ce  dernier  elle  est 
sortie  victorieuse  ;  en  sera-t-il  de  même  pour  l'autre  ? 

Il  semblait  qu'au  lendemain  de  nos  désastres  de  1870,  tous  les  enfants 
de  la  France  meurtrie,  unis  dans  un  même  élan  d'amour  patriotique  et 
d'affection  mutuelle,  eussent  dû  appliquer  toutes  leurs  énergies  intellec- 
tuelles, morales  et  physiques,  au  relèvement  de  la  Patrie.  Hélas  ! 
pendant  près  de  quarante  ans,  l'impiété  n'a  cessé  de  tramer  dans  l'ombre 
et  de  déchaîner  au  dehors  une  guerre  atroce  à  notre  foi  catholique.  Qui 
n'a  vu  passer  à  travers  la  France,  tel  un  cyclone  dévastateur,  un  souffle 
violent  de  haine  anti-chrétienne  ?  Qui  n'a  craint  de  le  voir  tout  emporter  ? 

iVlais  la  voix  de  Celui  qui  tient  ici-bas  la  place  de  Jésus-Christ  s'est 
fait  entendre.  A  la  fois  héritier  de  l'autorité  suprême  et  du  cœur  magna- 
nime de  Martin  V,  qui,  seul  parmi  les  souverains,  se  refusa  à  confirmer 
la  mise  sous  le  joug  anglais  de  la  Fille  aînée  de  l'Eglise,  le  grand  pape 
Pie  X,  à  son  tour,  l'a  sauvée  du  joug  dégradant  de  la  libre-pensée. 
Comme  autrefois  les  apôtres  aux  Césars,  il  a  dit  :  «  Non  possumus  !  »  k 
l'impiété  triomphante.  Certes,  le  père  commun  des  fidèles  savait  à  quelle 
pauvreté  cruelle  son  refus  vouerait  l'Église  de  France,  mais  il  savait 
aussi  qu'elle  n'hésiterait  pas  à  préférer  toutes  les  privations  au  bien-être 
dans  l'esclavage  et  dans  le  schisme.  Il  savait  qu'à  sa  voix  l'âme  catho- 


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lique  de  la  France  retrouverait,  d'un  bout  à  l'autre  du  territoire,  les 
énergies  que  l'ennemi  croyait  disparues.  —  «  Folie  et  désastre,  qu'une 
telle  politique  !  »  a  clamé  de  toute  part  la  horde  impie.  Dans  l'excès 
de  sa  rage  sectaire,  ne  pouvant  s'élever  jusqu'aux  régions  surnaturelles 
d'où  viennent  à  l'Église  ses  lumières  et  sa  force,  elle  fut  frappée  de 
stupeur.  Ainsi  avaient  été  confondus  les  courtisans  de  Charles  VII  par  la 
politique  toute  surnaturelle  de  notre  Jeanne  d'Arc.  Trompant  toutes  les 
prévisions  humaines,  mais  puissamment  aidée  du  secours  d'En-Haut, 
elle  délivra  le  pays  du  joug  anglais.  Et  c'est  par  cette  même  vertu  que 
sera  définitivement  brisé  le  joug  de  l'impiété  persécutrice. 

Elle  est  évidente  à  tout  esprit  éclairé  des  lumières  de  la  foi,  l'inter- 
vention de  notre  Jeanne  dans  la  lutte  de  la  France  chrétienne  pour  son 
relèvement  moral.  Dieu,* dont  la  Providence  pourvoit  à  l'accomplissement 
des  destinées  des  hommes  et  des  peuples,  a  mis  cette  puissante  inter- 
vention dans  le  plan  du  triomphe  final  que  nous  poursuivons.  N'en 
doutons  pas  !  Celle  qu'il  y  a  neuf  ans,  Pie  X  a  béatifiée,  celle  que  le 
glorieux  Benoît  XV,  qui  aime  tant  la  France  —  la  France  tout  court  — 
va  canoniser  cette  année,  était  destinée  à  protéger  et  à  sauver  la  France 
une  seconde  fois  ;  elle  avait  mission  d'aider  au  triomphe  de  nos  armes  à 
la  tête  de  nos  alliés,  de  sauver  le  droit  et  la  civilisation  du  monde  et  de 
confirmer  à  nouveau  cette  gloire  de  notre  Patrie  :  «  Gesta  Dei  per 
Francos.  »  L'histoire  dira  à  tous  les  siècles  à  venir,  que  le  3  septembre 
1914,  notre  général  en  chef  arrêtait  les  Allemands  dans  leur  marche  sur 
Paris  et  remportait  la  victoire  de  la  Marne  avec  le  mot  d'ordre  «  Jeanne 
d'Arc.  »  L'histoire  dira  que  les  obus  ennemis  ont  épargné  en  maints 
endroits,  par  une  sorte  de  miracle,  la  statue  de  notre  héroïne  nationale  ; 
elle  dira  que  nombre  de  faits  remarquables  de  la  grande  guerre,  encore 
peu  connus,  prouvaient  que  le  bras  de  Jeanne  combattait  avec  nous  ! 

iVlais  le  radieux  triomphe  de  la  France  par  les  armes  n'est  pas 
l'œuvre  unique  de  Jeanne  ;  la  vierge  de  Domremy,  l'Eglise  le  proclame, 
a  été  suscitée  «  pour  la  défense  de  la  foi  et  de  la  Patrie.  » 

XLlle  a  sauvé  le  sol  de  la  France,  elle  doit,  maintenant,  sauver  sa  foi. 

Wulle  âme  croyante  ne  saurait  admettre  que  notre  héroïne  bornât 
son  action  aux  succès  matériels  de  notre  pays.  Sans  doute,  ils  sont 
nécessaires  et  nous  applaudissons  de  tout  cœur  aux  efforts  de  ceux  qui 
cherchent  à  refaire  une  France  plus  grande  et  plus  forte  qu'avant  la 
guerre.  Mais  cela  ne  suffit  pas  !  Il  faut  que  ce  relèvement  s'accomplisse 
dans  la  foi  du  Christ.  L'heure  est  venue  de  travailler  plus  que  jamais  au 


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bien  de  la  religion,  et  faillir  à  cette  tâche  serait  une  noire  ingratitude 
envers  Jeanne,  notre  alliée  céleste,  et  envers  Dieu  qui  nous  l'a  donnée.  — 
La  guerre  a  rapproché  les  âmes  de  Dieu,  c'est  incontestable.  Les 
en  a-t-elle  rapprochées  par  une  conversion  sincère  et  durable  ?  Qui 
l'oserait  affirmer  ?  Et  cependant  c'est  dans  le  retour  définitif  de  la 
France  à  la  religion  que  réside  le  relèvement  moral  dont  elle  a  besoin 
pour  être  à  même  d'accomplir,  dans  son  intégralité,  l'œuvre  de  son 
relèvement  intellectuel  et  matériel,  pour  exercer  réellement  son  action 
civilisatrice  au  dedans  et  au  dehors.  Et  c'est  dans  Jeanne  d'Arc  que  le 
peuple  de  France  trouvera  l'exemple  des  deux  moyens  indispensables 
de  son  retour  à  la  foi  :  l'esprit  de  sacrifice  dans  l'accomplissement  du 
devoir  religieux  et  l'obéissance  à  la  voix  de  ses  chefs  spirituels. 

Jeanne  se  sacrifia  jusqu'à  la  mort.  A  son  exemple  et  sous  son 
inspiration,  les  âmes,  dès  qu'a  sonné  le  tocsin,  se  sont  ouvertes  à  l'amour 
héroïque  du  devoir.  Tandis  que  nos  soldats  le  prouvaient  dans  les 
combats  et  dans  la  mort,  ceux  de  l'arrière  le  prouvaient  dans  l'ardeur 
d'un  travail  incessant  et  dans  la  sublimité  de  leur  courage  devant  la 
disparition   des  êtres  chéris  que  la  mort  leur  arrachait. 

Hélas,  au  milieu  des  douceurs  de  la  paix  et  des  plaisirs  faciles  des 
lendemains  de  cataclysmes,  les  défaillances  seront  nombreuses.  Qu'im- 
porte !  les  âmes  fortes  seront  le  plus  grand  nombre.  La  preuve  en  est  dans 
les  résultats  si  pleins  d'espoir  de  la  dernière  consultation  nationale.  Nous 
y  trouvons  avec  joie  la  certitude  que  la  très  grande  majorité  des  Français 
reste  fidèle  à  son  idéal  de  paix  et  de  concorde.  Tous  savent  qu'un  jour 
prochain  des  relations  officielles  seront  renouées  entre  le  gouvernement 
de  la  République  et  le  Vatican.  Il  est  permis  d'espérer  que,  de  ce  fait, 
l'Église  de  France  retrouvera,  avec  les  égards  de  la  justice  qui  lui  sont 
dus,  une  amélioration  de  son  sort  matériel  et  une  plus  grande  liberté 
d'action.  Faisons-en  remonter  le  mérite  jusqu'à  Jeanne  d'Arc,  dont 
l'exemple  et  l'intervention  surnaturelle  ont  produit  dans  notre  pays  le 
réveil  catholique  dont  l'élan  se  poursuit  encore. 

A  elle  aussi,  la  France,  revenue  à  son  Dieu,  demandera  l'exemple  de 
l'obéissance  à  la  voix  des  chefs  autorisés  de  l'Église  et  la  force  de  l'imiter. 

Son  rôle  a  été  une  éclatante  confirmation  de  la  promesse  de  l'Écriture  : 
«  Les  obéissants  raconteront  des  victoires.  »  Après  avoir  entendu  l'ordre 
du  Ciel,  Jeanne  n'hésita  pas.  «  Quand  j'aurais  eu,  dit-elle,  cent  pères  et 
cent  mères,  et  que  j'eusse  été  fille  de  roi,  je  serais  partie  !  » 


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Nous,  nous  n'avons  pas  à  obéir  à  des  ordres  individuels  surna- 
turellement  révélés  ;  mais  comme  la  douce  Lorraine,  nous  devons  obéir 
à  Dieu  dans  la  personne  de  ceux  qui  le  représentent  ici-bas.  De  même 
que  Jeanne  exerçait  son  autorité  sur  les  bataillons  qu'elle  groupait  et 
menait  à  la  victoire,  ainsi  l'Église,  société  parfaite,  «  a  reçu  de  son  auteur 
le  mandat  de  combattre  pour  le  salut  du  genre  humain  comme  une 
armée  rangée  en  bataille.  »  Notre  devoir  est  donc  de  combattre  sous 
l'autorité  des  chefs  et  dans  l'union  la  plus  étroite  ;  à  ce  prix  la  France 
vaincra.  Saint  Paul  exhortait  ainsi  ses  fidèles  :  «  Mes  frères,  je  vous  en 
conjure  par  le  nom  de  Notre  Seigneur  Jésus-Christ,  qu'il  n'y  ait  pas  de 
division  parmi  vous  ;  ayez  entre  vous  le  plus  parfait  accord  de  pensées 
et  de  sentiments.  »  Possédant,  nous  aussi,  le  même  esprit  de  foi,  nous 
posséderons  le  principe  tutélaire  d'où  découlent,  comme  d'elles-mêmes, 
l'uniformité  dans  la  conduite  et  l'union  des  volontés. 

Courage  et  confiance  !...  Dans  notre  France  bien-aimée,  Jeanne  a  fait 
l'union  des  cœurs  devant  l'envahisseur  et  nous  a  conduits  à  la  victoire. 
Jeanne  fera  aussi  dans  notre  Patrie  l'union  des  âmes  dans  la  même  foi 
catholique  et  nous  conduira  au  triomphe  contre  l'impiété  ! 


Oran,  dans  l'octave  de  l'Epiphanie  1 920 


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JEANNE    D'ARC 

ET    LE    DIOCÈSE    DE    BAYEUX 


Il  semble,  de  prime  abord,  que  le  territoire  qui  forme  aujourd'hui 
le  diocèse  de  Bayeux  soit  demeuré  étranger  aux  événements  de  1429-1431. 
Jeanne  d'Arc  n'est  jamais  venue  chez  nous,  et,  à  l'heure  où  elle  combattait 
pour  la  délivrance  d'Orléans  et  de  la  France,  la  domination  anglaise 
était  solidement  établie  dans  notre  région. 

En  1429,  la  région  était  tellement  soumise  que  Salisbury  n'hésita  pas 
à  envoyer  devant  Orléans  les  trois  meilleurs  capitaines  anglais  qu'il 
avait  chez  nous.  Tous  trois  virent  Jeanne  de  près,  puisqu'ils  furent  faits 
prisonniers  en  la  combattant. 

Scales,  capitaine  de  Domfront  dès  1427,  fut  pris  près  de  Patay,  le 
18  juin  1429,  et  ne  revint  qu'après  la  mort  de  Jeanne,  comme  capitaine 
de  Vire  et  sénéchal  de  Normandie.  Talbot,  qui  s'était  distingué  en  1417, 
au  siège  de  Caen,  fut  pris  le  même  jour  et  dans  la  même  rencontre  que 
Scales.  Suffolk,  lieutenant  général  du  bailliage  de  Caen  dès  1425,  fut  pris 
à  Jargeau,  dès  le  12  juin  1429. 

Nous  n'avons  le  nom  d'aucun  chevalier  de  notre  région  qui  ait 
combattu  sous  les  ordres  de  Jeanne  d'Arc.  Mais,  quand  l'héroïne  fut 
morte,  il  passa  ici  un  grand  souffle  de  patriotisme.  En  1431,  Ambroise 
de  Loré  attaque  les  Anglais  en  pleine  foire  de  Caen,  En  1434,  Cantepie, 
avec  4000  hommes,  se  bat  dans  les  faubourgs  de  Caen.  En  1441,  des 
complots  éclatent  partout,  à  Ronfleur,  à  Lisieux,  à  Falaise,  et  ce  soulè- 
vement aboutit  à  la  glorieuse  journée  de  Formigny,  le  15  avril  1450,  qui 
marque  le  début  de  la  définitive  libération  du  territoire,  dont  nos  églises, 
chaque  année,  célèbrent  encore  le  pieux  anniversaire. 


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Parmi  les  deux  évêques  qui  s'honorèrent,  en  1431,  en  refusant  de 
souscrire  aux  conclusions  des  juges  anglais,  figure  Zanon  de  Castiglione, 
évêque  de  Lisieux.  Devenu  plus  tard  évêque  de  Bayeux,  pour  laisser 
son  siège  à  Pierre  Cauchon,  lequel  était  encore  évêque  de  Beauvais  en 
1431  et  mourut  avant  la  réhabilitation,  Zanon  de  Castiglione  n'eut  qu'à 
maintenir  en  1455  son  premier  jugement  pour  soutenir  la  cause  de  la 
Bienheureuse  Jeanne 

Un  autre  souvenir  nous  relie  à  la  Pucelle,  En  1429,  Charles  VII 
anoblit  Jeanne  et  sa  famille,  et  décida  que,  par  un  privilège  unique,  cette 
noblesse  se  transmettrait  par  les  femmes  aussi  bien  que  par  les  hommes. 

Or,  Pierre  du  Lys,  propre  frère  de  Jeanne,  avait  une  fille,  Catherine, 
qui  épousa  François  de  Villebresne,  receveur  des  domaines  à  Orléans. 
De  ce  mariage  naquit  une  fille,  qui  épousa  à  son  tour  Jacques  Le  Foumier, 
lequel  devint  receveur  des  tailles  à  Caen  et  acquit,  en  1520,  la  baronnie 
de  Tournebu.  Leurs  enfants  et  petits -enfants,  très  nombreux,  s'unirent 
dans  la  région  avec  un  grand  nombre  de  familles  bas-normandes. 

Aujourd'hui  encore,  il  y  a,  dans  notre  diocèse,  bon  nombre  de  familles 
qui  se  font  gloire  d'être  de  la  parenté  de  la  Bienheureuse  Jeanne  d'Arc. 

Enfin,  ce  diocèse  est  heureux  d'avoir  donné  le  jour  au  grand  évêque 
qui  a  fait  de  la  canonisation  de  Jeanne  d'Arc  la  cause  de  sa  vie. 


Bayeux,  le  15  novembre  1919 


JEANNE    D^ARC 

IDÉAL    RADIEUX    DE    FIDÉLITÉ 


Fidèle,  elle  l'a  été  dans  les  entraînements  de  la  victoire,  au  milieu 
du  camp,  à  la  Cour,  toujours. 

Fidèle,  elle  le  sera  encore  dans  les  plus  effroyables  épreuves  qui 
puissent  broyer  un  cœur  de  dix-neuf  ans. 

En  quelques  mois,  du  faîte  de  la  gloire,  elle  est  précipitée  au  fond 
de  l'abîme. 

Cette  héroïne  si  pure,  cette  libératrice  de  son  pays,  cette  sainte 
enfant  est  bientôt  trahie,  abandonnée,  brûlée  vive. 

L  Angleterre  l'ordonne,  un  évêque  l'exécute,  la  France  le  laisse  faire, 
Dieu  le  permet. 

Et  Jeanne  d'Arc  n'est  pas  déconcertée  ;  elle  ne  s'aigrit  pas,  elle  ne  se 
révolte  pas,  elle  reste  la  même  :  lucide  de  pensée,  précise  de  parole, 
douce  et  sereine  d'âme,  inébranlable  dans  ses  sentiments,  toujours  fidèle 
à  la  France,  à  Dieu.  Ah  !  que  c'est  beau  ! 

L  entendez-vous  devant  ses  juges  ou  dans  sa  prison  ?  On  veut  lui 
faire  dire  qu'elle  s'est  trompée,  que  la  France  périra,  que  l'Angleterre 
sera  victorieuse  :  «  Non  !  non  !  s'écrie-t-elle.  Vous  pouvez  bien  m'enchaîner, 
vous  n'enchaînerez  pas  la  fortune  de  la  France  !  » 

*  V  ous  pouvez  m'étouffer,  moi,  frêle  petite  colombe,  dans  la  main  qui 
m'étreint  ;  mais  vous  n'atteindrez  pas  l'oiseau  de  haut  vol,  l'aigle  qui  a 
son  aire  dans  le  cœur  même  de  Dieu  !  » 

(1)  Cette  page  nous  a  été  envoyée  par  Mgr  Lenfant.  évêque  de  Digne,  au  retour  de  son  voyage  de  conférences  au 
Canada,  en  1916  ;  le  distingué  prélat  est  décédé  en  1917. 


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«  La  France  vous  vaincra,  elle  vous  chassera,  barbares  envahisseurs  ; 
qui  que  vous  soyez,  la  France  n'est  pas  à  vous  !  La  France  est  à  Dieu  !  » 

«  Guerroyer  contre  la  France,  c'est  guerroyer  contre  Jésus-Christ.  » 

Jeanne  d'Arc  est  encore  fidèle  à  l'Église,  et  en  quelles  circonstances 
poignantes  ! 

Les  ennemis  ont  soudoyé  des  prêtres,  un  évêque,  pour  la  condamner. 

M.ais  Jeanne  d'Arc  ne  s'y  trompe  pas  ! 

De  mauvais  prêtres,  un  mauvais  évêque  ne  sont  pas  l'Eglise,  pas 
plus  qu'un  traître  ne  fut  l'armée  ou  la  marine  françaises,  pas  plus  qu'une 
marâtre  ne  donne  l'idée  d'un  cœur  de  mère.  Jeanne  ne  s'y  trompe  pas  : 
«  Vous,  dit-elle,  vous  êtes  mes  ennemis  !  Quant  à  l'Église,  je  la  voudrais 
soutenir  de  tout  mon  pouvoir  pour  notre  foi  chrétienne.  Je  m'en  rapporte 
à  Notre  Saint-Père  le  pape  qui  est  à  Rome.  »  Et  quand  on  la  conduit  au 
bûcher,  elle  répète  :  «  Si  j'eusse  été  gardée  par  les  gens  d'église  et  non 
par  mes  ennemis,  il  ne  me  fût  pas  arrivé  malheur  !  » 

L'Église  a  répondu  à  la  confiance  de  Jeanne.  Vingt-cinq  ans  après, 
le  7  juillet  1456,  elle  ordonnait  que  Jeanne  fût  solennellement  réhabilitée 
à  Rouen,  à  Orléans,  dans  la  France  entière,  et,  maintenant,  elle  vient  de 
la  béatifier  à  la  face  du  Ciel  et  de  la  terre. 

Fidèle  à  la  France,  fidèle  à  l'Église,  l'héroïque  enfant  resta  surtout 
fidèle  à  son  Dieu.  Ce  n'est  pas  elle  qu'on  entendit  répéter,  ni  dans  sa 
prison,  ni  sur  le  bûcher  :  «  Dieu  n'est  pas  juste  !  Dieu  m'abandonne  !  Dieu 
n'est  pas  bon  !  »  On  veut  lui  persuader  que  Jésus  l'a  délaissée  :  «  Ah  ! 
s'écrie-t-elle  indignée,  que  Jésus  m'ait  failli,  je  le  nie  !  »  Et  ailleurs  : 
«  Du  moment  qu'il  a  plu  à  Dieu,  c'est  le  mieux  que  j'ai  été  prise.  »  Et 
ailleurs  :  «  J'ai  bon  Maître,  à  savoir  Notre-Seigneur,  en  qui  j'ai  confiance.  * 
Et  ailleurs  encore  :  «  De  tout,  je  m'en  remets  à  mon  Créateur,  je  l'aime 
de  tout  mon  cœur.  » 

Oh  !  maintenant,  il  faut  mourir  à  dix-neuf  ans  !  Et  de  quelle  manière  ! 
C'était  le  mercredi  30  mai  1431.  Dès  l'aube,  on  annonce  à  Jeanne  qu'elle 
va  être  brûlée  vive.  «  Brûlée  vive  !  brûlée  vive  !  s'écria-t-elle.  Oh  !  j'aurais 
préféré  être  décapitée  sept  fois  !  »  Mais  aussitôt  elle  pense  à  son  Jésus  ! 
Elle  demande  à  communier,  ce  qu'elle  fit  avec  une  ferveur  extraordinaire, 
qui  tirait  les  larmes  des  yeux  de  tous  les  assistants. 

Puis,  le  cortège  se  met  en  marche.  Entourée  de  800  soldats  et  d'une 
foule  immense  de  spectateurs,  revêtue  d'une  longue  robe  blanche,  portant 


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sur  la  tête  une  espèce  de  mître  sur  laquelle  on  avait  écrit  les  titres 
mensongers  de  sa  condamnation  :  «  Hérétique,  relapse,  sorcière,  » 
Jeanne  s'avance  debout  sur  son  char  d'ignominie.  Elle  pleure,  elle  prie, 
mais  ne  maudit  personne.  Elle  n'a  que  des  paroles  de  pardon,  de  foi, 
de  charité  pour  tous,  d'amour  et  de  confiance  pour  son  Dieu.  L'émotion 
gagne  la  foule,  les  sanglots  éclatent,  les  juges  eux-mêmes  versent  des 
larmes  ;  les  ennemis  de  Jeanne  craignent  de  voir  leur  proie  s'échapper  : 
«  Allons,  crient-ils  aux  bourreaux,  faites  votre  office  !  » 

La  sainte  victime  est  sur  le  bûcher;  à  quoi,  à  qui  pense-t-elle  ?  A  son 
Dieu,  toujours.  «  Une  croix  !  s'écrie-t-elle.  Qu'on  me  donne  une  croix  !  » 
Un  Anglais  en  fait  une  à  la  hâte  avec  deux  planches  du  bûcher  destiné 
à  la  brûler,  et  qui  vont  servir  à  la  réconforter.  Jeanne  la  prend,  la  baise 
et  la  met  sur  son  cœur  ;  mais  ce  n'est  pas  assez  :  «  La  croix  de  l'église  ! 
s'écrie-t-elle.  Qu'on  aille  me  chercher  la  croix  de  l'église  et  qu'on  la 
tienne  devant  mes  yeux  jusqu'à  la  mort.  »  Elle  veut  se  rappeler  comment 
Jésus  est  mort  pour  elle,  afin  de  mourir  pour  Lui,  avec  le  même  amour. 
Soudain,  elle  pousse  un  cri  :  «  Le  feu  !  Le  feu  !  »  Il  montait  ;  déjà  les 
premières  flammes  arrivent  jusqu'à  Jeanne  et  on  l'aperçoit  les  yeux  au 
Ciel,  murmurant  :  «  Jésus  !  Jésus  !»  On  ne  la  voit  plus,  des  tourbillons 
de  fumée  l'enveloppent  de  toutes  parts...  et  on  l'entend  toujours  répéter  : 
«  Jésus  !  Jésus  !  »  Sa  chair  virginale  crépite  sous  la  morsure  du  feu 
dévorant  ;  elle  n'a  plus  qu'un  souffle  et  on  l'entend  redire  :  «  Jésus  ! 
Jésus  !  »  Puis,  soudain,  c'est  fini  !  Jeanne  d'Arc  est  morte  ! 

Non  !  Elle  vivra  toujours  au  Ciel  et  sur  terre,  où  son  âme  se  survivra 
pour  jamais  dans  la  fidélité  à  Jésus-Christ  de  la  France  immortelle  ! 

Jamais  la  France  n'a  été  plus  digne,  après  Dieu,  de  tout  notre  amour. 
Sans  se  lasser,  elle  s'arme,  elle  lutte,  elle  répand  son  sang  à  flots  pour 
garder  notre  sol,  notre  honneur,  notre  liberté,  les  traditions  de  nos 
ancêtres  ;  elle  sauvegarde,  en  même  temps,  les  principes  les  plus  essen- 
tiels de  tout  droit,  de  toute  vie  nationale,  de  toute  civilisation,  de  toute 
paix  durable.  Elle  grandit,  chaque  jour,  dans  l'admiration  du  monde  entier. 

J  en  ai  été  le  témoin  ému  dans  les  prédications  et  les  conférences 
que  j'ai  données  en  Amérique  et  spécialement  à  Montréal,  la  plus  grande 
ville  du  Canada.  Il  me  suffisait  de  rappeler  quelques-unes  des  victoires 
de  la  France  ou  de  ses  glorieuses  épreuves,  ou  simplement  de  dire  son 
nom,  pour  susciter  les  sympathies  les  plus  profondes  et  souvent 
d'ardents  enthousiasmes. 


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Quels  élans  aurait  eus,  à  une  heure  comme  celle-ci,  la  Bienheureuse 
Jeanne  d'Arc,  elle  qui  frémissait  en  voyant  passer  près  d'elle  un  blessé 
qu'on  emportait  ! 

«  Ah  !  s'écriait-elle,  je  n'ai  jamais  vu  couler  sang  de  Français  sans  que 
les  cheveux  ne  se  dressassent  sur  ma  tête  !  » 

Ayons  tous  cette  compassion  profonde  pour  le  sang  français  qui 
coule  de  toutes  parts  ;  mais,  comme  la  sainte  héroïne,  traduisons-la  par 
des  actes  :  prions  sans  cesse,  devenons  meilleurs,  communions  avec  une 
ferveur  grandissante.  Quand  vous  aurez  Jésus-Christ  dans  vos  coeurs, 
souvenez-vous  qu'il  est  le  Dieu  des  armées,  le  maître  de  la  victoire, 
l'arbitre  des  nations,  le  sauveur  du  monde  ;  redoublez  de  confiance  ; 
répétez  lui  :  «  Jésus,  Jésus,  ayez  pitié  de  nous  !  Sauvez-nous  !  Assistez 
nos  admirables  soldats  !  Donnez-leur  la  victoire  !  Envoyez -nous  encore 
l'archange  saint  Michel,  qui  gagne  vos  batailles  !...  Qu'il  nous  aide  à 
remporter  un  triomphe  décisif  et  prochain  !  » 

Toute  la  France  croyante  priera  sur  terre  avec  nous,  pendant  que 
toute  la  France  de  nos  catholiques  ancêtres  va  prier  au  Ciel  avec  la  Bien- 
heureuse Jeanne  d'Arc  !  Confiance,  courage,  et  persévérance  invincible  ! 


Digne,  le  3  Juin  1916. 


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JEANNE  D'ARC  ET  LA  VIE  SURNATURELLE 


Il  nous  plaît  d'admirer  surtout  en  Jeanne  d'Arc  le  plein  épanouisse- 
ment de  la  vie  surnaturelle.  C'est  bien  par  là  qu'elle  est  la  grande  sainte 
de  la  Patrie  française. 

Jille  vit  de  cette  vie  supérieure,  de  cette  vie  divine  de  la  grâce  que 
le  Sauveur  nous  a  conquise  au  prix  de  sa  mort  et  qui  est  le  but  de  sa 
mission  en  ce  monde:  «  Ut  vitam  habeant !  »  Elle  la  reçoit  au  Saint- 
Baptême,  et  elle  a  le  souci  de  ne  pas  enfouir  ce  talent,  mais  de  le  faire 
valoir  :  «  Ut  abundantius  habeant .'  »  Cette  vie,  elle  en  connaît  l'aliment  : 
l'Eucharistie.  Enfant,  le  lieu  qu'elle  préfère  à  tout  autre,  c'est  l'église,  où 
réside  sacramentellement  Celui  qui  est  la  vie  des  âmes,  «  Messire,  » 
comme  elle  se  plaît  à  l'appeler.  Et,  comme  la  maison  est  toute  proche, 
l'enfant  profite  de  ce  voisinage  pour  se  rendre  auprès  de  son  Dieu  et  lui 
offrir  ses  naïves,  mais  bien  ferventes  adorations.  Si,  dans  les  champs,  elle 
entend  sonner  la  messe,  elle  quitte  son  travail,  quand  cela  se  peut,  pour 
venir  à  l'église  assister  au  Saint-Sacrifice.  Communier,  c'est  la  grande 
fête,  la  grande  allégresse  de  ses  quatorze  ans.  Elle  garde  cette  pieuse 
habitude  dans  les  expéditions  militaires  auxquelles  elle  prend  part. 
Autant  que  possible  alors,  comme  à  Domremy,  elle  entend  la  messe 
chaque  jour  et  communie  deux  fois  par  semaine.  Avant  de  courir  sus 
aux  Anglais,  elle  ne  manque  point  de  recevoir  le  pain  des  forts.  Au 
milieu  de  ses  fers,  sa  plus  grande  douleur  est  d'être  privée  de  cet 
aliment  divin.  Le  recevoir,  à  l'heure  dernière,  est  sa  suprême  consolation. 
Dans  ce  pain  céleste,  elle  puise  la  vie  surnaturelle  qui  la  rend  capable 
de  toutes  les  victoires  :  «  Pane  cœlesti  qui  toties  beatam  Johannam 
aluit  ad  victoriam,  »  comme  le  chante  l'Église. 


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Cette  vie  de  Dieu  en  elle,  Jeanne  ne  se  contente  pas  de  la  garder 
avec  un  soin  jaloux,  de  la  faire  croître  et  d'y  puiser  le  secret  de  sa 
force  :  elle  brûle  encore  de  la  communiquer  aux  autres.  C'est  qu'elle  en 
connaît  la  valeur  et  en  apprécie  la  perte.  Convaincue  que,  pour  recouvrer 
la  Patrie,  il  ne  suffit  pas  de  combattre  avec  une  épée,  mais  qu'il  faut 
offrir  à  Dieu  les  hosties  pures,  elle  purifie  les  camps,  elle  réapprend  la 
prière,  la  confession,  la  pénitence  à  ses  soldats  ;  elle  les  fait  agenouiller 
chaque  matin  devant  Dieu  ;  elle  les  conduit  à  la  Table  Sainte.  Elle  a 
en  horreur  le  péché  qui  tue  les  âmes.  Et  cette  héroïne,  qui  inflige  aux 
ennemis  les  pertes  les  plus  sanglantes  parce  qu'il  faut  vaincre  et  sauver 
la  France,  dans  le  légitime  orgueil  de  la  victoire,  trouve  des  larmes 
pour  pleurer  l'âme  d'un  ennemi  qu'elle  a  vaincu  ! 

Allons  à  l'école  de  Jeanne.  Elle  nous  dira  qu'à  côté  des  morts  que 
nous  pleurons,  il  y  a  les  cadavres  spirituels  que  nous  avons  désappris  à 
pleurer.  Elle  nous  fera  comprendre  que  la  misère  la  plus  atroce  pour 
notre  Patrie  serait  le  manque  de  Dieu  et  la  disparition  du  sens  chrétien 
du  milieu  de  la  foule.  Elle  nous  rappellera  que  la  France  n'est  vraiment 
grande  devant  les  hommes  que  quand  elle  est  vraiment  chrétienne 
devant  Dieu. 

La  Martinique,  le  19  décembre  1918. 


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BEAUVAIS 


LA    GRANDE    DETTE    DU    DIOCÈSE    DE    BEAUVAIS 

ENVERS   JEANNE   D'ARC 


Le  10  août  1429  —  vingt-quatrième  jour  après  le  sacre  du  roi  — 
Jeanne  entra  pour  la  première  fois  sur  le  territoire  actuel  du  diocèse  de 
Beauvais,  et,  ce  mercredi-là,  elle  chassa  la  garnison  anglaise  du  château- 
fort  de  Vez, 

Le  lendemain,  elle  arrivait  à  Crépy-en- Valois,  chevauchant  entre 
Dunois  et  le  chancelier  de  France  Regnault  de  Chartres.  Au  procès  de 
réhabilitation,  Dunois  a  raconté  que  Jeanne  pleura  au  spectacle  des 
foules  accourues  pour  l'acclamer  avec  le  roi  et  qui  mêlaient  le  chant 
religieux  des  hymnes  et  du  Te  Deum  au  vieux  cri  de  France  :  Noël  ! 
Noël  !  «  Nulle  part,  dit  Jeanne,  je  n'ai  vu  peuple  qui  se  réjouit  si  fort  de 
l'arrivée  d'un  si  noble  roi  !  Eh  !  puissé-je  être  assez  heureuse,  quand 
viendra  mon  dernier  jour,  d'être  inhumée  dans  cette  terre  !»  —  «  Jeanne, 
reprit  aussitôt  le  chancelier,  en  quel  lieu  croyez-vous  donc  devoir 
mourir  ?»  —  «  Où  il  plaira  à  Dieu,  car  je  ne  suis  assurée  ni  du  temps,  ni 
du  lieu,  pas  plus  que  vous-même.  Aujourd'hui  qu'est  accompli  l'ordre  de 
Notre-Seigneur  de  faire  lever  le  siège  d'Orléans  et  sacrer  le  roi,  ah  !  plût 
à  Dieu,  mon  Créateur,  que  je  me  retirasse  maintenant,  quittant  les 
armées  !  Avec  quel  bonheur  je  retrouverais  mon  père  et  ma  mère,  les 
servirais-je,  garderais-je  leurs  brebis  avec  ma  sœur  et  mes  frères  qui 
seraient  bien  joyeux  de  me  revoir  !  » 

Une  destinée  plus  haute  commençait  pour  Jeanne.  Sans  qu'elle  le 
sût,  elle  entrait  sur  la  terre  où  l'infortune  succéderait  à  ses  miracu- 
leuses victoires.  Reims  avait  achevé  la  mission  de  l'héroïne  ;  Dieu,  par  le 


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plus  douloureux  des  martyres,  allait  préparer  la  sainte.  Celle  que  ses 
Voix  avaient  continué  d'appeler  «  Fille  de  Dieu  »  devait  maintenant 
justifier  ce  nom  redoutable,  par  une  étrange  ressemblance  avec  le  fils  de 
Dieu  méconnu,  abandonné,  trahi,  vendu,  condamné,  supplicié. 

Et  celui-là  même  qui,  avec  une  promptitude  singulière,  s'informait 
du  lieu  où  elle  croyait  mourir,  allait  se  faire  dans  les  conseils  du  roi,  de 
connivence  avec  La  Trémoille,  l'irréductible  adversaire  de  Jeanne. 

Il  paraît  avéré,  en  effet,  qu'à  l'égard  de  l'envoyée  de  Dieu,  le  chance- 
lier de  France  se  conduisit  plus  en  politicien  qu'en  évêque.  Si  le  résumé 
que  nous  avons  de  certaine  lettre  à  ses  diocésains  de  Reims  est  authen- 
tique, le  moins  qu'on  puisse  avouer,  c'est  que  Regnault  de  Chartres  a  eu 
des  yeux  pour  ne  pas  voir  la  mission  surnaturelle  de  Jeanne  ;  et  il  faut 
l'avouer  avec  d'autant  plus  de  confusion  pour  nous  qu'il  est  né  aux 
portes  de  Beauvais,  et  qu'il  fut  chanoine  et  douze  ans  doyen  du  chapitre 
de  notre  cathédrale. 

Le  18  août  1429,  Charles  VII  faisait  son  entrée  à  Compiègne.  Parmi 
sa  suite  figurait  La  Trémoille,  que  le  roi  voulut  nommer  capitaine  de  la 
ville  ;  mais,  sur  la  réclamation  des  bourgeois,  il  n'en  garda  que  le 
titre,  et  les  fonctions  furent  exercées  par  Guillaume  de  Flavy,  «  le  protégé 
personnel  de  La  Trémoille  et  de  Regnault  de  Chartres.  » 

Jeanne  chevauchait  devant  le  .roi,  «  tout  armée  de  plein  harnas,  à 
estandard  desployé.  »  —  «  C'est  à  peine,  dit  l'historien  A.  Sorel,  si  le  beau 
cheval  blanc  qu'elle  montait  pouvait  avancer  ;  les  vieillards  pleuraient, 
les  femmes  cherchaient  à  embrasser  son  armure,  les  enfants  lui 
envoyaient  force  baisers  et  les  jeunes  filles  jetaient  des  fleurs  sur  son 
passage  ;  aux  cris  de  :  Noël  !  Vive  le  Roi  !  succédaient  ceux  de  :  Vive 
la  Pucelle  !  Qui  pouvait  se  douter  que,  neuf  mois  plus  tard,  la  pauvre 
Jeanne  d'Arc  trouverait  sa  perte  en  voulant  sauver  cette  même  ville  qui 
l'accueillait  avec  tant  d'allégresse  ?...  » 

Jeanne  fut  avertie  par  ses  Voix,  vers  le  20  avril  1430,  sur  les  fossés 
de  Melun  :  «  Tu  seras  prise  avant  la  Saint-Jean,  il  le  faut  ainsi,  ne  t'en 
tourmente  point  ;  prends  tout  en  gré,  Dieu  t'aidera,  »  et,  presque  chaque 
jour,  ses  Voix  lui  prédirent  le  terrible  événement. 

Il  s'accomplit  à  Compiègne,  le  23  mai  1430,  jour  de  deuil,  jour  de 
honte  éternelle,  puisque  rien  ne  fut  tenté  pour  secourir  Jeanne  par  cette 
même  garnison  qui  soutint  ensuite  victorieusement  un  siège  de  cinq  mois. 
Cet  abandon   justifie  tous  les  soupçons  contre    Guillaume    de   Flavy, 


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«  routier  dangereux,  homme  de  sac  et  de  corde,  »  et  contre  ceux  dont  il 
était  la  créature. 

Abandonnée  des  Français,  vendue  par  les  Bourguignons,  exécrée  des 
Anglais,  victime  sans  défense  des  trois  partis  qui  se  disputaient  la  France, 
mais  qui  s'accordaient  pour  vouloir  sa  disparition,  Jeanne,  dans  sa 
prison  et  devant  ses  juges,  lutte  avec  une  surhumaine  vaillance.  «  Fière 
comme  un  lion  dans  les  périls  de  la  bataille,  »  elle  reste  plus  fière  encore 
dans  l'adversité.  Prends  tout  en  gré,  Dieu  t'aidera  !  lui  avaient  dit  ses 
Voix.  Jusqu'au  bout,  jusqu'au  bûcher,  se  confiant  en  son  souverain  et 
droiturier  seigneur,  Jeanne  va  souffrir,  parler  et  mourir  en  vraie  fille 
de  Dieu. 

Pourquoi  faut-il  que  le  crime  de  sa  condamnation  pèse  sur  un 
évêque  de  Beauvais  ?  Recteur  de  l'Université  de  Paris  à  trente-deux 
ans,  réputé  l'un  des  plus  savants  docteurs  de  son  temps,  chargé  des  plus 
difficiles  négociations  par  les  partis  qu'il  servit  successivement,  chanoine 
de  Reims  auctoritate  apostolica,  en  1409,  chanoine  et  délégué  du 
chapitre  de  Beauvais  au  concile  de  Constance  en  1415,  évêque  et  comte 
de  Beauvais  et  pair  de  France  en  1420,  conseiller  du  roi  d'Angleterre  en 
1423,  Pierre  Cauchon,  à  soixante  ans,  par  ambition  politique  et  parce 
qu'il  croit  rétablir  d'un  coup  la  fortune  des  Anglais,  assassine  juridique- 
ment Jeanne  d'Arc  ! 

Quelle  lourde  dette  d'expiation  il  a  fait  peser  sur  notre  diocèse,  avec 
plusieurs  des  nôtres  qu'il  entraîna  !  Jean  Dacier,  abbé  de  Saint-Corneille 
de  Compiègne  ;  André  Marguerie,  de  la  collégiale  de  Saint-Michel  de 
Beauvais  ;  deux  chanoines  de  notre  cathédrale  :  Guillaume  Erard,  qui 
prêcha  Jeanne  d'Arc  au  cimetière  de  Saint-Ouen,  et  Jean  d'Estivet, 
l'affreux  personnage  qui  se  rendit  si  odieux  dans  le  rôle  de  promoteur  ; 
et  l'évêque  de  Noyon  lui-même,  Jean  de  Mailly,  tous  ses  complices  au 
procès  de  Rouen  ! 

A  ces  tristes  noms,  nous  opposons  avec  fierté  notre  savant  chanoine 
Jean  Lohier,  qui,  de  passage  à  Rouen,  eut  le  périlleux  courage  de  prouver 
à  Pierre  Cauchon  l'illégalité  de  sa  procédure.  Opposons  surtout  les 
premiers  artisans  de  la  réhabilitation  :  Guillaume  Bouille,  doyen  de  notre 
cathédrale  de  Noyon,  et  Jean  Juvénal  des  Ursins,  évêque  de  Beauvais, 
avant  d'être  archevêque  de  Reims. 

O  Jeanne  !  plus  que  tous  les  autres,  mon  diocèse  vous  doit  réparation  ! 
Mais   vous   savez   sa   piété    envers    vous,   depuis   que    Pie    X    vous   a 


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proclamée  Bienheureuse  ?  Dans  laquelle  de  nos  plus  modestes  églises 
n  etes-vous  pas  honorée  ?  Toutes  nos  jeunes  filles  se  sont  mises  sous 
votre  patronage.  A  l'envi,  vous  êtes  célébrée  dans  mes  trois  cathédrales, 
et  à  Saint- Jacques  de  Compiègne,  où  vous  avez  pleuré,  et  à  Crépy,  où 
vous  vouliez  être  inhumée,  et  dans  les  paroisses  de  Lagny-le-Sec,  de 
Montépilloy,  de  Baron,  de  Clairoix,  d'Élincourt-Sainte-Marguerite,  où  vous 
êtes  jadis  venue.  A  Margny,  au  lieu  même  où  vous  fûtes  trahie,  une  église 
s'achève  qui  vous  est  dédiée  ;  à  Beaulieu-les-Fontaines,  où  Jean  de 
Luxembourg  vous  tint  deux  mois  prisonnière,  se  dressait  votre  statue  de 
bronze,  enlevée  cette  année  par  nos  ennemis,  mais  que  nous  remplacerons  ! 
Noyon,  dans  sa  cathédrale,  vous  a  érigé  un  monument  qui  commémore 
votre  réhabilitation.  A  Beauvais,  mon  prédécesseur,  de  vénérée  mémoire, 
vous  préparait,  dès  1904,  un  monument  de  réparation  et  de  gloire. 
Puisse-t-il  m 'être  donné  de  vous  le  consacrer  bientôt  ! 

O  Jeanne  !  de  toute  la  puissance  de  votre  intercession,  hâtez  ce  jour 
heureux  !  J'ai  mis  mon  diocèse  sous  votre  garde  dès  le  premier  jour  de 
mon  épiscopat.  Vous  avez  aidé  nos  soldats  à  le  libérer  du  joug  allemand, 
aidez-moi  à  le  ramener  de  plus  en  plus  à  Dieu. 


Beauvais,  le  15  décembre  1918. 


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Ce  que  nous  devons  demander  a  Jeanne  d'Arc 


Les  saints,  dans  le  Ciel,  conservent  avec  la  plus  entière  perfection  les 
qualités  qui,  sur  la  terre,  les  ont  rendus  aimables  à  Dieu  et  aux  hommes. 
Ils  continuent  à  donner  leur  prédilection  et  leur  très  puissante  protection 
aux  causes  qu'ils  ont  défendues,  aux  pays  pour  le  salut  desquels  ils  se 
sont  dévoués,  aux  familles  qui  gardent  leurs  traditions. 

C'est  donc  avec  la  plus  absolue  confiance  que,  nous  adressant  à  notre 
bien-aimée  Patronne  française,  nous  lui  demanderons  de  continuer  à 
défendre  la  cause  de  notre  Patrie. 

Parmi  les  dangers  dont  elle  nous  préservera,  il  en  est  un  qui 
menaçait  grandement  la  France  du  temps  de  Charles  VII,  et  qu'à  tout  prix 
il  faut  encore  éloigner  de  nous.  C'est  celui  que  nous  ferait  courir  une 
lassitude  énervante  en  face  des  calamités  inséparables  d'une  guerre  dont 
la  durée  dépasse  toutes  les  prévisions. 

Avec  le  secours  de  Jeanne  d'Arc,  nos  chers  soldats,  toujours  vaillants, 
reprendront  sans  faiblir  la  troisième  campagne  d'hiver  ;  Jeanne  d'Arc 
inspirera  aussi  à  nos  compatriotes  restés  au  foyer  l'ardent  patriotisme 
des  âmes  courageuses  et  confiantes. 

Lorsqu'elle  parvint  à  Chinon,  elle  trouva  un  peuple  découragé,  près 
de  subir  les  plus  honteuses  défaites,  parce  qu'il  ne  croyait  plus  à  la 
victoire.  Son  premier  soin  fut  de  relever  les  caractères,  et,  Dieu  aidant, 
de  leur  rendre,  avec  tout  leur  idéal,  une  invincible  confiance. 

Cette  confiance  ne  l'abandonna  jamais,  même  durant  sa  captivité, 
même  sur  son  bûcher.  Et  c'est  au  moment  où  tout  semblait  perdu  qu'elle 
annonça  avec  le  plus  d'assurance  la  délivrance  définitive  du  pays. 


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A  l'heure  actuelle,  lorsque,  du  haut  du  Ciel,  elle  vient  inspecter  nos 
soldats  dans  les  tranchées,  nos  familles  dans  leurs  cités  ou  au  fond  de 
leurs  villages,  elle  répète  à  tous  :  «  En  haut  les  cœurs  !  » 

Les  grandes  immolations,  comme  celles  qui  mettent  en  deuil  la 
plupart  des  familles  françaises,  préparent  les  splendides  compensations 
de  l'avenir  ;  gardez-vous  de  tout  pessimisme  déprimant  ;  rivalisez  de 
générosité,  d'activité,  de  fidélité  à  chacun  de  vos  devoirs  ;  offrez  à  Dieu 
vos  épreuves  et  comptez  sur  le  salut. 

Le  Seigneur  ne  vous  donnera  jamais  tort.  Il  fera  providentiellement 
tourner  au  bien  de  ceux  qu'il  aime  les  événements  les  plus  douloureux  : 
«  Diligentibus  Deum  omnia  cooperantur  in  bonum.  » 

Et,  après  nous  avoir  rassurés,  Jeanne  d'Arc  combattra  pour  nous. 
Et,  grâce  à  elle,  nos  douleurs  actuelles  aboutiront  à  procurer  la  gloire 
de  Dieu,  la  sanctification  de  nos  âmes  et  le  triomphe  de  la  Patrie. 


Rodez,  le  7  décembre  1916. 


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JEANNE    D'ARC    LA    MARTYRE 


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Lie  mercredi  30  mai  1431,  la  porte  de  la  prison  où  Jeanne  d'Arc 
était  retenue  captive  fut  ouverte.  Le  bourreau  attendait  la  condamnée  ; 
il  conduisait  une  charrette,  où  Jeanne  monta.  Cent  vingt  hommes  de 
guerre,  armés  de  glaives,  de  bâtons  et  de  lances,  formèrent  l'escorte. 

Pendant  la  marche,  Jeanne  pria,  elle  pleura  ;  de  temps  à  autre,  elle 
disait  :  «  Rouen  !  Rouen  !   Est-ce  ici  que  je  dois  mourir  ?  » 

On  arrive  à  la  place  du  Vieux-Marché  :  quatre  échafauds  y  sont 
dressés.  Sur  les  deux  premiers  se  tiennent  les  juges  et  leurs  assesseurs  ; 
sur  le  troisième  la  condamnée  prend  place,  en  attendant  qu'on  la  conduise 
au  quatrième,  où  le  bûcher  s'élève  à  une  effrayante  hauteur. 

Il  est  neuf  heures. 

Jeanne  entend  un  discours,  d'abord  ;  sa  sentence,  ensuite  ;  après  quoi, 
tombant  à  genoux,  elle  fait  à  haute  voix  ses  lamentations,  ses  prières. 

Peu  à  peu,  le  peuple  qui  l'entend  se  laisse  gagner  par  l'émotion  ;  les 
yeux  se  baignent  de  larmes  ;  l'air  s'emplit  de  gémissements  et  de  sanglots. 
Beaucoup  de  spectateurs  s'enfuient,  ne  pouvant  supporter  plus  longtemps 
la  vue  d'un  si  triste  spectacle. 

Jeanne  demande  une  croix.  Un  Anglais  compatissant  en  fait  une  avec 
quelques  morceaux  de  bois  et  la  lui  donne  ;  elle  la  met  sur  son  cœur  ;  et, 
comme  elle  désire  celle  de  l'église,  on  lui  apporte  le  grand  crucifix  des 

(1)  Mgr  Lobbcdey,  évêque  d'Arras,  dont  la  mort,  survenue  à  la  fin  de  1916,  fut  causée  par  les  souffrances 
qu'endura  l'émineot  prélat  pendant  l'occupation  de  son  diocèse,  nous  avait  envoyé  cette  belle  page  quelques  semaines 
auparavant. 


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processions  :  «  Ayez  bien  soin,  dit-elle,   que  je  l'aie  toujours  devant  les 
yeux  jusqu'à  ma  mort.  » 

Cependant,  le  temps  presse  ;  il  y  a  dans  la  foule  des  mouvements 
d'impatience.  Deux  sergents  montent  avertir  Jeanne  qu'il  est  l'heure  de 
descendre.  Elle  descend,  mais  pour  monter  au  bûcher. 

Son  confesseur  l'y  suit  et  ne  cesse  de  l'exhorter.  Elle  est  liée  à  un 
poteau  ;  elle  regarde  la  foule  et,  soudain,  elle  s'écrie  :  «  Maître  Martin, 
prenez  garde...  le  feu  !  »   Le  bourreau  venait,  en  effet,  de  l'allumer. 

La  fumée  s'élève,  le  bois  pétille,  la  flamme  enveloppe  la  martyre, 
sans  lui  cacher  le  crucifix. 

On  dirait  qu'aux  lueurs  sinistres  qu'illuminaient  ses  derniers  instants, 
elle  voit  plus  clairement  que  jamais  la  divine  réalité  de  sa  mission  : 
«  Saint  Michel  !  saint  Michel  !  Non,  mes  Voix  ne  m'ont  pas  trompée,  ma 
mission  était  bien  de  Dieu.  Jésus  !  Jésus  !  »  A  plusieurs  reprises,  et  toujours 
avec  plus  d'énergie,  elle  redit  ce  nom  sacré,  et  meurt  en  le  prononçant. 

Le  bourreau  écarte  les  flammes  et  montre  à  tous  que  c'est  bien  la 
Pucelle  qui  vient  d'être  brûlée  ;  puis,  rapprochant  les  fagots,  il  attise 
l'incendie  avec  de  l'huile  et  du  soufre  ;  il  achève  son  œuvre.  Après 
avoir  jeté  dans  la  Seine  les  restes  de  la  Vierge,  il  raconte,  comment,  malgré 
tous  ses  efforts,  le  cœur  de  Jeanne  n'avait  pu  être  entamé  par  le  feu. 

Un  témoin  du  supplice  avait  fait  le  pari  qu'il  jetterait  du  bois  dans  le 
bûcher.  Il  s'approchait  pour  exécuter  son  dessein,  quand  on  le  vit  pâlir, 
chanceler,  tomber  à  terre  ;  quelque  temps,  il  resta  sans  connaissance  ; 
puis,  revenu  à  lui,  il  dit  :  «  Jeanne  expirait,  et  comme  elle  disait  :  Jésus  ! 
j'ai  vu  une  colombe  sortir  de  la  flamme  et  monter  au  Ciel.  » 

Ce  martyre  de  notre  Bienheureuse  héroïne,  nous  aimons  à  nous  le 
représenter  planant  sur  cet  immense  champ  de  bataille  où,  depuis  si 
longtemps,  tant  de  nos  héros  sont  immolés.  Il  nous  apparaît  comme  le 
symbole  de  ce  que  nous  voyons,  le  gage  céleste  de  ce  que  nous  espérons. 

Qui  a  parlé  à  nos  héros  de  France,  pour  les  faire  aller  des  foyers  où 
ils  vivaient  dans  la  contrée  où  ils  devaient  mourir  ?  La  voix  de  la  Patrie 
et,  avec  elle  —  puisqu'il  s'agit  de  défendre  nos  justes  libertés  et  notre 
existence  elle-même,  —  la  voix  de  Dieu,  la  voix  des  saints  et  des  saintes, 
qui  ont  mission  de  veiller  sur  notre  pays. 

Et  ils  se  sont  rendus  là  où  le  devoir  les  appelait  ;  et,  jusqu'au  sein  des 
plus  effroyables  tourments  que  les  hommes  aient  jamais  subis,  leur  cœur 


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n'a  pas  faibli  un  instant  ;  il  n'a  jamais  été  entamé  ;  il  est  resté  entier, 
gardant  jusqu'à  la  fin  l'amour  de  la  Patrie  et  la  joie  de  lui  sacrifier 
ce  qu'ils  avaient  de  plus  cher  :  la  vie. 

Jit  de  tous  les  lieux  consacrés  par  l'holocauste  de  nos  héroïques 
soldats,  nous  croyons  voir  s'élever  l'espérance,  plus  belle  à  contempler 
qu'un  vol  de  colombe  :  l'espérance  d'une  France  plus  forte,  parce  qu'elle 
aura  triomphé  de  l'épreuve  ;  d'une  France  plus  unie,  parce  que  toutes 
les  classes  sociales  auront  été  soudées  à  la  flamme  des  mêmes  combats  ; 
d'une  France  plus  chrétienne,  parce  que,  dans  les  mains  qui  lui  auront 
assuré  l'honneur  de  vaincre,  elle  aura  reconnu  la  main  de  Dieu. 

C/  est  à  Arras,  dans  l'église  de  Saint- Vaast,  en  l'année  1435,  qu'eut 
lieu  la  cérémonie  mettant  fin  aux  divisions  funestes  qui  avaient  livré 
notre  pays  à  la  domination  étrangère  :  «  Le  21  septembre,  une  grande 
cérémonie  religieuse  eut  lieu  dans  l'église  de  Saint- Vaast.  Le  duc  de 
Bourgogne,  entouré  des  princes  de  sa  famille  et  de  ses  conseillers, 
chevaliers  et  écuyers,  occupait  la  droite  du  chœur.  Les  ambassadeurs 
de  France  prirent  place  à  gauche.  Au  milieu,  on  avait  disposé  un  petit 
autel,  sur  lequel  était  placé,  entre  deux  chandeliers  d'or,  le  livre  des 
Evangiles,  avec  un  crucifix.  Une  messe  du  Saint-Esprit  fut  dite  par  le 
cardinal  de  Chypre,  assisté  de  l'abbé  de  Saint- Vaast  et  de  l'abbé  de 
Saint-Nicaise,  officiant  comme  diacre  et  sous-diacre.  Laurent  Pinon, 
évêque  d'Auxerre,  fit  un  «  très  notable  sermon  ;  »  il  prit  pour  texte  ces 
paroles  :  Ecce  quam  bonum  et  quant  jucundum  habitare  fratres  in 
unum.  Pierre  Brunet,  chanoine  d'Arras,  lui  succéda  :  il  donna  lecture 
du  texte  des  bulles  du  pape  et  du  concile  investissant  les  cardinaux  de 
leur  mission,  et  lut  ensuite  le  texte  du  traité  qui  venait  d'être  signé,  ce  qui 
dura  plus  d'une  heure.  Ensuite,  Philippe  Maugart,  maître  des  requêtes  de 
l'hôtel  du  duc  de  Bourgogne,  lut  une  lettre  par  laquelle  les  cardinaux 
promulguaient  le  traité  :  cet  acte  contenait,  avec  les  pouvoirs  du  roi,  le 
texte  du  traité.  Cette  lecture  était  à  peine  achevée,  que  les  assistants,  ne 
pouvant  contenir  leur  joie,  poussèrent  des  acclamations.  Les  cris  de  : 
«  Noël  !  Noël  !  »  retentirent  sous  les  voûtes  de  la  basilique  avec  une 
puissance  que,  dit  un  témoin  oculaire,  on  n'eust  pas  ouy  Dieu. 

iruis,  Jean  Tudert,  doyen  de  Paris,  ambassadeur  du  roi,  conformément 
à  la  formule  arrêtée  d'avance,  prononça  à  haute  et  intelligible  voix, 
les  paroles  suivantes  : 

L-a  mort  de  Mgr  le  duc  Jean  (que  Dieu  absolve!)  fut  uniquement 
et    mauvaisement    faite  par  ceux  qui   perpétrèrent  le   dit    cas,   et  par 


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mauvais  conseil  ;  le  roi  en  a  toujours  eu  déplaisir  et  à  présent  le  regrette 
de  tout  son  cœur  ;  et  s'il  avait  su  le  dit  cas  et  qu'il  eût  eu  alors  le  même 
âge  et  entendement  qu'il  a  maintenant,  il  s'y  fût  opposé  autant  qu'il 
l'aurait  pu  ;  mais  il  était  bien  jeune  alors  et  avait  petite  connaissance, 
et  ne  fut  pas  assez  avisé  pour  y  pourvoir.  Il  prie  donc  à  Mgr  de  Bourgogne 
que  toute  rancune  ou  haine  qu'il  peut  avoir  contre  lui,  à  cause  de 
cela,  il  l'ôte  de  son  cœur  et  qu'il  y  ait  entre  eux  bonne  paix  et  amour.  <i) 

Ce  traité  enlevait  du  même  coup  à  la  domination  étrangère  tout 
espoir  de  se  maintenir,  préparant  ainsi  cette  complète  délivrance  pour 
laquelle  Jeanne  avait  combattu,  et  qu'avait  méritée  son  martyre. 

Puissions-nous,  dans  notre  ville  épiscopale,  libérée  de  tout  ennemi, 
dans  notre  cathédrale  de  Saint -Vaast,  relevée  de  ses  ruines,  chanter 
bientôt  l'hymne  de  la  victoire,  qu'auront  méritée  les  sacrifices  de  nos 
soldats  ! 

Dieu  et  sa  martyre  Jeanne  nous  soient  en  aide  ! 


) 


Boulogne-sur- Mer,  le  11  novembre  1916. 


(1)    Histoire  de  Charles  VII,  de  Beattcourt,  t.  II,  pp.  553  et  suiv. 


Admirables  Analogies  de  JEANNE  D'ARC 

ET   de  la  FRANCE   DE   1914 


I.  La  Pucelle  d'Orléans  a  sauvé  de  la  ruine  et  de  la  mort  la  nation 
fille  aînée  de  l'Eglise.  Elle  a  protégé  la  foi  catholique  de  l'erreur 
anglicane. 

La  France  de  1914  a  renouvelé  le  miracle  de  Jeanne  d'Arc.  Elle  a 
reconquis  par  la  victoire  son  patrimoine  héréditaire.  Elle  a  fait  mieux  : 
elle  est  rentrée  dans  la  pureté  de  son  génie  natal. 

Nos  braves  soldats  ont  préservé  la  Patrie  à  tout  jamais  des  barbaries 
guerrières  qui  ravagent  le  sol,  détruisent  les  cités  et  les  industries.  Ils  lui 
ont  rendu  un  plus  grand  service  encore  ;  ils  ont  mis  la  pensée  française 
à  l'abri  de  ces  théories  kantiennes  dont  des  milliers  de  petits  Français,  à 
tous  les  degrés  de  l'enseignement,  avaient  été  saturés  depuis  1870  ;  ils 
ont  délivré  à  tout  jamais  les  jeunes  intelligences  françaises  de  ce 
couvercle  teuton  qui  pesait  sur  elles  depuis  quarante-quatre  ans,  en  les 
assservisant  à  des  méthodes  pour  lesquelles  elles  n'étaient  pas  faites. 

Jit,  de  même  qu'ils  ont  dit  aux  hordes  ennemies  qui  se  ruaient  sur 
Paris  :  «  Vous  ne  passerez  pas,  »  ils  auraient  pu  dire  de  même  :  «  Vous 
non  plus,  philosophes  allemands,  vous  ne  passerez  plus.  Désormais,  nos 
écoliers  ne  se  rangeront  plus  sous  votre  férule  de  pédants  :  nous  ne 
laisserons  plus  à  l'avenir  germaniser  nos  intelligences,  nos  sciences  et 
nos  arts.  » 


* 


II.    Le  miracle  de  Jeanne  d'Arc  consiste  en  partie  à  rallier  autour  du 
dauphin  le  plus  de  bons  Français  qu'elle  peut  trouver.    «  Jamais,  dit- 


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elle,  il  n'y  aura  trop  de  bons  Français  autour  de  ma  bannière.  »  Union 
sacrée  autour  du  drapeau.  C'était  une  promesse  de  victoire.  De  tous  ces 
soldats  plus  ou  moins  mercenaires,  qui  soutenaient  la  cause  du  dauphin 
de  France,  Jeanne  sut  par  son  ascendant  faire  de  véritables  volontaires. 

La  France  de  1914  fit  mieux  pendant  les  cinquante  mois  de  guerre 
où  la  Patrie  était  en  danger.  Non  seulement  elle  mit  sur  pied  une  immense 
armée,  mais  elle  tout  entière  ne  fut  plus  qu'une  armée.  Tout  s'unifia,  tout 
se  confondit  dans  l'universel  resplendissement  du  patriotisme.  Pour  qui 
connaît  l'humanité  et  tous  les  mouvements  mauvais  de  sa  nature,  une  si 
soudaine,  si  unanime,  si  affectueuse  fraternité  paraissait  un  vrai  prodige. 
Prodige  si  l'on  veut.  En  tout  cas,  il  fut  réalisé  ;  et  c'est  au  plus  redoutable 
des  fléaux  que  nous  l'avons  dû.  Parce  qu'il  a  mis  au  jour  les  couches 
ignorées  de  l'âme  française,  on  a  eu  raison  de  comparer  ce  fléau  «  à 
l'orage  des  montagnes  dont  les  torrents  emportent  avec  les  obstacles  les 
couches  de  terrains  superficielles  et  laissent  voir  le  sous -sol  avec  le 
granit  de  ses  assises.  » 

Des  citoyens  abdiquant  leurs  ambitions  et  leurs  rancunes  person- 
nelles, tel  fut  le  spectacle  que  présenta  la  France  pendant  toute  la 
guerre.  Si  nous  maudissons  la  lutte  pour  tout  ce  qu'elle  a  exercé  de 
ravages  et  entassé  de  ruines,  nous  admirons  sans  réserve  l'immense 
fusion  des  âmes  dont  cette  lutte  est  devenue  le  principe. 


) 


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III.  Le  martyre  final  a  servi  la  mission  de  la  Pucelle,  autant  et  plus 
que  ses  premiers  succès.  Jeanne  prisonnière,  Jeanne  vendue  à  ses  ennemis, 
Jeanne  condamnée  et  brûlée  vive,  c'est  toujours  Jeanne  victorieuse, 
quoi  qu'en  aient  pu  penser  alors  ses  juges  et  ses  bourreaux,  et  quoiqu'elle- 
même  en  ait  pu  douter  un  moment.  Elle  a  compris  depuis  lors  comment 
sa  patience  dans  l'épreuve  était  nécessaire  à  son  triomphe. 

Dieu  nous  a  donné  la  victoire,  mais  comme  à  Jeanne  d'Arc  il  nous  a 
demandé  d'accepter  généreusement  les  plus  douloureux  sacrifices.  Et 
c'est  encore  par  son  admirable  acceptation  des  épreuves  de  la  guerre 
que  la  France  rappelle  de  fort  près  la  sublimité  de  son  modèle.  Le 
peuple  de  France  s'y  soumit  avec  une  spontanéité  si  résolue,  si  ferme, 
si  universelle,  qu'il  excita  l'admiration  de  tous.  Sans  effort,  nobles  et 
ouvriers,  hommes  de  carrières  libérales  et  paysans,  tous  sont  partis  si 


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décidés,  qu'on  n'eût  pu  deviner  à  leur  marche  affermie  s'ils  partaient 
pour  un  jour  ou  pour  l'heure  infinie. 

Au  long  supplice  des  blessés,  aux  deuils  innombrables  des  morts,  se 
sont  ajoutées  les  horreurs  de  la  captivité.  Qu'est-ce  qui  a  jeté  sur  de  si 
lamentables  choses  de  la  noblesse,  de  la  beauté  ?  Rien  autre  que  l'esprit 
de  sacrifice  dont  nos  soldats  étaient  animés,  à  l'exemple  de  Jeanne 
d'Arc,  leur  modèle,  et  dont  tous,  à  l'arrière  comme  à  l'avant,  nous  étions 
pénétrés. 

Jin  récompense  de  nos  sacrifices  si  chrétiennement  supportés,  et  par 
la  protection  de  Jeanne  d'Arc,  Dieu  nous  a  accordé,  avec  la  victoire  de 
nos  armes,  le  triomphe  de  la  justice  et  du  droit. 

Nous  avons  payé  la  victoire  d'un  sang  précieux  et  d'un  long  martyre  ; 
restons  dignes  d'elle. 

Au  nom  de  notre  victoire,  travaillons  ;  au  nom  de  notre  victoire, 
restons  unis,  faisons  la  paix  religieuse.  La  canonisation  de  Jeanne  d'Arc 
est  proche.  En  canonisant  Jeanne  d'Arc,  l'Eglise  attestera  devant  l'univers 
catholique  qu'elle  a  pratiqué  les  vertus  chrétiennes  à  un  degré  non 
seulement  ordinaire,  mais  véritablement  héroïque.  Combien  se  montrent 
téméraires  et  injustes  ceux  qui  réduisent  aux  proportions  ordinaires  de 
la  puissance  humaine  la  vie,  les  actes  de  la  Pucelle  d'Orléans,  et  lui 
refusent  toute  inspiration  divine  !  En  vérité,  ce  que  fut  Jeanne  d'Arc  :  le 
caractère  particulier  de  sa  manière  de  vivre  et  d'agir  jusqu'à  l'âge  de 
seize  ans  ;  puis  les  entreprises  aussi  glorieuses  qu'inouïes  par  lesquelles 
elle  restaura  les  destinées  de  sa  patrie  ;  enfin,  ce  que  furent  ses  derniers 
moments,  alors  que,  lâchement  trahie  par  les  siens,  prisonnière  de  ses 
ennemis,  condamnée  au  supplice  le  plus  cruel,  mais  réconfortée  par  la 
Sainte-Eucharistie,  implorant,  les  yeux  fixés  sur  la  croix  du  Sauveur,  en 
présence  d'une  foule  immense,  le  pardon  pour  les  auteurs  de  sa  mort, 
elle  expirait  au  milieu  des  flammes.  De  tels  faits  et  les  circonstances, 
pour  qui  les  examine  tant  soit  peu  sans  passion  ni  opinion  préconçue, 
la  font  "reconnaître  et  honorer  comme  une  héroïne  chrétienne. 

i-«  héroïcité  des  vertus  de  Jeanne  d'Arc  a  été,  depuis  sa  béatification, 
corroborée  par  deux  guérisons  miraculeuses  sur  lesquelles  s'appuyèrent 
les  promoteurs  de  la  cause  pour  solliciter  la  canonisation  de  la  Bienheu- 
reuse. La  reconnaissance  de  ces  deux  miracles  fut  l'objet  de  quatre 
jugements  successifs.  Le  premier  eut  lieu  dans  une  congrégation  anté- 
préparatoire  ;  le  second  et  le  troisième  dans  deux  congrégations  prépara- 


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toires  ;  le  quatrième  dans  une  congrégation  générale,  tenue  le  18  du  mois 
de  mars  dernier,  en  présence  de  notre  Saint-Père  le  pape  Benoît  XV. 

Rendons  grâce  à  Dieu  et  aussi  à  la  Très-Sainte-Vierge,  car,  comme  le 
disait  le  Souverain-Pontife  dans  son  allocution  du  6  avril  :  «  Si,  dans 
tous  les  prodiges,  il  convient  de  reconnaître  la  médiation  de  Marie,  par 
laquelle,  selon  le  vouloir  divin,  nous  arrivent  toute  grâce  et  tout  bienfait, 
on  ne  saurait  nier  que,  dans  un  des  miracles  précités,  cette  médiation 
de  la  Très-Sainte- Vierge  s'est  manifestée  d'une  manière  toute  spéciale. 
Nous  pensons  que  le  Seigneur  en  a  disposé  ainsi  afin  de  rappeler  aux 
fidèles  qu'il  ne  faut  jamais  exclure  le  souvenir  de  Marie,  pas  même 
lorsqu'un  miracle  semble  devoir  être  attribué  à  l'intercession  ou  à  la 
médiation  d'un  bienheureux  ou  d'un  saint.  » 

Benoît  XV  décernera  donc  bientôt  à  Jeanne  d'Arc  les  honneurs  de  la 
canonisation.  Puisse  notre  héroïne  française  glorifiée  devenir  réellement 
le  trait  d'union  entre  la  patrie  et  la  religion,  entre  la  France  et  l'Eglise, 
entre  la  terre  et  le  ciel  ! 


Saint-Claude,  le  8  décembre  1919. 


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JEANNE  D'ARC  et  la  SAINTE  COMMUNION 


L  Eucharistie  est  la  source  divine  où  Jeanne  d'Arc  a  puisé  l'héroïque 
courage  de  remplir  sa  mission. 

D  instinct,  Jeanne  encore  enfant  est  attirée  vers  le  tabernacle.  Elle 
aime  à  se  tenir  devant  l'autel,  à  assister  à  la  célébration  de  la  messe. 

JLes  délices  de  sa  première  communion  lui  sont  si  douces  qu'elle  a 
hâte  de  revenir  souvent  à  son  Dieu.  Combien  furent  fécondes  ces  fer- 
ventes communions  de  la  pieuse  bergère  pour  former  son  âme  à  la  vertu  ! 

V  ivant  de  ce  Pain  qui  fait  les  forts,  elle  est  prête,  la  courageuse 
enfant,  à  répondre  à  l'appel  des  voix  d'En-Haut. 

xLUe  part,  rien  ne  peut  la  retenir,  elle  renversera  tous  les  obstacles 
à  sa  mission  sainte,  elle  ira  jusqu'à  l'immolation  suprême  sur  le  bûcher 
de  Rouen. 

Jin  route  vers  Chinon,  Jeanne  fait  halte  dans  les  églises  qu'elle  ren- 
contre. A  son  entrée  victorieuse  dans  Orléans,  elle  se  rend  tout  d'abord 
à  la  cathédrale. 

Dans  les  camps,  par  ses  ordres,  la  messe  est  célébrée  ;  on  la  voit 
pleurer  d'amour  à  l'élévation.  Même  au  jour  de  bataille,  elle  ne  peut  se 
passer  d'entendre  la  messe  et  de  communier.  Au  soir  des  rudes  journées 
de  combat,  parfois  elle  passe  une  partie  de  la  nuit  en  adoration  devant 
le  tabernacle. 

L  Eucharistie  est  pour  Jeanne  la  lumière  dans  ses  décisions  et  ses 
plans  de  guerre,  la  sauvegarde  de  sa  virginité,  son  réconfort  dans  les 
épreuves.  En  un  mot,  l'Eucharistie  est  toute  sa  vie. 


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Aussi  la  privation  de  la  communion  fut-elle  la  plus  terrible  torture 
qu'ait  soufferte  la  noble  captive  dans  sa  prison.  S'il  lui  échappe  un 
gémissement,  c'est  pour  exprimer  la  faim  de  son  âme.  En  vain  elle 
réclame  son  Dieu  ;  on  l'écarté  cruellement  de  la  Table  Sainte,  même  le 
jour  de  Pâques. 

Voici  l'heure  du  supplice.  La  sentence  est  signifiée  à  Jeanne  ;  dans 
un  sursaut  de  la  nature,  elle  éclate  en  sanglots.  Au  milieu  de  sa  détresse, 
sa  pensée  va  à  la  Sainte-Eucharistie.  Ah  !  si  elle  pouvait  communier  ! 
Elle  en  fait  la  demande  d'une  façon  tellement  attendrissante  que  les 
bourreaux  y  cèdent.  Jésus  vient,  et  la  pauvre  victime  lui  dit  tout  haut 
son  amour  et  sa  résignation  dans  un  épanchement  si  touchant  que  les 
témoins  de  cette  scène  ne  peuvent  retenir  leurs  larmes.  L'Eucharistie  au 
cœur,  Jeanne  monte  intrépide  les  marches  du  bûcher,  continuant  son 
action  de  grâces  qui  s'achèvera  au  Ciel.  A  l'instant  où  les  flammes 
l'étouffent,  elle  jette  dans  un  cri  suprême  le  nom  de  Celui  qui  avait 
été  tout  l'amour  de  sa  vie  :  Jésus  !  Jésus  !  Jésus  ! 

Comme  notre  idéale  héroïne,  faisons  de  la  Sainte-Eucharistie  l'aliment 
habituel  de  nos  âmes,  et  puissions-nous  achever  notre  tâche  terrestre 
l'hostie  au  cœur  et  le  nom  de  Jésus  sur  les  lèvres. 


Belley,  le  10  novembre  1919. 


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JEANNE    D'ARC 

CHRÉTIENNE    ET    FRANÇAISE 

ELLE  NOUS  PARLE,  ÉCOUTONS -LA 


Rien  ne  nous  fera  mieux  connaître  Jeanne  d'Arc  que  de  l'écouter. 
Elle-même  nous  dira  ce  qu'elle  fut.  Bien  gravés  dans  la  mémoire  et 
les  cœurs,  ses  paroles  et  ses  actes  seront  un  puissant  stimulant  pour 
tous. 

La  Bienheureuse  nous  apparaît  comme  le  vivant  exemple  de  toutes 
les  vertus  chrétiennes,  comme  le  parfait  modèle  du  plus  pur  patriotisme. 

Dans  cette  vie  si  courte  (Jeanne  ne  vécut  ici-bas  que  dix -neuf 
années,  quatre  mois,  vingt -quatre  jours  :  née  à  Domremy  le  6  janvier 
1412,  elle  mourut  à  Rouen  le  30  mai  1431)  et  cependant  si  bien  remplie, 
il  n'est  rien  qui  ne  puisse  servir  à  l'édification  des  âmes.  Tous  et  chacun, 
quels  que  soient  leur  âge,  leur  condition,  leur  carrière,  peuvent  trouver 
dans  ce  grand  exemple  le  modèle  à  suivre  pour  accomplir  ici -bas  la 
mission  confiée  par  Dieu  à  toute  créature  raisonnable. 

Au  foyer  de  la  famille,  à  l'abri  du  clocher  de  sa  paroisse,  au  milieu 
de  ses  compagnes  du  hameau  ou  de  la  ville,  parmi  les  gentilshommes, 
les  soldats  ou  les  chefs  militaires,  elle  apparaît  toujours  semblable  à 
elle-même,  fidèle  à  sa  mission.  A  l'heure  de  la  prospérité  et  des 
victoires,  comme  à  celle  de  l'épreuve,  de  la  prison,  de  l'injustice  des 
tribunaux,  devant  la  trahison,  la  calomnie,  l'abandon,  le  supplice  et  la 


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mort,  toujours  et  partout  on  la  voit  comme  le  type  achevé  de  la 
Française  sans  peur,  parce  qu'elle  est  la  chrétienne  sans  reproche. 

§  I 

A  la  base  de  toute  vie  chrétienne  se  trouve  la  VERTU  DE  FOI  : 
sans  elle,  aucune  vie  surnaturelle  n'est  possible.  La  foi  de  Jeanne  était 
vive,  ardente,  d'une  fermeté  inébranlable. 

Je  crois  fermement  n'avoir  pas  failli  en  notre  Foi,  et,  pour  rien  au  monde, 
je  ne  voudrais  y  faillir.  ■ —  //  n'y  a  rien  dans  ma  pensée  de  contraire  à  l'Église. 
S'il  y  avait  quelque  chose  contre  la  foi  chrétienne,  je  ne  le  voudrais  pas  soutenir, 
mais  le  bouterais  hors  !  —  Non,  non,  je  ne  suis  pas  hérétique,  ni  schismatique  ; 
je  suis  une  bonne  chrétienne.  Je  veux  obéir  à  l'Église  comme  une  bonne  chrétienne. 
J'aime  Dieu,  je  le  sers.  Je  voudrais  aider  la  sainte  Église  de  tout  mon  pouvoir. 

—  Je  m'en  rapporte  à  Dieu  qui  m'a  envoyée,  à  Notre- Seigneur,  à  tous  les  saints 
et  saintes  du  Paradis.  Et  m'est  avis  que  c'est  tout  un  :  Dieu  et  l'Église. 

Aussi,  s'en  rapportant  à  l'Église  universelle,  elle  fait  appel  au  pape  : 

Conduisez-moi  devant  le  pape  et  je  lui  parlerai  !  —  Tout  le  clergé  de  Paris 
et  de  Rouen  ne  saurait  me  condamner  s'il  n'y  a  droit.  Je  ne  crois  qu'au  pape  qui 
est  à  Rome.  Je  m'en  rapporte  à  Dieu  et  à  notre  Saint-Père  le  pape. 

§   II 

Et  cette  foi  inébranlable  la  conduisait  à  une  GRANDE  CON- 
FIANCE    EN    DIEU  : 

Jhésus,  mon  droiturier  et  souverain  Seigneur  !  Je  me  fie  de  tout  à  Dieu.  — 
Mon  très  doux  Dieu,  en  l'honneur  de  votre  Sainte-Passion,  je  vous  requiers,  si 
vous  m'aimes,  que  vous  me  révéliez  ce  que  je  dois  répondre.  —  Si  je  ne  suis 
en  état  de  grâce,   Dieu  veuille  m'y  mettre.  Si  j'y  suis.  Dieu  veuille  m'y  garder  ! 

—  Si  je  puis  pécher  mortellement,  je  n'en  sais  rien,  et,  du  tout,  je  m'en  rapporte 
à  Notre- Seigneur  ;  c'est  pour  moi  un  grand  trésor.  —  Mes  œuvres  et  mes  faits 
sont  tous  en  la  main  de  Dieu  ;  du  tout,  je  m'en  attends  à  Lui.  —  Je  serais  la 
plus  dolente  du  monde  si  je  savais  n'être  pas  dans  la  grâce  de  Dieu.  —  En 
nom  Dieu,  il  faut  combattre  ;  seraient -ils  pendus  aux  nues,  nous  les  aurons!  — 
En  nom  Dieu,  les  gens  d'armes  batailleront  et  Dieu  donnera  la  victoire.  — 
Il  faut  besogner  quand  Dieu  veut.  Travaillez,  et  Dieu  travaillera.  Si  des 
ennemis  sont  sur  mon  chemin.  Dieu  y  est  aussi.  —  En  avant,  en  nom  Dieu, 
je  passerai  ! 


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3- 


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Avec  une  telle  confiance  en  Dieu,  comment  Jeanne  n'eût-elle  pas  été 
soumise  en  tout  abandon  et  résignée  jusqu'au  bout  à  la  volonté 
divine  ? 

J  eanne,  lui  dit  l'archevêque  de  Reims,  où  pensez-vous  donc  mourir  ? 

Où  il  plaira  à  Dieu.  Je  ne  sais  ni  le  lieu,  ni  le  temps.  Plût  à  Dieu  que  je 
pusse  retourner  garder  les  troupeaux  près  de  ma  mère  et  de  ma  sœur.  —  Je 
m'en  rapporte  à  Notre -Seigneur,  qui  fera  sa  volonté.  J'eusse  mieux  aimé  être 
tirée  à  quatre  chevaux  que  d'être  venue  en  France  sans  congé  de  Dieu.  — 
J'aurais  eu  cent  pères  et  cent  mères.  Dieu  commandait,  je  serais  partie.  Dussé-j'e 
user  mes  jambes  jusqu'aux  genoux,  j''irai  où  Dieu  m'appelle.  —  Je  ne  réponds 
rien  que  j'e  prenne  dans  ma  tête  ;  ce  que  je  réponds  est  du  commandement  de 
mes   Voix.   Dieu  premier  servi  !  » 

«  Dieu  premier  servi  !  »  Voilà  bien  la  devise  de  Jeanne.  Aussi  est-ce 
sans  hésiter  qu'elle  a  répondu  à  sa  mission  d'En-Haut,  vocation  sublime 
qu'elle  a  toujours  hautement  affirmée. 

Fille  de  Dieu,  va,  je  serai  à  ton  aide.  Va,  va,  va  ! 

J'ai  vu  mes  saintes  comme  je  vous  vois;  je  n'ai  rien  fait  que  par  leur  conseil  ; 
leurs  voix  m'ont  dit  tout  ce  qui  m'est  arrivé  et  elles  ne  m'ont  jamais  trompée. 
Je  crois  en  elles  aussi  fermement  qu'en  la  Passion  de  Notre- Seigneur,  et  mon 
seul  désir  est  d'aller  les  retrouver  en  Paradis.  Elles  me  parlent  tous  les  jours 
et  plusieurs  fois  par  jour.  Si  elles  ne  me  réconfortaient,  je  serais  morte.  —  Sur 
toutes  choses,  saint  Michel  me  disait  que  je  fusse  bon  enfant  et  que  Dieu 
m'aiderait  :  Jeannette,  sois  bonne,  sage  et  pieuse,  aime  Dieu,  fréquente  l'église. 
Il  me  racontait  la  grande  pitié  qui  était  au  royaume  de  France.  —  Je  suis 
venue  de  par  Dieu.  Je  n'ai  rien  à  faire  ici;  quon  me  renvoie  à  Dieu  d'où  je 
suis  venue.  —  Je  ne  crains  pas  de  vous  déplaire,  à  vous,  mais  je  crains  de 
déplaire  à   mes  Voix. 

Et  quand  on  l'interroge  :  On  déplaît  donc  à  Dieu  en  disant  des 
choses   vraies  ? 

Oui,  répond-elle,  si  on  les  dit  à  qui  il  ne  faut  pas  les  dire.  —  C'est  Messire 
qui  m'a  envoyée.  C'est  à  son  conseil  que  j'ai  appris  l'art  de  la  guerre.  Ce  n'est 
ni  mon  épée,  ni  mon  étendard  qui  ont  gagné  les  batailles,  c'est  Jésus- Christ 
Notre  -  Seigneur  ;  tout  a  été  fait  de  par  le  Roi  du  Ciel.  —  Vous  avez  été  à 
votre  Conseil  et  moi  au  mien.  Et  croyez  que  le  Conseil  de  mon  Seigneur  s'accom- 
plira et  tiendra,  au  lieu  que  le  vôtre  périra.  —  Rendez  à  la  Pucelle,  envoyée  de 
par  Dieu,  les  clefs  de  toutes  les  bonnes  villes  que  vous  avez  prises  et  volées  en 
France.  Elle  est  toute  prête  à  faire  la  paix  si  vous  lui  voulez  faire  raison. 
Croyez  que  le  Roi  du   Ciel  enverra  plus  de  forces  à   la   Pucelle,  et  qu'on   verra 


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lesquels  auront  meilleur  droit,  de  Dieu  ou  de  vous.  —  Quand  vous  me  feriez 
arracher  les  membres  et  tirer  l'âme  du  corps,  je  ne  vous  dirais  pas  autre  chose. 
Et  si  je  disais  autre  chose,  après,  je  vous  déclarerais  que  vous  me  l'auriez  fait 
dire  par  force.  —  Si  j'e  voyais  le  bûcher  allumé  devant  moi  et  les  bourreaux 
prêts  à  me  précipiter  dans  les  flammes,  je  ne  dirais  pas  autre  chose.  —  JRenvoyez- 
moi  à  Dieu,  de  par  qui  je  viens...  Moi,  je  vous  dis  de  prendre  garde...  Vous, 
vous  dites  que  vous  êtes  mon  juge;  c'est  une  grande  charge  que  vous  assumez, 
et  vous  me  chargez  trop.  —  Tout  ce  que  j'ai  fait,  je  l'ai  fait  du  commandement 
de  Dieu.  Mes  Voix  ne  m'ont  pas  trompée.  Priez  Dieu  pour  moi,  saint  Michel,  sainte 
Catherine,  sainte  Marguerite,  priez  pour  moi.  —  Mes  Voix  me  disent  que  j'aurai 
secours  et  que  je  serai  délivrée.  Et  elles  ajoutent  :  ^<  Prends  tout  en  gré  ;  ne 
te  chaille  (soucie)  pas  de  ton  martyre  ;  tu  viendras  finalement  au  Paradis.  *  La 
mort  va  m'ouvrir  le  Paradis  :  c'est  la  délivrance  dont  me  parlaient  mes  Voix. 

Docile  instrument  entre  les  mains  de  Dieu,  elle  reste  humble  et 
ne  songe  nullement  à  se  glorifier  : 

Je  ne  sais  ni  A,  ni  B,  mais  je  sais  que  je  viens  de  la  part  de  Dieu.  —  Il  a 
plu  au  Roi  du  Ciel  de  se  servir  d'une  simple  pucelle  pour  sauver  la  France.  — 
Que  je  voudrais  qu'il  plût  à  Dieu  que  je  n'allasse  pas  plus  loin  et  que  je  quittasse 
les  armes.  J'irais  dans  mon  pays  servir  mon  père  et  ma  mère,  garder  leurs  brebis 
avec  ma  sœur  et  mes  frères  qui  seraient  si  heureux  de  me  revoir  ! 


§  III 


V-/ 


Cette  confiance  si  grande  en  la  Providence  divine,  cette  docilité 
entière  à  répondre  à  l'appel  divin,  cette  humilité  profonde  s'expliquent 
par  le  GRAND  AMOUR  DE  DIEU  si  vivant  dans  le  cœur  de 
Jeanne.  Sa  vie  toute  de  dévouement  et  de  sacrifice,  que  le  martyre 
devait  couronner,  nous  montre  à  quel  point  Jeanne  aima  son  Dieu  : 
«  Je  l'aime  de  tout  mon  cœur,  »  disait-elle.  Elle  portera  sur  son  étendard 
sa  devise  :  «  Jhésus  !  Maria  !  » 

Mon  étendard,  il  avait  été  à  la  peine,  c'était  raison  qu'il  fût  à  l'honneur. 

Je  ne  durerai  guère,  il  faut  donc  me  bien  employer.   Vive  labeur  ! 

Elle  réclame  une  croix  avant  de  mourir  : 

Je  vous  en  prie,  dès  que  le  feu  sera  allumé,  tenez-la  devant  mes  yeux  et 
continuez  à  me  la  montrer  jusqu'à  la  mort. 

Elle  mourut  en  invoquant  le  nom  de  Jésus  :  «  JHÉSUS  !  JHÉSUS! 
JHÉSUS  !  » 


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III  i 


L,  amour  de  Dieu  ne  va  pas  sans  l'amour  du  prochain. 
Jeanne  aime  le  prochain  qui  souffre  : 

Les  pauvres  venaient  à  moi  volontiers,  disait-elle,  parce  que  je  ne  leur 
faisais  pas  déplaisir  et  qu'au  contraire  j'aimais  à  les  supporter. 

Jille  aimait  jusqu'à  ses  ennemis  même  : 
Pardonnez-moi,  vous  tous  gens  d'ici,  comme  je  vous  pardonne. 

h,lle  aimait  surtout  ses  parents,  ses  bienfaiteurs,  ses  amis  ;  et  ses 
regrets  de  quitter  le  foyer  de  sa  famille,  le  sanctuaire  de  sa  paroisse,  le 
clocher  de  son  village,  comme  ses  ardents  désirs  de  les  retrouver,  disent 
assez  combien  elle  les  chérissait. 

Elle  aimait  enfin,  et  par-dessus  tout,  sa  Patrie,  cette  grande  famille 
pour  laquelle  elle  sacrifia  toutes  ses  autres  amours. 

Jeanne  aimait  ses  soldats,  les  nobles  fils  et  défenseurs  de  la  France  : 

Jamais  je  n'ai  vu  couler  de  sang  français  que  les  cheveux  ne  se  dressassent 
sur  ma  tête.  —  Le  sang  de  nos  gens  coule  par  terre  .'Au  nom  de  Dieu,  c'est  mal 
fait!  Pourquoi  ne  m'a-t-on  pas  éveillée  plus  tôt?  Nos  soldats  ont  bien  à  besogner 
devant  une  bastille.  Mes  armes,  apportez-moi  mes  armes;  amenez-moi  mon 
cheval  !  Ah  !  sanglant  garçon,  crie-t-elle  à  son  écuyer,  vous  ne  me  disiez  pas  que 
le  sang  de  France  est  répandu  !  • 

xLn  ses  soldats,  elle  aimait  avant  tout  leurs  âmes  : 

«  //  faut  convertir  nos  soldats.  Procurez-vous  une  bannière  représentant 
Notre-Seigneur  Jésus  en  croix,  avec  la  sainte  Vierge  Marie  et  saint  Jean  à  ses 
côtés.  Puis,  ordonnez  à  tous  les  prêtres  de  Blois  de  se  réunir  avec  vous,  matin  et 
soir,  en  plein  air  autour  de  cette  bannière.  Que  pas  un,  dit-elle  à  ses  soldats,  ne 
se  joigne  à  nous  qu'il  ne  soit  confessé  :  les  prêtres  qui  m'entourent  entendront  de 
suite  les  confessions.  Allons  d'abord  aux  églises,  rendons  gloire  à  Dieu  de  l'avan- 
tage qu'il  nous  a  donné.  Si  nous  étions  ingrats,  il  ne  serait  plus  avec  nous  et 
nous  n'aurions  plus  la  victoire.  Si  nous  pouvions  ouïr  la  messe,  ce  serait  bien.  » 

oon  patriotisme,  inspiré  de  Dieu  et  s 'élevant  sur  les  ailes  de  la  foi 
à  la  hauteur  d'une  vertu  sublime,  nous  apparaît  comme  le  mobile  de  sa 
vie  tout  entière,  qu'elle  a  consacrée  à  la  France  jusqu'au  suprême 
sacrifice. 

Aussi  l'Église,  en  la  plaçant  sur  les  autels,  nous  l'offre-t-elle  comme 
le  type  et  le  modèle  accompli  de  l'âme  française  de  son  temps  et  de 
tous  les  temps. 


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O  Bienheureuse  Jeanne  d'Arc,  patronne,  libératrice  et  gardienne  de 
la  France,  obtenez  de  Dieu,  pour  le  pays  que  vous  avez  tant  aimé, 
l'union  sacrée  qui  peut  seule  assurer  dans  le  présent  et  l'avenir  son 
triomphe  et  la  paix  !  Que  tous  suivent  votre  étendard  ;  qu'ils  restent 
fidèles  aux  traditions  de  la  Fille  aînée  de  l'Église,  afin  de  mériter  que 
toujours  :   «  Dieu  protège  la  France  !  » 

Aujourd'hui  Jeanne  d'Arc  vient  d'être  exaucée.  Méritons  que  Dieu 
l'exauce  toujours  ! 

En  la  fête  de  saint  Martin,  soldat,  apôtre  et  évêque. 

JHeaux,  11  novembre  1918. 

Au  jour  glorieux  de  l'armistice,  de  la  victoire  et  de  la  paix. 


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PAMIERS 


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JEANNE    D'ARC 

ET    SA    MISSION    AU    XX«    SIÈCLE 


Jeanne  d'Arc  est  d'une  sublime  actualité.  C'est  vers  elle,  la  protectrice 
indispensable  et  sainte,  que  se  portent,  en  ces  moments  d'indicible 
angoisse,  tous  les  regards,  tous  les  cœurs,  toutes  les  espérances. 

Tout  nous  la  rappelle,  tout  nous  la  rend  présente  :  l'invasion,  les 
horreurs  de  la  guerre,  nos  divisions  intestines,  l'infidélité  de  la  France 
à  sa  vocation  providentielle. 

Au  XV'  siècle,  Jeanne  d'Arc,  instrument  miraculeux  et  fidèle  de 
Dieu,  nous  sauva,  en  chassant  l'envahisseur,  en  réalisant  l'union  des 
âmes,  en  rendant  la  France  aux  Français  et  Jésus-Christ  à  la  France. 

De  Jeanne,  nous  attendons  aujourd'hui  le  même  secours,  les  mêmes 
bienfaits,  les  mêmes  miracles  :  ils  nous  sont  aussi  nécessaires.  Saurons- 
nous  les  obtenir  en  écoutant  ses  leçons  et  en  suivant  ses  exemples  ? 

Il  y  a  aujourd'hui,  comme  au  XV»  siècle,  «  grande  pitié  sur  la  terre 
de  France.  »  Sur  elle  sévit  depuis  quatre  ans  le  fléau  dévastateur  de  la 
guerre,  de  l'invasion  la  plus  gigantesque,  la  plus  inhumaine,  la  plus 
sauvage  qu'ait  enregistrée  l'histoire.  C'est  une  perpétuelle  rafale  de  fer, 
de  feu,  de  gaz,  qui  brise,  blesse,  déchire,  brûle,  étouffe,  tue. 

Cruelle  épreuve  !  N'est-ce  pas  notre  châtiment  ?  Séduite  par  le  mirage 
des  fausses  doctrines  et  les  utopies  révolutionnaires,  la  France  du 
XX*  siècle  s'est  éloignée  de  Dieu.  Elle  a  dénoué  les  liens  séculaires  de 
son  alliance  avec  Jésus-Christ,  son  Église,  son  évangile.  Que  dis-je  ? 
La  France  officielle  a  livré  à  Dieu  une  bataille  désespérée,  s'efforçant 


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«  d'exiler  •»  le  Créateur  du  monde,  son  ouvrage ,  rêvant  une  société  qu'elle 
appelle,  on  ne  sait  pourquoi,  «  laïque,  »  mais  dont  l'essence  est  de  vivre 
et  mourir  sans  Dieu.  Crime  et  folie  tout  ensemble.  La  France  a  été  bien 
coupable...  C'est  l'heure  de  la  réparation,  de  l'expiation  rédemptrice. 
La  nation  l'accepte,  humble,  généreuse,  repentante. 

Depuis  quatre  ans,  sur  tous  les  champs  de  bataille  de  l'Occident  et 
de  l'Orient,  coulent  des  fleuves  de  sang,  le  sang  des  meilleurs  de  nos  fils, 
le  sang  de  nos  prêtres,  qui  s'offrent  à  Dieu  en  holocauste  pour  la  rançon 
de  leur  Patrie.  Qu'est-ce  que  notre  France  aujourd'hui,  sinon  un  immense 
autel  arrosé  de  sang  ?  Et  les  larmes  des  veuves,  les  larmes  des  mères, 
les  larmes  de  millions  de  petits  orphelins,  n'est-ce  pas  encore  du  sang, 
un  sang  expiatoire  ? 

La  France  se  retourne  vers  Dieu.  Elle  prie,  elle  souffre,  elle  espère  : 
n'est-ce  pas  déjà  là  un  miracle  de  la  protection  de  notre  Jeanne,  qui 
fait  pressentir  qu'elle  nous  sauvera,  comme  au  XV*  siècle,  au  moment 
où  tout,  humainement,  semble  désespéré? 

Comment,  en  vérité,  ne  pas  remarquer  que  Dieu  a  voulu,  à  la  veille 
de  la  crise  suprême,  par  une  grâce  incomparable  —  celle  de  la  béati- 
fication de  Jeanne  —  nous  rendre  la  grande  libératrice  ?  N'est-ce  pas 
pour  accomplir  de  nouveau  sa  mission  ? 

Et  ne  nous  a-t-elle  pas  déjà  donné  des  signes  et  des  preuves  de  sa 
présence,  de  son  secours,  de  sa  volonté  ? 

«  Pour  l'union  des  âmes  françaises,  »  moyen  essentiel  de  victoire  : 
n'est-ce  pas  là  un  vrai  miracle,  que  Jeanne  a  commencé  de  réaliser 
parmi  nous  et  qu'elle  saura  maintenir  et  achever  ? 

*  Pour  la  libération  du  territoire  :  »  son  nom  n'était-il  pas  le  mot 
d'ordre,  en  1914,  le  jour  où  s'est  déclarée  la  victoire  de  la  Marne  ? 

«  Pour  le  renouvellement  de  la  vocation  chrétienne  de  la  France  :  » 
par  la  persécution  religieuse  et  par  la  séparation  impie  de  la  France 
d'avec  son  Dieu  et  d'avec  l'Eglise,  nous  avions  perdu  «  l'esprit  du  sacre 
de  Reims  ;  »  l'esprit  du  sacre,  c'est  l'adoration  publique,  sociale, 
nationale  de  Dieu  ;  c'est  l'obéissance  publique,  sociale,  nationale  à  la 
loi  de  Dieu  ;  c'est  le  respect  public,  social,  national  pour  Jésus-Christ 
et  pour  l'Eglise...  Ne  serait-ce  pas  pour  cela  que  Dieu  a  permis 
l'effroyable  attentat  des  barbares  contre  la  cathédrale  de  Reims, 
baptistère  de  la  France,  sanctuaire  du  sacre,   théâtre  du  triomphe  de 


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Jeanne  ?...  Jeanne  nous  rendra  l'esprit  du  sacre,  œuvre  difficile,  mais 
déjà  accomplie  en  partie  dans  beaucoup  de  cœurs.  Appelons-la  à  notre 
aide  avec  un  indomptable  espoir,  une  invincible  confiance  !...  Mettons- 
nous  surtout  à  son  école,  pour  devenir  avec  elle  et  comme  elle  les 
sauveurs  de  la  Patrie,  par  les  mêmes  moyens  :  prière,  travail,  sacrifice. 

Jeanne  priait  sans  cesse,  avant,  pendant,  après  la  bataille,  jusqu'à 
organiser  des  processions  au  chant  du  Vent,  Creator,  et  des  litanies  de 
la  Très-Sainte- Vierge.  «  Dieu  premier  servi  !  »  C'était  son  mot  d'ordre. 
Et,  comme  elle  savait  que  seule  monte  droit  au  Ciel  la  prière  qui  sort  d'un 
cœur  pur,  elle  entretenait  dans  son  âme  de  vierge  la  haine  du  péché. 
«  J'aimerais  mieux  mourir,  disait-elle,  que  de  commettre  un  seul  péché.  »  — 
«  C'est  le  péché,  répétait-elle  aux  hommes  d'armes,  qui  fait  perdre 
les  batailles.  »  Et  elle  avait  juré  une  guerre  implacable  au  blasphème,  à 
l'intempérance,  à  la  débauche.  Lorsque,  blessée  aux  Tourelles,  on  lui 
propose  de  la  guérir  en  «charmant»  ses  blessures:  «Mourir  plutôt, 
s'écrie-t-elle,  que  de  rien  faire  contre  la  volonté  de  Dieu  !  »  Et  sa  robuste 
piété  s'alimente  dans  la  fréquentation  des  sacrements  et  se  révèle  par  la 
pratique  de  toutes  les  œuvres  spirituelles  et  corporelles  de  miséricorde. 

Jeanne  priait,  Jeanne  travaillait  :  «  Vive  labeur  !  »  c'était  sa  devise. 
Elle  sait  que,  dans  la  guerre  comme  partout.  Dieu  n'assiste  que  ceux 
qui  ont  commencé  par  faire  leur  devoir,  et,  s'il  le  faut,  plus  que 
leur  devoir.  Aux  juges  de  Poitiers  qui  objectent  que  :  «  Si  Dieu  veut 
délivrer  le  peuple  de  France,  il  n'est  pas  besoin  de  gens  d'armes,  » 
elle  réplique  avec  le  bon  sens  chrétien  :  «  En  nom  Dieu,  les  gens 
d'armes  batailleront  et  Dieu  donnera   la  victoire.  » 

Les  Voix  ont  ordonné  :  «  Va,  Fille  de  Dieu,  va  !  »  Et  Jeanne  va, 
intrépide,  infatigable.  «  Je  ne  suis  qu'une  pauvre  fille,  murmure-t-elle,  je 
ne  sais  ni  A,  ni  B.  Je  ne  sais  ni  monter  à  cheval,  ni  faire  la  guerre  ;  mais 
puisque  Dieu  le  veut,  me  voici.  »  Quand  on  lui  demande  à  quel  moment 
elle  veut  partir  :  «  Mais  plutôt  aujourd'hui  que  demain,  »  répond-elle.  Et 
elle  endosse  un  justaucorps,  chausse  des  éperons,  saute  en  selle,  prend 
la  lance  et  part  comme  le  plus  alerte  et  le  meilleur  des  chevaliers.  Elle 
va  de  Domremy  à  Vaucouleurs,  à  Chinon,  à  Poitiers,  à  Orléans,  à  Reims. 
Elle  parcourt  quatorze  ou  quinze  cents  lieues  en  quelques  mois,  la 
vaillante  écuyère,  avant  d'atterrir  au  funèbre  biicher  de  Rouen  ! ... 

Jeanne  priait,  Jeanne  travaillait,  Jeanne  souffrait.  Son  cœur  connut 
les  déchirements  et  les  amertumes  de  la  séparation,  de  l'isolement,  de  la 
suspicion,   de   la  jalousie,   de  la  noire  calomnie.  Mais  il  n'y  a  pas  de 


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rédemption  sans  souffrance  et  sans  immolation  ;  et  Jeanne  accepta  tout 
en  silence,  résignée. 

Elle  eut,  comme  le  divin  Jésus,  sa  Passion  douloureuse.  Comme  lui, 
Jeanne  fut  trahie,  vendue,  abandonnée,  livrée,  condamnée  par  des  juges 
iniques.  Attachée  enfin  à  un  bûcher  elle  fut  brûlée  vive  :  «Jésus!  Maria!...» 
Avec  ces  mots  sur  ses  lèvres,  elle  exhala  sa  belle  âme  et  la  rendit  à  Dieu, 

Par  la  prière,  le  travail,  le  sacrifice,  Jeanne  remplit  la  mission  que 
le  Ciel  lui  avait  confiée,  et  sauva  la  France.  Comprenons  ses  leçons  et 
imitons  ses  exemples. 

Au  XX"  siècle,  comme  au  XV,  au  même  prix,  même  assistance  divine 
et  même  bienfait  :  la  victoire  glorieuse  !  l'envahisseur  chassé,  la  France 
aux  Français,  et  Jésus-Christ  à  la  France  !  Ce  sera  le  nouveau  et  prochain 
miracle  de  Jeanne  d'Arc. 


Mai  1918 


LA  BEATIFICATION   DE  JEANNE   D'ARC 

SIGNE    DE    SALUT    POUR    LA    FRANCE 

(18    AVRIL    1909) 


V^  est  par  un  manifeste  dessein  de  la  divine  miséricorde  que  Jeanne 
d'Arc,  béatifiée  après  un  silence  plus  de  quatre  fois  séculaire,  est  apparue 
au  commencement  de  ce  XX"  siècle,  ainsi  qu'elle  s'était  levée  au  commen- 
cement du  XV%  comme  un  signe  de  salut,  un  arc-en-ciel  dans  les  nuages. 

Dieu,  autrement,  l'aurait  béatifiée  plus  tôt,  car  elle  avait  fait  pour 
cela  d'assez  éclatants  miracles,  ou  il  l'aurait  laissée  comme  enfermée 
dans  la  gloire  mystérieuse  de  son  Ciel.  Il  l'a  envoyée  quand  tout  allait 
nous  paraître  désespéré,  à  son  heure  à  Lui,  quand  l'étranger  disait  : 
«  Où  est  donc  le  Dieu  de  ce  peuple  ?  » 

«  Notre  Dieu  est  avec  Jeanne,  qui  nous  amène  secours  meilleur  qui 
jamais  arriva  à  général  ou  à  cité.  »  Si  pour  nous  sauver  il  faut  encore  des 
miracles,  elle  en  fera  ! 

iVLais  ces  miracles,  elle  ne  les  fera  ni  par  l'épée  toute  seule,  ni 
seulement  par  le  drapeau  de  la  France  ou  même  par  sa  bannière  qu'elle 
aimait  tant.  Comme  sous  les  murs  d'Orléans,  il  faudra  la  prière  des 
prêtres  et  la  croix  de  Jésus-Christ. 

Et,  le  lendemain  de  la  victoire,  quand  tous  les  ennemis  auront  été 
boutés  dehors,  qu'adviendra-t-il  ?  Que  sera  la  France  ?  Il  n'est  pas  malaisé 
de  le  prédire,  car  les  mêmes  causes  ont  coutume  de  produire  les  mêmes 
effets. 

L  apôtre  saint  Jean  a  résumé  dans  trois  mots  d'une  psychologie 
universelle  et  immuable  toutes  les  causes  de  déchéance  individuelle  et 
sociale.   Concupiscentia   carnis  ;  concupiscentia   oculorum,  superbia 


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vitae.  Les  appétits  innommables,  la  faim  de  l'or  et  l'orgueil  impatient  de 
toute  autorité,  toutes  les  révolutions  et  toutes  les  ruines  d'empires  et  de 
peuples  sont  là  ! 

V  ous  pensiez  que  les  hommes  tristement  fameux  qui  ont  persécuté 
l'Église,  au  cours  des  siècles  aimaient  la  justice  et  la  liberté  ?  C'étaient 
des  corrompus,  des  cupides,  des  superbes.  Ne  cherchez  pas  d'autres 
explications  de  toutes  les  injustices,  de  toutes  les  impiétés,  de  tous 
les  sacrilèges,  de  toutes  les  violences,  de  tous  les  crimes  qui  se  sont 
commis  ailleurs  et  chez  nous  contre  la  religion  et  la  Patrie, 

Je  vous  le  dis,  il  n'y  en  a  pas  d'autres. 

Il  n'y  a  pas  non  plus  d'autres  causes  des  catastrophes  de  nations 
tombées  avec  fracas  les  unes  sur  les  autres  !  Qui  donc  a  jeté  dans  la 
mort  tant  de  peuples  puissants  et  orgueilleux  qui  dorment  dans  la 
poussière  des  siècles  ?  N'en  doutez  pas,  c'est  la  corruption  de  l'esprit  et 
celle  du  cœur  ! 

C  est  elle  qui  avait  préparé  l'agonie  de  la  France  au  XV*  siècle. 
C'est  elle  encore  qui  a  failli,  pendant  l'orgie  révolutionnaire,  étouffer  la 
Patrie  dans  la  boue  et  dans  le  sang.  C'est  elle  enfin  qui,  hier,  nous  conduisit 
aux  portes  du  tombeau.  Nous  n'étions  pas  prêts  quand  l'étranger  est 
apparu  à  nos  frontières.  Je  le  crois  bien  !  Nous  étions  tant  occupés  à 
chasser  de  partout  la  croix,  symbole  du  sacrifice  détesté  ! 

Ah  !  de  grâce,  Français,  prenez  garde  !  En  vérité,  il  en  est  temps  !  Le 
sang  coule  !  La  Patrie  vous  implore  !  Si  les  trois  puissances  ennemies 
allaient  régner  encore  en  souveraines,  en  l'absence  de  la  croix,  elles 
entreraient  dans  le  cœur  et  dans  les  veines  de  la  France,  pour  tarir  les 
sources  sacrées  de  l'idéal,  de  la  vertu,  de  la  vie  même  !  Plus  redoutables 
que  les  épées  les  mieux  aiguisées,  que  la  poudre  la  plus  sèche  et  que  les 
canons  les  plus  formidables,  elles  tueraient  notre  malheureux  pays. 

J-»a  France  sera  catholique  ou  elle  ne  sera  pas  !  Rappelez  donc  la 
croix.  Ramenez-la  partout  d'où  elle  a  été  chassée.  Faites  cela,  non  pas 
demain,  mais  aujourd'hui.  Et  tous,  debout  sous  l'étendard  de  Jésus-Christ, 
comme  le  demandait  Pie  X,  de  sainte  et  immortelle  mémoire,  tous  unis 
dans  une  même  foi  patriotique  et  religieuse,  bataillez,  chacun  à  votre 
manière,  au  poste  de  combat  qui  vous  est  assigné  par  Dieu,  maître 
souverain  de  la  France  ! 

iLi  cela  fait,  ne  craignez  pas  !  Ouvrez  vos  âmes  toutes  grandes  à 
l'espérance  ! 


3- 


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L'Allemand  aura  beau  faire,  il  aura  beau  être  sauvage  et  puissant  : 
vous  le  bouterez  dehors  !  Nos  drapeaux  iront  flotter  sur  les  clochers 
reconquis  de  Metz  et  de  Strasbourg  ! 

rLt,  demain,  la  France  ne  vivra  pas  seulement,  elle  redeviendra 
grande.  Une  vertu  descendra  de  la  croix,  qui  nous  rendra  toutes  nos 
gloires  anciennes. 

Il  le  faut  !  Il  faut  que  s'accomplisse  tout  entière  la  prophétie  de  Reims, 
que  notre  Patrie  reprenne  dans  le  monde  sa  fonction  de  soldat  de  Dieu, 
de  sergent  du  Christ,  de  défenseur  des  nobles  et  saintes  causes.  Il  faut 
qu'elle  redevienne,  comme  aux  beaux  jours  d'autrefois,  le  plus  beau 
royaume  du  monde  après  celui  du  Ciel. 

Pour  cela,  ô  bienheureuse  Jeanne,  entendez  notre  prière.  Vous  n'êtes 
plus  une  bergerette  ignorante.  Vous  êtes  une  béatifiée  glorieuse.  Vous 
disposez  de  la  puissance  même  de  Dieu.  Verriez-vous  donc  aujourd'hui, 
sans  pitié,  couler  le  sang  de  France  ?  Supporteriez-vous  surtout  de  voir 
périr  les  âmes  de  France  ?  Et  votre  Christ  Jésus,  votre  «  droicturier,  » 
ne  voudriez- vous  donc  plus  qu'il  fût  Roi  de  France?  Enfin,  ne  vous 
souviendriez- vous  pas  qu'il  y  a  une  France  qui  prie,  qui  aime  et  qui  ne 
veut  pas  mourir,  mais  servir  encore  Dieu  et  son  Église  ? 

U  nissez-nous  donc  à  l'ombre  de  la  croix  et  ressuscitez  dans  toutes  nos 
âmes  l'ardente  foi  de  nos  pères,  afin  que  partout,  non  seulement  dans  nos 
églises,  mais  jusque  dans  les  conseils  de  ceux  qui  gouvernent,  dans  les 
assemblées  politiques  et  savantes,  dans  les  universités  et  dans  les  écoles, 
dans  le  palais  des  grands  et  la  mansarde  des  pauvres,  dans  l'atelier  des 
ouvriers  et  la  chaumière  des  paysans,  sur  les  grandes  places  de  nos  villes 
et  jusque  dans  les  chemins  les  plus  éloignés  de  nos  campagnes  retentisse 
le  vieux  cri  de  la  France  chrétienne  et  invincible  : 

«  Vive  le  Christ,  qui  aime  les  Francs  !,..  » 

J  écrivais  les  Hgnes  qui  précèdent  le  15  mai  1915. 

Déjà  l'étranger  orgueilleux  et  brutal  foulait  la  terre  sacrée  de  notre 
chère  France.  Je  n'hésitais  pourtant  pas  à  affirmer  que  nos  drapeaux 
victorieux  flotteraient  un  jour  sur  les  clochers  reconquis  de  Metz  et  de 
Strasbourg. 

C  est  chose  faite  maintenant.  La  victoire  nous  a  coûté  beaucoup  de 
sang.  Elle  n'en  est  que  plus  glorieuse.  Metz  et  Strasbourg  sont  redevenus 
français. 


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Le  mérite  en  revient,  sans  doute,  à  l'héroïsme  de  nos  soldats  et  à  la 
science  de  leurs  chefs. 

iVLais  Jeanne  n'y  est  pas  étrangère.  Elle  a  sûrement  uni  sa  prière  à 
celles  des  autres  saints  de  la  Patrie.  La  preuve  en  est  que  les  hommes  de 
guerre  croyaient  eux-mêmes,  dans  les  premiers  jours  de  juillet  1918,  que 
Paris  allait  tomber  aux  mains  de  l'ennemi,  et  que,  le  11  novembre,  au 
contraire,  l'ennemi  était  «  bouté  hors  »  de  France  !... 

Il  y  a  là  quelque  chose  qui  ressemble  singulièrement  au  miracle.  Il 
y  a,  du  moins,  l'intervention  évidemment  providentielle  de  Celui  «  qui 
fait  la  victoire.  » 

Autour  de  cette  victoire  si  chèrement  acquise,  il  ne  devrait  y  avoir 
que  des  rayons  de  gloire. 

Hélas  !  et  des  ombres  s'y  mêlent,  douloureuses,  menaçantes.  C'est 
que  la  France,  taiit  aimée  de  Dieu,  s'obstine  officiellement,  devant  le 
monde  scandalisé,  à  ne  pas  même  parler  de  Dieu  ! 

Blasphème  impie  qui  ferait  tôt  ou  tard  ce  que  n'ont  pu  faire  les 
monstrueux  canons  allemands. 

Douce  vierge  de  Lorraine,  priez  pour  nous  !  Et  que  votre  prière  qui 
nous  a  sauvés  de  l'étranger,  nous  sauve  de  nous-mêmes  ! 


Monfauban,  le  1 1  novembre  1919. 


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BLOIS 


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LA    VEILLEE    DES    ARMES 


Je  suis  d'autant  plus  heureux  de  rendre  ici  mon  hommage  à  Jeanne 
d'Arc,  que  le  nom  de  ma  ville  épiscopale  est  pour  jamais  associé  au 
sien. 

Blois  se  trouve  comme  au  seuil  de  la  glorieuse  épopée  de  Jeanne, 
On  a  cru  que  Gérard  Machet,  confesseur  de  Charles  VII,  qui  donna  au 
roi  un  avis  favorable  au  message  divin  de  la  Pucelle,  était  un  prêtre 
blésois.  Ce  sont,  du  moins,  deux  capitaines  du  château  de  Blois,  le 
seigneur  de  Villars  et  Jamet  du  Tillay,  qui  furent  envoyés  à  Chinon  par 
Dunois,  frère  du  comte  de  Blois,  puis  devinrent  les  compagnons  d'armes 
de  Jeanne  et  se  distinguèrent,  à  ses  côtés,  dans  toute  la  campagne  de  la 
Loire.  C'est  la  duchesse  d'Alençon,  fille  de  notre  comte,  qui  devint  l'amie 
et  la  confidente  de  Jeanne.  C'est  vraiment  chez  nous  que  la  libératrice  a 
trouvé  ses  amis  de  la  première  heure. 

Ainsi,  Blois  était  allé,  en  quelque  sorte,  au-devant  de  Jeanne  ;  Jeanne 
devait  venir  jusqu'à  Blois.  Elle  y  vint,  en  effet,  de  Tours,  et  y  fit  son 
entrée  le  24  avril  1429. 

Dernier  rempart  du  parti  français,  notre  ville  était  alors  le  principal 
centre  de  ravitaillement  pour  Orléans  assiégé  ;  elle  était  toute  désignée 
pour  devenir  le  point  de  concentration  des  troupes.  Jeanne  y  demeura 
deux  ou  trois  jours,  adressant  de  là  aux  Anglais  un  message  de  paix  ;  y 
faisant  exécuter  la  bannière  qu'elle  remit  aux  prêtres  pour  être  portée  à 
l'avant-garde,  aux  chants  des  hymnes  d'église  ;  organisant  cette  chose 
inouïe  :  une    retraite    spirituelle    au    camp,    et    faisant    se   confesser  et 


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communier  tous  ces  pillards  de  soldats  ;  y  revêtant  pour  la  première  fois 
son  armure  de  combat  à  «  blanc  harnais  »,  qu'elle  offrira  plus  tard  à 
Saint-Denis  ;  faisant  bénir  solennellement,  dans  l'antique  et  illustre 
collégiale  de  Saint-Sauveur,  son  étendard  de  guerre,  celui  qu'elle  tiendra 
à  la  main  en  guise  d'épée  et  qu'elle  arborera  fièrement  au  sacre, 
voulant,  puisqu'il  avait  été  à  la  peine,  qu'il  soit  aussi  à  l'honneur.  Ne 
peut-on  pas  dire  en  toute  vérité  que  Jeanne  la  guerrière,  Jeanne 
le  pur  et  héroïque  chevalier  de  Dieu  et  de  la  France,  fit  à  Blois  sa 
«  veillée  des  armes  »  ? 

Je  n'ai  pas  à  suivre  Jeanne,  quittant  Blois  le  27  avril,  avec  sa  petite 
armée  marchant,  en  forme  de  procession  religieuse,  à  la  victoire,  à  la 
libération  d'Orléans,  ni  à  raconter  la  seconde  campagne  de  la  Loire, 
bien  que  la  concentration  de  la  nouvelle  armée  fût  opérée  sur  un  autre 
point  de  notre  territoire,  à  Selles-en-Berri,  et  bien  que,  parmi  les  seigneurs 
groupés  alors  autour  de  la  Pucelle,  il  s'en  trouvât  un  qui  était  nôtre  : 
Louis  de  Bourbon,  comte  de  Vendôme,  lequel  suivit  Jeanne  jusqu'au 
bout  et,  après  la  trahison  de  Compiègne,  voulut  la  venger. 

Nul  Blésois,  d'ailleurs,  ne  trahit  la  Pucelle.  Le  comte  de  Blois  lui 
demeura  fidèle,  et  il  se  montra  généreux  envers  certains  membres  de  sa 
famille  qui  s'étaient  fixés  dans  notre  pays.  Jeanne  ne  fut  pas  chez  nous 
davantage  oubliée  après  sa  mort.  Des  Blésois  déposèrent  avec  bonheur 
pour  elle  au  procès  de  réhabilitation.  Et  l'on  trouve,  dans  le  Proces- 
sionnal de  Mgr  de  Crussol  d'Uzès  (1741),  évèque  de  Blois,  la  preuve 
d'une  cérémonie  publique  et  religieuse  traditionnelle  qui  semble  bien 
n'avoir  eu  d'autre  objet  que  le  reconnaissant  souvenir  de  la  vierge 
guerrière.  Trois  orateurs  blésois  furent  appelés  à  prononcer,  à  Orléans,  le 
panégyrique  de  Jeanne  :  l'abbé  Morisset,  en  1829,  au  quatrième  cente- 
naire de  la  libération  de  la  ville  ;  le  Père  Monsabré,  en  1877  ;  le  chanoine 
Gaudeau,  en  1910.  Depuis  vingt  ans,  des  fêtes  religieuses  et  populaires 
sont  célébrées  à  Blois  en  l'honneur  de  la  Pucelle  ;  un  livre  érudit  a  été 
écrit  par  un  de  mes  prêtres  sur  Jeanne  d'Arc  à  Blois  et  à  Selles  ;  des 
oeuvres  musicales  de  valeur  y  ont  été  composées  et  s'y  chantent  ;  et, 
depuis  la  béatification  surtout,  la  gloire  de  notre  héroïne  nationale 
rayonne  chaque  jour  avec  plus  d'éclat  dans  mon  diocèse.  Comme  Blésois, 
n'avons-nous  pas  le  droit  d'être  fiers  de  la  part  de  notre  ville  dans 
l'histoire  de  la  libératrice  de  la  France?  N'est-ce  pas  de  Blois  que 
l'armée  de  la  Pucelle,  purifiée  et  sanctifiée,  a  pris  son  sublime  élan  vers 
la  victoire  ? 


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Le  «  Mystère  de  Jeanne  d'Arc  à  Blois  »  méritait  d'être  tout  au  moins 
noté  dans  cet  ouvrage  consacré  à  sa  mémoire  ;  et  je  serais  heureux  si  la 
libératrice  daignait  recevoir  ici,  par  ma  plume,  le  juste  hommage  de  la 
ville  qui  fut  témoin,  avant  le  combat  glorieux,  de  la  sainte  veillée  des 
armes. 

A  l'heure  ou  j'achève  d'écrire  ces  lignes,  l'atroce  guerre  est  terminée  ; 
le  soleil  de  la  grande  victoire  a  lui  aux  yeux  des  peuples  alliés  pour  la 
défense  de  la  justice  et  du  droit. 

Or,  on  s'en  souvient,  c'est  le  nom  de  Jeanne  d'Arc  qui  a  providen- 
tiellement signalé,  au  début  de  septembre  1914,  la  première  approche 
du  triomphe.  C'est  elle  encore,  elle  toujours,  qui  fut  la  libératrice.  Nous 
n'avons  pas  oublié  la  voie  frayée  par  elle  à  la  victoire,  et  nous  l'avons 
suivie  fidèlement  et  pas  à  pas. 

C  est  en  procession  religieuse,  au  murmure  des  prières  et  aux  chants 
des  cantiques  sacrés,  que  sa  petite  armée,  sanctifiée  par  la  retraite  et  la 
communion,  partit  de  Blois  pour  la  libération  d'Orléans  et  la  victoire 
nationale. 

Dès  le  début  de  la  guerre,  ma  ville  épiscopale  s'est  mise  en  mouve- 
ment, sur  un  signe  de  Jeanne,  et  à  sa  suite. 

Enfants,  porteurs  de  petits  drapeaux  tricolores,  jeunes  filles,  dames 
et  religieuses,  hommes,  clergé  ont  afflué  vers  le  faubourg  de  Vienne, 
vers  l'antique  sanctuaire  de  Notre-Dame  des  Aydes,  où  la  Pucelle  était 
venue  elle-même  s'agenouiller,  lors  de  ce  passage  à  Blois  qui  fut,  pour 
son  armée  et  pour  la  France,  d'une  si  heureuse  et  si  magnifique  fécondité. 

C  est  là  que  nos  aïeux  la  virent  prosternée  dans  la  prière  aux  pieds 
de  la  Vierge  ;  là  qu'elle  implora  de  Dieu  et  de  sa  sainte  Mère  la  conver- 
sion de  ses  hommes  et  la  victoire  de  la  Patrie  ;  là  qu'elle  fit  avant  les 
grands  combats  la  suprême  veillée  des  armes.  Après  elle,  et  avec  elle, 
nous  avons  franchi  la  Loire,  veillé  et  prié  en  ce  même  sanctuaire 
consacré  à  Marie.  Et  nous  y  avons  invoqué  Jeanne  elle-même  de  toute 
notre  foi  et  de  tout  notre  cœur. 

Durant  les  cinq  automnes  de  guerre,  chaque  dimanche  du  mois  de 
septembre,  ce  fut  un  empressement  régulier  et  édifiant  des  fidèles  de 
Blois,  ayant  à  leur  tête  leur  évêque,  vers  la  Madone  protectrice  de  la 
cité.  Nous  eûmes  là  des  pèlerinages  de  guerre  dont  nous  ne  perdrons 
plus  l'émouvant  souvenir. 


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Puis,  la  victoire  acquise  et  la  paix  signée,  plus  heureux  que  Jeanne 
d'Arc,  nous  avons  pu  reprendre  le  chemin  de  notre  sanctuaire  blésois. 
Au  mois  de  septembre  1919,  nous  fîmes,  les  dimanches,  par  groupes 
encore,  les  pèlerinages  de  l'action  de  grâces.  Les  enfants  et  les  jeunes 
filles  déposèrent,  en  hommage  de  reconnaissance,  aux  pieds  de  Notre- 
Dame  des  Aydes,  les  fleurs  et  les  branches  de  lauriers  qu'ils  portaient  à 
la  main.  La  clôture  des  pèlerinages,  avec  les  jeunes  gens  et  les  hommes, 
parmi  lesquels  se  trouvaient  des  soldats  et  des  officiers  du  plus  haut 
grade,  fut  imposante  et  triomphante. 

Ce  que  Blois  a  fait  en  petit,  la  France  tout  entière  l'a  fait  en  grand. 
Mais  pour  nous,  Blésois,  le  chemin  glorieux  avait  été  tracé  par  Jeanne 
elle-même  :  il  va  de  Blois  a  Orléans,  je  veux  dire  de  la  prière  chrétienne 
à  la  victoire  française. 


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Blois,  le  31  octobre  1919. 


LE    MARTYRE    DE    JEANNE    D'ARC 

Il  était  donné  à  Jeanne  d'élever  encore  jusqu'aux  sublimités  de 
l'héroïsme  l'enseignement  de  la  souffrance  rédemptrice.  C'est  un  sen- 
timent universel  et  comme  infus  dans  les  âmes,  une  vérité  acceptée  de 
tout  temps  par  tous  les  peuples,  avant  comme  après  le  sacrifice  du 
Calvaire,  qu'une  victime  peut,  par  l'héroïsme  de  son  dévouement,  se 
substituer  à  la  nation  prévaricatrice,  et,  pourvu  que  celle-ci  ait  le 
repentir  de  ses  fautes,  diminuer  l'intensité  comme  la  longueur  de  son 
expiation. 

Là,  sans  doute,  est  l'explication  du  long  martyre  de  la  Pucelle.  On 
a  cru  trop  généralement  que  sa  mission  finissait  à  Reims,  et  que,  pour 
avoir  voulu  continuer  une  œuvre  personnelle  après  l'achèvement  de  celle 
de  Dieu,  Jeanne  fut  victime  de  sa  faute.  J'ose  dire  que  c'est  là  une 
grave  erreur.  Si  la  souffrance  n'apparaissait  pas  dans  l'œuvre  de  Jeanne, 
comment  oserions-nous  affirmer  que  cette  œuvre  est  divine?  N'est-ce 
pas  l'illustre  cardinal  Pie  qui  observe  que,  depuis  le  sacrifice  du  Calvaire, 
toutes  les  œuvres  divines  sont  marquées  du  cachet  de  la  Croix  ?  C'est 
aussi  le  grand  évêque  de  Poitiers  qui  a  dit  que  «  le  baptême  du  sang 
est  inséparable  de  la  mission  divine.  »  O  Jeanne,  vous  avez  été  jugée 
digne  non  seulement  d'être  l'instrument  de  Dieu,  mais  encore  de  lui 
être  offerte  en  holocauste  pour  racheter  la  France.  Une  victime  pure, 
voilà  ce  que  Dieu  cherche  :  il  faut  des  vertus  sans  tache  pour  être  un 
martyr.  Tel  est  le  rôle  douloureux  de  Jeanne.  Elle  boira  le  calice 
jusqu'à  la  lie,  mais  dans  son  supplice  je  vois  trois  triomphes  :  le  triomphe 
de  la  France,  de  la  Foi,  de  Jeanne  elle-même. 

(1)    Mgr.  Métreau,  évéque  de  Tulle,  est  décédé  peu  de  temps  après  nous  avoir  envoyé  cette  page  impressionnante. 


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Jésus,  Maria,  ce  sont  les  deux  noms  gravés  sur  l'étendard  de  la 
Pucelle  ;  ce  sont  les  deux  amours  de  son  cœur  de  vierge.  Comme  Jésus 
et  Marie  furent  heureux  de  souffrir  pour  le  monde,  Jeanne  sera  heureuse 
de  souffrir  pour  la  France.  La  leçon  la  plus  féconde  et,  tout  ensemble, 
la  plus  consolante  qu'elle  nous  donne,  commence  au  retour  du  sacre. 

Je  passe  donc  sans  m'y  arrêter  sur  les  premières  souffrances  de 
Jeanne  :  craintes  de  la  petite  paysanne  qui  ne  se  sent  préparée,  ni  par 
son  éducation,  ni  par  ses  habitudes,  ni  par  ses  goûts,  au  grand  dessein 
que  lui  demandent  de  remplir  ses  Voix  ;  frémissement  douloureux  de  la 
nature,  que  cette  fille  bien  équilibrée  ne  peut  pas  ne  pas  éprouver  en 
s'avançant  vers  l'inconnu  ;  contradictions  dont  elle  était  continuellement 
l'objet  à  la  Cour,  dans  les  conseils  du  roi  et  dans  les  conseils  de  guerre, 
où  des  voix  tout  humaines  l'empêchaient  souvent  d'obéir  à  ce  qu'elle 
savait  très  bien  être  la  voix  de  Dieu.  La  Pucelle,  si  douce,  si  joyeuse, 
si  pleine  d'esprit  et  de  bonhomie,  a  toujours  souffert.  Mais  laissons 
cela.  Arrivons  droit  au  martyre. 


* 
*      * 


Trahie  et  prise,  la  voilà  donc  captive  des  Bourguignons.  Ceux-ci 
la  vendent  à  nos  ennemis  qui  l'emmènent  aussitôt  à  Rouen,  en  plein  pays 
leur  appartenant,  et  bien  loin  de  ceux  qui  pourraient  tenter  de  délivrer 
la  prisonnière.  Prisonnière  étrange  que  redoutent  encore  ceux  qui  la 
tiennent  enchaînée  !  Ils  ont  hâte  d'instruire  un  procès  où  ils  espèrent 
arriver  à  faire  tomber  du  front  de  Jeanne  la  double  auréole  de  sainte 
et  d'envoyée  de  Dieu,  qui  fait  à  la  fois  sa  force  et  leur  faiblesse  ! 

Avertie  par  ses  Voix  toujours  fidèles,  notre  Bienheureuse  sait 
qu'elle  doit  préparer  son  âme  à  de  grandes  douleurs.  Une  de  celles-ci, 
la  plus  cruelle  peut-être,  lui  est  dévoilée  dès  le  premier  jour  de  sa 
captivité.  Dieu  voulait  sans  doute,  pour  la  rédemption  plus  complète 
de  la  France,  que  l'héroïque  victime  savourât  plus  longuement  l'amertume 
de  son  sacrifice.  Cette  douleur  de  choix  est  la  trahison  de  ceux-là 
mêmes  en  qui  la  bonne  Pucelle  a  mis  toute  sa  confiance.  Malgré, 
d'ailleurs,  la  torture  d'une  telle  pensée,  Jeanne,  dès  qu'elle  est  avertie 
par  ses  Voix,  se  dispose  humblement  à  tout  accepter  avec  courage 
pour  la  France. 

Jrour  la  France  !  C'est  précisément  parce  que  la  Pucelle  a  conscience 
que  sa  mission    patriotique  n'est  pas  finie   et   que  dans   les   fers   elle 


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travaille  encore  à  la  rédemption  du  pays,  que  sa  résignation  fera 
place  un  jour  à  la  révolte.  Il  est  vrai  qu'il  ne  s'agit  plus  d'elle-même, 
mais  de  son  roi,  et  par  conséquent  de  la  France.  Un  des  juges  de 
Rouen,  dans  un  discours  public,  que  Jeanne  est  obligée  d'entendre, 
ose  avancer  que  le  roi  est  hérétique.  A  ce  mot,  la  courageuse  Pucelle 
bondit,  et,  interrompant  l'orateur  :  «  Non,  s'écrie-t-elle,  le  roi  Charles 
n'est  point  hérétique  ;  il  est,  au  contraire,  le  plus  noble  chrétien  que 
je  connaisse.  » 


*      * 


J'ai  parlé  de  la  résignation  de  Jeanne.  Elle  fut  d'autant  plus  admi. 
rable  que  ses  tortures  furent  plus  longues,  plus  contenues  et  plus 
cruelles.  Être  pure  comme  elle,  et  se  voir  obligée  d'accepter  dans  son 
cachot  le  contact  sans  trêve  des  soudards  qui  ont  mission  de  la  garder 
et  dont  il  faut  subir  les  grossièretés  !  Avoir  si  soigneusement  veillé  à 
conserver  intacte  cette  fleur  de  virginité  que  la  Pucelle  a  promis  de 
donner  à  Jésus  dans  sa  première  fraîcheur,  et  se  voir  attaquée  jusque 
dans  son  honneur  de  femme  !  Chrétienne  fermement  attachée  à  sa  foi, 
n'avoir  quitté  la  paix  de  Domremy  et  les  douceurs  du  foyer  paternel 
que  pour  obéir  à  l'appel  de  Dieu  ;  dans  les  camps,  dans  les  palais, 
dans  les  prisons,  avoir  cherché  sans  cesse  à  étendre  le  règne  de 
ce  Dieu  et  voir,  par  ceux-là  mêmes  qui  se  disent  les  représentants  du 
Christ,  sa  foi  de  chrétienne  suspectée  !  S'entendre  accuser  de  n'avoir 
pas  le  respect  de  l'Église  pour  laquelle  elle  est  prête  à  mourir  !  Enfin, 
quand  de  s'agenouiller  chaque  jour  à  la  Table  Sainte  c'avait  été  pour 
elle,  pendant  des  années,  non  seulement  une  exquise  douceur,  mais  la 
consolation  de  toutes  ses  tristesses  et  la  force  même  de  sa  vie,  être 
privée  maintenant,  durant  cinq  longs  mois  de  captivité  et  d'incessantes 
tortures,  du  réconfort  eucharistique,  au  point  que  ses  juges  ne  lui 
permettront  la  communion  qu'une  seule  fois  :  le  matin  même  de  sa 
mort  ;  ah  !  voilà  un  martyre  dont  Dieu  seul  peut  dire  l'héroïsme,  car 
l'acuité  des  souffrances  qu'endure  Jeanne  se  mesure  à  la  bonté,  à  la 
pureté,  à  la  générosité  de  son  cœur. 


Le  bourreau  peut  venir  maintenant.  Il  peut  entraîner  la  pauvre 
condamnée  sur  le  bûcher  et  l'attacher  au  poteau  d'infamie.  Les  flammes 
crépitantes  peuvent   envelopper  le   chaste   corps   de  la    Pucelle.   Celle 


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qui,  hier,  à  l'annonce  de  l'horrible  supplice,  a  frémi  un  instant  comme 
son  Maître  à  Gethsémani,  sourira  maintenant  à  cette  mort  qui  n'est 
plus  pour  elle  qu'une  délivrance.  Pour  elle,  et  pour  la  Patrie  aussi, 
car  notre  Bienheureuse  sent  bien  que  son  sacrifice  est  accepté.  En 
face  du  bûcher,  elle  prophétise  la  délivrance  prochaine  du  pays. 
Puis  —  car  elle  doit  défendre  jusqu'au  bout  l'honneur  de  celle  qui 
meurt  pour  la  France  —  elle  proteste  de  son  innocence,  elle  affirme 
son  inébranlable  fidélité  à  sa  mère,  l'Église,  elle  en  appelle  une 
dernière  fois  au  pape  du  jugement  inique  qui  la  condamne.  Le 
devoir  de  sa  mission  rempli,  elle  monte  courageusement  sur  l'amas 
de  bois  que  ses  ennemis  ont  disposé  pour  sa  mort,  et  inconsciemment 
pour  leur  défaite.  Arrivée  sur  ce  degré  qui  la  rapproche  du  Ciel, 
elle  demande  un  crucifix.  Passionnément,  elle  le  colle  à  ses  lèvres. 
Puis  les  flammes  entourent  la  Bienheureuse  martyre  :  elles  attaquent 
sa  chair  virginale.  Jeanne  pousse  par  deux  fois  le  cri  :  «  Jésus  !  Jésus  !  •» 
Et  elle  rend  à  Dieu  son  âme  très  pure  de  catholique  et  Française. 

Tulle,  le  31  décembre  1917. 


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TROYES 


JEANNE    D'ARC 

ET    LE    DIOCÈSE    DE    TROYES 


Le  culte  de  Jeanne  d'Arc  nous  a  toujours  été  très  cher  depuis 
vingt  ans  ;  chaque  année,  on  célèbre  à  Troyes,  en  son  honneur,  une 
fête   pleine   d'enthousiasme,   au  milieu   d'une  assistance  magnifique. 

Jeanne  est  née  à  Domremy,  sur  une  terre  champenoise,  et  nous  ne 
saurions  oublier  qu'elle  conduisit  le  roi  Charles  VII  dans  notre  cathédrale, 
le  10  juillet  1429,  en  se  rendant  à  Reims. 

C'est  de  Saint-Florentin  que  Charles  VII  se  dirigea  sur  Troyes.  Ses 
conseillers  voulaient  l'éviter,  mais  Jeanne,  interrogée,  répondit  au  roi  : 
«  Gentil  roi  de  France,  si  vous  voulez  demeurer  devant  votre  ville  de 
Troyes,  elle  sera  en  votre  obéissance  dans  deux  jours,  soit  par  force  ou 
par  amour  ;  et  n'en  faites  nul  doute.  »  Deux  jours  après,  l'évêque  Jean 
Léguisé,  les  bourgeois  et  les  gens  de  guerre  traitaient  avec  Charles  VII, 
dont  l'autorité  était  ainsi  rétablie  dans  la  capitale  de  la  Champagne. 

L  histoire  ne  rapporte  aucun  détail  sur  l'entrée  de  Jeanne  et  du  roi 
dans  notre  vieille  basilique. 

Ce  que  nous  savons,  c'est  que  notre  cathédrale  actuelle,  consacrée 
en  1430,  était  achevée  jusqu'au  transept   inclusivement. 

L  honneur  qui  en  rejaillit  sur  notre  cité  est  un  des  motifs  de  la 
singulière  dévotion  des  Troyens  pour  Jeanne,  et  les  a  déterminés  à 
l'honorer  par  des  fêtes  religieuses  et  populaires  dix-huit  ans  avant  la 
béatification. 


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En  terminant  l'allocution  qu'il  adressait  au  Saint-Père,  à  l'occasion 
de  la  promulgation  du  décret  reconnaissant  les  miracles  opérés  par 
Jeanne  d'Arc,  l'évêque  d'Orléans  exprimait  le  souhait  que  l'intercession 
de  la  sainte  Pucelle  nous  obtint  une  ère  de  liberté  et  de  paix. 

Et  Pie  X  de  répondre  :  «  Mon  vénérable  frère,  ce  n'est  pas  un  rêve 
que  vous  avez  énoncé,  mais  une  réalité  ;  je  n'ai  pas  seulement  l'espérance, 
j'ai  la  certitude  du  plein  triomphe.  Je  suis  affermi  dans  cette  certitude 
par  la  protection  des  martyrs  qui  ont  donné  leur  sang  pour  la  foi,  et  par 
l'intercession  de  Jeanne  d'Arc,  qui,  comme  elle  vit  dans  le  cœur  des 
Français,  vit  aussi  dans  le  Ciel,  où  elle  répète  sans  cesse  la  prière  : 
«  Grand  Dieu,  sauvez  la  France  !  y 

Oui,  supplions  avec  confiance  la  nouvelle  bienheureuse  de  nous 
obtenir  le  secours  dans  les  douloureuses  circonstances  que  nous  traver- 
sons. Mais  aussi,  imitons-là.  Pour  le  salut  de  son  pays,  elle  a  su  agir, 
souffrir  et  mourir.  Comme  elle,  travaillons  de  toutes  nos  forces,  chacun 
dans  notre  sphère  et  selon  nos  moyens,  à  la  régénération  religieuse  et 
morale  de  notre  bien-aimée  Patrie  ;  soyons  prêts  à  tous  les  sacrifices  pour 
atteindre  ce  noble  but  ;  la  Providence  sera  avec  nous  et,  dans  l'avenir 
comme  dans  le  passé,  la  France  chrétienne  fera  dans  le  monde  entier  et 
écrira  dans  l'histoire  :  «  Les  Gestes  de  Dieu  :  Gesta  Dei  per  Francos  !  » 

Troyes,  le  30  mai  1918. 


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SAINT-BRIEUC 


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JEANNE   D'ARC   ET   LA   FRANCE 


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Ce  fut  une  grande  joie  par  toute  la  France  le  jour  où  ses  fils 
purent  s'écrier  :  «  Nous  avons  au  Ciel  une  bienheureuse  de  plus.  »  C'est 
une  fleur  de  France  que  Jeanne  d'Arc,  la  plus  belle,  la  plus  virginale, 
la  plus  parfumée.  Poussée  sur  les  Marches  de  Lorraine,  grandie  à 
l'orée  des  bois,  au  flanc  de  ces  collines  dont  la  Meuse,  aujourd'hui 
sanglante,  baise  le  pied,  non  loin  de  l'église  natale  où  elle  aime  à 
prier,  en  face  d'une  nature  grandiose  qui  lui  parle  de  Dieu  ;  puis 
transplantée  par  la  volonté  divine,  qui  lui  est  manifestée  par  un  archange 
et  des  saintes,  dans  le  milieu  bruyant  et  corrompu  des  camps,  plus 
tard  dans  le  fracas  des  armes  et  des  assauts,  où  sa  belle  vaillance 
entraîne  chefs  et  soldats  ;  puis,  dans  l'enivrement  des  triomphes  et  d'un 
sacre  inespéré  ;  puis,  son  œuvre  achevée  et  la  France  libérée,  enchaînée 
au  fond  des  cachots,  livrée  tour  à  tour  aux  effrois  de  l'isolement, 
aux  humiliations  de  l'insulte,  à  la  cruauté  des  bourreaux  ;  enfin  expirant 
sur  un  bûcher,  les  yeux  sur  la  croix  et  les  noms  de  Jésus  et  de  Maria  sur 
les  lèvres,  elle  ne  perdit,  dans  aucune  de  ces  situations,  si  diverses, 
si  opposées,  rien  de  son  éclat,  rien  de  son  parfum. 

Fleur  de  France,  Jeanne  prit  de  son  sol  sacré  tant  de  sève  qu'elle 
devint  l'incarnation  même  de  cette  France  dont  elle  fut  le  sauveur  et 
la  libératrice.  Ne  fut-elle  pas,  dans  les  temps  les  plus  calamiteux  que 
notre  histoire  ait  connus,  la  réserve  et  le  salut  de  la  Patrie  ?  Son 
épée,  vierge  de  sang,  comme  son  âme  le  fut  de  toute  cruauté,  ne  bouta- 
t-elle  pas  dehors  l'envahisseur  ?  Son  cœur  de  femme  ne  garda-t-il  pas, 
dans  une  poitrine  de  guerrière,  toutes  les  délicatesses  et  toutes  les 
sensibilités  de  son  sexe,  jusqu'à  mettre  des  larmes  dans  ses  yeux  quand 


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coulait  le  sang  de  France,  jusqu'à  lui  rendre  insupportable  le  spectacle 
des  défaillances  morales  de  ses  troupes  ?  Le  sens  surnaturel  était  chez 
elle  très  affiné,  et  elle  avait  le  sentiment  que,  quand  il  tire  l'épée  contre 
la  justice  ou  qu'il  la  prostitue  dans  le  brigandage,  un  peuple  ne  saurait 
mériter  les  bénédictions  de  Dieu  qui  présagent  la  victoire.  Quel  idéal 
à  opposer  à  la  barbarie  teutonne  et  au  culte  de  «  son  vieux  Dieu,  » 
que  cette  pure  et  lumineuse  figure  !  Elle  est  si  séduisante  que,  devant 
elle,  tout  homme  qui  a  le  sens  des  nobles  passions  qui  grandissent  le 
cœur  humain  s'incline,  et  qu'à  ses  pieds  les  vieilles  querelles  de  race 
s'oublient.  Ne  voyons-nous  pas  aujourd'hui  Anglais  et  Français  fleurir 
d'une  main  unanime  sa  statue  ? 

Je  viens  de  dire  que  Jeanne  fut,  à  une  époque  tragique  de  son  histoire, 
le  sauveur  de  son  pays.  Ai-je  dit  assez  ?  Ne  fut-elle  pas  quelque  chose 
de  plus  ?  Nest-ce  pas  à  elle  que  la  France  doit  d'exister  encore,  et 
comme  nation  autonome,  et  comme  peuple  catholique  ?  Si  elle  ne 
s'était  pas  levée  des  champs  de  Domremy  ;  si  elle  n'avait  enfourché 
son  coursier  de  guerre  ;  si,  la  flamme  patriotique  dans  son  regard  de 
dix-sept  ans,  son  étendard  d'une  main,  sa  vaillante  épée  de  l'autre, 
elle  n'eût  couru  sus  à  l'ennemi  et  ne  l'eût  bouté  hors  d'Orléans,  puis 
finalement  hors  de  France  ;  si  elle  n'eût  mené  le  roi  dépouillé  Charles  VII 
au  sacre  de  Reims,  et  ne  lui  eût  rendu,  avec  sa  couronne,  son  royaume, 
que  serions-nous  aujourd'hui  ?  Que  serions-nous  au  point  de  vue  con- 
fession religieuse  ?  Que  serions-nous  au  point  de  vue  existence  nationale? 

Et  ce  qu'elle  fut  comme  libératrice  de  son  pays  et  inspiratrice  du 
sentiment  national,  elle  ne  le  fut  pas  à  la  manière  humaine.  Elle  fut 
sans  doute  une  guerrière  habile  à  monter  un  cheval  de  guerre,  à  rallier 
ses  troupes,  à  les  discipliner,  à  manier  l'épée,  à  combiner  l'attaque  ou 
la  défense,  à  foncer  sur  l'ennemi  et  à  le  mettre  en  fuite.  Mais  elle  fut 
tout  cela  par  vocation  divine,  par  inspiration  surnaturelle,  par  vocation 
d'En-Haut.  Elle  fut  le  grand  miracle  historique  de  nos  annales.  Ce  n'est 
pas  d'elle-même  que,  tout  enfant  simple  et  sans  lettres,  ne  sachant  ni 
A  ni  B,  elle  souffre  dans  son  cœur  de  patriotiques  angoisses  au-dessus 
de  son  âge  ;  qu'elle  conçoit  le  désir  de  sauver  son  pays  et  le  plan  de 
campagne  qui  le  délivrera  ;  qu'elle  s'arrache  au  foyer  de  son  père  et 
de  sa  mère,  à  l'église  natale,  à  ses  compagnes,  à  son  troupeau,  et  se 
fait  équiper  par  le  sire  de  Baudricourt  ;  qu'elle  discerne  Charles  VII, 
qu'elle  n'avait  jamais  vu,  charme  la  foule  de  ses  courtisans,  et  lui  révèle 
des  secrets  connus  de  lui  seul  ;  qu'elle  mène  dans  la  plus  grande 
austérité,  dans  la  prière,  dans  la  mortification  et  dans  une  pureté  au- 


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dessus  de  tout  soupçon  la  vie  des  camps,  où  elle  fait  régner  le  respect 
du  nom  de  Dieu  et  la  moralité  ;  qu'elle  ranime  le  courage  des  guerriers 
et  les  espoirs  du  roi  ;  en  un  mot,  qu'elle  accomplit  la  tâche  la  plus 
surhumaine  et  la  plus  glorieuse  que  jamais  homme  de  guerre,  élevé 
dans  les  écoles  et  rompu  au  métier  des  armes,  ait  remplie  ;  c'est  par 
la  vertu  d'En-Haut  qu'elle  a  fait  ce  miracle  historique  qui  n'a  eu  son 
semblable  chez  aucun  peuple.  Le  Christ  l'a  prédestinée  à  sa  mission  ; 
des  voix  célestes  la  lui  ont  révélée  ;  la  grâce  divine  l'a  soutenue  ;  sa 
correspondance  à  la  grâce  a  fait,  de  la  bienheureuse  d'aujourd'hui, 
la  sainte  de  demain. 

A  quoi  «  passe-t-elle  son  Ciel  »  ?  pour  me  servir  de  l'expression 
charmante  d'une  autre  fleur  de  France,  exquise,  la  petite  Thérèse  de 
l'Enfant  Jésus.  A  quoi,  si  ce  n'est  à  penser  à  la  France  ?  Ce  chef-d'œuvre 
qu'elle  a  fait  quand  elle  n'était,  pour  parler  comme  elle,  qu'une  «  pauvre 
fille  »  ici-bas,  estimez-vous  qu'il  doive  lui  être  indifférent  maintenant 
que  son  titre  de  bienheureuse  vous  est  garant  de  sa  puissance  là-haut? 
Elle  n'abandonne  pas  dans  la  gloire  ce  qu'elle  a  conçu  et  enfanté 
dans  l'angoisse  et  la  lutte.  Et,  tandis  que  son  souvenir  hante  toutes  les 
mémoires,  que  son  nom  vole  sur  toutes  les  lèvres,  dans  la  chaumière, 
au  château,  dans  la  tranchée,  qu'il  frissonne  au  vent  avec  le  drapeau 
et  qu'il  domine  le  tumulte  de  la  bataille  ;  tandis  que  sa  vertu  passe  du 
chef  au  soldat,  inspirant  l'un,  soutenant  l'autre,  je  la  vois  au  Ciel, 
s'inquiétant  de  sa  patrie  terrestre,  conversant  avec  les  bienheureux 
qui  l'ont  connue  et  aimée,  et  intéressant  à  son  sort  les  saints  de  France  ; 
et  Reims  qui  la  baptisa,  et  Clovis  à  l'invincible  francisque,  et  Clotilde 
qui  fut  marraine  de  la  France,  et  Martin  le  thaumaturge  des  Gaules, 
et  Geneviève  la  bergère,  et  Bathilde  et  Radegonde,  et  Charlemagne 
à  la  barbe  de  fleuve,  et  saint  Louis  sous  le  chêne  de  la  justice.  Mêlés 
aux  origines  de  notre  pays  ou  sortis  de  ses  entrailles,  comment 
n'uniraient-ils  pas  leurs  efforts  à  ceux  de  Jeanne  pour  fixer  à  nos 
drapeaux  les  ailes  capricieuses  de  la  Victoire? 

Quand  un  peuple  a  au  Ciel  de  pareils  parrains,  quand  il  a  sur  la 
terre  des  chefs  aussi  avisés  et  des  troupes  aussi  aguerries  ;  quand  il  a 
dans  son  histoire  de  pareilles  interventions  divines  ;  quand  il  se  bat 
pour  la  justice,  la  religion  et  la  liberté  ;  quand  il  s'appelle  le  peuple  de 
Jeanne  d'Arc,  il  peut  regarder  sans  trembler  les  hordes  barbares 
déferler  sur  lui  :  le  granit  défie  la  vague  furieuse  et  séculaire,  et  la 
vertu  de  Jeanne  d'Arc  est  le  granit  de  la  France  !  (Juin  1916). 


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J'ai  écrit  une  prophétie  en  1916,  car,  à  ce  moment  où  je  relis  ces 
lignes,  écrites  au  bruit  des  batailles,  la  réalisation  s'est  produite.  La  guerre 
est  gagnée,  la  plus  grande  guerre  que  vit  le  monde.  Qui  l'a  gagnée  ? 
Nos  chefs  et  nos  soldats,  sans  doute,  mais  aussi,  et  avant  tout,  ce  Dieu 
des  batailles  qui  du  haut  du  Ciel  tient  dans  sa  main  le  sort  des  peuples. 
Mais  qui  a  aidé  la  France  suppliante  à  obtenir  son  intervention 
victorieuse  ?  Jeanne,  à  la  tête  des  saints  de  France. 

Dans  quelques  mois,  au  signal  du  Souverain-Pontife,  qui  la  canonisera, 
la  France  entière,  la  France  reconnaissante  se  lèvera  tout  entière 
dans  sa  foi  et  dans  sa  fierté,  acclamant  sa  sainte.  A  celle  qui  a  fait  la 
Patrie,  elle  lui  demandera  de  la  conserver.  A  celle  qui  lui  a  valu  la 
victoire  des  armes,  elle  demandera  la  victoire  de  la  paix  dans  la 
fraternité  des  cœurs  français.  Et  ce  don  de  joyeux  avènement  dans 
la  sainteté  officielle,  sainte  Jeanne  d'Arc  ne  le  refusera  pas. 


Saint-Brieuc,  8  novembre  1919. 


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SOISSONS 


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SOISSONS    A    JEANNE    D'ARC 

HOMMAGE    ET    CONFIANCE 


C/  est  Soissons,  la  ville  martyre,  toute  pleine  de  ruines,  toujours 
gémissante  sous  la  mitraille  ennemie,  qui  élève  aujourd'hui  vers  Jeanne 
d'Arc  des  regards  suppliants,  et,  à  genoux  devant  son  image,  lui  offre  le 
tribut  de  ses  hommages  et  implore  avec  confiance  sa  protection. 

ooissons  n'est-elle  pas,  plus  que  toute  autre  ville,  unie  à  Jeanne  par 
de  précieux  souvenirs  ?  Ne  peut-elle  pas  faire  valoir  des  titres  capables 
de  se  la  rendre  propice  ? 

Si  la  France  entière  a  de  puissants  motifs  de  glorifier  celle  qui  l'a 
arrachée  aux  mains  de  ses  ennemis,  qui  lui  a  rendu  son  indépendance 
et  l'a  aidée  à  constituer  son  unité  nationale  ;  s'il  n'est  pas  une  ville 
française,  pas  un  village  perdu  dans  la  montagne,  pas  un  cœur  patriote 
qui  n'aient  frémi  de  joie  en  la  voyant  placée  sur  les  autels  ;  si  son  nom 
révéré  vole  de  bouche  en  bouche  comme  un  gage  de  victoire,  Soissons 
a  un  droit  particulier  de  jouer  son  rôle  dans  cet  universel  concert  et  de 
compter  sur  son  aide  dans  la  calamiteuse  période  actuelle. 

Jeanne,  en  effet,  aux  jours  de  sa  vie  mortelle,  a  chevauché  à  travers 
notre  fertile  contrée  ;  elle  y  a  combattu,  elle  y  a  prié,  elle  y  a  souffert, 
elle  y  est  tombée  aux  mains  de  ses  ennemis,  elle  y  a  enduré  les  douleurs 
d'une  longue  captivité. 

JJès  qu'elle  a  réussi  à  faire  lever  le  siège  d'Orléans  et  sacrer  le 
Dauphin,  elle  quitte  Reims  avec  son  roi,  l'accompagne  dans  son  pèle- 
rinage à  Corbeny,  au  tombeau  de  notre  saint  Marcoul,  pour  le  toucher 
des  écrouelles,  le  suit  à  Vailly-sur-l' Aisne,  où  les  bourgeois  soissonnais 


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viennent  lui  présenter  les  clés  de  leur  ville  et  protester  de  leur  parfaite 
soumission  ;  traverse  à  sa  suite  Sainte-Marguerite,  Bucy,  et  entre  à  ses 
côtés  dans  Soissons,  où  Charles  est  reçu,  dit  la  chronique,  «  par  les  gens 
d'église,  bourgeois  et  autres  citoyens  le  plus  honorablement  qu'ils  le 
peuvent  faire.  » 

Trois  jours  durant,  Jeanne  réside  dans  nos  murs,  et  on  l'y  voit 
avec  édification  agenouillée  sous  les  voûtes  de  notre  cathédrale  et  s'y 
répandant  en  prières,  suivant  sa  pieuse  habitude. 

Quand  le  cortège  royal  quitte  Soissons,  Jeanne,  qui  n'a  pu  l'entraîner 
droit  sur  Paris  par  Compiègne,  le  suit  à  Château-Thierry,  aux  confins 
de  notre  diocèse,  et  c'est  dans  cette  ville  que  Charles  VII,  à  sa  prière, 
accorde  les  lettres  patentes  qui  exemptent  de  tout  impôt,  à  perpétuité, 
les  deux  bourgades  dont  se  composait  sa  paroisse  natale  :  Domremy 
et  Greux. 

A  Soissons,  le  roi  lui  a  fait  don  d'un  superbe  destrier,  sur  lequel, 
pendant  plus  de  quinze  jours,  elle  chevauche  dans  toutes  les  villes  du 
voisinage,  qui  quittent  le  parti  des  Bourguignons  et  se  rangent  avec 
empressement  sous  la  bannière  fleurdelisée.  La  fête  de  l'Assomption  la 
trouve  encore  à  Crépy,  où  la  cité  de  Compiègne,  alors  du  diocèse  de 
Soissons,  vient  faire  sa  soumission  au  roi  légitime  et  lui  apporter  ses  clés. 

Partout,  le  pays  en  liesse  se  porte  à  sa  rencontre,  comme  autrefois 
les  juifs  au-devant  de  Judith,  lui  baisant  les  mains,  chantant  des  cantiques 
et  redisant  sans  fin  :  Noël  !  Noël  !  «  Voilà,  disait-elle,  un  bon  peuple, 
dévot,  et,  quand  je  devrai  mourir,  je  voudrais  que  ce  fût  en  ce  lieu.  » 

Ainsi  Jeanne  parcourait  nos  contrées,  ainsi  elle  en  connaissait  les 
paisibles  populations  et  enchaînait  leurs  cœurs  par  sa  bonté  et  ses 
douces  manières. 

Et,  cependant,  ce  pays  doit  lui  être  funeste  :  c'est  à  Soissons  et  à 
Compiègne  que  commencent  ses  malheurs. 

1  rahie  par  le  gouverneur  de  Soissons,  Guichard  Bournel,  qui  a 
secrètement  livré  la  ville  à  l'ennemi,  et  qui  lui  en  refuse  le  séjour  par 
crainte  de  son  influence  sur  les  habitants,  Jeanne  ne  peut  traverser  la 
rivière,  et  s'éloigne  «  triste  et  songeuse  »,  forcée  d'abandonner  son  plan. 
Elle  tente  toutefois  de  porter  secours  à  Compiègne  menacé  ;  mais  elle  est 
faite  prisonnière,  enfermée  dans  la  forteresse  de  Beaurevoir,  puis  vendue 
aux  Anglais,   et  conduite  enfin  à  Rouen,  où  l'attend  une  fin  tragique. 


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Jruisque  Jeanne  nous  tient  d'aussi  près,  puisqu'elle  a  eu  dans  sa 
merveilleuse  épopée  d'aussi  étroites  relations  avec  la  ville  et  le  diocèse 
de  Soissons,  puisqu'une  notable  partie  de  sa  courte  existence  a  été  mêlée 
à  notre  vie  régionale  et  qu'elle  a  sanctifié  notre  terre  par  les  souffrances 
de  sa  captivité,  quoi  de  plus  naturel  que  nous  nous  tournions  vers  elle, 
maintenant  que  l'Eglise  a  cassé  son  procès,  flétri  ses  juges  prévaricateurs, 
réhabilité  sa  mémoire  et  l'a  placée  sur  ses  autels  ?  Quoi  de  plus  juste  que 
nous  soyons  des  plus  ardents  à  lui  rendre  les  hommages  de  notre  véné- 
ration et  à  appeler  sa  protection  sur  nos  contrées  malheureuses  ? 

JJepuis  longtemps,  nous  l'avons  fait  ;  déjà  son  nom  décore  nos  rues 
et  nos  places  ;  déjà  nos  œuvres  se  groupent  sous  son  vocable  ;  déjà  sa 
statue  se  dresse  à  Beaurevoir  ;  mais,  à  l'heure  présente,  notre  confiance 
croît  avec  nos  besoins,  et  nous  nous  précipitons  à  ses  genoux,  pour  nous 
réfugier  sous  son  patronage. 

ooissons,  qui  acclamait  Jeanne  aux  jours  de  sa  gloire  et  la  portait  en 
triomphe,  est  aujourd'hui  plongée  dans  la  détresse  et  abîmée  dans  sa 
douleur.  Ses  maisons  s'écroulent  sous  les  coups  de  la  mitraille,  ou  sont 
dévorées  par  la  flamme  des  incendies  ;  sa  cathédrale  et  ses  églises, 
ouvertes  au  vent,  menacent  ruine  ;  ses  habitants  se  sont  enfuis,  mendiant 
au  loin  un  abri  ;  l'herbe  pousse  dans  ses  rues  et  il  plane  au-dessus  d'elle 
un  silence  de  tombeau  qui  n'est  troublé  que  par  le  mugissement  du  canon. 

Au  loin,  la  vallée  est  déserte,  le  sol  retourné,  les  maisons  éventrées, 
les  fermes  rasées,  la  circulation  interdite,  l'industrie  et  le  commerce 
anéantis,  et  les  églises  détruites.  Plus  de  prière  publique,  le  prêtre  est 
absent,  soldat  sous  les  armes,  obligé  de  verser  le  sang  et  de  tuer. 

our  les  collines  voisines,  dans  les  carrières  profondes  et  dans  les 
anfractuosités  des  rochers,  se  cache  le  Teuton  barbare,  solidement 
retranché*;  depuis  trois  ans  il  vomit  par  la  bouche  de  ses  canons  le  fer 
et  le  feu  sur  toute  la  contrée.  Ne  croirait-on  pas  entendre  de  loin  le  bruit 
des  chaînes  qu'il  forgeait  depuis  un  demi-siècle  et  qu'il  voudrait  imposer 
à  la  France  asservie  ? 

O  Jeanne,  bienfaisante  vierge,  qui  avez  une  première  fois  sauvé  notre 
Patrie  et  qui  avez  si  heureusement  reparu  sur  notre  horizon  à  l'heure  où 
l'orage  s'amoncelait  contre  elle,  tournez  donc  vos  regards  vers  nous:  c'est 
le  moment  ou  jamais  de  nous  montrer  votre  amour  et  votre  puissance  ! 
Vous  voyez  à  quel  péril  est  exposée  la  France  :  secourez-la  de  nouveau 
comme  aux  jours  de  votre  vie  mortelle.  Elle  a  foi  en  vous,  elle  croit  que 
Dieu  vous  a  suscitée  pour  la  sauver  ;  elle  vous  honore  et  vous  invoque  ; 


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implorez  donc  pour  elle  le  secours  du  Ciel,  soutenez  le  courage  de  ses 
enfants,  conduisez  ses  soldats  à  la  victoire,  et  vous  aurez  conquis  un 
nouveau  titre  à  notre  éternelle  reconnaissance  ! 

Ainsi  écrivions-nous  à  l'heure  de  nos  patriotiques  angoisses.  Ainsi 
levions-nous  vers  vous,  ô  puissante  Protectrice,  nos  regards  suppliants. 
Ainsi  espérions-nous  en  votre  prochain  secours.  Et  voici  que,  cette  fois 
encore,  notre  espoir  ne  nous  a  pas  trompés  !  Vous  êtes  de  nouveau 
venue  à  notre  aide,  comme  à  Orléans  et  à  Patay  ;  vous  avez  brisé  la 
puissance  formidable  de  notre  ennemi  ;  vous  avez  sauvé  une  fois  encore 
notre  indépendance  nationale  ;  vous  avez  conduit  la  France  repentie, 
dévouée  et  reconnaissante  au  Cœur  sacré  de  Jésus,  et  lui  avez  obtenu  de 
reprendre  son  rôle  glorieux  à  la  tête  des  nations  civilisées.  Aussi  nous 
exalterons  votre  nom  avec  plus  d'amour  encore,  et,  au  jour  prochain  de 
votre  canonisation,  vous  obtiendrez  pour  nos  villes  et  nos  contrées,  qui 
ont  si  noblement  payé  la  rançon  de  la  France,  les  vertus  morales  et  les 
ressources  matérielles  qui  leur  permettront  de  relever  promptement  leurs 
ruines  et  de  faire  refleurir  les  déserts  de  leurs  champs. 


Soissons,  le  16  novembre  1919. 


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JEANNE    D'ARC    ET    METZ 

PENDANT    LA    GUERRE 


Pendant  la  grande  guerre,  prêtres  et  fidèles  du  diocèse  de  Metz  ne 
cessaient  d'élever  leurs  regards  suppliants  vers  Jeanne  d'Arc. 

De  Metz  même,  quand  le  temps  était  tant  soit  peu  clair,  nous  aper- 
cevions à  l'horizon,  dans  la  direction  du  sud,  la  côte  de  Mousson,  avec 
la  statue  de  Jeanne  d'Arc  qui  la  surmonte. 

Ni  les  obus  des  Allemands  ne  réussirent  à  l'abattre,  ni  leurs  armées 
à  s'emparer  de  Pont-à-Mousson.  Ce  fait  qui,  vu  la  faible  distance 
séparant  les  forts  de  Metz  de  la  côte  de  Mousson,  a  quelque  chose  de 
merveilleux,  inspira  confiance  aux  Messins  sur  l'issue  finale  de  la  guerre. 

«  Les  Allemands,  disait  le  bon  sens  populaire,  veulent  prendre  Paris, 
et  ils  n'arrivent  même  pas  à  prendre  Pont-à-Mousson.  » 

«  C  est  Jeanne  d'Arc,  disaient  les  croyants,  qui  monte  la  garde  à  la 
frontière,  et  l'ennemi  ne  passera  pas.  » 

L  événement  a  justifié  cette  confiance.  Messins  et  Lorrains  rendent 
hommage  à  la  puissance  de  Jeanne  d'Arc  et  attendent  avec  impatience 
le  moment  où  il  leur  sera  donné  de  lui  dédier  un  temple. 

Il  est  peut-être  à  propos  de  rappeler  que,  pendant  la  guerre,  le 
culte  de  Jeanne  d'Arc  était  soumis  à  des  restrictions  et  qu'il  y  eut  à  ce 
sujet  des  erreurs  regrettables  répandues  par  la  presse. 

Les  Allemands  voyaient  naturellement  d'un  mauvais  œil  ce  qui  était 
une  glorification  de  celle  qu'ils  appelaient  :  la  Vierge  de  la  Revanche. 


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D  autre  part,  les  lois  de  l'Église  ne  permettant  pas  d'exposer  les 
statues  ou  images  d'un  bienheureux  dans  les  églises,  ni  de  célébrer  sa 
fête,  à  moins  d'une  permission  spéciale  du  Saint-Siège,  le  diocèse  de 
Metz  avait  besoin  de  cette  permission  pour  honorer  Jeanne  d'Arc 
d'un  culte  public.  Or,  cette  permission,  demandée  déjà  en  1913,  ne  fut 
accordée,  sur  une  demande  réitérée  après  le  retour  de  Metz  à  la  France, 
qu'en  janvier  1919. 

Quand  donc,  en  avril  1915,  Mgr  Benzler,  alors  évêque  de  Metz,  avisa 
confidentiellement  son  clergé  —  non  pas,  comme  on  l'a  dit  à  tort, 
qu'il  fallait  enlever  des  églises  les  statues  et  images  de  Jeanne  d'Arc,  car 
il  n'y  en  avait  pas  —  que  le  culte  public  de  la  Bienheureuse  n'était 
pas  permis,  il  se  conforma  aux  prescriptions  de  l'Église  et  fit  en 
même  temps  acte  de  prévoyance  paternelle,  voulant  épargner  à  son 
peuple  les  suspicions  et  les  persécutions  que  tout  hommage  rendu  à 
Jeanne  d'Arc  lui  aurait  values  de  la  part  des  autorités  allemandes. 

Aujourd'hui,  laqueus  contritus  est  et  nos  Uberati  sumus  (Ps.  123), 
et  désormais,  comme  toute  la  France  et  avec  autant  et,  si  c'est  possible, 
plus  d'enthousiasme  que  partout  ailleurs,  Metz  fêtera,  glorifiera  et 
remerciera  Jeanne  d'Arc,  la  libératrice  de  la  France  et  de  la  Lorraine. 


Metz,  le  18  octobre  1919. 


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UN    PELERINAGE    A    DOMREMY 

AU  LENDEMAIN  DU  XIV'  CENTENAIRE  DU  BAPTÊME 
DE  CLOVIS,  A  REIMS,  EN  OCTOBRE  1896 


1  ous  les  grands  enseignements  que  m'avaient  donnés,  à  Reims,  les 
fêtes  superbes  célébrées  en  l'honneur  du  XIV^  centenaire  du  baptême  de 
Clovis,  du  baptême  national  de  la  France,  je  les  ai  retrouvés,  moins 
solennels,  plus  intimes,  mais  non  moins  profonds,  dans  mon  pèlerinage 
à  Domremy,  au  hameau  de  la  libératrice  nationale. 

Là,  ce  n'étaient  plus  le  déploiement  des  pompes  sacrées,  les  chants 
magnifiques,  l'affluence  des  foules  enthousiastes.  J'arrivai  seul,  à  six  heures 
du  matin,  à  la  maison  de  Jeanne  d'Arc  et  à  la  petite  église  de  son  village. 
Mais  dans  cette  solitude  et  ce  silence,  quelle  impression  !  Cette  chau- 
mière est,  dans  son  ensemble,  telle  encore  qu'au  temps  de  Jeanne  d'Arc  ! 
Cette  pauvre  chambre  qui  fut  la  sienne  est  restée  absolument  intacte, 
avec  ses  poutres  noircies,  avec  cette  même  petite  fenêtre  qui  donne 
sur  l'église  et  à  travers  laquelle  elle  pouvait,  à  la  lueur  de  la  lampe 
du  sanctuaire,  adorer  le  Saint-Sacrement  ! 

L  église  aussi,  sauf  la  modification  regrettable  qui  a  fait  de  l'ancien 
porche  le  sanctuaire  actuel  et  transformé  réciproquement  l'ancien  sanc- 
tuaire, est  restée  la  même.  Aussi,  quel  saisissement  à  chaque  pas,  là  plus 
encore  que  dans  sa  maison  paternelle  !  Voici,  dès  l'entrée,  le  bénitier 
où  sa  main  virginale  s'est  plongée  si  souvent.  A  gauche,  c'est  l'autel  du 
conseil  de  Jeanne  d'Arc,  dont  cette  inscription  évoque  le  souvenir  de 
tant  de  pieux  épanchements  et  de  merveilleuses  extases. 


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Adossée  à  un  des  piliers  de  l'église,  la  vieille  statue  de  sainte 
Marguerite  s'offre  au  regard  du  pèlerin,  telle  que  Jeanne  d'Arc  l'a 
contemplée  dans  ses  prières  aux  pieds  de  la  chère  sainte  qui  devait,  avec 
saint  Michel  et   sainte  Catherine,  lui  révéler  sa  mission  divine. 

Je  pus  passer  là  une  heure  ;  j'y  aurais  passé,  si  j'en  avais  eu  le 
temps,  des  jours  entiers,  sans  me  lasser,  tant  il  y  a  de  charme  à  respirer 
ce  parfum  des  siècles,  et  surtout  ce  parfum  virginal  d'une  grande  âme, 
dont  on  se  sent  imprégné  au  milieu  de  telles  reliques,  de  tels  souvenirs  ! 
On  baise  ce  sol  avec  une  émotion  aussi  profonde,  aussi  sacrée  que  celle 
qui  ravit  le  pèlerin,  collant  ses  lèvres,  à  Lourdes,  sur  le  rocher  foulé 
par  la  Vierge  Marie. 

En  effet,  la  Vierge  Marie,  le  Sauveur  Jésus,  ne  sont-ils  pas  venus  en 
personne  conforter  intérieurement  celle  à  qui  les  messagers  célestes 
communiquaient  extérieurement  les  ordres  d'En  Haut  ? 

Après  cette  première  station,  je  me  dirigeai  à  pied,  par  le  sentier  que 
la  sainte  bergère  a  suivi  si  souvent  avec  ses  troupeaux,  vers  le  lieu  de 
l'apparition,  à  l'entrée  du  Bois-Chenu.  C'est  là  que  s'élève,  inachevée 
encore,  mais  déjà  très  belle,  la  basilique  nationale  érigée,  grâce  au  zèle 
des  évêques  de  Saint-Dié,  avec  les  offrandes  de  la  France  entière,  et 
dans  laquelle  des  missionnaires  voués  spécialement  à  cette  œuvre  prieront, 
prient  déjà  pour  l'armée  française,  tout  en  propageant  la  gloire  et  en 
préparant  la  canonisation  de  notre  héroïne  destinée  à  devenir  la  patronne 
de  la  France. 

J  ai  eu  le  bonheur  d'offrir  le  Saint-Sacrifice  dans  la  crypte,  de  prier 
devant  le  groupe  de  saint  Michel,  sainte  Catherine  et  sainte  Marguerite, 
vers  lesquels  Jeanne,  à  genoux,  lève  son  regard  à  la  fois  plein  d'angoisse 
et  plein  d'espérance.  L'artiste  a  su  donner  à  cette  scène  une  expression 
si  vivante  qu'on  se  croit  vraiment  transporté  au  jour  où  cette  radieuse 
vision  vint  illuminer  tout'  à  coup  l'agonie  de  la  France.  En  entendant 
expliquer  par  le  distingué  supérieur  des  missionnaires  le  développement 
du  plan  grandiose  déjà  en  partie  exécuté,  je  pouvais  pressentir  les  mani- 
festations de  patriotisme  et  de  foi  qui  se  déploieront  un  jour  sur  ce  coin 
de  terre  sacrée,  quand  des  foules  y  viendront  de  tous  les  points  de 
France.  En  ces  jours  de  grande  affluence,  on  célébrera  le  Saint-Sacrifice 
dans  la  chapelle  ménagée  au-dessus  du  groupe  de  l'apparition  et  consti- 
tuant avec  lui  un  portique  original  unique  au  monde,  vraie  église 
extérieure  ouverte  au  regard  des  multitudes  que  l'intérieur  de  la  basilique 
ne  saurait  contenir. 


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Quel  spectacle  alors  quand  la  Patrie  entière  sera  représentée  là 
par  toutes  ses  forces  vives,  par  sa  belle  armée  surtout,  avec  ses  drapeaux 
inclinés  devant  le  Dieu  des  batailles,  avec  ses  fanfares  jetant  à  tous  les 
échos  les  accents  éclatants  de  la  reconnaissance  nationale  envers  son 
incomparable  libératrice  ! 

Car  il  faudra  bien  un  jour  que  l'athéisme  officiel  tombe  sous  les 
révoltes  du  bon  sens  et  de  la  conscience  populaire.  Il  faudra  bien  qu'un 
jour,  et  bientôt,  l'armée  française  puisse  venir  glorifier  devant  Dieu  celle 
qui  a  reçu  de  Dieu  la  mission  de  sauver  la  France. 

En  formulant  ce  vœu  en  1896,  en  présence  de  son  archevêque,  qu'il 
avait  été  chargé  de  représenter  aux  fêtes  du  XIV  centenaire  du  sacre  de 
Clovis,  le  vicaire  général  d'Aix,  aujourd'hui  évêque  de  Moulins,  espérait, 
comme  tous  les  Français,  une  réalisation  de  nos  espérances  nationales 
plus  prochaine  et  moins  sanglante  que  celle  qui  vient  enfin  de  s'accom- 
plir il  y  a  un  an  par  l'héroïsme  de  nos  soldats  et  des  armées  alliées, 
dans  la  plus  effroyable  guerre  que  le  monde  ait  jamais  vue. 

iVLais  l'immensité  même  des  sacrifices  que  la  France  a  eu  à 
accepter  la  première,  et  dans  la  plus  large  mesure,  avec  la  sublime 
Belgique,  entre  toutes  les  nations  liguées  contre  la  barbarie  teutonne 
en  cette  lutte  grandiose,  n'offre-t-elle  pas  un  trait  de  ressemblance  de 
plus  entre  Jeanne  d'Arc  et  le  peuple  dont  elle  est  le  vivant  symbole  ? 

C  est  par  le  martyre  couronnant  ses  exploits  guerriers  que  Jeanne 
d'Arc  a  achevé  sa  mission  miraculeuse  et  préparé  la  délivrance  finale, 
la  libération  complète  de  la  Patrie  contre  nos  ennemis  du  XV  siècle,  nos 
vaillants  alliés  d'aujourd'hui. 

C  est  par  le  martyre  de  nos  provinces  et  de  nos  villes  de  l'Est  et  du 
Nord,  sauvagement  saccagées  au  mépris  des  lois  de  la  guerre  et  par 
une  régression  vers  les  pires  excès  des  barbaries  païennes,  martyre 
commencé  avec  les  premières  épreuves  et  la  résistance  héroïque  de  nos 
soldats,  continué  en  dépit  de  leurs  étonnantes  et,  plus  d'une  fois,  mira- 
culeuses victoires,  que  s'est  préparé  douloureusement  le  triomphe 
définitif  de  la  cause  de  la  France,  qui  fut  souvent  dans  son  histoire, 
mais  qui  est  plus  que  jamais  à  cette  heure  la  cause  de  Dieu  même,  de 
son  Eglise,  de  la  civilisation  chrétienne  tout  entière. 

Qu'il  soit  donc  permis  à  l'évêque  de  Moulins  d'ajouter  au  récit  de 
son  pèlerinage  déjà  lointain  de  Domremy  une  prière  qu'il  a  faite 
bien  souvent  dans  son  cœur,  et  surtout  depuis  la  grande  guerre,  en  sa 


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cathédrale,  au  pied  de  l'image  vénérée  et  séculaire  de  Notre-Dame  de 
Moulins,  que  Jeanne  d'Arc  est  venue  prier  lorsqu'elle  traversa  le 
Bourbonnais,  après  sa  victoire  de  Saint-Pierre-le-Moutier.  Cette  victoire, 
nous  devons  le  remarquer  ici,  fut  la  dernière,  mais  la  plus  évidem- 
ment miraculeuse  de  toutes  :  Avec  six  hommes  d'armes,  elle  prit  d'assaut 
une  place  forte  qu'avait  victorieusement  défendue  jusque  là  une  garnison 
ennemie,  frappée  en  ce  jour  d'une  terreur  mystérieuse  par  la  vue  d'une 
multitude  de  guerriers  surnaturels  que  Jeanne  avait  appelés  à  son 
secours.  *"  Or,  dans  la  guerre  récente,  le  recul  soudain  et  inespéré  de 
l'ennemi  devant  le  génie  de  nos  généraux  et  la  vaillance  de  nos  soldats, 
en  des  circonstances  où  la  supériorité  du  nombre  était  contre  nous,  ne 
peut-il  pas  être  attribué  aussi  à  la  miraculeuse  puissance  des  prières  de 
Jeanne  d'Arc?  On  le  vit  à  la  bataille  de  la  Marne,  le  jour  où  le  mot  d'ordre 
de  l'armée  française  était  le  nom  de  Jeanne  d'Arc,  et  plus  récemment,  en 
cette  longue  et  immense  bataille  de  Verdun,  dans  la  région  même  où 
Jeanne  d'Arc  était  montée  à  cheval  pour  s'en  aller,  à  dix-sept  ans, 
seule,    sans    appui  humain,  sauver  la  France  ? 

Animés,  exaltés  par  les  espérances  dont  ces  prodigieuses  victoires 
du  passé  et  celles  du  présent  sont  pour  nous  le  gage,  nous  pouvons, 
nous  devons,  à  cette  heure  angoissante  encore,  mais  illuminée  par 
nos  triomphes  militaires,  nous  adresser  à  la  libératrice  nationale, 
devenue  sur  nos  autels  la  patronne  de  la  France,  en  lui  disant  avec  plus 
de  confiance  que  jamais  :  «  O  notre  Jeanne  bien  aimée,  trait  d'union  vivant 
entre  la  Patrie  de  la  terre  et  celle  du  Ciel,  vous  dont  le  culte  grandissant 
et  ralliant  tous  les  esprits  et  tous  les  cœurs  a  préparé  naguère,  au  milieu 
même  de  nos  discordes,  cette  union  sacrée  qui  a  éclaté  si  complète,  si 
magnifique,  au  premier  jour  du  grand  péril,  et  que  vous  prêchiez  déjà 
aux  Armagnacs  et  Bourguignons  du  XV  siècle,  leur  disant  de  s'aimer 
tous  puisqu'ils  étaient  tous  Français,  achevez  votre  œuvre  en  maintenant, 
en  consolidant  parmi  nous  cette  union  des  cœurs,  en  nous  rendant,  après 
nos  provinces  reconquises,  les  frontières  que  l'histoire  et  la  nature  ont 
assignées  à  notre  Patrie  !  Qu'il  vienne  bientôt  le  jour  où  éclatera, 
comme  récompense  finale  du  sang  de  nos  martyrs,  le  Te  Deum  de  la 
délivrance   nationale,    le    Te   Deum   de  l'Unité   nationale  !    Il   a  retenti 

(1)  Le  souvenir  historique  du  passage  de  Jeanne  d'Arc  à  Moulins  et  de  sa  prière  aux  pieds  de  Notre-Dame  de 
Moulins,  dont  l'antique  statue  était  alors  dans  une  chapelle  de  la  ville,  d'où  elle  a  été  portée  plus  tard  dans  la  cathédrale 
actuelle,  est  rappelé  par  une  très  belle  statue  due  à  l'initiative  de  Mgr  Lebledey,  évêque  de  Moulins,  de  1906  à  1911, 
et  à  la  générosité  des  fidèles  du  Bourbonnais.  Cette  statue  représente  Jeanne  d'Arc  à  genoux,  appuyée  sur  son  cpée, 
devant  Notre-Dame  de  Moulins,  au  fond  du  chœur  de  la  cathédrale,  ancienne  chapelle  des  ducs  de  Bourbon, 

C'est  à  Moulins  et  dans  la  chapelle  de  Sainte-Claire  que  Jeanne  d'Arc,  tertiaire  elle-même  de  l'ordre  de  Saint-François, 
rencontra  sainte  Colette,  la  grande  réformatrice  des  Clarisses  au  xv'^  siècle.  C'est  de  Moulins  aussi  qu'elle  adressa  aux 
habitants  de  Riom  un  appel  dont  on  a  retrouvé  naguère,  dans  les  archives  de  cette  ville,  le  texte  authentique. 


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le  premier  Te  Deum,  à  Montmartre,  dans  la  dédicace  solennelle,  en 
présence  de  tous  les  évêques  de  France,  de  l'église  du  Vœu  National 
au  Sacré-Cœur  de  Jésus  !  Il  retentira  à  Lourdes,  pendant  la  longue  série 
de  pèlerinages  où  tous  les  diocèses  de  France  viendront  accomplir,  aux 
pieds  de  Marie-Immaculée,  le  vœu  solennel  de  1  episcopat  français  ! 
Puisse  le  second  retentir  au  bruit  du  canon  de  la  victoire  et  de  la 
paix,  des  fanfares  triomphales  de  l'armée  française,  en  la  basilique  du 
Bois-Chenu  de  Domremy  !  Qu'elle  devienne,  elle  aussi,  un  sanctuaire 
national,  un  centre  de  pèlerinage,  sur  le  sol  même  oîi,  par  l'organe 
de  saint  Michel,  patron  de  l'Église  et  de  la  France,  vous  avez  reçu, 
bienheureuse  Jeanne  d'Arc,  du  Cœur  sacré  de  Jésus,  du  Cœur  immaculé 
de  Marie,  avec  votre  mission,  la  devise  sublime  qui  doit  être  celle 
de  toutes  les  âmes  chrétiennes,  mais,  par-dessus  tout,  de  toutes  les 
âmes  françaises  :   Vive  labeur  !  Jésus  !   Maria  !  » 


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Au  moment  où  va  paraître  cet  ouvrage,  voilà  réalisée  —  et  avec 
quel  éclat  incomparable  !  —  la  première  et  la  principale  des  espérances 
patriotiques  ;  voilà  accompli,  en  une  solennité  sans  précédent,  le  premier 
des  vœux  solennels  de  l'Église  de  France,  rappelés,  à  une  date  déjà 
lointaine,  dans  les  pages  qu'on  vient  de  lire. 

Elle  est  fermée  —  et  pour  toujours  —  la  grande  plaie  qui  était  restée 
saignante  pendant  quarante-sept  ans  au  flanc  de  la  Patrie  mutilée  ! 

Elle  est  devenue  définitive,  la  consécration  au  Cœur  sacré  de  Jésus 
de  la  France  repentante,  dévouée  et  reconnaissante,  par  la  dédicace  de 
la  basilique  du  Vœu  National,  à  Montmartre,  le  16  octobre  dernier,  sous 
la  présidence  du  légat  de  Sa  Sainteté  le  pape  Benoît  XV,  en  présence 
des  cardinaux,  archevêques  et  évêques  de  France. 

Il  va  s'accomplir  bientôt,  le  vœu  de  l'épiscopat  français  à  Notre-Dame 
de  Lourdes,  en  cette  série  de  pèlerinages  diocésains  ouverte  déjà  par  le 
vénéré  doyen  d'âge  du  clergé  français  et  du  Sacré-Collège,  le  cardinal- 
évêque  de  Montpellier. 

iVlais  ne  reste-t-il  pas  un  autre  vœu,  ou  du  moins  une  solennelle 
promesse,  à  faire  encore  au  nom  de  la  Patrie  tout  entière  ? 

V  oici  que  le  ciel  de  notre  victoire,  si  radieux  au  lendemain  de 
l'armistice,  il  y  a  un  an,  s'est  déjà  assombri.  Et  si  nous  n'étions  soutenus 
par  de  surnaturelles  espérances,  qu'ils  paraîtraient  menaçants,  l'un  pour 
le  présent  et  planant  sur  le  monde  entier,  l'autre  pour  un  avenir  lointain 


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encore  et  planant  surtout  sur  les  destinées  futures  de  la  Patrie,  les  deux 
grands  nuages  accumulés  d'un  côté  par  la  révolte  organisée  de  toutes  les 
passions  meurtrières,  et  de  l'autre  par  la  présomption  qui  prétend  régler 
le  sort  du  monde  et  y  établir  la  paix  universelle  en  dehors  de  Dieu  et 
de  son  Christ,  le  vrai,  le  seul  Prince  de  la  Paix  :  Princeps  Pacis  ! 

N'est-ce  pas  l'heure  de  recourir  plus  que  jamais  à  Celle  qui  fut  et  qui 
restera  pour  nous  l'arc-en-ciel  de  l'espérance,  et  de  réaliser  de  plus  en 
plus,  par  l'action  courageuse,  par  la  prière  inlassable,  sa  double  devise  : 
Vive  labeur  !  Jésus  !  Maria  ! 

Il  n'est  donc  pas  téméraire  de  penser,  d'espérer  que,  comme  prélude 
et  comme  suite  à  la  canonisation  prochaine  de  Jeanne  d'Arc,  coïncidant 
avec  celle  de  Marguerite-Marie,  et  laissant  entrevoir  dans  l'avenir  celle 
de  Bernadette,  dont  la  cause  est  déjà  introduite  à  Rome,  se  complétera, 
en  même  temps  que  la  trilogie  de  nos  grandes  Voyantes  nationales,  la 
trilogie  de  nos  grands  pèlerinages  nationaux,  par  un  mouvement  de 
pèlerinages  de  toutes  les  régions  de  France  à  la  basilique  du  Bois-Chenu, 
à  Domremy.  Ce  serait,  après  la  dédicace  de  Montmartre  et  le  pèlerinage 
de  Lourdes,  un  bel  épilogue  de  la  grande  guerre  et  de  la  victoire  mondiale. 


Moulins,  le  11  novembre  1919. 


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LE    MANS 


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A  l'heure  si  grave  que  nous  vivons,  parmi  tous  les  exemples  qui 
s'offrent  à  nous  dans  le  passé  de  notre  France,  où  donc  surtout  irons- 
nous  chercher  un  modèle  de  calme  vaillance  et  de  confiance  intrépide 
en  des  voix  mystérieuses  ?  Si  elles  ne  sont  pas  celles  qui  ont  illuminé 
l'âme  de  Jeanne,  elles  sont  aussi  pour  nous  des  voix  célestes  :  voix  du 
devoir,  voix  du  sacrifice,  appels  de  la  famille  et  de  la  Patrie  !  Nous 
irons  au  pied  d'une  statue,  d'une  image  de  Jeanne,  et  là,  humblement 
agenouillés,  nous  lui  dirons  : 

«  O  Jeanne,  vous  qui  avez  si  bien  aimé  le  toit  paternel  et  la  famille 
paroissiale,  les  lis  de  France  et  les  soldats  de  notre  armée,  apprenez- 
nous  à  nous  déprendre  de  ce  qui  nous  abaisse,  à  rechercher  ce  qui  élève, 
à  aimer  comme  vous  ce  qui  s'appelle  :  courage,  honneur,  pureté  ! 
Nous  sommes  de  bien  pauvres  écoliers,  mais  nous  venons  à  vous, 
parce  que  vous  êtes  notre  modèle  !  » 

Que  fut  la  glorieuse  héroïne  française,  la  Pucelle  d'Orléans,  et,  pour 
l'appeler  par  son  nom  catholique,  la  bienheureuse  Jeanne  d'Arc? 

D'abord  elle  s'est  montrée  toujours  la  fidèle,  la  docile,  l'obéissante 
enfant  de  l'Église. 

Au  moment  le  plus  douloureux  de  sa  carrière,  en  face  de  ses 
indignes  juges,  elle  voulut  porter  sa  cause  devant  la  souveraine  autorité 
de  l'Église,  devant  le  pape  !  Et  cet  appel  a  été  entendu,  puisque,  vingt- 

(1)  Mgr  de  la  Porte,  évêque  du  Mans  en  1917,  a  depuis  démissionné.  Il  est  actuellement  évéque  titulaire  de  Berisa 
et  réside  à  Rome. 


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cinq  ans  après,   le  sage  Calixte  III  réformait  l'inique   jugement  porté 
contre  elle. 

Ensuite  elle  a  dit,  toujours  à  ceux  qui  combattaient  sous  son  étendard, 
qu'elle  ne  voulait  être  ni  Armagnac,  ni  Bourguignon,  mais  pour  la 
France  et  pour  le  Roy  !  Elle  a  prêché,  elle  a  voulu  l'union  étroite  de 
tous  les  soldats  dans  une  même  pensée,  avec  un  seul  mot  d'ordre  ! 

Enfin,  et  surtout,  elle  a  eu  confiance  ! 

Confiance  non  pas  certes  en  elle-même,  car,  disait-elle,  elle  serait 
restée  bien  volontiers  à  Domremy,  auprès  de  ses  parents,  à  filer  la 
quenouille,  à  garder  les  moutons,  à  vaquer  aux  soins  du  ménage,  et 
surtout  à  prier  Dieu  ! 

M.ais  une  fois  investie  de  sa  mission  par  ceux  qui  venaient  vers 
elle  de  la  part  de  Dieu,  saint  Michel  et  les  saintes,  elle  n'a  jamais  su 
ce  que  c'est  que  de  reculer.  Elle  est  allée  jusqu'à  la  bataille,  jusqu'au 
martyre,  jusqu'à  la  mort  ! 

«  Vive  labeur  !  »  c'était  sa  devise.  «  Mes  Voix  ne  m'avaient  pas 
trompée  !  »  ce  fut  une  de  ses  dernières  paroles.  «  Jésus  !  Maria  !  »  c'est 
avec  ce  cri  qu'elle  a  exhalé  vers  Dieu  son  âme  généreuse. 


Le  Mans,  le  30  mai  1917. 


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JEANNE    D'ARC 

ET    LA    VICTOIRE    DE    LA    FOI 


Dès  l'âge  de  douze  ans,  elle  attire  les  communications  d'En-Haut. 
Un  jour  de  l'été  1424,  comme  elle  récitait  V Angélus,  voici  que  Saint 
Michel  se  montre  à  ses  regards  ravis,  et  lui  demande  d'être  bonne, 
d'aimer  Dieu,  de  fréquenter  l'église  qui  se  dresse  là,  en  bordure  du  verger. 

L'enfant  n'hésite  pas.  Quand  Dieu  parle,  la  créature  n'a  qu'à  obéir. 
Jeanne  a  compris  que  l'ange  lui  demande  d'être  toujours  la  «  petite 
servante  de  Dieu  ».  Elle  le  sera,  et  dès  lors,  elle  consacre  à  Dieu  sa 
personne  et  sa  vie,  dans  la  promesse  d'une  perpétuelle  virginité. 

Les  apparitions  se  succèdent.  S' Michel,  S'*  Catherine  et  S"  Marguerite, 
s'en  viennent  l'exhorter  aux  vertus  qui  font  les  saints  et  les  instruments 
dociles  de  la  Providence.  Son  cœur  s'émeut  au  récit  des  misères  du 
pays,  car  «  il  y  a  grande  pitié  au  royaume  de  France  ».  Les  Voix  lui 
révèlent  sa  mission  :  Dieu  entend  se  servir  d'elle  pour  sauver  le  pays  : 
«  Va,  Fille  de  Dieu,  va  en  France,  il  le  faut  !  »  Tout  doit  l'effrayer, 
soutenue  par  la  grâce,  elle  est  prête.  Il  faut  se  séparer  de  ce  qu'elle  aime? 
'^  Qu'importe  !  S'il  faut  «  se  rendre  à  Chinon  sur  les  genoux  et  s'y  user  les 
jambes  » ,  elle  ira  :  c'est  l'ordre  de  Dieu,  et,  pour  Dieu,  elle  est  disposée 
à  tout,  à  quitter  même  «  cent  pères  et  cent  mères  »  aussi  aimés  que  les 
siens  !  Elle  part,  fidèle  à  Dieu  jusqu'à  l'immolation  totale.  Bénie  soit-elle 
d'avoir  cru  !  Par  elle,  va  s'accomplir  le  miracle  du  salut  de  la  France. 

Les  voix  divines  nous  poursuivent  aussi,  nous  Français. 

C'est  la  voix  de  l'histoire.  Elle  dit  :  «  Les  libertés  humaines  s'agitent 
et  se  pressent  ;  c'est  Dieu  qui  les  mène  et  réalise  par  elles  et  au-dessus 


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III 


d'elles  ses  plans  de  justice  et  de  bonté.  »  Nos  esprits  sont-ils  assez  attentifs 
et  nos  regards  assez  purs,  pour  découvrir  cette  naturelle  Providence  ? 

C  est  la  voix  de  l'Église  qui  atteste  l'intervention,  dans  sa  vie,  de  la 
Providence  surnaturelle  de  Dieu.  Malgré  l'usure  du  temps,  des  hommes 
et  des  choses,  malgré  les  passions  conjurées,  l'Église,  debout,  continue 
toujours  la  tâche  du  Maître.  Sa  permanence  est  la  voix  qui  répercute, 
devant  les  générations  qui  passent,  l'écho  des  Voix  de  Jeanne  :  «  Écoutez 
l'Église.  Qui  ne  l'écoute  pas  est  un  vrai  païen.  » 

C'est  la  voix  de  la  France.  La  Providence  est  entrée  de  façon  si 
évidente  dans  sa  vie  nationale,  que  ses  actes  sont  apparus  comme  les 
gestes  de  la  Toute-Puissance  par  le  monde.  Observant  de  ce  point  de 
vue  son  glorieux  passé,  la  Patrie  proclame  que  Dieu  «  n'a  pas  traité  de 
même  les  autres  nations.  »  Pourquoi  donc  l'hésitation  des  Français  à 
adorer  la  divine  bonté  ? 

C  est  la  voix  de  la  victoire  que  Dieu  nous  a  donnée.  Dans  et  par  la 
guerre,  c'est  lui  qui  règle  les  comptes  des  nations,  relève  ou  abat  les 
peuples.  Oui,  les  hommes  ont  bataillé  ;  mais  Dieu  a  donné  la  victoire. 

Dans  la  paix,  écoutons  toujours  nos  voix  pour  la  maintenir  durable. 
Dans  une  telle  œuvre,  les  hommes  sont  inévitablement  les  collaborateurs 
de  la  Providence.  O  Jeanne,  sainte  de  la  Patrie,  veillez  pour  qu'ils  nous 
gardent  la  paix  de  Dieu  ! 

Limoges,  le  3  novembre  1919.  _^  ^^^{^^^é*>^/^yé.4^  ^ 

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STRASBOURG 


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JEANNE    D'ARC    ET    L'ALSACE 


Quelle  joie  de  chanter  Jeanne  d'Arc  en  Alsace,  à  Strasbourg  ! 
Hier,  c'était  sévèrement  défendu.  L'Allemand  avait  peur  d'une  femme, 
d'une  enfant,  morte  en  1431  !  Il  craignait  d'apercevoir  sa  statue,  il 
redoutait  jusqu'à  son  nom,  lui  qui  se  vantait  de  ne  reculer  jamais  ! 

L  Allemand  avait  raison  !  Car  l'histoire  de  Jeanne  d'Arc  disait  sans 
cesse  à  l'Alsace  ces  deux  mots  :  Courage  !  Confiance  ! 

Courage  /  Moi  aussi,  j'ai  été  livrée  à  mes  ennemis.  J'ai  connu  une 
dure  captivité,  j'ai  subi  les  contacts  douloureux,  les  grossières  injures  et 
les  arrêts  iniques.  Mais  il  fait  bon  souffrir  pour  la  France  !  Courage  ! 
Jamais  vous  ne  devez  perdre  confiance  en  la  Patrie  et  en  Dieu  !  Courage  ! 
Souffrez  en  songeant  au  pays  qui  vous  aime  toujours  alors  même  qu'il 
paraît  vous  abandonner  !  Souffrez  en  contemplant  le  Ciel  où  toute 
victime  trouve  un  père,  où  le  droit  possède  un  vengeur  éternel  ! 
Courage  !  L'heure  en  apparence  la  plus  critique  est  celle  que  la  Providence 
choisit  pour  se  manifester  avec  le  plus  d'éclat.  Pour  ma  Patrie  comme 
pour  mon  âme,  mon  supplice  hâta  l'heure  de  la  délivrance  et  du  triomphe  ! 

iLt  confiance  !  Notre  pays  peut  être  abattu  par  des  revers  passagers, 
il  se  relève  toujours  !  La  France  fut-elle  jamais  plus  petite,  plus  divisée, 
plus  appauvrie  qu'au  temps  du  roi  de  Bourges  ?  Et  un  an  suffit  alors  pour 
la  sauver.  Dieu  l'aime  mieux  que  toute  autre  nation,  s'il  faut  un  miracle 
pour  lui  rendre  sa  prospérité,  le  prodige  est  décidé.  En  ce  pays  de  merveil- 
les, les  ressources  en  énergie  sont  telles  qu'à  l'instant  où  tout  semble  perdu, 
le  libérateur  peut  être  une  paysanne  de  dix-neuf  ans,  pourvu  qu'elle 
soit  une  sainte  et  l'envoyée  de  Dieu.  A  sa  voix  tous  les  courages  renais- 
sent, tous  les  obstacles,  tous  les  ennemis  sont  vaincus  ! 


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La  confiance,  non  seulement  l'exemple  de  Jeanne  d'Arc  la  soutient, 
mais  son  intercession  la  justifie.  Plein  de  foi,  l'Alsacien  catholique  croit 
que  les  saints  sont  nos  amis  au  Ciel.  Il  est  persuadé  qu'au  Paradis  Jeanne 
d'Arc  demande  sans  cesse  la  victoire  de  son  pays  et  continue  sa  mission. 
Que  voulait-elle  ici  bas  ?  Rêvait-elle  de  conquêtes  injustes  aux  dépens 
de  l'Anglais  ?  Nullement,  elle  désirait  que  la  grande  pitié  prît  fin  sur  la 
terre  de  France,  que  la  Patrie  retrouvât  ses  frontières,  que  le  droit  de 
son  peuple  fût  pleinement  restauré.  L'Alsacien  le  savait,  et  il  concluait 
naturellement  que  Jeanne  d'Arc  était,  au  cours  de  la  dernière  guerre,  la 
patronne  la  plus  autorisée  de  la  France  violemment  attaquée  contre 
toute  justice,  de  la  France  piétinée  par  des  Barbares,  de  la  France 
brutalement  menacée  de  perdre  ses  plus  authentiques  provinces,  ses 
meilleurs  enfants,  les  compatriotes  de  la  vierge  lorraine.  L'Alsacien  aper- 
cevait Jeanne  d'Arc  inspirant  les  généraux,  dirigeant  les  armées,  faisant 
passer  son  âme  dans  l'âme  des  soldats  de  France.  L'Alsacien  se  disait 
que,  tôt  ou  tard,  Dieu  donnerait  la  victoire  puisque  Jeanne   bataillait. 

Ainsi,  grâce  à  la  sainte  de  la  patrie,  l'Alsacien  tenait,  tenait  toujours. 
Il  savait  que,  fussent-ils  pendus  aux  nues,  Jeanne  les  aurait.  Aujourd'hui, 
il  tombe  à  genoux  devant  elle,  il  lui  dit  sa  reconnaissance,  il  acclame  la 
libératrice  d'Orléans,  la  libératrice  de  Strasbourg  ! 

Strasbourg,  le  15  février  1920. 


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JEANNE     D'ARC 

DON    DE    DIEU    A    LA    FRANCE 


C  est  Dieu  qui  fait  les  nations  et  qui  les  gouverne.  Il  règle  leur 
marche  à  travers  les  siècles  et  les  appelle  à  une  vocation. 

C/ctte  conduite  de  la  Providence  ne  parut  jamais  plus  attentive 
que  dans  les  miracles  de  protection,  sans  cesse  renouvelés  dans  le 
cours  des  âges,  en  faveur  de  la  nation  française. 

Au  nombre  de  ces  prodiges,  l'un  des  plus  éclatants  est  le  don  que 
le  Ciel  lui  fit  de  Jeanne  d'Arc.  C'est  un  don  que  tous  les  peuples 
pourraient  envier  ;  «Non  fecit  taliter  omni  nationi.  »  Oui,  Jeanne  d'Arc 
est  le  don  de  Dieu  :  c'est  là  l'idée  fondamentale  qui  résume  sa  vie 
et  explique  sa  mission. 

Elle  fut  l'inspirée  de  Dieu  ; 

Elle  fut  l'envoyée  de  Dieu  ; 

Elle  fut  l'instrument  des  triomphes  de  Dieu  ; 

Elle  fut  la  victime  d'expiation  choisie  par  Dieu. 

T.  ous  ses  «  dits  et  faits  »,  comme  elle  s'exprimait  elle-même,  furent 
bien  de  Dieu,  et  c'est  ainsi  qu'elle  apparut  comme  un  miracle  vivant. 

Instruisons-nous  aux  leçons  du  passé. 

i-)e  tels  événements  ne  sont-ils  pas  faits  pour  projeter  sur  le 
présent  et  l'avenir  une  éblouissante  lumière  ? 

Jrauvre  France  !  Elle  agonisait  alors,  écrasée  sous  le  talon  de 
l'étranger. 


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Aujourd'hui,  sans  parler  des  désordres  moraux  et  des  secousses 
sociales  qui  sont  le  signe  des  pires  décadences,  elle  a  subi  les  horreurs 
d'une  guerre  sans  précédent.  C'était  la  justice  de  Dieu  qui  passait, 
c'était  aussi  sa  miséricorde  qui  purifiait  et  régénérait.  Les  marques  de 
sa  protection,  de  la  Marne  à  Verdun  et  de  Verdun  à  la  Somme,  ont 
été  si  éclatantes,  que  la  France,  nous  ne  pouvons  en  douter,  demeure 
son  peuple  de  prédilection. 

Serait-il  téméraire  de  penser  que  ce  bienfait,  couronné  par  une 
glorieuse  victoire,  nous  en  sommes  redevables  principalement  à 
l'intercession  de  Jeanne  d'Arc? 

L'apostolat  des  saints  ne  finit  point  avec  leur  vie  terrestre  ;  et  si 
l'Église,  qui  a  reçu  d'En-Haut  le  discernement  des  heures  opportunes, 
a  mis  au  front  de  notre  angélique  héroïne  l'auréole  des  bienheureux  ; 
si  elle  se  prépare  à  y  ajouter  le  nimbe  des  saints,  c'est  sans  doute 
parce  que  son  crédit  auprès  du  Souverain  Maître  est  appelé  à  renouveler 
ce  que  firent  ses  exploits  et  ses  douleurs.  Oui,  j'en  ai  l'invincible 
espoir,  la  France,  triomphante  de  ses  ennemis  du  dehors,  vaincra  ceux 
du  dedans  et  elle  devra  son  salut,  une  fois  encore,  à  la  miraculeuse 
intervention  de  la  sainte  de  la  Patrie. 


Angers,  le  1"  novembre  1919. 


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JEANNE    D'ARC 

ET  LE  SAINT  ROYAUME  DE  FRANCE 


Quand  Jeanne  parle  de  la  France,  c'est  avec  une  religieuse  admi- 
ration. «  Notre  beau  pays,  dit-elle  à  son  oncle  Laxart,  notre  beau  pays 
que  la  reine  Isabeau  a  perdu,  voilà  qu'une  vierge  de  ces  contrées  va  le 
sauver.  Beau  pays,  mieux  que  cela,  saint  royaume  !  »  Cette  expression 
lui  plaît,  elle  l'affectionne  parce  que  sa  pensée  s'y  reflète  exactement  et 
l'emploie  dans  quelques-unes  de  ses  lettres  les  plus  solennelles,  par 
exemple  en  écrivant  aux  habitants  de  Troyes,  pendant  la  glorieuse 
chevauchée  d'Orléans  à  Reims  ;  au  duc  de  Bourgogne,  le  jour  même  du 
sacre.  Saint  Royaume  !  Est-ce  la  fierté  instinctive  de  son  âme,  est-ce 
une  confiance  présomptueuse  dans  le  succès,  ou  le  désir  ardent  de 
protester  contre  la  violation  du  territoire  national,  qui  lui  dicte  ce 
langage  en  apparence  audacieux  ? 

Non,  non,  car  la  France  appartient  à  Dieu  comme  pas  une  autre  por- 
tion de  la  terre.  Le  Souverain  Maître  l'a  choisie  pour  être  son  royaume  et 
celui  de  son  fils  Jésus-Christ.  Jésus  est  l'invisible  roi  de  France.  Le 
dauphin  Charles,  que  le  successeur  de  saint  Rémi  va  oindre  avec  la 
mystérieuse  ampoule,  sera  tout  simplement  le  lieutenant  du  roi  du  Ciel. 
N'est-il  pas  admirable  que  le  Ciel  et  la  France  aient  le  même  Seigneur 
et  Maître?  Quel  peuple  Dieu  a  aimé  et  exalté  autant  que  la  nation 
française  ?  Quelles  destinées  sont  semblables  aux  nôtres  ? 

J'ai  prononcé  le  mot  de  destinées.  En  effet,  si  le  Christ  a  choisi  la 
France  pour  son  royaume  privilégié,  c'est  qu'elle  doit  accomplir  quelque 
dessein  de  l'éternelle  sagesse.  Notre  Patrie  a  reçu  une  mission,  et  cette 
mission  explique  pourquoi,  au  XV  siècle,  elle  n'a  pas  été  rayée  de  la  carte 
du  monde  ;  pourquoi  la  bergère  de  Domremy  l'a  délivrée  du  joug  anglais. 


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Or,  quelques  années  avant  la  grande  guerre,  le  Souverain  Pontife  la 
plaçait  sur  les  autels.  Par  là  même,  il  approuvait  les  sentiments  d'admi- 
ration, de  confiance  et  d'amour  que  tous  les  Français,  sans  distinction 
d'idées  politiques  ou  même  religieuses,  professent  pour  Jeanne  d'Arc. 
N'était-ce  pas  dire  que  notre  pays,  malgré  ses  fautes,  restait  l'objet  des 
préférences  divines  ?  La  béatification  de  notre  Libératrice  n'est  pas 
autre  chose  qu'une  seconde  mission,  analogue  à  la  première,  voulue  par 
le  Christ,  pour  continuer  l'œuvre  du  XV  siècle.  Sa  canonisation  prochaine 
aura  la  même  signification. 

Aussi  bien  croyons-nous  qu'il  y  a  un  rapport  providentiel  entre  ces 
glorieux  événements  et  l'état  présent  de  la  France.  Il  nous  est  permis  de 
penser,  sans  enfreindre  les  règles  de  la  sagesse,  que  nos  succès  de  la 
Marne  et  ceux  qui  les  ont  suivis,  enfin  l'incomparable  victoire  qui  a 
terminé  la  lutte,  ne  sont  pas  dus  seulement  à  des  causes  humaines. 

Après  la  Sainte-Vierge  et  avec  sainte  Geneviève,  Jeanne  a  été,  au 
moment  le  plus  critique,  la  messagère  de  la  bonté  de  Dieu  pour  la  France. 

Celle-ci  est  toujours  le  saint  royaume,  le  royaume  du  Christ,  celui 
que  Dieu  sauve  à  l'heure  où  il  semble  tout  près  de  la  mort. 


Agen,  le  13  novembre  1919. 


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LA    VRAIE    FORCE    DE    JEANNE    D'ARC 


La  justice  et  la  reconnaissance  nous  font  un  devoir  de  proclamer  la 
gloire  de  Jeanne  d'Arc  ;  mais  il  est  encore  un  devoir  plus  sacré  que  nous 
devons  remplir  pour  nous  conformer  à  la  vérité  :  c'est  celui  de  pro- 
clamer la  gloire  de  Dieu  et  son  amour  pour  notre  Patrie. 

Jeanne  d'Arc  a  sauvé  la  France  ;  mais  elle  ne  l'a  pas  sauvée  d'elle- 
même  et  par  ses  propres  forces.  Elle  n'a  accompli  cette  grande  mission 
que  par  la  puissance  et  la  volonté  de  Dieu,  qui  l'a  choisie,  qui  l'a  envoyée 
et  qui  lui  a  donné  à  cette  fin  une  lumière  et  une  force  supérieures  à  son 
âge,  à  son  sexe  et  à  son  éducation. 

Jeanne  d'Arc  était  une  jeune  fille  absolument  semblable  aux  autres. 
Pauvre,  faible,  ignorante,  elle  était  incapable,  comme  toutes  les  jeunes 
filles  de  sa  condition,  de  faire  ce  qu'elle  a  fait. 

Jamais  on  n'a  vu  et  jamais  on  ne  verra  une  paysanne  ignorante 
s'imposer  à  une  nation,  donner  des  ordres  à  des  généraux  cent  fois  plus 
instruits  et  plus  habiles  qu'elle,  et  diriger  elle-même  l'infanterie,  l'artillerie 
et  la  cavalerie. 

Vous  représentez-vous  à  l'heure  actuelle  une  enfant  de  la  campagne, 
ne  sachant  ni  lire,  ni  écrire,  n'ayant  rien  appris  et  allant  s'installer  à 
l'état-major  de  nos  armées  pour  commander  au  général  en  chef  et  à 
tous  les  généraux  ?  Vous  comprenez  que  c'est  là  une  supposition  invrai- 
semblable et  impossible  à  admettre. 

De  même  il  était  impossible  à  Jeanne  d'Arc  d'imposer  sa  volonté  à 
Charles  VII,  à  tout  son  entourage,  aux  hommes  politiques,  aux  évêques 

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et  aux  docteurs  qui  formaient  son  Conseil.  Il  a  fallu  pour  cela  qu'elle 
affirmât  qu'elle  ne  se  présentait  pas  d'elle-même,  qu'elle  avait  reçu  du 
Ciel  une  mission  divine  et  qu'elle  le  prouvât  par  des  connaissances  et 
des  révélations  qui  ne  pouvaient  venir  que  de  Dieu, 

Il  était  impossible  qu'une  paysanne,  ignorante  des  choses  de  la 
guerre,  imposât  à  des  généraux,  à  des  chefs  braves,  expérimentés, 
rompus  au  métier  des  armes,  des  idées  et  des  projets  qui  n'étaient 
pas  conformes  aux  leurs.  Pour  cela,  il  a  fallu  qu'elle  soutînt  de  la 
manière  la  plus  formelle  que  ses  connaissances  sur  la  direction  de  la 
guerre  lui  venaient  directement  de  Dieu  et  qu'elle  prouvât,  par  des 
faits,  la  vérité  de  ses  affirmations. 

Il  était  impossible  enfin  à  une  jeune  fille,  sans  instruction  et  sans 
expérience,  d'annoncer  avec  certitude  les  succès  qu'elle  remporterait  au 
milieu  des  circonstances  les  plus  critiques  et  les  plus  défavorables. 

Les  grands  génies  militaires  ne  savent  jamais  ce  que  leur  réserve 
le  hasard  des  batailles.  Voyez  nos  ennemis  aujourd'hui.  Les  Allemands 
avaient  tout  étudié,  tout  prévu,  tout  calculé.  Ils  avaient  annoncé  que 
dans  trois  ou  quatre  semaines  ils  seraient  à  Paris.  Plusieurs  années  se 
sont  écoulées  depuis  le  début  de  la  guerre,  et,  au  lieu  de  rentrer  en 
triomphateurs  dans  notre  capitale,  ils  ont  été  vaincus  et  refoulés  dans 
leur  pays. 

Pour  prédire  les  succès  qui  se  sont  réalisés,  malgré  tous  les  obstacles 
et  toutes  les  difficultés,  il  a  fallu  à  Jeanne  d'Arc  des  lumières  supérieures 
aux  lumières  naturelles  et  contre  lesquelles  les  forces  humaines  ne 
pouvaient  absolument  rien. 

Elle  a  délivré  Orléans,  comme  elle  l'avait  dit  ;  elle  a  battu  les  Anglais 
à  Jargeau,  à  Beaugency  et  à  Patay,  comme  elle  l'avait  assuré  ;  elle  a 
traversé  cent  cinquante  lieues  de  pays  ennemis,  comme  elle  l'avait 
annoncé  ;  elle  a  fait  couronner  Charles  VII  dans  la  cathédrale  de  Reims, 
comme  elle  l'avait  promis. 

V  ouloir  dire  que  ces  événements  ont  été  accomplis  par  les  seules 
forces  de  Jeanne  d'Arc,  c'est  de  la  folie.  C'est  vouloir  attribuer  des  faits 
merveilleux  et  surhumains  à  une  cause  qui  était  incapable  de  les  produire. 

Entre  la  faiblesse  naturelle  d'une  paysanne  de  dix-sept  ans  et  la 
grandeur  de  l'œuvre  accomplie  par  Jeanne  d'Arc,  il  y  a  une  telle 
disproportion    que    l'œuvre    ne   peut    s'expliquer    autrement    que    par 


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l'intervention  d'une  puissance  supérieure  à  celle  de  Jeanne  d'Arc  et  à 
celle  de  l'armée  française  comme  à  celle  de  l'armée  ennemie. 

Lra  seule  force  capable  de  produire  de  tels  effets,  c'est  celle  que 
Jeanne  d'Arc,  qui  connaissait  sa  propre  faiblesse,  a  proclamée  mille 
fois,  avec  sa  parole  franche,  pleine  de  bon  sens,  claire  comme  le 
cristal,  lumineuse  comme  le  soleil,  et  que  toutes  les  explications  pré- 
tendues rationalistes  n'affaibliront  jamais. 

C-ette  force,  c'est  la  puissance  même  de  Dieu. 

O  est  Dieu  et  Dieu  seul  qui  a  appelé  Jeanne  d'Arc,  qui  lui  a 
confié  la  mission  de  faire  couronner  le  roi  et  de  sauver  la  France,  et 
qui  lui  a  donné  les  moyens  d'accomplir  une  tâche  aussi  belle  et 
aussi  grandiose. 

Ne  rougissons  pas  de  proclamer  cette  vérité,  que  personne  ne 
peut  contester. 

Notre  honneur  national  n'est  pas  diminué  par  cette  intervention 
de  Dieu  en  faveur  de  notre  pays.  C'est  au  contraire  notre  plus  beau 
titre  de  gloire  de  pouvoir  dire  que  Dieu  est  avec  nous  et  qu'il  a  été 
lui-même  le  libérateur  et  le  sauveur  de  la  France.  Jamais  aucun  pays 
n'a  été  protégé,  aimé  de  Dieu  comme  l'a  été  le  nôtre. 

Soyons  fiers  de  penser  qu'une  jeune  fille  française  a  été  assez  pure 
et  assez  belle  pour  attirer  le  regard  de  Dieu  et  pour  mériter 
d'accomplir  ses  grands  desseins  sur  notre  pays. 

Soyons  fiers  de  penser  que,  par  sa  foi  et  son  courage  dans  les 
croisades,  par  son  admirable  dévouement  à  toutes  les  nobles  causes, 
la  France  avait  mérité  cet  amour  particulier  de  notre  divin  Sauveur. 

JDieu  n'avait  pas  oublié  que  les  Français  ont  été  les  premiers  à 
pousser  le  cri  de  «  Dieu  le  veut  !  »  et  qu'ils  n'avaient  cessé  de  combattre 
pour  Lui.  Il  a  voulu  montrer  qu'il  combattait  pour  eux  au  moment 
où  II  les  a  vus  dans  le   plus  grand  danger. 

Ce  qu'il  a  fait  une  fois,  nous  avons  la  conviction  qu'il  a  voulu 
le  faire  encore  aujourd'hui. 

Dans  les  circonstances  tragiques  et  angoissantes  que  nous  avons 
traversées.  Dieu  n'a  pas  oublié  que  la  France,  depuis  Jeanne  d'Arc, 
a  toujours  souffert  et  travaillé  pour  sa  gloire. 


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Il  savait  qu'elle  a  été  et  qu'elle  reste  la  première  des  nations  à 
donner,  avec  son  or,  le  sang  et  la  sueur  de  ses  enfants,  afin  de 
répandre  dans  le  monde  la  connaissance  et  l'amour  de  Notre-Seigneur 
Jésus-Christ. 

Il  aime  toujours  la  France,  et  II  n'a  pas  voulu  qu'elle  fût  écrasée 
par  ses  cruels  ennemis. 

Il  a  déjoué  les  plans  de  ceux  qui  avaient  juré  sa  perte,  et,  comme 
aux  temps  de  Jeanne  d'Arc,  grâce  à  l'héroïsme  de  ses  soldats,  au 
génie  de  ses  chefs  et  à  la  protection  manifeste  de  Dieu,  la  France  est 
sortie  de  l'épreuve,  plus  glorieuse  et  plus  belle,  plus  dévouée  que 
jamais  au  Christ  qui  aime  les  Francs.  Vivat  Christus  qui  diligit 
Francos  ! 


AJaccio,  le  20  décembre  1919. 


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TAREES  &  LOURDES 


MISSION    PROVIDENTIELLE 

DE  Jeanne  d'Arc 

On  se  rappelle  «  la  grande  pitié  qui  était  au  royaume  de  France  »  à 
l'heure  où  Jeanne  d'Arc,  avant  de  devenir  l'héroïque  guerrière  des 
champs  de  bataille,  n'était  que  l'humble  et  douce  fille  des  champs, 
assidue  à  la  prière,  filant  sa  quenouille  et  gardant  les  troupeaux  ! 

Lorsque  Charles  VII  succède  à  son  malheureux  père,  il  n'a  plus 
pour  royaume  que  quelques  provinces  en  deçà  de  la  Loire,  des  débris 
d'armée,  des  conseillers  découragés,  des  populations  ruinées  ;  et  lui- 
même,  accablé  de  tant  d'infortunes,  se  prend  à  désespérer.  Est-ce  la 
fin  de  la  France,  du  plus  beau  royaume  après  celui  du  Ciel  ?  La  sagesse 
humaine  pouvait  le  croire.  Cependant,  Dieu  avait  résolu  son  salut  :  la 
nation  très  chrétienne  ne  saurait  périr.  Mais  quel  sera  l'instrument  de 
la  résurrection  nationale  ?  Un  grand  capitaine  ?  Un  diplomate  de  génie  ? 

Non,  c'est  une  jeune  fille,  une  petite  paysanne,  simple,  honnête, 
pure,  obéissante  à  ses  parents,  courageuse  au  travail,  douce  à  ses 
compagnes,  charitable  envers  les  pauvres,  le  sourire  et  l'édification  de 
sa  paroisse  ;  Jeanne  d'Arc,  enfin,  si  connue  maintenant  de  l'histoire. 

Pour  elle,  Jésus-Christ  est  le  vrai  roi  de  France  ;  Charles  VII  n'est 
que  son  lieutenant. 

A  Vaucouleurs,  elle  dit  au  sire  de  Baudricourt  :  «  Le  royaume 
n'appartient  pas  au  Dauphin,  il  appartient  à  mon  Seigneur.  Mais  mon 
Seigneur  veut  que  le  Dauphin  soit  roi,  tienne  le  royaume  et  commande.  »'•' 

(1)  H.  Wallon.  Jeanne  d'Arc.  Didot,  1876,  p.  37. 


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A  Chinon,  elle  dit  au  roi  lui-même  :  «  Gentil  Dauphin,  j'ai  nom  Jeanne 
la  Pucelle,  et  vous  mande  par  moi  le  Roi  des  Cieux  que  vous  serez  sacré 
à  Reims  et  que  vous  serez  le  lieutenant  du  Roi  des  Cieux,  qui  est  le  roi 
de  France  •''  ».  Jeanne  est  au  service  du  Christ  avant  d'être  au  service 
de  Charles  VII. 

V  ivre  en  union  avec  Jésus-Christ,  le  servir,  assurer  sa  royauté  sur 
la  France,  proclamer  et  remettre  en  honneur,  pour  tous  les  temps  et 
pour  tous  les  pays,  ce  principe  vital  :  que  l'autorité  véritable  vient  de 
Dieu,  et  qu'elle  vaut  uniquement  au  regard  de  la  conscience  humaine 
par  la  sublimité  de  cette  origine,  voilà  l'objet  principal,  trop  souvent  mis 
en  oubli  par  les  historiens  de  la  mission  de  Jeanne. 

Elle  réussit  dans  sa  mission  :  si  l'ennemi  fut  contraint  de  s'éloigner 
de  la  France,  c'est  qu'elle  l'a  «  bouté  dehors  »,  selon  ce  qu'elle  avait 
promis.  Le  bûcher  de  Rouen  avait  consumé  son  corps  ;  mais  son  esprit 
ne  cessa  d'animer  la  France  et  ses  défenseurs.  En  toute  vérité,  elle  a 
restitué  la  France  à  son  vrai  roi,  Jésus-Christ,  et  à  Charles  VII,  son 
lieutenant. 

Bienheureuse  Jeanne,  priez  pour  la  France  et  pour  ses  défenseurs  ! 

(1)  Quicherat.  Procès.  T.  III,  p.  103. 

Lourdes,  le  1 1  novembre  1919. 


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CHÂLONS 


LA    DIVINE    MESSAGERE 


Le  vingtième  siècle  allait  s'ouvrir  en  France,  presque  face  à  l'ennemi, 
sur  un  mal  de  division  nationale  si  pareil  à  celui  du  temps  de  Jeanne, 
qu'invinciblement  les  souvenirs  publics  et  les  miséricordes  célestes  se 
rejoignirent  en  elle.  Car,  je  ne  crains  pas  le  dire,  il  y  a,  dans  le  retour 
actuel  de  la  pensée  française  et  de  l'amour  populaire  vers  la  Pucelle, 
quelque  chose  de  profondément  providentiel. 

Sous  les  influences  de  l'Église,  occupée  à  l'exalter,  au  bruit  du 
culte  patriotique  qui  remontait  si  doux  et  si  confiant  vers  elle,  ses  voix 
mystérieuses  lui  avaient  peut-être  dit  de  revenir  encore...  Je  ne  sais... 
Elle  était  déjà,  depuis  quinze  ans  en  particulier,  le  seul  nom  autour 
duquel  les  luttes  sociales  s'étaient  un  peu  apaisées,  les  partis  politiques 
arrêtés  dans  leurs  combats,  les  ambitions  suspendues,  les  haines 
adoucies.  La  Patrie,  qui  s'entredéchirait,  ne  connaissait  plus,  chaque 
année,  avant  la  trêve  de  la  guerre,  que  la  trêve  de  Jeanne. 

Quand  la  guerre  allemande  éclata,  elle  réapparut  tout  à  fait,  et 
fut  de  nouveau  vraiment  l'Envoyée...  Comme  nous  l'avions  eue  pour 
rétablir  l'unité  territoriale  au  temps  de  Charles  VII,  elle  s'est  trouvée 
là,  réalité  toujours  active,  à  l'aurore  du  XX°  siècle,  pour  refaire  l'unité 
morale  du  pays,  plus  divisé  peut-être  hier  sur  les  idées  qu'autrefois 
sur   les  provinces. 

C'est  le  nouveau  miracle  contemporain  de  notre  vierge.  Singulier 
privilège  que  celui  de  cette  femme  toujours  ressuscitée  par  l'amour  de 
tous,  ou  plutôt  si  divinement  vivante,  qu'elle  n'a  jamais  plus  laissé  mourir 
en  France  l'amour  du  pays  qu'elle  y  avait  rapporté  ! 


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L  Allemand  nébuleux,  qui  n'entend  rien,  en  sa  culture,  à  la  psycho- 
logie des  êtres  invisibles,  et  qui  demeure  réfractaire  aux  délicatesses 
cachées  de  l'amour,  comme  aux  forces  morales  profondes,  non  moins 
nécessaires  aux  victoires  que  les  réserves  d'obus  et  de  canons,  s'est 
grossièrement  trompé  en  nous  attaquant,  aux  tempêtes  de  nos  surfaces, 
aux  apparences  de  nos  divisions.  Il  a  compté  sans  notre  vocation  provi- 
dentielle, qu'il  voudrait  usurper  ;  sans  le  sursaut  du  sentiment  national 
déposé  par  Jeanne  au  cœur  de  nos  pères,  et  qui,  dans  les  mêmes 
circonstances  angoissantes,  opère  «  en  nom  Dieu  »  les  mêmes  prodiges. 

Oui,  nous  devions  succomber  sous  la  formidable  puissance  germa- 
nique, bousculant  nos  troupes  en  formation  et  tombant  presque  sans 
coup  férir  sur  les  murs  de  Paris  tant  rêvé  !  Comment  comprendre  et 
expliquer  cet  arrêt  et  ce  renversement  subit  de  la  marée  montante,  au 
flot  irrésistible,  retournant  sur  elle-même  à  toute  vitesse  au  moment 
de  toucher  le  but  ?...  Je  pourrais  vous  dire  fièrement  —  des  historiens 
profanes  l'ont  écrit  sans  échoppage  —  que  le  jour  de  la  victoire  de  la 
Marne,  qui  vaut  Bouvines,  Orléans  et  Denain,  et  sauva  tout  autant, 
était  le  jour  spécial  de  Jeanne.  Son  nom,  quelle  coïncidence  !  n'était-il 
pas,  en  ce  jour  fameux,  la  consigne  des  armées  ?...  Je  pourrais  alléguer 
que  Dieu,  le  nôtre,  éternellement  jeune,  s'est  ni  plus  ni  moins  déclaré 
pour  nous,  contre  l'autre,  le  vieux,  celui  que  leurs  doctrines  ont 
dénaturé...  au  constat  manifeste  de  notre  juste  cause,  au  spectacle  de 
tant  de  soldats  intrépides,  joignant  à  leur  naturelle  bravoure  le  courage 
plus  dur  des  longues  patiences,  aux  prières  de  tant  de  saintes  femmes, 
versant  sans  réserve  aux  blessures  leur  tendresse,  donnant  géné- 
reusement à  la  Patrie,  pour  qu'elle  vive,  le  sang  tout  chaud  de  leurs 
enfants.  Cette  divine  intervention,  qui  n'exclut  pourtant  ni  le  génie  des 
chefs,  ni  la  bravoure  des  hommes,  semblerait  peut-être  trop  le  miracle 
direct  dont  il  ne  nous  est  pas  permis  de  préjuger. 

iVlais  n'est-il  pas  aussi  magnifique  en  ses  causes  secondes,  dans 
cette  union  sacrée  du  commencement  qui  nous  a  permis,  oubliant  nos 
ressentiments  et  nos  rancunes  politiques,  de  nous  serrer  tous,  cœur 
contre  cœur,  autour  du  drapeau  menacé  ;  dans  cette  ruée  épique  de  tous 
les  hommes  de  France  à  la  frontière  pour  faire  au  pays  de  leurs 
poitrines  un  rempart  ;  dans  cette  exaltation  de  toutes  nos  vertus 
guerrières  natives,  explosant  partout  en  gerbes  de  dévouement  sublime  ; 
dans  cette  passion  exquise  et  tragique  de  tous  les  héroïques  sacrifices  ; 
dans  cette  persévérance  ineffable  aux  immolations  suprêmes  ;  dans  cette 


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confiance  universelle  au  triomphe  définitif  ;  dans  cette  croyance  absolue 
aux  destinées  immortelles  de  la  race  ?  Car  tout  cela  a  une  source  et  n'en 
a  qu'une  :  l'esprit  national,  créé,  personnifié  et  rénové  par  Jeanne.  Il  a 
rendu  par  elle  la  victoire,  d'abord  inespérée,  possible,  et,  la  montrant 
chaque  jour  plus  certaine  et  plus  proche,  il  demeure,  avec  la  grâce 
de  Dieu,  le  facteur  inspiré  de  nos  énergies  indomptables.  C'est  la 
perpétuité  mystérieuse  de  son  miracle. 

Pour  qu'elle  l'achève,  n'avons-nous  pas  tous  autre  chose  à  faire  qu'à 
l'applaudir  en  nos  discours  :  ce  qui  est  en  l'espèce  une  façon  trop  simple 
de  chanter  notre  propre  victoire,  avant  qu'elle  soit  acquise  ?  Quand 
Jeanne  —  divine  messagère  pourtant  —  n'était  encore  que  la  Pucelle, 
au  lieu  d'être  la  Bienheureuse,  elle  achetait  ses  triomphes,  au  matin  des 
batailles,  dans  le  silence  des  églises,  posternée  au  pied  du  crucifix, 
abrégeant  son  sommeil  pour  prier  plus  longtemps,  car  elle  ne  s'attendait 
qu'à  Dieu,  bien  loin  comme  nous  de  penser  toujours  se  suffire.  Le  Ciel, 
où  elle  est  aujourd'hui,  a  multiplié  son  crédit,  mais  n'a  pas  changé,  que 
je  sache,  sa  méthode  surnaturelle  de  vaincre.  Pour  qu'elle  vienne 
batailler  avec  nous,  en  avons-nous,  par  son  intercession,  assez  prié  le 
Maître  des  armées  qui  peut  seul  l'envoyer  recommencer  l'histoire  ? 

J  entends  bien  dire  qu'on  forge  des  canons  de  plus  en  plus  lourds  ; 
qu'on  entasse  au  front  des  munitions  de  plus  en  plus  abondantes  et 
meurtrières  ;  qu'on  lève  chaque  jour  de  nouvelles  recrues  d'hommes  ; 
que  nos  soldats  légendaires  versent  à  plein  cœur,  sous  les  rafales  de 
mitraille,  leur  sang  prodigue  ;  que  les  alliés  qui  nous  viennent  des  bouts 
du  monde  autorisent  pour  demain  tous  les  espoirs.  Mais  personne  ne 
m'apprend,  hélas  !  que  la  France  officielle,  enfin  agenouillée,  réclame 
le  seul  allié  qui  lui  manque  et  sans  lequel,  dans  un  pays  tout  plein  de 
surnaturel  comme  le  nôtre,  on  ne  peut  vraiment  rien  de  décisif.  Pensons 
pourtant  que  l'heure  du  Te  Deum  pourrait  bien  être  retardée  dans  les 
secrets  divins  jusqu'après  le  chant  du  Credo  des  aïeux  ;  et  soyons  du 
moins  tant  de  Français  volontairement  assemblés  autour  des  autels, 
que  le  Ciel  même  s'y  méprenne  et  y  reconnaisse  toute  la  France.  Jeanne 
elle-même  n'attend  peut-être  que  nos  humbles  supplications  à  son  Christ 
pour  reprendre  son  divin  ministère,  pour  brandir  au  front  des  armées 
son  victorieux  étendard,  pour  reconquérir  nos  provinces  envahies,  pour 
retracer  de  son  épée,  en  les  agrandissant,  nos  frontières  ;  pour  faire 
revivre  à  la  France,  unie  et  purifiée  par  tant  d'épreuves,  les  jours  radieux 
du  temps  où  l'Europe  chrétienne  marchait  à  son  soleil.  (Novembre  1917). 


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Une  fois  encore,  le  miracle  français  s'est  renouvelé  ;  et,  sans  que  nous 
ayons  accompli  vis-à-vis  de  Lui  toute  notre  tâche  de  foi,  le  Christ  de 
Jeanne,  dans  sa  tendresse  privilégiée,  a  voulu,  par  une  victoire  vraiment 
providentielle,  en  son  heure  inspirée  comme  en  sa  maîtrise  souveraine, 
accomplir  vis-à-vis  de  la  fille  ainée  de  son  Eglise  toute  la  sienne. 

La  France,  aimée  de  Dieu,  sort  de  la  guerre  meurtrie,  mais  plus 
glorieuse  que  jamais,  rajeunie  dans  le  sang  de  ses  héros.  Puisse-t-elle, 
reconnaissante  et  fidèle,  reprendre  dans  l'union  de  tous  ses  enfants,  la 
tradition  séculaire  de  ses  grands  gestes!  Je  ne  sais  quels  destins 
nouveaux  lui  réserve  l'avenir.  Mais  n'est-ce  pas  le  symbole  de  toutes 
les  espérances  que  de  voir  se  dresser  demain  les  autels  de  la  sainte  de 
la  Patrie  comme  pour  ranimer  toutes  ses  ruines  ?  La  France  de  Jeanne 
est  immortelle... 


15  juillet  1919. 


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LA     CANONISATION 

DE    SAINTE    JEANNE    D'ARC 


oainte  Jeanne  d'Arc  !...  Quatre  mots,  qui  nous  ont  fait  rêver,  espérer, 
travailler,  discuter,  lutter,  parfois  soxiffrir  un  quart  de  siècle  juste. 

v^uatre  mots  qui  se  seraient  rencontrés  pour  la  première  fois,  pensent 
d'aucuns,  sur  les  lèvres  de  l'illustre  Mgr  Dupanloup,  ou  sur  celles  de 
Mgr  Freppel,  cet  autre  illustre.  Quatre  mots  qui  réellement  sont  beau- 
coup plus  anciens  que  cela,  étant  contemporains  du  supplice  de  Jeanne. 

Jeanne  périt  le  30  mai  1431,  sur  la  place  du  Vieux-Marché,  à  Rouen. 
Avant  de  la  subir,  elle  avait  goûté  l'horreur  de  la  mort  par  le  feu  : 
«  J'aimerais  mieux  être  décapitée  sept  fois  »,  avait-elle  dit.  La  perspective 
de  ne  pas  reposer  en  terre  bénite  lui  était  insupportable.  Cependant  elle 
avait  gravi  jusqu'au  sommet  de  son  bûcher,  comme  elle  allait  jadis  à 
la  bataille,  sans  forfanterie  et  sans  défaillance.  Lorsque  le  feu  eut 
commencé  sa  cruelle  besogne,  il  se  fit  un  silence  lourd,  même  parmi 
les  gens  d'armes.  Plusieurs  de  ces  brutes  se  demandaient  s'ils  n'allaient 
point  voir  la  sorcière  se  sauver  des  mains  du  bourreau  Thierrache.  Les 
bourgeois  de  Rouen,  que  Bedford  avait  grand'peine  à  défendre  contre 
l'esprit  national,  trouvaient  que  c'était  beaucoup  de  cruauté  dépensée 
contre  une  pauvre  petite  fille  de  dix-neuf  ans  quatre  mois  et  vingt-quatre 
jours.  Les  juges,  en  écoutant  ses  ultima  verba,  avaient  pleuré. 

Après  l'extinction  de  la  dernière  bourrée,  les  Anglais  retournèrent  à 
leurs  casernements,  fort  troublés,  tête  basse.  L'un  d'eux,  pas  des 
moindres,  maître  Jean  Tressart,  secrétaire  du  petit  roi  Henri  VI,  s'ouvrit 


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de   ses  sentiments  intimes   à  son  ami,   Jean  Cusquel  :    «  Nous  sommes 
tous  perdus,  dit-il,  nous  avons  brûlé  une  sainte  ».  '" 

J_«ors  du  procès  de  réhabilitation,  deux  témoins,  une  veuve  respec- 
table. Jeannette  Thiesselin,  marraine  de  Jeanne,  et  le  prêtre  Jean 
Lefumeux,  chanoine  de  Notre-Dame  de  Vaucouleurs,  exprimèrent  la  même 
opinion  :  «  Jeanne,  à  Domremy,  vivait  comme  une  sainte  »,  '^'  dépose  la 
veuve.  —  «  Je  l'ai  vue,  dit  le  prêtre,  quand  j'étais  jeune  et  enfant 
de  chœur  à  Notre-Dame  des  Voûtes.  Elle  y  venait  souvent,  avec 
une  dévotion  extrême.  Elle  y  entendait  plusieurs  messes  chaque 
matin,  y  faisait  de  longues  stations,  les  genoux  plies,  le  visage  enflammé, 
les  yeux  ardents,  devant  la  statue  de  Notre-Dame.  Ah  !  vraiment  ! 
je   le   jure,    c'était  une  sainte  jeune  fille  !  »  "' 

C^e  premier  mouvement  d'opinion  publique  fut  habilement  contrarié 
par  l'expédition,  aux  souverains,  aux  cardinaux,  au  pape,  du  procès 
de  Pierre  Cauchon.  Les  mensonges  qu'il  y  avait  accumulés  firent 
impression.  Etait-elle,  cette  Jeanne,  ce  que  prétendait  l'évêque  de 
Beauvais  :  une  hérétique,  une  apostate,  une  simulatrice,  une  sorcière  ? 
Etait-elle  une  martyre  de  sa  mission  ?  On  demeurait  en  suspens. 

Lia.  sentence  de  réhabilitation  du  7  juillet  1456  remit  les  choses 
d'aplomb.  Elle  déclarait  Jeanne  absolument  innocente  des  scélératesses 
que  lui  avait  imputées  l'évêque  de  Beauvais,  bonne  et  chaste  chrétienne. 
C'était  beaucoup  ;  ce  n'était  pas  une  déclaration  de  sainteté. 

rLn  un  seul  lieu  on  crut  toujours  à  cette  sainteté  ;  parce  qu'on  s'y 
souvint  toujours  :  à  Orléans.  «  Au  milieu  des  oublis  et  des  aberrations 
de  l'esprit  public,  dit  M.  Lecoq  de  la  Marche,  le  culte  de  Jeanne  d'Arc 
garda  chez  les  Orléanais  sa  ferveur  première...  C'est  ainsi  que  l'on 
voit  quelquefois  une  petite  source  née  dans  une  riante  prairie  traverser 
heureusement  un  marais  fangeux,  sans  perdre  de  la  pureté  de  ses  ondes.  » 

L/e  résultat  est  attribuable  à  la  fête  commémorative  de  la  Déli- 
vrance, jamais  interrompue  depuis  1429.  Les  panégyristes  qui  y  faisaient, 
chaque  année,  l'éloge  de  Jeanne  la  traitèrent  souvent  de  sainte.  Ainsi 
sauvèrent-ils  sa  mémoire  de  l'océan  d'oubli  dans  lequel  elle  succombait 
ailleurs  et  son  caractère  moral  des  déformations  que  les  littérateurs 
tentèrent  plus  que  maladroitement  de  lui  infliger. 

(1)  Cusquel.  -  O.  II.  T.  II,  307. 

(2)  Thiesselin,  Ibid.  404. 

(3)  Jacques  Lafumeux,  Ibid.  460,  461. 


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Ce  vocable  finit  par  trouver  sa  place  dans  un  ouvrage  liturgique  : 
Le  Martyrologe  gallican,  de  du  Saussay,  mort  évêque  de  Tulle.  Jeanne 
y  est  inscrite  avec  le  titre  de  vierge  et  martyre. 

Un  curé  de  Saint- Victor  d'Orléans  prévint  avec  la  même  audace  le 
;      jugement  de  la  Cour  romaine,  dans  son  hagiographie  de  notre  diocèse. 
Pour  lui  aussi,  Jeanne  était  «  vierge  et  martyre.  » 

Appels   à  l'avenir,    ces   paroles   et   ces   écrits. 

Ils  trouvèrent  une  première  expression  canonique  dans  un  acte 
émané  de  Mgr  Dupanloup,  le  8  mai  1869.  Ce  jour-là,  assisté  de  douze 
de  ses  collègues,  '»  il  présenta  requête  au  pape  Pie  IX  en  vue  d'être 
autorisé  officiellement  à  instruire  la  cause  Jeanne  d'Arc. 

L,e  prélat  s'engageait  à  établir  que  Jeanne  avait  chez  plusieurs  répu- 
tation de  sainteté,  qu'ils  l'invoquaient  dans  leur  privé,  qu'ils  lui  attribuaient 
des  grâces  par  eux  obtenues,  peut-être  des  miracles,  et  qu'aucun  nuage 
n'obnubilait  vraiment  la  haute  moralité  de  la  jeune  et  pure  héroïne. 
Pie  IX  acquiesça.  Mgr  Dupanloup  et  son  successeur,  Mgr  Coullié,  se 
déchargèrent  sur  deux  prêtres  éminents,  Mgr  Rabotin  et  M.  l'abbé 
Branchereau,  de  la  conduite  effective  des  procédures.  Celles-ci  durèrent 
vingt-cinq  ans,  avec,  il  est  vrai,  des  interruptions  assez  longues.  Elles 
finirent  en  1914.  La  cause  fut  alors  introduite  :  ce  qui  signifie  que  le 
siège  apostolique  consentait  à  la  traiter.  De  ce  chef,  Jeanne  fut  proclamée 
vénérable.  Ce  fut  déjà  une  grande  joie  pour  la  France  catholique. 

Jln  1894,  le  signataire  de  ces  pages  était  nommé  évêque  d'Orléans.  La 
première  communication  qu'il  reçut  de  Rome  fut  l'ordre  d'informer  sur  ce 
point  préjudiciel  :  un  culte  religieux  n'avait-il  pas  été  rendu  à  Jeanne  au 
cours  des  siècles  ?  Si  oui,  c'était  peut-être  la  fin  de  la  cause.  Urbain  VIII  a, 
en  effet,  défendu  dans  un  décret  connu,  que  soit  poursuivie  la  béatification 
d'un  personnage  qui  aurait  reçu  publiquement  les  honneurs  sacrés,  sans 
l'aveu  du  suprême  Pontife.  Nous  examinâmes  la  question  personnellement, 
—  au  reste,  nous  avons  conduit  personnellement  tous  les  procès,  —  et 
notre  conclusion  fut,  le  7  janvier  1895,  qu'aucun  culte  ecclésiastique 
n'avait  été  publiquement  rendu  à  Jeanne.  Le  5  mai,  la  congrégation  des 
Rites  approuvait  notre  sentence,  et,  le  7,  Léon  XIII,  validait  cet  acte. 

(1)  NN.  SS.  de  Bonnecbose,  archevêque  de  Rouen  ;  Guiberl,  archevêque  de  Tours  :  Caverot,  évêque  de 
Saint-Dié  ;  Pie.  évêque  de  Poitiers  ;  du  Parc,  évêque  de  Blois  ;  Meignan,  évêque  de  Châlons  ;  Foulou,  évêque  de 
Nancy  :  Hacquard,  évêque  de  Verdun  ;  de  la  Tour  d'Auvergne,  archevêque  de  Bourges  ;  Gignoux,  évêque  de  Beauvais  ; 
de  Las  Cases,  évêque  de  Constantine  ;  Lacarriére,  évêque  de  Basse-Terre. 


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Frappé  de  ce  fait  que  sept  cent  soixante  cardinaux,  patriarches, 
archevêques,  évêques,  abbés,  recteurs  d'universités,  chefs  d'ordres  et  de 
congrégations,  avaient  postulé,  avec  nous,  la  béatification  de  la  vénéra- 
ble, le  grand  pape  nous  dispensa  du  procès  de  réputation  de  sainteté. 

Nous  reçûmes  donc  la  mission  de  faire  le  procès  apostolique  des 
vertus  et  des  miracles. 

C  était  nous  convier  à  fournir  à  Rome  les  éléments  d'un  jugement 
motivé  sur  la  foi,  l'espérance,  la  charité,  la  prudence,  la  force,  la  tempé- 
rance, la  justice,  l'humilité,  la  chasteté  de  la  vénérable. 

Si  des  miracles  avaient  été  obtenus  par  son  intercession,  nous  devions 
les  étudier  en  même  temps  que  les  vertus.  Pour  ce  long  et  délicat  travail, 
on  nous  donnait  deux  ans  à  partir  du  20  juin  1896.  Nous  le  clôturâmes 
le  22  novembre  1897,  après  122  séances  de  six  à  sept  heures  chacune. 

iVlgr  le  promoteur  de  la  foi,  dont  c'était  le  devoir,  ne  nous  épargna 
aucune  difficulté,  ni  théologique  quant  aux  vertus,  ni  médicales  quant 
aux  miracles.  La  lutte  dura  dix  ans,  de  1898  à  1908.  Eteinte  sur  un  point, 
elle  se  ranimait  immédiatement  sur  un  autre. 

Cependant,  le  6  janvier  1904,  dans  le  492"  anniversaire  de  la  naissance 
de  Jeanne,  Pie  X,  successeur  de  Léon  XITI,  le  vieux  témoin  des  premières 
péripéties  de  la  cause,  son  indéfectible  soutien,  celui  qui  avait  aimé 
Jeanne  en  poète  et  en  grand  homme  d'Église,  mort  le  20  juillet  1903, 
à  quatre  heures  quatre  minutes  du  soir,  —  Pie  X,  disons-nous,  proclama 
que  Jeanne  avait  pratiqué  héroïquement  les  vertus  divines  et  humaines 
qui  font  les  saints.  C'était  le  premier  moUissement   de  l'attaque. 

Le  saint  pape  était  destiné  de  même  à  reconnaître  la  valeur  des  trois 
miracles  que  nous  avions  soumis  à  son  suprême  jugement.  Il  le  fit  le 
24  janvier  1909. 

Jinfin,  le  18  avril  de  cette  même  année,  ce  fut  à  Saint-Pierre  de  Rome, 
parmi  les  exultations  des  airains,  des  marbres  et  des  ors  de  la  basilique 
sublime,  en  présence  de  tous  les  évêques  de  France  et  d'une  multitude 
accourue  de  partout,  la  fête  inoubliable,  on  pourrait  écrire  inouïe,  de  la 
béatification. 

J  eanne  était  montée  du  bûcher  à  l'autel.  Cest  pourquoi  nous  prenions,  ce 
jour  même,  la  liberté  de  dire  au  pape,  dans  une  adresse  de  remercîment  : 

«  Ah  !  Saint-Père,  «  cette  petite  fille  du  bon  Dieu,  »  qui  a  dix-huit  ans 
trois  mois   quatre  jours,   met  la  main  sur  l'épée  de  la   France  et  la 


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manœuvre  de  si  puissante  façon  ;  «  cette  petite  fille  du  bon  Dieu  »  qui, 
d'un  autre  geste,  saisit  la  couronne  des  antiques  Capétiens  et,  la  posant 
sur  le  front  d'un  dauphin,  sauve  la  dynastie  en  sacrant  un  roi  ;  «  cette 
petite  fille  du  bon  Dieu  »  quelque  chose  de  très  simple  et  de  très  faible 
en  apparence,  de  tout  candide,  de  tout  blanc  et  de  si  puissant, 
de  si  imposant  néanmoins,  que,  devant  «  cela,  »  un  grand  peuple 
recule,  océan  qui  reflue  vers  son  île,  tandis  que,  derrière  «  lui,  »  un  autre 
grand  peuple  se  reconstitue,  océan  qui  réoccupe  ses  rivages  ;  «  cette 
petite  fille  du  bon  Dieu  »  véritable  ostensoir  dans  lequel  resplendit  notre 
Père  des  Cieux  avec  sa  providence,  sa  bonté,  sa  maîtrise  des  événements, 
des  hommes,  du  destin  des  empiles  ;  «cette  petite  fille  du  bon  Dieu,  » 
une  bergerette  et  une  évangéliste  de  la  royauté  du  Christ,  un  lys,  un 
chevalier,  la  foi,  l'honneur,  la  vaillance,  avec,  au  front,  le  rayon  des 
prophètes,  et,  sur  ses  épaules,  la  pourpre  de  son  sang  ;  «  cette  petite  fille 
du  bon  Dieu,  »  vous  l'avez  prise  dans  vos  mains  augustes,  et,  de  votre 
Vatican,  le  lieu  le  plus  élevé  et  le  plus  illuminé  qui  soit,  vous  la 
montrez  à  l'univers,  à  la  France  surtout  !  Saint-Père,  Merci  !  » 

Dès  lors,  s'il  entrait  dans  le  dessein  providentiel,  nous  marchions 
vers  la  canonisation.  Il  suffit,  en  effet,  pour  déclaration  du  suprême 
magistère  que,  depuis  la  béatification,  deux  miracles  reconnus  comme 
tels  et  attribuables  à  l'intercession  du  bienheureux  aient  été  opérés. 

iVlais  les  miracles  sont  exclusivement  l'œuvre  et  le  signe  de  Dieu. 
Comment  obtenir  le  consentement  de  Dieu  ?  Un  seul  moyen  :  le  prier 
ardemment.  Nous  fîmes  appel  à  toutes  les  contemplatives,  et  leur  deman- 
dâmes à  nos  intentions  une  communion  mensuelle,  plutôt  le  30  du 
mois  ;  une  multitude  de  fidèles  entra  dans  cette  croisade.  Nous  fîmes 
appel  aux  actives,  hospitalières,  enseignantes  ;  il  fut  convenu  qu'elles 
nous  céderaient  pour  la  cause  une  part  de  leurs  mérites;  un  nombre 
notable  de  religieux  et  de  prêtres  séculiers  d'Europe  et  d'Amérique 
s'associèrent  et  récitèrent  prime  chaque  matin  afin  de  faire  violence  au 
Ciel  ;  enfin  les  triduums  de  la  béatification  furent  très  ardents.  Ce  fut 
une  tempête  de  supplications  qui  battit  le  trône  de  Dieu. 

Le  Tout- Puissant  se  laissa  toucher.  Ses  deux  miracles  furent  accordés, 
l'un  quatre  mois  après  la  béatification,  l'autre  huit  :  le  premier,  d'après 
le  décret  rendu  sur  l'ordre  de  Sa  Sainteté  Benoît  XV,  le  6  avril  1919, 
fut  la  guérison  instantanée  et  parfaite  d'une  tuberculose  péritoniale  et 
pulmonaire  avec  lésion  organique  de  l'orifice  mitral  ;  le  second  fut  la 
guérison  instantanée  et  parfaite  d'un  mal  perforant  plantaire. 


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On  n'imagine  pas  que  les  poursuivants  de  la  cause  aient  réussi,  sans 
coup  férir,  à  faire  accepter  ces  merveilles.  Ce  furent,  de  1910  à  1918,  de 
nouveaux  combats  :  parfois  ils  furent  assez  cruels. 

Il  plut  à  Notre-Seigneur  et  à  la  Vierge  Marie  de  les  dénouer  par  la 
victoire  de  leur  incomparable  servante  :  Jeanne  d'Arc. 

Benoît  XV  daigna  nous  en  dire  sa  joie  personnelle. 

i>l.arguerite  Marie  sera  canonisée  en  même  temps  que  Jeanne  d'Arc, 
Louise  de  Marilhac  sera  béatifiée.  La  consécration  du  temple  de  Mont- 
martre vient  de  s'accomplir  au  milieu  des  actions  de  grâce  et  des  suppli- 
cations, ce  qui  est  préférable  aux  pompes  les  plus  fastueuses  :  autant  de 
signes,  pensons-nous,  que  Dieu  veille  sur  la  France. 

Ces  astres  qui  se  lèvent  dans  le  Ciel  de  la  sainteté  n'éclaireront  pas 
des  ruines.  L'œuvre  de  salut  commencée  dans  la  guerre  se  continuera 
dans  la  paix. 


Orléans,  le  5  février  1920. 


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LA    SAINTE    FRANÇAISE 


Jeanne  d'Arc  est,  par  excellence,  la  sainte  française. 

Bien  qu'elle  soit  née  en  pays  lorrain,  elle  appartenait  à  la  France, 
non  seulement  parce  que  Domremy  était  sous  la  suzeraineté  du  roi  de 
France,  mais  elle  est  de  nationalité  française.  Les  Lorrains,  séparés  des 
possessions  de  la  royauté  française  par  le  démembrement  de  l'empire 
de  Charlemagne,  abandonnés  de  ses  successeurs,  s'efforcèrent  souvent 
de  se  rattacher  à  la  mère-patrie.  Au  temps  de  Godefroy  de  Bouillon  et 
au  temps  de  Jeanne  d'Arc,  les  Lorrains  étaient  Français  comme  l'étaient 
les  Bourguignons  et  les  Bretons  gouvernés  par  leurs  ducs,  comme  le 
sont  aujourd'hui  les  Alsaciens -Lorrains  au-delà  des  frontières  tracées 
par  l'épée  des  vainqueurs.  Jusqu'au  X"=  siècle,  la  Lorraine  est  appelée 
Francia,  et,  depuis  lors,  on  a  encore  appelé  les  Lorrains  Franci  ou 
Lorrains  français,  Lotharin-Geuses  Franci. 

La  grande  patrie  que  les  chevaliers  doivent  aimer,  disent  les  vieux 
chants  de  guerre,  c'est  la  «  vraie  France,  »  celle  qui  s'étend  de  Saint- 
Michel-du-Péril,  ou  du  Mont  Saint-Michel,  jusqu'à  Cologne,  et  de 
Besançon  jusqu'au  Pas  de  Calais. 

Sans  doute,  la  Lorraine  a  lutté  souvent  contre  la  royauté  française, 
comme  la  Bretagne,  la  Bourgogne,  la  Normandie,  le  Dauphiné  et  toutes 
les  autres  provinces  qu'a  réunies  plus  tard  le  pouvoir  royal.  Et,  certes, 
nous  n'admettrons  jamais  que  les  défaites  ou  les  victoires,  les  vicissitudes 

(1)    Mgr  Turinaz,   évêque    de   Nancy,   décédé    en    1918,   nous   a   envoyé   cette    page  intéressante   quelque  temps 
avant  sa  mort. 


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de  la  guerre  ou  de  la  politique,  la  séparation  ou  l'annexion  d'une  province 
décident  de  sa  nationalité. 

C'est  la  voix  des  siècles,  ce  sont  les  traditions  populaires  de  la 
France,  qui  ont  nommé  Jeanne  d'Arc  la  bonne  Lorraine. 

D'ailleurs,  une  prédiction  circulait  depuis  bien  des  années  dans  notre 
infortuné  pays  ravagé  par  la  guerre  et  opprimé  par  l'étranger  :  cette 
prédiction  annonçait  que  la  France  serait  délivrée  par  une  femme  des 
Marches  de  Lorraine. 

Jeanne  a  les  grandes  qualités  de  l'âme  française  et  du  caractère 
national.  Elle  est  ardente  et  bonne,  douce  et  vaillante  ;  elle  s'émeut  aux 
souffles  d' en-haut  ;  elle  tressaille  de  loin  au  bruit  des  batailles  ;  elle  a 
l'enthousiasme  des  grandes  causes  ;  elle  est  intrépide  dans  les  combats. 
Elle  pleure  sur  les  morts  ;  et,  descendant  de  cheval,  elle  soigne  et  console 
un  soldat  anglais  mourant.  Elle  est  de  la  race  de  nos  chevaliers  bardés 
de  fer  et  de  nos  admirables  religieuses.  Elle  protège  les  petits,  les 
pauvres  et  le  peuple.  Quand  on  essaie  d'écarter  d'elle  la  foule  qui  l'entoure 
et  la  presse,  écoutez  ses  admirables  paroles  :  «  Je  n'ai  jamais  eu  le 
cœur  de  les  écarter  de  moi,  car  c'est  pour  eux  que  je  suis  venue.  » 

Dans  ses  réponses  aux  docteurs  de  Poitiers,  au  dauphin,  à  ses  juges, 
elle  a  le  ferme  bon  sens,  la  droiture,  la  simplicité,  la  noblesse  et  l'éner- 
gie ;  elle  a  les  élans  du  cœur  et  les  réparties  promptes  et  étincelantes  de 
l'esprit  français.  Son  langage  a  je  ne  sais  quoi  de  naturel  et  de  décisif, 
de  primesautier,  de  naïf  et  de  vibrant  qui  rappelle  le  langage  de  Joinville, 
de  Henri  IV  et  de  saint  François  de  Sales. 

Oui,  Jeanne  d'Arc  est  l'image  de  la  France,  fidèle  à  elle-même  et  à 
ses  providentielles  destinées.  Elle  est  le  fruit  béni  de  nos  traditions  et 
des  hautes  aspirations  nationales  ;  elle  est  la  fleur  de  nos  champs,  le 
lis  de  nos  vallées  ;  elle  est  la  fille  au  grand  cœur,  la  fille  de  Dieu 
et  la  fille  d'un  grand  peuple. 

Jeanne  est,  par  excellence,  la  sainte  française,  parce  qu'elle  est  la 
sainte  du  patriotisme  français. 

Aucune  sainte  de  notre  pays,  ni  Geneviève,  ni  Clotilde,  n'ont  donné 
à  la  France  de  telles  preuves  d'amour  et  de  dévouement. 

Ce  pays,  c'est  la  patrie.  Jeanne  l'a  dit  au  Dauphin.  Dès  qu'elle 
accomplira  l'œuvre  pour  laquelle  elle  est  envoyée,  la  patrie  sera  soula- 
gée, délivrée.  Patria  statim  alleviata. 


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L  amour  de  la  patrie  est  une  vertu  naturelle.  C'est  l'amour  de  la 
famille  agrandie,  le  trésor  des  pures  affections,  des  traditions  véné- 
rables, des  précieux  souvenirs. 

Cet  amour,  les  bénédictions  de  Dieu  l'ont  consacré  dans  \ Ancien 
Testament,  et  il  a  rayonné  dans  les  luttes  d'Israël,  dans  les  chants  des 
prophètes,  dans  le  cantique  de  Deborah,  dans  le  courage  de  Judith, 
dans  l'héroïsme  des  Macchabées.  Le  Fils  de  Dieu  a  sanctifié  cet  amour 
en  pleurant  sur  les  malheurs  de  Jérusalem  ingrate  et  infidèle. 

J-/es  nations  chrétiennes,  baptisées  dans  l'eau  et  l'esprit  de  Dieu,  ont 
été  les  héritières  de  cet  amour.  Cet  amour  s'alluma  au  foyer  de  la  foi  la 
plus  vive  et  de  la  plus  tendre  piété.  C'est  saint  Michel  et  ce  sont 
ses  saintes  qui  ont  enseigné  à  Jeanne  ce  patriotisme  sans  égal.  Le  dialo- 
gue qui,  pendant  quatre  années,  se  poursuit  entre  le  Ciel  et  cette  enfant 
n'a  pour  objet  que  les  malheurs,  les  périls  et  le  salut  de  la  France. 

La  patrie  française  était  la  «  vraie  France,  »  la  grande  terre,  le 
doux  pays. 

Sur  les  rivages  de  l'Orient,  les  chevaliers  si  terribles  dans  les  combats 
ouvraient  leurs  lèvres  et  leurs  poitrines  au  vent  qu'ils  croyaient  venir  de 
France,  et  l'un  d'eux  disait  :  «  Quand  le  doux  vent  a  soufflé  du  côté  de 
mon  pays,  m'est  avis  que  je  sens  une  odeur  de  paradis  », 

La  patrie,  ce  n'est  pas  seulement  le  sol  qui  a  porté  nos  premiers  pas, 
le  ciel  qui  répand  sur  nous  ses  clartés  et  ses  ombres,  la  langue  nationale, 
les  vallées  gracieuses,  les  plaines  fécondes,  les  hautes  montagnes.  Tout 
cela,  sans  doute,  entre  dans  la  notion  de  la  patrie,  mais  n'est  pas  la 
patrie  elle-même.  Plus  haut  que  le  sol  que  nous  foulons  aux  pieds, 
plus  près  que  le  ciel  qui  nous  abrite,  entre  des  frontières  qui  ne  sont  pas 
immuables,  au-dessus  des  autels,  des  berceaux  et  des  tombes,  il  est  un 
foyer  de  sentiments  qui  constituent  le  patriotisme,  un  foyer  de  tradi- 
tions vénérables  et  de  grands  souvenirs,  une  puissance  intime,  essen- 
tielle, vivante  :  l'âme  d'un  peuple,  l'âme  de  la  patrie. 

Ce  que  Jeanne  a  surtout  aimé  dans  la  France,  c'est  son  âme,  «  c'est 
le  royaume  du  Christ  »,  dont  le  roi  n'est  que  le  lieutenant  ;  elle  l'appelle 
«  Le  Saint  Royaume  de  Jésus-Christ.  » 

Et  cette  âme  de  la  France,  comme  Jeanne  l'a  aimée  ! 

O  Jeanne  !  de  cette  capitale  de  la  Lorraine,  où  pour  la  première  fois 
vous  avez  trouvé  un  appui   auprès   des  princes  de  ce  monde,   allez. 


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poursuivez  à  travers  la  France,  dans  ces  manifestations  qui  se  multiplient, 
votre  marche  triomphale,  jusqu'à  ces  fêtes  qui  convoqueront  à  vos  pieds, 
dans  une  gloire  céleste,  l'univers  catholique  :  Intende,  prospère  pro- 
cède et  régna  ! 

Faites  que  la  France  soit  la  messagère  et  le  soldat  de  Dieu,  l'apôtre 
de  la  vérité,  de  la  charité  et  de  la  paix,  mais  aussi  le  bras  de  la  Justice, 
contre  laquelle  rien  ne  peut  jamais  prescrire  :  Propter  veritatem  et 
mansuetudinem  et  justitiam  !  Que  votre  bannière  nous  guide  dans  le 
chemin  de  la  vaillance,  du  dévouement  et  de  l'honneur  :  Et  deducet  te 
mirabiliter  dextera  tua  !  O  Jeanne  !  libératrice  de  la  France  !  Jeanne  ! 
fille  de  Dieu  !  conduisez-nous  à  l'union  parfaite,  à  l'espérance  et  à  la 
victoire  ! 

Nancy,  le  8  Janvier  1918. 


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JEANNE    D'ARC    ET    LA    FRANCE 


La  France  a  dans  le  passé  d'illustres  enfants. 

Depuis  ce  Franc  qui  en  trois  coups  d  epée  transformait  sa  tribu  en 
un  grand  peuple,  dont  il  faisait  à  Reims  le  premier  né  des  peuples 
chrétiens,  combien,  dans  notre  histoire,  de  belles  et  héroïques  figures  ! 

C'est  ce  Charles,  dont  le  bras  tombe  comme  un  marteau  sur  l'isla- 
misme et  l'arrête  d'un  seul  coup  à  Poitiers  ;  c'est  cet  autre  Charles,  plus 
grand  que  le  premier,  qui  relève  un  moment  l'Empire  romain  et  fait 
luire  sur  le  monde  un  rayon  de  civilisation  naissante  entre  deux  âges 
de  barbarie  ;  c'est,  après  deux  siècles  de  recueillement,  Godefroy  et  ses 
croisés,  qui  se  lèvent  au  cri  de  :  «  Dieu  le  veut  !  »  se  jettent  sur  l'Orient, 
et  laissent  de  leurs  prouesses  un  souvenir  qui  hante  encore  là-bas  l'ima- 
gination populaire.  C'est  le  héros  de  Bouvines,  c'est  son  petit-fils,  le 
fier  chrétien  qui  fait  asseoir  la  France  comme  une  reine  au  milieu  des 
nations,  et  les  force  à  s'incliner  devant  la  science  de  ses  docteurs,  les 
chefs-d'œuvre  de  ses  artistes,  la  vaillance  de  ses  chevaliers,  et  surtout 
devant  la  magnanimité  et  la  sainteté  de  son  roi. 

Ce  sont  les  Du  Guesclin,  les  Bayard,  les  Henri  IV,  et,  pour  arriver 
enfin  à  cet  âge  d'or  qui  marque  la  maturité  de  la  France  et  l'apogée  de 
l'esprit  humain,  ces  rencontres  de  grands  hommes  que  le  monde  n'a  pas 
vu  deux  fois  :  Vincent  de  Paul  donnant  des  conseils  à  Richelieu,  Condé 
pleurant  aux  vers  de  Corneille,  et  Bossuet  convertissant  Turenne. 

(1)  Cette  belle  page  a  été  écrite  par  Mgr  Vie.  évéque  de  Monaco,  en  1917,  et  nous  a  été  envoyée  à  la  fin  de  cette 
même  année  quelque  temps  avant  sa  mort. 


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Quel  tableau  que  celui  de  notre  France  entourée  de  ces  nobles 
enfants,  qui  tous  ont  travaillé  pour  elle  et  mis  sur  son  front  quelque 
chose  de  leur  vertu,  de  leur  vaillance  ou  de  leur  génie  ! 

J\^ais,  parmi  ces  glorieuses  figures,  il  en  est  une  devant  laquelle  un 
Français  s'arrête  avec  plus  de  fierté  et  d'émotion  :  c'est  la  figure  de 
Jeanne  d'Arc  !  Elle  apparaît  au  déclin  du  moyen  âge  et  à  la  veille  des 
temps  modernes,  et,  par  un  contraste  qui  la  fait  ressortir  encore,  c'est  à 
l'heure  la  plus  sombre  de  notre  histoire  qu'elle  passe  comme  une  appa- 
rition lumineuse,  c'est  à  la  porte  du  tombeau  où  la  France  va  descendre 
qu'elle  se  tient  debout  comme  l'ange  de  la  Résurrection  ! 

Nul  n'a  fait  plus  qu'elle  pour  la  Patrie  :  d'autres  l'ont  embellie  et 
défendue  ;  elle  l'a  sauvée  et  rachetée  ;  d'autres  lui  ont  donné  leurs  veilles, 
leurs  talents,  leur  vie  ;  elle  lui  a  donné  son  cœur  de  dix-neuf  ans,  avec 
tout  ce  qu'il  contenait  d'héroïsme  et  de  tendresse. 

Je  trouve  en  elle  tout  ce  qu'il  y  a  de  meilleur  dans  le  caractère 
français  :  la  pureté,  la  douceur,  le  dévouement,  la  tendre  piété  qui 
m'attirent  dans  nos  Geneviève  et  nos  Clotilde  ;  l'élan,  l'intrépidité,  le 
sang-froid  devant  le  danger,  en  un  mot,  la  bravoure  qui  m'enthousiasme 
dans  nos  Bayard  et  nos  Lamoricière  ;  le  langage  net  et  incisif,  le  bon 
sens  étincelant  qui  déconcerte  les  subtilités,  les  mots  naïfs  qui  me 
charment  dans  Joinville,  les  cris  sublimes  qui  m'étonnent  dans  Pascal  ; 
et  avec  tous  ces  dons,  d'autres  qui  les  rehaussent  encore  :  la  jeunesse, 
l'inspiration,  la  gloire,  le  martyre. 

Dieu  réunit  en  elle  tous  les  traits  qui  peuvent  embellir  une  âme  ;  il 
les  fond  avec  un  art  divin,  et  il  met,  dans  le  développement  de  sa  beauté, 
une  gradation  qui  la  rend  plus  belle  encore  :  Pulchritudinem  ampliavit. 

Il  la  fait  briller  d'un  premier  rayon,  pur  comme  le  matin,  dans 
l'idylle  de  Domremy.  Il  lui  donne  la  splendeur  du  soleil  de  son  midi, 
dans  l'épopée  triomphante  d'Orléans  et  de  Reims. 

Enfin,  au  soir  de  cette  vie,  courte  comme  une  journée,  dans  le  drame 
tragique  de  Rouen,  il  achève  sa  beauté  par  un  dernier  resplendissement 
qui  n'est  plus  de  la  terre. 

Si  je  cherche  à  analyser  cette  beauté  de  l'âme  de  Jeanne  d'Arc, 
partout,  dans  la  grâce  naïve  et  les  entretiens  célestes  de  son  enfance, 
dans  ses  combats  et  ses  triomphes,  dans  ses  souffrances  et  son  martyre. 


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je  trouve  deux  traits  qui  se  mêlent  et  sont  devenus  inséparables  :  elle 
est  fille  de  Dieu  et  fille  de  la  France. 

Effacez  un  seul  de  ces  traits,  vous  la  défigurez. 

Otez-lui  son  entrain,  sa  hardiesse,  sa  franchise,  sa  naïveté,  sa  gaieté,  sa 
droiture,  ce  n'est  plus  une  Française,  mais  aussi  ce  n'est  plus  Jeanne  d'Arc, 

Otez-lui  sa  pureté,  sa  piété  si  tendre,  son  humilité,  ôtez-lui  son 
archange  et  ses  saintes,  ôtez-lui  Jésus-Christ  et  la  sainte  communion,  ce 
n'est  plus  une  chrétienne,  mais  aussi  ce  n'est  plus  Jeanne  d'Arc.  Pour 
retrouver  sa  physionomie  si  belle  et  si  originale,  il  faut  réunir  tous  les 
rayons  de  ces  deux  faisceaux  lumineux  et  les  faire  jaillir  du  même  foyer. 

Chrétiens  et  Français,  soyons-en  fiers  ;  chez  aucun  peuple,  dans 
aucune  histoire,  il  n'y  a  de  figure  qui  lui  soit  comparable.  Nous  pouvons 
le  dire  sans  orgueil,  puisque  tout  ici  est  l'œuvre  de  Dieu  ;  mais  disons-le 
à  l'honneur  de  notre  foi  et  de  notre  Patrie  :  cette  fleur  exquise  n'a  pu 
s'épanouir  que  sur  la  terre  de  France  et  au  soleil  de  l'Evangile.  Elle  est 
chrétienne,  elle  est  Française.  Elle  aime  l'Église  et  elle  aime  la  France. 
Qui  donc  voudrait  séparer  ce  qu'elle  a  de  si  bien  uni?  Personne  n'y 
pense,  d'ailleurs,  devant  cette  figure  douce  et  glorieuse  comme  la  Patrie 
elle-même  :  Suavis  et  décora  sicut  Jérusalem. 

Jeanne  d'Arc  avait  rêvé  d'unir  toutes  les  nations  chrétiennes  pour  les 
faire  marcher  ensemble  à  la  civilisation  du  monde  ;  à  défaut  de  cette  union 
des  peuples,  elle  en  a  réalisé  une  autre,  celle  de  tous  les  enfants  de  la 
France  autour  de  sa  bannière.  Auprès  d'elle,  Armagnacs  et  Bourguignons 
ont  oublié  jadis  leurs  vieilles  discordes  ;  auprès  d'elle,  aujourd'hui  encore, 
nos  divisions,  ou  plutôt  nos  malentendus  s'effacent.  Quand  il  s'agit  de 
Jeanne  d'Arc,  il  n'y  a  plus  parmi  nous  de  dissentiments,  toutes  les 
forces  vives  de  la  nation  s'unissent  :  peuple  et  magistrats,  soldats  et 
prêtres,  en  vérité,  nous  ne  faisons  plus  qu'un  cœur  et  qu'une  âme. 

Il  est  une  dernière  union  qu'elle  a  voulue  passionnément,  qu'elle  a 
faite  pendant  sa  vie,  et  qu'elle  fera  encore  du  haut  du  Ciel.  Un  cardinal 
anglais  le  disait  l'autre  jour  :  Jeanne  d'Arc  est  le  trait  d'union  de  la 
religion  et  du  patriotisme.  O  Jeanne,  soyez  encore  ce  que  vous  étiez 
jadis  au  milieu  de  votre  armée,  que  par  vous  tous  les  Français  fassent 
comme  vos  soldats  et  redeviennent  chrétiens  !  Tous,  ils  demandent  au 
chef  de  l'Église  de  mettre  sur  votre  front  l'auréole  des  saints.  Vous, 
là-haut,  demandez  à  Dieu  de  leur  rendre  la  foi  religieuse  de  leurs  pères. 


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Notre  prière  sera  entendue  par  le  Vicaire  de  Jésus-Christ  ;  la  vôtre 
sera  exaucée  par  le  Christ,  qui  aime  les  Francs. 

Et  quand  l'Église  vous  placera  sur  les  autels,  la  France  entière,  nous 
n'en  doutons  pas,  se  mettra  à  genoux  devant  votre  image. 

Ce  jour-là,  nos  voix  françaises  acclameront  en  vous  la  protectrice 
de  la  Patrie  ;  ce  jour-là  marquera  l'aurore  d'une  nouvelle  ère  de  gran- 
deur nationale  ;  ce  jour -là,  dans  notre  beau  pays  de  France,  il  n'y 
aura  qu'une  seule  foi,  qu'un  seul  amour,  l'union  sera  complète  et  la  joie 
sans  mélange  dans  la  patrie  de  la  terre  comme  dans  la  patrie  du  Ciel! 

Ce  jour-là  ce  sera  la  victoire  définitive  sur  nos  ennemis.  Dieu  ne 
la  refusera  pas  aux  prières  de  Jeanne  et  à  la  vaillance  de  nos  armées. 

Et  puis,  demain,  ce  sera  la  canonisation  de  l'immortelle  libératrice 
et  l'Église  ne  la  refusera  pas  non  plus  aux  supplications  d'un  peuple 
redevenu  le  peuple  très  chrétien  et  le  soldat  de  Dieu. 

Monaco,  le  25  décembre  1917. 


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JEANNE    D'ARC    ET    LA    PICARDIE 

Trois  actes  révèlent  le  génie  inspiré  de  Jeanne  :  la  marche  sur 
Orléans,  le  sacre  de  Reims,  la  lutte  sous  Compiègne.  Par  le  premier,  elle 
rend  au  roi  de  France  la  liberté  de  ses  mouvements  ;  par  le  second, 
elle  affirme  sa  légitimité  et  son  droit  héréditaire;  par  le  troisième,  elle 
prétend  briser  l'alliance  du  duc  de  Bourgogne  avec  l'Angleterre  et  arrê- 
ter leur  marche  sur  Paris.  A  ce  troisième  stade,  elle  échoue.  Humaine- 
ment la  voilà  vaincue  ;  divinement,  elle  monte  à  la  gloire.  Or,  remarquez- 
le  bien,  elle  ne  se  rapproche  de  la  Picardie  que  dans  son  échec.  Son 
martyre  commence  à  nos  portes,  et  nous  la  verrons,  pendant  quelques 
jours,  les  mains  chargées  de  chaînes,  belle  dans  son  cachot  comme  sur 
les  marches  du  chœur  de  Reims,  quand  elle  conduisait  à  l'honneur  l'éten- 
dard qui  avait  été  à  la  peine. 

L'abandon  de  Charles  VII,  le  roi  de  France  ;  la  vilenie  de  Jean  de 
Luxembourg,  qui  la  vend  à  ses  ennemis  avec  la  complicité  du  duc  de 
Bourgogne;  le  pharisaïsme  cupide  et  bas  avec  lequel  les  docteurs  de 
l'Université  de  Paris,  et  Cauchon,  l'évêque  de  Beauvais,  servent,  dans  un 
procès  politique,  les  haines  des  partis,  nous  valent  l'attitude  héroïque,  la 
sérénité  sublime,  les  réponses  immortelles  de  notre  Bienheureuse, 

Prise  à  Compiègne,  enfermée  à  Beaulieu,  puis  à  Beaurevoir,  ensuite 
à  Arras  et  à  Drugy,  elle  vint  enfin  au  Crotoy,  où,  mieux  qu'ailleurs,  elle 
se  trouva  comprise  et  aimée.  Qu'on  nous  pardonne  cette  complaisance  en 
nous-mêmes  !  Elle  nous  appartint  peu  de  temps,  mais  si  bien  ! 

Les  femmes  d'Abbeville  se  rendirent  dans  sa  prison,  car  la  nouvelle 
de  sa  présence  arriva  vite  jusqu'au  centre  de  ce  pays. 


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Comment  manquer  l'occasion  opportune  de  la  voir,  de  lui  parler,  de 
découvrir  en  sa  parole,  en  son  regard  et,  mieux  encore,  dans  son  âme, 
le  secret  de  son  extraordinaire  action  ? 

Elles  venaient  pour  la  consoler.  Notre  chère  cité  d'Abbeville  mérita 
souvent,  au  cours  de  son  histoire,  son  titre  de  fidelis  ;  mais  jamais 
mieux  elle  ne  conquit  le  droit  de  le  porter  qu'au  jour  où  elle  déposa 
aux  pieds  de  Jeanne  vaincue  un  hommage  qui  aurait  eu  moins  de  prix 
au  jour  de  sa  victoire. 

Le  geste  des  femmes  d'Abbeville  honore  à  jamais  leur  patrie.  Au 
milieu  du  déchaînement  des  passions  violentes  de  partis,  elles  se  mon- 
trèrent vraiment  humaines,  parfaitement  chrétiennes. 

Aussi,  selon  la  tradition,  «  Jeanne  fit  ses  derniers  adieux  en  les 
baisant  amicalement.  »  Ce  baiser  de  la  guerrière  aux  femmes  d'Abbeville 
reste  pour  la  capitale  du  Ponthieu  un  titre  de  gloire  qu'aucun  autre  ne 
surpassera. 

Cependant  cette  pitié  humaine  et  cette  charité  chrétienne  ne  restèrent 
pas  leur  monopole.  Le  clergé  séculier  et  régulier  ne  montra  pas  moins 
d'empressement  à  consoler  la  Bienheureuse.  Le  chancelier  de  l'église 
d'Amiens,  Nicolas  Quierdeville,  qui  se  trouvait  dans  le  château,  lui  porta 
le  secours  de  son  ministère  ;  il  l'entendit  en  confession,  lui  permit  d'assis- 
ter à  la  messe,  bien  qu'elle  fût  revêtue  de  l'habit  militaire,  et  lui  donna 
la  sainte  communion.  A  cette  heure  tragique  de  son  histoire,  aucune 
consolation  humaine  ne  pouvait  égaler  celle  qui  lui  venait  de  ce  prêtre 
avec  la  sainte  absolution  et  la  divine  Eucharistie, 

Déjà  l'abbé  de  Saint-Riquier,  Hugues  Cuillerel,  avait  fait  à  la  Bien- 
heureuse l'honneur  d'une  visite  et  lui  avait  apporté  des  paroles  de 
réconfort.  «  De  son  temps,  écrit  le  Père  Ignace,  en  1646,  dans  l'Histoire 
ecclésiastique  d'Abbeville,  la.  courageuse  amazone  Jeanne  d'Arc,  pucelle 
d'Orléans,  envoyée  du  Ciel  pour  le  bien  de  la  France,  fut  conduite  à  la 
ville  de  Saint-Riquier.  Elle  passa  la  nuit  dans  le  château  de  Drugy  et 
fut  visitée,  par  honneur,  des  principaux  de  la  ville  et  des  anciens  religieux 
de  Saint-Riquier,  à  savoir  de  dom  Nicolas  Bourdon,  prévost,  de 
dom  Jean  Chappelain,  aumônier,  et  de  plusieurs  autres  religieux  qui  en 
avaient  grande  compassion,  d'autant  qu'elle  était  très  pure  et  très 
innocente.  » 

Cet  hommage  d'Hugues  III  Cuillerel,  46™  abbé  de  Saint-Riquier,  a 
d'autant  plus  de  prix  qu'il  appartenait  au  parti  bourguignon.  M,  Hénoc- 


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que,  l'historien  de  l'abbaye,  pense  même  qu'il  était  attaché  à  la  maison 
de  Bourgogne  par  un  office  de  chapelain  ou  d'aumônier.  Sa  démarche 
révèle  donc,  dans  le  fond  de  son  âme,  une  secrète  admiration  pour 
l'étonnante  jeune  fille  qui,  par  son  intervention,  avait  trompé  tous  les 
calculs  des  politiques  et  des  diplomates.  Sa  vertu  éprouvée  lui  rendait 
plus  facile  une  impartialité  qu'il  ne  faut  point  chercher  parmi  les  hommes 
de  médiocre  caractère. 

Celui  que  le  Père  Ignace  appelle  dom  Jean  Chappelain  se  nommait  en 
réalité  Jean  de  La  Chapelle.  Son  homonyme,  peut-être  son  neveu,  curé 
d'Oneux,  raconte,  en  1492,  le  passage  de  Jeanne  d'Arc  au  château  de 
Drugy.  Il  ajoute  même  ce  mot  en  guise  de  conclusion  :  «  On  parlera  d'elle 
éternellement,  parce  que  la  haine  des  Anglais  était  injuste  ».  Sa  parole  se 
vérifia,  et  l'Angleterre  elle-même,  éclairée  par  les  événements,  se  montra 
la  plus  empressée  à  lui  rendre  justice. 

Aussi  convient-il  de  saluer  avec  respect,  sur  les  quais  du  Crotoy,  la 
statue,  sculptée  par  le  maître  picard  Tassé,  qui  représente  Jeanne  d'Arc 
prisonnière.  Habillée  en  paysanne,  les  mains  chargées  de  chaînes,  elle 
contemple  avec  tristesse  la  mer  qui  fut  le  chemin  de  nos  ennemis  et  qui 
sert  aujourd'hui  à  nous  porter  des  alliés.  Elle  avait  rêvé  de  bouter  dehors 
l'envahisseur,  et  son  épée  tombe  brisée  à  ses  côtés.  Belle  dans  son 
ardeur  guerrière  sous  les  murs  d'Orléans  ou  sur  le  champ  de  bataille 
de  Patay,  elle  porte  ici  le  rayon  d'une  autre  beauté  :  la  majesté  de  la 
douleur. 

Nous  ne  la  suivrons  pas  en  dehors  du  Crotoy.  Bientôt  une  barque 
montée  par  des  Anglais  la  transportera  sur  les  eaux  de  la  Somme,  gros- 
sies de  celles  de  la  marée,  jusqu'au  port  de  Saint- Valéry,  où  s'embarqua 
Guillaume  le  Conquérant  :  saisissant  contraste  ! 

Kcoutez  bien,  gens  de  Picardie,  vous  qui  aimez  ardemment  votre 
terre  et  votre  race.  Jamais  vous  n'entendîtes  éloge  plus  flatteur,  ni  témoi- 
gnage plus  réconfortant.  Ils  furent  formulés  au  Crotoy,  où  elle  reçut 
pour  la  dernière  fois  la  visite  de  saint  Michel.  «  Que  voicy  un  bon 
peuple!  s'écria  Jeanne  d'Arc.  Pleust  à  Dieu  que  je  fusse  si  heureuse, 
lorsque  je  finirai  mes  jours,  que  je  puisse  être  enterrée  en  ce  pays  !  » 

Le  corps  de  la  Pucelle,  réduit  en  cendres  par  le  feu  du  bûcher  de 
Rouen,  ne  repose  en  aucune  terre  française.  Les  eaux  de  la  Seine  empor- 
tèrent à  la  mer  les  cendres  du  foyer  éteint.  Si  nulle  province  ne  nous 
montre  ses  reliques,  nous,  du  moins,  nous  pouvons  dire  avec  un  sentiment 


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de  regret  et  de  fierté,  que  Jeanne  nous  avait  désignés,  en  ses  prédilec- 
tions, pour  les  recevoir.  La  guerre  a  laissé  sur  notre  terre  de  Picardie  des 
milliers  de  tombes  glorieuses.  L'empire  britannique  peuple  à  lui  seul 
d'immenses  cimetières.  Le  sépulcre  de  Jeanne  d'Arc  nous  manque,  mais 
sa  sainte  figure  domine  nos  rivages,  elle  bénit  du  haut  du  Ciel  les  armées 
des  morts  de  la  grande  guerre  et  sourit  au  triomphe  de  la  Patrie  dont 
elle  incame  la  bravoure  et  la  foi. 


LILLE 


(1) 


SUR    JEANNE    D'ARC 


Les  saints,  quoiqu'ils  soient  au-dessus  de  nous,  ou  plutôt  parce  qu'ils 
le  sont,  nous  sont  donnés  pour  être  nos  modèles.  Une  Française  doit 
faire  plus  que  de  s'enthousiasmer  pour  Jeanne,  ou  de  pleurer  sur  elle. 
Elle  doit  imiter,  autant  qu'elle  le  peut,  je  ne  dis  pas  la  mission  de  la 
Pucelle  —  grâce  gratuite  et  personnelle  à  cette  enfant  du  miracle  — 
mais  son  esprit. 

Et  de  quoi  est -il  fait?  D'un  amour  de  la  France,  ardent,  confiant, 
intrépide  ;  d'une  foi  si  vive  qu'elle  est  le  ressort  de  toute  la  vie  de 
l'héroïne;  d'une  générosité  d'âme  qui  prévoit  la  souffrance  et  qui  se 
livre  à  son  pouvoir  de  transfiguration.  Voilà  les  trois  éléments  dont  la 
fusion  a  fait  le  métal  précieux  de  la  couronne  de  sainte  qui  va  être  posée 
par  l'Eglise  au  front  de  Jeanne. 

Ils  me  paraissent  plus  beaux  encore  et  plus  utiles  à  considérer  que 
sa  glorieuse  chevauchée  à  travers  la  France  délivrée.  Nous  eussions 
aimé,  certes,  à  la  voir  marcher  de  victoire  en  victoire  jusqu'à  Reims, 
où  elle  mène,  dans  les  plis  de  sa  bannière  qui  monte  à  l'honneur  après 
avoir  été  à  la  peine,  le  petit  roi  de  Bourges.  Il  a  grandi  par  ses  victoires, 
il  devient  par  l'huile  sainte,  qui  peut  maintenant  couler  sur  son  front 
auréolé,  le  roi  de  France  !  Quel  Français,  si  l'antimilitarisme  n'en  a 
point  fait  un  dégénéré,  ne  se  laisserait  prendre  ici  à  notre  goût  hérédi- 
taire des  faits  d'armes  prodigieux  et  des  frissons  de  la  victoire  électrisant 
un  peuple  entier  dans  une  acclamation  triomphale? 

(1)  Mgr  Cbarost  n'ayant  pu  écrire  ces  pages,  vibrant  et  éloquent  écho  de  son  allocution  aux  Dames  de  Lille  pendant 
l'occupation  allemande,  qu'en  février  1920,  nous  n'avons  pu  les  donner  qu'à  la  fin  du  volume  et  non  dans  l'ordre 
alpbatsé  tique. 


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iVlais  «  les  victoires  aux  ailes  embrasées  »  sont  bientôt  emportées,  par 
leur  vol  même,  au-delà  de  notre  horizon.  Elles  ne  laissent  guère  plus  de 
trace  que  le  passage  de  l'oiseau  qui  fend  les  airs.  L'esprit  de  Jeanne,  lui, 
se  survit  dans  sa  race.  C'est  lui  qui  a  rendu  à  la  France  d'aujourd'hui 
l'offensive  irrésistible  et  soudaine  que  cette  guerrière  qui  crie  toujours  : 
«  En  avant  !  »  réapprit  à  sa  nation  envahie. 

Je  n'en  veux  esquisser  ici  que  le  premier  des  traits  marqués  plus 
haut  :  le  patriotisme  ardent  et  superbe  de  confiance  intrépide.  Un  vrai 
miracle  moral  m'a  frappé  plus  que  tout  le  reste  dans  cette  histoire 
merveilleuse.  Jeanne,  avant  de  reconquérir  la  France  sur  l'Anglais,  l'a 
reconquise  sur  elle-même.  La  nation  s'abandonnait  ;  elle  était  lasse 
d'être  toujours  battue,  piétinée  par  les  hommes  d'armes,  tous  ses  villages 
flambant  comme  des  torches.  Elle  se  résignait  à  son  destin  d'humilia- 
tion, d'annexion.  Avant  de  reconquérir  le  royaume,  Jeanne  dut  aussi 
conquérir  le  roi.  Ayant  perdu  le  sentiment  de  la  fierté  royale,  il  per- 
dait aussi  et  gaiement,  son  royaume.  Ainsi  parlait  un  chroniqueur. 

i\ul  désastre  n'égalait  cette  double  abdication  de  la  conscience 
publique  et  de  la  conscience  monarchique.  La  défaite  n'est  rien,  tant  que 
vit  le  désir  de  ressaisir  la  victoire.  La  fortune  capricieuse  revient,  en  fin 
de  compte,  à  celui  qui  la  dompte  et  l'enchaîne  à  son  drapeau.  Mais 
accepter  la  défaite,  bien  plus,  la  déchéance,  mais  laisser  tomber  la  foi 
même  au  destin  de  la  patrie,  voilà  ce  qui  fait  d'un  peuple  entier  un 
déserteur.  Voilà  ce  par  quoi  il  est  et  il  reste  à  la  merci  de  son  ennemi. 
Celui  qui  est  vaincu,  disait  Napoléon,  est  celui  qui  croit  l'être.  Ceux-là 
le  savaient  bien,  disais-je  souvent  à  Lille,  qui  cherchent  avec  tant  de 
persévérance  et  de  méthode  à  nous  le  faire  croire.  On  est  toujours 
vaincu  dans  son  cœur,  ajoutais-je,  avant  de  l'être  sur  le  champ  de 
bataille. 

Or,  c'est  devant  cette  France,  épave  morale  ;  c'est  devant  nos  vieux 
et  expérimentés  guerriers,  les  La  Hire,  les  Dunois,  les  Xaintrailles,  tous 
abattus,  n'ayant  plus  de  flamme  dans  le  regard  en  face  de  leurs 
hommes  d'armes,  plus  prompts  de  leur  côté  à  jouer  des  éperons  que 
de  la  lance  ;  c'est  devant  ce  débris  d'armée  et  devant  cette  Cour  que  la 
frivolité  dissipe,  que  l'intrigue  paralyse,  que  Jeanne,  enfant  de  dix-sept 
ans,  apparaît. 

Son  patriotisme  est  si  radieux  et  si  pur,  et  sa  faiblesse  si  intré- 
pide ;  la  bergère  d'hier  est  si  chevaleresque,  et  sa  voix,  qui  ne  chantait 


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que  des  cantiques  de  village,  émeut  si  bien  comme  un  clairon  qui 
sonne,  tout  enfin  en  Jeanne  est  si  français  :  l'allure  primesautière,  la 
gaieté  spirituelle,  le  geste  qui  prend  au  collet  la  victoire,  que  le  Dau- 
phin se  relève,  que  les  capitaines  à  barbe  grise  sont  domptés,  que  les 
docteurs  cessent  leurs  subtilités  et  les  conseillers  leurs  tergiversations, 
que  l'armée  marche  en  bataille  et  que,  sous  le  tissu  léger  de  la  bannière 
blanche  et  bleue  qui  se  détache  en  tête  et  qui  monte  à  l'échelle 
d'assaut  appliquée  aux  tourelles,  nos  troupes  se  sentent  plus  fortes  que 
par  les  hauberts  et  les  cuirasses  d'acier  ;  enfin  qu'Orléans,  quand 
Jeanne  entre  dans  ses  murs  investis,  est  déjà  réconforté,  et  comme 
«  désassiégé  »,  écrit  un  témoin  oculaire.  On  redevient  Français  en 
France  et  l'enthousiasme  pousse  sans  fin  les  vagues  d'assaut  qui  vont 
jeter  les  Anglais  à  la  Loire  d'abord,  à  la  mer  ensuite. 

O  Jeanne,  c'est  beau  à  vous  d'avoir  rendu  à  votre  roi  la  couronne 
qui  avait  roulé  à  terre  sous  les  voûtes  funèbres  de  Saint-Denis,  et  qu'a- 
vait relevée  d'un  geste  orgueilleux  Henri  de  Lancastre,  acclamé  par 
le  héraut  roi  de  France  et  d'Angleterre  !  C'est  beau  à  vous,  d'avoir 
rendu  à  la  France  sa  terre  aux  doux  et  clairs  horizons,  sa  terre  belle  et 
riche,  toujours  convoitée  !  Mais  c'est  plus  beau  encore  de  lui  avoir  rendu 
la  volonté  de  vivre  et  le  courage  de  vaincre  !  Ce  don-là  préparait  et 
enveloppait  déjà  tous  les  autres  ! 

iVi.esdames,  voilà  votre  exemple  et  votre  programme  !  Rien  ne  pousse 
plus  sur  le  sol  opulent  de  la  Flandre.  Il  n'est  plus  ensemencé  que  des 
éclats  d'obus  et  des  explosifs  qui  demain  feront  éclater  la  mort  dans  nos 
champs,  quand  le  laboureur  essaiera  enfin  d'y  faire  à  nouveau  germer  la 
vie.  Mais  vous,  soyez  des  semences  d'énergie,  de  confiance,  de  courage. 
Parlez  avec  l'autorité  et  la  délégation  de  Jeanne,  la  sainte  de  la  Patrie  et 
de  votre  Ligue  patriotique,  devant  ceux  qui  défaillent,  devant  ceux  qui 
doutent,  devant  ceux  qui  sont  las  !  Il  y  en  a  moins  peut-être  parmi  le 
peuple,  qui  est  habitué  à  se  réduire  et  à  faire  à  l'inévitable  souffrance  sa 
part  dans  la  vie,  que  parmi  les  anciens  heureux  de  cette  terre  fortunée 
qui  n'ont  plus  qu'une  carte  si  étrangement  simplifiée  d'aise  et  de  bien- 
être.  Mais  ils  n'oseront  plus  soutenir  leur  désarroi,  devant  une  vision 
féminisée  de  patriotisme,  celui-ci  illuminant  votre  regard  et  faisant  sonner 
votre  parole. 

Ainsi,  les  chefs  de  guerre  du  dauphin  Charles,  réunis  en  conseil, 
cédaient  la  place  et  la  salle  à  Jeanne  parce  qu'ils  se  sentaient,  à  son 
approche,  en  état  d'infériorité.  La  Pucelle,  quand  elle  heurtait  de  sa  lance 


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la  porte  de  leur  assemblée,  faisait  pâlir  les  Gaucourt  et  les  Xaintrailles  : 
«  Vous  avez  été  à  votre  conseil,  messires,  disait-elle  d'un  ton  bref  ;  moi 
j'ai  été  au  mien.  En  nom  Dieu,  le  conseil  de  Notre-Seigneur  est  plus  sûr 
et  plus  habile  que  le  vôtre  !»  A  sa  voix,  un  flot  de  sang  plus  bouillant 
leur  montait  au  visage,  comme  aussi  au  duc  d'Alençon,  faiblissant,  et  que 
Jeanne  souriante  éperonnait  en  pleine  mêlée  de  ce  mot  railleur  :  «  En 
avant  !  gentil  duc,  à  l'assaut  !  Ah  !  gentil  duc,  as-tu  peur  ?  Ne  sais-tu  pas 
que  j'ai  promis  à  la  duchesse  de  te  ramener  sain  et  sauf  de  la 
bataille  ?  »  »' 

(1)  Allocution  à  la  Ligue  patriotique  des  Françaises,  prononcée  à  Lille,  par  l'évéque  de  Lille,  le  jour  de  la  fête  de 
Jeanne  d'Arc,  au  cours  de  la  troisième  année  de  l'occupation  allemande  (1917). 

Lille,  le  12  février  1920. 


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PAGES    FINALES 

D'HOMMAGES    ÉPISCOPAUX 


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JL/ix  de  nos  NN.  SS.  les  évêques,  par  suite  de  maladie  ou  de  circonstances  tout  à 
fait  indépendantes  de  leur  volonté,  n'ont  pu  nous  adresser,  en  temps  utile,  leur  colla- 
boration dans  le  cadre  et  avec  le  développement  de  notre  ouvrage  en  l'honneur  de 
Jeanne  d'Arc.  Ils  ont  tenu,  néanmoins,  à  nous  faire  p«irvenir,  avec  leur  gracieuse 
adhésion,  une  pierre  intéressante,  soit  sous  la  forme  d'vme  pensée  pieuse  et  patriotique, 
soit  sovis  celle  de  notes  historiques,  en  associant  leur  province  ou  leur  pays  à  la  glori- 
fication de  la  Pucelle  d'Orléans. 

Wous  reproduisons  ci-après  ces  notes  et  ces  pensées  qui  nous  sont  chères  et  qui 
couronnent  dignement  notre  œuvre  laborieuse,  mais  combien  douce  et  agréable. 

.Nous  sommes  heureux  d'ajouter  ainsi  les  noms  de  ces  dix  vénérés  évêques,  dont 
sept  sont  depuis  décédés,  à  ceux  qui  ont  daigné  nous  apporter  un  concours,  sinon 
plus  empressé,  du  moins  plus  large,  plus  important  et  plus  en  rapport  avec  notre  but. 
Cela  porte  à  98  le  total  des  membres  de  l'épiscopat  français  qui  ont  collaboré  à  notre 
monument  érigé  à  la  gloire  de  la  Sainte  de  la  Patrie.  Ce  chiffre  dépasse,  par  suite 
des  décès  survenus,  le  nombre  des  titulaires  de  sièges  épiscopaux  en  France. 

A.   R. 


Gloire  à  Jeanne  d'Arc,  illustre  Française  et  honneur  de  l'Église  ! 
C'est  une  pieuse  pensée  que  les  femmes  de  France  la  prennent  pour 
leur  patronne  et  se  consacrent  à  elle  sous  sa  toute-puissante  bannière. 

t  J.  V.  Cardinal  DUBILLARD,  archevêque  de  Chambéry 

»  (depuis  décédé). 

Par  la  Bienheureuse  Jeanne  d'Arc,  proclamée  patronne  de  la  France, 
nous  reprendrons  les  traditions  de  nos  ancêtres,  et  la  nation  continuera  à 
travers  les  siècles  son  rôle  de  soldat  de  Dieu  et  de  fille  aînée  de  l'Eglise. 

t  CLAUDE,  évêque  de  Séez 
(Mgr   BARDEL). 


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Par  sa  vie  pieuse  et  pure,  par  sa  devise  :  Jésus-Maria,  Jeanne  d'Arc 
a  sauvé  la  France,  en  apprenant  à  ses  soldats  et  à  leurs  chefs  à  vivre  en 
chrétiens.  Tel  est  l'idéal  seul  capable  aujourd'hui  de  lui  conserver  sa 
grandeur  et  sa  puissance  civilisatrice. 

t  PIERRE-MARIE,  évêque  de  Clermont 
(Mgr  BELMONT). 

La  France  tient  à  justifier  de  plus  en  plus  ce  mot  de  Bossuet  à 
propos  de  la  Bienheureuse  Jeanne  :  «  Le  peuple  suit,  pourvu  qu'il 
entende  seulement  son  nom.  » 

t  HENRY-JOSEPH,  évêque  de  Périgueux  et  Sarlat 
(Mgr  BOUGOUIN),  depuis  décédé. 

Je  suis  heureux  d'acclamer  notre  Bienheureuse,  qui  sera  bientôt  notre 
Sainte  !  Prions,  agissons,  soyons  unis  pour  Dieu  et  pour  la  France.  Vive 
Jeanne  d'Arc  ! 

t  PIERRE-FIRMIN,  évêque  d'Oran 
(Mgr  CAPMARTIN),  depuis  décédé. 

Nous  espérons  bientôt  acclamer  la  Bienheureuse  comme  sainte  et  la 
placer  sur  nos  autels.  Tous  ceux  qui  l'honorent  comme  patriote  et  comme 
bienheureuse  font  une  oeuvre  utile  à  la  Patrie  et  agréable  à  Dieu, 

t  MARIE-CHARLES,  évêque  d'Aire  et  de  Dax 
(Mgr  DE  CORMONT). 

Prier  la  Bienheureuse  Jeanne  d'Arc,  c'est  nous  remettre  devant  les 
yeux,  pour  y  conformer  notre  vie  selon  nos  moyens,  un  admirable  idéal 
de  foi  robuste,  de  patience  soutenue,  de  courage  invincible. 

t  LOUIS-JEAN,  évêque  d'Évreux 
(Mgr  DÉCHELETTE),  depuis  décédé. 

Notre  Bienheureuse,  demain  notre  Sainte,  est  tellement  fille  de  Dieu 
qu'elle  reflète  tous  les  rayons  du  cœur  de  Jésus  :  l'amour  du  Pape, 
l'amour  de  la  Patrie...  l'Eucharistie. 

t  HENRY-RAYMOND,  évêque  d'Autun 

(Mgr   VILLARD),    depuis  décédé. 


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JEANNE    D'ARC 


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On  ne  saurait  assez  dire  de  la  Pucelle,  et  je  loue  votre  projet  consistant 
à  mettre  en  relief,  plus  encore  s'il  est  possible  après  les  articles,  études, 
brochures  et  livres  déjà  parus,  cette  saisissante,  très  puissante  et  très 
sainte  figure. 

Elle  me  semble  prendre  place  dans  les  grandes  étapes  de  l'histoire 
religieuse  à  côté  des  femmes  magnanimes  célébrées  par  l'Ecriture  : 
Judith,  Déborah,  et  les  autres,  —  mais,  comme  évêque  d'Amiens,  voici  ce 
qu'il  me  plaît  d'en  écrire  pour  votre  recueil. 

Jeanne  d'Arc  en  Picardie  (décembre  1430) 

Notre  héroïne  nationale,  prisonnière,  passa  un  jour  dans  le  donjon 
de  Drugy-Saint-Riquier,  cinq  jours  au  plus  aux  prisons  du  Crotoy  et  de 
Saint- Valéry  de  Picardie. 

C'est  dans  le  cachot  du  Crotoy  que,  visitée  par  les  bien  françaises 
et  compatissantes  dames  d'Abbeville,  elle  s'écria  :  «Que  voici  un  bon 
peuple  !  Plût  à  Dieu  que  je  fusse  si  heureuse  lorsque  je  finiray  mes  jours 
que  je  puisse  être  enterrée  en  ce  pays  !  » 

Ces  douces  paroles,  je  les  retiens  pour  la  Picardie  et  pour  moi. 

Pour  la  Picardie,  parce  qu'elles  l'honorent. 

Pour  moi,  parce  que,  après  Jeanne,  je  dirai  des  fidèles  confiés  à  mes 
soins  :  que  voici  un  bon  peuple  !  quand  je  finirai  mes  jours,  je  veux 
reposer,  par  la  grâce  de  Dieu,  en  ce  pays,  près  de  ceux  qui  jadis 
l'évangélisèrent,  près  de  ceux  qui  le  régirent  avant  moi.  Dormiam  cum 
patribus  et  fratribus  meis. 

Amiens,  le  24  décembre  1914. 


(1)  Page  envoyée  par  Mgr  Dizien,  évêque  d'Amiens, 
décédé  en  mars  1915. 


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JEANNE    D'ARC 


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MONACO 


(1) 


Je  suis  très  flatté  et  très  heureux  d'être  invité  à  joindre  l'hommage 
de  ma  respectueuse  vénération  à  celui  de  mes  vénérés  collègues  de 
l'Épiscopat  de  France.  Ce  n'est  pas  seulement  l'évêque  français  de 
Monaco  qui  s'incline  devant  la  glorieuse  sainte  française,  c'est  aussi  la 
population  française  de  notre  Principauté  qui  salue  avec  respect  et 
amour  la  libératrice  de  la  France.  A  Monaco,  les  Français  constituent 
la  moitié  de  la  population  résidante. 

Il  y  a  en  outre  un  souvenir  particulier  qui  fixe  le  nom  de  Jeanne 
d'Arc  au  nombre  des  meilleurs  au  point  de  vue  monégasque.  Le  prince 
Albert  I",  souverain  actuel  de  Monaco,  est  un  des  descendants  directs 
du  célèbre  Dunois,  le  fidèle  compagnon  d'armes  de  la  grande  guerrière, 
par  le  mariage  d'une  fille  de  Dunois  avec  un  Matignon-Grimaldi  ;  et  il 
est  le  neveu  du  cardinal  d'Estouteville  qui,  en  1452,  entreprit  la  réhabi- 
litation de  Jeanne  d'Arc  en  dirigeant  la  révision  de  son  procès.  C'est  ce 
cardinal  qui  institua  la  procession  annuelle  de  la  délivrance  d'Orléans, 

L'histoire  et  la  gloire  de  Jeanne  d'Arc  intéressent  donc  beaucoup  non 
seulement  la  colonie  française  de  Monaco,  qui  est  très  patriote  et  parmi 
laqu-elie  il  faut  compter  le  plus  grand  nombre  des  fonctionnaires  et 
msgis':rats  de  la  Principauté,  mais  aussi  la  famille  souveraine  du  pays, 
<r.t  toui;e  la  population  monégasque  elle-même. 

Flnnaco,   le  8  décembre  1914. 


<  Il  Ces  liiines  ont  été  écrites  pour  notre  publication  par  Mltr  du  Curel,  évëque  de  Monaco,  décédé  en  1915. 


330 


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SOMMAIRE 


Amédée  RICHARDET  AVANT- PROPOS 

Mgr  BAUDRILLART,  de  l'Académie  Française.  PRÉFACE  —  Un  monument. 

LETTRE    DE    SA    SAINTETÉ    LE    PAPE    BENOIT    XV 


Cardinal  LUÇON,  archevêque  de  Reims 

Cardinal  ANDRIEU,  archevêque  de  Bordeaux  . 
Cardinal  AMETTE,  archevêque  de  Paris  .... 
Cardinal  de  CABRIÈRES,  évêque  de  Montpellier  . 
Cardinal  DUBOURG,  archevêque  de  Rennes  .  . 
Cardinal  DUBOIS,  archevêque  de  Rouen  .... 
Cardinal  MAURIN,  archevêque  de  Lyon    .... 

*  Cardinal  SEVIN,  archevêque  de  Lyon 

Cardinal  BILLOT,  à  Rome 

Mgr  BONNEFOY,  archevêque  d'Aix 

Mgr  CHESNELONG,  archevêque  de  Sens  .... 
Mgr  CHOLLET,  archevêque  de  Cambrai  .... 
Mgr  COMBES,  archev.  d'Alger  (act.  de  Carthage). 

*  Mgr  FUZET,  archevêque  de  Rouen 

*  Mgr  GAUTHEY,  archevêque  de  Besançon   .    .    . 
Mgr  GERMAIN,  archevêque  de  Toulouse .... 

Mgr  IZART,  archevêque  de  Bourges 

Mgr  LATTY,  archevêque  d'Avignon 

*  Mgr  MIGNOT,  archevêque  d'Albi 

Mgr  NÈGRE,  archevêque  de  Tours 

Mgr  RICARD,  archevêque  d'Auch 

Mgr  ARLET,  évêque  d'Angoulème 

Mgr  de  BEAUSÉJOUR,  évêque  de  Carcassonne. 
Mgr  BÉGUINOT,  évêque  de  Nîmes 

*  Mgr  BERTHET,  évêque  de  Gap 

Mgr  BERTHOIN,  évêque  d'Autun 

Mgr  BIOLLEY,  évêque  de  Tarentaise 

Mgr  BONNET,  évêque  de  Viviers 

*  Mgr  BOUISSIÈRE,  évêque  de  Constantine    .    .    . 

Mgr  BOUQUET,  évêque  de  Chartres 

Mgr  BOUTRY,  évêque  du  Puy 

Mgr  CAMPISTRON,  évêque  d'Annecy 

Mgr  de  CARSALADE  du  PONT,  év.  de  Perpignan. 
Mgr  CÉZÉRAC,  év.  de  Cahors  (act.  arch.  d'Albi). 

Mgr  CHAPON,  évêque  de  Nice 

Mgr  CHAROST,  évêque  de  LUle  (D 

Mgr  CHATELUS,  évêque  de  Nevers 

Mgr  DUPARC,  évêque  de  Quimper 

Mgr  de  DURFORT,  év.  Langres  (act.  év.  Poitiers). 
Mgr  EYSSAUTIER,  évêque  de  La  Rochelle    .    . 

*  Mgr  FODÈRÉ,  évêque  de  St-Jean-de-Maurienne  . 

Mgr  FOUCAULT,  évêque  de  Saint-Dié 

Mgr  GARNIER,  évêque  de  Luçon 

Mgr  GELY,  évêque  de  Mende 

Mgr  GENOUD,  évêque  de  la  Guadeloupe .... 


^^j.,^x^      ^^  ,  PAGES 

Jeanne  d'Arc  et  Reims 1 

Prière,  travail,  sacrifice 5 

La  Vierge  de  Domremy 7 

Jeanne  d'Arc  et  la  Liturgie 11 

Jeanne  d'Arc,  libératrice  de  la  France 15 

Jeanne  d'Arc  et  l'Eucharistie 19 

Jeanne  d'Arc  et  le  Dauphiné 21 

Jeanne  d'Arc,  protectrice  et  gardienne  de  la  Patrie    ....  25 

Jeanne  d'Arc  et  la  paix  fondée  sur  le  rétablissement  du  droit .  29 

Hommage  à  Jeanne  d'Arc 37 

Béatification  de  Jeanne  et  réveil  du  patriotisme  en  France.  39 

Jeanne  d'Arc  et  le  Peuple 45 

L'oeuvre  de  Jeanne,  œuvre  d'union 49 

Jeanne  d'Arc  et  Rouen.  —  Sa  mort,  son  souvenir,  son  culte.  51 

La  mission  de  Jeanne  d'Arc 55 

Patrice  decus 59 

Jeanne  d'Arc  à  Bourges gi 

Le  martyre  de  Jeanne 67 

Jeanne,  la  grande  Française 73 

Jeanne  d'Arc  et  la  Touraine 77 

Jeanne  d'Arc  et  ses  chevaliers  gascons 79 

Espérances  qui  s'attachent  au  culte  de  Jeanne  d'Arc.    ...  35 

Jeanne  d'Arc  et  ses  contemporains 89 

La  Bienheureuse  Jeanne  d'Arc 93 

Jeanne  d'Arc  et  l'archevêque  d'Embrun 97 

Jeanne  d'Arc  et  Notre  Seigneur  Jésus-Christ 99 

Nos  motifs  de  confiance  en  l'intercession  de  Jeanne  d'Arc   .  103 

Notre  libératrice  d'hier  et  notre  libératrice  de  demain  .    .    .  105 

Jeanne  d'Arc  et  la  Patrie 107 

Jeanne  d'Arc  et  le  pays  chartrain m 

Vertus  de  Jeanne  d'Arc  à  Domremy 115 

La  piété  de  Jeanne  d'Arc 119 

La  foi  et  la  Patrie  unies  dans  Jeanne  d'Arc 123 

Jeanne  d'Arc  et  Notre-Dame  de  Roc  Amadour 127 

La  mission  de  Jeanne  d'Arc 131 

Sur  Jeanne  d'Arc  pendant  la  guerre 321 

Jeanne  et  le  Nivernais 133 

La  Vierge  guerrière 137 

Jeanne  et  ses  juges 141 

L'âme  de  Jeanne  d'Arc  et  l'âme  de  la  femme  française.    .    .  145 

Jeanne  d'Arc,  sainte  de  la  Patrie  française 151 

Pro  domo.  —  Au  pays  de  Jeanne  d'Arc 155 

Jeanne,  vierge  simple 159 

Mission  de  Jeanne  d'Arc  et  son  action  dans  la  guerre  actuelle .  165 

«  Je  suis  née  pour  cela.  !» 167 


*  Les  noms  précédés  d'un  astérisque  sont  ceux  des  prélats  décédés  depuis  l'envoi  de  leur  collaboration. 
(1)  Cette  collatxjration  parvenue  en  dernier  lien,  n'a  pu  trouver  place  qu'à  la  fin  des  pages  encadrées. 


333 


*  Mgr  DE  GIBERGUES,  évêque  de  Valence  .    .    . 

Mgr  GIBIER,  évêque  de  Versailles 

Mgr  GIEURE,  évêque  de  Bayonne 

Mgr  GINISTY,  évêque  de  Verdun 

Mgr  GOURAUD,  évêque  de  Vannes 

Mgr  GRELLIER,  évêque  de  Laval 

Mgr  GUÉRARD,  évêque  de  Coutances 

Mgr  GUILLIBERT,  évêque  de  Fréjus 

Mgr  HUMBRECHT,  év.  Poitiers  (act.  arch.  Besançon). 

Mgr  LANDRIEUX,  évêque  de  Dijon 

Mgr  LE  CŒUR,  évêque  de  Saint-Flour    .... 
Mgr  LE  FER  DE  LA  MOTTE,  év.  de  Nantes. 

Mgr  LÉGASSE,  évêque  d'Oran 

Mgr  LEMONNIER,  évêque  de  Bayeux 

*  Mgr  LENFANT,  évêque  de  Digne 

Mgr  LEQUIEN,  évêque  de  la  Martinique  .... 

Mgr  LE  SENNE,  évêque  de  Beauvais 

Mgr  de  LIGONNÈS,  évêque  de  Rodez 

*  Mgr  LOBBEDEY,  évêque  d'Arras 

Mgr  MAILLET,  évêque  de  Saint-Claude     .... 

Mgr  MANIER,  évêque  de  BeUey   . 

Mgr  MARBEAU,  évêque  de  Meaux 

Mgr  MARCEILLAC,  évêque  de  Pamiers     .... 

Mgr  MARTY,  évêque  de  Montauban 

Mgr  MÉLISSON,  évêque  de  Blois 

*  Mgr  METREAU,  évêque  de  Tulle 

Mgr  MONNIER,  évêque  de  Troyes 

Mgr  MORELLE,  évêque  de  Saint-Brieuc    .... 
Mgr  PÉCHENARD,  évêque  de  Soissons     .... 

Mgr  PELT,  évêque  de  Metz 

Mgr  PENON,  évêque  de  Moulins 

Mgr  de  LA  PORTE,  év.  Mans  (act.  év.  tit.  de  Berysa) 

Mgr  QUILLIET,  évêque  de  Limoges 

Mgr  RUCH,  évêque  de  Strasbourg 

Mgr  RUMEAU,  évêque  d'Angers 

Mgr  SAGOT  du  VAUROUX,  évêque  d'Agen    .    . 

Mgr  SIMEONE,  évêque  d'Ajaccio 

Mgr  SCHŒPFER,  évêque  de  Tarbes 

Mgr  TISSIER,  évêque  de  Châlons 

Mgr  TOUCHET,  évêque  d*Orléans 

*  Mgr  TURINAZ,  évêque  de  Nancy 

*  Mgr  VIE,  évêque  de  Monaco 

Mgr  de  LA  VILLEBAREL,  évêque  d'Amiens  .    . 

*  Mgr  DIZIEN,  évêque  d'Amiens 

*  Mgr  du  CUREL,  évêque  de  Monaco 

NOTE 

Cardinal  DUBILLARD  *,  NN.  S  S.  BARDEL,  BELMONT, 
BOURGOIN»,  de  COURMONT,  CAPMAKTIN  •, 
DÉCHELETTE  *,    VILLARD  • 


Oraison  de  la  fête  de  Jeanne  d'Arc 171 

La  piété  de  Jeanne  d'Arc 175 

Jeanne  d'Arc,  ses  Gascons,  ses  Basques,  ses  Bésumais  .    .    .  177 

Jeanne  d'Arc  et  Verdun 183 

Jeanne  d'Arc,  gage  d'espérance 187 

Jeanne  d'Arc  et  le  Bas-Maine 191 

Jeanne  d'Arc,  modèle  de  patriotisme 195 

Jeanne  d'Arc,  protectrice  et  patronne  de  la  France    ....  197 

Jeanne  d'Arc  et  Poitiers 199 

Jeanne  d'Arc  à  Reims  sous  les  obus 203 

La  Bienheureuse  Jeanne  d'Arc,  «  fille  au  grand  cœur  »  .    .  207 

Jeanne  d'Arc  et  le  bon  plaisir  divin 211 

Jeanne  d'Arc  et  la  victoire  morale  de  la  France 215 

Jeanne  d'Arc  et  le  diocèse  de  Bayeux 219 

Jeanne  d'Arc,  idéal  radieux  de  fidélité 221 

Jeanne  d'Arc  et  la  vie  surnaturelle 225 

La  grande  dette  du  diocèse  de  Beauvais  envers  Jeanne  d'Arc .  227 

Ce  que  nous  devons  demander  à  Jeanne  d'Arc 231 

Jeanne  d'Arc,    la  martyre 233 

Admirables  analogies  de  Jeanne  d'Arc  et  de  la  France  de  1914.  237 

Jeanne  d'Arc  et  la  Sainte-Communion 241 

Jeanne  d'Arc,  chrétienne  et  Française.  Elle  nous  parle,  écoutons-là.  243 

Jeanne  d'Arc  et  sa  mission  au  XX"  siècle 249 

La  béatification  de  Jeanne  d'Arc  :  signe  de  salut  poiu-  la  France  253 

La  veillée  des  armes 257 

Le  martyre  de  Jeanne  d'Arc 261 

Jeanne  d'Arc  et  le  diocèse  de  Troyes 265 

Jeanne  d'Arc  et  la  France 267 

Soissons  à  Jeanne  d'Arc  :  hommage  et  confiance 271 

Jeanne  d'Arc  et  Metz  pendant  la  guerre 275 

Un  pèlerinage  à  Domremy 277 

Jeanne  d'Arc,  notre  modèle 283 

Jeanne  d'Arc  et  la  victoire  de  la  foi 286 

Jeanne  d'Arc  et  l'Alsace 287 

Jeanne  d'Arc,  don  de  Dieu  à  la  France 289 

Jeanne  d'Arc  et  le  royaume  de  France 291 

La  vraie  force  de  Jeanne  d'Arc 293 

Mission  providentielle  de  Jeanne  d'Arc 297 

La  divine  messagère 299 

La  canonisation  de  Jeanne  d'Arc 303 

La  sainte  Française 309 

Jeanne  d'Arc  et  la  France 313 

Jeanne  d'Arc  et  la  Picardie 317 

Jeanne  d'Arc  en  Picardie 327 

Jeanne  d'Arc  et  Monaco 328 

329 

Hommages  à  Jeanne  d'Arc 330 


334 


Le  présent  ouvrage 
a  été  décoré  par 
A.  BUGNIOT 
et  imprimé  par 
KAUFFMANN 
PARIS   


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